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1781, 07, n. 27-30 (7, 14, 21, 28 juillet)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTEN AN E
Yos
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l' Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 7 JUILLET 1781 .
BYT
BIBE
GHATRAT
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
STOR LIBRARY
TABLE
Du mois de Juin 1781.
PIÈCES
FUGITIVES.
Mon Rive , Couplets à Alexandrine
,
Saint-Alme & Pulchérie ,
Vers fur laMort de M. Bor.
des
49
97
Air d'Apollon & Coronis , 52
Galanterie à Mlle D.
Elai de Traduction du Pradium
Rufticum , 98
Alife & Arsème , Romance.9
145
147 Les Trois Syftemes ,
le Pari , Conte ,
Fers à M. de la Harpe,
Le Serin & le Moineau, Fable,
193
194
Supplique d'un Récipiendaire
Franc- Maçon ,
126
129
153
Méthode nouvelle pour tracer
facilement les Cadrans Solaires
,
Itineraire Portatif,
Les Styles , Poëme ,
Reflexions Philofophiques fur
l'origine de la Civiliſation ,
175
181
210
Difcours fur la Pucelle d'Or
léans
,
Jeanner & Colin ,
Nécrologe des Hommes Célèbres
de France ,
Précis de quelques Réflexions
Morales & Philofophiques,
lu à la Séance de l'Acadé
mie de Dijon,
223
W227
SPECTACLES.
197 Académie Roy, de Mufiq , 88 ,
186 , 230 Pétronille & St-Leu, Anecd ib .
Enigmes & Logogryphes , 14 , Comédie Françoife , 31 , 90
54 , 105 , IST , 209
26
NOUVELLES LITTER.
Le Théâtre François , 18
Euvres complettes de M. le
C. de B..
Contes dévots , Fables & Romans
,
Nouveaux Contes Turcs
Arabes .
Hiftoire de la Chirurgie ,
Navigation , Pocine ,
23x9
Comédie Italienne , 36
Dialogue entre un Spectateur &
un Critique
Académie des Sciences
VARIÉTÉS.
cure ..
331
1
38
30 Lettre aux Rédacteurs du Mer-
& 9 , 139
56 Correspondance Générale pour
71 les Sciences & les Arts , 233
81 Gravures , 46 , 91 , 142 , 237
Les Bienfaits du Roi , 87 Géographie,
Architecture , Poëme , 107 Mufique ,
94
189
uvres complettes d'Ifocrate , Annonces Littéraires , 46 , 95.
113 143, 190 , 238
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rus de la Harge , près Saint-Cône.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 7 JUILLET 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Préfentés à M. le Curé de S. Sulpice , par
une jeune Fille du Catéchifme , le jour
qu'il en a fait la vifite.
O
11
vous , dont le foin paternel
Daigne guider notre innocence ,
Permettez en ce jour , pour nous & folemnel,
Que nous faffions parler notre reconnoiffance.
Votre coeur pour nous attendri ,
Fait par des guides sûrs éclairer notre enfance i
Vous recevrez le prix de votre bienfaisance ;
Le bonheur d'un Troupeau chéri
Du Pafteur eft la récompenfe.
Yous- même tous les ans vous venez voir les fruies
A j
MERCURE
Que de fages leçons dans notre ame ont produits.
O! comme de cette journée
Nos coeurs defirent le retour!
L'efpoir de vous plaire un feul jour
Les rend heureux toute l'année .
LE BALLET DES DINDONNEAUX ,
Conte.
UNfavant Machinifte , un grand Phyſicien ,
Opticien ,
Mécanicien ,
Très - confommé dans l'art pyrique ,
·Poffédant à fond l'hydraulique ,
Etoit cité dans plus d'un entretien ,
Comme l'honneur de la gent italique.
Rome étoit fon pays , & fon nom , Dominique,
Sa réputation ne reſta pas toujours
Dans les murs Romains enfermée ;
La vigilante Renommée
La fema dans toutes les Cours.
Toute l'Europe en fut vite informée :
On l'admiroit par - tout , & non pas
Car fon talent valoit bien fon renom.
N
fans raifon ;
MAIS du fort telle eft l'injuftice ,
Qu'un grand Homme vit pauvre au pays des Célars,
Le talent pour y naître y trouve un ciel propice
DE FRANCE.
Non la fortune. En un mot des Beaux-Arts
Rome eft fouvent la mère & jamais la nourrice.
On lui perfuade à la fin
Qu'en France , lieu chéri des filles de mémoire
Il pourra recueillir enfemble à pleine main ,
Et les richeffes & la gloire.
L'efpérance d'un double prix"
Le détermine; il part ; il arrive à Paris.
A fes frais le grand Dominique
Dreffe un vafte Théâtre où les Arts , à la voix
Soumettant leur pouvoir magique ,
Doivent charmer tous les fens à la fois.
Sa Renommée , en arrivant en France ,
Avoit apprivoisé le Dieu de la Finance .
Chez bien des gens l'espoir flatteur
De voir merveilles fur merveilles ,
Avoit ouvert en la faveur
Et les bouches & les oreilles.
Il débuta ; grands applaudiffemens ;
Les connoiffeurs prononcent la fentence 5
On trouva les détails charmans ;
On loua le deffin , le choix & l'ordonnance.
Effai nouveau , nouveau fuccès.
Mais las ! malgré le charme & la magnificence
D'un ſpectacle amuſant & neufpour les François ,
On vit de jour en jour décroître l'affluence.
Si bien qu'ayant long- temps fouffers
Par la recette un vide immenſe ,
A iij
MERCURE
Il vit , contre fon efpérance ,
Son talent très -vanté , fon théâtre défert.
Pour fruit de ce talent que le goût idolâtre ,
Le inalheureux n'eut que de vains lauriers
Et de très -rudes créanciers ,
Tant, qu'il fut obligé de fermer fon théâtre.
APRÈS ce coup , Dominique , dirton ,
Tout étourdi de fon naufrage ,
Faillit en perdre la raiſon.
Mais il rappelle enfin fes fens & fon courage,
De les débris qu'il raffembla foudain ,
.
Il bâtit en un tour de main
Une falle fans frais ; il affiche , & s'empreffe
D'annoncer des Acteurs nouveaux
Et des plaifirs d'une nouvelle eſpèce :
LE GRAND BALLET DES DINDONNEAUX.
Ce n'étoit pas une fauffe promeffe.
Dominique a pris en deux mots ,
Pour offrir au Public une nouvelle danſe
Un régiment de ces oiſeaux
4
Qui doivent danfer en cadence.
Quoi ! danfer ? danfer , oui , vraiment.
Etje vais vous dire comment.
Au lieu de planches , Dominique
Avoit arrangé de ſes mains
Des tôles qu'embrâfoient des poëles fouterrains.
Quand tout fut enflammé , fitôt que la musique
Sc fit entendre , en un moment
DE FRANCE. 7
K
On lâche la gent Dindonique ,
Qui marche d'abord gravement ;
Puis la chaleur l'éveille , elle s'agite ;
Puis d'aller , de venir plus vite ;
Et puis de s'élever , & par bonds & par fauts.
Quand chaque patte eut fenti la brûlure ,
Il falloit voir à l'aventure
Troter , courir ces pauvres Dindonneaux.
Chacun vers la couliffe alloit en diligence ;
Mais , le fouet à la main , des Maîtres de Ballets
Etoient là poftés tout exprès ,
Et les faifoient rentrer en danſe.
O comme nos Danſeurs ſe démenoient grand train !
A peine retombés , ils s'élançoient foudain.
La mefure en fouffroit , s'il faut être fincère ;
Mais je gage que l'Opéra
N'a jamais eu , jamais n'aura
Ballet plus chaud , ni danfe plus légère.
Di ce nouveau Spectacle on parut enchanté ;
Et les brave de tout côté
Voloient & rempliſſoient la Scène.
On y revint avec avidité ;
Chaque jour la falle fut pleine .
Bref, Dominique heureux & riche immenfément ,
Revint au fein de fa Patrie ;
Et la bêtife ainfi regagna promptement
Ce qu'avoit perdu le génie.
A iv
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Rien ; celui du
Logogryphe eft Flamme , où le trouvent
lame , ame, me & e .
QUESTION ÉNIGMATIQUE.
UN jour un bel efprit , que la fage Nature
Avoit comblé de ſes préfens , con simbɔ
Des Enigmes que lit l'Amateur du Mercare ,
S'applaudiffoit de pénétrer le ſens :
Nulle pour lui , dit-il , ne fut jamais obſcure....
En ce cas , lui répond , d'un ton modeſte & doux,
Une jeune perfonne : Ah , fans être perplexes,
Vous me direz: Qu'est - ce que tous
Hommes, femmes , enfans de l'un & l'autre fexe,
Au même inftant , font ensemble ici-bas ,
Sur la terre , fur l'onde & dans tous les climats ?
Le favant de rêver. Mais recherche inutile !
Il eſt encor dans le même embarras....
Sans doute , ami Lecteur , tu feras plus habile.
( Par feu M. *** , Avocat à Chartres. }
DE FRANCE. 9
LOGOGRYPHE.
SANS trop favoir qui étoit mon parrain ,
Mon nom pourtant eft tant foit peu Romain.
Sans dire au net le nombre de mes frères ,
Saches , Lecteur , qu'entr'eux je fuis l'aîné ,
(Non qu'autrefois ce droit me fât donné. )
Lorſque je nais , je fais naître ma mère ,
Qui tient les jours même de mes enfans.
Mais voici bien autre étrange mystère :
Dans mes fept pieds je renferme mon père ;
Un dépôt cher ; ce qui manque aux romans ;
Une liqueur ; ce qu'on devient par elle ;
Du Livre faint un Écrivain fidèle ;
´Ce qui n'eſt point ; deux Villes des Normands;
Le nid d'un aigle ; une maiſon flottante }
Pas dangereux ; des jardins une plante ,
Une vapeur que tranfportent les vents ;
Le bord d'un fleuve ; un mois , deux élémens ;
Terme au tri&rac ; une note ; un reptile ';
Le nom qu'on donne aux chemins d'une Ville ;
Un paffe-temps ; un ftupide animal ;
En vieux François un péché capital.
Cherche, Lecteur , dans cette pacotille;
J'y fuis nommé par mon nom de famille.
*
Av
10 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MENZICOFF , ou les Exilés , Tragédie
repréſentée devant Leurs Majeftés , fur le
Théâtre de Fontainebleau , au mois de
Novembre 1775 , par M. de la Harpe ,
de l'Académie Françoife ; précédée d'un
Précis Hiftorique fur le Prince Menzicoff
Longi panas fortunafavoris
Exigit à mifero. LUCAN.
A Paris , chez M. Lambert & Baudouin
Impr.- Libraires , rue de la Harpe , près
S. Côme. 1781. Prix , 2 liv. 8 fols.
DAANNSS un autre article on rendra compte
du Précis Hifloriquefur le Prince Menzicoff
Nous allons parler de la Tragédie faite fur
ce fujet.
ACTE Ier . Un malheureux gém.it dans les
deferts de la Sibérie , c'eft Vodemar ; il fe
plaint fur tout de Menzicoff ; fes plaintes
paroiffent juftes , elles font éloquentes , on
ea eft d'abord touché ; mais on voit bientôt
que Vodemar eft un de ces méchans que le
malheur aigrit au lieu de les corriger , &
qui feront infolens & cruels dans la profpérité
, puifqu'ils font durs & amers dans
l'infortune. Bering , Commandant en SibéDE
FRANCE: II
rie , homme plein d'humanité , & , comme
il le dit lui- même ,
Des ordres de rigueur compatiſfant Miniſtre ,
veut confoler Vodemar. Celui répond :
On ne confole pas un coeur tel que le mien. .. .
Des maux que l'on m'a faits l'affreux reffentiment ,
De mon coeur folitaire eft l'unique aliment.
J
On ne peut guères exprimer en plus beaux
vers un fentiment plus profond ni plus
horrible.
Béring parle de l'avénement du jeune
Czar Pierre II.
VODEM A R.
Oui , tout ce qu'en ces lieux on nous a fait connoître ,
C'eft qu'on nous opprimoit au nom d'un nouveau
Maître.
Ces vers font d'une convenance parfaite
daus le caractère une fois donné de Vodemar
, & pourroient convenir encore danis
la bouche d'un malheureux plus intéreffant .
C'est bien là le ton chagrin d'un coeur qui
fouffre.
Béring apprend à Vodemar la difgrâce de
Menzicoff & fon arrivée en Sibérie.
Dieu jufte ! c'eſt affez ; laiſſe-moi dans ces lieux ;
s'écrie Vodemar ,
Témoin de tous les maux , je ne fens plus mes peines t
Qui , je me croirai libre en regardant fes chaînes .
Avj
12 MERCURE
Je veux que mon aſpect ajoute à fon malheur....
Que , fouffrant fous mes yeux , il fouffre davantage.
C'est toujours en très - beaux vers les fentimens
affreux d'Atrée.
Comme je le voulois , tu reffens ton malheur.
Vodemar, autrefois rival du Prince Menzicoff,
amoureux d'Arzénie , qui a époufé
Menzicoff, exilé enfin par le crédit de Menzicoff
, ne connoît point ce Miniftre , même
de vue , & n'en eft point connu , fans que
cette fiction , affez peu vraisemblable , produife
d'autre effet dans la Pièce , qu'une
Scène où Vodemar jouit cruellement des
plaintes de Menzicoff, qui doit être preffé
en effet de les répandre dans le fein du premier
malheureux qu'il rencontre , mais qui
doit prudemment fe contraindre devant un
inconnu , puifque l'Hiftoire nous apprend
que Dolgorouki fat rappelé de la Sibérie
pour être roué , principalement à cauſe de
T'amertume de fes plaintes & de la violence
de fes imprécations contre l'Impératrice
Anne. Il est vrai que Menzicoff met dans
fes plaintes plus de philofophie que d'amertume;
mais il faut craindre encore de faire
favoir à fes perfècuteurs que , dans l'exil
même , on eft plus près qu'eux du bonheur !
Menzicoff devoit être d'autant plus éloigné
de toute imprudence à cet égard , qu'il étoit
puni pour en avoir eu . On ne l'avoit d'abord
exilé que dans les terres ; il étala en partant
DE FRANCE 13
on fafte qui annonçoit un Prince premant
poffeffion de fes États plutôt qu'un Miniftre
difgracié ; fes ennemis fe crurent bravés , ils
le firent dépouiller de fes biens & envoyer
en Sibérie . M. de la Harpe rapporte ce fait ,
& décrit le départ faftueux qui confomma
la perte de Menzicoff , dans des vers dont
la beauté nous invite à en orner notre extrait.
Je voulus en tombant impoſer à l'Envie ,
Que ma difgrâce même eût l'éclat de ma vie
Et de ce rang augufte où le fort m'avoit mis ,
Defcendre encor fuperbe , & grand dans mes débris.
Une nombreuſe fuite
Remplifoit Pétersbourg des pompes de ma fuite....
J'étalois aux regards ces ordres , ces couleurs ,
Ces ornemens des Cours , trop éclatantes marques,
Des dons qu'à ma fortune avoient fait vingt Monarques.
Et je fortois des murs d'où l'on m'avoit banni
Plus en triomphateur qu'en coupable puni .
ACTES II & III . Arzénie , que Menzicoff
avoit toujours aimée , mais qu'il avoit répudiée
par ambition , dans l'efpérance d'époufer
'Impératrice Catherine , veuve du Czar
Pierre I, & de partager avec elle le trône de
la Ruffie , la tendre & vertueufe Arzénie
vient chercher au fond de la Sibérie un
époux devenu malheureux. Elle lui apporte
des confolations & des fecours. Cet inciden
14 MERCURE
produit trois Scènes confidérables , qui toutes
les trois ont de la beauté; l'une eft la reconnoiffance
d'Arzénie avec Alexan , fon fils ;
l'autre , la reconnoiffance de la même Arzénie
avec fon mari ; la troisième , placée
entre ces deux là , & qui en fait la liaiſon ,
eft celle où Alexan fonde les difpofitions de
Menzicoff à l'egard d'Arzénie , & prépare
fon père à revoir fa mère. Celle- ci nous
paroît la plus touchante ; la réferve timide
& refpectueufe avec laquelle Alexan interroge
fon père , la grandeur avec laquelle
Menzicoff s'accuſe, le tableau impofant qu'il
trace de fes projets ambitieux , le contraſte
de ce tableau avec celui de la paix & du
bonheur dont il jouiffoit dans le commerce
d'Arzénie , l'éloge qu'il fait de cette femme ,
dont il fe croit féparé pour jamais , les divers
fentimens dont il pénètre le coeur d'Alexan ,
qui ne peut contenir fa joie & fa tendrelle ,
& qui , impatient de confommer la réunion
qu'il a préparée , quitte fon père en laiffant
éclatter des tranſports dont Menzicoff eft
furpris ; tous ces divers mouvemens de l'éloquence
dramatique concourent à faire de
cette Scène le moment le plus intéreffant &
le plus paffionné de la Pièce. Mais feroit - il
permis de dire que les deux Scènes de reconnoiffance
, fans qu'on puiffe énoncer bien
précifément en quoi elles péchent , reftent
au-deffous de l'attente que la fituation fait
naître , & ne font pas tout l'effet qu'on
defire & qu'on efpère : Peut- être l'Auteur
DE FRANCE.
If
refte- til trop le maître de fes tranfports ;
peut-être fent-on trop la main du goût qui
arrange tout felon les convenances , quand
on voudroit voir le défordre & l'abandon
du génie , & fes écarts intéreffans , & les
irrégularités heureuſes qui émeuvent & qui
portent aux larmes.
Necfatis eft pulchra effe poemata , dulcia funto ,
Et quocunque volent , animum auditoris agunto.
Menzieoff, dans la Scène de reconnoilfance
, rappelle quelquefois , par fa fituation
& par fes difcours , Herode & Rhadamifte ;
mais ayant été moins coupable qu'eux , il
eft aufli moins paffionné , dès- lors moins
intéreffant , fes remords ont moins d'énergie ,
fa joie moins d'explofion , fes tranfports
moins de fureur. Arzénie elle même n'ayant
que de moindres reproches à lui faire , eft
dans une fituation moins tragique. On fent
que Zénobie ne pourra jamais être heureufe
avec Rhadamifte , ni Marianne avec Hérode ;
mais Menzicoff & Arzénie feroient trèsheureux
enfemble , même dans l'exil , & plus
dans l'exil qu'à la Cour ; & il n'y auroit
point de Tragédie fi le malheur de ces per
fonnages ne venoit d'une caufe étrangère à
leurs caractères. Il faut , pour qu'ils foient
malheureux , que Vodemar foit un monftre ,
& qu'il devienne puiffant ; c'eft précisément
ee qui arrive. Vodemar , ami des Dolgoroukis
, auteurs de la difgrâce de Menzicoff,
eft fait Gouverneur de la Sibérie , & Béring
16 MERCURE
n'eft plus qu'un fubalterné obligé de fur
obéir. Vodemar ne fe fouvient d'avoir été
malheureux que pour en prendre droit de
rendre malheureux fes ennemis ; il commence
par féparer Arzénie de Menzicoff ,
fous prétexte que perfonne ne peut , fans la
permiffion de l'Empereur , accompagner un
profcrit dans fon exil ; & qu'Arzénie , ayant
été rejetée par fon mari , ne lui eft plus
rien , & ne peut plus alléguer les droits &
les devoirs d'époufe. C'est par ce premier
acte d'hoftilité de la part de Vodemar , &
par ce premier & violent effai de fa nouvelle
puiflance que finit le troifième Acte.
ACTE IV. Le jeune Alexan , perfonnage
très- dramatique , plein de vertus & de paffions
, doué de cette fenfibilité dangereufe
qui précipite dans tant d'imprudences & de
fautes , fe fentant trop d'avoir été nourri au
fein des grandeurs & de la fortune , réclamant
pour fon père dans fa difgrâce les
mêmes refpects dont il l'avoit vú comblé
dans fa faveur , incapable enfin de plier fou
courage altier aux humiliations de fon nouvel
état ; Alexan paroît en fuppliant devant
Vodemar pour lui demander la liberté de
fa mère ; il effuye an refus & des mépris
pour la première fois , & dans quelles circonftances
! Le récit qu'il fait à fon père de
cette fcène accablante pour fa fenfibilité
eft éloquent & paffionné. « Mon père !
Je ne yous fis jamais un plus grand facrifice .
DE FRANCE. 17
Ma voix étoit tremblante , & mes regards baiffés ;
Tous mes fens frémiffoient de douleur oppreffés ;
Et fi du moins l'aſpect de ma mère attendrie ,
De ce tigre avec moi conjurant la furie ,
N'eût ranimé mes fens de ma honte effrayés ,
Peut-être que j'allois expirer à fes pieds....
4
Il repouffoit ma plainte ; & fans daigner m'entendre ,
Lançoit ſur Arzénie un regard plein d'horreur.
Non , jamais la vengeance & la fombre fureur
N'ont gravé fur un front un plus noir caractère ....
Je fuis forti la rage & la mort dans le ſein....
Dans mon coeur déchiré remportant mes outrages .
Je pleurois immobile , & fur la pierre affis.
Un Soldat a paffé: mes plaintes gémiflantes ,
Mon vifage baigné de mes larmes brûlantes ,
Et ma jeuneffe enfin , & la compaffion ,
Sembloient ouvrir fon aine à mon affliction.
Sur cette marque équivoque de la pitié du
Soldat , l'indifcret Alexan lui demande fon
épée , lui donne de l'or , lui raconte ſes malheurs
, lui fait part de fes projets de vengeance
; le Soldat lui promet de le feconder
& de guider fes coups jufqu'au ſein de Vodemar.
Menzicoff blâme cette entreprife ,
& défend à fon fils de l'exécuter ; mais ce
n'étoit pas affez , peut- être , il falloit lui en
ôter les moyens , & ne pas abandonner ce
fils à l'imprudence de fon caractère . Ces
précautions étoient d'autant plus néceſſaires ,
que le dernier mot d'Alexan annonce qu'il
18 MERCURE
perfifte dans fa réfolution. Suit une grande
Scène entre Menzicoff , Arzénie & Vodemar
, elle n'eft pas fans beautés , mais elle
reffemble trop à toutes ces Scènes fi communes
dans nos Tragédies , & fi peu vraifemblables
, où un Tyran eft bravé impunément
par les victimes de fa fureur. Un
Garde arrive ; il annonce qu'on vient de
trouver Alexan , ayant un fer caché fous fes
habits ; que déjà dénoncé par le Soldat qui
le lui avoit donné , il a tout avoué : on
l'amène fur la Scène enchaîné. Vodemar fépare
Menzicoff , Arzénie & Alexan , &
jouit du plaifir d'avoir trouvé un prétexte à
La vengeance.
ACTE V. Voderaar veut que Menzicoff
lui cède Arzénie ; il paroit mettre à ce prix
la grace d'Alexan. Gengiskan , dans l'Orphelin
de la Chine , exige un pareil facrifice;
mais Gengiskan aime Idamé , Vodemar n'aime
plus Arzénie , il n'aime plus rien , il ne
fait plus que hair & ne veut plus que fe
venger ; il veut enlever Arzénie à Menzicoff.
Non pour la pofféder , mais pour la lui ravir,
Pour tous deux à la fois elle fera perdue.
Il dicte fes fuperbes loix à cette femme,
il la charge d'en faire part à fon mari , &
d'en obtenir le confentement : elle l'obtient
fans le demander , & fur une fimple expofition.
Quelque nobleffe que mette Men
zicoff dans les motifs qui le déterminent à
un fi grand facrifice , il nous paroît certain
DE FRANCE 19
que dans nos moeurs , & fur-tout dans nos
moeurs théâtrales , un mari ne doit jamais
céder fa femme qu'en mourant. Polyeucte
lègue , pour ainfi dire , Pauline à Sévère ,
mais c'eft en courant au martyre ; Idamé , à
qui Gengis fait la même propofition que
Vodemar fait à Arzénie , répond , en parlant
de Zamti , fon mari :
Il en eft incapable ; & fi dans les tourmens
La douleur égaroit fes nobles fentimens ,
Si fon ame vaincue avoit quelque molleffe ,
Mon devoir & ma foi foutiendroient fa foiblefle ,
De fon coeur chancelant je deviendrois l'appui ,
En atteftant des noeuds deshonorés par lui.
Ces vers nous paroiffent la condamnation
de Menzicoff.
Zamti , à la vérité, propofe à Idamé d'époufer
Gengis , mais c'eft en fe determinant
à la mort.
Libre par mon trepas vas fléchir un Tartare,
Paffe fur mon tombeau dans les bras du barbare.
Je commence à fentir la mort avec horreur ,
Quand ma mort t'abandonne à cet ufurpateur....
Époufe le Tyran fous cet aufpice affreux ;
Tu ferviras de mère à ton Roi malheureux.
Règne , que ton Roi vive , & que ton époux meure.
Mais Menzicoff ne parle point de mourir.
Enfin Zamti & Idamé prennent le parti de
mourir enſemble , & c'eſt Idamé qui ouvre20
MERCURE
cet avis ; Arzénie , au contraite , fe défend f ..
foiblement d'obéir à Menzicoff , qu'on peut
dire qu'elle fe rend. On vient la chercher
pour la conduire à l'Autel . Béring , chargé
de ce trifte miniftère , le remplit à regret ,
il montre la douleur d'un homme vertueux ;
fa confternation , fon morne filence , lorfqu'Arzénie
l'interroge en tremblant fur le
fort de fon fils , annoncent des malheurs plus
affreux encore que ce mariage. Menzicoff
eul , certain de perdre Arzénie , incertain
de conferver fon fils , effrayé du filence
& des difcours de Béring.
D'où vient qu'à chaque met mes fens ont treffailli ?
D'affreux preffentimens tout mon coeur s'eft rempli...
Chère Arzénie.... Hélas ! lorfqu'elle m'a quitté ,
Il m'a femblé qu'en proie aux tourmens que j'endure,
J'étois abandonné de toute la Nature.
Cette idée eft belle , ce fentiment vrai &
cette fituation touchante.
Arzénie paroît un poignard à la main
avec l'air égaré. Le Tyran avoit égorgé le
fils au moment d'époufer la mère ; Arzénie ,
inftruite de cette horreur par Béring , en al- .
lant à l'Autel , faifit le poignard de Vode- ,
mart , au moment où , comme Poliphonte .
dans Mérope , il préfentoit à cette mère
éperdue une main teinte du fang de fon fils ,
elle lui perce le coeur , & fe tournant vers
* Poliphonte croit avoir fait périr Égyíthe.
DE FRANCE.
le Confeil de Tobolsk , affemblé
cérémonie ,
pour cette
J'ai frappé , lui dit-elle , un infâme aſſaſſin.
Dans le fang de mon fils il a trempé fa main ;
Il égorgeoit le fils en époufant la mère.
D'un complot facrilège il reçoit le ſalaire.
Magiftrats , prononcez mon arrêt , je l'attends.
Elle revient dans cette incertitude ; mais
bientôt Bering vient annoncer que le Confeil
s'eft déclaré pour elle , & qu'elle eft rendue,
-a Menzicoff. Celui ci n'ayant plus rien à
craindre pour Arzénie , donne fes regrets à
fon fils.
*
-
Quoi ! l'innocent périt , & fon coupable père......
Arzénie termine la Pièce par ce trait de
fentiment , maternel & conjugal à la fois :
Et quel autre que toi peut confoler fa mère ?
Si nous confidérons les caractères , celui
d'Arzénie eft le plus parfait , elle remplit
tous les devoirs avec une générofité refpectable
, & finit par un trait de vigueur diftingué
; mais Menzicoff & Alexan ont ce degré
d'imperfection , ce mêlange de vertus & de
foibleffes que les Anciens ont paru defirer
dans un perfonnage tragique ; ils ne font ni
entièrement innocens , ni entièrement coupables.
Tous deux ont des torts , mais ils ne
méritent pas leurs malheurs. Menzicoff
corrigé par la difgrâce , eft devenu un fage ;
un fage pourroit être un perfonnage un peu
22 MERCURE
froid pour la Tragédie ; les malheurs que
Menzicoff éprouve dans le cours de la Pièce ,
& la manière dont il les fent , le fauvent de
cet inconvénient. Alexan eft ardent , paſfionné
, fier , imprudent , c'eft un perfonnage
très dramatique. Mais Vodemar nous
paroît un perfonnage très- défectueux ; nous
ofons croire qu'un pareil monftre n'eſt pas
dans la Nature. La rage de haine & de vengeance
qui le possède a un trop léger fondement.
Quels font donc ces grands outrages
qu'il s'exagère fi fort & qui le rendent fi implacable
? Un Miniftre à qui fon crédit faifoit
ombrage , l'a fait exiler. Ce Miniftre eft exilé
lui- même , & tombe encore de plus haut.
Vodemar n'est-il pas vengé ? Mais ce Miniftre
a été fon rival , il a époufé la femme que
Vodemar aimoit ; ce feroit pour Vodemar
une raifon de le hair , fi lui-même aimoit
encore cette femme ; mais il ne l'aime plus ;
& s'il veut l'enlever à Menzicoff , ce n'eft
que pour priver celui-ci d'une confolation
néceffaire ; en un mot , les torte & les outrages
dont Vodemar ſe plaint , font trop
dans l'ordre commun pour inſpirer à d'autres
qu'à un monftre une vengeance hors de
l'ordre commun . Nous ne trouvons point
du tout que Vodemar ait le droit de dire :
Nul peut- être jamais ne fut plus outragé
Et Menzicoff a trop raifon de lui dire :
J'ai cru la politique & la néceffité .
DE FRANCE. -23
Mais ta baffe vengeance & ta férocité
Foulent un ennemi tombé dans la pouffière ;
Ta cruauté tranquille écrafe ma misère.
La vengeance d'Atrée , qui fit reculer d'horreur
le Soleil , eft confacrée par la Fable ;
d'ailleurs , la qualité de frère , l'inceſte mêlé
au, rapt dans le commerce de Thyefte &
d'Érope , mettent quelque proportion entre
l'outrage & la vengeance , & font d'Atrée
& de Thyefte deux frères ennemis , dont la
haine ne doit plus avoir de bornes. La vengeance
de Vodemar eft atroce , fans être ni
motivée ni confacrée , foit par la Fable , foit
par l'Hiftoire. Le trait affreux qui forme la
cataftrophe a , dit-on , des exemples dans
l'Hiftoire , mais ces exemples font peu connus
, peut- être peu avérés , ils font d'ailleurs
étrangers au fujet dont il s'agit ; & l'emploi
que l'Auteur en fait dans ce fujet , eft de ſa
part une fiction , mais cette fiction monftrueufe
manque de vraisemblance ; & c'eft
le cas de dire :
Le vrai peut quelquefois, n'être pas vraisemblable,
I
D'ailleurs , Vodemar nous paroît plus
atroce & plus coupable que le Gouverneur
ou le Magiftrat qui envoie au giber le mari
ou le frère de la femme qu'il a féduite en
lui promettant la grâce de cet homme. Ce
juge ou Gouverneur du moins , ne fait périr
qu'un coupable condamné ; au lieu que fi
Alexan eft coupable , c'eft Vodemar qui l'a
24 MERCURE
forcé de l'être en le réduifant au déleſpoir,
Le Gouverneur qui trompe une femme par
la promeffe de la grâce de fon mari ou de
fon frère, a un intérêt , celui de la féduire ;
Vodemar n'en a point d'autre que de défefpérer
Menzicoff & Arzénie. En vérité , cet
intérêt de vengeance eft trop inconcevable
& trop affreux.
La Pièce n'eft point morale , quoique le
Tyran foit puni ; car Alexan , qui n'a fait
qu'une faute , & qui l'a faite par un motif
honnête , périt auffi bien que Vodemar. Si
l'on dit que la Pièce a une double moralité ,
en ce que Menzicoff eft puni de l'abus de
fon pouvoir par un des malheureux qu'il a
faits , & que Vodemar eft puni de la mort
d'Alexan par la mère d'Alexan même ; nous
dirons que cette moralité eft démentie par le
malheur non mérité d'Arzénie ; mais nous
avouerons que fi la moralité eft un mérite
de plus dans les Pièces qui en font fufceptibles,
ce mérite n'eft point effentiel . Il n'eft
pas néceffaire que les Tragédies foient morales
, il fuffit qu'elles foient intéreffantes &
qu'elles faffent de l'effet ; & c'eſt une des
plus fottes chimères qui aient paffé dans la
tête des pédans , que d'avoir voulu trouver
de la moralité jufques dans les Pièces Grecques,
où la fatalité domine le plus manifeltement
, par exemple , dans le fujet d'Edipe.
Nous obferverons cependant que ce mérite
acceffoire de la moralité devient plus
néceflaire dans les Pièces dont le noeud
tient
DE FRANCE 25
tient plus aux perfonnes qu'aux chofes ,
parce que l'intérêt de ces Pièces eft toujours
moindre. Les Pièces où les Perfonnages inréreffans
font opprimés par un tyran , ne
font pas les plus touchantes , & femblent
avoir befoin de ce mérite de la moralité.
Les Pièces qui peuvent s'en paffer , & à qui
leur propre intérêt fuffit , font celles où le
noeud confifte dans un combat entre le devoir
& l'inclination , ou dans l'oppofition
des devoirs , ou dans le jeu naturel des paffions
; celles en un mot où le noeud eft
formé par la nature même des chofes plus
que par le caractère des Perfonnages ,
comme le Cid , Polyeucte , Bérénice , Inès ,
Zaïre , &c.
Les fuperftitieux demanderont peut-être
s'il étoit permis d'altérer par des fictions
un fujet fi récent & fi connu ; fi le Prince
Menzicoff, que plufieurs perfonnes encore
vivantes ont pu connoître , ayant toujours
vécu avec Arfénioff fa femme , on a pu fuppofer
qu'il l'avoit répudiée dans l'intention
d'époufer la veuve de fon Maître ; fi Arfénioff
étant morte dans la route près de
Cafan , on a pu la faire arriver en Sibérie
pour lui faire éprouver des malheurs chimériques
; s'il eft permis de fuppofer qu'Alexan
ou le jeune Menzicoff, qui revint de la
Sibérie & rentra en grace jufqu'à un certain
point , foit mort en Sibérie par la main d'un
Bourreau ou par la violence d'un Oppreffeur.
Nous avouons que nous fommes peu
Sam. 7 Juillet 1781 .
B
26 MERCURE
touchés de cette objection . Il s'agit dans une
Tragedie d'être tragique , & non pas d'être
Hiftorien fidèle.
Cette Pièce nous paroît une des plus fortement
écrites de l'Auteur, Il avoit à peindre
, comme M, de Voltaire dans Alzire , un
climat particulier & des moeurs propres à
ce climat , ce qui fourniffoit à la Poeſie.
Nous aurions pu remplir cet Extrait de
morceaux diftingués dans ce genre , fi nous
n'avions pas cherché à être courts : nous
nous contenterons d'indiquer les principaux,
Acte premier, Scène feconde. Portrait de
Charles XII , & tableau rapide de fes con
quêtes ,
Dans la même Scène , peinture des tra
vaux du Czar & du Prince Menzicoff.
Dans la même Scène encore , defcription
de la Sibérie , & portrait de Menzicoff corrigé
par le malheur,
Acte fecond, Scène cinquième. Belle réponſe
d'Arzénie à Vodemar , qui cherche
à l'irriter contre fon mari,
Acte troifième, Scène première. Tableau
du bonheur domeftique de Menzicoff,
tableau contraftant de fes projets ambitieux.
Acte quatrième, Scène troisième, Récit
d'Alexan , dont nous avons rapporté une
partie,
Acte cinquième , Scène fixième . Monologue
de Menzicoff & récit d'Arzénie , dont -
nous avons cité les principaux traits,
DE FRANCE. 27
Concluons que cette Pièce joint à de trèsgrandes
beautés des défauts qui ne font pas
médiocres .
VOYAGE Pittorefque de Naples & de
Sicile, Premier Volume in -folio. A Paris ,
chez M, Delafoffe , Graveur , rue du Carroufel.
LE Royaume de Naples , par la beauté
& la douceur de fon climat , par fes monumens
antiques & fes phénomènes , eſt ,
de toutes les parties de l'Italie , la plus digne
de l'attention , des recherches de l'obfervateur
& de l'homme de goût. Cette contrée
, toujours couverte d'un beau ciel , où
Bacchus & Cérès fe difputent à qui y répandra
plus de richeffes , ce jardin de l'Europe
enfin méritoit bien de trouver des Artiftes
pour le peindre , puifqu'il étoit le
féjour favori des Romains , qui favoient
goûter les plaifirs comme la gloire. Quel
tableau plus riant & plus terrible !
C'eft-là que la Nature en grand fe développe ,
Qu'arrête tout-à-coup , fur la cîme des monts ,
Le Peintre voit , s'enflamme & faifit fes crayons ,
Deffine ces lointains , ce bizarre mêlange
De vallons , de coteaux qu'enrichit la vendange ;
D'où la vigne rampant juſqu'aux rives des mers ,
Va faire à fes doux fruits boire les flots amers ;
Tous ces golfes , ces ports , ces flots parfemés d'Iſles,
Ces monts brûlans , changés en des côtes fertiles;
Bij
28 MERCURE
Des laves de ces monts encor tout menaçans ;
Sur des palais détruits d'autres palais uaiffans ;
Et dans ce longtourment de la terre & de l'onde ,
Un nouveau monde éclos des débris du vieux monde.
Que n'a-t- il parcouru ces lieux enchantés ,
le Poëte qui a reçu des Mufes un pinceau
que conduit toujours la main des grâces ! il
chanteroit peut - être la patrie de Virgile à
l'ombre de ce laurier qui ombrage le tombeau
de fon Maître. Mais puifque M. l'Abbé
de Lille n'a pas encore rapproché de nous ,
par la magie de fes talens , cette Ville ancienne
dont le nom eft celui d'une des Sirè
nes qui cherchèrent à féduire Ulyffe par le
charme de leurs voix , du moins livronsnous
au plaifir d'y fuivre , fur des plans
auffi exacts que curieux , des Voyageurs qui
l'ont étudiée avec beaucoup de foin & beaucoup
de goût . S'ils ne s'arrêtent pas long - tems
dans la capitale du monde, c'eft qu'ils craignent
de ne plus trouver de Romains à Rome.
Arrivés à Naples , ils vifitent l'Eglife Cathédrale
, parce qu'elle fut bâtie , vers 1280 ,
par un des plus fameux Architectes de fon
temps. Ils admirent la magnifique maifon
des Chartreux. Sa délicieufe pofition , fon
air falubre & fes richeffes leur inſpirent
même l'envie de l'habiter. Mais ils fe rappellent
qu'un étranger qui s'extafioit fur
toutes fes beautés , s'écriant à plufieurs reprifes
, quelle charmante demeure ! le Moine
qui le conduifoit répondit triftement :
DE FRANCE. 29
Tranfeuntibus. Enfin , rien n'échappe à l'oeil
attentif de ces connoiffeurs , ni Monumens ,
ni Eglifes , ni Palais.
Nous devons fuivre avec autant de fatisfaction
que de reconnoiffance leurs favantes
remarques fur la peinture ; quand nous faurons
apprécier les quatre fameufes écoles ,
celle de Raphaël , celle des Carraches , celle
du Titien , celle de Michel- Ange , il nous
fera permis de juger les Peintres Napolitains
, & notre premier hommage fera fans
doute pour Solimène , célèbre par la richeſſe
de fon imagination & la grande ordonnance
de fes compofitions , quoiqu'il n'ait pas le
mérite fi féducteur du coloris.
Puifque la même fenfibilité qui nous attache
& nous fait aimer les productions des
Arts , nous rend aufli précieufes celles des
excellens Poëtes , pourroit- on , fous le Ciel
qui a vu naître l'élégant & tendre Ovide ,
oublier que fa patrie fût encore celle du
Taffe Cet enfant du génie commença à
l'âge de vingt-deux ans la Jérufalem délivrée
, qui fut traduite dans toutes les Langues
de l'Europe , & même dans quelqués
Langues Orientales ; mais fa gloire fut l'époque
de fes malheurs. L'amour en fut ,
dit- on , l'origine ; & ce qui fait fuppofer
que l'objet de fa paffion étoit la Princeffe
d'Eft , c'est que cette foeur du Duc Alphonfe
montra dans plufieurs occafions une grande
fenfibilité fur fes difgraces , & que luimême
, en jurant de ne plus aimer , invo-
B iij
30 MERCURE
quoit toujours ce Dieu qui éleva júlqu'au
Ciel le beau Pafteur d'Ida , & fit defcendre
Dianefur la terre. D'ailleurs , il confia fon
fecret à un ami qui eut l'indignité de le
trahit . Défefpéré , il éclata en reproches
contre le traître , & le porta contre lui jufqu'à
une de ces infultes fletriffantes pour
lefquelles il faut se battre : * c'eſt un préjugé
populaire
Qu'un verfificateur
Entend l'art de rimer mieux que le point d'honneur.
Mais on renonceroit peut- être aux plaifanteries
rebattues fur ce ſujet , fi l'on fe
rappeloit que le Taffe , le Camoens
Don Alonzo d Ereilla , tous trois contemporains
, & , ce qu'il y a de plus fingulier
tous trois Poëtes épiques , fe fignalèrent également
par une valeur brillante . Le Taffe , en
allant au rendez - vous , croyoit n'avoir
affaire qu'à un feul homme ; mais à peine
le combat fut-il engagé , qu'il fe trouva en .
touré par trois frères de fon ennemi ... Le
péril augmente fon audace , il fait tête aux
quatre affaillans , ou plutôt aux quatre affaf-
* Voici la réponse que fait faire à Pharamond
le Spectateur Anglois par un Duellifte à qui ce
Prince reprochoit d'avoir contrevenu à fes ordres :
Comment m'y ferois-je foumis ? Tu ne punis que
de mort ceux qui les violent , & tu punis d'infamie
ceux qui y obéiffent. Appreads que je crains moins
la mort que le mépris.
DE FRANCE
t
fins ; déjà il en a bleffé deux , & peut-être
il alloit le défaire des deux autres , lorfque
des payfans accourus au bruit , firent ceffer
cet odieux combat. Dès-lors fa bravoure fut
renommée , & donna lieu à une eſpèce de
proverbe :
Colla penna e collaSpada
Neffimo val quanto torquato. »
Perfonne n'eft l'égal du Taffe , la plume
ou l'épée à la main.
Dans ce moment on lui prodigua les hon.
neurs & les careffes. Bientôt il perdit encore
fon repos & fa liberté. Mais que peut l'en
vie contre un grand homme ?
L'envie eft fur la terre , & fon front eft aux cieux.
Le Royaume de Naples peut fe flatter encore
d'avoir produit le Cavaliere Marini .
Son Poëme de l'Adone , malgré l'agrément
de fon ftyle , cette grace , certe naïveté
d'expreffions qui lui eft propre , fatigue par
une inépuiſable variété d'objets & de def
criptions.
邐
Mais c'eft fur tout par la Mufique que
Naples cft justement fameufe. L'Europe lui
doit les plus grands Maîtres , & M. Piccini
eft leur Élève. Quand la nature , fans doute
pour charmer nos peines , nous préparoit
de loin ces Peintres harmonieux , comment
l'Art , jaloux de l'imiter , a-t-il pu imaginer
qu'en élaguant un homme , il lui feroitpouffer
des fons? Nous rougiffons d'y penfer : & qui
Biv
32
MERCURE
,
oferoit pourtant fe plaindre du vol fait à
l'efpèce humaine , s'il fe rappelle d'avoir
entendu la voix de Cafarielli ? encore
s'il avoit raifon ce Philofophe fenfible
qui prétend que les Caftrati chantant fans
chaleur & fans paffion , font fur le Théâtre
les plus mauffades Acteurs du monde. Mais
une Anecdote moderne affoiblit la vérité de
fa remarque. « Senefino & Favinelli étoient
tous deux engagés à différens Théâtres de
Londres ; ils chantoient les mêmes jours , &
n'avoient pas occafion de s'entendre. Cependant
, par une de ces révolutions théâtrales
toujours inattendues , quoiqu'elles arrivent
fréquemment , ils fe trouvèrent un jour réunis.
Sencfino avoit à représenter un Yvan
furieux , & Savinelli , un Héros malheureux
& dans les fers. Mais pendant fon premier
air , il amollit fi bien le coeur endurci de
ce Tyran farouche , que Senefino oublian
le caractère de fon rôle , courut dans les
bras de Savinelli , & l'embraffa de tout fon
coeur. Malgré cette preuve d'un talent qui
nous affure des plaifirs , nous ne pouvons
que former des voeux pour l'abolition d'un
ufage barbare que profcrivent l'humanité
l'Eglife & les Loix.
»
Naples préfente encore à nos Voyageurs
une fingularité plus effrayante , & qui défole
plus l'humanité : c'eft le Véfuve dans tous
fes afpects. " L'ordre le plus naturel , difentils
, nous prefcrivoit de donner une defcription
du Véfuve avant d'en faire l'hiftoire ;
DE FRANCE
31
& nous ne nous en ferions pas écartés , s'il
étoit poffible de décrire un objet foumis fans
ceffe à des changemens nouveaux : mais
quel moment , quelle époque choisir pour
peindre un volcan , & un volcan toujours en
activité ? Chacun de ces tableaux ceffera ,
pour ainsi dire , d'être exact à l'inftant même
où il fera fini . Il faudroit donc le fuivre
dans toutes les viciffitudes , & marquer
avec foin ou chaque accroiffement , ou
chaque diminution, » Quoi qu'il en foit ,
leur plume & leur burin nous donnent
l'idée la plus jufte d'un des plus étonnans
fpectacles de la nature. Mais détournons
nos yeux de ce mont terrible pour
les repofer fur la retraite du celèbre Solimène
, fituée à très - peu de diſtance du Véfuve.
«Avec quel charme ne fe promènet-
on pas parmi les ruines des maifons de
campagne de Cicéron ! Avec quel fouvenir
intéreflant n'ira-t on pas à Ferney , ou bien
dans cette ifle charmante des jardins d'Ermenonville
! » L'afyle de l'homme de génie
eft facré pour la postérité.
Nous connoiffons Naples , & nous n'avons
pas encore parlé de fes ufages , de ſes moeurs ,
de fes coftumes , & fur - tout de la fameufe
fédition de Mazaniello , Roi pendant huit
jours , infenfe pendant quatre , maffacré
comme un Tyran , révéré comme le Libérateur
de la Patrie , & prefque comme un
Saint. Cet homme de la plus baffe extraction ,
alliant à un caractère féroce une ame témé
Bv
34
MERCURE
raire & hardie , entreprit de faire abolir les
impofitions mifes fur les fruits & les légumes.
Il fe met à la tête d'une troupe de mécontens
: A
1. « Lejour qu'ils s'affemblèrent , en paſſant
devant le Palais du Vice- Roi , ils virent aux
fenêtres & aux balcons quantité de perfonnes
de qualité qui s'y étoient placées pour
les voir defiler. Mazaniello fit un ſignal , &
dans l'inftant tous ces jeunes gens delièrent
de concert les cordons de leurs caleçons , &
levant leurs chemifes , montrèrent tous leur
derrière aux fpectateurs , en accompagnant
cette action indécente de cris & de huées
qui forcèrent tout le monde à fe retirer. »
Il nous feroit aufli agréable que facile
d'entrer dans quelques details piquans fur
'Hiftoire du Royaume de Naples & de Sicile
; mais nous en fommes difpenfés par
l'Ouvrage même que nous annonçons. Il fera
lu fans doute par tous ceux qui , jaloux de
connoiffances , fe plaifent à encourager les
talens. Tout le monde connoît déjà les
cent vingt - huit eftampes de ce voyage ,
fur lesquelles les Artiftes les plus diftingués
ont rendu des fites , des vues & des tableaux
du caractère le plus neuf. Il n'étoit permis
que d'en defirer le texte . Nous en jouiffons ,
& il eft écrit avec autant d'efprit que de
goût. Il nous manque encore la feconde
Partie , que nous attendons avec la plus vive
impatience.
DE FRANCE. 35
NOUVELLE TOPOGRAPHIE , ou Defcrip
tion détaillée de la France , divifée par
carrés uniformes , &c. propofee par Soufcription
, & dirigee par M. Robert de
Heffeln , Cenfeur Royal.
Nous avons donné une notice de cet
Ouvrage dans le Mercure du 24 Juin de
l'année dernière ; mais l'Auteur en a développé
lui- même le plan d'une manière plus
étendue , dans fa réponſe à la Lettre que
M. le Chevalier de C. , Capitaine en Premier
au Corps - Royal du Génie , lui a adreffée
par la voie du Mercure du 29 Juillet fuivant.
Cette réponse eft inférée dans celui du
26 Octobre de la même année , page 18 .
>
La Carte de la Région Nord- Ouest, que nous
annonçons aujourd hui , eft une des neuf qui
préfentent le premier degré de développement
des détails de la fuperficie du Royaume
fur une échelle invariable de 648 toiles par
ligne , attendu que la grandeur de ces neuf
Cartes eft , comme celle de la Carte générale
, de vingt pouces trois lignes en tout
fens , tandis que d'un autre côté leur contenance
eft déterminée à 6481 bans ou petites
lieues carrées , chaque lieue ayant 1944 toifes
de longueur . Par ce moyen , on ne prononcéra
jamais une Carte de Région , qu'on
ne fe rappelle fon échelle & fa contenance ,
puifque l'une & l'autre font déterminées pour
toujours. D'ailleurs , comme l'échelle des
B vj
36 MERCURE
Cartes de la Nouvelle Topographie embraffe
toute leur étendue , tout Lecteur
pourra juger , par le feul regard & fans
compas , non-feulement des diſtances , mais
encore des fuperficies , avec une telle précifion
qu'il feroit lui -même en état de reconnoître
& de corriger les erreurs s'il y en
avoit , avantage qui ne fe rencontre pas
dans les méthodes ordinaires.
Des neuf Contrées qui forment les divifions
majeures de la Région Nord- Ouest ,
quatre feulement renferment des Terres du
Domaine de France , les cinq autres étant
occupées en entier par la Manche & une
partie des Côtes Méridionales de l'Angleterre.
Celle du centre contient les Illes de
Jerfey & Gréneley , qui , quoique fort proches
des côtes de France , font aujourd'hui
du Domaine d'Angleterre.
La Contrée du Sud- Oueft de cette Carte
contient l'Évêché de Saint - Pol tout entier ,
& la majeure partie de celui de Quimper ,
avec une portion de celui de Tréguier. La
Contrée du Sud contient le refte de cet Évêché
& de celui de Quimper , avec l'Évêché de
Saint Brieux tout entier , & une portion de
celui de Vannes. La Contrée du Sud- Eft contient
ceux de Dôl & d'Avranche tout entiers,
près de la moitié de celui de Rennes , &
une portion de celui de Vannes & de Coutance.
La Contrée de l'Eft contient le refte
de l'Évêché de Coutance & une portion de
celui de Bayeux.
DE FRANCE. 37
Le Difcours qui accompagne cette Carte ,
préfente un Abrégé des détails Geographiques
, Hiftoriques & Politiques de ces pays.
Il eſt aufli clair & auffi méthodique que
le précis qui accompagne la Carte générale.
Cette Carte nous paroît d'ailleurs aufli nette
& auffi bien gravée que la première.
Nous publierons inceffamment la notice
de la troisième Carte , qui eft celle de l'Ouest ,
& dont la préfentation à Leurs Majeſtes &
à la Famille Royale vient d'être annoncée
dans la Gazette de France.
Les Soufcripteurs qui n'ont pas encore
réçu ces deux Cartes , pourront les envoyer
retirer chez l'Auteur , rue du Jardinet , visà-
vis celle du Paon. Elles font du prix de
3 liv. 12 fols pour les perfonnes qui n'ont
pas foufcrit.
On fe rappellera que le prix de la Soulcription
eft de 160 liv. pour l'Atlas complet
des 64 premières Cartes , accompagnées de
leur Difcours , mais qu'on en peut reftreindre
l'avance à 25 liv. pour les dix premières
Cartes qui forment deux touts féparés des
54 Cartes de Contrées.
38 MERCURE
LETTRES de M. de Voltaire à M. l'Abbé
Mouffinot , fon Tréforier , écrites depuis
1736 jusqu'en 1742 , pendantſa retraite à
Cirey , chez Mde la Marquife du Châtelet ,
dans lesquelles on voit quelques détails de
fa fortune , de fes bienfaits ; quelles furent
alors fes études, fes querelles avec Def
fontaines , &c. publiées par M. l'Abbé
D *** . Vol. in- 8 ° . A la Haye , & fe trouve
à Paris , chez Moutard , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins , 1781 .
ON a demandé pourquoi l'on avoit imprimé
ces Lettres. C'eft une question qu'on
pourroit faire fur beaucoup de Livres , & à
laquelle bien des Éditeurs , & même des Auteurs
feroient embarraffés de répondre. Içi
la réponſe n'eft pas difficile.
On a imprimé ces Lettres , parce que M.
de Voltaire étoit un grand Homme , & que
ce grand Homme a été calomnié pendant fa
vie avec fureur , & baffement outragé après
fa mort. On s'intéreffe aux détails de la vie
d'un grand Homme ; & lorfqu'il a été calomnié
, la feule apologie digne de lui eft
de le montrer tel qu'il a été.
Il eft doux de voir que le Philofophe qui
a foixante ans défendu la caufe de l'humanité
, n'a laiffé échapper aucune occafion de
la fecourir ou de la confoler. A Ferney la
vie de M. de Voltaire étoit publique , l'Europe
avoit les yeux fur lui ; & parce que
DE FRANCE. 39
fon nom donnoit de l'éclat à fes bonnes acrions
, on a cru , & fur tout on a fait femblant
de croire qu'elles avoient l'oftentation
pour principe. A Cirey , il vivoit dans la
retraite , & on voit que fa vie a été la même.
Il étoit occupé du foin de fa fortune ,
parce qu'il vouloit être indépendant pour
avoir le droit de dire la vérité ; mais il ne
fongeoit point à tirer parti de fes Ouvrages :
c'étoit pour la gloire qu'il écrivoit , ou pour
fatisfaire fon zèle pour l'humanité. Il mande
à l'Abbé Mouffinót de céder un manuſcrit
à un Libraire pour cinquante louis. Cet
argent , ajoute- t'il , fera pour quelque bonne
oeuvre. Je m'en tiens à mon lot , qui eft un peu
de gloire & quelques coups defifflets.
Quid mihi fortuna , fi non conceditur uti ,
dit - il ailleurs , & uti , c'eft faire du bien à
chacun fuivant notre petit pouvoir.
M. de Voltaire a fait fouvent des ingrats ;
on voit dans fes Lettres qu'il fentoit vivement
l'ingratitude , mais qu'il n'avoit pas de
peine à pardonner , & qu'il étoit facile de
le défarmer.
Ces mêmes Lettres prouvent combien la
grace , la gaieté , la facilité , la clarté du
ftyle étoient naturelles à M. de Voltaire.
Il plaifante & fur la négligence de fes débiteurs
, qui ne le payent point , & fur les
banqueroutes qu'il effuie. Ce qui montre
que lorfque dans la fuite , il a mêlé des
plaifanteries à des difcuffions férieufes , ce
n'étoit point par indifférence , mais parce
40 MERCURE
qu'avant plus que perfonne peut-être la facilité
de faifir à la fois tous les rapports.
des objets , il étoit frappé du côté plaifant
qu'ils offroient , quelque vivement qu'il en
fût d'ailleurs affecté.
On ne peut s'empêcher de lui pardonner
ces plaifanteries qui lui ont été reprochées
avec tant d'amertume , fi on fonge que de
toutes celles qui ont été faites fur les Tragé
dies , les meilleures font celles qu'il a faites
lui-même.
On voit encore dans ces Lettres la paffion
qu'il avoit alors pour les Sciences , & furtout
pour celles qui font d'une utilité immédiate.
Ce goût qu'il avoit pris dans fon premier
voyage d'Angleterre ne l'a jamais quitté.
L'éducation , fon fiécle , avoient tourné fon
génie du côté des Beaux- Arts , avoient allumé
en lui l'amour de la gloire ; la nature l'avoit
fait naître pour la vérité , pour la paffion
du bien public. Ce contrafte a été fenfible
pendant toute la vie. A quatre-vingt-quatre
ans , il paffoit des nuits à corriger la Tragédie
d'Irène ; & lorfque le moment de l'enthoufiafme
étoit paffé , ne me trouvez- vous
pas bien enfant , diſoit-il à ſes amis ? Ce vers
J'ai fait un peu de bien , c'eft mon meilleur ouvrage.
eft l'expreffion naïve de ce qu'il fentoit dans
les momens de calme où fon coeur & fa rai
fon lui parloient feuls .
Si ce Recueil n'avoit eu que le mérite
d'intéreffer les amis , les admirateurs de
DE FRANCE.
41
·
M. de Voltaire , on devroit encore pardonner
à M. l'Abbé D *** de l'avoir publié.
Mais il paroît qu'il a eu l'avantage d'avoir
irrité les ennemis déclarés ou cachés de ce
grand homme ; & dès lors on ne peut
qu'approuver l'Editeur . Si cet Ouvrage avoit
pu diminuer la gloire de M. de Voltaire ,
ils auroient mis moins d'humeur dans leurs
graves cenfures. Ils ne veulent point permettre
à l'amitié de publier des Lettres trop
peu intéreffantes , difent - ils , & ils ont
applaudi à la haine , lorfque, outrageant la
foi publique , elle a imprimé , du vivant
de M. de Voltaire , des Lettres furpriſes dont
la publication pouvoit l'affliger ou le compromettre.
Ce Recueil de Lettres eft dédié à M. le
Comte d'Argental , qui a été foixante ans
l'ami de M. de Voltaire. Certe amitié fi durable
, fi conftante , fi inaltérable , feroit une
apologie fuffifante de M. de Voltaire , s'il
pouvoit en avoir befoin.
Four les coeurs corrompus l'amitié n'eſt point faite.
Et cela eft vrai , fur - tout des longues
amitiés.
42 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
OBSERVATIONS fur les moyens de raffurer
le Public en cas de l'événement du
feupendant le fpectacle , par M. Patte ,
Architecte du Duc régnant de Deux-
Ponts.
EN voyant les fréquens incendies auxquels les
Théâtres font exposés , il n'y a fûrement perfonne
qui ne doive defirer que l'on trouvât quelque
expédient capable d'y obvier , ou du moins d'empêcher
le Public d'en devenir la victime en cas
d'événement pendant le fpectacle . Le vrai moyen
d'y réuftir feroit fans contredit de s'attacher à fupprimer
le bois de la conftruction de ces fortes d'édi◄
fices, ainfi qu'on en a déjà fait quelques effais en
Italic . Le Théâtre de Florence , dit la Pergola , &
celui de Boulogne, ayant été incendiés il y a environ
vingt ans , ont été rebâtis l'un & l'autre fans charpente
ni menuiferie. Les loges , les corridors ,
l'avant - ſcène , ainfi que les efcaliers , ont été exécutés
partie en pierre , partie en brique , & tous les
planchers cu plafonds ont été généralement voûtés.
Ces édifices ne font pas de peu d'étendue , comme
on pourroit l'imaginer. La falle de Boulogne furtout
eft très-fpacieufe ; elle contient dans fon parquet
ou parterre huit cent perfonnes affifes , & eft
décorée de cinq rangs de loges élevés à - plomb l'un
au-deffus de l'autre. Les loges des deux premiers
font cintrées en élévation par le haut ; celles du
troifième & quatrième font fermées en plate- bande ,
DE FRANCE. 43
& celles du cinquième forment des lunettes dans la
voûte en anfe de panier qui tient lieu de plafond :
mais ces conftructions, quelque favorables qu'elles
foient à la fûreté publique , ne font rien moins qu'avantageufes
aux fpectacles. La pierre & la brique
n'ont ni l'élafticité ni la propriété du bois pour faire
valoir les inftrumens , pour répéter les fons avec
mélodie , pour rendre la voix plus fonore , plus harmonieuſe.
Auffi obferve-t-on que les deux Salles en
queftion font fourdes , que leurs voûtes plafonnées
produisent des espèces de redondances préjudiciables
à la netteté du ſon , que les voix en général y paroiffent
maigres , fans agrément , & ne reçoivent
pas à beaucoup près de leur réaction contre les entours
en pierre ou en brique , autant de force que
l'on en obtient communément de la grande conftruction
en bois. C'eft pourquoi les Architectes qui
ont bâti depuis des Salles de Comédie ou d'Opéra ,
n'ont point été tentés de les prendre pour modèles ,
& l'on paroît maintenant d'accord fur la néceffité
de fe fervir de matières fonores & élastiques dans
leur exécution.
}
Cependant je crois que , fans préjudicier aux avantages
que les Théâtres obtiennent des conftructions
en charpente & en menuiferie, il feroit plus aifé
qu'on ne penfe de les exécuter de manière à raffurer
le Public contre le danger du feu pendant le fpectacle.
Il ne s'agiroit pour cela que de voûter ea
brique tous les corridors , ce qui feroit facile en
adoffant directement aux loges un bon mur de ma
çonnerie à la place des cloifons de charpente qui
font d'ufage, fauf à lambriffer en menuiſerie ce mur
en- dedans de la Salle s'il le falloit. Alors fi l'accident
du feu furvenoit , chacun fe trouveroit hors de
danger dès la fortie de fa loge * : on auroit derrière
*
Bien entendu qu'on n'y feroit plus renfermé à l'or44
MERCURE
foi une retraite fûre dans les corridors , d'où l'on
pourroit enfuite, fans confufion, gagner les efcaliers ,
qui devroient , par les mêmes raifons que ci-devant ,
étre toujours bâtis en pierre . Ce que je propose au
furplus n'eft pas nouveau , & fe trouve exécuté avec
applaudiffement au Théâtre Royal de Turin & à
celui de Saint- Charles à Naples .
Quant au Parterre , il n'y auroit qu'à diftribuer de
part & d'autre des galeries où il fût aifé de
déboucher par de nombreuſes iffues , pour lors cet
endroit fi fréquenté feroit auffi évacué au beſoin
très- promptement ; & de toutes ces précautions
réunies , il réfulteroit qu'on feroit délivré de toute
inquiétude perfonnelle à l'égard du feu pendant le
fpectacle.
Il y auroit encore une réforme à defirer , felon
moi , dans la manière d'éclairer la Scène , laquelle
contribueroit beaucoup à diminuer les occafions du
feu. La plupart de ceux qui fréquentent les Spectacles,
ont pu remarquer combien le mélange des portans
de lumières avec les chaffis de décorations &
les toiles fufpendues en l'air pour former les ciels eft
fujet à inconvéniens , tant à caufe du voifinage de
ces matières combuftibles, que de leur mobilité prefque
continuelle. Auffi fe paffe-t- il peu de femaines
fans qu'il arrive quelques brûlures particulières à des
parties de décorations , accidens que l'on regarde
comme de peu de conféquence , & auxquels en redinaire
, comme en chartre privée , par les Ouvreufes de
loges , & qu'il feroit libre à tout moment d'en fortir , &
de les ouvrir par dedans à volonté.
* Il y a bien quelques Salles où l'on remarque de femblables
galeries , & il y en avoit à notre Opéra ; mais
comme elles ne font pas de plain pied avec le Parterre, rarement
ont-elles enfemble des communications , & ces gale
ries ne fervent d'ordinaite qu'à faciliter l'entrée à couvert
dans le Spectacle.
DE FRANCE. 45
médie à la vérité aifément à l'aide de groffes éponges
imbibées d'eau attachées à de longs bâtons ; mais
pourquoi faire dépendre fans ceffe auffi légèrement
la fûreté publique de la négligence ou de la maladreffe
d'un ouvrier ; & pourquoi ne s'attacheroit-on
pas, fi cela fe peut , à prévenir ces petits événemens
prefque journaliers, en éloignant des décorations les
portans de lumières ? Depuis le grand ufage des réverbères
, qui ont le double avantage d'augmenter
le volume de la lumière , & de pouvoir la diriger au
loin à volonté , il eft étonnant-qu'on ait négligé de
les employer à éclairer la Scène des Théâtres : il ne
faudroit pour cela que placer ces réverbères de droite
& de gauche fur les murs du fond des couliffes
d'où , à l'aide d'un chaffis vertical porté fur pivot ,
on réuffiroit à frapper de leur lumière les décorations
& les endroits de la Scène que l'on jugeroit à
propos , non-feulement fans aucun rifque , mais encore
de façon à opérer au befoin des effets piqnans
& bien plus intéreſſans que ceux qui résultent de la
manière monotone avec laquelle on a coutume d'illuminer
les Théâtres .
J'espère que ces Obfervations ne fauroient , furtout
dans les circonstances actuelles , manquer de
mériter l'attention de ceux qui penfent qu'on ne
peut trop apporter de prévoyance dans tout ce qui
intéreffe la fûreté publique.
PATTE , Architecte du Duc
régnant de Deux-Ponts.
"
46
MERCURE
GRAVURES.
LA feinte Résistance , Eftampe gravée d'après
-
le deffin peint à gouache par M. Haet , Peintre du
Roi. Prix , livre 4 fols . Le Serpent fous les
fleurs , faifant pendant à cette première , gravée
d'après le deffin de M. Huet. Prix , 1 livre 4 fols.
A Paris , chez Hemery , Graveur , rue S. Jacques ,
entre la Place de Cambrai & le College du Pleffis ,
maifon d'un Tapiffier . Ces deux Eftampes font gravées
avec foin par les fieurs Patas & Godefroy ,
dont les talens font connus & eftimés .
liv.
Antiquités d'Herculanum , troiſième Cahier , contenant
douze Planches. Prix , 6 liv. in- 8 ° . &
in-4° . franc de port partout le Royaume où il y a
Bureau de Pofte. A Paris , chez David , Graveur ,
rue des Noyers.
Note des Éditeurs de cette Collection.
L'accueil que le Public a fait aux deux premiers
Cahiers de cet Ouvrage, nous a engagés à redoubler
de zèle & de foin pour mériter de plus en plus fon
fuffrage : nous avertiffons MM. les Soufcripteurs
qu'à cette troisième Livraiſon ayant employé pour
la partie typographique un papier plus analogue à
celui des gravures , ils recevront à la fin du premier
Volume les deux premiers Cahiers imprimés fur le
même papier , avec les fautes corrigées.
DE FRANCE.
47
ANNONCES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE Phyfique & Médicinal , montrant des
rapports évidens entre les phénomènes de la Baguette
Divinatoire , du Magnétifme & de l'Électricité,
avec des Eclairciffemens fur d'autres objets nor
moins importans qui y font relatifs , par M. T...
D. M. M. in -8 ° .-A Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguftins. On trouve à
la même adreffe , 1º . un Mémoire chimique &
médicinalfur la nature , les ufages & les effets de
Pair & des airs , des alimens & des médicamens
Ouvrage qui a remporté le prix double de l'Acadé
mie de Touloufe en 1778 , par M. Thouvenel ,
Docteur en Médecine , Volume in-4 ° . 2 ° . Un autre
Mémoire chimique & médicinalfur le mécanisme &
les produits dela fanguification , qui a remporté le
prix de l'Académie de Pétersbourg en 1776 , par le
même Auteur. 3 ° . Un Mémoire chimique & médicinalfur
les principes & les vertus des eaux minérales
de Contrexville en Lorraine , par le même.
Hiftoire Univerfelle , nouvellement traduite de
l'Anglois par une Société de Gens de Lettres , in- 8º,
Tome XXVIII. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins.
Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque , Romans
du feizième fiècle , N°. S. A Paris , chez le
même Libraire.
-
L'Ambigu Comique , ou le Remède à l'Ennui,
Prix , 1 livre 16 fok . Anacréon en belle humeur ,
ou le plusjoli Chanfonnier François. Prix , 1 livre
Almanach du bon François. Prix , fols. -
48
MERCURE
--- I livre 16 fols. Domino , ou Jeu de Cartes
pour la poche. Prix , 1 livre 16 fols . A Paris , chez
Defnos , Libraire , rue S. Jacques . On trouve à la
même adreffe huit cent Ouvrages de même espèce à
un quart de remife fur le prix du catalogue.
Recherches fur les Végétaux nourriffans qui, dans
les temps de difette , peuvent remplacer les alimens
ordinaires , avec de nouvelles Obfervations fur la
culture des pommes de terre par M. Parm entier ,
Volume in - 8° . A Paris , chez Didot le jeun e , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguſtins .
Hiftoire des Maladies épidémiques qui ont régn
dans la Province de Dauphiné depuis l'année 177 5,
par M. Nicolas , Docteur en Médecine , Volume in-
8. Prix , 1 livre 4 fols. A Paris , chez le même
Libraire.
V
Sulpice ,
TABL E.
ERS à M. le Curé de S. Lettres de M. de Voltaire à
3 M. l'Abbé Morfinot), 38
Obfervations fur les moyens de
raffurer le Public en cas de
l'événement du feu pendant
le Spectacle ,
Ie Ballet des Dindonneaux ,
Conte ,
Enigme & Logogryphe ,
Menzicoff, Tragédie,
4
9
10 42
46
27 Annonces Littéraires , 47
351
Voyage Pittorefque de Naples Gravures ,
& de Sicile ,
Nouvelle Topographie,
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 7 Juillet. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 6 Juillet 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 14 JUILLET 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A MON AMI.
AMITIÉ, doux foyer où notre coeur s'épure ,
O flambeau prefque éteint qu'alluma la Nature ,
Quel pouvoir ont tes feux ! ils enflamment mes feas !
C'eft de toi que je veux recevoir des préfens ;
Ta main les embellit , c'eft ton coeur qui les donne ;
D'un faux éclat jamais l'orgueil ne t'environne.
Si Plutus peut fixer les aîles de l'Amour ,
Toi , fans un vil métal , tu t'accrois chaque jour ,
Et tu taris les pleurs que la douleur m'arrache ;
De ton oeil pénétrant jamais je ne me cache ,
Sûr que mes paffions , d'un Ami bienfaiteur ,
Pour moi ne feront pas un rigide cenfeur.
AмI , fi je prétends aux dons de la fortune ,
Tu m'épargues les foins d'une brigue importune ;
Sam. 14 Juillet 1781 .
C
$
50
MERCURE
Si je veux de Bacchus refpirer la gaîté ,
To me fers d'Échanfon , ta bois à ma fante
De prévenir mes goûts tu te fais une étude ,
Et je te vois chagrin de mon inquiétude ;
Heureux de mon bonheur , ton plaifir le plus doux ,
Quand la douleur m'accable , eſt d'affoiblir les coups.
Et cependant , cruel.... Il part , il me délaiffe:
Le départ d'un Ami commande la trifteffe.
Quoi ! le fort , envieux de mes plus do ux plaiſirs,
Pendant deux jours entiers t'enlève à mes defirs !
Je crois encor te voir , dans mes bras je te preſſe ,
Un fonge qui te peint entretient mon ivreffe.
Mais , hélas ! mon réveil en devient plus affreux ;
Les lieux où je te vis attendriffent mes yeux ;
Mes pleurs , mes triftes pleurs coulent fur la fougère
Ou tu goûtois le foir un repos néceffaire ;
Ces forêts , fi long- temps témoin de mon bonheur ,
De mes ennuis mortels femblent croître l'horreur.
Vous , qui de l'amitié méconnoiffez les charmes
Et qui défapprouvez ma tendreffe & mes larmes,
Sachez que fon flambeau dans les coeurs vertueux
Ardent coinme l'Amour , porte les mêmes feux .
En vain , pour diffiper la douleur qui m'obsède ,
Je crois que la lecture en fera le remèdes
Vingt fois je prends un livre & vingt fois de mes mains
Il s'échappe & me rend à mes premiers chagrins.¸
Young , le feul Young par fa fombre éloquence
Me plaît, en augmentant les ennuis de l'abſence,
DE
st
FRANCE
$
Iz eft paffé ce temps où , pour tromper la nuit
Que l'hiver à fa fuite en defpote conduit ,
Nos loisirs confacrés aux filles de Mémoire
Ajoutoient au plaifir , ajoutoient à la gloire.
Dédaignant un Auteur dont les triftes travaug
Par la louange même endorment les Héros ,
Nous parcourions ces vers , délices de nos Belles,
Qu'inſpira le defir & qu'Amour fit pour elles ;
Bernard , dans l'Art d'Aimer , digne rival d'Ovide ,
Ézoit tout-à-la-fois & non maître & mon guide ;
Attendri Greffet fur tes fâcheux revers ,
par
Ververt , je te fuivois au parloir de Nevers;
Pour avoir un Ouvrage, en traits brillans fertile ;
Nous prenions tour-à - tour & Virgile & Delille ;
Aimant avec Pétrarque & Laure & fes rigueurs,
Les malheurs de l'Amour faifoient couler nos pleurs ;
De Geffner , de Berquin la plume fimple & pure
A nos yeux d'un feul trait retraçoit la Nature ;
Conteur inimitable , Apôtre du plaifir ,
La Fontaine enſeignoit l'art heureux de jouir ;
Philofophe léger , moraliſte agréable ,
Voltaire , en le raillant , charme un fexe adorable ;
Ses Écrits que l'Amour de fon aile effleura ,
Charmans comine le Dieu qui toujours l'inſpira
Soat infcrits par l'Amour aux faftes de Cythère :
Que le temps paroît court en feuillerant Voltaire!
Cij
52 MERCURE
D'UN bonheur qui n'eft plus pourquoi m'entretenir ?
Cet Ami confolaut tarde trop à venir, ....
Si c'étoit lui .... Je vois mon chien qui , plein de joie ,
Va, court , faute , revient , l'annonce , crie , aboię.
Tout nie dit qu'il ſe rend à mes preffans defirs.
Mon Ami ! je penfois à nos anciens plaifirs ,
Ma plume les traçoir ; mais quittons le Parnaſſe ,
Je vole dans tes bras , je te ferre & t'embraſſe.
(Par M. Santerre de Magny, âgéde 17 ans. )
།
STANCES adreſſées à M, DE LÄRIVE.
VAINQUEUR de la nature, après trente ans de veilles,
Le Kain fe vit fameux ;
Par fes divins accens il charmoit nos oreilles
Et fafcinóit nos yeux.
8. .3.
MAIS ton fort , ô Larive ! en marchant fur les traces ,
A bien plus de douceurs,
Sans un pénible effort le favori des Grâces
Eft le maître des coeurs . ཨན་ སྟེ་ ཆུ་
Oui , de tes nobles traits la beauté gracieuſe "
Captive tous les fens ;
Et du Dieu des combats ta voix majeftucuſe
Imite les accens,
Au tombeau de le Kain Melpomène arrachée
Par tes brillans fuccès ,
A af
K
DE
13
FRANCE.
Arepris pour toi feul fa couronne attachée
A de triftes Cyprès .
i
APPRENDS - MOI , s'il le peut , par quel preftige
aimable ,
Dans tes tranfports brûlans ,
Tu montres tour-à -tour un front fi redoutable
Ou des traits fi touchaus.
C'EST ainfi que Milton de l'Ange des ténèbres
, Peint le féjour affreux ,
Et changeant tout-à-coup des accens fi funèbres ,
porte dans les cieux. Nous
(Par M. Lamontagne aîné. ) ›
LE COUCOU ET L'ALOUETTE ,
Fable imitée de l'Allemand de M. Hagedorn
L'ALOUETTE
· ' ALOUETTE au Coucou tint un jour ce langage :
Ami , dis- moi pourquoi parcourant l'Univers
La Cicogne , après maint voyage
Parmi tant de climats divers ,
j
N'en fait pas plus que nous ? -Il n'eft pas difficile ,
Répondit le Coucou , d'en favoir la railon..
Un for voyage en vain , & change d'horifon ,
Il n'en revient pas plus habile.
( Par M. le Chevalier de la Croix Labergne. )
C iij
54 MERCURE
ÉPIGRAMME.
CIRTAIN RimeD
ERTAIN Rimeur, connu par maint & maint affront,
En lifant mes Ecrits les tronque & les altère.
Pour me venger de lui je ferai le contraire ;
Je lirai les fiens tels qu'ils font.
Par M. L***** . )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
adu Mercure précédent.
* 285 700
LA répoufe à la question Énigmatique eſt
Vieillir; le mot du Logogryphe eft Janvier,
où fe trouvent an , vie , vrai , vin , ivre ,
Jean , rien , Eu , Vire , aire , navire , rayin
rave , nue , rive , Juin , air , eau , Jan , ré,
ver, tue , jeu , âne, ire.
ENIGM E.
UTILE à la fois & nuifible ,
L'on me recherche & l'on me fuit.
Malheur à quiconque m'aigritudo A
S'il eft un tant foit peu fenfible!
Je fers très-fouvent à cacher
pagaststar Les riches tréfors des Bergères
Et je punis les téméraires
Qui parviennent à m'arracher!
oy
( Par Mlle Gillier , d'Ervy-le- Châtel. )
DE FRANCE
SS
LOGOGRYPHE.
SANS être dans le Ciel , je ne fuis point fur Terre ;
J'offre à Paris fur-tout un fecours falutaire.....
Je meurs tous les matins , tous les foirs je renais ;
Cependant , fi l'on veut , je ne mourrai jamais
Il faut , pour cet effet , atrofer mes entrailles
D'une douce liqueur qui m'arrache à la mort.
Je fuis environné de fifoibles murailles ,
Que ton oeil à travers peut percer fans effort.
Je n'ai nï cou, ni bras , ni tête ; en récompenſe
J'ai tantôt deux , tantôt trois & tantôt quatre yeux;
Je répands un éclat plus ou moins radieux ,
Selon que plus ou moins on nourrit ma ſubſtance.
Au refte , j'ai neuf pieds ; en les décompofant
Tu trouveras un meuble où ſe puiſe la joie ,
Mais plus fouvent encore où la raiſon ſe noye ;
Une note en mafique ; un infecte rampant ;
Ce qui trop haur déplaît dans une compagnie ;
Un être chimérique , enchanteur féduifant
A qui l'homme abuſé quelquefois facrifie ;
Pour finir en un mot , tout fripon dans Paris
Évite avec grand foin les endroits où je fuis.
Par M. Richard , Étudiant en Rhétorique
au Collège de Lizieux. ).
1
X
Cir
56
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ORAISONS FUNEBRES de l'Impératrice
Reine , par M. l'Evêque de Blois & par
M. l'Abbé de Boifiont , l'une chez Didot
l'aîné , Imprimeur du Clergé, rue Pavée ,
l'autre chez Demonville , Imprimeur de
l'Académie Françoife , rue Chriftine.
IL femble que M. l'Évêque de Blois ait
toujours eu en vue ces quatre beaux vers de
Brutus ,
Yous pouvez refferrer par un accord heureux!
Des peuples & des Rois les légitimes noeuds,
Et faire encor fleurir la liberté publique
Sous l'ombrage facré du pouvoir monarchique.
"
« La Reine , dit l'Orateur , foupçonne
qu'il y a plus fouvent des opprimés que
» des rébelles , & elle eft sûre que la
» fidélité eft dans le coeur de fes fujets ,
parce que la juftice & la bienfaifance
» font dans le fien..... Elle aime niieux
» croire au malheur qu'au crime , & en
» montant fur le trône il lui eft doux d'an- *
» noncer qu'elle croit n'avoir que dés fujets
fidèles. Elle n'en aura jamais d'autres .....
» La Reine ( en ſe remettant avec fon fils
entre les mains des Hongrois , que ſes anDE
FRANCE. 57
ور
•
cêtres avoient fi fouvent traités en rébelles )
vient d'apprendre à tous fes fucceffeurs
qu'il y a plus de reffources dans la fierté
» d'un peuple libre que dans la crainte des
efclaves ; qu'on avoit plus fouvent occupé
fes ancêtres de leur autorité que de l'amour
de leurs fujets , parce que ceux qui entou-
» rent les Rois ont quelquefois plus d'intérêt
» à les faire obéir qu'à les faire aimer. »
"3
Ces maximes vaudroient mieux que de
l'éloquence , fi elles n'étoient pas de l'éloquence,
L'Oraiſon Funèbre de la même Impératrice
, prononcée au nom de l'Académie
Françoile dans la Chapelle du Louvre , lei
Vendredi premier Juin 1781 , par M. l'Abbé .
de Boifmont , a beaucoup de beautés de ce
genre utile , elle en a de tous les genres ; &
l'Auteur des belles Oraifons Funèbres de
M. le Dauphin , père du Roi , de la Reine
fon aïeule , du Roi Louis XV , ne pouvoit
dégénérer dans un fujet auffi beau que l'éloge
de Marie Thérèſe .
Il ne perd pas , non plus que M. l'Évêque
de Blois, une occafion d'avertir , par l'exemple
de Marie- Thérèfe , l'autorité de fe rendre
aimable par fon propre intérêt. On recherche
tant la puiffance , la puiffance fans botnes,
fans contradictions , on ne la trouvera
que dans l'amour. Quel eft effentiellement
le plus puiffant de tous les Monarques ?
Celui qui eft le plus aimé.
" La bonté de Marie - Thérèle , Edit
M
५
CV
8758
MERCURE
qe l'Abbé de Boifmont , fera plus abfolue que
le defpotifme même. Ah ! la foumilion
» eft fans réſerve , lorfque la liberte elt fans
alarmes ; plus de barrières entre elle & le
coeur des indociles Hongrois. Tout eft
calme , tout repofe à fes pieds ; & ce n'eft.
pas ce repos affreux qui , dans la fervitude
reffemble au filence de la mort : c'eft la
» douce confiance d'une famille nombreufe ,
fatisfaite & tranquille fous la main pater
nelle. Conquievit in confpectu ejus , &
filuit omnis terra......
7
Qu'on vende aux Souverains fes talens
- & fes veilles , je n'en fuis pas furpris.
Hélas ! veulent - ils être aimés ? C'est le
» trône , c'est la puiffance , ce n'eft pas
» l'homme fenfible que l'on fert. Dans Marie-
Thérèfe , c'eft la gloire de Marie- The-
» rèfe même qu'on idolâtre : c'eſt à ſon ame
qu'on le dévoue.........
La divifion de ce Difcours eft fimple &
vafte. La première Partie traite de la gloire
de Marie - Thérèfe ; c'eft l'hiftoire de fes
malheurs & de ceux de l'Europe pendant
fa vie. La feconde Partie eft le Tableau de
2. l'adminiftration de Marie - Thérèfe , c'est- à-
* dire du bonheur de fes Sujets fous fon règne.
La première eft celle qui offre le plus de
ses tableaux de détail , de ces morceaux
propres à orner un extrait ; mais ils font en
grand nombre , que nous nous contenterons
de les indiquer pour la plupart , tant
pour éviter l'embarras du choix , que pour
DE FRANCE,
39
ne pas charger cet extrait de citations trop
longues & trop fréquentes qui perdroient
au moins le mérite de l'encadrement.
Le tableau général des guerres de 1741 &
de 1755 ; la retraite de Marie - Thérèle en
Hongrie , fa noble confiance dans les Hongrois
, l'enthouſiaſme généreux dont elle les
remplit , le développement de toutes les circonftances
, de tous les détails de cette fcène
touchante & de fes fuites ; la fermeté avec
laquelle Marie - Thérèſe ſoutient la mauvaiſe
fortune ; la modération qu'elle ſignale dans
la profpérité , les vertus de chaque fituation ,
de chaque moment qui fe trouvent fi naturellement
dans fon ame ; l'ufage qu'elle fait
du calme pour améliorer les États , & des
otages pour le perfectionner elle- même ; le
portrait du Roi de Pruffe , le parallèle de ce
Prince & de Marie- Thérèfe ; ce morceau fi
philofophique , fi profond , où l'Orateur
nous repréſente Marie- Thérèſe ſe concentrant
dans le caractère de fon peuple pour
le rendre plus fage & plus heureux , & réfiftant
à l'attrait , à la féduction des nouoh
veautés brillantes que fon fiécle lui offroit.
Ce morceau , & tous les précédens que nous .
onvenons d'indiquer , & en général tous les
sh grands morceaux du fujet , font traités avec
toute la dignité , tout l'intérêt , toute l'éloquence
qui leur conviennent & qu'on devoit
attendre de M. l'Abbé de Boifmont. Si ,
pour abréger , nous ne nous airêtons point
10 tranferire ni à confiderer ces beautés du
$
C vj
во MERCURE
premier ordre , nous nous arrêterons encore
moins à relever quelques expreflions , ou
exaltées , ou recherchées , ou obfcures ,
foibles ombres dans un Ouvrage tout étincelant
, ou de génie ou d'efprit.
La feconde Partie , en peignant la douce ,
la confolante , la vivifiante Adminiſtration
de Marie-Thérèfe, développe toutes les qualités
également grandes & aimables qui formoient
le caractère de cette Princeffe. Parmi
les principaux traits qui peuvent être détachés
de ce beau tableau , & confidérés à
part , nous remarquerons fur- tout le paral
lèle de Marie - Thérèſe d'Autriche avec la
célèbre Elifabeth d'Angleterre . « Toutes
deux honorant leur fexe , leur pays , leur
» trône , ont donné des leçons de génie aux
Rois ; & , ce qui eft plus rare encore ,
Sont confacré le génie au bonheur des peu
ples ; toutes deux , exercées par le malheur
, ont appris , dans la lutte pénible
contre l'adverfité , à fortifier leur caractère
, à étendre les reffources de leur ame ,
à fe foumettre les événemens , & à fe faire
, un héroïsme de circonftances autant que
. de principes. Élifabeth , plus créatrice
peut- être , & plus hardie , a préparé les
ambitieux deftins de l'Angleterre : Marie-
Thérèfe , plus mefurée , a déployé cette
intelligence confervatrice qu'exigeoit la
longue & antique domination de l'Au
» triche. La première , réprimant un peuple
impatient & fougueux , également terDE
FRANCE. 61
rible , foit qu'il fente l'excès de la fervi-
» tude ou de la liberté , le contint fans
» l'avilir , & détournant cette activité in-
93
"
quiète vers de grands objets , lui créa , fi
» j'oſe ainfi parler , un nouvel apanage , la
» mer ; une nouvelle patrie , les deux Mondes
; la feconde , excitant un peuple calme,
» & dès- long- temps plié par la douce dif-
» cipline des lois & des camps , lui a infpiré
le goût d'une richeffe utile , & d'un
» genre de conquête conforme à ſes moeurs ,
celle de fon propre pays par le travail &
Finduftrie. Ainfi l'une tourna vers l'Em-
» pire & la Fortune le génie de la libertés .
l'autre a dirigé vers un bonheur tranquille
le génie de l'obéiffance. Toutes , deux ont
» joui d'un pouvoir prefque abfolu ; mais
l'efpèce de defpotifme d'Élifabeth tenoit
» à fon caractère; celui de Marie - Thérèſe à
» la Conftitution de l'État. Élifabeth , par
fa fierté naturelle , tendoit fans ceffe le
" reffort d'un Gouvernement où les droits
des peuples étoient indécis , où les bornes
mobiles de l'autorité étoient déplacées à
chaque règne par la foibleffe ou la fermeté
des Monarques ; Marie- Thérèſe , en
» montant fur le trône , hérita d'une Puiffance
illimitée , appuyée , for plufieurs
fiècles, accrue & , pour ainfi dire, confacrée
par l'opinion , cette première Légiflatrice
des Etats qui I
ou juftifie tous les
» droits ; mais cette Conftitution fans équi-
» libre , trouva fon contre- poids dans l'ame
62 MERCURE
e
but
N
de la Souveraine qui devoit y préfider.
L'une enfin , par fes fuccès & fa grandeur,
força le fier Breton de lui pardonner le
defpotifme de fa volonté ; l'autre , par fa
>> modération & fa douceur , tempéra le
defpotifme des armes & de la Legiſlation
arbitraire ; elle n'en retint que le droit
d'être bienfaifante fans contradiction , &
de faire envier à l'indépendance même
l'heureufe néceflité de lui obéir . »
Voilà tout ce que l'éloquence la plus in
génieufe , la plus féconde en reffources , en
3 idées nobles & fines , en mots heureux , a pu
simaginer pour mettre Marie- Thérèſe à côté
d'Élifabeth ; l'Hiftoire , d'un feul mot , va la
placer au- deffus:
La cruauté a fouillé la gloire d'Éliſabeth ;
la bienfaifance a confacré celle de Marie-
Thérèſe ; & les noms intéreffans du Comte
d'Elfex , du Duc de Nortfolck , & fur tout
25 de Marie Stuart , ne s'élèvent point contre
fa mémoire. " Ah ! s'écrie 1Orateur , c'eft
» dans les murs de Vienne , c'eſt à l'aſpect
» du Palais Impérial qu'il faudroit parler.
" Que de voix gémiffantes s'éleveroient du
7.
fein de ce Palais ! Quel auditoire que celui
» qui feroit formé de tous les malheureux
que Marie- Thérèfe a fecourus ! Chaque
" mot que je prononcerois retentiroit juf-
» qu'au fond de leur ame ; chacune de mes
penfees fe peindroit dans leurs traits ,
feroit juftifiée par leurs larmes .... Reconnoiffez
, leur dirois- je , ce trône , où l'in-
" &
DEFRANCE. 163
"
dulgence , la pitié , l'humanité furent tou
" jours affiles , les mains étendues vers le
» befoin & le malheur ; c'eft au pied de ce
» trône qu'un Croate , prêt à fuir fon dra-
" peau pour voler au fecours de fa famille
» expirante dans la misère , trouvoit fa
» femme & fes enfans baignant de leurs
» larmes les genoux d'une Bienfaitrice géné
"
reufe ; c'eft de - là qu'il partoit pour en
» flammer tout fon pays , & groflir l'Armée
Impériale de tous les enthoufiaftes qu'il
» alloits affocier à la réconnoiffance.....
» C'eft par ces détours ignorés que l'ame de
» Marie- Therefe s'échappoit fans laiffer au-
» cune trace , pour s'unir à la noble indi-
" gence , qui pouvoit rougir & de l'aveu
» du befoin & de l'humiliation du ſecours .
Rappelez- vous le Danube rompant fes
digues , roulant au fein de vos foyers le
Pravage & l'horreur. Quelle main protec-
» trice vous foulevoit au milieu des ondes
écumantes , & portoit jufqu'à vous la
confolation & la vie ? Repréfentez vous
les flammes dévorant vos afyles , vos
femmes , vos enfans , vous mêmes allis
fur leurs débris fumans : quelle main
bienfaifante effuya vos pleurs & répara
sur vos pertes ? Ah fans doute , à ce récit
attendrillant , les foupirs , les fanglots
s'échapperoient avec violence de tous les
coeurs : je me troublerois moi même au
milieu de cette fcène éloquente , & mon
sak (trouble , omon filence , l'égarement de
2 "
64 MERCUREA
" mes efprits la loueroient bien mieux que
» toutes mes penſées..... Ah ! ce ne font
» pas les Grands , c'eft le peuple qui prononce
l'apotheofe des Rois. »
Si les malheureux ont befoin de fecours ,
les Héros ont befoin d'honneurs , & ils y
ont droit. " Marie- Thérèſe croira- t'elle en
"
pouvoir répandre affez fur l'illuftre com-
" pagne du Héros de Chotémnitz ? Que fera-
»
""
t'elle pour le Héros même ? Elle dépofera
» dans fes mains victorieules tous les droits .
» de ce trône qu'il a foutenu . Dans ce camp
où tour parle de fon triomphe , juftice ,
grâces , récompenfes , tout dépendra de
fon autorité : il fera Roi . Elle chargera
le fils de ce grand Homme d'un ordre
qu'il n'ouvrira que fous les yeux du vainqueur
, à la tête de fon armée , qu'ap-
» percevra-t'il alors ? Une carte de la Bohême
, le nom du village de Chorémitz
tracé en caractères apparens , & au deffous
" on lira cette infcription digne des temps
héroïques , écrite de la main de Marie-
Thérèle même : C'est ici que votre père a
fauvé mon Empire , je ne l'oublierai ja
» mais..... C'eft avec ce goût , cette recherche
, cet art dont le coeur feul a tous les
» fecrets , que Marie- Thérèſe paye les fervi-
» ces & le zèle.....
33
39
33
Il eft dans toutes les bouches , il paffera
dans tous les âges , ce mot vriment
Royal , que la vanité des Conquérans &
des Rois ne devoit point trouver : inot à
992
DE FRANCE
65
38
jamais mémorable
réfervé au coeur de
» Marie-Thérèfe. Hélas ! pourquoi , ô mon
» Dieu ! avez- vous permis qu'il fût le der-
» nier ? Je lègue à mon Armée.... C'eft après avoir ainfi excité l'attendriffement
par
le tableau de la bienfaiſance
tòu- jours touchante
ou délicate
de Marie- Thé
rèfe , que l'Orateur
nous parle de la mort de cette Princeffe
, & entreprend
de nous « en confoler
. Ne la plentons
pas , dit- il ,
"
33
pleurons
ces Rois dont la vie entière n'eft » que l'oubli de la vie même..... La mort » pour elle fut un bienfair. Le ciel a voulu
» qu'elle emportât
fa gloire toure entières, qu'aucune
ombre , aucune tache ne ternit » cette belle vie ; car , hélas ! qu'eft- cè en
général que la vieilleffe
...... Er en par- » ticulier
qu'eft ce que la vieilleffe
fur le » trône : I femble que ces rides , qui ne refpectent
pas les fronts couronnés
, aillent
93
"
99
"
1
"
4
s'imprimer
alors , pour ainfi dire , juf- » ques fur les lois , fur l'autorité
, fur les
» confeils. Plus d'activité
dans les efprits ,
plus d'énergie
dans les courages ; le bien
» eft négligé , le mal n'eft pas prévu , tour «‹ fe défunit : on remarque
bientôt dans la » même Nation deux intérêts & deux peu- s » ples; l'un redoute ce que l'autre efpère ;
"
"2
l'approche
d'un nouveau
règne rend les
» maximes
de l'ancien moins refpectables
, » & le Souverain
fe furvit en quelque forte » pour voir les derniers
momens
ou obf-
» curcis ou méprifés. Mais mourir lorfqu'on
$4
966 KOMERCURE
» marche d'un pas toujours ferme dan34s la
» carrière , lorfque la lumière qui nous en-
» vironne eft encore toute vive , lorſque le
préfent garantit l'avenir , ce n'eft pas
mourir en effet , c'eft fe cacher dans fa
gloire. "
Expreffion hardie , qu'on a du cenfurer
comme hafardée , & qu'on peut admireɛ
comme fublime.
་
Ces exemples fuffifent pour faire connoître
combien le talent de M. l'Abbé de
Boifmont a de foupleffe & de fécondité ,
combien fon éloquence eft étendue & variée.
Les morceaux que nous n'avons fait
qu'indiquer la montreront tantôt impofante
& majestueufe , tantôt rapide & entraînante.
Parmi ceux que nous avons cités , le
parallèle de Marie-Thérèſe d'Autriche &
d'Élifabeth d'Angleterre annonce de grandes
vues & de grandes reffources . Le tableau
de la bienfaifance de Marie - Thérèſe préfente
une foule de traits attendriffans ; c'eft
par-tout le langage d'un coeur touché. Le
récit du trait de Chotémitz fe rapproche du
naturel & de la fimplicité de l'Hiftoire. Les
réflexions fur la vieilleffe des Rois font d'une
Philofophie qui nous paroît être le caractère
dominant de l'Ouvrage , & le mérite principal
de l'éloquence de M. l'Abbé de Boift
mont.
DE FRANCE. 2667
AMUSEMENS DU JOUR , ou Recueil de
petits Contes dédiés à la Reine , par
Mde de Mortemart. A Genève ; & fe
trouve à Paris , chez Couturier fils ,
Libraire , quai des Auguftins ; & à Verfailles
, chez Sevère Dacier.
Nous avons parmi les Auteurs de Romans
prefque autant de femmes que d'hommes
. Mde de Mortemart vient encore augmenter
le nombre de celles - ci ; elle paroît
avoir fenti que les énormes Volumes n'étoient
pas faits pour être lus à la toilette , &
P'on peut juger par le titre feul , que le Re-
Jueil qu'elle publie eft une Brochure ,de ce
genre ; elle contient le Songe , conte allégorique
; l'Oracle , conte Oriental ; Luerdab
conte Perfan ; Oka & Crinkayel ,
contes de Fées ; les deux Amis , conte Indien
; Juftine ou les égaremens d'un coeur
fenfible , anecdote Françoife ; Zoé, anecdote
Allemande. On trouve dans ces légers
Opufcules des deſcriptions riantes , de fages
réflexions , des traits de Morale heureufe-
2: ment exprimés, & des portraits agréablement
Stouchés . Si j'ai pu efquiffer quelques ai-
" +
mables portraits , dit l'Auteur dans fon
- Épître dédicatoire à la Reine , l'on pourra
reconnoître que j'avois choifi le plus beau
» modèle , mais qu'il faudroit un autre pin-
» ceau pour rendre les traits chéris de bienfaifance
, s'ils n'étoient gravés dans tous
» les coeurs. »
68 MERCURE
LE NOUVEAU MONDE , Poëme , par
M. le Suire , de l'Académie des Sciences ,
Belles - Lettres & Arts de Rouen.
Tu Spiegherai , Colombo , per l'alto Oceano
Lontane si le fortunate antenné....
Lunga memoria
Degniffima di Poema e d'Iftoria.
T. Taffo , Ger. Lib.
A Éleuthéropolis , & fe trouve à Paris ,
chez Quillau l'aîné , rue Chriftine ; la
Veuve Duchefne , rue S. Jacques ; la Veuve
Tilliard , rue de la Harpe ; Efprit , au Palais
Royal , 1781. 2 Vol . in - 12 . Prix , 3 liv.
12 fols brochés .
11 faut être juste , on ne peut pas dire que
ce Poëme , dont le fujet eft vafte & beau
ait precifement tout le mérite du Poëme de
Conches, ou de celui de l'Architecture. Parmi
les dix ou douze mille vers , plus ou moins,
qu'il contient , on ne trouvera pas une feule
faute contre la mefure , ni contre l'arran
gement des rimes ; on voit paffer en revue ,
dans la Préface , les principaux Auteurs qui
ont écrit fur le nouveau Monde & les principaux
Poëtes épiques ; & fi nous entendons
bien le jargon des Préfaces , le dernier rée
fultat des trente pages dont celle - ci eft compofée
, eft que l'Auteur efface & tous les
Poëtes épiques & tous les Aureurs qui ont
écrit fur le nouveau Monde . Il ne parle que
DE FRANCE. 69
1
de fuccès , d'éditions fubféquentes , de perfécutions
même , fuites & garans de ce
fuccès ; il craint d'être perfécuté comme
fon Héros , & pour des caufes à- peu - près
femblables : on fent que fes craintes à cet
égard font des efpérances.
Proprement toute notre vie
Eft le Curé Chouart , qui fur fon mort comptoit
Et la Fable du pot au lait.
M. Le Suire demande à n'être pas jugé fur
fes règles ordinaires de l'Epopée , il a doublement
raifon : 1 °. parce que ces règles ayant été
faites d'après le petit nombre de Poemes
épiques qui pouvoient feuls alors fervir de
modèle , ne doivent point être étendues avec
une certaine rigueur , aux Poëmes qui peu`
vent démentir ces règles par des innovations
heureuſes ; z parce que ce Poëme ne reffemble
en effet à aucun de ceux qui ont
réuffi jufqu'à préfent ; il n'y reffemble , ni
par le fond , ni par la forme , ni par le
nombre des Chants , ni par leurs titres ;
chaque Chant a fon titre particulier , comme
les chapitres de certains Romans , & forme ,
pour ainsi dire , un petit Poëme à part. Il
y en a vingt -fix. En voici les titres, les
Amours , le Voyage , l'Amérique , les Combats
, l'Interprète , le Mexique , le Fanatif
me, la Pyramide , le Pérou , le Tremblement
de Terre , les deux Frères , les Montagnes,
La Ville ambulante , les Spectacles , les Déferts
, l'Auto- da-fé, l'Ifle fortunée , l'Alcefte
*
70 MERCURE
Américaine , le Retour, le Triomphe, l'Italie
le Prifonnier content , lefaux Concile , l'Hymenée
, les Prifons. En voilà vingt - cinq ; &
on fent que l'Auteur pouvoit en faire vingtcinq
fois vingt- cinq , s'il eût voulu ; mais le
titre du vingt - fixième eft tel , qu'il falloit
abfolument finir par celui-là : c'eft la Mort,
Mors ultima linea rerum eft. avg
Une particularité encore de ce Poëme
eft de préfenter , comme une Pièce de Théâtre
, la lifte des principaux perfonnages ; &
zette lifte eft fi nombreufe , qu'on la prendroit
pour celle d'une Pièce de Shakeſpeare.
On indique auffi , comme dans une Pièce
de Théâtre , le lieu de la fcène , & ce lieu
de la fcène eft dans les deux Mondes.
L'Auteur débute d'un ton qui n'annonce
tertainement pas un Poëme épique , mais
qui annonce quelque chofe , & quelque
chofe que l'Auteur ne tient pas dans la
fuite.
Ramené par le temps au fein de ma Patrie ,
Promenant à l'écart ma douce rêverie
ipris des vains honneurs de la célébrité ,
' e chéris en fecret & fuis l'obfcurité. £
ans redouter la mort , éloignée ou prochaine ,
pectateur attendri de la misère humaine ,
e fupporte les Grands , je plains les malheureux ;
e ciel a ma prière , & la terre a mes voeux.
Ces vers , difons - nous , ne font pas épíDE
FRANCE. 780
ques ; mais il y a du piquant , de la naïveté ,
& une forte de Philofophie dans cet ille
ego ; chaque vers , & prefque chaque hémiftiche
, a du fens ; & fi le refte du Poëme
répondoit à cer exorde , il faudroit lui cher
cher un titre particulier , ou convenir que
l'Epopée peut avoir plus d'un ton ; mais ce
n'eft pas la peine de chercher un titre pour
un recueil de vers , tels que ceux- ci :
Des Nautonniers fangtans s'échappoient à la nagem
De l'Inde Occidentale on amenoit au port
Des trésors amaffés fur ce funefte bord
Et des hommes couverts de bleffures mortelles
Pour s'être difputé ces richeffes cruelles.55
Nouveau Monde , me dis-je , où l'on nous voit courir ,
Que tu caufas de maux , & qu'on t'en vit fouffrir ! ...
Alors un feu facré me pénètre & ' enflamme ,
Et je chante ces vers où je répands mon ame
Et votre ferviteur , pour terminer ma phraſe.
Colomb eft en prifon , une jeune fille
vient l'y trouver ; c'eft Clémence Ifaure
l'Inftitutrice des Jeux Floraux ; quoiqu'elle
n'ait pas été plus Contemporaine de Chrif
tophe Colomb , que Didon ne l'avoit été o
d'Enée ,
Elle offre des ſecours au fage qu'elle enchante ;
Il imprime un baiſer ſur la main bienfaiſante ;
Et d'un oeil éloquent fecondantfes accens ,
Il dévoile en ces mots le trouble de fes feis, n
1
72 MERCURE
Cette confonnance régulière de trois en
trois fyllabes , éloquent , fecondant , fes accens
, fait un effet bien agréable.
"2
99.
O des infortunés Déeffe tutélaire ,
Qui vousfait m'honorer d'une faveur fi chère ?
Quel être fecourable , ami du genre humain ,"
A pu vous envoyer dans ce noir fouterrain ?·
Et de quelle contrée , en ce lieu déplorable ,
» Venez-vous m'apporter un fecours favorable ? »
En voilant fa rougeur cette Beauté fourit ,
Et lui répond ces mots , dont le charme attendrit.
Ces mots , que nous ne rapporterons pas
de peur d'être trop longs , ne font ni bien
ni -mal , & n'ont point de charme qui attendriffe.
En général , les Auteurs devroient
prendre garde à ces éloges qu'ils fe donnent
quelquefois à eux - mêmes , fous prétexte de
les donner à leurs perfonnages ; car fi le
Lecteur ne les confirme pas , c'eft un ridicule
; & lors même qu'il les confirme , il
peut encore trouver mauvais qu'on l'ait prévenu
.
Le Poëte nous apprend encore que le
Héros eft enchanté d'un fi doux langage.
Et par un timbre heureux , cet organe vainquear
Murmure à fon oreille & va toucher fon coeur....
Cette jeune Beauté fe faifant violence ,
Le regarde , foupire , & le quitte en filence.
La porte eft refermée avec un bruit affreux.
Cet
DE FRANCE.
73
Cet âge encor & tendre & ces traits gracieux ,
Et ce doux intérêt dont brilloient deux beaux yeux.
Rendent Colomb amoureux , quoiqu'il ne'
foit déjà plus jeune , & voilà pourquoi ce
premier Chant eft intitulé les Amours ..
Ifaure revient dès le lendemain.
Une terraffe ouverte , où le foleil rayonne ,
De la tour qui l'enferme eft l'heureuſe couronne.
De-là fes yeux errans , quand les cieuxfontfereins ,
S'étendent fur les flots.
Sur la terraffe , unjour , ils refpiroient tous deux.
Elevés dans les airs au comble de leurs voeux.
Colomb fait à fa nouvelle Maîtreffe un
compliment de voyageur , en lui difant qu'il
ira fous d'autres cieux faire répéter , à des
échos étrangers , le nom d'Ifaure.
Cent peuples inconnusfur ces rives épars ,
Et qui vont du néant ſortir pour nos regards ,
Inftruits de votre nom , frappés de votre gloire ,
Me verront préférer votre chère mémoire ,
Le fimple fouvenir de vos tendres appas ,
Aux plus rares beautés qui parent.ces climats.
Ifaure plus avifée , trouve que c'eft prendre
le plus long.
Et fes yeux femblent dire : « Hélas ! qu'eſt-il beſoin,
» Pour trouver le bonheur, de le chercher fi loin ?»
Ces deux vers pourroient n'être pas mau-
Sam. 14 Juillet 1781. D
74
• MERCURE
vais dans un Conte ou dans une Epigramma
Colomb & Ifaure voyent , de leur terraffe
, un combat entre un Vaiffeau Efpagnol
ou Portugais & un Vaiffeau Anglois ,
La foif de l'or , guidant ces Nautonniers avides ,
Les avoit fait voler vers ces lieux homicides ;
Et la rivalité , pour un frivole gain ,
Leur avoit mis le fer & la flamme à la main,
Au couple fpectateur , un des Guerriers expofe
De leur acharnement cette futile caufe.
Colomb part,
On le nomme Amiral des mers qu'il va courir ,
Vice-Roi des États qu'il pourra conquérir.
Mais à côté de ces vers d'une fimplicité
burlefque , on trouve celui - ci :
Il fort de fon cachot pour agrandir le monde.
Malgré fon fatras obfcur
Souvent Brébeuf étincelle ;
Un vers noble quoique dur
Peut s'offrir dans la Pucelle .
A l'exception de ces foibles lueurs , qui
font même très- rares dans ce Poëme, ce font
par- tout les expreffions , les tours , les formes
de la profe. Que l'Auteur n'écrit - il donc
en profe. Il y a montré quelque talent . Son
Poëme en profe , intitulé: Ifaac & Rebecca,
DE FRANCE. 75
ou les Noces Patriarchales , n'eft point du
tout un ouvrage fans mérite. Il y a beaucoup
plus de poéfie dans la profe de ce Poëme ,
que dans tous les vers du Roman du nouveau
Monde. Son petit Roman politique & fatyrique
, intitulé : les Amans François à Londres
, ou les Délices de l'Angleterre , étoit
affez bien conçu , & avoit fait quelque fenfation
, même dans le Monde & au - delà du
cercle des Littérateurs. L'Auteur fûrement
écrit trop & trop vite. Il a voulu écrire en
vers , & en vers épiques , fans entendre la
Langue poétique , fans avoir la moindre idée
du ftyle de l'Epopée. L'Auteur ne fe plaindroit
pas tant des prétendus faifeurs & deftructeurs
de réputations, s'il vouloit travailler
un peu plus férieufement & un peu plus
lentement à la fienne , & fur- tout méditer
ce précepte d'Horace :
Sumite materiam veftris , quifcribitis , aquam
Viribus , & verfate diù , quid ferre recufent ,
Quid valeant humeri.
Dij
76 MERCURE
ر le
MONDE PRIMITIF analyfé & comparé
avec le Monde Moderne , confidéré dans
divers objets concernant l'Hiftoire
Blafon , les Monnoies , les Jeux , les
Voyages des Phéniciens autour du monde,
les Langues Américaines , &c . ou Differtations
mêlées , remplies de Découvertes
intéreffantes , avec une Carte , des Planches
& un Monument d'Amérique , par M. Court
de Gebelin. Huitième Volume in-4° . A
Paris , chez l'Auteur , rue Poupée .
Ce nouveau Volume commence par une
vue générale du Monde Primitif. Elle confifte
, 1 ° . dans la récapitulation rapide des
Volumes qui ont déjà paru , des principales
idées qu'ils renferment , & des avantages
-qui en résultent pour les connoiffances humaines.
2°. Dans un tableau des objets que
doit renfermer la fuite de cet Ouvrage ; & 38.
dans l'expofé des caufes & des moyens qui
ont conduit l'Auteur aux découvertes qui
forment le Monde Primitif.
A la fuite de ce Difcours , vient une
differtation fur l'Hiftoire Orientale du
fixième ſiècle avant J. C. époque brillante
qui met l'Auteur à même de raffembler fous
les yeux de fes Lecteurs une multitude de
faits & de découvertes qu'on n'avoit pas
même foupçonné.
Parmi les diverfes découvertes qu'offre ce
morceau , l'on trouve l'origine du nom priDE
FRANCE.
mitif de l'Espagne ; nom fous lequel elle
fut connue de tous les Orientaux , & qui
ayant échappé à tous les Savans , avoit fait
difparoître de l'Hiftoire des faits précieux ,
tels que l'expédition de Nabuchodonofor en
Efpagne, & le Voyage de Ménélas autour de
l'Afrique. Le nom d'Hefpérie ne fut d'ailleurs
que la traduction grecque de ce nom
primitif, qui exifté encore de nos jours .
L'Auteur paffe de- là aux navigations des
anciens Phéniciens , qu'il diftingue en Phéniciens
navigateurs fur la Méditerranée &
fur l'Océan , & en Iduméens , navigateurs
fur la mer rouge , fur la mer des Indes , &
jufques dans la mer du Sud en Amérique.
Ceux- ci tenoient les anciens Égyptiens dans
leurs fers , & les empêchoient d'avoir plus
d'un vaiffeau pour le commerce fur la mer
rouge: ces derniers , les Iduméens , connoiffoient
, felon lui , la bouſſole , en uſage uniquement
fur la mer des Indes , d'où elle
nous eft venue par les Sarrafins aux onzième
& douzième fiècles.
M. de G. s'efforce de diffiper l'obfcurité
chronologique qui couvroit le règne des
derniers Rois de Babylone , & qui avoit
empêché juſqu'ici d'appercevoir l'accord qui
règne à cet égard entre l'Hiftoire profane
& l'Hiftoire facrée.
L'effai qui fuit ces recherches peut être
confidéré comme un Ouvrage complet , divifé
en trois Parties . L'Auteur y difcute l'origine
du blafon & de tout ce qui le compofe.
D iij
78 MERCURE
On ne l'enviſagea jamais que fous un point
de vue particulier , comme un enſemble de
fignes arbitraires propres à diftinguer un
certain nombre de Familles , fans pouvoir
rendre raifon ni de ces fignes , ni de leurs
noms , ni du rapport qu'ils peuvent avoir
avec le bonheur général des hommes. M.
de G. va infiniment plus loin , il annoblit
le blafon lui - même , en liant ces objets avec
la nature elle même , avec la formation des
peuples , & avec le bonheur de l'humanité.
Il prouve d'abord que le blafon fut trèsantérieur
aux croifades , qu'il naquit avec
les États Agricoles , qu'il fut pris dans la
Nature elle- même , qu'il fe lia avec l'exiftence
des anciens Peuples , qu'il en régla néceffairement
les divers ordres , & qu'ayant
exifté une fois , fes traces & fes effets n'ont
jamais pu ceffer. Prenant pour exemple les
droits des Familles Patriciennes de Rome , il
fait voir comment elles tinrent leurs préro.
gatives étonnantes d'elles - mêmes qu de la
Nature , & non de Romulus ni d'aucun autre
Roi de- là fort un jour abfolument nou
veau fur l'Hiftoire primitive de Rome , &
fur les caufes de ces longues difputes qui
s'elevèrent , long temps
après , entre ces - Familles dégénérées pour la plupart , &
les Familles Plébeïennes parvenues à un
haut degré de puidance. Marchant toujours
avec le flambeau de l'étymologie ,,
il fait voir que le mot Gens fignifie l'homme
de la terre , le Noble par excellence ,
DE FRANCE. 79
E -genus celui qui eft fans terre , fans
propriété , & Per- egrinus l'homme induftrieux
, l'Étranger qui venoit chercher fa
fubfiftance fur le terrein des Gens. Tout ce
que l'Auteur dit ici fur l'origine des Familles
Patriciennes de Rome , s'accorde parfaitement
avec ce qu'il a déjà eu occafion de dire
fur les Antiquités primitives de Rome.
On voit que les noms même du blafon
& de fes diverfes couleurs , telles quegueule,
finople , &c. font des mots orientaux parfaitement
affortis à leur nature , ce qui s'ac
corde très - bien avec la haute antiquité du
blafon ; car s'il avoit été inventé dans
l'Occident , fes noms feroient occidentaux
& non orientaux. Le mot blafon , qui ne
fignifie rien en Europe , eft en Orient le
nom des Armoiries : gueule y fignifie rouge ,
d'où gul- iffan , l'empire des rofes ; fino-ple ,
le bled en herbe , d'un verd naiffant, couleur
de l'efpérance , &c. Il montre enfuite
en quoi confiftoient les droits d'armoiries ,
de couleurs , de généalogie , de bouclier ,
d'enfeigne , & c. & parcourant les Armes
parlantes & les fymboles armoriaux de
l'Antiquité , il en montre les rapports avec
l'Agriculture , les Vignobles , le Commerce
Maritime , &c. avec les trois grandes Divinités
protectrices de l'Univers.
Dans la feconde Partie , il traite du rapport
des couleurs avec les faifons , les planètes
, la vie humaine , & c . du droit primitifde
colorer fon corps , fon bouclier , fon
Div
MERCURE
habit, fa maifon , fon char doré , & c. Il explique
un paffage de Nahum qu'on avoit
abfolument défiguré : développant l'origine
& les droits des Hérauts d'Armes , il prouve
que les Hébreux en eurent , & fous quels
noms ils furent défignés dans leurs Livres
facrés , obfervation qui avoit échappé à
tous les Savans.
Dans la troisième Partie , on apprend en
quoi confifta le droit de monnoie , quelle
fut fon origine ; elle exiftoit dès le temps
d'Abraham & des premiers Empires de
l'Afie . M. de G. prétend qu'on n'y voyoit
d'abord que les Divinités ou leurs emblêmes
; il nomme le premier homme qui ofa
fubftituer fon nom à celui des Dieux ; il
exifte même encore des monnoies de l'ancien
Empire Égyptien , quoiqu'elles foient
reftées inconnues à tous les Savans , même
à ceux qui en pofsèdent , parce qu'ils les
cherchoient toujours avec des têtes de Rois
qui ne pouvoient y être .
Le court efpace qui nous refte , nous empêche
d'entrer dans le même détail fur les
Differtations fuivantes.
1. Noms de familles.
2. Bouclier d'Achille chanté par Homère
, qui , felon l'Auteur , n'eft autre chofe
que le Calendrier grec mis en tableaux .
3. Livre Egyptien découvert dans le
Jeu des Tarots. Differtation fingulière fur
l'origine de nos Cartes .
4. Les fept Rois Administrateurs des
DE FRANCE. 81
Empires. Differtation tendante à démon-'
trer que les Anciens peignirent fous l'emblême
des fept Rois tout ce qui compofoit
une adminiftration parfaite. M. de G.
fait voir enfuite comment ces fept Rois
allégoriques ont été inférés à la tête des Rois
de plufieurs Peuples , & comment ils fe
font confondus avec ceux de Rome.
s. Differtation fur le mot Var, fignifiant
eau , & devenu l'origine & la bafe du
mot Vérité.
6. La famille très-étendue du mot Pod,
défignant tout ce qui eft élevé , vaſte , puiffant.
7. Les rapports de la Langue Suédoife
avec toutes les autres.
8. Ceux des Langues de l'Amérique entr'elles
& avec celles de l'ancien Monde.
On eft étonné de la multitude de mots
Caraibes , Péruviens , Méxicains , Algonquins
, de toutes les Iftes de la mer du
Sud , de la Californie même, & c. qui ref-"
femblent à ceux des Peuples connus .
9. Un Monument gravé fur un rocher
d'Amérique , & que M. de Gebelin regarde
comme un ouvrage des Carthaginois . Nous
n'entrerons point dans l'examen critique de
cette multitude d'opinions nouvelles ; c'eft
aux Savans & aux Philofophes qu'il appartient
d'en apprécier le degré de vraifemblance
& d'utilité.
Dv
$2 MERCURE
TRAITÉ des Évictions & de la Garantie
formelle , dans lequel font traduites &›
difcutées les Lois Romaines du Digefte &
du Codefur cette matière , avec la conférence
des Coutumes , des Ordonnances
des Arrêts notables de France , & les
fyftemes foutenus à ce fujet par les plus
fameux Interprètes des Droits Romains &
François , par M. Berthelot , Avocat au
Parlement , & Docteur Aggrégé de la
Faculté de Droit de Paris. 2 Vol, in 12.
A Paris , chez Lottin le jeune , Libraire ,
rue S. Jacques.
Cette matière , dont l'ufage eft fréquent
& l'application difficile , tient fes principes
du droit Romain ; nos Ordonnances , nos
Coutumes , nos Arrêts de Réglement fem-'
blent l'avoir pris pour modèle; aufli M. Berthelot
en fait- il la bafe de fon Ouvrage ; il
en réſulte un avantage , fur- tout par la
forme qu'il lui a donnée. La Loi Romaine ,
traduite exactement , fait partie de fon expofé
; ceux qui parlent font les Préfets dir
prétoire, & leurs Affeffeurs qui nous donnent
les motifs de leurs Arrêts. Ceux qui ne veulent
point fuivre des idées abftraites dans
une langue peu familière , feront fans doute
bien aifes de pouvoir lire en François ces
fameufes Lois civiles fi renommées par leur
fageffe. Mais fouvent les décisions du Droic
Romain font fi éloignées du principe , qu'il
DE FRANCE. $3
n'eſt pas facile de rétablir dans l'efprit les
idées intermédiaires qui , par une chaîne non
interrompue de conféquences , ont mené
au réſultat : M. Berthelot a entrepris de
rendre palpables des Loix dont la fubtilité
échappoit à la réflexion.
Afin de ne pas manquer fon but d'utilité ,
il a cru devoir expliquer avec exaditude le
texte des Ordonnances & de toutes les Coutumes
du Royaume ; enforte que fon Livre
raffemble les avantages des Traités qui l'ont
précédé , & a le merite d'être applicable à
toute la France. Il n'y a pas un texte difficile
, une opinion de quelque importance
qui ne foient difcutés. Ce ne font pas des
éléinens , mais un Traité approfondi qui
fuppofe un homme très verfe dans la fcience
du Droit Romain.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Vendredi 6 de ce mois , on a donné
la première repréſentation de Richard III ,
Tragédie en Actes , par M. de Rozoy ,
Citoyen de Touloufe.
Après la mort d'Édouard IV , ufurpateut
du Trône de Henri VI , Richard , Duc de Glocefter,
frère du premier, fe fir propofer la con
ronne par fes partifans , aidés du Duc de
D vj
84 MERCURE
Buckingam . Il feignit d'abord de la refufer ;
mais enfin il parut céder à leurs inſtances ,
& fe fit couronner . Déjà fouillé de crimes
affreux , il ne craignit pas d'immoler à fon
ambition fes deux neveux , dont l'un étoit
Édouard V , qui fut pendant deux mois
& demi un fantôme de Roi , & Richard ,
Duc d'Yorck , fon frère. Le defir d'affermir
fon autorité , l'engagea à rechercher
la main de fa nièce Elifabeth , fille aînée
d'Edouard IV , mais il n'en éprouva que
des mépris. Enfin fes cruautés révoltèrent
tous les cours ; Buckingam même
s'éleva contre celui dont il avoit été le complice
, & paya de fa tête fa double trahiſon.
Mais Henri , Comte de Richemont, qui prétendoit
avoir au trône des droits plus puiffans
que ceux du Duc de Glocefter, profita
de la haine que celui - ci avoit infpirée aux
Anglois , & fecondé par le Lord Stanley ,
qui avoit épousé en fecondes noces la Comteffe
de Richemont fa mère , aidé des François
, qui lui donnèrent deux mille hommes ,
quelques vaiffeaux. & une fomme d'argent
il débarqua au Port de Milfort . Le 22 Août
1485 , les Armées de Richard & de Henri
fe trouvèrent en préfence à Bofworth ; après
un combat fanglant , pendant lequel le Lord
Stanley abandonna Richard , dont jufqu'alors
il avoit feint d'époufer les intérêts , Henri demeura
vainqueur , & le corps du Tyran fut
trouvé fur le champ de bataille percé de
coups , & entouré de morts & de mourans.
"
DE FRANCE. 85
Le Comte de Richemont fut proclamé Roi
par fon Armée , fous le nom de Henri VII ;
il époufa quelques temps après la Princeffe
Elifabeth , que fon averfion pour la Maiſon
d'Yorck l'engagea à traiter avec une dédaigneufe
indifférence.
Tel eft le trait hiftorique fur lequel M. de
Rozoy a bâti le fyftême de l'Ouvrage qu'il
vient de faire repréfenter. Nous avons avancé
que cette Tragédie étoit imitée de Shakefpéare
, nous avons eu tort ; cependant on
voit que l'Auteur Anglois n'étoit pas inconnu
à M. de Rozoy , & qu'il lui a fourni
quelques idées. Au refte , il feroit difficile
de trouver un Ouvrage dont la conduite fût
plus mal entendue , dont le ftyle fût plus
négligé, pour ne pas employer d'autre expreffion.
Les trois premiers Actes font d'une
obfcurité difficile à éclairer ; le quatrième
offre des fituations intéreffantes , mais qui
en rappellent d'autres déjà portées avec
fuccès fur notre Scène ; le commencement
du cinquième Acte a des beautés , le dénouement
eft abfolument manqué. Voilà tout ce
que nous pouvons dire aujourd'hui , & ce
que nous prouverons en détail quand l'Ouvrage
fera imprimé.
Nous ne pouvons finir cet article fans
parler d'un fait qui a revolté tous les honnêtes
gens . Le jour même de la première '
repréſentation de cette Tragédie , on répandit
dans les endroits publics des placards , dont '
le but étoit de la tourner en ridicule , &
86
MERCURE
d'ameuter la foule contre fon Auteur. Ce
libelle , plus plat encore que méchant , auroit
produit un effet contraire à celui qu'en
attendoient les ennemis de M. de Rozoy , fi
fa Pièce eût été plus raifonnable & plus
fagement écrite ; au furplus , quel qu'en ait
été le fuccès , on peut être honnête homme &
faire mal des vers ; mais un libelle eſt une
chofe déshonorante , & Greffer a dit , avec
raifon un écrit clandeftin n'eft point
d'un honnête homme. Pour l'honneur de la
Littérature , il faut croire qu'il n'eft pas un
Homme de Lettres capable de fatisfaire la
vengeance par des moyens aufli bas & auffi
honteux .
1
>
COMÉDIE ITALIENNE.
ON vient de remettre à ce Théâtre la Joie
Imprévue , Comédie de Marivaux , en profe
& en un Acte.
M. Orgon a envoyé à Paris fon fils Damon
pour y acheter une Charge. Le Banquier par
les mains duquel celui- ci doit en recevoir le
prix lui en a déjà fourni la moitié ; mais un
Chevalier d'induftrie qu'il a rencontré dans
l'hôtel garni où il demeure , l'a engagé à jouer ,
& lui a gagné tout ce qu'il a reçu ; mais il veut
rejouer pour rattraper fon argent. Cependant
Damona vu Conftance, fille de Mde Dorville,
il en eft devenu amoureux , & il a eu le
bonheur de plaire. Pendant qu'il joue & qu'il
DE FRANCE. 87
aime , fon père arrive à Paris où il eſt témoin
de fa conduite ; mais il ne fe découvre qu'à
Fafquin , valet de Damon , & fe prépare à
donner à ce dernier une leçon dont il puiffe
profiter. Il demande Conftance en mariage
pour fon fils ; en conféquence Mde Dorville ,
à qui Damon ne s'eft pas fait connoître , lui
ordonne de ceffer les vifites , & le voilà
exclu de la maifon de fa maitrelle . Orgon
avoit chargé fon fils de remettre une lettre
à Mde. Dorville : cette lettre , chofe incroyable,
n'a pas encore eté rendue , & par fon
moyen il rentre dans la maifon ; mais tout
le monde fe réunit pour le tromper . La
mère de Conftance , en confentant à le recevoir
encore ,, lui déclare que cela ne détruit
en rien les vues d'établiffement qu'elle a
pour fa fille . Orgon fait remettre à Damon,
par Pafquin , une lettre dans laquelle il lui
annonce fon arrivée , & fon projet de le
marier à une des plus aimables filles de
Paris ; & puis , à l'aide d'un déguiſement ,
couvert d'un domino pareil à celui que le
Chevalier eft convenu de prendre pour fe
faire reconnoître au bal , il joue avec fon
fils , & lui gagne le refte de la femme deftinée
à l'acquifition d'une Charge. Cette perte
met Damon au défefpoir , fon père fe découvre
, & lui pardonne en faveur de fes remords
; Mde Dorville paroît avec fa fille ;
& après un qui proquo qui refulte de l'ignorance
dans laquelle on a laiflé les deux
amans, on les unit l'un à l'autre.
88 MERCURE
.
Cette Comédie eft très-médiocre , & répond
très - peu à fon titre. La conduite en eft
invraisemblable , l'intérêt à - peu - près nul ,
& le dénouement feul eft imprévu , non par
le mariage qui l'amène , mais parce qu'il
arrive à l'inftant où l'on s'y attend le moins.
On voit que l'Auteur a voulu être comique ,
& qu'il a atteint le but contraire en amenant
des fituations oifeufes & des colloques entre
les Valers , qui ne produifent rien pour l'action
, qu'ils rendent plus froide en l'allongeant
: enfin , ce choix n'annonce pas beaucoup
de difcernement dans la perfonne
qui a confeillé de la remettre ; & il cft bien
étonnant que les Comédiens Italiens ne fe
fervent de leur ancien Répertoire que pour
nous faire aller de Marivaux à Boiffy , &
de Boiffy à Marivaux , tandis qu'ils ont tant
d'autres Ouvrages que le Public reverroit
avec plaifir , & qui le dédommageroient de
l'ennui que lui caufe fouvent le bavardage
de l'un , & l'efprit alambique de l'autre.
Le Samedi 7 , on a donné , pour la première
fois , Léonore ou l'Heureufe Épreuve ,
Comédie en deux Actes , mêlée d'Ariettes
Mufique de M. Champein.
Angello , jeune débauché , connu & redouté
par l'excès de fon libertinage , s'eft
introduit chez le Peintre Manelly fous le
nom de Farelly , & y eft devenu amoureux
de Léonore ; mais il n'a ofé ſe faire connoître
DE FRANCE. 89
fous fon véritable nom , parce que fes erreurs
l'ont rendu odieux à Léonore , que fon père
lui deftinoit pour époufe , & dont il a refufé
la main. Manelly a découvert le fecret
de Farelly , l'amour que fa fille lui a inſpiré ,
& celui qu'elle reffent elle-même. Avant
d'en inftruire Léonore , il s'affure de la fincérité
du retour de Farelly , & cherche à
l'éprouver. Réduit à s'entretenir avec le Portrait
de Léonore qu'il a fait dans fes momens
de loifir , le jeune homme fait demander Léonore
en mariage par le valet de fon père, & eft
refufé fous le nom d'Angello . Il fe détermine à
quitter la maifon de Manelly , en demandant
pour toute grâce d'emporter avec lui un des
tableaux du cabinet du Peintre. Celui - ci y
confent , en en exceptant le portrait feul de
Léonore : c'eft pofitivement celui que defire
Farelly ; ce dernier refus le pénètre de douleur
; mais Léonore , que fon père a mife
au fait du nom & de fes projets fur Angello ,
déclare à fon père qu'elle oublie fes erreurs
en faveur de la fincérité de fon repentir & de
fon amour , & elle lui donne la main.
Ce Poëme eft lent , trifte & froid. L'action
n'a rien d'intéreffant , parce que l'Auteur n'a
pas fu tirer parti des fituations qu'elle lui
donnoit, & qu'il l'a ralentie par le grand
nombre de morceaux de chant , avec lesquels
il a coupé les Scènes & fon Dialogue . Onn'a
pas trop deviné de quelle nature eft l'épreuve
que Manelly fait fubir à Angello ; on a trouvé,
que Léonore avoit fouvent l'air de fe jeter à
90 MERCURE
la tête de fon Amant : enfin , on a penfé
qu'un tel Ouvrage n'annonçoit pas une connoiffance
bien étendue de la Scène & de fes
effers.
La Mufique , quoique fort applaudie , a
éprouvé quelques critiques. On y a remarqué
des réminifcences. On areproche au Compofiteur
de n'avoir pas un Style affez fuivi ,
d'étouffer la partie du chant par des accompagnemens
trop chargés & trop bruyans ,
d'avoir enfin manqué quelquefois l'expreffion
à force de la chercher ; mais on y a trouvé du
talent & des motifs d'efpérance encore plus
marqués que ceux que l'Auteur a donnés jufqu'ici.
Nous ne diſons rien d'un air de bravoure
chanté par MdeTrial.Nous nous laffons
de répéter des obfervations inutiles , & de
parler à des fourds. D'ailleurs , fi le Public
eft content de ce qu'on le croit fait pour être
pris par les oreilles , à la bonne heure.
ACADÉM I E.
DES perfonnes qui ne fe font point fait connoître,
ont écrit au Secrétaire de l'Académie des Sciences
pour lui demander , fi la Théorie des Affurances
Maritimes , propofées par cette Compagnie pour fujet
du Prix de 1783 , doit être envisagée fous l'un ou
l'autre des deux points de vue ſuivans : ou en confidérant
les Affurances en elles -mêmes , c'eft- à-dire ,
en donnant les règles qui peuvent déterminer pour
Affureur les conditions les pins favorables , ou en
confidérant les Affurances comme un objet d'Admi
niftration.
DE FRANCE. 91
La réponſe du Secrétaire eft , que l'Académie , en
conféquence de fes Réglemens , s'occupant uniquement
des objets de Mathématiques & de Phyfiques ,
& s'étant toujours abftenue de difcuter ni de juger
les matières relatives à l'Adminiſtration , c'eft uniqueinent
fous le premier point de vue , c'eft-à - dire ,
fous celui de la Théorie Mathématique des Aflurances
, que la queftion doit être traitée.
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
MONS ONSIEUR ,
1
AYANT vu dans le Mercure de France une analyfe
du Voyage Littéraire de Provence de M.
P. D. L. je n'ai pu m'empêcher de relever quelques
erreurs dont j'ai l'honneur de vous inftruire , afn
qu'elles ne puiffent être à votre préjudice , &
qu'elles ne tetombent que fur leur Auteur.
dont
Page 18. « Il faut moins attribuer ( dit le Père
» Papon) cette fréquence du vent ( le Nord- Ouest )
» à la rapidité du Rhône qu'au voisinage des hautes
» montagnes , & fur - tout du mont Ventoux ,
» le fommet eft couvert de neige la plus grande
» partie de l'année ; l'air y eft par conféquent plus
» denfe & plus frais que celui de la plaine , & s'y
précipite avec une force augmentée par le reffor-
» rement de ces montagnes qui donne plus d'acti-,
"
» vité au courant. »
1 Il paroît que M. Papon, én donnant au Public fon
Voyage Littéraire de Provence , n'a pas fait atten
tion que fon raifonnement ne pouvoit s'accorder
avec la Géographie du Comtat; en effet , le voili92
MERCURE
nage du mont Ventoux ne peut abſolument influer
fur les vents violens qui règnent dans cette Province.
Le Ventoux , quoique fort élevé au deЛus du niveau
de la mer ( de 1040 toiles ) & de 914 audeffus
du village de Redouin , qui eft au pied de la
montagne , n'eft cependant pas d'une affez grande
étendue pour refroidir les vents qui y paffent fi rapidernent
: d'ailleurs , cette montagne eft à l'Orient
du Comtat , & n'y préfente que le flane occidental ,
étant prefque parallèle à l'Équateur , & le veut qui y
règne avec le plus de violence eft le même qui fe
fait fentir dans tout le refte de la Provence ( le Nord-
Oueft. ) Or, eft-il poffible que le Nord-Queft puiſſe
tirer fa violence & fa denfité , quant au Comtat ,
d'une montagne qu'il ne rencontre qu'obliquement
& en quittant ce pays ? Il eft plus naturel d'attribuer
la fréquence & la denfité de ce vent aux montagnes
de l'Auvergne , du Gévaudan , des Cévènes & du
Vivarais , pays tous fitués au Nord - Ouest de la Provence
, & où font les plus hautes montagnes du
Royaume , qui , la plupart du temps étant couvertes,
de neige & le vent foufflant du côté de l'Auvergne ,
les parcourt pendant un long intervalle de temps ,
ce qui le rafraîchit au point qu'il nous fait chauffer.
en Provence dans la faifon des grandes chaleurs
quand il vient après une pluie , & dans un temps
où il n'y a pas la moindre apparence de neige fur le
Ventoux .
Bien plus , je foutiens que cette montagne & celle
de Lure , fa voifine , & dans fa même direction à
peu-près de l'Eft à l'Ouest , garantient beaucoup
la Provence de la fureur du miftrol ( le Nord- Ouest)
ou vent magiftral ; & la preuve bien convainquante
en eft que le Comtat , qui eft à l'Occident de ces
montagnes, en éprouve des ravages affreux lorf
པན་ ཀས་ ཆ་ན་ སྐུ་
DE FRANCE. 23
qu'il ne fait que fécher le fumier des rues des
petites Villes du refte de la Provence.
En réfutant ce qui concerne le Nord-Oueſt , je
compte qu'on voudra bien faire la même application
de principes pour ce qui concerne les autres vents
froids & violens , comme le Nord & le Nord- Eft.
Page 30. M. Papon dit que la rigueur du climat
de la Ville d'Aix décida du choix que les Romains
firent de ce lieu pour y bâtir la Ville , à
cauſe des eaux thermales qu'ils y trouvèrent.... Ce
paffage n'eft pas bien clair. L'Auteur a-t-il voulu
exprimer le froid du climat ? L'expreffion feroit bien
forte. A- t-il voulu parler du chaud qu'il y fait ? Le
mot rigueur feroit ici déplacé & à contre fens.
$
Page 101. M. Papon eft tombé dans la même
erreur que M. Bernard , de l'Académie de Marſeille ,
dans fon Ouvrage fur les mines de charbon de Provence,
qui a remporté le prix à cette Académie en
1780 , en rapportant l'anecdote des deux mineurs des
caux fulphureufes de Dauphin : il eft bien vrai qu'ils
faillirent y périr par l'odeur méphitique qui en fortit ;
mais un payfan les tira affez à temps pour leur fauver
la vie , & les outils y reſtèrent fans qu'on ait eu
envie d'aller les chercher.
Page 173. M. Papon , en parlant de caffis , fait
mention du corail qu'on trouve dans ces parages ,
& tout de fuite il explique la manière dont il eft produit
; mais en lifant les Voyages de Cook , Banks &
Solander dans les mers du Sud , où plufieurs fois
leurs vaiffeaux faillirent périr fur des rochers immenfes
de corail , il me paroît qu'il faudroit des
polypes prodigieux & en bien grand nombre pour
produire des maffes fi énormes & fi étendues.
A l'article des Plantes de la Provence , l'Auteur
prétend que la feule différence qu'on trouve entre le
fafran cultivé & le fafran agrefte , confifte dans la
culture. M. Gérand de Cotignac , qui lui a fourni
94
MERCURE
cet article , affurément n'a pas fait mention d'une
pareille différence , qui , dans le fond , feroit nulle' ;
mais il y en a une bien effentielle , qui eft que le
fafran cultivé Aleurit en automne , & le fafran agrefte
fleurit à la fin de l'hiver ou au commencement du
printemps ; différence que le plus habile Agriculteur
ne fera jamais difparoître : d'ailleurs , M. Dantoine ,
célèbre Botaniste de cette Ville , m'a affuré avoir
trouvé une différence fenfible dans la comparaifon
de ces deux Plantes.
M. Papon dit à l'article du grand génévrier , que
cet arbre n'eft bon qu'à brûler. Il ignore donc que
c'eft de lui qu'on tire l'huile de cade , qui fait aujourd'hui
une branche conſidérable de commerce.
Voilà , Monfieur , tout ce que je puis inférer
dans cette Lettre : fi vous trouvez mes obfervations
faites pour mériter une place dans votre Journal , je
vous prie de les y inférer.
SAINT - CLÉMENT , Officier
d'Infanterie.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ChНoоix d'Histoires intéreffantes , telles que la
Conjuration Pazzi contre les Médicis ; la renaiffance
des Lettres en Italie ; l'éducation fingulière de
Charles Quint ; des Anecdotes curieufes fur les
Sforces , Ducs de Milan ; fur les trois filles du Duc
de Nevers , dites les trois Grâces , & plufieurs autres
faits peu connus recueillis dans l'Hiftoire de diverfes
Nations , Volume in- 12 . A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques.
Difcours de Retraite pour les Religieufes , par
M. l'Abbé de Montis , 2 Volumes in 12. Prix , reliés
DE FRANCE.
95
s liv. A Paris , chez l'Auteur , rue de Vaugirard , au
coin de la rue Férou ; Morin , Imprimeur - Libraire ,
rue S. Jacques ; & Laporte , Libraire , rue des
Noyers.
Le Guide de ceux qui veulent bâtir , "Ouvrage
dans lequel on donne les renfeignemens néceffaires
pour réuffir dans cet Art , & prévenir les fraudes
qui pourroient s'y gliffer, par M. Camus de Mézières
, Architecte , 2 Volumes in - 8 °. Prix, 6 livres
brochés , & 7 liv. 4 fols reliés. A Paris , chez l'Auteur
, rue du Foin- Saint-Jacques , au Collège de
Maître Gervais ; & chez Morin , Imprimeur-Libraire,
rue S. Jacques .
Oraifon funèbre de l'Impératrice Marie - Thérefe
d'Autriche, par M. l'Abbé de Sauvigny, in- 8 °.
A Paris, chez Jorry , Imprimeur- Libraire , rue de la
Huchette , & chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
Laudatio funebris Aug. Maria - Therefia - Auftriaca
, Univerfitatis nomine ac juffu habita , in exterioribus
Sorbonæ Scholis. A. C. F. Dupuis , Eloquentiæ
Profeffore , in -4 ° . Parifiis , apud Viduam
Thibouft , in Platea Cameracenfi.
Notes critiques fur l'Éloge du Dauphin , par
M. l'Abbé Boulogne , in - 8 ° . A Paris , chez la Veuve
Thibouft , Place Cambray.
Le Trident , Poëme préfenté au Roi, par M. Digard
de Kergüette, ancien Ingénieur du Roi , in -4°.
A Paris , chez Morin , Imprimeur- Libraire , rue
$. Jacques.
Collection complette des OEuvres fpirituelles du
Père Judde , recueillies par M. l'Abbé Lenoir du
Parc , 2 Volumes in- 12 . A Paris , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue du Jardinet ; Crapart , Libraire , Place
$. Michel ; Eſclapart, Libraire, Pont Notre-Dame.¸
96 MERCURE
Defcription fommaire des Ouvrages de Peinture;
Sculpture & Gravure expofés dans les Salles de
l'Académie Royale , par M. D. V. in- 12. Prix ,
1 livre 4 fols. A Paris , chez Debure père , Libraire ,
quai des Auguftins.
Obfervations de Médecine - pratique. Quelles
font les maladies qui résultent de la dégénération
de la lymphe par l'influence des fix chofes dites en
Médecine non naturelles , par P. B. Deshayes , Doc.
teur en Médecine , & Médecin de la Maiſon du
Roi. A Paris , chez Guillot , Libraire , rue de la
Harpe , près du Collège de Bayeux ; & à Versailles ,
chez Dafier , Libraire , rue du vieux Verſailles.
L'Iliade d'Homère en vers , par M. le Baron
de Beaumanoir , 2 Vol . in - 8°. Prix , 3 liv. A Paris ,
chez Laporte , Libraire , rue des Noyers.
TABLE
EPITRE à mon Ami , 49 comparé avec le Monde Mo-
Stances à M. de Larive ,
Le Coucou & l'Alouette ,
Epigramme,
52 derne , 76
53 Traité des Evictions & de la
Garantie formelle ,
Enigme & Logogryphe , ibid. Comédie Françoife ,
541
Oraifons Funèbres de l'Impé- Comédie Italienne ,
ratrice-Reine ,
Amuſemens dujour ,
Le Nouveau Monde ,
56 Académie
82
83
86
୨୦
67 Lettre au Rédadeur du Mer-
68 cure ,
Monde Primitif anaiyfe & Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
91
94
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 14 Juillet . Je n'y ait
rica trouvé qui puiffe en einpêcher l'impreffion. A Paris ,
le 13 Juillet 1781. DE SANCY,
MERCURE
DE FRANCE:
SAMEDI 21 JUILLET 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES BOULEVARDS DE PROVINCE,
Épitre à M. CR. VAND. , d'Orléans .
LE printemps à nos Boulevards
Rend la verdure & tous leurs charmes ;
Déjà nos Beautés fous les armes
Y viennent briguer nos regards,
La mode affigne fous des hêtres
Le plus brillant des rendez - vous ;
Nos merveilleux , nos petits - maîtres
Exhalent l'ambre le plus doux.
Nos Abbés armés de lorgnettes ,
Nos Robins aux cheveux flottans ,
Nos aimables impertinens ,
Et la foule de nos coquettes
Sam. 21 Juill 1781 .
Б
1
98
MERCURE
En lévite , en chapeaux galans ,
Couronnés de riches aigrettes ,
Recueillent dans ces courts inftans
Le fruit de leurs longues toilettes ,
ALLONS obferver de plus près
Cet effaim pouffé par l'uſage
Guettons ( mes crayons font tout prêts >
Les ridicules au paſſage.
Je veux , en t'offrant mes tableaux ,
Ami , te rendre encor plus chères
Ces promenades folitaires ,
Ces bois , ces prés & ces ruiffeaux
Qu'enfin, grâce à moi , tu préfères
Au bruyant concours de nos fots.
QUELLE eft cette maman fi ronde ,
Jeune de loin & preſque blonde ,
Qui yicillit en venant à moi?
C'eft l'éternelle Célimène ,
Qui depuis vingt ans ſe promène ,
Boude & rit fans ſavoir pourquoi.
EST-CE l'amitié qui raffemble
Ces trois Nymphes qu'on fuit de l'oeil ?
Non, non , mais la crainte , l'orgueil
Les joint , & réunit enſemble
Des rivales & nou des foeurs ;
Une gaîté feinte & folâtre
DE FRANCE. 99
Les raffurant fur le Théâtre ,
Leur fait braver les Spectateurs.
AMI ! garde-toi bien de rire
Des Alteffes que tu vas voir :
Obferve fur le grand trottoir
Vingt bégueules au faux fourire,
Toujours parlant fans fe rien dire
Vrais perſonnages de parloir !
Préfidentes & Confeillères ,
Lieutenantes & Tréforières ,
Elles marchent vaines & fières
-De la Charge d'un plat époux ,
Et ne pensent qu'avec courroux
Au début de leurs bons vieux pères .
BELLE encor , parée avec art ,
Ninon , dans la lice attirée ,
Et d'adorateurs entourée ,
Les enchaîne d'un feul regard.
L'Amour fur fes lèvres refpice,
Mais il fuit fon perfide coeur :
Sa voix trahit ceux qu'elle attire ,
Son gefte nient , & ſon ſourire
Comme les yeux eft impofteur.
DANS une demi-folitude ,
Sous l'ombrage d'un petit bois ,
Parmi des prudes de fon choix ,
J'entrevois la fraîche Gertrude
Ei
100 MERCURE
Dont l'oeil voit tout en tapinois ;
La riche & modefte dentelle
Couvre & pare fon cou charmant ;
Une croix , dévot ornement ,
Qu'un fin cryſtal orne & recèle ,
Et fa bague de facrement ,
Ont remplacé le diamant
Qui moins que fes yeux étincelle.
Dieux , fous fon ajuſtement noir ,
Son Andromaque & fon mouchoir ,
Qu'elle intéreffe & qu'elle eft belle !
Mais.... qu'elle a l'air de le ſavoir !
ARRÊTE , Mufe ! quelle audace !
Sans art , faus but & fans efprit
Je peins ce fexe qu'on chérit ,
Tandis qu'aux hommes je fais grâce
Médire eft une volupté ,
On fent cela fans être femme !
Mais notre fexe , en vérité ,
Vaut-il les frais de l'épigramme?
Eh ! quels font les Héros du jour !
Ç'a , Mesdames , en confcience ?
Des enfans à frêle exiſtence ?
De vrais colifichets de Cour ?
Des amans nuls ou fans prudence ?
Des marisjaloux fans amour,`
Tyrans moms rares qu'on ne penfe?
DE FRANCE . ΙΟΙ
VOYEZ-VOUS paffer fous vos yeux ,
Dans ces bofquets fi peu ruftiques ,
Ces pédans au front férieux ,
Aux rides creufes & cauftiques ,
Au long regard mystérieux ?
ET ces rieurs fi fardoniques ,
Petits colets , conteurs cyniques ,
Blaffards , blafés , tout bilieux ,
Colporteurs d'oeuvres fatyriques ,
De vénéneuſes philippiques ,
Et de libelles ténébreux ?
Er ces perfifleurs fcandaleux
Des moeurs & des vertus antiques ,
Plaifantant la terre & les cieux ,
Et faifis de terreurs paniques
Dès qu'un rhume s'empare d'eux ?
VOYEZ les nobles fans aïeux ,
Bien bêtes & bien dédaigneux ,
Fixant de profonds politiques ,
Formés par nos Mercures bleus ,
Et par les pamphlets bataviques.
Sous ces ifs taillés en portiques ,
Et tapiffant vos murs fameux ,
Par la Pucelle & par nos preux,
Voyez ces rimailleurs gothiques ,
Chantant en vers faftidieux
E iij
102 MERCURE
L'anecdote des cotteries ,
Et faifant pâmer leurs Sylvies
Qui les nomment délicieux.
MAIS , filence ! c'est entreprendre
Sur vos talens & fur vos droits.
Oui , oui , Mesdames ! c'eſt par fois
Un grand plaifir de vous entendre ,
( Affifes fur de verds fophas ,
D'un air diftrait , fans y prétendre , )
Blazonner les fots & les fats ;
Mais la revanche eft douce à prendre ,
Et vous ne faites point d'ingrats.
C'EST- LA que Momus vous effleure
Des traits qu'il décoche en riant ;
Là , qu'un nom moqueur & plaifant
Circule & fouvent vous demeure.
C'EST- LA que le jeune François,
Voyant de loin , lorgnant de près ,
(Pour vous mieux marquer fon eftime )
D'un coup- d'oeil choifit fa victime ,
Se forme , effaie avec fuccès
Ces airs fémillans & coquets
Qui le rendent , ma foi , fublime.
QUE fais-je , ô Dieux ! mon cher C....
Sans efforts pourras -tu me lire ?
Ton coeur, né fi doux & fi bon ,
DE FRANCE, 103
Doit abhorrer l'aigre ſatyre.
C'en eft fait , je reprends le ton
De ton efprit & de ta lyre.
Je le hais ce genre pervers;
Et tu fais fi jamais ma plume
Connut cette triſte amertume ,
Le poifon de l'ane & des vers !
Quand je fuis les longues allées
Où de nos Vénus étalées ,
Les charmes fe font admirer ,
C'eft pour ne pas y reſpirer ,
Avec le chaud & la pouffière ,
Un efprit de critique amère
Et le beſoin de cenſurer.
A CE monde faux & frivole ,
Et des vrais plaifirs dégoûté ,
Qu'une douce Société
Ennuie & jamais ne conſole ,
Laiffons une odieufe école
De luxe & de dicacité.
Dans ton parc fi frais & fi vafte ,
Loin du tumulte & loin du fafte ,
Allons , conduit par l'Amitié ;
Et dans nos entretiens utiles ,
Que les Rayracs & les Virgiles
De nos plaisirs foient de moitié.
E iv
104
MERCURE
PRÉS fleuris , vignobles fertiles ,
Bois fombres , campagnes tranquilles ,
Heureux qui , parmi vos douceurs ,
Coule des jours purs & paifibles ,
Que charment des femmes fenfibles
Et des amis chers aux Neuf Soeurs!
Si Palès , qu'en fecret j'adore ,
Comble mes innocens defirs ,
Ah ! j'en fais le ferment encore ,
Je fuis la ville & fes plaifirs.
Sur les coteaux , dans mes loifrs ,
Affis fous un vieux fycomore ,
Sans dédain , comme fans regrets ,
Je contemplerai ces palais
Qui fe perdent au fein des nues ;
Et fur les tours interrompues
D'un temple célèbre à jamais ,
Je verrai s'allonger ces graes ,
Machines dans l'air fupendues
Qu'affiègent les brouillards épais ,
Noires vapeurs qui , comme un dais,
Couvrent les cités corrompues ,
Leurs habitans & nos forfaits.
RETRAITE heureuſe & bien aimée ,
Quand pourrai-je enfin t'habiter ?
Oh ! qu'avec joie on doit quitter
Le bruit , la fange & la fuinée
Pour livrer fon ame calmée
:
DE FRANCE. 105
Au doux bonheur de végéter !
Ce mot t'étonne ; mais , écoute :
Lorsqu'on a fervi les humains ,
C'eſt un droit qu'on acquiert fans doute.
Ami , mes titres font- ils vains ?
Je comptois trois luftres à peine ,
Et déjà je portois la chaîne
Que je traîne encore aujourd'hui ;
En la rompant , je ne ſouhaite
Que de jouir dans ma retraite
Du repos qui m'a toujours fui.
Ainti , le tonnerre & l'orage
Grondent pendant que je t'écris.
Bientôt dans l'humide nuage
. Brillera l'écharpe d'Iris ;
Et les haleines épurées
De zéphire enfin de retour ,
Se jouant fur les fleurs dorées
Qui peuplent mon riant ſéjour ,
Finiront l'orage & le jour
Par la plus belle des foirées.
( Par M. Bérenger.
E▾
106 MERCURE
IMPROMPTU écrit , dans un Café , au bas
de l'Énigme du Mercure du 7 Juillet , en
réponse à quelqu'un qui avoit cru la deviner
en écrivant en marge , rien.
VOUS ous vous trompez fans contredit,
Vous , qui croyez que rien eft le fens de l'Énigme :
Moi , fans être un devin fublime ,
Je gage que
le mot, eft que chacun vieillit.
( Par M. Mayeur, Abonné. ·)
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'Enigme eft Épingle ; celui
du Logogryphe eft Réverbère , ou fe trouvent
verre, ré , ver , verbe , rêve.
ÉNIGM E.
UN brutal m'enlève à ma mère ,
M'arrache d'abord les cheveux :
Prélude , hélas ! des maux affreux
Qui doivent combler ma misère.
Le fer à la main , mon bourreau
Me fait.... Tu frémis , ô Nature !
Me fait au ventre une ouverture,
DE FRANCE. 107
Et m'effondre ainfi qu'un levreau.
Puis il retourne fa victime ,
Et fans pitié me fend le dos ,
Me mutile ; & dans un abyfme ,
Où croupiffent de noires eaux ,
Me précipite.... & m'en retire
Pour m'y replonger mille fois.
Il faut , après un tel martyre,
Suivre à la pofte le fatyre.
Et quand il m'a miſe aux abois ,
Lors il me jette à la voirie……….
Tu ris.... ô ciel ! quelle noirceur !
Cruel ! ....tes mains , je le parie ,
En out fait autant à ma foeur.
LO
( Par M. C.... Avocat.
GRY PH E.
HABITANT fortuné du plus beau des féjours ,
Je coule dans la paix la plus heureuſe vie ;
Je reſpire la joie , & je chante toujours :
Ne fuis-je pas digne d'envie ?
Faut-il m'expliquer clairement ?
Écoutez ; quatre pieds compofent tout mon être a
Si vous cherchez à me connoître ,
Arrangez-les diverſement .
D'un fiècle vous aurez la centième partie ;
L'art de fendre fans barque un perfide élément ;
E vj
108 MERCURE
Ce qui tranche nos jours , & qui fait le tourment
De la femme qui veut fans ceffe être jolie ;
Un gros poiffon de mer ; une Ville , un pronom ;
Je vous préfente encor une Sainte , & le nom
De l'animal au chant fi plein de mélodie ,
Courfier à longue oreille , aimant peu le galop ,
Et qu'on nomme fouvent roffignol d'Arcadie .
Ma foi , Meffieurs , j'en ai dit trop.
( Par M. Fréville. }
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
L'AVEUGLE PAR AMOUR , par l'Auteur
de Stéphanie & de l'Abailard fuppofé ,
avec cette Épigraphe :
Mourante pour lui feul , je mourois confolée.
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez P. Fr. Gueffier , Imprimeur Libraire ,
au bas de la rue de la Harpe. Vol. in- 18.
EUGENIE , fille du Marquis de Lurfal ,
perd fes parens dans un âge fort tendre ;
elle eft mife dans un Couvent par les ordres
de fon tuteur , qui lui propoſe bientôt & lui
préfente pour époux le Duc d'Offane . Celuici
ne lui infpire que de l'eftime. Elle fe lie
de l'amitié la plus tendre avec une jeune
Penfionnaire nommée Mlle Dolmelle , dont
DE FRANCE. 109
le frère fait connoiffance avec elle , en fe
difant l'envoyé du Duc , & l'un des Officiers
de fon Régiment . Voir Eugénie , & l'aimer
n'eft que l'affaire d'un inftant. Eugénie de
fon côté ne partage que trop tôt les fentimens
de Dolmelle ; ils font heureux , ou du
moins ils croient l'être. Un oncle de Dolmelle
, fon bienfaiteur & fon appui , tombe
malade ; il eft obligé de l'aller joindre dans
fes terres , qui font fort diftantes de la Capitale.
Là il rencontre une vieille Dame
nommée Alaminte , qui lui propofe la main
de fa nièce , très-jolie & prodigieufement
riche. Dolmelle aime trop Eugénie pour
accepter une pareille propofition ; il la refufe,
& Alaminte en eft indignée ; elle jure
en fon ame de ſe venger de ce refus , & elle
ne réuffit que trop , comme on va le voir.
Le Comte de Dolmelle réunit tous les
avantages du corps & de la figure ; mais fon
efprit eft crédule , & le caractère de fon
amour le porte naturellement à la jalousie ,
& même à la défiance. Alaminte , qui a découvert
fon amour pour Eugénie , lui donne
des foupçons fur la foi de cette dernière ;
elle lui fait entendre, avec beaucoup d'adreffe,
qu'Eugénie peut être ne l'a aimé qu'à cauſe
des graces de fa figure , mérite frivole à la
vérité , mais qui féduit trop fouvent les jeunes
perfonnes . Plufieurs lettres d'Eugénie à
fon amant s'égarent malhenreufement dans
ces entrefaites , & le filence d'Eugénie , auquel
Dolmelle ne devoit point s'attendre,
ILO MERCURE
ne fait que confirmer fes, foupçons ; cepen
dant, comme il connoît l'ame d'Eugénie ,
sûr qu'il en fera plus aimé encore fi elle apprend
qu'il lui eft arrivé quelque grand malheur
, il lui mande qu'un accident affreux
l'a privé de la vue , & qu'il eft devenu toutà
fait aveugle. Qu'on juge de l'impreffion
terrible que fait cette nouvelle fur l'ame
tendre & vraie d'Eugénie ! Son tuteur n'eft
plus ; elle peut difpofer de fon fort & de
fa main bienféances , périls , elle brave
tout pour voler au fecours de fon malheureux
amant ; elle quitte fon Couvent avec
Mlle Dolmelle , fon inféparable amie . Comme
elles font prêtes d'arriver dans les terres
qu'habite le Comte , un fecond envoyé apporte
à Eugénie une autre lettre ( mais celleci
a été écrite par Alaminte ) , dans laquelle
le Comte fait dire à fon amante qu'il n'ofe
point la recevoir , de peur de l'effrayer , &
qu'il va à jamais s'enfevelir dans un Cloître.
Cette feconde lettre eft pour Eugénie un
coup de foudre : égarée par fon amour , par
fa douleur & par fon défefpoir , elle prend
une réfolution autant au - deffus de fon
fexe que de fon âge. Son tuteur lui avoit
laiffé , avec beaucoup d'autres curiofités naturelles
, une liqueur dont l'effet étoit de
faire perdre la vue fans rien ôter aux yeux
de leur beauté , & elle étend fur les fiens
cette liqueur ténébre ſe. Pendant ce cruel
facrifice , Mlle Dolmelle ayant été prévenir
le Comte de l'arrivée de fon amante , tous
DE FRANCE. 111
-∞
"
deux revolent au devant d'elle , & qu'on fe
figure leur furprife , & fur tout le défefpoir
de Dolmelle , lorfqu'il voit fa belle
maîtreffe noyée dans les larmes , & tournant
vers le Ciel & vers fon amant des
yeux qui ne peuvent plus les contempler !
Tranfporté , furieux , il veut fe tuer & tuer
Finfâme Alaminte. Eugénie , fon intéreſfante
victime , l'adorable Eugénie le défarme
par fa douceur , le calme par fa réfignation
& la conftance plus qu'humaine.
" Eh ! crois - tu , lui dit- elle , crois - tu que
j'envie au refte des humains la lumière
dont tu ne te confoles point de me voir
privée ? Il eft, il eft pour le coeur où tu
règnes une clarté plus douce , plus vive ,
» plus durable : le déclin des jours , les
voiles de la nuit , le poids même des années
tant que ta maîtreffe refpirera n'y
" pourront apporter nul changement .Nous
fommes bien loin des temps inévitables
où la beauté fe Alétrir , où la fanté s'altère ,
où l'âge fe prononce triftement fur les
traits ; cependant ils viendront pour toimême
ces temps rigoureux auxquels la
» deftinée a foumis l'homme , & dont
l'amour , que dis - je , hélas ! Pamour le
plus fidèle ne peut le garantir eh bien !
» je n'en appercevrai pas en toi les ravages,
non qu'ils euffent pu te rendre inoius aimable
à mes yeux ; mais avec quelle terreur
une amante doit voir tout ce qui lui
rappelle que peut - être elle eft condamnée
ود
"
"
ג כ
112 MERCURE
» à ne pas finir la première , & qu'il n'y
» a d'immortel que fon fentiment ! »
Voilà de quel ftyle tout ce Roman eft
écrit en eft- il de plus pur , de plus élégant
& même de plus énergique ? Mais pourfuivons.
Un coupable que l'on pardonne , profite
ordinairement de ce moment d'indulgence
pour obtenir une nouvelle grace. Le
Comte demande la main d'Eugénie & l'obtient.
La Comteffe a des terres fuperbes :
c'eft- là , c'eft dans ce beau féjour que les
deux époux coulent avec Mlle Dolmelle les
jours les plus heureux ; ils y paffent trois
printemps fans que rien trouble leur félicité
; mais en eft il qui foit durable ? Un
procès de la plus grande importance les
oblige d'aller à Paris. Le Duc d'Offane , qui
a épousé cette même nièce d'Alaminte que
le Comte avoit déjà refufée , habite la Capitale
, ainfi que fon époufe. Celle- ci , auffi
méchante qu'Eugénie eft vertueuſe , ne tarde
pas à troubler le bonheur que fa rivale goûte
avec un époux adoré : d'abord , pour gagner
la confiance de Dolmelle & le faire tomber
plutôt dans fes pièges , elle lui fait l'éloge le
plus pompeux d'Eugénie , & fous main elle
lui envoye des lettres anonymes , où l'on
cherche à ternir fes vertus . Ces lettres & les
fréquentes vifites du Duc chez Eugénie renouvellent
la jalouſie de Dolmelle. La Ducheffe
profite de ce moment ; elle s'arme de
tout ce qu'elle a d'aimable pour féduire le
Comte. Il eft jeune , impétueux , ardent ; il
DE FRANCE. 113
devient infidèle : fon crime eft fuivi des plus
vifs remords ; il retourne même chez Eugénie
pour en implorer le pardon . On lui dit
myfterieufement qu'elle eft avec le Duc , &
qu'elle a dit qu'on ne laifsât entrer que ce
dernier. Dolmelle s'alarme . Eugénie lui fait
un myſtère de ſon entrevue fecrette avec le
Duc. Dolmelle, prefque certain alors de l'infidélité
d'Eugénie , revient chez la Duchelle ,
lui laiffant voir toutefois qu'il adore Euge
nie. De nouveaux indices lui confirment
ou femblent lui confirmer la perfidie de
fon époufe : il rentre enfin chez lui , accablé,
prefque mourant des maux que fouffre
fon ame. Sur ces entrefaites le vieux Baron
Dolmelle , fon oncle , & Mlle Dolmelle fa
foeui arrivent. Les époux fe revoient. Dolmelle
, toujours défarmé par la préfence
d'Eugénie , lui propofe de retourner habiter
la campagne. Eugénie refuſe cette offre , &
Dolmelle alors voyant fon époufe préférer
un féjour que le Duc habite , ne doute plus
qu'elle ne l'ait trahi. La Ducheffe , à force
d'artifices , l'entraîne dans les terres de la Baronne
de Zénanville. Le Duc , quoique toujours
épris en fecret d'Eugénie , profite de
l'abfence du Comte , non pour la féduire ,
mais pour faire paffer fur la tête de Dolmelle
le duché de Lurfal que fa Maiſon
avoit autrefois poffédé. Voilà ce qui a occafionné
fes fréquens têtes à têtes avec Eugénie
, & excité la fureur jaloufe de Dolmelle.
Ce fut encore pour cette raison qu'Eugénie
114
MERCURE
avoit refufé de partir avec le Comte. Bien
tôt cependant Eugénje , par le confeil même.
du Duc , va joindre fon époux chez la Baronne
de Zénanville. Là fe paffent pluſieurs
événemens qui mettent dans tout leur jour
les vertus d'Eugénie , le caractère emporté
du Comte & les vices de la Ducheffe. Les
bornes de cet Extrait ne nous permettent
pas d'en rendre compte : il faut les lire dans
Ouvrage même pour voir avec quel art ,
avec quelle vérité l'Auteur fait peindre &
manier les paffions . Le pathétique y eft
porté à fon comble. Enfin tout s'éclaircit.
Le Duc toujours généreux , toujours honnête
, découvre que fa femme le trompe ,
ainfi que Dolmelle ; elle eft bientôt punie ,
& l'innocence triomphe. Alaminte , l'infame
Alaminte , à qui cette méchante femme
ne paye point la feule penfion alimentaire
qu'elle fe fût confervée en la mariant au
Duc , Alaminte fe traîne mourante chez la
Ducheffe , la poignarde , & fe tue après
elle. Le Duc cependant , à force de recherches
, a trouvé un Oculifte très- verfé dans
la connoiffance des fimples , & qui lui fait
efpérer la guérifon d'Eugénie. Le Comte eft
auprès d'elle éclairé par fes fautes , repentant
, furieux , défefpéré, il fe plonge fon
épée dans le fein , & fe fait une bleffure
prefque mortelle ; il veut mourir à côté de
fon époufe , mourante auffi de l'excès de
fes infortunes . On lui dreffe à l'infu de celleci
un petit lit non loin de celui d'Eugénie.
DE FRANCE. IIS
C
Quarante jours fe paffent dans les tourmens,
dans les larmes & dans l'attente de la mort.
Mademoiſelle Dolmelle , pendant cet intervalle
, n'a point quitté fon amie ; elle
lui a prodigué les foins les plus tendres ,
ainfi que la Baronne de Zénanville , qui regarde
Eugénie comme fa fille. Une nuit
cependant le befoin du repos oblige Mlle
Dolmelle & la Baronne de s'éloigner. Les
femmes de la Comtefle , fa garde & celle du
Comte font endormies. Eugénie , que la
chaleur oppreffe , fe plaint du bandeau que
l'on a mis fur fes yeux. Le Comte l'entend :
pâle , défait , expirant , il ſe lève , il ſe traîne
jufqu'au lit d'Eugénie , & de fes mains défaillantes
détache le bandeau qui l'importune.
O bonheur ! Les fimples que pendant
quarante jours on a appliquées fur les
yeux d'Eugénie lui ont rendu la vue ; elle
voit fon amant , le reconnoît , l'embraffe :
quelle fituation ! Nous n'en conno ffons
pas de plus touchante dans aucun Ouvrage
de ce genre. Les deux amans renaiffent, leurs
forces & leur fanté reviennent peu - à- peu ;
c'eft l'amour autant que la Nature qui a
opéré ce miracle. L'Oculifte eft comblé de
préfens , le Duc de bénédictions. Quelque
temps après il époufe Mlle Dolmelle , qui
n'a pu réfifter à fes vertus , & ces quatre
époux font auffi fortunés qu'il foit poffible
de l'être. !
•
Un plan où tout fe lie , où tout le développe
, des caractères bien foutenus , bien
1
116 MERCURE
contraftés , des fituations tantôt pathétiques,
tantôt terribles , toujours déchirantes , une
imagination vive , mais dirigée par le goût ,
de la décence dans les tableaux les plus paffionnés
: voilà ce qui caractériſe ce Roman ,
Ouvrage d'une Femme connue déjà par des
productions non moins eftimables ; il eft
précédé d'une Épître à Madame de la Fayette,
dont nous allons citer quelques vers .
Par toi , la Mufe du Roman ,
De fa parure antique & chère ,
Se vit rendre tout l'ornement ;
Et ton coeur fut le Talignan
Qui feul t'enfeigna l'art de plaire.
Le coeur s'exprime fimplement ;
Il guida toujours ton génie ,
Et tu préféras fagement
Le langage du fentiment
Au jargon de galanterie.
Pour noi , qui jamais n'ai fu feindre,
Pour moi , je dois en convenir ,
Que l'habitude de fentir
Prive de l'heureux don de peindre;
Me permets-tu de ramaffer
Quelques fleurettes fur ta trace,
. S'il en eft encore au Parnaffe 3
Que ta main ait pu me laiffer ?
Nos plus jolis Romans ont été compofes
DE FRANCE. 187
par des Femmes ; mais aucune de celles quit
ont le mieux écrit en profe n'a compofé des)
vers auffi agréables. Mde la Comtelle de B...
eft la première qui réuniffe ce que la Nature
femble avoir divifé.
( Cet Article eft de M. le Chevalier de C....... )
DESCRIPTION générale & particulière de
la France , Ouvrage enrichi d'Estampes
d'après les deffins des plus célèbres Artiftes
, dédié au Roi . A Paris , de l'Imprimerie
de Pierres , Imprimeur ordinaire du
Roi , 1781 , grand in -folio , nom de
Jéfus , & fe vend chez les fieurs Née &
Compagnie , Graveurs , près la Porte S.
Michel ; Nyon l'aîné , Libraire , rue du
Jardinet ; Mérigot jeune , quai des Auguftins
; Esprit , au Palais Royal , & les principaux
Libraires du Royaume.
Le feul projet d'une Deſcription Hiſtorique
de la France , confidérée fous tous les
rapports, eft une de ces entreprifes nationales
qui font honneur au fiècle éclairé qui
les conçoit , & à la Société d'Amateurs , de
Gens de Lettres & d'Artiftes qui fe chargent
de l'exécution. La connoiffance des
lieux & la repréfentation des monumens.
doivent toujours accompagner l'Hiftoire fi
l'on veut la rendre utile & agréable. La pure
Géographie n'eft qu'une nomenclature dont
la féchereffe eft plus propre à infpirer le
dégoût de l'étude qu'à inftruire ; l'Hiftoire
r18: MERCURE
deviendroit bientôt inintelligible fans le
fécours qu'elle emprunte des Cartes. Quelque
bien exécuté que fût cet Ouvrage , il
auroit toujours befoin de la Gravure , non
pour multiplier de vains ornemens dont on
furcharge les Livres modernes , & qui ne
fervent qu'à en augmenter la valeur ; mais
en rappelant la Gravure à fa véritable deftination
, elle ferviroit à tracer les Cartes &
les Plans Topographiques des lieux , la vue des
endroits les plus pittorefques du Royaume,
celle des Villes , Bourgs & Châteaux les plus
remarquables , la repréſentation des Monumens
antiques & modernes , celle des objets
de l'Hiftoire Naturelle & de tous ces chefsd'oeuvres
de la Nature & de l'Art , dont la
defcription la mieux faite & la plus détaillée
ne peut même donner une idée claire
fans l'image de la chofe.
Tel eft l'avantage du plan de la nouvelle
Defcription Pittorefque & Philofophique de
la France , que la Géographie & l'Hiftoire
y marchent de front pour s'éclairer l'une
par l'autre , & qu'elles font accompagnées
d'Eftampes qui repréfentent les objets décrits
par
l'Homme de Lettres.
Il y a déjà eu huit livraifons d'Eftampes
dont nous avons déjà rendu compte fucceffivement
dans les temps où elles ont paru.
Nous ne nous occuperons aujourd'hui que
de la première Partie du Texte qu'on vient
de mettre au jour.
DE FRANCE. 119
L'on n'a fait d'autre objection contre le
plan de cet Ouvrage développé dans le
Profpectus , que celle de la difficulté d'exécuter
un projer aufli vafte. Les Éditeurs doivent
raffurer par ce qu'ils ont déjà mis au
jour. Ils y ont profité des recherches de M.
Beguiller fur l'Hiftoire de fon pays ; ils invitent
les Académies & les Savans répandus
dans les Provinces , à leur communiquer leurs
recherches & leurs lumières fur l'Hiftoire
Naturelle & Civile des Pays qu'ils habitent.
Ce concours de tant de perfonnes ne peut
manquer de rendre cette nouvelle Defcription
de la France un Ouvrage national auffi
curieux qu'inftructif , tant pour ceux qui
veulent approfondir les objets , que pour
les gens du monde qui fe contentent de les
effleurer .
La Préface qui eft à la tête de ce Volume,
rend compte des motifs qui ont porté
les Éditeurs à diftribuer les Provinces en
cinq grands Départemens déterminés par le
cours des cinq grands fleuves qui arrosent
la France, Cet ordre naturel , qui réunit les
avantages de toutes les autres divifions adoptées
jufqu'ici , en a de particuliers , tels que
ceux qui résultent d'une belle diftribution
pour l'Hiftoire Naturelle , Civile & Économique
du Royaume , & fur -tout pour
l'Hiftoire ancienne , puifque ce font les
mêmes lignes de démarcation qui fervoient
autrefois à diftinguer les principaux États
des Gaules avant la conquête des Romains ,
1.20 MERCURE
& lors de l'établiffement de la Monarchie
Françoife. On fait qu'autrefois les Gaules
ont été divifées en cinq grands Départemens
; favoir , 1 ° . la Germanie & la
Batavie , arrofées par le Rhin & toutes les
branches : 2. la Belgique , renfermée entre
le Rhin , la Seine & la Marne , & arrofée
par la Mofelle , la Meuſe , l'Eſcaut , la
Somme, &c. 3 ° . la Celtique , coupée en '
deux par la Loire , & compriſe entre la
Seine , la Saône , le Rhône & la Garonne :
4º. l'Aquitanique , comprenant le cours de
la Garonne & des rivières y affluentes , & le
côté oriental des Pyrénées : 5 ° . la Ligurie
Gauloife , renfermée entre le Rhône & les'
Alpes , qui comprenoit en même- temps les
Peuples Montagnards , comme les Allobroges
& tous ceux qui habitoient les régions
Alpines.
Lors de l'établiffement de la Monarchie
Françoife , les mêmes fleuves fervoient debornes
& de limites aux Nations barbares
qui s'étoient établies dans les Gaules. On y
trouve également les cinq Départemens
bien diftingués par le cours des mêmes riviè
res ; favoir, 1 ° . le Département Salique &
Ripuaire compris entre le Rhin & la Seine
fur le terrein des Belges : 2 ° . celui de la République
des Armoriques , compris entre la
Loire , la Seine & le long des côtes de l'Océan
3. le Département Visigot , qui's'étendoit
dans l'Aquitanique & la Celtique ,
depuis la Loire à la Méditerranée , & des
Pyrénées
T
DE FRANCE. 121
Pyrénées au Rhône : 4° celui des Bourguignons
, le long de la Saône & du Rhône
jufqu'aux fources du Rhin & aux Alpes :
5. enfin celui des Allemands le long du
Rhin. On remarque encore aujourd'hui , en
fuivant la même divifion , les traces de la
domination de ces différens Peuples dans
les dialectes des Provinces , dans les moeurs
& ufages , dans les loix & coutumes
locales.
Ce n'eft que long-temps après , que tous
ces Etats, réunis & fépares à plufieurs reprifes,
n'ont plus formé qu'un même corps de Monarchie
fous un feul Chef ; les diverfes Provinces
du Royaume , qui compofoient autant
de petites Souverainetés , ne font plus aujourd'hui
que de fimples Gouvernemens Militaires
& par commiffion . Ainfi , en adop
tant pour la Defcription moderne la divifion
politique & militaire de la France en
douze grands Gouvernemens généraux , qui
eft la plus univerſellement admife , & telle
qu'elle fubfiftoit encore à la dernière tenue
des Etats Généraux du Royaume fous
Louis XIII , en 1614 , ces grands Gouverne
mens , & les petits qui y font enclavés , fe
claffent naturellement d'eux - mêmes dans les
cinq grands Départemens, arrofés par autant
de fleuves qui ont tous une direction oppofée
& divergente pour embraffer dans leur
Cours tous les pays qui doivent compoſer la
Defcription de la France.
-
Le premier Département eft celui de la
Sam. 21 Juillet 1781 . F
122 MERCURE
Seine , comprenant l'ancien Domaine des
Rois Francs , & connu pendant les deux premières
Races , fous le nom de Royaume de
Neufirie , dont une partie fut concédée aux
Normands, Il comprend les quatre Gouvernemens
de Paris & Ile de France , de
Champagne , de Picardie & de Normandie.
Avant de décrire ces quatre grandes Provinces
, on doit donner l'ancienne Géographie
comparée à la moderne , & le Tableau hiftorique
de leurs révolutions fucceffives juſqu'à
la réunion des parties qui en avoient été
détachées,
Le fecond Département, celui du Rhône,
embraffera les Provinces de l'ancien Royaume
de Bourgogne, également divifées en quatre
grands Gouvernemens généraux ; favoir ,
ceux de Bourgogne , de Lyonnois , de Dauphiné
& de Provence , avec les petits Gouvernemens
qui y font enclavés. L'ancienne
Géographie & l'Hiftoire de ces Provinces
précèdent toujours leur defcription .
Le troisième Département eft celui de la
Loire & des rivières qui viennent perdre
leur nom dans ce fleuve, Il renferme toutes
les Provinces compriſes fous les deux Gouvernemens
généraux de l'Orléanois & de la
Bretagne ; il comprend l'Hiftoire des Peuples
Armoriques & des Bretons, qui ont eu leurs
Souverains particuliers jufqu'au feizième
fiècle,
Le quatrième Département , qui eft celui
de la Garonne , contient les Provinces d'ADE
FRANCE. 123
quitaine & l'ancien Domaine des Visigots ,
dont Toulouſe étoit la Capitale . Tous ces
pays font naturellement divifés en deux
grands Gouvernemens , comme ils l'étoient
à l'époque des derniers Etats tenus à Paris
en1614 ; favoir, le Gouvernement de Guyenne
& Gafcogne, & celui de Languedoc. L'Hiftoire
de la Narbonnoife fous les Romains ,
celle des Vifigots fous trente trois Rois , des
Marquis de Gothie , des Comtes de Touloufe
& des Ducs d'Aquitaine qui leur ont
fuccédé , offrent un beau fujet à traiter dans
fes rapports avec celle de la Monarchie.
>
Enfin, le cinquième & dernier Département
fera celui du Rhin ; il contiendrà tous
les Domaines acquis par la Maiſon de
Bourbon. Ces Provinces , réunies à la France
après en avoir été fi long-temps féparées ,
feront divifées en cinq Gouvernemens
celui de Franche -Comté, celui des TroisÉvêchés
, celui de Lorraine & Barrois
celui d'Alface & celui de Flandre. L'Hiftoire
& la Géographie de toutes ces Provinces
fe trouveront à la tête de leur Defcription.
L'Auteur commence aujourd'hui le Département
du Rhône par l'Hiftoire des Bourguignons
, Dominateurs des contrées arrofées
par le Rhône & la Saône. Cette Hiltoire
, divifée en cinq époques , eft terminée
par de favantes recherches fur les loix
moeurs, coutumes & ufages anciens de ees
Fij
124
MERCURE
Peuples. Tel eft le plan de cette Entrepriſe
immenſe.
On travaille actuellement à la Defcrip-i
tion de Paris , & l'on fera marcher de front
les deux Départemens du Rhône & de la
Seine , afin de jeter autant de variété dans
les Livraiſons du Texte, que les Graveurs enmettent
dans celles des Eftampes .
Il n'y a point de confufion à craindre à
cet égard , puifque chaque Gouvernement
militaire formera un Tome à part , dans
lequel on raffemblera les Eftampes qui y
auront rapport. En commençant par le
Gouvernement de Bourgogne , on a voulu
faire fuite aux Tableaux pittorefques de la-
Suiffe, publiés par M. de la Borde , Fermier-
Général , & les fieurs Née & Mafquelier .
C'est au Public à foutenir cette grande :
Entreprife. La Soufcription n'exige aucune
avance on paye en recevant , & l'on peut
ne foufcrire que pour la partie que l'on
defire,
HISTOIRE de la République des Lettres &
Arts en France , année 1780. Vol, in- 12 ,
Indocti difcant , & ament meminiffe periti.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Quillan l'aîné , Libraire , rue Chriftine ;
la Veuve Duchee , rue S , Jacques ;
Efprit , au Palais Royal.
L'AUTEUR , qui a déjà publié l'année
DE FRANCE. 125
1779 , & promet de donner auffi 1778 ,
époque à laquelle commencera l'Ouvrage ,
en expofe lui - même une idée fuffifante .
" M. le Suire établit , dit-il , une République
Littéraire fubfiftante au milieu du Gouvernement
politique . » Il a pour but d'éri
ger un monument dont on ne pourra bien
juger que quand on verra plufieurs années
reunies . Il veut faire un corps de différentes
parties auxquelles il tâche de donner de l'en⚫
femble & de la liaifon.
Son but eft moins de donner une idée
de chaque Ouvrage , quc de faire voir de
quel côté les études & les travaux fe font
tournés dans le temps qu'il décrit,
Le Chapitre de Voltaire & J. J. Rouffeau
nous a paru intéreffant. Il y eft queftion entreautres
des tombeaux de ces deux grands
Hommes. Celui de J. J. a été très - fréquenté
en pélerinage. Cet homme célèbre a toujours
eu beaucoup de partifans. « Quand il
»
parut fur l'horifon , dit M. le Suire , Voltaire
rempliffoit tout de fa gloire. L'envie
» étoit forcée de l'admirer en filence . On le
louoit à haute voix ; mais en fecret on
» n'étoit pas faché d'avoir quelqu'un à lui
oppofer. La Nature préfenta un homme
» d'un grand talent. On le reçut avec tranfport.
On l'éleva en face de l'idole enviée ;
on dreffa autel contre autel. Sa conduite
fingulière & tranchante oppofée à nos
" moeurs , parut de la vertu la plus décidée ,
Des perfécutions apparentés ou du moins
Fij
126 MERCURE
"
30.
"
exagérées , une pauvreté noble , volontaire
, tout annonça le jufte de Platon , le
» Socrate , l'Épictère , le Stoïcien moderne.
" En foutenant fon parti , c'étoit la vertu
» même dont on embraffoit l'image. Cette
» idée étoit feduifante , fur- tout pour les
jeunes gens , & c. "
L'Auteur jette enfuite des fleurs fur la
tombe de M. Dorat ; il caractériſe fa manière
, déplore fa deftinée , & met en oppofition
ce brillant Écrivain avec M. l'Abbé de
Condillac , Métaphyficien profond , dont il
raconte auffi la mort , & détaille les Ouvrages.
Il affocie au même convoi funéraire
les autres hommes illuftres que nous avons
perdus l'année dernière , donnant une idée
rapide du caractère & des travaux de chacun
d'eux. Enfuite fortant des tombeaux , il va
s'égayer fur des variétés , & raconte quelques
anecdotes piquantes. Il paffe de là dans
les Académies , dont il décrit les opérations ,
qui confiftent principalement à propofer
pour fujet de leurs prix des queftions inéreffantes.
Ces queftions ont pour but l'accroiffement
des lumières & l'avantage qui
en réfulte pour le bien de la fociété.
M. le Suire en vient bientôt au Chapitre
férieux des Sciences. Mais il tâche toujours
d'égayer fon fujet. Il fait reconnoître fa
gaieté jufques dans l'article de la Médecine
, en décrivant la façon de guérir de M.
Meſmer.
46
Ila , dit M. le Suire , une table qu'il
DE FRANCE. 127
» appelle magique , autour de laquelle fes
» malades attendent la fanté par inſpira →
» tion. On les récrée par le fon des inftru
» mens , & leur maladie doit partir avec une
fugue. »
»
Après avoir décrit les travaux , l'Auteur
peint l'efprit qui les dirige , & qui règne de
nos jours dans l'empire Littéraire. « Nous
» avions une immenfe collection de richef-
» fes ; on a fenti la néceflité d'en former un
» corps. Après avoir taillé les pierres , il
" falloit conftruire l'édifice . C'est ce qu'on
» a prétendu faire par la compoſition de
l'Encyclopédie. Depuis cette époque , plu
" fieurs gens de plume , dans un fiécle où
» la Littérature défrichée eft devenue davan-
» tage à la portée du vulgaire , ont formé
» des entrepriſes Littéraires. De - là toutes
les compilations qui paroiffent journel-
>> lement. »5
L'Auteur attaque auffi les abus de quelques
Journaux. « L'ufage de feuilleter ces
» Ecrits périodiques , a mis chaque Lecteur
» dans la malheureuſe habitude de difcu-
» ter , de vétiller ; au lieu de juger d'après
» fon coeur , & de fe livrer ingénuement à
» l'impreffion que devroit lui faire un Ou-
» vrage , il fe met à critiquer , à déraifonner
" par principes comme les folliculaires ; il
prend leur ton méprifant , & perd le
plaifir & le fruit de fes lectures.
و د
"
ور
» L'érudition que les Savans en us avoient
» jadis cultivée , mais que les petits maîtres
Fiv
428 MERCURE
» du Parnaffe affectoient depuis long- temps
» de dédaigner, s'efforce de reffufciter chez
» nous ; mais elle prend un cours different
33
de ci-devant. On fe fondoit jadis fur des
» autorités , fur des paffages grecs & latins.
Aux fables des Anciens on fubftitue à préfent
des conjectures fondzes fur des con-
» noiffances Phyfiques & Aftronomiques .
و و
L'Auteur expofe à ce fujet le fyfteme de
M. Bailly fur un Peuple du Nord d'où nous
viennent toutes nos connoiffances , & il
jette en paſſant quelques idées pour la réfutation
de cette hypothefe ; enfuite il remarque
que nous avons malheureuſement
paffe les limites du beau & du vrai. Nos prédéceffeurs
avoient brillé par l'un & par
l'autre nous voulons frapper en produifant
l'extraordinaire. Quant au goût , nous donnons
dans le gigantefque & l'outré : quant
à la Philofophie , nous nous jetons dans le
paradoxe. Rouffeau en a donné l'exemple ,
& M. Linguet a enchéri exceflivement fur ce
modèle , & c.
Telle eft en partie la fubftance du Chapitre
intitulé : L'Esprit du jour. Du Portique
& du Lycée l'Auteur palle au Theâtre , &
d'abord à celui de l'Opéra , qu'il appelle une
Académie hermaphrodite. Il rend compte
des nouveautés qu'on y a données ; enfuite il
peint la fupériorité que le Theâtre François
a reprife , fur tout par la Veuve du Malabar.
Le Théâtre Italien n'a eu que les feconds
Lonneurs , mais ce partage eft encore aſſez
6
DE FRANCE. 129
beau. Il a donné des Comédies , des Opéras
à Ariettes & des Opéras en Vaudevilles.
L'Auteur englobe enfemble tous les petits
Spectacles forains , fans favoir , dit - il , s'ils
font bien d'accord entr'eux ; c'eft , felon
hui , le feul afyle où le genre larmoyant n'ait
pas encore pénétré. Du Parnaffe il va faire
La cour à Minerve dans le Temple des
Arts.
La Mufique eft chez nous dans un état fi
Horiffant , qu'au dire de plufieurs perfonnes
nous fommes dans le fiècle d'or de la mufique.
La Peinture fournit peu , parce que ce
n'eft pas une année de Sallon. L'Architec
ture continue d'être en vogue ; tous les Arts
concourent avec la Littérature & les Sciences
, & confpirent avec le Gouvernement
pour la profpérité de la Nation .
CL
Enfin, après avoir peint en gros le réfultat
des travaux qu'on a vu paroître dans
toutes les parties , quoique le déclin foit
fenfible , l'Auteur finit par cette remarque.
Nous produifons tant de nobles efforts
au milieu d'une guerre qui elle - même
» eft conduite avec humanité , & que le
Monarque foutient fans charger aucune-
» ment fon peuple . Nos Rivaux , nos Enne
>> mis vantent eux - mêmes notre bonheur ,
>> envient notre fort , & nous admirent en
» mous combattant. Nous jouiffons de
" tous ces avantages avec l'efpérance de
plus grands encore quand nous pourrons
y joindre celui de la paix. Nous fommes
33
כ
39
Fv
130 MERCURE
39
dans une brillante carrière , avec une profpérité
encore plus brillante. Comment
» ne ferions- nous pas le peuple le plus gai
puifque nous fommes le plus heureux ? »
2
Voilà le précis de cet apperçu . Nous
avons tranfcrit l'Auteur le plus qu'il nous
a été poffible , pour donner une idée de fon
Ayle & de la variété qui règne dans fon
Ouvrage .
COURS de Mathématiques à l'ufage des
Élèves du Corps Royal du Génie , par
M. l'Abbé Boffut , de l'Académie Royale
des Sciences , Honoraire & Affocié libre
de l'Académie Rovale d'Architecture , de
l'Institut de Bologne , de l'Académie Impériale
des Sciences de Saint-Pétersbourg ,
Examinateur des Elèves du Corps Royal
du Génie , Infpecteur- Général des Machines
& Ouvrages Hydrauliques des
Bâtimens du Roi , &c . Troifième édition ,
revue & augmentée. Tome jer , Arithmétique
& Algèbre. A Paris , chez Claude-
Antoine Jombert , fils aîné , Libraire du
: Roi pour le Génie & l'Artillerie , rue
Dauphine , 1781. in- 8° .
L'AUTEUR de cet Ouvrage déjà connu &
jugé par les Géomètres , a cru devoir , dans
cette nouvelle Édition , y ajouter quelques
nouvelles théories , fimplifier plufieurs démonftrations
, en préfenter de nouvelles ,
lorfque celles qui fe trouvent dans les CuDE
FRANCE
131
vrages des Géomètres lui ont paru trop peu
directes ou trop compliquées pour des
Commençans.
Ce Volume eft le premier d'une nouvelle
Édition du Cours de Mathématiques de
M. l'Abbé Boffut . Il contient , outre les
Élémens d'Arithmétique & d'Algèbre , un
Difcours fur les Mathématiques , un fur
l'Arithmétique & un fur l'Algèbre . Ces
Difcours renferment un Tableau hiftorique
des progrès de ces Sciences , fuffifant pour
ceux qui ne font pas des Mathématiques
leur principale occupation , ou qui ne s'y
intereffent que comme Philofophes.
Ils font écrits avec la nobleffe qui convient
aux matières férieufes , & avec la
fimplicité dont le bon goût ne permet pas
de s'écarter en écrivant fur les Sciences .
Nous ne ferons pas ici de comparaifon
entre cette Edition & les précédentes . Nous
obferverons feulement qu'elle renferme plus
d'objets fous un moindre Volume , & furtout
plus de chofes qui appartiennent à l'Auteur
, qu'on ne doit s'attendre à en trouver
dans un Livre Élémentaire.
A
F vj
132
MERCURE
RÉFLEXIONS IMPARTIALES fur le progrès
réel ou apparent que les Sciences &
les Arts ontfait dans le dix huitième fiècle
en Europe , &c. précédées d'un Difcours
de Sa Majefté le Roi de Suède , en Suédois
, traduit en François & en vers Ita
liens , & d'un Effai fur l'explication hifto
rique que Platon a donnée de fa Républi
que & de fon Atlantide & qu'on n'a pas
confidéréejufqu'àpréfent , pourfervir d'introduction
aux mêmes Réflexions , Tome I,
par M. Bartoli , Antiquaire de Sa Majesté
le Roi de Sardaigne , de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles - Lettres , & c.
A Paris , chez Barrois l'aîné , Libraire ,
quai des Auguftins , 1780. in - 8 °.
DANS fes Réflexions impartiales , dont
il ne paroît encore que le premier Volume ,
M. Bartoli fe propoſe d'examiner « la réalité
ou l'apparence des progrès qu'on a fait
faire aux Sciences & aux Arts dans notre
fiècle en Europe. » Mais il a fait précéder ce
tableau de l'éloquent Difcours prononcé
par le Roi de Suède le 30 Octobre 1778 , à
l'Affemblée des Etats de fon Royaume , &
d'un Effai fur l'Atlantide , dans lequel il a
entrepris de prouver qu'on ne doit pas confondre
cette Ifle ni ces Atlantes , avec les
Mes & les Atlantes fur lefquelles plufieurs
Auteurs anciens ont écrit ; & que Platon n'a
cu d'autre but que de parler d'Athènes fous
le voile de l'allégorie.
DE FRANCE. 133
On peut compter parmi les époques les
plus intéreffantes des Athéniens , 19. leur
liberté perdue par les factions des Diacriens
, des Pédiens & des Paraliens ; 2 °. leur
liberté recouvrée après la mort ou l'exil des
tyrans ; 3. la deftruction de leur puiſſance
dans la guerre du Péloponèle par la défaite
totale de leurs foldats & de leurs flottes à
Syracufe.
D'un côté Plutarque dit que Solon com
mença un grand Ouvrage en vers fur l'hiftoire
ou la fable Atlantique , qui étoit in-
Séparablement inhérente aux Athéniens : de
T'autre , Diogène Laërce , fans parler de cette
hiftoire ou de cette fable , nous apprend que
Solon a compofé cinq mille vers , dont le
fujet eft la Republique d'Athènes . Platon
dit que Solon , fon parent , interrompit le
poëme Atlantique à caufe des féditions
qui ravageoient Athènes . Les amis de
Solon (fuivant Plutarque ) ne ceffoient de
lui répéter que le tyran le feroit mourir s'il
venoit à comprendre comme il parloit de
lui. Le Poëme Atlantique de Solon eut donc
pour fujet la première de ces trois époques
d'Athènes. Telle eft la conféquence qu'en
tire M. Bartoli.
Platon avoue quelquefois qu'il aime à ne
parler de certaines matières qu'en énigme &
par images; mais fi le voile de l'allégorie
étoit néceffaire au fage Platon , c'eft furtout
lorfqu'il avoit à parler des défaftres &
des vices d'Athènes. Il avoit dit ailleurs que
134
MERCURE
" toutes les Républiques mal gouvernées
défendent fous peine de mort aux Citoyens
de parler de la conftitution du Gouver
nement . »
Ce qui a le plus contribué fans doute à
induire en erreur fur l'explication . de l'Atlantique
, c'eft que Platon finit par faire
abîmer & engloutir cette Ifle ; mais il ne
s'agit ici que d'une fubmerfion métaphorique
, d'une difparition politique : l'Ile y
étoit affife ; elle ceffa de paroître , c'est-àdire
, de briller : c'eſt l'état de la décadence
politique exprimée allégoriquement. Platon
dit : Ily a en même temps , & non pas il y
fut une puiffance de Rois. Il en résulte que
cette puiffance exiſtoit encore.
D'ailleurs , fi la fubmerfion indiquée dans
le Timée eût été physique , comment pourroit-
on concilier ce dialogue avec le Critias
, où il s'agit , ex profeffo , de l'ifle Atlantide
? Platon y déclare expreffement que
Jupiter corrigea les Atlantiques pour les rendre
plus modeftes. C'eft une plaifante manière
de corriger les habitans d'une ifle ,
que de fubmerger l'ifle , de l'abîmer ! Si ces
Infulaires euffent été réellement fubmergés ,
le mot corrigea eût été , de la part du Philofophe
Platon , une affez mauvaiſe plaifanterie.
Platon va plus loin . Pour ranimer
le courage de fes Concitoyens , il leur annonce
, dans le Critias , que la puiffance
des Atlantiques fera rétablie. Leur fubmer
fion n'eft donc qu'allégorique.
DE FRANCE, 135
Tel eft à peu près le Précis de l'Ellai ,
dans lequel M. Bartoli propofe aux Savans
fa nouvelle explication de l'ifle des Atlantes.
L'entaffement de fes preuves annonce une
vafte érudition . Mais on nous difpenfera de
fuivre fa démonftration pas - à - pas, parce
que cette difcuffion nous meneroit trop loin.
D'ailleurs , M. Bartoli , plus jaloux de s'entretenir
avec les Savans que d'amufer les gens
du monde , a moins fongé à femer de fleurs .
fa differtation , qu'à la hériffer de citations
& d'autorités ; & ce fafte d'érudition pourroit
bien ne pas plaire à tous nos Lecteurs.
Après cet effai , l'Auteur palle aux Réflexions
impartiales fur le progrès réel ou
apparent des Sciences & des Arts , qui doit
avoir une fuite. Quant à ce qu'on en lit
dans ce premier volume , nous avons eu
beau redoubler d'attention , nous n'avons
pu y voir que le projet de réfuter l'opinion
des Littérateurs François , qui attribuent aux
Provençaux la renaiffance de la Poćfie en
Italie. Ainfi , ce juge impartial ne fe trouve
jufqu'à préfent que le vengeur de fon pays.
Quoi qu'il en foit , il eft à defirer que
M. Bartoh continue l'Ouvrage qu'il a commencé.
Ses réflexions , ne fuffent- elles pas
bien impartiales , pourront toujours être
utiles à fes Lecteurs . Avec une auffi vafte
littérature , il ne fauroit écrire fans ajouter
à la maffe des connoiffances publiques ; &
nous devons nous feliciter de le voir adopter
la langue françoife , pour faire part à
136 MERCURE
fes Lecteurs du fruit de fes études & du
refultat de fes opinions.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi 11 de ce mois , on a remis
l'Irréfolu , Comédie de Deftouches , en cinq
Actes & en vers.
1
Un homme dont toute l'irréfolution confifte
à paffer fans celle du defir d'épouler
une jeune perfonne à celui d'en epoufer
une autre , ne préfente pas un caractère
affez varié pour devenir intéreffant. D'ailleurs
, la foibleffe d'efprit qu'on doit
toujours fuppofer dans un irréfolu , peutelle
produire un caractère ? Nous ne le
croyons pas. Deftouches dit dans la Préface
de cet Ouvrage : qu'affervi par la règle
étroite des vingt - quatre heures , il n'a pas
voulu mettre Dorante à un plus grand nombre
d'épreuves , pour ne pas tomber dans
Finvraifemblance , & ne pas offrir un caractère
digne des petites maifons ; & dans ce
point , Deftouches a raifon . Mais il laille entendre
qu'il regarde fon perfonnage comme
un homme qui n'a d'autre défaut que l'irréfolution
, & qui , loin d'être méprifable , peut
mériter d'être plaint. Si quelque choſe peut
prouver que Deftouches n'a pas toujours
apperçu la véritable fin de l'Art Dramatique ,
DE FRANCE. 137
& qu'il manquoit de cette force comique ,
de cette railon profonde qui diftinguent
Molière de les rivaux , c'eft cette dernière
obfervation. De quel agrément peut être au
Theatre un perfonnage qui tient de la nature
un défaut qui le rend à plaindre ? Et fi
l'Auteur le place dans des fituations dont il
devienne la victime , & qui appellent le
rire fur une foibleffe en elle- même fort indifférente
, quel but peut il fe propofer ?
Celui de l'utilité ? Cela eft impoffible ; car ,
que fait à la morale un défaut dont on ne
fauroit fe défaire , & qui tient au tempérament
? Rien fans doute. L'agrément ou
l'utilité , voilà ce dont il faut que s'occupe
un Auteur Comique , & tant mieux quand
on peut faire marcher de front ces deux objets
; mais quand le premier marche feul ,
employer , pour le faire naitre , des moyens
qui affligent gratuitement l'humanité , c'eſt
ne pas annoncer beaucoup de philofophie.
Le véritable but du Théâtre eft l'amendement
des moeurs & la correction des ridicules.
Mais il faut diftinguer deux eſpèces de
ridicules, dont l'une appartient à la Scène, &
l'autre doit en être bannie. La première efpèce,
tient à la fottife , à l'amour- propre
mal- entendu , fouvent à l'infolence , quelquefois
à de mauvaiſes habitudes . Celle- là
mérite qu'on la pourfuive ; quoiqu'il ne
foit pas toujours facile de la corriger ; la
feconde tient à une foibleffe involontaire d'ef
prit ou de coeur , à une organiſation vicieuſe ,
138 MERCURE
le ridicule qui en réfulte eft un défaut né dont
il eft auffi malhonnête de blâmer celui en qui
on l'apperçoit , que de fe moquer d'un bollu
qui ne cherche point à fe donner les airs d'un
joli homme; enfin , c'eſt plutôt une infirmité
qu'un ridicule. C'eft pofitivement dans ce cas
que fe trouve l'Irréfolu de Deftouches , &
cet Auteur auroit dû voir qu'un tel perfonnage
n'eft point du tout Dramatique.
Ces réflexions ne nous empêcheront paš
de rendre juſtice au mérite qu'on remarque
fouvent dans cette Comédie . Le contraſte
des caractères de Célimène & de Julie eft
réellement piquant , ainfi que celui des deux
vieillards , Pyraute & Lifimon. Le perfonnage
de Julie eft très- agréable & fupérieur à
tous les autres. Nous ne donnerons pas les
mêmes éloges à celui de Mde Argante . Outre
qu'il eft extrêmement chargé , il eſt ſouvent
d'une indécence révoltante ; & ce n'eft pas
fans beaucoup d'humeur qu'on lui entend
dire de fon mari ,
Il avoit en biens fonds dix mille écus de rente ;
Mais je connus depuis qu'il avoit de ſurplus ,
En billets au porteur , plus de cent mille écus.
Cinq ans avant la mort , il m'en fit confidence ,
Et je fus me contraindre à tant de complaifance ,
Que le pauvre benêt crut que je l'aimois fort
Et qu'il m'a confié fes billets . Il eft mort ,
Grâce au Ciel , & c.
Ce n'est pas avec moins de répugnance
DE FRANCE. 139
qu'on la voit difpofée à fruftrer les filles de
ces cent mille écus, fi Dorante veut confentir
à l'époufer .
Tout ce que nous venons de dire contrane
un peu ce qu'on a avancé quelque part
fur Deftouches ; que par-tout dans fes Ou
vrages , on trouve la nature , le vrai & l'honnéte.
On a porté beaucoup de jugemens fur le
talent de cet Ecrivain , mais nous n'en connoif,
fons pas d'auffi judicieux d'auffi fain , d'auffi
bien apperçu que celui que l'on en trouve
dans les Mémoires Littéraires de M. Paliffot.
Nous nous abftenons de le citer , parce que
l'Ouvrage qui le renferme eft dans les mains
de tout le monde. P
Le Samedi 13 , on a remis le Mariage
Forcé , Comédie de Molière , en un Acte
& en profe.
Cette petite Pièce fut d'abord repréſentée
au Louvre. Elle étoit alors, en trois Actes
avec des Intermèdes , & on la nomma le
Ballet du Roi , parce que Louis XIV y
danfa. Elle fut réduite à un Acte , & jouée
avec fuccès fur le Théâtre du Palais Royal.
On a prétendu que l'aventure du Comte de
Grammont avec Mlle Hamilton avoit donné
à Molière l'idée de cette Comédie ; quelques .
Critiques ont combattu cette opinion ,
qui ne fait rien au mérite de l'Ouvrage. On
peut le regarder comme une farce ; mais
chez Molière , les farces même portent le
cachet du génie , & annoncent l'homme
140
MERCURE
profondément inftruit des effets de la Scène.
Voltaire a dit , en parlant du Mariage Forcé,
qu'on y remarquoit plus de bouffonnerie que
d'art & d'agrément. Nous oferons combattre
cette idée , malgré le refpect dont nous fommes
pénétrés pour l'Auteur de Mahomet .
Certainement on trouve dans le Mariage
Forcé beaucoup de bouffonnerie , & les deux
Scènes de Marphurius & de Pancrace n'en
font pas exemptes; mais qu'on les life , ou
qu'on les écoute avec attention , & l'on y
reconnoitra le grand Peintre des moeurs &
le fléau des ridicules nuifibles ; on verra avec
quel Art ces deux Scènes font filées , comme
la transition de l'une à l'autre eft heureuſe
& néceffitée par la fituation d'efprit où eft le
pauvre Sganarelle , on fentira que l'oppofition
des fyftêmes des deux Philofophes eſt tout- àla
- fois plaifante & comique. Que l'onjette un
coup d'oeil fur le dénouement , on trouvera
d'abord furprenant qu'on engage un homme
à prendre femme , en lui propofant de le
battre , ou en le perfuadant à coup de bâtons ;
niais on reconnoîtra Molière au filence qu'il
fait garder à Sganarelle , battu & oblige de
céder à la force , & ce filence eft un coup de
Maître. C'est dommage qu'on ait à reprocher
à Molière des libertés beaucoup trop
fortes dans les expreffions , ainsi que de
n'avoir point affez refpecté les moeurs dans le
perfonnage de Dorimène ,
Mais à l'humanité, fi parfait que l'on fut ,
Toujours par quelque foible on paya le tribut.
DE FRANCE.
140
VARIÉTÉ S.
LETTRE à M. DU H....
SANS ANS avoir l'honneur d'être connu de vous ,
mon cher Monfieur , je me fuis donné celui d'aller
plufieurs fois pour vous voir ; j'ai été étonné de ne
vous point rencontrer chez vous ; mais on m'a dit
que les hommes célèbres font prefque toujours invifibles.
: Tandis que l'on fe bat fur les mers , tandis qu'on
difpute de philofophie fans être Philofophe , tandis
qu'on s'occupe de modes , de Salle d'Opéra , ou
qu'on fe fait Anglomane , favez - vous bien ce qui
me paffe par la tête ? C'est une réforme dans nos
moulins.
+
J'ai voulu lire dans un Livre gros comme un
four , qu'on appelle l'Encyclopédie , l'article Mou-
Imm ; cet article ne m'a rien appris du tout ; il décrit
inutilement les Moulins des environs de Paris ; il
prétend que cette invention nous vient des Croifades
, fans nous dire quels étoient autrefois les
moyens qu'on employoit pour pulvérifer le bled .
$
Pour moi , Monfiear , je pense que les meules de
pierre font du plus pernicieux ufage , fur- tout dans
les
pays où elles font raffemblées
par un lien de
fer, & cimentées
avec du plâtre . La néceffité
de
piquer
ces groffes
maffes
, prouve
feule combien
notre farine
doit être remplie
d'émanations
pierreufes
que le frottement
de ces globes
pernicieux
dépofe
dans l'aliment
de première
néceffité
; de
forte que les Pratiques
de chaque
Moulin
ont avalé
tout ce qui manque
aux vieilles
meules
. Je ne parle
point de la quantité
de grain qui fe perd & fe dérobe
142
MERCURE
dans les cavités de ces groffes roches, dont encore
une fois les débris nous paffent dans l'eftomac , &
des parties imbroyées qui gâtent les plus belles
farines : c'eft à vous , Monfieur , à faifir l'importance
d'une chofe que mon petit génie de Montmartre ne
fait qu'indiquer.
Voici les moyens que j'oppoſe à cet abus ; mais
ma méthode ne fera point adoptée , parce qu'il eft
prefque impoffible de faire fortir le pauvre monde
de l'ornière de la routine..
Je formerois la meule dormante , c'est -à-dire ,
celle de deffous , de matière folide quelconque ;
j'en revêtirois la furface fupérieure d'une vigoureuſe
lame de fer battu & râpeux ; & la meule active ,
c'est-à-dire , la meule fupérieure , feroit faite d'un
bois fec alourdi en proportion néceſſaire & circulairement
engênée , avec la furface inférieure auffi
garnie d'une tôle en forme d'une groffe râpe
qui broyant nettement & facilement le grain
entre ces dentelures réciproques , produiroient une
farine faine & mille fois fupérieure à celle dans
laquelle nous croquons habituellement un quinzième
à-peu- près de parties terreufes & fabloneufes
qui fe trouvent néceffairement dans le caput-mortuum
des meules de pierre. Il n'y a que vous , Monfeur
, qui puiffiez faire attention aux réflexions d'un
Meûnier dans cette grande Capitale , où les fots
mangent du pain en méprifant celui qui le fait , & en
oubliant de bénir la terre qui le donne.
Je fuis , mon cher Monfieur ,
Votre très-humble Serviteur ,
Pierre ZEPHIRINET , ancien
Meunier à Montmartre.
DE FRANCE. 143
GRAVURES.
D
IANE au bain. Cette jolie Eftampe, gravée par
M. Viel d'après le tableau de feu M. Mettay , Peintre
du Roi , peut faire le pendant de celle de Sufanne
au bain , gravée par M. Porporati. Prix , 6 liv.
Vénus & l'Amour , Eftampe très-bien gravée par
M. Schuttze , Penfionnaire de S. A. S. & Electorale
de Saxe , d'après le tableau de Jules Romain ; elle
peut auffi fervir de pen:lant à celle de Léda , gravée
par M. de Saint- Aubin , d'après le tableau de Panl
Véronèse , qui eft au Cabinet de Mgr le Duc d'Or
léans . Prix , 4 liv .
On trouve ces deux Eftampes à Paris , chez Chéreau,
Graveur , rue des Mathurins , près de la rue de
Sorbonne.
ANNONCES LITTÉRAIRES,
OPUSCULES chimiques & phyſiques de M. T. Bergman
, recueillis , revus & augmentés par lui-même ,
traduits par M. de Morveau , avec des Notes,
Tome premier. A Dijon , chez Frantin , Imprimeur
du Roi; & à Paris , chez Moutard , Imprimeur de
la Reine , rue des Mathurins.
Effai fur la Minéralogie des Pyrénées , ſuivi
d'un Catalogue des Plantes obfervées dans cette
chaîne de montagnes , Ouvrage enrichi de Planches
& de Cartes , Volume in-4° . A Paris , chez Didot le
jeune, Imprimeur - Libraire , quai des Auguftins ;
Jombert , Libraire , rue Dauphine ; & Efprit , Li
braire , au Palais Royal.
144
MERCURE
Elémens de la Langue Françoife , par M. Fauleau
, Volume in 8 ° . A Paris , chez l'Auteur , rue du
Hafard ; Nyon, Libraire , au Collège des Quatre-
Nations ; Colas , Libraire , Place Sorbonne ; Elprit ,
Libraire , au Palais Royal.
Mémoires de la Cour d'Augufie , tirés de l'Anglois
du, Docteur Thomas Blackwell & de Jean
Mills, Ecuyer, fon Continuateur , par M. Feutry ,
feconde Édition, revue & corrigée , 3 Vol. in- 12.
A Paris , chez Cellot , Imprimeur- Libraire , ruo
Dauphine.
Tomes XLIII & XLIV du Répertoire univer
fel & raifonné de Jurifprudence , publié par M.
Guyot , in- 8 °. A Paris , chez Panckoucke , rue des
Poitevins , & Dupuis , Libraires , rue de la Harpe ,
près de la rue Serpente.
T ABLE.
LES Boulevards de Pro- Cours de Mathématiques à
Impromptu ,
97 l'ufage des Élèves du Corps
106 Royal du Génie , 130
Enigme & Logogryphe , ibid . Reflexions impartiales fur les
vince , Epitre ,
L'Aveugle par amour,
culière de la France ,
Defcription générale & parti Comédie Françoife ,
10s progrès des Sciences ,
132
136
117 Lettre à M. du H.... , 141
143
ibid,
Hiftoire de la République des Gravures ,
Lettres & Arts en France , Annonces Littéraires ,
1241
AP PROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 21 Juillet. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le se Juillet 1781. DE SANCY.
a
MERCURE
DE FRANCE
SAMEDI 28 JUILLET 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
V E R S
A MISTRISS B *** fur la haine
qu'elleporte au nom François.
Au feul nom d'un François vous devenez colère , U
Je vois vos beaux yeux s'enflammer.
Th , qui peut contre nous ainfi vous animer !
Nous craignons tant de vous déplaire ,
Vous favez fi bien nous charmer !
Tant de fierté fied mal aux Belles ;
Le courroux n'eft pas. fait pour elles.
Il dépare leurs traits , écarte les plaifirs.
Faire pour exciter les plus tendres defirs ,
Liviez-vous au penchant où l'Amour vous entraîne,
Je vous réponds de vos fuccès....
Eh ! pour vous venger des François ,
Sam. 28 Juillet 1781 . G
146
MERCURE
Qu'est-il befoin de votre haine ?
C'eft bien affez de vos attraits.
LE PETIT CHIEN ET SA MAITRESSE ,
Fable
CERTAINE femine avoit un Chien
Dont elle rafoloit : de tels goûts ne font rares :
! combien j'en connois de beaucoup plus bizatres!
Pour raifon je n'en dirai rien,
MAIS revenons à notre femme ,
Baifant , flattant fon favori
A la journée. On dit que le mari
Avoit , à ce fujer , grondé par fois Madame ,
Et toujours inutilement ,
Autant en emportoit le vent ;
Elle le laiffoit dire.... & lui , la laiffoit faire,
A mon avis , cet homme étoit prudent.
Pour un Chien , après tout , faut- il avoir la guerre ?
Et puis garre l'événement.
Ferme pour
fe venger a plus d'une manière.
BIJOU , c'étoit le nom de ce chien tant aimé
Étoit bien fait aufli pour plaire ;
Deux grands yeux bien fendus , un regard animé ,
Des oreilles à fleur de terre,
Le poil diverfement de taches parfemé,
DE FRANCE 147
Une taille fvelte & légère,
Tout en lui vous auroit charmé.
A ces dons , qu'il tenoit de la feule Nature ,
Ajoutez. ceux de la culture .
IL fautoit , danfoit , rapportoit ,
L'une & l'autre parte donnoit,
Et la révérence faifoit ;
Je penfe même qu'il parloit,
Car la Dame lui répondoit.
C'étoit à fes leçons qu'il étoit redevable
De tous ces différens talens.
La toilette , le jeu , la table ,
Du fexe ces doux paffe- temps ,
( Chofe aujourd'hui prefqu'incroyable )
Elle avoit tout quitté pour ces foins importans.
MAIS fes enfans , dira quelqu'un peut -être ,
Sans doute étoient des prodiges aufli ;
Une femme qui penfe ainfi
Dût fe faire un plaifir de leur fervir de maître .
OH! c'étoit fort bon autrefois ;
Mais de nos jours l'Hymen a d'autres lois :
Du foin de fes enfans il difpenfe une mère ;
N'eftt-- ccee pas affez de les faire ?
( Par M. l'Abbé Deherm .)
Gÿ
148 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent .
LE mot de l'Enigme eft Plume ; celui du
Logogryphe eft Ange , où le trouvent an ,
nage , âge , ange ( poiffon ) , Agen ; en ,
Anne ( Sainte ) , âne:
ÉNIGM E.
TANTOT un Roi me compte au rang de fes Provinces
,
Tantôt j'habite au fein des bois.
Souvent on me reçoit à la table des Princes ,
Souvent auffi dans le palais des Rois.
C'eſt fans doute un honneur; mais mon plus noble
titre
Eft de voir les humains me prendre pour arbitre.
On connoît ma droiture ; & fi l'avidité
Vous difpute votre héritage ,
Employez mon fecours ; avec intégrité
J'affigne à chacun fon partage
Plus sûrement que tous les Gens de Loi ,
Et ne prends jamais rien pour moi.
Par un Pandoure. )
DE FRANCE 149
LOGOGRYPHE , A PHILIS.
Tu veux , jeune Philis , que , par un Logogryphe ,
J'exerce , en t'égayant , ton efprit curieux :
Puiffes-tu déchiffrer l'ancien Hyérogliphe
Que mon foible crayon préfente à tes beaux yeux !..
Mon être fingulier , ou plutôt le mystère
Que ta fagacité va pénétrer foudain ,
N'offre point un ſeul mot : trois forment d'ordinaire
Mon enſemble , chéri de tout le genre - humain.
Pour les bien prononcer l'étude eft inutile.
Beauzée & du Marfais, Grammairiens favans ,
Se font tus fur ce point ; car les plus ignorans
Savent articuler ce langage facile
Sans maîtres & fans documens.
Des deux fexes par - tout il deviest l'idiôme.
Familier aux Bergers , il eft connu des Rois ;
Et celui qui cueillit la trop fatale pomme ,
Dans les vergers d'Eden , s'en fervit bien des fois....
Mais fa fubftance eft donc énigmatique , obfcure ?
Hé bien ! de ces trois mots , fi communs en François,
Le premier t'offrira dès l'inftant , je te jare ,
Un pronom perfonnel , que ta bouche , je crois ,
Naguère a fait entendre en certaine lecture ;
Que j'aimerois , Philis , oublier le fecond
Dans les doux entretiens où tu charmes mon âme !
Que j'aimerois , au lieu de ce terme trop long ,
Giij
15e MERCURE
Déformais employer.... Mais tu n'es pas ma femme,
Refte le dernier mot. La langue a beau vieillir ,
De tous ceux inventés par l'humaine induftrie ,
Ce mot , malgré le temps , vivra pour
Il fera refpecté par notre Académie.
l'enrichir.
(Par M ***. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRES de la Société Royale de
Médecine. Tome II . in- 4°. A Paris ,
chez Didot le jeune , Imprimeur-Libraire ,
Quai des Auguftins .
LES Volumes que publie la Société de Médecine
renferment trois parties : les Eloges
des Académiciens qu'elle a perdus , l'Hiftoire
des travaux de la Société , & des Mémoires
particuliers.
Les Éloges contenus dans ce Volume font
ceux de Linnaus , d'Arnaud de Nobleville ,
de Macbride , & de Barbeu du Bourg.
Nous en citerons quelques fraginens.
" On fera peut - être furpris ( dit M.
Vicq d'Azir , en parlant de Linnæus ) que
» nous n'annoncions point le Savant auquel
» cet Eloge eft confacré , avec le titre de
» Chevalier Von - Linne ; mais ayant à choisir
», entre deux noms , dont l'un a été illuftré
» par les Sciences , & l'autre créé par la
DE FRANCE. 151
» faveur , nous avons dû préférer le pre-
» mier.
" Peu de temps avant fa mort il traça ,
» dans une feuille écrite en latin , fon ca-.
ractère , les moeurs & fa conformation
» extérieure. Que l'on ne regarde pas l'a-
" mour-propre comme la caufe de cette fin-.
"
*
و د
"9
"
gularité ; M. Linnæus s'y eft peint avec
» des couleurs défavorables ; il s'y eft accuſé
» d'impatience , d'une extrême vivacité ,
» même d'un peu de jaloufie . On apperçoit
» ailément que ce tableau a été fait dans un
de ces inftans où l'homme le plus ver-
» tueux n'eft frappé que par fes defauts ; au
refte , on y reconnoît un Naturaliſte dans
la manière précife dont il parle de fa per-
» fonne. Il a porté la modeftie & la vérité
jufques dans cette efquiffe , & l'on peut
dire qu'après avoir décrit la Nature en
tière dans tous fes détails , il a mis la dernière
main à fon Ouvrage , qui feroit refté
incomplet s'il ne s'étoit pas décrit lui-
» même.
"
"
"3
» Le Gouvernement de Suède lui a fait
» élever un magnifique tombeau dans l'Eglife
Cathédrale d'Upfal , & le Roi a fait frap-
" per une médaille , offrant d'un côté le
portrait de M. Linnæus , & de l'autre une
Cybèle avec les attributs des trois règnes
, & cette légende : Deam luctus angit
amiffi . Sa Majefté a ordonné que l'on
ajoutât , Jubente Rege , afin de faire mieux
connoître fa volonté à cet égard. En effet ,
وو
"
1
Giv
152 MERCURE
و د
» les monumens font moins deflinés à perpétuer
la mémoire des grands Hommes ,
qu'à honorer celle des Nations & des
Rois qui favent rendre hommage à la
» fcience & à la vertu. »
Cet Eloge eft remarquable fur tout , par
une nomenclature exacte des travaux d'un
des hommes les plus laborieux & les plus
féconds qui aient jamais exifté , & par la
manière dont tous les Ouvrages y font ap
préciés. L'équité la plus exacte a dicté tous
ces jugemens .
M. de Nobleville , Médecin d'Orléans , a
été plus utile encore par fes vertus que par
fes travaux.
ود
La bienfaifance eft la vertu des ames
douces & fenfibles ; elle devoit donc être
» celle de notre Académicien , elle avoit
» même fur lui toute la force que les paf-
» fions prennent ordinairement fur les hommes.
Il s'annonça à Orléans comme le
Médecin des pauvres. « Quemes Confrères ;
difoit-il , fe chargent du traitement des per-
Fonnes opulentes , je me dévoue entièrement à
celles qui font dans l'indigence , & on ne me
difputera point cette part que je me fuisfaite.
""
" Plufieurs Citoyens aifés fe plaignirent
amèrement de cette préférence , foit parce
» que le mérite de M. de Nobleville étoit
connu des gens du monde , foit parce
que pour l'ordinaire , ils defirent vivement
tout ce qui paroît s'éloigner d'eux , &
qu'ils ont beaucoup de peine à obtenir.
C
DE FRANCE. 153
» M. de Nobleville favoit que les pauvres
ont befoin qu'on les nourriffe avant de
» les traiter , & il s'épuifoit en charités.
59
30
ן כ
Ç'auroit été peu pour lui de confom-
» mer ainfi pendant chaque année un revenu
affez confidérable , & de rendre aux indigens
des fervices dont la mort auroit eté
» le terme; il voulut que fes bienfaits lui
» furvécuffent , & il les perpétua en achetant
une maison grande & commode
» qu'il deftina aux allemblées du Collége
» de Medecine , & fur- tout aux confultations
gratuites que les Membres de cette
Compagnie y donnent chaque femaine ,
» depuis cette époque , en faveur des pau-
» vres , à l'exemple de la Faculté de Médc-
» cine de Paris. Une des conditions de cette
» Inftitucion eft , que fi le Collége de Mé-
» decine d'Orléans ceffe ou néglige ces confultations
, la maifon appartiendra dès ce
moment à l'Hôpital- Général de la ville.
Cette claufe paroîtra dure à ceux que
l'efprit de corps domine & aveugle ; mais
M. de Nobleville n'ignoroit pas qu'il étoit
» Citoyen avant d'être Médecin , & que les
devoirs de l'humanité font toujours les
premiers que l'on ait à remplir. "
39
"
M. Macbride s'eft diftingué fur- tout par
d'heureufes applications de la nouvelle théorie
de l'air gazeux à l'économie animale. Docteur
en Médecine , Chirurgien - Accoucheur
& Chimifte occupé des Arts , il comptoit
pour rien fa fanté lorfqu'il pouvoit le
"
Gy
154
MERCURE
senare utile fous un de ces rapports ; il
mourut à Dublin en 1778 , âgé feulement
de 13 ans.
*
Sa perte dans un âge auffi peu avancé
fut fuivie d'une confternation univer-
» felle. Il étoit devenu un de ces hommes
» dont une nation s'honore , & toute l'-
lande prenoit part à fa confervation.
"
ور
ور
39
ود
Nées
pour la peine autant que pour
» le plaifir , dévouées en quelque forte à
» l'éducation & au bonheur des hommes ,
deftinées à leur fournir le premier ali-
" ment & à leur prodiguer les premiers
foins , expofécs à un grand nombre d'infirmités
& de maladies dont cette noble
fonction eft la fource , les femmes ont
" toujours eu l'intérêt le plus vifà s'occuper
» de leur fanté & à choifir un Médecin ha-
» bile. Celui dont elles ont jugé la fenfibi
lité & les connoiffances proportionnées
» à leur tempérament & à leur caractère ;
celui auquel elle ont révélé les fecrets
» d'une conftitution foible & délicate ; celui
qu'elles ont en même temps chargé de la
confervation de leurs enfans , & des mains
duquel elles les ont reçus , eft devenu ,
» pour ainfi dire , néceffaire à leur exiftence ;
le perdre eft un malheur qu'elles reffen-
» tent vivement ; que l'on juge , d'après
» cette réflexion , des regrets que la mort
de M. Macbride excita parmi les Dames
les plus refpectables de Dublin , dont il
» croit le Medecin & Accoucheur.
»
»
93
DE FRANCE. Iss
" La mères de famille ont répandu des
» larmes fur fon tombeau , les Poëres y ont
jeté des fleurs , fes Concitoyens lui ont
confacré des éloges : il manquoit à fa
gloire d'être loué par fes Confrères au
milieu des armes & au-delà des mers qui
" divifent les Empires , fans mettre d'autre
» éloignement entre les Savans que celui de
» la diftance dont leur génie & leurs travaux
» franchiffent aifément l'intervalle . »
و د
و د
"
ود
و د
23
ور
M. du Bourg fur à la fois Homme de
Lettres , Philofophe , Phyficien & Médecin .
» L'époque la plus mémorable de la vie
» de M. du Bourg , a été fa liaiſon avec ce
Philofophe , qui femble être né pour
» allumer le flambeau des Sciences en Amérique
, pour tranfporter les Arts & l'induftrie
de l'ar cien, monde , & fur- tout
» pour brifer les premiers anneaux de ces
chaînes que le defpotifme d'un peuple
libre s'efforçoit d'étendre au - delà des
» mers , & d'appefantir fur fa patrie .
"
و ر
""
ود
2
و ر
» Le génie de M. Franklin anima M. du
Bourg , qui comptoir , parmi fes plaifirs
» & fes chagrins les plus vivement fentis ,
les fuccès ou les malheurs de la patrie fi
» chère à ſon ami , & qui fe glorifioit d'avoir
» été en France le premier allié des Amé-
❞ ricains .
و ر
» M. du Bourg ne reçut point en naifant
» ces rares difpofitions , qui font la fource
» du génie , mais il dût à la Nature des ta-
» lens que le travail a cultivés & rendu fruc
G vj
156 MERCURE
33
tueux. Son nom fera infcrit parmi ceux
des Citoyens utiles & des Littérateurs les
plus zélés : lié avec celui de M. Franklin ,
» il attirera les regards de la poftérité ,
qui n'oubliera point l'ami de ce grand
Homme. »
1
#
Ces citations fuffifent pour faire connoître
le ton fimple , ingénieux & noble
de ces éloges . Nous ajouterons que la difcuffion
des Ouvrages publiés par les Auteurs,
y eft faite avec une critique àla fois modérée
mais jufte , qui rend les éloges de M. de
Vicq dignes de fervir de modèle en ce genre.
Mais pour imiter avec fnccès le Secrétaire
de la Société de Médecine , il faudroit avoir
approfondi comme lui toutes les Sciences
qu'ont cultivées les Savans dont on eft
chargé de faire l'éloge. C'eft à ce prix feul
qu'on peut acquérir le droit de n'être
que juge.
L'Hiftoire de la Société renferme l'extrait
de toutes les Obfervations qui ont été communiquées
à la Société par les Membres ou par
fes Correfpondans. Nous indiquerons en par
ticulier, 1. des Recherches de M. Vicq d'Azir
fur l'inoculation de la maladie des bêtes à
cornes , qui a été fi funefte à plufieurs contrées
de l'Europe. Comme il paroît conftant
que les veaux nés de vaches qui ont eu la
maladie ne contractent étant inoculés en bas
âge , qu'une maladie légère , & qui cependant
fuffit pour les préferver , il en résulte
que par ce meyen on peut fe former au
DE FRANCE. 157
bout de quelque temps , dans les pays où
l'épizootie eft habituelle , un troupeau à
l'abri de la contagion.
&
2°. Un tableau des inoculations faites en
Franche- Comté : c'eſt la feule Province de
France où l'inoculation foit à la portée du
peuple. Des Inoculateurs payés par le Gouvernement
, parcourent des campagnes ,
inoculent gratuitement tous ceux qui leur
font préfentés lorfqu'ils les jugent bien difpofés.
On doit cet établiffement à M. de
la Corée , Intendant de cette Province.
>
En 1776 & 1777 , le total des Inoculés a
été de 17713 13 n'ont point eu la maladie ,
21 ont eu une petite- vérole , ou grave ou
fuivie d'abfcès , 7 font morts , mais 6 de ces
morts doivent être attribuées à des compli
cations de maladies. Il en résulte donc que
fur 175 2 inoculés , 22 feulement , c'est-à-dire ,
un fur 79 ont eu une maladie grave ; &
qu'un feul y a fuccombé. Si on compte ceux
qui font morts de maladies compliquées ,
nous trouverons fur 1758 inoculés 28 ou i
fur 62 qui ont eu une maladie grave , & 7
ou 1 fur 251 qui font morts. Remarquons
cependant que l'on ne peut fe mettre à l'abri
des complications dans la petite-vérole naturelle
, & que cela eft très -poffible pour la
petite -vérole inoculée.
Par exemple , ici l'un des 6 enfans qui
ont fuccombé avoit la gale , & c'eſt à la gale ,
rentrée deux mois après l'inoculation, que fa
mort doit être attribuée. Dans un autre la
158 MERCURE
petite - vérole étoit, compliquée avec une coqueluche
épidémique , & dans les 4 autres
avec la rougeole . Or , on voit qu'en n'inocu
lant que lorfqu'il ne règne pas d'autre épidémie,
on éviteroit les accidens de ce genre.
Quant au premier accident , on a obfervé
qu'un grand nombre d'enfans galeux ont été
inoculés en Franche - Comté fans inconvénient.
Ainfi , on pourroit regarder cette mort
comme étrangère à l'inoculation , & on auroit
alors , fur 1758 inoculés , 27 maladies
graves ou fur 65 , & 6 morts ou fur
293 .
A la fuite de l'Hiftoire fe trouvent les
Mémoires des Membres de la Société qu'elle
a jugés allez intéreffans pour les inférer en
entier.
Nous , citerons , 19. un Mémoire de M.
Raimond , de Marfeille , fur la conftitution
topographique de cette ville. On y trouve
une Obfervation fingulière fur les Fous ,
traités à Marseille dans un hôpital à part. Sur
35 qui y entrent année.commune , il en fort
28 de l'hôpital ; en forte que la folie eft à
l'hôpital de Marfeille une maladie curable
au point de guérir 4 malades, furs . Cela
fait - il l'éloge de l'humanité avec laquelle les
Fous y font traités , ou celui de l'habileté des
Médecins de Marfeille ; ou enfin à Marseille,
(où l'on remarque ici que fur 4115 habitans il
y en a un chaque année qui eft artaqué de folie
) cette aliénation d'efprit ficommune , eefltelle
d'un autre genre que celle qui eft dans nos.
DE FRANCE. 159
Provinces Septentrionales beaucoup plus rare
& en même tems beaucoup moins curable ?
Il paroît qu'il y a deux eſpèces de folies ,
f'une qui femble n'être que la maladie appelée
vapeurs, portée à l'extrême, l'autre qui
paroît être plutôt une maladie des organes
de la penfee. Les alienations d'efprit fi com
munes à Marfeille ne feroient- elles pas de
la première eſpèce ?
2°. Un Mémoire très - détaillé & très- inftructif
fur le traitement électrique que M..
Mauduit a fait éprouver à un grand nombre
de malades .
3.Un Mémoire de M. l'Abbé Teiffier, qui
confirme la propriété vénéneuſe qu'on attri
bue depuis long - temps à l'ergot du feigle , &
que , depuis quelques années , l'on avoit ré
voquée en doute.
Enfin , un Mémoire de M. Vicq d'Azir fur
l'opération de la taille.
Ce deuxième Volume nous a paru digne
du premier. C'est en multipliant des Recueils
auffi pleins d'Obfervations intéreffantes pour
les Phyficiens , & de connoiffances utiles à
l'humanité, que la Société de Médecine répond
à fes détracteurs ; c'eft ainfi que Cinna , Bri--
tannicus , Zaïre & le Mifantrope furent la
réponſe de nos quatre grands Poëtes aux Critiques
du Cid , d'Andromaque , de Brutus &
de l'École des femmes . L'effet de ce moyen eft
long ; mais de tous ceux qu'on peut employer
pour réduire fes détracteurs au filence on
aux injures , il eft le plus noble , le plus sûr ,
160 MERCURE
& même le feul peut-être dont l'intérêt perfonnel
bien entendu devroit fe fervir.
PANÉGYRIQUE DE S. LOUIS , Roi de
France , prononcé dans la Chapelle du
Louvre , enpréfence de MM. de l'Académie
Françoife , le 25 Août 1780 , par M. l'Abbé
du Tems, Chanoine, Archidiacre de l'Églife
de Bordeaux , & Vicaire - Général de Cambray.
in- 8 ° . A Paris , chez Demonville ,
Imprimeur de l'Académie Françoife , rue
Chriftine.
C'EST un beau fpectacle , fans doute , de
voir les Nations fortir du néant , s'étendre ,
s'accroître , fe précipiter enfuite dans l'abyme
qui engloutit toutes les générations ;
de contempler la fuperbe Babylone brifée ,
fuivant l'expreffion d'un Prophète , du marteau
dont elle avoit brifé l'Univers , en proie
à des vainqueurs , vaincus à leur tour par le
conquérant & le fléau de l'Afie ; de coufidérer
le coloffe de la puiffance Romaine
tombant fous le poids de fa propre grandeur
, devenu le partage des barbares qui ,
fur fes ruines fanglantes , établirent des dominations
nouvelles. Mais quelque intéref
fant que puiffe être le tableau général des
événemens qui changent la face des Empires
, il en eft un particulier , plus digne
encore de la curiofité d'un François , je veux
parler des révolutions qui ont porté le
Royaume de Clovis au plus haut degré de
DE FRANCE. 1611
puiffance & de gloire. L'Auteur du Difcoursdont
nous tendons compte , les a tracées.
avec autant d'énergie que de nobleſſe , dans
l'Eloge du fame Roi qu'il a prononcé en préfence
de la plus illuftre Compagnie Littéraire
de l'Europe. Dans la première partie ,
il compare Saint Louis avec fon fiècle , &
il préfente , à notre admiration , la fupériorité
& l'influence de fes lumières . Il développe
, dans la feconde , le caractère du
Saint qu'il célèbre , & il offre , ànotre amour,
le rare affemblage de fes vertus. L'Orateur ,
forcé de peindre le Gouvernement féodal ,
a rajeuni cette partie de fon fujet par un
parallèle entre la Conftitution Germanique
& l'Ariftocratie monftrueufe , qui a , pour
ainfi dite , étouffé la puiffance des Carlo-
Vingiens. Voici comment il s'exprime :
30
»
Près de nous il exifte encore une République
de Souverains , affez femblable à
» celle qui jeta nos pères dans le chaos de
l'Anarchie. Peu différentes dans leur origine
, qu'elles devoient l'être & par leurs
progrès & par leur destinée , toutes deux
prirent naiffance dans les bienfaits du
Monarque , prodigués jufqu'à l'épuifement
, par les Louis- le-Débonnaire , par
les Charles - le- Chauve , par les Charlesle-
Simple. Les dons de la foiblefle furent
bientôt parmi nous le patrimoine de la
3 force ; mais diftribuées à la valeur par la
prudence , les graces des Henri , des
» Othon , ne devinrent qu'inſenſiblement
162 MERCURE
l'héritage de l'ambition. Comme la foudre.
» qui fe nourrit des vapeurs de la terre ,
» pour y répandre fubitement l'épouvante ,
» le défordre & la mort , on vit tout-à-
» coup l'orgueil des Seigneurs François ren-
» verfer la Légiflation de Charlemagne , &
» brifer en mille éclats le tronc qui les avoit
» enrichis. Mais en Germanie , comme un
» fleuve qui pas à pas étend fon domaine ,
» le pouvoir des Grands , plus lent &
» moins terrible dans fa marche , envahit
" peu à peu l'autorité Impériale. En France ,
» les arrières - fiefs ne firent qu'accroître la
"3
"
39
confufion des Coutumes & le nombre des
» Tyrans ; chez nos voisins , la dépendance
» immédiate du même Chef maintint juf
qu'à l'interrègne une forte d'harmonie
» dins l'Empire. En France , où les efforts
» d'une Couronne héréditaire faifoient pen-
» cher l'Etat vers la Monarchie , Louis VI ,
par l'établiffement des Communes , prépara
la décadence des grands Vaffaux. En
Allemagne , où les intérêts des fiefs en-
» chaînoient ceux d'une Couronne élective ,
» les excès du défordre en furent le remède ,
» & la Bulle d'or de Charles IV affermit la
" Conftitution Germanique. Armé de fa
politique & de fes fuccès , le vainqueur
» de Bouvines diminua le contrepoids de fa
puiffance ; avec l'or des Indes , le trop
» ambitieux Charles- Quint eût acheté des
» Princes la balance du pouvoir ; mais , ainfi
que les fucceffeurs , il fauva la liberté de
DE FRANCE. 163
30
29
"
l'Empire en voulant l'affervir ; enfin
l'Allemagne obéit à des Loix pour le
» préferver d'avoir un Maître ; mais il
falloit un Maître à la France pour avoir
" des Loix , & ce fut Saint Louis qui les
» donna pour le bonheur de la Nation. »
Il feroit difficile de rapprocher d'une manière
plus fine , les époques , les progrès
la deſtinée des deux Gouvernemens dont il
sagit. Ce morceau nous a paru rénnir les
connoiffances de l'Hiftorien éclairé , & les
vues du Philofophe obfervateur , au mérite
de l'Ecrivain non moins diftingué par la vigueur
d'un pinceau brillant, que par les traits
d'une imagination féconde. L'Orateur parcourt
les Loix & les Etabliffemens de Saint
Louis . Parmi les défordres qui déchiroiene
le coeur paternel du Saint Roi , il cite la
main-morte , dont il retrace l'origine avce
autant de courage que de vérité : " Jour
» qui éclairas le premier Tyran , jour à ja
» mais déplorable , que ne puis - je effacer
jufqu'à la trace des malheurs que tu as
" vu naître ! Que ne puis-je faire oublier
» pour toujours les paroles que le premier
oppreffeur a fait entendre à fon efclave !
» Tiens , lui a - t- il dit , voilà des fers pour
toi , pour ta postérité ; courbe ta tête fous
» le joug que j'impoſe à ta foibleffe ; je fais
» qu'un guide intérieur te dirige ; mais je
» te défends de penfer & de fentir . Je con
" nois la nobleffe de ton origine ; mais ,
» au nom de l'orgueil , je te dégrade ; je
ود
و د
وو
ود
1
164
MERCURE
»
»
n'ignore point que tu es libre par effence ;
mais , au nom de la force , je t'alfervis.
Si je te permets d'avoir une compagne ,
» elle partagera ton infortune & tes fers ;
fi le Ciel d'accorde des rejetons , héritiers
» de ta fervitude , ils feront ma proie ; fi
» un téméraire ofe approcher de ces lieux
» pour te donner un égal , je l'enchaîne au
fol où tu refpires. Vas , arrofe cette terre
de tes fueurs , mon mépris fera la récompenfe
de tes travaux : fais- moi vivre au
» fein de la volupté , je te ferai mourir au
» fein de la peine & de l'aviliffement ; &
lorfque ton corps épuifé defcendra nud
» dans la pouffière, on m'apportera ta main
fanglante , pour qu'elle ferve de trophée
» à ma puiffance. » Ici l'Auteur fait allusion
à la coutume où étoit le Seigneur , de faire
couper la main droite de fon main - mortable
décédé , pour marquer que cette main avoit
appartenu au Seigneur , & qu'elle ne pourroit
plus le fervir. Après avoir montré ce
que fit le Saint Monarque pour adoucir la
rigueur de la fervitude , il dit : Alors , que
» pouvoit-il faire de plus , que de préparer
» une révolution ? Modérant l'ardeur de fon
» zèle , il évite avec foin les périls d'une
"
39
entrepriſe précipitée : femblable à un Gé-
» néral , qui , n'ofant combattre une armée
» trop nombreufe , lui enlève des convois ,
la gêne , l'affoiblit , & par des marches
favantes , s'achemine à la victoire , Saint
» Louis fe gardera bien d'attaquer de front
DE FRANCE.
165
"
tous les vices , tous les abus du Gouver
» nement François ; feignant même de refpecter
les intérêts des Grands , il dérobe
» à fes contemporains la marche de fon
» génie ; à la faveur du mafque de fon fiècle,
il s'avance dans la poftérité , il commande
» à l'avenir , & lors même qu'il n'eft plus ,
il règne encore. Oui , Meffieurs , nous
» devons toute notre légiflation à celle de
» Louis IX. Eh ! quel autre que lui a re-
"9
29
n
23
33
placé dans les mains de nos Monarques
» les droits épars du Sceptre avili , pour en
» former la puiffance publique ! Si parmi
" nous il fe trouvoit quelqu'un qui doutat
» de la profondeur des vues de Saint Louis ,
» voyez , lui dirions-nous , par quel reffort
fimple & puiffant il renverfe les Tribunaux
Souverains de fes plus redoutables Vaf-
» faux : reconnoiffez dans l'établiffement des
appels , de degré en degré jufqu'au trône ;
» le lien le plus capable de réunir , dans un
pouvoir commun , tous les Membres d'un
» vafte Empire : confidérez avec quel art il
» courbe les Seigneurs fous le joug de fes
Réglemens par l'abandon des amendes , &
» comment il enchaîne la tyrannie par l'a-
» varice : contemplez les Baillis, qui , comme
autant de Tribuns de la Souveraineté renaiffante
, franchiffent les limites du Do-
» maine , pour répandre dans les Provinces
Fefprit de fubordination & d'harmonie ,
» pour étendre les cas royaux , & ramener
»à l'unité tous ces petits états domestiques
"2
33
"
166 MERCURE
2
38
3
érigés par la barbarie féodale : admirez la
fageffe du père dans les droits exercés par
" le fils fur les Tribunaux d'Edouard , Roi
vaffal & prefque fujet ; l'ouvrage de l'aïeul
» dans les corps inftitués par Philippe-le-
Bel , pour être les Miniftres , les lumières
» & les foutiens de l'autorité : je pourrois
» dire enfin , admirez la grandeur du Saint
Roi dans la puiffance de la Monarchie ;
c'est lui qui , en rétabliſſant la dignité de
» la Couronne , affurera pour ſes fucceffeurs
le recouvrement des grands Domaines &
» le droit de parler en maîtres ; c'eſt lui qui ,
» en créant les vraies forces de fon Empire ,
» arrachera la France au joug Britannique ,
» & qui , fous Charles VII , Prince plutôt
couronné par la fortune que par la gloire,
» tentera du moins de réunir , par les Loix ,
» des Etats regagnés par les armes ; c'est lui
» qui , fous un règne de fang , dictera lest
préceptes de la raifon à un peuple en dé •
» lire , par l'organe de L'Hôpital , digne de
» fervir de modèle à tous les Chefs de la
» Juſtice ; c'eſt lui qui , en préparant l'ordre
» & la procédure de nos Tribunaux , placera
parmi les Rois Citoyens un Monar-
» que , dont le Règne , égal à celui d'Au-
» gufte , doit marquer à la postérité les bornes
de la grandeur & du génie ; c'eft lui
»
30
59
qui enrichira le Code François d'Ordon-
» nances immortelles , par le ministère de
» d'Agueffeau , de ce Sage qui , avec plus
» de confiance dans fes forces , cût occupé
DE FRANCE, 167
» un des premiers rangs parmi les bienfai
teurs de la Nation ; en un mot , c'eft fur
les traces de Saint Louis que s'eft traînée
» à pas lents la Légiflation Françoiſe , qui ,
» pour avoir befoin encore d'un Lycurgue
» courageux , n'en rend pas moins immortel
» le Prince dont la main habile a retiré le
Sceptre des ruines de l'anarchie. » C'eft
ainsi que l'Orateur attache au règne de Saint
Louis le fil des événemens qui ont préparé
la grandeur de la Nation Françoiſe ; il ne
pouvoit pas employer une tournure plus
heureuſe , pour affurer à fon Héros cette
fupériorité de lumières qui l'a rendu le Ref
taurateur de la Monarchie , le Guide & le
Bienfaiteur de la postérité.
M. l'Abbé du Tems nous paroît avoir
mieux faifi , que tous les Panégyriſtes fes
prédéceffeurs , le caractère de Saint - Louis. Il
commence la feconde partie en ces termes :
" Quelle eft donc la deftinée de l'homme ?
"
Né pour être heureux par la fageffe , pour
quoi faut-il qu'il trouve des obftacles à
» la vertu dans la vertu même ? Pourquoi
l'indulgence femble - t - elle incompatible
» avec la fermeté , la modération avec l'hé
» roïfme , l'amour de la patrie avec l'amour
des autres peuples , la politique avec la
» juftice , la fcience du trône avec la fcience
» du ciel ? Pourquoi faut- il que la route du
da
93
bien conduife aux excès du mal , & que
» tous nos pas vers la grandeur foient , pour
» ainfi dire , des traces de notre foibleffe ?
&
A
4
768
MERCURE .
20
Saint Louis marqua fa gloire d'un carae
tère inconnu jufqu'à lui. Un mélange de
»bonnes qualités prefque contraires , forma
en lui une forte de contrafte qui le diftingue
dans la foule des Rois ; & comune
fi Dieu s'étoit plu à verfer fur lui cous
fes dons , pour en faire l'étonnement
» & Fadmiration du monde , it allia la
bonté la plus touchante avec la juftice la
plus exacte , l'amour de la paix avec un
» enthoufiafme guerrier , l'humilité la plus
" profonde avec la majefté la plus impa-
» fante , toutes les vertus chrétiennes avec
» toutes les qualités royales. Se montrant
و د
?
fous des formes diverfes , felon les lieux
» & les tems , on eût dit qu'il changeoit
» d'ame avec les circonftances : toujours
» différent de lui-même , mais toujours ver-
» tueux , on admira en lui pour la première
» fois un grand homme , peut- être fans dé-
» fauts. M. PAbbé du Tems développe ,
dans le refte de fon Difcours , le contrafte
piquant qu'il a annoncé , d'un côté il fait
voir la bonté & la clémence de Saint Louis,
de l'autre la févérité de fa justice ; à fon
amour pour la paix , & aux facrifices qu'il
a faits pour l'obtenir , il oppofe l'ardeur
guerrière que Louis montra dans les guerres
faintes. Voici comment il parle de ces expé
ditions fameufes : Détracteurs de Louis ,
» c'eft en vain que vous effayez d'obscurcir
fa gloire remontez jufqu'à ces tems où
un folitaire enthoufiafte , formé pour fon
» fiècle ,
و د
ود
DE FRANCE. 169
"
23
""
"
"
» fiècle , peignoit avec tant d'énergie la defolation
de nos frères , courbés fous le
» joug comme les animaux les plus vils pour
tracer de pénibles fillons , en proie à tous
les outrages d'une fervitude accablante ,
» fouvent placés entre l'apoftafie & la mort :
>> réuniffez-vous dans la Capitale de l'Au-
» vergne aux auditeurs d'un Souverain Pontife
, qui , par des traits non moins pathétiques
d'une éloquence plus fage, cherchoit
» à détourner contre les Tyrans de la Paleſ-
» tine l'ardeur de nos guerriers , qui déplo-
" roit avec tant d'amertume la profanation
» des lieux faints , les calamités de l'Empire
d'Alexis démembré depuis Héraclius , par
» les triomphateurs de l'Afrique , de l'Ef-
» pagne , de l'Italie , bientôt maîtres de l'U-
" nivers ; alors , qu'euffiez - vous fait ? répondez
: ficut patres veftri , ità & vos.
Tranfportez-vous enfuite dans les champs
» de Vezelais , où , fi habile à dominer les
efprits , l'Abbé de Clairvaux embrâfoit
» tous les courages ; où , les fignes de la
» milice facrée ne fuffifant plus à la mul-
» titude , il déchira fès propres habits pour
» en faire des croix : alors , feuls contre
» tous , vous euffiez réfifté , fans doute ? ah !
» difons plutôt , ficut patres veftri , itd &
» vos. Revenus au Règne de Saint Louis ,
» repréfentez-vous les nouveaux Souverains
dépouillés par les Soudans d'Egypte & de
Syrie , les Chrétiens gémiffant fur les
» ruines de leurs conquêtes , & fur les
Sam. 28 Juillet 1781
"
"
"
"
ور
"
H
170 MERCURE
و د
fouillures de Sion , une foule de captifs
» foulevant avec effort des bras chargés de
chaînes pour appeler un Libérateur : té-
» moins d'un tel fpectacle , qu'euffiez- vous
fait ? Sicut patres veftri , ità & vos. Vous
» blâmez le zèle de Saint Louis ; mais , de
» nos jours , n'avez-vous pas applaudi à des
> entrepriſes contre ces Pirates de l'Afrique ,
qui voudroient rendre toutes les Nations
» tributaires de leur avidité ? Ou , ce qui
» vous touchera peut être plus encore , ne
» croyez- vous pas que la Juftice ait pu s'ar-
» mer contre un peuple qui , inſultant à
39
و د
ور
tous les pavillons , trouble dans les deux
» Indes , & jufques dans nos ports , le com-
» merce des autres puiffances ? Et vous
» changeant de poids & de meſure au gré
» de vos caprices , vous réclamez le droit
» des gens pour des ufurpateurs barbares ,
qui , tout couverts du fang de vos frères ,
» où les foumettant à l'erreur par la crainte,
préparoient des fers au monde ? Soyez
» d'accord avec vous mêmes , & je réponds :
»ficut patres veftri , ità & vos. » On ne
pouvoit pas juſtifier les Croisades avec
plus d'adreffe & de vérité ; ceux qui de nos
jours blâment ces entrepriſes avec le plus
d'emportement , euffent arboré la croix
du tems de Saint Louis , peut -être même
que loin d'en être les Cenfeurs, ils en euffent
été les Apôtres. Quoi qu'il en foit , nos ancêtres
trouvent leur excufe dans l'enthoufiafme
univerfel , qui , comme une fièvre
ور
DE FRANCE. 177
contagieufe , les embrâfa pendant deux fiècles.
D'ailleurs , il eft vrai de dire que les
Croisades furent une ligue formée pour la
défenſe des Empires ; fi elles dégénérèrent
en fcandales & en défaftres , il ne faut s'en
prendre qu'à la corruption des Croisées ;
& fans eftimer la fagefle par l'événement ,
ajoutons qu'il ne leur manqua que le fuccès,
pour occuper le premier rang dans les faftes
de la Politique & de la Religion.
Nous ne finitions pas , fi nous rapportions
tout ce qu'il y a de remarquable dans
le Difcours de M. l'Abbé du Tems. Nous
nous bornerons à dire que l'Auteur a parfaitement
développé cette fingularité de grandeur
, cette forte de contrafte qui diftingue
Saint Louis dans la foule des Rois ; qu'il a
rajeuni fon fujet par des idées neuves , par
des rapprochemens auxquels perfonne n'avoit
penfé avant lui , tels que le portrait :
de l'Angleterre , le parallèle entre S. Louis
& Charlemagne, où l'élégance du ſtyle ajoute
au mérite des penfées. Mais un morceau
vraiment pathétique , c'est le convoi du
Saint Monarque , dont la pompe funèbre
traverſe la France au milieu de la défolation
publique. L'Orateur, qui en cela n'eſt qu'Hiftorien
, fait accourir le plus grand nombre
des François fur la route de Lyon à la Capi
tale , pour rendre les derniers devoirs, au
plus chéri des Maitres. Après avoir dit que
du fond d'un cercueil Saint Louis pouvoit
interroger fon peuple , perfonne ne
Hij
172 MERCURE
pourroit l'accufer d'avoir été fon oppreffeur
, il fait paroître une foule de Citoyens
de tous les ordres , & même des Provinces
entières , qui tour - à - rour adreffent , à la
cendre de Louis , les témoignages les plus
touchans de la douleur. Comme les bornes
d'un Extrait ne nous permettent pas de nous
étendre davantage fur cet Excellent Panégyrique
, nous renvoyons nos Lecteurs à
l'Ouvrage même , que l'Auteur a enrichi de
notes vraiment inftructives. Les recherches
qu'il a faites fur la main-morte , lui donnent
des droits à la reconnoiffance de l'humanité
entière. Elles doivent être d'autant mieux
accueillies , qu'elles ont le mérite de l'àl'Académie
Françoiſe ayant propofe
pour fujet du Prix de Poélie , l'abolition
de la fervitude dans les Domaines de
Louis XVI. Nous ajouterons que l'Orateur
montre une ame d'une fierté noble & courageufe
, qui détefte l'injuftice & la tyrannie
; fon Difcours honore autant fon coeur
que fon efprit & fes talens. Le feul reproche
qu'on puiffe lui faire , c'eſt d'avoir un ſtyle
trop foigné , & peut- être des mouvemens
trop uniformes dans fa première partie , ce
qui nuit quelquefois aux effets de fon éloquence.
Mais c'eft le cas d'appliquer , ou
jamais , cette maxime d'un Poëte Philofophe
: Non ego paucis offendar maculis , &c,
propos ,
2
DE FRANCE. 175
DICTIONNAIRE raifonné de Phyfique ,
par M. Briffon , de l'Académie Royale
des Sciences , &c. deux Volumes in -4° .
de Difcours & un de Planches. A Paris ,
Hôtel de Thou , rue des Poitevins.
On ne peut difconvenir , dit un de nos
plus grands Philofophes * , que depuis le renouvellement
des Lettres , on ne doive en
partie aux Dictionnaires les lumières générales
qui fe font répandues dans la Société ,
ce zèle & ce germe de Science qui difpofe
infenfiblement à des connoiffances plus profondes.
L'utilité de ces fortes d'Ouvrages les
a peut- être rendus trop communs ; de forte
qu'aujourd'hui , lorfqu'on fe propofe de les
juftifier , on trouve beaucoup de perfonnes
difficiles à convaincre. Il eft cependant certain
que l'on a peut - être moins de reproches
à leur faire qu'aux Méthodes , aux Elémens
& aux Abrégés publiés avec tant de
profufion , & quelquefois avec fi peu de
difcernement fur les différentes Sciences.
La fatyre des Dictionnaires n'a donc aucun
fondement folide. Plus une Science eſt
cultivée , plus ce genre de production eſt
utile au Public. Il fournit un moyen commode
pour trouver fur- le- champ les renfeignemens
que l'on cherche ; & à cet avan-
* M. d'Alembert. Difcours Préliminaire de l'Encyclopédie
, page 173. Mélanges de Littér. T. 1 .
Hiij
$74 MERCURE
tage qu'un Dictionnaire , même médiocre ,
prefente , il en joint un autre lorfqu'il eft
bien fait , celui de fuppléer , par la préciſion
des Extraits & par les lumières de la critique
, à un grand nombre de Traités qu'il
n'eft ni aífé de réunir , ni facile de lire & de
comparer enfemble : travail dont l'Auteur
d'un Dictionnaire fe charge toujours , & qui
doit faire le principal mérite de la Colr
lection .
L'Ouvrage que nous annonçons eft digne
de ce double éloge. Dans un fiècle où les
Sciences femblent occuper tous les efprits ,
& où la Phyfique fur-tout eft tellement répandue
, que ſes notions principales font
devenues une partie effentielle de l'éducation
, un Dictionnaire deftiné à en expofer
les principes avec exactitude doit être bien
accueilli.
Le Dictionnaire de M. Briffon eft furtout
remarquable , en ce qu'outre une Nomenclature
complerte , prefque tous les
articles importans font autant de Differta
tions détachées faites avec l'impartialité néceffaire
dans une Science de faits.
On y remarque une belle fuite d'Expériences
fur la pefanteur des métaux pris dans
tous les états poffibles , & comparée avec
celle de l'eau diftillée. M. Briffon a même
étendu ce travail aux pierres , & il ne laiffe
prefque rien à defirer à ce fujet.
La tendance réciproque des molécules infenfibles
de la matière , eft prouvée par la
DE FRANCE. 175
cohéfion des corps folides , par la forme
fphérique que les gouttes fluides affectent ,
par l'afcenfion des liqueurs dans les tubes
capillaires , par les cryftallifations & les affinités
chimiques ; mais l'Auteur obferve
avec raifon que ces attractions fuivent une
loi très - différente de la gravitation des corps
célestes , dont il développe les principes avec
la plus grande fagacité.
Deux opinions fur la matière de la chaleur
ont chacune des partifans célèbres . Les
Auteurs de la première regardent la chaleur
comme une fubftance propre & individuelle
, qui n'eft que la matière même du
feu. La facilité avec laquelle les corps s'échauffent
dans le vuide , même en les ifolant
autant qu'il eft poffible , & fur-tout les belles
Expériences faites nouvellement par le Docteur
Crawfort, favorifent beaucoup ce fentiment.
La feconde opinion fait confifter la
chaleur dans les vibrations des parties infenfibles
de la matière , & ne confidère le feu
que comme l'agent le plus propre à produire
ces vibrations . M. Briffon indique les argumens
pour & contre , & n'adopte aucune
de ces idées. Le Lecteur aime à trouver cette
indifférence dans un Auteur qui , cherchant
à l'inftruire & non à le perfuader , laiffe à
fen efprit le plaifir d'analyfer les Expériences
, & celui de faire un choix .
Les Phyficiens ne font pas non plus
d'accord fur la nature de la lumière. P'lufieurs
penfent que chacun de fes atomes
Hiv
176 MERCURE
eft lancé par le corps lumineux avec une
vîtelle extrême . D'autres croient qu'il exifte
dans l'efpace un fluide très - élaftique & trèsfubtil
, fur lequel le corps lumineux agit par
des vibrations analogues à celles des corps
fonores dans l'air. Ces deux opinions font
fondées fur des raifons très-fortes que M.
Brillon expofe fans prendre aucun parti ;
mais ce qui peut nous dédommager de notre
ignorance fur la nature de la lumière , ce
font les grandes découvertes qui ont été
faites fur fon mouvement progreffif, fur ſa
décomposition en une infinité de rayons
homogènes , fur le parti que l'on a fu tirer
de fes propriétés pour agrandir ou rapprocher
les objets très petits ou trop éloignés .
Ces belles Expériences font bien développées
par M. Briffon. On peut en dire autant
de l'Arc- en- ciel , qui eft peut- être le phénomène
le mieux expliqué de la Phyfique ,
& de tout ce qui concerne la réflexion & la
réfraction de la lumière.
L'article Électricité eft un des mieux traités
de l'Ouvrage . L'Auteur y développe les
principaux fyftêmes propofés pour l'expliquer.
Quoiqu'il femble pencher pour celui
de M. l'Abbé Nollet , cependant , loin
d'affoiblir les argumens qui favorisent les
autres , il les appuie fouvent de preuves inconnues
à leurs Auteurs : telle est une trèsbelle
Expérience indiquée à M. Briffon par
M. de Parcieux , relativement à la bouteille
de Leyde , & qui , de toutes celles que l'on
DE FRANCE. 177
a faites fur cet objet , nous paroît la plus
concluante en faveur de l'opinion de M.
Franklin. Le grand phénomène du tonnerre
& fon analogie avec l'Electricité, y font préfentés
avec le même foin & la même impartialité.
L'article Aimant n'eft pas moins étendu.
Il y décrit la manière d'augmenter la vertu
en l'armant , celle d'en faire par le moyen
d'un aimant naturel ou artificiel , & même
fans le fecours d'aucun aimant , & uniquement
au moyen du fluide inviſible qui , fuivant
toutes les apparences , produit les phénomènes
magnétiques. Rien de ce qui a été
fait fur cet objet intéreffant n'y est oublié.
Ce qui ajoute un nouveau prix au travail
de M. Briffon , c'eft un Difcours préliminaire
dans lequel il indique l'ordre de lecture
que doivent fuivre ceux qui fe propofent
de puifer dans cet Ouvrage les principes
de la Phyfique. Lu de cette manière , ce
Dictionnaire devient un Livre élémentaire
très- utile. On n'a rien épargné pour en rendre
l'intelligence facile. Il y a un Volume
entier de Planches très- bien gravées , & qui
fuffisent pour donner aux perfonnes éloignées
des Cabinets de Phyſique , une bonne
idée des machines dont il eft fait mention
dans l'Ouvrage , ou qu'elles peuvent avoir
befoin de faire conftruire. L. Ñ.
Hv
178 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 20 Juillet , on a repréſenté ,
pour la première fois , Ariane abandonnée ,
Mélo Drame , imité de l'Allemand , muſique
de M. George Benda .
Ce Mélo- Drame eft divifé en trois Scènes,
qui n'en font réellement que deux , comme
on va le voir par l'analyfe que nous allons
mettre fous les yeux de nos Lecteurs.
SCÈNE I. Ariane eft endormie fur un rocher.
Théfée vient la voir pour la dernière fois , Les
Grecs, indignés de la paffion qui l'enchaîne aux
pieds d'une femme , l'ont menacé de maffacrer
la Princelle s'il ne confentoit point à
quitter l'Ile de Naxos. Il balance entre
l'amour , la recontioillance & la gloire ;
mais il cède à l'idée de la mort d'Ariane , &
part en gémiffant. SCÈNE II . Ariane , réveillée
par les derniers mots de Théfée , cherche
des yeux fon amant , & ne le trouve point.
Elle le croit occupé à pourfuivre les lions &
les tigres ; elle tremble , elle appelle Théfée ,
Pécho feul lui répond ; elle redouble fes cris,
mais en vain. Une voix inconnue fe fait enten
dre , c'eft celle de l'Oréade , ou de la Nymphe
des rochers qui lui ont fervi d'afyle ;
ceue voix lui apprend que Théfée eft parti ,
DE FRANCE. 1.179
& qu'il l'abandonne. Ariane s'évanouit , &
revient à elle pour paffer tour- à tour de la
douleur la plus profonde , au deſeſpoir , à la
fureur & au delire . La voix de l'Oréade fe
fait entendre une feconde fois ; elle annonce
à la Princeffe un liberateur , & lui déclare en
même temps qu'elle doit être facrifiée à Neptune.
Un orage affreux s'élève , le ciel s'obfcurcit
, la foudre éclate , les éclairs femblent
embrâfer tout l'atmofphère : Ariane errante
de rocher en rocher , agitée par la terreur ,
élève fes mains fuppliantes vers les Dieux ,
l'orage redouble , elle cède à fon effroi , &
fe précipite dans les flors.
On fentira fans peine que fi la fituation
d'Ariane , abandonnée dans une Ifle deferte
par un amant qui lui doit tout & à qui elle a
Tout facrifié, porte avec elle un intérêt très-vif,
cet intérêt, dans un Ouvrage comme un Mélo-
Drame , s'affoiblit & s'éteint infenfiblement
par la continuité de la même fituation . En
effet , dès l'inftant du départ de Théfée , tout
eft prévu pour le Spectateur dont la curiofité
n'a plus rien à defirer , & il ne peut trouver
-dans une fuite de fentimens & de mouvemens
prefque tous femblables , le dédommageiment
de ce qu'il a perdu. Un homme fenfible
contemple avec plaifir un tableau , quoiqu'il
ne lui préfente qu'une Scène , & quelquefois
même un feul perfonnage dans cette Scène ;
mais au Théâtre , ce n'eft point un tableau
ifolé qu'il vient chercher , c'est une galerie
de tableaux , c'eft par l'oppofition des ſujeta ,
H vj
180 MERCURE
& la variété des expreffions & des figures ,
que fon attention fe foutient & que fon
plaifir s'accroît. Cette comparaifon établit ,
d'une manière qui nous paroît évidente , la
différence qui exifte entre une Pièce de Théâ
tre & ce que l'on appelle aujourd'hui un
Mélo-Drame. Dans celui dont nous rendons
compte , nous avons trouvé des lon→
gueurs , des répétitions , & ce défaut eft d'autant
plus remarquable , que les couleurs employées
par le Poëte & par le Muficien , en acquièrent
un degré de monotonie qui amène
bientôt la langueur & l'ennui. La Scène d'Ariane
eft très fupérieure à celle de Théfée , & elle
devoit l'être. On peut néanmoins lui reprocher
des fuperfluités. Ariane perd trop de temps
à fe rappeler les charmes de Théfée , fon
amour, fon courage , fa victoire fur le Minotaure
, & ce qu'elle a fait pour lui. Elle
doit fans doute parler de ce dernier objet
pour faire contrafter fa confiance avec la
perfidie de Théfée , mais elle doit le faire en
peu de mots. S'il eft dans la nature de s'appefantir
quelquefois fur les caufes & les motifs
du chagrin qu'on éprouve ; dans un Mélo-
Drame , un tel fentiment doit être expoſé
avec des traits rapides , & capables de fuppléer
aux développemens que permet &
qu'ordonne un fujet dialogué & mis en action.
Le délire de la Princeffe a des beautés.
Elle croit voir les Furies, elle les implore contre
fon perfide amant , elle fe félicite d'abord de
La vengeance; mais bientôt elle s'attendrit ,
DE FRANCE. 181
s'effraye destourmens qu'on prépare à Thélée,
& s'écrie : Arrêtez , arrêtez , je l'aime encore.
Ce mouvement eft beau , theâtral & pathétique.
Le reproche le plus grave que l'on
puiffe faire à l'imitateur du Drame Allemand ,
c'eft d'avoir préfenté de grandes idées avec
un ftyle fouvent foible , diffus & trop audeffous
des images qu'il cherche à rendre.
Ce n'eft pas ainfi que l'immortel Citoyen
de Genève a écrit fon Pigmalion. Quel feu !
quelle vigueur ! quelle énergie dans fa manière
d'écrire ! Il ne paroît pas qu'il ait pensé
comme l'Imitateur , que le Mélo-Drame exige
une espècedeféchereffe & defimplicité deflyles
& s'il n'a pas écrit la Scène Lyrique en vers ,
il a au moins revêtu fa profe de tournures &
d'expreffions poétiques. Par ce moyen , le
langage des paffions eft plus chaud , plus animé
, il frappe davantage l'ame & l'esprit , &
il en résulte un accord plus parfait , mieux entendu
entre la déclamation naturelle & les
phraſes muſicales qui viennent foutenir &
peindre les mouvemens auxquels le coeur
du perfonnage eft en proie. La Poéfie , dit
l'Imitateur , prononce trop fortement ce qu'elle
exprime. Pourquoi donc les Grecs , ce peuple
qui réuniffoit tant de goût à une fenfibilité
f exquife , pourquoi les Grecs avoient- ils
une Melopée ? Pourquoi cherchoient - ils à
donner plus d'accent à leur poéfie déjà
pleine d'harmonie & de nombre ? Perfonne
n'ignore que l'effet de la fymphonie des
choeurs n'étoit point détruit par le chant de
182 MERCURE
leur déclamation. Il faudroit faire une Brochure
pour répondre à tout ce que dit l'Imitateur
dans fes réflexions fur le Mélo- Drame ,
qu'il regarde comme un genre très- borné &
très difficile. Qu'il foir borné , rien n'eft
plus clair , & c'eft un bonheur pour l'Art
dramatique , mais difficile , perfonne n'en
conviendra ; car tout le travail de ce genre
confifte à écrire un ou deux Monologues en
phrafes découpées , hériffées de points , d'exclamations
, d'imprécations , & ornées de
quelques images écrites en ftyle oriental.
Nous ajouterons que fi ce genre a des difficultés
, c'eft pour le Muficien , parce que la
néceflité où il fe trouve de ne fe trouve de pas faire languir
l'action, ne lui permet que très rarement
de développer les motifs , parce qu'ileft forcé
de jeter de tems en tems çà & là quelques
traits tout au plus indicatifs de fes idées , &
le plus fouvent vagues & fans aucune expreffion.
Heureux quand il rencontre une fituation
qui , obligeant l'Acteur au repos , laiffe
au Compofiteur la liberté de donner une mar
che à fon ftyle, & de montrer les reffources de
fon génie. C'est ce qui eft arrivé à M. Benda ,
dans fon Ariane , où l'on trouve d'ailleurs
une belle facture , beaucoup d'harmonie , &
Part de rendre de grands effets par des
moyens fimples & fagement combinés. On
y diftingue auffi de tems en tems des traits
de mélodie , mais rares , apparemment parce
que ce fujet n'en comportoit qu'un perit
nombre. Au total , M. Benda a paru digne
DE FRANCE. -133
du fuccès qu'il a eu en Allemagne , & on a
regretté qu'un Muticien de fon mérite ait
paru fi tard en France.
Il ne nous refte plus qu'à parler des
Acteurs qui ont joué dans ce Melo - Drame ,
M. Michu & Mde Verteuil . On leur a donné
les plus grands éloges , & nous favons que
leur zèle & leur intelligence les ont mérités.
Mais nous fera- t- il permis d'obferver encore
une fois , que chaque Theatre a fon genre
auquel il foumet l'habitude de fes Comediens
; que
le genre Tragique exige un
grand ufage & de grands moyens ; qu'ane
jolie figure & une voix douce & agreable
ne fuffifent pas pour repréfenter un héros
tel que Théfee. Si , dans la fituation donnée ,
il n'eft pas encore le compagnon d'Hercule ,
il est déjà le vainqueur du Minotaure : ¸ ce
rôle demande donc une repréfentation impofante
& fière , un phyfique noble & vigoureux.
Beaucoup d'efprit & de grâces ne
fuffit pas non plus pour la repréſentation
d'Ariane; & ce n'eft pas affez d'avoir de
l'ame , il faut encore pouvoir la communiquer
, la répandre , pour ainfi dire , & la
nature n'a pas donné cet avantage à tous les
Comédiens. Mde Verteuil , fi fouvent agréable
dans la Comédie , ne nous a point parue
faite pour la Tragédie; & foit par la faute
de fon organe , foit qu'elle ait déjà perdu
l'habitude du genre , nous n'avons pas remarqué
dans Ariane le même talent qu'elle nous
a fait voir ailleurs. Il eft des convenances
184 MERCURE
qu'il ne faut point perdre de vue , fous
peine de détruire abfolument l'illufion théâtrale.
Cette vérité eft fi ancienne , qu'elle en
eft devenue triviale ; il faut pourtant la répéter,
puiſqu'on affecte de l'oublier. Qu'on ne nous
foupçonne pas d'avoir eu l'intention de chagriner
les deux Comédiens dont nous venons de
parler. Si l'Albane avoit voulu travailler dans
la manière de Michel- Ange des Batailles , tout
Amateur auroit eu le droit de lui reprocher
une ambition déplacée , & l'Albane n'en auroit
pas moins été le Peintre des grâces & de
la volupté.
L'étendue de cet Article nous force à remettre
auN°. prochain l'examen de quelques
Débuts.
ACADÉM I E.
LE 19 de ce mois il y a eu une Séance
publique à l'Académie Françoife pour la
Réception de M. de Chamfort , fucceffeur
de M. de Sainte- Palaye. Le Difcours du
Récipiendaire a très- bien foutenu l'opinion
avantageufe qu'on avoit de fa manière
d'écrire , de fentir , & fur tout d'apprécier
les hommes & les chofes. Le coup- d'oeil
qu'il a jeté fur les travaux Littéraires de fon
Prédéceffeur , la peinture qu'il a tracée des
qualités morales de ce laborieux Écrivain ,
auffi chéri, qu'eftimé de ſes Confrères & du
DE FRANCE.
185
Public , lui ont obtenu des applaudiffemens
unanimes. On a reconnu le goût de M. de
Chamfort dans le ftyle & l'ordonnance de
fon Difcours; fa fagacité dans plufieurs obfervations
fur la langue Françoife ; fa Philofophie
dans un parallèle entre la Morale
de notre âge & celle de la Chevalerie ; fa
galanterie & la fineffe de fon efprit dans
la peinture de l'influence des femmes tur
l'héroïlme & les vertus de nos antiques
Chevaliers ; la fenfibilité de fon ame dans
ce qu'il a dit fur du Guefclin & far l'amitié
dont M. de Sainte - Palaye & fon frère ,
M. de la Curne , ont offert le modèle le plus
rare & le plus attendrillant.
M. Séguier a répondu an Difcours du
nouvel Académicien avec cette éloquence
facile qu'on a fi fouvent applaudie au
Barreau. A la manière dont il a fu apprécier
& les Ouvrages de Molière , & ceux
de la Fontaine , & ceux de M. de Chamfort,
leur panégyrifte , on a dû s'appercevoir
que la Littérature eft auffi familière à ce
Magiftrat que la fcience des Loix.
Mgr le Prince de Condé , qui honoroit
l'Affemblée de fa préfence , y a reçu les
hommages qu'on doit à fon rang , à fon
amour pour les Lettres , à fes qualités fociales
& militaires.
Un Écrivain qui a l'efprit de toutes les
circonftances , & auquel l'Académie Françoife
eft redevable de la célébrité de fes
Séances publiques , M. d'Alembert a lu
186 MERCURE
l'Éloge de Mgr le Prince de Clermont, confidéré
feulement , comme Académicien ;
Eloge remarquable par des vérités utiles &
hardies , préfentées avec un art dont l'Auteur
feul poſsède le fecret ; par des allufions
où les coupables trouvent une cenfure
dont ils n'oferoient fe plaindre , par
des obfervations fur l'efprit conftitutif de
l'Académie Françoife , qui exclut de fon
fein les penfions , les rangs , les préféances, &
tout ce qui tend à détruire l'égalité parmi
les hommes réunis en Sociétés Littéraires .
Dans la même Séance on a publié le Programme
que l'on va lire :
PRIX extraordinaire & annuel , proposépar
l'Académie Françoife.
UNE Perfonne publique & connue , a remis à
l'Académie le Mémoire fuivant , dont l'Auteur ne
s'eft point nommé.
35
A Meffieurs de l'Académie Françoife.
MESSIEURS ,
« Un Citoyen qui aime les Lettres , & qui les
» croit utiles à l'humanité , defire fonder un Prix en
faveur de l'Ouvrage de Littérature dont il pourra
» réfutter un plus grand bien pour la Société ; Ser-
» mon , Pièce de Théâtre , Roman , Profe , Vers ,
» Hiftoire , Traité de Jurifprudence , Réflexions
morales , Differtation politique , Mémoire fur les
» Sciences ou fur les Arts , Recherches érudites , au-
» cun genre n'eft exclu
Ce Prix fera obtenu fans être demandé , & adDE
FRANCE. 187
´s jugé fans examen ; c'eft-à- dire , qu'il fuffira que
» les Juges déclarent quel eft , parmi les Livres qui
auront paru dans l'année précédente , & dont ils
» aurent eu connoiffance , celui qui leur paroît
» devoir contribuer le plus au bonheur temporel de
» Phumanité . L'Académie décidera fi les Ouvrages
» de fes Membres doivent concourir.
» Le Citoyen qui a conçu cette idée , fupplic
l'Académie d'agréer l'hommage qu'il rend aux
" Lettres , & d'être Juge du Prix . Une fomme de
∞ douze mille livres eft déposée , pour être employée
» en une rente viagère fur la tête du Roi ; & du
∞ revenu annuel , il fera acheté une Médaille d'or
qui formera le Prix.
20
Motifs de cette difpofition.
« Un Géomètre méprifoit une Pièce de Théâtre
applaudie , parce qu'elle ne prouvoit rien ; ce
» Géomètre avoit tort : mais un Citoyen aura raiſon ,
fi, pour régler l'eftime & l'intérêt que mérite un
Livre , il demande : quel bien en réfute-t'il ? Je
fais aujourd'hui cette queftion , & c'eſt à l'Académie
qu'il appartient de répondre. On a repréfenté
les Lettres & les Connoiffances humaines
» comme un fléau ajouté à tous ceux qui défolent le
so monde : ainfi ſouvent on a calomnié notre Reli-
"3
20
gion , nos Lois & les Inftitutions les plus fages ;
» & fi le fort de l'Univers avoit changé ſuivant nos
opinions , l'imprudence de nos voeux auroit aug.
» menté la maſſe de nos maux. Les Lettres n'ont
" pas befoin d'apologie ; mais les Hommes qui les
» cultivent peuvent , comme le Laboureur Romain ,
» mettre leurs prétendus poifons fous les yeux de
leurs accufateurs.
» On prétend que notre Nation eft légère & frivole.
Je ne me permets point d'en être le Juge ni
-188 MERCURE
» le Cenfeur ; mais je vois un Peuple oifif déferter
» les monumens du Génie pour courir aux farces
du Rempart je vois fe multiplier les Éditions de
» Romans médiocrement intéreffans & foiblement
» écrits ; un Livre férieux & profond eſt eſtimé ,
» mais n'eft pas la : je vois les Auteurs d'Ouvrages
qui doivent paffer aux générations fuivantes
» n'être counus , recherchés , fêtés dans la Société ,
» que pour quelques débauches d'efprit qui doivent
les faire rougir de leurs fuccès . Auffi , tandis que
» la Preffe gémit pour une foule de Brochures plai-
» fantes , épigrammatiques , licencieuſes , il nous
manque une Hiftoire de France complette &
lifible , un Corps de Droit Public François , un
Recueil d'Expériences fur la nature de notre
climat & fur les influences. Nous n'avons point
de Defcription du fol de nos Provinces & des richeffes
qu'il renferme ; richeffes que chaque fiècle
découvre fucceffivernent , & qui n'ont échappé
» aux fiècles précédens que faute de recherches , &c.
59
Dans ce défordre , il faut que les Chefs de la Lit-
» térature difent à quiconque eft entré dans cette
» carrière : En voilà le but; & à la Nation : Voilà,
» dans la claffe des Gens- de- Lettres , ceux à qui
vous devez le plus.
» Sans doute on objectera que ces vues font
trop grandes pour une fi petite difpofition ; car
» jamais on n'épargna un reproche à une action
» louable : mais vous ne penferez pas ainfi , vous ,
Meffieurs , qui , dans toutes choſes , confidérez le
» motif & les conféquences , & qui favez qu'un
fait peu important peut être l'origine d'un grand
» bien. Que le foible exemple que je donne foit
» fuivi ; que tous ceux de mes Concitoyens qui
jouiffent d'une fortune fupérieure à la mienne ,
» faffent un facrifice égal au mien , & les Lettres,
ןכ
DE FRANCE. 189
» les Sciences & les Arts trouveront des fecours im-
» menſes ! »>
L'Académie a reçu cette propofition avec toute
la reconnoiffance & l'eftime que mérite le Donateur;
mais elle n'a pu , relativement à fon inftitution
& à fes loix , fe permettre d'accepter la dona
tion qu'aux conditious fuivantes :
1°. Que parmi les Ouvrages utiles au bien de
T'humanité qui auront paru dans le courant de chaque
année , elle donnera la préférence à celui qu'elle
jugera le mieux fait & le mieux écrit. Ce mérite
devant procurer à l'Ouvrage un plus grand nombre
de Lecteurs , n'en remplira que mieux l'objet d'uti
lité que le Donateur a principalement en vue.
2. Que la Compagnie ne portera aucun jugement
fur les Ouvrages qui auront pour objet des
matières de Théologie ou de Jurifprudence locale &
contentieuſe , ou celles dont s'occupe l'Académie
des Sciences , ou enfin les matières d'Adminiſtration
& de Politique , dont la difeuffion ne feroit pas
permife par le Gouvernement.
3. Qu'elle ne jugera que des Ouvrages écrits en
langue Françoife , l'Auteur pouvant être d'ailleurs
ou François , ou Étranger .
4°. Qu'elle pourra , fuivant que les circonstances
lui paroîtront l'exiger , ou remettre le Prix , ou le
partager entre deux ou plufieurs Ouvrages, ou le
donner double.
5°. Qu'elle exclura fes Membres du Concours.
Le Donateur ayant approuvé ces conditions ,
l'Académie a, d'une voix unanime , & de l'aveu du
Roi fon augufte Protecteur , accepté la donation
propofée.
* Le même Citoyen a donné à l'Académie des Sciences
une pareille fomme de douze mille livres pour des objets
' utilité publique , relatifs aux Sciences & aux Arts.
LGO MERCURE
Elle annonce donc aux Gens de Lettres qu'à la fin
de Décembre 1782 , elle adjugera le Prix dont il s'agit
à celui qui aura donné au Public l'Ouvrage le
plus uile , en fe conformant d'ailleurs aux conditions
expofées ci - deffus .
Ce Prix fera une Médaille d'or de la valeur de
douze cent liv.
Le Concours fera ouvert à commencer du premier
Janvier de la préfente année 1781 .
Toutes perfonnes , excepté les Quarante de
l'Académie , feront admifes à concourir.
: Quand l'Académie aura décerné ce premier
Prix , elle en donnera tous les ans un ſemblable , qui
fera annoncé par un femblable Programme.
Elle auroit bien defiré de faire connoître le Citoyen
à qui les Lettres & l'humanité font redevables de
cette donation ; mais il a conftamment perfifté à
garder l'anonyme.
NCUVELL
GRAVURES.
CUVELLE Topographie , ou Defcription détaillée
de la France, divifée par carrés uniformes, & c . propofée
par foufcription , & dirigée par M. Robert de
Heffeln .
La Carte de la Région Oueft , dont nous avons
promis la Notice en publiant celle de la Région
Nord-Ouest , eft la deuxième des neuf qui préfentent
le premier degré de développement des détails
de la fuperficie du Royaume fur une échelle de 648
toifes par ligne.
" Les piincipaux objets qu'elle contient font la mer
Océane depuis les Ifles de Glénauft juſqu'à la Gironde
; la Bretagne méridionale depuis Quimper &
Rennes ; la moitié dé l'Anjou ; le Bas-Poitou juſqu'à
Moncoutant & Coulonges ; l'Aunis ; la Baffe-Sain
DE FRANCE. 191
tonge jufqu'au-deffus de Saintes , & les deux rives
de la Gironde jufqu'à la hauteur de Saint- Palais,
Le Difcours qui accompagne cette Carte eft un
abrégé des détails géographiques , hiftoriques &
politiques de ces pays. Les Soufcripteurs pourront
envoyer retirer cette Carte chez l'Auteur , rue du
Jardinet ; elle eft du prix de 3 liv. 12 fols pour ceux
qui n'ont pas foufcrit.
La dernière Livraiſon , compofée de fix Eftampes
des Vues du Jardin de Mouceau , appartenant à
S. A. S. Mgr le Duc de Chartres , eft terminée . MM.
les Soufcripteurs n'auront que 6 livres à payer pour
ce dernier Cahier. "
Cette Collection , imprimée fur la demi -feuille de
papier dir Colombier , eft composée de dix - huit Eftampes,
compris le Plan , & précédée d'un Difcours
contenant quelques réflexions fur la conftruction des
Jardins nouveaux , & fur les moyens que l'on peut
employer pour les rendre plus agréables . Ces Eftampes
fort auffi très -bien dans les boîtes d'Optique."
Prix , 30 livres reliées en carton . A Paris , chez de
Lafoffe , Graveur , rue du Carroufel , vis-à -vis les
Ecuries du Roi.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
TABLEAU
ABLEAU général de la Cavalerie grecque , par M.
Joly de Maizeroy , Lieutenant- Colonel d'Infanterie ,
de l'Académie Royale des Inferiptions . Vol. in-4° .
Prix , 3 livres. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins .
Mémoires concernant diverfes queftions d'Afroomie
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Hiftoire des Infectes nuifibles à l'homme , aux
beftiaux , à l'agriculture & au jardinage , avec les
moyens qu'on peut employer pour les détruire ou s'en
garantir , ou rémédier aux maux qu'ils ont pu occafionner
, Volume in - 12 . A Paris , chez Laporte , Libraire
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L'Inconftant ramené , Comédie en un Acte , in-
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VE
TABLE.
ERS à Miftriff B*** , 145 | Dictionnaire raiſonné de Phy-
Le Petit Chien &fa Maitreffe, fique ,
Fable 146 Comédie Italienne ,
Enigme & Logogryphe , 148 Académie ,
Mémoires de la Société Royale Gravures ,
de Médecine , 150 Annonces Littéraires ,
Panegyrique de S. Louis , 160
AP PROBATIO N.
173
178
184
190
191
J'AI 'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 28 Juillet. Je n'y ai
xien trouvé qui puiffe en einpêcher l'impreffion. A Paris ,
le 27 Juillet 1781. DE SANCY,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TUR QUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 14 Mai.
IL eft arrivé dans cette Capitale des Députés
d'un Diſtrict de la Natolie qui venoient
fupplier la Porte de leur accorder des fecours
en grains , ou de leur permettre d'en
aller chercher de l'autre côté du canal en
Europe , pour faire ceffer la difette qu'ils
éprouvent , & qui forcera , fi l'on n'y met
fin , la plupart des habitans à abandonner
le pays. Le Gouvernement ne leur a point
accordé la permiffion qu'ils follicitoient ; il
a au contraire défendu févèrement le tranfport
des grains des Provinces Européennes
à moins que ce ne fût pour cette Capitale
qui eft elle- même menacée d'éprouver bientôt
les befoins les plus preffans.
Le fuperbe Catafalque que la nation Allemande
a fait élever dans fon Egliſe à l'honneur
de l'Auguſte Marie- Thérèſe , n'a pas
7 Juillet 1780.
( 2 )
encore été détruit ; un détachement de Janniffaires
le garde encore . Les grands de la
Porte , avec la permiffion du Mufti , fe
font empreffés d'aller voir ce monument ,
& on a remarqué qu'ils ont obfervé dans
l'Eglife la décence la plus fcrupuleufe. Le
Capitan Bacha l'avoit été vifiter avant ſon
départ.
M. de Stachieff , Envoyé de Ruffie , n'a
point encore reçu de réponſe de la Porte
fur l'affaire des Confulats de Moldavie &
de Walachie.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 14 Juin.
LE 7 de ce mois le Chevalier de Corral ;
nouveau Miniftre d Eſpagne , a eu fa première
audience du Roi & de la Famille
Royale à Friedensbourg.
La flotte Suédoife compofée de 8 vaiffeaux
de ligne & deux frégates , commandée par
l'Amiral Grubbe , a mouillé le 11 de ce mois
dans cette rade , & aujourd'hui elle a mis à
la voile pour le Sund .
Il vient de partir auffi d'Elfeneur une
flotte de 30 navires marchands Anglois deftinés
pour les ports d'Angleterre & qui n'ont
aucun convoi.
L'affaire du Capitaine Schionning n'eſt
pas encore décidée ; on a lieu de penfer
cependant qu'elle ne tardera pas à l'être ,
( 3 )
puifque fes Officiers & fon équipage ont
été entendus. '
Le 7 de ce mois on a conduit fur le foir
à la Citadelle de cette Capitale , & fous une
forte eſcorte , le
Chambellan Beringfchiold.
On dit qu'on lui a mis les fers aux pieds
& qu'on l'a enfermé dans la même chambre
qu'occupa le malheureux Comte de
Brandt. On affure qu'on prépare encore dans
la Citadelle 3 ou 4 autres
appartemens
deftinés à des prifonners d'Etat. Cet évènement
fixe la curiofité publique fur le crime
de M. de Beringſchiold ; mais il eft encore
un myſtère pour le public . Plufieurs prétendent
qu'il avoit entretenu une corref
pondance illicite avec une Cour voifine ;
mais tout ce qu'on débite fur ce fujet eft
encore très- vague. Ceux qui trouventque les
malheureux font toujours coupables affurent
que fon deffein avoit été de rendre
le Ministère actuel odieux aux Payfans
pour fomenter une fédition parmi ces derniers.
On le rappelle qu'il eur beaucoup de
part à la fameufe révolution du 17 Janvier
1772 , & qu'il reçut alors l'ordre de
s'éloigner de cette Capitale avec défenſe d'y
revenir fans une permiffion expreffe fous
peine de défobéiffance.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 16 Juin.
QUOIQUE Madame l'Archiducheffe Marie
1
2 2
( 4 )
Chriftine,Gouvernante générale des Pays-Bas ,
& le Duc Albert de Saxe - Tefchen fon époux ,
foient partis d'ici les de ce mois , on ne
croit pas qu'ils arrivent à Bruxelles avant
le commencement du mois prochain ; leur
deffein qui eft de s'arrêter dans différentes
Cours d'Allemagne qui fe trouvent fur leur
chemin , doit prolonger leur voyage.
Il a été publié un ordre aux Etats de
la Baffe- Autriche , de faire un tableau exact
de la manière dont les payfans font traités
dans ce pays ; ces inftructions doivent fervir
à améliorer leur fort , comme l'a été
celui des payfans de la Bohêne , qui ont
été affranchis de l'ancienne fervitude.
Avant le départ de l'Empereur , on publia
dans cette capitale un Règlement qu'on
peut regarder comme un Code de Jurifprudence
pour tous les Etats héréditaires ;
ce Règlement , conçu en 437 articles , a
pour objet d'écarter les longueurs des procédures
& de circonfcrire les écritures dans
des bornes qui ne laffent point la patience
des Juges & qui leur permettent d'expédier
plus promptement les affaires. Les
premiers Magiftrats de chaque Tribunal
feront tenus de remettre tous les ans au
chef du Dicaftère , un état fommaire des
caufes qui ne feront pas terminées dans
le délai preferit. Ce Règlement ne conferve
des formalités de Juftice , que celles
qui font utiles aux plaideurs , fans avoir
égard aux befoins intéreffés des défenfeurs
( 5 )
"
& du fifc , qui s'oppofent en d'autres endroits
à la réforme des loix civiles.
De FRANC FORT , le 18 Juin.
S. A R. Madame l'Archiducheffe Marie-
Chriftine & le Duc de Saxe -Tefchen fon
époux , font arrivés hier ici a onze heures
du foir ; l'Archiduc Maximilien les accompagnoit;
ils font defcendus à la Commanderie
; aujourd'hui ils ont vu tout ce que
cette ville offre de remarquable , & demain
ils fe propofent de continuer leur
voyage.
On apprend de Graudentz que le Roi de
Pruffe y arriva le 6 de ce mois pour y faire
la revue de tous les régimens de la Pruffe
orientale & occidentale qui forment une
armée de 50,000 hommes. S. M. n'étoit accompagnée
que du Général Pritnitz ; elle
a été très- contente des manoeuvres de fes
troupes , & elle eft repartie le 12 pour retourner
à Potzdam.
Selon les lettres de Berlin , l'indemnifation
que le Roi avoit accordée en faveur
Ides payfans à qui le froid avoit caufé des
dommages , ayant été trouvée trop forte ,
-on parle d'examiner de nouveau cette affaire
; mais on penſe cependant que pour
une fois , ils toucheront tout ce qui leur
a d'abord été affigné, parce qu'il convient à la
dignité royale de remplir fes promeſſes,
> » Notre commerce écrit-on de Dantzick , eft
dans un état fort languiffant ; la navigation vers
a 3
( 6 )
la Hollande eft entièrement fufpendue ; celle pour
l'Angleterre fe foutient encore , & quantité de
nos navires chargés de bois de conſtruction ,
continuent de partir pour les chantiers de la marine
Royale en Angleterre . · La féchereffe que
l'on éprouve ici depuis long- tems , ne nous promet
rien de favorable pour la récolte prochaine.
Depuis Pâques , il n'a plu qu'une feule fois ; de
forte que les terres des environs font entièrement
defféchées. On écrit auffi de la Cafubie ,
où le terrein eft fort fablonneux , que tout ce
qu'on y avoit femé eft perdu , & qu'on y aura
une grande difette de foin. L'importation des
bleds n'eft pas forte cette année ; elle eft beaucoup
plus confidérable à Elbing , où le commerce
devient très- floriffant , pendant que le nôtre diminue
chaque année. Les bois , les toiles de Pologne
& les bleds font les feuls articles qui foutiennent
encore notre commerce ; celui des bleds
fouffre beaucoup par la fufpenfion de la naviga .
tion Hollandoife , & le manque des navires neutres.
Le laft de feigle coûte 200 florins , & celui
du meilleur bled , 380 à 400. Il n'eft encore
arrivé ici cette année que 130 navires « .
d
ITALIE.
De LIVOURNE , le 10 Juin.
Les corfaires Anglois ne refpectent pas
plus le droit des gens fur la Méditerranée
qu'ils le font fur l'Océan ; l'un d'eux nommé
l'Anne vient encore de s'emparer d'un
bâtiment Danois venant de Smyrne & de
Salonique avec un chargement de diverfes
marchandiſes deſtinées pour Oftende.
Les tremblemens de terre continuent d'être fré(
7 )
quens dans quelques endroits de l'Italie ; on en a
éprouvé un le 3 de ce mois à 11 heures du matin
dans toute la Romagne ; le Duché d'Urbino
l'a auffi éprouvé ; plufieurs performes ont perdu la
vie à cette occafion . Mais aucun lieu n'a été plus
maltraité que la ville de Cagli , qui prefque toute
entière a été renversée de tond en comble , &
où plus de 800 perfonnes ont été , dit- on , enfevelies
fous les ruines ; on compte parmi les malheureufes
victimes de ce fléau , M. Bertozzy
Evêque de Cagli , qui a été écrafé pendant qu'il
officioit. On mande de Faenza que les habitans
cffrayés de la continuation de ce terrible
phénomène , ne tournent plus leur eſpérance que
du côté du Ciel , qu'ils tentent de fléchir par des
exercices de religion ; leur évêque , Joſeph Buoi
précédé de tous les ordres de Citoyens , a affifté
une proceffion , qui s'eft rendue de fa Cathédrale
dans l'Eglife des Dominicains . Il l'a fuivie
pieds nuds , un Crucifix à la main , & une corde
paffée à ſon cou.
Nous apprenons que le bâtiment courier
parti de Smyrne avec diverfes marchandiſes
deftinées pour ce port , a fait naufrage fur
le cap blanc dans la partie méridionale de
l'ifle de Corfe ; heureufement tout l'équipage
s'eft fauvé à l'exception d'un feul marinier.
Le 30 du mois dernier , à huit heures du
matin , écrit- on de Mantoue , le feu a pris avec
tant de violence à la Salle du grand Opéra ,
qu'elle a été réduite en cendres en moins de 2
heures . C'eft tôt ou tard le fort de prefque toutes
les Salles de Spectacle , qui pour être fonores
doivent n'avoir en conftruction folide que les
murs extérieurs ; les villes ont le plus grand intérêt
de les faire ifoler au milieu d'une place
2 4
( 8 )
d'où elles menacent moins les habitations des citoyens.
Graces aux foins de la Police , on a prévenu
la ruine des maifons voifines qui ont été
plus ou moins endommagées. L'Archiduc Ferdi
nand informé de ce trifte accident par plufieurs.
eftafettes , arriva le lendemain , & fa p
éfence ne
contribua pas peu à raffurer les habitans confternés.
Il a fait publier que non-feulement la Foire ,
mais les Redoutes & les Opéras ne feroient point
difcontinués ; & dès le 3 de ce mois , on a joué fur
le vieux Théâtre Ducal « .
Les de ce mois Jean- Octave- Manciforte
Sperelli , Cardinal- Prêtre de la création du
23 Juin 1777 , &- déclaré le 11 Décembre
1780 , eft mort âgé de 51 ans d'une fluxion
de poitrine ; il a peu joui des honneurs de
la pourpre.
Un payfan cru mort dans un lieu appellé
Gorgenzola , écrit - on de Milan , fut porté le foir
même à l'Eglife Paroiffiale. Le lendemain matin ,
comme on procédait à l'enterrement , on vit tout
à coup
le prétendu mort lever la tête hors de fa
biere ; toute l'affiftance épouvantée prit la fuite
à cet afpect ; le payfan lui- même s'échappant
courut à une fontaine où il fe défaltéra . Il a été
conduit enfuite dans un Hopital , où il a reçu tous
les fecours dont il avoit befoin. Cet évènement ,
qui eft moins rare peut - être qu'on ne le croit ,
eſt un nouvel avertiffement contre les enterremens
précipités ".
tr
ESPAGNE.
De CADIX , le 8 Juin.
L'ARMÉE de D. Louis de Cordova eft
rentrée dans cette baie , devant laquelle
( و )
elle a paru hier , & où elle achève de
mouiller entièrement aujourd'hui . Elle a
amené s navires Hollandois de la Compa- S
gnie des Indes , qu'elle a rencontrés. Ils
avoient été inftruits par un bâtiment Portugais
de la déclaration de guerre de la part
de l'Angleterre. A deux journées de ce port ,
ils furent rencontrés par un corfaire Anglois
qui parlementa avec eux ; ils étoient alors
au nombre de 6 ; le corfaire leur offrit de
leur donner un paffe - port , s'ils vouloient
lui permettre d'emmener un navire ; les
Hollandois lui ayant répondu par quelques
volées , il courut fur le vaiffeau le plus éloigné
, & avant qu'on pût le défendre , il le
maltraita affez pour qu'on ait été contraint
de le couler bas , après en avoir tiré l'équipage
& la meilleure partie de la cargaifon.
Notre armée ne reſtera dans le port que
le tems néceffaire pour faire de l'eau &
renouveller fes provifions ; elle remettra en
mer le 25 au plus tard ; c'eft du moins le
fentiment des principaux Officiers .
La frégate Hollandoife la Brielli , Capitaine
Orthuysen , entrée le 4 de ce mois
dans ce port , nous met en état par fon
rapport de rectifier ce que nous avons dit
l'Ordinaire dernier , de la rencontre de 2
frégates de cette nation & de 2 Angloiſes.
Le 30 du mois dernier , étant de conſerve avec une
autre frégate Hollandoife , le Caftor, comme elle de
36 canons, elle furent attaquées non loin du Cap Sparaf
1
( 10 )
tel , par deux frégates Angloifes de la même
force ; le combat fut long & opiniâtre ; il ne dura
pas moins de quatre heures . Le Capitaine Or
thuyfen eut la douleur de voir fa compagne amener
on pavillon ; il reconnut par fes fignaux que
le Capitaine Melvill qui la commandoit avoir été
tué , ainfi que les principaux Officiers , & il penfe
que c'eft la feule raifon qui a pu la décider à fe
rendre. Il fut plus heureux ; il fit un feu fi vif &
fi foutenu , qu'il abattit les trois mâts de la frégate
qu'il avoit en tête , & la força d'amener ;
mais la chaloupe ayant été criblée par les boulets
, fa mâture étant fort endommagée , il ne
lui fut pas poffible de l'amariner ; il fut contraint
de l'abandonner & de fe réfugier dans le port . H
a eu 17 hommes tués & s1 bleffés . L'équipage
fe plaint que les Anglois ont pouffé la barbarie
jufqu'à mettre des morceaux de verre dans leurs
canons , ce qui rend incurables la plupart des
*bleffures . Si cela eft , comme il paroît qu'on n'en
peut douter , il faut avouer que ces infulaires
méprifent bien fouverainement les conventions
des peuples policés , qui laiffent aux fauvages
J'art déteftable d'empoifonner les plaies. Il femble
que les égards & la pitié qu'on leur témoigne ,
les ren fent encore plus infolens & plus féroces.
On a reçu à Madrid des nouvelles de Penfacola
par un paquebot de la Havanne arrivé
à St- Sébastien. Le Journal que l'on a
des opérations de l'armée de D. Bernard
Galvez , va jufqu'au 4 Avril.
La garnifon a fait une fortie qui ne lui a pas
réuffi ; elle a été repouffée avec une très - grande
perte ; & nous n'avons perdu à cette occafion que
trois hommes & le Colonel du Régiment du
Roi. D. Bernard Galvez , fur les vives inftances
de l'Officier qui commande les bâtimens armés ,
( 11 )
lui ayant permis de s'avancer pendant la nuit dans
la Baie , cet Officier eft parvenu à enlever une
frégate de 26 canons & trois autres navires .
Les canons de la fiégate avoient été enlevés la
veille & portés à terre. — Quelques déferteurs ont
appris au Général que le Gouverneur eft décidé à
brûler tous les autres bâtimens & la feconde frégate
qui font dans ce port , lorfque le Fort Saint-
George fera pris , parce qu'alors il perdra tout
elpoir de pouvoir fe défendre long- tems . Cependant
le fiége n'étoit pas encore fort avancé le 4
Avril , quoiqu'on battît le Fort Saint- George qui
commande la Baie ; les approches de la ville &
du fort étant d'un affez difficile accès , à cauſe
des mares d'eau dont ils font environnés , il faut
que l'attaque foit faite en règle , & on manquoit
de beaucoup d'objets propres à en accélérer les
difpofitions. L'arrivée de M. de Solano , en ôtant
au Commandant Anglois tout espoir d'être fecouru
, rendra le fiége moins long & moins meurtrier
.
Notre feu s'eft fort rallenti devant Gibraltar
en revanche celui des Anglois a
redoublé d'activité , fur- tout le jour de l'anniverſaire
du Roi d'Angleterre qu'ils firent
un feu d'enfer ; mais tout ce fracas fut en
pure perte ; nos lignes n'ont aucunement
fouffert.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 25 Juin.
LA joie qu'a caufée l'arrivée de la flotte
attendue d'Antigoa & de St-Euſtache , a été
bien modérée par le bruit qui s'eft répandu
auffi -tôt d'un combat entre M. de Graffe &
1
a 6
( 12 )
l'Amiral Hood , dans lequel nous avons eu
un défavantage marqué , & dont les fuites
doivent être encore plus à craindre. La
célérité avec laquelle l'efcadre Françoiſe
eft arrivée , a déconcerté tous les projets
que pouvoient avoir l'Amiral Rodney &
le Général Vaughan. Le premier avoit laiffe
la flotte fous les ordres de l'Amiral Hood ,
& n'attendant pas fitôt les François , étoit
reflé à St -Eustache pour terminer la vente
de fes prifes. L'Amiral François a paru à
l'improvifte , s'eft hâté de mettre fes vaiffeaux
en fûreté à la Martinique , & renforcé
des 4 vaiffeaux de ligne qui s'y trou
voient , a cherché Hood , l'a battu , & le
pourfuivoit encore au départ de la flotte
de St - Euftache ; on ne fauroit avoir plus
de raiſon d'être inquiet en nous repréſentant
une efcadre déja victorieuſe , pourfuivant
la nôtre maltraitée , affoiblie , battue
& prête à l'être encore , ou à fe difperfer
, s'éloigner , & laiffer nos ennemis
maîtres de la mer dans ces parages , & en état
de tenter les entrepriſes qu'ils jugeront à propos
. On s'attendoit que la Gazette de la
Cour auroit parlé de cet évènement le 23
de ce mois ; mais fon ufage n'eſt pas de
rendre compte de ceux de cette eſpèce ;
c'eût été en effet ajouter à l'effroi de la
nation fur les fuites funeftes d'une action
dont on ne connoît en effet que le commencement.
D'ailleurs elle ne paroît pas
avoir reçu des dépêches officielles , & elle
les attend vraisemblablement ; nous craignons
bien que les premières ne confirment
toutes les inquiétudes que nous éprou
vons aujourd'hui.
La Gazette du 23 , qui a gardé le filence
fur ce combat naval , a effayé de faire une
diverfion dans les efprits en leur offrant
un extrait d'une lettre du Brigadier Arnold ,
adreffée au Général Clinton en date de
Pétersburgh dans la Virginie le 16 Mai.
,
Le Major- Général Phillips eft fi´abattu par une
fièvre dont il a été attaqué le 2 courant , qu'il eft
hors d'état de vaquer au fervice , & fes Médecins ne
font pas fans appréhenfions . Dans cette circonftance,
je crois qu'il eft de mon devoir de vous tranſmettre ,
par un exprès , le détail des opérations de l'armée
à les ordres , depuis qu'elle a quitté Portsmouth.
Le 18 Avril , l'infanterie légère , partie des 76º.
& 80. régimens , les chaffeurs de la Reine , les
Yagers , & la légion Américaine , s'embarquèrent à
Portsmouth, & defcendirent jufqu'à Hampton Road ;
le 19 , ils remontèrent la rivière James jufqu'au bac
de Burwell ; le 20 , le Lieutenant - Colonel Abercrombie
, avec l'infanterie légère , remonta la Chickahomany
en bateaux ; le Lieutenant - Colonel Simcoe ,
avec un détachement fe porta à York ; le Lieutenant-
Colonel Dundas , avec un autre , débarqua à l'embouchure
de la Chickahomany ; le Major - Général
Phillips & moi nous débarquâmes avec partie de
l'armée à Williamsburgh , où étoient environ 500.
hommes de milice , qui fe retirèrent à notre approche.
Celle poſtée à York avoit paffé la rivière
avant l'arrivée de M. Simcoe , qui fit quelques prifonniers
, encloua quelques canons , & retourna le
lendemain à Williamsburgh . Le 22 , nous mar ›
châmes vers Chickahomany , & fûmes joints à s
*
( 14 )
--
-
·
milles de l'embouchure de la rivière , par le Lieu
tenant -Colonel Dundas & fon détachement ; dans
la foirée , les troupes furent rembarquées. Le lendemain
matin , le Lieutenant -Colonel Abercrombie
nous joignit avec l'infanterie légère , qui avoit remonté
la Chickahomany l'espace de 10 ou 12 milles
& détruit plufieurs bâtimens armés , l'arfenal de la
marine de l'Etat , les magaſins , & c. - A 10 heures ,
la flotte leva l'ancre & remonta la rivière James ,
jufqu'à 4 milles de Weſtover. Le 24 , nous nous
portâmes à City-Point , où les troupes furent débarquées
à 6 heures du foir. Le 25 , nous marchâmes
vers Petersburgh , où nous arrivâmes à
environ 5 heures après midi ; à un mille de la ville ,
un corps de milice , qu'on croit de 1000 hommes
aux ordres du Brigadier - Général Muhlemberg
s'oppofa à notre marche ; nous l'obligeâmes bientôt
de fe retirer de l'autre côté du pont , avec perte
de près de 100 hommes tués ou bleſſés , ainfi que
nous en avons été informés depuis ; nous n'eûmes
qu'un mort & 10 bleffés. L'ennemi , en levant le
pont , nous empêcha de le pourſuivre.
Le 26 ,
nous détrusîmes , à Petersburgh , 4000 barriques
de tabac , un vaiſſeau & nombre de petits bâtimens
fur les chantiers & dans la rivière . Le 27 ,
Major - Général Phillips , avec l'infanterie légère ,
partie de la cavalerie , des chaffeurs de la Reine &
des Yagers , marcha vers Cheſterfield - Court-Houfe ,
où il brûla des cafernes capables de contenir 2000
hommes , & 300 barils de farine. Le même jour ,
je marchai vers Osborn's avec les 76e & 80e régimens
, les chaffeurs de la Reine , partie des Yagers ,
& une légion Américaine ; arrivé à midi , & ayant
découvert , à 4 milles au-deffus d'Osborn's ,
nombre confidérable de vaiffeaux ennemis formés
en ligne & difpofés à nous difputer le paffage ,
j'envoyai un pavillon Parlementaire au Commodore ,
avec la propofition de traiter avec lui pour la ré-
-
le
un
( 15 )
dition de fa flotte , ce qu'il refufa. J'ordonnai qu'on
fît defcendre deux canons de 6 livres & deux pièces
de campagne de trois , fur un banc de la rivière ,
prefque au niveau de l'eau , & à so toifes de la
Tempeft , vaiffeau ennemi montant 20 canons , qui
commença fur- le-champ à faire feu fur nous , ainfi
que le Renown , de 26 , le Jefferſon , brigantin
de 14 canons , & plufieurs autres bâtimens & brigantins
armés ; près de 2 à 300 hommes de milice
de l'autre côté de la rivière faifoient en même-tems
fur nous un feu de moufqueterie très - vif & bien foutenu
; mais le feu bien dirigé de notre artillerie , força
bientôt les vaiffeaux à amener leurs pavillons , &
la milice à fe difperfer . Le manque de bateaux &
la violence du vent nous empêchèrent de prendre
plufieurs matelots , qui au moyen de leurs chaloupes
gagnèrent la rive oppofée , après avoir ouvert de
grands fabords dans les côtés de quelques vaiffeaux
& mis le feu à d'autres qu'on n'a pu fauver. Deux
vaiffeaux , 3 brigantins , floops & 2 goëlettes ,
chargés de tabac , cordages , farine , &c . font tombés
entre nos mains. Quarre vaiffeaux , brigantins &
nombre de petits bâtimens , ont été coulés bas ou
brûlés. A bord de toute cette flotté ( dont aucun
bâtiment n'a échappé ) , on a pris environ 2000
barriques de tabac & nous n'avons pas eu un
homme tué ou bleffé ; nous avons lieu de croire
que l'ennemi a fouffert confidérablement. Vers les
5 heures après midi , le Major Général Phillips
nous joignit avec l'infanterie légère. Le 28 ,
les troupes reftèrent à Osborn's , attendant des bateaux
de la flotte , dont une partie étoit employée à
mettre en sûreté les prifes . Le 29 , les bateaux
étant arrivés , les troupes fe mirent en mouvement.
Le Major - Général Phillips marcha avec le corps
principal ; en même tems , je remontai la rivière en
bateaux , avec un détachement , & je le rencontrai
'entre Cary's Mills & Warwick.
9
-
--
?
Le 30 les troupes détruifirent à Mancheſter
1200 barriques de tabac . Le Marquis de la Fayette
arrivé la veille avec fon armée à Richmond , VISà
- vis de Mancheſter , ayant été joint par la milice
chaffée de Petersburgh & de Williamsburg , fat
fpectateur de cette opération , fans tenter de nous
molefter. Le même foir nous retournâmes à Warwick
, où nous détruisîmes 500 barils de farine
les beaux moulins du Colonel Cary . Nous avons
auffi brûlé plufieurs magafins , avec 150 barriques
de tabac , un gros vaiffeau , & un brigantin à flot
& 3 bâtimens fur les chantiers , une longue enfilade
de corderies & magaſins , & quelques tanneries
pleines de peaux , de tan & d'écorce .
Le I
Mai , nous marchâmes vers Osborn's , nos bateaux
& nos prifes defcendirent la rivière : dans la ſoirée
même nous nous portâmes à Bermuda Hundreds ,
vis -à- vis City- Point. Le 2 nous embarquâmes
les troupes ; le 3 nous defcendîmes la rivière jufqu'à
Weftover ; le 4 jufqu'à Tappahannock ;
les 5 & 6 une partie de la flotte defcendit jufqu'à
Hog-Ifland. Le 7 le Major - Général Phillips
reçut du Lord Cornwallis un lettre en conféquence
de laquelle , la flotte remonta encore la rivière.
Nous arrivâmes à Brandon vers les cinq heures ;
& la majeure partie des troupes fut débarquée dans
la foirée , quoiqu'il ventât grand frais. Le 8 nous
reftâmes à Brandon . Le Major- Général Phillips
étant très mal & hors d'état de monter à cheval ,
on lui procura une chaife de pofte Le 9 l'infanterie
légère & partie des chaffeurs de la Reine , fe
rendirent en bateaux , avec le Formidable & le
Spitfire , à City - Point , où ils débarquèrent ; le
refte de l'armée fe mit en mouvement pour fe rendre
à Petersburg , où l'on arriva tard dans la nuit
après une marche de près de 30 milles . Lorf.
que nous eûmes quitté Bermuda Hundreds & defcendu
la rivière, le Marquis de la Fayette avec ſon
-----
( 17 )
nous ,
>
·
armée fe porta vers Williamsburgh , & par des
marches forcées il avoit traversé la Chickahomany
à Long- Bridge , mais notre flotte retourna
à Brandon : ce mouvement retrograde de notre
part le fit retourner rapidement par des marches
forcées à Osborn's , où il arriva le 8 , & fe préparoit
à traverser la rivière pour paffer à Petersburg
lorfque nous arrivâmes ; nous étions fi peu
attendus que nous furprîmes & fimes prifonniers 2
Majors, l'un Aide- de-Camp du Baron Stuben, & l'au
tre du Général Smallwood , un Capitaine & 3 Lieutenans
de Dragons , 2 Lieutenans d'Infanterie , un
Commiflaire & un Chirurgien quelques- uns de
ces MM. n'étoient arrivés que deux heures avant
dans le deffein de raffembler des bateaux
pour faire paffer l'armée du Marquis de la Fayette ,
Le 10 le Marquis de la Fayette parut fur la
rive opposée de la rivière avec une forte escorte;
& ayant employé quelque temps à reconnoître
notre armée , retourna à fon camp d'Osborn's ;
nous apprenons aujourd'hui , qu'il s'eft porté fur
Richmond , où , dit- on , Wayne oft arrivé avec le
corps de Penfylvanie ; ceci eft cependant incertain
, mais ce qu'il y a de pofitif c'eft qu'il y eft
attendu . La veille de notre arrivée ici on
avoit vu paffer un exprès venant d'Hallifax dont
il étoit parti le 7 : on a fu de lui que la garde
avancée du Lord Cornwallis y étoit arrivée dans
la matinée. Ce rapport nous eft parvenu de diffé
rens côtés , & j'ai des raifons de le croire vrai .
Plufieurs exprès lui ont été expédiés pour l'informer
que nous fommes prêts à coopérer avec
fes forces. Nous attendons de fes nouvelles à chaque
minute. Auffi - tôt que l'on fera certain qu'il
a paffé la Roanoake & qu'il eft en marche pour
nous joindre , l'armée partira d'ici pour aller audevant
& porter des provifions à fon armée .
Un magafin confidérable de farine & de pain nous
<-
A
( 18 )
-
eft tombé entre les mains près d'ici , & le pays
abonde en bétail , Le Major Phillips eft fi foi.
ble & fi abattu que de quelque temps il ne fera
en état de fupporter les fatigues du fervice . Dans
cette circonftance critique je fuis très - heureux
d'avoir l'affiftance de tant d'Officiers auffi habiles
qu'expérimentés , & commandans des corps ;
fi nous
fommes joints par le lord Cornwallis ou par le
renfort qu'on dit venir de New-York , nous ſerons
en force & en état d'opérer , comme il nous
plaira , dans la Virginie & le Maryland .
Cette relation confirme l'opinion que
l'on avoit déja des prétendues victoires du
Lord Cornwallis fur le Général Gréen ;
c'eft par leurs fuites qu'on juge de leur importance
; après ces triomphes fi vantés ,
il a été hors d'état de fe rendre maître de
la Province où il a vaincu ; il n'a pu continuer
fa roure par terre pour fe rendre
dans la Virginie ; il n'étoit pas prudent à
lui de retourner fur fes pas , & le 4 Mai
il s'eft embarqué avec fon armée au Cap
Féar pour fe joindre par mer au Général
Phillips. Par ce mouvement , il porte le
principal théâtre de la guerre dans la Virginie
, mais il abandonne les deux Carolines
; d'après quelques lettres d'Edington
en date du 26 Mai , voici , felon les Américains
, ce qui s'eft paffé dans la Caroline
après le départ du Lord Cornwallis .
Le Général Gréen a enveloppé, au commencement
de Mai,un corps de troupes Britanniques d'environ 900
hommes qui étoit en marche pour joindre le Lord
Rawdon,& il en a taillé en pièces la plus grande partie.
Il compte fe rendre maître fans peine de Cambden, &
( 19 )
pourfuivre enfuite fa route vers Charles - Town ;
cependant comme l'été eft très mal- fain dans les
environs de cette ville , on doute qu'il prenne
ce chemin , parce que les troupes pourroient
y fouffrir beaucoup , & s'affoiblir par les maladies.
Arnold , ajoutent d'autres lettres , après
fon débarquement , a cherché , comme on devoit
s'y attendre , à faire le plus de mal poffible à fes
compatriotes. Il a brûlé plufieurs megafins & habitations
, & il fe préparoit à incendier la ville
de Richmond , lorfqu'il apprit qu'il couroit luimême
de grands rifques , le Marquis de la Fayette
& le Général Wayne étant à peu de diſtance avec
quelques troupes Françoifes , dit- on , 2 à 3000
hommes de troupes continentales & autant de milices.
Arnold en conféquence a dirigé fes pas
d'un autre côté , & s'eft joint au Lord Cornwaldis.
Ce dernier a mis à contribution tout le pays
par lequel il a pallé . On dit même qu'il a payé
en fauffe monnoie ce qu'il a pris des Royalites ;
il s'eft procuré des chevaux pour monter 1500
de fes meilleures troupes «.
La Gazette de la Cour contient deux
autres extraits de lettres du Vice- Amiral
Arbuthnot , qui annoncent la priſe de la
frégate Américaine le Protector de 26 canons
& de 25o hommes d'équipage. Ce
bâtiment appartenant à la colonie de Maffachuffett
, eft un très beau vaiffeau prefque
neuf, dont les échantillons & la longueur
font de la dimenſion de nos frégates
de 28 ; outre cette prife , on a fait celle
de la Confederary , qui alloit du Cap François
à Philadelphie ; elle avoit 300 hommes
à bord ; elle portoit une quantité confidérable
d'habillemens pour l'ufage de l'ar(
20 )
mée Américaine ; fa longueur eſt égale à
celle de nos vieux vaiffeaux de 70 , & peut
monter fur fon grand pont 28 canons
de 18.
---
Un particulier intéreflé dans le commerce de
New-Yorck , dit un de nos papiers , a appris par
des lettres particulières que le Chevalier Clinton
excité fans doute par la fatisfaction qu'il reffent
d'avoir actuellement dans fa poche la permiffion
de fe retirer quand il lui plaira , a réfolu de fortir
de l'inaction dans laquelle on l'a vu jufqu'ici ,
& qu'il fe prépare à partir pour une expédition
qu'il veut commander en perfonne. L'objet de
cette entrepriſe n'a point encore tranfpiré , mais
on croit que ce fera contre l'armée qui eft fous
les ordres du Général Washington. Le 17 , le
Major Saint- George , Aide-de Camp de ce Général
, eft parti pour Portſmouth , où il a dû fur
le champ s'embarquer pour l'Amérique . Il eft
chargé de dépêches importantes du Gouvernement,
relativement à l'expédition projettée par le Génétal
Clinton. Il n'eft point parlé , dit on , de fa
retraite dans les dépêches . Le Gouvernement fufpend
les réfolutions définitives fur ce point important
, jufqu'à ce que l'iffue de fa nouvelle entreprife
foit connue. Ce fera l'évènement qui règlera
la conduite du Ministère. L'Amirauté a donné
ordre à une frégate de conduire le plutôt
poffible le Major Saint - George à New-Yorck , où
il eft de la plus grande importance qu'il arrive
promptement. Cela eft d'autant plus inftant que
T'on a fu , vers la fin d'Avril à New - Yorck , que
Tefcadre Françoife de Rhode- Ifland étoit réparée ,
& les bâtimens de tranfport en état , ce qui fai-
Loir préfumer qu'avant peu il feroit fait un embarquement
de troupes pour quelque expédition .
L'Amiral Arbuthnot étoit à New Yorck faifant ·
( 21 )
les préparatifs pour fe porter à Shandy-Hook &
y obferver les mouvemens des François . On chargeoit
un grand nombre de bâtimens de transport
pour une expédition vers le Sud .
On embarque actuellement un nouveau
détachement du régiment des Gardes pour
l'Amérique. L'Océan , le Namur & le Formidable
prennent à Plimouth des vivres
pour 9 mois. On croit qu'ils feront du
nombre des 6 vaiffeaux qui partiront inceffamment
avec l'Amiral Digby pour relever
l'Amiral Arbuthnot. On dit qu'à fon
arrivée à New-Yorck , l'Amiral Grave qui
y eft actuellement ira prendre le commandement
de la ftation de la Jamaïque.
Il paroît décidé que le Prince Henri s'embarquera
avec l'Amiral Digby pour l'Amérique
; mais le tems du départ de l'efcadre
eft encore incertain. On ne veut pas dégarnir
tout- à- fait la rade de Ste-Hélène ; &
on attendra qu'on ait équipé un nombre
fuffifant de vaiffeaux pour remplacer ceux
qui partiront & faire face aux Hollandois
qui pourroient tenter quelque chofe contre
cette côte pendant l'abfence de nos forces
navales.
On lit dans un de nos papiers miniftériels
les obfervations fuivantes fur la communication
faite par la Cour de Pétersbourg à celle
de Londres , fur fa réponſe aux Hollandois.
" On a dit que l'Impératrice de Ruffie s'étoit excufée
fous prétexte que l'adhésion des Etats - Géné
raux à la Neutralité- Armée , n'étant pas la cauſe
de notre déclaration de guerre , le Cafus fæderis
( 22 )
n'exiftoit pas on a prétendu avec plus d'inconte
quence que les Hollandois ayant été embarqués
dans cette neutralité par le Comte de Pano , l'impératrice
avoit défapprouvé cette mef.re , avoit
témoigné fon mécontentement en éloignant ce Miniftre
, & pour prouver à l'Angleterre qu'elle n'y
avoit aucune part , avoit promis d'abandonner les
Hollandois à eux- mêmes , &c . &c . il n'y a pas un
mot de tout cela ; le fait eft que tous les voyages
qu'ont fait fucceffivement à Petersbourg le Roi de
Suède , l'Empereur & le Prince de Prufle ont eu le
même objet ; celui d'une pacification générale fous
la médiation de l'Empire & de la Ruffie : au moment
où les Puiffances belligérantes ont été informées
de cette réſolution , approuvée de toutes les
Puiffances neutres , elles ont fenti que la guerre ne
pouvoit être de longue durée , & lorfque la Ruffie
à fait faire à notre Cour des propofitions féparées
en faveur de la Hollande , notre Gouvernement a
répondu que la paix générale étant probablement
très - prochaine , il n'étoit pas naturel d'entrer dans
des arrangemens partiels avec telle ou telle Puif
fance : c'eft de cette réponse de notre Cour que
celle de Ruffie a fait part aux Etats - Généraux par
le Courier arrivé à la Haye le 11 du courant ; leur
donnant à entendre qu'elle ne pouvoit fe difpenfer
de la trouver jufte & raisonnable , & leur promettant
de faifir le moment où les négociations
feront entamées pour veiller aux intérêts de la République
, lui marquer toute la bienveillance & la
mettre dans le cas de jouir à l'avenir , inter pares ,
des avantages qu'elle a dû attendre de fon acceffion
à la Confédération connue fous le nom de
Neutralité- Armée ; ajoutant au furplus que pour
hâter le moment defiré , S. M. I. alloit , de concert
avec les Rois de Danemarck & de Suede , faire auprès
de notre Cour une feconde tentative appuyée
par la médiation preffante de l'Empereur : c'eft ce
( 23 )
dont S. M. I. & Royale a fait part à notre Cour
avant de quitter Vienne ; & c'eft à cette occafion
que le Duc de Gloucefter s'eft rendu à Bruges pour
affurer à l'Augufte Médiateur que la G. B. ne craignant
ni ne defirant la continuation de la guerre
mais flattée de donner des marques de déférence
aux Puiffances médiatrices , & de contribuer autant
qu'il eft en fon pouvoir au rétabliſſemenr de la
paix générale , fe prêtera à tout ce qui pourra lui
être propofé de compatible avec fa sûreté , fon
honneur , fes droits & fes intérêts effentiels . Voilà
où en ſont actuellement les choſes ; fi on vouloit
réfléchir fur ces faits , on fe convaincroit bientôt
qu'il n'y a point de fondement dans tout ce qui s'eft
débité fur les voyages & les démarches des Puif.
fances neutres . La paix eft certaine , mais on ne peut
pas dire très- prochaine , parce que , lorfqu'on en
viendra à la rédaction des articles , il eft à craindre
que les Puiffances en guerre ne foient pas les plus
difficiles à mettre à la raifon ; que celles qui fe
difent neutres , & même médiatrices , n'aient des
prétentions incompatibles avec nos intérêts effentiels
, & que les chofes ne s'embrouillent davantage
, ou du moins ne traînent en longueur. La
communication que l'Impéra rice de Ruffie vient
de faire à notre Cour de la conduite qu'elle fe
propofe de tenir avec la Hollande , eft très - amicale
; mais lorsqu'il eft queftion dans cette pièce
des négociations à entamer , relativement à une
pacification générale , on ne peut s'empêcher de remarquer
que fi les circonftances ont fait renoncer
les Puiffances neutres au projet de nous affujettir
aux articles d'un Code maritime , elles cherchent ,
fous d'autres formes , à donner à leur commerce
un effor qu'il ne peut prendre qu'au détriment du
nôtre la guerre d'ailleurs eft fi décifive qu'à
moins que les Etats qui la font à grands frais ne
s'en ennuient , elle ne peut guère avoir d'influence,
:
peu
( 24 )
fur la paix ; là , nous chantons victoire autour
d'une pyramide de tabac brûlée ; ici , nous déplo
rons le fort de nos vaiffeaux criblés : à deux mille
lieues de cette double fcène , les Efpagnols fe confument
devant un rocher aride , dont la défenſe
nous coûte des flots de fang & des tréſors immenfes
; le même entêtement les épuiſe contre Penſacola.
Nous leur en donnons l'exemple devant les
forts d'Omoa & St. -Juan : depuis l'affaire d'Oueffant
jufqu'à celle de la Martinique , huit combats
livrés entre nous & les François fans qu'il y ait un
feul vaiffeau pris ou coulé bas ! N'en doutons pas ,
c'eſt à l'ennui que nous ferons redevables de la
paix.
On ne parle plus du combat du Commodore
Johnstone , parce que nous craignons
bien que les plaintes de la Cour de
Lisbonne ne nous apprennent qu'il a été l'agreffeur.
On fait que fa deftination étoit pour
le cap de Bonne-Efpérance , & que fon ordre
de bataille était fixé comme il fuit : le Colonel
Fullarton devoit commander l'aîle
droite , le Général. Huberfton la gauche ,
& M. M'Leod le centre. Mais on croit à préfent
certe expédition manquée ; Johnſtone
pour réuffir devoit précéder les François ,
auxquels , quoi qu'il dit les avoir battus ,
il a laiffé prendre une terrible avance.
En attendant des nouvelles de nos éta
bliffemens dans l'Inde , on remarque ici
que le Lord North & la Compagnie commencent
enfin à s'accorder ; la réfiftance
des Directeurs de cette dernière a déterminé
le premier à diminuer la fomme qu'il en
cxigeoit
( 25 )
exigeoit de plus , de 100,000 liv. fterl. On
fe flatte que l'affaire de la Chartre s'arrangera
à l'amiable avant la prorogation du Parle
ment.
La Banque eft bien mieux traitée par le
Miniftre. Le 6 de ce mois il fut queſtion
de fes propofitions à la Chambre des Com
munes.
La Chambre s'étant formée en comité de ſubfide
, M. Robinſon , Préſident , on lut la propofition
des Gouverneur & Compagnie de la Banque d'Angleterre
, portant l'offre de prêter au Gouvernement
la fomme de deux millions à trois pour cent ,
moyennant le renouvellement de fa Chartre actuelle
pour le terme de 21 ans , dont le premier
million fera avancé le 15 du mois de Novembre
prochain & l'autre million le 15 Février fuivant
, avec cette propofition , que fi les deux mil
lions ainfi avancés n'étoient pas rembouríés au s
Avril 1784 , cette nouvelle créance de la Banque
feroit hypothéquée fur le fond d'amortiffement.
-
-
,
Le Lord North dit que ces deux millions feroient
employés à retirer pour autant de billets de
marine. M. Huffey obferva que le Lord North
pouvoit faire un meilleur marché avec la Banque ,
& s'oppofa aux conditions auxquelles on parloit
de lui accorder le renouvellement de fa Chartre.
» Je fais bien étonné , dit M. Pultenay , que le
Lord North cherche à fe procurer deux nouveaux
millions cette année , après avoir furchargé la
nation de l'emprunt de 12 millions . Lorsque je
confidère que la Chambre eft fur le point de ter
miner la feffion , il me paroît bien étrange qu'il
mette fur le tapis une affaire de cette importance.
Feu M. Grenville ne traita avec la Banque qu'au
tems où la Chartre étoit prête d'expirer , & il fit
un marché beaucoup plus avantageux pour le Pu
Juillet 1781.
b
( 26 )
blic que celui dont il eft queftion aujourd'hui.
Alors la Compagnie prêta au
Gouvernement
la fomme de 3 millions à trois pour cent
& donna 110,000 liv. pour le renouvellement de la
Chartre pour 21 ans . Le Miniftre actuel n'a pas
fuivi cet exemple. Il a eu affez de confiance en
lui- même pour traiter avec la Banque cinq an
nées avant l'expiration de la Chartie , de forte que
fi la Compagnie n'accepte pas les conditions qu'on
Jui propofe , elle aura tout le tems de faire réfiftance
& de faire des efforts pour obtenir un
marché bien plus avantageux pour elle. M. Grenville
avoit tout prévu. Il attendit que la Chartre
de la Compagnie touchât prefqu'à fa fin pour
l'obliger à prendre fur le champ des arrangemens.
Le Lord North nous déclare que fon intention
eft d'appliquer les deux millions au rembourfement
des billets de marine ; mais je ne puis me
défendre du foupçon que forment bien des perfonnes
, que la Banque inftruite d'avance de fes
intentions , a déjacheté pour cette fomme des
billets de marine dans le difcrédit où ils étoient.
Enfin la faifon eft fort avancée , & il ne convient
pas de charger cette année le public d'un
nouvel impôt de deux millions : ainfi je m'oppofe
à cette motion. Il fut fecondé par le Chevalier
George Yonge , & le Lord North répli
qua : Pour pouvoir juger fi l'offre de la
Compagnie de la Banque eft bonne ou mauvaiſe ,
il s'agit moins de communiquer quelques papiers
à la Chambre que de raifonner. A l'égard de l'octroi
du renouvellement de la Chartre de la Com.
pagnie avant fon expiration , je remarquerai feulement
que les Directeurs font venus d'eux- mêmes
préfenter au Parlement leurs propofitions , & que
la Chambre peut les rejetter fi elle ne les approuve
pas. Tout ce que la Chambre fait de
leurs affaires , c'eft que leur dividende eft de
( 27 )
huit pour cent ; mais quant à leurs profits , la
Chambre n'a nul droit de s'en informer. - L'état
de la queftion prit alors la forme fuivante : le
Comité s'ajournera - t- il pour que le Préfident faffe
le rapport de fon procédé ? On alla aux voix ,
& la queftion paſſa à la pluralité de 56 contre
27.
Le 18 , la Chambre s'étant formée en Comité
de voies & moyens , le Lord North termina l'affaire
des finances de cette feffion en annonçant que les
fommes fuivantes avoient été votées pour les fervices
de la préfente année.
Pour la Marine. · •
Pour l'artillerie , y compris
le fervice de terre & de
mer les eftimations . . ·
Pour l'armée ordinaire &
extraordinaire.
Pour le remboursement
des billets de l'Echiquier
laiffés à la charge du fub .
fide de la préfente année..
Pour remboursement de
billets de l'Echiquier , octroyés
par un vote de crédit ·
Pour les établiſſemens civils
de plantations.
Pour fervices divers , &
les déficit des précédens
octrois , en tout
8,936,277 1. 5 f. 8 d.
1,316,484 7
7,816,540 II
3,400,000 O
1,000,000
19,000 0
1,288,790 16 0
23,776,093 0 11/1/1
Le Lord North dit enfuite
que pour lever ce fubfide
, les voies & les moyens
déja votés montoient à
21,423,651 liv. 2 f. 5 d.;
b2
( 28 )
mais qu'il reftoit encore
diverfes fommes à voter
& il propofa d'appliquer
les fuivantes au fervice de
l'année , furplus qui proviendra
du fonds d'amortiffement.
Balance entre les mains
des Comptables publics ,
rapportés par les Commiffaires
des Comptes.
Balance , non dans le rapport
, mais examinée &
paffée , quoique non encore
payée à l'Echiquier.
Balance due par la Compagnie
des Indes.
Somme provenant de la
vente des Ifles cédées , des
prifes Françoiles , &c .
cles
Tous ces nouveaux artimontent
enſemble à
Ce qui ajouté aux pre
miers octrois , porte le to-
1,742,912
400, 000
29,701 17 97
402,000
14,000 O
O
2,588,613 12 11 1
tal des voies & moyens à 24,012 , 265 2 4+
qu'à
23,766,093 11
146,172 I 53
Le fubfide ne montant
·
Il y a encore un furplus
d'octroi de S
Les diverfes motions du Lord North , ayant paſſe
fans oppofition , la Chambre s'ajourna auffi - tôt.
FRANC E.
De VERSAILLES , le 3 Juillet.
Le Comte de la Touche de Tréville , an(
29 )
cien Infpecteur- Général des Claffes que le
Roi avoit nonimé Lieutenant - Général des
Armées navales & Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de St -Louis , auquel S. M ,
a donné le commandement de la Marine
à Rochefort , vacant par la mort du Comte
de la Touche fon frere , eut le 14 du mois
dernier l'honneur d'être préfenté au Roi par
le Marquis de Caftries , Miniftre & Secrétaire
d'État ayant le département de la Marine
, & de prendre congé de S. M. pour
fe rendre à fon commandement .
Le 24 la Comteffe de Bianchi & la Comteffe
Julie de Serant , eurent l'honneur d'être
préſentées à LL. MM. & à la Famille Royale ,
la premiere par la Marquife de Clermont
Gallerand , & la feconde par la Baronne
de Serant.
S. M. ayant accordé à M. de Boulongne ,
Confeiller d'Etat & au Confeil Royal , une
place de Surnuméraire au Conſeil de Commerce
il fut préfenté le même jour à
S. M. par M. Joly de Fleury , Miniftre des
Finances.
,
Le même jour les Cautions du dernier
bail des Fermes- Générales , ayant prié M.
Joly de Fleury d'offrir de leur part à S. M.
un prêt de 30 millions fans intérêts , S. M.
a reçu avec fatisfaction cette nouvelle preuve
de leur zèle , & elle a fixé les époques de leur
remboursement pendant les cinq dernières
années du bail actuel.
b3
( 30 )
De PARIS , le 3 Juillet.
SELON les nouvelles de Breft , l'efcadre
de M. de Guichen qui avoit déja appareillé
& qui le 19 avoit été forcée par
les vents contraires de venir dans la rade ,
remis à la voile le 23 du mois dernier.
Voici l'ordre de bataille de cette efcadie.
Efcadre bleue & blanche. Le Magnifique , de
74 , Capitaine , M. de Nieuil ; l'Invincible , de 110 ,
M. de Cherifey ; le Dauphin Royal , de 70 , M.
de Peymier ; le Terrible , de 110 , M. de la Motte-
Piquet , Chef- d'efcadre , M. de la Vayric , Capitaine
de pavillon ; l'Actif , de 74 , M. de Boades l'aîné ;
le Lion , de 64 , M. de Fournoue.
Efcadre Blanche. Le Protecteur , de 74 , M. de
Mithon ; le Hardi , de 64 , M. de Sillan ; le Fendant
, de 74 , M. le Comte de Dampierre ; la Bretagne
, de 110 , M. le Comte de Guichen , Lieutenant
Général , M. de Soulanges , Capitaine de
pavillon ; le Robufte , de 74 , M. Beauffier de
Châteauvert ; l'Indien , de 64 , M. de Senneville,
Efcadre Bleue. Le Guerrier , de 74 , M. de Laurencie
; l'Alexandre , de 64 , M. Dufrétay ; le
Bien-Aimé , de 74 , M. Huon de Kermadec ; le
M. de Beauffet , Chef
d'efcadre , M. Verdun de la Crenne , Capitaine de
pavillon ; le Zodiaque , de 74 , M. de Retz ; le
Triomphant , de 80 , M. du Pavillon .
Royal -Louis de 110 , ›
Frégates. L'Eméraude , de 32 , de Sufanner l'aîné
; la Sybille , de 32 , M. de Vintimille ; la Néréïde ,
de 32 , M. de Quency ; la Levrette , cutter , M. de
Loftange ; le Chaffeur , lougre , M. de Maurville
de Beauvais ; l'Efpiégle , lougre , M. de Gaſton.
Total , 18 vaiffeaux de ligne , 3 frégates , un cutter
& 2 lougres.
"
La deftination de l'Amiral Digby pour
( 21 )
New-York , où il va prendre le comman
dement d'Arbuthnot , & conduire 5 à 6
vaiffeaux de ligne pour remplacer ceux que
ce dernier ramenera en Europe , où ils ont
befoin d'être réparés ; celle de 4 ou 5 autres
vaiffeaux que les Anglois ont dans la
mer du nord , où il paroit qu'ils resteront
toute la campagne , réduifent la flotte de l'Amiral
Darby à 21 ou 22 vaiffeaux de ligne ;
ainfi quand il n'y auroit point de jonction
de quelques vaiffeaux Eſpagnols avec M. le
Comte de Guichen , il a des forces fuffifantes
pour ſe meſurer avec les Anglois s'il les
rencontre .
- Nous attendons avec impatience des nou
velles directes de M. le Comte de Graffe ;
elles ne peuvent tarder après celles que
nous avons reçues de ce Général par la
voie de Londres , de fon arrivée à la Martinique
, & de fon combat ; il a fait la traverfée
la plus heureufe & la plus prompte
dont l'hiftoire de la navigation puifle offrir
des exemples. Parir du port de Breft le 22
Mars avec 26 vaiffeaux , dont 5 fe font
détachés aux ordres de M. de Suffren , il
a continué fa route avec 21 & un convoi
confidérable qui n'a point rallenti fa marche
, puifqu'après avoir mis ce convoi intéreffant
en fûreté dans le port du Fort-
Royal de la Martinique , il en eft forti le
29 Avril pour chercher l'efcadre Angloife
qu'il a atteint le même jour fous le vent
de la Martinique. Elle étoit fous les orb
4
( 32 )
>
dres de l'Amiral Hood ; l'Amiral Rodney
étoit encore à St -Eustache avec le Sandwich.
Il l'a mife en fuite & a maltraité confidérablement
plufieurs de fes vaiffeaux , entr'autres
le Ruffel de 74 , qui , le 3 Mai
fe réfugia à St -Eustache avec 7 pieds &
demi d'eau dans fa cale. L'efcadre qu'il
avoit quittée fe dirigeoit fur Saint - Vin
cent toujours poursuivie par M. de
Graffe , qui , ayant le Vent , la forcera fans
doute à un nouveau combat , ou bien à
tomber tout-à- fait fous le vent , ce qui met
troit les poffeffions Angloifes des Antilles
dans le plus grand danger . Les premières
nouvelles que l'on recevra ne peuvent qu'être
très- intéreffantes ; elles nous fourniront
des détails du combat du 29 , que les Anglois
ne manqueront pas d'altérer pour affoiblir
notre avantage & raffurer la nation
fur la pofition de leurs forces aux Antilles
elles nous apprendront en même tems les
évènemens peut- être plus importans encore
qui auront fuivi ce combat.
du
En attendant on lit dans une lettre de Breft
25 :
" Une prife Angloife faite par un corfaire.
Américain entrée dans ce port & venant d'Antigoa
, rapporte qu'il y a eu un combat entre les
efcadres Françoife & Angloife . Elle ajoute que le
même corfaire a pris une corvette Angloife depêchée
en Angleterre pour y porter la nouvelle
de la défaite de l'efcadre Angloife , & qu'à bord
de cette corvette fe trouvoit le Capitaine d'on
yaiffeau. Anglois coulé bas dans le combat , ou péri
á la côte.
( 33 )
On a reçu des nouvelles de New - Port
dans Rode Island ; M. Deftouche y étoit
occupé à le réparer , & il comptoit fortir
bientôt pour prendre fa revanche. On ne
parle pas de l'Amiral Arbuthnot ; il paroît
qu'il eft revenu de la Cheſapéak , où il
lui étoit bien difficile de trouver dans des
parages les bois propres à radouber fes
vaiffeaux. Notré armée étoit conftamment
dans fes quartiers. C'eft un Officier de
l'armée de M. le Comte de Rochambeaut
qui , dit- on , a apporté les dépêches de ce Ginéral.
Il s'étoit répandu divers bruits qu'on
difoit fondés fur des lettres particulières qui
préſenteroient , s'ils étoient confirmés , un
exemple bien cruel & bien fâcheux d'infubordination
; mais il a fi peu de vraifemblance
, & paroît fi abfolument faux
que nous nous abftiendrons d'entrer dans
aucun détail.
Le convoi de St- Domingue qui avoit
relâché au Ferrol , eft entré heureufement
le 19 dans la rivière de Bordeaux. Les
frégates qui l'efcortoient ont été défarmer
à Rochefort.
On dit que M. de Bellegarde eft parti
pour Breft il y a quelques jours ; le départ
de cer Officier d'Artillerie , & les canons
que l'on a envoyés dernièrement dans ce
port , ont fait penſer à nos fpéculatifs qu'il
alloit à Gibraltar ou dans l'Inde .
Le lougre corfaire , l'Union Américaine
écrit on de Dunkerque , eft rentré dans ce port
bs...
( 34 )
avec 1050 guinées de rançon ; il a de plus envoyé
en Hollande un bâtiment de 200 tonneaux
chargé de charbon de Sunderland . Il a chatſé
jufques dans la rivière Tées , deux brigantins qu'il
a forcé de s'échouer , & qu'il eut brûlés , fi un
corps de troupes accouru fur le rivage ne l'eût
empêché par fon feu de s'en approcher autant
qu'il eût fallu. On apprend de la Rochelle que
la frégate du Roi l'Engageante y a conduit un
corfaire Anglois de 26 canons , qui paffe pour le
meilleur voilier de l'Angleterre , il avoit été chaffé
infructueufement par 4 ou 5 de nos corfaires .
L'Engageante s'étoit emparée auparavant d'un autre
corfaire ennemi qu'elle avoit envoyé à la Co.
rogne «,
----
و
M. de Macnemara , écrit- on de l'Orient ,
Capitaine de vaiffeau commandant la
Friponne , forti de Breſt au commencement
de Mars avec la Gloire , commandée par
M. de Blachon , Lieutenant , vient de mouiller
au-dehors du Port- Louis . Il s'eft emparé ,
dans fa croifière fur les Açores , de quatre
corfaires Anglois , & il a ramené , le 28
Avril , à Cadix , le premier bâtiment de la
Compagnie des Indes Hollandoifes , qui
ignoroit la déclaration de guerre de l'Angleterre
à la Hollande. A fon retour il a
rencontré la Flora & le Croiffant , frégates
Angloifes qui ont combattu , le 30 Mai ,
les frégates Hollandoifes la Brille & le
Caftor , près le cap Spartel. Il a pris le
Croiffant , & repris le Caftor , le 20 Juin
dont 26 fans que la Flora , de 44 canons ,
de 18 , ait voulu le combattre , & le furlendemain
22 , il a pris le corfaire de Briſtol
>
( 35 )
de 14 canons. Il a fait dans cette heureuſe
croifière plus de 700 prifonniers , & pris
168 canons. Il fait beaucoup d'éloges de
M. de Blachon , des deux Etats-majors des
frégates , & des Equipages . Il a appris d'un
bâtiment neutre , que la nouvelle de la
déclaration de guerre à la Hollande eft parvenue
au cap de Bonne-Efpérance , par la
corvette Françoife la Sylphide.
Des lettres de Hambourg & d'Amfterdam
, viennent de nous apprendre la faillite
de la maifon de commerce la plus
opulente du Nord . M. His , qui a acquis
une fi grande confiftance dans l'Europe
, par la réputation dont fon père
jeuiffoit , & qu'il avoit encore étendue ,
vient d'être forcé de fufpendre fes paiemens.
On attribue ce malheur a des retards
éprouvés pour des fommes con-
' es qui lui font dues par différentes
" Europe , & fur tout à la fatalité
uber dans les mains de l'Amieux
vaiffeaux richement char-
' ce Négociant avant la dé
erre contre les Hollandois
Les témoignages d'eftime & de fenfibilité
que lui ont donné fes concitoyens depuis
fon infortune , prouvent que l'on fait dif
tinguer les effets des malheurs imprévus
& accumulés , d'avec cenx de la témérité
ou de la mauvaife fi. Tous les Négocians
s'accordent à penfer qu'il n'y a que la délicate
ffe & la probité qui aient pu déterges
claration
b 6
( 36 )
miner M. His à fufpendre fes paiemens
plutôt que d'abuſer du crédit immenſe dons
il jouiffoit. On eſpère que cette maiſon ne
tardera pas à fe relever , à l'aide des fecours
qu'on lui offre de toutes parts , &
de la rentrée d'une partie de les fonds
qu'elle a trop long - tems attendus.
-
Le 22 Mai dernier entre 5 à 6 heures du foir
on reffentit à l'occident de Roanne , à trois lieues
de cette ville , un orage très violent , dont les
effers ont fur- tout été funeftes à la parcelle des
Forges , annexes de Noés , paroiffe de Renaiſon ;
la grêle qui l'accompagnoit a confidérablement
endommagé les blés & avoines , feule production
de ce pays , fitué dans la montagne , & la chûte
des eaux a dégradé les terres & enfablé les prairies.
Dans la plus grande fureur de l'ouragan , le
tonnerre est tombé fur le clocher , dont il a détruit
la couverture en partie , & comme anéanti
les béfrois ; il s'eft introduit dans l'Eglife par l'ate
doubleau qui fépare le choeur d'avec la nef, a
détaché les clés des cintres , & les a transportées
fur le maître- autel . Deux murs font léfardés à
jour , un autel latéral eft réduit en pièces , le
Chrift & plufieurs ftatues ont été jettées hors de
leur place , & quelques - unes font bifarrement
mutilées. Le pupître , la chaire , le confeffionnak
& les fonts baptifmaux portent chacun diverfement
l'empreinte des jeux terribles de la foudre.
Il paroît que le globe de feu s'est enfin perdu
dans un trou reflemblant à la bouche d'une mine
, qu'on apperçoit au niveau du carrelage . Lorf
qu'après la difparution de la lumière produite par
la préfence du tonnerre on a ofé entrer dans
l'Eglife , on y a trouvé neuf perfonnes que la
dévotion & Feffroi y avoient conduites , éten - i
dues fans mouvement , la face contre terre ; de
2
( 37 )
ce nombre étoit un enfant qui avoit été arraché
des bras de fa mère & emporté affez loin d'elle ;
il n'eft pas bleffé ; les huit autres le font fans danger
pour leur vie ; mais elles ont été affectées
d'une furdité qui dure encore , & aucune ne fe
rappelle la moindre circonftance de ce funeſte
évenement.
M. le Marquis de Cafteja , Seigneur de
Treverai , nous a fait paffer la lettre fuivante
, qui lui a été adreffée par M. Goin ,
Maître de Forges & Procureur Fifcal de la
Terre & Prévôté de Treveray , près Ligny
en Barrois.
» Le jour de la Pentecôte dernière , nous avons eu
en ce canton un orage terrible à l'heure des Vêpress
les habitans di village de Longeville , près de Bar ,
y affiftoient en affez grand nombre dans l'Eglife
du lieu ; ils fe mirent fur le champ , felon la louable
coutume des payfans , à mettre toutes leurs cloches
en branle ; le Curé & le Vicaire , gens raiſonnables ,
leur repréfentèrent que cela étoit au moins inutile ,
peut-être même dangereux , que d'ailleurs cela trou
bloit l'Office divin , au point de les mettre dans
l'impoffibilité de le continuer ; qu'il feroit plus fage.
& plus religieux de continuer à prier le Ciel , & de
chercher à détourner par- là les effets terribles de
l'orage qui fondoit fur le village . Malgré leurs
on voulut toujours fonner ;
trois fois ils firent ceffer trois fois les plus
entêtés des braillards qui conduifent ordinai
rement les Communautés villageoifes , firent re
commencer avec un murmure prefque général ,
appuyé du Syndic , qui fe leva infolemment , dit
au Vicaire que les cloches n'étoient pas à lui , qu'il ·
vouloit qu'on fonnât , &c . A peine exécutoit - on
de nouveau cet ordre , que la foudre tomba fur
le clocher , entra dans l'Eglife par un trou qu'elle
remontrances
#
( 38 )
fit à la voûte , paffa entre les jambes des cent affiftans
à l'Office , fans d'abord faire de mal , remonta le
long d'un pilier , redefcendit , & tua trois perfonnes
roides , & deux autres qui expirèrent un inftant après ,
en blefla au moins foixante , dont vingt fi dangereufement
, qu'on défefpère de les fauver ; plufieurs
ont les jambes & les cuiffes brûlées & noires , leurs
bas & culottes reftans intacts ; un des morts laiffe
onze orphelins . Le Syndic , cité à la Police de Bar ,
a été amendé & puni , mais perfonne n'ofe prendre
fur lui d'interdire la fonnerie quand l'orage eft für
le clocher. Nous étions auth à Vêpres à Treveray ,
où on voulut également fonner; heureufement voyant
l'orage fi près , & me rappellant les exemples que
vous m'aviez cités , & ceux que j'avois lu dans
les papiers publics , du danger de fonner en pareil
cas , je pris fur moi , en ma qualité de Procureur
Fifcal , le Juge étant abfent , & comme votre repréfentant
, Monfieur , de le défendre & de l'empêcher
, même d'autorité , malgré le murmure général
qui s'éleva contre moi , les menaces , injures , & c . ,
réitérées après l'Office & depuis . On croiroit que
l'évènement de Longeville , arrivé fi près d'eux ,
auroit ouvert tous les yeux. Point du tout ,
majeure partie déclame encore , & foutient qu'ils
m'auroient rendu refponfable fi le tonnerre étoit
tombé ; que leurs cloches ont la vertu de les en
préferver , &c. Voilà l'ufage que les Pays ont fait
de cette liberté que les Rhéteurs des villes exaltent
fi fort , ignorant quelle eft trop fouvent pour lui
un moyen de fe nuire à lui - même par le mauvais
ufage que les préjugés & fa déraifon lui en font
faire , & qu'il feroit à fouhaiter que les Seigneurs ,
les Juges & les Pafteurs , naturellement intéreffés
au bien de la chofe , & plus éclairés , fuflent autorifés
à les empêcher. Ne pourriez - vous pas , M. ,
faire à cet égard des repréfentations au Gouver
nement ou aux magiſtrats ( car l'autorité ſeule peut
1
la
( 39 )
obvier à ces abas ) , ou au moins les mettre à portée ,
en publiant ce fait , de prendre des melures relatives
".
Le voeu que forme ici M. Goin , a été
réalisé par le Procureur- Général du Parleiment
de Nancy , qui a adreffé fur ce fujet
à fes Subftituts du reffort la lettre fuivante
, à laquelle on ne fauroit donner
trop de probabilité.
ככ
inftans. -
Depuis long- tems l'expérience attefte que le
moyen d'effuyer les funeftes effets de la foudre ,
eft de fonner quand l'orage eft au - deffus de la
tour , ou qu'il va y arriver . Il n'eft pas d'année
qui n'offre des exemples de cette vérité Phyfique.
Le peuple , fur- tout dans les campagnes , eft fi artaché
à l'idée que le fon des cloches écarte la
nuée , que quoique les Sonneurs trouvent fouvent
la mort au clocher , ils y montent , comme par
une espèce d'émulation , dans les plus dangereux
Les premières notions de la Phyfique
fuffifent pour convaincre que , fi quelquefois
on peut faire changer de direction aux nuées qui
porrent la fondre , lorfqu'elles font encore éloignées
, & que les cloches font groffes , il eft bien
plus certain encore que dès que la nuée eft audeffus
de l'endroit où l'on fonne , c'eft un moyen
de faire tomber le tonnerre , & que les fonneurs
qui tiennent à la main les cordes par lesquelles
la commotion électrique peut aifément fe communiquer
jufqu'à eux , font en danger d'en être frappés.
D'après cela , il eft clair que le mieux eft
de laiffer les cloches en repos , de ne pas même
trop s'approcher du clocher , attendu que , par
fon élévation & par le poids du métal qu'il contient
, il eit plus expofé qu'aucune autre partie
de 1 Eglife . Les mémoires des Académies font
pleins d'exemples effrayans fur cet objet. On y
( 40 )
mobiles. ---
trouve qu'en 1718 , pendant la nuit du 14 au 15
Avril , le tonnerre tomba fur vingt-quatre Egli
fes , depuis Landernau jufqu'à Saint - Paul de Léon
en Bretagne , que c'étoit précisément celles où
l'on fonnoit , & que la foudre avoit épargné les
feules Eglifes dont les cloches étoient reſtées im-
Le 31 Mars 1778 , le tonnerre tomba
à deux lieues de Valence en Dauphiné , fur le
clocher , tua deux jeunes gens qui fonnoient , &
en bleffa neuf autres. Des évènemens à peu près
femblables le font préfentés plus d'une fois en
Lorraine , & le 10 Avril dernier , le tonnerre eſt
tombé fur la Tour de Puttelange , a tué un des
Sonneurs & bleffé les deux autres ; de manière
que s'ils avoient été en plus grand nombre , il
n'eft que trop à croire que tous auroient effuyé
le même fort; & depuis cette époque on continue
à fonner comme on le faifoit auparavant ,
ce qui prouve qu'il eft des préjugés que rien
n'effraie , & qui tiennent même contre le danger
évident de la mort. Il feroit très intéreffant ,
que MM. les Curés des villes & des campagnes
vouluffent bien concourir avec le Ministère pu- '
blic , à perfuader à leurs paroiffiens que rien
n'eft plis dangereux que le fon des cloches
lorfque la muce eft perpendiculaire fur le clocher,
qu'ils des invitaffent à en fufpendre le fon , dans
les momens où le coup fuit de très- près l'éclair ; v
ce qui annonce la préfence du tonnerre.
feroit là un foin bien digne de tous les Paſteurs ;
ils feroient fagement d'observer à leur Troupeau
que fi , dans l'efprit de l'Eglife , les cloches , en
vertu de leur bénédiction , peuvent écarter les
orages , le choix des inftans où il convient d'u -- *
fer de cette refource , eft entièrement laiffé à la
prudence humaine. Il eft affez vraisemblable
que dans l'inftitution primitive on fonnoit pendant
les orages , pour que le peuple vint
-
Ce
( 41 )
-
fe raffembler dans l'Eglife , pour implorer la clémence
de l'Etre Supreme , & le fupplier de ne pas
laiffer détruire en un jour l'ouvrage & l'efpoir
de l'année. Il eſt encore beaucoup de villages ou
l'on fonne pendant la nuit , & où tous les habitans
fe rendent à l'Eglife lorfque l'on eft menacé
, fut la fin d'Avril , ou dans les premiers jours
de Mai , de quelque forte gelée. C'eft fingu
lièrement fous ce rapport que l'ufage des cloches
pendant les nuées , doit être confidéré comme un
ufage pieux. Il peut être utile de les fonner lorf
que la nuée marche vers la ville , le bourg ou le
village , fouvent cela la divife ou la difperfe ,
fur- tout lorfque les cloches font d'une certaine
groffeur ; mais dès que l'orage fe trouve tout à
coup imminent , ou que le fon des cloches n'a pu
l'écarter , il faut ceffer , & en général n'agiter
l'air que le moins qu'il eft poffible . Vous vou- }
drez bien faire paffer copie de ma lettre à tous MM.
les Curés & Vicaires deffervant les Paroiffes de
votre reffort , avec invitation d'en donner lecture >
à leurs paroiffiens , le premier Dimanche qui fui- »
vra fa réception. Je connois trop leur zèle , pour
n'être pas perfuadé qu'ils contribueront de tout
leur pouvoir à remplir l'objet que je me propofe.
Ils fe fouviendront que leur ministère eft effentiellement
un ministère de perfuafion ; tous s'em
prefferont de perfuader à leurs paroiffiens qu'un i
ufage qui expofe inutilement la vie des hommes
& détermine la chûte du tonnerre fur les Eglifes ,
ne peut être aboli trop tôt. Plus l'empire du préjugé
qu'ils attaqueront eft grand , plus il fera 5
confolant & honorable pour eux de l'avoir dé
truit . J'attends même de leur fageffe qu'ils veilleront
à ce qu'on exécute ce qu'ils auront re
commandé , & qu'ils empêcheront que leurs Paroiffiens
, que d'utiles pères de famille aillent in
confidérément chercher la mort au clocher.
1
I
( 42 )
?
» On mande de Gerberoi en Picardie , près Beau
vais , que le 27 Mai dernier , le feu prit à dix heures
du matin , vers le milieu de la ville par des couvertures
de chaume & qu'en très - peu de temps ,
quoiqu'il fît un grand calme , trois maifons couvertes
en tuiles & plufieurs bâtimens de écharge
des maifons voifines , furent confumés : les filmmes
fe portèrent dans d'autres endroits de la ville , '
mais on s'y prit heureufement à temps pour l'éteindre
, malgré le défaut d'eau de cette petite ville ,
bâtie fur le fommet d'une montagne. On évalue
la perte à 15,000 liv. fomme confidérable pour la
petiteffe & la pauvreté du lieu. On recommande à
la charité des perfonnes bienfaifantes les victimes
infortunées de cet incendie «.
On dit qu'au lieu de bâtir une falle provifoire
pour l'Opéra , on s'eft décidé à em
ployer l'argent qu'elle coûteroit à la prompte
conftruction de la Salle de la Comédie
Françoife , près le Palais du Luxembourg ,
qui eft déja fort avancée , & qu'on promet
de livrer le 1 Janvier 1782. Alors
l'Opéra prendra la place des François , fur
le théâtre des Tuileries , & en attendant
on donnera de petits actes & des ballets
pantomimes fur le théâtre des Menus .
Magdeleine Françoife de Meliand , veuve
de René Louis de Voyer de Paulmy- d'Argenfon
, Marquis d'Argenfon , Miniftre &
Secrétaire d'Etat au département des Affaires
étrangères , Grand- Croix & Chancelier
de l'Ordre royal & Militaire de St-Louis ,
Honoraire de l'Académie royale des Inf
criptions & Belles - Lettres , eft morte en
cette ville le 20 du mois dernier , dans la
7Se. année de fon âge.
( 43 )
Marie-Magdeleine Bart , époufe de M
le Baron de la Berthe de Thermes , & fille
de Jean Bart , Chef- d'efcadre , mort en
1702 , eft morte à Sarlat en Périgord le 18
Juin dernier , âgée de 84 ans. Elle étoit
tante de M. Bart , Chef- d'efcadre , ancien
Gouverneur de St - Domingue , actuellement
exiftant ; il y a encore une dernière fille
de ce célèbre Jean - Bart , qui eft la foeur de
celle dont nous annonçons la mort.
De BRUXELLES , le 22 Juin.
LES lettres de Hollande portent que le
24 du mois dernier , la frégate de guerre
la Venus , commandée par le Capitaine
Comte de Rechteren , avoit conduit dans
un endroit près du Texel , un navire Anglois
monté de 8 pièces de canons. La nuit
du 21 du même mois , un corfaire fortit
de Fleffingue ; c'eft le premier qui ait mis
à la voile d'un des ports de la République
depuis la rupture entre l'Angleterre & la
Hollande.
:
On annonce enfin le départ prochain
d'une efcadre ; mais le tems où elle mettra
en mer n'eſt pas encore fixé. Ce n'eſt que
le 21 Juin que le Vice- Amiral Hartfink
ainfi que quelques autres Officiers , ont
quitté la Haye pour ſe rendre à leurs bords ;
M. Kingsberge partit le même jour pour
Amfterdam avec ordre d'engager tous les
départemens de la marine dans cette ville.
à une plus grande activité. Il femble que ce
( 44 )
n'étoit pas Amfterdam qu'il falloit y exhorter
, c'eſt le Gouvernement qui n'en a peutêtre
pas montré autant qu'il auroit pu . Lorfque
les députés des Négocians intéreffés à
la colonie de Surinam , parmi les démar
ches qu'ils ont faites avec plufieurs autres
pour effectuer la confervation des colonies
qui reftent encore à la République , allèrent
folliciter la protection du Stathouder , on
prétend qu'il leur fut répondu qu'on manquoit
de canons ; ils promirent d'en procurer
en moins de fix femaines dûffent- ils
les faire venir d'Angleterre . Le premier
mémoire de l'Amirauté de la Meufe objecta
qu'on manquoit auffi de voiles , & ils promirent
d'en fournir de même ; ce qui n'empêche
pas qu'on ne croie que le départ
de l'efcadre ne foit encore retardé.
» Les Etats de cetre Province , écrit on de la
Gueldre Hollandoife , ont été affemblés extraor
dinairement le 21 & le 22 Mai pour délibérer
fur le plan qui leur a été propofé concernant l'au
gmentation des forces de terre de la République ,
ainfi que pour confentir à l'augmentation de 100
florins en faveur des Ingénieurs , & de 6 tonnes
pour l'Amirauté de la Meufe. Tous les Membres
de notre Régence ont élevé la voix pour faire
fentir l'inconféquence & la , déraifon des délibéra
tions réitérées qu'on preffoit fi vivement pour
une augmentation de troupes de terre , tandis
qu'engagés dans une guerre de mer , on mettoit
tant de lenteur à conſtruire & à équiper des vaif
feaux. Ils ont fait voir qu'il y a encore ici des
ames fermes , que n'a pas intimidé l'exemple de
M. Capellen d'Overyffel , qui vient d'être exclu
peut être pour toujours des affemblées de la Pro(
45 )
vince. Parmi les Membres du quartier de Veluwe
, qui fe font élevés avec le plus de force
contre cette augmentation de troupes de terre , on
diftingue le Baron de Haarfolt , M. Van -Yfth ,
les Barons de Lynden , Van- Oldenaller , &c. mais
leurs efforts ont été vains ; le Grand- Baillif , Baton
de Bentinck , qui préfidoit l'Affemblée , a
tranché net la queſtion , & conclu en faveur de
l'augmentation , en difant qu'il ne falloit pas
écouter les propos de ces jeunes gens.
On affure que la Province de Frife a refufé
de confentir à cette augmentation ; on
ne regarde pas celui de la Province de Gueldres
comme légal , attendu les proteftations
de plufieurs Membres contre cette réſolution.
· » La République , lit on dans une lettre de
la Haye , n'a plus de fecours à attendre de la
neutralité armée. Après bien des longueurs & des
délibérations dont les Anglois ont fu profiter
pour nous affoiblir en s'enrichitlant & en fe fortifiant
à nos dépens , nous apprenons que nous
fommes réduits à nous défendre par nous. mêmes ,
à moins que nous ne déférions aux follicitations
des autres ennemis de l'Angleterre , pour faire
cauſe commune avec eux , combiner enfemble les
opérations , & porter des coups fenfibles à l'ennemi
. Ce feroit notre intérêt ; & il eſt bien fingulier
que nous foyons forcés de douter encore
du parti que l'on prendra ; nous touchons à l'époque
où expirent les fix mois ftipulés par le
traité de Breda. La conduite des Anglois auroit
fans doute juſtifié des mesures offenfives de notre
part ; mais on trouve vraisemblablement qu'il eft
plus noble & fur - tout plus chrétien de fe laiffer
dépouiller par excès de juftice , que de ſe défendre
en violant les traités. Il y a quelques jours -
( 46 )
qu'au fortir de l'affemblée des Etats de Hollande ,
deux Bourguemeftres d'Amfterdam , & M. Viſſer ,
Penfionnaire de la Ville , demandèrent audience
au Stadhouder , qui la leur accorda à la maiſon du
Bois. Ils lurent à S. A. S. , au nom de leurs Commettans
, un mémoire dans lequel , après avoir
affuré ce Prince de la manière la plus forte de
leur amour , de leur refpect & de leur attachement
pour fa perfonne & fa famille , il étoit
inftamment prié d'éloigner de fes Confeils les
perfonnes que la Nation en général regardoit
comme les caufes de cette inaction dans laquelle
on avoit tenu jufqu'à préfent les forces navales
de la République , & par conféquent les auteurs
de la ruine de fon commerce & de la perte de
fes poffeffions. Le Prince leur répondit que la reconnoiffance
& plufieurs autres motifs lui faifoient
une obligation indifpenfable de ne jamais fe
prêter à une pareille propofition . Le 22 Juin ,
le Veld Maréchal Duc de Brunfwick Wolfenbuttel
, eut une conférence avec le Préſident de
femaine , auquel il remit un mémoire , qu'il le pria
de mettre fous les yeux de L. H.P. Ce Prince fe plaint
d'une adreſſe très- offenfante de la ville d'Amfterdam
au Stadhouder ; il ne doute point que, dans
une affaire auffi importante pour la perfonne &
fon honneur , ils ne prennent une réfolution par
laquelle il fera pleinement juftifié d'une accufation
d'être coupable de corruption , & la caufe
de l'inactivité qu'on remarque dans les affaires de
'Etat , & qu'elles ne lui donnent une fatisfaction
convenable. Le Stadhouder , qui fut préfent à la
lecture de ce mémoire dans l'affemblée des Etats-
Généraux , fut d'avis qu'on ne pouvoit fe dif
penfer d'examiner ces plaintes injurieufes au Duc ,
qu'elles fuffent fondées ou ne le fuffent pas ,
parce qu'il n'eft pas indifférent à L. H. P. de favoir
fi quelqu'un qui fe trouve à leur fervice , revétu
d'un caractère auffi diftingué , s'eft en effet
( 47 )
-
rendu coupable de ce qu'on lui impute , & c. Ce
mémoire a été remis en conféquence aux Députés
de chaque Province , & rendu commifforial
pour être examiné & le rapport fait enfuite à
L. H. P. On ne parle plus ici que de cette démarche
de la ville d'Amfterdam , & des fuites
qui peuvent en réfulter , fi elle perfifte dans fa
demande. Des perfonnes accoutumées à juger des
convenances d'après le calcul des probabilités ,
aidées de la connoiffance des caractères des principaux
perfonnages , de leurs vues & de leurs intérêts
, craignent que les deux partis ne s'aigrif
fent davantage l'un contre l'autre , & que la défunion
n'augmente au détriment de la chofe publique
. Les Etats-Généraux ont envoyé ordre
à leur Miniftre à Bruxelles , de deman fer à l'Empereur
s'il veut permettre qu'on lui envoie une
députation de leur part on doute que cette propofition
foit acceptée , S. M. ne fe foucie guère de
complimens , & la République a fans doute bien
d'autres objets qui exigent toute fon attention «
-
:
PRECIS DES GAZETTES ANGL. , du 26 Juin.
Hier au foir le fieur Hoppe , Capitaine du Vigilant
, qui a escorté la flotte des Ifles , eft arrivé à
Londres , avec des dépéches de l'Amiral Rodney
qu'on n'a pas encore jugé à propos de rendre publiques
. Voici ce qui fe débite de nouveau fur le
combat du 29 Avril , depuis l'arrivée de ce Capitaine
il s'eft livré au vent de la Martinique ; quoiqu'il
ait duré trois heures il n'a point été général ,
plufieurs vaiffeaux , particulièrement du côté des
Anglois , n'ayant pu y prendre part. Le fieur Nott ,
Capitaine du Centaure a été tué dans le combat ,
ainfi que deux Lieutenans fur d'autres vaiffeaux . Le
Ruffel fut forcé trois ou quatre fois de quitter la
ligne. Lorfque l'Amiral Rodney apprit à St -Eustache,
du fieur Sutherland , Capitaine du Ruffel , que le
Comte de Graffe , non- feulement avoit eu une
affaire avec une partie de l'efcadre Angloiſe , mais
( 48 )
qu'il avoit fait entrer heureufement fa flotte au
Fort Royal , il parut extrêmement fâché , fur-tout
de ce dernier évènement ; & il fit aufli tôt fes dif
pofitions pour partir lui - même & aller renforcer
'Amiral Hood à Ste-Lucie , où il jugeoit qu'il
auroit fait entrer fon efcadre.
On voit dans une lettre du Chevalier Rodney
écrite de St- Euftache le 12 Février à un de fes amis
à la Jamaïque , les motifs du choix qu'il avoit fait
des vaiffeaux propres à croifer devant le Fort-Royal.
» Le Chevalier Hood , dit-il , lève l'ancre pour
aller joindre l'Amiral Drake à Ste-Lucie ; ils croiferont
enfemble devant la Martinique. Je donne à
l'Amiral Hood les vaiffeaux que je juge pouvoir
prendre le deffus du vent avec le plus de vitelle.
Je garde ici le vieux Sandwich & quelques autres
avec lefquels j'attends de jour en jours vaiffeaux
de ligne Hollandois «<, Les vailleaux qu'il gardoit
étoient le vieux Sandwich , le Triumph
Ajax & le Vigilant . Ce dernier fel a fait jufqu'en
Angleterre la conduite de la flotte. L'Ajax , par
avec elle , eft fans doute retourné à l'efcadre , après
l'avoir accompagné jufqu'à une certaine hauteurs
en effet , quoiqu'il foit dit qu'elle eft partie avec
le Vigilant , on ne voit point qu'elle foit arrivée
avec lui . Comme la flotte qui vient d'arriver n'a pas
pu attendre celle de la Barbade , de Ste-Lucie & de
Tabago , il faudra que le Chevalier Rodney deta
che encore au moins un vaiffeau de ligne pour
l'escorter. Voici l'état de l'efcadre qui refte
l'Amiral Rodney. Le Sandwich & le Barfleur,
de 98 ; le Gibraltar de 80 ; l'Ajax , le Centaure
Alfred , la Refolution , le Monarque , l'Alcide
le Triumph , le Torbay , le Montague , le Shrewf
bury, l'Invincible , le Ruffel , de 74 ; la Princeffe,
de 70 ; le Belliqueux , l'Intrépide , de 64 ; le Pan
ther , de 60. Total 20 vailleaux de ligne ; il n'en a
il a une douzaine de
point
de to canons : mais
fortes frégates & beaucoup de corvettes.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 8 Juins
M. DE BULGAKOW défigné pour aller remplacer
à Conftantinople , en qualité d'Envoyé
extraordinaire , M. de Stachieff , prit
congé de l'Impératrice le 31 du mois dernier
, & fe difpofe à partir cette nuit ou
demain , pour fe rendre à fa deftination ;
il paffera par Cherfon , ville récemment
conftruite à l'embouchure du Mefter dans
la mer Noire .
On dit que le Feld - Maréchal , Prince de
Gallitzin , & le Comte J. Czernicheff
Vice- Préfident de l'Amirauté , ont demandé
& obtenu la permiffion de fe démettre de
leurs emplois.
Selon les lettres de Cronstadt , il y avoit
dans ce port une efcadre de fix vaiffeaux
de guerre prête à mettre à la voile , &
n'attendant qu'un vent favorable . Sa defti;
Marion eft pour la Méditerranée.
14 Juillet 1781. C
( 50 )
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 16 Juin.
ON a reçu la réponſe de la Cour de
France à la Déclaration que la nôtre lui
a faite relativement à la navigation de la
Baltique. Elle eft conforme au fyftême conftant
que la France a fuivi depuis le comment
des troubles , & conçue ainfi :
» Loin de vouloir étendre le théâtre de la
guerre ,
le Roi a montré conftamment le defir de le reftreindre.
L'attention de S. M. à faire fixer précisément
l'efpace des côtes neutres , dans lequel les fujets ne
pourroient pas attaquer l'ennemi , a déja prouvé
combien elle refpectoit la fouveraineté. Toutes
les Puiffances qui bordent la mer Baltique , ayanţ
embraffé la neutralité , S. M, a regardé cette mer
comme fermée , de l'aveu de ces Souverains ; elle
continuera à en agir de même , & S. M. Danoiſe
paroiffant defirer que les ordres foient donnés pour
qu'aucun vaifleau François ne commette des hoftilités
au-delà du Sund , M. l'Envoyé de Danemarck
peut affurer ce monarque que le Roi fe portera vo
lontiers à cette démarche . S. M. n'a rien plus à
coeur que de fixer ce qui eft avantageux & agréable
aux Puiflances neutres , à celles fur - tout qui fe
montrent protectrices de la liberté des mers , &
en particulier à S. M. Danoife , dont elle fouhaite infiniment
de conferver la confiance & l'amitié « .
Un navire Anglois arrivé ici en 12 jours
de Pétersbourg nous a appris qu'il y avoit ,
dans la rade de Cronftadt , 6 vaiffeaux de
ligne Ruffes & une frégate prêts à faire voile
pour le Sund.
(51)
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 16 Juin.
LE Roi eft de retour de Carlscrone où
le 8 de ce mois , il a fait la revue de l'efcadre
qui étoit prête à appareiller & qu'il a vue
metre à la voile. Tous les jours on éprouve
la néceffité d'employer des forces pour faire
refpecter le Pavillon neutre. Le Capitaine
d'un de nos navires écrit d'Oftende , en
date du 20 Avril , qu'à 60 milles ou environ
du Cap Rofaint , il a rencontré un
corfaire Anglois qui , fans refpect pour fon
Pavillon , l'a attaqué , lui a pris fa chaloupe
avec 7 hommes ; mais le lendemain il lui
a envoyé les hommes feulement .
On a publié la notification fuivante :
» Les Navigateurs font avertis qu'il a été établi
à Carlsften , tour du fort de Marſtrand , un Fanal´
compofé de 6 reverbères mis en mouvement par un
rouage méchanique , de manière à faire le tour de
leur axe dans l'espace de 5 minutes , & qui , dans
le même espace de tems , donnent alternativement
fix lumières fortes & trois foibles , le centre des
reverbères étant élevé au- deffus du niveau de la mer
de 133aunes de Suède ( l'aune de Suède eft à-peuprès
la moitié de celle de Paris ) . Ce Fanal fera
allumé le premier du mois d'Août , & le fera de
même toutes les années à la même époque , jufqu'au
premier Mai prochain , ainfi que les autres.
Fanaux du Cattégat . La direction du Fanal fera
de l'eft au fud , à la diftance d'un demi-mille de
Suède des Ifles appellées Pater- Nofter- Kiar , &
à l'eft-fud - eft demi-nord , à la diſtance d'un petit
C 2
( 52 )
mille du banc appellé Krocke- Boden. Quand on
eft à la diftance d'un mulle , directement a l'ouett
du Fanal , on a la dernière des Iles Pater-Nefer-
Kiar , à l'eft quart - nord - eft environ , à la diftance
d'un demi- mille , & le Krocke Boden au fud - eft ,
à la diftance de trois quarts de milles «,
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 16 Juin.
ON s'occupe dans ce Royaume à rani
mer l'Agriculture & l'induftrie trop longtems
négligées par l'Adminiftration , que les
gênes & les troubles que nous avons éprouvés
avoient pour ainfi dire étouffées. Le
Prince Staniflas Poniatowski , neveu du
Roi , a déja attiré fur la terre de Nowodwor ,
une quantité de Laboureurs & d'Ouvriersauxquels
il a fait les avances dont ils avoient
befoin pour la culture des terres ou l'exercice
de leurs profeffions. Un Marchand de
la Baffe - Saxe , par les mêmes fecours , vient
d'y ériger une Imprimerie en caractères Hébraiques
, & dès cette année on compte qu'il
y aura une chaire Grecque établie à Cracovie.
Cette ardeur de former des établiſſemens
utiles femble gagner par degrés plufieurs)
de nos Magnats. Le Comte de Wielohorski
a formé fur fa terre d'Orfchewa , près de
Chelm , un Haras confidérable . Si cet exemple
étoit fuivi , & que d'autres Magnats fe
décidâffent à employer ainfi leur fortune , ce
oyaume feroit bientôt en état de fournir
( 53 )
des chevaux à une partie de l'Europe &
d'attirer beaucoup d'argent par cette branche
de commerce.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Juin.
PARMI les Règlemens que la bienfaisance
& la fagelle ont dictés à S. M. I. depuis
fon avènement au Trône , en voici deux
qui méritent fur- tout d'être remarqués .
Par le premier , il a été déclaré à tous les
Tribunaux du Royaume de Hongrie , qu'à
l'avenir aucune Cour de Juftice , tant féculière
que régulière , ne prononcera de
peines ni de châtimens contre les filles
enceintes , à moins qu'il ne foit prouvé ,
de la manière la plus évidente & la plus
certaine , qu'elles auront cherché à faire
avorter leur fruit. Dans ce cas feul , il fera
procédé avec toute la rigueur des Loix.
Voici l'objet du Second Règlement.
» S. M. I. n'a pu voir fans furpriſe que parmi
les chofes dites faculté de difpenfer & d'abfoudre ,
accordées par le Saint- Siége aux Ordinaires , celle
d'abfoudre des cas réfervés , exprimée dans la
Bulle in Cana Domini , y foit notamment mestionnée
. Comme une femblable faculté d'abfoudre
préfuppofe l'obligation de la demander , comme
fi cette Bulle eût été reçue & acceptée dans tous les
points ; S. M. I. , qui ne peut & ne veut admettre
une telle fuppofition , ordonne , de la manière la
plus précife , que les Ordinaires aient à confidérer
dorénavant comme nulle celle d'abfoudre , fondée
c 3
( 54 )
fur une fuppofition abolument fauffe , & qu'ils
aient immédiatement à donner au Clergé & à tous
leurs dépendans , les inftructions néceflaires & relalatives
, pour le conformer à cette volonté . La
Régence Souveraine a eu ordre de notifier aux Ordinaires
des Etats d'Autriche cette réfolution pour la
faire obferver. Il a été de plus ordonné par un fecond
Décret , en date du 19 Avril , de déchirer de
tous les Rituels les feuillers qui contiennent tant la
Bulle in Cana Domini , que la Bulle Unigenitus «.
De HAMBOURG , le 24 Juin.
L'ESCADRE Ruffe arrivée à Cronstadt ,
forte de 6 vaiffeaux de ligne , eft arrivée
dans le Sund où fe trouvoient déja celles
de Suède & de Danemarck , où réunies
elles préfentent un fpectacle impofant ; elles
fe fépareront en entrant dans l'Océan pour
fe rendre à leurs deftinations refpectives ,
& protéger le commerce des neutres , toujours
violé par les Anglois. Les ſujets Danois
qui fe trouvent à Altona & dans d'autres
endroits voifins de l'Elbe , fe plaignent amèrement
des corfaires Britanniques qui troublent
leur navigation & gênent exceffivement
leur commerce. La neutralité armée
femble n'avoir pas encore réprimé leur audace.
Il feroit plus für d'employer la violence
contre la violence , au lieu des négociations
qui font toujours lentes , qui
arrêtent rarement le mal , & plus rarement
encore amènent les réparations de celui qui
a été fait. Il ne fuffit pas de dire : je veux
être respecté ; il faut agir encore & forcer
( 55 )
au refpect ceux qui y manquent fans ceffe
jufqu'à ce qu'ils y foient contraints. C'eſt
par- là que l'on s'allurera des effets qu'on
fe promettoit de la neutralité armée. Dès
l'année dernière les Anglois ont annoncé
que ce n'étoit qu'un épouvantail dont il ne
feroit plus queſtion au mois de Juin de
celle-ci ; ils ne manquent pas de publier
aujourd'hui qu'elle fera pacifique , que l'idée
d'un code maritime eft déja morte de vieilleffe
, & que les Puiffances qui ont pris les
armes pour l'établir , laffées de la guerre
& fur- tout d'être fi mal fecondées , laifferont
les chofes reprendre leur cours . C'eſt
le tems feul qui peut apprendre ce qu'il
en fera de ces prédictions. L'intérêt général
eft qu'elles ne fe réalifent pas , & les évènemens
qui fixent l'attention de l'Europe
influent fur le parti qui fera enfin pris
& qu'on fe hâte peut -être trop de prévoir
d'après la réponſe qu'ont reçue les Hollandois
. Devenus partie active dans cette guerre
, ils ont mis dans leurs opérations une
lenteur qui n'a pas dû diſpoſer les Puiffances
dont ils attendoient & follicitoient les fecours
à mettre plus d'activité de leur côté.
Leur conduite peut- être trop molle , fembloit
avertir leurs alliés en les invitant à
fe battre pour eux , qu'ils ne feroient pas
prêts auffi- tôt qu'il eût été néceffaire pour
les feconder.
La feuille périodique qui fe publie en
Hollande fous le titre de Politique Hollan-
C 4
7569
C
Bois , s'élève fortement contre cette espèce
d'inertie ; elle en attribue la caufe aux diviſions
de la République. En effet , elle n'a
pas agi avec unanimité , & elle ne feroit
pas réduite à ces embarras , fi toutes les
provinces avoient fuivi l'exemple d'Amfterdam
.
» Cette ville vouloit qu'on éloignât la guerre ,
en ſe mettant dans un état refpectable de défense
qui impolât aux Anglois , fuivant cette maxime ,
dont elle éprouvoit déja la vérité , que les foibles
font toujours la victime des plus forts. Elle favoit
que les Anglois , peuple fier , parce qu'il eft main
, & intéreffé , parce qu'il eft commerçant , n'ont
jamais fuivi que ce droit avec la République . Le
parti oppofé , difoit au contraire que les Anglois
exigeant certaines condefcendances , il falloit les
leur accorder , pour gagner & conferver leur
amitié . I foûtenoit qu'il y avoit plus de fonds
à faire fur la reconnoillance & la générosité Britannique
, que de craintes à concevoir des nouveaux
moyens que cette condefcendance lui fourniroit
pour abufer de fa puiflance. Il s'embarraf
foit peu que la France , vivement intéreflée à cette
démarche , la regardât comme une dérogation au
fyftême de neutralité que la République étoit tenue
d'obferver entre deux puiflances belligérantes.
On s'apperçue même qu'il auroit defiré , dans ce
conflit , entraîner la République dans la querelle
de l'Angleterre , c'eſt-à-dire , fournir des armes à
fon plus dangereux ennemi , affurer à jamais fon
defpotifme fur les mers , & expofer la République
aux attaques de la France. Alors il auroit
fallu lever de grandes armées de terre. Le chef
de la République auroit goûté le fingulier plaifir
de paroître à la tête de nombreufes armées , &
peut- être de jouer un rôle brillant dans les affai137
1
fes de l'Europe. Telle paroît avoir été leur po
litique. Il eft fort douteux fi elle auroit eu le
fuccès defiré. Les annales des évènemens paffés
Hous prouvent , au contraire , que dans toutes nos
guerres avec la France , elle a prefque toujours
été en état d'envahir nos frontières , & quelquefois
de pénétrer jufques dans le coeur de l'Etat.
Une telle politique feroit des plus funeftes :
auffi faut- il bien fe garder d'en attribuer l'idée
au Prince qui eft à la tête de notre République.
On affure , & il eft bien plus probable que la racine
de ce fyftême vient du terroir Britannique.
Jamais , peut- être , la Cour de Londres n'imagina
un projet plus adroit & plus fécond . Il importe d'en
dévoiler l'efprit dans toutes les profondeurs.
,
L'objet oftenfible des munitions navales portées
librement en France , ne peut avoir été la caufe
de fes infultes & de fes clameurs . Quel reflentiment
pouvoit- elle en éprouver , puifqu'elle en interceptoit
impunément tous les navires , fans
s'embarraffer des réclamations des Etats , fans
refpecter les prérogatives facrées du pavillon
d'une puiffance indépendante ? Mais elle eſpéroit
qu'en forçant la République à certaines condefcendances
& à la levée de troupes de terre , elle
pourroit l'entraîner dans une guerre avec la France.
Les François , dans ce cas , n'auroient pas
manqué d'attaquer les frontières : cette démarche
cût naturellement alarmé les puiffances voiſi
nes : Empereur , & d'autres Etats de l'Empire ,
n'auroient pas resté fpectateurs indifférens de la
querelle : avec de gros fubfides , l'Angleterre
eût tiré de fon côté de puiflans alliés : l'embrafement
feroit devenu général dans toute l'Europe.
La France , embarraflée dans une guerre de
terre , n'auroit pu déployer que de foibles efforts
fur mer , & fe feroit vu obligée d'abandonner à
l'Angleterre le fceptre de Neptune & l'empire de
C S
( 58 )
I'Amérique . Voilà fans doute le fecret de la po
litique Angloife relativement à la République.
Voilà le projet pour le fuccès duquel les partifans
nombreux qu'ils ont dans ce pays , devoient
leur fervir d'inftrumens . Voilà pour quel deffein
ils ont cherché à éblouir les fots par les grands
mots d'alliés naturels , comme fi la liberté politique
ne devoit plus exifter , dès qu'on eft, engagé
dans une alliance ; comme fi l'un des contractans
pouvoit manquer à fes obligations fans
que l'autre fût délié des fiennes ; comme fi les
cas de ces fortes d'alliances n'étoient pas toujours
bien & duement ftipulés , & c. «
ESPAGNE.
De MADRID > te 22 Juin.
QUOIQU'IL paroiffe que l'armement projettté
dans le port de Cadix , ne foit pas
pouflé avec beaucoup d'activité , on n'a
pas laiffé de donner un Général au corps
de troupes que l'on dit devoir s'embarquer ;
la Cour a nommé le Duc de Crillon Lieutenant-
Général des Armées de S. M. C. Il
quitta Aranjués le 16 de ce mois après
avoir reçu les dernières inftructions , & il
eft parti hier pour fe rendre à Cadix , où
fe trouvent les troupes qu'on doit embarquer
; la Cour l'a fort bien traité ; il a le
double des appointemens affectés à un Commandant
, & le Roi lui a fait donner outre
cela 100,000 francs pour les équipages.
Le remerciement qu'il a fait à cette occafion
mérite d'être cité. Sire , lui a-t-il dir
( 59
vous agiffer en Roi ; je me conduirai en
Crillon. La deftination de fa petite arinée
eft encore un mystère ; on l'a d'abord envoyée
à Buenos-Ayres , enfuite à la Jamaïque
, aujourd'hui on la croit deftinée pour
Gibraltar ou pour Minorque . Toutes ces
verfions différentes prouvent que l'on ne
fait rien de pofitif. Les fpéculatifs qui penchent
pour la dernière , trouvent qu'il feroit
facile de s'emparer de l'ifle , qu'il feroit
avantageux d'occuper quoique l'on n'eûc
point le fort St- Philippe , parce que l'on
feroit maître de ces parages fur lefquels on
feroit croifer quelques frégates , ce qui délivreroit
la Méditerranée des corfaires qui
l'infeftent. Quand le fort de Gibraltar feroit
décidé , on pourroit alors tenter de
s'emparer auffi du fort qu'il feroit difficile
aux Anglois de défendre lorfqu'on fermeroit
le chemin du détroit à leurs efcadres.
Les nouvelles de Cadix du i5 nous apprennent
que le même jour on a fait fortir
2 vaiffeaux de ligne pour croifer entre les
caps ; on dit ici que leur deftination eft pour
le cap Cantin , où ils vont attendre la riche
flotte fortie au mois de Février dernier
de Montevideo , & qui a ordre de prendre
cette route.
Le convoi qui a relâché à Cadix en venant
de la Méditerranée ne fortit que le 25 ;
quelques - uns de nos navires deftinés pour
les ifles fous le Vent fe joindront à lui.
Celui qui fe trouve à Marſeille auroit mis
C 6
760 )
à la voile s'il n'avoit eu avis qu'il y a
Gibraltar quelques frégates Angloifes qui
pourroient les inquiéter au paffage du détroit.
On preffè le ravitaillement de notre
flotte & l'armement projetté , de manière
qu'on croit que tout pourra être prêt vers
la fin du mois.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 3 Juillet.
,
Nous n'avons point ici d'autres nouvelles
de l'arrivée de M. de Graffe à la
Martinique & de fa rencontre avec l'Amiral
Hood , que celles qui ont fourni , le
27 du mois dernier , une Gazette en effet
très -extraordinaire de la Cour. Comme il
n'eft point arrivé de dépêches poftérieures
à celles que le Capitaine Smith a été forcé
de jetter à la mer on a raifon de craindre
que cette action dont , quoiqu'on en dife ,
on ne nous annonce que le commencement
n'ait eu des fuites fâcheufes. Si l'Amiral Hood
étoit rentré à Ste- Lucie , il y feroit en sûreté
& tout feroit dit pour ce combat inquiétant
que l'on ne pourroit plus le forcer à recommencer
, & il n'auroit pas manqué d'expédier
un nouvel exprès pour nous raffurer
fur fa pofition ; il eft vraisemblable qu'il
n'a pu regagner ce port , qu'il effaye de fe
rendre dans un autre , & que l'Amiral
François le pourfuit. Dans cette pofition ,
il a autre chofe à faire que de nous écrire.
( 61 )
Ce qui contribue à augmenter nos inquié
tudes , c'eft la manière dont cft conçue la
relation que le Capitaine Smith a donnée
de mémoire. Il est bien fingulier qu'il ne
fe foit pas fouvenu d'une circonftance intéreflante
fans doute , celle d'expliquer quand
& comment 4 vaiffeaux ont quitté la ligne
& ont été forcés d'aller fe réparer à Saim-
Euftache ou à St - Chriftophe ? Comment
l'avant-garde ennemie en faifant voile au plus
près a fait ceffer ainfi le combat ? Comment
le Chevalier Hood , qui avoit 18
vaifleaux pendant le combat , après en avoir
renvoyé 4 fe réparer , a pu avec les 14 qui
lui reſtoient , garder à vue un ennemi qui
en avoit 24 ou 25 ? Pour éclaircir toutes
ces affertions , & pour en appuyer plufieurs ,
il eûr fallu des détails , qu'on auroit cu
fans doute fi l'on eût un peu aidé la mémoire
du Capitaine Smith , qui s'eft fouvenu
du nombre des morts & des bleffis
de chaque vaiffeau , & qui a oublié tant
d'autres articles plus faciles à favoir & à
retenir ; fa relation nous apprend que M.
de Graffe eft arrivé le 28 Avril , que le 29 ,
malgré les efforts de Hood il a fait entrer
fon convoi , qu'il a été joint par les vailfeaux
qui étoient à la Martinique , qu'il nous
a combattus , & que l'avantage n'a pas été
pour nous . Les François donneront fans
doute les détails qui nous manquent ; &
s'ils fe font attendre encore quelques jours
nous aurons raifon d'en inférer , que les
( 62 )
fuites de l'action qui feules peuvent retarder
la relation , nous ont été encore
plus funeftes.
Nos nouvelles de l'Amérique- Septentrionale
ne font pas confolantes. On a fu que
le Major- Général Phillips étoit mort d'une
fièvre intermittente , le 16 Mai , c'eſt-à- dire ,
quatre jours après la date de la lettre du
Général Arnold . Ce dernier eft devenu parlà
le Commandant en chef de l'armée de
Virginie ; on conçoit qu'il ne doit pas régner
une grande confiance entre lui & fes troupes
; le Chevalier Clinton s'eft auffi décidé
à envoyer le Général Robertfon , ce qui ne
peut guère que mécontenter Arnold qui
verra dans cette attention une marque de
défiance , & qui doit fentir intérieurement
qu'il n'eft pas fait pour infpirer un autre
fentiment. Il eft important que le Lord
Cornwallis arrive promptement pour mettre
fin aux divifions & aux mécontentemens
qu'on prévoit , parce que le commandement
en chef lui fera dévolu de droit.
--
» Le Général Werbfter , dit un de nos papiers , au
moment de mourir , après la bataille de Guildford ,
obfervoir que ce Lord l'avoit déja deux fois échappé
belle ; mais qu'il lui faudroit un fingulier bonheur
Four ſe tirer d'une troiſième. C'eft un fait inconteftable
que le Chevalier James Wright , Gouverneur
de la Colonie foi- difant reconquife de la
Géorgie , s'eft vu obligé d'en fortir faute d'un
nombre de troupes fuffifant pour s'y maintenir ,
& qu'il s'eft retiré à Charles-Town. C'eft le même
que le Lord North avoit envoyé dans cette pro(
63 )
vince , avec un Sénat & des bills dreffés en Angle
terre , pour y jouer une farce de reftauration qui
n'a duré qu'un moment. C'eſt de lui que fut
гар-
portée il y a quelques femaines dans la Gazette de
la Cour , une lettre où il écrivoit au Lord Germaine
que le 6 Mars , il avoit eu la fatisfaction de donner
le confentement royal à cinq bills , l'un defquels
octroyoit au roi 2 pour 100 à la fortie de toutes les
productions de la Géorgie , comme la contribution
de la Colonie aux charges générales de l'Empire ;
que les fujets loyaux de cette province , avoient paffé
ce bill en pleine liberté , & avec non moins d'empreflement
, & qu'ils fupplioient très - humblement
Sa Majefté de l'accepter comme une marque encore
trop foible de leur attachement pour la mèrepatrie
. Il s'eft écoulé à peine un mois , lorfque le
Gouverneur de ces bons & loyaux fujets s'eft cru
en danger au milieu d'eux , & s'eft fauvé . - On
avoit nommé le Lord Dunmore , Gouverneur de
la Virginie ; on difoit qu'en mettant pied à terre
dans cette province , il verroit tous les habitans
empreffés de le recevoir. Cependant fon départ eft
différé. Le Miniftère a appris , dit- on , que les chofes
ne font pas tout- à- fait auffi heureufement di pofées ;
& on attend pour le faire embarquer des nouvelles
ultérieures du Lord Cornwallis «.
L'extrait fuivant d'une lettre de George-
Town , par un de nos Officiers à fon ami
à Londres , donne une idée de l'état réel
de la guerre actuelle.
Que l'homme qui a un coeur fenfible & ouvert
à la pitié , vienne vifiter nos Hopitaux , qu'il aille
à Charles - Town , à Vilmington & dans d'autres
villes. Ce pays n'eſt qu'un vaſte tombeau pour les
foldats Anglois. Ce carnage n'aura - t - il point de
fin ? Quoique je fois ici pour tuer mes femblables
je fuis las du métier. Nous donnons dans l'excès
164 )
que nous reprochons aux Catholiques Romains ;
en ne gardant point de foi aux Rebelles ; vous ne
fauriez croire combien notre caufe a fouffert en
mille occafions de ce manque de foi . Ces Puiffances
, qui fe font la guerre avec tant de férocité ,
ne feront-elles jamais réconciliées ? Cela me paroît
prefque impoffible. On amena ici l'autre jour
quelques prifonniers . - Parbleu , dit Cornwallis ,
pourquoi ne les a-t- on pas tués à coups de bayonnettes
? Pourquoi nous a-t-on amené ici cette peſte ?
Je hais leur vue . Cela fat dit fi haut , qu'un des
prifonniers l'entendit. Faites ce qu'il vous plaira ,
dit- il , mais comptez qu'on vous fervira de même.
Nous ne faifons que d'entamer la partie. Si jamais
vous fubjuguez notre pays , vous en aurez , croyezmoi
, un beaucoup plus grand nombre à tuer à coups
de bayonnettes. - Pauvre Lord ! il ne fait pas tous les
obftacles qui lui resteront à furmonter , ni comment
il les furmontera ! S'il n'eût pas eu quelquefois le
bonheur du Duc d'Albe , fon fort eût été déplorable.
Gréen , femblable à Guillaume , Prince d'Orange ,
peut fupporter un grand nombre de défaites.Il
ne fe laille jamais abattre ; c'eft un des plus vigilans
& des plus infatigables Généraux qui aient jamais
exifté. Je vais vous citer un fait qui vous prouvera
que nous avons peu d'efpoir de fubjuguer l'Améri
que. J'allai il y a quelque tems avec un détachement
chercher des provifions pour l'armée , à un endroit
appartenant aux Rebelles. Ils avoient eux - mêmes
détruit toutes les provifions , quoiqu'ils en euffent
befoin , plurôt que de les laiffer tomber entre nos
mains. Leur animofité ne peut le décrire . Les
femmes femblent , par les regards qu'elles nous jettent
, vouloir nous poignarder. Elles nous appellent.
brigands , débauchés , allallias. Un de nos
Sergens tua l'autre jour une femme qui lui donnoit
Les enfans des Rebelles femblent
adopter , en croifiant , les principes de leurs pères.
ces noms.
7659
•
4
G
Je demande pardon à Dien du rôle que j'ai joué !
Mon devoir envers mon Roi & ma patrie me l'ont
impofé. Vous me demandez mon opinion ; je
n'en ai aucune . Nous devons , en braves Anglois ,
faire de nouveaux efforts . Peut être que les Américains
fe lafferont de mallacrer , & alors nous_aurons
la paix «.
S'il faut en croire quelques- uns de nos
papiers , un bâtiment arrivé de Terre - Neuve
à Waterford , en 19 jours de traverfée , a
apporté la nouvelle d'une bataille fanglante
entre les Généraux Clinton & Washington ;
mais felon les mêmes bruits elle n'a pas été
plus décifive que les précédentes , puifqu'on
dit que Clinton eft retourné à New-Yorck
& Washington dans fon ancienne pofitior .
Ce qui feroit peut - être plus fâcheux fi cela
fe confirmoit , c'eft qu'il eft parti de Rhode
Inland un certain nombre de troupes pour
tenter une expédition dont on ignore le bur ,
& qu'un autre corps de François a joint le
Général Washington pour agir de concert
avec lui. Cela forceroit le Chevalier Clinton
à conferver les forces , & à ne pas envoyer
des renforts dans tous les autres endroits où
ils feroient néceffaires.
D'autres bruits non moins alarmans (e
répandent fur notre fituation dans l'Inde .
La Compagnie a , dit-on , reçu hier des dépêches
en date du 23 Février . Ce font les
Officiers fupérieurs qui les adreffent . Ils fe
plaignent également de Sir Edouard Hughes
& du Confeil de Madras. Un excès de hauteur
de part & d'autre a privé la côte de
( 66 )
Coromandel des fecours qu'elle devoit attendre
des vaiffeaux du Roi ; l'Amiral pour
fe rendre important & fe faire prier , fei
gnit d'être néceffaire àBombai où l'on n'avoit
pas befoin de lui ; & le Confeil pour ne
fas lui donner la fatisfaction de le prier le
laiffa partir. Il réfulte de cette pique que
les François n'ayant plus d'oppofition à ren--
contrer fur mer , & ayant à l'ifle Maurice
des forces fuffifantes pour feconder les plus
grandes entrepriſes , débarqueront fans obftacles
les troupes deftinées à coopérer avec
celles d'Hider-Ali , & acheveront de dé
truire la Compagnie de ce côté.
Tous ces détails prouvent la néceffité
d'augmenter nos forces navales dans l'Inde ;
& nous avons le chagrin de favoir que
celles qu'y conduifoit le Commodore John
ftone ont été fort retardées ; quelques lettres
particulières atteftent qu'il étoit encore à
San-Jago le 10 Mai dernier ; & malgré fa
prétendue victoire , il n'étoit pas encore
réparé ; les François vaincus pourſuivoient
leur route ; leurs vaiffeaux étoient dans un
meilleur état qu'il ne l'a peint ; il y a plus ;
ce qu'il a dit de l'Annibal doit s'entendre
de l'ifis qui a été totalement déſemparé ,
tandis que l'Annibal réparé à la mer avec
autant de facilité que de promptitude , n'a
pas retardé la marche des autres vaiffeaux
François avec lefquels on l'a vu prendre le
'chemin des Indes.
La grande affaire du renouvellement de
( 67 )
la Chartre de la Compagnie des Indes eft
enfin terminée. Le Lord North , au lieu
de 600,000 liv. fterl. qu'il demandoit , s'eft
contenté de 402,000 . Ce ne feroit peut- être
pas le moment d'en exiger de l'argent ; elle
a beſoin de tant de fommes pour faire face
aux dépenses de la guerre actuelle , qu'elle
eft plus dans le cas d'en emprunter que d'en
donner.
Ayant été informé , dit un de nos papiers ,
par quelques perfonnes verfées dans les loix ,
qu'on étoit fort embarraflé pour faire un préambule
au Bill concernant la Compagnie des Indes
Orientales , je prens la liberté de vous pro
pofer de choisir l'un des deux modèles fuivans
quoique perfuadé qu'on n'acceptera ni l'n ni l'autre.
- » Comme il a été ftatué par un acte de la dix - neuvieme
année de George III que pour l'emploi des
profits additionnels des Revenus Territoriaux , on
attendroit qu'il fût fait une convention entre le
Public & la Compagnie , ce qui a été confirmé
dans les mêmes termes par un autre Acte de la
vingtieme année de George III ; comme cette convention
n'a pas eu lieu , & qu'il y a encore deux
années à courir avant l'expiration de la Chartre
qui donne à la Compagnie le commerce exclufif,
pendant lesquelles deux années , on pourroit faire
cette convention entre le Public & la Compagnie ;
en conféquence il eft ftatué par le préfent Acte que
les 600.000 liv. confidérées comme le furplus de
ce revenu , qui eft actuellement dans le tréfor de
la Compagnie , appartient dès-à- préfent au Public
en vertu de cette convention qui n'a point été
faite , & conféquemment fera payé auffi- tôt , fans
autre formalité au tréfor public, » Comme la
Compagnie des Indes doit dans fes différentes
Préfidences de Bengale , Madras & Bombay .
768 )
plus de 1,600,000 livres fterl. , & comme cette
Compagnie a actuellement dans fon tréfor à Lon
dres , 600 , coo liv . qui font fans doute la balance
de les comptes en Angleterre , & comme il eft taifonnable
& conforme à l'ufage des Marchands de
déterminer leurs profits fur une balance locale de
leurs comptes , toutes les fois qu'ils ont intérêt de
faire paroître leur fortune meilleure qu'elle ne l'eſt
en effet , & comme il eft hors de doute que les
différentes Préfidences des Indes doivent tirer cette
année , & tireront l'année prochaine des Lettres de
change pour des femmes confidérables fur la Com .
pagnie des Indes en Angleterre , qui n'aura pas
ailez de fonds pour les payer. En conféquence il
eft ftatué d'après ces raifons puiffantes , que ladite
fomine de 600, oco liv . , pour l'emploi de laquelle
il a été réglé par Acte du Parlement qu'on attendroit
une convention entre le Public & la Compagrie
, appartenoit de droit à l'Etat , avant cette
convention ; & en conûdération de cette douce &
équitable décision du pouvoir légiflatif , il fera
permis à la Compagnie des Indes de lever par des
obligations la fomme d'un demi-million pour faire
face à fes payemens & particulierement à ceux des
Lettres de change qui feront tirées de l'Inde fur
elle jufqu'à la concurrence de ce qu'elle pourra fe
procurer de la forte .
La Gazette de la Cour du 30 du mois
dernier a publié la dépêche fuivante du Capitaine
Williams , Commandant de la Flora ,
rentrée à Spithéad le 27.
Up
Le 3 Mai , je fis voile du Part- Mahon , avec le
vaiffeau de S. M. le Crefcent . Le 23 , dans la ma、
tinée , nous découvrîmes au vent & vaiffeaux mâtés
à carré. Vers les 7 heures , nous les reconnu.
mes Efpagnols , confiftant en un vaiffeau de 74 ca
nons , 4 chébecs , un bâtiment armé & 2 galiotes
à bombes , deftinés pour Gibraltar. Le Commo
( 69 )
P
dore Efpagnol fit le figual de donner la chaffe , &
porta fur nous : 2 9 heures , for un autre fignal ,
5 vailleaux de fon elcadre ferrèrent le vent , gouvernant
vers la côte d'Espagne , tandis que lui , à
bord du vaiffeau de 74 canons , avec deux chébecs
de 36 chacun , continuoit de nous pourfuivre. Vers
les 11 heures , un des chébecs fe trouvant à la portée
du canon du Crefcent , il s'enfuivit une cañonnade
de plus de 3 heares , dans laquelle le Crefcent
ne reçut aucun dommage ; entre deux & trois
heures de l'après midi , m'appercevant que le
chébec pourfuivoit de près le Crefcent , & c
grant qu'il ne tombât eatre les mains de l'ennemi
je vins au lof , diminuai de voiles , & me portai
avec la Flora entre les deux vaifeaux , tirant fur
l'ennemi tous les canons que l'on pouvoit pointer
contre lui ; & lorfque je jugeai que le Creſcent étcit
hors de fa portée , je fis voile pour le joindre. Je
perdis en cette occaſion un homme , & un aurre
eut le bras emporté . Entre 4 & 5 heures , le ché ,
bec mit en panne pour réparer quelques domma
ges dans fes mâts & fes agrêts , & pour donner au
Commodore , qui étoit à quelque diftance en arriere
, le temps de le joindre à 6 heures , la
chaffe recommença ; mais nous changeâmes de
route pendant la nuit , & nous ne les vimes pas
le lendemain. Nous rebroufsâmes chemin jufqu'au
Cap Palos , à la hauteur duquel nous croisâmes
pendant deux jours . Ne rencontrant que des bâti
mens neutres , nous nous portâmes fur la côte de
Barbaric , & prenant tous les avantages du vent
nous arrivâmes à la hauteur de Gibraltar le 29 ;
às heures du matin , nous mîmes en panne à
quelque diftance du rocher , pour donner avis au
Général Elliot de la rencontre que nous avions faite
de l'efcadre Espagnole. Nous allâmes enfuite vers
Ceuta , pour reconnoître deux gros vaiffeaux : c'é
toit deux frégates Hollandoifes ; nous nous difpo-
:
( 70 )
:
au
---
sâmes à les attaquer , mais le vent s'étant élevé
dans le canal , nous attendîmes une occafion plus
favorable. Le lendemain matin , la mer étoit calmée
; au point du jour , nous portâmes fur le canal
, & a heures s'engagea le combat , vaiſſeau
contre vaiſſeau , à la diftance d'une encablure. Il
continua pendant deux heures & un quart ,
bout defquelles mon antagoniste amena fon pavil-
Ion c'étoit le Caftor , frégate de Rotterdam ,
commandée par le Capitaine Pieter Melwill , montant
26 canons de 12 livres , & 10 de 6 : le compler
de fon équipage confifte en 230 hommes .
L'action entre le Crefcent & la Brille , frégate de
même force que le Caftor, montant 26 canons de
12 livres , de 6 & 8 de 4 , fe foutint quelques
minutes de plus : un malheureux boulet emporta
le grand mât & le mât d'artimon du Crescent , &
leurs débris en tombant , rendant fes canons inutiles
, & toute manoeuvre impoffible , le Capitaine
Pakenham fe trouva dans la néceflité défagréable
d'amener le pavillon du Roi. Nous parvinmes ,
avec beaucoup de difficulté , à porter de fon côté
l'avant de notre vaiffeau , & nous empêchâmes l'ennemi
d'en prendre poffeffion ; il gagna le large ,
& l'état de délabrement où nous étions , ne nous
permit pas de le pourfuivre : le Crescent & le Caftor
faifoient 4 à S pieds d'eau par, heure . Il y eut
à bord de la Flora , 9 hommes tués 32 bleffés ;
parmi ces derniers font le Lieutenant Poffell , des
troupes de la Marine ; M. Stewart , Maître Canonnier
, qui , à ce que je crains , ne ſurvivra pas à
cet accident , & M. Hutchenfon , Contre Maître ; 8
hommes font morts depuis des fuites de leurs bleffures
. A bord du Crefcent , 16 tués & 67 bleffés
; parmi les premiers eft le Capitaine Hayward ,
des troupes de la Marine , & parmi les derniers ,
le Lieutenant Ellery , fecond du Crefcent , mort
quelques jours après le combat , ainfi qu'un Mate70)
lot. A bord du Caftor , 22 tués & 41 bleffés ,
dont plufieurs font morts depuis.
C'est avec
regret que j'ajoute à cette lettre une circonftance
qui me caufe un chagrin infini . Les réparations
des 3 vailleaux tinrent s jours ; nous marchâmes
fans interruption jufqu'au 19 , que de bonne heure
dans la matinée , par lat . 47. N. long. 6 30. O.
donnant chaſſe à un brigantin corfaire , qui nous
avoit fuivi toute la nuit , & partie du jour précédent
, je découvris , au moment où une rafale venoit
de s'éclaircir , deux vaiffeaux au vent qui s'apprc.
choient je virai vent arrière , & me portai vers le
Crefcent & le Caftor , me flattant que l'apparence
de notre force unie ralentiroit l'ardeur de leur
pour fuite ; je me trompai , ils continuèrent la chaf
fe , encouragés , fans doute , par l'apparence de l'é,
tat délabré de mes conferves , & gagnoient à force
fur nous. Convaincu de notre foiblefle trop réelle ,
je ne crus pas prudent de hafarder une nouvelle
action , & mes Officiers furent de la même opinion
; chaque vaiffeau prit donc une direction différente
, & vers une heure après midi , j'eus la mortification
de voir le Caftor repris par une des frégates
qui tira un coup de canon & arbora pavillon
François. L'autre ne put point joindre la Flora ,
pourſuivant le Crefcent ; & comme la nuit étoit
claire , je crains beaucoup qu'il n'ait partagé le fort
du Caftor. Si l'on réfléchit fur la diminution caufée
dans les équipages des frégates par le nombre des
tués & bleffés & des hommes mis à bord de la
prife , confiftant en 38 de la Flora , & pre :qu'autant
du Crefcent , j'ole me flatter qu'on ne m'accu
fera pas de mauvaiſe conduite.
N. B. La Flora montoit 36 canons & 270 hom◄
mes ; le Crefcent , 28 canons & 200 hommes.
S'il faut en croire la plupart de nos papiers
publics , on a commis des bévues bien
fingulières dans le ravitaillement de Gibral
( 72 )
tar. On peut juger de l'efpèce de ces bévues ;
par les queflions fuivantes.
>
» 1 ° . N'a-t-on pas envoyé à Gibraltar un vaif
fcau chargé de munitions navales & fur-tout de
mâts pour les vailleaux défemparés qui relâcheroient
dans ce port ? 2 ° . N'a- t-on pas frété à Londres
un bâtiment pour transporter ces munitions,
Lorfque ce bâtiment eft arrivé à Portſmouth &
qu'on a voulu arrimer les mâs , n'a - t-on pas trouvé
que le bâtiment étoit trop court d'un quart pour
ces pieces de bois ? 3. Au lieu de prendre un bâ
timent plus lorg n'a -t-on pas coupé tous les
mâts , & n'ont-ils pas été gâtés par cette ingé
`nicufe effource ? 4 ° . Ne deftina - t-on pas un autre
bâtiment à porter des blocs & poulies . Arrivé à
Gibraltar ne s'apperçut- on pas qu'on avoit oublié
toutes les poulies ? 5. Les poulies fans les blocs
peuvent elles être de quelque ufage ? 6° . Quelques
jours après avoir fecouru Gibraltar ne s'apperçut
on pas qu'il y avoit un bâtiment chargé de bou
lets , & qu'on n'avoit pas embarqué la poudre ?
7° . Cette découverte ne jettarelle pas la plus
grande confternation dans la garnifon & dans l'ef
cadre ? 8. La poudre n'étoit-elle pas l'objet dont
la gainifon avoit le plus befoin ? 90. Chaque vail
feau ne céda- t-il pas une fi grande quantité de la
fienre qu'on avoit lieu de defirer de ne point rencontrer
Tennemi au retour ? 10 ° . Si notre e cadre
eût rencontré l'ennemi , quelle en auroit été probablement
la conféquence ? 11. N'y a-t- il pas cu
une fédition à Gibraltar & cette place ne court-'
elle pas grand rifque de tomber entre les mains
des Espagnols ? 12 ° . L'Angleterre n'eft- elle pas dans
un état défeſpéré , & la convulfion de fon corps ,
politique n'annonce - t - elle pas fa fia prochaine
On defire des réponses non équivoques à ces ques
tions c
On
( 73 )
>
On s'attend à voir bientôt le Parlement
fe féparer. Le Lord North a fermé fon Budget
; c'est-à- dire que l'Affemblée nationale
lui a accordé toutes les fommes qu'il a demandées
, & a confenti aux moyens qu'il a
propofés pour les trouver. Elles montent
à 23,766,093 liv. fterl. Un de nos papiers
publics en parlant de cette fomme énorme
ajoute cette réflexion. » Voilà donc le Budget
fermé. Mais qu'il eft inquiétant ! 24
millions accordés & empruntés de la manière
dont on l'a fait ! La dette de la nation
pour cette année eft augmentée de 33
millions fterl. ; & comme fi cela n'étoit pas
affez , on a accordé encore un million au
Roi pour des dépenfes extraordinaires « . La
demande de ce million fut faite le 19 Juin ,
& accordée le lendemain.
Dans la même féance M. Fox remit à la
Chambre des Communes une, requête des
prifonniers de guerre Américains , qui demandent
à être traités comme ceux des autres
nations , qu'on leur accorde les mêmes
vivres , les mêmes vêtemens , & c . Les Pairs
avoient reçu une pareille requête la veille ,
& en avoient renvoyé la délibération à aujourd'hui
; les Communes doivent s'en occuper
demain.
On lit dans un de nos papiers l'anecdote
fuivante.
Les motifs de l'averfion héréditaire de M. Charles
Fox , pour l'acte concernant la police des
mariages , n'étant point connus généralement , le
14 Juillet 1781.
d
( 74 )
public fera fans doute bien- aife de les connoître .
Le grand-père de M. Fox étant Secrétaire du fea
Duc de Richmond , fon fils fut élevé & traité
comme s'il eût été parent de ce Seigneur. Il devint
amoureux d'une des filles du Duc ; on découvrit
le projet qu'il avoit formé d'enlever cette Demoifelle
, & on lui défendit en conféquence de
mettre les pieds dans la maifon. Les amans fe
trouvèrent quelque tems après au Théâtre de
Drurylane , & M. Fox emmena fa prife avec fa
fuivante dans une voiture à fix chevaux , à une
campagne convenable à fes projets , où le mariage
fut auffi-tôt confommé. Si l'acte de mariage
eût alors été en vigueur , fes claufes étant
contraires à une ſemblable union , M. Fox , ainfi
qu'il en convient lui - même , n'auroit peut - être
jamais exifté.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 10 Juillet.
Le premier de ce mois la Comteffe Julie
de Seran , a eu l'honneur d'être préſentée
à LL. MM . & à la Famille Royale , par
la Ducheffe de Bourbon , en qualité de Dame
pour accompagner cette Princeffe .
De PARIS , le 10 Juillet.
IL paroît que l'efcadre aux ordres de M.
le Comte de Guichen , partie le 23 du mois
dernier à 3 heures & demie du foir , va
à Cadix fe réunir à la flotte Efpagnole pour
croifer de conferve pendant l'été , & in(
75 )
tercepter les flottes & les convois ennemis.
On apprend de Rochefort que l'Illuftre
& le St- Michel ont appareillé également
le 23 pour fe joindre à la grande efcadre ;
le St-Michel s'en séparera & accompagnera
jufqu'à St-Domingue tous les navires raf
femblés à l'ifle d'Aix.
4
Le départ du convoi de l'Inde eft retardé ;
en conféquence on a retiré les troupes qui
étoient à bord des vaiffeaux à l'ancre fous
Groix. La faifon étant trop avancée pour
faire courir les rifques d'une traversée laborieuſe
à ce riche convoi , il profitera d'une
autre mouſſon , & ne partira d'Europe que
vers la fin du mois de Septembre.
Le Sagittaire & le Fier n'ont pas tardé
à paroître à Rhode-Ifland après l'arrivée de
la Concorde. Tous ces vaiffeaux font arrivés
en bon état ; & dans les premiers jours du
mois de Mai , l'efcadre a dû appareiller une
feconde fois pour une expédition particulière
; elle a , dit- on , 2000 hommes de
troupes à bord , fous les ordres de M. le
Chevalier de Chatellux.
Nous attendons toujours avec l'impatience
la plus vive , les dépêches de M. de
Graffe ; on ne doute pas que ce Général n'ait
acculé l'efcadre Angloife de manière à lui
interdire tout retour à Sainte- Lucie ; ou
même à la faire tomber tout-à-fait fous le
d 2
( 76 )
vent , ce qui le rendra maître d'entreprendre
tout ce qu'il voudra aux Antilles . La relation
qu'on a donnée à Londres de cette
rencontre des deux efcadies , que nous regardons
comme une première action , eſt
fi extravagante , qu'on n'eft pas peu étonné
qu'elle ait donné lieu à une Gazette extraor
dinaire de la Cour. Nous fommes perfuadés
ici qu'il y a eu une autre action ; & ce qui
prouve que les deux flottes ne font pas
rentrées dans leurs ports refpectifs , c'eft
qu'il n'eft point arrivé d'avis de l'Amiral
Hood , ni de M. de Graffe , ils ont donc tenu
la mer encore long tems après le 29 , époque
du combat, Peut- être font- elles tombées
toutes deux fous le vent ; & nous ignore
rions encore l'arrivée de M, de Graffe dans
ces. parages , fi le fort des armes n'avoit
conduit le Ruffel & les autres vaiffeaux
maltraités auprès de Rodney , à l'ifle de St-
Euftache ou à St- Chriftophe.
» Le corfaire Américain le Pilgrim , écrit-on de
Breft , qui a pris la corvette qui portoit en An
gleterre la nouvelle du combat du 29 Avril , eft
entrée ici le 27 Juin ; il a effectivement à bord
un Officier de la marine Angloife , qu'on dit avoir
commandé un vaiffeau de ligne ; mais il n'a jamais
voulu répondre aux queftions qu'on lui a
faites ; fon devoir , dit - il , ne le lui permettant
pas. Au refte , jamais campagne ne s'eft préfentée
avec un afpect plus favorable que celle - ci ;
une remarque que tout le monde peut faire , &
qui conftate la prévoyance , l'intelligence & l'ac
( 77 )
tivité qui en ont dirigé le plan , c'eft que ceux
de nos vaiffeaux de ligne en état de tenir la mer,
au nombre de 71 , font tous en ce moment
fous voiles «<
Des lettres de ce port en date du 4 Mars ,
donnent les détails fuivans.
» On ne doute point ici que M. de Graſſe n'ait
remporté un avantage confidérable ; & il paffle
pour certain que M. de Suffren n'a point , à
beaucoup près , été maltraité au point que le dit
Johnftone , & que ce n'eft point lui qui a violé
le territoire Portugais. On a trouvé à bord
de l'Avifo , pris par le corfaire Américain , le
Pilgrim , une feuille d'une lettre écrite par un
Officier de l'efcadre de Hood , & qui contenoit
deux feuilles ; elle commence par un détail du
combat , ou plutôt des deux combats de M. de
Graffe , & finit par dire que les fecours font on
ne peut plus néceffaires , & plus urgents ; fuivant
cette lettre , le premier combat n'a été qu'une
chaffe , parce que les Anglois ont fui , très- furpris
de voir à M. de Graffe 24 vaiffeaux au
lieu de 12 qu'ils attendoient ; mais pour ne pas
tomber fous le vent , ils ont été obligés de changer
de route & de combattre. Cette lettre porte
en fubftance : nous avons eu connoiffance le
29 Avril , de l'armée de M. de Graffe , qui fit
entrer fon convoi à la Martinique le 30 ; il attaqua
notre efcadre fans avoir mis à terre , & il
nous a battus au vent & fous le vent. Sept de
nos vaiffeaux ont été mis dans l'état le plus déplorable;
un entr'autres , s'il n'a pas coulé bas ,
doit être tombé au pouvoir de l'ennemi . M. de
Graffe faifoit route pour Saint-Eustache , où étoit
Rodney , avec deux vaiffeaux . On ajoute
que les poffeflions Angloifes dans les Antilles font,
-
"
d 3
( 78 )
par ce malheureux évènement , expofées à tout ce
que les François voudront entreprendre «.
Selon des lettres de Conftantinople on
y a reçu de Baffora des avis certains
qu'Hyder- Aly affiégeoit Madras , & que
les Marattes d'un autre côté bloquent Surate
; les uns & les autres égorgent tous les
Anglois qui leur tombent fous la main , &
ne font quartier à aucun. Plufieurs particuliers
effrayés ont abandonné l'Inde avec une
partie de leurs richeffes , & on en a vu
arriver un grand nombre au Caire. Ils confirment
les avis venus des places voifines
de l'Inde , & ils font perfuadés que fi l'efcadre
en ſtation à l'ifle de Bourbon , fe
préfente devant Madras , cette importante
place ne pourra pas faire une longue réfiftance
à caufe de l'indifcipline des Sipayes
chargés de la défendre ; ils font déja fort
indifpofés contre le Gouvernement Anglois ,
& Hyder- Aly pourra aifément les corrompre
& fe faire ouvrir les portes de la
ville.
On a reçu de l'Orient les détails fuivans
de la croisière des frégates du Roi la Friponne
& la Gloire , commandées par M.
de Macnemara , Capitaine , & M. de Blachon ,
Lieutenant de Vaiffeaux. Ils méritent d'être
joints à ceux que nous avons déja donnés .
» Le 25 Mars , prife d'un bricq corfaire de
16 canons , à 60 lieues oueft de l'Ife Tercere.-
Le 17 Avril , rencontre d'un vaiffeau de la Com
( 79 )
pagnie Hollandoife des Indes , qui ignoroit
la déclaration de guerre , efcorté jufqu'à Cadix
; il y avoit fur le vaiffeau 1400,000 florins
pour le compte des paffagers Anglois. - Le 3
Mai , prife de deux gros corfaires , de 28 canons
, la Royale Charlotte & le Phénix , après un
léger combat , envoyés tous deux à Cadix. - Le
-31 , la Fripponne , féparée de la Gloire , s'eft emparée
, fous l'Ife Flore , du corfaire le Betfey
de 24 canons en batterie , après demi - heure de
combat , dans lequel le Capitaine Dowling & 18
hommes de fon équipage ont été tués. Le
19 Juin , la Fripponne & la Gloire ont rencontré
à 60 lieues O. S. O. de l'Ile d'Oueſſant , 2 frégates
Angloifes , la Flore , 40 canons , dont 26 de
18 , & le Crefcent , de 36 de 12 , qui s'étoient
emparé , après un rude combat , de la frégate
Hollandoife le Caftor , de 36. Le Capitaine
William , commandant la Flore , ne fe croyant
pas affez fort avec les 3 frégates , pour combattre
les deux Françoifes , a abandonné le Crefcent
& le Caftor , qui ont été conduits à l'Orient.
Le 22 Juin , étant à 30 lieues dans l'Oueft de
Peunemare , elles ont pris le corfaire l'Aventure ,
de 14 canons , conduit à l'Orient. En tout 182
canons & 760 prifonniers.
On raconte que
le Capitaine Prefcott , commandant la frégate Angloife
le Mercury, de 36. canons mouillé à
Fayal , avec deux corfaires de 14 canons , s'étant
vanté de s'emparer d'une frégate Françoife , lui
fût- elle fupérieure , & cette bravade ayant été rapportée
à M. de Macnemara par les Portugais
i envoya fur le champ à bord de l'Anglois ,
un Officier , pour prier le Capitaine de fe rendre
au large , en lui difant qu'il pouvoit prendre avec
lui les deux corfaires , & qu'il l'attendroit d'un
foleil à l'autre. L'Anglois ne fortit point , ce qui
>
d 4
780 )
-
l'expofa aux plaifanteries des Portugais ; il ne
mit à la voile que quatre jours après qu'il fut
affuré du départ de la Fripponne. La Gloire atrivée
8 jours après à Fayal , a été inſtruite de
cette dernière circonfiance . Cette croisière ne
pouvoit être plus heureufe ; elle couvre de gloire
M. de Macnemara. On remarque ici qu'il aurcit
droit de réclamer les 1400,000 florins appartenans
aux ennemis à bord du vaiffeau Hollandois de la
Compagnie des Indes , qu'il a eſcorté juſqu'à Cadix.
It femble en effet qu'il conviendroit.de fuivre
l'exemple des Anglois , qui confifquent toutes les
propriétés ennemies qui font à bord des vailleaux
neutres dont ils s'emparent . Le Capitaine du
Crefcent ne fit aucune réfillance , lorsqu'il fe vit
abandonné par la Flore ; il eft furieux contre le
Capitaine William , & veut , dit- il , le faire pendre
, à fon retour en Angleterre «<
M. Chardon , Procureur Général du Con
feil de l'Amirauté , eft arrivé à Breft portant
un Arrêt du Confeil concernant la
vente des prifes de M. de la Motte- Piquet.
On a procédé tout de fuite à leur déchargement
en faveur de M. Borel & Compagnie
, Négocians à Bordeaux , à qui elles
ont été vendues en gros & en totalité par
le Confeil de Marine & par MM. les Capitaines
des bâtimens de l'efcadre.
» Le courier d'Espagne , écrit- on de Bayonne
nous apprend l'arrivée à la Corogne d'un corfaire
Anglois de 24 canons pris par la frégate du roi
l'Engageante. Le 12 Juin , le convoi de Marfeille
fe préparoit à appareiller de la baie de Cadix ,
fous fcorte des frégates l'Alcefte , la Sérieufe
& de la corvette la Budine. Un fecond convoi de
( 81 )
11 navires alloit en même-tems mettre à la voile
pour retourner à Marseille , fous l'escorte des
frégates la Montréal & la Bionde ; ce dernier
ramène dans les ports de la Méditerranée les malades
& les effets que les efcadres forties de Toulen
avoient laiffées à Cadix «‹,
Suivant les lettres de Madrid , M. le Duc
Crillon , Lieutenant - Général , a dû arriver à Cadix
le premier de ce mois , où les 8oco hommes qu'il
doit commander doivent être arrivés en mêmetems.
M. de Boux , Suiffe , Lieutenant Général ,
commande en fecond. On foupçonne que cet embarquement
a l'Ile de Minorque pour objet. Cependant
6 vailleaux qu'on matelaſſe à Cadix , pourroient
faire croire qu'on veut entreprendre fur
Gibraltar par la pointe d'Europe , fuivant le projet
de M. Gautier , qu'on ajoute devoir commander
les forces de mer. Un des corfaires Américains
à la folde du Roi d'Efpagne , qui croifent depuis
le Cap Ortegal jufqu'au Cap Finistère , a pris &
conduit à Bilbao un corlaire Anglois de 16 canons ,
qui , pendant quelque tems , a infefté les côtes
d'Efpagne , & a eu l'audace de pouffer la croiſière
jufques par le travers de Saint- Sébastien «.
-
Le Gouvernement de St - Domingue &
des Ifles fous le vent eft donné à M. de
Bellecombe qui en reçoit les complimens.
» Depuis la nuit du 19 jufqu'au 21 Juin ,
écrit- on de Touloufe , il tomba ici beaucoup de
pluie ; on fuppofe qu'elle n'a pas été moins confidérable
dans les environs & les Pyrenées , puifque
la Garonne groffit fi prodigieufement , que le 21 ,
à huit heures & demie du foir , elle étoit à 13
pieds au- deffus de fon niveau ordinaire . L'Ile de
Tounis & le quartier Saint - Cyprien furent inondés;
les caves fe remplirent d'eau ; les Dames
ds
( 82 )
Maltoifes & les Feuillantines furent forcées d'abandonner
leur Cloître , crainte d'être fubmer
gées. Plufieurs Officiers du Parlement , des Dames
qui ont des parentes ou des amies dans ces Couvens
, s'empreffèrent de voler à leur fecours. Les
Magiftrats s'y tranſportèrent avec le guer ; leur
premier foin fut de contraindre les propriétaires
des maifons à déloger , pour les empêcher d'être
les victimes de leur confiance ou de leur caprice
, comme cela arriva dans l'inondation du
15 Septembre 1772 , qui renverfa près de ceut
maifons , fous les ruines defquelles plufieurs familles
furent écrasées. Celle- ci n'a caufé aucun
de ces défaftres . Il n'y a eu que quelques murs de
terre abattus fur la promenade du Quai , & plus
de 360 toiles de pavé du trotoir entre les deux
ponts , qui ont été emportés. Les dégâts de la
campagne ont été très - fenfibles ; les Riverains
ont perdu les foins & les récoltes coupées , dont
on voyoit flotter les gerbes. Celles qui reflent
encore fur pied , font , pour la plupart , couchées
ou brifées par le vent , & laiffent peu d'efpoir «.
Un orage affreux qui s'eft fait fentir à la
même époque à Puifeau , ville du Gâtinois
Orléanois , a caufé beaucoup de dégats.
Le 21 , entre trois & quatre heures aprèsmidi
, un gros coup de tonnerre a été fuivi d'une
groffe pluie , qui a duré près de deux heures
& qui eft tombée avec la même force jufqu'à
plus d'une lieue aux environs , à l'Eſt de la Ville ;
on a vu venir de ce côté plufieurs torrens de 20
à as toiles de large , croiffant de moment en moment
; à fept heures du foir , leur hauteur étoit
montée juſqu'à 25 pieds . Le Fauxbourg St-Pere ,
compofé de cent maifons , celui de Gaffen , &
partie de celui de Saint- Mathurin , ont été ſubmergés
; quoique les foffés qui entourent la ville
( 83 )
aient vingt pieds de profondeur fur 50 de large ;
& foient à fec pour l'ordinaire , ils ont été remplis
en peu de tems , & l'eau paffant par-deffus
les ponts , entroit dans la ville à plein canal par
la porte Saint-Jacques , & celle du pavé , pour fe
répandre dans les rues adjacentes. Elle a rempli
toutes les caves , dont les voûtes de plufieurs font
tombées ; plufieurs maifons fe font écroulées.
On ne fauroit peindre la confufion des premiers
momens ; l'alarme étoit générale , le danger preffant.
Plufieurs perfonnes auroient été noyées fans
la présence d'efprit , la force & le courage de quel
ques autres , même des principaux de la Ville ,
qui font montés à cheval pour aller tirer du milieu
des eaux des enfans , des femmes & des malades.
Une femme fur le point d'accoucher a été
portée au-deffus des eaux par les mains de plufieurs
hommes qui avoient de l'eau au -deffus de la
ceinture , & elle a accouché heureusement quelques
heures après . On remarque que cette Ville a
effuyé trois inondations depuis un fiècle. La première
eut lieu le 19 Juin 1698 , & plus de cent
perfonnes y perdirent la vie ; la feconde , dans la
même faifon en 1727 ; & celle- ci , qui eft la troifième
, qui auroit été auffi funefte que celle de
1698 , fi elle fût arrivée pendant la nuit. On lit
dans le procès - verbal de 1698 , que cent ans
avant la même époque , il y en avoit eu une pareille
; elles arrivent toujours pendant le ſolſtice
d'été «.
Les Lettres-Patentes obtenues par M. le
Duc de Chartres , ayant été préſentées au
Parlement , & différentes oppofitions ayant
été formées à leur enregistrement , on s'attendoit
que cette grande affaire commenceroit
à être plaidée cette femaine ; mais les
affignations , les arrêts par défauts , &c.
d 6
( 84 )
éloigneront cette plaidoierie jufqu'à la St-
Martin. C'eft M. de Bonniere qui eft chargé
de la caufe de M. le Duc de Chartres ;
MM. Gerbier & Treilhard défendent les
Propriétaires. L'Avocat Général qui réfumera
le tout eft M. Seguier. ,
Le Roi de Pologne a bien voulu agréer
la dédicace d'un Exercice public de Phyfique
Expérimentale qui aura lieu le 16 de ce mois
au Collège de Mazarin . M. Botteman fon
fujet , né à Varfovie & élevé en France ,
lui devoit naturellement cet hommage qui
eft le premier que l'Univerfité de Paris ait
préfenté à un Souverain . Nous nous empreffons
d'obferver ici à l'honneur de ce
jeune Polonois & de fon Inftituteur , qu'il
eft un élève de M. Hurtaut , Maître ès Arts
de l'Univerfité , ancien Profeffeur de l'Ecole
Royale Militaire , & Penfionnaire de S. M.
M. Hurtaut eft un homme de lettres qui
s'eft voué à l'inftruction de la jeuneſſe , &
dont les fuccès n'ont pas moins prouvé
les talens , que les ouvrages également utiles
& intéreffans qu'il a publiés ; on a de lui
an Dictionnaire des mots Homonymes de
la langue Françoife , fi négligée dans l'édu
cation publique ( 1 ) ; un Manuel de Réthorique
où il a réuni d'une manière neuve les
principes les plus lumineux , & des exemples
choifis avec beaucoup de goût dans
(1 ) Il vient d'être réimprimé , & fe trouve à Paris , chez
PAnglois , Libraire , rue du Petit- Pont , près la rue St - Severin.
785 )
les Auteurs Latins & François , & c. Nous
pourrions en rappeller beaucoup d'autres ;
nous nous bornerons au Dictionnaire Hiftorique
de la ville de Paris & de fes environs, ( 1 )
ouvrage rempli de recherches curieufes ,
que les étrangers & les nationaux confulteront
toujours avec fruit.
Parmi les productions intéreffantes des arts dont
il appartient à notre Journal de rendre compre ,
nous ne devons pas oublier un portrait gravé du
Général Washington , qui vient de paroître . It
forme un tableau piquant , dans lequel l'Artifte , en
rendant les traits du Général , a exprimé , de la
manière la plus ingénieufe , l'efprit qui règne
parmi les peuples dont il défend la caufe. Il eft
repréfenté debout à l'entrée de fa tente ; des cartes
déployées fur une table à côté de lui offrent les
Colonies Unies ; des plans d'attaque & de dé-
• fenfe , &c. Sous fes pieds , font les Bills du
Parlement Britannique , pour offrir la paix à l'Anérique
, à condition qu'elle fe foumettra à toutes
les propofitions qui lui ont été faites , & qui ne
renferment pas celle de reconnoître fon indépen
dance , &c. ( 2 ) A l'annonce de cette Eftampe
nous nous emprefferons d'en joindre une d'un autre
genre , pleine de graces , de fraîcheur & d'efprit
; c'eft le Jaloux endormi , d'après le tableau
de Moitte , gravée avec beaucoup de goût ,
par M. Vidal , rue des Noyers , la première poric
cochère à droite , par la rue Saint Jacques , chez
qui elle le trouve.
7
Ordonnance en date du 3 Mars , concernant
l'établiffement à Marfeille , d'un Dépôt des Actes
( 1 ) A Paris , chez Moutard , Imprimeur Libraire , rue
des Mathurins , Hôtel de Cluny.
(2) Elle fe trouve à Paris , chez Lemire , Graveur , rue
St -Jacques.
( 86 )
paffés par les fujets du Roi dans les Echelles du
Levant & de Barbarie..
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi de la même date ,
concernant les droits & émolumens attribués par
S. M. aux Chanceliers des Confulats des Echelles
du Levant & de Barbarie .
Lettres Patentes du Roi , données à Marly
au mois de Mai dernier , & enregistrées au Par
lement le 25 du même mois , portant union des
biens de l'Hopital Saint-Jacques à celui des Enfans-
Trouvés ; & permiffion aux Adminiſtrateurs de cette
Maifon d'acquérir un terrein & bâtiment pour y
élever les enfans nouveaux nés atteints de maladies
communicables.
Autres , données à Verſailles le 27 Novembre , &
enregistrées au Parlement d'Aix ,
le 15 Décembre
fuivant , concernant la Chambre du Commerce de
Marſeille. L'accroiffement de cette Ville a tellement
multiplié les affaires de fon adminiſtration Municipale
, qu'il n'eft plus poffible que les Officiers Municipaux
puiffent partager leur attention entre les
foins qu'ils doivent à la Municipalité & ceux qu'exige
le Commerce , fur- tout depuis que la nouvelle
forme donnée , en 1766 , à l'Adminiftration Municipale
, y a introduit des citoyens de différens ordres ,
dont le plus grand nombre n'a pas été à portée d'acquérir
les connoiffances néceffaires pour conduire
les opérations du Commerce. S. M. a cru ne devoir
confier ces foins intéreſſans qu'à des perfonnes dont
les talens connus pour le commerce euffent d'ailleurs
été fortifiés par une longue expérience . Son intention
n'eft cependant pas d'ôter aux Officiers Municipaux
l'entrée & l'influence qu'ils doivent avoir à la Chambre
, ni de détruire les rapports qui ont toujours
exiſté à Marſeille entre la Municipalité & le Commerce
, mais de les conferver en les foumettant
feulement à un nouveau régime qui leur fera plus
avantageux à l'un & à l'autre.
( 87 )
Gafpard de Vichy , Comte de Chamron ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
de la promotion de 1743 , eft mort en fon
Château de Chamron en Mâconnois , le 16
Juin dernier dans la 8ze année de fon âge .
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , le 2 de ce mois , font 31 ,
13 , 11 , 88 & 69..
De BRUXELLES , le 10 Juillet.
ON lit dans la Gazette des Pays-Bas du
25 Juin dernier , l'article fuivant , fous la
date d'Oftende le 23 .
» Parmi les inftructions que le Roi d'Angleterre
a données récemment aux Commandans de
fes navires , ainfi qu'à ceux des Armateurs pourvus
de lettres de marque , il leur eft défendu
d'infulter ni d'enlever des navires ennemis à la
portée du canon des places neutres ; mais on
croit que cette difpofition ne fera pas jugée fuffi
fante par aucune des Puiffances neutres ; car fuivant
le droit des gens & les loix de toutes les
nations policées , ce n'eft pas la distance de la
portée du canon , mais la rade , qui fixe l'étendue
du territoire d'un Souverain en mer. Ce principe
eft inconteftable , & les diverfes Puiffances
de l'Europe , nommément l'Angleterre , ont toujours
reconnu que les rades des ports neutres doivent
être refpectées comme les ports mêmes. Il
eſt donc probable que fi la Cour de Londres venoit
, contre toute attente , à perfifter dans cette
partie d'inftruction , elle pourroit le trouver dans
des embarras confidérables , fur-tout relativement
aux rades des ports Autrichiens fur la côte de
Flandres , qui , à caufe de leur proximité de
l'Angleterre feroient expofés plus que d'autres à
1881
ces violations de territoire de la part des navires
Anglois armés en guerre « .
Le Mémoire de la ville d'Amfterdam au
Stathouder,& la Lettre du Duc de Brunswick
de Wolfenbuttel aux Etats- Généraux , font
beaucoup de bruit en Hollande . On étoit fort
curieux d'apprendre comment fe termineroit
certe grande difcuffion & voici ce qui a
été décidé .
Le 2 de ce mois L. H. P. ont déclaré par
une Réfolution , qu'elles regardoient tout
ce qui a été répandu à la charge du Prince
Louis de Brunfwick dans des écrits anonymes
, dans des libelles diffamatoires , &
par des bruits injurieux , comme des fauffetés
& des calomnies inventées pour flétrir
fon honneur & ternir fa réputation ; L.
H. P. le tenant pour pleinement juftifié &
purgé de l'injure que de femblables, écrits
& bruits offenfans auroient pu faire à ce
Prince.
3
>
En attendant que les Bourg- Meftres
d'Amfterdam répondent au Duc , & fourniffent
les preuves de leurs affertions
le Stathouder a cru devoir oppofer aux
bruits répandus depuis quelque tems dans
les Provinces , fur les caufes de la lenteur
des armemens de la République ,
un tableau de fa conduite qui prouve qu'elles
ne viennent pas de lui . Le 28 du mois dernier
il parutà l'Affemblée des Etats-Généraux
auxquels il remit le Mémoire fuivant qui a
été inféré dans le regiftre de leurs Réfolutions.
( 89 )
*
H. & P. S. , j'ai jugé néceffaire de repréſenter
à V. H. P. d'examiner avec toute exactitude , fi ,
depuis que les troubles actuels font furvenus , l'on
a convenablement pris foin de mettre la marine en
état d'agir contre un ennemi fi fort armé par mer
que la Grande- Bretagne , ou s'il y a eu de la négli
gence ou de la nonchalance à cet égard ; & dans ce
cas , à quoi on doit l'attribuer ; & pour recevoir
les informations néceffaires , de favoir des Colléges
refpectifs d'Amirauté combien ils avoient de vaiffeaux
en 1776 , en quel état ils fe font trouvés ,
combien il y en avoit alors d'équipés , & avec
combien d'hommes ? Ce qu'ils ont fait depuis que
les Anglois ont commencé à molefter les navires
de ce Pays employés au commerce des Indes Occidentales
, fous prétexte des troubles furvenus avec
leurs Colonies dans l'Amérique Septentrionale , &
par conféquent depuis la fin de l'année 1776 , &
le commencement de 1777 , pour ſe mettre en
état , autant qu'il étoit en leur pouvoir , de protéger
le commerce ? Ce qu'ils ont fait depuis que
les troubles ont commencé en Europe , & qu'il
étoit à craindre que la République y prît part ,
pour la mettre en état de protéger leur commerce
, de défendre leur patrie & d'attaquer
l'ennemi ? S'ils ont été actifs pour effect ser ce qui
a été réfolu pour cet objet par V. H. P. , on s'il y a
eu de la négligence , & en ce cas , pourquoi ils
n'ont point exécuté ces réfolutions ? S'ils ont eu le
pouvoir de fournir les navires mis en commiſſion
& de les équiper , d'où vient que cette République
fe trouve dans un état fi déplorable de défenfe
mer , ce qui eft certainement le point le plus intéreffant
dans cette guerre , & fur lequel tous les
habitans de cette République ont l'ail ? Quoique
je parle feulement de la défenfe par mer , je n'entends
pas moius devoir repréfenter à V. H. P. que
les forces de terre de cet Etat font infuffifantes ,
par
( 90 )
-
pour pouvoir compter ce Pays dans un état refpectable
de défenſe par terre. Je ne pense pas
devoir juftifier ma conduite ; V. H. P. n'ignorent
pas les efforts que j'ai faits depuis ma majorité pour
faire mettre cette République dans un état reſpec
table de défenſe ; mais je crois pouvoir leur rappeller
que dans plus d'une occafion , j'ai été d'avís
que l'on mit cette République dans un état de défenfe
convenable , par mer comme par terre , pour
qu'elle pût maintenir fa liberté & fon indépendance ,
& n'être point obligée de prendre des mesures contraires
aux vrais intérêts de la chère patrie , mais
conformes à ceux d'une telle Puiffance , dont les
menaces font d'autant plus à craindre , que l'on fe
trouve hors d'état de lui réſiſter, Au commence.
ment de 1771 , il fut propofé à la Généralité par
MM. les Députés de la Province de Hollande & de
Weft - Frife , par ordre exprès de MM . les Etats
leurs Commettans à l'affemblée de V. H. P. de faire
former une pétition pour la conftruction de 24 vailfeaux
de guerre ; je n'ai pas négligé d'infifter dans
toutes les occafions , autant fur le rétabliffement de
la marine , que fur l'augmentation des forces de
& en particulier plus d'une fois fur la conclufion
de la pétition pour la conftruction des navires.
Au commencement de 1775 , à l'occafion du
travail fait par MM. du Comité de V. H. P. , pour
les affaires militaires , avec quelques MM. du Confeil
d'Etat , pour concilier les différens fentimens des
Confédérés refpectifs à l'égard du plan d'augmen
tation des forces de terre propofé par le Confeil
d'Etat , le 19 Juillet 1773 , j'ai fait une propofition
conciliatoire portant en ſubſtance , de mettre un poſte
fixe fur l'état de guerre , du montant de 600,000 fl.
pour la marine, à diminuer ſur la fomme de 1,500,000
A. demandée en 1773 , pour une augmentation à faire
des forces de terre ; cette propofition fut embraffée
dans ce tems par MM . les Etats de Gueldre , Frife ,
terre ,
( 91 )
Overyffel & Groningue , mais n'a pas eu de fuite
ultérieure. Je n'alléguerai pas ici les inftances
annuelles que j'ai faites avec le Confeil d'Etat par
la pétition générale ; mais je communiquerai feulement
encore à V. H. P. la propofition que je fis à
l'affemblée de MM. les Etats de Hollande & de
Weft-Frife , le 10 Mars 1779 ; elle eft de la même
teneur que la lettre que j'écrivis ce même jour à
M M. les Etats de Gueldre , Zélande , Utrech , Frife ,
Overyffel & Groningue , dont j'ai l'honneur de remettre
une copie à V. H. P. Mon ſentiment eft , qu'il
auroit été à fouhaiter que ce que j'ai propofé eût été
alors goûté ; j'ofe croire que fi la République avoit
trouvé bon en ce tems de faire préparer 50 à 60
vaiffeaux bien équipés , & pourvus du néceffaire ,
dont 20 à 30 de ligne , & d'augmenter les forces de
terre jusqu'à 50 à 60 mille hommes en pied , elle
ne fe feroit pas trouvée dans ces triftes circonftances
; elle feroit restée comme Etat indépendant , refpectée
par toutes les Puiffances , & auroit pu même
garder le fyftême de neutralité qu'elle avoit adopté ;
elle fe feroit vue en état de donner beaucoup de
poids au parti auquel elle fe feroit jointe ; il n'auroit
pas été à craindre qu'aucune Puiffance l'eût furprife ;
elle auroit été ménagée par toutes , qui auroient
recherché fon amitié ; & ne donnant à aucune des
railons légitimes de plaintes , elle auroit obtenu
l'eftime & la confiance de toutes ; ce qui auroit
produit les meilleurs effets pour les vrais intérêts
de cet Etat ; certainement elle n'auroit pas été attaquée
par une guerre injufte , à laquelle l'on est toujours
expofé , lorfqu'on n'eft pas en état de faire face
avec efpérance de fuccès , & d'obliger l'ennemi à
rechercher l'amitié de cet Etat , à des conditions
honorables pour cette République « .
La lettre annoncée dans le mémoire précédent
étoit conçue ainfi .
Nous nous croyons obligés de communiquer
( 92 )
à V. N. P. nos fentimens touchant un des plus
importans objets de vos délibérations ; nous fom
mes très - éloignés de juger qu'il conviendroit que
cette République renonçat aux droits légitimes qui
appartiennent à fes habitans , en vertu des Traités
folemnels ; nous penfons , au contraire , qu'ils doivent
être maintenus par tous les moyens que la
Providence a mis entre les mains de cette Répu
blique , mais qu'il n'appartient à perfonne qu'à
V. N. P. & aux N. P. S. Etats des autres Provinces
de décider , quand il eft tems , que L. H. P. doivent
prendre la réfolution d'accorder une protection illimitée
à leurs habitans commerçans ; & que L. H. P. ◄
ne s'étant engagées par aucun traité quelconque avec
une Puiffance étrangère , à protéger toutes les branches
de commerce fans diftinction , perfonne n'a
droit d'exiger d'elles qu'en accordant protection ,
elles l'accordent à tous navires fans diftinction , &
doit laifler à leur prudence à décider fi elles font
en état de protéger toutes les branches de commerce
, & fi elles peuvent le faire dans ce momentci
fans hafarder des intérêts importans , & s'expofer
au plus grand danger. Nous penfons donc que dans
ce cas , il conviendroit de n'avoir égard à rien qu'aux
vrais intérêts de la République , & qu'avant de prendre
une réfolution finale pour convoyer les navires
chargés de bois , il faudroit examiner l'état où ſe
trouve la République , tant par terre que par iner.
Suivant nous , rien ne convient plus à cette République
qu'une exacte & ponctuelle neutralité , fans
préjudice aux Traités qu'elle a avec les Puitfances
étrangères ; mais nous penfons que pour la maintenir
& foutenir efficacement & non uniquement
auffi long - tems qu'il plaît à une des Puiflances
belligérantes d'exiger de la République , d'une manière
forcée & menaçante qu'elle prenne parti , il
conviendroit que la République fût mife dans
un état armé. Pour cela , il feroit néceffaire d'équiper
93 )
pour le moins so à 60 vaiffeaux , dont pas moins de
20 à 30 de ligne , & d'augmenter les forces de terre
jufqu'au nombre de so a 60 mille hommes ; que les
places frontières fuffenr mifes dans un état couvenable
de défenſe , & les magafins pourvus des manitions
de guerre requites. En quel cas nous fommes
d'opinion que la République feroit refpectée de
toutes les Puiffances , & feroit , fans obſtacle , ce
qui lui eft permis fuivant les Traités , ou ne feroir
point empêchée de faire & d'agir comme elle le
jugeroit convenable à ſes vrais intérêts . A ces cau
fes , nous jugeons que la fidélité que nous devons à
la chère patrie , exige que nous mettions cette confidération
fous les yeux éclairés de V. N. P. , afin
qu'après l'avoir miſe en délibération , elles prennent
une réfolution pour renforcer la marine par la conf
truction d'un nombre confidérable de vaiffeaux , particulièrement
de ligne , pour trouver les matelots
néceffaires par l'augmentation de la folde par mois ,
ou primes ou par tel autre arrangement que V. N. P,
& les Seigneurs Etats des autres provinces le jugeront
convenable , & qu'en même- tems V. N. p.
accordent les fourniflemens pour l'augmentation
néceffaire , afin de porter les forces de terre à so ou
60 mille hommes , & pour les pétitions touchant les
fortifications & les magafins. Lorfque V. N. P. & les
Seigneurs Etats des autres provinces auront exécuté
ce renfort tant par mer que par terre , nous penfons
qu'alors la République pourra , avec fruit & comme
un Etat indépendant , maintenir les droits qui appartiennent
à fes habitans , fuivant les Traités
& nommément celui de Marine de 1674. Mais avant
que la République foit mife dans un état respectable
de défenfe , nous craindrions qu'une réfolution
pour prendre fous convoi tous les navires indif
tinctement , fuivant la lettre du fuldit Traité , &
nommément les navires chargés de bois de conf
truction , pourroit ayoir de très-mauvaises fuites
( 94 )
pour les vrais intérêts de cet Etat , & expofer
I'honneur de fon pavillon à un affront. C'eft pourquoi
nous fommes d'opinion qu'il conviendroit que
par réfolution ultérieure , il fût réfolu que les na-´
vires chargés de mâts , de courbes , de poutres &
d'autres fortes de bois néceffaires à la conſtruction
de navires de guerre , ne feront pas pris fous convoi
avant d'avoir prêt un équipement de so à 60 vaiffeaux
, dont pas moins de 20 à 30 de ligne , &
d'avoir augmenté les forces de terre jufqu'à so à
60 mille hommes fur pied ; mais qu'en attendant ,
pour protéger , autant que faire le pourra , le commerce
général de ce pays , fans expofer les importans
intérêts de l'Etat , les convois néceffaires ,
ainfi qu'ils étoient annoncés , feront accordés à tous
autres navires n'étant pas chargés d'effets de contrebande
, afin que toutes les branches ne foient
point fufpendues & laiffées fans protection , durant
le tems qu'on délibéreroit fur la protection d'une unique
branche. Quand la République fera mife dans
cet état armé , toutes les Puiffances lui laifferont
le droit qui lui appartient , felon les Traités , de
garder une exacte neutralité , & d'obſerver autfi de
leur côté ce que les Traités qu'elle a faits peuvent
exiger d'elle , & c «.
Les Etats Généraux ont remercié le Prince
Stathouder de fon zèle , & ils ont réfolu
d'envoyer fon mémoire aux Colléges d'Amirauté
, & de leur demander les éclairciffe
mens propofés par le Prince.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du z Juillet.
Le premier de ce mois , les vaiffeaux ſuivans ont
appareillé de Portsmouth par un vent du fud. L'Alexandre
, le Courageux , de 74 ; la Prudente , de
32 ; & les brûlots la Furnace, Firebrand , Lightning.
On juge de la deſtination de ces vaiffeaux , par les
circonftances fuivantes.
On a jugé trop foible
--
795 )
le convoi de la flotte de l'Inde , partie de Portsmouth
depuis le 11 Juin ; il confiſte dans le Sultan &
le Magnanime, de 74. Elle eft rentrée en conféquence
avec ces vaiffeaux à Plimouth . Les nouvelles de
ce port , du 29 , difoient qu'elle fe préparoit avec
toute la diligence poffible à remettre en mer , &
qu'au premier vent de l'eft , elle partiroit . Il eft
donc vraisemblable qu'on renforcera fon eſcorte de
ces deux vaiſſeaux. On a reçu , depuis quelques
jours , la nouvelle que s vaiffeaux de la Compagnie
attendent un convoi à Sainte- Hélène. L'Alexandre
& le Courageux font fans doute deſtinés à les ramener
& à fe joindre enſuite à l'eſcadre de l'Amiral
Darby.
---
Il femble que l'Amiral Digby ne partira pas auffi
promptement qu'on le defire , puifque le Centurion ,
de so , & le Camel , de 28 , efcortant une flotte
confidérable pour New - Yorck , font fur le point
d'appareiller de Portsmouth.
Le Gouvernement eft informé que la Cour de
France vient de donner des ordres pour que les
propriétés Angloifes ' de la Grenade foient traitées
de la même manière que l'ont été les propriétés
Hollandoifes de St-Euftache par l'Amiral Rodney.
En conféquence , les intéreffés fe font rendus chez
M. Walpole , Banquier , qui a lui - même des propriétés
confidérables à la Grenade , & après avoir
conféré avec eux , il eft parti pour Paris ; on eſpère
qu'il obtiendra quelque adouciflement à la rigueur
de cette réfolution.
L'Amiral Hyde Parker eft parti , le 28 Juin , avec
toute fon efcadre pour escorter la flotte jufqu'au
Sund de la Baltique. Le 29 , le convoi & la flotte
de la Jamaïque ont dû appareiller de Leith
l'Angleterre. Il y a jufte cent jours qu'elle eft en
route .
19696 )
On craint fort que le vaiffeau la Panther , de 60
canons , n'ait été pris par M. de Graffe . Il croifoit
au Vent pour attendre l'efcadre Françoiſe & avertir
l'Amiral Hood de fon aproche. Elle eft arrivée
ſans qu'il en ait eu conno flance , ce qui fait craindre
qu'en cherchant à join ire Hood , il n'ait été pris.
Si le bruit arrivé ici de Waterford en Irlande ,
d'une action entre Clinton & Washington étoit vrai ,
comme on le croyoit à Terre-Neuve le 3 Juin , époque
du départ du bâtiment , l'évènement pourroit
être de la fin de Mai. Cependant nous avons , dans
les Gazettes Ministérielles , une lettre de New- Yorck
du 24 Mai . On y voit que le 13 , il eft parti un
renfort de 2000 hommes pour la Cheſapeak. Il
eft douteux que Clinton ait voulu engager une
affaire , après avoir diminué fes forces , à moins
qu'il n'ait haardé une attaque avec les renforts
qui ont dû lui arriver , vers le 30 Mai , fous le
convoi du Warwick.
KYTO
On apprend que nous avons offert aux Marattes
des conditions très - humiliantes pour nous , & entr'autres
de leur livrer le Fort de Baffem , que nous
venons de prendre fur Hyder ; mais les Marattes
ont reçu ces offres avec hauteur , & ont pris du
tems pour répondre. Le fils d'Hyder eft en
poffeffion de Pondichéri , & y a élevé l'érendart de
fon père On fe plaint d'une grande difette
d'argent dans les trois provinces de Bengale , Madras
& Bombay ; & il eût manqué abfolument à Madras ,
fi le Chevalier Coote n'y avoit apporté 115 lacs de
roupies.
Le Général Américain , Waine , eft en marche
avec 1200 hommes & 6 pièces de canons pour
joindre l'armée employée dans les provinces méri
dionales .
Point de changement dans l'état des fonds. L'Om
nium 8 .
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 24 Juin.
L'ESCADRE Ruffe , arrivée le 22 de ce
mois dans cette rade , compofée de 7 vaiffeaux
de ligne , doit être renforcée par un
huitième qui eft en route pour la joindre ;
elle eft commandée par le Chef- d'efcadre
Suchotin.
Le dernier vaiffeau de guerre Ruffe qui
a paffé par le Sund , étoit numéroté 65 ,
& portoit 66 canons , fous les ordres du
Capitaine Grigorioff ; ce vaiffeau , venu
d'Archangel , a dû hiverner à Bergen
parce qu'il avoit perdu fon grand mât :
il va directement à Pétersbourg.
Le Capitaine d'un bâtiment de Dantzick ,
qui a mouillé ici le 22 , a déclaré qu'il eft
21 Juillet 1781. e
( 98 )
parti des côtes d'Angleterre en même tems
qu'un convoi de 200 navires de cette nation
deſtinés pour la mer Baltique , & que
te convoi eft eſcorté par 4 vaiffeaux de
ligne , 4 frégates & 6 cutters ; s'il faut en
croire les Négocians établis ici , une eſcadre
de 10 à 12 vaiffeaux de ligne de leur
nation viendra croifer cet été dans la mer
du Nord.
Des lettres de Londres , plus exactes ,
nous apprennent qu'il en eft parti feulement
4 vaiffeaux de ligne , 4 frégates
& 6 cutters , ayant fous leur convoi plus
de 200 navires marchands , deftinés pour
la mer Baltique.
Le campement des troupes devant Copenhague
étant fini , la Cour eft retournée
avant-hiet à Friedensbourg.
Le Baron de Lynden , déſigné Miniftre
de la République de Hollande à la Cour
de Vienne , cft arrivé ici de Stockolm ,
pour le rendre à la Haye.
Quelques corfaires Anglois , defcendus
à terre dans l'ifle de Faroë , ont eu l'audace
de maltraiter divers habitans , de tuer des
beftiaux & d'enlever quelques femmes."
Notre Compagnie Afiatique vient d'être
informée que fon vaiffeau le Tranquebar ,
commandé par le Capitaine Olifarius , eft
arrivé le 7 de ce mois des Indes à Falmouth
en Angleterre.
( 99 )
» Plufieurs de nos Négocians , écrit - on de
Drammen dans la Norwège , ayant pris en confdération
les groffes fommes qui fe paient annuellement
aux Etrangers pour le tranfport des productions
du pays , & ayant compris qu'il étoit
poffible de conftruire des navires de bois de fapin ,
tels qu'en bâtiffent les Ruffes & les Suédois , puifque
le District de Drammen fournit en abondance des
matériaux propres à la conſtruction , ont formé
une affociation pour cet effet. Suivant le plan de
cet établiffement , le fonds fera de 100,000 rizdahlers
, partagés en 1000 actions de 100 chacune. La
Direction de cette aſſociation fera confiée à 3 des
principaux Bourgeois de cette Ville ; l'un d'eux fortira
annuellement de charge , pour être remplacé
par un nouveau Directeur , choifi parmi les intéreffés
. Les bâtimens qui feront conftruits porteront
pavillon. Drammen eft le nom d'une rivière qui
va tomber dans le golfe de Chriftiania en Norwège ,
après avoir fervi dans fon cours au flottage & au
tranfport d'une immenfe quantité de bois & de
fer, qui viennent du diftrict de Bragnoes , & paffepar
le grand Péage de Drammen , l'un des plus
confidérables du Royaume. C'eſt ainfi que la conteftation
des Anglois avec leur Colonies facilite aux
Nations du Nord les moyens de fe procurer une
marine marchande ; elles s'approprieront par là un
commerce qu'elles laifoient faire aux autres ; elles
en retiendront les profits ; & ce qui ne nuira pas peu
aux peuples dont elles parviendront à fe paſſer , c'eſt
qu'elles retiendront chez elles , en les employant , les
hommes qui s'expatrioient auparavant pour aller
chercher , fur des navires étrangers , un fervice
qu'ils ne trouvoient pas dans leur propre pays ".
-
e 2
( 100 )
ALLEM A G N E.
De FRANCFORT , le 28 Juire
LES armemens des Puiffances du Nord
font actuellement prêts & raffemblés dans
le Sund , où ils n'attendent plus qu'un vent
favorable pour mettre à la voile , & ſe répandre
fur les mers où leur pavillon & leur
commerce ont befoin d'une protection qui
les faffe refpecter . L'efcadre Suédoife avoit
appareillé le 23 , & avoit falué l'efcadre
Danoife , lorfque le vent a changé & l'a
contrainte de mouiller encore dans le détroit.
On croit qu'il n'aura pas tardé à lui
permettre de fortir. Le fait fuivant peut fe
joindre à la fuite de ceux qui prouvent aux
Puiffances neutres la néceffité de faire refpecter
leur pavillon .
Le Patron Chriftian Klebs , écrit - on d'Hel
fingor , rapporte qu'une frégate Angloiſe , un brigantin
& un cutter de la même Nation , ayant
rencontré à deux milles fous Schagen , une
frégate de guerre Suédoife , partie d'ici cinq jours
auparavant , avec neuf bâtimens de fa Nation ,
qu'elle efcortoit , le cutter Anglois a attaqué ces
baimens , mais a été bientôt forcé de s'éloigner
par le feu de la frégate Suédoife. Il fe paile peu
de jours que l'on ne voie de pareils excès fe renouveller
dans les mers du Nord. Dès que les
repréfentations les plus férieufes n'y remédient pas ,
il eft tems , fans doute , d'employer la force
Selon quelques lettres de Vienne , il a
été expédié à tous les Couvents des Etats
de la Maifon d'Autriche , l'ordre de ne
point recevoir de novices pendant l'eſpace
de 10 ans ; on dit que l'Electeur Palatin
doit donner auffi de pareils ordres aux Couvents
de fes Etats .
Le Roi de Pruffe a fait donner 300,000
écus au département militaire ; ils font deftinés
à acheter la même quantité de bléds
que S. M. a fait tirer de ſes magaſins , pour
le foulagement de celles de fes provinces
qui ont fouffert par la dernière gelée .
L'Académie Royalé des Science & Belles-
Lettres de Berlin a publié le Programme fuivant.
La Claffe de Philofophie fpéculative propofe ,
pour le prix de 1783 Quelle est la meilleure
manière de rappeller à la raifon les nations
tant fauvages que policées , qui font livrées à
Terreur & aux fuperftitions de tout genre ?
-
Celle de Mathématiques , pour le Prix de 1782 : De
déterminer la Courbe décrite par les boulets & les
bombes , en ayant égard à la réſiſtance de l'air, & de
donner des règles pour connoître les portées qui
répondent à différentes viteffes initiales , & à
différens angles de projection ? L'Académie exige
de plus , que ces règles foient confirmées par des
expériences & faciles à réduire en table , & des
effais de ces tables . Le Prix fondé M. Eiler ,
fera donné , en 178 ; à celui qui réfoudra ces
queftions. 1. Quelles espèces d'herbes ou de
plantes en général à deftiner au bétail , fraîches
ou fechées , font les plus profitables dans chaque
efpèce de fonds ? 2 °. Quelles d'entre ces espèces
peuvent être facilement cultivées & le plus abor
damment recueillies , fans que ces herbes ou
plantes perdent rien de leur qualité nutritive .
›
par
-
e 3
& en s'affurant d'un profit réel ? 3 ° . Quelles
font les règles à obferver dans la culture de
ces herbes ou plantes , relativement à la différence
de leur nature & la différence du fol?
ITALIE.
De LIVOURNE , le 25 Juin.
UN Courier venant de Naples & qui a
paffé à Florence le 22 de ce mois , nous
a appris que la Reine des Deux - Siciles eft
heureufement accouchée , le 18 , d'un Prince,
qui a reçu fur les fonds de baptême les noms
de Jofeph- Charles - Janvier.
Le 11 de ce mois on a encore effuyé pen-
'dant la nuit une fecouffe de tremblement
de terre , mais elle a été moins violente
que celles qui l'avoient précédée dans une
partie de l'Italie. S. A. R. le Grand- Duc ,
a fait paffer des fommes confidérables dans
les divers endroits qui ont fouffert de ce
fléau ; elles font deftinées au foulagement
des Communautés qui ont été ruinées .
» On apprend du Duché d'Urbin , écrit- on de
Florence , que dans la montagne nommée Monte-
Néro , près de Cagli , il s'eft fair , après un
bruit épouvantable une ouverture très large ,
d'où s'eft élevée une fumée qui a l'odeur du fouffre.
On ne peut attribuer ce phénomène qu'aux tiem
blemens de terre qui ont eu lieu depuis quelque
tems , & qui fe font étendus jufqu'à Ancône ,
Sinigaglia , Rimini & autres places de l'Etat Ec
cléfiaftique , le long de la mer Adriatique . Les
mêmes fecouffes n'ont pas encore cellé à Cagli , &
les habitans qui craignent d'être enfévelis fous les
7( 103
)
raines de leurs maifons , font obligés de tefter
dans la campagne fous des baraques . L'Eglife Cathédrale
de cette Ville eft tout - à - fait ruinée. Un
Prêtre qui difoit la Meffe , celui qui la fervoir ,
deux autres Eccléfiaftiques , & 13 perfennes y ont
malheureufement perdu la vie . Dans plufieurs autres
endroits des diftricts de Pobiaco & d'Appecchio ,
on a éprouvé les plus grands dommages ; on croit
même que quelques places ont été englouties avec
tous leurs habitans «.
ESPAGNE.
De CADIX le 20 Juin
On a fait fortir le 15 de ce mois les vailfeaux
le St-Pierre & le St - Jean- Baptifte pour
protéger la rentrée de la riche flotte de Buenos
Ayres. Le même jour le convoi pour Marſeille
appareilla ; le St- Damafe , vaiffeau de ligne
de ce port , l'a accompagné jufqu'à Malaga ,
à caufe des rifques qu'il eût pu courir au
détroit , où l'on fait que des frégates ennemies
font en ftation à la pointe d'Europe.
On attend ici le Duc de Crillon , &
M. Bux , Officier Suiffe qui lui a été donné
pour fecond. L'ordre qu'on a reçu de tenir
prêts 7 vaiffeaux de ligne , nous annonce
qu'ils font deſtinés à convoyer les
troupes qu'on embarquera au moment de
leur arrivée , tout étant préparé pour les
recevoir.
Le Confeil de Guerre chargé d'examiner
la conduite de M. de Cafatilly , lors de fon
€ 4
( 104 )
A
expédition à Buenos- Ayres , vient enfin de
terminer fes féances ; & fon jugement eft
à la décharge de cet Officier , qui reprenant
fon rang dans la marine , commandera
ce port dans l'abfence de D. Louis de
Cordova.
Le convoi François pour les Antilles ne
partira que vers la fin de la femaine prochaine.
Quelques vaiffeaux de regiftre def
tinés pour la Havanne & la Vera Crux ,
profiteront de fon efcorte & feront route
avec lui.
Nous attendons à chaque inſtant des
nouvelles de Penfacola ; l'arrivée de M. de
Solano & des renforts qu'il conduifoit , ont
dû accélérer la reddition de cette place .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 7 Juillet.
LA dernière Gazette extraordinaire de la
Cour n'avoit fait qu'ajouter à notre impatience
de recevoir des nouvelles de l'Amiral:
Rodney , & à nos inquiétudes fur la nature
de ces nouvelles ; depuis le 3 de ce mois ,
ces inquiétudes fe font confirmées par les
avis divers que l'on a reçus , & par le filence
du Ministère qui n'a pas entrepris de les
détruire ; ceux qui fe font empreffés de
publier extraordinairement , que l'Amiral
Hood , avec 14 vaiffeaux qui lui reftoientaprès
fon combat avec M. de Graffe , avoit
fait tous fes efforts pour engager le Com(
105 )
mandant François , qui en avoit 24 , à tenter
de nouveau la fortune de la guerre , n'ofent
pas s'expofer à démentir aujourd'hui le bruit
généralement répandu , que ces 24 vaiffeaux
qui ont fui devant 18 , & qui n'ont pas.
voulu fe mefurer avec 14 , ont entrepris de
nous enlever une de nos conquêtes & en
font fans doute maîtres actuellement. C'est
ainfi que nos papiers dus & du 6 s'expriment
fur cet évènement.
-
» L'Amirauté a reçu le 3 de ce mois , à 3 heures
du matin , des dépêches de l'Amiral Rodney , fur
lefquelles , pendant tout le jour , elle a gardé le
filence le plus abfolu ; voici ce qu'on a pu en apprendre
des amis du miniftre. Les François aux
ordres de M. de Graffe , maîtres de la mer , depais
leur combat avec Sir Samuel Hood , ont at
taqué Sainte-Lucie , où ils avoient débarqué mille
hommes , qui furent repouffés avant que le refle
des troupes pût mettre pied à terre. Après cette
première tentative , ils en firent une nouvelle dans
une autre partie de l'lfle , où ils débarquèrent
2000 hommes ; mais on fe flatte que le Colonel
Saint Leger , qui commande dans l'ifle , où il y a
plus de mille hommes de vieilles troupes , tiendra
ferme , parce qu'immédiatement après le combat
naval , Sir George Rodney lui avoit fait dire de
ne point rendre l'ifle en cas d'attaque , attendu
qu'il iroit à fon fecours pour le dégager.
Voilà tout ce que l'on fait de ces dépêches ; mais
comme le Gouvernement a cherché avec tant de foin
à dérober la connoiffance de la vérité , qu'on ne
remarque pas dans fes créatures & fes émilaires
cet air d'empreffement & de joie qui étincelle
dans leurs yeux , lorfqu'ils ont à publier l'apparence
d'une nouvelle qui n'eft pas très -mauvaife ,
es
( 106 )
on craint férieufement que les chofes ne foient
pires qu'on ne l'a dir ; & le foir même du 3 , on
fe difoit confidemment à l'oreille , que Sainte-
Lucie étoit prife. Cet évènement prouve la fupériorité
des François aux Indes Occidentales , &
confirme trop malheureufement la réflexion qu'a
voit fuggérée la lecture de la dernière gazette
extraordinaire , que l'ennemi n'avoit pas fui , com
me on cherchoit à le faire croire.
On ne voit dans la promeffe que Rodney a
faite au Colonel Saint - Léger de venir le
délivrer , qu'une fanfaronade qui ne peut
en impofer. Après l'échec qu'a reçu l'Amiral
Hood , dont plufieurs vaiffeaux défemparés
n'ont pu être affez tôt ni affez bien
-réparés pour les expofer à un nouveau combat
, peut- il , doit il tenter de chercher un
ennemi victorieux ? il eft vraisemblable que
M. de Graffe ne demande pas mieux que de
renouveller le combat ; que l'attaque de
Sainte - Lucie a été entreptile pour engager
Rodney à fortir des ports où fon efcadre
eft réfugiée ; fi elle y eft reftée , Sainte Lucie
eft perdue pour nous ; fi elle ofe paroître ,
il eft douteux qu'elle fauve cette Me , &
très à craindre qu'elle foit détruite.
Dans l'incertitude alarmante où nous
fommes , on regrette amèrement qu'on n'ait
pas envoyé à l'Amiral Rodney des renforts
dont il a un fi grand befoin.
» Si l'avis du Lord Germaine eût été ſuivi ; dit
an de nos papiers , l'Amiral Digby auroit été dé
saché de la grande Aotte avec 7 ou 8 vailleaux de
ligne auffi-tot après le ravitaillement de Gibral
( 107 )
tar , & il auroit été renforcer l'efcadre de la ftation
des Ifles . Les vaiffeaux auroient pu être aifément
approvifionnés en mer ; & il étoit fi avantageux
de prévenir les François dans cette partie
du monde que le Lord Germaine ne doutoit
pas que fon projet ne fût adopté fur le champ.
Cependant le Lord Sandwich s'y eft formellement
oppofé , & Digby eſt encore en Angleterre . Nous
ne nous étendrons point fur ce qui peut en réfulter
; mais nous pouvons annoncer que quand même
le Lord Germaine vivroit comme Parr jufqu'à
150 ans , il auroit beau prendre les mefutes les
plus efficaces pour terminer la guerre Américaine ,
il n'y parviendra jamais tant que la Marine ne le
fecondera pas comme il convient. Cette oppofition
de fentiment a fait naître de la froideur entre
lui & le Lord Sandwich , & il y a toute apparence
qu'elle durera long-tems ,
L'état des affaires aux Ifles exige de prompts
renforts ; mais quoi qu'on faffe ils n'arriveront
jamais à tems ; M. de Graffe a eu devant
lui les mois de Mai & de Juin pour
faire une campagne très- active , elle est
finie actuellement , & les renforts dont on
a befoin aux Antilles font encore en Europe
; lorfqu'ils partiront , les François peuvent
en envoyer de leur côté pour maintenir
leur fupériorité , & ils arriveront toujours
à tems pourvu qu'ils arrivent à la fin
de l'hivernage , c'eft à dire , au commencement
d'Octobre . Mais quels font les vaiffeaux
que nous enverrons ? La deftination
de Digby fera peut- être changée , & comme
fon efcadre eft prête , on la fera partir pous
ks Ifles ; mais dans ce cas que deviendron
€ 6
( 108 )
nos plans pour la campagne fur le Con
tinent.
» On eft d'autant plus impatient de voir partir
pour l'Amérique l'efcadre de Digby , lit- on dans
nos papiers d'hier , que l'on elt informé qu'il
règne d'inquiétantes divifions dans celle d'Arbuth-,
not depuis le combat du 16 Mars . Les matelots
de différens vaiffeaux s'accablent d'injures & en
viennent aux coups par- tout où ils fe rencontrent.
La chaloupe du Robufte a livré combat à celle du
vaiffeau Amiral , dans une diftribution de charbon
, fous le prétexte que les plus braves doivent
être fervis les premiers . On fait auffi que le Capitaine
du Robufte avoit de rage déchiré fa commiffion , &
qu'on n'avoit pas obtenu fans peine qu'il repren
droit fon fervice. Cette efcadre a appareillé de
New-Yorck le 12 Mai , pour aller reprendre fa
croifière devant Rhode Ifand . Le même jour , il
eft parti un renfort de troupes aux ordres du Co
Jonel Robertfon , pour l'armée d'Arnold , qui fera
bientôt , à ce qu'on eſpère , l'armée de Cornwallis
en Virginie ".
On affure que les Lords Cornwallis &
Rawdon ont écrit au Gouvernement & à
leurs amis particuliers , des lettres qui préfentent
le tableau le plus fidèle de la fituation
des affaires dans les deux Carolines ;
ils déclarent l'un & l'autre de la manière
la plus précife , qu'ils ont été groffièrement
trompés . On leur a toujours voulu perfuader
qu'ils trouveroient un plus grand nombre
d'amis dans cette partie de l'Amérique
, que dans toute autre province ; mais
à leur grande furprife , ils n'y ont trouvé
que des ennemis ou des indifférens dont ils
( 109 )
n'ont pu tirer la moindre information. Il eft
vrai que Cornwallis eft parvenu à le faire
un paffage dans l'intérieur des terres ; mais
cela n'empêche point que les Américains.
ne foient toujours les maîtres du pays , à
l'exception du terrein qui eft occupé par
les troupes du Roi .
Dans cet état des chofes , les renforts en
vailleaux ne font pas moins néceffaires dans
l'Amérique feptentrionale que dans les ifles ;
on ignore s'il fera changé quelque chofe aux
premieres difpofitions faites pour la deftination
de Digby ; le Lord North a fait payer
le premier de ce mois à la tréforerie le réfte
des fommes octroyées pour la Barbade ; cet
argent doit partir avec la flotte pour les ifles
qui fera fous le convoi de l'Amical Digby
& qui s'en féparera à une certaine hauteur,
s'il n'a pas ordre de l'accompagner. S'il va
dans l'Amérique Septentrionale , il y portera
une amniftie générale qui y fera publiée à
fon arrivée à New Yorck , pour tous les
Américains qui cefferont de porter les armes
contre leur Souverain , & d'être engagés
dans la rébellion. On ne prévoit pas
que cette amniftie faffe plus d'effet que les
précédentes qu'on a trop multipliées pour
ne pas juger qu'elles font inutiles . On n'en
publie ailleurs que lorsqu'on voit les fujets
difpofés a en profiter ; les nôtres n'ont pour
objet que celui de les tenter , & elles ne
le rempliffent pas. Les proclamations fans
nombre de Clinton & de Cornwallis ont
( 110 )
prouvé que nous avons peu de partifans en
Amérique ; & celle que le premier publia
le 10 Avril dernier pour ramener les déferteurs
fous leurs drapeaux , annonçe combien
la défertion eft fréquente parmi nos
troupes.
Quoiqu'il en foit de la deftination de
l'Amiral Digby , ce n'eft qu'avant- hier qu'il
a pris congé du Roi , & ce n'eft qu'aujourd'hui
qu'on croit qu'il part enfin pour
Portſmouth ; le Prince William Henri doit
toujours s'embarquer fur fon efcadre. S'il
va dans l'Amérique feptentrionale , il eft à
préfumer qu'il n'y conduira pas tous les
vaiffeaux qu'il prend avec lui , & qu'il s'en
féparera une partie qui iront joindre l'Amiral
Rodney qui en a befoin , & à qui on
n'en peut fournir qu'en affoibliffant le renfort
deftiné à New- Yorck , où l'on confervera
ceux qui y font déja , quoique plufieurs
aient grand befoin de revenir en Europe
pour s'y réparer.
Toutes les nouvelles préparent à appren
dre bien -tôt celle de la perte de Pentacola.
Les lettres de la Caroline portent que tous
les habitans de Mobile & de Penfacola fe font
réfugiés à St- Auguftin dans la Floride .
Nos affaires dans l'Inde parciffent dans
l'état le plus défefpéré , & la méfintelligence
qui règne parmi les Chefs de nos établiffemens
& les Commandans de nos troupes ,
n'eft pas propre à les raccommoder. Nous
avons déja dit un mot de ce qui fe paſſe
( m )
dans ces contrées ; nous y joindrons les détails
fuivans .
Le 2 Juillet il eft arrivé un Exprès de l'Inde ,
dont les dépêches font darées du mois de Février .
Elles n'apprennent rien de nouveau , quant aux
opérations d'Hyder Aly , mais il s'en faut qu'elles
diffipent nos inquiétudes fur ce qu'il faut en atten.
dre , & fur le danger où eft le Carnate . Elles nous
expliquent le motif qui a déterminé le Chevalier
Edouard Hughes à partir de Madras le 17 Octobre
pour aller à Bombay , motif que nous ne pou
vons point comprendre vu la fituation critique où
étoit alors la côte de Coromandel . Il y eft dit
que les vaiffeaux n'étoient pas en affez mauvais
état pour avoir un befcin immédiat de carène , &
qu'aucun intérêt ne l'appelloit à Bombay qui pût
être mis en comparaison avec celui de la défenfe
de la côte de Coromandel. Mais le vrai motif de
ce départ a été une petite pique entre l'Amiral &
le Confeil de Madras , à laquelle les deux parties.
font également blâmables de s'être tenues , au préjudice
des vrais intérêts de la Compagnie . Le Chevalier
Hughes vouloit qu'on le priât de refter , &
le Confeil n'entendoit point devoir lui faire cet
honneur. Il peut réfukter de ce départ que
François exécutent fans oppofition un débarquement
en faveur d'Hyder Aly , & cela eft d'autant
plus à craindre qu'ils ont à l'Ile de France les forces
fuffifantes ; nous n'avons donc plus d'efpois
que dans la vigilance & dans les reffources du Chevalier
Coote , tant contre les François que contre
Hyder Aly. Mais fi les François débarquent &
fe joignent à Hyder, nous ferons chaffés inévi
tablement du Carnate. On apprend auffi que
pour détourner ce coup , nous avons offert aux
Marattes des conditions très - humiliantes pour nous ,
& entr'autres de leur livrer le fort de Baffem que
nous venons de prendre fur Hyder. Mais les Ma-
--
--
les
( 112 )
---
rattes ont reçu ces offres avec hauteur , & ont pris
da tems pour répondre. Les mêmes dépêches
nous apprennent que le fils d'Hyder eft en pollerfion
de Pondichery , & qu'il y a élevé l'é endard
de fon pere. On fe plaint d'une grande diferte
d'argent dans les trois Préfidences , de Bengale ,
Madras & Bombay , & il eût manqué abfclament
à Madras , fi le Chevalier Coote n'y avoit point
apporté cent quinze lacs de roupies de Bengale.
On parle toujours de paix , & on affure
que des politiques du plus haut rang iront
pendant la vacance du Parlement paffer
quelques mois à la Haye , à Paris & à Madrid
, pour s'occuper de cet objet important
; il feroit bien intéreffant pour nous
de réuffir dans cette négociation importante.
On fait ce que nous coûte cette campagne ,
la peine avec laquelle nous avons trouvé les
fonds néceffaires , nous doit faire craindre
de nous procurer difficilement ceux de l'année
prochaine. Le Lord North n'aura point
de Chartres à renouveller. Celle de la Compagnie
des Indes & celle de la Banque font
une affaire finis . La dernière n'a pas eu le
fuffrage général . M. Hartley dans l'ouvrage
qu'il a publié fur le renouvellement de cette
Chartre , a prouvé que l'on avoit fait un
marché défavantageux à l'Etat . Nos Lecteurs
ne feront pas fachés de trouver ici le P. S.
de cet ouvrage .
»Dans le cours de cet ouvrage , ditil , j'ai évité
tous les calculs compliqués & me bornant à évaluer
en gros l'eftimation du renouvellement de
la Chartre de la Banque , je ne fuis entré dans
aucuns détails fpécifiques. Après avoir ainfi fait
( 113 )
-
connoître l'objet principal de la queftion d'une
maniere fuffifante pour être également entendi de
toutes les claffes des lecteurs , j'ai cru devoir ajouter
ce poftcriptum pour vérifier l'évaluation géné .
rale par des calculs détaillés . Ce travail ainfi détaché
du corps de l'ouvrage fervira de preuves
aux faits qui y font énoncés fans en embarraffer ,
la marche. J'ai dit en premier lieu que les
Actions de la Banque étoient à so pour cent audeffus
des 3 pour cent ordinaires , & dans la fuppofition
que la Chartre ne fût pas renouvellée , je
n'ai porté la baille qu'à 30 pour cent au lieu de
so pour cent , qui eft la baille qu'elles devroic re
naturellement effuyer file capital entier de la Banqhe
n'étoit plus que fur le pied des 3 pour cent
ordinaires. Mais il y a une portion de la propriété
de la Banque dans les fonds , confiftante dans les
fommes de 3,200,000 liv . & de 500,000 liv . fai - `
fant enfemble 3.700,000 liv . , laquelle , en vertu
des conditions des renouvellemens en 1742 & en
en 1764 , doit être remboufée au pair lorfque le
Parlement jugera à propos de retirer la Chartre.
Cette portion de propriété ne peut donc point
fouffrir une plus grande perte que la différence
qui eft entre la prime qu'elle porte à préfent &
le pair de 100 livres , paifqu'elle ne peut pas toin- '
ber au-deffous de ce pair. Mais la portion reftantė /
des propriétés de la Banque dans les fonds nationaux
laquelle monte à 7,986,000 liv . ( car la dette
totale de l'Etat à la Banque fe monte à 11 686,000
liv. ) peut fouffrir une perte beaucoup plus confi -1
dérable . Or , cette derniere femme étant fujette
au même difcrédit que les 3 pour cent ordinai
res , elle peut , à la ceffation de la Chartre , tomber
au niveau des 3 pour cent , c'est- à -dire , que
de la prime qu'elle porte à préfent au-deſſus du
pair , elle peut tomber à 58 liv . ce qui fait 42 pour
centau-deffous du pair. Ces pertes combinées enſemble
( 114 )
font un objet de plus de 30 pour cent far le capital
-On pourroit dire ( & cela eft en effet très -vrai )
qu'en vertu de l'obligation où eft le Gouvernement
de rembourfer au pair à la Banque la fufdite
fomme de 3,700,000 liv. taudis que les 3 pour cent
ne font qu'à 58 liv. le Gouvernement feroit , en
paffant le marché à une autre Compagnie , une
perte de 1,556,000 liv. Mais j'ai déjà pourvu à
cette perte , en ne portant la baiffe fuppofée qu'à
30 , au- lieu de so pour cent , à quoi il auroit fallu
la porter , fi la totalité des propriétés de la Banque
dans les fonds eût été fur le même pied que
les 3 pour cent ordinaires. En conféquence , en
nettant un million & demi pour le prix du noveau
marché , j'entends que cette fonime feroit
donnée à l'Etat , outre & par - deffus la fomme de
1,556 , co liv. néceffaire pour remonter au pair
de 1oo liv. les fufdites 3,700,000 liv. réduites
dans l'état actuel du crédit à 58 liv. Cette confidération
est un argument de plus contre la précipitation
avec laquelle on vient de refaire le renouvellement
de la Chartre de la Compagnie fubfiftante
, c'est - à - dire fix ans avant fon expiration ,
& dans un moment où les fonds publics font
tombés fi bas. S'il arrivoit , en quelque moment ,
d'ici à l'année 1786 , temps où devoit expirer la
Chartre de la Banque , que les fonds publics remontaffent
au même point où ils étoient avant la
guerre , cette fomme de 1,5 16,000 liv . que l'Etat
commenceroit par perdre en donnant le marché à
une autre Compagnie , fe trouveroit , vû la hauffe
faite des 3 pour cent , n'être plus que d'environ
450,000 liv. ce qui n'eft pas , à beaucoup près ,
le tiers de 1,556,000 liv . Cependant , dans l'eftimation
actuelle , cet article eft compris dans la réferve
fufdite de 20 pour cent , qui refte en retirant
feulement la baille fuppolée de 30 pour cent,
d'une différence totale de plus de so pour cent
---
-
--
entre le prix des actions de la Banque & celui des
3 pour cent. On peut , pour rendre la chofe encore
plus claire , faire la fuppofition fuivante :
fi l'on propofoit dans l'état actuel des fonds de
transporter la Chartre de la Banque à quelque
nouvelle Compagnie propriétaire de 11,686,000 liv .
dans les 3 pour cent , fomme à laquelle fe monte
la propriété actuelle de la Banque dans les fonds
publics , on demanderoit à ces nouveaux Actionnaires
: Combien votre capital de 11,686,000 liv.
dans les 3 pour cent , vaut-il actuellement , l'action
de 100 liv. étant à 58 livres ? La réponfe
feroit que ce capital ne vaut pas plus de
6,777,000 liv. Si cette nouvelle Compagnie en
prenant le marché , obtenoit tous les privileges de
la Banque actuelle , combien vaudroit alors ce capi-
- La réponſe feroit : - Précisément ce que
vaut le capital act el de la Banque ; favoir ,
10,780,000 liv. portant une prime de 110 liv.
pour chaque cent livres , ce qui feroit,monter ledit
capital à 11,858,000 liv. Il eft donc très conftant
qu'une propriété dans nos fonds n'excédant pas.
actuellement 6,777,000 liv .. feroit convertie en
une valeur de 11,858,000 liv. au moyen de l'obtention
de la Chartre de la Banque. Or quel fe
roit le profit de cette Compagnie par ce marché ?
Il feroit de 5,080,000 liv . La divifion de ce profit
pourroit fe faire de la manière fuivante.
tal ? - -
Pour rendre à l'ancienne Banque ,
fur le pied de 100 liv . l'action , un
capital de 3,700,000 liv . l'action étant
à 58 liv .
Dédwifez cette fomme du profit
ci deffus porté à 5,080,000 livres , il
reftera une valeur de
Sur ce profit , le Gouvernement
prendroit moitié comme le prix du
1,556,000
3,524,000
marché ; ce qui feroit pour l'Etat un
gain de
Et il refteroit à la nouvelle Compagnie
un profit de
1,762,000
1,762,000
La différence entre le prix résultant de ce calcul
comparé avec le prix de 1,617 , cco liv. pro.
vient de cette circonftance . ; favoir que , dans le
premier calcul , j'ai porté la baiffe luppolée à une
fomme ronde de 30 pour cent , pour ne point ren
fler les objets . Mais , d'après un calcul très - exact ,
il paroît que cette baiffe eft d'un peu plus que de
30 pour cent. Enfin , la réferve ci- deilus de 20
pour cent , fur 50 pour cent , eft plus que fuffifante
pour balancer la perte entre 3.700,000 liv. à
58 pour cent , & la même fomme au pair de
100 livres .
Nous avons parlé de la requête des prifonniers
de guerre Américains , préſentée à
la Chambre haute & baffe les 18 & 19 du
mois dernier ; elle donna lieu à une difcuffion
affez fingulière dans la première. Le
Duc de Richmond fe plaignit de ce qu'on
diftribuoit moins de pain aux Américains.
qu'aux François , aux Hollandois & aux
Efpagnols. Le Lord Sandwich répondit que
les Américains mangeant moins de pain
que les François & les autres , il étoit inutile
de leur donner la même ration. On croiroit
que cette obfervation n'eft qu'une plaifanterie
, elle fut faite férieufement ; & c'eft
une attention qui a échappé jufqu'ici dans
les comptes de la dépenfe des prifonniers ,
de les diftinguer en carnivores & en fiugivores.
( 117 )
On affure qu'à l'exemple de M. Fullarton
, ci devant Secrétaire de l'Amballade de
France à Paris , M. Thompſon , Secrétaire
du Lord Germaine , va lever un régiment ,
dont il fera Colonel , & qui ne fera pas plutôt
complet qu'il fe rendra en Amérique
pour y défendre tout-à-la fois par fa plume
& par fon épée , les poffeffions que notre
Cour a intention d'y conferver.
Le navirele Five- Friends , Capitaine Floyd ,
eft parti de Plymouth le 3 de ce mois , avec
des dépêches pour l'Amiral' Darby , dont la
croifière nous inquiète depuis que nous favons
les François fortis de Breft & fupérieurs
en nombre.
Hier il est arrivé chez M. de Simolin des
dépêches de l'Ambaffadeur de Ruflie à la
Haye , & peu après ce Miniftre a eu un entretien
avec le Lord Hilsborough , la veille ,
on avoit expédié pour la Ruffie , le Portugal
& la Hollande , des dépêches qui
avoient paffé au grand fceau.
-
» Notre commerce , écrit-on de London Derry ,
eft prefqu'anéanti ; un eflaim de corfaires Fran
çois molefte notre côte ; & nos navires ne peu
vent mettre à la mer fans le plus grand danger
d'être pris. Nous n'avons point de vailleaux pour
les protéger. L'équipage d'un corfaire ayant
débarqué dernièrement près de Carrig Fergus
a pillé les habitans , & enlevé beaucoup de
bétail . Nos Négocians viennent de prendre la
refolution d'équiper quelques corfaires pour protéger
leur commerce & balayer la côte. Il eſt
à fouhaiter qu'ils fe hâtent de la mettre à exécu
·
( 118 )
+
tion , & fur- tout qu'ils ne perdent pas de tems ,
lans quoi cette protection deviendra nulle , faute
de bâtimens à protéger «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 17 Juillet.
LL. MM . & la Famille Royale fignèrent
le premier de ce mois le contrat de mariage
du Marquis de Gaulaine , avec Mademoi
felle de Maleiffye , & le S celui du Prince
de Tarente , avec Mademoifelle de Chatillon.
Monfieur a été indifpofé & eft parfaitement
rétabli aujourd'hui , deux faignées
ont calmé les douleurs qu'il avoit éprouvées
& qui avoient alarmé toute la Cour.
De PARIS , le 17 Juillet.
En attendant les dépêches de M. de Graffe ,
toutes les nouvelles reçues de divers côtés
confirment les avantages remportés par ce
Général à fon arrivée à la Martinique. C'eft
par l'Angleterre que nous en avons eu le
premier avis ; c'eſt delà que nous en tenons
une confirmation . La Cour de Londres a
reçu des lettres de ces parages , & le
bruit général , à leur arrivée étoit
qu'elles annonçoient le débarquement de
2000 hommes de nos troupes à Sainte- Lucie.
L'Amiral Rodney prévoyant que les premiers
coups que nous porterions tomberoient
fur cette le , avoit envoyé un
( 119 )
&
meffage au Colonel Saint- Léger , qui y commandoit
, avec injonction de tenir bon ,
de ne pas fe laiffer intimider par nos grandes
forces , parce que dans quelques jours
il feroit en état d'aller à fon fecours & de
le dégager. Nous nous attendions en Europe
à cette attaque de Sainte - Lucie ; c'étoit
la première opération que M. de Bouillé
fe propofoit d'entreprendre. Cinq à 600
hommes ne pourroient être forcés fur le
Morne de la Vigie , fuflent- ils attaqués par
5 à 6000 , fi l'on n'avoit pas des mortiers
pour les foudroyer ; il eft vraisemblable que
M. de Bouillé en eft pourvu , & qu'à cette
heure Sainte-Lucie eft à nous ; car la fanfaronade
de Rodney n'eft faire que pour le peuple
Anglois ; loin qu'il puifle chercher à fecourir
le Colonel St-Léger , il doit être occupé
lui - même à trouver un afyle où il puiffe
mettre les reftes de fa foible eſcadre en fûreté.
Elle a été très - maltraitée , malgré la
relation de mémoire donnée dans la Gazette
extraordinaire de Londres ; & les nouvelles
entrepriſes de M. de Graffe annoncent une
victoire antérieure , qui le met en état de
ne pas craindre d'oppofition par mer. Le
rapport des vaiffeaux Hollandois arrivés à
Fleffingue fur un navire Parlementaire ; la
dépofition d'un nouveau corfaire Américain
entré à Breft , font conforines ; il s'agit toujours
de vaiffeaux pris , d'autres coulés bas
ou totalement défemparés ; mais ces détails
, tous fatisfaifans qu'ils font , ne font
( 120 )
point encore miniftériels ; les dépêches d
M. de Grafle ou de l'Amiral Hood nous en
fournitont de plus authentiques ; on ne penſe
pas que le premier écrive en France avant
d'avoir achevé fes opérations. Arrivé le 28
Avril , il a eu juſqu'au mois de Juillet pour
les continuer. A cette époque l'hivernage
commence aux Antilles , & force toutes les
flottes à rentrer dans leurs ports juſqu'à la fin
de Septembre. M. de Graffe nous enverra
fans doute le détail de toute fa campagne;
ce détail eft vraisemblablement parti actuellement
, & nous le recevrons dans le mois
prochain. En attendant qu'il arrive , on ne
fera pas fâché de trouver ici une lettre particulière
fur fon combat près de la Marti
nique ; c'eft le Capitaine du corfaire Amé
ricain arrivé à Breft le 27 du mois dernier
qui l'a remiſe à M. Hector. On la croit du
Maître de l'équipage du vaiſſeau de l'Amiral
Hood ; elle eft adreffée à un nommé François
David Plumb , de Darmouth ; ſa naïveté
la rend précieuſe.
" Je vous écris avec la plus grande douleur ,
parce que tout eft perdu. Il n'eft pas poffible de
s'imaginer qu'on pût faire croifer une flotte de 18
vaiffeaux pour en intercepter une de 24 , eſcortant
2 ou 300 voiles. Notre premier Père Adam luimême
n'auroit jamais pu avoir ce projet ; com.
ment fe peut-il qu'un Amiral Anglois l'ait eu feulement
pendant une demi- heure dans la tête. M.
de Graffe arriva le 28 Avril au Fort - Royal ; le
29 , il fit fortir quatre vaiffeaux pour nous reconnoître
; & le 31 , il vint , au point du jour ,
avec
( 121 )
nous
avec 24 vaiffeaux & l'avantage du vent ,
attaquer. Nous avons foutenu le combat, pendant
trois heures trois quarts . J'ai vu fix de nos vaiſ
feaux très-défemparés qui tombèrent fous le vent .
Le Centaure , de 74 canons , s'eft battu pendant
trois heures contre trois vaiffeaux François , qui
l'ont fi fort maltraité , que je doute qu'il puiffe
rentrer. Toute la flotte étoit perdue , fi nous n'avions
pas fait vent arrière pour gagner Saint- Crif
tophe , où nous fommes arrivés avec 7 vailleaux .
Je ne fais pas ce qu'eft devenu le refte. Pour fi
nir , nous fommes complettement battus , notre
pauvre vieille Angleterre touche à fa fin , & ję
ne doute pas qu'une grande partie de nos Ifles
tombe au pouvoir de l'ennemi «.
Le Capitaine Américain qui avoit pris
Pavifo Anglois , a déclaré qu'il avoit mis
l'Officier Anglois à bord d'un navire neutre
, & expédié le bâtiment pris à Boſton.
On n'a pas généralement approuvé fa conduite
. Il n'a fait au refle que fon métier de
Corfaire , dont la devife eft ; l'argent d'abord
& la gloire après . Le Capitaine Smith
preffé de donner à la Cour de Londres les
nouvelles dont il étoit porteur , lui aura
promis tout ce qu'il aurà demandé , & il
n'eft pas étonnant qu'il ait été rançonné.
» On mande de Portugal , écrit- on de Bayonne
que le 19 Juin dernier , la Minerve , frégate An
gloile , mouilla dans le Tage. Elle avoit touché
aux Inles du Cap Verd , où elle avoit été inf
truite de la rencontre & du choc des deux efcadres
deftinées pour l'Inde. Elle n'a pas donné
fur cette affaire des détails plus inftructifs , que ceux
qui font venus d'Angleterre, fi ce n'eft que Jonhstone
21 Juillet 1781 ,
( 122 )
-
attaqua fe premier , & fur fi maltraité qu'il fut
obligé de le réfugier fous le canon du Fort . Toutes
les lettres écrites au Commerce , conviennent
de ces faits , & nous avons été étrangement furpris
de lire le contraire à l'article de Lisbonne ,
dans la gazette de Madrid , que nous
-
recevons
aujourd'hui 3 Juillet ) , il faut que cette note
ait été fournie au Gazetier par des perfonnes prévenues
ou mal inftruites. Le rapport des Négocians
qui ont interrogé l'équipage de la Minerve ,
eft moins fufpect & plus véridique. L'armement
de Cadix doit être fous voile cette femaine. Quel
ques perfonnes le croient deftiné pour Gibraltar ,
parce qu'elles s'imaginent que s'il doit tomber
fur Minorque, il étoit plus naturel de le faire fortir
de Barcelone ; cette raifon feroit bonne fi la
-Cour d'Elpagne n'avoit pas cru devoir donner le
change à l'ennemi ; & en général bien des gens
croient ici , comme à Madrid , que c'eft Mahon
qu'on va attaquer «<,
Il fe confirme de toutes parts que fur
la côte de Coromandel , fur celle de Malabar
, les Indiens font une guerre implacable
aux Anglois qu'ils égorgent impitoyablement
. Toutes les lettres de Conftantinople
portent qu'Hyder- Aly s'eft emparé de
Madras , & que cette conquête importante
lui a été facilitée par de bons Artilleurs François
& par 3ooo Européens qu'il a dans fon
armée. Si cela eft , il eft à préfumer que le
détachement de l'ifle de Bourbon s'eft joint
à Hyder-Aly, & que M. d'Orves a battu la
place par mer. Ces nouvelles arrivent de
tous les côtés à Conftantinople , où l'on paroît
ne pas la révoquer en doute.
( 123 )
Depuis le 18 Juin juſqu'au 24 , écrit on de
Marſeille , il eft entré dans ce port 11 bâtimens,
au nombre defquels font les corvettes du Roi la
Fleche & la Sardine . On nous écrit de Cadix que
notre dernier convoi deſtiné pour les Illes de l'Amérique
, eft arrivé dans ce port après avoir paffé
le Détroit , à l'exception de quatre ou cing navires
, qu'on affure avoir fait voile pour leur def
tination . Nous apprenons auffi de Malte qu'il y
eft arrivé 26 voiles de notre convoi , venant de
Syrie , & qu'on y en attend encore trois ou quatre,
qui completteront le nombre de navires dont
il doit être compofé «
Nos Lecteurs n'ont fans doute pu lire
fans attendriffement les détails de l'incendie
qui a réduit en cendres la petite ville de
Lucé dans le Maine ( Voyez le Journal du
23. Juin ). Plus de 150 familles plongées dans
la plus affreufe mifere forment un ſpectacle
bien touchant pour les ames fenfibles ; les
perfonnes charitables qui voudront leur procurer
quelques fecours , font priées de les
faire remettre à M. Paumier , Notaire à
Paris , rue St-Victor.
Parmi les inventions utiles faites depuis
quelque tems , nous nous empreffons d'annoncer
celle de nouveaux fourneaux économiques
& portatifs pour la cuiffon des
alimens , & dont l'ufage réunit l'économie
à la plus grande commodité.
» Le fieur Nivert , d'une ſanté délicate , & cuifinier
, pour le mettre à l'abri des accidens auxquels
l'expofe fréquemment la vapeur du charbon,
a imaginé un Fourneau portatif , compofé
fi
( 124)
d'un foyer , avec un tuyau de cheminée , pour
donner iffue à la fumée , & d'une cuvette ou baſfin
de cuivre étamé , furmonté d'un couvercle de
fer ou de cuivre , qui s'adapte jufte à cette cuvette .
On y place des bocaux ou vaiffeaux de verre
dans lefquels on met les alimens qu'on veut faire
cuire , & on enferme le tout . On allume une lampe
dans le foyer ; l'effet de la chaleur qui en réfulte
, & dont le degré eft celui de l'eau bouil
lante , eft tel , qu'au bout du temps ordinaire
pour la cuillon , les alimens s'y trouvent parfaitement
cuits dans leur propre jus , fans aucune
addition d'eau ou de bouillon , à moins qu'on ne
veuille y faire le pot-au-feu , ou y cuire des fubftances
sèches & farineufes , telles que du riz.
On conçoit de quelle utilité , de quelle commodité
peut être un pareil fourneau , pour l'apprêt des
alimens , dont la cuiffon n'exige ni entretien de
feu , ni foin , ni dépenfes , ni attention , & qu'on
peut abandonner , foit dans un âtre de cheminée ,
foit dans une cour , toujours avec la certitude
qu'ils feront cuits au point convenable. En général
, il faut une heure ou une heure & demie
pour la volaille , le veau , le gibier , & c . , embarras
dont on eft encore difpenfé par les lampes
que l'auteur fournit. On doit ajouter que ce Fourneau
eſt conſtruit de manière qu'il eft fermé avec
une . clef qu'on emporre avec foi . Pour fatisfaire
au goût, & à l'économie du public , on les fait
faire de différentes matières , de différentes for
mes & de différentes grandeurs. Les plus, ordinaires
ont un pied quarré & pèſent dix à douze
livres au plus. Par leur moyen , on peut faire
fervir, en quelque endroit que ce foit , fans être
auprès & fans embarras , avec des vales conye-"
nables , trois entrées , ou bien foupe & bouilli , &
doux entrées en même tems , pour quatre ou cinq
I
( 125)
perfonnes au moins . Le prix des Fourneaux & des
Vafes eft proportionné à leur matière. M. Nivert
demeure rue & vis-à- vis le Cherche-midi , Faux
bourg Saint-Germain , Maifon de M. Dumas ,
à Paris.
Les médailles d'or, que diftribue chaque
année l'Académie Royale de Chirurgie aux
élèves de l'Ecole - pratique , ont été rem
portées le 7 Mai dernier , par MM. Alexis
Boyer , d'Uzerches , Diocèfe de Limoges ; J.
Jollain de Saint- Hilaire , de Talmond , Diocèle
de Luçon ; Louis - Antoine Follet , de
Frefnoy , Diocèfe de Beauvais ; Barthélemi
d'Arimajou , de Benquet , Diocèſe d'Aire.
Les médailles d'argent ont été obtenues par
MM. Jean - François de Mifit , de Quimper ;
Victor Dumas , de Séfinette , Diocèfe de
Grenoble , & Jean - Baptifte Frefon , de Digne.
» Le 20 Juin , à deux heures après - midi , écriton
de St- Amour en Franche- Comté , il s'eft élevé
un orage violent fur une haute montagne au couchant
du village de Vefoles , Balliage d'Orgelet ;
la grêle , qui eft tombée fur le territoire de Vefoles
l'a couvert à la hauteur de 4 à 5 pieds ; une
pluie confidérable l'a accompagnée ; le vent du
midi qui la pouffoit étoit fi impétueux , qu'en
moins de demi-heure les quatre hameaux dépendant
de cette Paroiffe ont été inondés , leurs territoires
chargés de cailloux , fables & ravins , qui
ont entièrement ruiné les récoltes , creufé les terres
jufqu'au roc vif, & détruit les chemins . Ceux
de Vefoles & Chenilla font fi dégradés , que de
plufieurs années les habitans ne pourront réparer
f }
( 126 )
leurs pertes ; la plupart font fans fubfiftance pour
eux & pour leurs beftiaux. Deux petits ruiffeaux
en pente font devenus en un inftant des torrents
de 20 pieds de large , & ont porté leurs eaux à
une ſemblable hauteur ; elles ont entraîné des
pierres & des rochers d'une groffeur fi énorme ,
qu'ils ont renversé à Vefoles 3 maifons , un moulin
de 900 liv . de revenus , beftiaux , meubles
grains , nipes , &c. Deux autres maiſons ont été
renverfées à moitié , & les matériaux en maçonmerie
, les pierres de taille ont été entraînés avec
plus de 200 pieds d'arbres ; 7 perfonnes ont été
noyées ; on compte an nombre de ces infortunées
victimes deux jeunes femmes enceintes ; l'une avoit
pris dans fes bras fon premier enfant , âgé de
7 mois , pour le fauver avec lui , lorfque fa maifon
s'eft écroulée . Le Subdélégué de St - Amour s'eft
transporté autli - tôt dans les villages maltraités
pour conftater la perte de leurs habitans & les fe
courir. Si des ames fenfibles vouloient faire quel
ques aumônes à tant de malheureux , elles font
priées de les adreffer à M. Fluchon , Curé de
Vefoles par Lons-le-Saunier & Moirans en Franche-
Comté ".
On vient de nous faire paffer de Strafbourg
un avis bien intéreffant pour les Médecins
& les Chirgiens Accoucheurs , s'il
remplit en effet tout ce qu'il promet . Nous
devons nous borner à l'annoncer , parce
qu'il intéreſſe l'humanité , c'eft aux gens de
l'art à l'apprécier.
» Le fieur Adorne , Marchand Phyficien & Méchanicien
à Strasbourg , fait des Mannequins pour
les Démonftrateurs des Accouchemens fuivant
les corrections indiquées par M. le Profeffeur Sil
berling ; on n'y trouve pas feulement le diaphragme ,
les gros vaiffeaux , l'aorte & la veine cave , les reins
les urtères , le rectum , la matrice , les ovaires &
le vagin avec la veffie dans l'état de virginité
mais on peut encore ôter cette matrice , en mettre
à la place une autre dans laquelle des cordes cachées
, démontrent les diverfes fibres de l'utérus ,
leurs mouvemens dans les douleurs de l'enfantement
, avec un petit enfant à reffort qui expofe
tous les mouvemens naturels . Le corps du Man.
nequin eft de bois , ou un véritable squelette
fuivant qu'on le préfère. Le prix eft de 20 à 25
louis. M. Adorne change ou répare les vieux Mannequins
auxquels il fait les augmentations néceffaires.
Il s'annonce auffi comme poffeffeur d'un
fecret bien important pour l'humanité ; c'eſt celui
de guérir infailliblement toutes fortes d'hidropifies
d'eau , pourvu que le malade n'ait point fouffert
déja l'opération ; fon fecret agit fur les perfonnes
de tout âge , en modérant la dofe felon les
tempéramens. Il a , dit il , opéré la guérison de
plufieurs perfonnes , depuis l'âge de 6 jufqu'à 60
qu'il a traitées gratuitement à Strasbourg.
Il offre de donner fon fecret pour cent louis , &
pour conftater fon efficacité , il traitera un malade
fous les yeux de celui qui voudra l'acheter «<.
ans
?
La lettre fuivante ne peut qu'intéreffer
nos Lecteurs.
M. , votre Journal étant confacré à publier les
actions de bravoure & de bienfaisance qui honorent
l'humanité ; je crois devoir vous en préfenter une
qui peut être mise en parallèle avec celle du brave
Brouffard de Dieppe , rapportée dans un de vos Numéros.
Voici l'évènement malheureux qui y a donné
lieu.-M. & Mme de Montcamp ( M. de Montcamp
eft Lieutenant des Maréchaux de France ) s'embar
£ 4
( 120 )
&
quèrent à Lyon , fur le Rhône , le 15 Juin dernier ,
avec leur voiture. Vers les 10 heures du foir , en
paffant devant Vienne , le Patron qui les conduifoit
n'apperçut pas un radeau qui flottoit , & que fes conducteurs
avoient négligé d'amarer. Par le choc du
radeau , le bateau de M. & de Mme de Montcamp fut
mis en pièce , & leur voiture fubmergée. Ils y
étoient renfermés . En 2 ou 3 minutes ils y furent
entraînés entre deux eaux à plus 40 toifes du lieu
de leur échouement. Leur perte étoit certaine , fans
un Patron appellé Bonardel. Il artivoit de Lyon.
Il avoit reconnu le radeau ; il l'avoit abordé . La
légéreté de fon batelet , & fon adrefle l'avoient
fauvé. Il alloit l'attacher au port , & s'occuper de
faire mettre en règle les Radiers , quand il entendit
ile bruit du bateau qui venoit de fe rompre ,
les cris des naufragés. Il vole, à leur fecours . Il
rencontre d'abord le Patron , il le fauve fans retarder
fa marche. Il arrive à l'inftant où la voiture est
ramenée fur l'eau par un effet qui tient du prodige.
M. & Mme de Montcamp en fortent en rompant les
glaces , & reftent fufpendus aux portières. Bonardel
avec un fang-froid admirable , conduit fon batelet
entre les deux brancards . Par cette manoeuvre décifive
, il foutient la voiture , il l'empêche de s'engloutir
de nouveau. Les brancards deviennent , d'un
autre côté pour fon bateau , un point d'appui qui
doit l'empêcher de couler bas , fi les trois perfonnes
qu'il doit encore recevoir , fe précipitent dedans
fans précaution. Le fuccès répond à fa prudence.
Il fauve l'un après l'autre , M. , Mme de Montcamp ,
& leur domeftique . A peine s'eft il dégagé des bran .
cards , que la voiture difparoît. Il regagne enfuite
heureufement le rivage , malgré la rapidité , les
tourbillons de l'eau , & le poids de cinq perfonnes
que fon batelet contenoit avec peine . If eft reçu
aux acclamations de cette Ville . On confond , dans
( 129 )
›
>
les témoignages de la joie générale , M. & Mme de
Montcamp avec leur libérateur , On les regarde comdes
êtres chéris du ciel. On procure aux premiers
les fecours les plus prompts , & on les débarraffe
du volume d'eau qui les étouffoit. J'ai eu l'honneur
, M. de dîner , à mon paffage à Montelimart
avec M. & Mme de Montcamp . Je tiens d'eux ces
détails . J'ai vu à Vienne le Patron Bonardel ; je
ne connois pas d'homme de fa profeffion plus inté
reflant. Sa modeftie , fon défintéreffement relèvent
encore fon action . Cet honnête Patron eſt chargé
d'une nombreufe famille. Il a éprouvé plufieurs
malheurs qui l'ont ruiné. Il y a peu de tems que
fa mailon fut entièrement brûlée. Je defire , M.
que cette lettre parvienne , par votre Journal
entre les mains des perfonnes bienfaisantes qui ont
fait récompenfer le brave homme . Les Romains
accordoient une couronne civique à quiconque
fauvoit un citoyen .. Bonardel a 'confervé à l'Etat
deux hommes de fa claffe , un Officier de S. M. ,
& fur-rout une belle Dame de vingt ans ! .... II
a plus fait qu'aucun Romain de ma connoiffance.
Sous un règne heureux , fous des Miniftres qui
diftinguent les belles actions , il peut efpérer une
récompenfe . La Renommée la publiera . Elle encouragera
les Bateliers , fur nos rivières , à donner
des fecours aux perfonnes qui pourroient le trouver
dans le même cas que M. & Mme de Montcamp.
J'ai l'honneur d'être , &c . Signé , CHASLON .
P. S. Dans cet évènement , il n'a péri qu'un
Batelier.
La groffeffe de la Reine , cet évènement
fi intéreffant pour la Nation , a été annoncé
au Public. Le Roi a écrit , le 29 du mois
dernier , la Lettre fuivante à l'Archevêque
de Paris.
f.s
( 130 )
» Mon Coufin , c'eft avec une fatisfaction infinie
que je puis annoncer à mes Peuples l'heureufe
groffeffe de la Reine , ma très -chère épouſe
& compagne , parce que je la regarde comme une
nouvelle preuve de la bénédiction que Dieu répand
fur mon Royaume. La loi que je me fuis faite
de foumettre à fa providence tous les évènemens
qui peuvent m'intéreffer , m'engage à vous faire
cette lettre pour vous dire qu'il me fera trèsagréable
que vous ordonniez une Collecte ou prière
particulière pour la confèrvation de fa perfonne.
Sur ce je prie Dieu qu'il vous ait , mon Couſin
en fa fainte & digne garde ".
Le 1 ; de ce mois , l'Archevêque a donné
un Mandement dans la forme fuivante , qui
a été publié le 15.
» Le Roi , mes très-chers frères , vient d'an.
noncer à fes Peuples l'heureufe groffeffe de la
Reine , & pénétré de reconnoiffance pour cette
nouvelle preuve des bénédictions que le Ciel répand
fur fon Royaume , il a recours aux prières
de l'Eglife , afin d'obtenir la confervation des précieux
jours de fon augufte épouse. Empreffonsnous
de nous conformer à des intentions fi pieufes
& fi refpectables. De tout tems la nation Fransoife
s'eft diftinguée par-deffus tous les autres Peuples
de la terre par fon attachement pour les
Souverains. Que ce fentiment doit nous paroître
doux , & que nous devons aimer à le faire éclater
dans une circonftance où il s'agit de demander au
Ciel la confervation d'une Reine que fes grandes
qualités nous rendent fi chère , & qui fait le
bonheur d'un Roi dont toute l'ambition eft de
rendre fon peuple heureux & triomphant ! - A
ces cauſes , nous ordonnons que dans toutes les
Eglifes de ce Diocèfe , exemptes & non exemptes ,
il fo dira tous les jours , aux Mefles hautes &
"
( 131 )
འ
baffes , jufqu'à ce que la Reine foit accouchée , la
Collecte , la Secrette & la Poft- communion , pref
clites dans le Miffel & intitulées pro muliere gravida
, y inférant fuivant la rubrique , Maria-
Antonia-Jofepha-Joanna , Regina noftra ; & nous
exhortons les Fidèles de notre Diocèle à faire à
cette même intention de ferventes prières , qu'ils
accompagneront d'aumônes & de toutes fortes de
bonnes oeuvres «.
François -Céfar le Tellier , Marquis de
Courtenvaux , Duc de Dondeauville , Comte
de Tonnerre , Baron d'Ancy-le -Franc & de
Montmirail , &c. Grand- d'Eſpagne de la
première Claffe , Capitaine- Colonel de la
Compagnie des Cent - Suifles de la Garde
ordinaire du Corps de S. M. , eft mort le
7 de ce mois.
Charles - Philibert - Louis de Cardeval
Comte d'Havrincourt , Meftre- de- Camp de
Cavalerie , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , Sous- Lieutenant des
Gardes- du- Corps du Roi , eft mort le 15
du mois dernier à Briare-fur- Loire.
Frère Jean de Badillac , connu fous le
nom de Frère Côme , Feuillant , qui a fi
bien mérité de fon fiècle , par l'invention
de fon Lythotôme , & par tous les fecours
défintéreffés qu'il à apportés pendant le
cours d'une longue vie , aux perfonnes
attaquées d'une des plus cruelles maladies
qui affligent l'humanité , eft mort le 8 de
ce mois , chez les R. R. P. P. Feuillans de
cette ville , dans la 79 ° . année de fon âge.
£ 6.0
( 132 )
On lit dans un Quvrage réprouvé par le Gouver
nement , page 222 , » que M. le Comte de Jonfac ,
Maréchal de Camp , cominandoit à Lauterbourg ,
» lors du paffage du Rhin par le Prince Charles
qu'il n'avoit pas tenu plus d'un heure dans ce
pofte effentiel , & qu'il avoit été mis au Conſeii de
guerre , &c. «. Il eft abfolument faux que M. le
Comte de Jonfac , ni perfonne de fon nom , ait
jamais commandé à Lauterbourg. M. le Comte de
Jonfac fervoit alors dans la Gendarmerie & n'étoit
pas même encore Brigadier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui défend les
ventes & marchés faits avec des gens de mer
pour des parts de prifes , du 12 Juin 1781. Extrait
des Regiftres du Confeil d'Etat . » Le Roi étant
informé qu'il le fait journellement dans les Ports
des marchés ufuraires pour les parts des Prifes
faites par les vaiffeaux de Sa Majefté ; que des
Agioteurs , profitant de l'empreffement que les
gens de mer ont de recevoir de l'argent comptant ,
achettent à l'avance leurs parts des prifes à des
prix fort au deffous de ce qu'elles auroient produit
par le réfultat de la liquidation : Et S. M.
voulant faire ceffer un abus auffi préjudiciable pour
les équipages de fes vaiffeaux , & même pour
leurs familles qui font fruftrées par cet agiotage
du bien- être que leur auroient procuré leurs parts
de prifes , fi elles avoient reçu la totalité de leur
montant. A quoi voulant pourvoir : Ouï le rapport
, & tout confidéré ; LE ROI ÉTANT EN
SON CONSEIL , a fait très- expreffes inhibitions
& défenfes à tous Officiers - mariniers & Matelots
des équipages de fes vaiffeaux de vendre
à l'avance leurs parts des prifes ; & à toutes perfonnes
de les acheter ou de faire aucun marché
qui y foit relatif , pour quelque caufe ni fous
quelque prétexte que ce puiffe être ; à peine d'ê
"
( 133 )
tre punis févèrement : Déclare S. M. de nul effet
tous les marchés ou autres actes de ventes & ceffions
defdites parts de prifes faits jufqu'au jour de
la publication du préfène Arrêt , fauf à ceux qui
auroient quelques répétitions à former contre lef
dits Officiers-mariniers ou Matelots , à fe pour
voir par- devant l'Intendant de la Marine ou Ordonnateur
du Département , pour y être par lui
ftatué conformément aux Ordonnances . Mande
& ordonne S. M. à Monf. le Duc de Penthièvre ,
Amiral de France , aux Intendans de la Marine ,
Commiffaires généraux des Ports & Arlenaux ,
Ordonnateurs , aux Intendans & Ordonnateurs dans
les Colonies , aux Officiers des Amirautés & à
tous autres qu'il appartiendra , de tenir la main ,
chacun en droit foi , à l'exécution du préfent Arrêt ,
qui fera enregistré au Greffe des Amirautés «.
-
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois ,
font : 22
, 17 > 9 ,, 49 & f1 .
De BRUXELLES , le 17 Juillet.
SELON les lettres de la Haye , la réſolution
prife le 2 de ce mois par les Etats-
Généraux , au fujet du Prince Louis de
Brunſwick , n'a pas entièrement fatisfait ce
Prince , dont la délicateffe l'a fait infifter fuz
la demande qu'il avoit déja exigée de L.
H. P. , d'une recherche exacte & rigoureufe
, d'après laquelle feule , il pouvoit fe
regarder comme lavé de toutes les imputations
dont on l'avoit chargé . Les Etats-
Généraux en conféquence ont arrêté le 4
( 134 )
de ce mois que cette réquifition feroit envoyée
par les députés des provinces refpectives
, aux Etats leurs principaux , pour
qu'ils faffent fur ce fujet les réflexions qu'ils
jugeront convenables .
Ils avoient demandé dans leur Réfolution
du 2 , fi chaque province ne trouveroit pas
à propos de faire chacune chez elle des règlemens
pour réprimer les Auteurs , Imprimeurs
& Distributeurs de libelles , femblables
à ceux dont le Duc a eu lieu de
fe plaindre. La province de Gueldres eft la
première qui a jugé ces règlemens néceſ
faires ; elle en a fait publier un en date
du 4 de ce mois , portant amende de 1000
florins contre les Auteurs , Imprimeurs
Diftributeurs ou Introducteurs d'écrits calomnieux
contre le haut Souverain ou le
Duc, ou autres perfonnes d'un moindre rang ,
& d'être punis arbitrairement fuivant l'exigence
des cas.
>
L'ardeur & la promptitude avec lesquelles
L H. P. ont répondu au Duc de Brunswick , lite
on dans une lettre d'Amfterdam , montrent que
dans toutes les occafions elles ne mettent pas la
même lenteur dans leurs délibérations . Nous defi
rerions qu'il y eût eu la même activité dans celles
qui avoient pour objet nos armemens de mer. On
aure q1e l'efcadre du Texel ne tardera pas à mettre
à la voile ; le Vice- Amiral Hartzink eft du moins
parti le 30 du mois dernier de la Haye ; mais il n'avoit
pas emporté les inftructions puifqu'elles lui
ont éré envoyées à Haerlem où il les a reçues. Il faur
( 135 )
2
efpérer que nos flottes fe remontreront enfin fur les
mers avec la diftinction qu'elles avoient autrefois .
La belle défenſe de la frégate la Brielle , prouve
que la Nation n'a pas perdu fon ancienne bravoure.
Le Collège d'Amiranté de la Meule a récompenfé
les Officiers & l'équipage de cette frégate ; les deux
Lieutenans , MM . J. F. Van de Capelle , Otter-Guillaume
Gaubens , ont obten: une penfion de 300 florins
, & tous les autres Officiers , Soldats & Mate
lots ont reçu une gratification de 25 ; le Capitaine
fera fans doute récompenſé auffi d'une manière dif
tinguée. On apprend de Fleffingue que le corfaire le
Niet-Verwagt , Capitaine Brown eft rentré avec 15
rançons de is navires pêcheurs , dont il s'eft emparé
le 1er de ce mois , & qu'il a rançonnés pour 200 gui
nées chacun , à l'exception d'un feul qui fe trouvoit
un vieux navire appartenant à un pauvre homme , &
pour lequel il s'eft contenté de 100 guinées . Il auroit
fait encore d'autres prifes , fi un vaiffeau de guerre
Anglois , qui venoit à lui fous pavillon Danois , ne
Feût obligé de fe retirer .
Le Capitaine H. de Rook , comman
dant la frégate la Concorde , expédiée le 29
Janvier dernier de Lisbonne par le Comte
de Byland , pour porter aux Indes occidentales
la nouvelle de la rupture avec l'Angleterre
, de retour le 24 Juin , a fait le rapport
fuivant de fa miffion.
2
Le 7 Mars , il donna l'avis dont il étoit porteur
à la Colonie de Surinam ; le 17 il arriva à
la rivière de Berbice , & le lendemain il détacha
le Lieutenant Zeegers avec une chaloupe à terre ,
pour porter le même avis au Gouvernement. Le
Lieutenant revint avec la fâcheufe nouvelle que
depuis huit jours cet Erabliffement s'étoit rendu
aux Anglois. Ayant remonté la Berbice & mis
( 136 )
pied à terre , M. Zeegers avoit trouvé la fortereffe
brûlée , ainfi que les maifons voisines , &
tout ruiné de telle forte , qu'il n'y avoit plus
pierre fur pierre ; perfonne ne paroiſſant , il remonta
encore la rivière pendant deux milles
& débarqua à la Plantation Ithaca , le Doc
teur Hobus lui apprit que le 7 ou le 8 , le
Gouverneur avoit reçu des lettres d'Effequibo &
de Demeray , qui lui annonçoient la prise de ces
Etabliffemens , ainfi que celle de Saint - Eustache
& de Curaçao. ( Cette dernière heureufement ne
s'eft pas confirmée ) Le lendemain , il fit marcher
40 hommes vers la Fortereffe qui eft au bas de
la rivière , pour en foutenir la garnifon , qui ne
confiftoit qu'en un Lieutenant & douze foldats ;
mais avant l'arrivée de ce détachement , un vaiffeau
de 36 canons avoit mis à terre à la pointe
orientale , 40 hommes bien armés , qui avoient
pris pofte derrière le bois ; enfuite ce vaiſſeau ,
accompagné d'un cutter corfaire de 20 canons ,
s'étoit avancé & avoit battu la Fortereffe pendant
qu'on l'attaquoit par terre , & l'avoit forcée de fe
rendre. Après cela les Anglois remontèrent la
rivière , ravagèrent , brûlèrent & détruifirent la
plupart des Plantations. Ce vaiſſeau de 36 canons
étoit encore dans la rivière , & à peu de diſtance.
Le Lieutenant Zeegers ne voulant rifquer ni fa
chaloupe ni fon équipage , regagna la Concorde ,
qui n'ayant pas de forces fuffifantes pour reconquérir
l'établiffement , le quitta & alla mouiller à
la Grenade le 23 Mars. Le Comte de Durat l'informa
de l'état des affaires aux Iſles ; il lui apprit
que le Gouverneur de la Martinique immédiament
après la prife de Saint-Euftache , avoit
envoyé avis de la déclaration de guerre à Curaçao.
Pendant que la Concorde mouilloit à la Grenade
, elle y vit arriver une goelette avec 100
>
167 )
hommes , pour renforcer la gainifon de l'Ifle. Le
Capitaine Roock y répara fa frégate , fit de l'eau
& revint en Europe ".
La lettre fuivante de Saint- Chriſtophe ,
en date du 6 Avril , contient les détails
fuivans de la prife des Berbices .
Avant-hier après - midi , l'Armateur particu
lier , le Regulator , Capitaine James Walcot ,
arriva ici avec deux gros vaiffeaux Hollandois ,
qu'il avoit pris à l'Etabliffement des Berbices
ainfi qu'un 3e. qu'il avoit envoyé à Montferrat . L'Etabliffement
Hollandois s'étoit rendu peu après fon
arrivée dans la rivière ; il y avoit pris & détruit
la première Plantation qui s'étoit trouvée fous
fa main , ce qui avoit fait une telle impreffion
fur le refte , qu'il capitula fur le champ. Un des
premiers articles de la capitulation fut que le
premier Planteur ruiné feroit dédommagé par la
Communauté en général . Le Capitaine Walcoft
emmena avec lui les foldats Hollandois qu'il
trouva , & entr'autres , toute leur mufique , de
manière que le vingt-huitième régiment pourra
s'en procurer une. Les prifes , peuvent valoir
70,000 liv . fterl . Il s'eft rendu hier auprès de
l'Amiral , à qui il a préfenté la capitulation qu'il
a faire avec le Gouverneur des Berbices . Il a
laiffé dans la rivière un navire qui étoit chargé
de provifions qu'il a vendu aux habitans , parce
qu'ils fe trouvoient dans la difette ; ils les chatgeront
de leurs productions en retour des provifions
qui leur ont été accordées , & la chaloupe le
Trimmer l'amenera ici « .
Voici la copie de la capitulation accordée
par l'Admiral Rodney & lé Général Vaughan ,
aux habitans de Demerary & d'Effequibo ;
elle eft du 14 Mars dernier.
[ 1307
connu. ----
Les habitans de Demerary & ceux des bancs de la -
rivière d'Elfequibo & dépendances , s'étant rendus à
difcrétion aux armes de S, M. B. il leur eſt accordé
par les préfentes de refter en pleine poffeffion de
leur propriété , & d'être gouvernés par leurs loix
actuelles , jufqu'à ce que le plaifir de S. M. foit
Toute la propriété , les magaſins , les
provifions , &c. appartenant à la Compagnie Hollandoife
des Indes Occidentales , feront délivrés
aux Officiers de S. M. B. Les habitans prêteront
ferment d'allégeance & feront reçus fous la domination
de la Grande-Bretagne. Il leur fera permis
d'exporter leurs productions dans la Grande-
Bretagne ou dans les Ifles Angloifes de Tobago
& de Barbade , en employant des bâtimens Anglois ,
& ils feront traités à tous égaris comme des fu
jets Britanniques , jufqu'à ce que S. M. ait fait connoître
fon plaifir. Le Commandant & les autres
Officiers ont la permilion de paffer en Hol
lan le fur des vailleaux Parlementaires , emportant
avec eux leurs effets de toute eſpèce quelconque.
Les troupes jouiront de la même indulgence « .
-
Les habitans de ces deux établiſſemens ont
été comme l'on voit bien mieux traités que
ceux de St-Euftache , ces derniers qui n'ont
pas fait plus de défenſe , parce qu'ils n'étoient
pas même en état de réfifter à des
forces auffi fupérieures , qui s'étoient rendus .
à difcrétion & confié à l'honneur , à l'hu-`
manité & à la juftice des Commandans Anglois
, avoient fans doute droit à être traités
de même ; on a fu comment ils l'ont été ;
auffi ne doit-on pas être étonné de la haîne
qu'il a infpirée aux habitans infortunés de
( 139 )
cette ifle ; elle eft fi vive , & ils la manifeſtent
avec tant d'éclat , que l'Amiral pendant
le long féjour qu'il y a fait , n'ofoit
plus coucher à terre , & que tous les foirs
il fe retiroit fur le Sandwich. Dès qu'il revenoit
à terre , il n'entendoit de toutes parts
que des infultes & des propos menaçans.
Nous recevons de Cadix une lettre qui
contient les détails fuivans :
―
--
» M. le Duc Crillon eft arrivé aujourd'hui 26 ;
les troupes ne vont pas tarder à s'embarquer , &
l'activité du Chef nous répond qu'elles ne resteront
pas long tems en rade. Le convoi de Marfeille ,
Fourroit fortir s'il n'étoit pas retenu par le vent.
Six gros vailleaux de regiftre partent avec lui.
Cette flotte , outre l'efcorte qu'elle a déja , fera
convoyée par deux de nos vailleaux de ligne , qui
ne la quitteront qu'à une hauteur où la navigation
ne pourra pas être troublée. Un corfaire de 24
canons , prife de la Friponne , eft entré dans cette
baie , il y a 3 ou 4 jours ; l'Officier qui l'a amarine
s'étoit trouvé avec M. de Macnemara , fon Commandant
à la rade de Fayal , lorfque le Capitaine
Prefcort de la frégate le Mercury , qui y étoit mouillée
, tint des propos un peu légers fur le traitement
qu'il feroit à la Friponne , s'il la trouvoit en mer;
ce qui lui attira la lettre fuivante du Capitaine Fran
çois.-M. , dans toute autre circonftance que celle
où nous nous trouvons , j'aurois recherché l'occafion
de faire connoiffance avec vous , & avec d'autant
plus d'empreffement , qu'on ne m'a point laiffé
ignorer les qualités intéreffantes que vous poffédez ,
j'ai d'ailleurs été très - ſenſible aux offres de fervice
que vous m'avez fait faire . L'intérêt de nos Sou
verains nous éloigne de fociété , & dès - lors nous ne
( 140 )
pouvons être rapprochés que par le fort des armes .
Un tems plus heureux viendra , j'efpère , où l'épée
remife dans le fourreau , nous pourrons nous connoître
, & peut-être nous plaire ; mais quant à préfent
, je fais que je ne dois être animé que du defir
de bien fervir mon Roi & ma patrie . Je borne donc
aujourd'hui ma prétention à votre eftime , & je
crois , fans présomption , avoir tout ce qu'il me
faut pour la mériter. Vous connoiffez la force de
la frégate que je commande' ; je connois aufli celle
de la frégate que vous commandez ; la différence
eft en ma faveur ; d'après cela , je ne puis vous
propofer de fortir ; ce feroit une bravade dont les
Officiers ne font point fufceptibles . Les Gazettes
Angloifes me tombent quelquefois fous la main ; j'y
ai vu fouvent la vérité altérée dans les évènemens
qui intéreffent ma Nation ; heureuſement que cela
ne fait rien contre le Droit Canon. Je ne crains
point cette altération dans l'article qui fait mention
de notre rencontre en cette rade , s'il eft établi ,
d'après le compte que vous en rendrez , parce que
j'espère , M. , que vous n'y ferez paroître mon nomi
que comme il mérite d'y être , d'après la conduite
que je tiens vis - à- vis de vous. Mes affaires étant
finies , je vais mettre à la voile , & ne quitterai de
vue cette rade qu'au foleil couchant : je ne puis
pas actuellement vous fouhaiter des fuccès militaires
; à cela près , je vous defire tout ce qui peut
vous être perfonnellement agréable . Je fuis , &c.
-
Le Capitaine Prescott ne jugea pas à propos de
porter lui -même fa réponſe à la Friponne , qui
l'attendoit , quoiqu'il pût fe faire fuivre par une
corvette & un cutter Anglois qui étoient en rade
avec lui. Les Portugais le couvrirent de brocards
jufqu'au moment de fon départ , qui n'eut lieu que
lorfqu'il fut sûr que la Friponne n'y étoit plus.
( 141 )
P. S. Le vent étant devenu favorable , le convoi
de Saint- Domingue fe met en mouvement , &
dans quelques heures , nous le verrons s'éloigner «
сс
Quelques perfonnes , écrit - on de Paris ,
ont reçu , du Havre , copie d'une lettre
écrite par un Matelot de l'efcadre de M.'
de Suffren , en date du 28 Mai , à bord
du Romney , dans la baie de Praya. On en
conclut que Johnſtone y étoit encore à
cette époque ou que s'il a continué fa
route , il y a laiffé le Romney & l'Ifis
trop maltraités pour le fuivre.
,
>
Le 23 Mai , écrit-on de Livourne , on
a vu entrer dans ce port un navire Danois
qui naviguant de Smyrne à Oftende
avec différentes marchandiſes & non - prohibées
, avoit été pris par un corfaire Mahonois.
Ce nouvel attentat Anglois contre
la liberté des mers , paroîtra d'autant plus
étonnant , que Smyrne , Oftende , le navire
& fon chargement , tout étoit dans le cas
de la neutralité la plus parfaite.
Le mariage du Prince Antoine de Saxe
avec la Princeffe Antoinette de Sardaigne ,
été déclaré le 24 Juin à Drefde. Il y eut
à cette occafion gala à la Cour.
Le Comte de Fontana , Envoyé extraordinaire
du Roi de Sardaigne à Berlin , eft
arrivé à Drefde , revêtu du même caractère
à cette Cour ; il a eu fes premières audiences
le 23 de ce mois.
112
( 142 )
PRECIS DES GAZETTES ANGL. , du 10 Juillet.
ON continue d'affurer que l'Ifle de Ste-Lucie eft en
la poffeffion des François ; il fe débite auffi qu'il y a
ea un fecond combat dans lequel l'Amiral Rodney a
été fait priſonnier ; mais cette dernière nouvelle eſt
généralement révoquée en doute.
Il eſt arrivé hier à l'Amirauté un Exprès avec des
dépêches de l'Amiral Darby , datées de Torbay le 7,
par lefquelles il annonce qu'il eft entré le matin avec
l'efcadre à fes ordres , pour recevoir les proviſions &
les munitions qui y avoient été apportées auparavant
pour fon ufage par des bâtimens vivriers & munitionnaires
. Il ajoute qu'il s'attend à être joint inceffamment
par plufieurs vaiffeaux de Portsmouth & de
Plymouth , appartenant à l'efcadre de l'oueft , &
qu'enfuite il ne perdra pas un moment à remettre en
mer pour aller à la recherche de l'efcadre Françoiſe ,
fortie depuis peu de Breſt ſous le commandement de
M. de Guichen. Les vaiffeaux l'Alexandre & le
Courageux , de 74 , que l'on ſuppoſoit partis pour
les Indes ont paru aux Dunes , où ils ont pris avec
eux quelques frégates & des pilotes . On les dit actuellement
devant les côtes de Hollande . Un bâtiment
arrivé à Oftende , le jour que le paquebot en appareilla
, dit que cette petite eſcadre étoit à la hauteur
de Fleffingue le 6 , & que le Lord Mulgrave faifoit
les préparatifs néceffaires pour attaquer fans délai
cette place. On forme diverfes conjectures fur l'objet
de cette expédition .
-
Les bagages & les munitions de mer , &c. de l'Amiral
Digby ont été envoyés hier à Plymouth , &
le foir le Prince Guillaume-Henri a dû prendre congé
avec lui de la Famille Royale à Vind or . On dit que
cer Amiral appareillera le 12 pour l'Amérique ; il y a
long-tems qu'il devroit être parti , mais le Gouver
( 143 )
nement voudroit avoir auparavant , s'il étoit poffi .
ble , des nouvelles des Ifles . Le vent a toujours
-
été très- contraire depuis le départ de la flotte pour
New -Yorck , cequi , felon toute les apparences , l'obligera
de rentrer . On eft furpris qu'une flotte auffi
précieuſe ſe foit miſe en mer avec un fi foible convoi
, tandis que l'Amiral Digby doit fortir avec
fon efcadre fous peu de jours.
Le 4 après-midi , écrit-on d'Edimbourg , la flotte
de la Jamaïque eft fortie de la rade de Leith pour
les Dunes. Au moment où elle partoit eſt arrivé un
Exprès avec des dépêches de l'Amirauté , & auffi-tôt
on a envoyé une chaloupe à cette flotte ; mais un
vent frais qui s'eft élevé tout-à- coup a empêché
cette chaloupe d'approcher de la flotte pour lui
faire voir fon fignal.
Oa dit que les il a été ordonné dans un Confeil.
Privé que le Lord Dunmore retourneroit immédiate.
ment à fon Gouvernement de Virginie , avec les Of
ficiers Civils appartenans à cette Province. A leur arrivée
ils doivent travailler à rétablir l'ancienne Jurisprudence
Municipale. Ces difpofitions font voir
que le Gouvernement regarde cette Colonie comme
annexée de nouveau à la Couronne de la Grande-
Bretagne.
Ce matin , on a reçu des dépêches venant de
Quebec, apportées par le Terrible , arrivé aux Dunes
après une traversée de 20 jours. Elles annoncent
que les 20 bâtimens partis de nos ports , & dont
quelqus-uns font chargés richement, y font arrivés
en bon état .
Le Sultan & le Magnanime , formant l'escorte
de la flotte pour l'Inde , étoient partis de Plymouth
le i de ce mois ; le 2 , la flotte a été difperlee
par un coup de vent ; le Naffau , l'un des
bâtimens qui la compofent , eft rentré. La Com.
( 144 )
pagnie a reçu de très-mauvaifes nouvelles de ces
Contrées ; nos Etabliffemens y font, dit- on , dans
la fituation la plus critique ; les forces d'Hider ›
Ali s'y font prodigieufement augmentées , & les
Naturels du pays irrités des innovations que la
Compagnie a faites dans leurs loix , & fur- tout
de la hauteur de fes Employés , font prêts à prendre
les armes. Quoiqu'elle cache avec foin les
détails , fes actions ont confidérablement baillé
depuis trois jours ; & s'il faut en croire ce qu'on
débite , les alarmes font très- fondées . Le 6 de ce
mois , les Directeurs s'affemblèrent pour prendre
en confidération les dernières dépêches apportées
de l'Inde , par terre , par M. Shakeſpeare. Il a été
expédié de Bengale , & a paffé par Bombay ; il a
lui-même rendu compte aux Directeurs de l'état.
actuel des affaires . Ses réponſes fur cet objet ont
occupé prefque toute la féance , qui a duré toute
la journée. On garde le plus profond filence fur
les détails de cet examen,
La Cour , de France a demande , dit - on , formellement
, au Secrétaire d'Etat du Département
du Sud , qu'on lui remît le fameux Luc Ryan
actuellement dans les prifons d'Angleterre , comme
rebelle , étant Irlandois , & ayant précédemment
été employé au fervice Britannique . Les François
allèguent , dit-on , pour raifon de cette réquifition ,
que lorfqu'il a fait tant de prifes fur le commerce
d'Angleterre , il étoit muni d'une commiffion
du Roi de France , & qu'en conféquence
il doit être regardé comme Officier François , &
fufceptible d'être échangé par le cartel. S. M. a
renvoyé le jugement de cette affaire au Procureur
& à l'Avocat-Général , dont on attend la décifion
, pour donner une réponſe à la Cour de Ver
failles.
1
༣ །
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 20 Juin.
LA Cour continue fon féjour à Czarsko-
Zelo , d'où le Grand-Duc & la Grande - Ducheffe
viennent quelquefois faire un tour
dans cette Capitale , & retournent le même
jour à ce Château. Au commencement de
ce mois la Grande- Ducheffe pofa la première
pierre d'une Eglife qu'elle fait bâtir à Pawlowski
près de Czarsko - Zelo .
S. M. I. fe propoſe d'établir une nouvelle
'Académie qui ne fera pas un des moindres
monumens de fa munificence , & de la faveur
qu'elle accorde aux arts utiles. Les
revenus qui feront affignés à cet établiffement
feront de 240,000 roubles ; on n'y
admettra que des Ruffes ; ils ne pourront
Le préfenter pour y être admis , fans prouver
qu'ils auront paffé fept ans chez l'étranger
, & fans fubir enfuite un examen
28 Juillet 1781. g
( 146 )
::.
rigoureux. Ses travaux la' partageront en 6
claffes. La première fera confacrée à l'Agriculture
; il y aura 6 Profeſſeurs de cet
art qui resteront dans l'Empire , & 6 autres
qui voyageront chez l'étranger pour y recueillir
toutes les connoiffances fur cet objet
important. La feconde confacrée aux Manufactures
occupera 4 Profeffeurs qui feront
leur réfidence dans cette Capitale , &
3 qui voyageront chez l'étranger. La troifième
aura pour objet le Commerce , & occupera
12 Profeffeurs , dont 6 dans l'Empire
, & 6 qui voyageront. La quatrième fera
deftinée à la perfection de la Géographie ;
elle fera remplie par 4 Profeffeurs , 36 Arpenteurs
, & 136 Aides- Arpenteurs qui feront
chargés de fournir un Atlas complet
& exact de tout l'Empire. La cinquième
confacrée à l'Hiftoire Naturelle , aura 20
Profeffeurs , & il y en aura 40 pour la
fixième , dont l'objet fera les Beaux Arts,
DANEMAR C K.
De COPENHAGUE , les Juillet.
L'ESCADRE Ruffe qui mouilloit dans cette
rade eft partie hier pour la mer du Nord .
Le 2 , l'efcadre Suédoife & plufieurs navires
de différentes nations au nombre de
94 , avoient également fait voile du Sund.
On y a vu entrer aujourd'hui 382 bâtimens
Anglois fous le convoi d'une frégate
de 48 canons , une de 32 , une de 20 , &
( 147 )
un cutter de 16. Le refte du convoi confiftant
en 5 vaiffeaux de ligne , 3 frégates &
5 cutters fous les ordres de l'Amiral Parker
, s'en étoit féparé près de Schagen.
» Le Lieutenant Lutker , écrit on de Saint-
Thomas , depuis quelques années croife avec
un fénaut de 18 canons le long des côtes des colonies
Danoiles , pour tenir en refpect les corfaires
Anglois ; malgré la vigilance , trois ont encore
eu l'audace de chaffer un bâtiment Eſpagnol juf.
ques fous le canon de Saint-Thomas ; ils ont nonfeulement
continué à le canonner , mais ils ont
encore tenté , au nombre de 38 hommes , de s'en
emparer , ce qui ne leur a pas réufli . Onze de ces
déle pérés ont été arrêtés & font détenus ici ; les
autres ont été aflez heureux pour s'échapper. Le
Lieutenant Lutker , auffi -tôt qu'il a été inftruit de
- cette affaire , a donné la chaffe à ces pirates ; deux
dont l'un eft fort endommagé , lui ont échappé ;
mais il a pris le troifième , dont les canons &
l'équipage ont été mis à terre «‹.
On apprend qu'un corfaire Anglois qui
avoit fait une defcente à l'ifle Ferroë , a été
pris par une fregate de cette nation qui l'a
conduit à Londres où il fera jugé comme
forban.
On dit que le Chambellan Berringfchiold,
dont on a annoncé il y a quelque tems la
détention , eft condamné par S. M. à demeurer
enfermé le refte de fes jours dans
la fortereffe de Friderichshaven ; on l'accufe
d'avoir entretenu des correspondances
illicites.
Les navires de la Compagnie Afiatique
le Riguerues- Encke & le Tranquebar , arri-
›
g 2
( 148 )
vés ici le 26 & le 29 du mois dernier ,
ne nous ont apporté aucune nouvelle de
l'état de la guerre que fait Hyder - Aly à la
Compagnie Angloife dans l'Inde ; mais ils
nous ont appris que nous avons perdu deux
de nos Millionnaires ; que 158 enfans , 29
Payens & 21 Indiens Catholiques , ont embraffé
le Luthéranifme ; le nombre des perfonnes
qui ont été reçus à cette profetiion
de foi , monte fuivant les regiſtres , à
16,556 perfonnes .
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 9 Juillet.
DES gens arrivés ici nouvellement de
la Moldavie , ont apporté la nouvelle fuivante
: les Turcs avoient voulu conftruire
auprès de Bender une nouvelle fortereffe ;
ils avoient même déja raffemblé 12,000 ouvriers
; le Khan des Tartares s'eft non -feulement
oppofé à cette entrepriſe , mais il a
encore chaffé les ouvriers qui étoient déja
occupés à cette conftruction. Si ce fait eft
vrai , on eft fort curieux de favoir de quelle
manière la Porte recevra cette nouvelle.
La ville de Brody , fituée dans le Royaume
de Gallicie , fur les frontières de la Pologne ,
a reçu de l'Empereur des priviléges confidérables
pour l'avancement de fon commerce
; cette ville fe trouve par ce moyen auffi
avantagée que Triefte . Tout fon territoire qui
( 149 )
s'étend jufqu'à 4 milles dans fon circuit ,
jouit des mêmes priviléges.
On apprend que Czernowicz , Capitale
de la Buckowine , a été menacée du danger
le plus imminent. 16 bandits avoient formé
le projet de mettre le feu aux quatre coins
de cette ville , & de profiter de la confuſion
qu'un pareil malheur devoit occafionner ,
pour voler & piller avec fûreté ; ce complot
abominable a éré heureufement découvert ,
& s de ces fcélérats font arrêtés.
ALLEMAGNE..
De VIENNE , le 6 Juillet.
L'ARCHIDUC Maximilien eft arrivé ici le
2 de ce mois , de retour du voyage qu'il a
fait dans l'Empire. Comme l'Empereur lui
avoit laiflé le choix d'occuper le Château
d'Hertzendorf ou celui de Schonbrun , ce
Prince s'eft déterminé pour ce dernier , où
tout étoit prêt pour le recevoir. On affure
que l'Empereur fera de retour dans cette
Capitale vers le milieu du mois d'Août
prochain .
On apprend de Conftantinople , que le
9 du mois dernier , le Baron de Herbert-
Rath-Kheal , Internonce de cette Cour auprès
de la Porte , fit fa première vifite folemnelle
au nouveau Grand-Vifir , dont il reçut
les plus grands témoignages de dévouement
pour fon Souverain , & d'eftime pour fa Perfonne.
Les mêmes lettres ajoutent qu'on y a
g 3
( 150 )
publié un firman de S.H. , portant en fubftance
, que fa chère amie Marie-Thérèſe , Impératrice
& Reine de Hongrie , étant morte ,
& fon fils l'Empereur Jofeph II lui ayant
fuccédé , & fouhaitant d'entretenir une
amitié indiffoluble avec ce Prince , Elle
ordonne expreffément à tous fes Gouverneurs
, & à tous les Mufulmans , d'en ufer
envers les Sujets de l'Empereur Jofeph II ,
comme de bons amis & voifins , fous peine
à tout Mufulman ou Sujet de S. H. d'être
puni de mort
De HAMBOURG , le 10 Juillet.
Tous les Cabinets de l'Europe paroiffent
aujourd'hui dans un mouvement général &
continu ; le fecret de leurs opérations éveille
la curiofité qui tente vainement de les pénétrer
, & fe repaît de mille nouvelles vagues
& fouvent très contradictoires. Le
Courier que le Miniftre de Vienne à la Cour
de Ruffie attendoit depuis long-tems , arriva
enfin à Pétersbourg le 3 du mois dernier ;
le Miniftre fe renditfur-le-champ à Czarsko-
Zelo ; depuis ce tems , on a remarqué qu'il
a eu plufieurs conférences avec le Vice-
Chancelier Comte d'Oftermann , & qu'il
renvoya fon Courier à Vienne le 9. L'objet
de ces dépêches & de ces entretiens n'en
eft pas mieux connu ; on ſuppoſe qu'il eſt
relatif aux ouvertures de paix à faire aux
Puiffances belligérantes , de la part de l'Empereur
, de l'Impératrice de Ruffie , & vrai
( 151 )
AM
femblablement du Roi de Pruffe ; car on ne
doute point que ce dernier n'entre pour
quelque chofe dans ces négociations importantes.
On fuppofe du moins que ce n'eft
pas fans motif que le Comte de Nugent ,
Lieutenant-Général au fervice de la Maifon
d'Autriche , ci-devant Envoyé de la Cour
de Vienne à celle de Pruffe , s'eſt rendu à
Berlin , où l'on a vu auffi le Comte de
Bruce & le Comte de Romanzow , qui s'y
font arrêtés en allant à Spa , & qui ont eu
quelques entretiens avec S. M. à Poftdam .
Les Hollandois , dont les armemens font
lents , & dans lefquels on n'a vu encore
aucune activité depuis la déclaration de
guerre qui les a féparés de la confédéra
tion des Puiffances neutres , paroiffent ne
les avoir fufpendus que parce qu'ils comptoient
fur les fecours de leurs alliés ; depuis
qu'ils font déchus de cet efpoir , ils n'ont pas
fait de plus grands efforts , & ils ont encore
follicité , mais vainement , une protection
qu'il feroit tems qu'ils fongeaffent à ſe donner
à eux- mêmes.
» Le Conful de la République ici , écrit- on de
Cadix , inftruit que l'efcadre Ruffe qui mouille
dans notre Baie fous les ordres du Vice- Amiral
Boriffow , alloit mettre à la voile pour la Balti-"
que , écrivit le 1 Juin au Conful de Ruffie , pour
le prier de propofer à M. Borifſow , d'escorter
jufqu'à la hauteur du Texel plufieurs navires Hollandois
prêts à faire voile de Cadix , & de tranfporter
en Hollande l'équipage du vaiffeau de guerre
3
8 4
( 152 )
-
Hollandois la Princeffe Marie-Louiſe , qui ne pou
vant plus tenir la mer , a été vendu dans ce port.
Le Conful Ruffe ayant communiqué cette demande
au Vice- Amiral , celui - ci y a fait la réponſe fuivante
le 9 du même mois. » Je ne puis convoyer
les navires Hollandois fans un ordre pofitif de
l'Impératrice notre Souveraine. Quant au tranf
port en Hollande de l'équipage Hollandois du
vaiffeau la Princeffe Marie-Louife , il m'eft impoffible
de m'en charger , parce que je n'ai pas de
place , & que mes équipages font complets «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 30 Juin.
LES Généraux & partie des troupes qui
doivent s'embarquer font arrivés ici , & l'on
n'attend plus que 2 régimens. Il y a eu ordre
de fréter encore plufieurs petits bâtimens
qu'on charge de toutes fortes de proviſions
& de munitions de guerre. Ces nouveaux
préparatifs femblent indiquer qu'on veut
attaquer une place forte ; & nous fommes
ici abfolument déroutés fur l'objet de cette
expédition ; aujourd'hui il paffe pour conftant
qu'elle menace la pointe d'Europe ;
demain peut- être on en reviendra à l'attaque
de Minorque . Quoiqu'il en foit cet armement
peut être dirigé contre toute poffeffion
qu'on voudra défigner ; & l'ardeur des
Chefs , celle des troupes promettent du
fuccès.
Les difpofitions devant Gibraltar font
( 153 )
toujours les mêmes ; nos lignes & nos chaloupes
continuent leur feu ; celui des ennemis
n'a abouti qu'à bleffer légèrement
quelques- uns de nos foldats ; au lieu qu'à
en croire le rapport de plufieurs déferteurs ,
plus de 800 perfonnes ont été tuées dans
la place , depuis qu'on s'eft décidé à la
bombarder toutes les nuits .
Le convoi des Antilles a difparu le 28 ;
il ſera aſſez bien eſcorté juſqu'aux Açores
pour ne rien craindre des frégates & des
corfaires ennemis.
Les nouvelles de Buenos - Ayres font trèsfatisfaifantes
; la rébellion a été étouffée dans
fa naiffance ; le chef principal a été pris &
puni de mort ; on étoit à la pourfuite de fon
fecond qui ne pouvoit échapper.
>
» Il doit partir inceffamment de ce Port , écrit.
on de Lisbonne , une efcadre qui eft composée
d'un vaiffeau de 74 canons & 650 hommes
d'équipage ; un de 64 , & 600 hommes d'équipage
; un de 30 & 250 hommes . La véritable
deftination de ces trois vaiffeaux n'eft pas encore
connue ; mais on préfume qu'ils doivent veiller
fur les démarches des Anglois dans. l'Amérique Mé .
ridionale . Le navire qui étoit en croifière à la
hauteur des Açores , pour prévenir les vaiffeaux de
la Compagnie Hollandoife des Indes Orientales ,
de la rupture avec la Grande- Bretagne , a été pris
par un corfaire Anglois , qui , après avoir
tranfporté l'équipage à fon bord , a brûlé le bâ
timent *.
*
g S
( 154 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Juillet.
LE 14 de ce mois la Gazette ordinaire de
la Cour a publié les extraits de quelques
dépêches apportées par le paquebot le Sandwich
, parti de New-Yorck le 14 Juin.
La premiere eft da Général Cli ton , qui apprend
au Ministère , que fur la nouvelle qu'il avoit
reçue du Général Phi'ips , il fe propofoit d'envoyer
le Général Robertfon pour prendre le commandemeat
de l'armée en Viginie ; mais qu'inftruit enfite
de l'arrivée du Lord Cornwallis dans cette
Province , il a retenu M Robertfon. Il eſt porté
à croire que le Lord ne pouvant manquer d'être
bientôt informé de l'arrivée du dernier renfort
envoyé de New -Yorck dans la Chéfapeak , & devant
favoir que l'Amiral Arbuthnot étoit en mer
il marchera contre le Marquis de la Fayette ,
qu'il penfe ne pouvoir lui échapper.
A la fuite de cette lettre , fe trouvent les extraits
de plufieurs qu'il dit avoir été interceptées.
Les deux premieres font du Général Washington
au Marquis de la Fayette , datées toutes deux de
New Vindfor le 31 Mai. Par l'une , il lui confi : me
l'avis qu'il lui a déja donné du départ d'un corps
de 1500 à 2000 hommes fortis de New-Yorck ,
& alors arrivés ou dans la Chéfapeak , ou un peu
plus avant vers le Sud. It approuve la réfolution
qu'il a prife d'éviter un engagement avec fes forces
actuelles , & lui annonce l'efpeir qu'il a , quoiqu'il
n'en ait pas encore la certitude , que les Penfylvaniens
font en marche . L aurre lettre eſt
confidentielle. Le Général a eu à Weaterfield un
entretien avec le Comte de Rochambeau , qui n'a(
155 )
W
voit avec lui que le chevalier de Chatelux ;
ap ès avoir mûrement confidéré nos affaires fous
tous les points de vue , ajoute - t il , nous avons regardé
une tentative fur New Yorck , dont nous
croyons que la garnifon actuelle ne confifte qu'en
4500 hommes de troupes réglées , & environ
3400 de non - réglées , comme préférable a une
expédition du côté du Sud , parce que nous ne
fommes pas maîtres de la mer. Les dangers des
chaleurs prochaines , la difperfion & la perte inévitable
d'hommes pendant une fi longue marche ,
la difficulté des tranfports , & fur - tout la perf
pective apparente de déloger l'ennemi , ou de rappeller
une partie de fes forces des parties méridionales
, ce qui feroit d'un fecours effectif à ces
Etats , ont appuyé cette détermination . Les troupes
Françoifes fe porteront ici aufli tôt que certaines
circonftances le permettront ; elles lailleront environ
200 hommes à Providence , avec les groffes
munitions , & environ co hommes de miiice à
Rhode Island , pour la garde des ouvrages , & c. L'attente
des hommes , des fecours & des provifions
doit retarder l'exécution de ce plan , dont il eft
encore queftion dans une troisième lettre du Général
Washington au Général Sullivan ; & dans une
autre du Comte de Earras , commandant l'efcadre
Françoife , au Chevalier de la Luzerne , à Philadelphie.
Cette collection de lettres eft terminée par une
copie d'une du Marquis de la Fayette au Général
Washington , datée de Wilton fur la rive Septentrionale
de la rivière James , le 18 Mai. Chargé
par le Général Gréen du commandement des troupes
dans la Virginie , il rend compte des mouvemens
de cette armée & de celle des ennemis .
Lorfque le Général Philips fe retira de Richmond ,
fon projet étoit de s'arrêter à Williamsbourg pour
y lever les contributions qu'il avoit impofées , ceсе
86
( 156 )
qui me fit prendre le parti de me pofter entre les
rivières de Pamuki & de Chickahomani , qui cou.
vrent également Richmont & quelques autres parties
intéreffantes de l'Etat , & d'où je détachai le
Général Nelfon avec quelques milices vers Williamsbourg.
Le Général Philips deſcendu juſqu'à
cette place , parut déceler l'intention de débarquer.
Sur des avis reçus de Portſmouth , il remonta la
rivière ; je conçus que fon projet étoit de m'éloi
gner de Richmond , où je retournai & raffemblai
ma petite force. Informé le même jour que le
Lord Cornwallis , qu'on m'avoit affuré s'être embarqué
à Wilmington , étoit en marche dans la
Caroline Septentrionale , imaginant que les deux
armées chercheroient à s'y joindre à un point central
, je marchai à Petersburgh , dans le deſſein
d'établir une communication par les rivières Appa.
matex & James ; mais le Général Philips pric
poffeffion de Petersburg , où fon flanc éroit couvert
par la rivière James , fon flanc par l'Appamatox
, fa gauche ne pouvant être attaquée qu'au
moyen d'un long circuit entre- coupé de gués , dont
le paffage eft très incertain dans cette faifon , je
n'aurois pu , même à forces égales , en venir aux
mains avec lui fans abandonner ce côté de la rivière
& le pays d'où les renforts font attendus .
L'ennemi étant à l'abri de toute entrepriſe de notre
côté , & maître de nous forcer au combat , je
changeai de fituation , & fis prendre à la majeure
partie des troupes le chemin de cet endroit-ci à
environ dix mille au-deffus de Richmond. Les
lettres des Généraux Nash , Sumner & Jones , affirment
pofitivement l'arrivée du Colonel Tarle-.
ton , & annoncent celle du Lord Cornwallis à
Hallifax . La Caroline Septentrionale m'ayant demandé
des munitions , le Général Mulhenbourg
avec 500 hommes , eſcorte 2000 cartouches audelà
de l'Appamatox. Le Général Philips eft mort
( 157 )
le 13. Arnold commande à fa place . On n'a point
de nouvelles du Général Wayne ; il feroit dangereux
de rifquer une action avant fon retour , & c. ce
On aremarqué que la dépêche du Général
Clinton qui a envoyé ces lettres , eft du 9
Juin , & que ce n'eft que 5 jours après que
le paquebot eft parti de New - Yorck ; on
ſuppoſe avec affez de vraiſemblance qu'il a
pu apprendre quelque chofe dans cet intervalle
, & que le Gouvernement n'a pas
jugé à propos de le publier. La réunion de
l'armée du Lord Cornwallis à celle du Général
Arnold a été effectuée ; le dernier eft
revenu auffi- tôt à New-Yorck où on le difoit
très mécontent du projet qu'on avoit
eu de lui envoyer le Général Robertſon . Le
bruit couroit que pour l'appaifer , on alloit
le charger d'une nouvelle expédition fur la
côte de Connecticut ou dans la Delaware
d'autres nouvelles plus graves & fur lef--
quelles le Ministère garde le filence , donnent
beaucoup d'inquiétudes fur le Lord Rawdon;
s'il faut en croire quelques papiers , ce Lord ,
immédiatement après l'affaire de Guildford ,
fut envoyé dans les Provinces orientales
pour y défendre nos petites conquêtes ; mais
à peine y avoit- il établi quelques poftes , que
le Général Gréen ou un détachement de fon
armée s'avança ; le Lord Rawdon fe trouva
dans l'impoffibilité de hafarder un combat ;
on lui envoya un renfort de 500 hommes ,
fous les ordres du Colonel Watfon qui établit
fon quartier à Camden ; mais celui - ci
( 158 )
14
s'y voyant preffé , & ne pouvant fe flatter
de défendre cette ville , prit le parti cruel de
la réduire en cendre.
A ces nouvelles on en ajoute d'autres qui
annoncent les Généraux Gréen , W..yne &
la Fayette , réunis en un feul corps fur l'autre
bord de la rivière James ; & le Lord Cornwallis
n'attendoit pour les attaquer que le
moment où les troupes feroient un peu repofées
, & qu'il auroit ramalle quelques
provifions dont il avoit befoin . Dans la Caroline
méridionale , les peuples font toujours
foulevés , & il fe formoit rapidement de
nouveaux corps d'Américains dans la Caroline
feptentrionale.
Telles font les nouvelles fur lefquelles la
Cour garde le filence , & qui ne laiffent pas
d'inquiéter jufqu'à ce qu'on en ait reçu d'ultérieures.
On n'eft pas plus tranquille fur ce
qui fe paffe à New Yorck. On a été furpris
de trouver dans la malle Américaine interceptée
, tant de lettres & leurs réponſes ;
mais fi comme on le dit , il eft vrai que les
renforts deftinés pour le Sud ont été retenus à
New -Yorck pour défendre cette ville en conféquence
des avis interceptés , ces avis n'auroient-
ils pas été expofés à être furpris pour
donner le change au Général Clinton & l'engager
à garder auprès de lui des troupes dont
on a befoin dans les Erats méridionaux? Cette
petite politique du Général Washington , a
dû opérer une diverfion puiffante en faveur
des Etats menacés , & ne peut que faciliter
( 159 )
"
les opérations des Généraux Gréen , Wayne
& la Fayette qui auront moins de forces
à combattre.
A ces détails , nos papiers ajoutent les
fuivans :
-
» Le Lord Germaine a reçu des dépêches de
Québec , apportées par le paquebot le Terrible ,
parti le 18 Join ; tout ce qui perce de leur contenu ,
c'eft que la flotte de vivriers , partis de Corke , eft
heureuſement arrivée , malgré les bruits qui avoient
couru qu'elle avoit été prise. -L'Amiral Edwards ,
qui commande à Terre- Neuve , a informé l'Amiraité
, que le 18 Juin , il a rencontré la flotte du
Canada , Hallifax , Terre Neuve , faifant bonne
route par 43-42 de latitude , 28 40 de longitude.
Cette flotte étoit de 107 voiles & marchoit fous le
convoi des frégates le Dedalus & la Brune. Sa
lettre eft du 23 Juin. Il mande que fon projet eft
de faire entrer cette flotte à St- Jean , d'envoyer fous
convoi à Hallifax la divifion deftinée pour ce port ,
& de conduire lui - même , juſqu'à l'entrée du fleuve
Saint-Laurent , celle qui eft pour Québec , parce
qu'il a appris qu'il y a une flotte de corfaires Américains
dans ces parages pour l'intercepter « .
On lit dans les papiers Américains arrivés
par le Sandwich , que l'Etat de Penfylvanie
a paffé un acte portant création de 500,000
liv. fterl. en papier monnoie pour le foutien
de l'armée , & à l'établiffement d'un fonds
pour le rachat de certe fomme & pour
d'autres objets y mentionnés.
» Il a été porté en outre que le papier monnoie
créé , aura un cours légal , & qu'il fera reçu en
paiement dans tous les marchés , contrats , pour la
valeur de 15 fchellings les deux dollars & ainfi en
proportion pour une fomme plus ou moins forte ,
160 )
·
& qu'il aura la même valeur dans le paiement réfultant
de tel marché , contrat , acquifition , accord ,
dette & répétitions quelconques , que 2 piaftres
d'Efpagne au moulinet , pefant chacune 17 pennywhith
& 6 grains . Soixante fchellings du fufdit
papier feront reçus pour la valeur d'un demijohannes
d'or de Portugal , pefant 9 penny whith.
Et dans la même proportion pour toute les monnoies
d'or & d'argent. Cette Ordonnance aura force ,
nonobftant tout contrat , accord ou marché
entre parties à ce contraires. ·L'acte porte encore
qu'au cas où des individus des corps politiques ou
des affociations refuferoient leur papier en paiement,
ces individus ou corps feront privés à jamais de tout
recours devant un Siége ou Cour quelconque pour
fe faire adjuger leurs répétitions «.
---
Il ne fe débite rien de nouveau des ifles
du Vent. On attend toujours avec la même
anxiété des dépêches affurément trop tardives
fi elles doivent détruire les bruits fâcheux
qui fe font répandus .
L'Amiral Darby dont on n'a point jugé
ici les forces fuffifantes , dès qu'on a fu
que le Comte de Guichen avoit mis à la
mer , eft rentré dans nos ports avec fon efcadre
, foit qu'on l'ait appellé , foit qu'il ait
craint lui-même de rencontrer l'ennemi . On
affure que c'eft fur un ordre de l'Amirauté
déterminé par le même motif, que le Lord
Mulgrave a abandonné la tentative qu'il devoit
faire fur le port de Fleffingue , & que
les deux vaiffeaux de ligne qui lui avoient
été donnés , vont fe rejoindre au plutôt à
la grande efcadre .
( 161 )
Hier l'Amiral Digby n'étoit point encore
parti ; ce n'eft que ce jour que le Prince
William y eft arrivé , & a paffé fur le champ
à bord du Prince- George. On dit que l'efcadre
doit appareiller au premier vént favorable
, mais cela eft encore incertain. On
craint que ces 6 vaiffeaux n'aient attiré l'attention
de la France , & qu'elle n'ait formé
le deffein de les intercepter ; en ce cas ils
n'entreprendront leur voyage que fous la
protection de la grande efcadre qui mettra
elle-même à la voile quand elle le pourra.
que
» Aux détails déja donnés , dit un de nos papiers
, de l'état de réduction du tréfor du Bengale ,
au mois de Novembre dernier , on peut ajouter
ceux-ci : M. Haftings a mandé aux Directeurs
l'expédition de Rohilla , & les fecours envoyés
à Madras l'ont tellement épuisé , qu'il n'y a plus
les fommes néceffaires pour faire acheter les cargaifons
de 1781. La Compagnie l'ayant empêché
de tirer des lettres de change , il en a donné avis
aux Négocians & Officiers particuliers , afin qu'ils
puiffent embarquer leurs effets fur les vaiffeaux de
Ja Compagnie. On foupçonne que c'est un plan
arrêté pour envoyer en Angleterre fes effets & ceux
de fes amis. Les Directeurs lui ordonneront fans
doute de faire les emplettes pour la Compagnie &
de tirer des lettres de change pour leur montant.
En attendant , les Actionnaires feront fûrs de leur
dividende , la Compagnie ayant en fa poffeffion
une épargne équivalente à 12 pour cent , Ou à une
année & demie d'un dividende de 8. M. Haftings
voit fi clairement les fuites fatales de l'expédition
de Rohilla & de la guerre des Marattes , qu'il
en jette le blâme fur la Préfidence de Bombay.
Il déclare dans fes lettres particulières qu'il eft
( 162 ).
déterminé à faire immédiatement la paix & de con→
clure le traité avec les Marattes , fans être retenu
par les objections que la Préfidence pourroit formor
contre les claufes de ce traité . Le Chevalier
Hugues eft du même avis , & tous deux penſent
que la paix doit fe faire fur le champ , la négociation
étant fi avancée ; ils confentent à abandonner
leurs conquêtes , & les Marattes ſe joindront
aux forces de la Compagnie pour exterminer
Hyder-Aly & les François . Les premières
nouvelles annonceront probablement la conclufion
de ce traité «.
Le 13 de ce mois le fieur Lamotte fut
conduit de la Tour au Tribunal du Old-
Bailey , où on lui dit pour la forme que les
Joix lui permettoient de choifir deux Confeils
; il prit M. Dunning & M. Peckham.
Le lendemain 14 , il fut conduit à la Barre .
Les 12 Jurés ayant prêté ferment , on lut les
chefs d'accufation ; ils roulèrent fur les lumières
qu'il avoit données à la France de l'état de nos
forces navales , de leur deftination , de l'état de
nos ports , magafins , &c. Ces chefs ont donné lieu
à l'accufation de haute trahiſon ; il fut déclaré coupable
par le Juré , malgré un Plaidoyer éloquent de M.
Peckham ; parmi les témoins qui l'accufent étoit un
Lutterloh , homme vil qui l'avoit trahi , & qui
par fes confeffions encourut le mépris de tous les
affiitans qui plaignoient le fieur Lamotte , dont la
conduite fut noble , décente & ferme . Cette féance
dura 12 heures . Avant de lui prononcer la Sentence
, on lui demanda ce qu'il avoit à objecter.
-Lutterloh & Boare , ( qui avoientjuré reconnoître
fon écriture ) , fe font parjurés , répondit-il , le
dernier ne n'a jamais vu écrite ; que mon fang
jailliffe fur leurs têtes ; je n'ai pas autre chole à
dire « ----- Le Juge Buller prononça alors cette
( 163 )
Sentence. -François- Henri de la Motte , on va
vous transférer dans la prifon dont on vous a
amené ici ; de- là vous ferez conduit fur un traîneau
au lieu de l'exécution ; vous y ferez pendu
par le cou , mais non jufqu'à ce que mort s'enfuive
, la corde fera coupée , on vous arrachera
les entrailles ; on les brûlera devanr votre vilage ;
on vous tranchera enſuite la tête , & votre corps
fera coupé en quatre quartiers dont S. M. difpofera
«. Il a été reconduit à la Tour ; les marques
d'intérêt qu'on lui a montré , l'ont encouragé
à témoigner qu'il mourroit pénétré de vénération
& de reconnoiffance , fi S. M. daignoit commuer
fa peine , & ordonner qu'on lui tranchât la tête..
On ignore encore s'il obtiendra grace entière , ou
la feule qu'il defire.
-
FRANCE.
De VERSAILLES , le 24 Juillet.
LE Roi a nommé à l'Abbaye de Bonneval ,
Ordre de St- Benoît , Diocèle de Chartres
l'Evêque d'Avranches ; à l'Abbaye de Treport
, Ordre de St - Benoît , Diocèse de Rouen ,
l'Abbé de Ligniville , Chanoine de Nancy ;
à l'Abbaye de Valricher , Ordre de Citeaux ,
Diocèle de Bayeux , l'Abbé de Jaucourt ,
Grand Archidiacre & Vicaire - Général de
Tours ; à l'Abbaye d'Aumale , Ordre de
St-Benoît , Diocèfe de Rouen , l'Abbé de
Poix , Comte de Lyon ; Vicaire Général dé
ce Diocèfe ; à l'Abbaye de Royaumont ,
Ordre de Câteaux , Diocèse de Beauvais ,
P'Abbé le Cornu de Balivière , Aumônier
ordinaire de S. M. ; à l'Abbaye de Pompone ,
( 164 )
Ordre de St- Auguſtin , Diocèſe de St-Malo ,
P'Abbé Morin du Marais , Chandine de
Notre-Dame de Paris & Syndic de ce Diocèfe
; à l'Abbaye de St-Sever de Ruftan ,
Ordre de St - Benoît , Diocèfe de Tarbes ,
l'Abbé de Sahuguet d'Eſpagnac , Chanoine
de Notre-Dame de Paris , & Vicaire Général
de Sens ; à l'Abbaye de Dilo , Ordre de
Prémontré , Diocèfe de Sens , l'Abbé Burnel
de Baumais , Chapelain ordinaire de S. M.;
à l'Abbaye Royale de Paulangy , Ordre de
St -Benoît , Diocèfe de Langres , la Dame
d'Auftrade de Tourpes.
M. de Bellecombe , Maréchal de Camp ,
que le Roi a nommé Gouverneur Général
de St- Domingue , fur la démiffion du Marquis
de Vaudreuil , a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi en cette qualité par le Miniftre
de la Marine. L'Intendance de cette Colonie
,
vacante par la mort de M. Taffard ,
Maître des Requêtes a été donnée à M. de
Bongars , Préfident honoraire au Parlement
de Metz , qui a déja rempli cette place.
M. Foulquier , Baron de la Baſtide , de
l'Académie des Sciences de Toulouſe , Confeiller
au Parlement de cette Ville , a été
nommé à l'Intendance de la Guadeloupe ,
vacante par la nomination du Préfident de
Peynier à celle de la Martinique .
De PARIS , le 24 Juillet.
ON n'a point encore de nouvelles de M.
( 165 )
de Graffe. Comme il s'eft écoulé près de 3
mois depuis fon arrivée & fon combat à la
Martinique , on fuppofe que l'avifo qu'il
a envoyé a péri ou été pris dans la traverfée
; & cela eft vraisemblable , fi en effet
il en a fait partir un , & s'il n'a pas attendu
la fin de la campagne pour nous inftruire
de tout ce qu'il a fait ; dans ce dernier
cas , comme nous l'avons déja obſervé ,
nous n'aurons fes dépêches que dans le mois
prochain. Des lettres de Bordeaux arrivées
le 19 ont apporté les détails fuivans.
Le 10 de ce mois , un navire neutre mit à terre
un Officier des vailleaux du Roi , & un Négociant ,
qu'un corfaire Anglois avoit jettés fur fon bord.
L'Officier vit M. de Marchais , Intendant du Port
de Rochefort ; il eut enfuite une conférence de
deux heures avec le Maréchal de Mouchy ; & le
lendemain 11 , il fe mit en route pour Paris . Son
arrivée avoit excité la curiofité , & fon filence ;
& celui des deux perfonnes qui l'avoient vu , la
redoublèrent encore. On chercha le Négociant ;
celui - ci , que rien ne forçoit à la circonf
pection , a dit en affez mauvais François , car on
le croit Hollandois ou Hambourgeois , qu'il s'étoit
embarqué à Fort-Royal le z Juin , avec l'Officier
François , fur un bâtiment de commerce de
ee . Port , appartenant à M. Texier . La traversée
avoit été fort heureufe , lorsqu'à environ 1f
lieues de l'entrée de la rivière , ils furent enlevés
par un corfaire Anglois . L'Officier n'a dû ſa prompte
liberté qu'à fa préfence d'efprit. Voyant que
le navire ne pouvoit échapper au corfaire , il quit
ta fon uniforme , endolla un habit ordinaire , &
( 166 )
,
fe donna pour l'ami , l'aflocié du Négociant , avec
lequel il n'eut pas de peine d'obtenir du Capitaine
corfaire d'être mis fur le premier vaiffeau neutre
qu'ils rencontreroient ; ils furent aflez heureux
que d'en rencontrer un ; & deux jours
après , ils rentrèrent dans la rivière . Tel eft
fon exorde . Quant aux Officiers des Antilles
il eft dit qu'après le combat du 29 ,
qui , felon lui , n'a été qu'une fimple canonnade ,
l'efcadre Françoile n'ayant perdu tout au plus que
30 hommes , M. de Grale vint mouiller le 2
Mai à Fort- Royal , où s'étant concerté avec M. de
Bouillé , il en repartit le 10 , amenant 45co hommes
, qui , le même jour , defcendirent à Sainte-
Lucie. Tout ce qu'il ajoute enfuite fur l'attaque
qu'il dit avoir été fort meurtrière , eft très- vague &
très-peu vraisemblable ; M. de Bouillé revint le
15 à Fort- Royal , où il raffemb'a encore 3000
foldats , avec une quantité confidérable de munitions
de toute efpèce , & partit le 25 pour rejoindre
les troupes qu'il avoit laiffées à Sainte-
Lucie. Depuis ce jour - là jufqu'au 2 Juin , que ce
Négociant quitta Fort-Royal , on ignoroit dans
ce port tout ce qui s'étoit paffé dans l'lfle. L'Officier
embarqué avec lui auroit pu l'en inftruire ,
puifqu'il n'avoit quitté cette Ifle que le 1 Juin ,
veille du jour qu'il vint à Fort- Royal , chercher
ce bâtiment pour paffer en France ; mais il n'a pu
rien apprendre de lui . M. de Graffe a laiffé dans
ce canal deux vaiffeaux & quelques frégates : on
croyoit qu'il avoit été avec le refte de la flotte devant
St Chriftophe , pour bloquer Rodney & Hood ,
qu'on favoit s'y être réfugiés «.
Ces avis faifoient attendre avec imparience
le rapport de l'Officier arrivé à Verfailles.
On la eu enfuite , & il s'en faut
( 167 )
bien qu'il foit conforme à celui du Négociant
étranger ; en voici la fubftance.
La rencontre des deux efcadres n'a coûté à la
nôtre que 30 à 35 hommes , parmi lesquels eft
un Enfeigne de vaiffeau . On faura bientôt , par
les dépêches de M. le Comte de Graffe , la raifon
qui a empêché qu'on ne poursuivit l'Amiral
Hood. Notre efcadre revenue à Fort Royal n'y
refta pas long-tems mouillée ; elle en appareilla
le 10 , & 1300 hommes defcendirent à Sainte-
Lucie ; ils s'emparèrent d'un petit Fort défendu par
80 hommes , qu'ils firent prifonniers. Le feul coup
de fufil tiré à cette occafion , coûta la vie à la fentinelle
Angloife. Soit que le Morne fortuné , que
l'on dit gardé par 1800 hommes , parût inattaquable
, foit que l'on eût formé d'autres projets , M.
de Bouillé , après s'être emparé de Gros - iflet , où
il laiffa les 1300 foldats , revint à la Martinique ,
& s'embarqua avec 3000 hommes à bord de la
flotte qui s'éloigna le 15 Mai. Au départ de l'Offi
cier, on ignoroit à Fort-Royal , fi l'armée s'étoit
portée à la Barbade ou à Saint Chriftophe.
On doit ajouter ici que l'Officier venu
fur le bâtiment de commerce , n'eft point
envoyé par M. de Graffe , ni par M. de
Bouillé , il a été mandé en France par des
ordres fupérieurs de la Cour.
On a reçu auffi des détails fur l'affaire
entre M. le Commandeur de Suffren &
le Commodore Johnftone.
Le Commodore Johnſtone fe rafraîchiffant dans
la Baie de Praya , attendoit à tous momens les
vaiffeaux de la Compagnie des Indes Hollandoife ;
en conféquence , il avoit laiffé au dehors de la
Baie une frégate qui devoit l'avertir de l'approche
( 168 )
des vaiffeaux dont il pourroit faire fa proie. M.
de Suffren devisa l'intention de cette vedette , &
Four donner le change à l'ennemi , il ferma fes
fabords , retarda fa marche , difpofa ſes voiles
de maniere que l'on ne reffembloit pas mal
à de gros vaiffeaux de l'Inde . La frégate Angloife
fit fur le champ les fignaux , & Johnitone
d'accourir au- devant de l'efcadre Françoife
en forçant de voiles. Il n'eut pas plutôt reconnu
fon erreur qu'il revira de bord , mais il
n'étoit pas encore rentré dans la Baye , qu'il effuya
le feu de nos vaifleaux , & ne dut fon falut qu'à
la fauvegarde du Fort Portugais , fous lequel
il fut fe réfugier , & que M. de Suffren refpecta.
Il faut qu'il ait éré chauffé d'une cruelle manière
, puifqu'il étoit encore le 10 Mai dans ce
port , & que la Minerve affure qu'il fera obligé
d'aller à Rio Janeiro pour ſe radouber , ne
pouvant pas entreprendre fa traversée , dans l'état
où il étoit. Quant à M. de Suffren , il continua
fa route , & les Portugais ne difent pas qu'il eût
un vaiffean démâté : ainfi l'on peut être fans inquiétude
fur le compte de l'Annibal ; il aura été
avec les autres au Cap de Bonne - Efpérance , & on
doit mettre la relation de Johnſtone au rang de
celles des Keppel , des Rodney & des autres Amiraux
Anglois qui nous battent fi bien la plume à
la main.
Selon les lettres de l'Orient le départ du
convoi de l'Inde qu'on croyoit retardé depuis
qu'on avoit mis les troupes à terre ,
doit avoir lieu inceffamment.
" Le 8 de ce mois , écrit-on de ce port , les
bâtimens armés ici & deftinés pour l'Inde , ont
reçu ordre de mettre à la voile , & de defcendre
à l'Ile de Rhé ; ils font eſcortés par la Bellonne ,
&
7169 )
& deux vaiffeaux de Rochefort , pourront bien les
prendre au bas de la rivière & les conduire dans
I'Inde. Les bâtimens chargés d'approvifionnemens
pour le Roi , font : le Pérou , la Philippine , le
Marbourough , le Necker , les deux Hélènes .
Les navires particuliers font : la Louife , l'Eugé
nie , la Rofalie , le Baron de Montmorency ,
le Saint-Pierre , le Jean-Louis , le Chaffeur , la
Victoire & la Réſerve. Il y aura dans ce Port
un autre armement de cinq ou fix vaiffeaux deftinés
à porter à Ceylan un régiment Suiffe que
l'on forme actuellement pour le compte des Hollandois
, qui doit s'affembler à Oleron , & dont le
départ eft fixé au mois de Novembre prochain «.
―
La lettre fuivante & la pièce qui l'accompagne
, méritent une place dans ce
Journal ; ce n'eft pas la première obligation
que nous avons à la perfonne qui nous les
adreffe ; & nous faififfons avec empreffement
l'occafion de lui faire un hommage
public de notre reconnoiffance .
» Dans votre Journal du 5 Mai dernier , vous
avez bien voulu inférer , Monfieur , une lifte concernant
les bâtimens de guerre Anglois , cette lifte
formoit lerrata de l'Etat Civil , Nobiliaire & Ma-
-ritime de la Grande - Bretagne pour 1781. L'accueil
que vous avez fait à cette pièce , m'encourage à
vous en offrir une autre plus intéreffante encore ,
fur -tout dans les circonstances préfentes . C'eſt le
tableau détaillé des pertes de la marine Angloife
depuis les hoftilités. En le comparart avec certains
articles des papiers de Londres , on verra l'énorane
différence qu'il y a entre les deux états , &
on fera à portée d'en apprécier l'exactitude . Fofe
ane flatter que vos lecteurs verront avec plaisir
ce morceau intéreffant , & fur la vérité duquel ils
peuvent compter. Pour les mettre à portée de le
28 Juillet 1781. h
( 170 )
comparer avec les notes Angloifes , je les rappor.
terai ici.- Oa obferve dans quelques - unes de nos
feuilles publiques , que les pertes de la Marine
Royale d'Angleterre , depuis le commencement de
la guerre actuelle , égalent , fi elles n'excèdent pas
les prifes qu'elle a faites ; fuivant un état , fur
l'exactitude duquel il paroît que l'on peut compter ,
il a été pris & détruit par l'ennemi , ou perdu 99
voiles , dont huit font des vaiffeaux de ligne , favoir
l'Ardent , l'Augufte , le Culloden , le
Cornwall , la Défiance , le Sommerfet , le Sterling-
Castle , le Thunderer deux vailleaux de 50 canons
trois de 44 , & vingt - fix frégates de 28 à
40 ; le refte , cutters , bâtimens armés , &c . «
Voici la nouvelle lifte qu'annonçoit cette
lettre.
:
Vaiffeaux.
·
Le Culloden , de 74 canons , perdu en Amérique
Septentrionale , le 28 Janvier 1781. Le Cornwal,
de 74 , coulé bas à Sainte Lucie en 1780. Le
Thunderer , de 74 , péri à la Jamaïque en 1780.
Le Buckingham , de 70 , péti , corps & biens , fur
le banc de Terre- Neuve , en 1779. Le Sommerfet ,
de 70 , perlu près Boſton en 1779. Le Grampus ,
de 70 , péri à Terre - Neuve en Octobre 1779.
L'Ardent , de 64 , pris près de Plymouth , le 17
Aoûft 1779 , par une frégate Françoile . La Défiance ,
de 64 , périe à New- Yorck , le 16 Février 1780 .
L'Augufta , de 64 , brûlée dans la Delawarre en
1778. Le Stirling- Caftle , de 64 , perdu à la Jamaïque
, le 9 Octobre 1780. Le Leviathan , de
so , coulé bas en revenant de la Jamaïque , le 2
Mars 1780. L'Expériment , de 50 , pris en Géorgie ,
le 24 Septembre 1779 , par les François . Le Sérapis ,
de so , puis près de Hull , le 22 Septembre 1779 ,
le Commodore Paul Jones .
par
Frégates.
Le Phénix , de 44 , péri fur la côte de Cuba ,
le 4 Octobre 1780. Le Romulus , de 44 , pris
( 171 )
par
·
·
·
par
>
en Amérique Septentrionale , en Février 1781 , par
les François. L'Aréthuza , de 32 , perlu près de
Breft , en Mars 1779. Le Montréal , de 32 , pris
dans la Méditerranée , le premier Mai 1779 , par
les François . Le Diamond , de 32 , perdu à la
Jamaïque en 1780. Le Huſſar , de 32 , péri entre
I'Ifle Longue & New Yorck en 1780. La Tortoife ,
de 32 , périe à Terre - Neuvé en 1779 , Le Congrès ,
de 32 , repris en Amérique Septentrionale , par
les Américains . Le Sartine , de 32 , perd dans
l'Inde , en Novembre 1780 La Juno , de 32 ,
brûlée & coulée bas à Rhode Iſland en 1778
par les François . La Flora , de 32 , échouée à
Rhode Island en 1778 , relevée les . François
en 1780. Le Fox , de 32 , pris en Europe , le 11
Septembre 1778 , par les François . La Lark , de
32 , brûlée & coulée bas à Rhode Island en 1778 ,
les François. L'Orpheus , brûlé & coulé , bas
à Rhode - Ifland en 1778 , par idem . Le Québec
de 32 , fauté en l'air près d'Oueflant , le 7 Octobre
1779 , dans le combat contre la frégate Françoife
la Surveillante. La Répulfe , de 32 , perdue en
Amérique. Le Crefcent , de 28 , pris en Europe
par les François , en Juin 1781. Le Cerberus , de 28 ,
brûlé & coulé bas à Rhode - Inland en 1778 , par
les François . L'Androméda , de 28 , périe près la
Martinique , en Octobre 1780. Le Laurel , de 28 ,
péri près la Martinique , au mois d'Octobre 1780.
L'Unicorn , de 28 , prife en Amérique , au mois
de Septembre 1780 , par les François . La Pénélope ,
de 28 , prife en Amérique , en 1780 , par les Ef
pagnols. L'Action , de 28 , brûlé près Charles-
Town en 1778. L'Aurore , de 28 , périe . Le
Liverpool , de 28 , perdu près de New-Yorck en
1779. La Syrène , de 28 , perdue près de Rhode-
Inland en 1779. La Mermaid , de 28 , perdue près
Philadelphie en 1779. La Syrène , de 28 , périe en
Irlande en 1781. Ariel , de 26 , priſe en Géorgie ,
h 2
( 172 )
le 24 Septembre 1779 , par les François . La Rofe ,
de 26 , coulée bas dans la rivière de Savannah en
1779 , par les François. Le Supply , de 26 , brûlé
en Amérique Septentrionale en 1779 , par idem,
Le Winchorn , de 26 , prife par les Espagnols.
L'Active , de 26 , prife près la Jamaïque , en 1778 ,
par les François . Le Liveli , de 14 , prife en Europe ,
le 9 Juillet 1781 , par les François . L'Autruche
de 24 , prife en Amérique Septentrionale en 1779 ,
par les Américains . Le Device , de 24 , pris en
Amérique Septentrionale en 1779 , par idem. La
Veftale , de 20 , perdue , corps & biens , à Terre-
Neuve en 1778. Le Glasgow , de 20 , brûlé &
coulé bas à la Jamaïque en 1779. La Bellona ,
de 20 , perdu en 1779. Le Mercuri , de 20 , perdų
près New-Yorck en 1778 .
*
Corvettes , Sloops , Cutters , Lougres , &c.
Le Bouc , de 23 , coulé bas dans la Méditerranée ,
en Février 1780 , par les François . Le Harpooner ,
de 20 , pris en Europe , le 3 Janvier 1780 , par un
corfaire François . Le Drak , de 20 , pris en Amérique
en 1778 , par le Commodore Paul Jones.
Le Zébra , de 18 , perdu fur la côte de la Nouvelle-
Angleterre. La Cérès , de 18 , prife en Amé
rique , en Décembre 1778 , par les François . Le
Nonfuch , de 18 , pris en Europe , en Novembre
1779 , par idem. Le Racehorfe , de 18 , péri en
Irlande en 1781 Le Falcon , de 18 , brûlé & coulé
bas à Rhode-Inland en 1778 , par les François. Le
Milton de 18 , idem > en 1768 , par idem. Le
Beaver , de 18 , perdu en Amérique en 1780. Le
Fairi , de 18 , pris en Europe , le 9 Janvier 1781 ,
par un corfaire François . L'Echo , de 18 , perdue
près Plymouth , le 11 Février 1781. Le Kings-
Fisher , de 18 , brûlé à Rhodes- Iſland en 1778. Le
St-Fermin , de 16 , pris dans la Méditerranée le 4
Avril 1781 , par les Eſpagnols . La Rofe , de 16
baûlée dans la Delaware , en 1778. L'Yorck , de
( 173 )
16 , pris à la Grenade en 1779 par les François.
Le Merlin , de 16 , brûlé près Philadelphie en 1778 .
Le Thorn , de 16 , pris en Amérique Septentrio
hale en 1779 , par les Américains . Le Pégafus ,
de 16 , perdu corps & biens à Terre - Neuve en
1778. La Fortune , de 16 , prife en Amérique en
Mai 1780 , par les François . Le Sénégal , de 16 ,
pris en Amérique en Octobre par les François . Le
Swallow , de 16 , péri en 1778. L'Otter , de 16 ,
Ferdu près Saint-Auguftin en 1778. Le Trial , de
16 , pris en Europe en 1778 , par les François . Le
Denial , de 16 , pris en Amérique Septentrionale ,
par les Américains . Le Liveli , de 16 , pris par les
François , en 1779. Le True Britton , de 16 , pris
en Europe en Décembre 1780 , par un corfaire Fran
çois. Le Weazel , de 16 , pris près Saint- Euftache
en 1779 , par les François. Le Zéphir , de 16 , pris
dans la Méditerranée le 24 Juillet 1778 , par id.
L'Elizea, de 14 , pris en Europe en 1778 , par id.
La Pomona , de 14 , perdu corps & biens à Antigues.
Le Rover , de 14 , pris en Amérique en 1780 ,
par les François . Le Swift , pris en Amérique Septentrionale.
Le Liveli , de 14 , pris en Europe par .
les François . L'Alligator , de 14 , échoué fur la
côte de Vannes , en Octobre 1780. Le Beaver ,
de 14 , en Amérique en 1780. Le Shark , de 14 ,
péri en Amérique en 1780. L'Expédition , de 14 ,
prife en Europe en Juin 1778 , par les François . Le
Hawk , de 14 , pris en Europe le 28 Août 1679
par id. La Levrette , de 14 , prife en Amérique le
25 Septembre 178 , par id. Le Gibraltar , de 14 ,
pris en Avril 1781 , dans la Méditerranée , par
les Efpagnols . Le Radger , de 12 , pris en Amérique
par les Hollandois. Le Port- Antonio , de 12 ,
pris en Amérique par id. Le Kitti , de 12 , pris
en 1780 , par les Eſpagnols . L'Allert , de 12 , pris
en Europe en Juillet 1778 , par les François,
L'Adif, de 12 , ptis en Europe en Juin 1780 , par
13
( 174 )
id. Le Hawk, de 12 , pris en Amérique Septentrionale
, par les Américains. Le Folkstone , de 10 , pris
en Europe en 1778 , par les François . Le Jackall,
de 10 , repris en Europe le 20 Mai 1780 , par un
colaire François . Le Royal- Pêcheur , de 10 , péri
en Amérique . Le Henri , de 10 , pris en Amérique
Septentrionale en 1779 , par les Américains . La
Pomona , de 10 , prise en Amérique Septentrionale
en 1779 , par id. Le Liveli , de 1o , pris en Amérique
Septentrionale en 1779 , par id. Le Sou
thampton , de 10 , péri en Irlande en 1781 Le
Pégafe , de 10 , pris en Amérique Septentrionale ,
par les Américains . Le Lynx , de 10 , pris en Amérique
Septentrionale , par id. Le Ranger , de 10 ,
pris en Europe en 1780 , par les François . La Guêpe ,
de 10 , prife en Europe par id. Le Phéafant , de 8 ,
péri en Europe en Juin 1781. Le Swallow , de 8 ,
pris en Europe par les François . Le Snak , de 8 ,
pris en Juin 1781 , par les Américains . Le Coureur ,
de 8 , pris en Amérique Septentrionale en 1780 ,
par les Américains . Le Sprightly , de 8 , pris en
Europe le 15 Août 1779 , par les François. Le Creufer,
de 8 , brûlé à la côte de la Caroline , en 1778.
Le Savage , de 8 , perdu près de Louisbourg , en
1778. L'Oftrich , de 8 , pris en Amérique Septentrionale
, par les Américains . Le Tapageur , de 8 ,
coulé bas à Ste- Lucie en 1780. Le Fox , de 8 , pris
en 1779 , par les Espagnols. Le Nimble , de 8 ,
perdu près de Penzance , le 11 Février 1781. Le
Lark , de 8 , péri près de Jerfey , en Mars 1780.
Le Ranger , de 4 , pris en Europe le 28 Novembre
1780 , par un corfaire François .
Bâtimens armés , Flûtes , Sénauts , Goëlettes ,
Brigantins , Paquebots , &c.
L'Allouette, prife en Europe , le 5 Mars 1779, par
un corfaire François . L'Amphitrite , échouée fur la
côte de Calais le 1 Janvier 1779. L'Anna- Thérefa,
I
( 175 )
le
prife en Europe , le is Mars 1781 , par un corfaire
François. L'Argus , pris en Amérique , en 1779 , par
les Américains. L'Active , prife en Amérique , en
1780 , par les Espagnols. L'Aigle , pris par les
François. L'Aimable Betfey , prife en Amérique , en
1779 , pat idem. L'Alert , pris en Europe , par idem.
Le Bennel , pris en Europe , le 27 Mai 1781 , par
idem. Le Beaver , pris en Amérique Septentrionale ,
en 1779 , par les Américains . La Betfi , prife le 19
Septembre 1778 , par un corfaire François . Le Besborough
, pris dans la Méditerranée , en 1780 , par
les - François . Le Britannia , pris en Amérique , par
idem. La Belette , prife en Amérique , par idem. Le
Chance , pris en Europe , en 1778 , par les François.
La Comteffe de Scarborough , prife près de Hull ,
22 Septembre 1779 , par le Commodore Paul- Jones .
Le Cato , péri près d'Antigues , en 1779. Le Champion
, pris en Géorgie , le 24 Septembre 1779 , par
les François. Le Comte de Besborough , pris dans la
Méditerranée , le 19 Juin 1779 , par idem. Le Cornet ,
perda en Amérique. Le Colebrooke , péri dans l'Inde ,
en 1778. La Comette , prife à Savanah en 1779 , par
les François . Le Citizen , pris en Amérique Septentrionale
, en 1779. Le Cato , pris en Amérique Sep.
tentrionale , par les Américains . La Chance, prife en
Amérique Sept. par idem. Le Courier , pris en Amérique
Septentrionale , en 1780 , par idem. Le Cor
morand , pris en Europe , par les François . La Défiance
, prife en Amérique Septentrionale , en 1779 ,
par les Américains. La Défiance , priſe en Europe ,
le 31 Mai 1780 , par les François . Le Dauphin , pris
en Afrique , en Mars 1779 , paridem. Le Dasvood
pris en Europe , en Octobre 1778 , par idem. Le
Duke , coulé bas. Le Dantzick , pris dans la Méditerranée
, en 1780 , par l'armée combinée. Le Diligent
, pris en Amérique Sept. , en 1779 , par les Amé.
ricains. Le Duc de Leinster , pris en Europe , en1779 ,
par les François. Le Duc d'Yorck , pris en Europe ,
h
4
( 176 )
le 17 Août 1778 , par idem. L'Egmont , pris en Amé
rique Sept. , en 1779 , par les Américains. L'Enighed
, pris dans l'Inde , en 1779 , par les François.
L'Elizabeth , prife en Amérique Sept. , en 1780 ,
par les Américains. L'Eagle , piis en Amérique Sept.
en 1779 , par idem. Le Fly , pris en Amérique Sept.
en 1779 , par idem . Le Fox , piis en Europe , le 25
Mai 1780 , par les François . Le Ferrer , ( galère ) ,
perdue à la Jamaïque. La Fanni , prife en Europe ,
en Novembre en 1778 , par les François. Le Glasgow
, brêlé dans les Indes Occidentales , en 1779 .
Le Gatton , pris dans la Méditerranée , le 9 Août
1780 , par l'armée combinée. Le Godfrey, pris dans
la Méditerranée , le ୨ Août 1780 , par idem. Le Général
Barker , échoué fur les côtes de Hollande , le
୨ Février 1781. Le Gayton , pris en Amérique , en
Septembre 1780 , par les François . Le Hope , pris en
Europe , le 25 Janvier 1780 , par un corfaire François
. Le Halifax , pris en Amérique Sept. , en 1779 ,
par les Américains. Le Henri Ann , pris en Europe ,
le 2 Fév. 1779 , par un corfaire François . L'Hillsbo
rough , pris dans la Méditerranée , en 178c , par l'armée
combinée. Le Harlem , pris en Amérique Sept.
par les Américains . Le Hunter , idem . idem. en 1779 .
L'Hibernia , idem, idem. L'Hercule , pris en Europe,
en Octobre 1778 , par les François . Le Hyde , pris
en Amérique Septentrionale , en 1781 , par les Américains
. Le Hunter , pris en Europe par les François.
Le Jeune Henri , pris idem. par idem. La Jenni , priſe
en Afrique le 13 Mars 1779 , par idem. Le Jafon ,
pris en Amérique Sept. en 1779 , par les Américains .
La Junon , price en Afrique , le 13 Mars 1779 , par
les François . L'Infernal , ( brûlot ) perdu près Spithead
, le 2 Janvier 1781. Le James , pris en Améri .
que , par les François . Le Kingstown , péri . Le Lord
Cornwallis , pris en Amérique Septentrionale , en
1781 , par les François . Le London , pris en Europe
Par idem. Le Lord d'Armouth , pris idem par idem.
( 177 )
>
Le Liverpool, pris en Amérique, par les François. Le
London , coulé bas en Europe , en 1779. Le Leaden,
pris en Amérique Sept. en 1779 , par les américains.
Le Lord Sandwich, pris idem , en 1779 , par idem.
La Molli , incendiée à la hauteur de l'lfle de Man ,
en Juin 1781. Le Mounftuart , pris dans la Méditerranée
, le 9 Août 1780 , par l'armée combinée. Le
Mercuri , pris dans l'Inde , en 1780. Le Méridian
pris en Europe , en 1779. Le Myrthe , pris en Géorgie
; le 24 Septembre 1779 , par les François. Le
Ménage , pris en Europe , par idem. La Nanci , coulée
bas en Géorgie , le 16 Septembre 1779 , par idem.
Le Neptune , coulé bas idem. le 16 Septembre
1779 , par idem. L'Ofterley , pris dans l'Inde , le 22
Février 1779 , par idem. L'Ontario , perdu en Amérique-
Septentrionale , en Octobre . 1780. L'Otter
idem. en Amérique- Septentrionale , en 1779. Le Pilote
des Indes , pris en Europe , par les François. Le
Prince d'Orange , pris en 1778, par Coningham. Le
Prince d'Orange, pris ea Europe , le 16 Avril 1779 ,
par les François . Le Prince Frederick , pris à la ve
de Dunkerque , le 13 Juillet 1779 , par idem . Le
Poftillon , pris en Europe , par idem. Le Port de
Citadella , pris dans la Méditerranée , le 22 Juin
1780 , par idem. Le Paquebot du Miffiffipi , pris en
Amérique , en 1780 , par les Espagnols. Le Royal
Admiral , coulé bas dans l'Inde , au mois de Septembre
1780. Le Rubi , ( patache ) pris en Amérique Septentrionale
, en 1779 , par les Américains. Le Rodney
, pris dans la Méditerranée , en 1780 , par les
Efpagnols. Le Royal- George , pris idem , en 1780 ,
par l'armée combinée . Le Refus , puis en Amérique
Sept. en 1779 , par les Américains. Le Recoveri ,
pris idem , en 1779 , par idem. Le Richard , pris
idem , en 1779 , par idem. La Réfolution , prife idem .
en 1779 , par idem. Le Reprefal , pris en Amérique ,
en 1779 , par les François. Le Supply Storeship ,
hs
( 178 )
brûlé dans les Indes Occidentales , en 1779. La Suzannah
, prife en Amérique Septentrionale , en 1779 ,
par les Américains. Le Savannah , coulé bas dans la
rivière de Savannah , le 16 Septembre 1779 , par les
François. La Sally , prife en Amérique Septentrionale
, en 1779 , par les Américains . Le Salé , pris
en Afrique , en Mars 1779 , par les François. Le Surey
, pris en Afrique , par idem. Le Swift , pris en
Europe , en Mars 1781 , par un corfaire François.
Le Tartare , pris & coulé bas en Europe , en Mai
1779 , par les François . Le Thunderer , brûlé près
Rhode- Inland , au mois d'Août 1778 , par idem .
La Vénus , coulée bas dans la rivière de Savannah ,
le 16 Septembre 1779 , par idem. Le Weymouth ,
pris en Amérique Sept. par les Américains . Le Va
lentine , péri dans l'Inde , en 1779. Le Vaillant ,
pris en Europe , le 16 Février 1779 , par les François.
L'Yorck , pris à la Grenade , le 4 Juillet 1779 , par
idem. L'Yorck , pris en Amérique , en Juillet 1778,
par idem.
Récapitulation.
Pris. Péris , brûlés ou
coulés bas.
1
Vaiffeaux.
Frégates .
Corvettes.
· 3 · · 10
• • • 13
• 27
• 47 · · 25
23
85
Bâtimens armés , & c . 92
155
Un Courier d'Espagne a apporté la nonvelle
de la prise de Penſacola , & de l'arrivée
de M. de Guichen à Cadix , le 6 de ce
mois. La gazette de Madrid du 13 contient,
l'article fuivant fur Penfacola .
( 179 )
» Le Roi vient d'apprendre , par une lettre du
Gouverneur de la Havane , du 29 Mai , reçue par
la voie de Philadelphie , que le même jour l'efcadre
de D. Jofeph Solano eft entrée dans le port
de la Havane , en conféquence de la prife de Penfa .
cola , qui s'eft rendu le 8 du même mois , & dont
toute la garnifon a été faite prifonnière de guerre.
Le Gouverneur annonce une relation détaillée , qui
fera donnée auffi-tôt au Public . Et attendant , on
fait que les plus vaftes poffeflions de la Floride occidentale
font actuellement fous la domination de
S. M. , & que l'ennemi eft entièrement expulfé du
golfe du Mexique. Une lettre du Préfident de
Guatimala , en date du 5 Avril , adreflée au Gon .
verneur de la Havane , nous apprend aufli que le
détachement deſtiné à chaffer les ennemis du fleuve
& du port Saint -Juan , après avoir repris le Fort ,
a rempli complettement fon objet ; les Anglois ont
échoué , & laiffé dans ce port une frégate , & pirogues
& 1 chate ou chaloupe , avec 1 2 canons qu'ils avoient
'employés au fiége de cette place ; ils y ont laiffé
pareillement une grande quantité de munitions en
bon état & des boulets . Auffi- tôt qu'on aura reçu
les relations détaillées qu'on attend de ce pays ,
elles feront rendues publiques «.
-
On s'eft trompé , lorſque l'on a annoncé ( Journal
du 14 Juillet , page 83 ) que M. de Bonnières devoit
plaider la Caufe de M. le Duc de Chartres ; c'eft
M. Target qui en eft chargé.
Au Numéro dernier , page 132 , au lieu de
Frère Jean de Badillac connu fous le nom de
Frère Cóme , &c. lifez : Frère Jean de Bafeilhac , & c.
,
De BRUXELLES le 24 Juillet. ,
LA préfence de l'Empereur dans cette
h 6
( 180 )
partie de les Etats , a comblé de joie fes
fujets. Il a fignalé fon arrivée par des bienfaits
, par des arrangemens pour le bonheur
de fes peuples. La ville d'Oftende fera agrandie
, & on va commencer à démolir une partie
des dehors pour les tranſporter plus loin
& bâtir à la place des maiſons qui ferviront
aux anciens & aux nouveaux habitans . Le G
de ce mois il est parti pour faire un tour
en Hollande ; il doit enfuite aller en France ,
& l'on croit que le 28 il fera à Versailles ;
fon intention eft , dit -on , de paffer 3 jours
avec fon augufte foeur , & d'en refter un
quatrième à Paris chez le Comte de Mercy
fon Ambaffadeur. Ces voyages rempliront
le tems confacré ici aux fêtes occafionnées
par l'arrivée de l'Archiducheffe Chriftine &
du Duc de Saxe Tefchen , & par la cérémonie
de l'acte folemnel de l'inauguration
de S. M. I. fixé au 17 de ce mois . LL. AA.
RR. ont fait leur entrée ici le 10. Elles ont
été reçues avec la pompe d'ufage en ces occafions
, & les acclamations de l'amour &
de la reconnoiffance.
On lit dans la gazette de Madrid fors
la date de Lisbonne , le 5 Juillet , l'article
fuivant :
" Le 26 Mai dernier , il a débarqué au Cap Saint-
Vincent un Négociant Anglois venant de l'Inde , fur
le vaiffeau Impérial le jeune Prince Kaunits , forti
du Cap de Bonne - Efpérance le 6 Avril dernier , &
qui doit avoir continué la route pour Livourne. Ce
( 181 )
Négociant s'eft rendu ici , d'où il s'eft embarqué
fur le dernier paquebot qui a appareillé pour l'An
gleterre . On a fu par lui les nouvelles fuivantes.
Hyder- Ali s'eft emparé de Trichinapali , un des
plus forts établiffemens Anglois dans l'Inde. Trois
corfaires de l'Ile de France ont pris 7 vaiffeaux
Anglois très - richement chargés ; l'un portoit , en
argen: du pays, la fomme de 600,000 piaftres fortes ;
un autre , à fon paflage pour le Cap , avoit arboré
pavillon Tofcan , quoiqu'il fût forti de l'Inde avec
pavillon Anglois , fa cargaifon & prefque tout fon
équipage venant des Etabliffemens Anglois . - Un
paquebot François étant eatré dans le port du Cap de
Bonne Elpérance , avec la nouvelle de la rupture entre
l'Angleterre & la Hollande , le Gouverneur de cette
place n'y avoit ajouté aucune foi,& même ne la croyoit
pas vraisemblable , parce qu'il ne la tenoit pas directement
de fes Souverains. Peu de tems après , arriva
un paquebot Anglois , paffant dans l'Inde , & fon
Commandant , perfuadé que le Gouverneur du Cap
ne pouvoit pas encore favoir qu'on fût en guerre ,
demanda les rafraîchiffemens dont il avoit befoin
quoiqu'il allât lui - même porter aux Commandans
Anglois dans l'Inde , l'ordre de commencer les hofti .
lités contre les Hollandois. Le Capitaine François
voyant que le Gouverneur ne fe décidoit point à
s'emparer du bâtiment , offrit de ſe charger de l'ar
rêter , pour le convaincre de l'avis qu'il lui donncit.
Ce paquebot fut en effet arrêté ; on y trouva tous les
paquets relatifs à fes ordres pour les Chefs de la
Compagnie , avec injonction de s'y conformer , furtout
aux instructions que leur portoit Johnſtone ; on
trouva auffi le duplicata des fignaux de ce Commandant.
Une frégate Angloife , arrivée depuis peu , a
confirmé la nouvelle du combat entre l'efcadre de
Johnſtone & une divifion Françoife ; elle affure que
ce Commodore projettoit de fe rendre à Lisbonne ,
2
( 182 )
pour réparer les dommages qu'il avoit reçus dans
l'action «.
L'affaire du Duc de Brunſwick fait toujours
beaucoup de bruit en Hollande ; on
vient d'y imprimer le mémoire que les députés
d'Amfterdam préfentèrent le 8 Juin
dernier au Stathouder , & qui a excité les
plaintes du Duc. Ce mémoire ne peut que
piquer la curiofité dans les circonftances
préfentes , & c'eft un titre pour le tranfcrire
ici.
Très-Illuftre & Séréniffime Prince & Seigneur.
MM. les Députés de la ville d'Amfterdam ont
l'honneur , an nom & par ordre de leurs Principaux
, de repré enter à V. A. S. que lefdits. Princi
paux ont appris avec déplaifir que V. A. S. avoit
conçu du mécontentement de la dernière Propofition
faite dans l'Affemblée de L. N. & G. P. , quoiqu'il
eût été contre leur penfée de donner la moin
dre offenſe à V. A. S. , de lui manquer ou de lui
caufer des défagrémens : c'eft donc avec beaucoup
de fatisfaction qu'ils faififfent l'occafion de lui en
donner l'affurance la plus vraie : fe flattant que ,
d'après ce qu'ils auront l'honneur de lui repréfenter ,
elle pourra déduite elle-même les raifons pour lef
quelles ils ne lui avoient pas pu faire de communication
du contenu de ladite Propofition , avant
de l'expofer dans l'Affemblée de L. N. & G. P. :
ils éprouveroient la douleur la plus vive , fi V. A.S.
attribuoit ce filence à quelque défiance particulière
envers fa Perfonne ; ils déclarent qu'ils n'en ont
aucune , & qu'ils n'ont rien tant à coeur que d'exciter
& de fomenter entre V. A. S. & leur Ville
la confiance néceffaire au bien de la chofe publi
que le but de leur repréfentation eft d'imaginer &
mettre en ufage les mefures que la fituation criti-
1
( 183 )
que des chofes exigent pour le falut & la confer
vation de la chère Patrie. Quant à eux , comme
ils font placés à la tête du Gouvernement d'une
Ville extrêmement peuplée , où le petit peuple.
commence à fentir les effets de la difette qui réfulte
du manque de travail , ils font obligés de
montrer en effet & de la meilleure manière pof
fible , qu'ils ne veulent laiffer échapper aucune oc
cafion d'exciter & d'avancer le bien- être du Pays
& de fes bons habitans , qu'ils ne veulent pas s'expofer
à perdre entièrement l'autorité convenable & le
bon ordre qui , dans un Gouvernement populaire ,
n'a d'autre bafe que la confiance de la Conimune
& de la Bourgeoifie envers les Régens qui gouvernent
, & à voir en peu de tems les chofes dans
un bouleversement général . Ils avoient pensé que
les affaires avoient , depuis affez long - tems , &
fur-tout depuis la rupture avec l'Angleterre , paru
aux yeux de toute la Nation , & non fans raifon ,
être adminiftrées d'une manière étrange & inconcevable
; nonobftant l'extrême condescendance
qu'on avoit eue pour les defirs de l'Angleterre ,
on n'avoit , chaque année , éprouvé de ce Royaume
que du mépris , des outrages & des infultes , auxquels
il venoit enfin de mettre le comble par une
guerre ouverte , commencée par l'enlèvement d'une
quantité confidérable de nos vaiffeaux , & par l'invafion
de nos Poffeflions lointaines ; on n'avoit pas
laiffé de refter dans un état d'indéfenſe , & on
n'avoit pris aucunes mesures fuffifantes pour
mettre la République en état de maintenir
fa liberté , fes droits bien acquis , fa navigation
étendue & fon commerce légitime . Cependant
c'est une vérité incontestable , que les Membres
du Gouvernement étoient depuis long- tems d'opinion
que c'eft principalement fur mer qu'il failoit
fe mettre fur un pied refpectable , comme il paroît
évidemment , d'après les différentes réfolutions
( 184 )
-
prifes dans l'année 1778 & les fuivantes ; . d'après
les différens rapports , pétitions & confentemens ,
pour augmenter & renforcer les équipages des
vaiffeaux de guerre , & fpécialement d'après le
rapport du 30 Mars 1779. Nonobftant lefdites
opinions & réfolutions des Confédérés , pour équiper
tous les vailleaux de guerre de l'Etat , & en
conftruire de nouveaux , actuellement , après tant
de temps écoulé , & depuis que les choſes ont pris
une tournure fi funefte , on n'a pas même mis en
mer les 32 vaiffeaux ftipulés dès le mois d'Avril
1779 , bien moins encore de 52 , dont l'armement
avoit été réfolu l'année dernière ; de forte que
jufqu'à préfent on n'a pris aucune des précautions
propofées au mois de Mars 1779 à la généralité ,
pour la défenfe de nos côtes & de nos embouchures.
La Régence de notre Ville , & tous les
bons habitans du Pays , qui fe montrent difpofés à
fournir les impôts ordinaires & extraordinaires ,
font , non fans raifon , grandement furpris de la
lenteur mife dans l'exécution des mefures fi importantes
pour le Souverain : car il eft incroyable que
la fituation où les Amirautés refpectives le trouvent
, foit fi mauvaise qu'en deux ans de tems
elles n'aient pu effectuer les équipemens qu'elles
avoient elles- mêmes propofés ; quoique les deniers
ne leur aient pas manqué , & quoique la néceflité
foit devenue tous les jours de plus en plus pref
fante. En conféquence , ou ne pouvoit concevoir
les obftacles & les difficultés inattendus qui avoient
empêché la fortie du peu de vaiffeaux qu'on avoit
fuppofés abfolument prêts à mettre en mer , même
lorfque V. A. S. , après un examen convenable des
chofes , eut donné les ordres néceffaires . Comme
les malheurs & les calamités arrivés à la République
& fufpendus encore fur la tête , font attribués
à cet état d'indolence & d'inaction , &
qu'on n'a pas encore remarqué qu'on ait pris des
-
( 186 )
mefures vigoureufes pour prévenir des maux ul
térieurs & réparer le paflé , fans quoi il faut s'at
tendre à voir la ruine totale de la République ;
on juge qu'il eft du devoir indifpenfable de braves
Régens , & qu'ils ne peuvent différer de rechercher
: à quoi l'on doit attribuer cette négligence
inexcufable ? Par quels moyens l'on peut y obvier
, diriger & rétablir encore , autant qu'il eft
poffible , les chofes pour la confervation de l'Etat 2
Cela ayant été tenté fous main & de tems en tems
& les affaires prenant tous les jours un afpect plus
finiftre & plus dangereux , des réfolutions vigoureufes
& la combinaifon des mesures convenables
n'en font que plus néceffaires & ne peuvent plus
fouffrir de délai. C'eſt d'un examen mûr & réfléchi
qu'étoit réfultée la propofition faite le 18 du mois
de Mai paffé , fur l'ordre de la Régence d'Amfterdam
, à l'Aſſemblée des Etats de Hollande , & foumife
au Jugement & aux Délibérations des autres
Membres , pour que , defdites Délibérations , on
vit fortir les réfolutions les plus utiles & les plus
falutaires pour le pays . - Ladite Régence eft encore
dans l'idée que ce qu'elle doit à la Patrie ,
aux bons Habitans , qui avoient long- tems attendu
une pareille démarche de fa part , lai impofoit la
néceffité d'ouvrir une pareille Propofition. Il n'eft
cependant aucunement dans leur intention de caufer
aucun déplaifir ou défagrément à V. A. S. , ou
d'introduire des innovations ou de diminuer &
circonfcrire dans des bornes plus étroites l'autorité
légitimement acquife du Seigneur Stathouder ; au
contraire , ils peuvent affurer folemnellement qu'ils
aideront toujours , de tout leur pouvoir , à maintenir
la conítitution actuelle du Gouvernement , à
laquelle ils penfent que le bien- être de la Répu
blique eft étroitement attaché ; mais ils confidèrent
en même tems que , dans la fituation actuelle des
( 186 )
affaires , rien ne feroit plus néceffaire & plus
utile pour la direction & l'exécution des opérations
de la guerre actuelle , & les combiner avec
plus de fecret & de célérité , que de former &
nommer un petit Confeil ou Comité , compofé des
Régens des Provinces refpectives pour affifter
V. A. S. de confeil & d'effet , & coopérer conjointement
à la confervation de la Patrie . - Cette
Propofition ( fondée peut- être fur des exemples an
térie rs ) ne venoit d'aucun motif de défiance des
bonnes intentions & deſſeins de V. A. S. , dont on
n'avoit aucune raifon de foupçonner la pureté ;
quoique , felon les informations de la Régence de
cette Ville,quelques gens mal-intentionnés aient tâché
de le faire entendre à V. A. S. Mais une telle défiance
tomboit uniquement fur celui , dont l'ia-
Auence fur l'efprit de V. A. S. eft regardée comme
la caufe première de la lenteur & de l'indolence
qui règnent dans les affaires. Et comme cela ne
peut être que très - préjudiciable au bien-être général
, on s'étoit vainement attendu depuis long-tems
que les circonstances dangereufes où le trouve
actuellement la République , auroient fait naître
enfin des Délibérations férieufes fur les mesures
qu'il faudroit employer à l'avenir , & avec plus
de vigueur que par le paffé . Mais cette attente
ayant été vaine jufqu'à préfent , & s'agiffant de
la confervation de la Patrie , de fa liberté achetée
à fi haut prix , de V. A. S. de fon illuftre Maifon
, en un mot , de tout ce qui eft cher & pré
cieux aux habitans de la République , la Régence
d'Amfterdam a jugé ne pas pouvoir plus longtems
, en fe taifant , manquer à fes devoirs , mais
fe voit forcée , à la démarche préfente. C'elt
donc avec tout le refpect qu'elle doit à V. A. S. ,
mais en même-tems avec la candeur & l'honnête
franchiſe qu'exige l'importance de la chofe qu'elle
>
― -
( 187 )
lui repréfente , & lui déclare expreffément que ,
felon l'opinion générale , le Seigneur- Duc eft regardé
comme la première caule du déplorable
état de foibleffe où la République fe trouve au
jourd'hui , de toute la négligence qui a eu lieu ,
de toutes les fauffes mesures qu'on a prifes de
puis fi long-tems , & de toutes les fuites fatales
qu'elles ont entraînées ; que l'on peut aflurer
V. A. S. que l'averfion & la haine de la Nation
contre la Perfonne & l'Adminiftration du Duc ,
font montées à un tel degré , que l'on doit en
redonter lévénement le plus fâcheux & le plus
défagréable pour la tranquillité publique.
- On
ne doute point que V. A. S. n'ait été déja informée
par d'autres de toutes ces chofes , ou que fi
elle les ignore , il faut l'attribuer uniquement à
la crainte que l'on a eu des effets du mécontentement
du Duc. On ofe cependant en appeller
avec confiance , fur tout ce qui vient d'être dit ,
au témoignage de tous les honnêtes & fincères
Membres de la Régence , que V. A. S. daignera
interroger , en leur accordant une pleine liberté de
parler , & en les fommant de répondre felon leur
devoir & confcience. Ils avoient entendu plufieurs
fois , avec beaucoup de déplaifir , M. le Conseiller- Pen
fionnaire fe plaindre , en préſence de divers Membres
de la Province de Hollande , de la méfintelligence
qui régnoit entre lui & le Seigneur- Duc ,
de l'afcendant que ledit Seigneur a fur l'efprit de
V. A. S. , ce qui faifoit échouer tous les efforts
le bien de la patrie. pour Cette défunion &
cette diverfité de fentimens & de vues entre votre
principal Confeiller & le premier Miniftre de cette
Province , doit avoir non-feulement les fuites les
plus funeftes , mais fournir encore un motif fuffilant
pour faire les plus fortes inftances , afin de
détruire la fource de cette défiance & de cette
-
( 188 )
-
que
difcorde ; puifqu'il n'y a que le rétabliſſement préa.
lable de la confiance & de la concorde qui puille
fauver la République , & rien n'eft auffi néceffaire
pour le bonheur de Votre Séréniſſime Maifon
, le maintien de votre autorité , la confervation
de l'eftime & de l'affection de la Nation , &
de votre confidération chez les Puiffances voisines .
Car l'on peut affurer V. A. S. , & l'on eft obligé
de l'avertir , qu'elle pourroit bien perdre un jour
l'eftime & la confiance du peuple , au lieu d'être
& de demeurer toujours le digne chef de l'amour
& de la vénération de ce peuple & de ces Régens.
L'on fouhaite ardemment que V. A. S. le foit tou
jours , puifque de- la dépend en grande partie la
confervation & le bonheur de notre chère patric
& de la maifon d'Orange. Bien l'on foit
perfuadé que les Membres de la Souveraineté ont
toujours la liberté , qu'il eft quelquefois même de
leur devoir de communiquer à V. A. S. & aux
autres Membres leurs penfées fur l'état & l'admi
niſtration des affaires publiques , on eût préféré
cependant de s'abftenir de la démarche préfente , fi
l'on avoit pu concevoir quelque espoir d'amélioration
& de changement. Mais , puifque l'on ne
pouvoir plus s'en flatter pour les raifons ci - deffus
énoncées , & que le danger étoit à ſon plus haut
degré , qu'il ne reftoit plus d'autre parti à prendre
que celui de découvrir à V. A. S. le véritable
état des chofes ; de la prier de la manière la plus
folemnelle d'y réfléchir folemnellement , & de ne
plus écouter dorénavant les confeils & les infinuations
d'un homme tellement furchargé de la haine
des grands & des petits , regardé comme un étran
ger deftitué d'une connoiffance fuffifante de la forme
de notre Gouvernement , & qui ne porte point une
véritable affection à notre pays. - Nous fommes
bien éloignés de vouloir accufer ce Seigneur de ce
―
( 189 )
dont on ne le charge que trop ouvertement , ou
d'envifager comme fondés les foupçons qu'on répand
contre lui , d'un attachement excelfif & illicite
pour la Cour d'Angleterre , ou de mauvaife foi
& de corruption. Nous croyons qu'un Seigneur
d'une fi haute naiffance & d'un rang fi diftingué ,
eft incapable de pareilles baffeffes ; mais nous
jugeons que les idées fâcheufes que l'on a prifes
malheureufement fur fon compte , & qui ont caufé
une méfiance générale , le rendent totalement inutile
& pernicieux , même pour le fervice de l'Etat &
de V. A. S.; qu'il doit par conféquent être éloigné
de la direction des affaires & de votre Cour
comme un obftacle perpétuel au rétabliffement de
la bonne intelligence , fi néceffaire entre V. A. S.
& les principaux Membres de l'Etat . Sa préfence ,
au contraire , ne pourroit dorénavant que faire
tomber fur Vous la défiance que l'on a conçue ,
foit avec raifon , foit à tort , de fes confeils .
Ces repréfentations ne naiffent pas d'un principe
de haine ou de mauvaiſe volonté contre le Scigneur-
Duc , qui a eu autrefois licu de fe louer
même de la bienveillance & des marques réelles
d'affection de la Régence d'Amfterdam ; on protefte
devant Dieu & l'univers entier , que les feuls
motifs qui nous les ont dictés , font la confer
vation de la pattie , & de votre Séréniffime Maiſon ;
la Régence de notre Ville s'y eft vu obligée ,
tant en qualité d'habitans de ce pays , que comme
Membre de fon Affemblée fouveraine ; afin de
faire par cette voie un dernier effort , & d'indiquer ,
peut-être à tems encore , un moyen de fauver
avec la bénédiction du Tout Puiffant , le vaiffeau
de l'Etat du plus imminent danger , & de le conduite
dans un port affuré , ou de s'acquiter au
moins en tout cas de fon devoir & de décharger
La confcience envers les habitans & la postérité.
( 190 )
A la vérité , il ne faut pas défefpérer de la
confervation de la patrie ; mais les cho.es paroiffant
être venues à une telle extrémité , qu'à moins d'employer
des moyens extraordinaires , il n'y a plus de
remède ; & à cette fin , fous l'approbation de V.
A. S. , on doit encore prendre la liberté de remettre
à fa confidération , fi le meilleur moyen de traiter à
l'avenir les chofes avec un heuteux fuccès , ne feroit
point que S. A. S. s'adjoignît un petit nombre de
perfonnes parmi les premiers , les plus refpectables &
les plus éclairés des Nationaux , afin de concerter ,
fans relâche , avec elles , ce qui , durant la guerre
préfente , pourroit être le plus nécefiaire & le plus
utile à la confervation & la profpérité de la République
; avec les limitations & le pouvoir qui fetoient
jugés convenables pour remplir efficacement
le but de cette propofition : l'on s'attend auſſi - tôt à
ces deux conféquences , grandes & falutaires . » 1º.
Que dans un tems ſemblable à celui – ci , cù tous
» les momens font précieux , aucun retard occafionné
» par des délibérations de longue durée n'auroit
» lieu , & la célérité requife feroit procurée à l'exé-
» cution de ce qui auroit été réfolu . 2 ° . Que par- là
» la confiance de la Nation feroit rétablie ; une tran-
» quillité , un contentement univerfel feroient exci-
» tés , & chacun feroit animé & encouragé à
» faire l'impoffible pour contribuer joyeuſement à
පා
l'exécution des mefures du Souverain : tandis
» qu'actuellement tout le contraire a lieu , que
» l'on entend par tout des plaintes générales fur
la divifion & l'inactivité 25 du Gouvernement «<,
---
Ce qui vient d'être propofé , re paroît pas feulement
très- urgent à la Régence d'Amſterdam ;
mais l'on eft fondé à crone que les principaux
Membres du Gouvernement de cette Province &
de toutes les autres , font du même avis . Quant au
refte , rien de plus néceflaire que d'adopter un fyf.
( 191 )
tême , un plan de direction ferme , puifque la République
doit opter entre deux partis. » Ou de faire
» la paix avec l'Angleterre ? Ou de pourfuivre vigoureufement
la guerre , afin d'accélérer par ce
» moyen une paix honorable « ? Ce qui doit former
le voeu fincère de tout citoyen honnête , & à quoi ,
fans autres vues ultérieures , ( ce dont on peut
donner les affurances les plus férieuſes à V. A. S. )
a toujours uniquement tendu l'ouverture faite par
notre propofition , favoir , de concerter , pour cette
campagne , les opérations avec la France. On ne
defire rien plus ardemment de notre côté , que de
délibérer férieufement avec V. A. S. fur l'option
entre ces deux partis allégués , & quels moyens
pour parvenir au but cheifi , il faudra mettre en
oeuvre ; mais nous fommes abfolument d'opinion
qu'avant tout , il ne faut jamais perdre de vue ,
quoiqu'une réconciliation puiffe être préférée , que
rien ne doit être négligé ni omis , pour mettre de
toure manière la République dans une telle pofition,
qu'elle n'ait rien à craindre de fes ennemis , mais
fe trouve , au contraire , en état de les forcer à
defirer le tétabliffement de cette paix que , fans
aucune caufe légitime , ils ont auffi injuſtement que
méchamment rompue.
C'eft la ville d'Amfterdam qui a fait ellemême
imprimer ce Mémoire. Les Bourgmeftres
régnans , MM. E. de Vry-Temming
J. Rendorp , & M. le Penfionnaire
C. W. Wiffcher , qui l'ont figné , ont certifié
au bas que cette Pièce eft la même à la
lettre , fans aucune addition ni retranchement
, dont en leur préfence , & par ordre
de MM. les Bourg -meftres , lecture a été
faite à S. A. S. par M. le Penſionnaire
( 192 )
Wiffcher , le 8 Juin 1781 , en préfence de
M. le Confeiller Penfionnaire , & écrite
verbalement par le fufdit Penfionnaire.
Ce qu'ils atteſtent.
On attend avec impatience les avis des
Provinces , confultées fur les plaintes du
Duc de Brunſwick. On dit que quelques
quartiers de la Frife ( cette Province eft
divifée en trois , quant aux campagnes )
penfent que ce Mémoire ne contient rien
d'injurieux , que leurs Députés aux Etats-
Généraux ne doivent fe mêler en aucune
manière de cette affaire dans les affemblées
de la Généralité , & que les plaintes doi- *
vent être portées devant le Juge naturel
& competent des Bourg- meftres d'Amfters
dam.
»Nous ignorons , écrit- on d'un port de
France , ce que font devenus les Amiraux-
Hood & Rodney ; nous le faurions actuelle
ment par la voie de l'Angleterre s'il n'y avoit
pas une fatalité attachée aux avifos ; on
diroit qu'il eft décidé qu'ils doivent être
pris. Une corvette fortie de St-Christophe ,
& dépêchée fans doute par Rodney , a été
enlevée par un corfaire Américain , elle avoit
ordre d'aborder au premier port d'Ecoffe
ou d'Irlande , & même de Portugal , Le
Capitaine a jetté fes paquets à la mer , &
nous voilà encore privés pour long-tems de
nouvelles officielles "
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTEN AN E
Yos
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l' Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 7 JUILLET 1781 .
BYT
BIBE
GHATRAT
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
STOR LIBRARY
TABLE
Du mois de Juin 1781.
PIÈCES
FUGITIVES.
Mon Rive , Couplets à Alexandrine
,
Saint-Alme & Pulchérie ,
Vers fur laMort de M. Bor.
des
49
97
Air d'Apollon & Coronis , 52
Galanterie à Mlle D.
Elai de Traduction du Pradium
Rufticum , 98
Alife & Arsème , Romance.9
145
147 Les Trois Syftemes ,
le Pari , Conte ,
Fers à M. de la Harpe,
Le Serin & le Moineau, Fable,
193
194
Supplique d'un Récipiendaire
Franc- Maçon ,
126
129
153
Méthode nouvelle pour tracer
facilement les Cadrans Solaires
,
Itineraire Portatif,
Les Styles , Poëme ,
Reflexions Philofophiques fur
l'origine de la Civiliſation ,
175
181
210
Difcours fur la Pucelle d'Or
léans
,
Jeanner & Colin ,
Nécrologe des Hommes Célèbres
de France ,
Précis de quelques Réflexions
Morales & Philofophiques,
lu à la Séance de l'Acadé
mie de Dijon,
223
W227
SPECTACLES.
197 Académie Roy, de Mufiq , 88 ,
186 , 230 Pétronille & St-Leu, Anecd ib .
Enigmes & Logogryphes , 14 , Comédie Françoife , 31 , 90
54 , 105 , IST , 209
26
NOUVELLES LITTER.
Le Théâtre François , 18
Euvres complettes de M. le
C. de B..
Contes dévots , Fables & Romans
,
Nouveaux Contes Turcs
Arabes .
Hiftoire de la Chirurgie ,
Navigation , Pocine ,
23x9
Comédie Italienne , 36
Dialogue entre un Spectateur &
un Critique
Académie des Sciences
VARIÉTÉS.
cure ..
331
1
38
30 Lettre aux Rédacteurs du Mer-
& 9 , 139
56 Correspondance Générale pour
71 les Sciences & les Arts , 233
81 Gravures , 46 , 91 , 142 , 237
Les Bienfaits du Roi , 87 Géographie,
Architecture , Poëme , 107 Mufique ,
94
189
uvres complettes d'Ifocrate , Annonces Littéraires , 46 , 95.
113 143, 190 , 238
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rus de la Harge , près Saint-Cône.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 7 JUILLET 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Préfentés à M. le Curé de S. Sulpice , par
une jeune Fille du Catéchifme , le jour
qu'il en a fait la vifite.
O
11
vous , dont le foin paternel
Daigne guider notre innocence ,
Permettez en ce jour , pour nous & folemnel,
Que nous faffions parler notre reconnoiffance.
Votre coeur pour nous attendri ,
Fait par des guides sûrs éclairer notre enfance i
Vous recevrez le prix de votre bienfaisance ;
Le bonheur d'un Troupeau chéri
Du Pafteur eft la récompenfe.
Yous- même tous les ans vous venez voir les fruies
A j
MERCURE
Que de fages leçons dans notre ame ont produits.
O! comme de cette journée
Nos coeurs defirent le retour!
L'efpoir de vous plaire un feul jour
Les rend heureux toute l'année .
LE BALLET DES DINDONNEAUX ,
Conte.
UNfavant Machinifte , un grand Phyſicien ,
Opticien ,
Mécanicien ,
Très - confommé dans l'art pyrique ,
·Poffédant à fond l'hydraulique ,
Etoit cité dans plus d'un entretien ,
Comme l'honneur de la gent italique.
Rome étoit fon pays , & fon nom , Dominique,
Sa réputation ne reſta pas toujours
Dans les murs Romains enfermée ;
La vigilante Renommée
La fema dans toutes les Cours.
Toute l'Europe en fut vite informée :
On l'admiroit par - tout , & non pas
Car fon talent valoit bien fon renom.
N
fans raifon ;
MAIS du fort telle eft l'injuftice ,
Qu'un grand Homme vit pauvre au pays des Célars,
Le talent pour y naître y trouve un ciel propice
DE FRANCE.
Non la fortune. En un mot des Beaux-Arts
Rome eft fouvent la mère & jamais la nourrice.
On lui perfuade à la fin
Qu'en France , lieu chéri des filles de mémoire
Il pourra recueillir enfemble à pleine main ,
Et les richeffes & la gloire.
L'efpérance d'un double prix"
Le détermine; il part ; il arrive à Paris.
A fes frais le grand Dominique
Dreffe un vafte Théâtre où les Arts , à la voix
Soumettant leur pouvoir magique ,
Doivent charmer tous les fens à la fois.
Sa Renommée , en arrivant en France ,
Avoit apprivoisé le Dieu de la Finance .
Chez bien des gens l'espoir flatteur
De voir merveilles fur merveilles ,
Avoit ouvert en la faveur
Et les bouches & les oreilles.
Il débuta ; grands applaudiffemens ;
Les connoiffeurs prononcent la fentence 5
On trouva les détails charmans ;
On loua le deffin , le choix & l'ordonnance.
Effai nouveau , nouveau fuccès.
Mais las ! malgré le charme & la magnificence
D'un ſpectacle amuſant & neufpour les François ,
On vit de jour en jour décroître l'affluence.
Si bien qu'ayant long- temps fouffers
Par la recette un vide immenſe ,
A iij
MERCURE
Il vit , contre fon efpérance ,
Son talent très -vanté , fon théâtre défert.
Pour fruit de ce talent que le goût idolâtre ,
Le inalheureux n'eut que de vains lauriers
Et de très -rudes créanciers ,
Tant, qu'il fut obligé de fermer fon théâtre.
APRÈS ce coup , Dominique , dirton ,
Tout étourdi de fon naufrage ,
Faillit en perdre la raiſon.
Mais il rappelle enfin fes fens & fon courage,
De les débris qu'il raffembla foudain ,
.
Il bâtit en un tour de main
Une falle fans frais ; il affiche , & s'empreffe
D'annoncer des Acteurs nouveaux
Et des plaifirs d'une nouvelle eſpèce :
LE GRAND BALLET DES DINDONNEAUX.
Ce n'étoit pas une fauffe promeffe.
Dominique a pris en deux mots ,
Pour offrir au Public une nouvelle danſe
Un régiment de ces oiſeaux
4
Qui doivent danfer en cadence.
Quoi ! danfer ? danfer , oui , vraiment.
Etje vais vous dire comment.
Au lieu de planches , Dominique
Avoit arrangé de ſes mains
Des tôles qu'embrâfoient des poëles fouterrains.
Quand tout fut enflammé , fitôt que la musique
Sc fit entendre , en un moment
DE FRANCE. 7
K
On lâche la gent Dindonique ,
Qui marche d'abord gravement ;
Puis la chaleur l'éveille , elle s'agite ;
Puis d'aller , de venir plus vite ;
Et puis de s'élever , & par bonds & par fauts.
Quand chaque patte eut fenti la brûlure ,
Il falloit voir à l'aventure
Troter , courir ces pauvres Dindonneaux.
Chacun vers la couliffe alloit en diligence ;
Mais , le fouet à la main , des Maîtres de Ballets
Etoient là poftés tout exprès ,
Et les faifoient rentrer en danſe.
O comme nos Danſeurs ſe démenoient grand train !
A peine retombés , ils s'élançoient foudain.
La mefure en fouffroit , s'il faut être fincère ;
Mais je gage que l'Opéra
N'a jamais eu , jamais n'aura
Ballet plus chaud , ni danfe plus légère.
Di ce nouveau Spectacle on parut enchanté ;
Et les brave de tout côté
Voloient & rempliſſoient la Scène.
On y revint avec avidité ;
Chaque jour la falle fut pleine .
Bref, Dominique heureux & riche immenfément ,
Revint au fein de fa Patrie ;
Et la bêtife ainfi regagna promptement
Ce qu'avoit perdu le génie.
A iv
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Rien ; celui du
Logogryphe eft Flamme , où le trouvent
lame , ame, me & e .
QUESTION ÉNIGMATIQUE.
UN jour un bel efprit , que la fage Nature
Avoit comblé de ſes préfens , con simbɔ
Des Enigmes que lit l'Amateur du Mercare ,
S'applaudiffoit de pénétrer le ſens :
Nulle pour lui , dit-il , ne fut jamais obſcure....
En ce cas , lui répond , d'un ton modeſte & doux,
Une jeune perfonne : Ah , fans être perplexes,
Vous me direz: Qu'est - ce que tous
Hommes, femmes , enfans de l'un & l'autre fexe,
Au même inftant , font ensemble ici-bas ,
Sur la terre , fur l'onde & dans tous les climats ?
Le favant de rêver. Mais recherche inutile !
Il eſt encor dans le même embarras....
Sans doute , ami Lecteur , tu feras plus habile.
( Par feu M. *** , Avocat à Chartres. }
DE FRANCE. 9
LOGOGRYPHE.
SANS trop favoir qui étoit mon parrain ,
Mon nom pourtant eft tant foit peu Romain.
Sans dire au net le nombre de mes frères ,
Saches , Lecteur , qu'entr'eux je fuis l'aîné ,
(Non qu'autrefois ce droit me fât donné. )
Lorſque je nais , je fais naître ma mère ,
Qui tient les jours même de mes enfans.
Mais voici bien autre étrange mystère :
Dans mes fept pieds je renferme mon père ;
Un dépôt cher ; ce qui manque aux romans ;
Une liqueur ; ce qu'on devient par elle ;
Du Livre faint un Écrivain fidèle ;
´Ce qui n'eſt point ; deux Villes des Normands;
Le nid d'un aigle ; une maiſon flottante }
Pas dangereux ; des jardins une plante ,
Une vapeur que tranfportent les vents ;
Le bord d'un fleuve ; un mois , deux élémens ;
Terme au tri&rac ; une note ; un reptile ';
Le nom qu'on donne aux chemins d'une Ville ;
Un paffe-temps ; un ftupide animal ;
En vieux François un péché capital.
Cherche, Lecteur , dans cette pacotille;
J'y fuis nommé par mon nom de famille.
*
Av
10 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MENZICOFF , ou les Exilés , Tragédie
repréſentée devant Leurs Majeftés , fur le
Théâtre de Fontainebleau , au mois de
Novembre 1775 , par M. de la Harpe ,
de l'Académie Françoife ; précédée d'un
Précis Hiftorique fur le Prince Menzicoff
Longi panas fortunafavoris
Exigit à mifero. LUCAN.
A Paris , chez M. Lambert & Baudouin
Impr.- Libraires , rue de la Harpe , près
S. Côme. 1781. Prix , 2 liv. 8 fols.
DAANNSS un autre article on rendra compte
du Précis Hifloriquefur le Prince Menzicoff
Nous allons parler de la Tragédie faite fur
ce fujet.
ACTE Ier . Un malheureux gém.it dans les
deferts de la Sibérie , c'eft Vodemar ; il fe
plaint fur tout de Menzicoff ; fes plaintes
paroiffent juftes , elles font éloquentes , on
ea eft d'abord touché ; mais on voit bientôt
que Vodemar eft un de ces méchans que le
malheur aigrit au lieu de les corriger , &
qui feront infolens & cruels dans la profpérité
, puifqu'ils font durs & amers dans
l'infortune. Bering , Commandant en SibéDE
FRANCE: II
rie , homme plein d'humanité , & , comme
il le dit lui- même ,
Des ordres de rigueur compatiſfant Miniſtre ,
veut confoler Vodemar. Celui répond :
On ne confole pas un coeur tel que le mien. .. .
Des maux que l'on m'a faits l'affreux reffentiment ,
De mon coeur folitaire eft l'unique aliment.
J
On ne peut guères exprimer en plus beaux
vers un fentiment plus profond ni plus
horrible.
Béring parle de l'avénement du jeune
Czar Pierre II.
VODEM A R.
Oui , tout ce qu'en ces lieux on nous a fait connoître ,
C'eft qu'on nous opprimoit au nom d'un nouveau
Maître.
Ces vers font d'une convenance parfaite
daus le caractère une fois donné de Vodemar
, & pourroient convenir encore danis
la bouche d'un malheureux plus intéreffant .
C'est bien là le ton chagrin d'un coeur qui
fouffre.
Béring apprend à Vodemar la difgrâce de
Menzicoff & fon arrivée en Sibérie.
Dieu jufte ! c'eſt affez ; laiſſe-moi dans ces lieux ;
s'écrie Vodemar ,
Témoin de tous les maux , je ne fens plus mes peines t
Qui , je me croirai libre en regardant fes chaînes .
Avj
12 MERCURE
Je veux que mon aſpect ajoute à fon malheur....
Que , fouffrant fous mes yeux , il fouffre davantage.
C'est toujours en très - beaux vers les fentimens
affreux d'Atrée.
Comme je le voulois , tu reffens ton malheur.
Vodemar, autrefois rival du Prince Menzicoff,
amoureux d'Arzénie , qui a époufé
Menzicoff, exilé enfin par le crédit de Menzicoff
, ne connoît point ce Miniftre , même
de vue , & n'en eft point connu , fans que
cette fiction , affez peu vraisemblable , produife
d'autre effet dans la Pièce , qu'une
Scène où Vodemar jouit cruellement des
plaintes de Menzicoff, qui doit être preffé
en effet de les répandre dans le fein du premier
malheureux qu'il rencontre , mais qui
doit prudemment fe contraindre devant un
inconnu , puifque l'Hiftoire nous apprend
que Dolgorouki fat rappelé de la Sibérie
pour être roué , principalement à cauſe de
T'amertume de fes plaintes & de la violence
de fes imprécations contre l'Impératrice
Anne. Il est vrai que Menzicoff met dans
fes plaintes plus de philofophie que d'amertume;
mais il faut craindre encore de faire
favoir à fes perfècuteurs que , dans l'exil
même , on eft plus près qu'eux du bonheur !
Menzicoff devoit être d'autant plus éloigné
de toute imprudence à cet égard , qu'il étoit
puni pour en avoir eu . On ne l'avoit d'abord
exilé que dans les terres ; il étala en partant
DE FRANCE 13
on fafte qui annonçoit un Prince premant
poffeffion de fes États plutôt qu'un Miniftre
difgracié ; fes ennemis fe crurent bravés , ils
le firent dépouiller de fes biens & envoyer
en Sibérie . M. de la Harpe rapporte ce fait ,
& décrit le départ faftueux qui confomma
la perte de Menzicoff , dans des vers dont
la beauté nous invite à en orner notre extrait.
Je voulus en tombant impoſer à l'Envie ,
Que ma difgrâce même eût l'éclat de ma vie
Et de ce rang augufte où le fort m'avoit mis ,
Defcendre encor fuperbe , & grand dans mes débris.
Une nombreuſe fuite
Remplifoit Pétersbourg des pompes de ma fuite....
J'étalois aux regards ces ordres , ces couleurs ,
Ces ornemens des Cours , trop éclatantes marques,
Des dons qu'à ma fortune avoient fait vingt Monarques.
Et je fortois des murs d'où l'on m'avoit banni
Plus en triomphateur qu'en coupable puni .
ACTES II & III . Arzénie , que Menzicoff
avoit toujours aimée , mais qu'il avoit répudiée
par ambition , dans l'efpérance d'époufer
'Impératrice Catherine , veuve du Czar
Pierre I, & de partager avec elle le trône de
la Ruffie , la tendre & vertueufe Arzénie
vient chercher au fond de la Sibérie un
époux devenu malheureux. Elle lui apporte
des confolations & des fecours. Cet inciden
14 MERCURE
produit trois Scènes confidérables , qui toutes
les trois ont de la beauté; l'une eft la reconnoiffance
d'Arzénie avec Alexan , fon fils ;
l'autre , la reconnoiffance de la même Arzénie
avec fon mari ; la troisième , placée
entre ces deux là , & qui en fait la liaiſon ,
eft celle où Alexan fonde les difpofitions de
Menzicoff à l'egard d'Arzénie , & prépare
fon père à revoir fa mère. Celle- ci nous
paroît la plus touchante ; la réferve timide
& refpectueufe avec laquelle Alexan interroge
fon père , la grandeur avec laquelle
Menzicoff s'accuſe, le tableau impofant qu'il
trace de fes projets ambitieux , le contraſte
de ce tableau avec celui de la paix & du
bonheur dont il jouiffoit dans le commerce
d'Arzénie , l'éloge qu'il fait de cette femme ,
dont il fe croit féparé pour jamais , les divers
fentimens dont il pénètre le coeur d'Alexan ,
qui ne peut contenir fa joie & fa tendrelle ,
& qui , impatient de confommer la réunion
qu'il a préparée , quitte fon père en laiffant
éclatter des tranſports dont Menzicoff eft
furpris ; tous ces divers mouvemens de l'éloquence
dramatique concourent à faire de
cette Scène le moment le plus intéreffant &
le plus paffionné de la Pièce. Mais feroit - il
permis de dire que les deux Scènes de reconnoiffance
, fans qu'on puiffe énoncer bien
précifément en quoi elles péchent , reftent
au-deffous de l'attente que la fituation fait
naître , & ne font pas tout l'effet qu'on
defire & qu'on efpère : Peut- être l'Auteur
DE FRANCE.
If
refte- til trop le maître de fes tranfports ;
peut-être fent-on trop la main du goût qui
arrange tout felon les convenances , quand
on voudroit voir le défordre & l'abandon
du génie , & fes écarts intéreffans , & les
irrégularités heureuſes qui émeuvent & qui
portent aux larmes.
Necfatis eft pulchra effe poemata , dulcia funto ,
Et quocunque volent , animum auditoris agunto.
Menzieoff, dans la Scène de reconnoilfance
, rappelle quelquefois , par fa fituation
& par fes difcours , Herode & Rhadamifte ;
mais ayant été moins coupable qu'eux , il
eft aufli moins paffionné , dès- lors moins
intéreffant , fes remords ont moins d'énergie ,
fa joie moins d'explofion , fes tranfports
moins de fureur. Arzénie elle même n'ayant
que de moindres reproches à lui faire , eft
dans une fituation moins tragique. On fent
que Zénobie ne pourra jamais être heureufe
avec Rhadamifte , ni Marianne avec Hérode ;
mais Menzicoff & Arzénie feroient trèsheureux
enfemble , même dans l'exil , & plus
dans l'exil qu'à la Cour ; & il n'y auroit
point de Tragédie fi le malheur de ces per
fonnages ne venoit d'une caufe étrangère à
leurs caractères. Il faut , pour qu'ils foient
malheureux , que Vodemar foit un monftre ,
& qu'il devienne puiffant ; c'eft précisément
ee qui arrive. Vodemar , ami des Dolgoroukis
, auteurs de la difgrâce de Menzicoff,
eft fait Gouverneur de la Sibérie , & Béring
16 MERCURE
n'eft plus qu'un fubalterné obligé de fur
obéir. Vodemar ne fe fouvient d'avoir été
malheureux que pour en prendre droit de
rendre malheureux fes ennemis ; il commence
par féparer Arzénie de Menzicoff ,
fous prétexte que perfonne ne peut , fans la
permiffion de l'Empereur , accompagner un
profcrit dans fon exil ; & qu'Arzénie , ayant
été rejetée par fon mari , ne lui eft plus
rien , & ne peut plus alléguer les droits &
les devoirs d'époufe. C'est par ce premier
acte d'hoftilité de la part de Vodemar , &
par ce premier & violent effai de fa nouvelle
puiflance que finit le troifième Acte.
ACTE IV. Le jeune Alexan , perfonnage
très- dramatique , plein de vertus & de paffions
, doué de cette fenfibilité dangereufe
qui précipite dans tant d'imprudences & de
fautes , fe fentant trop d'avoir été nourri au
fein des grandeurs & de la fortune , réclamant
pour fon père dans fa difgrâce les
mêmes refpects dont il l'avoit vú comblé
dans fa faveur , incapable enfin de plier fou
courage altier aux humiliations de fon nouvel
état ; Alexan paroît en fuppliant devant
Vodemar pour lui demander la liberté de
fa mère ; il effuye an refus & des mépris
pour la première fois , & dans quelles circonftances
! Le récit qu'il fait à fon père de
cette fcène accablante pour fa fenfibilité
eft éloquent & paffionné. « Mon père !
Je ne yous fis jamais un plus grand facrifice .
DE FRANCE. 17
Ma voix étoit tremblante , & mes regards baiffés ;
Tous mes fens frémiffoient de douleur oppreffés ;
Et fi du moins l'aſpect de ma mère attendrie ,
De ce tigre avec moi conjurant la furie ,
N'eût ranimé mes fens de ma honte effrayés ,
Peut-être que j'allois expirer à fes pieds....
4
Il repouffoit ma plainte ; & fans daigner m'entendre ,
Lançoit ſur Arzénie un regard plein d'horreur.
Non , jamais la vengeance & la fombre fureur
N'ont gravé fur un front un plus noir caractère ....
Je fuis forti la rage & la mort dans le ſein....
Dans mon coeur déchiré remportant mes outrages .
Je pleurois immobile , & fur la pierre affis.
Un Soldat a paffé: mes plaintes gémiflantes ,
Mon vifage baigné de mes larmes brûlantes ,
Et ma jeuneffe enfin , & la compaffion ,
Sembloient ouvrir fon aine à mon affliction.
Sur cette marque équivoque de la pitié du
Soldat , l'indifcret Alexan lui demande fon
épée , lui donne de l'or , lui raconte ſes malheurs
, lui fait part de fes projets de vengeance
; le Soldat lui promet de le feconder
& de guider fes coups jufqu'au ſein de Vodemar.
Menzicoff blâme cette entreprife ,
& défend à fon fils de l'exécuter ; mais ce
n'étoit pas affez , peut- être , il falloit lui en
ôter les moyens , & ne pas abandonner ce
fils à l'imprudence de fon caractère . Ces
précautions étoient d'autant plus néceſſaires ,
que le dernier mot d'Alexan annonce qu'il
18 MERCURE
perfifte dans fa réfolution. Suit une grande
Scène entre Menzicoff , Arzénie & Vodemar
, elle n'eft pas fans beautés , mais elle
reffemble trop à toutes ces Scènes fi communes
dans nos Tragédies , & fi peu vraifemblables
, où un Tyran eft bravé impunément
par les victimes de fa fureur. Un
Garde arrive ; il annonce qu'on vient de
trouver Alexan , ayant un fer caché fous fes
habits ; que déjà dénoncé par le Soldat qui
le lui avoit donné , il a tout avoué : on
l'amène fur la Scène enchaîné. Vodemar fépare
Menzicoff , Arzénie & Alexan , &
jouit du plaifir d'avoir trouvé un prétexte à
La vengeance.
ACTE V. Voderaar veut que Menzicoff
lui cède Arzénie ; il paroit mettre à ce prix
la grace d'Alexan. Gengiskan , dans l'Orphelin
de la Chine , exige un pareil facrifice;
mais Gengiskan aime Idamé , Vodemar n'aime
plus Arzénie , il n'aime plus rien , il ne
fait plus que hair & ne veut plus que fe
venger ; il veut enlever Arzénie à Menzicoff.
Non pour la pofféder , mais pour la lui ravir,
Pour tous deux à la fois elle fera perdue.
Il dicte fes fuperbes loix à cette femme,
il la charge d'en faire part à fon mari , &
d'en obtenir le confentement : elle l'obtient
fans le demander , & fur une fimple expofition.
Quelque nobleffe que mette Men
zicoff dans les motifs qui le déterminent à
un fi grand facrifice , il nous paroît certain
DE FRANCE 19
que dans nos moeurs , & fur-tout dans nos
moeurs théâtrales , un mari ne doit jamais
céder fa femme qu'en mourant. Polyeucte
lègue , pour ainfi dire , Pauline à Sévère ,
mais c'eft en courant au martyre ; Idamé , à
qui Gengis fait la même propofition que
Vodemar fait à Arzénie , répond , en parlant
de Zamti , fon mari :
Il en eft incapable ; & fi dans les tourmens
La douleur égaroit fes nobles fentimens ,
Si fon ame vaincue avoit quelque molleffe ,
Mon devoir & ma foi foutiendroient fa foiblefle ,
De fon coeur chancelant je deviendrois l'appui ,
En atteftant des noeuds deshonorés par lui.
Ces vers nous paroiffent la condamnation
de Menzicoff.
Zamti , à la vérité, propofe à Idamé d'époufer
Gengis , mais c'eft en fe determinant
à la mort.
Libre par mon trepas vas fléchir un Tartare,
Paffe fur mon tombeau dans les bras du barbare.
Je commence à fentir la mort avec horreur ,
Quand ma mort t'abandonne à cet ufurpateur....
Époufe le Tyran fous cet aufpice affreux ;
Tu ferviras de mère à ton Roi malheureux.
Règne , que ton Roi vive , & que ton époux meure.
Mais Menzicoff ne parle point de mourir.
Enfin Zamti & Idamé prennent le parti de
mourir enſemble , & c'eſt Idamé qui ouvre20
MERCURE
cet avis ; Arzénie , au contraite , fe défend f ..
foiblement d'obéir à Menzicoff , qu'on peut
dire qu'elle fe rend. On vient la chercher
pour la conduire à l'Autel . Béring , chargé
de ce trifte miniftère , le remplit à regret ,
il montre la douleur d'un homme vertueux ;
fa confternation , fon morne filence , lorfqu'Arzénie
l'interroge en tremblant fur le
fort de fon fils , annoncent des malheurs plus
affreux encore que ce mariage. Menzicoff
eul , certain de perdre Arzénie , incertain
de conferver fon fils , effrayé du filence
& des difcours de Béring.
D'où vient qu'à chaque met mes fens ont treffailli ?
D'affreux preffentimens tout mon coeur s'eft rempli...
Chère Arzénie.... Hélas ! lorfqu'elle m'a quitté ,
Il m'a femblé qu'en proie aux tourmens que j'endure,
J'étois abandonné de toute la Nature.
Cette idée eft belle , ce fentiment vrai &
cette fituation touchante.
Arzénie paroît un poignard à la main
avec l'air égaré. Le Tyran avoit égorgé le
fils au moment d'époufer la mère ; Arzénie ,
inftruite de cette horreur par Béring , en al- .
lant à l'Autel , faifit le poignard de Vode- ,
mart , au moment où , comme Poliphonte .
dans Mérope , il préfentoit à cette mère
éperdue une main teinte du fang de fon fils ,
elle lui perce le coeur , & fe tournant vers
* Poliphonte croit avoir fait périr Égyíthe.
DE FRANCE.
le Confeil de Tobolsk , affemblé
cérémonie ,
pour cette
J'ai frappé , lui dit-elle , un infâme aſſaſſin.
Dans le fang de mon fils il a trempé fa main ;
Il égorgeoit le fils en époufant la mère.
D'un complot facrilège il reçoit le ſalaire.
Magiftrats , prononcez mon arrêt , je l'attends.
Elle revient dans cette incertitude ; mais
bientôt Bering vient annoncer que le Confeil
s'eft déclaré pour elle , & qu'elle eft rendue,
-a Menzicoff. Celui ci n'ayant plus rien à
craindre pour Arzénie , donne fes regrets à
fon fils.
*
-
Quoi ! l'innocent périt , & fon coupable père......
Arzénie termine la Pièce par ce trait de
fentiment , maternel & conjugal à la fois :
Et quel autre que toi peut confoler fa mère ?
Si nous confidérons les caractères , celui
d'Arzénie eft le plus parfait , elle remplit
tous les devoirs avec une générofité refpectable
, & finit par un trait de vigueur diftingué
; mais Menzicoff & Alexan ont ce degré
d'imperfection , ce mêlange de vertus & de
foibleffes que les Anciens ont paru defirer
dans un perfonnage tragique ; ils ne font ni
entièrement innocens , ni entièrement coupables.
Tous deux ont des torts , mais ils ne
méritent pas leurs malheurs. Menzicoff
corrigé par la difgrâce , eft devenu un fage ;
un fage pourroit être un perfonnage un peu
22 MERCURE
froid pour la Tragédie ; les malheurs que
Menzicoff éprouve dans le cours de la Pièce ,
& la manière dont il les fent , le fauvent de
cet inconvénient. Alexan eft ardent , paſfionné
, fier , imprudent , c'eft un perfonnage
très dramatique. Mais Vodemar nous
paroît un perfonnage très- défectueux ; nous
ofons croire qu'un pareil monftre n'eſt pas
dans la Nature. La rage de haine & de vengeance
qui le possède a un trop léger fondement.
Quels font donc ces grands outrages
qu'il s'exagère fi fort & qui le rendent fi implacable
? Un Miniftre à qui fon crédit faifoit
ombrage , l'a fait exiler. Ce Miniftre eft exilé
lui- même , & tombe encore de plus haut.
Vodemar n'est-il pas vengé ? Mais ce Miniftre
a été fon rival , il a époufé la femme que
Vodemar aimoit ; ce feroit pour Vodemar
une raifon de le hair , fi lui-même aimoit
encore cette femme ; mais il ne l'aime plus ;
& s'il veut l'enlever à Menzicoff , ce n'eft
que pour priver celui-ci d'une confolation
néceffaire ; en un mot , les torte & les outrages
dont Vodemar ſe plaint , font trop
dans l'ordre commun pour inſpirer à d'autres
qu'à un monftre une vengeance hors de
l'ordre commun . Nous ne trouvons point
du tout que Vodemar ait le droit de dire :
Nul peut- être jamais ne fut plus outragé
Et Menzicoff a trop raifon de lui dire :
J'ai cru la politique & la néceffité .
DE FRANCE. -23
Mais ta baffe vengeance & ta férocité
Foulent un ennemi tombé dans la pouffière ;
Ta cruauté tranquille écrafe ma misère.
La vengeance d'Atrée , qui fit reculer d'horreur
le Soleil , eft confacrée par la Fable ;
d'ailleurs , la qualité de frère , l'inceſte mêlé
au, rapt dans le commerce de Thyefte &
d'Érope , mettent quelque proportion entre
l'outrage & la vengeance , & font d'Atrée
& de Thyefte deux frères ennemis , dont la
haine ne doit plus avoir de bornes. La vengeance
de Vodemar eft atroce , fans être ni
motivée ni confacrée , foit par la Fable , foit
par l'Hiftoire. Le trait affreux qui forme la
cataftrophe a , dit-on , des exemples dans
l'Hiftoire , mais ces exemples font peu connus
, peut- être peu avérés , ils font d'ailleurs
étrangers au fujet dont il s'agit ; & l'emploi
que l'Auteur en fait dans ce fujet , eft de ſa
part une fiction , mais cette fiction monftrueufe
manque de vraisemblance ; & c'eft
le cas de dire :
Le vrai peut quelquefois, n'être pas vraisemblable,
I
D'ailleurs , Vodemar nous paroît plus
atroce & plus coupable que le Gouverneur
ou le Magiftrat qui envoie au giber le mari
ou le frère de la femme qu'il a féduite en
lui promettant la grâce de cet homme. Ce
juge ou Gouverneur du moins , ne fait périr
qu'un coupable condamné ; au lieu que fi
Alexan eft coupable , c'eft Vodemar qui l'a
24 MERCURE
forcé de l'être en le réduifant au déleſpoir,
Le Gouverneur qui trompe une femme par
la promeffe de la grâce de fon mari ou de
fon frère, a un intérêt , celui de la féduire ;
Vodemar n'en a point d'autre que de défefpérer
Menzicoff & Arzénie. En vérité , cet
intérêt de vengeance eft trop inconcevable
& trop affreux.
La Pièce n'eft point morale , quoique le
Tyran foit puni ; car Alexan , qui n'a fait
qu'une faute , & qui l'a faite par un motif
honnête , périt auffi bien que Vodemar. Si
l'on dit que la Pièce a une double moralité ,
en ce que Menzicoff eft puni de l'abus de
fon pouvoir par un des malheureux qu'il a
faits , & que Vodemar eft puni de la mort
d'Alexan par la mère d'Alexan même ; nous
dirons que cette moralité eft démentie par le
malheur non mérité d'Arzénie ; mais nous
avouerons que fi la moralité eft un mérite
de plus dans les Pièces qui en font fufceptibles,
ce mérite n'eft point effentiel . Il n'eft
pas néceffaire que les Tragédies foient morales
, il fuffit qu'elles foient intéreffantes &
qu'elles faffent de l'effet ; & c'eſt une des
plus fottes chimères qui aient paffé dans la
tête des pédans , que d'avoir voulu trouver
de la moralité jufques dans les Pièces Grecques,
où la fatalité domine le plus manifeltement
, par exemple , dans le fujet d'Edipe.
Nous obferverons cependant que ce mérite
acceffoire de la moralité devient plus
néceflaire dans les Pièces dont le noeud
tient
DE FRANCE 25
tient plus aux perfonnes qu'aux chofes ,
parce que l'intérêt de ces Pièces eft toujours
moindre. Les Pièces où les Perfonnages inréreffans
font opprimés par un tyran , ne
font pas les plus touchantes , & femblent
avoir befoin de ce mérite de la moralité.
Les Pièces qui peuvent s'en paffer , & à qui
leur propre intérêt fuffit , font celles où le
noeud confifte dans un combat entre le devoir
& l'inclination , ou dans l'oppofition
des devoirs , ou dans le jeu naturel des paffions
; celles en un mot où le noeud eft
formé par la nature même des chofes plus
que par le caractère des Perfonnages ,
comme le Cid , Polyeucte , Bérénice , Inès ,
Zaïre , &c.
Les fuperftitieux demanderont peut-être
s'il étoit permis d'altérer par des fictions
un fujet fi récent & fi connu ; fi le Prince
Menzicoff, que plufieurs perfonnes encore
vivantes ont pu connoître , ayant toujours
vécu avec Arfénioff fa femme , on a pu fuppofer
qu'il l'avoit répudiée dans l'intention
d'époufer la veuve de fon Maître ; fi Arfénioff
étant morte dans la route près de
Cafan , on a pu la faire arriver en Sibérie
pour lui faire éprouver des malheurs chimériques
; s'il eft permis de fuppofer qu'Alexan
ou le jeune Menzicoff, qui revint de la
Sibérie & rentra en grace jufqu'à un certain
point , foit mort en Sibérie par la main d'un
Bourreau ou par la violence d'un Oppreffeur.
Nous avouons que nous fommes peu
Sam. 7 Juillet 1781 .
B
26 MERCURE
touchés de cette objection . Il s'agit dans une
Tragedie d'être tragique , & non pas d'être
Hiftorien fidèle.
Cette Pièce nous paroît une des plus fortement
écrites de l'Auteur, Il avoit à peindre
, comme M, de Voltaire dans Alzire , un
climat particulier & des moeurs propres à
ce climat , ce qui fourniffoit à la Poeſie.
Nous aurions pu remplir cet Extrait de
morceaux diftingués dans ce genre , fi nous
n'avions pas cherché à être courts : nous
nous contenterons d'indiquer les principaux,
Acte premier, Scène feconde. Portrait de
Charles XII , & tableau rapide de fes con
quêtes ,
Dans la même Scène , peinture des tra
vaux du Czar & du Prince Menzicoff.
Dans la même Scène encore , defcription
de la Sibérie , & portrait de Menzicoff corrigé
par le malheur,
Acte fecond, Scène cinquième. Belle réponſe
d'Arzénie à Vodemar , qui cherche
à l'irriter contre fon mari,
Acte troifième, Scène première. Tableau
du bonheur domeftique de Menzicoff,
tableau contraftant de fes projets ambitieux.
Acte quatrième, Scène troisième, Récit
d'Alexan , dont nous avons rapporté une
partie,
Acte cinquième , Scène fixième . Monologue
de Menzicoff & récit d'Arzénie , dont -
nous avons cité les principaux traits,
DE FRANCE. 27
Concluons que cette Pièce joint à de trèsgrandes
beautés des défauts qui ne font pas
médiocres .
VOYAGE Pittorefque de Naples & de
Sicile, Premier Volume in -folio. A Paris ,
chez M, Delafoffe , Graveur , rue du Carroufel.
LE Royaume de Naples , par la beauté
& la douceur de fon climat , par fes monumens
antiques & fes phénomènes , eſt ,
de toutes les parties de l'Italie , la plus digne
de l'attention , des recherches de l'obfervateur
& de l'homme de goût. Cette contrée
, toujours couverte d'un beau ciel , où
Bacchus & Cérès fe difputent à qui y répandra
plus de richeffes , ce jardin de l'Europe
enfin méritoit bien de trouver des Artiftes
pour le peindre , puifqu'il étoit le
féjour favori des Romains , qui favoient
goûter les plaifirs comme la gloire. Quel
tableau plus riant & plus terrible !
C'eft-là que la Nature en grand fe développe ,
Qu'arrête tout-à-coup , fur la cîme des monts ,
Le Peintre voit , s'enflamme & faifit fes crayons ,
Deffine ces lointains , ce bizarre mêlange
De vallons , de coteaux qu'enrichit la vendange ;
D'où la vigne rampant juſqu'aux rives des mers ,
Va faire à fes doux fruits boire les flots amers ;
Tous ces golfes , ces ports , ces flots parfemés d'Iſles,
Ces monts brûlans , changés en des côtes fertiles;
Bij
28 MERCURE
Des laves de ces monts encor tout menaçans ;
Sur des palais détruits d'autres palais uaiffans ;
Et dans ce longtourment de la terre & de l'onde ,
Un nouveau monde éclos des débris du vieux monde.
Que n'a-t- il parcouru ces lieux enchantés ,
le Poëte qui a reçu des Mufes un pinceau
que conduit toujours la main des grâces ! il
chanteroit peut - être la patrie de Virgile à
l'ombre de ce laurier qui ombrage le tombeau
de fon Maître. Mais puifque M. l'Abbé
de Lille n'a pas encore rapproché de nous ,
par la magie de fes talens , cette Ville ancienne
dont le nom eft celui d'une des Sirè
nes qui cherchèrent à féduire Ulyffe par le
charme de leurs voix , du moins livronsnous
au plaifir d'y fuivre , fur des plans
auffi exacts que curieux , des Voyageurs qui
l'ont étudiée avec beaucoup de foin & beaucoup
de goût . S'ils ne s'arrêtent pas long - tems
dans la capitale du monde, c'eft qu'ils craignent
de ne plus trouver de Romains à Rome.
Arrivés à Naples , ils vifitent l'Eglife Cathédrale
, parce qu'elle fut bâtie , vers 1280 ,
par un des plus fameux Architectes de fon
temps. Ils admirent la magnifique maifon
des Chartreux. Sa délicieufe pofition , fon
air falubre & fes richeffes leur inſpirent
même l'envie de l'habiter. Mais ils fe rappellent
qu'un étranger qui s'extafioit fur
toutes fes beautés , s'écriant à plufieurs reprifes
, quelle charmante demeure ! le Moine
qui le conduifoit répondit triftement :
DE FRANCE. 29
Tranfeuntibus. Enfin , rien n'échappe à l'oeil
attentif de ces connoiffeurs , ni Monumens ,
ni Eglifes , ni Palais.
Nous devons fuivre avec autant de fatisfaction
que de reconnoiffance leurs favantes
remarques fur la peinture ; quand nous faurons
apprécier les quatre fameufes écoles ,
celle de Raphaël , celle des Carraches , celle
du Titien , celle de Michel- Ange , il nous
fera permis de juger les Peintres Napolitains
, & notre premier hommage fera fans
doute pour Solimène , célèbre par la richeſſe
de fon imagination & la grande ordonnance
de fes compofitions , quoiqu'il n'ait pas le
mérite fi féducteur du coloris.
Puifque la même fenfibilité qui nous attache
& nous fait aimer les productions des
Arts , nous rend aufli précieufes celles des
excellens Poëtes , pourroit- on , fous le Ciel
qui a vu naître l'élégant & tendre Ovide ,
oublier que fa patrie fût encore celle du
Taffe Cet enfant du génie commença à
l'âge de vingt-deux ans la Jérufalem délivrée
, qui fut traduite dans toutes les Langues
de l'Europe , & même dans quelqués
Langues Orientales ; mais fa gloire fut l'époque
de fes malheurs. L'amour en fut ,
dit- on , l'origine ; & ce qui fait fuppofer
que l'objet de fa paffion étoit la Princeffe
d'Eft , c'est que cette foeur du Duc Alphonfe
montra dans plufieurs occafions une grande
fenfibilité fur fes difgraces , & que luimême
, en jurant de ne plus aimer , invo-
B iij
30 MERCURE
quoit toujours ce Dieu qui éleva júlqu'au
Ciel le beau Pafteur d'Ida , & fit defcendre
Dianefur la terre. D'ailleurs , il confia fon
fecret à un ami qui eut l'indignité de le
trahit . Défefpéré , il éclata en reproches
contre le traître , & le porta contre lui jufqu'à
une de ces infultes fletriffantes pour
lefquelles il faut se battre : * c'eſt un préjugé
populaire
Qu'un verfificateur
Entend l'art de rimer mieux que le point d'honneur.
Mais on renonceroit peut- être aux plaifanteries
rebattues fur ce ſujet , fi l'on fe
rappeloit que le Taffe , le Camoens
Don Alonzo d Ereilla , tous trois contemporains
, & , ce qu'il y a de plus fingulier
tous trois Poëtes épiques , fe fignalèrent également
par une valeur brillante . Le Taffe , en
allant au rendez - vous , croyoit n'avoir
affaire qu'à un feul homme ; mais à peine
le combat fut-il engagé , qu'il fe trouva en .
touré par trois frères de fon ennemi ... Le
péril augmente fon audace , il fait tête aux
quatre affaillans , ou plutôt aux quatre affaf-
* Voici la réponse que fait faire à Pharamond
le Spectateur Anglois par un Duellifte à qui ce
Prince reprochoit d'avoir contrevenu à fes ordres :
Comment m'y ferois-je foumis ? Tu ne punis que
de mort ceux qui les violent , & tu punis d'infamie
ceux qui y obéiffent. Appreads que je crains moins
la mort que le mépris.
DE FRANCE
t
fins ; déjà il en a bleffé deux , & peut-être
il alloit le défaire des deux autres , lorfque
des payfans accourus au bruit , firent ceffer
cet odieux combat. Dès-lors fa bravoure fut
renommée , & donna lieu à une eſpèce de
proverbe :
Colla penna e collaSpada
Neffimo val quanto torquato. »
Perfonne n'eft l'égal du Taffe , la plume
ou l'épée à la main.
Dans ce moment on lui prodigua les hon.
neurs & les careffes. Bientôt il perdit encore
fon repos & fa liberté. Mais que peut l'en
vie contre un grand homme ?
L'envie eft fur la terre , & fon front eft aux cieux.
Le Royaume de Naples peut fe flatter encore
d'avoir produit le Cavaliere Marini .
Son Poëme de l'Adone , malgré l'agrément
de fon ftyle , cette grace , certe naïveté
d'expreffions qui lui eft propre , fatigue par
une inépuiſable variété d'objets & de def
criptions.
邐
Mais c'eft fur tout par la Mufique que
Naples cft justement fameufe. L'Europe lui
doit les plus grands Maîtres , & M. Piccini
eft leur Élève. Quand la nature , fans doute
pour charmer nos peines , nous préparoit
de loin ces Peintres harmonieux , comment
l'Art , jaloux de l'imiter , a-t-il pu imaginer
qu'en élaguant un homme , il lui feroitpouffer
des fons? Nous rougiffons d'y penfer : & qui
Biv
32
MERCURE
,
oferoit pourtant fe plaindre du vol fait à
l'efpèce humaine , s'il fe rappelle d'avoir
entendu la voix de Cafarielli ? encore
s'il avoit raifon ce Philofophe fenfible
qui prétend que les Caftrati chantant fans
chaleur & fans paffion , font fur le Théâtre
les plus mauffades Acteurs du monde. Mais
une Anecdote moderne affoiblit la vérité de
fa remarque. « Senefino & Favinelli étoient
tous deux engagés à différens Théâtres de
Londres ; ils chantoient les mêmes jours , &
n'avoient pas occafion de s'entendre. Cependant
, par une de ces révolutions théâtrales
toujours inattendues , quoiqu'elles arrivent
fréquemment , ils fe trouvèrent un jour réunis.
Sencfino avoit à représenter un Yvan
furieux , & Savinelli , un Héros malheureux
& dans les fers. Mais pendant fon premier
air , il amollit fi bien le coeur endurci de
ce Tyran farouche , que Senefino oublian
le caractère de fon rôle , courut dans les
bras de Savinelli , & l'embraffa de tout fon
coeur. Malgré cette preuve d'un talent qui
nous affure des plaifirs , nous ne pouvons
que former des voeux pour l'abolition d'un
ufage barbare que profcrivent l'humanité
l'Eglife & les Loix.
»
Naples préfente encore à nos Voyageurs
une fingularité plus effrayante , & qui défole
plus l'humanité : c'eft le Véfuve dans tous
fes afpects. " L'ordre le plus naturel , difentils
, nous prefcrivoit de donner une defcription
du Véfuve avant d'en faire l'hiftoire ;
DE FRANCE
31
& nous ne nous en ferions pas écartés , s'il
étoit poffible de décrire un objet foumis fans
ceffe à des changemens nouveaux : mais
quel moment , quelle époque choisir pour
peindre un volcan , & un volcan toujours en
activité ? Chacun de ces tableaux ceffera ,
pour ainsi dire , d'être exact à l'inftant même
où il fera fini . Il faudroit donc le fuivre
dans toutes les viciffitudes , & marquer
avec foin ou chaque accroiffement , ou
chaque diminution, » Quoi qu'il en foit ,
leur plume & leur burin nous donnent
l'idée la plus jufte d'un des plus étonnans
fpectacles de la nature. Mais détournons
nos yeux de ce mont terrible pour
les repofer fur la retraite du celèbre Solimène
, fituée à très - peu de diſtance du Véfuve.
«Avec quel charme ne fe promènet-
on pas parmi les ruines des maifons de
campagne de Cicéron ! Avec quel fouvenir
intéreflant n'ira-t on pas à Ferney , ou bien
dans cette ifle charmante des jardins d'Ermenonville
! » L'afyle de l'homme de génie
eft facré pour la postérité.
Nous connoiffons Naples , & nous n'avons
pas encore parlé de fes ufages , de ſes moeurs ,
de fes coftumes , & fur - tout de la fameufe
fédition de Mazaniello , Roi pendant huit
jours , infenfe pendant quatre , maffacré
comme un Tyran , révéré comme le Libérateur
de la Patrie , & prefque comme un
Saint. Cet homme de la plus baffe extraction ,
alliant à un caractère féroce une ame témé
Bv
34
MERCURE
raire & hardie , entreprit de faire abolir les
impofitions mifes fur les fruits & les légumes.
Il fe met à la tête d'une troupe de mécontens
: A
1. « Lejour qu'ils s'affemblèrent , en paſſant
devant le Palais du Vice- Roi , ils virent aux
fenêtres & aux balcons quantité de perfonnes
de qualité qui s'y étoient placées pour
les voir defiler. Mazaniello fit un ſignal , &
dans l'inftant tous ces jeunes gens delièrent
de concert les cordons de leurs caleçons , &
levant leurs chemifes , montrèrent tous leur
derrière aux fpectateurs , en accompagnant
cette action indécente de cris & de huées
qui forcèrent tout le monde à fe retirer. »
Il nous feroit aufli agréable que facile
d'entrer dans quelques details piquans fur
'Hiftoire du Royaume de Naples & de Sicile
; mais nous en fommes difpenfés par
l'Ouvrage même que nous annonçons. Il fera
lu fans doute par tous ceux qui , jaloux de
connoiffances , fe plaifent à encourager les
talens. Tout le monde connoît déjà les
cent vingt - huit eftampes de ce voyage ,
fur lesquelles les Artiftes les plus diftingués
ont rendu des fites , des vues & des tableaux
du caractère le plus neuf. Il n'étoit permis
que d'en defirer le texte . Nous en jouiffons ,
& il eft écrit avec autant d'efprit que de
goût. Il nous manque encore la feconde
Partie , que nous attendons avec la plus vive
impatience.
DE FRANCE. 35
NOUVELLE TOPOGRAPHIE , ou Defcrip
tion détaillée de la France , divifée par
carrés uniformes , &c. propofee par Soufcription
, & dirigee par M. Robert de
Heffeln , Cenfeur Royal.
Nous avons donné une notice de cet
Ouvrage dans le Mercure du 24 Juin de
l'année dernière ; mais l'Auteur en a développé
lui- même le plan d'une manière plus
étendue , dans fa réponſe à la Lettre que
M. le Chevalier de C. , Capitaine en Premier
au Corps - Royal du Génie , lui a adreffée
par la voie du Mercure du 29 Juillet fuivant.
Cette réponse eft inférée dans celui du
26 Octobre de la même année , page 18 .
>
La Carte de la Région Nord- Ouest, que nous
annonçons aujourd hui , eft une des neuf qui
préfentent le premier degré de développement
des détails de la fuperficie du Royaume
fur une échelle invariable de 648 toiles par
ligne , attendu que la grandeur de ces neuf
Cartes eft , comme celle de la Carte générale
, de vingt pouces trois lignes en tout
fens , tandis que d'un autre côté leur contenance
eft déterminée à 6481 bans ou petites
lieues carrées , chaque lieue ayant 1944 toifes
de longueur . Par ce moyen , on ne prononcéra
jamais une Carte de Région , qu'on
ne fe rappelle fon échelle & fa contenance ,
puifque l'une & l'autre font déterminées pour
toujours. D'ailleurs , comme l'échelle des
B vj
36 MERCURE
Cartes de la Nouvelle Topographie embraffe
toute leur étendue , tout Lecteur
pourra juger , par le feul regard & fans
compas , non-feulement des diſtances , mais
encore des fuperficies , avec une telle précifion
qu'il feroit lui -même en état de reconnoître
& de corriger les erreurs s'il y en
avoit , avantage qui ne fe rencontre pas
dans les méthodes ordinaires.
Des neuf Contrées qui forment les divifions
majeures de la Région Nord- Ouest ,
quatre feulement renferment des Terres du
Domaine de France , les cinq autres étant
occupées en entier par la Manche & une
partie des Côtes Méridionales de l'Angleterre.
Celle du centre contient les Illes de
Jerfey & Gréneley , qui , quoique fort proches
des côtes de France , font aujourd'hui
du Domaine d'Angleterre.
La Contrée du Sud- Oueft de cette Carte
contient l'Évêché de Saint - Pol tout entier ,
& la majeure partie de celui de Quimper ,
avec une portion de celui de Tréguier. La
Contrée du Sud contient le refte de cet Évêché
& de celui de Quimper , avec l'Évêché de
Saint Brieux tout entier , & une portion de
celui de Vannes. La Contrée du Sud- Eft contient
ceux de Dôl & d'Avranche tout entiers,
près de la moitié de celui de Rennes , &
une portion de celui de Vannes & de Coutance.
La Contrée de l'Eft contient le refte
de l'Évêché de Coutance & une portion de
celui de Bayeux.
DE FRANCE. 37
Le Difcours qui accompagne cette Carte ,
préfente un Abrégé des détails Geographiques
, Hiftoriques & Politiques de ces pays.
Il eſt aufli clair & auffi méthodique que
le précis qui accompagne la Carte générale.
Cette Carte nous paroît d'ailleurs aufli nette
& auffi bien gravée que la première.
Nous publierons inceffamment la notice
de la troisième Carte , qui eft celle de l'Ouest ,
& dont la préfentation à Leurs Majeſtes &
à la Famille Royale vient d'être annoncée
dans la Gazette de France.
Les Soufcripteurs qui n'ont pas encore
réçu ces deux Cartes , pourront les envoyer
retirer chez l'Auteur , rue du Jardinet , visà-
vis celle du Paon. Elles font du prix de
3 liv. 12 fols pour les perfonnes qui n'ont
pas foufcrit.
On fe rappellera que le prix de la Soulcription
eft de 160 liv. pour l'Atlas complet
des 64 premières Cartes , accompagnées de
leur Difcours , mais qu'on en peut reftreindre
l'avance à 25 liv. pour les dix premières
Cartes qui forment deux touts féparés des
54 Cartes de Contrées.
38 MERCURE
LETTRES de M. de Voltaire à M. l'Abbé
Mouffinot , fon Tréforier , écrites depuis
1736 jusqu'en 1742 , pendantſa retraite à
Cirey , chez Mde la Marquife du Châtelet ,
dans lesquelles on voit quelques détails de
fa fortune , de fes bienfaits ; quelles furent
alors fes études, fes querelles avec Def
fontaines , &c. publiées par M. l'Abbé
D *** . Vol. in- 8 ° . A la Haye , & fe trouve
à Paris , chez Moutard , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins , 1781 .
ON a demandé pourquoi l'on avoit imprimé
ces Lettres. C'eft une question qu'on
pourroit faire fur beaucoup de Livres , & à
laquelle bien des Éditeurs , & même des Auteurs
feroient embarraffés de répondre. Içi
la réponſe n'eft pas difficile.
On a imprimé ces Lettres , parce que M.
de Voltaire étoit un grand Homme , & que
ce grand Homme a été calomnié pendant fa
vie avec fureur , & baffement outragé après
fa mort. On s'intéreffe aux détails de la vie
d'un grand Homme ; & lorfqu'il a été calomnié
, la feule apologie digne de lui eft
de le montrer tel qu'il a été.
Il eft doux de voir que le Philofophe qui
a foixante ans défendu la caufe de l'humanité
, n'a laiffé échapper aucune occafion de
la fecourir ou de la confoler. A Ferney la
vie de M. de Voltaire étoit publique , l'Europe
avoit les yeux fur lui ; & parce que
DE FRANCE. 39
fon nom donnoit de l'éclat à fes bonnes acrions
, on a cru , & fur tout on a fait femblant
de croire qu'elles avoient l'oftentation
pour principe. A Cirey , il vivoit dans la
retraite , & on voit que fa vie a été la même.
Il étoit occupé du foin de fa fortune ,
parce qu'il vouloit être indépendant pour
avoir le droit de dire la vérité ; mais il ne
fongeoit point à tirer parti de fes Ouvrages :
c'étoit pour la gloire qu'il écrivoit , ou pour
fatisfaire fon zèle pour l'humanité. Il mande
à l'Abbé Mouffinót de céder un manuſcrit
à un Libraire pour cinquante louis. Cet
argent , ajoute- t'il , fera pour quelque bonne
oeuvre. Je m'en tiens à mon lot , qui eft un peu
de gloire & quelques coups defifflets.
Quid mihi fortuna , fi non conceditur uti ,
dit - il ailleurs , & uti , c'eft faire du bien à
chacun fuivant notre petit pouvoir.
M. de Voltaire a fait fouvent des ingrats ;
on voit dans fes Lettres qu'il fentoit vivement
l'ingratitude , mais qu'il n'avoit pas de
peine à pardonner , & qu'il étoit facile de
le défarmer.
Ces mêmes Lettres prouvent combien la
grace , la gaieté , la facilité , la clarté du
ftyle étoient naturelles à M. de Voltaire.
Il plaifante & fur la négligence de fes débiteurs
, qui ne le payent point , & fur les
banqueroutes qu'il effuie. Ce qui montre
que lorfque dans la fuite , il a mêlé des
plaifanteries à des difcuffions férieufes , ce
n'étoit point par indifférence , mais parce
40 MERCURE
qu'avant plus que perfonne peut-être la facilité
de faifir à la fois tous les rapports.
des objets , il étoit frappé du côté plaifant
qu'ils offroient , quelque vivement qu'il en
fût d'ailleurs affecté.
On ne peut s'empêcher de lui pardonner
ces plaifanteries qui lui ont été reprochées
avec tant d'amertume , fi on fonge que de
toutes celles qui ont été faites fur les Tragé
dies , les meilleures font celles qu'il a faites
lui-même.
On voit encore dans ces Lettres la paffion
qu'il avoit alors pour les Sciences , & furtout
pour celles qui font d'une utilité immédiate.
Ce goût qu'il avoit pris dans fon premier
voyage d'Angleterre ne l'a jamais quitté.
L'éducation , fon fiécle , avoient tourné fon
génie du côté des Beaux- Arts , avoient allumé
en lui l'amour de la gloire ; la nature l'avoit
fait naître pour la vérité , pour la paffion
du bien public. Ce contrafte a été fenfible
pendant toute la vie. A quatre-vingt-quatre
ans , il paffoit des nuits à corriger la Tragédie
d'Irène ; & lorfque le moment de l'enthoufiafme
étoit paffé , ne me trouvez- vous
pas bien enfant , diſoit-il à ſes amis ? Ce vers
J'ai fait un peu de bien , c'eft mon meilleur ouvrage.
eft l'expreffion naïve de ce qu'il fentoit dans
les momens de calme où fon coeur & fa rai
fon lui parloient feuls .
Si ce Recueil n'avoit eu que le mérite
d'intéreffer les amis , les admirateurs de
DE FRANCE.
41
·
M. de Voltaire , on devroit encore pardonner
à M. l'Abbé D *** de l'avoir publié.
Mais il paroît qu'il a eu l'avantage d'avoir
irrité les ennemis déclarés ou cachés de ce
grand homme ; & dès lors on ne peut
qu'approuver l'Editeur . Si cet Ouvrage avoit
pu diminuer la gloire de M. de Voltaire ,
ils auroient mis moins d'humeur dans leurs
graves cenfures. Ils ne veulent point permettre
à l'amitié de publier des Lettres trop
peu intéreffantes , difent - ils , & ils ont
applaudi à la haine , lorfque, outrageant la
foi publique , elle a imprimé , du vivant
de M. de Voltaire , des Lettres furpriſes dont
la publication pouvoit l'affliger ou le compromettre.
Ce Recueil de Lettres eft dédié à M. le
Comte d'Argental , qui a été foixante ans
l'ami de M. de Voltaire. Certe amitié fi durable
, fi conftante , fi inaltérable , feroit une
apologie fuffifante de M. de Voltaire , s'il
pouvoit en avoir befoin.
Four les coeurs corrompus l'amitié n'eſt point faite.
Et cela eft vrai , fur - tout des longues
amitiés.
42 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
OBSERVATIONS fur les moyens de raffurer
le Public en cas de l'événement du
feupendant le fpectacle , par M. Patte ,
Architecte du Duc régnant de Deux-
Ponts.
EN voyant les fréquens incendies auxquels les
Théâtres font exposés , il n'y a fûrement perfonne
qui ne doive defirer que l'on trouvât quelque
expédient capable d'y obvier , ou du moins d'empêcher
le Public d'en devenir la victime en cas
d'événement pendant le fpectacle . Le vrai moyen
d'y réuftir feroit fans contredit de s'attacher à fupprimer
le bois de la conftruction de ces fortes d'édi◄
fices, ainfi qu'on en a déjà fait quelques effais en
Italic . Le Théâtre de Florence , dit la Pergola , &
celui de Boulogne, ayant été incendiés il y a environ
vingt ans , ont été rebâtis l'un & l'autre fans charpente
ni menuiferie. Les loges , les corridors ,
l'avant - ſcène , ainfi que les efcaliers , ont été exécutés
partie en pierre , partie en brique , & tous les
planchers cu plafonds ont été généralement voûtés.
Ces édifices ne font pas de peu d'étendue , comme
on pourroit l'imaginer. La falle de Boulogne furtout
eft très-fpacieufe ; elle contient dans fon parquet
ou parterre huit cent perfonnes affifes , & eft
décorée de cinq rangs de loges élevés à - plomb l'un
au-deffus de l'autre. Les loges des deux premiers
font cintrées en élévation par le haut ; celles du
troifième & quatrième font fermées en plate- bande ,
DE FRANCE. 43
& celles du cinquième forment des lunettes dans la
voûte en anfe de panier qui tient lieu de plafond :
mais ces conftructions, quelque favorables qu'elles
foient à la fûreté publique , ne font rien moins qu'avantageufes
aux fpectacles. La pierre & la brique
n'ont ni l'élafticité ni la propriété du bois pour faire
valoir les inftrumens , pour répéter les fons avec
mélodie , pour rendre la voix plus fonore , plus harmonieuſe.
Auffi obferve-t-on que les deux Salles en
queftion font fourdes , que leurs voûtes plafonnées
produisent des espèces de redondances préjudiciables
à la netteté du ſon , que les voix en général y paroiffent
maigres , fans agrément , & ne reçoivent
pas à beaucoup près de leur réaction contre les entours
en pierre ou en brique , autant de force que
l'on en obtient communément de la grande conftruction
en bois. C'eft pourquoi les Architectes qui
ont bâti depuis des Salles de Comédie ou d'Opéra ,
n'ont point été tentés de les prendre pour modèles ,
& l'on paroît maintenant d'accord fur la néceffité
de fe fervir de matières fonores & élastiques dans
leur exécution.
}
Cependant je crois que , fans préjudicier aux avantages
que les Théâtres obtiennent des conftructions
en charpente & en menuiferie, il feroit plus aifé
qu'on ne penfe de les exécuter de manière à raffurer
le Public contre le danger du feu pendant le fpectacle.
Il ne s'agiroit pour cela que de voûter ea
brique tous les corridors , ce qui feroit facile en
adoffant directement aux loges un bon mur de ma
çonnerie à la place des cloifons de charpente qui
font d'ufage, fauf à lambriffer en menuiſerie ce mur
en- dedans de la Salle s'il le falloit. Alors fi l'accident
du feu furvenoit , chacun fe trouveroit hors de
danger dès la fortie de fa loge * : on auroit derrière
*
Bien entendu qu'on n'y feroit plus renfermé à l'or44
MERCURE
foi une retraite fûre dans les corridors , d'où l'on
pourroit enfuite, fans confufion, gagner les efcaliers ,
qui devroient , par les mêmes raifons que ci-devant ,
étre toujours bâtis en pierre . Ce que je propose au
furplus n'eft pas nouveau , & fe trouve exécuté avec
applaudiffement au Théâtre Royal de Turin & à
celui de Saint- Charles à Naples .
Quant au Parterre , il n'y auroit qu'à diftribuer de
part & d'autre des galeries où il fût aifé de
déboucher par de nombreuſes iffues , pour lors cet
endroit fi fréquenté feroit auffi évacué au beſoin
très- promptement ; & de toutes ces précautions
réunies , il réfulteroit qu'on feroit délivré de toute
inquiétude perfonnelle à l'égard du feu pendant le
fpectacle.
Il y auroit encore une réforme à defirer , felon
moi , dans la manière d'éclairer la Scène , laquelle
contribueroit beaucoup à diminuer les occafions du
feu. La plupart de ceux qui fréquentent les Spectacles,
ont pu remarquer combien le mélange des portans
de lumières avec les chaffis de décorations &
les toiles fufpendues en l'air pour former les ciels eft
fujet à inconvéniens , tant à caufe du voifinage de
ces matières combuftibles, que de leur mobilité prefque
continuelle. Auffi fe paffe-t- il peu de femaines
fans qu'il arrive quelques brûlures particulières à des
parties de décorations , accidens que l'on regarde
comme de peu de conféquence , & auxquels en redinaire
, comme en chartre privée , par les Ouvreufes de
loges , & qu'il feroit libre à tout moment d'en fortir , &
de les ouvrir par dedans à volonté.
* Il y a bien quelques Salles où l'on remarque de femblables
galeries , & il y en avoit à notre Opéra ; mais
comme elles ne font pas de plain pied avec le Parterre, rarement
ont-elles enfemble des communications , & ces gale
ries ne fervent d'ordinaite qu'à faciliter l'entrée à couvert
dans le Spectacle.
DE FRANCE. 45
médie à la vérité aifément à l'aide de groffes éponges
imbibées d'eau attachées à de longs bâtons ; mais
pourquoi faire dépendre fans ceffe auffi légèrement
la fûreté publique de la négligence ou de la maladreffe
d'un ouvrier ; & pourquoi ne s'attacheroit-on
pas, fi cela fe peut , à prévenir ces petits événemens
prefque journaliers, en éloignant des décorations les
portans de lumières ? Depuis le grand ufage des réverbères
, qui ont le double avantage d'augmenter
le volume de la lumière , & de pouvoir la diriger au
loin à volonté , il eft étonnant-qu'on ait négligé de
les employer à éclairer la Scène des Théâtres : il ne
faudroit pour cela que placer ces réverbères de droite
& de gauche fur les murs du fond des couliffes
d'où , à l'aide d'un chaffis vertical porté fur pivot ,
on réuffiroit à frapper de leur lumière les décorations
& les endroits de la Scène que l'on jugeroit à
propos , non-feulement fans aucun rifque , mais encore
de façon à opérer au befoin des effets piqnans
& bien plus intéreſſans que ceux qui résultent de la
manière monotone avec laquelle on a coutume d'illuminer
les Théâtres .
J'espère que ces Obfervations ne fauroient , furtout
dans les circonstances actuelles , manquer de
mériter l'attention de ceux qui penfent qu'on ne
peut trop apporter de prévoyance dans tout ce qui
intéreffe la fûreté publique.
PATTE , Architecte du Duc
régnant de Deux-Ponts.
"
46
MERCURE
GRAVURES.
LA feinte Résistance , Eftampe gravée d'après
-
le deffin peint à gouache par M. Haet , Peintre du
Roi. Prix , livre 4 fols . Le Serpent fous les
fleurs , faifant pendant à cette première , gravée
d'après le deffin de M. Huet. Prix , 1 livre 4 fols.
A Paris , chez Hemery , Graveur , rue S. Jacques ,
entre la Place de Cambrai & le College du Pleffis ,
maifon d'un Tapiffier . Ces deux Eftampes font gravées
avec foin par les fieurs Patas & Godefroy ,
dont les talens font connus & eftimés .
liv.
Antiquités d'Herculanum , troiſième Cahier , contenant
douze Planches. Prix , 6 liv. in- 8 ° . &
in-4° . franc de port partout le Royaume où il y a
Bureau de Pofte. A Paris , chez David , Graveur ,
rue des Noyers.
Note des Éditeurs de cette Collection.
L'accueil que le Public a fait aux deux premiers
Cahiers de cet Ouvrage, nous a engagés à redoubler
de zèle & de foin pour mériter de plus en plus fon
fuffrage : nous avertiffons MM. les Soufcripteurs
qu'à cette troisième Livraiſon ayant employé pour
la partie typographique un papier plus analogue à
celui des gravures , ils recevront à la fin du premier
Volume les deux premiers Cahiers imprimés fur le
même papier , avec les fautes corrigées.
DE FRANCE.
47
ANNONCES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE Phyfique & Médicinal , montrant des
rapports évidens entre les phénomènes de la Baguette
Divinatoire , du Magnétifme & de l'Électricité,
avec des Eclairciffemens fur d'autres objets nor
moins importans qui y font relatifs , par M. T...
D. M. M. in -8 ° .-A Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguftins. On trouve à
la même adreffe , 1º . un Mémoire chimique &
médicinalfur la nature , les ufages & les effets de
Pair & des airs , des alimens & des médicamens
Ouvrage qui a remporté le prix double de l'Acadé
mie de Touloufe en 1778 , par M. Thouvenel ,
Docteur en Médecine , Volume in-4 ° . 2 ° . Un autre
Mémoire chimique & médicinalfur le mécanisme &
les produits dela fanguification , qui a remporté le
prix de l'Académie de Pétersbourg en 1776 , par le
même Auteur. 3 ° . Un Mémoire chimique & médicinalfur
les principes & les vertus des eaux minérales
de Contrexville en Lorraine , par le même.
Hiftoire Univerfelle , nouvellement traduite de
l'Anglois par une Société de Gens de Lettres , in- 8º,
Tome XXVIII. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins.
Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque , Romans
du feizième fiècle , N°. S. A Paris , chez le
même Libraire.
-
L'Ambigu Comique , ou le Remède à l'Ennui,
Prix , 1 livre 16 fok . Anacréon en belle humeur ,
ou le plusjoli Chanfonnier François. Prix , 1 livre
Almanach du bon François. Prix , fols. -
48
MERCURE
--- I livre 16 fols. Domino , ou Jeu de Cartes
pour la poche. Prix , 1 livre 16 fols . A Paris , chez
Defnos , Libraire , rue S. Jacques . On trouve à la
même adreffe huit cent Ouvrages de même espèce à
un quart de remife fur le prix du catalogue.
Recherches fur les Végétaux nourriffans qui, dans
les temps de difette , peuvent remplacer les alimens
ordinaires , avec de nouvelles Obfervations fur la
culture des pommes de terre par M. Parm entier ,
Volume in - 8° . A Paris , chez Didot le jeun e , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguſtins .
Hiftoire des Maladies épidémiques qui ont régn
dans la Province de Dauphiné depuis l'année 177 5,
par M. Nicolas , Docteur en Médecine , Volume in-
8. Prix , 1 livre 4 fols. A Paris , chez le même
Libraire.
V
Sulpice ,
TABL E.
ERS à M. le Curé de S. Lettres de M. de Voltaire à
3 M. l'Abbé Morfinot), 38
Obfervations fur les moyens de
raffurer le Public en cas de
l'événement du feu pendant
le Spectacle ,
Ie Ballet des Dindonneaux ,
Conte ,
Enigme & Logogryphe ,
Menzicoff, Tragédie,
4
9
10 42
46
27 Annonces Littéraires , 47
351
Voyage Pittorefque de Naples Gravures ,
& de Sicile ,
Nouvelle Topographie,
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 7 Juillet. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 6 Juillet 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 14 JUILLET 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A MON AMI.
AMITIÉ, doux foyer où notre coeur s'épure ,
O flambeau prefque éteint qu'alluma la Nature ,
Quel pouvoir ont tes feux ! ils enflamment mes feas !
C'eft de toi que je veux recevoir des préfens ;
Ta main les embellit , c'eft ton coeur qui les donne ;
D'un faux éclat jamais l'orgueil ne t'environne.
Si Plutus peut fixer les aîles de l'Amour ,
Toi , fans un vil métal , tu t'accrois chaque jour ,
Et tu taris les pleurs que la douleur m'arrache ;
De ton oeil pénétrant jamais je ne me cache ,
Sûr que mes paffions , d'un Ami bienfaiteur ,
Pour moi ne feront pas un rigide cenfeur.
AмI , fi je prétends aux dons de la fortune ,
Tu m'épargues les foins d'une brigue importune ;
Sam. 14 Juillet 1781 .
C
$
50
MERCURE
Si je veux de Bacchus refpirer la gaîté ,
To me fers d'Échanfon , ta bois à ma fante
De prévenir mes goûts tu te fais une étude ,
Et je te vois chagrin de mon inquiétude ;
Heureux de mon bonheur , ton plaifir le plus doux ,
Quand la douleur m'accable , eſt d'affoiblir les coups.
Et cependant , cruel.... Il part , il me délaiffe:
Le départ d'un Ami commande la trifteffe.
Quoi ! le fort , envieux de mes plus do ux plaiſirs,
Pendant deux jours entiers t'enlève à mes defirs !
Je crois encor te voir , dans mes bras je te preſſe ,
Un fonge qui te peint entretient mon ivreffe.
Mais , hélas ! mon réveil en devient plus affreux ;
Les lieux où je te vis attendriffent mes yeux ;
Mes pleurs , mes triftes pleurs coulent fur la fougère
Ou tu goûtois le foir un repos néceffaire ;
Ces forêts , fi long- temps témoin de mon bonheur ,
De mes ennuis mortels femblent croître l'horreur.
Vous , qui de l'amitié méconnoiffez les charmes
Et qui défapprouvez ma tendreffe & mes larmes,
Sachez que fon flambeau dans les coeurs vertueux
Ardent coinme l'Amour , porte les mêmes feux .
En vain , pour diffiper la douleur qui m'obsède ,
Je crois que la lecture en fera le remèdes
Vingt fois je prends un livre & vingt fois de mes mains
Il s'échappe & me rend à mes premiers chagrins.¸
Young , le feul Young par fa fombre éloquence
Me plaît, en augmentant les ennuis de l'abſence,
DE
st
FRANCE
$
Iz eft paffé ce temps où , pour tromper la nuit
Que l'hiver à fa fuite en defpote conduit ,
Nos loisirs confacrés aux filles de Mémoire
Ajoutoient au plaifir , ajoutoient à la gloire.
Dédaignant un Auteur dont les triftes travaug
Par la louange même endorment les Héros ,
Nous parcourions ces vers , délices de nos Belles,
Qu'inſpira le defir & qu'Amour fit pour elles ;
Bernard , dans l'Art d'Aimer , digne rival d'Ovide ,
Ézoit tout-à-la-fois & non maître & mon guide ;
Attendri Greffet fur tes fâcheux revers ,
par
Ververt , je te fuivois au parloir de Nevers;
Pour avoir un Ouvrage, en traits brillans fertile ;
Nous prenions tour-à - tour & Virgile & Delille ;
Aimant avec Pétrarque & Laure & fes rigueurs,
Les malheurs de l'Amour faifoient couler nos pleurs ;
De Geffner , de Berquin la plume fimple & pure
A nos yeux d'un feul trait retraçoit la Nature ;
Conteur inimitable , Apôtre du plaifir ,
La Fontaine enſeignoit l'art heureux de jouir ;
Philofophe léger , moraliſte agréable ,
Voltaire , en le raillant , charme un fexe adorable ;
Ses Écrits que l'Amour de fon aile effleura ,
Charmans comine le Dieu qui toujours l'inſpira
Soat infcrits par l'Amour aux faftes de Cythère :
Que le temps paroît court en feuillerant Voltaire!
Cij
52 MERCURE
D'UN bonheur qui n'eft plus pourquoi m'entretenir ?
Cet Ami confolaut tarde trop à venir, ....
Si c'étoit lui .... Je vois mon chien qui , plein de joie ,
Va, court , faute , revient , l'annonce , crie , aboię.
Tout nie dit qu'il ſe rend à mes preffans defirs.
Mon Ami ! je penfois à nos anciens plaifirs ,
Ma plume les traçoir ; mais quittons le Parnaſſe ,
Je vole dans tes bras , je te ferre & t'embraſſe.
(Par M. Santerre de Magny, âgéde 17 ans. )
།
STANCES adreſſées à M, DE LÄRIVE.
VAINQUEUR de la nature, après trente ans de veilles,
Le Kain fe vit fameux ;
Par fes divins accens il charmoit nos oreilles
Et fafcinóit nos yeux.
8. .3.
MAIS ton fort , ô Larive ! en marchant fur les traces ,
A bien plus de douceurs,
Sans un pénible effort le favori des Grâces
Eft le maître des coeurs . ཨན་ སྟེ་ ཆུ་
Oui , de tes nobles traits la beauté gracieuſe "
Captive tous les fens ;
Et du Dieu des combats ta voix majeftucuſe
Imite les accens,
Au tombeau de le Kain Melpomène arrachée
Par tes brillans fuccès ,
A af
K
DE
13
FRANCE.
Arepris pour toi feul fa couronne attachée
A de triftes Cyprès .
i
APPRENDS - MOI , s'il le peut , par quel preftige
aimable ,
Dans tes tranfports brûlans ,
Tu montres tour-à -tour un front fi redoutable
Ou des traits fi touchaus.
C'EST ainfi que Milton de l'Ange des ténèbres
, Peint le féjour affreux ,
Et changeant tout-à-coup des accens fi funèbres ,
porte dans les cieux. Nous
(Par M. Lamontagne aîné. ) ›
LE COUCOU ET L'ALOUETTE ,
Fable imitée de l'Allemand de M. Hagedorn
L'ALOUETTE
· ' ALOUETTE au Coucou tint un jour ce langage :
Ami , dis- moi pourquoi parcourant l'Univers
La Cicogne , après maint voyage
Parmi tant de climats divers ,
j
N'en fait pas plus que nous ? -Il n'eft pas difficile ,
Répondit le Coucou , d'en favoir la railon..
Un for voyage en vain , & change d'horifon ,
Il n'en revient pas plus habile.
( Par M. le Chevalier de la Croix Labergne. )
C iij
54 MERCURE
ÉPIGRAMME.
CIRTAIN RimeD
ERTAIN Rimeur, connu par maint & maint affront,
En lifant mes Ecrits les tronque & les altère.
Pour me venger de lui je ferai le contraire ;
Je lirai les fiens tels qu'ils font.
Par M. L***** . )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
adu Mercure précédent.
* 285 700
LA répoufe à la question Énigmatique eſt
Vieillir; le mot du Logogryphe eft Janvier,
où fe trouvent an , vie , vrai , vin , ivre ,
Jean , rien , Eu , Vire , aire , navire , rayin
rave , nue , rive , Juin , air , eau , Jan , ré,
ver, tue , jeu , âne, ire.
ENIGM E.
UTILE à la fois & nuifible ,
L'on me recherche & l'on me fuit.
Malheur à quiconque m'aigritudo A
S'il eft un tant foit peu fenfible!
Je fers très-fouvent à cacher
pagaststar Les riches tréfors des Bergères
Et je punis les téméraires
Qui parviennent à m'arracher!
oy
( Par Mlle Gillier , d'Ervy-le- Châtel. )
DE FRANCE
SS
LOGOGRYPHE.
SANS être dans le Ciel , je ne fuis point fur Terre ;
J'offre à Paris fur-tout un fecours falutaire.....
Je meurs tous les matins , tous les foirs je renais ;
Cependant , fi l'on veut , je ne mourrai jamais
Il faut , pour cet effet , atrofer mes entrailles
D'une douce liqueur qui m'arrache à la mort.
Je fuis environné de fifoibles murailles ,
Que ton oeil à travers peut percer fans effort.
Je n'ai nï cou, ni bras , ni tête ; en récompenſe
J'ai tantôt deux , tantôt trois & tantôt quatre yeux;
Je répands un éclat plus ou moins radieux ,
Selon que plus ou moins on nourrit ma ſubſtance.
Au refte , j'ai neuf pieds ; en les décompofant
Tu trouveras un meuble où ſe puiſe la joie ,
Mais plus fouvent encore où la raiſon ſe noye ;
Une note en mafique ; un infecte rampant ;
Ce qui trop haur déplaît dans une compagnie ;
Un être chimérique , enchanteur féduifant
A qui l'homme abuſé quelquefois facrifie ;
Pour finir en un mot , tout fripon dans Paris
Évite avec grand foin les endroits où je fuis.
Par M. Richard , Étudiant en Rhétorique
au Collège de Lizieux. ).
1
X
Cir
56
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ORAISONS FUNEBRES de l'Impératrice
Reine , par M. l'Evêque de Blois & par
M. l'Abbé de Boifiont , l'une chez Didot
l'aîné , Imprimeur du Clergé, rue Pavée ,
l'autre chez Demonville , Imprimeur de
l'Académie Françoife , rue Chriftine.
IL femble que M. l'Évêque de Blois ait
toujours eu en vue ces quatre beaux vers de
Brutus ,
Yous pouvez refferrer par un accord heureux!
Des peuples & des Rois les légitimes noeuds,
Et faire encor fleurir la liberté publique
Sous l'ombrage facré du pouvoir monarchique.
"
« La Reine , dit l'Orateur , foupçonne
qu'il y a plus fouvent des opprimés que
» des rébelles , & elle eft sûre que la
» fidélité eft dans le coeur de fes fujets ,
parce que la juftice & la bienfaifance
» font dans le fien..... Elle aime niieux
» croire au malheur qu'au crime , & en
» montant fur le trône il lui eft doux d'an- *
» noncer qu'elle croit n'avoir que dés fujets
fidèles. Elle n'en aura jamais d'autres .....
» La Reine ( en ſe remettant avec fon fils
entre les mains des Hongrois , que ſes anDE
FRANCE. 57
ور
•
cêtres avoient fi fouvent traités en rébelles )
vient d'apprendre à tous fes fucceffeurs
qu'il y a plus de reffources dans la fierté
» d'un peuple libre que dans la crainte des
efclaves ; qu'on avoit plus fouvent occupé
fes ancêtres de leur autorité que de l'amour
de leurs fujets , parce que ceux qui entou-
» rent les Rois ont quelquefois plus d'intérêt
» à les faire obéir qu'à les faire aimer. »
"3
Ces maximes vaudroient mieux que de
l'éloquence , fi elles n'étoient pas de l'éloquence,
L'Oraiſon Funèbre de la même Impératrice
, prononcée au nom de l'Académie
Françoile dans la Chapelle du Louvre , lei
Vendredi premier Juin 1781 , par M. l'Abbé .
de Boifmont , a beaucoup de beautés de ce
genre utile , elle en a de tous les genres ; &
l'Auteur des belles Oraifons Funèbres de
M. le Dauphin , père du Roi , de la Reine
fon aïeule , du Roi Louis XV , ne pouvoit
dégénérer dans un fujet auffi beau que l'éloge
de Marie Thérèſe .
Il ne perd pas , non plus que M. l'Évêque
de Blois, une occafion d'avertir , par l'exemple
de Marie- Thérèfe , l'autorité de fe rendre
aimable par fon propre intérêt. On recherche
tant la puiffance , la puiffance fans botnes,
fans contradictions , on ne la trouvera
que dans l'amour. Quel eft effentiellement
le plus puiffant de tous les Monarques ?
Celui qui eft le plus aimé.
" La bonté de Marie - Thérèle , Edit
M
५
CV
8758
MERCURE
qe l'Abbé de Boifmont , fera plus abfolue que
le defpotifme même. Ah ! la foumilion
» eft fans réſerve , lorfque la liberte elt fans
alarmes ; plus de barrières entre elle & le
coeur des indociles Hongrois. Tout eft
calme , tout repofe à fes pieds ; & ce n'eft.
pas ce repos affreux qui , dans la fervitude
reffemble au filence de la mort : c'eft la
» douce confiance d'une famille nombreufe ,
fatisfaite & tranquille fous la main pater
nelle. Conquievit in confpectu ejus , &
filuit omnis terra......
7
Qu'on vende aux Souverains fes talens
- & fes veilles , je n'en fuis pas furpris.
Hélas ! veulent - ils être aimés ? C'est le
» trône , c'est la puiffance , ce n'eft pas
» l'homme fenfible que l'on fert. Dans Marie-
Thérèfe , c'eft la gloire de Marie- The-
» rèfe même qu'on idolâtre : c'eſt à ſon ame
qu'on le dévoue.........
La divifion de ce Difcours eft fimple &
vafte. La première Partie traite de la gloire
de Marie - Thérèfe ; c'eft l'hiftoire de fes
malheurs & de ceux de l'Europe pendant
fa vie. La feconde Partie eft le Tableau de
2. l'adminiftration de Marie - Thérèfe , c'est- à-
* dire du bonheur de fes Sujets fous fon règne.
La première eft celle qui offre le plus de
ses tableaux de détail , de ces morceaux
propres à orner un extrait ; mais ils font en
grand nombre , que nous nous contenterons
de les indiquer pour la plupart , tant
pour éviter l'embarras du choix , que pour
DE FRANCE,
39
ne pas charger cet extrait de citations trop
longues & trop fréquentes qui perdroient
au moins le mérite de l'encadrement.
Le tableau général des guerres de 1741 &
de 1755 ; la retraite de Marie - Thérèle en
Hongrie , fa noble confiance dans les Hongrois
, l'enthouſiaſme généreux dont elle les
remplit , le développement de toutes les circonftances
, de tous les détails de cette fcène
touchante & de fes fuites ; la fermeté avec
laquelle Marie - Thérèſe ſoutient la mauvaiſe
fortune ; la modération qu'elle ſignale dans
la profpérité , les vertus de chaque fituation ,
de chaque moment qui fe trouvent fi naturellement
dans fon ame ; l'ufage qu'elle fait
du calme pour améliorer les États , & des
otages pour le perfectionner elle- même ; le
portrait du Roi de Pruffe , le parallèle de ce
Prince & de Marie- Thérèfe ; ce morceau fi
philofophique , fi profond , où l'Orateur
nous repréſente Marie- Thérèſe ſe concentrant
dans le caractère de fon peuple pour
le rendre plus fage & plus heureux , & réfiftant
à l'attrait , à la féduction des nouoh
veautés brillantes que fon fiécle lui offroit.
Ce morceau , & tous les précédens que nous .
onvenons d'indiquer , & en général tous les
sh grands morceaux du fujet , font traités avec
toute la dignité , tout l'intérêt , toute l'éloquence
qui leur conviennent & qu'on devoit
attendre de M. l'Abbé de Boifmont. Si ,
pour abréger , nous ne nous airêtons point
10 tranferire ni à confiderer ces beautés du
$
C vj
во MERCURE
premier ordre , nous nous arrêterons encore
moins à relever quelques expreflions , ou
exaltées , ou recherchées , ou obfcures ,
foibles ombres dans un Ouvrage tout étincelant
, ou de génie ou d'efprit.
La feconde Partie , en peignant la douce ,
la confolante , la vivifiante Adminiſtration
de Marie-Thérèfe, développe toutes les qualités
également grandes & aimables qui formoient
le caractère de cette Princeffe. Parmi
les principaux traits qui peuvent être détachés
de ce beau tableau , & confidérés à
part , nous remarquerons fur- tout le paral
lèle de Marie - Thérèſe d'Autriche avec la
célèbre Elifabeth d'Angleterre . « Toutes
deux honorant leur fexe , leur pays , leur
» trône , ont donné des leçons de génie aux
Rois ; & , ce qui eft plus rare encore ,
Sont confacré le génie au bonheur des peu
ples ; toutes deux , exercées par le malheur
, ont appris , dans la lutte pénible
contre l'adverfité , à fortifier leur caractère
, à étendre les reffources de leur ame ,
à fe foumettre les événemens , & à fe faire
, un héroïsme de circonftances autant que
. de principes. Élifabeth , plus créatrice
peut- être , & plus hardie , a préparé les
ambitieux deftins de l'Angleterre : Marie-
Thérèfe , plus mefurée , a déployé cette
intelligence confervatrice qu'exigeoit la
longue & antique domination de l'Au
» triche. La première , réprimant un peuple
impatient & fougueux , également terDE
FRANCE. 61
rible , foit qu'il fente l'excès de la fervi-
» tude ou de la liberté , le contint fans
» l'avilir , & détournant cette activité in-
93
"
quiète vers de grands objets , lui créa , fi
» j'oſe ainfi parler , un nouvel apanage , la
» mer ; une nouvelle patrie , les deux Mondes
; la feconde , excitant un peuple calme,
» & dès- long- temps plié par la douce dif-
» cipline des lois & des camps , lui a infpiré
le goût d'une richeffe utile , & d'un
» genre de conquête conforme à ſes moeurs ,
celle de fon propre pays par le travail &
Finduftrie. Ainfi l'une tourna vers l'Em-
» pire & la Fortune le génie de la libertés .
l'autre a dirigé vers un bonheur tranquille
le génie de l'obéiffance. Toutes , deux ont
» joui d'un pouvoir prefque abfolu ; mais
l'efpèce de defpotifme d'Élifabeth tenoit
» à fon caractère; celui de Marie - Thérèſe à
» la Conftitution de l'État. Élifabeth , par
fa fierté naturelle , tendoit fans ceffe le
" reffort d'un Gouvernement où les droits
des peuples étoient indécis , où les bornes
mobiles de l'autorité étoient déplacées à
chaque règne par la foibleffe ou la fermeté
des Monarques ; Marie- Thérèſe , en
» montant fur le trône , hérita d'une Puiffance
illimitée , appuyée , for plufieurs
fiècles, accrue & , pour ainfi dire, confacrée
par l'opinion , cette première Légiflatrice
des Etats qui I
ou juftifie tous les
» droits ; mais cette Conftitution fans équi-
» libre , trouva fon contre- poids dans l'ame
62 MERCURE
e
but
N
de la Souveraine qui devoit y préfider.
L'une enfin , par fes fuccès & fa grandeur,
força le fier Breton de lui pardonner le
defpotifme de fa volonté ; l'autre , par fa
>> modération & fa douceur , tempéra le
defpotifme des armes & de la Legiſlation
arbitraire ; elle n'en retint que le droit
d'être bienfaifante fans contradiction , &
de faire envier à l'indépendance même
l'heureufe néceflité de lui obéir . »
Voilà tout ce que l'éloquence la plus in
génieufe , la plus féconde en reffources , en
3 idées nobles & fines , en mots heureux , a pu
simaginer pour mettre Marie- Thérèſe à côté
d'Élifabeth ; l'Hiftoire , d'un feul mot , va la
placer au- deffus:
La cruauté a fouillé la gloire d'Éliſabeth ;
la bienfaifance a confacré celle de Marie-
Thérèſe ; & les noms intéreffans du Comte
d'Elfex , du Duc de Nortfolck , & fur tout
25 de Marie Stuart , ne s'élèvent point contre
fa mémoire. " Ah ! s'écrie 1Orateur , c'eft
» dans les murs de Vienne , c'eſt à l'aſpect
» du Palais Impérial qu'il faudroit parler.
" Que de voix gémiffantes s'éleveroient du
7.
fein de ce Palais ! Quel auditoire que celui
» qui feroit formé de tous les malheureux
que Marie- Thérèfe a fecourus ! Chaque
" mot que je prononcerois retentiroit juf-
» qu'au fond de leur ame ; chacune de mes
penfees fe peindroit dans leurs traits ,
feroit juftifiée par leurs larmes .... Reconnoiffez
, leur dirois- je , ce trône , où l'in-
" &
DEFRANCE. 163
"
dulgence , la pitié , l'humanité furent tou
" jours affiles , les mains étendues vers le
» befoin & le malheur ; c'eft au pied de ce
» trône qu'un Croate , prêt à fuir fon dra-
" peau pour voler au fecours de fa famille
» expirante dans la misère , trouvoit fa
» femme & fes enfans baignant de leurs
» larmes les genoux d'une Bienfaitrice géné
"
reufe ; c'eft de - là qu'il partoit pour en
» flammer tout fon pays , & groflir l'Armée
Impériale de tous les enthoufiaftes qu'il
» alloits affocier à la réconnoiffance.....
» C'eft par ces détours ignorés que l'ame de
» Marie- Therefe s'échappoit fans laiffer au-
» cune trace , pour s'unir à la noble indi-
" gence , qui pouvoit rougir & de l'aveu
» du befoin & de l'humiliation du ſecours .
Rappelez- vous le Danube rompant fes
digues , roulant au fein de vos foyers le
Pravage & l'horreur. Quelle main protec-
» trice vous foulevoit au milieu des ondes
écumantes , & portoit jufqu'à vous la
confolation & la vie ? Repréfentez vous
les flammes dévorant vos afyles , vos
femmes , vos enfans , vous mêmes allis
fur leurs débris fumans : quelle main
bienfaifante effuya vos pleurs & répara
sur vos pertes ? Ah fans doute , à ce récit
attendrillant , les foupirs , les fanglots
s'échapperoient avec violence de tous les
coeurs : je me troublerois moi même au
milieu de cette fcène éloquente , & mon
sak (trouble , omon filence , l'égarement de
2 "
64 MERCUREA
" mes efprits la loueroient bien mieux que
» toutes mes penſées..... Ah ! ce ne font
» pas les Grands , c'eft le peuple qui prononce
l'apotheofe des Rois. »
Si les malheureux ont befoin de fecours ,
les Héros ont befoin d'honneurs , & ils y
ont droit. " Marie- Thérèſe croira- t'elle en
"
pouvoir répandre affez fur l'illuftre com-
" pagne du Héros de Chotémnitz ? Que fera-
»
""
t'elle pour le Héros même ? Elle dépofera
» dans fes mains victorieules tous les droits .
» de ce trône qu'il a foutenu . Dans ce camp
où tour parle de fon triomphe , juftice ,
grâces , récompenfes , tout dépendra de
fon autorité : il fera Roi . Elle chargera
le fils de ce grand Homme d'un ordre
qu'il n'ouvrira que fous les yeux du vainqueur
, à la tête de fon armée , qu'ap-
» percevra-t'il alors ? Une carte de la Bohême
, le nom du village de Chorémitz
tracé en caractères apparens , & au deffous
" on lira cette infcription digne des temps
héroïques , écrite de la main de Marie-
Thérèle même : C'est ici que votre père a
fauvé mon Empire , je ne l'oublierai ja
» mais..... C'eft avec ce goût , cette recherche
, cet art dont le coeur feul a tous les
» fecrets , que Marie- Thérèſe paye les fervi-
» ces & le zèle.....
33
39
33
Il eft dans toutes les bouches , il paffera
dans tous les âges , ce mot vriment
Royal , que la vanité des Conquérans &
des Rois ne devoit point trouver : inot à
992
DE FRANCE
65
38
jamais mémorable
réfervé au coeur de
» Marie-Thérèfe. Hélas ! pourquoi , ô mon
» Dieu ! avez- vous permis qu'il fût le der-
» nier ? Je lègue à mon Armée.... C'eft après avoir ainfi excité l'attendriffement
par
le tableau de la bienfaiſance
tòu- jours touchante
ou délicate
de Marie- Thé
rèfe , que l'Orateur
nous parle de la mort de cette Princeffe
, & entreprend
de nous « en confoler
. Ne la plentons
pas , dit- il ,
"
33
pleurons
ces Rois dont la vie entière n'eft » que l'oubli de la vie même..... La mort » pour elle fut un bienfair. Le ciel a voulu
» qu'elle emportât
fa gloire toure entières, qu'aucune
ombre , aucune tache ne ternit » cette belle vie ; car , hélas ! qu'eft- cè en
général que la vieilleffe
...... Er en par- » ticulier
qu'eft ce que la vieilleffe
fur le » trône : I femble que ces rides , qui ne refpectent
pas les fronts couronnés
, aillent
93
"
99
"
1
"
4
s'imprimer
alors , pour ainfi dire , juf- » ques fur les lois , fur l'autorité
, fur les
» confeils. Plus d'activité
dans les efprits ,
plus d'énergie
dans les courages ; le bien
» eft négligé , le mal n'eft pas prévu , tour «‹ fe défunit : on remarque
bientôt dans la » même Nation deux intérêts & deux peu- s » ples; l'un redoute ce que l'autre efpère ;
"
"2
l'approche
d'un nouveau
règne rend les
» maximes
de l'ancien moins refpectables
, » & le Souverain
fe furvit en quelque forte » pour voir les derniers
momens
ou obf-
» curcis ou méprifés. Mais mourir lorfqu'on
$4
966 KOMERCURE
» marche d'un pas toujours ferme dan34s la
» carrière , lorfque la lumière qui nous en-
» vironne eft encore toute vive , lorſque le
préfent garantit l'avenir , ce n'eft pas
mourir en effet , c'eft fe cacher dans fa
gloire. "
Expreffion hardie , qu'on a du cenfurer
comme hafardée , & qu'on peut admireɛ
comme fublime.
་
Ces exemples fuffifent pour faire connoître
combien le talent de M. l'Abbé de
Boifmont a de foupleffe & de fécondité ,
combien fon éloquence eft étendue & variée.
Les morceaux que nous n'avons fait
qu'indiquer la montreront tantôt impofante
& majestueufe , tantôt rapide & entraînante.
Parmi ceux que nous avons cités , le
parallèle de Marie-Thérèſe d'Autriche &
d'Élifabeth d'Angleterre annonce de grandes
vues & de grandes reffources . Le tableau
de la bienfaifance de Marie - Thérèſe préfente
une foule de traits attendriffans ; c'eft
par-tout le langage d'un coeur touché. Le
récit du trait de Chotémitz fe rapproche du
naturel & de la fimplicité de l'Hiftoire. Les
réflexions fur la vieilleffe des Rois font d'une
Philofophie qui nous paroît être le caractère
dominant de l'Ouvrage , & le mérite principal
de l'éloquence de M. l'Abbé de Boift
mont.
DE FRANCE. 2667
AMUSEMENS DU JOUR , ou Recueil de
petits Contes dédiés à la Reine , par
Mde de Mortemart. A Genève ; & fe
trouve à Paris , chez Couturier fils ,
Libraire , quai des Auguftins ; & à Verfailles
, chez Sevère Dacier.
Nous avons parmi les Auteurs de Romans
prefque autant de femmes que d'hommes
. Mde de Mortemart vient encore augmenter
le nombre de celles - ci ; elle paroît
avoir fenti que les énormes Volumes n'étoient
pas faits pour être lus à la toilette , &
P'on peut juger par le titre feul , que le Re-
Jueil qu'elle publie eft une Brochure ,de ce
genre ; elle contient le Songe , conte allégorique
; l'Oracle , conte Oriental ; Luerdab
conte Perfan ; Oka & Crinkayel ,
contes de Fées ; les deux Amis , conte Indien
; Juftine ou les égaremens d'un coeur
fenfible , anecdote Françoife ; Zoé, anecdote
Allemande. On trouve dans ces légers
Opufcules des deſcriptions riantes , de fages
réflexions , des traits de Morale heureufe-
2: ment exprimés, & des portraits agréablement
Stouchés . Si j'ai pu efquiffer quelques ai-
" +
mables portraits , dit l'Auteur dans fon
- Épître dédicatoire à la Reine , l'on pourra
reconnoître que j'avois choifi le plus beau
» modèle , mais qu'il faudroit un autre pin-
» ceau pour rendre les traits chéris de bienfaifance
, s'ils n'étoient gravés dans tous
» les coeurs. »
68 MERCURE
LE NOUVEAU MONDE , Poëme , par
M. le Suire , de l'Académie des Sciences ,
Belles - Lettres & Arts de Rouen.
Tu Spiegherai , Colombo , per l'alto Oceano
Lontane si le fortunate antenné....
Lunga memoria
Degniffima di Poema e d'Iftoria.
T. Taffo , Ger. Lib.
A Éleuthéropolis , & fe trouve à Paris ,
chez Quillau l'aîné , rue Chriftine ; la
Veuve Duchefne , rue S. Jacques ; la Veuve
Tilliard , rue de la Harpe ; Efprit , au Palais
Royal , 1781. 2 Vol . in - 12 . Prix , 3 liv.
12 fols brochés .
11 faut être juste , on ne peut pas dire que
ce Poëme , dont le fujet eft vafte & beau
ait precifement tout le mérite du Poëme de
Conches, ou de celui de l'Architecture. Parmi
les dix ou douze mille vers , plus ou moins,
qu'il contient , on ne trouvera pas une feule
faute contre la mefure , ni contre l'arran
gement des rimes ; on voit paffer en revue ,
dans la Préface , les principaux Auteurs qui
ont écrit fur le nouveau Monde & les principaux
Poëtes épiques ; & fi nous entendons
bien le jargon des Préfaces , le dernier rée
fultat des trente pages dont celle - ci eft compofée
, eft que l'Auteur efface & tous les
Poëtes épiques & tous les Aureurs qui ont
écrit fur le nouveau Monde . Il ne parle que
DE FRANCE. 69
1
de fuccès , d'éditions fubféquentes , de perfécutions
même , fuites & garans de ce
fuccès ; il craint d'être perfécuté comme
fon Héros , & pour des caufes à- peu - près
femblables : on fent que fes craintes à cet
égard font des efpérances.
Proprement toute notre vie
Eft le Curé Chouart , qui fur fon mort comptoit
Et la Fable du pot au lait.
M. Le Suire demande à n'être pas jugé fur
fes règles ordinaires de l'Epopée , il a doublement
raifon : 1 °. parce que ces règles ayant été
faites d'après le petit nombre de Poemes
épiques qui pouvoient feuls alors fervir de
modèle , ne doivent point être étendues avec
une certaine rigueur , aux Poëmes qui peu`
vent démentir ces règles par des innovations
heureuſes ; z parce que ce Poëme ne reffemble
en effet à aucun de ceux qui ont
réuffi jufqu'à préfent ; il n'y reffemble , ni
par le fond , ni par la forme , ni par le
nombre des Chants , ni par leurs titres ;
chaque Chant a fon titre particulier , comme
les chapitres de certains Romans , & forme ,
pour ainsi dire , un petit Poëme à part. Il
y en a vingt -fix. En voici les titres, les
Amours , le Voyage , l'Amérique , les Combats
, l'Interprète , le Mexique , le Fanatif
me, la Pyramide , le Pérou , le Tremblement
de Terre , les deux Frères , les Montagnes,
La Ville ambulante , les Spectacles , les Déferts
, l'Auto- da-fé, l'Ifle fortunée , l'Alcefte
*
70 MERCURE
Américaine , le Retour, le Triomphe, l'Italie
le Prifonnier content , lefaux Concile , l'Hymenée
, les Prifons. En voilà vingt - cinq ; &
on fent que l'Auteur pouvoit en faire vingtcinq
fois vingt- cinq , s'il eût voulu ; mais le
titre du vingt - fixième eft tel , qu'il falloit
abfolument finir par celui-là : c'eft la Mort,
Mors ultima linea rerum eft. avg
Une particularité encore de ce Poëme
eft de préfenter , comme une Pièce de Théâtre
, la lifte des principaux perfonnages ; &
zette lifte eft fi nombreufe , qu'on la prendroit
pour celle d'une Pièce de Shakeſpeare.
On indique auffi , comme dans une Pièce
de Théâtre , le lieu de la fcène , & ce lieu
de la fcène eft dans les deux Mondes.
L'Auteur débute d'un ton qui n'annonce
tertainement pas un Poëme épique , mais
qui annonce quelque chofe , & quelque
chofe que l'Auteur ne tient pas dans la
fuite.
Ramené par le temps au fein de ma Patrie ,
Promenant à l'écart ma douce rêverie
ipris des vains honneurs de la célébrité ,
' e chéris en fecret & fuis l'obfcurité. £
ans redouter la mort , éloignée ou prochaine ,
pectateur attendri de la misère humaine ,
e fupporte les Grands , je plains les malheureux ;
e ciel a ma prière , & la terre a mes voeux.
Ces vers , difons - nous , ne font pas épíDE
FRANCE. 780
ques ; mais il y a du piquant , de la naïveté ,
& une forte de Philofophie dans cet ille
ego ; chaque vers , & prefque chaque hémiftiche
, a du fens ; & fi le refte du Poëme
répondoit à cer exorde , il faudroit lui cher
cher un titre particulier , ou convenir que
l'Epopée peut avoir plus d'un ton ; mais ce
n'eft pas la peine de chercher un titre pour
un recueil de vers , tels que ceux- ci :
Des Nautonniers fangtans s'échappoient à la nagem
De l'Inde Occidentale on amenoit au port
Des trésors amaffés fur ce funefte bord
Et des hommes couverts de bleffures mortelles
Pour s'être difputé ces richeffes cruelles.55
Nouveau Monde , me dis-je , où l'on nous voit courir ,
Que tu caufas de maux , & qu'on t'en vit fouffrir ! ...
Alors un feu facré me pénètre & ' enflamme ,
Et je chante ces vers où je répands mon ame
Et votre ferviteur , pour terminer ma phraſe.
Colomb eft en prifon , une jeune fille
vient l'y trouver ; c'eft Clémence Ifaure
l'Inftitutrice des Jeux Floraux ; quoiqu'elle
n'ait pas été plus Contemporaine de Chrif
tophe Colomb , que Didon ne l'avoit été o
d'Enée ,
Elle offre des ſecours au fage qu'elle enchante ;
Il imprime un baiſer ſur la main bienfaiſante ;
Et d'un oeil éloquent fecondantfes accens ,
Il dévoile en ces mots le trouble de fes feis, n
1
72 MERCURE
Cette confonnance régulière de trois en
trois fyllabes , éloquent , fecondant , fes accens
, fait un effet bien agréable.
"2
99.
O des infortunés Déeffe tutélaire ,
Qui vousfait m'honorer d'une faveur fi chère ?
Quel être fecourable , ami du genre humain ,"
A pu vous envoyer dans ce noir fouterrain ?·
Et de quelle contrée , en ce lieu déplorable ,
» Venez-vous m'apporter un fecours favorable ? »
En voilant fa rougeur cette Beauté fourit ,
Et lui répond ces mots , dont le charme attendrit.
Ces mots , que nous ne rapporterons pas
de peur d'être trop longs , ne font ni bien
ni -mal , & n'ont point de charme qui attendriffe.
En général , les Auteurs devroient
prendre garde à ces éloges qu'ils fe donnent
quelquefois à eux - mêmes , fous prétexte de
les donner à leurs perfonnages ; car fi le
Lecteur ne les confirme pas , c'eft un ridicule
; & lors même qu'il les confirme , il
peut encore trouver mauvais qu'on l'ait prévenu
.
Le Poëte nous apprend encore que le
Héros eft enchanté d'un fi doux langage.
Et par un timbre heureux , cet organe vainquear
Murmure à fon oreille & va toucher fon coeur....
Cette jeune Beauté fe faifant violence ,
Le regarde , foupire , & le quitte en filence.
La porte eft refermée avec un bruit affreux.
Cet
DE FRANCE.
73
Cet âge encor & tendre & ces traits gracieux ,
Et ce doux intérêt dont brilloient deux beaux yeux.
Rendent Colomb amoureux , quoiqu'il ne'
foit déjà plus jeune , & voilà pourquoi ce
premier Chant eft intitulé les Amours ..
Ifaure revient dès le lendemain.
Une terraffe ouverte , où le foleil rayonne ,
De la tour qui l'enferme eft l'heureuſe couronne.
De-là fes yeux errans , quand les cieuxfontfereins ,
S'étendent fur les flots.
Sur la terraffe , unjour , ils refpiroient tous deux.
Elevés dans les airs au comble de leurs voeux.
Colomb fait à fa nouvelle Maîtreffe un
compliment de voyageur , en lui difant qu'il
ira fous d'autres cieux faire répéter , à des
échos étrangers , le nom d'Ifaure.
Cent peuples inconnusfur ces rives épars ,
Et qui vont du néant ſortir pour nos regards ,
Inftruits de votre nom , frappés de votre gloire ,
Me verront préférer votre chère mémoire ,
Le fimple fouvenir de vos tendres appas ,
Aux plus rares beautés qui parent.ces climats.
Ifaure plus avifée , trouve que c'eft prendre
le plus long.
Et fes yeux femblent dire : « Hélas ! qu'eſt-il beſoin,
» Pour trouver le bonheur, de le chercher fi loin ?»
Ces deux vers pourroient n'être pas mau-
Sam. 14 Juillet 1781. D
74
• MERCURE
vais dans un Conte ou dans une Epigramma
Colomb & Ifaure voyent , de leur terraffe
, un combat entre un Vaiffeau Efpagnol
ou Portugais & un Vaiffeau Anglois ,
La foif de l'or , guidant ces Nautonniers avides ,
Les avoit fait voler vers ces lieux homicides ;
Et la rivalité , pour un frivole gain ,
Leur avoit mis le fer & la flamme à la main,
Au couple fpectateur , un des Guerriers expofe
De leur acharnement cette futile caufe.
Colomb part,
On le nomme Amiral des mers qu'il va courir ,
Vice-Roi des États qu'il pourra conquérir.
Mais à côté de ces vers d'une fimplicité
burlefque , on trouve celui - ci :
Il fort de fon cachot pour agrandir le monde.
Malgré fon fatras obfcur
Souvent Brébeuf étincelle ;
Un vers noble quoique dur
Peut s'offrir dans la Pucelle .
A l'exception de ces foibles lueurs , qui
font même très- rares dans ce Poëme, ce font
par- tout les expreffions , les tours , les formes
de la profe. Que l'Auteur n'écrit - il donc
en profe. Il y a montré quelque talent . Son
Poëme en profe , intitulé: Ifaac & Rebecca,
DE FRANCE. 75
ou les Noces Patriarchales , n'eft point du
tout un ouvrage fans mérite. Il y a beaucoup
plus de poéfie dans la profe de ce Poëme ,
que dans tous les vers du Roman du nouveau
Monde. Son petit Roman politique & fatyrique
, intitulé : les Amans François à Londres
, ou les Délices de l'Angleterre , étoit
affez bien conçu , & avoit fait quelque fenfation
, même dans le Monde & au - delà du
cercle des Littérateurs. L'Auteur fûrement
écrit trop & trop vite. Il a voulu écrire en
vers , & en vers épiques , fans entendre la
Langue poétique , fans avoir la moindre idée
du ftyle de l'Epopée. L'Auteur ne fe plaindroit
pas tant des prétendus faifeurs & deftructeurs
de réputations, s'il vouloit travailler
un peu plus férieufement & un peu plus
lentement à la fienne , & fur- tout méditer
ce précepte d'Horace :
Sumite materiam veftris , quifcribitis , aquam
Viribus , & verfate diù , quid ferre recufent ,
Quid valeant humeri.
Dij
76 MERCURE
ر le
MONDE PRIMITIF analyfé & comparé
avec le Monde Moderne , confidéré dans
divers objets concernant l'Hiftoire
Blafon , les Monnoies , les Jeux , les
Voyages des Phéniciens autour du monde,
les Langues Américaines , &c . ou Differtations
mêlées , remplies de Découvertes
intéreffantes , avec une Carte , des Planches
& un Monument d'Amérique , par M. Court
de Gebelin. Huitième Volume in-4° . A
Paris , chez l'Auteur , rue Poupée .
Ce nouveau Volume commence par une
vue générale du Monde Primitif. Elle confifte
, 1 ° . dans la récapitulation rapide des
Volumes qui ont déjà paru , des principales
idées qu'ils renferment , & des avantages
-qui en résultent pour les connoiffances humaines.
2°. Dans un tableau des objets que
doit renfermer la fuite de cet Ouvrage ; & 38.
dans l'expofé des caufes & des moyens qui
ont conduit l'Auteur aux découvertes qui
forment le Monde Primitif.
A la fuite de ce Difcours , vient une
differtation fur l'Hiftoire Orientale du
fixième ſiècle avant J. C. époque brillante
qui met l'Auteur à même de raffembler fous
les yeux de fes Lecteurs une multitude de
faits & de découvertes qu'on n'avoit pas
même foupçonné.
Parmi les diverfes découvertes qu'offre ce
morceau , l'on trouve l'origine du nom priDE
FRANCE.
mitif de l'Espagne ; nom fous lequel elle
fut connue de tous les Orientaux , & qui
ayant échappé à tous les Savans , avoit fait
difparoître de l'Hiftoire des faits précieux ,
tels que l'expédition de Nabuchodonofor en
Efpagne, & le Voyage de Ménélas autour de
l'Afrique. Le nom d'Hefpérie ne fut d'ailleurs
que la traduction grecque de ce nom
primitif, qui exifté encore de nos jours .
L'Auteur paffe de- là aux navigations des
anciens Phéniciens , qu'il diftingue en Phéniciens
navigateurs fur la Méditerranée &
fur l'Océan , & en Iduméens , navigateurs
fur la mer rouge , fur la mer des Indes , &
jufques dans la mer du Sud en Amérique.
Ceux- ci tenoient les anciens Égyptiens dans
leurs fers , & les empêchoient d'avoir plus
d'un vaiffeau pour le commerce fur la mer
rouge: ces derniers , les Iduméens , connoiffoient
, felon lui , la bouſſole , en uſage uniquement
fur la mer des Indes , d'où elle
nous eft venue par les Sarrafins aux onzième
& douzième fiècles.
M. de G. s'efforce de diffiper l'obfcurité
chronologique qui couvroit le règne des
derniers Rois de Babylone , & qui avoit
empêché juſqu'ici d'appercevoir l'accord qui
règne à cet égard entre l'Hiftoire profane
& l'Hiftoire facrée.
L'effai qui fuit ces recherches peut être
confidéré comme un Ouvrage complet , divifé
en trois Parties . L'Auteur y difcute l'origine
du blafon & de tout ce qui le compofe.
D iij
78 MERCURE
On ne l'enviſagea jamais que fous un point
de vue particulier , comme un enſemble de
fignes arbitraires propres à diftinguer un
certain nombre de Familles , fans pouvoir
rendre raifon ni de ces fignes , ni de leurs
noms , ni du rapport qu'ils peuvent avoir
avec le bonheur général des hommes. M.
de G. va infiniment plus loin , il annoblit
le blafon lui - même , en liant ces objets avec
la nature elle même , avec la formation des
peuples , & avec le bonheur de l'humanité.
Il prouve d'abord que le blafon fut trèsantérieur
aux croifades , qu'il naquit avec
les États Agricoles , qu'il fut pris dans la
Nature elle- même , qu'il fe lia avec l'exiftence
des anciens Peuples , qu'il en régla néceffairement
les divers ordres , & qu'ayant
exifté une fois , fes traces & fes effets n'ont
jamais pu ceffer. Prenant pour exemple les
droits des Familles Patriciennes de Rome , il
fait voir comment elles tinrent leurs préro.
gatives étonnantes d'elles - mêmes qu de la
Nature , & non de Romulus ni d'aucun autre
Roi de- là fort un jour abfolument nou
veau fur l'Hiftoire primitive de Rome , &
fur les caufes de ces longues difputes qui
s'elevèrent , long temps
après , entre ces - Familles dégénérées pour la plupart , &
les Familles Plébeïennes parvenues à un
haut degré de puidance. Marchant toujours
avec le flambeau de l'étymologie ,,
il fait voir que le mot Gens fignifie l'homme
de la terre , le Noble par excellence ,
DE FRANCE. 79
E -genus celui qui eft fans terre , fans
propriété , & Per- egrinus l'homme induftrieux
, l'Étranger qui venoit chercher fa
fubfiftance fur le terrein des Gens. Tout ce
que l'Auteur dit ici fur l'origine des Familles
Patriciennes de Rome , s'accorde parfaitement
avec ce qu'il a déjà eu occafion de dire
fur les Antiquités primitives de Rome.
On voit que les noms même du blafon
& de fes diverfes couleurs , telles quegueule,
finople , &c. font des mots orientaux parfaitement
affortis à leur nature , ce qui s'ac
corde très - bien avec la haute antiquité du
blafon ; car s'il avoit été inventé dans
l'Occident , fes noms feroient occidentaux
& non orientaux. Le mot blafon , qui ne
fignifie rien en Europe , eft en Orient le
nom des Armoiries : gueule y fignifie rouge ,
d'où gul- iffan , l'empire des rofes ; fino-ple ,
le bled en herbe , d'un verd naiffant, couleur
de l'efpérance , &c. Il montre enfuite
en quoi confiftoient les droits d'armoiries ,
de couleurs , de généalogie , de bouclier ,
d'enfeigne , & c. & parcourant les Armes
parlantes & les fymboles armoriaux de
l'Antiquité , il en montre les rapports avec
l'Agriculture , les Vignobles , le Commerce
Maritime , &c. avec les trois grandes Divinités
protectrices de l'Univers.
Dans la feconde Partie , il traite du rapport
des couleurs avec les faifons , les planètes
, la vie humaine , & c . du droit primitifde
colorer fon corps , fon bouclier , fon
Div
MERCURE
habit, fa maifon , fon char doré , & c. Il explique
un paffage de Nahum qu'on avoit
abfolument défiguré : développant l'origine
& les droits des Hérauts d'Armes , il prouve
que les Hébreux en eurent , & fous quels
noms ils furent défignés dans leurs Livres
facrés , obfervation qui avoit échappé à
tous les Savans.
Dans la troisième Partie , on apprend en
quoi confifta le droit de monnoie , quelle
fut fon origine ; elle exiftoit dès le temps
d'Abraham & des premiers Empires de
l'Afie . M. de G. prétend qu'on n'y voyoit
d'abord que les Divinités ou leurs emblêmes
; il nomme le premier homme qui ofa
fubftituer fon nom à celui des Dieux ; il
exifte même encore des monnoies de l'ancien
Empire Égyptien , quoiqu'elles foient
reftées inconnues à tous les Savans , même
à ceux qui en pofsèdent , parce qu'ils les
cherchoient toujours avec des têtes de Rois
qui ne pouvoient y être .
Le court efpace qui nous refte , nous empêche
d'entrer dans le même détail fur les
Differtations fuivantes.
1. Noms de familles.
2. Bouclier d'Achille chanté par Homère
, qui , felon l'Auteur , n'eft autre chofe
que le Calendrier grec mis en tableaux .
3. Livre Egyptien découvert dans le
Jeu des Tarots. Differtation fingulière fur
l'origine de nos Cartes .
4. Les fept Rois Administrateurs des
DE FRANCE. 81
Empires. Differtation tendante à démon-'
trer que les Anciens peignirent fous l'emblême
des fept Rois tout ce qui compofoit
une adminiftration parfaite. M. de G.
fait voir enfuite comment ces fept Rois
allégoriques ont été inférés à la tête des Rois
de plufieurs Peuples , & comment ils fe
font confondus avec ceux de Rome.
s. Differtation fur le mot Var, fignifiant
eau , & devenu l'origine & la bafe du
mot Vérité.
6. La famille très-étendue du mot Pod,
défignant tout ce qui eft élevé , vaſte , puiffant.
7. Les rapports de la Langue Suédoife
avec toutes les autres.
8. Ceux des Langues de l'Amérique entr'elles
& avec celles de l'ancien Monde.
On eft étonné de la multitude de mots
Caraibes , Péruviens , Méxicains , Algonquins
, de toutes les Iftes de la mer du
Sud , de la Californie même, & c. qui ref-"
femblent à ceux des Peuples connus .
9. Un Monument gravé fur un rocher
d'Amérique , & que M. de Gebelin regarde
comme un ouvrage des Carthaginois . Nous
n'entrerons point dans l'examen critique de
cette multitude d'opinions nouvelles ; c'eft
aux Savans & aux Philofophes qu'il appartient
d'en apprécier le degré de vraifemblance
& d'utilité.
Dv
$2 MERCURE
TRAITÉ des Évictions & de la Garantie
formelle , dans lequel font traduites &›
difcutées les Lois Romaines du Digefte &
du Codefur cette matière , avec la conférence
des Coutumes , des Ordonnances
des Arrêts notables de France , & les
fyftemes foutenus à ce fujet par les plus
fameux Interprètes des Droits Romains &
François , par M. Berthelot , Avocat au
Parlement , & Docteur Aggrégé de la
Faculté de Droit de Paris. 2 Vol, in 12.
A Paris , chez Lottin le jeune , Libraire ,
rue S. Jacques.
Cette matière , dont l'ufage eft fréquent
& l'application difficile , tient fes principes
du droit Romain ; nos Ordonnances , nos
Coutumes , nos Arrêts de Réglement fem-'
blent l'avoir pris pour modèle; aufli M. Berthelot
en fait- il la bafe de fon Ouvrage ; il
en réſulte un avantage , fur- tout par la
forme qu'il lui a donnée. La Loi Romaine ,
traduite exactement , fait partie de fon expofé
; ceux qui parlent font les Préfets dir
prétoire, & leurs Affeffeurs qui nous donnent
les motifs de leurs Arrêts. Ceux qui ne veulent
point fuivre des idées abftraites dans
une langue peu familière , feront fans doute
bien aifes de pouvoir lire en François ces
fameufes Lois civiles fi renommées par leur
fageffe. Mais fouvent les décisions du Droic
Romain font fi éloignées du principe , qu'il
DE FRANCE. $3
n'eſt pas facile de rétablir dans l'efprit les
idées intermédiaires qui , par une chaîne non
interrompue de conféquences , ont mené
au réſultat : M. Berthelot a entrepris de
rendre palpables des Loix dont la fubtilité
échappoit à la réflexion.
Afin de ne pas manquer fon but d'utilité ,
il a cru devoir expliquer avec exaditude le
texte des Ordonnances & de toutes les Coutumes
du Royaume ; enforte que fon Livre
raffemble les avantages des Traités qui l'ont
précédé , & a le merite d'être applicable à
toute la France. Il n'y a pas un texte difficile
, une opinion de quelque importance
qui ne foient difcutés. Ce ne font pas des
éléinens , mais un Traité approfondi qui
fuppofe un homme très verfe dans la fcience
du Droit Romain.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Vendredi 6 de ce mois , on a donné
la première repréſentation de Richard III ,
Tragédie en Actes , par M. de Rozoy ,
Citoyen de Touloufe.
Après la mort d'Édouard IV , ufurpateut
du Trône de Henri VI , Richard , Duc de Glocefter,
frère du premier, fe fir propofer la con
ronne par fes partifans , aidés du Duc de
D vj
84 MERCURE
Buckingam . Il feignit d'abord de la refufer ;
mais enfin il parut céder à leurs inſtances ,
& fe fit couronner . Déjà fouillé de crimes
affreux , il ne craignit pas d'immoler à fon
ambition fes deux neveux , dont l'un étoit
Édouard V , qui fut pendant deux mois
& demi un fantôme de Roi , & Richard ,
Duc d'Yorck , fon frère. Le defir d'affermir
fon autorité , l'engagea à rechercher
la main de fa nièce Elifabeth , fille aînée
d'Edouard IV , mais il n'en éprouva que
des mépris. Enfin fes cruautés révoltèrent
tous les cours ; Buckingam même
s'éleva contre celui dont il avoit été le complice
, & paya de fa tête fa double trahiſon.
Mais Henri , Comte de Richemont, qui prétendoit
avoir au trône des droits plus puiffans
que ceux du Duc de Glocefter, profita
de la haine que celui - ci avoit infpirée aux
Anglois , & fecondé par le Lord Stanley ,
qui avoit épousé en fecondes noces la Comteffe
de Richemont fa mère , aidé des François
, qui lui donnèrent deux mille hommes ,
quelques vaiffeaux. & une fomme d'argent
il débarqua au Port de Milfort . Le 22 Août
1485 , les Armées de Richard & de Henri
fe trouvèrent en préfence à Bofworth ; après
un combat fanglant , pendant lequel le Lord
Stanley abandonna Richard , dont jufqu'alors
il avoit feint d'époufer les intérêts , Henri demeura
vainqueur , & le corps du Tyran fut
trouvé fur le champ de bataille percé de
coups , & entouré de morts & de mourans.
"
DE FRANCE. 85
Le Comte de Richemont fut proclamé Roi
par fon Armée , fous le nom de Henri VII ;
il époufa quelques temps après la Princeffe
Elifabeth , que fon averfion pour la Maiſon
d'Yorck l'engagea à traiter avec une dédaigneufe
indifférence.
Tel eft le trait hiftorique fur lequel M. de
Rozoy a bâti le fyftême de l'Ouvrage qu'il
vient de faire repréfenter. Nous avons avancé
que cette Tragédie étoit imitée de Shakefpéare
, nous avons eu tort ; cependant on
voit que l'Auteur Anglois n'étoit pas inconnu
à M. de Rozoy , & qu'il lui a fourni
quelques idées. Au refte , il feroit difficile
de trouver un Ouvrage dont la conduite fût
plus mal entendue , dont le ftyle fût plus
négligé, pour ne pas employer d'autre expreffion.
Les trois premiers Actes font d'une
obfcurité difficile à éclairer ; le quatrième
offre des fituations intéreffantes , mais qui
en rappellent d'autres déjà portées avec
fuccès fur notre Scène ; le commencement
du cinquième Acte a des beautés , le dénouement
eft abfolument manqué. Voilà tout ce
que nous pouvons dire aujourd'hui , & ce
que nous prouverons en détail quand l'Ouvrage
fera imprimé.
Nous ne pouvons finir cet article fans
parler d'un fait qui a revolté tous les honnêtes
gens . Le jour même de la première '
repréſentation de cette Tragédie , on répandit
dans les endroits publics des placards , dont '
le but étoit de la tourner en ridicule , &
86
MERCURE
d'ameuter la foule contre fon Auteur. Ce
libelle , plus plat encore que méchant , auroit
produit un effet contraire à celui qu'en
attendoient les ennemis de M. de Rozoy , fi
fa Pièce eût été plus raifonnable & plus
fagement écrite ; au furplus , quel qu'en ait
été le fuccès , on peut être honnête homme &
faire mal des vers ; mais un libelle eſt une
chofe déshonorante , & Greffer a dit , avec
raifon un écrit clandeftin n'eft point
d'un honnête homme. Pour l'honneur de la
Littérature , il faut croire qu'il n'eft pas un
Homme de Lettres capable de fatisfaire la
vengeance par des moyens aufli bas & auffi
honteux .
1
>
COMÉDIE ITALIENNE.
ON vient de remettre à ce Théâtre la Joie
Imprévue , Comédie de Marivaux , en profe
& en un Acte.
M. Orgon a envoyé à Paris fon fils Damon
pour y acheter une Charge. Le Banquier par
les mains duquel celui- ci doit en recevoir le
prix lui en a déjà fourni la moitié ; mais un
Chevalier d'induftrie qu'il a rencontré dans
l'hôtel garni où il demeure , l'a engagé à jouer ,
& lui a gagné tout ce qu'il a reçu ; mais il veut
rejouer pour rattraper fon argent. Cependant
Damona vu Conftance, fille de Mde Dorville,
il en eft devenu amoureux , & il a eu le
bonheur de plaire. Pendant qu'il joue & qu'il
DE FRANCE. 87
aime , fon père arrive à Paris où il eſt témoin
de fa conduite ; mais il ne fe découvre qu'à
Fafquin , valet de Damon , & fe prépare à
donner à ce dernier une leçon dont il puiffe
profiter. Il demande Conftance en mariage
pour fon fils ; en conféquence Mde Dorville ,
à qui Damon ne s'eft pas fait connoître , lui
ordonne de ceffer les vifites , & le voilà
exclu de la maifon de fa maitrelle . Orgon
avoit chargé fon fils de remettre une lettre
à Mde. Dorville : cette lettre , chofe incroyable,
n'a pas encore eté rendue , & par fon
moyen il rentre dans la maifon ; mais tout
le monde fe réunit pour le tromper . La
mère de Conftance , en confentant à le recevoir
encore ,, lui déclare que cela ne détruit
en rien les vues d'établiffement qu'elle a
pour fa fille . Orgon fait remettre à Damon,
par Pafquin , une lettre dans laquelle il lui
annonce fon arrivée , & fon projet de le
marier à une des plus aimables filles de
Paris ; & puis , à l'aide d'un déguiſement ,
couvert d'un domino pareil à celui que le
Chevalier eft convenu de prendre pour fe
faire reconnoître au bal , il joue avec fon
fils , & lui gagne le refte de la femme deftinée
à l'acquifition d'une Charge. Cette perte
met Damon au défefpoir , fon père fe découvre
, & lui pardonne en faveur de fes remords
; Mde Dorville paroît avec fa fille ;
& après un qui proquo qui refulte de l'ignorance
dans laquelle on a laiflé les deux
amans, on les unit l'un à l'autre.
88 MERCURE
.
Cette Comédie eft très-médiocre , & répond
très - peu à fon titre. La conduite en eft
invraisemblable , l'intérêt à - peu - près nul ,
& le dénouement feul eft imprévu , non par
le mariage qui l'amène , mais parce qu'il
arrive à l'inftant où l'on s'y attend le moins.
On voit que l'Auteur a voulu être comique ,
& qu'il a atteint le but contraire en amenant
des fituations oifeufes & des colloques entre
les Valers , qui ne produifent rien pour l'action
, qu'ils rendent plus froide en l'allongeant
: enfin , ce choix n'annonce pas beaucoup
de difcernement dans la perfonne
qui a confeillé de la remettre ; & il cft bien
étonnant que les Comédiens Italiens ne fe
fervent de leur ancien Répertoire que pour
nous faire aller de Marivaux à Boiffy , &
de Boiffy à Marivaux , tandis qu'ils ont tant
d'autres Ouvrages que le Public reverroit
avec plaifir , & qui le dédommageroient de
l'ennui que lui caufe fouvent le bavardage
de l'un , & l'efprit alambique de l'autre.
Le Samedi 7 , on a donné , pour la première
fois , Léonore ou l'Heureufe Épreuve ,
Comédie en deux Actes , mêlée d'Ariettes
Mufique de M. Champein.
Angello , jeune débauché , connu & redouté
par l'excès de fon libertinage , s'eft
introduit chez le Peintre Manelly fous le
nom de Farelly , & y eft devenu amoureux
de Léonore ; mais il n'a ofé ſe faire connoître
DE FRANCE. 89
fous fon véritable nom , parce que fes erreurs
l'ont rendu odieux à Léonore , que fon père
lui deftinoit pour époufe , & dont il a refufé
la main. Manelly a découvert le fecret
de Farelly , l'amour que fa fille lui a inſpiré ,
& celui qu'elle reffent elle-même. Avant
d'en inftruire Léonore , il s'affure de la fincérité
du retour de Farelly , & cherche à
l'éprouver. Réduit à s'entretenir avec le Portrait
de Léonore qu'il a fait dans fes momens
de loifir , le jeune homme fait demander Léonore
en mariage par le valet de fon père, & eft
refufé fous le nom d'Angello . Il fe détermine à
quitter la maifon de Manelly , en demandant
pour toute grâce d'emporter avec lui un des
tableaux du cabinet du Peintre. Celui - ci y
confent , en en exceptant le portrait feul de
Léonore : c'eft pofitivement celui que defire
Farelly ; ce dernier refus le pénètre de douleur
; mais Léonore , que fon père a mife
au fait du nom & de fes projets fur Angello ,
déclare à fon père qu'elle oublie fes erreurs
en faveur de la fincérité de fon repentir & de
fon amour , & elle lui donne la main.
Ce Poëme eft lent , trifte & froid. L'action
n'a rien d'intéreffant , parce que l'Auteur n'a
pas fu tirer parti des fituations qu'elle lui
donnoit, & qu'il l'a ralentie par le grand
nombre de morceaux de chant , avec lesquels
il a coupé les Scènes & fon Dialogue . Onn'a
pas trop deviné de quelle nature eft l'épreuve
que Manelly fait fubir à Angello ; on a trouvé,
que Léonore avoit fouvent l'air de fe jeter à
90 MERCURE
la tête de fon Amant : enfin , on a penfé
qu'un tel Ouvrage n'annonçoit pas une connoiffance
bien étendue de la Scène & de fes
effers.
La Mufique , quoique fort applaudie , a
éprouvé quelques critiques. On y a remarqué
des réminifcences. On areproche au Compofiteur
de n'avoir pas un Style affez fuivi ,
d'étouffer la partie du chant par des accompagnemens
trop chargés & trop bruyans ,
d'avoir enfin manqué quelquefois l'expreffion
à force de la chercher ; mais on y a trouvé du
talent & des motifs d'efpérance encore plus
marqués que ceux que l'Auteur a donnés jufqu'ici.
Nous ne diſons rien d'un air de bravoure
chanté par MdeTrial.Nous nous laffons
de répéter des obfervations inutiles , & de
parler à des fourds. D'ailleurs , fi le Public
eft content de ce qu'on le croit fait pour être
pris par les oreilles , à la bonne heure.
ACADÉM I E.
DES perfonnes qui ne fe font point fait connoître,
ont écrit au Secrétaire de l'Académie des Sciences
pour lui demander , fi la Théorie des Affurances
Maritimes , propofées par cette Compagnie pour fujet
du Prix de 1783 , doit être envisagée fous l'un ou
l'autre des deux points de vue ſuivans : ou en confidérant
les Affurances en elles -mêmes , c'eft- à-dire ,
en donnant les règles qui peuvent déterminer pour
Affureur les conditions les pins favorables , ou en
confidérant les Affurances comme un objet d'Admi
niftration.
DE FRANCE. 91
La réponſe du Secrétaire eft , que l'Académie , en
conféquence de fes Réglemens , s'occupant uniquement
des objets de Mathématiques & de Phyfiques ,
& s'étant toujours abftenue de difcuter ni de juger
les matières relatives à l'Adminiſtration , c'eft uniqueinent
fous le premier point de vue , c'eft-à - dire ,
fous celui de la Théorie Mathématique des Aflurances
, que la queftion doit être traitée.
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
MONS ONSIEUR ,
1
AYANT vu dans le Mercure de France une analyfe
du Voyage Littéraire de Provence de M.
P. D. L. je n'ai pu m'empêcher de relever quelques
erreurs dont j'ai l'honneur de vous inftruire , afn
qu'elles ne puiffent être à votre préjudice , &
qu'elles ne tetombent que fur leur Auteur.
dont
Page 18. « Il faut moins attribuer ( dit le Père
» Papon) cette fréquence du vent ( le Nord- Ouest )
» à la rapidité du Rhône qu'au voisinage des hautes
» montagnes , & fur - tout du mont Ventoux ,
» le fommet eft couvert de neige la plus grande
» partie de l'année ; l'air y eft par conféquent plus
» denfe & plus frais que celui de la plaine , & s'y
précipite avec une force augmentée par le reffor-
» rement de ces montagnes qui donne plus d'acti-,
"
» vité au courant. »
1 Il paroît que M. Papon, én donnant au Public fon
Voyage Littéraire de Provence , n'a pas fait atten
tion que fon raifonnement ne pouvoit s'accorder
avec la Géographie du Comtat; en effet , le voili92
MERCURE
nage du mont Ventoux ne peut abſolument influer
fur les vents violens qui règnent dans cette Province.
Le Ventoux , quoique fort élevé au deЛus du niveau
de la mer ( de 1040 toiles ) & de 914 audeffus
du village de Redouin , qui eft au pied de la
montagne , n'eft cependant pas d'une affez grande
étendue pour refroidir les vents qui y paffent fi rapidernent
: d'ailleurs , cette montagne eft à l'Orient
du Comtat , & n'y préfente que le flane occidental ,
étant prefque parallèle à l'Équateur , & le veut qui y
règne avec le plus de violence eft le même qui fe
fait fentir dans tout le refte de la Provence ( le Nord-
Oueft. ) Or, eft-il poffible que le Nord-Queft puiſſe
tirer fa violence & fa denfité , quant au Comtat ,
d'une montagne qu'il ne rencontre qu'obliquement
& en quittant ce pays ? Il eft plus naturel d'attribuer
la fréquence & la denfité de ce vent aux montagnes
de l'Auvergne , du Gévaudan , des Cévènes & du
Vivarais , pays tous fitués au Nord - Ouest de la Provence
, & où font les plus hautes montagnes du
Royaume , qui , la plupart du temps étant couvertes,
de neige & le vent foufflant du côté de l'Auvergne ,
les parcourt pendant un long intervalle de temps ,
ce qui le rafraîchit au point qu'il nous fait chauffer.
en Provence dans la faifon des grandes chaleurs
quand il vient après une pluie , & dans un temps
où il n'y a pas la moindre apparence de neige fur le
Ventoux .
Bien plus , je foutiens que cette montagne & celle
de Lure , fa voifine , & dans fa même direction à
peu-près de l'Eft à l'Ouest , garantient beaucoup
la Provence de la fureur du miftrol ( le Nord- Ouest)
ou vent magiftral ; & la preuve bien convainquante
en eft que le Comtat , qui eft à l'Occident de ces
montagnes, en éprouve des ravages affreux lorf
པན་ ཀས་ ཆ་ན་ སྐུ་
DE FRANCE. 23
qu'il ne fait que fécher le fumier des rues des
petites Villes du refte de la Provence.
En réfutant ce qui concerne le Nord-Oueſt , je
compte qu'on voudra bien faire la même application
de principes pour ce qui concerne les autres vents
froids & violens , comme le Nord & le Nord- Eft.
Page 30. M. Papon dit que la rigueur du climat
de la Ville d'Aix décida du choix que les Romains
firent de ce lieu pour y bâtir la Ville , à
cauſe des eaux thermales qu'ils y trouvèrent.... Ce
paffage n'eft pas bien clair. L'Auteur a-t-il voulu
exprimer le froid du climat ? L'expreffion feroit bien
forte. A- t-il voulu parler du chaud qu'il y fait ? Le
mot rigueur feroit ici déplacé & à contre fens.
$
Page 101. M. Papon eft tombé dans la même
erreur que M. Bernard , de l'Académie de Marſeille ,
dans fon Ouvrage fur les mines de charbon de Provence,
qui a remporté le prix à cette Académie en
1780 , en rapportant l'anecdote des deux mineurs des
caux fulphureufes de Dauphin : il eft bien vrai qu'ils
faillirent y périr par l'odeur méphitique qui en fortit ;
mais un payfan les tira affez à temps pour leur fauver
la vie , & les outils y reſtèrent fans qu'on ait eu
envie d'aller les chercher.
Page 173. M. Papon , en parlant de caffis , fait
mention du corail qu'on trouve dans ces parages ,
& tout de fuite il explique la manière dont il eft produit
; mais en lifant les Voyages de Cook , Banks &
Solander dans les mers du Sud , où plufieurs fois
leurs vaiffeaux faillirent périr fur des rochers immenfes
de corail , il me paroît qu'il faudroit des
polypes prodigieux & en bien grand nombre pour
produire des maffes fi énormes & fi étendues.
A l'article des Plantes de la Provence , l'Auteur
prétend que la feule différence qu'on trouve entre le
fafran cultivé & le fafran agrefte , confifte dans la
culture. M. Gérand de Cotignac , qui lui a fourni
94
MERCURE
cet article , affurément n'a pas fait mention d'une
pareille différence , qui , dans le fond , feroit nulle' ;
mais il y en a une bien effentielle , qui eft que le
fafran cultivé Aleurit en automne , & le fafran agrefte
fleurit à la fin de l'hiver ou au commencement du
printemps ; différence que le plus habile Agriculteur
ne fera jamais difparoître : d'ailleurs , M. Dantoine ,
célèbre Botaniste de cette Ville , m'a affuré avoir
trouvé une différence fenfible dans la comparaifon
de ces deux Plantes.
M. Papon dit à l'article du grand génévrier , que
cet arbre n'eft bon qu'à brûler. Il ignore donc que
c'eft de lui qu'on tire l'huile de cade , qui fait aujourd'hui
une branche conſidérable de commerce.
Voilà , Monfieur , tout ce que je puis inférer
dans cette Lettre : fi vous trouvez mes obfervations
faites pour mériter une place dans votre Journal , je
vous prie de les y inférer.
SAINT - CLÉMENT , Officier
d'Infanterie.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ChНoоix d'Histoires intéreffantes , telles que la
Conjuration Pazzi contre les Médicis ; la renaiffance
des Lettres en Italie ; l'éducation fingulière de
Charles Quint ; des Anecdotes curieufes fur les
Sforces , Ducs de Milan ; fur les trois filles du Duc
de Nevers , dites les trois Grâces , & plufieurs autres
faits peu connus recueillis dans l'Hiftoire de diverfes
Nations , Volume in- 12 . A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques.
Difcours de Retraite pour les Religieufes , par
M. l'Abbé de Montis , 2 Volumes in 12. Prix , reliés
DE FRANCE.
95
s liv. A Paris , chez l'Auteur , rue de Vaugirard , au
coin de la rue Férou ; Morin , Imprimeur - Libraire ,
rue S. Jacques ; & Laporte , Libraire , rue des
Noyers.
Le Guide de ceux qui veulent bâtir , "Ouvrage
dans lequel on donne les renfeignemens néceffaires
pour réuffir dans cet Art , & prévenir les fraudes
qui pourroient s'y gliffer, par M. Camus de Mézières
, Architecte , 2 Volumes in - 8 °. Prix, 6 livres
brochés , & 7 liv. 4 fols reliés. A Paris , chez l'Auteur
, rue du Foin- Saint-Jacques , au Collège de
Maître Gervais ; & chez Morin , Imprimeur-Libraire,
rue S. Jacques .
Oraifon funèbre de l'Impératrice Marie - Thérefe
d'Autriche, par M. l'Abbé de Sauvigny, in- 8 °.
A Paris, chez Jorry , Imprimeur- Libraire , rue de la
Huchette , & chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
Laudatio funebris Aug. Maria - Therefia - Auftriaca
, Univerfitatis nomine ac juffu habita , in exterioribus
Sorbonæ Scholis. A. C. F. Dupuis , Eloquentiæ
Profeffore , in -4 ° . Parifiis , apud Viduam
Thibouft , in Platea Cameracenfi.
Notes critiques fur l'Éloge du Dauphin , par
M. l'Abbé Boulogne , in - 8 ° . A Paris , chez la Veuve
Thibouft , Place Cambray.
Le Trident , Poëme préfenté au Roi, par M. Digard
de Kergüette, ancien Ingénieur du Roi , in -4°.
A Paris , chez Morin , Imprimeur- Libraire , rue
$. Jacques.
Collection complette des OEuvres fpirituelles du
Père Judde , recueillies par M. l'Abbé Lenoir du
Parc , 2 Volumes in- 12 . A Paris , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue du Jardinet ; Crapart , Libraire , Place
$. Michel ; Eſclapart, Libraire, Pont Notre-Dame.¸
96 MERCURE
Defcription fommaire des Ouvrages de Peinture;
Sculpture & Gravure expofés dans les Salles de
l'Académie Royale , par M. D. V. in- 12. Prix ,
1 livre 4 fols. A Paris , chez Debure père , Libraire ,
quai des Auguftins.
Obfervations de Médecine - pratique. Quelles
font les maladies qui résultent de la dégénération
de la lymphe par l'influence des fix chofes dites en
Médecine non naturelles , par P. B. Deshayes , Doc.
teur en Médecine , & Médecin de la Maiſon du
Roi. A Paris , chez Guillot , Libraire , rue de la
Harpe , près du Collège de Bayeux ; & à Versailles ,
chez Dafier , Libraire , rue du vieux Verſailles.
L'Iliade d'Homère en vers , par M. le Baron
de Beaumanoir , 2 Vol . in - 8°. Prix , 3 liv. A Paris ,
chez Laporte , Libraire , rue des Noyers.
TABLE
EPITRE à mon Ami , 49 comparé avec le Monde Mo-
Stances à M. de Larive ,
Le Coucou & l'Alouette ,
Epigramme,
52 derne , 76
53 Traité des Evictions & de la
Garantie formelle ,
Enigme & Logogryphe , ibid. Comédie Françoife ,
541
Oraifons Funèbres de l'Impé- Comédie Italienne ,
ratrice-Reine ,
Amuſemens dujour ,
Le Nouveau Monde ,
56 Académie
82
83
86
୨୦
67 Lettre au Rédadeur du Mer-
68 cure ,
Monde Primitif anaiyfe & Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
91
94
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 14 Juillet . Je n'y ait
rica trouvé qui puiffe en einpêcher l'impreffion. A Paris ,
le 13 Juillet 1781. DE SANCY,
MERCURE
DE FRANCE:
SAMEDI 21 JUILLET 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES BOULEVARDS DE PROVINCE,
Épitre à M. CR. VAND. , d'Orléans .
LE printemps à nos Boulevards
Rend la verdure & tous leurs charmes ;
Déjà nos Beautés fous les armes
Y viennent briguer nos regards,
La mode affigne fous des hêtres
Le plus brillant des rendez - vous ;
Nos merveilleux , nos petits - maîtres
Exhalent l'ambre le plus doux.
Nos Abbés armés de lorgnettes ,
Nos Robins aux cheveux flottans ,
Nos aimables impertinens ,
Et la foule de nos coquettes
Sam. 21 Juill 1781 .
Б
1
98
MERCURE
En lévite , en chapeaux galans ,
Couronnés de riches aigrettes ,
Recueillent dans ces courts inftans
Le fruit de leurs longues toilettes ,
ALLONS obferver de plus près
Cet effaim pouffé par l'uſage
Guettons ( mes crayons font tout prêts >
Les ridicules au paſſage.
Je veux , en t'offrant mes tableaux ,
Ami , te rendre encor plus chères
Ces promenades folitaires ,
Ces bois , ces prés & ces ruiffeaux
Qu'enfin, grâce à moi , tu préfères
Au bruyant concours de nos fots.
QUELLE eft cette maman fi ronde ,
Jeune de loin & preſque blonde ,
Qui yicillit en venant à moi?
C'eft l'éternelle Célimène ,
Qui depuis vingt ans ſe promène ,
Boude & rit fans ſavoir pourquoi.
EST-CE l'amitié qui raffemble
Ces trois Nymphes qu'on fuit de l'oeil ?
Non, non , mais la crainte , l'orgueil
Les joint , & réunit enſemble
Des rivales & nou des foeurs ;
Une gaîté feinte & folâtre
DE FRANCE. 99
Les raffurant fur le Théâtre ,
Leur fait braver les Spectateurs.
AMI ! garde-toi bien de rire
Des Alteffes que tu vas voir :
Obferve fur le grand trottoir
Vingt bégueules au faux fourire,
Toujours parlant fans fe rien dire
Vrais perſonnages de parloir !
Préfidentes & Confeillères ,
Lieutenantes & Tréforières ,
Elles marchent vaines & fières
-De la Charge d'un plat époux ,
Et ne pensent qu'avec courroux
Au début de leurs bons vieux pères .
BELLE encor , parée avec art ,
Ninon , dans la lice attirée ,
Et d'adorateurs entourée ,
Les enchaîne d'un feul regard.
L'Amour fur fes lèvres refpice,
Mais il fuit fon perfide coeur :
Sa voix trahit ceux qu'elle attire ,
Son gefte nient , & ſon ſourire
Comme les yeux eft impofteur.
DANS une demi-folitude ,
Sous l'ombrage d'un petit bois ,
Parmi des prudes de fon choix ,
J'entrevois la fraîche Gertrude
Ei
100 MERCURE
Dont l'oeil voit tout en tapinois ;
La riche & modefte dentelle
Couvre & pare fon cou charmant ;
Une croix , dévot ornement ,
Qu'un fin cryſtal orne & recèle ,
Et fa bague de facrement ,
Ont remplacé le diamant
Qui moins que fes yeux étincelle.
Dieux , fous fon ajuſtement noir ,
Son Andromaque & fon mouchoir ,
Qu'elle intéreffe & qu'elle eft belle !
Mais.... qu'elle a l'air de le ſavoir !
ARRÊTE , Mufe ! quelle audace !
Sans art , faus but & fans efprit
Je peins ce fexe qu'on chérit ,
Tandis qu'aux hommes je fais grâce
Médire eft une volupté ,
On fent cela fans être femme !
Mais notre fexe , en vérité ,
Vaut-il les frais de l'épigramme?
Eh ! quels font les Héros du jour !
Ç'a , Mesdames , en confcience ?
Des enfans à frêle exiſtence ?
De vrais colifichets de Cour ?
Des amans nuls ou fans prudence ?
Des marisjaloux fans amour,`
Tyrans moms rares qu'on ne penfe?
DE FRANCE . ΙΟΙ
VOYEZ-VOUS paffer fous vos yeux ,
Dans ces bofquets fi peu ruftiques ,
Ces pédans au front férieux ,
Aux rides creufes & cauftiques ,
Au long regard mystérieux ?
ET ces rieurs fi fardoniques ,
Petits colets , conteurs cyniques ,
Blaffards , blafés , tout bilieux ,
Colporteurs d'oeuvres fatyriques ,
De vénéneuſes philippiques ,
Et de libelles ténébreux ?
Er ces perfifleurs fcandaleux
Des moeurs & des vertus antiques ,
Plaifantant la terre & les cieux ,
Et faifis de terreurs paniques
Dès qu'un rhume s'empare d'eux ?
VOYEZ les nobles fans aïeux ,
Bien bêtes & bien dédaigneux ,
Fixant de profonds politiques ,
Formés par nos Mercures bleus ,
Et par les pamphlets bataviques.
Sous ces ifs taillés en portiques ,
Et tapiffant vos murs fameux ,
Par la Pucelle & par nos preux,
Voyez ces rimailleurs gothiques ,
Chantant en vers faftidieux
E iij
102 MERCURE
L'anecdote des cotteries ,
Et faifant pâmer leurs Sylvies
Qui les nomment délicieux.
MAIS , filence ! c'est entreprendre
Sur vos talens & fur vos droits.
Oui , oui , Mesdames ! c'eſt par fois
Un grand plaifir de vous entendre ,
( Affifes fur de verds fophas ,
D'un air diftrait , fans y prétendre , )
Blazonner les fots & les fats ;
Mais la revanche eft douce à prendre ,
Et vous ne faites point d'ingrats.
C'EST- LA que Momus vous effleure
Des traits qu'il décoche en riant ;
Là , qu'un nom moqueur & plaifant
Circule & fouvent vous demeure.
C'EST- LA que le jeune François,
Voyant de loin , lorgnant de près ,
(Pour vous mieux marquer fon eftime )
D'un coup- d'oeil choifit fa victime ,
Se forme , effaie avec fuccès
Ces airs fémillans & coquets
Qui le rendent , ma foi , fublime.
QUE fais-je , ô Dieux ! mon cher C....
Sans efforts pourras -tu me lire ?
Ton coeur, né fi doux & fi bon ,
DE FRANCE, 103
Doit abhorrer l'aigre ſatyre.
C'en eft fait , je reprends le ton
De ton efprit & de ta lyre.
Je le hais ce genre pervers;
Et tu fais fi jamais ma plume
Connut cette triſte amertume ,
Le poifon de l'ane & des vers !
Quand je fuis les longues allées
Où de nos Vénus étalées ,
Les charmes fe font admirer ,
C'eft pour ne pas y reſpirer ,
Avec le chaud & la pouffière ,
Un efprit de critique amère
Et le beſoin de cenſurer.
A CE monde faux & frivole ,
Et des vrais plaifirs dégoûté ,
Qu'une douce Société
Ennuie & jamais ne conſole ,
Laiffons une odieufe école
De luxe & de dicacité.
Dans ton parc fi frais & fi vafte ,
Loin du tumulte & loin du fafte ,
Allons , conduit par l'Amitié ;
Et dans nos entretiens utiles ,
Que les Rayracs & les Virgiles
De nos plaisirs foient de moitié.
E iv
104
MERCURE
PRÉS fleuris , vignobles fertiles ,
Bois fombres , campagnes tranquilles ,
Heureux qui , parmi vos douceurs ,
Coule des jours purs & paifibles ,
Que charment des femmes fenfibles
Et des amis chers aux Neuf Soeurs!
Si Palès , qu'en fecret j'adore ,
Comble mes innocens defirs ,
Ah ! j'en fais le ferment encore ,
Je fuis la ville & fes plaifirs.
Sur les coteaux , dans mes loifrs ,
Affis fous un vieux fycomore ,
Sans dédain , comme fans regrets ,
Je contemplerai ces palais
Qui fe perdent au fein des nues ;
Et fur les tours interrompues
D'un temple célèbre à jamais ,
Je verrai s'allonger ces graes ,
Machines dans l'air fupendues
Qu'affiègent les brouillards épais ,
Noires vapeurs qui , comme un dais,
Couvrent les cités corrompues ,
Leurs habitans & nos forfaits.
RETRAITE heureuſe & bien aimée ,
Quand pourrai-je enfin t'habiter ?
Oh ! qu'avec joie on doit quitter
Le bruit , la fange & la fuinée
Pour livrer fon ame calmée
:
DE FRANCE. 105
Au doux bonheur de végéter !
Ce mot t'étonne ; mais , écoute :
Lorsqu'on a fervi les humains ,
C'eſt un droit qu'on acquiert fans doute.
Ami , mes titres font- ils vains ?
Je comptois trois luftres à peine ,
Et déjà je portois la chaîne
Que je traîne encore aujourd'hui ;
En la rompant , je ne ſouhaite
Que de jouir dans ma retraite
Du repos qui m'a toujours fui.
Ainti , le tonnerre & l'orage
Grondent pendant que je t'écris.
Bientôt dans l'humide nuage
. Brillera l'écharpe d'Iris ;
Et les haleines épurées
De zéphire enfin de retour ,
Se jouant fur les fleurs dorées
Qui peuplent mon riant ſéjour ,
Finiront l'orage & le jour
Par la plus belle des foirées.
( Par M. Bérenger.
E▾
106 MERCURE
IMPROMPTU écrit , dans un Café , au bas
de l'Énigme du Mercure du 7 Juillet , en
réponse à quelqu'un qui avoit cru la deviner
en écrivant en marge , rien.
VOUS ous vous trompez fans contredit,
Vous , qui croyez que rien eft le fens de l'Énigme :
Moi , fans être un devin fublime ,
Je gage que
le mot, eft que chacun vieillit.
( Par M. Mayeur, Abonné. ·)
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'Enigme eft Épingle ; celui
du Logogryphe eft Réverbère , ou fe trouvent
verre, ré , ver , verbe , rêve.
ÉNIGM E.
UN brutal m'enlève à ma mère ,
M'arrache d'abord les cheveux :
Prélude , hélas ! des maux affreux
Qui doivent combler ma misère.
Le fer à la main , mon bourreau
Me fait.... Tu frémis , ô Nature !
Me fait au ventre une ouverture,
DE FRANCE. 107
Et m'effondre ainfi qu'un levreau.
Puis il retourne fa victime ,
Et fans pitié me fend le dos ,
Me mutile ; & dans un abyfme ,
Où croupiffent de noires eaux ,
Me précipite.... & m'en retire
Pour m'y replonger mille fois.
Il faut , après un tel martyre,
Suivre à la pofte le fatyre.
Et quand il m'a miſe aux abois ,
Lors il me jette à la voirie……….
Tu ris.... ô ciel ! quelle noirceur !
Cruel ! ....tes mains , je le parie ,
En out fait autant à ma foeur.
LO
( Par M. C.... Avocat.
GRY PH E.
HABITANT fortuné du plus beau des féjours ,
Je coule dans la paix la plus heureuſe vie ;
Je reſpire la joie , & je chante toujours :
Ne fuis-je pas digne d'envie ?
Faut-il m'expliquer clairement ?
Écoutez ; quatre pieds compofent tout mon être a
Si vous cherchez à me connoître ,
Arrangez-les diverſement .
D'un fiècle vous aurez la centième partie ;
L'art de fendre fans barque un perfide élément ;
E vj
108 MERCURE
Ce qui tranche nos jours , & qui fait le tourment
De la femme qui veut fans ceffe être jolie ;
Un gros poiffon de mer ; une Ville , un pronom ;
Je vous préfente encor une Sainte , & le nom
De l'animal au chant fi plein de mélodie ,
Courfier à longue oreille , aimant peu le galop ,
Et qu'on nomme fouvent roffignol d'Arcadie .
Ma foi , Meffieurs , j'en ai dit trop.
( Par M. Fréville. }
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
L'AVEUGLE PAR AMOUR , par l'Auteur
de Stéphanie & de l'Abailard fuppofé ,
avec cette Épigraphe :
Mourante pour lui feul , je mourois confolée.
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez P. Fr. Gueffier , Imprimeur Libraire ,
au bas de la rue de la Harpe. Vol. in- 18.
EUGENIE , fille du Marquis de Lurfal ,
perd fes parens dans un âge fort tendre ;
elle eft mife dans un Couvent par les ordres
de fon tuteur , qui lui propoſe bientôt & lui
préfente pour époux le Duc d'Offane . Celuici
ne lui infpire que de l'eftime. Elle fe lie
de l'amitié la plus tendre avec une jeune
Penfionnaire nommée Mlle Dolmelle , dont
DE FRANCE. 109
le frère fait connoiffance avec elle , en fe
difant l'envoyé du Duc , & l'un des Officiers
de fon Régiment . Voir Eugénie , & l'aimer
n'eft que l'affaire d'un inftant. Eugénie de
fon côté ne partage que trop tôt les fentimens
de Dolmelle ; ils font heureux , ou du
moins ils croient l'être. Un oncle de Dolmelle
, fon bienfaiteur & fon appui , tombe
malade ; il eft obligé de l'aller joindre dans
fes terres , qui font fort diftantes de la Capitale.
Là il rencontre une vieille Dame
nommée Alaminte , qui lui propofe la main
de fa nièce , très-jolie & prodigieufement
riche. Dolmelle aime trop Eugénie pour
accepter une pareille propofition ; il la refufe,
& Alaminte en eft indignée ; elle jure
en fon ame de ſe venger de ce refus , & elle
ne réuffit que trop , comme on va le voir.
Le Comte de Dolmelle réunit tous les
avantages du corps & de la figure ; mais fon
efprit eft crédule , & le caractère de fon
amour le porte naturellement à la jalousie ,
& même à la défiance. Alaminte , qui a découvert
fon amour pour Eugénie , lui donne
des foupçons fur la foi de cette dernière ;
elle lui fait entendre, avec beaucoup d'adreffe,
qu'Eugénie peut être ne l'a aimé qu'à cauſe
des graces de fa figure , mérite frivole à la
vérité , mais qui féduit trop fouvent les jeunes
perfonnes . Plufieurs lettres d'Eugénie à
fon amant s'égarent malhenreufement dans
ces entrefaites , & le filence d'Eugénie , auquel
Dolmelle ne devoit point s'attendre,
ILO MERCURE
ne fait que confirmer fes, foupçons ; cepen
dant, comme il connoît l'ame d'Eugénie ,
sûr qu'il en fera plus aimé encore fi elle apprend
qu'il lui eft arrivé quelque grand malheur
, il lui mande qu'un accident affreux
l'a privé de la vue , & qu'il eft devenu toutà
fait aveugle. Qu'on juge de l'impreffion
terrible que fait cette nouvelle fur l'ame
tendre & vraie d'Eugénie ! Son tuteur n'eft
plus ; elle peut difpofer de fon fort & de
fa main bienféances , périls , elle brave
tout pour voler au fecours de fon malheureux
amant ; elle quitte fon Couvent avec
Mlle Dolmelle , fon inféparable amie . Comme
elles font prêtes d'arriver dans les terres
qu'habite le Comte , un fecond envoyé apporte
à Eugénie une autre lettre ( mais celleci
a été écrite par Alaminte ) , dans laquelle
le Comte fait dire à fon amante qu'il n'ofe
point la recevoir , de peur de l'effrayer , &
qu'il va à jamais s'enfevelir dans un Cloître.
Cette feconde lettre eft pour Eugénie un
coup de foudre : égarée par fon amour , par
fa douleur & par fon défefpoir , elle prend
une réfolution autant au - deffus de fon
fexe que de fon âge. Son tuteur lui avoit
laiffé , avec beaucoup d'autres curiofités naturelles
, une liqueur dont l'effet étoit de
faire perdre la vue fans rien ôter aux yeux
de leur beauté , & elle étend fur les fiens
cette liqueur ténébre ſe. Pendant ce cruel
facrifice , Mlle Dolmelle ayant été prévenir
le Comte de l'arrivée de fon amante , tous
DE FRANCE. 111
-∞
"
deux revolent au devant d'elle , & qu'on fe
figure leur furprife , & fur tout le défefpoir
de Dolmelle , lorfqu'il voit fa belle
maîtreffe noyée dans les larmes , & tournant
vers le Ciel & vers fon amant des
yeux qui ne peuvent plus les contempler !
Tranfporté , furieux , il veut fe tuer & tuer
Finfâme Alaminte. Eugénie , fon intéreſfante
victime , l'adorable Eugénie le défarme
par fa douceur , le calme par fa réfignation
& la conftance plus qu'humaine.
" Eh ! crois - tu , lui dit- elle , crois - tu que
j'envie au refte des humains la lumière
dont tu ne te confoles point de me voir
privée ? Il eft, il eft pour le coeur où tu
règnes une clarté plus douce , plus vive ,
» plus durable : le déclin des jours , les
voiles de la nuit , le poids même des années
tant que ta maîtreffe refpirera n'y
" pourront apporter nul changement .Nous
fommes bien loin des temps inévitables
où la beauté fe Alétrir , où la fanté s'altère ,
où l'âge fe prononce triftement fur les
traits ; cependant ils viendront pour toimême
ces temps rigoureux auxquels la
» deftinée a foumis l'homme , & dont
l'amour , que dis - je , hélas ! Pamour le
plus fidèle ne peut le garantir eh bien !
» je n'en appercevrai pas en toi les ravages,
non qu'ils euffent pu te rendre inoius aimable
à mes yeux ; mais avec quelle terreur
une amante doit voir tout ce qui lui
rappelle que peut - être elle eft condamnée
ود
"
"
ג כ
112 MERCURE
» à ne pas finir la première , & qu'il n'y
» a d'immortel que fon fentiment ! »
Voilà de quel ftyle tout ce Roman eft
écrit en eft- il de plus pur , de plus élégant
& même de plus énergique ? Mais pourfuivons.
Un coupable que l'on pardonne , profite
ordinairement de ce moment d'indulgence
pour obtenir une nouvelle grace. Le
Comte demande la main d'Eugénie & l'obtient.
La Comteffe a des terres fuperbes :
c'eft- là , c'eft dans ce beau féjour que les
deux époux coulent avec Mlle Dolmelle les
jours les plus heureux ; ils y paffent trois
printemps fans que rien trouble leur félicité
; mais en eft il qui foit durable ? Un
procès de la plus grande importance les
oblige d'aller à Paris. Le Duc d'Offane , qui
a épousé cette même nièce d'Alaminte que
le Comte avoit déjà refufée , habite la Capitale
, ainfi que fon époufe. Celle- ci , auffi
méchante qu'Eugénie eft vertueuſe , ne tarde
pas à troubler le bonheur que fa rivale goûte
avec un époux adoré : d'abord , pour gagner
la confiance de Dolmelle & le faire tomber
plutôt dans fes pièges , elle lui fait l'éloge le
plus pompeux d'Eugénie , & fous main elle
lui envoye des lettres anonymes , où l'on
cherche à ternir fes vertus . Ces lettres & les
fréquentes vifites du Duc chez Eugénie renouvellent
la jalouſie de Dolmelle. La Ducheffe
profite de ce moment ; elle s'arme de
tout ce qu'elle a d'aimable pour féduire le
Comte. Il eft jeune , impétueux , ardent ; il
DE FRANCE. 113
devient infidèle : fon crime eft fuivi des plus
vifs remords ; il retourne même chez Eugénie
pour en implorer le pardon . On lui dit
myfterieufement qu'elle eft avec le Duc , &
qu'elle a dit qu'on ne laifsât entrer que ce
dernier. Dolmelle s'alarme . Eugénie lui fait
un myſtère de ſon entrevue fecrette avec le
Duc. Dolmelle, prefque certain alors de l'infidélité
d'Eugénie , revient chez la Duchelle ,
lui laiffant voir toutefois qu'il adore Euge
nie. De nouveaux indices lui confirment
ou femblent lui confirmer la perfidie de
fon époufe : il rentre enfin chez lui , accablé,
prefque mourant des maux que fouffre
fon ame. Sur ces entrefaites le vieux Baron
Dolmelle , fon oncle , & Mlle Dolmelle fa
foeui arrivent. Les époux fe revoient. Dolmelle
, toujours défarmé par la préfence
d'Eugénie , lui propofe de retourner habiter
la campagne. Eugénie refuſe cette offre , &
Dolmelle alors voyant fon époufe préférer
un féjour que le Duc habite , ne doute plus
qu'elle ne l'ait trahi. La Ducheffe , à force
d'artifices , l'entraîne dans les terres de la Baronne
de Zénanville. Le Duc , quoique toujours
épris en fecret d'Eugénie , profite de
l'abfence du Comte , non pour la féduire ,
mais pour faire paffer fur la tête de Dolmelle
le duché de Lurfal que fa Maiſon
avoit autrefois poffédé. Voilà ce qui a occafionné
fes fréquens têtes à têtes avec Eugénie
, & excité la fureur jaloufe de Dolmelle.
Ce fut encore pour cette raison qu'Eugénie
114
MERCURE
avoit refufé de partir avec le Comte. Bien
tôt cependant Eugénje , par le confeil même.
du Duc , va joindre fon époux chez la Baronne
de Zénanville. Là fe paffent pluſieurs
événemens qui mettent dans tout leur jour
les vertus d'Eugénie , le caractère emporté
du Comte & les vices de la Ducheffe. Les
bornes de cet Extrait ne nous permettent
pas d'en rendre compte : il faut les lire dans
Ouvrage même pour voir avec quel art ,
avec quelle vérité l'Auteur fait peindre &
manier les paffions . Le pathétique y eft
porté à fon comble. Enfin tout s'éclaircit.
Le Duc toujours généreux , toujours honnête
, découvre que fa femme le trompe ,
ainfi que Dolmelle ; elle eft bientôt punie ,
& l'innocence triomphe. Alaminte , l'infame
Alaminte , à qui cette méchante femme
ne paye point la feule penfion alimentaire
qu'elle fe fût confervée en la mariant au
Duc , Alaminte fe traîne mourante chez la
Ducheffe , la poignarde , & fe tue après
elle. Le Duc cependant , à force de recherches
, a trouvé un Oculifte très- verfé dans
la connoiffance des fimples , & qui lui fait
efpérer la guérifon d'Eugénie. Le Comte eft
auprès d'elle éclairé par fes fautes , repentant
, furieux , défefpéré, il fe plonge fon
épée dans le fein , & fe fait une bleffure
prefque mortelle ; il veut mourir à côté de
fon époufe , mourante auffi de l'excès de
fes infortunes . On lui dreffe à l'infu de celleci
un petit lit non loin de celui d'Eugénie.
DE FRANCE. IIS
C
Quarante jours fe paffent dans les tourmens,
dans les larmes & dans l'attente de la mort.
Mademoiſelle Dolmelle , pendant cet intervalle
, n'a point quitté fon amie ; elle
lui a prodigué les foins les plus tendres ,
ainfi que la Baronne de Zénanville , qui regarde
Eugénie comme fa fille. Une nuit
cependant le befoin du repos oblige Mlle
Dolmelle & la Baronne de s'éloigner. Les
femmes de la Comtefle , fa garde & celle du
Comte font endormies. Eugénie , que la
chaleur oppreffe , fe plaint du bandeau que
l'on a mis fur fes yeux. Le Comte l'entend :
pâle , défait , expirant , il ſe lève , il ſe traîne
jufqu'au lit d'Eugénie , & de fes mains défaillantes
détache le bandeau qui l'importune.
O bonheur ! Les fimples que pendant
quarante jours on a appliquées fur les
yeux d'Eugénie lui ont rendu la vue ; elle
voit fon amant , le reconnoît , l'embraffe :
quelle fituation ! Nous n'en conno ffons
pas de plus touchante dans aucun Ouvrage
de ce genre. Les deux amans renaiffent, leurs
forces & leur fanté reviennent peu - à- peu ;
c'eft l'amour autant que la Nature qui a
opéré ce miracle. L'Oculifte eft comblé de
préfens , le Duc de bénédictions. Quelque
temps après il époufe Mlle Dolmelle , qui
n'a pu réfifter à fes vertus , & ces quatre
époux font auffi fortunés qu'il foit poffible
de l'être. !
•
Un plan où tout fe lie , où tout le développe
, des caractères bien foutenus , bien
1
116 MERCURE
contraftés , des fituations tantôt pathétiques,
tantôt terribles , toujours déchirantes , une
imagination vive , mais dirigée par le goût ,
de la décence dans les tableaux les plus paffionnés
: voilà ce qui caractériſe ce Roman ,
Ouvrage d'une Femme connue déjà par des
productions non moins eftimables ; il eft
précédé d'une Épître à Madame de la Fayette,
dont nous allons citer quelques vers .
Par toi , la Mufe du Roman ,
De fa parure antique & chère ,
Se vit rendre tout l'ornement ;
Et ton coeur fut le Talignan
Qui feul t'enfeigna l'art de plaire.
Le coeur s'exprime fimplement ;
Il guida toujours ton génie ,
Et tu préféras fagement
Le langage du fentiment
Au jargon de galanterie.
Pour noi , qui jamais n'ai fu feindre,
Pour moi , je dois en convenir ,
Que l'habitude de fentir
Prive de l'heureux don de peindre;
Me permets-tu de ramaffer
Quelques fleurettes fur ta trace,
. S'il en eft encore au Parnaffe 3
Que ta main ait pu me laiffer ?
Nos plus jolis Romans ont été compofes
DE FRANCE. 187
par des Femmes ; mais aucune de celles quit
ont le mieux écrit en profe n'a compofé des)
vers auffi agréables. Mde la Comtelle de B...
eft la première qui réuniffe ce que la Nature
femble avoir divifé.
( Cet Article eft de M. le Chevalier de C....... )
DESCRIPTION générale & particulière de
la France , Ouvrage enrichi d'Estampes
d'après les deffins des plus célèbres Artiftes
, dédié au Roi . A Paris , de l'Imprimerie
de Pierres , Imprimeur ordinaire du
Roi , 1781 , grand in -folio , nom de
Jéfus , & fe vend chez les fieurs Née &
Compagnie , Graveurs , près la Porte S.
Michel ; Nyon l'aîné , Libraire , rue du
Jardinet ; Mérigot jeune , quai des Auguftins
; Esprit , au Palais Royal , & les principaux
Libraires du Royaume.
Le feul projet d'une Deſcription Hiſtorique
de la France , confidérée fous tous les
rapports, eft une de ces entreprifes nationales
qui font honneur au fiècle éclairé qui
les conçoit , & à la Société d'Amateurs , de
Gens de Lettres & d'Artiftes qui fe chargent
de l'exécution. La connoiffance des
lieux & la repréfentation des monumens.
doivent toujours accompagner l'Hiftoire fi
l'on veut la rendre utile & agréable. La pure
Géographie n'eft qu'une nomenclature dont
la féchereffe eft plus propre à infpirer le
dégoût de l'étude qu'à inftruire ; l'Hiftoire
r18: MERCURE
deviendroit bientôt inintelligible fans le
fécours qu'elle emprunte des Cartes. Quelque
bien exécuté que fût cet Ouvrage , il
auroit toujours befoin de la Gravure , non
pour multiplier de vains ornemens dont on
furcharge les Livres modernes , & qui ne
fervent qu'à en augmenter la valeur ; mais
en rappelant la Gravure à fa véritable deftination
, elle ferviroit à tracer les Cartes &
les Plans Topographiques des lieux , la vue des
endroits les plus pittorefques du Royaume,
celle des Villes , Bourgs & Châteaux les plus
remarquables , la repréſentation des Monumens
antiques & modernes , celle des objets
de l'Hiftoire Naturelle & de tous ces chefsd'oeuvres
de la Nature & de l'Art , dont la
defcription la mieux faite & la plus détaillée
ne peut même donner une idée claire
fans l'image de la chofe.
Tel eft l'avantage du plan de la nouvelle
Defcription Pittorefque & Philofophique de
la France , que la Géographie & l'Hiftoire
y marchent de front pour s'éclairer l'une
par l'autre , & qu'elles font accompagnées
d'Eftampes qui repréfentent les objets décrits
par
l'Homme de Lettres.
Il y a déjà eu huit livraifons d'Eftampes
dont nous avons déjà rendu compte fucceffivement
dans les temps où elles ont paru.
Nous ne nous occuperons aujourd'hui que
de la première Partie du Texte qu'on vient
de mettre au jour.
DE FRANCE. 119
L'on n'a fait d'autre objection contre le
plan de cet Ouvrage développé dans le
Profpectus , que celle de la difficulté d'exécuter
un projer aufli vafte. Les Éditeurs doivent
raffurer par ce qu'ils ont déjà mis au
jour. Ils y ont profité des recherches de M.
Beguiller fur l'Hiftoire de fon pays ; ils invitent
les Académies & les Savans répandus
dans les Provinces , à leur communiquer leurs
recherches & leurs lumières fur l'Hiftoire
Naturelle & Civile des Pays qu'ils habitent.
Ce concours de tant de perfonnes ne peut
manquer de rendre cette nouvelle Defcription
de la France un Ouvrage national auffi
curieux qu'inftructif , tant pour ceux qui
veulent approfondir les objets , que pour
les gens du monde qui fe contentent de les
effleurer .
La Préface qui eft à la tête de ce Volume,
rend compte des motifs qui ont porté
les Éditeurs à diftribuer les Provinces en
cinq grands Départemens déterminés par le
cours des cinq grands fleuves qui arrosent
la France, Cet ordre naturel , qui réunit les
avantages de toutes les autres divifions adoptées
jufqu'ici , en a de particuliers , tels que
ceux qui résultent d'une belle diftribution
pour l'Hiftoire Naturelle , Civile & Économique
du Royaume , & fur -tout pour
l'Hiftoire ancienne , puifque ce font les
mêmes lignes de démarcation qui fervoient
autrefois à diftinguer les principaux États
des Gaules avant la conquête des Romains ,
1.20 MERCURE
& lors de l'établiffement de la Monarchie
Françoife. On fait qu'autrefois les Gaules
ont été divifées en cinq grands Départemens
; favoir , 1 ° . la Germanie & la
Batavie , arrofées par le Rhin & toutes les
branches : 2. la Belgique , renfermée entre
le Rhin , la Seine & la Marne , & arrofée
par la Mofelle , la Meuſe , l'Eſcaut , la
Somme, &c. 3 ° . la Celtique , coupée en '
deux par la Loire , & compriſe entre la
Seine , la Saône , le Rhône & la Garonne :
4º. l'Aquitanique , comprenant le cours de
la Garonne & des rivières y affluentes , & le
côté oriental des Pyrénées : 5 ° . la Ligurie
Gauloife , renfermée entre le Rhône & les'
Alpes , qui comprenoit en même- temps les
Peuples Montagnards , comme les Allobroges
& tous ceux qui habitoient les régions
Alpines.
Lors de l'établiffement de la Monarchie
Françoife , les mêmes fleuves fervoient debornes
& de limites aux Nations barbares
qui s'étoient établies dans les Gaules. On y
trouve également les cinq Départemens
bien diftingués par le cours des mêmes riviè
res ; favoir, 1 ° . le Département Salique &
Ripuaire compris entre le Rhin & la Seine
fur le terrein des Belges : 2 ° . celui de la République
des Armoriques , compris entre la
Loire , la Seine & le long des côtes de l'Océan
3. le Département Visigot , qui's'étendoit
dans l'Aquitanique & la Celtique ,
depuis la Loire à la Méditerranée , & des
Pyrénées
T
DE FRANCE. 121
Pyrénées au Rhône : 4° celui des Bourguignons
, le long de la Saône & du Rhône
jufqu'aux fources du Rhin & aux Alpes :
5. enfin celui des Allemands le long du
Rhin. On remarque encore aujourd'hui , en
fuivant la même divifion , les traces de la
domination de ces différens Peuples dans
les dialectes des Provinces , dans les moeurs
& ufages , dans les loix & coutumes
locales.
Ce n'eft que long-temps après , que tous
ces Etats, réunis & fépares à plufieurs reprifes,
n'ont plus formé qu'un même corps de Monarchie
fous un feul Chef ; les diverfes Provinces
du Royaume , qui compofoient autant
de petites Souverainetés , ne font plus aujourd'hui
que de fimples Gouvernemens Militaires
& par commiffion . Ainfi , en adop
tant pour la Defcription moderne la divifion
politique & militaire de la France en
douze grands Gouvernemens généraux , qui
eft la plus univerſellement admife , & telle
qu'elle fubfiftoit encore à la dernière tenue
des Etats Généraux du Royaume fous
Louis XIII , en 1614 , ces grands Gouverne
mens , & les petits qui y font enclavés , fe
claffent naturellement d'eux - mêmes dans les
cinq grands Départemens, arrofés par autant
de fleuves qui ont tous une direction oppofée
& divergente pour embraffer dans leur
Cours tous les pays qui doivent compoſer la
Defcription de la France.
-
Le premier Département eft celui de la
Sam. 21 Juillet 1781 . F
122 MERCURE
Seine , comprenant l'ancien Domaine des
Rois Francs , & connu pendant les deux premières
Races , fous le nom de Royaume de
Neufirie , dont une partie fut concédée aux
Normands, Il comprend les quatre Gouvernemens
de Paris & Ile de France , de
Champagne , de Picardie & de Normandie.
Avant de décrire ces quatre grandes Provinces
, on doit donner l'ancienne Géographie
comparée à la moderne , & le Tableau hiftorique
de leurs révolutions fucceffives juſqu'à
la réunion des parties qui en avoient été
détachées,
Le fecond Département, celui du Rhône,
embraffera les Provinces de l'ancien Royaume
de Bourgogne, également divifées en quatre
grands Gouvernemens généraux ; favoir ,
ceux de Bourgogne , de Lyonnois , de Dauphiné
& de Provence , avec les petits Gouvernemens
qui y font enclavés. L'ancienne
Géographie & l'Hiftoire de ces Provinces
précèdent toujours leur defcription .
Le troisième Département eft celui de la
Loire & des rivières qui viennent perdre
leur nom dans ce fleuve, Il renferme toutes
les Provinces compriſes fous les deux Gouvernemens
généraux de l'Orléanois & de la
Bretagne ; il comprend l'Hiftoire des Peuples
Armoriques & des Bretons, qui ont eu leurs
Souverains particuliers jufqu'au feizième
fiècle,
Le quatrième Département , qui eft celui
de la Garonne , contient les Provinces d'ADE
FRANCE. 123
quitaine & l'ancien Domaine des Visigots ,
dont Toulouſe étoit la Capitale . Tous ces
pays font naturellement divifés en deux
grands Gouvernemens , comme ils l'étoient
à l'époque des derniers Etats tenus à Paris
en1614 ; favoir, le Gouvernement de Guyenne
& Gafcogne, & celui de Languedoc. L'Hiftoire
de la Narbonnoife fous les Romains ,
celle des Vifigots fous trente trois Rois , des
Marquis de Gothie , des Comtes de Touloufe
& des Ducs d'Aquitaine qui leur ont
fuccédé , offrent un beau fujet à traiter dans
fes rapports avec celle de la Monarchie.
>
Enfin, le cinquième & dernier Département
fera celui du Rhin ; il contiendrà tous
les Domaines acquis par la Maiſon de
Bourbon. Ces Provinces , réunies à la France
après en avoir été fi long-temps féparées ,
feront divifées en cinq Gouvernemens
celui de Franche -Comté, celui des TroisÉvêchés
, celui de Lorraine & Barrois
celui d'Alface & celui de Flandre. L'Hiftoire
& la Géographie de toutes ces Provinces
fe trouveront à la tête de leur Defcription.
L'Auteur commence aujourd'hui le Département
du Rhône par l'Hiftoire des Bourguignons
, Dominateurs des contrées arrofées
par le Rhône & la Saône. Cette Hiltoire
, divifée en cinq époques , eft terminée
par de favantes recherches fur les loix
moeurs, coutumes & ufages anciens de ees
Fij
124
MERCURE
Peuples. Tel eft le plan de cette Entrepriſe
immenſe.
On travaille actuellement à la Defcrip-i
tion de Paris , & l'on fera marcher de front
les deux Départemens du Rhône & de la
Seine , afin de jeter autant de variété dans
les Livraiſons du Texte, que les Graveurs enmettent
dans celles des Eftampes .
Il n'y a point de confufion à craindre à
cet égard , puifque chaque Gouvernement
militaire formera un Tome à part , dans
lequel on raffemblera les Eftampes qui y
auront rapport. En commençant par le
Gouvernement de Bourgogne , on a voulu
faire fuite aux Tableaux pittorefques de la-
Suiffe, publiés par M. de la Borde , Fermier-
Général , & les fieurs Née & Mafquelier .
C'est au Public à foutenir cette grande :
Entreprife. La Soufcription n'exige aucune
avance on paye en recevant , & l'on peut
ne foufcrire que pour la partie que l'on
defire,
HISTOIRE de la République des Lettres &
Arts en France , année 1780. Vol, in- 12 ,
Indocti difcant , & ament meminiffe periti.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Quillan l'aîné , Libraire , rue Chriftine ;
la Veuve Duchee , rue S , Jacques ;
Efprit , au Palais Royal.
L'AUTEUR , qui a déjà publié l'année
DE FRANCE. 125
1779 , & promet de donner auffi 1778 ,
époque à laquelle commencera l'Ouvrage ,
en expofe lui - même une idée fuffifante .
" M. le Suire établit , dit-il , une République
Littéraire fubfiftante au milieu du Gouvernement
politique . » Il a pour but d'éri
ger un monument dont on ne pourra bien
juger que quand on verra plufieurs années
reunies . Il veut faire un corps de différentes
parties auxquelles il tâche de donner de l'en⚫
femble & de la liaifon.
Son but eft moins de donner une idée
de chaque Ouvrage , quc de faire voir de
quel côté les études & les travaux fe font
tournés dans le temps qu'il décrit,
Le Chapitre de Voltaire & J. J. Rouffeau
nous a paru intéreffant. Il y eft queftion entreautres
des tombeaux de ces deux grands
Hommes. Celui de J. J. a été très - fréquenté
en pélerinage. Cet homme célèbre a toujours
eu beaucoup de partifans. « Quand il
»
parut fur l'horifon , dit M. le Suire , Voltaire
rempliffoit tout de fa gloire. L'envie
» étoit forcée de l'admirer en filence . On le
louoit à haute voix ; mais en fecret on
» n'étoit pas faché d'avoir quelqu'un à lui
oppofer. La Nature préfenta un homme
» d'un grand talent. On le reçut avec tranfport.
On l'éleva en face de l'idole enviée ;
on dreffa autel contre autel. Sa conduite
fingulière & tranchante oppofée à nos
" moeurs , parut de la vertu la plus décidée ,
Des perfécutions apparentés ou du moins
Fij
126 MERCURE
"
30.
"
exagérées , une pauvreté noble , volontaire
, tout annonça le jufte de Platon , le
» Socrate , l'Épictère , le Stoïcien moderne.
" En foutenant fon parti , c'étoit la vertu
» même dont on embraffoit l'image. Cette
» idée étoit feduifante , fur- tout pour les
jeunes gens , & c. "
L'Auteur jette enfuite des fleurs fur la
tombe de M. Dorat ; il caractériſe fa manière
, déplore fa deftinée , & met en oppofition
ce brillant Écrivain avec M. l'Abbé de
Condillac , Métaphyficien profond , dont il
raconte auffi la mort , & détaille les Ouvrages.
Il affocie au même convoi funéraire
les autres hommes illuftres que nous avons
perdus l'année dernière , donnant une idée
rapide du caractère & des travaux de chacun
d'eux. Enfuite fortant des tombeaux , il va
s'égayer fur des variétés , & raconte quelques
anecdotes piquantes. Il paffe de là dans
les Académies , dont il décrit les opérations ,
qui confiftent principalement à propofer
pour fujet de leurs prix des queftions inéreffantes.
Ces queftions ont pour but l'accroiffement
des lumières & l'avantage qui
en réfulte pour le bien de la fociété.
M. le Suire en vient bientôt au Chapitre
férieux des Sciences. Mais il tâche toujours
d'égayer fon fujet. Il fait reconnoître fa
gaieté jufques dans l'article de la Médecine
, en décrivant la façon de guérir de M.
Meſmer.
46
Ila , dit M. le Suire , une table qu'il
DE FRANCE. 127
» appelle magique , autour de laquelle fes
» malades attendent la fanté par inſpira →
» tion. On les récrée par le fon des inftru
» mens , & leur maladie doit partir avec une
fugue. »
»
Après avoir décrit les travaux , l'Auteur
peint l'efprit qui les dirige , & qui règne de
nos jours dans l'empire Littéraire. « Nous
» avions une immenfe collection de richef-
» fes ; on a fenti la néceflité d'en former un
» corps. Après avoir taillé les pierres , il
" falloit conftruire l'édifice . C'est ce qu'on
» a prétendu faire par la compoſition de
l'Encyclopédie. Depuis cette époque , plu
" fieurs gens de plume , dans un fiécle où
» la Littérature défrichée eft devenue davan-
» tage à la portée du vulgaire , ont formé
» des entrepriſes Littéraires. De - là toutes
les compilations qui paroiffent journel-
>> lement. »5
L'Auteur attaque auffi les abus de quelques
Journaux. « L'ufage de feuilleter ces
» Ecrits périodiques , a mis chaque Lecteur
» dans la malheureuſe habitude de difcu-
» ter , de vétiller ; au lieu de juger d'après
» fon coeur , & de fe livrer ingénuement à
» l'impreffion que devroit lui faire un Ou-
» vrage , il fe met à critiquer , à déraifonner
" par principes comme les folliculaires ; il
prend leur ton méprifant , & perd le
plaifir & le fruit de fes lectures.
و د
"
ور
» L'érudition que les Savans en us avoient
» jadis cultivée , mais que les petits maîtres
Fiv
428 MERCURE
» du Parnaffe affectoient depuis long- temps
» de dédaigner, s'efforce de reffufciter chez
» nous ; mais elle prend un cours different
33
de ci-devant. On fe fondoit jadis fur des
» autorités , fur des paffages grecs & latins.
Aux fables des Anciens on fubftitue à préfent
des conjectures fondzes fur des con-
» noiffances Phyfiques & Aftronomiques .
و و
L'Auteur expofe à ce fujet le fyfteme de
M. Bailly fur un Peuple du Nord d'où nous
viennent toutes nos connoiffances , & il
jette en paſſant quelques idées pour la réfutation
de cette hypothefe ; enfuite il remarque
que nous avons malheureuſement
paffe les limites du beau & du vrai. Nos prédéceffeurs
avoient brillé par l'un & par
l'autre nous voulons frapper en produifant
l'extraordinaire. Quant au goût , nous donnons
dans le gigantefque & l'outré : quant
à la Philofophie , nous nous jetons dans le
paradoxe. Rouffeau en a donné l'exemple ,
& M. Linguet a enchéri exceflivement fur ce
modèle , & c.
Telle eft en partie la fubftance du Chapitre
intitulé : L'Esprit du jour. Du Portique
& du Lycée l'Auteur palle au Theâtre , &
d'abord à celui de l'Opéra , qu'il appelle une
Académie hermaphrodite. Il rend compte
des nouveautés qu'on y a données ; enfuite il
peint la fupériorité que le Theâtre François
a reprife , fur tout par la Veuve du Malabar.
Le Théâtre Italien n'a eu que les feconds
Lonneurs , mais ce partage eft encore aſſez
6
DE FRANCE. 129
beau. Il a donné des Comédies , des Opéras
à Ariettes & des Opéras en Vaudevilles.
L'Auteur englobe enfemble tous les petits
Spectacles forains , fans favoir , dit - il , s'ils
font bien d'accord entr'eux ; c'eft , felon
hui , le feul afyle où le genre larmoyant n'ait
pas encore pénétré. Du Parnaffe il va faire
La cour à Minerve dans le Temple des
Arts.
La Mufique eft chez nous dans un état fi
Horiffant , qu'au dire de plufieurs perfonnes
nous fommes dans le fiècle d'or de la mufique.
La Peinture fournit peu , parce que ce
n'eft pas une année de Sallon. L'Architec
ture continue d'être en vogue ; tous les Arts
concourent avec la Littérature & les Sciences
, & confpirent avec le Gouvernement
pour la profpérité de la Nation .
CL
Enfin, après avoir peint en gros le réfultat
des travaux qu'on a vu paroître dans
toutes les parties , quoique le déclin foit
fenfible , l'Auteur finit par cette remarque.
Nous produifons tant de nobles efforts
au milieu d'une guerre qui elle - même
» eft conduite avec humanité , & que le
Monarque foutient fans charger aucune-
» ment fon peuple . Nos Rivaux , nos Enne
>> mis vantent eux - mêmes notre bonheur ,
>> envient notre fort , & nous admirent en
» mous combattant. Nous jouiffons de
" tous ces avantages avec l'efpérance de
plus grands encore quand nous pourrons
y joindre celui de la paix. Nous fommes
33
כ
39
Fv
130 MERCURE
39
dans une brillante carrière , avec une profpérité
encore plus brillante. Comment
» ne ferions- nous pas le peuple le plus gai
puifque nous fommes le plus heureux ? »
2
Voilà le précis de cet apperçu . Nous
avons tranfcrit l'Auteur le plus qu'il nous
a été poffible , pour donner une idée de fon
Ayle & de la variété qui règne dans fon
Ouvrage .
COURS de Mathématiques à l'ufage des
Élèves du Corps Royal du Génie , par
M. l'Abbé Boffut , de l'Académie Royale
des Sciences , Honoraire & Affocié libre
de l'Académie Rovale d'Architecture , de
l'Institut de Bologne , de l'Académie Impériale
des Sciences de Saint-Pétersbourg ,
Examinateur des Elèves du Corps Royal
du Génie , Infpecteur- Général des Machines
& Ouvrages Hydrauliques des
Bâtimens du Roi , &c . Troifième édition ,
revue & augmentée. Tome jer , Arithmétique
& Algèbre. A Paris , chez Claude-
Antoine Jombert , fils aîné , Libraire du
: Roi pour le Génie & l'Artillerie , rue
Dauphine , 1781. in- 8° .
L'AUTEUR de cet Ouvrage déjà connu &
jugé par les Géomètres , a cru devoir , dans
cette nouvelle Édition , y ajouter quelques
nouvelles théories , fimplifier plufieurs démonftrations
, en préfenter de nouvelles ,
lorfque celles qui fe trouvent dans les CuDE
FRANCE
131
vrages des Géomètres lui ont paru trop peu
directes ou trop compliquées pour des
Commençans.
Ce Volume eft le premier d'une nouvelle
Édition du Cours de Mathématiques de
M. l'Abbé Boffut . Il contient , outre les
Élémens d'Arithmétique & d'Algèbre , un
Difcours fur les Mathématiques , un fur
l'Arithmétique & un fur l'Algèbre . Ces
Difcours renferment un Tableau hiftorique
des progrès de ces Sciences , fuffifant pour
ceux qui ne font pas des Mathématiques
leur principale occupation , ou qui ne s'y
intereffent que comme Philofophes.
Ils font écrits avec la nobleffe qui convient
aux matières férieufes , & avec la
fimplicité dont le bon goût ne permet pas
de s'écarter en écrivant fur les Sciences .
Nous ne ferons pas ici de comparaifon
entre cette Edition & les précédentes . Nous
obferverons feulement qu'elle renferme plus
d'objets fous un moindre Volume , & furtout
plus de chofes qui appartiennent à l'Auteur
, qu'on ne doit s'attendre à en trouver
dans un Livre Élémentaire.
A
F vj
132
MERCURE
RÉFLEXIONS IMPARTIALES fur le progrès
réel ou apparent que les Sciences &
les Arts ontfait dans le dix huitième fiècle
en Europe , &c. précédées d'un Difcours
de Sa Majefté le Roi de Suède , en Suédois
, traduit en François & en vers Ita
liens , & d'un Effai fur l'explication hifto
rique que Platon a donnée de fa Républi
que & de fon Atlantide & qu'on n'a pas
confidéréejufqu'àpréfent , pourfervir d'introduction
aux mêmes Réflexions , Tome I,
par M. Bartoli , Antiquaire de Sa Majesté
le Roi de Sardaigne , de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles - Lettres , & c.
A Paris , chez Barrois l'aîné , Libraire ,
quai des Auguftins , 1780. in - 8 °.
DANS fes Réflexions impartiales , dont
il ne paroît encore que le premier Volume ,
M. Bartoli fe propoſe d'examiner « la réalité
ou l'apparence des progrès qu'on a fait
faire aux Sciences & aux Arts dans notre
fiècle en Europe. » Mais il a fait précéder ce
tableau de l'éloquent Difcours prononcé
par le Roi de Suède le 30 Octobre 1778 , à
l'Affemblée des Etats de fon Royaume , &
d'un Effai fur l'Atlantide , dans lequel il a
entrepris de prouver qu'on ne doit pas confondre
cette Ifle ni ces Atlantes , avec les
Mes & les Atlantes fur lefquelles plufieurs
Auteurs anciens ont écrit ; & que Platon n'a
cu d'autre but que de parler d'Athènes fous
le voile de l'allégorie.
DE FRANCE. 133
On peut compter parmi les époques les
plus intéreffantes des Athéniens , 19. leur
liberté perdue par les factions des Diacriens
, des Pédiens & des Paraliens ; 2 °. leur
liberté recouvrée après la mort ou l'exil des
tyrans ; 3. la deftruction de leur puiſſance
dans la guerre du Péloponèle par la défaite
totale de leurs foldats & de leurs flottes à
Syracufe.
D'un côté Plutarque dit que Solon com
mença un grand Ouvrage en vers fur l'hiftoire
ou la fable Atlantique , qui étoit in-
Séparablement inhérente aux Athéniens : de
T'autre , Diogène Laërce , fans parler de cette
hiftoire ou de cette fable , nous apprend que
Solon a compofé cinq mille vers , dont le
fujet eft la Republique d'Athènes . Platon
dit que Solon , fon parent , interrompit le
poëme Atlantique à caufe des féditions
qui ravageoient Athènes . Les amis de
Solon (fuivant Plutarque ) ne ceffoient de
lui répéter que le tyran le feroit mourir s'il
venoit à comprendre comme il parloit de
lui. Le Poëme Atlantique de Solon eut donc
pour fujet la première de ces trois époques
d'Athènes. Telle eft la conféquence qu'en
tire M. Bartoli.
Platon avoue quelquefois qu'il aime à ne
parler de certaines matières qu'en énigme &
par images; mais fi le voile de l'allégorie
étoit néceffaire au fage Platon , c'eft furtout
lorfqu'il avoit à parler des défaftres &
des vices d'Athènes. Il avoit dit ailleurs que
134
MERCURE
" toutes les Républiques mal gouvernées
défendent fous peine de mort aux Citoyens
de parler de la conftitution du Gouver
nement . »
Ce qui a le plus contribué fans doute à
induire en erreur fur l'explication . de l'Atlantique
, c'eft que Platon finit par faire
abîmer & engloutir cette Ifle ; mais il ne
s'agit ici que d'une fubmerfion métaphorique
, d'une difparition politique : l'Ile y
étoit affife ; elle ceffa de paroître , c'est-àdire
, de briller : c'eſt l'état de la décadence
politique exprimée allégoriquement. Platon
dit : Ily a en même temps , & non pas il y
fut une puiffance de Rois. Il en résulte que
cette puiffance exiſtoit encore.
D'ailleurs , fi la fubmerfion indiquée dans
le Timée eût été physique , comment pourroit-
on concilier ce dialogue avec le Critias
, où il s'agit , ex profeffo , de l'ifle Atlantide
? Platon y déclare expreffement que
Jupiter corrigea les Atlantiques pour les rendre
plus modeftes. C'eft une plaifante manière
de corriger les habitans d'une ifle ,
que de fubmerger l'ifle , de l'abîmer ! Si ces
Infulaires euffent été réellement fubmergés ,
le mot corrigea eût été , de la part du Philofophe
Platon , une affez mauvaiſe plaifanterie.
Platon va plus loin . Pour ranimer
le courage de fes Concitoyens , il leur annonce
, dans le Critias , que la puiffance
des Atlantiques fera rétablie. Leur fubmer
fion n'eft donc qu'allégorique.
DE FRANCE, 135
Tel eft à peu près le Précis de l'Ellai ,
dans lequel M. Bartoli propofe aux Savans
fa nouvelle explication de l'ifle des Atlantes.
L'entaffement de fes preuves annonce une
vafte érudition . Mais on nous difpenfera de
fuivre fa démonftration pas - à - pas, parce
que cette difcuffion nous meneroit trop loin.
D'ailleurs , M. Bartoli , plus jaloux de s'entretenir
avec les Savans que d'amufer les gens
du monde , a moins fongé à femer de fleurs .
fa differtation , qu'à la hériffer de citations
& d'autorités ; & ce fafte d'érudition pourroit
bien ne pas plaire à tous nos Lecteurs.
Après cet effai , l'Auteur palle aux Réflexions
impartiales fur le progrès réel ou
apparent des Sciences & des Arts , qui doit
avoir une fuite. Quant à ce qu'on en lit
dans ce premier volume , nous avons eu
beau redoubler d'attention , nous n'avons
pu y voir que le projet de réfuter l'opinion
des Littérateurs François , qui attribuent aux
Provençaux la renaiffance de la Poćfie en
Italie. Ainfi , ce juge impartial ne fe trouve
jufqu'à préfent que le vengeur de fon pays.
Quoi qu'il en foit , il eft à defirer que
M. Bartoh continue l'Ouvrage qu'il a commencé.
Ses réflexions , ne fuffent- elles pas
bien impartiales , pourront toujours être
utiles à fes Lecteurs . Avec une auffi vafte
littérature , il ne fauroit écrire fans ajouter
à la maffe des connoiffances publiques ; &
nous devons nous feliciter de le voir adopter
la langue françoife , pour faire part à
136 MERCURE
fes Lecteurs du fruit de fes études & du
refultat de fes opinions.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi 11 de ce mois , on a remis
l'Irréfolu , Comédie de Deftouches , en cinq
Actes & en vers.
1
Un homme dont toute l'irréfolution confifte
à paffer fans celle du defir d'épouler
une jeune perfonne à celui d'en epoufer
une autre , ne préfente pas un caractère
affez varié pour devenir intéreffant. D'ailleurs
, la foibleffe d'efprit qu'on doit
toujours fuppofer dans un irréfolu , peutelle
produire un caractère ? Nous ne le
croyons pas. Deftouches dit dans la Préface
de cet Ouvrage : qu'affervi par la règle
étroite des vingt - quatre heures , il n'a pas
voulu mettre Dorante à un plus grand nombre
d'épreuves , pour ne pas tomber dans
Finvraifemblance , & ne pas offrir un caractère
digne des petites maifons ; & dans ce
point , Deftouches a raifon . Mais il laille entendre
qu'il regarde fon perfonnage comme
un homme qui n'a d'autre défaut que l'irréfolution
, & qui , loin d'être méprifable , peut
mériter d'être plaint. Si quelque choſe peut
prouver que Deftouches n'a pas toujours
apperçu la véritable fin de l'Art Dramatique ,
DE FRANCE. 137
& qu'il manquoit de cette force comique ,
de cette railon profonde qui diftinguent
Molière de les rivaux , c'eft cette dernière
obfervation. De quel agrément peut être au
Theatre un perfonnage qui tient de la nature
un défaut qui le rend à plaindre ? Et fi
l'Auteur le place dans des fituations dont il
devienne la victime , & qui appellent le
rire fur une foibleffe en elle- même fort indifférente
, quel but peut il fe propofer ?
Celui de l'utilité ? Cela eft impoffible ; car ,
que fait à la morale un défaut dont on ne
fauroit fe défaire , & qui tient au tempérament
? Rien fans doute. L'agrément ou
l'utilité , voilà ce dont il faut que s'occupe
un Auteur Comique , & tant mieux quand
on peut faire marcher de front ces deux objets
; mais quand le premier marche feul ,
employer , pour le faire naitre , des moyens
qui affligent gratuitement l'humanité , c'eſt
ne pas annoncer beaucoup de philofophie.
Le véritable but du Théâtre eft l'amendement
des moeurs & la correction des ridicules.
Mais il faut diftinguer deux eſpèces de
ridicules, dont l'une appartient à la Scène, &
l'autre doit en être bannie. La première efpèce,
tient à la fottife , à l'amour- propre
mal- entendu , fouvent à l'infolence , quelquefois
à de mauvaiſes habitudes . Celle- là
mérite qu'on la pourfuive ; quoiqu'il ne
foit pas toujours facile de la corriger ; la
feconde tient à une foibleffe involontaire d'ef
prit ou de coeur , à une organiſation vicieuſe ,
138 MERCURE
le ridicule qui en réfulte eft un défaut né dont
il eft auffi malhonnête de blâmer celui en qui
on l'apperçoit , que de fe moquer d'un bollu
qui ne cherche point à fe donner les airs d'un
joli homme; enfin , c'eſt plutôt une infirmité
qu'un ridicule. C'eft pofitivement dans ce cas
que fe trouve l'Irréfolu de Deftouches , &
cet Auteur auroit dû voir qu'un tel perfonnage
n'eft point du tout Dramatique.
Ces réflexions ne nous empêcheront paš
de rendre juſtice au mérite qu'on remarque
fouvent dans cette Comédie . Le contraſte
des caractères de Célimène & de Julie eft
réellement piquant , ainfi que celui des deux
vieillards , Pyraute & Lifimon. Le perfonnage
de Julie eft très- agréable & fupérieur à
tous les autres. Nous ne donnerons pas les
mêmes éloges à celui de Mde Argante . Outre
qu'il eft extrêmement chargé , il eſt ſouvent
d'une indécence révoltante ; & ce n'eft pas
fans beaucoup d'humeur qu'on lui entend
dire de fon mari ,
Il avoit en biens fonds dix mille écus de rente ;
Mais je connus depuis qu'il avoit de ſurplus ,
En billets au porteur , plus de cent mille écus.
Cinq ans avant la mort , il m'en fit confidence ,
Et je fus me contraindre à tant de complaifance ,
Que le pauvre benêt crut que je l'aimois fort
Et qu'il m'a confié fes billets . Il eft mort ,
Grâce au Ciel , & c.
Ce n'est pas avec moins de répugnance
DE FRANCE. 139
qu'on la voit difpofée à fruftrer les filles de
ces cent mille écus, fi Dorante veut confentir
à l'époufer .
Tout ce que nous venons de dire contrane
un peu ce qu'on a avancé quelque part
fur Deftouches ; que par-tout dans fes Ou
vrages , on trouve la nature , le vrai & l'honnéte.
On a porté beaucoup de jugemens fur le
talent de cet Ecrivain , mais nous n'en connoif,
fons pas d'auffi judicieux d'auffi fain , d'auffi
bien apperçu que celui que l'on en trouve
dans les Mémoires Littéraires de M. Paliffot.
Nous nous abftenons de le citer , parce que
l'Ouvrage qui le renferme eft dans les mains
de tout le monde. P
Le Samedi 13 , on a remis le Mariage
Forcé , Comédie de Molière , en un Acte
& en profe.
Cette petite Pièce fut d'abord repréſentée
au Louvre. Elle étoit alors, en trois Actes
avec des Intermèdes , & on la nomma le
Ballet du Roi , parce que Louis XIV y
danfa. Elle fut réduite à un Acte , & jouée
avec fuccès fur le Théâtre du Palais Royal.
On a prétendu que l'aventure du Comte de
Grammont avec Mlle Hamilton avoit donné
à Molière l'idée de cette Comédie ; quelques .
Critiques ont combattu cette opinion ,
qui ne fait rien au mérite de l'Ouvrage. On
peut le regarder comme une farce ; mais
chez Molière , les farces même portent le
cachet du génie , & annoncent l'homme
140
MERCURE
profondément inftruit des effets de la Scène.
Voltaire a dit , en parlant du Mariage Forcé,
qu'on y remarquoit plus de bouffonnerie que
d'art & d'agrément. Nous oferons combattre
cette idée , malgré le refpect dont nous fommes
pénétrés pour l'Auteur de Mahomet .
Certainement on trouve dans le Mariage
Forcé beaucoup de bouffonnerie , & les deux
Scènes de Marphurius & de Pancrace n'en
font pas exemptes; mais qu'on les life , ou
qu'on les écoute avec attention , & l'on y
reconnoitra le grand Peintre des moeurs &
le fléau des ridicules nuifibles ; on verra avec
quel Art ces deux Scènes font filées , comme
la transition de l'une à l'autre eft heureuſe
& néceffitée par la fituation d'efprit où eft le
pauvre Sganarelle , on fentira que l'oppofition
des fyftêmes des deux Philofophes eſt tout- àla
- fois plaifante & comique. Que l'onjette un
coup d'oeil fur le dénouement , on trouvera
d'abord furprenant qu'on engage un homme
à prendre femme , en lui propofant de le
battre , ou en le perfuadant à coup de bâtons ;
niais on reconnoîtra Molière au filence qu'il
fait garder à Sganarelle , battu & oblige de
céder à la force , & ce filence eft un coup de
Maître. C'est dommage qu'on ait à reprocher
à Molière des libertés beaucoup trop
fortes dans les expreffions , ainsi que de
n'avoir point affez refpecté les moeurs dans le
perfonnage de Dorimène ,
Mais à l'humanité, fi parfait que l'on fut ,
Toujours par quelque foible on paya le tribut.
DE FRANCE.
140
VARIÉTÉ S.
LETTRE à M. DU H....
SANS ANS avoir l'honneur d'être connu de vous ,
mon cher Monfieur , je me fuis donné celui d'aller
plufieurs fois pour vous voir ; j'ai été étonné de ne
vous point rencontrer chez vous ; mais on m'a dit
que les hommes célèbres font prefque toujours invifibles.
: Tandis que l'on fe bat fur les mers , tandis qu'on
difpute de philofophie fans être Philofophe , tandis
qu'on s'occupe de modes , de Salle d'Opéra , ou
qu'on fe fait Anglomane , favez - vous bien ce qui
me paffe par la tête ? C'est une réforme dans nos
moulins.
+
J'ai voulu lire dans un Livre gros comme un
four , qu'on appelle l'Encyclopédie , l'article Mou-
Imm ; cet article ne m'a rien appris du tout ; il décrit
inutilement les Moulins des environs de Paris ; il
prétend que cette invention nous vient des Croifades
, fans nous dire quels étoient autrefois les
moyens qu'on employoit pour pulvérifer le bled .
$
Pour moi , Monfiear , je pense que les meules de
pierre font du plus pernicieux ufage , fur- tout dans
les
pays où elles font raffemblées
par un lien de
fer, & cimentées
avec du plâtre . La néceffité
de
piquer
ces groffes
maffes
, prouve
feule combien
notre farine
doit être remplie
d'émanations
pierreufes
que le frottement
de ces globes
pernicieux
dépofe
dans l'aliment
de première
néceffité
; de
forte que les Pratiques
de chaque
Moulin
ont avalé
tout ce qui manque
aux vieilles
meules
. Je ne parle
point de la quantité
de grain qui fe perd & fe dérobe
142
MERCURE
dans les cavités de ces groffes roches, dont encore
une fois les débris nous paffent dans l'eftomac , &
des parties imbroyées qui gâtent les plus belles
farines : c'eft à vous , Monfieur , à faifir l'importance
d'une chofe que mon petit génie de Montmartre ne
fait qu'indiquer.
Voici les moyens que j'oppoſe à cet abus ; mais
ma méthode ne fera point adoptée , parce qu'il eft
prefque impoffible de faire fortir le pauvre monde
de l'ornière de la routine..
Je formerois la meule dormante , c'est -à-dire ,
celle de deffous , de matière folide quelconque ;
j'en revêtirois la furface fupérieure d'une vigoureuſe
lame de fer battu & râpeux ; & la meule active ,
c'est-à-dire , la meule fupérieure , feroit faite d'un
bois fec alourdi en proportion néceſſaire & circulairement
engênée , avec la furface inférieure auffi
garnie d'une tôle en forme d'une groffe râpe
qui broyant nettement & facilement le grain
entre ces dentelures réciproques , produiroient une
farine faine & mille fois fupérieure à celle dans
laquelle nous croquons habituellement un quinzième
à-peu- près de parties terreufes & fabloneufes
qui fe trouvent néceffairement dans le caput-mortuum
des meules de pierre. Il n'y a que vous , Monfeur
, qui puiffiez faire attention aux réflexions d'un
Meûnier dans cette grande Capitale , où les fots
mangent du pain en méprifant celui qui le fait , & en
oubliant de bénir la terre qui le donne.
Je fuis , mon cher Monfieur ,
Votre très-humble Serviteur ,
Pierre ZEPHIRINET , ancien
Meunier à Montmartre.
DE FRANCE. 143
GRAVURES.
D
IANE au bain. Cette jolie Eftampe, gravée par
M. Viel d'après le tableau de feu M. Mettay , Peintre
du Roi , peut faire le pendant de celle de Sufanne
au bain , gravée par M. Porporati. Prix , 6 liv.
Vénus & l'Amour , Eftampe très-bien gravée par
M. Schuttze , Penfionnaire de S. A. S. & Electorale
de Saxe , d'après le tableau de Jules Romain ; elle
peut auffi fervir de pen:lant à celle de Léda , gravée
par M. de Saint- Aubin , d'après le tableau de Panl
Véronèse , qui eft au Cabinet de Mgr le Duc d'Or
léans . Prix , 4 liv .
On trouve ces deux Eftampes à Paris , chez Chéreau,
Graveur , rue des Mathurins , près de la rue de
Sorbonne.
ANNONCES LITTÉRAIRES,
OPUSCULES chimiques & phyſiques de M. T. Bergman
, recueillis , revus & augmentés par lui-même ,
traduits par M. de Morveau , avec des Notes,
Tome premier. A Dijon , chez Frantin , Imprimeur
du Roi; & à Paris , chez Moutard , Imprimeur de
la Reine , rue des Mathurins.
Effai fur la Minéralogie des Pyrénées , ſuivi
d'un Catalogue des Plantes obfervées dans cette
chaîne de montagnes , Ouvrage enrichi de Planches
& de Cartes , Volume in-4° . A Paris , chez Didot le
jeune, Imprimeur - Libraire , quai des Auguftins ;
Jombert , Libraire , rue Dauphine ; & Efprit , Li
braire , au Palais Royal.
144
MERCURE
Elémens de la Langue Françoife , par M. Fauleau
, Volume in 8 ° . A Paris , chez l'Auteur , rue du
Hafard ; Nyon, Libraire , au Collège des Quatre-
Nations ; Colas , Libraire , Place Sorbonne ; Elprit ,
Libraire , au Palais Royal.
Mémoires de la Cour d'Augufie , tirés de l'Anglois
du, Docteur Thomas Blackwell & de Jean
Mills, Ecuyer, fon Continuateur , par M. Feutry ,
feconde Édition, revue & corrigée , 3 Vol. in- 12.
A Paris , chez Cellot , Imprimeur- Libraire , ruo
Dauphine.
Tomes XLIII & XLIV du Répertoire univer
fel & raifonné de Jurifprudence , publié par M.
Guyot , in- 8 °. A Paris , chez Panckoucke , rue des
Poitevins , & Dupuis , Libraires , rue de la Harpe ,
près de la rue Serpente.
T ABLE.
LES Boulevards de Pro- Cours de Mathématiques à
Impromptu ,
97 l'ufage des Élèves du Corps
106 Royal du Génie , 130
Enigme & Logogryphe , ibid . Reflexions impartiales fur les
vince , Epitre ,
L'Aveugle par amour,
culière de la France ,
Defcription générale & parti Comédie Françoife ,
10s progrès des Sciences ,
132
136
117 Lettre à M. du H.... , 141
143
ibid,
Hiftoire de la République des Gravures ,
Lettres & Arts en France , Annonces Littéraires ,
1241
AP PROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 21 Juillet. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le se Juillet 1781. DE SANCY.
a
MERCURE
DE FRANCE
SAMEDI 28 JUILLET 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
V E R S
A MISTRISS B *** fur la haine
qu'elleporte au nom François.
Au feul nom d'un François vous devenez colère , U
Je vois vos beaux yeux s'enflammer.
Th , qui peut contre nous ainfi vous animer !
Nous craignons tant de vous déplaire ,
Vous favez fi bien nous charmer !
Tant de fierté fied mal aux Belles ;
Le courroux n'eft pas. fait pour elles.
Il dépare leurs traits , écarte les plaifirs.
Faire pour exciter les plus tendres defirs ,
Liviez-vous au penchant où l'Amour vous entraîne,
Je vous réponds de vos fuccès....
Eh ! pour vous venger des François ,
Sam. 28 Juillet 1781 . G
146
MERCURE
Qu'est-il befoin de votre haine ?
C'eft bien affez de vos attraits.
LE PETIT CHIEN ET SA MAITRESSE ,
Fable
CERTAINE femine avoit un Chien
Dont elle rafoloit : de tels goûts ne font rares :
! combien j'en connois de beaucoup plus bizatres!
Pour raifon je n'en dirai rien,
MAIS revenons à notre femme ,
Baifant , flattant fon favori
A la journée. On dit que le mari
Avoit , à ce fujer , grondé par fois Madame ,
Et toujours inutilement ,
Autant en emportoit le vent ;
Elle le laiffoit dire.... & lui , la laiffoit faire,
A mon avis , cet homme étoit prudent.
Pour un Chien , après tout , faut- il avoir la guerre ?
Et puis garre l'événement.
Ferme pour
fe venger a plus d'une manière.
BIJOU , c'étoit le nom de ce chien tant aimé
Étoit bien fait aufli pour plaire ;
Deux grands yeux bien fendus , un regard animé ,
Des oreilles à fleur de terre,
Le poil diverfement de taches parfemé,
DE FRANCE 147
Une taille fvelte & légère,
Tout en lui vous auroit charmé.
A ces dons , qu'il tenoit de la feule Nature ,
Ajoutez. ceux de la culture .
IL fautoit , danfoit , rapportoit ,
L'une & l'autre parte donnoit,
Et la révérence faifoit ;
Je penfe même qu'il parloit,
Car la Dame lui répondoit.
C'étoit à fes leçons qu'il étoit redevable
De tous ces différens talens.
La toilette , le jeu , la table ,
Du fexe ces doux paffe- temps ,
( Chofe aujourd'hui prefqu'incroyable )
Elle avoit tout quitté pour ces foins importans.
MAIS fes enfans , dira quelqu'un peut -être ,
Sans doute étoient des prodiges aufli ;
Une femme qui penfe ainfi
Dût fe faire un plaifir de leur fervir de maître .
OH! c'étoit fort bon autrefois ;
Mais de nos jours l'Hymen a d'autres lois :
Du foin de fes enfans il difpenfe une mère ;
N'eftt-- ccee pas affez de les faire ?
( Par M. l'Abbé Deherm .)
Gÿ
148 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent .
LE mot de l'Enigme eft Plume ; celui du
Logogryphe eft Ange , où le trouvent an ,
nage , âge , ange ( poiffon ) , Agen ; en ,
Anne ( Sainte ) , âne:
ÉNIGM E.
TANTOT un Roi me compte au rang de fes Provinces
,
Tantôt j'habite au fein des bois.
Souvent on me reçoit à la table des Princes ,
Souvent auffi dans le palais des Rois.
C'eſt fans doute un honneur; mais mon plus noble
titre
Eft de voir les humains me prendre pour arbitre.
On connoît ma droiture ; & fi l'avidité
Vous difpute votre héritage ,
Employez mon fecours ; avec intégrité
J'affigne à chacun fon partage
Plus sûrement que tous les Gens de Loi ,
Et ne prends jamais rien pour moi.
Par un Pandoure. )
DE FRANCE 149
LOGOGRYPHE , A PHILIS.
Tu veux , jeune Philis , que , par un Logogryphe ,
J'exerce , en t'égayant , ton efprit curieux :
Puiffes-tu déchiffrer l'ancien Hyérogliphe
Que mon foible crayon préfente à tes beaux yeux !..
Mon être fingulier , ou plutôt le mystère
Que ta fagacité va pénétrer foudain ,
N'offre point un ſeul mot : trois forment d'ordinaire
Mon enſemble , chéri de tout le genre - humain.
Pour les bien prononcer l'étude eft inutile.
Beauzée & du Marfais, Grammairiens favans ,
Se font tus fur ce point ; car les plus ignorans
Savent articuler ce langage facile
Sans maîtres & fans documens.
Des deux fexes par - tout il deviest l'idiôme.
Familier aux Bergers , il eft connu des Rois ;
Et celui qui cueillit la trop fatale pomme ,
Dans les vergers d'Eden , s'en fervit bien des fois....
Mais fa fubftance eft donc énigmatique , obfcure ?
Hé bien ! de ces trois mots , fi communs en François,
Le premier t'offrira dès l'inftant , je te jare ,
Un pronom perfonnel , que ta bouche , je crois ,
Naguère a fait entendre en certaine lecture ;
Que j'aimerois , Philis , oublier le fecond
Dans les doux entretiens où tu charmes mon âme !
Que j'aimerois , au lieu de ce terme trop long ,
Giij
15e MERCURE
Déformais employer.... Mais tu n'es pas ma femme,
Refte le dernier mot. La langue a beau vieillir ,
De tous ceux inventés par l'humaine induftrie ,
Ce mot , malgré le temps , vivra pour
Il fera refpecté par notre Académie.
l'enrichir.
(Par M ***. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRES de la Société Royale de
Médecine. Tome II . in- 4°. A Paris ,
chez Didot le jeune , Imprimeur-Libraire ,
Quai des Auguftins .
LES Volumes que publie la Société de Médecine
renferment trois parties : les Eloges
des Académiciens qu'elle a perdus , l'Hiftoire
des travaux de la Société , & des Mémoires
particuliers.
Les Éloges contenus dans ce Volume font
ceux de Linnaus , d'Arnaud de Nobleville ,
de Macbride , & de Barbeu du Bourg.
Nous en citerons quelques fraginens.
" On fera peut - être furpris ( dit M.
Vicq d'Azir , en parlant de Linnæus ) que
» nous n'annoncions point le Savant auquel
» cet Eloge eft confacré , avec le titre de
» Chevalier Von - Linne ; mais ayant à choisir
», entre deux noms , dont l'un a été illuftré
» par les Sciences , & l'autre créé par la
DE FRANCE. 151
» faveur , nous avons dû préférer le pre-
» mier.
" Peu de temps avant fa mort il traça ,
» dans une feuille écrite en latin , fon ca-.
ractère , les moeurs & fa conformation
» extérieure. Que l'on ne regarde pas l'a-
" mour-propre comme la caufe de cette fin-.
"
*
و د
"9
"
gularité ; M. Linnæus s'y eft peint avec
» des couleurs défavorables ; il s'y eft accuſé
» d'impatience , d'une extrême vivacité ,
» même d'un peu de jaloufie . On apperçoit
» ailément que ce tableau a été fait dans un
de ces inftans où l'homme le plus ver-
» tueux n'eft frappé que par fes defauts ; au
refte , on y reconnoît un Naturaliſte dans
la manière précife dont il parle de fa per-
» fonne. Il a porté la modeftie & la vérité
jufques dans cette efquiffe , & l'on peut
dire qu'après avoir décrit la Nature en
tière dans tous fes détails , il a mis la dernière
main à fon Ouvrage , qui feroit refté
incomplet s'il ne s'étoit pas décrit lui-
» même.
"
"
"3
» Le Gouvernement de Suède lui a fait
» élever un magnifique tombeau dans l'Eglife
Cathédrale d'Upfal , & le Roi a fait frap-
" per une médaille , offrant d'un côté le
portrait de M. Linnæus , & de l'autre une
Cybèle avec les attributs des trois règnes
, & cette légende : Deam luctus angit
amiffi . Sa Majefté a ordonné que l'on
ajoutât , Jubente Rege , afin de faire mieux
connoître fa volonté à cet égard. En effet ,
وو
"
1
Giv
152 MERCURE
و د
» les monumens font moins deflinés à perpétuer
la mémoire des grands Hommes ,
qu'à honorer celle des Nations & des
Rois qui favent rendre hommage à la
» fcience & à la vertu. »
Cet Eloge eft remarquable fur tout , par
une nomenclature exacte des travaux d'un
des hommes les plus laborieux & les plus
féconds qui aient jamais exifté , & par la
manière dont tous les Ouvrages y font ap
préciés. L'équité la plus exacte a dicté tous
ces jugemens .
M. de Nobleville , Médecin d'Orléans , a
été plus utile encore par fes vertus que par
fes travaux.
ود
La bienfaifance eft la vertu des ames
douces & fenfibles ; elle devoit donc être
» celle de notre Académicien , elle avoit
» même fur lui toute la force que les paf-
» fions prennent ordinairement fur les hommes.
Il s'annonça à Orléans comme le
Médecin des pauvres. « Quemes Confrères ;
difoit-il , fe chargent du traitement des per-
Fonnes opulentes , je me dévoue entièrement à
celles qui font dans l'indigence , & on ne me
difputera point cette part que je me fuisfaite.
""
" Plufieurs Citoyens aifés fe plaignirent
amèrement de cette préférence , foit parce
» que le mérite de M. de Nobleville étoit
connu des gens du monde , foit parce
que pour l'ordinaire , ils defirent vivement
tout ce qui paroît s'éloigner d'eux , &
qu'ils ont beaucoup de peine à obtenir.
C
DE FRANCE. 153
» M. de Nobleville favoit que les pauvres
ont befoin qu'on les nourriffe avant de
» les traiter , & il s'épuifoit en charités.
59
30
ן כ
Ç'auroit été peu pour lui de confom-
» mer ainfi pendant chaque année un revenu
affez confidérable , & de rendre aux indigens
des fervices dont la mort auroit eté
» le terme; il voulut que fes bienfaits lui
» furvécuffent , & il les perpétua en achetant
une maison grande & commode
» qu'il deftina aux allemblées du Collége
» de Medecine , & fur- tout aux confultations
gratuites que les Membres de cette
Compagnie y donnent chaque femaine ,
» depuis cette époque , en faveur des pau-
» vres , à l'exemple de la Faculté de Médc-
» cine de Paris. Une des conditions de cette
» Inftitucion eft , que fi le Collége de Mé-
» decine d'Orléans ceffe ou néglige ces confultations
, la maifon appartiendra dès ce
moment à l'Hôpital- Général de la ville.
Cette claufe paroîtra dure à ceux que
l'efprit de corps domine & aveugle ; mais
M. de Nobleville n'ignoroit pas qu'il étoit
» Citoyen avant d'être Médecin , & que les
devoirs de l'humanité font toujours les
premiers que l'on ait à remplir. "
39
"
M. Macbride s'eft diftingué fur- tout par
d'heureufes applications de la nouvelle théorie
de l'air gazeux à l'économie animale. Docteur
en Médecine , Chirurgien - Accoucheur
& Chimifte occupé des Arts , il comptoit
pour rien fa fanté lorfqu'il pouvoit le
"
Gy
154
MERCURE
senare utile fous un de ces rapports ; il
mourut à Dublin en 1778 , âgé feulement
de 13 ans.
*
Sa perte dans un âge auffi peu avancé
fut fuivie d'une confternation univer-
» felle. Il étoit devenu un de ces hommes
» dont une nation s'honore , & toute l'-
lande prenoit part à fa confervation.
"
ور
ور
39
ود
Nées
pour la peine autant que pour
» le plaifir , dévouées en quelque forte à
» l'éducation & au bonheur des hommes ,
deftinées à leur fournir le premier ali-
" ment & à leur prodiguer les premiers
foins , expofécs à un grand nombre d'infirmités
& de maladies dont cette noble
fonction eft la fource , les femmes ont
" toujours eu l'intérêt le plus vifà s'occuper
» de leur fanté & à choifir un Médecin ha-
» bile. Celui dont elles ont jugé la fenfibi
lité & les connoiffances proportionnées
» à leur tempérament & à leur caractère ;
celui auquel elle ont révélé les fecrets
» d'une conftitution foible & délicate ; celui
qu'elles ont en même temps chargé de la
confervation de leurs enfans , & des mains
duquel elles les ont reçus , eft devenu ,
» pour ainfi dire , néceffaire à leur exiftence ;
le perdre eft un malheur qu'elles reffen-
» tent vivement ; que l'on juge , d'après
» cette réflexion , des regrets que la mort
de M. Macbride excita parmi les Dames
les plus refpectables de Dublin , dont il
» croit le Medecin & Accoucheur.
»
»
93
DE FRANCE. Iss
" La mères de famille ont répandu des
» larmes fur fon tombeau , les Poëres y ont
jeté des fleurs , fes Concitoyens lui ont
confacré des éloges : il manquoit à fa
gloire d'être loué par fes Confrères au
milieu des armes & au-delà des mers qui
" divifent les Empires , fans mettre d'autre
» éloignement entre les Savans que celui de
» la diftance dont leur génie & leurs travaux
» franchiffent aifément l'intervalle . »
و د
و د
"
ود
و د
23
ور
M. du Bourg fur à la fois Homme de
Lettres , Philofophe , Phyficien & Médecin .
» L'époque la plus mémorable de la vie
» de M. du Bourg , a été fa liaiſon avec ce
Philofophe , qui femble être né pour
» allumer le flambeau des Sciences en Amérique
, pour tranfporter les Arts & l'induftrie
de l'ar cien, monde , & fur- tout
» pour brifer les premiers anneaux de ces
chaînes que le defpotifme d'un peuple
libre s'efforçoit d'étendre au - delà des
» mers , & d'appefantir fur fa patrie .
"
و ر
""
ود
2
و ر
» Le génie de M. Franklin anima M. du
Bourg , qui comptoir , parmi fes plaifirs
» & fes chagrins les plus vivement fentis ,
les fuccès ou les malheurs de la patrie fi
» chère à ſon ami , & qui fe glorifioit d'avoir
» été en France le premier allié des Amé-
❞ ricains .
و ر
» M. du Bourg ne reçut point en naifant
» ces rares difpofitions , qui font la fource
» du génie , mais il dût à la Nature des ta-
» lens que le travail a cultivés & rendu fruc
G vj
156 MERCURE
33
tueux. Son nom fera infcrit parmi ceux
des Citoyens utiles & des Littérateurs les
plus zélés : lié avec celui de M. Franklin ,
» il attirera les regards de la poftérité ,
qui n'oubliera point l'ami de ce grand
Homme. »
1
#
Ces citations fuffifent pour faire connoître
le ton fimple , ingénieux & noble
de ces éloges . Nous ajouterons que la difcuffion
des Ouvrages publiés par les Auteurs,
y eft faite avec une critique àla fois modérée
mais jufte , qui rend les éloges de M. de
Vicq dignes de fervir de modèle en ce genre.
Mais pour imiter avec fnccès le Secrétaire
de la Société de Médecine , il faudroit avoir
approfondi comme lui toutes les Sciences
qu'ont cultivées les Savans dont on eft
chargé de faire l'éloge. C'eft à ce prix feul
qu'on peut acquérir le droit de n'être
que juge.
L'Hiftoire de la Société renferme l'extrait
de toutes les Obfervations qui ont été communiquées
à la Société par les Membres ou par
fes Correfpondans. Nous indiquerons en par
ticulier, 1. des Recherches de M. Vicq d'Azir
fur l'inoculation de la maladie des bêtes à
cornes , qui a été fi funefte à plufieurs contrées
de l'Europe. Comme il paroît conftant
que les veaux nés de vaches qui ont eu la
maladie ne contractent étant inoculés en bas
âge , qu'une maladie légère , & qui cependant
fuffit pour les préferver , il en résulte
que par ce meyen on peut fe former au
DE FRANCE. 157
bout de quelque temps , dans les pays où
l'épizootie eft habituelle , un troupeau à
l'abri de la contagion.
&
2°. Un tableau des inoculations faites en
Franche- Comté : c'eſt la feule Province de
France où l'inoculation foit à la portée du
peuple. Des Inoculateurs payés par le Gouvernement
, parcourent des campagnes ,
inoculent gratuitement tous ceux qui leur
font préfentés lorfqu'ils les jugent bien difpofés.
On doit cet établiffement à M. de
la Corée , Intendant de cette Province.
>
En 1776 & 1777 , le total des Inoculés a
été de 17713 13 n'ont point eu la maladie ,
21 ont eu une petite- vérole , ou grave ou
fuivie d'abfcès , 7 font morts , mais 6 de ces
morts doivent être attribuées à des compli
cations de maladies. Il en résulte donc que
fur 175 2 inoculés , 22 feulement , c'est-à-dire ,
un fur 79 ont eu une maladie grave ; &
qu'un feul y a fuccombé. Si on compte ceux
qui font morts de maladies compliquées ,
nous trouverons fur 1758 inoculés 28 ou i
fur 62 qui ont eu une maladie grave , & 7
ou 1 fur 251 qui font morts. Remarquons
cependant que l'on ne peut fe mettre à l'abri
des complications dans la petite-vérole naturelle
, & que cela eft très -poffible pour la
petite -vérole inoculée.
Par exemple , ici l'un des 6 enfans qui
ont fuccombé avoit la gale , & c'eſt à la gale ,
rentrée deux mois après l'inoculation, que fa
mort doit être attribuée. Dans un autre la
158 MERCURE
petite - vérole étoit, compliquée avec une coqueluche
épidémique , & dans les 4 autres
avec la rougeole . Or , on voit qu'en n'inocu
lant que lorfqu'il ne règne pas d'autre épidémie,
on éviteroit les accidens de ce genre.
Quant au premier accident , on a obfervé
qu'un grand nombre d'enfans galeux ont été
inoculés en Franche - Comté fans inconvénient.
Ainfi , on pourroit regarder cette mort
comme étrangère à l'inoculation , & on auroit
alors , fur 1758 inoculés , 27 maladies
graves ou fur 65 , & 6 morts ou fur
293 .
A la fuite de l'Hiftoire fe trouvent les
Mémoires des Membres de la Société qu'elle
a jugés allez intéreffans pour les inférer en
entier.
Nous , citerons , 19. un Mémoire de M.
Raimond , de Marfeille , fur la conftitution
topographique de cette ville. On y trouve
une Obfervation fingulière fur les Fous ,
traités à Marseille dans un hôpital à part. Sur
35 qui y entrent année.commune , il en fort
28 de l'hôpital ; en forte que la folie eft à
l'hôpital de Marfeille une maladie curable
au point de guérir 4 malades, furs . Cela
fait - il l'éloge de l'humanité avec laquelle les
Fous y font traités , ou celui de l'habileté des
Médecins de Marfeille ; ou enfin à Marseille,
(où l'on remarque ici que fur 4115 habitans il
y en a un chaque année qui eft artaqué de folie
) cette aliénation d'efprit ficommune , eefltelle
d'un autre genre que celle qui eft dans nos.
DE FRANCE. 159
Provinces Septentrionales beaucoup plus rare
& en même tems beaucoup moins curable ?
Il paroît qu'il y a deux eſpèces de folies ,
f'une qui femble n'être que la maladie appelée
vapeurs, portée à l'extrême, l'autre qui
paroît être plutôt une maladie des organes
de la penfee. Les alienations d'efprit fi com
munes à Marfeille ne feroient- elles pas de
la première eſpèce ?
2°. Un Mémoire très - détaillé & très- inftructif
fur le traitement électrique que M..
Mauduit a fait éprouver à un grand nombre
de malades .
3.Un Mémoire de M. l'Abbé Teiffier, qui
confirme la propriété vénéneuſe qu'on attri
bue depuis long - temps à l'ergot du feigle , &
que , depuis quelques années , l'on avoit ré
voquée en doute.
Enfin , un Mémoire de M. Vicq d'Azir fur
l'opération de la taille.
Ce deuxième Volume nous a paru digne
du premier. C'est en multipliant des Recueils
auffi pleins d'Obfervations intéreffantes pour
les Phyficiens , & de connoiffances utiles à
l'humanité, que la Société de Médecine répond
à fes détracteurs ; c'eft ainfi que Cinna , Bri--
tannicus , Zaïre & le Mifantrope furent la
réponſe de nos quatre grands Poëtes aux Critiques
du Cid , d'Andromaque , de Brutus &
de l'École des femmes . L'effet de ce moyen eft
long ; mais de tous ceux qu'on peut employer
pour réduire fes détracteurs au filence on
aux injures , il eft le plus noble , le plus sûr ,
160 MERCURE
& même le feul peut-être dont l'intérêt perfonnel
bien entendu devroit fe fervir.
PANÉGYRIQUE DE S. LOUIS , Roi de
France , prononcé dans la Chapelle du
Louvre , enpréfence de MM. de l'Académie
Françoife , le 25 Août 1780 , par M. l'Abbé
du Tems, Chanoine, Archidiacre de l'Églife
de Bordeaux , & Vicaire - Général de Cambray.
in- 8 ° . A Paris , chez Demonville ,
Imprimeur de l'Académie Françoife , rue
Chriftine.
C'EST un beau fpectacle , fans doute , de
voir les Nations fortir du néant , s'étendre ,
s'accroître , fe précipiter enfuite dans l'abyme
qui engloutit toutes les générations ;
de contempler la fuperbe Babylone brifée ,
fuivant l'expreffion d'un Prophète , du marteau
dont elle avoit brifé l'Univers , en proie
à des vainqueurs , vaincus à leur tour par le
conquérant & le fléau de l'Afie ; de coufidérer
le coloffe de la puiffance Romaine
tombant fous le poids de fa propre grandeur
, devenu le partage des barbares qui ,
fur fes ruines fanglantes , établirent des dominations
nouvelles. Mais quelque intéref
fant que puiffe être le tableau général des
événemens qui changent la face des Empires
, il en eft un particulier , plus digne
encore de la curiofité d'un François , je veux
parler des révolutions qui ont porté le
Royaume de Clovis au plus haut degré de
DE FRANCE. 1611
puiffance & de gloire. L'Auteur du Difcoursdont
nous tendons compte , les a tracées.
avec autant d'énergie que de nobleſſe , dans
l'Eloge du fame Roi qu'il a prononcé en préfence
de la plus illuftre Compagnie Littéraire
de l'Europe. Dans la première partie ,
il compare Saint Louis avec fon fiècle , &
il préfente , à notre admiration , la fupériorité
& l'influence de fes lumières . Il développe
, dans la feconde , le caractère du
Saint qu'il célèbre , & il offre , ànotre amour,
le rare affemblage de fes vertus. L'Orateur ,
forcé de peindre le Gouvernement féodal ,
a rajeuni cette partie de fon fujet par un
parallèle entre la Conftitution Germanique
& l'Ariftocratie monftrueufe , qui a , pour
ainfi dite , étouffé la puiffance des Carlo-
Vingiens. Voici comment il s'exprime :
30
»
Près de nous il exifte encore une République
de Souverains , affez femblable à
» celle qui jeta nos pères dans le chaos de
l'Anarchie. Peu différentes dans leur origine
, qu'elles devoient l'être & par leurs
progrès & par leur destinée , toutes deux
prirent naiffance dans les bienfaits du
Monarque , prodigués jufqu'à l'épuifement
, par les Louis- le-Débonnaire , par
les Charles - le- Chauve , par les Charlesle-
Simple. Les dons de la foiblefle furent
bientôt parmi nous le patrimoine de la
3 force ; mais diftribuées à la valeur par la
prudence , les graces des Henri , des
» Othon , ne devinrent qu'inſenſiblement
162 MERCURE
l'héritage de l'ambition. Comme la foudre.
» qui fe nourrit des vapeurs de la terre ,
» pour y répandre fubitement l'épouvante ,
» le défordre & la mort , on vit tout-à-
» coup l'orgueil des Seigneurs François ren-
» verfer la Légiflation de Charlemagne , &
» brifer en mille éclats le tronc qui les avoit
» enrichis. Mais en Germanie , comme un
» fleuve qui pas à pas étend fon domaine ,
» le pouvoir des Grands , plus lent &
» moins terrible dans fa marche , envahit
" peu à peu l'autorité Impériale. En France ,
» les arrières - fiefs ne firent qu'accroître la
"3
"
39
confufion des Coutumes & le nombre des
» Tyrans ; chez nos voisins , la dépendance
» immédiate du même Chef maintint juf
qu'à l'interrègne une forte d'harmonie
» dins l'Empire. En France , où les efforts
» d'une Couronne héréditaire faifoient pen-
» cher l'Etat vers la Monarchie , Louis VI ,
par l'établiffement des Communes , prépara
la décadence des grands Vaffaux. En
Allemagne , où les intérêts des fiefs en-
» chaînoient ceux d'une Couronne élective ,
» les excès du défordre en furent le remède ,
» & la Bulle d'or de Charles IV affermit la
" Conftitution Germanique. Armé de fa
politique & de fes fuccès , le vainqueur
» de Bouvines diminua le contrepoids de fa
puiffance ; avec l'or des Indes , le trop
» ambitieux Charles- Quint eût acheté des
» Princes la balance du pouvoir ; mais , ainfi
que les fucceffeurs , il fauva la liberté de
DE FRANCE. 163
30
29
"
l'Empire en voulant l'affervir ; enfin
l'Allemagne obéit à des Loix pour le
» préferver d'avoir un Maître ; mais il
falloit un Maître à la France pour avoir
" des Loix , & ce fut Saint Louis qui les
» donna pour le bonheur de la Nation. »
Il feroit difficile de rapprocher d'une manière
plus fine , les époques , les progrès
la deſtinée des deux Gouvernemens dont il
sagit. Ce morceau nous a paru rénnir les
connoiffances de l'Hiftorien éclairé , & les
vues du Philofophe obfervateur , au mérite
de l'Ecrivain non moins diftingué par la vigueur
d'un pinceau brillant, que par les traits
d'une imagination féconde. L'Orateur parcourt
les Loix & les Etabliffemens de Saint
Louis . Parmi les défordres qui déchiroiene
le coeur paternel du Saint Roi , il cite la
main-morte , dont il retrace l'origine avce
autant de courage que de vérité : " Jour
» qui éclairas le premier Tyran , jour à ja
» mais déplorable , que ne puis - je effacer
jufqu'à la trace des malheurs que tu as
" vu naître ! Que ne puis-je faire oublier
» pour toujours les paroles que le premier
oppreffeur a fait entendre à fon efclave !
» Tiens , lui a - t- il dit , voilà des fers pour
toi , pour ta postérité ; courbe ta tête fous
» le joug que j'impoſe à ta foibleffe ; je fais
» qu'un guide intérieur te dirige ; mais je
» te défends de penfer & de fentir . Je con
" nois la nobleffe de ton origine ; mais ,
» au nom de l'orgueil , je te dégrade ; je
ود
و د
وو
ود
1
164
MERCURE
»
»
n'ignore point que tu es libre par effence ;
mais , au nom de la force , je t'alfervis.
Si je te permets d'avoir une compagne ,
» elle partagera ton infortune & tes fers ;
fi le Ciel d'accorde des rejetons , héritiers
» de ta fervitude , ils feront ma proie ; fi
» un téméraire ofe approcher de ces lieux
» pour te donner un égal , je l'enchaîne au
fol où tu refpires. Vas , arrofe cette terre
de tes fueurs , mon mépris fera la récompenfe
de tes travaux : fais- moi vivre au
» fein de la volupté , je te ferai mourir au
» fein de la peine & de l'aviliffement ; &
lorfque ton corps épuifé defcendra nud
» dans la pouffière, on m'apportera ta main
fanglante , pour qu'elle ferve de trophée
» à ma puiffance. » Ici l'Auteur fait allusion
à la coutume où étoit le Seigneur , de faire
couper la main droite de fon main - mortable
décédé , pour marquer que cette main avoit
appartenu au Seigneur , & qu'elle ne pourroit
plus le fervir. Après avoir montré ce
que fit le Saint Monarque pour adoucir la
rigueur de la fervitude , il dit : Alors , que
» pouvoit-il faire de plus , que de préparer
» une révolution ? Modérant l'ardeur de fon
» zèle , il évite avec foin les périls d'une
"
39
entrepriſe précipitée : femblable à un Gé-
» néral , qui , n'ofant combattre une armée
» trop nombreufe , lui enlève des convois ,
la gêne , l'affoiblit , & par des marches
favantes , s'achemine à la victoire , Saint
» Louis fe gardera bien d'attaquer de front
DE FRANCE.
165
"
tous les vices , tous les abus du Gouver
» nement François ; feignant même de refpecter
les intérêts des Grands , il dérobe
» à fes contemporains la marche de fon
» génie ; à la faveur du mafque de fon fiècle,
il s'avance dans la poftérité , il commande
» à l'avenir , & lors même qu'il n'eft plus ,
il règne encore. Oui , Meffieurs , nous
» devons toute notre légiflation à celle de
» Louis IX. Eh ! quel autre que lui a re-
"9
29
n
23
33
placé dans les mains de nos Monarques
» les droits épars du Sceptre avili , pour en
» former la puiffance publique ! Si parmi
" nous il fe trouvoit quelqu'un qui doutat
» de la profondeur des vues de Saint Louis ,
» voyez , lui dirions-nous , par quel reffort
fimple & puiffant il renverfe les Tribunaux
Souverains de fes plus redoutables Vaf-
» faux : reconnoiffez dans l'établiffement des
appels , de degré en degré jufqu'au trône ;
» le lien le plus capable de réunir , dans un
pouvoir commun , tous les Membres d'un
» vafte Empire : confidérez avec quel art il
» courbe les Seigneurs fous le joug de fes
Réglemens par l'abandon des amendes , &
» comment il enchaîne la tyrannie par l'a-
» varice : contemplez les Baillis, qui , comme
autant de Tribuns de la Souveraineté renaiffante
, franchiffent les limites du Do-
» maine , pour répandre dans les Provinces
Fefprit de fubordination & d'harmonie ,
» pour étendre les cas royaux , & ramener
»à l'unité tous ces petits états domestiques
"2
33
"
166 MERCURE
2
38
3
érigés par la barbarie féodale : admirez la
fageffe du père dans les droits exercés par
" le fils fur les Tribunaux d'Edouard , Roi
vaffal & prefque fujet ; l'ouvrage de l'aïeul
» dans les corps inftitués par Philippe-le-
Bel , pour être les Miniftres , les lumières
» & les foutiens de l'autorité : je pourrois
» dire enfin , admirez la grandeur du Saint
Roi dans la puiffance de la Monarchie ;
c'est lui qui , en rétabliſſant la dignité de
» la Couronne , affurera pour ſes fucceffeurs
le recouvrement des grands Domaines &
» le droit de parler en maîtres ; c'eſt lui qui ,
» en créant les vraies forces de fon Empire ,
» arrachera la France au joug Britannique ,
» & qui , fous Charles VII , Prince plutôt
couronné par la fortune que par la gloire,
» tentera du moins de réunir , par les Loix ,
» des Etats regagnés par les armes ; c'est lui
» qui , fous un règne de fang , dictera lest
préceptes de la raifon à un peuple en dé •
» lire , par l'organe de L'Hôpital , digne de
» fervir de modèle à tous les Chefs de la
» Juſtice ; c'eſt lui qui , en préparant l'ordre
» & la procédure de nos Tribunaux , placera
parmi les Rois Citoyens un Monar-
» que , dont le Règne , égal à celui d'Au-
» gufte , doit marquer à la postérité les bornes
de la grandeur & du génie ; c'eft lui
»
30
59
qui enrichira le Code François d'Ordon-
» nances immortelles , par le ministère de
» d'Agueffeau , de ce Sage qui , avec plus
» de confiance dans fes forces , cût occupé
DE FRANCE, 167
» un des premiers rangs parmi les bienfai
teurs de la Nation ; en un mot , c'eft fur
les traces de Saint Louis que s'eft traînée
» à pas lents la Légiflation Françoiſe , qui ,
» pour avoir befoin encore d'un Lycurgue
» courageux , n'en rend pas moins immortel
» le Prince dont la main habile a retiré le
Sceptre des ruines de l'anarchie. » C'eft
ainsi que l'Orateur attache au règne de Saint
Louis le fil des événemens qui ont préparé
la grandeur de la Nation Françoiſe ; il ne
pouvoit pas employer une tournure plus
heureuſe , pour affurer à fon Héros cette
fupériorité de lumières qui l'a rendu le Ref
taurateur de la Monarchie , le Guide & le
Bienfaiteur de la postérité.
M. l'Abbé du Tems nous paroît avoir
mieux faifi , que tous les Panégyriſtes fes
prédéceffeurs , le caractère de Saint - Louis. Il
commence la feconde partie en ces termes :
" Quelle eft donc la deftinée de l'homme ?
"
Né pour être heureux par la fageffe , pour
quoi faut-il qu'il trouve des obftacles à
» la vertu dans la vertu même ? Pourquoi
l'indulgence femble - t - elle incompatible
» avec la fermeté , la modération avec l'hé
» roïfme , l'amour de la patrie avec l'amour
des autres peuples , la politique avec la
» juftice , la fcience du trône avec la fcience
» du ciel ? Pourquoi faut- il que la route du
da
93
bien conduife aux excès du mal , & que
» tous nos pas vers la grandeur foient , pour
» ainfi dire , des traces de notre foibleffe ?
&
A
4
768
MERCURE .
20
Saint Louis marqua fa gloire d'un carae
tère inconnu jufqu'à lui. Un mélange de
»bonnes qualités prefque contraires , forma
en lui une forte de contrafte qui le diftingue
dans la foule des Rois ; & comune
fi Dieu s'étoit plu à verfer fur lui cous
fes dons , pour en faire l'étonnement
» & Fadmiration du monde , it allia la
bonté la plus touchante avec la juftice la
plus exacte , l'amour de la paix avec un
» enthoufiafme guerrier , l'humilité la plus
" profonde avec la majefté la plus impa-
» fante , toutes les vertus chrétiennes avec
» toutes les qualités royales. Se montrant
و د
?
fous des formes diverfes , felon les lieux
» & les tems , on eût dit qu'il changeoit
» d'ame avec les circonftances : toujours
» différent de lui-même , mais toujours ver-
» tueux , on admira en lui pour la première
» fois un grand homme , peut- être fans dé-
» fauts. M. PAbbé du Tems développe ,
dans le refte de fon Difcours , le contrafte
piquant qu'il a annoncé , d'un côté il fait
voir la bonté & la clémence de Saint Louis,
de l'autre la févérité de fa justice ; à fon
amour pour la paix , & aux facrifices qu'il
a faits pour l'obtenir , il oppofe l'ardeur
guerrière que Louis montra dans les guerres
faintes. Voici comment il parle de ces expé
ditions fameufes : Détracteurs de Louis ,
» c'eft en vain que vous effayez d'obscurcir
fa gloire remontez jufqu'à ces tems où
un folitaire enthoufiafte , formé pour fon
» fiècle ,
و د
ود
DE FRANCE. 169
"
23
""
"
"
» fiècle , peignoit avec tant d'énergie la defolation
de nos frères , courbés fous le
» joug comme les animaux les plus vils pour
tracer de pénibles fillons , en proie à tous
les outrages d'une fervitude accablante ,
» fouvent placés entre l'apoftafie & la mort :
>> réuniffez-vous dans la Capitale de l'Au-
» vergne aux auditeurs d'un Souverain Pontife
, qui , par des traits non moins pathétiques
d'une éloquence plus fage, cherchoit
» à détourner contre les Tyrans de la Paleſ-
» tine l'ardeur de nos guerriers , qui déplo-
" roit avec tant d'amertume la profanation
» des lieux faints , les calamités de l'Empire
d'Alexis démembré depuis Héraclius , par
» les triomphateurs de l'Afrique , de l'Ef-
» pagne , de l'Italie , bientôt maîtres de l'U-
" nivers ; alors , qu'euffiez - vous fait ? répondez
: ficut patres veftri , ità & vos.
Tranfportez-vous enfuite dans les champs
» de Vezelais , où , fi habile à dominer les
efprits , l'Abbé de Clairvaux embrâfoit
» tous les courages ; où , les fignes de la
» milice facrée ne fuffifant plus à la mul-
» titude , il déchira fès propres habits pour
» en faire des croix : alors , feuls contre
» tous , vous euffiez réfifté , fans doute ? ah !
» difons plutôt , ficut patres veftri , itd &
» vos. Revenus au Règne de Saint Louis ,
» repréfentez-vous les nouveaux Souverains
dépouillés par les Soudans d'Egypte & de
Syrie , les Chrétiens gémiffant fur les
» ruines de leurs conquêtes , & fur les
Sam. 28 Juillet 1781
"
"
"
"
ور
"
H
170 MERCURE
و د
fouillures de Sion , une foule de captifs
» foulevant avec effort des bras chargés de
chaînes pour appeler un Libérateur : té-
» moins d'un tel fpectacle , qu'euffiez- vous
fait ? Sicut patres veftri , ità & vos. Vous
» blâmez le zèle de Saint Louis ; mais , de
» nos jours , n'avez-vous pas applaudi à des
> entrepriſes contre ces Pirates de l'Afrique ,
qui voudroient rendre toutes les Nations
» tributaires de leur avidité ? Ou , ce qui
» vous touchera peut être plus encore , ne
» croyez- vous pas que la Juftice ait pu s'ar-
» mer contre un peuple qui , inſultant à
39
و د
ور
tous les pavillons , trouble dans les deux
» Indes , & jufques dans nos ports , le com-
» merce des autres puiffances ? Et vous
» changeant de poids & de meſure au gré
» de vos caprices , vous réclamez le droit
» des gens pour des ufurpateurs barbares ,
qui , tout couverts du fang de vos frères ,
» où les foumettant à l'erreur par la crainte,
préparoient des fers au monde ? Soyez
» d'accord avec vous mêmes , & je réponds :
»ficut patres veftri , ità & vos. » On ne
pouvoit pas juſtifier les Croisades avec
plus d'adreffe & de vérité ; ceux qui de nos
jours blâment ces entrepriſes avec le plus
d'emportement , euffent arboré la croix
du tems de Saint Louis , peut -être même
que loin d'en être les Cenfeurs, ils en euffent
été les Apôtres. Quoi qu'il en foit , nos ancêtres
trouvent leur excufe dans l'enthoufiafme
univerfel , qui , comme une fièvre
ور
DE FRANCE. 177
contagieufe , les embrâfa pendant deux fiècles.
D'ailleurs , il eft vrai de dire que les
Croisades furent une ligue formée pour la
défenſe des Empires ; fi elles dégénérèrent
en fcandales & en défaftres , il ne faut s'en
prendre qu'à la corruption des Croisées ;
& fans eftimer la fagefle par l'événement ,
ajoutons qu'il ne leur manqua que le fuccès,
pour occuper le premier rang dans les faftes
de la Politique & de la Religion.
Nous ne finitions pas , fi nous rapportions
tout ce qu'il y a de remarquable dans
le Difcours de M. l'Abbé du Tems. Nous
nous bornerons à dire que l'Auteur a parfaitement
développé cette fingularité de grandeur
, cette forte de contrafte qui diftingue
Saint Louis dans la foule des Rois ; qu'il a
rajeuni fon fujet par des idées neuves , par
des rapprochemens auxquels perfonne n'avoit
penfé avant lui , tels que le portrait :
de l'Angleterre , le parallèle entre S. Louis
& Charlemagne, où l'élégance du ſtyle ajoute
au mérite des penfées. Mais un morceau
vraiment pathétique , c'est le convoi du
Saint Monarque , dont la pompe funèbre
traverſe la France au milieu de la défolation
publique. L'Orateur, qui en cela n'eſt qu'Hiftorien
, fait accourir le plus grand nombre
des François fur la route de Lyon à la Capi
tale , pour rendre les derniers devoirs, au
plus chéri des Maitres. Après avoir dit que
du fond d'un cercueil Saint Louis pouvoit
interroger fon peuple , perfonne ne
Hij
172 MERCURE
pourroit l'accufer d'avoir été fon oppreffeur
, il fait paroître une foule de Citoyens
de tous les ordres , & même des Provinces
entières , qui tour - à - rour adreffent , à la
cendre de Louis , les témoignages les plus
touchans de la douleur. Comme les bornes
d'un Extrait ne nous permettent pas de nous
étendre davantage fur cet Excellent Panégyrique
, nous renvoyons nos Lecteurs à
l'Ouvrage même , que l'Auteur a enrichi de
notes vraiment inftructives. Les recherches
qu'il a faites fur la main-morte , lui donnent
des droits à la reconnoiffance de l'humanité
entière. Elles doivent être d'autant mieux
accueillies , qu'elles ont le mérite de l'àl'Académie
Françoiſe ayant propofe
pour fujet du Prix de Poélie , l'abolition
de la fervitude dans les Domaines de
Louis XVI. Nous ajouterons que l'Orateur
montre une ame d'une fierté noble & courageufe
, qui détefte l'injuftice & la tyrannie
; fon Difcours honore autant fon coeur
que fon efprit & fes talens. Le feul reproche
qu'on puiffe lui faire , c'eſt d'avoir un ſtyle
trop foigné , & peut- être des mouvemens
trop uniformes dans fa première partie , ce
qui nuit quelquefois aux effets de fon éloquence.
Mais c'eft le cas d'appliquer , ou
jamais , cette maxime d'un Poëte Philofophe
: Non ego paucis offendar maculis , &c,
propos ,
2
DE FRANCE. 175
DICTIONNAIRE raifonné de Phyfique ,
par M. Briffon , de l'Académie Royale
des Sciences , &c. deux Volumes in -4° .
de Difcours & un de Planches. A Paris ,
Hôtel de Thou , rue des Poitevins.
On ne peut difconvenir , dit un de nos
plus grands Philofophes * , que depuis le renouvellement
des Lettres , on ne doive en
partie aux Dictionnaires les lumières générales
qui fe font répandues dans la Société ,
ce zèle & ce germe de Science qui difpofe
infenfiblement à des connoiffances plus profondes.
L'utilité de ces fortes d'Ouvrages les
a peut- être rendus trop communs ; de forte
qu'aujourd'hui , lorfqu'on fe propofe de les
juftifier , on trouve beaucoup de perfonnes
difficiles à convaincre. Il eft cependant certain
que l'on a peut - être moins de reproches
à leur faire qu'aux Méthodes , aux Elémens
& aux Abrégés publiés avec tant de
profufion , & quelquefois avec fi peu de
difcernement fur les différentes Sciences.
La fatyre des Dictionnaires n'a donc aucun
fondement folide. Plus une Science eſt
cultivée , plus ce genre de production eſt
utile au Public. Il fournit un moyen commode
pour trouver fur- le- champ les renfeignemens
que l'on cherche ; & à cet avan-
* M. d'Alembert. Difcours Préliminaire de l'Encyclopédie
, page 173. Mélanges de Littér. T. 1 .
Hiij
$74 MERCURE
tage qu'un Dictionnaire , même médiocre ,
prefente , il en joint un autre lorfqu'il eft
bien fait , celui de fuppléer , par la préciſion
des Extraits & par les lumières de la critique
, à un grand nombre de Traités qu'il
n'eft ni aífé de réunir , ni facile de lire & de
comparer enfemble : travail dont l'Auteur
d'un Dictionnaire fe charge toujours , & qui
doit faire le principal mérite de la Colr
lection .
L'Ouvrage que nous annonçons eft digne
de ce double éloge. Dans un fiècle où les
Sciences femblent occuper tous les efprits ,
& où la Phyfique fur-tout eft tellement répandue
, que ſes notions principales font
devenues une partie effentielle de l'éducation
, un Dictionnaire deftiné à en expofer
les principes avec exactitude doit être bien
accueilli.
Le Dictionnaire de M. Briffon eft furtout
remarquable , en ce qu'outre une Nomenclature
complerte , prefque tous les
articles importans font autant de Differta
tions détachées faites avec l'impartialité néceffaire
dans une Science de faits.
On y remarque une belle fuite d'Expériences
fur la pefanteur des métaux pris dans
tous les états poffibles , & comparée avec
celle de l'eau diftillée. M. Briffon a même
étendu ce travail aux pierres , & il ne laiffe
prefque rien à defirer à ce fujet.
La tendance réciproque des molécules infenfibles
de la matière , eft prouvée par la
DE FRANCE. 175
cohéfion des corps folides , par la forme
fphérique que les gouttes fluides affectent ,
par l'afcenfion des liqueurs dans les tubes
capillaires , par les cryftallifations & les affinités
chimiques ; mais l'Auteur obferve
avec raifon que ces attractions fuivent une
loi très - différente de la gravitation des corps
célestes , dont il développe les principes avec
la plus grande fagacité.
Deux opinions fur la matière de la chaleur
ont chacune des partifans célèbres . Les
Auteurs de la première regardent la chaleur
comme une fubftance propre & individuelle
, qui n'eft que la matière même du
feu. La facilité avec laquelle les corps s'échauffent
dans le vuide , même en les ifolant
autant qu'il eft poffible , & fur-tout les belles
Expériences faites nouvellement par le Docteur
Crawfort, favorifent beaucoup ce fentiment.
La feconde opinion fait confifter la
chaleur dans les vibrations des parties infenfibles
de la matière , & ne confidère le feu
que comme l'agent le plus propre à produire
ces vibrations . M. Briffon indique les argumens
pour & contre , & n'adopte aucune
de ces idées. Le Lecteur aime à trouver cette
indifférence dans un Auteur qui , cherchant
à l'inftruire & non à le perfuader , laiffe à
fen efprit le plaifir d'analyfer les Expériences
, & celui de faire un choix .
Les Phyficiens ne font pas non plus
d'accord fur la nature de la lumière. P'lufieurs
penfent que chacun de fes atomes
Hiv
176 MERCURE
eft lancé par le corps lumineux avec une
vîtelle extrême . D'autres croient qu'il exifte
dans l'efpace un fluide très - élaftique & trèsfubtil
, fur lequel le corps lumineux agit par
des vibrations analogues à celles des corps
fonores dans l'air. Ces deux opinions font
fondées fur des raifons très-fortes que M.
Brillon expofe fans prendre aucun parti ;
mais ce qui peut nous dédommager de notre
ignorance fur la nature de la lumière , ce
font les grandes découvertes qui ont été
faites fur fon mouvement progreffif, fur ſa
décomposition en une infinité de rayons
homogènes , fur le parti que l'on a fu tirer
de fes propriétés pour agrandir ou rapprocher
les objets très petits ou trop éloignés .
Ces belles Expériences font bien développées
par M. Briffon. On peut en dire autant
de l'Arc- en- ciel , qui eft peut- être le phénomène
le mieux expliqué de la Phyfique ,
& de tout ce qui concerne la réflexion & la
réfraction de la lumière.
L'article Électricité eft un des mieux traités
de l'Ouvrage . L'Auteur y développe les
principaux fyftêmes propofés pour l'expliquer.
Quoiqu'il femble pencher pour celui
de M. l'Abbé Nollet , cependant , loin
d'affoiblir les argumens qui favorisent les
autres , il les appuie fouvent de preuves inconnues
à leurs Auteurs : telle est une trèsbelle
Expérience indiquée à M. Briffon par
M. de Parcieux , relativement à la bouteille
de Leyde , & qui , de toutes celles que l'on
DE FRANCE. 177
a faites fur cet objet , nous paroît la plus
concluante en faveur de l'opinion de M.
Franklin. Le grand phénomène du tonnerre
& fon analogie avec l'Electricité, y font préfentés
avec le même foin & la même impartialité.
L'article Aimant n'eft pas moins étendu.
Il y décrit la manière d'augmenter la vertu
en l'armant , celle d'en faire par le moyen
d'un aimant naturel ou artificiel , & même
fans le fecours d'aucun aimant , & uniquement
au moyen du fluide inviſible qui , fuivant
toutes les apparences , produit les phénomènes
magnétiques. Rien de ce qui a été
fait fur cet objet intéreffant n'y est oublié.
Ce qui ajoute un nouveau prix au travail
de M. Briffon , c'eft un Difcours préliminaire
dans lequel il indique l'ordre de lecture
que doivent fuivre ceux qui fe propofent
de puifer dans cet Ouvrage les principes
de la Phyfique. Lu de cette manière , ce
Dictionnaire devient un Livre élémentaire
très- utile. On n'a rien épargné pour en rendre
l'intelligence facile. Il y a un Volume
entier de Planches très- bien gravées , & qui
fuffisent pour donner aux perfonnes éloignées
des Cabinets de Phyſique , une bonne
idée des machines dont il eft fait mention
dans l'Ouvrage , ou qu'elles peuvent avoir
befoin de faire conftruire. L. Ñ.
Hv
178 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 20 Juillet , on a repréſenté ,
pour la première fois , Ariane abandonnée ,
Mélo Drame , imité de l'Allemand , muſique
de M. George Benda .
Ce Mélo- Drame eft divifé en trois Scènes,
qui n'en font réellement que deux , comme
on va le voir par l'analyfe que nous allons
mettre fous les yeux de nos Lecteurs.
SCÈNE I. Ariane eft endormie fur un rocher.
Théfée vient la voir pour la dernière fois , Les
Grecs, indignés de la paffion qui l'enchaîne aux
pieds d'une femme , l'ont menacé de maffacrer
la Princelle s'il ne confentoit point à
quitter l'Ile de Naxos. Il balance entre
l'amour , la recontioillance & la gloire ;
mais il cède à l'idée de la mort d'Ariane , &
part en gémiffant. SCÈNE II . Ariane , réveillée
par les derniers mots de Théfée , cherche
des yeux fon amant , & ne le trouve point.
Elle le croit occupé à pourfuivre les lions &
les tigres ; elle tremble , elle appelle Théfée ,
Pécho feul lui répond ; elle redouble fes cris,
mais en vain. Une voix inconnue fe fait enten
dre , c'eft celle de l'Oréade , ou de la Nymphe
des rochers qui lui ont fervi d'afyle ;
ceue voix lui apprend que Théfée eft parti ,
DE FRANCE. 1.179
& qu'il l'abandonne. Ariane s'évanouit , &
revient à elle pour paffer tour- à tour de la
douleur la plus profonde , au deſeſpoir , à la
fureur & au delire . La voix de l'Oréade fe
fait entendre une feconde fois ; elle annonce
à la Princeffe un liberateur , & lui déclare en
même temps qu'elle doit être facrifiée à Neptune.
Un orage affreux s'élève , le ciel s'obfcurcit
, la foudre éclate , les éclairs femblent
embrâfer tout l'atmofphère : Ariane errante
de rocher en rocher , agitée par la terreur ,
élève fes mains fuppliantes vers les Dieux ,
l'orage redouble , elle cède à fon effroi , &
fe précipite dans les flors.
On fentira fans peine que fi la fituation
d'Ariane , abandonnée dans une Ifle deferte
par un amant qui lui doit tout & à qui elle a
Tout facrifié, porte avec elle un intérêt très-vif,
cet intérêt, dans un Ouvrage comme un Mélo-
Drame , s'affoiblit & s'éteint infenfiblement
par la continuité de la même fituation . En
effet , dès l'inftant du départ de Théfée , tout
eft prévu pour le Spectateur dont la curiofité
n'a plus rien à defirer , & il ne peut trouver
-dans une fuite de fentimens & de mouvemens
prefque tous femblables , le dédommageiment
de ce qu'il a perdu. Un homme fenfible
contemple avec plaifir un tableau , quoiqu'il
ne lui préfente qu'une Scène , & quelquefois
même un feul perfonnage dans cette Scène ;
mais au Théâtre , ce n'eft point un tableau
ifolé qu'il vient chercher , c'est une galerie
de tableaux , c'eft par l'oppofition des ſujeta ,
H vj
180 MERCURE
& la variété des expreffions & des figures ,
que fon attention fe foutient & que fon
plaifir s'accroît. Cette comparaifon établit ,
d'une manière qui nous paroît évidente , la
différence qui exifte entre une Pièce de Théâ
tre & ce que l'on appelle aujourd'hui un
Mélo-Drame. Dans celui dont nous rendons
compte , nous avons trouvé des lon→
gueurs , des répétitions , & ce défaut eft d'autant
plus remarquable , que les couleurs employées
par le Poëte & par le Muficien , en acquièrent
un degré de monotonie qui amène
bientôt la langueur & l'ennui. La Scène d'Ariane
eft très fupérieure à celle de Théfée , & elle
devoit l'être. On peut néanmoins lui reprocher
des fuperfluités. Ariane perd trop de temps
à fe rappeler les charmes de Théfée , fon
amour, fon courage , fa victoire fur le Minotaure
, & ce qu'elle a fait pour lui. Elle
doit fans doute parler de ce dernier objet
pour faire contrafter fa confiance avec la
perfidie de Théfée , mais elle doit le faire en
peu de mots. S'il eft dans la nature de s'appefantir
quelquefois fur les caufes & les motifs
du chagrin qu'on éprouve ; dans un Mélo-
Drame , un tel fentiment doit être expoſé
avec des traits rapides , & capables de fuppléer
aux développemens que permet &
qu'ordonne un fujet dialogué & mis en action.
Le délire de la Princeffe a des beautés.
Elle croit voir les Furies, elle les implore contre
fon perfide amant , elle fe félicite d'abord de
La vengeance; mais bientôt elle s'attendrit ,
DE FRANCE. 181
s'effraye destourmens qu'on prépare à Thélée,
& s'écrie : Arrêtez , arrêtez , je l'aime encore.
Ce mouvement eft beau , theâtral & pathétique.
Le reproche le plus grave que l'on
puiffe faire à l'imitateur du Drame Allemand ,
c'eft d'avoir préfenté de grandes idées avec
un ftyle fouvent foible , diffus & trop audeffous
des images qu'il cherche à rendre.
Ce n'eft pas ainfi que l'immortel Citoyen
de Genève a écrit fon Pigmalion. Quel feu !
quelle vigueur ! quelle énergie dans fa manière
d'écrire ! Il ne paroît pas qu'il ait pensé
comme l'Imitateur , que le Mélo-Drame exige
une espècedeféchereffe & defimplicité deflyles
& s'il n'a pas écrit la Scène Lyrique en vers ,
il a au moins revêtu fa profe de tournures &
d'expreffions poétiques. Par ce moyen , le
langage des paffions eft plus chaud , plus animé
, il frappe davantage l'ame & l'esprit , &
il en résulte un accord plus parfait , mieux entendu
entre la déclamation naturelle & les
phraſes muſicales qui viennent foutenir &
peindre les mouvemens auxquels le coeur
du perfonnage eft en proie. La Poéfie , dit
l'Imitateur , prononce trop fortement ce qu'elle
exprime. Pourquoi donc les Grecs , ce peuple
qui réuniffoit tant de goût à une fenfibilité
f exquife , pourquoi les Grecs avoient- ils
une Melopée ? Pourquoi cherchoient - ils à
donner plus d'accent à leur poéfie déjà
pleine d'harmonie & de nombre ? Perfonne
n'ignore que l'effet de la fymphonie des
choeurs n'étoit point détruit par le chant de
182 MERCURE
leur déclamation. Il faudroit faire une Brochure
pour répondre à tout ce que dit l'Imitateur
dans fes réflexions fur le Mélo- Drame ,
qu'il regarde comme un genre très- borné &
très difficile. Qu'il foir borné , rien n'eft
plus clair , & c'eft un bonheur pour l'Art
dramatique , mais difficile , perfonne n'en
conviendra ; car tout le travail de ce genre
confifte à écrire un ou deux Monologues en
phrafes découpées , hériffées de points , d'exclamations
, d'imprécations , & ornées de
quelques images écrites en ftyle oriental.
Nous ajouterons que fi ce genre a des difficultés
, c'eft pour le Muficien , parce que la
néceflité où il fe trouve de ne fe trouve de pas faire languir
l'action, ne lui permet que très rarement
de développer les motifs , parce qu'ileft forcé
de jeter de tems en tems çà & là quelques
traits tout au plus indicatifs de fes idées , &
le plus fouvent vagues & fans aucune expreffion.
Heureux quand il rencontre une fituation
qui , obligeant l'Acteur au repos , laiffe
au Compofiteur la liberté de donner une mar
che à fon ftyle, & de montrer les reffources de
fon génie. C'est ce qui eft arrivé à M. Benda ,
dans fon Ariane , où l'on trouve d'ailleurs
une belle facture , beaucoup d'harmonie , &
Part de rendre de grands effets par des
moyens fimples & fagement combinés. On
y diftingue auffi de tems en tems des traits
de mélodie , mais rares , apparemment parce
que ce fujet n'en comportoit qu'un perit
nombre. Au total , M. Benda a paru digne
DE FRANCE. -133
du fuccès qu'il a eu en Allemagne , & on a
regretté qu'un Muticien de fon mérite ait
paru fi tard en France.
Il ne nous refte plus qu'à parler des
Acteurs qui ont joué dans ce Melo - Drame ,
M. Michu & Mde Verteuil . On leur a donné
les plus grands éloges , & nous favons que
leur zèle & leur intelligence les ont mérités.
Mais nous fera- t- il permis d'obferver encore
une fois , que chaque Theatre a fon genre
auquel il foumet l'habitude de fes Comediens
; que
le genre Tragique exige un
grand ufage & de grands moyens ; qu'ane
jolie figure & une voix douce & agreable
ne fuffifent pas pour repréfenter un héros
tel que Théfee. Si , dans la fituation donnée ,
il n'eft pas encore le compagnon d'Hercule ,
il est déjà le vainqueur du Minotaure : ¸ ce
rôle demande donc une repréfentation impofante
& fière , un phyfique noble & vigoureux.
Beaucoup d'efprit & de grâces ne
fuffit pas non plus pour la repréſentation
d'Ariane; & ce n'eft pas affez d'avoir de
l'ame , il faut encore pouvoir la communiquer
, la répandre , pour ainfi dire , & la
nature n'a pas donné cet avantage à tous les
Comédiens. Mde Verteuil , fi fouvent agréable
dans la Comédie , ne nous a point parue
faite pour la Tragédie; & foit par la faute
de fon organe , foit qu'elle ait déjà perdu
l'habitude du genre , nous n'avons pas remarqué
dans Ariane le même talent qu'elle nous
a fait voir ailleurs. Il eft des convenances
184 MERCURE
qu'il ne faut point perdre de vue , fous
peine de détruire abfolument l'illufion théâtrale.
Cette vérité eft fi ancienne , qu'elle en
eft devenue triviale ; il faut pourtant la répéter,
puiſqu'on affecte de l'oublier. Qu'on ne nous
foupçonne pas d'avoir eu l'intention de chagriner
les deux Comédiens dont nous venons de
parler. Si l'Albane avoit voulu travailler dans
la manière de Michel- Ange des Batailles , tout
Amateur auroit eu le droit de lui reprocher
une ambition déplacée , & l'Albane n'en auroit
pas moins été le Peintre des grâces & de
la volupté.
L'étendue de cet Article nous force à remettre
auN°. prochain l'examen de quelques
Débuts.
ACADÉM I E.
LE 19 de ce mois il y a eu une Séance
publique à l'Académie Françoife pour la
Réception de M. de Chamfort , fucceffeur
de M. de Sainte- Palaye. Le Difcours du
Récipiendaire a très- bien foutenu l'opinion
avantageufe qu'on avoit de fa manière
d'écrire , de fentir , & fur tout d'apprécier
les hommes & les chofes. Le coup- d'oeil
qu'il a jeté fur les travaux Littéraires de fon
Prédéceffeur , la peinture qu'il a tracée des
qualités morales de ce laborieux Écrivain ,
auffi chéri, qu'eftimé de ſes Confrères & du
DE FRANCE.
185
Public , lui ont obtenu des applaudiffemens
unanimes. On a reconnu le goût de M. de
Chamfort dans le ftyle & l'ordonnance de
fon Difcours; fa fagacité dans plufieurs obfervations
fur la langue Françoife ; fa Philofophie
dans un parallèle entre la Morale
de notre âge & celle de la Chevalerie ; fa
galanterie & la fineffe de fon efprit dans
la peinture de l'influence des femmes tur
l'héroïlme & les vertus de nos antiques
Chevaliers ; la fenfibilité de fon ame dans
ce qu'il a dit fur du Guefclin & far l'amitié
dont M. de Sainte - Palaye & fon frère ,
M. de la Curne , ont offert le modèle le plus
rare & le plus attendrillant.
M. Séguier a répondu an Difcours du
nouvel Académicien avec cette éloquence
facile qu'on a fi fouvent applaudie au
Barreau. A la manière dont il a fu apprécier
& les Ouvrages de Molière , & ceux
de la Fontaine , & ceux de M. de Chamfort,
leur panégyrifte , on a dû s'appercevoir
que la Littérature eft auffi familière à ce
Magiftrat que la fcience des Loix.
Mgr le Prince de Condé , qui honoroit
l'Affemblée de fa préfence , y a reçu les
hommages qu'on doit à fon rang , à fon
amour pour les Lettres , à fes qualités fociales
& militaires.
Un Écrivain qui a l'efprit de toutes les
circonftances , & auquel l'Académie Françoife
eft redevable de la célébrité de fes
Séances publiques , M. d'Alembert a lu
186 MERCURE
l'Éloge de Mgr le Prince de Clermont, confidéré
feulement , comme Académicien ;
Eloge remarquable par des vérités utiles &
hardies , préfentées avec un art dont l'Auteur
feul poſsède le fecret ; par des allufions
où les coupables trouvent une cenfure
dont ils n'oferoient fe plaindre , par
des obfervations fur l'efprit conftitutif de
l'Académie Françoife , qui exclut de fon
fein les penfions , les rangs , les préféances, &
tout ce qui tend à détruire l'égalité parmi
les hommes réunis en Sociétés Littéraires .
Dans la même Séance on a publié le Programme
que l'on va lire :
PRIX extraordinaire & annuel , proposépar
l'Académie Françoife.
UNE Perfonne publique & connue , a remis à
l'Académie le Mémoire fuivant , dont l'Auteur ne
s'eft point nommé.
35
A Meffieurs de l'Académie Françoife.
MESSIEURS ,
« Un Citoyen qui aime les Lettres , & qui les
» croit utiles à l'humanité , defire fonder un Prix en
faveur de l'Ouvrage de Littérature dont il pourra
» réfutter un plus grand bien pour la Société ; Ser-
» mon , Pièce de Théâtre , Roman , Profe , Vers ,
» Hiftoire , Traité de Jurifprudence , Réflexions
morales , Differtation politique , Mémoire fur les
» Sciences ou fur les Arts , Recherches érudites , au-
» cun genre n'eft exclu
Ce Prix fera obtenu fans être demandé , & adDE
FRANCE. 187
´s jugé fans examen ; c'eft-à- dire , qu'il fuffira que
» les Juges déclarent quel eft , parmi les Livres qui
auront paru dans l'année précédente , & dont ils
» aurent eu connoiffance , celui qui leur paroît
» devoir contribuer le plus au bonheur temporel de
» Phumanité . L'Académie décidera fi les Ouvrages
» de fes Membres doivent concourir.
» Le Citoyen qui a conçu cette idée , fupplic
l'Académie d'agréer l'hommage qu'il rend aux
" Lettres , & d'être Juge du Prix . Une fomme de
∞ douze mille livres eft déposée , pour être employée
» en une rente viagère fur la tête du Roi ; & du
∞ revenu annuel , il fera acheté une Médaille d'or
qui formera le Prix.
20
Motifs de cette difpofition.
« Un Géomètre méprifoit une Pièce de Théâtre
applaudie , parce qu'elle ne prouvoit rien ; ce
» Géomètre avoit tort : mais un Citoyen aura raiſon ,
fi, pour régler l'eftime & l'intérêt que mérite un
Livre , il demande : quel bien en réfute-t'il ? Je
fais aujourd'hui cette queftion , & c'eſt à l'Académie
qu'il appartient de répondre. On a repréfenté
les Lettres & les Connoiffances humaines
» comme un fléau ajouté à tous ceux qui défolent le
so monde : ainfi ſouvent on a calomnié notre Reli-
"3
20
gion , nos Lois & les Inftitutions les plus fages ;
» & fi le fort de l'Univers avoit changé ſuivant nos
opinions , l'imprudence de nos voeux auroit aug.
» menté la maſſe de nos maux. Les Lettres n'ont
" pas befoin d'apologie ; mais les Hommes qui les
» cultivent peuvent , comme le Laboureur Romain ,
» mettre leurs prétendus poifons fous les yeux de
leurs accufateurs.
» On prétend que notre Nation eft légère & frivole.
Je ne me permets point d'en être le Juge ni
-188 MERCURE
» le Cenfeur ; mais je vois un Peuple oifif déferter
» les monumens du Génie pour courir aux farces
du Rempart je vois fe multiplier les Éditions de
» Romans médiocrement intéreffans & foiblement
» écrits ; un Livre férieux & profond eſt eſtimé ,
» mais n'eft pas la : je vois les Auteurs d'Ouvrages
qui doivent paffer aux générations fuivantes
» n'être counus , recherchés , fêtés dans la Société ,
» que pour quelques débauches d'efprit qui doivent
les faire rougir de leurs fuccès . Auffi , tandis que
» la Preffe gémit pour une foule de Brochures plai-
» fantes , épigrammatiques , licencieuſes , il nous
manque une Hiftoire de France complette &
lifible , un Corps de Droit Public François , un
Recueil d'Expériences fur la nature de notre
climat & fur les influences. Nous n'avons point
de Defcription du fol de nos Provinces & des richeffes
qu'il renferme ; richeffes que chaque fiècle
découvre fucceffivernent , & qui n'ont échappé
» aux fiècles précédens que faute de recherches , &c.
59
Dans ce défordre , il faut que les Chefs de la Lit-
» térature difent à quiconque eft entré dans cette
» carrière : En voilà le but; & à la Nation : Voilà,
» dans la claffe des Gens- de- Lettres , ceux à qui
vous devez le plus.
» Sans doute on objectera que ces vues font
trop grandes pour une fi petite difpofition ; car
» jamais on n'épargna un reproche à une action
» louable : mais vous ne penferez pas ainfi , vous ,
Meffieurs , qui , dans toutes choſes , confidérez le
» motif & les conféquences , & qui favez qu'un
fait peu important peut être l'origine d'un grand
» bien. Que le foible exemple que je donne foit
» fuivi ; que tous ceux de mes Concitoyens qui
jouiffent d'une fortune fupérieure à la mienne ,
» faffent un facrifice égal au mien , & les Lettres,
ןכ
DE FRANCE. 189
» les Sciences & les Arts trouveront des fecours im-
» menſes ! »>
L'Académie a reçu cette propofition avec toute
la reconnoiffance & l'eftime que mérite le Donateur;
mais elle n'a pu , relativement à fon inftitution
& à fes loix , fe permettre d'accepter la dona
tion qu'aux conditious fuivantes :
1°. Que parmi les Ouvrages utiles au bien de
T'humanité qui auront paru dans le courant de chaque
année , elle donnera la préférence à celui qu'elle
jugera le mieux fait & le mieux écrit. Ce mérite
devant procurer à l'Ouvrage un plus grand nombre
de Lecteurs , n'en remplira que mieux l'objet d'uti
lité que le Donateur a principalement en vue.
2. Que la Compagnie ne portera aucun jugement
fur les Ouvrages qui auront pour objet des
matières de Théologie ou de Jurifprudence locale &
contentieuſe , ou celles dont s'occupe l'Académie
des Sciences , ou enfin les matières d'Adminiſtration
& de Politique , dont la difeuffion ne feroit pas
permife par le Gouvernement.
3. Qu'elle ne jugera que des Ouvrages écrits en
langue Françoife , l'Auteur pouvant être d'ailleurs
ou François , ou Étranger .
4°. Qu'elle pourra , fuivant que les circonstances
lui paroîtront l'exiger , ou remettre le Prix , ou le
partager entre deux ou plufieurs Ouvrages, ou le
donner double.
5°. Qu'elle exclura fes Membres du Concours.
Le Donateur ayant approuvé ces conditions ,
l'Académie a, d'une voix unanime , & de l'aveu du
Roi fon augufte Protecteur , accepté la donation
propofée.
* Le même Citoyen a donné à l'Académie des Sciences
une pareille fomme de douze mille livres pour des objets
' utilité publique , relatifs aux Sciences & aux Arts.
LGO MERCURE
Elle annonce donc aux Gens de Lettres qu'à la fin
de Décembre 1782 , elle adjugera le Prix dont il s'agit
à celui qui aura donné au Public l'Ouvrage le
plus uile , en fe conformant d'ailleurs aux conditions
expofées ci - deffus .
Ce Prix fera une Médaille d'or de la valeur de
douze cent liv.
Le Concours fera ouvert à commencer du premier
Janvier de la préfente année 1781 .
Toutes perfonnes , excepté les Quarante de
l'Académie , feront admifes à concourir.
: Quand l'Académie aura décerné ce premier
Prix , elle en donnera tous les ans un ſemblable , qui
fera annoncé par un femblable Programme.
Elle auroit bien defiré de faire connoître le Citoyen
à qui les Lettres & l'humanité font redevables de
cette donation ; mais il a conftamment perfifté à
garder l'anonyme.
NCUVELL
GRAVURES.
CUVELLE Topographie , ou Defcription détaillée
de la France, divifée par carrés uniformes, & c . propofée
par foufcription , & dirigée par M. Robert de
Heffeln .
La Carte de la Région Oueft , dont nous avons
promis la Notice en publiant celle de la Région
Nord-Ouest , eft la deuxième des neuf qui préfentent
le premier degré de développement des détails
de la fuperficie du Royaume fur une échelle de 648
toifes par ligne.
" Les piincipaux objets qu'elle contient font la mer
Océane depuis les Ifles de Glénauft juſqu'à la Gironde
; la Bretagne méridionale depuis Quimper &
Rennes ; la moitié dé l'Anjou ; le Bas-Poitou juſqu'à
Moncoutant & Coulonges ; l'Aunis ; la Baffe-Sain
DE FRANCE. 191
tonge jufqu'au-deffus de Saintes , & les deux rives
de la Gironde jufqu'à la hauteur de Saint- Palais,
Le Difcours qui accompagne cette Carte eft un
abrégé des détails géographiques , hiftoriques &
politiques de ces pays. Les Soufcripteurs pourront
envoyer retirer cette Carte chez l'Auteur , rue du
Jardinet ; elle eft du prix de 3 liv. 12 fols pour ceux
qui n'ont pas foufcrit.
La dernière Livraiſon , compofée de fix Eftampes
des Vues du Jardin de Mouceau , appartenant à
S. A. S. Mgr le Duc de Chartres , eft terminée . MM.
les Soufcripteurs n'auront que 6 livres à payer pour
ce dernier Cahier. "
Cette Collection , imprimée fur la demi -feuille de
papier dir Colombier , eft composée de dix - huit Eftampes,
compris le Plan , & précédée d'un Difcours
contenant quelques réflexions fur la conftruction des
Jardins nouveaux , & fur les moyens que l'on peut
employer pour les rendre plus agréables . Ces Eftampes
fort auffi très -bien dans les boîtes d'Optique."
Prix , 30 livres reliées en carton . A Paris , chez de
Lafoffe , Graveur , rue du Carroufel , vis-à -vis les
Ecuries du Roi.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
TABLEAU
ABLEAU général de la Cavalerie grecque , par M.
Joly de Maizeroy , Lieutenant- Colonel d'Infanterie ,
de l'Académie Royale des Inferiptions . Vol. in-4° .
Prix , 3 livres. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins .
Mémoires concernant diverfes queftions d'Afroomie
& de Phyfique lus & communiqués à l'Académie
Royale des Sciences , par M. Lemonnier , in-
4°. Prix , 1 livre 16 fols. A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur-Libraire , rue des Mathurins .
192 MERCURE
Les Effets furprenans de la Sympathie , ou
Aventures de.... 2 Volumes in- 12 . Prix , 4 livres
fols . A Paris , chez la Veuve Duchefue , Libraire,
ru༈ e S, Jacques.
Hiftoire des Infectes nuifibles à l'homme , aux
beftiaux , à l'agriculture & au jardinage , avec les
moyens qu'on peut employer pour les détruire ou s'en
garantir , ou rémédier aux maux qu'ils ont pu occafionner
, Volume in - 12 . A Paris , chez Laporte , Libraire
, rue des Noyers.
L'Inconftant ramené , Comédie en un Acte , in-
8. Prix , 1 liv . 4 fols . A Paris , chez les Libraires,
qui vendent les Nouveautés.
Réflexions d'un Militaire fur la profeſſion d'Avo
cat , in-8° . Prix , 12 fols . A Paris, chez la Veuve
Vallat - la - Chapelle , grande Salle du Palais , &
Méquignon , Libraires , rue des Cordeliers .
VE
TABLE.
ERS à Miftriff B*** , 145 | Dictionnaire raiſonné de Phy-
Le Petit Chien &fa Maitreffe, fique ,
Fable 146 Comédie Italienne ,
Enigme & Logogryphe , 148 Académie ,
Mémoires de la Société Royale Gravures ,
de Médecine , 150 Annonces Littéraires ,
Panegyrique de S. Louis , 160
AP PROBATIO N.
173
178
184
190
191
J'AI 'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 28 Juillet. Je n'y ai
xien trouvé qui puiffe en einpêcher l'impreffion. A Paris ,
le 27 Juillet 1781. DE SANCY,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TUR QUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 14 Mai.
IL eft arrivé dans cette Capitale des Députés
d'un Diſtrict de la Natolie qui venoient
fupplier la Porte de leur accorder des fecours
en grains , ou de leur permettre d'en
aller chercher de l'autre côté du canal en
Europe , pour faire ceffer la difette qu'ils
éprouvent , & qui forcera , fi l'on n'y met
fin , la plupart des habitans à abandonner
le pays. Le Gouvernement ne leur a point
accordé la permiffion qu'ils follicitoient ; il
a au contraire défendu févèrement le tranfport
des grains des Provinces Européennes
à moins que ce ne fût pour cette Capitale
qui eft elle- même menacée d'éprouver bientôt
les befoins les plus preffans.
Le fuperbe Catafalque que la nation Allemande
a fait élever dans fon Egliſe à l'honneur
de l'Auguſte Marie- Thérèſe , n'a pas
7 Juillet 1780.
( 2 )
encore été détruit ; un détachement de Janniffaires
le garde encore . Les grands de la
Porte , avec la permiffion du Mufti , fe
font empreffés d'aller voir ce monument ,
& on a remarqué qu'ils ont obfervé dans
l'Eglife la décence la plus fcrupuleufe. Le
Capitan Bacha l'avoit été vifiter avant ſon
départ.
M. de Stachieff , Envoyé de Ruffie , n'a
point encore reçu de réponſe de la Porte
fur l'affaire des Confulats de Moldavie &
de Walachie.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 14 Juin.
LE 7 de ce mois le Chevalier de Corral ;
nouveau Miniftre d Eſpagne , a eu fa première
audience du Roi & de la Famille
Royale à Friedensbourg.
La flotte Suédoife compofée de 8 vaiffeaux
de ligne & deux frégates , commandée par
l'Amiral Grubbe , a mouillé le 11 de ce mois
dans cette rade , & aujourd'hui elle a mis à
la voile pour le Sund .
Il vient de partir auffi d'Elfeneur une
flotte de 30 navires marchands Anglois deftinés
pour les ports d'Angleterre & qui n'ont
aucun convoi.
L'affaire du Capitaine Schionning n'eſt
pas encore décidée ; on a lieu de penfer
cependant qu'elle ne tardera pas à l'être ,
( 3 )
puifque fes Officiers & fon équipage ont
été entendus. '
Le 7 de ce mois on a conduit fur le foir
à la Citadelle de cette Capitale , & fous une
forte eſcorte , le
Chambellan Beringfchiold.
On dit qu'on lui a mis les fers aux pieds
& qu'on l'a enfermé dans la même chambre
qu'occupa le malheureux Comte de
Brandt. On affure qu'on prépare encore dans
la Citadelle 3 ou 4 autres
appartemens
deftinés à des prifonners d'Etat. Cet évènement
fixe la curiofité publique fur le crime
de M. de Beringſchiold ; mais il eft encore
un myſtère pour le public . Plufieurs prétendent
qu'il avoit entretenu une corref
pondance illicite avec une Cour voifine ;
mais tout ce qu'on débite fur ce fujet eft
encore très- vague. Ceux qui trouventque les
malheureux font toujours coupables affurent
que fon deffein avoit été de rendre
le Ministère actuel odieux aux Payfans
pour fomenter une fédition parmi ces derniers.
On le rappelle qu'il eur beaucoup de
part à la fameufe révolution du 17 Janvier
1772 , & qu'il reçut alors l'ordre de
s'éloigner de cette Capitale avec défenſe d'y
revenir fans une permiffion expreffe fous
peine de défobéiffance.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 16 Juin.
QUOIQUE Madame l'Archiducheffe Marie
1
2 2
( 4 )
Chriftine,Gouvernante générale des Pays-Bas ,
& le Duc Albert de Saxe - Tefchen fon époux ,
foient partis d'ici les de ce mois , on ne
croit pas qu'ils arrivent à Bruxelles avant
le commencement du mois prochain ; leur
deffein qui eft de s'arrêter dans différentes
Cours d'Allemagne qui fe trouvent fur leur
chemin , doit prolonger leur voyage.
Il a été publié un ordre aux Etats de
la Baffe- Autriche , de faire un tableau exact
de la manière dont les payfans font traités
dans ce pays ; ces inftructions doivent fervir
à améliorer leur fort , comme l'a été
celui des payfans de la Bohêne , qui ont
été affranchis de l'ancienne fervitude.
Avant le départ de l'Empereur , on publia
dans cette capitale un Règlement qu'on
peut regarder comme un Code de Jurifprudence
pour tous les Etats héréditaires ;
ce Règlement , conçu en 437 articles , a
pour objet d'écarter les longueurs des procédures
& de circonfcrire les écritures dans
des bornes qui ne laffent point la patience
des Juges & qui leur permettent d'expédier
plus promptement les affaires. Les
premiers Magiftrats de chaque Tribunal
feront tenus de remettre tous les ans au
chef du Dicaftère , un état fommaire des
caufes qui ne feront pas terminées dans
le délai preferit. Ce Règlement ne conferve
des formalités de Juftice , que celles
qui font utiles aux plaideurs , fans avoir
égard aux befoins intéreffés des défenfeurs
( 5 )
"
& du fifc , qui s'oppofent en d'autres endroits
à la réforme des loix civiles.
De FRANC FORT , le 18 Juin.
S. A R. Madame l'Archiducheffe Marie-
Chriftine & le Duc de Saxe -Tefchen fon
époux , font arrivés hier ici a onze heures
du foir ; l'Archiduc Maximilien les accompagnoit;
ils font defcendus à la Commanderie
; aujourd'hui ils ont vu tout ce que
cette ville offre de remarquable , & demain
ils fe propofent de continuer leur
voyage.
On apprend de Graudentz que le Roi de
Pruffe y arriva le 6 de ce mois pour y faire
la revue de tous les régimens de la Pruffe
orientale & occidentale qui forment une
armée de 50,000 hommes. S. M. n'étoit accompagnée
que du Général Pritnitz ; elle
a été très- contente des manoeuvres de fes
troupes , & elle eft repartie le 12 pour retourner
à Potzdam.
Selon les lettres de Berlin , l'indemnifation
que le Roi avoit accordée en faveur
Ides payfans à qui le froid avoit caufé des
dommages , ayant été trouvée trop forte ,
-on parle d'examiner de nouveau cette affaire
; mais on penſe cependant que pour
une fois , ils toucheront tout ce qui leur
a d'abord été affigné, parce qu'il convient à la
dignité royale de remplir fes promeſſes,
> » Notre commerce écrit-on de Dantzick , eft
dans un état fort languiffant ; la navigation vers
a 3
( 6 )
la Hollande eft entièrement fufpendue ; celle pour
l'Angleterre fe foutient encore , & quantité de
nos navires chargés de bois de conſtruction ,
continuent de partir pour les chantiers de la marine
Royale en Angleterre . · La féchereffe que
l'on éprouve ici depuis long- tems , ne nous promet
rien de favorable pour la récolte prochaine.
Depuis Pâques , il n'a plu qu'une feule fois ; de
forte que les terres des environs font entièrement
defféchées. On écrit auffi de la Cafubie ,
où le terrein eft fort fablonneux , que tout ce
qu'on y avoit femé eft perdu , & qu'on y aura
une grande difette de foin. L'importation des
bleds n'eft pas forte cette année ; elle eft beaucoup
plus confidérable à Elbing , où le commerce
devient très- floriffant , pendant que le nôtre diminue
chaque année. Les bois , les toiles de Pologne
& les bleds font les feuls articles qui foutiennent
encore notre commerce ; celui des bleds
fouffre beaucoup par la fufpenfion de la naviga .
tion Hollandoife , & le manque des navires neutres.
Le laft de feigle coûte 200 florins , & celui
du meilleur bled , 380 à 400. Il n'eft encore
arrivé ici cette année que 130 navires « .
d
ITALIE.
De LIVOURNE , le 10 Juin.
Les corfaires Anglois ne refpectent pas
plus le droit des gens fur la Méditerranée
qu'ils le font fur l'Océan ; l'un d'eux nommé
l'Anne vient encore de s'emparer d'un
bâtiment Danois venant de Smyrne & de
Salonique avec un chargement de diverfes
marchandiſes deſtinées pour Oftende.
Les tremblemens de terre continuent d'être fré(
7 )
quens dans quelques endroits de l'Italie ; on en a
éprouvé un le 3 de ce mois à 11 heures du matin
dans toute la Romagne ; le Duché d'Urbino
l'a auffi éprouvé ; plufieurs performes ont perdu la
vie à cette occafion . Mais aucun lieu n'a été plus
maltraité que la ville de Cagli , qui prefque toute
entière a été renversée de tond en comble , &
où plus de 800 perfonnes ont été , dit- on , enfevelies
fous les ruines ; on compte parmi les malheureufes
victimes de ce fléau , M. Bertozzy
Evêque de Cagli , qui a été écrafé pendant qu'il
officioit. On mande de Faenza que les habitans
cffrayés de la continuation de ce terrible
phénomène , ne tournent plus leur eſpérance que
du côté du Ciel , qu'ils tentent de fléchir par des
exercices de religion ; leur évêque , Joſeph Buoi
précédé de tous les ordres de Citoyens , a affifté
une proceffion , qui s'eft rendue de fa Cathédrale
dans l'Eglife des Dominicains . Il l'a fuivie
pieds nuds , un Crucifix à la main , & une corde
paffée à ſon cou.
Nous apprenons que le bâtiment courier
parti de Smyrne avec diverfes marchandiſes
deftinées pour ce port , a fait naufrage fur
le cap blanc dans la partie méridionale de
l'ifle de Corfe ; heureufement tout l'équipage
s'eft fauvé à l'exception d'un feul marinier.
Le 30 du mois dernier , à huit heures du
matin , écrit- on de Mantoue , le feu a pris avec
tant de violence à la Salle du grand Opéra ,
qu'elle a été réduite en cendres en moins de 2
heures . C'eft tôt ou tard le fort de prefque toutes
les Salles de Spectacle , qui pour être fonores
doivent n'avoir en conftruction folide que les
murs extérieurs ; les villes ont le plus grand intérêt
de les faire ifoler au milieu d'une place
2 4
( 8 )
d'où elles menacent moins les habitations des citoyens.
Graces aux foins de la Police , on a prévenu
la ruine des maifons voifines qui ont été
plus ou moins endommagées. L'Archiduc Ferdi
nand informé de ce trifte accident par plufieurs.
eftafettes , arriva le lendemain , & fa p
éfence ne
contribua pas peu à raffurer les habitans confternés.
Il a fait publier que non-feulement la Foire ,
mais les Redoutes & les Opéras ne feroient point
difcontinués ; & dès le 3 de ce mois , on a joué fur
le vieux Théâtre Ducal « .
Les de ce mois Jean- Octave- Manciforte
Sperelli , Cardinal- Prêtre de la création du
23 Juin 1777 , &- déclaré le 11 Décembre
1780 , eft mort âgé de 51 ans d'une fluxion
de poitrine ; il a peu joui des honneurs de
la pourpre.
Un payfan cru mort dans un lieu appellé
Gorgenzola , écrit - on de Milan , fut porté le foir
même à l'Eglife Paroiffiale. Le lendemain matin ,
comme on procédait à l'enterrement , on vit tout
à coup
le prétendu mort lever la tête hors de fa
biere ; toute l'affiftance épouvantée prit la fuite
à cet afpect ; le payfan lui- même s'échappant
courut à une fontaine où il fe défaltéra . Il a été
conduit enfuite dans un Hopital , où il a reçu tous
les fecours dont il avoit befoin. Cet évènement ,
qui eft moins rare peut - être qu'on ne le croit ,
eſt un nouvel avertiffement contre les enterremens
précipités ".
tr
ESPAGNE.
De CADIX , le 8 Juin.
L'ARMÉE de D. Louis de Cordova eft
rentrée dans cette baie , devant laquelle
( و )
elle a paru hier , & où elle achève de
mouiller entièrement aujourd'hui . Elle a
amené s navires Hollandois de la Compa- S
gnie des Indes , qu'elle a rencontrés. Ils
avoient été inftruits par un bâtiment Portugais
de la déclaration de guerre de la part
de l'Angleterre. A deux journées de ce port ,
ils furent rencontrés par un corfaire Anglois
qui parlementa avec eux ; ils étoient alors
au nombre de 6 ; le corfaire leur offrit de
leur donner un paffe - port , s'ils vouloient
lui permettre d'emmener un navire ; les
Hollandois lui ayant répondu par quelques
volées , il courut fur le vaiffeau le plus éloigné
, & avant qu'on pût le défendre , il le
maltraita affez pour qu'on ait été contraint
de le couler bas , après en avoir tiré l'équipage
& la meilleure partie de la cargaifon.
Notre armée ne reſtera dans le port que
le tems néceffaire pour faire de l'eau &
renouveller fes provifions ; elle remettra en
mer le 25 au plus tard ; c'eft du moins le
fentiment des principaux Officiers .
La frégate Hollandoife la Brielli , Capitaine
Orthuysen , entrée le 4 de ce mois
dans ce port , nous met en état par fon
rapport de rectifier ce que nous avons dit
l'Ordinaire dernier , de la rencontre de 2
frégates de cette nation & de 2 Angloiſes.
Le 30 du mois dernier , étant de conſerve avec une
autre frégate Hollandoife , le Caftor, comme elle de
36 canons, elle furent attaquées non loin du Cap Sparaf
1
( 10 )
tel , par deux frégates Angloifes de la même
force ; le combat fut long & opiniâtre ; il ne dura
pas moins de quatre heures . Le Capitaine Or
thuyfen eut la douleur de voir fa compagne amener
on pavillon ; il reconnut par fes fignaux que
le Capitaine Melvill qui la commandoit avoir été
tué , ainfi que les principaux Officiers , & il penfe
que c'eft la feule raifon qui a pu la décider à fe
rendre. Il fut plus heureux ; il fit un feu fi vif &
fi foutenu , qu'il abattit les trois mâts de la frégate
qu'il avoit en tête , & la força d'amener ;
mais la chaloupe ayant été criblée par les boulets
, fa mâture étant fort endommagée , il ne
lui fut pas poffible de l'amariner ; il fut contraint
de l'abandonner & de fe réfugier dans le port . H
a eu 17 hommes tués & s1 bleffés . L'équipage
fe plaint que les Anglois ont pouffé la barbarie
jufqu'à mettre des morceaux de verre dans leurs
canons , ce qui rend incurables la plupart des
*bleffures . Si cela eft , comme il paroît qu'on n'en
peut douter , il faut avouer que ces infulaires
méprifent bien fouverainement les conventions
des peuples policés , qui laiffent aux fauvages
J'art déteftable d'empoifonner les plaies. Il femble
que les égards & la pitié qu'on leur témoigne ,
les ren fent encore plus infolens & plus féroces.
On a reçu à Madrid des nouvelles de Penfacola
par un paquebot de la Havanne arrivé
à St- Sébastien. Le Journal que l'on a
des opérations de l'armée de D. Bernard
Galvez , va jufqu'au 4 Avril.
La garnifon a fait une fortie qui ne lui a pas
réuffi ; elle a été repouffée avec une très - grande
perte ; & nous n'avons perdu à cette occafion que
trois hommes & le Colonel du Régiment du
Roi. D. Bernard Galvez , fur les vives inftances
de l'Officier qui commande les bâtimens armés ,
( 11 )
lui ayant permis de s'avancer pendant la nuit dans
la Baie , cet Officier eft parvenu à enlever une
frégate de 26 canons & trois autres navires .
Les canons de la fiégate avoient été enlevés la
veille & portés à terre. — Quelques déferteurs ont
appris au Général que le Gouverneur eft décidé à
brûler tous les autres bâtimens & la feconde frégate
qui font dans ce port , lorfque le Fort Saint-
George fera pris , parce qu'alors il perdra tout
elpoir de pouvoir fe défendre long- tems . Cependant
le fiége n'étoit pas encore fort avancé le 4
Avril , quoiqu'on battît le Fort Saint- George qui
commande la Baie ; les approches de la ville &
du fort étant d'un affez difficile accès , à cauſe
des mares d'eau dont ils font environnés , il faut
que l'attaque foit faite en règle , & on manquoit
de beaucoup d'objets propres à en accélérer les
difpofitions. L'arrivée de M. de Solano , en ôtant
au Commandant Anglois tout espoir d'être fecouru
, rendra le fiége moins long & moins meurtrier
.
Notre feu s'eft fort rallenti devant Gibraltar
en revanche celui des Anglois a
redoublé d'activité , fur- tout le jour de l'anniverſaire
du Roi d'Angleterre qu'ils firent
un feu d'enfer ; mais tout ce fracas fut en
pure perte ; nos lignes n'ont aucunement
fouffert.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 25 Juin.
LA joie qu'a caufée l'arrivée de la flotte
attendue d'Antigoa & de St-Euſtache , a été
bien modérée par le bruit qui s'eft répandu
auffi -tôt d'un combat entre M. de Graffe &
1
a 6
( 12 )
l'Amiral Hood , dans lequel nous avons eu
un défavantage marqué , & dont les fuites
doivent être encore plus à craindre. La
célérité avec laquelle l'efcadre Françoiſe
eft arrivée , a déconcerté tous les projets
que pouvoient avoir l'Amiral Rodney &
le Général Vaughan. Le premier avoit laiffe
la flotte fous les ordres de l'Amiral Hood ,
& n'attendant pas fitôt les François , étoit
reflé à St -Eustache pour terminer la vente
de fes prifes. L'Amiral François a paru à
l'improvifte , s'eft hâté de mettre fes vaiffeaux
en fûreté à la Martinique , & renforcé
des 4 vaiffeaux de ligne qui s'y trou
voient , a cherché Hood , l'a battu , & le
pourfuivoit encore au départ de la flotte
de St - Euftache ; on ne fauroit avoir plus
de raiſon d'être inquiet en nous repréſentant
une efcadre déja victorieuſe , pourfuivant
la nôtre maltraitée , affoiblie , battue
& prête à l'être encore , ou à fe difperfer
, s'éloigner , & laiffer nos ennemis
maîtres de la mer dans ces parages , & en état
de tenter les entrepriſes qu'ils jugeront à propos
. On s'attendoit que la Gazette de la
Cour auroit parlé de cet évènement le 23
de ce mois ; mais fon ufage n'eſt pas de
rendre compte de ceux de cette eſpèce ;
c'eût été en effet ajouter à l'effroi de la
nation fur les fuites funeftes d'une action
dont on ne connoît en effet que le commencement.
D'ailleurs elle ne paroît pas
avoir reçu des dépêches officielles , & elle
les attend vraisemblablement ; nous craignons
bien que les premières ne confirment
toutes les inquiétudes que nous éprou
vons aujourd'hui.
La Gazette du 23 , qui a gardé le filence
fur ce combat naval , a effayé de faire une
diverfion dans les efprits en leur offrant
un extrait d'une lettre du Brigadier Arnold ,
adreffée au Général Clinton en date de
Pétersburgh dans la Virginie le 16 Mai.
,
Le Major- Général Phillips eft fi´abattu par une
fièvre dont il a été attaqué le 2 courant , qu'il eft
hors d'état de vaquer au fervice , & fes Médecins ne
font pas fans appréhenfions . Dans cette circonftance,
je crois qu'il eft de mon devoir de vous tranſmettre ,
par un exprès , le détail des opérations de l'armée
à les ordres , depuis qu'elle a quitté Portsmouth.
Le 18 Avril , l'infanterie légère , partie des 76º.
& 80. régimens , les chaffeurs de la Reine , les
Yagers , & la légion Américaine , s'embarquèrent à
Portsmouth, & defcendirent jufqu'à Hampton Road ;
le 19 , ils remontèrent la rivière James jufqu'au bac
de Burwell ; le 20 , le Lieutenant - Colonel Abercrombie
, avec l'infanterie légère , remonta la Chickahomany
en bateaux ; le Lieutenant - Colonel Simcoe ,
avec un détachement fe porta à York ; le Lieutenant-
Colonel Dundas , avec un autre , débarqua à l'embouchure
de la Chickahomany ; le Major - Général
Phillips & moi nous débarquâmes avec partie de
l'armée à Williamsburgh , où étoient environ 500.
hommes de milice , qui fe retirèrent à notre approche.
Celle poſtée à York avoit paffé la rivière
avant l'arrivée de M. Simcoe , qui fit quelques prifonniers
, encloua quelques canons , & retourna le
lendemain à Williamsburgh . Le 22 , nous mar ›
châmes vers Chickahomany , & fûmes joints à s
*
( 14 )
--
-
·
milles de l'embouchure de la rivière , par le Lieu
tenant -Colonel Dundas & fon détachement ; dans
la foirée , les troupes furent rembarquées. Le lendemain
matin , le Lieutenant -Colonel Abercrombie
nous joignit avec l'infanterie légère , qui avoit remonté
la Chickahomany l'espace de 10 ou 12 milles
& détruit plufieurs bâtimens armés , l'arfenal de la
marine de l'Etat , les magaſins , & c. - A 10 heures ,
la flotte leva l'ancre & remonta la rivière James ,
jufqu'à 4 milles de Weſtover. Le 24 , nous nous
portâmes à City-Point , où les troupes furent débarquées
à 6 heures du foir. Le 25 , nous marchâmes
vers Petersburgh , où nous arrivâmes à
environ 5 heures après midi ; à un mille de la ville ,
un corps de milice , qu'on croit de 1000 hommes
aux ordres du Brigadier - Général Muhlemberg
s'oppofa à notre marche ; nous l'obligeâmes bientôt
de fe retirer de l'autre côté du pont , avec perte
de près de 100 hommes tués ou bleſſés , ainfi que
nous en avons été informés depuis ; nous n'eûmes
qu'un mort & 10 bleffés. L'ennemi , en levant le
pont , nous empêcha de le pourſuivre.
Le 26 ,
nous détrusîmes , à Petersburgh , 4000 barriques
de tabac , un vaiſſeau & nombre de petits bâtimens
fur les chantiers & dans la rivière . Le 27 ,
Major - Général Phillips , avec l'infanterie légère ,
partie de la cavalerie , des chaffeurs de la Reine &
des Yagers , marcha vers Cheſterfield - Court-Houfe ,
où il brûla des cafernes capables de contenir 2000
hommes , & 300 barils de farine. Le même jour ,
je marchai vers Osborn's avec les 76e & 80e régimens
, les chaffeurs de la Reine , partie des Yagers ,
& une légion Américaine ; arrivé à midi , & ayant
découvert , à 4 milles au-deffus d'Osborn's ,
nombre confidérable de vaiffeaux ennemis formés
en ligne & difpofés à nous difputer le paffage ,
j'envoyai un pavillon Parlementaire au Commodore ,
avec la propofition de traiter avec lui pour la ré-
-
le
un
( 15 )
dition de fa flotte , ce qu'il refufa. J'ordonnai qu'on
fît defcendre deux canons de 6 livres & deux pièces
de campagne de trois , fur un banc de la rivière ,
prefque au niveau de l'eau , & à so toifes de la
Tempeft , vaiffeau ennemi montant 20 canons , qui
commença fur- le-champ à faire feu fur nous , ainfi
que le Renown , de 26 , le Jefferſon , brigantin
de 14 canons , & plufieurs autres bâtimens & brigantins
armés ; près de 2 à 300 hommes de milice
de l'autre côté de la rivière faifoient en même-tems
fur nous un feu de moufqueterie très - vif & bien foutenu
; mais le feu bien dirigé de notre artillerie , força
bientôt les vaiffeaux à amener leurs pavillons , &
la milice à fe difperfer . Le manque de bateaux &
la violence du vent nous empêchèrent de prendre
plufieurs matelots , qui au moyen de leurs chaloupes
gagnèrent la rive oppofée , après avoir ouvert de
grands fabords dans les côtés de quelques vaiffeaux
& mis le feu à d'autres qu'on n'a pu fauver. Deux
vaiffeaux , 3 brigantins , floops & 2 goëlettes ,
chargés de tabac , cordages , farine , &c . font tombés
entre nos mains. Quarre vaiffeaux , brigantins &
nombre de petits bâtimens , ont été coulés bas ou
brûlés. A bord de toute cette flotté ( dont aucun
bâtiment n'a échappé ) , on a pris environ 2000
barriques de tabac & nous n'avons pas eu un
homme tué ou bleffé ; nous avons lieu de croire
que l'ennemi a fouffert confidérablement. Vers les
5 heures après midi , le Major Général Phillips
nous joignit avec l'infanterie légère. Le 28 ,
les troupes reftèrent à Osborn's , attendant des bateaux
de la flotte , dont une partie étoit employée à
mettre en sûreté les prifes . Le 29 , les bateaux
étant arrivés , les troupes fe mirent en mouvement.
Le Major - Général Phillips marcha avec le corps
principal ; en même tems , je remontai la rivière en
bateaux , avec un détachement , & je le rencontrai
'entre Cary's Mills & Warwick.
9
-
--
?
Le 30 les troupes détruifirent à Mancheſter
1200 barriques de tabac . Le Marquis de la Fayette
arrivé la veille avec fon armée à Richmond , VISà
- vis de Mancheſter , ayant été joint par la milice
chaffée de Petersburgh & de Williamsburg , fat
fpectateur de cette opération , fans tenter de nous
molefter. Le même foir nous retournâmes à Warwick
, où nous détruisîmes 500 barils de farine
les beaux moulins du Colonel Cary . Nous avons
auffi brûlé plufieurs magafins , avec 150 barriques
de tabac , un gros vaiffeau , & un brigantin à flot
& 3 bâtimens fur les chantiers , une longue enfilade
de corderies & magaſins , & quelques tanneries
pleines de peaux , de tan & d'écorce .
Le I
Mai , nous marchâmes vers Osborn's , nos bateaux
& nos prifes defcendirent la rivière : dans la ſoirée
même nous nous portâmes à Bermuda Hundreds ,
vis -à- vis City- Point. Le 2 nous embarquâmes
les troupes ; le 3 nous defcendîmes la rivière jufqu'à
Weftover ; le 4 jufqu'à Tappahannock ;
les 5 & 6 une partie de la flotte defcendit jufqu'à
Hog-Ifland. Le 7 le Major - Général Phillips
reçut du Lord Cornwallis un lettre en conféquence
de laquelle , la flotte remonta encore la rivière.
Nous arrivâmes à Brandon vers les cinq heures ;
& la majeure partie des troupes fut débarquée dans
la foirée , quoiqu'il ventât grand frais. Le 8 nous
reftâmes à Brandon . Le Major- Général Phillips
étant très mal & hors d'état de monter à cheval ,
on lui procura une chaife de pofte Le 9 l'infanterie
légère & partie des chaffeurs de la Reine , fe
rendirent en bateaux , avec le Formidable & le
Spitfire , à City - Point , où ils débarquèrent ; le
refte de l'armée fe mit en mouvement pour fe rendre
à Petersburg , où l'on arriva tard dans la nuit
après une marche de près de 30 milles . Lorf.
que nous eûmes quitté Bermuda Hundreds & defcendu
la rivière, le Marquis de la Fayette avec ſon
-----
( 17 )
nous ,
>
·
armée fe porta vers Williamsburgh , & par des
marches forcées il avoit traversé la Chickahomany
à Long- Bridge , mais notre flotte retourna
à Brandon : ce mouvement retrograde de notre
part le fit retourner rapidement par des marches
forcées à Osborn's , où il arriva le 8 , & fe préparoit
à traverser la rivière pour paffer à Petersburg
lorfque nous arrivâmes ; nous étions fi peu
attendus que nous furprîmes & fimes prifonniers 2
Majors, l'un Aide- de-Camp du Baron Stuben, & l'au
tre du Général Smallwood , un Capitaine & 3 Lieutenans
de Dragons , 2 Lieutenans d'Infanterie , un
Commiflaire & un Chirurgien quelques- uns de
ces MM. n'étoient arrivés que deux heures avant
dans le deffein de raffembler des bateaux
pour faire paffer l'armée du Marquis de la Fayette ,
Le 10 le Marquis de la Fayette parut fur la
rive opposée de la rivière avec une forte escorte;
& ayant employé quelque temps à reconnoître
notre armée , retourna à fon camp d'Osborn's ;
nous apprenons aujourd'hui , qu'il s'eft porté fur
Richmond , où , dit- on , Wayne oft arrivé avec le
corps de Penfylvanie ; ceci eft cependant incertain
, mais ce qu'il y a de pofitif c'eft qu'il y eft
attendu . La veille de notre arrivée ici on
avoit vu paffer un exprès venant d'Hallifax dont
il étoit parti le 7 : on a fu de lui que la garde
avancée du Lord Cornwallis y étoit arrivée dans
la matinée. Ce rapport nous eft parvenu de diffé
rens côtés , & j'ai des raifons de le croire vrai .
Plufieurs exprès lui ont été expédiés pour l'informer
que nous fommes prêts à coopérer avec
fes forces. Nous attendons de fes nouvelles à chaque
minute. Auffi - tôt que l'on fera certain qu'il
a paffé la Roanoake & qu'il eft en marche pour
nous joindre , l'armée partira d'ici pour aller audevant
& porter des provifions à fon armée .
Un magafin confidérable de farine & de pain nous
<-
A
( 18 )
-
eft tombé entre les mains près d'ici , & le pays
abonde en bétail , Le Major Phillips eft fi foi.
ble & fi abattu que de quelque temps il ne fera
en état de fupporter les fatigues du fervice . Dans
cette circonftance critique je fuis très - heureux
d'avoir l'affiftance de tant d'Officiers auffi habiles
qu'expérimentés , & commandans des corps ;
fi nous
fommes joints par le lord Cornwallis ou par le
renfort qu'on dit venir de New-York , nous ſerons
en force & en état d'opérer , comme il nous
plaira , dans la Virginie & le Maryland .
Cette relation confirme l'opinion que
l'on avoit déja des prétendues victoires du
Lord Cornwallis fur le Général Gréen ;
c'eft par leurs fuites qu'on juge de leur importance
; après ces triomphes fi vantés ,
il a été hors d'état de fe rendre maître de
la Province où il a vaincu ; il n'a pu continuer
fa roure par terre pour fe rendre
dans la Virginie ; il n'étoit pas prudent à
lui de retourner fur fes pas , & le 4 Mai
il s'eft embarqué avec fon armée au Cap
Féar pour fe joindre par mer au Général
Phillips. Par ce mouvement , il porte le
principal théâtre de la guerre dans la Virginie
, mais il abandonne les deux Carolines
; d'après quelques lettres d'Edington
en date du 26 Mai , voici , felon les Américains
, ce qui s'eft paffé dans la Caroline
après le départ du Lord Cornwallis .
Le Général Gréen a enveloppé, au commencement
de Mai,un corps de troupes Britanniques d'environ 900
hommes qui étoit en marche pour joindre le Lord
Rawdon,& il en a taillé en pièces la plus grande partie.
Il compte fe rendre maître fans peine de Cambden, &
( 19 )
pourfuivre enfuite fa route vers Charles - Town ;
cependant comme l'été eft très mal- fain dans les
environs de cette ville , on doute qu'il prenne
ce chemin , parce que les troupes pourroient
y fouffrir beaucoup , & s'affoiblir par les maladies.
Arnold , ajoutent d'autres lettres , après
fon débarquement , a cherché , comme on devoit
s'y attendre , à faire le plus de mal poffible à fes
compatriotes. Il a brûlé plufieurs megafins & habitations
, & il fe préparoit à incendier la ville
de Richmond , lorfqu'il apprit qu'il couroit luimême
de grands rifques , le Marquis de la Fayette
& le Général Wayne étant à peu de diſtance avec
quelques troupes Françoifes , dit- on , 2 à 3000
hommes de troupes continentales & autant de milices.
Arnold en conféquence a dirigé fes pas
d'un autre côté , & s'eft joint au Lord Cornwaldis.
Ce dernier a mis à contribution tout le pays
par lequel il a pallé . On dit même qu'il a payé
en fauffe monnoie ce qu'il a pris des Royalites ;
il s'eft procuré des chevaux pour monter 1500
de fes meilleures troupes «.
La Gazette de la Cour contient deux
autres extraits de lettres du Vice- Amiral
Arbuthnot , qui annoncent la priſe de la
frégate Américaine le Protector de 26 canons
& de 25o hommes d'équipage. Ce
bâtiment appartenant à la colonie de Maffachuffett
, eft un très beau vaiffeau prefque
neuf, dont les échantillons & la longueur
font de la dimenſion de nos frégates
de 28 ; outre cette prife , on a fait celle
de la Confederary , qui alloit du Cap François
à Philadelphie ; elle avoit 300 hommes
à bord ; elle portoit une quantité confidérable
d'habillemens pour l'ufage de l'ar(
20 )
mée Américaine ; fa longueur eſt égale à
celle de nos vieux vaiffeaux de 70 , & peut
monter fur fon grand pont 28 canons
de 18.
---
Un particulier intéreflé dans le commerce de
New-Yorck , dit un de nos papiers , a appris par
des lettres particulières que le Chevalier Clinton
excité fans doute par la fatisfaction qu'il reffent
d'avoir actuellement dans fa poche la permiffion
de fe retirer quand il lui plaira , a réfolu de fortir
de l'inaction dans laquelle on l'a vu jufqu'ici ,
& qu'il fe prépare à partir pour une expédition
qu'il veut commander en perfonne. L'objet de
cette entrepriſe n'a point encore tranfpiré , mais
on croit que ce fera contre l'armée qui eft fous
les ordres du Général Washington. Le 17 , le
Major Saint- George , Aide-de Camp de ce Général
, eft parti pour Portſmouth , où il a dû fur
le champ s'embarquer pour l'Amérique . Il eft
chargé de dépêches importantes du Gouvernement,
relativement à l'expédition projettée par le Génétal
Clinton. Il n'eft point parlé , dit on , de fa
retraite dans les dépêches . Le Gouvernement fufpend
les réfolutions définitives fur ce point important
, jufqu'à ce que l'iffue de fa nouvelle entreprife
foit connue. Ce fera l'évènement qui règlera
la conduite du Ministère. L'Amirauté a donné
ordre à une frégate de conduire le plutôt
poffible le Major Saint - George à New-Yorck , où
il eft de la plus grande importance qu'il arrive
promptement. Cela eft d'autant plus inftant que
T'on a fu , vers la fin d'Avril à New - Yorck , que
Tefcadre Françoife de Rhode- Ifland étoit réparée ,
& les bâtimens de tranfport en état , ce qui fai-
Loir préfumer qu'avant peu il feroit fait un embarquement
de troupes pour quelque expédition .
L'Amiral Arbuthnot étoit à New Yorck faifant ·
( 21 )
les préparatifs pour fe porter à Shandy-Hook &
y obferver les mouvemens des François . On chargeoit
un grand nombre de bâtimens de transport
pour une expédition vers le Sud .
On embarque actuellement un nouveau
détachement du régiment des Gardes pour
l'Amérique. L'Océan , le Namur & le Formidable
prennent à Plimouth des vivres
pour 9 mois. On croit qu'ils feront du
nombre des 6 vaiffeaux qui partiront inceffamment
avec l'Amiral Digby pour relever
l'Amiral Arbuthnot. On dit qu'à fon
arrivée à New-Yorck , l'Amiral Grave qui
y eft actuellement ira prendre le commandement
de la ftation de la Jamaïque.
Il paroît décidé que le Prince Henri s'embarquera
avec l'Amiral Digby pour l'Amérique
; mais le tems du départ de l'efcadre
eft encore incertain. On ne veut pas dégarnir
tout- à- fait la rade de Ste-Hélène ; &
on attendra qu'on ait équipé un nombre
fuffifant de vaiffeaux pour remplacer ceux
qui partiront & faire face aux Hollandois
qui pourroient tenter quelque chofe contre
cette côte pendant l'abfence de nos forces
navales.
On lit dans un de nos papiers miniftériels
les obfervations fuivantes fur la communication
faite par la Cour de Pétersbourg à celle
de Londres , fur fa réponſe aux Hollandois.
" On a dit que l'Impératrice de Ruffie s'étoit excufée
fous prétexte que l'adhésion des Etats - Géné
raux à la Neutralité- Armée , n'étant pas la cauſe
de notre déclaration de guerre , le Cafus fæderis
( 22 )
n'exiftoit pas on a prétendu avec plus d'inconte
quence que les Hollandois ayant été embarqués
dans cette neutralité par le Comte de Pano , l'impératrice
avoit défapprouvé cette mef.re , avoit
témoigné fon mécontentement en éloignant ce Miniftre
, & pour prouver à l'Angleterre qu'elle n'y
avoit aucune part , avoit promis d'abandonner les
Hollandois à eux- mêmes , &c . &c . il n'y a pas un
mot de tout cela ; le fait eft que tous les voyages
qu'ont fait fucceffivement à Petersbourg le Roi de
Suède , l'Empereur & le Prince de Prufle ont eu le
même objet ; celui d'une pacification générale fous
la médiation de l'Empire & de la Ruffie : au moment
où les Puiffances belligérantes ont été informées
de cette réſolution , approuvée de toutes les
Puiffances neutres , elles ont fenti que la guerre ne
pouvoit être de longue durée , & lorfque la Ruffie
à fait faire à notre Cour des propofitions féparées
en faveur de la Hollande , notre Gouvernement a
répondu que la paix générale étant probablement
très - prochaine , il n'étoit pas naturel d'entrer dans
des arrangemens partiels avec telle ou telle Puif
fance : c'eft de cette réponse de notre Cour que
celle de Ruffie a fait part aux Etats - Généraux par
le Courier arrivé à la Haye le 11 du courant ; leur
donnant à entendre qu'elle ne pouvoit fe difpenfer
de la trouver jufte & raisonnable , & leur promettant
de faifir le moment où les négociations
feront entamées pour veiller aux intérêts de la République
, lui marquer toute la bienveillance & la
mettre dans le cas de jouir à l'avenir , inter pares ,
des avantages qu'elle a dû attendre de fon acceffion
à la Confédération connue fous le nom de
Neutralité- Armée ; ajoutant au furplus que pour
hâter le moment defiré , S. M. I. alloit , de concert
avec les Rois de Danemarck & de Suede , faire auprès
de notre Cour une feconde tentative appuyée
par la médiation preffante de l'Empereur : c'eft ce
( 23 )
dont S. M. I. & Royale a fait part à notre Cour
avant de quitter Vienne ; & c'eft à cette occafion
que le Duc de Gloucefter s'eft rendu à Bruges pour
affurer à l'Augufte Médiateur que la G. B. ne craignant
ni ne defirant la continuation de la guerre
mais flattée de donner des marques de déférence
aux Puiffances médiatrices , & de contribuer autant
qu'il eft en fon pouvoir au rétabliſſemenr de la
paix générale , fe prêtera à tout ce qui pourra lui
être propofé de compatible avec fa sûreté , fon
honneur , fes droits & fes intérêts effentiels . Voilà
où en ſont actuellement les choſes ; fi on vouloit
réfléchir fur ces faits , on fe convaincroit bientôt
qu'il n'y a point de fondement dans tout ce qui s'eft
débité fur les voyages & les démarches des Puif.
fances neutres . La paix eft certaine , mais on ne peut
pas dire très- prochaine , parce que , lorfqu'on en
viendra à la rédaction des articles , il eft à craindre
que les Puiffances en guerre ne foient pas les plus
difficiles à mettre à la raifon ; que celles qui fe
difent neutres , & même médiatrices , n'aient des
prétentions incompatibles avec nos intérêts effentiels
, & que les chofes ne s'embrouillent davantage
, ou du moins ne traînent en longueur. La
communication que l'Impéra rice de Ruffie vient
de faire à notre Cour de la conduite qu'elle fe
propofe de tenir avec la Hollande , eft très - amicale
; mais lorsqu'il eft queftion dans cette pièce
des négociations à entamer , relativement à une
pacification générale , on ne peut s'empêcher de remarquer
que fi les circonftances ont fait renoncer
les Puiffances neutres au projet de nous affujettir
aux articles d'un Code maritime , elles cherchent ,
fous d'autres formes , à donner à leur commerce
un effor qu'il ne peut prendre qu'au détriment du
nôtre la guerre d'ailleurs eft fi décifive qu'à
moins que les Etats qui la font à grands frais ne
s'en ennuient , elle ne peut guère avoir d'influence,
:
peu
( 24 )
fur la paix ; là , nous chantons victoire autour
d'une pyramide de tabac brûlée ; ici , nous déplo
rons le fort de nos vaiffeaux criblés : à deux mille
lieues de cette double fcène , les Efpagnols fe confument
devant un rocher aride , dont la défenſe
nous coûte des flots de fang & des tréſors immenfes
; le même entêtement les épuiſe contre Penſacola.
Nous leur en donnons l'exemple devant les
forts d'Omoa & St. -Juan : depuis l'affaire d'Oueffant
jufqu'à celle de la Martinique , huit combats
livrés entre nous & les François fans qu'il y ait un
feul vaiffeau pris ou coulé bas ! N'en doutons pas ,
c'eſt à l'ennui que nous ferons redevables de la
paix.
On ne parle plus du combat du Commodore
Johnstone , parce que nous craignons
bien que les plaintes de la Cour de
Lisbonne ne nous apprennent qu'il a été l'agreffeur.
On fait que fa deftination étoit pour
le cap de Bonne-Efpérance , & que fon ordre
de bataille était fixé comme il fuit : le Colonel
Fullarton devoit commander l'aîle
droite , le Général. Huberfton la gauche ,
& M. M'Leod le centre. Mais on croit à préfent
certe expédition manquée ; Johnſtone
pour réuffir devoit précéder les François ,
auxquels , quoi qu'il dit les avoir battus ,
il a laiffé prendre une terrible avance.
En attendant des nouvelles de nos éta
bliffemens dans l'Inde , on remarque ici
que le Lord North & la Compagnie commencent
enfin à s'accorder ; la réfiftance
des Directeurs de cette dernière a déterminé
le premier à diminuer la fomme qu'il en
cxigeoit
( 25 )
exigeoit de plus , de 100,000 liv. fterl. On
fe flatte que l'affaire de la Chartre s'arrangera
à l'amiable avant la prorogation du Parle
ment.
La Banque eft bien mieux traitée par le
Miniftre. Le 6 de ce mois il fut queſtion
de fes propofitions à la Chambre des Com
munes.
La Chambre s'étant formée en comité de ſubfide
, M. Robinſon , Préſident , on lut la propofition
des Gouverneur & Compagnie de la Banque d'Angleterre
, portant l'offre de prêter au Gouvernement
la fomme de deux millions à trois pour cent ,
moyennant le renouvellement de fa Chartre actuelle
pour le terme de 21 ans , dont le premier
million fera avancé le 15 du mois de Novembre
prochain & l'autre million le 15 Février fuivant
, avec cette propofition , que fi les deux mil
lions ainfi avancés n'étoient pas rembouríés au s
Avril 1784 , cette nouvelle créance de la Banque
feroit hypothéquée fur le fond d'amortiffement.
-
-
,
Le Lord North dit que ces deux millions feroient
employés à retirer pour autant de billets de
marine. M. Huffey obferva que le Lord North
pouvoit faire un meilleur marché avec la Banque ,
& s'oppofa aux conditions auxquelles on parloit
de lui accorder le renouvellement de fa Chartre.
» Je fais bien étonné , dit M. Pultenay , que le
Lord North cherche à fe procurer deux nouveaux
millions cette année , après avoir furchargé la
nation de l'emprunt de 12 millions . Lorsque je
confidère que la Chambre eft fur le point de ter
miner la feffion , il me paroît bien étrange qu'il
mette fur le tapis une affaire de cette importance.
Feu M. Grenville ne traita avec la Banque qu'au
tems où la Chartre étoit prête d'expirer , & il fit
un marché beaucoup plus avantageux pour le Pu
Juillet 1781.
b
( 26 )
blic que celui dont il eft queftion aujourd'hui.
Alors la Compagnie prêta au
Gouvernement
la fomme de 3 millions à trois pour cent
& donna 110,000 liv. pour le renouvellement de la
Chartre pour 21 ans . Le Miniftre actuel n'a pas
fuivi cet exemple. Il a eu affez de confiance en
lui- même pour traiter avec la Banque cinq an
nées avant l'expiration de la Chartie , de forte que
fi la Compagnie n'accepte pas les conditions qu'on
Jui propofe , elle aura tout le tems de faire réfiftance
& de faire des efforts pour obtenir un
marché bien plus avantageux pour elle. M. Grenville
avoit tout prévu. Il attendit que la Chartre
de la Compagnie touchât prefqu'à fa fin pour
l'obliger à prendre fur le champ des arrangemens.
Le Lord North nous déclare que fon intention
eft d'appliquer les deux millions au rembourfement
des billets de marine ; mais je ne puis me
défendre du foupçon que forment bien des perfonnes
, que la Banque inftruite d'avance de fes
intentions , a déjacheté pour cette fomme des
billets de marine dans le difcrédit où ils étoient.
Enfin la faifon eft fort avancée , & il ne convient
pas de charger cette année le public d'un
nouvel impôt de deux millions : ainfi je m'oppofe
à cette motion. Il fut fecondé par le Chevalier
George Yonge , & le Lord North répli
qua : Pour pouvoir juger fi l'offre de la
Compagnie de la Banque eft bonne ou mauvaiſe ,
il s'agit moins de communiquer quelques papiers
à la Chambre que de raifonner. A l'égard de l'octroi
du renouvellement de la Chartre de la Com.
pagnie avant fon expiration , je remarquerai feulement
que les Directeurs font venus d'eux- mêmes
préfenter au Parlement leurs propofitions , & que
la Chambre peut les rejetter fi elle ne les approuve
pas. Tout ce que la Chambre fait de
leurs affaires , c'eft que leur dividende eft de
( 27 )
huit pour cent ; mais quant à leurs profits , la
Chambre n'a nul droit de s'en informer. - L'état
de la queftion prit alors la forme fuivante : le
Comité s'ajournera - t- il pour que le Préfident faffe
le rapport de fon procédé ? On alla aux voix ,
& la queftion paſſa à la pluralité de 56 contre
27.
Le 18 , la Chambre s'étant formée en Comité
de voies & moyens , le Lord North termina l'affaire
des finances de cette feffion en annonçant que les
fommes fuivantes avoient été votées pour les fervices
de la préfente année.
Pour la Marine. · •
Pour l'artillerie , y compris
le fervice de terre & de
mer les eftimations . . ·
Pour l'armée ordinaire &
extraordinaire.
Pour le remboursement
des billets de l'Echiquier
laiffés à la charge du fub .
fide de la préfente année..
Pour remboursement de
billets de l'Echiquier , octroyés
par un vote de crédit ·
Pour les établiſſemens civils
de plantations.
Pour fervices divers , &
les déficit des précédens
octrois , en tout
8,936,277 1. 5 f. 8 d.
1,316,484 7
7,816,540 II
3,400,000 O
1,000,000
19,000 0
1,288,790 16 0
23,776,093 0 11/1/1
Le Lord North dit enfuite
que pour lever ce fubfide
, les voies & les moyens
déja votés montoient à
21,423,651 liv. 2 f. 5 d.;
b2
( 28 )
mais qu'il reftoit encore
diverfes fommes à voter
& il propofa d'appliquer
les fuivantes au fervice de
l'année , furplus qui proviendra
du fonds d'amortiffement.
Balance entre les mains
des Comptables publics ,
rapportés par les Commiffaires
des Comptes.
Balance , non dans le rapport
, mais examinée &
paffée , quoique non encore
payée à l'Echiquier.
Balance due par la Compagnie
des Indes.
Somme provenant de la
vente des Ifles cédées , des
prifes Françoiles , &c .
cles
Tous ces nouveaux artimontent
enſemble à
Ce qui ajouté aux pre
miers octrois , porte le to-
1,742,912
400, 000
29,701 17 97
402,000
14,000 O
O
2,588,613 12 11 1
tal des voies & moyens à 24,012 , 265 2 4+
qu'à
23,766,093 11
146,172 I 53
Le fubfide ne montant
·
Il y a encore un furplus
d'octroi de S
Les diverfes motions du Lord North , ayant paſſe
fans oppofition , la Chambre s'ajourna auffi - tôt.
FRANC E.
De VERSAILLES , le 3 Juillet.
Le Comte de la Touche de Tréville , an(
29 )
cien Infpecteur- Général des Claffes que le
Roi avoit nonimé Lieutenant - Général des
Armées navales & Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de St -Louis , auquel S. M ,
a donné le commandement de la Marine
à Rochefort , vacant par la mort du Comte
de la Touche fon frere , eut le 14 du mois
dernier l'honneur d'être préfenté au Roi par
le Marquis de Caftries , Miniftre & Secrétaire
d'État ayant le département de la Marine
, & de prendre congé de S. M. pour
fe rendre à fon commandement .
Le 24 la Comteffe de Bianchi & la Comteffe
Julie de Serant , eurent l'honneur d'être
préſentées à LL. MM. & à la Famille Royale ,
la premiere par la Marquife de Clermont
Gallerand , & la feconde par la Baronne
de Serant.
S. M. ayant accordé à M. de Boulongne ,
Confeiller d'Etat & au Confeil Royal , une
place de Surnuméraire au Conſeil de Commerce
il fut préfenté le même jour à
S. M. par M. Joly de Fleury , Miniftre des
Finances.
,
Le même jour les Cautions du dernier
bail des Fermes- Générales , ayant prié M.
Joly de Fleury d'offrir de leur part à S. M.
un prêt de 30 millions fans intérêts , S. M.
a reçu avec fatisfaction cette nouvelle preuve
de leur zèle , & elle a fixé les époques de leur
remboursement pendant les cinq dernières
années du bail actuel.
b3
( 30 )
De PARIS , le 3 Juillet.
SELON les nouvelles de Breft , l'efcadre
de M. de Guichen qui avoit déja appareillé
& qui le 19 avoit été forcée par
les vents contraires de venir dans la rade ,
remis à la voile le 23 du mois dernier.
Voici l'ordre de bataille de cette efcadie.
Efcadre bleue & blanche. Le Magnifique , de
74 , Capitaine , M. de Nieuil ; l'Invincible , de 110 ,
M. de Cherifey ; le Dauphin Royal , de 70 , M.
de Peymier ; le Terrible , de 110 , M. de la Motte-
Piquet , Chef- d'efcadre , M. de la Vayric , Capitaine
de pavillon ; l'Actif , de 74 , M. de Boades l'aîné ;
le Lion , de 64 , M. de Fournoue.
Efcadre Blanche. Le Protecteur , de 74 , M. de
Mithon ; le Hardi , de 64 , M. de Sillan ; le Fendant
, de 74 , M. le Comte de Dampierre ; la Bretagne
, de 110 , M. le Comte de Guichen , Lieutenant
Général , M. de Soulanges , Capitaine de
pavillon ; le Robufte , de 74 , M. Beauffier de
Châteauvert ; l'Indien , de 64 , M. de Senneville,
Efcadre Bleue. Le Guerrier , de 74 , M. de Laurencie
; l'Alexandre , de 64 , M. Dufrétay ; le
Bien-Aimé , de 74 , M. Huon de Kermadec ; le
M. de Beauffet , Chef
d'efcadre , M. Verdun de la Crenne , Capitaine de
pavillon ; le Zodiaque , de 74 , M. de Retz ; le
Triomphant , de 80 , M. du Pavillon .
Royal -Louis de 110 , ›
Frégates. L'Eméraude , de 32 , de Sufanner l'aîné
; la Sybille , de 32 , M. de Vintimille ; la Néréïde ,
de 32 , M. de Quency ; la Levrette , cutter , M. de
Loftange ; le Chaffeur , lougre , M. de Maurville
de Beauvais ; l'Efpiégle , lougre , M. de Gaſton.
Total , 18 vaiffeaux de ligne , 3 frégates , un cutter
& 2 lougres.
"
La deftination de l'Amiral Digby pour
( 21 )
New-York , où il va prendre le comman
dement d'Arbuthnot , & conduire 5 à 6
vaiffeaux de ligne pour remplacer ceux que
ce dernier ramenera en Europe , où ils ont
befoin d'être réparés ; celle de 4 ou 5 autres
vaiffeaux que les Anglois ont dans la
mer du nord , où il paroit qu'ils resteront
toute la campagne , réduifent la flotte de l'Amiral
Darby à 21 ou 22 vaiffeaux de ligne ;
ainfi quand il n'y auroit point de jonction
de quelques vaiffeaux Eſpagnols avec M. le
Comte de Guichen , il a des forces fuffifantes
pour ſe meſurer avec les Anglois s'il les
rencontre .
- Nous attendons avec impatience des nou
velles directes de M. le Comte de Graffe ;
elles ne peuvent tarder après celles que
nous avons reçues de ce Général par la
voie de Londres , de fon arrivée à la Martinique
, & de fon combat ; il a fait la traverfée
la plus heureufe & la plus prompte
dont l'hiftoire de la navigation puifle offrir
des exemples. Parir du port de Breft le 22
Mars avec 26 vaiffeaux , dont 5 fe font
détachés aux ordres de M. de Suffren , il
a continué fa route avec 21 & un convoi
confidérable qui n'a point rallenti fa marche
, puifqu'après avoir mis ce convoi intéreffant
en fûreté dans le port du Fort-
Royal de la Martinique , il en eft forti le
29 Avril pour chercher l'efcadre Angloife
qu'il a atteint le même jour fous le vent
de la Martinique. Elle étoit fous les orb
4
( 32 )
>
dres de l'Amiral Hood ; l'Amiral Rodney
étoit encore à St -Eustache avec le Sandwich.
Il l'a mife en fuite & a maltraité confidérablement
plufieurs de fes vaiffeaux , entr'autres
le Ruffel de 74 , qui , le 3 Mai
fe réfugia à St -Eustache avec 7 pieds &
demi d'eau dans fa cale. L'efcadre qu'il
avoit quittée fe dirigeoit fur Saint - Vin
cent toujours poursuivie par M. de
Graffe , qui , ayant le Vent , la forcera fans
doute à un nouveau combat , ou bien à
tomber tout-à- fait fous le vent , ce qui met
troit les poffeffions Angloifes des Antilles
dans le plus grand danger . Les premières
nouvelles que l'on recevra ne peuvent qu'être
très- intéreffantes ; elles nous fourniront
des détails du combat du 29 , que les Anglois
ne manqueront pas d'altérer pour affoiblir
notre avantage & raffurer la nation
fur la pofition de leurs forces aux Antilles
elles nous apprendront en même tems les
évènemens peut- être plus importans encore
qui auront fuivi ce combat.
du
En attendant on lit dans une lettre de Breft
25 :
" Une prife Angloife faite par un corfaire.
Américain entrée dans ce port & venant d'Antigoa
, rapporte qu'il y a eu un combat entre les
efcadres Françoife & Angloife . Elle ajoute que le
même corfaire a pris une corvette Angloife depêchée
en Angleterre pour y porter la nouvelle
de la défaite de l'efcadre Angloife , & qu'à bord
de cette corvette fe trouvoit le Capitaine d'on
yaiffeau. Anglois coulé bas dans le combat , ou péri
á la côte.
( 33 )
On a reçu des nouvelles de New - Port
dans Rode Island ; M. Deftouche y étoit
occupé à le réparer , & il comptoit fortir
bientôt pour prendre fa revanche. On ne
parle pas de l'Amiral Arbuthnot ; il paroît
qu'il eft revenu de la Cheſapéak , où il
lui étoit bien difficile de trouver dans des
parages les bois propres à radouber fes
vaiffeaux. Notré armée étoit conftamment
dans fes quartiers. C'eft un Officier de
l'armée de M. le Comte de Rochambeaut
qui , dit- on , a apporté les dépêches de ce Ginéral.
Il s'étoit répandu divers bruits qu'on
difoit fondés fur des lettres particulières qui
préſenteroient , s'ils étoient confirmés , un
exemple bien cruel & bien fâcheux d'infubordination
; mais il a fi peu de vraifemblance
, & paroît fi abfolument faux
que nous nous abftiendrons d'entrer dans
aucun détail.
Le convoi de St- Domingue qui avoit
relâché au Ferrol , eft entré heureufement
le 19 dans la rivière de Bordeaux. Les
frégates qui l'efcortoient ont été défarmer
à Rochefort.
On dit que M. de Bellegarde eft parti
pour Breft il y a quelques jours ; le départ
de cer Officier d'Artillerie , & les canons
que l'on a envoyés dernièrement dans ce
port , ont fait penſer à nos fpéculatifs qu'il
alloit à Gibraltar ou dans l'Inde .
Le lougre corfaire , l'Union Américaine
écrit on de Dunkerque , eft rentré dans ce port
bs...
( 34 )
avec 1050 guinées de rançon ; il a de plus envoyé
en Hollande un bâtiment de 200 tonneaux
chargé de charbon de Sunderland . Il a chatſé
jufques dans la rivière Tées , deux brigantins qu'il
a forcé de s'échouer , & qu'il eut brûlés , fi un
corps de troupes accouru fur le rivage ne l'eût
empêché par fon feu de s'en approcher autant
qu'il eût fallu. On apprend de la Rochelle que
la frégate du Roi l'Engageante y a conduit un
corfaire Anglois de 26 canons , qui paffe pour le
meilleur voilier de l'Angleterre , il avoit été chaffé
infructueufement par 4 ou 5 de nos corfaires .
L'Engageante s'étoit emparée auparavant d'un autre
corfaire ennemi qu'elle avoit envoyé à la Co.
rogne «,
----
و
M. de Macnemara , écrit- on de l'Orient ,
Capitaine de vaiffeau commandant la
Friponne , forti de Breſt au commencement
de Mars avec la Gloire , commandée par
M. de Blachon , Lieutenant , vient de mouiller
au-dehors du Port- Louis . Il s'eft emparé ,
dans fa croifière fur les Açores , de quatre
corfaires Anglois , & il a ramené , le 28
Avril , à Cadix , le premier bâtiment de la
Compagnie des Indes Hollandoifes , qui
ignoroit la déclaration de guerre de l'Angleterre
à la Hollande. A fon retour il a
rencontré la Flora & le Croiffant , frégates
Angloifes qui ont combattu , le 30 Mai ,
les frégates Hollandoifes la Brille & le
Caftor , près le cap Spartel. Il a pris le
Croiffant , & repris le Caftor , le 20 Juin
dont 26 fans que la Flora , de 44 canons ,
de 18 , ait voulu le combattre , & le furlendemain
22 , il a pris le corfaire de Briſtol
>
( 35 )
de 14 canons. Il a fait dans cette heureuſe
croifière plus de 700 prifonniers , & pris
168 canons. Il fait beaucoup d'éloges de
M. de Blachon , des deux Etats-majors des
frégates , & des Equipages . Il a appris d'un
bâtiment neutre , que la nouvelle de la
déclaration de guerre à la Hollande eft parvenue
au cap de Bonne-Efpérance , par la
corvette Françoife la Sylphide.
Des lettres de Hambourg & d'Amfterdam
, viennent de nous apprendre la faillite
de la maifon de commerce la plus
opulente du Nord . M. His , qui a acquis
une fi grande confiftance dans l'Europe
, par la réputation dont fon père
jeuiffoit , & qu'il avoit encore étendue ,
vient d'être forcé de fufpendre fes paiemens.
On attribue ce malheur a des retards
éprouvés pour des fommes con-
' es qui lui font dues par différentes
" Europe , & fur tout à la fatalité
uber dans les mains de l'Amieux
vaiffeaux richement char-
' ce Négociant avant la dé
erre contre les Hollandois
Les témoignages d'eftime & de fenfibilité
que lui ont donné fes concitoyens depuis
fon infortune , prouvent que l'on fait dif
tinguer les effets des malheurs imprévus
& accumulés , d'avec cenx de la témérité
ou de la mauvaife fi. Tous les Négocians
s'accordent à penfer qu'il n'y a que la délicate
ffe & la probité qui aient pu déterges
claration
b 6
( 36 )
miner M. His à fufpendre fes paiemens
plutôt que d'abuſer du crédit immenſe dons
il jouiffoit. On eſpère que cette maiſon ne
tardera pas à fe relever , à l'aide des fecours
qu'on lui offre de toutes parts , &
de la rentrée d'une partie de les fonds
qu'elle a trop long - tems attendus.
-
Le 22 Mai dernier entre 5 à 6 heures du foir
on reffentit à l'occident de Roanne , à trois lieues
de cette ville , un orage très violent , dont les
effers ont fur- tout été funeftes à la parcelle des
Forges , annexes de Noés , paroiffe de Renaiſon ;
la grêle qui l'accompagnoit a confidérablement
endommagé les blés & avoines , feule production
de ce pays , fitué dans la montagne , & la chûte
des eaux a dégradé les terres & enfablé les prairies.
Dans la plus grande fureur de l'ouragan , le
tonnerre est tombé fur le clocher , dont il a détruit
la couverture en partie , & comme anéanti
les béfrois ; il s'eft introduit dans l'Eglife par l'ate
doubleau qui fépare le choeur d'avec la nef, a
détaché les clés des cintres , & les a transportées
fur le maître- autel . Deux murs font léfardés à
jour , un autel latéral eft réduit en pièces , le
Chrift & plufieurs ftatues ont été jettées hors de
leur place , & quelques - unes font bifarrement
mutilées. Le pupître , la chaire , le confeffionnak
& les fonts baptifmaux portent chacun diverfement
l'empreinte des jeux terribles de la foudre.
Il paroît que le globe de feu s'est enfin perdu
dans un trou reflemblant à la bouche d'une mine
, qu'on apperçoit au niveau du carrelage . Lorf
qu'après la difparution de la lumière produite par
la préfence du tonnerre on a ofé entrer dans
l'Eglife , on y a trouvé neuf perfonnes que la
dévotion & Feffroi y avoient conduites , éten - i
dues fans mouvement , la face contre terre ; de
2
( 37 )
ce nombre étoit un enfant qui avoit été arraché
des bras de fa mère & emporté affez loin d'elle ;
il n'eft pas bleffé ; les huit autres le font fans danger
pour leur vie ; mais elles ont été affectées
d'une furdité qui dure encore , & aucune ne fe
rappelle la moindre circonftance de ce funeſte
évenement.
M. le Marquis de Cafteja , Seigneur de
Treverai , nous a fait paffer la lettre fuivante
, qui lui a été adreffée par M. Goin ,
Maître de Forges & Procureur Fifcal de la
Terre & Prévôté de Treveray , près Ligny
en Barrois.
» Le jour de la Pentecôte dernière , nous avons eu
en ce canton un orage terrible à l'heure des Vêpress
les habitans di village de Longeville , près de Bar ,
y affiftoient en affez grand nombre dans l'Eglife
du lieu ; ils fe mirent fur le champ , felon la louable
coutume des payfans , à mettre toutes leurs cloches
en branle ; le Curé & le Vicaire , gens raiſonnables ,
leur repréfentèrent que cela étoit au moins inutile ,
peut-être même dangereux , que d'ailleurs cela trou
bloit l'Office divin , au point de les mettre dans
l'impoffibilité de le continuer ; qu'il feroit plus fage.
& plus religieux de continuer à prier le Ciel , & de
chercher à détourner par- là les effets terribles de
l'orage qui fondoit fur le village . Malgré leurs
on voulut toujours fonner ;
trois fois ils firent ceffer trois fois les plus
entêtés des braillards qui conduifent ordinai
rement les Communautés villageoifes , firent re
commencer avec un murmure prefque général ,
appuyé du Syndic , qui fe leva infolemment , dit
au Vicaire que les cloches n'étoient pas à lui , qu'il ·
vouloit qu'on fonnât , &c . A peine exécutoit - on
de nouveau cet ordre , que la foudre tomba fur
le clocher , entra dans l'Eglife par un trou qu'elle
remontrances
#
( 38 )
fit à la voûte , paffa entre les jambes des cent affiftans
à l'Office , fans d'abord faire de mal , remonta le
long d'un pilier , redefcendit , & tua trois perfonnes
roides , & deux autres qui expirèrent un inftant après ,
en blefla au moins foixante , dont vingt fi dangereufement
, qu'on défefpère de les fauver ; plufieurs
ont les jambes & les cuiffes brûlées & noires , leurs
bas & culottes reftans intacts ; un des morts laiffe
onze orphelins . Le Syndic , cité à la Police de Bar ,
a été amendé & puni , mais perfonne n'ofe prendre
fur lui d'interdire la fonnerie quand l'orage eft für
le clocher. Nous étions auth à Vêpres à Treveray ,
où on voulut également fonner; heureufement voyant
l'orage fi près , & me rappellant les exemples que
vous m'aviez cités , & ceux que j'avois lu dans
les papiers publics , du danger de fonner en pareil
cas , je pris fur moi , en ma qualité de Procureur
Fifcal , le Juge étant abfent , & comme votre repréfentant
, Monfieur , de le défendre & de l'empêcher
, même d'autorité , malgré le murmure général
qui s'éleva contre moi , les menaces , injures , & c . ,
réitérées après l'Office & depuis . On croiroit que
l'évènement de Longeville , arrivé fi près d'eux ,
auroit ouvert tous les yeux. Point du tout ,
majeure partie déclame encore , & foutient qu'ils
m'auroient rendu refponfable fi le tonnerre étoit
tombé ; que leurs cloches ont la vertu de les en
préferver , &c. Voilà l'ufage que les Pays ont fait
de cette liberté que les Rhéteurs des villes exaltent
fi fort , ignorant quelle eft trop fouvent pour lui
un moyen de fe nuire à lui - même par le mauvais
ufage que les préjugés & fa déraifon lui en font
faire , & qu'il feroit à fouhaiter que les Seigneurs ,
les Juges & les Pafteurs , naturellement intéreffés
au bien de la chofe , & plus éclairés , fuflent autorifés
à les empêcher. Ne pourriez - vous pas , M. ,
faire à cet égard des repréfentations au Gouver
nement ou aux magiſtrats ( car l'autorité ſeule peut
1
la
( 39 )
obvier à ces abas ) , ou au moins les mettre à portée ,
en publiant ce fait , de prendre des melures relatives
".
Le voeu que forme ici M. Goin , a été
réalisé par le Procureur- Général du Parleiment
de Nancy , qui a adreffé fur ce fujet
à fes Subftituts du reffort la lettre fuivante
, à laquelle on ne fauroit donner
trop de probabilité.
ככ
inftans. -
Depuis long- tems l'expérience attefte que le
moyen d'effuyer les funeftes effets de la foudre ,
eft de fonner quand l'orage eft au - deffus de la
tour , ou qu'il va y arriver . Il n'eft pas d'année
qui n'offre des exemples de cette vérité Phyfique.
Le peuple , fur- tout dans les campagnes , eft fi artaché
à l'idée que le fon des cloches écarte la
nuée , que quoique les Sonneurs trouvent fouvent
la mort au clocher , ils y montent , comme par
une espèce d'émulation , dans les plus dangereux
Les premières notions de la Phyfique
fuffifent pour convaincre que , fi quelquefois
on peut faire changer de direction aux nuées qui
porrent la fondre , lorfqu'elles font encore éloignées
, & que les cloches font groffes , il eft bien
plus certain encore que dès que la nuée eft audeffus
de l'endroit où l'on fonne , c'eft un moyen
de faire tomber le tonnerre , & que les fonneurs
qui tiennent à la main les cordes par lesquelles
la commotion électrique peut aifément fe communiquer
jufqu'à eux , font en danger d'en être frappés.
D'après cela , il eft clair que le mieux eft
de laiffer les cloches en repos , de ne pas même
trop s'approcher du clocher , attendu que , par
fon élévation & par le poids du métal qu'il contient
, il eit plus expofé qu'aucune autre partie
de 1 Eglife . Les mémoires des Académies font
pleins d'exemples effrayans fur cet objet. On y
( 40 )
mobiles. ---
trouve qu'en 1718 , pendant la nuit du 14 au 15
Avril , le tonnerre tomba fur vingt-quatre Egli
fes , depuis Landernau jufqu'à Saint - Paul de Léon
en Bretagne , que c'étoit précisément celles où
l'on fonnoit , & que la foudre avoit épargné les
feules Eglifes dont les cloches étoient reſtées im-
Le 31 Mars 1778 , le tonnerre tomba
à deux lieues de Valence en Dauphiné , fur le
clocher , tua deux jeunes gens qui fonnoient , &
en bleffa neuf autres. Des évènemens à peu près
femblables le font préfentés plus d'une fois en
Lorraine , & le 10 Avril dernier , le tonnerre eſt
tombé fur la Tour de Puttelange , a tué un des
Sonneurs & bleffé les deux autres ; de manière
que s'ils avoient été en plus grand nombre , il
n'eft que trop à croire que tous auroient effuyé
le même fort; & depuis cette époque on continue
à fonner comme on le faifoit auparavant ,
ce qui prouve qu'il eft des préjugés que rien
n'effraie , & qui tiennent même contre le danger
évident de la mort. Il feroit très intéreffant ,
que MM. les Curés des villes & des campagnes
vouluffent bien concourir avec le Ministère pu- '
blic , à perfuader à leurs paroiffiens que rien
n'eft plis dangereux que le fon des cloches
lorfque la muce eft perpendiculaire fur le clocher,
qu'ils des invitaffent à en fufpendre le fon , dans
les momens où le coup fuit de très- près l'éclair ; v
ce qui annonce la préfence du tonnerre.
feroit là un foin bien digne de tous les Paſteurs ;
ils feroient fagement d'observer à leur Troupeau
que fi , dans l'efprit de l'Eglife , les cloches , en
vertu de leur bénédiction , peuvent écarter les
orages , le choix des inftans où il convient d'u -- *
fer de cette refource , eft entièrement laiffé à la
prudence humaine. Il eft affez vraisemblable
que dans l'inftitution primitive on fonnoit pendant
les orages , pour que le peuple vint
-
Ce
( 41 )
-
fe raffembler dans l'Eglife , pour implorer la clémence
de l'Etre Supreme , & le fupplier de ne pas
laiffer détruire en un jour l'ouvrage & l'efpoir
de l'année. Il eſt encore beaucoup de villages ou
l'on fonne pendant la nuit , & où tous les habitans
fe rendent à l'Eglife lorfque l'on eft menacé
, fut la fin d'Avril , ou dans les premiers jours
de Mai , de quelque forte gelée. C'eft fingu
lièrement fous ce rapport que l'ufage des cloches
pendant les nuées , doit être confidéré comme un
ufage pieux. Il peut être utile de les fonner lorf
que la nuée marche vers la ville , le bourg ou le
village , fouvent cela la divife ou la difperfe ,
fur- tout lorfque les cloches font d'une certaine
groffeur ; mais dès que l'orage fe trouve tout à
coup imminent , ou que le fon des cloches n'a pu
l'écarter , il faut ceffer , & en général n'agiter
l'air que le moins qu'il eft poffible . Vous vou- }
drez bien faire paffer copie de ma lettre à tous MM.
les Curés & Vicaires deffervant les Paroiffes de
votre reffort , avec invitation d'en donner lecture >
à leurs paroiffiens , le premier Dimanche qui fui- »
vra fa réception. Je connois trop leur zèle , pour
n'être pas perfuadé qu'ils contribueront de tout
leur pouvoir à remplir l'objet que je me propofe.
Ils fe fouviendront que leur ministère eft effentiellement
un ministère de perfuafion ; tous s'em
prefferont de perfuader à leurs paroiffiens qu'un i
ufage qui expofe inutilement la vie des hommes
& détermine la chûte du tonnerre fur les Eglifes ,
ne peut être aboli trop tôt. Plus l'empire du préjugé
qu'ils attaqueront eft grand , plus il fera 5
confolant & honorable pour eux de l'avoir dé
truit . J'attends même de leur fageffe qu'ils veilleront
à ce qu'on exécute ce qu'ils auront re
commandé , & qu'ils empêcheront que leurs Paroiffiens
, que d'utiles pères de famille aillent in
confidérément chercher la mort au clocher.
1
I
( 42 )
?
» On mande de Gerberoi en Picardie , près Beau
vais , que le 27 Mai dernier , le feu prit à dix heures
du matin , vers le milieu de la ville par des couvertures
de chaume & qu'en très - peu de temps ,
quoiqu'il fît un grand calme , trois maifons couvertes
en tuiles & plufieurs bâtimens de écharge
des maifons voifines , furent confumés : les filmmes
fe portèrent dans d'autres endroits de la ville , '
mais on s'y prit heureufement à temps pour l'éteindre
, malgré le défaut d'eau de cette petite ville ,
bâtie fur le fommet d'une montagne. On évalue
la perte à 15,000 liv. fomme confidérable pour la
petiteffe & la pauvreté du lieu. On recommande à
la charité des perfonnes bienfaifantes les victimes
infortunées de cet incendie «.
On dit qu'au lieu de bâtir une falle provifoire
pour l'Opéra , on s'eft décidé à em
ployer l'argent qu'elle coûteroit à la prompte
conftruction de la Salle de la Comédie
Françoife , près le Palais du Luxembourg ,
qui eft déja fort avancée , & qu'on promet
de livrer le 1 Janvier 1782. Alors
l'Opéra prendra la place des François , fur
le théâtre des Tuileries , & en attendant
on donnera de petits actes & des ballets
pantomimes fur le théâtre des Menus .
Magdeleine Françoife de Meliand , veuve
de René Louis de Voyer de Paulmy- d'Argenfon
, Marquis d'Argenfon , Miniftre &
Secrétaire d'Etat au département des Affaires
étrangères , Grand- Croix & Chancelier
de l'Ordre royal & Militaire de St-Louis ,
Honoraire de l'Académie royale des Inf
criptions & Belles - Lettres , eft morte en
cette ville le 20 du mois dernier , dans la
7Se. année de fon âge.
( 43 )
Marie-Magdeleine Bart , époufe de M
le Baron de la Berthe de Thermes , & fille
de Jean Bart , Chef- d'efcadre , mort en
1702 , eft morte à Sarlat en Périgord le 18
Juin dernier , âgée de 84 ans. Elle étoit
tante de M. Bart , Chef- d'efcadre , ancien
Gouverneur de St - Domingue , actuellement
exiftant ; il y a encore une dernière fille
de ce célèbre Jean - Bart , qui eft la foeur de
celle dont nous annonçons la mort.
De BRUXELLES , le 22 Juin.
LES lettres de Hollande portent que le
24 du mois dernier , la frégate de guerre
la Venus , commandée par le Capitaine
Comte de Rechteren , avoit conduit dans
un endroit près du Texel , un navire Anglois
monté de 8 pièces de canons. La nuit
du 21 du même mois , un corfaire fortit
de Fleffingue ; c'eft le premier qui ait mis
à la voile d'un des ports de la République
depuis la rupture entre l'Angleterre & la
Hollande.
:
On annonce enfin le départ prochain
d'une efcadre ; mais le tems où elle mettra
en mer n'eſt pas encore fixé. Ce n'eſt que
le 21 Juin que le Vice- Amiral Hartfink
ainfi que quelques autres Officiers , ont
quitté la Haye pour ſe rendre à leurs bords ;
M. Kingsberge partit le même jour pour
Amfterdam avec ordre d'engager tous les
départemens de la marine dans cette ville.
à une plus grande activité. Il femble que ce
( 44 )
n'étoit pas Amfterdam qu'il falloit y exhorter
, c'eſt le Gouvernement qui n'en a peutêtre
pas montré autant qu'il auroit pu . Lorfque
les députés des Négocians intéreffés à
la colonie de Surinam , parmi les démar
ches qu'ils ont faites avec plufieurs autres
pour effectuer la confervation des colonies
qui reftent encore à la République , allèrent
folliciter la protection du Stathouder , on
prétend qu'il leur fut répondu qu'on manquoit
de canons ; ils promirent d'en procurer
en moins de fix femaines dûffent- ils
les faire venir d'Angleterre . Le premier
mémoire de l'Amirauté de la Meufe objecta
qu'on manquoit auffi de voiles , & ils promirent
d'en fournir de même ; ce qui n'empêche
pas qu'on ne croie que le départ
de l'efcadre ne foit encore retardé.
» Les Etats de cetre Province , écrit on de la
Gueldre Hollandoife , ont été affemblés extraor
dinairement le 21 & le 22 Mai pour délibérer
fur le plan qui leur a été propofé concernant l'au
gmentation des forces de terre de la République ,
ainfi que pour confentir à l'augmentation de 100
florins en faveur des Ingénieurs , & de 6 tonnes
pour l'Amirauté de la Meufe. Tous les Membres
de notre Régence ont élevé la voix pour faire
fentir l'inconféquence & la , déraifon des délibéra
tions réitérées qu'on preffoit fi vivement pour
une augmentation de troupes de terre , tandis
qu'engagés dans une guerre de mer , on mettoit
tant de lenteur à conſtruire & à équiper des vaif
feaux. Ils ont fait voir qu'il y a encore ici des
ames fermes , que n'a pas intimidé l'exemple de
M. Capellen d'Overyffel , qui vient d'être exclu
peut être pour toujours des affemblées de la Pro(
45 )
vince. Parmi les Membres du quartier de Veluwe
, qui fe font élevés avec le plus de force
contre cette augmentation de troupes de terre , on
diftingue le Baron de Haarfolt , M. Van -Yfth ,
les Barons de Lynden , Van- Oldenaller , &c. mais
leurs efforts ont été vains ; le Grand- Baillif , Baton
de Bentinck , qui préfidoit l'Affemblée , a
tranché net la queſtion , & conclu en faveur de
l'augmentation , en difant qu'il ne falloit pas
écouter les propos de ces jeunes gens.
On affure que la Province de Frife a refufé
de confentir à cette augmentation ; on
ne regarde pas celui de la Province de Gueldres
comme légal , attendu les proteftations
de plufieurs Membres contre cette réſolution.
· » La République , lit on dans une lettre de
la Haye , n'a plus de fecours à attendre de la
neutralité armée. Après bien des longueurs & des
délibérations dont les Anglois ont fu profiter
pour nous affoiblir en s'enrichitlant & en fe fortifiant
à nos dépens , nous apprenons que nous
fommes réduits à nous défendre par nous. mêmes ,
à moins que nous ne déférions aux follicitations
des autres ennemis de l'Angleterre , pour faire
cauſe commune avec eux , combiner enfemble les
opérations , & porter des coups fenfibles à l'ennemi
. Ce feroit notre intérêt ; & il eſt bien fingulier
que nous foyons forcés de douter encore
du parti que l'on prendra ; nous touchons à l'époque
où expirent les fix mois ftipulés par le
traité de Breda. La conduite des Anglois auroit
fans doute juſtifié des mesures offenfives de notre
part ; mais on trouve vraisemblablement qu'il eft
plus noble & fur - tout plus chrétien de fe laiffer
dépouiller par excès de juftice , que de ſe défendre
en violant les traités. Il y a quelques jours -
( 46 )
qu'au fortir de l'affemblée des Etats de Hollande ,
deux Bourguemeftres d'Amfterdam , & M. Viſſer ,
Penfionnaire de la Ville , demandèrent audience
au Stadhouder , qui la leur accorda à la maiſon du
Bois. Ils lurent à S. A. S. , au nom de leurs Commettans
, un mémoire dans lequel , après avoir
affuré ce Prince de la manière la plus forte de
leur amour , de leur refpect & de leur attachement
pour fa perfonne & fa famille , il étoit
inftamment prié d'éloigner de fes Confeils les
perfonnes que la Nation en général regardoit
comme les caufes de cette inaction dans laquelle
on avoit tenu jufqu'à préfent les forces navales
de la République , & par conféquent les auteurs
de la ruine de fon commerce & de la perte de
fes poffeffions. Le Prince leur répondit que la reconnoiffance
& plufieurs autres motifs lui faifoient
une obligation indifpenfable de ne jamais fe
prêter à une pareille propofition . Le 22 Juin ,
le Veld Maréchal Duc de Brunfwick Wolfenbuttel
, eut une conférence avec le Préſident de
femaine , auquel il remit un mémoire , qu'il le pria
de mettre fous les yeux de L. H.P. Ce Prince fe plaint
d'une adreſſe très- offenfante de la ville d'Amfterdam
au Stadhouder ; il ne doute point que, dans
une affaire auffi importante pour la perfonne &
fon honneur , ils ne prennent une réfolution par
laquelle il fera pleinement juftifié d'une accufation
d'être coupable de corruption , & la caufe
de l'inactivité qu'on remarque dans les affaires de
'Etat , & qu'elles ne lui donnent une fatisfaction
convenable. Le Stadhouder , qui fut préfent à la
lecture de ce mémoire dans l'affemblée des Etats-
Généraux , fut d'avis qu'on ne pouvoit fe dif
penfer d'examiner ces plaintes injurieufes au Duc ,
qu'elles fuffent fondées ou ne le fuffent pas ,
parce qu'il n'eft pas indifférent à L. H. P. de favoir
fi quelqu'un qui fe trouve à leur fervice , revétu
d'un caractère auffi diftingué , s'eft en effet
( 47 )
-
rendu coupable de ce qu'on lui impute , & c. Ce
mémoire a été remis en conféquence aux Députés
de chaque Province , & rendu commifforial
pour être examiné & le rapport fait enfuite à
L. H. P. On ne parle plus ici que de cette démarche
de la ville d'Amfterdam , & des fuites
qui peuvent en réfulter , fi elle perfifte dans fa
demande. Des perfonnes accoutumées à juger des
convenances d'après le calcul des probabilités ,
aidées de la connoiffance des caractères des principaux
perfonnages , de leurs vues & de leurs intérêts
, craignent que les deux partis ne s'aigrif
fent davantage l'un contre l'autre , & que la défunion
n'augmente au détriment de la chofe publique
. Les Etats-Généraux ont envoyé ordre
à leur Miniftre à Bruxelles , de deman fer à l'Empereur
s'il veut permettre qu'on lui envoie une
députation de leur part on doute que cette propofition
foit acceptée , S. M. ne fe foucie guère de
complimens , & la République a fans doute bien
d'autres objets qui exigent toute fon attention «
-
:
PRECIS DES GAZETTES ANGL. , du 26 Juin.
Hier au foir le fieur Hoppe , Capitaine du Vigilant
, qui a escorté la flotte des Ifles , eft arrivé à
Londres , avec des dépéches de l'Amiral Rodney
qu'on n'a pas encore jugé à propos de rendre publiques
. Voici ce qui fe débite de nouveau fur le
combat du 29 Avril , depuis l'arrivée de ce Capitaine
il s'eft livré au vent de la Martinique ; quoiqu'il
ait duré trois heures il n'a point été général ,
plufieurs vaiffeaux , particulièrement du côté des
Anglois , n'ayant pu y prendre part. Le fieur Nott ,
Capitaine du Centaure a été tué dans le combat ,
ainfi que deux Lieutenans fur d'autres vaiffeaux . Le
Ruffel fut forcé trois ou quatre fois de quitter la
ligne. Lorfque l'Amiral Rodney apprit à St -Eustache,
du fieur Sutherland , Capitaine du Ruffel , que le
Comte de Graffe , non- feulement avoit eu une
affaire avec une partie de l'efcadre Angloiſe , mais
( 48 )
qu'il avoit fait entrer heureufement fa flotte au
Fort Royal , il parut extrêmement fâché , fur-tout
de ce dernier évènement ; & il fit aufli tôt fes dif
pofitions pour partir lui - même & aller renforcer
'Amiral Hood à Ste-Lucie , où il jugeoit qu'il
auroit fait entrer fon efcadre.
On voit dans une lettre du Chevalier Rodney
écrite de St- Euftache le 12 Février à un de fes amis
à la Jamaïque , les motifs du choix qu'il avoit fait
des vaiffeaux propres à croifer devant le Fort-Royal.
» Le Chevalier Hood , dit-il , lève l'ancre pour
aller joindre l'Amiral Drake à Ste-Lucie ; ils croiferont
enfemble devant la Martinique. Je donne à
l'Amiral Hood les vaiffeaux que je juge pouvoir
prendre le deffus du vent avec le plus de vitelle.
Je garde ici le vieux Sandwich & quelques autres
avec lefquels j'attends de jour en jours vaiffeaux
de ligne Hollandois «<, Les vailleaux qu'il gardoit
étoient le vieux Sandwich , le Triumph
Ajax & le Vigilant . Ce dernier fel a fait jufqu'en
Angleterre la conduite de la flotte. L'Ajax , par
avec elle , eft fans doute retourné à l'efcadre , après
l'avoir accompagné jufqu'à une certaine hauteurs
en effet , quoiqu'il foit dit qu'elle eft partie avec
le Vigilant , on ne voit point qu'elle foit arrivée
avec lui . Comme la flotte qui vient d'arriver n'a pas
pu attendre celle de la Barbade , de Ste-Lucie & de
Tabago , il faudra que le Chevalier Rodney deta
che encore au moins un vaiffeau de ligne pour
l'escorter. Voici l'état de l'efcadre qui refte
l'Amiral Rodney. Le Sandwich & le Barfleur,
de 98 ; le Gibraltar de 80 ; l'Ajax , le Centaure
Alfred , la Refolution , le Monarque , l'Alcide
le Triumph , le Torbay , le Montague , le Shrewf
bury, l'Invincible , le Ruffel , de 74 ; la Princeffe,
de 70 ; le Belliqueux , l'Intrépide , de 64 ; le Pan
ther , de 60. Total 20 vailleaux de ligne ; il n'en a
il a une douzaine de
point
de to canons : mais
fortes frégates & beaucoup de corvettes.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 8 Juins
M. DE BULGAKOW défigné pour aller remplacer
à Conftantinople , en qualité d'Envoyé
extraordinaire , M. de Stachieff , prit
congé de l'Impératrice le 31 du mois dernier
, & fe difpofe à partir cette nuit ou
demain , pour fe rendre à fa deftination ;
il paffera par Cherfon , ville récemment
conftruite à l'embouchure du Mefter dans
la mer Noire .
On dit que le Feld - Maréchal , Prince de
Gallitzin , & le Comte J. Czernicheff
Vice- Préfident de l'Amirauté , ont demandé
& obtenu la permiffion de fe démettre de
leurs emplois.
Selon les lettres de Cronstadt , il y avoit
dans ce port une efcadre de fix vaiffeaux
de guerre prête à mettre à la voile , &
n'attendant qu'un vent favorable . Sa defti;
Marion eft pour la Méditerranée.
14 Juillet 1781. C
( 50 )
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 16 Juin.
ON a reçu la réponſe de la Cour de
France à la Déclaration que la nôtre lui
a faite relativement à la navigation de la
Baltique. Elle eft conforme au fyftême conftant
que la France a fuivi depuis le comment
des troubles , & conçue ainfi :
» Loin de vouloir étendre le théâtre de la
guerre ,
le Roi a montré conftamment le defir de le reftreindre.
L'attention de S. M. à faire fixer précisément
l'efpace des côtes neutres , dans lequel les fujets ne
pourroient pas attaquer l'ennemi , a déja prouvé
combien elle refpectoit la fouveraineté. Toutes
les Puiffances qui bordent la mer Baltique , ayanţ
embraffé la neutralité , S. M, a regardé cette mer
comme fermée , de l'aveu de ces Souverains ; elle
continuera à en agir de même , & S. M. Danoiſe
paroiffant defirer que les ordres foient donnés pour
qu'aucun vaifleau François ne commette des hoftilités
au-delà du Sund , M. l'Envoyé de Danemarck
peut affurer ce monarque que le Roi fe portera vo
lontiers à cette démarche . S. M. n'a rien plus à
coeur que de fixer ce qui eft avantageux & agréable
aux Puiflances neutres , à celles fur - tout qui fe
montrent protectrices de la liberté des mers , &
en particulier à S. M. Danoife , dont elle fouhaite infiniment
de conferver la confiance & l'amitié « .
Un navire Anglois arrivé ici en 12 jours
de Pétersbourg nous a appris qu'il y avoit ,
dans la rade de Cronftadt , 6 vaiffeaux de
ligne Ruffes & une frégate prêts à faire voile
pour le Sund.
(51)
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 16 Juin.
LE Roi eft de retour de Carlscrone où
le 8 de ce mois , il a fait la revue de l'efcadre
qui étoit prête à appareiller & qu'il a vue
metre à la voile. Tous les jours on éprouve
la néceffité d'employer des forces pour faire
refpecter le Pavillon neutre. Le Capitaine
d'un de nos navires écrit d'Oftende , en
date du 20 Avril , qu'à 60 milles ou environ
du Cap Rofaint , il a rencontré un
corfaire Anglois qui , fans refpect pour fon
Pavillon , l'a attaqué , lui a pris fa chaloupe
avec 7 hommes ; mais le lendemain il lui
a envoyé les hommes feulement .
On a publié la notification fuivante :
» Les Navigateurs font avertis qu'il a été établi
à Carlsften , tour du fort de Marſtrand , un Fanal´
compofé de 6 reverbères mis en mouvement par un
rouage méchanique , de manière à faire le tour de
leur axe dans l'espace de 5 minutes , & qui , dans
le même espace de tems , donnent alternativement
fix lumières fortes & trois foibles , le centre des
reverbères étant élevé au- deffus du niveau de la mer
de 133aunes de Suède ( l'aune de Suède eft à-peuprès
la moitié de celle de Paris ) . Ce Fanal fera
allumé le premier du mois d'Août , & le fera de
même toutes les années à la même époque , jufqu'au
premier Mai prochain , ainfi que les autres.
Fanaux du Cattégat . La direction du Fanal fera
de l'eft au fud , à la diftance d'un demi-mille de
Suède des Ifles appellées Pater- Nofter- Kiar , &
à l'eft-fud - eft demi-nord , à la diſtance d'un petit
C 2
( 52 )
mille du banc appellé Krocke- Boden. Quand on
eft à la diftance d'un mulle , directement a l'ouett
du Fanal , on a la dernière des Iles Pater-Nefer-
Kiar , à l'eft quart - nord - eft environ , à la diftance
d'un demi- mille , & le Krocke Boden au fud - eft ,
à la diftance de trois quarts de milles «,
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 16 Juin.
ON s'occupe dans ce Royaume à rani
mer l'Agriculture & l'induftrie trop longtems
négligées par l'Adminiftration , que les
gênes & les troubles que nous avons éprouvés
avoient pour ainfi dire étouffées. Le
Prince Staniflas Poniatowski , neveu du
Roi , a déja attiré fur la terre de Nowodwor ,
une quantité de Laboureurs & d'Ouvriersauxquels
il a fait les avances dont ils avoient
befoin pour la culture des terres ou l'exercice
de leurs profeffions. Un Marchand de
la Baffe - Saxe , par les mêmes fecours , vient
d'y ériger une Imprimerie en caractères Hébraiques
, & dès cette année on compte qu'il
y aura une chaire Grecque établie à Cracovie.
Cette ardeur de former des établiſſemens
utiles femble gagner par degrés plufieurs)
de nos Magnats. Le Comte de Wielohorski
a formé fur fa terre d'Orfchewa , près de
Chelm , un Haras confidérable . Si cet exemple
étoit fuivi , & que d'autres Magnats fe
décidâffent à employer ainfi leur fortune , ce
oyaume feroit bientôt en état de fournir
( 53 )
des chevaux à une partie de l'Europe &
d'attirer beaucoup d'argent par cette branche
de commerce.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Juin.
PARMI les Règlemens que la bienfaisance
& la fagelle ont dictés à S. M. I. depuis
fon avènement au Trône , en voici deux
qui méritent fur- tout d'être remarqués .
Par le premier , il a été déclaré à tous les
Tribunaux du Royaume de Hongrie , qu'à
l'avenir aucune Cour de Juftice , tant féculière
que régulière , ne prononcera de
peines ni de châtimens contre les filles
enceintes , à moins qu'il ne foit prouvé ,
de la manière la plus évidente & la plus
certaine , qu'elles auront cherché à faire
avorter leur fruit. Dans ce cas feul , il fera
procédé avec toute la rigueur des Loix.
Voici l'objet du Second Règlement.
» S. M. I. n'a pu voir fans furpriſe que parmi
les chofes dites faculté de difpenfer & d'abfoudre ,
accordées par le Saint- Siége aux Ordinaires , celle
d'abfoudre des cas réfervés , exprimée dans la
Bulle in Cana Domini , y foit notamment mestionnée
. Comme une femblable faculté d'abfoudre
préfuppofe l'obligation de la demander , comme
fi cette Bulle eût été reçue & acceptée dans tous les
points ; S. M. I. , qui ne peut & ne veut admettre
une telle fuppofition , ordonne , de la manière la
plus précife , que les Ordinaires aient à confidérer
dorénavant comme nulle celle d'abfoudre , fondée
c 3
( 54 )
fur une fuppofition abolument fauffe , & qu'ils
aient immédiatement à donner au Clergé & à tous
leurs dépendans , les inftructions néceflaires & relalatives
, pour le conformer à cette volonté . La
Régence Souveraine a eu ordre de notifier aux Ordinaires
des Etats d'Autriche cette réfolution pour la
faire obferver. Il a été de plus ordonné par un fecond
Décret , en date du 19 Avril , de déchirer de
tous les Rituels les feuillers qui contiennent tant la
Bulle in Cana Domini , que la Bulle Unigenitus «.
De HAMBOURG , le 24 Juin.
L'ESCADRE Ruffe arrivée à Cronstadt ,
forte de 6 vaiffeaux de ligne , eft arrivée
dans le Sund où fe trouvoient déja celles
de Suède & de Danemarck , où réunies
elles préfentent un fpectacle impofant ; elles
fe fépareront en entrant dans l'Océan pour
fe rendre à leurs deftinations refpectives ,
& protéger le commerce des neutres , toujours
violé par les Anglois. Les ſujets Danois
qui fe trouvent à Altona & dans d'autres
endroits voifins de l'Elbe , fe plaignent amèrement
des corfaires Britanniques qui troublent
leur navigation & gênent exceffivement
leur commerce. La neutralité armée
femble n'avoir pas encore réprimé leur audace.
Il feroit plus für d'employer la violence
contre la violence , au lieu des négociations
qui font toujours lentes , qui
arrêtent rarement le mal , & plus rarement
encore amènent les réparations de celui qui
a été fait. Il ne fuffit pas de dire : je veux
être respecté ; il faut agir encore & forcer
( 55 )
au refpect ceux qui y manquent fans ceffe
jufqu'à ce qu'ils y foient contraints. C'eſt
par- là que l'on s'allurera des effets qu'on
fe promettoit de la neutralité armée. Dès
l'année dernière les Anglois ont annoncé
que ce n'étoit qu'un épouvantail dont il ne
feroit plus queſtion au mois de Juin de
celle-ci ; ils ne manquent pas de publier
aujourd'hui qu'elle fera pacifique , que l'idée
d'un code maritime eft déja morte de vieilleffe
, & que les Puiffances qui ont pris les
armes pour l'établir , laffées de la guerre
& fur- tout d'être fi mal fecondées , laifferont
les chofes reprendre leur cours . C'eſt
le tems feul qui peut apprendre ce qu'il
en fera de ces prédictions. L'intérêt général
eft qu'elles ne fe réalifent pas , & les évènemens
qui fixent l'attention de l'Europe
influent fur le parti qui fera enfin pris
& qu'on fe hâte peut -être trop de prévoir
d'après la réponſe qu'ont reçue les Hollandois
. Devenus partie active dans cette guerre
, ils ont mis dans leurs opérations une
lenteur qui n'a pas dû diſpoſer les Puiffances
dont ils attendoient & follicitoient les fecours
à mettre plus d'activité de leur côté.
Leur conduite peut- être trop molle , fembloit
avertir leurs alliés en les invitant à
fe battre pour eux , qu'ils ne feroient pas
prêts auffi- tôt qu'il eût été néceffaire pour
les feconder.
La feuille périodique qui fe publie en
Hollande fous le titre de Politique Hollan-
C 4
7569
C
Bois , s'élève fortement contre cette espèce
d'inertie ; elle en attribue la caufe aux diviſions
de la République. En effet , elle n'a
pas agi avec unanimité , & elle ne feroit
pas réduite à ces embarras , fi toutes les
provinces avoient fuivi l'exemple d'Amfterdam
.
» Cette ville vouloit qu'on éloignât la guerre ,
en ſe mettant dans un état refpectable de défense
qui impolât aux Anglois , fuivant cette maxime ,
dont elle éprouvoit déja la vérité , que les foibles
font toujours la victime des plus forts. Elle favoit
que les Anglois , peuple fier , parce qu'il eft main
, & intéreffé , parce qu'il eft commerçant , n'ont
jamais fuivi que ce droit avec la République . Le
parti oppofé , difoit au contraire que les Anglois
exigeant certaines condefcendances , il falloit les
leur accorder , pour gagner & conferver leur
amitié . I foûtenoit qu'il y avoit plus de fonds
à faire fur la reconnoillance & la générosité Britannique
, que de craintes à concevoir des nouveaux
moyens que cette condefcendance lui fourniroit
pour abufer de fa puiflance. Il s'embarraf
foit peu que la France , vivement intéreflée à cette
démarche , la regardât comme une dérogation au
fyftême de neutralité que la République étoit tenue
d'obferver entre deux puiflances belligérantes.
On s'apperçue même qu'il auroit defiré , dans ce
conflit , entraîner la République dans la querelle
de l'Angleterre , c'eſt-à-dire , fournir des armes à
fon plus dangereux ennemi , affurer à jamais fon
defpotifme fur les mers , & expofer la République
aux attaques de la France. Alors il auroit
fallu lever de grandes armées de terre. Le chef
de la République auroit goûté le fingulier plaifir
de paroître à la tête de nombreufes armées , &
peut- être de jouer un rôle brillant dans les affai137
1
fes de l'Europe. Telle paroît avoir été leur po
litique. Il eft fort douteux fi elle auroit eu le
fuccès defiré. Les annales des évènemens paffés
Hous prouvent , au contraire , que dans toutes nos
guerres avec la France , elle a prefque toujours
été en état d'envahir nos frontières , & quelquefois
de pénétrer jufques dans le coeur de l'Etat.
Une telle politique feroit des plus funeftes :
auffi faut- il bien fe garder d'en attribuer l'idée
au Prince qui eft à la tête de notre République.
On affure , & il eft bien plus probable que la racine
de ce fyftême vient du terroir Britannique.
Jamais , peut- être , la Cour de Londres n'imagina
un projet plus adroit & plus fécond . Il importe d'en
dévoiler l'efprit dans toutes les profondeurs.
,
L'objet oftenfible des munitions navales portées
librement en France , ne peut avoir été la caufe
de fes infultes & de fes clameurs . Quel reflentiment
pouvoit- elle en éprouver , puifqu'elle en interceptoit
impunément tous les navires , fans
s'embarraffer des réclamations des Etats , fans
refpecter les prérogatives facrées du pavillon
d'une puiffance indépendante ? Mais elle eſpéroit
qu'en forçant la République à certaines condefcendances
& à la levée de troupes de terre , elle
pourroit l'entraîner dans une guerre avec la France.
Les François , dans ce cas , n'auroient pas
manqué d'attaquer les frontières : cette démarche
cût naturellement alarmé les puiffances voiſi
nes : Empereur , & d'autres Etats de l'Empire ,
n'auroient pas resté fpectateurs indifférens de la
querelle : avec de gros fubfides , l'Angleterre
eût tiré de fon côté de puiflans alliés : l'embrafement
feroit devenu général dans toute l'Europe.
La France , embarraflée dans une guerre de
terre , n'auroit pu déployer que de foibles efforts
fur mer , & fe feroit vu obligée d'abandonner à
l'Angleterre le fceptre de Neptune & l'empire de
C S
( 58 )
I'Amérique . Voilà fans doute le fecret de la po
litique Angloife relativement à la République.
Voilà le projet pour le fuccès duquel les partifans
nombreux qu'ils ont dans ce pays , devoient
leur fervir d'inftrumens . Voilà pour quel deffein
ils ont cherché à éblouir les fots par les grands
mots d'alliés naturels , comme fi la liberté politique
ne devoit plus exifter , dès qu'on eft, engagé
dans une alliance ; comme fi l'un des contractans
pouvoit manquer à fes obligations fans
que l'autre fût délié des fiennes ; comme fi les
cas de ces fortes d'alliances n'étoient pas toujours
bien & duement ftipulés , & c. «
ESPAGNE.
De MADRID > te 22 Juin.
QUOIQU'IL paroiffe que l'armement projettté
dans le port de Cadix , ne foit pas
pouflé avec beaucoup d'activité , on n'a
pas laiffé de donner un Général au corps
de troupes que l'on dit devoir s'embarquer ;
la Cour a nommé le Duc de Crillon Lieutenant-
Général des Armées de S. M. C. Il
quitta Aranjués le 16 de ce mois après
avoir reçu les dernières inftructions , & il
eft parti hier pour fe rendre à Cadix , où
fe trouvent les troupes qu'on doit embarquer
; la Cour l'a fort bien traité ; il a le
double des appointemens affectés à un Commandant
, & le Roi lui a fait donner outre
cela 100,000 francs pour les équipages.
Le remerciement qu'il a fait à cette occafion
mérite d'être cité. Sire , lui a-t-il dir
( 59
vous agiffer en Roi ; je me conduirai en
Crillon. La deftination de fa petite arinée
eft encore un mystère ; on l'a d'abord envoyée
à Buenos-Ayres , enfuite à la Jamaïque
, aujourd'hui on la croit deftinée pour
Gibraltar ou pour Minorque . Toutes ces
verfions différentes prouvent que l'on ne
fait rien de pofitif. Les fpéculatifs qui penchent
pour la dernière , trouvent qu'il feroit
facile de s'emparer de l'ifle , qu'il feroit
avantageux d'occuper quoique l'on n'eûc
point le fort St- Philippe , parce que l'on
feroit maître de ces parages fur lefquels on
feroit croifer quelques frégates , ce qui délivreroit
la Méditerranée des corfaires qui
l'infeftent. Quand le fort de Gibraltar feroit
décidé , on pourroit alors tenter de
s'emparer auffi du fort qu'il feroit difficile
aux Anglois de défendre lorfqu'on fermeroit
le chemin du détroit à leurs efcadres.
Les nouvelles de Cadix du i5 nous apprennent
que le même jour on a fait fortir
2 vaiffeaux de ligne pour croifer entre les
caps ; on dit ici que leur deftination eft pour
le cap Cantin , où ils vont attendre la riche
flotte fortie au mois de Février dernier
de Montevideo , & qui a ordre de prendre
cette route.
Le convoi qui a relâché à Cadix en venant
de la Méditerranée ne fortit que le 25 ;
quelques - uns de nos navires deftinés pour
les ifles fous le Vent fe joindront à lui.
Celui qui fe trouve à Marſeille auroit mis
C 6
760 )
à la voile s'il n'avoit eu avis qu'il y a
Gibraltar quelques frégates Angloifes qui
pourroient les inquiéter au paffage du détroit.
On preffè le ravitaillement de notre
flotte & l'armement projetté , de manière
qu'on croit que tout pourra être prêt vers
la fin du mois.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 3 Juillet.
,
Nous n'avons point ici d'autres nouvelles
de l'arrivée de M. de Graffe à la
Martinique & de fa rencontre avec l'Amiral
Hood , que celles qui ont fourni , le
27 du mois dernier , une Gazette en effet
très -extraordinaire de la Cour. Comme il
n'eft point arrivé de dépêches poftérieures
à celles que le Capitaine Smith a été forcé
de jetter à la mer on a raifon de craindre
que cette action dont , quoiqu'on en dife ,
on ne nous annonce que le commencement
n'ait eu des fuites fâcheufes. Si l'Amiral Hood
étoit rentré à Ste- Lucie , il y feroit en sûreté
& tout feroit dit pour ce combat inquiétant
que l'on ne pourroit plus le forcer à recommencer
, & il n'auroit pas manqué d'expédier
un nouvel exprès pour nous raffurer
fur fa pofition ; il eft vraisemblable qu'il
n'a pu regagner ce port , qu'il effaye de fe
rendre dans un autre , & que l'Amiral
François le pourfuit. Dans cette pofition ,
il a autre chofe à faire que de nous écrire.
( 61 )
Ce qui contribue à augmenter nos inquié
tudes , c'eft la manière dont cft conçue la
relation que le Capitaine Smith a donnée
de mémoire. Il est bien fingulier qu'il ne
fe foit pas fouvenu d'une circonftance intéreflante
fans doute , celle d'expliquer quand
& comment 4 vaiffeaux ont quitté la ligne
& ont été forcés d'aller fe réparer à Saim-
Euftache ou à St - Chriftophe ? Comment
l'avant-garde ennemie en faifant voile au plus
près a fait ceffer ainfi le combat ? Comment
le Chevalier Hood , qui avoit 18
vaifleaux pendant le combat , après en avoir
renvoyé 4 fe réparer , a pu avec les 14 qui
lui reſtoient , garder à vue un ennemi qui
en avoit 24 ou 25 ? Pour éclaircir toutes
ces affertions , & pour en appuyer plufieurs ,
il eûr fallu des détails , qu'on auroit cu
fans doute fi l'on eût un peu aidé la mémoire
du Capitaine Smith , qui s'eft fouvenu
du nombre des morts & des bleffis
de chaque vaiffeau , & qui a oublié tant
d'autres articles plus faciles à favoir & à
retenir ; fa relation nous apprend que M.
de Graffe eft arrivé le 28 Avril , que le 29 ,
malgré les efforts de Hood il a fait entrer
fon convoi , qu'il a été joint par les vailfeaux
qui étoient à la Martinique , qu'il nous
a combattus , & que l'avantage n'a pas été
pour nous . Les François donneront fans
doute les détails qui nous manquent ; &
s'ils fe font attendre encore quelques jours
nous aurons raifon d'en inférer , que les
( 62 )
fuites de l'action qui feules peuvent retarder
la relation , nous ont été encore
plus funeftes.
Nos nouvelles de l'Amérique- Septentrionale
ne font pas confolantes. On a fu que
le Major- Général Phillips étoit mort d'une
fièvre intermittente , le 16 Mai , c'eſt-à- dire ,
quatre jours après la date de la lettre du
Général Arnold . Ce dernier eft devenu parlà
le Commandant en chef de l'armée de
Virginie ; on conçoit qu'il ne doit pas régner
une grande confiance entre lui & fes troupes
; le Chevalier Clinton s'eft auffi décidé
à envoyer le Général Robertfon , ce qui ne
peut guère que mécontenter Arnold qui
verra dans cette attention une marque de
défiance , & qui doit fentir intérieurement
qu'il n'eft pas fait pour infpirer un autre
fentiment. Il eft important que le Lord
Cornwallis arrive promptement pour mettre
fin aux divifions & aux mécontentemens
qu'on prévoit , parce que le commandement
en chef lui fera dévolu de droit.
--
» Le Général Werbfter , dit un de nos papiers , au
moment de mourir , après la bataille de Guildford ,
obfervoir que ce Lord l'avoit déja deux fois échappé
belle ; mais qu'il lui faudroit un fingulier bonheur
Four ſe tirer d'une troiſième. C'eft un fait inconteftable
que le Chevalier James Wright , Gouverneur
de la Colonie foi- difant reconquife de la
Géorgie , s'eft vu obligé d'en fortir faute d'un
nombre de troupes fuffifant pour s'y maintenir ,
& qu'il s'eft retiré à Charles-Town. C'eft le même
que le Lord North avoit envoyé dans cette pro(
63 )
vince , avec un Sénat & des bills dreffés en Angle
terre , pour y jouer une farce de reftauration qui
n'a duré qu'un moment. C'eſt de lui que fut
гар-
portée il y a quelques femaines dans la Gazette de
la Cour , une lettre où il écrivoit au Lord Germaine
que le 6 Mars , il avoit eu la fatisfaction de donner
le confentement royal à cinq bills , l'un defquels
octroyoit au roi 2 pour 100 à la fortie de toutes les
productions de la Géorgie , comme la contribution
de la Colonie aux charges générales de l'Empire ;
que les fujets loyaux de cette province , avoient paffé
ce bill en pleine liberté , & avec non moins d'empreflement
, & qu'ils fupplioient très - humblement
Sa Majefté de l'accepter comme une marque encore
trop foible de leur attachement pour la mèrepatrie
. Il s'eft écoulé à peine un mois , lorfque le
Gouverneur de ces bons & loyaux fujets s'eft cru
en danger au milieu d'eux , & s'eft fauvé . - On
avoit nommé le Lord Dunmore , Gouverneur de
la Virginie ; on difoit qu'en mettant pied à terre
dans cette province , il verroit tous les habitans
empreffés de le recevoir. Cependant fon départ eft
différé. Le Miniftère a appris , dit- on , que les chofes
ne font pas tout- à- fait auffi heureufement di pofées ;
& on attend pour le faire embarquer des nouvelles
ultérieures du Lord Cornwallis «.
L'extrait fuivant d'une lettre de George-
Town , par un de nos Officiers à fon ami
à Londres , donne une idée de l'état réel
de la guerre actuelle.
Que l'homme qui a un coeur fenfible & ouvert
à la pitié , vienne vifiter nos Hopitaux , qu'il aille
à Charles - Town , à Vilmington & dans d'autres
villes. Ce pays n'eſt qu'un vaſte tombeau pour les
foldats Anglois. Ce carnage n'aura - t - il point de
fin ? Quoique je fois ici pour tuer mes femblables
je fuis las du métier. Nous donnons dans l'excès
164 )
que nous reprochons aux Catholiques Romains ;
en ne gardant point de foi aux Rebelles ; vous ne
fauriez croire combien notre caufe a fouffert en
mille occafions de ce manque de foi . Ces Puiffances
, qui fe font la guerre avec tant de férocité ,
ne feront-elles jamais réconciliées ? Cela me paroît
prefque impoffible. On amena ici l'autre jour
quelques prifonniers . - Parbleu , dit Cornwallis ,
pourquoi ne les a-t- on pas tués à coups de bayonnettes
? Pourquoi nous a-t-on amené ici cette peſte ?
Je hais leur vue . Cela fat dit fi haut , qu'un des
prifonniers l'entendit. Faites ce qu'il vous plaira ,
dit- il , mais comptez qu'on vous fervira de même.
Nous ne faifons que d'entamer la partie. Si jamais
vous fubjuguez notre pays , vous en aurez , croyezmoi
, un beaucoup plus grand nombre à tuer à coups
de bayonnettes. - Pauvre Lord ! il ne fait pas tous les
obftacles qui lui resteront à furmonter , ni comment
il les furmontera ! S'il n'eût pas eu quelquefois le
bonheur du Duc d'Albe , fon fort eût été déplorable.
Gréen , femblable à Guillaume , Prince d'Orange ,
peut fupporter un grand nombre de défaites.Il
ne fe laille jamais abattre ; c'eft un des plus vigilans
& des plus infatigables Généraux qui aient jamais
exifté. Je vais vous citer un fait qui vous prouvera
que nous avons peu d'efpoir de fubjuguer l'Améri
que. J'allai il y a quelque tems avec un détachement
chercher des provifions pour l'armée , à un endroit
appartenant aux Rebelles. Ils avoient eux - mêmes
détruit toutes les provifions , quoiqu'ils en euffent
befoin , plurôt que de les laiffer tomber entre nos
mains. Leur animofité ne peut le décrire . Les
femmes femblent , par les regards qu'elles nous jettent
, vouloir nous poignarder. Elles nous appellent.
brigands , débauchés , allallias. Un de nos
Sergens tua l'autre jour une femme qui lui donnoit
Les enfans des Rebelles femblent
adopter , en croifiant , les principes de leurs pères.
ces noms.
7659
•
4
G
Je demande pardon à Dien du rôle que j'ai joué !
Mon devoir envers mon Roi & ma patrie me l'ont
impofé. Vous me demandez mon opinion ; je
n'en ai aucune . Nous devons , en braves Anglois ,
faire de nouveaux efforts . Peut être que les Américains
fe lafferont de mallacrer , & alors nous_aurons
la paix «.
S'il faut en croire quelques- uns de nos
papiers , un bâtiment arrivé de Terre - Neuve
à Waterford , en 19 jours de traverfée , a
apporté la nouvelle d'une bataille fanglante
entre les Généraux Clinton & Washington ;
mais felon les mêmes bruits elle n'a pas été
plus décifive que les précédentes , puifqu'on
dit que Clinton eft retourné à New-Yorck
& Washington dans fon ancienne pofitior .
Ce qui feroit peut - être plus fâcheux fi cela
fe confirmoit , c'eft qu'il eft parti de Rhode
Inland un certain nombre de troupes pour
tenter une expédition dont on ignore le bur ,
& qu'un autre corps de François a joint le
Général Washington pour agir de concert
avec lui. Cela forceroit le Chevalier Clinton
à conferver les forces , & à ne pas envoyer
des renforts dans tous les autres endroits où
ils feroient néceffaires.
D'autres bruits non moins alarmans (e
répandent fur notre fituation dans l'Inde .
La Compagnie a , dit-on , reçu hier des dépêches
en date du 23 Février . Ce font les
Officiers fupérieurs qui les adreffent . Ils fe
plaignent également de Sir Edouard Hughes
& du Confeil de Madras. Un excès de hauteur
de part & d'autre a privé la côte de
( 66 )
Coromandel des fecours qu'elle devoit attendre
des vaiffeaux du Roi ; l'Amiral pour
fe rendre important & fe faire prier , fei
gnit d'être néceffaire àBombai où l'on n'avoit
pas befoin de lui ; & le Confeil pour ne
fas lui donner la fatisfaction de le prier le
laiffa partir. Il réfulte de cette pique que
les François n'ayant plus d'oppofition à ren--
contrer fur mer , & ayant à l'ifle Maurice
des forces fuffifantes pour feconder les plus
grandes entrepriſes , débarqueront fans obftacles
les troupes deftinées à coopérer avec
celles d'Hider-Ali , & acheveront de dé
truire la Compagnie de ce côté.
Tous ces détails prouvent la néceffité
d'augmenter nos forces navales dans l'Inde ;
& nous avons le chagrin de favoir que
celles qu'y conduifoit le Commodore John
ftone ont été fort retardées ; quelques lettres
particulières atteftent qu'il étoit encore à
San-Jago le 10 Mai dernier ; & malgré fa
prétendue victoire , il n'étoit pas encore
réparé ; les François vaincus pourſuivoient
leur route ; leurs vaiffeaux étoient dans un
meilleur état qu'il ne l'a peint ; il y a plus ;
ce qu'il a dit de l'Annibal doit s'entendre
de l'ifis qui a été totalement déſemparé ,
tandis que l'Annibal réparé à la mer avec
autant de facilité que de promptitude , n'a
pas retardé la marche des autres vaiffeaux
François avec lefquels on l'a vu prendre le
'chemin des Indes.
La grande affaire du renouvellement de
( 67 )
la Chartre de la Compagnie des Indes eft
enfin terminée. Le Lord North , au lieu
de 600,000 liv. fterl. qu'il demandoit , s'eft
contenté de 402,000 . Ce ne feroit peut- être
pas le moment d'en exiger de l'argent ; elle
a beſoin de tant de fommes pour faire face
aux dépenses de la guerre actuelle , qu'elle
eft plus dans le cas d'en emprunter que d'en
donner.
Ayant été informé , dit un de nos papiers ,
par quelques perfonnes verfées dans les loix ,
qu'on étoit fort embarraflé pour faire un préambule
au Bill concernant la Compagnie des Indes
Orientales , je prens la liberté de vous pro
pofer de choisir l'un des deux modèles fuivans
quoique perfuadé qu'on n'acceptera ni l'n ni l'autre.
- » Comme il a été ftatué par un acte de la dix - neuvieme
année de George III que pour l'emploi des
profits additionnels des Revenus Territoriaux , on
attendroit qu'il fût fait une convention entre le
Public & la Compagnie , ce qui a été confirmé
dans les mêmes termes par un autre Acte de la
vingtieme année de George III ; comme cette convention
n'a pas eu lieu , & qu'il y a encore deux
années à courir avant l'expiration de la Chartre
qui donne à la Compagnie le commerce exclufif,
pendant lesquelles deux années , on pourroit faire
cette convention entre le Public & la Compagnie ;
en conféquence il eft ftatué par le préfent Acte que
les 600.000 liv. confidérées comme le furplus de
ce revenu , qui eft actuellement dans le tréfor de
la Compagnie , appartient dès-à- préfent au Public
en vertu de cette convention qui n'a point été
faite , & conféquemment fera payé auffi- tôt , fans
autre formalité au tréfor public, » Comme la
Compagnie des Indes doit dans fes différentes
Préfidences de Bengale , Madras & Bombay .
768 )
plus de 1,600,000 livres fterl. , & comme cette
Compagnie a actuellement dans fon tréfor à Lon
dres , 600 , coo liv . qui font fans doute la balance
de les comptes en Angleterre , & comme il eft taifonnable
& conforme à l'ufage des Marchands de
déterminer leurs profits fur une balance locale de
leurs comptes , toutes les fois qu'ils ont intérêt de
faire paroître leur fortune meilleure qu'elle ne l'eſt
en effet , & comme il eft hors de doute que les
différentes Préfidences des Indes doivent tirer cette
année , & tireront l'année prochaine des Lettres de
change pour des femmes confidérables fur la Com .
pagnie des Indes en Angleterre , qui n'aura pas
ailez de fonds pour les payer. En conféquence il
eft ftatué d'après ces raifons puiffantes , que ladite
fomine de 600, oco liv . , pour l'emploi de laquelle
il a été réglé par Acte du Parlement qu'on attendroit
une convention entre le Public & la Compagrie
, appartenoit de droit à l'Etat , avant cette
convention ; & en conûdération de cette douce &
équitable décision du pouvoir légiflatif , il fera
permis à la Compagnie des Indes de lever par des
obligations la fomme d'un demi-million pour faire
face à fes payemens & particulierement à ceux des
Lettres de change qui feront tirées de l'Inde fur
elle jufqu'à la concurrence de ce qu'elle pourra fe
procurer de la forte .
La Gazette de la Cour du 30 du mois
dernier a publié la dépêche fuivante du Capitaine
Williams , Commandant de la Flora ,
rentrée à Spithéad le 27.
Up
Le 3 Mai , je fis voile du Part- Mahon , avec le
vaiffeau de S. M. le Crefcent . Le 23 , dans la ma、
tinée , nous découvrîmes au vent & vaiffeaux mâtés
à carré. Vers les 7 heures , nous les reconnu.
mes Efpagnols , confiftant en un vaiffeau de 74 ca
nons , 4 chébecs , un bâtiment armé & 2 galiotes
à bombes , deftinés pour Gibraltar. Le Commo
( 69 )
P
dore Efpagnol fit le figual de donner la chaffe , &
porta fur nous : 2 9 heures , for un autre fignal ,
5 vailleaux de fon elcadre ferrèrent le vent , gouvernant
vers la côte d'Espagne , tandis que lui , à
bord du vaiffeau de 74 canons , avec deux chébecs
de 36 chacun , continuoit de nous pourfuivre. Vers
les 11 heures , un des chébecs fe trouvant à la portée
du canon du Crefcent , il s'enfuivit une cañonnade
de plus de 3 heares , dans laquelle le Crefcent
ne reçut aucun dommage ; entre deux & trois
heures de l'après midi , m'appercevant que le
chébec pourfuivoit de près le Crefcent , & c
grant qu'il ne tombât eatre les mains de l'ennemi
je vins au lof , diminuai de voiles , & me portai
avec la Flora entre les deux vaifeaux , tirant fur
l'ennemi tous les canons que l'on pouvoit pointer
contre lui ; & lorfque je jugeai que le Creſcent étcit
hors de fa portée , je fis voile pour le joindre. Je
perdis en cette occaſion un homme , & un aurre
eut le bras emporté . Entre 4 & 5 heures , le ché ,
bec mit en panne pour réparer quelques domma
ges dans fes mâts & fes agrêts , & pour donner au
Commodore , qui étoit à quelque diftance en arriere
, le temps de le joindre à 6 heures , la
chaffe recommença ; mais nous changeâmes de
route pendant la nuit , & nous ne les vimes pas
le lendemain. Nous rebroufsâmes chemin jufqu'au
Cap Palos , à la hauteur duquel nous croisâmes
pendant deux jours . Ne rencontrant que des bâti
mens neutres , nous nous portâmes fur la côte de
Barbaric , & prenant tous les avantages du vent
nous arrivâmes à la hauteur de Gibraltar le 29 ;
às heures du matin , nous mîmes en panne à
quelque diftance du rocher , pour donner avis au
Général Elliot de la rencontre que nous avions faite
de l'efcadre Espagnole. Nous allâmes enfuite vers
Ceuta , pour reconnoître deux gros vaiffeaux : c'é
toit deux frégates Hollandoifes ; nous nous difpo-
:
( 70 )
:
au
---
sâmes à les attaquer , mais le vent s'étant élevé
dans le canal , nous attendîmes une occafion plus
favorable. Le lendemain matin , la mer étoit calmée
; au point du jour , nous portâmes fur le canal
, & a heures s'engagea le combat , vaiſſeau
contre vaiſſeau , à la diftance d'une encablure. Il
continua pendant deux heures & un quart ,
bout defquelles mon antagoniste amena fon pavil-
Ion c'étoit le Caftor , frégate de Rotterdam ,
commandée par le Capitaine Pieter Melwill , montant
26 canons de 12 livres , & 10 de 6 : le compler
de fon équipage confifte en 230 hommes .
L'action entre le Crefcent & la Brille , frégate de
même force que le Caftor, montant 26 canons de
12 livres , de 6 & 8 de 4 , fe foutint quelques
minutes de plus : un malheureux boulet emporta
le grand mât & le mât d'artimon du Crescent , &
leurs débris en tombant , rendant fes canons inutiles
, & toute manoeuvre impoffible , le Capitaine
Pakenham fe trouva dans la néceflité défagréable
d'amener le pavillon du Roi. Nous parvinmes ,
avec beaucoup de difficulté , à porter de fon côté
l'avant de notre vaiffeau , & nous empêchâmes l'ennemi
d'en prendre poffeffion ; il gagna le large ,
& l'état de délabrement où nous étions , ne nous
permit pas de le pourfuivre : le Crescent & le Caftor
faifoient 4 à S pieds d'eau par, heure . Il y eut
à bord de la Flora , 9 hommes tués 32 bleffés ;
parmi ces derniers font le Lieutenant Poffell , des
troupes de la Marine ; M. Stewart , Maître Canonnier
, qui , à ce que je crains , ne ſurvivra pas à
cet accident , & M. Hutchenfon , Contre Maître ; 8
hommes font morts depuis des fuites de leurs bleffures
. A bord du Crefcent , 16 tués & 67 bleffés
; parmi les premiers eft le Capitaine Hayward ,
des troupes de la Marine , & parmi les derniers ,
le Lieutenant Ellery , fecond du Crefcent , mort
quelques jours après le combat , ainfi qu'un Mate70)
lot. A bord du Caftor , 22 tués & 41 bleffés ,
dont plufieurs font morts depuis.
C'est avec
regret que j'ajoute à cette lettre une circonftance
qui me caufe un chagrin infini . Les réparations
des 3 vailleaux tinrent s jours ; nous marchâmes
fans interruption jufqu'au 19 , que de bonne heure
dans la matinée , par lat . 47. N. long. 6 30. O.
donnant chaſſe à un brigantin corfaire , qui nous
avoit fuivi toute la nuit , & partie du jour précédent
, je découvris , au moment où une rafale venoit
de s'éclaircir , deux vaiffeaux au vent qui s'apprc.
choient je virai vent arrière , & me portai vers le
Crefcent & le Caftor , me flattant que l'apparence
de notre force unie ralentiroit l'ardeur de leur
pour fuite ; je me trompai , ils continuèrent la chaf
fe , encouragés , fans doute , par l'apparence de l'é,
tat délabré de mes conferves , & gagnoient à force
fur nous. Convaincu de notre foiblefle trop réelle ,
je ne crus pas prudent de hafarder une nouvelle
action , & mes Officiers furent de la même opinion
; chaque vaiffeau prit donc une direction différente
, & vers une heure après midi , j'eus la mortification
de voir le Caftor repris par une des frégates
qui tira un coup de canon & arbora pavillon
François. L'autre ne put point joindre la Flora ,
pourſuivant le Crefcent ; & comme la nuit étoit
claire , je crains beaucoup qu'il n'ait partagé le fort
du Caftor. Si l'on réfléchit fur la diminution caufée
dans les équipages des frégates par le nombre des
tués & bleffés & des hommes mis à bord de la
prife , confiftant en 38 de la Flora , & pre :qu'autant
du Crefcent , j'ole me flatter qu'on ne m'accu
fera pas de mauvaiſe conduite.
N. B. La Flora montoit 36 canons & 270 hom◄
mes ; le Crefcent , 28 canons & 200 hommes.
S'il faut en croire la plupart de nos papiers
publics , on a commis des bévues bien
fingulières dans le ravitaillement de Gibral
( 72 )
tar. On peut juger de l'efpèce de ces bévues ;
par les queflions fuivantes.
>
» 1 ° . N'a-t-on pas envoyé à Gibraltar un vaif
fcau chargé de munitions navales & fur-tout de
mâts pour les vailleaux défemparés qui relâcheroient
dans ce port ? 2 ° . N'a- t-on pas frété à Londres
un bâtiment pour transporter ces munitions,
Lorfque ce bâtiment eft arrivé à Portſmouth &
qu'on a voulu arrimer les mâs , n'a - t-on pas trouvé
que le bâtiment étoit trop court d'un quart pour
ces pieces de bois ? 3. Au lieu de prendre un bâ
timent plus lorg n'a -t-on pas coupé tous les
mâts , & n'ont-ils pas été gâtés par cette ingé
`nicufe effource ? 4 ° . Ne deftina - t-on pas un autre
bâtiment à porter des blocs & poulies . Arrivé à
Gibraltar ne s'apperçut- on pas qu'on avoit oublié
toutes les poulies ? 5. Les poulies fans les blocs
peuvent elles être de quelque ufage ? 6° . Quelques
jours après avoir fecouru Gibraltar ne s'apperçut
on pas qu'il y avoit un bâtiment chargé de bou
lets , & qu'on n'avoit pas embarqué la poudre ?
7° . Cette découverte ne jettarelle pas la plus
grande confternation dans la garnifon & dans l'ef
cadre ? 8. La poudre n'étoit-elle pas l'objet dont
la gainifon avoit le plus befoin ? 90. Chaque vail
feau ne céda- t-il pas une fi grande quantité de la
fienre qu'on avoit lieu de defirer de ne point rencontrer
Tennemi au retour ? 10 ° . Si notre e cadre
eût rencontré l'ennemi , quelle en auroit été probablement
la conféquence ? 11. N'y a-t- il pas cu
une fédition à Gibraltar & cette place ne court-'
elle pas grand rifque de tomber entre les mains
des Espagnols ? 12 ° . L'Angleterre n'eft- elle pas dans
un état défeſpéré , & la convulfion de fon corps ,
politique n'annonce - t - elle pas fa fia prochaine
On defire des réponses non équivoques à ces ques
tions c
On
( 73 )
>
On s'attend à voir bientôt le Parlement
fe féparer. Le Lord North a fermé fon Budget
; c'est-à- dire que l'Affemblée nationale
lui a accordé toutes les fommes qu'il a demandées
, & a confenti aux moyens qu'il a
propofés pour les trouver. Elles montent
à 23,766,093 liv. fterl. Un de nos papiers
publics en parlant de cette fomme énorme
ajoute cette réflexion. » Voilà donc le Budget
fermé. Mais qu'il eft inquiétant ! 24
millions accordés & empruntés de la manière
dont on l'a fait ! La dette de la nation
pour cette année eft augmentée de 33
millions fterl. ; & comme fi cela n'étoit pas
affez , on a accordé encore un million au
Roi pour des dépenfes extraordinaires « . La
demande de ce million fut faite le 19 Juin ,
& accordée le lendemain.
Dans la même féance M. Fox remit à la
Chambre des Communes une, requête des
prifonniers de guerre Américains , qui demandent
à être traités comme ceux des autres
nations , qu'on leur accorde les mêmes
vivres , les mêmes vêtemens , & c . Les Pairs
avoient reçu une pareille requête la veille ,
& en avoient renvoyé la délibération à aujourd'hui
; les Communes doivent s'en occuper
demain.
On lit dans un de nos papiers l'anecdote
fuivante.
Les motifs de l'averfion héréditaire de M. Charles
Fox , pour l'acte concernant la police des
mariages , n'étant point connus généralement , le
14 Juillet 1781.
d
( 74 )
public fera fans doute bien- aife de les connoître .
Le grand-père de M. Fox étant Secrétaire du fea
Duc de Richmond , fon fils fut élevé & traité
comme s'il eût été parent de ce Seigneur. Il devint
amoureux d'une des filles du Duc ; on découvrit
le projet qu'il avoit formé d'enlever cette Demoifelle
, & on lui défendit en conféquence de
mettre les pieds dans la maifon. Les amans fe
trouvèrent quelque tems après au Théâtre de
Drurylane , & M. Fox emmena fa prife avec fa
fuivante dans une voiture à fix chevaux , à une
campagne convenable à fes projets , où le mariage
fut auffi-tôt confommé. Si l'acte de mariage
eût alors été en vigueur , fes claufes étant
contraires à une ſemblable union , M. Fox , ainfi
qu'il en convient lui - même , n'auroit peut - être
jamais exifté.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 10 Juillet.
Le premier de ce mois la Comteffe Julie
de Seran , a eu l'honneur d'être préſentée
à LL. MM . & à la Famille Royale , par
la Ducheffe de Bourbon , en qualité de Dame
pour accompagner cette Princeffe .
De PARIS , le 10 Juillet.
IL paroît que l'efcadre aux ordres de M.
le Comte de Guichen , partie le 23 du mois
dernier à 3 heures & demie du foir , va
à Cadix fe réunir à la flotte Efpagnole pour
croifer de conferve pendant l'été , & in(
75 )
tercepter les flottes & les convois ennemis.
On apprend de Rochefort que l'Illuftre
& le St- Michel ont appareillé également
le 23 pour fe joindre à la grande efcadre ;
le St-Michel s'en séparera & accompagnera
jufqu'à St-Domingue tous les navires raf
femblés à l'ifle d'Aix.
4
Le départ du convoi de l'Inde eft retardé ;
en conféquence on a retiré les troupes qui
étoient à bord des vaiffeaux à l'ancre fous
Groix. La faifon étant trop avancée pour
faire courir les rifques d'une traversée laborieuſe
à ce riche convoi , il profitera d'une
autre mouſſon , & ne partira d'Europe que
vers la fin du mois de Septembre.
Le Sagittaire & le Fier n'ont pas tardé
à paroître à Rhode-Ifland après l'arrivée de
la Concorde. Tous ces vaiffeaux font arrivés
en bon état ; & dans les premiers jours du
mois de Mai , l'efcadre a dû appareiller une
feconde fois pour une expédition particulière
; elle a , dit- on , 2000 hommes de
troupes à bord , fous les ordres de M. le
Chevalier de Chatellux.
Nous attendons toujours avec l'impatience
la plus vive , les dépêches de M. de
Graffe ; on ne doute pas que ce Général n'ait
acculé l'efcadre Angloife de manière à lui
interdire tout retour à Sainte- Lucie ; ou
même à la faire tomber tout-à-fait fous le
d 2
( 76 )
vent , ce qui le rendra maître d'entreprendre
tout ce qu'il voudra aux Antilles . La relation
qu'on a donnée à Londres de cette
rencontre des deux efcadies , que nous regardons
comme une première action , eſt
fi extravagante , qu'on n'eft pas peu étonné
qu'elle ait donné lieu à une Gazette extraor
dinaire de la Cour. Nous fommes perfuadés
ici qu'il y a eu une autre action ; & ce qui
prouve que les deux flottes ne font pas
rentrées dans leurs ports refpectifs , c'eft
qu'il n'eft point arrivé d'avis de l'Amiral
Hood , ni de M. de Graffe , ils ont donc tenu
la mer encore long tems après le 29 , époque
du combat, Peut- être font- elles tombées
toutes deux fous le vent ; & nous ignore
rions encore l'arrivée de M, de Graffe dans
ces. parages , fi le fort des armes n'avoit
conduit le Ruffel & les autres vaiffeaux
maltraités auprès de Rodney , à l'ifle de St-
Euftache ou à St- Chriftophe.
» Le corfaire Américain le Pilgrim , écrit-on de
Breft , qui a pris la corvette qui portoit en An
gleterre la nouvelle du combat du 29 Avril , eft
entrée ici le 27 Juin ; il a effectivement à bord
un Officier de la marine Angloife , qu'on dit avoir
commandé un vaiffeau de ligne ; mais il n'a jamais
voulu répondre aux queftions qu'on lui a
faites ; fon devoir , dit - il , ne le lui permettant
pas. Au refte , jamais campagne ne s'eft préfentée
avec un afpect plus favorable que celle - ci ;
une remarque que tout le monde peut faire , &
qui conftate la prévoyance , l'intelligence & l'ac
( 77 )
tivité qui en ont dirigé le plan , c'eft que ceux
de nos vaiffeaux de ligne en état de tenir la mer,
au nombre de 71 , font tous en ce moment
fous voiles «<
Des lettres de ce port en date du 4 Mars ,
donnent les détails fuivans.
» On ne doute point ici que M. de Graſſe n'ait
remporté un avantage confidérable ; & il paffle
pour certain que M. de Suffren n'a point , à
beaucoup près , été maltraité au point que le dit
Johnftone , & que ce n'eft point lui qui a violé
le territoire Portugais. On a trouvé à bord
de l'Avifo , pris par le corfaire Américain , le
Pilgrim , une feuille d'une lettre écrite par un
Officier de l'efcadre de Hood , & qui contenoit
deux feuilles ; elle commence par un détail du
combat , ou plutôt des deux combats de M. de
Graffe , & finit par dire que les fecours font on
ne peut plus néceffaires , & plus urgents ; fuivant
cette lettre , le premier combat n'a été qu'une
chaffe , parce que les Anglois ont fui , très- furpris
de voir à M. de Graffe 24 vaiffeaux au
lieu de 12 qu'ils attendoient ; mais pour ne pas
tomber fous le vent , ils ont été obligés de changer
de route & de combattre. Cette lettre porte
en fubftance : nous avons eu connoiffance le
29 Avril , de l'armée de M. de Graffe , qui fit
entrer fon convoi à la Martinique le 30 ; il attaqua
notre efcadre fans avoir mis à terre , & il
nous a battus au vent & fous le vent. Sept de
nos vaiffeaux ont été mis dans l'état le plus déplorable;
un entr'autres , s'il n'a pas coulé bas ,
doit être tombé au pouvoir de l'ennemi . M. de
Graffe faifoit route pour Saint-Eustache , où étoit
Rodney , avec deux vaiffeaux . On ajoute
que les poffeflions Angloifes dans les Antilles font,
-
"
d 3
( 78 )
par ce malheureux évènement , expofées à tout ce
que les François voudront entreprendre «.
Selon des lettres de Conftantinople on
y a reçu de Baffora des avis certains
qu'Hyder- Aly affiégeoit Madras , & que
les Marattes d'un autre côté bloquent Surate
; les uns & les autres égorgent tous les
Anglois qui leur tombent fous la main , &
ne font quartier à aucun. Plufieurs particuliers
effrayés ont abandonné l'Inde avec une
partie de leurs richeffes , & on en a vu
arriver un grand nombre au Caire. Ils confirment
les avis venus des places voifines
de l'Inde , & ils font perfuadés que fi l'efcadre
en ſtation à l'ifle de Bourbon , fe
préfente devant Madras , cette importante
place ne pourra pas faire une longue réfiftance
à caufe de l'indifcipline des Sipayes
chargés de la défendre ; ils font déja fort
indifpofés contre le Gouvernement Anglois ,
& Hyder- Aly pourra aifément les corrompre
& fe faire ouvrir les portes de la
ville.
On a reçu de l'Orient les détails fuivans
de la croisière des frégates du Roi la Friponne
& la Gloire , commandées par M.
de Macnemara , Capitaine , & M. de Blachon ,
Lieutenant de Vaiffeaux. Ils méritent d'être
joints à ceux que nous avons déja donnés .
» Le 25 Mars , prife d'un bricq corfaire de
16 canons , à 60 lieues oueft de l'Ife Tercere.-
Le 17 Avril , rencontre d'un vaiffeau de la Com
( 79 )
pagnie Hollandoife des Indes , qui ignoroit
la déclaration de guerre , efcorté jufqu'à Cadix
; il y avoit fur le vaiffeau 1400,000 florins
pour le compte des paffagers Anglois. - Le 3
Mai , prife de deux gros corfaires , de 28 canons
, la Royale Charlotte & le Phénix , après un
léger combat , envoyés tous deux à Cadix. - Le
-31 , la Fripponne , féparée de la Gloire , s'eft emparée
, fous l'Ife Flore , du corfaire le Betfey
de 24 canons en batterie , après demi - heure de
combat , dans lequel le Capitaine Dowling & 18
hommes de fon équipage ont été tués. Le
19 Juin , la Fripponne & la Gloire ont rencontré
à 60 lieues O. S. O. de l'Ile d'Oueſſant , 2 frégates
Angloifes , la Flore , 40 canons , dont 26 de
18 , & le Crefcent , de 36 de 12 , qui s'étoient
emparé , après un rude combat , de la frégate
Hollandoife le Caftor , de 36. Le Capitaine
William , commandant la Flore , ne fe croyant
pas affez fort avec les 3 frégates , pour combattre
les deux Françoifes , a abandonné le Crefcent
& le Caftor , qui ont été conduits à l'Orient.
Le 22 Juin , étant à 30 lieues dans l'Oueft de
Peunemare , elles ont pris le corfaire l'Aventure ,
de 14 canons , conduit à l'Orient. En tout 182
canons & 760 prifonniers.
On raconte que
le Capitaine Prefcott , commandant la frégate Angloife
le Mercury, de 36. canons mouillé à
Fayal , avec deux corfaires de 14 canons , s'étant
vanté de s'emparer d'une frégate Françoife , lui
fût- elle fupérieure , & cette bravade ayant été rapportée
à M. de Macnemara par les Portugais
i envoya fur le champ à bord de l'Anglois ,
un Officier , pour prier le Capitaine de fe rendre
au large , en lui difant qu'il pouvoit prendre avec
lui les deux corfaires , & qu'il l'attendroit d'un
foleil à l'autre. L'Anglois ne fortit point , ce qui
>
d 4
780 )
-
l'expofa aux plaifanteries des Portugais ; il ne
mit à la voile que quatre jours après qu'il fut
affuré du départ de la Fripponne. La Gloire atrivée
8 jours après à Fayal , a été inſtruite de
cette dernière circonfiance . Cette croisière ne
pouvoit être plus heureufe ; elle couvre de gloire
M. de Macnemara. On remarque ici qu'il aurcit
droit de réclamer les 1400,000 florins appartenans
aux ennemis à bord du vaiffeau Hollandois de la
Compagnie des Indes , qu'il a eſcorté juſqu'à Cadix.
It femble en effet qu'il conviendroit.de fuivre
l'exemple des Anglois , qui confifquent toutes les
propriétés ennemies qui font à bord des vailleaux
neutres dont ils s'emparent . Le Capitaine du
Crefcent ne fit aucune réfillance , lorsqu'il fe vit
abandonné par la Flore ; il eft furieux contre le
Capitaine William , & veut , dit- il , le faire pendre
, à fon retour en Angleterre «<
M. Chardon , Procureur Général du Con
feil de l'Amirauté , eft arrivé à Breft portant
un Arrêt du Confeil concernant la
vente des prifes de M. de la Motte- Piquet.
On a procédé tout de fuite à leur déchargement
en faveur de M. Borel & Compagnie
, Négocians à Bordeaux , à qui elles
ont été vendues en gros & en totalité par
le Confeil de Marine & par MM. les Capitaines
des bâtimens de l'efcadre.
» Le courier d'Espagne , écrit- on de Bayonne
nous apprend l'arrivée à la Corogne d'un corfaire
Anglois de 24 canons pris par la frégate du roi
l'Engageante. Le 12 Juin , le convoi de Marfeille
fe préparoit à appareiller de la baie de Cadix ,
fous fcorte des frégates l'Alcefte , la Sérieufe
& de la corvette la Budine. Un fecond convoi de
( 81 )
11 navires alloit en même-tems mettre à la voile
pour retourner à Marseille , fous l'escorte des
frégates la Montréal & la Bionde ; ce dernier
ramène dans les ports de la Méditerranée les malades
& les effets que les efcadres forties de Toulen
avoient laiffées à Cadix «‹,
Suivant les lettres de Madrid , M. le Duc
Crillon , Lieutenant - Général , a dû arriver à Cadix
le premier de ce mois , où les 8oco hommes qu'il
doit commander doivent être arrivés en mêmetems.
M. de Boux , Suiffe , Lieutenant Général ,
commande en fecond. On foupçonne que cet embarquement
a l'Ile de Minorque pour objet. Cependant
6 vailleaux qu'on matelaſſe à Cadix , pourroient
faire croire qu'on veut entreprendre fur
Gibraltar par la pointe d'Europe , fuivant le projet
de M. Gautier , qu'on ajoute devoir commander
les forces de mer. Un des corfaires Américains
à la folde du Roi d'Efpagne , qui croifent depuis
le Cap Ortegal jufqu'au Cap Finistère , a pris &
conduit à Bilbao un corlaire Anglois de 16 canons ,
qui , pendant quelque tems , a infefté les côtes
d'Efpagne , & a eu l'audace de pouffer la croiſière
jufques par le travers de Saint- Sébastien «.
-
Le Gouvernement de St - Domingue &
des Ifles fous le vent eft donné à M. de
Bellecombe qui en reçoit les complimens.
» Depuis la nuit du 19 jufqu'au 21 Juin ,
écrit- on de Touloufe , il tomba ici beaucoup de
pluie ; on fuppofe qu'elle n'a pas été moins confidérable
dans les environs & les Pyrenées , puifque
la Garonne groffit fi prodigieufement , que le 21 ,
à huit heures & demie du foir , elle étoit à 13
pieds au- deffus de fon niveau ordinaire . L'Ile de
Tounis & le quartier Saint - Cyprien furent inondés;
les caves fe remplirent d'eau ; les Dames
ds
( 82 )
Maltoifes & les Feuillantines furent forcées d'abandonner
leur Cloître , crainte d'être fubmer
gées. Plufieurs Officiers du Parlement , des Dames
qui ont des parentes ou des amies dans ces Couvens
, s'empreffèrent de voler à leur fecours. Les
Magiftrats s'y tranſportèrent avec le guer ; leur
premier foin fut de contraindre les propriétaires
des maifons à déloger , pour les empêcher d'être
les victimes de leur confiance ou de leur caprice
, comme cela arriva dans l'inondation du
15 Septembre 1772 , qui renverfa près de ceut
maifons , fous les ruines defquelles plufieurs familles
furent écrasées. Celle- ci n'a caufé aucun
de ces défaftres . Il n'y a eu que quelques murs de
terre abattus fur la promenade du Quai , & plus
de 360 toiles de pavé du trotoir entre les deux
ponts , qui ont été emportés. Les dégâts de la
campagne ont été très - fenfibles ; les Riverains
ont perdu les foins & les récoltes coupées , dont
on voyoit flotter les gerbes. Celles qui reflent
encore fur pied , font , pour la plupart , couchées
ou brifées par le vent , & laiffent peu d'efpoir «.
Un orage affreux qui s'eft fait fentir à la
même époque à Puifeau , ville du Gâtinois
Orléanois , a caufé beaucoup de dégats.
Le 21 , entre trois & quatre heures aprèsmidi
, un gros coup de tonnerre a été fuivi d'une
groffe pluie , qui a duré près de deux heures
& qui eft tombée avec la même force jufqu'à
plus d'une lieue aux environs , à l'Eſt de la Ville ;
on a vu venir de ce côté plufieurs torrens de 20
à as toiles de large , croiffant de moment en moment
; à fept heures du foir , leur hauteur étoit
montée juſqu'à 25 pieds . Le Fauxbourg St-Pere ,
compofé de cent maifons , celui de Gaffen , &
partie de celui de Saint- Mathurin , ont été ſubmergés
; quoique les foffés qui entourent la ville
( 83 )
aient vingt pieds de profondeur fur 50 de large ;
& foient à fec pour l'ordinaire , ils ont été remplis
en peu de tems , & l'eau paffant par-deffus
les ponts , entroit dans la ville à plein canal par
la porte Saint-Jacques , & celle du pavé , pour fe
répandre dans les rues adjacentes. Elle a rempli
toutes les caves , dont les voûtes de plufieurs font
tombées ; plufieurs maifons fe font écroulées.
On ne fauroit peindre la confufion des premiers
momens ; l'alarme étoit générale , le danger preffant.
Plufieurs perfonnes auroient été noyées fans
la présence d'efprit , la force & le courage de quel
ques autres , même des principaux de la Ville ,
qui font montés à cheval pour aller tirer du milieu
des eaux des enfans , des femmes & des malades.
Une femme fur le point d'accoucher a été
portée au-deffus des eaux par les mains de plufieurs
hommes qui avoient de l'eau au -deffus de la
ceinture , & elle a accouché heureusement quelques
heures après . On remarque que cette Ville a
effuyé trois inondations depuis un fiècle. La première
eut lieu le 19 Juin 1698 , & plus de cent
perfonnes y perdirent la vie ; la feconde , dans la
même faifon en 1727 ; & celle- ci , qui eft la troifième
, qui auroit été auffi funefte que celle de
1698 , fi elle fût arrivée pendant la nuit. On lit
dans le procès - verbal de 1698 , que cent ans
avant la même époque , il y en avoit eu une pareille
; elles arrivent toujours pendant le ſolſtice
d'été «.
Les Lettres-Patentes obtenues par M. le
Duc de Chartres , ayant été préſentées au
Parlement , & différentes oppofitions ayant
été formées à leur enregistrement , on s'attendoit
que cette grande affaire commenceroit
à être plaidée cette femaine ; mais les
affignations , les arrêts par défauts , &c.
d 6
( 84 )
éloigneront cette plaidoierie jufqu'à la St-
Martin. C'eft M. de Bonniere qui eft chargé
de la caufe de M. le Duc de Chartres ;
MM. Gerbier & Treilhard défendent les
Propriétaires. L'Avocat Général qui réfumera
le tout eft M. Seguier. ,
Le Roi de Pologne a bien voulu agréer
la dédicace d'un Exercice public de Phyfique
Expérimentale qui aura lieu le 16 de ce mois
au Collège de Mazarin . M. Botteman fon
fujet , né à Varfovie & élevé en France ,
lui devoit naturellement cet hommage qui
eft le premier que l'Univerfité de Paris ait
préfenté à un Souverain . Nous nous empreffons
d'obferver ici à l'honneur de ce
jeune Polonois & de fon Inftituteur , qu'il
eft un élève de M. Hurtaut , Maître ès Arts
de l'Univerfité , ancien Profeffeur de l'Ecole
Royale Militaire , & Penfionnaire de S. M.
M. Hurtaut eft un homme de lettres qui
s'eft voué à l'inftruction de la jeuneſſe , &
dont les fuccès n'ont pas moins prouvé
les talens , que les ouvrages également utiles
& intéreffans qu'il a publiés ; on a de lui
an Dictionnaire des mots Homonymes de
la langue Françoife , fi négligée dans l'édu
cation publique ( 1 ) ; un Manuel de Réthorique
où il a réuni d'une manière neuve les
principes les plus lumineux , & des exemples
choifis avec beaucoup de goût dans
(1 ) Il vient d'être réimprimé , & fe trouve à Paris , chez
PAnglois , Libraire , rue du Petit- Pont , près la rue St - Severin.
785 )
les Auteurs Latins & François , & c. Nous
pourrions en rappeller beaucoup d'autres ;
nous nous bornerons au Dictionnaire Hiftorique
de la ville de Paris & de fes environs, ( 1 )
ouvrage rempli de recherches curieufes ,
que les étrangers & les nationaux confulteront
toujours avec fruit.
Parmi les productions intéreffantes des arts dont
il appartient à notre Journal de rendre compre ,
nous ne devons pas oublier un portrait gravé du
Général Washington , qui vient de paroître . It
forme un tableau piquant , dans lequel l'Artifte , en
rendant les traits du Général , a exprimé , de la
manière la plus ingénieufe , l'efprit qui règne
parmi les peuples dont il défend la caufe. Il eft
repréfenté debout à l'entrée de fa tente ; des cartes
déployées fur une table à côté de lui offrent les
Colonies Unies ; des plans d'attaque & de dé-
• fenfe , &c. Sous fes pieds , font les Bills du
Parlement Britannique , pour offrir la paix à l'Anérique
, à condition qu'elle fe foumettra à toutes
les propofitions qui lui ont été faites , & qui ne
renferment pas celle de reconnoître fon indépen
dance , &c. ( 2 ) A l'annonce de cette Eftampe
nous nous emprefferons d'en joindre une d'un autre
genre , pleine de graces , de fraîcheur & d'efprit
; c'eft le Jaloux endormi , d'après le tableau
de Moitte , gravée avec beaucoup de goût ,
par M. Vidal , rue des Noyers , la première poric
cochère à droite , par la rue Saint Jacques , chez
qui elle le trouve.
7
Ordonnance en date du 3 Mars , concernant
l'établiffement à Marfeille , d'un Dépôt des Actes
( 1 ) A Paris , chez Moutard , Imprimeur Libraire , rue
des Mathurins , Hôtel de Cluny.
(2) Elle fe trouve à Paris , chez Lemire , Graveur , rue
St -Jacques.
( 86 )
paffés par les fujets du Roi dans les Echelles du
Levant & de Barbarie..
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi de la même date ,
concernant les droits & émolumens attribués par
S. M. aux Chanceliers des Confulats des Echelles
du Levant & de Barbarie .
Lettres Patentes du Roi , données à Marly
au mois de Mai dernier , & enregistrées au Par
lement le 25 du même mois , portant union des
biens de l'Hopital Saint-Jacques à celui des Enfans-
Trouvés ; & permiffion aux Adminiſtrateurs de cette
Maifon d'acquérir un terrein & bâtiment pour y
élever les enfans nouveaux nés atteints de maladies
communicables.
Autres , données à Verſailles le 27 Novembre , &
enregistrées au Parlement d'Aix ,
le 15 Décembre
fuivant , concernant la Chambre du Commerce de
Marſeille. L'accroiffement de cette Ville a tellement
multiplié les affaires de fon adminiſtration Municipale
, qu'il n'eft plus poffible que les Officiers Municipaux
puiffent partager leur attention entre les
foins qu'ils doivent à la Municipalité & ceux qu'exige
le Commerce , fur- tout depuis que la nouvelle
forme donnée , en 1766 , à l'Adminiftration Municipale
, y a introduit des citoyens de différens ordres ,
dont le plus grand nombre n'a pas été à portée d'acquérir
les connoiffances néceffaires pour conduire
les opérations du Commerce. S. M. a cru ne devoir
confier ces foins intéreſſans qu'à des perfonnes dont
les talens connus pour le commerce euffent d'ailleurs
été fortifiés par une longue expérience . Son intention
n'eft cependant pas d'ôter aux Officiers Municipaux
l'entrée & l'influence qu'ils doivent avoir à la Chambre
, ni de détruire les rapports qui ont toujours
exiſté à Marſeille entre la Municipalité & le Commerce
, mais de les conferver en les foumettant
feulement à un nouveau régime qui leur fera plus
avantageux à l'un & à l'autre.
( 87 )
Gafpard de Vichy , Comte de Chamron ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
de la promotion de 1743 , eft mort en fon
Château de Chamron en Mâconnois , le 16
Juin dernier dans la 8ze année de fon âge .
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , le 2 de ce mois , font 31 ,
13 , 11 , 88 & 69..
De BRUXELLES , le 10 Juillet.
ON lit dans la Gazette des Pays-Bas du
25 Juin dernier , l'article fuivant , fous la
date d'Oftende le 23 .
» Parmi les inftructions que le Roi d'Angleterre
a données récemment aux Commandans de
fes navires , ainfi qu'à ceux des Armateurs pourvus
de lettres de marque , il leur eft défendu
d'infulter ni d'enlever des navires ennemis à la
portée du canon des places neutres ; mais on
croit que cette difpofition ne fera pas jugée fuffi
fante par aucune des Puiffances neutres ; car fuivant
le droit des gens & les loix de toutes les
nations policées , ce n'eft pas la distance de la
portée du canon , mais la rade , qui fixe l'étendue
du territoire d'un Souverain en mer. Ce principe
eft inconteftable , & les diverfes Puiffances
de l'Europe , nommément l'Angleterre , ont toujours
reconnu que les rades des ports neutres doivent
être refpectées comme les ports mêmes. Il
eſt donc probable que fi la Cour de Londres venoit
, contre toute attente , à perfifter dans cette
partie d'inftruction , elle pourroit le trouver dans
des embarras confidérables , fur-tout relativement
aux rades des ports Autrichiens fur la côte de
Flandres , qui , à caufe de leur proximité de
l'Angleterre feroient expofés plus que d'autres à
1881
ces violations de territoire de la part des navires
Anglois armés en guerre « .
Le Mémoire de la ville d'Amfterdam au
Stathouder,& la Lettre du Duc de Brunswick
de Wolfenbuttel aux Etats- Généraux , font
beaucoup de bruit en Hollande . On étoit fort
curieux d'apprendre comment fe termineroit
certe grande difcuffion & voici ce qui a
été décidé .
Le 2 de ce mois L. H. P. ont déclaré par
une Réfolution , qu'elles regardoient tout
ce qui a été répandu à la charge du Prince
Louis de Brunfwick dans des écrits anonymes
, dans des libelles diffamatoires , &
par des bruits injurieux , comme des fauffetés
& des calomnies inventées pour flétrir
fon honneur & ternir fa réputation ; L.
H. P. le tenant pour pleinement juftifié &
purgé de l'injure que de femblables, écrits
& bruits offenfans auroient pu faire à ce
Prince.
3
>
En attendant que les Bourg- Meftres
d'Amfterdam répondent au Duc , & fourniffent
les preuves de leurs affertions
le Stathouder a cru devoir oppofer aux
bruits répandus depuis quelque tems dans
les Provinces , fur les caufes de la lenteur
des armemens de la République ,
un tableau de fa conduite qui prouve qu'elles
ne viennent pas de lui . Le 28 du mois dernier
il parutà l'Affemblée des Etats-Généraux
auxquels il remit le Mémoire fuivant qui a
été inféré dans le regiftre de leurs Réfolutions.
( 89 )
*
H. & P. S. , j'ai jugé néceffaire de repréſenter
à V. H. P. d'examiner avec toute exactitude , fi ,
depuis que les troubles actuels font furvenus , l'on
a convenablement pris foin de mettre la marine en
état d'agir contre un ennemi fi fort armé par mer
que la Grande- Bretagne , ou s'il y a eu de la négli
gence ou de la nonchalance à cet égard ; & dans ce
cas , à quoi on doit l'attribuer ; & pour recevoir
les informations néceffaires , de favoir des Colléges
refpectifs d'Amirauté combien ils avoient de vaiffeaux
en 1776 , en quel état ils fe font trouvés ,
combien il y en avoit alors d'équipés , & avec
combien d'hommes ? Ce qu'ils ont fait depuis que
les Anglois ont commencé à molefter les navires
de ce Pays employés au commerce des Indes Occidentales
, fous prétexte des troubles furvenus avec
leurs Colonies dans l'Amérique Septentrionale , &
par conféquent depuis la fin de l'année 1776 , &
le commencement de 1777 , pour ſe mettre en
état , autant qu'il étoit en leur pouvoir , de protéger
le commerce ? Ce qu'ils ont fait depuis que
les troubles ont commencé en Europe , & qu'il
étoit à craindre que la République y prît part ,
pour la mettre en état de protéger leur commerce
, de défendre leur patrie & d'attaquer
l'ennemi ? S'ils ont été actifs pour effect ser ce qui
a été réfolu pour cet objet par V. H. P. , on s'il y a
eu de la négligence , & en ce cas , pourquoi ils
n'ont point exécuté ces réfolutions ? S'ils ont eu le
pouvoir de fournir les navires mis en commiſſion
& de les équiper , d'où vient que cette République
fe trouve dans un état fi déplorable de défenfe
mer , ce qui eft certainement le point le plus intéreffant
dans cette guerre , & fur lequel tous les
habitans de cette République ont l'ail ? Quoique
je parle feulement de la défenfe par mer , je n'entends
pas moius devoir repréfenter à V. H. P. que
les forces de terre de cet Etat font infuffifantes ,
par
( 90 )
-
pour pouvoir compter ce Pays dans un état refpectable
de défenſe par terre. Je ne pense pas
devoir juftifier ma conduite ; V. H. P. n'ignorent
pas les efforts que j'ai faits depuis ma majorité pour
faire mettre cette République dans un état reſpec
table de défenſe ; mais je crois pouvoir leur rappeller
que dans plus d'une occafion , j'ai été d'avís
que l'on mit cette République dans un état de défenfe
convenable , par mer comme par terre , pour
qu'elle pût maintenir fa liberté & fon indépendance ,
& n'être point obligée de prendre des mesures contraires
aux vrais intérêts de la chère patrie , mais
conformes à ceux d'une telle Puiffance , dont les
menaces font d'autant plus à craindre , que l'on fe
trouve hors d'état de lui réſiſter, Au commence.
ment de 1771 , il fut propofé à la Généralité par
MM. les Députés de la Province de Hollande & de
Weft - Frife , par ordre exprès de MM . les Etats
leurs Commettans à l'affemblée de V. H. P. de faire
former une pétition pour la conftruction de 24 vailfeaux
de guerre ; je n'ai pas négligé d'infifter dans
toutes les occafions , autant fur le rétabliffement de
la marine , que fur l'augmentation des forces de
& en particulier plus d'une fois fur la conclufion
de la pétition pour la conftruction des navires.
Au commencement de 1775 , à l'occafion du
travail fait par MM. du Comité de V. H. P. , pour
les affaires militaires , avec quelques MM. du Confeil
d'Etat , pour concilier les différens fentimens des
Confédérés refpectifs à l'égard du plan d'augmen
tation des forces de terre propofé par le Confeil
d'Etat , le 19 Juillet 1773 , j'ai fait une propofition
conciliatoire portant en ſubſtance , de mettre un poſte
fixe fur l'état de guerre , du montant de 600,000 fl.
pour la marine, à diminuer ſur la fomme de 1,500,000
A. demandée en 1773 , pour une augmentation à faire
des forces de terre ; cette propofition fut embraffée
dans ce tems par MM . les Etats de Gueldre , Frife ,
terre ,
( 91 )
Overyffel & Groningue , mais n'a pas eu de fuite
ultérieure. Je n'alléguerai pas ici les inftances
annuelles que j'ai faites avec le Confeil d'Etat par
la pétition générale ; mais je communiquerai feulement
encore à V. H. P. la propofition que je fis à
l'affemblée de MM. les Etats de Hollande & de
Weft-Frife , le 10 Mars 1779 ; elle eft de la même
teneur que la lettre que j'écrivis ce même jour à
M M. les Etats de Gueldre , Zélande , Utrech , Frife ,
Overyffel & Groningue , dont j'ai l'honneur de remettre
une copie à V. H. P. Mon ſentiment eft , qu'il
auroit été à fouhaiter que ce que j'ai propofé eût été
alors goûté ; j'ofe croire que fi la République avoit
trouvé bon en ce tems de faire préparer 50 à 60
vaiffeaux bien équipés , & pourvus du néceffaire ,
dont 20 à 30 de ligne , & d'augmenter les forces de
terre jusqu'à 50 à 60 mille hommes en pied , elle
ne fe feroit pas trouvée dans ces triftes circonftances
; elle feroit restée comme Etat indépendant , refpectée
par toutes les Puiffances , & auroit pu même
garder le fyftême de neutralité qu'elle avoit adopté ;
elle fe feroit vue en état de donner beaucoup de
poids au parti auquel elle fe feroit jointe ; il n'auroit
pas été à craindre qu'aucune Puiffance l'eût furprife ;
elle auroit été ménagée par toutes , qui auroient
recherché fon amitié ; & ne donnant à aucune des
railons légitimes de plaintes , elle auroit obtenu
l'eftime & la confiance de toutes ; ce qui auroit
produit les meilleurs effets pour les vrais intérêts
de cet Etat ; certainement elle n'auroit pas été attaquée
par une guerre injufte , à laquelle l'on est toujours
expofé , lorfqu'on n'eft pas en état de faire face
avec efpérance de fuccès , & d'obliger l'ennemi à
rechercher l'amitié de cet Etat , à des conditions
honorables pour cette République « .
La lettre annoncée dans le mémoire précédent
étoit conçue ainfi .
Nous nous croyons obligés de communiquer
( 92 )
à V. N. P. nos fentimens touchant un des plus
importans objets de vos délibérations ; nous fom
mes très - éloignés de juger qu'il conviendroit que
cette République renonçat aux droits légitimes qui
appartiennent à fes habitans , en vertu des Traités
folemnels ; nous penfons , au contraire , qu'ils doivent
être maintenus par tous les moyens que la
Providence a mis entre les mains de cette Répu
blique , mais qu'il n'appartient à perfonne qu'à
V. N. P. & aux N. P. S. Etats des autres Provinces
de décider , quand il eft tems , que L. H. P. doivent
prendre la réfolution d'accorder une protection illimitée
à leurs habitans commerçans ; & que L. H. P. ◄
ne s'étant engagées par aucun traité quelconque avec
une Puiffance étrangère , à protéger toutes les branches
de commerce fans diftinction , perfonne n'a
droit d'exiger d'elles qu'en accordant protection ,
elles l'accordent à tous navires fans diftinction , &
doit laifler à leur prudence à décider fi elles font
en état de protéger toutes les branches de commerce
, & fi elles peuvent le faire dans ce momentci
fans hafarder des intérêts importans , & s'expofer
au plus grand danger. Nous penfons donc que dans
ce cas , il conviendroit de n'avoir égard à rien qu'aux
vrais intérêts de la République , & qu'avant de prendre
une réfolution finale pour convoyer les navires
chargés de bois , il faudroit examiner l'état où ſe
trouve la République , tant par terre que par iner.
Suivant nous , rien ne convient plus à cette République
qu'une exacte & ponctuelle neutralité , fans
préjudice aux Traités qu'elle a avec les Puitfances
étrangères ; mais nous penfons que pour la maintenir
& foutenir efficacement & non uniquement
auffi long - tems qu'il plaît à une des Puiflances
belligérantes d'exiger de la République , d'une manière
forcée & menaçante qu'elle prenne parti , il
conviendroit que la République fût mife dans
un état armé. Pour cela , il feroit néceffaire d'équiper
93 )
pour le moins so à 60 vaiffeaux , dont pas moins de
20 à 30 de ligne , & d'augmenter les forces de terre
jufqu'au nombre de so a 60 mille hommes ; que les
places frontières fuffenr mifes dans un état couvenable
de défenſe , & les magafins pourvus des manitions
de guerre requites. En quel cas nous fommes
d'opinion que la République feroit refpectée de
toutes les Puiffances , & feroit , fans obſtacle , ce
qui lui eft permis fuivant les Traités , ou ne feroir
point empêchée de faire & d'agir comme elle le
jugeroit convenable à ſes vrais intérêts . A ces cau
fes , nous jugeons que la fidélité que nous devons à
la chère patrie , exige que nous mettions cette confidération
fous les yeux éclairés de V. N. P. , afin
qu'après l'avoir miſe en délibération , elles prennent
une réfolution pour renforcer la marine par la conf
truction d'un nombre confidérable de vaiffeaux , particulièrement
de ligne , pour trouver les matelots
néceffaires par l'augmentation de la folde par mois ,
ou primes ou par tel autre arrangement que V. N. P,
& les Seigneurs Etats des autres provinces le jugeront
convenable , & qu'en même- tems V. N. p.
accordent les fourniflemens pour l'augmentation
néceffaire , afin de porter les forces de terre à so ou
60 mille hommes , & pour les pétitions touchant les
fortifications & les magafins. Lorfque V. N. P. & les
Seigneurs Etats des autres provinces auront exécuté
ce renfort tant par mer que par terre , nous penfons
qu'alors la République pourra , avec fruit & comme
un Etat indépendant , maintenir les droits qui appartiennent
à fes habitans , fuivant les Traités
& nommément celui de Marine de 1674. Mais avant
que la République foit mife dans un état respectable
de défenfe , nous craindrions qu'une réfolution
pour prendre fous convoi tous les navires indif
tinctement , fuivant la lettre du fuldit Traité , &
nommément les navires chargés de bois de conf
truction , pourroit ayoir de très-mauvaises fuites
( 94 )
pour les vrais intérêts de cet Etat , & expofer
I'honneur de fon pavillon à un affront. C'eft pourquoi
nous fommes d'opinion qu'il conviendroit que
par réfolution ultérieure , il fût réfolu que les na-´
vires chargés de mâts , de courbes , de poutres &
d'autres fortes de bois néceffaires à la conſtruction
de navires de guerre , ne feront pas pris fous convoi
avant d'avoir prêt un équipement de so à 60 vaiffeaux
, dont pas moins de 20 à 30 de ligne , &
d'avoir augmenté les forces de terre jufqu'à so à
60 mille hommes fur pied ; mais qu'en attendant ,
pour protéger , autant que faire le pourra , le commerce
général de ce pays , fans expofer les importans
intérêts de l'Etat , les convois néceffaires ,
ainfi qu'ils étoient annoncés , feront accordés à tous
autres navires n'étant pas chargés d'effets de contrebande
, afin que toutes les branches ne foient
point fufpendues & laiffées fans protection , durant
le tems qu'on délibéreroit fur la protection d'une unique
branche. Quand la République fera mife dans
cet état armé , toutes les Puiffances lui laifferont
le droit qui lui appartient , felon les Traités , de
garder une exacte neutralité , & d'obſerver autfi de
leur côté ce que les Traités qu'elle a faits peuvent
exiger d'elle , & c «.
Les Etats Généraux ont remercié le Prince
Stathouder de fon zèle , & ils ont réfolu
d'envoyer fon mémoire aux Colléges d'Amirauté
, & de leur demander les éclairciffe
mens propofés par le Prince.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du z Juillet.
Le premier de ce mois , les vaiffeaux ſuivans ont
appareillé de Portsmouth par un vent du fud. L'Alexandre
, le Courageux , de 74 ; la Prudente , de
32 ; & les brûlots la Furnace, Firebrand , Lightning.
On juge de la deſtination de ces vaiffeaux , par les
circonftances fuivantes.
On a jugé trop foible
--
795 )
le convoi de la flotte de l'Inde , partie de Portsmouth
depuis le 11 Juin ; il confiſte dans le Sultan &
le Magnanime, de 74. Elle eft rentrée en conféquence
avec ces vaiffeaux à Plimouth . Les nouvelles de
ce port , du 29 , difoient qu'elle fe préparoit avec
toute la diligence poffible à remettre en mer , &
qu'au premier vent de l'eft , elle partiroit . Il eft
donc vraisemblable qu'on renforcera fon eſcorte de
ces deux vaiſſeaux. On a reçu , depuis quelques
jours , la nouvelle que s vaiffeaux de la Compagnie
attendent un convoi à Sainte- Hélène. L'Alexandre
& le Courageux font fans doute deſtinés à les ramener
& à fe joindre enſuite à l'eſcadre de l'Amiral
Darby.
---
Il femble que l'Amiral Digby ne partira pas auffi
promptement qu'on le defire , puifque le Centurion ,
de so , & le Camel , de 28 , efcortant une flotte
confidérable pour New - Yorck , font fur le point
d'appareiller de Portsmouth.
Le Gouvernement eft informé que la Cour de
France vient de donner des ordres pour que les
propriétés Angloifes ' de la Grenade foient traitées
de la même manière que l'ont été les propriétés
Hollandoifes de St-Euftache par l'Amiral Rodney.
En conféquence , les intéreffés fe font rendus chez
M. Walpole , Banquier , qui a lui - même des propriétés
confidérables à la Grenade , & après avoir
conféré avec eux , il eft parti pour Paris ; on eſpère
qu'il obtiendra quelque adouciflement à la rigueur
de cette réfolution.
L'Amiral Hyde Parker eft parti , le 28 Juin , avec
toute fon efcadre pour escorter la flotte jufqu'au
Sund de la Baltique. Le 29 , le convoi & la flotte
de la Jamaïque ont dû appareiller de Leith
l'Angleterre. Il y a jufte cent jours qu'elle eft en
route .
19696 )
On craint fort que le vaiffeau la Panther , de 60
canons , n'ait été pris par M. de Graffe . Il croifoit
au Vent pour attendre l'efcadre Françoiſe & avertir
l'Amiral Hood de fon aproche. Elle eft arrivée
ſans qu'il en ait eu conno flance , ce qui fait craindre
qu'en cherchant à join ire Hood , il n'ait été pris.
Si le bruit arrivé ici de Waterford en Irlande ,
d'une action entre Clinton & Washington étoit vrai ,
comme on le croyoit à Terre-Neuve le 3 Juin , époque
du départ du bâtiment , l'évènement pourroit
être de la fin de Mai. Cependant nous avons , dans
les Gazettes Ministérielles , une lettre de New- Yorck
du 24 Mai . On y voit que le 13 , il eft parti un
renfort de 2000 hommes pour la Cheſapeak. Il
eft douteux que Clinton ait voulu engager une
affaire , après avoir diminué fes forces , à moins
qu'il n'ait haardé une attaque avec les renforts
qui ont dû lui arriver , vers le 30 Mai , fous le
convoi du Warwick.
KYTO
On apprend que nous avons offert aux Marattes
des conditions très - humiliantes pour nous , & entr'autres
de leur livrer le Fort de Baffem , que nous
venons de prendre fur Hyder ; mais les Marattes
ont reçu ces offres avec hauteur , & ont pris du
tems pour répondre. Le fils d'Hyder eft en
poffeffion de Pondichéri , & y a élevé l'érendart de
fon père On fe plaint d'une grande difette
d'argent dans les trois provinces de Bengale , Madras
& Bombay ; & il eût manqué abfolument à Madras ,
fi le Chevalier Coote n'y avoit apporté 115 lacs de
roupies.
Le Général Américain , Waine , eft en marche
avec 1200 hommes & 6 pièces de canons pour
joindre l'armée employée dans les provinces méri
dionales .
Point de changement dans l'état des fonds. L'Om
nium 8 .
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 24 Juin.
L'ESCADRE Ruffe , arrivée le 22 de ce
mois dans cette rade , compofée de 7 vaiffeaux
de ligne , doit être renforcée par un
huitième qui eft en route pour la joindre ;
elle eft commandée par le Chef- d'efcadre
Suchotin.
Le dernier vaiffeau de guerre Ruffe qui
a paffé par le Sund , étoit numéroté 65 ,
& portoit 66 canons , fous les ordres du
Capitaine Grigorioff ; ce vaiffeau , venu
d'Archangel , a dû hiverner à Bergen
parce qu'il avoit perdu fon grand mât :
il va directement à Pétersbourg.
Le Capitaine d'un bâtiment de Dantzick ,
qui a mouillé ici le 22 , a déclaré qu'il eft
21 Juillet 1781. e
( 98 )
parti des côtes d'Angleterre en même tems
qu'un convoi de 200 navires de cette nation
deſtinés pour la mer Baltique , & que
te convoi eft eſcorté par 4 vaiffeaux de
ligne , 4 frégates & 6 cutters ; s'il faut en
croire les Négocians établis ici , une eſcadre
de 10 à 12 vaiffeaux de ligne de leur
nation viendra croifer cet été dans la mer
du Nord.
Des lettres de Londres , plus exactes ,
nous apprennent qu'il en eft parti feulement
4 vaiffeaux de ligne , 4 frégates
& 6 cutters , ayant fous leur convoi plus
de 200 navires marchands , deftinés pour
la mer Baltique.
Le campement des troupes devant Copenhague
étant fini , la Cour eft retournée
avant-hiet à Friedensbourg.
Le Baron de Lynden , déſigné Miniftre
de la République de Hollande à la Cour
de Vienne , cft arrivé ici de Stockolm ,
pour le rendre à la Haye.
Quelques corfaires Anglois , defcendus
à terre dans l'ifle de Faroë , ont eu l'audace
de maltraiter divers habitans , de tuer des
beftiaux & d'enlever quelques femmes."
Notre Compagnie Afiatique vient d'être
informée que fon vaiffeau le Tranquebar ,
commandé par le Capitaine Olifarius , eft
arrivé le 7 de ce mois des Indes à Falmouth
en Angleterre.
( 99 )
» Plufieurs de nos Négocians , écrit - on de
Drammen dans la Norwège , ayant pris en confdération
les groffes fommes qui fe paient annuellement
aux Etrangers pour le tranfport des productions
du pays , & ayant compris qu'il étoit
poffible de conftruire des navires de bois de fapin ,
tels qu'en bâtiffent les Ruffes & les Suédois , puifque
le District de Drammen fournit en abondance des
matériaux propres à la conſtruction , ont formé
une affociation pour cet effet. Suivant le plan de
cet établiffement , le fonds fera de 100,000 rizdahlers
, partagés en 1000 actions de 100 chacune. La
Direction de cette aſſociation fera confiée à 3 des
principaux Bourgeois de cette Ville ; l'un d'eux fortira
annuellement de charge , pour être remplacé
par un nouveau Directeur , choifi parmi les intéreffés
. Les bâtimens qui feront conftruits porteront
pavillon. Drammen eft le nom d'une rivière qui
va tomber dans le golfe de Chriftiania en Norwège ,
après avoir fervi dans fon cours au flottage & au
tranfport d'une immenfe quantité de bois & de
fer, qui viennent du diftrict de Bragnoes , & paffepar
le grand Péage de Drammen , l'un des plus
confidérables du Royaume. C'eſt ainfi que la conteftation
des Anglois avec leur Colonies facilite aux
Nations du Nord les moyens de fe procurer une
marine marchande ; elles s'approprieront par là un
commerce qu'elles laifoient faire aux autres ; elles
en retiendront les profits ; & ce qui ne nuira pas peu
aux peuples dont elles parviendront à fe paſſer , c'eſt
qu'elles retiendront chez elles , en les employant , les
hommes qui s'expatrioient auparavant pour aller
chercher , fur des navires étrangers , un fervice
qu'ils ne trouvoient pas dans leur propre pays ".
-
e 2
( 100 )
ALLEM A G N E.
De FRANCFORT , le 28 Juire
LES armemens des Puiffances du Nord
font actuellement prêts & raffemblés dans
le Sund , où ils n'attendent plus qu'un vent
favorable pour mettre à la voile , & ſe répandre
fur les mers où leur pavillon & leur
commerce ont befoin d'une protection qui
les faffe refpecter . L'efcadre Suédoife avoit
appareillé le 23 , & avoit falué l'efcadre
Danoife , lorfque le vent a changé & l'a
contrainte de mouiller encore dans le détroit.
On croit qu'il n'aura pas tardé à lui
permettre de fortir. Le fait fuivant peut fe
joindre à la fuite de ceux qui prouvent aux
Puiffances neutres la néceffité de faire refpecter
leur pavillon .
Le Patron Chriftian Klebs , écrit - on d'Hel
fingor , rapporte qu'une frégate Angloiſe , un brigantin
& un cutter de la même Nation , ayant
rencontré à deux milles fous Schagen , une
frégate de guerre Suédoife , partie d'ici cinq jours
auparavant , avec neuf bâtimens de fa Nation ,
qu'elle efcortoit , le cutter Anglois a attaqué ces
baimens , mais a été bientôt forcé de s'éloigner
par le feu de la frégate Suédoife. Il fe paile peu
de jours que l'on ne voie de pareils excès fe renouveller
dans les mers du Nord. Dès que les
repréfentations les plus férieufes n'y remédient pas ,
il eft tems , fans doute , d'employer la force
Selon quelques lettres de Vienne , il a
été expédié à tous les Couvents des Etats
de la Maifon d'Autriche , l'ordre de ne
point recevoir de novices pendant l'eſpace
de 10 ans ; on dit que l'Electeur Palatin
doit donner auffi de pareils ordres aux Couvents
de fes Etats .
Le Roi de Pruffe a fait donner 300,000
écus au département militaire ; ils font deftinés
à acheter la même quantité de bléds
que S. M. a fait tirer de ſes magaſins , pour
le foulagement de celles de fes provinces
qui ont fouffert par la dernière gelée .
L'Académie Royalé des Science & Belles-
Lettres de Berlin a publié le Programme fuivant.
La Claffe de Philofophie fpéculative propofe ,
pour le prix de 1783 Quelle est la meilleure
manière de rappeller à la raifon les nations
tant fauvages que policées , qui font livrées à
Terreur & aux fuperftitions de tout genre ?
-
Celle de Mathématiques , pour le Prix de 1782 : De
déterminer la Courbe décrite par les boulets & les
bombes , en ayant égard à la réſiſtance de l'air, & de
donner des règles pour connoître les portées qui
répondent à différentes viteffes initiales , & à
différens angles de projection ? L'Académie exige
de plus , que ces règles foient confirmées par des
expériences & faciles à réduire en table , & des
effais de ces tables . Le Prix fondé M. Eiler ,
fera donné , en 178 ; à celui qui réfoudra ces
queftions. 1. Quelles espèces d'herbes ou de
plantes en général à deftiner au bétail , fraîches
ou fechées , font les plus profitables dans chaque
efpèce de fonds ? 2 °. Quelles d'entre ces espèces
peuvent être facilement cultivées & le plus abor
damment recueillies , fans que ces herbes ou
plantes perdent rien de leur qualité nutritive .
›
par
-
e 3
& en s'affurant d'un profit réel ? 3 ° . Quelles
font les règles à obferver dans la culture de
ces herbes ou plantes , relativement à la différence
de leur nature & la différence du fol?
ITALIE.
De LIVOURNE , le 25 Juin.
UN Courier venant de Naples & qui a
paffé à Florence le 22 de ce mois , nous
a appris que la Reine des Deux - Siciles eft
heureufement accouchée , le 18 , d'un Prince,
qui a reçu fur les fonds de baptême les noms
de Jofeph- Charles - Janvier.
Le 11 de ce mois on a encore effuyé pen-
'dant la nuit une fecouffe de tremblement
de terre , mais elle a été moins violente
que celles qui l'avoient précédée dans une
partie de l'Italie. S. A. R. le Grand- Duc ,
a fait paffer des fommes confidérables dans
les divers endroits qui ont fouffert de ce
fléau ; elles font deftinées au foulagement
des Communautés qui ont été ruinées .
» On apprend du Duché d'Urbin , écrit- on de
Florence , que dans la montagne nommée Monte-
Néro , près de Cagli , il s'eft fair , après un
bruit épouvantable une ouverture très large ,
d'où s'eft élevée une fumée qui a l'odeur du fouffre.
On ne peut attribuer ce phénomène qu'aux tiem
blemens de terre qui ont eu lieu depuis quelque
tems , & qui fe font étendus jufqu'à Ancône ,
Sinigaglia , Rimini & autres places de l'Etat Ec
cléfiaftique , le long de la mer Adriatique . Les
mêmes fecouffes n'ont pas encore cellé à Cagli , &
les habitans qui craignent d'être enfévelis fous les
7( 103
)
raines de leurs maifons , font obligés de tefter
dans la campagne fous des baraques . L'Eglife Cathédrale
de cette Ville eft tout - à - fait ruinée. Un
Prêtre qui difoit la Meffe , celui qui la fervoir ,
deux autres Eccléfiaftiques , & 13 perfennes y ont
malheureufement perdu la vie . Dans plufieurs autres
endroits des diftricts de Pobiaco & d'Appecchio ,
on a éprouvé les plus grands dommages ; on croit
même que quelques places ont été englouties avec
tous leurs habitans «.
ESPAGNE.
De CADIX le 20 Juin
On a fait fortir le 15 de ce mois les vailfeaux
le St-Pierre & le St - Jean- Baptifte pour
protéger la rentrée de la riche flotte de Buenos
Ayres. Le même jour le convoi pour Marſeille
appareilla ; le St- Damafe , vaiffeau de ligne
de ce port , l'a accompagné jufqu'à Malaga ,
à caufe des rifques qu'il eût pu courir au
détroit , où l'on fait que des frégates ennemies
font en ftation à la pointe d'Europe.
On attend ici le Duc de Crillon , &
M. Bux , Officier Suiffe qui lui a été donné
pour fecond. L'ordre qu'on a reçu de tenir
prêts 7 vaiffeaux de ligne , nous annonce
qu'ils font deſtinés à convoyer les
troupes qu'on embarquera au moment de
leur arrivée , tout étant préparé pour les
recevoir.
Le Confeil de Guerre chargé d'examiner
la conduite de M. de Cafatilly , lors de fon
€ 4
( 104 )
A
expédition à Buenos- Ayres , vient enfin de
terminer fes féances ; & fon jugement eft
à la décharge de cet Officier , qui reprenant
fon rang dans la marine , commandera
ce port dans l'abfence de D. Louis de
Cordova.
Le convoi François pour les Antilles ne
partira que vers la fin de la femaine prochaine.
Quelques vaiffeaux de regiftre def
tinés pour la Havanne & la Vera Crux ,
profiteront de fon efcorte & feront route
avec lui.
Nous attendons à chaque inſtant des
nouvelles de Penfacola ; l'arrivée de M. de
Solano & des renforts qu'il conduifoit , ont
dû accélérer la reddition de cette place .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 7 Juillet.
LA dernière Gazette extraordinaire de la
Cour n'avoit fait qu'ajouter à notre impatience
de recevoir des nouvelles de l'Amiral:
Rodney , & à nos inquiétudes fur la nature
de ces nouvelles ; depuis le 3 de ce mois ,
ces inquiétudes fe font confirmées par les
avis divers que l'on a reçus , & par le filence
du Ministère qui n'a pas entrepris de les
détruire ; ceux qui fe font empreffés de
publier extraordinairement , que l'Amiral
Hood , avec 14 vaiffeaux qui lui reftoientaprès
fon combat avec M. de Graffe , avoit
fait tous fes efforts pour engager le Com(
105 )
mandant François , qui en avoit 24 , à tenter
de nouveau la fortune de la guerre , n'ofent
pas s'expofer à démentir aujourd'hui le bruit
généralement répandu , que ces 24 vaiffeaux
qui ont fui devant 18 , & qui n'ont pas.
voulu fe mefurer avec 14 , ont entrepris de
nous enlever une de nos conquêtes & en
font fans doute maîtres actuellement. C'est
ainfi que nos papiers dus & du 6 s'expriment
fur cet évènement.
-
» L'Amirauté a reçu le 3 de ce mois , à 3 heures
du matin , des dépêches de l'Amiral Rodney , fur
lefquelles , pendant tout le jour , elle a gardé le
filence le plus abfolu ; voici ce qu'on a pu en apprendre
des amis du miniftre. Les François aux
ordres de M. de Graffe , maîtres de la mer , depais
leur combat avec Sir Samuel Hood , ont at
taqué Sainte-Lucie , où ils avoient débarqué mille
hommes , qui furent repouffés avant que le refle
des troupes pût mettre pied à terre. Après cette
première tentative , ils en firent une nouvelle dans
une autre partie de l'lfle , où ils débarquèrent
2000 hommes ; mais on fe flatte que le Colonel
Saint Leger , qui commande dans l'ifle , où il y a
plus de mille hommes de vieilles troupes , tiendra
ferme , parce qu'immédiatement après le combat
naval , Sir George Rodney lui avoit fait dire de
ne point rendre l'ifle en cas d'attaque , attendu
qu'il iroit à fon fecours pour le dégager.
Voilà tout ce que l'on fait de ces dépêches ; mais
comme le Gouvernement a cherché avec tant de foin
à dérober la connoiffance de la vérité , qu'on ne
remarque pas dans fes créatures & fes émilaires
cet air d'empreffement & de joie qui étincelle
dans leurs yeux , lorfqu'ils ont à publier l'apparence
d'une nouvelle qui n'eft pas très -mauvaife ,
es
( 106 )
on craint férieufement que les chofes ne foient
pires qu'on ne l'a dir ; & le foir même du 3 , on
fe difoit confidemment à l'oreille , que Sainte-
Lucie étoit prife. Cet évènement prouve la fupériorité
des François aux Indes Occidentales , &
confirme trop malheureufement la réflexion qu'a
voit fuggérée la lecture de la dernière gazette
extraordinaire , que l'ennemi n'avoit pas fui , com
me on cherchoit à le faire croire.
On ne voit dans la promeffe que Rodney a
faite au Colonel Saint - Léger de venir le
délivrer , qu'une fanfaronade qui ne peut
en impofer. Après l'échec qu'a reçu l'Amiral
Hood , dont plufieurs vaiffeaux défemparés
n'ont pu être affez tôt ni affez bien
-réparés pour les expofer à un nouveau combat
, peut- il , doit il tenter de chercher un
ennemi victorieux ? il eft vraisemblable que
M. de Graffe ne demande pas mieux que de
renouveller le combat ; que l'attaque de
Sainte - Lucie a été entreptile pour engager
Rodney à fortir des ports où fon efcadre
eft réfugiée ; fi elle y eft reftée , Sainte Lucie
eft perdue pour nous ; fi elle ofe paroître ,
il eft douteux qu'elle fauve cette Me , &
très à craindre qu'elle foit détruite.
Dans l'incertitude alarmante où nous
fommes , on regrette amèrement qu'on n'ait
pas envoyé à l'Amiral Rodney des renforts
dont il a un fi grand befoin.
» Si l'avis du Lord Germaine eût été ſuivi ; dit
an de nos papiers , l'Amiral Digby auroit été dé
saché de la grande Aotte avec 7 ou 8 vailleaux de
ligne auffi-tot après le ravitaillement de Gibral
( 107 )
tar , & il auroit été renforcer l'efcadre de la ftation
des Ifles . Les vaiffeaux auroient pu être aifément
approvifionnés en mer ; & il étoit fi avantageux
de prévenir les François dans cette partie
du monde que le Lord Germaine ne doutoit
pas que fon projet ne fût adopté fur le champ.
Cependant le Lord Sandwich s'y eft formellement
oppofé , & Digby eſt encore en Angleterre . Nous
ne nous étendrons point fur ce qui peut en réfulter
; mais nous pouvons annoncer que quand même
le Lord Germaine vivroit comme Parr jufqu'à
150 ans , il auroit beau prendre les mefutes les
plus efficaces pour terminer la guerre Américaine ,
il n'y parviendra jamais tant que la Marine ne le
fecondera pas comme il convient. Cette oppofition
de fentiment a fait naître de la froideur entre
lui & le Lord Sandwich , & il y a toute apparence
qu'elle durera long-tems ,
L'état des affaires aux Ifles exige de prompts
renforts ; mais quoi qu'on faffe ils n'arriveront
jamais à tems ; M. de Graffe a eu devant
lui les mois de Mai & de Juin pour
faire une campagne très- active , elle est
finie actuellement , & les renforts dont on
a befoin aux Antilles font encore en Europe
; lorfqu'ils partiront , les François peuvent
en envoyer de leur côté pour maintenir
leur fupériorité , & ils arriveront toujours
à tems pourvu qu'ils arrivent à la fin
de l'hivernage , c'eft à dire , au commencement
d'Octobre . Mais quels font les vaiffeaux
que nous enverrons ? La deftination
de Digby fera peut- être changée , & comme
fon efcadre eft prête , on la fera partir pous
ks Ifles ; mais dans ce cas que deviendron
€ 6
( 108 )
nos plans pour la campagne fur le Con
tinent.
» On eft d'autant plus impatient de voir partir
pour l'Amérique l'efcadre de Digby , lit- on dans
nos papiers d'hier , que l'on elt informé qu'il
règne d'inquiétantes divifions dans celle d'Arbuth-,
not depuis le combat du 16 Mars . Les matelots
de différens vaiffeaux s'accablent d'injures & en
viennent aux coups par- tout où ils fe rencontrent.
La chaloupe du Robufte a livré combat à celle du
vaiffeau Amiral , dans une diftribution de charbon
, fous le prétexte que les plus braves doivent
être fervis les premiers . On fait auffi que le Capitaine
du Robufte avoit de rage déchiré fa commiffion , &
qu'on n'avoit pas obtenu fans peine qu'il repren
droit fon fervice. Cette efcadre a appareillé de
New-Yorck le 12 Mai , pour aller reprendre fa
croifière devant Rhode Ifand . Le même jour , il
eft parti un renfort de troupes aux ordres du Co
Jonel Robertfon , pour l'armée d'Arnold , qui fera
bientôt , à ce qu'on eſpère , l'armée de Cornwallis
en Virginie ".
On affure que les Lords Cornwallis &
Rawdon ont écrit au Gouvernement & à
leurs amis particuliers , des lettres qui préfentent
le tableau le plus fidèle de la fituation
des affaires dans les deux Carolines ;
ils déclarent l'un & l'autre de la manière
la plus précife , qu'ils ont été groffièrement
trompés . On leur a toujours voulu perfuader
qu'ils trouveroient un plus grand nombre
d'amis dans cette partie de l'Amérique
, que dans toute autre province ; mais
à leur grande furprife , ils n'y ont trouvé
que des ennemis ou des indifférens dont ils
( 109 )
n'ont pu tirer la moindre information. Il eft
vrai que Cornwallis eft parvenu à le faire
un paffage dans l'intérieur des terres ; mais
cela n'empêche point que les Américains.
ne foient toujours les maîtres du pays , à
l'exception du terrein qui eft occupé par
les troupes du Roi .
Dans cet état des chofes , les renforts en
vailleaux ne font pas moins néceffaires dans
l'Amérique feptentrionale que dans les ifles ;
on ignore s'il fera changé quelque chofe aux
premieres difpofitions faites pour la deftination
de Digby ; le Lord North a fait payer
le premier de ce mois à la tréforerie le réfte
des fommes octroyées pour la Barbade ; cet
argent doit partir avec la flotte pour les ifles
qui fera fous le convoi de l'Amical Digby
& qui s'en féparera à une certaine hauteur,
s'il n'a pas ordre de l'accompagner. S'il va
dans l'Amérique Septentrionale , il y portera
une amniftie générale qui y fera publiée à
fon arrivée à New Yorck , pour tous les
Américains qui cefferont de porter les armes
contre leur Souverain , & d'être engagés
dans la rébellion. On ne prévoit pas
que cette amniftie faffe plus d'effet que les
précédentes qu'on a trop multipliées pour
ne pas juger qu'elles font inutiles . On n'en
publie ailleurs que lorsqu'on voit les fujets
difpofés a en profiter ; les nôtres n'ont pour
objet que celui de les tenter , & elles ne
le rempliffent pas. Les proclamations fans
nombre de Clinton & de Cornwallis ont
( 110 )
prouvé que nous avons peu de partifans en
Amérique ; & celle que le premier publia
le 10 Avril dernier pour ramener les déferteurs
fous leurs drapeaux , annonçe combien
la défertion eft fréquente parmi nos
troupes.
Quoiqu'il en foit de la deftination de
l'Amiral Digby , ce n'eft qu'avant- hier qu'il
a pris congé du Roi , & ce n'eft qu'aujourd'hui
qu'on croit qu'il part enfin pour
Portſmouth ; le Prince William Henri doit
toujours s'embarquer fur fon efcadre. S'il
va dans l'Amérique feptentrionale , il eft à
préfumer qu'il n'y conduira pas tous les
vaiffeaux qu'il prend avec lui , & qu'il s'en
féparera une partie qui iront joindre l'Amiral
Rodney qui en a befoin , & à qui on
n'en peut fournir qu'en affoibliffant le renfort
deftiné à New- Yorck , où l'on confervera
ceux qui y font déja , quoique plufieurs
aient grand befoin de revenir en Europe
pour s'y réparer.
Toutes les nouvelles préparent à appren
dre bien -tôt celle de la perte de Pentacola.
Les lettres de la Caroline portent que tous
les habitans de Mobile & de Penfacola fe font
réfugiés à St- Auguftin dans la Floride .
Nos affaires dans l'Inde parciffent dans
l'état le plus défefpéré , & la méfintelligence
qui règne parmi les Chefs de nos établiffemens
& les Commandans de nos troupes ,
n'eft pas propre à les raccommoder. Nous
avons déja dit un mot de ce qui fe paſſe
( m )
dans ces contrées ; nous y joindrons les détails
fuivans .
Le 2 Juillet il eft arrivé un Exprès de l'Inde ,
dont les dépêches font darées du mois de Février .
Elles n'apprennent rien de nouveau , quant aux
opérations d'Hyder Aly , mais il s'en faut qu'elles
diffipent nos inquiétudes fur ce qu'il faut en atten.
dre , & fur le danger où eft le Carnate . Elles nous
expliquent le motif qui a déterminé le Chevalier
Edouard Hughes à partir de Madras le 17 Octobre
pour aller à Bombay , motif que nous ne pou
vons point comprendre vu la fituation critique où
étoit alors la côte de Coromandel . Il y eft dit
que les vaiffeaux n'étoient pas en affez mauvais
état pour avoir un befcin immédiat de carène , &
qu'aucun intérêt ne l'appelloit à Bombay qui pût
être mis en comparaison avec celui de la défenfe
de la côte de Coromandel. Mais le vrai motif de
ce départ a été une petite pique entre l'Amiral &
le Confeil de Madras , à laquelle les deux parties.
font également blâmables de s'être tenues , au préjudice
des vrais intérêts de la Compagnie . Le Chevalier
Hughes vouloit qu'on le priât de refter , &
le Confeil n'entendoit point devoir lui faire cet
honneur. Il peut réfukter de ce départ que
François exécutent fans oppofition un débarquement
en faveur d'Hyder Aly , & cela eft d'autant
plus à craindre qu'ils ont à l'Ile de France les forces
fuffifantes ; nous n'avons donc plus d'efpois
que dans la vigilance & dans les reffources du Chevalier
Coote , tant contre les François que contre
Hyder Aly. Mais fi les François débarquent &
fe joignent à Hyder, nous ferons chaffés inévi
tablement du Carnate. On apprend auffi que
pour détourner ce coup , nous avons offert aux
Marattes des conditions très - humiliantes pour nous ,
& entr'autres de leur livrer le fort de Baffem que
nous venons de prendre fur Hyder. Mais les Ma-
--
--
les
( 112 )
---
rattes ont reçu ces offres avec hauteur , & ont pris
da tems pour répondre. Les mêmes dépêches
nous apprennent que le fils d'Hyder eft en pollerfion
de Pondichery , & qu'il y a élevé l'é endard
de fon pere. On fe plaint d'une grande diferte
d'argent dans les trois Préfidences , de Bengale ,
Madras & Bombay , & il eût manqué abfclament
à Madras , fi le Chevalier Coote n'y avoit point
apporté cent quinze lacs de roupies de Bengale.
On parle toujours de paix , & on affure
que des politiques du plus haut rang iront
pendant la vacance du Parlement paffer
quelques mois à la Haye , à Paris & à Madrid
, pour s'occuper de cet objet important
; il feroit bien intéreffant pour nous
de réuffir dans cette négociation importante.
On fait ce que nous coûte cette campagne ,
la peine avec laquelle nous avons trouvé les
fonds néceffaires , nous doit faire craindre
de nous procurer difficilement ceux de l'année
prochaine. Le Lord North n'aura point
de Chartres à renouveller. Celle de la Compagnie
des Indes & celle de la Banque font
une affaire finis . La dernière n'a pas eu le
fuffrage général . M. Hartley dans l'ouvrage
qu'il a publié fur le renouvellement de cette
Chartre , a prouvé que l'on avoit fait un
marché défavantageux à l'Etat . Nos Lecteurs
ne feront pas fachés de trouver ici le P. S.
de cet ouvrage .
»Dans le cours de cet ouvrage , ditil , j'ai évité
tous les calculs compliqués & me bornant à évaluer
en gros l'eftimation du renouvellement de
la Chartre de la Banque , je ne fuis entré dans
aucuns détails fpécifiques. Après avoir ainfi fait
( 113 )
-
connoître l'objet principal de la queftion d'une
maniere fuffifante pour être également entendi de
toutes les claffes des lecteurs , j'ai cru devoir ajouter
ce poftcriptum pour vérifier l'évaluation géné .
rale par des calculs détaillés . Ce travail ainfi détaché
du corps de l'ouvrage fervira de preuves
aux faits qui y font énoncés fans en embarraffer ,
la marche. J'ai dit en premier lieu que les
Actions de la Banque étoient à so pour cent audeffus
des 3 pour cent ordinaires , & dans la fuppofition
que la Chartre ne fût pas renouvellée , je
n'ai porté la baille qu'à 30 pour cent au lieu de
so pour cent , qui eft la baille qu'elles devroic re
naturellement effuyer file capital entier de la Banqhe
n'étoit plus que fur le pied des 3 pour cent
ordinaires. Mais il y a une portion de la propriété
de la Banque dans les fonds , confiftante dans les
fommes de 3,200,000 liv . & de 500,000 liv . fai - `
fant enfemble 3.700,000 liv . , laquelle , en vertu
des conditions des renouvellemens en 1742 & en
en 1764 , doit être remboufée au pair lorfque le
Parlement jugera à propos de retirer la Chartre.
Cette portion de propriété ne peut donc point
fouffrir une plus grande perte que la différence
qui eft entre la prime qu'elle porte à préfent &
le pair de 100 livres , paifqu'elle ne peut pas toin- '
ber au-deffous de ce pair. Mais la portion reftantė /
des propriétés de la Banque dans les fonds nationaux
laquelle monte à 7,986,000 liv . ( car la dette
totale de l'Etat à la Banque fe monte à 11 686,000
liv. ) peut fouffrir une perte beaucoup plus confi -1
dérable . Or , cette derniere femme étant fujette
au même difcrédit que les 3 pour cent ordinai
res , elle peut , à la ceffation de la Chartre , tomber
au niveau des 3 pour cent , c'est- à -dire , que
de la prime qu'elle porte à préfent au-deſſus du
pair , elle peut tomber à 58 liv . ce qui fait 42 pour
centau-deffous du pair. Ces pertes combinées enſemble
( 114 )
font un objet de plus de 30 pour cent far le capital
-On pourroit dire ( & cela eft en effet très -vrai )
qu'en vertu de l'obligation où eft le Gouvernement
de rembourfer au pair à la Banque la fufdite
fomme de 3,700,000 liv. taudis que les 3 pour cent
ne font qu'à 58 liv. le Gouvernement feroit , en
paffant le marché à une autre Compagnie , une
perte de 1,556,000 liv. Mais j'ai déjà pourvu à
cette perte , en ne portant la baiffe fuppofée qu'à
30 , au- lieu de so pour cent , à quoi il auroit fallu
la porter , fi la totalité des propriétés de la Banque
dans les fonds eût été fur le même pied que
les 3 pour cent ordinaires. En conféquence , en
nettant un million & demi pour le prix du noveau
marché , j'entends que cette fonime feroit
donnée à l'Etat , outre & par - deffus la fomme de
1,556 , co liv. néceffaire pour remonter au pair
de 1oo liv. les fufdites 3,700,000 liv. réduites
dans l'état actuel du crédit à 58 liv. Cette confidération
est un argument de plus contre la précipitation
avec laquelle on vient de refaire le renouvellement
de la Chartre de la Compagnie fubfiftante
, c'est - à - dire fix ans avant fon expiration ,
& dans un moment où les fonds publics font
tombés fi bas. S'il arrivoit , en quelque moment ,
d'ici à l'année 1786 , temps où devoit expirer la
Chartre de la Banque , que les fonds publics remontaffent
au même point où ils étoient avant la
guerre , cette fomme de 1,5 16,000 liv . que l'Etat
commenceroit par perdre en donnant le marché à
une autre Compagnie , fe trouveroit , vû la hauffe
faite des 3 pour cent , n'être plus que d'environ
450,000 liv. ce qui n'eft pas , à beaucoup près ,
le tiers de 1,556,000 liv . Cependant , dans l'eftimation
actuelle , cet article eft compris dans la réferve
fufdite de 20 pour cent , qui refte en retirant
feulement la baille fuppolée de 30 pour cent,
d'une différence totale de plus de so pour cent
---
-
--
entre le prix des actions de la Banque & celui des
3 pour cent. On peut , pour rendre la chofe encore
plus claire , faire la fuppofition fuivante :
fi l'on propofoit dans l'état actuel des fonds de
transporter la Chartre de la Banque à quelque
nouvelle Compagnie propriétaire de 11,686,000 liv .
dans les 3 pour cent , fomme à laquelle fe monte
la propriété actuelle de la Banque dans les fonds
publics , on demanderoit à ces nouveaux Actionnaires
: Combien votre capital de 11,686,000 liv.
dans les 3 pour cent , vaut-il actuellement , l'action
de 100 liv. étant à 58 livres ? La réponfe
feroit que ce capital ne vaut pas plus de
6,777,000 liv. Si cette nouvelle Compagnie en
prenant le marché , obtenoit tous les privileges de
la Banque actuelle , combien vaudroit alors ce capi-
- La réponſe feroit : - Précisément ce que
vaut le capital act el de la Banque ; favoir ,
10,780,000 liv. portant une prime de 110 liv.
pour chaque cent livres , ce qui feroit,monter ledit
capital à 11,858,000 liv. Il eft donc très conftant
qu'une propriété dans nos fonds n'excédant pas.
actuellement 6,777,000 liv .. feroit convertie en
une valeur de 11,858,000 liv. au moyen de l'obtention
de la Chartre de la Banque. Or quel fe
roit le profit de cette Compagnie par ce marché ?
Il feroit de 5,080,000 liv . La divifion de ce profit
pourroit fe faire de la manière fuivante.
tal ? - -
Pour rendre à l'ancienne Banque ,
fur le pied de 100 liv . l'action , un
capital de 3,700,000 liv . l'action étant
à 58 liv .
Dédwifez cette fomme du profit
ci deffus porté à 5,080,000 livres , il
reftera une valeur de
Sur ce profit , le Gouvernement
prendroit moitié comme le prix du
1,556,000
3,524,000
marché ; ce qui feroit pour l'Etat un
gain de
Et il refteroit à la nouvelle Compagnie
un profit de
1,762,000
1,762,000
La différence entre le prix résultant de ce calcul
comparé avec le prix de 1,617 , cco liv. pro.
vient de cette circonftance . ; favoir que , dans le
premier calcul , j'ai porté la baiffe luppolée à une
fomme ronde de 30 pour cent , pour ne point ren
fler les objets . Mais , d'après un calcul très - exact ,
il paroît que cette baiffe eft d'un peu plus que de
30 pour cent. Enfin , la réferve ci- deilus de 20
pour cent , fur 50 pour cent , eft plus que fuffifante
pour balancer la perte entre 3.700,000 liv. à
58 pour cent , & la même fomme au pair de
100 livres .
Nous avons parlé de la requête des prifonniers
de guerre Américains , préſentée à
la Chambre haute & baffe les 18 & 19 du
mois dernier ; elle donna lieu à une difcuffion
affez fingulière dans la première. Le
Duc de Richmond fe plaignit de ce qu'on
diftribuoit moins de pain aux Américains.
qu'aux François , aux Hollandois & aux
Efpagnols. Le Lord Sandwich répondit que
les Américains mangeant moins de pain
que les François & les autres , il étoit inutile
de leur donner la même ration. On croiroit
que cette obfervation n'eft qu'une plaifanterie
, elle fut faite férieufement ; & c'eft
une attention qui a échappé jufqu'ici dans
les comptes de la dépenfe des prifonniers ,
de les diftinguer en carnivores & en fiugivores.
( 117 )
On affure qu'à l'exemple de M. Fullarton
, ci devant Secrétaire de l'Amballade de
France à Paris , M. Thompſon , Secrétaire
du Lord Germaine , va lever un régiment ,
dont il fera Colonel , & qui ne fera pas plutôt
complet qu'il fe rendra en Amérique
pour y défendre tout-à-la fois par fa plume
& par fon épée , les poffeffions que notre
Cour a intention d'y conferver.
Le navirele Five- Friends , Capitaine Floyd ,
eft parti de Plymouth le 3 de ce mois , avec
des dépêches pour l'Amiral' Darby , dont la
croifière nous inquiète depuis que nous favons
les François fortis de Breft & fupérieurs
en nombre.
Hier il est arrivé chez M. de Simolin des
dépêches de l'Ambaffadeur de Ruflie à la
Haye , & peu après ce Miniftre a eu un entretien
avec le Lord Hilsborough , la veille ,
on avoit expédié pour la Ruffie , le Portugal
& la Hollande , des dépêches qui
avoient paffé au grand fceau.
-
» Notre commerce , écrit-on de London Derry ,
eft prefqu'anéanti ; un eflaim de corfaires Fran
çois molefte notre côte ; & nos navires ne peu
vent mettre à la mer fans le plus grand danger
d'être pris. Nous n'avons point de vailleaux pour
les protéger. L'équipage d'un corfaire ayant
débarqué dernièrement près de Carrig Fergus
a pillé les habitans , & enlevé beaucoup de
bétail . Nos Négocians viennent de prendre la
refolution d'équiper quelques corfaires pour protéger
leur commerce & balayer la côte. Il eſt
à fouhaiter qu'ils fe hâtent de la mettre à exécu
·
( 118 )
+
tion , & fur- tout qu'ils ne perdent pas de tems ,
lans quoi cette protection deviendra nulle , faute
de bâtimens à protéger «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 17 Juillet.
LL. MM . & la Famille Royale fignèrent
le premier de ce mois le contrat de mariage
du Marquis de Gaulaine , avec Mademoi
felle de Maleiffye , & le S celui du Prince
de Tarente , avec Mademoifelle de Chatillon.
Monfieur a été indifpofé & eft parfaitement
rétabli aujourd'hui , deux faignées
ont calmé les douleurs qu'il avoit éprouvées
& qui avoient alarmé toute la Cour.
De PARIS , le 17 Juillet.
En attendant les dépêches de M. de Graffe ,
toutes les nouvelles reçues de divers côtés
confirment les avantages remportés par ce
Général à fon arrivée à la Martinique. C'eft
par l'Angleterre que nous en avons eu le
premier avis ; c'eſt delà que nous en tenons
une confirmation . La Cour de Londres a
reçu des lettres de ces parages , & le
bruit général , à leur arrivée étoit
qu'elles annonçoient le débarquement de
2000 hommes de nos troupes à Sainte- Lucie.
L'Amiral Rodney prévoyant que les premiers
coups que nous porterions tomberoient
fur cette le , avoit envoyé un
( 119 )
&
meffage au Colonel Saint- Léger , qui y commandoit
, avec injonction de tenir bon ,
de ne pas fe laiffer intimider par nos grandes
forces , parce que dans quelques jours
il feroit en état d'aller à fon fecours & de
le dégager. Nous nous attendions en Europe
à cette attaque de Sainte - Lucie ; c'étoit
la première opération que M. de Bouillé
fe propofoit d'entreprendre. Cinq à 600
hommes ne pourroient être forcés fur le
Morne de la Vigie , fuflent- ils attaqués par
5 à 6000 , fi l'on n'avoit pas des mortiers
pour les foudroyer ; il eft vraisemblable que
M. de Bouillé en eft pourvu , & qu'à cette
heure Sainte-Lucie eft à nous ; car la fanfaronade
de Rodney n'eft faire que pour le peuple
Anglois ; loin qu'il puifle chercher à fecourir
le Colonel St-Léger , il doit être occupé
lui - même à trouver un afyle où il puiffe
mettre les reftes de fa foible eſcadre en fûreté.
Elle a été très - maltraitée , malgré la
relation de mémoire donnée dans la Gazette
extraordinaire de Londres ; & les nouvelles
entrepriſes de M. de Graffe annoncent une
victoire antérieure , qui le met en état de
ne pas craindre d'oppofition par mer. Le
rapport des vaiffeaux Hollandois arrivés à
Fleffingue fur un navire Parlementaire ; la
dépofition d'un nouveau corfaire Américain
entré à Breft , font conforines ; il s'agit toujours
de vaiffeaux pris , d'autres coulés bas
ou totalement défemparés ; mais ces détails
, tous fatisfaifans qu'ils font , ne font
( 120 )
point encore miniftériels ; les dépêches d
M. de Grafle ou de l'Amiral Hood nous en
fournitont de plus authentiques ; on ne penſe
pas que le premier écrive en France avant
d'avoir achevé fes opérations. Arrivé le 28
Avril , il a eu juſqu'au mois de Juillet pour
les continuer. A cette époque l'hivernage
commence aux Antilles , & force toutes les
flottes à rentrer dans leurs ports juſqu'à la fin
de Septembre. M. de Graffe nous enverra
fans doute le détail de toute fa campagne;
ce détail eft vraisemblablement parti actuellement
, & nous le recevrons dans le mois
prochain. En attendant qu'il arrive , on ne
fera pas fâché de trouver ici une lettre particulière
fur fon combat près de la Marti
nique ; c'eft le Capitaine du corfaire Amé
ricain arrivé à Breft le 27 du mois dernier
qui l'a remiſe à M. Hector. On la croit du
Maître de l'équipage du vaiſſeau de l'Amiral
Hood ; elle eft adreffée à un nommé François
David Plumb , de Darmouth ; ſa naïveté
la rend précieuſe.
" Je vous écris avec la plus grande douleur ,
parce que tout eft perdu. Il n'eft pas poffible de
s'imaginer qu'on pût faire croifer une flotte de 18
vaiffeaux pour en intercepter une de 24 , eſcortant
2 ou 300 voiles. Notre premier Père Adam luimême
n'auroit jamais pu avoir ce projet ; com.
ment fe peut-il qu'un Amiral Anglois l'ait eu feulement
pendant une demi- heure dans la tête. M.
de Graffe arriva le 28 Avril au Fort - Royal ; le
29 , il fit fortir quatre vaiffeaux pour nous reconnoître
; & le 31 , il vint , au point du jour ,
avec
( 121 )
nous
avec 24 vaiffeaux & l'avantage du vent ,
attaquer. Nous avons foutenu le combat, pendant
trois heures trois quarts . J'ai vu fix de nos vaiſ
feaux très-défemparés qui tombèrent fous le vent .
Le Centaure , de 74 canons , s'eft battu pendant
trois heures contre trois vaiffeaux François , qui
l'ont fi fort maltraité , que je doute qu'il puiffe
rentrer. Toute la flotte étoit perdue , fi nous n'avions
pas fait vent arrière pour gagner Saint- Crif
tophe , où nous fommes arrivés avec 7 vailleaux .
Je ne fais pas ce qu'eft devenu le refte. Pour fi
nir , nous fommes complettement battus , notre
pauvre vieille Angleterre touche à fa fin , & ję
ne doute pas qu'une grande partie de nos Ifles
tombe au pouvoir de l'ennemi «.
Le Capitaine Américain qui avoit pris
Pavifo Anglois , a déclaré qu'il avoit mis
l'Officier Anglois à bord d'un navire neutre
, & expédié le bâtiment pris à Boſton.
On n'a pas généralement approuvé fa conduite
. Il n'a fait au refle que fon métier de
Corfaire , dont la devife eft ; l'argent d'abord
& la gloire après . Le Capitaine Smith
preffé de donner à la Cour de Londres les
nouvelles dont il étoit porteur , lui aura
promis tout ce qu'il aurà demandé , & il
n'eft pas étonnant qu'il ait été rançonné.
» On mande de Portugal , écrit- on de Bayonne
que le 19 Juin dernier , la Minerve , frégate An
gloile , mouilla dans le Tage. Elle avoit touché
aux Inles du Cap Verd , où elle avoit été inf
truite de la rencontre & du choc des deux efcadres
deftinées pour l'Inde. Elle n'a pas donné
fur cette affaire des détails plus inftructifs , que ceux
qui font venus d'Angleterre, fi ce n'eft que Jonhstone
21 Juillet 1781 ,
( 122 )
-
attaqua fe premier , & fur fi maltraité qu'il fut
obligé de le réfugier fous le canon du Fort . Toutes
les lettres écrites au Commerce , conviennent
de ces faits , & nous avons été étrangement furpris
de lire le contraire à l'article de Lisbonne ,
dans la gazette de Madrid , que nous
-
recevons
aujourd'hui 3 Juillet ) , il faut que cette note
ait été fournie au Gazetier par des perfonnes prévenues
ou mal inftruites. Le rapport des Négocians
qui ont interrogé l'équipage de la Minerve ,
eft moins fufpect & plus véridique. L'armement
de Cadix doit être fous voile cette femaine. Quel
ques perfonnes le croient deftiné pour Gibraltar ,
parce qu'elles s'imaginent que s'il doit tomber
fur Minorque, il étoit plus naturel de le faire fortir
de Barcelone ; cette raifon feroit bonne fi la
-Cour d'Elpagne n'avoit pas cru devoir donner le
change à l'ennemi ; & en général bien des gens
croient ici , comme à Madrid , que c'eft Mahon
qu'on va attaquer «<,
Il fe confirme de toutes parts que fur
la côte de Coromandel , fur celle de Malabar
, les Indiens font une guerre implacable
aux Anglois qu'ils égorgent impitoyablement
. Toutes les lettres de Conftantinople
portent qu'Hyder- Aly s'eft emparé de
Madras , & que cette conquête importante
lui a été facilitée par de bons Artilleurs François
& par 3ooo Européens qu'il a dans fon
armée. Si cela eft , il eft à préfumer que le
détachement de l'ifle de Bourbon s'eft joint
à Hyder-Aly, & que M. d'Orves a battu la
place par mer. Ces nouvelles arrivent de
tous les côtés à Conftantinople , où l'on paroît
ne pas la révoquer en doute.
( 123 )
Depuis le 18 Juin juſqu'au 24 , écrit on de
Marſeille , il eft entré dans ce port 11 bâtimens,
au nombre defquels font les corvettes du Roi la
Fleche & la Sardine . On nous écrit de Cadix que
notre dernier convoi deſtiné pour les Illes de l'Amérique
, eft arrivé dans ce port après avoir paffé
le Détroit , à l'exception de quatre ou cing navires
, qu'on affure avoir fait voile pour leur def
tination . Nous apprenons auffi de Malte qu'il y
eft arrivé 26 voiles de notre convoi , venant de
Syrie , & qu'on y en attend encore trois ou quatre,
qui completteront le nombre de navires dont
il doit être compofé «
Nos Lecteurs n'ont fans doute pu lire
fans attendriffement les détails de l'incendie
qui a réduit en cendres la petite ville de
Lucé dans le Maine ( Voyez le Journal du
23. Juin ). Plus de 150 familles plongées dans
la plus affreufe mifere forment un ſpectacle
bien touchant pour les ames fenfibles ; les
perfonnes charitables qui voudront leur procurer
quelques fecours , font priées de les
faire remettre à M. Paumier , Notaire à
Paris , rue St-Victor.
Parmi les inventions utiles faites depuis
quelque tems , nous nous empreffons d'annoncer
celle de nouveaux fourneaux économiques
& portatifs pour la cuiffon des
alimens , & dont l'ufage réunit l'économie
à la plus grande commodité.
» Le fieur Nivert , d'une ſanté délicate , & cuifinier
, pour le mettre à l'abri des accidens auxquels
l'expofe fréquemment la vapeur du charbon,
a imaginé un Fourneau portatif , compofé
fi
( 124)
d'un foyer , avec un tuyau de cheminée , pour
donner iffue à la fumée , & d'une cuvette ou baſfin
de cuivre étamé , furmonté d'un couvercle de
fer ou de cuivre , qui s'adapte jufte à cette cuvette .
On y place des bocaux ou vaiffeaux de verre
dans lefquels on met les alimens qu'on veut faire
cuire , & on enferme le tout . On allume une lampe
dans le foyer ; l'effet de la chaleur qui en réfulte
, & dont le degré eft celui de l'eau bouil
lante , eft tel , qu'au bout du temps ordinaire
pour la cuillon , les alimens s'y trouvent parfaitement
cuits dans leur propre jus , fans aucune
addition d'eau ou de bouillon , à moins qu'on ne
veuille y faire le pot-au-feu , ou y cuire des fubftances
sèches & farineufes , telles que du riz.
On conçoit de quelle utilité , de quelle commodité
peut être un pareil fourneau , pour l'apprêt des
alimens , dont la cuiffon n'exige ni entretien de
feu , ni foin , ni dépenfes , ni attention , & qu'on
peut abandonner , foit dans un âtre de cheminée ,
foit dans une cour , toujours avec la certitude
qu'ils feront cuits au point convenable. En général
, il faut une heure ou une heure & demie
pour la volaille , le veau , le gibier , & c . , embarras
dont on eft encore difpenfé par les lampes
que l'auteur fournit. On doit ajouter que ce Fourneau
eſt conſtruit de manière qu'il eft fermé avec
une . clef qu'on emporre avec foi . Pour fatisfaire
au goût, & à l'économie du public , on les fait
faire de différentes matières , de différentes for
mes & de différentes grandeurs. Les plus, ordinaires
ont un pied quarré & pèſent dix à douze
livres au plus. Par leur moyen , on peut faire
fervir, en quelque endroit que ce foit , fans être
auprès & fans embarras , avec des vales conye-"
nables , trois entrées , ou bien foupe & bouilli , &
doux entrées en même tems , pour quatre ou cinq
I
( 125)
perfonnes au moins . Le prix des Fourneaux & des
Vafes eft proportionné à leur matière. M. Nivert
demeure rue & vis-à- vis le Cherche-midi , Faux
bourg Saint-Germain , Maifon de M. Dumas ,
à Paris.
Les médailles d'or, que diftribue chaque
année l'Académie Royale de Chirurgie aux
élèves de l'Ecole - pratique , ont été rem
portées le 7 Mai dernier , par MM. Alexis
Boyer , d'Uzerches , Diocèfe de Limoges ; J.
Jollain de Saint- Hilaire , de Talmond , Diocèle
de Luçon ; Louis - Antoine Follet , de
Frefnoy , Diocèfe de Beauvais ; Barthélemi
d'Arimajou , de Benquet , Diocèſe d'Aire.
Les médailles d'argent ont été obtenues par
MM. Jean - François de Mifit , de Quimper ;
Victor Dumas , de Séfinette , Diocèfe de
Grenoble , & Jean - Baptifte Frefon , de Digne.
» Le 20 Juin , à deux heures après - midi , écriton
de St- Amour en Franche- Comté , il s'eft élevé
un orage violent fur une haute montagne au couchant
du village de Vefoles , Balliage d'Orgelet ;
la grêle , qui eft tombée fur le territoire de Vefoles
l'a couvert à la hauteur de 4 à 5 pieds ; une
pluie confidérable l'a accompagnée ; le vent du
midi qui la pouffoit étoit fi impétueux , qu'en
moins de demi-heure les quatre hameaux dépendant
de cette Paroiffe ont été inondés , leurs territoires
chargés de cailloux , fables & ravins , qui
ont entièrement ruiné les récoltes , creufé les terres
jufqu'au roc vif, & détruit les chemins . Ceux
de Vefoles & Chenilla font fi dégradés , que de
plufieurs années les habitans ne pourront réparer
f }
( 126 )
leurs pertes ; la plupart font fans fubfiftance pour
eux & pour leurs beftiaux. Deux petits ruiffeaux
en pente font devenus en un inftant des torrents
de 20 pieds de large , & ont porté leurs eaux à
une ſemblable hauteur ; elles ont entraîné des
pierres & des rochers d'une groffeur fi énorme ,
qu'ils ont renversé à Vefoles 3 maifons , un moulin
de 900 liv . de revenus , beftiaux , meubles
grains , nipes , &c. Deux autres maiſons ont été
renverfées à moitié , & les matériaux en maçonmerie
, les pierres de taille ont été entraînés avec
plus de 200 pieds d'arbres ; 7 perfonnes ont été
noyées ; on compte an nombre de ces infortunées
victimes deux jeunes femmes enceintes ; l'une avoit
pris dans fes bras fon premier enfant , âgé de
7 mois , pour le fauver avec lui , lorfque fa maifon
s'eft écroulée . Le Subdélégué de St - Amour s'eft
transporté autli - tôt dans les villages maltraités
pour conftater la perte de leurs habitans & les fe
courir. Si des ames fenfibles vouloient faire quel
ques aumônes à tant de malheureux , elles font
priées de les adreffer à M. Fluchon , Curé de
Vefoles par Lons-le-Saunier & Moirans en Franche-
Comté ".
On vient de nous faire paffer de Strafbourg
un avis bien intéreffant pour les Médecins
& les Chirgiens Accoucheurs , s'il
remplit en effet tout ce qu'il promet . Nous
devons nous borner à l'annoncer , parce
qu'il intéreſſe l'humanité , c'eft aux gens de
l'art à l'apprécier.
» Le fieur Adorne , Marchand Phyficien & Méchanicien
à Strasbourg , fait des Mannequins pour
les Démonftrateurs des Accouchemens fuivant
les corrections indiquées par M. le Profeffeur Sil
berling ; on n'y trouve pas feulement le diaphragme ,
les gros vaiffeaux , l'aorte & la veine cave , les reins
les urtères , le rectum , la matrice , les ovaires &
le vagin avec la veffie dans l'état de virginité
mais on peut encore ôter cette matrice , en mettre
à la place une autre dans laquelle des cordes cachées
, démontrent les diverfes fibres de l'utérus ,
leurs mouvemens dans les douleurs de l'enfantement
, avec un petit enfant à reffort qui expofe
tous les mouvemens naturels . Le corps du Man.
nequin eft de bois , ou un véritable squelette
fuivant qu'on le préfère. Le prix eft de 20 à 25
louis. M. Adorne change ou répare les vieux Mannequins
auxquels il fait les augmentations néceffaires.
Il s'annonce auffi comme poffeffeur d'un
fecret bien important pour l'humanité ; c'eſt celui
de guérir infailliblement toutes fortes d'hidropifies
d'eau , pourvu que le malade n'ait point fouffert
déja l'opération ; fon fecret agit fur les perfonnes
de tout âge , en modérant la dofe felon les
tempéramens. Il a , dit il , opéré la guérison de
plufieurs perfonnes , depuis l'âge de 6 jufqu'à 60
qu'il a traitées gratuitement à Strasbourg.
Il offre de donner fon fecret pour cent louis , &
pour conftater fon efficacité , il traitera un malade
fous les yeux de celui qui voudra l'acheter «<.
ans
?
La lettre fuivante ne peut qu'intéreffer
nos Lecteurs.
M. , votre Journal étant confacré à publier les
actions de bravoure & de bienfaisance qui honorent
l'humanité ; je crois devoir vous en préfenter une
qui peut être mise en parallèle avec celle du brave
Brouffard de Dieppe , rapportée dans un de vos Numéros.
Voici l'évènement malheureux qui y a donné
lieu.-M. & Mme de Montcamp ( M. de Montcamp
eft Lieutenant des Maréchaux de France ) s'embar
£ 4
( 120 )
&
quèrent à Lyon , fur le Rhône , le 15 Juin dernier ,
avec leur voiture. Vers les 10 heures du foir , en
paffant devant Vienne , le Patron qui les conduifoit
n'apperçut pas un radeau qui flottoit , & que fes conducteurs
avoient négligé d'amarer. Par le choc du
radeau , le bateau de M. & de Mme de Montcamp fut
mis en pièce , & leur voiture fubmergée. Ils y
étoient renfermés . En 2 ou 3 minutes ils y furent
entraînés entre deux eaux à plus 40 toifes du lieu
de leur échouement. Leur perte étoit certaine , fans
un Patron appellé Bonardel. Il artivoit de Lyon.
Il avoit reconnu le radeau ; il l'avoit abordé . La
légéreté de fon batelet , & fon adrefle l'avoient
fauvé. Il alloit l'attacher au port , & s'occuper de
faire mettre en règle les Radiers , quand il entendit
ile bruit du bateau qui venoit de fe rompre ,
les cris des naufragés. Il vole, à leur fecours . Il
rencontre d'abord le Patron , il le fauve fans retarder
fa marche. Il arrive à l'inftant où la voiture est
ramenée fur l'eau par un effet qui tient du prodige.
M. & Mme de Montcamp en fortent en rompant les
glaces , & reftent fufpendus aux portières. Bonardel
avec un fang-froid admirable , conduit fon batelet
entre les deux brancards . Par cette manoeuvre décifive
, il foutient la voiture , il l'empêche de s'engloutir
de nouveau. Les brancards deviennent , d'un
autre côté pour fon bateau , un point d'appui qui
doit l'empêcher de couler bas , fi les trois perfonnes
qu'il doit encore recevoir , fe précipitent dedans
fans précaution. Le fuccès répond à fa prudence.
Il fauve l'un après l'autre , M. , Mme de Montcamp ,
& leur domeftique . A peine s'eft il dégagé des bran .
cards , que la voiture difparoît. Il regagne enfuite
heureufement le rivage , malgré la rapidité , les
tourbillons de l'eau , & le poids de cinq perfonnes
que fon batelet contenoit avec peine . If eft reçu
aux acclamations de cette Ville . On confond , dans
( 129 )
›
>
les témoignages de la joie générale , M. & Mme de
Montcamp avec leur libérateur , On les regarde comdes
êtres chéris du ciel. On procure aux premiers
les fecours les plus prompts , & on les débarraffe
du volume d'eau qui les étouffoit. J'ai eu l'honneur
, M. de dîner , à mon paffage à Montelimart
avec M. & Mme de Montcamp . Je tiens d'eux ces
détails . J'ai vu à Vienne le Patron Bonardel ; je
ne connois pas d'homme de fa profeffion plus inté
reflant. Sa modeftie , fon défintéreffement relèvent
encore fon action . Cet honnête Patron eſt chargé
d'une nombreufe famille. Il a éprouvé plufieurs
malheurs qui l'ont ruiné. Il y a peu de tems que
fa mailon fut entièrement brûlée. Je defire , M.
que cette lettre parvienne , par votre Journal
entre les mains des perfonnes bienfaisantes qui ont
fait récompenfer le brave homme . Les Romains
accordoient une couronne civique à quiconque
fauvoit un citoyen .. Bonardel a 'confervé à l'Etat
deux hommes de fa claffe , un Officier de S. M. ,
& fur-rout une belle Dame de vingt ans ! .... II
a plus fait qu'aucun Romain de ma connoiffance.
Sous un règne heureux , fous des Miniftres qui
diftinguent les belles actions , il peut efpérer une
récompenfe . La Renommée la publiera . Elle encouragera
les Bateliers , fur nos rivières , à donner
des fecours aux perfonnes qui pourroient le trouver
dans le même cas que M. & Mme de Montcamp.
J'ai l'honneur d'être , &c . Signé , CHASLON .
P. S. Dans cet évènement , il n'a péri qu'un
Batelier.
La groffeffe de la Reine , cet évènement
fi intéreffant pour la Nation , a été annoncé
au Public. Le Roi a écrit , le 29 du mois
dernier , la Lettre fuivante à l'Archevêque
de Paris.
f.s
( 130 )
» Mon Coufin , c'eft avec une fatisfaction infinie
que je puis annoncer à mes Peuples l'heureufe
groffeffe de la Reine , ma très -chère épouſe
& compagne , parce que je la regarde comme une
nouvelle preuve de la bénédiction que Dieu répand
fur mon Royaume. La loi que je me fuis faite
de foumettre à fa providence tous les évènemens
qui peuvent m'intéreffer , m'engage à vous faire
cette lettre pour vous dire qu'il me fera trèsagréable
que vous ordonniez une Collecte ou prière
particulière pour la confèrvation de fa perfonne.
Sur ce je prie Dieu qu'il vous ait , mon Couſin
en fa fainte & digne garde ".
Le 1 ; de ce mois , l'Archevêque a donné
un Mandement dans la forme fuivante , qui
a été publié le 15.
» Le Roi , mes très-chers frères , vient d'an.
noncer à fes Peuples l'heureufe groffeffe de la
Reine , & pénétré de reconnoiffance pour cette
nouvelle preuve des bénédictions que le Ciel répand
fur fon Royaume , il a recours aux prières
de l'Eglife , afin d'obtenir la confervation des précieux
jours de fon augufte épouse. Empreffonsnous
de nous conformer à des intentions fi pieufes
& fi refpectables. De tout tems la nation Fransoife
s'eft diftinguée par-deffus tous les autres Peuples
de la terre par fon attachement pour les
Souverains. Que ce fentiment doit nous paroître
doux , & que nous devons aimer à le faire éclater
dans une circonftance où il s'agit de demander au
Ciel la confervation d'une Reine que fes grandes
qualités nous rendent fi chère , & qui fait le
bonheur d'un Roi dont toute l'ambition eft de
rendre fon peuple heureux & triomphant ! - A
ces cauſes , nous ordonnons que dans toutes les
Eglifes de ce Diocèfe , exemptes & non exemptes ,
il fo dira tous les jours , aux Mefles hautes &
"
( 131 )
འ
baffes , jufqu'à ce que la Reine foit accouchée , la
Collecte , la Secrette & la Poft- communion , pref
clites dans le Miffel & intitulées pro muliere gravida
, y inférant fuivant la rubrique , Maria-
Antonia-Jofepha-Joanna , Regina noftra ; & nous
exhortons les Fidèles de notre Diocèle à faire à
cette même intention de ferventes prières , qu'ils
accompagneront d'aumônes & de toutes fortes de
bonnes oeuvres «.
François -Céfar le Tellier , Marquis de
Courtenvaux , Duc de Dondeauville , Comte
de Tonnerre , Baron d'Ancy-le -Franc & de
Montmirail , &c. Grand- d'Eſpagne de la
première Claffe , Capitaine- Colonel de la
Compagnie des Cent - Suifles de la Garde
ordinaire du Corps de S. M. , eft mort le
7 de ce mois.
Charles - Philibert - Louis de Cardeval
Comte d'Havrincourt , Meftre- de- Camp de
Cavalerie , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , Sous- Lieutenant des
Gardes- du- Corps du Roi , eft mort le 15
du mois dernier à Briare-fur- Loire.
Frère Jean de Badillac , connu fous le
nom de Frère Côme , Feuillant , qui a fi
bien mérité de fon fiècle , par l'invention
de fon Lythotôme , & par tous les fecours
défintéreffés qu'il à apportés pendant le
cours d'une longue vie , aux perfonnes
attaquées d'une des plus cruelles maladies
qui affligent l'humanité , eft mort le 8 de
ce mois , chez les R. R. P. P. Feuillans de
cette ville , dans la 79 ° . année de fon âge.
£ 6.0
( 132 )
On lit dans un Quvrage réprouvé par le Gouver
nement , page 222 , » que M. le Comte de Jonfac ,
Maréchal de Camp , cominandoit à Lauterbourg ,
» lors du paffage du Rhin par le Prince Charles
qu'il n'avoit pas tenu plus d'un heure dans ce
pofte effentiel , & qu'il avoit été mis au Conſeii de
guerre , &c. «. Il eft abfolument faux que M. le
Comte de Jonfac , ni perfonne de fon nom , ait
jamais commandé à Lauterbourg. M. le Comte de
Jonfac fervoit alors dans la Gendarmerie & n'étoit
pas même encore Brigadier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui défend les
ventes & marchés faits avec des gens de mer
pour des parts de prifes , du 12 Juin 1781. Extrait
des Regiftres du Confeil d'Etat . » Le Roi étant
informé qu'il le fait journellement dans les Ports
des marchés ufuraires pour les parts des Prifes
faites par les vaiffeaux de Sa Majefté ; que des
Agioteurs , profitant de l'empreffement que les
gens de mer ont de recevoir de l'argent comptant ,
achettent à l'avance leurs parts des prifes à des
prix fort au deffous de ce qu'elles auroient produit
par le réfultat de la liquidation : Et S. M.
voulant faire ceffer un abus auffi préjudiciable pour
les équipages de fes vaiffeaux , & même pour
leurs familles qui font fruftrées par cet agiotage
du bien- être que leur auroient procuré leurs parts
de prifes , fi elles avoient reçu la totalité de leur
montant. A quoi voulant pourvoir : Ouï le rapport
, & tout confidéré ; LE ROI ÉTANT EN
SON CONSEIL , a fait très- expreffes inhibitions
& défenfes à tous Officiers - mariniers & Matelots
des équipages de fes vaiffeaux de vendre
à l'avance leurs parts des prifes ; & à toutes perfonnes
de les acheter ou de faire aucun marché
qui y foit relatif , pour quelque caufe ni fous
quelque prétexte que ce puiffe être ; à peine d'ê
"
( 133 )
tre punis févèrement : Déclare S. M. de nul effet
tous les marchés ou autres actes de ventes & ceffions
defdites parts de prifes faits jufqu'au jour de
la publication du préfène Arrêt , fauf à ceux qui
auroient quelques répétitions à former contre lef
dits Officiers-mariniers ou Matelots , à fe pour
voir par- devant l'Intendant de la Marine ou Ordonnateur
du Département , pour y être par lui
ftatué conformément aux Ordonnances . Mande
& ordonne S. M. à Monf. le Duc de Penthièvre ,
Amiral de France , aux Intendans de la Marine ,
Commiffaires généraux des Ports & Arlenaux ,
Ordonnateurs , aux Intendans & Ordonnateurs dans
les Colonies , aux Officiers des Amirautés & à
tous autres qu'il appartiendra , de tenir la main ,
chacun en droit foi , à l'exécution du préfent Arrêt ,
qui fera enregistré au Greffe des Amirautés «.
-
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois ,
font : 22
, 17 > 9 ,, 49 & f1 .
De BRUXELLES , le 17 Juillet.
SELON les lettres de la Haye , la réſolution
prife le 2 de ce mois par les Etats-
Généraux , au fujet du Prince Louis de
Brunſwick , n'a pas entièrement fatisfait ce
Prince , dont la délicateffe l'a fait infifter fuz
la demande qu'il avoit déja exigée de L.
H. P. , d'une recherche exacte & rigoureufe
, d'après laquelle feule , il pouvoit fe
regarder comme lavé de toutes les imputations
dont on l'avoit chargé . Les Etats-
Généraux en conféquence ont arrêté le 4
( 134 )
de ce mois que cette réquifition feroit envoyée
par les députés des provinces refpectives
, aux Etats leurs principaux , pour
qu'ils faffent fur ce fujet les réflexions qu'ils
jugeront convenables .
Ils avoient demandé dans leur Réfolution
du 2 , fi chaque province ne trouveroit pas
à propos de faire chacune chez elle des règlemens
pour réprimer les Auteurs , Imprimeurs
& Distributeurs de libelles , femblables
à ceux dont le Duc a eu lieu de
fe plaindre. La province de Gueldres eft la
première qui a jugé ces règlemens néceſ
faires ; elle en a fait publier un en date
du 4 de ce mois , portant amende de 1000
florins contre les Auteurs , Imprimeurs
Diftributeurs ou Introducteurs d'écrits calomnieux
contre le haut Souverain ou le
Duc, ou autres perfonnes d'un moindre rang ,
& d'être punis arbitrairement fuivant l'exigence
des cas.
>
L'ardeur & la promptitude avec lesquelles
L H. P. ont répondu au Duc de Brunswick , lite
on dans une lettre d'Amfterdam , montrent que
dans toutes les occafions elles ne mettent pas la
même lenteur dans leurs délibérations . Nous defi
rerions qu'il y eût eu la même activité dans celles
qui avoient pour objet nos armemens de mer. On
aure q1e l'efcadre du Texel ne tardera pas à mettre
à la voile ; le Vice- Amiral Hartzink eft du moins
parti le 30 du mois dernier de la Haye ; mais il n'avoit
pas emporté les inftructions puifqu'elles lui
ont éré envoyées à Haerlem où il les a reçues. Il faur
( 135 )
2
efpérer que nos flottes fe remontreront enfin fur les
mers avec la diftinction qu'elles avoient autrefois .
La belle défenſe de la frégate la Brielle , prouve
que la Nation n'a pas perdu fon ancienne bravoure.
Le Collège d'Amiranté de la Meule a récompenfé
les Officiers & l'équipage de cette frégate ; les deux
Lieutenans , MM . J. F. Van de Capelle , Otter-Guillaume
Gaubens , ont obten: une penfion de 300 florins
, & tous les autres Officiers , Soldats & Mate
lots ont reçu une gratification de 25 ; le Capitaine
fera fans doute récompenſé auffi d'une manière dif
tinguée. On apprend de Fleffingue que le corfaire le
Niet-Verwagt , Capitaine Brown eft rentré avec 15
rançons de is navires pêcheurs , dont il s'eft emparé
le 1er de ce mois , & qu'il a rançonnés pour 200 gui
nées chacun , à l'exception d'un feul qui fe trouvoit
un vieux navire appartenant à un pauvre homme , &
pour lequel il s'eft contenté de 100 guinées . Il auroit
fait encore d'autres prifes , fi un vaiffeau de guerre
Anglois , qui venoit à lui fous pavillon Danois , ne
Feût obligé de fe retirer .
Le Capitaine H. de Rook , comman
dant la frégate la Concorde , expédiée le 29
Janvier dernier de Lisbonne par le Comte
de Byland , pour porter aux Indes occidentales
la nouvelle de la rupture avec l'Angleterre
, de retour le 24 Juin , a fait le rapport
fuivant de fa miffion.
2
Le 7 Mars , il donna l'avis dont il étoit porteur
à la Colonie de Surinam ; le 17 il arriva à
la rivière de Berbice , & le lendemain il détacha
le Lieutenant Zeegers avec une chaloupe à terre ,
pour porter le même avis au Gouvernement. Le
Lieutenant revint avec la fâcheufe nouvelle que
depuis huit jours cet Erabliffement s'étoit rendu
aux Anglois. Ayant remonté la Berbice & mis
( 136 )
pied à terre , M. Zeegers avoit trouvé la fortereffe
brûlée , ainfi que les maifons voisines , &
tout ruiné de telle forte , qu'il n'y avoit plus
pierre fur pierre ; perfonne ne paroiſſant , il remonta
encore la rivière pendant deux milles
& débarqua à la Plantation Ithaca , le Doc
teur Hobus lui apprit que le 7 ou le 8 , le
Gouverneur avoit reçu des lettres d'Effequibo &
de Demeray , qui lui annonçoient la prise de ces
Etabliffemens , ainfi que celle de Saint - Eustache
& de Curaçao. ( Cette dernière heureufement ne
s'eft pas confirmée ) Le lendemain , il fit marcher
40 hommes vers la Fortereffe qui eft au bas de
la rivière , pour en foutenir la garnifon , qui ne
confiftoit qu'en un Lieutenant & douze foldats ;
mais avant l'arrivée de ce détachement , un vaiffeau
de 36 canons avoit mis à terre à la pointe
orientale , 40 hommes bien armés , qui avoient
pris pofte derrière le bois ; enfuite ce vaiſſeau ,
accompagné d'un cutter corfaire de 20 canons ,
s'étoit avancé & avoit battu la Fortereffe pendant
qu'on l'attaquoit par terre , & l'avoit forcée de fe
rendre. Après cela les Anglois remontèrent la
rivière , ravagèrent , brûlèrent & détruifirent la
plupart des Plantations. Ce vaiſſeau de 36 canons
étoit encore dans la rivière , & à peu de diſtance.
Le Lieutenant Zeegers ne voulant rifquer ni fa
chaloupe ni fon équipage , regagna la Concorde ,
qui n'ayant pas de forces fuffifantes pour reconquérir
l'établiffement , le quitta & alla mouiller à
la Grenade le 23 Mars. Le Comte de Durat l'informa
de l'état des affaires aux Iſles ; il lui apprit
que le Gouverneur de la Martinique immédiament
après la prife de Saint-Euftache , avoit
envoyé avis de la déclaration de guerre à Curaçao.
Pendant que la Concorde mouilloit à la Grenade
, elle y vit arriver une goelette avec 100
>
167 )
hommes , pour renforcer la gainifon de l'Ifle. Le
Capitaine Roock y répara fa frégate , fit de l'eau
& revint en Europe ".
La lettre fuivante de Saint- Chriſtophe ,
en date du 6 Avril , contient les détails
fuivans de la prife des Berbices .
Avant-hier après - midi , l'Armateur particu
lier , le Regulator , Capitaine James Walcot ,
arriva ici avec deux gros vaiffeaux Hollandois ,
qu'il avoit pris à l'Etabliffement des Berbices
ainfi qu'un 3e. qu'il avoit envoyé à Montferrat . L'Etabliffement
Hollandois s'étoit rendu peu après fon
arrivée dans la rivière ; il y avoit pris & détruit
la première Plantation qui s'étoit trouvée fous
fa main , ce qui avoit fait une telle impreffion
fur le refte , qu'il capitula fur le champ. Un des
premiers articles de la capitulation fut que le
premier Planteur ruiné feroit dédommagé par la
Communauté en général . Le Capitaine Walcoft
emmena avec lui les foldats Hollandois qu'il
trouva , & entr'autres , toute leur mufique , de
manière que le vingt-huitième régiment pourra
s'en procurer une. Les prifes , peuvent valoir
70,000 liv . fterl . Il s'eft rendu hier auprès de
l'Amiral , à qui il a préfenté la capitulation qu'il
a faire avec le Gouverneur des Berbices . Il a
laiffé dans la rivière un navire qui étoit chargé
de provifions qu'il a vendu aux habitans , parce
qu'ils fe trouvoient dans la difette ; ils les chatgeront
de leurs productions en retour des provifions
qui leur ont été accordées , & la chaloupe le
Trimmer l'amenera ici « .
Voici la copie de la capitulation accordée
par l'Admiral Rodney & lé Général Vaughan ,
aux habitans de Demerary & d'Effequibo ;
elle eft du 14 Mars dernier.
[ 1307
connu. ----
Les habitans de Demerary & ceux des bancs de la -
rivière d'Elfequibo & dépendances , s'étant rendus à
difcrétion aux armes de S, M. B. il leur eſt accordé
par les préfentes de refter en pleine poffeffion de
leur propriété , & d'être gouvernés par leurs loix
actuelles , jufqu'à ce que le plaifir de S. M. foit
Toute la propriété , les magaſins , les
provifions , &c. appartenant à la Compagnie Hollandoife
des Indes Occidentales , feront délivrés
aux Officiers de S. M. B. Les habitans prêteront
ferment d'allégeance & feront reçus fous la domination
de la Grande-Bretagne. Il leur fera permis
d'exporter leurs productions dans la Grande-
Bretagne ou dans les Ifles Angloifes de Tobago
& de Barbade , en employant des bâtimens Anglois ,
& ils feront traités à tous égaris comme des fu
jets Britanniques , jufqu'à ce que S. M. ait fait connoître
fon plaifir. Le Commandant & les autres
Officiers ont la permilion de paffer en Hol
lan le fur des vailleaux Parlementaires , emportant
avec eux leurs effets de toute eſpèce quelconque.
Les troupes jouiront de la même indulgence « .
-
Les habitans de ces deux établiſſemens ont
été comme l'on voit bien mieux traités que
ceux de St-Euftache , ces derniers qui n'ont
pas fait plus de défenſe , parce qu'ils n'étoient
pas même en état de réfifter à des
forces auffi fupérieures , qui s'étoient rendus .
à difcrétion & confié à l'honneur , à l'hu-`
manité & à la juftice des Commandans Anglois
, avoient fans doute droit à être traités
de même ; on a fu comment ils l'ont été ;
auffi ne doit-on pas être étonné de la haîne
qu'il a infpirée aux habitans infortunés de
( 139 )
cette ifle ; elle eft fi vive , & ils la manifeſtent
avec tant d'éclat , que l'Amiral pendant
le long féjour qu'il y a fait , n'ofoit
plus coucher à terre , & que tous les foirs
il fe retiroit fur le Sandwich. Dès qu'il revenoit
à terre , il n'entendoit de toutes parts
que des infultes & des propos menaçans.
Nous recevons de Cadix une lettre qui
contient les détails fuivans :
―
--
» M. le Duc Crillon eft arrivé aujourd'hui 26 ;
les troupes ne vont pas tarder à s'embarquer , &
l'activité du Chef nous répond qu'elles ne resteront
pas long tems en rade. Le convoi de Marfeille ,
Fourroit fortir s'il n'étoit pas retenu par le vent.
Six gros vailleaux de regiftre partent avec lui.
Cette flotte , outre l'efcorte qu'elle a déja , fera
convoyée par deux de nos vailleaux de ligne , qui
ne la quitteront qu'à une hauteur où la navigation
ne pourra pas être troublée. Un corfaire de 24
canons , prife de la Friponne , eft entré dans cette
baie , il y a 3 ou 4 jours ; l'Officier qui l'a amarine
s'étoit trouvé avec M. de Macnemara , fon Commandant
à la rade de Fayal , lorfque le Capitaine
Prefcort de la frégate le Mercury , qui y étoit mouillée
, tint des propos un peu légers fur le traitement
qu'il feroit à la Friponne , s'il la trouvoit en mer;
ce qui lui attira la lettre fuivante du Capitaine Fran
çois.-M. , dans toute autre circonftance que celle
où nous nous trouvons , j'aurois recherché l'occafion
de faire connoiffance avec vous , & avec d'autant
plus d'empreffement , qu'on ne m'a point laiffé
ignorer les qualités intéreffantes que vous poffédez ,
j'ai d'ailleurs été très - ſenſible aux offres de fervice
que vous m'avez fait faire . L'intérêt de nos Sou
verains nous éloigne de fociété , & dès - lors nous ne
( 140 )
pouvons être rapprochés que par le fort des armes .
Un tems plus heureux viendra , j'efpère , où l'épée
remife dans le fourreau , nous pourrons nous connoître
, & peut-être nous plaire ; mais quant à préfent
, je fais que je ne dois être animé que du defir
de bien fervir mon Roi & ma patrie . Je borne donc
aujourd'hui ma prétention à votre eftime , & je
crois , fans présomption , avoir tout ce qu'il me
faut pour la mériter. Vous connoiffez la force de
la frégate que je commande' ; je connois aufli celle
de la frégate que vous commandez ; la différence
eft en ma faveur ; d'après cela , je ne puis vous
propofer de fortir ; ce feroit une bravade dont les
Officiers ne font point fufceptibles . Les Gazettes
Angloifes me tombent quelquefois fous la main ; j'y
ai vu fouvent la vérité altérée dans les évènemens
qui intéreffent ma Nation ; heureuſement que cela
ne fait rien contre le Droit Canon. Je ne crains
point cette altération dans l'article qui fait mention
de notre rencontre en cette rade , s'il eft établi ,
d'après le compte que vous en rendrez , parce que
j'espère , M. , que vous n'y ferez paroître mon nomi
que comme il mérite d'y être , d'après la conduite
que je tiens vis - à- vis de vous. Mes affaires étant
finies , je vais mettre à la voile , & ne quitterai de
vue cette rade qu'au foleil couchant : je ne puis
pas actuellement vous fouhaiter des fuccès militaires
; à cela près , je vous defire tout ce qui peut
vous être perfonnellement agréable . Je fuis , &c.
-
Le Capitaine Prescott ne jugea pas à propos de
porter lui -même fa réponſe à la Friponne , qui
l'attendoit , quoiqu'il pût fe faire fuivre par une
corvette & un cutter Anglois qui étoient en rade
avec lui. Les Portugais le couvrirent de brocards
jufqu'au moment de fon départ , qui n'eut lieu que
lorfqu'il fut sûr que la Friponne n'y étoit plus.
( 141 )
P. S. Le vent étant devenu favorable , le convoi
de Saint- Domingue fe met en mouvement , &
dans quelques heures , nous le verrons s'éloigner «
сс
Quelques perfonnes , écrit - on de Paris ,
ont reçu , du Havre , copie d'une lettre
écrite par un Matelot de l'efcadre de M.'
de Suffren , en date du 28 Mai , à bord
du Romney , dans la baie de Praya. On en
conclut que Johnſtone y étoit encore à
cette époque ou que s'il a continué fa
route , il y a laiffé le Romney & l'Ifis
trop maltraités pour le fuivre.
,
>
Le 23 Mai , écrit-on de Livourne , on
a vu entrer dans ce port un navire Danois
qui naviguant de Smyrne à Oftende
avec différentes marchandiſes & non - prohibées
, avoit été pris par un corfaire Mahonois.
Ce nouvel attentat Anglois contre
la liberté des mers , paroîtra d'autant plus
étonnant , que Smyrne , Oftende , le navire
& fon chargement , tout étoit dans le cas
de la neutralité la plus parfaite.
Le mariage du Prince Antoine de Saxe
avec la Princeffe Antoinette de Sardaigne ,
été déclaré le 24 Juin à Drefde. Il y eut
à cette occafion gala à la Cour.
Le Comte de Fontana , Envoyé extraordinaire
du Roi de Sardaigne à Berlin , eft
arrivé à Drefde , revêtu du même caractère
à cette Cour ; il a eu fes premières audiences
le 23 de ce mois.
112
( 142 )
PRECIS DES GAZETTES ANGL. , du 10 Juillet.
ON continue d'affurer que l'Ifle de Ste-Lucie eft en
la poffeffion des François ; il fe débite auffi qu'il y a
ea un fecond combat dans lequel l'Amiral Rodney a
été fait priſonnier ; mais cette dernière nouvelle eſt
généralement révoquée en doute.
Il eſt arrivé hier à l'Amirauté un Exprès avec des
dépêches de l'Amiral Darby , datées de Torbay le 7,
par lefquelles il annonce qu'il eft entré le matin avec
l'efcadre à fes ordres , pour recevoir les proviſions &
les munitions qui y avoient été apportées auparavant
pour fon ufage par des bâtimens vivriers & munitionnaires
. Il ajoute qu'il s'attend à être joint inceffamment
par plufieurs vaiffeaux de Portsmouth & de
Plymouth , appartenant à l'efcadre de l'oueft , &
qu'enfuite il ne perdra pas un moment à remettre en
mer pour aller à la recherche de l'efcadre Françoiſe ,
fortie depuis peu de Breſt ſous le commandement de
M. de Guichen. Les vaiffeaux l'Alexandre & le
Courageux , de 74 , que l'on ſuppoſoit partis pour
les Indes ont paru aux Dunes , où ils ont pris avec
eux quelques frégates & des pilotes . On les dit actuellement
devant les côtes de Hollande . Un bâtiment
arrivé à Oftende , le jour que le paquebot en appareilla
, dit que cette petite eſcadre étoit à la hauteur
de Fleffingue le 6 , & que le Lord Mulgrave faifoit
les préparatifs néceffaires pour attaquer fans délai
cette place. On forme diverfes conjectures fur l'objet
de cette expédition .
-
Les bagages & les munitions de mer , &c. de l'Amiral
Digby ont été envoyés hier à Plymouth , &
le foir le Prince Guillaume-Henri a dû prendre congé
avec lui de la Famille Royale à Vind or . On dit que
cer Amiral appareillera le 12 pour l'Amérique ; il y a
long-tems qu'il devroit être parti , mais le Gouver
( 143 )
nement voudroit avoir auparavant , s'il étoit poffi .
ble , des nouvelles des Ifles . Le vent a toujours
-
été très- contraire depuis le départ de la flotte pour
New -Yorck , cequi , felon toute les apparences , l'obligera
de rentrer . On eft furpris qu'une flotte auffi
précieuſe ſe foit miſe en mer avec un fi foible convoi
, tandis que l'Amiral Digby doit fortir avec
fon efcadre fous peu de jours.
Le 4 après-midi , écrit-on d'Edimbourg , la flotte
de la Jamaïque eft fortie de la rade de Leith pour
les Dunes. Au moment où elle partoit eſt arrivé un
Exprès avec des dépêches de l'Amirauté , & auffi-tôt
on a envoyé une chaloupe à cette flotte ; mais un
vent frais qui s'eft élevé tout-à- coup a empêché
cette chaloupe d'approcher de la flotte pour lui
faire voir fon fignal.
Oa dit que les il a été ordonné dans un Confeil.
Privé que le Lord Dunmore retourneroit immédiate.
ment à fon Gouvernement de Virginie , avec les Of
ficiers Civils appartenans à cette Province. A leur arrivée
ils doivent travailler à rétablir l'ancienne Jurisprudence
Municipale. Ces difpofitions font voir
que le Gouvernement regarde cette Colonie comme
annexée de nouveau à la Couronne de la Grande-
Bretagne.
Ce matin , on a reçu des dépêches venant de
Quebec, apportées par le Terrible , arrivé aux Dunes
après une traversée de 20 jours. Elles annoncent
que les 20 bâtimens partis de nos ports , & dont
quelqus-uns font chargés richement, y font arrivés
en bon état .
Le Sultan & le Magnanime , formant l'escorte
de la flotte pour l'Inde , étoient partis de Plymouth
le i de ce mois ; le 2 , la flotte a été difperlee
par un coup de vent ; le Naffau , l'un des
bâtimens qui la compofent , eft rentré. La Com.
( 144 )
pagnie a reçu de très-mauvaifes nouvelles de ces
Contrées ; nos Etabliffemens y font, dit- on , dans
la fituation la plus critique ; les forces d'Hider ›
Ali s'y font prodigieufement augmentées , & les
Naturels du pays irrités des innovations que la
Compagnie a faites dans leurs loix , & fur- tout
de la hauteur de fes Employés , font prêts à prendre
les armes. Quoiqu'elle cache avec foin les
détails , fes actions ont confidérablement baillé
depuis trois jours ; & s'il faut en croire ce qu'on
débite , les alarmes font très- fondées . Le 6 de ce
mois , les Directeurs s'affemblèrent pour prendre
en confidération les dernières dépêches apportées
de l'Inde , par terre , par M. Shakeſpeare. Il a été
expédié de Bengale , & a paffé par Bombay ; il a
lui-même rendu compte aux Directeurs de l'état.
actuel des affaires . Ses réponſes fur cet objet ont
occupé prefque toute la féance , qui a duré toute
la journée. On garde le plus profond filence fur
les détails de cet examen,
La Cour , de France a demande , dit - on , formellement
, au Secrétaire d'Etat du Département
du Sud , qu'on lui remît le fameux Luc Ryan
actuellement dans les prifons d'Angleterre , comme
rebelle , étant Irlandois , & ayant précédemment
été employé au fervice Britannique . Les François
allèguent , dit-on , pour raifon de cette réquifition ,
que lorfqu'il a fait tant de prifes fur le commerce
d'Angleterre , il étoit muni d'une commiffion
du Roi de France , & qu'en conféquence
il doit être regardé comme Officier François , &
fufceptible d'être échangé par le cartel. S. M. a
renvoyé le jugement de cette affaire au Procureur
& à l'Avocat-Général , dont on attend la décifion
, pour donner une réponſe à la Cour de Ver
failles.
1
༣ །
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 20 Juin.
LA Cour continue fon féjour à Czarsko-
Zelo , d'où le Grand-Duc & la Grande - Ducheffe
viennent quelquefois faire un tour
dans cette Capitale , & retournent le même
jour à ce Château. Au commencement de
ce mois la Grande- Ducheffe pofa la première
pierre d'une Eglife qu'elle fait bâtir à Pawlowski
près de Czarsko - Zelo .
S. M. I. fe propoſe d'établir une nouvelle
'Académie qui ne fera pas un des moindres
monumens de fa munificence , & de la faveur
qu'elle accorde aux arts utiles. Les
revenus qui feront affignés à cet établiffement
feront de 240,000 roubles ; on n'y
admettra que des Ruffes ; ils ne pourront
Le préfenter pour y être admis , fans prouver
qu'ils auront paffé fept ans chez l'étranger
, & fans fubir enfuite un examen
28 Juillet 1781. g
( 146 )
::.
rigoureux. Ses travaux la' partageront en 6
claffes. La première fera confacrée à l'Agriculture
; il y aura 6 Profeſſeurs de cet
art qui resteront dans l'Empire , & 6 autres
qui voyageront chez l'étranger pour y recueillir
toutes les connoiffances fur cet objet
important. La feconde confacrée aux Manufactures
occupera 4 Profeffeurs qui feront
leur réfidence dans cette Capitale , &
3 qui voyageront chez l'étranger. La troifième
aura pour objet le Commerce , & occupera
12 Profeffeurs , dont 6 dans l'Empire
, & 6 qui voyageront. La quatrième fera
deftinée à la perfection de la Géographie ;
elle fera remplie par 4 Profeffeurs , 36 Arpenteurs
, & 136 Aides- Arpenteurs qui feront
chargés de fournir un Atlas complet
& exact de tout l'Empire. La cinquième
confacrée à l'Hiftoire Naturelle , aura 20
Profeffeurs , & il y en aura 40 pour la
fixième , dont l'objet fera les Beaux Arts,
DANEMAR C K.
De COPENHAGUE , les Juillet.
L'ESCADRE Ruffe qui mouilloit dans cette
rade eft partie hier pour la mer du Nord .
Le 2 , l'efcadre Suédoife & plufieurs navires
de différentes nations au nombre de
94 , avoient également fait voile du Sund.
On y a vu entrer aujourd'hui 382 bâtimens
Anglois fous le convoi d'une frégate
de 48 canons , une de 32 , une de 20 , &
( 147 )
un cutter de 16. Le refte du convoi confiftant
en 5 vaiffeaux de ligne , 3 frégates &
5 cutters fous les ordres de l'Amiral Parker
, s'en étoit féparé près de Schagen.
» Le Lieutenant Lutker , écrit on de Saint-
Thomas , depuis quelques années croife avec
un fénaut de 18 canons le long des côtes des colonies
Danoiles , pour tenir en refpect les corfaires
Anglois ; malgré la vigilance , trois ont encore
eu l'audace de chaffer un bâtiment Eſpagnol juf.
ques fous le canon de Saint-Thomas ; ils ont nonfeulement
continué à le canonner , mais ils ont
encore tenté , au nombre de 38 hommes , de s'en
emparer , ce qui ne leur a pas réufli . Onze de ces
déle pérés ont été arrêtés & font détenus ici ; les
autres ont été aflez heureux pour s'échapper. Le
Lieutenant Lutker , auffi -tôt qu'il a été inftruit de
- cette affaire , a donné la chaffe à ces pirates ; deux
dont l'un eft fort endommagé , lui ont échappé ;
mais il a pris le troifième , dont les canons &
l'équipage ont été mis à terre «‹.
On apprend qu'un corfaire Anglois qui
avoit fait une defcente à l'ifle Ferroë , a été
pris par une fregate de cette nation qui l'a
conduit à Londres où il fera jugé comme
forban.
On dit que le Chambellan Berringfchiold,
dont on a annoncé il y a quelque tems la
détention , eft condamné par S. M. à demeurer
enfermé le refte de fes jours dans
la fortereffe de Friderichshaven ; on l'accufe
d'avoir entretenu des correspondances
illicites.
Les navires de la Compagnie Afiatique
le Riguerues- Encke & le Tranquebar , arri-
›
g 2
( 148 )
vés ici le 26 & le 29 du mois dernier ,
ne nous ont apporté aucune nouvelle de
l'état de la guerre que fait Hyder - Aly à la
Compagnie Angloife dans l'Inde ; mais ils
nous ont appris que nous avons perdu deux
de nos Millionnaires ; que 158 enfans , 29
Payens & 21 Indiens Catholiques , ont embraffé
le Luthéranifme ; le nombre des perfonnes
qui ont été reçus à cette profetiion
de foi , monte fuivant les regiſtres , à
16,556 perfonnes .
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 9 Juillet.
DES gens arrivés ici nouvellement de
la Moldavie , ont apporté la nouvelle fuivante
: les Turcs avoient voulu conftruire
auprès de Bender une nouvelle fortereffe ;
ils avoient même déja raffemblé 12,000 ouvriers
; le Khan des Tartares s'eft non -feulement
oppofé à cette entrepriſe , mais il a
encore chaffé les ouvriers qui étoient déja
occupés à cette conftruction. Si ce fait eft
vrai , on eft fort curieux de favoir de quelle
manière la Porte recevra cette nouvelle.
La ville de Brody , fituée dans le Royaume
de Gallicie , fur les frontières de la Pologne ,
a reçu de l'Empereur des priviléges confidérables
pour l'avancement de fon commerce
; cette ville fe trouve par ce moyen auffi
avantagée que Triefte . Tout fon territoire qui
( 149 )
s'étend jufqu'à 4 milles dans fon circuit ,
jouit des mêmes priviléges.
On apprend que Czernowicz , Capitale
de la Buckowine , a été menacée du danger
le plus imminent. 16 bandits avoient formé
le projet de mettre le feu aux quatre coins
de cette ville , & de profiter de la confuſion
qu'un pareil malheur devoit occafionner ,
pour voler & piller avec fûreté ; ce complot
abominable a éré heureufement découvert ,
& s de ces fcélérats font arrêtés.
ALLEMAGNE..
De VIENNE , le 6 Juillet.
L'ARCHIDUC Maximilien eft arrivé ici le
2 de ce mois , de retour du voyage qu'il a
fait dans l'Empire. Comme l'Empereur lui
avoit laiflé le choix d'occuper le Château
d'Hertzendorf ou celui de Schonbrun , ce
Prince s'eft déterminé pour ce dernier , où
tout étoit prêt pour le recevoir. On affure
que l'Empereur fera de retour dans cette
Capitale vers le milieu du mois d'Août
prochain .
On apprend de Conftantinople , que le
9 du mois dernier , le Baron de Herbert-
Rath-Kheal , Internonce de cette Cour auprès
de la Porte , fit fa première vifite folemnelle
au nouveau Grand-Vifir , dont il reçut
les plus grands témoignages de dévouement
pour fon Souverain , & d'eftime pour fa Perfonne.
Les mêmes lettres ajoutent qu'on y a
g 3
( 150 )
publié un firman de S.H. , portant en fubftance
, que fa chère amie Marie-Thérèſe , Impératrice
& Reine de Hongrie , étant morte ,
& fon fils l'Empereur Jofeph II lui ayant
fuccédé , & fouhaitant d'entretenir une
amitié indiffoluble avec ce Prince , Elle
ordonne expreffément à tous fes Gouverneurs
, & à tous les Mufulmans , d'en ufer
envers les Sujets de l'Empereur Jofeph II ,
comme de bons amis & voifins , fous peine
à tout Mufulman ou Sujet de S. H. d'être
puni de mort
De HAMBOURG , le 10 Juillet.
Tous les Cabinets de l'Europe paroiffent
aujourd'hui dans un mouvement général &
continu ; le fecret de leurs opérations éveille
la curiofité qui tente vainement de les pénétrer
, & fe repaît de mille nouvelles vagues
& fouvent très contradictoires. Le
Courier que le Miniftre de Vienne à la Cour
de Ruffie attendoit depuis long-tems , arriva
enfin à Pétersbourg le 3 du mois dernier ;
le Miniftre fe renditfur-le-champ à Czarsko-
Zelo ; depuis ce tems , on a remarqué qu'il
a eu plufieurs conférences avec le Vice-
Chancelier Comte d'Oftermann , & qu'il
renvoya fon Courier à Vienne le 9. L'objet
de ces dépêches & de ces entretiens n'en
eft pas mieux connu ; on ſuppoſe qu'il eſt
relatif aux ouvertures de paix à faire aux
Puiffances belligérantes , de la part de l'Empereur
, de l'Impératrice de Ruffie , & vrai
( 151 )
AM
femblablement du Roi de Pruffe ; car on ne
doute point que ce dernier n'entre pour
quelque chofe dans ces négociations importantes.
On fuppofe du moins que ce n'eft
pas fans motif que le Comte de Nugent ,
Lieutenant-Général au fervice de la Maifon
d'Autriche , ci-devant Envoyé de la Cour
de Vienne à celle de Pruffe , s'eſt rendu à
Berlin , où l'on a vu auffi le Comte de
Bruce & le Comte de Romanzow , qui s'y
font arrêtés en allant à Spa , & qui ont eu
quelques entretiens avec S. M. à Poftdam .
Les Hollandois , dont les armemens font
lents , & dans lefquels on n'a vu encore
aucune activité depuis la déclaration de
guerre qui les a féparés de la confédéra
tion des Puiffances neutres , paroiffent ne
les avoir fufpendus que parce qu'ils comptoient
fur les fecours de leurs alliés ; depuis
qu'ils font déchus de cet efpoir , ils n'ont pas
fait de plus grands efforts , & ils ont encore
follicité , mais vainement , une protection
qu'il feroit tems qu'ils fongeaffent à ſe donner
à eux- mêmes.
» Le Conful de la République ici , écrit- on de
Cadix , inftruit que l'efcadre Ruffe qui mouille
dans notre Baie fous les ordres du Vice- Amiral
Boriffow , alloit mettre à la voile pour la Balti-"
que , écrivit le 1 Juin au Conful de Ruffie , pour
le prier de propofer à M. Borifſow , d'escorter
jufqu'à la hauteur du Texel plufieurs navires Hollandois
prêts à faire voile de Cadix , & de tranfporter
en Hollande l'équipage du vaiffeau de guerre
3
8 4
( 152 )
-
Hollandois la Princeffe Marie-Louiſe , qui ne pou
vant plus tenir la mer , a été vendu dans ce port.
Le Conful Ruffe ayant communiqué cette demande
au Vice- Amiral , celui - ci y a fait la réponſe fuivante
le 9 du même mois. » Je ne puis convoyer
les navires Hollandois fans un ordre pofitif de
l'Impératrice notre Souveraine. Quant au tranf
port en Hollande de l'équipage Hollandois du
vaiffeau la Princeffe Marie-Louife , il m'eft impoffible
de m'en charger , parce que je n'ai pas de
place , & que mes équipages font complets «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 30 Juin.
LES Généraux & partie des troupes qui
doivent s'embarquer font arrivés ici , & l'on
n'attend plus que 2 régimens. Il y a eu ordre
de fréter encore plufieurs petits bâtimens
qu'on charge de toutes fortes de proviſions
& de munitions de guerre. Ces nouveaux
préparatifs femblent indiquer qu'on veut
attaquer une place forte ; & nous fommes
ici abfolument déroutés fur l'objet de cette
expédition ; aujourd'hui il paffe pour conftant
qu'elle menace la pointe d'Europe ;
demain peut- être on en reviendra à l'attaque
de Minorque . Quoiqu'il en foit cet armement
peut être dirigé contre toute poffeffion
qu'on voudra défigner ; & l'ardeur des
Chefs , celle des troupes promettent du
fuccès.
Les difpofitions devant Gibraltar font
( 153 )
toujours les mêmes ; nos lignes & nos chaloupes
continuent leur feu ; celui des ennemis
n'a abouti qu'à bleffer légèrement
quelques- uns de nos foldats ; au lieu qu'à
en croire le rapport de plufieurs déferteurs ,
plus de 800 perfonnes ont été tuées dans
la place , depuis qu'on s'eft décidé à la
bombarder toutes les nuits .
Le convoi des Antilles a difparu le 28 ;
il ſera aſſez bien eſcorté juſqu'aux Açores
pour ne rien craindre des frégates & des
corfaires ennemis.
Les nouvelles de Buenos - Ayres font trèsfatisfaifantes
; la rébellion a été étouffée dans
fa naiffance ; le chef principal a été pris &
puni de mort ; on étoit à la pourfuite de fon
fecond qui ne pouvoit échapper.
>
» Il doit partir inceffamment de ce Port , écrit.
on de Lisbonne , une efcadre qui eft composée
d'un vaiffeau de 74 canons & 650 hommes
d'équipage ; un de 64 , & 600 hommes d'équipage
; un de 30 & 250 hommes . La véritable
deftination de ces trois vaiffeaux n'eft pas encore
connue ; mais on préfume qu'ils doivent veiller
fur les démarches des Anglois dans. l'Amérique Mé .
ridionale . Le navire qui étoit en croifière à la
hauteur des Açores , pour prévenir les vaiffeaux de
la Compagnie Hollandoife des Indes Orientales ,
de la rupture avec la Grande- Bretagne , a été pris
par un corfaire Anglois , qui , après avoir
tranfporté l'équipage à fon bord , a brûlé le bâ
timent *.
*
g S
( 154 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Juillet.
LE 14 de ce mois la Gazette ordinaire de
la Cour a publié les extraits de quelques
dépêches apportées par le paquebot le Sandwich
, parti de New-Yorck le 14 Juin.
La premiere eft da Général Cli ton , qui apprend
au Ministère , que fur la nouvelle qu'il avoit
reçue du Général Phi'ips , il fe propofoit d'envoyer
le Général Robertfon pour prendre le commandemeat
de l'armée en Viginie ; mais qu'inftruit enfite
de l'arrivée du Lord Cornwallis dans cette
Province , il a retenu M Robertfon. Il eſt porté
à croire que le Lord ne pouvant manquer d'être
bientôt informé de l'arrivée du dernier renfort
envoyé de New -Yorck dans la Chéfapeak , & devant
favoir que l'Amiral Arbuthnot étoit en mer
il marchera contre le Marquis de la Fayette ,
qu'il penfe ne pouvoir lui échapper.
A la fuite de cette lettre , fe trouvent les extraits
de plufieurs qu'il dit avoir été interceptées.
Les deux premieres font du Général Washington
au Marquis de la Fayette , datées toutes deux de
New Vindfor le 31 Mai. Par l'une , il lui confi : me
l'avis qu'il lui a déja donné du départ d'un corps
de 1500 à 2000 hommes fortis de New-Yorck ,
& alors arrivés ou dans la Chéfapeak , ou un peu
plus avant vers le Sud. It approuve la réfolution
qu'il a prife d'éviter un engagement avec fes forces
actuelles , & lui annonce l'efpeir qu'il a , quoiqu'il
n'en ait pas encore la certitude , que les Penfylvaniens
font en marche . L aurre lettre eſt
confidentielle. Le Général a eu à Weaterfield un
entretien avec le Comte de Rochambeau , qui n'a(
155 )
W
voit avec lui que le chevalier de Chatelux ;
ap ès avoir mûrement confidéré nos affaires fous
tous les points de vue , ajoute - t il , nous avons regardé
une tentative fur New Yorck , dont nous
croyons que la garnifon actuelle ne confifte qu'en
4500 hommes de troupes réglées , & environ
3400 de non - réglées , comme préférable a une
expédition du côté du Sud , parce que nous ne
fommes pas maîtres de la mer. Les dangers des
chaleurs prochaines , la difperfion & la perte inévitable
d'hommes pendant une fi longue marche ,
la difficulté des tranfports , & fur - tout la perf
pective apparente de déloger l'ennemi , ou de rappeller
une partie de fes forces des parties méridionales
, ce qui feroit d'un fecours effectif à ces
Etats , ont appuyé cette détermination . Les troupes
Françoifes fe porteront ici aufli tôt que certaines
circonftances le permettront ; elles lailleront environ
200 hommes à Providence , avec les groffes
munitions , & environ co hommes de miiice à
Rhode Island , pour la garde des ouvrages , & c. L'attente
des hommes , des fecours & des provifions
doit retarder l'exécution de ce plan , dont il eft
encore queftion dans une troisième lettre du Général
Washington au Général Sullivan ; & dans une
autre du Comte de Earras , commandant l'efcadre
Françoife , au Chevalier de la Luzerne , à Philadelphie.
Cette collection de lettres eft terminée par une
copie d'une du Marquis de la Fayette au Général
Washington , datée de Wilton fur la rive Septentrionale
de la rivière James , le 18 Mai. Chargé
par le Général Gréen du commandement des troupes
dans la Virginie , il rend compte des mouvemens
de cette armée & de celle des ennemis .
Lorfque le Général Philips fe retira de Richmond ,
fon projet étoit de s'arrêter à Williamsbourg pour
y lever les contributions qu'il avoit impofées , ceсе
86
( 156 )
qui me fit prendre le parti de me pofter entre les
rivières de Pamuki & de Chickahomani , qui cou.
vrent également Richmont & quelques autres parties
intéreffantes de l'Etat , & d'où je détachai le
Général Nelfon avec quelques milices vers Williamsbourg.
Le Général Philips deſcendu juſqu'à
cette place , parut déceler l'intention de débarquer.
Sur des avis reçus de Portſmouth , il remonta la
rivière ; je conçus que fon projet étoit de m'éloi
gner de Richmond , où je retournai & raffemblai
ma petite force. Informé le même jour que le
Lord Cornwallis , qu'on m'avoit affuré s'être embarqué
à Wilmington , étoit en marche dans la
Caroline Septentrionale , imaginant que les deux
armées chercheroient à s'y joindre à un point central
, je marchai à Petersburgh , dans le deſſein
d'établir une communication par les rivières Appa.
matex & James ; mais le Général Philips pric
poffeffion de Petersburg , où fon flanc éroit couvert
par la rivière James , fon flanc par l'Appamatox
, fa gauche ne pouvant être attaquée qu'au
moyen d'un long circuit entre- coupé de gués , dont
le paffage eft très incertain dans cette faifon , je
n'aurois pu , même à forces égales , en venir aux
mains avec lui fans abandonner ce côté de la rivière
& le pays d'où les renforts font attendus .
L'ennemi étant à l'abri de toute entrepriſe de notre
côté , & maître de nous forcer au combat , je
changeai de fituation , & fis prendre à la majeure
partie des troupes le chemin de cet endroit-ci à
environ dix mille au-deffus de Richmond. Les
lettres des Généraux Nash , Sumner & Jones , affirment
pofitivement l'arrivée du Colonel Tarle-.
ton , & annoncent celle du Lord Cornwallis à
Hallifax . La Caroline Septentrionale m'ayant demandé
des munitions , le Général Mulhenbourg
avec 500 hommes , eſcorte 2000 cartouches audelà
de l'Appamatox. Le Général Philips eft mort
( 157 )
le 13. Arnold commande à fa place . On n'a point
de nouvelles du Général Wayne ; il feroit dangereux
de rifquer une action avant fon retour , & c. ce
On aremarqué que la dépêche du Général
Clinton qui a envoyé ces lettres , eft du 9
Juin , & que ce n'eft que 5 jours après que
le paquebot eft parti de New - Yorck ; on
ſuppoſe avec affez de vraiſemblance qu'il a
pu apprendre quelque chofe dans cet intervalle
, & que le Gouvernement n'a pas
jugé à propos de le publier. La réunion de
l'armée du Lord Cornwallis à celle du Général
Arnold a été effectuée ; le dernier eft
revenu auffi- tôt à New-Yorck où on le difoit
très mécontent du projet qu'on avoit
eu de lui envoyer le Général Robertſon . Le
bruit couroit que pour l'appaifer , on alloit
le charger d'une nouvelle expédition fur la
côte de Connecticut ou dans la Delaware
d'autres nouvelles plus graves & fur lef--
quelles le Ministère garde le filence , donnent
beaucoup d'inquiétudes fur le Lord Rawdon;
s'il faut en croire quelques papiers , ce Lord ,
immédiatement après l'affaire de Guildford ,
fut envoyé dans les Provinces orientales
pour y défendre nos petites conquêtes ; mais
à peine y avoit- il établi quelques poftes , que
le Général Gréen ou un détachement de fon
armée s'avança ; le Lord Rawdon fe trouva
dans l'impoffibilité de hafarder un combat ;
on lui envoya un renfort de 500 hommes ,
fous les ordres du Colonel Watfon qui établit
fon quartier à Camden ; mais celui - ci
( 158 )
14
s'y voyant preffé , & ne pouvant fe flatter
de défendre cette ville , prit le parti cruel de
la réduire en cendre.
A ces nouvelles on en ajoute d'autres qui
annoncent les Généraux Gréen , W..yne &
la Fayette , réunis en un feul corps fur l'autre
bord de la rivière James ; & le Lord Cornwallis
n'attendoit pour les attaquer que le
moment où les troupes feroient un peu repofées
, & qu'il auroit ramalle quelques
provifions dont il avoit befoin . Dans la Caroline
méridionale , les peuples font toujours
foulevés , & il fe formoit rapidement de
nouveaux corps d'Américains dans la Caroline
feptentrionale.
Telles font les nouvelles fur lefquelles la
Cour garde le filence , & qui ne laiffent pas
d'inquiéter jufqu'à ce qu'on en ait reçu d'ultérieures.
On n'eft pas plus tranquille fur ce
qui fe paffe à New Yorck. On a été furpris
de trouver dans la malle Américaine interceptée
, tant de lettres & leurs réponſes ;
mais fi comme on le dit , il eft vrai que les
renforts deftinés pour le Sud ont été retenus à
New -Yorck pour défendre cette ville en conféquence
des avis interceptés , ces avis n'auroient-
ils pas été expofés à être furpris pour
donner le change au Général Clinton & l'engager
à garder auprès de lui des troupes dont
on a befoin dans les Erats méridionaux? Cette
petite politique du Général Washington , a
dû opérer une diverfion puiffante en faveur
des Etats menacés , & ne peut que faciliter
( 159 )
"
les opérations des Généraux Gréen , Wayne
& la Fayette qui auront moins de forces
à combattre.
A ces détails , nos papiers ajoutent les
fuivans :
-
» Le Lord Germaine a reçu des dépêches de
Québec , apportées par le paquebot le Terrible ,
parti le 18 Join ; tout ce qui perce de leur contenu ,
c'eft que la flotte de vivriers , partis de Corke , eft
heureuſement arrivée , malgré les bruits qui avoient
couru qu'elle avoit été prise. -L'Amiral Edwards ,
qui commande à Terre- Neuve , a informé l'Amiraité
, que le 18 Juin , il a rencontré la flotte du
Canada , Hallifax , Terre Neuve , faifant bonne
route par 43-42 de latitude , 28 40 de longitude.
Cette flotte étoit de 107 voiles & marchoit fous le
convoi des frégates le Dedalus & la Brune. Sa
lettre eft du 23 Juin. Il mande que fon projet eft
de faire entrer cette flotte à St- Jean , d'envoyer fous
convoi à Hallifax la divifion deftinée pour ce port ,
& de conduire lui - même , juſqu'à l'entrée du fleuve
Saint-Laurent , celle qui eft pour Québec , parce
qu'il a appris qu'il y a une flotte de corfaires Américains
dans ces parages pour l'intercepter « .
On lit dans les papiers Américains arrivés
par le Sandwich , que l'Etat de Penfylvanie
a paffé un acte portant création de 500,000
liv. fterl. en papier monnoie pour le foutien
de l'armée , & à l'établiffement d'un fonds
pour le rachat de certe fomme & pour
d'autres objets y mentionnés.
» Il a été porté en outre que le papier monnoie
créé , aura un cours légal , & qu'il fera reçu en
paiement dans tous les marchés , contrats , pour la
valeur de 15 fchellings les deux dollars & ainfi en
proportion pour une fomme plus ou moins forte ,
160 )
·
& qu'il aura la même valeur dans le paiement réfultant
de tel marché , contrat , acquifition , accord ,
dette & répétitions quelconques , que 2 piaftres
d'Efpagne au moulinet , pefant chacune 17 pennywhith
& 6 grains . Soixante fchellings du fufdit
papier feront reçus pour la valeur d'un demijohannes
d'or de Portugal , pefant 9 penny whith.
Et dans la même proportion pour toute les monnoies
d'or & d'argent. Cette Ordonnance aura force ,
nonobftant tout contrat , accord ou marché
entre parties à ce contraires. ·L'acte porte encore
qu'au cas où des individus des corps politiques ou
des affociations refuferoient leur papier en paiement,
ces individus ou corps feront privés à jamais de tout
recours devant un Siége ou Cour quelconque pour
fe faire adjuger leurs répétitions «.
---
Il ne fe débite rien de nouveau des ifles
du Vent. On attend toujours avec la même
anxiété des dépêches affurément trop tardives
fi elles doivent détruire les bruits fâcheux
qui fe font répandus .
L'Amiral Darby dont on n'a point jugé
ici les forces fuffifantes , dès qu'on a fu
que le Comte de Guichen avoit mis à la
mer , eft rentré dans nos ports avec fon efcadre
, foit qu'on l'ait appellé , foit qu'il ait
craint lui-même de rencontrer l'ennemi . On
affure que c'eft fur un ordre de l'Amirauté
déterminé par le même motif, que le Lord
Mulgrave a abandonné la tentative qu'il devoit
faire fur le port de Fleffingue , & que
les deux vaiffeaux de ligne qui lui avoient
été donnés , vont fe rejoindre au plutôt à
la grande efcadre .
( 161 )
Hier l'Amiral Digby n'étoit point encore
parti ; ce n'eft que ce jour que le Prince
William y eft arrivé , & a paffé fur le champ
à bord du Prince- George. On dit que l'efcadre
doit appareiller au premier vént favorable
, mais cela eft encore incertain. On
craint que ces 6 vaiffeaux n'aient attiré l'attention
de la France , & qu'elle n'ait formé
le deffein de les intercepter ; en ce cas ils
n'entreprendront leur voyage que fous la
protection de la grande efcadre qui mettra
elle-même à la voile quand elle le pourra.
que
» Aux détails déja donnés , dit un de nos papiers
, de l'état de réduction du tréfor du Bengale ,
au mois de Novembre dernier , on peut ajouter
ceux-ci : M. Haftings a mandé aux Directeurs
l'expédition de Rohilla , & les fecours envoyés
à Madras l'ont tellement épuisé , qu'il n'y a plus
les fommes néceffaires pour faire acheter les cargaifons
de 1781. La Compagnie l'ayant empêché
de tirer des lettres de change , il en a donné avis
aux Négocians & Officiers particuliers , afin qu'ils
puiffent embarquer leurs effets fur les vaiffeaux de
Ja Compagnie. On foupçonne que c'est un plan
arrêté pour envoyer en Angleterre fes effets & ceux
de fes amis. Les Directeurs lui ordonneront fans
doute de faire les emplettes pour la Compagnie &
de tirer des lettres de change pour leur montant.
En attendant , les Actionnaires feront fûrs de leur
dividende , la Compagnie ayant en fa poffeffion
une épargne équivalente à 12 pour cent , Ou à une
année & demie d'un dividende de 8. M. Haftings
voit fi clairement les fuites fatales de l'expédition
de Rohilla & de la guerre des Marattes , qu'il
en jette le blâme fur la Préfidence de Bombay.
Il déclare dans fes lettres particulières qu'il eft
( 162 ).
déterminé à faire immédiatement la paix & de con→
clure le traité avec les Marattes , fans être retenu
par les objections que la Préfidence pourroit formor
contre les claufes de ce traité . Le Chevalier
Hugues eft du même avis , & tous deux penſent
que la paix doit fe faire fur le champ , la négociation
étant fi avancée ; ils confentent à abandonner
leurs conquêtes , & les Marattes ſe joindront
aux forces de la Compagnie pour exterminer
Hyder-Aly & les François . Les premières
nouvelles annonceront probablement la conclufion
de ce traité «.
Le 13 de ce mois le fieur Lamotte fut
conduit de la Tour au Tribunal du Old-
Bailey , où on lui dit pour la forme que les
Joix lui permettoient de choifir deux Confeils
; il prit M. Dunning & M. Peckham.
Le lendemain 14 , il fut conduit à la Barre .
Les 12 Jurés ayant prêté ferment , on lut les
chefs d'accufation ; ils roulèrent fur les lumières
qu'il avoit données à la France de l'état de nos
forces navales , de leur deftination , de l'état de
nos ports , magafins , &c. Ces chefs ont donné lieu
à l'accufation de haute trahiſon ; il fut déclaré coupable
par le Juré , malgré un Plaidoyer éloquent de M.
Peckham ; parmi les témoins qui l'accufent étoit un
Lutterloh , homme vil qui l'avoit trahi , & qui
par fes confeffions encourut le mépris de tous les
affiitans qui plaignoient le fieur Lamotte , dont la
conduite fut noble , décente & ferme . Cette féance
dura 12 heures . Avant de lui prononcer la Sentence
, on lui demanda ce qu'il avoit à objecter.
-Lutterloh & Boare , ( qui avoientjuré reconnoître
fon écriture ) , fe font parjurés , répondit-il , le
dernier ne n'a jamais vu écrite ; que mon fang
jailliffe fur leurs têtes ; je n'ai pas autre chole à
dire « ----- Le Juge Buller prononça alors cette
( 163 )
Sentence. -François- Henri de la Motte , on va
vous transférer dans la prifon dont on vous a
amené ici ; de- là vous ferez conduit fur un traîneau
au lieu de l'exécution ; vous y ferez pendu
par le cou , mais non jufqu'à ce que mort s'enfuive
, la corde fera coupée , on vous arrachera
les entrailles ; on les brûlera devanr votre vilage ;
on vous tranchera enſuite la tête , & votre corps
fera coupé en quatre quartiers dont S. M. difpofera
«. Il a été reconduit à la Tour ; les marques
d'intérêt qu'on lui a montré , l'ont encouragé
à témoigner qu'il mourroit pénétré de vénération
& de reconnoiffance , fi S. M. daignoit commuer
fa peine , & ordonner qu'on lui tranchât la tête..
On ignore encore s'il obtiendra grace entière , ou
la feule qu'il defire.
-
FRANCE.
De VERSAILLES , le 24 Juillet.
LE Roi a nommé à l'Abbaye de Bonneval ,
Ordre de St- Benoît , Diocèle de Chartres
l'Evêque d'Avranches ; à l'Abbaye de Treport
, Ordre de St - Benoît , Diocèse de Rouen ,
l'Abbé de Ligniville , Chanoine de Nancy ;
à l'Abbaye de Valricher , Ordre de Citeaux ,
Diocèle de Bayeux , l'Abbé de Jaucourt ,
Grand Archidiacre & Vicaire - Général de
Tours ; à l'Abbaye d'Aumale , Ordre de
St-Benoît , Diocèfe de Rouen , l'Abbé de
Poix , Comte de Lyon ; Vicaire Général dé
ce Diocèfe ; à l'Abbaye de Royaumont ,
Ordre de Câteaux , Diocèse de Beauvais ,
P'Abbé le Cornu de Balivière , Aumônier
ordinaire de S. M. ; à l'Abbaye de Pompone ,
( 164 )
Ordre de St- Auguſtin , Diocèſe de St-Malo ,
P'Abbé Morin du Marais , Chandine de
Notre-Dame de Paris & Syndic de ce Diocèfe
; à l'Abbaye de St-Sever de Ruftan ,
Ordre de St - Benoît , Diocèfe de Tarbes ,
l'Abbé de Sahuguet d'Eſpagnac , Chanoine
de Notre-Dame de Paris , & Vicaire Général
de Sens ; à l'Abbaye de Dilo , Ordre de
Prémontré , Diocèfe de Sens , l'Abbé Burnel
de Baumais , Chapelain ordinaire de S. M.;
à l'Abbaye Royale de Paulangy , Ordre de
St -Benoît , Diocèfe de Langres , la Dame
d'Auftrade de Tourpes.
M. de Bellecombe , Maréchal de Camp ,
que le Roi a nommé Gouverneur Général
de St- Domingue , fur la démiffion du Marquis
de Vaudreuil , a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi en cette qualité par le Miniftre
de la Marine. L'Intendance de cette Colonie
,
vacante par la mort de M. Taffard ,
Maître des Requêtes a été donnée à M. de
Bongars , Préfident honoraire au Parlement
de Metz , qui a déja rempli cette place.
M. Foulquier , Baron de la Baſtide , de
l'Académie des Sciences de Toulouſe , Confeiller
au Parlement de cette Ville , a été
nommé à l'Intendance de la Guadeloupe ,
vacante par la nomination du Préfident de
Peynier à celle de la Martinique .
De PARIS , le 24 Juillet.
ON n'a point encore de nouvelles de M.
( 165 )
de Graffe. Comme il s'eft écoulé près de 3
mois depuis fon arrivée & fon combat à la
Martinique , on fuppofe que l'avifo qu'il
a envoyé a péri ou été pris dans la traverfée
; & cela eft vraisemblable , fi en effet
il en a fait partir un , & s'il n'a pas attendu
la fin de la campagne pour nous inftruire
de tout ce qu'il a fait ; dans ce dernier
cas , comme nous l'avons déja obſervé ,
nous n'aurons fes dépêches que dans le mois
prochain. Des lettres de Bordeaux arrivées
le 19 ont apporté les détails fuivans.
Le 10 de ce mois , un navire neutre mit à terre
un Officier des vailleaux du Roi , & un Négociant ,
qu'un corfaire Anglois avoit jettés fur fon bord.
L'Officier vit M. de Marchais , Intendant du Port
de Rochefort ; il eut enfuite une conférence de
deux heures avec le Maréchal de Mouchy ; & le
lendemain 11 , il fe mit en route pour Paris . Son
arrivée avoit excité la curiofité , & fon filence ;
& celui des deux perfonnes qui l'avoient vu , la
redoublèrent encore. On chercha le Négociant ;
celui - ci , que rien ne forçoit à la circonf
pection , a dit en affez mauvais François , car on
le croit Hollandois ou Hambourgeois , qu'il s'étoit
embarqué à Fort-Royal le z Juin , avec l'Officier
François , fur un bâtiment de commerce de
ee . Port , appartenant à M. Texier . La traversée
avoit été fort heureufe , lorsqu'à environ 1f
lieues de l'entrée de la rivière , ils furent enlevés
par un corfaire Anglois . L'Officier n'a dû ſa prompte
liberté qu'à fa préfence d'efprit. Voyant que
le navire ne pouvoit échapper au corfaire , il quit
ta fon uniforme , endolla un habit ordinaire , &
( 166 )
,
fe donna pour l'ami , l'aflocié du Négociant , avec
lequel il n'eut pas de peine d'obtenir du Capitaine
corfaire d'être mis fur le premier vaiffeau neutre
qu'ils rencontreroient ; ils furent aflez heureux
que d'en rencontrer un ; & deux jours
après , ils rentrèrent dans la rivière . Tel eft
fon exorde . Quant aux Officiers des Antilles
il eft dit qu'après le combat du 29 ,
qui , felon lui , n'a été qu'une fimple canonnade ,
l'efcadre Françoile n'ayant perdu tout au plus que
30 hommes , M. de Grale vint mouiller le 2
Mai à Fort- Royal , où s'étant concerté avec M. de
Bouillé , il en repartit le 10 , amenant 45co hommes
, qui , le même jour , defcendirent à Sainte-
Lucie. Tout ce qu'il ajoute enfuite fur l'attaque
qu'il dit avoir été fort meurtrière , eft très- vague &
très-peu vraisemblable ; M. de Bouillé revint le
15 à Fort- Royal , où il raffemb'a encore 3000
foldats , avec une quantité confidérable de munitions
de toute efpèce , & partit le 25 pour rejoindre
les troupes qu'il avoit laiffées à Sainte-
Lucie. Depuis ce jour - là jufqu'au 2 Juin , que ce
Négociant quitta Fort-Royal , on ignoroit dans
ce port tout ce qui s'étoit paffé dans l'lfle. L'Officier
embarqué avec lui auroit pu l'en inftruire ,
puifqu'il n'avoit quitté cette Ifle que le 1 Juin ,
veille du jour qu'il vint à Fort- Royal , chercher
ce bâtiment pour paffer en France ; mais il n'a pu
rien apprendre de lui . M. de Graffe a laiffé dans
ce canal deux vaiffeaux & quelques frégates : on
croyoit qu'il avoit été avec le refte de la flotte devant
St Chriftophe , pour bloquer Rodney & Hood ,
qu'on favoit s'y être réfugiés «.
Ces avis faifoient attendre avec imparience
le rapport de l'Officier arrivé à Verfailles.
On la eu enfuite , & il s'en faut
( 167 )
bien qu'il foit conforme à celui du Négociant
étranger ; en voici la fubftance.
La rencontre des deux efcadres n'a coûté à la
nôtre que 30 à 35 hommes , parmi lesquels eft
un Enfeigne de vaiffeau . On faura bientôt , par
les dépêches de M. le Comte de Graffe , la raifon
qui a empêché qu'on ne poursuivit l'Amiral
Hood. Notre efcadre revenue à Fort Royal n'y
refta pas long-tems mouillée ; elle en appareilla
le 10 , & 1300 hommes defcendirent à Sainte-
Lucie ; ils s'emparèrent d'un petit Fort défendu par
80 hommes , qu'ils firent prifonniers. Le feul coup
de fufil tiré à cette occafion , coûta la vie à la fentinelle
Angloife. Soit que le Morne fortuné , que
l'on dit gardé par 1800 hommes , parût inattaquable
, foit que l'on eût formé d'autres projets , M.
de Bouillé , après s'être emparé de Gros - iflet , où
il laiffa les 1300 foldats , revint à la Martinique ,
& s'embarqua avec 3000 hommes à bord de la
flotte qui s'éloigna le 15 Mai. Au départ de l'Offi
cier, on ignoroit à Fort-Royal , fi l'armée s'étoit
portée à la Barbade ou à Saint Chriftophe.
On doit ajouter ici que l'Officier venu
fur le bâtiment de commerce , n'eft point
envoyé par M. de Graffe , ni par M. de
Bouillé , il a été mandé en France par des
ordres fupérieurs de la Cour.
On a reçu auffi des détails fur l'affaire
entre M. le Commandeur de Suffren &
le Commodore Johnftone.
Le Commodore Johnſtone fe rafraîchiffant dans
la Baie de Praya , attendoit à tous momens les
vaiffeaux de la Compagnie des Indes Hollandoife ;
en conféquence , il avoit laiffé au dehors de la
Baie une frégate qui devoit l'avertir de l'approche
( 168 )
des vaiffeaux dont il pourroit faire fa proie. M.
de Suffren devisa l'intention de cette vedette , &
Four donner le change à l'ennemi , il ferma fes
fabords , retarda fa marche , difpofa ſes voiles
de maniere que l'on ne reffembloit pas mal
à de gros vaiffeaux de l'Inde . La frégate Angloife
fit fur le champ les fignaux , & Johnitone
d'accourir au- devant de l'efcadre Françoife
en forçant de voiles. Il n'eut pas plutôt reconnu
fon erreur qu'il revira de bord , mais il
n'étoit pas encore rentré dans la Baye , qu'il effuya
le feu de nos vaifleaux , & ne dut fon falut qu'à
la fauvegarde du Fort Portugais , fous lequel
il fut fe réfugier , & que M. de Suffren refpecta.
Il faut qu'il ait éré chauffé d'une cruelle manière
, puifqu'il étoit encore le 10 Mai dans ce
port , & que la Minerve affure qu'il fera obligé
d'aller à Rio Janeiro pour ſe radouber , ne
pouvant pas entreprendre fa traversée , dans l'état
où il étoit. Quant à M. de Suffren , il continua
fa route , & les Portugais ne difent pas qu'il eût
un vaiffean démâté : ainfi l'on peut être fans inquiétude
fur le compte de l'Annibal ; il aura été
avec les autres au Cap de Bonne - Efpérance , & on
doit mettre la relation de Johnſtone au rang de
celles des Keppel , des Rodney & des autres Amiraux
Anglois qui nous battent fi bien la plume à
la main.
Selon les lettres de l'Orient le départ du
convoi de l'Inde qu'on croyoit retardé depuis
qu'on avoit mis les troupes à terre ,
doit avoir lieu inceffamment.
" Le 8 de ce mois , écrit-on de ce port , les
bâtimens armés ici & deftinés pour l'Inde , ont
reçu ordre de mettre à la voile , & de defcendre
à l'Ile de Rhé ; ils font eſcortés par la Bellonne ,
&
7169 )
& deux vaiffeaux de Rochefort , pourront bien les
prendre au bas de la rivière & les conduire dans
I'Inde. Les bâtimens chargés d'approvifionnemens
pour le Roi , font : le Pérou , la Philippine , le
Marbourough , le Necker , les deux Hélènes .
Les navires particuliers font : la Louife , l'Eugé
nie , la Rofalie , le Baron de Montmorency ,
le Saint-Pierre , le Jean-Louis , le Chaffeur , la
Victoire & la Réſerve. Il y aura dans ce Port
un autre armement de cinq ou fix vaiffeaux deftinés
à porter à Ceylan un régiment Suiffe que
l'on forme actuellement pour le compte des Hollandois
, qui doit s'affembler à Oleron , & dont le
départ eft fixé au mois de Novembre prochain «.
―
La lettre fuivante & la pièce qui l'accompagne
, méritent une place dans ce
Journal ; ce n'eft pas la première obligation
que nous avons à la perfonne qui nous les
adreffe ; & nous faififfons avec empreffement
l'occafion de lui faire un hommage
public de notre reconnoiffance .
» Dans votre Journal du 5 Mai dernier , vous
avez bien voulu inférer , Monfieur , une lifte concernant
les bâtimens de guerre Anglois , cette lifte
formoit lerrata de l'Etat Civil , Nobiliaire & Ma-
-ritime de la Grande - Bretagne pour 1781. L'accueil
que vous avez fait à cette pièce , m'encourage à
vous en offrir une autre plus intéreffante encore ,
fur -tout dans les circonstances préfentes . C'eſt le
tableau détaillé des pertes de la marine Angloife
depuis les hoftilités. En le comparart avec certains
articles des papiers de Londres , on verra l'énorane
différence qu'il y a entre les deux états , &
on fera à portée d'en apprécier l'exactitude . Fofe
ane flatter que vos lecteurs verront avec plaisir
ce morceau intéreffant , & fur la vérité duquel ils
peuvent compter. Pour les mettre à portée de le
28 Juillet 1781. h
( 170 )
comparer avec les notes Angloifes , je les rappor.
terai ici.- Oa obferve dans quelques - unes de nos
feuilles publiques , que les pertes de la Marine
Royale d'Angleterre , depuis le commencement de
la guerre actuelle , égalent , fi elles n'excèdent pas
les prifes qu'elle a faites ; fuivant un état , fur
l'exactitude duquel il paroît que l'on peut compter ,
il a été pris & détruit par l'ennemi , ou perdu 99
voiles , dont huit font des vaiffeaux de ligne , favoir
l'Ardent , l'Augufte , le Culloden , le
Cornwall , la Défiance , le Sommerfet , le Sterling-
Castle , le Thunderer deux vailleaux de 50 canons
trois de 44 , & vingt - fix frégates de 28 à
40 ; le refte , cutters , bâtimens armés , &c . «
Voici la nouvelle lifte qu'annonçoit cette
lettre.
:
Vaiffeaux.
·
Le Culloden , de 74 canons , perdu en Amérique
Septentrionale , le 28 Janvier 1781. Le Cornwal,
de 74 , coulé bas à Sainte Lucie en 1780. Le
Thunderer , de 74 , péri à la Jamaïque en 1780.
Le Buckingham , de 70 , péti , corps & biens , fur
le banc de Terre- Neuve , en 1779. Le Sommerfet ,
de 70 , perlu près Boſton en 1779. Le Grampus ,
de 70 , péri à Terre - Neuve en Octobre 1779.
L'Ardent , de 64 , pris près de Plymouth , le 17
Aoûft 1779 , par une frégate Françoile . La Défiance ,
de 64 , périe à New- Yorck , le 16 Février 1780 .
L'Augufta , de 64 , brûlée dans la Delawarre en
1778. Le Stirling- Caftle , de 64 , perdu à la Jamaïque
, le 9 Octobre 1780. Le Leviathan , de
so , coulé bas en revenant de la Jamaïque , le 2
Mars 1780. L'Expériment , de 50 , pris en Géorgie ,
le 24 Septembre 1779 , par les François . Le Sérapis ,
de so , puis près de Hull , le 22 Septembre 1779 ,
le Commodore Paul Jones .
par
Frégates.
Le Phénix , de 44 , péri fur la côte de Cuba ,
le 4 Octobre 1780. Le Romulus , de 44 , pris
( 171 )
par
·
·
·
par
>
en Amérique Septentrionale , en Février 1781 , par
les François. L'Aréthuza , de 32 , perlu près de
Breft , en Mars 1779. Le Montréal , de 32 , pris
dans la Méditerranée , le premier Mai 1779 , par
les François . Le Diamond , de 32 , perdu à la
Jamaïque en 1780. Le Huſſar , de 32 , péri entre
I'Ifle Longue & New Yorck en 1780. La Tortoife ,
de 32 , périe à Terre - Neuvé en 1779 , Le Congrès ,
de 32 , repris en Amérique Septentrionale , par
les Américains . Le Sartine , de 32 , perd dans
l'Inde , en Novembre 1780 La Juno , de 32 ,
brûlée & coulée bas à Rhode Iſland en 1778
par les François . La Flora , de 32 , échouée à
Rhode Island en 1778 , relevée les . François
en 1780. Le Fox , de 32 , pris en Europe , le 11
Septembre 1778 , par les François . La Lark , de
32 , brûlée & coulée bas à Rhode Island en 1778 ,
les François. L'Orpheus , brûlé & coulé , bas
à Rhode - Ifland en 1778 , par idem . Le Québec
de 32 , fauté en l'air près d'Oueflant , le 7 Octobre
1779 , dans le combat contre la frégate Françoife
la Surveillante. La Répulfe , de 32 , perdue en
Amérique. Le Crefcent , de 28 , pris en Europe
par les François , en Juin 1781. Le Cerberus , de 28 ,
brûlé & coulé bas à Rhode - Inland en 1778 , par
les François . L'Androméda , de 28 , périe près la
Martinique , en Octobre 1780. Le Laurel , de 28 ,
péri près la Martinique , au mois d'Octobre 1780.
L'Unicorn , de 28 , prife en Amérique , au mois
de Septembre 1780 , par les François . La Pénélope ,
de 28 , prife en Amérique , en 1780 , par les Ef
pagnols. L'Action , de 28 , brûlé près Charles-
Town en 1778. L'Aurore , de 28 , périe . Le
Liverpool , de 28 , perdu près de New-Yorck en
1779. La Syrène , de 28 , perdue près de Rhode-
Inland en 1779. La Mermaid , de 28 , perdue près
Philadelphie en 1779. La Syrène , de 28 , périe en
Irlande en 1781. Ariel , de 26 , priſe en Géorgie ,
h 2
( 172 )
le 24 Septembre 1779 , par les François . La Rofe ,
de 26 , coulée bas dans la rivière de Savannah en
1779 , par les François. Le Supply , de 26 , brûlé
en Amérique Septentrionale en 1779 , par idem,
Le Winchorn , de 26 , prife par les Espagnols.
L'Active , de 26 , prife près la Jamaïque , en 1778 ,
par les François . Le Liveli , de 14 , prife en Europe ,
le 9 Juillet 1781 , par les François . L'Autruche
de 24 , prife en Amérique Septentrionale en 1779 ,
par les Américains . Le Device , de 24 , pris en
Amérique Septentrionale en 1779 , par idem. La
Veftale , de 20 , perdue , corps & biens , à Terre-
Neuve en 1778. Le Glasgow , de 20 , brûlé &
coulé bas à la Jamaïque en 1779. La Bellona ,
de 20 , perdu en 1779. Le Mercuri , de 20 , perdų
près New-Yorck en 1778 .
*
Corvettes , Sloops , Cutters , Lougres , &c.
Le Bouc , de 23 , coulé bas dans la Méditerranée ,
en Février 1780 , par les François . Le Harpooner ,
de 20 , pris en Europe , le 3 Janvier 1780 , par un
corfaire François . Le Drak , de 20 , pris en Amérique
en 1778 , par le Commodore Paul Jones.
Le Zébra , de 18 , perdu fur la côte de la Nouvelle-
Angleterre. La Cérès , de 18 , prife en Amé
rique , en Décembre 1778 , par les François . Le
Nonfuch , de 18 , pris en Europe , en Novembre
1779 , par idem. Le Racehorfe , de 18 , péri en
Irlande en 1781 Le Falcon , de 18 , brûlé & coulé
bas à Rhode-Inland en 1778 , par les François. Le
Milton de 18 , idem > en 1768 , par idem. Le
Beaver , de 18 , perdu en Amérique en 1780. Le
Fairi , de 18 , pris en Europe , le 9 Janvier 1781 ,
par un corfaire François . L'Echo , de 18 , perdue
près Plymouth , le 11 Février 1781. Le Kings-
Fisher , de 18 , brûlé à Rhodes- Iſland en 1778. Le
St-Fermin , de 16 , pris dans la Méditerranée le 4
Avril 1781 , par les Eſpagnols . La Rofe , de 16
baûlée dans la Delaware , en 1778. L'Yorck , de
( 173 )
16 , pris à la Grenade en 1779 par les François.
Le Merlin , de 16 , brûlé près Philadelphie en 1778 .
Le Thorn , de 16 , pris en Amérique Septentrio
hale en 1779 , par les Américains . Le Pégafus ,
de 16 , perdu corps & biens à Terre - Neuve en
1778. La Fortune , de 16 , prife en Amérique en
Mai 1780 , par les François . Le Sénégal , de 16 ,
pris en Amérique en Octobre par les François . Le
Swallow , de 16 , péri en 1778. L'Otter , de 16 ,
Ferdu près Saint-Auguftin en 1778. Le Trial , de
16 , pris en Europe en 1778 , par les François . Le
Denial , de 16 , pris en Amérique Septentrionale ,
par les Américains . Le Liveli , de 16 , pris par les
François , en 1779. Le True Britton , de 16 , pris
en Europe en Décembre 1780 , par un corfaire Fran
çois. Le Weazel , de 16 , pris près Saint- Euftache
en 1779 , par les François. Le Zéphir , de 16 , pris
dans la Méditerranée le 24 Juillet 1778 , par id.
L'Elizea, de 14 , pris en Europe en 1778 , par id.
La Pomona , de 14 , perdu corps & biens à Antigues.
Le Rover , de 14 , pris en Amérique en 1780 ,
par les François . Le Swift , pris en Amérique Septentrionale.
Le Liveli , de 14 , pris en Europe par .
les François . L'Alligator , de 14 , échoué fur la
côte de Vannes , en Octobre 1780. Le Beaver ,
de 14 , en Amérique en 1780. Le Shark , de 14 ,
péri en Amérique en 1780. L'Expédition , de 14 ,
prife en Europe en Juin 1778 , par les François . Le
Hawk , de 14 , pris en Europe le 28 Août 1679
par id. La Levrette , de 14 , prife en Amérique le
25 Septembre 178 , par id. Le Gibraltar , de 14 ,
pris en Avril 1781 , dans la Méditerranée , par
les Efpagnols . Le Radger , de 12 , pris en Amérique
par les Hollandois. Le Port- Antonio , de 12 ,
pris en Amérique par id. Le Kitti , de 12 , pris
en 1780 , par les Eſpagnols . L'Allert , de 12 , pris
en Europe en Juillet 1778 , par les François,
L'Adif, de 12 , ptis en Europe en Juin 1780 , par
13
( 174 )
id. Le Hawk, de 12 , pris en Amérique Septentrionale
, par les Américains. Le Folkstone , de 10 , pris
en Europe en 1778 , par les François . Le Jackall,
de 10 , repris en Europe le 20 Mai 1780 , par un
colaire François . Le Royal- Pêcheur , de 10 , péri
en Amérique . Le Henri , de 10 , pris en Amérique
Septentrionale en 1779 , par les Américains . La
Pomona , de 10 , prise en Amérique Septentrionale
en 1779 , par id. Le Liveli , de 1o , pris en Amérique
Septentrionale en 1779 , par id. Le Sou
thampton , de 10 , péri en Irlande en 1781 Le
Pégafe , de 10 , pris en Amérique Septentrionale ,
par les Américains . Le Lynx , de 10 , pris en Amérique
Septentrionale , par id. Le Ranger , de 10 ,
pris en Europe en 1780 , par les François . La Guêpe ,
de 10 , prife en Europe par id. Le Phéafant , de 8 ,
péri en Europe en Juin 1781. Le Swallow , de 8 ,
pris en Europe par les François . Le Snak , de 8 ,
pris en Juin 1781 , par les Américains . Le Coureur ,
de 8 , pris en Amérique Septentrionale en 1780 ,
par les Américains . Le Sprightly , de 8 , pris en
Europe le 15 Août 1779 , par les François. Le Creufer,
de 8 , brûlé à la côte de la Caroline , en 1778.
Le Savage , de 8 , perdu près de Louisbourg , en
1778. L'Oftrich , de 8 , pris en Amérique Septentrionale
, par les Américains . Le Tapageur , de 8 ,
coulé bas à Ste- Lucie en 1780. Le Fox , de 8 , pris
en 1779 , par les Espagnols. Le Nimble , de 8 ,
perdu près de Penzance , le 11 Février 1781. Le
Lark , de 8 , péri près de Jerfey , en Mars 1780.
Le Ranger , de 4 , pris en Europe le 28 Novembre
1780 , par un corfaire François .
Bâtimens armés , Flûtes , Sénauts , Goëlettes ,
Brigantins , Paquebots , &c.
L'Allouette, prife en Europe , le 5 Mars 1779, par
un corfaire François . L'Amphitrite , échouée fur la
côte de Calais le 1 Janvier 1779. L'Anna- Thérefa,
I
( 175 )
le
prife en Europe , le is Mars 1781 , par un corfaire
François. L'Argus , pris en Amérique , en 1779 , par
les Américains. L'Active , prife en Amérique , en
1780 , par les Espagnols. L'Aigle , pris par les
François. L'Aimable Betfey , prife en Amérique , en
1779 , pat idem. L'Alert , pris en Europe , par idem.
Le Bennel , pris en Europe , le 27 Mai 1781 , par
idem. Le Beaver , pris en Amérique Septentrionale ,
en 1779 , par les Américains . La Betfi , prife le 19
Septembre 1778 , par un corfaire François . Le Besborough
, pris dans la Méditerranée , en 1780 , par
les - François . Le Britannia , pris en Amérique , par
idem. La Belette , prife en Amérique , par idem. Le
Chance , pris en Europe , en 1778 , par les François.
La Comteffe de Scarborough , prife près de Hull ,
22 Septembre 1779 , par le Commodore Paul- Jones .
Le Cato , péri près d'Antigues , en 1779. Le Champion
, pris en Géorgie , le 24 Septembre 1779 , par
les François. Le Comte de Besborough , pris dans la
Méditerranée , le 19 Juin 1779 , par idem. Le Cornet ,
perda en Amérique. Le Colebrooke , péri dans l'Inde ,
en 1778. La Comette , prife à Savanah en 1779 , par
les François . Le Citizen , pris en Amérique Septentrionale
, en 1779. Le Cato , pris en Amérique Sep.
tentrionale , par les Américains . La Chance, prife en
Amérique Sept. par idem. Le Courier , pris en Amérique
Septentrionale , en 1780 , par idem. Le Cor
morand , pris en Europe , par les François . La Défiance
, prife en Amérique Septentrionale , en 1779 ,
par les Américains. La Défiance , priſe en Europe ,
le 31 Mai 1780 , par les François . Le Dauphin , pris
en Afrique , en Mars 1779 , paridem. Le Dasvood
pris en Europe , en Octobre 1778 , par idem. Le
Duke , coulé bas. Le Dantzick , pris dans la Méditerranée
, en 1780 , par l'armée combinée. Le Diligent
, pris en Amérique Sept. , en 1779 , par les Amé.
ricains. Le Duc de Leinster , pris en Europe , en1779 ,
par les François. Le Duc d'Yorck , pris en Europe ,
h
4
( 176 )
le 17 Août 1778 , par idem. L'Egmont , pris en Amé
rique Sept. , en 1779 , par les Américains. L'Enighed
, pris dans l'Inde , en 1779 , par les François.
L'Elizabeth , prife en Amérique Sept. , en 1780 ,
par les Américains. L'Eagle , piis en Amérique Sept.
en 1779 , par idem. Le Fly , pris en Amérique Sept.
en 1779 , par idem . Le Fox , piis en Europe , le 25
Mai 1780 , par les François . Le Ferrer , ( galère ) ,
perdue à la Jamaïque. La Fanni , prife en Europe ,
en Novembre en 1778 , par les François. Le Glasgow
, brêlé dans les Indes Occidentales , en 1779 .
Le Gatton , pris dans la Méditerranée , le 9 Août
1780 , par l'armée combinée. Le Godfrey, pris dans
la Méditerranée , le ୨ Août 1780 , par idem. Le Général
Barker , échoué fur les côtes de Hollande , le
୨ Février 1781. Le Gayton , pris en Amérique , en
Septembre 1780 , par les François . Le Hope , pris en
Europe , le 25 Janvier 1780 , par un corfaire François
. Le Halifax , pris en Amérique Sept. , en 1779 ,
par les Américains. Le Henri Ann , pris en Europe ,
le 2 Fév. 1779 , par un corfaire François . L'Hillsbo
rough , pris dans la Méditerranée , en 178c , par l'armée
combinée. Le Harlem , pris en Amérique Sept.
par les Américains . Le Hunter , idem . idem. en 1779 .
L'Hibernia , idem, idem. L'Hercule , pris en Europe,
en Octobre 1778 , par les François . Le Hyde , pris
en Amérique Septentrionale , en 1781 , par les Américains
. Le Hunter , pris en Europe par les François.
Le Jeune Henri , pris idem. par idem. La Jenni , priſe
en Afrique le 13 Mars 1779 , par idem. Le Jafon ,
pris en Amérique Sept. en 1779 , par les Américains .
La Junon , price en Afrique , le 13 Mars 1779 , par
les François . L'Infernal , ( brûlot ) perdu près Spithead
, le 2 Janvier 1781. Le James , pris en Améri .
que , par les François . Le Kingstown , péri . Le Lord
Cornwallis , pris en Amérique Septentrionale , en
1781 , par les François . Le London , pris en Europe
Par idem. Le Lord d'Armouth , pris idem par idem.
( 177 )
>
Le Liverpool, pris en Amérique, par les François. Le
London , coulé bas en Europe , en 1779. Le Leaden,
pris en Amérique Sept. en 1779 , par les américains.
Le Lord Sandwich, pris idem , en 1779 , par idem.
La Molli , incendiée à la hauteur de l'lfle de Man ,
en Juin 1781. Le Mounftuart , pris dans la Méditerranée
, le 9 Août 1780 , par l'armée combinée. Le
Mercuri , pris dans l'Inde , en 1780. Le Méridian
pris en Europe , en 1779. Le Myrthe , pris en Géorgie
; le 24 Septembre 1779 , par les François. Le
Ménage , pris en Europe , par idem. La Nanci , coulée
bas en Géorgie , le 16 Septembre 1779 , par idem.
Le Neptune , coulé bas idem. le 16 Septembre
1779 , par idem. L'Ofterley , pris dans l'Inde , le 22
Février 1779 , par idem. L'Ontario , perdu en Amérique-
Septentrionale , en Octobre . 1780. L'Otter
idem. en Amérique- Septentrionale , en 1779. Le Pilote
des Indes , pris en Europe , par les François. Le
Prince d'Orange , pris en 1778, par Coningham. Le
Prince d'Orange, pris ea Europe , le 16 Avril 1779 ,
par les François . Le Prince Frederick , pris à la ve
de Dunkerque , le 13 Juillet 1779 , par idem . Le
Poftillon , pris en Europe , par idem. Le Port de
Citadella , pris dans la Méditerranée , le 22 Juin
1780 , par idem. Le Paquebot du Miffiffipi , pris en
Amérique , en 1780 , par les Espagnols. Le Royal
Admiral , coulé bas dans l'Inde , au mois de Septembre
1780. Le Rubi , ( patache ) pris en Amérique Septentrionale
, en 1779 , par les Américains. Le Rodney
, pris dans la Méditerranée , en 1780 , par les
Efpagnols. Le Royal- George , pris idem , en 1780 ,
par l'armée combinée . Le Refus , puis en Amérique
Sept. en 1779 , par les Américains. Le Recoveri ,
pris idem , en 1779 , par idem. Le Richard , pris
idem , en 1779 , par idem. La Réfolution , prife idem .
en 1779 , par idem. Le Reprefal , pris en Amérique ,
en 1779 , par les François. Le Supply Storeship ,
hs
( 178 )
brûlé dans les Indes Occidentales , en 1779. La Suzannah
, prife en Amérique Septentrionale , en 1779 ,
par les Américains. Le Savannah , coulé bas dans la
rivière de Savannah , le 16 Septembre 1779 , par les
François. La Sally , prife en Amérique Septentrionale
, en 1779 , par les Américains . Le Salé , pris
en Afrique , en Mars 1779 , par les François. Le Surey
, pris en Afrique , par idem. Le Swift , pris en
Europe , en Mars 1781 , par un corfaire François.
Le Tartare , pris & coulé bas en Europe , en Mai
1779 , par les François . Le Thunderer , brûlé près
Rhode- Inland , au mois d'Août 1778 , par idem .
La Vénus , coulée bas dans la rivière de Savannah ,
le 16 Septembre 1779 , par idem. Le Weymouth ,
pris en Amérique Sept. par les Américains . Le Va
lentine , péri dans l'Inde , en 1779. Le Vaillant ,
pris en Europe , le 16 Février 1779 , par les François.
L'Yorck , pris à la Grenade , le 4 Juillet 1779 , par
idem. L'Yorck , pris en Amérique , en Juillet 1778,
par idem.
Récapitulation.
Pris. Péris , brûlés ou
coulés bas.
1
Vaiffeaux.
Frégates .
Corvettes.
· 3 · · 10
• • • 13
• 27
• 47 · · 25
23
85
Bâtimens armés , & c . 92
155
Un Courier d'Espagne a apporté la nonvelle
de la prise de Penſacola , & de l'arrivée
de M. de Guichen à Cadix , le 6 de ce
mois. La gazette de Madrid du 13 contient,
l'article fuivant fur Penfacola .
( 179 )
» Le Roi vient d'apprendre , par une lettre du
Gouverneur de la Havane , du 29 Mai , reçue par
la voie de Philadelphie , que le même jour l'efcadre
de D. Jofeph Solano eft entrée dans le port
de la Havane , en conféquence de la prife de Penfa .
cola , qui s'eft rendu le 8 du même mois , & dont
toute la garnifon a été faite prifonnière de guerre.
Le Gouverneur annonce une relation détaillée , qui
fera donnée auffi-tôt au Public . Et attendant , on
fait que les plus vaftes poffeflions de la Floride occidentale
font actuellement fous la domination de
S. M. , & que l'ennemi eft entièrement expulfé du
golfe du Mexique. Une lettre du Préfident de
Guatimala , en date du 5 Avril , adreflée au Gon .
verneur de la Havane , nous apprend aufli que le
détachement deſtiné à chaffer les ennemis du fleuve
& du port Saint -Juan , après avoir repris le Fort ,
a rempli complettement fon objet ; les Anglois ont
échoué , & laiffé dans ce port une frégate , & pirogues
& 1 chate ou chaloupe , avec 1 2 canons qu'ils avoient
'employés au fiége de cette place ; ils y ont laiffé
pareillement une grande quantité de munitions en
bon état & des boulets . Auffi- tôt qu'on aura reçu
les relations détaillées qu'on attend de ce pays ,
elles feront rendues publiques «.
-
On s'eft trompé , lorſque l'on a annoncé ( Journal
du 14 Juillet , page 83 ) que M. de Bonnières devoit
plaider la Caufe de M. le Duc de Chartres ; c'eft
M. Target qui en eft chargé.
Au Numéro dernier , page 132 , au lieu de
Frère Jean de Badillac connu fous le nom de
Frère Cóme , &c. lifez : Frère Jean de Bafeilhac , & c.
,
De BRUXELLES le 24 Juillet. ,
LA préfence de l'Empereur dans cette
h 6
( 180 )
partie de les Etats , a comblé de joie fes
fujets. Il a fignalé fon arrivée par des bienfaits
, par des arrangemens pour le bonheur
de fes peuples. La ville d'Oftende fera agrandie
, & on va commencer à démolir une partie
des dehors pour les tranſporter plus loin
& bâtir à la place des maiſons qui ferviront
aux anciens & aux nouveaux habitans . Le G
de ce mois il est parti pour faire un tour
en Hollande ; il doit enfuite aller en France ,
& l'on croit que le 28 il fera à Versailles ;
fon intention eft , dit -on , de paffer 3 jours
avec fon augufte foeur , & d'en refter un
quatrième à Paris chez le Comte de Mercy
fon Ambaffadeur. Ces voyages rempliront
le tems confacré ici aux fêtes occafionnées
par l'arrivée de l'Archiducheffe Chriftine &
du Duc de Saxe Tefchen , & par la cérémonie
de l'acte folemnel de l'inauguration
de S. M. I. fixé au 17 de ce mois . LL. AA.
RR. ont fait leur entrée ici le 10. Elles ont
été reçues avec la pompe d'ufage en ces occafions
, & les acclamations de l'amour &
de la reconnoiffance.
On lit dans la gazette de Madrid fors
la date de Lisbonne , le 5 Juillet , l'article
fuivant :
" Le 26 Mai dernier , il a débarqué au Cap Saint-
Vincent un Négociant Anglois venant de l'Inde , fur
le vaiffeau Impérial le jeune Prince Kaunits , forti
du Cap de Bonne - Efpérance le 6 Avril dernier , &
qui doit avoir continué la route pour Livourne. Ce
( 181 )
Négociant s'eft rendu ici , d'où il s'eft embarqué
fur le dernier paquebot qui a appareillé pour l'An
gleterre . On a fu par lui les nouvelles fuivantes.
Hyder- Ali s'eft emparé de Trichinapali , un des
plus forts établiffemens Anglois dans l'Inde. Trois
corfaires de l'Ile de France ont pris 7 vaiffeaux
Anglois très - richement chargés ; l'un portoit , en
argen: du pays, la fomme de 600,000 piaftres fortes ;
un autre , à fon paflage pour le Cap , avoit arboré
pavillon Tofcan , quoiqu'il fût forti de l'Inde avec
pavillon Anglois , fa cargaifon & prefque tout fon
équipage venant des Etabliffemens Anglois . - Un
paquebot François étant eatré dans le port du Cap de
Bonne Elpérance , avec la nouvelle de la rupture entre
l'Angleterre & la Hollande , le Gouverneur de cette
place n'y avoit ajouté aucune foi,& même ne la croyoit
pas vraisemblable , parce qu'il ne la tenoit pas directement
de fes Souverains. Peu de tems après , arriva
un paquebot Anglois , paffant dans l'Inde , & fon
Commandant , perfuadé que le Gouverneur du Cap
ne pouvoit pas encore favoir qu'on fût en guerre ,
demanda les rafraîchiffemens dont il avoit befoin
quoiqu'il allât lui - même porter aux Commandans
Anglois dans l'Inde , l'ordre de commencer les hofti .
lités contre les Hollandois. Le Capitaine François
voyant que le Gouverneur ne fe décidoit point à
s'emparer du bâtiment , offrit de ſe charger de l'ar
rêter , pour le convaincre de l'avis qu'il lui donncit.
Ce paquebot fut en effet arrêté ; on y trouva tous les
paquets relatifs à fes ordres pour les Chefs de la
Compagnie , avec injonction de s'y conformer , furtout
aux instructions que leur portoit Johnſtone ; on
trouva auffi le duplicata des fignaux de ce Commandant.
Une frégate Angloife , arrivée depuis peu , a
confirmé la nouvelle du combat entre l'efcadre de
Johnſtone & une divifion Françoife ; elle affure que
ce Commodore projettoit de fe rendre à Lisbonne ,
2
( 182 )
pour réparer les dommages qu'il avoit reçus dans
l'action «.
L'affaire du Duc de Brunſwick fait toujours
beaucoup de bruit en Hollande ; on
vient d'y imprimer le mémoire que les députés
d'Amfterdam préfentèrent le 8 Juin
dernier au Stathouder , & qui a excité les
plaintes du Duc. Ce mémoire ne peut que
piquer la curiofité dans les circonftances
préfentes , & c'eft un titre pour le tranfcrire
ici.
Très-Illuftre & Séréniffime Prince & Seigneur.
MM. les Députés de la ville d'Amfterdam ont
l'honneur , an nom & par ordre de leurs Principaux
, de repré enter à V. A. S. que lefdits. Princi
paux ont appris avec déplaifir que V. A. S. avoit
conçu du mécontentement de la dernière Propofition
faite dans l'Affemblée de L. N. & G. P. , quoiqu'il
eût été contre leur penfée de donner la moin
dre offenſe à V. A. S. , de lui manquer ou de lui
caufer des défagrémens : c'eft donc avec beaucoup
de fatisfaction qu'ils faififfent l'occafion de lui en
donner l'affurance la plus vraie : fe flattant que ,
d'après ce qu'ils auront l'honneur de lui repréfenter ,
elle pourra déduite elle-même les raifons pour lef
quelles ils ne lui avoient pas pu faire de communication
du contenu de ladite Propofition , avant
de l'expofer dans l'Affemblée de L. N. & G. P. :
ils éprouveroient la douleur la plus vive , fi V. A.S.
attribuoit ce filence à quelque défiance particulière
envers fa Perfonne ; ils déclarent qu'ils n'en ont
aucune , & qu'ils n'ont rien tant à coeur que d'exciter
& de fomenter entre V. A. S. & leur Ville
la confiance néceffaire au bien de la chofe publi
que le but de leur repréfentation eft d'imaginer &
mettre en ufage les mefures que la fituation criti-
1
( 183 )
que des chofes exigent pour le falut & la confer
vation de la chère Patrie. Quant à eux , comme
ils font placés à la tête du Gouvernement d'une
Ville extrêmement peuplée , où le petit peuple.
commence à fentir les effets de la difette qui réfulte
du manque de travail , ils font obligés de
montrer en effet & de la meilleure manière pof
fible , qu'ils ne veulent laiffer échapper aucune oc
cafion d'exciter & d'avancer le bien- être du Pays
& de fes bons habitans , qu'ils ne veulent pas s'expofer
à perdre entièrement l'autorité convenable & le
bon ordre qui , dans un Gouvernement populaire ,
n'a d'autre bafe que la confiance de la Conimune
& de la Bourgeoifie envers les Régens qui gouvernent
, & à voir en peu de tems les chofes dans
un bouleversement général . Ils avoient pensé que
les affaires avoient , depuis affez long - tems , &
fur-tout depuis la rupture avec l'Angleterre , paru
aux yeux de toute la Nation , & non fans raifon ,
être adminiftrées d'une manière étrange & inconcevable
; nonobftant l'extrême condescendance
qu'on avoit eue pour les defirs de l'Angleterre ,
on n'avoit , chaque année , éprouvé de ce Royaume
que du mépris , des outrages & des infultes , auxquels
il venoit enfin de mettre le comble par une
guerre ouverte , commencée par l'enlèvement d'une
quantité confidérable de nos vaiffeaux , & par l'invafion
de nos Poffeflions lointaines ; on n'avoit pas
laiffé de refter dans un état d'indéfenſe , & on
n'avoit pris aucunes mesures fuffifantes pour
mettre la République en état de maintenir
fa liberté , fes droits bien acquis , fa navigation
étendue & fon commerce légitime . Cependant
c'est une vérité incontestable , que les Membres
du Gouvernement étoient depuis long- tems d'opinion
que c'eft principalement fur mer qu'il failoit
fe mettre fur un pied refpectable , comme il paroît
évidemment , d'après les différentes réfolutions
( 184 )
-
prifes dans l'année 1778 & les fuivantes ; . d'après
les différens rapports , pétitions & confentemens ,
pour augmenter & renforcer les équipages des
vaiffeaux de guerre , & fpécialement d'après le
rapport du 30 Mars 1779. Nonobftant lefdites
opinions & réfolutions des Confédérés , pour équiper
tous les vailleaux de guerre de l'Etat , & en
conftruire de nouveaux , actuellement , après tant
de temps écoulé , & depuis que les choſes ont pris
une tournure fi funefte , on n'a pas même mis en
mer les 32 vaiffeaux ftipulés dès le mois d'Avril
1779 , bien moins encore de 52 , dont l'armement
avoit été réfolu l'année dernière ; de forte que
jufqu'à préfent on n'a pris aucune des précautions
propofées au mois de Mars 1779 à la généralité ,
pour la défenfe de nos côtes & de nos embouchures.
La Régence de notre Ville , & tous les
bons habitans du Pays , qui fe montrent difpofés à
fournir les impôts ordinaires & extraordinaires ,
font , non fans raifon , grandement furpris de la
lenteur mife dans l'exécution des mefures fi importantes
pour le Souverain : car il eft incroyable que
la fituation où les Amirautés refpectives le trouvent
, foit fi mauvaise qu'en deux ans de tems
elles n'aient pu effectuer les équipemens qu'elles
avoient elles- mêmes propofés ; quoique les deniers
ne leur aient pas manqué , & quoique la néceflité
foit devenue tous les jours de plus en plus pref
fante. En conféquence , ou ne pouvoit concevoir
les obftacles & les difficultés inattendus qui avoient
empêché la fortie du peu de vaiffeaux qu'on avoit
fuppofés abfolument prêts à mettre en mer , même
lorfque V. A. S. , après un examen convenable des
chofes , eut donné les ordres néceffaires . Comme
les malheurs & les calamités arrivés à la République
& fufpendus encore fur la tête , font attribués
à cet état d'indolence & d'inaction , &
qu'on n'a pas encore remarqué qu'on ait pris des
-
( 186 )
mefures vigoureufes pour prévenir des maux ul
térieurs & réparer le paflé , fans quoi il faut s'at
tendre à voir la ruine totale de la République ;
on juge qu'il eft du devoir indifpenfable de braves
Régens , & qu'ils ne peuvent différer de rechercher
: à quoi l'on doit attribuer cette négligence
inexcufable ? Par quels moyens l'on peut y obvier
, diriger & rétablir encore , autant qu'il eft
poffible , les chofes pour la confervation de l'Etat 2
Cela ayant été tenté fous main & de tems en tems
& les affaires prenant tous les jours un afpect plus
finiftre & plus dangereux , des réfolutions vigoureufes
& la combinaifon des mesures convenables
n'en font que plus néceffaires & ne peuvent plus
fouffrir de délai. C'eſt d'un examen mûr & réfléchi
qu'étoit réfultée la propofition faite le 18 du mois
de Mai paffé , fur l'ordre de la Régence d'Amfterdam
, à l'Aſſemblée des Etats de Hollande , & foumife
au Jugement & aux Délibérations des autres
Membres , pour que , defdites Délibérations , on
vit fortir les réfolutions les plus utiles & les plus
falutaires pour le pays . - Ladite Régence eft encore
dans l'idée que ce qu'elle doit à la Patrie ,
aux bons Habitans , qui avoient long- tems attendu
une pareille démarche de fa part , lai impofoit la
néceffité d'ouvrir une pareille Propofition. Il n'eft
cependant aucunement dans leur intention de caufer
aucun déplaifir ou défagrément à V. A. S. , ou
d'introduire des innovations ou de diminuer &
circonfcrire dans des bornes plus étroites l'autorité
légitimement acquife du Seigneur Stathouder ; au
contraire , ils peuvent affurer folemnellement qu'ils
aideront toujours , de tout leur pouvoir , à maintenir
la conítitution actuelle du Gouvernement , à
laquelle ils penfent que le bien- être de la Répu
blique eft étroitement attaché ; mais ils confidèrent
en même tems que , dans la fituation actuelle des
( 186 )
affaires , rien ne feroit plus néceffaire & plus
utile pour la direction & l'exécution des opérations
de la guerre actuelle , & les combiner avec
plus de fecret & de célérité , que de former &
nommer un petit Confeil ou Comité , compofé des
Régens des Provinces refpectives pour affifter
V. A. S. de confeil & d'effet , & coopérer conjointement
à la confervation de la Patrie . - Cette
Propofition ( fondée peut- être fur des exemples an
térie rs ) ne venoit d'aucun motif de défiance des
bonnes intentions & deſſeins de V. A. S. , dont on
n'avoit aucune raifon de foupçonner la pureté ;
quoique , felon les informations de la Régence de
cette Ville,quelques gens mal-intentionnés aient tâché
de le faire entendre à V. A. S. Mais une telle défiance
tomboit uniquement fur celui , dont l'ia-
Auence fur l'efprit de V. A. S. eft regardée comme
la caufe première de la lenteur & de l'indolence
qui règnent dans les affaires. Et comme cela ne
peut être que très - préjudiciable au bien-être général
, on s'étoit vainement attendu depuis long-tems
que les circonstances dangereufes où le trouve
actuellement la République , auroient fait naître
enfin des Délibérations férieufes fur les mesures
qu'il faudroit employer à l'avenir , & avec plus
de vigueur que par le paffé . Mais cette attente
ayant été vaine jufqu'à préfent , & s'agiffant de
la confervation de la Patrie , de fa liberté achetée
à fi haut prix , de V. A. S. de fon illuftre Maifon
, en un mot , de tout ce qui eft cher & pré
cieux aux habitans de la République , la Régence
d'Amfterdam a jugé ne pas pouvoir plus longtems
, en fe taifant , manquer à fes devoirs , mais
fe voit forcée , à la démarche préfente. C'elt
donc avec tout le refpect qu'elle doit à V. A. S. ,
mais en même-tems avec la candeur & l'honnête
franchiſe qu'exige l'importance de la chofe qu'elle
>
― -
( 187 )
lui repréfente , & lui déclare expreffément que ,
felon l'opinion générale , le Seigneur- Duc eft regardé
comme la première caule du déplorable
état de foibleffe où la République fe trouve au
jourd'hui , de toute la négligence qui a eu lieu ,
de toutes les fauffes mesures qu'on a prifes de
puis fi long-tems , & de toutes les fuites fatales
qu'elles ont entraînées ; que l'on peut aflurer
V. A. S. que l'averfion & la haine de la Nation
contre la Perfonne & l'Adminiftration du Duc ,
font montées à un tel degré , que l'on doit en
redonter lévénement le plus fâcheux & le plus
défagréable pour la tranquillité publique.
- On
ne doute point que V. A. S. n'ait été déja informée
par d'autres de toutes ces chofes , ou que fi
elle les ignore , il faut l'attribuer uniquement à
la crainte que l'on a eu des effets du mécontentement
du Duc. On ofe cependant en appeller
avec confiance , fur tout ce qui vient d'être dit ,
au témoignage de tous les honnêtes & fincères
Membres de la Régence , que V. A. S. daignera
interroger , en leur accordant une pleine liberté de
parler , & en les fommant de répondre felon leur
devoir & confcience. Ils avoient entendu plufieurs
fois , avec beaucoup de déplaifir , M. le Conseiller- Pen
fionnaire fe plaindre , en préſence de divers Membres
de la Province de Hollande , de la méfintelligence
qui régnoit entre lui & le Seigneur- Duc ,
de l'afcendant que ledit Seigneur a fur l'efprit de
V. A. S. , ce qui faifoit échouer tous les efforts
le bien de la patrie. pour Cette défunion &
cette diverfité de fentimens & de vues entre votre
principal Confeiller & le premier Miniftre de cette
Province , doit avoir non-feulement les fuites les
plus funeftes , mais fournir encore un motif fuffilant
pour faire les plus fortes inftances , afin de
détruire la fource de cette défiance & de cette
-
( 188 )
-
que
difcorde ; puifqu'il n'y a que le rétabliſſement préa.
lable de la confiance & de la concorde qui puille
fauver la République , & rien n'eft auffi néceffaire
pour le bonheur de Votre Séréniſſime Maifon
, le maintien de votre autorité , la confervation
de l'eftime & de l'affection de la Nation , &
de votre confidération chez les Puiffances voisines .
Car l'on peut affurer V. A. S. , & l'on eft obligé
de l'avertir , qu'elle pourroit bien perdre un jour
l'eftime & la confiance du peuple , au lieu d'être
& de demeurer toujours le digne chef de l'amour
& de la vénération de ce peuple & de ces Régens.
L'on fouhaite ardemment que V. A. S. le foit tou
jours , puifque de- la dépend en grande partie la
confervation & le bonheur de notre chère patric
& de la maifon d'Orange. Bien l'on foit
perfuadé que les Membres de la Souveraineté ont
toujours la liberté , qu'il eft quelquefois même de
leur devoir de communiquer à V. A. S. & aux
autres Membres leurs penfées fur l'état & l'admi
niſtration des affaires publiques , on eût préféré
cependant de s'abftenir de la démarche préfente , fi
l'on avoit pu concevoir quelque espoir d'amélioration
& de changement. Mais , puifque l'on ne
pouvoir plus s'en flatter pour les raifons ci - deffus
énoncées , & que le danger étoit à ſon plus haut
degré , qu'il ne reftoit plus d'autre parti à prendre
que celui de découvrir à V. A. S. le véritable
état des chofes ; de la prier de la manière la plus
folemnelle d'y réfléchir folemnellement , & de ne
plus écouter dorénavant les confeils & les infinuations
d'un homme tellement furchargé de la haine
des grands & des petits , regardé comme un étran
ger deftitué d'une connoiffance fuffifante de la forme
de notre Gouvernement , & qui ne porte point une
véritable affection à notre pays. - Nous fommes
bien éloignés de vouloir accufer ce Seigneur de ce
―
( 189 )
dont on ne le charge que trop ouvertement , ou
d'envifager comme fondés les foupçons qu'on répand
contre lui , d'un attachement excelfif & illicite
pour la Cour d'Angleterre , ou de mauvaife foi
& de corruption. Nous croyons qu'un Seigneur
d'une fi haute naiffance & d'un rang fi diftingué ,
eft incapable de pareilles baffeffes ; mais nous
jugeons que les idées fâcheufes que l'on a prifes
malheureufement fur fon compte , & qui ont caufé
une méfiance générale , le rendent totalement inutile
& pernicieux , même pour le fervice de l'Etat &
de V. A. S.; qu'il doit par conféquent être éloigné
de la direction des affaires & de votre Cour
comme un obftacle perpétuel au rétabliffement de
la bonne intelligence , fi néceffaire entre V. A. S.
& les principaux Membres de l'Etat . Sa préfence ,
au contraire , ne pourroit dorénavant que faire
tomber fur Vous la défiance que l'on a conçue ,
foit avec raifon , foit à tort , de fes confeils .
Ces repréfentations ne naiffent pas d'un principe
de haine ou de mauvaiſe volonté contre le Scigneur-
Duc , qui a eu autrefois licu de fe louer
même de la bienveillance & des marques réelles
d'affection de la Régence d'Amfterdam ; on protefte
devant Dieu & l'univers entier , que les feuls
motifs qui nous les ont dictés , font la confer
vation de la pattie , & de votre Séréniffime Maiſon ;
la Régence de notre Ville s'y eft vu obligée ,
tant en qualité d'habitans de ce pays , que comme
Membre de fon Affemblée fouveraine ; afin de
faire par cette voie un dernier effort , & d'indiquer ,
peut-être à tems encore , un moyen de fauver
avec la bénédiction du Tout Puiffant , le vaiffeau
de l'Etat du plus imminent danger , & de le conduite
dans un port affuré , ou de s'acquiter au
moins en tout cas de fon devoir & de décharger
La confcience envers les habitans & la postérité.
( 190 )
A la vérité , il ne faut pas défefpérer de la
confervation de la patrie ; mais les cho.es paroiffant
être venues à une telle extrémité , qu'à moins d'employer
des moyens extraordinaires , il n'y a plus de
remède ; & à cette fin , fous l'approbation de V.
A. S. , on doit encore prendre la liberté de remettre
à fa confidération , fi le meilleur moyen de traiter à
l'avenir les chofes avec un heuteux fuccès , ne feroit
point que S. A. S. s'adjoignît un petit nombre de
perfonnes parmi les premiers , les plus refpectables &
les plus éclairés des Nationaux , afin de concerter ,
fans relâche , avec elles , ce qui , durant la guerre
préfente , pourroit être le plus nécefiaire & le plus
utile à la confervation & la profpérité de la République
; avec les limitations & le pouvoir qui fetoient
jugés convenables pour remplir efficacement
le but de cette propofition : l'on s'attend auſſi - tôt à
ces deux conféquences , grandes & falutaires . » 1º.
Que dans un tems ſemblable à celui – ci , cù tous
» les momens font précieux , aucun retard occafionné
» par des délibérations de longue durée n'auroit
» lieu , & la célérité requife feroit procurée à l'exé-
» cution de ce qui auroit été réfolu . 2 ° . Que par- là
» la confiance de la Nation feroit rétablie ; une tran-
» quillité , un contentement univerfel feroient exci-
» tés , & chacun feroit animé & encouragé à
» faire l'impoffible pour contribuer joyeuſement à
පා
l'exécution des mefures du Souverain : tandis
» qu'actuellement tout le contraire a lieu , que
» l'on entend par tout des plaintes générales fur
la divifion & l'inactivité 25 du Gouvernement «<,
---
Ce qui vient d'être propofé , re paroît pas feulement
très- urgent à la Régence d'Amſterdam ;
mais l'on eft fondé à crone que les principaux
Membres du Gouvernement de cette Province &
de toutes les autres , font du même avis . Quant au
refte , rien de plus néceflaire que d'adopter un fyf.
( 191 )
tême , un plan de direction ferme , puifque la République
doit opter entre deux partis. » Ou de faire
» la paix avec l'Angleterre ? Ou de pourfuivre vigoureufement
la guerre , afin d'accélérer par ce
» moyen une paix honorable « ? Ce qui doit former
le voeu fincère de tout citoyen honnête , & à quoi ,
fans autres vues ultérieures , ( ce dont on peut
donner les affurances les plus férieuſes à V. A. S. )
a toujours uniquement tendu l'ouverture faite par
notre propofition , favoir , de concerter , pour cette
campagne , les opérations avec la France. On ne
defire rien plus ardemment de notre côté , que de
délibérer férieufement avec V. A. S. fur l'option
entre ces deux partis allégués , & quels moyens
pour parvenir au but cheifi , il faudra mettre en
oeuvre ; mais nous fommes abfolument d'opinion
qu'avant tout , il ne faut jamais perdre de vue ,
quoiqu'une réconciliation puiffe être préférée , que
rien ne doit être négligé ni omis , pour mettre de
toure manière la République dans une telle pofition,
qu'elle n'ait rien à craindre de fes ennemis , mais
fe trouve , au contraire , en état de les forcer à
defirer le tétabliffement de cette paix que , fans
aucune caufe légitime , ils ont auffi injuſtement que
méchamment rompue.
C'eft la ville d'Amfterdam qui a fait ellemême
imprimer ce Mémoire. Les Bourgmeftres
régnans , MM. E. de Vry-Temming
J. Rendorp , & M. le Penfionnaire
C. W. Wiffcher , qui l'ont figné , ont certifié
au bas que cette Pièce eft la même à la
lettre , fans aucune addition ni retranchement
, dont en leur préfence , & par ordre
de MM. les Bourg -meftres , lecture a été
faite à S. A. S. par M. le Penſionnaire
( 192 )
Wiffcher , le 8 Juin 1781 , en préfence de
M. le Confeiller Penfionnaire , & écrite
verbalement par le fufdit Penfionnaire.
Ce qu'ils atteſtent.
On attend avec impatience les avis des
Provinces , confultées fur les plaintes du
Duc de Brunſwick. On dit que quelques
quartiers de la Frife ( cette Province eft
divifée en trois , quant aux campagnes )
penfent que ce Mémoire ne contient rien
d'injurieux , que leurs Députés aux Etats-
Généraux ne doivent fe mêler en aucune
manière de cette affaire dans les affemblées
de la Généralité , & que les plaintes doi- *
vent être portées devant le Juge naturel
& competent des Bourg- meftres d'Amfters
dam.
»Nous ignorons , écrit- on d'un port de
France , ce que font devenus les Amiraux-
Hood & Rodney ; nous le faurions actuelle
ment par la voie de l'Angleterre s'il n'y avoit
pas une fatalité attachée aux avifos ; on
diroit qu'il eft décidé qu'ils doivent être
pris. Une corvette fortie de St-Christophe ,
& dépêchée fans doute par Rodney , a été
enlevée par un corfaire Américain , elle avoit
ordre d'aborder au premier port d'Ecoffe
ou d'Irlande , & même de Portugal , Le
Capitaine a jetté fes paquets à la mer , &
nous voilà encore privés pour long-tems de
nouvelles officielles "
Qualité de la reconnaissance optique de caractères