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1780, 10, n. 41-44 (7, 14, 21, 28 octobre)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONT EN ANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences &les Arts ; les Spectacles;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits, Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
SAMEDI 7 OCTOBRE 1780.
HUẬT
BIROFE
D'EU
PALAIS
APARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel
rue des Poitevins..
Avec Approbation & Brevet du Roi,
LIBRARY
22-
TABLE
Du mois de Septembre 1780.
PIÈCES FUGITIVES.
3
Couplets chantés à Table ,
Meſdames *** ,
Les Jambes de Bois , Conte , 5
Il l'avoit mérité , Nouvelle, 7
Vers pour la Fête duRoi, 49
Ma Patrie , Epitre au Père
Papon ,
Etula , Conte ,
Quatrain pour mettre au bas
ibid.
55
Recherches fur les Lois Féodales
, 79
Mémoirefur les Abeilles , 82
Traité fur les Frocédures qui.
sobfervent dans les Jurif.
dictions de l'Enclos du Pa-
Lais, 85
Hiftoire de la République des
Lettres & Arts en France 118-
Hiftoire des Hommes, ISI'
du Portrait du Roi de L'Officieux , Comedie , 163
N
5.8
59
62
Prufe,
Air de Rofanie ,
Notice des Ouvrages de M.
l'Abbé de Condillac ,
Eptire à M. de C* ,
Le Dialogue , Conte ,
Suite de la Notice des Ouvrade
M. l'Abbé de Conges
dillac ,
Vers à Mde B **
2
97
101
103
145
146
Epitre adreffée à une Femme
jeune &jolie ,
Le Fablier , Conte ,
Le Roffignol & l'Alouette ;
De la Religion d'un Homme
du Monde, 2.04
211 Les Auguftins , Contes,
Difcours en faveur du Théâtre
François ,
ACADÉMIE S.
Académie Françoife ,
Société de Médecine ,
219
41
141
SPECTACLES.
Académie Roy, de Mufiq. 182
229.
Comédie Françoise , 87 , 124
147 Comédie Italienne ,
149 Fable ,
Vers faits chez M. le Mar
quis de Voyer,
193
L'Adroite
Reprimande
, Conte,
194
La Fable en Voyage , 201
Enigmes & Logogryphes , 16 ,
77 , 116 , 150 , 203
NOUVELLES LITTÉR.
Tangu & Félime , Poëme, 18
Du Sommeil
La Conchyliologie ,
Traité des Scrophules ,
VARIÉTÉ S.
183
Lettre de M. Roucher à MM.
les Rédact. du Mercure, 142
Lettre de M. P... 234
SCIENCES ET ARTS .
Moyen de conferver les Tableaux
peints à l'huile , 185
Expériencefur l'eau de Neige,
238
Gravures , 46 , 189 , 239
Mufique , 47 , 94 , 190
30 Annonces Littéraires , 47, 95,
143 , 191 , 240
35
39
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
T
MERCURL
DE FRANCE.
SAMEDI 7 OCTOBRE 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS fur EULALIE.
DAMISI A MIs m'a dit : « une trifte apathie
Flétrit mon coeur , empoisonne ma vie .
O mon ami , guéris- moi fi tu peux. »
Occupe-toi , révère , aime les Dieux....
- » On dira , c'eſt hypocrifie.
--
-
Hé bien fers , défends la Patrie.
ne fuis pas bien valeureux. »
Médite, écris , & par la Poéfie
Cherche à rendre ton nom fameux.
« Si j'allois réuffir , j'aurois des envieux. »
-Oh ! je t'entends : eh bien, prends une tendre amies
Tu lui devras des jours heureux.
BCC
Qui , mais ami , j'ai toujours craint les Belles.
Leur coeur eft , m'a-t'on dit , léger , capricieux ....
A ij
MERCURE
Erreur ! il en eft de fidelles.
J'en poſsède une , il peut s'en trouver deur.
( Par M. D.... Avoc .. au P.... de R....)
ÉPITRE à Madame C *** , à l'occafion
de la Ste ANNE , jour de fa Fête,
AIMABLE & charmante Annette ,
Si , comme le vrai Lubin ,
J'avois des droits de coufin ,
Et
>
que Vous fuffiez coquette ,
Je faifirois ce moment
Pour débiter ma fleurette
Sous le nom de compliment,
Même , par un trait plus rare
J'aurois pu, fort tendrement,
Vous faire fur la guittare
Chanter mon cruel tourment .
Certes , fans m'en faire accroire ,
J'aurois compofé du bon ;
Vos yeux , comme on peut le croire ,
Infpirent mieux qu'Apollon.
Mais non , en ce jour profpère ,
Je viens offrir ſeulement
Cet hommage volontaire
Que doit à fon Écolière
Un Maître reconnoiffant.
CULTIVES , malgré FEnvie ,
DE FRANCE.
Des talens confolateurs ;
Ce qu'au jardin font les fleurs ,
Les Arts le font à la vie ;
Par eux , la peine s'enfuit ;
Par eux , le bonheur s'augmente ,
La beauté devient piquante,
Et la laideur s'embellit.
PLAIGNEZ la froideur ftoique
De cette femme cauftique ,
Dont les organes épais
A la plus belle mufique
Ne fe prêtèrent jamais.
Au fein de fon domestique
Suivez-la dans fon loifir ,
Tout va bientôt l'en punir ;
Un ennui foporifique.
Ira par-tout l'affaillir.
Vous la verrez condamnée
A colporter chez autrui
Son dégoût & fon ennui
་
Dix fois dans une journée.
Mais elle a bean fe mouvoir ,
Beau courir de rue en rue
Le plaifir qu'elle croit voir
Sans ceffe échappe à fa vue :
Ixion , dans fon espoir ,
Ne tient jamais qu'une nae ,
Et , lorfque rentrant le foir
A ij
MERCURE
Elle quitte la partie ,
Après avoir bien médit , 545 e
Bien jafé , bien contredit ,
S'être fait mainte ennemie ,
Dans fa maifon elle fent
Son coeur encor plus pefant
Qu'avant d'en être fortie.
HEUREUX mille fois celui
Qui ne chérit que l'étude !
Ami de la folitude ,
Il fe plaît toujours chez lui .
L'ennui , ce fléau terrible ,
Enfant de l'oifiveté ,
Fuit loin du féjour paifible
Par les talens habité.
A LEUR aimable culture ,
Confacrez donc vos loifirs ;
Ils fauront , avec ufure ,
Vous rendre de vrais plaifirs.
Lorfque d'époule & de mère
>
162
165 A
Tous vos devoirs font remplis ,
Un délaffement permis
Devient alors le falaire
Des foins que vous avez pris.
CEPENDANT , quoique j'en dife ,
Il faut être impartial,
1
Et , des Arts qu'ici je prife,
DE FRANCE.
Avec la même franchiſe
Dire le bien & le mal.
ILs ajoutent au mérite ;
Mais ils font des envieux .
L'ignorance qui s'irrite
De vos fuccès glorieux ,
Dans fon dépit , vous ſuſcite
Mille cenfeurs ténébreux .
Mais laiffez de leur fatyre
Les traits malins s'aiguifer ;
Qui veut vaincre l'impofture ,
Doit favoir la méprifer.
Dans une douce retraite ,
L'ame libre & fatisfaite ,
Donnez afyle aux talens ;
Vous verrez , malgré l'envie ,
Que leurs plaifirs confolans
Embelliront votre vie ;
Et par
un contraire effet
De leur charme , à qui tout cède ,
Du mal qu'ils vous auront fait
Ils deviendront le remède.
( Par M. Delautel , Maître de Mufique à
la Charité-fur-Loire . )
A iv
MERCURE
QUEL AMI ! OU LE RARE PROCÉDÉ ,
Anecdote.
--
M. DE CLINFORT & M. DE MINVAL
amis dès leur plus tendre enfance , caufoient
familièrement un foir. La converfation étoit
d'abord indifférente & vague ; elle devint
particulière , & ſe fixa fur un objet intéreſfant.
Tenez , dit M. de Minval , dans toutes
les affaires de la vie , favez- vous ce que je
trouve de plus embarralfant ? Quoi donc ,
répondit M. de Clinfort ? C'eft de marier
fa fille . M. de Minval avoit alors une fille à
marier. Ma foi, lui dit fon ami , je crois que
vous avez raifon . Auffitor M. de Minval lui
confia toutes les craintes . Vous favez , lui
dit -il , que je ne veux que le bonheur de ma
fille. Mais je crains de me tromper fur le
choix du moyen. J'ai confulté fur cela mon
coeur, ma raifon & l'exemple d'autrui ; &
mon indéciſion eſt toujours la même. J'ai vu
des pères ne calculer que la fortune , d'autres
ne confulter que le coeur de leurs enfans ;
enfin , c'est toujours la raifon ou l'amour qui
font les mariages , & j'ai vu la raifon &
l'amour faire de bons & de mauvais ma
riages. Ce qui fait aujourd'hui deux heureux ,
va faire demain deux martyrs ; c'eſt ce que
je vois tous les jours ; & je vous avoue que
j'en fuis effrayé. Il eft vrai , répondit M. de
Clinfort , dont le caractère , comme on va
DE FRANCE. 9
voir , avoit un coin d'originalité , il est vrai
que de tous côtés je vois des inconvéniens &
des dangers prefque inévitables ; & pour
nous renfermer dans le chapitre des filles ,
puifque c'eft d'une fille qu'il eft ici queſtion ,
le péril me femble d'autant plus effrayant .
qu'il eft moins facile à une femme qu'à fon
mari d'échapper aux chagrins domeſtiques.
Il est donc bien important de l'en garantir,
Mais comment ? voilà le difficile. Car enfin ,
ou une fille aime avant de fe marier , ou elle
doit aimer après. Cela doit être , cela eft ,
& le veu de la Nature n'eft jamais trompé.
Si elle aime fon mari avant de l'époufer , il
eft probable qu'elle ceffera de l'aimerparce
que c'eft encore une loi de la Nature ,
que tout ce qui a commencé doit finir . Si
elle fe marie avant d'avoir aimé , elle aimera
fans doute après. Mais , qui aimera- t'elle ? il
eft à prefumer que ce ne fera pas fon mari...
Eh ! pourquoi donc , s'il vous plaît , interrompit
M. de Minval étonné , pourquoi
voulez- vous que ce ne foit pas fon mari ?
Et pourquoi , reprit M. de Clinfort , voulezvous
que ce foit plutôt fon mari qu'un autte
? On aime toujours , non ce qu'on doit
aimer , mais ce qu'on trouve aimable. D'après
cela , fi une jeune femine eft entourée de
cent perfonnes qui cherchent à lui plaire ,
il y a quatre- vingt- dix- neuf à parier contre
un que ce n'eft pas fon mari qu'elle aimera.
Encore , ce calcul que vous devez trouver
jufte , d'autres le trouveroient indulgent ;
A v
10 . MERCURE !
car je compte ici le mari tout - à- fait pour
un ; & je ne vous paffe pas en compte le
déchet que ce titre apporte aux qualités d'un
aimable homme, au moins aux yeux de fa.
femme. M. de Minval ne put s'empêcher de
fourire ; & M. de Clinfort , fans s'interrompre
je conclus donc , continua t'il , que
s'il faut qu'une femme, tôt ou tard après fon
mariage , finiffe d'aimer fon mari , ou commence
d'en aimer un autre , en pareil cas le
hafard eft un aufli bon confeiller que la
prudence.
Il eft temps de dire quelques mots du
caractère de M. de Clinfort : c'étoit un homme
d'efprit , qui avoit de la probité & de la
droiture. Avec une dofe de lumières trèsfuffifante
pour bien juger , c'étoit un homme
défolant pour qui le confultoit. Il trouvoi
toujours des expédiens , mais il en voyoit
trop bien tous les dangers. Il avoit fi peu de
confiance en fes confeils , qu'il les difcréditoit
lui-même par le ton peu ferme dont il
les donnoit. C'étoit un homme merveilleux
pour découvrir le mal ; il étoit beaucoup
moins propre à indiquer le remède. Veniezvous
vous plaindre à lui de quelque revers ?
Il vous y faifoit remarquer lui - même des
détails chagrinans que vous n'aviez pas apperçus.
Ce n'eft pas qu'il eût envie de vous
attrifter ; mais fon imagination vive lui faifoit
tout voir , fa franchife lui faifoit tout
dire , & il ne vous effrayoit que parte qu'il
étoit alarmé lui-même.
DE FRANCE. ΕΙ
La converfation de M. de Clinfort , n'étoit
guères propre , comme on voit , à éclairer
M. de Minval. M is tandis qu'il délibéroit ,
il fe préfenta un parti qui lui parut fortable ,
& il l'accepta. C'étoit un jeune homme qui
avoit déjà une fortune honnête , fait pour
aller à tout , & dont l'alliance étoit honorable.
L'irréfolution de M. de Minval ne
put tenir contre tant d'avantages. Il regarda
la propofition qu'on lui fit comme un avis ,
un ordre du ciel; & fa confcience , raffuréepar
la droiture de ſes intentions , le mit audeffus
de toutes fes craintes . Dès le jour
même Milcour fut préfenté à Mlle de Minval
en qualité d'époux futur..
Mlle de Minval étoit dès fon enfance au
couvent , avec la plus forte envie de voir le
monde. Certe difpofition d'efprit eft dangereufe
pour le coeur d'une jeune perfonne. Il
y auroit du péril fans doute à la jeter dans
le monde avant de la marier ; mais n'y en a
t'il pas auffi à l'en tenir trop éloignée juf
qu'à ce moment ? Ne feroit - il pas plus fage
de l'y accoutumer par degrés , au lieu de la
faire paffer brufquement de la fervitude à la
plus grande liberté ; car c'eft à peu- près- là
le chemin qu'on fait faire à une jeune fille ,
en lui donnant un époux au fortir du couvent
? Quelle violente fecouffe en effet pour
une jeune tête , que de lui faire quitter toutà-
coup , & le même jour , la folitude pour
le monde , & la fervitude pour l'indépen
dance ! Que fera- ce , s'il vient à s'y mêler
A vi
12. MERCURE
des paffions vives & l'amour des plaifirs !
Les réflexions que nous venons de tranferire
, font le réfultat d'une converfation
qu'eut avec M. de Minval le bon M. de
Clinfort , qui , comme on fait , raifonnoit ,
toujours entre le pour & le contre ; & tels .
font en effet les dangers que courut Mile de
Minval. Nous allons voir fi elle eut le bon‐ ….
heur d'y échapper.
A peine vit - elle Milcour au parloir ,:
qu'elle crut avoir de l'amour pour lui , parce
qu'elle fentit bien que c'étoit à ce fentiment
là qu'étoit attachée fon indépendance. Dès
qu'il s'offroit à elle , auffitôt elle fongeoit que
c'étoit lui qui alloit la mettre dans le monde ;
cette idée riante l'embellifloit à fes yeux , le
lui rendoit aimable. En un mot , elle croyoit
l'aimer pour les agrémens de fon efprit & fes
qualités perfonnelles , tandis qu'elle ne l'aimoit
que pour le fervice qu'elle attendoit de
Jui. C'eft dans ces fentimens qu'elle le fuivit
à l'autel pour lui donner la main . Le tourbillon
du monde qui l'entraîna d'abord , ne
lui permit pas de s'appercevoir fi fon coeur
s'étoit mépris ; elle n'eut pas le temps d'y
fonger. D'ailleurs Male de Milcour ( c'eſt ainti
que nous la nommerons déformais ) n'avoit
pas pris un de ces maris qui mènent le res
pentir à leur fuite , & dont on doit rougit
par décence. Si elle étoit jolie , Milcour
étoit aimable ; fi elle n'avoit pas encore vingt
ans , Milcour n'en avoit pas trente ; & lès.
qualités du coeur répondoient en lui aux
DE FRANCE. 13
charmes de l'efprit. Il aimoit véritablement
fa femme ; le foin de lui procurer des plaifirs
fut fa première étude. Elle l'en remetcioit
; mais dans l'expreffion de fa reconnoiffance
il y avoit plus de politeffe que de
fenfibilité. Ce n'eft pas qu'elle reçût les foins
affidus de fon mari comme on reçoit l'hommage
d'un vaffal ; elle n'y mettoit ni fierté
ni mépris ; elle auroit été reconnoiffante fi
elle eût fongé qu'elle devoit l'être ; car elle ne
manquoit ni de fenfibilité ni d'efprit ; elle
cût trouvé fon mari aimable , fi elle eût eu le
temps de le regarder ; elle eût eftimé fon
coeur , fi elle s'étoit donné la peine de l'interroger.
Ajoutons , pour finir fon portrait ,
que la mode étoit fon ryran. Cette étude
mène loin , emporte bien du temps , & on
ne peut pas fonger à tout.
Milcour ne tarda pas à s'appercevoir qu'il
ne faifoit aucun progrès fur le coeur de fa
femme; & comme il en étoit amoureux , ce
fentiment exagéroit fes chagrins & fes craintes.
Il ne jugeoit jamais fa femme indiffé
rente , qu'il ne craignît de la voir infidelle.
Il communiqua fes craintes , ou tout au
moins fes chagrins à fon beau - père , dont
il étoit tendrement chéri , & le confulta fur
la conduite qu'il devoit tenir avec elle . M.
de Minval le mena chez M. de Clinfort ,
qui le connoiffoit auffi , afin de le confulter
fur un point auffi important. Il y a des gens
qui font ainfi le confeil de toute une famille.
Les petits enfans vont prendre leur
14 MER CURE
avis , par la feule raifon que leur aïeul y
alloit. Il ne fe fait pas un mariage ni un enterrement,
qu'ils n'en fixent les frais ou n'en
dictent les conditions , & pas un baptême ,
fans qu'ils ayent nommé le parrain . Cet
hommage eft prefque regardé comme un
devoir religieux ; & fouvent on auroit bien
de la peine à deviner ce qui a pu fonder
cette confiance fans bornes . Pour M. de Clin
fort , on fait qu'il avoit beaucoup d'efprit ;
mais il avoit un genre d'efprit qui le rendoit
peu propre à donner des confeils. Dans les
affaires de la vie , qui ne voit pas affez , paffe
fon temps à faire des fottifes ; & qui voit
trop , le perd à difcuter. Aufli . M. de
Clinfort étoit - il bien plus capable d'ouvrir
les yeux à Milcour fur la conduite de
fa femme , que de déterminer celle qu'il devoit
tenir avec elle. Il ne lui fit pourtant pas
pour cette fois beaucoup d'obfervations ef
frayantes. Il lui dit que fa femme n'avoit
d'autre tort jufqu'à ce moment avec lui , que
fa jeuneffe & fon goût pour la diflipation .
Alors Milcour lui ayant demandé s'il jugeoit
plus prudent de la gêner un peu dans fes
plaifirs , ou de lui laiffer toujours la même
liberté , M. de Clinfort fe mit à lui expoſer
tous les inconvéniens qui étoient attachés à
l'un & à l'autre fyflême. Un mari , ajoutat'il
, peut rendre fa femme coupable , précifément
par les précautions qu'il aura prifes
pour l'empêcher de l'être. S'il lui laiffe toute
fa liberté , elle trouve des occafions fans les
DE FRANCE.
chercher ; s'il la lui ôte , elle les cherche
elle-même. Ainfi Milcour quitta M. de Clinfort
fans favoir comment il s'y prendroit
pour ramener fa femme ; & réfolu , malgré
l'impatience fi naturelle à l'amour , d'attendre
tout du temps & de fes foins auprès.
d'elle.
1
Le péril depuis ce moment ne fit qu'augmenter
par des circonftances qu'il eft temps
de faire connoître. Milcour avoit précisé
ment pour intime ami , un fils de M. de Clinfort
, qui étoit abfent lorfqu'on le maria à
la fille de M. de Minval. Le Chevalier
( c'eft cet ami de Milcour ) étant revenu
quelque temps après ce mariage , Milcour fe
hâta de le préfenter à fa femme. Il comp
'toit fur fon amitié , & l'on verra qu'il avoit
'bien jugé fon coeur. Le Chevalier ' avoit
toutes les qualités qui peuvent tourner la.
tête aux femmes , & mériter l'eftime &
l'amitié des hommes. C'étoit l'un des jeunes
gens les plus aimables de fon temps ; & fous
le vernis des grâces , fous l'extérieur d'un
homme du monde , même fous l'apparence
de la légèreté , il cachoit les principes d'une
probité févère , & même le courage de lavertu.
Son mérite , fes agrémens fur- tout
frappèrent les yeux de Mde de Milcour ,
qu'il voyoit fort fouvent. Le Chevalier aimoit
tendrement Milcour ; & il fut fincèrement
affligé quand il s'apperçut que fa femme
étoit injufte envers lui. Il ne tarda pas à
faire une autre découverte ; il s'apperçut
16 MERCURE
qu'il avoit fait quelque impreffion fur le
coeur de Mde de Milcour. Il la connoiffoit
affez pour ne pas la foupçonner d'un fentiment
profond. Sans être fat , l'expérience
lui avoit appris que fa conquête pouvoit
Alatter l'orgueil d'une jolie femine. Il favoir
aufli que Mde de Milcour , efclave des ufages
& du ton du jour , ne voyant point de
femme autour de foi qui ne prît foin d'attacher
quelque merveilleux à fon char , pouvoit
bien avoir jeté les yeux fur lui. Mais
quel que fût le goût qu'il lui avoit infpiré , il
le crut de nature à faire réuffir un projet que
venoit de lui fuggérer l'amitié. C'étoit bien:
le plus fingulier projet qu'on eût jamais
conçu en pareille circonftance.
Dès qu'il fe fut apperçu du penchant
qu'elle avoit pour lui , il réfolut d'éluder la
déclaration ; mais afin d'avoir un prétexte
pour nourrir ce penchant amoureux , fans
être obligé de le prendre pour de l'amour ,
il la pria , comme par amitié pour Milcour ,
de vouloir bien fe fervir de lui dans toutes
lés occafions où elle auroit befoin d'un Cavalier
; en lui difant que , comme il n'avoit
point d'engagement de coeur , il pouvoit lui
donner des foins fans lui faire aucun facrifice,
& qu'il la fupplioit de compter fur une
amitié conftante & attentive à tous les plaifirs.
Si jamais votre coeur , ajouta- t'il avec
un fourire aimable , vient à former quelque
tendre engagement , je vous promets de me
retirer avant d'en être averti par vous. Je fais
DE FRANCE. 17
que l'amitié ne doit pas être importune à
l'amour.
Mde de Milcour accepta d'autant plus
volontiers ces offres d'amitié , qu'elle s'imagina
peut-être que , fous ce nom , le Chevalier
pouvoit fort bien cacher un fentiment
plus tendre , ou du moins elle fe flatta qu'elie
autoit plus d'occafions de le lui infpires.
Bientôt après , les affiduités du Chevalier
fes difcours même la confirmèrent dans l'idée
qu'elle avoit eue d'abord l'intention du
Chevalier n'étoit pas d'effaroucher le goût
qu'elle avoit pour lui , puifque c'étoit fur ce
goût-là qu'il fondoit la réuflite de fon
projet.
薄
Dans un de leurs premiers tête-à- tête , il
crut devoir frapper les premiers coups. Mde
de Milcour mettoit plus d'éloquence dans
fes regards , plus de tendreffe dans fes difcours
; & le coeur du Chevalier fembloit
s'ouvrir aux plus douces impreffions. Peu
à-peu, & par une tranfition imperceptible,
il amèna la converfation à l'article des pro
cédés. Sur ce point- là , difoit- il , le monde
eft inexorable. Il est peu févère fur la com
duite d'une jeune femine ; mais il eſt trèsexigeant
fur les égards qu'elle doit à fon
mari; & une femme n'a guères de prétextes.
pour y manquer. C'eft un hommage qu'elle
fe doit à elle même , fielle a choiſi fon mari,
& à fes parens , fi on le lui a donné. Après
cette morale un peu férieufe & quafi trifte ,
le Chevalier ajoutoit une galanterie ; & fans
48 MERCURE
oublier la leçon , on la lui pardonnoit.
Quelque tems après , il la bouda un jour
entier , parce qu'elle avoit parlé en compagnie
à fon mari avec une légèreté indifcrette.
Un autre , à fa place , auroit eu l'air d'un
pédant ; il n'avoit l'air que d'un homme aimable.
Comme il craignoit quelquefois
qu'elle ne lui échappât , il étoit tendre &
empreffé ; & c'eft à la faveur de la galanterie
, qu'il pouvoit faire parler la raiſon.
En vérité , difoit quelquefois Mde de Milcour
quand elle fe trouvoit feule, il me femble
que me voilà dans une fituation affez fingulière
! Il faut que je falle ma cour à mon
mari pour plaire à mon amant ! J'aurois cru
tout le contraire. Ce Chevalier eft , ma foi ,
plus original que je ne l'aurois foupçonné.
Cependant celui- ci pourfuivoit toujours
fon projet , fans négliger les détails les plus
minutieux en apparence. Un jour , il entreprit
de mettre en réputation les yeux de
Milcour. Il propofa la queftion dans une
affemblée ; on fut unanimement de fon
avis ; & Mde de Milcour , en y regardant
en effet , convint que fon mari avoit de beaux
yeux.
Une autre fois , il arriva dans un cercle
où elle fe trouvoit aufli. On avoit appris une
anecdote qui faifoit honneur au Chevalier ,
& chacun s'empreffa de lui en faire compliment.
Vous louez trop , Meffieurs , une
bagatelle , répondit le Chevalier. Tout le
monde en auroit fait autant. Je fais un trait
DE FRANCE. Ig
analogue à celui dont vous voulez bien vous
occuper ici , mais qui eft bien fupérieur ; &
fur le champ il raconta , avec intérêt , un
beau trait de Milcour , que fa femme fut
obligée d'approuver ; car tout le monde le
célébra tout haut.
Le Chevalier ne fe contentoit pas de faire
valoir Milcour ; plufieurs fois il l'exaltoit à
fes propres dépens. Un jour , on propofa
une partie de campagne. Il y avoit beaucoup
de monde , & Milcour n'en devoit pas être.
La veille , fafemme eut un entretien
avec le Chevalier. La converfation fut des
plus tendres de la part de Mde de Milcour ,
& le Chevalier ne lui parut jamais plus
amoureux. Mais au milieu de leur entretien ,
en parlant de la partie de campagne , il exigea
d'elle qu'elle priât fon mari d'en être.
Je le veux , ajouta - t- il avec un tendre fourire.
Ce n'eft pas lui qui rompra notre têteà-
tête , puifque nous fommes beaucoup de
monde fans lui. Cette honnêteté lui fera plaifir
& à moi ; car j'aime beaucoup fa converfation
parce qu'il a beaucoup d'efprit. L'invitation
fut faite ; la partie eut lieu mais il
fit mauvais tems ; il fallut jouer ; & par un
hafard fingulier , peut- être ménagé par le
Chevalier lui -même , Mde de Milcour , fon
mari & le Chevalier furent condamnés enfemble
aux monotones langueurs d'un éternel
Loto. Milcour perdit beaucoup , mais
fort tranquillement. Il ne laiffa échapper aucune
plainte ; car il étoit fort beau joueur.
:,
20 MERCURE
Le Chevalier perdit peu & fe ficha beaucoup
; il jour avec une humeur affez remar
quable. Pardon , Meldames, s'écria til après
la partie , j'ai été aujourd'hui un déteftable
joueur. Mais ce qui a dû vous venger, ( car
j'en ai été bien humilié quand je m'en fuis apperçu
) c'eft que Milcour , qui , à mes côtés ,
a perdu fix fois plus que moi , ne s'eft pas
permis un feul mot qui annonçât la moindre
humeur . Ileft vrai, s'écria-t'on tout d'une
voix. Et tout le monde convint que Milcour
étoit le plus beau joueur du monde. Je në
l'ai jamais vu autrement , dit Mde de Milcourt.
Et cet hommage qu'elle tendoit à fon
mari , lai valut un tendre regard du Chevalier.
C'eft ainfi que , pour faire valoir fon
ami , il immoloit jufqu'à fon amour propre ;
& c'eft ainfi que, par les foins , & les adroites
obfervations Mde de Milcour trouvoit
dans fon époux des qualités qu'elle n'avoit
pas foupçonnées jufqu'alors. Depuis ce moment
, il lui arriva plus d'une fois de réflé
chir , ce qui eft allez furprenant ; & , ce qui
eft plus étonnant encore , de réfléchir à fon
mari.
16
Le hafard fournit enfin au Chevalier
l'occafion d'amener une crife , & de ha
farder un coup d'éclat. Une femme du plus
haut rang , qui ne fe croyoit célèbre que par
fa beauté , & qui l'étoit encore autant par
fes aventures galantes , avoit pris de l'amour
pour Milcour, qu'elle avoit rencontré dans le
monde. Une femme accoutumée à céder aux
DE FRANCE 21
fantaifies d'autrui , eût regardé fans douté
comme une duperie de réfifter aux fiennes ;
& elle fe flata de féduire Milcour par fon
crédit , fi elle ne pouvoit y réuffir par fes
charmes. Elle apprit un jour que Milcour
devoit vifiter un jardin curieux que tout le
monde s'empreffoit d'aller voir ; & elle prit
fes mefures de manière à fe trouver feule
avec lui dans ce mêmejardin . Le Chevalier,
par je ne fais quel hafard , fut inftruit de fon
projet , & il refolut de le tourner au profit
duifien. Il étoit sûr du coeur de fon ami
comme du fien propre , & fans faire part de
rien à Mde de Milcour , il trouva le moyen
de la conduire dans un cabinet , d'où l'on
pouvoit entendre tout ce qui fe difoit dans
Pallée où Milcour étoit atrende. Tout s'ar
rangea comme on l'avoit defiré. La dame fe
trouvant avec Milcour , abrégea les préliminaires
deda converfation . Il eft un rang où il
eft perinis d'exprimer plus clairement fes
defirs , parce qu'on n'oferoit les deviner.
Après un entretien , qui , en peu de mots, ne
laiffa aucun doute à Milcour fur fes intentions
, vous n'avez qu'à dire un mot , ajoutat-
elle , & je vous fais donner des demain la
brillante place du Chevalier de Clinfort,
( Elle ignordit que le Chevalier étoit l'ami
intime de Milcour. ) Madame , lui dit Milcour
, après des offres auffi obligeantes , je
vous dois au moins de mettre de la franchife
dans ma réponſe. D'abord, vous ignorez
que le Chevalier de Clinfort eft mon ami ;
22 1 MERCURE
& vous l'apprendre , c'eft refufer fa place
que vous m'offrez. Votre ſecond bienfait eft
bien plus féduifant ; mais fans vous oppofer
un engagement facré , l'amour feul me rend
incapable de l'accepter. Je devrois m'en dé →
fendre comme époux , je le fais comme
amant. La Dame , humiliée de ce refus inju
rieux , fit femblant de rire de fon amour
conjugal ; & fe retira . On fe fouvient fans
doute que Mde de Milcour & le Chevalier
écoutoient leur converſation. Eh bien , Madame
, s'écria le Chevalier comblé de joie ,
vous avez entendu : voilà l'époux que vous
auriez trompé ; voilà l'ami que j'aurois trahi.
Il n'en dit pas davantage ; & Mde de
Milcour ne répondit rien. Ils fortirent enfemble
; on ne rappela plus un feul mot de
leurs anciennes converfations. Mais les yeux
de Mde de Milcour étoient couverts &
fon coeur étoit changé. Elle aima fon époux,
vécut heureuſe avec lui en le rendant heureux,
& le Chevalier laiffa aux amis un bel exem
ple qui fera rarement fuivi.
POURQUO
MADRIGAL
OURQUOI le bel Enfant dopt Vénus eft la mère ,
L'Amour, eft-il fans yeux : diſoit , un jour, Glycère ?
Ah ! répond fon Amant , pourquoi ? Vous le favez :
Les yeux d'Amour , c'eſt vous qui les avez.
Par M. le Ch. D '*** C, D. 】
DE FRANCE. 23
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'Énigme eft la lettre N; celui E
du Logogryphe eſt Ami , où ſe trouve Mai.
ÉNIGM E.
J'AI brillé noblement dans une vaſte plaine ΔΙ
Où s'agitoit ma tête avec fierté ;
Mais battue & captive , ai -je lieu d'être vaine ?
A l'homme encor dans ma légèreté
Je fuis cependant néceffaire ,
Et plus d'un , fans moi , ne dort guère.
Bien des enfans m'admettent dans leurs jeux.
Je fuis longue , sèche , & menue ;
+8
Pour certains fcélérats mon afpect eft affreux.
Sur moi fouvent mainte Fête s'eft vue ,
( On n'eſt pas difficile aux Champs comme à la Cour.)
Mon nom fouvent fe donne au feu d'un fol amour.
(Par un Grainetier de la rue de la
Mortellerie , à Paris. )
24 MERCURE
LOGOGRYPHE.
MA naïflance , Lecteur , coûta cher à mon père ;
Car il mourût pour me donner le jour.
De ce préfent , las ! je ne jouis guère!
Après ma mort , ma four aura fon tour
Et comme moi , n'aura qu'une courte carrière.
Malgré la rigueur de mon fort ,
>
Souvent je participe à plus d'un doux myſtère ;
Et quelquefois je veille quand on dort.
Neufpieds forment mon exiftence :
Renverfez-les , ils offrent au Lecteur
Un grand terrein peu cultivé , de France ;
Un amas d'eau de certaine grandeur ;
Un animal ayant longues oreilles ;
Un endroit connu des Marins ;
Ce jardin fi fameux dont les faints Écrivains
Nous repréfentent les merveilles ;
Un quatrupède Américain ;
Une écorce odorante & qui naît dans une Iſle ;
Un ton de la mufique , une barque fragile ;
Et , pour finir , un mot Latin.
( Par M. Moinardeau de Saint-Prix. )
NOUVELLES
DE FRANCE. 25
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE fur les moyens à oppofer aux
ravages de la Petite Vérole , par M. Maret.
Vol. in- 12.
LA Petite Vérole attaque prefque tous les
hommes ; & en général nous n'échappons
à l'action de ce virus , que lorfque des maladies
plus promptes n'ont pas laiffé à la
Petite Vérole le tems de nous atteindre.
Cette maladie eft meurtrière. C'eft lui faire
grace que de ne compter qu'une victime
fur dix malades. L'on n'a la Petite Vérole
qu'une fois. Les exemples de récidives
font fi rares, qu'il ne faut pas en tenir compte.
La Petite Vérole inoculée préferve de la
rechûte , autant que la Petite Vérole naturelle.
La Petité Vérole inaculée eft prefque
fans danger.
La conféquence immédiate de ces cinq
vérités , que l'expérience a bien conftatées,
c'eft qu'il feroit à defirer pour l'intérêt public
de chaque Nation , que l'Inoculation y fût
générale , puifque l'ufage de cette pratique
fauveroit un grand nombre d'hommes.
Si on ajoute que l'on a la Petite - Vérole
inoculée feulement lorſqu'on veut l'avoir ,
Sam. 7 Octobre 1780
B
26 MERCURE
que la Petite Vérole naturelle peut nous attaquer
lorfque l'intérêt le plus grand nous
fait defirer d'être en état d'agir ; que la
crainte de la Petite Vérole eft dans toute la
vie une gêne , un obftacle qui nous empêche
de fuivre nos projets , de remplir nos devoirs
; qu'enfin la Petite-Vérole défigure
eftropie , prive des fens , & que l'Inoculation
n'a point ces effets funeftes ; on verra
qu'il eft de l'intérêt de chaque homme d'être
inoculé.
Quant aux pères.
fi l'on veut mettre
part l'effet de l'habitude , on verra que ,
par la même raifon qu'ils ne devroient pas
faire inoculer leurs enfans , ils devroient
encore moins leur faire traverſer un bras
de mer , ou une rivière , leur inſpirer du
goût pour un métier périlleux , leur faire
prendre une médecine de précaution , même
avec l'ordonnance d'un Médecin , & c,
Nous refpectons fans doute les parens qui
craignent d'expofer leurs enfans ; la poltronerie
pour autrui , quelqu'abfurde qu'elle
foit , eft toujours excufable ; mais nous ref
pecterons davantage le père qui , fans indifférence
& fans pufillanimité , ne voit dans
fes droits que l'obligation de faire ce qu'il
croit le plus grand bien de fes enfans , &
qui fe conduit pour un fils comme il croiroit
devoir fe conduire pour lui même .
L'opinion populaire avoit prévenu les
Philofophes & les Médecins : de tout tems
dans tous les pays où la Petite Vérole eft
2
DE FRANCE. 27
connue , les gens du peuple ont cherché à
faire cohabiter les enfans avec les malades
attaqués de la Petite Vérole , parce qu'une
expérience très longue leur avoit appris
que la Petite Vérole eft peu dangereufe dans
l'enfance , & que les récidives ne font point
à craindre.
-
Cette opinion fi fimple , contre, laquelle
on n'a pu oppoſer que des objections ridicules
ou des faits controuvés , étoit celle de
tous les hommes raiſonnables, lorfque quelques
Médecins s'avisèrent , vers 1768 , de
propofer qu'on fubftituât à l'Inoculation
l'extirpation de la Petite Vérole. Perfonne
n'y prit garde ; le célèbre la Condamine , qui
répondoit à tout , & qui avoit même quelquefois
inféré des Lettres dans l'Année-
Littéraire , ne fongea point à leur répondre.
Seulement Voltaire prit la peine de plaifanter
affez doucement un de ces Auteurs, dans une
Lettre de remerciment.
L'Inoculation continua de fe répandre ;
des exemples terribles obligèrent deux des
plus puiffantes Maifons de l'Europe de recourir
à ce préfervatif falutaire. Un des plus
ardens Anti-inoculateurs préfida lui même à
ces inoculations célèbres ; & certes , c'etoit.
en tout genre un des hommes de l'Europe
qu'on pouvoit le moins accufer d'aimer les
nouveautés & de s'oppofer aux préjugés.
Cependant un Extirpateur continuoit de
protéger fourdement fon fyftême d'extirpa
Bij
28 MERCURE
tion . Ilfavoit combien il eft aifé de rencontrer
des têtes ardentes & des ames pufillanimes ;
combien il eft doux pour certaines gens de
foumettre les autres à un joug de fer ; combien
certains hommes trouvent de profit &
croient trouver d'honneur à faire des réglemens.
A force de répéter les mêmes raiſonnemens
, ce Médecin fit des profélytes ; non
pas , à la vérité , dans la claffe des Phyliciens
éclairés , mais dans la claffe de ceux qui
peuvent s'opposer à l'Inoculation , qui peuvent
empêcher , du moins par l'excès des
précautions contre la Petite- Vérole , que
le point du monde où ils vivent n'en foit
préfervé.
Il feroit à craindre que cette doctrine ne
gagnât ; & quand on fonge quelles fottifes
ont été crues fur toute la terre , combien
d'efprits foibles ou bifarres ont cru à la
magie , combien il y eut en conféquence de
réglemens contre les Sorciers , on peut craindre
que les Extirpateurs n'obtiennent prefque
autant de crédulité que les Démonographes.
M. Maret a cru devoir combattre cette
nouvelle chimère , avec d'autant plus de rai
fon, que la Ville de Dijon, la première peutêtre
de France où l'on ait établi des préfervatifs
contre le tonnerre , eft cependant une
de celles où une claffe d'hommes , apparemment
très-différente de celle qui compofe
l'Académie , a eu pour les Extirpateurs la
Complaifance de paroître goûter leurs rêves
DE FRANCE. 29
que
, par
Il choifit le plus célèbre d'entre ces Extirpa
teurs ; il montre Les propres affertions,
la nature du venin de la Petite Vérole ,
la manière dont il fe communique, rend l'extirpation
impoffible , quand même , ce qui
n'eſt pas vrai , on pourroit prévenir le retour
d'un mal répandu dans toute l'Europe ,
auffi aifément que le retour d'un mal qui
comme la Pefte , ne paroît qu'à certaines
époques , & ne peut pénétrer que par unfeul
point. Quand même il y auroit quelque.
comparaiſon entre un mal dont le nom feul
effraie, & fait concourir tous les citoyens aux
précautions prifes pour l'extirper , & un mal
avec lequel l'habitude a familiarifé , dont
une grande partie des hommes ne craint plus
le retour , dont enfin on peut le préferver
par l'Inoculation fans employer tant de gêne
& de contrainte ; or , comme l'obferve M.
Maret , des loix comme celles que demandent
les Extirpateurs , ont befoin , pour être
exécutées , que l'opinion publique les feconde
& en affure l'exécution .
M.Maret prouve enfuite que les moyens propofés
par les Extirpateurs,font impraticables,
tyranniques, fujets aux inconvéniens les plus
fâcheux. En effet, il ne faut pas croire que le
prétexte de veiller à la fanté des hommes,
difpenfe de refpecter les droits de la nature
& de la fociété.
Il ne faut pas croire que les gênes qui peuvent
être légitimes dans un danger preffant &
momentané, puiffent être jamais ordonnées
Biij .
30 MERCURE
avec juftice par des loix permanentes ; c'eft
précisément comme fi , pour la fûreté de
l'Etat , on propofoit d'affujétir les habitans
de tous les villages à la police d'une ville
affiégée .
Enfin , & ceci n'eft pas la moindre rai
fon, ces précautions des Extirpateurs , loin de
détruire la Petite Vérole , font un moyen de
la rendre plus terrible. Comme c'eſt dans
l'enfance qu'elle eft moins dangereufe , dans
un pays où une épidémie dureroit toujours,
la Petite Vérole feroit moins de mal que
dans un pays où elle ne paroîtroit que cha
que dixième, chaque quatorzième année, par
exemple , & fes effets feroient bien moins
terribles.
Cette obfervation , que la Petite Vérole eft
moins dangereufe dans l'enfance, fuffit pour
répondre au reproche qu'on a fait à l'inoculation
, d'augmenter la mortalité de la Petite
Vérole. En effet, dans un pays où l'Inoculation
ne feroit pas générale , ce qu'on pourroit,
defirer de plus avantageux , c'eft qu'une épi
démie perpétuelle ne laiffât parvenir perfonne
à l'âge d'adulte fans avoir éprouvé
la maladie , & , comme nous l'avons déjà dit,
c'eft l'avantage que les parens , même parmi
le peuple , ont cherché à procurer à leurs
familles , depuis que la petite Vérole eft,
connue en Europe . D'un autre côté , fi l'Inoculation
étoit devenue générale , elle ne cauferoit
pas d'épidémie ; elle détruiroit abfoluDE
FRANCE, } r
ment , finon toute Petite Vérole , du moins
toute Petite Vérole dangereufe .
L'Ouvrage de M. Maret étoit devenu néceffaire.
Fiers de leurs petits fuccès , les Ex
tirpateurs en étoient venus au point de faire
pourfuivre les Inoculateurs comme des
empoifonneurs ; de dénoncer les parens qui
vouloient arracher leurs enfans au fléau de la
Petite Vérole , comme des perturbateurs de
la fûreté publique. Si on avoit continué de les
écouter, la Petite Vérole auroit fini par coûter
à la Nation beaucoup plus en amendes
qu'en ordonnances de médecine , & même en
Enterremens. Les partifans de l'inoculation
parmi lefquels on compte les noms les plus
célèbres de l'Europe , étoient traités avec un
mépris vraiment risible. Il paroiffoit chaque
mois des lettres , où des hommes abfolument
inconnus fignoient que , grace aux Extirpateurs
, l'Inoculation alloit être profcrite
dans toute l'Europe comme une méthode
meurtrière. Il falloit oppofer à ces excès une
autre réponſe que le filence. M. Maret a
donc fait une réponſe,& une réponſe ſérieuſe.
C'est un ménagement dont les Extirpateurs
doivent lui favoir gré.
A la vérité , fi on s'arrêtoit fur le mal tertible
qui pourroit réfulter de ces vains fyftêmes
dans le cas où des Magiſtrats , foit
ignorans , foit avides d'une occafion d'exercer
des vexations , daigneroient écouter les
Extirpateurs ; fi on fongeoit à ces familles
condamnées à périr de faim faute de travail,
Biv
32 MERCURE
& à mourir dans un air infecte , au droit de
faire arrêter un voyageur à la porte d'une
yille , ou plutôt àl'entrée de chaque village ,
jufqu'à ce qu'un Médecin ait prononcé qu'il
n'a pas la Petite Vérole , au droit de faire
vifiter par le Médecin de la Police tout malade
qu'on voudra tourmenter dans fon lit ,
on feroit tenté de s'indigner ; mais il vaut
mieux pardonner aux Extirpateurs, & efpérer
que puifque c'eft la même tournure de tête
qui produit le fyftême de l'Extirpation , le
Magnétifme animal , la quadrature du cercle,
l'acide de la lumière,le mouvement perpétuel ,
les canaux fouterreins, la pierre philofophale,
les miracles de l'alkali fluor , l'art de montrer
le fluide igné dans la lanterne magique , l'arr
de retrouver dans les cendres l'or que l'eau
forte diffout depuis le commencement du
monde fans qu'on en fache rien ; il faut efpe
rer que le fyftême de l'Extirpation aura le
même fort que ces belles découvertes , &
ne fera , comme elles , ni bien ni mal au
genre humain.
Un bouillant Extirpateur a vigoureuſement
répondu à M. Maret. Il prétend que M. Maret
l'a calomnié en fuppofant que , dans le
fyftême de l'Extirpation , la Police doit ordonner
de fermer les fenêtres des malades ,
de peur que les mouches ne portent la contagion
, & oblige les Médecins à prendre un
farrau de toile à l'entrée de la chambre de chaque
malade. Mais , eft - ce que cet Extirpateur
voudroit qu'on accordât aux Médecins &
vi 1
DE FRANCE. 33
aux mouches le privilège exclufif de donner
la Petite Vérole par la communication ? Voudroit-
il qu'on défendît par une Ordonnance
à la Petite -Vérole de s'attacher aux habits
des Médecins ? Le farrau de toile lui fait de la
peine. Si quelqu'un fait des remarques contraires
au fyftême de M. Maret , dit- il , M.
Maret va le couvrir d'un farrau de toile. M.
Maret , dans une nouvelle édition , ne manquera
point de fubftituer fans doute une robe
de foie au farrau de toile , précaution plus
décente , plus convenable à la dignité d'un
Médecin , ce qui rendra les frais de l'Extirpation
encore plus confidérables ; mais auffi il
accordera par ce moyen ce qu'on doit à
la fûreté des malades & à l'honneur des Médecins.
Comme il faudroit auffi des robes aux
Chirurgiens & aux Apothicaires , nous
croyons que les Extirpateurs pourroient, dans
leurs réglemens , mettre quelques différences
entre la forme de ces robes.
A la vérité , quelques Phyficiens ont cru
avoir de bonnes raifons pour regarder un farrau
de toile comme moins fufceptible de
communiquer une maladie ; mais alors ,
pour contenterle Médeciu Extirpateur , il ſeroit
à propos de diftinguer les différens ordres
de l'art de guérir par des épaulettes , des
plaques , des cordons .
Nous avons un reproche plus férieux à
faire à M. Maret , que celui d'avoir fait rire
aux dépens des Extirpateurs en expofant les
conféquences néceffaires de leur fyftême ;
By
34 MERCURE
c'eft d'avoir , on ne fait à quel propos , répéré
ces reproches d'indifference , d'infenfibilité
qu'ont cherché à accréditer contre M.
de Fontenelle certaines gens qui font intéreffés
à faire croire que les hommes d'un grand
talent font fans morale , afin qu'en les jugeant
d'après leur conduite , on puiffe leur
fuppofer de grands talens.
Nous terminerons cet article par des voeux
fincères pour que les Médecins éclairés daignent
imiter M. Maret , & parler du fyftême
des Extirpateurs ; quelque ton qu'ils prennent,
celui qui défabufera plus tôt le Public
d'une chimère dangereufe & par le mal qu'elle
peut caufer , & par les obftacles qu'elle met à
une pratique falutaire , fera le meilleur , le
plus utile.
P. S. Un Extirpateur a dit , page 126 , ligne
14 de la Gazette de Santé , qu'une maladie
affez femblable aux Écrouelles , eft fouvent .
la fuite de la Petite Vérole , fur- tout inoculée.
Et enfuite , ligne 28 , qu'on l'attribue au dé- ;
faut de purgation après la Petite Vérole.
Nous obferverons 1 ° .. , que certains Antiinoculateurs
s'étant avifés d'accufer quelques
inoculés d'avoir pris les écrouelles par l'inoculation
, cette fraude pieufe a été vigoureufement
repouffée . 2 ° . Que d'après le fen- :
timent de la ligne 28 , jufqu'à ce que nous
ayons vu un réglement extirpateur qui défende
de purger après l'inoculation , nous ne
croirons point que la Petite Vérole inoculée
E
DE FRANCE.
35
caufe des engorgemens plus fréquens que la
Petite Vérole naturelle."
HISTOIRE des Chevaliers- Hofpitaliers de
S. Lazare , des Lépreux de Jérufalem ,
appelés aujourd'hui Chevaliers de Notre-
Dame du Mont Carmel & de Saint-
Lazare. Ouvrage approuvé & propofé par:
Soufcription.
·
M. de Sibert , de l'Académie Royale des .
Infcriptions & Belles Lettres , a publié , en
1774, une Hiftoire des Chevaliers de S.
Lazare ; en 1775 , un Auteur anonyme a
fait imprimer un Effai critique fur 1 Hiftoire
du même Ordre. L'Ouvrage dont nous annonçons
aujourd'hui le Profpectus , commencé
en 1761 , fut achevé en 1765. Un
Miniftre d'État , qui étoit alors Adminiſtra
teur de l'Ordre , approuva l'entrepriſe de
l'Auteur , & donna des éloges à l'Hiftoire
lorfqu'elle lui fur préfentée. L'Auteur nous
dit cependant avec beaucoup de modeftie
qu'il n'eût jamais traité ce fujet , s'il eût pu
favoir que M. de Sibert & l'Auteur anonyme
s'en occupoient. Cette inodeſtie eſt
louable ; mais il nous femble que fi elle devenoit
trop générale , elle feroit plus de tort
encore au Public que d'honneur aux Éctivains.
Le même fujet a prefque toujours
une multitude de faces & de points de vue
qui ne peuvent pas entrer dans le même
plan : ceux qui veulent les embraffer tous,"
L
B vj
34
MERCURE
c'eſt d'avoir , on ne fait à quel propos , répéré
ces reproches d'indifference , d'infenfibilité
qu'ont cherché à accréditer contre M.
de Fontenelle certaines gens qui font intéreſfés
à faire croire que les hommes d'un grand
talent font fans morale , afin qu'en les jugeant
d'après leur conduite , on puiffe leur
fuppofer de grands talens.
Nous terminerons cet article par des voeux
fincères pour que les Médecins éclairés daignent
imiter M. Maret , & parler du fyftême
des Extirpateurs ; quelque ton qu'ils prennent,
celui qui défabufera plus tôt le Public
d'une chimère dangereufe & par le mal qu'elle
peut caufer , & par les obftacles qu'elle met à
une pratique falutaire , fera le meilleur , le
plus utile.
P. S. Un Extirpateur a dit , page 126 , li
gne 14 de la Gazette de Santé , qu'une maladie
affez femblable aux Écrouelles, eft fouvent .
la fuite de la Petite Vérole , fur- tout inoculée.
Et enfuite , ligne 28 , qu'on l'attribue au dé- ì
faut de purgation après la Petite Vérole .
Nous obferverons 1 ° . , que certains Antiinoculateurs
s'étant avifés d'accufer quelques
inoculés d'avoir pris les écrouelles par l'inoculation
, cette fraude pieufe a été vigoureufement
repoufféc . 2 ° . Que d'après le fentiment
de la ligne 28 , jufqu'à ce que nous
ayons vu un réglement extirpateur qui défende
de purger après l'inoculation , nous ne
croirons point que la Petite Vérole inoculée
DE FRANCE.
38
caufe des engorgemens plus fréquens que la
Petite Vérole naturelle..
HISTOIRE des Chevaliers- Hofpitaliers de
S. Lazare , des Lépreux de Jérufalem ,.
appelés aujourd'hui Chevaliers de Notre-
Dame du Mont Carmel & de Saint
Lazare. Ouvrage approuvé & propofé par
Soufcription.
·
M. de Sibert , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles Lettres , a publié , en
1774, une Hiftoire des Chevaliers de S.
Lazare ; en 1775 , un Auteur anonyme a
fait imprimer un Effai critique fur 1 Hiftoire
du même Ordre. L'Ouvrage dont nous annonçons
aujourd'hui le Profpectus , commencé
en 1761 , fut achevé en 1765. Un
Miniftre d'État , qui étoit alors Adminiftrateur
de l'Ordre , approuva l'entrepriſe de
l'Auteur , & donna des éloges à l'Hiftoire
lorfqu'elle lui fur préfentée. L'Auteur nous
dit cependant avec beaucoup de modeftie
qu'il n'eût jamais traité ce fujet , s'il eût
favoir que M. de Sibert & l'Auteur anonyme
s'en occupoient. Cette inodeftie eſt
louable ; mais il nous ſemble que fi elle devenoit
trop générale , elle feroit plus de tort
encore au Public que d'honneur aux Écrivains.
Le même fujet a prefque toujours
une multitude de faces & de points de vue
qui ne peuvent pas entrer dans le même
plan ceux qui veulent les embraffer tous,
pu
L
B vj
36
MERCURE
s'expofent à manquer d'unité dans le deffein
de l'Ouvrage dans l'Hiftoire , par exemple,
on ne peut guères difcuter des titres & raconter
des faits , fans prendre le ton tantôt
d'un Differtateur , tantôt d'un Hiſtorien. Il
eft donc à defirer que ce que l'Hiſtorien a
de douteux & de problématique , foit traité
par des Écrivains qui joignent l'efprit de critique
à une grande éradition ; & que les
faits qui ne font conteftés par perfonne ,
foient le partage de ceux qui font diftingués
par le talent d'écrire. Il peut même être
très-avantageux que plufieurs hommes de
talent écrivent la même Hiftoire . Nous
avons beaucoup de peine à retenir dans la
mémoire une longue fuite de faits : ils s'effacent
les uns par les autres , & fi on ne les ou- ,
blie pas , ils deviennent au moins confus ,
quand on ne relit pas de tems en tems la
même Hiftoire. On la relira bien plus volontiers
dans deux Ouvrages différens que dans
Ic même Ouvrage : la variété du ftyle donne '
un intérêt nouveau à des faits déjà connus ;
& l'attention que l'on donne avec plaisir à
la comparaifon du talent des Hiftoriens ,
grave mieux dans notre efprit les détails importans
de l'hiſtoire.
*
On ne voit point que les Anciens fe foient
piqués de cette délicateffe dont on voudroit
nous faire une loi. Les Auteurs Dramatiques
& les Hiftoriens traitoient chez eux les
mêmes fujets , fans que les rivaux même
cruffent avoir le droit de s'en plaindre.
DE FRANCE
37.
Parmi eux , un fujet paroiffoit appartenir
également à tous ceux qui avoient le talent
de le bien traiter. Si Tite- Live & Salluſte
nous étoient parvenus tout entiers , nous
aurions prefque tout le grand tableau de
l'Hiftoire Romaine , tracé par ces deux
grands Peintres . Que d'intérêt & d'inftruction
nous offriroit ce parallèle ! Des Rétheurs
habiles ont voulu nous apprendre la
feule manière dont il faut écrire l'Hiftoire ;
Sallufte & Tite- Live nous auroient appris
combien le génie a de manières différentes
de la bien écrire.
L'Auteur de l'Ouvrage que nous annonçons
& M. de Sibert paroiffent avoir traité
I'Hiftoire de S. Lazare avec des vues trèsdifférentes.
M. de Sibert a fait les recher-:
ches les plus favantes fur l'origine , les titres
& les poffeffions de l'Ordre. Le nouvel Hif
torien , fans rien négliger de ce qui a rapport
à ces objets , s'eft plus attaché à ceux
qui lient l'Hiftoire de l'Ordre à l'Hiftoire
générale de la Nation & de l'Europe , &
fous ce point de vue , le tableau hiftorique
de l'Ordre des Chevaliers de S. Lazare n'eft
pas indigne d'un homme qui fauroit manier
les pinceaux de l'Hifioire. C'est un beau
fpectacle , en effet , que préfentent des hommes
qui , confacrés d'abord par la Religion
au fervice des Pauvres & des Malades , paffent
des Hôpitaux dans les Armées , fe rendent
célèbres par un héroïfme qu'infire.
l'amour de l'humanité , élèvent , pendant
38
MERCURE
quelque tems , les intérêts de leur Ordre au
rang des intérêts des Puiffances de l'Europe ,
& , lors même que les jours de leur gloire
font paffes , confervent encore une affez
haute confidération pour que des Rois ou
des enfans de Rois foient les Chefs de leur
Ordre.
Celui qui a pu concevoir ainfi leur Hiftoire
, eft digne probablement de l'exécuter.
Mais l'Ordre même a dans fon feiu un Hiftoriographe
( M. l'Abbé Arnaud ) qui ,
connu dans les Lettres par fon amour pour
les Anciens , dont il a l'imagination & la
fenfibilité , feroit plus capable que perfonne
de nous retiacer , dans ce fujet , la manière
dont les Tite Live & les Tacite favoient
écrire l'Hiftoire.
ANECDOTES des Beaux- Arts , Tome III .
A Paris , chez Jean - François Baftien
Libraire , rue du Petit Lion , F. S. G.
FACILITER d'une manière peu ennuyeuſe
la connoiffance hiftorique des Arts , en tracer
les progrès & la décadence parmi les
Nations qui les ont cultivés , donner une
notice fur les talens & la vie des Artiftes ,
tel eft l'objet de cette compilation . Les recherches
en tout genre n'ont point été épargnées
: on a mis à contribution des Ouvrages
de toute efpèce. Mais il faut avouer auffi
que ce Livre , compofé de tant de Livres ,
n'eftTouvent qu'un amas de fragmens qui
DE FRANCE.
39
ont peu de rapport les uns avec les autres ,
ou qu'un recueil fans ordre & fans choix
d'anecdotes , quelquefois fauffes & trop
fouvent fabuleufes , tirées de Voyageurs
qui ont mal vu , ou de ces Ecrivains peu
judicieux, qui ont la bonhommie de tout copier,
& qui fe plaiſent à raconter du merveilleux.
Quoi qu'il en foit , l'accueil que le
Public a fait aux deux premiers Volumes de
cet Ouvrage , excite le Compilateur à le continuer
avec de nouveaux foins , & les Tomes
fuivans fe fuccéderont rapidement . Ce troifième
Volume renferme les Sculpteurs Grecs ,
Italiens , François , Flamands , Allemands ,
Efpagnols , &c. La feconde Partie traite de
l'Architecture , & contient plufieurs Anecdotes
relatives à cet Art , curieuſes & inf---
tructives.
E1OGE DE CATILINA ; dans lequel on
venge ce Romain célèbre des calomnies
de Cicéron & de plufieurs autres Écrivains.
Dulce & decorum eft pro patria mori. A
Paris , chez Onfroy , Libraire , quai des
Auguftins , au Lys d'or. Frix , 1 liv. 4 fols.
TOUT le monde connoît la plaifanterie
neuve & originale de la théorie du Paradoxe ,
Ouvrage plein de fel & de raifon , & dans
lequel les bons efprits ont reconnu quelques
étincelles du génie de Swift & de Lucien de
cauftique mémoire. La nouvelle Brochure
que nous annonçons a été composée dans
une intention à peu-près femblable ; &
40.
MERCURE
comme dans le premier Ouvrage on a voulu
tourner en ridicule la manie du Paradoxe ,
on a voulu dans celui - ci faire voir l'abus des
éloges oratoires , & démontrer qu'en fuivant
la méthode en ufage de nos jours , on
peut faire le panégyrique des hommes qui
ont été les plus pernicieux à la fociété , des
fcélérats les plus infignes . En effet , il faut
convenir que quelques uns de nos Orateurs
Lauréats, femblent oublier que nous ne parlons
plus qu'aux yeux du Lecteur dans le
filence du cabinet , & que ces figures oratoires
, fi bien placées dans la bouche des
Grecs & des Romains qui , dans la tribune
aux harangues , parloient aux oreilles d'une
multitude innombrable & tumultueufe , ne
font plus guères pour nous qu'une éloquence
collégiale. Sans doute il faut être éloquent ,
& l'Auteur de l'Émile l'eft véritablement
d'un bout à l'autre de fon Livre ; mais on
ne peut trop condamner ces exagérations
ridicules , & cette prétendue pompe de ftyle ,
avec laquelle on veut agrandir ce qui eft
petit , enfler ce qui eft grand , ou déguifer
ce qu'il falloit blâmer. Les jeunes gens & le
vulgaire des Lecteurs font encore la dupe de
ce vain appareil de phrafes ; ils prennent de
l'orgueil pour du génie , & de la déclamation
pour de l'éloquence ; mais les bons efprits
dédaignent les mots , ils n'aiment que le
vrai ; & il n'y a plus de vérité dès que le ſtyle
eft chargé d'ornemens frivoles & fouvent
étrangers.
DE FRANCE. 41
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Nous avons déclaré , dans un des Numéros
de ce Journal , que nous ne parlerions déformais
que des Débuts qui mériteroient
d'être cités. Plus nous avons réfléchi fur cette
idée , & plus nous nous fommes perfuadés
qu'il falloit nous y arrêter. En effet , quel
intérêt nos Lecteurs pourroient-ils prendre.
à voir fans ceffe les mêmes formules repaffer
fous leurs yeux , le plus fouvent pour les
entretenir de fujets qui ne donnent aucune
efpérance , ou qui en donnent de fi légères ,
qu'à peine , dans la crainte de compromettre
fon jugement , un Obfervateur ofe-t-il les
indiquer ? Quel fruit d'ailleurs recueille - t on :
des avis que l'on donne à la médiocrité , des
difcours injurieux & de la haine ? On s'en
venge par le mépris ; à la bonne heure :
mais il vaudroit mieux encore s'en venger
par l'avantage d'être utile ; & toutes les fois
qu'il y faut renoncer , le filence eft , fans
doute , le parti qu'il faut prendre. Nous le
prenons donc à quelques égards , & nous
prions les Amateurs du Théâtre de ne point.
imputer à oubli ou à négligence les omiffions
volontaires que nous nous permetrons
quelquefois. Avant de terminer cet avertif
t
42 MERCURE
fement , nous obferverons qu'on entre aujourd'hui
dans la carrière Dramatique ,
comme dans une carrière dont on peut aifément
atteindre le but. C'eſt à cette confiance
indifcrette qu'on peut attribuer principalement
la décadence de la Comédie. Pour
réuffir dans cet Art & peu étudié de nos jours ,
il faut connoître la nature , les paffions qui
l'agitent , leurs nuances , leurs effets , les rapports
& les différences des caractères ; joindre
à l'intelligence qui éclaire fur tous ces
objets , non -feulement les moyens de repré
fentation relatifs à l'emploi qu'on adopte ,
mais encore une fenfibilité expanfible , une
phylionomie mobile , une ame capable de
recevoir promptement toutes les impref
fions , & de les rendre avec rapidité fous les
couleurs qui conviennent à chacune d'elles.
Nos Débutans ont-ils fur ces objets quelque
lumière ? Laiffent - ils feulement entrevoir
qu'ils ayent cherché à acquérir les connoiffances
qu'exige l'état qu'ils embraffent ? On
peut répondre négativement à ces queſtions ,
quand on les voit prefque tous fe préfenter
fur la Scène avec l'ignorànce parfaite & de
la mefure d'un vers , & de la langue qu'ils
doivent parler ; quand on les voit confondre
toutes les idées , toutes les expreffions , &
prêter au perfonnage qu'ils repréfentent
toute la foibleffe , pour ne pas dire plus , de
leur raifon & de leur efprit. On s'imagine
qu'avec une jolie figure , un bel organe , une
taille avantageufe , on a des droits au titre)
DE FRANCE.
43
de Comédien ; ces qualités fi effentielles
quand elles font accompagnées des qualités
morales , ne forment pas plus un Comédien
quand elles marchent feules , qu'un bon inftrumentne
rend habile un Muficien ignorant,
On pourroit porter plus loin ces réflexions ;
mais les Comédiens François , à qui nous les
adreffons , n'ont pas befoin que nous les
étendions davantage ; & fi , comme nous en
fommes perfuadés , ils aiment réellement
l'état fur lequel ils ont fondé leur fortune &
leur renommée , elles fuffiront pour les engager
à tout tenter, afin que le Théâtre de la
Nation ne compte bientôt au nombre de fes
Membres que des Comédiens capables de
foutenir & d'étendre la gloire d'un Art que
tout fait pencher vers fa chûte , dans l'inftant
même où l'on vante le plus le progrès des
lumières en France.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nous ne ferons qu'une obfervation fur le
debur de Mde Guédon , fille de l'inimitable
Carlin , qui a joué deux fois le rôle d'Hélène
dans Silvain , au moment où nous écrivons .
De tous les emplois que peut choisir une
jeune perfonne fans expérience , celui des.
Mères & des Duègnes eft pofitivement celui
qu'elle devroit s'interdire, puifque d'un côté ,
il demande beaucoup de connoiffance du
Théâtre, de la nobleffe , un maintien affuré
44
MERCURE
un débit exercé ; de l'autre , une grande partie
des qualités relatives aux rôles de Caractères
& de Soubrettes , qualités difficiles à acquérir
& que peuvent feulement donner une
étude opiniâtre & un long ufage de la Scène.
Si les talens étoient héréditaires dans les familles
, nous ne douterions pas que Mde
Guédon ne franchit bientôt lintervalle qu'on
remarque entre elle & fon emploi ; mais nous,
en fommes encore à le defirer ! ... Au
furplus nous ne jugeons point cette
Actrice ; l'intérêt qu'infpire un Comédien
auffi eftimable que M. Carlin , nous fait un
devoir de fuivre exactement les débuts de
fa fille , & nous en reparlerons , s'il y a lieu.
>
Le Vendredi 29 Septembre , on a repréfenté,
pour la première fois , les deux Oncles,
Comédie en un Acte & en vers.
-
Un vieil Avare a promis fa fille à un
jeune Officier , neveu d'un homme fort
riche. Celui- ci , livré à des foins que fes affaires
ont rendu indifpenfables , n'a pas
donné de fes nouvelles depuis fort longtemps
; en conféquence , l'Avare a choifi.
pour gendre un Préſident de fes amis , homme
d'un certain âge , qui , fans être chargé
d'aucun des ridicules propres aux amoureux
un peu mûrs , veut prendre une femme pour
y trouver une compagne , une amie , & pour
la rendre heureufe. Un valet de l'Officier fe
propoſe de renverfer le fecond projet de
DE FRANCE. 45
l'Avare , de fervir les amours des jeunesgens
, en prenant le coftume d'un vieillard
& en fe préfentant fous le nom de l'Oncle
de fon maître , que perfonne ne connoît
dans la maifon. En effet , il s'y introduit,
ramène les chofes au point où le jeune amant
les defire ; tout va fe conclure , quand le véritable
Oncle arrive , & s'adreffe pofitivement
au valet déguifé , comme au père de fa fu
ture nièce. On peut juger de fa furpriſe ,
quand le valet , lui déclare ingénuement
qu'il eft l'oncle du jeune Officier , & qu'il
s'appelle Timante. L'arrivée de tous les autres
perſonnages débrouille l'intrigue , & le
Préfident , toujours fidèle à fon caractère ,
confent à n'être point l'époux de la jeune
perfonne , mais il demande à devenir l'ami
de la maifon. Cette demande eft accompa
gnée du don d'un écrin qu'il vient d'acheter
pour la maîtreffe, & le tout fe termine
à la fatisfaction de tout le monde.
Cette petite Comédie eft le coup d'effai
de fon Auteur ; d'après cela , il n'eft pas
difficile de croire qu'elle eft fufceptible de
beaucoup de reproches . On en rendra un
compte plus détaillé quand elle fera imprimée.
On le doit aux efpérances que donne
cette première production d'un très - jeune
homme, & dans laquelle on trouve de la gaîté,
de la bonne plaifanterie , des étincelles de
comique , un ſtyle quelquefois négligé , mais
fouvent facile & piquant. En un mot , on
peut , fans exagérer les encouragemens , dire
46
MERCURE
que ce petit Ouvrage annonce de très- heureufes
difpofitions.
GRAVURES
.
NOUVEAU Plan routier de la Ville & Fauxbourgs
de Paris ; avec fes principaux Edifices & toutes les
Rues nouvelles ; par M. Pichon , Ingénieur - Géographe.
A Paris , chez Efnaut & Rapilly, rue S. Jacques ,
à la Ville de Coutance. Prix , 6 liv .; collé fur toile ,
12 liv. Ce Plan eft en quatre grandes feuilles , & la
Gravure en eft bien foignée.
Carte des Ifles Antilles & du Golfe du Mexique ,
avec la majeure partie de la Nouvelle-Espagne , en
3 feuilles, par M. Bonne,Ingénieur-Hydrographe de
la Marine. A Paris , chez Lattré, Graveur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , la porte cochère vis-à - vis
la rue de la Parcheminerie. Frix , 4 liv 4 f. On trouve
chez le même l'Océan Atlantique , & toutes les Cartes
relatives aux affaires préfentes .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Citoyen de Campagne , ou Réponse à la queftion
: quelles font les connoiffances néceffaires à un
Propriétaire qui fait valoirfon bien pour vivre à la
Campagne d'une manièré utile pour lui & les Payfans
qui l'environnent , &c. Ouvrage qui a partagé le Prix
de la Société Royale de Soiffons en 1780. par M,
Bouthier. Brochure in- 12. A Paris , chez Durand &
Lamy , Libraires .
Pamphlet Programmatique , ou Obfervations
DE FRANCE. 47
pour un Prix d'Eloquence , par C. Philadelphe ; in-
12. A Paris , chez les Marchands de Nouveautés . :
On trouve préfentement chez Gueffier , Libraire-
Imprimeur , au bas de la rue de la Harpe , à Paris ,
les deux Ouvrages fuivans : Traité des Tumeurs &
des Ulcères , où l'on a joint à une théorie folide la
pratique la plus sûre & la mieux éprouvée , avec
deux Lettres , 1 ° . fur la compofition de quelques
remèdes dont on vante la propriété , & dont on
cache la préparation ; 2 ° . fur la nature & le fuccès
des nouveaux remèdes qu'on propofe pour la guérifon
des Maladies vénériennes , par M. Aftruc. 2 V.
in-12. rel . 6 l. Traité des Maladies des Femmes
, où l'on a tâché de joindre à une théorie ſolide ,
la pratique la plus sûre & la mieux éprouvée , avec
un Catalogue Chronologique des Médecins qui ont
écrit fur ces Maladies. On y a joint l'Art d'accoucher
réduit à fes principes , où l'on expofe les pratiques
les plus sûres & les plus ufitées dans les différentes
efpèces d'Accouchemens , avec l'Hiftoire fommaire
de l'Art d'accoucher , par M. Aftruc. 7 Vol.
in-12-18 1.
On vendra féparément les Tomes 5 , 6 & 7 ,
pour compléter la première édition , qui n'avoit que
quatre volumes , ainfi que le volume qui traite des
Accouchemens.
+
Jugement Impartial ferio-comi- critique d'un Manant
, fur le Pain de Pommes de terre , in 8 ° . A
Paris , chez la Veuve Valat-la- Chapelle , au Palais .
La Servitude abolie , Pièce qui ne concourra pas:
pour le Prix de l'Académie Françoiſe. A Paris, chez
Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Difcours en faveur du Théâtre François , contre
les Ufurpations de l'Opéra , in- 8 ° . prix 12 ſ. A Paz
ris , chez Colas , Libraire , place Sorbonne.
48
MERCURE
Tome LXVIII des Caufes Célèbres. A Paris, chez
M. Defeffarts , rue Dauphine, à l'Hôtel de Mouy, &
chez Mérigot , Libraire , quai des Auguftins.
Théorie de l'intérêt de l'argent , tirée des Principes
du Droit Naturel de la Théologie & de la Politique
, contre l'abus de l'Imputation ufuraire. Vol
in- 12 . Prix , 2 1. br. A Paris , chez Barrois l'aîné , Li-:
braire , quai des Auguſtins.
Gymnastique Médicinale & Chirurgicale , par
M. Tiffot , Docteur en Médecine . Vol. in- 12 . Prix ,
2 liv. 10 fols. A Paris , chez Baftien , Libraire , rue
du Petit Lion ,
Septième Cahier des Hommes Illuftres de la
Marine Françoife , où se trouve le Portrait du Chevalier
de Saint- André , par M. de Graincourt
in-4° . A Paris , aux Adreffes ordinaires.
TABLE.
VERS fur Eulalie
Epitre à Mde C ***
Quel Ami ! ou le Rare
cédé , Anecdote ,
Madrigal,
Enigme & Logogryphe ,
3 Hiftoire des Chevaliers- Hof-
4 pitaliers de S. Lazare. 35
Pro- Anecdotes des Beaux- Arts, 38
8 Eloge de Catilina ,
22 Comédie Françoife
23 Comédie Italienne ,
Mémoirefur les moyens à op- Gravures ,
.
pofer àla Petite Vérole , 25 Annonces Littéraires ,
APPROBATIO N.
39
41
43
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 7 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
le 6 Octobre 1780. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 14 OCTOBRE 1780 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE à l'Épitre flatteufe de M. l'Abbé
DOURNEAU, inférée dans le Mercure
du 15 Juillet.
Du double laurier d'Apollon
Ma tête n'eft point couronnée ;
Et du bon Rabelais la robe furannée
N'affigne point un rang dars le facré Vallon.
Ma Mufe autrefois téméraire
Vers la docte colline ofoit prendre l'effor ;
Laîle du tendre Amour la rendoit plus légère sa
L'Amour faifoit lui - même excufer fon effort : get
Plein du feu qui brilloit dans les yeux de Glycère ,
Mon efprit , de mon coeur fecondoit le tranſport.
Mais ce qu'on fait , Amour , lorſque tu nous domines ,
Sam. 14 Octobre 1780.
C
fo
MERCURE
Sur le retour n'offre plus de douceurs ;
Et fi j'allois fans toi fur le mont des Neuf Soeurs ,
Je me perdrois bientôt dans les épines .
Je te laiffe aujourd'hui ces lieux à parcourir ;
Tu peux y moiffonner les fleurs les plus brillantes ;
Va , quelque fujet que tu chantes ,
Cher Abbé , tu fais l'embellir.
Mon ame , enfin , fagement détrompée ,
Commence à triompher des vives paffions ;
De leur douces illufions
Ma Mufe n'eft plus occupée,
Apollon n'eft pour moi qu'un Dieu de la fantés
De l'art de nous guérir que lui - même a dicté ,
Je voudrois pénétrer les utiles myftères :
Il a créé pour nous les plantes falutaires ;
Je cherche à les connoître ; & quand pour mes amis
J'en puis faire un heureux ufage ,
Que leur fanté devienne mon ouvrage ,
Mes travaux ont reçu leur prix,
( Par M. Boulland , Médecin. )
Impromptu en réponse aux Vers précédens.
DE DIEU des Vers quand vous pincez la lyre
Vous enchantez & l'oreille & le coeur :
Quand vous parlez , on écoute , on admire ;
Et l'on guérit en voyant le Docteur.
(Par M, Abbé Dourneau,
DE FRANCE. 51
É LÉGIE A MON AM I.
RESTIC ESPECTEZ ma douleur extrême :
Vos foins cruels augmentent mes ennuis ;
Plaignez mon fort , je hais l'amitié même ;
Tout m'eft affreux dans l'état où je ſuis.
Quoi , vous voulez que ma Mule éplorée
Effaye encor de timides accens ,
Lorfque mon ame , au défefpoir livrée ,
Se plaît à nourrir fes tourmens! ....
Que je l'aimois , cette ingrate Lucie !
Quel afcendant elle avoit fur mon coeur !
Les Dieux, par tant d'attraits, l'avoient donc embellic
Pour me faire fentir leur injufte rigueur ? ...
Sur moi l'Amour inexorable
Se plut à lancer tous les traits.
Vois combien je fuis miférable !
Je l'aime encor , car je la hais.
Mais ces feux méprifés fe changeront en rage.
Puiffe , pour me venger d'un fi cruel outrage ,
Le rival odieux que je faurai punir ,
Lui rendre tous les maux qu'elle me fait fouffrir !
Que dis-je ? quel tranſport m'égare ?
Périffe le mortel qui bleffe , amant barbare ;
Le fein que dans fes bras il preffa tendrement,
Qui déchire un coeur qu'il adore ,
Qui ſe repaît des larmes que répand
Cij
52
MERCURE
Une Beauté qu'il idolâtre encore ! ...!
Ainfi , malgré fon infidélité ,
Contre moi je m'arme pour elle ;
Qu'elle foit donc heureufe autant que belle !
L'Amour exifte- t'il fans générofité ?
Mais que la froide indifférence
Règne dans mon coeur fans retour.
Trifte raiſon , j'invoque ta puiffance ,
J'abjure pour jamais les erreurs de l'Amour.
Je fuirai ce fexe perfide ,
Tendre par fantaisie , & volage par goût ,
Qui toujours d'hommages avide ,
Pour ne rien rendre , exige tout.
A mes regards qu'il étale fes charmes ;
Sa fauffeté m'armera de mépris ,
Et je me fouviendrai des larmes
Que me coûtent mes feux trahis.
( Par M. Bodard de Taizay. )
LES PERDRIX , Conte.
UN vieux oncle , bavard , mais qui ne mentoit
guère ,
Me difoit : ( & long-temps il m'en refſouviendra )
Tout ce que la ruſe peut faire ,
Crois que la femme le fera.
C'est ce que mon oncle ofoit dire .
Pour moi , je ne vous dirai rien ,
DE FRANCE.
53
Qu'un Conte , inventé mal ou bien ,
Dont je rirai , s'il vous fait rire.
CERTAIN Villageois avoit pris
Derrière un buiffon deux Perdrix .”
Afon dîner , tout fier il les deftine :
Sur elles il jetoit un regard complaifant ;
Et pour attendre moins , en gagnant fa cuifine ,
Il les plumóit chemin faifant.
En arrivant , attendri par la joie ,
Il fourit à fa femme , & lui livre fa proie.
Le couple oifeau tout nud , muet & plus petit ,
Tranfpercé d'un long fer , qui dans leurs flancs féjourne
,
Côte- à-côte rangé , déjà tourne & retourne
Devant un feu qui le rôtit.
Gombaud , ( c'eft le mari ) Paroiffien fort honnête ,
S'il aime les Perdrix , aime auffi fon Curé ;
Il court en attendant l'inviter à la fête.
Mais tout le trouva cuit avant qu'il fut rentré.
Sa femme ( c'étoit Mathurine )
Retira les Perdrix ; car c'étoit ( s'il en fut )
Une femme experte en cuisine .
Mais le hafard , ou le Diable voulut
Qu'à la broche reftât collée
Certaine peau bien riſſolée
Que Mathurine avale au même inftant.
Toute autre en même cas en auroit fait autant.
A cette peau fi bien rôtie
C iij
14
MERCURE
Elle trouve un goût , un fumer
Qui lui donne auffitôt l'envie
De voir fi tout répond à ce qu'elle promet
·
Des deux Perdrix elle prend la plus belle ,
En détache une cuiffe , & la mange foudain.
« Ah ! Dieu ! quel goût exquis , dit- elle !
→ Si la cuiſſe en a tant , que fera-ce de l'aîle ? »
L'aîle auffitôt prend le même chemin 3.
L'autre aîle fuivit la première ,
Et l'autre cuiffe en fit autant :
La curieufe enfin s'efcrima tant
Qu'une perdrix y paffa toute entière.
Mais Gombaut ne vient point. Sa femme a fous fes
yeux
Une Perdrix encor bien graffe & rebondie..
La manger , Mathurine en auroit bonne envie:
Mais quoi ! fur deux Perdrix en avoir mangé deux ,
Ce feroit trop . Plus modefte & plus fage ,
Elle en coupe le cou , le flaire.... Quelle odeur !
Elle y goûte. Quelle faveur !
Oh ! celle-ci vaut deux fois mieux , je gage..
Elle difoit bien vrai ; mais pour n'en pas douter , 4
La Dame y goûte un peu , puis davantage
Enfin la mange entière à force d'y goûter.
A PEINE elle a fini cette importante affaire ,
Son efprit n'a point préparé
La réponse qu'elle doit faire ,
Que l'époux, en rentrant , annonce le Curé..
DE FRANCE. $1
Eh bien , lui cria-t'il , ma femme ,
» Le gibier eft-il cuit ? Ah ! ne m'en parlez pas ,
→ Dit-elle en gémiffant ; j'en ai la mort dans l'ame.
» Un chat cruel , le plus maudit des chats ,
» Emporte nos Perdrix . » —Hem ! un chat ! qu'eſt- se {}
à dire
S'écria Gombaut furieux ;
Il alloit à fa femme arracher les deux
Quand Mathurine : « ———
yeux ,
Eh ! c'eft pour rire ;
» C'eſt pour rire , imbécile. Eh ! quoi !
1
Ne le vois-tu pas bien , je me moquois de toi. ] }
J'ai là nos deux Perdrix ; aucune n'eſt brûlée ;
» Mais j'ai couvert le plat , pour le maintenir chaud.
30 A la bonne heure , dit Gombaur ;
» Tu les allois payer plus cher qu'à la vallée.
» Je m'apprêtois au moins à t'affommer de coups.
Mais Monfieur le Curé va venir , hâtons-nous
55
Çà , notre plus beau linge , alerte ! »
Pour être mieux , nous nous établirons
» Dans le verger ; j'aime une fale verte :
» Sous la treille nous mangerons.
-Fort bien. Tandis qu'ici je vais pourvoir au refte,
» A ton couteau vas redonner le fil :
so Il en a grand beſoin . · Je le veux bien , dit-il.
Il defcend dans la cour , il y met bas ſa veſte ;
Puis ouvrant fon couteau qu'il couche de travers
Il le promène à droite , à gauche , en fens divers ,
Sur le dos ébranlé de la meule criarde ,
"3
Civ
56
MERCURE
Qui , tournant fous fes doigts , mord la lame à travess
Les étincelles qu'elle darde.
CEPENDANT arrive là haut
Le Curé , que l'efpoir de faire bonne chère
Avoit rendu plus gai qu'à l'ordinaire ,
Et qui veut embraffer la femme de Gombaut.
« Eh ! fauvez-vous , dit-elle ; il n'eft pas tems de rire.
» Mon mari va monter ; s'il vous trouve avec moi ,
» Vous êtes un homme mort.
Quoi !
» Es-tu folle ? que veux-tu dire ?
» Je viens pour manger deux Perdrix ,
» Avec vous , là-bas , fous la treille.
» C'eft lui qui m'a prié.
30
―
Sauvez-vous , je vous dis.
» C'eft un prétexte qu'il a pris .
Il prétend vous couper & l'une & l'autre oreille.
» Vous ne voyez ici ni Perdrix ni Perdseau ;
» Et voyez-le là-bas aiguifer fon couteau. »
A cés mots , la frayeur dans l'ame ,
Le bon Curé ne fait qu'un faut ;
Il fuit ; & Mathurine appelle alors Gombaut.
Eh bien , dit celui- ci , qu'as- tu donc , notre femme ?
Eh ! j'ai , que Monfieur le Curé
33-
» Des deux Perdrix s'eft emparé ,
» Et qu'il fuit à grands pas ; fi tu n'y cours bien vîte ,
C'eft autant de mangé. » Vers lui Gombaut foudain,
Sans quitter fon couteau , court & le précipite,
Pour ratraper le prétendu larcin .
Le Curé voyant par derrière
DE FRANCE. 57
Gombaut qui le pourſuit un couteau dans fa main ,
Galope vers fon Presbytère.
Tous deux ainſi vont long- temps & grand train ;
L'un vomiſſant l'injure & la menace ,
L'autre prêt à mourir de frayeur fur la place .
Mais le Curé qui par bonheur
A pris fur fon rival une avance affez forte ,
Rentre dans fa maiſon , ferme aux verroux fa
Et laiffe en bas Gombaut exhaler ſa fureur .
Dans fa maiſon pourtant le Curé fent renaître
Et fon courage & fa fierté ;
Et reprenant un ton d'autorité
Il lui parle par la fenêtre :
porte ,
» Mais Gombaut de crier ; eh quoi ! quoi toutes deux ,
» Vous voulez les garder ! -Oui, vraimentje le veux,
Lui répond le Curé , qui croit que fa furie
-
En veut toujours à fes oreilles. Quoi !
» Vous les voulez garder ! ah ! faifons , je vous prie ,
» Un accommodement.
» moi....
- Comment? Accordez- -
» Ah ! donnez m'en , de grâce , une au moins .
ස
» Non , ma foi.
Quelle rage ! » Il ferma fa fenêtre bien vîte ;
Et l'obſtiné Gombaut le fupplie à grands cris
De lui laiffer la plus petite:
Mais il fe voit forcé de regagner fon gîte
Et fans réponſe & fans Perdrix.
1
SA femme à fon courroux fut ainfi ſe ſouſtraire.
Cv
$8
MERCURE
Sans doute il vint bientôt un éclairciffement
Mais qui fait efquiver l'inftant de la colère
Eft abfous bien plus aifément.
LE tour m'a paru fin ; mais en pareille affaire
Femmes ont eu , dit- on , des fuccès fi conftans,
Que fi j'en crois certaines gens ,
Cette rufe aujourd'hui feroit fort ordinaire ,
Et le fut même de fon temps..
ROMANCE..
M A peine a devancé l'Aurore¸ .
Ma peine me ſuit tout le jour ;
Le foir je la retrouve encore
Conftante.comme mon Amour..
ADMIREZ la Vigne enlacée
Autour de l'arbre le plus beau ;
Plaignez la Vigne délaiffée.
Après la chûte de l'ormeau.
J'érois auffi belle que tendre ,.
Alors que j'avois d'heureux jours !!
On venoit me voir & m'entendre:
Dès que je chantois mes amours.
JE fuis moins belle & toujours tendre
Alors que j'ai de cruels jours !.
DE FRANCE. $9
On fuit , on ne vient plus entendre
Le chant de mes triftes amours,
LE peu qui m'eft refté de charmes
Fut dévoré par la douleur ;
Mes yeux font éteints dans les larmes ,
Je n'ai confervé que mon coeur.
MA peine , &c.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eſt Paille ; celui du
Logogryphe eft Chandelle , où le trouvent
lande, lac, âne, calle , Éden , élan , canelle ,
la , nacelle & an.
ÉNIGM E.
Si tu veux , Lecteur, me connoître,
Suis par-tout ma manière d'être.
De nom , de fexe , de couleur ,
Souvent je change avec honneur.
Dans la terre je prends naiſſance ,
Je me nourris de fa ſubſtance ,
Je fors , je crois ; dans peu de temps.
A ma bonne mère on m'arrache ;
Comme un criminel on m'attache ;
Sans violence je me rends.
Cvj
to
MERCURE
Pour s'affurer de la conquête ,
On me fait lors trancher la tête ;
Et lorfqu'ainsi l'on m'a traité ,
On me remet en liberté.
Je n'en jouis que peu ; bientôt on m'emprisonne;
Et quand on m'affranchit , une cruelle main
Exerce fur mon corps un pouvoir inhumain ,
Et ma chère moitié me fuit & m'abandonne.
Je deviens le martyr des dents , du feu , de l'eau.
L'homme enfuite à moi-même avec art me marie :
Je deviens néceffaire en cet état nouveau.
A la Ville , à la Cour , par-tout eſt ma patrie ;
Mais la faveur finit quand mon corps eft ufé ;
On me chaffe pour lørs : voilà ma récompenfe.
Je reparois pourtant par un moyen aiſé ;
En pâte l'on me met , fans changer de fubftance
Je forme un corps utile à tout le genre humains
Toi-même , qui me lis , tu m'as fouvent en main.
( Par M. l'Abbé Piqué , Diacre dia
Diocèse de Comminges. )
DE FRANCE. 61
LOGO GRYPHE.
JE fers plus aux champs qu'à la ville ;
Mon ufage eft pourtant utile
Au Citoyen , au Voyageur ,
Au Militaire, au Laboureur ;
Mais chacun m'arrange à ſa guiſe.
Aujourd'hui petit , demain grand :
Celui-ci me veut noir , celui -là me veut blanc ;
Sous une autre couleur je gouverne l'Eglife.
Je donne à l'un l'air pénitent ,
A l'autre le ton petit-maître.
Dans ce fiécle du goût , le beau fexe , inconſtant ,
Sous mon aufpice aime à paroître.
Lecteur, j'ai fept pieds , rien de plus.
Avec trois , fi tu veux , des coffres de Plutus
Tu peux tirer , d'un gefte & fans nulles paroles ,
Quatorze cent quarante oboles.
Enfuite vient un ornement
Dont l'Eglife fe fert ; mais raccroche en paſſant
De Pafiphaé la rivale ,
Et l'habit que portoit l'amant ſoumis d'Omphale.
Suivi de fes fiers combattans ,
Ma queue a vu d'Eſtaing ſe couronner de gloire.
Metiens-tu ? Pas encore ? eh bien , veux -tu me croire ?
Ne vas pas me chercher fur les bords Mufulmans .
( Par M...... Receveur de la Régie
Générale du Neubourg.
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
6 RÉFLEXIONS Philofophiques fur la
Civilifation, & fur les moyens de remédier
aux abus qu'elle entraîne ; par M. de la
Croix , Avocat. Brochures in- 8 ° . A
Paris , chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
M. DE L. C. a déjà publié trois cahiers de cet Ou→
vrage , qu'il le propofe de continuer.
Le titre paroît mériter un reproche qu'heureufement
l'on ne peut pas faire à l'Ouvrage même ; il eſt
très -vague , à force d'être étendu. Il femble promettre
un ouvrage qui parlera de tout ; & rien n'eft plus
funefte à un Ouvrage que cette prétention de parler
de tout. Un bon efprit a befoin de ſe fixer à un objet
; & chaque objet a des bornes néceffaires. Mais
on le répète , ce reproche ne peut tomber que fur le
titre du Livre. M. de L. C. a choifi un fujet prin
cipal , & il ne pouvoit être plus intéreffant ; c'eft la
réformation de la Juftice criminelle.
Il entre fans doute dans les vues de l'Auteur d'ap
peler l'attention de fes Lecteurs , non- feulement fur
les idées de fon livre , mais encore fur la méditation
de fon fujet. Nous allons nous livrer à quelques ré- 3
flexions fur cette importante partie de l'Adminiftration
fociale , bien moins avec l'ambition d'y répan- -
dre des lumières , qu'avec le defir d'augmenter encore
l'intérêt public fur un objet qui follicite le génie
des grands Ecrivains & des bons Légiflateurs , & qui
leur promet une gloire fi noble & fi douce.
Ce n'eft pas être injufte envers les Nations & les
DE FRANCE. 63
frècles , que d'obferver que , nulle part fur la terre ,
on n'a encore vu une légiflation criminelle teller
qu'on puiffe dire : là , l'intérêt de la Société & les
droits du Citoyen ont été bien connus & bien conciliés.
Les Nations anciennes ont eu de belles conftitutions
politiques ; elles ont connu d'admirables priucipes
de Légiflation ; mais elles n'ont jamais eu ,
même fur les objets qui les avoient le plus occupées ,
un bon code, où tout eût été bien prévu & bien réglé ,
où les vues générales euffent toujours gouverné tous
les détails , dont tous les principes fuffent fains , les
moyens fimples , & la rédaction claire & préciſe ; uns
Code , en un mot , fait pour durer tant que le même
ordre de chofes fubfifteroit. Je fais bien qu'un tel Code
doit être rare dans tous les tems & dans tous les
pays. Mais il n'eſt pas interdit de l'efpérer par- tout
où l'efprit humain , devenu libre & fage , a beau- coup vu, beaucoup jugé , & fait affez le replier fur
lui-même pour bien exécuter ce qu'il entreprend. Si j'ofe dire ma penfée , nous fommes beaucoup plus capables de ce grand Ouvrage que les Anciens , & nous en avons un bien plus grand befoin. Il leur
fuffifoit d'avoir quelques bonnes Loix principales
pour diriger un état de chofes peu compliqué. Pour
nous , dont les gouvernemens
ne marchent que par une foule de refforts , nous ne pouvons nous paffer
de bonnes Loix particulières
.
Indépendamment de ce que la Collection des idées
Philofophiques eft toujours reftée très- bornée chez
les Anciens , ils avoient encore de puiffantes caufes
d'injuftice pour leurs légiflations pénales , dans plu
fieurs de leurs inftitutions politiques . Ils avoient des
Efclaves , & ils les confervoient fans remords . Or ,
tout Peuple qui admet l'esclavage comme un droit
eft un Peuple fans humanité. Aufſi a- t- elle bien ra
nement infpiré & dirigé les Anciens dans leurs Loix.
"
64
MERCURE
& dans leurs moeurs : j'en appelle à leur Droit des
Gens principalement. Chofe auffi trifte qu'étrange !
ils ont confacré tous les droits de la liberté , & ils
ont méconnu ceux de l'humanité !
Pour les Peuples modernes , leurs Loix reffemblent
à tous les monumens des Conquérans barbares :
elles offrent le contrafte d'une ancienne misère &
d'un luxe nouveau ; & rien n'eſt plus funeſte à la
Légiflation que cette alliance de la politeffe & de
la barbarie , de la pauvreté & de la magnificence :
on n'eft pas affez habitué au bien pour ne pouvoir
fupporter que lui , & on ne fouffre pas affez du mal
pour vouloir abfolument en fortir. Auffi , on peut
remarquer une différence importante dans les Légiflations
anciennes & dans les Légiflations modernes ;
& cette différence eft relative à leur nature. Les Légif
lations anciennes ont toutes , ou presque toutes été
conçues ou recréées par des hommes de génie ; leur
but a été de former le caractère & les moeurs
du Peuple qu'elles devoient gouverner ; & elles marchent
à ce but par des moyens fimples & grands. Les
Légiflations modernes au contraire, n'ont jamais afpiré
qu'à fe corriger lentement & en détail . La fageffe
de celle- ci eft le produit de la néceffité , qui
commande des remèdes dans les maux extrêmes : la
fageffe des autres eft le fruit des hautes pensées &
des grands deffeins. Les premières ont plus d'inftitu
tions de génie ; les autres n'ont guères que des décrets
de bon-fens .
Ni les Anciens , ni les Modernes n'ont donc pas
encore eir la gloire de fe donner un bon Code pénal
; c'eft qu'une pareille Légiflation ne pou-
* Il s'en faut bien que le Code Criminel d'Angleterre ,'
qui eft cependant le plus bel Ouvrage des Légiſlations
modernes , foit auffi parfait qu'on l'a cru , & doive être
adopté en tout par les autres Nations.
DE FRANCE. 65
voit s'accomplir qu'au fein de cette Philofophie qui
fait étudier les chofes & les hommes , combiner les
devoirs & les droits , tout voir & bien voir , ſe défier
de fa raifon comme des opinions établies , &
s'arrêter quelquefois au milieu de fon ouvrage pour
renforcer la jutteffe de fes vues , l'impartialité de fon
efprit , & cette vigilance de la confcience d'un
homme de bien , qui doit fouvent le retenir dans fes
penfées comme dans les actions. Ce grand Ouvrage
d'ailleurs avoit befoin d'être préparé par la difcuffion
publique , fans laquelle un Législateur , même
celui qui réuniroit la vertu & le génie , rifquera
toujours de faire un Ouvrage imparfait. Après
l'expérience des faits , rien de plus précieux pour
la Légiflation que la comparaifon des pensées. Il
importe même de laiffer mûrir la diſcuſſion publique
, avant d'en faire ufage ; & ce fera peut- être
une véritable fageffe à nous , de n'avoir pas trop précipité
le grand ouvrage de la réforme de nos Loix
criminelles.
Mais la difcuffion publique a- t- elle déjà beaucoup
accumulé de richeffes fur cet objet ? C'est une queftion
fur l'examen de laquelle nous demandons la
permiffion de nous arrêter encore.
Les Anciens n'ont cultivé avec beaucoup de fuccès
que cette partie de la Philofophie que nous avons
nommée Politique & Conſtitution des États . Paffionnés
pour la liberté,ils ont cherché tous les moyens de la
fonder & de la maintenir dans leurs Gouvernemens.
Ils ont même cette gloire , d'avoir plutôt mis leur
génie , fur cet objet , dans leurs Légiflations que dans
leurs livres. Leurs meilleurs Philofophes en Politique
ont été leurs hommes d'État. Ils fe font peu occupés
de tous les détails de l'adminiſtration fociale , & de
tous ces moyens fecondaires du bonheur général ,
dont la Légiſlation doit ſe faifir. Ils fuppléoient à tout
66 MERCURE
par la puiffance des moeurs, & par la vigueur de leurs
conftitutions politiques.
Il étoit réſervé aux Nations modernes , qui ont
prefque toutes perdu la liberté civile , d'attacher plus
de prix au bonheur perfonnel, & de porter plus d'application
& de fagacité dans la fcience de les gouverner
heureufes quand elles font animées dans
ce travail par l'efpérance de communiquer une partie
de leurs fumières aux dépofitaires de la Puiffance !
Peut-être auff falloit-il une invention telle que celle
de l'Imprimerie , pour donner aux efprits cette activité
& cette facilité d'inftruction & de communication,
qui permettent de porter fa penfée ſur beaucoup
d'objets , & de les épuifer.
Mais la connoiffance des vrais principes de la
Juſtice Criminelle eft encore toute récente parmi
nous. Les Jurisconfultes feuls ont été pendant longtems
en poffeffion de diriger les Juges & les Légiflateurs
dans cette matière. Mais quels guides ! Nulle
connoiffance , ni des principes de l'ordre focial , ni
des droits & des paffions de l'homme , ni de l'appré
ciation des probabilités morales : des principes fouvent
auffi féroces qu'abfurdes ; des inventions de la
barbarie la plus rafinée , données pour les vrais procédés
de la recherche des crimes : voilà ce qui afflige
& révolte la raiſon dans la lecture de nos vieux Criminaliſtes
. Les autres font devenus un peu plus doux
& un peu plus raiſonnables ; mais ils femblent s'être
défendu de rien appercevoir au-delà des maximes de
leurs prédéceffeurs , & de la pratique des Tribunaux.
Ils fe renferment orgueilleufement dans cette étude ,
où ils n'ont même porté ni ordre , ni clarté ; ils prennent
en pitié le Philofophe qui développe des principes
, au-lieu de citer des Arrêts , & ils qualifient
outrageufement la réclamation touchante & réſervée
qu'il ofe faire des droits de l'humanité , & des princi
"
DE FRANCE.
675
1
pes de la raison . * On auroit tort cependant de
s'épargner la lecture de leurs Livres ; ils ont l'avantage
de préfenter une foule de faits & d'exemples
; & c'eft par la connoiffance des faits
que
l'on peut arriver à des idées juftes . Ils offrent d'ailleurs
des règles de détail qui méritent d'être méditées
& confervées.
C'est un beau moment dans l'hiftoire de notre
Monarchie , que celui où Louis XIV interrompit fes
conquêtes pour donner des Loix à fes Peuples. Les
Membres les plus diftingués du Confeil & da Parlement
, réunis pour rédiger deux Codes de Loix ,
forment un spectacle bien intéreſſant. Mais ce magnifique
fiècle des Arts n'étoit pas encore celui de la
Légiflation On n'avoit pas encore difcuté les grands
principes de l'ordre focial ; on ignoroit même une
partie des droits de l'homme. On ne favoit pas fortir
d'un objet particulier, pour faifir fes rapports avec
d'autres objets ; on ne favoit pas non plus fe placer
dans les grands points de vue où le Légiflateur doit
toujours habiter. Malheureufement encore , des deux
hommes qui fe font le plus appliqués à la rédaction
* C'eſt une choſe curieuſe , par exemple , que de lire
comment on parle du Traité des Délits & des Peines dans
La Préface d'un Traité de la Juſtice Criminelle , en 4 vol.
in-4 . Après avoir fait un magnifique éloge de Farinacius
& des autres , on en vient , comme pour n'oublier perfonne
, à l'Auteur du Traité des Délits ; mais on le laiſſe
bientôt-là comme un ignorant , qui n'a rien dit de remar
quable , fi ce n'eft quelques maximes très- dangereuſes ,
mais heureufement fort abfurdes. Voyez auffi une réfu→
tation de cet Ouvrage par un autre Criminalife : pour
celui- ci , il ne fe contenteroit pas de ce froid mépris ; il dit
de belles & bonnes injures ; il défend de fon mieux las
doctrine d'un bon & fidel Criminaliſte....
68 MERCURE
de ces Loix , ce fut celui qui avoit le plus de mérite
qui y eut le moins de part. Puffort avoit de l'ordre
& de la fagacité dans l'efprit , mais il n'avoir que
cela des qualités d'un Législateur. Il a fait avec courage
la guerre à la chicane dans l'Ordonnance Civile
; mais dans l'Ordonnance Criminelle , il ſemble
ne s'être propofé que le fuccès de l'accufation . Le
Président de Lamoignon n'avoit pas fi bien étudié
l'ordre des procédures , & il avoit peut - être un efprit
moins net & moins précis ; mais fes principes de Jurifprudence
étoient bien plus fains & bien plus élevés.
Il avoit un coeur humain , un efprit généreux , & il
réclame fouvent le droit naturel pour les hommes livrés
à la Justice , & des libertés honorables , mais
peut- être dangereufes pour ceux qui l'exercent . Il
eft fouvent inférieur à Puffort dans les difcuffions
fur l'Ordonnance Civile ; mais dans celles fur l'Ordonnance
Criminelle , il rend fouvent odieux le
triomphe que Puffort a obtenu fur lui . 1.
Mais comment s'eft - on arrêté à de fimples Réglemens
fur la Procédure ? & , quelqu'importantes
que foient ici les formes , qu'est-ce que leur correction
, quand les mauvaiſes Loix fubfiftent encore ? ..
Cette faute au refte nous a réservé une grande
gloire , & a différé pour un fiècle plus éclairé , la,
partie la plus importante de la Légiflation .
Ce n'eft pas à des Pufort , il faut l'avouer
qu'il appartient de bien faire les Loix qui difpofent
de la deftinée des hommes ; il faut , pour
cette fublime fonction , d'autres talens , d'autres
études , d'autres principes ; il faut le génie des Montefquieu
. Auffi quand , du Procès - verbal fur l'Ordonnance
de 1670 , on vient aux deux Livres de
l'Esprit des Loix , où Montefquieu a parlé des Loix
Criminelles , on fe trouve transporté dans un autre.
ordre d'idées . On voit à combien de rapports politiques,
& moraux peut tenir un feul ſtatut du Code pénal ;
DE FRANCE. 69
on apprend ce qu'on peut attendre , ce que l'on
peut faire de l'homme,& comment on pourroit le conduire
toujours , fans jamais le tyrannifer. On faifit
rapidement les vices des mauvaiſes Loix , & les principes
des bonnes ; & toutes ces vues , fruit d'une
méditation éclairée & courageafe , ne paroiffent que
les infpirations de ce bon - fens , que l'on eft
toujours étonné de ne pas retrouver au fond de tou-*
tes les inftitutions humaines. On peut remarquer
qu'en Politique & en Morale , les plus belles idées
ont effentiellement ce caractère.
Ces deux Livres de l'Efprit des Loix , où le fujet a
été traité , non pas dans toute fon étendue , mais
dans le but général de l'Ouvrage , répandent déjà une
grande lumière fur cet objet , & font beaucouppenfer.
On a déjà dit bien des fois : que c'eſt-là un des mérites
qui diftinguent le plus Montefquieu . Mais une ,
particularité moins obfervée , ce me femble , de ce
beau génie , c'eft d'arriver prefque toujours aux,
idées effentielles & fécondes de fes fujets , par une
marche toute oppofée à ce but. Rien de moins philo
fophique & de moins bon en général , que le procédé
de fon efprit ; il fe place rarement à l'entrée de fon
fujet ; il n'y avance pas par degrés : trop avide de
montrer fon érudition , que l'on a reconnue plus vafte
que folide , on diroit qu'il a peur de ne pas trouver
à placer le plus petit fait dépofé dans fa mémoire :
il arrête fouvent le développement de fes idées théoriques
, pour les comparer à fes connoiffances pofitiyes
; & dès-lors les inductions qu'il tire des faits
deviennent fes principes ; & ces faits font très - louvent
vagues , incertains , & trop particuliers pour
être interprêtés par des règles , encore moins pour
en produire. On feroit quelquefois tenté de croire
qu'il fe joue de la majefté de fon fujet , lorſqu'il
donne ainfi des anecdotes pour les preuves des
plus grands principes. Mais au milieu de cette marMERCURE
che qui doit fouvent choquer & impatienter les bons
eſprits , il apperçoit , il ſaiſit ces idées ſimples , juftes
& éternelles , qui font le génie de la Légiflation ; il
s'en pénètre , & il les exprime avec ces tournures de
ftyle qui lui font propres , où le jeu d'efprit eft trop
fouvent à côté de l'originalité , & qui lui fervent tourà-
tour , & fuivant fes deffeins , à voiler un peu fes
penfées , ou à leur donnerplus d'éclat. Il y a de grands
défauts dans l'Efprit des Loix , fans doute ; mais il y
a de bien plus grandes beautés encore : c'eft un Ouvrage
digne de fon fuccès , & ce fuccès eft grand :
l'efprit des Loix fera marqué à jamais par l'influence
qu'il a cue fur les idées de fon fiècle , & fur la légiflation
de plufieurs Peuples. Mais quel reproche
pour notre Nation dans toute cette gloire de Montefquieu
! Il étoit né Magiftrat , il avoit étudié les
Loix toute la vie , il avoit fait fur les Loix un Livre
admiré de toute l'Europe ; cependant , où font les
Loix de fon fiècle foulcrites de ce nom confacré ?
quel plan de Légiflation s'eft - on empreflé d'obtenii
de fon génie ? & quand a-t-il honoré par fon
admiffion ces affemblées de Magiftrats où s'agitent
les plus gands intérêts de la France ? Ne difparoîtront-
ils jamais parmi nous , ces préjugés qui nous
font croire que perfonne n'eft moins propre à gou
verner les hommes , que ceux qui les éclairent ?
Montefquieu s'étoit trop peu arrêté fur les Loix
Criminelles , pour exciter particulièrement l'atten
tion publique fur cet obje . Mais fes idées étoient
faites pour préparer un Ouvrage plus confidérable . Cet
Ouvrage eft venu du pays d'ou on l'attendoit le moins ;
je parle du Traité des Délits & des Peines , de M. le
Marquisde Beccaria. On peut fe rappeler le vif intérêt
avec lequel ce Livre fat reçu dans toute l'Europe. Les
Editions & les Traductions fe multiplioient plufieurs
fais l'année. Il y cut de l'enthoufiafine dans le fuccès
DE FRANCE. 70
de cet Ouvrage tout Philofophique ; & quelques Efprits
en ont conclu que ce fuccès étoit bien au-delà
du mérite de l'Ouvrage. L'Ouvrage a un très-grand
mérite ; & il tiroit du fujet même , & des principes
dans lefquels il a été traité , une grande raifon de
fuccès. Songez à toute la barbarie des Loix & des
formes en matière criminelle dans la plupart des Nations
de l'Europe. Suppofez enfuite un Philofophe
plein de raifon & d'humanité , qui , après s'être bienrecueilli
dans l'étude de fon fujet , vient vous dire :
Vos coeurs font oppreffés fous la dureté de vos
Loix Criminelles ; vous les laiffez fubfifter néanmoins
, parce que vous croyez cette dureté néceſfaire
; elle ne l'eft pas. Faites y réflexion , & vous
verrez que les Loix cruelles font fans excufe ;
qu'elles endurciffent les moeurs , fans arrêter les
crimes , & que le bon-ordre n'admet rien que de
jufte & de modéré. Qui ne fe fent foulagé ,
qui ne fe fent rappelé à de douces efpérances par ce
difcours ? Et falloit-il d'autres caufes pour faire lire
ce Livre avec une admiration reconnoiffante , &
pour faire placer fon Auteur dans le petit nombre
des Philofophes qui ont bien mérité du Genre- Hymain
? Ce Livre a deux objets de montrer les vices
des Loix établies , & d'expliquer les principes
dans lefquels il en faudroit faire de nouvelles . Il eft
rempli de ces idées neuves & grandes qu'un excellent
efprit rencontre feul. Il a évité tous les détails , &
même les plus importans ; il a même trop peu développé
les principes fondamentaux de cette Jurifprudence
; il laiffe encore le ſujet à traiter. Mais tel eft
le mérite de ce Livre , qu'on doit néceffairement en
retrouver le fonds dans tous les Ouvrages à faire fur
ce fujet , & même dans ceux qui l'auront furpaffé.
C'eft un des meilleurs Livres du fiècle , & fur-tout
un des plus utiles. S'il faut cependant toujours parles
;
72 MERCURE
des défauts d'un Ouvrage pour prouver qu'on ne le
loue qu'en l'appréciant , on avouera que celui - ci en
a de confidérables . Il avoit befoin du travail d'un
Traducteur excellent Logicien , pour recevoir un
véritable ordre dans les idées , & de la clarté dans
le ftyle. L'Auteur a de l'éloquence ; mais il manque
de l'art d'écrire ; il penfe profondément , il raifonne
avec force , mais il ne fait pas tirer fes penfées
du vague des abftractions , les borner dans un
fens précis , & les exprimer d'une manière fimple &
facile. I mêle à la difcuffion de fes idées les émotions
de l'ame qu'elles peuvent réveiller ; mais il exprime
les fentimens comme les raifonnemens , tandis
qu'il faudroit au contraire animer & embellir la
marche féche & lente de la taifon , par les mouve
mens & les expreffions de la fenfibilité .
Au milieu de l'impreffion fi vive & fi générale que
l'Ouvrage du Traité des Délits avoit excitée , un jeune
Avocat-Général d'un Parlement de Province
choifi ce fujet pour un de ces difcours confacrés à la
méditation des devoirs & des vertus de la Magiftrature.
Il venoit déja d'annoncer , par un Plaidoyer,
dans une Caufe devenue célèbre, des principes & des
fentimens dignes de fon Ministère, & peut-être un des
plus heureux talens pour l'Eloquence, qui aient brille
dans ce fiècle . Il s'attache principalement à cette
Je parle ici du Difcours de M. Servan , Avocat-Général
du Parlement de Grenoble , dans la Caufe d'une
Femme Proteftante. J'ai entendu dire à plufieurs Gens de
Lettres , qui étoient avec M. de Voltaire , iorfque ce Difcours
parut , qu'il le lifoit avec délices ; & on fait que
M. de Voltaire n'aim it pas la fauffe éloquence . A une
vingtaine de phraſes près , d'un très -mauvais goût , ce Dif.
cours a toute la perfection que pouvoient lui donner un
partic
DE FRANCE. 73
partie de la Juſtice Criminelle , fur laquelle le
Magiftrat a , parmi nous , une fi grande influence
à l'inftruction. Il rappelle aux Magiftrats la frayeur
religieufe avec laquelle ils doivent exercer cette
fonction terrible ; il les avertit de tous les dangers
qui les environnent. Il paroît quelquefois fordir de
fon fujet , à force de le généralifer. Mais on voit
bientôt qu'il fait revenir à cet ordre de chofes
pour lequel il doit donner des règles . Après avoir
parlé aux Magiftrats de leurs devoirs , il adreffe des
voeux au Legislateur ; il lui indique des loix à faire
& à réformer ; & fes idées, à cet égard, font toujours
juftes, nobles , & préſentées avec intérêt. On retrouve
fouvent dans ce difcours toute l'éloquence du premier
Plaidoyer de M. Servan ; mais trop fouvent auffi
le ton général , qui eft noble & attachant , prend
un tour d'emphafe & de déclamation , qui ne paroiffoit
pas fait pour un auffi beau talent , & fon
ftyle s'y dégrade par tous le faux éclat du bel- efprit.
M. de Voltaire , qui , dans fes dernières années,
s'étoit établi dans le fond de fa retraite , une forte
efprit plein d'idées & de fageffe , une imagination heu
reufe , & la fenfibilité la plus aimable. La péroraiſon pour
les Proteftans eft un morceau enchanteur ; c'est tout le
charme & toute l'onction de l'Auteur du Télémaque.
Ceux qui croyent que le Barreau ne peut rien produire qui
foit digne de la poſtérité , n'ont qu'à lire ce petit Ouvrage
; & j'oferai leur demander enfuite quel plaidoyer de
Cicéron ils veulent mettre au- deffus de celui - ci . Il eft
bien malheureux que M. Servan ait altéré , dans ſes autres
Ouvrages , ce beau talent , par des taches qui ne
naiffent que du défaut de févérité dans fon goût ou dans
la critique de fes amis .
"
Sam . 14 Octobre 1780 . D
74 MERCURE
>
de Tribunal , où il prononçoit fur tous les objets
qui attiroient l'attention publique ; qui s'eft fouvent
honoré par fon zèle & fes fervices prodigués à
des malheureux , & qui a fouvent auffi profané
cette double Magiftrature de la vieilleffe & du
génie par la partialité avec laquelle il confidéroit
ces objets , & par la légèreté avec laquelle il
les traitoit ; M. de Voltaire a auffi écrit fur les
Loix Criminelles. Mais rien de fi commun , de fi
foible & de fi peu réfléchi que fes penfées à
ce fujet. C'eft que Voltaire , né avec tant de fortes
d'efprit & de talent , avec tant de goût , qui avoit
acquis des connoiffances fi variées , & qui avoit
dans le fond du coeur , l'amour de l'humanité &
la haine de l'oppreffion ; Voltaire n'eut jamais ni
ce befoin de méditation qui nous applique tout
entier fur un objet , ni cet amour du vrai qui rend
l'attention plus vive & plus févère , ni cette fage
inquiétude d'efprit , qui nous oblige à procéder
toujours par le doute & l'examen. Il lui
manquoit auffi ce caractère ferme & conféquent ,
pour qui la vérité refte toujours à la même place.
Je fais qu'il a peint quelquefois avec des couleurs
fortes , une nature libre , pure & auftère :
mais ce n'étoit-là , pour lui , qu'un beau poétique .
Il mefura toujours les progrès de la Civilifation fur
ceux des Arts , & il prit la parure de la Societé pour
fon bonheur. Il s'eft trouvé dans fon fiècle , & à
côté de lui , un homme moins étonnant peut- être
mais bien plus augufte pour la postérité & pout nousmêmes
, qui a été fon contrafte en tout , par le caractère
, par les principes , par le genre même des
beautés dans le ftyle ; & il n'a fu ni apprécier le
génie , ni refpecter la perfonne de ce puiffant &
glorieux rival . Gardons-nous de l'imiter dans for
injuftice envers tant de grands-hommes , Convenons
DE FRANCE. 75
que, né avecune ame paffionnée, uneimagination brillante
, une facilité prodigieufe , un fens exquis , le
don de la diverfité dans les talens , le courage de
tout facrifier à fa gloire , & placé dans un fiècle enrichi
des chef-d'oeuvres de tous les fiècles , & qui com
mençoit à joindre à toute la fplendeur des Arts perfectionnés
, les grandes méditations de la Philofophie,
il a fait des Ouvrages de génie dans plus d'un genre ;
qu'il frappe par plufieurs efpèces de beautés , dont
le fecret a commencé & fini avec lui ; qu'il a fur -tout
pour mérite diftinctif , celui d'avoir jeté dans la
Poéfie une morale augufte & touchante ; & qu'en général
, il a bien vu tout ce que la raiſon peut faifir
du premier coup - d'oeil . Mais ofons dire auffi qu'il
a été médiocre dans tous les travaux qui exigent une
ame recueillie , un jugement que rien ne peut ni féduire
, ni corrompre , & l'habitude d'une difcuffion
exacte & profonde.
Cette revue des Ouvrages qui ont traité de la Juftice
Criminelle , nous a fait oublier depuis longtemps
le Livre de M. de la Croix ; l'ordre des épo
ques nous y ramène. Il aime affez fon fujet pour
nous pardonner d'en avoir fait F'hiftoire , & pour fe
contenter de n'y occuper qu'un chapitre . M. de la
Croix annonce , dans un court Avertiffement , qu'il
ne fait encore qu'effayer l'intérêt du Public pour
fon travail , & il n'en préfente que des morceaux.
Il a un chapitre fur les Crimes en général , deux fur
Jes Peines , deux fur les Prifons , un fur la Queftion ,
un fur les Juges , un fur le Vol Domestique. Voilà
quels font , jufqu'ici , les objets fur lefquels il offre
des fragmens au Public : il paroît defirer & attendre.
le jugement des Jurifconfultes & des Gens de Lettres
fur ces Effais ; nous lui préfenterons le nôtre,
uniquement pour répondre à ſa confiance .
Il feroit facile de citer ici des morceaux de fon
Dij
76. MERCURE
Ouvrage , dont les idées & le ftyle intéreſſeroient
les Lecteurs ; mais rarement de courtes citations fontelles
affez connoître un Ouvrage Philofophique.
D'ailleurs , l'étendue de nos réflexions préliminaires
nous oblige de refferrer cet Extrait ; & c'est même
beaucoup mieux fervir M. de L. C. que de renvoyer
les Lecteurs à fon Livre. Nous pouvons leur promettre
qu'ils y trouveront des principes humains
, des vues judicieufes & utiles . L'Auteur a
adopté une manière de traiter fon fujet trèsheureufe
, pour y être toujours vrai & intéreffant ;
il cite , autant qu'il le peut , des Procès Criminels
relatifs aux queftions qu'il difcute. Son ſtyle n'a
rien de pénible & d'abftrait , ce qui eft un des défauts
les plus voifins des Ouvrages de ce genre ; toutes
les espèces de Lecteurs peuvent le lire & l'entendre
; & c'eft un avantage qui n'appartient pas
à tous
les Livres. Mais on defireroit fouvent plus de mé→
ditation dans les idées , & plus de févérité & de
fimplicité dans le ftyle.
Le chapitre fur le Vol Domeftique , & celui fur
Ja Subornation, ont des droits particuliers à l'attention
des Lecteurs, Celui fur la Queftion exigeoit de
grands efforts , parce que ce fujet a déjà été fupérieurement
difcuté par M. le M. de Beccaria . Mais
ceux fur les Prifons en général , & fur les Priſons
d'État , nous paroiffent les plus frappans par des vues
& des faits utiles ; ils révèlent des myftères affreux ,
qui ne peuvent plus fubfifter , dès qu'ils font connus
des bons Rois & des bons Miniftres. Le coeur du
Prince qui nous gouverne s'eft déjà ému plus d'une
fois fur les misères de ces lieux de défolation , & le
Miniftre des Finances a déjà employé au foulagement
de ces misères quelques fraits de ce fyftême d'économic,
qui n'eft qu'une fagefle dans les particuliers ,
mais qui eft la plus utile des bienfaisances dans les
DE FRANCE.
ל ד
Gouvernemens, parce qu'il détruit des maux de toutes
espèces , & qu'il prépare & affure tous les projets
du bien. Ce tableau de l'intérieur des pri
fons ne peut être trop offert à notre fenfibilité , toujours
aufli prête à oublier les calamités extrêmes
qu'à s'en révolter. Dans ces chapitres , la difcuffion
& le ftyle de l'Auteur s'élèvent & s'annobliffent.
Voilà jufqu'ici tous les Ouvrages écrits fur la Juftice
Criminelle. Ils ont glorieufement ouvert une carrière
qui reste encore toute entière à parcourir. Une
Societé de Philofophes , amis du bien public , a propofé
, depuis trois ans un Prix pour cet Ouvrage :
elle n'a pas encore adjugé ce Prix ; il faut du temps,
ainfi que de grands talens , pour le mériter . Mais
>
aucun Gouvernement n'a encore follicité fur , cet
objet les lumières & les fecours des Jurifconfultes &
des Philofophes ! Cependant, prefque tous les États
de l'Europe fentent la néceffité de réformer leurs Loix
Pénales : dédaigneroient- ils la difcuffion publique ?
mais n'a-t-elle pas toujours été , après l'expérience ,
la meilleure fource des bonnes Loix ? Ne feroit- il
donc pas dans les Barraux & dans la Littérature des
efprits dignes de feconder les vues de la Légiflation
? & que ne feroient- ils pas avec un bat fi noble ?
On n'a pas encore effayé tout ce que pourroit fur les
premiers Écrivains d'une Nation , la majefté des
récompenfes publiques. Quel Gouvernement votdra
s'honorer par cette confiance dans les travaux
du génie ? C'est à ma patrie fur-tout que j'ofe adref
fer cette invitation : je vois autour du Trône des
hommes que la renommée de leurs écrits avoit défignés
pour les places qu'ils occupent ; j'en vois d'autres
qui étoient dignes d'éclairer leur pays , comme de le
fervir. Je vois fur le Trône un Prince à qui l'on ne
peut propoſer trop de moyens de connoître & de
Dij
78 MERCURE
faire le bien combien celui - ci mériteroit d'être
adopté par fa fageffe ! Quelle manière plus fimple ,
plus noble , plus paternelle de préparer les loix ! Il
fut un pays où le voeu que j'expoſe ici étoit une
loi de l'État. Quoi de plus augufte & de plus touchant
que cette proclamation que l'on entendoit à
Athènes , dans les jours les plus folennels : Que tout
Citoyen qui a des vues utiles, monte à la Tribune , &
vienne parler au Peuple ! *
PROJET , Plan & élévation d'un monument
confacré à l'Hiftoire Naturelle, accompagné
d'un Difcours en explication , dédié à M. le
Comte de Buffon , par Charles- François
Viel , Architecte. A Paris , chez l'Auteur ,
rue S. Jacques , maiſon neuve à côté de
l'Eglife de S. Jacques - du - Haut-Pas . Prix ,
4 liv
CE Projet , conçu avec fageffe & avec
goût , ne peut que faire le plus grand honneur
à M. Viel , dont les talens font déjà
* On a oublié de parler , dans cet Extrait , d'un Dif-
Cours intitulé : Vues fur la Juftice Criminelle , de M. le
Trone. Il préfente peu d'idées neuves , mais il explique
fort bien les principes fondamentaux de cette matière .
C'eſt un Ouvrage à lire. Il fuffit pour prouver que M. le
Trone étoit digne de traiter ce fujet en grand . Ses grands
Ouvrages fur l'Adminiſtration le prouvent encore mieux.
Il n'écrivoit pas avec éloquence , mais avec beaucoup de
Faifon & de goût. C'eft une véritable perte que la mort de
et eftimable & utile Écrivain .
DE FRANCE. 779
connus très - avantageufement des Artiſtes .
Le plan eft difpofe de la manière la plus
intelligente ; l'élévation eft d'un caractère
noble , fans aucun ornement fuperflu ; les
maffes du plan & de l'élévation tellement
combinées entre- elles , qu'elles fe font valoir
l'une l'autre , & qu'il en résulte l'effet le
plus impofant. Ce projet eft établi fur les
mêmes terreins qu'occupent le Jardin du
Roi & le Cabinet d'Hiftoire Naturelle , auxquels
on n'a fait que rapporter quelques
emplacemens contigus , & qui , pour la plupart,
n'étant pas bâtis , occafionneroient
de dépenfes pour leur acquifition.
peu
M. Viel a obfervé de placer en fon rang
chacun des objets relatifs à l'étude de l'Hiftoire
Naturelle , & par conféquent le Cabinet
, qui renferme le plus grand nombre de
› ces objets , y tient la première place . La
fageffe du Gouvernement ayant raffemblé ,
pour l'utilité publique, des Écoles qui intéreffent
la Phyfique , la Chimie , la Médecine
, la Chirurgie , ces différentes Écoles
trouvent dans fon Plan la difpofition qu'elles
doivent avoir. Chacune de ces Écoles, fondées
par le Souverain au Jardin du Roi ,
font préfidées par les hommes les plus célèbres
dans chaque genre. Tout le monde
connoît MM. d'Aubenton , Macquer
Petit , Lemonnier, Juffieu , Portal , & c . & c.
qui ont fuccédé aux Savans les plus illuftres.
attachés à cet établiffement . L'entrée de cet
>
Div
80 MERCURE
édifice eft placée fur la rue du Jardin du Roi!
Le grand axe de tout le Plan part de la rue
d'Orléans , & répond à la demie - lune
du Boulevard , du côté de la Salpétrière.
On entre d'abord dans une grande cour dif
tribuée en forme de parterre , qui conduit
au principal corps de bâtiment ; on y monte
par des terraffes & perrons deftinés à embraffer
& foutenir la façade du Cabinet
d'Hiftoire Naturelle . Ce Cabinet s'annonce
par un frontifpice de fix colonnes Corin-
Thiennes. Sous ce portique font placées deux
figures affifes , dont l'une pourroit être celle
du Savant Fagon , qui , le premier , a donné
une jufte idée de cet établiffement ; &
l'autre , celle de M. de Buffon , génie tutélaire
de cet immenfe dépôt , fruit de fes études ,
de fes recherches & de fes veilles.
L'intérieur du Cabinet eft diftribué en
trois falles qui aboutiffent au même point
de centre. Če nombre de falles répond aux
trois règnes de la nature. On y verroit la
progreffion graduée de tous les êtres fortis.
de fon fein , & les nuances imperceptibles.
qui féparent les différens genres de les productions.
Des galeries ouvertes conduifent d'une
part aux ferres , & de l'autre à l'amphithéâtre
: c'eft- là que nos plus célèbres Anatomiftes
, le fcalpel à la main , découvriroient
à nos yeux le mécanifme admirable
des refforts qui nous font mouvoir . Dans ce
DE FRANCE. * t
même amphithéâtre , les plus habiles Chimiftes
, Phyficiens & Minéralogiftes , nous
dévoileroient les fecrets les plus cachés de
la nature , & les découvertes les plus furprenantes
& les plus utiles pour l'humanité.
Un Jardin de Botanique à côté, renfermeroit
les plantes ufuelles. On verroit dans les
ferres , les plantes des régions les plus éloignées
& des climats les plus oppofés à notre
température , conferver leur sève & leur
vigueur. De ces ferres on pafferoit à de
nombreuſes plantations , où les fimples &
les arbuftes que produifent nos campagnes ,
feroient placés par ordre , pour l'inftruction
de ceux qui en étudient la nature & les
propriétés
M. Viel a fu tirer avec tout le goût & l'intelligence
poffibles , le parti le plus avanta
geux de la montagne qui exifte dans l'emplacement
actuel. Dans fes cavités font
pratiquées des portions hémi- circulaires
diftribuées en loges pour les animaux les
plus feroces. Sur fon fommet , des volières:
vaftes & élégantes réuniroient les oiſeaux
des espèces les plus rares. Les bêtes fauves ,
les animaux étrangers , feroient raffemblés
dans des ménageries fermées de grilles , pla
cées des deux côtés de la montagne. Des
canaux & des baffins y conferveroient des
poiffons inconnus à nos climats , & les
oifeaux aquatiques des pays les plus loin
tains,
Dv
$2 MERCURE
L'École des fimples eft placée au- delà du
Cabinet ; un grand baffin fournit les eaux
néceffaires pour arrofer les plantes ; des
deux côtés s'élèvent des talus propres à recevoir
l'école des arbres & des arbustes ; ces
talus font adoffés à des terraffes fervant de
promenades , d'où on domine fur la totalité
du Jardin .
De fimples foffés féparent cette partie du
Jardin de celle deftinée aux pépinières ; on
palleroit dans l'une & l'autre par le moyen
de ponts placés à différentes diſtances. La
pépinière du midi , où ferpenteroit la rivière
de Bièvre , dite des Gobelins , contiendroit
les arbres qui croiffent dans l'humidité ; on
placeroit dans la partie du nord tous les
arbres qui fe plaiſent dans des terres plus
arides.
C'est au milieu de cette piquante variété,
que l'oeil du fpectateur fuivroit la nature
dans fes diverfes productions ; c'eſt-là que
le Naturalifte pourroit méditer , fuivre &
faifir avec le plus grand fuccès toutes les
nuances qu'elle peut lui préfenter dans un
état de mouvement & de vie. C'eft- là enfin
que l'Artifte lui-même trouveroit des reffources
qui manquent ordinairement à fes
études. Il y apprendroit à perfectionner fon
talent , en rapprochant l'art de la nature
dont il faifiroit l'efprit avec plus de facilité
dans des êtres pleins de vie & d'expreffion.
Ce monument , qui paroît très- compliqué
DE FRANCE. 83
par la multitude d'objets qu'il raffemble , &
de connoiffances qu'il procure , n'eft pas
d'une exécution difficile & ruineufe. Beaucoup
d'édifices élevés à grands frais parmi
nous , offrent une utilité moins générale.
Nous ne pouvons que former les voeux les
plus ardens pour fon exécution , & pour
voir M. de Buffon chargé de le conduire
à fa perfection. C'eſt au zèle & aux
connoiffances de ce grand homme , fecondés
par le Gouvernement , que le Cabinet
d'Hiftoire Naturelle , dont il eft le créateur ,
doit tout fon éclat. On l'a vu , en peu d'années
, acquérir journellement de nouvelles
richeffes , par les morceaux précieux que les
Naturaliſtes s'empreffoient d'y envoyer des
quatre parties du monde , comme un hommage
qu'ils rendoient à l'homme illuftre qui
y préfide. C'eft à fon génie , à fes recherches
, que notre fiècle eft redevable des progrès
rapides qu'on a faits dans l'Hiftoire Naturelle.
Philofophe profond & Écrivain
fublime , il a fu réunir dans fes Ouvrages
l'élégance & l'harmonie d'un ftyle enchanteur
, à l'éloquence la plus noble & la plus
perfuafive. Son Hiftoire Naturelle brille ,
dans mille endroits, de détails préſentés d'une
manière fi intéreffante , que l'étude de cette
fcience fi aride & fi sèche en elle-même , eft
devenue par-là piquante & inftructive pour
toutes les claffes des Lecteurs.
D vj
84
MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nous
ous nous préparions à rendre compte
de la Veuve de Cancale , Parodie de la Veuve
du Malabar , repréfentée pour la première
fois le Mardi 3 Octobre ; quand nous avons
lu dans le Journal de Paris une Lettre par
laquelle l'Auteur , en prévenant le Public
que fon Ouvrage n'étoit point deſtiné à être
repréfenté fur le Théâtre Italien , déclare
qu'il s'occupe de changemens & corrections:
capables de lui donner des droits , finon aux
fuffrages , au moins à l'indulgence des Spectateurs
d'un goût délicat . En conféquence
de cette annonce , nous attendrons qu'il en
ait été donné une repréſentation qui puiffe
déterminer abfolument notre critique out
nos éloges..
VARIÉTÉ S.
ON a imprimé dans quelques . Gazettes Étran--
gères , que dans l'Affemblée publique de l'Académie
Françoife , tenue le 25 Août dernier , il s'étoit élevé .
entre les Académiciens une difpute violente fur la
Mufique de M.. Gluck. Toutes les perfonnes qui ont
DE FRANCE.
affifté à cetre Séance , & qui étoient en très-grand
nombre , favent combien ce fait eft faux & abfurde.
On peut même affurer , que jamais dans aucune
Séance de l'Académie , foit publique , foit particulière
, il n'a été queftion de la Mufique de M. Gluck ,
fur laquelle d'ailleurs les Académiciens peuvent n'être
pas du même avis. Voyez dans le Mercure du 2.
Septembre le détail de la Séance du 25 Août.
LETTRE de M. D'ALEM BERT aux
Rédacteurs du Mercure.
&
ON vient , Meffieurs , de me faire voir une Brochure
dont j'ai parcouru quelques pages , & qui a
pour titre Rouffeau Juge de Jean- Jacques . L'Auteur,
quel qu'il foit ( car peut- être eft- ce un ennemi
de feu M. Rouffeau ) paroît avoir la tête fort dérangée
; tous ceux qui ont lu cette Brochure en conviennent
; mais c'eſt un malheur dont il ne faut que
le plaindre , & dont il ne s'agit point ici . Je ne veux
vous parler que d'une Note inférée à la page 27,
où cet Écrivain fait entendre , fans ofer le dire exprefément
, que mes Élémens de Mufique ont été.
faits d'après les Articles fournis à l'Encyclopédie par
M. Rouffeau. Un mot d'eclairciffement mettra le
Public à portée d'apprécier cette infidieufe accufa
tion. 1º. L'Auteur de la Brochure convient que les:
Articles de Mufique , fournis à l'Encyclopédie par
M. Rouffeau , ne m'ont été remis qu'en 1750. Or
en 1749 j'avois donné à l'Académie des Sciences un
extrait fort détaillé ( & imprimé la même année )
de la Théorie de M. Rameau ; extrait dont mes
Élémens de Mufique ne font que l'extenfion ; car ces
Elémens , comme l'annonce le titre même de l'Or
$6 MERCURE
;
vrage , ont pour unique bafe les principes de ce
célèbre Artifte. 2 ° . M. Rouſſeau , dans fes Articles
de Mufique , a très-fouvent paflé ces principes fous
filence , ou n'en a guère fait mention que pour les
combattre il les avoit d'abord fort approuvés ;
mais il changea d'avis , depuis une querelle qu'il eut
avec le Savant Muficien * . Je me fuis cru obligé de
fuppléer , à la fin même des Articles de M. Rouffeau
, à ce qu'il n'avoit pas dit , ou de repouffer les
coups qu'il portoit , felon moi très -injuftement , à
M. Rameau ; & ces additions font toutes défignées
par ma marque diftinctive. Mon Ouvrage n'eft donc
point fait d'après les Articles dont il eft queftion ,
puifqu'il renferme une doctrine qui très-fouvent ne
s'y trouve pas , & quelquefois une doctrine contraire.
3º . On ajoute , dans cette même Note dont
je me plains , que la feconde édition de mes Élémens ,
à laquelle j'avois fait quelques additions , a paru en
1768 , immédiatement après le Dictionnaire de Mufique
de M. Rouffeau. Or cette feconde édition ,
où je n'ai pas changé un mot depuis , eft de 1762 ,
fix ans avant l'impreffion du Dictionnaire de Mufique.
Mais ce qu'il y a ici de plus fingulier , c'eft
que dans ce Dictionnaire , à l'Article Mode , p. 288 ,
M. Rouffeau cite un long paffage de mes Elémens ,
qui ne fe trouve que dans la feconde édition ; preuve
incontestable , fi je ne me trompe , que cette édition
a précédé le Dictionnaire , & que M. Rouffeau
* M. Rameau avoit dit publiquement que dans un
Opéra de M. Rouffeau , qui n'a point été repréſenté , les
meilleurs airs étoient pris des Italiens , & les autres , l'ouvrage
d'un Ecolier. Cette affertion , bien ou mal fondée ,
ulcéra vivement M. Rouffeau contre M. Rameau , dont
il avoit été juſqu'alors très-zélé partiſan,
DE FRANCE
eft l'Auteur de la Note , fa mémoire l'a bien mal
fervi. Il me paroît difficile de répondre à ces faits &
à ces dates. J'ajouterai que ce même M. Rouffeau ,
qui, dans fon Dictionnaire , m'honore en plufieurs endroits
de fes éloges , n'y fait entendre nulle part que
mes Élémens ayent été faits d'après lui : il favoit
trop bien le contraire ; & il a fallu attendre ſa mort
pour lui faire dire ou imprimer cette fottife . Quant
à la prétendue offre que j'ai faite à fon Libraire
( & qu'il n'a pas acceptée ) de corriger les épreuves
de fon Dictionnaire , c'eſt un fait que je ne me rappelle
nullement , & dont mon Accufateur pourroit
bien n'être pas plus sûr que de l'antériorité du Dictionnaire
à la feconde édition de mon Ouvrage ;
mais il eft clair que cette offre , vraie ou fauffe,
refufée , dit-on , par le Libraire , ne fauroit prouver
le plagiat qu'on me reproche fi légèrement & fi
gratuitement.
Je ne réponds jamais , Meffieurs , à ce qu'on imprime
contre moi , je ne prends pas même la peine
de le lire ; mais le nom de M. Rouffeau , mis à la
tête de la Brochure dont il s'agit , ma paru mériter
une exception.
Je fuis , & c.
A Paris , le 29 Septembre 1780.
D'ALEMBERT.
88 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
REPONSE de M. CAROUGE DES
JE
秉
"
BORNES , à la deuxième Question qui
lui a été faite relativement au Chauffage
Économique.
E crois , Monfieur , avoir fatisfait à votre première
Queſtion , par ma Lettre inférée dans le Mercure
du 26 Août dernier , N ° 35. J'y démontre
qu'en France les mines de Charbon font abondantes
, qu'elles font en grand nombre , qu'elles
nous offrent fur ce point d'économie domeftique des
reffources inépuifables . Nous n'avons point , commė
autrefois certains Savans , differter fur la dent
d'or qui n'exiftoit pas , & dont il eût fallu d'abord
conftater l'existence . Je ne vous parle que du Charbon
, matière moins brillante que l'or , mais plus
néceffaire. Je vous ai raffuré fur la crainte d'en
manquer , dans le temps même où le bois vous manque.
Il vous refte d'autres objets de follicitude.
Vous me demandez , en fecond lieu « fi on peut
épurer le Charbon dans toutes les Provinces du
» Royaume , ou fe le procurer dans toures après
l'épurement ? »>
"3
D
Je me hâte de répondre à cette feconde obfervation.
Elle n'eft pas moins effentielle que la première
, & bien des perfonnes la regardent comme
plus épineufe. J'espère les tranquillifer encore , ainfi
que vous , Monfieur , fur ce nouvel article.
J'avouerai d'abord , ( car il faut être de bonnefor
, fur tout en matière économique ) j'avourai ,
DE FRANCE. 89
dis-je , que toute eſpèce de Charbon foſſile n'eft
pas également fufceptible d'être épuré.
Il y a tel Charbon de Terre qui , dans le fourneau
d'épurement , fe convertit en une cendie rouge.
Celui-là n'eft guères propre qu'à cuire la chaux. Il
fe trouve fur les bords du Rhône , fur les confins
du Languedoc , du Dauphiné , & dans toute l'étendue
de la Provence. Il eft vrai que dans cette dernière
Province , & particulièrement à Marseille , on
l'adapte auffi à l'ufage de différentes Manufactures ;
mais il donne moins de chaleur que le Charbon
Maréchal; nom qui fignifie un Charbon propre à
forger & à fouder.
Celui- ci , en général , eſt jugé ſuſceptible d'épurement.
Il y a pourtant des exceptions à faire , & je
ne les fais que d'après nombre d'expériences. J'ai
reconnu , dis-je , que dans certaines Provinces , dans
le Dauphiné fur- tout , le Charbon Maréchal , aufitôt
qu'on effaye de l'épurer , fe pulvérife , fe diffout
en grains auffi menus que ceux du fable : effet contraire
à celui de l'épurement , qui devroit être de les
réunir.
Que la Provence & le Dauphiné fe raffurent cependant.
Elles ne manqueront point de Charbon.
épuré , quoique celui qu'elles produiſent foit peu
favorable à cette opération. Elle réuffit parfaitement
fur celui du Lyonnois & d'une partie du Languedoc.
L'un & l'autre fuppléeront fans peine à ce qui manque
fur ce point au Dauphiné ainfi qu'à la Provence ,
deux Provinces qui leur font limitrophes.
J'ai parlé dans ma première Lettre des mines du
Forêt & de la Bourgogne. Leur fécondité eft remarquable
; mais tout le Charbon qu'elles produifent
n'eft pas également fufceptible d'épurement . Il eft
contrarié par les parties terreufes qui fe mêlent trop
fouvent au Charbon du Forêt : inconvénient qui
réfulte de la mauvaife exploitation des mines. de
30 MERCURE
cette contrée. J'ai déjà dit qu'elles ne font , pour la
plupart , ouvertes qu'à la fuperficie. Le mal ne feroit
donc pas incurable , mais l'abus pourroit bien le
devenir .
La Bourgogne eft mieux tenue. Cependant , de
toutes les espèces de Charbon foffile qu'elle produit ,
on n'a foumis encore à l'épurement que celui du
Mont Cenis. Une partie de ce Charbon , c'eſt - àdire
, celle qui fe réduit en pouffière , ne s'épure pas
toutefois fans quelques difficultés . Si ces molécules
étoient graffes , l'épurement les rapprocheroit ; elles
finiroient par faire corps & former des morceaux
d'une confiftance à peu- près égale à celle des autres
parties qui font reftées entières ; mais le Charbon
de Mont-Cénis eft naturellement fec ; fa pouflière
ne peut s'épurer que difficilement ; elle n'eft' que foiblement
unie ; & dès -lors il eft embarraffant de la
tranfporter au loin . Elle fert d'aliment aux forges
voifines. Quoi qu'il en foit , la mine eft fi abondante
, les parties folides qu'on en retire font en fi
grande quantité , que cette mine pourroit , d'un côté
par la Seine , & de l'autre par la Loire , approvifionner
un cinquième du Royaume.
Les Charbons du Rouergue & du Limouſin peuvent
s'épurer en total . Je vous ai fait connoître l'extrême
fécondité de ces mines . J'ai ajouté qu'elles
pourroient , à elles feules , fournir de Charbon
épuré toutes les côtes de l'Océan & de la Méditerrannée.
Il vous eft facile maintenant d'apprécier
toute l'importance d'une telle reffource.
L'Auvergne fut moins avantageufement traitée
par la Nature ; fon Charbon terreux ne peut être
purifié qu'à force de dépenfes . Tout annonce que
I'afage du Charbon brut reftera héréditaire dans
cette Province , à moins qu'elle ne ſe détermine à
puifer le Charbon épuré chez les voifins . Le Limouſin
lui en offre d'excellent , le Bourbonnois encore de
DE FRANCE.
meilleur. Celui -ci eft d'une qualité fi favorable à
l'épurement , qu'il n'a peut -être point d'égal dans
l'Europe entière. C'eft le même qu'on a réſervé
pour l'approvifionnement de Paris. On peut fe le
procurer dans cette Capitale avec autant de facilité
que de promptitude.
Nul moyen , ou des moyens trop difpendieux
pour épurer le Charbon du Nivernois , de la Touraine
& d'une partie de la Bretagne. Au refte , ces
trois Provinces peuvent trouver ce qui leur manque
à cet égard , dans les mines du Mont - Cénis & du
Bourbonnois. La communication eft ouverte , & le
tranſport bien praticable.
CR
Je vais fans doute vous étonner , Monfieur ,
vous annonçant que la vafte Province de Normandie
paroît n'offrir , du moins jufqu'à cejour , aucun
Charbon de Terre capable d'être purifié. Elle eſt
fi étendue , qu'on peut efpérer encore de nouvelles
découvertes fur ce point. En attendant , elle a bien
des moyens d'y fuppléer. Le Forêt , le Bourbonnois ,
la Flandre , font en état de lui faire oublier la difette
qu'elle éprouve.
Tous les Charbons de la Flandre peuvent être
parfaitement épurés. Quant à ceux de la Lorraine ,
il
y a plus de vingt ans qu'on les épure avec ſuccès.
Je ne vous ai rien caché , Monfieur. C'eſt la franchife
qui a conduit ma plume. Vous connoiffiez nos
befoins ; vous connoiffez maintenant toutes nos - reffources.
Peut-être defiriez-vous que le Charbon de
toutes nos Provinces fût également fufceptible d'être
´épuré. Je le voudrois bien auffi ; mais raſſurez- vous :
la France en renferme une affez grande quantité
pour n'en manquer jamais , & pour en fournir
même à fes voisins.
Il ne me refte plus qu'à vous faire connoître les
propriétés de ce comeftible. Ce fera l'objet de ma
troifième Lettre , & en même-temps la réponse à
92
MERCURE
votre troifième queſtion . Mais cette Lettre le fera
un peu plus attendre que mes deux premières. Je
pars fous peu de jours pour aller faire une tournéc
dans les forges de deux Provinces , où je fuis attendu
. Là , je ferai plus occupé d'expériences que
d'argumens ; car enfin , Candide n'avoit point tort :
il ne fuffit pas de bien raiſonner , il faut encore
bêcher le jardin.
Je fuis , &c.
ANECDOTES.
I.
MADAME DE MAINTENON philofophoit un
jour chrétiennement devant plufieurs perfonnes
, fur le mépris qu'on devoit faire des
plaiſirs & des grandeurs de ce monde , qui
ne méritoient ni notre attachement ni les
peines & les foins que l'on prenoit pour les
acquérir ; foutenant que notre falut devoit
être notre unique étude, & qu'il n'y auroit que
dans le Ciel qu'on jouiroit d'un bonheur fans
bornes : M. le Marquis d'Aubigné , fon frère ,
qui étoit préfent , lui dit : il faut aſſurément
que vous ayez quelque prétention fur
Dieu le père.
I I.
Mde Du Gué , mère de Mdes de Bagnole
& de Conlange , difoit toutes fes Prières en
Latin . Mde de Coulange un jour lui dit
qu'elle feroit mieux de prier en François.
Oh! non , ma fille , lui dit- elle , quand on
entend ce que l'on dit , cela amufe trop.
**
1
DE FRANCE; 93
I I I.
S. Auguftin , dans fon Livre intitulé : la
Cité de Dieu , combat l'opinion de quelques
Théologiens qui enfeignent que les femmes
deviendront hommes après la réſurrection
des morts , prétendant que la grace Divine
doit alors achever ce que la Nature avoit
laiffé imparfair.
GRAVURES.
Les deux Modèles, Eftampe de feize pouces de hau- ES
teur fur vingt pouces de largeur , gravée d'après le
Tableau original de M. Leprince , Peintre du Roi ;
par de Longueil , Graveur du Roi. Elle fe vend chez
l'Auteur, rue de Sève , vis -à- vis la Fontaine de Incurables.
Prix , 12 liv.
par
Carte du Golphe du Mexique & des Ifles Antilles;
L. Denis . Geographe. A Paris. chez Baffet, Md.
d'Eftampes , rue S. Jacques , au coin de celle des Mathurins.
Prix , Il. 10 f.
Le Satyre Amoureux , Eftampe en couleurs ,
peinte par Carême , & gravée par Janinel. Prix ,
61. A Paris , chez les fieurs Campion , frères , rue
S. Jacques , à la Ville de Rouen.
1
La Privation Senfible , Eftampe gravée d'après
Greuze , par Simonet . Prix , 6 1. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Sept Voies , au coin de la rue des
Amandiers.
94
MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
EXPERIENCE
XPÉRIENCES fur les Végétaux , fpécialement
fur la propriété qu'ils ont à un haut degré , foit
d'améliorer l'air quand ils font au foleil , foit de le
corrompre la nuit , ou lorsqu'ils font à l'ombre ;
par M. Ingen Houfz , Médecin , &c. traduit de
l'Anglois par l'Auteur . V. in- 8 ° . Prix , 41. 4 f. br.
A Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur-Libraire,
quai des Auguftins.
-
On trouve chez le même Libraire , les Principes
des Accouchemens , par M. Baudelocque , traduits en
Hollandois. Vol . in-8 ° . Prix , broché, 2 1. 8 L.
Collection des Opufcules de M. l'Abbé Fleury,
in-8° . Tome premier , contenant les moeurs des
Ifraëlites & des Chrétiens , les devoirs des Maîtres &
des Domeſtiques , le Soldat Chrétien & les deux Catéchismes
hiftoriques. A Nifmes, chez P. Beaume , Imprimeur
du Roi. Voyez le Profpectus concernant les
OEuvres Complettes de cet Auteur , au Nº . 35
Mcrcure.
du
Hiftoire des hommes, Tomes V & VI de l'Hiftoire
Ancienne , & Tome IV de l'Hiftoire Moderne. A
Paris, chez M. de la Chapelle, rue Baffe du Rempart,
porte S. Denis.
Cours de Pathologie & de Thérapeutique Chirurgi
cales Ouvrage pofthume de M. Simon , mis en ordre
& confidérablement augmenté par M. Hévin,
Profeffeur Royal de Chirurgie, Infpecteur des Hôpitaux
Militaires , &c . &c. Vol. in- 8 ° . prix 7 1. relié, A
DE FRANCE.
95
Paris, chez Méquignon l'ainé, Libraire , rue des Cordeliers
..
Annales Poétiques , depuis l'origine de la Poéfie
françoife. in 12. Tome XVI. A Paris , chez les Editeurs,
rue de la Juffienne, & chez Mérigot le jeune ,
quai des Auguftins .
Jofephi Quarin Methodus medendarum inflamma
tionum. Vol. in- 12 . Prix , 2 1. A Faris , chez Méquignon
l'aîné , rue des Cordeliers.
Mémoire fur l'Electricité Médicale , & l'hiſtoire
du Traitement de vingt Malades traités , & la plupart
guéris par l'Électricité ; par M. Mufars de Cazèles
, Médecin à Toulouſe. Broc. in - 12 . Prix , 18 f.
A Paris , chez le même Libraire.
1
Traité de l'Origine & du Progrès des Charges de
Secrétaires d'État , pour fervir d'éclairciffement à
quelques points particuliers de l'Hiftoire de France ,
par M.... Vol. in - 12 . Prix , 14 f. A Paris , chez
Lami , Libraire , quai des Auguftins. On trouve chez
le même Libraire , une réimpreffion du Traité de
Guillaume Poftelfur la Loi Salique.
Mémoires de Bigobert Zapata , publiés par M. de
Lignac. 2 Parties , in- 12 . Prix , 21. 8 f. A Paris ,
chez Laporte , Libraire , rue des Noyers.
La Religion prouvée aux Incrédules , avec une
Lettre à l'Auteur du Systême de la Nature , par un
homme du Monde , in- 8 ° . A Paris chez Debure
quai des Auguftins.
Mémoires Secrets , tirés des Archives des Souverains
de l'Europe , depuis le règne de Henri IV.
Ouvrage traduit de l'Italien, in-12 ; parties 39 & 40 .
A Paris chez Baftien , rue du Petit-Lion,
Obfervations Théoriques & Pratiques fur la Ma96
MERCURE
ladie Epidémique de Montfort-l'Amaury , par M. de
Montplanqua, Docteur en Médecine. V. in 12. Prix,
20 f. A Paris , chez Didot le jeune , quai des Auguſt.
,
Effai fur les moyens d'abolir la Mendicité dans
tous les Pays. Tome 1 in-12 . Prix , 1 1. 4 f. A
Rouen, chez Boucher, rue Ganteric, & A Paris , chez
Durand , rue Galande.
Effai fur les Diagonales , par M. le Marquis de
Culant , Seigneur de Ciré , in 4° . A Paris chez
d'Houry , Libraire , rue de la Bouclerie.
Chef-d'oeuvres d'Eloquence Poétique, à l'uſage des
jeunes . Orateurs , ou Difcours François tirés des Auteurs
Tragiques les plus célèbres , fuivis d'une Table
raiſonnée , dans laquelle on définit & l'on indique
les différentes figures qui s'y rencontrent. Vol.
in-12 . Prix , 3 1. rel. A Paris , chez Nyon , Libraire ,
rue du Jardinet.
TABLE.
REPONSE à l'Epitre de relle ,
M. l'Abbé Dourneau,
Elégie à mon Ami ,
Les Perdrix , Conte ,
Romance ,
Enigme & Logogryphe ,
49 Comédie Italienne ,
ST Variétés "
78
84
ib.
52 Lettre de M. d'Alembert , 85
58 Réponse de M. Carouge des
·59 Bornes ,
RéflexionsPhilofophiques , &c. Anecdotes ,
62 Gravures .
Projet d'un Monument con- Annonces Littéraires ,
facré à l'Hiftoire Natu-
J:
APPROBATION.
88
92
93
94
le A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Mercure de France , pour le Samedi 14 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
Le 13 Octobre 1780. DESANCY.
MERCURE
savo alla not bosaniganggulo , piz
DE FRANCE.
Anol sup LOT 95
Mouvido
aoliom ast
SAMEDI 21 OCTOBRE 1780 .
m & l . ut sa !
PIÈCES FUGITIVESCE
allix ) L'op lps
EN VERS ET EN PROSE
LA FEMME - ENFANT , on Dialogue
entre une jeune Fille qui fort du Couvent
"&fon Mariprétendu.
MONDOR, (feul, à part. 4
SE marier, c'eft entreprendre
Un grand ouvrage Hélas ! je l'éprouve en ce jour.
Époufer eft fort bon . Oui : mais comment s'yprendre ?
Beauté trop jeune ignore encor l'amour 5
Elle le connoit trop dans un âge moins tendre.
"Avant de faire un choix , en vain vous y penſez.
$
Le hafard trompe le plus fage ;
Et je crois qu'une femme , en fait de mariage,
En fait toujours ou trop , ou pas affez.
Sam. 21 Octobre 1780. E
MERCURE
EULALIE , ( à part , en entrant. Y
Au Couvent aujourd'hui je voudrois bien écrire.
Mais je n'ai pas , je crois , de nouvelle à leur dire,
Ah ! j'oubliois qu'on va me marier.
Je ne fais , ce grand mot auroit dû m'effrayer ,
Et cependant il me fait rire.
MONDOR ( de même. )
Eulalie eft bien jeune ! on me fait eſpérer,
Mais l'amour eft encore étranger à ſon ame ;
Et ( ce qui femble fait pour me défeſpérer )
Ce qu'elle ne fent pas , elle fait l'infpirer.
Lorfque plus tendrement je fais parler ma flamme ,
Je plais , fans la toucher. C'eſt à me rendre fou.
Elle prend un mari , comme un nouveau joujou ,
Je l'apperçois. Quoi ! dans la rêverie !
Elle!
EULALIE , ( toujours de même. )
Mais à propos , ma gageure ?
MONDOR , à part.
Qui vraiment
EULALIE à
• part.
C'en eft fait; fi l'on me marie ,
Il eft perdu pour moi , qui l'aimois tant !
MONDOR
મ
> à part.
Rêver eft du nouveau pour elle.
( haut. )
Je vous cherchois , Mademoifelle,
DE FRANCE
Vous rêviez , ce me femble ?
EULALI E
4
Ogi , quafi triftement,
40M ONDO R.
Vous m'étonnez , quel revers vous afflige ?
Auriez-vous donc perdu cet heureux enjoûment.
EULALT E.
Oh , oui ; da moins pour le moment ?
MOND OR à part.
Ah! fi l'amour avoit fait ce prodige !
(haut. )
Peut-on favoir ce grand événement ?
( à part. )
Dieu ! quel bonheur, fi je devine !
EULAL I E.
Je vous le donne en fix. Voyons.
MOND OR.
Le fentiment ,
Qui vous occupe & vous chagrine,
E nouveau?
EULALI E.
Très-nouveau.
MONDO R.
Ce n'eft pas un tourment
Bien vif?
EULAL I I.
Ok, pas abfolument.
EI
100 MERCURE
MONDO R.
Il vous fait rêver ?
EULAL I E.
Oui.
MONDO R.
Je commence à comprendre .
Un air trifte , inquiet , rêveur , de l'embarras ;
( gracieufement. )
C'eft de l'amour.
EULALIE
Vous n'en approchez pas.
MONDO R.
Vous n'en approchez pas ! l'expreffion eft tendre !
EULAL I E.
Eh bien , vous vous rendez , je crois ?
MONDO R.
Qui ; je m'éloigne trop , pour ofer y prétendre.
EULAL I E.
Au Couvent , mon amie & moi ,
Nous avions acheté , la femaine dernière ,
2.
Un perroquet charmant.... La mine la plus fière !
Le plus joli caquet ! Or , il fut convenu
Qu'il feroit à jamais perdu
Pour celle qui prendroit un époux la première.
MOND OR
J'entends , vous regrettiez votre perroquet.
DE FRANCE. ΤΟΙ
EULALI E.
Oui.
MONDO R.
Je l'avoûrai , jamais , fans une peine extrême ,
Je n'en euffe approché.
EULALI E.
Dans des momens d'ennui ,
Sije n'avois pas pu vous parler à vous- même ,
J'aurois pu caufer avec lui.
MOND OR à part.
Il faut rire avec elle , ou perdre patience .
( haut. )
Qui ; mais de ce rival j'aurois craint le
EULAL I E.
caquet.
Oh ! non ; vous auriez eu fur lui la préférence.
MOND OR à part.
Bon. Il faut bien la prendre & l'aimer comme elle eſt.
Heureux encor l'époux qui , durant fon abfence ,
N'eft remplacé que par un perroquet !
EULAL I.E.
Mais j'entre chez ma foeur ; adieu , l'heure m'appelle,
Vous reviendrez avant ce foir.
MONDO R.
Avant ce foir ?
EULAL I E.
Oh oui , je veux vous voir ,
E iij
102 MERCURE
Qu..... fuffit.
MONDOR, la reconduifant d'un air étonné.
A tantôt. Adieu , Mademoiſelle.
MOND OR , Leul
Sa phrafe eft claire , & je l'entends au mieux.
O Nature! Nature ! ah , fans doute.... Je veux.
Eft d'un fexe charmant la langue naturelle,
Avant que la raifon parle au coeur d'une belle ,
Sa bouche eft déjà faite à nous donner des lois ;
Avant de les connoître elle ufe de fes droits :
Régner eft un inftine paur elle.
VERS à Mlle DOLIGNY , à l'occafion
du rôle qu'elle a joué dans la Comédie
de l'Antipathie pour l'Amour.
SOUS
C
ous le rôle d'Adélaïde
... Et fi touchante & fi candide ,
Dont pour toi l'Auteur a fait choix ,
DOLIGNY , c'eft à ta perſonne
Qu'on applaudit depuis un mois ;;
Puis-je r'offrir quelque couronne
ཝ ཞ ‧ ཟླ
Après celle que tu reçois ?
Chez toi la vertu fuit la grâce,
Hé , quel triomphe eft plus brillant
Quand le lys des moeurs s'entrelace
Avec la palme du talent ?
1
(Par M. Lemière..)
DE FRANCE. 103
ELLE FIT BIEN , Conté.
HORTENSE n'avoit que quinze ans. A cet
âge on eft encore jeune. Mais fon efprit ne
l'étoit plus. Ce n'eft pas que le monde l'eût
formée elle fortoit à peine du Couvent.
Quelle école que le Couvent ! Comme vingt
jeunes Penfionnaires réunies enfemble vont
loin ! On diroit qu'elles ont une efpèce d'inf
tinct qui leur fait preffentir & deviner ce
qu'elles ignorent , & rarement elles fe trom--
pent ; inftinct charmant , qui leur apprend
toutes ces fineffes , ces efpiégleries & ce
manège enfin que fix mois d'ufage dévelop→
pent affez.
Pour ce qui eft de la trempe de fon efprit
& de fon caractère , Hortenfe étoit déjà bien
loin de la nature. Elle n'avoit plus que cet ef
prit & ce caractère que la lecture des romans
compofe aux jeunes Perfonnes . Elle en avoit
lu , grace à l'indulgence de la Tourière , de
toutes les espèces ; & fans connoître le
monde , elle étoit en état de deffiner dans fon
imagination le portrait d'un Lovelace oud'un
Grandiffon. Sa tête exaltée ne voyoit le bonheur
que dans l'amour , & voyoit l'amour
par - tout. Elle s'etoit paîtri un coeur à fa
manière , & ce cour- là devoit l'infpirer &
la conduire. Vous tremblez déjà pour elle .....
Raffurez-vous. Heureufement elle fe fit un
plan de conduite , fingulier à la vérité , uni-
E iv
104
MERCURE
que peut-être , & qui la préferva de bien
des faux- pas.
Je reviens au Couvent , & je n'oublierai
point le Parloir. Le Parloir influe plus qu'on
ne penfe far l'éducation des jeunes Penfionnaires.
Les tête- à têtes y font bien longs ;
tête- à-têtes de femme , notez bien. C'eft
une jeune Mariée à qui le mariage a appris
bien des chofes , & qui brûle de raconter
tout à fon amie. C'eft Lindor , que le Maîire
de Mufique a préfenté pour exécuter un
Duo. Lindor n'a pas dix- huit ans : il eft frais,
bien timide ; il ne dit rien , mais il fe laiffe
deviner. On n'ofe retirer la main fur laquelle
il bat en tremblant la meſure avec fon doigt,
& on ne peut fe défendre de ramaffer , en.
fortant, la Lettre qu'il a jetée à travers la
grille , de peur qu'une autre ne la life . C'eſt
une tante jeune , aimable , la plus malheu
teufe de toutes les femmes , abandonnée ,
& qui vient s'épancher au Parloir. Rien ne
s'y perd. Tout ce qu'on y dit fe grave profondément
dans des cerveaux dociles , &
devient la caufe de bien des infomnies. Les
Romans & les Parloirs avoient donc gâté
Hortenfe.
Renfermée dans un Couvent depuis l'âge
de dix ans , Hortenfe étoit tout au plus connue
de fa famille , & des amis de fa famille.
Parmi ces amis- là , il en eft qui ont toujours
une fille à propofer en mariage au garçon ,
ou un garçon à la jeune fille. Du moment
qu'ils font nés jufqu'à l'âge de leur entrée
DE FRANCE.
105
dans le monde , ils ne les perdent pas de
vue , & arrangent de loin le fufeau de leur
deftinée future. A point -nommé ces amislà
fe préfentent , & tout eft fi bien concerté,
qu'ils ne manquent jamais de réuffir; car
ils ont toujours dans la bouche ces termes
facramentaux : l'union eftfortable. Tout ce
manège , il eft vrai , n'a lieu que quand l'héritière
ou l'héritier font riches.
Un Confeiller d'État , qui avoit un fils taillé
complettement pour remplacer M. fon père ,
fut le premier à annoncer fes prétentions fut
Hortenfe. C'eft trop , dit-il à fon ami , retenir
Hortenfe au Couvent ; elle a vingt ans.
Il faut la rendre au monde : on dit qu'elle eft
bien.Le monde cependant eftbien contagieux !
Il feroit très- à propos de la marier. - On
fe doute bien qu'il propofa fon fils ; que fon
fils fut accepté , & que l'entrevue des jeunesgens
ne fut renvoyée qu'à la huitaine .
Hortenfe en fut prévenue , mit fa plus
belle robe , fe fit coëffer le plus élégamment
poffible. Mélidor (c'eſt le nom du jeune Confeiller)
avoit couvert fa longue taille d'un habit
de foie bien noir & bien moiré. Sa blonde
chevelure retomboit longuement fur fon long
dos . Il tenoit dans fes mains , avec des gants
blancs, un beau bouquet . Mélidor auroit bien
voulu jouer l'étourdi,fe permettre cefranc -parler
qui fiedfi bien fous le plumet & la cocarde ;
mais fous les yeux de fon père , & dreffé de
bonneheure à la fatigante monotonied'un cof-
Ey
гов MERCURE
tume férieux , il s'obfervoit fans relâche. Par
exemple, quand il étoit tenté de rire aux éclats,
il fe contentoit de fourire avec gravité . Il régloitjufqu'au
mouvement de fes yeux, & n'en
laiffoit echapper que des rayons lucides , qui
répandoient autour de fa perfonne un demijour
decent & magiftral. La même retenue
& la même gravité fe faifoient remarquer
dans fon allure , & tout ce qu'il difoit avoit
au moins le ton penfé ou penfif. Hortenfe ,
qui reffembloit à toutes les jeunes Perfonnes
qui reçoivent le mouvement qu'on veut bien
leur donner , parla avec réſerve , ne déve--
loppa point la moitié de fes grâces , & répondit
par monofyllabes . Elle étoit embar
raffée ; car la vifite d'un futur époux a quelque
chofe de bien embarraffant pour une
jeune Demoiselle . Elle reçut le grand bouquet
de Mélidor , l'attacha modeftement ,
avec un ruban , à fon côté gauche , & écouta
en rougiffant par intervalles . Son père ayant
jugé à propos de terminer la féance , la conduifit
dans un des coins du Parloir , & là ,
pour fatisfaire à l'ufage , il lui prit la main
la ferra , & lui dit : Ma fille , je ne veux
point vous voir malheureufe. Je n'imagine
point vous préparer des regrets en vous propofant
Melidor ; il eft riche . Et , fans atrendre
fa réponſe , il ajouta : Vous vous
convenez on ne peut pas mieux. Dans le
même moment, le Confeiller d'État avoit tiré
Mélidor à part. Je te félicite , mon fils ; elle
--
-
>
}
DE FRANCE. 107
.
eft charmante. Et fans lui donner le tems
de parler vous vous convenez à merveille.
Les deux pères s'embrassèrent auffi - tôt , -
en s'écriant : ces enfans font faits l'un pour
l'autre , l'union eft très -fortable. Ainfi le fort
d'Hortenfe & de Mélidor fut décidé , fans
qu'ils euffent été confultés , & on appela
cela une union fortable.
Le lendemain Mélidor ne manqua pas
d'envoyer à Hortenfe un billet & des fleurs .
Le billet étoit une fleur d'efprit. Mélidor
s'échappa de la table de fon père pour aller
caufer au Parloir avec Hortenfe . Cette feconde
vifite lui fut avantageufe. Une troifième
fuivit bien vite , & celle- là le fervit à
fouhait : il étoit en bottes , en frac , en chapeau
rabattu. Il avoit plus de foupleffe dans
fa taille , plus de grâces dans fon maintien ;
fa tête enfin difoit quelque chofe. Peu s'en
fallut qu'Hortenfe ne prêtât tout - à - fait
l'oreille. Mais elle avoit un plan , & déjà
elle avoit gagné un terrein immenfe , car
Mélidor avoit dit : je vous aime.
Le jour du mariage eft enfin arrivé. Hortenfe
époufe Melidor. Vous allez voir quels
moyens elle mit en ufage pour pouvoir être aimée
long- tems. Sans doute il n'eft pas à fouhai
ter que ces moyens foient employés fouvent,
mais il est bien vrai que les femmes feroient
en général des épouſes plus heureuſes. Je me
hâte de préfenter à mes Lecteurs la fcène que
j'ai à décrire.
Dans une falle richement meublée , où
E vi
10S MERCURE
s'élevoit un lit nuptial fuperbement paré ,
dont une jeune femme- de- chambre détachoit
en fouriant les rideaux , Hortenfe avoit
été conduite par Mélidor. Mélidor ( car enfin
il étoit époux ) fe préfenta le moment
d'après en robe-de- chambre. Hortenfe promena
fur lui des yeux étonnés , & lui dit avec
le fourire le plus gracieux : -Que prétendezvous
, Monfieur ? En vérité ceci me paroît
d'un fingulier... Ah ! du moins veuillez
permettre que nous ayions fait connoiffance.
- Mais, Madame.-Mais , Monfieur. - On
fe figure aifément la furpriſe de Mélidor. Il
tombe aux genoux d'Hortenfe ; prie, preffe...
Madame , l'hymen a des droits facrés : je fuis
bien éloigné de les réclamer ; mais quand
l'amour.... L'amour , dit Hortenfe en le
regardant avec les plus beaux yeux du monde
, je ne demande pas mieux. Aimez- moi ,
Monficur , aimons- nous , j'y confens ; mais
je vous préviens que je ne veux point reffembler
à toutes ces époufes qu'on aime
qu'on quitte , & qui , dupes d'une fatiété
qu'elles infpirent par trop de complaifance ,
font vraiment à plaindre. Oubliez , je vous
prie , que vous êtes mon époux , & tâchez
d'être mon amant. Voici mon appartement ,
cherchez ailleurs le vôtre . Quoi ! tour de
bon , Madame ! Un jour peut- être me
faurez - vous gré de cet arrangement.
-
-
- -
Mélidor fut contraint de fe retirer , & de
fe réfigner. Le lendemain il fe, préfenta de
bonne heure à la porte d'Hortenfe ; il n'étoit
DE FRANCE. 109
pas jour, Hortenfe lui fit faire mille excufes
, & lui annonça qu'elle ne recevoit perfonne
pendant qu'elle étoit dans fon lit.
Mélidor voulut avoir accès à fa toilette ; il
n'y eut pas moyen. Hortenfe n'avoit garde
de fe montrer fous un fi grand négligé , &
de découvrir tout ce qu'elle étoit forcée
d'emprunter à l'art .. Elle ne fut vifible pour
Mélidor que dans fon boudoir , & après que
toutes les glaces l'eurent raffurée fur le pouvoir
de fes charmes & l'effet de fa parure.
Elle reçut fon époux comme une aimable.
connoiffance dont on veut faire fon ami ; &
pendant qu'elle brodoit au tambour , elle
laiffa à Mélidor tout le temps de revenir de
fon étonnement , & de lui dire les plus
jolies choſes . On eût dit de la plus aimable des
coquettes , fouriant aux décentes agaceries
d'un aimable féducteur. Ils avoient l'un &
l'autre beaucoup d'efprit , & l'on imagine
bien tout le fel de cette fcène piquante &
naïve. Mélidor fortit fans être heureux ; il
céda la place à des jeunes- gens qui venoient ,
ce qu'on appelle fonder le terrein , & bâtir
ou détruire d'un feul mot la réputation
d'Hortenfe.
Mélidor vit fa femme établir entre ces
jeunes gens & lui , une concurrence dont il
fut piqué. Le dépit ne le pouffa pas loin.
Qu'auroit-il fait ? Une rupture éclatante !
Elles font paffées de mode.
-
, Effayons
dit- il , de l'emporter fur eux ; le prix en fera
110 MERCURE
―
plus glorieux. C'eft une fleur qu'il n'eft pas
permis à l'époux de cueillir ; l'amant doit la
mériter. Effayons . Ce ne fut plus qu'un
amant tendre. Pour prévenir tous les defirs
d'Hortenfe , il avoit toujours des aîles : pour
lui plaire , Protee ingenieux , il fe replioit
tous les jours fous des formes plus galantes :
il effayoit de s'emparer à la fois du coeur &
des fens de fa femme.
Hortenfe , de fon côté , fidelle à ſon plan ,
faifoit de fon mieux pour tenir Melidor en
haleine. Elle ne fe montroit à lui que fous
des jours avantageux . Jamais en négligé ,
jamais d'humeur , jamais cette franchife de
caractère qui détruit prefque toujours la
confiance , en ne ménageant point la deli--
catelle. Toujours bien , elle favoit prévenir
le moment où elle alloit être de trop.
Melidor croyoit vivre avec une aimable
étrangère , dont il effayoit de parler la langue.
Enfin , Mélidor fut heureux. Eh ! combien
de moyens il employa pour l'être ! It
mérita fon bonheur. - J'ai tout donné à
mon amant , difoit Hortenfe ; mon époux
ne poſsède rien encore. -Et en effet , Mélidor,
qui , comme tant d'autres maris , s'ima
ginoit follement que le refte de fa vie dépendoit
de ce premier pas , fur détrompé.
Hortenfe parut bientôt avoir oublié un moment
de foibleffe , fe défendit comme par
le paffé ; & Melidor enivré d'un bonheur
qui s'échappoit comme un beau fonge , couDE
FRANCE. III
rut de nouveau fur les pas d'Hortenfe , qui
avoit toujours l'air de fuir , fans jamais difparoître.
Ces deux époux pafsèrent ainfi leurs
beaux jours ; je dis beaux jours , car ils
vecurent toujours enfemble comme de tendres
amans. Hortenfe , ingénieufe à paroître
jolie , à n'accoutumer fon époux à rien , &
à lui faire tout recevoir comme un bienfait ;
Mélidor toujours aiguillonné par un delir, &
ranimé par une jouiffance.
O vous qui êtes bien perfuadés qu'un
ferment prononcé à l'autel , vous donne fur
vos femmes une entière fuzeraineté , &
prefque droit de vie & de mort , détrompez-
vous. C'eft de cette fauffe idee que
naiffent l'ennui & les dégoûts du mariage ;
& vous qui vous plaignez de vos infidèles
époux , fouvenez vous que pour les enchaî→
ner il faut imiter Hortenfe , avoir toujours
toutes les grâces de la nouveauté & le piquant
d'une maîtreffe. Je fens bien que ce
n'eft pas peu de choſes . Auffi voit- on peu de
bous mariages.
( Par M. Mayer. )
112 MERCURE
AIR D'ÉRIXÈNE
Chanté par Madame Saint - Huberty.
Allegretto .
LI -VRONS-NOUS à la gai- té , c'eft no - tre âge
qui t'ap-pelle ; que no- tre lé- gere
té ef- feu- re l'herbe nouvel - le : ·
キー
com-me on voit u - ne hi- ron -del- le , pendant
les beaux jours d'é- té , fri- fer l'eau ,
du bout de l'ai - le , fans
clar ·
en troubler la
té , fri fer l'eau, du bout
-
DE FRANCE. 113
de l'ai le , fans en trou-bler la clarté.
LIVRONS -NOUS au doux plaifir ;
L'éclat des rofes s'efface ;
Au printemps il faut jouir ;
Trop tôt l'hiver le remplace.
Saififfons l'inftant qui paffe ;
Il ne peut plus revenir.
Quand le froid des ans nous glace ,
L'on peut alors réfléchir.
( Mufique de M. Defaugiers, )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE
E mot de l'Énigme eft Lin ; celui du
Logogryphe eft Chapeau , où fe trouvent
écu , produit de 1440 oboles , chape , vache
peau & eau.
QUOIQUE
ÉNIGM E.
Quorque je fois pour tous poffeffion commune,
L'ufage eft d'en parler comme de choſe à ſoi.
114 MERCURE
On me prend à l'armée; on me fait chez le Roi ,
Et l'on me compte dans la lune.
Dans un de mes furnoms j'ai l'abord glacial ;
Un autre me rend général.
Certain arbre a bon air quand je m'y multiplic.
Si vous me fuppofſez de quelque bon méïal ,
Achille eût avec moi paré le coup fatal.
Si d'ennemis armés vous craignez la furie ,
Sans moi , c'eft fait de votre vie.
Enfin vous rendez - vous , & faut-il vous aider ?
Vous allez donc me demander.
( Par un certain Souffleur de Comédie. )
LOGOGRYPHE.
J'EXISTE
'EXISTE depuis f long-temps
Qu'on ne à qui je dois l'être;
Mais un point arrêté parmi tous les Savans ,
C'eſt que j'étois encor en mon printems ,
Lorfqu'en Grèce on me vit paroître.
On y connut bientôt mes droits :
Du myrthe & du laurier Théos plus d'une fois
M'offrit l'éclatante couronne :
Et long-temps l'on chérit mes lois
Dans Athènes , Samos , Smyrne , Lacédémone.
Je ne m'y fixois pourtant pas.
Un peuple né pour les combats ,
Defcendant du Dieu de la Guerre ,
Voulut le foumettre la terre
Et bientôt je fuivis fes pas.
DE FRANCE. 119
Comme parmi les Grecs , chez lui je fus reçue ;
Augufte m'admit à fa Cour ;
Cependant fa bonté déçue
M'exila loin de lui fur un foupçon d'amour.
J'errai depuis de Contrée en Contrée ,
Et rarement repa us au grand jour ;
Au monde enfin j'allois être ignorée ,
Quand aux bords de l'Arno f'annonçai ma rentrée ;
Par ma force & par ma vigueur
D'un chacun j'y fus admirée.
Non loin delà je pris plus de douceur ;
Avec autant d'efprit je fus plus modérée.
Au peuple d'Albion je fis beaucoup d'honneur.
Il ne me manquoit plus que de vivre honorée
D'un peuple craint pour fa valeur ,
Autant qu'aimé pour les vertus du coeur.
En France je parus , & j'y fus adorée.
Ces triomphes ont quelque prix.
Faut-il , Lecteur , t'en dire davantage
De mes fix pieds dérange l'affemblage ,
Je deviens un légume exquis ;
Un oifeau babillard ; un fleuve d'Italie ;
D'un chétif animal l'ineftimable don
Qu'à nos befoins fait fervir l'induftrie ;
En terme de grammaire , une conjonction.
Bref, je fuis..... Je me tais ; point d'indifcrétion t
Lindifcrétion dans la vie
Au plaifir fort fouvent vient mêler du poiſon.
(Par M. le Chevalier de T.... }
FLIG MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
PRÉCIS Hiftorique de la Marine Royale ,
depuis l'origine de la Monarchie jufqu'au
Roi régnant ; par M. Poncet de lá Grave ,
Écuyer , Confeiller , Avocat , Procureur,
`du Roi de Sa Majefté , au Siége général de
l'Amirauté de France , ancien Cenfeur
Royal , Membre de plufieurs Académies ,
& c. 2 Vol. in- 12 . A Paris , chez Onfroy
Libraire , Quai des Auguftins .
UN Auteur ne peut manquer d'être bien
accueilli du Public , lorfqu'il fe préſente fur
la fcène revêtu de cette multitude de titres
& de caractères qui fuppofent à la fois & ,
le favoir , & les talens , & les fervices &
leur récompenfe ; car , pour être Membre
de plufieurs Académies , il faut avoir fait
fes preuves. Nous applaudirons d'abord à la
fagacité de M. Poncet de la Grave , qui a fu
choifir un moment très - favorable pour met--
tre au jour cette Hiftoire de la Marine Françoife.
Bien différent de ces Critiques qui
voudroient nous perfuader que l'Auteur du
fiécle de Louis XIV eft un mauvais Hiftorien
, M. Poncet de la Grave a cru qu'on ne
pouvoit choisir un plus beau modèle ; il s'eft
attaché à ce grand Maître , & a fi parfaitement
faifi la manière de Voltaire , qu'il eft .
DE FRANCE. 117
quelquefois impoffible de diftinguer les idées
& le ftyle du Difciple d'avec ceux du Maî
tre. On en jugera par les morceaux fuivans.
TEXTE de Voltaire ,
Effai fur l'Hift. Générale
, T.8 , Ch. 49,
page 171 ,
La face des affaires
ne changeoit pas moins
entreles Princes Chrétiens.
L'intelligence &
l'union de la France &
de l'Espagne , qu'on
avoit tant redoutée , &
TEXTE de M. Poncet,
Partie II . P. 200.
" La face des affaires
ne changeoit pas
moins entre les Princes
Chrétiens ; l'intelligence
& l'union de
la France & de l'Efpagne
, qu'on avoit
avoit alarmé tant d'États
, fut rompue dès
que Louis XIV eut les
yeux fermés. Le Duc
d'Orléans , Régent de
qui avoit alarmé tant tant redoutée , qui
d'Etats , fut rompue
dès que Louis XIV
eut les yeuxfermés. Le
Duc d'Orléans , Régent
de France , quoiqu'irréprochable
fur France , quoiqu'irrée
foin de la confer- prochable fur la convation
defon Pupille , Tervation de fon Pufe
conduifit comme s'il pille , fe conduifit
eût dû lui fuccéder. Il comme s'il eût dû lui
s'unit étroitement avec fuccéder, Il s'unit
l'Angleterre , réputée étroiteient avec l'Anl'ennemie
naturelle de gleterre , réputée enla
France, & rompit nemie naturelle de la ૐ
ouvertement avec la France , & rompit oubranche
de Bourbon ; vertement avec la
qui régnoit à Madrid. branche de Bourbon,
MERCURE
Philippe V , qui avoit qui régnoit à Madrid.
renoncé ouvertement à Philippe V , qui avoit
la Couronne de Fran- renoncé à la Couronce
par la paix , exci- ne de France par la
ta , ouplutôt prêtafon paix , excita , ou plunom
pour exciter des tôt prêta fon nom
féditions en France , pour exciter des féqui
devoient lui don-, ditions en France , qui
ner la Régence d'un devoient lui donner la
pays où il ne pouvoit Régence du pays où
régner. Ainfi, après la
mort de Louis XIV,
toutes les vues , toutes
les négociations , toute
la politique changèrent
dansfa Famille & chez
tous les Princes,
il ne pouvoit régner.
Ainfi , après la mort
de Louis XIV , toutes
les négociations , toute
la politique changèrent
dans fa Famille
& chez tous les Princes,
»
M. de Voltaire , ibid. M. Poncet , page 201
page 172 .
Le Cardinal Albé-
Partie II .
Le Cardinal Alroni
, premier Miniftre béroni , premier Mid'Espagne
, fe mit en niftre d'Elpagne (1719 )
Lête de bouleverser voulut bouleverfer
l'Europe... Il négocia l'Europe ; il ne réujà
lafois avec la Porte- fit point , & finit par
Ottomane , avec le fe perdre,
Czar Pierre- le-Grand Il negocioit à la fois
& avec Charles XII. avec la Porte - Otto-
Il étoit prêt d'engager mane , avec le Czar
Les troupes à renouve- Pierre - le - Grand, Il
ler la guerre contre étoit prêt d'engager
DE FRANCE. 119
L'Empereur ; & Char- les Turcs à renouveler
la guerre contre l'Empereur;
& Charles XII
réuni avec le Czar ,
devoit mener lui -même
le Prétendant en
les pères .
les XII, réuni avec le
Czar , devoit mener
lui-même le Prétendant
en Angleterre, &
le rétablirfur le Trone
de fes pères... Le Angleterre , & le réta-
Régent de France fit blir fur le Trône de
la guerre à l'Espagne
de concert avec les Anglois
; deforte que la
première guerre entreprife
par Louis XV,
fut contre fon oncle ,
que Louis XIV avoit
établi auprix de tant
de fang. C'étoit en
effet une guerre civile.
Ce fut la Motte-How
dard qui compofa le
Manifefte, qui ne fut
Signé de perfonne,
M. de Voltaire ,
page 190,
Son adminiftration
fut moins conteftée &
moins enviée que celle
de Richelieu & de Ma-
Karin dans les temps
Le Régent de France
fit la guerre à l'Efpagne
, de concert
avec les -Anglois ; de
forte que la première
guerre entrepriſe par
Louis XV , fut contre
fon oncle , que Louis
XIV avoit établi au
prix de tant de fang,
C'étoit en effet une
guerre civile. Ce fut
la Motte - Houdard
qui compofa le Manifefte
, qui ne fut lu
de perfonne
, "
M. Poncet
page 204.
« L'adminiftration
du Cardinal de Fleury
fut moins contestée
& moins enviée que
celle de Richelieu &
$120 MERCURE
la
les plus heureux de de Mazarin , dans les
leurs miniftères. Sa temps les plus heuplace
ne changea rien reux de leur miniftèdans
fes moeurs. On re.Sa place ne changea
fut étonné que le pre- rien dans fes moeurs.
mier Miniftre fut le On fut étonné que le
plus aimable des cour- premier Miniftre fut
tifans & le plus défin- le plus aimable des
tereffe.... Illaiffa tran- courtifans & le plus
quillement la France défintéreffé . Il laiffa
réparer fes pertes & tranquillement
s'enrichirpar un com- France réparer fes permerce
immenfe , fans tes & s'enrichir par
faire aucune innova- un commerce imtion
, & traitant l'État
comme un Corpspuiffant
& robufte qui fe
rétablit de lui-même...
page 194. Le Roi Sta
niflas , beau - père de
Louis XV , déjà nommé
Roi de Pologne en
1704 , fut élu Roi en
1733 , de la manière
la plus légitime & la
plus folennelle.... Le
fils du dernier Roi de
Pologne, Electeur de
Saxe, qui avoit épousé
unefille de CharlesVI,
l'emporta furfon concurrent....
Le Cardinal de Fleu
menfe , fans faire aucune
innovation , &
traitant l'État comme
un Corps puiffant &
robufte qui fe rétablit
de lui - même. Le Roi
Staniflas , beau - père
de Louis XV , déjà
nommé Roi de Pologne
en 1704 , fut
élu Roi en 1733 , de
la manière la plus légitime
& la plus folennelle.
Le fils du
dernier Roi de Pologne
, Electeur de
Saxe , qui avoit épou
fé une nièce de Charles
VI , l'emporta
ry .
DE FRANCE. 121
ry , qui ménageoit fur fon concurrent....
Angleterre , ne vou-
Le Cardinal de Fleu
lut ni avoir la honte ry , qui ménageoit
d'abandonner' entière- l'Angleterre , ne vou
ment le Roi Staniflas, lat ni avoir la honte
ni hafarder de grandes d'abandonner Stanisforces
pour lefecourir. las , ni hafarder de
Ilfit partir une Efca- grandes forces pour
dre avec 1500 hom- le fecourir ; il fit parmes
, commandés par tir une Eſcadre avec
un Brigadier. Cet Of 1500 hommes ,.comficier
ne crut pas que mandés par un Brifa
commiffion fut fe- gadier. Cet Officier
rieufe; il jugea quand ne crut pas que fa
ilfutprêt de Dantzig, commiffion fut féqu'il
facrifieroit fans rieufe; il jugea quand
fruit fes Soldats, & il fut prêt de Dantil
alla relâcher en Da zig , qu'il facrifieroit
nemarck. Le Comte de fans fruit fes Soldats;
Plélo , Ambaffadeur il alla relâcher en
de France auprès du Danemarck. Le Com-
Roi de Danemarck , te de Plélo , Ambafvit
avec indignation fadeur de France ,
cette retraite , qui lui & c. & c.
paroiffoit , &c. &c. &c.
C'est ainsi que le nouvel Hiftorien de la
Marine fait prendre le ton & l'efprit de M.
de Voltaire : il n'eft pas moins habile à faifir
le génie des autres Écrivains qui ont publié
des Ouvrages fur cette matière : nous pourrions
en fournir un grand nombre de preuves
; mais M. Poncet , comparé avec lui
Sam. 21 Octobre So. F
I 22 MERCURE
même , intéreffera bien davantage . Rapprochons
d'abord de fon texte les notes qui fe
trouvent au bas des pages.
Partie I , page 24.
Notes de M. Poncet.
Leur Flotte fe retira
fort délabrée , &
regagna au plutôt les
ports de France.
Texte de M. Poncèt.
» Les François ,
après neuf heures de
combat , furent défaits
, & fe retirèrent
dans les ports de
France . "
Page 79.
L'autoritéfouveraine
& légitime triom
pha de la rébellion
"d'une ville audacieufe
qui fe croyoit invin
sible.
" Tous les vaiffeaux
donnèrent ; les
Chefs firent briller
leur prudence & leur
courage , & l'autorité
fouveraine & légitime
triompha.
Partie II , pag. 36.
Cependant le Comte
d'Étrées fe mit en
bataille , & enfuitefe
fervit des vents pour
faire une retraitefière
& honorable.
« M. d'Étrées ne
voulant pas hafarder
une bataille à caufe
de l'inégalité des forces
, s'éloigna des Efpagnols
, & fit une
retraite honorable &
fière. "
DE FRANCE. 123
Page 129.
« Les François vouloient
en venir à l'abordage
; mais l'ennemi
timide ou prudent
ayant le vent
pour lui , l'evita continuellement...
La fu-
Les Alliés , maitres
du vent qui étoitfrais ,
changeoient continuellement
de pofition , ce
qui ne permit pas aux
François d'en venir à
un abordage général.
La fumée d'ailleurs mée , pouffée par le
qui portoit fur notre vent fur la Flotte Fran-
Efcadre , l'empêchoit çoiſe , l'empêchoit de
de voir les mouvemens voir les mouvemens
de l'ennemi. de l'ennemi. »
On doit fentir combien de telles notes
ajoutent à l'intelligence & à la beauté d'une
narration ; mais elles ne font pas toutes du
même genre dans celle- ci , par exemple ,
l'Auteur a le courage & l'adreffe de fe réfuter
lui- même.
.
NOTE.
Les Hiftoriens fe
font trompés , elle fut
très- utile , en diminuant
les forces de
l'ennemi par la perte
de fes vaiffeaux.
TEXTE.
« Le Comte de-
Forbin , dans la néceffité
de vaincre ou de
périr , effuie ſon feu ,
fait la décharge , & fa
force à l'abordage le
Hollandois à fe rendre.
La victoire ne fut que glorieufe; le vaif-,
feau ennemi étoit fi maltraité , qu'il coula
à fond un moment après. "
Fij
124
MERCURE
Réflexion d'ailleurs auffi neuve que profonde:
il n'appartenoit qu'au Procureur de
l'Amirauté d'obferver qu'un vaiffeau coulé
à fond diminue les forces de l'ennemi qui lé
perd. On fe figure peut - être que M. Poncet
de la Grave ne fe montre un profond Penfeur
que dans fes Notes : ouvrez fon Livre ,
partie I , pag. 86 , vous y lirez ces phrafes :
" Le fanatifmefeul guidoit Soubife ; mais
fon unique objet étoit de fe faire rechercher
& de faire fa paix au poids de l'or. »
! « La
Pag . 186. La mort de l'Amiral , la perte
de fon vaiffeau , affoiblit les Anglois ; alors
redoublant d'efforts & découragés , ils fe vengèrent
par la mort de l'Amiral . »
Pag. 75 , Partie II. « Il battit l'ennemi , le
prit , mit le refte en fuite. »
Quand on aura bien médité la réflexion
fuivante , M. Poncet de la Grave ne doit plus
craindre de paffer pour être Philofophe .
Partie II , pag. 166. « Louis XIV , auquel
on faifoit la peinture la plus frappante de
la misère du peuple , tourna tous fes defirs
vers la paix , & s'abaiffa à propofer un accommodement
aux Hollandois : démarche
mal réfléchie. Un Roi de France devant toujours
faire la loi & non la recevoir , tant
qu'il a des fujets exiftans , conftamment prêts
àfe facrifier pour lui. »
En comparant le Texte de cet Ouvrage
à fon Difcours Préliminaire , on eft tenté de .
croire qu'il exifte deux Poncet de la Grave ,
comme il y a deux Sofies dans l'Amphitrion
DE FRANCE. 125
A la page 122 du Texte , l'un prétend que
" le Cardinal Mazarin , après avoir pacifié
l'Europe , rétablit notre Marine abandonnée ,
& fit refpecter le pavillon François. » Et à la
page 31 du Difcours Préliminaire , l'autre
affure que ce Miniftre , « occupé du foin
de foutenir la fortune chancelante , entouré
d'ennemis domeftiques , ne vit qu'autour de
lui. Ses yeux ne purent fe porter fur la mer;
fans ceffe agité par le tourbillon des intrigues
, il fut contraint de laiffer expirer la
marine. La gloire de la reffufciter fat réfervée
à Colbert. "
Affurément voilà des opinions trop incompatibles
pour fe trouver réunies dans le
même individu . Mais quel eft le vrai Sofie ?
Eft ce celui qui pofe en fait que Mazarin ,
ne vit qu'autour de lui , ou celui qui nous
repréfente ce grand Miniftre comme le Sauveur
de la Monarchie , qui ne fut jamais
plier , & pour qui ce n'étoit qu'un jeu de
faire trembler les ennemis de la France ? Se
peut-il , d'ailleurs , que la même plume qui
a fi heureufement imité le ftyle de Voltaire ,
ait écrit les chofes qu'on va lire ?
« Il eft réſervé à la nation Angloife de
tout faire contre les ufages & les règles patriotiques
entre les nations policées . S'ils
font des defcentes en pirates , ils enlèvent les
familles. " Partie I , pag. 47.
" Alors M. d'Aché , qui prévit que les
Anglois ne feroient pas en état , de longtemps
, de fatiguer les Établiffemens des
Fij
126 MERCURE
François , après s'être radoubé autant qu'il
le put à Pondichéry , fit voile pour l'Ile de
France , pour aller au- devant de trois nouveaux
vaiffeaux , pour reprendre la fupériorité
des mers. » Pag. 171.
" Le Roi Jacques , victime de l'ambition
de fon gendre & de la perfidie de fes fujets ,
étoit auffi le jouet des vents : tandis qu'ils
ne permettoient point à nos vaiffeaux de fe
joindre pourfe réunir en force , ce inême vent ,
au contraire , facilitoit la jonction des Alliés ,
& hâtoit fa ruine. » Pag. 41 .
" Charles équipa beaucoup de vaiffeaux ,
qui , joints à ceux de Caftille , forcèrent une
flotte de 120 bâtimens. Cette cfcadre , com
mandée par les François , par Jean de
Vienne , Amiral de France , & par Ferrand
Saune , pour les Caftillans , firent des detcentes
fur les côtes d'Angleterre , brûlèrent
& pillèrent l'ile de Vight , d'Armouth , Plimouth
& autres places. » Pag. 29.
CC
L'armée Françoife courut au fecours de
cette place , & fecondée par la flotte , commandée
par le Vice- Amiral de la Fayette &
André Doria , Génois , forcèrent les Impériaux
de lever le fiége.
L'inégalité des forces n'effraye point un
Général qui aime fon devoir & l'honneur
' de la nation ; le courage s'offre au nombres
M. de Tourville en donna dans cette occafion
un exemple qui doit être fuivi, par tous
ceux qui fuivent la même carrière. »
« Le mécontentement éclata , les NapoDE
FRAANNCCEE. 127
litains pillèrent le Bureau des Gabelles , &
y mirent le feu ; on n'entendoit que des cris
de vive le Roi , au diable le mauvais Gouvernement.
»
Il s'agiroit maintenant de faire connoître
la favante ordonnance de cette Hiftoire de
la Marine , les vaftes connoiffances géographiques
& chronologiques de l'Auteur , les
moyens qu'il emploie pour démontrer l'influence
de la Marine Royale fur la profpérité
de la Marine Marchande , le grand art
avec lequel il defline fes perfonnages & les
met en scène , foit pour inftruire nos Guerriers
, foit pour étonner fes Lecteurs , foir
pour rétablir la gloire du nom François ;
mais nous n'entrerons dans ces détails qu'après
la publication du Volume où fera tracé
le tableau de la guerre actuelle. En attendant
il fuffira de tranfcrire un morceau dans lequel
M. Poncet fait entrevoir modeftement
l'importance de fon entrepriſe.
" On ne peut trop recommander aux jeunes
Marins la lecture des principaux traits .
qui caractérilent ces grands hommes ; &
pour qu'ils puiffent le faire fans dégoût , il
faut les dégager de ces hiftoires volumineufes
dans lefquelles nous avons puiſe ,
fans nous arrêter minutieufement à de petits
faits particuliers enfevelis dans les dépôts
publics qui font ouverts aux Savans : comme
l'eau approche des lèvres de Tantale , un
précis vif, fuccinct , clair , ne leur offrira rien
´de rebutant. »
Fiv
28 MERCURE
EXPÉRIENCES & Obfervations fur differentes
espèces d'air , Ouvrage traduit de
l'Anglois , de M. J. Prieffley , Docteur
en Droit Membre de la Société Royale
de Londres ; par M. Gibelin , Docteur en
Médecine , Membre de la Société Médicale
de Londres. Cinq volumes in- 12 :
à Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
du Jardinet , quartier Saint André- des-
Arcs.
M. HALLÈS avoit retiré de différens corps ,
des quantités immenfes d'un fluide élastique
femblable à l'air , & qu'il n'en diftingua
point : ce phénomère avoit étonné fans fixer
les efprits. MM . Blach , Macbride , Cavendish
& Venel firent depuis quelques tentatives fur
la nature & les combinaifons de cet élément
; mais les grandes découvertes qui
doivent caufer une révolution dans la Chymie,
étoient réservées à M. Priestley. On les
trouve développées dans l'Ouvrage dont nous
allons rendre compte. On y voit que cet
habile Obfervateur s'attacha d'abord à diftinguer
les différentes eſpèces d'air qu'il retiroit
dé chaque fubftance ; il reconnut que
quoiqu'en général ils fe reffemblaffent à certains
égards , cependant ils différoient à
beaucoup d'autres. L'air fixe fe préſenta à
lui le premier. Le voifinage d'une brafferie
lui facilita les moyens de faire toutes les expériences
qu'il defiroit . L'air fixe fe fouf
DE FRANCE. 129
•
tenoit à la hauteur d'un pied environ audeffus
de la cuve ; il y éteignit les bougies ,
& y fit périr des animaux. Les plantes fe fanoient
& périffoient fi l'air fixe étoit trop
concentré; mais lorfqu'il ne l'étoit que modérément
, elles végétoient avec force , &
dénaturoient tellement cet air, qu'elles le remettoient
à- peu-près à l'état de l'air commun.
L'eau, avec laquelle cet air fixe fe combine
très- facilement , lui ôtoit auffi toutes
fes qualités malfaifantes.
La végétation & l'eau répandues dans
l'athmofphère font , felon notre Auteur , les
deux grands moyens qu'emploie la Nature
pour empêcher la trop grande production
de cet air , qui détruiroit bientôt tous fes
ouvrages ; car il eft produit fans ceffe par les
fermentations végétales , les exhalaiſons fou
terraines. Différens Phyficiens avoient d'abord
penfé que l'air fixe n'étoit que l'acide
vitriolique répandu dans l'athmofphère.
M. Priestley detruit cette idée , & rapporte
une lettre de fon ami M. Hey , qui établit -
clairement le contraire.
L'air inflammable , tout auffi mortel aux
êtres vivans que l'air fixe , a cependant des
qualités bien différentes. L'air fixe eft plus
pefant que l'air commun ; l'air inflammable
eft plus léger ; il ne fe mêle que très - difficilement
avec l'eau ; l'air fixe contracte avec
elle une union très-intime ; c'eft même lui
qui donne aux eaux minérales acidulées leurs
principales qualités : il poffède au plus haut
Fy
130 MERCURE
degré la vertu anti- feptique , & rétablic
même des chairs à demi putréfiées dans leur
premier état de fraîcheur. L'air inflammable
au contraire eft le produit des fermentations
putrides , animales & végétales , qu'il accélère
encore par fon développement . Les diffolutions
métalliques par les acides , les
moffettes des mines , la vapeur des charbons
´en combuftion , celle des peintures à l'huile
avec des chaux métalliques , l'étincelle électrique
tirée de l'huile , la refpiration des animaux
, leur fimple préfence dans un eſpace
refferré , dénaturent l'air commun , & le
transforment en air inflammable.Toute l'athmofphère
fe convertiroit en air inflammable
fans, l'action continuelle de la végétation ,
qui a la propriété de le rétablir dans fon premier
état. M. Priestley foupçonne que l'air
fixe contribue pour beaucoup à l'épuration
de l'air. Une des plus fingulières propriétés
de l'air inflammable , eft de détonner avec
une grande exploſion .
Tous les acides , tous les alkalis ont fourni
à M. Priestley des gaz différens , qu'il diftingue
par le nom de la fubftance dont il les a
tirés. Les alkalis foumis à la diftillation
donnent un air ou gaz alkalin qui a beaucoup
des propriétés de l'air inflammable : il tue les
animaux , éteint la bougie ; mais il s'unit à
l'eau & à tous les autres airs , avec lefquels il
produit des phénomènes fort finguliers . Des
nuages fe forment auffi- tôt à la furface des
vafes où l'on fait ces mêlanges , & dépofent
DE FRANCE. 131
·
de vrais fels ammoniacaux cryftallifés fuivant
la nature de l'air dont on s'eft fervi. Les
gaz vitrioliques , marins , acéteux tirés de
l'acide vitriolique , de l'efprit de fel & du
vinaigre , ont tous les propriétés générales
des gaz , mais ils en ont auffi de particulières.
Le gaz marin eft preſque tout abſorbé
par l'eau , qui acquiert une partie des propriétés
de l'efprit de fel . Le gaz vitriolique
mêlé avec l'air alkalin , donne un produit
tout différent. Le gaz nitreux eft le plus extraordinaire.
Une des propriétés les plus
fenfibles de cet air, eft la diminution con-
» fidérable, accompagnée d'une couleur rouge
trouble ou orangée foncée , & d'une grande
chaleur qu'il caufe dans l'air commun
» avec lequel on le mêle. Son odeur eft aufli
» très forte & très- remarquable : elle approche
beaucoup de celle de l'efprit de
>>
و ر
n
»
«
nitre fumant *. »
La diminution confidérable que ces airs
éprouvent par leur mêlange , eft devenue, entre
les mains de M. Prieftley,un moyen propre
à reconnoître la pureté de l'air refpirable .
L'air fixe & l'air inflammable n'ayant jamais
le même effet , il eft parvenu à conftruire des
inftrumens nommes Eudiometres , pour miefurer
la falubrité de l'air en différens lieux .
L'eau abforbe avec beaucoup d'avidité
l'air nitreux. L'eau bien purgée d'air par
* M. Lavoifier a démontré depuis , que
étoit un véritable elprit de nitre.
cette vapeur
F`vj
132
MERCURE
-
22
*
ébulition, abforbe de ce gaz. Perfuadé que
l'air ou gaz nitreux joue un très-grand rôle
dans la Nature , M. Prieſtley en a fait une
étude très fuivie ; il a reconnu que cette
fubftance a des qualités anti- feptiques bien
fupérieures à l'air fixe , & qu'elle arrête beaucoup
mieux que lui les progrès de toute fermentation
putride.
"3
ود
ود
" Il ne refte aucun doute dans mon efprit
, dit M. Prieftley , que l'air athmofphérique,
ou la chofe que nous refpirons,
» ne foit compofée d'acide nitreux & de
» terre, avec autant de phlogiftique qu'il en
» faut pour le rendre élastique , & avec ce
qu'il en faut de plus pour le faire defcen-
» dre de fon état de pureté parfaite , à la
qualité médiocre qu'il a dans la Nature. »
Mais de toutes les efpèces d'airs, nul n'eſt
peut-être auffi remarquable que celui que
l'on appelle déphlogistiqué. C'eſt un air dépouillé
, autant qu'on l'a pu jufqu'à préſent
de tout fon phlogiftique qu'on tire des chaux
métalliques , du mercure précipité perfe , &
des fleurs de zinc , &c. Les autres airs tuent
les animaux qui les refpirent , éteignent les
bougies celui- ci au contraire paroît plus
propre à la reſpiration que l'air dans lequel
nous vivons. Un animal enfermé fous une
* L'air nitreux , fuivant les Expériences de M.
l'Abbé Fontana , contient du fer ; il eft même parvenu
à former du bleu de Pruffe , en le combinant avec
les principes qui entrent dans ce compofé.
DE FRANCE. 143
cloche pleine de cet air , y demeure huit fois
plus de temps fans périr que fi elle étoit remplie
d'air commun ; une bougie y brûle avec
beaucoup plus de vivacité , fa flamme y eft
plus alongée que dans l'air athmofphérique ,
& mife dans un bocal plein de cet air, elle
s'éteint beaucoup moins promptement. Cet
air ne poffède toutes ces qualités que parce
qu'il contient peu de phlogiſtique , toujours
trop abondant chez les animaux , & dont
la Nature tend fans ceffe à fe débarraffer ,
fur-tout par la voie de la refpiration.
Telles font les principales découvertes dè
M. Priestley. Son Ouvrage n'a pas toujours
l'ordre , la préciſion , la clarté qu'on rencontre
dans les bons Écrivains. Mais fa marche
languiffante & tortueufe laiffe du
moins obferver les efforts de l'homme luttant
contre la Nature pour lui dérober fes
fecrets. Vu fous cet afpect , l'Auteur intéreffe
davantage , & on lui pardonne fes
défauts. Son Traducteur , M. Gibelin , ne
s'eft point borné à nous rendre les idées de
ce Phyficien ; il a fu joindre à ſa traduction
des éclairciffemens & un grand nombre d'expériences
nouvelles , qui doivent rendre
l'Ouvrage doublement précieux aux Savans.
Dans l'un des premiers Numéros du Mercure
, nous rendrons compte d'un Ouvrage
de M. Ingen-Houfz ; il traite de la même
matière , contient des découvertes non moins
intéreffantes , & peut fervir de fuite aux expériences
de M. Priestley.
134
MERCURE
PRÉCIS Élémentaire d'Agriculture , dans
lequel il fera traité de la manière de corriger
& cultiver toutes fortes de terres ; celle de
créer une Ferme à la Flamande , de former
un Laboratoire pour la préparation des
Fumiers , de cultiver les Fommes de Terre
dans toutes fortes de terreins , & de faire
produire de très - beaux blés continuellement
dans un même champ par une culture nouvelle
de l'Auteur , avec un Projet écono
nomique de créer des Manufactures de
Toiles & Serviettes à la façon de Courtrai ,
dans les environs de Paris ; par M. Mallet ,
Vol. in- 12 . de 240 pag. A Paris , chez
l'Auteur , Barrière de Reuilly , & chez.
Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Le détail du titre indique affez les objets
traités dans ce Précis. M. Mallet , né dans
la Flandre , au centre de la bonne Agriculture
, s'eft livré par goût , par zèle , aux recherches
qui peuvent la perfectionner. Il a
puifé des lumières dans les voyages agronomiques
d'Angleterre & de Hollande . Il parle
avec fimplicité & bonhommie , le langage
d'un Praticien attentif, aux Laboureurs qui
veulent s'inftruire par l'expérience & par les
réflexions d'autrui.
Ces fortes d'ouvrages font peu fufceptibles
d'analyfe ; d'ailleurs , on a tant fait de
livres d'Agriculture , qu'il eft très - rare de
trouver quelques nouveautés utiles dans ceux
DE FRANCE. 135
qui fe publient. La plupart des compilateurs
ne font plus que copier fervilement les Auteurs
qui les ont précédés.
C'est un reproche qu'on ne peut pas faire
à M. Mallet. Ses inftructions fur un laboratoire
de fumiers font généralement utiles , &
jufqu'à préfent inconnues au commun des
Agronomes. L'opération qu'il appelle le litavant
, ou fa nouvelle culture , peut convenir
aux terres dont la couche végétale eft
auffi profonde qu'il le defire ; elle mériteroit
au moins d'être éprouvée. Son but fe
roit de fupprimer les jachères. La Société
Libre d'Émulation en a fait le fujet d'un
Prix confidérable . Le plan d'un Jardin-Frui
tier de 100 perches , ou d'un arpent de fol ,
eft très- bien entendu , quoique le produit en
foit peut-être un peu forcé.
M. Mallet n'eft ni Jardinier , ni Fermier,
comme plufieurs perfonnes fembloient le
croire : c'eft un Amateur qui fuit l'inftinct
naturel de l'homme , & cherche fon plaifir
dans les travaux du premier des Arts , l'Agri .
culture , caractère ſpécial & diftinctif de notre
efpèce , qui l'élève au- deffus de tous les
êtres vivans , & qui nous rend les Rois de la
nature.
( Cet Article eft de M. l'Abbé Beaudeau. )
*
136 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
AUTANT UTANT la Veuve de Cancale avoit indifpofé
les Spectateurs à la première repréfentation
, autant elle a été accueillie à la feconde
; en effet , les corrections , les additions
, les fuppreffions que l'Auteur a faites ,
ont abfolument changé la face de fon Ouvrage
, qui , dur d'abord , & même fufceptible
de reproches plus graves , eft aujourd'hui
auffi agréable que peut l'être une Parodie
en trois actes , c'est - à- dire , un peu
longue. Elle étoit en cinq actes à la première
repréſentation ; chacun d'eux étoit calqué
fur ceux de la Veuve du Malabar ; pour la
refferrer en trois , on a rapproché quelques
fcènes , dans lesquelles les perfonnages entrent
d'une manière forcée & fouvent
inutile ; défaut auquel il étoit poffible de
faire attention , & dont le Parodiſte pouvoit
s'éviter le reproche.
Le grand Bramine de l'Ouvrage de M. le
Mierre , eft parodié ici par le Bailli de Cancale,
le jeune Bramine , par un Greffier ,
élève du Bailli ; la veuve de l'Indien , par la
veuve de Gran- Colas ; Montalban , par un
Recruteur ; enfin , la loi qui ordonne aux
femmes de fe brûler fur le bûcher de leurs
DE FRANCE. 137
époux , eft paródiée par une loi qui donne
aux Baillis de Cancale le droit d'époufer
celles qu'ils veulent choiſir entre les femmes
que l'année a vues devenir veuves.
+ Cette Parodie n'eſt exacte ; car entre
pas
le fort d'une femme qu'une loi barbare force
à perdre la vie dans les flammes , & celui
d'une autre qui doit , dans l'année , époufer
un Bailli jeune ou vieux , la comparaifon
n'eft pas admiffible. Il n'en existe pas non
plus entre le fac d'une ville & la milice que
l'on tire dans un village . Qu'on diffère une
cérémonie d'ufage , parce que la ville où
elle doit être célébrée eft fur le point de
devenir la proie d'un vainqueur furieux ,
rien de plus fimple ; mais que l'on trouve
mauvais qu'un Bailli fe marie le jour même
où l'on doit tirer la milice , cela eft abfolument
ridicule ; le fecond moyen ne fauroit
être la parodie du premier. Malgré ces reproches
, on doit des éloges à l'Auteur de
la Veuve de Cancale ; on y trouve des
fituations très-heureufement parodiées , par
exemple , la reconnoiffance du frère & de
la foeur , & la fcène du troisième acte entre
le Bailli & le Greffier. La manière d'écrire
de M. le Mierre, quelques- unes de fes penfées,
'plufieurs de fes moyens , y font auffi relevés
avec adreffe ; & le ſtyle , qui généralement
n'eft pas affez foigné , annonce néanmoins
de la facilité , de l'efprit , quelquefois du
goût , & fouvent de la gaieté.
On pourroit reprocher au Parodiſte de
し
138 MERCURE
M. le Mierre d'avoir préfenté dans un jour
ridicule quelques- unes de fes idées les plus
heureufes , & qui tiennent le plus à l'amour
de l'humanité : il n'eft pas le premier qui mé
rite ce reproche. Un des grands inconvéniens
de la Parodie, même quand elle eft faite avec
efprit , eft d'exciter le rire fans être utile , de
couvrir de ridicule les objets de morale les
plus refpectables , & les événemens de la vie
les plus intéreffans ; auffi ce genre agréable
à la jeuneffe , eft- il ordinairement abandonné
par ceux même qui y obtiennent le plus de
fuccès , quand l'âge a mûri leur raifon , en
leur donnant de l'expérience .
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
DEPUIS un certain nombre d'années , Monfieur ,
ileft queftion fingulièrement , fur-tout dans le monde
Littéraire , du célèbre Abailard , que l'on fait avoir
été le plus profond Dialecticien & l'un des plus favans
Théologiens du douzième fiècle , ainfi que
d'Héloïfe fon époufe , dont le génie égaloit au
moins , s'il ne furpaffoit pas le fien. Il femble même
que ces victimes infortunées de la cabale la plus noire
& de la jaloufie la plus baffe , commencent aujourd'hui
à renaître de leurs cendres , principalement depuis que
Pope , fameux Poëte Anglois , a publié une Épître
d'Héloïfe à Abailard , qui a eu le fuccès le plus brillant
en Angleterre . Cette Épître , qui a été traduite
par nos plus excellens Poëtes , n'a pas été moins accueillie
en France , & y a produit une espèce d'enthoufiafme.
DE FRANCE. 139
Mais je ne puis pardonner à la plupart des Ecrivains
modernes de ne s'être attachés à nous peindre
Abailard que comme un homme , malgré la Profeffion
Religieufe qu'il avoit embraffée , uniquement
occupé de la pallion pour Héloïfe , ce qui eft une infigne
calomnie : car Abailard n'eut pas plutôt prononcé
fes voeux , qu'il fe livra aux travaux de la pénitence
la plus rude & la plus févère ; & tous les Ouvrages
qu'il a compofés , à partir de cette époque ,
ne tefpirent plus que la piété la plus vive & la plus
pure. Mon but n'étant point ici d'entreprendre
l'apologie de cet homme unique & univerfel, parce
que je n'ai ni le loifir , ni les talens néceffaires
pour m'en acquitter de la manière qui conviendroit
, je laiffe à d'autres , plus habiles & plus
éclairés que moi , le foin de juftifier fa mémoire. Je
me contente de le venger d'un préjugé injurieux auquel
peuvent avoir donné lieu quelques Auteurs qui
ont été mal informés de ce qui concerne un homme
d'un auffi rare mérite que le fut Abailard , cu qui
ont été les organes de fes injuftes perfécuteurs ; tel
eft , entre autres , Belleforeft , qui , dans fes Annales,
a ofé avancer comme un fait certain , que les
offemens de cet homme admirable avoient été condamnés
à être brûlés après la mort.
Or , ce fait , Monfieur , eft abfolument faux ; &
il fuffit , pour réfuter une impofture aufli groffière ,
de citer les Lettres que Pierre le Vénérable , Abbé de
Cluny , écrivoit à Héloïfe. * Car non feulement les
offemens d'Abailard n'ont point éré brûlés après fa
mort , mais ils existent encore à préfent , & repofent
avec ceux d'Héloïfe dans l'Abbaye Royale du Paracler
, près Nogent fur Seine , au Diocèle de Troyes.
* Ces Lettres ont été imprimées à Paris en 1614 , dans
un Recueil qui a pour titre : Bibliotheca Cluniacenfis ; &
en 1616 parmi les OEuvres d'Abailard .
140 MERCURE
Les preuves que je me propofe d'en donner font fans
réplique.
Pierre Abailard étant décédé le 21 Avril 1142 , att
Prieuré de S. Marcel , près Châlons -fur - Saône , fon
corps , fur la réquifition & les inftances d'Héloïfe ,
fut enlevé fecrètement de ce Monaftère , par Pierre
le Vénérable , & tranſporté de-là à l'Abbaye du Paraclet
, de la manière qu'on le peut voir dans l'Hiftoire
de la Vie d'Abailard , écrite par Dom Gervaiſe,
ancien Abbé de la Trappe * . Ce corps précieux
fut alors déposé dans une Chapelle qu'Abailard
avoit bâtie fous l'invocation de S. Denis , & qui
s'appeloit le Petit Moutier. Héloïfe , qui furvécut
Abailard à environ 21 ans , mourut le 17 Mai 1163 ,
& fut réunie à fon époux dans le même tombeau.
En 1497 , leurs offemens furent retirés de ce tombeau
, & transférés delà dans la grande Églife du Monaftère
: ceux d'Abailard furent placés dans une
tombe de Pierre , au côté droit de la grille du Choeur,
& ceux d'Héloïfe dans une autre tombe , au côté
gauche ; ce qui eft prouvé par un acte authentique
qui en fut dreffé dans le tems.
Le 15 Mars 162 , on fit , par le commandement
de Madame Marie de la Rochefoucauld , qui étoit
alors Abbeffe du Paraclet , une nouvelle tranflation
de ces offemens. Les deux tombes furent déposées
dans un caveau que l'on avoit pratiqué fous l'Autel
de la Chapelle qui porte encore à préfent le nom de
Chapelle de la Trinité; & il en fut dreffé un nouvel
acte. C'eft dans cette Chapelle , qui formoit autrefois
le Choeur des Dames , qu'Abailard avoit fait
placer trois figures femblables , autant que le cifeau
du Sculpteur avoit pu le permettre : elles étoient d'un
feul bloc de pierre, & repréfentoient les trois Perfon-
* Cette Hiftoire a été imprimée en 1728 à Paris,
Barrois.
chez
DE FRANCE. 141
nes Divines. Abailard avoit fait élever ce monument,
qui exifte encore aujourd'hui , & que l'on a tranf
porté fur un petit Autel , dans le Choeur actuel des)
Dames , afin de prouver à fes ennemis acharnés à le
perfécuter , qu'il n'avoit point , & n'avoit jamais eu
d'autres fentimens que ceux de l'Églife Univerfelle,
touchant les dogmes du Myftère de la Ste- Trinité.
Madame de Roie de la Rochefoucauld de Roucy ,
auffi Abbeffe du Paraclet , & qui fut toute la vie
l'exemple de toutes les vertus chrétiennes , étant décédée
en 1768 , Madame la Grand'Prieure , du
confentement de la Communauté des Dames Religieufes
, fit appeler deux Chirurgiens , accompagnés
des Officiers de la Juftice du Paraclet , pour faire la
vérification des offemens d'Abailard & d'Héloïfe ,
dont il fut fait un procès-verbal.
Enfin , Madame de Roucy , actuellement Abbeffe
du Paraclet , qui gouverne cette Maifon avec une
fageffe confommée , & qui eft bien digne , par
les vertus qui la décorent encore plus que fa
haute naiffance , de préfider à des Religieufes
qui ne refpirent que la piété la plus fublime , & qui
ont pour elle l'affection la plus tendre , & un attachement
fans bornes ; Madame de Roucy , dis- je ,
s'étant déterminée à faire une dernière tranſlation
des offemens d'Abailard & d'Héloïfe , a bien voulu
jeter les yeux fur moi pour en faire la cérémonie le 6
Juin dernier .
> Je ne puis vous diffimuler , Monfieur , la vénération
fingulière dont j'ai été pénétré à l'aspect des reftes
refpectables de ces Époux malheureux , que je
plaçois à mefure dans un cercueil de plomb divifé en
deux portions , pour que les offemens , qui font
très bien confervés , malgré l'extrême humidité du
caveau , ne fuffent point confondus pêle- mêle. Le
cercueil ayant été remonté & expofé pendant un
quart-d'heure aux yeux de Madame l'Abbeffe qui
142 MERCURE
étoit prefente , & de la Communauté affemblée, on l'a
fcellé , après quoi on l'a tranſporté , en récitant les
Prières des Défunts , dans le Choeur des Dames ;
enfuite , à l'iffue des Vêpres des Morts , qui ont été
chantées , on l'a dépofé fous l'Autel où eft placé le
Monument dont nous avons déjà parlé. Cela fait ,
on a pofé au pied de l'Autel la tombe en marbre noir,
fur laquelle on avoit gravé , par les foins de Madame
l'Abbeffe , l'Epitaphe d'Abailard & d'Héloïfe,
qui exprime avec la plas grande énergie les princi
pales particularités de la vie de ces illuftres perfonnages.
L'acte de cette augufté cérémonie a été dreſſé
Je même jour , & le lendemain nous avons chanté
pour eux une Meſſe Solennelle .
D'après des preuves auffi inconteſtables & auffi
multipliées, je n'imagine pas qu'il foit poffible de révoquer
encore en doute l'exiftence des offemens d'Abailard
& d'Héloïfe dans l'Abbaye du Paraclet.
On ne fera pas faché fans doute de trouver ici leur
Epitaphe . La voici :
HIC
Sub eodem marmore jacent
Hujus Monafterii
Conditor , PETRUS ABELARDUS ,
Et Abbatiffa prima HELOÏSSA.
Olim ftudiis , ingenio , amore , infauftis nuptiis ,
Et pænitentiâ ;
Nunc aterná , quodfperamus , felicitate
Conjuncti.
Petrus obiit XXprimâ , anno 1142 ;
Heloiffa , XVII Maii , 1163 .
Curis CAROLE DE ROUCY, Paracleti Abbatiffa.
M. DCC. LXXX.
DE FRANCE. 143
J'ai l'honneur d'être avec les fentimens que méritent
les talens ſupérieurs qui vous ont acquis une eftime
univerfelle ,
M. Votre très humble & trèsobéiffant
ferviteur
VINCENT , Curé
de Quincey , près
Nogent- fur-Seine.
A Quincey, près Nogent -fur- Seine, ce 12 Août 1780.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
RECUEIL d'Airs & Romances , par J. J. Rouffeau,
gravé fur cuivre avec le plus grand foin , imprimé
fur de beau papier , & orné d'un frontispice avec le
Portrait de l'Auteur. Il contiendra , dans 200 pages
de format petit in- fol . près de 100 morceaux différens
, dont plufieurs Duos dialogués , ou Scènes de
Société , le tout avec accompagnement ; propofé par
foufcription pour le bénéfice des Enfans- Trouvés ,
au prix de 24 1. par exemplaire , qu'on ne paiera
qu'en recevant l'Ouvrage ; il faut feulement le faire
infcrire avec les qualités & demeures , avant le mois
de Décembre prochain , à Paris , chez de Roullede,
rue du Koule ; Efprit , au Palais - Royal , & chez les
principaux Libraires de l'Europe .
Traité élémentaire du Genre Épiftolaire & de la
Narration , feconde édition , revue & augmentée,
in - 8 ° . A Limoges , chez Barbou , Imprimeur- Libraire.
Réflexions fur l'état actuel de l'Agriculture , ou
Expofition du véritable plan pour cultiver fes Terres
avec le plus grand avantage , & pour le paffer des
144
MERCURE
engrais. Vol. in - 12 . Prix , 2 livres. A Paris , chez
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet .
Les Ouvrages fuivans fe trouvent, chez Nyon le
jeune , Place du Collège de Mazarin :
1. Ellipfes de la Langue Latine , Ouvrage
qui n'a jamais paru , par M. Furgaut , rel . 11. 16
2. Suite de la Profodie Latine pour la Poéfie
Lyrique , par le même , broc.
3. Terentius Chriftianus , parchemin ,
Livres nouvellement acquis.
4°. L'Art de parler réduit en principes , in-
12. petit papier , rel.
5. Hiftoriæ Græcorum res memorabiles ,
in- 12. petit pap. rel . parchemin ,
6°. Effai fur Pindare , in- 12 . rel.
7° . Sentimens de Piété , rel.
8. Motifs de Piété , rel.
TABLE.
1
2 10
I 4
2 10
IS
12
LA Femme-Enfant , Dia- Expériences fur différentes éf-
Logue
Vers à Mlle Doligny
Elle fit bien , Conte ,
Air d'Erixène ,
128
102 Précis Elémentaire d'Agri-
97 pèces d'air ,
103 culture ,
111 Comédie Italienne ,
134
136
Enigme & Logogryphe , 113 Lettre au Rédacteur du Mer-
Précis Hiftorique de la Mari-
J.
ne Royale,
cure
116 Annonces Littéraires ,
AP PROBATION.
138
143
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , lé
Mercure de France , pour le Samedi 2 1 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 20 Octobre 1780. DESANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 OCTOBRE 1780. 19
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. L * , en lui renvoyant le Livre
intitulé : les Amours , Élégie.
JEE vous le rends , cet enchanteur
Bien plus fenfible que Catulle :
L'aimable poifon qui le brule
S'échappe à grands flots de fon coeur.
Du plaifir l'amoureuſe adreffe
Deffina ces tableaux charmans ,
Ou fa main trace avec ivreffe
Des leçons aux jeunes amans ,
Des fouvenirs à la vieilleffe .
Toujours infpiré par l'Amour,
J'aime à le voir dans fon délire >
Tenir dans fes bras , tour-à-tour
Etfon Eucharis & fa lyre."
Sam. 28 Octobre 1780. G
146
MERCURE
Je préfère les tendres jeux
Aux plus libertines Orgies ;
Et fes Amours font très-heureux
Pour des Amours en Élégies.
J'impofe filence en ce jour
A ma voix légère & frivole ;
Je fuis ma Mufe fans retour :
C'eſt lui-même qui m'en conſole ;
Quand mon amour-propre s'envole ,
Je fens redoubler mon amour .
Content de redire à Thémire
Ses vers ardemment amoureux ,
Je ne veux employer mes feux
Qu'à l'aimer & non à le dire.
Débarraffé des fonges vains
De la gloire , autre enchantereffe ,
Ma lyre me tombe des mains. ..
J'en embraffe mieux ma maîtreffe.
(Par M. de Ch. * }
A M. LE BARBIER l'aîné , Peintre du
Roi,furfon Tableau du Siège de Beauvais,
où la valeur des Dames fut fi utile.) :
DANS ANS le fanctuaire immortel
Des Titien , des Raphaël ,
Eft- il permis d'entrer avec main-forte
En guerrier appareil & fous nombreufe efcorte ?
DE
FRANCE.
147
Le procédé paroîtra fingulier ,
Illégitime , irrégulier.
Pour être de l'Académie ,
Le Barbier joint la rufe aux efforts du génie.
Il fe fait finement précéder de Licteurs ,
Dönt les trop féduifans viſages
Savent
enchaîner tous les cerurs
,
Comme fon art ravit tous les fuffrages .
( Par M. de la Ferté , Avocat au Parlement. Y
LA
RÉPONSE
D'EULALIE.
LE bel-efprit
Mondor , mortel fort
ennuyeux ,
Complimentoit hier mon Eulalie
Sur le vif éclat de fes yeux.
> Ils étoient , à l'entendre , un chef- d'oeuvre des Dieux ;
Il n'en avoit point vu de plus beaux dans ſa vie.
Je leur promets demain des madrigaux heureux.
Voyez , s'écrioit-il , quelle douceur ! quels feux !
Ils peignent tour-à-tour la pudeur , la tendreſſe ;
Ils jettent dans mon coeur & le trouble & l'ivreſſe …...
Grâce !
Monfieur le bel- efprit ,
Laiffez mes yeux en paix , répondit ma maîtreffe ;
Ils ne vous ont jamais rien dit .
( Par M. D... Avoc ... au P. de R. )
Gyj
748 MERCURE
LES DEUX BOURGEOIS ET LE PAYSAN,
Conte.
TRIS -PIEUSEME RES- PIEUSEMENT deux Bourgeois
S'en alloient en pélerinage ;
Ils rencontrent un Villageois
Parti pour le même voyage.
On s'approche en marchant ; viennent les queſtions ;
Prompte réponse , confidence ;
On fait route ; & bientôt tous trois d'intelligence
Firent un fonds commun de leurs proviſions.
Sur le point d'arriver , l'efpoir de leur cuiſine
Tarit un foir : au trio Pélerin
Il ne refta que très-peu de farine ,
De quoi paîtrir un petit pain,
Pour fe la réſerver entière ,
Nos deux Bourgeois voulurent finement
Fruftrer leur Compagnon , qu'à la mine groffière
Ils croyoient duper aisément,
« Il faut prendre un parti , dit l'un ; le ciel m'infpire.
» Ce qui de trois amis ne peut guérir la faim
» Aux befoins d'un feul peut fuffire.
Je fuis d'avis qu'un feul ait tout le pain,
» Mais pour agir en confcience ,
Couchons - nous tous les trois , livrons - nous au
» fommeil ,
» Et demain à notre réveil
DE FRANCE 149
so Le plus beau rêve aura la préférence. »
L'autre applaudit tout haut , comme vous jugez bien
Mais le fin Villageois voyant le ftratagême ,
Dans leur filet feignit de fe jeter lui - même
Pour les attirer dans le fien .
On fit le pain , on le mit fous la cendre
Puis dans fon lit en moins de rien
Chacun des trois alla fe rendre.
Mais nos Bourgeois , plus las , s'endormirent foudia,
Notre Villageois , plus malin ,
Se lève fans bruit , fans mot dire ,
Court au foyer , mange le pain ,
Puis dans fon lit il fe retire.
L'UN des Bourgeois enfin fe réveille en furfauts
« Amis , dit -il , en leur parlant tout haut ,
» J'ai fait un fêve , écoutez - en l'hiſtoire :
» Deux Anges rayonnans de gloire
» En Enfer m'avoient defcendu ;
Je fuis long-temps demeuré fufpendu
» Sur les brafiers de l'éternel abyme :
» Là , j'ai vu cet Enfer tel qu'on nous le dépeint ;
» J'ai vu comment un feu , qui jamais ne s'éteint ,
Brûle le criminel pour expier le crime ;
33
» Comment..... Et moi , dit l'autre , j'ai rêvé
Que traverfant des airs les routes éternelles ,
» Deux Chérubins , fur leurs brillantes aîles ,
» Dans le ciel m'avoient enlevé.
» Là , j'ai vu l'Éternel fur fon trône de gloire. »
Giij
ISO MERCURE
Auffitôt le fongeur , en bons ou mauvais vers ,
Du Paradis chante la gloire ,
.Comme l'autre a conté les tourmens des Enfers.
LE Villageois les entend à merveille ;
Mais il feint de dormir. Les deux amis s'en vont
Droit à fon lit ; on le réveille ;
Et lui , comme fortant d'un fommeil très-profond ,
D'un air tout effrayé : « Qui m'appelle ? Quoi !
qu'eft-ce ?
""
50
» Leur dit-il ? Eh parbleu , c'eft nous ,
» Vos camarades . Le temps preffe.
» Allons , vite , allons , levez- vous.
» Votre rêve ? il faut nous le dire.
si Oh ! j'en ai fait un fingulier ,
Répond le Villageois ; & je vais paricr
Qu'à coup sûr vous en allez rire.
לכ
Lorſqueje vous ai vus par des chemins divers ,
Tranſportés l'un au Ciel , l'autre dans les Enfers,
» J'ai fongé , moi , que Dieu ne vouloit plus vous
ם כ
rendre ,
Que vous étiez pour moi comme dans le tombeau ;
» Je me fuis levé lors , & fans plus vous attendre ,
20 Tout bonnement j'ai mangé le gâteau.
DE FRANCE. ISI
LETTRE au Rédacteur du Mercure , fur
TORRE , Artificier du Roi.
Il vient de mourir , Monfieur , un Artiſte dont le
nom étoit connu de toute la France , & dont peu de
perfonnes ont connu le mérite. Voici quelques dé
tails fur l'hiftoire & le roman de fa vie.
N……….. Torré étoit né dans un petit village fitué
fur le Lac de Côme , * dans le Milanès. Il reçut la
feule éducation que fon père pouvoit lui donner. Il
apprit de lui à lire , à écrire & à faire des Baromè
tres. Ce talent nourriffoit toute la famille , qui étoit
très-nombreuſe. Dès qu'un garçon étoit en état de
fe conduire , on lui faifoit une provifion de ces inf
trumens , & il alloit chercher fortune. Torré quitta
de bonne heure la maiſon Paternelle , parcourut la
Suiffe & plufieurs Provinces de France , avant que
d'arriver à Paris , où le luxe fournit plus de reffources
pour la vente des marchandiſes en tout
genre , & fur - tout pour celle des objets de cu
riofité.
Le hafard le fit connoître de M. de Réaumur , qui
le jugea digne d'être affocié à une partie de fes travaux.
Il fe perfectionna, fous ce grand Maître , dans
l'art de conftruire des Baromètres & des Thermomètres
; il comprit , à cette école , combien fes connoiffances
étoient bornées , & en profita pour en
acquérir de nouvelles. Les entretiens des Savans qui
le rendoient chez M. de Réaumur , étoient autant
de leçons pour lui : un mot devenoit fouvent pour
fon efprit un trait de lumière ; il écoutoit , il interrogeoit
, il étudioit fur - tout la Nature , pour ainsi dire ,
* Latius Lacus.
Giv
152 MERCURE
dans fon temple , & bientôt il fe mit au ton de fes
Maîtres. Il connoiffoit la fuperficie des chofes , &
voulut en connoître l'intérieur. L'argent qu'il avoit
gagné par fon travail , il l'employa à fuivre des
Cours de Phyfique & de Chimie. Mais comme il
n'avoit point de fortune , il fe donna un état en fe
fixant à la Pyrotechnie.
Cet Art que perfonne n'a jamais exercé avec autant
de fuccès que lui , le con luifit dans différentes
Cours de l'Europe . Le Prince *** , qui fait fi bien
diftinguer & récompenfer les talens , l'attacha à fon
férvice. Il occupoit les loifirs à faire des expériences
Chimiques , & fut étonné de trouver dans fon Artificier
un homme capable de le feconder. Torré
devint encore plus habile en travaillant , & il éclipfa
bnot tous les autres Chimistes de la Cour . Il n'en
eft pas d'un Souverain comme d'un Particulier , qui
peut cacher fes goûts & fes fantaifies. On fut que le
Prince *** avoit un Laboratoire. Ce fut un avis
donné aux Charlatans de fe rendre à fa Cour. Tous
avoient des fecrets particuliers qu'ils offroient d'enfeigner
, la plupart avoient celui de la pierre philofophale
. Trop éclairé pour être leur dupe , le Prince
s'amufoit de leurs effais , & les renvoyoit en leur
donnant des preuves de la générofité .
Mais l'apparition de ces faux Adeptes qui , fans -
connoître l'Art , en avoient au moins le langage
exalta l'imagination ardente de Torré. Leurs difcours
fur le fperme univerfel de la Nature , fur la
femence générale , fur l'être productif de tous les
êtres , qui contient dans fon effence les quatre élémens
, lefquels on décompofe , on recompofe , on
défunit , on réunit par le régime du feu , fur
l'alcaeft , l'archée du monde , &c . lui donnèrent ce
délire , cette frénéfie qui a plongé tant de malheureux
dans le défefpoir & la misère , & à qui la
Chimie eft redevable de tant de découvertes pré-
W
DE FRANCE. 153
V
pas
cieufes , fi elle ne lui doit pas celle de faire de l'or.
On avoit pris fi fouvent la Nature fur le fait , felon
l'expreffion de M. de Fontenelle , qu'il ne douta
qu'on ne pût encore lui dérober le fecret de la formation
& de la tranfmutation des métaux . D'ailleurs ,
il croyoit d'autant plus l'Art poffible , qu'il étoit
convaincu que cet Art avoit été connu de plufieurs
Philofophes dont on lui avoit raconté l'hiftoire.
Rempli de ces idées , il loue une maison de campagne
dans un lieu ifolé , fe munit de quelques hivres
d'Alchimie , & brûle du charbon dans les intervales
que lui laiffoient les devoirs qu'il avoit à
remplir auprès du Prince fon bienfaiteur,
Dans ce temps- là parut à *** un perfonnage
extraordinaire . Arrivé fans fuite , il étoit vêta proprement
& modeftement , parloit avec facilité plufieurs
langues , & fe connoilloit dans prefque tous
les Arts . A Paris, un tel homme eût pu vivre ignoré
pendant un grand nombre d'années ; à *** il fixa
l'attention du Public dès fon arrivée . Le Prince en
entendit parler , & fut curieux de le voir. Il vint au
Palais , & fut introduit dans le Laboratoire. Là on ne fut pas moins
furpris
de fon favoir
que de fa
modeftic
. On lui parla
des opérations
faites
par les
prétendus
Adeptes
: il en dévoila
le mystère
& la
fraude
en les répétant
. Il expliquoit
tous les fecrets
des autres , & n'annonçoit
aucun
fecret ; & , ce qui
le diftinguoit
encore
plus de tous ces aventuriers
,
c'eft qu'il cut l'art de refufer
avec dignité
, mais avec
refpect
, le prix que la générofité
du Prince
voulut
mettre
à fa complaifance
.
A ce récit , le Lecteur eft principalement attentif
à la contenance de Torré. Il le voit , les yeux fixés
fur ce Perfonnage , recueillir avec foin toutes fes
paroles , le combler d'égards , de politeffe , le fuivre
par-tout fous le prétexte de lui fervir de guide dans
une ville étrangère, & parvenir enfin à le conduire
Gy
154
MERCURE
30
dans fa maifon de campagne. Ce Lecteur entre avec
eux dans le Laboratoire ; & après avoir comparé le
trouble , l'inquiétude répandus fur le vifage de l'un ,
& une forte de férénité dédaigneufe dans l'autre ,
il prête une oreille attentive à leur converſation.
Le Philofophe. « Je vois à ces matières quel eft
votre projet » Torré : « des confeils d'un Savant
auffi éclairé que vous... » Le Philofophe. « Le
feul qu'il me foit permis de vous donner , c'eſt de
détruire vos fourneaux , & d'abandonner une recherche
vaine. Il n'eft point donné à l'homme de
» deviner ce fecret. Ceux qui difent y être parvenus
d'eux- mêmes font des impofteurs : Dieu feul peut
l'inspirer par miracle.... » Torré. « Mais ceux
qui en font inftruits ? .... Ceux-là l'ont reçu d'un
ami fous les fermens les plus facrés de ne jamais
le révéler... Si , fous les mêmes fermens.. ? Afféiez-
» vous, & écoutez- moi . Je ne vous demande point
» fi vous êtes Chrétien ; ce bienfait a été accordé à
50
05
و د
des Infidèles ( prenant la main de Torré , la fer-
» rant &fixant vivement fa vue fur fes yeux ) : êtes-
» vous honnête homme ?..... J'en fais gloire...
» Brifez , vous ai je dit , ces fourneaux inftrumens
....
de votre ruine. Si vous êtes affez heureux pour
» trouver & préparer de telie forte une telle matière ,
» jetez à la pofte toutes les lettres que je vous re-
» mettrai demain , & je viendrai à votre fecours .
» Apprenez que vous ne favez encore rien . Il eft un
» fecond myftère auffi impoffible à deviner que le
premier , & vous ne l'apprendrez qu'en opérant
avec moi. Jurez de garder le fecret..... Je le
jure, »
20
50
Qu'on le repréfente la fituation de Torré : jamais
fon ame ne tut fi énue , fon coeur fi vivement oppreffé.
Il reçut le foir même un gros paquet cacheté ,
avec cette fufcription : à ouvrir feulement au temps
indiqué. Le lendemain il courut chez le Philofophe ,
DE FRANCE. i } {
qu'il regardoit comme un Dieu bienfaiteur , mais il
étoit parti dans la nuit.
Cette aventure en rappellera aux Lecteurs inftruits
, une femblable arrivée au célèbre Jean-Frédéric
Helvétius , premier Médecin du Prince d'Orange ,
& aïeul du premier Médecin de la feue Reine de
France. En écrivant contre la poudre de fympathie
du Chevalier Digby , il avoit élevé des doutes fur la
poffibilité de la trafmutation des métaux. Le 17 Décembre
1666 , un inconnu vint lui faire vifite à la
Haye , & lui dit qu'il ne pouvoit décrier la poudre
de projection , fans avoir lu les Ouvrages Hermétiques
, & appris par eux à la connoître. Il ouvrit
en même-temps une petite boëte d'ivoire , lui montra
un morceau très-mince & très -pefant d'une métalline
couleur de foufre & friable , en ajoutant
qu'il y avoit-là de quoi faire vingt tonnes d'or. M.
Helvétius lui en demanda pour la valeur feulement
d'un grain de millet , avec lequel il fit lui - même la
tranfmutation fur du plomb qui fut converti en or
extrêmement pur. Auffi ſe hâta-t'il de fe rétracter de
tout ce qu'il avoit écrit contre les Adeptes , en publiant
le Veau d'er ( violatus aureus * ) dans lequel
il raconte dans le plus grand détail l'hiftoire que je
viens d'abréger.
Semblable à une de ces maladies violentes , qui ,
par les terribles fecouffes qu'elles donnent à notre
frêle machine, bouleverſent toute la conftitution animale
, & rendent un homme méconnoiffable aux
autres hommes & à lui- même , cet événement fit
une fi forte impreffion fur Torré , qu'il changea
entièrement fon caractère. Il devint trifte , férieux ,
Joh. Frederici Helvetii vitulus aureus quem mundus
adorat & orat , in quo tractatur de naturæ miraculo tranf
mutandi metalla, in- 8. Haga comitis 1667 .
G vj
156
MERCURE
taciturne & dévot. Diftrait par le grand objet qui
l'occupoit fans ceffe , à peine pouvoit- on lui arracher
un mot dans la converfation. On ne le rencontroit
que dans les folitudes ou au pied des Aurels. Trois
ans après il parvint au bonheur auquel il afpiroit. Il
ouvrit alors fon paquet ; il y trouve plufieurs lettres
fous des noms différens , & adreffées , en diverfes
langues , à des villes d'Angleterre , de Hollande ,
d'Allemagne & d'Italie. Il fut long-temps à attendre
fon Philofophe , qui parut enfin fous l'habit d'un
Eccléfiaftique.
Ils fe munirent d'un Athanor , d'un auf philofophique
, d'autres uftenfiles néceffaires , & allèrent
s'enfermer à la maison de campagne , où , après
avoir travaillé nuit & jour pendant plufieurs mois ,
ils marièrent , par l'entremife de Vulcain , le noir
Pluton à la blanche Vénus , d'où naquit le blond
Phébus ; ou, fans employer cette langue mystérieuse ,
qui ne peut être entendue que des initiés , comme la
langue facrée de l'ancienne Théologie Égyptienne
ne l'étoit que des Prêtres d'Ifis , ils produifirent fucceffivement
la poudre noire , la blanche & la rouge .
Torré , qui brûloit d'impatience d'en éprouver la
vertu , fondit le plomb de toutes les vitres de la
maiſon , le purifia , & avec un grain de cette poudre
il le convertit en une matière jaune. Il laiffe fon
Philofophe dans la campagne , court à la ville a
fon plomb tranfmué , purifie & y mêle une portion
de cuivre par les ordres de fon maître , qui lui avoit
dit que cette matière avoit befoin d'un nouvel alliage
, pour n'être pas reconnue pour de l'or philofophique
, forme an petit lingot , le porte à
l'Orfevre , qui , après l'avoir foumis aux épreuves
ordinaires , le trouva de l'or le plus pur. Toutes
ces opérations l'avoient retenu deux jours . Il revient
le troifième à la campagne , mais quel fut fon défefpoir
, lorfquid n'y trouva ni fon Philofophe ai
avec
DE FRANCE. 157
fa poudre. Le feul parti qu'il avoit à prendre ', étoit
de courir après lui . Incertain de la route qu'il avoit
à fuivre , il fe fouvint du nom de quelques villes ou
les lettres étoient adreffées , & alla fucceffivement à
Amfterdam , à Leyde , à Francfort , à Dantzik , à
Manheim , à Londres , où il fit d'inutiles recherches.
Dévoré de chagrin , il revint à Paris , en attendant
qu'il pût retrouver la matière néceffaire pour
recommencer l'opération . Il chercha des reffources
pour vivre. Il ouvrit dans l'Enclos des Quinze-
Vingts un Cabinet d'Hiftoire Naturelle & de Phyfique
expérimentale. Cette occupation tranquille ne
pouvoit fatisfaire un efprit auffi ardent que le fien.
Il imagina & exécuta un genre de Spectacle nouveau.
Tout Paris a vu , avec autant de plaifir que de furpriſe
, les Forges de Vulcain , qu'il fit repréfenter
fur les Boulevards du Temple. Il comptoit perfectionner
& varier ces amufemens lyriques , lorfque
le feu prit à fon magafin. Cet accident , qui ébranla
quelques maifons voifines , réveilla l'attention de la
Police , & il lui fut défendu de continuer. Il trouva
dans fon génie des reffources pour réparer ce malheur.
Il forma fur le même terrein un Waux-Hall
infiniment plus agréable que celui de Londres. Il
eft inutile de le décrire , parce qu'il n'y a prefque
perfonne dans Paris qui n'ait joui de ce Spectacle
délicieux , & peu de perfonnes dans les Provinces
qui n'en aient entendu le récit & l'éloge . C'étoit
une nouvelle pierre philofophale découverte par
Torré ; mais il étoit de fa deftinée de voir évanouir
la fortune dans le temps qu'elle le combloit dés
plus grandes faveurs .
Il fufifoit que fon entrepriſe eût réuffi pour
qu'elle fut imitée . Des gens avides & malheureufement
puiffans , renchériffant fur les idées de Torre ,
élevèrent rapidement dans les Champs - Éliſées un
158 MERCURE
édifice immenfe , & appelèrent cette maffe énorme ,
bâtie avec autant de magnificence que peu de goût ,
le Colifée , apparemment parce qu'elle pouvoit contenir
, comme le Théâtre de Vefpafien , cent mille
Spectateurs , ou plutôt de l'ancien mot Latin Colos
Jaum. C'étoit en effet , à l'égard du Waux-Hall , le
coloffe de Rhodes , comparé à la Vénus de Praxitèle.
Pour ne pas s'expofer à cette comparaifon humiliante
, on trouva le moyen , qu'aucun de mes Lecteurs
honnêtes ne pourra imaginer , celui d'interdire
le Waux-Hall. La religion du Miniftre fut
furpriſe à un tel point , que Torré reçut l'ordre de
fermer fon Spectacle , & l'ordre plus étrange encore
de n'ofer fe plaindre. Ainfi on ruina à jamais ce gafant
homme , & avec lui trente pères de famille qui
avoient facrifié leur fortune à cet établiffement.
Torré paffa en Angleterre . On lui accorda une
liberté qu'on lui refufoit en France . Les Papiers
Publics retentirent des éloges donnés à fes talens . Il
jouiffoit du repos & de l'efpérance de rétablir fes
affaires. Mais ce fameux Colifée élevé pour fa ruine
fut bientôt défert . Il falloit un homme de génie qui
fût varier & animer les différens Spectacles qu'on
pouvoit y donner. Cet homme étoit Torré , qui fut
rappelé en France par les Intéreffés au Colifée qui
l'en avoient chaffé . Il y vint , parce qu'il aimoit cette
`nouvelle Patrie , & plus encore par le defir d'acquitter
les Créanciers du Waux-Hall . On promit de
laiffer un libre effer à fon génie ; mais bientôt la
lézine voulut retrécir les idées magnifiques qu'il
vouloit développer. Il refufa de compromettre la
réputation , & il fe retira. On lui permit de rouvrir
fon Spectacle , mais à condition que la prefque
totalité du bénéfice feroit pour le Colifée. Il effuya
des contradictions fucceffives ; on finit par le chaffer
du Waux- Hall , qu'on convertit en mailons ; & pour
DE FRANCE. 159
prix de tous fes travaux , il refta chargé d'infirmités ,
de dettes & de procès.
Son talent pour la Pyrotechnie eft trop connu
pour qu'il foit néceffaire d'en faire mention. On
fe fouviendra long- temps de ce magnifique feu d'artifice
exécuté pour le mariage du Roi , alors Dauphin
, dans lequel , au milieu de l'exploſion la plus
violente , la plus terrible de l'Ethna , on voyoit des
palmes triomphantes dans leur couleur naturelle ,
s'élever des deux côtés , & dirigées avec tant d'art
qu'elles formoient continuellement une Couronne
fur le balcon des Auguftes Époux.
Les Princes , les Grands & les Particuliers qui ont
eu recours à lui , atteſteront que perfonne n'entendit
mieux que Torré l'art de donner & de varier des
Fêtes. Il avoit un de ces génies ardens qui ne peuvent
fe délaffer d'un travail que par un autre. Dans
fes loisirs, il s'occupoit à conftruire des Baromètres &
des Thermomètres. Les Cabinets les plus précieux
font ornés de fes Ouvrages en ce genre ; & il fuffit
pour fa gloire de citer la fuperbe machine conftruite
pour Roi , & où font raffemblés à la fois les plus
beaux & les meilleurs inftrumens de cette efpèce.
Dans une guerre précédente contre cette fière
Nation , qui veut s'arroger l'empire des mers
l'amour pour la France égara un moment l'imagination
de Torré. Il propofa le moyen de brûler à
une certaine diftance les vaiffeaux ennemis avec une
matière auffi active & non moins inextinguible que
l'ancien feu Grégeois . M. le Comte d'H...... fut
chargé d'en faire l'épreuve , qui réuffit ; mais heureufement
pour l'humanité & pour la fenfibilité de
Torré , qui ne s'eft jamais pardonné de l'avoir
conçue , on applaudit à l'invention & on la rejeta.
Car il faut ajouter à la gloire de cet Artiſte , qu'il
joignoit à fes talens l'ame la plus tendre & la plus
honnête. Il prévenoit l'indigence dans fes befoins ;
160 MERCURE
il ne foutenoit pas fans émotion le récit des malheurs.
Cette douce impreffion de la Nature ne luf
permettoit pas même d'affifter à la repréſentation
d'une Tragédie ; il fouffroit de la douleur d'autrui
combien plus encore de celle de fes ainis ! Dans un
temps où il crut qu'un de ces derniers pouvoit avoir
befoin de confolation , au lieu de le fatiguer de ces
difcours vuides de fens , moins encore que de fentimens
, de ce qu'on appelle amis , il entre , prend fa
main , la ferre , l'embraffe , verfe des larmes , &
difparoit , fans proférer une parole. Il me communiquoit
quelquefois les lettres de fon père & de fa
mère , qui vivent encore. Il ne pouvoit m'en faire la
lecture lui - même , parce que les fanglots euffent
étouffé fa voix . Ils le remerçioient dans ces écrits des
fecours qu'il donnoit à leur vieilleffe , & le prioient
de venir fermer leurs yeux , & recevoir leurs derniers
foupirs.
Cette générofité , qui étoit un devoir à l'égard de
fes parens , devenoit une vertu exercée à l'égard des
autres. Il refufoit à fes Protecteurs , à fes amis même
le plaifir de l'obliger gratuitement Un fervice , un
bon office étoit fuivi du préfent d'un baromètre de
fa façon , ou de quelques autres objets de curiofité ,
& il n'en confervoit pas moins la reconnoiffance la
plus vive.
Il avoit contracté par fes travaux & par fes veilles
un afthme qui faifoit tous les jours de nouveaux
progrès . La Religion , dont il a toujours rempli les
devoirs avec exactitude , le foutenoit dans fes calamités.
Il tenoit encore à la vie par fon tendre attachement
pour une femme eftimable qui avoit partagé
tous les malheurs. Elle y fuccomba la première,
L'ame de Torré avoit été trop fortement ébranlée
pour réfifter à cette dernière fecouffe , & il fuivit
très-peu de temps après la femme dans le tombeau.
Depuis long- temps je le preffois de quitter une ville
DE FRANCE. 161
oùil avoit éprouvé des perfécutions ; je lui offrois
une retraite & les confolations de l'amitié. Je venois
de redoubler mes inftances , lorfque, pour réponſe à
mes tendres invitations jai reçu la nouvelle de fa
mort. O mon ami , puiffent mes regrets confoler
ton ombre , comme le témoignage public que je
rends à tes vertus , fou age un moment ma douleur
!
Il eft mort le 30 Avril , & n'a laïffé qu'une fille
orpheline , bien digne de la protection des Grands
qu'il a fervis , & des ames honnêtes & généreuses.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Quartier ; celui
du Logogryphe eft Poésie , où se trouvent
pois , pie , Po ,foie , fi.
ра
ÉNIGM E.
CROYEZ qu'on n'a pas toujours tort
En déplorant fon trifte fort.
Oui , tandis que ma foeur puînée
Brille à la table & des Grands & des Rois ,
Mon titre-nul de foeur aînée ,
Me laiffe fans afyle aux champs & dans les bois.
Si l'on va m'y chercher , c'eſt pour un vil ufage :
Et puis , on me relègue à l'étable , au grenier.
Peine fans récompenſe eſt toujours mon partage.
-162 MERCURE
A la moindre humeur on m'outrage
Par un juton de Palfrenier.
Jugez mon état & le vôtre,
Et convenez que j'ai raiſon ,
Ma ſoeur ; il faut changer de nom ,
Ou bien que l'on m'en cherche un autre.
( Par un Académicien de Périgueux. )
LOGO GRYPH E.
JE fuis en rous lieux fort utile ,
Moins pourtant aux chainps qu'à la ville .
Des fots propos d'un difcoureur
Je fers à montrer la valeur.
Si mes neuf pieds tu décompofes ,
Lecteur , que de métamorphofes!
J'offre à tes regards curieux
Un animal bien dangereux ;
Un oifeau , mais le plus fuperbe ;
Le Dieu des Bergers ; un adverbe ;
Une mince correction ;
De la douleur l'expreſſion ;
Trois villes ; un pronom ; une mouche qui pique;
Un inftrument bien doux ; trois notes de musique ;
La mère d'un Dieu , d'Apollon ;
.
Le nom d'un fage ; un étalon ;
Un nouvel ornement de tête ;
• Du coq orgueilleux la conquête ;
DE FRANCE. 163
Ce qui groffit tous les objets ;
Un jeune habitant des forêts ;
Une extrémité de la terre ;
Deux élémens , une rivière ;
Celui qu'aux Petites- Maiſons
On met pour de bonnes raifons ;
De notre Seigneur la monture ;
Ce qui des bâtimens dirige la ftructure ;
Des jardins le plus grand fléau ;
Un grand Saint ; ce qui contient l'eau ;
Ce que l'on trouve en Laponie ;
Du corps humain une partie ;
L'aftre qui préfide à la nuit ;
Des douze mois le net produit ;
Le mets favori du village ;
La caufe de plus d'un naufrage ;
Ce qu'attire une nouveauté ;
Où peut-être tu m'as porté.
Un mot avant que je me taife ;
Je te mets fouvent fort à l'aife.
(Parle Cordonnier du Village de Soupire ..
en Laonois. )
164 . MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXPÉRIENCES fur les Végétaux , par
M. Ingen-Housz , Confeiller Aulique , &
Medecin du Corps de Leurs Majeftés
Impériales & Royales , Membre de la
Société Royale de Londres , &c. traduit
de l'Anglois par l'Auteur , volume in -8° ,
prix , 4 liv. 4 fols broché. A Paris , chez
Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , quai
des Auguftins.
• M. PRIESTLEY , dans fes favantes Recherches
fur les différentes efpèces d'air, avoit apperçu
que
perçu que la végétation les rétabliffoit dans
leur état de pureté lorfqu'ils avoient été
altérés , foit par les vapeurs méphitiques ,
foit par la préfence des animaux , foit par
une caufe quelconque , qui leur ôtoit la
faculté de pouvoir fervir à la reſpiration ,
ou à l'entretien de la flamme d'une bougie.
C'étoit même , felon lui , un des moyens
qu'employoit la nature pour prévenir la
corruption de l'atmosphère , qui , bientôt
devenue générale , auroit ôté la vie à tous
les animaux. Mais les réfultats que lui
avoient donné les différentes expériences
faites pour établir cette vérité , n'étoient pas
affez concluans pour qu'on la regardât
comme démontrée : fouvent même elles
DE FRANCE. 165
fembloient produire tout le contraire. Diffé
rens Phyficiens ayant répété les mêmes
expériences , avoient conclu que la végéta
tion , loin d'améliorer l'air , le rendoit plus
nuifible encore : ils penfoient qu'elle opère
fur cet élément le même effet que la refpi-
- ration .
Frappé de ces contradictions , M. Ingen→
Housz voulut en connoître la caufe , & fixer
fes idées. Pour y parvenir , il répéta toutes
les expériences qui avoient été faites de part
& d'autre , & s'apperçut bientôt que les uns
& les autres avoient également tort & raifon
: la végétation en effet corrompt l'air,
& le purifie tour - à-tour,
Les plantes n'ont pas feulement la faculté
de corriger l'air impur dans l'espace de fix
jours , comme les expériences de M. Prieſtley
fembloient l'indiquer : quelques heures fuffifent
pour cette opération merveilleuſe. Elles
font même plus , car tout l'air qu'elles contien
nent dans leurs fubſtances , & qu'elles ont fans
doute abforbé de l'athmosphère , eft changé en
un air déphlogistiqué bien plus pur que
l'air
commun. Elles en verfent par intervalle une
quantité abondante qui entretient la falubrité
de l'atmosphère. Mais cette opération
n'eft pas dûe uniquement à la végétation ;
& c'est en quoi confiftoit l'erreur des Phyficiens.
Les plantes n'agiffent ainfi fur l'air
altéré qu'à l'aide de l'influence de la lumière
du foleil : il faut que cet aftre vienne feconder
leurs efforts ; par la lumière vivifiante il
166 MERCURE
aide leur opération : plus cette lumière fera
vive & éclatante , plus prompt fera le changement
des gaz malfaifans , en air falubre &
déphlogistiqué ; & fi quelque nuage intercepte
les rayons bienfaifans de cet aftre ,
tout le travail eft fufpendu : non- feulement
les plantes n'amélioreront plus l'atmofphère
, mais elles exhaleront un air pernicieux
& très-nuifible aux animaux qui le
refpireront. Nous favions que la chaleur du
foleil étoit néceffaire pour faire fubfifter tout
ce qui vit fur le globe ; mais nous ignorions
combien fa lumière y influoit. Elle n'eft plus
réduite à colorer les objets , & à nous en
tranfmettre les formes extérieures ; M. Ingen-
Housz affure que fans fon action fur
l'air il deviendroit impoffible de le refpirer,
& par conféquent de vivre : phénomène
qu'on n'avoit pas foupçonné jufqu'ici ,
L'Auteur tire de cette découverte un.
grand nombre d'obfervations intéreffantes.
Plus les végétaux reçoivent de rayons du for
leil , plus ils purifient l'atmosphère ; leur
tranſpiration affainit l'air qui les environne,
& à l'ombre ou pendant la nuit elle le corrompt.
Ainfi le lever & le coucher du foleil
fervent de points intermédiaires entre ces
deux opérations oppofées ; mais le travail
de la nuit eft moins confidérable que celui
du jour.
M. Ingen-Housz voulant s'aflurer fi toutes
les plantes opéroient de la même manière ,
n'a obfervé entre elles que des différences
DE FRANCE. 16701
très légères. Quelques- unes , cependant ,
telles que les plantes aquatiques , rendent
plus d'air déphlogistiqué ; le Nafturtium indicum
lui en a donné une quantité confidérable
; d'autres hâtent davantage la corruption
de l'air pendant la nuit ; il en a trouvé ,
au contraire , qui le vicient fort peu .
Portant enfuite fes recherches fur les diverfes
parties des plantes , il a trouvé , à cer
égard , de grandes différences. Les feuilles ,
les tiges & les petits rameaux verts ,
font
les feules qui exercent fur l'air une action
falutaire & qui l'épurent. C'eft la furface
inférieure des feuilles qui verfe l'air dephlogiftiqué
, & la fupérieure abforbe celui de
l'atmosphère.
Toutes les feuilles n'opèrent pas avec la
même activité. Celles qui ont acquis la
maturité ou qui font vieilles , en ont
beaucoup plus que les jeunes. Mais les
fleurs les plus belles & les plus odorantes ,
exhalent conftamment un air mortel , &
gâtent celui qui les environne , le jour & la
nuit , à la lumière comme à l'ombre . L'Aureur
affure qu'une Dame Angloife fut trouvée
morte dans fon lit , pour avoir placé
dans fa chambre une trop grande quantité
de fleurs- de- lys. Les fruits ne font pas
moins pernicieux ; tous donnent un air plus
ou moins altéré. Les racines ont à peu - près
la même propriété que les fleurs & les
fruits.
Enfin, M. Ingen-Housz , en voulant s'affu
168
MERCURE
rer fi la lumière feule du foleil pouvoit corriger
lair vicié , a reconnu que loin de
l'améliorer , elle le corromproit plus vite ;
d'où il faut conclure que ni la végetation
feule , ni la lumière feule du foleil , ne peuvent
produire ces bors effets, mais qu'il faut
leur action cou.binée.
On ne fauroit donc trop multiplier les
végétaux dans les pays marécageux , mais l'on
doit craindre en même- temps de planter
autour des habitations un trop grand nombre
d'arbres, parce que leurs fummets abforbant
toute la lumière , ne permettroient plus
aux rayons du foleil de penetrer la couche
d'air inferieur que refpirent les hommes &
les autres animaux , & qui feroit détérioré
par l'action , fuite de la végétation.
M. Ingen-Housz a fait plus de cinq cent
expériences pour étayer fa nouvelle doctrine.
Étranger en Angleterre , il fe retire
dans une campagne aux environs de
Londres , où il oublie l'objet de fon
voyage pour fe livrer tout entier à ces utiles
découvertes, " On fe perfuadera aifément ,
» nous dit-il , que mes recherches ne peu-
» vent avoir d'autres vues que le progrès
des connoiffances & le bien général de
l'humanité. Si j'avois été avide du gain ,
je les aurois abandonnées pour fuivre le
chemin de la fortune qui m'étoit ou-
» vert.... Mais accoutumé dès mon enfance
» à l'étude , qui fait les délices de ma vie, je
fuis content de mon fort. »
พ
Lo
DE FRANCE 169
- Le Public applaudira fans doute au défintéreffement
& au travail de l'Auteur. Il
nous promet un fecond volume, non moins
intéreffant que celui- ci . Nous obferverons
une chofe extraordinaire , que
M. Ingen-Housz , qui eft Allemand , a écrit
fon Livre en langue Angloife , & l'a fu traduire
lui-même en très- bon François.
comme
DISCOURS fur les moyens les plus conformes
à la Religion , à l'Humanité & à la Iolitique
, de faire ceffer la Mendicite dans la
Province de Normandie ; Ouvrage couronné
par l'Académie de la Conceptionde
Rouen , en l'année 1779 ; par M. D***
Lieutenant- Général de la Sénéchauffée de
Marfeille , de l'Académie des Belles-
Lettres , Sciences & Arts de la même
Ville. A Avignon , & le trouve à Paris ,
chez d'Houry , Imprimeur-Libraire , rue
de la Vieille-Bouclerie.
Nous avons déjà rendu compte de plufieurs
Difcours fur le même fujet ; mais ce
fujet n'eft pas de ceux dont l'intérêt ne dure
qu'un inftant, & fur lequel on ne peut guère
Lire plus d'un Ouvrage . Il fera inépuifable
tant qu'il y aura des pauvres ; & on ne doit
ceffer d'écrire fur la Mendicité , que lorf
qu'elle fera abolie. Si on ne nous donne pas
de nouvelles lumières , on peut nous donner
de nouveaux fentimens ; & c'eft quelque
Sam. 28 Octobre 1780,
H
か
170 MERCURE
fois à force de la répéter , que la vérité pénètre
dans nos ames,
Il s'en faut bien que le Difcours que nous
annonçons aujourd'hui , ne fafle que répéter
ce qu'on a dit dans les autres. Les moyens
qui étoient déjà connus , y font préfentés
fous de nouveaux points de vue ; & il y en
a qui n'appartiennent qu'à l'Auteur .
On peut diftinguer les Pauvres en trois
Claffes ; 19 , les infirmes , les enfans & les
vieillards , qui n'ont pas affez de force pour
gagner leur fubfiftance par le travail. 29,
Ceux qui ont des forces , mais qui ne trouvent
plus de travail , foit parce que l'Agriculture
eft négligée , foit parce qu'une guerre
ou d'autres révolutions politiques , ont fait
tomber des branches de commerce & d'induftrie
; foit enfin parce que le luxe , qui
change continuellement de fantaifie , ne leur
demande plus rien de ce qu'ils favoient pré
parer pour les jouiffances. 3. Ceux qui ne
manquant ni de force ni de travail , aiment
mieux mendier leur pain que dele gagner , &
préfentent dans la fociété la réunion révol
tante de la vigueur & de la jeuneffe avec la
misère .
On comprend que ces trois fources de la
Mendicité ne peuvent pas être taries par les
mêmes moyens ,
Les afyles & les Hôpitaux font néceffaires
pout les infirmes ils ne le font pas moins
pour les enfans & pour les vieillards, La
vieilleffe & l'enfance font des infirmités.
DE FRANCE. 171
que
Quelques Écrivains fe font élevés avec force
contre l'inftitution des Hôpitaux & des alyles.
Ils ont cru que ces afyles faifoient naitre
la pauvreté , qu'ils recueillent & qu'ils
nourriffent. Mais comment l'enfant , qui ne
fait pas travailler encore , le vieillard qui ne
peut plus travailler , l'Artifan , qui a perdu
fon induftrie avec fa fanté , pourront - ils
donc vivre s'ils ne reçoivent pas leur pain
de la bienfaifance de la Patrie ? Un bon Gouvernement
peut corriger la pareffe ; il peut
faire naître de nouvelles fources de travaux.
Mais il eft des maux attachés à la nature ,
les meilleures Lois du monde ne peuvent
pas prévenir : il faut donc les foulager
au moins. Il faut pourtant avouer, que lorfque
les Gouvernemens auront atteint un certain
degré de perfection , l'aifance fera tellement
répandue dans toutes les claffes de la
fociété, que les vieillards , les enfans & les
infirmes feront prefque toujours attachés à
quelque famille qui fera en état de les nourtir,
& qui ne voudra point les abandonner
à la pitié publique. C'eft- là fans doute ce
qu'ont voulu dire les Écrivains dont nous
parlons. Mais cette perfection des Gouver
nemens , fi elle eft poffible , doit être attendue
encore pendant plufieurs fiècles : & les
infirmes ont à chaque inftant befoin des fecours
de la Patrie. Ce qui a excité le zèle
de quelques Écrivains contre les Hôpitaux
ou Dépôts , c'eft la manière dont ils font
adminiftrés généralement , c'eft que les fe
H
172 MERCURE
cours qu'on y donne aux malheureux , font
encore pour eux de nouveaux maux ; c'eſt
que ce font des prifons, & non pas des afyles.
Mais cela tient à des abus que l'on peut fupprimer,
fans abattre ces monumens honorables
de l'humanité d'une Nation. Il eft aujourd'hui
dans le Royaume une perfonne
qui a renoncé à des goûts chers à fon efprit
& à fon coeur , pour confacrer toute fa vie
à la fuppreffion de ces abus ; & la réforme
de tant de défordres n'a pas plus de difficultás
que cette perfonne n'a de talens & de
vertus.
Les Pauvres de la feconde claffe reçoivent
affez de fecours lorfqu'on leur procure des
travaux ; mais on leur doit des fubfiftances
lors même qu'il eft impoffible de donner de
l'emploi à leur induftrie. Si ce font des Laboureurs
, de nouveaux encouragemens donnés
à l'Agriculture , rendront leurs bras néceffaires.
C'eft donc l'Agriculture qu'il faut
étendre ou perfectionner ; & le même moyen
qui arrachera ce malheureux à la Mendicité,
accroîtra la profpérité du Royaume. Si ce
font des Artifans , dont une guerre ou une
révolution de Commerce a rendu l'induftrie
inutile ou beaucoup moins néceffaire , le
Gouvernement a dû prévoir de loin leur
infortune , & il peut trouver en eux-mêmes
des relfources pour les fauver de la misère .
Quand le Commerce fait fleurir leur induftrie
, on peut les engager à retrancher
une petite portion de leur profit , & à la
DE FRANCE. 173
mettre en réſerve pour les jours du befoin .
Ce facrifice ne leur coûtera guère plus que
ceux qu'on fait tous les jours par une fage
économie ; & la prudence ici aura le mérite
de la générofité. Auprès d'une petite Ville
de la Grèce , il y avoit un trou qu'on appeloit
l'abyfme du malheur. Chaque Citoyen
alloit y jeter régulièrement une partie du
gain de fa journée ; & l'on croyoit conjurer
le malheur par ces facrifices faits dans des
temps heureux. Mais cet ufage fuperftitieux
n'étoit propre qu'à calmer les inquiétudes
de l'imagination . Ce trou étoit vraiment
un abyfme , où tout ce qu'on y jetoit étoit
perdu. Mais dans l'établiſſement qu'on propofe
, les petits facrifices qu'on aura faits
d'avance à la fortune , feront un sûr moyen
de fe mettre à l'abri de ce que les revers
ont de plus affreux & de plus humiliant .
Chaque Corps de métier & d'induſtrie auroit
un tréfor qui s'ouvriroit à tous ceux qui
manqueroient de travail. Ce tréfor ne feroit
pas même perdu pour le Commerce . On
trouveroit des moyens de l'y faire entrer
fans danger , pour augmenter le patrimoine
de l'infortune. Il faut voir dans le Difcours
même, tout ce que l'Auteur dit à ce fujet .
C'est une de fes meilleures vues , & une de
celles qu'il a le plus développées. Il prévoit
toutes les difficultés de détail ; il répond à
toutes.
De l'examen des caufes de cette eſpèce de
Mendicité , il réfulte de nouvelles preuves
H inj
174
MERCURE
de deux vérités générales , bien importantes
dans l'Adminiftration des États .
La première , c'eft que parmi les objets
de Commerce & d'induftrie , on doit donner
la préférence , non à ceux qui répandent
le plus d'argent chez une Nation , mais à
ceux qui , étant d'une utilité plus univerfellé
& plus indifpenfable , font également néceffaires
dans tous les temps. Ce font ceux
qui font le plus à l'abri des révolutions
politiques , & ceux par conféquent qui
manquent le moins à ceux qui les embraffent.
La feconde , qui n'en eft qu'une fuite ,
c'eft que les Artifans qui travaillent pour
les fantaifies du luxe , font ceux qui font
le plus expofés à tomber dans la Mendicité.
Il ne faut pour cela ni une guerre ,
ri ane révolution de Commerce : il fumit
qu'une femme , qui donne le ton à la mode,
change de caprice . Tous les Artifans de la
mode qu'elle a fait tomber , manquèront
de travail & de pain. On ne peut pas changer
auffi fouvent de talens , que le luxe change de
goût & de fantaifie ; & c'eft ici qu'on reconnoît
l'erreur des Apologiftes du luxe. Si vous
ôtiez , difent- ils , au luxe ce goût qui vous
paroît frivole , cette jouiffance qui vous
femble un excès , vous ôteriez le pain à dix
mille familles que ces frivolités & ces excès
nourriffent ; & ils ne voyent point que
de lui -même le luxe va perdre ce goût , que
de lui-même il va méprifer ce plaifir qu'il
-
DE FRANCE.
175
defifoit avec tant d'ardeur. Ses Artifans
font tout- à- tour les favoris & fes victimes ;
ceux qu'il nourrit aujourd'hui , il les tuera
demain. Et tout ce que gagnent les infortunés
, dont il fe joue fi cruellement , c'eft
d'avoir à la fois fes vices & ceux de la
pauvreté. Voilà de la morale , & je fais
qu'on n'en veut plus dans les queſtions politiques
; elle ne paroît qu'une déclamation .
Mais certes , ce feroit encore un affez grand .
vice dans l'Adminiſtration des États , que de
faire dépendre la fubfiftance de plufieurs
milliers d'hommes , des goûts capricieux &
fantafques de quelques hommes blafés par
les richeffes & par l'excès des jouiffances.
Il faut voir encore dans le Difcours les
moyens qu'indique l'Auteur pour employer
a des travaux qui leur conviennent , les Marelors
que faifoit vivre le Commerce pendant
la paix , & qui reftent fans emploi dans
la guerre.
Les Pauvres de la troisième claffe font
ceux qui infpirent le moins d'intérêt : ils
en méritent cependant encore. La pareffe
eft aptant un malheur qu'un vice : & leur
haine pour le travail eft un des effets de
l'indifférence de nos inftitutions pour leur
fort . Eux-mêmes quelquefois font prêts à
nous reprocher cette pareffe dont nous leur
faifons un crime : ils la' regardent du moins
comme une grande maladie dont ils font
affligés. Pourquoi ne travailles- tu point ,
difoit Marivaux à un jeune homme plein
Hiv
76
MERCURE
•
de vigueur , qui lui demandoit l'aumône ?
Hélas! Monfieur , lui répondit le jeunehomme
, c'est que je fuis fi paresseux !
Marivaux paya cette réponſe d'un écu de
fix francs. Il falloit la payer , fans doute ,
mais une feule fois . Quand même ces
malheureux n'infpireroient aucune eſpèce
d'intérêt , ils font affez dangereux pour
mériter la plus férieufe attention. L'Au
teur de ce Difcours connoiffoit trop
les droits de l'homme pour ne pas examiner
fur quels titres la fociété croit pouvoir
renfermer les Vagabonds qui la rempliffent
d'alarmes , & fouvent de malheurs & de
crimes . Il les établit fur des raifons qu'il eft
impoffible de combattre .
Mais il veut qu'on les renferme , non
dans des Prifons mais dans des Atteliers.
C'eft peu encore de les faire travailler , il
faut leur faire aimer le travail . L'autorité
la plus abfolue , eft celle qui change les
coeurs & les volontés , eft celle qui fait
vaincre & prendre des habitudes . Mais ce
pouvoir n'a été donné par la nature qu'à
la bienfaifance , & les hommes ne peuvent
pas le donner. Il faut donc que l'autorité
foit bienfaifante pour l'obtenir & pour
l'exercer. « Je ne fais , dit Montefquieu
» fi c'eſt l'efprit ou le coeur qui me dicte
» cet article ; mais il ' n'y a peut-être pas de
» climat fur la terre , où l'on ne pûr engager
au travail des hommes libres :
ود
و د
>
DE FRANCE. 177
+
parce que les Lois étoient mauvaifes
on a trouvé des hommes pareffeux ;
» parce que ces hommes étoient parelfeux,
ود
ود 33
on les a mis dans l'efclavage. » Ce que
les Lois peuvent faire de mieux en ce genre,
c'eft de bien affurer à l'homme le prix de
fon travail ; le travail n'eft doux que par
les fruits qu'il rapporte. Il faut donc que
le pauvre valide , renfermé dans un Attelier
, travaille pour lui - même autant que
pour l'Écat ; il faut qu'il puiffe gagner de
quoi rentrer dans la fociété, pour y exercer
librement fon induftrie. C'eft même le
moyen de rendre leurs travaux plus avantageux
pour l'Attelier & le Gouvernement.
On fait que Craffus étoit le plus riche
des Romains , dans un fiècle où toutes les
richeffes du monde étoient dans Rome :
c'eft aux travaux de fes Efclaves , excités par
la promeffe de l'affranchiffement , qu'il dût
fon énorme fortune. Craffus , difoit- on dans
Rome , eft le plus riche Citoyen , & fes
Efclaves deviennent les affranchis les plus ,
aifés & les plus honnêtes de la République.
Il feroit bien étonnant que le Gouvernement
éclairé d'une puiffante Monarchie
ne pût pas faire ce que faifoit un Citoyen
de Rome.
Au refte , toutes ces idées générales font
affez faciles à trouver ; il n'eft pas auffi aifé
d'indiquer tous les détails de l'exécution ;
& c'eft à quoi s'eft attaché fur- tout l'Auteur
de ce Difcours.
Hv
178 MERCURÉ
4
Il a enrichi fon Ouvrage d'un tableau
hiftorique de ce qu'on a fait chez tous les
Peuples , & fur- tout en France , pour abolir
la Mendicité.
On croit allez généralement que les Pyramides
de l'Égypte font un monument de la
tyrannie de fes anciens Rois . L'Auteur de ce
Difcours y voit un monument de leur bienfaifance.
C'eft , dit - il , pour donner du travail
& du pain aux Pauvres , qu'elles ont été
élevées. L'Hiftoire a fur cet objet une tradition
qui paroît avoir plus de vraisemblance
que cette conjecture. On a dit que Séfoftris
fit élever ces Pyramides par les Efclaves faits
dans fes conquêtes. Il eft probable au moins
que la bienfaifance eût été plus éclairée ,
& qu'elle eût employé les Pauvres à des
travaux plus utiles à toute la Nation.
>
Une pitié tendre pour les malheureux
augmente l'intérêt de toutes les vues de ce
Difcours : elle fe fait fentir fur tout dans
les moyens que l'Auteur propoſe pour recevoir
les Mendians étrangers dans leurs
Provinces & dans leurs Villes. Rien n'eft
fidangereux , en effet , que de voir un Gouvernement
donner aux Citoyens l'exemple
de la cruauté. La pitié eft la fource de toutes
les vertus fociales ; & lorfqu'il n'y a plus
de moeurs , c'eft encore la pitié qui prévient
les grands crimes & les grands malheurs chez
les Nations corrompues
.
En lifant ce Difcours , on eft fans ceffe
frappé d'une idée : c'eft que cette queftion
DE FRANCE. 179
fur les moyens d'abolir la Mendicité , n'eft
que la grande queftion fur les moyens de
perfectionner les Gouvernemens.
Ce Difcours & celui de M. l'Abbé de
Montlinot , couronné à Soiffons , font ce
que nous avons lu de meilleur für ce ſujet ;
c eft l'Ouvrage d'un de ces bons Citoyens,
dont le progrès des lumières augmente tous
les jours le nombre , & qui , répandus dans
toutes les Provinces , ont fur les queftions
qui intéreffent la félicité publique , des vues
qu'ils favent préfenter dignement à la Nation
.
ANALYSE de l'Hiftoire Sacrée , depuis
l'origine du monde jufqu'à la venue du
Meffie , mêlée de Reflexions , pour fervir
à l'inftruction de la Jeuneffe Chrétienne.
ARome, & fe trouve à Paris, chez Debure
l'aîné , Libraire , Quai des Auguftins .
CET Ouvrage , principalement deftiné à
l'éducation des Jeunes - Gens , eft remarquable
par la clarté & la précifion ; qualités
bien effentielles au but d'utilité que s'eft
propofé l'Auteur. Il eft divifé par Chapitres ,
& écrit dans la forme des Catéchifines >
c'eft-à dire , que les faits font racontés par
demandes & par réponſes , moyen le plus
fimple d'aider tout à la fois à l'intelligence
& à la mémoire des enfans. Nous allons
tranſcrite au haſard quelques lignes , pour
faire connoître le ftyle de l'Auteur. Il dic
H vj
180 MERCURE :
"
ود
en parlant de Salomon : « Tranquille poft
» feffeur du trône , Salomon demanda &
» obtint en mariage la fille de Pharaon , Roi
d'Égypte ; & l'écriture nous dit qu'il marchoit
fur les traces de David fon père ,
imitant fa piété & fa fidélité envers Dieu.
» Ses vertus ne reftèrent pas long - temps.
» fans récompenfe ; car le Seigneur lui offrit
, dans un fonge mystérieux , de lui
» accorder ce qu'il lui plairoit de demander;
» il préféra la fageffe aux honneurs & aux
» richeffes qui lui étoient offerts , & il
» reçut avec elle les tréfors & la gloire
qu'il ne demandoit pas. »
,,
ود
"
Parmi les réflexions qui , conformément
au titre de cet Ouvrage , fe mêlent au récit
des faits , on trouve que les Juifs , dans
quelque circonftance & dans quelque pofition
qu'on les confidère , ont toujours eu la
liberté de fe conduire felon leurs lois , &
ont toujours eu des Chefs pour les régir , ou
des Rois pour les gouverner.
Cette Analyfe doit intéreffer par la nature
du fujet , & l'on doit des éloges
à la manière de l'Auteur & à la forme
qu'il a adoptée. Il eft à defirer que cet Ouvrage
foit connu dans les Colléges & dans les
Penfions , & qu'il y produife le bien que
l'Auteur a fans doute ambitionné.
DE FRANCE. 181-
INFLUENCE du Defpotifme de l'Angleterre
fur les deux Mondes. Brochure in- 8 ° .
A Paris , au Palais Royal , & chez les
Libraires qui vendent des Nouveautés.
Prix , I liv. 16 fols.
ON auroit pu intituler cet Ouvrage , An
tidote contre l'Anglomanie , parce qu'il peut
fervir à détromper ceux qui fe font laiffé
perfuader , par les éloges outrés que nos Littérateurs
ont faits du Gouvernement des
Anglois , du génie & du caractère de cette
Nation.
Cet Ouvrage eft divifé en neuf Chapitres.
Les cinq premiers contiennent un précis du
droit naturel & du droit des gens. L'Auteur
admet pour baſe de l'ordre focial le refpect
pour la propriété perfonnelle , mobiliaire &
foncière ; pour baſe de l'union des Nations ,
la liberté & l'immunité abfolue du commerce
; & enfin , pour baſe de toute légiflation
, propriété , liberté & fécurité. Les
quatre derniers Chapitres font connoître
l'efprit du Gouvernement Anglois , fur- tout
par fon fameux acte de navigation de 1660 ,
& par la conduite de cette Nation depuis
cette époque.
Pour donner une idée du ftyle de l'Écrivain
patriote , qui fait le fujet de cet article ,
nous allons extraire quelques phraſes de fon
Ouvrage.
Les Lois Angloifes font très - défec182
MERCURE
"
» tueules , puifqu'elles font le principe des
» divifions inteftines du peuple , & qu'elles
» mettent les intérêts des particuliers en oppofition
, non -feulement avec l'intérêt
national , mais avec l'intérêt général de
" tous les peuples. Ces lois font injuftes &
ود
ود
""
»
و د
"
cruelles , puifqu'elles infpirent une haine
» violente ou un profond mépris pour les
» autres États. Par leur acte de navigation
» de 1660 , les Anglois fe font arrogé le
» droit d'être les tyrans du commerce &
" des mers. L'efprit de cet acte eft celui de
conquête. Or, tout efprit de conquête eft
brigandage. Depuis cette époque les Anglois
ont corrompu une partie des Na-
» tions en faifant le malheur des autres. Ils
» fe font corrompus eux-mêmes en con-
» fondant fans ceffe l'abus avec le pouvoir ,
» la licence avec la liberté , la loi avec le
caprice , la violence avec le droit. Parve-
» nus à ce degré de corruption , ils ont ren-
» verfé toutes les barrières , ils ont violé
» tous les droits , fe font joués de la liberté ,
» de l'honneur, des priviléges les plus facrés ,
» pour affouvir leur rapacité. Depuis cette
» époque leur hiftoire n'offre qu'un enchaî-
» nement bizarre de liberté apparente &
"
"3
"
ود
d'efclavage réel , d'entreprifes téméraires
» ou injuftes, de gloire éphémère & de malheurs
durables , des vertus farouches , des
fautes , des excès & des crimes.
» Dans cette nouvelle Carthage , l'homme
» de bien ne voit qu'un peuple avide , exDE
FRANCE. 183
و د
""
و د
» clufif , ingrat , injufte , féroce , fouillé du
» fang des Rois , oppreffeur de fes concitoyens
, & dont l'ambition étudiée tend
» à opprimer également l'ancien & le nouveau
monde. Il ne voit dans touté fa con-
» duite que rufe , artifice , atrocités , orgueil
fans bornes , cupidité fans frein ,
follicitudes voraces , perfidie dans les procédés
, prétextes vains ou faux , infraction
» des traités les plus folennels , violation des
lois les plus facrées , mépris envers toutes
les Puiffances , infultes à tous les Pavillons.
Enfin , pour graver , pour perpétuer dans
» le coeur de leurs enfans leur morgue ,
» leur infolence , leur audace , leur haine
» pour le genre humain , ils employent tous
و ر
و د
و د
و د
les moyens imaginables dans leurs écoles ,
» dans leurs temples , dans leurs galèries publiques
& particulières , dans leurs Tri-
» bunaux & fur leurs Théâtres ; farces & pa-
» rades indécentes , pamflets , philippiques
» & déclamations outrageantes , dont les
peuples de l'Europe font tour- à- tour les
frais. Voilà le léopard qui veut fe
و د
ور
gorger
» des dépouilles de toute la terre : voilà
» l'ennemi qui intéreffe toutes les Nations.
» à fa perte. ""
Nous renvoyons à l'Ouvrage pour le développement
de ces terribles vérités.
184 MERCURE
VARIÉTÉ S.
LETTRE aux Auteurs de ce Journal , dans
laquelle on propofe de changer le nom du
V
mois d'Août.
Ous favez , Meffieurs , combien le mot barbare
Août, & plufieurs autres de pareille efpèce , déplaifoient
à M. de Voltaire. Il vouloit que l'on dît le
mois d'Augufte; ce nom, demême que celui de Juillet,
rappelle le fouvenir d'un Empereur Romain . Un plus
puiffant motif nous engage aujourd'hui à admettre
le changement propofé ; c'eft que nous avons un
nouvel AUGUSTE à célébrer , qui eft bien plus digne
de nos hommages , celui du trône duquel viennent
d'émaner , après plufieurs autres loix précieuſes à
l'humanité , les deux Déclarations concernant les
Prifons & la Question.
Dans un an , Meffieurs , j'aurai l'honneur de vous
écrire une Lettre , dont voici quelle fera la date : le
premier du mois d'Augufte , l'année de J. C. 1781 ,
du Règne de LouIS- AUGUSTE la huitième....... puiffé-
je y ajouter ces mots fi defirés de toutes les ames
fenfibles : & de la paix générale , la première !
J'ai l'honneur d'etre avec une refpectueule confidération
, &c.
Ce 18 Septembre 1780.
DE FRANCE. 185
SCIENCES ET ARTS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure..
MONSIEUR ,
VOICI ma Réponse aux deux Queſtions que M.
le Chevalier de C... m'a fait l'honneur de m'adre
fer dans le Mercure du 29 Juillet.
- N'est -il pas plus fimple , dit- il , de défigner la pofition
d'un lieu confidéré comme un point , par les dif
tances de ce point à deux cercles fixes , c'eft- à -dire ,
par la longitude & la latitude de ce lieu ?
Je réponds d'abord que la Topographie ne peut ,
ni ne doit confidérer un lieu comme un point , mais
au contraire comme un espace , ou comme une fuperficie
divisible en plufieurs portions , dont elle doit affigner
les DIMENSIONS précifes & les SITUATIONS
RESPECTIVES avec exactitude .
Quand vous faurez qu'une Paroiffe , une Juftice ,
un Fief, un Bois , une Ferme , ont un point qui fe
trouve à tant de degrés de latitude , & à tant de degrés
de longitude , en connoîtrez -vous l'ÉTENDUE
& les LIMITES ? En pourrez-vous dreffer aisément
un Plan bien orienté , & dont l'échelle s'accorde avec
celle des Plans des terres du voisinage ? Non , fans
doute.
Cette Nomenclature de degrés , minutes & fecondes
de latitude Nord ou Sud , de longitude Eft ou
longitude Queft , ne défignant qu'un ſeul point , par
exemple , le clocher d'une Paroiffe , ou la tour d'un
Château , convient donc à la GÉOGRAPHIE , fur
laquelle nous n'avons plus rien à defirer en France,
186 MERCURE
graces aux fuperbes travaux des Savans de l'Acadéinie
des Sciences ; mais elle ne convient point à la
TOPOGRAPHIE , qui eft mon feul objet.
Avec aufli peu de mots , je dirai deux chofes :
premièrement , combien cette Paroiffe , cette Justice,
ce Fief, ce Domaine Rural , contiennent de toifes
quarrées , mefure du Châtelet de Paris ; fecondement
, quelles font précisément ces toiſes-là dans la
multitude énorme de toifes quatrées que renferme
la France ; de manière qu'on ne puiſſe jamais confondre
une feule de ces toifes avec aucune autre
parce qu'elles ont toutes un caractère Special &
diftinctif, certain , phyfique & invariable.
Dix mots au plus , faciles à retenir , & que chacun
peut aisément employer , fuffisent à cette im
menfité de combinaiſons , moyennant la ſubdivi
fion des grands quarrés en 9 petits ; moyennant
auffi la diftinction évidente & palpable entre le
quarré central & les huit autres dont il eft envi
ronné.
Je dis dix mots auplus , parce qu'il ne fera pas tou
jours néceffaire de paffer aux terreins , qu'on veut
défigner , par les dix noms confacrés.
De même que les perfonnes qui s'entretiennent
dans un lieu quelconque , à Paris , par exemple , né
difent point , pour indiquer une Maifon au Nord
du Royaume , Ile de France , Paris , Fauxbourg S
Germain , rue de Bourbon , la quatrième Maifon à
gauche en entrant par la rue des SS. Pères ; mais
feulement en fe conformant à la méthode que j'ai
employée dans mon Proſpectus , tant à l'égard des
habitans du Royaume , que de ceux des autres parties
du Globe , pour indiquer ma demeure par ces
mots : Paris , rue du Jardinet , vis-à- vis celle da
Paon.
On pourra dire de même PIÈCE Nord , CARREAU
Sud, TENEMENT Eft , & fous- entendre les
DE FRANCE. 187
fix autres dénominations , parce que les perfonnes
qui habitent le Ban où elles s'entretiennent , ou qui
y portent leur pensée en cas d'abfence , connoiffent
le Canton , ainfi que le Ban ou la Paroiffe dont il
s'agit.
Quand on veut indiquer l'inftant où l'on parle ,
on ne dit pas tel fiècle , telle année , tel mois , telle
femaine , ni le jour , ni même l'heure ; mais tout
Implement , il eft le quart.
On n'emploie jamais la totalité des caractères indicauifs,
que pour les abfens tout-à-fait étrangers aux
objets en queftion ; auquel cas il n'y a point d'énumération
verbale à faire , mais on l'écrit en fe fervant
des abbréviations que l'ufage a introduites.
D'ailleurs , perfonne ne fe méprendra fur l'énorme
différence qu'il y a entre les étendues uniformes
invariables & connues des divifions regulières de la
NOUVELLE TOPOGRAPHIE , & les étendues irrégulières,
variables & inconnues des efpaces qu'expri
ment les noms Ile de France , Parifis , Fauxbourg
s. Germain ; Généralité , Election , Diocèfe , Archiprêtré
, Paraiffe ; Parlement , Préfidial, Châtelet
de Paris , &c. , qui ne préfentent aucune idée
précile defituation ni d'étendue , pas même celle de
l'objet particulier pour lequel ils font établis.
Il en eft de même des mots Lieue , Arpent , Verge,
Perche , &c. , qui ont , fous le même nom , des fignifications
auffi variées que le font les Pays dont ils
expriment les mefures .
Au contraire , les dénominations PIECE Nord, da
CARREAU Sud, &c. , indiqueront , à l'égard de chacun
& pour tous les tems , une ÉTENDUE & une
SITUATION auffi déterminées que faciles à
faifir.
II y a un autre avantage dans l'emploi des Quar
rés uniformes de la Nouvelle Topographie fur toutes
les autres espèces de divifions du terrein , & particu
188 MERCURE
lièrement fur les points indiqués par la langue des
degrés; c'eft que tout le monde peut tracer ces quar
rés , les borner , les reconnoître , les figurer fur le
pier , avec une échelle convenue , par conféquent uni
forme & invariable.
· Mais les fecondes & les minutes de latitude , &,
qui pis eft , celles de longitude , qui eft- ce qui peut
les connoître avec une exactitude inconteftable ?
C'eſt la queftion que je prends la liberté de faire à
M. le Chevalier de C..... Il n'ignore pas que fi l'on
détermine la longitude de deux lieux par les feules.
obfervations aftronomiques , & fans recourir aux
opérations de la Trigonométrie , les résultats des
plus excellentes obfervations peuvent s'éloigner de la
vérité de plus de cent fecondes.
Et en admettant même que , par le progrès fucceffif
des Sciences , cette divifion du Globe pût encore
atteindre un degré de précifion, plus rigoureux
que celui auquel elle a été portée jufqu'à préfent ,
toujours conviendra- t-on que les calculs compliqués
qui en font la bafe , en rendront , dans tous les tems,
l'application impoffible au général des hommes pour
les befoins journaliers & communs à toutes les claffes
des citoyens auxquels la connoiffance préciſe de
l'ÉTENDUE & de la SITUATION CO - RELATIVES des
différentes portions de terrein qui forment leur héritage
, eft néceffaire.
Dira- t-on jamais : cette Ferme , cette Métairie ,
ce Journal , ce Char de Pré eft à 20 degrés , 2 minutes
, une feconde de latitude , & à 30 degrés , 2
minutes , 2 fecondes de longitude ?
>
Il eft donc plus facile d'enfermer l'espace dont on
veut connoître les détails , toife par toife , en un
grand quarré d'une mesure convenue de le
partager
en 9 quarrés du premier ordre , ceux -là en 9 autres du
fecond ordre , & ainfi de fuite jufqu'à la divifion òù
l'on voudra s'arrêter , en prenant le tiers de la lonDE
FRANCE. 189
gueur & le tiers de la largeur. La France contiendra
toujours plus d'un million d'hommes capables de cette
operation . Mais aujourd'hui que les Sciences y font
fi fort en honneur , en a - t-elle bien cent qui puiffent
affigner , fur un parallèle donné , l'étendue en
toifes des minutes & des fecondes de longitude , qui,
comme on fait , vont en diminuant , à mesure que
les Parallèles font plus diftans de l'Équateur ?
Je demande pardon à M. le Chevalier de C ..... ;
mais il voit quelles font mes raifons pour n'être pas
de fon avis fur la première queftion.
Quant à la feconde , nous fommes parfaitement
d'accord . Il me propoſe de borner l'Atlas de la Nouvelle
Topographie aux Cartes des Contrées & des
· Districts . Il a même la bonté de me promettre beaucoup
de Soufcripteurs , fi je veux exécuter ces
Cartes.
que
Il y a près de vingt ans que je travaille à cette opé
tation ; mais bien loin d'exiger qu'on foufcrive pour
la totalité des Plans d'un détail plus confidérable
celui des Diftricts , je borne au contraire l'Atlas Géné
ral à 64 Cartes . Les Soufcripteurs pourront fe contenter
d'avoir la France entière , c'est - à - dire , la
Carte générale , formant le N° . Ier. déjà publié , les
Cartes des 9 Régions , dont je vais publier les trois
Occidentales ; & celles des 54 Contrées qui appartiennent
à la France ; les 27 autres étant occupées
en entier par les mers , ou par des terres étrangères
, n'ont pas befoin de Cartes.
Cet Atlas de 64 Cartes cft la baſe de mon travail .
Je le donnerai tout entier à mes Soufcripteurs .
Quant aux Districts , aux Territoires , aux Bans,
&c. je n'en donnerai les Plans qu'à ceux qui me les
demanderont deffinés ou gravés , & j'en ferai trèsbonne
compofition à mes Soufcripteurs."
**
Si M. le Chevalier de C... veut la totalité des Dif
tris, qui ne feront pas tout à fait au nombrede 500,
190 MERCURE
à caufe des Mers & des Pays Étrangers qu'il m'a fallu
renfermer dans mon premier quarié ; s'il le préfente,
comme il a bien voulu me l'annoncer , beaucoup de
Soufcripteurs pour cette totalité , je publierai dès - lors
les Diftricts parfaitement gravés. Mais la fcufcription
actuelle le borne aux Contrées . Elle ne comprend
que 64 Cartes, accompagnées de leur Difcours ,
pour le prix de 160 liv. au total. On a même la
facuhé de n'avancer que le prix des dix premières
Cartes , à raifon de 25 liv. J'aurois cru commettre
une indifcrétion , fi javois engagé le Public à foufcrire
d'abord pour foo Cartes , avant d'avoir connu
mon travail par l'exécution des 64 de l'Atlas général.
Pour ce qui eft de l'obſervation de M. le Chevalier
de C... fur la différence qui fe trouve entre le
nombre des toifes qui forment la plus grande dimenfion
du quarré dans lequel j'enferme le Royaume , &
le nombre de toifes qu'on attribue communément à
la plus grande étendue de la France , du Nord au Sud,
je ne prends dans le Méridien de Paris que la longueur
qui forme les côtés du quarré , auquel j'ai été obligé
de m'aftreindre , pour réaliſer toutes les vues que je
me fuis propofées dans la rédaction du Plan général
de la Nouvelle Topographie.
Je me conforme d'ailleurs ftrictement à la valeur
que l'Académie attribue aux degrés du Méridien de
Paris , au Nord & au Sud de cette Ville, Et c'eft pour
qu'on puiffe me fuivre dans mes opérations , que j'indique
, dans la Defcription des Régions , les deux
Points du Méridien entre lesquels je me renferme .
La méthode employée pour reconnoître les terreins
divers de l'intérieur du quarré, pourra fervir à déterainer
ceux que la France pofféderoit en dehors.
J'ai l'honneur d'être , & c,
DE FRANCE. 191
GRAVURES,
PLAN de l'Emplacement pour la nouvelle Comédie
Italienne , qui doit être exécuté ſur le terrein de
Mgr le Duc de Choifeul , par les Sieurs Audibert &
Moreau , far les deffins du Sieur Jacquin , gravé de
manière à fervir de pendant à celui de la Comédie
Françoife, Prix , 1 liv . 4 fols A Paris , chez Defnos ,
Ingénieur- Géographe , rue S. Jacques .
Carte du Golfe du Mexique & des Ifles Antilles ,
relatives à la guerre actuelle , par M. Buache , premier
Géographe du Roi , & de l'Académie Royale
des Sciences , revue & augmentée en 1780 , par
J. N. Buache , Géographe ordinaire du Roi. A Paris ,
chez Dezauche , Graveur , fucceffeur des Sieurs de
Ifle & Buache , & chargé de l'Entrepôt Général
des Cartes de la Marine du Roi, rue des Noyers ,
près celle des Anglois. Prix , 2 liv.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
Les Héros Français , ou le Siège de S. Jean de
Lofne, Drame héroïque en trois Actes & en profe,"
par M. d'Uffieux , in - 89 . A Paris , chez Lejai , ruc
S. Jacques.
Seconde Lettre fur l'Architecture , par M. Viel ,
Peintre & Architecte , in- 89 . A Paris , chez Jombert
, Libraire , rue Dauphine.
Lettre de M. Jouffe à M. Linguet , fur les Nos.
65 & 66 de fes Annales , in- 8 °. Prix , 12. A
Paris, chez Prault , Libraire , grande Salle du Palais.
"
Analyfe de l'Hiftoire Sacrée , depuis l'origine du
1921
MERCURE I
Monde jufqu'à la venue du Meffie , pour Jervir à
l'inftruction de la Jeuneffe. Vol . in- 12 . A Paris , chez
Debure l'aîné , Libraire , quai des Auguſtins.
-Dictionnairepour l'intelligence des Auteurs Claf
fiques Grecs & Latins , par M. Sabbatier , in - 8 °.
Tome XXVII. A Paris , chez Delalain l'aîné , Lib.
Lue S. Jacques.
Les dangers des Spectacles , ou Mémoires de M.
le Duc de Champigny , par M. le Chevalier de
Mouhy. 2 Vol. in- 12 . A Paris , chez l'Auteur , rue
de l'Arbre - Sec, & chez Jorry & Mérigot , Libraires.
Hiftoire des Hommes , ou Hiftoire Nouvelle de
tous les Peuples du Monde. Tome V , Vol. in 12 .
Partie de l'Hiftoire Moderne. L'édition in- 8 °. eft
achevée, On prévient MM. les Soufcripteurs de retirer
les Livraifons de 1779 & 1780. Il faut s'adreffer
à M. de la Chapelle , rue Baffe , Porte S. Denis.
TABLE
VERS &M. L*,
AM. le Barbier l'aîné ,
La Réponse d'Eulalie,
169
145 ceffer la Mendicité,
146 Analyse de l'Hiftoire Sacrée;
147
179
Les deux Bourgeois & le Influence du Despotisme de
181-
l'Angleterre ,
Lettre au Rédacteur du Mer- Lettre aux Auteurs de ce Jour-
Paysan , Conte ,
cure ,fur Torré,
148
151 nat,
cure
164 Gravures
184
Enigme & Logogryphe , 161 Lettre au Rédacteur du Mer
Expériencesfur les Végétaux ,
Difcoursfur les moyens defaire Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
185
191
ibid .
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 28 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
le 27 Octobre 1780. DE SANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 15 Août.
M. de Kirschbaum , Confeiller de la Cour
de Ruffie , eft arrivé ici depuis quelques jours.
On dit qu'il reftera chargé des affaires du
commerce & des finances de la Cour. Il
doit fe concertèr avec M. de Stachieff , fur
les moyens de faire remettre à St -Péterf
bourg le refte de la fomme que la Porte doit
payer à la Ruffie , & qui monte encore à
millions de piaftres . Il examinera auffi l'état
de la maifon de commerce de fa nation établie
ici ; depuis la dernière guerre l'Impératrice
a avancé des fommes confidérables
à cette maiſon , & elle veut favoir l'uſage
qui en a été fait.
3
Les affaires qui fe font élevées entre les
deux Puiffances , relativement aux Confuls ,
ne font pas terminées. La Porte n'a pas
voulu permettre que M. Lafcarof allât réfider
en cette qualité à Jaffy , en Moldavie :
elle paroît même déterminée à n'en point
fouffrir dans cette Principauté ni dans celle
7 Octobre 1780. a
(~2- )
de Walachie. Son motif eft qu'il n'en eft
fait aucune mention dans le dernier traité ,
où il eft dit fimplement que l'Impératrice
pourra établir dans les places d'étape un
Confulat fur le même pied que les autres
Puiffances ; & comme elle defire en avoir
un dans un des ports de la mer Noire , la
Porte offre celui de Sinope en Afie , qu'elle
juge le plus convenable. M. de Stachieff a ,
dit-on , fait paffer cette réponſe à fa Cour
par un exprès .
Les lettres de Smyrne nous apprennent
que la pefte n'y fait plus tant de ravages ,
& que les Mofquées qui avoient été fermées
ont été rouvertes. Celles de Salonique por
tent qu'un violent incendie y a réduit en
cendres plus de 600 maifons. Ce font les
Juifs qui y font établis qui ont fouffert le
plus.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 1er, Septembre .
LES Barons de Waffenaar & de Heekeren-
Brantzemburg , Miniftres plénipotentiaires
des Etats- Généraux des Provinces- Unies ,
font arrivés avant hier dans cette Capitale.
Ils ont eu déja une conférence avec le Comte
de Panin , qui leur a dit qu'il ne pouvoit entrer
en matière avec eux qu'ils n'euffent en
une audience de S. M. I. & préſenté leurs
lettres de créances . On préfume que ce cérémonial
ne tardera pas à être rempli. L'Im
( 3 )
pératrice revient avec toute la Cour Lundi
prochain ; les divertiffemens d'automne &
d'hiver commenceront auffi- tôt , & feront
plus brillans qu'à l'ordinaire à caufe de la
préfence du Prince Royal de Pruffe qui eft
attendu ici le 6 de ce mois.
Il va être établi dans cette Capitale , en
conféquence d'une Ordonnance du 15 du
mois dernier , un département des finances ;
on en formera un pareil à Mofcou qui fera
fous la direction de celui- ci.
» Le 26 du mois dernier un incendie a répandu ici
une alarme générale ; il éclata vers les 8 heures du
foir dans un des magafins de chanvre. Un vent
violent porta les flammes fur une grande quantité
de barques , arrivées depuis peu , & chargées de
chanvres , de cordages , d'huiles , &c. Elles furent
bientôt réduites en cendres , ainfi que trois
galiotes
& le navire Hollandois la Demoiselle Marie-
Sufanne , qui avoit déja à bord une partie de fa
cargaifon. Le grand magafin de chanvre , bâti en
briques au milieu de l'eau , & que l'on avoit cru
à l'abri du feu tant par fa fituation que par la
conſtruction , ne put réſiſter à l'activité du feu ,
qui en écartoit tout fecours. On craignit que la
Bourfe & tout le quartier de Wafiley- Oftrow n'éprouvaffent
le même fort . Heureufement les flammes
prirent une autre direction. Elles confumèrent un
inagafin conftruit en charpente , & plus éloigné du
foyer de l'incendie. On y avoit déposé peu de
jours auparavant du tabac de l'Ukraine de la dernière
récolte. Cette nuit fut affreuſe ; au milieu
de fon obfcurité éclairée par la lueur des flammes ,
on voyoit des maffes de matières brûlantes voltiger
dans l'air , où le vent les emportoit fur toute
la Ville. Le feu a duré trois jours avant de pou
2 2
( 4 )
voir être entièrement éteint . On compte qu'il a
confumé 500 mille puds de chanvre ( le pud équivaut
à 32 livres pefant ) , 80 à 100 mille de lin ,
60 mille de tabac , & 3000 facs de graine de
lin ; on évalue le tout à plus d'un million de roubles.
Il a péri plufieurs perfonnes ; on n'en dit
pas encore le nombre ; mais on craint qu'il ne
foit confidérable « .
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 8 Septembre.
Le Roi a envoyé à Schleswig une commiffion
royale , compofée du Chambellan
de Bardenfleth , de deux Députés de la
Chambre des finances , & de M. de Carftens
, Confeiller de Conférence & Membre
du Grand- Confeil de Gottorp. L'objet de
cette commiffion eft d'effectuer la réunion
du Duché de Holftem-Glukbourg qui retourne
à la maifon de Danemarck , par la
mort du Duc Frédéric - Henri Guillaume
avec qui cette branche s'eft éteinte.
Le Comte de Gorft , nouvel Envoyé de
l'Electeur de Saxe en cette Cour , eſt arrivé
ici hier.
Le même jour , il eft parti du Sund pour
la mer du Nord une flotte de 250 navires
marchands , parmi lefquels fe trouvent environ
150 navires Anglois fous l'escorte de
6 bâtimens convoyeurs , 22 navires Suédois
chargés de munitions navales , fous le convoi
d'une frégate de leur nation de 40 canons ,
commandée par le Baron de Koblers . Ce
( 5 )
7
Commandant qui a reçu une inftrution
exacte de fa Cour , avec une copie de la
convention qu'elle a conclue avec celle de
Ruffie , pour s'y conformer pendant ſa croifière
, doit , dit- on , eſcorter ces_22_navires
jufqu'à la hauteur du Cap Finiſtère.
Le vaiffeau Suédois le Frédéric- Rex appartenant
à l'efcadre qui a paffé le Sund ,
eft refté en croifière dans la mer du Nord .
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 8 Septembre.
LE Roi vient de faire frapper une médaille
pour éternifer la mémoire du feu
Chevalier Linnéus. Elle offre d'un côté le
bufte de ce favant Naturalifte , & de l'autre
la Déeffe Cybèle ou la Nature affligée
entourée des attributs des Règnes animal ,
végétal & minéral. On lit autour , Deum
luctus angit: & à l'Exergue : poft obitum
Upfalia , d. 10 Januarii 1778 , rege jubente.
ALLEMAGNE.
Dé VIENNE , le 10 Septembre .
On dit que le départ de l'Empereur pour
la Bohême eft fixé au 18 de ce mois. Il eſt
toujours queftion du voyage de l'Archiduc
Maximilien pour Mergentheim ; il ſe propoſe
de partir le is ; mais les équipages qu'il faut
préparer , pourront fufpendre fon voyage de
quelques jours. Il fera accompagné du Comte
a 3
( 6 )
de Hartig , Grand - Maître de fa Cour , &
d'une fuite nombreufe. Comme le Chapitre
général de l'Ordre Teutonique s'affemblera
feulement le 22 du mois prochain , on préfume
que S. A. R. pourroit employer cet
intervalle à faire une viſite aux trois Electeurs
Eccléfiaftiques , à Mayence , à Cobentz & à
Bonn.
L'Empereur a nommmé Directeur des
Academies de Peinture des Etats Héréditaires,
M.Schmutzer . Un tableau de Mutius Scevola
que S. M. I. a eu l'occafion de voir & d'adamirer
dans la galerie de peinture de Pétersbourg
, lui a donné une grande idée du talent
de ce Peintre ; & ce Souverain éclairé n'avoit
befoin que de le connoître pour le récompenfer.
Le Commiffaire général de la guerre eft
parti pour la Pologne par ordre de la Cour ;
le régiment d'Anfpach , cavalerie eft ici depuis
quelques jours , & l'on croit qu'il y reftera
en garnifon.
Le Cardinal Hertzan eft parti hier pour
Rome ; il dirige fa route fur Milan .
De FRANCFORT , le 15 Septembre.
ON apprend de Straubing , ville fur le
Danube à 10 lieues de Munich , qu'il y a eu
un incendie dont les ravages ont été fi grands
& fiprompts qu'il y a eu 100 maifons brûlées
avant qu'on cut fait venir les pompes. Un
des Magiftrats de Munich qui s'y étoit rendu
en toute diligence & qui les avoit précédées, fe
( 7 )
tranſporta fur le champ au magafin des poudres
de la ville , où il y en avoit un dépôt
confidérable , qu'il fit jetter dans le Danube
avec la plus grande célérité ; fans cette précaution
, c'en étoit fait de la ville entière. A
peine le magaſin fur-il vuide que le feu y
prit & le confuma. Comme le feu duroit
encore au moment où l'on a écrit ce funefte
évènement , on en ignore les fuites , & on
ne peut évaluer la perte qu'il a caufée. Les
premières nouvelles ne laiíferont fans doute
rien à defirer fur ces détails affligeans .
Selon les lettres de Pologne , le Comte de
Rzewuski eſt encore à Grodno. Le manifeſte
qu'il a fait publier en Lithuanie en réponſe
à celui de M. Tyfzenhaufen , fait une grande
fenfation dans ce grand Duché , parce qu'il
contient plufieurs faits qu'on avoit ignorés
jufqu'à préfent.
Les mêmes lettres portent que l'on a levéle
fequeftre qui avoit été mis fur les terres que
le Prince Charles de Radziwill poſsède dans
la Lithuanie ; ces terres font eftimées 125
millions de florins Polonois ; on évalue à 36
millions , celles qu'il a dans les environs de
Cracovie & de Zolkiew. Le revenu que ce
Prince en tire à préfent eft de 8 millions
de florins Polonois.
On lit dans une lettre de Lublin les détails
fuivans d'un crime bien atroce & bien réfléchi
.
» Le Comté de Jufeffowicz , poffédant un Châ .
teau aux environs d'Oerzka , avoit au nombre de
a 4
( 8 )
fes domestiques , un Nègre , qu'il fit rigoureuſement
châtier il y a près de deux ans , on ne dit
pas pour quel fujet : ce malheureux confervant
au fond de fon coeur un vif reffentiment de ce
traitement , ne put fans doute trouver , pendant
un fi long terme , une occafion favorable pour fe
venger , & n'en perdit point l'efpérance. Le Comte
& fon époufe furent invités dernièrement à une
nôce , qui devoit fe faire dans un Bourg voifiu ;
ils s'y rendirent , ne laiffant au Château que leur
fils , âgé de huit ans , le Nègre en queftion pour
le fervir , avec deux autres domeftiques . Ce fcélérat
profita de leur abfence ; il affaffina les deux
domeftiques , qui ne fe doutant de rien , furent
aifément les victimes de fa barbarie . Après quoi ,
ayant tiré à lui le pont - levis du château , pour
empêcher que perfonne n'y pût entrer, il eut la
cruelle conftance d'attendre jufqu'au lendemain au
foir , le retour du Comte , de la Comteffe & de
leur fuite : dès qu'il les apperçut & qu'il put en
être facilement vu & entendu , il fe préfenta à
une des fenêtres les plus élevées du Château , le
jeune Comte entre fes bras ; après avoir vomi
contre fes Maîtres les menaces & les imprécations
les plus horribles , dans le moment où l'on étoit
à peine revenu de la première furpriſe , que caufoit
un fpectacle auffi extraordinaire & autfi alarmant
, le monftre précipita au fond du foffé l'in- '
nocente victime qu'il tenoit entre fes bras & qui
rempliffoit envain l'air de fes cris ; puis s'élançant
lui -même du lieu où il étoit , il trouva dans fa
chûte la fin d'une vie qu'il auroit dû perdre dans
les plus cruels fupplices «.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 4 Septembre.
LA compagnie Autrichienne des Indes
( 2 )
Orientales établie à Triefte , a reçu avis que
fon vaiffeau le Prince de Kaunitz , a mouillé
le 19 du mois dernier dans la rade de Malaga ;
il vient de la Chine d'où il étoit parti le
31 Janvier ; fa cargaiſon confifte en thé , bois
de teinture , porcelaines , canelle , toiles de
Nankin , diverfes étoffes de foie.
» Le vaiffeau de guerre le St-Joachim , écriton
de Naples , eft de retour de Palerme où il a
transporté D. Antonio Cortada Yoru , Lieutenant-
Général au fervice de S. M. , & qui doit remplir
par interim la place de Vice-Roi , fous le titre de
Préfident & de Capitaine Général. Ce vaiffeau vient
de remettre à la voile pour Carthagêne où il fera
joint par une de nos frégates & fe rendra enfuite
dans un des Ports de France , où il prendra à bord
le Marquis de Caraccioli , ci-devant Ambaſſadeur à
la Cour de Verfailles , & nommé par S. M. Vice-
Roi de Sicile «.
On apprend de Crême , dans l'Etat de
Venife , qu'un magafin à poudre de la citadelle
où le feu a été mis par la foudre a fauté.
3 jeunes gens ont eu le courage à la vue de
l'incendie qui fuivit l'exploſion , de pénétrer
dans les magaſins , d'en enlever les barils qui
étoient encore pleins de poudre ; ils ont
réuffi ; & leur hardieffe a fauvé la ville de la
deftruction totale dont elle étoit menacée fi
le refte de la poudre avoit pris feu.
"Le Capitan Bacha , lit- on dans plufieurs lettres du
Levant , ayant fait équiper & armer vers le milieu
du mois de Juillet plufieurs bâtimens à rames , pour
les faire avancer vers la côte de Maina , y marcha
Jui-même à la tête de 6000 foldats & de quelques
autres troupes qu'il avoit raffemblées fur fa route,
a s as
( 10 )
Son but étoit de fubjuguer les Mainottes , & il
réuffit dans fon entreprise à l'égard de ceux qui
habitent les plaines . Mais ayant fait après cela fommer
ceux qui habitent fur les montagnes , ils répondirent
au Général Turc qu'ils avoient toujours
été libres & avoient fuivi les Loix des Anciens
Lacédémoniens , leurs ancêtres , que la tradition
leur avoit tranfmifes ; qu'à la vérité ils s'étoient
foumis pour un certain tems à la République de
Venife , mais que cette foumiffion avoit été purement
volontaire de leur part ; & que depuis que
la Morée étoit devenue Tributaire de la Porte ,
ils s'étoient toujours maintenus comme une nation
libre , ainfi qu'ils efpéroient pouvoir le faire à l'a
venir. Le Capitan Bacha , peu content de cette
réponſe , ayant attaqué ces braves gens , fut repouffé
avec perte de 800 tués & 100 bleffés , qui
furent faits prifonniers ; ce qui les obligea de fe
retirer & de les bloquer fur leurs montagnes , afin
de les réduire par famine. On croit cependant
que ce projet ne lui réuffira pas mieux que le
premier , parce que les Mainottes font abondam
ment pourvus de vivres , & que pour exécuter
cette entreprife , il faudroit avoir fur pied un corps
d'armée beaucoup plus confidérable que celui qu'il
a fous fes ordres «.
-
ESPAGNE.
De CADIX , le 8 Septembre.
Les Officiers & les équipages des navires
amenés ici par l'armée combinée , ont eté
agréablement furpris lorfqu'on leur a rendu
fidèlement leurs effets & leurs hardes. Ce
traitement , dont nos enneinis , ceux même
qui montent les vaiffeaux du Roi , ont
( 11 )
rarement donné l'exemple , ne fera peutêtre
pas davantage imité. Les paffagers font
encore mieux traités que les équipages ; on
s'eft empreffé d'adoucir leur fort , plufieurs
fe font déja embarqués ; d'autres en plus
grand nombre ont pris le chemin de Lisbonne
, où ils trouveront des vaiffeaux de
leur Nation.
›
Une partie des vivres du convoi ennemi
fervira à approvifionner l'armée qui eft
toujours en état de fortir au premier ordre.
Il paroît qu'on auroit defiré qu'elle
reftât plus long-teins en mer. Ce n'eſt pas la
faute de D. Louis Cordova ; ce Généralavoit
ordre de revenir à la fin du mois dernier.
Les avis que l'on reçut du départ des convois
d'Angleterre , & de ceux qu'on y attendoit
des Indes Occidentales firent
dépêcher le vaiffeau de ligne l'Atlante
deux jours après le départ de D. Vincent
Doz , avec ordre à l'armée de tenir la mer.
Le lendemain on expédia un Avifo pour
le même objet. Le malheur voulut que
celui- ci fut pris par Johnſtone ; & l'Atlante
ne rencontra pas D. Louis Cordova. Si l'on
ne favoit pas que ce vaiffeau a pu fe joindre
à l'armée du Ferrol , on auroit quelqu'inquiétude
fur fon compte ; car on n'en a
reçu aucune nouvelle depuis fon départ.
Cependant comme il portoit des ordres de
la dernière conféquence , la conduite du
Capitaine fera examinée rigoureuſement à
fon retour.
a 6
( 12 ) 1
Les lettres de Madrid ne nous annon
cent pas encore le départ de M. le Comte
d'Eftaing ; & comme nous ne voyons faire
ici aucun préparatif pour le recevoir ,
quoique nous foyons certains qu'il y viendra
, nous penfons qu'il ne s'arrêtera pas
dans la Ville , & qu'il ira tout de fuite à
fon bord.
Gibraltar eft dans la détreffe , fi les rapports
de tous les déferteurs ne font pas exagérés ;
non - feulement D. Antonio Barcelo veille
à ce qu'aucun navire ne s'introduiſe dans la
baie , il penfe même aux moyens qui pourront
détruire ceux que l'ennemi a dans le
port. Il a ellayé , pour cet objet , des brûlots
de nouvelle invention , faits par un
Sergent d'artillerie. Ces brûlots n'ont que
quatre pieds de long. Ils fuivent la direction
qu'on leur donne , & avec une rapidité
inconcevable , ils vont s'attacher à
l'objet contre lequel on les dirige , & le
confument. Les premiers effais qu'on en fit
ne furent pas fatisfaifants ; mais ils réuffirent
la femaine dernière au-delà de toute .
efpérance. On avoit placé , dans le port
d'Algéfiras , des planches , des poutres à
une très-grande diftance ; les brûlots qu'on
y dirigea s'y attachèrent & les confumèrent
entièrement. Nous verrons quel parti
notre brave Chef- d'efcadre tirera de cette
invention.
( 13 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 23 Septembre.
Nous n'avons encore aucunes nouvelles
pofitives de l'Amérique Septentrionale
; le 20 au foir il arriva au bureau
du Lord George Germaine des dépêches du
Chevalier Clinton ; elles furent envoyées ,
fur le champ au Roi à Windſor , & on ne
parle point encore aujourd'hui 23 de leur
contenu : tout ce que l'on fait par les avis
de Hollande , c'eft que ce Général ayant
trouvé les lignes de Washington trop bien
protégées par la nature & par l'art , eft retourné
avec fon armée à New-Yorck après
une excurfion des femaines , & plufieurs
efcarmouches dans lefquelles fes troupes
ont toujours eu le deffous. D'autres avis
qu'on dit avoir une fource authentique , portent
que l'armée Angloife a perdu 1300
hommes dans ces cinq femaines par la maladie
, la déſertion , & ceux qui ont été tués
ou faits prifonniers dans les diverfes actions ;
elle eft auffi très- mal approvifionnée en munitions
de bouche & en équipages de camp..
L'arrivée de l'efcadre de M. de Ternay
& de l'Amiral Graves nous prépare à quelques
nouvelles intéreffantes . On dit qu'il eft
arrivé en France des lettres de New-Port ,
en date du s Août , où l'on dit que l'armée
de M. de Rochambeau , qui eft dans le meilleur
état , campe fous New-Port , faifant des
( 14 )
vaux pour voir le Général Clinton , que
l'on dit devoir la chercher à la tête de 10
à 12,000 hommes. Dès le 21 Juillet une
efcadre de 10 à 11 vaiffeaux , tant de ligne
que frégates , croifoient devant le Port ; mais
les bâtimens entroient & fortoient fans empêchement
, ce qui eft prouvé par l'arrivée
en France de celui qui a apporté cette lettre
& beaucoup d'autres.
Nous ne fommes pas encore inftruits de
ce qui fe paffe aux Ifles ; la Cour du moins
ne publie rien des nouvelles qu'elle reçoit :"
Le Capitaine Rice eft arrivé fur le Boyne ,
avec des lettres du Général Vaughan . Elles
apprennent , dit-on , qu'en réparant les fortifications
, en partageant judicieufement fes
troupes , il avoit mis les Ifles de Ste-Lucie ,
de Tabago , de la Barbade , d'Antigoa &
de St-Kitt's , dans le meilleur état de défenfe
poffible ; qu'il avoit fur-tout cherché
à rendre fupportable aux troupes le féjour
de l'Ile meurtrière de Ste- Lucie ; tant en
faifant élever des baraques , qu'en leur faifant
diftribuer des boiffons faines & furtout
du vieux rum , & en défendant de les faire
travailler pendant la chaleur du jour ; cela
n'empêche pas qu'il ne perde de fon aveu
trente hommes par femaine.
Selon les mêmes avis reçus par le Boyne ,
qui étoit parti de St Chriftophe le 2 Août
l'hivernage étoit alors très-proche , ce qui
alloit fufpendre toutes les opérations militaires
pendant quelques mois. L'Amiral
( 15 )
Rodney avoit envoyé l'Amiral Rowley avec
10 vaiffeaux de ligne à la Jamaïque. On
dit que M. Dalling , Gouverneur de cette
Ifle , écrit au Ministère qu'elle eft actuellement
fi bien fortifiée,, qu'il ne craint pasl'approche
des ennemis ; cela ne l'a past
empêché de demander au Général Vaughan
un renfort de l'armée de Ste- Lucie pour
le mettre en état de recevoir les François
& les Espagnols .
Deux vaiffeaux de ligne ont ordre de
prendre pour 6 mois de vivres & d'appareiller
le plutôt poffible pour les Ifles de
l'Amérique. On dit que le motif de leur
départ , eft l'avis qu'on a reçu de l'intention
qu'a Rodney d'aller au Vent , à moins
qu'il ne reçoive quelques nouvelles favorables
de fes croifeurs qu'il a envoyé reconnoître
les flottes combinées dont nos.
Miniftres n'ignorent pas la deſtination .
L'état des chofes dans cette partie du
monde a donné lieu aux obfervations fuivantes
:
Nos Miniftres paroiffent fe conduire auffi mal
avec l'Amiral Rodney , tant en tronquant fes dépêches
qu'en lui refufant les renforts néceffaires pour
continuer la guerre avec fuccès. Ils mettent dans
ce procédé une indécence & une inattention révol
tantes. Cet Amiral , dans fa lettre publiée par la
Gazette du 12 de ce mois & datée du 31 Juiller
ſe réfère à une lettre du premier , » où il dit avoir
rendu compte à L. S. de la fituation actuelle des
» affaires dans cette partie du monde , & de la
» très-grande force des efcadres combinées qui
55
"
( 16 )
» confiftoir en 36 vaiffeaux de ligne . L. S. n'ayant
point jugé à propos de donner ces détails au pu
blic , elles n'auroient pas du rapporter cette citation
, & rien ne prouve mieux que les Miniftres ,
en trompant la nation , ne daignent pas feulement
prendre la peine de lui cacher leurs artifices,
Rodney ajoute : » Malgré leur grande fupériorité ,
» par le nombre des vaideaux , les ennemis n'ont
» olé attaquer aucune des Ifles de S. M. ni recon-
» noître la flotte alors dans la baie de Gros-Iflet ,
» quoique j'euſſe conſtamment une petite eſcadre
» en croifiere à l'ouvert de la baie de Fort- Royal
» pour me donner avis de tous leurs mouvemens «.
Ici le brave Rodney a la permiffion de parler pour
lui-même , c'est - à- dire , qu'on imprime fidèlement
Les propres expreffions , aufli combien fa phrafe
eft claire , précife , virile & fatisfaifante ! —
Les Ecrivains Miniſtériels veulent bien avouer que
l'Amiral s'est trouvé dans une pofition très-critique
; que les ennemis avoient un grand avantage
fur lui par le nombre des vaiffeaux , leur bon
état , la viteſſe de leur marche , le complet de
leurs équipages ; qu'ils lui étoient enfin fupérieurs
en tout , excepté par l'habileté des Commandans
& la bravoure des Officiers & des Soldats . Les
partiſans de la Cour doivent auffi convenir qu'en
fauvant la flotte & en confervant les Illes à fucre
malgré l'extrême difproportion de fes forces`, il a
rendu le plus grand fervice ; mais quand le fuccès
n'auroit pas répondu à fon zèle & à la fageſſe
de fes mefures , quand il auroit éprouvé quelques
revers , ce n'eft point lui , mais les Miniftres feuls
qui auroient dû en être refponfables . Cet éclair
ciffement étoit néceffaire pour nous tenir en garde
contre toutes les nouvelles gafconades de la Čour .
Le courage à toute épreuve & la bonne conduite
du Général Rodney dans des circonftances
vraiment critiques ; fa bonne contenance devant
( 17 )
--
un ennemi fupérieur qu'il a même en quelque
forte défié ; la vigilance par laquelle il a fu préferver
de tout danger nos Iles à fucre & la Jamaïque
même , jufqu'à laquelle il a étendu fa follicitude
fans jamais faire la moindre imprudence.
qui pût expofer témérairement & fans fruit les
vaiffeaux de S. M.; la difpofition fi judicieufe de
fa flotte , au moyen de laquelle il a tenu la mer
libre pour fa réunion avec Walfingham qui fans ,
cela auroit couru le plus grand danger d'être intercepté
par l'ennemi ; toutes ces confidérations
font infiniment plus glorieufes pour lui que fes
victoires même les plus éclatantes , où la fortune ,
la fupériorité des forces & d'autres circonftances
peuvent avoir eu quelque part . Une obfcurité
politique femble couvrir de nouveau l'Amérique
Septentrionale. Vient-elle de la profonde
léthargie de nos Miniftres , ou des efforts extraor
dinaires des François & des Américains , ou de
ces deux caufes réunies ? Ce qu'il y a de certain
c'eft que les forces de S. M. y agiront avec autant
de vigueur que fa flotte dans les Ifles. A
l'exception de la conquête fingulière de Charles-
Town , toute notre guerre de l'Amérique Septentrionale
n'a été qu'une fcène continuelle d'inaction
de torpeur & de ſtupidité manifeftes .
papiers étrangers commencent à faire fonner bien
haut les prodigieux avantages de la prise de notre
flotte pour les deux Indes , mais leurs calculs paroiffent
auffi embrouillés à cet égard que le furent
d'abord les nôtres . Cette malheureufe cataſtrophe
a été occafionnée , accompagnée & fuivie de certaines
circonstances qui , avec le tems , fe manifefteront
, malgré toutes les manoeuvres qu'on
met en ufage pour les fouftraire à la connoiffance
du public.
.
Les
Malgré notre confiance en Rodney &
en Clinton , on n'eft pas fans inquiétudes
( 18 )
fur l'iffue de cette guerre ; & il fe paffe
peu de jours qu'on ne fe plaigne de ceux
qui nous y ont engagé. Pour montrer combien
elle a affoibli notre commerce , on a
fait le tableau fuivant de ce qu'il étoit avant
les troubles d'Amérique.
Colonies de Vaiffeaux. Matelots. Exporta- Exporta
La baie
d'Hudfon.
Labrador
120 vaif-
130
•
tion de
la G.B.
tion des
Colonies.
16,000 . 29,340
feaux Amé
ricains , &
2000 cha-
380. 20,540
· 273,600 • 345,000
loupes de
Terre-Neuve.
Canada. 34 • 408
Ecoffe.
Nouvelle
Nouvelle
Angleterre.
Rhode-Ifland
, Connecticut
&
Nouvelle
Hampshire.
New-
Yorck.
Penfylvanie.
Virginie &
Maryland .
Caroline
Septentr .
Caroline
330
72
• 105,000 . 105,500
26,500 • 38,000
46 · 553 • 395,000 • 370,000
3 • 38 • 12,000 • 114,000
• 30 · 330 • 531,000 · 526,000
35
· 390 • 611,000 • 705,500
* • 3,900 . 865,000 1,040,000
• 34 .. 408 · 18,000 68,350
Méridion. • 140 •
Georgie.
Saint-Au-
• • 24
1,680
• 240
365,000 • 395,666
49,000 • 74,200
guftin. • 2 • 24 • 7,000
Penfacola. . 10 • · 120 97,000 63,000
1,078 28,833 3,371,100 3,874,556
( 19 )
Notre grande flotte aux ordres des Amiraux
Darby , Digby & Roff , est toujours
retenue à Torbay par les vents contraires.
Le cutter le Dreadnought qui avoit été devant
Breft , pour épier les mouvemens des
François , l'a rejointe & a rapporté que le s
de ce mois il étoit forti 4 vaiffeaux de ligne
& 2 frégates qu'il fuppofoit avoir pris
la route de Cadix ; il y avoit encore dans ce
port 6 vailleaux de ligne prêts à appareiller.
Lorfque tous ces vaiffeaux auront joint la
flotte de Cadix , elle fera forte de 54 vaiffeaux
de ligne , & nous n'en avons que 34 à leur
oppofer. Le Commandant de cette efcadre
n'eft pas encore nommé.
>
Les Miniftres , dit un de nos papiers , excepté
le Lord Sandwich voudroient nommer le Lord
Howe , mais il y a certaines conditions préliminaires
& indifpenfables , qu'ils exigeront de quiconque
acceptera ce pofte , auxquelles le brave Lord
Howe ne fe foumettra jamais . Les calomnies des
Courtifans ne fauroient avoir de prife fur fa répu
tation , quant au zèle , à l'activité & aux talens qu'il
a déployés contre le Comte d'Estaing à Sandy- Hook
& Rhode-Inland ; ils feront toujours rappellés par les
Citoyens honnêtes , quoique puiffent faire ou dire
des gens payés pour les dénigrer « .
La flotte de St-Chriftophe confifte en 70
voiles ; le Boyne qui l'efcortoit en fut féparé
par un coup de vent par la latitude
de 45. Ce vaiffeau eft arrivé avec 5 pieds
d'eau dans fa cale. Il eft arrivé la plus grande
partie des bâtimens du convoi ; le cotter le
Général qui étoit parti de la Barbade le 26
( 20 )
Juillet , rapporte que le 4 Septembre il fut
féparé du convoi , & le lendemain il vit
les débris de plufieurs vaiffeaux qui felon
fon opinion faifoient partie de la flotte. La
mer à quelques milles à la ronde , étoit couverte
de tonneaux de rum & de balles de
coton ; mais elle étoit fi forte qu'il ne put
fauver que 2 de ces balles.
Les arrêtés faits par le Parlement d'Ir
lande le 21 Août ont fait beaucoup de bruit ;
on doute que l'Adminiſtration y donne aucune
fuite , en attendant la repriſe des féances
; ce parti feroit au moins dangereux ,
fur-tout après l'affemblée d'un très-grand
nombre de citoyens de Dublin fur ce fujet.
On y avoit propofé de convenir d'une affociation
pour ne rien importer d'Angleterre
, de prier le Roi de diffoudre le Parlement
, & de remercier les corps des volontaires
qui , en fe montrant les défenfeurs
des droits des fujets , ont été traités de féditieux
par le Parlement ; la première & la
dernière propofition ont été approuvées
unanimement. La deuxième n'a été rejettée
qu'après une longue délibération .
» Des réfolutions de cette nature , lit- on dans
une lettre de Dublin , font trop femblables à celles
qui entraînèrent la révolution de l'Amérique , pour
que le Gouvernement ne préfère pas de céder à porter
les chofes à l'extrémité par une fenfibilité mal
placée. L'Irlande , à la vérité , eft dans une pofition
moins avantageufe que l'Amérique ; mais l'exemple
de celle-ci pourroit , malgré tous les obftacles , produire
fur les Irlandois , pouffés à bout , des effets
( 21 )
d'autant plus funeftes , que ce Peuple & les Américains
confervent les uns pour les autres une affection
plus fincère que celle qui a jamais ſubſiſté entre
les derniers & la Grande- Bretagne. On fait que dès
qu'on eut en Amérique l'avis du fuccès des démarches
que l'Irlande fit l'hiver dernier pour fe procurer
la liberté du commerce , le Général Washington fit
affigner le jour de S. Patrick , Patron de l'Irlande ,
pour célébrer cet avantage remporté fur la fuprématie
Britannique. Cette fête eut lieu en effet le 17
Mars dernier «<,
Le Roi vient de faire dans les commiffions
de la trésorerie & de l'Amirauté , quelques
changemens qui n'en annoncent cependant
pas un dans le fyftême de l'Adminiſtration ,
ainfi qu'on s'y attendoit au moment de la
réélection d'un nouveau Parlement. Lord
North continue d'être à la tête de la commiffion
du tréfor , où parmi les anciens
Membres , les Lords Weftcote & Palmefton
font confervés. Les nouveaux fon Sir Richard
Sutton , & M. Jean Buller , l'un des Commiffaires
de l'Amirauté. M. Charles Wolfran-
Cornwall a été nommé Chef-Juge des Forêts
de S. M. au- delà de la Trente , & l'on croit
qu'il remplira encore la place d'Orateur des
Communes à la place de Sir Fletcher Norton
qui fera élevé à la Pairie. S. M. a rétabli
auffi le Bureau du commerce & des plantations
aboli par le Parlement diffous , conformément
au bill de M. Burke : tous les
anciens Commiffaires font rentrés à l'exception
de M. Graville qui paffe à l'Amirauté.
Le Comte de Carlifle eft défigné pour fuccé(
22 )
der à la Vice-Royauté d'Irlande . S. M. a créé
en même tems 7 nouvelles Pairies qui ne
peuvent manquer d'augmenter le parti de
la Cour déja fi prépondérant dans la Cham
bre des Pairs.
Pendant que l'on s'occupe par - tout de
l'élection des Membres du nouveau Parlement
, on a inféré dans nos Papiers la pièce
fuivante qui, dans les circonftances actuelles ,
ne peut qu'intéreffer.
Un Précis de l'Hiftoire du dernier Parlement
pourroit mettre les Electeurs en état de juger du
mérite des individus qui le compofoient , & de voir
jufqu'à quel point il étoit prudent de les élire de
nouveau ou de nommer d'autres Repréſentans &
d'effayer fi le changement d'hommes pourroit opé--
rer un changement général de mefures. Mais les
Miniftres par la diffolution foudaine & imprévue du
Parlement , qui n'avoit d'autre objet que de forcer
le peuple à des élections précipitées , ont rendu à
peu près fans effet tous les confeils & toutes les
précautions , & ils ont fait de l'élection générale
une confufion générale , une pure mocquerie & une
infulte au bon fens des citoyens , ou plutôt ils ont
réduit à rien cette prétendue élection . Quoiqu'il en
foit , nous rempliffons notre promeffe fans nous embarraffer
fi le troupeau , qu'on appelle le Public ,
prêtera ou non l'oreille à nos avis. Le Parlement
a commencé au mois d'Octobre de l'année 1774 ,
dans un tenis où nous étions en paix avec tout l'Univers
, & où , felon les déclarations les plus folem
nelles des Miniftres , nul principe de difcorde ne
troubloit notre tranquillité intérieure . Voyez le
Difcours du Roi aux deux Chambres lors de l'ou--
verture du nouveau Parlement , & les autres Correfpondances
entre le Ministère & les deux Chambres
―
( 23 }
>
par Meffage & autrement. C'étoit un bien en Angle
terre qu'il y eût du mécontentement ,
des murmu
res , & même déja de petites émeutes dans quelques
parties de l'Amérique , & principalement à Bolton.
Mais les Miniftres ont diffimulé & même nié tous
ces faits ; le Parlement ne s'eft jamais permis la
moindre recherche fur cet objet , & le Gouvernement
ne lui a jamais demandé le moindre avis , la
moindre affiſtance pour rétablir le calme en Amérique
& étouffer à tems les germes des émeutes &
des féditions , jufqu'au mois d'Avril 1775 , que la
méfintelligence & la défunion entre les Américains
& leur Gouverneur militaire aboutirent à une rebellion
dans toutes les formes. Les habitants de la
baie de Mallachuffett , s'étant pourvus d'armes ,
de munitions , &c , prirent ouvertement les armes
contre les troupes du Roi , & le 19 Avril , il y eut
un combat entre les deux partis . Ce n'eſt pas à
nous à chercher lequel des deux fut l'aggreffeur ,
puifque le Parlement ne s'en eft jamais occupé . Mais
il eft conftant que fi les Américains n'euffent pas
pris l'alarme & qu'ils n'euffent pas fait toutes les
difpofitions néceffaires pour être prêts à s'afſembler
au premier ordre , cette action n'auroit pas eu lieu.
La nouvelle de cette efcarmouche ne fut pas plutôt
arrivée que les Miniftres fe mirent à crier : Rebellion
! Rebellion ! Alors ils en ont aggravé & étendu
toutes les circonftances dans la même proportion
qu'ils affoibliffoient & atténuoient auparavant tous
les fymptômes , & toutes les menaces de cette rupture
fi prochaine. Tous les échos du Parlement répé
tèrent avec un bruit effrayant ce grand mot de Rebellion
, & tous les Membres à l'envi offrirent au
Roi leur fang & leurs biens , comme fi les armées
combinées & invincibles de la France & de l'Espagne,
maitreffes de la Manche , effectuoient alors une in
vafion fur nos côtes . Les Miniftres les prirent au
mot, Ils demandèrent à grands cris de l'argent , qui
( 24 )
leur fut accordé auffi-tôt , fans qu'on s'informar
du fujet ni de l'objet de cette réquifition . Mais ce
n'étoit-là qu'un prélude ou effai de ce qu'on devoit
faire par la fuite ; car auffi-tôt que le Lord North
cut cet argent , il s'endormit , fe contentant pour
cette année d'envoyer les trois Généraux Clinton ,
Burgoyne & Howe au fecours du Général Gage ,
contre une poignée d'Infurgens qui n'avoient pas
même de Général, Ils ont eu la mortification de voir
que le Général Anglois s'étoit laiffé bloquer & affiéger
par une canaille fans difcipline . C'eft à peu- près
dans ce tems qu'eut lieu l'étrange affaire de Bunkershill
, qui a coûté la vie à un grand nombre de
braves Bretons fans qu'on sût trop pourquoi. Le
Parlement s'étant affemblé de nouveau , vers le commencement
de l'hiver de 1776 , on n'y entendit que
ces cris : de l'argent ! de l'argent ! de l'argent pour
ramener l'Amérique à ſon devoir & venger l'honneur
de la Grande- Bretagne ! L'argent a été accordé
fans héfiter , fans délibérer ; & pour afloupir une
infurrection , ou fi l'on veut un commencement de
rebellion dans un coin de l'Amérique , le Miniftre
a été autorisé à falarier des troupes étrangères & à
lever des recrues dans toute l'Allemagne , comme
fi nous étions en guerre ouverte avec les trois - quarts
de l'Europe , pour joindre ces troupes aux forces
Britanniques & les envoyer combattre dans un nouveau
monde où ils n'avoient pas plus affaire que
dans la lune. De toutes les mefures adoptées jamais
par un Ministère ignorant & étourdi , c'étoit
affurément la plus gauche , la plus imprudente & la
plus dangereufe. Elle donna du relief & par conféquent
de l'existence aux Rebelles vis - à - vis de toure
PEurope. Elle avilit la Grande- Bretagne , & la fit
defcendre en même proportion. Elle rendit un bon
office aux François & aux Eſpagnols , & elle les
excita à fpéculer & à manoeuvrer contre nous . Elle
mécontenta tous les bons Anglois , elle partagea
leur
( 25 )
leur opinion relativement à la caufe de la guerre &
aux moyens de la foutenir ; elle réunit les Américains
contre nous , eux qui auparavant étoient fincèrement
attachés à la Métropole & à ſes intérêts
& elle leur infpira à tous le projet de fe rendre indépendans
; ce fut donc cette fatale meſure qui arracha
l'Amérique à la Grande- Bretagne , & qui lui
fit prendre la réfolution de fe jetter dans les bras
de la Maifon de Bourbon. Puifque la Métropole
( dirent les Américains ) envoie des fauvages étrangers
pour nous égorger , nous aurons recours à des
amis & à des alliés étrangers pour nous protéger.
Si la Grande- Bretagne par fa force intrinsèque &
fans aucune affiftance étrangère n'eût pas pu maintenir
l'autorité du Gouvernement dans des provinces
éloignées , l'Amérique auroit vécu en paix & auroit
tâché de le gouverner & de fe défendre elle - même.
Quoiqu'il en foit , le Parlement confentit à tout implicitement
ne s'informant de rien foit pour fa
confcience , foit pour la décence. — L'argent levé
en 1776 & la faiſon de l'été furent employés à faire
venir des foldats Germaniques , ainfi qu'à les faire
partir avec des troupes Angloifes ( le tout formant
un corps affez confidérable ) pour Staten - Iſland où
notre nouveau Général s'étoit enfui de Boſton avec
fa petite armée , & où toutes nos troupes arrivèrent
affez-tôt pour effrayer une moitié de l'armée rebelle
de Long- Inland , au lieu de la prendre toute entière,
ce qu'elles auroient dû faire & ce qui auroit terminé
la guerre tout- d'un-coup ; mais cette opération eût
fait tort au commerce de la guerre , qui pour être
lucratif demande à être nourri de même que tous les
autres commerces. Néanmoins nos troupes pourfui
virent les rebelles depuis Long- Inland jufqu'à New-
York ; elles les chaffèrent de cette dernière place &
У établirent des quartiers d'hiver. C'eft là que nous
les laifferons ainfi que le fil de notre . Hiftoire , que
nous reprendrons dans un autre moment. Nous fini,
7 Octobre 1780. .b
( 26 )
rons feulement en obfervant que le Parlement n'a
jamais concouru autrement avec l'Adminiftration
par rapport à la conduite de cette guerre que pour
lui fournir tout l'argent , tous les hommes , tous les
vaiffeaux & généralement tout ce qu'elle a demandé ,
& cela fans prendre la moindre information ni fur la
dépenfe , ni fur la deſtination .
L'Amirauté a fait publier le 19 de ce mois
l'article fuivant,
Le Capitaine Fortefcue , montant la corvette le
Scourge , informe M. Stephens dans fa lettre du
16 de ce mois que le 15 à dix heures du matin
il a découvert un bâtiment portant fur lui ; qu'à
quatre heures l'ayant hêlé & n'en recevant point
de réponse , il en conclut que c'étoit un bâtiment
ennemi , & en conféquence il lui lâcha une bordée ;
l'ennemi arbora auffi - tôt Pavillon François & la
lui rendit. Après un combat d'une demi- heure le
vaiffeau François amena, Ce bâtiment le nomme
la Charlote , corfaire de Dunkerque de 16 canons
de 6 & de 120 hommes commandés par M. dų
Caffou , qui a été dangereufement bleffé dans l'action.
Le premier Lieutenant & dix matelots ont
été auffi bleffés , & il y a eu 4 hommes tués ,
C'eft un vaiffeau neuf qui n'étoit forti que depuis
trois mois de deffus le chantier , & depuis dixhuit
heures du port de Dunkerque pour intercepter
les bâtimens marchands deftinés pour Oftende &
Fleffingue . Le Scourge monte 16 canons & 80
hommes. Il ne paroît pas qu'il ait eu aucun homme
tué ou bleffé « ,
----
On lit dans une lettre d'un Officier au
fervice de la Compagnie des Indes , datée du
fort William ' e 3 Mars dernier , qu'il y a un
projet d'expédition contre Manille,à laquelle
on doit employer un bataillon de Mac Ledds ,
& un corps confidérable d'artillerie & de
( 27 )
troupes de la compagnie. Cette armée ferad'environ
10,000 hommes . Comme on fait
que ces poffeffions Eſpagnoles ne font pas
dépourvues de moyens de défenſe comme
elles l'étoient dans la dernière guerre , &
qu'on les a mifes dans un état de force
refpectable. On n'eft pas fans inquiétude
fur cette entrepriſe qui demanderoit pour
réuffir une armée nombreufe & bien approvifionnée.
La Réfolution & la Difcovéry ne font
point encore arrivées. Ces vaiffeaux ont été
rencontrés aux Orcades vers le commencement
de ce mois . Ils avoient pris la route
du nord pour éviter les François & les Efpagnols
; ils fe feroient épargné ce détour , fi
en apprenant que la guerre étoit déclarée , ils
avoient eu avis en même tems des ordres que
la Cour de France a donnés en leur faveur.
On dit qu'ils ont à bord un enfant & une
femme d'une des Ifles qu'ils ont découvertes
dans les mers du fud . On les attend à chaque
inſtant. Il eſt à remarquer que de 60 hommes
qui étoient à bord de la Diſcovery , il n'eſt
mort que le Capitaine de ce vaiffeau M.
Clarke ; & à bord de la Réfolution , où il y
avoit 120 hommes , on n'en a perdu que
dont un a été tué à côté du Capitaiue Cook.
ÉTATS - UNIS DE L'AMÉRIQUE sept.
De Philadelphie le 10 Juillet. On dit que
l'ennemi a été extrêmement furpris de trouver
fi peu de troupes continentales dans
b 2
( 28 )
$
Charles-Town. Le Général Leflie , chargé
de recevoir ces troupes après la reddition ,
dit au Général Lincoln : Je fuppofe , M.,
que ceci eft votre première divifion. Ce corps
répondit le Général , eft ma première & ma
dernière divifion ; vous voyez toutes les trou
pes que j'avois. L'ennemi n'a pas vu fans
chagrin qu'il avoit employé tant de tems &
perdu tant de monde contre une fi petite
garnifon. Il reconnoît lui-même qu'il a perdu
1700 hommes à ce fiége.
-
» L'Aſſemblée , écrit un Particulier de Richmond ,
dans la Virginie , avoit rejetté le Plan de finances du
Congrès le 18 Mars ; mais la queftion ayant été
reprife , il a été adopté , & on s'occupe actuellement
à paffer le bill. Nos dernières nouvelles du Sud
portent que Lord Cornwallis , à la tête de 3000
hommes , eft campé à Camden , dans la Caroline
méridionale , ayant des poftes avancés au - deffus &
au-deffous de lui , dont l'un eft compofé de 600
hommes & l'autre de 400. Il y fait des magafins
& raffemble ceux qui ont donné leur parole de venir
prêter ferment de fidélité au Roi d'Angleterre . Lorfque
le Baron de Kalb & le Général Cafwell auront
été joints par 2500 hommes de notre milice , qui
font actuellement en marche , ils auront 7 à 8000
hommes cc.
On a reçu de Poughkeepfie le bulletin fuivant
en date du 3 de ce mois.
» On débitoit hier , comme un fait certain , que
les troupes de Maffachuffet , au nombre de 6000
hommes , étoient en marche pour le rendre au quar.
tier général. Suivant les dernières nouvelles que
nous avons reçues de l'ennemi à New-Yorck , les
vaiffeaux qu'il avoit dans la rivière font defcendus
de nouveau , & ſes troupes forment une ligne de(
29 )
puis la rivière de Hudfon , près de Phillips jufqu'à
la rivière de Weſtcheſter, Il y a quelques batteries
dans le détroit , & on a lieu d'attendre quelqués. ·
nouveaux pillages le long des côtes. Dans tous
les Etats dont nous avons reçu des avis , on prend
les mefures les plus courageufes & les plus efficaces /
pour completter nos armées & régler le prix courant
du papier monnoie. Plusieurs prifes confi.
dérables font arrivées à Beverly & Newbury Port 3
à bord d'une de ces prifes s'eft trouvé le Major Sheriff
( précédemment Aide-de- Camp du Général Gage )
& fon époufe ; ils alloient de Georgie en Angle
terre c
De Bofton le 21 Juillet. Nos Confeils
généraux ont pris les meilleurs arrangemens
pour recruter & approvifionner l'armée .
Les Membres font allés chez eux pour accé
lérer l'exécution de ces mefures. Ils ont réfolu
d'envoyer sooo hommes pour completter
les bataillons pendant 6 mois , & pour
fe procurer un corps de milice qui foit prêt
à agir pendant trois. Les Négocians & les
citoyens de la capitale qui ont ouvert une
foufcription pour les befoins publics ont
déja foufcrit pour 170,000 liv . fterl.
» La frégate Françoife l'Hermione , écrit- on de
New- Port , dans Rhode-Ifland , arriva ici le 8. Juin .
La veille , à 7 heures du matin , à 5 lieues S. S. E. de
la pointe Monckok , elle avoit rencontré un vaiſſeau
de guerre , une chaloupe , une goëlette & un fenau
armés. M. le Chevalier de la Touche qui la com.
mande , s'étant affuré qu'ils étoient Anglois , porta
fur le vaiffeau qui étoit de 44 canons ; celui -ci vint
à fa rencontre , & il s'en fuivit un combat furieux
pendant une heure & demie à la portée du fufil.
La frégate ennemie ferra alors le vent & s'éloigna
b 3
( 30 )
à force de voiles. L'Hermione qui avoit beaucoup
fouffert dans fes agrêts , ne put la poursuivre ; elle
challa la goélette & la força de fe fauver fur l'e-
Longue , à 4 braffes d'eau à la vue de la frégate
Angloife , qui ne fe mit pas en devoir de la fecou
rir. Un calme plat étant furvenu , M. de la Touche-
Tréville gagna New-Port. Il a été bleffé légèrement
au bras ; M. Duquesne , fon Commandant en fecond ,
l'a été au bras & à la cuiffe . M. de la Ville-Marais
eu a l'os de la cuiffe gauche caffé par un boulet. M.
de Chardnac , Volontaire , a perdu la main droite.; il
y a eu o matelots tués & 37 bleflés . L'Hermione
n'a que 20 canons de 6 liv. en batterie & 10 fur
les gaillards . Son adverfaire en avoit 30 de 18 & de
12 en batterie , fans compter ceux de 9 qu'elle avoit
fur fes gaillards. Le Chevalier du Rouffeult de
Fayolle , Major au fervice de S. M. T. C. , Aide- de-
Camp du Marquis de la Fayette , eft mort fubitement
le 8 Juin , au moment qu'il alloit fe rendre
à bord de l'Hermione . Cet Officier âgé de 39 ans
eft extrêmement regretté «.
--
L'armée de M. de Rochambeau eft campée
fous New- Port. Plufieurs corps Américains
l'ont jointe. La flotte Angloife s'eft approchée
de Rhode Iſland . Une lettre de Fréhold dans
le Nouveau Jerſey , contient à cet égard les
détails fuivans , elle eft du 17 de ce mois.
» Il ne reste plus de doute fur les 6 gros vaiffeaux
que je vous ai mandé , il y a quelques heures ,
être arrivés aujourd'hui après - midi à la hauteur de
Long- Inland. C'eft, l'efcadre de l'Amiral Graves , je
fuppofe que plufieurs des vaiffeaux qui la compofent
montent 80 canons ; il n'y en a point au- deffous de
60. J'ai defcendu hier à Shrewsbury , mais le brouillard
étoit fi épais qu'il ne m'a pas été poffible de faire
quelques remarques intéreffantes. J'ai vu qu'Arbuthnot
avoit augmenté l'efcadre de Graves de 13 vaif(
31 )
"
feaux , dont 10 m'ont paru de 36 canons , & les 3
autres font de fortes frégates . Les vaiffeaux d'Arbuthnot
& les autres forment la ligne Occidentale
immédiatement pour couvrir l'entrée de Shandy-
Hook ".
FRANCE.
De VERSAILLES , le 3 Octobre.
$
Le Roi a accordé le brevet de Duc héréditaire
& les honneurs du Louvre au Comte
Jules de Polignac , Meftre de Camp au Régiment
du Roi , Cavalerie ; il a eu l'honneur
de faire fes remerciemens à S. M. le 20 du
mois dernier. Le 24 la Ducheffe de Polignac
a pris le tabouret , conformément au
brevet de Duc héréditaire accordé par le
Roi au Comte Jules de Polignac. Le inême
jour la Comteffe de la Plefnoye a été préfentée
au Roi, à la Reine & à la Famille Royale
par la Princeffe de Chymay , Dame d'honneur
de la Reine ; & la Comteffe de Gouy
d'Arcy a été préfentée par la Comteffe de
Salles,
LL. MM. & la Famille Royale ont figné
le contrat de mariage du Marquis d'Anjorrant
, Officier des Grenadiers dans le régiment
des Gardes Françoifes , & Ecuyer-
Commandant des Ecuries de Madame la
Comteffe d'Artois , avec Mademoiſelle le
Roy de Rocquemont.
Le 26 Dom Dufaz , Religieux de la Congré
gation de St-Vanne, eut l'honneur de préfenter
au Roi des chiens de chaffe & des faucons
b 4
(13,2 )
au nom de l'Abbaye de St- Hubert ; ce préfent
que l'Abbé de St - Hubert eft dans l'ufage
de faire annuellement à S. M. , fur
reçu par le Marquis de Forget , Capitaine
du Vol du Cabinet.
De PARIS , le 3 Octobre.
ON n'a point de nouvelles poftérieures
de l'Amérique Septentrionale & des Ifles.
La dernière dépêche de l'Amiral Rodney à
l'Amirauté , telle qu'elle a été publiée en
Angleterre , n'offre rien à la curiofité depuis
le départ de M. de Guichen de Fort- Royal
de la Martinique jufqu'au 3 1 Juillet . A cette
époque l'Amiral Rodney étoit à St-Chriſtophe
, & depuis le 9 on avoit perdu de vue
la flotte Françoife & Eſpagnole faifant voile
à l'oueft . On ne doute pas qu'elle fe foit
dirigée vers la Jamaïque , & les nouvelles
qu'on attend de ces parages ne peuvent
qu'être intéreffantes.
Selon les nouvelles d'Efpagne M. le
Comte d'Estaing devoit quitter St - Ildephonſe
le 16 , & en ce cas il a dû arriver à
Cadix le 23 ou le 24 du mois dernier. On
ignore encore s'il prendra le commandement
de l'Armée combinée , où s'il ira en
Amérique avec une forte efcadre.
Nos nouvelles de Breft portent que le
Sceptre eft déja doublé en cuivre , & qu'on
travaille actuellement à doubler de même la
Ville de Paris & le Northumberland. Cette
opération fe fait avec une telle diligence ,
( 33 )
que les vaiffeaux ne font pour ainfi dire
qu'entrer & fortir des baffins. Les frégates
la Friponne & la Fine , rentrées le 12 , ont
été défarmées fur- le -champ pour être doublées
pareillement , & la Friponne étoit
déja dans les baffins le 14.
Les mêmes lettres ajoutent que les régimens
de Neuftrie & d'Anhalt paroiffent être
du nombre de ceux défignés pour être embarqués
fur la divifion à préfent en armement
à Breft , & qui , felon toutes les apparences
fera commandée par M. de la
Touche -Tréville , qui eft encore à la Cour ;
ces régimens , avec Auvergne & Rouergue ,
formoient la deuxième divifion de M. le
Comte de Rochambeau.
On dit que M. le Prince de Montbarrey
a écrit aux Commandans de tous les régimens
d'Infanterie Françoife & Etrangère ,
que l'intention du Roi étant de complet
ter les troupes que la guerre a tranſportées
en Amérique. S. M. a décidé que chaque
régiment fournira un détachement qui fera
de 2 Sergens ,, 33 Caporaux & 75 Soldats ,
pour ceux qui n'ont pas fourni de détacheinent
pour le fervice des vaiffeaux , & les
autres à proportion. Le Miniftre , ajoutet-
on , recommande de prendre des foldats
de bonne volonté , en leur expliquant que
c'eft pour être incorporés dans les régimens
d'infanterie de terre , employés actuellement
en Amérique ; & il obferve qu'il feroit intéreffant
que ces détachemens ne fuflent
bs
( 34 )
compofés que d'hommes de 18 à 30 ans ,
ou de foldats ayant été déja fur mer &
dans les Colonies , s'ils étoient plus âgés
& s'il ne fe préfentoit pas affez d'hommes
de bonne volonté ; il faut toujours que les
vues de S. M. foient remplies .
2
» La frégate l'Aurore , écrit - on de Marſeille ,
commandée par M. le Chevalier de Cypierre
eft arrivé ici avec 32 bâtimens marchands venant
de Cadix . Depuis le premier Septembre jusqu'à
ce jour 20 , il eft entré ici un grand nombre de
bâtimens de commerce , & quelques navires du
Roi qui les efcortoient. Le convor le plus précieux
eft celui qui vient de la Morée & de l'Archipel
; it a mouillé d'abord aux Ifles d'Hyères
fous l'efcorte de trois frégates , & eft composé
de 28 voiles qu'on eftime 14 à 15 millions. II
eft entré hier dans ce Port , avec la frégate la
Sérieufe que commande M. de Milliefly, Capitaine
de vaiffeau. M. de Pierre-Vert , commandant la
corvette du Roi le Tigre , a amené un corfaire
de Mahon de 4 canons & 38 hommes d'équipage
c
Le convoi parti de l'Ile - d'Aix le 3 Septembre
, confifte en so bâtimens ; l'efcorte
en eft compofée du vaiffeau du Roi le Magnanime
, de 74 canons , & des frégates la
Fée & la Galathée , de 32.
C'est le 21 du mois d'Août que le convoi
pour les lfles du-Vent , parti de l'Iled'Aix
le 8 Juin , & forcé de relâcher à la
Corogne , en eft reparti pour fa deſtination
fous l'efcorte de l'Invincible , de 108 canons ,
du Guerrier , du Bien- Aimé , de 74 , de l'Alexandre
, de 64 , & de 3 vaiffeaux de ligne
( 35 )
Efpagnols , & des frégates la Cérès , la Railleufe
& de la corvette le Sénégal. Ces der
niers bâtimens doivent aller jufqu'en Amérique
; mais les vaiffeaux reviendront à
Cadix.
On fe rappelle le combat de la frégate
la Montréal , qui défendit & fauva devant
Alger un convoi attaqué par 2 frégátes Angloifes
& 3 corfaires. La conduite du Comte
de la Porte-Iffertieux , qui en prit le commandement
après la mort de M. de Vialis-
Fontebelle , a mérité à ce brave Officier les
2 lettres fuivantes du Miniftre.
" J'ai mis fous les yeux du Roi , M. , le compte
que vous m'avez rendu du combat foutenu le 30
Juillet dernier , par la frégate la Montréal , contre
2 frégates & 3 corfaires Anglois à la vue d'Alger
: le regret que S. M. a de la perte de M.
Vialis de Fontebelle , que vous avez remplacé dans
le commandement , ne pouvoit être tempéré que
par la fatisfaction qu'Elle a reffentie de la conduite
très-courageufe & très- intelligente que vous avez
tenue , pour la défenfe de cette frégate , & du
convoi qui lui étoit confié. Elle a été également
fatisfaite des témoignages que vous avez rendus ,
de la bravoure & du zèle de l'Etat- Major , de
l'Officier commandant le détachement d'Infanterie
& de l'équipage. Je prendrai inceffamment les
ordres de S. M. fur les différentes demandes que
vous me faites pour eux ; mais préalablement je
m'empreffe de vous annoncer qu'Elle vous a accordé
le grade de Capitaine de Vaiffeau , à prendre
rang dans les promotions qui auront lieu par la
fuite , & qu'Elle vous conferve le commandement
de la frégate que vous avez fi bien défendue ,
quoiqu'Elle en eût précédemment difpofé. Je fuis
-
b 6
( 360)
bien perfuadé que ces graces auffi diſtinguées que
l'action qui les occafionne , feront pour vous un
nouveau motif d'émulation & de zèle pour le
fervice de S. M. DE SARTINE.
S. M. eft , M. , très - fatisfaite de la conduite que
Vous avez tenue : Elle m'a chargé de vous le mander
, & de vous faire connoître qu'Elle a remarqué
qu'en défendant avec habileté & avec valeur l'honneur
de fon Pavillon , vous n'avez pas négligé un
inftant de donner aux navires que vous efcortiez ,
toute la protection dont ils avoient befoin pour
ne pas être attaqués. Ce font ces différens motifs.
qui m'ont déterminé à propofer à S. M. de vous
accorder les récompenfes dont elle vient de vous
honorer la frégate la Montréal ne peut être en
de meilleures mains que les vôtres ; je fuis bien
perfuadé que vous continuerez à faifir les occafions
de vous diftinguer , & que vous ferez toujours
bien fecondé par votre Etat-Major & par
votre équipage qui viennent de donner les plus
grandes preuves de zèle , de fermeté & de bravoure.
Le parti que vous avez pris de laiffer
votre convoi à Alger , pour ne pas l'expofer dans
un moment auffi critique , & de revenir à Toulon
pour y prendre de nouveaux ordres , a été approuvé
par le Roi , qui d'ailleurs a vu que vous vous
étiez concerté à cet égard avec M. de la Vallée ,
Conful de France à Alger , &c. «
Plufieurs papiers publics , en faifant mention
dans le tems de la prife de la frégate
du Roi la Nymphe , commandée par le
brave Chevalier du Rumain , ont dit que
M. le Chevalier de la Bourdonnaye , commandant
le cutter l'Actif , avoit rendu
compte au Commandant de la Marine , à
Breft , de ce fâcheux évènement ; M. de la
Bourdonnaye commandoit le cutter la Le(
37 )
vrette , de 18 canons , de 6 livres , calibre
Anglois ; mais alors il montoit l'Actif, qui
n'avoit à cette époque que 6 canons de 4.
& un équipage proportionné. On fent que
la différence de force de ces bâtimens en
auroit néceffité auffi une de conduite dans
les citances. Si la Levrette fe fût trouvée
à la place de l'Actif, ou l'avantage de
la frégate Angloiſe auroit été plus confidérable
, ou ce qui eft au moins auffi probable ,
le Chevalier du Rumain au lieu de fuccomber
en cherchant par fes manoeuvres
hardies à rendre inutiles les forces fupérieures
de l'ennemi s'en feroit emparé.
On mande du Havre que l'on conftruit
en ce Port , pour le Roi , deux gabarres de
20 canons chacune ; la première eft déja
lancée , l'autre le fera inceffamment. On
arme auffi dans le même Port les corfaires
des braves Capitaines Favre & Cottin ; le
premier commande la Jofephine , & le fecond
aura fous fes ordres la Marquife de
Seigneley & la Comteffe de Bufançois.
» Les habitans du quartier de la grande rue de cette
Ville, écrit-on de Montpellier, inftruits par le Courierdu
3 Septembre, de la prife faite le 9 Août par les efcadres
combinées de France & d'Efpagne d'un nombreux
convoi Anglois , fe décidèrent tout de fuite à faire
éclater leur joie ; & fecondés par une foule de leurs
Concitoyens, après avoir reçu l'approbation des Supé
rieurs , ils fe donnèrent des foins fi multipliés , fi
ardens & fi prompts , qu'ils réuffirent le même jour
à faire élever un grand arc de triomphe à trois por
tiques , fur lequel étoit placé un vaiſſeau avec tous
( 38 )
fes agrêts ; on voyoit flotter le pavillon de France
à la poupe , celui d'Efpagne à la proue , & l'oriflamme
des deux Nations fur la vergue de perroquet
du grand mât : un grand médaillon tranfparent placé
fous le portique du milieu , contenoit les armes des
deux Monarques unis pour la liberté des mers &
pour la caufe commune de l'Europe , & la légende
du médaillon portoit ces mots , Vivent les Rois de
France & d'Espagne : plufieurs drapeaux & trophées
d'armes & de lauriers étoient diftribués dans les entours
de l'édifice & aux croifées des maifons voifines.
L'illumination en flambeaux , globes , pots à
feu & lampions , étoit auffi brillante que bien ordonnée.
Une foule nombreuſe de Citoyens de tout
état répétoit les mots de la légende avec des cris
d'allégreffe , pendant que le Peuple danſoit au fon
des tambours & des hautbois ; enfin une troupe
lefte & choifie de jeunes gens , précédée de flambeaux
& d'inftrumens , alla répandre la joie publique
, en répétant fes danfes chez les Grands , dans
les places publiques & dans les autres quartiers de
la Ville. Cette fête a été continuée le lendemain 4
Septembre «.
Il n'eft point vrai que M. Fabre , coinmandant
la frégate les Etats d'Artois , ait
été demander du fervice à M. le Cornte
d'Eftaing ; il a pu en quittant Lisbonne
s'arrêter à Madrid ; mais on ne dit point
qu'il fe foit préſenté à St - Ildephonfe. Au
refte cet Officier n'a pas paru à Bordeaux ;
il est dans une maison de campagne aux
environs, de cette Ville au milieu de fa
famille.
On a appris il y a quelques jours la mort
du Prince de Carignan , frère aîné de Madame
la Princeffe de Lamballe. Il laiffe un
( 39 )
fils âgé de 10 ans de fon mariage avec
Mademoiſelle de Lorraine , fille de Madame
la Comteffe de Brionne. Le Prince Eugène
fon frère , dont le mariage vient d'être caffé
par le Parlement de Paris , étoit auffi fort
malade au départ du courier. La Reine ,
Madame , & Madame la Comteffe d'Artois
font venues le 28 à Paris faire leur
compliment de condoléance à Madame la
Princeffe de Lamballe.
>
» Un jeune homme de 18 ans , écrit - on d'Amiens
, élevé à Paris dans l'hopital des Enfans-
Trouvés , où il avoit été baptifé fous le nom de
Pierre , fut envoyé avec d'autres au fortir dé
l'enfance à St-Quentin , pour y être nourris moyennant
une légére rétribution. On vint , il y a environ
cinq ans , retirer les enfans des mains de ceux
qui s'en étoient chargés. Pierre redoutant le fé
jour d'un hopital trouva le moyen de s'échapper
& de revenir à St -Quentin. Un Traiteur
de cette Ville , touché de fa jeuneffe & de fa misère
le recueillit dans fa maifon , & lui apprit
fon métier fans autre vue que de faire une bonne
action . Il vient d'en recevoir la récompenfe. Un
créancier exigea , il y a quinze jours , le paiement
d'une fomme modique que lui devoit le bienfaiteur
de Pierre. Ce particulier dénué de fonds
réfolut pour faire honneur à fa dette , & fe mettre
à l'abri des pourfuites dont il étoit menacé , de
vendre une partie de fon argenterie . Il appelle
l'enfant trouvé , lui confie fa fituation & fon deffein
, & le charge de vendre les effets . Cette nouvelle
décide Pierre ; il dit au Traiteur de ne point
fe preffer de vendre fon argenterie , & qu'il va
travailler à le tirer d'embarras par d'autres moyens.
Sans s'expliquer dayantage , le jeune homme va
3-
( 40 )
trouver M. de Franfare , Colonel au Corps Royal
d'Artillerie , s'engage dans le Régiment d'Auxonne ,
reçoit le prix de fa liberté , & l'apporte à fon
bienfaiteur. Tenez , lui dit-il , il y a long- tems
que j'ai envie de fervir le Roi , & de vous prouver
que je ne fuis point ingrar ; je viens de me
fatisfaire ; acquittez votre dette. Le Traiteur &
fa femme fondant en larmes , embraffent le jeune
homme , & veulent le forcer à reprendre fon argent
, mais rien ne peut ébranler fa réfolution ;
& il vient de partir emportant l'eftime de cette
Ville «.
Nous avons annoncé plufieurs remèdes
contre la rage ; notre but en les publiant
étoit d'en faciliter les effais , dans l'efpérance
que s'ils ne font pas toujours efficaces
fur tous les fujets , ils peuvent l'être
fur quelques-uns . On ne fauroit trop multiplier
les fecours contre une maladie cruelle
qui réfifte quelquefois aux remèdes les plus
accrédités. Ce motif nous engage à publier
encore celui-ci que M. Chedet , Curé de
Champvert , nous a fait paffer.
ɔɔ J'ai vu , nous écrit-il , employer cette recette
dans la Breffe par un ancien Curé qui affuroit
qu'après l'application de fon remède il n'avoit ja
mais vu arriver d'accident ; qu'il l'avoit même va
appliquer avec fuccès à une perfonne déja attaquée
des accès de la rage. Je l'ai vu moi-même admiwiftrer
à plufieurs perfonnes , & notamment en
Janvier 1767 , à cinq , tant hommes que femmes
& enfans, qui avoient été bleffés confidérablement
par un chien évidemment enragé , fans qu'aucun
deux ait rien reffenti depuis. Il s'agit de faire
diffoudre pour un adulte , environ un gros de fel
policrefte de feignette , d'y ajouter quelques gouttes
du fang de la perfonne mordue ; ( on en peut
-
( 41)
-
tirer feulement de 10 à 20 gouttes par une légère
incifion au bout du doigt ou ailleurs ) & on fait
avaler ce mêlange au malade. On peut ajouter
au remède , un peu de criftal minéral ; mais cela
paroît inutile , puifque le Curé de qui je l'ai appris
, ne l'employoit pas , & que je l'ai vu réuffir
fans cela. Le remède une fois pris , eft fuffifant.
Cependant il feroit peut- être plus efficace , réitéré.
On n'a pas befoin de régime. On peut le prendre ?
en tout tems. Il paroît cependant plus convenable
de le prendre leftomach un peu vuide "...
Un Militaire , qui a 40 ans de fervice & qui n'a
de fortune que fon état , Pere de trois garçons
dont l'aîné à 25 ans & le dernier 12 ; & de dix Filles ,
l'aînée âgée de 26 ans & la cadette de dix : toutes
très - bien élevées , très- adroites & faifant les dentelles
de Valenciennes & autres , ainfi que tous les
petits ouvrages de Parures & de Modes , défireroit
en placer quelques- unes chez des Dames de diftinction
, en qualité de Demoiselles de Compagnie ;
plufieurs d'entr'elles ( les aînées ) pincent affez bien
la Guittarre & s'accompagnent de la voix , qu'elles
ont agréable ainfi que la figure ; elles favent un peu
de Mufique. S'adreffer à M. Ameflant , Négociant
rue du Four Saint- Honoré , à Paris.
Demoiſelle Anne- Elifabeth de Potot de
Combreux , foeur du feu bailli de Combreux ,
Ambaffadeur de la Religion auprès du Roi
de Naples , eft morte ici le 13 Septembre
dans la 79° année de fon âge,
Jean -Jofeph de Vincens de Mauleon:
d'Aftoaud , Marquis de Cauſens , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Lieutenant
de Roi de Provence , Commandant de la
Principauté d'Orange , eft mort ici le 17
Septembre dans la 56 ° année de fon âge.
( 42 )
Marie de Vichy de Chanctu , veuve de
J. B. Jacques de la Lande , Marquis du
Deffaux , Brigadier des Armées du Roi
Lieutenant Général de l'Orléannois , eft
morte en cette ville le 23 du même mois
âgée de 84 ans.
,
,
Philibert Bateau , journalier du village de
Rel , Paroiffe de Marfac , Diocèle de Limoges ,
y eft mort le 2 Septembre âgé de 107 ans
fans avoir eu aucune maladie pendant fa
longue vie..
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royal de France , du premier de ce
mois , font : 43 , 48 , 11 , 36 & 7.
De BRUXELLES , le 3 Octobre.
Le Roi de Suède arriva ici le 18 du mois
dernier , fous le nom de Comte de Haga.
Il defcendit à l'Hôtel d'Angleterre , ou peu
de tems après fon arrivée , il fut complimenté
par le Lieutenant - Général Comte
Ferrari au nom du Prince de Staremberg
qui fe trouvoit indifpofé, S. M. a refufé
tous les honneurs & tous les dîners ; elle
abien voulu accepter les foupers ; en conféquence
après avoir affifté tous les foirs à la
Comédie, elle a foupé fucceffivement chez le
Prince de Staremberg , le Nonce du Pape & le
Miniftre des Etats- Généraux des Provinces-
Unies. S. M. eft repartie le 22 pour fe
rendre à la Haye ; elle fe propoſoit de
s'arrêter à Anvers , & dans quelques autres
endroits pour y voir ce qu'il y a de remarquable.
Le Comte de Kreutz l'a quittée à
( 43 )
•
Anvers , où fa fuite n'a plus été composée
que du Comte de Lowenhaupt , des Barons
de Mofner , Taube , Strumfeld , Wréede ,
Viegt , & de M. Franks , Secrétaire du
Cabinet.
» Le fameux Commodore Johnſtone , écrit-on
d'Amfterdam , qui depuis quelques mois a croifé
avec une efcadre fur les côtes de Portugal , où il a
enlevé beaucoup de navires Hollandois a été , à
ce que l'on affure , rappellé par fa Cour , & eſt parti
de Lisbonne à la fin d'Août. Comme les Patrons
n'ont ceffé de faire des repréſentations aux Amirautés
touchant la conduite de ce Chef envers leurs navires
, conduite fi contraire au droit des gens & aux
traités qui fubfiftent entre les deux Puiffances , on
efpère qu'il fera condamné à reftituer les navires
dont il s'eft emparé , ainfi que leurs cargaïfons qu'il
a fait vendre , & qu'on évalue à 300 mille livres
fterl. «
Les lettres de Londres annoncent que les
corfaires Anglois ont déja conduit dans
les ports de la Grande - Bretagne quelques
navires Ruffes ; la Cour a fait relâcher
l'Alexandre. On eft fort curieux d'apprendre
files autres feront traités auffi favorablement
; s'ils le font cette partialité paroîtra
fort extraordinaire aux Hollandois dont les
navires continuent d'éprouver , de la part
des vaiffeaux , même du Roi , les traitemens
les plus indignes.
» Le Capitaine Jean Edzes , lit-on dans une lettre
d'Amſterdam , arrivé le 18 Juillet à St- Euſtache ,
a écrit qu'étant forti du Texel , il rencontra le 28
Mai près du Cap Finiftere un vaiffeau de guerre
Anglois , dont le Capitaine voulut le contraindre
d'avouer qu'il étoit deftiné pour l'Eſpagne ou l'A(
44 )
J
mérique Septentrionale , en le menaçant de le faire
mettre aux fers. Sur fon refus il fut retenu pendant
3 heures à bord du vaiffeau Anglois , & ne fut
renvoyé fur le fien qu'après avoir été cruellement
battu on lui avoit pris auffi la plupart de les inftrumens
de navigation . Deux jours avant ſon arrivée à
St- Euftache , il rencontra un corfaire qui lui enleva
prefque tous fes cordages , de manière qu'il ne pur
finir fon voyage qu'avec beaucoup de danger «.
PRÉCIS des nouvelles de Londres , du 26 Septembre.
Il eft furprenant que Rodney dans fa lettre du
31 Juillet , n'ait point parlé du détachement de
plufieurs de fes vaiffeaux de ligne pour la Jamaïque.
Une lettre de St- Chriftophe du 25 Juillet ,
dit que ce détachement étoit parti la veille , &e
que l'Amiral Rowley prendra le commandement du
Chevalier Sir Péter- Parker . Suivant d'autres , le
détachement n'eft parti que le 29 , & il n'eft pas
de io vaiffeaux , puifque Rodney refte avec 21 à
St-Christophe.
-
>
Le Général Dalrymple eft arrivé le 25 de New,
Yorck. Le Miniftre étant à la campagne , les dépêches
ont été portées au Roi à Windfor. Il est
venu en très-petées
peu de tems ( étant parti le premier
Septembre ) fur la frégate la Virginie , dont le
Capitaine Ord a apporté des nouvelles de l'Amiral
Arbuthnot. Il n'avoit rien tranfpiré le 26 des dépêches
de l'un & de l'autre. Le Général Eve
ningpoft d'aujourd'hui ( Gazette vouée aux Minil
tres , dit feulement que Graves eft arrivé heu
reufement à New-York , & que les François font
fi bien fortifiés à Rhode- Inland , qu'on ne croyoit
pas qu'il für fage de les attaquer. -Malgré le
profond filence qui s'obferve fur ces dépêches ,
dit une autre Gazette , il fe débite d'après des
lettres particulieres délivrées aujourd'hui , que leur
contenu eft de la nature la plus trifte & la plus
alarmante , au point de prouver de la manière la
( 45)
Brig
plus complette , que nos affaires en Amérique font
réduites à une extrémité qui n'admet plus l'efpoir ,
pas même la poffibilité dans cette partie du monde.
Dans nombre d'autres nouvelles fâcheufes fe
trouve la confirmation de la perte entière de la
flotte partie au commencement du printems de
Cork pour Québec. On avoit fait courir le bruit
que les ennemis n'en avoient pris que 12 vaiffeaux.
Les derniers avis portent avec certitude que la
Aotte entière , fans en excepter un feul navire ,
eft en leur poffeffion. De toutes les nouvelles , celleci
eft la pire , la faiſon étant fi avancée qu'il eft
impoffible d'aller au fecours de cette garnifon , qui
avoit été obligée de diminuer les rations 15 jours après
que la fotte eut quitté nos côtes. Il le débite
encore qu'à l'arrivée de M. de Ternay , le Géné
ral Washington ayant reçu un renfort , s'étoit
campé avec 20,000 hommes près de New-Yorck;
que le Lord Cornwallis étoit dans les parties in
térieures de la Caroline Méridionale , & que la
Milice de cette Province qui avoit fait de fi belles
proteftations de loyauté , s'étoit emparé de fes Offi.
ciers & les avoit conduits dans la Caroline Septentrionale
qui continuoit d'être attachée au Congrès
, & c. Même état des fonds,
Du 28 Septembre. - Les Lords North & Germaine
font revenus de leurs campagnes à Londres ; M. Dalrymple
avoit été à celle du dernier lui rendre compte
de l'état particulier des chofes. Le filence continue
toujours fur ces dépêches & fait le plus mauvais effet.
Les Miniftres font répandre que comme ils étoient à
la campagne le 25 , on n'a pu faire fur le champ
les extraits de ces dépêches qui font très- longues ,
mais qu'ils paroîtront dans la Gazette du 30 .
Voici ce qui perce de ces dépêches dans les Ga
zettes vouées aux Miniftres . M. de Ternay
avoit perdu tant de monde dans la traverſée ,
qu'il n'avoit débarqué que 4000 hommes à Rhode-
Inland. Washington faifoit mine de former des
—
( 46 )
magafins ; & avoit raffemblé un nombre de trou
pes confidérable , mais très- mal compofé . Le Général
Clinton . avoit effectué un embarquement de
10,000 hommes , & accompagné de l'efcadre d'Arbuthnot
, il avoit été jufqu'à la pointe de Long-
Iſland , mais il n'avoit pas jugé à propos d'artaquer
M. de Ternay. Il avoit cependant laiffé
Amiral croifant à la hauteur de Marthe's Vine-
Yard , & étoit revenu à New -Yorck. Il y avoit
quelque diffentions parmi les Officiers de l'armée
Angloife , mais on avoit tout lieu d'être content
du courage & de la fanté des troupes. Eufin quoique
le Général Clinton ne fe foit pas trouvé affez
fort , pour marcher contre M. de Ternay , il
avoit pris les meilleures mefures pour que l'ennemi
ne pût l'attaquer avec fuccès,
Les lettres apportées par la Virginie font du
28 Août. Elle a mis à la voile le premier Septembre.
On dit que l'armée de Washington eft
de 20,000 hommes , fans compter les troupes Françoiſes
de Rhode Island , & les corps Américains
qui les ont jointes , formant 12,000 hommes. Les
Officiers que la frégate a ramenés , font les Généraux
Mathews , Pattifon , Tryon & Dalrymple.
On affure aufli que le retour du Général Clinton
à New Yorck a été occafionné par la nouvelle
que Washington avoit paffé l'Hudfon , & faifoit
un mouvement fur la Ville avec 16,000 hommes.
L'embarquement s'étoit fait malgré les réclamations
de plufieurs Officiers qui ne trouvoient point qu'il
reftât affez de provifions dans New -Yorck ou on
en étoit déja à demie ration.
Il fe confirme que le Général Cornwalis perd
fucceffivement tous les pofles dont il croyoit être
affuré dans la Caroline Méridionale ; que les Milices
qui lui avoient prêté ferment vont groffir
l'armée de Gates , & qu'il alloit être obligé de ſe
renfermer dans Charles- Town .
Le bruit couroit à New-Yorck au départ de la
( 47 )
Virginie qu'on avoit rencontré le 28 Juillet M
de Guichen fous le Vent de St - Domingue , en route
pour la Jamaïque avec 32 vaiffeaux de ligne ,
16,000 hommes de troupes , & qu'on avoit compté
62 voiles .
M. de Ternay avoit élevé d'impofantes fortifications
à Rhode-Ifland , où il venoit de publier
une déclaration au nom du Roi de France , pour
aflurer le peuple d'Amérique , que le Roi , fon
maître , étoit réfolu à le foutenir de tout fon
pouvoir qu'il feroit la conquête du Canada pourcéder
cette Province aux Etats- Unis , & enfin que
d'un jour à l'autre , il attendoit de France de
puillans renforts pour l'exécution complette de ce
plan.
>-
Il n'y a plus de doute fur le détachement fait
par Rodney de 10 vaiffeaux de ligne pour la Ja.
maïque même avant le 31 Juillet , date de fa
dernière dépêche. On en a publié la lifte fuivante
à St-Chriftophe. Princeffe Royale 98 canons
Albion , Magnificent , Conqueror , Grafton , Eli
fabeth , Berwick , Thunderer , Trident , Sterling-
Caftle , de 74 canons.
La frégate a rencontré un vaiffeau de cartel des:
Mes , qui l'a affuré que M. de Guichen embar
quoit des troupes à St - Domingue pour la Jamai
que. On dit aufli qu'elle a rencontré un vaiffeau
François de 74 canons , avec S bâtimens de tranf
port allant à Rhode - Iſland,
Le nombre exact des vaiffeaux de la flotte de
Québec dont les Américains fe font emparé le
12 & le 15 Juillet eft de 19. Cette perte eft
d'autant plus fenfible , que le befoin des munitions
& des fubfiftances dont la flotte étoit abondamment
chargée , étoit auffi grand pour l'armée Angloiſe
du Canada qui en eft privée , que pour la ville
de Boſton où ces vaifleaux ont été conduits . Ils
étoient affurés à Londres pour 300,000 liv . fterl..
Depuis l'arrivée de la frégate le Ministère eft
( 48 )
dans la confternation. Tous les plans font fufpen
dus ; on parle d'envoyer au plutôt en Amérique
ou aux Ifles une forte divifion de la grande efcadre
, qui ne fait que parader inutilement fur
nos côtes . Mais on craint qu'avant l'arrivée de
ce renfort le grand coup nous ait été porté. Deux
des Membres du cabinet veulent que le plan des
opérations futures foit changé. Tout n'eft plus
dans nos Confeils que défordre & incertitude.
On lit dans les Gazettes du 26 de nouvelles
inftructions à tous les vaiffeaux de guerre & cor
faires , datées à St - James le 15 , qui conformé
ment à un article interprétatif nouvellement convenu
avec le Roi de Danemarck du traité d'alliance
& de commerce , fait à Copenhague le 11
Juillet 1670 , défignant les objets qui doivent être
regardés comme de contrebande fur les vaiffeaux
Danois , & n'en exceptent que le fer non travaillé
& les planches de fapin , ainsi que les fubfiftances
fraîches ou falées pour des places non bloquées
ou alliégées .
Suivant les dernières nouvelles de Torbay , le
vent y retenoit encore la grande efcadre. Il paffe
pour certain qu'il en fera fait un détachement pour
aller porter du fecours à Gibraltar , & le reftě
croifera pour affurer le retour des flottes.
ERRATA. Il s'eft gliffé dans le No. 39 , page 176
quelques fautes que nous nous empreffons de rectifiers
Le difpofitif de la Sentencedu 27 Août 1779 , n'eft point
exact. Après ces mots : donnons lettres à la partie de Guil-
Laume de fa prife de fait & caufe de la partie de Thorel , il
faut fupprimer le refte , & lire : faifont droit fur la de→
mande des parties de Martineau. ( MM. les Comte de
Carcado & Marquis de Molac ) , difons , du confentement
de la partie de Guillaume ,que dans les Hiftoire & Généaloge
de la Demoiſelle d'Eon , partie de Guillaume ,
fera fait aucune mention du Nom & de la Maifon de le
Sénéchal. Sur le furplus des demandes , mettons les parties
hors de Cour , &c.... Nous devons ajouter que dans un
exemplaire imprimé de ce Jugement le mot du confen
tement &c. n'eft pas omis ; la Sentence du 22 Août
dernier , rendue fur la nouvelle inftance occafionnée
par l'impreffion du premier Jugement , le laiſſe dans
fon entier.
•
il ne
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE,
De CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
ON apprend du Caire qu'il eſt encore
arrivé dans la mer Rouge deux bâtimens
Anglois , deftinés pour Suez ; forcés par les
vents contraires de relâcher dans un des
ports de la Haute- Egypte , ils y ont débarqués
perfonnes , chargées de papiers & de
lettres pour le Caire. Celles- ci avant de
pouvoir continuer leur voyage par terre
ont été obligées de payer 3000 patagons à
Han-Bey , l'un des petits tyrans qui fe font
emparés de la domination de ce pays . Arrivées
au Caire , Ifmael , Bacha de l'Egypte
en a renvoyé 4 à leurs vaiffeaux , & a fait
partir l'autre avec fes dépêches & fes papiers
pour Conftantinople fous la garde d'un
Officier Turc. A l'arrivée des quatre premières
au port , l'un des vaiffeaux a repris
la route de l'Inde , & l'autre celle de Gedda.
Nous faurons lorfque le Meffager fera dans
cette ville fi les bâtimens en queftion font.
marchands ou fimplement des Avifo. Quels
14 Octobre 1780.
( 50 )
qu'ils foient il n'eft pas douteux que leur
expédition ne foit défagréable à la Porte qui
avoit défendu rigoureufement aux Franes
l'année dernière , tout commerce dans les
ports de la mer Rouge , à l'exception de celui
de Gedda ; elle avoit même refufé au
Chevalier Ainflie , Ambaffadeur de la Grande-
Bretagne , la permiffion de faire entrer
à Suez les paquebots porteurs des dépêches
de l'Inde. Les efforts des Anglois pour faire
reprendre au commerce de l'Afie fon ancien
cours par l'Arabie & l'Egypte , ont très - mal
réuffi . M. Baldwin qui a été à la tête de ces
entrepriſes , vient de difparoître , laiffant
pour plus d'un million de piaftres de dettes .
Nous nous flattions que la pefte avoit
entièrement ceffé fes ravages ; elle vient de
fe manifefter de nouveau avec plus de violence
, tant dans cette ville , que dans les
environs. Il en eft mort dernièrement cinq
perfonnes à Bujukdere , ce qui a obligé les
Miniftres étrangers qui y font leur réfidence
, à fermer leurs Hôtels.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 8 Septembre.
Les de ce mois les Miniftres plénipotentiaires
de la République des Provinces-
Unies , eurent leur première audience de
l'Impératrice , à laquelle ils remirent leurs
lettres de créance. Le lendemain ils en eurent
une du Grand-Duc. Ils n'ont pas en(
51 )
core pu entrer en conférence avec le Comte
de Pannin ; l'arrivée du Prince de Pruffe ,
les fêtes qu'elle occafionne , occupent toute
la Cour. Ce Prince a fait ici fon entrée publique
le 6 , à 7 heures du foir. Une foule
inombrable de peuple s'étoit rendue fur fon
paffage ; il defcendit au Palais de Woronzow
, où il fut reçu par les Comtes de Pannin
& d'Ofterman , & le Prince Baratinsky ,
Maréchal de la Cour , à la tête d'une fuite
nombreuſe de Chambellans & de Cavaliers.
Hier , vers midi , il fe rendit à la Cour accompagné
d'une fuite nombreuſe , & fut
préfenté à l'Impératrice dans l'appartement
appellé des Brillans , où le Grand - Duc &
la Grande-Ducheffe s'étoient rendus. Après
le dîner , il retourna au Palais de Woronzow
pour y recevoir la vifite de LL. AA. II.
L'incendie des magafins de chanvre , qui
a eu lieu le 26 du mois dernier , a été ,
dit-on , occafionné par l'imprudence d'un
matelot , qui étoit entré avec de la lumière
dans un de ces magafins où il s'étoit affoupi.
Depuis 8 jours il règne ici des pluies qui
ont ramené le froid ; on efpère cependant
jouir encore de quelques beaux jours d'automne
pendant le cours de ce mois ; s'ils
nous manquent , l'été n'aura guère duré
cette année plus de fix femaines.
C 2
( 52 )
SUÈDE.
De STOCKHOLM , ie 10 Septembre.
EN conféquence des ordres que le Roi
a envoyé de Spa à Carlfcron , on travaille
dans ce port à l'armement des vaiffeaux de
guerre la Louife-Ulrique , le Rikfens- Stader,
le Prince Charles , la Finlande , le Prince
Charles-Frédéric & le Wafa . Ils feront commandés
par MM. de Berg , de Leyenften ,
d'Ameen , de Seger - Brandt , de Malms-
Kiold & de Stare , tous Lieutenans Colonels
, & Chevaliers de l'Ordre Royal &
Militaire de l'Epée. Le commandement
en chef en fera confié au Contre-Amiral
Grubb. Ces vaiffeaux qui font du premier
rang , ajoutés aux quatre qui font déja en
mer , formeront une efcadre de 10 vailleaux
de ligne & 6 frégates .
Pour faciliter l'écoulement des eaux du
lac Meler , qui fouvent inondoient les
campagnes , on avoit creusé ce printems
dernier un canal depuis ce lac jufqu'à celui
de Mahrn. S. M. fur les repréſentations
du Comte de Gyllembourg , Gouverneur
de la Province , ordonna le 3 Juillet dernier
qu'on rendît ce canal propre à la navigation
de petits bâtimens. En conféquence
on l'a creufé plus profondément , & on l'a
étendu depuis See-Marhn jufqu'à Salz See ,
où l'on placera une éclufe pour contenir
les terres ; chaque côté du canal fera revêtu
( 53 )
剿
d'une maçonnerie. L'Entrepreneur a eu ordre
en même- tems de faire attention à ce
que le lac Meler ne perde pas une trop
grande quantité de fes eaux , & que le
nouveau canal ne nuife pas à fa navigation.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 12 Septembre.
LA grande affaire de M. de Tyfzenhaufen
a pris tout-à coup une tournure à la
quelle on ne s'attendoit pas , & qui nous
fait efpérer de la voir bientôt terminée. On
apprend qu'il s'eft foumis , qu'il a promis
au Comte de Rzewuski , Maréchal de la
Couronne , & Commiffaire du Roi pour
la recherche de l'adminiſtration des Economies
Royales dans le grand Duché , de retirer
& d'annuller fon manifefte , ainfi que
les autres écrits qu'il a publiés . On ne peut
attribuer ce changement qu'au Comte de
Rzewuski , qui a fû par fes manières honnêtes
& conciliantes attirer à lui M. de
Tyfzenhaufen , & prefque tous les Grands
de la Lithuanie qui tiennent fon parti . On
compte que M. de Rzewuski fera ici le 20
de ce mois.
Le Prince Jérôme de Radziwill , Grand-
Chambellan de Lithuanie , a paffé quelques
jours dans cette Capitale , où l'on attend
auffi le Prince Waiwode de Wilna , fon
frere , qui doit affifter à la diète. On voit
arriver fucceffivement beaucoup de Ma-
C3
( 54 )
gnats , parmi lefquels on en remarque plufieurs
qui depuis quelques années s'étoient
exilés volontairement de leur patrie. Le
Waiwode de Wilna fait actuellement fa
réfidence à Nieswick , où l'on trouve encore
dans le bel arfenal qui y eſt bâti ,
120 canons de fonte , & un grand nombre
d'autres armes.
Comme il eft queftion de nommer dans
la diète prochaine un Envoyé de la République
à la Cour de Vienne , plufieurs perfonnes
qui deficent ce pofte font déja des
démarches pour l'obtenir.
La grande fabrique de tapis de Turquie ,
établie à un mille d'ici , eft actuellement
dans un état floriffant , & infenfiblement
nous oublions nos malheurs paffés .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Septembre.
LE départ de l'Empereur pour la Bohême
eft retardé jufqu'au 25 de ce mois ; le
même jour l'Impératrice -Reine ſe rendra à
Schloshof , où elle reftera jufqu'au 29 ou
au 30 , qu'elle reviendra dans cette Capitale
pour y paffer l'hiver.
Hier , avant midi , l'Archiduc Maximilien
eft parti pour Mergentheim , en Franconie
; fa fuite eft compofée de 25 perfon
nes. Comme le Chapitre de l'Ordre Teutonique
, auquel il doit affifter en qualité
de Grand- Maître , ne fe tiendra que le 22
( 55 )
du mois prochain , il profitera de l'intervalle
pour aller à Mayence , à Coblentz
& à Bonn , d'où il retournera à Mergéntheim
, où il arrivera le 17 Octobre.
De HAMBOURG , le 26 Septembre.
DES lettres de Riga portent que l'on eft
occupé dans tous les Ports de l'Empire
Rufle à équiper des vaiffeaux de guerre ,
deftinés à s'unir à ceux qui font déja en
mer. On efpère qu'au Printems prochain
il y en aura 12 nouveaux , prêts à mettre
à la voile. Selon plufieurs états des forces
de l'Empire Ruffe , il paroît que la Marine
confifte en 180 voiles , tant vaiffeaux de
guerre que frégates , galiotes , & c . , & que
les troupes de terre montent à 331,991
hommes .
On mande de Munich que l'Electeur
Palatin fe propofe de porter à 40,000 hommes
le nombre de fes troupes , & qu'en
conféquence on lève des recrues non - feulement
dans le Palatinat & la Bavière , mais,
encore dans les Etats voifins .
S. A. E. , ajoutent les mêmes lettres ,
a rendu une Ordonnance , portant qu'à l'avenir
aucun Moine ni Couvent ne pourra
hériter ab inteftat ; que lorsqu'un individu
entrera dans un Cloître il ne pourra y
porter plus de 200 écus ; qu'aucun Ordre
Religieux ne pourra être inftitué héritier
dans aucun cas ; que perfonne ne pourra
leur léguer plus de 200 écus ; & qu'enfin
C 4
( 56 )
on n'admettra au noviciat aucune perfonne
avant l'âge de 20 ans.
Les dernières particularités qu'on a appri
fes relativement à l'incendie de Staubing
c'eft que 140 maifons , non compris les
granges & un grand nombre d'écuries ont
été la proie des flammes ; que 15 perfonnes
ont péri dans le feu , dont les progrès n'ont
été fi rapides que parce que la plupart des
pompes de la Ville , qu'on a employées en
attendant celles de Munich & de Ratisbonne
, étoient pour la plupart hors de fervice
.
Le 18 de ce mois il y a eu un autre incendie
qui a réduit en cendres la Ville de
Gera , fituée fur les bords de l'Elfter , dans
le Cercle de Voigtland , & appartenant à
la Maifon Electorale de Saxe c'eft ainfi
qu'on rend compte de ce funefte évènement
.
» Le 18 , vers les deux heures après - midi , le feu
fe manifefta dans une écurie près la porte de Weida ;
on affure qu'il y fut mis par l'imprudence d'une fem
me qui vouloit fumer cette écurie . Les flammes
gagnèrent bientôt les toîts ; un vent du fud -oueft
très violent porta les éclats de bois embrafés de tous
côtés , & le feu prit prefque en un moment en différens
endroits de la Ville. Comme la plus grande
partie des toits font de bois , coupé & façonné en
ardoife , que la plupart des rues font étroites , on
perdit l'efpoir d'arrêter les progrès de l'incendie , &
chacun ne fongea plus qu'à fauver la vie & celle de
fes proches cela devenoit d'autant plus difficile ,
que les maifons les plus près des portes de la Ville
étoient celles que l'embrâfement avoit d'abord ga(
57 )
gnées , & qu'on ne pouvoit traver fer fans le plus
grand danger les rues étroites qu'elles formoient. En
peu d'heures , toute la ville & fes fauxbourgs furent
la proie des flammes : la grande Tour de St Sauveur
bâtie à grands frais il y a peu d'années & qu'on
croyoit devoir réfifter à l'embrâfement a été détruite
. Deux maifons de campagne , l'Hôtel , &
quelque petites maifons fituées hors de la ville à peu
de diftance , le Château Oftenftein , appartenant
aux Comtes de Reuff , & fitué fur la montagne de
Haga , font les feuls qui foient reftés fur pied , de
744 édifices dont cette ville étoit compofée. Au-de .
dans des murs , il n'y a qu'une feule maiſon qui ait
échappé au feu. La perte en effets , marchandiſes &
grains raffemblés dans la ville , tant par les habitans
que par les étrangers , eft irréparable ; on ne
peut évaluer celle des maifons , meubles & effets.
L'incendie étòit fi violent , les habitans ſi conſternés ,
que rien n'a été lauvé . Il eſt fort à craindre qu'il
n'en ait péri beaucoup dans les flammes ; mais on
en ignore encore le nombre. Le garde de la Tour & fes
4.
enfans font morts. Il manque auffi plufieurs perfonnes
de tout fexe , de tout âge & de toute condition.
C'est un fpectacle déchirant que celui d'une
multitude de perfonnes qui cherchent & appellent
leurs peres , leurs meres , leurs femmes , leurs enfans
, leurs freres & leurs foeurs «.
#
ESPAGNE.
De CADIX , le 18 Septembre.
M. le Comte d'Eftaing a quitté notre
Cour Samedi dernier , 16 , & il eft
arrivé le même jour dans cette Capitale.
Hier , il a été au Palais Royal pour en voir
les appartemens ; il a dîné enfuite chez le
Marquis d'Iranda , & le foir , il a été à la
( 58 )
Comédie au Théâtre du Prince. Ce matin il
a vilité le Cabinet d'Hiftoire Naturelle
& ce foir il y aura un combat de taureaux ;
il eft fort recherché & fort aimé ici ; on ne
l'appelle que le Héros de la France . La foule
s'eft portée par- tout où il a paru . Les taureaux
feront très- brillans ; il s'y trouvera un
monde infini. Un gentilhomme nommé Iſla ,
doit courir ce foir en fon honneur. Tant
d'empreffement ne peut que le flatter. On
affure que demain de grand matin il prendra
le chemin de Cadix. Il paffera par Aranjuès
qu'il defire voir ; comme il a fait difpofer
des relais fur la route , il arrivera à Cadix le
26 ou le 27. On dit qu'il prendra le commandement
de l'armée combinée , & qu'il a
reçu du Roi les pouvoirs les plus étendus ;
on en faura fans doute davantage lorfqu'il
fera arrivé à fa deſtination.
Le nombre des prifonniers faits fur le
convoi dont l'armée combinée s'eft emparée ,
eft de 3022 .
--> Nous avons appris , écrit-on de Lisbonne ,
par le navire Hollandois les dix Frères , qui entre
dans ce Port à fon retour de Belfaſt , que le
vaiffeau Anglois le Bofon de 36 canons & un
autre de 24 , dont on ne fait pas le nom , ont été
pris après un combat fort vif par vaiffeau
François de 64 canons & un brigantin de 16 «.
On lit dans une lettre de Tanger du 30
du mois dernier les détails fuivans .
un
» Talbe- Sidy- Mahomet Sadiry , eſt arrivé hier
un ordre du Roi de Maroc , qu'il lui
étoit enjoint de lire , & qu'il lut en effet , en préici
avec
( 59 )
-
»
fence de D. Jofeph de Herrera , Commandant de
cette ftation , des Alcaides , des premières perfonnes
du Gouvernement , & des Miffionnaires
Efpagnols. L'ordre porte que S. M. Marocaine
ne prenant point de part à la guerre des
Espagnols & des Anglois , ordonne à les fujers
de n'attaquer ni offenfer les Espagnols , quand
même ils les verroient arrêter les Anglois , ou
dans fes ports ou fur terre ; & permet à tout
Anglois d'amarer fon vaiffeau , mais fans aucune
garantie. S. M. Marocaine défend de plus à tous
les Maures qui habitent fur fes côtes , de tirer
fur aucun vaiffeau Eſpagnol , fous peine de fon
- indignation royale , & ordonne au contraire de
les laiffer agir librement. Enfin l'ordre porte que
file Conful Anglois yeut s'en aller , il foit libre
, & que le Bacha ne le retienne point. Cet
ordre du Roi de Maroc a été promu par un ap
pel que le fieur Logie , Conful Anglois , réfidant
ici , a fait au Roi , & dans lequel il fe plaignoit
en termes trop peu mefurés , des procédés des
Espagnols , tant dans cette baie & dans le port
que fur les côtes de Maroc «.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 30 Septembre .
L'IMPATIENCE eft toujours extrême d'apprendre
quelles font les nouvelles que le
Brigadier Général Dalrymple a rapportées de
New-Yorck ; il eft arrivé le 25 au foir , au
Bureau du Lord George Germaine . Ce Miniftre
qu'il a été trouver à la campagne en
eft revenu fur le champ ainfi que plufieurs
autres mais ce matin on n'avoit rien publié
encore de ces dépêches. On eſpère que
C 6
( 60 )
la Gazette de la Cour de ce foir en donnera
les Extraits. En attendant , ce filence
inquiète généralement. On fait que les
bonnes nouvelles fe répandent fort vîte ; &
fi un Courier de cette importance n'en a
point apporté , il faut que le Général
Clinton ait eu des raiſons bien fortes &
bien urgentes pour l'expédier.
Les papiers Ministériels fe font empreffés
de nous dire qu'il n'y avoit eu aucune
action fur terre ni fur mer. Mais fi leur
but , en nous parlant ainfi , a été de nous .
raffurer , il paroît qu'ils ont manqué leur
effet. On fait que le Général Clinton , auffitôt
après la jonction des Amiraux Graves &
Arbuthnot , a fait un embarquement de
10,000 hommes pour aller attaquer les François
à New Port. Les lettres particulières
nous apprennent qu'en effet la flotte &
l'armée fe font avancées jufqu'à la pointe
de Long-Ifland ; qu'elles n'ont rien fait ;
qu'elles n'ont même rien tenté , & qu'elles
font retournées à New Yorck. Cela prouve
que notre Général , malgré les renforts qu'il
a reçus ne s'eft pas trouvé affez fort , &
qu'après avoir été contraint de fe tenir fur
la défenfive contre le Général Washington
feul , il n'a pas d'autre parti à prendre à
préfent qu'il va avoir affaire aux François
& aux Américains réunis , & qu'il ne fera.
peut être pas auffi heureux. On fait que
le Général Américain s'eft approché de
New-Yorc avec 16,000 hommes de troupes;
( 61 )
que les François avec lefquels fes commu
nications font bien établies , font prêts à le
feconder ; & on craint que les premières
nouvelles ne nous annoncent quelques nou- i
veaux défaftres .
Dans la Caroline Méridionale notre fituation
n'eft pas plus favorable ; la foumiffion
de cette Province annoncée avec tant d'emphaſe
, n'a exifté que dans nos papiers. Les
habitans qui avoient donné leur parole de
prêter le ferment de fidélité ſe font réunis
aux troupes qui venoient les défendre , &
le Lord Cornwallis preffé de toute part ,
n'aura bientôt plus d'autre retraite que Charles-
Town , où il eft douteux qu'il puiffe tenir
long-tems. Il eft réduit à fes propres forces ;
il n'a plus aucune efpérance de recevoir des
fecours de New-Yorck , où le Général Clinton
auroit befoin qu'on lui en envoyât à luimême.
La campagne eft actuellement finie ,
obferve à cette occafion un de nos papiers ;
mais qu'avons-nous fait ? La prife de Charles
Town qui eft affurément très précaire ,
quand même cette conquêre nous refteroit
eft au moins contrebalancée par la perte de
155 navires marchands. Sur ce pied - là
nous pouvons recommencer ; mais peutêtre
une banqueroute générale prouvera en
core à combien ſe montent les frais de cetter
guerre.
On prétend que le Ministère commence
à faire entendre qu'il a le deffein d'abandonner
la guerre d'Amérique ; il reconnoît
( 62 )
enfin que quelques conquêtes momentanées
ne décident rien , & que chaque année il
deviendra plus impraticable de lever les
fubfides néceffaires. Dans cette convicton
on dit que le premier objet du nouveau
Parlement fera de retirer les troupes Roya
liftes du Continent , & de s'occuper enfuite
d'un plan plus étendu de commerce entre
nous & l'Amérique.
Nous n'avons point de nouvelles miniftérielles
des Antilles. Le Gouvernement
s'eft contenté de publier une lettre de l'Amiral
Walfingham , qui n'annonce que fonarrivée
à la Barbade & fa jonction avec
l'Amiral Rodney , que l'on favoit déja ; il
dit que fon voyage qui a été de fix femaines
a été très-heureux , qu'il n'a rencontré aucun
vaiffeau ennemi , & qu'il compte partir
pour la Jamaïque. On ignore la véritable
époque de fon départ pour cette Ifle .
L'Amiral Rodney , dans fa lettre du 31 Juillet
à l'Amirauté , n'en parle pas , ou le Gou
vernement n'a pas jugé à propos de publier.
ce qu'il en a dit. Selon les uns l'Amiral ›
Walfingham mit à la voile le 24 Juillet ,
felon d'autres , le 29 : quoiqu'il en foit , fon
voyage annonce qu'en effet cette Ille eft
menacée. Le navire le Byron , Capitaine
Ruffel , parti de St-Chriftophe le 25 Août
a , dit-on , apporté la nouvelle que l'Amiral
Rodney étoit defcendu le 19 fous - le- Vent
avec 17 vaiffeaux de ligne.
On travaille avec beaucoup d'activité à
( 63 )
l'équipement d'une efcadre deftinée pour
les Illes ; elle ne ſera pas confidérable , puifqu'elle
ne fera compofée que de 2 vaifleaux
de So canons , 2 de 70 & 2 de 61 ; mais elle
efcortera des bâtimens de tranfport , chargés
de provifions pour remplacer celles que
l'Armée combinée nous a enlevées. Les ordres
ont été donnés pour tenir prêtes les
munitions navales qui doivent être embarquées
; & hier un Exprès a été envoyé à
Portsmouth , pour hâter le départ de cette
Alotte.
Notre Cour vient de prendre des arrangemens
avec celle de Danemarck , relativement
à la Nature des marchandifes de contrebande,
& la fpécification de celles qui peuvent être
tranſportées dans des bâtimens Danois , ainfi
qu'il paroît par une inftruction additionnelle
pour tous les vaiffeaux de guerre ou corfaires
qui ont ou auront des lettres de marques
contre le Roi de France ou le Roi d'Eſpagne ,
leurs vaffaux ou fujets ou autres qui habitent
dans quelqu'un de leurs pays , ou contre tous
autres ennemis ou fujets rebelles de la Grande-
Bretagne . Cette inftruction eft conçue ainfi :
» G. R. Que conformément à un article explicatif
du traité d'alliance & de commerce entre
l'Angleterre & le Danemark , conclu à Copenhague
le 11 Juillet 1670 , lequel article a été convenu
& arrêté dernièrement entre nous & le Roi
de Danemarck , toutes fortes d'armes , & ce qui
en dépend ; favoir , canons , moufquets , mortiers
, fufées , bombes , grenades , fauciffons ,
affuts , chandeliers , bandoulières , poudre , mèche
, falpêtre , boulets , piques , épées , cafques ,
( 64 )
eniraffes , hallebardes , lances , javelots , chevaux , -
felles , fourreaux , ceinturons , & en général tous
autres inftrumens de guerre ; ainfi que du bois
pour conftruire des vaiffeaux , de la poix , du goudron
, de la réfine , du cuivre en feuille , de la
toile à voile , du cordage , & en général tout ce
qui fert à l'armement des vaiffeaux ( à l'exception
du fer non travaillé & des planches de fapin )
chargés à bord de bâtimens Danois & deftinés
pour les Ports de l'ennemi , font réputées marchandifes
de contrebande ; mais le poiffon & la
viande , fraîche ou falée , le froment & autres
grains ; la farine , les légumes , l'huile , le vin ,
& en général tout ce qui fert à la nourriture &
au foutien de la vie , qui fe trouvera à bord des
bâtimens Danois , & deftiné pour les Ports ennemis
ne fera point réputé contrebande , pourvu
que les places pour lefquelles ces articles feroient
deftins ne foient point affiégées ou bloquées «.
On a lu dans le tems la relation publiée
ici de l'entrepriſe de deux bâtimens du Roi ,
contre un convoi Suédois fous l'efcorte d'une
frégate de cette Nation. Cette frégate étoit
'Aigle- Noir , commandée par le Capitaine
Harald Chrift Jerin ; on fera bien aife de
voir ici la manière dont il a rendu compte
de ce fait à fa Cour. Sa lettre eft datée de
Spithéad le 29 Juillet.
Etant parti d'Helfingor avec la frégate du
Roi , l'Aigle- Noir , & le convoi de navires marchands
Suédois confié à mes ordres , & ayant
paffé la mer du Nord ainfi qu'une partie de la
Manche , j'apperçus le 17 Juillet à midi , à la
hauteur de Start , deux bâtimens armés , qui faifoient
route vers le convoi . Je fis au convoi le
fignal de fe tenir auffi près de la frégate que
poffible je fis battre l'alarme , préparer le vailfeau
au combat , tenir les canons de l'autre bord
( 65 )
en état , & mettre les chaloupes en mer. A deux
heures après midi je vis que l'un des bâtimens
armés , qui étoit un brigantin le bord peint en
jaune & arborant pavillon blanc Anglois , à environ
trois milles Anglois fous le vent , avoit envoyé
fa chaloupe vers une galeaffe , qui étoit à
la même diftance fous le vent , & que celle- ci :
arbora fur cela le Pavillon Suédois , quoique n'appartenant
pas au convoi . J'arborai auffi mon pavillon
& tirai un coup de canon : mais le bri .
gantin Anglois n'en tint aucun compte : il s'approcha
de la frégate du Roi , comme pour s'affurer
de fon pavillon ; & il aborda la galeaffe , où je
vis amener peu après le pavillon Suédois . Je crus
donc être obligé de repouffer la force par la force;
& ayant donné ordre de tirer à balle , j'obligeai
le brigantin , par 22 coups à 12 livres , d'abandonner
la galeaffe . Je fis remorquer en cette occafion
la frégate par mes deux chaloupes , pour
joindre d'autant plus promptement les deux bâtimens
armés. Enfuite je me rapprochai de mon
convoi , m'étant apperçu que l'un des bâtimens
armés , gréé en goëlette , portoit le cap vers le
convoi. Il eut même la hardieffe d'envoyer une
chaloupe avec des gens armés aux deux bâtimens du
convoi , qui fe trouvoient le plus à l'arrière : mais
une quarantaine de coups à 12 livres de balle ,
tirés en partie fur lui , en partie fur fa chaloupe ,
ne lui laiffèrent pas le tems de faire aucun mal
& , après avoir tiré quelques coups à balle , il
prit la fuite à l'aide d'avirons & de fa chaloupe,
Je le pourfuivis juſqu'à ce que le calme & la nuit
le dérobèrent à ma vue. Les bâtimens confiés à
mes foins ont été eſcortés jufqu'à l'endroit de
leur deftination. Un long trajet & les vents con.
traires m'ont obligé de mouiller à cette rade ,
pour rafraîchir mes gens , faire aiguade , & regréer
ma frégate ; après quoi je remettrai en mer
le plus promptement poffible , pour exécuter mes
•
( 66 )
ordres ultérieurs. Je dois ajouter que j'ai été traité
ici avec tous les égards que je pouvois attendre
de droit en qualité de Commandant d'une frégate
de S. M. le Roi de Suède «.
Il paroît que cet évènement ne fera que
confolider les noeuds de la neutralité armée,
en lui prouvant la néceffité de faire refpecter
les pavillons neutres , & de les défendre
par la voie même des armes. On n'eft pas
fans inquiétudes fur les difpofitions du Portugal
follicité par les puiffances du nord à
accéder au plan qu'elles ont formé ; toutes
les nouvelles qu'on a publiées de Lisbonne
font faites pour inquiéter ; le Commodore
Johnſtone qui eft arrivé ici hier , & dont le
vaiffeau le Romney eft entré à Portsmouth ,
nous apprendra fans doute à quoi nous
devons nous en tenir. Il n'a amené avec lui
aucune des prifes qu'il a faites & qu'il a
conduites à Lisbonne. On raconte ainfi le
motif qui l'a déterminé à revenir en Angleterre.
Il avoit réfolu d'équiper les deux
frégates qu'il avoit prifes & menées à Lisbonne
pour croifer contre les François &
les Efpagnols. La Cour de Portugal a repréfenté
au Commodore que cette conduite
feroit tout à-fait illégale , & une infraction
à la neutralité qu'elle avoit obfervée. Il a
toujours perfifté dans fa réfolution . La Cour
de Lisbonne s'eft alors adreffée à l'Ambaf
fadeur de Ruffie & aux Miniftres des autres
Cours du Nord qui ont figné la neutralité
armée. Ces Miniftres fe font fortement
oppofés à cette façon d'agir. Ils ont dit que
( 67 )
files vaiffeaux de guerre Anglois faifoient
des prifes , & qu'on jugeât à propos d'équi
per ces mêmes prifes comme vaiffeaux de
guerre , il falloit les envoyer en Angleterre ;
& qu'eux Ambaffadeurs ne pouvoient voir
qu'avec peine qu'on entreprît d'armer des
prifes dans un port neutre ; que fi la Cour
de Lisbonue le fouffroit , une pareille permiffion
feroit & devroit être regardée par les
autres Puiffances de l'Europe , comme une
infraction publique à fa neutralité. Auffi-tôt
après que le mémoire eut été remis , la Cour
de Portugal fit mettre un embargo fur toutes
les prifes du Commodore Johnstone , parmi
lefquelles il fe trouve plufieurs bâtimens
Hollandois. Ce font , dit- on , les mesures
prifes par cette Cour qui ont déterminé le
Commodore à revenir en Angleterre.
Si , comme on le craint , les ports de Portugal
nous font fermés , nos corfaires perdent
une ftation qui leur étoit fort avantageuſe ,
& dont ils ont bien profité jufqu'ici ; jufqu'à
préfent il n'y a que cette puiffance & les
Provinces- Unies qui ont balancé à accéder à
la neutralité. Nous avons lieu de craindre
que nos efforts pour en prévenir les fâcheux
effets ne réuffiffent pas. Un papier qui cherche
à nous raffurer , du moins quant à l'acceffion
de la dernière de ces deux puiffances ,
s'exprime ainfi .
ל כ
Selon des avis de Pétersbourg , les Miniftres.
Plénipotentiaires de la République des Provinces-
Unies , y font arrivés le 30 Août , & ont eu le
lendemain une audience du Comte Panin , dans
( 68 )
laquelle ce premier Miniftre leur a notifié qu'if
ne pouvoit entrer en matière avec eux fur l'objet
de leur miffion , qu'ils n'euflent préalablement
eu une audience de fa Souveraine , & ne lui euffent
préfenté leurs lettres de créance . On eft bien
curieux d'apprendre le réfultat des négociations de
ces deux Envoyés Hollandois avec le Cabinet de
Pétersbourg. On a déja annoncé , qu'ils étoient chargés
de demander , pour première condition de leur
acceflion à la neutralité armée , la garantie des
poffeffions de la République dans les deux Indes ;
mais on doute que la Ruffie , ni fes co -Alliés
neutres veuillent accorder cette demande ; & l'on
croit que ces Puiffances fe borneront à leur
propofer d'adhérer à la convention qu'elles ont
réglée entr'elles. Si les Plénipotentiaires ne rapportent
en effet que cette réponſe allez naturelle ,
& à laquelle il fembloit qu'on cût dû s'attendre ,
il paroîtroit au premier coup-d'oeil que ce n'étoit
guère la peine d'aller la chercher fi loin mais
en y regardant de bien près , on appercevra que
cette démarche a été dictée par la politique tem
porifante qui convient fi bien à la fituation &
aux intérêts de la République . D'abord , il faut
du tems pour aller à Pétersbourg ; il en faut pour
négocier ce qu'on eft bien für qu'on n'obtiendra
pas ; il en faut pour revenir , pour prendre l'avis
des Provinces refpectives fur une matière de cette
importance & pour délibérer enfuite ; il en faut
à l'Aumônier de la flotte pour préparer les fermons
, au Greffier pour tailler fa plume , & c. En
attendant le tems s'écoule , la paix fe fait , & l'on
a trouvé le moyen de ne point indifpofer les
Anglois en évitant de fe joindre à une ligue qui
paroît principalement dirigée contre eux ".
On mande de Torbay que les hommes
preffés , mis à bord des différens vaiffeaux ,
font très- malades , parce qu'ils n'ont pas
( 69 )
encore été à la mer , & qu'ils vivent de provifions
falées. En conféquence l'Amiral
Darby a donné ordre qu'on leur donnât des
provifions fraîches jufqu'à ce qu'ils foient
rétablis .
>
Le tréfor de Bengale qui , depuis quelques
années , étoit regardé comme la plus forte
banque de la Compagnie des Indes d'Angleterre
, & qui rouloit fur un million & demi
eft réduit à préfque rien , & fuivant quel
ques lettres particulières , on préfume que
le Gouvernement & le Confeil feront forcés
de tirer fur la Direction pour les fommes
dont ils auront befoin, On atribue à deux
caufes cette décadence fi fubite ; d'abord
à la guerre dans laquelle le Gouverne
ment de Bengale s'eft engagé en faveur de
Ragaboy & à laquelle il a conſommé de
grandes fommes fans aucun fruit ; enfuite
aux appointemens des Juges dont les falaires
avec les frais fe montent à 65,000 liv.
fterl. par an , tandis que cela ne formoit pas
il y a quelques années plus de 3000l . par an.
Un autre inconvénient en a réſulté ; c'eft le
mécontentement de la nation qui gémit de
fe voir gouverner par des loix qu'elle regarde
comme deftructives de fes anciens
sufs ges & coutumes.
On affure que l'Amirauté a été informée
officiellement de l'arrivée de la Réfolution
& de la Difcovéry aux Orcades ; les Officiers
qui commandent ces vaiffeaux , mandent
que les équipages refufent le fervice , & font
déterminés à ne le reprendre que lorsqu'ils
( 70 )
•
feront certains qu'ils ne feront point preffés.
Il feroit dur en effet pour des hommes qui ont
fait un voyage fi long & fi pénible , qu'ils ne
trouvaffent pas à leur retour dans leur patrie
un repos dont ils ont befoin. Ils méritent au
moins des égards , & fi l'on doit faire une
exception , elle doit être en leur faveur.
» Il eft tems où jamais , dir un de nos Papiers ,
que les Anglois foient informés fans détour du véritable
état de leurs affaires.
Au mois de Juillet 1777 , les Miniftres donnèrent
une longue lifte des prifes faites par l'efcadre Britannique
depuis le premier Janvier jufqu'au 22 Mai ,
Vaiffeaux , Brigantins , Sloops , tout jufqu'aux Barques
y étoient compris ; & depuis on a donné de
pareilles liftes de toutes les prifes faites dans les différentes
ftations ; mais lorsque l'ennemi nous a enlevé
en dernier lieu s vaiffeaux de l'Inde so bâtimens
pour les Ifles de l'Amérique & d'autres vailſeaux
chargés de munitions & de marchandiſes , la
Gazette de la Cour a gardé le plus profond filence
fur cet évènement défaftreux. - Eft -ce ainfi que l'on
fe joue d'une grande Ville & de toute une Nation !
En vérité , un tel procédé n'eft pas fupportable .
D'après le grand nombre de Lords que le Roi ne
ceffe de créer , on feroit tenté de croire que l'empire
Britannique s'accroît de jour en jour , & qu'il
étend fa puiffance & fes loix jufqu'aux dernières
extrémités de la terre. Mais lorfqu'on penfe que fa
fituation offre précisément l'inverfe de cette perfpective.
Quelle horrible réflexion . Tandis que le grand
coloffe de l'Empire eft mis en pièces & traîné dans
la fange , quel eft l'homme apathique , ou plutôt le
coeur glacé qui peut foutenir un tel fpectacle fans
frémir d'horreur & d'indignation ? Dans une telle
circonstance cette profufion , ou plutôt cet aviliffe(
71 )
―
ment des honneurs eft une infulte atroce pour une
Nation à la veille de fa ruine. Les Papiers publics
nous ont annoncé que dans la Seffion prochaine
le Gouvernement feroit obligé de lever quinze millions.
Voilà de merveilleufes nouvelles pour l'Angleterre.
Il vaudroit beaucoup mieux pourtant qu'ils
nous annonçaffeat ce que l'on veut faire de cet ar
gent , & quel avantage la Nation en tirera . Je défie
le plus grand de nos Politiques de nous citer un feul
acte d'énergie , un feul effort vigoureux produit par
les vingt millions levés cette année. Non , il n'e
été rien fait abfolument avec cet argent , il n'a fervi
à rien qu'à l'Election générale , ce qui fait , comme
on le fent bien , un objet très - diftinct. Or , fi c'eftlà
l'unique fruit d'une avance de vingt millions , que
nous avons donnés cette année , pouvons - nous efpérer
que le facrifice de vingt-quatre millions rendra
l'année prochaine plus utile ou plus glorieuse pour
la Nation qui fe laiffe ainfi dépouiller impunément ?
Anglois ! voilà des confidérations qui méritent l'examen
le plus attentif & le plus férieux . Vous laifferez-
vous enlever jufqu'au dernier shelling fans avoir
la confolation de voir réfulter le moindre avantage
d'un devouement auffi infructueux pour la Nation
que funefte pour les Individus ? »
Le défaut de nouvelles nous permet de
placer ici une pièce intéreffante publiée dans
la gazette de Penfylvanie du 12 Juillet , c'eſt
un dialogue entre Penn , Montgomeri ,
Chatham & une Dame Américaine avec
cette épigraphe , exoriare noftris ex offibus
ultor.
Penn. Ami , je te falue , je fuis charmé de te
trouver es - tu parvenu à changer les fentimens de
l'ami Chatham , croit- il toujours que la Nation
Angloife eft la première du monde , la plus brave
la plus jufte , la plus philofophe , & la plus humaine
?
( 72 )
Montgomery. Il a changé de façon de penfer
quant a la bravoure , & fi fon erreur étoit fincère ,
toutes ces Ombres Angloifes arrivées dernièrement
de l'Amérique l'ont défabufé tout- à-fait. Il avoue
maintenant qu'un Américain , un Efpagnol , un François
, eft auffi brave qu'un Breton .
2
Chatham. Osi , Meffieurs , j'étois fincère dans
mon opinion , & j'avoue qu'en répétant fans cefle à
ma Nation qu'elle n'avoit point d'égale dans l'uni
vers je me l'étois perfuadé à moi - même. J'en
étois fi convaincu , que j'ai pensé de même jufqu'au
dernier foupir , malgré tous les dégoûts que j'ai
eiluyés à la Cour , & qui auroient dû me guérir de
mon enthouſiaſme.
Penn. Ma feconde maxime comme individu ou
comme législateur , a été de faire aux autres comme
j'aurois voulu qu'ils me fiffent.
Iqui
Chatham. Tels font précisément les belles maximes
qui placeroient l'Angleterre au- deffous de toutes
les Puiffances du monde : la juſtice que le peuple
Anglois fe doit à lui-même , eft de détruire tout ce
lui donne de l'ombrage , d'attaquer fous des
prétextes fpécieux ou autrement toute Puiffancé
qui prend de l'effor , & qui pourroit lui difputer un
jour l'Empire de la Mer ou du Commerce , ou éta
blir au moins le principe dangereux d'égalité ou
d'indépendance réciproque , d'enlever les pofleffions
de fes rivales , lorfqu'elles font fans défenſe , &
tandis que fe livrant à une douce fécurité , elles imaginent
qu'elles n'ont rien à craindre , parce qu'elles
fe renferment dans les limites de cette juftice imaginaire
qui n'eft la vertu que des fimples , des foibles
& des lâches .
Penn Ah ! Eft il poffible qu'une Ombre fi illuf
tre ait confervé ces dangereux préjugés dans le fé
jour de la vérité & de la paix éternelle ? C'eft juftement
cette affreufe morale qui a précipité la Nation
Angloiſe dans un abîme d'où elle ne pourra
fortir
( 73 )
fartir que par l'extrême modération de fes ennemis .
C'est ce fyltême qui l'a réduite à fe trouver fans un
feul allié ; c'eft fon orgueil & fon injuſtice qui ont
foulevé contre elle toutes les Puiffances dont elle
devoit attendre du fecours ; c'eft cette politique
atroce qui a bleſſé tous les peuples , qui a tiffu les
noeuds d'une alliance entre la France & vos anciennes
Colonies , qui excite l'intérêt des autres Puiffances
en leur faveur , qui a réduit le nombre de vos partifans
en Amérique à une poignée d'individus , & qui
me détermineroit , fi j'habitois encore le féjour des
mortels , à me joindre contre vous fans balancer ,
du côté de la liberté , de la vertu , de la valeur & Ju
patriotisme .
Montgomery. O pacifique Penn ! que ne peuvent
ces expreffions facrées être entendues jufques dans
les auguftes affemblées des Quakres de la Penfilvanie
!
Chatham. Tout prouve la modération & l'humanité
de la Nation Angloife . Quelques excès commis
par des conquérans avides & cruels dans les
Indes Orientales , ne doivent pas nous priver de la
gloire d'avoir adouci les rigueurs de la guerre , &
par tout où nos armes victorieufes ont été portées
par nos héros Anglois , nous avons montré à nos
ennemis que nous pouvions vaincre fans abufer de
la victoire.
Mais quel bruit s'élève autour de la barque de
Caron , les Ombres s'y affemblent en foule comme
pour contempler quelque fpectacle nouveau dans les
Champs Elysées .
Montgomery. J'apperçois une Femme vêtue de
deuil. Elle porte une écharpe teinte de fang ; elle
s'avance à pas lents , fa tête eft inclinée , fon air eft
mélancolique ; elle paroît pénétrée d'une douleur
profonde. Je juge à fon habillement , à fa marche ,
à les traits , que c'eft une Américaine ; allons à la
14 Octobre 1780. d . X
( 74 )
rencontre , je defire favoir fi ma Patrie eft entièrement
libre.
Une Femme. Oui , elle eft libre , illuftre Montgomery
, & fi dans ce moment l'ennemi déchire fon
fein , c'eft qu'il veut rendre fes derniers momens
terribles à fon vainqueur. Mais les excès auxquels fe
portent les Anglois , élèvent le courage de nos compatriotes
; & je rends graces au ciel de ma mort , fi
elle peut hâter la délivrance de l'Amérique.
Chatham. Quels font les monftres qui ont trempé
leurs mains dans le fang d'une femme ?
L'Ombre. Ce font les Anglois.
Penn. O crime !
Chatham. Comment ont- ils pu commettre cette
horrible cruauté ?
L'Ombre. J'habitois dans les Jerfeys. Nos en
nemis avoient dirigé leur marche vers ma demeure ,
détruifant & brûlant tout ce qu'ils trouvoient
fur leur route. J'aurois fui loin de cette fcène
d'horreur , mais ma tendreffe pour une famille
nombreuſe dont j'étois la mère , me retint. La
marche des ennemis fut trop rapide pour que
j'euffe le tems de fauver neuf enfans de leur rage ,
& j'aimai mieux partager le danger avec eux
tous , que d'avoir le malheur d'en abandonner
un feul. Je fus faifie d'effroi en me voyant ene
tourée de dévaftations & d'incendies. Je vis les
foldats courir autour de notre maiſon , femblables
à une troupe de fauvages furieux ; ils tenoient
à la main des torches allumées , & contemploient
avec une joie cruelle les bâtimens & les granges
devenues la proie des flammes. Je reconnus le
danger où j'étois ; craintive & tremblante , je
cherchois une iffue pour fuir , lorſque les cris de
mes enfans effrayés me retinrent parmi eux. Ils
fe prefsèrent contre moi , tantôt levant au ciel
Jeurs mains innocentes , tantôt me ferrant entre
leurs bras. Je pris le plus jeune & le preffai contre
( 73 )
mon fein : leurs larmes me firent oublier mon proc
pre danger ; entourée de flammes & de bayonnettes ,
le coeur déchiré par leurs cris , témoin de la fé
rocité de nos ennemis , j'éprouvai toutes les alar
mes qui peuvent tourmenter le coeur d'une mère.
Tout-à - coup je les entendis autour de moi s'é
criant d'une voix terrible : tuons- là , c'eſt elle
tuons-là. Au même inftant , un Anglois , au re
gard farouche , les yeux étincelans , vomiffant des
blafphêmes , mit fin à mes jours , & priva neuf
enfans d'une mère qui les adoroit..
O mes chers enfans , vous me vîtes mourir , &
je ne pus vous donner ma bénédiction ?
3
Chatham. C'en eft fait , les Anglois font dégénérés
; le caractère national eſt ſlétri ; je n'ai plus
de patrie.
Montgomery. Ma patrie eft libre.
Penn. O pays heureux à jamais lorfque tu réu
niras les douceurs de la paix à celles de l'indé
pendance ?
FRANC E.
De VERSAILLES , 10 Octobre.
LE Vicomte de la Bretonnière , Capitaine
des vaiffeaux du Roi , a eu l'honneur d'être
préſenté à S. M. & à la Famille Royale,
à fon retour de S. Domingue , par le Duc
de Fleury.
Le Roi a nommé à l'Abbaye d'Hautviliers
, Ordre de S. Benoît , Diocèfe de
Reims , l'Abbé de Bayanne , Auditeur de
Rote.
Le premier de ce mois LL. MM. & la
Famille Royale ont figné le contrat de mariage
du Marquis de Clermont- Mont-Std2
( 76 )
Jean , Capitaine au régiment de Bourbon ,
Dragons , avec Dame de Mafcrany de Villers
, Chanoineffe du noble & royal Chapitre
de Migette. Le même jour , les Agens-
Généraux du Clergé ont eu l'honneur de
préfenter au Roi , à Monfieur & à Monfeigneur
le Comte d'Artois , le Procès- verbal
de 1775 & la Table raiſonnée de la collection
des Procès verbaux formant le 10 vol. de
cet. Ouvrage qui eft complet.
Le même jour la Cour eft partie pour
Choify , d'où elle eft revenue le 6 de ce
mois. Mefdames Adelaïde , Victoire & Sophie
de France qui partirent en même-tenis
pour leur Château de Belle - Vue , fe propofent
d'y refter jufqu'à la fin de ce mois.
De PARIS , le 10 Octobre.
Les nouvelles qu'on a reçues de l'Amérique
Septentrionale font en date du 5 Août,
On lit les détails fuivans dans une lettie d'un
Officier de l'armée du Comte Rochambeau
écrite à cette époque à New- Port dans Rhode-
Ifland .
» Deux de mes lettres ayant été englouties avec
le paquebot qui les portoit , vous n'aurez qu'un
détail fuccint de notre voyage & de nos opérations
depuis notre arrivée ici. M. de Rochambeau
qui dépêche un avifo en France , veut bien permettre
qu'il fe charge de cette feuille.
--- Nous
arrivâmes ici le 11 du mois dernier après une
traversée de 72 jours que les marins n'ont pas
trouvé trop longue , à raifon du convoi que l'ef
cadre efcortoit. Un feul bâtiment s'étoit féparé de
( 77 )
nous pendant le trajet ; c'eft la flûte l'Ile de Frances
elle portoit 20 Officiers & 300 hommes du régiment
de Bourbonnois . Comme le rendez- vous ,
en cas de féparation étoit à Bofton , l'Ile de
France s'y eft rendue , & les hommes qu'elle avoit
à bord font venus par terre , rejoindre l'armée.
Nous n'avions en débarquant ici que 600 malades
, dont 40 font morts depuis. La plupart de
ceux-là avoient été bleffés dans la rencontre que
nous fîmes de Graves à la hauteur des Bermudes."
Cet Amiral nous fuivoit depuis quelques jours ;
if avoit cinq vaiffeaux & une frégate ; un jour il
-
trouva allez près pour qu'on lui lâchât quelques
bordées. Un de fes vaiffeaux a dû être fort maltraité.
Le Neptune qui avoit ordre de le chaffer ,
l'obligea de ranger notre efcadre dont il elfuya
tout le feu. La nuit approchant , & M. de Ternay
ne voulant pas abandonner fon convoi pour
courir après Graves , cette rencontre n'eut pas
d'autre fuite. Nous eûmes environ trente hommes
tués ou bleffés , Du moment que nos eûmes
mis pied à terre , notre Général s'occupa à mettre
la flotte hors d'infulte ; nous fumes fort heureux
que les Anglois ne parurent pas dans les premiers
jours ; ils auroient pu nous inquiéter beaucoup.
Mais aujourd hui l'elcadre ne craint as des forpas
ces trois fois fupérieures à elle . L'activité que
lés gens de mer & les foldats ont montré dans
cette occafion pour fortifier le port eft au- deffus'
de tout éloge. Graves & Arbuthnot ont paru lorfque
ces ouvrages étoient prefque achevés ; & l'efcadre
s'étant emboffée , ils n'ont pas cru devoir
l'attaquer. Ils reftent conftamment devant ce port ;
mais les coups de vent & les courans communs
dans ces parages , ne leur permettront pas de garder
long- tems la même ftation. En même tems
qu'on fortifioit le port , notre camp prenoit une
fituation refpectable , que l'art a fu encore rendre
d 3
( 78 )
3
―
plus forte. Ces grands travaux finis , le Général
a porté fes regards plus loin ; il a fait ouvrir des
Toutes vers tous les points de l'lfle où l'on peut
tenter une deſcente ; c'eſt- là que nous irons attendre
l'ennemi , & que nous nous propofons de le recevoir
à la Françoife s'il fe hafarde à defcendre.
Notre camp fera alors gardé par 2500 hommes
de milices qui fe font réunies à nous ; & fi nous
ne pouvions empêcher le progrès de l'ennemi dans
l'Ifle , nous nous flattons que rentrés dans notre
camp nous y tiendrons long-tems. Rien n'égale
la joie que les habitans ont fait paroître à
notre arrivée ; les fêtes , les illuminations , le
Députés du Congrès , ceux de l'armée Américaine ,
ainfi que les plus notables habitans des environs ,
tout rendoit le féjour de New-Port agréable &
brillant. M. de la Fayette eft venu paffer 8 ou
10 jours avec nous ; il a été rappellé pour commander
l'avant-garde de la grande armée qui s'approche
de New- Yorck. Le Général Washington a
écrit qu'avant la fin du mois , il auroit 15000
hommes enregimentés , fans compter les mices
qu'on voit arriver fucceffivement , & qui font
toutes difpofées à bien faire leur devoir. Ce Gé.
néral doit venir dans fept à huit jours s'aboucher
avec M. de Rochambeau ; il eft für qu'une feule
entrevue avancera plus les affaires que is jours
de correfpondance. En attendant le Général Heath
eft fur les hauteurs avec 6000 hommes , & difpofé
de manière que notre communication avec
la grande armée ne peut pas être coupée , & ces
6000 hommes peuventt
même ſe joindre à nous
s'il en eft befoin. Nous ne croyons pas que
nos opérations commencent avant la fin de ce
mois , ni que le Général Clinton abandonne New-
Yorck pour venir nous attaquer ; Washington eft
trop près pour qu'il laiffe cette place importante
fans un corps confidérable de bonnes troupes ; &
( 79 )
alors il ne lui en refteroit pas affez pour tenter
une defcente dans cette lfle. Je ne faurois finir
ma lettre fans vous parler de l'union & de la bonne
intelligence qui règnent entre les Généraux & les
Officiers de terre & de mer. Nous ne faifons tous
qu'un feul corps animé du même efprit , & du
defir de récompenfer notre Général de tous les
foins & de toutes les fatigues qu'il s'eſt donné
pour nous ".
Les nouvelles qu'on a reçues en Angle
terre des mêmes parages , font du 30 Août .
Elles confirment non feulement, tout ce que
dit ici cet Officier ; elles ajoutent encore que
Clinton qui s'étoit embarqué avec 10,000
hommes fur la flotte d'Arbuthnot & Gra
ves , & avoit étéj ufqu'à la pointe de Long-
Iſland , n'avoit ofé rien tenter ni contre M.
de Ternay , ni contre M. de Rochambeau
& s'étoit hâté de retourner à New-Yorck
où s'avançoit le Général Washington à la
tête de 16,000 hommes , fans compter les
milices.
Celles de la Caroline ne paroiffent pas
plus favorables aux Anglois , le Général
Cornwallis obligé de ſe réfugier à Charles-
Town , ayant fait fortir un corps de troupes
pour aller piller les environs ; le Général
Gates a , dit- on , fi bien entouré ce corps,
qu'il l'a forcé de mettre bas les armes.
On dit que par un avifo arrivé à Cadix
on a reçu des nouvelles de M. de Guichen.
Lesvoici telles qu'on les débite depuis quel
ques jours.
» Le 30 Juillet ce Général étoit au Cap Saintd
4
( 80 )
7
Domingue. M. de Solano avoit laiffé quelques
troupes à Porto-Ricco & avoit fait voile pour la
Havane avec fon efcadre & fon convoi. M. de
Guichen fe di pofoit à raffembler tous les vaisfeaux
du commerce , & comptoit appareiller vers
le 16 Août. On croit qu'il revient en Europe
avec 10 ou 12 vaiffeaux de ligne , & qu'il ira attérir
à Cadix La divifion de 9 vaiffeaux qu'il a
laiffée à la Martinique eft commandée par M. de
Sade. Celle de St -Domingue fera aux ordres de
M. de Monteil ; par conféquent il rameneroit avec
lui MM. de la Motte - Piquet & de Gratle.
courier qui a apporté les dépêches dont cet avifo
éroit chargé , ajoute-t- on a . appris qu'il alloit
fortir de Cadix une efcadre compofée des vaif.
feaux dont 3 François & 2 Efpagnols , fous le
commandement de M. de Marin montant la
Bourgogne de 74. Elle eft deftinée à croiſer entre
les Caps c.
Le
Tous les régimens ont fourni leur contingent
pour recruter les troupes qui font
dans les colonies. Les uns ont donné 30
foldats , les autres 80 ou 90 , le plus grand
nombre 75. Ce font tous des jeunes gens
remplis de bonne volonté ; ils s'embarqueront
vers le 15 de ce mois , & feront efcortés
par
les
୨ vaiffeaux
que
commande
M. de la Touche- Tréville ...
Tous les papiers publics avoient annoncé que
M. le Comte du Chilleau , Gouverneur de la Dominique
avoit été pris dans fon trajet de la Martinique
à fon Ifle . On croyoit véritablement aux
Antilles , que le petit bateau fur lequel il avoit
voulu s'embarquer avoit été rencontré . par les
croifeurs Anglois ; mais plufieurs jours s'étant
paflés fans qu'on eût entendu parler de lui , M.
( 81 ))
de Guichen le fit demander à l'Amiral Rodney.
Les recherches les plus exactes dans les poffeffions
Angloifes n'ayant rien pu c apprendre , on le
crur mort. Plus de deux mois s'écoulèrent ainfi ,
& l'on ne doutoit pas que fon bateau n'eût chaviré
, lorſqu'un beau jour il a reparu aux Autilles .
Il venoit du Continent. Un coup de vent l'avoit
écarté de ſa deſtination , & il avoit été affez
heureux pour aborder chez les Efpagnols . Il s'étoit
vu forcé de s'arrêter auparavant dans une petite
Ifle déferte , pour y prendre des racines &
des coquillages néceffaires à fa ſubſiſtance , ayant
confommé tous les vivres. Les Espagnols l'accueillirent
, & dès qu'il put trouver un navire , il revint
aux Ifles du Vent où certainement il n'étoit plus
attendu. Il a envoyé à fa femme qui eft à Paris
une relation fort curieufe de cette fingulière promenade
«.
ས
On n'a aucune nouvelle de nos ports ,
fi ce n'eft la rencontre qu'a eue la frégate
l'Aigrette de 26 canons , commandée par M.
le Chevalier de l'Angle. Elle eſcortoit un
petit convoi ; & non loin de l'fle d'Aix elle
eut un engagement fort vif avec 3 corfaires
dont le plus fort avoit 24 canons. Pendant
qu'elle étoit engagée le plus petit lui enleva
un de fes bateaux . Ayant mis en fuite les
deux autres , elle leur reprit un navire affez
riche portant pavillon Impérial , dont ils
s'étoient emparés ; refte à favoir à préſent
fi cette prife lui fera adjugée.
Parmi les pertes fenfibles que la marine
marchande a faites en Officiers , tels que
Royer , Troffe , le Mengnonet , Augene ,
on doit compter celle du fieur du Caffou ,
as
( 82 )
commandant le corfaire la Charlotte. Ce
brave Capitaine dont nous avons annoncé
les brillans fuccès , a terminé fa carrière
victime de la lâcheté d'une partie de fon
équipage , & de l'inhumanité de fes ennemis
, qui lui ont refufé les fecours que fes
bleffures lui rendoient néceffaires . Les lettres
de Dunkerque & de Calais contiennent les
détails fuivans de ce malheureux évènement.
་ La Charlotte s'étant réparée de fon combat
contre les trois pingres , appareilla de la rade de
Dunkerque la nuit du 14 au 15 Septembre. Le fieur
du Caffou ayant eu avis qu'il devoit partir d'Oftende
pour Londres un convoi foiblement efcorté , il di
rigea de ce côté la croifière. Le 1s au point du jour,
il cur connoiffance de deux bâtimens fous le vent ,
& arriva deflus ; mais à leurs manoeuvres , les ayant
jugés bâtimens de guerre , il ferra le vent pour les
éviter attendu leur fupériorité. L'un étoit la Surprife
cutter du Roi d'Angleterre de 16 canons
dont 2 obufiers , de 18 livres de balle ; & l'autre le
Scourge, floop de 16 canons de fix livres de balles
renforcés. La Charlotte ayant perdu le vent ,
1
ci la chaffèrent depuis 11 heures du matin par un
tems calme à l'aviron , & ne l'atteignirent qu'à 4
heures du foir à la portée du canon. L'Anglois lui
ayant tiré un coup de fufil , le corfaire lui ripofta
par un coup de canon , & arbora pavillon françois ;
auffitôt lennemi lui lâcha toute fa volée. Le heur
du Caffou qui avoit prévu la néceffité d'en venir à
un combat , avoit tout difpofé à cet effet ; mais dès
le commencement de l'action', il eur la douleur de
voir que fon équipage , compofé pour la plus grande
partie d'étrangers de toutes nations , ( fur 120 fran
çois , il avoit ss étrangers ) refufoit de le feconder.
t
(( 83 )
•
La feconde volée de l'Anglois ayant mis fur fon bord
7à 8 hommes hors de combat , l'équip. fut tellement
effrayé que le fieur Burgain, capitaine en fecond , fut
obligé , fabre à la main , de ramener chacun à fon
pofte. Le combat fur l'avant du bâtiment s'échauffoit
cependant de maniere à faire efpérer quelque avantage,
tandis que fur l'arrière quelques canonniers qui furent
bleffés répandirent une nouvelle terreur dans les ef
prits , & plufieurs pièces furent abandonnées. Alors
l'intrépide du Caffou , quitte fon pofte , & par fa
préfence anime les uns & raffure les autres ; il jouiffoit
de la fatisfaction d'avoir remis le plus grand
nombre dans le chemin de l'honneur , lorsqu'il fut
lui-même frappé à la cuiffe d'un boulet qui le renverfa
fur le pont ; il perdit connoiffance & on le
tranfporta dans fa chambre. Dès cet inftant le
défordre fe répandit à fon bord ; les lâches étrangers
profitèrent de fon malheur pour couper la
driffe du pavillon & l'amener. Le fieur Burgain
faifoit cependant la plus belle défenſe à l'avant ,
& continuoit avec vivacité le feu de fon artillerie
, lorſqu'une voix lui cria : ne tirez plus , nous
fommes amenés. Il vole auffi-tôt à l'arrière , où
il ne voit plus fon brave Capitaine ; en vain il
veut faire rehiffer le pavillon & continuer le combat
; la plus grande partie de l'équipage étoit déja
dans la calle ; deux Officiers & environ 12 François
reftèrent feuls pour le feconder ; & malgré
fes remontrances & fes menaces il fut obligé de
laiffer le navire amené. La Charlotte a eu dans
ce combat qui a duré trois quarts - d'heure , 15 à
18 hommes tant tués que bleffés & tous François.
Le corfaire fut à peine amaríné que l'ennemi
pilla tout à bord. Il fut mené à Déal dans les
Dunes. Le 16 on defcendit l'infortuné du Caffou
dans un hopital de prifon , repaire infect où l'on
ne mettroit pas en France des criminels. Son état
exigeoit des foins & des fecours ; il avoit lieu
d 6
( 84 )
>
d'en efpérer de la part d'un ennemi pour lequel
depuis la guerre , il n'avoit ceffé lui - même d'a
voir des procédés de bienfaifance & d'humanité.
Jamais il ne permettoit à fon équipage de piller
rien de ce qui appartenoit aux prifonniers ;
mettoit en fûreté dans fa chambre leurs armes
leurs effets , leur argent , & leur rendoit le tout en
débarquant. On a eu la barbarie de le laiffer pendant
deux jours dans ce réduit affreux , fans re-:
mèdes , & fans lui donner que de la bière & de
mauvais bouillon de mouton . Ce ne fur que le
troisième jour que MM. Burgain & Chevalier
obtinrent , non fans peine , de le faire transférer
dans une chambre en ville. Un Colonel qui fe
trouvoit dans cet endroit vint le voir , & touché
de fa fituation , le fit panfer par fon Chirurgien.
Mais il étoit trop tard ; le mal avoit empire , &.
faute de foins fa bleffure étoit devenue mortelle.
Le 22 à 3 heures du matin , il expira dans les
douleurs les plus aigues. Une heure avant de
mourir , il s'écrioit dans le délire : Courage , amis ,
ils
ne nous prendront pas ; ils font à nous ;
ajuftez vos canons . . Malheureux , lâches !
vous m'abandonnez ? Le foir même il fut enterré
avec les honneurs de la guerre. La Gazette de
la Cour de Londres & tous les papiers qui l'ont
copiée attribuent la prife de la Charlotte au floop
le Scourge de 16 canons. Ils ne parlent point
de la Surprife , cutter de 16 canons de 18 , qui
a combattu avec lui , ce corfaire qui n'avoit que
16 canons de 6 , contre 32 de l'ennemi. Ils fixent
la durée du combat, à une demi - heure , tandis,
qu'elle eft de trois quarts d'heure & plus ; & ils
ne font aucune mention des morts & bleflés de
l'ennemi . Le brave du Caffou étoit originaire, de
Bayonne ; il n'étoit âgé que de 43 ans. A lintelligence
& à la valeur , il joignoir la réputation
d'un excellent marin. Il connoiffoit parfaitement
"
-
I
( 85 )
les côtes d'Angleterre , & parloit diverfes langues
étrangères & particulièrement l'Angloife. Cette ,
croisière étoit fa quatrième depuis les hoftilités ;
& dès 1778 il avoit été honoré d'une épée de
la part du Roi. ' Nous publiâmes dans le tems la
lettre du Miniftre de la Marine qui accompagnoit
ce préfent. Dans la dernière guerre il avoit fervi
fur l'efcadre du Maréchal de Conflans , & avoit
été 29 ans prifonnier en Angleterre. Outre les
prifes qu'il avoit faites depuis trois ans , il en
avoit fait plufieurs qui ont été utiles au Gouver
nement , telles que celle du paquebot du Sénégal.
qui lui mérita l'épée , & celle du Hope , qui tranf
portoit une garnifon à l'Ile de Jerley «.
,
Les cutters du Roi le Pandoure & le
Clairvoyant nouvellement conftruits à
Dunkerque , ont relâché au Havre le 24
du mois dernier pour le réparer , leurs mâts'
ayant confenti. Le Pandoure eft commandé
par M. le Chevalier de Lorgeril , & le Clair
voyant par M. de la Tullaye , tous deux
Lieutenans de vaiffeaux. Le 27 du même !
mois , il arriva dans ce port un Parlementaire
venant de Pool ayant à bord 153 prifonniers.
Une partie de ceux faits fur les
frégates la Nymphe & la Belle-Poule , ont
été conduits vers le même tems à St-Malo
par un Parlementaire venant de Falmouth. "
Le brave Capitaine Motard connu par
fa belle défenfe contre la frégate du Roi ,
d'Angleterre l'Apollo , vient d'être fait Lieutenant
de frégate en pied . Précédemment
S. M. lui avoit fait don d'une épée. *
M. Defprés à Sailly par St-Michel à
Vervins en Tierache , faifant creufer le lit
( 86 )
de la rivière , & trancher la digue d'un
étang contenant 175 arpens , convertis en
prairies vers l'an 1500 , & inondés dans
les moindres gonflemens des eaux , parce
que la rivière n'a d'autre écoulement qu'un
acqueduc de quatre pieds de large fur fix
de haut , a découvert à 6 pieds au- deffous
du niveau de la prairie , un plancher qu'il
a fait lever avec la plus grande attention.
Il a trouvé 72 madriers de 12 pieds de long
& larges d'un pied fur deux pouces d'épaiffeur
, avec 1 folles d'environ 16 pieds
de longueur , fur 8 & 12 pouces d'écariffage
, fans aucun clou ni ferremens , le
tout ayant été chevillé avec s chevilles à
chaque madrier , dont deux font à chaque
bout & une au milieu. Ce bois enterré
depuis plus de 600 ans eft d'un noir qui
ne le cède pas à l'ébène ; il a confervé &
peut-être a acquis de la dureté. Si quelqu'un
defiroit d'en avoir pour des ouvrages d'ébenifterie
, M. Defprés offre d'en faire paffer
dans toutes les Villes du Royaume , excepté
celles du Midi de Paris , & de faire fcier
les bois des longueurs , largeurs & épaiffeurs
qu'on defirera.
L'Abbeffe & les Religieufes de l'Abbaye Royale de
Jarcy , près Brunoy , ne peuvent trop rendre publiques
les marques de bonté & de la haute protec
tion dont Monfieur , Frère du Roi , a bien voulu les
honorer , à l'occafion de la reconſtruction totale de
leur Monaftère , fondé een 1270 , par Madame la
Comteffe de Touloufe , belle-foeur de faint Louis,
Le 21 Septembre 1780 , Louis-Staniflas-Xavier
787 )
de France , Monfieur , Frère du Roi , a polé la
»première Pierre de ce Bâtiment , reconstruit par les
❤foins de M. Devault , Lieutenant-Général des Ar-
» mées du Roi , d'après les Deffins du feur Boullaud ,
Architecte-Expert , ( le fieur Caubert , fils , en a
» été l'Entrepreneur ) . Mad. de Braque , Abbeffe &
»fa Communauté , pénétrées de la plus profonde
» reconnoillonce , ont affifté à cette cérémonie «.
Cette Infcription gravée fur une plaque de cuivre
& renfermée dans une boîte de cèdre a été placée
Lous la pierre. On a pofé en même-tems en évidence
& fcelle fur la principale façade du bâtiment l'Infcription
fuivante gravée fur le marbre : - Favente
Ludovico Stanislao Xaverio majore Regis Ludovici
XVI fratre ades renovata. — Après la céré
monie , le Prince a bien voulu parcourir l'Abbaye ,
après avoir été faire fa Prière à l'Eglife où il a
yu le tombeau de la Comteffe de Toulouſe.
On écrit de Metz un évènement fâcheux.
Un jeune Gentilhomme revenant de la
chaffe a été tué dans une voiture par un
fufil qui y étoit placé & qu'on avoit oublié
de décharger. Ce Gentilhomme s'appelloit
M. de Loftange ; il étoit Colonel en fecond
d'un régiment en garnifon à Metz ; & c'eſt
aux environs de cette ville que ce malheur
eft arrivé , & non pas auprès de Paris , com
me le bruit en a couru.
2
Trois Machines Hydrauliques fucceffivement préfentées
à l'Académie des Sciences , par M. Cordelle ,
y ont été couronnées du fuffage le plus flatteur
& reçues avec cette unanimité d'applaudiffements
que l'Académie n'accorde jamais aux inventions médiocres
Ces trois Machines font pour ainfi dire
d'une même famille ; la feconde dérive de la première,
& fans lui reffembler , elle n'en eft que la
( 88 )
,
―
perfection ; la troisième , aux avantages des deux
autres , réunit encore des qualités nouvelles , & font
toutes trois deftinées à élever l'eau des rivières
( puifée au plus rapide de leur courant ) à telle hauteur
& en telle quantité qu'on voudra , fans jamais
y gêner la navigation. Ce méchanifme fimple ,
d'un prix modique , & d'un entretien on ne peut
moins coûteux peut être également placé avec
fuccès & fort peu de dépenfe , fur toute fortes de
ruleaux , même à la fortie d'une fource capable de
mettre une roue en mouvement. Les calculs par
apperçu que l'Auteur a fait fur les dépenfes d'établitlement
, & l'intensité du produit de cette nouvelle
invention lui ont fait connoître que non- feule
ment elle feroit en état de fournir abondamment
d'eau la Ville de Paris ; mais encore à un prix fi
modique , qu'il fuffit de favoir que l'établiffement
pris en général , ne coûtera pas plus de mille livres
par chaque pouce d'eau élevé à 70 ou 80 pieds audeffus
de la rivière ( qui eft la hauteur réduite pour
porter l'eau aux différens quartiers de Paris , & que
la quantité en pourra être portée au - delà de 2000
pouces fans gêner en aucune façon la navigation ( 1 ) .
On voit qu'avec 25,000 liv. que coûteroit une
des machines propofées , & qui produiroit 25 pouces
d'eau ou 75 muids par heure , on formeroit un capital
aux prix de la ville , d'une fomme de fept cent
vingt mille livres, Quoique l'Auteur ne faffe au
cune mention des tuyaux de conduite , à caufe de
l'uniformité des moyens à cet égard ( 2 ) , il eft bien
---
(1)Tant que la Ville a eu de l'eau à concéder on l'a
payée zoo liv . la ligne , ou 28,800 liv. le pouce , à la
charge , par l'acquéreur , de faire faire la conduite ,
depuis la plus prochaine fontaine jufques chez lui ..
(1) M. Cordelle a déja annoncé qu'il a imaginé un
moyen d'une grande économie pour la diftribution 'des
eaux dont il fe propoſe de faire hommage à la Ville ;
après que l'Académie aura prononcé.
( 89 )
démontré ( comme l'obferve l'Académie ) qu'il en
coûteroit bien moins en conduite en partant des diffé
ens endroits de la rivière où feroient placées les
nouvelles machines , qui diftribueroient leau aux
quartiers les plus voisins de leur pofition , que fi
elle étoit amenée , ou partoit d'un feul point de
diftribution .
Le Comte de Vautron , Chef- d'efcadre des
armées navales , eft mort à Rochefort . Il y a
quelque-tems qu'un autre Chefd'efcadre du
département de Breft , le Vicomte de Roquefeuil
, Capitaine des gardes de la marine ,
eft mort dans ce dernier port.
Ordonnance du Roi du 23 Avril , portant règlement
fur le fervice aux batteries , corps- degarde
d'obfervation , & fignaux établis fur les côtes .
Elle eft compofée de 10 titres & de 90 articles ,
& revêtue de l'attache de M. le Duc de Penthièvre ,
Amiral de France . - Ordonnance du Roi du s
Août , concernant l'Ecole Royale Militaire , confiftant
en 16 articles.
Edit du Roi donné à Verfailles au mois d'Août
& enregistré au Parlement le 29 , portant aliéna .
tion au profit du Clergé pendant 14 ans d'un
million fur le produit annuel du bail des Fermes .
Déclaration du Roi donnée à Verfailles le 24
Août , enregistrée au Parlement le premier Septembre
, interprétative de l'Edit du mois d'Août.
1749 , concernant les acquifitions des Gens de
main-morte. Autre donnée à Verfailles le 3'
Septembre & enregistrée au Parlement les du
même mois , qui étend aux Prieurés & Abbayes
fécularifées les difpofitions de celle du 30 Août
1755.
Ratification de la convention conclue entre S. M.
& le Prince-Evêque & l'Eglife de Bâle , concernant
les limites de leurs Etats refpectifs .
( 90 )
Lettres-patentes du Roi données à Versailles le
2 Septembre , enregistrées au Parlement les du
même mois concernant le Collège de Moulins
qui à l'avenir fera entre les mains des Prêtres de
la Congrégation de la Doctrine Chrétienne.
>
De BRUXELLES , le 10 Octobre.
L'ARRIVÉE du Roi de Suède en Hollande
, les voyages fucceffifs de ce Prince , dans
un pays fi digne de fa curiofité , où l'on voit
Pinduftrie & l'art luttant contre les élémens
, pour rendre folide une retraite qu'ils
défendent fans ceffe contre les eaux , & ou
ils réuniffent les richeffes du monde entier,
étouffent toutes les autres nouvelles , &
fufpendent la curiofité & l'impatience où
l'on eft d'apprendre les effets de la négociation
que la République fait entamer en
Ruffie au fujet de la neutralité armée , en
attendant le tems s'écoule , l'hiver approche
, & fi fa politique eft de temporifer
ce point paroît rempli pour cette année.
Les difpofitions du Portugal ne font plus
douteufes : fes Ports qui étoient fi favorables
aux Anglois , & dont ils ont fi bien profité
jufqu'à préfent , vont leur être fermés ; au
commencement du mois dernier , ils y
avoient conduit encore 3 navires Hollan
dois , l'un allant de Marfeille à St-Valery ,
avec des huiles , favon , vin , & autres
denrées , l'autre allant avec du froment de
· Liebau en Suède à Barcelone ; & le troifième
forti de Bilbao avec du fer & du fro-
竭
( 91 )
ment , pour Gênes . Ils ne pourront plus
en ufer ainfi à l'avenir : la Reine de Por
tugal a rendu le 30 Août le décret ſuivant ,
dont la publication a eu lieu le 9 Septembre
, & qui les a fort confternés.
›
» L'expérience ayant démontré que plufieurs
corfaires des Nations actuellement en guerre, abufoient
des commiffions ou lettres de marque qui
leur étoient accordées & plus encore de la
confidération & du bon accueil avec lefquels ils
étoient reçus dans les ports de mon Royaume ; par
un effet du fyftême de l'exacte neutralité que j'ai
réfolu de fuivre dans les préfentes circonftances ,
& me paroiffant jufte de pourvoir à ce qu'à l'ave
nir ils ne continuent pas de commettre les défordres
qui font arrivés plufieurs fois , parce qu'ils
n'ont pas refpecté , comme ils l'auroient dû , les
loix que j'ai rendues à ce fujet , & la fouveraine
immunité de mon territoire ; il m'a plu ordonner
que les corfaires , de quelque Nation qu'ils foient
da friens alus admin dana leo norre de mac Frare.
144 AGAGAL plus aumis dans des
རྒྱ་ པ 2
les prifes qui feroient faites par eux , ou par les
vaiffeaux & frégates de guerre , fans autre excep
tion que celle des cas où le droit des gens rend indifpenfable
l'hofpitalité , & avec cette condition encore
que dans lefdits ports , il ne leur fera pas per
mis de vendre lefdites prifes , fi elles y font conduites
dans les cas fufdits , & qu'ils n'y demeureront pas
plus de tems que celui qui leur fera néceffaire pour
fe mettre à l'abri du danger , ou obtenir les fecours
innocens qui leur feront néceffaires ; & quant aux
corfaires qui fe trouveroient actuellement dans mes
ports , il leur fera fait favoir qu'ils aient à en fortir
dans le terme préfix de 20 jours , à compter de celui
dans lequel ils en feront avertis «.
Ce décret prépare à l'acceffion du Portugal
à la neutralité armée. Les Anglois ne
( 92 )
voient pas fans inquiétude cette ligue de
L'Europe entière , contre leur prétention,
arbitraire à la fouveraineté des mers ; on
Lait les efforts qu'ils ont fait pour l'empê
cher. S'il faut en croire quelques papiers ,
ils n'en ont pas fait de moins grands pour
diminuer le nombre de leurs ennemis ; on
lit entr'autres détails fur ce fujer ceux- ci
que nous allons copier fans les contredire
ni les garantir.
» Il n'y a rien que l'Angleterre n'ait tenté depuis ,
un an pour divifer la maifon de Bourbon , & faire.
fa paix particulière avec l'Espagne . Elle a envoyé
pour cela , en différens tems , plufieurs de fes Emiffaires
à la Cour de Madrid , & elle a cherché à
intéreffer les Puiffances Catholiques à fa caufe. L'une
d'elles fe chargea , il y a 6 mois , de faire quelques
propofitions ; elles ne furent pas reçues fans
doute. Mais le Cabinet de St -James ne s'eft point
laffé . Il y a 8 jours , écrit-on de Sr- Tldephone , en
date du 22 Septembre , qu'une des Cours Catholi
ques les plus puiffantes a envoyé ici une perfonne,
chargée de pouvoirs plus étendus . L'Angleterre offre,
de céder Gibraltar , fi l'Espagne veut le réconcilier,
avec elle. Le Roi a répondu qu'il ne pouvoit entendre,
à quelques propofitions de paix , fans l'intervention
de la France. On a répondu à S. M. C. que la France
ayant reconnu l'indépendance des Américains , elle.
a ferimé , pour long- tems , la voie à toute réconciliation
. Le Roi a répliqué que fa confcience & l'honneur
de fa Couronne , l'obligeoient à ne pas fe détacher
davantage de fes alliés que le Roi de France des fiens ;
& malgré le vif defir qu'il a de rendre la paix à fes
peuples , malgré les grands avantages qu'on lui pro..
pofe , il ne peut ni ne doit traiter avec les encemis
de fa Couropne , fans le concours du Roi de
France et.
Ju
( ( 93 )
Suitedu Précis de l'Expédition de Capitaine Cook.
?
Avant de quitter . Otaheite , il eut foin de faire
planter les mufcadiers qu'il avoit apportés de la
Nouvelle-Guinée , & qui étoient très bien confervés .
il donna en même-tems des inftructions pour leur
culture. L'on eſt auffi informé , que durant ton fejour
en cette ifle , il s'occupa de la recherche de
plufieurs objets de la plus grande importance , particulièrement
de la manière en ufage chez les Natifs
pour naviguer leurs Ivahahs ou petites chaloupes .
Cette méthode peut conduire à porter un jugement
fur la question comment les ifles fort éloignées
du Continent ont pu fe peupler. Si l'on peut s'en
fier aux rapports , le réfultat de fes recherches à
cet égard a été très- fatisfaifant. On affure auffi qu'il
a trouvé que les habitans d'Otaheite avoient du
mouvement des corps céleftes , une idée auffi exacte
qu'ils avoient pu fe la procurer par une obfervation
naturelle , & qu'elle leur fuffifoit pour régler leur
route en mer tant de nuit que de jour. Si l'on ajoute
à cette reffemblance radicale de leur langage avec
celui des autres ifles de la mer du Sud , il reftera
peu de doute fur la poffibilité qu'ils foient tous
fortis d'une fource commune.
2
En quittant Otaheite , le Capitaine Cook porta
immédiatement fes vues vers le grand objet de
T'expédition : il dirigea en conféquence fa route
au Nord ; mais , comme l'on n'étoit pas encore
affez avancé dans la faifon , il paroît qu'il jugea
à propos d'employer encore quelque tems entre
les Tropiques , avant de fe porter directement à
la côte Septentrionale de l'Amérique . A la longitude
Orientale de 200 degrés , & vers la latitude
du Tropique , il découvrir une Ifle , à laquelle il
donna le nom de Sandwich : il jugea qu'elle appartenoit
à un grouppe d'autres Ines ; mais ne
jugeant pas à propos de perdre alors le tems néceffaire
pour les examiner , il continua une route
( 146)
qui le conduifit dans le mois de Mars 1778 au
Continent de l'Amérique environ au 29e degré de
latitude Septentrionale. Cette fituation étant à plus
de 8 degrés & demi au Sud des découvertes les
plus récentes faites par les Espagnols dont nous
avons connoiffance , il eft évident qu'il ne refte
aucune partie de cette côte étendue qui n'ait été
découverte , quoi qu'il foit à craindre que nous
n'en ayions pas encore une connoiffance fort parfaite.
Une conjecture que ces découvertes paroif
fent confirmer toutes fans exception , en compa
rant les faits & les apparences que les Naviga
teurs ont obfervés dans cette partie du globe
eft celle du favant Docteur Robertſon , par laquelle
il fuppofe que les deux Continens ont été féparés
par quelque convulſion extraordinaire de la nature.
Les Espagnols partis le 13 Mars 1775 de Saint-
Blas dans la Nouvelle- Galice , fous les ordres de
Don Brun de Heceta , y ont remarqué de grands
Volcans ; & la côte oppofée de l'Afie en préfente
également plufieurs . Les Inles fituées entre les
deux Continens & découvertes par les Ruffes
contiennent auffi toutes fans exception un nombre
plus grand ou plus petit de ces bouches à feu.
L'on affure encore que les Espagnols ont trouvé
le pays fur cette côte bien habité & un peuple
docile , humain , & même poli à certain degré :
quoiqu'ils cachent avec foin ce qui s'y eft paffé
de leur part , on croit favoir qu'ils y ont déja
établi plufieurs Miffions , & qu'ils ont tenté de
former quelques établiſſemens au Nord de la Ca
lifornie «.
Le navigateur Britannique , ayant fouffert confidérablement
dans la mâture & fes agrêts , & la Réfolution
ayant fait une voie d'eau , il fut dans la néceffité
de chercher un port pour ſe réparer.Il paroît
qu'il fut affez heureux pour en trouver un , où il fit
mouiller fon vaiffeau & le remit en état de pourfuivre
le voyage. On fuppofe que ce Havre a été dans quel
( 95 )
u'une des Anfes , apperçues par les Espagnols près
du Cap St- Auguftin. A fon départ de cet endroit Cook
fut affailli par des tempêtes fi violentes , qu'elles ne
lui permirent pas d'examiner cette côte : on n'en fera
pas furpris , fi l'on fe rappelle que ce doit avoir été
vers la fin de Mars ou au commencement d'Avril ,
la faifon de l'année où l'on eft expoſé à des tems orageux
dans cette latitude feptentrionale . Ils le contrai
gnirent à fe réfugier dans un port , qu'il découvrir
vers la latitude de 58 degrés 28 minutes , qui convient
à tous égards avec celle que Muller a affignée
au Havre où Behring mouilla immédiatement au
nord du Cap St-Elie. Après y avoir fait quelques réparations
à fes vaiffeaux , il longea la côte & l'examina
exactement. A cette occafion il découvrit , dit
on , des erreurs fans nombre dans les cartes Ruffes
qui le trompèrent fouvent , & manquèrent de caufer
fa perte. En continuant fa route du Nord , le long
d'une côte non interrompue , il parvint enfin à ce
point , qui a été fi long-tems l'objet des fpéculations
& des recherches , les extrémités des continents de
l'Afie & de l'Amérique.
the
Cook découvrit , que ces deux continents n'étoient
féparés que par un détroit de très-peu de lar
geur , dans lequel un peu au Nord il trouva que la
mer n'avoit pas beaucoup de profondeur. L'on n'a
pas encore communiqué au Public la latitude & la
longitude particulière de ces deux extrémités ; mais ,
fi l'on peut former une conjecture d'après la route
qu'il tint enfuite , ainfi que d'après la latitude , où il
lui fut impoffible de la pouffer plus loin à l'Eft , on
peut fuppofer qu'on n'eſt pas loin du compte , en
fixant la latitude de ces deux pointes entre le 65me
& le 67me degré , & la longitude environ au 20
degré E. du méridien de Greenwich , pofition où le
Dr. Maty a placé le Stachtan Nitada ou le grand
continent de l'Amérique ; mais la carte générale de
l'Empire Ruffe , publiée par Engel , affigne à l'extré
mité de l'Amérique une fituation beaucoup plus à
( 96 )
l'Oueft & au Sud. Les deux continents , à la hau
teur où ils s'approchoient de fort près , ne préfen
tèrent à l'il qu'une terre baffe , ftérile & déferte.
Ayant paffé ce détroit entre les deux hémiſphères ,
Cook longea la côte de l'Amérique au N. E. , dans
la fuppofition qu'en continuant la même route , il
effectueroit ce pallage vers la baye de Hudson par.
celle de Baffin qu'on a cherché jufqu'ici avec tant
d'ardeur quoiqu'avec fi peu de fuccès : mais il femble
, que notre aventurier ait été deſtiné à prouver la
futilité de ces fuppofitions dans le Nord , comme
dans les précédens voyages il avoit déja détruit
toute idée d'un continent dans le Sud de notre globe.
Il continua fes recherches jufqu'a la mi Août 1778
Lorsqu'a la latitude de 70 d 45 min. & à la longitude
de 198 d E. Il le trouva arrêté par des glaces
impénérables , qui l'obligèrent de retourner far fes
pas. Il female que ce n'ait pas été fans les plus
grandes eines & fans beaucoup de danger , qu'ilféutfit
enfin fe tirer de la fituation embarraflante ,
où il fe vit tout-d'un- coup par la promtitude impréyue
, avec laquelle les glaces l'environnèrent de
toutes parts. Il prit immédiatement la direction à
l'Ouest dans la vue de s'allurer de la poſſibilité d'un
paffage de la côte d'Afie en Europe , en longeant
celle de la Sibérie. Il l'atteignit en conféquence à la
latitude de 68 d. 5 min. & à la longitude de 180 d.
30 minutes. Quoique cette hauteur ne foit pas auffi
Septentrionale que le Promontoire fuppofé du Pays
des Tf hutki , elle eft cependant plus au Nord que
Behring ou quelque autre Navigateur Ruffe foit
parvenu , excepté peut- étre Krenitzin , qui entreprit
en 1760 un voyage pour faire dés découvertes , dont
Coxe viene de publier la relation ( 1 ) .
La fuite à l'ordinaire prochain.
( 1 ) La traduction de cette Relation curieufe eft
fous preffe , Hôtel de Thou , rue des Poitevins.
•*
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De SMYRNE , le 9 Août.
LA tranquillité commence à fe rétablir
dans cette ville . Cara - Ofman Oglu a du
moins pour cette fois racheté fa vie en
payant à la Porte , ou plutôt au Capitan
Bacha , exécuteur de fes ordres , une fomme
affez confidérable. Elez-Oglu ſe tient
encore caché ; il a échappé à toutes les recherches
qu'a fait pour le découvrir le Bacha
de Juſſelifar , accompagné d'un Capigi
Bachi. Ce dernier après plufieurs courſes
inutiles eft retourné dans fon gouvernement
; ce Bacha eft le même Abdul- Refack
qui rempliffant alors la charge de Reis-
Effendi , a figné la dernière convention avec
la Ruffie , & que la jalouſie du Grand- Viſir
actuel a éloigné des affaires . Jouffouf- Aga
eft en poffeffion du pofte de Muffelim du
Diſtrict qui environne cette ville , à la place
d'Elez-Oglu .
La peſte a prefque entièrement ceffé fes
ravages ; & l'on eſpère que les Eglifes que
ce fléau avoit fait fermer feront rouvertes
avant la fin du mois.
21 Octobre 1780 .
e
( 98 )
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 12 Septembre.
-
LES fêtes par lesquelles on cherche a rendre
agréable au Prince de Pruffe fon féjour
dans cette Capitale , fe fuccèdent & fe multiplient.
Le 9 de ce mois on célébra celle
du nom du Grand Duc Alexandre Paulowitz
, & le lendemain celle de S. Alexandre
Newski . L'Impératrice dîna ce jour en
public , revêtue des marques de l'Ordre de
ce nom , avec les Chevaliers qui en étoient
décorés , & au nombre defquels le Prince
de Pruffe venoit d'être admis . Il a affifté
aux manoeuvres du corps des Cadets nobles
, deftinés au fervice de terre , dont il
a été très-fatisfait . Depuis hier , il ſe trouve
un peu incommodé des fuites d'un coup
qu'un cheval lui donna , il y a quelque
tems , à la jambe. S. A. R. eft obligée de garder
la chambre ; mais elle continue d'admettre
tous ceux qui viennent lui rendre
leurs devoirs ; elle reçoit de fréquentes vifites
du Grand- Duc.
S. M. I. pour encourager le commerce
& la multiplication du bétail dans fes Etats ,
a adreffé au Sénat dirigeant un Oukaze en
date du 9 du mois dernier , par lequel elle
permet pour l'avenir l'exportation de la
viande falée , tant du port de cette Capitale
, que de tous les autres de cet Empire
en payant un droit de 2 copecs pour cha(
99 )
que pud ( environ 33 liv. ) qui fera exporté
des ports de la mer Noire , & de 3 copecs
& demi par chaque pud exporté des autres
ports. Cette denrée fera , ainfi que le
tabac , fujette à la vifite d'un Officier à ce
préposé.
Les deux Miniftres plénipotentiaires des
Provinces-Unies ont déja entamé leurs conférences
avec le premier Miniftre Comte
de Panin , & le Vice-Chancelier Comte d'Of
termann. A l'iffue de ces entretiens , ils
ont envoyé à la Haye un exprès , chargé
dit-on , d'ouvertures très - intéreffantes qui
ne peuvent fervir qu'à confolider de plus
en plus le grand ouvrage de la neutralité
armée , & à en rendre les effets plus falutaires
même aux Puiffances belligérantes.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 19 Septembre:
La nouvelle eſcadre qu'on équipe à Carlfcron
, a ordre de mettre à la voile , s'il
eft poffible , avant la fin du mois , & de
fe joindre à celle qui eft déja en mer fous
les ordres de M. de Wagenfeld . L'Amiral
général a expédié en conféquence à ce dernier
l'ordre de continuer fa croiſière juſqu'à
ce que le fecond armement fe foit réuni à
fon efcadre ; & pour qu'il ne foit pas dans
la néceffité de rentrer pour s'approvisionner
, on lui a envoyé deux navires avec
des vivres , dont les Commandans font chare
2
( 100 )
gés de chercher par-tout l'efcadre en cas
qu'ils ne la trouvent pas mouillée dans le
Sund. On a expédié en même- tems des duplicata
de ces inftructions à l'Intendant du
port de Gothembourg , & au Conful- Général
Gloerfeld à Helfingor , pour les remettre
à M. de Wagenfeld s'il relâchoit dans
l'un de ces deux ports. Depuis que ces mefures
ont été prifes , on a appris qu'il avoit
mouillé à Malmoë , où il lui a été envoyé
ordre de refter jufqu'à ce qu'il ait reçu les
approvifionnemens qu'on lui fait paffer de
Carlfcron , & de remettre en mer fans
délai.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Septembre.
M. de Tyfzenhaufen , Tréforier de la
Cour de Lithuanie , eft arrivé ici au grand
étonnement de tout le monde ; il a eu
l'honneur de faire fa cour au Roi , qui a
daigné l'accueillir avec bonté , ce qui fait
préfumer que fes affaires feront plus faciles
à arranger qu'on ne l'avoit d'abord publié.
Le tems de l'ouverture de la Diète approche
; on voit arriver ici journellement
beaucoup de Magnats & de Nonces : on
affure que le bâton de Maréchal de cette
Affemblée nationale fera donné au Comte
Malachowski , Grand Notaire de la Couronne.
( 101 )
Les troupes Ruffes qui ont été depuis
tant d'années dans la Pologne & la Lithuanie
, & dont l'entretien coûte annuellement
des fommes confidérables à leur Souveraine ,
ont reçu ordre de fe tenir prêtes à retourner
en Ruffie ; on croit cependant qu'elles ne
quitteront ce Royaume qu'après la tenue
de la Diète.
» Le mois dernier , écrit- on de Kaminieck en Podolie
, il y a eu dans cette Province de fi fortes
inondations que de mémoire d'homme on ne ſe fouvient
pas d'en avoir vu de femblables ; le Niefter & le
Pruth font fortis de leur lit , & ont inondé plufieurs
villages où un grand nombre de perfonnes & de
beftiaux ont été étouffés . A ce fléau s'en joint un
autre. Le 19 Août dernier , on a vu voler près de
cette ville des légions de fauterelles qui venoient
des environs de Sniatin , Smotryecz & Dunajow
où elles ont ravagé les bleds & les foins . Quantité
de ces infectes fe font fait voir dans l'Ukraine , &
n'ont pas caufé moins de dommages dans les campagnes
de la Moldavie. Des Voyageurs qui dans ce
tems-là traverfoient cette Principauté , ont rencon
tré des diftricts où dans une étendue de dix milles ,
ils n'ont trouvé aucune nourriture pour leurs che>
vaux , auxquels ils ont été obligés de donner du pain "<.
D'autres lettres de la Moldavie portent
que les troupes Ottomanes viennent des
Provinces les plus éloignées ſe raſſembler
dans les environs de Bender , de Choczinr
& d'autres Fortereffes , où elles font
journellement exercées au maniement des
armes à la manière des troupes Européennes
, & obfervent la difcipline la plus
exacte.
e 3
( 102 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 27 Septembre.
LE 25 de ce mois , l'Empereur , après
avoir fait avec l'Impératrice - Reine , fon,
augufte mere , une promenade à l'Au- Gar
ten , dans le quartier de Leopolſtadt , & y
avoir déjeûné avec elle , en prit congé de
la manière la plus tendre , & fe mit en
route pour la Bohême. Le Général Comte
de Lafci l'accompagne. On ignore combien
de tems durera fon voyage.
Le même jour l'Impératrice- Reine partit
pour Presbourg , où elle reftera jufqu'à
P'hiver , qu'elle reviendra paffer dans cette
Capitale.
Le bruit d'un voyage que le Grand - Duc
de Ruffie doit faire ici au Printems prochain
fe foutient ; & ce qui fembleroit le
confirmer , c'eſt que l'on parle déja de plufieurs
préparatifs pour fa réception.
De FRANC FORT , les Octobre.
LES trois Puiffances du Nord paroiffent
avoir pris de concert la réfolution de tenir
leurs efcadres en mer plus long- tems qu'il
n'avoit été convenu d'abord , & même de
les augmenter. On a parlé des préparatifs
que la Suède fait faire à Carlfcron , & de
ceux de la Ruffie à Riga : on apprend de
Danemarck que le 13 du mois dernier , il
a été expédié d'Helfingor un avifo , pour
( 103 )
aller chercher l'efcadre Danoife & lui porter
l'ordre de ne pas rentter. La divifion
Ruffe , fous les ordres du contre- Amiral
Krufe , a relâché le 30 Août à Chriſtian-
Sand , en Norwege : comme elle a beaucoup
de malades à bord , il a été dreffé
des tentes à terre , où on les a débarqués ,
pour accélérer leur rétabliſſement.
La levée des recrues pour les Régimens Bavarois
, écrit-on de Freyfingen , fe continue avec le
plus grand fuccès . Quelques - uns des Régimens .
d'Infanterie qui n'étoient compofés que de 300
hommes font déja forts du double , & feront
même portés à 1000 avant la fin de l'année. On a ſoin
für- tout de n'enrôler que des enfans du pays , afin
de prévenir toute défértion autant qu'il eft poffible.
L'Electeur ne fe rendra point à Manheim cette année.
Ce Prince prendra le mois prochain le divertiffement
de la chaffe à Weilheim «.
ITALIΕ.
De LIVOURNE , le 16 Septembre.
ON apprend de Rome que le Confiftoire
qui devoit fe tenir le 11 de ce mois a été
différé jufqu'au 18 ; on croit que ce délai
n'a eu lieu que parce que les procès - verbaux
, relatifs aux Coadjutoreries de Cologne
& de Munfter , ne font point encore
arrivés.
Le Pape , ajoutent les mêmes lettres ,
pour foulager les habitans de Bologne ,
ayant pris des Adminiftrateurs du Bolonois
les inftructions qui doivent éclairer fa biene
4
( 104 )
faifance , a fait un nouveau règlement fur
les impôts , par lequel il diminue principalement
ceux qui fe lèvent fur le pauvre.
S. S. a pris d'autres arrangemens qui tendent
à décharger le peuple de la manière
la moins fenfible , des dettes contractées
dans des tems de calamité .
Selon les lettres de Veniſe il eſt beaucoup
queftion dans ce moment de fupprimer
fix maifons de Bénédictins , & l'Abbaye
de St-Etienne , dans la Poléfine de
Rovigo. Le produit de cette fuppreffion eft
évalué à 350,000 liv. , dont la plus grande
partie fera deftinée à remonter le Confer
vatoire de la Pieta , qu'on croit à la veille
de faillir. La fuperbe Abbaye de St George ,
de l'Ordre de Câteaux , fondée à Venife ,
& toute compofée de Patriciens , n'eft pas
fans inquiétude ; elle vient d'offrir de fe
charger gratuitement de l'éducation de la
jeuneffe Patricienne , à condition qu'il lui
fera permis de prendre des Novices.
,
» Le Gouvernement , écrit- on de Gênes , ayant
été informé que cinq grands corfaires Algériens font
venus dans nos mers pour en troubler le commerce
ordonna auffi-tôt l'armement d'une efcadre de fept
bâtimens de 20 22 & 24 canons. Le pinque la
Notre-Dame de Bon fecours , & deux galères firent
voile le 7 avec une félouque pour attendre nos
vaiffeaux qui bien armés & fournis de nombreux
équipages , fortirent peu après pour aller à la pourfuite
des Barbarefques , qui n'ont paru vraisemblablement
que pour fe venger de la perte d'un chébec
pris dernièrement par le Marquis Jacques de Marchi.
( 105
)
C'eſt ce brave Officier qui commande l'efcadre . Les
Négocians de cette Place ont contribué aux frais de
cet armement , qui , à ce qu'on efpère , réuffira à
s'emparer des Corfaires ou du moins à leur faire
perdre l'envie de revenir dans nos mers « .
ESPAGNE.
De CADIX , le 19 Septembre.
Nous vîmes mouiller avant- hier dans ce
port , un brigantin expédié par M. de Guichen
le 30 Juillet ; ce Général étoit alors
au Cap avec 28 vaiffeaux de ligne , l'Expériment
feul étant refté à la Martinique ;
M. de Guichen avoit convoyé D. Solano qui
faifoit voile pour la Havane jufque dans
le canal , & il étoit arrivé au Cap avec
toutes les forces Françoifes de 23 Juillet.
Le jour du départ du brigantin , il a dû
fortir 2 vaiffeaux de ligne & quelques frégates
pour aller prendre , à Port - au- Prince ,
les bâtimens de commerce deftinés pour
l'Europe. M. de Guichen a dû appareiller
après les avoir raffemblés vers le is ou le
20 Août emmenant avec lui 14 ou 15
vaifleaux de ligne qui eſcortent i so navires
, la plupart richement chargés. La fanté
de M. de la Mothe - Piquet étant fort dérangée
, il revient en Europe . On ne penfoit
pas , au Cap , que M. de Guichen eût
ordre de toucher à l'Amérique Septentrionale
; le convoi qu'il efcorte eft trop précieux
pour qu'il ceffe de veiller fur lui ; &
nous comptons voir paroître ici l'eſcadre
>
es
( 106. )
& le convoi François dans 20 ou 25 jours.
M. le Comte d'Estaing eft attendu ici
avec d'autant plus d'empreffement , qu'on
eft perfuadé qu'il prendra le commandement
de l'armée combinée ; & on fe promet
, de fon activité , que de fi grandes
forces ne resteront pas oifives pendant l'hiver.
La divifion des vaiffeaux attend un
vent favorable, pour mettre à la voile. Il
nous eft venu du Détroit le vaiffeau le St-
Jean- Baptifte qui a beſoin d'être caréné .
Gibraltar eft referré plus que jamais . La
frégate l'Entreprife , la feule que les ennemis
aient dans leur baie , & un autre petit
navire faifoient , ces jours derniers , des
difpofitions pour s'évader. Leurs mouvemens
n'ont pas échappé au vigilant Barcelo
, qui difpofa fur le champ fes chébecs
de manière à les arrêter ; & les 2 navires
n'ofant courir le rifque d'être enveloppés
retournèrent à leur mouillage .
Le 13 , il arriva au camp deux foldats
Irlandois qui déclarèrent être Catholiques.
Ils ont confirmé que la place eft dans la
plus grande détreffe . Le bifcuit & la viande
falée font les feules provifions qui restent
à la garnifon ; elle manque abfolument de
bois & de charbon , ainfi que de vin , de
bière & d'eau - de- vie. Un autre objet dont
la privation fait beaucoup de peine aux
foldats , ce font les fouliers. Le cuir ayant
manqué on s'eft fervi de feutre pour
chauffer les troupes. Cette réffource étant
( 107 )
épuifée on fait aujourd'hui leurs fouliers
en draps ; mais comme il y a des poftes
au haut de la Montagne , où il faut monter
par des chemins rudes & efcarpés , ils n'ufent
pas peu de chauffures de cette nouvelle
fabrique.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 9 Octobre.
APRÈS une longue attente le public a
vu enfin paroître , le 30 du mois dernier
au foir , l'extrait des dépêches du Général
Clinton ; elles ont confirmé ce que l'on
favoit déja de la pofition de ce Général ;
c'eſt ainſi qu'il en rend compte.
-
" De New- Yorck , le 9 Août . Vos avis m'avoient
préparé à attendre un armement françois ,
& des informations que j'avois communiquées à l'amiral
Arbuthnot , m'avoient convaincu que leur
première deſtination étoit pour Rhode Iſland ; je
demandai en conféquence que l'on tînt prêts des
tranfports pour recevoir 6000 hommes , dans le cas
où , inftruit à tems de l'arrivée de l'ennemi , on auroit
pu tenter quelqu'entrepriſe contre lui. Les
Juillet , quelques vaiffeaux de guerre rencontrèrent
la flotte françoiſe à la hauteur du cap Henry ; le 8 ,
l'Amiral en fut informé ; le 13 , l'amiral Graves ' arriva.-
Le 18 , un courier expédié de l'extrémité
orientale de Long- Ifland , donna le premier avis de
l'arrivée des François , le 10 , devant Rhode-Ifland ;
j'en fis immédiatement part à l'Amiral Arbuthnot.
- Efpérant que peut- être il feroit encore tems d'en
treprendre quelque chofe d'offenfif contre l'ennemi ,
foit en l'attaquant par terre , foit en faisant coopérer
la flotte , fi l'Amiral le jugeoit convenable , je fis
-
e 6
( 108 )
$
embarquer dans la Sonde , le plutôt poffible , un
corps de troupes prêt à agir du côté de l'Eft , fi les
avis qu'on recevroit ultérieurement le rendoient néceflaire
, prenant la précaution de ne pas porter ces
troupes à trop de diftance , pour qu'elles puffent revenir
rapidement , & agir contre l'armée rebelle , f
dans mon abfence , elle formoit quelqu'entreprife
contre ces poftes. -Plufieurs caufes retardèrent
l'arrivée des tranfports à Frog' Neck , d'où mon embarquement
ne fut effectué que le 27 ; & pendant ce
tems-là tout l'espoir du fuccès que l'on pouvoit fe
promettre d'un coup de main s'évanouit . La Camilla
& l'Amphitrite qui devoient nous eſcorter ,
nous ayant joint ce jour-là , je m'avançai avec les
tranfports vers Huttingdon's Bay , où l'Amiral
m'informa que F'ennemi s'étoit fortifié de manière à
me faire renoncer à toute idée de rien tenter avec
les troupes feules ; je ne puis juger de ce que
l'on eût pu fe promettre de la coopération de la florte
; mais je préfume , vu la perfpective que les chofes
offroient alors , qu'il ne convenoit pas de l'entreprendre
en conféquence , le 31 , je retournai à
White Stone , où je défembarquai les troupes , tenant
toujours les tranfports prêts à les recevoir au
befoin , & l'armée campée près du rivage.
dant ce tems Washington , avec une armée portée
à 12,000 hommes , avoit fait un mouvement rapide
, paffé la rivière North & s'avançoit vers King's
Brigde , ou apprenant que mon armement ne s'étoit
point rendu à Rhode-Ifland , il repafla la rivière ,
& actuellement il eft près d'Orange- Town ; l'Amiral
eft près de Gardner's- Ifland , où je me rendrai ,
s'il eft poffible , pour conférer avec lui , & fes Officiers
, afin que fi la flotte peut entreprendre quelque
chofe , elle foit affiftée par les forces de terre ; car
il n'eft plus en mnon pouvoir , avec mes reffources
actuelles , & les troupes que j'ai à mes ordres , de
fonger à aucune entreprife , où je jouerois le rôle
Pen(
109 )
principal contre les forces unies des François & des
Rebelles , occupant un pofte que 3500 Anglois ont
pu maintenir , lorfqu'il étoit moins bien fortifié ,
contre 18,000 hommes & une flotte très - puiflante «.
Cette lettre eft fuivie d'une feconde ,
datée d'Eaft-Hampton , dans le Comté de
Suffolck Long - Ifland , le 20 Août , dans
laquelle on s'efforce de balancer le défavantage
annoncé dans la première , en
donnant des détails circonftancies & pompeux
de la conduite des réfugiés à Bull-
Feary , où 70 hommes fe font défendus.
contre 2000 Américains , qui fe font retirés
avec une perte confidérable , après
avoir renoncé à emporter d'allaut la redoute
qu'ils attaquoient. Mais quelles
font les fuites d'un combat honorable ,
fans doute à ceux qui l'ont foutenu , pour
entrer en comparaifon avec l'état déplorable
où fe trouve le Chevalier Clinton ?
A ces extraits on a joint ceux des deux
lettres de l'Amiral Arbuthnot , qui rend
compte des opérations de fa flotte , qui
n'a rien fait , & qui le 25 Août avoit
mouillé à Martha's Vineyard ; ceux de
4 lettres du Général Cornwallis , en date
des 30 Juin , 14 & 15 Juillet & 6
Août , terminent la Gazette du 30 ; on y
voyoit en général que les forces Américaines
fe raffembloient de tous côtés fur les
frontières de la Caroline Méridionale , que
le Général Gates en avoit pris le commandement
en chef, en fe mettant à la tête du
1
( 110 )
corps raffemblé d'abord par le Général Kalbe ,
& qu'il y avoit eu quelques efcarmouches
avec des fuccès divers. Suivant fa dernière
lettre, le Général Américain , Sumpter , ayant
attaqué le Lieutenant - Colonel Turnbull à
Rocky Mount , avoit été furpris & défait.
Un grand nombre de Loyalistes , raffemblés
par le Colonel Moore , avoit été également
difperfé le 18 Juin par le Général Rutherford
, & une partie des milices Américaines
qui s'étoient d'abord foumiſes au Roi , n'avoient
pas plutôt appris l'approche du Général
Gates , qu'elles s'étoient empreffé de
le joindre ; celles du diftrict de Chiraw
avoient même livré leurs Officiers , & les
circonftances avoient forcé le Général
Cornwallis de fe refferrer dans les environs
de Charles - Town .
>
Pendant qu'on raifonnoit à perte de vue
fur la pofition de ce Général , on en a reçu
des nouvelles qu'on attendoit avec anxiété ,
& qui ont été apportées par lé Capitaine
Roff , fon Aide-de-Camp ; elles ont donné
lieu à une Gazette extraordinaire qui vient
de paroître.
De Camden , le 20 Août. C'eſt avec un
vrai plaifir que je vais faire à V. S. le récit
d'une victoire complette obtenue le 16 de ce
mois , par les troupes de S. M. , queje commande ,
fur l'armée méridionale des Rebelles , commandée
par le Général Gates .
Dans ma Dépêche No. I ,
j'ai eu l'honneur d'informer V. S. que tandis que j'étois
à Charles-Town , j'étois régulièrement inftruit
par le Lord Rawdon de tous les incidens de quelque
-
( mr )
conféquence & de tous les mouvemens que faifoient
l'ennemi ou les troupes aux ordres de ce Lord . Le
9 de ce mois , deux Exprès m'apportèrent l'avis
que le Général Gates fe portoit fur la crique de Lynche
avec fon armée entière , que l'on fuppofoit
monter à 6 mille hommes , indépendamment d'un
détachement de mille autres , aux ordres du Géné
ral Sumpter , qui , après avoir tenté en vain de forcer
les poftes établis à Rockymount & à Hanging-
Rock , étoit fuppofé alors eſſayer de tourner notre
gauche pour couper nos communications avec les
Congarées & Charles-Town. L'avis ajoutoit que le
pays mal affectionné entre Pedée & Black River, étoit
dans un état de révolte ouverte , & que le Lord Raw.
don refferrant fes poftes , fe préparoit à raffembler
fes forces à Camden. En conféquence de ces informations
, après avoir terminé à Charles - Town
quelques affaires importantes , j'en partis dans la
foirée du 10 , & arrivai à Camden dans la nuit dú
13 au 14. J'y trouvai le Lord Rawdon avec toutes
nos forces , à l'exception du petit détachement du
Lieutenant Colonel Turnbull , qui s'étoit replié de
Rockymount fur les poftes du Major Ferguſon , de
la Milice du diftrict de 96 fur la petite rivière.
-
Il étoit alors à mon choix , ou de me retirer , ou
de faire une tentative contre l'ennemi ; car la pofition
de Camden étoit trop mauvaiſe pour y attendre
une attaque ; & dans le cas où le Général Sumpter
fe fût porté fur Waterée , mes provifions m'euffent
manqué fous peu de jours . Je ne voyois point
de difficulté à effectuer ma retraite à Charles-
Town , avec les troupes qui étoient en état de
marcher ; mais en prenant cette réfolution , nonfeulement
il falloit laiffer à Camden près de 800
malades & une grande quantité de munitions de
guerre , mais te voyois clairement que la conféquence
directe de cette démarche feroit la perte de
la Province entière , à l'exception de Charles-Town}
( 112 ).
montant à
,
& de toute la Géorgie , excepté Savannah , fans
compter que c'étoit renoncer pour l'avenir à toute
prétention à la confiance des amis que nous avions
dans cette partie de l'Amérique. D'un autre côté , il
n'étoit pas douteux que l'armée rebelle ne fût bien
commandée , que fon nombre n'excédât celui de´s
mille hommes , fans compter le détachement du
Général Sumpter , & d'un corps de milices de Virginie
12 ou 1500 hommes , lequel
avoit déjà joint le corps principal , ou devoit le joindre
à chaque inftant . Le mien qui n'avoit jamais été
nombreux étoit alors réduit , tant par les maladies
que par d'autres accidens , à environ 14co combattans
de troupes réglées & de provinciaux , & de 4 à
soo hommes de milice & de réfugiés de la Caroline
Septentrionale. Cependant la majeure partie des
troupes que j'avois étant parfaitement bonnes
ayant laiffé dans Charles -Town une garnifon & des
provifions fuffifantes pour foutenir un fiége, voyant
enfin que
dans le cas d'une défaite j'avois peu à
perdre , & beaucoup à gagner par une victoire , je
me déterminai à faifir la première occafion qui fe
préfenteroit d'attaquer l'armée rebelle . En conféquence
, je me donnai beaucoup de peines pour me
procurer des informations certaines fur fa pofition
&fur les mouvemens , & j'appris que dans l'aprèsmidi
du 14 , ayant quitté le pofte d'Hanging-Rock,
elle avoit établi fon camp près de la maifon du Colonel
Rugeley , à environ 12 milles d'ici . — Après
avoir confulté quelques perfonnes intelligentes
qui connoiffoient bien le terrein , je me déterminai
le 15 à 10 heures du foir à me mettre en marche & à
attaquer l'ennemi au point du jour , dirigeant mes
forces principales contre les troupes continentales
que je favois , d'après de bonnes informations , être
mal poftées tout près de la maifon du Colonel Rugeley.
Très-tard , dans la foirée , j'appris que ce
jour même les Virginiens avoient joint . Cepen(
113 )
dant, comme on s'y étoit attendu , je ne changeai
rien à mon plan : je marchai à l'heure marquée
laiffant la défenfe de Camden à quelques Provinciaux
, un parti de milices, & des convalefcens ; &
un détachement du foixante-troisième régiment ,
qui , monté fur des chevaux qu'il avoit preffés fur
la route , devoir , à ce qu'on efpéroit , arriver dans
le cours de la nuit.
-
-
J'avois marché l'espace de neuf milles , lorfque
fur les deux heures & demie du matin ma garde
avancée rencontra l'ennemi . La vivacité foutenue du
feu m'indiqua que fes forces étoient confidérables ;
& quelques déferteurs ou prifonniers m'aflurèrent
que c'étoit l'armée rebelle entière qui ſe portoit à
Camden pour nous y attaquer. Je fis halte
fur le champ , & me formai. L'ennemi faisant la
même chofe , le feu ceffa peu de tems après . Plein
de confiance dans la difcipline & le courage des
troupes de S. M. , informé par divers habitans intelligens
que le terrein fur lequel fe trouvoient les deux
armées , rétreci par les marais qui étoient fur la
gauche & fur la droite , étoit extrêmement favorable
à mon infériorité en nombre , je ne voulus pas
hazarder la partie importante dont alloit décider
un combat en me livrant à l'incertitude & à la confufion
inféparables d'une action qui fe paffe dans
l'obfcurité , mais prenant les mefures néceffaires
pour qu'il ne fût pas au pouvoir de l'ennemi d'éviter
le combat fur le terrein que nous occupions je
me déterminai à différer l'attaque jufqu'au retour du
jour. Dès le crépufcule , je fis mes dernières difpofitions,
& je formai les troupes dans l'ordre fuivant :
la divifion de la droite confiftant en un petit corps
d'infanterie légère , les vingt- troisième & trentetroisième
régimens aux ordres du Lieutenant - Colonel
Webſter : celle de la gauche , compofée des Volontaires
d'Irlande , de l'Infanterie de la légion , &
d'une partie du Régiment du Lieutenant - Colonel
( 114 )
-
Hamilton , de la Caroline Septentrionale , aux ordres
du Lord Rawdon , ayant 2 pièces de 6 , & 2 de
3 livres de balles , commandées par le Lieutenant
Macleod. Le foixante-onzième régiment , avec
2 pièces de 6 , fut formé comme corps de réſerve ,
un de fes bataillons fur l'arrière-garde de la divifion
de la droite ; l'autre , fur celle de la gauche ; la cavalerie
de la légion formant l'arrière du tout , &
placée très-près du foixante-onzième régiment , par
ce que le pays étoit couvert de bois : elle avoit ordre
de faifir toutes les occafions qui fe préfenteroient
de rompre la ligne de l'ennemi , & de fe tenir prête
à protéger la nôtre , dans le cas où quelque corps
effuyeroit un échec.
›
A peine ces difpofitions étoient faites , que je m'ap
perçus que l'ennemi perfiftant de fon côté dans la réfolution
qu'il avoit prife de combattre , s'étoit formé
fur deux lignes , en face & près de nous . Remarquant
enfuite fur la gauche quelque mouvement
que je fuppofai indiquer le deffein de faire quelque
changement dans fa difpofition , je chargeai le Lieutenant-
Colonel Webſter de commencer l'attaque
ce qui fut exécuté avec beaucoup de vigueur ; quelques
minutes après l'action fut générale dans toute
l'étendue du front : dans ce moment- là , l'air étoit
abfolument calme & chargé d'un peu de brume ; cetté
circonstance empêchant la fumée de s'élever , occafionna
une obfcurité fi profonde , qu'il étoit difficile
de diftinguer l'effet d'un feu très -vif & très - bien
foutenu de part & d'autre . Notre ligne continua d'avancer
en bon ordre , & avec la froide intrépidité
des foldats Anglois expérimentés , entretenant un
feu conſtant , où faifant ufage de la bayonnette , felon
que l'occafion s'en préfentoit ; enfin , après avoir
éprouvé pendant trois quarts- d'heure une réfiftance
obftinée , elle jetta l'ennemi dans une confufion générale
, & le força à lâcher pied de tous côtés . Je
faifis ce moment pour ordonner à la cavalerie de
( 115 )
completter la déroute , ce qui fut exécuté avec la cés.
lérité & fa bravoure ordinaire . Après avoir chargé
avec beaucoup d'exécution fur le champ de bataille ,
elle continua de poursuivre l'ennemi jufqu'à Hanging-
Rock , à 22 milles de l'endroit où l'action s'étoit
paffée. Pendant la pourſuite , elle lui tua beaucoup
de monde , fit plufieurs prifonniers , lui enleva
près de 150 chariots ( fur l'un desquels le trouvoit
un canon de fonte dont l'affût avoit été endommagé
dans l'efcarmouche de la nuit ) ; une quantité
confidérable de munitions de guerre , tous les bagages
& équipages de campagne de l'armée rebelle ,
tombèrent entre nos mains. La perte de l'ennemi
a été très-considérable ; on lui a pris plufieurs drapeaux
, 7 pièces de canon de fonte , formant toute
l'artillerie qu'il avoit lors de l'action , & tous fes cha.
riots de munition : on lui a tué de 8 à 900 hommes,
parmi lesquels fe trouve le Brigadier - Général Gregory
; on lui a fait environ mille prifonniers , dont
plufieurs font bleffés . Du nombre de ces derniers
étoient le Major- Général Baron de Kalbe , mort depuis
, & le Brigadier - Général Rutherford . - · J'ai
I'honneur de joindre , ci - inclus , un état des morts
& bleffés de notre côté : la perte de tant de braves
gens eft infiniment à regretter , mais le nombre en
eft modéré en proportion d'un avantage fi confidé .
rable. La conduite des troupes de S. M. en général
a été au- deffus de tous les éloges ; elle leur fait -
honneur , ainfi qu'à leur pays. J'ai eu des obligations
particulières au Colonel Lord Rawfon , & au
Lieutenant-Colonel Webſter , à raifon du courage
- & de l'habileté diftingués avec lefquels ils ont conduit
leurs divifions refpectives . La capacité & la vigueur
du Lieutenant- Colonel Tarleton , à la tête de
la cavalerie , méritent de ma part les plus grands
éloges . Le Lieutenant M' Leod s'eft beaucoup diftingué
en commandant notre artillerie ; le Capitaine
Roll , mon Aide-de- Camp , & le Lieutenant Hal-
--
→
( 116 )
1
-
dane , du corps du Génie , fervant comme Officiers
de ce corps , m'ont rendu les fervices les plus effentiels.
Les Officiers publics , tels que le Major de
la brigade England , qui faifoit le fervice d'Adjudant
- Général député , & les Majors de Brigade
Manley & Doyle ont fait preuve de la plus grande
attention & du plus grand zèle pour le fervice. Le
Gouverneur Martin eft rentré dant la carrière militaire
, & s'eft conduit avec tout le feu d'un jeune Volontaire.
La fatigue des troupes les mettoit hors
d'état de rien tenter d'altérieur le jour de l'action ;
mais comme je fentis de quelle importance il étoit
de détruire ou de difperfer , s'il étoit poffible , le
corps que commandoit le Général Sumpter , parce
qu'il pouvoit favorifer le ralliement de l'armée en
déroute , dans la matinée du 19 , je détachai le Lieutenant-
Colonel Tarleton avec la légion à pied & à
cheval , & le corps d'infanterie légère , le tout montant
à environ 350 hommes , avec ordre de l'attaquer
par tour où il le trouveroit. En même tems
j'expédiai au Lieutenant- Colonel Turnbull & au Major
Ferguſon , qui fe trouvoient alors fur Little- River
, l'ordre de mettre fur le champ leurs corps en
mouvement , de pourfuivre de leur côté & de tâcher
d'attaquer le Général Sumpter. Le Lieutenant- Colo
nel Tarleton exécuta cet ordre avec fon activité &
fon habileté ordinaires ; il fe procura de bonnes in-¨
formations fur les mouvemens de Sumpter ; & , par
des marches forcées & fecrètes parvenant jufqu'à
lui , le furprit le 18 au milieu du jour près de Catawba
-Fords , détruifit ou diſperſa totalement fon
détachement , confiſtant en 700 hommes , dont il
tua 150 fur la place même , lui enleva 2 pièces de
canons de fonte 300 prifonniers & 44 chariots . Il
Jui reprit auffi 100 de nos gens qui étoient tombés
entre les mains , partie dans l'affaire d'Hanging-
Rock , partie fervant d'efcorte à quelques chariots
qui alloient de Congarées à Camden. Il remit en
I
·
( 117 )
-
-
même tems en liberté 150 de nos miliciens , ou de
nos amis , habitans de la campagne dont les Rebelles
s'étoient emparés. Le Capitaine Campbell
qui commandoit l'infanterie légère , Officier d'une
grande efpérance , fut malheureufement tué dans
cette affaire. Notre perte d'ailleurs a été légére. Cette
action eft trop brillante pour demander des commentaires
de ma part , & je ne doute pas qu'elle ne recommande
hautement le Lieutenant- Colonel Tarleton
aux bontés de S. M. Les forces rebelles étant
actuellement difperfées , les commotions & infurrections
intérieures vont être étouffées dans la Province
, mais je donnerai les ordres pour que l'on inflige
des châtimens exemplaires fur quelques - uns
des plus coupables , dans l'efpoir d'empêcher à l'avenir
que d'autres ne fe falfent un jeu du ferment
d'allégeance , de la douceur & de la générofité du
gouvernement Britannique. Dans la matinée du
17 , j'ai fait partir pour la Caroline Septentrionale
des perfonnes fûres , chargées d'annoncer aux amis
que nous avons dans cette Province , qu'ils pouvoient
prendre les armes , s'affembler fur le champ ,
s'emparer des habitans les plus violens , de tous les
magafins & de toutes les munitions de guerre qui
appartiennent aux Rebelles , & d'intercepter tous les
fuyards échappés à la déroute de l'armée , leur promettant
de marcher fans perte de tems à leur appui.
On fait actuellement paffer de Charles-Town à
l'armée , quelques approvifionnemens néceffaires ,
& j'efpère que leur arrivée me mettra dans peu de
jours en état de `marcher.- Le Capitaine Roff,
mon Aide-de-camp , aura l'honneur de préſenter ces
dépêches à V. S. Il est en état de vous donner les
détails les plus complets fur l'état de l'armée & du
pays ; c'eft un Officier qui mérite beaucoup , & je
prends la liberté de le recommander à la faveur &
à la protection de V. S.
-
>
( 118 )
» L'état de l'armée du Général Cornwallis la
porte à 1 Colonel , 4 Lieutenans- Colonels , 3 Majors
, 31 Capitaines , 46 Lieutenans , 23 Enfeignes ,
6 Adjudans , 2 Quartiers - Maîtres , 3 Chirurgiens ,
1 Aide , 133 Sergens , 40.Tambours , & 1944
Soldats.
2
Les morts qu'il a eu confiftent en 1 Capitaine ,
Lieutenant , 2 Sergens , 1 Tambour , 213 Sôldats.
Il y a 2 Sergens & 9 Soldats qui manquent.
Pris à l'ennemi 4 pièces de fonte de 6 , 2 de 3 ,
2 de 2 ; une pièce de fer de 3 , une de 2 & 3
pieriiers ; 22 chariots de munitions couverts ; 2
forges de campagne ; 160 charges pour des pièces.
de 6 , 520 pour des pièces de 3 ; 2000 armes ,
80,000 cartouches de fufil.
Une nouvelle auffi intéreffante & à laquelle
on ne s'attendoit pas , a un peu
confolé de celles qu'on avoit reçues précédemment
; mais elle ne raffure pas fur les
évènemens qu'on craint à New- Yorck ; fi la
victoire du Lord Cornwallis nous conferve
la Caroline Méridionale , ce qui n'eft peutêtre
pas bien certain , nous fommes à la
veille de perdre New-Yorck , & nous ne
ferons que ce que nous avons fait jufqu'à
préfent , ne nous établir dans une nouvelle
conquête que pour être chaffé des anciennes.
On fait qu'il y a de grandes divifions
entre les Officiers à New-York. Le Général
Clinton & l'Amiral Arbuthnot ont eu des
démêlés qui ont , dit-on , porté le premier
à écrire à la Cour qu'il falloit abfolument
rappeller l'un ou l'autre. Ces circonstances
ne promettent pas de fuccès , les ennemis
qui en font inftruits peuvent en profiter :
( 119 )
ils font bien plus redoutables , s'il eft vrai ,
comme on le croit , que M. de Guichen
ait détaché 4 ou 5 vaiffeaux , qui ont eu
ordre de joindre M. de Ternay , & envoyé
un renfort de troupes à M. de Rochambeau
. Si cette nouvelle eft vraie ,
comme elle eft vraisemblable , on a lieu
d'efpérer qu'il ne fe fera rien aux Ifles ;
ce détachement n'ôtera pas aux François &
aux Efpagnols leur fupériorité , qui impofera
toujours à l'Amiral Rodney la néceffité
dene rien diftraire de fes forces ; tout ce qu'il
en a lui eft néceffaire pour fe tenir fur la
défenfive , & s'il avoit l'imprudence d'imiter
M. de Guichen , il remettroit les ennemis
en état d'agir offenfivement avec plus
de fuccès.
On n'a point de nouvelles de ces parages
; on s'occupe ici du foin d'y envoyer
les renforts néceflaires : 4 vaiffeaux de ligne
ont appareillé de Torbay ; on dit qu'ils ne
font fortis que pour une croifière ; mais il
eft prefque certain qu'ils font deſtinés pour
les Illes. Outre ces vaiffeaux le Chevalier
Samuel Hood eft forti avec 8 autres , &
à ce qu'on croit pour la même deftination.
Une lettre du Commodore Edward , datée
de St-Jean de Terre-Neuve le 13 Août ,
a été publiée dans la Gazette de la Cour
dus de ce mois.
Elle roule uniquement fur les prifes qu'il a
faites de quelques petits corfaires Américains ,
( 120 )
fur les frégates qui l'ont joint & affifté dans fa
croifière , & fur le convoi qu'il a fait donner à
quelques - uns des bâtimens de la flotte pour Québec
jufqu'au fleuve St - Laurent. Elle eft terminée ainfi :
j'ai la fatisfaction d'informer L. S. que depuis
mon arrivée il n'a été pris aucun bâtiment Anglois
, ni commis aucune déprédation dans aucune
partie de Terre- Neuve.« .
›
Dans un poft fcriptum du 16 Septembre , il ajoute
qu'il vient d'apprendre par une lettre de St-Pierre
en date du 6 Août , que la frégate le Hind qui
venoit d'arriver de Québec & alloit y retourner
rapportoit qu'avant fon départ les troupes y étoient
arrivées en bon état . Il parle auffi de la repriſe
de 2 bâtimens de la flotte de Québec & de la
capture de quelques corfaires Américains , ainfi que
de celle du Mercury , paquebot de Philadelphie
pour l'Europe , à bord duquel s'eft trouvé l'honorable
Henri Laurens , ci-devant Préfident du Congrès
, qui paffoit en Hollande avec une miffion
des Etats-Unis.
+
La frégate la Veftale qui a fait cette prife
le 12 Septembre , & qui eft partie de St-Jean
le 16 , n'a mis que 15 jours dans fa traverfée.
Elle a débarqué M. Laurens à Darmouth,
à caufe du mauvais état de fa fanté. Auffitôt
que la Gazette de la Cour eut annoncé
la priſe de cet homme célèbre , il parut dans
nos papiers la pièce fuivante , fous le titre
d'Avis aux Miniftres.
» M. Henry Laurens , ci - devant Préfident du Congrès
, & qui vient d'être fait prifonnier en allant
a la Haye , eft un des meilleurs & des plus grands
hommes que l'Amérique ait vu naître. Le fang froid
& la modération qu'il a montrés dans la naiffance
des premiers troubles en Amérique fit beaucoup
d'honneur à ſa fagelſe & à ſa fermeté ; ſa
maifon
( 121 )
- M. Laumaifon
à Charles-Town fut fouvent environnée au
milieu de la nuit par une populace déterminée à
le facrifier lui & fa famille , comme étant partifan
de l'Adminiſtration Angloife , ou ami tiède de
l'Amérique. Il dut fon falut à ſon ſang froid &
à la réfolution qu'il eut de fe préfenter devant
cette populace , la conjurant de n'agir que contre
lui & d'épargner fa famille innocente .
rens foutint toujours que les appréhenfions de l'Amérique
étoient mal fondées , juſqu'à ce qu'il eut
paffé en Europe & qu'il eut appris en Angleterre
qu'il étoit queftion d'un projet qui depuis a prefque
commis un fuicide fur l'Empire . Cela détermina
M. Laurens à fe charger du rôle qu'il a
joué depuis avec tant de diftinction . Il eft bon
que les Miniftres connoiffent l'importance de la
prife qu'ils ont faite. S'il y a eu un homme de
fortune qui foit entré dans la querelle Américaine
avec honneur , avec modération & avec fageffe ,
c'eft fans contredit M. Henri Laurens. S'il eft
poffible aujourd'hui de terminer quelque chofe par
la voie de la négociation , c'eft par l'entremise de
cet Américain. L'Adminiſtration doit ajouter foi
à tout ce qu'il déclarera fur fon honneur pouvoir
fe faire , car jamais il n'a manqué à fon honneur.
Mais il faut éviter toute efpèce de fupercherie ou
de fraude , car avec la douceur d'une colombe il
a la fineffe d'un ferpent. L'Adminiſtration ne
fauroit auffi être trop en garde contre ceux qui
lui donnent des avis. Tous ceux qu'elle a employés
dans les affaires Américaines l'ont toujours
trompée jufqu'à préfent. Le Chevalier E.
L. ci-devant
-
•
à Charles -Town , eft marié à une nièce de M.
Laurens , mais il ne vit pas avec elle . Il y a eu
entre le Chevalier E. & un autre neveu de M.
Laurens une tranſaction qui , n'étant point conforme
aux ufages d'Amérique , a occafionné un
21 Octobre 1780. f
( 122 )
démêlé de famille. Le Ministère ne devroit donc
pas recevoir comme l'Evangile tout ce qu'il plaira
au Chevalier E. de dire contre M. Lau- .....
rens. S'il n'eft pas poffible d'entamer une négociation
par l'entremise de M. Laurens , c'eſt une
chofe à laquelle il ne faut point du tout fonger
par un autre canal «.
La perte de la flotte de Québec fe fera
bientôt fentir par les fuites fâcheuſes qui
en réfulteront pour le commerce , & peutêtre
elle affurera la conquête du Canada
pendant l'hiver ; car il y a déja deux mois
que nous n'avons rien appris de cette colonie
, fi l'on en excepte quelques détails
qui nous font venus par la voie d'Halifax
d'une nature très défagréable ; l'état de la
garniſon étoit fi défefpéré il y a quelques
mois , qu'un bâtiment chargé de farine arrivé
pour le compte des Marchands dans
la rivière de St- Laurent fut arrêté pour l'ufage
de la garnifon , & le manque où elle
étoit de provifions , & de prefque tous les
articles étoit extrême , & rendoit fa pofition
on ne peut pas plus critique.
Plufieurs Capitaines & paffagers pris fur
la flotte de Québec & conduits à Boſton à
la fin de Juillet , font déja partis pour Londres
. Les Américains accordent à tous les
prifonniers Anglois au - deffus du matelot ,
la permiffion de s'en aller pourvu qu'ils
demandent un pavillon de trève pour New-
Yorck ou Halifax ; ce traitement eft bien
différent de celui que nous faifons en Angleterre
aux prifonniers Américains . Onze
( 123 )
de ces infortunés font actuellement aux fers
dans la prifon de Woodftret , pour piraterie
fuppofée quoiqu'ils fuffent munis d'une com.
miffion fouftraite par le Capitaine du cutter
qui a pris leur bâtiment , & d'autres ont été
preffés à bord du Nightingale , à la Tour.
Ils font partie de l'équipage du Revenge ,
corfaire venant de Maryland & allant à
Nantes pris par l'Entreprife , corfaire de
Londres.
» Lorfque le Chevalier Clinton a envoyé le Général
Dalrymple à Londres , pour y porter les dernières
dépêches de New-Yorck , il n'a eu d'autre
motifque de s'en débarraffer . Le Gouvernement avoit
nommé le Général Dalrymple Quartier- Maître du
Chevalier Clinton en Caroline. Mais avant d'arriver
à Charles- Town , M. Clinton avoit choifi un autre
Quartier-Maître , & ne voulant point fe défifter de
ce choix , il avoit donné à M. Dalrymple la commiffion
de porter à Londres les mauvaiſes nouvelles
que l'on a vues hier de New-Yorck , dans les Papiers ;
on dit que le Chevalier a sû que pendant que M.
Dalrymple étoit à Charles - Town ; celui - ci avoit
écrit une lettre au Lord Beauchamp , où il affuroit
ce Lord
que ce feroit la faute du Commandant en
Chef, fi toute la partie du Sud de la rivière d'Hudfon
n'étoit pas bien-tôt conquife & entièrement fubjuguée
par les armes de S. M. Si le Général Dalrymple
effectivement écrit une pareille lettre , il mérite d'être
mis à Bedlam. ( hopital des foux. ) Le Lord Cornwallis
qui eft fur les lieux & qui fait tous les efforts poffibles
, n'a pas pû pénétrer encore jufqu'à la Caroline-
Septentrionale.
f 2
( 124 )
FRANC E.
De VERSAILLES , le 17 Octobre.
LE Maréchal de Mouchy , de retour de
fon Commandement de Guyenne , a eu
l'honneur de faire fes révérences au Roi &
à la Famille Royale , le 6 de ce mois .
Le 8 , le Chevalier du Authier a eu l'honneur
d'être préſenté à LL. MM. & à la Famille
Royale par le Duc de Penthièvre en
qualité de fon Capitaine des Gardes.
Le même jour LL. MM. & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du
Vicomte d'Affry , Capitaine au régiment
des Gardes Suiffes , avec Demoiſelle de
Garville.
L'affemblée générale de Clergé, compofée
de Cardinaux , d'Archevêques , d'Evêques &
de Députés du fecond Ordre , fut préſentée
au Roi le même jour par M. Amelot , Secré
taire d'Etat, chargé des affaires du Clergé , &
conduite par M. de Watronville , Aide des
Cérémonies . L'Evêque de Clermont porta
la parole au nom de l'Affemblée , après
quoi le Cardinal de la Rochefoucault préfenta
& nomma au Roi les Députés du
premier & du fecond Ordre.
La Cour a pris , le 12 de ce mois , le deuil
pour 8 jours , à l'occafion de la mort du
Prince de Carignan. Le lendemain elle s'eft
rendue au Château de Marli , où elle paflera
le refte du mois,
( 125 ).
De PARIS , le 17 Octobre.
UN fecond courier expédié de Cadix , a
appris qu'une troisième corvette dépêchée
par M. de Guichen , a mouillé dans ce port
le 24 du mois dernier. Elle apportoit des
dépêches du Chef- d'efcadre François qu'elle
avoit quitté le 23 Août , 5 jours après fon
débouquement. La lettre de M. de Guichen
eft datée du 20. Il a , dit- on , avec lui 18
vaiffeaux de ligne , & fous fon convoi environ
120 voiles . On l'attendoit à Cadix
vers le 8 ou le 12 de ce mois.
Le 22 Septembre , la divifion commandée
pour aller croiſer fur les côtes de Portugal ,
forte des vaiffeaux de ligne , dont trois François
, 2 Eſpagnols & 2 frégates aux ordres de
M. de Marin , appareilla par un vent frais . On
n'avoit point à Cadix de nouvelles de l'efcadre
fortie du Ferrol un mois auparavant ;
nous ne fommes pas plus inftruits ici de ce
que font devenus le Royal- Louis & la Bretagne.
Nous avons rapporté une lettre d'un Offi .
cier de l'armée de M. de Rochambeau ; on
nous faura gré de placer ici l'extrait de quelques
autres écrites par le Colonel du régiment
de Deux- Ponts , & arrivées en mêmetems.
Les détails qu'elles contiennent ne fauroient
être plus intéreffans.
Du Camp de New - Port ,
ma précédente lettre je vous parlois des Américains ;
gagnent à être connus . J'ai trouvé parmi eux de
ils
le 29 Juillet. - Dans
f 3
( 126 )
la droiture , de l'honnêteté & de l'hofpitalité . Leurs
milices nous ont joint ; elles ne font pas habillées ,
manquent de fouliers , même des aifances les plus
communes chez les Européens , de ces aifances qui
manquant dans une armée Européenne feroient déferter
tout le monde ; mais ces troupes Américaines
ont de bonnes armes , une patience incroyable , &
beaucoup de fobriété . Il n'eſt point de foldats plus
durs qu'eux , & plus accoutumés à toutes les privations
imaginables . De pareils hommes ont néceffairement
du courage , & ce qu'ils ont fait depuis quatre
ans , le prouve incontestablement.
- On a con
voqué depuis quelques jours la Milice de Rhode-
Ifland , pour fe joindre à nous ( elle fera au moins
4500 hommes ) , fur la nouvelle que le Général
Clinton faifoit à New-Yorck des préparatifs de défenfes
néceffaires , & nous fommes à tous égards en
état de recevoir les ennemis qui pourroient le repentir
de fe dégarnir devant le Général Washington
. J'apprends dans le moment que le petit bâtiment
expédié pour l'Europe avec nos premières
Lettres , a péri. Je vais donc revenir à notre navigation.
Nous avons employé 71 jours à la traverfée
, dont près de trois femaines entre les 27 &
28 degrés de latitude. Le 20 Juin cinq vaiffeaux de
ligne Anglois & une frégate nous ont approchés.
On s'eft canonné de loin ; les ennemis fe font retirés
à la nuit. Je ne fais pas qu'il y ait eu fur l'efcadre plus
de 8 à 10 hommes tués , & une trentaine de bleifés .
- En attérant à la baye de Chéfapeak on eut connoiffance
d'une eſcadre ; la nôtre fans chercher à la
reconnoître , marcha vers fon objet , en fe tenant
prête à combattre. Dans la traversée , elle a fait
cinq prifes. Nous avons commencé à débarquer
le 13. Les habitans nous apportent leurs denrées
avec toute confiance. Elles font fort chères , les animaux
à meilleur marché font les chevaux.
--
-
Du 31 Juillet. Depuis notre débarquement ,
( 127 )
une efcadre Angloife a paru ; elle devoit être fuivie ,
difoit-on , de l'arrivée de Clinton avec toutes les
forces. En conféquence , M. de Rochambeau a convoqué
les Milices du pays , & elles ont volé aux
ordres de notre Général , avec une volonté , un empreffement
dignes des plus grands éloges. Voici des
exemples. M. le Vicomte de Noailles étoit détaché
dans l'ifle de Conanicut avec un battaillon de Soiffonnois
; on lui envoya un bataillon Américain pour
le renforcer. Il arrivà à dix heures du foir , fans avoir
mangé depuis 24 heures. Le Commandant Américain
demande au Vicomte de Noailles ,
s'il peut donner
du pain à fa troupe exténuée de faim & de fatigue.
Le Vicomte répond qu'il n'a point de provifions avec
lui , & que fes foldats n'ont de pain que jufqu'au
lendemain. Le Commandant Américain rend à fa
troupe la réponſe du Vicomte de Noailles. Point de
murmure , point de mécontentement. Eh bien , fi
nous ne trouvons rien à manger , allons dormir.
Le Vicomte de Noailles pénétré du caractère de fermeté
& de patience de nos alliés , traduifit auffi - tôt
à fon bataillon la réponſe des Américains . Auffi - tôt
tous nos foldats viennent apporter à ces braves gens
tout ce qu'ils avoient , & les forcent de partager
lears provifions. Ils vuident auffi la moitié de leurs
tentes & y placent les Américains « .
Deux jours après , M. de Rochambeau eut befoin
de 300 hommes pour la conftruction d'une redoute.
La milice Américaine y marcha ; notre Général
leur fit offrir du pain , de la viande , de l'eau - devie
& de l'argent ; ils refusèrent tout. Vous venez
combattre pour nous , nous dirent-ils , c'eſt à l'Etat
à récompenfer nos travaux , mais nous ne
pouvons rien accepter de vous. On infifta ; leur
refus fut opiniâtre , & depuis trois jours nous les
voyons travailler comme des forçâts avec la plus
grande gaieté. Hier au foir , au grand étonnement
de tout le monde , il nous eft arrivé une
--
£
4
( 128 )
---
›
compagnie de 75 volontaires Américains à cheval ,
fort bien montés , qui font venus s'offrir pour combattre
avec nous ; ils nous ont annoncé 300 autres
volontaires à cheval qui s'affemblent , & 11,000O
hommes de milice , dont nous pouvons difpofer.
Jamais il ne fut dans le pays , depuis la révolution
une fermentation auffi vive & une exaltation auffi
réelle que celle dont le nom François pénètre tous
les efprits. Tel eft le caractère de nos alliés.
On dit , on affure même que Clinton s'embarque à
New-Yorck avec 10 , coo hommes de fes meilleures
troupes , pour venir nous attaquer . Nos difpofitions
font faites pour la réception la plus vigoureufe
, & il eft prefqu'impoffible que nos ennemis
n'échouent. Il n'eft rien de plus difficile que d'effectuer
un débarquement prévu comme celui auquel
nous nous attendons. Nous connoiffons tous
les points fur lefquels il peut s'exécuter. Nos mar.
ches font ouvertes fur tous les endroits expolés ; &
fi nous étions forcés de les abandonner , nous nous
retirons dans des retranchemens prefqu'impénétra
bles. D'ailleurs Clinton court de grands rifques en
venant nous chercher. Il eft à la tête de 14,000
hommes de bonnes troupes , fans doute ; mais malgré
toutes les pertes que nous pourrons faire , nous
ferons toujours foutenus par 3 à 4 millions d'Américains
, bien difpofés à verfer jufqu'à la dernière
goutte de leur fang pour défendre leur liberté , dont
ils n'ont jamais douté , & fur- tout depuis notre arrivée.
Quelle différence entre notre pofition & celle
des Anglois ?
Le 4 Août. M. de la Fayette a paffé dix jours ici.
J'ai eu le plus grand plaifir à l'étudier & à le connoître.
Il juftifie plus que jamais tous les éloges
qu'on lui a donnés & qu'on lui donne ; on ne fauroit
trop lui en accorder. Il nous a quitté hier , &
il va rejoindre l'armée du Général Washington ,
qui fait des mouvemens fur New-Yorck «.
( 129 )
Les premières nouvelles qu'on recevra
de ces contrées ne peuvent qu'être très inté
reffantes . On fait déja par la voie d'Angleterre
que le Général Clinton n'a rien ofé tenter
; on faura fans doute bientôt ce qu'auront
fait enfuite les François & les Américains
réunis .
---
Il est arrivé à l'Orient , écrit- on de Nantes ,
en vingt- fept jours de traverfée , un bâtiment de
Philadelphie , par lequel on apprend l'arrivée à
Bofton de la frégate l'Alliance , Capitaine Landois
, & des navires la Luzerne & le Montgomery ,
qui étoient partis de l'Orient avec elle. Il y avoit
fur cette frégate beaucoup de poudre & d'autres munitions
. Ces avis font confirmés par un navire
qui vient d'arriver de Philadelphie à l'Ile de Rhé
en 30 jours. L'équipage ajoute que M. de Rochambeau
étoit parti , ou devoit partir pour Rhode-
Ifland , avec les troupes Françoifes & un corps
d'Américains qui l'avoit joint pour aller attaquer
New-Yorck. Le vaiffeau le Magnanime & fon
convoi ont été obligés , par les vents contraires , de
relâcher à la Corogne. Deux ou trois jours
après l'arrivée à Cadix de la corvette la Britannia,
fortie du Cap le 30 Juillet , on a fair partir 5 vailfeaux
de ligne & 2 frégates , apparemment pour
aller au devant de la flotte des navires marchands
venant du Cap. Suivant les lettres apportées par cette
corvette , M. de Guichen y étoit arrivé à la fin de
Juillet , fans avoir rien tenté contre la Jamaïque .
Les Espagnols qui étoient partis avec lui de la Martinique
, font allés à la Havanne . La frégate l'Andromaque
, qui portoit des dépêches de la Cour à
M. de Guichen , eft arrivée au Cap : on dit auffi que
le vaiffeau le Maréchal de Mouchy , de Bordeaux
y eſt également arrivé avec fon convoi « .
fs
( 130 )
Le bruit qui s'étoit répandu de la prife
d'une flotte des Indes orientales ne s'eft
point confirmé parmi tous les avis qu'on
a reçu d'Angletterre , il ne s'eft rien trouvé
qui y ait rapport , & il paroît que cette
nouvelle eft l'ouvrage des agioteurs & de
quelques contrebandiers obfcurs .
» On croyoit mal - à- propos , écrit - on de Breft ,
que dans l'efcadie de M. de la Touche Tréville ,
feroient compris le Sceptre & le Nortumberland.
Ces deux vaiffeaux nouvellement conftruits doivent
partir vers la fin du mois prochain pour l'Inde ,
avec 2 frégates & des bâtimens de l'Orient . Il a été
donné ordre au convoi deftiné pour l'Amérique , de
fe tenir prêt à mettre à la voile à la fin de ce mois.
Une nouvelle levée de matelots & de mouſſes arrivés
du 20 au 21 du mois dernier , achevera de compléter
les équipages , fans qu'on foit obligé d'exercer
aucune contrainte à cet effet . Les vaiffeaux le
Minotaure & l'Atlas , ont été mis en rade du 24
au 25 , ainfi que le Dauphin & la frégate la Dédaigneufe
; ils feront chargés de vivres pour l'Amérique.
Les autres bâtimens du même convoi entreront
auffi fucceffivement en rade. Le vaiffeau le St-Efprit
y aeffuyé le coup de vent du 1 & du i de ce
mois qui l'a un peu maltraité . Le 6 , une partie du
régiment de Beaujollois eft arrivé pour remplacer
des détachemens des régimens de Breft & de Bourbon
, tirés de divers bâtimens du Roi «.
Parmi les armemens qui font maintenant
projettés pour la courfe à Boulogne , il y
en a un dans lequel M. le Comte de la Mark
eft intéreffé ; il a obtenu du Miniftre de la
Guerre la permiffion de tirer du régiment de
fon nom , 30 volontaires qui feront embarqués
fur le corfaire armé de 10 canons de 6.
( 131 )
On apprend de Dunkerque que le petit
corfaire de ce port , la Subtile , y eft rentré
vers la fin du mois dernier après un mois
de croifière dans laquelle il a fait pour 6640
guinées de rançon : il avoit fait pour plus
d'un million de prifes qui toutes font retombées
au pouvoir de l'ennemi .
» La corvette du Roi le Tigre , écrit-on de Cette ,
qui , au retour d'une croisière , relâcha le 21 Septembre
dans ce port , a remis à la voile le 24 , avec
le chébec du Roi le Caméléon , qu'elle y a trouvé ,
pour convoyer 25 bâtimens richement chargés . Une
Alûte Hollandoife du port d'environ 300 tonneaux
qui étoit en left dans notre baffin , a été embrâfée
ces jours derniers , par l'imprudence de quelques
matelots , qui , chargés de la radouber , avoient
fait bouillir fur le bord du même navire , de la
poix-réfine mêlée avec de l'efprit - de- vis . L'ébullition
de ces matières devint fi forte qu'elles fe répandirent
fur le pont , qui s'enflamma tout- à- coup au
point qu'il fut impoffible à l'équipage d'arrêter la
rapidité du feu dont tout le vaiffeau fut bientôt couvert.
M. de Rochemore , commandant le chébec du
Roi le Caméléon , qui en étoit près , fit tirer à boulets
fur le bâtiment incendié , pour le couler bas ;
mais par la manière dont le chébec étoit placé , le
canon ne pouvoit attaquer le corps du navire , de
forte que le feu eut le tems de le conſumer entièrement
, fans qu'on en pât rien fauver. On eftime fa
perte environ 40,000 liv. , fans compter celle du
fret , évaluée à 30,000 liv . qu'il étoit aifuré de faire
par les eaux-de-vie & les vins qu'il devoit charger
dans le port , où il avoit apporté une cargaifon de
tabac. Si , lorfque les cables furent brûlés , le vent
qui régnoit ne l'eût jetté dans le cul-de-fac du canal
, & dans une direction oppofée à un autre navire
très- richement chargé , celui- ci auroit auffi été
f6
( 132 )
2
la proie des flammes , de même que 200 bâtimens
qui étoient alors dans la rade , parce que l'incendie
ayant une fois coupé les cables , rien n'auroit pu
arrêter un brafier flottant & excité par le vent qui
fouffloit avec violence. C'est le fecond évènement
de cette nature qu'on a vu arriver ici dans l'eſpace
d'environ 10 ans *.
On mande de Rochefort que les frégates
la Diligente , commandée par M. de Suzannet
, & l'Aimable , par M. de Mortemart
ont conduit dans ce port 3 corfaires dont
elles venoient de s'emparer. L'un eft de 20
canons , le fecond de 14 , & le troisième
de 10. Ce font fans doute les mêmes que
l'Aigrette avoit rencontrés quelques jours
auparavant.
Les vaiffeaux & les frégates qu'on double
en cuivre à Breft , paffent fucceffivement
en rade ; mais M. de la Touche Tréville
eft toujours à Paris. Comme la plupart
des recrues qui doivent paffer aux Antilles ,
viennent des extrémités du Royaume , il
ne feroit pas étonnant que le départ de l'efcadre
ne fût retardé jufqu'au mois de Janvier.
L'armée de Bretagne eft licentiée , & nous
voyons arriver tous les jours quelques Officiers
des troupes qui la compofoient.
Le Gouvernement s'occupe très- férieuſement
des moyens de pratiquer en Normandie
un port qui , fitué dans la Manche , foit
propre à y recevoir des vaiffeaux du Roi.
M. Groignard , Ingénieur Général de la Marine
, & à qui l'on doit le fameux baffin de
( 133 )
1
Toulon eft , dit on , chargé de l'exécution .
de ce projet.
L'Affemblée du Clergé a fait fa clôture . Il
fembloit que le Couvent des Grands- Auguftins
où depuis fi long- tems ſe tiennent ces
affemblées , leur auroit convenu tant qu'il
exiftera ; cependant celle qui vient de fe féparer
a , dit- on , décidé d'après fes combinaifons
, qu'il feroit plus avantageux de ne
plus payer de loyer aux Auguftins , & de
donner so mille écus au Curé de Saint- Sulpice
qui fe charge de faire bâtir des falles diftribuées
felon le defir du Clergé à qui elles
appartiendront , & où il tiendra à perpétuité
fes Affemblées ; il y aura auffi une grande
chapelle , car elles ne pourroient difpofer
d'une églife paroitfiale , comme de celle des
Grands- Auguftins pour les cérémonies qui
leur font particulières.
On ne peut qu'applaudir l'Ingénieur-
Conftructeur qui pour faire venir des pièces
de mâture de Hollande à Breft , a imaginé ,
pour éviter les rifques du paffage dans la
Manche , de les faire tranſporter fur l'Efcaut
& la Meufe , pour gagner le canal de Briare ,
la Loire & Nantes ; il n'en coûtera guères
plus cher que par mer. A la vérité cela demande
plus de tems ; on eft contraint de faire` ,
voiturer par terre l'eſpace de 14 à 15 lieues.
Cet effai réuffiffant , pourra fe réitérer ; d'ailleurs
la maifon de commerce de Romberg
qui s'eft chargée de ce tranfport par Gand ,
exécutera le plan qu'elle a formé de réunir
( 134 )
la navigation intérieure de la Flandre avec la
France.
Dans les derniers jours d'Août dernier , écrit on
de Paimpol , le Jean-Marie de Penerf, Maître Doccarin
, du port d'environ so tonneaux allant du Poulignin
à Morlaix , chargé de fel , fut rencontré par
un corfaite Anglois de 14 à 16 canons , qui s'en
empara à la hauteur de Pennemart , & fit pafler
l'équipage à fon bord , comme c'est l'uſage , à la
réserve d'un matelot nommé Jean Drejor , qui demeura
dans la prife avec les nouveaux Maîtres ,
qui la conduifoient à Guernesey , qu'ils découvrirent
après plufieurs jours de navigation ; mais ayant été
faifis d'une terreur panique à la vue de quelques
bâtimens de leur Nation qu'ils jugèrent être François
, ils s'embarquèrent dans leur chaloupe , & gagnèrent
la terre , à la réferve du matelot François
qui refufa conftamment de quitter fon bâtiment , dans
lequel n'ayant été inquiété par perfonne , il a fait
heureufement le voyage des côtes d'Angleterre en
France , & eft entré dans le port de Brehat le 4 de
ce mois , coulant bas d'eau ; ayant lui feul fait
l'ouvrage de 5 à 6 bons marins , en manoeuvrant
avec habileté fon bâtiment , qui a été à la veille
de naufrager fur les roches qu'il a trouvé le fecret
d'éviter quittant à chaque inftant le timon , pour
veiller à la pompe , & à la manoeuvre. Telle eſt
la conduite de ce brave homme , digne ,
égards , de la liberté qu'il a recouvrée «.
à tous
La réviſion du procès du Comte de Lally
eft renvoyée au Parlement de Dijon . Il ne
pourra plus y avoir d'intervention ; celles
qui pourroient furvenir font évoquées au Roi
& àfon Confeil. Le Parlement ne jugera que
le fond du procès.
» Le 7 de ce mois , à 9 heures & demie du foir ,
des gens mal intentionnés ont mis le feu à la maifon
( 135 )
•
d'un Fermier-Laboureur , du Village de Franfart ,
près de Roye en Picardie , nommé Pierre Villemont ,
& fa maifon , granges toutes remplies , beftiaux
meubles & effets , ont été en un inftant la proie
des flames ; fa famille & lui n'ont eu que le tems de
fe fauver fans pouvoir rien emporter. Le feu a
gagné une feconde ferme de l'autre côté de la rue ,
appartenant à fa mère & à fon frere , laquelle a
éprouvé le même fort ainfi ›
particuliers qui avoifinoient.
-
que
---
deux maifons de
On intéreffe la charité
des ames pieuſes & bienfaiſantes , & on reclame
quelques fecours pour ces malheureux qui font fans
aucunes reffources . On poura les faire paſſer à
M. le Doyen de la Collégiale de Roye , ou à Paris
à M. de Bouillé , Vicaire de la Paroille de Saint-
Benoît , qui voudra bien les recevoir « .
Charles-Louis- Alexandre , Marquis de
Beaufort , eft mort à Arras le 13 du mois.
dernier , âgé de 76 ans.
Louife-Marguerite de Coatanfcourt, veuvé
du Comte de Sauzay , Capitaine de vaiffeau
& époufe en fecondes noces du Vicomte
d'Hautefeuille , Meftre - de - Camp , Commandant
du régiment de l'Ile de France , eft
morte le 16 du mois dernier en fon Château
d'Hableville en Normandie .
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois , font :
62 , 63 , 9 , 54 & 46.
De BRUXELLES , le 17 Octobre.
LA Cour de Portugal a figné la neutralité
armée peu de tems après l'arrivée à Lisbonne
de 8 vaiffeaux de guerre Ruffes ; on ajoute
qu'elle a donné ordre d'équiper 14 vaiffeaux
( 136 )
de ligne . Les procédés arbitraires des Anglois
dans ce port ont peut- être contribué autant
que les invitations des Puiffances du Nord
à la déterminer à prendre ce parti ; on dit
qu'un de leurs corfaires qui a conduit encore
un vaiffeau Hollandois à Faro y a été arrêté
parce qu'il a refufé de fe foumettre aux
ordres de la Reine.
On fe flatte que l'excès auquel la marine
Angloife a porté l'abus de fon pouvoir y va
bientôt mettre fin . C'eft fur- tout le voeu de
la Hollande , où l'on a reçu de nouveaux
avis de la nature la plus férieufe & la plus
alarmante de la conduite des Anglois à Saint-
Euftache.
Nous fommes dans la plus vive inquiétude ,
lit -on dans une lettre de cette Ifle du 11 Août
de voir ici les 7 vaiffeaux de guerre Anglois qui
jettèrent l'ancre le 9 de ce mois devant la grande
baie de St - Martin , & s'emparèrent auffi- tôt de
quelques bâtimens Américains qui mo illoient ainfi
qu'eux devant la Barre , & qui n'avoient pu entrer
dans le Port , parce que la mer étoit trop
baffe. Les Anglois débarquèrent enfuite dans la
ville même , & fans la moindre oppofition , 200
hommes de troupes de Marine. Le Commandant
des vaiffeaux fe rendit chez le Gouverneur Hollandois
, M. Heyleger , & le fomma de lui remettre
non- feulement les bâtimens & effets des
fujets rebelles au Roi de la Grande Bretagne
mais auth leurs perfonnes. Le Gouverneur ayant
declaré qu'il s'y oppoferoit , parce qu'il avoit or
dre de prendre fous fa protection tant les perfonnes
& effets que les bâtimens quels qu'ils puiffent
être qui fe trouvoient dans les Ports de fon
Gouvernement ; l'Officier Anglois repréfenta que
>
( 137 )
les ordres que l'Amiral Rodney lui avoit donnés
étoient les mêmes que ceux que cet Amiral avoit
reçus de la Cour de Londres , & qui portoient
de réduire en cendres la ville & de détruire les
fortifications , fi l'on oppofoit feulement la moindre
réfiftance , ou que l'on tirat un feul coup
contre les vaiffeaux. Il remit enfuite , à la réqui
fition du Gouverneur , une déclaration qu'il figna ,
& qui portoit qu'il commettoit cette violence par
ordre ; il s'empara de tous les bâtimens Américains
qu'il trouva dans la rade & dans le port &
qui étoient chargés de tabac. On ne fequeftra pas
cependant celui que l'on prouva être vendu &
pelé au poids de la Compagnie. Les gens des
équipages qui ne purent trouver les moyens de
fuir furent tous faits prifonniers ; après une violence
auffi odieufe , une infulte auffi marquée faite
à l'Ile de St Martin , par des vaiffeaux de l'Amiral
Rodney , autorisé par les ordres de fa Cour , nous
avons lieu de craindre ici le même traitement.
Les Anglois qui s'arrogent la liberté de s'emparer
dans un Port neutre des bâtimens & des effets
appartenant aux Américains , en voudront bientôt
agir de même à l'égard de ceux appartenant
aux François & aux Efpagnols. On débite qu'ils
ont été à Curacao , St-Thomas & Ste- Croix , où
ils fe font conduits comme à St - Martin , ce qu'on
peut appeller braver toutes les Puiffances de l'Europe
«.
Il femble qu'après ces infultes , la République
doit , fans attendre l'effet de fes négociations
à Pétersbourg , hâter ſes armemens
qui vont avec beaucoup de lenteur ,
& pour lesquels on paye cependant les
doubles droits impofés pour cet effet. Ce
n'eft qu'en fe rendant refpectable , qu'elle fe
fera refpecter. Sa lenteur eft prife en An(
138 )
gleterre pour des ménagemens & dela crainte,
& elle doit voir le gré qu'on lui en fait.
Les Anglois femblent triompher de ce.
qu'ils ont obtenu l'article interprétatif de
leur traité avec le Danemarck , par lequel
cette Puiffance reconnoît pour être de contrebande
les bois de conftruction , le chanvre
, le bray & c. , mais ceci demande une
courte explication qu'on fera bien - aiſe de
trouver ici , & qui vient de bon lieu . Par
l'article X du traité de 1742 entre la France
& le Danemarck , tous ces objets font defignés
comme étant de contrebande. L'Angleterre
a donc pu demander qu'on ajoute
cet article à fon traité de 1670. Elle a des
droits à être traitée par le Danemarck auffi
favorablement que la France . Cette Puiffance
pouvoit d'autant moins lui refuſer . cette
petite fatisfaction , qu'elle ne peut nuire aux
intérêts de la France. Il n'y a en Danemarck
ni chanvre, ni bois de conftruction . Son prin
cipal commerce eft en planches , fer &c. ,
& toutes ces chofes font permifes . Si la
Ruffie ou la Suède admettoit une pareille
explication , alors feulement la neutralité
armée ne feroit plus qu'un vain nom . Mais
il n'eft pas à préfumer que ces Puiffances
déclarent comme des objets prohibés , ceux
que le Danemarck vient de reconnoître pour
tels . Il faudroit qu'elles renonçaffent à toute
efpèce de commerce avec la France , ce qui
ne peut pas fe fuppofer.
( 139 )
Ce matin vers les fix heures , écrit - on de
Cadix en date du 26 Septembre , M. le Comte
d'Estaing qui s'étoit embarqué au port de Ste-
Marie , eft arrivé dans la baie , & il a été fur le
champ à bord de nos deux Généraux qu'il n'a
point trouvés , & tout de fuite auprès de M. de
Beauffet , avec lequel il a demeuré quelque tems .
Le Gouverneur inftruit de fon arrivée , eft venu
à la rencontre jufques fur le mole , & le Général
eft entré dans la ville au bruit du canon de la
place. Il a été conduit à l'Hôtel du Gouvernement
où il a demeuré deux heures. Il en eft forti
pour fe rendre à l'Ifle , ( l'Ifle de Léon où eſt établi
le Corps de la Marine ) & il eft rentré à Cadix
pour aller chez le Conful de France où il a dîné .
Il ira coucher ce foir à bord du Terrible , vaiffeau
qui depuis long- tems lui eft deftiné . Il a déja nommé
le Major de fon armée ; fon choix eft tombé
fur M. Verdun de la Crefne , Officier de beaucoup
de mérite. Nous faurons demain fi M. le Comte,
d'Estaing prendra le commandement de la flotte
combinée comme Vice-Amiral de France ou comme
Amirante «.
On lit dans une lettre de Paris le paragraphe
fuivant :
» On affure que M. de Guichen eft arrivé à
Cadix , & qu'avant fon départ de St- Domingue il
a envoyés ou 6 vaiffeaux à M. de Ternay &
4000 hommes à M. de Rochambeau . Cette nouvelle
a affez l'air de la vérité ; mais on la croit
prématurée . Si elle eft vraie , MM . de Ternay &
de Rochambeau font en forces , & les affaires à
New-Yorck ne peuvent qu'offrir une perspective
avantageufe «
du 10 Octobre.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ,
Quoique l'Amirauté eût reçu avis les que
M. Laurens étoit fi indifpofé qu'il ne pouvoit
ל כ
( 140 )
foutenir la fatigue d'un voyage fans expofer fa
vie , & qu'il eût demandé la permiffion de fe repofer
deux ou trois jours , ce qui lui avoit été
accordé , M. Laurens s'étant trouvé mieux n'a pas
laiffé de fe mettre en route , & il eft arrivé le
même jour fur le foir à l'Amirauté. Le Lord
Sandwich & M. Stephens , inftruits de fon arrivée ,
lui -firent dire de fe rendre à la falle d'Audience
de l'Amirauté ; & comme il n'avoit pas dîné , on
commanda pour lui un bon repas au Café Salopien .
Lord Germaine lui envoya M. Knox , fon Secré
taire , qui eut un entretien particulier avec lui .
Enfuite le Juge de Paix Addington , & deux Meffagers
du Roi reftèrent avec lui pendant quelque
tems dans la falle d'Audience où il demeura juf
qu'après fon fouper , qu'il fut confié à la garde
de M. Scott , Mellager de l'Amirauté , & transféré
dans la maison où il paffa la nuit , fous la
garde d'un Sergent , de dix Soldats & d'un Meffager
qui ne le quitta pas . M. Laurens a un Nègre
avec lui auquel on ne permet pas de fervir fon
Maître , mais qui refte dans la mêine maiſon. -
M. Laurens paroît âgé de 63 ans ; il a le teint
bafané , l'oeil pénétrant , mais l'air un peu mélancolique
; il porte fes cheveux ; fa taille eft audeffous
de la moyenne. On ne lui permit d'aller
nulle part dans fa maifon fans être fuivi par un
Soldat. On affure qu'il eft moins affligé de la
perte de fa liberté que de ce qu'on a ſauvé ſes
papiers qui font maintenant entre les mains du
Gouverneur , & qui , dit-on , mettent au jour tout
le fyftême de la politique Américaine , & la conduite
particulière des Puiffances de l'Europe envers
PAmérique. Cependant il y a des gens qui affurent
que ces conjectures fur le prétendu chagrin de M.
Laurens font peu fondées & que foit qu'on lui
ait pris les papiers , foit qu'il les ait enfevelis dans
la mer , il ne pouvoit en avoir aucun qui apprît
n
>
1
( 141 )
-
autre chofe à l'Angleterre , finon la réfolution où
eft l'Amérique de maintenir fon indépendance ,
réfolution apuyée fur les fecours férieux que la
France donne aux Etats- Unis , fur la parole folemuelle
du Roi de France , leur grand & bon
Allié , ainfi que fur l'intérêt de l'Espagne & du
refte de l'Europe. Le 6 à midi , conformément
à un ordre donné à cet effet , M. Laurens fut mené
fecrètement dans un fiacre au bureau du Lord Germaine
, accompagné feulement de M. Addington.
Le Comte d'Hillsborough , les Lords Stormont &
Germaine , & le Procureur-Général étant préfens ,
il fubit un long interrogatoire qui dura juſqu'à fix
heures du foir, Il fut alors dreffé un ordre d'emprifonnement
figné par les trois Secrétaires d'Etat
, en vertu duquel il devoit être mis au fecret
à la Tour. M. Laurens y fut conduit en effet dans
un fiacre accompagné de deux Officiers Militaires
& de deux Meflagers . Il y arriva à fept heures ,
& fut remis à la garde du Gouverneur. Il y a
toute apparence que la pofte du 6 au foir a porté
cette nouvelle en France , d'où elle fera envoyée
en Amérique ; & en conféquence les Généraux
Philips , Reidefel , Hamilton , Burgoyne , & 50
autres Officiers-Généraux que les Américains ont
en leur pouvoir , ou qui font ailleurs fur lear
parole , feront refferrés ou rappellés . Un des
objets de la miffion de M. Laurens en Hollande
étoit d'emprunter 600,000 liv. fterl . pour
les Etats-Unis . Les Publiciſtes de l'Europe vont
avoir matière à raifonner fur cet emprifonnement .
Voici à peu-près la queftion : » Une Puiffance en
guerre avec un corps de fes fujets , rebelles qui
s'eft déclaré indépendant , peut- elle au préjudice
d'un individu à fon choix ufer du droit de fouveraineté
auquel elle fe voit en droit de renoncer
journellement par les pactes ufités en guerre , comme
capitulation , cartels , conventions , lefquels em-
---
-
( 142 )
portent reconnoiffance de l'indépendance , jufqu'à
ce que l'évènement de la guerre ait décidé des
prétentions refpectives des deux nations ; tous les
actes de cette nature ne font-ils pas annullés par
le fait ? cc
―
Voici , difent les papiers Anglois , ce qui a
tranfpiré de l'interrogatoire que M. Laurens a fubi
le 6 de ce mois devant les Secrétaires du Roi &
le Juge Addington. Avant qu'il parût , on avoit
concerté dans l'intérieur du Cabinet les queſtions
qu'on devoit lui faire , & elles avoient été mifes
par écrit. On lui demanda s'il ſe reconnoiffoit fujet
de la G. B. Il répondit que non, Quel étoit
le caractère dont il étoit revêtu & de quel Royaume
il étoit le fujet. Il répondit qu'il le regardoit comme
un Plénipotentiaire Américain ; qu'il n'étoit fujet
d'aucun Roi , & qu'il ne reconnoiffoit d'autre Souverain
que les Etats - Unis de l'Amérique repréfentés
par le Congrès. Lorfqu'on lui demanda s'il
s'étoit jamais confidéré comme fujet de l'Empire
Anglois , il répondit affirmativement ; mais il
ajouta que c'étoit le privilége inconteſtable de
toute fociété d'hommes qui étoient fous la puiffance
d'un feul ou de plufieurs , lorfque juftice
leur étoit refusée , & qu'ils n'avoient aucun efpoir
qu'on redrefsât leurs griefs , de retirer leur
foumiffion & de fe mettre fous la protection d'un
autre ou d'établir un Gouvernement entr'eux fur
les principes les plus libres ceux de la liberté
publique & générale , lefquels puiffent réprimer
la tyrannie du petit nombre , & fervir de baſe
à la fureté du corps entier. On lui demanda pour
quel pays étoit fa prétendue Ambaſſade ? Il répondit
qu'il n'étoit point un prétendu mais un
légal Ambaſſadeur , & que fes lettres de crédit
étoient revêtues du caractère convenable pour une
Cour de l'Europe. On lui fit beaucoup d'autres
queftions relatives aux papiers faifis , à l'état
-
( 143 )
de l'Amérique , &c, ; il répondit à toutes de la
manière la plus fage & la plus ferme. - Lorfqu'on
lui apprit qu'il devoit être renfermé à la
Tour , il dit que c'étoit violer le droit des gens
que de retenir un Ambaffadeur , & qu'il le flattoit
que toutes les Cours de l'Europe témoigneroient
qu'elles ont une pareille conduite en horreur. Il
demanda enfuite s'il devoit fe regarder comme
Ambaffadeur prifonnier , ou , felon le langage qu'on
venoit de lui tenir , comme un fujet rebelle de
la G. B. Il ne lui fut rien répondu .
Il y a différentes verfions de cet interrogatoire ;
felon quelques-unes , M. Laurens avoit pris le parti
de ne répondre à aucune queftion fur les objets
qui regardoient fon pays ; & fa conduite fut également
noble , ferme & réfervée «<.
Suite du Précis de l'Expédition du Capitaine Cook.
Autant que nous avons pu nous procurer des informa.
tions , les Ruffles n'ont jamais été plus loin qu'au 67me.
d. 18 minutes de latitude ; ce quieft du moins 7 d. plus
au Sud de ce Promontoire , nommé Ifchukotiskoi ou
Szlaginskinof, dont aucun vaiffeau Ruffe n'a jamais
fait le tour. Et il n'eft pas même probable que le Capitaine
Cook ait pu y parvenir, puifque nous trouvons
que les mêmes obftacles qu'il avoit éprouvés fur
la côte d'Amérique , l'arrêtèrent dans fa route à
l'Oueft . Il reprit donc celle du Sud & regagna bientôt
le Détroit , qu'il paffa & d'où il fe porta vers un
Port dans l'Ifle d'Unalaſchka , fituée dans l'Archipel
Septentrional , & dont il a fixé lui-même la latitude
à 53 degrés 55 minutes , & la longitude à 192 d.
30 minutes. Il y mouilla au mois d'Octobre 1778,
& apprit bientôt que cette Ifle , ainfi que celle
d'Umanak , & plufieurs autres qui en font voifines ,
avoient entretenu depuis quelques années communication
tant avec le Continent d'Amérique que d'Afie .
Dans ce même tems le Capitaine Cook y rencontra
quelques Négocians Ruffes du Kamſchatka , auxquels
il remit une lettre pour l'Amirauté Angloiſe ,
qui l'a effectivement reçue.
( 144 )
Les Ruffes ont décrit les Ifles de ce nouvel Arch
pel comme habitées par un Peuple ignorant &
jaloux , inconnu à l'Europe avant qu'ils en fiffent
la découverte. Ces Infulaires font Lans Gouvernement
comme fans Religion. Leur habillement
confifte en fourrures ou peaux de bêtes fauves, beurs
alimens qu'ils mangent cruds , font principalement du
poiffon . Ils vont fur mer dans des hoidars; ou eeffppèeces
de petites chaloupes , faites de peau de chien
marin. Ils admettent la Polygamie; L'échange des
femmes y est même en ufage. Ils vivent dans des
antres ou caves fouterreines , & l'herbe féchée leur
fert de chauffage & de lit. Leurs armes font des arcs
& des flèches , dont la pointe eft un os aigu . Ces
fles produifent des bayes de différentes espèces ,
Taune le bouleau & le faule.
A
A
te
ipausa
Il n'eft pas apparent , que la compagnie d'hommes
de cette trempe
ait été fort aagréable à nos āvēṇtu.
riers . Le Capitaine Cook , toujours infatigable dans
la pourfaite de fes découvertes , voyant la faifon
rude s'approcher dans ce climat Septentrional , prit
la réfolution de l'employer dans une latitude plus ཤྭ tempérée. Il fe propofa donc d'aller reconnoître le
Pays , qu'il jugea être voifin de l'Ile de Sandwich , dont il avoit fait la découverte
fur la route d'Otas
heite vers la côté de l'Amérique . Il découvrit en
effet plufieurs autres fles , dans l'une defquelles ,
nommée O-why- hée pour les natifs , il trouva un
Port , où il jetta l'ancre vers le commencement
de
1778. Le Havie porte le nom de Caraca Coffa &
eft fitué à la latitude de 22 d. , & à- peu près à la
longitude de l'Ile de Sandwich , qui eft à 22 d. E.
D'après cette pofition il eft très-probable , que ces Ifles font les mêmes que la terre que nos cartes
repréfentent communément
comme ayant été vue en 1597 par Mendana fur fon retour des Inles de Salomon en Amérique.
辈
La fuite à l'ordinaire prochain.
ERRATA. Au Numéro précédent , page 57 , De
Cadix , le 18 Septembre , lifez de Madrid , &c. ,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E,
De CONSTANTINOPLE , le 2 Septembre.
LE Ramazan ou le Carême des Turcs a
commencé Jeudi dernier ; l'ufage eft que le
Sultan le pafle dans le Serrail ; pour cette fois
il y a dérogé , à la prière de Sultan Cheizadé
fon fils , qui a défiré refter plus long- tems
à Befchick Tafchi , où il s'amufe plus que
dans cette capitale .
On prétend ici que la Porte n'a pas été fans
inquiétude fur le voyage de l'Empereur en
Ruffie , & qu'elle a fait demander à pluſieurs
Miniftres Etrangers quels pouvoient en avoir
été les motifs . L'Ambaffadeur de France a ,
dit - on , répondu , qu'on ne devoit le regarder
que comme une chofe très-indiffé .
rente. On ignore ce que celui d'Angleterre
a répondu à la même queftion.
On mande de Smyrne que la frégate Françòife
commandée par M. le Chevalier d'Entrecafteau
, en mit à la voile le 18 du mois
dernier,ayant fous fon convoi 10 navires de fa
Nation qu'il doit eſcorter jufqu'à Marſeille .
28 Octobre 1780. 8
( 146 )
Les mêmes lettres portent qu'il s'eft fait beaucoup
de changemens dans la régence de cette
ville . Parmi les Officiers qui ont été déposés
fe trouve Jufuf Aga . Au refte ces révolutions
n'ont point influé fur la tranquillité publique .
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 20 Septembre.
LE Prince de Pruffe eft prefqu'entièretièrement
rétabli de l'indifpofition qui lui
étoit furvenue au pied droit ; il a reparu en
public. Le 18 de ce mois il y eut grand
dîner à fon Palais ; les principaux Seigneurs
de la Cour , & les Miniftres étrangers eurent
l'honneur d'y être admis. Il paffa la foirée
dans les appartemens intérieurs de l'Impé
ratrice. Hier après avoir vu une partie des
objets dignes de fa curiofité , qu'offre cette
Capitale , il a dîné avec le Grand- Duc &
la Grande - Ducheffe ; le foir il a affifté à la
Comédie Françoife , & honoré enfuite de
fa préfence une fête que le Comte d'Of-.
termann a donnée dans fon hôtel , & qui
a été terminée par un fouper de 60 couverts.
On travaille actuellement aux préparatifs
d'une nouvelle fête qu'on lui deftine , &
à un fuperbe feu d'artifice qui doit en faire
partie. ,
S. A. R. compte partir le 11 du mois
prochain , & être de retour à Potſdam
le 29 .
On mande de Mofcou qu'il en eft parti
( 147 )
un Archimandrite & plufieurs Etudians de
l'Académie de Spask & du Séminaire de
Troitz pour la Chine ; ils vont en apprendre
la langue . Cette miffion prouve le rétabliffement
parfait de la bonne harmonie
entre les deux Empires.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 29 Septembre.
Le navire des Indes le Comte de Bernstorf
eft arrivé ce matin dans notre rade. Il vient
dé Tranquebar , & à relâché au cap de Bonne-
Efpérance. Il rapporte qu'à fon départ de
Baay-fals, il y a laiffé les vaiffeaux fuivans : le
navire Anglois la Betfy , arrivé le 9 Mai ; le
vaiffeau François la Marie- Anne de Sardaigne
, arrivé le 13 ; le vaiffeauDanois le Copenhague
deftiné pour Tranquebar, arrivé le 28 ;
les bâtimens François l'Eléphant, l'Argus , le
Chaumont , le Milfon , le Comte de Narbonne
& le Bizarre , arrivés le 29 Mai & les 2 & 3
Juin , deftinés pour l'ifle Maurice , où ils
avoient été précédés le 17 & le 18 Mai par
l'Hercule & la Mouche.
On apprend de Bergen que les quatre
perfonnes attendues depuis quelque tems
d'Archangel , font arrivées le 10 de ce mois
dans le Bache - Sund , à 3 milles de Bergen &
à une lieue de l'endroit où mouilloit le navire
de guerre Danois le Mars , à bord duquel
elles ont été tranfportées fans venir à terre ,
8 2
( 148 )
avec leur fuite , confiftant en 29 perfonnes ,
pour fe rendre en Jutlande.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 30 Septembre.
•
LE Confeil permanent a terminé aujourd'hui
fes féances ; c'eft après demain que fe
fera l'ouverture de la Diète . Parmi le grand
nombre de Magnats arrivés ces jours derniers
pour y affifter , fe trouvent le Prince
Lubomirski & l'Evêque de Cujavie. Les
comptes de la commiffion du tréfor & de
celles de la guerre . , doivent être examinés
dans cette affemblée. On affure qu'il y fera
propofé d'augmenter l'armée Polonoife , &
de la porter à 300,000 hommes. M. Bandini
, Secrétaire du Roi , eft nommé pour
remplir les fonctions de Secrétaire de la
Diète. Il y a encore quelques perſonnes qui
croient qu'elle fera tenue fous une confédération
; mais rien cependant ne femble l'annoncer
, & il n'eft pas à préfumer que les
chofes aillent ainfi , à moins qu'il ne furvienne
quelque évènement imprévu .
On apprend que le nombre des troupes
'Autrichiennes augmente de jour en jour
dans la Galicie.
L'Impératrice de Ruffie a fait préfent de
6000 roubles au Baron de Nolken , qui a
figné de la part du Roi de Suède le traité
de la neutralité armée , conclu entre l'Impératrice
& le Roi fon maître.
( 149 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 4 Octobre.
Des lettres de Brinn , en date du 27 du
mois dernier , nous ont appris que l'Empereur
y eft arrivé le même jour en parfaite
fanté , & que le lendemain il a continué fa
route vers la Bohême .
Une eftafette arrivée ce matin à l'Hôtel
du Comte de Proli , a apporté la nouvelle
de l'arrivée du vaiffeau Autrichien le Prince
de Kaunitz , qui , le 30 du mois dernier ,
eft entré dans le port de Triefte . C'eſt le
premier vaiffeau qui foit parti fous pavillon
Impérial pour les Indes Orientales. Il
avoit quitté le port de l'Orient en Bretagne
le 6 Mars 1779 , & étoit parti pour
Canton en Chine , d'où il eft revenu , après
avoir mouillé à l'Ile de France , & en
dernier lieu à Malaga . On évalue la cargaifon
à deux millions & demi .
On apprend qu'un vaiffeau Autrichien ,
aux ordres du Capitaine Schmidt , a été pris
par un Capitaine Anglois ; on efpère qu'il
fera remis en liberté à la requifition de notre
Cour.
De HAMBOURG , le 10 Octobre.
Le Roi de Suède , qui voyage fous le nom
de Comte de Haga , ne s'eft point embarqué
en Hollande pour retourner dans fes
Etats ; nous l'avons vu arriver hier dans
g 3
( 150 )
cette ville ; & ce matin , à midi , il a continué
fa route pour Lubeck , où l'on affure qu'il
s'embarquera pour retourner à Stockholm
.
Les lettres de Bonn & de Mayence ne
parlent que des fêtes qu'on donnera à
S. A. R. l'Archiduc Maximilien , dans ces
deux villes. Il a fait des préfens confidérables
aux Chanoines des Chapitres de Cologne
& de Munfter. Les principales perfonnes
des deux fexes attachées à la Cour
Electorale de Cologne , en ont reçu des préfens
en argent & en bijoux. On dit que ce
Prince , à préfent Coadjuteur de Cologne
& de Munfter , vient d'entrer encore dans
le Chapitre de Paderborn , par la réfignation
que M. de Bucholtz , Maréchal de la
Cour , lui a faite de fa Prébende.
Erneft- Frédéric , Duc de Saxe Hildbourghaufen
, eft mort fubitement le 23 Septembre
dernier , âgé de 53 ans & trois mois.
Son fils aîné , Frédéric , Prince héréditaire ,
né le 29 Avril 1763 , lui fuccède dans fes
Etats ; le Duc Jofeph - Frédéric de Saxe
Hildbourghaufen , a été délégué tuteur du
jeune Prince. Le Confeil aulique de l'Empire
ayant confirmé cette difpofition du feu
Duc il doit partir le 15 de ce mois
avec toute fa maifon , pour Hildbourghaufen.
,
D'après plufieurs lettres de divers endroits
, le bruit court que la Porte eft déterminée
à entrer auffi dans la confédéra(
TSI )
,
&
tion armée des Puillances du Nord
qu'elle fera inceffamment part aux Miniftres
des Puillances belligérantes réfidans à
Conftantinople , de fes intentions à cet
égard ; on ajoute qu'elle fe propoſe de faire
déclarer en même tems aux Régences Barbarefques
d'Alger , de Tunis & de Tripoli
de s'abftenir à l'avenir d'exercer aucune
piraterie envers les Puiffances chrétiennes.
,
Selon des lettres de Pétersbourg , on y a
reçu de Kamfchatka , par le conducteur
actuel du vaiffeau le Difcovery , qui y a
mouillé depuis peu , des nouvelles de la
mort du Capitaine Clerck. On fait qu'il
prit le commandement de ce vaiffeau &
de la Refolution , qui l'accompagnoit , lorfque
le célèbre & infortuné Cook eut perdu
la vie , & qu'il étoit parti pour Petropawlawsky
, pour faire de nouvelles décou
vertes. On dit que M. Clerk eſt mort trois
jours avant l'arrivée des vaiffeaux dans un
port de Kamfchatka , & qu'il a été enterré
au nord d'une montagne peu éloignée du
port; que fes équipages lui ont érigé une
eſpèce de monument fur lequel font fes
& une infcription qui annonce
la date de fa naiffance , & celle de fa
armes ,
mort.
P
M. B. , lit- on dans nos Papiers publics , riche
Habitant de la campagne , dans le Canton de Zurich ,
avoit une partie de fes biens en rentes fur les Laboureurs
de W-thal . Lors de la dernière cherté des
grains , le tems des payemens étant arrivé , il invite
les créanciers à venir chez lui pour conférer enfein-
% 4
( 152 )
ble , leur dit-il , fur des affaires d'un intérêt commun.
Les débiteurs arrivent inquiets , & s'attendent
qu'ils vont être avertis de tenir leur argent prêt pour
l'échéance : mais dans le coeur de M. B. les richeffes
n'étouffoient pas l'amour de l'humanité. Il les reçoit
agréablement , s'entretient familièrement fur le malheur
du tems , leur témoigne de la compaffion , &
les exhorte à l'efpérance ; fans dire un mot de fes
intérêts , il leur dit feulement qu'après le dîner ils
parleront d'affaires ; & en attendant il les prie de
faire pénitence avec lui . On fert ; l'Hôte étoit agréable
, les mets abondans & bien préparés ; les Convives
ne paroiffoient pas manquer d'appétit ; & cependant
on ne buvoit ni ne mangeoit. M. B. le vit
avec chagrin ; il ne vouloit faire durer l'inquiétude
de fes Convives que pour les faire mieux jouir du
dénouement qu'il méditoit. Ne pouvant plus tenir à
leur trifteffe , il fortit & revint un moment après
avec une poignée de papiers. " Je vois bien mes
amis , leur dit- il , que vous ne pouvez ni boire ni
manger , dans l'attente de ce que j'ai à vous communiquer
fur mes rentes , je vous remets à chacum
un billet qui contient mes intentions à cet égard.
Mangez & buvez donc ; la Providence aura foin
de l'avenir " .
ITALI E.
De RO ME , le 28 Septembre.
,
LE Pape dans le Confiftoire qu'il a tenu
le 18 de ce mois , n'a fait que nommer à
différentes Eglifes vacantes tant en Europe
qu'en Amérique & in partibus. Immédiatement
après la tenue de ce confiftoire
le Cardinal Caracciolo , de retour dans
fon Palais & lifant des lettres de Naples ,
( 153 )
fut frappé d'un coup d'apoplexie qui lui
ravit fur- le-champ l'ufage de la parole , &
auquel il fuccomba le 22 âgé de près de
65 ans. Il étoit Cardinal- Diacre de la promotion
de Clément XIII en 1759 .
S. S. a diſpenſé par un bref particulier
l'Archiduc Maximilien d'entrer dans les ordres
facrés jufqu'à l'âge de 30 ans. Les papiers
relatifs à fon élection aux coadjutoreries
de Cologne & de Munſter ne font
arrivés que Dimanche dernier , & le Pape
a tenu hier matin un confiftoire fecret où
il a propofé ces deux Eglifes.
On mande de Milan que l'Impératrice
Reine y a fait publier un Edit qui enjoint
à tous ceux qui auront fait crédit à fes Officiers,
ou autres perfonnes attachées à fon fervice
militaire , de remettre chaque année
au mois d'Octobre la lifte des fommes qui
leur font dûes pour en recevoir le paiement.
Ce terme écoulé , leurs créances feront
réputées nulles .
Les galiotes de Naples qui ont croiſé pendant
quelque tems dans les mers de Sicile
font rentrées le 22 à Naples où elles ont
conduit les 16 efclaves Tunifiens pris fur
une chaloupe qu'elles firent échouer , après lui
avoir repris un bâtiment chargé d'orge dont
le corfaire s'étoit emparé.
B S
( 154 )
ESPAGNE.
De MADRID , le 30 Septembre.
ON attend avec impatience des nouvelles
de Cadix où M. le Comte d Eſtaing eſt arrivé
le 26 de ce mois ; elles nous inftruiront
de la véritable deftination de ce Vice-
Amiral , & des premières opérations dont
il eft chargé. Leur exécution ne peut être
retardée , car la flotte combinée depuis fa
rentrée a toujours été en état de fortir au
premier ordre. On croit ici que Gibraltar
fera le premier objet dont il s'occupera.
Toutes les nouvelles parlent de la détreffe
de cette place.
,
» D'après l'inventaire fait des comestibles & autres
effets , écrit.on d'Algefiras , que portoient à
Gibraltar les quatre brigantins Anglois , pris par les
bâtimens qui forment le blocus de cette place , on
a trouvé 860 barils de farine , 42 de viandes falées ,
295 de beurre , 12 de faumon , 8 de lard , 5 de
langues , 240 bariques de bière 100 de vin , 12
d'huile , 30 de gorgu , 20 d'orge , 200 paniers de
fromage , 55 caiffes de fucre , 18 de thé , 61 de
chandelles , 2 de moutarde , 7 de jambons , 5 dou
zaines de jambons , une grande quantité de charbon
de terre , 2 coffres & 8 caiffes de foie , de fil , de
poil de chèvre , de boutons , & autres marchandifes
, ainfi que beaucoup de paquets de cuirs tannés
& de toile cirée «<,
Depuis le 17 de ce mois , Madame la
Princeffe des Afturies fe fentoit incommodée.
Les fymptômes de la petite vérole ne
tardèrent pas à fe manifefter & l'érup(
155 )
tion s'est faite d'une manière bénigne fans
aucun accident. S. A. R. n'a obfervé pendant
fa maladie qu'une diète réglée.
On a publié la cédule de S. M. pour un
emprunt de 9 millions de piaftres & pour
la vente des obligations relatives à cet emprunt.
On apprend de Cadix que l'efcadre aux
ordres de M. de Marin , Capitaine de Vaiffeau
commandant la Bourgogne , compofée
de 3 vaiffeaux François , 2 Efpagnols & 2
frégates , a appareillé le 22 pour aller croifer
fur les côtes de Portugal.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 14 Octobre.
ON ne parle plus ici que de la victoire
du Lord Cornwallis ; les détails qui en ont
-paru dans la Gazette extraordinaire du 9
de ce mois , ont paffé dans tous nos papiers
publics ; ils reviennent aujourd'hui
fur cette affaire d'après les papiers Américains
qui font arrivés en même tems que
la lettre du Lieutenant - Général ; le principal
de ces papiers eft auffi une Gazette
extraordinaire de la Caroline Méridionale ,
où l'on trouve les ordres du Lord Cornwallis
, datés de Camden le 17 Août , après
fa victoire ; ils ne contiennent que des complimens
& des remerciemens aux Officiers
& aux troupes qui l'ont fecondé . Ils font
fuivis de l'extrait d'une lettre du Major
>
1
g 6
( 156 )
Général Kalbe au Docteur Phile de Phila
delphie , trouvée , dit - on , dans fa poche ,
lorfqu'il fut bleffé & fait prifonnier le 16
Août.
כ כ »Depuisquej'aipaffélarivièreRoanoackj'ai
été dans une grande détreffe , faute de provifions ,
& j'y fuis encore ; c'eft avec une difficulté extrême ,
qu'en employant la fotce , j'ai pu ramaffer jufqu'à
préfent ce qui étoit ftrictement néceffaire pour empêcher
que les troupes ne mouruffent de faim : cette
difette m'a mis dans l'impoffibilité de fuivre mon
plan , de marcher vers la rivière Pedée & d'en
déloger l'ennemi. Je n'ai d'autre plainte à former
contre le Gouverneur , fi ce n'eft qu'il n'y a point de
magafins dans toute l'étendue de l'Etat : d'ailleurs il m'a
revêtu de toute l'autorité néceffaire pour que je puffe
agir comme il me plairoit ; mais prefque tous les habitans
ont de la répugnance à fe départir de quoique ce
foit pour l'ufage de l'armée , foit par affection , foit
pour de l'argent. Si j'avois été en état de marcher,
je fuis certain que l'ennemi n'eût pu ni conferver ni
défendre les poftes ; il eft poffible que ceux qui ne
favent rien de l'état des chofes , me blâment de
n'avoir pas été en avant je fentois que cela ne
pouvoit le faire fans le plus grand danger d'affamer
les troupes & de les forcer à fe difperfer ; mais pour
ma propre fatisfaction , je convoquai un confeil de
guerre , compofé des Officiers-Généraux & de l'Etat-
Major ils décidèrent unanimement le mouvement
étoit impraticable & feroit de la plus haute
imprudence. Je fuis heureux d'apprendre , par
une lettre que je reçois à l'inftant du Général Gates ,
datée de Richmond le 8 Juillet , qu'il a été chargé
par le Congrès de prendre le commandement du
département Méridional , & fe promet d'être rendu
ici fous peu de jours ; je defire qu'il puiffe fe procurer
des provifions par tout autre moyen que celui de
détacher en campagne la moitié de l'armée pour en
: que
( 157 )
ramaffer; ce qui expoferoit au danger de fe trouver
près de l'ennemi : il agira peut- être avec plus de
févérité que je ne l'ai fait ; peut -être il dira aux
Gouverneurs que telle ou telles chofes doivent être
faites , & qu'ils le prendront mieux de fa pait qu'ils
ne le prendroient de la mienne « .
Dans une feconde lettre du même Officier
, il annonce l'arrivée du Général Gates
le 24 Juillet , & fe félicite de ce qu'il a pris
le commandement des troupes qu'il avoit ; il
repréſente l'armée Américaine comme ayant
beaucoup fouffert , & ayant quantité de malades.
Elle avoit paffé fouvent 5 à 6 jours
fans pain , fans farine & fans viande , ne
vivant que de pommes , de pêches vertes &
de bled verd . Selon les calculs cette armée
montoit à 7000 hommes , dont en déduisant,
500 déferteurs elle en faifoit encore 6500
partagés en 8 divifions commandées par les
Généraux Gates , Kalbe , Cafwell , Smallwood,
Gregory , Rutherford , Harrington.
Le Général Gaton avec 800 hommes fe
rendit à Cheraw Hill. Les ordres que le
Général Gates avoit donnés la veille de la
bataille étoient conçus ainfi :
» Les malades , l'extraordinaire de l'artillerie , les
gros bagages & les effets dont on n'a pas un befoin.
immédiat , fe mettront ce foir en marche avec une
eſcorte pour Waxhaw ; le Général prie les Brigadiers
Généraux d'avoir l'oeil à ce que les corps qu'ils
commandent obéiffent à cet ordre , avec l'exactitude
la plus fcrupuleufe. Le Lieutenant - Colonel
Edmonds marchera avec le refte de l'artillerie du
parc , & la brigade Virginie , aux ordres du Général
Stevens ; il fe fera fuivre par 40 de fes gens, qui
―
( 158 )
:
:
-
exécuteront fes ordres. Les troupes fe tiendront
prêtes à marcher , à 10 heures précifes , dans l'ordre
fuivant ; le corps avancé & la cavalerie du Colonel
Armand , aux ordres dudit Colonel , l'infanterie
légère du Colonel Porterfield , fur le flanc droit du
Colonel Armand , à 200 verges du grand chemin ;
l'infanterie légère du Major Armstrong fur le flanc
gauche de la légion , dans le même ordre observé
par celle du Colonel Porterfield ; la garde avancée
de l'infanterie, compofée de piquets avancés ; première
& deuxième brigades du Maryland ; la divifion
de la Caroline Septentrionale ; celle de la Virginie :
l'arrière-garde formée des volontaires ; la cavalerie ,
également divifée , fur la droite & la gauche des
bagages les troupes marcheront ce foir dans cet
ordre dans le cas où la cavalerie ennemie attaqueroit
en front , l'infanterie légère de l'un & l'autre
flancs marchera fur le champ , & fera fur cette
cavalerie le feu le plus vif & le plus foutenu , ce qui
mettra celle du Colonel Armand en état , nonfeulement
de foutenir la charge de l'ennemi , mais
de le mettre finalement en déroute : le Colonel
regardera, en conféquence , comme pofitif, l'ordre
de foutenir l'attaque de la cavalerie ennemie , quelque
nombreufe qu'elle puiffe être : alors , & fur le
champ , le Général Stevens ordonnera à un Capitaine
, 2 Lieutenants , un Enfeigne , 3 Sergents , un
Tambour & 60 Fufiliers , de joindre l'infanterie du
Colonel Porterfield ; on choifira ces 60 hommes
parmi ceux qui ont le plus d'expérience & de connoiffances
des bois , & qui à tous les égards font les
plus propres au fervice le Général complétera auffi
l'infanterie légère d'Armstrong , & la portera fur le
pied où elle étoit originairement ; il faut qu'elle
marche immédiatement au pofte avancé de l'armée :
les troupes obferveront le plus profond filence dans
leur marche; & tout foldat qui , fans ordre de fon
Officier , ofera faire feu , fera mis fur le champ à
( 159 )
mort. Lorfque le terrein le permettra & l'approche
de l'ennemi le rendra néceffaire , fur l'ordre
qu'elle en recevra , l'artillerie à la tête de fes brigades
refpectives , & les bagages à l'arrière - garde la
garde des gros bagages fera compofée de ce qui
reftera des Officiers & de l'artillerie ; un Capitaine ,
2 Subalternes , 4 Sergents , 4 Tambours & 60 Fufiliers
; il eft défendu à qui que ce foit d'ajouter pour
ce ſervice aucuns foldats à ce nombre prefcrit « .
Les partifans du Miniſtère exaltent beaucoup
cette victoire ; felon eux elle affure au
Gouvernement la poffeffion tranquille de
la Georgie & des deux Carolines ; les Virginiens
pourront s'en reffentir auffi ; mais
ne vont-ils pas trop loin lorfqu'ils regardent
ce coup comme décifif. Il faut attendre les
relations du Général Gates qui peut-être
diminueront un peu l'importance que nous
attachons à ce triomphe.
Bien des gens font furpris que le Lord Cornwallis
n'ait pas fait mention dans fa lettre de la
fituation particulière de l'Armée Provinciale après
fa déroute , des Officiers de marque qui ont été
pris , & de la manière dont le Général Gates a évité
le fort de Burgoyne. Puifque le Ministère a été informé
du nombre des prifonniers , & que la victoire
a été complette , il doit être également inftruit des
détails relatifs à la fuite de l'ennemi. Il réfulte de
ce manque de détail qu'il a altéré les dépêches de
ce Lord. On remarque que la dernière Gazette
de la Cour n'encourage nullement la Nation à continuer
la guerre Américaine. La victoire du Lord
Cornwallis ne fait point de plaifir. Il faut encore
tant de victoires avant qu'une feule Province ſoit
conquife , & il faudra établir tant de poftes pour
conferver nos conquêtes ! Un pays conquis & con-
--
((-160 )
ervé de la forte ne vaut pas le fang & l'or que
coûte fa conquête. Ce qu'il y a de fûr c'eft que cette
nouvelle n'a point fait hauffer les fonds comme
toutes les Gazettes miniftérielles l'avoient annoncé ;
il eft de fait au contraire qu'ils font tombés d'un
demi pour cent «.
Le Roi eft revenu le 11 de Windfor à
Saint-James , pour recevoir les complimens
de la nobleffe ; on publie que comme les
papiers du Général Gates ont été faifis , ils
ont fait connoître les noms de plufieurs
perfonnes de la Province qui étoient en
correfpondance avec ce Général après avoir
prêté le ferment de fidélité. Le Lord Cornwallis
avoit annoncé dans fa lettre qu'il
feroit quelques exemples de févérité. On
affure qu'il a envoyé 30 perfonnes prifonnières
à Saint- Auguftin , & qu'il en a fait
pendre 10 autres fur le champ de bataille
où elles avoient été prifes les armes à la
main . On doute que cette manière de fignaler
une victoire contribue à ramener les
Américains à la foumiffion. On devroit fe
reffouvenir que la févérité que nous avons
toujours pouffée trop loin n'a fait que les
aigrir juſqu'à préfent ; & que nous ne fommes
pas encore maîtres d'affez de pays pour nous
livrer à nos fentimens de vengeance.
Nos papiers ministériels , qui approuvent
beaucoup ces exécutions & qui nous
préparent à entendre le récit de plufieurs
autres , parlent des difpofitions du Lord
Cornwallis pour profiter de fes avantages ,
( 161 )
& regardent la foumiffion de la Province
comme affurée . Ils ajoutent qu'il a dû recevoir
depuis fa victoire un renfort que
le Général Clinton lui a envoyé de New-
Yorck ; c'eſt ainfi qu'en voulant trop prouver
on ne prouve rien. Tous ceux qui connoiffent
la pofition du Général Clinton ,
font bien perfuadés que loin de pouvoir
détacher la plus petite partie de fes troupes
, il auroit beſoin de rappeller auprès
de lui celles du Lord Cornwallis . On fe
fouvient que de fon aveu , il a déclaré
qu'il ne pouvoit rien tenter contre les
François à Rhode-Ifland ; on fait que hors
d'état de les attaquer, il s'attend tous les jours
à être attaqué lui-même à New - Yorck ; les
Américains qui fe renforcent fous les ordres
du Général Washington , fecondés par
les François ne le laifferont pas tranquille ,
& peut- t- être recevrons- nous bientôt de ce
côté des nouvelles qui calmeront un peu
la joie qu'a caufée celles que nous avons
reçues de la Caroline.
" Il eft fingulier , obferve un de nos papiers , que
la lettre du Chevalier Clinton , inférée dans la Gazette
du 7 , ne parle que des évènemens qui ont cu
lieu jufqu'au 31 Juillet , quoique fa lettre foit datée
du 14 Aoûr , & que le vaiffeau n'ait mis à la voile
que le 1 Septembre , de forte qu'il y a tout un mois
d'omis foit par le Général , foit par le Miniftre ;
il y a une des lettres de l'Amiral Arbuthnot , datée
du 25 Août , qui prouve que le vaiſſeau a retardé
fon départ encore quelque tems après les dépêches
du Général Clinton. La garnifon des Royaliſtes
( 162 )
·
à Hallifax n'excède pas 1500 hommes. Cette place
eft très-importante pour nous dans l'Amérique Septentrionale
; car depuis que nous avons perdu Rhode- · .
Ifland , nos forts vaiffeaux ne favent où hyverner ,
ne pouvant fe tenir à New-Yorck. Nous reffentons
vivement la perte de Rhode Iſland. Ce pofte eft
doublement avantageux à la France & à l'Amérique ,
non- feulement il fert d'afyle à leurs vaiffeaux , mais
même il peut nuire à toutes les opérations de notre
flotte & de notre armée à New-Yorck , en ce qu'il
met le Chevalier Clinton & l'Amiral Arbuthnot hors
d'état de faire aucun mouvement ; car pour peu qu'ils
s'éloignent de New- Yorck , le Général Washington
fe portera rapidement vers cette place & s'en rendra
maître «.
Le Gouvernement qui eft bien inſtruit
de cet état des chofes , fonge à lui envoyer
de nouvelles troupes ; on attend 13,000
hommes , foudoyés en Allemagne ; ils doivent
arriver dans le courant de Février à
Portsmouth , où ils s'embarqueront pour
aller à New- Yorck .
Nos nouvelles des Ifles ne vont qu'au
12 Août. La flotte de Londres , fi longtems
attendue à la Jamaïque , eft arrivée
à Kingſton , fous la protection des 10 vaiffeaux
de ligne que l'Amiral Rodney avoit
détachés de Ste-Lucie. Le Gouverneur de
la Jamaïque faifoit toutes les difpofitions
pour recevoir les ennemis , qui n'iront
peut-être pas l'attaquer ; car il fe pourroit
qu'après avoir amufé l'Amiral Rodney , &
l'avoir forcé de porter fon attention fur
une multitude de points qu'ils ont menacés
fucceffivement , ils euflent envoyé des
( 163 )
n'eft
pas
renforts à MM. de Ternay & de Rochambeau
, pour faire un grand coup fur le
Continent ; d'après cette conjecture , qui
fans vraisemblance , l'affaire de
New-Yorck & du Général Clinton , pourroit
être faite avant que les troupes qu'on
doit lui envoyer fuffent feulement arrivées
en Angleterre pour s'y embarquer.
On a publié dans nos papiers des détails
de la rencontre que le Capitaine Cornwallis
fit le 20 Juin , de l'efcadre de M. de
Ternay. La Gazette ordinaire de la Cour ,
d'aujourd'hui , contient une lettre du Capitaine
à l'Amiral Parker , qui l'a fait paffer à
la Cour. Elle eft datée à bord du Lion devant
le Cap François , le 14 Juillet.
» M. , le 9 Juin , le convoi ayant traversé le golfe
de la Floride , & s'étant porté du côté du nord juſ
qu'au 29 30 , le Capitaine Inglis fit le fignal de féparation
; en conféquence nous nous féparâmes &
fîmes route , felon vos ordres , avec le Lion , le
Sultan , l'Hector , le Bristol , le Ruby & le Niger.
Le 20 , étant par le degré 30 18. de latitude leptentrionale
, longitude 11 47. du Cap Floride , nous
fimes route à l'Eft. A une heure après-midi , le Niger
qui étoit de l'avant , fic connoître , par un fignal ,
qu'il découvroit quatre voiles au N. E. Je fis le
fignal pour la chaffe générale , & nous reconnûmes
peu de tems après que c'étoit un convoi qui nous
traverſoit par l'avant , en portant au N. O. Sitôt
qu'il nous découvrit , il ferra le vent & porta fur
nous ; quelques gros vaiffeaux marchoient de l'avant
à une certaine diftance des autres ; deux d'entr'eux
particulièrement fe trouvoient fort de l'avance ;
htôt que le Niger & l'Hector s'approchèrent d'eux ,
( 164 )
ils arrivèrent vent arrière pour joindre les autres.
Sur les 4 heures & demie , me trouvant affez près ,
& voyant fept vaiffeaux à deux ponts fe former
en ligne , outre quelques autres , & des frégates
qui reftoient avec le convoi ; je fis le ſignal pour
former la ligne de l'avant , tribord amure ; les
vaiſſeaux ennemis étant amurés à bas -bord , leur
convoi à la diſtance de deux ou trois milles par
leurs hanches de tribord , quelques - uns des vaiffeaux
à deux ponts & quelques frégates forçant .
alors de voiles pour joindre les 7 autres . Le Ruby
Le trouvoit fi éloigné fous le vent , que l'ennemi
auroit pu le lui gagner , ce qui l'obligea à virer vent
devant ; alors je fis le fignal pour virer vent arrière
& former la ligne bas -bord amure ; l'ennemi
couroit de même bord ; dans cette pofition , je gouvernai
de manière à pouvoir être en état de protéger
le Ruby & empêcher ceux des vaiſſeaux ennemis
qui fe trouvoient le plus au vent , de fe porter
entre le Ruby & nous. L'ennemi continua de
s'éloigner en dépendant & formant fa ligne ; mais
quoiqu'il fût à la portée du canon , il ne fit point
feu. Environ à cinq heures & demie du foir , remar
quant que nous avions fuffisamment poullé les François
fous le vent pour mettre le Ruby , qui fe trouvoit
par notre boſſoir ſous le vent , · en état de nous
joindre , je lui fis fignal de virer vent devant ; alors
l'ennemi hiffa pavillon françois & ouvrit fon feu ;
fon chef de file portoit un guidon , & ſon troiſième
vaiffeau qui commandoit & fe trouvoit par le travers
du Lion , portoit un pavillon de commandement
à fon mât de perroquet, de fougue ; tous les
autres vaiffeaux portoient des flammes blanches ordinaires
. Auffi tôt que le Ruby fut venu dans les
eaux de notre arrière-garde , & eut viré vent devant
, les vaiffeaux les plus de la tête de l'ennemi
virèrent vent devant , les autres firent fucceffivement
la même manoeuvre , tous fe confervant en
( 165 )
ligne , de manière que les vaffeaux qui formoient
la tête en courant bas-bord amure , fe trouvoient
être les vaiffeaux de tribord amure. Ils firent feu
à mesure qu'ils paffoient devant les nôtres , mais à
une grande diftance. Sur les fept heures du foir ,
lorfqu'ils allongèrent notre arrière - garde , ils arrivèrent
& joignirent leur convoi.
Je crois que
cette flotte confiftoit en 14 vaiffeaux de guerre ,
dont 10 ou 11 à deux ponts , trois ou quatre
frégates ; le refte confiftoit en navires marchands
ou de tranſport , un cutter & un brigantin Améri
cain armé. On calcule que le tout montoit de 44 à
47 voiles. Si-tôt qu'il fit fombre , nous mîmes
en panne , & nous queftionnâmes ceux de nos vaiffeaux
qui avoient approché de plus près le convoi
ennemi , fur fa force , qu'ils jugèrent à - peu - près
comme nous l'avions fait à bord du Lion. Nous
gouvernâmes au Nord pendant toute la nuit , n'employant
que nos huniers & la mifaine ; au retour
du jour , l'ennemi n'étoit plus en vue. Un coup de
canon tiré à toute volée , tua le patron du canot &
bleffa un foldat de marine à bord du Lion ; le Briftol
eut un homme bleffé ; en paffant entre les deux lignes
, le Ruby fe trouva plus exposé au feu de
l'ennemi que les autres vaiffeaux ; il eut un homme
rué & trois bleffés , dont un eft mort depuis ; fon
boute dehors de beaupré fut emporté , & il reçut
un boulet dans fa vergue de mifaine , ce qui en
exigera une neuve , à ce que je crois ; c'eft à cela
que fe bornent les dommages de quelque conféquence
qu'aient reçus nos vaiffeaux : ce récit
en général eft de peu d'importance , mais j'ai cru
de mon devoir de vous informer de tous ces détails
, de crainte qu'ils ne foient mal repréſentés ,
parce que quelquefois l'ennemi n'eft pas très-exact
dans les comptes qu'il rend, Nous nous étions
d'abord flattés que le convoi que nous découvrions
étoit celui que nous avions rencontré lors de notre
( 166 )
dernière croifière , fous la protection de 4 vailfeaux
de ligne & de quelques frégates ; je fuis certain
que mes camarades Capitaines & tout ce qui
fervoit à bord de notre petite efcadre , le defiroient
fincèrement , mais j'ai à gémir fur ma mauvaiſe
fortune , qui a voulu qu'ayant reçu de vous le
commandement de cinq vaiffeaux pareils & d'une
frégate , je retrouvaffe encore l'ennemi trop fort
pour qu'il fût poffible de rien tenter contre lui.
Selon les dépêches de Torbay , la grande
flotte qu'on a dit fi fouvent partie , & que
les vents contraires ont forcée de rentrer ,
y étoit encore le 11 ; elle faifoit , ajoute- t-on ,
des difpofitions pour appareiller , & l'on efpère
qu'elle aura mis enfin à la voile.
Nous fommes à la veille de l'ouverture
du nouveau Parlement ; la conduite à tenir
envers l'Amérique Unie eft un des principaux
objets qui feront foumis à l'attention
de cette affemblée nationale. On difoit il y
a quelques jours que le Gouvernement étoit
difpofé à faire des propofitions tendantes
à reconnoître l'indépendance des Colonies ,
en fe contentant des avantages commerciaux
qu'elles accorderoient à la Grande-
Bretagne comme à leur mère - patrie : mais
aujourd'hui les opinions ont changé ; la
pluralité des Miniſtres a , dit - on , décidé
qu'il falloit continuer encore la guerre pendant
une année , & s'il fe peut avec une plus
grande vigueur. On affure que c'eſt le réfultat
pris dans un Confeil du Cabinet tenu
les de ce mois. En conféquence de cette
détermination , & pour fatisfaire à la de·
( 167 )
mande d'un renfort confidérable que Sir
Henri Clinton a faite , des régimens d'infanterie
répartis tant dans la Grande - Bretagne
que dans l'Irlande , ont eu ordre de
fe préparer à leur départ pour New-Yorck.
L'avantage que le Comte de Cornwallis a
remporté dans la Caroline ne peut que fervir
à affermir l'Adminiſtration dans cette réfolution.
La nation ne la voit pas fans peine ;
on ignore comment le Parlement la prendra.
Ce n'eft que lorfqu'il aura commencé
fes féances qu'on en connoîtra les difpofitions
, & qu'on jugera du parti qui dominera.
L'Election du nouveau Lord-Maire a eu
lieu le jour de la S. Michel ; les fuffrages
font tombés fur le Chevalier Walkins Lewes ,
qui le 6 de ce mois , accompagné felon l'ufage
, alla préfenter au Roi l'adreffe de félicitation
du Corps de Ville fur l'heureufe
délivrance de la Reine qui a donné encore
un fils à fon augufte époux.
Le Roi a continué par une proclamation ,
la gratification des liv. fterl. pour chaque
matelot expérimenté , de 2 liv . 10 f. fterl,
pour tout matelot ordinaire , & de i liv.
10 f. pour tout homme de campagne vigoureux
& fort ; cette faveur n'aura lieu que
jufqu'au 31 Décembre prochain.
Ces avantages accordés aux matelots en
prouvent la difette ; ce qui la prouve en
core plus , c'eft qu'on vient de juger que
la réduction de leur complet n'étoit fujette
( 168 ) ร
à aucun inconvénient. Le nombre de
1000 a paru fuffifant , fauf a en accorder
un plus grand nombre aux vaiffeaux croifeurs
, qui , deftinés à faire des prifes , ont
befoin de plus d'hommes pour fe les conferver..
Les Lords de l'Amirauté n'ont pas refuſé
aux équipages de la Réſolution & de la Dif
covery , qui viennent de terminer leur
voyage autour du monde , la permiffion de
retourner dans leurs familles pour s'y repofer
de leurs longs travaux , & l'exemption
de la preffe qu'ils redoutoient fort , & dont
il auroit été barbare de leur faire fubir la
rigueur , après un voyage comme celui qu'ils
ont fait.
Le Miniſtère s'occupe actuellement à s'affurer
les fonds dont il aura befoin pour
l'année prochaine ; cette tâche devient de
jour en jour plus difficile. On affure qu'il
a offert à la Compagnie des Indes de renouveller
fa chartre pour 14 ans à compter
du 31 de ce mois , à condition qu'elle avancera
au Gouvernement un million ſterling
en 3 paiemens. Cette propofition doit être
difcutée dans une Affemblée de la Compagnie
; mais on ne doute pas qu'elle n'y caufe
de longs débats , d'autant mieux que tous
nos Papiers publics affurent que la trésorerie
du Bengale eft arriétée d'une fomme confidérable.
» La réfolution du Portugal dont on a cherché
à douter ici pendant quelque tems , vient d'être
confirmée
( 169 )
confirmée par des dépêches que la Cour a reçues de
Lisbonne. La conduite du Commodore Johnſtone
qui paroît avoir provoqué ce changement , n'eft pas
généralement approuvée ; mais on ne croit pas qu'on
J'en rende refponfable. On dit que la frégate les
Etats d'Artois & la chaloupe la Perle , qu'il avoit
voulu armer à Lisbonne , & fur lefquelles la Reine
de Portugal avoit fait mettre un embargo , qui a été
levé enfuite , font arrivées le 4 à Portſmouth. La
conduite de nos autres marins , quand celle du Commodore
auroit été plus décente & plus raisonnable
auroit fans doute fuffi pour changer les difpofitions
de la Cour de Lisbonne à notre égard. On dit qu'ils
ont commis une violence contraire aux droits des
gens dans une des Ifles Açores. S'il faut en croire
les bruits publics , elle reffemble fort à ce qu'ils ont
fait dans l'Ifle Hollandoife de Saint-Martin par ordre
de l'Amiral Rodney , & qui va fans doute occafionner
des plaintes graves de la part de la Républiques
peut être feront- elles appuyées par la neutralité
armée. Lorfque l'on confidère ces excès , on fe rappelle
le mot que pendant la dernière guerre , dit
une fois le feu Lord Chatham , alors M. Pitt , en
rendant un vaiffeau neutre réclamé par une Puif-
Lance à laquelle il appartenoit : Nous voulons être
les maîtres de la mer ; mais nous ne voulons pas
en être les tyrans. Nos marins femblent vouloir
réduire en maxime l'inverſe de cette expreffion du
Lord Pitt. Ils veulent plutôt être tyrans que maîtres
de la mer «,
La nombreuſe promotion que le Roi a
faite dans fa marine a été rendue publique ,
ainfi que celle des nouveaux Pairs qu'il a
créés. Parmi les premiers , le Prince Guillaumet-
Henri , actuellement à bord du vaiffeau
de guerre le Prince George
a été
nommé Lieutenant de vaiffeau. S. M. a dif
28 Octobre 1780.
,
h
(
( 170 )
pofé auffi de la charge de Lieutenant- Gé
néral des troupes de marine qui étoit restée
vacante depuis la démiffion de Sir Hugues
Pallifer , en faveur de Sir Thomas Pye ;
inais la Gazette de la Cour n'a pas encore
annoncé cette nomination que la nation
ne voit pas de bon oeil , parce qu'elle deftinoit
cette charge lucrative à l'Amiral
Rodney.
On dreffe actuellement un état des pertes
& dommages occafionnés par le dernier
foulèvement. On fait également le dénombrement
de tous les catholiques du Royauine
; & les deux états doivent être remis
au Parlement à fon ouverture .
Depuis peu de jours , écrit-on de Woolwich ,
en date du 30 Septembre , neuf Officiers François
qui avoient été pris à Pondichery aux Indes Orientales
, ont été amenés ici dans le vaiffeau l'Indien .
Les articles de la capitulation exigeoient qu'ils fulfent
conduits à un port d'Angleterre , d'où on les
feroit paffer en France par un bâtiment de cartel.
C'est ce qu'on avoit obfervé vis - à-vis des autres
prifonniers ; ceux- ci avoient été moins heureux .
Le Capitaine de l'Indien les avoit conduits à
Falmouth , où ils avoient réclamé l'exécution
de l'article de la capitulation ; mais le Capitaine
Anglois n'avoit fait que plaifanter de leur
précaution à cet égard , & les fit arriver à Portfmouth,
où la même réquifition lui fut faite avect
auffi peu de fuccès , puifqu'il les fit aborder à
Woolwich. A leur defcente à ce bourg de la Province
de Kent , les François éprouvèrent beaucoup.
d'embarras pour parvenir à trouver les moyens
de retourner en France. Heureufement pour eux ,
le fieur Turner , Miniftre fpirituel , s'offrir à leur
( 171 )
fervir d'interprète . Cet honnête Ecclefiaftique
après les avoir recommandés aux Officiers de la Plas
ce , pour qu'ils fuffent traités favorablement , écrivit
auffi - tôt à Lord North , & ayant obtenu l'agré
ment de lui aller préfenter un de ces Officiers , le
Miniftre ne l'eut pas plutôt entendu , qu'il décida
que le féjour qu'on leur faifoit faire en Angleterre
étoit entièrement contraire à la capitulation & à
Fintention du Gouvernement ; il le renvoya à
Woolwich , en l'affurant qu'inceffamment il y auroit
un bâtiment chargé de le faire repafer avec
fes camarades en France ; en effet , ils ont abordé
à Boulogne-fur-Mer , & ces Officiers fe louent de
la fenfibilité de l'Eccléfiaftique , de la juftice & de
la prompte expédition du Lord North , ainfi que de
la politeffe des Officiers de Woolwich «.
Les 3 vaiffeaux nouvellement conſtruits
par la Compagnie des Indes , pour le fervice
du Gouvernement , n'avoient point
encore de noms, On dit que l'on a propofé.
fucceffivement au Roi & au premier Lord
de l'Amirauté de les nommer, & qu'ils l'ont
refufé. La Compagnie a jugé en conféquence
à propos de les appeller des noms de nos
trois établiſſemens dans l'Inde ; lè Bengale ,
le Madraff & le Bombay- Caftle.
Comme depuis très - long- tems on n'a reçu
aucune nouvelle du Général Haldimand ,
Gouverneur de Québec , on ne doute past
que le bâtiment qu'il doit avoir fûrement
expédié pour l'Europe , n'ait péri ou ne foit
tombé entre les mains de nos ennemis.
P.S.La Gazette de Penfilvanie du 6 Sept.
contient l'article fuivant , daté de Baltimore .
le 29 Août , fur le combat du Général Gates
& du Lord Cornwallis.
1
h 2
( 172 )
Le 16 de ce mois , à 2 heures du matin , il y
a eu un combat fanglant à huit milles de Camden ,
dans la Caroline méridionale , entre S. E. le Général
Gates , à la tête d'environ 3000 hommes , dont 900
de troupes réglées , & les troupes Angloifes commandées
par le Comte de Cornwallis , confiftant en
1800 hommes de troupes réglées & 2400 réfugiés.
Le combat s'eft engagé de part & d'autre avec le
plus grand acharnement , & l'apparence du fuccès a
été pendant quelque tems tout-à- fait en faveur des
troupes Américaines , qui ont chargé l'ennemi la
bayonnette au bout du fufil , l'ont obligé de lâcher
pied, & de laiffer quelques pièces d'artillerie en la
poffeffion de nos troupes ; mais malheureuſement
dans ce moment critique la fuite inopinée de la
milice a fait tourner l'avantage du côté de l'ennemi.
Cet évènement a été fatal à un grand nombre de
nos braves Compatriotes des troupes réglées , dont
4 ou soo ont été tués & pris ; dans ce nombre fe
trouvent plufieurs bons Officiers. La perte de l'ennemi
a été beaucoup plus confidérable . On préfume
que quelques Généraux font du nombre des tués.
Malgré cet échec le Général Gates , dont le quartier
général eft à Hillsborougg , dans la Caroline feptentrionale
, raffemble des forces beaucoup plus con
fidérables que celles qui compofoient la première
armée , & paroît décidé à courir les rifques d'une
autre journée. Les Virginiens ont complété leur
contingent de soco hommes , qui font en marche en
détachement de soo hommes chacun pour renforcer le
Général Gates. Environ 300 hommes de cavalerie
aux ordres des Colonels White & Washington , font
partis depuis quelques jours d'Hallifax , dans la.
Caroline feptentrionale , pour joindre le Général
Gates à Hillsborough . On doit dire à la louange
de la milice de la Čaroline méridionale , qu'elle s'eſt
fort diftinguée dans cette action «,
Dans le New - Port- Mercury , on lit les
détails fuivans.
( 173 )
5
Le Lundi , 2 1 du mois dernier , un Comité de l'hos
norable Affemblée de cet Etat , alors fiégeant en cette
ville , fe rendit chez S. E. le Général François , auquel
il préfenta l'adreffe fuivante. - » Les Repréfentans
de l'Etat de Rhode- Ifland & des Plantations
de Providence en Affemblée générale , faififfent , avec
la fatisfaction la plus vive , la première occafion qui
fe préfente de féliciter le Comte de Rochambeau ,
Lieutenant- Général des Armées de S. M. T. C. fur
fon heureuſe arrivée dans les Etats- Unis . En cette
occafion nous ne pouvons trop exprimer combien
eft vivé la reconnoiffance dont nous pénètre le fecours
généreux & magnanime que les Etats - Unis
reçoivent de leur illuftre Ami & Allié . Les preuves
de fon zèle & de fon amitié étoient déjà fuffifantes ;
celle qu'il nous donne en ce moment doit forcer
jufqu'aux Anglois envieux & déçus de leur attente
à vénérer la fageffe de fes confeils & la fincérité de
fon ame noble. Nous jettons déjà les yeux de l'attente
fatisfaite fur l'iffue d'une campagne dans laquelle
les forces alliées de la France & des Etats-
Unis , favorifées du fourire de la Providence divine ,
pourront produire la paix & le bonheur , non-feulement
pour les Puiffances Belligérantes , mais pour
le genre humain en général. Nous vous affurons
M. ,que cette agréable perfpective s'embellit encore ,
lorfque nous confidérons la fageffe qui a porté S. M.
T. C. à vous donner le commandement de l'Armée
deftinée à nous fecourir. Comptez , M. , fur tous
les efforts qui feront au pouvoir de cet Etat , pour
procurer les rafraîchiffemens néceffaires aux troupes
que vous commandez , & faire enforte que , pour
tous les grades , le fervice foit auffi agréable qu'il
eft honorable ". M. de Rochambeau a fait la
réponſe fuivante. » MM. , le Roi mon Maître
m'a envoyé au fecours de fes bons & fidèles Alliés
les Etats-Unis de l'Amérique. Pour le moment je ne
vous amène que l'avant-garde d'une armée infini-
――
h 3
( 174 )
--
ment plus forte deftinée à ce fecours , & le Roi m'a
ordonné d'affurer les Etats- Unis qu'il développera
toute fa Puiffance pour les foutenir. Les troupes
Françoifes font foumifes à la difcipline la plus ftricte ;
& en fervant fous les ordres du Général Washington ,
elles vivront avec les Américains comme avec des
frères . Rien ne me rendra plus heureux que de pouvoir
contribuer à leurs fuccès . Je fuis , on ne peut pas
plus fenfible aux marques d'égard que je reçois de
la part de l'Affemblée générale , & je la prie de trouver
bon que je lui, déclare que la regardant comme
compofée de mes frères , non- feulement ma vie ,
mais celle des troupes à mes ordres font entièrement
dévouées à leur fervice «.
FRANCE.
De MARLI , le 14 Octobre.
M. de Sartine , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
département de la Marine , ayant prié le Roi d'agréer
la démiffion de cette place , S. M. a nommé
Secrétaire d'Etat au département de la Marine le
Marquis de Caftries , qui eut l'honneur de faire en
cette qualité fes remerciemens au Roi le 14 de ce
mois. Il a autfi eu , le même jour , l'honneur d'être
préfenté en cette qualité à la Reine & à la famille
Royale. Le lendemain le Marquis de Caftries a prêté
ferment entre les mains du Roi , en qualité de Secrétaire
d'Erat au département de la Marine. Le même
jour , le Roi a nommé le Marquis de Caſtries , Secrétaire
d'Erat au département de la Marine , Miniſtre
Erat . En conféquence , il eft entré en cette qualité
au Confeil , le même jour.
De PARIS , le 24 Octobre.
ON efpère que les premières lettres d'Efpagne
apporteront la nouvelle de l'arrivée
de M. de Guichen à Cadix. Selon plufieuts
( 175 )
avis , il a envoyé avant fon départ de St-
Domingue des vaiffeaux à M. de Ternay
& des troupes à M. de Rochambeau.
I
Des lettres de Nantes portent qu'il y eft
arrivé un bâtiment de Philadelphie , d'où
il étoit parti à la fin d'Août . L'équipage
raconte qu'à cette époque M. de Rochambeau
fe préparoit à faire le fiége de New-
Yorck avec le Général Washington . Ce
dernier avoit déja près de 30,000 hommes
fous fes ordres , & les milices des Provinces
du Nord fe difpofoient à le joindre au
nombre d'environ 15,000 hommes. On
ajoute que M. de Rochambeau dédoubloit
fes Régimens & y incorporoit des Américains.
Selon d'autres lettres , le Capitaine d'un
navire Américain , arrivé à St- Martin , en
l'Ile de Ré , rapporte qu'à fon départ de
Salem , les Septembre , on y étoit inftruit
que le Général Washington s'approchoir de
New- Yorck , & que les François , renforcés
par un corps de troupes Continentales
& un nombre de volontaires , faifoient
des difpofitions pour paffer dans l'Ifle - Longue
, & feconder les opérations du Général
Américain , en refferrant New-Yorck
de ce côté. Ces nouvelles , encore vagues ,
ne peuvent tarder à faire place à des détails
plus sûrs.
On mande de Breft qu'un coup de vent
des plus violens , dans la nuit du 8 au 9
de ce mois , a fait périr à la côte un corh
4
( 176 )
faire de ce Port , dont 9 hommes feulement
fe font fauvés. Les vaiffeaux qui étoient en
rade ont chaífé fur leurs ancres ; un bâtiment
Danois a manqué périr . Le maître
cable du vaiffeau le Sceptre , en armement
dans le Port , a caffé. Le même coup de
vent a renversé , à Recouvrance , la guérite
d'une fentinelle , qui a eu le bras & la
jambe fracaffés.
» Le convoi qui eft actuellement à l'Ifle d'Aix ,
écrit-on de Nantes , doit aller à Breft fous l'efcorte
de deux frégates , joindre l'efcadre de M. de la
Touche-Tréville . Plufieurs navires de ce convoi ont
effuyé de fortes avaries au commencement de ce
mois. Nous avons eu des ouragans terribles ; on
m'affure que la mer avoit été affez houleufe & le
vent affez impétueux pour porter un navire marchand
à une affez grande diftance fur la terre près
de Rochefort , où il a été laiſſé à fec , & d'où il
fera très- difficile & peut- être impoffible de le retirer.
Il y a auffi plufieurs navires qui ont fouffert du
mauvais tems au bas de notre rivière & à Groys " .
On écrit de l'Orient qu'un corfaire Anglois
de 16 canons étoit entré à Auras , où
il avoit voulu fe faire paffer pour Américain
; mais que fa fupercherie avoit été découverte
par fes papiers , & que tout l'équipage
avoit été mis en prifon.
Les cutters du Roi le Clairvoyant & le
Pandoure qui avoient appareillé du Havre
le 6 de ce mois , y font rentrés le 7 &
le 1. Le premier ayant été comme forcé ,
& le fecond ayant été obligé de relâcher à
la Hogue où il a effuyé un coup de vent.
On mande de Dunkerque que les cor(
177 )
faires de ce port continuent avec fuccès
leurs croifières. Le Duc d'Eftiffac eft rentré
le 13 Octobre à Oftende avec une rançon
de 3500 liv. fterl. La Princeffe - Noire y a
amené le même jour une prife de 180 tonneaux
chargés de goudron , bray & fuif.
La Comteffe de Provence a relâché au Texel
avec une prife de 200 tonneaux chargés de
pelleterie , bray & goudron , & pour 36,000
liv. de rançons , enfin , le Chaulieu a fait
une rançon de 4500 liv. fterl.
Selon des lettres de l'Orient , le célèbre
Commodore Paul Jones ayant appareillé de
Grois le 7 de ce mois , effuya le terrible
quragan du 8 & du 9. La frégate l'Ariel
qu'il monte , eft entrée à l'Orient rafe comme
un ponton. Un petit bâtiment Américain
qui l'avoit fuivie , eft rentré 2 jours
après mais fans avaries. Le même ouragan
a fait échouer à la côte nombre de petits
bâtimens , un chargé de munitions pour
Breft a péri corps & biens. Un autre chargé
de chanvre s'eft brifé à la côte de Gavre ,
mais l'équipage s'eft fauvé .
Une goeletre arrivée à Breſt le 12 a occafionné
le départ d'un courier extraordinaire
pour la Cour. Le 14 , les prifonniers
Anglois détenus dans la prifon de Pontancon
ont été transférés à la citadelle de Breſt.
En attendant des nouvelles pofitives des
opérations militaires , tant de la flotte combinée
, prête à fortir de Cadix , que des François
& des Américains réunis en Amérique ,
hs
( 178 )
nous placerons ici quelques pièces intéreffantes
; la première eft une lettre écrite de
Philadelphie le 14 Juin dernier à M. l'Abbé
Raynal.
---
» M. votre Hiſtoire s'eft ouvert un chemin dans
le Nouveau-Monde. En rendant juſtice à la beauté
de l'ouvrage & à l'élégance avec laquelle il eſt écrit ,
nous avons fur- tout été charmés de cet amour de
l'humanité & de ce caractère de bienfaifance qui
brillent à chaque page ; c'eſt- là que les droits de la
nature humaine font affurés avec toute la force du
raifonnement , & avec toutes les graces d'une élo ,
quence perfuafive . Au milieu de la confufion que la
guerre entraîne dans nos climats , au milieu des foins
qu'exige le gouvernement civil après une révolution
fi importante , nos regards fe tournent vers vous ,
M.; un penchant irréfiftible nous force de lire &
d'admirer , de respecter & d'aimer l'homme , dont
le génie vafte faifit , développe & trace ' avec tant
d'énergie les droits du genre humain. Je ne puis
mieux reconnoître , M. , le plaifir que j'ai éprouvé ,
qu'en vous priant d'accepter deux Actes émanés du
Confeil Suprême de Philadelphie. En vertu de l'un ,
déformais la fervitude eft abolie & entièrement détruite
. L'autre a pour objet la création d'une Univerfité
, qui , établie fur les principes du toléran .
tifme , admet également toutes les Religions Chrétiennes
que nous voyons fleurir parmi nous , & dans
laquelle on cultive les Langues , les Arts & les Sciences
qui font partie effentielle de l'éducation . A
qui ces prémices de la liberté civile pourroient -elles
étre plus agréables qu'à vous , M. , dont l'efprit
elt fait pour goûter tout ce qui peut hâter cet heu
reux tems où le faux - zèle , l'avarice & la cruauté le
cèderont à la charité & à la bonté univerfelle ? →
C'est à ce titre que je prends la liberté de vous en
faire hommage. J'ai l'honneur d'être avec le plus
parfait refpect , &c. figné , Jos . REID .
-
t
( 179 )
Les actes annoncés dans cette lettre font
en effet des monumens de fageffe & d'humanité
voici le préambule du premier ,
qui a pour but l'abolition graduelle de l'efclavage.
לכ
:
Quand nous confidérons notre horreur pour
cette condition à laquelle les armes & la tyrannie
de la G. B. ont cherché à nous réduire , lorfque
nous envifageons la multitude & la variété des dangers
auxquels nous avons été exposés , les occafions
où le Ciel a pourvu miraculeufement à nos befoins
& à notre délivrance , dans des momens où l'efpérance
& le courage humain fembloient au deffous des
efforts qu'on nous oppofoit , nous ne pouvons qu'éprouver
le plus vif fentiment de reconnoiffance pour la
protection & les bienfaits que nous avons reçus de
la fource de tout bien . Pénétrés de ces fentimens , nous
regardons comme un devoir , & nous nous félicitons
de ce qu'il eft en notre pouvoir de faire part aux
autres d'une portion de cette liberté dont nous jouiffons.
Ce n'eit pas à nous de rechercher pourquoi
dans la création des hommes , les Habitans des différentes
parties de la terre ont été diftingués par des
traits & des couleurs différentes . Il nous fuffit de
favoir qu'ils font tous l'ouvrage de la inain du Tout-
Puiffant. Dans la diftribution de l'efpèce humaine ,
nous voyous les parties les plus fertiles & les plus fteriles
de la terre habitées par des hommes , qui diffèrent
non-feulement de nous , mais encore les uns des autres ;
la raifon & la religion nous invitent à conclure que
celui qui les plaça dans ces diverfes fituations a
également étendu les foins & fa protection à tous
& qu'il ne nous appartient pas de nous oppofer
fes bienfaits. Nous regardons comme une faveur
particulière qu'il nous fait , de ce qu'il nous a mis
en état de contribuer à la civilifation univerfelle
en faifant ceffer , autant qu'il eft poffible , les peines
h 6
( 180 )
des infortunés qui ont vécu dans une oppreffion qu'ils
ne méritoient pas , & dont l'autorité que s'atrogè
rent les Rois de la G. B. ne les auroit jamais délivrés.
Une longue expérience ayant affoibli les préjugés
étroits dont nous avons été imbus , nos coeurs
s'ouvrent à la tendreffe & à la bienveillance envers
les hommes de toutes les conditions & de toutes les
nations. Nous nous croyons particulièrement appellés
aujourd'hui à manifefter la fincérité de notre
reconnoiffance pour les biens dont la Providence
nous a comblés , & à en donner des preuves effi
caces «<.
Cet acte abolit la fervitude à vie de tout enfant
qui en naiffant s'y trouve condamné par l'esclavage
de fa mère. Déformais cet enfant fervira le Maître
chez lequel il eft né , jufqu'à l'âge de 28 ans , aux
mêmes conditions , avec les mêmes droits & les
mêmes priviléges que les autres domestiques engagés
pour le terme de 4 ans. Si ceux au fervice defquels
il appartient préférent de renoncer à leurs
droits , les Inspecteurs des Pauvres de la ville &
du diſtrict , le mettront en apprentiffage pour un
tems qui n'excédera pas celui de 28 ans. Tous les
Maîtres feront enregiſtrer avant le 1er. Nov. leurs
efclaves à vie ou pour un tems , pour les diftinguer;
ceux qui n'auront pas été enregistrés feront réputés
libres. Leurs Maîtres ne feront pas difpenfés
pour cela de pourvoir à leurs befoins . Les Infpecteurs
des Pauvres qui les fuppléeront feront remboursés
par eux de leurs avances . Les nègres tant
libres qu'efclaves feront jugés comme les autres
habitans de l'Etat ; lorfque la peine de mort fera
prononcée , le Juré évaluera le prix de l'esclave que
le Tréforier de l'Etat rembourfera au Maître , ainfi
que les frais du procès , & fimplement ces derniers
lorfque la peine ne fera pas capitale , pour
empêcher toute tentative d'éluder la loi , en introduifant
dans l'Etat des nègres ou des mulâtres liés
( 181 )
par des conventions ; il eft dit que toutes celles qui
auront été faites pour un terme déraisonnable feront
nulles. Le terme ne doit pas paffer celui de 7
ans , à moins que le nègre n'eût fait cet engagement
avant 21 ans , auquel cas on pourra le garder juf
qu'à 28 ans.
Le fecond acte érige en Univerfité le Collège de
Philadelphie , le confirme dans fes poffeffions , y
ajoute des fonds néceffaires , en règle l'Adminiftration
intérieure , conformément à la révolution & à
la conftitution actuelle du Gouvernement de l'Etat
de Penſylvanie..
ལ་
Le Rouffillon , en reconnoiffance du rétabliſſement
du port de Vendre , a demandé
la permiffion de la manifefter , en élevant i
un obélifque à la gloire du Roi , S. M. ayant
bien voulu l'agréer , la première pierre en
fut pofée le 28 du mois dernier par la
Comteffe de Mailly. Ce jour fut célébré
par différentes fêtes données fur le baffin
du Port ; & nombre de bâtimens étrangers
fe réunirent pour joindre leur propre re- A
connoiffance à celle des habitans. L'obélifque
eft conftruit en marbre du Rouffillon ; il eft
de 80 pieds de haut , & terminé par un
globe doré qui repréſente les 4 parties du
monde il s'élève du centre une fleur de
lys qui les orne de fes feuilles , image de
la protection & de l'afyle que le Roi
accorde à toutes les nations.
:
En parlant de la mort fâcheufe du jeune
Gentilhomme qui fut tué aux environs
de Metz dans une voiture , par un fufil
qui y avoit été placé & qu'on n'avoit pas
( 182 )
eu l'attention de décharger , on s'eſt mépris
fur le nom de la victime de cette malheureufe
imprudence ; ce n'eft point M. de
Loftange , c'eft M. de Soufet , Capitaine au
Régiment de Bourbon , Dragons .
» On apprend de Lunel , écrit - on de Montpellier
, qu'au commencement de ce mois , pendant
une forte pluie , le tonnerre étant tombé par la cheminée
dans la cuifine d'un Vitrier , fur un chaudron
où on faifoit bouillir des raiſins pour faire du réfiné,
il engloutit le chaudron & enleva tout le moût fans
en laiffer une goutte ; il parcourut enfuite la cuifine ,
racla les murs , dériva les cloux fans endommager
les vantaux ni les vitres , & fans faire aucun mal à
la domeftique ; il remonta enfuite par le tuyau de
la cheminée , le perça , paffa dans une chambre voifine
, où il caffa une vitre , fit à une autre un troả
de la grandeur d'un écu de fix livres , rentra de - là
dans une autre pièce où étoit couché un homme qui
n'entendit pas le moindre bruit , en racla auffi les
murs , & difparut tout à coup fans laiffer aucune
trace de la direction qu'il avoit prife pour fortir «<,
On lit dans les Affiches du Dauphiné les
détails fuivans d'un incendie allumé par le
feu du ciel.
» Le 3 Septembre , à l'entrée de la nuit , il y
eur à Veynes un orage violent , accompagné d'une
grêle d'une groffeur extraordinaire. Le tonnerre tomba
dans le village de Châteauvieux ; il abattit le
tuyau de la cheminée d'un habitant , perça une voûte
, s'introduifit dans une écurie où il y avoit des
boeufs , qu'il réduifit en poudre , & gagna enfuite la
couverture , qui étoit en chaume . A l'inftant même
fix habitations & la maifon Presbytérale furent enveloppées
dans l'incendie , qui réduifit en cendres les
grains , les fourrages & tous les meubles & effets
( 183 )
des habitans . L'un d'eux avoit une foeur qui devoit
fe marier le furlendemain ; les préparatifs de la
noce , la dot , les nipes & les joyaux ont été la proie
des flammes. Ce défaftre n'a point empêché de conclure
le mariage ; le prétendu , qui n'eſt pas riche
a montré des fentimens qu'on ne trouve pas toujours
dans les conditions les plus relevées , & ſon déſintéreffement
mérite de juftes éloges.
Le fujet du prix des Mathématiques que l'Académie
des Sciences , Belles - Lettres & Arts de Lyon
diftribuera l'année prochaine , confifte à déterminer
la largeur , la forme & la nature des Jantes
des roues des Voitures deftinées au transport des
marchandifes , en confidérant en même-tems l'intérêt
du commerce & la confervation des grandes
routes & du pavé des villes Celui du prix de
Phyfique pour l'année 1782 , eft de déterminer fi
l'Electricité de l'atmosphère a quelque influencefur
les végétaux ; quels font les effets de cette influen ,
ce ? Et s'il y en a de nuifibles , quels font les
moyens d'y remédier. Le fujet du prix d'Hiftoire
Naturelle eft celui - ci : Quels ont été & quels font
les alimens & les boiffons des grands peuples dans
Les différens climats ? Quels en ont été & quels
en font les effets , relativement à la fanté , à la
force , à la durée de la vie & à la population ?
M. l'Abbé Raynal , après avoir éclairé les hommes
par les écrits , a voulu leur procurer encore de
nouvelles lumières , en excitant l'émulation ; affocié
aix travaux de l'Académie de Lyon , il a propofé
à cette Compagnie d'annoncer deux fujets de prix ,
dont il a fait les fonds , l'un de 600 liv . relatif à
la prospérité des manufactures de cette Ville ; l'autre
, de 1200 liv. , concernant la découverte de
l'Amérique. L'Académie propoſe en conféquence,
pour le premier qu'elle diftribuera en 1782 , quels
font les principes qui ont fait profpérer les mas .
nufactures qui diftinguent la ville de Lyon ? Quel(
184 )
C
les font les caufes qui peuvent leur nuire , quels
font les moyens d'en maintenir & d'en affurer la
profpérité ? Pour le fecond , qui fera donné en
1783 , la découverte de l'Amérique a-t elle été
utile ou nuifible au genre humain ?. S'il en a réfulté
des biens , quels font les moyens de les
conferver & de les accroître ? Si elle a produit des
maux , quels font les moyens d'y remédier ?
Le fujer propofé par l'Académie de Toulouse ,
pour le prix triple de 1780 , n'ayant point été rempli
, elle en propoſe pour 1783 deux autres , à chacun
defquels elle deftine un prix de cent piftoles :
19. L'influence de fermat fur notrefiècle , relativement
aux progrès de la haute géométrie & du
calcul , l'avantage que les Mathématiques en ont
retiré , & qu'elles peuvent retirer encore de fes ouvrages.
2 °. Les moyens les plus avantageux de
conduire dans la ville de Touloufe une quantité
d'eau fuffifante , foit des fources éparfes dans le
territoire de cette viile , foit du fleuve qui en baigne
les murs , pour fournir en tout tems , dans les
différens quartiers , aux befoins domestiques ,
aux incendies , & à l'arrosement des rues , des
places , des quais , des promenades . L'Adminif
tration Municipale pénétrée de l'importance de ce
dernier fujet , & du peu de proportion entre les travaux
qu'il exige , & une fomme de 1000 liv. , a
délibéré d'y ajouter cent louis , de manière que le
prix total fera de 3400 liv. Le fujet du prix de
17 , qui fera de 500 liv. , confifte à affigner les
effets de l'air & des fluides aériens introduits ou
produits dans le corps humain , relativement à
Péconomie animale. Celui de Juin 1782 , qui fera
de cent piftoles , eft de déterminer les avantages
en général de l'établiſſement des Etats provinciaux
, & en particulier ceux dont le Languedoc
eft redevable aux Etats de cette Province.
La Société Royaie des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de Nancy , a tenu le 25 du mois d'Août der(
185 )
nier , une de fes Séances publiques . M. le Préfident
de Sivry , Secrétaire- Perpétuel , en a fait l'ouverture
par un Difcours , dans lequel il a annoncé les dons
que le Roi avoit accordés nouvellement à la Bibliothèque
publique de Nancy. Comme une partie des
bienfaits de S. M. a été tranſmiſe à la Société Royale
par le département des Finances , le Secrétaire Perpétuel
en a pris occafion pour remarquer , à la gloire
des lettres & des corps littéraires , que l'Académie
Françoife , en décernant la palme au Panégyrifte de
Colbert , avoit préparé peut- être l'élévation de fon
fucceffeur & de fon émule ; il a ajouté que fon exein-
'ple prouvoit qu'un homme de lettres qui déploye de
grandes vues dans fes écrits , s'il devient homme
d'état , exécute de grandes chofes dans fon adminif
⚫tration . M. de Sivry a lu enfuite l'Eloge hiſtorique
de M. André de Piroüel , l'un des Avocats de
la Chambre Royale , fondée par le feu Roi Staniflas
, pour confulter gratuitement les affaires des
Pauvres. M. Cerutti a donné plufieurs Fragmens
d'un Ouvrage de ſa compoſition . → M. François de
Neufchâteau a récité les premier & fecond Chants
de fa Traduction en Vers françois du Roland furieux
de l'Ariofte. M. de Sivry a terminé la Séance ,
en annonçant que la Société Royale avoit placé dans
la Salle de fes Affemblées particulières , le Bufte de
Voltaire , par Houdon. Pour calmer les fcrupules
de quelques efprits qui auroient pu être fcandalités de
cette efpèce d'inauguration , il a fini par appliquer à
Voltaire lui-même , ces deux vers de fa Tragédie de
la mort de Célar.
-----
-
Faifant tout pour la gloire , il ne fit rien pour Rome ,
Et c'est la feule faute où tomba ce grand homme.
Charles-Louis de Maillé , Marquis de
Maillé- la - Tour- Landry , eft mort le 9 de
ce mois dans fon château d'Entrames
dans le Maine , âgé de 68 ans .
( 186 )
Le Marquis de Jaucourt pere , eſt mort
ici le 17 dans fa 94 année.
Louis-Maurice Dardaine , fils du fieur Dardaine ,
Maître Maréchal à Paris , rue des Vieux- Auguftins ,
Paroifle Saint-Eustache , partit de chez fon pere le
premier Seprembre 1780 , fans fujet , & feignant
d'aller en claffe , il n'eft point revenu ; il eft âgé de
15 ans & demi , habillé d'un furtout & vefte pareille
camelot petit-gris , culotte de peau de mouton
noire , bas de coton blancs , grande boucles d'acier
à fes fouliers , taille d'environ 5 pieds , trèsfort
pour fon âge , grands cheveux châtains , grands
yeux & les fourcils bruns , le nez large du bas , la
bouche un peu grande , les lèvres un peu groffes ,
le vifage affez plein & un peu bazanné ; le fieur Dardaine
prie les perfonnes qui auront connoiffance du
jeune homme de vouloir bien l'en avertir ; il joindra
a la reconnoillance une honnête récompenſe.
De BRUXELLES , le 10 Octobre.
Le changement furvenu inopinément
dans le fyftême de la Cour de Lisbonne ,
afflige beaucoup les Anglois ; c'eſt à leur
conduite arbitraire qu'ils doivent s'en prendre
; il eft à préfumer que s'ils avoient eu
plus de modération , ils auroient confervé
l'afyle que leur offroient les Ports de Portugal
; mais ils ont eu l'imprudence de ne
pas avoir plus d'égards pour cette Puifance
que pour les navires neutres . On lit
fur ce fujet l'article fuivant dans la Gazette
de Madrid , fous la date de Lisbonne.
» Le 3 Septembre il arriva dans ce port un évènement
qui a fait peu de bien aux Anglois , en éclairant
fur leur conduite . Les Armateurs l'Artois &
( 137 )
Ia Perle , à l'exemple d'autres vaiffeaux de la même
nation , avoient attiré à leur bord quelques mariniers
Portugais , & voulurent les forcer d'y ref
ter. La Reine en ayant été informée , réclama ces
Mariniers , & envoya deux fois les demander. Les
Commandans les rendirent fans oppofition mais à
regret ; ils continuèrent leur pratique illicite , & la
Reine envoya un de les Défembargadors avec main
forte , pour retirer de ces bâtimens tous ceux de
fes fujets qui s'y trouvèrent ; fur la fignification
que le Juge fit de fes ordres , l'équipage Anglois
répondit avec menaces ; ils eurent même l'audace
de jetter à la tête du Juge & de fes gens , quelques
groffes balles de mitrailles , comme s'ils euflent
voulu le lapider à terre. Le Défembargador fe retira
fur le champ , & paffant à la Tour Saint-Julien ,
qui commande l'entrée du port , il impofa un embargo
général fur tout corfaire ou bâtiment Anglois
armé , & il rendit compte à fa Souveraine de
ce qu'il venoit d'ordonner. Quelques jours après ,
S. M. T. F. leva l'embargo général , & le borna
aux deux bâtimens qui avoient commis l'infulte .
-
Il court dans cette ville un bruit qui , s'il fe confirme
, prouve de plus en plus de quoi font capables
les marins Anglois . Une barque Américaine
pourfuivie par un corfaire Anglois , fe réfugia dans
une des Inles Açores . Le corfaire la voyant en fûreté,
fe retira à un village voifin . Le Commandant
du Fort fous lequel l'Américain fe tenoit , craignant
quelque entreprise de la part du corfaire ,
prit la précaution de tenir cette nuit - là plufieurs
chaloupes armées en garde à la rade. Le corfaire
envoya en effet la fienne , avec ordre de couper
les cables du bâtiment Américain ; mais les chaloupes
de garde la découvrirent & s'en emparèrent.
Le corfaire ne la voyant point revenir ,
voya fon bateau pour le même effet , il fut également
arrêté ; enfin informé du fort de fes gens , il
en(
188 )
mit à la voile ; ayant rencontré une frégate de ſa
nation , il lui fit part de ce qui s'étoit patié . Le Capitaine
de la frégate defirant s'en venger , fe rendit
devant le Fort ; & s'y étant mis en travers , commença
à le battre , de façon qu'on dit qu'il lui a fait
affez de donmage ; il coupa enfuite les cables du
petit bâtiment Américain , & l'emmena de l'Ifle où
il s'étoit réfugié.
Cette violence a beaucoup de reffemblance
avec celle faite à l'établiffement
Hollandois de l'Ifle St Martin ; elle ne peut
qu'indifpofer à la fois le Portugal & la
Hollande . Selon les lettres de la Haye ,
les Etats de Hollande & de Weft-Frife
en fe féparant pour fe raffembler le 18 de
ce mois , avoient arrêté de demander les
avis de leurs Villes refpectives fur plufieurs
objets , & entr'autres fur celui-ci : ne feroitil
pas néceffaire d'envoyer une efcadre aux
Indes Occidentales , pour s'opposer autant
qu'il fera poffible à ce que les Anglois ne
commettent plus par la fuite des hoftilités
auffi graves & auffi contraires au droit des
gens que celles commifes à St - Martin ?
Les mêmes lettres ajoutent que les Directeurs
de la Compagnie des Indes Occidentales
, de la Chambre Préfidiale d'Amfterdam
, ont écrit à LL. HH. PP. , pour
leur donner connoiffance de ce qui s'eft
paffé dans cette Ifle , & folliciter qu'on
accorde au plutôt une protection efficace ,
capable d'empêcher que la Compagnie &-
les particuliers foient expofés à de plus
grands dommages ; les Américains voyant
( 189 )
que leurs navires & leurs cargaiſons ne
font pas en fûreté dans les Ports des Indes,
Occidentales , cefferont tout commerce avec
les Colonies Hollandoifes , où l'on affure
que les Anglois ont pris la réfolution d'enlever
de force tous les navires Américains.
On ajoute même que tous ceux qui ſe trouvoient
à Curaçao , à Ste- Croix & à St-
Thomas s'en font retirés .
On dit que le Capitaine Landois , commandant
le vaifleau l'Alliance , s'eft emparé
pour fa part , fur les bancs de Terre-
Neuve , de 9 navires de la flotte de Québec . ୨
Selon les lettres de Cadix , les Officiers
Eſpagnols ayant nommé 2 Négocians Efpagnols
pour faire la vente des cargaiſons
& navires pris fur l'ennemi , les Officiers
François en ont pareillement nommé 2 de
leur Nation pour le même objet.
PRÉCIS des nouvelles de Londres , du 17 Octobre.
Dans le Confeil privé du 13 , le Lord Carliſle a
été nommé Vice - Roi d'Irlande. Il aura M. Eden
- pour Secrétaire d'Etat. Le Lord Grantham
remplace
le Lord Carliſle dans le Bureau du Commerce & Plantations.
---
Le 12 , le Barfleur que doit menter l'Amiral
Hood , eft rentré à Portſmouth . Il eſt deſtiné , avec
quatre autres , pour les Ifles . La grande efcadre
avoit quitté Torbay le 11 ; elle y eft rentrée le
14 , après avoir été fort maltraitée d'un coup de
vent. Le Victory , le Royal - George & l'Union
avoient perdu leurs gouvernails. On dit que le
Cumberland , de 74 , eft parti le 4 avec trois autres
vaiffeaux de ligne pour les Illes , Cependant cette
nouvelle a befoin de confirmation .
Un paquebot de la Jamaïque a apporté des nouvelles
de Penfacola datées du 22 Juillet. Tout y
étoit tranquille. Le Gouverneur avoit mis un em(
190 )
bargo fur la flotte jufqu'au mois d'Octobre . D. Ber
nard Galvez paroiffoit avoir remis à un autre tems fon
expédition contre cette place.
-
Le 11 au matin , les Généraux Paterfon , Mathews
& Tryon ont débarqué à Portſmouth , arrivant
de New Yorck avec le vaifleau le Renown ,
de so canons , qui a convoyé une flotte de près de
deux cents bâtimens , dont la plus grande partic
eft restée à Corke. - Ces Officiers étoient partis
de Shandy Hook le 2 Septembre. Ils ont remis le
14 au Lord Germaine des lettres du Général Clinton.
Il transpire feulement que le Général Clinton
eft obligé de refter à New-Yorck avec la totalité de
fes forces , le Général Washington étant campé
très- près avec une armée très - forte. Vers la fin
d'Aout, Washington , avec le Marquis de la Fayette ,
les Généraux Green & Wagner fe font approchés de
Bergen ( pointe de Jerſeys oppofée à la ville de
New -Yorck ) . Le 25 Août ils font venus fourager
jufqu'a Priorfwell. L'Artillerie à l'exception de
quelques pièces de campagne & de bagages , n'étoit
pas à plus de 20 milles. Le 27 , ils ont détruit
des magasins de fourrage à Carleifle fur la rive nord
Au Hoebuck.
5 Dès le 26 Juillet le quartier général étoit dans
Bergen- County. Il y a dans les papiers une lettre
de cette date du Général Washington.
Il réfulte de ces nouvelles que l'expédition de
Clinton projettée pour la rivière James , dans la
baie de Cheſapeak , n'aura point pu avoir lieu.
Il a péri 12 bâtimens de la flotte qui vient de rentrer
à New- Yorck . Les équipages ont été recueillis fur les
autres.
Le Jéfuite Espagnol pris fur le Paquebot de
Buenos-Ayres , a été examiné le 13 par les Secrétaires
d'Etat , fur les prétendus foulèvemens dans
l'Amérique Espagnole. On croit que le Ministère ,
pour foutenir la gageure , l'enverra fur les lieux ,
à la fuite du Régiment du Colonel Fullarton , qui
eft chargé , dit-on , d'une expédition fecrette dans
cette partie. M. de Pinto , ci - devant Miniftre
-
( 191 )
Plénipotentiaire de Portugal , qui étoit allé s'embarquer
à Falmouth, eft revenu à Londres . On prétend:
que le Gouvernement l'a fait prier de revenir
charger d'un Mémoire important pour la Cour.
pour fe .
On avoit vu avec étonnement que la victoire
remportée par le Lord Cornwallis , n'avoit prefque ..
pas fait hauffer les fonds . L'Oppofition n'a pas manqué
de dire que cet évènement ne pouvant que prolonger
la guerre , il étoit impoffible qu'il produisît
une hauffe dans les fonds. Le 15 & le 16 on les a
yu hauffer d'un & demi pour cent , fur le bruit
qui s'eft répandu avec la plus grande vivacité que
l'Espagne alloit faire fa paix particulière , parce que
le Prêtre Huffey , ci -devant Aumônier du Marquis
d'Almodovar , venoit d'arriver de Madrid . — Ona
bientôt découvert que c'étoit un artifice miniftériel
pour amortir l'effet du fâcheux évènement attendu
pour le 16 , jour auquel , à la grande furprife
de toute la ville de Londres , le paiement du
dividende de la demi-année du nouvel emprunt a
manqué. Il s'eft débité que l'argent étoit tout
prêt dans la caiffe , mais que l'ordre du paiement
n'étoit pas arrivé , ce qui provenoit de quelque
faute de bureau. Un exprès a été dépêché auffi-tôt
au Lord Palmerston à fa terre , près de Rumney
& l'ordre a dû arriver le 16 au foir.
--
Le 17 au matin , les partitans du Ministère fe
félicitoient d'avoir fi habilement dupé les Agioteurs,>
en leur faifant croire pendant deux heures feulement
, qui étoit tout le tems qu'il falloit , l'improbable
nouvelle d'une paix féparée avec l'Espagne.
Chaque parti a déja compté les forces dans le
nouveau Parlement, L'Oppofition ne paffe pas 179
fur le nombre de 558 ; ainfi le Parti Ministériel
fera de 388. L'Oppofition n'a pas gagné , à beaucoup
près , au changement. Il fe débite que le
fubfide fera de 18 millions ſterl.
-
Les Miniftres fe font conduits avec tant de précipitation
& d'imprudence dans l'affaire de l'empri
fonnement de M. Laurens , qu'après l'avoir envoyé
à la Tour , ils ont tenu confeil fur la propriété de
( 192 )
cette démarche. Ce confeil a duré cinq heures , &
it eft de fait que plufieurs de ceux qui font à la tête
du Gouvernement de ce pays, ont délibéré lérieuſement
pour favoir s'ils prendroient l'avis du Préfident
du Confeil ou du Lord Chancelier: La queſtion a été
décidée en faveur du dernier , & en conféquence
on lui a dépêché dans la nuit un Courier à Bath ,
où il eſt actuellement. Jufqu'à ce qu'ils aient reçu
des inftructions du Lord Chancelier , ils ne favent
point fi la conduite qu'ils ont tenue relativement à
M. Laurens eft blâmable ou non , & ils ignorent
pareillement ce qu'ils doivent faire par la fuite en
conféquence de leur première démarche.
Le Gouvernement n'a en fa poffeffion aucuns papiers
Américains d'importance : ceux qui ont rapport .
à la fituarion de leurs finances , à leurs reffources &
à leurs liaiſons Européennes , ont été jettés à la mer
par M. Laurens avant la priſe du vaiffeau . Le paquer
qui a été trouvé ne contenoit que des lettres à divers
Particuliers du Continent , relatives à des affaires de
commerce , & qui ne peuvent donner au Miniſtère
aucune lumière qui puiffe l'éclairer fur les projets
ou les opérations de l'ennemi.
>
Les Miniftres ont fait ces jours derniers des prodiges
de politique , du moins par les plumes de leurs
Ecrivains. Ils ont détaché le Roi de Suède de la
Confédération des neutres. Une vifite rendue par
ce Prince au Chevalier Jofeph Yorck leur a fuffi
pour former une alliance entre lui & la G. B. , &
il a ainfi rompu avec l'Impératrice de Ruffie , pour
avoir été enfermé une heure avec un Miniftre Anglois
. La violence du Parti anti -Britannique à Amfterdam
a été transformée en modération : des modérés
ils ont fait des amis , & ils ont trouvé le
moyen de rompre le traité entre la Ruffie & la Hol
lande , quoique les Plénipotentiaires de la République
foient actuellement occupés à négocier cette affaire
à Pétersbourg.
ERRATA. Dans le Journal du 21 de ce mois on
a mal mis le nom de l'Architecte du Monaftère de l'Abbaye
Royale de Jarcy , c'eft M. Boulland & non M.
Boullaut
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONT EN ANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences &les Arts ; les Spectacles;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits, Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
SAMEDI 7 OCTOBRE 1780.
HUẬT
BIROFE
D'EU
PALAIS
APARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel
rue des Poitevins..
Avec Approbation & Brevet du Roi,
LIBRARY
22-
TABLE
Du mois de Septembre 1780.
PIÈCES FUGITIVES.
3
Couplets chantés à Table ,
Meſdames *** ,
Les Jambes de Bois , Conte , 5
Il l'avoit mérité , Nouvelle, 7
Vers pour la Fête duRoi, 49
Ma Patrie , Epitre au Père
Papon ,
Etula , Conte ,
Quatrain pour mettre au bas
ibid.
55
Recherches fur les Lois Féodales
, 79
Mémoirefur les Abeilles , 82
Traité fur les Frocédures qui.
sobfervent dans les Jurif.
dictions de l'Enclos du Pa-
Lais, 85
Hiftoire de la République des
Lettres & Arts en France 118-
Hiftoire des Hommes, ISI'
du Portrait du Roi de L'Officieux , Comedie , 163
N
5.8
59
62
Prufe,
Air de Rofanie ,
Notice des Ouvrages de M.
l'Abbé de Condillac ,
Eptire à M. de C* ,
Le Dialogue , Conte ,
Suite de la Notice des Ouvrade
M. l'Abbé de Conges
dillac ,
Vers à Mde B **
2
97
101
103
145
146
Epitre adreffée à une Femme
jeune &jolie ,
Le Fablier , Conte ,
Le Roffignol & l'Alouette ;
De la Religion d'un Homme
du Monde, 2.04
211 Les Auguftins , Contes,
Difcours en faveur du Théâtre
François ,
ACADÉMIE S.
Académie Françoife ,
Société de Médecine ,
219
41
141
SPECTACLES.
Académie Roy, de Mufiq. 182
229.
Comédie Françoise , 87 , 124
147 Comédie Italienne ,
149 Fable ,
Vers faits chez M. le Mar
quis de Voyer,
193
L'Adroite
Reprimande
, Conte,
194
La Fable en Voyage , 201
Enigmes & Logogryphes , 16 ,
77 , 116 , 150 , 203
NOUVELLES LITTÉR.
Tangu & Félime , Poëme, 18
Du Sommeil
La Conchyliologie ,
Traité des Scrophules ,
VARIÉTÉ S.
183
Lettre de M. Roucher à MM.
les Rédact. du Mercure, 142
Lettre de M. P... 234
SCIENCES ET ARTS .
Moyen de conferver les Tableaux
peints à l'huile , 185
Expériencefur l'eau de Neige,
238
Gravures , 46 , 189 , 239
Mufique , 47 , 94 , 190
30 Annonces Littéraires , 47, 95,
143 , 191 , 240
35
39
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
T
MERCURL
DE FRANCE.
SAMEDI 7 OCTOBRE 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS fur EULALIE.
DAMISI A MIs m'a dit : « une trifte apathie
Flétrit mon coeur , empoisonne ma vie .
O mon ami , guéris- moi fi tu peux. »
Occupe-toi , révère , aime les Dieux....
- » On dira , c'eſt hypocrifie.
--
-
Hé bien fers , défends la Patrie.
ne fuis pas bien valeureux. »
Médite, écris , & par la Poéfie
Cherche à rendre ton nom fameux.
« Si j'allois réuffir , j'aurois des envieux. »
-Oh ! je t'entends : eh bien, prends une tendre amies
Tu lui devras des jours heureux.
BCC
Qui , mais ami , j'ai toujours craint les Belles.
Leur coeur eft , m'a-t'on dit , léger , capricieux ....
A ij
MERCURE
Erreur ! il en eft de fidelles.
J'en poſsède une , il peut s'en trouver deur.
( Par M. D.... Avoc .. au P.... de R....)
ÉPITRE à Madame C *** , à l'occafion
de la Ste ANNE , jour de fa Fête,
AIMABLE & charmante Annette ,
Si , comme le vrai Lubin ,
J'avois des droits de coufin ,
Et
>
que Vous fuffiez coquette ,
Je faifirois ce moment
Pour débiter ma fleurette
Sous le nom de compliment,
Même , par un trait plus rare
J'aurois pu, fort tendrement,
Vous faire fur la guittare
Chanter mon cruel tourment .
Certes , fans m'en faire accroire ,
J'aurois compofé du bon ;
Vos yeux , comme on peut le croire ,
Infpirent mieux qu'Apollon.
Mais non , en ce jour profpère ,
Je viens offrir ſeulement
Cet hommage volontaire
Que doit à fon Écolière
Un Maître reconnoiffant.
CULTIVES , malgré FEnvie ,
DE FRANCE.
Des talens confolateurs ;
Ce qu'au jardin font les fleurs ,
Les Arts le font à la vie ;
Par eux , la peine s'enfuit ;
Par eux , le bonheur s'augmente ,
La beauté devient piquante,
Et la laideur s'embellit.
PLAIGNEZ la froideur ftoique
De cette femme cauftique ,
Dont les organes épais
A la plus belle mufique
Ne fe prêtèrent jamais.
Au fein de fon domestique
Suivez-la dans fon loifir ,
Tout va bientôt l'en punir ;
Un ennui foporifique.
Ira par-tout l'affaillir.
Vous la verrez condamnée
A colporter chez autrui
Son dégoût & fon ennui
་
Dix fois dans une journée.
Mais elle a bean fe mouvoir ,
Beau courir de rue en rue
Le plaifir qu'elle croit voir
Sans ceffe échappe à fa vue :
Ixion , dans fon espoir ,
Ne tient jamais qu'une nae ,
Et , lorfque rentrant le foir
A ij
MERCURE
Elle quitte la partie ,
Après avoir bien médit , 545 e
Bien jafé , bien contredit ,
S'être fait mainte ennemie ,
Dans fa maifon elle fent
Son coeur encor plus pefant
Qu'avant d'en être fortie.
HEUREUX mille fois celui
Qui ne chérit que l'étude !
Ami de la folitude ,
Il fe plaît toujours chez lui .
L'ennui , ce fléau terrible ,
Enfant de l'oifiveté ,
Fuit loin du féjour paifible
Par les talens habité.
A LEUR aimable culture ,
Confacrez donc vos loifirs ;
Ils fauront , avec ufure ,
Vous rendre de vrais plaifirs.
Lorfque d'époule & de mère
>
162
165 A
Tous vos devoirs font remplis ,
Un délaffement permis
Devient alors le falaire
Des foins que vous avez pris.
CEPENDANT , quoique j'en dife ,
Il faut être impartial,
1
Et , des Arts qu'ici je prife,
DE FRANCE.
Avec la même franchiſe
Dire le bien & le mal.
ILs ajoutent au mérite ;
Mais ils font des envieux .
L'ignorance qui s'irrite
De vos fuccès glorieux ,
Dans fon dépit , vous ſuſcite
Mille cenfeurs ténébreux .
Mais laiffez de leur fatyre
Les traits malins s'aiguifer ;
Qui veut vaincre l'impofture ,
Doit favoir la méprifer.
Dans une douce retraite ,
L'ame libre & fatisfaite ,
Donnez afyle aux talens ;
Vous verrez , malgré l'envie ,
Que leurs plaifirs confolans
Embelliront votre vie ;
Et par
un contraire effet
De leur charme , à qui tout cède ,
Du mal qu'ils vous auront fait
Ils deviendront le remède.
( Par M. Delautel , Maître de Mufique à
la Charité-fur-Loire . )
A iv
MERCURE
QUEL AMI ! OU LE RARE PROCÉDÉ ,
Anecdote.
--
M. DE CLINFORT & M. DE MINVAL
amis dès leur plus tendre enfance , caufoient
familièrement un foir. La converfation étoit
d'abord indifférente & vague ; elle devint
particulière , & ſe fixa fur un objet intéreſfant.
Tenez , dit M. de Minval , dans toutes
les affaires de la vie , favez- vous ce que je
trouve de plus embarralfant ? Quoi donc ,
répondit M. de Clinfort ? C'eft de marier
fa fille . M. de Minval avoit alors une fille à
marier. Ma foi, lui dit fon ami , je crois que
vous avez raifon . Auffitor M. de Minval lui
confia toutes les craintes . Vous favez , lui
dit -il , que je ne veux que le bonheur de ma
fille. Mais je crains de me tromper fur le
choix du moyen. J'ai confulté fur cela mon
coeur, ma raifon & l'exemple d'autrui ; &
mon indéciſion eſt toujours la même. J'ai vu
des pères ne calculer que la fortune , d'autres
ne confulter que le coeur de leurs enfans ;
enfin , c'est toujours la raifon ou l'amour qui
font les mariages , & j'ai vu la raifon &
l'amour faire de bons & de mauvais ma
riages. Ce qui fait aujourd'hui deux heureux ,
va faire demain deux martyrs ; c'eſt ce que
je vois tous les jours ; & je vous avoue que
j'en fuis effrayé. Il eft vrai , répondit M. de
Clinfort , dont le caractère , comme on va
DE FRANCE. 9
voir , avoit un coin d'originalité , il est vrai
que de tous côtés je vois des inconvéniens &
des dangers prefque inévitables ; & pour
nous renfermer dans le chapitre des filles ,
puifque c'eft d'une fille qu'il eft ici queſtion ,
le péril me femble d'autant plus effrayant .
qu'il eft moins facile à une femme qu'à fon
mari d'échapper aux chagrins domeſtiques.
Il est donc bien important de l'en garantir,
Mais comment ? voilà le difficile. Car enfin ,
ou une fille aime avant de fe marier , ou elle
doit aimer après. Cela doit être , cela eft ,
& le veu de la Nature n'eft jamais trompé.
Si elle aime fon mari avant de l'époufer , il
eft probable qu'elle ceffera de l'aimerparce
que c'eft encore une loi de la Nature ,
que tout ce qui a commencé doit finir . Si
elle fe marie avant d'avoir aimé , elle aimera
fans doute après. Mais , qui aimera- t'elle ? il
eft à prefumer que ce ne fera pas fon mari...
Eh ! pourquoi donc , s'il vous plaît , interrompit
M. de Minval étonné , pourquoi
voulez- vous que ce ne foit pas fon mari ?
Et pourquoi , reprit M. de Clinfort , voulezvous
que ce foit plutôt fon mari qu'un autte
? On aime toujours , non ce qu'on doit
aimer , mais ce qu'on trouve aimable. D'après
cela , fi une jeune femine eft entourée de
cent perfonnes qui cherchent à lui plaire ,
il y a quatre- vingt- dix- neuf à parier contre
un que ce n'eft pas fon mari qu'elle aimera.
Encore , ce calcul que vous devez trouver
jufte , d'autres le trouveroient indulgent ;
A v
10 . MERCURE !
car je compte ici le mari tout - à- fait pour
un ; & je ne vous paffe pas en compte le
déchet que ce titre apporte aux qualités d'un
aimable homme, au moins aux yeux de fa.
femme. M. de Minval ne put s'empêcher de
fourire ; & M. de Clinfort , fans s'interrompre
je conclus donc , continua t'il , que
s'il faut qu'une femme, tôt ou tard après fon
mariage , finiffe d'aimer fon mari , ou commence
d'en aimer un autre , en pareil cas le
hafard eft un aufli bon confeiller que la
prudence.
Il eft temps de dire quelques mots du
caractère de M. de Clinfort : c'étoit un homme
d'efprit , qui avoit de la probité & de la
droiture. Avec une dofe de lumières trèsfuffifante
pour bien juger , c'étoit un homme
défolant pour qui le confultoit. Il trouvoi
toujours des expédiens , mais il en voyoit
trop bien tous les dangers. Il avoit fi peu de
confiance en fes confeils , qu'il les difcréditoit
lui-même par le ton peu ferme dont il
les donnoit. C'étoit un homme merveilleux
pour découvrir le mal ; il étoit beaucoup
moins propre à indiquer le remède. Veniezvous
vous plaindre à lui de quelque revers ?
Il vous y faifoit remarquer lui - même des
détails chagrinans que vous n'aviez pas apperçus.
Ce n'eft pas qu'il eût envie de vous
attrifter ; mais fon imagination vive lui faifoit
tout voir , fa franchife lui faifoit tout
dire , & il ne vous effrayoit que parte qu'il
étoit alarmé lui-même.
DE FRANCE. ΕΙ
La converfation de M. de Clinfort , n'étoit
guères propre , comme on voit , à éclairer
M. de Minval. M is tandis qu'il délibéroit ,
il fe préfenta un parti qui lui parut fortable ,
& il l'accepta. C'étoit un jeune homme qui
avoit déjà une fortune honnête , fait pour
aller à tout , & dont l'alliance étoit honorable.
L'irréfolution de M. de Minval ne
put tenir contre tant d'avantages. Il regarda
la propofition qu'on lui fit comme un avis ,
un ordre du ciel; & fa confcience , raffuréepar
la droiture de ſes intentions , le mit audeffus
de toutes fes craintes . Dès le jour
même Milcour fut préfenté à Mlle de Minval
en qualité d'époux futur..
Mlle de Minval étoit dès fon enfance au
couvent , avec la plus forte envie de voir le
monde. Certe difpofition d'efprit eft dangereufe
pour le coeur d'une jeune perfonne. Il
y auroit du péril fans doute à la jeter dans
le monde avant de la marier ; mais n'y en a
t'il pas auffi à l'en tenir trop éloignée juf
qu'à ce moment ? Ne feroit - il pas plus fage
de l'y accoutumer par degrés , au lieu de la
faire paffer brufquement de la fervitude à la
plus grande liberté ; car c'eft à peu- près- là
le chemin qu'on fait faire à une jeune fille ,
en lui donnant un époux au fortir du couvent
? Quelle violente fecouffe en effet pour
une jeune tête , que de lui faire quitter toutà-
coup , & le même jour , la folitude pour
le monde , & la fervitude pour l'indépen
dance ! Que fera- ce , s'il vient à s'y mêler
A vi
12. MERCURE
des paffions vives & l'amour des plaifirs !
Les réflexions que nous venons de tranferire
, font le réfultat d'une converfation
qu'eut avec M. de Minval le bon M. de
Clinfort , qui , comme on fait , raifonnoit ,
toujours entre le pour & le contre ; & tels .
font en effet les dangers que courut Mile de
Minval. Nous allons voir fi elle eut le bon‐ ….
heur d'y échapper.
A peine vit - elle Milcour au parloir ,:
qu'elle crut avoir de l'amour pour lui , parce
qu'elle fentit bien que c'étoit à ce fentiment
là qu'étoit attachée fon indépendance. Dès
qu'il s'offroit à elle , auffitôt elle fongeoit que
c'étoit lui qui alloit la mettre dans le monde ;
cette idée riante l'embellifloit à fes yeux , le
lui rendoit aimable. En un mot , elle croyoit
l'aimer pour les agrémens de fon efprit & fes
qualités perfonnelles , tandis qu'elle ne l'aimoit
que pour le fervice qu'elle attendoit de
Jui. C'eft dans ces fentimens qu'elle le fuivit
à l'autel pour lui donner la main . Le tourbillon
du monde qui l'entraîna d'abord , ne
lui permit pas de s'appercevoir fi fon coeur
s'étoit mépris ; elle n'eut pas le temps d'y
fonger. D'ailleurs Male de Milcour ( c'eſt ainti
que nous la nommerons déformais ) n'avoit
pas pris un de ces maris qui mènent le res
pentir à leur fuite , & dont on doit rougit
par décence. Si elle étoit jolie , Milcour
étoit aimable ; fi elle n'avoit pas encore vingt
ans , Milcour n'en avoit pas trente ; & lès.
qualités du coeur répondoient en lui aux
DE FRANCE. 13
charmes de l'efprit. Il aimoit véritablement
fa femme ; le foin de lui procurer des plaifirs
fut fa première étude. Elle l'en remetcioit
; mais dans l'expreffion de fa reconnoiffance
il y avoit plus de politeffe que de
fenfibilité. Ce n'eft pas qu'elle reçût les foins
affidus de fon mari comme on reçoit l'hommage
d'un vaffal ; elle n'y mettoit ni fierté
ni mépris ; elle auroit été reconnoiffante fi
elle eût fongé qu'elle devoit l'être ; car elle ne
manquoit ni de fenfibilité ni d'efprit ; elle
cût trouvé fon mari aimable , fi elle eût eu le
temps de le regarder ; elle eût eftimé fon
coeur , fi elle s'étoit donné la peine de l'interroger.
Ajoutons , pour finir fon portrait ,
que la mode étoit fon ryran. Cette étude
mène loin , emporte bien du temps , & on
ne peut pas fonger à tout.
Milcour ne tarda pas à s'appercevoir qu'il
ne faifoit aucun progrès fur le coeur de fa
femme; & comme il en étoit amoureux , ce
fentiment exagéroit fes chagrins & fes craintes.
Il ne jugeoit jamais fa femme indiffé
rente , qu'il ne craignît de la voir infidelle.
Il communiqua fes craintes , ou tout au
moins fes chagrins à fon beau - père , dont
il étoit tendrement chéri , & le confulta fur
la conduite qu'il devoit tenir avec elle . M.
de Minval le mena chez M. de Clinfort ,
qui le connoiffoit auffi , afin de le confulter
fur un point auffi important. Il y a des gens
qui font ainfi le confeil de toute une famille.
Les petits enfans vont prendre leur
14 MER CURE
avis , par la feule raifon que leur aïeul y
alloit. Il ne fe fait pas un mariage ni un enterrement,
qu'ils n'en fixent les frais ou n'en
dictent les conditions , & pas un baptême ,
fans qu'ils ayent nommé le parrain . Cet
hommage eft prefque regardé comme un
devoir religieux ; & fouvent on auroit bien
de la peine à deviner ce qui a pu fonder
cette confiance fans bornes . Pour M. de Clin
fort , on fait qu'il avoit beaucoup d'efprit ;
mais il avoit un genre d'efprit qui le rendoit
peu propre à donner des confeils. Dans les
affaires de la vie , qui ne voit pas affez , paffe
fon temps à faire des fottifes ; & qui voit
trop , le perd à difcuter. Aufli . M. de
Clinfort étoit - il bien plus capable d'ouvrir
les yeux à Milcour fur la conduite de
fa femme , que de déterminer celle qu'il devoit
tenir avec elle. Il ne lui fit pourtant pas
pour cette fois beaucoup d'obfervations ef
frayantes. Il lui dit que fa femme n'avoit
d'autre tort jufqu'à ce moment avec lui , que
fa jeuneffe & fon goût pour la diflipation .
Alors Milcour lui ayant demandé s'il jugeoit
plus prudent de la gêner un peu dans fes
plaifirs , ou de lui laiffer toujours la même
liberté , M. de Clinfort fe mit à lui expoſer
tous les inconvéniens qui étoient attachés à
l'un & à l'autre fyflême. Un mari , ajoutat'il
, peut rendre fa femme coupable , précifément
par les précautions qu'il aura prifes
pour l'empêcher de l'être. S'il lui laiffe toute
fa liberté , elle trouve des occafions fans les
DE FRANCE.
chercher ; s'il la lui ôte , elle les cherche
elle-même. Ainfi Milcour quitta M. de Clinfort
fans favoir comment il s'y prendroit
pour ramener fa femme ; & réfolu , malgré
l'impatience fi naturelle à l'amour , d'attendre
tout du temps & de fes foins auprès.
d'elle.
1
Le péril depuis ce moment ne fit qu'augmenter
par des circonftances qu'il eft temps
de faire connoître. Milcour avoit précisé
ment pour intime ami , un fils de M. de Clinfort
, qui étoit abfent lorfqu'on le maria à
la fille de M. de Minval. Le Chevalier
( c'eft cet ami de Milcour ) étant revenu
quelque temps après ce mariage , Milcour fe
hâta de le préfenter à fa femme. Il comp
'toit fur fon amitié , & l'on verra qu'il avoit
'bien jugé fon coeur. Le Chevalier ' avoit
toutes les qualités qui peuvent tourner la.
tête aux femmes , & mériter l'eftime &
l'amitié des hommes. C'étoit l'un des jeunes
gens les plus aimables de fon temps ; & fous
le vernis des grâces , fous l'extérieur d'un
homme du monde , même fous l'apparence
de la légèreté , il cachoit les principes d'une
probité févère , & même le courage de lavertu.
Son mérite , fes agrémens fur- tout
frappèrent les yeux de Mde de Milcour ,
qu'il voyoit fort fouvent. Le Chevalier aimoit
tendrement Milcour ; & il fut fincèrement
affligé quand il s'apperçut que fa femme
étoit injufte envers lui. Il ne tarda pas à
faire une autre découverte ; il s'apperçut
16 MERCURE
qu'il avoit fait quelque impreffion fur le
coeur de Mde de Milcour. Il la connoiffoit
affez pour ne pas la foupçonner d'un fentiment
profond. Sans être fat , l'expérience
lui avoit appris que fa conquête pouvoit
Alatter l'orgueil d'une jolie femine. Il favoir
aufli que Mde de Milcour , efclave des ufages
& du ton du jour , ne voyant point de
femme autour de foi qui ne prît foin d'attacher
quelque merveilleux à fon char , pouvoit
bien avoir jeté les yeux fur lui. Mais
quel que fût le goût qu'il lui avoit infpiré , il
le crut de nature à faire réuffir un projet que
venoit de lui fuggérer l'amitié. C'étoit bien:
le plus fingulier projet qu'on eût jamais
conçu en pareille circonftance.
Dès qu'il fe fut apperçu du penchant
qu'elle avoit pour lui , il réfolut d'éluder la
déclaration ; mais afin d'avoir un prétexte
pour nourrir ce penchant amoureux , fans
être obligé de le prendre pour de l'amour ,
il la pria , comme par amitié pour Milcour ,
de vouloir bien fe fervir de lui dans toutes
lés occafions où elle auroit befoin d'un Cavalier
; en lui difant que , comme il n'avoit
point d'engagement de coeur , il pouvoit lui
donner des foins fans lui faire aucun facrifice,
& qu'il la fupplioit de compter fur une
amitié conftante & attentive à tous les plaifirs.
Si jamais votre coeur , ajouta- t'il avec
un fourire aimable , vient à former quelque
tendre engagement , je vous promets de me
retirer avant d'en être averti par vous. Je fais
DE FRANCE. 17
que l'amitié ne doit pas être importune à
l'amour.
Mde de Milcour accepta d'autant plus
volontiers ces offres d'amitié , qu'elle s'imagina
peut-être que , fous ce nom , le Chevalier
pouvoit fort bien cacher un fentiment
plus tendre , ou du moins elle fe flatta qu'elie
autoit plus d'occafions de le lui infpires.
Bientôt après , les affiduités du Chevalier
fes difcours même la confirmèrent dans l'idée
qu'elle avoit eue d'abord l'intention du
Chevalier n'étoit pas d'effaroucher le goût
qu'elle avoit pour lui , puifque c'étoit fur ce
goût-là qu'il fondoit la réuflite de fon
projet.
薄
Dans un de leurs premiers tête-à- tête , il
crut devoir frapper les premiers coups. Mde
de Milcour mettoit plus d'éloquence dans
fes regards , plus de tendreffe dans fes difcours
; & le coeur du Chevalier fembloit
s'ouvrir aux plus douces impreffions. Peu
à-peu, & par une tranfition imperceptible,
il amèna la converfation à l'article des pro
cédés. Sur ce point- là , difoit- il , le monde
eft inexorable. Il est peu févère fur la com
duite d'une jeune femine ; mais il eſt trèsexigeant
fur les égards qu'elle doit à fon
mari; & une femme n'a guères de prétextes.
pour y manquer. C'eft un hommage qu'elle
fe doit à elle même , fielle a choiſi fon mari,
& à fes parens , fi on le lui a donné. Après
cette morale un peu férieufe & quafi trifte ,
le Chevalier ajoutoit une galanterie ; & fans
48 MERCURE
oublier la leçon , on la lui pardonnoit.
Quelque tems après , il la bouda un jour
entier , parce qu'elle avoit parlé en compagnie
à fon mari avec une légèreté indifcrette.
Un autre , à fa place , auroit eu l'air d'un
pédant ; il n'avoit l'air que d'un homme aimable.
Comme il craignoit quelquefois
qu'elle ne lui échappât , il étoit tendre &
empreffé ; & c'eft à la faveur de la galanterie
, qu'il pouvoit faire parler la raiſon.
En vérité , difoit quelquefois Mde de Milcour
quand elle fe trouvoit feule, il me femble
que me voilà dans une fituation affez fingulière
! Il faut que je falle ma cour à mon
mari pour plaire à mon amant ! J'aurois cru
tout le contraire. Ce Chevalier eft , ma foi ,
plus original que je ne l'aurois foupçonné.
Cependant celui- ci pourfuivoit toujours
fon projet , fans négliger les détails les plus
minutieux en apparence. Un jour , il entreprit
de mettre en réputation les yeux de
Milcour. Il propofa la queftion dans une
affemblée ; on fut unanimement de fon
avis ; & Mde de Milcour , en y regardant
en effet , convint que fon mari avoit de beaux
yeux.
Une autre fois , il arriva dans un cercle
où elle fe trouvoit aufli. On avoit appris une
anecdote qui faifoit honneur au Chevalier ,
& chacun s'empreffa de lui en faire compliment.
Vous louez trop , Meffieurs , une
bagatelle , répondit le Chevalier. Tout le
monde en auroit fait autant. Je fais un trait
DE FRANCE. Ig
analogue à celui dont vous voulez bien vous
occuper ici , mais qui eft bien fupérieur ; &
fur le champ il raconta , avec intérêt , un
beau trait de Milcour , que fa femme fut
obligée d'approuver ; car tout le monde le
célébra tout haut.
Le Chevalier ne fe contentoit pas de faire
valoir Milcour ; plufieurs fois il l'exaltoit à
fes propres dépens. Un jour , on propofa
une partie de campagne. Il y avoit beaucoup
de monde , & Milcour n'en devoit pas être.
La veille , fafemme eut un entretien
avec le Chevalier. La converfation fut des
plus tendres de la part de Mde de Milcour ,
& le Chevalier ne lui parut jamais plus
amoureux. Mais au milieu de leur entretien ,
en parlant de la partie de campagne , il exigea
d'elle qu'elle priât fon mari d'en être.
Je le veux , ajouta - t- il avec un tendre fourire.
Ce n'eft pas lui qui rompra notre têteà-
tête , puifque nous fommes beaucoup de
monde fans lui. Cette honnêteté lui fera plaifir
& à moi ; car j'aime beaucoup fa converfation
parce qu'il a beaucoup d'efprit. L'invitation
fut faite ; la partie eut lieu mais il
fit mauvais tems ; il fallut jouer ; & par un
hafard fingulier , peut- être ménagé par le
Chevalier lui -même , Mde de Milcour , fon
mari & le Chevalier furent condamnés enfemble
aux monotones langueurs d'un éternel
Loto. Milcour perdit beaucoup , mais
fort tranquillement. Il ne laiffa échapper aucune
plainte ; car il étoit fort beau joueur.
:,
20 MERCURE
Le Chevalier perdit peu & fe ficha beaucoup
; il jour avec une humeur affez remar
quable. Pardon , Meldames, s'écria til après
la partie , j'ai été aujourd'hui un déteftable
joueur. Mais ce qui a dû vous venger, ( car
j'en ai été bien humilié quand je m'en fuis apperçu
) c'eft que Milcour , qui , à mes côtés ,
a perdu fix fois plus que moi , ne s'eft pas
permis un feul mot qui annonçât la moindre
humeur . Ileft vrai, s'écria-t'on tout d'une
voix. Et tout le monde convint que Milcour
étoit le plus beau joueur du monde. Je në
l'ai jamais vu autrement , dit Mde de Milcourt.
Et cet hommage qu'elle tendoit à fon
mari , lai valut un tendre regard du Chevalier.
C'eft ainfi que , pour faire valoir fon
ami , il immoloit jufqu'à fon amour propre ;
& c'eft ainfi que, par les foins , & les adroites
obfervations Mde de Milcour trouvoit
dans fon époux des qualités qu'elle n'avoit
pas foupçonnées jufqu'alors. Depuis ce moment
, il lui arriva plus d'une fois de réflé
chir , ce qui eft allez furprenant ; & , ce qui
eft plus étonnant encore , de réfléchir à fon
mari.
16
Le hafard fournit enfin au Chevalier
l'occafion d'amener une crife , & de ha
farder un coup d'éclat. Une femme du plus
haut rang , qui ne fe croyoit célèbre que par
fa beauté , & qui l'étoit encore autant par
fes aventures galantes , avoit pris de l'amour
pour Milcour, qu'elle avoit rencontré dans le
monde. Une femme accoutumée à céder aux
DE FRANCE 21
fantaifies d'autrui , eût regardé fans douté
comme une duperie de réfifter aux fiennes ;
& elle fe flata de féduire Milcour par fon
crédit , fi elle ne pouvoit y réuffir par fes
charmes. Elle apprit un jour que Milcour
devoit vifiter un jardin curieux que tout le
monde s'empreffoit d'aller voir ; & elle prit
fes mefures de manière à fe trouver feule
avec lui dans ce mêmejardin . Le Chevalier,
par je ne fais quel hafard , fut inftruit de fon
projet , & il refolut de le tourner au profit
duifien. Il étoit sûr du coeur de fon ami
comme du fien propre , & fans faire part de
rien à Mde de Milcour , il trouva le moyen
de la conduire dans un cabinet , d'où l'on
pouvoit entendre tout ce qui fe difoit dans
Pallée où Milcour étoit atrende. Tout s'ar
rangea comme on l'avoit defiré. La dame fe
trouvant avec Milcour , abrégea les préliminaires
deda converfation . Il eft un rang où il
eft perinis d'exprimer plus clairement fes
defirs , parce qu'on n'oferoit les deviner.
Après un entretien , qui , en peu de mots, ne
laiffa aucun doute à Milcour fur fes intentions
, vous n'avez qu'à dire un mot , ajoutat-
elle , & je vous fais donner des demain la
brillante place du Chevalier de Clinfort,
( Elle ignordit que le Chevalier étoit l'ami
intime de Milcour. ) Madame , lui dit Milcour
, après des offres auffi obligeantes , je
vous dois au moins de mettre de la franchife
dans ma réponſe. D'abord, vous ignorez
que le Chevalier de Clinfort eft mon ami ;
22 1 MERCURE
& vous l'apprendre , c'eft refufer fa place
que vous m'offrez. Votre ſecond bienfait eft
bien plus féduifant ; mais fans vous oppofer
un engagement facré , l'amour feul me rend
incapable de l'accepter. Je devrois m'en dé →
fendre comme époux , je le fais comme
amant. La Dame , humiliée de ce refus inju
rieux , fit femblant de rire de fon amour
conjugal ; & fe retira . On fe fouvient fans
doute que Mde de Milcour & le Chevalier
écoutoient leur converſation. Eh bien , Madame
, s'écria le Chevalier comblé de joie ,
vous avez entendu : voilà l'époux que vous
auriez trompé ; voilà l'ami que j'aurois trahi.
Il n'en dit pas davantage ; & Mde de
Milcour ne répondit rien. Ils fortirent enfemble
; on ne rappela plus un feul mot de
leurs anciennes converfations. Mais les yeux
de Mde de Milcour étoient couverts &
fon coeur étoit changé. Elle aima fon époux,
vécut heureuſe avec lui en le rendant heureux,
& le Chevalier laiffa aux amis un bel exem
ple qui fera rarement fuivi.
POURQUO
MADRIGAL
OURQUOI le bel Enfant dopt Vénus eft la mère ,
L'Amour, eft-il fans yeux : diſoit , un jour, Glycère ?
Ah ! répond fon Amant , pourquoi ? Vous le favez :
Les yeux d'Amour , c'eſt vous qui les avez.
Par M. le Ch. D '*** C, D. 】
DE FRANCE. 23
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'Énigme eft la lettre N; celui E
du Logogryphe eſt Ami , où ſe trouve Mai.
ÉNIGM E.
J'AI brillé noblement dans une vaſte plaine ΔΙ
Où s'agitoit ma tête avec fierté ;
Mais battue & captive , ai -je lieu d'être vaine ?
A l'homme encor dans ma légèreté
Je fuis cependant néceffaire ,
Et plus d'un , fans moi , ne dort guère.
Bien des enfans m'admettent dans leurs jeux.
Je fuis longue , sèche , & menue ;
+8
Pour certains fcélérats mon afpect eft affreux.
Sur moi fouvent mainte Fête s'eft vue ,
( On n'eſt pas difficile aux Champs comme à la Cour.)
Mon nom fouvent fe donne au feu d'un fol amour.
(Par un Grainetier de la rue de la
Mortellerie , à Paris. )
24 MERCURE
LOGOGRYPHE.
MA naïflance , Lecteur , coûta cher à mon père ;
Car il mourût pour me donner le jour.
De ce préfent , las ! je ne jouis guère!
Après ma mort , ma four aura fon tour
Et comme moi , n'aura qu'une courte carrière.
Malgré la rigueur de mon fort ,
>
Souvent je participe à plus d'un doux myſtère ;
Et quelquefois je veille quand on dort.
Neufpieds forment mon exiftence :
Renverfez-les , ils offrent au Lecteur
Un grand terrein peu cultivé , de France ;
Un amas d'eau de certaine grandeur ;
Un animal ayant longues oreilles ;
Un endroit connu des Marins ;
Ce jardin fi fameux dont les faints Écrivains
Nous repréfentent les merveilles ;
Un quatrupède Américain ;
Une écorce odorante & qui naît dans une Iſle ;
Un ton de la mufique , une barque fragile ;
Et , pour finir , un mot Latin.
( Par M. Moinardeau de Saint-Prix. )
NOUVELLES
DE FRANCE. 25
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE fur les moyens à oppofer aux
ravages de la Petite Vérole , par M. Maret.
Vol. in- 12.
LA Petite Vérole attaque prefque tous les
hommes ; & en général nous n'échappons
à l'action de ce virus , que lorfque des maladies
plus promptes n'ont pas laiffé à la
Petite Vérole le tems de nous atteindre.
Cette maladie eft meurtrière. C'eft lui faire
grace que de ne compter qu'une victime
fur dix malades. L'on n'a la Petite Vérole
qu'une fois. Les exemples de récidives
font fi rares, qu'il ne faut pas en tenir compte.
La Petite Vérole inoculée préferve de la
rechûte , autant que la Petite Vérole naturelle.
La Petité Vérole inaculée eft prefque
fans danger.
La conféquence immédiate de ces cinq
vérités , que l'expérience a bien conftatées,
c'eft qu'il feroit à defirer pour l'intérêt public
de chaque Nation , que l'Inoculation y fût
générale , puifque l'ufage de cette pratique
fauveroit un grand nombre d'hommes.
Si on ajoute que l'on a la Petite - Vérole
inoculée feulement lorſqu'on veut l'avoir ,
Sam. 7 Octobre 1780
B
26 MERCURE
que la Petite Vérole naturelle peut nous attaquer
lorfque l'intérêt le plus grand nous
fait defirer d'être en état d'agir ; que la
crainte de la Petite Vérole eft dans toute la
vie une gêne , un obftacle qui nous empêche
de fuivre nos projets , de remplir nos devoirs
; qu'enfin la Petite-Vérole défigure
eftropie , prive des fens , & que l'Inoculation
n'a point ces effets funeftes ; on verra
qu'il eft de l'intérêt de chaque homme d'être
inoculé.
Quant aux pères.
fi l'on veut mettre
part l'effet de l'habitude , on verra que ,
par la même raifon qu'ils ne devroient pas
faire inoculer leurs enfans , ils devroient
encore moins leur faire traverſer un bras
de mer , ou une rivière , leur inſpirer du
goût pour un métier périlleux , leur faire
prendre une médecine de précaution , même
avec l'ordonnance d'un Médecin , & c,
Nous refpectons fans doute les parens qui
craignent d'expofer leurs enfans ; la poltronerie
pour autrui , quelqu'abfurde qu'elle
foit , eft toujours excufable ; mais nous ref
pecterons davantage le père qui , fans indifférence
& fans pufillanimité , ne voit dans
fes droits que l'obligation de faire ce qu'il
croit le plus grand bien de fes enfans , &
qui fe conduit pour un fils comme il croiroit
devoir fe conduire pour lui même .
L'opinion populaire avoit prévenu les
Philofophes & les Médecins : de tout tems
dans tous les pays où la Petite Vérole eft
2
DE FRANCE. 27
connue , les gens du peuple ont cherché à
faire cohabiter les enfans avec les malades
attaqués de la Petite Vérole , parce qu'une
expérience très longue leur avoit appris
que la Petite Vérole eft peu dangereufe dans
l'enfance , & que les récidives ne font point
à craindre.
-
Cette opinion fi fimple , contre, laquelle
on n'a pu oppoſer que des objections ridicules
ou des faits controuvés , étoit celle de
tous les hommes raiſonnables, lorfque quelques
Médecins s'avisèrent , vers 1768 , de
propofer qu'on fubftituât à l'Inoculation
l'extirpation de la Petite Vérole. Perfonne
n'y prit garde ; le célèbre la Condamine , qui
répondoit à tout , & qui avoit même quelquefois
inféré des Lettres dans l'Année-
Littéraire , ne fongea point à leur répondre.
Seulement Voltaire prit la peine de plaifanter
affez doucement un de ces Auteurs, dans une
Lettre de remerciment.
L'Inoculation continua de fe répandre ;
des exemples terribles obligèrent deux des
plus puiffantes Maifons de l'Europe de recourir
à ce préfervatif falutaire. Un des plus
ardens Anti-inoculateurs préfida lui même à
ces inoculations célèbres ; & certes , c'etoit.
en tout genre un des hommes de l'Europe
qu'on pouvoit le moins accufer d'aimer les
nouveautés & de s'oppofer aux préjugés.
Cependant un Extirpateur continuoit de
protéger fourdement fon fyftême d'extirpa
Bij
28 MERCURE
tion . Ilfavoit combien il eft aifé de rencontrer
des têtes ardentes & des ames pufillanimes ;
combien il eft doux pour certaines gens de
foumettre les autres à un joug de fer ; combien
certains hommes trouvent de profit &
croient trouver d'honneur à faire des réglemens.
A force de répéter les mêmes raiſonnemens
, ce Médecin fit des profélytes ; non
pas , à la vérité , dans la claffe des Phyliciens
éclairés , mais dans la claffe de ceux qui
peuvent s'opposer à l'Inoculation , qui peuvent
empêcher , du moins par l'excès des
précautions contre la Petite- Vérole , que
le point du monde où ils vivent n'en foit
préfervé.
Il feroit à craindre que cette doctrine ne
gagnât ; & quand on fonge quelles fottifes
ont été crues fur toute la terre , combien
d'efprits foibles ou bifarres ont cru à la
magie , combien il y eut en conféquence de
réglemens contre les Sorciers , on peut craindre
que les Extirpateurs n'obtiennent prefque
autant de crédulité que les Démonographes.
M. Maret a cru devoir combattre cette
nouvelle chimère , avec d'autant plus de rai
fon, que la Ville de Dijon, la première peutêtre
de France où l'on ait établi des préfervatifs
contre le tonnerre , eft cependant une
de celles où une claffe d'hommes , apparemment
très-différente de celle qui compofe
l'Académie , a eu pour les Extirpateurs la
Complaifance de paroître goûter leurs rêves
DE FRANCE. 29
que
, par
Il choifit le plus célèbre d'entre ces Extirpa
teurs ; il montre Les propres affertions,
la nature du venin de la Petite Vérole ,
la manière dont il fe communique, rend l'extirpation
impoffible , quand même , ce qui
n'eſt pas vrai , on pourroit prévenir le retour
d'un mal répandu dans toute l'Europe ,
auffi aifément que le retour d'un mal qui
comme la Pefte , ne paroît qu'à certaines
époques , & ne peut pénétrer que par unfeul
point. Quand même il y auroit quelque.
comparaiſon entre un mal dont le nom feul
effraie, & fait concourir tous les citoyens aux
précautions prifes pour l'extirper , & un mal
avec lequel l'habitude a familiarifé , dont
une grande partie des hommes ne craint plus
le retour , dont enfin on peut le préferver
par l'Inoculation fans employer tant de gêne
& de contrainte ; or , comme l'obferve M.
Maret , des loix comme celles que demandent
les Extirpateurs , ont befoin , pour être
exécutées , que l'opinion publique les feconde
& en affure l'exécution .
M.Maret prouve enfuite que les moyens propofés
par les Extirpateurs,font impraticables,
tyranniques, fujets aux inconvéniens les plus
fâcheux. En effet, il ne faut pas croire que le
prétexte de veiller à la fanté des hommes,
difpenfe de refpecter les droits de la nature
& de la fociété.
Il ne faut pas croire que les gênes qui peuvent
être légitimes dans un danger preffant &
momentané, puiffent être jamais ordonnées
Biij .
30 MERCURE
avec juftice par des loix permanentes ; c'eft
précisément comme fi , pour la fûreté de
l'Etat , on propofoit d'affujétir les habitans
de tous les villages à la police d'une ville
affiégée .
Enfin , & ceci n'eft pas la moindre rai
fon, ces précautions des Extirpateurs , loin de
détruire la Petite Vérole , font un moyen de
la rendre plus terrible. Comme c'eſt dans
l'enfance qu'elle eft moins dangereufe , dans
un pays où une épidémie dureroit toujours,
la Petite Vérole feroit moins de mal que
dans un pays où elle ne paroîtroit que cha
que dixième, chaque quatorzième année, par
exemple , & fes effets feroient bien moins
terribles.
Cette obfervation , que la Petite Vérole eft
moins dangereufe dans l'enfance, fuffit pour
répondre au reproche qu'on a fait à l'inoculation
, d'augmenter la mortalité de la Petite
Vérole. En effet, dans un pays où l'Inoculation
ne feroit pas générale , ce qu'on pourroit,
defirer de plus avantageux , c'eft qu'une épi
démie perpétuelle ne laiffât parvenir perfonne
à l'âge d'adulte fans avoir éprouvé
la maladie , & , comme nous l'avons déjà dit,
c'eft l'avantage que les parens , même parmi
le peuple , ont cherché à procurer à leurs
familles , depuis que la petite Vérole eft,
connue en Europe . D'un autre côté , fi l'Inoculation
étoit devenue générale , elle ne cauferoit
pas d'épidémie ; elle détruiroit abfoluDE
FRANCE, } r
ment , finon toute Petite Vérole , du moins
toute Petite Vérole dangereufe .
L'Ouvrage de M. Maret étoit devenu néceffaire.
Fiers de leurs petits fuccès , les Ex
tirpateurs en étoient venus au point de faire
pourfuivre les Inoculateurs comme des
empoifonneurs ; de dénoncer les parens qui
vouloient arracher leurs enfans au fléau de la
Petite Vérole , comme des perturbateurs de
la fûreté publique. Si on avoit continué de les
écouter, la Petite Vérole auroit fini par coûter
à la Nation beaucoup plus en amendes
qu'en ordonnances de médecine , & même en
Enterremens. Les partifans de l'inoculation
parmi lefquels on compte les noms les plus
célèbres de l'Europe , étoient traités avec un
mépris vraiment risible. Il paroiffoit chaque
mois des lettres , où des hommes abfolument
inconnus fignoient que , grace aux Extirpateurs
, l'Inoculation alloit être profcrite
dans toute l'Europe comme une méthode
meurtrière. Il falloit oppofer à ces excès une
autre réponſe que le filence. M. Maret a
donc fait une réponſe,& une réponſe ſérieuſe.
C'est un ménagement dont les Extirpateurs
doivent lui favoir gré.
A la vérité , fi on s'arrêtoit fur le mal tertible
qui pourroit réfulter de ces vains fyftêmes
dans le cas où des Magiſtrats , foit
ignorans , foit avides d'une occafion d'exercer
des vexations , daigneroient écouter les
Extirpateurs ; fi on fongeoit à ces familles
condamnées à périr de faim faute de travail,
Biv
32 MERCURE
& à mourir dans un air infecte , au droit de
faire arrêter un voyageur à la porte d'une
yille , ou plutôt àl'entrée de chaque village ,
jufqu'à ce qu'un Médecin ait prononcé qu'il
n'a pas la Petite Vérole , au droit de faire
vifiter par le Médecin de la Police tout malade
qu'on voudra tourmenter dans fon lit ,
on feroit tenté de s'indigner ; mais il vaut
mieux pardonner aux Extirpateurs, & efpérer
que puifque c'eft la même tournure de tête
qui produit le fyftême de l'Extirpation , le
Magnétifme animal , la quadrature du cercle,
l'acide de la lumière,le mouvement perpétuel ,
les canaux fouterreins, la pierre philofophale,
les miracles de l'alkali fluor , l'art de montrer
le fluide igné dans la lanterne magique , l'arr
de retrouver dans les cendres l'or que l'eau
forte diffout depuis le commencement du
monde fans qu'on en fache rien ; il faut efpe
rer que le fyftême de l'Extirpation aura le
même fort que ces belles découvertes , &
ne fera , comme elles , ni bien ni mal au
genre humain.
Un bouillant Extirpateur a vigoureuſement
répondu à M. Maret. Il prétend que M. Maret
l'a calomnié en fuppofant que , dans le
fyftême de l'Extirpation , la Police doit ordonner
de fermer les fenêtres des malades ,
de peur que les mouches ne portent la contagion
, & oblige les Médecins à prendre un
farrau de toile à l'entrée de la chambre de chaque
malade. Mais , eft - ce que cet Extirpateur
voudroit qu'on accordât aux Médecins &
vi 1
DE FRANCE. 33
aux mouches le privilège exclufif de donner
la Petite Vérole par la communication ? Voudroit-
il qu'on défendît par une Ordonnance
à la Petite -Vérole de s'attacher aux habits
des Médecins ? Le farrau de toile lui fait de la
peine. Si quelqu'un fait des remarques contraires
au fyftême de M. Maret , dit- il , M.
Maret va le couvrir d'un farrau de toile. M.
Maret , dans une nouvelle édition , ne manquera
point de fubftituer fans doute une robe
de foie au farrau de toile , précaution plus
décente , plus convenable à la dignité d'un
Médecin , ce qui rendra les frais de l'Extirpation
encore plus confidérables ; mais auffi il
accordera par ce moyen ce qu'on doit à
la fûreté des malades & à l'honneur des Médecins.
Comme il faudroit auffi des robes aux
Chirurgiens & aux Apothicaires , nous
croyons que les Extirpateurs pourroient, dans
leurs réglemens , mettre quelques différences
entre la forme de ces robes.
A la vérité , quelques Phyficiens ont cru
avoir de bonnes raifons pour regarder un farrau
de toile comme moins fufceptible de
communiquer une maladie ; mais alors ,
pour contenterle Médeciu Extirpateur , il ſeroit
à propos de diftinguer les différens ordres
de l'art de guérir par des épaulettes , des
plaques , des cordons .
Nous avons un reproche plus férieux à
faire à M. Maret , que celui d'avoir fait rire
aux dépens des Extirpateurs en expofant les
conféquences néceffaires de leur fyftême ;
By
34 MERCURE
c'eft d'avoir , on ne fait à quel propos , répéré
ces reproches d'indifference , d'infenfibilité
qu'ont cherché à accréditer contre M.
de Fontenelle certaines gens qui font intéreffés
à faire croire que les hommes d'un grand
talent font fans morale , afin qu'en les jugeant
d'après leur conduite , on puiffe leur
fuppofer de grands talens.
Nous terminerons cet article par des voeux
fincères pour que les Médecins éclairés daignent
imiter M. Maret , & parler du fyftême
des Extirpateurs ; quelque ton qu'ils prennent,
celui qui défabufera plus tôt le Public
d'une chimère dangereufe & par le mal qu'elle
peut caufer , & par les obftacles qu'elle met à
une pratique falutaire , fera le meilleur , le
plus utile.
P. S. Un Extirpateur a dit , page 126 , ligne
14 de la Gazette de Santé , qu'une maladie
affez femblable aux Écrouelles , eft fouvent .
la fuite de la Petite Vérole , fur- tout inoculée.
Et enfuite , ligne 28 , qu'on l'attribue au dé- ;
faut de purgation après la Petite Vérole.
Nous obferverons 1 ° .. , que certains Antiinoculateurs
s'étant avifés d'accufer quelques
inoculés d'avoir pris les écrouelles par l'inoculation
, cette fraude pieufe a été vigoureufement
repouffée . 2 ° . Que d'après le fen- :
timent de la ligne 28 , jufqu'à ce que nous
ayons vu un réglement extirpateur qui défende
de purger après l'inoculation , nous ne
croirons point que la Petite Vérole inoculée
E
DE FRANCE.
35
caufe des engorgemens plus fréquens que la
Petite Vérole naturelle."
HISTOIRE des Chevaliers- Hofpitaliers de
S. Lazare , des Lépreux de Jérufalem ,
appelés aujourd'hui Chevaliers de Notre-
Dame du Mont Carmel & de Saint-
Lazare. Ouvrage approuvé & propofé par:
Soufcription.
·
M. de Sibert , de l'Académie Royale des .
Infcriptions & Belles Lettres , a publié , en
1774, une Hiftoire des Chevaliers de S.
Lazare ; en 1775 , un Auteur anonyme a
fait imprimer un Effai critique fur 1 Hiftoire
du même Ordre. L'Ouvrage dont nous annonçons
aujourd'hui le Profpectus , commencé
en 1761 , fut achevé en 1765. Un
Miniftre d'État , qui étoit alors Adminiſtra
teur de l'Ordre , approuva l'entrepriſe de
l'Auteur , & donna des éloges à l'Hiftoire
lorfqu'elle lui fur préfentée. L'Auteur nous
dit cependant avec beaucoup de modeftie
qu'il n'eût jamais traité ce fujet , s'il eût pu
favoir que M. de Sibert & l'Auteur anonyme
s'en occupoient. Cette inodeſtie eſt
louable ; mais il nous femble que fi elle devenoit
trop générale , elle feroit plus de tort
encore au Public que d'honneur aux Éctivains.
Le même fujet a prefque toujours
une multitude de faces & de points de vue
qui ne peuvent pas entrer dans le même
plan : ceux qui veulent les embraffer tous,"
L
B vj
34
MERCURE
c'eſt d'avoir , on ne fait à quel propos , répéré
ces reproches d'indifference , d'infenfibilité
qu'ont cherché à accréditer contre M.
de Fontenelle certaines gens qui font intéreſfés
à faire croire que les hommes d'un grand
talent font fans morale , afin qu'en les jugeant
d'après leur conduite , on puiffe leur
fuppofer de grands talens.
Nous terminerons cet article par des voeux
fincères pour que les Médecins éclairés daignent
imiter M. Maret , & parler du fyftême
des Extirpateurs ; quelque ton qu'ils prennent,
celui qui défabufera plus tôt le Public
d'une chimère dangereufe & par le mal qu'elle
peut caufer , & par les obftacles qu'elle met à
une pratique falutaire , fera le meilleur , le
plus utile.
P. S. Un Extirpateur a dit , page 126 , li
gne 14 de la Gazette de Santé , qu'une maladie
affez femblable aux Écrouelles, eft fouvent .
la fuite de la Petite Vérole , fur- tout inoculée.
Et enfuite , ligne 28 , qu'on l'attribue au dé- ì
faut de purgation après la Petite Vérole .
Nous obferverons 1 ° . , que certains Antiinoculateurs
s'étant avifés d'accufer quelques
inoculés d'avoir pris les écrouelles par l'inoculation
, cette fraude pieufe a été vigoureufement
repoufféc . 2 ° . Que d'après le fentiment
de la ligne 28 , jufqu'à ce que nous
ayons vu un réglement extirpateur qui défende
de purger après l'inoculation , nous ne
croirons point que la Petite Vérole inoculée
DE FRANCE.
38
caufe des engorgemens plus fréquens que la
Petite Vérole naturelle..
HISTOIRE des Chevaliers- Hofpitaliers de
S. Lazare , des Lépreux de Jérufalem ,.
appelés aujourd'hui Chevaliers de Notre-
Dame du Mont Carmel & de Saint
Lazare. Ouvrage approuvé & propofé par
Soufcription.
·
M. de Sibert , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles Lettres , a publié , en
1774, une Hiftoire des Chevaliers de S.
Lazare ; en 1775 , un Auteur anonyme a
fait imprimer un Effai critique fur 1 Hiftoire
du même Ordre. L'Ouvrage dont nous annonçons
aujourd'hui le Profpectus , commencé
en 1761 , fut achevé en 1765. Un
Miniftre d'État , qui étoit alors Adminiftrateur
de l'Ordre , approuva l'entrepriſe de
l'Auteur , & donna des éloges à l'Hiftoire
lorfqu'elle lui fur préfentée. L'Auteur nous
dit cependant avec beaucoup de modeftie
qu'il n'eût jamais traité ce fujet , s'il eût
favoir que M. de Sibert & l'Auteur anonyme
s'en occupoient. Cette inodeftie eſt
louable ; mais il nous ſemble que fi elle devenoit
trop générale , elle feroit plus de tort
encore au Public que d'honneur aux Écrivains.
Le même fujet a prefque toujours
une multitude de faces & de points de vue
qui ne peuvent pas entrer dans le même
plan ceux qui veulent les embraffer tous,
pu
L
B vj
36
MERCURE
s'expofent à manquer d'unité dans le deffein
de l'Ouvrage dans l'Hiftoire , par exemple,
on ne peut guères difcuter des titres & raconter
des faits , fans prendre le ton tantôt
d'un Differtateur , tantôt d'un Hiſtorien. Il
eft donc à defirer que ce que l'Hiſtorien a
de douteux & de problématique , foit traité
par des Écrivains qui joignent l'efprit de critique
à une grande éradition ; & que les
faits qui ne font conteftés par perfonne ,
foient le partage de ceux qui font diftingués
par le talent d'écrire. Il peut même être
très-avantageux que plufieurs hommes de
talent écrivent la même Hiftoire . Nous
avons beaucoup de peine à retenir dans la
mémoire une longue fuite de faits : ils s'effacent
les uns par les autres , & fi on ne les ou- ,
blie pas , ils deviennent au moins confus ,
quand on ne relit pas de tems en tems la
même Hiftoire. On la relira bien plus volontiers
dans deux Ouvrages différens que dans
Ic même Ouvrage : la variété du ftyle donne '
un intérêt nouveau à des faits déjà connus ;
& l'attention que l'on donne avec plaisir à
la comparaifon du talent des Hiftoriens ,
grave mieux dans notre efprit les détails importans
de l'hiſtoire.
*
On ne voit point que les Anciens fe foient
piqués de cette délicateffe dont on voudroit
nous faire une loi. Les Auteurs Dramatiques
& les Hiftoriens traitoient chez eux les
mêmes fujets , fans que les rivaux même
cruffent avoir le droit de s'en plaindre.
DE FRANCE
37.
Parmi eux , un fujet paroiffoit appartenir
également à tous ceux qui avoient le talent
de le bien traiter. Si Tite- Live & Salluſte
nous étoient parvenus tout entiers , nous
aurions prefque tout le grand tableau de
l'Hiftoire Romaine , tracé par ces deux
grands Peintres . Que d'intérêt & d'inftruction
nous offriroit ce parallèle ! Des Rétheurs
habiles ont voulu nous apprendre la
feule manière dont il faut écrire l'Hiftoire ;
Sallufte & Tite- Live nous auroient appris
combien le génie a de manières différentes
de la bien écrire.
L'Auteur de l'Ouvrage que nous annonçons
& M. de Sibert paroiffent avoir traité
I'Hiftoire de S. Lazare avec des vues trèsdifférentes.
M. de Sibert a fait les recher-:
ches les plus favantes fur l'origine , les titres
& les poffeffions de l'Ordre. Le nouvel Hif
torien , fans rien négliger de ce qui a rapport
à ces objets , s'eft plus attaché à ceux
qui lient l'Hiftoire de l'Ordre à l'Hiftoire
générale de la Nation & de l'Europe , &
fous ce point de vue , le tableau hiftorique
de l'Ordre des Chevaliers de S. Lazare n'eft
pas indigne d'un homme qui fauroit manier
les pinceaux de l'Hifioire. C'est un beau
fpectacle , en effet , que préfentent des hommes
qui , confacrés d'abord par la Religion
au fervice des Pauvres & des Malades , paffent
des Hôpitaux dans les Armées , fe rendent
célèbres par un héroïfme qu'infire.
l'amour de l'humanité , élèvent , pendant
38
MERCURE
quelque tems , les intérêts de leur Ordre au
rang des intérêts des Puiffances de l'Europe ,
& , lors même que les jours de leur gloire
font paffes , confervent encore une affez
haute confidération pour que des Rois ou
des enfans de Rois foient les Chefs de leur
Ordre.
Celui qui a pu concevoir ainfi leur Hiftoire
, eft digne probablement de l'exécuter.
Mais l'Ordre même a dans fon feiu un Hiftoriographe
( M. l'Abbé Arnaud ) qui ,
connu dans les Lettres par fon amour pour
les Anciens , dont il a l'imagination & la
fenfibilité , feroit plus capable que perfonne
de nous retiacer , dans ce fujet , la manière
dont les Tite Live & les Tacite favoient
écrire l'Hiftoire.
ANECDOTES des Beaux- Arts , Tome III .
A Paris , chez Jean - François Baftien
Libraire , rue du Petit Lion , F. S. G.
FACILITER d'une manière peu ennuyeuſe
la connoiffance hiftorique des Arts , en tracer
les progrès & la décadence parmi les
Nations qui les ont cultivés , donner une
notice fur les talens & la vie des Artiftes ,
tel eft l'objet de cette compilation . Les recherches
en tout genre n'ont point été épargnées
: on a mis à contribution des Ouvrages
de toute efpèce. Mais il faut avouer auffi
que ce Livre , compofé de tant de Livres ,
n'eftTouvent qu'un amas de fragmens qui
DE FRANCE.
39
ont peu de rapport les uns avec les autres ,
ou qu'un recueil fans ordre & fans choix
d'anecdotes , quelquefois fauffes & trop
fouvent fabuleufes , tirées de Voyageurs
qui ont mal vu , ou de ces Ecrivains peu
judicieux, qui ont la bonhommie de tout copier,
& qui fe plaiſent à raconter du merveilleux.
Quoi qu'il en foit , l'accueil que le
Public a fait aux deux premiers Volumes de
cet Ouvrage , excite le Compilateur à le continuer
avec de nouveaux foins , & les Tomes
fuivans fe fuccéderont rapidement . Ce troifième
Volume renferme les Sculpteurs Grecs ,
Italiens , François , Flamands , Allemands ,
Efpagnols , &c. La feconde Partie traite de
l'Architecture , & contient plufieurs Anecdotes
relatives à cet Art , curieuſes & inf---
tructives.
E1OGE DE CATILINA ; dans lequel on
venge ce Romain célèbre des calomnies
de Cicéron & de plufieurs autres Écrivains.
Dulce & decorum eft pro patria mori. A
Paris , chez Onfroy , Libraire , quai des
Auguftins , au Lys d'or. Frix , 1 liv. 4 fols.
TOUT le monde connoît la plaifanterie
neuve & originale de la théorie du Paradoxe ,
Ouvrage plein de fel & de raifon , & dans
lequel les bons efprits ont reconnu quelques
étincelles du génie de Swift & de Lucien de
cauftique mémoire. La nouvelle Brochure
que nous annonçons a été composée dans
une intention à peu-près femblable ; &
40.
MERCURE
comme dans le premier Ouvrage on a voulu
tourner en ridicule la manie du Paradoxe ,
on a voulu dans celui - ci faire voir l'abus des
éloges oratoires , & démontrer qu'en fuivant
la méthode en ufage de nos jours , on
peut faire le panégyrique des hommes qui
ont été les plus pernicieux à la fociété , des
fcélérats les plus infignes . En effet , il faut
convenir que quelques uns de nos Orateurs
Lauréats, femblent oublier que nous ne parlons
plus qu'aux yeux du Lecteur dans le
filence du cabinet , & que ces figures oratoires
, fi bien placées dans la bouche des
Grecs & des Romains qui , dans la tribune
aux harangues , parloient aux oreilles d'une
multitude innombrable & tumultueufe , ne
font plus guères pour nous qu'une éloquence
collégiale. Sans doute il faut être éloquent ,
& l'Auteur de l'Émile l'eft véritablement
d'un bout à l'autre de fon Livre ; mais on
ne peut trop condamner ces exagérations
ridicules , & cette prétendue pompe de ftyle ,
avec laquelle on veut agrandir ce qui eft
petit , enfler ce qui eft grand , ou déguifer
ce qu'il falloit blâmer. Les jeunes gens & le
vulgaire des Lecteurs font encore la dupe de
ce vain appareil de phrafes ; ils prennent de
l'orgueil pour du génie , & de la déclamation
pour de l'éloquence ; mais les bons efprits
dédaignent les mots , ils n'aiment que le
vrai ; & il n'y a plus de vérité dès que le ſtyle
eft chargé d'ornemens frivoles & fouvent
étrangers.
DE FRANCE. 41
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Nous avons déclaré , dans un des Numéros
de ce Journal , que nous ne parlerions déformais
que des Débuts qui mériteroient
d'être cités. Plus nous avons réfléchi fur cette
idée , & plus nous nous fommes perfuadés
qu'il falloit nous y arrêter. En effet , quel
intérêt nos Lecteurs pourroient-ils prendre.
à voir fans ceffe les mêmes formules repaffer
fous leurs yeux , le plus fouvent pour les
entretenir de fujets qui ne donnent aucune
efpérance , ou qui en donnent de fi légères ,
qu'à peine , dans la crainte de compromettre
fon jugement , un Obfervateur ofe-t-il les
indiquer ? Quel fruit d'ailleurs recueille - t on :
des avis que l'on donne à la médiocrité , des
difcours injurieux & de la haine ? On s'en
venge par le mépris ; à la bonne heure :
mais il vaudroit mieux encore s'en venger
par l'avantage d'être utile ; & toutes les fois
qu'il y faut renoncer , le filence eft , fans
doute , le parti qu'il faut prendre. Nous le
prenons donc à quelques égards , & nous
prions les Amateurs du Théâtre de ne point.
imputer à oubli ou à négligence les omiffions
volontaires que nous nous permetrons
quelquefois. Avant de terminer cet avertif
t
42 MERCURE
fement , nous obferverons qu'on entre aujourd'hui
dans la carrière Dramatique ,
comme dans une carrière dont on peut aifément
atteindre le but. C'eſt à cette confiance
indifcrette qu'on peut attribuer principalement
la décadence de la Comédie. Pour
réuffir dans cet Art & peu étudié de nos jours ,
il faut connoître la nature , les paffions qui
l'agitent , leurs nuances , leurs effets , les rapports
& les différences des caractères ; joindre
à l'intelligence qui éclaire fur tous ces
objets , non -feulement les moyens de repré
fentation relatifs à l'emploi qu'on adopte ,
mais encore une fenfibilité expanfible , une
phylionomie mobile , une ame capable de
recevoir promptement toutes les impref
fions , & de les rendre avec rapidité fous les
couleurs qui conviennent à chacune d'elles.
Nos Débutans ont-ils fur ces objets quelque
lumière ? Laiffent - ils feulement entrevoir
qu'ils ayent cherché à acquérir les connoiffances
qu'exige l'état qu'ils embraffent ? On
peut répondre négativement à ces queſtions ,
quand on les voit prefque tous fe préfenter
fur la Scène avec l'ignorànce parfaite & de
la mefure d'un vers , & de la langue qu'ils
doivent parler ; quand on les voit confondre
toutes les idées , toutes les expreffions , &
prêter au perfonnage qu'ils repréfentent
toute la foibleffe , pour ne pas dire plus , de
leur raifon & de leur efprit. On s'imagine
qu'avec une jolie figure , un bel organe , une
taille avantageufe , on a des droits au titre)
DE FRANCE.
43
de Comédien ; ces qualités fi effentielles
quand elles font accompagnées des qualités
morales , ne forment pas plus un Comédien
quand elles marchent feules , qu'un bon inftrumentne
rend habile un Muficien ignorant,
On pourroit porter plus loin ces réflexions ;
mais les Comédiens François , à qui nous les
adreffons , n'ont pas befoin que nous les
étendions davantage ; & fi , comme nous en
fommes perfuadés , ils aiment réellement
l'état fur lequel ils ont fondé leur fortune &
leur renommée , elles fuffiront pour les engager
à tout tenter, afin que le Théâtre de la
Nation ne compte bientôt au nombre de fes
Membres que des Comédiens capables de
foutenir & d'étendre la gloire d'un Art que
tout fait pencher vers fa chûte , dans l'inftant
même où l'on vante le plus le progrès des
lumières en France.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nous ne ferons qu'une obfervation fur le
debur de Mde Guédon , fille de l'inimitable
Carlin , qui a joué deux fois le rôle d'Hélène
dans Silvain , au moment où nous écrivons .
De tous les emplois que peut choisir une
jeune perfonne fans expérience , celui des.
Mères & des Duègnes eft pofitivement celui
qu'elle devroit s'interdire, puifque d'un côté ,
il demande beaucoup de connoiffance du
Théâtre, de la nobleffe , un maintien affuré
44
MERCURE
un débit exercé ; de l'autre , une grande partie
des qualités relatives aux rôles de Caractères
& de Soubrettes , qualités difficiles à acquérir
& que peuvent feulement donner une
étude opiniâtre & un long ufage de la Scène.
Si les talens étoient héréditaires dans les familles
, nous ne douterions pas que Mde
Guédon ne franchit bientôt lintervalle qu'on
remarque entre elle & fon emploi ; mais nous,
en fommes encore à le defirer ! ... Au
furplus nous ne jugeons point cette
Actrice ; l'intérêt qu'infpire un Comédien
auffi eftimable que M. Carlin , nous fait un
devoir de fuivre exactement les débuts de
fa fille , & nous en reparlerons , s'il y a lieu.
>
Le Vendredi 29 Septembre , on a repréfenté,
pour la première fois , les deux Oncles,
Comédie en un Acte & en vers.
-
Un vieil Avare a promis fa fille à un
jeune Officier , neveu d'un homme fort
riche. Celui- ci , livré à des foins que fes affaires
ont rendu indifpenfables , n'a pas
donné de fes nouvelles depuis fort longtemps
; en conféquence , l'Avare a choifi.
pour gendre un Préſident de fes amis , homme
d'un certain âge , qui , fans être chargé
d'aucun des ridicules propres aux amoureux
un peu mûrs , veut prendre une femme pour
y trouver une compagne , une amie , & pour
la rendre heureufe. Un valet de l'Officier fe
propoſe de renverfer le fecond projet de
DE FRANCE. 45
l'Avare , de fervir les amours des jeunesgens
, en prenant le coftume d'un vieillard
& en fe préfentant fous le nom de l'Oncle
de fon maître , que perfonne ne connoît
dans la maifon. En effet , il s'y introduit,
ramène les chofes au point où le jeune amant
les defire ; tout va fe conclure , quand le véritable
Oncle arrive , & s'adreffe pofitivement
au valet déguifé , comme au père de fa fu
ture nièce. On peut juger de fa furpriſe ,
quand le valet , lui déclare ingénuement
qu'il eft l'oncle du jeune Officier , & qu'il
s'appelle Timante. L'arrivée de tous les autres
perſonnages débrouille l'intrigue , & le
Préfident , toujours fidèle à fon caractère ,
confent à n'être point l'époux de la jeune
perfonne , mais il demande à devenir l'ami
de la maifon. Cette demande eft accompa
gnée du don d'un écrin qu'il vient d'acheter
pour la maîtreffe, & le tout fe termine
à la fatisfaction de tout le monde.
Cette petite Comédie eft le coup d'effai
de fon Auteur ; d'après cela , il n'eft pas
difficile de croire qu'elle eft fufceptible de
beaucoup de reproches . On en rendra un
compte plus détaillé quand elle fera imprimée.
On le doit aux efpérances que donne
cette première production d'un très - jeune
homme, & dans laquelle on trouve de la gaîté,
de la bonne plaifanterie , des étincelles de
comique , un ſtyle quelquefois négligé , mais
fouvent facile & piquant. En un mot , on
peut , fans exagérer les encouragemens , dire
46
MERCURE
que ce petit Ouvrage annonce de très- heureufes
difpofitions.
GRAVURES
.
NOUVEAU Plan routier de la Ville & Fauxbourgs
de Paris ; avec fes principaux Edifices & toutes les
Rues nouvelles ; par M. Pichon , Ingénieur - Géographe.
A Paris , chez Efnaut & Rapilly, rue S. Jacques ,
à la Ville de Coutance. Prix , 6 liv .; collé fur toile ,
12 liv. Ce Plan eft en quatre grandes feuilles , & la
Gravure en eft bien foignée.
Carte des Ifles Antilles & du Golfe du Mexique ,
avec la majeure partie de la Nouvelle-Espagne , en
3 feuilles, par M. Bonne,Ingénieur-Hydrographe de
la Marine. A Paris , chez Lattré, Graveur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , la porte cochère vis-à - vis
la rue de la Parcheminerie. Frix , 4 liv 4 f. On trouve
chez le même l'Océan Atlantique , & toutes les Cartes
relatives aux affaires préfentes .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Citoyen de Campagne , ou Réponse à la queftion
: quelles font les connoiffances néceffaires à un
Propriétaire qui fait valoirfon bien pour vivre à la
Campagne d'une manièré utile pour lui & les Payfans
qui l'environnent , &c. Ouvrage qui a partagé le Prix
de la Société Royale de Soiffons en 1780. par M,
Bouthier. Brochure in- 12. A Paris , chez Durand &
Lamy , Libraires .
Pamphlet Programmatique , ou Obfervations
DE FRANCE. 47
pour un Prix d'Eloquence , par C. Philadelphe ; in-
12. A Paris , chez les Marchands de Nouveautés . :
On trouve préfentement chez Gueffier , Libraire-
Imprimeur , au bas de la rue de la Harpe , à Paris ,
les deux Ouvrages fuivans : Traité des Tumeurs &
des Ulcères , où l'on a joint à une théorie folide la
pratique la plus sûre & la mieux éprouvée , avec
deux Lettres , 1 ° . fur la compofition de quelques
remèdes dont on vante la propriété , & dont on
cache la préparation ; 2 ° . fur la nature & le fuccès
des nouveaux remèdes qu'on propofe pour la guérifon
des Maladies vénériennes , par M. Aftruc. 2 V.
in-12. rel . 6 l. Traité des Maladies des Femmes
, où l'on a tâché de joindre à une théorie ſolide ,
la pratique la plus sûre & la mieux éprouvée , avec
un Catalogue Chronologique des Médecins qui ont
écrit fur ces Maladies. On y a joint l'Art d'accoucher
réduit à fes principes , où l'on expofe les pratiques
les plus sûres & les plus ufitées dans les différentes
efpèces d'Accouchemens , avec l'Hiftoire fommaire
de l'Art d'accoucher , par M. Aftruc. 7 Vol.
in-12-18 1.
On vendra féparément les Tomes 5 , 6 & 7 ,
pour compléter la première édition , qui n'avoit que
quatre volumes , ainfi que le volume qui traite des
Accouchemens.
+
Jugement Impartial ferio-comi- critique d'un Manant
, fur le Pain de Pommes de terre , in 8 ° . A
Paris , chez la Veuve Valat-la- Chapelle , au Palais .
La Servitude abolie , Pièce qui ne concourra pas:
pour le Prix de l'Académie Françoiſe. A Paris, chez
Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Difcours en faveur du Théâtre François , contre
les Ufurpations de l'Opéra , in- 8 ° . prix 12 ſ. A Paz
ris , chez Colas , Libraire , place Sorbonne.
48
MERCURE
Tome LXVIII des Caufes Célèbres. A Paris, chez
M. Defeffarts , rue Dauphine, à l'Hôtel de Mouy, &
chez Mérigot , Libraire , quai des Auguftins.
Théorie de l'intérêt de l'argent , tirée des Principes
du Droit Naturel de la Théologie & de la Politique
, contre l'abus de l'Imputation ufuraire. Vol
in- 12 . Prix , 2 1. br. A Paris , chez Barrois l'aîné , Li-:
braire , quai des Auguſtins.
Gymnastique Médicinale & Chirurgicale , par
M. Tiffot , Docteur en Médecine . Vol. in- 12 . Prix ,
2 liv. 10 fols. A Paris , chez Baftien , Libraire , rue
du Petit Lion ,
Septième Cahier des Hommes Illuftres de la
Marine Françoife , où se trouve le Portrait du Chevalier
de Saint- André , par M. de Graincourt
in-4° . A Paris , aux Adreffes ordinaires.
TABLE.
VERS fur Eulalie
Epitre à Mde C ***
Quel Ami ! ou le Rare
cédé , Anecdote ,
Madrigal,
Enigme & Logogryphe ,
3 Hiftoire des Chevaliers- Hof-
4 pitaliers de S. Lazare. 35
Pro- Anecdotes des Beaux- Arts, 38
8 Eloge de Catilina ,
22 Comédie Françoife
23 Comédie Italienne ,
Mémoirefur les moyens à op- Gravures ,
.
pofer àla Petite Vérole , 25 Annonces Littéraires ,
APPROBATIO N.
39
41
43
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 7 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
le 6 Octobre 1780. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 14 OCTOBRE 1780 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE à l'Épitre flatteufe de M. l'Abbé
DOURNEAU, inférée dans le Mercure
du 15 Juillet.
Du double laurier d'Apollon
Ma tête n'eft point couronnée ;
Et du bon Rabelais la robe furannée
N'affigne point un rang dars le facré Vallon.
Ma Mufe autrefois téméraire
Vers la docte colline ofoit prendre l'effor ;
Laîle du tendre Amour la rendoit plus légère sa
L'Amour faifoit lui - même excufer fon effort : get
Plein du feu qui brilloit dans les yeux de Glycère ,
Mon efprit , de mon coeur fecondoit le tranſport.
Mais ce qu'on fait , Amour , lorſque tu nous domines ,
Sam. 14 Octobre 1780.
C
fo
MERCURE
Sur le retour n'offre plus de douceurs ;
Et fi j'allois fans toi fur le mont des Neuf Soeurs ,
Je me perdrois bientôt dans les épines .
Je te laiffe aujourd'hui ces lieux à parcourir ;
Tu peux y moiffonner les fleurs les plus brillantes ;
Va , quelque fujet que tu chantes ,
Cher Abbé , tu fais l'embellir.
Mon ame , enfin , fagement détrompée ,
Commence à triompher des vives paffions ;
De leur douces illufions
Ma Mufe n'eft plus occupée,
Apollon n'eft pour moi qu'un Dieu de la fantés
De l'art de nous guérir que lui - même a dicté ,
Je voudrois pénétrer les utiles myftères :
Il a créé pour nous les plantes falutaires ;
Je cherche à les connoître ; & quand pour mes amis
J'en puis faire un heureux ufage ,
Que leur fanté devienne mon ouvrage ,
Mes travaux ont reçu leur prix,
( Par M. Boulland , Médecin. )
Impromptu en réponse aux Vers précédens.
DE DIEU des Vers quand vous pincez la lyre
Vous enchantez & l'oreille & le coeur :
Quand vous parlez , on écoute , on admire ;
Et l'on guérit en voyant le Docteur.
(Par M, Abbé Dourneau,
DE FRANCE. 51
É LÉGIE A MON AM I.
RESTIC ESPECTEZ ma douleur extrême :
Vos foins cruels augmentent mes ennuis ;
Plaignez mon fort , je hais l'amitié même ;
Tout m'eft affreux dans l'état où je ſuis.
Quoi , vous voulez que ma Mule éplorée
Effaye encor de timides accens ,
Lorfque mon ame , au défefpoir livrée ,
Se plaît à nourrir fes tourmens! ....
Que je l'aimois , cette ingrate Lucie !
Quel afcendant elle avoit fur mon coeur !
Les Dieux, par tant d'attraits, l'avoient donc embellic
Pour me faire fentir leur injufte rigueur ? ...
Sur moi l'Amour inexorable
Se plut à lancer tous les traits.
Vois combien je fuis miférable !
Je l'aime encor , car je la hais.
Mais ces feux méprifés fe changeront en rage.
Puiffe , pour me venger d'un fi cruel outrage ,
Le rival odieux que je faurai punir ,
Lui rendre tous les maux qu'elle me fait fouffrir !
Que dis-je ? quel tranſport m'égare ?
Périffe le mortel qui bleffe , amant barbare ;
Le fein que dans fes bras il preffa tendrement,
Qui déchire un coeur qu'il adore ,
Qui ſe repaît des larmes que répand
Cij
52
MERCURE
Une Beauté qu'il idolâtre encore ! ...!
Ainfi , malgré fon infidélité ,
Contre moi je m'arme pour elle ;
Qu'elle foit donc heureufe autant que belle !
L'Amour exifte- t'il fans générofité ?
Mais que la froide indifférence
Règne dans mon coeur fans retour.
Trifte raiſon , j'invoque ta puiffance ,
J'abjure pour jamais les erreurs de l'Amour.
Je fuirai ce fexe perfide ,
Tendre par fantaisie , & volage par goût ,
Qui toujours d'hommages avide ,
Pour ne rien rendre , exige tout.
A mes regards qu'il étale fes charmes ;
Sa fauffeté m'armera de mépris ,
Et je me fouviendrai des larmes
Que me coûtent mes feux trahis.
( Par M. Bodard de Taizay. )
LES PERDRIX , Conte.
UN vieux oncle , bavard , mais qui ne mentoit
guère ,
Me difoit : ( & long-temps il m'en refſouviendra )
Tout ce que la ruſe peut faire ,
Crois que la femme le fera.
C'est ce que mon oncle ofoit dire .
Pour moi , je ne vous dirai rien ,
DE FRANCE.
53
Qu'un Conte , inventé mal ou bien ,
Dont je rirai , s'il vous fait rire.
CERTAIN Villageois avoit pris
Derrière un buiffon deux Perdrix .”
Afon dîner , tout fier il les deftine :
Sur elles il jetoit un regard complaifant ;
Et pour attendre moins , en gagnant fa cuifine ,
Il les plumóit chemin faifant.
En arrivant , attendri par la joie ,
Il fourit à fa femme , & lui livre fa proie.
Le couple oifeau tout nud , muet & plus petit ,
Tranfpercé d'un long fer , qui dans leurs flancs féjourne
,
Côte- à-côte rangé , déjà tourne & retourne
Devant un feu qui le rôtit.
Gombaud , ( c'eft le mari ) Paroiffien fort honnête ,
S'il aime les Perdrix , aime auffi fon Curé ;
Il court en attendant l'inviter à la fête.
Mais tout le trouva cuit avant qu'il fut rentré.
Sa femme ( c'étoit Mathurine )
Retira les Perdrix ; car c'étoit ( s'il en fut )
Une femme experte en cuisine .
Mais le hafard , ou le Diable voulut
Qu'à la broche reftât collée
Certaine peau bien riſſolée
Que Mathurine avale au même inftant.
Toute autre en même cas en auroit fait autant.
A cette peau fi bien rôtie
C iij
14
MERCURE
Elle trouve un goût , un fumer
Qui lui donne auffitôt l'envie
De voir fi tout répond à ce qu'elle promet
·
Des deux Perdrix elle prend la plus belle ,
En détache une cuiffe , & la mange foudain.
« Ah ! Dieu ! quel goût exquis , dit- elle !
→ Si la cuiſſe en a tant , que fera-ce de l'aîle ? »
L'aîle auffitôt prend le même chemin 3.
L'autre aîle fuivit la première ,
Et l'autre cuiffe en fit autant :
La curieufe enfin s'efcrima tant
Qu'une perdrix y paffa toute entière.
Mais Gombaut ne vient point. Sa femme a fous fes
yeux
Une Perdrix encor bien graffe & rebondie..
La manger , Mathurine en auroit bonne envie:
Mais quoi ! fur deux Perdrix en avoir mangé deux ,
Ce feroit trop . Plus modefte & plus fage ,
Elle en coupe le cou , le flaire.... Quelle odeur !
Elle y goûte. Quelle faveur !
Oh ! celle-ci vaut deux fois mieux , je gage..
Elle difoit bien vrai ; mais pour n'en pas douter , 4
La Dame y goûte un peu , puis davantage
Enfin la mange entière à force d'y goûter.
A PEINE elle a fini cette importante affaire ,
Son efprit n'a point préparé
La réponse qu'elle doit faire ,
Que l'époux, en rentrant , annonce le Curé..
DE FRANCE. $1
Eh bien , lui cria-t'il , ma femme ,
» Le gibier eft-il cuit ? Ah ! ne m'en parlez pas ,
→ Dit-elle en gémiffant ; j'en ai la mort dans l'ame.
» Un chat cruel , le plus maudit des chats ,
» Emporte nos Perdrix . » —Hem ! un chat ! qu'eſt- se {}
à dire
S'écria Gombaut furieux ;
Il alloit à fa femme arracher les deux
Quand Mathurine : « ———
yeux ,
Eh ! c'eft pour rire ;
» C'eſt pour rire , imbécile. Eh ! quoi !
1
Ne le vois-tu pas bien , je me moquois de toi. ] }
J'ai là nos deux Perdrix ; aucune n'eſt brûlée ;
» Mais j'ai couvert le plat , pour le maintenir chaud.
30 A la bonne heure , dit Gombaur ;
» Tu les allois payer plus cher qu'à la vallée.
» Je m'apprêtois au moins à t'affommer de coups.
Mais Monfieur le Curé va venir , hâtons-nous
55
Çà , notre plus beau linge , alerte ! »
Pour être mieux , nous nous établirons
» Dans le verger ; j'aime une fale verte :
» Sous la treille nous mangerons.
-Fort bien. Tandis qu'ici je vais pourvoir au refte,
» A ton couteau vas redonner le fil :
so Il en a grand beſoin . · Je le veux bien , dit-il.
Il defcend dans la cour , il y met bas ſa veſte ;
Puis ouvrant fon couteau qu'il couche de travers
Il le promène à droite , à gauche , en fens divers ,
Sur le dos ébranlé de la meule criarde ,
"3
Civ
56
MERCURE
Qui , tournant fous fes doigts , mord la lame à travess
Les étincelles qu'elle darde.
CEPENDANT arrive là haut
Le Curé , que l'efpoir de faire bonne chère
Avoit rendu plus gai qu'à l'ordinaire ,
Et qui veut embraffer la femme de Gombaut.
« Eh ! fauvez-vous , dit-elle ; il n'eft pas tems de rire.
» Mon mari va monter ; s'il vous trouve avec moi ,
» Vous êtes un homme mort.
Quoi !
» Es-tu folle ? que veux-tu dire ?
» Je viens pour manger deux Perdrix ,
» Avec vous , là-bas , fous la treille.
» C'eft lui qui m'a prié.
30
―
Sauvez-vous , je vous dis.
» C'eft un prétexte qu'il a pris .
Il prétend vous couper & l'une & l'autre oreille.
» Vous ne voyez ici ni Perdrix ni Perdseau ;
» Et voyez-le là-bas aiguifer fon couteau. »
A cés mots , la frayeur dans l'ame ,
Le bon Curé ne fait qu'un faut ;
Il fuit ; & Mathurine appelle alors Gombaut.
Eh bien , dit celui- ci , qu'as- tu donc , notre femme ?
Eh ! j'ai , que Monfieur le Curé
33-
» Des deux Perdrix s'eft emparé ,
» Et qu'il fuit à grands pas ; fi tu n'y cours bien vîte ,
C'eft autant de mangé. » Vers lui Gombaut foudain,
Sans quitter fon couteau , court & le précipite,
Pour ratraper le prétendu larcin .
Le Curé voyant par derrière
DE FRANCE. 57
Gombaut qui le pourſuit un couteau dans fa main ,
Galope vers fon Presbytère.
Tous deux ainſi vont long- temps & grand train ;
L'un vomiſſant l'injure & la menace ,
L'autre prêt à mourir de frayeur fur la place .
Mais le Curé qui par bonheur
A pris fur fon rival une avance affez forte ,
Rentre dans fa maiſon , ferme aux verroux fa
Et laiffe en bas Gombaut exhaler ſa fureur .
Dans fa maiſon pourtant le Curé fent renaître
Et fon courage & fa fierté ;
Et reprenant un ton d'autorité
Il lui parle par la fenêtre :
porte ,
» Mais Gombaut de crier ; eh quoi ! quoi toutes deux ,
» Vous voulez les garder ! -Oui, vraimentje le veux,
Lui répond le Curé , qui croit que fa furie
-
En veut toujours à fes oreilles. Quoi !
» Vous les voulez garder ! ah ! faifons , je vous prie ,
» Un accommodement.
» moi....
- Comment? Accordez- -
» Ah ! donnez m'en , de grâce , une au moins .
ස
» Non , ma foi.
Quelle rage ! » Il ferma fa fenêtre bien vîte ;
Et l'obſtiné Gombaut le fupplie à grands cris
De lui laiffer la plus petite:
Mais il fe voit forcé de regagner fon gîte
Et fans réponſe & fans Perdrix.
1
SA femme à fon courroux fut ainfi ſe ſouſtraire.
Cv
$8
MERCURE
Sans doute il vint bientôt un éclairciffement
Mais qui fait efquiver l'inftant de la colère
Eft abfous bien plus aifément.
LE tour m'a paru fin ; mais en pareille affaire
Femmes ont eu , dit- on , des fuccès fi conftans,
Que fi j'en crois certaines gens ,
Cette rufe aujourd'hui feroit fort ordinaire ,
Et le fut même de fon temps..
ROMANCE..
M A peine a devancé l'Aurore¸ .
Ma peine me ſuit tout le jour ;
Le foir je la retrouve encore
Conftante.comme mon Amour..
ADMIREZ la Vigne enlacée
Autour de l'arbre le plus beau ;
Plaignez la Vigne délaiffée.
Après la chûte de l'ormeau.
J'érois auffi belle que tendre ,.
Alors que j'avois d'heureux jours !!
On venoit me voir & m'entendre:
Dès que je chantois mes amours.
JE fuis moins belle & toujours tendre
Alors que j'ai de cruels jours !.
DE FRANCE. $9
On fuit , on ne vient plus entendre
Le chant de mes triftes amours,
LE peu qui m'eft refté de charmes
Fut dévoré par la douleur ;
Mes yeux font éteints dans les larmes ,
Je n'ai confervé que mon coeur.
MA peine , &c.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eſt Paille ; celui du
Logogryphe eft Chandelle , où le trouvent
lande, lac, âne, calle , Éden , élan , canelle ,
la , nacelle & an.
ÉNIGM E.
Si tu veux , Lecteur, me connoître,
Suis par-tout ma manière d'être.
De nom , de fexe , de couleur ,
Souvent je change avec honneur.
Dans la terre je prends naiſſance ,
Je me nourris de fa ſubſtance ,
Je fors , je crois ; dans peu de temps.
A ma bonne mère on m'arrache ;
Comme un criminel on m'attache ;
Sans violence je me rends.
Cvj
to
MERCURE
Pour s'affurer de la conquête ,
On me fait lors trancher la tête ;
Et lorfqu'ainsi l'on m'a traité ,
On me remet en liberté.
Je n'en jouis que peu ; bientôt on m'emprisonne;
Et quand on m'affranchit , une cruelle main
Exerce fur mon corps un pouvoir inhumain ,
Et ma chère moitié me fuit & m'abandonne.
Je deviens le martyr des dents , du feu , de l'eau.
L'homme enfuite à moi-même avec art me marie :
Je deviens néceffaire en cet état nouveau.
A la Ville , à la Cour , par-tout eſt ma patrie ;
Mais la faveur finit quand mon corps eft ufé ;
On me chaffe pour lørs : voilà ma récompenfe.
Je reparois pourtant par un moyen aiſé ;
En pâte l'on me met , fans changer de fubftance
Je forme un corps utile à tout le genre humains
Toi-même , qui me lis , tu m'as fouvent en main.
( Par M. l'Abbé Piqué , Diacre dia
Diocèse de Comminges. )
DE FRANCE. 61
LOGO GRYPHE.
JE fers plus aux champs qu'à la ville ;
Mon ufage eft pourtant utile
Au Citoyen , au Voyageur ,
Au Militaire, au Laboureur ;
Mais chacun m'arrange à ſa guiſe.
Aujourd'hui petit , demain grand :
Celui-ci me veut noir , celui -là me veut blanc ;
Sous une autre couleur je gouverne l'Eglife.
Je donne à l'un l'air pénitent ,
A l'autre le ton petit-maître.
Dans ce fiécle du goût , le beau fexe , inconſtant ,
Sous mon aufpice aime à paroître.
Lecteur, j'ai fept pieds , rien de plus.
Avec trois , fi tu veux , des coffres de Plutus
Tu peux tirer , d'un gefte & fans nulles paroles ,
Quatorze cent quarante oboles.
Enfuite vient un ornement
Dont l'Eglife fe fert ; mais raccroche en paſſant
De Pafiphaé la rivale ,
Et l'habit que portoit l'amant ſoumis d'Omphale.
Suivi de fes fiers combattans ,
Ma queue a vu d'Eſtaing ſe couronner de gloire.
Metiens-tu ? Pas encore ? eh bien , veux -tu me croire ?
Ne vas pas me chercher fur les bords Mufulmans .
( Par M...... Receveur de la Régie
Générale du Neubourg.
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
6 RÉFLEXIONS Philofophiques fur la
Civilifation, & fur les moyens de remédier
aux abus qu'elle entraîne ; par M. de la
Croix , Avocat. Brochures in- 8 ° . A
Paris , chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
M. DE L. C. a déjà publié trois cahiers de cet Ou→
vrage , qu'il le propofe de continuer.
Le titre paroît mériter un reproche qu'heureufement
l'on ne peut pas faire à l'Ouvrage même ; il eſt
très -vague , à force d'être étendu. Il femble promettre
un ouvrage qui parlera de tout ; & rien n'eft plus
funefte à un Ouvrage que cette prétention de parler
de tout. Un bon efprit a befoin de ſe fixer à un objet
; & chaque objet a des bornes néceffaires. Mais
on le répète , ce reproche ne peut tomber que fur le
titre du Livre. M. de L. C. a choifi un fujet prin
cipal , & il ne pouvoit être plus intéreffant ; c'eft la
réformation de la Juftice criminelle.
Il entre fans doute dans les vues de l'Auteur d'ap
peler l'attention de fes Lecteurs , non- feulement fur
les idées de fon livre , mais encore fur la méditation
de fon fujet. Nous allons nous livrer à quelques ré- 3
flexions fur cette importante partie de l'Adminiftration
fociale , bien moins avec l'ambition d'y répan- -
dre des lumières , qu'avec le defir d'augmenter encore
l'intérêt public fur un objet qui follicite le génie
des grands Ecrivains & des bons Légiflateurs , & qui
leur promet une gloire fi noble & fi douce.
Ce n'eft pas être injufte envers les Nations & les
DE FRANCE. 63
frècles , que d'obferver que , nulle part fur la terre ,
on n'a encore vu une légiflation criminelle teller
qu'on puiffe dire : là , l'intérêt de la Société & les
droits du Citoyen ont été bien connus & bien conciliés.
Les Nations anciennes ont eu de belles conftitutions
politiques ; elles ont connu d'admirables priucipes
de Légiflation ; mais elles n'ont jamais eu ,
même fur les objets qui les avoient le plus occupées ,
un bon code, où tout eût été bien prévu & bien réglé ,
où les vues générales euffent toujours gouverné tous
les détails , dont tous les principes fuffent fains , les
moyens fimples , & la rédaction claire & préciſe ; uns
Code , en un mot , fait pour durer tant que le même
ordre de chofes fubfifteroit. Je fais bien qu'un tel Code
doit être rare dans tous les tems & dans tous les
pays. Mais il n'eſt pas interdit de l'efpérer par- tout
où l'efprit humain , devenu libre & fage , a beau- coup vu, beaucoup jugé , & fait affez le replier fur
lui-même pour bien exécuter ce qu'il entreprend. Si j'ofe dire ma penfée , nous fommes beaucoup plus capables de ce grand Ouvrage que les Anciens , & nous en avons un bien plus grand befoin. Il leur
fuffifoit d'avoir quelques bonnes Loix principales
pour diriger un état de chofes peu compliqué. Pour
nous , dont les gouvernemens
ne marchent que par une foule de refforts , nous ne pouvons nous paffer
de bonnes Loix particulières
.
Indépendamment de ce que la Collection des idées
Philofophiques eft toujours reftée très- bornée chez
les Anciens , ils avoient encore de puiffantes caufes
d'injuftice pour leurs légiflations pénales , dans plu
fieurs de leurs inftitutions politiques . Ils avoient des
Efclaves , & ils les confervoient fans remords . Or ,
tout Peuple qui admet l'esclavage comme un droit
eft un Peuple fans humanité. Aufſi a- t- elle bien ra
nement infpiré & dirigé les Anciens dans leurs Loix.
"
64
MERCURE
& dans leurs moeurs : j'en appelle à leur Droit des
Gens principalement. Chofe auffi trifte qu'étrange !
ils ont confacré tous les droits de la liberté , & ils
ont méconnu ceux de l'humanité !
Pour les Peuples modernes , leurs Loix reffemblent
à tous les monumens des Conquérans barbares :
elles offrent le contrafte d'une ancienne misère &
d'un luxe nouveau ; & rien n'eſt plus funeſte à la
Légiflation que cette alliance de la politeffe & de
la barbarie , de la pauvreté & de la magnificence :
on n'eft pas affez habitué au bien pour ne pouvoir
fupporter que lui , & on ne fouffre pas affez du mal
pour vouloir abfolument en fortir. Auffi , on peut
remarquer une différence importante dans les Légiflations
anciennes & dans les Légiflations modernes ;
& cette différence eft relative à leur nature. Les Légif
lations anciennes ont toutes , ou presque toutes été
conçues ou recréées par des hommes de génie ; leur
but a été de former le caractère & les moeurs
du Peuple qu'elles devoient gouverner ; & elles marchent
à ce but par des moyens fimples & grands. Les
Légiflations modernes au contraire, n'ont jamais afpiré
qu'à fe corriger lentement & en détail . La fageffe
de celle- ci eft le produit de la néceffité , qui
commande des remèdes dans les maux extrêmes : la
fageffe des autres eft le fruit des hautes pensées &
des grands deffeins. Les premières ont plus d'inftitu
tions de génie ; les autres n'ont guères que des décrets
de bon-fens .
Ni les Anciens , ni les Modernes n'ont donc pas
encore eir la gloire de fe donner un bon Code pénal
; c'eft qu'une pareille Légiflation ne pou-
* Il s'en faut bien que le Code Criminel d'Angleterre ,'
qui eft cependant le plus bel Ouvrage des Légiſlations
modernes , foit auffi parfait qu'on l'a cru , & doive être
adopté en tout par les autres Nations.
DE FRANCE. 65
voit s'accomplir qu'au fein de cette Philofophie qui
fait étudier les chofes & les hommes , combiner les
devoirs & les droits , tout voir & bien voir , ſe défier
de fa raifon comme des opinions établies , &
s'arrêter quelquefois au milieu de fon ouvrage pour
renforcer la jutteffe de fes vues , l'impartialité de fon
efprit , & cette vigilance de la confcience d'un
homme de bien , qui doit fouvent le retenir dans fes
penfées comme dans les actions. Ce grand Ouvrage
d'ailleurs avoit befoin d'être préparé par la difcuffion
publique , fans laquelle un Législateur , même
celui qui réuniroit la vertu & le génie , rifquera
toujours de faire un Ouvrage imparfait. Après
l'expérience des faits , rien de plus précieux pour
la Légiflation que la comparaifon des pensées. Il
importe même de laiffer mûrir la diſcuſſion publique
, avant d'en faire ufage ; & ce fera peut- être
une véritable fageffe à nous , de n'avoir pas trop précipité
le grand ouvrage de la réforme de nos Loix
criminelles.
Mais la difcuffion publique a- t- elle déjà beaucoup
accumulé de richeffes fur cet objet ? C'est une queftion
fur l'examen de laquelle nous demandons la
permiffion de nous arrêter encore.
Les Anciens n'ont cultivé avec beaucoup de fuccès
que cette partie de la Philofophie que nous avons
nommée Politique & Conſtitution des États . Paffionnés
pour la liberté,ils ont cherché tous les moyens de la
fonder & de la maintenir dans leurs Gouvernemens.
Ils ont même cette gloire , d'avoir plutôt mis leur
génie , fur cet objet , dans leurs Légiflations que dans
leurs livres. Leurs meilleurs Philofophes en Politique
ont été leurs hommes d'État. Ils fe font peu occupés
de tous les détails de l'adminiſtration fociale , & de
tous ces moyens fecondaires du bonheur général ,
dont la Légiſlation doit ſe faifir. Ils fuppléoient à tout
66 MERCURE
par la puiffance des moeurs, & par la vigueur de leurs
conftitutions politiques.
Il étoit réſervé aux Nations modernes , qui ont
prefque toutes perdu la liberté civile , d'attacher plus
de prix au bonheur perfonnel, & de porter plus d'application
& de fagacité dans la fcience de les gouverner
heureufes quand elles font animées dans
ce travail par l'efpérance de communiquer une partie
de leurs fumières aux dépofitaires de la Puiffance !
Peut-être auff falloit-il une invention telle que celle
de l'Imprimerie , pour donner aux efprits cette activité
& cette facilité d'inftruction & de communication,
qui permettent de porter fa penfée ſur beaucoup
d'objets , & de les épuifer.
Mais la connoiffance des vrais principes de la
Juſtice Criminelle eft encore toute récente parmi
nous. Les Jurisconfultes feuls ont été pendant longtems
en poffeffion de diriger les Juges & les Légiflateurs
dans cette matière. Mais quels guides ! Nulle
connoiffance , ni des principes de l'ordre focial , ni
des droits & des paffions de l'homme , ni de l'appré
ciation des probabilités morales : des principes fouvent
auffi féroces qu'abfurdes ; des inventions de la
barbarie la plus rafinée , données pour les vrais procédés
de la recherche des crimes : voilà ce qui afflige
& révolte la raiſon dans la lecture de nos vieux Criminaliſtes
. Les autres font devenus un peu plus doux
& un peu plus raiſonnables ; mais ils femblent s'être
défendu de rien appercevoir au-delà des maximes de
leurs prédéceffeurs , & de la pratique des Tribunaux.
Ils fe renferment orgueilleufement dans cette étude ,
où ils n'ont même porté ni ordre , ni clarté ; ils prennent
en pitié le Philofophe qui développe des principes
, au-lieu de citer des Arrêts , & ils qualifient
outrageufement la réclamation touchante & réſervée
qu'il ofe faire des droits de l'humanité , & des princi
"
DE FRANCE.
675
1
pes de la raison . * On auroit tort cependant de
s'épargner la lecture de leurs Livres ; ils ont l'avantage
de préfenter une foule de faits & d'exemples
; & c'eft par la connoiffance des faits
que
l'on peut arriver à des idées juftes . Ils offrent d'ailleurs
des règles de détail qui méritent d'être méditées
& confervées.
C'est un beau moment dans l'hiftoire de notre
Monarchie , que celui où Louis XIV interrompit fes
conquêtes pour donner des Loix à fes Peuples. Les
Membres les plus diftingués du Confeil & da Parlement
, réunis pour rédiger deux Codes de Loix ,
forment un spectacle bien intéreſſant. Mais ce magnifique
fiècle des Arts n'étoit pas encore celui de la
Légiflation On n'avoit pas encore difcuté les grands
principes de l'ordre focial ; on ignoroit même une
partie des droits de l'homme. On ne favoit pas fortir
d'un objet particulier, pour faifir fes rapports avec
d'autres objets ; on ne favoit pas non plus fe placer
dans les grands points de vue où le Légiflateur doit
toujours habiter. Malheureufement encore , des deux
hommes qui fe font le plus appliqués à la rédaction
* C'eſt une choſe curieuſe , par exemple , que de lire
comment on parle du Traité des Délits & des Peines dans
La Préface d'un Traité de la Juſtice Criminelle , en 4 vol.
in-4 . Après avoir fait un magnifique éloge de Farinacius
& des autres , on en vient , comme pour n'oublier perfonne
, à l'Auteur du Traité des Délits ; mais on le laiſſe
bientôt-là comme un ignorant , qui n'a rien dit de remar
quable , fi ce n'eft quelques maximes très- dangereuſes ,
mais heureufement fort abfurdes. Voyez auffi une réfu→
tation de cet Ouvrage par un autre Criminalife : pour
celui- ci , il ne fe contenteroit pas de ce froid mépris ; il dit
de belles & bonnes injures ; il défend de fon mieux las
doctrine d'un bon & fidel Criminaliſte....
68 MERCURE
de ces Loix , ce fut celui qui avoit le plus de mérite
qui y eut le moins de part. Puffort avoit de l'ordre
& de la fagacité dans l'efprit , mais il n'avoir que
cela des qualités d'un Législateur. Il a fait avec courage
la guerre à la chicane dans l'Ordonnance Civile
; mais dans l'Ordonnance Criminelle , il ſemble
ne s'être propofé que le fuccès de l'accufation . Le
Président de Lamoignon n'avoit pas fi bien étudié
l'ordre des procédures , & il avoit peut - être un efprit
moins net & moins précis ; mais fes principes de Jurifprudence
étoient bien plus fains & bien plus élevés.
Il avoit un coeur humain , un efprit généreux , & il
réclame fouvent le droit naturel pour les hommes livrés
à la Justice , & des libertés honorables , mais
peut- être dangereufes pour ceux qui l'exercent . Il
eft fouvent inférieur à Puffort dans les difcuffions
fur l'Ordonnance Civile ; mais dans celles fur l'Ordonnance
Criminelle , il rend fouvent odieux le
triomphe que Puffort a obtenu fur lui . 1.
Mais comment s'eft - on arrêté à de fimples Réglemens
fur la Procédure ? & , quelqu'importantes
que foient ici les formes , qu'est-ce que leur correction
, quand les mauvaiſes Loix fubfiftent encore ? ..
Cette faute au refte nous a réservé une grande
gloire , & a différé pour un fiècle plus éclairé , la,
partie la plus importante de la Légiflation .
Ce n'eft pas à des Pufort , il faut l'avouer
qu'il appartient de bien faire les Loix qui difpofent
de la deftinée des hommes ; il faut , pour
cette fublime fonction , d'autres talens , d'autres
études , d'autres principes ; il faut le génie des Montefquieu
. Auffi quand , du Procès - verbal fur l'Ordonnance
de 1670 , on vient aux deux Livres de
l'Esprit des Loix , où Montefquieu a parlé des Loix
Criminelles , on fe trouve transporté dans un autre.
ordre d'idées . On voit à combien de rapports politiques,
& moraux peut tenir un feul ſtatut du Code pénal ;
DE FRANCE. 69
on apprend ce qu'on peut attendre , ce que l'on
peut faire de l'homme,& comment on pourroit le conduire
toujours , fans jamais le tyrannifer. On faifit
rapidement les vices des mauvaiſes Loix , & les principes
des bonnes ; & toutes ces vues , fruit d'une
méditation éclairée & courageafe , ne paroiffent que
les infpirations de ce bon - fens , que l'on eft
toujours étonné de ne pas retrouver au fond de tou-*
tes les inftitutions humaines. On peut remarquer
qu'en Politique & en Morale , les plus belles idées
ont effentiellement ce caractère.
Ces deux Livres de l'Efprit des Loix , où le fujet a
été traité , non pas dans toute fon étendue , mais
dans le but général de l'Ouvrage , répandent déjà une
grande lumière fur cet objet , & font beaucouppenfer.
On a déjà dit bien des fois : que c'eſt-là un des mérites
qui diftinguent le plus Montefquieu . Mais une ,
particularité moins obfervée , ce me femble , de ce
beau génie , c'eft d'arriver prefque toujours aux,
idées effentielles & fécondes de fes fujets , par une
marche toute oppofée à ce but. Rien de moins philo
fophique & de moins bon en général , que le procédé
de fon efprit ; il fe place rarement à l'entrée de fon
fujet ; il n'y avance pas par degrés : trop avide de
montrer fon érudition , que l'on a reconnue plus vafte
que folide , on diroit qu'il a peur de ne pas trouver
à placer le plus petit fait dépofé dans fa mémoire :
il arrête fouvent le développement de fes idées théoriques
, pour les comparer à fes connoiffances pofitiyes
; & dès-lors les inductions qu'il tire des faits
deviennent fes principes ; & ces faits font très - louvent
vagues , incertains , & trop particuliers pour
être interprêtés par des règles , encore moins pour
en produire. On feroit quelquefois tenté de croire
qu'il fe joue de la majefté de fon fujet , lorſqu'il
donne ainfi des anecdotes pour les preuves des
plus grands principes. Mais au milieu de cette marMERCURE
che qui doit fouvent choquer & impatienter les bons
eſprits , il apperçoit , il ſaiſit ces idées ſimples , juftes
& éternelles , qui font le génie de la Légiflation ; il
s'en pénètre , & il les exprime avec ces tournures de
ftyle qui lui font propres , où le jeu d'efprit eft trop
fouvent à côté de l'originalité , & qui lui fervent tourà-
tour , & fuivant fes deffeins , à voiler un peu fes
penfées , ou à leur donnerplus d'éclat. Il y a de grands
défauts dans l'Efprit des Loix , fans doute ; mais il y
a de bien plus grandes beautés encore : c'eft un Ouvrage
digne de fon fuccès , & ce fuccès eft grand :
l'efprit des Loix fera marqué à jamais par l'influence
qu'il a cue fur les idées de fon fiècle , & fur la légiflation
de plufieurs Peuples. Mais quel reproche
pour notre Nation dans toute cette gloire de Montefquieu
! Il étoit né Magiftrat , il avoit étudié les
Loix toute la vie , il avoit fait fur les Loix un Livre
admiré de toute l'Europe ; cependant , où font les
Loix de fon fiècle foulcrites de ce nom confacré ?
quel plan de Légiflation s'eft - on empreflé d'obtenii
de fon génie ? & quand a-t-il honoré par fon
admiffion ces affemblées de Magiftrats où s'agitent
les plus gands intérêts de la France ? Ne difparoîtront-
ils jamais parmi nous , ces préjugés qui nous
font croire que perfonne n'eft moins propre à gou
verner les hommes , que ceux qui les éclairent ?
Montefquieu s'étoit trop peu arrêté fur les Loix
Criminelles , pour exciter particulièrement l'atten
tion publique fur cet obje . Mais fes idées étoient
faites pour préparer un Ouvrage plus confidérable . Cet
Ouvrage eft venu du pays d'ou on l'attendoit le moins ;
je parle du Traité des Délits & des Peines , de M. le
Marquisde Beccaria. On peut fe rappeler le vif intérêt
avec lequel ce Livre fat reçu dans toute l'Europe. Les
Editions & les Traductions fe multiplioient plufieurs
fais l'année. Il y cut de l'enthoufiafine dans le fuccès
DE FRANCE. 70
de cet Ouvrage tout Philofophique ; & quelques Efprits
en ont conclu que ce fuccès étoit bien au-delà
du mérite de l'Ouvrage. L'Ouvrage a un très-grand
mérite ; & il tiroit du fujet même , & des principes
dans lefquels il a été traité , une grande raifon de
fuccès. Songez à toute la barbarie des Loix & des
formes en matière criminelle dans la plupart des Nations
de l'Europe. Suppofez enfuite un Philofophe
plein de raifon & d'humanité , qui , après s'être bienrecueilli
dans l'étude de fon fujet , vient vous dire :
Vos coeurs font oppreffés fous la dureté de vos
Loix Criminelles ; vous les laiffez fubfifter néanmoins
, parce que vous croyez cette dureté néceſfaire
; elle ne l'eft pas. Faites y réflexion , & vous
verrez que les Loix cruelles font fans excufe ;
qu'elles endurciffent les moeurs , fans arrêter les
crimes , & que le bon-ordre n'admet rien que de
jufte & de modéré. Qui ne fe fent foulagé ,
qui ne fe fent rappelé à de douces efpérances par ce
difcours ? Et falloit-il d'autres caufes pour faire lire
ce Livre avec une admiration reconnoiffante , &
pour faire placer fon Auteur dans le petit nombre
des Philofophes qui ont bien mérité du Genre- Hymain
? Ce Livre a deux objets de montrer les vices
des Loix établies , & d'expliquer les principes
dans lefquels il en faudroit faire de nouvelles . Il eft
rempli de ces idées neuves & grandes qu'un excellent
efprit rencontre feul. Il a évité tous les détails , &
même les plus importans ; il a même trop peu développé
les principes fondamentaux de cette Jurifprudence
; il laiffe encore le ſujet à traiter. Mais tel eft
le mérite de ce Livre , qu'on doit néceffairement en
retrouver le fonds dans tous les Ouvrages à faire fur
ce fujet , & même dans ceux qui l'auront furpaffé.
C'eft un des meilleurs Livres du fiècle , & fur-tout
un des plus utiles. S'il faut cependant toujours parles
;
72 MERCURE
des défauts d'un Ouvrage pour prouver qu'on ne le
loue qu'en l'appréciant , on avouera que celui - ci en
a de confidérables . Il avoit befoin du travail d'un
Traducteur excellent Logicien , pour recevoir un
véritable ordre dans les idées , & de la clarté dans
le ftyle. L'Auteur a de l'éloquence ; mais il manque
de l'art d'écrire ; il penfe profondément , il raifonne
avec force , mais il ne fait pas tirer fes penfées
du vague des abftractions , les borner dans un
fens précis , & les exprimer d'une manière fimple &
facile. I mêle à la difcuffion de fes idées les émotions
de l'ame qu'elles peuvent réveiller ; mais il exprime
les fentimens comme les raifonnemens , tandis
qu'il faudroit au contraire animer & embellir la
marche féche & lente de la taifon , par les mouve
mens & les expreffions de la fenfibilité .
Au milieu de l'impreffion fi vive & fi générale que
l'Ouvrage du Traité des Délits avoit excitée , un jeune
Avocat-Général d'un Parlement de Province
choifi ce fujet pour un de ces difcours confacrés à la
méditation des devoirs & des vertus de la Magiftrature.
Il venoit déja d'annoncer , par un Plaidoyer,
dans une Caufe devenue célèbre, des principes & des
fentimens dignes de fon Ministère, & peut-être un des
plus heureux talens pour l'Eloquence, qui aient brille
dans ce fiècle . Il s'attache principalement à cette
Je parle ici du Difcours de M. Servan , Avocat-Général
du Parlement de Grenoble , dans la Caufe d'une
Femme Proteftante. J'ai entendu dire à plufieurs Gens de
Lettres , qui étoient avec M. de Voltaire , iorfque ce Difcours
parut , qu'il le lifoit avec délices ; & on fait que
M. de Voltaire n'aim it pas la fauffe éloquence . A une
vingtaine de phraſes près , d'un très -mauvais goût , ce Dif.
cours a toute la perfection que pouvoient lui donner un
partic
DE FRANCE. 73
partie de la Juſtice Criminelle , fur laquelle le
Magiftrat a , parmi nous , une fi grande influence
à l'inftruction. Il rappelle aux Magiftrats la frayeur
religieufe avec laquelle ils doivent exercer cette
fonction terrible ; il les avertit de tous les dangers
qui les environnent. Il paroît quelquefois fordir de
fon fujet , à force de le généralifer. Mais on voit
bientôt qu'il fait revenir à cet ordre de chofes
pour lequel il doit donner des règles . Après avoir
parlé aux Magiftrats de leurs devoirs , il adreffe des
voeux au Legislateur ; il lui indique des loix à faire
& à réformer ; & fes idées, à cet égard, font toujours
juftes, nobles , & préſentées avec intérêt. On retrouve
fouvent dans ce difcours toute l'éloquence du premier
Plaidoyer de M. Servan ; mais trop fouvent auffi
le ton général , qui eft noble & attachant , prend
un tour d'emphafe & de déclamation , qui ne paroiffoit
pas fait pour un auffi beau talent , & fon
ftyle s'y dégrade par tous le faux éclat du bel- efprit.
M. de Voltaire , qui , dans fes dernières années,
s'étoit établi dans le fond de fa retraite , une forte
efprit plein d'idées & de fageffe , une imagination heu
reufe , & la fenfibilité la plus aimable. La péroraiſon pour
les Proteftans eft un morceau enchanteur ; c'est tout le
charme & toute l'onction de l'Auteur du Télémaque.
Ceux qui croyent que le Barreau ne peut rien produire qui
foit digne de la poſtérité , n'ont qu'à lire ce petit Ouvrage
; & j'oferai leur demander enfuite quel plaidoyer de
Cicéron ils veulent mettre au- deffus de celui - ci . Il eft
bien malheureux que M. Servan ait altéré , dans ſes autres
Ouvrages , ce beau talent , par des taches qui ne
naiffent que du défaut de févérité dans fon goût ou dans
la critique de fes amis .
"
Sam . 14 Octobre 1780 . D
74 MERCURE
>
de Tribunal , où il prononçoit fur tous les objets
qui attiroient l'attention publique ; qui s'eft fouvent
honoré par fon zèle & fes fervices prodigués à
des malheureux , & qui a fouvent auffi profané
cette double Magiftrature de la vieilleffe & du
génie par la partialité avec laquelle il confidéroit
ces objets , & par la légèreté avec laquelle il
les traitoit ; M. de Voltaire a auffi écrit fur les
Loix Criminelles. Mais rien de fi commun , de fi
foible & de fi peu réfléchi que fes penfées à
ce fujet. C'eft que Voltaire , né avec tant de fortes
d'efprit & de talent , avec tant de goût , qui avoit
acquis des connoiffances fi variées , & qui avoit
dans le fond du coeur , l'amour de l'humanité &
la haine de l'oppreffion ; Voltaire n'eut jamais ni
ce befoin de méditation qui nous applique tout
entier fur un objet , ni cet amour du vrai qui rend
l'attention plus vive & plus févère , ni cette fage
inquiétude d'efprit , qui nous oblige à procéder
toujours par le doute & l'examen. Il lui
manquoit auffi ce caractère ferme & conféquent ,
pour qui la vérité refte toujours à la même place.
Je fais qu'il a peint quelquefois avec des couleurs
fortes , une nature libre , pure & auftère :
mais ce n'étoit-là , pour lui , qu'un beau poétique .
Il mefura toujours les progrès de la Civilifation fur
ceux des Arts , & il prit la parure de la Societé pour
fon bonheur. Il s'eft trouvé dans fon fiècle , & à
côté de lui , un homme moins étonnant peut- être
mais bien plus augufte pour la postérité & pout nousmêmes
, qui a été fon contrafte en tout , par le caractère
, par les principes , par le genre même des
beautés dans le ftyle ; & il n'a fu ni apprécier le
génie , ni refpecter la perfonne de ce puiffant &
glorieux rival . Gardons-nous de l'imiter dans for
injuftice envers tant de grands-hommes , Convenons
DE FRANCE. 75
que, né avecune ame paffionnée, uneimagination brillante
, une facilité prodigieufe , un fens exquis , le
don de la diverfité dans les talens , le courage de
tout facrifier à fa gloire , & placé dans un fiècle enrichi
des chef-d'oeuvres de tous les fiècles , & qui com
mençoit à joindre à toute la fplendeur des Arts perfectionnés
, les grandes méditations de la Philofophie,
il a fait des Ouvrages de génie dans plus d'un genre ;
qu'il frappe par plufieurs efpèces de beautés , dont
le fecret a commencé & fini avec lui ; qu'il a fur -tout
pour mérite diftinctif , celui d'avoir jeté dans la
Poéfie une morale augufte & touchante ; & qu'en général
, il a bien vu tout ce que la raiſon peut faifir
du premier coup - d'oeil . Mais ofons dire auffi qu'il
a été médiocre dans tous les travaux qui exigent une
ame recueillie , un jugement que rien ne peut ni féduire
, ni corrompre , & l'habitude d'une difcuffion
exacte & profonde.
Cette revue des Ouvrages qui ont traité de la Juftice
Criminelle , nous a fait oublier depuis longtemps
le Livre de M. de la Croix ; l'ordre des épo
ques nous y ramène. Il aime affez fon fujet pour
nous pardonner d'en avoir fait F'hiftoire , & pour fe
contenter de n'y occuper qu'un chapitre . M. de la
Croix annonce , dans un court Avertiffement , qu'il
ne fait encore qu'effayer l'intérêt du Public pour
fon travail , & il n'en préfente que des morceaux.
Il a un chapitre fur les Crimes en général , deux fur
Jes Peines , deux fur les Prifons , un fur la Queftion ,
un fur les Juges , un fur le Vol Domestique. Voilà
quels font , jufqu'ici , les objets fur lefquels il offre
des fragmens au Public : il paroît defirer & attendre.
le jugement des Jurifconfultes & des Gens de Lettres
fur ces Effais ; nous lui préfenterons le nôtre,
uniquement pour répondre à ſa confiance .
Il feroit facile de citer ici des morceaux de fon
Dij
76. MERCURE
Ouvrage , dont les idées & le ftyle intéreſſeroient
les Lecteurs ; mais rarement de courtes citations fontelles
affez connoître un Ouvrage Philofophique.
D'ailleurs , l'étendue de nos réflexions préliminaires
nous oblige de refferrer cet Extrait ; & c'est même
beaucoup mieux fervir M. de L. C. que de renvoyer
les Lecteurs à fon Livre. Nous pouvons leur promettre
qu'ils y trouveront des principes humains
, des vues judicieufes & utiles . L'Auteur a
adopté une manière de traiter fon fujet trèsheureufe
, pour y être toujours vrai & intéreffant ;
il cite , autant qu'il le peut , des Procès Criminels
relatifs aux queftions qu'il difcute. Son ſtyle n'a
rien de pénible & d'abftrait , ce qui eft un des défauts
les plus voifins des Ouvrages de ce genre ; toutes
les espèces de Lecteurs peuvent le lire & l'entendre
; & c'eft un avantage qui n'appartient pas
à tous
les Livres. Mais on defireroit fouvent plus de mé→
ditation dans les idées , & plus de févérité & de
fimplicité dans le ftyle.
Le chapitre fur le Vol Domeftique , & celui fur
Ja Subornation, ont des droits particuliers à l'attention
des Lecteurs, Celui fur la Queftion exigeoit de
grands efforts , parce que ce fujet a déjà été fupérieurement
difcuté par M. le M. de Beccaria . Mais
ceux fur les Prifons en général , & fur les Priſons
d'État , nous paroiffent les plus frappans par des vues
& des faits utiles ; ils révèlent des myftères affreux ,
qui ne peuvent plus fubfifter , dès qu'ils font connus
des bons Rois & des bons Miniftres. Le coeur du
Prince qui nous gouverne s'eft déjà ému plus d'une
fois fur les misères de ces lieux de défolation , & le
Miniftre des Finances a déjà employé au foulagement
de ces misères quelques fraits de ce fyftême d'économic,
qui n'eft qu'une fagefle dans les particuliers ,
mais qui eft la plus utile des bienfaisances dans les
DE FRANCE.
ל ד
Gouvernemens, parce qu'il détruit des maux de toutes
espèces , & qu'il prépare & affure tous les projets
du bien. Ce tableau de l'intérieur des pri
fons ne peut être trop offert à notre fenfibilité , toujours
aufli prête à oublier les calamités extrêmes
qu'à s'en révolter. Dans ces chapitres , la difcuffion
& le ftyle de l'Auteur s'élèvent & s'annobliffent.
Voilà jufqu'ici tous les Ouvrages écrits fur la Juftice
Criminelle. Ils ont glorieufement ouvert une carrière
qui reste encore toute entière à parcourir. Une
Societé de Philofophes , amis du bien public , a propofé
, depuis trois ans un Prix pour cet Ouvrage :
elle n'a pas encore adjugé ce Prix ; il faut du temps,
ainfi que de grands talens , pour le mériter . Mais
>
aucun Gouvernement n'a encore follicité fur , cet
objet les lumières & les fecours des Jurifconfultes &
des Philofophes ! Cependant, prefque tous les États
de l'Europe fentent la néceffité de réformer leurs Loix
Pénales : dédaigneroient- ils la difcuffion publique ?
mais n'a-t-elle pas toujours été , après l'expérience ,
la meilleure fource des bonnes Loix ? Ne feroit- il
donc pas dans les Barraux & dans la Littérature des
efprits dignes de feconder les vues de la Légiflation
? & que ne feroient- ils pas avec un bat fi noble ?
On n'a pas encore effayé tout ce que pourroit fur les
premiers Écrivains d'une Nation , la majefté des
récompenfes publiques. Quel Gouvernement votdra
s'honorer par cette confiance dans les travaux
du génie ? C'est à ma patrie fur-tout que j'ofe adref
fer cette invitation : je vois autour du Trône des
hommes que la renommée de leurs écrits avoit défignés
pour les places qu'ils occupent ; j'en vois d'autres
qui étoient dignes d'éclairer leur pays , comme de le
fervir. Je vois fur le Trône un Prince à qui l'on ne
peut propoſer trop de moyens de connoître & de
Dij
78 MERCURE
faire le bien combien celui - ci mériteroit d'être
adopté par fa fageffe ! Quelle manière plus fimple ,
plus noble , plus paternelle de préparer les loix ! Il
fut un pays où le voeu que j'expoſe ici étoit une
loi de l'État. Quoi de plus augufte & de plus touchant
que cette proclamation que l'on entendoit à
Athènes , dans les jours les plus folennels : Que tout
Citoyen qui a des vues utiles, monte à la Tribune , &
vienne parler au Peuple ! *
PROJET , Plan & élévation d'un monument
confacré à l'Hiftoire Naturelle, accompagné
d'un Difcours en explication , dédié à M. le
Comte de Buffon , par Charles- François
Viel , Architecte. A Paris , chez l'Auteur ,
rue S. Jacques , maiſon neuve à côté de
l'Eglife de S. Jacques - du - Haut-Pas . Prix ,
4 liv
CE Projet , conçu avec fageffe & avec
goût , ne peut que faire le plus grand honneur
à M. Viel , dont les talens font déjà
* On a oublié de parler , dans cet Extrait , d'un Dif-
Cours intitulé : Vues fur la Juftice Criminelle , de M. le
Trone. Il préfente peu d'idées neuves , mais il explique
fort bien les principes fondamentaux de cette matière .
C'eſt un Ouvrage à lire. Il fuffit pour prouver que M. le
Trone étoit digne de traiter ce fujet en grand . Ses grands
Ouvrages fur l'Adminiſtration le prouvent encore mieux.
Il n'écrivoit pas avec éloquence , mais avec beaucoup de
Faifon & de goût. C'eft une véritable perte que la mort de
et eftimable & utile Écrivain .
DE FRANCE. 779
connus très - avantageufement des Artiſtes .
Le plan eft difpofe de la manière la plus
intelligente ; l'élévation eft d'un caractère
noble , fans aucun ornement fuperflu ; les
maffes du plan & de l'élévation tellement
combinées entre- elles , qu'elles fe font valoir
l'une l'autre , & qu'il en résulte l'effet le
plus impofant. Ce projet eft établi fur les
mêmes terreins qu'occupent le Jardin du
Roi & le Cabinet d'Hiftoire Naturelle , auxquels
on n'a fait que rapporter quelques
emplacemens contigus , & qui , pour la plupart,
n'étant pas bâtis , occafionneroient
de dépenfes pour leur acquifition.
peu
M. Viel a obfervé de placer en fon rang
chacun des objets relatifs à l'étude de l'Hiftoire
Naturelle , & par conféquent le Cabinet
, qui renferme le plus grand nombre de
› ces objets , y tient la première place . La
fageffe du Gouvernement ayant raffemblé ,
pour l'utilité publique, des Écoles qui intéreffent
la Phyfique , la Chimie , la Médecine
, la Chirurgie , ces différentes Écoles
trouvent dans fon Plan la difpofition qu'elles
doivent avoir. Chacune de ces Écoles, fondées
par le Souverain au Jardin du Roi ,
font préfidées par les hommes les plus célèbres
dans chaque genre. Tout le monde
connoît MM. d'Aubenton , Macquer
Petit , Lemonnier, Juffieu , Portal , & c . & c.
qui ont fuccédé aux Savans les plus illuftres.
attachés à cet établiffement . L'entrée de cet
>
Div
80 MERCURE
édifice eft placée fur la rue du Jardin du Roi!
Le grand axe de tout le Plan part de la rue
d'Orléans , & répond à la demie - lune
du Boulevard , du côté de la Salpétrière.
On entre d'abord dans une grande cour dif
tribuée en forme de parterre , qui conduit
au principal corps de bâtiment ; on y monte
par des terraffes & perrons deftinés à embraffer
& foutenir la façade du Cabinet
d'Hiftoire Naturelle . Ce Cabinet s'annonce
par un frontifpice de fix colonnes Corin-
Thiennes. Sous ce portique font placées deux
figures affifes , dont l'une pourroit être celle
du Savant Fagon , qui , le premier , a donné
une jufte idée de cet établiffement ; &
l'autre , celle de M. de Buffon , génie tutélaire
de cet immenfe dépôt , fruit de fes études ,
de fes recherches & de fes veilles.
L'intérieur du Cabinet eft diftribué en
trois falles qui aboutiffent au même point
de centre. Če nombre de falles répond aux
trois règnes de la nature. On y verroit la
progreffion graduée de tous les êtres fortis.
de fon fein , & les nuances imperceptibles.
qui féparent les différens genres de les productions.
Des galeries ouvertes conduifent d'une
part aux ferres , & de l'autre à l'amphithéâtre
: c'eft- là que nos plus célèbres Anatomiftes
, le fcalpel à la main , découvriroient
à nos yeux le mécanifme admirable
des refforts qui nous font mouvoir . Dans ce
DE FRANCE. * t
même amphithéâtre , les plus habiles Chimiftes
, Phyficiens & Minéralogiftes , nous
dévoileroient les fecrets les plus cachés de
la nature , & les découvertes les plus furprenantes
& les plus utiles pour l'humanité.
Un Jardin de Botanique à côté, renfermeroit
les plantes ufuelles. On verroit dans les
ferres , les plantes des régions les plus éloignées
& des climats les plus oppofés à notre
température , conferver leur sève & leur
vigueur. De ces ferres on pafferoit à de
nombreuſes plantations , où les fimples &
les arbuftes que produifent nos campagnes ,
feroient placés par ordre , pour l'inftruction
de ceux qui en étudient la nature & les
propriétés
M. Viel a fu tirer avec tout le goût & l'intelligence
poffibles , le parti le plus avanta
geux de la montagne qui exifte dans l'emplacement
actuel. Dans fes cavités font
pratiquées des portions hémi- circulaires
diftribuées en loges pour les animaux les
plus feroces. Sur fon fommet , des volières:
vaftes & élégantes réuniroient les oiſeaux
des espèces les plus rares. Les bêtes fauves ,
les animaux étrangers , feroient raffemblés
dans des ménageries fermées de grilles , pla
cées des deux côtés de la montagne. Des
canaux & des baffins y conferveroient des
poiffons inconnus à nos climats , & les
oifeaux aquatiques des pays les plus loin
tains,
Dv
$2 MERCURE
L'École des fimples eft placée au- delà du
Cabinet ; un grand baffin fournit les eaux
néceffaires pour arrofer les plantes ; des
deux côtés s'élèvent des talus propres à recevoir
l'école des arbres & des arbustes ; ces
talus font adoffés à des terraffes fervant de
promenades , d'où on domine fur la totalité
du Jardin .
De fimples foffés féparent cette partie du
Jardin de celle deftinée aux pépinières ; on
palleroit dans l'une & l'autre par le moyen
de ponts placés à différentes diſtances. La
pépinière du midi , où ferpenteroit la rivière
de Bièvre , dite des Gobelins , contiendroit
les arbres qui croiffent dans l'humidité ; on
placeroit dans la partie du nord tous les
arbres qui fe plaiſent dans des terres plus
arides.
C'est au milieu de cette piquante variété,
que l'oeil du fpectateur fuivroit la nature
dans fes diverfes productions ; c'eſt-là que
le Naturalifte pourroit méditer , fuivre &
faifir avec le plus grand fuccès toutes les
nuances qu'elle peut lui préfenter dans un
état de mouvement & de vie. C'eft- là enfin
que l'Artifte lui-même trouveroit des reffources
qui manquent ordinairement à fes
études. Il y apprendroit à perfectionner fon
talent , en rapprochant l'art de la nature
dont il faifiroit l'efprit avec plus de facilité
dans des êtres pleins de vie & d'expreffion.
Ce monument , qui paroît très- compliqué
DE FRANCE. 83
par la multitude d'objets qu'il raffemble , &
de connoiffances qu'il procure , n'eft pas
d'une exécution difficile & ruineufe. Beaucoup
d'édifices élevés à grands frais parmi
nous , offrent une utilité moins générale.
Nous ne pouvons que former les voeux les
plus ardens pour fon exécution , & pour
voir M. de Buffon chargé de le conduire
à fa perfection. C'eſt au zèle & aux
connoiffances de ce grand homme , fecondés
par le Gouvernement , que le Cabinet
d'Hiftoire Naturelle , dont il eft le créateur ,
doit tout fon éclat. On l'a vu , en peu d'années
, acquérir journellement de nouvelles
richeffes , par les morceaux précieux que les
Naturaliſtes s'empreffoient d'y envoyer des
quatre parties du monde , comme un hommage
qu'ils rendoient à l'homme illuftre qui
y préfide. C'eft à fon génie , à fes recherches
, que notre fiècle eft redevable des progrès
rapides qu'on a faits dans l'Hiftoire Naturelle.
Philofophe profond & Écrivain
fublime , il a fu réunir dans fes Ouvrages
l'élégance & l'harmonie d'un ftyle enchanteur
, à l'éloquence la plus noble & la plus
perfuafive. Son Hiftoire Naturelle brille ,
dans mille endroits, de détails préſentés d'une
manière fi intéreffante , que l'étude de cette
fcience fi aride & fi sèche en elle-même , eft
devenue par-là piquante & inftructive pour
toutes les claffes des Lecteurs.
D vj
84
MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nous
ous nous préparions à rendre compte
de la Veuve de Cancale , Parodie de la Veuve
du Malabar , repréfentée pour la première
fois le Mardi 3 Octobre ; quand nous avons
lu dans le Journal de Paris une Lettre par
laquelle l'Auteur , en prévenant le Public
que fon Ouvrage n'étoit point deſtiné à être
repréfenté fur le Théâtre Italien , déclare
qu'il s'occupe de changemens & corrections:
capables de lui donner des droits , finon aux
fuffrages , au moins à l'indulgence des Spectateurs
d'un goût délicat . En conféquence
de cette annonce , nous attendrons qu'il en
ait été donné une repréſentation qui puiffe
déterminer abfolument notre critique out
nos éloges..
VARIÉTÉ S.
ON a imprimé dans quelques . Gazettes Étran--
gères , que dans l'Affemblée publique de l'Académie
Françoife , tenue le 25 Août dernier , il s'étoit élevé .
entre les Académiciens une difpute violente fur la
Mufique de M.. Gluck. Toutes les perfonnes qui ont
DE FRANCE.
affifté à cetre Séance , & qui étoient en très-grand
nombre , favent combien ce fait eft faux & abfurde.
On peut même affurer , que jamais dans aucune
Séance de l'Académie , foit publique , foit particulière
, il n'a été queftion de la Mufique de M. Gluck ,
fur laquelle d'ailleurs les Académiciens peuvent n'être
pas du même avis. Voyez dans le Mercure du 2.
Septembre le détail de la Séance du 25 Août.
LETTRE de M. D'ALEM BERT aux
Rédacteurs du Mercure.
&
ON vient , Meffieurs , de me faire voir une Brochure
dont j'ai parcouru quelques pages , & qui a
pour titre Rouffeau Juge de Jean- Jacques . L'Auteur,
quel qu'il foit ( car peut- être eft- ce un ennemi
de feu M. Rouffeau ) paroît avoir la tête fort dérangée
; tous ceux qui ont lu cette Brochure en conviennent
; mais c'eſt un malheur dont il ne faut que
le plaindre , & dont il ne s'agit point ici . Je ne veux
vous parler que d'une Note inférée à la page 27,
où cet Écrivain fait entendre , fans ofer le dire exprefément
, que mes Élémens de Mufique ont été.
faits d'après les Articles fournis à l'Encyclopédie par
M. Rouffeau. Un mot d'eclairciffement mettra le
Public à portée d'apprécier cette infidieufe accufa
tion. 1º. L'Auteur de la Brochure convient que les:
Articles de Mufique , fournis à l'Encyclopédie par
M. Rouffeau , ne m'ont été remis qu'en 1750. Or
en 1749 j'avois donné à l'Académie des Sciences un
extrait fort détaillé ( & imprimé la même année )
de la Théorie de M. Rameau ; extrait dont mes
Élémens de Mufique ne font que l'extenfion ; car ces
Elémens , comme l'annonce le titre même de l'Or
$6 MERCURE
;
vrage , ont pour unique bafe les principes de ce
célèbre Artifte. 2 ° . M. Rouſſeau , dans fes Articles
de Mufique , a très-fouvent paflé ces principes fous
filence , ou n'en a guère fait mention que pour les
combattre il les avoit d'abord fort approuvés ;
mais il changea d'avis , depuis une querelle qu'il eut
avec le Savant Muficien * . Je me fuis cru obligé de
fuppléer , à la fin même des Articles de M. Rouffeau
, à ce qu'il n'avoit pas dit , ou de repouffer les
coups qu'il portoit , felon moi très -injuftement , à
M. Rameau ; & ces additions font toutes défignées
par ma marque diftinctive. Mon Ouvrage n'eft donc
point fait d'après les Articles dont il eft queftion ,
puifqu'il renferme une doctrine qui très-fouvent ne
s'y trouve pas , & quelquefois une doctrine contraire.
3º . On ajoute , dans cette même Note dont
je me plains , que la feconde édition de mes Élémens ,
à laquelle j'avois fait quelques additions , a paru en
1768 , immédiatement après le Dictionnaire de Mufique
de M. Rouffeau. Or cette feconde édition ,
où je n'ai pas changé un mot depuis , eft de 1762 ,
fix ans avant l'impreffion du Dictionnaire de Mufique.
Mais ce qu'il y a ici de plus fingulier , c'eft
que dans ce Dictionnaire , à l'Article Mode , p. 288 ,
M. Rouffeau cite un long paffage de mes Elémens ,
qui ne fe trouve que dans la feconde édition ; preuve
incontestable , fi je ne me trompe , que cette édition
a précédé le Dictionnaire , & que M. Rouffeau
* M. Rameau avoit dit publiquement que dans un
Opéra de M. Rouffeau , qui n'a point été repréſenté , les
meilleurs airs étoient pris des Italiens , & les autres , l'ouvrage
d'un Ecolier. Cette affertion , bien ou mal fondée ,
ulcéra vivement M. Rouffeau contre M. Rameau , dont
il avoit été juſqu'alors très-zélé partiſan,
DE FRANCE
eft l'Auteur de la Note , fa mémoire l'a bien mal
fervi. Il me paroît difficile de répondre à ces faits &
à ces dates. J'ajouterai que ce même M. Rouffeau ,
qui, dans fon Dictionnaire , m'honore en plufieurs endroits
de fes éloges , n'y fait entendre nulle part que
mes Élémens ayent été faits d'après lui : il favoit
trop bien le contraire ; & il a fallu attendre ſa mort
pour lui faire dire ou imprimer cette fottife . Quant
à la prétendue offre que j'ai faite à fon Libraire
( & qu'il n'a pas acceptée ) de corriger les épreuves
de fon Dictionnaire , c'eſt un fait que je ne me rappelle
nullement , & dont mon Accufateur pourroit
bien n'être pas plus sûr que de l'antériorité du Dictionnaire
à la feconde édition de mon Ouvrage ;
mais il eft clair que cette offre , vraie ou fauffe,
refufée , dit-on , par le Libraire , ne fauroit prouver
le plagiat qu'on me reproche fi légèrement & fi
gratuitement.
Je ne réponds jamais , Meffieurs , à ce qu'on imprime
contre moi , je ne prends pas même la peine
de le lire ; mais le nom de M. Rouffeau , mis à la
tête de la Brochure dont il s'agit , ma paru mériter
une exception.
Je fuis , & c.
A Paris , le 29 Septembre 1780.
D'ALEMBERT.
88 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
REPONSE de M. CAROUGE DES
JE
秉
"
BORNES , à la deuxième Question qui
lui a été faite relativement au Chauffage
Économique.
E crois , Monfieur , avoir fatisfait à votre première
Queſtion , par ma Lettre inférée dans le Mercure
du 26 Août dernier , N ° 35. J'y démontre
qu'en France les mines de Charbon font abondantes
, qu'elles font en grand nombre , qu'elles
nous offrent fur ce point d'économie domeftique des
reffources inépuifables . Nous n'avons point , commė
autrefois certains Savans , differter fur la dent
d'or qui n'exiftoit pas , & dont il eût fallu d'abord
conftater l'existence . Je ne vous parle que du Charbon
, matière moins brillante que l'or , mais plus
néceffaire. Je vous ai raffuré fur la crainte d'en
manquer , dans le temps même où le bois vous manque.
Il vous refte d'autres objets de follicitude.
Vous me demandez , en fecond lieu « fi on peut
épurer le Charbon dans toutes les Provinces du
» Royaume , ou fe le procurer dans toures après
l'épurement ? »>
"3
D
Je me hâte de répondre à cette feconde obfervation.
Elle n'eft pas moins effentielle que la première
, & bien des perfonnes la regardent comme
plus épineufe. J'espère les tranquillifer encore , ainfi
que vous , Monfieur , fur ce nouvel article.
J'avouerai d'abord , ( car il faut être de bonnefor
, fur tout en matière économique ) j'avourai ,
DE FRANCE. 89
dis-je , que toute eſpèce de Charbon foſſile n'eft
pas également fufceptible d'être épuré.
Il y a tel Charbon de Terre qui , dans le fourneau
d'épurement , fe convertit en une cendie rouge.
Celui-là n'eft guères propre qu'à cuire la chaux. Il
fe trouve fur les bords du Rhône , fur les confins
du Languedoc , du Dauphiné , & dans toute l'étendue
de la Provence. Il eft vrai que dans cette dernière
Province , & particulièrement à Marseille , on
l'adapte auffi à l'ufage de différentes Manufactures ;
mais il donne moins de chaleur que le Charbon
Maréchal; nom qui fignifie un Charbon propre à
forger & à fouder.
Celui- ci , en général , eſt jugé ſuſceptible d'épurement.
Il y a pourtant des exceptions à faire , & je
ne les fais que d'après nombre d'expériences. J'ai
reconnu , dis-je , que dans certaines Provinces , dans
le Dauphiné fur- tout , le Charbon Maréchal , aufitôt
qu'on effaye de l'épurer , fe pulvérife , fe diffout
en grains auffi menus que ceux du fable : effet contraire
à celui de l'épurement , qui devroit être de les
réunir.
Que la Provence & le Dauphiné fe raffurent cependant.
Elles ne manqueront point de Charbon.
épuré , quoique celui qu'elles produiſent foit peu
favorable à cette opération. Elle réuffit parfaitement
fur celui du Lyonnois & d'une partie du Languedoc.
L'un & l'autre fuppléeront fans peine à ce qui manque
fur ce point au Dauphiné ainfi qu'à la Provence ,
deux Provinces qui leur font limitrophes.
J'ai parlé dans ma première Lettre des mines du
Forêt & de la Bourgogne. Leur fécondité eft remarquable
; mais tout le Charbon qu'elles produifent
n'eft pas également fufceptible d'épurement . Il eft
contrarié par les parties terreufes qui fe mêlent trop
fouvent au Charbon du Forêt : inconvénient qui
réfulte de la mauvaife exploitation des mines. de
30 MERCURE
cette contrée. J'ai déjà dit qu'elles ne font , pour la
plupart , ouvertes qu'à la fuperficie. Le mal ne feroit
donc pas incurable , mais l'abus pourroit bien le
devenir .
La Bourgogne eft mieux tenue. Cependant , de
toutes les espèces de Charbon foffile qu'elle produit ,
on n'a foumis encore à l'épurement que celui du
Mont Cenis. Une partie de ce Charbon , c'eſt - àdire
, celle qui fe réduit en pouffière , ne s'épure pas
toutefois fans quelques difficultés . Si ces molécules
étoient graffes , l'épurement les rapprocheroit ; elles
finiroient par faire corps & former des morceaux
d'une confiftance à peu- près égale à celle des autres
parties qui font reftées entières ; mais le Charbon
de Mont-Cénis eft naturellement fec ; fa pouflière
ne peut s'épurer que difficilement ; elle n'eft' que foiblement
unie ; & dès -lors il eft embarraffant de la
tranfporter au loin . Elle fert d'aliment aux forges
voifines. Quoi qu'il en foit , la mine eft fi abondante
, les parties folides qu'on en retire font en fi
grande quantité , que cette mine pourroit , d'un côté
par la Seine , & de l'autre par la Loire , approvifionner
un cinquième du Royaume.
Les Charbons du Rouergue & du Limouſin peuvent
s'épurer en total . Je vous ai fait connoître l'extrême
fécondité de ces mines . J'ai ajouté qu'elles
pourroient , à elles feules , fournir de Charbon
épuré toutes les côtes de l'Océan & de la Méditerrannée.
Il vous eft facile maintenant d'apprécier
toute l'importance d'une telle reffource.
L'Auvergne fut moins avantageufement traitée
par la Nature ; fon Charbon terreux ne peut être
purifié qu'à force de dépenfes . Tout annonce que
I'afage du Charbon brut reftera héréditaire dans
cette Province , à moins qu'elle ne ſe détermine à
puifer le Charbon épuré chez les voifins . Le Limouſin
lui en offre d'excellent , le Bourbonnois encore de
DE FRANCE.
meilleur. Celui -ci eft d'une qualité fi favorable à
l'épurement , qu'il n'a peut -être point d'égal dans
l'Europe entière. C'eft le même qu'on a réſervé
pour l'approvifionnement de Paris. On peut fe le
procurer dans cette Capitale avec autant de facilité
que de promptitude.
Nul moyen , ou des moyens trop difpendieux
pour épurer le Charbon du Nivernois , de la Touraine
& d'une partie de la Bretagne. Au refte , ces
trois Provinces peuvent trouver ce qui leur manque
à cet égard , dans les mines du Mont - Cénis & du
Bourbonnois. La communication eft ouverte , & le
tranſport bien praticable.
CR
Je vais fans doute vous étonner , Monfieur ,
vous annonçant que la vafte Province de Normandie
paroît n'offrir , du moins jufqu'à cejour , aucun
Charbon de Terre capable d'être purifié. Elle eſt
fi étendue , qu'on peut efpérer encore de nouvelles
découvertes fur ce point. En attendant , elle a bien
des moyens d'y fuppléer. Le Forêt , le Bourbonnois ,
la Flandre , font en état de lui faire oublier la difette
qu'elle éprouve.
Tous les Charbons de la Flandre peuvent être
parfaitement épurés. Quant à ceux de la Lorraine ,
il
y a plus de vingt ans qu'on les épure avec ſuccès.
Je ne vous ai rien caché , Monfieur. C'eſt la franchife
qui a conduit ma plume. Vous connoiffiez nos
befoins ; vous connoiffez maintenant toutes nos - reffources.
Peut-être defiriez-vous que le Charbon de
toutes nos Provinces fût également fufceptible d'être
´épuré. Je le voudrois bien auffi ; mais raſſurez- vous :
la France en renferme une affez grande quantité
pour n'en manquer jamais , & pour en fournir
même à fes voisins.
Il ne me refte plus qu'à vous faire connoître les
propriétés de ce comeftible. Ce fera l'objet de ma
troifième Lettre , & en même-temps la réponse à
92
MERCURE
votre troifième queſtion . Mais cette Lettre le fera
un peu plus attendre que mes deux premières. Je
pars fous peu de jours pour aller faire une tournéc
dans les forges de deux Provinces , où je fuis attendu
. Là , je ferai plus occupé d'expériences que
d'argumens ; car enfin , Candide n'avoit point tort :
il ne fuffit pas de bien raiſonner , il faut encore
bêcher le jardin.
Je fuis , &c.
ANECDOTES.
I.
MADAME DE MAINTENON philofophoit un
jour chrétiennement devant plufieurs perfonnes
, fur le mépris qu'on devoit faire des
plaiſirs & des grandeurs de ce monde , qui
ne méritoient ni notre attachement ni les
peines & les foins que l'on prenoit pour les
acquérir ; foutenant que notre falut devoit
être notre unique étude, & qu'il n'y auroit que
dans le Ciel qu'on jouiroit d'un bonheur fans
bornes : M. le Marquis d'Aubigné , fon frère ,
qui étoit préfent , lui dit : il faut aſſurément
que vous ayez quelque prétention fur
Dieu le père.
I I.
Mde Du Gué , mère de Mdes de Bagnole
& de Conlange , difoit toutes fes Prières en
Latin . Mde de Coulange un jour lui dit
qu'elle feroit mieux de prier en François.
Oh! non , ma fille , lui dit- elle , quand on
entend ce que l'on dit , cela amufe trop.
**
1
DE FRANCE; 93
I I I.
S. Auguftin , dans fon Livre intitulé : la
Cité de Dieu , combat l'opinion de quelques
Théologiens qui enfeignent que les femmes
deviendront hommes après la réſurrection
des morts , prétendant que la grace Divine
doit alors achever ce que la Nature avoit
laiffé imparfair.
GRAVURES.
Les deux Modèles, Eftampe de feize pouces de hau- ES
teur fur vingt pouces de largeur , gravée d'après le
Tableau original de M. Leprince , Peintre du Roi ;
par de Longueil , Graveur du Roi. Elle fe vend chez
l'Auteur, rue de Sève , vis -à- vis la Fontaine de Incurables.
Prix , 12 liv.
par
Carte du Golphe du Mexique & des Ifles Antilles;
L. Denis . Geographe. A Paris. chez Baffet, Md.
d'Eftampes , rue S. Jacques , au coin de celle des Mathurins.
Prix , Il. 10 f.
Le Satyre Amoureux , Eftampe en couleurs ,
peinte par Carême , & gravée par Janinel. Prix ,
61. A Paris , chez les fieurs Campion , frères , rue
S. Jacques , à la Ville de Rouen.
1
La Privation Senfible , Eftampe gravée d'après
Greuze , par Simonet . Prix , 6 1. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Sept Voies , au coin de la rue des
Amandiers.
94
MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
EXPERIENCE
XPÉRIENCES fur les Végétaux , fpécialement
fur la propriété qu'ils ont à un haut degré , foit
d'améliorer l'air quand ils font au foleil , foit de le
corrompre la nuit , ou lorsqu'ils font à l'ombre ;
par M. Ingen Houfz , Médecin , &c. traduit de
l'Anglois par l'Auteur . V. in- 8 ° . Prix , 41. 4 f. br.
A Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur-Libraire,
quai des Auguftins.
-
On trouve chez le même Libraire , les Principes
des Accouchemens , par M. Baudelocque , traduits en
Hollandois. Vol . in-8 ° . Prix , broché, 2 1. 8 L.
Collection des Opufcules de M. l'Abbé Fleury,
in-8° . Tome premier , contenant les moeurs des
Ifraëlites & des Chrétiens , les devoirs des Maîtres &
des Domeſtiques , le Soldat Chrétien & les deux Catéchismes
hiftoriques. A Nifmes, chez P. Beaume , Imprimeur
du Roi. Voyez le Profpectus concernant les
OEuvres Complettes de cet Auteur , au Nº . 35
Mcrcure.
du
Hiftoire des hommes, Tomes V & VI de l'Hiftoire
Ancienne , & Tome IV de l'Hiftoire Moderne. A
Paris, chez M. de la Chapelle, rue Baffe du Rempart,
porte S. Denis.
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cales Ouvrage pofthume de M. Simon , mis en ordre
& confidérablement augmenté par M. Hévin,
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Militaires , &c . &c. Vol. in- 8 ° . prix 7 1. relié, A
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95
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françoife. in 12. Tome XVI. A Paris , chez les Editeurs,
rue de la Juffienne, & chez Mérigot le jeune ,
quai des Auguftins .
Jofephi Quarin Methodus medendarum inflamma
tionum. Vol. in- 12 . Prix , 2 1. A Faris , chez Méquignon
l'aîné , rue des Cordeliers.
Mémoire fur l'Electricité Médicale , & l'hiſtoire
du Traitement de vingt Malades traités , & la plupart
guéris par l'Électricité ; par M. Mufars de Cazèles
, Médecin à Toulouſe. Broc. in - 12 . Prix , 18 f.
A Paris , chez le même Libraire.
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Traité de l'Origine & du Progrès des Charges de
Secrétaires d'État , pour fervir d'éclairciffement à
quelques points particuliers de l'Hiftoire de France ,
par M.... Vol. in - 12 . Prix , 14 f. A Paris , chez
Lami , Libraire , quai des Auguftins. On trouve chez
le même Libraire , une réimpreffion du Traité de
Guillaume Poftelfur la Loi Salique.
Mémoires de Bigobert Zapata , publiés par M. de
Lignac. 2 Parties , in- 12 . Prix , 21. 8 f. A Paris ,
chez Laporte , Libraire , rue des Noyers.
La Religion prouvée aux Incrédules , avec une
Lettre à l'Auteur du Systême de la Nature , par un
homme du Monde , in- 8 ° . A Paris chez Debure
quai des Auguftins.
Mémoires Secrets , tirés des Archives des Souverains
de l'Europe , depuis le règne de Henri IV.
Ouvrage traduit de l'Italien, in-12 ; parties 39 & 40 .
A Paris chez Baftien , rue du Petit-Lion,
Obfervations Théoriques & Pratiques fur la Ma96
MERCURE
ladie Epidémique de Montfort-l'Amaury , par M. de
Montplanqua, Docteur en Médecine. V. in 12. Prix,
20 f. A Paris , chez Didot le jeune , quai des Auguſt.
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Effai fur les moyens d'abolir la Mendicité dans
tous les Pays. Tome 1 in-12 . Prix , 1 1. 4 f. A
Rouen, chez Boucher, rue Ganteric, & A Paris , chez
Durand , rue Galande.
Effai fur les Diagonales , par M. le Marquis de
Culant , Seigneur de Ciré , in 4° . A Paris chez
d'Houry , Libraire , rue de la Bouclerie.
Chef-d'oeuvres d'Eloquence Poétique, à l'uſage des
jeunes . Orateurs , ou Difcours François tirés des Auteurs
Tragiques les plus célèbres , fuivis d'une Table
raiſonnée , dans laquelle on définit & l'on indique
les différentes figures qui s'y rencontrent. Vol.
in-12 . Prix , 3 1. rel. A Paris , chez Nyon , Libraire ,
rue du Jardinet.
TABLE.
REPONSE à l'Epitre de relle ,
M. l'Abbé Dourneau,
Elégie à mon Ami ,
Les Perdrix , Conte ,
Romance ,
Enigme & Logogryphe ,
49 Comédie Italienne ,
ST Variétés "
78
84
ib.
52 Lettre de M. d'Alembert , 85
58 Réponse de M. Carouge des
·59 Bornes ,
RéflexionsPhilofophiques , &c. Anecdotes ,
62 Gravures .
Projet d'un Monument con- Annonces Littéraires ,
facré à l'Hiftoire Natu-
J:
APPROBATION.
88
92
93
94
le A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Mercure de France , pour le Samedi 14 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
Le 13 Octobre 1780. DESANCY.
MERCURE
savo alla not bosaniganggulo , piz
DE FRANCE.
Anol sup LOT 95
Mouvido
aoliom ast
SAMEDI 21 OCTOBRE 1780 .
m & l . ut sa !
PIÈCES FUGITIVESCE
allix ) L'op lps
EN VERS ET EN PROSE
LA FEMME - ENFANT , on Dialogue
entre une jeune Fille qui fort du Couvent
"&fon Mariprétendu.
MONDOR, (feul, à part. 4
SE marier, c'eft entreprendre
Un grand ouvrage Hélas ! je l'éprouve en ce jour.
Époufer eft fort bon . Oui : mais comment s'yprendre ?
Beauté trop jeune ignore encor l'amour 5
Elle le connoit trop dans un âge moins tendre.
"Avant de faire un choix , en vain vous y penſez.
$
Le hafard trompe le plus fage ;
Et je crois qu'une femme , en fait de mariage,
En fait toujours ou trop , ou pas affez.
Sam. 21 Octobre 1780. E
MERCURE
EULALIE , ( à part , en entrant. Y
Au Couvent aujourd'hui je voudrois bien écrire.
Mais je n'ai pas , je crois , de nouvelle à leur dire,
Ah ! j'oubliois qu'on va me marier.
Je ne fais , ce grand mot auroit dû m'effrayer ,
Et cependant il me fait rire.
MONDOR ( de même. )
Eulalie eft bien jeune ! on me fait eſpérer,
Mais l'amour eft encore étranger à ſon ame ;
Et ( ce qui femble fait pour me défeſpérer )
Ce qu'elle ne fent pas , elle fait l'infpirer.
Lorfque plus tendrement je fais parler ma flamme ,
Je plais , fans la toucher. C'eſt à me rendre fou.
Elle prend un mari , comme un nouveau joujou ,
Je l'apperçois. Quoi ! dans la rêverie !
Elle!
EULALIE , ( toujours de même. )
Mais à propos , ma gageure ?
MONDOR , à part.
Qui vraiment
EULALIE à
• part.
C'en eft fait; fi l'on me marie ,
Il eft perdu pour moi , qui l'aimois tant !
MONDOR
મ
> à part.
Rêver eft du nouveau pour elle.
( haut. )
Je vous cherchois , Mademoifelle,
DE FRANCE
Vous rêviez , ce me femble ?
EULALI E
4
Ogi , quafi triftement,
40M ONDO R.
Vous m'étonnez , quel revers vous afflige ?
Auriez-vous donc perdu cet heureux enjoûment.
EULALT E.
Oh , oui ; da moins pour le moment ?
MOND OR à part.
Ah! fi l'amour avoit fait ce prodige !
(haut. )
Peut-on favoir ce grand événement ?
( à part. )
Dieu ! quel bonheur, fi je devine !
EULAL I E.
Je vous le donne en fix. Voyons.
MOND OR.
Le fentiment ,
Qui vous occupe & vous chagrine,
E nouveau?
EULALI E.
Très-nouveau.
MONDO R.
Ce n'eft pas un tourment
Bien vif?
EULAL I I.
Ok, pas abfolument.
EI
100 MERCURE
MONDO R.
Il vous fait rêver ?
EULAL I E.
Oui.
MONDO R.
Je commence à comprendre .
Un air trifte , inquiet , rêveur , de l'embarras ;
( gracieufement. )
C'eft de l'amour.
EULALIE
Vous n'en approchez pas.
MONDO R.
Vous n'en approchez pas ! l'expreffion eft tendre !
EULAL I E.
Eh bien , vous vous rendez , je crois ?
MONDO R.
Qui ; je m'éloigne trop , pour ofer y prétendre.
EULAL I E.
Au Couvent , mon amie & moi ,
Nous avions acheté , la femaine dernière ,
2.
Un perroquet charmant.... La mine la plus fière !
Le plus joli caquet ! Or , il fut convenu
Qu'il feroit à jamais perdu
Pour celle qui prendroit un époux la première.
MOND OR
J'entends , vous regrettiez votre perroquet.
DE FRANCE. ΤΟΙ
EULALI E.
Oui.
MONDO R.
Je l'avoûrai , jamais , fans une peine extrême ,
Je n'en euffe approché.
EULALI E.
Dans des momens d'ennui ,
Sije n'avois pas pu vous parler à vous- même ,
J'aurois pu caufer avec lui.
MOND OR à part.
Il faut rire avec elle , ou perdre patience .
( haut. )
Qui ; mais de ce rival j'aurois craint le
EULAL I E.
caquet.
Oh ! non ; vous auriez eu fur lui la préférence.
MOND OR à part.
Bon. Il faut bien la prendre & l'aimer comme elle eſt.
Heureux encor l'époux qui , durant fon abfence ,
N'eft remplacé que par un perroquet !
EULAL I.E.
Mais j'entre chez ma foeur ; adieu , l'heure m'appelle,
Vous reviendrez avant ce foir.
MONDO R.
Avant ce foir ?
EULAL I E.
Oh oui , je veux vous voir ,
E iij
102 MERCURE
Qu..... fuffit.
MONDOR, la reconduifant d'un air étonné.
A tantôt. Adieu , Mademoiſelle.
MOND OR , Leul
Sa phrafe eft claire , & je l'entends au mieux.
O Nature! Nature ! ah , fans doute.... Je veux.
Eft d'un fexe charmant la langue naturelle,
Avant que la raifon parle au coeur d'une belle ,
Sa bouche eft déjà faite à nous donner des lois ;
Avant de les connoître elle ufe de fes droits :
Régner eft un inftine paur elle.
VERS à Mlle DOLIGNY , à l'occafion
du rôle qu'elle a joué dans la Comédie
de l'Antipathie pour l'Amour.
SOUS
C
ous le rôle d'Adélaïde
... Et fi touchante & fi candide ,
Dont pour toi l'Auteur a fait choix ,
DOLIGNY , c'eft à ta perſonne
Qu'on applaudit depuis un mois ;;
Puis-je r'offrir quelque couronne
ཝ ཞ ‧ ཟླ
Après celle que tu reçois ?
Chez toi la vertu fuit la grâce,
Hé , quel triomphe eft plus brillant
Quand le lys des moeurs s'entrelace
Avec la palme du talent ?
1
(Par M. Lemière..)
DE FRANCE. 103
ELLE FIT BIEN , Conté.
HORTENSE n'avoit que quinze ans. A cet
âge on eft encore jeune. Mais fon efprit ne
l'étoit plus. Ce n'eft pas que le monde l'eût
formée elle fortoit à peine du Couvent.
Quelle école que le Couvent ! Comme vingt
jeunes Penfionnaires réunies enfemble vont
loin ! On diroit qu'elles ont une efpèce d'inf
tinct qui leur fait preffentir & deviner ce
qu'elles ignorent , & rarement elles fe trom--
pent ; inftinct charmant , qui leur apprend
toutes ces fineffes , ces efpiégleries & ce
manège enfin que fix mois d'ufage dévelop→
pent affez.
Pour ce qui eft de la trempe de fon efprit
& de fon caractère , Hortenfe étoit déjà bien
loin de la nature. Elle n'avoit plus que cet ef
prit & ce caractère que la lecture des romans
compofe aux jeunes Perfonnes . Elle en avoit
lu , grace à l'indulgence de la Tourière , de
toutes les espèces ; & fans connoître le
monde , elle étoit en état de deffiner dans fon
imagination le portrait d'un Lovelace oud'un
Grandiffon. Sa tête exaltée ne voyoit le bonheur
que dans l'amour , & voyoit l'amour
par - tout. Elle s'etoit paîtri un coeur à fa
manière , & ce cour- là devoit l'infpirer &
la conduire. Vous tremblez déjà pour elle .....
Raffurez-vous. Heureufement elle fe fit un
plan de conduite , fingulier à la vérité , uni-
E iv
104
MERCURE
que peut-être , & qui la préferva de bien
des faux- pas.
Je reviens au Couvent , & je n'oublierai
point le Parloir. Le Parloir influe plus qu'on
ne penfe far l'éducation des jeunes Penfionnaires.
Les tête- à têtes y font bien longs ;
tête- à-têtes de femme , notez bien. C'eft
une jeune Mariée à qui le mariage a appris
bien des chofes , & qui brûle de raconter
tout à fon amie. C'eft Lindor , que le Maîire
de Mufique a préfenté pour exécuter un
Duo. Lindor n'a pas dix- huit ans : il eft frais,
bien timide ; il ne dit rien , mais il fe laiffe
deviner. On n'ofe retirer la main fur laquelle
il bat en tremblant la meſure avec fon doigt,
& on ne peut fe défendre de ramaffer , en.
fortant, la Lettre qu'il a jetée à travers la
grille , de peur qu'une autre ne la life . C'eſt
une tante jeune , aimable , la plus malheu
teufe de toutes les femmes , abandonnée ,
& qui vient s'épancher au Parloir. Rien ne
s'y perd. Tout ce qu'on y dit fe grave profondément
dans des cerveaux dociles , &
devient la caufe de bien des infomnies. Les
Romans & les Parloirs avoient donc gâté
Hortenfe.
Renfermée dans un Couvent depuis l'âge
de dix ans , Hortenfe étoit tout au plus connue
de fa famille , & des amis de fa famille.
Parmi ces amis- là , il en eft qui ont toujours
une fille à propofer en mariage au garçon ,
ou un garçon à la jeune fille. Du moment
qu'ils font nés jufqu'à l'âge de leur entrée
DE FRANCE.
105
dans le monde , ils ne les perdent pas de
vue , & arrangent de loin le fufeau de leur
deftinée future. A point -nommé ces amislà
fe préfentent , & tout eft fi bien concerté,
qu'ils ne manquent jamais de réuffir; car
ils ont toujours dans la bouche ces termes
facramentaux : l'union eftfortable. Tout ce
manège , il eft vrai , n'a lieu que quand l'héritière
ou l'héritier font riches.
Un Confeiller d'État , qui avoit un fils taillé
complettement pour remplacer M. fon père ,
fut le premier à annoncer fes prétentions fut
Hortenfe. C'eft trop , dit-il à fon ami , retenir
Hortenfe au Couvent ; elle a vingt ans.
Il faut la rendre au monde : on dit qu'elle eft
bien.Le monde cependant eftbien contagieux !
Il feroit très- à propos de la marier. - On
fe doute bien qu'il propofa fon fils ; que fon
fils fut accepté , & que l'entrevue des jeunesgens
ne fut renvoyée qu'à la huitaine .
Hortenfe en fut prévenue , mit fa plus
belle robe , fe fit coëffer le plus élégamment
poffible. Mélidor (c'eſt le nom du jeune Confeiller)
avoit couvert fa longue taille d'un habit
de foie bien noir & bien moiré. Sa blonde
chevelure retomboit longuement fur fon long
dos . Il tenoit dans fes mains , avec des gants
blancs, un beau bouquet . Mélidor auroit bien
voulu jouer l'étourdi,fe permettre cefranc -parler
qui fiedfi bien fous le plumet & la cocarde ;
mais fous les yeux de fon père , & dreffé de
bonneheure à la fatigante monotonied'un cof-
Ey
гов MERCURE
tume férieux , il s'obfervoit fans relâche. Par
exemple, quand il étoit tenté de rire aux éclats,
il fe contentoit de fourire avec gravité . Il régloitjufqu'au
mouvement de fes yeux, & n'en
laiffoit echapper que des rayons lucides , qui
répandoient autour de fa perfonne un demijour
decent & magiftral. La même retenue
& la même gravité fe faifoient remarquer
dans fon allure , & tout ce qu'il difoit avoit
au moins le ton penfé ou penfif. Hortenfe ,
qui reffembloit à toutes les jeunes Perfonnes
qui reçoivent le mouvement qu'on veut bien
leur donner , parla avec réſerve , ne déve--
loppa point la moitié de fes grâces , & répondit
par monofyllabes . Elle étoit embar
raffée ; car la vifite d'un futur époux a quelque
chofe de bien embarraffant pour une
jeune Demoiselle . Elle reçut le grand bouquet
de Mélidor , l'attacha modeftement ,
avec un ruban , à fon côté gauche , & écouta
en rougiffant par intervalles . Son père ayant
jugé à propos de terminer la féance , la conduifit
dans un des coins du Parloir , & là ,
pour fatisfaire à l'ufage , il lui prit la main
la ferra , & lui dit : Ma fille , je ne veux
point vous voir malheureufe. Je n'imagine
point vous préparer des regrets en vous propofant
Melidor ; il eft riche . Et , fans atrendre
fa réponſe , il ajouta : Vous vous
convenez on ne peut pas mieux. Dans le
même moment, le Confeiller d'État avoit tiré
Mélidor à part. Je te félicite , mon fils ; elle
--
-
>
}
DE FRANCE. 107
.
eft charmante. Et fans lui donner le tems
de parler vous vous convenez à merveille.
Les deux pères s'embrassèrent auffi - tôt , -
en s'écriant : ces enfans font faits l'un pour
l'autre , l'union eft très -fortable. Ainfi le fort
d'Hortenfe & de Mélidor fut décidé , fans
qu'ils euffent été confultés , & on appela
cela une union fortable.
Le lendemain Mélidor ne manqua pas
d'envoyer à Hortenfe un billet & des fleurs .
Le billet étoit une fleur d'efprit. Mélidor
s'échappa de la table de fon père pour aller
caufer au Parloir avec Hortenfe . Cette feconde
vifite lui fut avantageufe. Une troifième
fuivit bien vite , & celle- là le fervit à
fouhait : il étoit en bottes , en frac , en chapeau
rabattu. Il avoit plus de foupleffe dans
fa taille , plus de grâces dans fon maintien ;
fa tête enfin difoit quelque chofe. Peu s'en
fallut qu'Hortenfe ne prêtât tout - à - fait
l'oreille. Mais elle avoit un plan , & déjà
elle avoit gagné un terrein immenfe , car
Mélidor avoit dit : je vous aime.
Le jour du mariage eft enfin arrivé. Hortenfe
époufe Melidor. Vous allez voir quels
moyens elle mit en ufage pour pouvoir être aimée
long- tems. Sans doute il n'eft pas à fouhai
ter que ces moyens foient employés fouvent,
mais il est bien vrai que les femmes feroient
en général des épouſes plus heureuſes. Je me
hâte de préfenter à mes Lecteurs la fcène que
j'ai à décrire.
Dans une falle richement meublée , où
E vi
10S MERCURE
s'élevoit un lit nuptial fuperbement paré ,
dont une jeune femme- de- chambre détachoit
en fouriant les rideaux , Hortenfe avoit
été conduite par Mélidor. Mélidor ( car enfin
il étoit époux ) fe préfenta le moment
d'après en robe-de- chambre. Hortenfe promena
fur lui des yeux étonnés , & lui dit avec
le fourire le plus gracieux : -Que prétendezvous
, Monfieur ? En vérité ceci me paroît
d'un fingulier... Ah ! du moins veuillez
permettre que nous ayions fait connoiffance.
- Mais, Madame.-Mais , Monfieur. - On
fe figure aifément la furpriſe de Mélidor. Il
tombe aux genoux d'Hortenfe ; prie, preffe...
Madame , l'hymen a des droits facrés : je fuis
bien éloigné de les réclamer ; mais quand
l'amour.... L'amour , dit Hortenfe en le
regardant avec les plus beaux yeux du monde
, je ne demande pas mieux. Aimez- moi ,
Monficur , aimons- nous , j'y confens ; mais
je vous préviens que je ne veux point reffembler
à toutes ces époufes qu'on aime
qu'on quitte , & qui , dupes d'une fatiété
qu'elles infpirent par trop de complaifance ,
font vraiment à plaindre. Oubliez , je vous
prie , que vous êtes mon époux , & tâchez
d'être mon amant. Voici mon appartement ,
cherchez ailleurs le vôtre . Quoi ! tour de
bon , Madame ! Un jour peut- être me
faurez - vous gré de cet arrangement.
-
-
- -
Mélidor fut contraint de fe retirer , & de
fe réfigner. Le lendemain il fe, préfenta de
bonne heure à la porte d'Hortenfe ; il n'étoit
DE FRANCE. 109
pas jour, Hortenfe lui fit faire mille excufes
, & lui annonça qu'elle ne recevoit perfonne
pendant qu'elle étoit dans fon lit.
Mélidor voulut avoir accès à fa toilette ; il
n'y eut pas moyen. Hortenfe n'avoit garde
de fe montrer fous un fi grand négligé , &
de découvrir tout ce qu'elle étoit forcée
d'emprunter à l'art .. Elle ne fut vifible pour
Mélidor que dans fon boudoir , & après que
toutes les glaces l'eurent raffurée fur le pouvoir
de fes charmes & l'effet de fa parure.
Elle reçut fon époux comme une aimable.
connoiffance dont on veut faire fon ami ; &
pendant qu'elle brodoit au tambour , elle
laiffa à Mélidor tout le temps de revenir de
fon étonnement , & de lui dire les plus
jolies choſes . On eût dit de la plus aimable des
coquettes , fouriant aux décentes agaceries
d'un aimable féducteur. Ils avoient l'un &
l'autre beaucoup d'efprit , & l'on imagine
bien tout le fel de cette fcène piquante &
naïve. Mélidor fortit fans être heureux ; il
céda la place à des jeunes- gens qui venoient ,
ce qu'on appelle fonder le terrein , & bâtir
ou détruire d'un feul mot la réputation
d'Hortenfe.
Mélidor vit fa femme établir entre ces
jeunes gens & lui , une concurrence dont il
fut piqué. Le dépit ne le pouffa pas loin.
Qu'auroit-il fait ? Une rupture éclatante !
Elles font paffées de mode.
-
, Effayons
dit- il , de l'emporter fur eux ; le prix en fera
110 MERCURE
―
plus glorieux. C'eft une fleur qu'il n'eft pas
permis à l'époux de cueillir ; l'amant doit la
mériter. Effayons . Ce ne fut plus qu'un
amant tendre. Pour prévenir tous les defirs
d'Hortenfe , il avoit toujours des aîles : pour
lui plaire , Protee ingenieux , il fe replioit
tous les jours fous des formes plus galantes :
il effayoit de s'emparer à la fois du coeur &
des fens de fa femme.
Hortenfe , de fon côté , fidelle à ſon plan ,
faifoit de fon mieux pour tenir Melidor en
haleine. Elle ne fe montroit à lui que fous
des jours avantageux . Jamais en négligé ,
jamais d'humeur , jamais cette franchife de
caractère qui détruit prefque toujours la
confiance , en ne ménageant point la deli--
catelle. Toujours bien , elle favoit prévenir
le moment où elle alloit être de trop.
Melidor croyoit vivre avec une aimable
étrangère , dont il effayoit de parler la langue.
Enfin , Mélidor fut heureux. Eh ! combien
de moyens il employa pour l'être ! It
mérita fon bonheur. - J'ai tout donné à
mon amant , difoit Hortenfe ; mon époux
ne poſsède rien encore. -Et en effet , Mélidor,
qui , comme tant d'autres maris , s'ima
ginoit follement que le refte de fa vie dépendoit
de ce premier pas , fur détrompé.
Hortenfe parut bientôt avoir oublié un moment
de foibleffe , fe défendit comme par
le paffé ; & Melidor enivré d'un bonheur
qui s'échappoit comme un beau fonge , couDE
FRANCE. III
rut de nouveau fur les pas d'Hortenfe , qui
avoit toujours l'air de fuir , fans jamais difparoître.
Ces deux époux pafsèrent ainfi leurs
beaux jours ; je dis beaux jours , car ils
vecurent toujours enfemble comme de tendres
amans. Hortenfe , ingénieufe à paroître
jolie , à n'accoutumer fon époux à rien , &
à lui faire tout recevoir comme un bienfait ;
Mélidor toujours aiguillonné par un delir, &
ranimé par une jouiffance.
O vous qui êtes bien perfuadés qu'un
ferment prononcé à l'autel , vous donne fur
vos femmes une entière fuzeraineté , &
prefque droit de vie & de mort , détrompez-
vous. C'eft de cette fauffe idee que
naiffent l'ennui & les dégoûts du mariage ;
& vous qui vous plaignez de vos infidèles
époux , fouvenez vous que pour les enchaî→
ner il faut imiter Hortenfe , avoir toujours
toutes les grâces de la nouveauté & le piquant
d'une maîtreffe. Je fens bien que ce
n'eft pas peu de choſes . Auffi voit- on peu de
bous mariages.
( Par M. Mayer. )
112 MERCURE
AIR D'ÉRIXÈNE
Chanté par Madame Saint - Huberty.
Allegretto .
LI -VRONS-NOUS à la gai- té , c'eft no - tre âge
qui t'ap-pelle ; que no- tre lé- gere
té ef- feu- re l'herbe nouvel - le : ·
キー
com-me on voit u - ne hi- ron -del- le , pendant
les beaux jours d'é- té , fri- fer l'eau ,
du bout de l'ai - le , fans
clar ·
en troubler la
té , fri fer l'eau, du bout
-
DE FRANCE. 113
de l'ai le , fans en trou-bler la clarté.
LIVRONS -NOUS au doux plaifir ;
L'éclat des rofes s'efface ;
Au printemps il faut jouir ;
Trop tôt l'hiver le remplace.
Saififfons l'inftant qui paffe ;
Il ne peut plus revenir.
Quand le froid des ans nous glace ,
L'on peut alors réfléchir.
( Mufique de M. Defaugiers, )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE
E mot de l'Énigme eft Lin ; celui du
Logogryphe eft Chapeau , où fe trouvent
écu , produit de 1440 oboles , chape , vache
peau & eau.
QUOIQUE
ÉNIGM E.
Quorque je fois pour tous poffeffion commune,
L'ufage eft d'en parler comme de choſe à ſoi.
114 MERCURE
On me prend à l'armée; on me fait chez le Roi ,
Et l'on me compte dans la lune.
Dans un de mes furnoms j'ai l'abord glacial ;
Un autre me rend général.
Certain arbre a bon air quand je m'y multiplic.
Si vous me fuppofſez de quelque bon méïal ,
Achille eût avec moi paré le coup fatal.
Si d'ennemis armés vous craignez la furie ,
Sans moi , c'eft fait de votre vie.
Enfin vous rendez - vous , & faut-il vous aider ?
Vous allez donc me demander.
( Par un certain Souffleur de Comédie. )
LOGOGRYPHE.
J'EXISTE
'EXISTE depuis f long-temps
Qu'on ne à qui je dois l'être;
Mais un point arrêté parmi tous les Savans ,
C'eſt que j'étois encor en mon printems ,
Lorfqu'en Grèce on me vit paroître.
On y connut bientôt mes droits :
Du myrthe & du laurier Théos plus d'une fois
M'offrit l'éclatante couronne :
Et long-temps l'on chérit mes lois
Dans Athènes , Samos , Smyrne , Lacédémone.
Je ne m'y fixois pourtant pas.
Un peuple né pour les combats ,
Defcendant du Dieu de la Guerre ,
Voulut le foumettre la terre
Et bientôt je fuivis fes pas.
DE FRANCE. 119
Comme parmi les Grecs , chez lui je fus reçue ;
Augufte m'admit à fa Cour ;
Cependant fa bonté déçue
M'exila loin de lui fur un foupçon d'amour.
J'errai depuis de Contrée en Contrée ,
Et rarement repa us au grand jour ;
Au monde enfin j'allois être ignorée ,
Quand aux bords de l'Arno f'annonçai ma rentrée ;
Par ma force & par ma vigueur
D'un chacun j'y fus admirée.
Non loin delà je pris plus de douceur ;
Avec autant d'efprit je fus plus modérée.
Au peuple d'Albion je fis beaucoup d'honneur.
Il ne me manquoit plus que de vivre honorée
D'un peuple craint pour fa valeur ,
Autant qu'aimé pour les vertus du coeur.
En France je parus , & j'y fus adorée.
Ces triomphes ont quelque prix.
Faut-il , Lecteur , t'en dire davantage
De mes fix pieds dérange l'affemblage ,
Je deviens un légume exquis ;
Un oifeau babillard ; un fleuve d'Italie ;
D'un chétif animal l'ineftimable don
Qu'à nos befoins fait fervir l'induftrie ;
En terme de grammaire , une conjonction.
Bref, je fuis..... Je me tais ; point d'indifcrétion t
Lindifcrétion dans la vie
Au plaifir fort fouvent vient mêler du poiſon.
(Par M. le Chevalier de T.... }
FLIG MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
PRÉCIS Hiftorique de la Marine Royale ,
depuis l'origine de la Monarchie jufqu'au
Roi régnant ; par M. Poncet de lá Grave ,
Écuyer , Confeiller , Avocat , Procureur,
`du Roi de Sa Majefté , au Siége général de
l'Amirauté de France , ancien Cenfeur
Royal , Membre de plufieurs Académies ,
& c. 2 Vol. in- 12 . A Paris , chez Onfroy
Libraire , Quai des Auguftins .
UN Auteur ne peut manquer d'être bien
accueilli du Public , lorfqu'il fe préſente fur
la fcène revêtu de cette multitude de titres
& de caractères qui fuppofent à la fois & ,
le favoir , & les talens , & les fervices &
leur récompenfe ; car , pour être Membre
de plufieurs Académies , il faut avoir fait
fes preuves. Nous applaudirons d'abord à la
fagacité de M. Poncet de la Grave , qui a fu
choifir un moment très - favorable pour met--
tre au jour cette Hiftoire de la Marine Françoife.
Bien différent de ces Critiques qui
voudroient nous perfuader que l'Auteur du
fiécle de Louis XIV eft un mauvais Hiftorien
, M. Poncet de la Grave a cru qu'on ne
pouvoit choisir un plus beau modèle ; il s'eft
attaché à ce grand Maître , & a fi parfaitement
faifi la manière de Voltaire , qu'il eft .
DE FRANCE. 117
quelquefois impoffible de diftinguer les idées
& le ftyle du Difciple d'avec ceux du Maî
tre. On en jugera par les morceaux fuivans.
TEXTE de Voltaire ,
Effai fur l'Hift. Générale
, T.8 , Ch. 49,
page 171 ,
La face des affaires
ne changeoit pas moins
entreles Princes Chrétiens.
L'intelligence &
l'union de la France &
de l'Espagne , qu'on
avoit tant redoutée , &
TEXTE de M. Poncet,
Partie II . P. 200.
" La face des affaires
ne changeoit pas
moins entre les Princes
Chrétiens ; l'intelligence
& l'union de
la France & de l'Efpagne
, qu'on avoit
avoit alarmé tant d'États
, fut rompue dès
que Louis XIV eut les
yeux fermés. Le Duc
d'Orléans , Régent de
qui avoit alarmé tant tant redoutée , qui
d'Etats , fut rompue
dès que Louis XIV
eut les yeuxfermés. Le
Duc d'Orléans , Régent
de France , quoiqu'irréprochable
fur France , quoiqu'irrée
foin de la confer- prochable fur la convation
defon Pupille , Tervation de fon Pufe
conduifit comme s'il pille , fe conduifit
eût dû lui fuccéder. Il comme s'il eût dû lui
s'unit étroitement avec fuccéder, Il s'unit
l'Angleterre , réputée étroiteient avec l'Anl'ennemie
naturelle de gleterre , réputée enla
France, & rompit nemie naturelle de la ૐ
ouvertement avec la France , & rompit oubranche
de Bourbon ; vertement avec la
qui régnoit à Madrid. branche de Bourbon,
MERCURE
Philippe V , qui avoit qui régnoit à Madrid.
renoncé ouvertement à Philippe V , qui avoit
la Couronne de Fran- renoncé à la Couronce
par la paix , exci- ne de France par la
ta , ouplutôt prêtafon paix , excita , ou plunom
pour exciter des tôt prêta fon nom
féditions en France , pour exciter des féqui
devoient lui don-, ditions en France , qui
ner la Régence d'un devoient lui donner la
pays où il ne pouvoit Régence du pays où
régner. Ainfi, après la
mort de Louis XIV,
toutes les vues , toutes
les négociations , toute
la politique changèrent
dansfa Famille & chez
tous les Princes,
il ne pouvoit régner.
Ainfi , après la mort
de Louis XIV , toutes
les négociations , toute
la politique changèrent
dans fa Famille
& chez tous les Princes,
»
M. de Voltaire , ibid. M. Poncet , page 201
page 172 .
Le Cardinal Albé-
Partie II .
Le Cardinal Alroni
, premier Miniftre béroni , premier Mid'Espagne
, fe mit en niftre d'Elpagne (1719 )
Lête de bouleverser voulut bouleverfer
l'Europe... Il négocia l'Europe ; il ne réujà
lafois avec la Porte- fit point , & finit par
Ottomane , avec le fe perdre,
Czar Pierre- le-Grand Il negocioit à la fois
& avec Charles XII. avec la Porte - Otto-
Il étoit prêt d'engager mane , avec le Czar
Les troupes à renouve- Pierre - le - Grand, Il
ler la guerre contre étoit prêt d'engager
DE FRANCE. 119
L'Empereur ; & Char- les Turcs à renouveler
la guerre contre l'Empereur;
& Charles XII
réuni avec le Czar ,
devoit mener lui -même
le Prétendant en
les pères .
les XII, réuni avec le
Czar , devoit mener
lui-même le Prétendant
en Angleterre, &
le rétablirfur le Trone
de fes pères... Le Angleterre , & le réta-
Régent de France fit blir fur le Trône de
la guerre à l'Espagne
de concert avec les Anglois
; deforte que la
première guerre entreprife
par Louis XV,
fut contre fon oncle ,
que Louis XIV avoit
établi auprix de tant
de fang. C'étoit en
effet une guerre civile.
Ce fut la Motte-How
dard qui compofa le
Manifefte, qui ne fut
Signé de perfonne,
M. de Voltaire ,
page 190,
Son adminiftration
fut moins conteftée &
moins enviée que celle
de Richelieu & de Ma-
Karin dans les temps
Le Régent de France
fit la guerre à l'Efpagne
, de concert
avec les -Anglois ; de
forte que la première
guerre entrepriſe par
Louis XV , fut contre
fon oncle , que Louis
XIV avoit établi au
prix de tant de fang,
C'étoit en effet une
guerre civile. Ce fut
la Motte - Houdard
qui compofa le Manifefte
, qui ne fut lu
de perfonne
, "
M. Poncet
page 204.
« L'adminiftration
du Cardinal de Fleury
fut moins contestée
& moins enviée que
celle de Richelieu &
$120 MERCURE
la
les plus heureux de de Mazarin , dans les
leurs miniftères. Sa temps les plus heuplace
ne changea rien reux de leur miniftèdans
fes moeurs. On re.Sa place ne changea
fut étonné que le pre- rien dans fes moeurs.
mier Miniftre fut le On fut étonné que le
plus aimable des cour- premier Miniftre fut
tifans & le plus défin- le plus aimable des
tereffe.... Illaiffa tran- courtifans & le plus
quillement la France défintéreffé . Il laiffa
réparer fes pertes & tranquillement
s'enrichirpar un com- France réparer fes permerce
immenfe , fans tes & s'enrichir par
faire aucune innova- un commerce imtion
, & traitant l'État
comme un Corpspuiffant
& robufte qui fe
rétablit de lui-même...
page 194. Le Roi Sta
niflas , beau - père de
Louis XV , déjà nommé
Roi de Pologne en
1704 , fut élu Roi en
1733 , de la manière
la plus légitime & la
plus folennelle.... Le
fils du dernier Roi de
Pologne, Electeur de
Saxe, qui avoit épousé
unefille de CharlesVI,
l'emporta furfon concurrent....
Le Cardinal de Fleu
menfe , fans faire aucune
innovation , &
traitant l'État comme
un Corps puiffant &
robufte qui fe rétablit
de lui - même. Le Roi
Staniflas , beau - père
de Louis XV , déjà
nommé Roi de Pologne
en 1704 , fut
élu Roi en 1733 , de
la manière la plus légitime
& la plus folennelle.
Le fils du
dernier Roi de Pologne
, Electeur de
Saxe , qui avoit épou
fé une nièce de Charles
VI , l'emporta
ry .
DE FRANCE. 121
ry , qui ménageoit fur fon concurrent....
Angleterre , ne vou-
Le Cardinal de Fleu
lut ni avoir la honte ry , qui ménageoit
d'abandonner' entière- l'Angleterre , ne vou
ment le Roi Staniflas, lat ni avoir la honte
ni hafarder de grandes d'abandonner Stanisforces
pour lefecourir. las , ni hafarder de
Ilfit partir une Efca- grandes forces pour
dre avec 1500 hom- le fecourir ; il fit parmes
, commandés par tir une Eſcadre avec
un Brigadier. Cet Of 1500 hommes ,.comficier
ne crut pas que mandés par un Brifa
commiffion fut fe- gadier. Cet Officier
rieufe; il jugea quand ne crut pas que fa
ilfutprêt de Dantzig, commiffion fut féqu'il
facrifieroit fans rieufe; il jugea quand
fruit fes Soldats, & il fut prêt de Dantil
alla relâcher en Da zig , qu'il facrifieroit
nemarck. Le Comte de fans fruit fes Soldats;
Plélo , Ambaffadeur il alla relâcher en
de France auprès du Danemarck. Le Com-
Roi de Danemarck , te de Plélo , Ambafvit
avec indignation fadeur de France ,
cette retraite , qui lui & c. & c.
paroiffoit , &c. &c. &c.
C'est ainsi que le nouvel Hiftorien de la
Marine fait prendre le ton & l'efprit de M.
de Voltaire : il n'eft pas moins habile à faifir
le génie des autres Écrivains qui ont publié
des Ouvrages fur cette matière : nous pourrions
en fournir un grand nombre de preuves
; mais M. Poncet , comparé avec lui
Sam. 21 Octobre So. F
I 22 MERCURE
même , intéreffera bien davantage . Rapprochons
d'abord de fon texte les notes qui fe
trouvent au bas des pages.
Partie I , page 24.
Notes de M. Poncet.
Leur Flotte fe retira
fort délabrée , &
regagna au plutôt les
ports de France.
Texte de M. Poncèt.
» Les François ,
après neuf heures de
combat , furent défaits
, & fe retirèrent
dans les ports de
France . "
Page 79.
L'autoritéfouveraine
& légitime triom
pha de la rébellion
"d'une ville audacieufe
qui fe croyoit invin
sible.
" Tous les vaiffeaux
donnèrent ; les
Chefs firent briller
leur prudence & leur
courage , & l'autorité
fouveraine & légitime
triompha.
Partie II , pag. 36.
Cependant le Comte
d'Étrées fe mit en
bataille , & enfuitefe
fervit des vents pour
faire une retraitefière
& honorable.
« M. d'Étrées ne
voulant pas hafarder
une bataille à caufe
de l'inégalité des forces
, s'éloigna des Efpagnols
, & fit une
retraite honorable &
fière. "
DE FRANCE. 123
Page 129.
« Les François vouloient
en venir à l'abordage
; mais l'ennemi
timide ou prudent
ayant le vent
pour lui , l'evita continuellement...
La fu-
Les Alliés , maitres
du vent qui étoitfrais ,
changeoient continuellement
de pofition , ce
qui ne permit pas aux
François d'en venir à
un abordage général.
La fumée d'ailleurs mée , pouffée par le
qui portoit fur notre vent fur la Flotte Fran-
Efcadre , l'empêchoit çoiſe , l'empêchoit de
de voir les mouvemens voir les mouvemens
de l'ennemi. de l'ennemi. »
On doit fentir combien de telles notes
ajoutent à l'intelligence & à la beauté d'une
narration ; mais elles ne font pas toutes du
même genre dans celle- ci , par exemple ,
l'Auteur a le courage & l'adreffe de fe réfuter
lui- même.
.
NOTE.
Les Hiftoriens fe
font trompés , elle fut
très- utile , en diminuant
les forces de
l'ennemi par la perte
de fes vaiffeaux.
TEXTE.
« Le Comte de-
Forbin , dans la néceffité
de vaincre ou de
périr , effuie ſon feu ,
fait la décharge , & fa
force à l'abordage le
Hollandois à fe rendre.
La victoire ne fut que glorieufe; le vaif-,
feau ennemi étoit fi maltraité , qu'il coula
à fond un moment après. "
Fij
124
MERCURE
Réflexion d'ailleurs auffi neuve que profonde:
il n'appartenoit qu'au Procureur de
l'Amirauté d'obferver qu'un vaiffeau coulé
à fond diminue les forces de l'ennemi qui lé
perd. On fe figure peut - être que M. Poncet
de la Grave ne fe montre un profond Penfeur
que dans fes Notes : ouvrez fon Livre ,
partie I , pag. 86 , vous y lirez ces phrafes :
" Le fanatifmefeul guidoit Soubife ; mais
fon unique objet étoit de fe faire rechercher
& de faire fa paix au poids de l'or. »
! « La
Pag . 186. La mort de l'Amiral , la perte
de fon vaiffeau , affoiblit les Anglois ; alors
redoublant d'efforts & découragés , ils fe vengèrent
par la mort de l'Amiral . »
Pag. 75 , Partie II. « Il battit l'ennemi , le
prit , mit le refte en fuite. »
Quand on aura bien médité la réflexion
fuivante , M. Poncet de la Grave ne doit plus
craindre de paffer pour être Philofophe .
Partie II , pag. 166. « Louis XIV , auquel
on faifoit la peinture la plus frappante de
la misère du peuple , tourna tous fes defirs
vers la paix , & s'abaiffa à propofer un accommodement
aux Hollandois : démarche
mal réfléchie. Un Roi de France devant toujours
faire la loi & non la recevoir , tant
qu'il a des fujets exiftans , conftamment prêts
àfe facrifier pour lui. »
En comparant le Texte de cet Ouvrage
à fon Difcours Préliminaire , on eft tenté de .
croire qu'il exifte deux Poncet de la Grave ,
comme il y a deux Sofies dans l'Amphitrion
DE FRANCE. 125
A la page 122 du Texte , l'un prétend que
" le Cardinal Mazarin , après avoir pacifié
l'Europe , rétablit notre Marine abandonnée ,
& fit refpecter le pavillon François. » Et à la
page 31 du Difcours Préliminaire , l'autre
affure que ce Miniftre , « occupé du foin
de foutenir la fortune chancelante , entouré
d'ennemis domeftiques , ne vit qu'autour de
lui. Ses yeux ne purent fe porter fur la mer;
fans ceffe agité par le tourbillon des intrigues
, il fut contraint de laiffer expirer la
marine. La gloire de la reffufciter fat réfervée
à Colbert. "
Affurément voilà des opinions trop incompatibles
pour fe trouver réunies dans le
même individu . Mais quel eft le vrai Sofie ?
Eft ce celui qui pofe en fait que Mazarin ,
ne vit qu'autour de lui , ou celui qui nous
repréfente ce grand Miniftre comme le Sauveur
de la Monarchie , qui ne fut jamais
plier , & pour qui ce n'étoit qu'un jeu de
faire trembler les ennemis de la France ? Se
peut-il , d'ailleurs , que la même plume qui
a fi heureufement imité le ftyle de Voltaire ,
ait écrit les chofes qu'on va lire ?
« Il eft réſervé à la nation Angloife de
tout faire contre les ufages & les règles patriotiques
entre les nations policées . S'ils
font des defcentes en pirates , ils enlèvent les
familles. " Partie I , pag. 47.
" Alors M. d'Aché , qui prévit que les
Anglois ne feroient pas en état , de longtemps
, de fatiguer les Établiffemens des
Fij
126 MERCURE
François , après s'être radoubé autant qu'il
le put à Pondichéry , fit voile pour l'Ile de
France , pour aller au- devant de trois nouveaux
vaiffeaux , pour reprendre la fupériorité
des mers. » Pag. 171.
" Le Roi Jacques , victime de l'ambition
de fon gendre & de la perfidie de fes fujets ,
étoit auffi le jouet des vents : tandis qu'ils
ne permettoient point à nos vaiffeaux de fe
joindre pourfe réunir en force , ce inême vent ,
au contraire , facilitoit la jonction des Alliés ,
& hâtoit fa ruine. » Pag. 41 .
" Charles équipa beaucoup de vaiffeaux ,
qui , joints à ceux de Caftille , forcèrent une
flotte de 120 bâtimens. Cette cfcadre , com
mandée par les François , par Jean de
Vienne , Amiral de France , & par Ferrand
Saune , pour les Caftillans , firent des detcentes
fur les côtes d'Angleterre , brûlèrent
& pillèrent l'ile de Vight , d'Armouth , Plimouth
& autres places. » Pag. 29.
CC
L'armée Françoife courut au fecours de
cette place , & fecondée par la flotte , commandée
par le Vice- Amiral de la Fayette &
André Doria , Génois , forcèrent les Impériaux
de lever le fiége.
L'inégalité des forces n'effraye point un
Général qui aime fon devoir & l'honneur
' de la nation ; le courage s'offre au nombres
M. de Tourville en donna dans cette occafion
un exemple qui doit être fuivi, par tous
ceux qui fuivent la même carrière. »
« Le mécontentement éclata , les NapoDE
FRAANNCCEE. 127
litains pillèrent le Bureau des Gabelles , &
y mirent le feu ; on n'entendoit que des cris
de vive le Roi , au diable le mauvais Gouvernement.
»
Il s'agiroit maintenant de faire connoître
la favante ordonnance de cette Hiftoire de
la Marine , les vaftes connoiffances géographiques
& chronologiques de l'Auteur , les
moyens qu'il emploie pour démontrer l'influence
de la Marine Royale fur la profpérité
de la Marine Marchande , le grand art
avec lequel il defline fes perfonnages & les
met en scène , foit pour inftruire nos Guerriers
, foit pour étonner fes Lecteurs , foir
pour rétablir la gloire du nom François ;
mais nous n'entrerons dans ces détails qu'après
la publication du Volume où fera tracé
le tableau de la guerre actuelle. En attendant
il fuffira de tranfcrire un morceau dans lequel
M. Poncet fait entrevoir modeftement
l'importance de fon entrepriſe.
" On ne peut trop recommander aux jeunes
Marins la lecture des principaux traits .
qui caractérilent ces grands hommes ; &
pour qu'ils puiffent le faire fans dégoût , il
faut les dégager de ces hiftoires volumineufes
dans lefquelles nous avons puiſe ,
fans nous arrêter minutieufement à de petits
faits particuliers enfevelis dans les dépôts
publics qui font ouverts aux Savans : comme
l'eau approche des lèvres de Tantale , un
précis vif, fuccinct , clair , ne leur offrira rien
´de rebutant. »
Fiv
28 MERCURE
EXPÉRIENCES & Obfervations fur differentes
espèces d'air , Ouvrage traduit de
l'Anglois , de M. J. Prieffley , Docteur
en Droit Membre de la Société Royale
de Londres ; par M. Gibelin , Docteur en
Médecine , Membre de la Société Médicale
de Londres. Cinq volumes in- 12 :
à Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
du Jardinet , quartier Saint André- des-
Arcs.
M. HALLÈS avoit retiré de différens corps ,
des quantités immenfes d'un fluide élastique
femblable à l'air , & qu'il n'en diftingua
point : ce phénomère avoit étonné fans fixer
les efprits. MM . Blach , Macbride , Cavendish
& Venel firent depuis quelques tentatives fur
la nature & les combinaifons de cet élément
; mais les grandes découvertes qui
doivent caufer une révolution dans la Chymie,
étoient réservées à M. Priestley. On les
trouve développées dans l'Ouvrage dont nous
allons rendre compte. On y voit que cet
habile Obfervateur s'attacha d'abord à diftinguer
les différentes eſpèces d'air qu'il retiroit
dé chaque fubftance ; il reconnut que
quoiqu'en général ils fe reffemblaffent à certains
égards , cependant ils différoient à
beaucoup d'autres. L'air fixe fe préſenta à
lui le premier. Le voifinage d'une brafferie
lui facilita les moyens de faire toutes les expériences
qu'il defiroit . L'air fixe fe fouf
DE FRANCE. 129
•
tenoit à la hauteur d'un pied environ audeffus
de la cuve ; il y éteignit les bougies ,
& y fit périr des animaux. Les plantes fe fanoient
& périffoient fi l'air fixe étoit trop
concentré; mais lorfqu'il ne l'étoit que modérément
, elles végétoient avec force , &
dénaturoient tellement cet air, qu'elles le remettoient
à- peu-près à l'état de l'air commun.
L'eau, avec laquelle cet air fixe fe combine
très- facilement , lui ôtoit auffi toutes
fes qualités malfaifantes.
La végétation & l'eau répandues dans
l'athmofphère font , felon notre Auteur , les
deux grands moyens qu'emploie la Nature
pour empêcher la trop grande production
de cet air , qui détruiroit bientôt tous fes
ouvrages ; car il eft produit fans ceffe par les
fermentations végétales , les exhalaiſons fou
terraines. Différens Phyficiens avoient d'abord
penfé que l'air fixe n'étoit que l'acide
vitriolique répandu dans l'athmofphère.
M. Priestley detruit cette idée , & rapporte
une lettre de fon ami M. Hey , qui établit -
clairement le contraire.
L'air inflammable , tout auffi mortel aux
êtres vivans que l'air fixe , a cependant des
qualités bien différentes. L'air fixe eft plus
pefant que l'air commun ; l'air inflammable
eft plus léger ; il ne fe mêle que très - difficilement
avec l'eau ; l'air fixe contracte avec
elle une union très-intime ; c'eft même lui
qui donne aux eaux minérales acidulées leurs
principales qualités : il poffède au plus haut
Fy
130 MERCURE
degré la vertu anti- feptique , & rétablic
même des chairs à demi putréfiées dans leur
premier état de fraîcheur. L'air inflammable
au contraire eft le produit des fermentations
putrides , animales & végétales , qu'il accélère
encore par fon développement . Les diffolutions
métalliques par les acides , les
moffettes des mines , la vapeur des charbons
´en combuftion , celle des peintures à l'huile
avec des chaux métalliques , l'étincelle électrique
tirée de l'huile , la refpiration des animaux
, leur fimple préfence dans un eſpace
refferré , dénaturent l'air commun , & le
transforment en air inflammable.Toute l'athmofphère
fe convertiroit en air inflammable
fans, l'action continuelle de la végétation ,
qui a la propriété de le rétablir dans fon premier
état. M. Priestley foupçonne que l'air
fixe contribue pour beaucoup à l'épuration
de l'air. Une des plus fingulières propriétés
de l'air inflammable , eft de détonner avec
une grande exploſion .
Tous les acides , tous les alkalis ont fourni
à M. Priestley des gaz différens , qu'il diftingue
par le nom de la fubftance dont il les a
tirés. Les alkalis foumis à la diftillation
donnent un air ou gaz alkalin qui a beaucoup
des propriétés de l'air inflammable : il tue les
animaux , éteint la bougie ; mais il s'unit à
l'eau & à tous les autres airs , avec lefquels il
produit des phénomènes fort finguliers . Des
nuages fe forment auffi- tôt à la furface des
vafes où l'on fait ces mêlanges , & dépofent
DE FRANCE. 131
·
de vrais fels ammoniacaux cryftallifés fuivant
la nature de l'air dont on s'eft fervi. Les
gaz vitrioliques , marins , acéteux tirés de
l'acide vitriolique , de l'efprit de fel & du
vinaigre , ont tous les propriétés générales
des gaz , mais ils en ont auffi de particulières.
Le gaz marin eft preſque tout abſorbé
par l'eau , qui acquiert une partie des propriétés
de l'efprit de fel . Le gaz vitriolique
mêlé avec l'air alkalin , donne un produit
tout différent. Le gaz nitreux eft le plus extraordinaire.
Une des propriétés les plus
fenfibles de cet air, eft la diminution con-
» fidérable, accompagnée d'une couleur rouge
trouble ou orangée foncée , & d'une grande
chaleur qu'il caufe dans l'air commun
» avec lequel on le mêle. Son odeur eft aufli
» très forte & très- remarquable : elle approche
beaucoup de celle de l'efprit de
>>
و ر
n
»
«
nitre fumant *. »
La diminution confidérable que ces airs
éprouvent par leur mêlange , eft devenue, entre
les mains de M. Prieftley,un moyen propre
à reconnoître la pureté de l'air refpirable .
L'air fixe & l'air inflammable n'ayant jamais
le même effet , il eft parvenu à conftruire des
inftrumens nommes Eudiometres , pour miefurer
la falubrité de l'air en différens lieux .
L'eau abforbe avec beaucoup d'avidité
l'air nitreux. L'eau bien purgée d'air par
* M. Lavoifier a démontré depuis , que
étoit un véritable elprit de nitre.
cette vapeur
F`vj
132
MERCURE
-
22
*
ébulition, abforbe de ce gaz. Perfuadé que
l'air ou gaz nitreux joue un très-grand rôle
dans la Nature , M. Prieſtley en a fait une
étude très fuivie ; il a reconnu que cette
fubftance a des qualités anti- feptiques bien
fupérieures à l'air fixe , & qu'elle arrête beaucoup
mieux que lui les progrès de toute fermentation
putride.
"3
ود
ود
" Il ne refte aucun doute dans mon efprit
, dit M. Prieftley , que l'air athmofphérique,
ou la chofe que nous refpirons,
» ne foit compofée d'acide nitreux & de
» terre, avec autant de phlogiftique qu'il en
» faut pour le rendre élastique , & avec ce
qu'il en faut de plus pour le faire defcen-
» dre de fon état de pureté parfaite , à la
qualité médiocre qu'il a dans la Nature. »
Mais de toutes les efpèces d'airs, nul n'eſt
peut-être auffi remarquable que celui que
l'on appelle déphlogistiqué. C'eſt un air dépouillé
, autant qu'on l'a pu jufqu'à préſent
de tout fon phlogiftique qu'on tire des chaux
métalliques , du mercure précipité perfe , &
des fleurs de zinc , &c. Les autres airs tuent
les animaux qui les refpirent , éteignent les
bougies celui- ci au contraire paroît plus
propre à la reſpiration que l'air dans lequel
nous vivons. Un animal enfermé fous une
* L'air nitreux , fuivant les Expériences de M.
l'Abbé Fontana , contient du fer ; il eft même parvenu
à former du bleu de Pruffe , en le combinant avec
les principes qui entrent dans ce compofé.
DE FRANCE. 143
cloche pleine de cet air , y demeure huit fois
plus de temps fans périr que fi elle étoit remplie
d'air commun ; une bougie y brûle avec
beaucoup plus de vivacité , fa flamme y eft
plus alongée que dans l'air athmofphérique ,
& mife dans un bocal plein de cet air, elle
s'éteint beaucoup moins promptement. Cet
air ne poffède toutes ces qualités que parce
qu'il contient peu de phlogiſtique , toujours
trop abondant chez les animaux , & dont
la Nature tend fans ceffe à fe débarraffer ,
fur-tout par la voie de la refpiration.
Telles font les principales découvertes dè
M. Priestley. Son Ouvrage n'a pas toujours
l'ordre , la préciſion , la clarté qu'on rencontre
dans les bons Écrivains. Mais fa marche
languiffante & tortueufe laiffe du
moins obferver les efforts de l'homme luttant
contre la Nature pour lui dérober fes
fecrets. Vu fous cet afpect , l'Auteur intéreffe
davantage , & on lui pardonne fes
défauts. Son Traducteur , M. Gibelin , ne
s'eft point borné à nous rendre les idées de
ce Phyficien ; il a fu joindre à ſa traduction
des éclairciffemens & un grand nombre d'expériences
nouvelles , qui doivent rendre
l'Ouvrage doublement précieux aux Savans.
Dans l'un des premiers Numéros du Mercure
, nous rendrons compte d'un Ouvrage
de M. Ingen-Houfz ; il traite de la même
matière , contient des découvertes non moins
intéreffantes , & peut fervir de fuite aux expériences
de M. Priestley.
134
MERCURE
PRÉCIS Élémentaire d'Agriculture , dans
lequel il fera traité de la manière de corriger
& cultiver toutes fortes de terres ; celle de
créer une Ferme à la Flamande , de former
un Laboratoire pour la préparation des
Fumiers , de cultiver les Fommes de Terre
dans toutes fortes de terreins , & de faire
produire de très - beaux blés continuellement
dans un même champ par une culture nouvelle
de l'Auteur , avec un Projet écono
nomique de créer des Manufactures de
Toiles & Serviettes à la façon de Courtrai ,
dans les environs de Paris ; par M. Mallet ,
Vol. in- 12 . de 240 pag. A Paris , chez
l'Auteur , Barrière de Reuilly , & chez.
Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Le détail du titre indique affez les objets
traités dans ce Précis. M. Mallet , né dans
la Flandre , au centre de la bonne Agriculture
, s'eft livré par goût , par zèle , aux recherches
qui peuvent la perfectionner. Il a
puifé des lumières dans les voyages agronomiques
d'Angleterre & de Hollande . Il parle
avec fimplicité & bonhommie , le langage
d'un Praticien attentif, aux Laboureurs qui
veulent s'inftruire par l'expérience & par les
réflexions d'autrui.
Ces fortes d'ouvrages font peu fufceptibles
d'analyfe ; d'ailleurs , on a tant fait de
livres d'Agriculture , qu'il eft très - rare de
trouver quelques nouveautés utiles dans ceux
DE FRANCE. 135
qui fe publient. La plupart des compilateurs
ne font plus que copier fervilement les Auteurs
qui les ont précédés.
C'est un reproche qu'on ne peut pas faire
à M. Mallet. Ses inftructions fur un laboratoire
de fumiers font généralement utiles , &
jufqu'à préfent inconnues au commun des
Agronomes. L'opération qu'il appelle le litavant
, ou fa nouvelle culture , peut convenir
aux terres dont la couche végétale eft
auffi profonde qu'il le defire ; elle mériteroit
au moins d'être éprouvée. Son but fe
roit de fupprimer les jachères. La Société
Libre d'Émulation en a fait le fujet d'un
Prix confidérable . Le plan d'un Jardin-Frui
tier de 100 perches , ou d'un arpent de fol ,
eft très- bien entendu , quoique le produit en
foit peut-être un peu forcé.
M. Mallet n'eft ni Jardinier , ni Fermier,
comme plufieurs perfonnes fembloient le
croire : c'eft un Amateur qui fuit l'inftinct
naturel de l'homme , & cherche fon plaifir
dans les travaux du premier des Arts , l'Agri .
culture , caractère ſpécial & diftinctif de notre
efpèce , qui l'élève au- deffus de tous les
êtres vivans , & qui nous rend les Rois de la
nature.
( Cet Article eft de M. l'Abbé Beaudeau. )
*
136 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
AUTANT UTANT la Veuve de Cancale avoit indifpofé
les Spectateurs à la première repréfentation
, autant elle a été accueillie à la feconde
; en effet , les corrections , les additions
, les fuppreffions que l'Auteur a faites ,
ont abfolument changé la face de fon Ouvrage
, qui , dur d'abord , & même fufceptible
de reproches plus graves , eft aujourd'hui
auffi agréable que peut l'être une Parodie
en trois actes , c'est - à- dire , un peu
longue. Elle étoit en cinq actes à la première
repréſentation ; chacun d'eux étoit calqué
fur ceux de la Veuve du Malabar ; pour la
refferrer en trois , on a rapproché quelques
fcènes , dans lesquelles les perfonnages entrent
d'une manière forcée & fouvent
inutile ; défaut auquel il étoit poffible de
faire attention , & dont le Parodiſte pouvoit
s'éviter le reproche.
Le grand Bramine de l'Ouvrage de M. le
Mierre , eft parodié ici par le Bailli de Cancale,
le jeune Bramine , par un Greffier ,
élève du Bailli ; la veuve de l'Indien , par la
veuve de Gran- Colas ; Montalban , par un
Recruteur ; enfin , la loi qui ordonne aux
femmes de fe brûler fur le bûcher de leurs
DE FRANCE. 137
époux , eft paródiée par une loi qui donne
aux Baillis de Cancale le droit d'époufer
celles qu'ils veulent choiſir entre les femmes
que l'année a vues devenir veuves.
+ Cette Parodie n'eſt exacte ; car entre
pas
le fort d'une femme qu'une loi barbare force
à perdre la vie dans les flammes , & celui
d'une autre qui doit , dans l'année , époufer
un Bailli jeune ou vieux , la comparaifon
n'eft pas admiffible. Il n'en existe pas non
plus entre le fac d'une ville & la milice que
l'on tire dans un village . Qu'on diffère une
cérémonie d'ufage , parce que la ville où
elle doit être célébrée eft fur le point de
devenir la proie d'un vainqueur furieux ,
rien de plus fimple ; mais que l'on trouve
mauvais qu'un Bailli fe marie le jour même
où l'on doit tirer la milice , cela eft abfolument
ridicule ; le fecond moyen ne fauroit
être la parodie du premier. Malgré ces reproches
, on doit des éloges à l'Auteur de
la Veuve de Cancale ; on y trouve des
fituations très-heureufement parodiées , par
exemple , la reconnoiffance du frère & de
la foeur , & la fcène du troisième acte entre
le Bailli & le Greffier. La manière d'écrire
de M. le Mierre, quelques- unes de fes penfées,
'plufieurs de fes moyens , y font auffi relevés
avec adreffe ; & le ſtyle , qui généralement
n'eft pas affez foigné , annonce néanmoins
de la facilité , de l'efprit , quelquefois du
goût , & fouvent de la gaieté.
On pourroit reprocher au Parodiſte de
し
138 MERCURE
M. le Mierre d'avoir préfenté dans un jour
ridicule quelques- unes de fes idées les plus
heureufes , & qui tiennent le plus à l'amour
de l'humanité : il n'eft pas le premier qui mé
rite ce reproche. Un des grands inconvéniens
de la Parodie, même quand elle eft faite avec
efprit , eft d'exciter le rire fans être utile , de
couvrir de ridicule les objets de morale les
plus refpectables , & les événemens de la vie
les plus intéreffans ; auffi ce genre agréable
à la jeuneffe , eft- il ordinairement abandonné
par ceux même qui y obtiennent le plus de
fuccès , quand l'âge a mûri leur raifon , en
leur donnant de l'expérience .
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
DEPUIS un certain nombre d'années , Monfieur ,
ileft queftion fingulièrement , fur-tout dans le monde
Littéraire , du célèbre Abailard , que l'on fait avoir
été le plus profond Dialecticien & l'un des plus favans
Théologiens du douzième fiècle , ainfi que
d'Héloïfe fon époufe , dont le génie égaloit au
moins , s'il ne furpaffoit pas le fien. Il femble même
que ces victimes infortunées de la cabale la plus noire
& de la jaloufie la plus baffe , commencent aujourd'hui
à renaître de leurs cendres , principalement depuis que
Pope , fameux Poëte Anglois , a publié une Épître
d'Héloïfe à Abailard , qui a eu le fuccès le plus brillant
en Angleterre . Cette Épître , qui a été traduite
par nos plus excellens Poëtes , n'a pas été moins accueillie
en France , & y a produit une espèce d'enthoufiafme.
DE FRANCE. 139
Mais je ne puis pardonner à la plupart des Ecrivains
modernes de ne s'être attachés à nous peindre
Abailard que comme un homme , malgré la Profeffion
Religieufe qu'il avoit embraffée , uniquement
occupé de la pallion pour Héloïfe , ce qui eft une infigne
calomnie : car Abailard n'eut pas plutôt prononcé
fes voeux , qu'il fe livra aux travaux de la pénitence
la plus rude & la plus févère ; & tous les Ouvrages
qu'il a compofés , à partir de cette époque ,
ne tefpirent plus que la piété la plus vive & la plus
pure. Mon but n'étant point ici d'entreprendre
l'apologie de cet homme unique & univerfel, parce
que je n'ai ni le loifir , ni les talens néceffaires
pour m'en acquitter de la manière qui conviendroit
, je laiffe à d'autres , plus habiles & plus
éclairés que moi , le foin de juftifier fa mémoire. Je
me contente de le venger d'un préjugé injurieux auquel
peuvent avoir donné lieu quelques Auteurs qui
ont été mal informés de ce qui concerne un homme
d'un auffi rare mérite que le fut Abailard , cu qui
ont été les organes de fes injuftes perfécuteurs ; tel
eft , entre autres , Belleforeft , qui , dans fes Annales,
a ofé avancer comme un fait certain , que les
offemens de cet homme admirable avoient été condamnés
à être brûlés après la mort.
Or , ce fait , Monfieur , eft abfolument faux ; &
il fuffit , pour réfuter une impofture aufli groffière ,
de citer les Lettres que Pierre le Vénérable , Abbé de
Cluny , écrivoit à Héloïfe. * Car non feulement les
offemens d'Abailard n'ont point éré brûlés après fa
mort , mais ils existent encore à préfent , & repofent
avec ceux d'Héloïfe dans l'Abbaye Royale du Paracler
, près Nogent fur Seine , au Diocèle de Troyes.
* Ces Lettres ont été imprimées à Paris en 1614 , dans
un Recueil qui a pour titre : Bibliotheca Cluniacenfis ; &
en 1616 parmi les OEuvres d'Abailard .
140 MERCURE
Les preuves que je me propofe d'en donner font fans
réplique.
Pierre Abailard étant décédé le 21 Avril 1142 , att
Prieuré de S. Marcel , près Châlons -fur - Saône , fon
corps , fur la réquifition & les inftances d'Héloïfe ,
fut enlevé fecrètement de ce Monaftère , par Pierre
le Vénérable , & tranſporté de-là à l'Abbaye du Paraclet
, de la manière qu'on le peut voir dans l'Hiftoire
de la Vie d'Abailard , écrite par Dom Gervaiſe,
ancien Abbé de la Trappe * . Ce corps précieux
fut alors déposé dans une Chapelle qu'Abailard
avoit bâtie fous l'invocation de S. Denis , & qui
s'appeloit le Petit Moutier. Héloïfe , qui furvécut
Abailard à environ 21 ans , mourut le 17 Mai 1163 ,
& fut réunie à fon époux dans le même tombeau.
En 1497 , leurs offemens furent retirés de ce tombeau
, & transférés delà dans la grande Églife du Monaftère
: ceux d'Abailard furent placés dans une
tombe de Pierre , au côté droit de la grille du Choeur,
& ceux d'Héloïfe dans une autre tombe , au côté
gauche ; ce qui eft prouvé par un acte authentique
qui en fut dreffé dans le tems.
Le 15 Mars 162 , on fit , par le commandement
de Madame Marie de la Rochefoucauld , qui étoit
alors Abbeffe du Paraclet , une nouvelle tranflation
de ces offemens. Les deux tombes furent déposées
dans un caveau que l'on avoit pratiqué fous l'Autel
de la Chapelle qui porte encore à préfent le nom de
Chapelle de la Trinité; & il en fut dreffé un nouvel
acte. C'eft dans cette Chapelle , qui formoit autrefois
le Choeur des Dames , qu'Abailard avoit fait
placer trois figures femblables , autant que le cifeau
du Sculpteur avoit pu le permettre : elles étoient d'un
feul bloc de pierre, & repréfentoient les trois Perfon-
* Cette Hiftoire a été imprimée en 1728 à Paris,
Barrois.
chez
DE FRANCE. 141
nes Divines. Abailard avoit fait élever ce monument,
qui exifte encore aujourd'hui , & que l'on a tranf
porté fur un petit Autel , dans le Choeur actuel des)
Dames , afin de prouver à fes ennemis acharnés à le
perfécuter , qu'il n'avoit point , & n'avoit jamais eu
d'autres fentimens que ceux de l'Églife Univerfelle,
touchant les dogmes du Myftère de la Ste- Trinité.
Madame de Roie de la Rochefoucauld de Roucy ,
auffi Abbeffe du Paraclet , & qui fut toute la vie
l'exemple de toutes les vertus chrétiennes , étant décédée
en 1768 , Madame la Grand'Prieure , du
confentement de la Communauté des Dames Religieufes
, fit appeler deux Chirurgiens , accompagnés
des Officiers de la Juftice du Paraclet , pour faire la
vérification des offemens d'Abailard & d'Héloïfe ,
dont il fut fait un procès-verbal.
Enfin , Madame de Roucy , actuellement Abbeffe
du Paraclet , qui gouverne cette Maifon avec une
fageffe confommée , & qui eft bien digne , par
les vertus qui la décorent encore plus que fa
haute naiffance , de préfider à des Religieufes
qui ne refpirent que la piété la plus fublime , & qui
ont pour elle l'affection la plus tendre , & un attachement
fans bornes ; Madame de Roucy , dis- je ,
s'étant déterminée à faire une dernière tranſlation
des offemens d'Abailard & d'Héloïfe , a bien voulu
jeter les yeux fur moi pour en faire la cérémonie le 6
Juin dernier .
> Je ne puis vous diffimuler , Monfieur , la vénération
fingulière dont j'ai été pénétré à l'aspect des reftes
refpectables de ces Époux malheureux , que je
plaçois à mefure dans un cercueil de plomb divifé en
deux portions , pour que les offemens , qui font
très bien confervés , malgré l'extrême humidité du
caveau , ne fuffent point confondus pêle- mêle. Le
cercueil ayant été remonté & expofé pendant un
quart-d'heure aux yeux de Madame l'Abbeffe qui
142 MERCURE
étoit prefente , & de la Communauté affemblée, on l'a
fcellé , après quoi on l'a tranſporté , en récitant les
Prières des Défunts , dans le Choeur des Dames ;
enfuite , à l'iffue des Vêpres des Morts , qui ont été
chantées , on l'a dépofé fous l'Autel où eft placé le
Monument dont nous avons déjà parlé. Cela fait ,
on a pofé au pied de l'Autel la tombe en marbre noir,
fur laquelle on avoit gravé , par les foins de Madame
l'Abbeffe , l'Epitaphe d'Abailard & d'Héloïfe,
qui exprime avec la plas grande énergie les princi
pales particularités de la vie de ces illuftres perfonnages.
L'acte de cette augufté cérémonie a été dreſſé
Je même jour , & le lendemain nous avons chanté
pour eux une Meſſe Solennelle .
D'après des preuves auffi inconteſtables & auffi
multipliées, je n'imagine pas qu'il foit poffible de révoquer
encore en doute l'exiftence des offemens d'Abailard
& d'Héloïfe dans l'Abbaye du Paraclet.
On ne fera pas faché fans doute de trouver ici leur
Epitaphe . La voici :
HIC
Sub eodem marmore jacent
Hujus Monafterii
Conditor , PETRUS ABELARDUS ,
Et Abbatiffa prima HELOÏSSA.
Olim ftudiis , ingenio , amore , infauftis nuptiis ,
Et pænitentiâ ;
Nunc aterná , quodfperamus , felicitate
Conjuncti.
Petrus obiit XXprimâ , anno 1142 ;
Heloiffa , XVII Maii , 1163 .
Curis CAROLE DE ROUCY, Paracleti Abbatiffa.
M. DCC. LXXX.
DE FRANCE. 143
J'ai l'honneur d'être avec les fentimens que méritent
les talens ſupérieurs qui vous ont acquis une eftime
univerfelle ,
M. Votre très humble & trèsobéiffant
ferviteur
VINCENT , Curé
de Quincey , près
Nogent- fur-Seine.
A Quincey, près Nogent -fur- Seine, ce 12 Août 1780.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
RECUEIL d'Airs & Romances , par J. J. Rouffeau,
gravé fur cuivre avec le plus grand foin , imprimé
fur de beau papier , & orné d'un frontispice avec le
Portrait de l'Auteur. Il contiendra , dans 200 pages
de format petit in- fol . près de 100 morceaux différens
, dont plufieurs Duos dialogués , ou Scènes de
Société , le tout avec accompagnement ; propofé par
foufcription pour le bénéfice des Enfans- Trouvés ,
au prix de 24 1. par exemplaire , qu'on ne paiera
qu'en recevant l'Ouvrage ; il faut feulement le faire
infcrire avec les qualités & demeures , avant le mois
de Décembre prochain , à Paris , chez de Roullede,
rue du Koule ; Efprit , au Palais - Royal , & chez les
principaux Libraires de l'Europe .
Traité élémentaire du Genre Épiftolaire & de la
Narration , feconde édition , revue & augmentée,
in - 8 ° . A Limoges , chez Barbou , Imprimeur- Libraire.
Réflexions fur l'état actuel de l'Agriculture , ou
Expofition du véritable plan pour cultiver fes Terres
avec le plus grand avantage , & pour le paffer des
144
MERCURE
engrais. Vol. in - 12 . Prix , 2 livres. A Paris , chez
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet .
Les Ouvrages fuivans fe trouvent, chez Nyon le
jeune , Place du Collège de Mazarin :
1. Ellipfes de la Langue Latine , Ouvrage
qui n'a jamais paru , par M. Furgaut , rel . 11. 16
2. Suite de la Profodie Latine pour la Poéfie
Lyrique , par le même , broc.
3. Terentius Chriftianus , parchemin ,
Livres nouvellement acquis.
4°. L'Art de parler réduit en principes , in-
12. petit papier , rel.
5. Hiftoriæ Græcorum res memorabiles ,
in- 12. petit pap. rel . parchemin ,
6°. Effai fur Pindare , in- 12 . rel.
7° . Sentimens de Piété , rel.
8. Motifs de Piété , rel.
TABLE.
1
2 10
I 4
2 10
IS
12
LA Femme-Enfant , Dia- Expériences fur différentes éf-
Logue
Vers à Mlle Doligny
Elle fit bien , Conte ,
Air d'Erixène ,
128
102 Précis Elémentaire d'Agri-
97 pèces d'air ,
103 culture ,
111 Comédie Italienne ,
134
136
Enigme & Logogryphe , 113 Lettre au Rédacteur du Mer-
Précis Hiftorique de la Mari-
J.
ne Royale,
cure
116 Annonces Littéraires ,
AP PROBATION.
138
143
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , lé
Mercure de France , pour le Samedi 2 1 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 20 Octobre 1780. DESANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 OCTOBRE 1780. 19
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. L * , en lui renvoyant le Livre
intitulé : les Amours , Élégie.
JEE vous le rends , cet enchanteur
Bien plus fenfible que Catulle :
L'aimable poifon qui le brule
S'échappe à grands flots de fon coeur.
Du plaifir l'amoureuſe adreffe
Deffina ces tableaux charmans ,
Ou fa main trace avec ivreffe
Des leçons aux jeunes amans ,
Des fouvenirs à la vieilleffe .
Toujours infpiré par l'Amour,
J'aime à le voir dans fon délire >
Tenir dans fes bras , tour-à-tour
Etfon Eucharis & fa lyre."
Sam. 28 Octobre 1780. G
146
MERCURE
Je préfère les tendres jeux
Aux plus libertines Orgies ;
Et fes Amours font très-heureux
Pour des Amours en Élégies.
J'impofe filence en ce jour
A ma voix légère & frivole ;
Je fuis ma Mufe fans retour :
C'eſt lui-même qui m'en conſole ;
Quand mon amour-propre s'envole ,
Je fens redoubler mon amour .
Content de redire à Thémire
Ses vers ardemment amoureux ,
Je ne veux employer mes feux
Qu'à l'aimer & non à le dire.
Débarraffé des fonges vains
De la gloire , autre enchantereffe ,
Ma lyre me tombe des mains. ..
J'en embraffe mieux ma maîtreffe.
(Par M. de Ch. * }
A M. LE BARBIER l'aîné , Peintre du
Roi,furfon Tableau du Siège de Beauvais,
où la valeur des Dames fut fi utile.) :
DANS ANS le fanctuaire immortel
Des Titien , des Raphaël ,
Eft- il permis d'entrer avec main-forte
En guerrier appareil & fous nombreufe efcorte ?
DE
FRANCE.
147
Le procédé paroîtra fingulier ,
Illégitime , irrégulier.
Pour être de l'Académie ,
Le Barbier joint la rufe aux efforts du génie.
Il fe fait finement précéder de Licteurs ,
Dönt les trop féduifans viſages
Savent
enchaîner tous les cerurs
,
Comme fon art ravit tous les fuffrages .
( Par M. de la Ferté , Avocat au Parlement. Y
LA
RÉPONSE
D'EULALIE.
LE bel-efprit
Mondor , mortel fort
ennuyeux ,
Complimentoit hier mon Eulalie
Sur le vif éclat de fes yeux.
> Ils étoient , à l'entendre , un chef- d'oeuvre des Dieux ;
Il n'en avoit point vu de plus beaux dans ſa vie.
Je leur promets demain des madrigaux heureux.
Voyez , s'écrioit-il , quelle douceur ! quels feux !
Ils peignent tour-à-tour la pudeur , la tendreſſe ;
Ils jettent dans mon coeur & le trouble & l'ivreſſe …...
Grâce !
Monfieur le bel- efprit ,
Laiffez mes yeux en paix , répondit ma maîtreffe ;
Ils ne vous ont jamais rien dit .
( Par M. D... Avoc ... au P. de R. )
Gyj
748 MERCURE
LES DEUX BOURGEOIS ET LE PAYSAN,
Conte.
TRIS -PIEUSEME RES- PIEUSEMENT deux Bourgeois
S'en alloient en pélerinage ;
Ils rencontrent un Villageois
Parti pour le même voyage.
On s'approche en marchant ; viennent les queſtions ;
Prompte réponse , confidence ;
On fait route ; & bientôt tous trois d'intelligence
Firent un fonds commun de leurs proviſions.
Sur le point d'arriver , l'efpoir de leur cuiſine
Tarit un foir : au trio Pélerin
Il ne refta que très-peu de farine ,
De quoi paîtrir un petit pain,
Pour fe la réſerver entière ,
Nos deux Bourgeois voulurent finement
Fruftrer leur Compagnon , qu'à la mine groffière
Ils croyoient duper aisément,
« Il faut prendre un parti , dit l'un ; le ciel m'infpire.
» Ce qui de trois amis ne peut guérir la faim
» Aux befoins d'un feul peut fuffire.
Je fuis d'avis qu'un feul ait tout le pain,
» Mais pour agir en confcience ,
Couchons - nous tous les trois , livrons - nous au
» fommeil ,
» Et demain à notre réveil
DE FRANCE 149
so Le plus beau rêve aura la préférence. »
L'autre applaudit tout haut , comme vous jugez bien
Mais le fin Villageois voyant le ftratagême ,
Dans leur filet feignit de fe jeter lui - même
Pour les attirer dans le fien .
On fit le pain , on le mit fous la cendre
Puis dans fon lit en moins de rien
Chacun des trois alla fe rendre.
Mais nos Bourgeois , plus las , s'endormirent foudia,
Notre Villageois , plus malin ,
Se lève fans bruit , fans mot dire ,
Court au foyer , mange le pain ,
Puis dans fon lit il fe retire.
L'UN des Bourgeois enfin fe réveille en furfauts
« Amis , dit -il , en leur parlant tout haut ,
» J'ai fait un fêve , écoutez - en l'hiſtoire :
» Deux Anges rayonnans de gloire
» En Enfer m'avoient defcendu ;
Je fuis long-temps demeuré fufpendu
» Sur les brafiers de l'éternel abyme :
» Là , j'ai vu cet Enfer tel qu'on nous le dépeint ;
» J'ai vu comment un feu , qui jamais ne s'éteint ,
Brûle le criminel pour expier le crime ;
33
» Comment..... Et moi , dit l'autre , j'ai rêvé
Que traverfant des airs les routes éternelles ,
» Deux Chérubins , fur leurs brillantes aîles ,
» Dans le ciel m'avoient enlevé.
» Là , j'ai vu l'Éternel fur fon trône de gloire. »
Giij
ISO MERCURE
Auffitôt le fongeur , en bons ou mauvais vers ,
Du Paradis chante la gloire ,
.Comme l'autre a conté les tourmens des Enfers.
LE Villageois les entend à merveille ;
Mais il feint de dormir. Les deux amis s'en vont
Droit à fon lit ; on le réveille ;
Et lui , comme fortant d'un fommeil très-profond ,
D'un air tout effrayé : « Qui m'appelle ? Quoi !
qu'eft-ce ?
""
50
» Leur dit-il ? Eh parbleu , c'eft nous ,
» Vos camarades . Le temps preffe.
» Allons , vite , allons , levez- vous.
» Votre rêve ? il faut nous le dire.
si Oh ! j'en ai fait un fingulier ,
Répond le Villageois ; & je vais paricr
Qu'à coup sûr vous en allez rire.
לכ
Lorſqueje vous ai vus par des chemins divers ,
Tranſportés l'un au Ciel , l'autre dans les Enfers,
» J'ai fongé , moi , que Dieu ne vouloit plus vous
ם כ
rendre ,
Que vous étiez pour moi comme dans le tombeau ;
» Je me fuis levé lors , & fans plus vous attendre ,
20 Tout bonnement j'ai mangé le gâteau.
DE FRANCE. ISI
LETTRE au Rédacteur du Mercure , fur
TORRE , Artificier du Roi.
Il vient de mourir , Monfieur , un Artiſte dont le
nom étoit connu de toute la France , & dont peu de
perfonnes ont connu le mérite. Voici quelques dé
tails fur l'hiftoire & le roman de fa vie.
N……….. Torré étoit né dans un petit village fitué
fur le Lac de Côme , * dans le Milanès. Il reçut la
feule éducation que fon père pouvoit lui donner. Il
apprit de lui à lire , à écrire & à faire des Baromè
tres. Ce talent nourriffoit toute la famille , qui étoit
très-nombreuſe. Dès qu'un garçon étoit en état de
fe conduire , on lui faifoit une provifion de ces inf
trumens , & il alloit chercher fortune. Torré quitta
de bonne heure la maiſon Paternelle , parcourut la
Suiffe & plufieurs Provinces de France , avant que
d'arriver à Paris , où le luxe fournit plus de reffources
pour la vente des marchandiſes en tout
genre , & fur - tout pour celle des objets de cu
riofité.
Le hafard le fit connoître de M. de Réaumur , qui
le jugea digne d'être affocié à une partie de fes travaux.
Il fe perfectionna, fous ce grand Maître , dans
l'art de conftruire des Baromètres & des Thermomètres
; il comprit , à cette école , combien fes connoiffances
étoient bornées , & en profita pour en
acquérir de nouvelles. Les entretiens des Savans qui
le rendoient chez M. de Réaumur , étoient autant
de leçons pour lui : un mot devenoit fouvent pour
fon efprit un trait de lumière ; il écoutoit , il interrogeoit
, il étudioit fur - tout la Nature , pour ainsi dire ,
* Latius Lacus.
Giv
152 MERCURE
dans fon temple , & bientôt il fe mit au ton de fes
Maîtres. Il connoiffoit la fuperficie des chofes , &
voulut en connoître l'intérieur. L'argent qu'il avoit
gagné par fon travail , il l'employa à fuivre des
Cours de Phyfique & de Chimie. Mais comme il
n'avoit point de fortune , il fe donna un état en fe
fixant à la Pyrotechnie.
Cet Art que perfonne n'a jamais exercé avec autant
de fuccès que lui , le con luifit dans différentes
Cours de l'Europe . Le Prince *** , qui fait fi bien
diftinguer & récompenfer les talens , l'attacha à fon
férvice. Il occupoit les loifirs à faire des expériences
Chimiques , & fut étonné de trouver dans fon Artificier
un homme capable de le feconder. Torré
devint encore plus habile en travaillant , & il éclipfa
bnot tous les autres Chimistes de la Cour . Il n'en
eft pas d'un Souverain comme d'un Particulier , qui
peut cacher fes goûts & fes fantaifies. On fut que le
Prince *** avoit un Laboratoire. Ce fut un avis
donné aux Charlatans de fe rendre à fa Cour. Tous
avoient des fecrets particuliers qu'ils offroient d'enfeigner
, la plupart avoient celui de la pierre philofophale
. Trop éclairé pour être leur dupe , le Prince
s'amufoit de leurs effais , & les renvoyoit en leur
donnant des preuves de la générofité .
Mais l'apparition de ces faux Adeptes qui , fans -
connoître l'Art , en avoient au moins le langage
exalta l'imagination ardente de Torré. Leurs difcours
fur le fperme univerfel de la Nature , fur la
femence générale , fur l'être productif de tous les
êtres , qui contient dans fon effence les quatre élémens
, lefquels on décompofe , on recompofe , on
défunit , on réunit par le régime du feu , fur
l'alcaeft , l'archée du monde , &c . lui donnèrent ce
délire , cette frénéfie qui a plongé tant de malheureux
dans le défefpoir & la misère , & à qui la
Chimie eft redevable de tant de découvertes pré-
W
DE FRANCE. 153
V
pas
cieufes , fi elle ne lui doit pas celle de faire de l'or.
On avoit pris fi fouvent la Nature fur le fait , felon
l'expreffion de M. de Fontenelle , qu'il ne douta
qu'on ne pût encore lui dérober le fecret de la formation
& de la tranfmutation des métaux . D'ailleurs ,
il croyoit d'autant plus l'Art poffible , qu'il étoit
convaincu que cet Art avoit été connu de plufieurs
Philofophes dont on lui avoit raconté l'hiftoire.
Rempli de ces idées , il loue une maison de campagne
dans un lieu ifolé , fe munit de quelques hivres
d'Alchimie , & brûle du charbon dans les intervales
que lui laiffoient les devoirs qu'il avoit à
remplir auprès du Prince fon bienfaiteur,
Dans ce temps- là parut à *** un perfonnage
extraordinaire . Arrivé fans fuite , il étoit vêta proprement
& modeftement , parloit avec facilité plufieurs
langues , & fe connoilloit dans prefque tous
les Arts . A Paris, un tel homme eût pu vivre ignoré
pendant un grand nombre d'années ; à *** il fixa
l'attention du Public dès fon arrivée . Le Prince en
entendit parler , & fut curieux de le voir. Il vint au
Palais , & fut introduit dans le Laboratoire. Là on ne fut pas moins
furpris
de fon favoir
que de fa
modeftic
. On lui parla
des opérations
faites
par les
prétendus
Adeptes
: il en dévoila
le mystère
& la
fraude
en les répétant
. Il expliquoit
tous les fecrets
des autres , & n'annonçoit
aucun
fecret ; & , ce qui
le diftinguoit
encore
plus de tous ces aventuriers
,
c'eft qu'il cut l'art de refufer
avec dignité
, mais avec
refpect
, le prix que la générofité
du Prince
voulut
mettre
à fa complaifance
.
A ce récit , le Lecteur eft principalement attentif
à la contenance de Torré. Il le voit , les yeux fixés
fur ce Perfonnage , recueillir avec foin toutes fes
paroles , le combler d'égards , de politeffe , le fuivre
par-tout fous le prétexte de lui fervir de guide dans
une ville étrangère, & parvenir enfin à le conduire
Gy
154
MERCURE
30
dans fa maifon de campagne. Ce Lecteur entre avec
eux dans le Laboratoire ; & après avoir comparé le
trouble , l'inquiétude répandus fur le vifage de l'un ,
& une forte de férénité dédaigneufe dans l'autre ,
il prête une oreille attentive à leur converſation.
Le Philofophe. « Je vois à ces matières quel eft
votre projet » Torré : « des confeils d'un Savant
auffi éclairé que vous... » Le Philofophe. « Le
feul qu'il me foit permis de vous donner , c'eſt de
détruire vos fourneaux , & d'abandonner une recherche
vaine. Il n'eft point donné à l'homme de
» deviner ce fecret. Ceux qui difent y être parvenus
d'eux- mêmes font des impofteurs : Dieu feul peut
l'inspirer par miracle.... » Torré. « Mais ceux
qui en font inftruits ? .... Ceux-là l'ont reçu d'un
ami fous les fermens les plus facrés de ne jamais
le révéler... Si , fous les mêmes fermens.. ? Afféiez-
» vous, & écoutez- moi . Je ne vous demande point
» fi vous êtes Chrétien ; ce bienfait a été accordé à
50
05
و د
des Infidèles ( prenant la main de Torré , la fer-
» rant &fixant vivement fa vue fur fes yeux ) : êtes-
» vous honnête homme ?..... J'en fais gloire...
» Brifez , vous ai je dit , ces fourneaux inftrumens
....
de votre ruine. Si vous êtes affez heureux pour
» trouver & préparer de telie forte une telle matière ,
» jetez à la pofte toutes les lettres que je vous re-
» mettrai demain , & je viendrai à votre fecours .
» Apprenez que vous ne favez encore rien . Il eft un
» fecond myftère auffi impoffible à deviner que le
premier , & vous ne l'apprendrez qu'en opérant
avec moi. Jurez de garder le fecret..... Je le
jure, »
20
50
Qu'on le repréfente la fituation de Torré : jamais
fon ame ne tut fi énue , fon coeur fi vivement oppreffé.
Il reçut le foir même un gros paquet cacheté ,
avec cette fufcription : à ouvrir feulement au temps
indiqué. Le lendemain il courut chez le Philofophe ,
DE FRANCE. i } {
qu'il regardoit comme un Dieu bienfaiteur , mais il
étoit parti dans la nuit.
Cette aventure en rappellera aux Lecteurs inftruits
, une femblable arrivée au célèbre Jean-Frédéric
Helvétius , premier Médecin du Prince d'Orange ,
& aïeul du premier Médecin de la feue Reine de
France. En écrivant contre la poudre de fympathie
du Chevalier Digby , il avoit élevé des doutes fur la
poffibilité de la trafmutation des métaux. Le 17 Décembre
1666 , un inconnu vint lui faire vifite à la
Haye , & lui dit qu'il ne pouvoit décrier la poudre
de projection , fans avoir lu les Ouvrages Hermétiques
, & appris par eux à la connoître. Il ouvrit
en même-temps une petite boëte d'ivoire , lui montra
un morceau très-mince & très -pefant d'une métalline
couleur de foufre & friable , en ajoutant
qu'il y avoit-là de quoi faire vingt tonnes d'or. M.
Helvétius lui en demanda pour la valeur feulement
d'un grain de millet , avec lequel il fit lui - même la
tranfmutation fur du plomb qui fut converti en or
extrêmement pur. Auffi ſe hâta-t'il de fe rétracter de
tout ce qu'il avoit écrit contre les Adeptes , en publiant
le Veau d'er ( violatus aureus * ) dans lequel
il raconte dans le plus grand détail l'hiftoire que je
viens d'abréger.
Semblable à une de ces maladies violentes , qui ,
par les terribles fecouffes qu'elles donnent à notre
frêle machine, bouleverſent toute la conftitution animale
, & rendent un homme méconnoiffable aux
autres hommes & à lui- même , cet événement fit
une fi forte impreffion fur Torré , qu'il changea
entièrement fon caractère. Il devint trifte , férieux ,
Joh. Frederici Helvetii vitulus aureus quem mundus
adorat & orat , in quo tractatur de naturæ miraculo tranf
mutandi metalla, in- 8. Haga comitis 1667 .
G vj
156
MERCURE
taciturne & dévot. Diftrait par le grand objet qui
l'occupoit fans ceffe , à peine pouvoit- on lui arracher
un mot dans la converfation. On ne le rencontroit
que dans les folitudes ou au pied des Aurels. Trois
ans après il parvint au bonheur auquel il afpiroit. Il
ouvrit alors fon paquet ; il y trouve plufieurs lettres
fous des noms différens , & adreffées , en diverfes
langues , à des villes d'Angleterre , de Hollande ,
d'Allemagne & d'Italie. Il fut long-temps à attendre
fon Philofophe , qui parut enfin fous l'habit d'un
Eccléfiaftique.
Ils fe munirent d'un Athanor , d'un auf philofophique
, d'autres uftenfiles néceffaires , & allèrent
s'enfermer à la maison de campagne , où , après
avoir travaillé nuit & jour pendant plufieurs mois ,
ils marièrent , par l'entremife de Vulcain , le noir
Pluton à la blanche Vénus , d'où naquit le blond
Phébus ; ou, fans employer cette langue mystérieuse ,
qui ne peut être entendue que des initiés , comme la
langue facrée de l'ancienne Théologie Égyptienne
ne l'étoit que des Prêtres d'Ifis , ils produifirent fucceffivement
la poudre noire , la blanche & la rouge .
Torré , qui brûloit d'impatience d'en éprouver la
vertu , fondit le plomb de toutes les vitres de la
maiſon , le purifia , & avec un grain de cette poudre
il le convertit en une matière jaune. Il laiffe fon
Philofophe dans la campagne , court à la ville a
fon plomb tranfmué , purifie & y mêle une portion
de cuivre par les ordres de fon maître , qui lui avoit
dit que cette matière avoit befoin d'un nouvel alliage
, pour n'être pas reconnue pour de l'or philofophique
, forme an petit lingot , le porte à
l'Orfevre , qui , après l'avoir foumis aux épreuves
ordinaires , le trouva de l'or le plus pur. Toutes
ces opérations l'avoient retenu deux jours . Il revient
le troifième à la campagne , mais quel fut fon défefpoir
, lorfquid n'y trouva ni fon Philofophe ai
avec
DE FRANCE. 157
fa poudre. Le feul parti qu'il avoit à prendre ', étoit
de courir après lui . Incertain de la route qu'il avoit
à fuivre , il fe fouvint du nom de quelques villes ou
les lettres étoient adreffées , & alla fucceffivement à
Amfterdam , à Leyde , à Francfort , à Dantzik , à
Manheim , à Londres , où il fit d'inutiles recherches.
Dévoré de chagrin , il revint à Paris , en attendant
qu'il pût retrouver la matière néceffaire pour
recommencer l'opération . Il chercha des reffources
pour vivre. Il ouvrit dans l'Enclos des Quinze-
Vingts un Cabinet d'Hiftoire Naturelle & de Phyfique
expérimentale. Cette occupation tranquille ne
pouvoit fatisfaire un efprit auffi ardent que le fien.
Il imagina & exécuta un genre de Spectacle nouveau.
Tout Paris a vu , avec autant de plaifir que de furpriſe
, les Forges de Vulcain , qu'il fit repréfenter
fur les Boulevards du Temple. Il comptoit perfectionner
& varier ces amufemens lyriques , lorfque
le feu prit à fon magafin. Cet accident , qui ébranla
quelques maifons voifines , réveilla l'attention de la
Police , & il lui fut défendu de continuer. Il trouva
dans fon génie des reffources pour réparer ce malheur.
Il forma fur le même terrein un Waux-Hall
infiniment plus agréable que celui de Londres. Il
eft inutile de le décrire , parce qu'il n'y a prefque
perfonne dans Paris qui n'ait joui de ce Spectacle
délicieux , & peu de perfonnes dans les Provinces
qui n'en aient entendu le récit & l'éloge . C'étoit
une nouvelle pierre philofophale découverte par
Torré ; mais il étoit de fa deftinée de voir évanouir
la fortune dans le temps qu'elle le combloit dés
plus grandes faveurs .
Il fufifoit que fon entrepriſe eût réuffi pour
qu'elle fut imitée . Des gens avides & malheureufement
puiffans , renchériffant fur les idées de Torre ,
élevèrent rapidement dans les Champs - Éliſées un
158 MERCURE
édifice immenfe , & appelèrent cette maffe énorme ,
bâtie avec autant de magnificence que peu de goût ,
le Colifée , apparemment parce qu'elle pouvoit contenir
, comme le Théâtre de Vefpafien , cent mille
Spectateurs , ou plutôt de l'ancien mot Latin Colos
Jaum. C'étoit en effet , à l'égard du Waux-Hall , le
coloffe de Rhodes , comparé à la Vénus de Praxitèle.
Pour ne pas s'expofer à cette comparaifon humiliante
, on trouva le moyen , qu'aucun de mes Lecteurs
honnêtes ne pourra imaginer , celui d'interdire
le Waux-Hall. La religion du Miniftre fut
furpriſe à un tel point , que Torré reçut l'ordre de
fermer fon Spectacle , & l'ordre plus étrange encore
de n'ofer fe plaindre. Ainfi on ruina à jamais ce gafant
homme , & avec lui trente pères de famille qui
avoient facrifié leur fortune à cet établiffement.
Torré paffa en Angleterre . On lui accorda une
liberté qu'on lui refufoit en France . Les Papiers
Publics retentirent des éloges donnés à fes talens . Il
jouiffoit du repos & de l'efpérance de rétablir fes
affaires. Mais ce fameux Colifée élevé pour fa ruine
fut bientôt défert . Il falloit un homme de génie qui
fût varier & animer les différens Spectacles qu'on
pouvoit y donner. Cet homme étoit Torré , qui fut
rappelé en France par les Intéreffés au Colifée qui
l'en avoient chaffé . Il y vint , parce qu'il aimoit cette
`nouvelle Patrie , & plus encore par le defir d'acquitter
les Créanciers du Waux-Hall . On promit de
laiffer un libre effer à fon génie ; mais bientôt la
lézine voulut retrécir les idées magnifiques qu'il
vouloit développer. Il refufa de compromettre la
réputation , & il fe retira. On lui permit de rouvrir
fon Spectacle , mais à condition que la prefque
totalité du bénéfice feroit pour le Colifée. Il effuya
des contradictions fucceffives ; on finit par le chaffer
du Waux- Hall , qu'on convertit en mailons ; & pour
DE FRANCE. 159
prix de tous fes travaux , il refta chargé d'infirmités ,
de dettes & de procès.
Son talent pour la Pyrotechnie eft trop connu
pour qu'il foit néceffaire d'en faire mention. On
fe fouviendra long- temps de ce magnifique feu d'artifice
exécuté pour le mariage du Roi , alors Dauphin
, dans lequel , au milieu de l'exploſion la plus
violente , la plus terrible de l'Ethna , on voyoit des
palmes triomphantes dans leur couleur naturelle ,
s'élever des deux côtés , & dirigées avec tant d'art
qu'elles formoient continuellement une Couronne
fur le balcon des Auguftes Époux.
Les Princes , les Grands & les Particuliers qui ont
eu recours à lui , atteſteront que perfonne n'entendit
mieux que Torré l'art de donner & de varier des
Fêtes. Il avoit un de ces génies ardens qui ne peuvent
fe délaffer d'un travail que par un autre. Dans
fes loisirs, il s'occupoit à conftruire des Baromètres &
des Thermomètres. Les Cabinets les plus précieux
font ornés de fes Ouvrages en ce genre ; & il fuffit
pour fa gloire de citer la fuperbe machine conftruite
pour Roi , & où font raffemblés à la fois les plus
beaux & les meilleurs inftrumens de cette efpèce.
Dans une guerre précédente contre cette fière
Nation , qui veut s'arroger l'empire des mers
l'amour pour la France égara un moment l'imagination
de Torré. Il propofa le moyen de brûler à
une certaine diftance les vaiffeaux ennemis avec une
matière auffi active & non moins inextinguible que
l'ancien feu Grégeois . M. le Comte d'H...... fut
chargé d'en faire l'épreuve , qui réuffit ; mais heureufement
pour l'humanité & pour la fenfibilité de
Torré , qui ne s'eft jamais pardonné de l'avoir
conçue , on applaudit à l'invention & on la rejeta.
Car il faut ajouter à la gloire de cet Artiſte , qu'il
joignoit à fes talens l'ame la plus tendre & la plus
honnête. Il prévenoit l'indigence dans fes befoins ;
160 MERCURE
il ne foutenoit pas fans émotion le récit des malheurs.
Cette douce impreffion de la Nature ne luf
permettoit pas même d'affifter à la repréſentation
d'une Tragédie ; il fouffroit de la douleur d'autrui
combien plus encore de celle de fes ainis ! Dans un
temps où il crut qu'un de ces derniers pouvoit avoir
befoin de confolation , au lieu de le fatiguer de ces
difcours vuides de fens , moins encore que de fentimens
, de ce qu'on appelle amis , il entre , prend fa
main , la ferre , l'embraffe , verfe des larmes , &
difparoit , fans proférer une parole. Il me communiquoit
quelquefois les lettres de fon père & de fa
mère , qui vivent encore. Il ne pouvoit m'en faire la
lecture lui - même , parce que les fanglots euffent
étouffé fa voix . Ils le remerçioient dans ces écrits des
fecours qu'il donnoit à leur vieilleffe , & le prioient
de venir fermer leurs yeux , & recevoir leurs derniers
foupirs.
Cette générofité , qui étoit un devoir à l'égard de
fes parens , devenoit une vertu exercée à l'égard des
autres. Il refufoit à fes Protecteurs , à fes amis même
le plaifir de l'obliger gratuitement Un fervice , un
bon office étoit fuivi du préfent d'un baromètre de
fa façon , ou de quelques autres objets de curiofité ,
& il n'en confervoit pas moins la reconnoiffance la
plus vive.
Il avoit contracté par fes travaux & par fes veilles
un afthme qui faifoit tous les jours de nouveaux
progrès . La Religion , dont il a toujours rempli les
devoirs avec exactitude , le foutenoit dans fes calamités.
Il tenoit encore à la vie par fon tendre attachement
pour une femme eftimable qui avoit partagé
tous les malheurs. Elle y fuccomba la première,
L'ame de Torré avoit été trop fortement ébranlée
pour réfifter à cette dernière fecouffe , & il fuivit
très-peu de temps après la femme dans le tombeau.
Depuis long- temps je le preffois de quitter une ville
DE FRANCE. 161
oùil avoit éprouvé des perfécutions ; je lui offrois
une retraite & les confolations de l'amitié. Je venois
de redoubler mes inftances , lorfque, pour réponſe à
mes tendres invitations jai reçu la nouvelle de fa
mort. O mon ami , puiffent mes regrets confoler
ton ombre , comme le témoignage public que je
rends à tes vertus , fou age un moment ma douleur
!
Il eft mort le 30 Avril , & n'a laïffé qu'une fille
orpheline , bien digne de la protection des Grands
qu'il a fervis , & des ames honnêtes & généreuses.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Quartier ; celui
du Logogryphe eft Poésie , où se trouvent
pois , pie , Po ,foie , fi.
ра
ÉNIGM E.
CROYEZ qu'on n'a pas toujours tort
En déplorant fon trifte fort.
Oui , tandis que ma foeur puînée
Brille à la table & des Grands & des Rois ,
Mon titre-nul de foeur aînée ,
Me laiffe fans afyle aux champs & dans les bois.
Si l'on va m'y chercher , c'eſt pour un vil ufage :
Et puis , on me relègue à l'étable , au grenier.
Peine fans récompenſe eſt toujours mon partage.
-162 MERCURE
A la moindre humeur on m'outrage
Par un juton de Palfrenier.
Jugez mon état & le vôtre,
Et convenez que j'ai raiſon ,
Ma ſoeur ; il faut changer de nom ,
Ou bien que l'on m'en cherche un autre.
( Par un Académicien de Périgueux. )
LOGO GRYPH E.
JE fuis en rous lieux fort utile ,
Moins pourtant aux chainps qu'à la ville .
Des fots propos d'un difcoureur
Je fers à montrer la valeur.
Si mes neuf pieds tu décompofes ,
Lecteur , que de métamorphofes!
J'offre à tes regards curieux
Un animal bien dangereux ;
Un oifeau , mais le plus fuperbe ;
Le Dieu des Bergers ; un adverbe ;
Une mince correction ;
De la douleur l'expreſſion ;
Trois villes ; un pronom ; une mouche qui pique;
Un inftrument bien doux ; trois notes de musique ;
La mère d'un Dieu , d'Apollon ;
.
Le nom d'un fage ; un étalon ;
Un nouvel ornement de tête ;
• Du coq orgueilleux la conquête ;
DE FRANCE. 163
Ce qui groffit tous les objets ;
Un jeune habitant des forêts ;
Une extrémité de la terre ;
Deux élémens , une rivière ;
Celui qu'aux Petites- Maiſons
On met pour de bonnes raifons ;
De notre Seigneur la monture ;
Ce qui des bâtimens dirige la ftructure ;
Des jardins le plus grand fléau ;
Un grand Saint ; ce qui contient l'eau ;
Ce que l'on trouve en Laponie ;
Du corps humain une partie ;
L'aftre qui préfide à la nuit ;
Des douze mois le net produit ;
Le mets favori du village ;
La caufe de plus d'un naufrage ;
Ce qu'attire une nouveauté ;
Où peut-être tu m'as porté.
Un mot avant que je me taife ;
Je te mets fouvent fort à l'aife.
(Parle Cordonnier du Village de Soupire ..
en Laonois. )
164 . MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXPÉRIENCES fur les Végétaux , par
M. Ingen-Housz , Confeiller Aulique , &
Medecin du Corps de Leurs Majeftés
Impériales & Royales , Membre de la
Société Royale de Londres , &c. traduit
de l'Anglois par l'Auteur , volume in -8° ,
prix , 4 liv. 4 fols broché. A Paris , chez
Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , quai
des Auguftins.
• M. PRIESTLEY , dans fes favantes Recherches
fur les différentes efpèces d'air, avoit apperçu
que
perçu que la végétation les rétabliffoit dans
leur état de pureté lorfqu'ils avoient été
altérés , foit par les vapeurs méphitiques ,
foit par la préfence des animaux , foit par
une caufe quelconque , qui leur ôtoit la
faculté de pouvoir fervir à la reſpiration ,
ou à l'entretien de la flamme d'une bougie.
C'étoit même , felon lui , un des moyens
qu'employoit la nature pour prévenir la
corruption de l'atmosphère , qui , bientôt
devenue générale , auroit ôté la vie à tous
les animaux. Mais les réfultats que lui
avoient donné les différentes expériences
faites pour établir cette vérité , n'étoient pas
affez concluans pour qu'on la regardât
comme démontrée : fouvent même elles
DE FRANCE. 165
fembloient produire tout le contraire. Diffé
rens Phyficiens ayant répété les mêmes
expériences , avoient conclu que la végéta
tion , loin d'améliorer l'air , le rendoit plus
nuifible encore : ils penfoient qu'elle opère
fur cet élément le même effet que la refpi-
- ration .
Frappé de ces contradictions , M. Ingen→
Housz voulut en connoître la caufe , & fixer
fes idées. Pour y parvenir , il répéta toutes
les expériences qui avoient été faites de part
& d'autre , & s'apperçut bientôt que les uns
& les autres avoient également tort & raifon
: la végétation en effet corrompt l'air,
& le purifie tour - à-tour,
Les plantes n'ont pas feulement la faculté
de corriger l'air impur dans l'espace de fix
jours , comme les expériences de M. Prieſtley
fembloient l'indiquer : quelques heures fuffifent
pour cette opération merveilleuſe. Elles
font même plus , car tout l'air qu'elles contien
nent dans leurs fubſtances , & qu'elles ont fans
doute abforbé de l'athmosphère , eft changé en
un air déphlogistiqué bien plus pur que
l'air
commun. Elles en verfent par intervalle une
quantité abondante qui entretient la falubrité
de l'atmosphère. Mais cette opération
n'eft pas dûe uniquement à la végétation ;
& c'est en quoi confiftoit l'erreur des Phyficiens.
Les plantes n'agiffent ainfi fur l'air
altéré qu'à l'aide de l'influence de la lumière
du foleil : il faut que cet aftre vienne feconder
leurs efforts ; par la lumière vivifiante il
166 MERCURE
aide leur opération : plus cette lumière fera
vive & éclatante , plus prompt fera le changement
des gaz malfaifans , en air falubre &
déphlogistiqué ; & fi quelque nuage intercepte
les rayons bienfaifans de cet aftre ,
tout le travail eft fufpendu : non- feulement
les plantes n'amélioreront plus l'atmofphère
, mais elles exhaleront un air pernicieux
& très-nuifible aux animaux qui le
refpireront. Nous favions que la chaleur du
foleil étoit néceffaire pour faire fubfifter tout
ce qui vit fur le globe ; mais nous ignorions
combien fa lumière y influoit. Elle n'eft plus
réduite à colorer les objets , & à nous en
tranfmettre les formes extérieures ; M. Ingen-
Housz affure que fans fon action fur
l'air il deviendroit impoffible de le refpirer,
& par conféquent de vivre : phénomène
qu'on n'avoit pas foupçonné jufqu'ici ,
L'Auteur tire de cette découverte un.
grand nombre d'obfervations intéreffantes.
Plus les végétaux reçoivent de rayons du for
leil , plus ils purifient l'atmosphère ; leur
tranſpiration affainit l'air qui les environne,
& à l'ombre ou pendant la nuit elle le corrompt.
Ainfi le lever & le coucher du foleil
fervent de points intermédiaires entre ces
deux opérations oppofées ; mais le travail
de la nuit eft moins confidérable que celui
du jour.
M. Ingen-Housz voulant s'aflurer fi toutes
les plantes opéroient de la même manière ,
n'a obfervé entre elles que des différences
DE FRANCE. 16701
très légères. Quelques- unes , cependant ,
telles que les plantes aquatiques , rendent
plus d'air déphlogistiqué ; le Nafturtium indicum
lui en a donné une quantité confidérable
; d'autres hâtent davantage la corruption
de l'air pendant la nuit ; il en a trouvé ,
au contraire , qui le vicient fort peu .
Portant enfuite fes recherches fur les diverfes
parties des plantes , il a trouvé , à cer
égard , de grandes différences. Les feuilles ,
les tiges & les petits rameaux verts ,
font
les feules qui exercent fur l'air une action
falutaire & qui l'épurent. C'eft la furface
inférieure des feuilles qui verfe l'air dephlogiftiqué
, & la fupérieure abforbe celui de
l'atmosphère.
Toutes les feuilles n'opèrent pas avec la
même activité. Celles qui ont acquis la
maturité ou qui font vieilles , en ont
beaucoup plus que les jeunes. Mais les
fleurs les plus belles & les plus odorantes ,
exhalent conftamment un air mortel , &
gâtent celui qui les environne , le jour & la
nuit , à la lumière comme à l'ombre . L'Aureur
affure qu'une Dame Angloife fut trouvée
morte dans fon lit , pour avoir placé
dans fa chambre une trop grande quantité
de fleurs- de- lys. Les fruits ne font pas
moins pernicieux ; tous donnent un air plus
ou moins altéré. Les racines ont à peu - près
la même propriété que les fleurs & les
fruits.
Enfin, M. Ingen-Housz , en voulant s'affu
168
MERCURE
rer fi la lumière feule du foleil pouvoit corriger
lair vicié , a reconnu que loin de
l'améliorer , elle le corromproit plus vite ;
d'où il faut conclure que ni la végetation
feule , ni la lumière feule du foleil , ne peuvent
produire ces bors effets, mais qu'il faut
leur action cou.binée.
On ne fauroit donc trop multiplier les
végétaux dans les pays marécageux , mais l'on
doit craindre en même- temps de planter
autour des habitations un trop grand nombre
d'arbres, parce que leurs fummets abforbant
toute la lumière , ne permettroient plus
aux rayons du foleil de penetrer la couche
d'air inferieur que refpirent les hommes &
les autres animaux , & qui feroit détérioré
par l'action , fuite de la végétation.
M. Ingen-Housz a fait plus de cinq cent
expériences pour étayer fa nouvelle doctrine.
Étranger en Angleterre , il fe retire
dans une campagne aux environs de
Londres , où il oublie l'objet de fon
voyage pour fe livrer tout entier à ces utiles
découvertes, " On fe perfuadera aifément ,
» nous dit-il , que mes recherches ne peu-
» vent avoir d'autres vues que le progrès
des connoiffances & le bien général de
l'humanité. Si j'avois été avide du gain ,
je les aurois abandonnées pour fuivre le
chemin de la fortune qui m'étoit ou-
» vert.... Mais accoutumé dès mon enfance
» à l'étude , qui fait les délices de ma vie, je
fuis content de mon fort. »
พ
Lo
DE FRANCE 169
- Le Public applaudira fans doute au défintéreffement
& au travail de l'Auteur. Il
nous promet un fecond volume, non moins
intéreffant que celui- ci . Nous obferverons
une chofe extraordinaire , que
M. Ingen-Housz , qui eft Allemand , a écrit
fon Livre en langue Angloife , & l'a fu traduire
lui-même en très- bon François.
comme
DISCOURS fur les moyens les plus conformes
à la Religion , à l'Humanité & à la Iolitique
, de faire ceffer la Mendicite dans la
Province de Normandie ; Ouvrage couronné
par l'Académie de la Conceptionde
Rouen , en l'année 1779 ; par M. D***
Lieutenant- Général de la Sénéchauffée de
Marfeille , de l'Académie des Belles-
Lettres , Sciences & Arts de la même
Ville. A Avignon , & le trouve à Paris ,
chez d'Houry , Imprimeur-Libraire , rue
de la Vieille-Bouclerie.
Nous avons déjà rendu compte de plufieurs
Difcours fur le même fujet ; mais ce
fujet n'eft pas de ceux dont l'intérêt ne dure
qu'un inftant, & fur lequel on ne peut guère
Lire plus d'un Ouvrage . Il fera inépuifable
tant qu'il y aura des pauvres ; & on ne doit
ceffer d'écrire fur la Mendicité , que lorf
qu'elle fera abolie. Si on ne nous donne pas
de nouvelles lumières , on peut nous donner
de nouveaux fentimens ; & c'eft quelque
Sam. 28 Octobre 1780,
H
か
170 MERCURE
fois à force de la répéter , que la vérité pénètre
dans nos ames,
Il s'en faut bien que le Difcours que nous
annonçons aujourd'hui , ne fafle que répéter
ce qu'on a dit dans les autres. Les moyens
qui étoient déjà connus , y font préfentés
fous de nouveaux points de vue ; & il y en
a qui n'appartiennent qu'à l'Auteur .
On peut diftinguer les Pauvres en trois
Claffes ; 19 , les infirmes , les enfans & les
vieillards , qui n'ont pas affez de force pour
gagner leur fubfiftance par le travail. 29,
Ceux qui ont des forces , mais qui ne trouvent
plus de travail , foit parce que l'Agriculture
eft négligée , foit parce qu'une guerre
ou d'autres révolutions politiques , ont fait
tomber des branches de commerce & d'induftrie
; foit enfin parce que le luxe , qui
change continuellement de fantaifie , ne leur
demande plus rien de ce qu'ils favoient pré
parer pour les jouiffances. 3. Ceux qui ne
manquant ni de force ni de travail , aiment
mieux mendier leur pain que dele gagner , &
préfentent dans la fociété la réunion révol
tante de la vigueur & de la jeuneffe avec la
misère .
On comprend que ces trois fources de la
Mendicité ne peuvent pas être taries par les
mêmes moyens ,
Les afyles & les Hôpitaux font néceffaires
pout les infirmes ils ne le font pas moins
pour les enfans & pour les vieillards, La
vieilleffe & l'enfance font des infirmités.
DE FRANCE. 171
que
Quelques Écrivains fe font élevés avec force
contre l'inftitution des Hôpitaux & des alyles.
Ils ont cru que ces afyles faifoient naitre
la pauvreté , qu'ils recueillent & qu'ils
nourriffent. Mais comment l'enfant , qui ne
fait pas travailler encore , le vieillard qui ne
peut plus travailler , l'Artifan , qui a perdu
fon induftrie avec fa fanté , pourront - ils
donc vivre s'ils ne reçoivent pas leur pain
de la bienfaifance de la Patrie ? Un bon Gouvernement
peut corriger la pareffe ; il peut
faire naître de nouvelles fources de travaux.
Mais il eft des maux attachés à la nature ,
les meilleures Lois du monde ne peuvent
pas prévenir : il faut donc les foulager
au moins. Il faut pourtant avouer, que lorfque
les Gouvernemens auront atteint un certain
degré de perfection , l'aifance fera tellement
répandue dans toutes les claffes de la
fociété, que les vieillards , les enfans & les
infirmes feront prefque toujours attachés à
quelque famille qui fera en état de les nourtir,
& qui ne voudra point les abandonner
à la pitié publique. C'eft- là fans doute ce
qu'ont voulu dire les Écrivains dont nous
parlons. Mais cette perfection des Gouver
nemens , fi elle eft poffible , doit être attendue
encore pendant plufieurs fiècles : & les
infirmes ont à chaque inftant befoin des fecours
de la Patrie. Ce qui a excité le zèle
de quelques Écrivains contre les Hôpitaux
ou Dépôts , c'eft la manière dont ils font
adminiftrés généralement , c'eft que les fe
H
172 MERCURE
cours qu'on y donne aux malheureux , font
encore pour eux de nouveaux maux ; c'eſt
que ce font des prifons, & non pas des afyles.
Mais cela tient à des abus que l'on peut fupprimer,
fans abattre ces monumens honorables
de l'humanité d'une Nation. Il eft aujourd'hui
dans le Royaume une perfonne
qui a renoncé à des goûts chers à fon efprit
& à fon coeur , pour confacrer toute fa vie
à la fuppreffion de ces abus ; & la réforme
de tant de défordres n'a pas plus de difficultás
que cette perfonne n'a de talens & de
vertus.
Les Pauvres de la feconde claffe reçoivent
affez de fecours lorfqu'on leur procure des
travaux ; mais on leur doit des fubfiftances
lors même qu'il eft impoffible de donner de
l'emploi à leur induftrie. Si ce font des Laboureurs
, de nouveaux encouragemens donnés
à l'Agriculture , rendront leurs bras néceffaires.
C'eft donc l'Agriculture qu'il faut
étendre ou perfectionner ; & le même moyen
qui arrachera ce malheureux à la Mendicité,
accroîtra la profpérité du Royaume. Si ce
font des Artifans , dont une guerre ou une
révolution de Commerce a rendu l'induftrie
inutile ou beaucoup moins néceffaire , le
Gouvernement a dû prévoir de loin leur
infortune , & il peut trouver en eux-mêmes
des relfources pour les fauver de la misère .
Quand le Commerce fait fleurir leur induftrie
, on peut les engager à retrancher
une petite portion de leur profit , & à la
DE FRANCE. 173
mettre en réſerve pour les jours du befoin .
Ce facrifice ne leur coûtera guère plus que
ceux qu'on fait tous les jours par une fage
économie ; & la prudence ici aura le mérite
de la générofité. Auprès d'une petite Ville
de la Grèce , il y avoit un trou qu'on appeloit
l'abyfme du malheur. Chaque Citoyen
alloit y jeter régulièrement une partie du
gain de fa journée ; & l'on croyoit conjurer
le malheur par ces facrifices faits dans des
temps heureux. Mais cet ufage fuperftitieux
n'étoit propre qu'à calmer les inquiétudes
de l'imagination . Ce trou étoit vraiment
un abyfme , où tout ce qu'on y jetoit étoit
perdu. Mais dans l'établiſſement qu'on propofe
, les petits facrifices qu'on aura faits
d'avance à la fortune , feront un sûr moyen
de fe mettre à l'abri de ce que les revers
ont de plus affreux & de plus humiliant .
Chaque Corps de métier & d'induſtrie auroit
un tréfor qui s'ouvriroit à tous ceux qui
manqueroient de travail. Ce tréfor ne feroit
pas même perdu pour le Commerce . On
trouveroit des moyens de l'y faire entrer
fans danger , pour augmenter le patrimoine
de l'infortune. Il faut voir dans le Difcours
même, tout ce que l'Auteur dit à ce fujet .
C'est une de fes meilleures vues , & une de
celles qu'il a le plus développées. Il prévoit
toutes les difficultés de détail ; il répond à
toutes.
De l'examen des caufes de cette eſpèce de
Mendicité , il réfulte de nouvelles preuves
H inj
174
MERCURE
de deux vérités générales , bien importantes
dans l'Adminiftration des États .
La première , c'eft que parmi les objets
de Commerce & d'induftrie , on doit donner
la préférence , non à ceux qui répandent
le plus d'argent chez une Nation , mais à
ceux qui , étant d'une utilité plus univerfellé
& plus indifpenfable , font également néceffaires
dans tous les temps. Ce font ceux
qui font le plus à l'abri des révolutions
politiques , & ceux par conféquent qui
manquent le moins à ceux qui les embraffent.
La feconde , qui n'en eft qu'une fuite ,
c'eft que les Artifans qui travaillent pour
les fantaifies du luxe , font ceux qui font
le plus expofés à tomber dans la Mendicité.
Il ne faut pour cela ni une guerre ,
ri ane révolution de Commerce : il fumit
qu'une femme , qui donne le ton à la mode,
change de caprice . Tous les Artifans de la
mode qu'elle a fait tomber , manquèront
de travail & de pain. On ne peut pas changer
auffi fouvent de talens , que le luxe change de
goût & de fantaifie ; & c'eft ici qu'on reconnoît
l'erreur des Apologiftes du luxe. Si vous
ôtiez , difent- ils , au luxe ce goût qui vous
paroît frivole , cette jouiffance qui vous
femble un excès , vous ôteriez le pain à dix
mille familles que ces frivolités & ces excès
nourriffent ; & ils ne voyent point que
de lui -même le luxe va perdre ce goût , que
de lui-même il va méprifer ce plaifir qu'il
-
DE FRANCE.
175
defifoit avec tant d'ardeur. Ses Artifans
font tout- à- tour les favoris & fes victimes ;
ceux qu'il nourrit aujourd'hui , il les tuera
demain. Et tout ce que gagnent les infortunés
, dont il fe joue fi cruellement , c'eft
d'avoir à la fois fes vices & ceux de la
pauvreté. Voilà de la morale , & je fais
qu'on n'en veut plus dans les queſtions politiques
; elle ne paroît qu'une déclamation .
Mais certes , ce feroit encore un affez grand .
vice dans l'Adminiſtration des États , que de
faire dépendre la fubfiftance de plufieurs
milliers d'hommes , des goûts capricieux &
fantafques de quelques hommes blafés par
les richeffes & par l'excès des jouiffances.
Il faut voir encore dans le Difcours les
moyens qu'indique l'Auteur pour employer
a des travaux qui leur conviennent , les Marelors
que faifoit vivre le Commerce pendant
la paix , & qui reftent fans emploi dans
la guerre.
Les Pauvres de la troisième claffe font
ceux qui infpirent le moins d'intérêt : ils
en méritent cependant encore. La pareffe
eft aptant un malheur qu'un vice : & leur
haine pour le travail eft un des effets de
l'indifférence de nos inftitutions pour leur
fort . Eux-mêmes quelquefois font prêts à
nous reprocher cette pareffe dont nous leur
faifons un crime : ils la' regardent du moins
comme une grande maladie dont ils font
affligés. Pourquoi ne travailles- tu point ,
difoit Marivaux à un jeune homme plein
Hiv
76
MERCURE
•
de vigueur , qui lui demandoit l'aumône ?
Hélas! Monfieur , lui répondit le jeunehomme
, c'est que je fuis fi paresseux !
Marivaux paya cette réponſe d'un écu de
fix francs. Il falloit la payer , fans doute ,
mais une feule fois . Quand même ces
malheureux n'infpireroient aucune eſpèce
d'intérêt , ils font affez dangereux pour
mériter la plus férieufe attention. L'Au
teur de ce Difcours connoiffoit trop
les droits de l'homme pour ne pas examiner
fur quels titres la fociété croit pouvoir
renfermer les Vagabonds qui la rempliffent
d'alarmes , & fouvent de malheurs & de
crimes . Il les établit fur des raifons qu'il eft
impoffible de combattre .
Mais il veut qu'on les renferme , non
dans des Prifons mais dans des Atteliers.
C'eft peu encore de les faire travailler , il
faut leur faire aimer le travail . L'autorité
la plus abfolue , eft celle qui change les
coeurs & les volontés , eft celle qui fait
vaincre & prendre des habitudes . Mais ce
pouvoir n'a été donné par la nature qu'à
la bienfaifance , & les hommes ne peuvent
pas le donner. Il faut donc que l'autorité
foit bienfaifante pour l'obtenir & pour
l'exercer. « Je ne fais , dit Montefquieu
» fi c'eſt l'efprit ou le coeur qui me dicte
» cet article ; mais il ' n'y a peut-être pas de
» climat fur la terre , où l'on ne pûr engager
au travail des hommes libres :
ود
و د
>
DE FRANCE. 177
+
parce que les Lois étoient mauvaifes
on a trouvé des hommes pareffeux ;
» parce que ces hommes étoient parelfeux,
ود
ود 33
on les a mis dans l'efclavage. » Ce que
les Lois peuvent faire de mieux en ce genre,
c'eft de bien affurer à l'homme le prix de
fon travail ; le travail n'eft doux que par
les fruits qu'il rapporte. Il faut donc que
le pauvre valide , renfermé dans un Attelier
, travaille pour lui - même autant que
pour l'Écat ; il faut qu'il puiffe gagner de
quoi rentrer dans la fociété, pour y exercer
librement fon induftrie. C'eft même le
moyen de rendre leurs travaux plus avantageux
pour l'Attelier & le Gouvernement.
On fait que Craffus étoit le plus riche
des Romains , dans un fiècle où toutes les
richeffes du monde étoient dans Rome :
c'eft aux travaux de fes Efclaves , excités par
la promeffe de l'affranchiffement , qu'il dût
fon énorme fortune. Craffus , difoit- on dans
Rome , eft le plus riche Citoyen , & fes
Efclaves deviennent les affranchis les plus ,
aifés & les plus honnêtes de la République.
Il feroit bien étonnant que le Gouvernement
éclairé d'une puiffante Monarchie
ne pût pas faire ce que faifoit un Citoyen
de Rome.
Au refte , toutes ces idées générales font
affez faciles à trouver ; il n'eft pas auffi aifé
d'indiquer tous les détails de l'exécution ;
& c'eft à quoi s'eft attaché fur- tout l'Auteur
de ce Difcours.
Hv
178 MERCURÉ
4
Il a enrichi fon Ouvrage d'un tableau
hiftorique de ce qu'on a fait chez tous les
Peuples , & fur- tout en France , pour abolir
la Mendicité.
On croit allez généralement que les Pyramides
de l'Égypte font un monument de la
tyrannie de fes anciens Rois . L'Auteur de ce
Difcours y voit un monument de leur bienfaifance.
C'eft , dit - il , pour donner du travail
& du pain aux Pauvres , qu'elles ont été
élevées. L'Hiftoire a fur cet objet une tradition
qui paroît avoir plus de vraisemblance
que cette conjecture. On a dit que Séfoftris
fit élever ces Pyramides par les Efclaves faits
dans fes conquêtes. Il eft probable au moins
que la bienfaifance eût été plus éclairée ,
& qu'elle eût employé les Pauvres à des
travaux plus utiles à toute la Nation.
>
Une pitié tendre pour les malheureux
augmente l'intérêt de toutes les vues de ce
Difcours : elle fe fait fentir fur tout dans
les moyens que l'Auteur propoſe pour recevoir
les Mendians étrangers dans leurs
Provinces & dans leurs Villes. Rien n'eft
fidangereux , en effet , que de voir un Gouvernement
donner aux Citoyens l'exemple
de la cruauté. La pitié eft la fource de toutes
les vertus fociales ; & lorfqu'il n'y a plus
de moeurs , c'eft encore la pitié qui prévient
les grands crimes & les grands malheurs chez
les Nations corrompues
.
En lifant ce Difcours , on eft fans ceffe
frappé d'une idée : c'eft que cette queftion
DE FRANCE. 179
fur les moyens d'abolir la Mendicité , n'eft
que la grande queftion fur les moyens de
perfectionner les Gouvernemens.
Ce Difcours & celui de M. l'Abbé de
Montlinot , couronné à Soiffons , font ce
que nous avons lu de meilleur für ce ſujet ;
c eft l'Ouvrage d'un de ces bons Citoyens,
dont le progrès des lumières augmente tous
les jours le nombre , & qui , répandus dans
toutes les Provinces , ont fur les queftions
qui intéreffent la félicité publique , des vues
qu'ils favent préfenter dignement à la Nation
.
ANALYSE de l'Hiftoire Sacrée , depuis
l'origine du monde jufqu'à la venue du
Meffie , mêlée de Reflexions , pour fervir
à l'inftruction de la Jeuneffe Chrétienne.
ARome, & fe trouve à Paris, chez Debure
l'aîné , Libraire , Quai des Auguftins .
CET Ouvrage , principalement deftiné à
l'éducation des Jeunes - Gens , eft remarquable
par la clarté & la précifion ; qualités
bien effentielles au but d'utilité que s'eft
propofé l'Auteur. Il eft divifé par Chapitres ,
& écrit dans la forme des Catéchifines >
c'eft-à dire , que les faits font racontés par
demandes & par réponſes , moyen le plus
fimple d'aider tout à la fois à l'intelligence
& à la mémoire des enfans. Nous allons
tranſcrite au haſard quelques lignes , pour
faire connoître le ftyle de l'Auteur. Il dic
H vj
180 MERCURE :
"
ود
en parlant de Salomon : « Tranquille poft
» feffeur du trône , Salomon demanda &
» obtint en mariage la fille de Pharaon , Roi
d'Égypte ; & l'écriture nous dit qu'il marchoit
fur les traces de David fon père ,
imitant fa piété & fa fidélité envers Dieu.
» Ses vertus ne reftèrent pas long - temps.
» fans récompenfe ; car le Seigneur lui offrit
, dans un fonge mystérieux , de lui
» accorder ce qu'il lui plairoit de demander;
» il préféra la fageffe aux honneurs & aux
» richeffes qui lui étoient offerts , & il
» reçut avec elle les tréfors & la gloire
qu'il ne demandoit pas. »
,,
ود
"
Parmi les réflexions qui , conformément
au titre de cet Ouvrage , fe mêlent au récit
des faits , on trouve que les Juifs , dans
quelque circonftance & dans quelque pofition
qu'on les confidère , ont toujours eu la
liberté de fe conduire felon leurs lois , &
ont toujours eu des Chefs pour les régir , ou
des Rois pour les gouverner.
Cette Analyfe doit intéreffer par la nature
du fujet , & l'on doit des éloges
à la manière de l'Auteur & à la forme
qu'il a adoptée. Il eft à defirer que cet Ouvrage
foit connu dans les Colléges & dans les
Penfions , & qu'il y produife le bien que
l'Auteur a fans doute ambitionné.
DE FRANCE. 181-
INFLUENCE du Defpotifme de l'Angleterre
fur les deux Mondes. Brochure in- 8 ° .
A Paris , au Palais Royal , & chez les
Libraires qui vendent des Nouveautés.
Prix , I liv. 16 fols.
ON auroit pu intituler cet Ouvrage , An
tidote contre l'Anglomanie , parce qu'il peut
fervir à détromper ceux qui fe font laiffé
perfuader , par les éloges outrés que nos Littérateurs
ont faits du Gouvernement des
Anglois , du génie & du caractère de cette
Nation.
Cet Ouvrage eft divifé en neuf Chapitres.
Les cinq premiers contiennent un précis du
droit naturel & du droit des gens. L'Auteur
admet pour baſe de l'ordre focial le refpect
pour la propriété perfonnelle , mobiliaire &
foncière ; pour baſe de l'union des Nations ,
la liberté & l'immunité abfolue du commerce
; & enfin , pour baſe de toute légiflation
, propriété , liberté & fécurité. Les
quatre derniers Chapitres font connoître
l'efprit du Gouvernement Anglois , fur- tout
par fon fameux acte de navigation de 1660 ,
& par la conduite de cette Nation depuis
cette époque.
Pour donner une idée du ftyle de l'Écrivain
patriote , qui fait le fujet de cet article ,
nous allons extraire quelques phraſes de fon
Ouvrage.
Les Lois Angloifes font très - défec182
MERCURE
"
» tueules , puifqu'elles font le principe des
» divifions inteftines du peuple , & qu'elles
» mettent les intérêts des particuliers en oppofition
, non -feulement avec l'intérêt
national , mais avec l'intérêt général de
" tous les peuples. Ces lois font injuftes &
ود
ود
""
»
و د
"
cruelles , puifqu'elles infpirent une haine
» violente ou un profond mépris pour les
» autres États. Par leur acte de navigation
» de 1660 , les Anglois fe font arrogé le
» droit d'être les tyrans du commerce &
" des mers. L'efprit de cet acte eft celui de
conquête. Or, tout efprit de conquête eft
brigandage. Depuis cette époque les Anglois
ont corrompu une partie des Na-
» tions en faifant le malheur des autres. Ils
» fe font corrompus eux-mêmes en con-
» fondant fans ceffe l'abus avec le pouvoir ,
» la licence avec la liberté , la loi avec le
caprice , la violence avec le droit. Parve-
» nus à ce degré de corruption , ils ont ren-
» verfé toutes les barrières , ils ont violé
» tous les droits , fe font joués de la liberté ,
» de l'honneur, des priviléges les plus facrés ,
» pour affouvir leur rapacité. Depuis cette
» époque leur hiftoire n'offre qu'un enchaî-
» nement bizarre de liberté apparente &
"
"3
"
ود
d'efclavage réel , d'entreprifes téméraires
» ou injuftes, de gloire éphémère & de malheurs
durables , des vertus farouches , des
fautes , des excès & des crimes.
» Dans cette nouvelle Carthage , l'homme
» de bien ne voit qu'un peuple avide , exDE
FRANCE. 183
و د
""
و د
» clufif , ingrat , injufte , féroce , fouillé du
» fang des Rois , oppreffeur de fes concitoyens
, & dont l'ambition étudiée tend
» à opprimer également l'ancien & le nouveau
monde. Il ne voit dans touté fa con-
» duite que rufe , artifice , atrocités , orgueil
fans bornes , cupidité fans frein ,
follicitudes voraces , perfidie dans les procédés
, prétextes vains ou faux , infraction
» des traités les plus folennels , violation des
lois les plus facrées , mépris envers toutes
les Puiffances , infultes à tous les Pavillons.
Enfin , pour graver , pour perpétuer dans
» le coeur de leurs enfans leur morgue ,
» leur infolence , leur audace , leur haine
» pour le genre humain , ils employent tous
و ر
و د
و د
و د
les moyens imaginables dans leurs écoles ,
» dans leurs temples , dans leurs galèries publiques
& particulières , dans leurs Tri-
» bunaux & fur leurs Théâtres ; farces & pa-
» rades indécentes , pamflets , philippiques
» & déclamations outrageantes , dont les
peuples de l'Europe font tour- à- tour les
frais. Voilà le léopard qui veut fe
و د
ور
gorger
» des dépouilles de toute la terre : voilà
» l'ennemi qui intéreffe toutes les Nations.
» à fa perte. ""
Nous renvoyons à l'Ouvrage pour le développement
de ces terribles vérités.
184 MERCURE
VARIÉTÉ S.
LETTRE aux Auteurs de ce Journal , dans
laquelle on propofe de changer le nom du
V
mois d'Août.
Ous favez , Meffieurs , combien le mot barbare
Août, & plufieurs autres de pareille efpèce , déplaifoient
à M. de Voltaire. Il vouloit que l'on dît le
mois d'Augufte; ce nom, demême que celui de Juillet,
rappelle le fouvenir d'un Empereur Romain . Un plus
puiffant motif nous engage aujourd'hui à admettre
le changement propofé ; c'eft que nous avons un
nouvel AUGUSTE à célébrer , qui eft bien plus digne
de nos hommages , celui du trône duquel viennent
d'émaner , après plufieurs autres loix précieuſes à
l'humanité , les deux Déclarations concernant les
Prifons & la Question.
Dans un an , Meffieurs , j'aurai l'honneur de vous
écrire une Lettre , dont voici quelle fera la date : le
premier du mois d'Augufte , l'année de J. C. 1781 ,
du Règne de LouIS- AUGUSTE la huitième....... puiffé-
je y ajouter ces mots fi defirés de toutes les ames
fenfibles : & de la paix générale , la première !
J'ai l'honneur d'etre avec une refpectueule confidération
, &c.
Ce 18 Septembre 1780.
DE FRANCE. 185
SCIENCES ET ARTS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure..
MONSIEUR ,
VOICI ma Réponse aux deux Queſtions que M.
le Chevalier de C... m'a fait l'honneur de m'adre
fer dans le Mercure du 29 Juillet.
- N'est -il pas plus fimple , dit- il , de défigner la pofition
d'un lieu confidéré comme un point , par les dif
tances de ce point à deux cercles fixes , c'eft- à -dire ,
par la longitude & la latitude de ce lieu ?
Je réponds d'abord que la Topographie ne peut ,
ni ne doit confidérer un lieu comme un point , mais
au contraire comme un espace , ou comme une fuperficie
divisible en plufieurs portions , dont elle doit affigner
les DIMENSIONS précifes & les SITUATIONS
RESPECTIVES avec exactitude .
Quand vous faurez qu'une Paroiffe , une Juftice ,
un Fief, un Bois , une Ferme , ont un point qui fe
trouve à tant de degrés de latitude , & à tant de degrés
de longitude , en connoîtrez -vous l'ÉTENDUE
& les LIMITES ? En pourrez-vous dreffer aisément
un Plan bien orienté , & dont l'échelle s'accorde avec
celle des Plans des terres du voisinage ? Non , fans
doute.
Cette Nomenclature de degrés , minutes & fecondes
de latitude Nord ou Sud , de longitude Eft ou
longitude Queft , ne défignant qu'un ſeul point , par
exemple , le clocher d'une Paroiffe , ou la tour d'un
Château , convient donc à la GÉOGRAPHIE , fur
laquelle nous n'avons plus rien à defirer en France,
186 MERCURE
graces aux fuperbes travaux des Savans de l'Acadéinie
des Sciences ; mais elle ne convient point à la
TOPOGRAPHIE , qui eft mon feul objet.
Avec aufli peu de mots , je dirai deux chofes :
premièrement , combien cette Paroiffe , cette Justice,
ce Fief, ce Domaine Rural , contiennent de toifes
quarrées , mefure du Châtelet de Paris ; fecondement
, quelles font précisément ces toiſes-là dans la
multitude énorme de toifes quatrées que renferme
la France ; de manière qu'on ne puiſſe jamais confondre
une feule de ces toifes avec aucune autre
parce qu'elles ont toutes un caractère Special &
diftinctif, certain , phyfique & invariable.
Dix mots au plus , faciles à retenir , & que chacun
peut aisément employer , fuffisent à cette im
menfité de combinaiſons , moyennant la ſubdivi
fion des grands quarrés en 9 petits ; moyennant
auffi la diftinction évidente & palpable entre le
quarré central & les huit autres dont il eft envi
ronné.
Je dis dix mots auplus , parce qu'il ne fera pas tou
jours néceffaire de paffer aux terreins , qu'on veut
défigner , par les dix noms confacrés.
De même que les perfonnes qui s'entretiennent
dans un lieu quelconque , à Paris , par exemple , né
difent point , pour indiquer une Maifon au Nord
du Royaume , Ile de France , Paris , Fauxbourg S
Germain , rue de Bourbon , la quatrième Maifon à
gauche en entrant par la rue des SS. Pères ; mais
feulement en fe conformant à la méthode que j'ai
employée dans mon Proſpectus , tant à l'égard des
habitans du Royaume , que de ceux des autres parties
du Globe , pour indiquer ma demeure par ces
mots : Paris , rue du Jardinet , vis-à- vis celle da
Paon.
On pourra dire de même PIÈCE Nord , CARREAU
Sud, TENEMENT Eft , & fous- entendre les
DE FRANCE. 187
fix autres dénominations , parce que les perfonnes
qui habitent le Ban où elles s'entretiennent , ou qui
y portent leur pensée en cas d'abfence , connoiffent
le Canton , ainfi que le Ban ou la Paroiffe dont il
s'agit.
Quand on veut indiquer l'inftant où l'on parle ,
on ne dit pas tel fiècle , telle année , tel mois , telle
femaine , ni le jour , ni même l'heure ; mais tout
Implement , il eft le quart.
On n'emploie jamais la totalité des caractères indicauifs,
que pour les abfens tout-à-fait étrangers aux
objets en queftion ; auquel cas il n'y a point d'énumération
verbale à faire , mais on l'écrit en fe fervant
des abbréviations que l'ufage a introduites.
D'ailleurs , perfonne ne fe méprendra fur l'énorme
différence qu'il y a entre les étendues uniformes
invariables & connues des divifions regulières de la
NOUVELLE TOPOGRAPHIE , & les étendues irrégulières,
variables & inconnues des efpaces qu'expri
ment les noms Ile de France , Parifis , Fauxbourg
s. Germain ; Généralité , Election , Diocèfe , Archiprêtré
, Paraiffe ; Parlement , Préfidial, Châtelet
de Paris , &c. , qui ne préfentent aucune idée
précile defituation ni d'étendue , pas même celle de
l'objet particulier pour lequel ils font établis.
Il en eft de même des mots Lieue , Arpent , Verge,
Perche , &c. , qui ont , fous le même nom , des fignifications
auffi variées que le font les Pays dont ils
expriment les mefures .
Au contraire , les dénominations PIECE Nord, da
CARREAU Sud, &c. , indiqueront , à l'égard de chacun
& pour tous les tems , une ÉTENDUE & une
SITUATION auffi déterminées que faciles à
faifir.
II y a un autre avantage dans l'emploi des Quar
rés uniformes de la Nouvelle Topographie fur toutes
les autres espèces de divifions du terrein , & particu
188 MERCURE
lièrement fur les points indiqués par la langue des
degrés; c'eft que tout le monde peut tracer ces quar
rés , les borner , les reconnoître , les figurer fur le
pier , avec une échelle convenue , par conféquent uni
forme & invariable.
· Mais les fecondes & les minutes de latitude , &,
qui pis eft , celles de longitude , qui eft- ce qui peut
les connoître avec une exactitude inconteftable ?
C'eſt la queftion que je prends la liberté de faire à
M. le Chevalier de C..... Il n'ignore pas que fi l'on
détermine la longitude de deux lieux par les feules.
obfervations aftronomiques , & fans recourir aux
opérations de la Trigonométrie , les résultats des
plus excellentes obfervations peuvent s'éloigner de la
vérité de plus de cent fecondes.
Et en admettant même que , par le progrès fucceffif
des Sciences , cette divifion du Globe pût encore
atteindre un degré de précifion, plus rigoureux
que celui auquel elle a été portée jufqu'à préfent ,
toujours conviendra- t-on que les calculs compliqués
qui en font la bafe , en rendront , dans tous les tems,
l'application impoffible au général des hommes pour
les befoins journaliers & communs à toutes les claffes
des citoyens auxquels la connoiffance préciſe de
l'ÉTENDUE & de la SITUATION CO - RELATIVES des
différentes portions de terrein qui forment leur héritage
, eft néceffaire.
Dira- t-on jamais : cette Ferme , cette Métairie ,
ce Journal , ce Char de Pré eft à 20 degrés , 2 minutes
, une feconde de latitude , & à 30 degrés , 2
minutes , 2 fecondes de longitude ?
>
Il eft donc plus facile d'enfermer l'espace dont on
veut connoître les détails , toife par toife , en un
grand quarré d'une mesure convenue de le
partager
en 9 quarrés du premier ordre , ceux -là en 9 autres du
fecond ordre , & ainfi de fuite jufqu'à la divifion òù
l'on voudra s'arrêter , en prenant le tiers de la lonDE
FRANCE. 189
gueur & le tiers de la largeur. La France contiendra
toujours plus d'un million d'hommes capables de cette
operation . Mais aujourd'hui que les Sciences y font
fi fort en honneur , en a - t-elle bien cent qui puiffent
affigner , fur un parallèle donné , l'étendue en
toifes des minutes & des fecondes de longitude , qui,
comme on fait , vont en diminuant , à mesure que
les Parallèles font plus diftans de l'Équateur ?
Je demande pardon à M. le Chevalier de C ..... ;
mais il voit quelles font mes raifons pour n'être pas
de fon avis fur la première queftion.
Quant à la feconde , nous fommes parfaitement
d'accord . Il me propoſe de borner l'Atlas de la Nouvelle
Topographie aux Cartes des Contrées & des
· Districts . Il a même la bonté de me promettre beaucoup
de Soufcripteurs , fi je veux exécuter ces
Cartes.
que
Il y a près de vingt ans que je travaille à cette opé
tation ; mais bien loin d'exiger qu'on foufcrive pour
la totalité des Plans d'un détail plus confidérable
celui des Diftricts , je borne au contraire l'Atlas Géné
ral à 64 Cartes . Les Soufcripteurs pourront fe contenter
d'avoir la France entière , c'est - à - dire , la
Carte générale , formant le N° . Ier. déjà publié , les
Cartes des 9 Régions , dont je vais publier les trois
Occidentales ; & celles des 54 Contrées qui appartiennent
à la France ; les 27 autres étant occupées
en entier par les mers , ou par des terres étrangères
, n'ont pas befoin de Cartes.
Cet Atlas de 64 Cartes cft la baſe de mon travail .
Je le donnerai tout entier à mes Soufcripteurs .
Quant aux Districts , aux Territoires , aux Bans,
&c. je n'en donnerai les Plans qu'à ceux qui me les
demanderont deffinés ou gravés , & j'en ferai trèsbonne
compofition à mes Soufcripteurs."
**
Si M. le Chevalier de C... veut la totalité des Dif
tris, qui ne feront pas tout à fait au nombrede 500,
190 MERCURE
à caufe des Mers & des Pays Étrangers qu'il m'a fallu
renfermer dans mon premier quarié ; s'il le préfente,
comme il a bien voulu me l'annoncer , beaucoup de
Soufcripteurs pour cette totalité , je publierai dès - lors
les Diftricts parfaitement gravés. Mais la fcufcription
actuelle le borne aux Contrées . Elle ne comprend
que 64 Cartes, accompagnées de leur Difcours ,
pour le prix de 160 liv. au total. On a même la
facuhé de n'avancer que le prix des dix premières
Cartes , à raifon de 25 liv. J'aurois cru commettre
une indifcrétion , fi javois engagé le Public à foufcrire
d'abord pour foo Cartes , avant d'avoir connu
mon travail par l'exécution des 64 de l'Atlas général.
Pour ce qui eft de l'obſervation de M. le Chevalier
de C... fur la différence qui fe trouve entre le
nombre des toifes qui forment la plus grande dimenfion
du quarré dans lequel j'enferme le Royaume , &
le nombre de toifes qu'on attribue communément à
la plus grande étendue de la France , du Nord au Sud,
je ne prends dans le Méridien de Paris que la longueur
qui forme les côtés du quarré , auquel j'ai été obligé
de m'aftreindre , pour réaliſer toutes les vues que je
me fuis propofées dans la rédaction du Plan général
de la Nouvelle Topographie.
Je me conforme d'ailleurs ftrictement à la valeur
que l'Académie attribue aux degrés du Méridien de
Paris , au Nord & au Sud de cette Ville, Et c'eft pour
qu'on puiffe me fuivre dans mes opérations , que j'indique
, dans la Defcription des Régions , les deux
Points du Méridien entre lesquels je me renferme .
La méthode employée pour reconnoître les terreins
divers de l'intérieur du quarré, pourra fervir à déterainer
ceux que la France pofféderoit en dehors.
J'ai l'honneur d'être , & c,
DE FRANCE. 191
GRAVURES,
PLAN de l'Emplacement pour la nouvelle Comédie
Italienne , qui doit être exécuté ſur le terrein de
Mgr le Duc de Choifeul , par les Sieurs Audibert &
Moreau , far les deffins du Sieur Jacquin , gravé de
manière à fervir de pendant à celui de la Comédie
Françoife, Prix , 1 liv . 4 fols A Paris , chez Defnos ,
Ingénieur- Géographe , rue S. Jacques .
Carte du Golfe du Mexique & des Ifles Antilles ,
relatives à la guerre actuelle , par M. Buache , premier
Géographe du Roi , & de l'Académie Royale
des Sciences , revue & augmentée en 1780 , par
J. N. Buache , Géographe ordinaire du Roi. A Paris ,
chez Dezauche , Graveur , fucceffeur des Sieurs de
Ifle & Buache , & chargé de l'Entrepôt Général
des Cartes de la Marine du Roi, rue des Noyers ,
près celle des Anglois. Prix , 2 liv.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
Les Héros Français , ou le Siège de S. Jean de
Lofne, Drame héroïque en trois Actes & en profe,"
par M. d'Uffieux , in - 89 . A Paris , chez Lejai , ruc
S. Jacques.
Seconde Lettre fur l'Architecture , par M. Viel ,
Peintre & Architecte , in- 89 . A Paris , chez Jombert
, Libraire , rue Dauphine.
Lettre de M. Jouffe à M. Linguet , fur les Nos.
65 & 66 de fes Annales , in- 8 °. Prix , 12. A
Paris, chez Prault , Libraire , grande Salle du Palais.
"
Analyfe de l'Hiftoire Sacrée , depuis l'origine du
1921
MERCURE I
Monde jufqu'à la venue du Meffie , pour Jervir à
l'inftruction de la Jeuneffe. Vol . in- 12 . A Paris , chez
Debure l'aîné , Libraire , quai des Auguſtins.
-Dictionnairepour l'intelligence des Auteurs Claf
fiques Grecs & Latins , par M. Sabbatier , in - 8 °.
Tome XXVII. A Paris , chez Delalain l'aîné , Lib.
Lue S. Jacques.
Les dangers des Spectacles , ou Mémoires de M.
le Duc de Champigny , par M. le Chevalier de
Mouhy. 2 Vol. in- 12 . A Paris , chez l'Auteur , rue
de l'Arbre - Sec, & chez Jorry & Mérigot , Libraires.
Hiftoire des Hommes , ou Hiftoire Nouvelle de
tous les Peuples du Monde. Tome V , Vol. in 12 .
Partie de l'Hiftoire Moderne. L'édition in- 8 °. eft
achevée, On prévient MM. les Soufcripteurs de retirer
les Livraifons de 1779 & 1780. Il faut s'adreffer
à M. de la Chapelle , rue Baffe , Porte S. Denis.
TABLE
VERS &M. L*,
AM. le Barbier l'aîné ,
La Réponse d'Eulalie,
169
145 ceffer la Mendicité,
146 Analyse de l'Hiftoire Sacrée;
147
179
Les deux Bourgeois & le Influence du Despotisme de
181-
l'Angleterre ,
Lettre au Rédacteur du Mer- Lettre aux Auteurs de ce Jour-
Paysan , Conte ,
cure ,fur Torré,
148
151 nat,
cure
164 Gravures
184
Enigme & Logogryphe , 161 Lettre au Rédacteur du Mer
Expériencesfur les Végétaux ,
Difcoursfur les moyens defaire Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
185
191
ibid .
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 28 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
le 27 Octobre 1780. DE SANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 15 Août.
M. de Kirschbaum , Confeiller de la Cour
de Ruffie , eft arrivé ici depuis quelques jours.
On dit qu'il reftera chargé des affaires du
commerce & des finances de la Cour. Il
doit fe concertèr avec M. de Stachieff , fur
les moyens de faire remettre à St -Péterf
bourg le refte de la fomme que la Porte doit
payer à la Ruffie , & qui monte encore à
millions de piaftres . Il examinera auffi l'état
de la maifon de commerce de fa nation établie
ici ; depuis la dernière guerre l'Impératrice
a avancé des fommes confidérables
à cette maiſon , & elle veut favoir l'uſage
qui en a été fait.
3
Les affaires qui fe font élevées entre les
deux Puiffances , relativement aux Confuls ,
ne font pas terminées. La Porte n'a pas
voulu permettre que M. Lafcarof allât réfider
en cette qualité à Jaffy , en Moldavie :
elle paroît même déterminée à n'en point
fouffrir dans cette Principauté ni dans celle
7 Octobre 1780. a
(~2- )
de Walachie. Son motif eft qu'il n'en eft
fait aucune mention dans le dernier traité ,
où il eft dit fimplement que l'Impératrice
pourra établir dans les places d'étape un
Confulat fur le même pied que les autres
Puiffances ; & comme elle defire en avoir
un dans un des ports de la mer Noire , la
Porte offre celui de Sinope en Afie , qu'elle
juge le plus convenable. M. de Stachieff a ,
dit-on , fait paffer cette réponſe à fa Cour
par un exprès .
Les lettres de Smyrne nous apprennent
que la pefte n'y fait plus tant de ravages ,
& que les Mofquées qui avoient été fermées
ont été rouvertes. Celles de Salonique por
tent qu'un violent incendie y a réduit en
cendres plus de 600 maifons. Ce font les
Juifs qui y font établis qui ont fouffert le
plus.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 1er, Septembre .
LES Barons de Waffenaar & de Heekeren-
Brantzemburg , Miniftres plénipotentiaires
des Etats- Généraux des Provinces- Unies ,
font arrivés avant hier dans cette Capitale.
Ils ont eu déja une conférence avec le Comte
de Panin , qui leur a dit qu'il ne pouvoit entrer
en matière avec eux qu'ils n'euffent en
une audience de S. M. I. & préſenté leurs
lettres de créances . On préfume que ce cérémonial
ne tardera pas à être rempli. L'Im
( 3 )
pératrice revient avec toute la Cour Lundi
prochain ; les divertiffemens d'automne &
d'hiver commenceront auffi- tôt , & feront
plus brillans qu'à l'ordinaire à caufe de la
préfence du Prince Royal de Pruffe qui eft
attendu ici le 6 de ce mois.
Il va être établi dans cette Capitale , en
conféquence d'une Ordonnance du 15 du
mois dernier , un département des finances ;
on en formera un pareil à Mofcou qui fera
fous la direction de celui- ci.
» Le 26 du mois dernier un incendie a répandu ici
une alarme générale ; il éclata vers les 8 heures du
foir dans un des magafins de chanvre. Un vent
violent porta les flammes fur une grande quantité
de barques , arrivées depuis peu , & chargées de
chanvres , de cordages , d'huiles , &c. Elles furent
bientôt réduites en cendres , ainfi que trois
galiotes
& le navire Hollandois la Demoiselle Marie-
Sufanne , qui avoit déja à bord une partie de fa
cargaifon. Le grand magafin de chanvre , bâti en
briques au milieu de l'eau , & que l'on avoit cru
à l'abri du feu tant par fa fituation que par la
conſtruction , ne put réſiſter à l'activité du feu ,
qui en écartoit tout fecours. On craignit que la
Bourfe & tout le quartier de Wafiley- Oftrow n'éprouvaffent
le même fort . Heureufement les flammes
prirent une autre direction. Elles confumèrent un
inagafin conftruit en charpente , & plus éloigné du
foyer de l'incendie. On y avoit déposé peu de
jours auparavant du tabac de l'Ukraine de la dernière
récolte. Cette nuit fut affreuſe ; au milieu
de fon obfcurité éclairée par la lueur des flammes ,
on voyoit des maffes de matières brûlantes voltiger
dans l'air , où le vent les emportoit fur toute
la Ville. Le feu a duré trois jours avant de pou
2 2
( 4 )
voir être entièrement éteint . On compte qu'il a
confumé 500 mille puds de chanvre ( le pud équivaut
à 32 livres pefant ) , 80 à 100 mille de lin ,
60 mille de tabac , & 3000 facs de graine de
lin ; on évalue le tout à plus d'un million de roubles.
Il a péri plufieurs perfonnes ; on n'en dit
pas encore le nombre ; mais on craint qu'il ne
foit confidérable « .
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 8 Septembre.
Le Roi a envoyé à Schleswig une commiffion
royale , compofée du Chambellan
de Bardenfleth , de deux Députés de la
Chambre des finances , & de M. de Carftens
, Confeiller de Conférence & Membre
du Grand- Confeil de Gottorp. L'objet de
cette commiffion eft d'effectuer la réunion
du Duché de Holftem-Glukbourg qui retourne
à la maifon de Danemarck , par la
mort du Duc Frédéric - Henri Guillaume
avec qui cette branche s'eft éteinte.
Le Comte de Gorft , nouvel Envoyé de
l'Electeur de Saxe en cette Cour , eſt arrivé
ici hier.
Le même jour , il eft parti du Sund pour
la mer du Nord une flotte de 250 navires
marchands , parmi lefquels fe trouvent environ
150 navires Anglois fous l'escorte de
6 bâtimens convoyeurs , 22 navires Suédois
chargés de munitions navales , fous le convoi
d'une frégate de leur nation de 40 canons ,
commandée par le Baron de Koblers . Ce
( 5 )
7
Commandant qui a reçu une inftrution
exacte de fa Cour , avec une copie de la
convention qu'elle a conclue avec celle de
Ruffie , pour s'y conformer pendant ſa croifière
, doit , dit- on , eſcorter ces_22_navires
jufqu'à la hauteur du Cap Finiſtère.
Le vaiffeau Suédois le Frédéric- Rex appartenant
à l'efcadre qui a paffé le Sund ,
eft refté en croifière dans la mer du Nord .
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 8 Septembre.
LE Roi vient de faire frapper une médaille
pour éternifer la mémoire du feu
Chevalier Linnéus. Elle offre d'un côté le
bufte de ce favant Naturalifte , & de l'autre
la Déeffe Cybèle ou la Nature affligée
entourée des attributs des Règnes animal ,
végétal & minéral. On lit autour , Deum
luctus angit: & à l'Exergue : poft obitum
Upfalia , d. 10 Januarii 1778 , rege jubente.
ALLEMAGNE.
Dé VIENNE , le 10 Septembre .
On dit que le départ de l'Empereur pour
la Bohême eft fixé au 18 de ce mois. Il eſt
toujours queftion du voyage de l'Archiduc
Maximilien pour Mergentheim ; il ſe propoſe
de partir le is ; mais les équipages qu'il faut
préparer , pourront fufpendre fon voyage de
quelques jours. Il fera accompagné du Comte
a 3
( 6 )
de Hartig , Grand - Maître de fa Cour , &
d'une fuite nombreufe. Comme le Chapitre
général de l'Ordre Teutonique s'affemblera
feulement le 22 du mois prochain , on préfume
que S. A. R. pourroit employer cet
intervalle à faire une viſite aux trois Electeurs
Eccléfiaftiques , à Mayence , à Cobentz & à
Bonn.
L'Empereur a nommmé Directeur des
Academies de Peinture des Etats Héréditaires,
M.Schmutzer . Un tableau de Mutius Scevola
que S. M. I. a eu l'occafion de voir & d'adamirer
dans la galerie de peinture de Pétersbourg
, lui a donné une grande idée du talent
de ce Peintre ; & ce Souverain éclairé n'avoit
befoin que de le connoître pour le récompenfer.
Le Commiffaire général de la guerre eft
parti pour la Pologne par ordre de la Cour ;
le régiment d'Anfpach , cavalerie eft ici depuis
quelques jours , & l'on croit qu'il y reftera
en garnifon.
Le Cardinal Hertzan eft parti hier pour
Rome ; il dirige fa route fur Milan .
De FRANCFORT , le 15 Septembre.
ON apprend de Straubing , ville fur le
Danube à 10 lieues de Munich , qu'il y a eu
un incendie dont les ravages ont été fi grands
& fiprompts qu'il y a eu 100 maifons brûlées
avant qu'on cut fait venir les pompes. Un
des Magiftrats de Munich qui s'y étoit rendu
en toute diligence & qui les avoit précédées, fe
( 7 )
tranſporta fur le champ au magafin des poudres
de la ville , où il y en avoit un dépôt
confidérable , qu'il fit jetter dans le Danube
avec la plus grande célérité ; fans cette précaution
, c'en étoit fait de la ville entière. A
peine le magaſin fur-il vuide que le feu y
prit & le confuma. Comme le feu duroit
encore au moment où l'on a écrit ce funefte
évènement , on en ignore les fuites , & on
ne peut évaluer la perte qu'il a caufée. Les
premières nouvelles ne laiíferont fans doute
rien à defirer fur ces détails affligeans .
Selon les lettres de Pologne , le Comte de
Rzewuski eſt encore à Grodno. Le manifeſte
qu'il a fait publier en Lithuanie en réponſe
à celui de M. Tyfzenhaufen , fait une grande
fenfation dans ce grand Duché , parce qu'il
contient plufieurs faits qu'on avoit ignorés
jufqu'à préfent.
Les mêmes lettres portent que l'on a levéle
fequeftre qui avoit été mis fur les terres que
le Prince Charles de Radziwill poſsède dans
la Lithuanie ; ces terres font eftimées 125
millions de florins Polonois ; on évalue à 36
millions , celles qu'il a dans les environs de
Cracovie & de Zolkiew. Le revenu que ce
Prince en tire à préfent eft de 8 millions
de florins Polonois.
On lit dans une lettre de Lublin les détails
fuivans d'un crime bien atroce & bien réfléchi
.
» Le Comté de Jufeffowicz , poffédant un Châ .
teau aux environs d'Oerzka , avoit au nombre de
a 4
( 8 )
fes domestiques , un Nègre , qu'il fit rigoureuſement
châtier il y a près de deux ans , on ne dit
pas pour quel fujet : ce malheureux confervant
au fond de fon coeur un vif reffentiment de ce
traitement , ne put fans doute trouver , pendant
un fi long terme , une occafion favorable pour fe
venger , & n'en perdit point l'efpérance. Le Comte
& fon époufe furent invités dernièrement à une
nôce , qui devoit fe faire dans un Bourg voifiu ;
ils s'y rendirent , ne laiffant au Château que leur
fils , âgé de huit ans , le Nègre en queftion pour
le fervir , avec deux autres domeftiques . Ce fcélérat
profita de leur abfence ; il affaffina les deux
domeftiques , qui ne fe doutant de rien , furent
aifément les victimes de fa barbarie . Après quoi ,
ayant tiré à lui le pont - levis du château , pour
empêcher que perfonne n'y pût entrer, il eut la
cruelle conftance d'attendre jufqu'au lendemain au
foir , le retour du Comte , de la Comteffe & de
leur fuite : dès qu'il les apperçut & qu'il put en
être facilement vu & entendu , il fe préfenta à
une des fenêtres les plus élevées du Château , le
jeune Comte entre fes bras ; après avoir vomi
contre fes Maîtres les menaces & les imprécations
les plus horribles , dans le moment où l'on étoit
à peine revenu de la première furpriſe , que caufoit
un fpectacle auffi extraordinaire & autfi alarmant
, le monftre précipita au fond du foffé l'in- '
nocente victime qu'il tenoit entre fes bras & qui
rempliffoit envain l'air de fes cris ; puis s'élançant
lui -même du lieu où il étoit , il trouva dans fa
chûte la fin d'une vie qu'il auroit dû perdre dans
les plus cruels fupplices «.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 4 Septembre.
LA compagnie Autrichienne des Indes
( 2 )
Orientales établie à Triefte , a reçu avis que
fon vaiffeau le Prince de Kaunitz , a mouillé
le 19 du mois dernier dans la rade de Malaga ;
il vient de la Chine d'où il étoit parti le
31 Janvier ; fa cargaiſon confifte en thé , bois
de teinture , porcelaines , canelle , toiles de
Nankin , diverfes étoffes de foie.
» Le vaiffeau de guerre le St-Joachim , écriton
de Naples , eft de retour de Palerme où il a
transporté D. Antonio Cortada Yoru , Lieutenant-
Général au fervice de S. M. , & qui doit remplir
par interim la place de Vice-Roi , fous le titre de
Préfident & de Capitaine Général. Ce vaiffeau vient
de remettre à la voile pour Carthagêne où il fera
joint par une de nos frégates & fe rendra enfuite
dans un des Ports de France , où il prendra à bord
le Marquis de Caraccioli , ci-devant Ambaſſadeur à
la Cour de Verfailles , & nommé par S. M. Vice-
Roi de Sicile «.
On apprend de Crême , dans l'Etat de
Venife , qu'un magafin à poudre de la citadelle
où le feu a été mis par la foudre a fauté.
3 jeunes gens ont eu le courage à la vue de
l'incendie qui fuivit l'exploſion , de pénétrer
dans les magaſins , d'en enlever les barils qui
étoient encore pleins de poudre ; ils ont
réuffi ; & leur hardieffe a fauvé la ville de la
deftruction totale dont elle étoit menacée fi
le refte de la poudre avoit pris feu.
"Le Capitan Bacha , lit- on dans plufieurs lettres du
Levant , ayant fait équiper & armer vers le milieu
du mois de Juillet plufieurs bâtimens à rames , pour
les faire avancer vers la côte de Maina , y marcha
Jui-même à la tête de 6000 foldats & de quelques
autres troupes qu'il avoit raffemblées fur fa route,
a s as
( 10 )
Son but étoit de fubjuguer les Mainottes , & il
réuffit dans fon entreprise à l'égard de ceux qui
habitent les plaines . Mais ayant fait après cela fommer
ceux qui habitent fur les montagnes , ils répondirent
au Général Turc qu'ils avoient toujours
été libres & avoient fuivi les Loix des Anciens
Lacédémoniens , leurs ancêtres , que la tradition
leur avoit tranfmifes ; qu'à la vérité ils s'étoient
foumis pour un certain tems à la République de
Venife , mais que cette foumiffion avoit été purement
volontaire de leur part ; & que depuis que
la Morée étoit devenue Tributaire de la Porte ,
ils s'étoient toujours maintenus comme une nation
libre , ainfi qu'ils efpéroient pouvoir le faire à l'a
venir. Le Capitan Bacha , peu content de cette
réponſe , ayant attaqué ces braves gens , fut repouffé
avec perte de 800 tués & 100 bleffés , qui
furent faits prifonniers ; ce qui les obligea de fe
retirer & de les bloquer fur leurs montagnes , afin
de les réduire par famine. On croit cependant
que ce projet ne lui réuffira pas mieux que le
premier , parce que les Mainottes font abondam
ment pourvus de vivres , & que pour exécuter
cette entreprife , il faudroit avoir fur pied un corps
d'armée beaucoup plus confidérable que celui qu'il
a fous fes ordres «.
-
ESPAGNE.
De CADIX , le 8 Septembre.
Les Officiers & les équipages des navires
amenés ici par l'armée combinée , ont eté
agréablement furpris lorfqu'on leur a rendu
fidèlement leurs effets & leurs hardes. Ce
traitement , dont nos enneinis , ceux même
qui montent les vaiffeaux du Roi , ont
( 11 )
rarement donné l'exemple , ne fera peutêtre
pas davantage imité. Les paffagers font
encore mieux traités que les équipages ; on
s'eft empreffé d'adoucir leur fort , plufieurs
fe font déja embarqués ; d'autres en plus
grand nombre ont pris le chemin de Lisbonne
, où ils trouveront des vaiffeaux de
leur Nation.
›
Une partie des vivres du convoi ennemi
fervira à approvifionner l'armée qui eft
toujours en état de fortir au premier ordre.
Il paroît qu'on auroit defiré qu'elle
reftât plus long-teins en mer. Ce n'eſt pas la
faute de D. Louis Cordova ; ce Généralavoit
ordre de revenir à la fin du mois dernier.
Les avis que l'on reçut du départ des convois
d'Angleterre , & de ceux qu'on y attendoit
des Indes Occidentales firent
dépêcher le vaiffeau de ligne l'Atlante
deux jours après le départ de D. Vincent
Doz , avec ordre à l'armée de tenir la mer.
Le lendemain on expédia un Avifo pour
le même objet. Le malheur voulut que
celui- ci fut pris par Johnſtone ; & l'Atlante
ne rencontra pas D. Louis Cordova. Si l'on
ne favoit pas que ce vaiffeau a pu fe joindre
à l'armée du Ferrol , on auroit quelqu'inquiétude
fur fon compte ; car on n'en a
reçu aucune nouvelle depuis fon départ.
Cependant comme il portoit des ordres de
la dernière conféquence , la conduite du
Capitaine fera examinée rigoureuſement à
fon retour.
a 6
( 12 ) 1
Les lettres de Madrid ne nous annon
cent pas encore le départ de M. le Comte
d'Eftaing ; & comme nous ne voyons faire
ici aucun préparatif pour le recevoir ,
quoique nous foyons certains qu'il y viendra
, nous penfons qu'il ne s'arrêtera pas
dans la Ville , & qu'il ira tout de fuite à
fon bord.
Gibraltar eft dans la détreffe , fi les rapports
de tous les déferteurs ne font pas exagérés ;
non - feulement D. Antonio Barcelo veille
à ce qu'aucun navire ne s'introduiſe dans la
baie , il penfe même aux moyens qui pourront
détruire ceux que l'ennemi a dans le
port. Il a ellayé , pour cet objet , des brûlots
de nouvelle invention , faits par un
Sergent d'artillerie. Ces brûlots n'ont que
quatre pieds de long. Ils fuivent la direction
qu'on leur donne , & avec une rapidité
inconcevable , ils vont s'attacher à
l'objet contre lequel on les dirige , & le
confument. Les premiers effais qu'on en fit
ne furent pas fatisfaifants ; mais ils réuffirent
la femaine dernière au-delà de toute .
efpérance. On avoit placé , dans le port
d'Algéfiras , des planches , des poutres à
une très-grande diftance ; les brûlots qu'on
y dirigea s'y attachèrent & les confumèrent
entièrement. Nous verrons quel parti
notre brave Chef- d'efcadre tirera de cette
invention.
( 13 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 23 Septembre.
Nous n'avons encore aucunes nouvelles
pofitives de l'Amérique Septentrionale
; le 20 au foir il arriva au bureau
du Lord George Germaine des dépêches du
Chevalier Clinton ; elles furent envoyées ,
fur le champ au Roi à Windſor , & on ne
parle point encore aujourd'hui 23 de leur
contenu : tout ce que l'on fait par les avis
de Hollande , c'eft que ce Général ayant
trouvé les lignes de Washington trop bien
protégées par la nature & par l'art , eft retourné
avec fon armée à New-Yorck après
une excurfion des femaines , & plufieurs
efcarmouches dans lefquelles fes troupes
ont toujours eu le deffous. D'autres avis
qu'on dit avoir une fource authentique , portent
que l'armée Angloife a perdu 1300
hommes dans ces cinq femaines par la maladie
, la déſertion , & ceux qui ont été tués
ou faits prifonniers dans les diverfes actions ;
elle eft auffi très- mal approvifionnée en munitions
de bouche & en équipages de camp..
L'arrivée de l'efcadre de M. de Ternay
& de l'Amiral Graves nous prépare à quelques
nouvelles intéreffantes . On dit qu'il eft
arrivé en France des lettres de New-Port ,
en date du s Août , où l'on dit que l'armée
de M. de Rochambeau , qui eft dans le meilleur
état , campe fous New-Port , faifant des
( 14 )
vaux pour voir le Général Clinton , que
l'on dit devoir la chercher à la tête de 10
à 12,000 hommes. Dès le 21 Juillet une
efcadre de 10 à 11 vaiffeaux , tant de ligne
que frégates , croifoient devant le Port ; mais
les bâtimens entroient & fortoient fans empêchement
, ce qui eft prouvé par l'arrivée
en France de celui qui a apporté cette lettre
& beaucoup d'autres.
Nous ne fommes pas encore inftruits de
ce qui fe paffe aux Ifles ; la Cour du moins
ne publie rien des nouvelles qu'elle reçoit :"
Le Capitaine Rice eft arrivé fur le Boyne ,
avec des lettres du Général Vaughan . Elles
apprennent , dit-on , qu'en réparant les fortifications
, en partageant judicieufement fes
troupes , il avoit mis les Ifles de Ste-Lucie ,
de Tabago , de la Barbade , d'Antigoa &
de St-Kitt's , dans le meilleur état de défenfe
poffible ; qu'il avoit fur-tout cherché
à rendre fupportable aux troupes le féjour
de l'Ile meurtrière de Ste- Lucie ; tant en
faifant élever des baraques , qu'en leur faifant
diftribuer des boiffons faines & furtout
du vieux rum , & en défendant de les faire
travailler pendant la chaleur du jour ; cela
n'empêche pas qu'il ne perde de fon aveu
trente hommes par femaine.
Selon les mêmes avis reçus par le Boyne ,
qui étoit parti de St Chriftophe le 2 Août
l'hivernage étoit alors très-proche , ce qui
alloit fufpendre toutes les opérations militaires
pendant quelques mois. L'Amiral
( 15 )
Rodney avoit envoyé l'Amiral Rowley avec
10 vaiffeaux de ligne à la Jamaïque. On
dit que M. Dalling , Gouverneur de cette
Ifle , écrit au Ministère qu'elle eft actuellement
fi bien fortifiée,, qu'il ne craint pasl'approche
des ennemis ; cela ne l'a past
empêché de demander au Général Vaughan
un renfort de l'armée de Ste- Lucie pour
le mettre en état de recevoir les François
& les Espagnols .
Deux vaiffeaux de ligne ont ordre de
prendre pour 6 mois de vivres & d'appareiller
le plutôt poffible pour les Ifles de
l'Amérique. On dit que le motif de leur
départ , eft l'avis qu'on a reçu de l'intention
qu'a Rodney d'aller au Vent , à moins
qu'il ne reçoive quelques nouvelles favorables
de fes croifeurs qu'il a envoyé reconnoître
les flottes combinées dont nos.
Miniftres n'ignorent pas la deſtination .
L'état des chofes dans cette partie du
monde a donné lieu aux obfervations fuivantes
:
Nos Miniftres paroiffent fe conduire auffi mal
avec l'Amiral Rodney , tant en tronquant fes dépêches
qu'en lui refufant les renforts néceffaires pour
continuer la guerre avec fuccès. Ils mettent dans
ce procédé une indécence & une inattention révol
tantes. Cet Amiral , dans fa lettre publiée par la
Gazette du 12 de ce mois & datée du 31 Juiller
ſe réfère à une lettre du premier , » où il dit avoir
rendu compte à L. S. de la fituation actuelle des
» affaires dans cette partie du monde , & de la
» très-grande force des efcadres combinées qui
55
"
( 16 )
» confiftoir en 36 vaiffeaux de ligne . L. S. n'ayant
point jugé à propos de donner ces détails au pu
blic , elles n'auroient pas du rapporter cette citation
, & rien ne prouve mieux que les Miniftres ,
en trompant la nation , ne daignent pas feulement
prendre la peine de lui cacher leurs artifices,
Rodney ajoute : » Malgré leur grande fupériorité ,
» par le nombre des vaideaux , les ennemis n'ont
» olé attaquer aucune des Ifles de S. M. ni recon-
» noître la flotte alors dans la baie de Gros-Iflet ,
» quoique j'euſſe conſtamment une petite eſcadre
» en croifiere à l'ouvert de la baie de Fort- Royal
» pour me donner avis de tous leurs mouvemens «.
Ici le brave Rodney a la permiffion de parler pour
lui-même , c'est - à- dire , qu'on imprime fidèlement
Les propres expreffions , aufli combien fa phrafe
eft claire , précife , virile & fatisfaifante ! —
Les Ecrivains Miniſtériels veulent bien avouer que
l'Amiral s'est trouvé dans une pofition très-critique
; que les ennemis avoient un grand avantage
fur lui par le nombre des vaiffeaux , leur bon
état , la viteſſe de leur marche , le complet de
leurs équipages ; qu'ils lui étoient enfin fupérieurs
en tout , excepté par l'habileté des Commandans
& la bravoure des Officiers & des Soldats . Les
partiſans de la Cour doivent auffi convenir qu'en
fauvant la flotte & en confervant les Illes à fucre
malgré l'extrême difproportion de fes forces`, il a
rendu le plus grand fervice ; mais quand le fuccès
n'auroit pas répondu à fon zèle & à la fageſſe
de fes mefures , quand il auroit éprouvé quelques
revers , ce n'eft point lui , mais les Miniftres feuls
qui auroient dû en être refponfables . Cet éclair
ciffement étoit néceffaire pour nous tenir en garde
contre toutes les nouvelles gafconades de la Čour .
Le courage à toute épreuve & la bonne conduite
du Général Rodney dans des circonftances
vraiment critiques ; fa bonne contenance devant
( 17 )
--
un ennemi fupérieur qu'il a même en quelque
forte défié ; la vigilance par laquelle il a fu préferver
de tout danger nos Iles à fucre & la Jamaïque
même , jufqu'à laquelle il a étendu fa follicitude
fans jamais faire la moindre imprudence.
qui pût expofer témérairement & fans fruit les
vaiffeaux de S. M.; la difpofition fi judicieufe de
fa flotte , au moyen de laquelle il a tenu la mer
libre pour fa réunion avec Walfingham qui fans ,
cela auroit couru le plus grand danger d'être intercepté
par l'ennemi ; toutes ces confidérations
font infiniment plus glorieufes pour lui que fes
victoires même les plus éclatantes , où la fortune ,
la fupériorité des forces & d'autres circonftances
peuvent avoir eu quelque part . Une obfcurité
politique femble couvrir de nouveau l'Amérique
Septentrionale. Vient-elle de la profonde
léthargie de nos Miniftres , ou des efforts extraor
dinaires des François & des Américains , ou de
ces deux caufes réunies ? Ce qu'il y a de certain
c'eft que les forces de S. M. y agiront avec autant
de vigueur que fa flotte dans les Ifles. A
l'exception de la conquête fingulière de Charles-
Town , toute notre guerre de l'Amérique Septentrionale
n'a été qu'une fcène continuelle d'inaction
de torpeur & de ſtupidité manifeftes .
papiers étrangers commencent à faire fonner bien
haut les prodigieux avantages de la prise de notre
flotte pour les deux Indes , mais leurs calculs paroiffent
auffi embrouillés à cet égard que le furent
d'abord les nôtres . Cette malheureufe cataſtrophe
a été occafionnée , accompagnée & fuivie de certaines
circonstances qui , avec le tems , fe manifefteront
, malgré toutes les manoeuvres qu'on
met en ufage pour les fouftraire à la connoiffance
du public.
.
Les
Malgré notre confiance en Rodney &
en Clinton , on n'eft pas fans inquiétudes
( 18 )
fur l'iffue de cette guerre ; & il fe paffe
peu de jours qu'on ne fe plaigne de ceux
qui nous y ont engagé. Pour montrer combien
elle a affoibli notre commerce , on a
fait le tableau fuivant de ce qu'il étoit avant
les troubles d'Amérique.
Colonies de Vaiffeaux. Matelots. Exporta- Exporta
La baie
d'Hudfon.
Labrador
120 vaif-
130
•
tion de
la G.B.
tion des
Colonies.
16,000 . 29,340
feaux Amé
ricains , &
2000 cha-
380. 20,540
· 273,600 • 345,000
loupes de
Terre-Neuve.
Canada. 34 • 408
Ecoffe.
Nouvelle
Nouvelle
Angleterre.
Rhode-Ifland
, Connecticut
&
Nouvelle
Hampshire.
New-
Yorck.
Penfylvanie.
Virginie &
Maryland .
Caroline
Septentr .
Caroline
330
72
• 105,000 . 105,500
26,500 • 38,000
46 · 553 • 395,000 • 370,000
3 • 38 • 12,000 • 114,000
• 30 · 330 • 531,000 · 526,000
35
· 390 • 611,000 • 705,500
* • 3,900 . 865,000 1,040,000
• 34 .. 408 · 18,000 68,350
Méridion. • 140 •
Georgie.
Saint-Au-
• • 24
1,680
• 240
365,000 • 395,666
49,000 • 74,200
guftin. • 2 • 24 • 7,000
Penfacola. . 10 • · 120 97,000 63,000
1,078 28,833 3,371,100 3,874,556
( 19 )
Notre grande flotte aux ordres des Amiraux
Darby , Digby & Roff , est toujours
retenue à Torbay par les vents contraires.
Le cutter le Dreadnought qui avoit été devant
Breft , pour épier les mouvemens des
François , l'a rejointe & a rapporté que le s
de ce mois il étoit forti 4 vaiffeaux de ligne
& 2 frégates qu'il fuppofoit avoir pris
la route de Cadix ; il y avoit encore dans ce
port 6 vailleaux de ligne prêts à appareiller.
Lorfque tous ces vaiffeaux auront joint la
flotte de Cadix , elle fera forte de 54 vaiffeaux
de ligne , & nous n'en avons que 34 à leur
oppofer. Le Commandant de cette efcadre
n'eft pas encore nommé.
>
Les Miniftres , dit un de nos papiers , excepté
le Lord Sandwich voudroient nommer le Lord
Howe , mais il y a certaines conditions préliminaires
& indifpenfables , qu'ils exigeront de quiconque
acceptera ce pofte , auxquelles le brave Lord
Howe ne fe foumettra jamais . Les calomnies des
Courtifans ne fauroient avoir de prife fur fa répu
tation , quant au zèle , à l'activité & aux talens qu'il
a déployés contre le Comte d'Estaing à Sandy- Hook
& Rhode-Inland ; ils feront toujours rappellés par les
Citoyens honnêtes , quoique puiffent faire ou dire
des gens payés pour les dénigrer « .
La flotte de St-Chriftophe confifte en 70
voiles ; le Boyne qui l'efcortoit en fut féparé
par un coup de vent par la latitude
de 45. Ce vaiffeau eft arrivé avec 5 pieds
d'eau dans fa cale. Il eft arrivé la plus grande
partie des bâtimens du convoi ; le cotter le
Général qui étoit parti de la Barbade le 26
( 20 )
Juillet , rapporte que le 4 Septembre il fut
féparé du convoi , & le lendemain il vit
les débris de plufieurs vaiffeaux qui felon
fon opinion faifoient partie de la flotte. La
mer à quelques milles à la ronde , étoit couverte
de tonneaux de rum & de balles de
coton ; mais elle étoit fi forte qu'il ne put
fauver que 2 de ces balles.
Les arrêtés faits par le Parlement d'Ir
lande le 21 Août ont fait beaucoup de bruit ;
on doute que l'Adminiſtration y donne aucune
fuite , en attendant la repriſe des féances
; ce parti feroit au moins dangereux ,
fur-tout après l'affemblée d'un très-grand
nombre de citoyens de Dublin fur ce fujet.
On y avoit propofé de convenir d'une affociation
pour ne rien importer d'Angleterre
, de prier le Roi de diffoudre le Parlement
, & de remercier les corps des volontaires
qui , en fe montrant les défenfeurs
des droits des fujets , ont été traités de féditieux
par le Parlement ; la première & la
dernière propofition ont été approuvées
unanimement. La deuxième n'a été rejettée
qu'après une longue délibération .
» Des réfolutions de cette nature , lit- on dans
une lettre de Dublin , font trop femblables à celles
qui entraînèrent la révolution de l'Amérique , pour
que le Gouvernement ne préfère pas de céder à porter
les chofes à l'extrémité par une fenfibilité mal
placée. L'Irlande , à la vérité , eft dans une pofition
moins avantageufe que l'Amérique ; mais l'exemple
de celle-ci pourroit , malgré tous les obftacles , produire
fur les Irlandois , pouffés à bout , des effets
( 21 )
d'autant plus funeftes , que ce Peuple & les Américains
confervent les uns pour les autres une affection
plus fincère que celle qui a jamais ſubſiſté entre
les derniers & la Grande- Bretagne. On fait que dès
qu'on eut en Amérique l'avis du fuccès des démarches
que l'Irlande fit l'hiver dernier pour fe procurer
la liberté du commerce , le Général Washington fit
affigner le jour de S. Patrick , Patron de l'Irlande ,
pour célébrer cet avantage remporté fur la fuprématie
Britannique. Cette fête eut lieu en effet le 17
Mars dernier «<,
Le Roi vient de faire dans les commiffions
de la trésorerie & de l'Amirauté , quelques
changemens qui n'en annoncent cependant
pas un dans le fyftême de l'Adminiſtration ,
ainfi qu'on s'y attendoit au moment de la
réélection d'un nouveau Parlement. Lord
North continue d'être à la tête de la commiffion
du tréfor , où parmi les anciens
Membres , les Lords Weftcote & Palmefton
font confervés. Les nouveaux fon Sir Richard
Sutton , & M. Jean Buller , l'un des Commiffaires
de l'Amirauté. M. Charles Wolfran-
Cornwall a été nommé Chef-Juge des Forêts
de S. M. au- delà de la Trente , & l'on croit
qu'il remplira encore la place d'Orateur des
Communes à la place de Sir Fletcher Norton
qui fera élevé à la Pairie. S. M. a rétabli
auffi le Bureau du commerce & des plantations
aboli par le Parlement diffous , conformément
au bill de M. Burke : tous les
anciens Commiffaires font rentrés à l'exception
de M. Graville qui paffe à l'Amirauté.
Le Comte de Carlifle eft défigné pour fuccé(
22 )
der à la Vice-Royauté d'Irlande . S. M. a créé
en même tems 7 nouvelles Pairies qui ne
peuvent manquer d'augmenter le parti de
la Cour déja fi prépondérant dans la Cham
bre des Pairs.
Pendant que l'on s'occupe par - tout de
l'élection des Membres du nouveau Parlement
, on a inféré dans nos Papiers la pièce
fuivante qui, dans les circonftances actuelles ,
ne peut qu'intéreffer.
Un Précis de l'Hiftoire du dernier Parlement
pourroit mettre les Electeurs en état de juger du
mérite des individus qui le compofoient , & de voir
jufqu'à quel point il étoit prudent de les élire de
nouveau ou de nommer d'autres Repréſentans &
d'effayer fi le changement d'hommes pourroit opé--
rer un changement général de mefures. Mais les
Miniftres par la diffolution foudaine & imprévue du
Parlement , qui n'avoit d'autre objet que de forcer
le peuple à des élections précipitées , ont rendu à
peu près fans effet tous les confeils & toutes les
précautions , & ils ont fait de l'élection générale
une confufion générale , une pure mocquerie & une
infulte au bon fens des citoyens , ou plutôt ils ont
réduit à rien cette prétendue élection . Quoiqu'il en
foit , nous rempliffons notre promeffe fans nous embarraffer
fi le troupeau , qu'on appelle le Public ,
prêtera ou non l'oreille à nos avis. Le Parlement
a commencé au mois d'Octobre de l'année 1774 ,
dans un tenis où nous étions en paix avec tout l'Univers
, & où , felon les déclarations les plus folem
nelles des Miniftres , nul principe de difcorde ne
troubloit notre tranquillité intérieure . Voyez le
Difcours du Roi aux deux Chambres lors de l'ou--
verture du nouveau Parlement , & les autres Correfpondances
entre le Ministère & les deux Chambres
―
( 23 }
>
par Meffage & autrement. C'étoit un bien en Angle
terre qu'il y eût du mécontentement ,
des murmu
res , & même déja de petites émeutes dans quelques
parties de l'Amérique , & principalement à Bolton.
Mais les Miniftres ont diffimulé & même nié tous
ces faits ; le Parlement ne s'eft jamais permis la
moindre recherche fur cet objet , & le Gouvernement
ne lui a jamais demandé le moindre avis , la
moindre affiſtance pour rétablir le calme en Amérique
& étouffer à tems les germes des émeutes &
des féditions , jufqu'au mois d'Avril 1775 , que la
méfintelligence & la défunion entre les Américains
& leur Gouverneur militaire aboutirent à une rebellion
dans toutes les formes. Les habitants de la
baie de Mallachuffett , s'étant pourvus d'armes ,
de munitions , &c , prirent ouvertement les armes
contre les troupes du Roi , & le 19 Avril , il y eut
un combat entre les deux partis . Ce n'eſt pas à
nous à chercher lequel des deux fut l'aggreffeur ,
puifque le Parlement ne s'en eft jamais occupé . Mais
il eft conftant que fi les Américains n'euffent pas
pris l'alarme & qu'ils n'euffent pas fait toutes les
difpofitions néceffaires pour être prêts à s'afſembler
au premier ordre , cette action n'auroit pas eu lieu.
La nouvelle de cette efcarmouche ne fut pas plutôt
arrivée que les Miniftres fe mirent à crier : Rebellion
! Rebellion ! Alors ils en ont aggravé & étendu
toutes les circonftances dans la même proportion
qu'ils affoibliffoient & atténuoient auparavant tous
les fymptômes , & toutes les menaces de cette rupture
fi prochaine. Tous les échos du Parlement répé
tèrent avec un bruit effrayant ce grand mot de Rebellion
, & tous les Membres à l'envi offrirent au
Roi leur fang & leurs biens , comme fi les armées
combinées & invincibles de la France & de l'Espagne,
maitreffes de la Manche , effectuoient alors une in
vafion fur nos côtes . Les Miniftres les prirent au
mot, Ils demandèrent à grands cris de l'argent , qui
( 24 )
leur fut accordé auffi-tôt , fans qu'on s'informar
du fujet ni de l'objet de cette réquifition . Mais ce
n'étoit-là qu'un prélude ou effai de ce qu'on devoit
faire par la fuite ; car auffi-tôt que le Lord North
cut cet argent , il s'endormit , fe contentant pour
cette année d'envoyer les trois Généraux Clinton ,
Burgoyne & Howe au fecours du Général Gage ,
contre une poignée d'Infurgens qui n'avoient pas
même de Général, Ils ont eu la mortification de voir
que le Général Anglois s'étoit laiffé bloquer & affiéger
par une canaille fans difcipline . C'eft à peu- près
dans ce tems qu'eut lieu l'étrange affaire de Bunkershill
, qui a coûté la vie à un grand nombre de
braves Bretons fans qu'on sût trop pourquoi. Le
Parlement s'étant affemblé de nouveau , vers le commencement
de l'hiver de 1776 , on n'y entendit que
ces cris : de l'argent ! de l'argent ! de l'argent pour
ramener l'Amérique à ſon devoir & venger l'honneur
de la Grande- Bretagne ! L'argent a été accordé
fans héfiter , fans délibérer ; & pour afloupir une
infurrection , ou fi l'on veut un commencement de
rebellion dans un coin de l'Amérique , le Miniftre
a été autorisé à falarier des troupes étrangères & à
lever des recrues dans toute l'Allemagne , comme
fi nous étions en guerre ouverte avec les trois - quarts
de l'Europe , pour joindre ces troupes aux forces
Britanniques & les envoyer combattre dans un nouveau
monde où ils n'avoient pas plus affaire que
dans la lune. De toutes les mefures adoptées jamais
par un Ministère ignorant & étourdi , c'étoit
affurément la plus gauche , la plus imprudente & la
plus dangereufe. Elle donna du relief & par conféquent
de l'existence aux Rebelles vis - à - vis de toure
PEurope. Elle avilit la Grande- Bretagne , & la fit
defcendre en même proportion. Elle rendit un bon
office aux François & aux Eſpagnols , & elle les
excita à fpéculer & à manoeuvrer contre nous . Elle
mécontenta tous les bons Anglois , elle partagea
leur
( 25 )
leur opinion relativement à la caufe de la guerre &
aux moyens de la foutenir ; elle réunit les Américains
contre nous , eux qui auparavant étoient fincèrement
attachés à la Métropole & à ſes intérêts
& elle leur infpira à tous le projet de fe rendre indépendans
; ce fut donc cette fatale meſure qui arracha
l'Amérique à la Grande- Bretagne , & qui lui
fit prendre la réfolution de fe jetter dans les bras
de la Maifon de Bourbon. Puifque la Métropole
( dirent les Américains ) envoie des fauvages étrangers
pour nous égorger , nous aurons recours à des
amis & à des alliés étrangers pour nous protéger.
Si la Grande- Bretagne par fa force intrinsèque &
fans aucune affiftance étrangère n'eût pas pu maintenir
l'autorité du Gouvernement dans des provinces
éloignées , l'Amérique auroit vécu en paix & auroit
tâché de le gouverner & de fe défendre elle - même.
Quoiqu'il en foit , le Parlement confentit à tout implicitement
ne s'informant de rien foit pour fa
confcience , foit pour la décence. — L'argent levé
en 1776 & la faiſon de l'été furent employés à faire
venir des foldats Germaniques , ainfi qu'à les faire
partir avec des troupes Angloifes ( le tout formant
un corps affez confidérable ) pour Staten - Iſland où
notre nouveau Général s'étoit enfui de Boſton avec
fa petite armée , & où toutes nos troupes arrivèrent
affez-tôt pour effrayer une moitié de l'armée rebelle
de Long- Inland , au lieu de la prendre toute entière,
ce qu'elles auroient dû faire & ce qui auroit terminé
la guerre tout- d'un-coup ; mais cette opération eût
fait tort au commerce de la guerre , qui pour être
lucratif demande à être nourri de même que tous les
autres commerces. Néanmoins nos troupes pourfui
virent les rebelles depuis Long- Inland jufqu'à New-
York ; elles les chaffèrent de cette dernière place &
У établirent des quartiers d'hiver. C'eft là que nous
les laifferons ainfi que le fil de notre . Hiftoire , que
nous reprendrons dans un autre moment. Nous fini,
7 Octobre 1780. .b
( 26 )
rons feulement en obfervant que le Parlement n'a
jamais concouru autrement avec l'Adminiftration
par rapport à la conduite de cette guerre que pour
lui fournir tout l'argent , tous les hommes , tous les
vaiffeaux & généralement tout ce qu'elle a demandé ,
& cela fans prendre la moindre information ni fur la
dépenfe , ni fur la deſtination .
L'Amirauté a fait publier le 19 de ce mois
l'article fuivant,
Le Capitaine Fortefcue , montant la corvette le
Scourge , informe M. Stephens dans fa lettre du
16 de ce mois que le 15 à dix heures du matin
il a découvert un bâtiment portant fur lui ; qu'à
quatre heures l'ayant hêlé & n'en recevant point
de réponse , il en conclut que c'étoit un bâtiment
ennemi , & en conféquence il lui lâcha une bordée ;
l'ennemi arbora auffi - tôt Pavillon François & la
lui rendit. Après un combat d'une demi- heure le
vaiffeau François amena, Ce bâtiment le nomme
la Charlote , corfaire de Dunkerque de 16 canons
de 6 & de 120 hommes commandés par M. dų
Caffou , qui a été dangereufement bleffé dans l'action.
Le premier Lieutenant & dix matelots ont
été auffi bleffés , & il y a eu 4 hommes tués ,
C'eft un vaiffeau neuf qui n'étoit forti que depuis
trois mois de deffus le chantier , & depuis dixhuit
heures du port de Dunkerque pour intercepter
les bâtimens marchands deftinés pour Oftende &
Fleffingue . Le Scourge monte 16 canons & 80
hommes. Il ne paroît pas qu'il ait eu aucun homme
tué ou bleffé « ,
----
On lit dans une lettre d'un Officier au
fervice de la Compagnie des Indes , datée du
fort William ' e 3 Mars dernier , qu'il y a un
projet d'expédition contre Manille,à laquelle
on doit employer un bataillon de Mac Ledds ,
& un corps confidérable d'artillerie & de
( 27 )
troupes de la compagnie. Cette armée ferad'environ
10,000 hommes . Comme on fait
que ces poffeffions Eſpagnoles ne font pas
dépourvues de moyens de défenſe comme
elles l'étoient dans la dernière guerre , &
qu'on les a mifes dans un état de force
refpectable. On n'eft pas fans inquiétude
fur cette entrepriſe qui demanderoit pour
réuffir une armée nombreufe & bien approvifionnée.
La Réfolution & la Difcovéry ne font
point encore arrivées. Ces vaiffeaux ont été
rencontrés aux Orcades vers le commencement
de ce mois . Ils avoient pris la route
du nord pour éviter les François & les Efpagnols
; ils fe feroient épargné ce détour , fi
en apprenant que la guerre étoit déclarée , ils
avoient eu avis en même tems des ordres que
la Cour de France a donnés en leur faveur.
On dit qu'ils ont à bord un enfant & une
femme d'une des Ifles qu'ils ont découvertes
dans les mers du fud . On les attend à chaque
inſtant. Il eſt à remarquer que de 60 hommes
qui étoient à bord de la Diſcovery , il n'eſt
mort que le Capitaine de ce vaiffeau M.
Clarke ; & à bord de la Réfolution , où il y
avoit 120 hommes , on n'en a perdu que
dont un a été tué à côté du Capitaiue Cook.
ÉTATS - UNIS DE L'AMÉRIQUE sept.
De Philadelphie le 10 Juillet. On dit que
l'ennemi a été extrêmement furpris de trouver
fi peu de troupes continentales dans
b 2
( 28 )
$
Charles-Town. Le Général Leflie , chargé
de recevoir ces troupes après la reddition ,
dit au Général Lincoln : Je fuppofe , M.,
que ceci eft votre première divifion. Ce corps
répondit le Général , eft ma première & ma
dernière divifion ; vous voyez toutes les trou
pes que j'avois. L'ennemi n'a pas vu fans
chagrin qu'il avoit employé tant de tems &
perdu tant de monde contre une fi petite
garnifon. Il reconnoît lui-même qu'il a perdu
1700 hommes à ce fiége.
-
» L'Aſſemblée , écrit un Particulier de Richmond ,
dans la Virginie , avoit rejetté le Plan de finances du
Congrès le 18 Mars ; mais la queftion ayant été
reprife , il a été adopté , & on s'occupe actuellement
à paffer le bill. Nos dernières nouvelles du Sud
portent que Lord Cornwallis , à la tête de 3000
hommes , eft campé à Camden , dans la Caroline
méridionale , ayant des poftes avancés au - deffus &
au-deffous de lui , dont l'un eft compofé de 600
hommes & l'autre de 400. Il y fait des magafins
& raffemble ceux qui ont donné leur parole de venir
prêter ferment de fidélité au Roi d'Angleterre . Lorfque
le Baron de Kalb & le Général Cafwell auront
été joints par 2500 hommes de notre milice , qui
font actuellement en marche , ils auront 7 à 8000
hommes cc.
On a reçu de Poughkeepfie le bulletin fuivant
en date du 3 de ce mois.
» On débitoit hier , comme un fait certain , que
les troupes de Maffachuffet , au nombre de 6000
hommes , étoient en marche pour le rendre au quar.
tier général. Suivant les dernières nouvelles que
nous avons reçues de l'ennemi à New-Yorck , les
vaiffeaux qu'il avoit dans la rivière font defcendus
de nouveau , & ſes troupes forment une ligne de(
29 )
puis la rivière de Hudfon , près de Phillips jufqu'à
la rivière de Weſtcheſter, Il y a quelques batteries
dans le détroit , & on a lieu d'attendre quelqués. ·
nouveaux pillages le long des côtes. Dans tous
les Etats dont nous avons reçu des avis , on prend
les mefures les plus courageufes & les plus efficaces /
pour completter nos armées & régler le prix courant
du papier monnoie. Plusieurs prifes confi.
dérables font arrivées à Beverly & Newbury Port 3
à bord d'une de ces prifes s'eft trouvé le Major Sheriff
( précédemment Aide-de- Camp du Général Gage )
& fon époufe ; ils alloient de Georgie en Angle
terre c
De Bofton le 21 Juillet. Nos Confeils
généraux ont pris les meilleurs arrangemens
pour recruter & approvifionner l'armée .
Les Membres font allés chez eux pour accé
lérer l'exécution de ces mefures. Ils ont réfolu
d'envoyer sooo hommes pour completter
les bataillons pendant 6 mois , & pour
fe procurer un corps de milice qui foit prêt
à agir pendant trois. Les Négocians & les
citoyens de la capitale qui ont ouvert une
foufcription pour les befoins publics ont
déja foufcrit pour 170,000 liv . fterl.
» La frégate Françoife l'Hermione , écrit- on de
New- Port , dans Rhode-Ifland , arriva ici le 8. Juin .
La veille , à 7 heures du matin , à 5 lieues S. S. E. de
la pointe Monckok , elle avoit rencontré un vaiſſeau
de guerre , une chaloupe , une goëlette & un fenau
armés. M. le Chevalier de la Touche qui la com.
mande , s'étant affuré qu'ils étoient Anglois , porta
fur le vaiffeau qui étoit de 44 canons ; celui -ci vint
à fa rencontre , & il s'en fuivit un combat furieux
pendant une heure & demie à la portée du fufil.
La frégate ennemie ferra alors le vent & s'éloigna
b 3
( 30 )
à force de voiles. L'Hermione qui avoit beaucoup
fouffert dans fes agrêts , ne put la poursuivre ; elle
challa la goélette & la força de fe fauver fur l'e-
Longue , à 4 braffes d'eau à la vue de la frégate
Angloife , qui ne fe mit pas en devoir de la fecou
rir. Un calme plat étant furvenu , M. de la Touche-
Tréville gagna New-Port. Il a été bleffé légèrement
au bras ; M. Duquesne , fon Commandant en fecond ,
l'a été au bras & à la cuiffe . M. de la Ville-Marais
eu a l'os de la cuiffe gauche caffé par un boulet. M.
de Chardnac , Volontaire , a perdu la main droite.; il
y a eu o matelots tués & 37 bleflés . L'Hermione
n'a que 20 canons de 6 liv. en batterie & 10 fur
les gaillards . Son adverfaire en avoit 30 de 18 & de
12 en batterie , fans compter ceux de 9 qu'elle avoit
fur fes gaillards. Le Chevalier du Rouffeult de
Fayolle , Major au fervice de S. M. T. C. , Aide- de-
Camp du Marquis de la Fayette , eft mort fubitement
le 8 Juin , au moment qu'il alloit fe rendre
à bord de l'Hermione . Cet Officier âgé de 39 ans
eft extrêmement regretté «.
--
L'armée de M. de Rochambeau eft campée
fous New- Port. Plufieurs corps Américains
l'ont jointe. La flotte Angloife s'eft approchée
de Rhode Iſland . Une lettre de Fréhold dans
le Nouveau Jerſey , contient à cet égard les
détails fuivans , elle eft du 17 de ce mois.
» Il ne reste plus de doute fur les 6 gros vaiffeaux
que je vous ai mandé , il y a quelques heures ,
être arrivés aujourd'hui après - midi à la hauteur de
Long- Inland. C'eft, l'efcadre de l'Amiral Graves , je
fuppofe que plufieurs des vaiffeaux qui la compofent
montent 80 canons ; il n'y en a point au- deffous de
60. J'ai defcendu hier à Shrewsbury , mais le brouillard
étoit fi épais qu'il ne m'a pas été poffible de faire
quelques remarques intéreffantes. J'ai vu qu'Arbuthnot
avoit augmenté l'efcadre de Graves de 13 vaif(
31 )
"
feaux , dont 10 m'ont paru de 36 canons , & les 3
autres font de fortes frégates . Les vaiffeaux d'Arbuthnot
& les autres forment la ligne Occidentale
immédiatement pour couvrir l'entrée de Shandy-
Hook ".
FRANCE.
De VERSAILLES , le 3 Octobre.
$
Le Roi a accordé le brevet de Duc héréditaire
& les honneurs du Louvre au Comte
Jules de Polignac , Meftre de Camp au Régiment
du Roi , Cavalerie ; il a eu l'honneur
de faire fes remerciemens à S. M. le 20 du
mois dernier. Le 24 la Ducheffe de Polignac
a pris le tabouret , conformément au
brevet de Duc héréditaire accordé par le
Roi au Comte Jules de Polignac. Le inême
jour la Comteffe de la Plefnoye a été préfentée
au Roi, à la Reine & à la Famille Royale
par la Princeffe de Chymay , Dame d'honneur
de la Reine ; & la Comteffe de Gouy
d'Arcy a été préfentée par la Comteffe de
Salles,
LL. MM. & la Famille Royale ont figné
le contrat de mariage du Marquis d'Anjorrant
, Officier des Grenadiers dans le régiment
des Gardes Françoifes , & Ecuyer-
Commandant des Ecuries de Madame la
Comteffe d'Artois , avec Mademoiſelle le
Roy de Rocquemont.
Le 26 Dom Dufaz , Religieux de la Congré
gation de St-Vanne, eut l'honneur de préfenter
au Roi des chiens de chaffe & des faucons
b 4
(13,2 )
au nom de l'Abbaye de St- Hubert ; ce préfent
que l'Abbé de St - Hubert eft dans l'ufage
de faire annuellement à S. M. , fur
reçu par le Marquis de Forget , Capitaine
du Vol du Cabinet.
De PARIS , le 3 Octobre.
ON n'a point de nouvelles poftérieures
de l'Amérique Septentrionale & des Ifles.
La dernière dépêche de l'Amiral Rodney à
l'Amirauté , telle qu'elle a été publiée en
Angleterre , n'offre rien à la curiofité depuis
le départ de M. de Guichen de Fort- Royal
de la Martinique jufqu'au 3 1 Juillet . A cette
époque l'Amiral Rodney étoit à St-Chriſtophe
, & depuis le 9 on avoit perdu de vue
la flotte Françoife & Eſpagnole faifant voile
à l'oueft . On ne doute pas qu'elle fe foit
dirigée vers la Jamaïque , & les nouvelles
qu'on attend de ces parages ne peuvent
qu'être intéreffantes.
Selon les nouvelles d'Efpagne M. le
Comte d'Estaing devoit quitter St - Ildephonſe
le 16 , & en ce cas il a dû arriver à
Cadix le 23 ou le 24 du mois dernier. On
ignore encore s'il prendra le commandement
de l'Armée combinée , où s'il ira en
Amérique avec une forte efcadre.
Nos nouvelles de Breft portent que le
Sceptre eft déja doublé en cuivre , & qu'on
travaille actuellement à doubler de même la
Ville de Paris & le Northumberland. Cette
opération fe fait avec une telle diligence ,
( 33 )
que les vaiffeaux ne font pour ainfi dire
qu'entrer & fortir des baffins. Les frégates
la Friponne & la Fine , rentrées le 12 , ont
été défarmées fur- le -champ pour être doublées
pareillement , & la Friponne étoit
déja dans les baffins le 14.
Les mêmes lettres ajoutent que les régimens
de Neuftrie & d'Anhalt paroiffent être
du nombre de ceux défignés pour être embarqués
fur la divifion à préfent en armement
à Breft , & qui , felon toutes les apparences
fera commandée par M. de la
Touche -Tréville , qui eft encore à la Cour ;
ces régimens , avec Auvergne & Rouergue ,
formoient la deuxième divifion de M. le
Comte de Rochambeau.
On dit que M. le Prince de Montbarrey
a écrit aux Commandans de tous les régimens
d'Infanterie Françoife & Etrangère ,
que l'intention du Roi étant de complet
ter les troupes que la guerre a tranſportées
en Amérique. S. M. a décidé que chaque
régiment fournira un détachement qui fera
de 2 Sergens ,, 33 Caporaux & 75 Soldats ,
pour ceux qui n'ont pas fourni de détacheinent
pour le fervice des vaiffeaux , & les
autres à proportion. Le Miniftre , ajoutet-
on , recommande de prendre des foldats
de bonne volonté , en leur expliquant que
c'eft pour être incorporés dans les régimens
d'infanterie de terre , employés actuellement
en Amérique ; & il obferve qu'il feroit intéreffant
que ces détachemens ne fuflent
bs
( 34 )
compofés que d'hommes de 18 à 30 ans ,
ou de foldats ayant été déja fur mer &
dans les Colonies , s'ils étoient plus âgés
& s'il ne fe préfentoit pas affez d'hommes
de bonne volonté ; il faut toujours que les
vues de S. M. foient remplies .
2
» La frégate l'Aurore , écrit - on de Marſeille ,
commandée par M. le Chevalier de Cypierre
eft arrivé ici avec 32 bâtimens marchands venant
de Cadix . Depuis le premier Septembre jusqu'à
ce jour 20 , il eft entré ici un grand nombre de
bâtimens de commerce , & quelques navires du
Roi qui les efcortoient. Le convor le plus précieux
eft celui qui vient de la Morée & de l'Archipel
; it a mouillé d'abord aux Ifles d'Hyères
fous l'efcorte de trois frégates , & eft composé
de 28 voiles qu'on eftime 14 à 15 millions. II
eft entré hier dans ce Port , avec la frégate la
Sérieufe que commande M. de Milliefly, Capitaine
de vaiffeau. M. de Pierre-Vert , commandant la
corvette du Roi le Tigre , a amené un corfaire
de Mahon de 4 canons & 38 hommes d'équipage
c
Le convoi parti de l'Ile - d'Aix le 3 Septembre
, confifte en so bâtimens ; l'efcorte
en eft compofée du vaiffeau du Roi le Magnanime
, de 74 canons , & des frégates la
Fée & la Galathée , de 32.
C'est le 21 du mois d'Août que le convoi
pour les lfles du-Vent , parti de l'Iled'Aix
le 8 Juin , & forcé de relâcher à la
Corogne , en eft reparti pour fa deſtination
fous l'efcorte de l'Invincible , de 108 canons ,
du Guerrier , du Bien- Aimé , de 74 , de l'Alexandre
, de 64 , & de 3 vaiffeaux de ligne
( 35 )
Efpagnols , & des frégates la Cérès , la Railleufe
& de la corvette le Sénégal. Ces der
niers bâtimens doivent aller jufqu'en Amérique
; mais les vaiffeaux reviendront à
Cadix.
On fe rappelle le combat de la frégate
la Montréal , qui défendit & fauva devant
Alger un convoi attaqué par 2 frégátes Angloifes
& 3 corfaires. La conduite du Comte
de la Porte-Iffertieux , qui en prit le commandement
après la mort de M. de Vialis-
Fontebelle , a mérité à ce brave Officier les
2 lettres fuivantes du Miniftre.
" J'ai mis fous les yeux du Roi , M. , le compte
que vous m'avez rendu du combat foutenu le 30
Juillet dernier , par la frégate la Montréal , contre
2 frégates & 3 corfaires Anglois à la vue d'Alger
: le regret que S. M. a de la perte de M.
Vialis de Fontebelle , que vous avez remplacé dans
le commandement , ne pouvoit être tempéré que
par la fatisfaction qu'Elle a reffentie de la conduite
très-courageufe & très- intelligente que vous avez
tenue , pour la défenfe de cette frégate , & du
convoi qui lui étoit confié. Elle a été également
fatisfaite des témoignages que vous avez rendus ,
de la bravoure & du zèle de l'Etat- Major , de
l'Officier commandant le détachement d'Infanterie
& de l'équipage. Je prendrai inceffamment les
ordres de S. M. fur les différentes demandes que
vous me faites pour eux ; mais préalablement je
m'empreffe de vous annoncer qu'Elle vous a accordé
le grade de Capitaine de Vaiffeau , à prendre
rang dans les promotions qui auront lieu par la
fuite , & qu'Elle vous conferve le commandement
de la frégate que vous avez fi bien défendue ,
quoiqu'Elle en eût précédemment difpofé. Je fuis
-
b 6
( 360)
bien perfuadé que ces graces auffi diſtinguées que
l'action qui les occafionne , feront pour vous un
nouveau motif d'émulation & de zèle pour le
fervice de S. M. DE SARTINE.
S. M. eft , M. , très - fatisfaite de la conduite que
Vous avez tenue : Elle m'a chargé de vous le mander
, & de vous faire connoître qu'Elle a remarqué
qu'en défendant avec habileté & avec valeur l'honneur
de fon Pavillon , vous n'avez pas négligé un
inftant de donner aux navires que vous efcortiez ,
toute la protection dont ils avoient befoin pour
ne pas être attaqués. Ce font ces différens motifs.
qui m'ont déterminé à propofer à S. M. de vous
accorder les récompenfes dont elle vient de vous
honorer la frégate la Montréal ne peut être en
de meilleures mains que les vôtres ; je fuis bien
perfuadé que vous continuerez à faifir les occafions
de vous diftinguer , & que vous ferez toujours
bien fecondé par votre Etat-Major & par
votre équipage qui viennent de donner les plus
grandes preuves de zèle , de fermeté & de bravoure.
Le parti que vous avez pris de laiffer
votre convoi à Alger , pour ne pas l'expofer dans
un moment auffi critique , & de revenir à Toulon
pour y prendre de nouveaux ordres , a été approuvé
par le Roi , qui d'ailleurs a vu que vous vous
étiez concerté à cet égard avec M. de la Vallée ,
Conful de France à Alger , &c. «
Plufieurs papiers publics , en faifant mention
dans le tems de la prife de la frégate
du Roi la Nymphe , commandée par le
brave Chevalier du Rumain , ont dit que
M. le Chevalier de la Bourdonnaye , commandant
le cutter l'Actif , avoit rendu
compte au Commandant de la Marine , à
Breft , de ce fâcheux évènement ; M. de la
Bourdonnaye commandoit le cutter la Le(
37 )
vrette , de 18 canons , de 6 livres , calibre
Anglois ; mais alors il montoit l'Actif, qui
n'avoit à cette époque que 6 canons de 4.
& un équipage proportionné. On fent que
la différence de force de ces bâtimens en
auroit néceffité auffi une de conduite dans
les citances. Si la Levrette fe fût trouvée
à la place de l'Actif, ou l'avantage de
la frégate Angloiſe auroit été plus confidérable
, ou ce qui eft au moins auffi probable ,
le Chevalier du Rumain au lieu de fuccomber
en cherchant par fes manoeuvres
hardies à rendre inutiles les forces fupérieures
de l'ennemi s'en feroit emparé.
On mande du Havre que l'on conftruit
en ce Port , pour le Roi , deux gabarres de
20 canons chacune ; la première eft déja
lancée , l'autre le fera inceffamment. On
arme auffi dans le même Port les corfaires
des braves Capitaines Favre & Cottin ; le
premier commande la Jofephine , & le fecond
aura fous fes ordres la Marquife de
Seigneley & la Comteffe de Bufançois.
» Les habitans du quartier de la grande rue de cette
Ville, écrit-on de Montpellier, inftruits par le Courierdu
3 Septembre, de la prife faite le 9 Août par les efcadres
combinées de France & d'Efpagne d'un nombreux
convoi Anglois , fe décidèrent tout de fuite à faire
éclater leur joie ; & fecondés par une foule de leurs
Concitoyens, après avoir reçu l'approbation des Supé
rieurs , ils fe donnèrent des foins fi multipliés , fi
ardens & fi prompts , qu'ils réuffirent le même jour
à faire élever un grand arc de triomphe à trois por
tiques , fur lequel étoit placé un vaiſſeau avec tous
( 38 )
fes agrêts ; on voyoit flotter le pavillon de France
à la poupe , celui d'Efpagne à la proue , & l'oriflamme
des deux Nations fur la vergue de perroquet
du grand mât : un grand médaillon tranfparent placé
fous le portique du milieu , contenoit les armes des
deux Monarques unis pour la liberté des mers &
pour la caufe commune de l'Europe , & la légende
du médaillon portoit ces mots , Vivent les Rois de
France & d'Espagne : plufieurs drapeaux & trophées
d'armes & de lauriers étoient diftribués dans les entours
de l'édifice & aux croifées des maifons voifines.
L'illumination en flambeaux , globes , pots à
feu & lampions , étoit auffi brillante que bien ordonnée.
Une foule nombreuſe de Citoyens de tout
état répétoit les mots de la légende avec des cris
d'allégreffe , pendant que le Peuple danſoit au fon
des tambours & des hautbois ; enfin une troupe
lefte & choifie de jeunes gens , précédée de flambeaux
& d'inftrumens , alla répandre la joie publique
, en répétant fes danfes chez les Grands , dans
les places publiques & dans les autres quartiers de
la Ville. Cette fête a été continuée le lendemain 4
Septembre «.
Il n'eft point vrai que M. Fabre , coinmandant
la frégate les Etats d'Artois , ait
été demander du fervice à M. le Cornte
d'Eftaing ; il a pu en quittant Lisbonne
s'arrêter à Madrid ; mais on ne dit point
qu'il fe foit préſenté à St - Ildephonfe. Au
refte cet Officier n'a pas paru à Bordeaux ;
il est dans une maison de campagne aux
environs, de cette Ville au milieu de fa
famille.
On a appris il y a quelques jours la mort
du Prince de Carignan , frère aîné de Madame
la Princeffe de Lamballe. Il laiffe un
( 39 )
fils âgé de 10 ans de fon mariage avec
Mademoiſelle de Lorraine , fille de Madame
la Comteffe de Brionne. Le Prince Eugène
fon frère , dont le mariage vient d'être caffé
par le Parlement de Paris , étoit auffi fort
malade au départ du courier. La Reine ,
Madame , & Madame la Comteffe d'Artois
font venues le 28 à Paris faire leur
compliment de condoléance à Madame la
Princeffe de Lamballe.
>
» Un jeune homme de 18 ans , écrit - on d'Amiens
, élevé à Paris dans l'hopital des Enfans-
Trouvés , où il avoit été baptifé fous le nom de
Pierre , fut envoyé avec d'autres au fortir dé
l'enfance à St-Quentin , pour y être nourris moyennant
une légére rétribution. On vint , il y a environ
cinq ans , retirer les enfans des mains de ceux
qui s'en étoient chargés. Pierre redoutant le fé
jour d'un hopital trouva le moyen de s'échapper
& de revenir à St -Quentin. Un Traiteur
de cette Ville , touché de fa jeuneffe & de fa misère
le recueillit dans fa maifon , & lui apprit
fon métier fans autre vue que de faire une bonne
action . Il vient d'en recevoir la récompenfe. Un
créancier exigea , il y a quinze jours , le paiement
d'une fomme modique que lui devoit le bienfaiteur
de Pierre. Ce particulier dénué de fonds
réfolut pour faire honneur à fa dette , & fe mettre
à l'abri des pourfuites dont il étoit menacé , de
vendre une partie de fon argenterie . Il appelle
l'enfant trouvé , lui confie fa fituation & fon deffein
, & le charge de vendre les effets . Cette nouvelle
décide Pierre ; il dit au Traiteur de ne point
fe preffer de vendre fon argenterie , & qu'il va
travailler à le tirer d'embarras par d'autres moyens.
Sans s'expliquer dayantage , le jeune homme va
3-
( 40 )
trouver M. de Franfare , Colonel au Corps Royal
d'Artillerie , s'engage dans le Régiment d'Auxonne ,
reçoit le prix de fa liberté , & l'apporte à fon
bienfaiteur. Tenez , lui dit-il , il y a long- tems
que j'ai envie de fervir le Roi , & de vous prouver
que je ne fuis point ingrar ; je viens de me
fatisfaire ; acquittez votre dette. Le Traiteur &
fa femme fondant en larmes , embraffent le jeune
homme , & veulent le forcer à reprendre fon argent
, mais rien ne peut ébranler fa réfolution ;
& il vient de partir emportant l'eftime de cette
Ville «.
Nous avons annoncé plufieurs remèdes
contre la rage ; notre but en les publiant
étoit d'en faciliter les effais , dans l'efpérance
que s'ils ne font pas toujours efficaces
fur tous les fujets , ils peuvent l'être
fur quelques-uns . On ne fauroit trop multiplier
les fecours contre une maladie cruelle
qui réfifte quelquefois aux remèdes les plus
accrédités. Ce motif nous engage à publier
encore celui-ci que M. Chedet , Curé de
Champvert , nous a fait paffer.
ɔɔ J'ai vu , nous écrit-il , employer cette recette
dans la Breffe par un ancien Curé qui affuroit
qu'après l'application de fon remède il n'avoit ja
mais vu arriver d'accident ; qu'il l'avoit même va
appliquer avec fuccès à une perfonne déja attaquée
des accès de la rage. Je l'ai vu moi-même admiwiftrer
à plufieurs perfonnes , & notamment en
Janvier 1767 , à cinq , tant hommes que femmes
& enfans, qui avoient été bleffés confidérablement
par un chien évidemment enragé , fans qu'aucun
deux ait rien reffenti depuis. Il s'agit de faire
diffoudre pour un adulte , environ un gros de fel
policrefte de feignette , d'y ajouter quelques gouttes
du fang de la perfonne mordue ; ( on en peut
-
( 41)
-
tirer feulement de 10 à 20 gouttes par une légère
incifion au bout du doigt ou ailleurs ) & on fait
avaler ce mêlange au malade. On peut ajouter
au remède , un peu de criftal minéral ; mais cela
paroît inutile , puifque le Curé de qui je l'ai appris
, ne l'employoit pas , & que je l'ai vu réuffir
fans cela. Le remède une fois pris , eft fuffifant.
Cependant il feroit peut- être plus efficace , réitéré.
On n'a pas befoin de régime. On peut le prendre ?
en tout tems. Il paroît cependant plus convenable
de le prendre leftomach un peu vuide "...
Un Militaire , qui a 40 ans de fervice & qui n'a
de fortune que fon état , Pere de trois garçons
dont l'aîné à 25 ans & le dernier 12 ; & de dix Filles ,
l'aînée âgée de 26 ans & la cadette de dix : toutes
très - bien élevées , très- adroites & faifant les dentelles
de Valenciennes & autres , ainfi que tous les
petits ouvrages de Parures & de Modes , défireroit
en placer quelques- unes chez des Dames de diftinction
, en qualité de Demoiselles de Compagnie ;
plufieurs d'entr'elles ( les aînées ) pincent affez bien
la Guittarre & s'accompagnent de la voix , qu'elles
ont agréable ainfi que la figure ; elles favent un peu
de Mufique. S'adreffer à M. Ameflant , Négociant
rue du Four Saint- Honoré , à Paris.
Demoiſelle Anne- Elifabeth de Potot de
Combreux , foeur du feu bailli de Combreux ,
Ambaffadeur de la Religion auprès du Roi
de Naples , eft morte ici le 13 Septembre
dans la 79° année de fon âge,
Jean -Jofeph de Vincens de Mauleon:
d'Aftoaud , Marquis de Cauſens , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Lieutenant
de Roi de Provence , Commandant de la
Principauté d'Orange , eft mort ici le 17
Septembre dans la 56 ° année de fon âge.
( 42 )
Marie de Vichy de Chanctu , veuve de
J. B. Jacques de la Lande , Marquis du
Deffaux , Brigadier des Armées du Roi
Lieutenant Général de l'Orléannois , eft
morte en cette ville le 23 du même mois
âgée de 84 ans.
,
,
Philibert Bateau , journalier du village de
Rel , Paroiffe de Marfac , Diocèle de Limoges ,
y eft mort le 2 Septembre âgé de 107 ans
fans avoir eu aucune maladie pendant fa
longue vie..
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royal de France , du premier de ce
mois , font : 43 , 48 , 11 , 36 & 7.
De BRUXELLES , le 3 Octobre.
Le Roi de Suède arriva ici le 18 du mois
dernier , fous le nom de Comte de Haga.
Il defcendit à l'Hôtel d'Angleterre , ou peu
de tems après fon arrivée , il fut complimenté
par le Lieutenant - Général Comte
Ferrari au nom du Prince de Staremberg
qui fe trouvoit indifpofé, S. M. a refufé
tous les honneurs & tous les dîners ; elle
abien voulu accepter les foupers ; en conféquence
après avoir affifté tous les foirs à la
Comédie, elle a foupé fucceffivement chez le
Prince de Staremberg , le Nonce du Pape & le
Miniftre des Etats- Généraux des Provinces-
Unies. S. M. eft repartie le 22 pour fe
rendre à la Haye ; elle fe propoſoit de
s'arrêter à Anvers , & dans quelques autres
endroits pour y voir ce qu'il y a de remarquable.
Le Comte de Kreutz l'a quittée à
( 43 )
•
Anvers , où fa fuite n'a plus été composée
que du Comte de Lowenhaupt , des Barons
de Mofner , Taube , Strumfeld , Wréede ,
Viegt , & de M. Franks , Secrétaire du
Cabinet.
» Le fameux Commodore Johnſtone , écrit-on
d'Amfterdam , qui depuis quelques mois a croifé
avec une efcadre fur les côtes de Portugal , où il a
enlevé beaucoup de navires Hollandois a été , à
ce que l'on affure , rappellé par fa Cour , & eſt parti
de Lisbonne à la fin d'Août. Comme les Patrons
n'ont ceffé de faire des repréſentations aux Amirautés
touchant la conduite de ce Chef envers leurs navires
, conduite fi contraire au droit des gens & aux
traités qui fubfiftent entre les deux Puiffances , on
efpère qu'il fera condamné à reftituer les navires
dont il s'eft emparé , ainfi que leurs cargaïfons qu'il
a fait vendre , & qu'on évalue à 300 mille livres
fterl. «
Les lettres de Londres annoncent que les
corfaires Anglois ont déja conduit dans
les ports de la Grande - Bretagne quelques
navires Ruffes ; la Cour a fait relâcher
l'Alexandre. On eft fort curieux d'apprendre
files autres feront traités auffi favorablement
; s'ils le font cette partialité paroîtra
fort extraordinaire aux Hollandois dont les
navires continuent d'éprouver , de la part
des vaiffeaux , même du Roi , les traitemens
les plus indignes.
» Le Capitaine Jean Edzes , lit-on dans une lettre
d'Amſterdam , arrivé le 18 Juillet à St- Euſtache ,
a écrit qu'étant forti du Texel , il rencontra le 28
Mai près du Cap Finiftere un vaiffeau de guerre
Anglois , dont le Capitaine voulut le contraindre
d'avouer qu'il étoit deftiné pour l'Eſpagne ou l'A(
44 )
J
mérique Septentrionale , en le menaçant de le faire
mettre aux fers. Sur fon refus il fut retenu pendant
3 heures à bord du vaiffeau Anglois , & ne fut
renvoyé fur le fien qu'après avoir été cruellement
battu on lui avoit pris auffi la plupart de les inftrumens
de navigation . Deux jours avant ſon arrivée à
St- Euftache , il rencontra un corfaire qui lui enleva
prefque tous fes cordages , de manière qu'il ne pur
finir fon voyage qu'avec beaucoup de danger «.
PRÉCIS des nouvelles de Londres , du 26 Septembre.
Il eft furprenant que Rodney dans fa lettre du
31 Juillet , n'ait point parlé du détachement de
plufieurs de fes vaiffeaux de ligne pour la Jamaïque.
Une lettre de St- Chriftophe du 25 Juillet ,
dit que ce détachement étoit parti la veille , &e
que l'Amiral Rowley prendra le commandement du
Chevalier Sir Péter- Parker . Suivant d'autres , le
détachement n'eft parti que le 29 , & il n'eft pas
de io vaiffeaux , puifque Rodney refte avec 21 à
St-Christophe.
-
>
Le Général Dalrymple eft arrivé le 25 de New,
Yorck. Le Miniftre étant à la campagne , les dépêches
ont été portées au Roi à Windfor. Il est
venu en très-petées
peu de tems ( étant parti le premier
Septembre ) fur la frégate la Virginie , dont le
Capitaine Ord a apporté des nouvelles de l'Amiral
Arbuthnot. Il n'avoit rien tranfpiré le 26 des dépêches
de l'un & de l'autre. Le Général Eve
ningpoft d'aujourd'hui ( Gazette vouée aux Minil
tres , dit feulement que Graves eft arrivé heu
reufement à New-York , & que les François font
fi bien fortifiés à Rhode- Inland , qu'on ne croyoit
pas qu'il für fage de les attaquer. -Malgré le
profond filence qui s'obferve fur ces dépêches ,
dit une autre Gazette , il fe débite d'après des
lettres particulieres délivrées aujourd'hui , que leur
contenu eft de la nature la plus trifte & la plus
alarmante , au point de prouver de la manière la
( 45)
Brig
plus complette , que nos affaires en Amérique font
réduites à une extrémité qui n'admet plus l'efpoir ,
pas même la poffibilité dans cette partie du monde.
Dans nombre d'autres nouvelles fâcheufes fe
trouve la confirmation de la perte entière de la
flotte partie au commencement du printems de
Cork pour Québec. On avoit fait courir le bruit
que les ennemis n'en avoient pris que 12 vaiffeaux.
Les derniers avis portent avec certitude que la
Aotte entière , fans en excepter un feul navire ,
eft en leur poffeffion. De toutes les nouvelles , celleci
eft la pire , la faiſon étant fi avancée qu'il eft
impoffible d'aller au fecours de cette garnifon , qui
avoit été obligée de diminuer les rations 15 jours après
que la fotte eut quitté nos côtes. Il le débite
encore qu'à l'arrivée de M. de Ternay , le Géné
ral Washington ayant reçu un renfort , s'étoit
campé avec 20,000 hommes près de New-Yorck;
que le Lord Cornwallis étoit dans les parties in
térieures de la Caroline Méridionale , & que la
Milice de cette Province qui avoit fait de fi belles
proteftations de loyauté , s'étoit emparé de fes Offi.
ciers & les avoit conduits dans la Caroline Septentrionale
qui continuoit d'être attachée au Congrès
, & c. Même état des fonds,
Du 28 Septembre. - Les Lords North & Germaine
font revenus de leurs campagnes à Londres ; M. Dalrymple
avoit été à celle du dernier lui rendre compte
de l'état particulier des chofes. Le filence continue
toujours fur ces dépêches & fait le plus mauvais effet.
Les Miniftres font répandre que comme ils étoient à
la campagne le 25 , on n'a pu faire fur le champ
les extraits de ces dépêches qui font très- longues ,
mais qu'ils paroîtront dans la Gazette du 30 .
Voici ce qui perce de ces dépêches dans les Ga
zettes vouées aux Miniftres . M. de Ternay
avoit perdu tant de monde dans la traverſée ,
qu'il n'avoit débarqué que 4000 hommes à Rhode-
Inland. Washington faifoit mine de former des
—
( 46 )
magafins ; & avoit raffemblé un nombre de trou
pes confidérable , mais très- mal compofé . Le Général
Clinton . avoit effectué un embarquement de
10,000 hommes , & accompagné de l'efcadre d'Arbuthnot
, il avoit été jufqu'à la pointe de Long-
Iſland , mais il n'avoit pas jugé à propos d'artaquer
M. de Ternay. Il avoit cependant laiffé
Amiral croifant à la hauteur de Marthe's Vine-
Yard , & étoit revenu à New -Yorck. Il y avoit
quelque diffentions parmi les Officiers de l'armée
Angloife , mais on avoit tout lieu d'être content
du courage & de la fanté des troupes. Eufin quoique
le Général Clinton ne fe foit pas trouvé affez
fort , pour marcher contre M. de Ternay , il
avoit pris les meilleures mefures pour que l'ennemi
ne pût l'attaquer avec fuccès,
Les lettres apportées par la Virginie font du
28 Août. Elle a mis à la voile le premier Septembre.
On dit que l'armée de Washington eft
de 20,000 hommes , fans compter les troupes Françoiſes
de Rhode Island , & les corps Américains
qui les ont jointes , formant 12,000 hommes. Les
Officiers que la frégate a ramenés , font les Généraux
Mathews , Pattifon , Tryon & Dalrymple.
On affure aufli que le retour du Général Clinton
à New Yorck a été occafionné par la nouvelle
que Washington avoit paffé l'Hudfon , & faifoit
un mouvement fur la Ville avec 16,000 hommes.
L'embarquement s'étoit fait malgré les réclamations
de plufieurs Officiers qui ne trouvoient point qu'il
reftât affez de provifions dans New -Yorck ou on
en étoit déja à demie ration.
Il fe confirme que le Général Cornwalis perd
fucceffivement tous les pofles dont il croyoit être
affuré dans la Caroline Méridionale ; que les Milices
qui lui avoient prêté ferment vont groffir
l'armée de Gates , & qu'il alloit être obligé de ſe
renfermer dans Charles- Town .
Le bruit couroit à New-Yorck au départ de la
( 47 )
Virginie qu'on avoit rencontré le 28 Juillet M
de Guichen fous le Vent de St - Domingue , en route
pour la Jamaïque avec 32 vaiffeaux de ligne ,
16,000 hommes de troupes , & qu'on avoit compté
62 voiles .
M. de Ternay avoit élevé d'impofantes fortifications
à Rhode-Ifland , où il venoit de publier
une déclaration au nom du Roi de France , pour
aflurer le peuple d'Amérique , que le Roi , fon
maître , étoit réfolu à le foutenir de tout fon
pouvoir qu'il feroit la conquête du Canada pourcéder
cette Province aux Etats- Unis , & enfin que
d'un jour à l'autre , il attendoit de France de
puillans renforts pour l'exécution complette de ce
plan.
>-
Il n'y a plus de doute fur le détachement fait
par Rodney de 10 vaiffeaux de ligne pour la Ja.
maïque même avant le 31 Juillet , date de fa
dernière dépêche. On en a publié la lifte fuivante
à St-Chriftophe. Princeffe Royale 98 canons
Albion , Magnificent , Conqueror , Grafton , Eli
fabeth , Berwick , Thunderer , Trident , Sterling-
Caftle , de 74 canons.
La frégate a rencontré un vaiffeau de cartel des:
Mes , qui l'a affuré que M. de Guichen embar
quoit des troupes à St - Domingue pour la Jamai
que. On dit aufli qu'elle a rencontré un vaiffeau
François de 74 canons , avec S bâtimens de tranf
port allant à Rhode - Iſland,
Le nombre exact des vaiffeaux de la flotte de
Québec dont les Américains fe font emparé le
12 & le 15 Juillet eft de 19. Cette perte eft
d'autant plus fenfible , que le befoin des munitions
& des fubfiftances dont la flotte étoit abondamment
chargée , étoit auffi grand pour l'armée Angloiſe
du Canada qui en eft privée , que pour la ville
de Boſton où ces vaifleaux ont été conduits . Ils
étoient affurés à Londres pour 300,000 liv . fterl..
Depuis l'arrivée de la frégate le Ministère eft
( 48 )
dans la confternation. Tous les plans font fufpen
dus ; on parle d'envoyer au plutôt en Amérique
ou aux Ifles une forte divifion de la grande efcadre
, qui ne fait que parader inutilement fur
nos côtes . Mais on craint qu'avant l'arrivée de
ce renfort le grand coup nous ait été porté. Deux
des Membres du cabinet veulent que le plan des
opérations futures foit changé. Tout n'eft plus
dans nos Confeils que défordre & incertitude.
On lit dans les Gazettes du 26 de nouvelles
inftructions à tous les vaiffeaux de guerre & cor
faires , datées à St - James le 15 , qui conformé
ment à un article interprétatif nouvellement convenu
avec le Roi de Danemarck du traité d'alliance
& de commerce , fait à Copenhague le 11
Juillet 1670 , défignant les objets qui doivent être
regardés comme de contrebande fur les vaiffeaux
Danois , & n'en exceptent que le fer non travaillé
& les planches de fapin , ainsi que les fubfiftances
fraîches ou falées pour des places non bloquées
ou alliégées .
Suivant les dernières nouvelles de Torbay , le
vent y retenoit encore la grande efcadre. Il paffe
pour certain qu'il en fera fait un détachement pour
aller porter du fecours à Gibraltar , & le reftě
croifera pour affurer le retour des flottes.
ERRATA. Il s'eft gliffé dans le No. 39 , page 176
quelques fautes que nous nous empreffons de rectifiers
Le difpofitif de la Sentencedu 27 Août 1779 , n'eft point
exact. Après ces mots : donnons lettres à la partie de Guil-
Laume de fa prife de fait & caufe de la partie de Thorel , il
faut fupprimer le refte , & lire : faifont droit fur la de→
mande des parties de Martineau. ( MM. les Comte de
Carcado & Marquis de Molac ) , difons , du confentement
de la partie de Guillaume ,que dans les Hiftoire & Généaloge
de la Demoiſelle d'Eon , partie de Guillaume ,
fera fait aucune mention du Nom & de la Maifon de le
Sénéchal. Sur le furplus des demandes , mettons les parties
hors de Cour , &c.... Nous devons ajouter que dans un
exemplaire imprimé de ce Jugement le mot du confen
tement &c. n'eft pas omis ; la Sentence du 22 Août
dernier , rendue fur la nouvelle inftance occafionnée
par l'impreffion du premier Jugement , le laiſſe dans
fon entier.
•
il ne
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE,
De CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
ON apprend du Caire qu'il eſt encore
arrivé dans la mer Rouge deux bâtimens
Anglois , deftinés pour Suez ; forcés par les
vents contraires de relâcher dans un des
ports de la Haute- Egypte , ils y ont débarqués
perfonnes , chargées de papiers & de
lettres pour le Caire. Celles- ci avant de
pouvoir continuer leur voyage par terre
ont été obligées de payer 3000 patagons à
Han-Bey , l'un des petits tyrans qui fe font
emparés de la domination de ce pays . Arrivées
au Caire , Ifmael , Bacha de l'Egypte
en a renvoyé 4 à leurs vaiffeaux , & a fait
partir l'autre avec fes dépêches & fes papiers
pour Conftantinople fous la garde d'un
Officier Turc. A l'arrivée des quatre premières
au port , l'un des vaiffeaux a repris
la route de l'Inde , & l'autre celle de Gedda.
Nous faurons lorfque le Meffager fera dans
cette ville fi les bâtimens en queftion font.
marchands ou fimplement des Avifo. Quels
14 Octobre 1780.
( 50 )
qu'ils foient il n'eft pas douteux que leur
expédition ne foit défagréable à la Porte qui
avoit défendu rigoureufement aux Franes
l'année dernière , tout commerce dans les
ports de la mer Rouge , à l'exception de celui
de Gedda ; elle avoit même refufé au
Chevalier Ainflie , Ambaffadeur de la Grande-
Bretagne , la permiffion de faire entrer
à Suez les paquebots porteurs des dépêches
de l'Inde. Les efforts des Anglois pour faire
reprendre au commerce de l'Afie fon ancien
cours par l'Arabie & l'Egypte , ont très - mal
réuffi . M. Baldwin qui a été à la tête de ces
entrepriſes , vient de difparoître , laiffant
pour plus d'un million de piaftres de dettes .
Nous nous flattions que la pefte avoit
entièrement ceffé fes ravages ; elle vient de
fe manifefter de nouveau avec plus de violence
, tant dans cette ville , que dans les
environs. Il en eft mort dernièrement cinq
perfonnes à Bujukdere , ce qui a obligé les
Miniftres étrangers qui y font leur réfidence
, à fermer leurs Hôtels.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 8 Septembre.
Les de ce mois les Miniftres plénipotentiaires
de la République des Provinces-
Unies , eurent leur première audience de
l'Impératrice , à laquelle ils remirent leurs
lettres de créance. Le lendemain ils en eurent
une du Grand-Duc. Ils n'ont pas en(
51 )
core pu entrer en conférence avec le Comte
de Pannin ; l'arrivée du Prince de Pruffe ,
les fêtes qu'elle occafionne , occupent toute
la Cour. Ce Prince a fait ici fon entrée publique
le 6 , à 7 heures du foir. Une foule
inombrable de peuple s'étoit rendue fur fon
paffage ; il defcendit au Palais de Woronzow
, où il fut reçu par les Comtes de Pannin
& d'Ofterman , & le Prince Baratinsky ,
Maréchal de la Cour , à la tête d'une fuite
nombreuſe de Chambellans & de Cavaliers.
Hier , vers midi , il fe rendit à la Cour accompagné
d'une fuite nombreuſe , & fut
préfenté à l'Impératrice dans l'appartement
appellé des Brillans , où le Grand - Duc &
la Grande-Ducheffe s'étoient rendus. Après
le dîner , il retourna au Palais de Woronzow
pour y recevoir la vifite de LL. AA. II.
L'incendie des magafins de chanvre , qui
a eu lieu le 26 du mois dernier , a été ,
dit-on , occafionné par l'imprudence d'un
matelot , qui étoit entré avec de la lumière
dans un de ces magafins où il s'étoit affoupi.
Depuis 8 jours il règne ici des pluies qui
ont ramené le froid ; on efpère cependant
jouir encore de quelques beaux jours d'automne
pendant le cours de ce mois ; s'ils
nous manquent , l'été n'aura guère duré
cette année plus de fix femaines.
C 2
( 52 )
SUÈDE.
De STOCKHOLM , ie 10 Septembre.
EN conféquence des ordres que le Roi
a envoyé de Spa à Carlfcron , on travaille
dans ce port à l'armement des vaiffeaux de
guerre la Louife-Ulrique , le Rikfens- Stader,
le Prince Charles , la Finlande , le Prince
Charles-Frédéric & le Wafa . Ils feront commandés
par MM. de Berg , de Leyenften ,
d'Ameen , de Seger - Brandt , de Malms-
Kiold & de Stare , tous Lieutenans Colonels
, & Chevaliers de l'Ordre Royal &
Militaire de l'Epée. Le commandement
en chef en fera confié au Contre-Amiral
Grubb. Ces vaiffeaux qui font du premier
rang , ajoutés aux quatre qui font déja en
mer , formeront une efcadre de 10 vailleaux
de ligne & 6 frégates .
Pour faciliter l'écoulement des eaux du
lac Meler , qui fouvent inondoient les
campagnes , on avoit creusé ce printems
dernier un canal depuis ce lac jufqu'à celui
de Mahrn. S. M. fur les repréſentations
du Comte de Gyllembourg , Gouverneur
de la Province , ordonna le 3 Juillet dernier
qu'on rendît ce canal propre à la navigation
de petits bâtimens. En conféquence
on l'a creufé plus profondément , & on l'a
étendu depuis See-Marhn jufqu'à Salz See ,
où l'on placera une éclufe pour contenir
les terres ; chaque côté du canal fera revêtu
( 53 )
剿
d'une maçonnerie. L'Entrepreneur a eu ordre
en même- tems de faire attention à ce
que le lac Meler ne perde pas une trop
grande quantité de fes eaux , & que le
nouveau canal ne nuife pas à fa navigation.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 12 Septembre.
LA grande affaire de M. de Tyfzenhaufen
a pris tout-à coup une tournure à la
quelle on ne s'attendoit pas , & qui nous
fait efpérer de la voir bientôt terminée. On
apprend qu'il s'eft foumis , qu'il a promis
au Comte de Rzewuski , Maréchal de la
Couronne , & Commiffaire du Roi pour
la recherche de l'adminiſtration des Economies
Royales dans le grand Duché , de retirer
& d'annuller fon manifefte , ainfi que
les autres écrits qu'il a publiés . On ne peut
attribuer ce changement qu'au Comte de
Rzewuski , qui a fû par fes manières honnêtes
& conciliantes attirer à lui M. de
Tyfzenhaufen , & prefque tous les Grands
de la Lithuanie qui tiennent fon parti . On
compte que M. de Rzewuski fera ici le 20
de ce mois.
Le Prince Jérôme de Radziwill , Grand-
Chambellan de Lithuanie , a paffé quelques
jours dans cette Capitale , où l'on attend
auffi le Prince Waiwode de Wilna , fon
frere , qui doit affifter à la diète. On voit
arriver fucceffivement beaucoup de Ma-
C3
( 54 )
gnats , parmi lefquels on en remarque plufieurs
qui depuis quelques années s'étoient
exilés volontairement de leur patrie. Le
Waiwode de Wilna fait actuellement fa
réfidence à Nieswick , où l'on trouve encore
dans le bel arfenal qui y eſt bâti ,
120 canons de fonte , & un grand nombre
d'autres armes.
Comme il eft queftion de nommer dans
la diète prochaine un Envoyé de la République
à la Cour de Vienne , plufieurs perfonnes
qui deficent ce pofte font déja des
démarches pour l'obtenir.
La grande fabrique de tapis de Turquie ,
établie à un mille d'ici , eft actuellement
dans un état floriffant , & infenfiblement
nous oublions nos malheurs paffés .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Septembre.
LE départ de l'Empereur pour la Bohême
eft retardé jufqu'au 25 de ce mois ; le
même jour l'Impératrice -Reine ſe rendra à
Schloshof , où elle reftera jufqu'au 29 ou
au 30 , qu'elle reviendra dans cette Capitale
pour y paffer l'hiver.
Hier , avant midi , l'Archiduc Maximilien
eft parti pour Mergentheim , en Franconie
; fa fuite eft compofée de 25 perfon
nes. Comme le Chapitre de l'Ordre Teutonique
, auquel il doit affifter en qualité
de Grand- Maître , ne fe tiendra que le 22
( 55 )
du mois prochain , il profitera de l'intervalle
pour aller à Mayence , à Coblentz
& à Bonn , d'où il retournera à Mergéntheim
, où il arrivera le 17 Octobre.
De HAMBOURG , le 26 Septembre.
DES lettres de Riga portent que l'on eft
occupé dans tous les Ports de l'Empire
Rufle à équiper des vaiffeaux de guerre ,
deftinés à s'unir à ceux qui font déja en
mer. On efpère qu'au Printems prochain
il y en aura 12 nouveaux , prêts à mettre
à la voile. Selon plufieurs états des forces
de l'Empire Ruffe , il paroît que la Marine
confifte en 180 voiles , tant vaiffeaux de
guerre que frégates , galiotes , & c . , & que
les troupes de terre montent à 331,991
hommes .
On mande de Munich que l'Electeur
Palatin fe propofe de porter à 40,000 hommes
le nombre de fes troupes , & qu'en
conféquence on lève des recrues non - feulement
dans le Palatinat & la Bavière , mais,
encore dans les Etats voifins .
S. A. E. , ajoutent les mêmes lettres ,
a rendu une Ordonnance , portant qu'à l'avenir
aucun Moine ni Couvent ne pourra
hériter ab inteftat ; que lorsqu'un individu
entrera dans un Cloître il ne pourra y
porter plus de 200 écus ; qu'aucun Ordre
Religieux ne pourra être inftitué héritier
dans aucun cas ; que perfonne ne pourra
leur léguer plus de 200 écus ; & qu'enfin
C 4
( 56 )
on n'admettra au noviciat aucune perfonne
avant l'âge de 20 ans.
Les dernières particularités qu'on a appri
fes relativement à l'incendie de Staubing
c'eft que 140 maifons , non compris les
granges & un grand nombre d'écuries ont
été la proie des flammes ; que 15 perfonnes
ont péri dans le feu , dont les progrès n'ont
été fi rapides que parce que la plupart des
pompes de la Ville , qu'on a employées en
attendant celles de Munich & de Ratisbonne
, étoient pour la plupart hors de fervice
.
Le 18 de ce mois il y a eu un autre incendie
qui a réduit en cendres la Ville de
Gera , fituée fur les bords de l'Elfter , dans
le Cercle de Voigtland , & appartenant à
la Maifon Electorale de Saxe c'eft ainfi
qu'on rend compte de ce funefte évènement
.
» Le 18 , vers les deux heures après - midi , le feu
fe manifefta dans une écurie près la porte de Weida ;
on affure qu'il y fut mis par l'imprudence d'une fem
me qui vouloit fumer cette écurie . Les flammes
gagnèrent bientôt les toîts ; un vent du fud -oueft
très violent porta les éclats de bois embrafés de tous
côtés , & le feu prit prefque en un moment en différens
endroits de la Ville. Comme la plus grande
partie des toits font de bois , coupé & façonné en
ardoife , que la plupart des rues font étroites , on
perdit l'efpoir d'arrêter les progrès de l'incendie , &
chacun ne fongea plus qu'à fauver la vie & celle de
fes proches cela devenoit d'autant plus difficile ,
que les maifons les plus près des portes de la Ville
étoient celles que l'embrâfement avoit d'abord ga(
57 )
gnées , & qu'on ne pouvoit traver fer fans le plus
grand danger les rues étroites qu'elles formoient. En
peu d'heures , toute la ville & fes fauxbourgs furent
la proie des flammes : la grande Tour de St Sauveur
bâtie à grands frais il y a peu d'années & qu'on
croyoit devoir réfifter à l'embrâfement a été détruite
. Deux maifons de campagne , l'Hôtel , &
quelque petites maifons fituées hors de la ville à peu
de diftance , le Château Oftenftein , appartenant
aux Comtes de Reuff , & fitué fur la montagne de
Haga , font les feuls qui foient reftés fur pied , de
744 édifices dont cette ville étoit compofée. Au-de .
dans des murs , il n'y a qu'une feule maiſon qui ait
échappé au feu. La perte en effets , marchandiſes &
grains raffemblés dans la ville , tant par les habitans
que par les étrangers , eft irréparable ; on ne
peut évaluer celle des maifons , meubles & effets.
L'incendie étòit fi violent , les habitans ſi conſternés ,
que rien n'a été lauvé . Il eſt fort à craindre qu'il
n'en ait péri beaucoup dans les flammes ; mais on
en ignore encore le nombre. Le garde de la Tour & fes
4.
enfans font morts. Il manque auffi plufieurs perfonnes
de tout fexe , de tout âge & de toute condition.
C'est un fpectacle déchirant que celui d'une
multitude de perfonnes qui cherchent & appellent
leurs peres , leurs meres , leurs femmes , leurs enfans
, leurs freres & leurs foeurs «.
#
ESPAGNE.
De CADIX , le 18 Septembre.
M. le Comte d'Eftaing a quitté notre
Cour Samedi dernier , 16 , & il eft
arrivé le même jour dans cette Capitale.
Hier , il a été au Palais Royal pour en voir
les appartemens ; il a dîné enfuite chez le
Marquis d'Iranda , & le foir , il a été à la
( 58 )
Comédie au Théâtre du Prince. Ce matin il
a vilité le Cabinet d'Hiftoire Naturelle
& ce foir il y aura un combat de taureaux ;
il eft fort recherché & fort aimé ici ; on ne
l'appelle que le Héros de la France . La foule
s'eft portée par- tout où il a paru . Les taureaux
feront très- brillans ; il s'y trouvera un
monde infini. Un gentilhomme nommé Iſla ,
doit courir ce foir en fon honneur. Tant
d'empreffement ne peut que le flatter. On
affure que demain de grand matin il prendra
le chemin de Cadix. Il paffera par Aranjuès
qu'il defire voir ; comme il a fait difpofer
des relais fur la route , il arrivera à Cadix le
26 ou le 27. On dit qu'il prendra le commandement
de l'armée combinée , & qu'il a
reçu du Roi les pouvoirs les plus étendus ;
on en faura fans doute davantage lorfqu'il
fera arrivé à fa deſtination.
Le nombre des prifonniers faits fur le
convoi dont l'armée combinée s'eft emparée ,
eft de 3022 .
--> Nous avons appris , écrit-on de Lisbonne ,
par le navire Hollandois les dix Frères , qui entre
dans ce Port à fon retour de Belfaſt , que le
vaiffeau Anglois le Bofon de 36 canons & un
autre de 24 , dont on ne fait pas le nom , ont été
pris après un combat fort vif par vaiffeau
François de 64 canons & un brigantin de 16 «.
On lit dans une lettre de Tanger du 30
du mois dernier les détails fuivans .
un
» Talbe- Sidy- Mahomet Sadiry , eſt arrivé hier
un ordre du Roi de Maroc , qu'il lui
étoit enjoint de lire , & qu'il lut en effet , en préici
avec
( 59 )
-
»
fence de D. Jofeph de Herrera , Commandant de
cette ftation , des Alcaides , des premières perfonnes
du Gouvernement , & des Miffionnaires
Efpagnols. L'ordre porte que S. M. Marocaine
ne prenant point de part à la guerre des
Espagnols & des Anglois , ordonne à les fujers
de n'attaquer ni offenfer les Espagnols , quand
même ils les verroient arrêter les Anglois , ou
dans fes ports ou fur terre ; & permet à tout
Anglois d'amarer fon vaiffeau , mais fans aucune
garantie. S. M. Marocaine défend de plus à tous
les Maures qui habitent fur fes côtes , de tirer
fur aucun vaiffeau Eſpagnol , fous peine de fon
- indignation royale , & ordonne au contraire de
les laiffer agir librement. Enfin l'ordre porte que
file Conful Anglois yeut s'en aller , il foit libre
, & que le Bacha ne le retienne point. Cet
ordre du Roi de Maroc a été promu par un ap
pel que le fieur Logie , Conful Anglois , réfidant
ici , a fait au Roi , & dans lequel il fe plaignoit
en termes trop peu mefurés , des procédés des
Espagnols , tant dans cette baie & dans le port
que fur les côtes de Maroc «.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 30 Septembre .
L'IMPATIENCE eft toujours extrême d'apprendre
quelles font les nouvelles que le
Brigadier Général Dalrymple a rapportées de
New-Yorck ; il eft arrivé le 25 au foir , au
Bureau du Lord George Germaine . Ce Miniftre
qu'il a été trouver à la campagne en
eft revenu fur le champ ainfi que plufieurs
autres mais ce matin on n'avoit rien publié
encore de ces dépêches. On eſpère que
C 6
( 60 )
la Gazette de la Cour de ce foir en donnera
les Extraits. En attendant , ce filence
inquiète généralement. On fait que les
bonnes nouvelles fe répandent fort vîte ; &
fi un Courier de cette importance n'en a
point apporté , il faut que le Général
Clinton ait eu des raiſons bien fortes &
bien urgentes pour l'expédier.
Les papiers Ministériels fe font empreffés
de nous dire qu'il n'y avoit eu aucune
action fur terre ni fur mer. Mais fi leur
but , en nous parlant ainfi , a été de nous .
raffurer , il paroît qu'ils ont manqué leur
effet. On fait que le Général Clinton , auffitôt
après la jonction des Amiraux Graves &
Arbuthnot , a fait un embarquement de
10,000 hommes pour aller attaquer les François
à New Port. Les lettres particulières
nous apprennent qu'en effet la flotte &
l'armée fe font avancées jufqu'à la pointe
de Long-Ifland ; qu'elles n'ont rien fait ;
qu'elles n'ont même rien tenté , & qu'elles
font retournées à New Yorck. Cela prouve
que notre Général , malgré les renforts qu'il
a reçus ne s'eft pas trouvé affez fort , &
qu'après avoir été contraint de fe tenir fur
la défenfive contre le Général Washington
feul , il n'a pas d'autre parti à prendre à
préfent qu'il va avoir affaire aux François
& aux Américains réunis , & qu'il ne fera.
peut être pas auffi heureux. On fait que
le Général Américain s'eft approché de
New-Yorc avec 16,000 hommes de troupes;
( 61 )
que les François avec lefquels fes commu
nications font bien établies , font prêts à le
feconder ; & on craint que les premières
nouvelles ne nous annoncent quelques nou- i
veaux défaftres .
Dans la Caroline Méridionale notre fituation
n'eft pas plus favorable ; la foumiffion
de cette Province annoncée avec tant d'emphaſe
, n'a exifté que dans nos papiers. Les
habitans qui avoient donné leur parole de
prêter le ferment de fidélité ſe font réunis
aux troupes qui venoient les défendre , &
le Lord Cornwallis preffé de toute part ,
n'aura bientôt plus d'autre retraite que Charles-
Town , où il eft douteux qu'il puiffe tenir
long-tems. Il eft réduit à fes propres forces ;
il n'a plus aucune efpérance de recevoir des
fecours de New-Yorck , où le Général Clinton
auroit befoin qu'on lui en envoyât à luimême.
La campagne eft actuellement finie ,
obferve à cette occafion un de nos papiers ;
mais qu'avons-nous fait ? La prife de Charles
Town qui eft affurément très précaire ,
quand même cette conquêre nous refteroit
eft au moins contrebalancée par la perte de
155 navires marchands. Sur ce pied - là
nous pouvons recommencer ; mais peutêtre
une banqueroute générale prouvera en
core à combien ſe montent les frais de cetter
guerre.
On prétend que le Ministère commence
à faire entendre qu'il a le deffein d'abandonner
la guerre d'Amérique ; il reconnoît
( 62 )
enfin que quelques conquêtes momentanées
ne décident rien , & que chaque année il
deviendra plus impraticable de lever les
fubfides néceffaires. Dans cette convicton
on dit que le premier objet du nouveau
Parlement fera de retirer les troupes Roya
liftes du Continent , & de s'occuper enfuite
d'un plan plus étendu de commerce entre
nous & l'Amérique.
Nous n'avons point de nouvelles miniftérielles
des Antilles. Le Gouvernement
s'eft contenté de publier une lettre de l'Amiral
Walfingham , qui n'annonce que fonarrivée
à la Barbade & fa jonction avec
l'Amiral Rodney , que l'on favoit déja ; il
dit que fon voyage qui a été de fix femaines
a été très-heureux , qu'il n'a rencontré aucun
vaiffeau ennemi , & qu'il compte partir
pour la Jamaïque. On ignore la véritable
époque de fon départ pour cette Ifle .
L'Amiral Rodney , dans fa lettre du 31 Juillet
à l'Amirauté , n'en parle pas , ou le Gou
vernement n'a pas jugé à propos de publier.
ce qu'il en a dit. Selon les uns l'Amiral ›
Walfingham mit à la voile le 24 Juillet ,
felon d'autres , le 29 : quoiqu'il en foit , fon
voyage annonce qu'en effet cette Ille eft
menacée. Le navire le Byron , Capitaine
Ruffel , parti de St-Chriftophe le 25 Août
a , dit-on , apporté la nouvelle que l'Amiral
Rodney étoit defcendu le 19 fous - le- Vent
avec 17 vaiffeaux de ligne.
On travaille avec beaucoup d'activité à
( 63 )
l'équipement d'une efcadre deftinée pour
les Illes ; elle ne ſera pas confidérable , puifqu'elle
ne fera compofée que de 2 vaifleaux
de So canons , 2 de 70 & 2 de 61 ; mais elle
efcortera des bâtimens de tranfport , chargés
de provifions pour remplacer celles que
l'Armée combinée nous a enlevées. Les ordres
ont été donnés pour tenir prêtes les
munitions navales qui doivent être embarquées
; & hier un Exprès a été envoyé à
Portsmouth , pour hâter le départ de cette
Alotte.
Notre Cour vient de prendre des arrangemens
avec celle de Danemarck , relativement
à la Nature des marchandifes de contrebande,
& la fpécification de celles qui peuvent être
tranſportées dans des bâtimens Danois , ainfi
qu'il paroît par une inftruction additionnelle
pour tous les vaiffeaux de guerre ou corfaires
qui ont ou auront des lettres de marques
contre le Roi de France ou le Roi d'Eſpagne ,
leurs vaffaux ou fujets ou autres qui habitent
dans quelqu'un de leurs pays , ou contre tous
autres ennemis ou fujets rebelles de la Grande-
Bretagne . Cette inftruction eft conçue ainfi :
» G. R. Que conformément à un article explicatif
du traité d'alliance & de commerce entre
l'Angleterre & le Danemark , conclu à Copenhague
le 11 Juillet 1670 , lequel article a été convenu
& arrêté dernièrement entre nous & le Roi
de Danemarck , toutes fortes d'armes , & ce qui
en dépend ; favoir , canons , moufquets , mortiers
, fufées , bombes , grenades , fauciffons ,
affuts , chandeliers , bandoulières , poudre , mèche
, falpêtre , boulets , piques , épées , cafques ,
( 64 )
eniraffes , hallebardes , lances , javelots , chevaux , -
felles , fourreaux , ceinturons , & en général tous
autres inftrumens de guerre ; ainfi que du bois
pour conftruire des vaiffeaux , de la poix , du goudron
, de la réfine , du cuivre en feuille , de la
toile à voile , du cordage , & en général tout ce
qui fert à l'armement des vaiffeaux ( à l'exception
du fer non travaillé & des planches de fapin )
chargés à bord de bâtimens Danois & deftinés
pour les Ports de l'ennemi , font réputées marchandifes
de contrebande ; mais le poiffon & la
viande , fraîche ou falée , le froment & autres
grains ; la farine , les légumes , l'huile , le vin ,
& en général tout ce qui fert à la nourriture &
au foutien de la vie , qui fe trouvera à bord des
bâtimens Danois , & deftiné pour les Ports ennemis
ne fera point réputé contrebande , pourvu
que les places pour lefquelles ces articles feroient
deftins ne foient point affiégées ou bloquées «.
On a lu dans le tems la relation publiée
ici de l'entrepriſe de deux bâtimens du Roi ,
contre un convoi Suédois fous l'efcorte d'une
frégate de cette Nation. Cette frégate étoit
'Aigle- Noir , commandée par le Capitaine
Harald Chrift Jerin ; on fera bien aife de
voir ici la manière dont il a rendu compte
de ce fait à fa Cour. Sa lettre eft datée de
Spithéad le 29 Juillet.
Etant parti d'Helfingor avec la frégate du
Roi , l'Aigle- Noir , & le convoi de navires marchands
Suédois confié à mes ordres , & ayant
paffé la mer du Nord ainfi qu'une partie de la
Manche , j'apperçus le 17 Juillet à midi , à la
hauteur de Start , deux bâtimens armés , qui faifoient
route vers le convoi . Je fis au convoi le
fignal de fe tenir auffi près de la frégate que
poffible je fis battre l'alarme , préparer le vailfeau
au combat , tenir les canons de l'autre bord
( 65 )
en état , & mettre les chaloupes en mer. A deux
heures après midi je vis que l'un des bâtimens
armés , qui étoit un brigantin le bord peint en
jaune & arborant pavillon blanc Anglois , à environ
trois milles Anglois fous le vent , avoit envoyé
fa chaloupe vers une galeaffe , qui étoit à
la même diftance fous le vent , & que celle- ci :
arbora fur cela le Pavillon Suédois , quoique n'appartenant
pas au convoi . J'arborai auffi mon pavillon
& tirai un coup de canon : mais le bri .
gantin Anglois n'en tint aucun compte : il s'approcha
de la frégate du Roi , comme pour s'affurer
de fon pavillon ; & il aborda la galeaffe , où je
vis amener peu après le pavillon Suédois . Je crus
donc être obligé de repouffer la force par la force;
& ayant donné ordre de tirer à balle , j'obligeai
le brigantin , par 22 coups à 12 livres , d'abandonner
la galeaffe . Je fis remorquer en cette occafion
la frégate par mes deux chaloupes , pour
joindre d'autant plus promptement les deux bâtimens
armés. Enfuite je me rapprochai de mon
convoi , m'étant apperçu que l'un des bâtimens
armés , gréé en goëlette , portoit le cap vers le
convoi. Il eut même la hardieffe d'envoyer une
chaloupe avec des gens armés aux deux bâtimens du
convoi , qui fe trouvoient le plus à l'arrière : mais
une quarantaine de coups à 12 livres de balle ,
tirés en partie fur lui , en partie fur fa chaloupe ,
ne lui laiffèrent pas le tems de faire aucun mal
& , après avoir tiré quelques coups à balle , il
prit la fuite à l'aide d'avirons & de fa chaloupe,
Je le pourfuivis juſqu'à ce que le calme & la nuit
le dérobèrent à ma vue. Les bâtimens confiés à
mes foins ont été eſcortés jufqu'à l'endroit de
leur deftination. Un long trajet & les vents con.
traires m'ont obligé de mouiller à cette rade ,
pour rafraîchir mes gens , faire aiguade , & regréer
ma frégate ; après quoi je remettrai en mer
le plus promptement poffible , pour exécuter mes
•
( 66 )
ordres ultérieurs. Je dois ajouter que j'ai été traité
ici avec tous les égards que je pouvois attendre
de droit en qualité de Commandant d'une frégate
de S. M. le Roi de Suède «.
Il paroît que cet évènement ne fera que
confolider les noeuds de la neutralité armée,
en lui prouvant la néceffité de faire refpecter
les pavillons neutres , & de les défendre
par la voie même des armes. On n'eft pas
fans inquiétudes fur les difpofitions du Portugal
follicité par les puiffances du nord à
accéder au plan qu'elles ont formé ; toutes
les nouvelles qu'on a publiées de Lisbonne
font faites pour inquiéter ; le Commodore
Johnſtone qui eft arrivé ici hier , & dont le
vaiffeau le Romney eft entré à Portsmouth ,
nous apprendra fans doute à quoi nous
devons nous en tenir. Il n'a amené avec lui
aucune des prifes qu'il a faites & qu'il a
conduites à Lisbonne. On raconte ainfi le
motif qui l'a déterminé à revenir en Angleterre.
Il avoit réfolu d'équiper les deux
frégates qu'il avoit prifes & menées à Lisbonne
pour croifer contre les François &
les Efpagnols. La Cour de Portugal a repréfenté
au Commodore que cette conduite
feroit tout à-fait illégale , & une infraction
à la neutralité qu'elle avoit obfervée. Il a
toujours perfifté dans fa réfolution . La Cour
de Lisbonne s'eft alors adreffée à l'Ambaf
fadeur de Ruffie & aux Miniftres des autres
Cours du Nord qui ont figné la neutralité
armée. Ces Miniftres fe font fortement
oppofés à cette façon d'agir. Ils ont dit que
( 67 )
files vaiffeaux de guerre Anglois faifoient
des prifes , & qu'on jugeât à propos d'équi
per ces mêmes prifes comme vaiffeaux de
guerre , il falloit les envoyer en Angleterre ;
& qu'eux Ambaffadeurs ne pouvoient voir
qu'avec peine qu'on entreprît d'armer des
prifes dans un port neutre ; que fi la Cour
de Lisbonue le fouffroit , une pareille permiffion
feroit & devroit être regardée par les
autres Puiffances de l'Europe , comme une
infraction publique à fa neutralité. Auffi-tôt
après que le mémoire eut été remis , la Cour
de Portugal fit mettre un embargo fur toutes
les prifes du Commodore Johnstone , parmi
lefquelles il fe trouve plufieurs bâtimens
Hollandois. Ce font , dit- on , les mesures
prifes par cette Cour qui ont déterminé le
Commodore à revenir en Angleterre.
Si , comme on le craint , les ports de Portugal
nous font fermés , nos corfaires perdent
une ftation qui leur étoit fort avantageuſe ,
& dont ils ont bien profité jufqu'ici ; jufqu'à
préfent il n'y a que cette puiffance & les
Provinces- Unies qui ont balancé à accéder à
la neutralité. Nous avons lieu de craindre
que nos efforts pour en prévenir les fâcheux
effets ne réuffiffent pas. Un papier qui cherche
à nous raffurer , du moins quant à l'acceffion
de la dernière de ces deux puiffances ,
s'exprime ainfi .
ל כ
Selon des avis de Pétersbourg , les Miniftres.
Plénipotentiaires de la République des Provinces-
Unies , y font arrivés le 30 Août , & ont eu le
lendemain une audience du Comte Panin , dans
( 68 )
laquelle ce premier Miniftre leur a notifié qu'if
ne pouvoit entrer en matière avec eux fur l'objet
de leur miffion , qu'ils n'euflent préalablement
eu une audience de fa Souveraine , & ne lui euffent
préfenté leurs lettres de créance . On eft bien
curieux d'apprendre le réfultat des négociations de
ces deux Envoyés Hollandois avec le Cabinet de
Pétersbourg. On a déja annoncé , qu'ils étoient chargés
de demander , pour première condition de leur
acceflion à la neutralité armée , la garantie des
poffeffions de la République dans les deux Indes ;
mais on doute que la Ruffie , ni fes co -Alliés
neutres veuillent accorder cette demande ; & l'on
croit que ces Puiffances fe borneront à leur
propofer d'adhérer à la convention qu'elles ont
réglée entr'elles. Si les Plénipotentiaires ne rapportent
en effet que cette réponſe allez naturelle ,
& à laquelle il fembloit qu'on cût dû s'attendre ,
il paroîtroit au premier coup-d'oeil que ce n'étoit
guère la peine d'aller la chercher fi loin mais
en y regardant de bien près , on appercevra que
cette démarche a été dictée par la politique tem
porifante qui convient fi bien à la fituation &
aux intérêts de la République . D'abord , il faut
du tems pour aller à Pétersbourg ; il en faut pour
négocier ce qu'on eft bien für qu'on n'obtiendra
pas ; il en faut pour revenir , pour prendre l'avis
des Provinces refpectives fur une matière de cette
importance & pour délibérer enfuite ; il en faut
à l'Aumônier de la flotte pour préparer les fermons
, au Greffier pour tailler fa plume , & c. En
attendant le tems s'écoule , la paix fe fait , & l'on
a trouvé le moyen de ne point indifpofer les
Anglois en évitant de fe joindre à une ligue qui
paroît principalement dirigée contre eux ".
On mande de Torbay que les hommes
preffés , mis à bord des différens vaiffeaux ,
font très- malades , parce qu'ils n'ont pas
( 69 )
encore été à la mer , & qu'ils vivent de provifions
falées. En conféquence l'Amiral
Darby a donné ordre qu'on leur donnât des
provifions fraîches jufqu'à ce qu'ils foient
rétablis .
>
Le tréfor de Bengale qui , depuis quelques
années , étoit regardé comme la plus forte
banque de la Compagnie des Indes d'Angleterre
, & qui rouloit fur un million & demi
eft réduit à préfque rien , & fuivant quel
ques lettres particulières , on préfume que
le Gouvernement & le Confeil feront forcés
de tirer fur la Direction pour les fommes
dont ils auront befoin, On atribue à deux
caufes cette décadence fi fubite ; d'abord
à la guerre dans laquelle le Gouverne
ment de Bengale s'eft engagé en faveur de
Ragaboy & à laquelle il a conſommé de
grandes fommes fans aucun fruit ; enfuite
aux appointemens des Juges dont les falaires
avec les frais fe montent à 65,000 liv.
fterl. par an , tandis que cela ne formoit pas
il y a quelques années plus de 3000l . par an.
Un autre inconvénient en a réſulté ; c'eft le
mécontentement de la nation qui gémit de
fe voir gouverner par des loix qu'elle regarde
comme deftructives de fes anciens
sufs ges & coutumes.
On affure que l'Amirauté a été informée
officiellement de l'arrivée de la Réfolution
& de la Difcovéry aux Orcades ; les Officiers
qui commandent ces vaiffeaux , mandent
que les équipages refufent le fervice , & font
déterminés à ne le reprendre que lorsqu'ils
( 70 )
•
feront certains qu'ils ne feront point preffés.
Il feroit dur en effet pour des hommes qui ont
fait un voyage fi long & fi pénible , qu'ils ne
trouvaffent pas à leur retour dans leur patrie
un repos dont ils ont befoin. Ils méritent au
moins des égards , & fi l'on doit faire une
exception , elle doit être en leur faveur.
» Il eft tems où jamais , dir un de nos Papiers ,
que les Anglois foient informés fans détour du véritable
état de leurs affaires.
Au mois de Juillet 1777 , les Miniftres donnèrent
une longue lifte des prifes faites par l'efcadre Britannique
depuis le premier Janvier jufqu'au 22 Mai ,
Vaiffeaux , Brigantins , Sloops , tout jufqu'aux Barques
y étoient compris ; & depuis on a donné de
pareilles liftes de toutes les prifes faites dans les différentes
ftations ; mais lorsque l'ennemi nous a enlevé
en dernier lieu s vaiffeaux de l'Inde so bâtimens
pour les Ifles de l'Amérique & d'autres vailſeaux
chargés de munitions & de marchandiſes , la
Gazette de la Cour a gardé le plus profond filence
fur cet évènement défaftreux. - Eft -ce ainfi que l'on
fe joue d'une grande Ville & de toute une Nation !
En vérité , un tel procédé n'eft pas fupportable .
D'après le grand nombre de Lords que le Roi ne
ceffe de créer , on feroit tenté de croire que l'empire
Britannique s'accroît de jour en jour , & qu'il
étend fa puiffance & fes loix jufqu'aux dernières
extrémités de la terre. Mais lorfqu'on penfe que fa
fituation offre précisément l'inverfe de cette perfpective.
Quelle horrible réflexion . Tandis que le grand
coloffe de l'Empire eft mis en pièces & traîné dans
la fange , quel eft l'homme apathique , ou plutôt le
coeur glacé qui peut foutenir un tel fpectacle fans
frémir d'horreur & d'indignation ? Dans une telle
circonstance cette profufion , ou plutôt cet aviliffe(
71 )
―
ment des honneurs eft une infulte atroce pour une
Nation à la veille de fa ruine. Les Papiers publics
nous ont annoncé que dans la Seffion prochaine
le Gouvernement feroit obligé de lever quinze millions.
Voilà de merveilleufes nouvelles pour l'Angleterre.
Il vaudroit beaucoup mieux pourtant qu'ils
nous annonçaffeat ce que l'on veut faire de cet ar
gent , & quel avantage la Nation en tirera . Je défie
le plus grand de nos Politiques de nous citer un feul
acte d'énergie , un feul effort vigoureux produit par
les vingt millions levés cette année. Non , il n'e
été rien fait abfolument avec cet argent , il n'a fervi
à rien qu'à l'Election générale , ce qui fait , comme
on le fent bien , un objet très - diftinct. Or , fi c'eftlà
l'unique fruit d'une avance de vingt millions , que
nous avons donnés cette année , pouvons - nous efpérer
que le facrifice de vingt-quatre millions rendra
l'année prochaine plus utile ou plus glorieuse pour
la Nation qui fe laiffe ainfi dépouiller impunément ?
Anglois ! voilà des confidérations qui méritent l'examen
le plus attentif & le plus férieux . Vous laifferez-
vous enlever jufqu'au dernier shelling fans avoir
la confolation de voir réfulter le moindre avantage
d'un devouement auffi infructueux pour la Nation
que funefte pour les Individus ? »
Le défaut de nouvelles nous permet de
placer ici une pièce intéreffante publiée dans
la gazette de Penfylvanie du 12 Juillet , c'eſt
un dialogue entre Penn , Montgomeri ,
Chatham & une Dame Américaine avec
cette épigraphe , exoriare noftris ex offibus
ultor.
Penn. Ami , je te falue , je fuis charmé de te
trouver es - tu parvenu à changer les fentimens de
l'ami Chatham , croit- il toujours que la Nation
Angloife eft la première du monde , la plus brave
la plus jufte , la plus philofophe , & la plus humaine
?
( 72 )
Montgomery. Il a changé de façon de penfer
quant a la bravoure , & fi fon erreur étoit fincère ,
toutes ces Ombres Angloifes arrivées dernièrement
de l'Amérique l'ont défabufé tout- à-fait. Il avoue
maintenant qu'un Américain , un Efpagnol , un François
, eft auffi brave qu'un Breton .
2
Chatham. Osi , Meffieurs , j'étois fincère dans
mon opinion , & j'avoue qu'en répétant fans cefle à
ma Nation qu'elle n'avoit point d'égale dans l'uni
vers je me l'étois perfuadé à moi - même. J'en
étois fi convaincu , que j'ai pensé de même jufqu'au
dernier foupir , malgré tous les dégoûts que j'ai
eiluyés à la Cour , & qui auroient dû me guérir de
mon enthouſiaſme.
Penn. Ma feconde maxime comme individu ou
comme législateur , a été de faire aux autres comme
j'aurois voulu qu'ils me fiffent.
Iqui
Chatham. Tels font précisément les belles maximes
qui placeroient l'Angleterre au- deffous de toutes
les Puiffances du monde : la juſtice que le peuple
Anglois fe doit à lui-même , eft de détruire tout ce
lui donne de l'ombrage , d'attaquer fous des
prétextes fpécieux ou autrement toute Puiffancé
qui prend de l'effor , & qui pourroit lui difputer un
jour l'Empire de la Mer ou du Commerce , ou éta
blir au moins le principe dangereux d'égalité ou
d'indépendance réciproque , d'enlever les pofleffions
de fes rivales , lorfqu'elles font fans défenſe , &
tandis que fe livrant à une douce fécurité , elles imaginent
qu'elles n'ont rien à craindre , parce qu'elles
fe renferment dans les limites de cette juftice imaginaire
qui n'eft la vertu que des fimples , des foibles
& des lâches .
Penn Ah ! Eft il poffible qu'une Ombre fi illuf
tre ait confervé ces dangereux préjugés dans le fé
jour de la vérité & de la paix éternelle ? C'eft juftement
cette affreufe morale qui a précipité la Nation
Angloiſe dans un abîme d'où elle ne pourra
fortir
( 73 )
fartir que par l'extrême modération de fes ennemis .
C'est ce fyltême qui l'a réduite à fe trouver fans un
feul allié ; c'eft fon orgueil & fon injuſtice qui ont
foulevé contre elle toutes les Puiffances dont elle
devoit attendre du fecours ; c'eft cette politique
atroce qui a bleſſé tous les peuples , qui a tiffu les
noeuds d'une alliance entre la France & vos anciennes
Colonies , qui excite l'intérêt des autres Puiffances
en leur faveur , qui a réduit le nombre de vos partifans
en Amérique à une poignée d'individus , & qui
me détermineroit , fi j'habitois encore le féjour des
mortels , à me joindre contre vous fans balancer ,
du côté de la liberté , de la vertu , de la valeur & Ju
patriotisme .
Montgomery. O pacifique Penn ! que ne peuvent
ces expreffions facrées être entendues jufques dans
les auguftes affemblées des Quakres de la Penfilvanie
!
Chatham. Tout prouve la modération & l'humanité
de la Nation Angloife . Quelques excès commis
par des conquérans avides & cruels dans les
Indes Orientales , ne doivent pas nous priver de la
gloire d'avoir adouci les rigueurs de la guerre , &
par tout où nos armes victorieufes ont été portées
par nos héros Anglois , nous avons montré à nos
ennemis que nous pouvions vaincre fans abufer de
la victoire.
Mais quel bruit s'élève autour de la barque de
Caron , les Ombres s'y affemblent en foule comme
pour contempler quelque fpectacle nouveau dans les
Champs Elysées .
Montgomery. J'apperçois une Femme vêtue de
deuil. Elle porte une écharpe teinte de fang ; elle
s'avance à pas lents , fa tête eft inclinée , fon air eft
mélancolique ; elle paroît pénétrée d'une douleur
profonde. Je juge à fon habillement , à fa marche ,
à les traits , que c'eft une Américaine ; allons à la
14 Octobre 1780. d . X
( 74 )
rencontre , je defire favoir fi ma Patrie eft entièrement
libre.
Une Femme. Oui , elle eft libre , illuftre Montgomery
, & fi dans ce moment l'ennemi déchire fon
fein , c'eft qu'il veut rendre fes derniers momens
terribles à fon vainqueur. Mais les excès auxquels fe
portent les Anglois , élèvent le courage de nos compatriotes
; & je rends graces au ciel de ma mort , fi
elle peut hâter la délivrance de l'Amérique.
Chatham. Quels font les monftres qui ont trempé
leurs mains dans le fang d'une femme ?
L'Ombre. Ce font les Anglois.
Penn. O crime !
Chatham. Comment ont- ils pu commettre cette
horrible cruauté ?
L'Ombre. J'habitois dans les Jerfeys. Nos en
nemis avoient dirigé leur marche vers ma demeure ,
détruifant & brûlant tout ce qu'ils trouvoient
fur leur route. J'aurois fui loin de cette fcène
d'horreur , mais ma tendreffe pour une famille
nombreuſe dont j'étois la mère , me retint. La
marche des ennemis fut trop rapide pour que
j'euffe le tems de fauver neuf enfans de leur rage ,
& j'aimai mieux partager le danger avec eux
tous , que d'avoir le malheur d'en abandonner
un feul. Je fus faifie d'effroi en me voyant ene
tourée de dévaftations & d'incendies. Je vis les
foldats courir autour de notre maiſon , femblables
à une troupe de fauvages furieux ; ils tenoient
à la main des torches allumées , & contemploient
avec une joie cruelle les bâtimens & les granges
devenues la proie des flammes. Je reconnus le
danger où j'étois ; craintive & tremblante , je
cherchois une iffue pour fuir , lorſque les cris de
mes enfans effrayés me retinrent parmi eux. Ils
fe prefsèrent contre moi , tantôt levant au ciel
Jeurs mains innocentes , tantôt me ferrant entre
leurs bras. Je pris le plus jeune & le preffai contre
( 73 )
mon fein : leurs larmes me firent oublier mon proc
pre danger ; entourée de flammes & de bayonnettes ,
le coeur déchiré par leurs cris , témoin de la fé
rocité de nos ennemis , j'éprouvai toutes les alar
mes qui peuvent tourmenter le coeur d'une mère.
Tout-à - coup je les entendis autour de moi s'é
criant d'une voix terrible : tuons- là , c'eſt elle
tuons-là. Au même inftant , un Anglois , au re
gard farouche , les yeux étincelans , vomiffant des
blafphêmes , mit fin à mes jours , & priva neuf
enfans d'une mère qui les adoroit..
O mes chers enfans , vous me vîtes mourir , &
je ne pus vous donner ma bénédiction ?
3
Chatham. C'en eft fait , les Anglois font dégénérés
; le caractère national eſt ſlétri ; je n'ai plus
de patrie.
Montgomery. Ma patrie eft libre.
Penn. O pays heureux à jamais lorfque tu réu
niras les douceurs de la paix à celles de l'indé
pendance ?
FRANC E.
De VERSAILLES , 10 Octobre.
LE Vicomte de la Bretonnière , Capitaine
des vaiffeaux du Roi , a eu l'honneur d'être
préſenté à S. M. & à la Famille Royale,
à fon retour de S. Domingue , par le Duc
de Fleury.
Le Roi a nommé à l'Abbaye d'Hautviliers
, Ordre de S. Benoît , Diocèfe de
Reims , l'Abbé de Bayanne , Auditeur de
Rote.
Le premier de ce mois LL. MM. & la
Famille Royale ont figné le contrat de mariage
du Marquis de Clermont- Mont-Std2
( 76 )
Jean , Capitaine au régiment de Bourbon ,
Dragons , avec Dame de Mafcrany de Villers
, Chanoineffe du noble & royal Chapitre
de Migette. Le même jour , les Agens-
Généraux du Clergé ont eu l'honneur de
préfenter au Roi , à Monfieur & à Monfeigneur
le Comte d'Artois , le Procès- verbal
de 1775 & la Table raiſonnée de la collection
des Procès verbaux formant le 10 vol. de
cet. Ouvrage qui eft complet.
Le même jour la Cour eft partie pour
Choify , d'où elle eft revenue le 6 de ce
mois. Mefdames Adelaïde , Victoire & Sophie
de France qui partirent en même-tenis
pour leur Château de Belle - Vue , fe propofent
d'y refter jufqu'à la fin de ce mois.
De PARIS , le 10 Octobre.
Les nouvelles qu'on a reçues de l'Amérique
Septentrionale font en date du 5 Août,
On lit les détails fuivans dans une lettie d'un
Officier de l'armée du Comte Rochambeau
écrite à cette époque à New- Port dans Rhode-
Ifland .
» Deux de mes lettres ayant été englouties avec
le paquebot qui les portoit , vous n'aurez qu'un
détail fuccint de notre voyage & de nos opérations
depuis notre arrivée ici. M. de Rochambeau
qui dépêche un avifo en France , veut bien permettre
qu'il fe charge de cette feuille.
--- Nous
arrivâmes ici le 11 du mois dernier après une
traversée de 72 jours que les marins n'ont pas
trouvé trop longue , à raifon du convoi que l'ef
cadre efcortoit. Un feul bâtiment s'étoit féparé de
( 77 )
nous pendant le trajet ; c'eft la flûte l'Ile de Frances
elle portoit 20 Officiers & 300 hommes du régiment
de Bourbonnois . Comme le rendez- vous ,
en cas de féparation étoit à Bofton , l'Ile de
France s'y eft rendue , & les hommes qu'elle avoit
à bord font venus par terre , rejoindre l'armée.
Nous n'avions en débarquant ici que 600 malades
, dont 40 font morts depuis. La plupart de
ceux-là avoient été bleffés dans la rencontre que
nous fîmes de Graves à la hauteur des Bermudes."
Cet Amiral nous fuivoit depuis quelques jours ;
if avoit cinq vaiffeaux & une frégate ; un jour il
-
trouva allez près pour qu'on lui lâchât quelques
bordées. Un de fes vaiffeaux a dû être fort maltraité.
Le Neptune qui avoit ordre de le chaffer ,
l'obligea de ranger notre efcadre dont il elfuya
tout le feu. La nuit approchant , & M. de Ternay
ne voulant pas abandonner fon convoi pour
courir après Graves , cette rencontre n'eut pas
d'autre fuite. Nous eûmes environ trente hommes
tués ou bleffés , Du moment que nos eûmes
mis pied à terre , notre Général s'occupa à mettre
la flotte hors d'infulte ; nous fumes fort heureux
que les Anglois ne parurent pas dans les premiers
jours ; ils auroient pu nous inquiéter beaucoup.
Mais aujourd hui l'elcadre ne craint as des forpas
ces trois fois fupérieures à elle . L'activité que
lés gens de mer & les foldats ont montré dans
cette occafion pour fortifier le port eft au- deffus'
de tout éloge. Graves & Arbuthnot ont paru lorfque
ces ouvrages étoient prefque achevés ; & l'efcadre
s'étant emboffée , ils n'ont pas cru devoir
l'attaquer. Ils reftent conftamment devant ce port ;
mais les coups de vent & les courans communs
dans ces parages , ne leur permettront pas de garder
long- tems la même ftation. En même tems
qu'on fortifioit le port , notre camp prenoit une
fituation refpectable , que l'art a fu encore rendre
d 3
( 78 )
3
―
plus forte. Ces grands travaux finis , le Général
a porté fes regards plus loin ; il a fait ouvrir des
Toutes vers tous les points de l'lfle où l'on peut
tenter une deſcente ; c'eſt- là que nous irons attendre
l'ennemi , & que nous nous propofons de le recevoir
à la Françoife s'il fe hafarde à defcendre.
Notre camp fera alors gardé par 2500 hommes
de milices qui fe font réunies à nous ; & fi nous
ne pouvions empêcher le progrès de l'ennemi dans
l'Ifle , nous nous flattons que rentrés dans notre
camp nous y tiendrons long-tems. Rien n'égale
la joie que les habitans ont fait paroître à
notre arrivée ; les fêtes , les illuminations , le
Députés du Congrès , ceux de l'armée Américaine ,
ainfi que les plus notables habitans des environs ,
tout rendoit le féjour de New-Port agréable &
brillant. M. de la Fayette eft venu paffer 8 ou
10 jours avec nous ; il a été rappellé pour commander
l'avant-garde de la grande armée qui s'approche
de New- Yorck. Le Général Washington a
écrit qu'avant la fin du mois , il auroit 15000
hommes enregimentés , fans compter les mices
qu'on voit arriver fucceffivement , & qui font
toutes difpofées à bien faire leur devoir. Ce Gé.
néral doit venir dans fept à huit jours s'aboucher
avec M. de Rochambeau ; il eft für qu'une feule
entrevue avancera plus les affaires que is jours
de correfpondance. En attendant le Général Heath
eft fur les hauteurs avec 6000 hommes , & difpofé
de manière que notre communication avec
la grande armée ne peut pas être coupée , & ces
6000 hommes peuventt
même ſe joindre à nous
s'il en eft befoin. Nous ne croyons pas que
nos opérations commencent avant la fin de ce
mois , ni que le Général Clinton abandonne New-
Yorck pour venir nous attaquer ; Washington eft
trop près pour qu'il laiffe cette place importante
fans un corps confidérable de bonnes troupes ; &
( 79 )
alors il ne lui en refteroit pas affez pour tenter
une defcente dans cette lfle. Je ne faurois finir
ma lettre fans vous parler de l'union & de la bonne
intelligence qui règnent entre les Généraux & les
Officiers de terre & de mer. Nous ne faifons tous
qu'un feul corps animé du même efprit , & du
defir de récompenfer notre Général de tous les
foins & de toutes les fatigues qu'il s'eſt donné
pour nous ".
Les nouvelles qu'on a reçues en Angle
terre des mêmes parages , font du 30 Août .
Elles confirment non feulement, tout ce que
dit ici cet Officier ; elles ajoutent encore que
Clinton qui s'étoit embarqué avec 10,000
hommes fur la flotte d'Arbuthnot & Gra
ves , & avoit étéj ufqu'à la pointe de Long-
Iſland , n'avoit ofé rien tenter ni contre M.
de Ternay , ni contre M. de Rochambeau
& s'étoit hâté de retourner à New-Yorck
où s'avançoit le Général Washington à la
tête de 16,000 hommes , fans compter les
milices.
Celles de la Caroline ne paroiffent pas
plus favorables aux Anglois , le Général
Cornwallis obligé de ſe réfugier à Charles-
Town , ayant fait fortir un corps de troupes
pour aller piller les environs ; le Général
Gates a , dit- on , fi bien entouré ce corps,
qu'il l'a forcé de mettre bas les armes.
On dit que par un avifo arrivé à Cadix
on a reçu des nouvelles de M. de Guichen.
Lesvoici telles qu'on les débite depuis quel
ques jours.
» Le 30 Juillet ce Général étoit au Cap Saintd
4
( 80 )
7
Domingue. M. de Solano avoit laiffé quelques
troupes à Porto-Ricco & avoit fait voile pour la
Havane avec fon efcadre & fon convoi. M. de
Guichen fe di pofoit à raffembler tous les vaisfeaux
du commerce , & comptoit appareiller vers
le 16 Août. On croit qu'il revient en Europe
avec 10 ou 12 vaiffeaux de ligne , & qu'il ira attérir
à Cadix La divifion de 9 vaiffeaux qu'il a
laiffée à la Martinique eft commandée par M. de
Sade. Celle de St -Domingue fera aux ordres de
M. de Monteil ; par conféquent il rameneroit avec
lui MM. de la Motte - Piquet & de Gratle.
courier qui a apporté les dépêches dont cet avifo
éroit chargé , ajoute-t- on a . appris qu'il alloit
fortir de Cadix une efcadre compofée des vaif.
feaux dont 3 François & 2 Efpagnols , fous le
commandement de M. de Marin montant la
Bourgogne de 74. Elle eft deftinée à croiſer entre
les Caps c.
Le
Tous les régimens ont fourni leur contingent
pour recruter les troupes qui font
dans les colonies. Les uns ont donné 30
foldats , les autres 80 ou 90 , le plus grand
nombre 75. Ce font tous des jeunes gens
remplis de bonne volonté ; ils s'embarqueront
vers le 15 de ce mois , & feront efcortés
par
les
୨ vaiffeaux
que
commande
M. de la Touche- Tréville ...
Tous les papiers publics avoient annoncé que
M. le Comte du Chilleau , Gouverneur de la Dominique
avoit été pris dans fon trajet de la Martinique
à fon Ifle . On croyoit véritablement aux
Antilles , que le petit bateau fur lequel il avoit
voulu s'embarquer avoit été rencontré . par les
croifeurs Anglois ; mais plufieurs jours s'étant
paflés fans qu'on eût entendu parler de lui , M.
( 81 ))
de Guichen le fit demander à l'Amiral Rodney.
Les recherches les plus exactes dans les poffeffions
Angloifes n'ayant rien pu c apprendre , on le
crur mort. Plus de deux mois s'écoulèrent ainfi ,
& l'on ne doutoit pas que fon bateau n'eût chaviré
, lorſqu'un beau jour il a reparu aux Autilles .
Il venoit du Continent. Un coup de vent l'avoit
écarté de ſa deſtination , & il avoit été affez
heureux pour aborder chez les Efpagnols . Il s'étoit
vu forcé de s'arrêter auparavant dans une petite
Ifle déferte , pour y prendre des racines &
des coquillages néceffaires à fa ſubſiſtance , ayant
confommé tous les vivres. Les Espagnols l'accueillirent
, & dès qu'il put trouver un navire , il revint
aux Ifles du Vent où certainement il n'étoit plus
attendu. Il a envoyé à fa femme qui eft à Paris
une relation fort curieufe de cette fingulière promenade
«.
ས
On n'a aucune nouvelle de nos ports ,
fi ce n'eft la rencontre qu'a eue la frégate
l'Aigrette de 26 canons , commandée par M.
le Chevalier de l'Angle. Elle eſcortoit un
petit convoi ; & non loin de l'fle d'Aix elle
eut un engagement fort vif avec 3 corfaires
dont le plus fort avoit 24 canons. Pendant
qu'elle étoit engagée le plus petit lui enleva
un de fes bateaux . Ayant mis en fuite les
deux autres , elle leur reprit un navire affez
riche portant pavillon Impérial , dont ils
s'étoient emparés ; refte à favoir à préſent
fi cette prife lui fera adjugée.
Parmi les pertes fenfibles que la marine
marchande a faites en Officiers , tels que
Royer , Troffe , le Mengnonet , Augene ,
on doit compter celle du fieur du Caffou ,
as
( 82 )
commandant le corfaire la Charlotte. Ce
brave Capitaine dont nous avons annoncé
les brillans fuccès , a terminé fa carrière
victime de la lâcheté d'une partie de fon
équipage , & de l'inhumanité de fes ennemis
, qui lui ont refufé les fecours que fes
bleffures lui rendoient néceffaires . Les lettres
de Dunkerque & de Calais contiennent les
détails fuivans de ce malheureux évènement.
་ La Charlotte s'étant réparée de fon combat
contre les trois pingres , appareilla de la rade de
Dunkerque la nuit du 14 au 15 Septembre. Le fieur
du Caffou ayant eu avis qu'il devoit partir d'Oftende
pour Londres un convoi foiblement efcorté , il di
rigea de ce côté la croifière. Le 1s au point du jour,
il cur connoiffance de deux bâtimens fous le vent ,
& arriva deflus ; mais à leurs manoeuvres , les ayant
jugés bâtimens de guerre , il ferra le vent pour les
éviter attendu leur fupériorité. L'un étoit la Surprife
cutter du Roi d'Angleterre de 16 canons
dont 2 obufiers , de 18 livres de balle ; & l'autre le
Scourge, floop de 16 canons de fix livres de balles
renforcés. La Charlotte ayant perdu le vent ,
1
ci la chaffèrent depuis 11 heures du matin par un
tems calme à l'aviron , & ne l'atteignirent qu'à 4
heures du foir à la portée du canon. L'Anglois lui
ayant tiré un coup de fufil , le corfaire lui ripofta
par un coup de canon , & arbora pavillon françois ;
auffitôt lennemi lui lâcha toute fa volée. Le heur
du Caffou qui avoit prévu la néceffité d'en venir à
un combat , avoit tout difpofé à cet effet ; mais dès
le commencement de l'action', il eur la douleur de
voir que fon équipage , compofé pour la plus grande
partie d'étrangers de toutes nations , ( fur 120 fran
çois , il avoit ss étrangers ) refufoit de le feconder.
t
(( 83 )
•
La feconde volée de l'Anglois ayant mis fur fon bord
7à 8 hommes hors de combat , l'équip. fut tellement
effrayé que le fieur Burgain, capitaine en fecond , fut
obligé , fabre à la main , de ramener chacun à fon
pofte. Le combat fur l'avant du bâtiment s'échauffoit
cependant de maniere à faire efpérer quelque avantage,
tandis que fur l'arrière quelques canonniers qui furent
bleffés répandirent une nouvelle terreur dans les ef
prits , & plufieurs pièces furent abandonnées. Alors
l'intrépide du Caffou , quitte fon pofte , & par fa
préfence anime les uns & raffure les autres ; il jouiffoit
de la fatisfaction d'avoir remis le plus grand
nombre dans le chemin de l'honneur , lorsqu'il fut
lui-même frappé à la cuiffe d'un boulet qui le renverfa
fur le pont ; il perdit connoiffance & on le
tranfporta dans fa chambre. Dès cet inftant le
défordre fe répandit à fon bord ; les lâches étrangers
profitèrent de fon malheur pour couper la
driffe du pavillon & l'amener. Le fieur Burgain
faifoit cependant la plus belle défenſe à l'avant ,
& continuoit avec vivacité le feu de fon artillerie
, lorſqu'une voix lui cria : ne tirez plus , nous
fommes amenés. Il vole auffi-tôt à l'arrière , où
il ne voit plus fon brave Capitaine ; en vain il
veut faire rehiffer le pavillon & continuer le combat
; la plus grande partie de l'équipage étoit déja
dans la calle ; deux Officiers & environ 12 François
reftèrent feuls pour le feconder ; & malgré
fes remontrances & fes menaces il fut obligé de
laiffer le navire amené. La Charlotte a eu dans
ce combat qui a duré trois quarts - d'heure , 15 à
18 hommes tant tués que bleffés & tous François.
Le corfaire fut à peine amaríné que l'ennemi
pilla tout à bord. Il fut mené à Déal dans les
Dunes. Le 16 on defcendit l'infortuné du Caffou
dans un hopital de prifon , repaire infect où l'on
ne mettroit pas en France des criminels. Son état
exigeoit des foins & des fecours ; il avoit lieu
d 6
( 84 )
>
d'en efpérer de la part d'un ennemi pour lequel
depuis la guerre , il n'avoit ceffé lui - même d'a
voir des procédés de bienfaifance & d'humanité.
Jamais il ne permettoit à fon équipage de piller
rien de ce qui appartenoit aux prifonniers ;
mettoit en fûreté dans fa chambre leurs armes
leurs effets , leur argent , & leur rendoit le tout en
débarquant. On a eu la barbarie de le laiffer pendant
deux jours dans ce réduit affreux , fans re-:
mèdes , & fans lui donner que de la bière & de
mauvais bouillon de mouton . Ce ne fur que le
troisième jour que MM. Burgain & Chevalier
obtinrent , non fans peine , de le faire transférer
dans une chambre en ville. Un Colonel qui fe
trouvoit dans cet endroit vint le voir , & touché
de fa fituation , le fit panfer par fon Chirurgien.
Mais il étoit trop tard ; le mal avoit empire , &.
faute de foins fa bleffure étoit devenue mortelle.
Le 22 à 3 heures du matin , il expira dans les
douleurs les plus aigues. Une heure avant de
mourir , il s'écrioit dans le délire : Courage , amis ,
ils
ne nous prendront pas ; ils font à nous ;
ajuftez vos canons . . Malheureux , lâches !
vous m'abandonnez ? Le foir même il fut enterré
avec les honneurs de la guerre. La Gazette de
la Cour de Londres & tous les papiers qui l'ont
copiée attribuent la prife de la Charlotte au floop
le Scourge de 16 canons. Ils ne parlent point
de la Surprife , cutter de 16 canons de 18 , qui
a combattu avec lui , ce corfaire qui n'avoit que
16 canons de 6 , contre 32 de l'ennemi. Ils fixent
la durée du combat, à une demi - heure , tandis,
qu'elle eft de trois quarts d'heure & plus ; & ils
ne font aucune mention des morts & bleflés de
l'ennemi . Le brave du Caffou étoit originaire, de
Bayonne ; il n'étoit âgé que de 43 ans. A lintelligence
& à la valeur , il joignoir la réputation
d'un excellent marin. Il connoiffoit parfaitement
"
-
I
( 85 )
les côtes d'Angleterre , & parloit diverfes langues
étrangères & particulièrement l'Angloife. Cette ,
croisière étoit fa quatrième depuis les hoftilités ;
& dès 1778 il avoit été honoré d'une épée de
la part du Roi. ' Nous publiâmes dans le tems la
lettre du Miniftre de la Marine qui accompagnoit
ce préfent. Dans la dernière guerre il avoit fervi
fur l'efcadre du Maréchal de Conflans , & avoit
été 29 ans prifonnier en Angleterre. Outre les
prifes qu'il avoit faites depuis trois ans , il en
avoit fait plufieurs qui ont été utiles au Gouver
nement , telles que celle du paquebot du Sénégal.
qui lui mérita l'épée , & celle du Hope , qui tranf
portoit une garnifon à l'Ile de Jerley «.
,
Les cutters du Roi le Pandoure & le
Clairvoyant nouvellement conftruits à
Dunkerque , ont relâché au Havre le 24
du mois dernier pour le réparer , leurs mâts'
ayant confenti. Le Pandoure eft commandé
par M. le Chevalier de Lorgeril , & le Clair
voyant par M. de la Tullaye , tous deux
Lieutenans de vaiffeaux. Le 27 du même !
mois , il arriva dans ce port un Parlementaire
venant de Pool ayant à bord 153 prifonniers.
Une partie de ceux faits fur les
frégates la Nymphe & la Belle-Poule , ont
été conduits vers le même tems à St-Malo
par un Parlementaire venant de Falmouth. "
Le brave Capitaine Motard connu par
fa belle défenfe contre la frégate du Roi ,
d'Angleterre l'Apollo , vient d'être fait Lieutenant
de frégate en pied . Précédemment
S. M. lui avoit fait don d'une épée. *
M. Defprés à Sailly par St-Michel à
Vervins en Tierache , faifant creufer le lit
( 86 )
de la rivière , & trancher la digue d'un
étang contenant 175 arpens , convertis en
prairies vers l'an 1500 , & inondés dans
les moindres gonflemens des eaux , parce
que la rivière n'a d'autre écoulement qu'un
acqueduc de quatre pieds de large fur fix
de haut , a découvert à 6 pieds au- deffous
du niveau de la prairie , un plancher qu'il
a fait lever avec la plus grande attention.
Il a trouvé 72 madriers de 12 pieds de long
& larges d'un pied fur deux pouces d'épaiffeur
, avec 1 folles d'environ 16 pieds
de longueur , fur 8 & 12 pouces d'écariffage
, fans aucun clou ni ferremens , le
tout ayant été chevillé avec s chevilles à
chaque madrier , dont deux font à chaque
bout & une au milieu. Ce bois enterré
depuis plus de 600 ans eft d'un noir qui
ne le cède pas à l'ébène ; il a confervé &
peut-être a acquis de la dureté. Si quelqu'un
defiroit d'en avoir pour des ouvrages d'ébenifterie
, M. Defprés offre d'en faire paffer
dans toutes les Villes du Royaume , excepté
celles du Midi de Paris , & de faire fcier
les bois des longueurs , largeurs & épaiffeurs
qu'on defirera.
L'Abbeffe & les Religieufes de l'Abbaye Royale de
Jarcy , près Brunoy , ne peuvent trop rendre publiques
les marques de bonté & de la haute protec
tion dont Monfieur , Frère du Roi , a bien voulu les
honorer , à l'occafion de la reconſtruction totale de
leur Monaftère , fondé een 1270 , par Madame la
Comteffe de Touloufe , belle-foeur de faint Louis,
Le 21 Septembre 1780 , Louis-Staniflas-Xavier
787 )
de France , Monfieur , Frère du Roi , a polé la
»première Pierre de ce Bâtiment , reconstruit par les
❤foins de M. Devault , Lieutenant-Général des Ar-
» mées du Roi , d'après les Deffins du feur Boullaud ,
Architecte-Expert , ( le fieur Caubert , fils , en a
» été l'Entrepreneur ) . Mad. de Braque , Abbeffe &
»fa Communauté , pénétrées de la plus profonde
» reconnoillonce , ont affifté à cette cérémonie «.
Cette Infcription gravée fur une plaque de cuivre
& renfermée dans une boîte de cèdre a été placée
Lous la pierre. On a pofé en même-tems en évidence
& fcelle fur la principale façade du bâtiment l'Infcription
fuivante gravée fur le marbre : - Favente
Ludovico Stanislao Xaverio majore Regis Ludovici
XVI fratre ades renovata. — Après la céré
monie , le Prince a bien voulu parcourir l'Abbaye ,
après avoir été faire fa Prière à l'Eglife où il a
yu le tombeau de la Comteffe de Toulouſe.
On écrit de Metz un évènement fâcheux.
Un jeune Gentilhomme revenant de la
chaffe a été tué dans une voiture par un
fufil qui y étoit placé & qu'on avoit oublié
de décharger. Ce Gentilhomme s'appelloit
M. de Loftange ; il étoit Colonel en fecond
d'un régiment en garnifon à Metz ; & c'eſt
aux environs de cette ville que ce malheur
eft arrivé , & non pas auprès de Paris , com
me le bruit en a couru.
2
Trois Machines Hydrauliques fucceffivement préfentées
à l'Académie des Sciences , par M. Cordelle ,
y ont été couronnées du fuffage le plus flatteur
& reçues avec cette unanimité d'applaudiffements
que l'Académie n'accorde jamais aux inventions médiocres
Ces trois Machines font pour ainfi dire
d'une même famille ; la feconde dérive de la première,
& fans lui reffembler , elle n'en eft que la
( 88 )
,
―
perfection ; la troisième , aux avantages des deux
autres , réunit encore des qualités nouvelles , & font
toutes trois deftinées à élever l'eau des rivières
( puifée au plus rapide de leur courant ) à telle hauteur
& en telle quantité qu'on voudra , fans jamais
y gêner la navigation. Ce méchanifme fimple ,
d'un prix modique , & d'un entretien on ne peut
moins coûteux peut être également placé avec
fuccès & fort peu de dépenfe , fur toute fortes de
ruleaux , même à la fortie d'une fource capable de
mettre une roue en mouvement. Les calculs par
apperçu que l'Auteur a fait fur les dépenfes d'établitlement
, & l'intensité du produit de cette nouvelle
invention lui ont fait connoître que non- feule
ment elle feroit en état de fournir abondamment
d'eau la Ville de Paris ; mais encore à un prix fi
modique , qu'il fuffit de favoir que l'établiffement
pris en général , ne coûtera pas plus de mille livres
par chaque pouce d'eau élevé à 70 ou 80 pieds audeffus
de la rivière ( qui eft la hauteur réduite pour
porter l'eau aux différens quartiers de Paris , & que
la quantité en pourra être portée au - delà de 2000
pouces fans gêner en aucune façon la navigation ( 1 ) .
On voit qu'avec 25,000 liv. que coûteroit une
des machines propofées , & qui produiroit 25 pouces
d'eau ou 75 muids par heure , on formeroit un capital
aux prix de la ville , d'une fomme de fept cent
vingt mille livres, Quoique l'Auteur ne faffe au
cune mention des tuyaux de conduite , à caufe de
l'uniformité des moyens à cet égard ( 2 ) , il eft bien
---
(1)Tant que la Ville a eu de l'eau à concéder on l'a
payée zoo liv . la ligne , ou 28,800 liv. le pouce , à la
charge , par l'acquéreur , de faire faire la conduite ,
depuis la plus prochaine fontaine jufques chez lui ..
(1) M. Cordelle a déja annoncé qu'il a imaginé un
moyen d'une grande économie pour la diftribution 'des
eaux dont il fe propoſe de faire hommage à la Ville ;
après que l'Académie aura prononcé.
( 89 )
démontré ( comme l'obferve l'Académie ) qu'il en
coûteroit bien moins en conduite en partant des diffé
ens endroits de la rivière où feroient placées les
nouvelles machines , qui diftribueroient leau aux
quartiers les plus voisins de leur pofition , que fi
elle étoit amenée , ou partoit d'un feul point de
diftribution .
Le Comte de Vautron , Chef- d'efcadre des
armées navales , eft mort à Rochefort . Il y a
quelque-tems qu'un autre Chefd'efcadre du
département de Breft , le Vicomte de Roquefeuil
, Capitaine des gardes de la marine ,
eft mort dans ce dernier port.
Ordonnance du Roi du 23 Avril , portant règlement
fur le fervice aux batteries , corps- degarde
d'obfervation , & fignaux établis fur les côtes .
Elle eft compofée de 10 titres & de 90 articles ,
& revêtue de l'attache de M. le Duc de Penthièvre ,
Amiral de France . - Ordonnance du Roi du s
Août , concernant l'Ecole Royale Militaire , confiftant
en 16 articles.
Edit du Roi donné à Verfailles au mois d'Août
& enregistré au Parlement le 29 , portant aliéna .
tion au profit du Clergé pendant 14 ans d'un
million fur le produit annuel du bail des Fermes .
Déclaration du Roi donnée à Verfailles le 24
Août , enregistrée au Parlement le premier Septembre
, interprétative de l'Edit du mois d'Août.
1749 , concernant les acquifitions des Gens de
main-morte. Autre donnée à Verfailles le 3'
Septembre & enregistrée au Parlement les du
même mois , qui étend aux Prieurés & Abbayes
fécularifées les difpofitions de celle du 30 Août
1755.
Ratification de la convention conclue entre S. M.
& le Prince-Evêque & l'Eglife de Bâle , concernant
les limites de leurs Etats refpectifs .
( 90 )
Lettres-patentes du Roi données à Versailles le
2 Septembre , enregistrées au Parlement les du
même mois concernant le Collège de Moulins
qui à l'avenir fera entre les mains des Prêtres de
la Congrégation de la Doctrine Chrétienne.
>
De BRUXELLES , le 10 Octobre.
L'ARRIVÉE du Roi de Suède en Hollande
, les voyages fucceffifs de ce Prince , dans
un pays fi digne de fa curiofité , où l'on voit
Pinduftrie & l'art luttant contre les élémens
, pour rendre folide une retraite qu'ils
défendent fans ceffe contre les eaux , & ou
ils réuniffent les richeffes du monde entier,
étouffent toutes les autres nouvelles , &
fufpendent la curiofité & l'impatience où
l'on eft d'apprendre les effets de la négociation
que la République fait entamer en
Ruffie au fujet de la neutralité armée , en
attendant le tems s'écoule , l'hiver approche
, & fi fa politique eft de temporifer
ce point paroît rempli pour cette année.
Les difpofitions du Portugal ne font plus
douteufes : fes Ports qui étoient fi favorables
aux Anglois , & dont ils ont fi bien profité
jufqu'à préfent , vont leur être fermés ; au
commencement du mois dernier , ils y
avoient conduit encore 3 navires Hollan
dois , l'un allant de Marfeille à St-Valery ,
avec des huiles , favon , vin , & autres
denrées , l'autre allant avec du froment de
· Liebau en Suède à Barcelone ; & le troifième
forti de Bilbao avec du fer & du fro-
竭
( 91 )
ment , pour Gênes . Ils ne pourront plus
en ufer ainfi à l'avenir : la Reine de Por
tugal a rendu le 30 Août le décret ſuivant ,
dont la publication a eu lieu le 9 Septembre
, & qui les a fort confternés.
›
» L'expérience ayant démontré que plufieurs
corfaires des Nations actuellement en guerre, abufoient
des commiffions ou lettres de marque qui
leur étoient accordées & plus encore de la
confidération & du bon accueil avec lefquels ils
étoient reçus dans les ports de mon Royaume ; par
un effet du fyftême de l'exacte neutralité que j'ai
réfolu de fuivre dans les préfentes circonftances ,
& me paroiffant jufte de pourvoir à ce qu'à l'ave
nir ils ne continuent pas de commettre les défordres
qui font arrivés plufieurs fois , parce qu'ils
n'ont pas refpecté , comme ils l'auroient dû , les
loix que j'ai rendues à ce fujet , & la fouveraine
immunité de mon territoire ; il m'a plu ordonner
que les corfaires , de quelque Nation qu'ils foient
da friens alus admin dana leo norre de mac Frare.
144 AGAGAL plus aumis dans des
རྒྱ་ པ 2
les prifes qui feroient faites par eux , ou par les
vaiffeaux & frégates de guerre , fans autre excep
tion que celle des cas où le droit des gens rend indifpenfable
l'hofpitalité , & avec cette condition encore
que dans lefdits ports , il ne leur fera pas per
mis de vendre lefdites prifes , fi elles y font conduites
dans les cas fufdits , & qu'ils n'y demeureront pas
plus de tems que celui qui leur fera néceffaire pour
fe mettre à l'abri du danger , ou obtenir les fecours
innocens qui leur feront néceffaires ; & quant aux
corfaires qui fe trouveroient actuellement dans mes
ports , il leur fera fait favoir qu'ils aient à en fortir
dans le terme préfix de 20 jours , à compter de celui
dans lequel ils en feront avertis «.
Ce décret prépare à l'acceffion du Portugal
à la neutralité armée. Les Anglois ne
( 92 )
voient pas fans inquiétude cette ligue de
L'Europe entière , contre leur prétention,
arbitraire à la fouveraineté des mers ; on
Lait les efforts qu'ils ont fait pour l'empê
cher. S'il faut en croire quelques papiers ,
ils n'en ont pas fait de moins grands pour
diminuer le nombre de leurs ennemis ; on
lit entr'autres détails fur ce fujer ceux- ci
que nous allons copier fans les contredire
ni les garantir.
» Il n'y a rien que l'Angleterre n'ait tenté depuis ,
un an pour divifer la maifon de Bourbon , & faire.
fa paix particulière avec l'Espagne . Elle a envoyé
pour cela , en différens tems , plufieurs de fes Emiffaires
à la Cour de Madrid , & elle a cherché à
intéreffer les Puiffances Catholiques à fa caufe. L'une
d'elles fe chargea , il y a 6 mois , de faire quelques
propofitions ; elles ne furent pas reçues fans
doute. Mais le Cabinet de St -James ne s'eft point
laffé . Il y a 8 jours , écrit-on de Sr- Tldephone , en
date du 22 Septembre , qu'une des Cours Catholi
ques les plus puiffantes a envoyé ici une perfonne,
chargée de pouvoirs plus étendus . L'Angleterre offre,
de céder Gibraltar , fi l'Espagne veut le réconcilier,
avec elle. Le Roi a répondu qu'il ne pouvoit entendre,
à quelques propofitions de paix , fans l'intervention
de la France. On a répondu à S. M. C. que la France
ayant reconnu l'indépendance des Américains , elle.
a ferimé , pour long- tems , la voie à toute réconciliation
. Le Roi a répliqué que fa confcience & l'honneur
de fa Couronne , l'obligeoient à ne pas fe détacher
davantage de fes alliés que le Roi de France des fiens ;
& malgré le vif defir qu'il a de rendre la paix à fes
peuples , malgré les grands avantages qu'on lui pro..
pofe , il ne peut ni ne doit traiter avec les encemis
de fa Couropne , fans le concours du Roi de
France et.
Ju
( ( 93 )
Suitedu Précis de l'Expédition de Capitaine Cook.
?
Avant de quitter . Otaheite , il eut foin de faire
planter les mufcadiers qu'il avoit apportés de la
Nouvelle-Guinée , & qui étoient très bien confervés .
il donna en même-tems des inftructions pour leur
culture. L'on eſt auffi informé , que durant ton fejour
en cette ifle , il s'occupa de la recherche de
plufieurs objets de la plus grande importance , particulièrement
de la manière en ufage chez les Natifs
pour naviguer leurs Ivahahs ou petites chaloupes .
Cette méthode peut conduire à porter un jugement
fur la question comment les ifles fort éloignées
du Continent ont pu fe peupler. Si l'on peut s'en
fier aux rapports , le réfultat de fes recherches à
cet égard a été très- fatisfaifant. On affure auffi qu'il
a trouvé que les habitans d'Otaheite avoient du
mouvement des corps céleftes , une idée auffi exacte
qu'ils avoient pu fe la procurer par une obfervation
naturelle , & qu'elle leur fuffifoit pour régler leur
route en mer tant de nuit que de jour. Si l'on ajoute
à cette reffemblance radicale de leur langage avec
celui des autres ifles de la mer du Sud , il reftera
peu de doute fur la poffibilité qu'ils foient tous
fortis d'une fource commune.
2
En quittant Otaheite , le Capitaine Cook porta
immédiatement fes vues vers le grand objet de
T'expédition : il dirigea en conféquence fa route
au Nord ; mais , comme l'on n'étoit pas encore
affez avancé dans la faifon , il paroît qu'il jugea
à propos d'employer encore quelque tems entre
les Tropiques , avant de fe porter directement à
la côte Septentrionale de l'Amérique . A la longitude
Orientale de 200 degrés , & vers la latitude
du Tropique , il découvrir une Ifle , à laquelle il
donna le nom de Sandwich : il jugea qu'elle appartenoit
à un grouppe d'autres Ines ; mais ne
jugeant pas à propos de perdre alors le tems néceffaire
pour les examiner , il continua une route
( 146)
qui le conduifit dans le mois de Mars 1778 au
Continent de l'Amérique environ au 29e degré de
latitude Septentrionale. Cette fituation étant à plus
de 8 degrés & demi au Sud des découvertes les
plus récentes faites par les Espagnols dont nous
avons connoiffance , il eft évident qu'il ne refte
aucune partie de cette côte étendue qui n'ait été
découverte , quoi qu'il foit à craindre que nous
n'en ayions pas encore une connoiffance fort parfaite.
Une conjecture que ces découvertes paroif
fent confirmer toutes fans exception , en compa
rant les faits & les apparences que les Naviga
teurs ont obfervés dans cette partie du globe
eft celle du favant Docteur Robertſon , par laquelle
il fuppofe que les deux Continens ont été féparés
par quelque convulſion extraordinaire de la nature.
Les Espagnols partis le 13 Mars 1775 de Saint-
Blas dans la Nouvelle- Galice , fous les ordres de
Don Brun de Heceta , y ont remarqué de grands
Volcans ; & la côte oppofée de l'Afie en préfente
également plufieurs . Les Inles fituées entre les
deux Continens & découvertes par les Ruffes
contiennent auffi toutes fans exception un nombre
plus grand ou plus petit de ces bouches à feu.
L'on affure encore que les Espagnols ont trouvé
le pays fur cette côte bien habité & un peuple
docile , humain , & même poli à certain degré :
quoiqu'ils cachent avec foin ce qui s'y eft paffé
de leur part , on croit favoir qu'ils y ont déja
établi plufieurs Miffions , & qu'ils ont tenté de
former quelques établiſſemens au Nord de la Ca
lifornie «.
Le navigateur Britannique , ayant fouffert confidérablement
dans la mâture & fes agrêts , & la Réfolution
ayant fait une voie d'eau , il fut dans la néceffité
de chercher un port pour ſe réparer.Il paroît
qu'il fut affez heureux pour en trouver un , où il fit
mouiller fon vaiffeau & le remit en état de pourfuivre
le voyage. On fuppofe que ce Havre a été dans quel
( 95 )
u'une des Anfes , apperçues par les Espagnols près
du Cap St- Auguftin. A fon départ de cet endroit Cook
fut affailli par des tempêtes fi violentes , qu'elles ne
lui permirent pas d'examiner cette côte : on n'en fera
pas furpris , fi l'on fe rappelle que ce doit avoir été
vers la fin de Mars ou au commencement d'Avril ,
la faifon de l'année où l'on eft expoſé à des tems orageux
dans cette latitude feptentrionale . Ils le contrai
gnirent à fe réfugier dans un port , qu'il découvrir
vers la latitude de 58 degrés 28 minutes , qui convient
à tous égards avec celle que Muller a affignée
au Havre où Behring mouilla immédiatement au
nord du Cap St-Elie. Après y avoir fait quelques réparations
à fes vaiffeaux , il longea la côte & l'examina
exactement. A cette occafion il découvrit , dit
on , des erreurs fans nombre dans les cartes Ruffes
qui le trompèrent fouvent , & manquèrent de caufer
fa perte. En continuant fa route du Nord , le long
d'une côte non interrompue , il parvint enfin à ce
point , qui a été fi long-tems l'objet des fpéculations
& des recherches , les extrémités des continents de
l'Afie & de l'Amérique.
the
Cook découvrit , que ces deux continents n'étoient
féparés que par un détroit de très-peu de lar
geur , dans lequel un peu au Nord il trouva que la
mer n'avoit pas beaucoup de profondeur. L'on n'a
pas encore communiqué au Public la latitude & la
longitude particulière de ces deux extrémités ; mais ,
fi l'on peut former une conjecture d'après la route
qu'il tint enfuite , ainfi que d'après la latitude , où il
lui fut impoffible de la pouffer plus loin à l'Eft , on
peut fuppofer qu'on n'eſt pas loin du compte , en
fixant la latitude de ces deux pointes entre le 65me
& le 67me degré , & la longitude environ au 20
degré E. du méridien de Greenwich , pofition où le
Dr. Maty a placé le Stachtan Nitada ou le grand
continent de l'Amérique ; mais la carte générale de
l'Empire Ruffe , publiée par Engel , affigne à l'extré
mité de l'Amérique une fituation beaucoup plus à
( 96 )
l'Oueft & au Sud. Les deux continents , à la hau
teur où ils s'approchoient de fort près , ne préfen
tèrent à l'il qu'une terre baffe , ftérile & déferte.
Ayant paffé ce détroit entre les deux hémiſphères ,
Cook longea la côte de l'Amérique au N. E. , dans
la fuppofition qu'en continuant la même route , il
effectueroit ce pallage vers la baye de Hudson par.
celle de Baffin qu'on a cherché jufqu'ici avec tant
d'ardeur quoiqu'avec fi peu de fuccès : mais il femble
, que notre aventurier ait été deſtiné à prouver la
futilité de ces fuppofitions dans le Nord , comme
dans les précédens voyages il avoit déja détruit
toute idée d'un continent dans le Sud de notre globe.
Il continua fes recherches jufqu'a la mi Août 1778
Lorsqu'a la latitude de 70 d 45 min. & à la longitude
de 198 d E. Il le trouva arrêté par des glaces
impénérables , qui l'obligèrent de retourner far fes
pas. Il female que ce n'ait pas été fans les plus
grandes eines & fans beaucoup de danger , qu'ilféutfit
enfin fe tirer de la fituation embarraflante ,
où il fe vit tout-d'un- coup par la promtitude impréyue
, avec laquelle les glaces l'environnèrent de
toutes parts. Il prit immédiatement la direction à
l'Ouest dans la vue de s'allurer de la poſſibilité d'un
paffage de la côte d'Afie en Europe , en longeant
celle de la Sibérie. Il l'atteignit en conféquence à la
latitude de 68 d. 5 min. & à la longitude de 180 d.
30 minutes. Quoique cette hauteur ne foit pas auffi
Septentrionale que le Promontoire fuppofé du Pays
des Tf hutki , elle eft cependant plus au Nord que
Behring ou quelque autre Navigateur Ruffe foit
parvenu , excepté peut- étre Krenitzin , qui entreprit
en 1760 un voyage pour faire dés découvertes , dont
Coxe viene de publier la relation ( 1 ) .
La fuite à l'ordinaire prochain.
( 1 ) La traduction de cette Relation curieufe eft
fous preffe , Hôtel de Thou , rue des Poitevins.
•*
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De SMYRNE , le 9 Août.
LA tranquillité commence à fe rétablir
dans cette ville . Cara - Ofman Oglu a du
moins pour cette fois racheté fa vie en
payant à la Porte , ou plutôt au Capitan
Bacha , exécuteur de fes ordres , une fomme
affez confidérable. Elez-Oglu ſe tient
encore caché ; il a échappé à toutes les recherches
qu'a fait pour le découvrir le Bacha
de Juſſelifar , accompagné d'un Capigi
Bachi. Ce dernier après plufieurs courſes
inutiles eft retourné dans fon gouvernement
; ce Bacha eft le même Abdul- Refack
qui rempliffant alors la charge de Reis-
Effendi , a figné la dernière convention avec
la Ruffie , & que la jalouſie du Grand- Viſir
actuel a éloigné des affaires . Jouffouf- Aga
eft en poffeffion du pofte de Muffelim du
Diſtrict qui environne cette ville , à la place
d'Elez-Oglu .
La peſte a prefque entièrement ceffé fes
ravages ; & l'on eſpère que les Eglifes que
ce fléau avoit fait fermer feront rouvertes
avant la fin du mois.
21 Octobre 1780 .
e
( 98 )
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 12 Septembre.
-
LES fêtes par lesquelles on cherche a rendre
agréable au Prince de Pruffe fon féjour
dans cette Capitale , fe fuccèdent & fe multiplient.
Le 9 de ce mois on célébra celle
du nom du Grand Duc Alexandre Paulowitz
, & le lendemain celle de S. Alexandre
Newski . L'Impératrice dîna ce jour en
public , revêtue des marques de l'Ordre de
ce nom , avec les Chevaliers qui en étoient
décorés , & au nombre defquels le Prince
de Pruffe venoit d'être admis . Il a affifté
aux manoeuvres du corps des Cadets nobles
, deftinés au fervice de terre , dont il
a été très-fatisfait . Depuis hier , il ſe trouve
un peu incommodé des fuites d'un coup
qu'un cheval lui donna , il y a quelque
tems , à la jambe. S. A. R. eft obligée de garder
la chambre ; mais elle continue d'admettre
tous ceux qui viennent lui rendre
leurs devoirs ; elle reçoit de fréquentes vifites
du Grand- Duc.
S. M. I. pour encourager le commerce
& la multiplication du bétail dans fes Etats ,
a adreffé au Sénat dirigeant un Oukaze en
date du 9 du mois dernier , par lequel elle
permet pour l'avenir l'exportation de la
viande falée , tant du port de cette Capitale
, que de tous les autres de cet Empire
en payant un droit de 2 copecs pour cha(
99 )
que pud ( environ 33 liv. ) qui fera exporté
des ports de la mer Noire , & de 3 copecs
& demi par chaque pud exporté des autres
ports. Cette denrée fera , ainfi que le
tabac , fujette à la vifite d'un Officier à ce
préposé.
Les deux Miniftres plénipotentiaires des
Provinces-Unies ont déja entamé leurs conférences
avec le premier Miniftre Comte
de Panin , & le Vice-Chancelier Comte d'Of
termann. A l'iffue de ces entretiens , ils
ont envoyé à la Haye un exprès , chargé
dit-on , d'ouvertures très - intéreffantes qui
ne peuvent fervir qu'à confolider de plus
en plus le grand ouvrage de la neutralité
armée , & à en rendre les effets plus falutaires
même aux Puiffances belligérantes.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 19 Septembre:
La nouvelle eſcadre qu'on équipe à Carlfcron
, a ordre de mettre à la voile , s'il
eft poffible , avant la fin du mois , & de
fe joindre à celle qui eft déja en mer fous
les ordres de M. de Wagenfeld . L'Amiral
général a expédié en conféquence à ce dernier
l'ordre de continuer fa croiſière juſqu'à
ce que le fecond armement fe foit réuni à
fon efcadre ; & pour qu'il ne foit pas dans
la néceffité de rentrer pour s'approvisionner
, on lui a envoyé deux navires avec
des vivres , dont les Commandans font chare
2
( 100 )
gés de chercher par-tout l'efcadre en cas
qu'ils ne la trouvent pas mouillée dans le
Sund. On a expédié en même- tems des duplicata
de ces inftructions à l'Intendant du
port de Gothembourg , & au Conful- Général
Gloerfeld à Helfingor , pour les remettre
à M. de Wagenfeld s'il relâchoit dans
l'un de ces deux ports. Depuis que ces mefures
ont été prifes , on a appris qu'il avoit
mouillé à Malmoë , où il lui a été envoyé
ordre de refter jufqu'à ce qu'il ait reçu les
approvifionnemens qu'on lui fait paffer de
Carlfcron , & de remettre en mer fans
délai.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Septembre.
M. de Tyfzenhaufen , Tréforier de la
Cour de Lithuanie , eft arrivé ici au grand
étonnement de tout le monde ; il a eu
l'honneur de faire fa cour au Roi , qui a
daigné l'accueillir avec bonté , ce qui fait
préfumer que fes affaires feront plus faciles
à arranger qu'on ne l'avoit d'abord publié.
Le tems de l'ouverture de la Diète approche
; on voit arriver ici journellement
beaucoup de Magnats & de Nonces : on
affure que le bâton de Maréchal de cette
Affemblée nationale fera donné au Comte
Malachowski , Grand Notaire de la Couronne.
( 101 )
Les troupes Ruffes qui ont été depuis
tant d'années dans la Pologne & la Lithuanie
, & dont l'entretien coûte annuellement
des fommes confidérables à leur Souveraine ,
ont reçu ordre de fe tenir prêtes à retourner
en Ruffie ; on croit cependant qu'elles ne
quitteront ce Royaume qu'après la tenue
de la Diète.
» Le mois dernier , écrit- on de Kaminieck en Podolie
, il y a eu dans cette Province de fi fortes
inondations que de mémoire d'homme on ne ſe fouvient
pas d'en avoir vu de femblables ; le Niefter & le
Pruth font fortis de leur lit , & ont inondé plufieurs
villages où un grand nombre de perfonnes & de
beftiaux ont été étouffés . A ce fléau s'en joint un
autre. Le 19 Août dernier , on a vu voler près de
cette ville des légions de fauterelles qui venoient
des environs de Sniatin , Smotryecz & Dunajow
où elles ont ravagé les bleds & les foins . Quantité
de ces infectes fe font fait voir dans l'Ukraine , &
n'ont pas caufé moins de dommages dans les campagnes
de la Moldavie. Des Voyageurs qui dans ce
tems-là traverfoient cette Principauté , ont rencon
tré des diftricts où dans une étendue de dix milles ,
ils n'ont trouvé aucune nourriture pour leurs che>
vaux , auxquels ils ont été obligés de donner du pain "<.
D'autres lettres de la Moldavie portent
que les troupes Ottomanes viennent des
Provinces les plus éloignées ſe raſſembler
dans les environs de Bender , de Choczinr
& d'autres Fortereffes , où elles font
journellement exercées au maniement des
armes à la manière des troupes Européennes
, & obfervent la difcipline la plus
exacte.
e 3
( 102 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 27 Septembre.
LE 25 de ce mois , l'Empereur , après
avoir fait avec l'Impératrice - Reine , fon,
augufte mere , une promenade à l'Au- Gar
ten , dans le quartier de Leopolſtadt , & y
avoir déjeûné avec elle , en prit congé de
la manière la plus tendre , & fe mit en
route pour la Bohême. Le Général Comte
de Lafci l'accompagne. On ignore combien
de tems durera fon voyage.
Le même jour l'Impératrice- Reine partit
pour Presbourg , où elle reftera jufqu'à
P'hiver , qu'elle reviendra paffer dans cette
Capitale.
Le bruit d'un voyage que le Grand - Duc
de Ruffie doit faire ici au Printems prochain
fe foutient ; & ce qui fembleroit le
confirmer , c'eſt que l'on parle déja de plufieurs
préparatifs pour fa réception.
De FRANC FORT , les Octobre.
LES trois Puiffances du Nord paroiffent
avoir pris de concert la réfolution de tenir
leurs efcadres en mer plus long- tems qu'il
n'avoit été convenu d'abord , & même de
les augmenter. On a parlé des préparatifs
que la Suède fait faire à Carlfcron , & de
ceux de la Ruffie à Riga : on apprend de
Danemarck que le 13 du mois dernier , il
a été expédié d'Helfingor un avifo , pour
( 103 )
aller chercher l'efcadre Danoife & lui porter
l'ordre de ne pas rentter. La divifion
Ruffe , fous les ordres du contre- Amiral
Krufe , a relâché le 30 Août à Chriſtian-
Sand , en Norwege : comme elle a beaucoup
de malades à bord , il a été dreffé
des tentes à terre , où on les a débarqués ,
pour accélérer leur rétabliſſement.
La levée des recrues pour les Régimens Bavarois
, écrit-on de Freyfingen , fe continue avec le
plus grand fuccès . Quelques - uns des Régimens .
d'Infanterie qui n'étoient compofés que de 300
hommes font déja forts du double , & feront
même portés à 1000 avant la fin de l'année. On a ſoin
für- tout de n'enrôler que des enfans du pays , afin
de prévenir toute défértion autant qu'il eft poffible.
L'Electeur ne fe rendra point à Manheim cette année.
Ce Prince prendra le mois prochain le divertiffement
de la chaffe à Weilheim «.
ITALIΕ.
De LIVOURNE , le 16 Septembre.
ON apprend de Rome que le Confiftoire
qui devoit fe tenir le 11 de ce mois a été
différé jufqu'au 18 ; on croit que ce délai
n'a eu lieu que parce que les procès - verbaux
, relatifs aux Coadjutoreries de Cologne
& de Munfter , ne font point encore
arrivés.
Le Pape , ajoutent les mêmes lettres ,
pour foulager les habitans de Bologne ,
ayant pris des Adminiftrateurs du Bolonois
les inftructions qui doivent éclairer fa biene
4
( 104 )
faifance , a fait un nouveau règlement fur
les impôts , par lequel il diminue principalement
ceux qui fe lèvent fur le pauvre.
S. S. a pris d'autres arrangemens qui tendent
à décharger le peuple de la manière
la moins fenfible , des dettes contractées
dans des tems de calamité .
Selon les lettres de Veniſe il eſt beaucoup
queftion dans ce moment de fupprimer
fix maifons de Bénédictins , & l'Abbaye
de St-Etienne , dans la Poléfine de
Rovigo. Le produit de cette fuppreffion eft
évalué à 350,000 liv. , dont la plus grande
partie fera deftinée à remonter le Confer
vatoire de la Pieta , qu'on croit à la veille
de faillir. La fuperbe Abbaye de St George ,
de l'Ordre de Câteaux , fondée à Venife ,
& toute compofée de Patriciens , n'eft pas
fans inquiétude ; elle vient d'offrir de fe
charger gratuitement de l'éducation de la
jeuneffe Patricienne , à condition qu'il lui
fera permis de prendre des Novices.
,
» Le Gouvernement , écrit- on de Gênes , ayant
été informé que cinq grands corfaires Algériens font
venus dans nos mers pour en troubler le commerce
ordonna auffi-tôt l'armement d'une efcadre de fept
bâtimens de 20 22 & 24 canons. Le pinque la
Notre-Dame de Bon fecours , & deux galères firent
voile le 7 avec une félouque pour attendre nos
vaiffeaux qui bien armés & fournis de nombreux
équipages , fortirent peu après pour aller à la pourfuite
des Barbarefques , qui n'ont paru vraisemblablement
que pour fe venger de la perte d'un chébec
pris dernièrement par le Marquis Jacques de Marchi.
( 105
)
C'eſt ce brave Officier qui commande l'efcadre . Les
Négocians de cette Place ont contribué aux frais de
cet armement , qui , à ce qu'on efpère , réuffira à
s'emparer des Corfaires ou du moins à leur faire
perdre l'envie de revenir dans nos mers « .
ESPAGNE.
De CADIX , le 19 Septembre.
Nous vîmes mouiller avant- hier dans ce
port , un brigantin expédié par M. de Guichen
le 30 Juillet ; ce Général étoit alors
au Cap avec 28 vaiffeaux de ligne , l'Expériment
feul étant refté à la Martinique ;
M. de Guichen avoit convoyé D. Solano qui
faifoit voile pour la Havane jufque dans
le canal , & il étoit arrivé au Cap avec
toutes les forces Françoifes de 23 Juillet.
Le jour du départ du brigantin , il a dû
fortir 2 vaiffeaux de ligne & quelques frégates
pour aller prendre , à Port - au- Prince ,
les bâtimens de commerce deftinés pour
l'Europe. M. de Guichen a dû appareiller
après les avoir raffemblés vers le is ou le
20 Août emmenant avec lui 14 ou 15
vaifleaux de ligne qui eſcortent i so navires
, la plupart richement chargés. La fanté
de M. de la Mothe - Piquet étant fort dérangée
, il revient en Europe . On ne penfoit
pas , au Cap , que M. de Guichen eût
ordre de toucher à l'Amérique Septentrionale
; le convoi qu'il efcorte eft trop précieux
pour qu'il ceffe de veiller fur lui ; &
nous comptons voir paroître ici l'eſcadre
>
es
( 106. )
& le convoi François dans 20 ou 25 jours.
M. le Comte d'Estaing eft attendu ici
avec d'autant plus d'empreffement , qu'on
eft perfuadé qu'il prendra le commandement
de l'armée combinée ; & on fe promet
, de fon activité , que de fi grandes
forces ne resteront pas oifives pendant l'hiver.
La divifion des vaiffeaux attend un
vent favorable, pour mettre à la voile. Il
nous eft venu du Détroit le vaiffeau le St-
Jean- Baptifte qui a beſoin d'être caréné .
Gibraltar eft referré plus que jamais . La
frégate l'Entreprife , la feule que les ennemis
aient dans leur baie , & un autre petit
navire faifoient , ces jours derniers , des
difpofitions pour s'évader. Leurs mouvemens
n'ont pas échappé au vigilant Barcelo
, qui difpofa fur le champ fes chébecs
de manière à les arrêter ; & les 2 navires
n'ofant courir le rifque d'être enveloppés
retournèrent à leur mouillage .
Le 13 , il arriva au camp deux foldats
Irlandois qui déclarèrent être Catholiques.
Ils ont confirmé que la place eft dans la
plus grande détreffe . Le bifcuit & la viande
falée font les feules provifions qui restent
à la garnifon ; elle manque abfolument de
bois & de charbon , ainfi que de vin , de
bière & d'eau - de- vie. Un autre objet dont
la privation fait beaucoup de peine aux
foldats , ce font les fouliers. Le cuir ayant
manqué on s'eft fervi de feutre pour
chauffer les troupes. Cette réffource étant
( 107 )
épuifée on fait aujourd'hui leurs fouliers
en draps ; mais comme il y a des poftes
au haut de la Montagne , où il faut monter
par des chemins rudes & efcarpés , ils n'ufent
pas peu de chauffures de cette nouvelle
fabrique.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 9 Octobre.
APRÈS une longue attente le public a
vu enfin paroître , le 30 du mois dernier
au foir , l'extrait des dépêches du Général
Clinton ; elles ont confirmé ce que l'on
favoit déja de la pofition de ce Général ;
c'eſt ainſi qu'il en rend compte.
-
" De New- Yorck , le 9 Août . Vos avis m'avoient
préparé à attendre un armement françois ,
& des informations que j'avois communiquées à l'amiral
Arbuthnot , m'avoient convaincu que leur
première deſtination étoit pour Rhode Iſland ; je
demandai en conféquence que l'on tînt prêts des
tranfports pour recevoir 6000 hommes , dans le cas
où , inftruit à tems de l'arrivée de l'ennemi , on auroit
pu tenter quelqu'entrepriſe contre lui. Les
Juillet , quelques vaiffeaux de guerre rencontrèrent
la flotte françoiſe à la hauteur du cap Henry ; le 8 ,
l'Amiral en fut informé ; le 13 , l'amiral Graves ' arriva.-
Le 18 , un courier expédié de l'extrémité
orientale de Long- Ifland , donna le premier avis de
l'arrivée des François , le 10 , devant Rhode-Ifland ;
j'en fis immédiatement part à l'Amiral Arbuthnot.
- Efpérant que peut- être il feroit encore tems d'en
treprendre quelque chofe d'offenfif contre l'ennemi ,
foit en l'attaquant par terre , foit en faisant coopérer
la flotte , fi l'Amiral le jugeoit convenable , je fis
-
e 6
( 108 )
$
embarquer dans la Sonde , le plutôt poffible , un
corps de troupes prêt à agir du côté de l'Eft , fi les
avis qu'on recevroit ultérieurement le rendoient néceflaire
, prenant la précaution de ne pas porter ces
troupes à trop de diftance , pour qu'elles puffent revenir
rapidement , & agir contre l'armée rebelle , f
dans mon abfence , elle formoit quelqu'entreprife
contre ces poftes. -Plufieurs caufes retardèrent
l'arrivée des tranfports à Frog' Neck , d'où mon embarquement
ne fut effectué que le 27 ; & pendant ce
tems-là tout l'espoir du fuccès que l'on pouvoit fe
promettre d'un coup de main s'évanouit . La Camilla
& l'Amphitrite qui devoient nous eſcorter ,
nous ayant joint ce jour-là , je m'avançai avec les
tranfports vers Huttingdon's Bay , où l'Amiral
m'informa que F'ennemi s'étoit fortifié de manière à
me faire renoncer à toute idée de rien tenter avec
les troupes feules ; je ne puis juger de ce que
l'on eût pu fe promettre de la coopération de la florte
; mais je préfume , vu la perfpective que les chofes
offroient alors , qu'il ne convenoit pas de l'entreprendre
en conféquence , le 31 , je retournai à
White Stone , où je défembarquai les troupes , tenant
toujours les tranfports prêts à les recevoir au
befoin , & l'armée campée près du rivage.
dant ce tems Washington , avec une armée portée
à 12,000 hommes , avoit fait un mouvement rapide
, paffé la rivière North & s'avançoit vers King's
Brigde , ou apprenant que mon armement ne s'étoit
point rendu à Rhode-Ifland , il repafla la rivière ,
& actuellement il eft près d'Orange- Town ; l'Amiral
eft près de Gardner's- Ifland , où je me rendrai ,
s'il eft poffible , pour conférer avec lui , & fes Officiers
, afin que fi la flotte peut entreprendre quelque
chofe , elle foit affiftée par les forces de terre ; car
il n'eft plus en mnon pouvoir , avec mes reffources
actuelles , & les troupes que j'ai à mes ordres , de
fonger à aucune entreprife , où je jouerois le rôle
Pen(
109 )
principal contre les forces unies des François & des
Rebelles , occupant un pofte que 3500 Anglois ont
pu maintenir , lorfqu'il étoit moins bien fortifié ,
contre 18,000 hommes & une flotte très - puiflante «.
Cette lettre eft fuivie d'une feconde ,
datée d'Eaft-Hampton , dans le Comté de
Suffolck Long - Ifland , le 20 Août , dans
laquelle on s'efforce de balancer le défavantage
annoncé dans la première , en
donnant des détails circonftancies & pompeux
de la conduite des réfugiés à Bull-
Feary , où 70 hommes fe font défendus.
contre 2000 Américains , qui fe font retirés
avec une perte confidérable , après
avoir renoncé à emporter d'allaut la redoute
qu'ils attaquoient. Mais quelles
font les fuites d'un combat honorable ,
fans doute à ceux qui l'ont foutenu , pour
entrer en comparaifon avec l'état déplorable
où fe trouve le Chevalier Clinton ?
A ces extraits on a joint ceux des deux
lettres de l'Amiral Arbuthnot , qui rend
compte des opérations de fa flotte , qui
n'a rien fait , & qui le 25 Août avoit
mouillé à Martha's Vineyard ; ceux de
4 lettres du Général Cornwallis , en date
des 30 Juin , 14 & 15 Juillet & 6
Août , terminent la Gazette du 30 ; on y
voyoit en général que les forces Américaines
fe raffembloient de tous côtés fur les
frontières de la Caroline Méridionale , que
le Général Gates en avoit pris le commandement
en chef, en fe mettant à la tête du
1
( 110 )
corps raffemblé d'abord par le Général Kalbe ,
& qu'il y avoit eu quelques efcarmouches
avec des fuccès divers. Suivant fa dernière
lettre, le Général Américain , Sumpter , ayant
attaqué le Lieutenant - Colonel Turnbull à
Rocky Mount , avoit été furpris & défait.
Un grand nombre de Loyalistes , raffemblés
par le Colonel Moore , avoit été également
difperfé le 18 Juin par le Général Rutherford
, & une partie des milices Américaines
qui s'étoient d'abord foumiſes au Roi , n'avoient
pas plutôt appris l'approche du Général
Gates , qu'elles s'étoient empreffé de
le joindre ; celles du diftrict de Chiraw
avoient même livré leurs Officiers , & les
circonftances avoient forcé le Général
Cornwallis de fe refferrer dans les environs
de Charles - Town .
>
Pendant qu'on raifonnoit à perte de vue
fur la pofition de ce Général , on en a reçu
des nouvelles qu'on attendoit avec anxiété ,
& qui ont été apportées par lé Capitaine
Roff , fon Aide-de-Camp ; elles ont donné
lieu à une Gazette extraordinaire qui vient
de paroître.
De Camden , le 20 Août. C'eſt avec un
vrai plaifir que je vais faire à V. S. le récit
d'une victoire complette obtenue le 16 de ce
mois , par les troupes de S. M. , queje commande ,
fur l'armée méridionale des Rebelles , commandée
par le Général Gates .
Dans ma Dépêche No. I ,
j'ai eu l'honneur d'informer V. S. que tandis que j'étois
à Charles-Town , j'étois régulièrement inftruit
par le Lord Rawdon de tous les incidens de quelque
-
( mr )
conféquence & de tous les mouvemens que faifoient
l'ennemi ou les troupes aux ordres de ce Lord . Le
9 de ce mois , deux Exprès m'apportèrent l'avis
que le Général Gates fe portoit fur la crique de Lynche
avec fon armée entière , que l'on fuppofoit
monter à 6 mille hommes , indépendamment d'un
détachement de mille autres , aux ordres du Géné
ral Sumpter , qui , après avoir tenté en vain de forcer
les poftes établis à Rockymount & à Hanging-
Rock , étoit fuppofé alors eſſayer de tourner notre
gauche pour couper nos communications avec les
Congarées & Charles-Town. L'avis ajoutoit que le
pays mal affectionné entre Pedée & Black River, étoit
dans un état de révolte ouverte , & que le Lord Raw.
don refferrant fes poftes , fe préparoit à raffembler
fes forces à Camden. En conféquence de ces informations
, après avoir terminé à Charles - Town
quelques affaires importantes , j'en partis dans la
foirée du 10 , & arrivai à Camden dans la nuit dú
13 au 14. J'y trouvai le Lord Rawdon avec toutes
nos forces , à l'exception du petit détachement du
Lieutenant Colonel Turnbull , qui s'étoit replié de
Rockymount fur les poftes du Major Ferguſon , de
la Milice du diftrict de 96 fur la petite rivière.
-
Il étoit alors à mon choix , ou de me retirer , ou
de faire une tentative contre l'ennemi ; car la pofition
de Camden étoit trop mauvaiſe pour y attendre
une attaque ; & dans le cas où le Général Sumpter
fe fût porté fur Waterée , mes provifions m'euffent
manqué fous peu de jours . Je ne voyois point
de difficulté à effectuer ma retraite à Charles-
Town , avec les troupes qui étoient en état de
marcher ; mais en prenant cette réfolution , nonfeulement
il falloit laiffer à Camden près de 800
malades & une grande quantité de munitions de
guerre , mais te voyois clairement que la conféquence
directe de cette démarche feroit la perte de
la Province entière , à l'exception de Charles-Town}
( 112 ).
montant à
,
& de toute la Géorgie , excepté Savannah , fans
compter que c'étoit renoncer pour l'avenir à toute
prétention à la confiance des amis que nous avions
dans cette partie de l'Amérique. D'un autre côté , il
n'étoit pas douteux que l'armée rebelle ne fût bien
commandée , que fon nombre n'excédât celui de´s
mille hommes , fans compter le détachement du
Général Sumpter , & d'un corps de milices de Virginie
12 ou 1500 hommes , lequel
avoit déjà joint le corps principal , ou devoit le joindre
à chaque inftant . Le mien qui n'avoit jamais été
nombreux étoit alors réduit , tant par les maladies
que par d'autres accidens , à environ 14co combattans
de troupes réglées & de provinciaux , & de 4 à
soo hommes de milice & de réfugiés de la Caroline
Septentrionale. Cependant la majeure partie des
troupes que j'avois étant parfaitement bonnes
ayant laiffé dans Charles -Town une garnifon & des
provifions fuffifantes pour foutenir un fiége, voyant
enfin que
dans le cas d'une défaite j'avois peu à
perdre , & beaucoup à gagner par une victoire , je
me déterminai à faifir la première occafion qui fe
préfenteroit d'attaquer l'armée rebelle . En conféquence
, je me donnai beaucoup de peines pour me
procurer des informations certaines fur fa pofition
&fur les mouvemens , & j'appris que dans l'aprèsmidi
du 14 , ayant quitté le pofte d'Hanging-Rock,
elle avoit établi fon camp près de la maifon du Colonel
Rugeley , à environ 12 milles d'ici . — Après
avoir confulté quelques perfonnes intelligentes
qui connoiffoient bien le terrein , je me déterminai
le 15 à 10 heures du foir à me mettre en marche & à
attaquer l'ennemi au point du jour , dirigeant mes
forces principales contre les troupes continentales
que je favois , d'après de bonnes informations , être
mal poftées tout près de la maifon du Colonel Rugeley.
Très-tard , dans la foirée , j'appris que ce
jour même les Virginiens avoient joint . Cepen(
113 )
dant, comme on s'y étoit attendu , je ne changeai
rien à mon plan : je marchai à l'heure marquée
laiffant la défenfe de Camden à quelques Provinciaux
, un parti de milices, & des convalefcens ; &
un détachement du foixante-troisième régiment ,
qui , monté fur des chevaux qu'il avoit preffés fur
la route , devoir , à ce qu'on efpéroit , arriver dans
le cours de la nuit.
-
-
J'avois marché l'espace de neuf milles , lorfque
fur les deux heures & demie du matin ma garde
avancée rencontra l'ennemi . La vivacité foutenue du
feu m'indiqua que fes forces étoient confidérables ;
& quelques déferteurs ou prifonniers m'aflurèrent
que c'étoit l'armée rebelle entière qui ſe portoit à
Camden pour nous y attaquer. Je fis halte
fur le champ , & me formai. L'ennemi faisant la
même chofe , le feu ceffa peu de tems après . Plein
de confiance dans la difcipline & le courage des
troupes de S. M. , informé par divers habitans intelligens
que le terrein fur lequel fe trouvoient les deux
armées , rétreci par les marais qui étoient fur la
gauche & fur la droite , étoit extrêmement favorable
à mon infériorité en nombre , je ne voulus pas
hazarder la partie importante dont alloit décider
un combat en me livrant à l'incertitude & à la confufion
inféparables d'une action qui fe paffe dans
l'obfcurité , mais prenant les mefures néceffaires
pour qu'il ne fût pas au pouvoir de l'ennemi d'éviter
le combat fur le terrein que nous occupions je
me déterminai à différer l'attaque jufqu'au retour du
jour. Dès le crépufcule , je fis mes dernières difpofitions,
& je formai les troupes dans l'ordre fuivant :
la divifion de la droite confiftant en un petit corps
d'infanterie légère , les vingt- troisième & trentetroisième
régimens aux ordres du Lieutenant - Colonel
Webſter : celle de la gauche , compofée des Volontaires
d'Irlande , de l'Infanterie de la légion , &
d'une partie du Régiment du Lieutenant - Colonel
( 114 )
-
Hamilton , de la Caroline Septentrionale , aux ordres
du Lord Rawdon , ayant 2 pièces de 6 , & 2 de
3 livres de balles , commandées par le Lieutenant
Macleod. Le foixante-onzième régiment , avec
2 pièces de 6 , fut formé comme corps de réſerve ,
un de fes bataillons fur l'arrière-garde de la divifion
de la droite ; l'autre , fur celle de la gauche ; la cavalerie
de la légion formant l'arrière du tout , &
placée très-près du foixante-onzième régiment , par
ce que le pays étoit couvert de bois : elle avoit ordre
de faifir toutes les occafions qui fe préfenteroient
de rompre la ligne de l'ennemi , & de fe tenir prête
à protéger la nôtre , dans le cas où quelque corps
effuyeroit un échec.
›
A peine ces difpofitions étoient faites , que je m'ap
perçus que l'ennemi perfiftant de fon côté dans la réfolution
qu'il avoit prife de combattre , s'étoit formé
fur deux lignes , en face & près de nous . Remarquant
enfuite fur la gauche quelque mouvement
que je fuppofai indiquer le deffein de faire quelque
changement dans fa difpofition , je chargeai le Lieutenant-
Colonel Webſter de commencer l'attaque
ce qui fut exécuté avec beaucoup de vigueur ; quelques
minutes après l'action fut générale dans toute
l'étendue du front : dans ce moment- là , l'air étoit
abfolument calme & chargé d'un peu de brume ; cetté
circonstance empêchant la fumée de s'élever , occafionna
une obfcurité fi profonde , qu'il étoit difficile
de diftinguer l'effet d'un feu très -vif & très - bien
foutenu de part & d'autre . Notre ligne continua d'avancer
en bon ordre , & avec la froide intrépidité
des foldats Anglois expérimentés , entretenant un
feu conſtant , où faifant ufage de la bayonnette , felon
que l'occafion s'en préfentoit ; enfin , après avoir
éprouvé pendant trois quarts- d'heure une réfiftance
obftinée , elle jetta l'ennemi dans une confufion générale
, & le força à lâcher pied de tous côtés . Je
faifis ce moment pour ordonner à la cavalerie de
( 115 )
completter la déroute , ce qui fut exécuté avec la cés.
lérité & fa bravoure ordinaire . Après avoir chargé
avec beaucoup d'exécution fur le champ de bataille ,
elle continua de poursuivre l'ennemi jufqu'à Hanging-
Rock , à 22 milles de l'endroit où l'action s'étoit
paffée. Pendant la pourſuite , elle lui tua beaucoup
de monde , fit plufieurs prifonniers , lui enleva
près de 150 chariots ( fur l'un desquels le trouvoit
un canon de fonte dont l'affût avoit été endommagé
dans l'efcarmouche de la nuit ) ; une quantité
confidérable de munitions de guerre , tous les bagages
& équipages de campagne de l'armée rebelle ,
tombèrent entre nos mains. La perte de l'ennemi
a été très-considérable ; on lui a pris plufieurs drapeaux
, 7 pièces de canon de fonte , formant toute
l'artillerie qu'il avoit lors de l'action , & tous fes cha.
riots de munition : on lui a tué de 8 à 900 hommes,
parmi lesquels fe trouve le Brigadier - Général Gregory
; on lui a fait environ mille prifonniers , dont
plufieurs font bleffés . Du nombre de ces derniers
étoient le Major- Général Baron de Kalbe , mort depuis
, & le Brigadier - Général Rutherford . - · J'ai
I'honneur de joindre , ci - inclus , un état des morts
& bleffés de notre côté : la perte de tant de braves
gens eft infiniment à regretter , mais le nombre en
eft modéré en proportion d'un avantage fi confidé .
rable. La conduite des troupes de S. M. en général
a été au- deffus de tous les éloges ; elle leur fait -
honneur , ainfi qu'à leur pays. J'ai eu des obligations
particulières au Colonel Lord Rawfon , & au
Lieutenant-Colonel Webſter , à raifon du courage
- & de l'habileté diftingués avec lefquels ils ont conduit
leurs divifions refpectives . La capacité & la vigueur
du Lieutenant- Colonel Tarleton , à la tête de
la cavalerie , méritent de ma part les plus grands
éloges . Le Lieutenant M' Leod s'eft beaucoup diftingué
en commandant notre artillerie ; le Capitaine
Roll , mon Aide-de- Camp , & le Lieutenant Hal-
--
→
( 116 )
1
-
dane , du corps du Génie , fervant comme Officiers
de ce corps , m'ont rendu les fervices les plus effentiels.
Les Officiers publics , tels que le Major de
la brigade England , qui faifoit le fervice d'Adjudant
- Général député , & les Majors de Brigade
Manley & Doyle ont fait preuve de la plus grande
attention & du plus grand zèle pour le fervice. Le
Gouverneur Martin eft rentré dant la carrière militaire
, & s'eft conduit avec tout le feu d'un jeune Volontaire.
La fatigue des troupes les mettoit hors
d'état de rien tenter d'altérieur le jour de l'action ;
mais comme je fentis de quelle importance il étoit
de détruire ou de difperfer , s'il étoit poffible , le
corps que commandoit le Général Sumpter , parce
qu'il pouvoit favorifer le ralliement de l'armée en
déroute , dans la matinée du 19 , je détachai le Lieutenant-
Colonel Tarleton avec la légion à pied & à
cheval , & le corps d'infanterie légère , le tout montant
à environ 350 hommes , avec ordre de l'attaquer
par tour où il le trouveroit. En même tems
j'expédiai au Lieutenant- Colonel Turnbull & au Major
Ferguſon , qui fe trouvoient alors fur Little- River
, l'ordre de mettre fur le champ leurs corps en
mouvement , de pourfuivre de leur côté & de tâcher
d'attaquer le Général Sumpter. Le Lieutenant- Colo
nel Tarleton exécuta cet ordre avec fon activité &
fon habileté ordinaires ; il fe procura de bonnes in-¨
formations fur les mouvemens de Sumpter ; & , par
des marches forcées & fecrètes parvenant jufqu'à
lui , le furprit le 18 au milieu du jour près de Catawba
-Fords , détruifit ou diſperſa totalement fon
détachement , confiſtant en 700 hommes , dont il
tua 150 fur la place même , lui enleva 2 pièces de
canons de fonte 300 prifonniers & 44 chariots . Il
Jui reprit auffi 100 de nos gens qui étoient tombés
entre les mains , partie dans l'affaire d'Hanging-
Rock , partie fervant d'efcorte à quelques chariots
qui alloient de Congarées à Camden. Il remit en
I
·
( 117 )
-
-
même tems en liberté 150 de nos miliciens , ou de
nos amis , habitans de la campagne dont les Rebelles
s'étoient emparés. Le Capitaine Campbell
qui commandoit l'infanterie légère , Officier d'une
grande efpérance , fut malheureufement tué dans
cette affaire. Notre perte d'ailleurs a été légére. Cette
action eft trop brillante pour demander des commentaires
de ma part , & je ne doute pas qu'elle ne recommande
hautement le Lieutenant- Colonel Tarleton
aux bontés de S. M. Les forces rebelles étant
actuellement difperfées , les commotions & infurrections
intérieures vont être étouffées dans la Province
, mais je donnerai les ordres pour que l'on inflige
des châtimens exemplaires fur quelques - uns
des plus coupables , dans l'efpoir d'empêcher à l'avenir
que d'autres ne fe falfent un jeu du ferment
d'allégeance , de la douceur & de la générofité du
gouvernement Britannique. Dans la matinée du
17 , j'ai fait partir pour la Caroline Septentrionale
des perfonnes fûres , chargées d'annoncer aux amis
que nous avons dans cette Province , qu'ils pouvoient
prendre les armes , s'affembler fur le champ ,
s'emparer des habitans les plus violens , de tous les
magafins & de toutes les munitions de guerre qui
appartiennent aux Rebelles , & d'intercepter tous les
fuyards échappés à la déroute de l'armée , leur promettant
de marcher fans perte de tems à leur appui.
On fait actuellement paffer de Charles-Town à
l'armée , quelques approvifionnemens néceffaires ,
& j'efpère que leur arrivée me mettra dans peu de
jours en état de `marcher.- Le Capitaine Roff,
mon Aide-de-camp , aura l'honneur de préſenter ces
dépêches à V. S. Il est en état de vous donner les
détails les plus complets fur l'état de l'armée & du
pays ; c'eft un Officier qui mérite beaucoup , & je
prends la liberté de le recommander à la faveur &
à la protection de V. S.
-
>
( 118 )
» L'état de l'armée du Général Cornwallis la
porte à 1 Colonel , 4 Lieutenans- Colonels , 3 Majors
, 31 Capitaines , 46 Lieutenans , 23 Enfeignes ,
6 Adjudans , 2 Quartiers - Maîtres , 3 Chirurgiens ,
1 Aide , 133 Sergens , 40.Tambours , & 1944
Soldats.
2
Les morts qu'il a eu confiftent en 1 Capitaine ,
Lieutenant , 2 Sergens , 1 Tambour , 213 Sôldats.
Il y a 2 Sergens & 9 Soldats qui manquent.
Pris à l'ennemi 4 pièces de fonte de 6 , 2 de 3 ,
2 de 2 ; une pièce de fer de 3 , une de 2 & 3
pieriiers ; 22 chariots de munitions couverts ; 2
forges de campagne ; 160 charges pour des pièces.
de 6 , 520 pour des pièces de 3 ; 2000 armes ,
80,000 cartouches de fufil.
Une nouvelle auffi intéreffante & à laquelle
on ne s'attendoit pas , a un peu
confolé de celles qu'on avoit reçues précédemment
; mais elle ne raffure pas fur les
évènemens qu'on craint à New- Yorck ; fi la
victoire du Lord Cornwallis nous conferve
la Caroline Méridionale , ce qui n'eft peutêtre
pas bien certain , nous fommes à la
veille de perdre New-Yorck , & nous ne
ferons que ce que nous avons fait jufqu'à
préfent , ne nous établir dans une nouvelle
conquête que pour être chaffé des anciennes.
On fait qu'il y a de grandes divifions
entre les Officiers à New-York. Le Général
Clinton & l'Amiral Arbuthnot ont eu des
démêlés qui ont , dit-on , porté le premier
à écrire à la Cour qu'il falloit abfolument
rappeller l'un ou l'autre. Ces circonstances
ne promettent pas de fuccès , les ennemis
qui en font inftruits peuvent en profiter :
( 119 )
ils font bien plus redoutables , s'il eft vrai ,
comme on le croit , que M. de Guichen
ait détaché 4 ou 5 vaiffeaux , qui ont eu
ordre de joindre M. de Ternay , & envoyé
un renfort de troupes à M. de Rochambeau
. Si cette nouvelle eft vraie ,
comme elle eft vraisemblable , on a lieu
d'efpérer qu'il ne fe fera rien aux Ifles ;
ce détachement n'ôtera pas aux François &
aux Efpagnols leur fupériorité , qui impofera
toujours à l'Amiral Rodney la néceffité
dene rien diftraire de fes forces ; tout ce qu'il
en a lui eft néceffaire pour fe tenir fur la
défenfive , & s'il avoit l'imprudence d'imiter
M. de Guichen , il remettroit les ennemis
en état d'agir offenfivement avec plus
de fuccès.
On n'a point de nouvelles de ces parages
; on s'occupe ici du foin d'y envoyer
les renforts néceflaires : 4 vaiffeaux de ligne
ont appareillé de Torbay ; on dit qu'ils ne
font fortis que pour une croifière ; mais il
eft prefque certain qu'ils font deſtinés pour
les Illes. Outre ces vaiffeaux le Chevalier
Samuel Hood eft forti avec 8 autres , &
à ce qu'on croit pour la même deftination.
Une lettre du Commodore Edward , datée
de St-Jean de Terre-Neuve le 13 Août ,
a été publiée dans la Gazette de la Cour
dus de ce mois.
Elle roule uniquement fur les prifes qu'il a
faites de quelques petits corfaires Américains ,
( 120 )
fur les frégates qui l'ont joint & affifté dans fa
croifière , & fur le convoi qu'il a fait donner à
quelques - uns des bâtimens de la flotte pour Québec
jufqu'au fleuve St - Laurent. Elle eft terminée ainfi :
j'ai la fatisfaction d'informer L. S. que depuis
mon arrivée il n'a été pris aucun bâtiment Anglois
, ni commis aucune déprédation dans aucune
partie de Terre- Neuve.« .
›
Dans un poft fcriptum du 16 Septembre , il ajoute
qu'il vient d'apprendre par une lettre de St-Pierre
en date du 6 Août , que la frégate le Hind qui
venoit d'arriver de Québec & alloit y retourner
rapportoit qu'avant fon départ les troupes y étoient
arrivées en bon état . Il parle auffi de la repriſe
de 2 bâtimens de la flotte de Québec & de la
capture de quelques corfaires Américains , ainfi que
de celle du Mercury , paquebot de Philadelphie
pour l'Europe , à bord duquel s'eft trouvé l'honorable
Henri Laurens , ci-devant Préfident du Congrès
, qui paffoit en Hollande avec une miffion
des Etats-Unis.
+
La frégate la Veftale qui a fait cette prife
le 12 Septembre , & qui eft partie de St-Jean
le 16 , n'a mis que 15 jours dans fa traverfée.
Elle a débarqué M. Laurens à Darmouth,
à caufe du mauvais état de fa fanté. Auffitôt
que la Gazette de la Cour eut annoncé
la priſe de cet homme célèbre , il parut dans
nos papiers la pièce fuivante , fous le titre
d'Avis aux Miniftres.
» M. Henry Laurens , ci - devant Préfident du Congrès
, & qui vient d'être fait prifonnier en allant
a la Haye , eft un des meilleurs & des plus grands
hommes que l'Amérique ait vu naître. Le fang froid
& la modération qu'il a montrés dans la naiffance
des premiers troubles en Amérique fit beaucoup
d'honneur à ſa fagelſe & à ſa fermeté ; ſa
maifon
( 121 )
- M. Laumaifon
à Charles-Town fut fouvent environnée au
milieu de la nuit par une populace déterminée à
le facrifier lui & fa famille , comme étant partifan
de l'Adminiſtration Angloife , ou ami tiède de
l'Amérique. Il dut fon falut à ſon ſang froid &
à la réfolution qu'il eut de fe préfenter devant
cette populace , la conjurant de n'agir que contre
lui & d'épargner fa famille innocente .
rens foutint toujours que les appréhenfions de l'Amérique
étoient mal fondées , juſqu'à ce qu'il eut
paffé en Europe & qu'il eut appris en Angleterre
qu'il étoit queftion d'un projet qui depuis a prefque
commis un fuicide fur l'Empire . Cela détermina
M. Laurens à fe charger du rôle qu'il a
joué depuis avec tant de diftinction . Il eft bon
que les Miniftres connoiffent l'importance de la
prife qu'ils ont faite. S'il y a eu un homme de
fortune qui foit entré dans la querelle Américaine
avec honneur , avec modération & avec fageffe ,
c'eft fans contredit M. Henri Laurens. S'il eft
poffible aujourd'hui de terminer quelque chofe par
la voie de la négociation , c'eft par l'entremise de
cet Américain. L'Adminiſtration doit ajouter foi
à tout ce qu'il déclarera fur fon honneur pouvoir
fe faire , car jamais il n'a manqué à fon honneur.
Mais il faut éviter toute efpèce de fupercherie ou
de fraude , car avec la douceur d'une colombe il
a la fineffe d'un ferpent. L'Adminiſtration ne
fauroit auffi être trop en garde contre ceux qui
lui donnent des avis. Tous ceux qu'elle a employés
dans les affaires Américaines l'ont toujours
trompée jufqu'à préfent. Le Chevalier E.
L. ci-devant
-
•
à Charles -Town , eft marié à une nièce de M.
Laurens , mais il ne vit pas avec elle . Il y a eu
entre le Chevalier E. & un autre neveu de M.
Laurens une tranſaction qui , n'étant point conforme
aux ufages d'Amérique , a occafionné un
21 Octobre 1780. f
( 122 )
démêlé de famille. Le Ministère ne devroit donc
pas recevoir comme l'Evangile tout ce qu'il plaira
au Chevalier E. de dire contre M. Lau- .....
rens. S'il n'eft pas poffible d'entamer une négociation
par l'entremise de M. Laurens , c'eſt une
chofe à laquelle il ne faut point du tout fonger
par un autre canal «.
La perte de la flotte de Québec fe fera
bientôt fentir par les fuites fâcheuſes qui
en réfulteront pour le commerce , & peutêtre
elle affurera la conquête du Canada
pendant l'hiver ; car il y a déja deux mois
que nous n'avons rien appris de cette colonie
, fi l'on en excepte quelques détails
qui nous font venus par la voie d'Halifax
d'une nature très défagréable ; l'état de la
garniſon étoit fi défefpéré il y a quelques
mois , qu'un bâtiment chargé de farine arrivé
pour le compte des Marchands dans
la rivière de St- Laurent fut arrêté pour l'ufage
de la garnifon , & le manque où elle
étoit de provifions , & de prefque tous les
articles étoit extrême , & rendoit fa pofition
on ne peut pas plus critique.
Plufieurs Capitaines & paffagers pris fur
la flotte de Québec & conduits à Boſton à
la fin de Juillet , font déja partis pour Londres
. Les Américains accordent à tous les
prifonniers Anglois au - deffus du matelot ,
la permiffion de s'en aller pourvu qu'ils
demandent un pavillon de trève pour New-
Yorck ou Halifax ; ce traitement eft bien
différent de celui que nous faifons en Angleterre
aux prifonniers Américains . Onze
( 123 )
de ces infortunés font actuellement aux fers
dans la prifon de Woodftret , pour piraterie
fuppofée quoiqu'ils fuffent munis d'une com.
miffion fouftraite par le Capitaine du cutter
qui a pris leur bâtiment , & d'autres ont été
preffés à bord du Nightingale , à la Tour.
Ils font partie de l'équipage du Revenge ,
corfaire venant de Maryland & allant à
Nantes pris par l'Entreprife , corfaire de
Londres.
» Lorfque le Chevalier Clinton a envoyé le Général
Dalrymple à Londres , pour y porter les dernières
dépêches de New-Yorck , il n'a eu d'autre
motifque de s'en débarraffer . Le Gouvernement avoit
nommé le Général Dalrymple Quartier- Maître du
Chevalier Clinton en Caroline. Mais avant d'arriver
à Charles- Town , M. Clinton avoit choifi un autre
Quartier-Maître , & ne voulant point fe défifter de
ce choix , il avoit donné à M. Dalrymple la commiffion
de porter à Londres les mauvaiſes nouvelles
que l'on a vues hier de New-Yorck , dans les Papiers ;
on dit que le Chevalier a sû que pendant que M.
Dalrymple étoit à Charles - Town ; celui - ci avoit
écrit une lettre au Lord Beauchamp , où il affuroit
ce Lord
que ce feroit la faute du Commandant en
Chef, fi toute la partie du Sud de la rivière d'Hudfon
n'étoit pas bien-tôt conquife & entièrement fubjuguée
par les armes de S. M. Si le Général Dalrymple
effectivement écrit une pareille lettre , il mérite d'être
mis à Bedlam. ( hopital des foux. ) Le Lord Cornwallis
qui eft fur les lieux & qui fait tous les efforts poffibles
, n'a pas pû pénétrer encore jufqu'à la Caroline-
Septentrionale.
f 2
( 124 )
FRANC E.
De VERSAILLES , le 17 Octobre.
LE Maréchal de Mouchy , de retour de
fon Commandement de Guyenne , a eu
l'honneur de faire fes révérences au Roi &
à la Famille Royale , le 6 de ce mois .
Le 8 , le Chevalier du Authier a eu l'honneur
d'être préſenté à LL. MM. & à la Famille
Royale par le Duc de Penthièvre en
qualité de fon Capitaine des Gardes.
Le même jour LL. MM. & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du
Vicomte d'Affry , Capitaine au régiment
des Gardes Suiffes , avec Demoiſelle de
Garville.
L'affemblée générale de Clergé, compofée
de Cardinaux , d'Archevêques , d'Evêques &
de Députés du fecond Ordre , fut préſentée
au Roi le même jour par M. Amelot , Secré
taire d'Etat, chargé des affaires du Clergé , &
conduite par M. de Watronville , Aide des
Cérémonies . L'Evêque de Clermont porta
la parole au nom de l'Affemblée , après
quoi le Cardinal de la Rochefoucault préfenta
& nomma au Roi les Députés du
premier & du fecond Ordre.
La Cour a pris , le 12 de ce mois , le deuil
pour 8 jours , à l'occafion de la mort du
Prince de Carignan. Le lendemain elle s'eft
rendue au Château de Marli , où elle paflera
le refte du mois,
( 125 ).
De PARIS , le 17 Octobre.
UN fecond courier expédié de Cadix , a
appris qu'une troisième corvette dépêchée
par M. de Guichen , a mouillé dans ce port
le 24 du mois dernier. Elle apportoit des
dépêches du Chef- d'efcadre François qu'elle
avoit quitté le 23 Août , 5 jours après fon
débouquement. La lettre de M. de Guichen
eft datée du 20. Il a , dit- on , avec lui 18
vaiffeaux de ligne , & fous fon convoi environ
120 voiles . On l'attendoit à Cadix
vers le 8 ou le 12 de ce mois.
Le 22 Septembre , la divifion commandée
pour aller croiſer fur les côtes de Portugal ,
forte des vaiffeaux de ligne , dont trois François
, 2 Eſpagnols & 2 frégates aux ordres de
M. de Marin , appareilla par un vent frais . On
n'avoit point à Cadix de nouvelles de l'efcadre
fortie du Ferrol un mois auparavant ;
nous ne fommes pas plus inftruits ici de ce
que font devenus le Royal- Louis & la Bretagne.
Nous avons rapporté une lettre d'un Offi .
cier de l'armée de M. de Rochambeau ; on
nous faura gré de placer ici l'extrait de quelques
autres écrites par le Colonel du régiment
de Deux- Ponts , & arrivées en mêmetems.
Les détails qu'elles contiennent ne fauroient
être plus intéreffans.
Du Camp de New - Port ,
ma précédente lettre je vous parlois des Américains ;
gagnent à être connus . J'ai trouvé parmi eux de
ils
le 29 Juillet. - Dans
f 3
( 126 )
la droiture , de l'honnêteté & de l'hofpitalité . Leurs
milices nous ont joint ; elles ne font pas habillées ,
manquent de fouliers , même des aifances les plus
communes chez les Européens , de ces aifances qui
manquant dans une armée Européenne feroient déferter
tout le monde ; mais ces troupes Américaines
ont de bonnes armes , une patience incroyable , &
beaucoup de fobriété . Il n'eſt point de foldats plus
durs qu'eux , & plus accoutumés à toutes les privations
imaginables . De pareils hommes ont néceffairement
du courage , & ce qu'ils ont fait depuis quatre
ans , le prouve incontestablement.
- On a con
voqué depuis quelques jours la Milice de Rhode-
Ifland , pour fe joindre à nous ( elle fera au moins
4500 hommes ) , fur la nouvelle que le Général
Clinton faifoit à New-Yorck des préparatifs de défenfes
néceffaires , & nous fommes à tous égards en
état de recevoir les ennemis qui pourroient le repentir
de fe dégarnir devant le Général Washington
. J'apprends dans le moment que le petit bâtiment
expédié pour l'Europe avec nos premières
Lettres , a péri. Je vais donc revenir à notre navigation.
Nous avons employé 71 jours à la traverfée
, dont près de trois femaines entre les 27 &
28 degrés de latitude. Le 20 Juin cinq vaiffeaux de
ligne Anglois & une frégate nous ont approchés.
On s'eft canonné de loin ; les ennemis fe font retirés
à la nuit. Je ne fais pas qu'il y ait eu fur l'efcadre plus
de 8 à 10 hommes tués , & une trentaine de bleifés .
- En attérant à la baye de Chéfapeak on eut connoiffance
d'une eſcadre ; la nôtre fans chercher à la
reconnoître , marcha vers fon objet , en fe tenant
prête à combattre. Dans la traversée , elle a fait
cinq prifes. Nous avons commencé à débarquer
le 13. Les habitans nous apportent leurs denrées
avec toute confiance. Elles font fort chères , les animaux
à meilleur marché font les chevaux.
--
-
Du 31 Juillet. Depuis notre débarquement ,
( 127 )
une efcadre Angloife a paru ; elle devoit être fuivie ,
difoit-on , de l'arrivée de Clinton avec toutes les
forces. En conféquence , M. de Rochambeau a convoqué
les Milices du pays , & elles ont volé aux
ordres de notre Général , avec une volonté , un empreffement
dignes des plus grands éloges. Voici des
exemples. M. le Vicomte de Noailles étoit détaché
dans l'ifle de Conanicut avec un battaillon de Soiffonnois
; on lui envoya un bataillon Américain pour
le renforcer. Il arrivà à dix heures du foir , fans avoir
mangé depuis 24 heures. Le Commandant Américain
demande au Vicomte de Noailles ,
s'il peut donner
du pain à fa troupe exténuée de faim & de fatigue.
Le Vicomte répond qu'il n'a point de provifions avec
lui , & que fes foldats n'ont de pain que jufqu'au
lendemain. Le Commandant Américain rend à fa
troupe la réponſe du Vicomte de Noailles. Point de
murmure , point de mécontentement. Eh bien , fi
nous ne trouvons rien à manger , allons dormir.
Le Vicomte de Noailles pénétré du caractère de fermeté
& de patience de nos alliés , traduifit auffi - tôt
à fon bataillon la réponſe des Américains . Auffi - tôt
tous nos foldats viennent apporter à ces braves gens
tout ce qu'ils avoient , & les forcent de partager
lears provifions. Ils vuident auffi la moitié de leurs
tentes & y placent les Américains « .
Deux jours après , M. de Rochambeau eut befoin
de 300 hommes pour la conftruction d'une redoute.
La milice Américaine y marcha ; notre Général
leur fit offrir du pain , de la viande , de l'eau - devie
& de l'argent ; ils refusèrent tout. Vous venez
combattre pour nous , nous dirent-ils , c'eſt à l'Etat
à récompenfer nos travaux , mais nous ne
pouvons rien accepter de vous. On infifta ; leur
refus fut opiniâtre , & depuis trois jours nous les
voyons travailler comme des forçâts avec la plus
grande gaieté. Hier au foir , au grand étonnement
de tout le monde , il nous eft arrivé une
--
£
4
( 128 )
---
›
compagnie de 75 volontaires Américains à cheval ,
fort bien montés , qui font venus s'offrir pour combattre
avec nous ; ils nous ont annoncé 300 autres
volontaires à cheval qui s'affemblent , & 11,000O
hommes de milice , dont nous pouvons difpofer.
Jamais il ne fut dans le pays , depuis la révolution
une fermentation auffi vive & une exaltation auffi
réelle que celle dont le nom François pénètre tous
les efprits. Tel eft le caractère de nos alliés.
On dit , on affure même que Clinton s'embarque à
New-Yorck avec 10 , coo hommes de fes meilleures
troupes , pour venir nous attaquer . Nos difpofitions
font faites pour la réception la plus vigoureufe
, & il eft prefqu'impoffible que nos ennemis
n'échouent. Il n'eft rien de plus difficile que d'effectuer
un débarquement prévu comme celui auquel
nous nous attendons. Nous connoiffons tous
les points fur lefquels il peut s'exécuter. Nos mar.
ches font ouvertes fur tous les endroits expolés ; &
fi nous étions forcés de les abandonner , nous nous
retirons dans des retranchemens prefqu'impénétra
bles. D'ailleurs Clinton court de grands rifques en
venant nous chercher. Il eft à la tête de 14,000
hommes de bonnes troupes , fans doute ; mais malgré
toutes les pertes que nous pourrons faire , nous
ferons toujours foutenus par 3 à 4 millions d'Américains
, bien difpofés à verfer jufqu'à la dernière
goutte de leur fang pour défendre leur liberté , dont
ils n'ont jamais douté , & fur- tout depuis notre arrivée.
Quelle différence entre notre pofition & celle
des Anglois ?
Le 4 Août. M. de la Fayette a paffé dix jours ici.
J'ai eu le plus grand plaifir à l'étudier & à le connoître.
Il juftifie plus que jamais tous les éloges
qu'on lui a donnés & qu'on lui donne ; on ne fauroit
trop lui en accorder. Il nous a quitté hier , &
il va rejoindre l'armée du Général Washington ,
qui fait des mouvemens fur New-Yorck «.
( 129 )
Les premières nouvelles qu'on recevra
de ces contrées ne peuvent qu'être très inté
reffantes . On fait déja par la voie d'Angleterre
que le Général Clinton n'a rien ofé tenter
; on faura fans doute bientôt ce qu'auront
fait enfuite les François & les Américains
réunis .
---
Il est arrivé à l'Orient , écrit- on de Nantes ,
en vingt- fept jours de traverfée , un bâtiment de
Philadelphie , par lequel on apprend l'arrivée à
Bofton de la frégate l'Alliance , Capitaine Landois
, & des navires la Luzerne & le Montgomery ,
qui étoient partis de l'Orient avec elle. Il y avoit
fur cette frégate beaucoup de poudre & d'autres munitions
. Ces avis font confirmés par un navire
qui vient d'arriver de Philadelphie à l'Ile de Rhé
en 30 jours. L'équipage ajoute que M. de Rochambeau
étoit parti , ou devoit partir pour Rhode-
Ifland , avec les troupes Françoifes & un corps
d'Américains qui l'avoit joint pour aller attaquer
New-Yorck. Le vaiffeau le Magnanime & fon
convoi ont été obligés , par les vents contraires , de
relâcher à la Corogne. Deux ou trois jours
après l'arrivée à Cadix de la corvette la Britannia,
fortie du Cap le 30 Juillet , on a fair partir 5 vailfeaux
de ligne & 2 frégates , apparemment pour
aller au devant de la flotte des navires marchands
venant du Cap. Suivant les lettres apportées par cette
corvette , M. de Guichen y étoit arrivé à la fin de
Juillet , fans avoir rien tenté contre la Jamaïque .
Les Espagnols qui étoient partis avec lui de la Martinique
, font allés à la Havanne . La frégate l'Andromaque
, qui portoit des dépêches de la Cour à
M. de Guichen , eft arrivée au Cap : on dit auffi que
le vaiffeau le Maréchal de Mouchy , de Bordeaux
y eſt également arrivé avec fon convoi « .
fs
( 130 )
Le bruit qui s'étoit répandu de la prife
d'une flotte des Indes orientales ne s'eft
point confirmé parmi tous les avis qu'on
a reçu d'Angletterre , il ne s'eft rien trouvé
qui y ait rapport , & il paroît que cette
nouvelle eft l'ouvrage des agioteurs & de
quelques contrebandiers obfcurs .
» On croyoit mal - à- propos , écrit - on de Breft ,
que dans l'efcadie de M. de la Touche Tréville ,
feroient compris le Sceptre & le Nortumberland.
Ces deux vaiffeaux nouvellement conftruits doivent
partir vers la fin du mois prochain pour l'Inde ,
avec 2 frégates & des bâtimens de l'Orient . Il a été
donné ordre au convoi deftiné pour l'Amérique , de
fe tenir prêt à mettre à la voile à la fin de ce mois.
Une nouvelle levée de matelots & de mouſſes arrivés
du 20 au 21 du mois dernier , achevera de compléter
les équipages , fans qu'on foit obligé d'exercer
aucune contrainte à cet effet . Les vaiffeaux le
Minotaure & l'Atlas , ont été mis en rade du 24
au 25 , ainfi que le Dauphin & la frégate la Dédaigneufe
; ils feront chargés de vivres pour l'Amérique.
Les autres bâtimens du même convoi entreront
auffi fucceffivement en rade. Le vaiffeau le St-Efprit
y aeffuyé le coup de vent du 1 & du i de ce
mois qui l'a un peu maltraité . Le 6 , une partie du
régiment de Beaujollois eft arrivé pour remplacer
des détachemens des régimens de Breft & de Bourbon
, tirés de divers bâtimens du Roi «.
Parmi les armemens qui font maintenant
projettés pour la courfe à Boulogne , il y
en a un dans lequel M. le Comte de la Mark
eft intéreffé ; il a obtenu du Miniftre de la
Guerre la permiffion de tirer du régiment de
fon nom , 30 volontaires qui feront embarqués
fur le corfaire armé de 10 canons de 6.
( 131 )
On apprend de Dunkerque que le petit
corfaire de ce port , la Subtile , y eft rentré
vers la fin du mois dernier après un mois
de croifière dans laquelle il a fait pour 6640
guinées de rançon : il avoit fait pour plus
d'un million de prifes qui toutes font retombées
au pouvoir de l'ennemi .
» La corvette du Roi le Tigre , écrit-on de Cette ,
qui , au retour d'une croisière , relâcha le 21 Septembre
dans ce port , a remis à la voile le 24 , avec
le chébec du Roi le Caméléon , qu'elle y a trouvé ,
pour convoyer 25 bâtimens richement chargés . Une
Alûte Hollandoife du port d'environ 300 tonneaux
qui étoit en left dans notre baffin , a été embrâfée
ces jours derniers , par l'imprudence de quelques
matelots , qui , chargés de la radouber , avoient
fait bouillir fur le bord du même navire , de la
poix-réfine mêlée avec de l'efprit - de- vis . L'ébullition
de ces matières devint fi forte qu'elles fe répandirent
fur le pont , qui s'enflamma tout- à- coup au
point qu'il fut impoffible à l'équipage d'arrêter la
rapidité du feu dont tout le vaiffeau fut bientôt couvert.
M. de Rochemore , commandant le chébec du
Roi le Caméléon , qui en étoit près , fit tirer à boulets
fur le bâtiment incendié , pour le couler bas ;
mais par la manière dont le chébec étoit placé , le
canon ne pouvoit attaquer le corps du navire , de
forte que le feu eut le tems de le conſumer entièrement
, fans qu'on en pât rien fauver. On eftime fa
perte environ 40,000 liv. , fans compter celle du
fret , évaluée à 30,000 liv . qu'il étoit aifuré de faire
par les eaux-de-vie & les vins qu'il devoit charger
dans le port , où il avoit apporté une cargaifon de
tabac. Si , lorfque les cables furent brûlés , le vent
qui régnoit ne l'eût jetté dans le cul-de-fac du canal
, & dans une direction oppofée à un autre navire
très- richement chargé , celui- ci auroit auffi été
f6
( 132 )
2
la proie des flammes , de même que 200 bâtimens
qui étoient alors dans la rade , parce que l'incendie
ayant une fois coupé les cables , rien n'auroit pu
arrêter un brafier flottant & excité par le vent qui
fouffloit avec violence. C'est le fecond évènement
de cette nature qu'on a vu arriver ici dans l'eſpace
d'environ 10 ans *.
On mande de Rochefort que les frégates
la Diligente , commandée par M. de Suzannet
, & l'Aimable , par M. de Mortemart
ont conduit dans ce port 3 corfaires dont
elles venoient de s'emparer. L'un eft de 20
canons , le fecond de 14 , & le troisième
de 10. Ce font fans doute les mêmes que
l'Aigrette avoit rencontrés quelques jours
auparavant.
Les vaiffeaux & les frégates qu'on double
en cuivre à Breft , paffent fucceffivement
en rade ; mais M. de la Touche Tréville
eft toujours à Paris. Comme la plupart
des recrues qui doivent paffer aux Antilles ,
viennent des extrémités du Royaume , il
ne feroit pas étonnant que le départ de l'efcadre
ne fût retardé jufqu'au mois de Janvier.
L'armée de Bretagne eft licentiée , & nous
voyons arriver tous les jours quelques Officiers
des troupes qui la compofoient.
Le Gouvernement s'occupe très- férieuſement
des moyens de pratiquer en Normandie
un port qui , fitué dans la Manche , foit
propre à y recevoir des vaiffeaux du Roi.
M. Groignard , Ingénieur Général de la Marine
, & à qui l'on doit le fameux baffin de
( 133 )
1
Toulon eft , dit on , chargé de l'exécution .
de ce projet.
L'Affemblée du Clergé a fait fa clôture . Il
fembloit que le Couvent des Grands- Auguftins
où depuis fi long- tems ſe tiennent ces
affemblées , leur auroit convenu tant qu'il
exiftera ; cependant celle qui vient de fe féparer
a , dit- on , décidé d'après fes combinaifons
, qu'il feroit plus avantageux de ne
plus payer de loyer aux Auguftins , & de
donner so mille écus au Curé de Saint- Sulpice
qui fe charge de faire bâtir des falles diftribuées
felon le defir du Clergé à qui elles
appartiendront , & où il tiendra à perpétuité
fes Affemblées ; il y aura auffi une grande
chapelle , car elles ne pourroient difpofer
d'une églife paroitfiale , comme de celle des
Grands- Auguftins pour les cérémonies qui
leur font particulières.
On ne peut qu'applaudir l'Ingénieur-
Conftructeur qui pour faire venir des pièces
de mâture de Hollande à Breft , a imaginé ,
pour éviter les rifques du paffage dans la
Manche , de les faire tranſporter fur l'Efcaut
& la Meufe , pour gagner le canal de Briare ,
la Loire & Nantes ; il n'en coûtera guères
plus cher que par mer. A la vérité cela demande
plus de tems ; on eft contraint de faire` ,
voiturer par terre l'eſpace de 14 à 15 lieues.
Cet effai réuffiffant , pourra fe réitérer ; d'ailleurs
la maifon de commerce de Romberg
qui s'eft chargée de ce tranfport par Gand ,
exécutera le plan qu'elle a formé de réunir
( 134 )
la navigation intérieure de la Flandre avec la
France.
Dans les derniers jours d'Août dernier , écrit on
de Paimpol , le Jean-Marie de Penerf, Maître Doccarin
, du port d'environ so tonneaux allant du Poulignin
à Morlaix , chargé de fel , fut rencontré par
un corfaite Anglois de 14 à 16 canons , qui s'en
empara à la hauteur de Pennemart , & fit pafler
l'équipage à fon bord , comme c'est l'uſage , à la
réserve d'un matelot nommé Jean Drejor , qui demeura
dans la prife avec les nouveaux Maîtres ,
qui la conduifoient à Guernesey , qu'ils découvrirent
après plufieurs jours de navigation ; mais ayant été
faifis d'une terreur panique à la vue de quelques
bâtimens de leur Nation qu'ils jugèrent être François
, ils s'embarquèrent dans leur chaloupe , & gagnèrent
la terre , à la réferve du matelot François
qui refufa conftamment de quitter fon bâtiment , dans
lequel n'ayant été inquiété par perfonne , il a fait
heureufement le voyage des côtes d'Angleterre en
France , & eft entré dans le port de Brehat le 4 de
ce mois , coulant bas d'eau ; ayant lui feul fait
l'ouvrage de 5 à 6 bons marins , en manoeuvrant
avec habileté fon bâtiment , qui a été à la veille
de naufrager fur les roches qu'il a trouvé le fecret
d'éviter quittant à chaque inftant le timon , pour
veiller à la pompe , & à la manoeuvre. Telle eſt
la conduite de ce brave homme , digne ,
égards , de la liberté qu'il a recouvrée «.
à tous
La réviſion du procès du Comte de Lally
eft renvoyée au Parlement de Dijon . Il ne
pourra plus y avoir d'intervention ; celles
qui pourroient furvenir font évoquées au Roi
& àfon Confeil. Le Parlement ne jugera que
le fond du procès.
» Le 7 de ce mois , à 9 heures & demie du foir ,
des gens mal intentionnés ont mis le feu à la maifon
( 135 )
•
d'un Fermier-Laboureur , du Village de Franfart ,
près de Roye en Picardie , nommé Pierre Villemont ,
& fa maifon , granges toutes remplies , beftiaux
meubles & effets , ont été en un inftant la proie
des flames ; fa famille & lui n'ont eu que le tems de
fe fauver fans pouvoir rien emporter. Le feu a
gagné une feconde ferme de l'autre côté de la rue ,
appartenant à fa mère & à fon frere , laquelle a
éprouvé le même fort ainfi ›
particuliers qui avoifinoient.
-
que
---
deux maifons de
On intéreffe la charité
des ames pieuſes & bienfaiſantes , & on reclame
quelques fecours pour ces malheureux qui font fans
aucunes reffources . On poura les faire paſſer à
M. le Doyen de la Collégiale de Roye , ou à Paris
à M. de Bouillé , Vicaire de la Paroille de Saint-
Benoît , qui voudra bien les recevoir « .
Charles-Louis- Alexandre , Marquis de
Beaufort , eft mort à Arras le 13 du mois.
dernier , âgé de 76 ans.
Louife-Marguerite de Coatanfcourt, veuvé
du Comte de Sauzay , Capitaine de vaiffeau
& époufe en fecondes noces du Vicomte
d'Hautefeuille , Meftre - de - Camp , Commandant
du régiment de l'Ile de France , eft
morte le 16 du mois dernier en fon Château
d'Hableville en Normandie .
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois , font :
62 , 63 , 9 , 54 & 46.
De BRUXELLES , le 17 Octobre.
LA Cour de Portugal a figné la neutralité
armée peu de tems après l'arrivée à Lisbonne
de 8 vaiffeaux de guerre Ruffes ; on ajoute
qu'elle a donné ordre d'équiper 14 vaiffeaux
( 136 )
de ligne . Les procédés arbitraires des Anglois
dans ce port ont peut- être contribué autant
que les invitations des Puiffances du Nord
à la déterminer à prendre ce parti ; on dit
qu'un de leurs corfaires qui a conduit encore
un vaiffeau Hollandois à Faro y a été arrêté
parce qu'il a refufé de fe foumettre aux
ordres de la Reine.
On fe flatte que l'excès auquel la marine
Angloife a porté l'abus de fon pouvoir y va
bientôt mettre fin . C'eft fur- tout le voeu de
la Hollande , où l'on a reçu de nouveaux
avis de la nature la plus férieufe & la plus
alarmante de la conduite des Anglois à Saint-
Euftache.
Nous fommes dans la plus vive inquiétude ,
lit -on dans une lettre de cette Ifle du 11 Août
de voir ici les 7 vaiffeaux de guerre Anglois qui
jettèrent l'ancre le 9 de ce mois devant la grande
baie de St - Martin , & s'emparèrent auffi- tôt de
quelques bâtimens Américains qui mo illoient ainfi
qu'eux devant la Barre , & qui n'avoient pu entrer
dans le Port , parce que la mer étoit trop
baffe. Les Anglois débarquèrent enfuite dans la
ville même , & fans la moindre oppofition , 200
hommes de troupes de Marine. Le Commandant
des vaiffeaux fe rendit chez le Gouverneur Hollandois
, M. Heyleger , & le fomma de lui remettre
non- feulement les bâtimens & effets des
fujets rebelles au Roi de la Grande Bretagne
mais auth leurs perfonnes. Le Gouverneur ayant
declaré qu'il s'y oppoferoit , parce qu'il avoit or
dre de prendre fous fa protection tant les perfonnes
& effets que les bâtimens quels qu'ils puiffent
être qui fe trouvoient dans les Ports de fon
Gouvernement ; l'Officier Anglois repréfenta que
>
( 137 )
les ordres que l'Amiral Rodney lui avoit donnés
étoient les mêmes que ceux que cet Amiral avoit
reçus de la Cour de Londres , & qui portoient
de réduire en cendres la ville & de détruire les
fortifications , fi l'on oppofoit feulement la moindre
réfiftance , ou que l'on tirat un feul coup
contre les vaiffeaux. Il remit enfuite , à la réqui
fition du Gouverneur , une déclaration qu'il figna ,
& qui portoit qu'il commettoit cette violence par
ordre ; il s'empara de tous les bâtimens Américains
qu'il trouva dans la rade & dans le port &
qui étoient chargés de tabac. On ne fequeftra pas
cependant celui que l'on prouva être vendu &
pelé au poids de la Compagnie. Les gens des
équipages qui ne purent trouver les moyens de
fuir furent tous faits prifonniers ; après une violence
auffi odieufe , une infulte auffi marquée faite
à l'Ile de St Martin , par des vaiffeaux de l'Amiral
Rodney , autorisé par les ordres de fa Cour , nous
avons lieu de craindre ici le même traitement.
Les Anglois qui s'arrogent la liberté de s'emparer
dans un Port neutre des bâtimens & des effets
appartenant aux Américains , en voudront bientôt
agir de même à l'égard de ceux appartenant
aux François & aux Efpagnols. On débite qu'ils
ont été à Curacao , St-Thomas & Ste- Croix , où
ils fe font conduits comme à St - Martin , ce qu'on
peut appeller braver toutes les Puiffances de l'Europe
«.
Il femble qu'après ces infultes , la République
doit , fans attendre l'effet de fes négociations
à Pétersbourg , hâter ſes armemens
qui vont avec beaucoup de lenteur ,
& pour lesquels on paye cependant les
doubles droits impofés pour cet effet. Ce
n'eft qu'en fe rendant refpectable , qu'elle fe
fera refpecter. Sa lenteur eft prife en An(
138 )
gleterre pour des ménagemens & dela crainte,
& elle doit voir le gré qu'on lui en fait.
Les Anglois femblent triompher de ce.
qu'ils ont obtenu l'article interprétatif de
leur traité avec le Danemarck , par lequel
cette Puiffance reconnoît pour être de contrebande
les bois de conftruction , le chanvre
, le bray & c. , mais ceci demande une
courte explication qu'on fera bien - aiſe de
trouver ici , & qui vient de bon lieu . Par
l'article X du traité de 1742 entre la France
& le Danemarck , tous ces objets font defignés
comme étant de contrebande. L'Angleterre
a donc pu demander qu'on ajoute
cet article à fon traité de 1670. Elle a des
droits à être traitée par le Danemarck auffi
favorablement que la France . Cette Puiffance
pouvoit d'autant moins lui refuſer . cette
petite fatisfaction , qu'elle ne peut nuire aux
intérêts de la France. Il n'y a en Danemarck
ni chanvre, ni bois de conftruction . Son prin
cipal commerce eft en planches , fer &c. ,
& toutes ces chofes font permifes . Si la
Ruffie ou la Suède admettoit une pareille
explication , alors feulement la neutralité
armée ne feroit plus qu'un vain nom . Mais
il n'eft pas à préfumer que ces Puiffances
déclarent comme des objets prohibés , ceux
que le Danemarck vient de reconnoître pour
tels . Il faudroit qu'elles renonçaffent à toute
efpèce de commerce avec la France , ce qui
ne peut pas fe fuppofer.
( 139 )
Ce matin vers les fix heures , écrit - on de
Cadix en date du 26 Septembre , M. le Comte
d'Estaing qui s'étoit embarqué au port de Ste-
Marie , eft arrivé dans la baie , & il a été fur le
champ à bord de nos deux Généraux qu'il n'a
point trouvés , & tout de fuite auprès de M. de
Beauffet , avec lequel il a demeuré quelque tems .
Le Gouverneur inftruit de fon arrivée , eft venu
à la rencontre jufques fur le mole , & le Général
eft entré dans la ville au bruit du canon de la
place. Il a été conduit à l'Hôtel du Gouvernement
où il a demeuré deux heures. Il en eft forti
pour fe rendre à l'Ifle , ( l'Ifle de Léon où eſt établi
le Corps de la Marine ) & il eft rentré à Cadix
pour aller chez le Conful de France où il a dîné .
Il ira coucher ce foir à bord du Terrible , vaiffeau
qui depuis long- tems lui eft deftiné . Il a déja nommé
le Major de fon armée ; fon choix eft tombé
fur M. Verdun de la Crefne , Officier de beaucoup
de mérite. Nous faurons demain fi M. le Comte,
d'Estaing prendra le commandement de la flotte
combinée comme Vice-Amiral de France ou comme
Amirante «.
On lit dans une lettre de Paris le paragraphe
fuivant :
» On affure que M. de Guichen eft arrivé à
Cadix , & qu'avant fon départ de St- Domingue il
a envoyés ou 6 vaiffeaux à M. de Ternay &
4000 hommes à M. de Rochambeau . Cette nouvelle
a affez l'air de la vérité ; mais on la croit
prématurée . Si elle eft vraie , MM . de Ternay &
de Rochambeau font en forces , & les affaires à
New-Yorck ne peuvent qu'offrir une perspective
avantageufe «
du 10 Octobre.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ,
Quoique l'Amirauté eût reçu avis les que
M. Laurens étoit fi indifpofé qu'il ne pouvoit
ל כ
( 140 )
foutenir la fatigue d'un voyage fans expofer fa
vie , & qu'il eût demandé la permiffion de fe repofer
deux ou trois jours , ce qui lui avoit été
accordé , M. Laurens s'étant trouvé mieux n'a pas
laiffé de fe mettre en route , & il eft arrivé le
même jour fur le foir à l'Amirauté. Le Lord
Sandwich & M. Stephens , inftruits de fon arrivée ,
lui -firent dire de fe rendre à la falle d'Audience
de l'Amirauté ; & comme il n'avoit pas dîné , on
commanda pour lui un bon repas au Café Salopien .
Lord Germaine lui envoya M. Knox , fon Secré
taire , qui eut un entretien particulier avec lui .
Enfuite le Juge de Paix Addington , & deux Meffagers
du Roi reftèrent avec lui pendant quelque
tems dans la falle d'Audience où il demeura juf
qu'après fon fouper , qu'il fut confié à la garde
de M. Scott , Mellager de l'Amirauté , & transféré
dans la maison où il paffa la nuit , fous la
garde d'un Sergent , de dix Soldats & d'un Meffager
qui ne le quitta pas . M. Laurens a un Nègre
avec lui auquel on ne permet pas de fervir fon
Maître , mais qui refte dans la mêine maiſon. -
M. Laurens paroît âgé de 63 ans ; il a le teint
bafané , l'oeil pénétrant , mais l'air un peu mélancolique
; il porte fes cheveux ; fa taille eft audeffous
de la moyenne. On ne lui permit d'aller
nulle part dans fa maifon fans être fuivi par un
Soldat. On affure qu'il eft moins affligé de la
perte de fa liberté que de ce qu'on a ſauvé ſes
papiers qui font maintenant entre les mains du
Gouverneur , & qui , dit-on , mettent au jour tout
le fyftême de la politique Américaine , & la conduite
particulière des Puiffances de l'Europe envers
PAmérique. Cependant il y a des gens qui affurent
que ces conjectures fur le prétendu chagrin de M.
Laurens font peu fondées & que foit qu'on lui
ait pris les papiers , foit qu'il les ait enfevelis dans
la mer , il ne pouvoit en avoir aucun qui apprît
n
>
1
( 141 )
-
autre chofe à l'Angleterre , finon la réfolution où
eft l'Amérique de maintenir fon indépendance ,
réfolution apuyée fur les fecours férieux que la
France donne aux Etats- Unis , fur la parole folemuelle
du Roi de France , leur grand & bon
Allié , ainfi que fur l'intérêt de l'Espagne & du
refte de l'Europe. Le 6 à midi , conformément
à un ordre donné à cet effet , M. Laurens fut mené
fecrètement dans un fiacre au bureau du Lord Germaine
, accompagné feulement de M. Addington.
Le Comte d'Hillsborough , les Lords Stormont &
Germaine , & le Procureur-Général étant préfens ,
il fubit un long interrogatoire qui dura juſqu'à fix
heures du foir, Il fut alors dreffé un ordre d'emprifonnement
figné par les trois Secrétaires d'Etat
, en vertu duquel il devoit être mis au fecret
à la Tour. M. Laurens y fut conduit en effet dans
un fiacre accompagné de deux Officiers Militaires
& de deux Meflagers . Il y arriva à fept heures ,
& fut remis à la garde du Gouverneur. Il y a
toute apparence que la pofte du 6 au foir a porté
cette nouvelle en France , d'où elle fera envoyée
en Amérique ; & en conféquence les Généraux
Philips , Reidefel , Hamilton , Burgoyne , & 50
autres Officiers-Généraux que les Américains ont
en leur pouvoir , ou qui font ailleurs fur lear
parole , feront refferrés ou rappellés . Un des
objets de la miffion de M. Laurens en Hollande
étoit d'emprunter 600,000 liv. fterl . pour
les Etats-Unis . Les Publiciſtes de l'Europe vont
avoir matière à raifonner fur cet emprifonnement .
Voici à peu-près la queftion : » Une Puiffance en
guerre avec un corps de fes fujets , rebelles qui
s'eft déclaré indépendant , peut- elle au préjudice
d'un individu à fon choix ufer du droit de fouveraineté
auquel elle fe voit en droit de renoncer
journellement par les pactes ufités en guerre , comme
capitulation , cartels , conventions , lefquels em-
---
-
( 142 )
portent reconnoiffance de l'indépendance , jufqu'à
ce que l'évènement de la guerre ait décidé des
prétentions refpectives des deux nations ; tous les
actes de cette nature ne font-ils pas annullés par
le fait ? cc
―
Voici , difent les papiers Anglois , ce qui a
tranfpiré de l'interrogatoire que M. Laurens a fubi
le 6 de ce mois devant les Secrétaires du Roi &
le Juge Addington. Avant qu'il parût , on avoit
concerté dans l'intérieur du Cabinet les queſtions
qu'on devoit lui faire , & elles avoient été mifes
par écrit. On lui demanda s'il ſe reconnoiffoit fujet
de la G. B. Il répondit que non, Quel étoit
le caractère dont il étoit revêtu & de quel Royaume
il étoit le fujet. Il répondit qu'il le regardoit comme
un Plénipotentiaire Américain ; qu'il n'étoit fujet
d'aucun Roi , & qu'il ne reconnoiffoit d'autre Souverain
que les Etats - Unis de l'Amérique repréfentés
par le Congrès. Lorfqu'on lui demanda s'il
s'étoit jamais confidéré comme fujet de l'Empire
Anglois , il répondit affirmativement ; mais il
ajouta que c'étoit le privilége inconteſtable de
toute fociété d'hommes qui étoient fous la puiffance
d'un feul ou de plufieurs , lorfque juftice
leur étoit refusée , & qu'ils n'avoient aucun efpoir
qu'on redrefsât leurs griefs , de retirer leur
foumiffion & de fe mettre fous la protection d'un
autre ou d'établir un Gouvernement entr'eux fur
les principes les plus libres ceux de la liberté
publique & générale , lefquels puiffent réprimer
la tyrannie du petit nombre , & fervir de baſe
à la fureté du corps entier. On lui demanda pour
quel pays étoit fa prétendue Ambaſſade ? Il répondit
qu'il n'étoit point un prétendu mais un
légal Ambaſſadeur , & que fes lettres de crédit
étoient revêtues du caractère convenable pour une
Cour de l'Europe. On lui fit beaucoup d'autres
queftions relatives aux papiers faifis , à l'état
-
( 143 )
de l'Amérique , &c, ; il répondit à toutes de la
manière la plus fage & la plus ferme. - Lorfqu'on
lui apprit qu'il devoit être renfermé à la
Tour , il dit que c'étoit violer le droit des gens
que de retenir un Ambaffadeur , & qu'il le flattoit
que toutes les Cours de l'Europe témoigneroient
qu'elles ont une pareille conduite en horreur. Il
demanda enfuite s'il devoit fe regarder comme
Ambaffadeur prifonnier , ou , felon le langage qu'on
venoit de lui tenir , comme un fujet rebelle de
la G. B. Il ne lui fut rien répondu .
Il y a différentes verfions de cet interrogatoire ;
felon quelques-unes , M. Laurens avoit pris le parti
de ne répondre à aucune queftion fur les objets
qui regardoient fon pays ; & fa conduite fut également
noble , ferme & réfervée «<.
Suite du Précis de l'Expédition du Capitaine Cook.
Autant que nous avons pu nous procurer des informa.
tions , les Ruffles n'ont jamais été plus loin qu'au 67me.
d. 18 minutes de latitude ; ce quieft du moins 7 d. plus
au Sud de ce Promontoire , nommé Ifchukotiskoi ou
Szlaginskinof, dont aucun vaiffeau Ruffe n'a jamais
fait le tour. Et il n'eft pas même probable que le Capitaine
Cook ait pu y parvenir, puifque nous trouvons
que les mêmes obftacles qu'il avoit éprouvés fur
la côte d'Amérique , l'arrêtèrent dans fa route à
l'Oueft . Il reprit donc celle du Sud & regagna bientôt
le Détroit , qu'il paffa & d'où il fe porta vers un
Port dans l'Ifle d'Unalaſchka , fituée dans l'Archipel
Septentrional , & dont il a fixé lui-même la latitude
à 53 degrés 55 minutes , & la longitude à 192 d.
30 minutes. Il y mouilla au mois d'Octobre 1778,
& apprit bientôt que cette Ifle , ainfi que celle
d'Umanak , & plufieurs autres qui en font voifines ,
avoient entretenu depuis quelques années communication
tant avec le Continent d'Amérique que d'Afie .
Dans ce même tems le Capitaine Cook y rencontra
quelques Négocians Ruffes du Kamſchatka , auxquels
il remit une lettre pour l'Amirauté Angloiſe ,
qui l'a effectivement reçue.
( 144 )
Les Ruffes ont décrit les Ifles de ce nouvel Arch
pel comme habitées par un Peuple ignorant &
jaloux , inconnu à l'Europe avant qu'ils en fiffent
la découverte. Ces Infulaires font Lans Gouvernement
comme fans Religion. Leur habillement
confifte en fourrures ou peaux de bêtes fauves, beurs
alimens qu'ils mangent cruds , font principalement du
poiffon . Ils vont fur mer dans des hoidars; ou eeffppèeces
de petites chaloupes , faites de peau de chien
marin. Ils admettent la Polygamie; L'échange des
femmes y est même en ufage. Ils vivent dans des
antres ou caves fouterreines , & l'herbe féchée leur
fert de chauffage & de lit. Leurs armes font des arcs
& des flèches , dont la pointe eft un os aigu . Ces
fles produifent des bayes de différentes espèces ,
Taune le bouleau & le faule.
A
A
te
ipausa
Il n'eft pas apparent , que la compagnie d'hommes
de cette trempe
ait été fort aagréable à nos āvēṇtu.
riers . Le Capitaine Cook , toujours infatigable dans
la pourfaite de fes découvertes , voyant la faifon
rude s'approcher dans ce climat Septentrional , prit
la réfolution de l'employer dans une latitude plus ཤྭ tempérée. Il fe propofa donc d'aller reconnoître le
Pays , qu'il jugea être voifin de l'Ile de Sandwich , dont il avoit fait la découverte
fur la route d'Otas
heite vers la côté de l'Amérique . Il découvrit en
effet plufieurs autres fles , dans l'une defquelles ,
nommée O-why- hée pour les natifs , il trouva un
Port , où il jetta l'ancre vers le commencement
de
1778. Le Havie porte le nom de Caraca Coffa &
eft fitué à la latitude de 22 d. , & à- peu près à la
longitude de l'Ile de Sandwich , qui eft à 22 d. E.
D'après cette pofition il eft très-probable , que ces Ifles font les mêmes que la terre que nos cartes
repréfentent communément
comme ayant été vue en 1597 par Mendana fur fon retour des Inles de Salomon en Amérique.
辈
La fuite à l'ordinaire prochain.
ERRATA. Au Numéro précédent , page 57 , De
Cadix , le 18 Septembre , lifez de Madrid , &c. ,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E,
De CONSTANTINOPLE , le 2 Septembre.
LE Ramazan ou le Carême des Turcs a
commencé Jeudi dernier ; l'ufage eft que le
Sultan le pafle dans le Serrail ; pour cette fois
il y a dérogé , à la prière de Sultan Cheizadé
fon fils , qui a défiré refter plus long- tems
à Befchick Tafchi , où il s'amufe plus que
dans cette capitale .
On prétend ici que la Porte n'a pas été fans
inquiétude fur le voyage de l'Empereur en
Ruffie , & qu'elle a fait demander à pluſieurs
Miniftres Etrangers quels pouvoient en avoir
été les motifs . L'Ambaffadeur de France a ,
dit - on , répondu , qu'on ne devoit le regarder
que comme une chofe très-indiffé .
rente. On ignore ce que celui d'Angleterre
a répondu à la même queftion.
On mande de Smyrne que la frégate Françòife
commandée par M. le Chevalier d'Entrecafteau
, en mit à la voile le 18 du mois
dernier,ayant fous fon convoi 10 navires de fa
Nation qu'il doit eſcorter jufqu'à Marſeille .
28 Octobre 1780. 8
( 146 )
Les mêmes lettres portent qu'il s'eft fait beaucoup
de changemens dans la régence de cette
ville . Parmi les Officiers qui ont été déposés
fe trouve Jufuf Aga . Au refte ces révolutions
n'ont point influé fur la tranquillité publique .
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 20 Septembre.
LE Prince de Pruffe eft prefqu'entièretièrement
rétabli de l'indifpofition qui lui
étoit furvenue au pied droit ; il a reparu en
public. Le 18 de ce mois il y eut grand
dîner à fon Palais ; les principaux Seigneurs
de la Cour , & les Miniftres étrangers eurent
l'honneur d'y être admis. Il paffa la foirée
dans les appartemens intérieurs de l'Impé
ratrice. Hier après avoir vu une partie des
objets dignes de fa curiofité , qu'offre cette
Capitale , il a dîné avec le Grand- Duc &
la Grande - Ducheffe ; le foir il a affifté à la
Comédie Françoife , & honoré enfuite de
fa préfence une fête que le Comte d'Of-.
termann a donnée dans fon hôtel , & qui
a été terminée par un fouper de 60 couverts.
On travaille actuellement aux préparatifs
d'une nouvelle fête qu'on lui deftine , &
à un fuperbe feu d'artifice qui doit en faire
partie. ,
S. A. R. compte partir le 11 du mois
prochain , & être de retour à Potſdam
le 29 .
On mande de Mofcou qu'il en eft parti
( 147 )
un Archimandrite & plufieurs Etudians de
l'Académie de Spask & du Séminaire de
Troitz pour la Chine ; ils vont en apprendre
la langue . Cette miffion prouve le rétabliffement
parfait de la bonne harmonie
entre les deux Empires.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 29 Septembre.
Le navire des Indes le Comte de Bernstorf
eft arrivé ce matin dans notre rade. Il vient
dé Tranquebar , & à relâché au cap de Bonne-
Efpérance. Il rapporte qu'à fon départ de
Baay-fals, il y a laiffé les vaiffeaux fuivans : le
navire Anglois la Betfy , arrivé le 9 Mai ; le
vaiffeau François la Marie- Anne de Sardaigne
, arrivé le 13 ; le vaiffeauDanois le Copenhague
deftiné pour Tranquebar, arrivé le 28 ;
les bâtimens François l'Eléphant, l'Argus , le
Chaumont , le Milfon , le Comte de Narbonne
& le Bizarre , arrivés le 29 Mai & les 2 & 3
Juin , deftinés pour l'ifle Maurice , où ils
avoient été précédés le 17 & le 18 Mai par
l'Hercule & la Mouche.
On apprend de Bergen que les quatre
perfonnes attendues depuis quelque tems
d'Archangel , font arrivées le 10 de ce mois
dans le Bache - Sund , à 3 milles de Bergen &
à une lieue de l'endroit où mouilloit le navire
de guerre Danois le Mars , à bord duquel
elles ont été tranfportées fans venir à terre ,
8 2
( 148 )
avec leur fuite , confiftant en 29 perfonnes ,
pour fe rendre en Jutlande.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 30 Septembre.
•
LE Confeil permanent a terminé aujourd'hui
fes féances ; c'eft après demain que fe
fera l'ouverture de la Diète . Parmi le grand
nombre de Magnats arrivés ces jours derniers
pour y affifter , fe trouvent le Prince
Lubomirski & l'Evêque de Cujavie. Les
comptes de la commiffion du tréfor & de
celles de la guerre . , doivent être examinés
dans cette affemblée. On affure qu'il y fera
propofé d'augmenter l'armée Polonoife , &
de la porter à 300,000 hommes. M. Bandini
, Secrétaire du Roi , eft nommé pour
remplir les fonctions de Secrétaire de la
Diète. Il y a encore quelques perſonnes qui
croient qu'elle fera tenue fous une confédération
; mais rien cependant ne femble l'annoncer
, & il n'eft pas à préfumer que les
chofes aillent ainfi , à moins qu'il ne furvienne
quelque évènement imprévu .
On apprend que le nombre des troupes
'Autrichiennes augmente de jour en jour
dans la Galicie.
L'Impératrice de Ruffie a fait préfent de
6000 roubles au Baron de Nolken , qui a
figné de la part du Roi de Suède le traité
de la neutralité armée , conclu entre l'Impératrice
& le Roi fon maître.
( 149 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 4 Octobre.
Des lettres de Brinn , en date du 27 du
mois dernier , nous ont appris que l'Empereur
y eft arrivé le même jour en parfaite
fanté , & que le lendemain il a continué fa
route vers la Bohême .
Une eftafette arrivée ce matin à l'Hôtel
du Comte de Proli , a apporté la nouvelle
de l'arrivée du vaiffeau Autrichien le Prince
de Kaunitz , qui , le 30 du mois dernier ,
eft entré dans le port de Triefte . C'eſt le
premier vaiffeau qui foit parti fous pavillon
Impérial pour les Indes Orientales. Il
avoit quitté le port de l'Orient en Bretagne
le 6 Mars 1779 , & étoit parti pour
Canton en Chine , d'où il eft revenu , après
avoir mouillé à l'Ile de France , & en
dernier lieu à Malaga . On évalue la cargaifon
à deux millions & demi .
On apprend qu'un vaiffeau Autrichien ,
aux ordres du Capitaine Schmidt , a été pris
par un Capitaine Anglois ; on efpère qu'il
fera remis en liberté à la requifition de notre
Cour.
De HAMBOURG , le 10 Octobre.
Le Roi de Suède , qui voyage fous le nom
de Comte de Haga , ne s'eft point embarqué
en Hollande pour retourner dans fes
Etats ; nous l'avons vu arriver hier dans
g 3
( 150 )
cette ville ; & ce matin , à midi , il a continué
fa route pour Lubeck , où l'on affure qu'il
s'embarquera pour retourner à Stockholm
.
Les lettres de Bonn & de Mayence ne
parlent que des fêtes qu'on donnera à
S. A. R. l'Archiduc Maximilien , dans ces
deux villes. Il a fait des préfens confidérables
aux Chanoines des Chapitres de Cologne
& de Munfter. Les principales perfonnes
des deux fexes attachées à la Cour
Electorale de Cologne , en ont reçu des préfens
en argent & en bijoux. On dit que ce
Prince , à préfent Coadjuteur de Cologne
& de Munfter , vient d'entrer encore dans
le Chapitre de Paderborn , par la réfignation
que M. de Bucholtz , Maréchal de la
Cour , lui a faite de fa Prébende.
Erneft- Frédéric , Duc de Saxe Hildbourghaufen
, eft mort fubitement le 23 Septembre
dernier , âgé de 53 ans & trois mois.
Son fils aîné , Frédéric , Prince héréditaire ,
né le 29 Avril 1763 , lui fuccède dans fes
Etats ; le Duc Jofeph - Frédéric de Saxe
Hildbourghaufen , a été délégué tuteur du
jeune Prince. Le Confeil aulique de l'Empire
ayant confirmé cette difpofition du feu
Duc il doit partir le 15 de ce mois
avec toute fa maifon , pour Hildbourghaufen.
,
D'après plufieurs lettres de divers endroits
, le bruit court que la Porte eft déterminée
à entrer auffi dans la confédéra(
TSI )
,
&
tion armée des Puillances du Nord
qu'elle fera inceffamment part aux Miniftres
des Puillances belligérantes réfidans à
Conftantinople , de fes intentions à cet
égard ; on ajoute qu'elle fe propoſe de faire
déclarer en même tems aux Régences Barbarefques
d'Alger , de Tunis & de Tripoli
de s'abftenir à l'avenir d'exercer aucune
piraterie envers les Puiffances chrétiennes.
,
Selon des lettres de Pétersbourg , on y a
reçu de Kamfchatka , par le conducteur
actuel du vaiffeau le Difcovery , qui y a
mouillé depuis peu , des nouvelles de la
mort du Capitaine Clerck. On fait qu'il
prit le commandement de ce vaiffeau &
de la Refolution , qui l'accompagnoit , lorfque
le célèbre & infortuné Cook eut perdu
la vie , & qu'il étoit parti pour Petropawlawsky
, pour faire de nouvelles décou
vertes. On dit que M. Clerk eſt mort trois
jours avant l'arrivée des vaiffeaux dans un
port de Kamfchatka , & qu'il a été enterré
au nord d'une montagne peu éloignée du
port; que fes équipages lui ont érigé une
eſpèce de monument fur lequel font fes
& une infcription qui annonce
la date de fa naiffance , & celle de fa
armes ,
mort.
P
M. B. , lit- on dans nos Papiers publics , riche
Habitant de la campagne , dans le Canton de Zurich ,
avoit une partie de fes biens en rentes fur les Laboureurs
de W-thal . Lors de la dernière cherté des
grains , le tems des payemens étant arrivé , il invite
les créanciers à venir chez lui pour conférer enfein-
% 4
( 152 )
ble , leur dit-il , fur des affaires d'un intérêt commun.
Les débiteurs arrivent inquiets , & s'attendent
qu'ils vont être avertis de tenir leur argent prêt pour
l'échéance : mais dans le coeur de M. B. les richeffes
n'étouffoient pas l'amour de l'humanité. Il les reçoit
agréablement , s'entretient familièrement fur le malheur
du tems , leur témoigne de la compaffion , &
les exhorte à l'efpérance ; fans dire un mot de fes
intérêts , il leur dit feulement qu'après le dîner ils
parleront d'affaires ; & en attendant il les prie de
faire pénitence avec lui . On fert ; l'Hôte étoit agréable
, les mets abondans & bien préparés ; les Convives
ne paroiffoient pas manquer d'appétit ; & cependant
on ne buvoit ni ne mangeoit. M. B. le vit
avec chagrin ; il ne vouloit faire durer l'inquiétude
de fes Convives que pour les faire mieux jouir du
dénouement qu'il méditoit. Ne pouvant plus tenir à
leur trifteffe , il fortit & revint un moment après
avec une poignée de papiers. " Je vois bien mes
amis , leur dit- il , que vous ne pouvez ni boire ni
manger , dans l'attente de ce que j'ai à vous communiquer
fur mes rentes , je vous remets à chacum
un billet qui contient mes intentions à cet égard.
Mangez & buvez donc ; la Providence aura foin
de l'avenir " .
ITALI E.
De RO ME , le 28 Septembre.
,
LE Pape dans le Confiftoire qu'il a tenu
le 18 de ce mois , n'a fait que nommer à
différentes Eglifes vacantes tant en Europe
qu'en Amérique & in partibus. Immédiatement
après la tenue de ce confiftoire
le Cardinal Caracciolo , de retour dans
fon Palais & lifant des lettres de Naples ,
( 153 )
fut frappé d'un coup d'apoplexie qui lui
ravit fur- le-champ l'ufage de la parole , &
auquel il fuccomba le 22 âgé de près de
65 ans. Il étoit Cardinal- Diacre de la promotion
de Clément XIII en 1759 .
S. S. a diſpenſé par un bref particulier
l'Archiduc Maximilien d'entrer dans les ordres
facrés jufqu'à l'âge de 30 ans. Les papiers
relatifs à fon élection aux coadjutoreries
de Cologne & de Munſter ne font
arrivés que Dimanche dernier , & le Pape
a tenu hier matin un confiftoire fecret où
il a propofé ces deux Eglifes.
On mande de Milan que l'Impératrice
Reine y a fait publier un Edit qui enjoint
à tous ceux qui auront fait crédit à fes Officiers,
ou autres perfonnes attachées à fon fervice
militaire , de remettre chaque année
au mois d'Octobre la lifte des fommes qui
leur font dûes pour en recevoir le paiement.
Ce terme écoulé , leurs créances feront
réputées nulles .
Les galiotes de Naples qui ont croiſé pendant
quelque tems dans les mers de Sicile
font rentrées le 22 à Naples où elles ont
conduit les 16 efclaves Tunifiens pris fur
une chaloupe qu'elles firent échouer , après lui
avoir repris un bâtiment chargé d'orge dont
le corfaire s'étoit emparé.
B S
( 154 )
ESPAGNE.
De MADRID , le 30 Septembre.
ON attend avec impatience des nouvelles
de Cadix où M. le Comte d Eſtaing eſt arrivé
le 26 de ce mois ; elles nous inftruiront
de la véritable deftination de ce Vice-
Amiral , & des premières opérations dont
il eft chargé. Leur exécution ne peut être
retardée , car la flotte combinée depuis fa
rentrée a toujours été en état de fortir au
premier ordre. On croit ici que Gibraltar
fera le premier objet dont il s'occupera.
Toutes les nouvelles parlent de la détreffe
de cette place.
,
» D'après l'inventaire fait des comestibles & autres
effets , écrit.on d'Algefiras , que portoient à
Gibraltar les quatre brigantins Anglois , pris par les
bâtimens qui forment le blocus de cette place , on
a trouvé 860 barils de farine , 42 de viandes falées ,
295 de beurre , 12 de faumon , 8 de lard , 5 de
langues , 240 bariques de bière 100 de vin , 12
d'huile , 30 de gorgu , 20 d'orge , 200 paniers de
fromage , 55 caiffes de fucre , 18 de thé , 61 de
chandelles , 2 de moutarde , 7 de jambons , 5 dou
zaines de jambons , une grande quantité de charbon
de terre , 2 coffres & 8 caiffes de foie , de fil , de
poil de chèvre , de boutons , & autres marchandifes
, ainfi que beaucoup de paquets de cuirs tannés
& de toile cirée «<,
Depuis le 17 de ce mois , Madame la
Princeffe des Afturies fe fentoit incommodée.
Les fymptômes de la petite vérole ne
tardèrent pas à fe manifefter & l'érup(
155 )
tion s'est faite d'une manière bénigne fans
aucun accident. S. A. R. n'a obfervé pendant
fa maladie qu'une diète réglée.
On a publié la cédule de S. M. pour un
emprunt de 9 millions de piaftres & pour
la vente des obligations relatives à cet emprunt.
On apprend de Cadix que l'efcadre aux
ordres de M. de Marin , Capitaine de Vaiffeau
commandant la Bourgogne , compofée
de 3 vaiffeaux François , 2 Efpagnols & 2
frégates , a appareillé le 22 pour aller croifer
fur les côtes de Portugal.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 14 Octobre.
ON ne parle plus ici que de la victoire
du Lord Cornwallis ; les détails qui en ont
-paru dans la Gazette extraordinaire du 9
de ce mois , ont paffé dans tous nos papiers
publics ; ils reviennent aujourd'hui
fur cette affaire d'après les papiers Américains
qui font arrivés en même tems que
la lettre du Lieutenant - Général ; le principal
de ces papiers eft auffi une Gazette
extraordinaire de la Caroline Méridionale ,
où l'on trouve les ordres du Lord Cornwallis
, datés de Camden le 17 Août , après
fa victoire ; ils ne contiennent que des complimens
& des remerciemens aux Officiers
& aux troupes qui l'ont fecondé . Ils font
fuivis de l'extrait d'une lettre du Major
>
1
g 6
( 156 )
Général Kalbe au Docteur Phile de Phila
delphie , trouvée , dit - on , dans fa poche ,
lorfqu'il fut bleffé & fait prifonnier le 16
Août.
כ כ »Depuisquej'aipaffélarivièreRoanoackj'ai
été dans une grande détreffe , faute de provifions ,
& j'y fuis encore ; c'eft avec une difficulté extrême ,
qu'en employant la fotce , j'ai pu ramaffer jufqu'à
préfent ce qui étoit ftrictement néceffaire pour empêcher
que les troupes ne mouruffent de faim : cette
difette m'a mis dans l'impoffibilité de fuivre mon
plan , de marcher vers la rivière Pedée & d'en
déloger l'ennemi. Je n'ai d'autre plainte à former
contre le Gouverneur , fi ce n'eft qu'il n'y a point de
magafins dans toute l'étendue de l'Etat : d'ailleurs il m'a
revêtu de toute l'autorité néceffaire pour que je puffe
agir comme il me plairoit ; mais prefque tous les habitans
ont de la répugnance à fe départir de quoique ce
foit pour l'ufage de l'armée , foit par affection , foit
pour de l'argent. Si j'avois été en état de marcher,
je fuis certain que l'ennemi n'eût pu ni conferver ni
défendre les poftes ; il eft poffible que ceux qui ne
favent rien de l'état des chofes , me blâment de
n'avoir pas été en avant je fentois que cela ne
pouvoit le faire fans le plus grand danger d'affamer
les troupes & de les forcer à fe difperfer ; mais pour
ma propre fatisfaction , je convoquai un confeil de
guerre , compofé des Officiers-Généraux & de l'Etat-
Major ils décidèrent unanimement le mouvement
étoit impraticable & feroit de la plus haute
imprudence. Je fuis heureux d'apprendre , par
une lettre que je reçois à l'inftant du Général Gates ,
datée de Richmond le 8 Juillet , qu'il a été chargé
par le Congrès de prendre le commandement du
département Méridional , & fe promet d'être rendu
ici fous peu de jours ; je defire qu'il puiffe fe procurer
des provifions par tout autre moyen que celui de
détacher en campagne la moitié de l'armée pour en
: que
( 157 )
ramaffer; ce qui expoferoit au danger de fe trouver
près de l'ennemi : il agira peut- être avec plus de
févérité que je ne l'ai fait ; peut -être il dira aux
Gouverneurs que telle ou telles chofes doivent être
faites , & qu'ils le prendront mieux de fa pait qu'ils
ne le prendroient de la mienne « .
Dans une feconde lettre du même Officier
, il annonce l'arrivée du Général Gates
le 24 Juillet , & fe félicite de ce qu'il a pris
le commandement des troupes qu'il avoit ; il
repréſente l'armée Américaine comme ayant
beaucoup fouffert , & ayant quantité de malades.
Elle avoit paffé fouvent 5 à 6 jours
fans pain , fans farine & fans viande , ne
vivant que de pommes , de pêches vertes &
de bled verd . Selon les calculs cette armée
montoit à 7000 hommes , dont en déduisant,
500 déferteurs elle en faifoit encore 6500
partagés en 8 divifions commandées par les
Généraux Gates , Kalbe , Cafwell , Smallwood,
Gregory , Rutherford , Harrington.
Le Général Gaton avec 800 hommes fe
rendit à Cheraw Hill. Les ordres que le
Général Gates avoit donnés la veille de la
bataille étoient conçus ainfi :
» Les malades , l'extraordinaire de l'artillerie , les
gros bagages & les effets dont on n'a pas un befoin.
immédiat , fe mettront ce foir en marche avec une
eſcorte pour Waxhaw ; le Général prie les Brigadiers
Généraux d'avoir l'oeil à ce que les corps qu'ils
commandent obéiffent à cet ordre , avec l'exactitude
la plus fcrupuleufe. Le Lieutenant - Colonel
Edmonds marchera avec le refte de l'artillerie du
parc , & la brigade Virginie , aux ordres du Général
Stevens ; il fe fera fuivre par 40 de fes gens, qui
―
( 158 )
:
:
-
exécuteront fes ordres. Les troupes fe tiendront
prêtes à marcher , à 10 heures précifes , dans l'ordre
fuivant ; le corps avancé & la cavalerie du Colonel
Armand , aux ordres dudit Colonel , l'infanterie
légère du Colonel Porterfield , fur le flanc droit du
Colonel Armand , à 200 verges du grand chemin ;
l'infanterie légère du Major Armstrong fur le flanc
gauche de la légion , dans le même ordre observé
par celle du Colonel Porterfield ; la garde avancée
de l'infanterie, compofée de piquets avancés ; première
& deuxième brigades du Maryland ; la divifion
de la Caroline Septentrionale ; celle de la Virginie :
l'arrière-garde formée des volontaires ; la cavalerie ,
également divifée , fur la droite & la gauche des
bagages les troupes marcheront ce foir dans cet
ordre dans le cas où la cavalerie ennemie attaqueroit
en front , l'infanterie légère de l'un & l'autre
flancs marchera fur le champ , & fera fur cette
cavalerie le feu le plus vif & le plus foutenu , ce qui
mettra celle du Colonel Armand en état , nonfeulement
de foutenir la charge de l'ennemi , mais
de le mettre finalement en déroute : le Colonel
regardera, en conféquence , comme pofitif, l'ordre
de foutenir l'attaque de la cavalerie ennemie , quelque
nombreufe qu'elle puiffe être : alors , & fur le
champ , le Général Stevens ordonnera à un Capitaine
, 2 Lieutenants , un Enfeigne , 3 Sergents , un
Tambour & 60 Fufiliers , de joindre l'infanterie du
Colonel Porterfield ; on choifira ces 60 hommes
parmi ceux qui ont le plus d'expérience & de connoiffances
des bois , & qui à tous les égards font les
plus propres au fervice le Général complétera auffi
l'infanterie légère d'Armstrong , & la portera fur le
pied où elle étoit originairement ; il faut qu'elle
marche immédiatement au pofte avancé de l'armée :
les troupes obferveront le plus profond filence dans
leur marche; & tout foldat qui , fans ordre de fon
Officier , ofera faire feu , fera mis fur le champ à
( 159 )
mort. Lorfque le terrein le permettra & l'approche
de l'ennemi le rendra néceffaire , fur l'ordre
qu'elle en recevra , l'artillerie à la tête de fes brigades
refpectives , & les bagages à l'arrière - garde la
garde des gros bagages fera compofée de ce qui
reftera des Officiers & de l'artillerie ; un Capitaine ,
2 Subalternes , 4 Sergents , 4 Tambours & 60 Fufiliers
; il eft défendu à qui que ce foit d'ajouter pour
ce ſervice aucuns foldats à ce nombre prefcrit « .
Les partifans du Miniſtère exaltent beaucoup
cette victoire ; felon eux elle affure au
Gouvernement la poffeffion tranquille de
la Georgie & des deux Carolines ; les Virginiens
pourront s'en reffentir auffi ; mais
ne vont-ils pas trop loin lorfqu'ils regardent
ce coup comme décifif. Il faut attendre les
relations du Général Gates qui peut-être
diminueront un peu l'importance que nous
attachons à ce triomphe.
Bien des gens font furpris que le Lord Cornwallis
n'ait pas fait mention dans fa lettre de la
fituation particulière de l'Armée Provinciale après
fa déroute , des Officiers de marque qui ont été
pris , & de la manière dont le Général Gates a évité
le fort de Burgoyne. Puifque le Ministère a été informé
du nombre des prifonniers , & que la victoire
a été complette , il doit être également inftruit des
détails relatifs à la fuite de l'ennemi. Il réfulte de
ce manque de détail qu'il a altéré les dépêches de
ce Lord. On remarque que la dernière Gazette
de la Cour n'encourage nullement la Nation à continuer
la guerre Américaine. La victoire du Lord
Cornwallis ne fait point de plaifir. Il faut encore
tant de victoires avant qu'une feule Province ſoit
conquife , & il faudra établir tant de poftes pour
conferver nos conquêtes ! Un pays conquis & con-
--
((-160 )
ervé de la forte ne vaut pas le fang & l'or que
coûte fa conquête. Ce qu'il y a de fûr c'eft que cette
nouvelle n'a point fait hauffer les fonds comme
toutes les Gazettes miniftérielles l'avoient annoncé ;
il eft de fait au contraire qu'ils font tombés d'un
demi pour cent «.
Le Roi eft revenu le 11 de Windfor à
Saint-James , pour recevoir les complimens
de la nobleffe ; on publie que comme les
papiers du Général Gates ont été faifis , ils
ont fait connoître les noms de plufieurs
perfonnes de la Province qui étoient en
correfpondance avec ce Général après avoir
prêté le ferment de fidélité. Le Lord Cornwallis
avoit annoncé dans fa lettre qu'il
feroit quelques exemples de févérité. On
affure qu'il a envoyé 30 perfonnes prifonnières
à Saint- Auguftin , & qu'il en a fait
pendre 10 autres fur le champ de bataille
où elles avoient été prifes les armes à la
main . On doute que cette manière de fignaler
une victoire contribue à ramener les
Américains à la foumiffion. On devroit fe
reffouvenir que la févérité que nous avons
toujours pouffée trop loin n'a fait que les
aigrir juſqu'à préfent ; & que nous ne fommes
pas encore maîtres d'affez de pays pour nous
livrer à nos fentimens de vengeance.
Nos papiers ministériels , qui approuvent
beaucoup ces exécutions & qui nous
préparent à entendre le récit de plufieurs
autres , parlent des difpofitions du Lord
Cornwallis pour profiter de fes avantages ,
( 161 )
& regardent la foumiffion de la Province
comme affurée . Ils ajoutent qu'il a dû recevoir
depuis fa victoire un renfort que
le Général Clinton lui a envoyé de New-
Yorck ; c'eſt ainfi qu'en voulant trop prouver
on ne prouve rien. Tous ceux qui connoiffent
la pofition du Général Clinton ,
font bien perfuadés que loin de pouvoir
détacher la plus petite partie de fes troupes
, il auroit beſoin de rappeller auprès
de lui celles du Lord Cornwallis . On fe
fouvient que de fon aveu , il a déclaré
qu'il ne pouvoit rien tenter contre les
François à Rhode-Ifland ; on fait que hors
d'état de les attaquer, il s'attend tous les jours
à être attaqué lui-même à New - Yorck ; les
Américains qui fe renforcent fous les ordres
du Général Washington , fecondés par
les François ne le laifferont pas tranquille ,
& peut- t- être recevrons- nous bientôt de ce
côté des nouvelles qui calmeront un peu
la joie qu'a caufée celles que nous avons
reçues de la Caroline.
" Il eft fingulier , obferve un de nos papiers , que
la lettre du Chevalier Clinton , inférée dans la Gazette
du 7 , ne parle que des évènemens qui ont cu
lieu jufqu'au 31 Juillet , quoique fa lettre foit datée
du 14 Aoûr , & que le vaiffeau n'ait mis à la voile
que le 1 Septembre , de forte qu'il y a tout un mois
d'omis foit par le Général , foit par le Miniftre ;
il y a une des lettres de l'Amiral Arbuthnot , datée
du 25 Août , qui prouve que le vaiſſeau a retardé
fon départ encore quelque tems après les dépêches
du Général Clinton. La garnifon des Royaliſtes
( 162 )
·
à Hallifax n'excède pas 1500 hommes. Cette place
eft très-importante pour nous dans l'Amérique Septentrionale
; car depuis que nous avons perdu Rhode- · .
Ifland , nos forts vaiffeaux ne favent où hyverner ,
ne pouvant fe tenir à New-Yorck. Nous reffentons
vivement la perte de Rhode Iſland. Ce pofte eft
doublement avantageux à la France & à l'Amérique ,
non- feulement il fert d'afyle à leurs vaiffeaux , mais
même il peut nuire à toutes les opérations de notre
flotte & de notre armée à New-Yorck , en ce qu'il
met le Chevalier Clinton & l'Amiral Arbuthnot hors
d'état de faire aucun mouvement ; car pour peu qu'ils
s'éloignent de New- Yorck , le Général Washington
fe portera rapidement vers cette place & s'en rendra
maître «.
Le Gouvernement qui eft bien inſtruit
de cet état des chofes , fonge à lui envoyer
de nouvelles troupes ; on attend 13,000
hommes , foudoyés en Allemagne ; ils doivent
arriver dans le courant de Février à
Portsmouth , où ils s'embarqueront pour
aller à New- Yorck .
Nos nouvelles des Ifles ne vont qu'au
12 Août. La flotte de Londres , fi longtems
attendue à la Jamaïque , eft arrivée
à Kingſton , fous la protection des 10 vaiffeaux
de ligne que l'Amiral Rodney avoit
détachés de Ste-Lucie. Le Gouverneur de
la Jamaïque faifoit toutes les difpofitions
pour recevoir les ennemis , qui n'iront
peut-être pas l'attaquer ; car il fe pourroit
qu'après avoir amufé l'Amiral Rodney , &
l'avoir forcé de porter fon attention fur
une multitude de points qu'ils ont menacés
fucceffivement , ils euflent envoyé des
( 163 )
n'eft
pas
renforts à MM. de Ternay & de Rochambeau
, pour faire un grand coup fur le
Continent ; d'après cette conjecture , qui
fans vraisemblance , l'affaire de
New-Yorck & du Général Clinton , pourroit
être faite avant que les troupes qu'on
doit lui envoyer fuffent feulement arrivées
en Angleterre pour s'y embarquer.
On a publié dans nos papiers des détails
de la rencontre que le Capitaine Cornwallis
fit le 20 Juin , de l'efcadre de M. de
Ternay. La Gazette ordinaire de la Cour ,
d'aujourd'hui , contient une lettre du Capitaine
à l'Amiral Parker , qui l'a fait paffer à
la Cour. Elle eft datée à bord du Lion devant
le Cap François , le 14 Juillet.
» M. , le 9 Juin , le convoi ayant traversé le golfe
de la Floride , & s'étant porté du côté du nord juſ
qu'au 29 30 , le Capitaine Inglis fit le fignal de féparation
; en conféquence nous nous féparâmes &
fîmes route , felon vos ordres , avec le Lion , le
Sultan , l'Hector , le Bristol , le Ruby & le Niger.
Le 20 , étant par le degré 30 18. de latitude leptentrionale
, longitude 11 47. du Cap Floride , nous
fimes route à l'Eft. A une heure après-midi , le Niger
qui étoit de l'avant , fic connoître , par un fignal ,
qu'il découvroit quatre voiles au N. E. Je fis le
fignal pour la chaffe générale , & nous reconnûmes
peu de tems après que c'étoit un convoi qui nous
traverſoit par l'avant , en portant au N. O. Sitôt
qu'il nous découvrit , il ferra le vent & porta fur
nous ; quelques gros vaiffeaux marchoient de l'avant
à une certaine diftance des autres ; deux d'entr'eux
particulièrement fe trouvoient fort de l'avance ;
htôt que le Niger & l'Hector s'approchèrent d'eux ,
( 164 )
ils arrivèrent vent arrière pour joindre les autres.
Sur les 4 heures & demie , me trouvant affez près ,
& voyant fept vaiffeaux à deux ponts fe former
en ligne , outre quelques autres , & des frégates
qui reftoient avec le convoi ; je fis le ſignal pour
former la ligne de l'avant , tribord amure ; les
vaiſſeaux ennemis étant amurés à bas -bord , leur
convoi à la diſtance de deux ou trois milles par
leurs hanches de tribord , quelques - uns des vaiffeaux
à deux ponts & quelques frégates forçant .
alors de voiles pour joindre les 7 autres . Le Ruby
Le trouvoit fi éloigné fous le vent , que l'ennemi
auroit pu le lui gagner , ce qui l'obligea à virer vent
devant ; alors je fis le fignal pour virer vent arrière
& former la ligne bas -bord amure ; l'ennemi
couroit de même bord ; dans cette pofition , je gouvernai
de manière à pouvoir être en état de protéger
le Ruby & empêcher ceux des vaiſſeaux ennemis
qui fe trouvoient le plus au vent , de fe porter
entre le Ruby & nous. L'ennemi continua de
s'éloigner en dépendant & formant fa ligne ; mais
quoiqu'il fût à la portée du canon , il ne fit point
feu. Environ à cinq heures & demie du foir , remar
quant que nous avions fuffisamment poullé les François
fous le vent pour mettre le Ruby , qui fe trouvoit
par notre boſſoir ſous le vent , · en état de nous
joindre , je lui fis fignal de virer vent devant ; alors
l'ennemi hiffa pavillon françois & ouvrit fon feu ;
fon chef de file portoit un guidon , & ſon troiſième
vaiffeau qui commandoit & fe trouvoit par le travers
du Lion , portoit un pavillon de commandement
à fon mât de perroquet, de fougue ; tous les
autres vaiffeaux portoient des flammes blanches ordinaires
. Auffi tôt que le Ruby fut venu dans les
eaux de notre arrière-garde , & eut viré vent devant
, les vaiffeaux les plus de la tête de l'ennemi
virèrent vent devant , les autres firent fucceffivement
la même manoeuvre , tous fe confervant en
( 165 )
ligne , de manière que les vaffeaux qui formoient
la tête en courant bas-bord amure , fe trouvoient
être les vaiffeaux de tribord amure. Ils firent feu
à mesure qu'ils paffoient devant les nôtres , mais à
une grande diftance. Sur les fept heures du foir ,
lorfqu'ils allongèrent notre arrière - garde , ils arrivèrent
& joignirent leur convoi.
Je crois que
cette flotte confiftoit en 14 vaiffeaux de guerre ,
dont 10 ou 11 à deux ponts , trois ou quatre
frégates ; le refte confiftoit en navires marchands
ou de tranſport , un cutter & un brigantin Améri
cain armé. On calcule que le tout montoit de 44 à
47 voiles. Si-tôt qu'il fit fombre , nous mîmes
en panne , & nous queftionnâmes ceux de nos vaiffeaux
qui avoient approché de plus près le convoi
ennemi , fur fa force , qu'ils jugèrent à - peu - près
comme nous l'avions fait à bord du Lion. Nous
gouvernâmes au Nord pendant toute la nuit , n'employant
que nos huniers & la mifaine ; au retour
du jour , l'ennemi n'étoit plus en vue. Un coup de
canon tiré à toute volée , tua le patron du canot &
bleffa un foldat de marine à bord du Lion ; le Briftol
eut un homme bleffé ; en paffant entre les deux lignes
, le Ruby fe trouva plus exposé au feu de
l'ennemi que les autres vaiffeaux ; il eut un homme
rué & trois bleffés , dont un eft mort depuis ; fon
boute dehors de beaupré fut emporté , & il reçut
un boulet dans fa vergue de mifaine , ce qui en
exigera une neuve , à ce que je crois ; c'eft à cela
que fe bornent les dommages de quelque conféquence
qu'aient reçus nos vaiffeaux : ce récit
en général eft de peu d'importance , mais j'ai cru
de mon devoir de vous informer de tous ces détails
, de crainte qu'ils ne foient mal repréſentés ,
parce que quelquefois l'ennemi n'eft pas très-exact
dans les comptes qu'il rend, Nous nous étions
d'abord flattés que le convoi que nous découvrions
étoit celui que nous avions rencontré lors de notre
( 166 )
dernière croifière , fous la protection de 4 vailfeaux
de ligne & de quelques frégates ; je fuis certain
que mes camarades Capitaines & tout ce qui
fervoit à bord de notre petite efcadre , le defiroient
fincèrement , mais j'ai à gémir fur ma mauvaiſe
fortune , qui a voulu qu'ayant reçu de vous le
commandement de cinq vaiffeaux pareils & d'une
frégate , je retrouvaffe encore l'ennemi trop fort
pour qu'il fût poffible de rien tenter contre lui.
Selon les dépêches de Torbay , la grande
flotte qu'on a dit fi fouvent partie , & que
les vents contraires ont forcée de rentrer ,
y étoit encore le 11 ; elle faifoit , ajoute- t-on ,
des difpofitions pour appareiller , & l'on efpère
qu'elle aura mis enfin à la voile.
Nous fommes à la veille de l'ouverture
du nouveau Parlement ; la conduite à tenir
envers l'Amérique Unie eft un des principaux
objets qui feront foumis à l'attention
de cette affemblée nationale. On difoit il y
a quelques jours que le Gouvernement étoit
difpofé à faire des propofitions tendantes
à reconnoître l'indépendance des Colonies ,
en fe contentant des avantages commerciaux
qu'elles accorderoient à la Grande-
Bretagne comme à leur mère - patrie : mais
aujourd'hui les opinions ont changé ; la
pluralité des Miniſtres a , dit - on , décidé
qu'il falloit continuer encore la guerre pendant
une année , & s'il fe peut avec une plus
grande vigueur. On affure que c'eſt le réfultat
pris dans un Confeil du Cabinet tenu
les de ce mois. En conféquence de cette
détermination , & pour fatisfaire à la de·
( 167 )
mande d'un renfort confidérable que Sir
Henri Clinton a faite , des régimens d'infanterie
répartis tant dans la Grande - Bretagne
que dans l'Irlande , ont eu ordre de
fe préparer à leur départ pour New-Yorck.
L'avantage que le Comte de Cornwallis a
remporté dans la Caroline ne peut que fervir
à affermir l'Adminiſtration dans cette réfolution.
La nation ne la voit pas fans peine ;
on ignore comment le Parlement la prendra.
Ce n'eft que lorfqu'il aura commencé
fes féances qu'on en connoîtra les difpofitions
, & qu'on jugera du parti qui dominera.
L'Election du nouveau Lord-Maire a eu
lieu le jour de la S. Michel ; les fuffrages
font tombés fur le Chevalier Walkins Lewes ,
qui le 6 de ce mois , accompagné felon l'ufage
, alla préfenter au Roi l'adreffe de félicitation
du Corps de Ville fur l'heureufe
délivrance de la Reine qui a donné encore
un fils à fon augufte époux.
Le Roi a continué par une proclamation ,
la gratification des liv. fterl. pour chaque
matelot expérimenté , de 2 liv . 10 f. fterl,
pour tout matelot ordinaire , & de i liv.
10 f. pour tout homme de campagne vigoureux
& fort ; cette faveur n'aura lieu que
jufqu'au 31 Décembre prochain.
Ces avantages accordés aux matelots en
prouvent la difette ; ce qui la prouve en
core plus , c'eft qu'on vient de juger que
la réduction de leur complet n'étoit fujette
( 168 ) ร
à aucun inconvénient. Le nombre de
1000 a paru fuffifant , fauf a en accorder
un plus grand nombre aux vaiffeaux croifeurs
, qui , deftinés à faire des prifes , ont
befoin de plus d'hommes pour fe les conferver..
Les Lords de l'Amirauté n'ont pas refuſé
aux équipages de la Réſolution & de la Dif
covery , qui viennent de terminer leur
voyage autour du monde , la permiffion de
retourner dans leurs familles pour s'y repofer
de leurs longs travaux , & l'exemption
de la preffe qu'ils redoutoient fort , & dont
il auroit été barbare de leur faire fubir la
rigueur , après un voyage comme celui qu'ils
ont fait.
Le Miniſtère s'occupe actuellement à s'affurer
les fonds dont il aura befoin pour
l'année prochaine ; cette tâche devient de
jour en jour plus difficile. On affure qu'il
a offert à la Compagnie des Indes de renouveller
fa chartre pour 14 ans à compter
du 31 de ce mois , à condition qu'elle avancera
au Gouvernement un million ſterling
en 3 paiemens. Cette propofition doit être
difcutée dans une Affemblée de la Compagnie
; mais on ne doute pas qu'elle n'y caufe
de longs débats , d'autant mieux que tous
nos Papiers publics affurent que la trésorerie
du Bengale eft arriétée d'une fomme confidérable.
» La réfolution du Portugal dont on a cherché
à douter ici pendant quelque tems , vient d'être
confirmée
( 169 )
confirmée par des dépêches que la Cour a reçues de
Lisbonne. La conduite du Commodore Johnſtone
qui paroît avoir provoqué ce changement , n'eft pas
généralement approuvée ; mais on ne croit pas qu'on
J'en rende refponfable. On dit que la frégate les
Etats d'Artois & la chaloupe la Perle , qu'il avoit
voulu armer à Lisbonne , & fur lefquelles la Reine
de Portugal avoit fait mettre un embargo , qui a été
levé enfuite , font arrivées le 4 à Portſmouth. La
conduite de nos autres marins , quand celle du Commodore
auroit été plus décente & plus raisonnable
auroit fans doute fuffi pour changer les difpofitions
de la Cour de Lisbonne à notre égard. On dit qu'ils
ont commis une violence contraire aux droits des
gens dans une des Ifles Açores. S'il faut en croire
les bruits publics , elle reffemble fort à ce qu'ils ont
fait dans l'Ifle Hollandoife de Saint-Martin par ordre
de l'Amiral Rodney , & qui va fans doute occafionner
des plaintes graves de la part de la Républiques
peut être feront- elles appuyées par la neutralité
armée. Lorfque l'on confidère ces excès , on fe rappelle
le mot que pendant la dernière guerre , dit
une fois le feu Lord Chatham , alors M. Pitt , en
rendant un vaiffeau neutre réclamé par une Puif-
Lance à laquelle il appartenoit : Nous voulons être
les maîtres de la mer ; mais nous ne voulons pas
en être les tyrans. Nos marins femblent vouloir
réduire en maxime l'inverſe de cette expreffion du
Lord Pitt. Ils veulent plutôt être tyrans que maîtres
de la mer «,
La nombreuſe promotion que le Roi a
faite dans fa marine a été rendue publique ,
ainfi que celle des nouveaux Pairs qu'il a
créés. Parmi les premiers , le Prince Guillaumet-
Henri , actuellement à bord du vaiffeau
de guerre le Prince George
a été
nommé Lieutenant de vaiffeau. S. M. a dif
28 Octobre 1780.
,
h
(
( 170 )
pofé auffi de la charge de Lieutenant- Gé
néral des troupes de marine qui étoit restée
vacante depuis la démiffion de Sir Hugues
Pallifer , en faveur de Sir Thomas Pye ;
inais la Gazette de la Cour n'a pas encore
annoncé cette nomination que la nation
ne voit pas de bon oeil , parce qu'elle deftinoit
cette charge lucrative à l'Amiral
Rodney.
On dreffe actuellement un état des pertes
& dommages occafionnés par le dernier
foulèvement. On fait également le dénombrement
de tous les catholiques du Royauine
; & les deux états doivent être remis
au Parlement à fon ouverture .
Depuis peu de jours , écrit-on de Woolwich ,
en date du 30 Septembre , neuf Officiers François
qui avoient été pris à Pondichery aux Indes Orientales
, ont été amenés ici dans le vaiffeau l'Indien .
Les articles de la capitulation exigeoient qu'ils fulfent
conduits à un port d'Angleterre , d'où on les
feroit paffer en France par un bâtiment de cartel.
C'est ce qu'on avoit obfervé vis - à-vis des autres
prifonniers ; ceux- ci avoient été moins heureux .
Le Capitaine de l'Indien les avoit conduits à
Falmouth , où ils avoient réclamé l'exécution
de l'article de la capitulation ; mais le Capitaine
Anglois n'avoit fait que plaifanter de leur
précaution à cet égard , & les fit arriver à Portfmouth,
où la même réquifition lui fut faite avect
auffi peu de fuccès , puifqu'il les fit aborder à
Woolwich. A leur defcente à ce bourg de la Province
de Kent , les François éprouvèrent beaucoup.
d'embarras pour parvenir à trouver les moyens
de retourner en France. Heureufement pour eux ,
le fieur Turner , Miniftre fpirituel , s'offrir à leur
( 171 )
fervir d'interprète . Cet honnête Ecclefiaftique
après les avoir recommandés aux Officiers de la Plas
ce , pour qu'ils fuffent traités favorablement , écrivit
auffi - tôt à Lord North , & ayant obtenu l'agré
ment de lui aller préfenter un de ces Officiers , le
Miniftre ne l'eut pas plutôt entendu , qu'il décida
que le féjour qu'on leur faifoit faire en Angleterre
étoit entièrement contraire à la capitulation & à
Fintention du Gouvernement ; il le renvoya à
Woolwich , en l'affurant qu'inceffamment il y auroit
un bâtiment chargé de le faire repafer avec
fes camarades en France ; en effet , ils ont abordé
à Boulogne-fur-Mer , & ces Officiers fe louent de
la fenfibilité de l'Eccléfiaftique , de la juftice & de
la prompte expédition du Lord North , ainfi que de
la politeffe des Officiers de Woolwich «.
Les 3 vaiffeaux nouvellement conſtruits
par la Compagnie des Indes , pour le fervice
du Gouvernement , n'avoient point
encore de noms, On dit que l'on a propofé.
fucceffivement au Roi & au premier Lord
de l'Amirauté de les nommer, & qu'ils l'ont
refufé. La Compagnie a jugé en conféquence
à propos de les appeller des noms de nos
trois établiſſemens dans l'Inde ; lè Bengale ,
le Madraff & le Bombay- Caftle.
Comme depuis très - long- tems on n'a reçu
aucune nouvelle du Général Haldimand ,
Gouverneur de Québec , on ne doute past
que le bâtiment qu'il doit avoir fûrement
expédié pour l'Europe , n'ait péri ou ne foit
tombé entre les mains de nos ennemis.
P.S.La Gazette de Penfilvanie du 6 Sept.
contient l'article fuivant , daté de Baltimore .
le 29 Août , fur le combat du Général Gates
& du Lord Cornwallis.
1
h 2
( 172 )
Le 16 de ce mois , à 2 heures du matin , il y
a eu un combat fanglant à huit milles de Camden ,
dans la Caroline méridionale , entre S. E. le Général
Gates , à la tête d'environ 3000 hommes , dont 900
de troupes réglées , & les troupes Angloifes commandées
par le Comte de Cornwallis , confiftant en
1800 hommes de troupes réglées & 2400 réfugiés.
Le combat s'eft engagé de part & d'autre avec le
plus grand acharnement , & l'apparence du fuccès a
été pendant quelque tems tout-à- fait en faveur des
troupes Américaines , qui ont chargé l'ennemi la
bayonnette au bout du fufil , l'ont obligé de lâcher
pied, & de laiffer quelques pièces d'artillerie en la
poffeffion de nos troupes ; mais malheureuſement
dans ce moment critique la fuite inopinée de la
milice a fait tourner l'avantage du côté de l'ennemi.
Cet évènement a été fatal à un grand nombre de
nos braves Compatriotes des troupes réglées , dont
4 ou soo ont été tués & pris ; dans ce nombre fe
trouvent plufieurs bons Officiers. La perte de l'ennemi
a été beaucoup plus confidérable . On préfume
que quelques Généraux font du nombre des tués.
Malgré cet échec le Général Gates , dont le quartier
général eft à Hillsborougg , dans la Caroline feptentrionale
, raffemble des forces beaucoup plus con
fidérables que celles qui compofoient la première
armée , & paroît décidé à courir les rifques d'une
autre journée. Les Virginiens ont complété leur
contingent de soco hommes , qui font en marche en
détachement de soo hommes chacun pour renforcer le
Général Gates. Environ 300 hommes de cavalerie
aux ordres des Colonels White & Washington , font
partis depuis quelques jours d'Hallifax , dans la.
Caroline feptentrionale , pour joindre le Général
Gates à Hillsborough . On doit dire à la louange
de la milice de la Čaroline méridionale , qu'elle s'eſt
fort diftinguée dans cette action «,
Dans le New - Port- Mercury , on lit les
détails fuivans.
( 173 )
5
Le Lundi , 2 1 du mois dernier , un Comité de l'hos
norable Affemblée de cet Etat , alors fiégeant en cette
ville , fe rendit chez S. E. le Général François , auquel
il préfenta l'adreffe fuivante. - » Les Repréfentans
de l'Etat de Rhode- Ifland & des Plantations
de Providence en Affemblée générale , faififfent , avec
la fatisfaction la plus vive , la première occafion qui
fe préfente de féliciter le Comte de Rochambeau ,
Lieutenant- Général des Armées de S. M. T. C. fur
fon heureuſe arrivée dans les Etats- Unis . En cette
occafion nous ne pouvons trop exprimer combien
eft vivé la reconnoiffance dont nous pénètre le fecours
généreux & magnanime que les Etats - Unis
reçoivent de leur illuftre Ami & Allié . Les preuves
de fon zèle & de fon amitié étoient déjà fuffifantes ;
celle qu'il nous donne en ce moment doit forcer
jufqu'aux Anglois envieux & déçus de leur attente
à vénérer la fageffe de fes confeils & la fincérité de
fon ame noble. Nous jettons déjà les yeux de l'attente
fatisfaite fur l'iffue d'une campagne dans laquelle
les forces alliées de la France & des Etats-
Unis , favorifées du fourire de la Providence divine ,
pourront produire la paix & le bonheur , non-feulement
pour les Puiffances Belligérantes , mais pour
le genre humain en général. Nous vous affurons
M. ,que cette agréable perfpective s'embellit encore ,
lorfque nous confidérons la fageffe qui a porté S. M.
T. C. à vous donner le commandement de l'Armée
deftinée à nous fecourir. Comptez , M. , fur tous
les efforts qui feront au pouvoir de cet Etat , pour
procurer les rafraîchiffemens néceffaires aux troupes
que vous commandez , & faire enforte que , pour
tous les grades , le fervice foit auffi agréable qu'il
eft honorable ". M. de Rochambeau a fait la
réponſe fuivante. » MM. , le Roi mon Maître
m'a envoyé au fecours de fes bons & fidèles Alliés
les Etats-Unis de l'Amérique. Pour le moment je ne
vous amène que l'avant-garde d'une armée infini-
――
h 3
( 174 )
--
ment plus forte deftinée à ce fecours , & le Roi m'a
ordonné d'affurer les Etats- Unis qu'il développera
toute fa Puiffance pour les foutenir. Les troupes
Françoifes font foumifes à la difcipline la plus ftricte ;
& en fervant fous les ordres du Général Washington ,
elles vivront avec les Américains comme avec des
frères . Rien ne me rendra plus heureux que de pouvoir
contribuer à leurs fuccès . Je fuis , on ne peut pas
plus fenfible aux marques d'égard que je reçois de
la part de l'Affemblée générale , & je la prie de trouver
bon que je lui, déclare que la regardant comme
compofée de mes frères , non- feulement ma vie ,
mais celle des troupes à mes ordres font entièrement
dévouées à leur fervice «.
FRANCE.
De MARLI , le 14 Octobre.
M. de Sartine , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
département de la Marine , ayant prié le Roi d'agréer
la démiffion de cette place , S. M. a nommé
Secrétaire d'Etat au département de la Marine le
Marquis de Caftries , qui eut l'honneur de faire en
cette qualité fes remerciemens au Roi le 14 de ce
mois. Il a autfi eu , le même jour , l'honneur d'être
préfenté en cette qualité à la Reine & à la famille
Royale. Le lendemain le Marquis de Caftries a prêté
ferment entre les mains du Roi , en qualité de Secrétaire
d'Erat au département de la Marine. Le même
jour , le Roi a nommé le Marquis de Caſtries , Secrétaire
d'Erat au département de la Marine , Miniſtre
Erat . En conféquence , il eft entré en cette qualité
au Confeil , le même jour.
De PARIS , le 24 Octobre.
ON efpère que les premières lettres d'Efpagne
apporteront la nouvelle de l'arrivée
de M. de Guichen à Cadix. Selon plufieuts
( 175 )
avis , il a envoyé avant fon départ de St-
Domingue des vaiffeaux à M. de Ternay
& des troupes à M. de Rochambeau.
I
Des lettres de Nantes portent qu'il y eft
arrivé un bâtiment de Philadelphie , d'où
il étoit parti à la fin d'Août . L'équipage
raconte qu'à cette époque M. de Rochambeau
fe préparoit à faire le fiége de New-
Yorck avec le Général Washington . Ce
dernier avoit déja près de 30,000 hommes
fous fes ordres , & les milices des Provinces
du Nord fe difpofoient à le joindre au
nombre d'environ 15,000 hommes. On
ajoute que M. de Rochambeau dédoubloit
fes Régimens & y incorporoit des Américains.
Selon d'autres lettres , le Capitaine d'un
navire Américain , arrivé à St- Martin , en
l'Ile de Ré , rapporte qu'à fon départ de
Salem , les Septembre , on y étoit inftruit
que le Général Washington s'approchoir de
New- Yorck , & que les François , renforcés
par un corps de troupes Continentales
& un nombre de volontaires , faifoient
des difpofitions pour paffer dans l'Ifle - Longue
, & feconder les opérations du Général
Américain , en refferrant New-Yorck
de ce côté. Ces nouvelles , encore vagues ,
ne peuvent tarder à faire place à des détails
plus sûrs.
On mande de Breft qu'un coup de vent
des plus violens , dans la nuit du 8 au 9
de ce mois , a fait périr à la côte un corh
4
( 176 )
faire de ce Port , dont 9 hommes feulement
fe font fauvés. Les vaiffeaux qui étoient en
rade ont chaífé fur leurs ancres ; un bâtiment
Danois a manqué périr . Le maître
cable du vaiffeau le Sceptre , en armement
dans le Port , a caffé. Le même coup de
vent a renversé , à Recouvrance , la guérite
d'une fentinelle , qui a eu le bras & la
jambe fracaffés.
» Le convoi qui eft actuellement à l'Ifle d'Aix ,
écrit-on de Nantes , doit aller à Breft fous l'efcorte
de deux frégates , joindre l'efcadre de M. de la
Touche-Tréville . Plufieurs navires de ce convoi ont
effuyé de fortes avaries au commencement de ce
mois. Nous avons eu des ouragans terribles ; on
m'affure que la mer avoit été affez houleufe & le
vent affez impétueux pour porter un navire marchand
à une affez grande diftance fur la terre près
de Rochefort , où il a été laiſſé à fec , & d'où il
fera très- difficile & peut- être impoffible de le retirer.
Il y a auffi plufieurs navires qui ont fouffert du
mauvais tems au bas de notre rivière & à Groys " .
On écrit de l'Orient qu'un corfaire Anglois
de 16 canons étoit entré à Auras , où
il avoit voulu fe faire paffer pour Américain
; mais que fa fupercherie avoit été découverte
par fes papiers , & que tout l'équipage
avoit été mis en prifon.
Les cutters du Roi le Clairvoyant & le
Pandoure qui avoient appareillé du Havre
le 6 de ce mois , y font rentrés le 7 &
le 1. Le premier ayant été comme forcé ,
& le fecond ayant été obligé de relâcher à
la Hogue où il a effuyé un coup de vent.
On mande de Dunkerque que les cor(
177 )
faires de ce port continuent avec fuccès
leurs croifières. Le Duc d'Eftiffac eft rentré
le 13 Octobre à Oftende avec une rançon
de 3500 liv. fterl. La Princeffe - Noire y a
amené le même jour une prife de 180 tonneaux
chargés de goudron , bray & fuif.
La Comteffe de Provence a relâché au Texel
avec une prife de 200 tonneaux chargés de
pelleterie , bray & goudron , & pour 36,000
liv. de rançons , enfin , le Chaulieu a fait
une rançon de 4500 liv. fterl.
Selon des lettres de l'Orient , le célèbre
Commodore Paul Jones ayant appareillé de
Grois le 7 de ce mois , effuya le terrible
quragan du 8 & du 9. La frégate l'Ariel
qu'il monte , eft entrée à l'Orient rafe comme
un ponton. Un petit bâtiment Américain
qui l'avoit fuivie , eft rentré 2 jours
après mais fans avaries. Le même ouragan
a fait échouer à la côte nombre de petits
bâtimens , un chargé de munitions pour
Breft a péri corps & biens. Un autre chargé
de chanvre s'eft brifé à la côte de Gavre ,
mais l'équipage s'eft fauvé .
Une goeletre arrivée à Breſt le 12 a occafionné
le départ d'un courier extraordinaire
pour la Cour. Le 14 , les prifonniers
Anglois détenus dans la prifon de Pontancon
ont été transférés à la citadelle de Breſt.
En attendant des nouvelles pofitives des
opérations militaires , tant de la flotte combinée
, prête à fortir de Cadix , que des François
& des Américains réunis en Amérique ,
hs
( 178 )
nous placerons ici quelques pièces intéreffantes
; la première eft une lettre écrite de
Philadelphie le 14 Juin dernier à M. l'Abbé
Raynal.
---
» M. votre Hiſtoire s'eft ouvert un chemin dans
le Nouveau-Monde. En rendant juſtice à la beauté
de l'ouvrage & à l'élégance avec laquelle il eſt écrit ,
nous avons fur- tout été charmés de cet amour de
l'humanité & de ce caractère de bienfaifance qui
brillent à chaque page ; c'eſt- là que les droits de la
nature humaine font affurés avec toute la force du
raifonnement , & avec toutes les graces d'une élo ,
quence perfuafive . Au milieu de la confufion que la
guerre entraîne dans nos climats , au milieu des foins
qu'exige le gouvernement civil après une révolution
fi importante , nos regards fe tournent vers vous ,
M.; un penchant irréfiftible nous force de lire &
d'admirer , de respecter & d'aimer l'homme , dont
le génie vafte faifit , développe & trace ' avec tant
d'énergie les droits du genre humain. Je ne puis
mieux reconnoître , M. , le plaifir que j'ai éprouvé ,
qu'en vous priant d'accepter deux Actes émanés du
Confeil Suprême de Philadelphie. En vertu de l'un ,
déformais la fervitude eft abolie & entièrement détruite
. L'autre a pour objet la création d'une Univerfité
, qui , établie fur les principes du toléran .
tifme , admet également toutes les Religions Chrétiennes
que nous voyons fleurir parmi nous , & dans
laquelle on cultive les Langues , les Arts & les Sciences
qui font partie effentielle de l'éducation . A
qui ces prémices de la liberté civile pourroient -elles
étre plus agréables qu'à vous , M. , dont l'efprit
elt fait pour goûter tout ce qui peut hâter cet heu
reux tems où le faux - zèle , l'avarice & la cruauté le
cèderont à la charité & à la bonté univerfelle ? →
C'est à ce titre que je prends la liberté de vous en
faire hommage. J'ai l'honneur d'être avec le plus
parfait refpect , &c. figné , Jos . REID .
-
t
( 179 )
Les actes annoncés dans cette lettre font
en effet des monumens de fageffe & d'humanité
voici le préambule du premier ,
qui a pour but l'abolition graduelle de l'efclavage.
לכ
:
Quand nous confidérons notre horreur pour
cette condition à laquelle les armes & la tyrannie
de la G. B. ont cherché à nous réduire , lorfque
nous envifageons la multitude & la variété des dangers
auxquels nous avons été exposés , les occafions
où le Ciel a pourvu miraculeufement à nos befoins
& à notre délivrance , dans des momens où l'efpérance
& le courage humain fembloient au deffous des
efforts qu'on nous oppofoit , nous ne pouvons qu'éprouver
le plus vif fentiment de reconnoiffance pour la
protection & les bienfaits que nous avons reçus de
la fource de tout bien . Pénétrés de ces fentimens , nous
regardons comme un devoir , & nous nous félicitons
de ce qu'il eft en notre pouvoir de faire part aux
autres d'une portion de cette liberté dont nous jouiffons.
Ce n'eit pas à nous de rechercher pourquoi
dans la création des hommes , les Habitans des différentes
parties de la terre ont été diftingués par des
traits & des couleurs différentes . Il nous fuffit de
favoir qu'ils font tous l'ouvrage de la inain du Tout-
Puiffant. Dans la diftribution de l'efpèce humaine ,
nous voyous les parties les plus fertiles & les plus fteriles
de la terre habitées par des hommes , qui diffèrent
non-feulement de nous , mais encore les uns des autres ;
la raifon & la religion nous invitent à conclure que
celui qui les plaça dans ces diverfes fituations a
également étendu les foins & fa protection à tous
& qu'il ne nous appartient pas de nous oppofer
fes bienfaits. Nous regardons comme une faveur
particulière qu'il nous fait , de ce qu'il nous a mis
en état de contribuer à la civilifation univerfelle
en faifant ceffer , autant qu'il eft poffible , les peines
h 6
( 180 )
des infortunés qui ont vécu dans une oppreffion qu'ils
ne méritoient pas , & dont l'autorité que s'atrogè
rent les Rois de la G. B. ne les auroit jamais délivrés.
Une longue expérience ayant affoibli les préjugés
étroits dont nous avons été imbus , nos coeurs
s'ouvrent à la tendreffe & à la bienveillance envers
les hommes de toutes les conditions & de toutes les
nations. Nous nous croyons particulièrement appellés
aujourd'hui à manifefter la fincérité de notre
reconnoiffance pour les biens dont la Providence
nous a comblés , & à en donner des preuves effi
caces «<.
Cet acte abolit la fervitude à vie de tout enfant
qui en naiffant s'y trouve condamné par l'esclavage
de fa mère. Déformais cet enfant fervira le Maître
chez lequel il eft né , jufqu'à l'âge de 28 ans , aux
mêmes conditions , avec les mêmes droits & les
mêmes priviléges que les autres domestiques engagés
pour le terme de 4 ans. Si ceux au fervice defquels
il appartient préférent de renoncer à leurs
droits , les Inspecteurs des Pauvres de la ville &
du diſtrict , le mettront en apprentiffage pour un
tems qui n'excédera pas celui de 28 ans. Tous les
Maîtres feront enregiſtrer avant le 1er. Nov. leurs
efclaves à vie ou pour un tems , pour les diftinguer;
ceux qui n'auront pas été enregistrés feront réputés
libres. Leurs Maîtres ne feront pas difpenfés
pour cela de pourvoir à leurs befoins . Les Infpecteurs
des Pauvres qui les fuppléeront feront remboursés
par eux de leurs avances . Les nègres tant
libres qu'efclaves feront jugés comme les autres
habitans de l'Etat ; lorfque la peine de mort fera
prononcée , le Juré évaluera le prix de l'esclave que
le Tréforier de l'Etat rembourfera au Maître , ainfi
que les frais du procès , & fimplement ces derniers
lorfque la peine ne fera pas capitale , pour
empêcher toute tentative d'éluder la loi , en introduifant
dans l'Etat des nègres ou des mulâtres liés
( 181 )
par des conventions ; il eft dit que toutes celles qui
auront été faites pour un terme déraisonnable feront
nulles. Le terme ne doit pas paffer celui de 7
ans , à moins que le nègre n'eût fait cet engagement
avant 21 ans , auquel cas on pourra le garder juf
qu'à 28 ans.
Le fecond acte érige en Univerfité le Collège de
Philadelphie , le confirme dans fes poffeffions , y
ajoute des fonds néceffaires , en règle l'Adminiftration
intérieure , conformément à la révolution & à
la conftitution actuelle du Gouvernement de l'Etat
de Penſylvanie..
ལ་
Le Rouffillon , en reconnoiffance du rétabliſſement
du port de Vendre , a demandé
la permiffion de la manifefter , en élevant i
un obélifque à la gloire du Roi , S. M. ayant
bien voulu l'agréer , la première pierre en
fut pofée le 28 du mois dernier par la
Comteffe de Mailly. Ce jour fut célébré
par différentes fêtes données fur le baffin
du Port ; & nombre de bâtimens étrangers
fe réunirent pour joindre leur propre re- A
connoiffance à celle des habitans. L'obélifque
eft conftruit en marbre du Rouffillon ; il eft
de 80 pieds de haut , & terminé par un
globe doré qui repréſente les 4 parties du
monde il s'élève du centre une fleur de
lys qui les orne de fes feuilles , image de
la protection & de l'afyle que le Roi
accorde à toutes les nations.
:
En parlant de la mort fâcheufe du jeune
Gentilhomme qui fut tué aux environs
de Metz dans une voiture , par un fufil
qui y avoit été placé & qu'on n'avoit pas
( 182 )
eu l'attention de décharger , on s'eſt mépris
fur le nom de la victime de cette malheureufe
imprudence ; ce n'eft point M. de
Loftange , c'eft M. de Soufet , Capitaine au
Régiment de Bourbon , Dragons .
» On apprend de Lunel , écrit - on de Montpellier
, qu'au commencement de ce mois , pendant
une forte pluie , le tonnerre étant tombé par la cheminée
dans la cuifine d'un Vitrier , fur un chaudron
où on faifoit bouillir des raiſins pour faire du réfiné,
il engloutit le chaudron & enleva tout le moût fans
en laiffer une goutte ; il parcourut enfuite la cuifine ,
racla les murs , dériva les cloux fans endommager
les vantaux ni les vitres , & fans faire aucun mal à
la domeftique ; il remonta enfuite par le tuyau de
la cheminée , le perça , paffa dans une chambre voifine
, où il caffa une vitre , fit à une autre un troả
de la grandeur d'un écu de fix livres , rentra de - là
dans une autre pièce où étoit couché un homme qui
n'entendit pas le moindre bruit , en racla auffi les
murs , & difparut tout à coup fans laiffer aucune
trace de la direction qu'il avoit prife pour fortir «<,
On lit dans les Affiches du Dauphiné les
détails fuivans d'un incendie allumé par le
feu du ciel.
» Le 3 Septembre , à l'entrée de la nuit , il y
eur à Veynes un orage violent , accompagné d'une
grêle d'une groffeur extraordinaire. Le tonnerre tomba
dans le village de Châteauvieux ; il abattit le
tuyau de la cheminée d'un habitant , perça une voûte
, s'introduifit dans une écurie où il y avoit des
boeufs , qu'il réduifit en poudre , & gagna enfuite la
couverture , qui étoit en chaume . A l'inftant même
fix habitations & la maifon Presbytérale furent enveloppées
dans l'incendie , qui réduifit en cendres les
grains , les fourrages & tous les meubles & effets
( 183 )
des habitans . L'un d'eux avoit une foeur qui devoit
fe marier le furlendemain ; les préparatifs de la
noce , la dot , les nipes & les joyaux ont été la proie
des flammes. Ce défaftre n'a point empêché de conclure
le mariage ; le prétendu , qui n'eſt pas riche
a montré des fentimens qu'on ne trouve pas toujours
dans les conditions les plus relevées , & ſon déſintéreffement
mérite de juftes éloges.
Le fujet du prix des Mathématiques que l'Académie
des Sciences , Belles - Lettres & Arts de Lyon
diftribuera l'année prochaine , confifte à déterminer
la largeur , la forme & la nature des Jantes
des roues des Voitures deftinées au transport des
marchandifes , en confidérant en même-tems l'intérêt
du commerce & la confervation des grandes
routes & du pavé des villes Celui du prix de
Phyfique pour l'année 1782 , eft de déterminer fi
l'Electricité de l'atmosphère a quelque influencefur
les végétaux ; quels font les effets de cette influen ,
ce ? Et s'il y en a de nuifibles , quels font les
moyens d'y remédier. Le fujet du prix d'Hiftoire
Naturelle eft celui - ci : Quels ont été & quels font
les alimens & les boiffons des grands peuples dans
Les différens climats ? Quels en ont été & quels
en font les effets , relativement à la fanté , à la
force , à la durée de la vie & à la population ?
M. l'Abbé Raynal , après avoir éclairé les hommes
par les écrits , a voulu leur procurer encore de
nouvelles lumières , en excitant l'émulation ; affocié
aix travaux de l'Académie de Lyon , il a propofé
à cette Compagnie d'annoncer deux fujets de prix ,
dont il a fait les fonds , l'un de 600 liv . relatif à
la prospérité des manufactures de cette Ville ; l'autre
, de 1200 liv. , concernant la découverte de
l'Amérique. L'Académie propoſe en conféquence,
pour le premier qu'elle diftribuera en 1782 , quels
font les principes qui ont fait profpérer les mas .
nufactures qui diftinguent la ville de Lyon ? Quel(
184 )
C
les font les caufes qui peuvent leur nuire , quels
font les moyens d'en maintenir & d'en affurer la
profpérité ? Pour le fecond , qui fera donné en
1783 , la découverte de l'Amérique a-t elle été
utile ou nuifible au genre humain ?. S'il en a réfulté
des biens , quels font les moyens de les
conferver & de les accroître ? Si elle a produit des
maux , quels font les moyens d'y remédier ?
Le fujer propofé par l'Académie de Toulouse ,
pour le prix triple de 1780 , n'ayant point été rempli
, elle en propoſe pour 1783 deux autres , à chacun
defquels elle deftine un prix de cent piftoles :
19. L'influence de fermat fur notrefiècle , relativement
aux progrès de la haute géométrie & du
calcul , l'avantage que les Mathématiques en ont
retiré , & qu'elles peuvent retirer encore de fes ouvrages.
2 °. Les moyens les plus avantageux de
conduire dans la ville de Touloufe une quantité
d'eau fuffifante , foit des fources éparfes dans le
territoire de cette viile , foit du fleuve qui en baigne
les murs , pour fournir en tout tems , dans les
différens quartiers , aux befoins domestiques ,
aux incendies , & à l'arrosement des rues , des
places , des quais , des promenades . L'Adminif
tration Municipale pénétrée de l'importance de ce
dernier fujet , & du peu de proportion entre les travaux
qu'il exige , & une fomme de 1000 liv. , a
délibéré d'y ajouter cent louis , de manière que le
prix total fera de 3400 liv. Le fujet du prix de
17 , qui fera de 500 liv. , confifte à affigner les
effets de l'air & des fluides aériens introduits ou
produits dans le corps humain , relativement à
Péconomie animale. Celui de Juin 1782 , qui fera
de cent piftoles , eft de déterminer les avantages
en général de l'établiſſement des Etats provinciaux
, & en particulier ceux dont le Languedoc
eft redevable aux Etats de cette Province.
La Société Royaie des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de Nancy , a tenu le 25 du mois d'Août der(
185 )
nier , une de fes Séances publiques . M. le Préfident
de Sivry , Secrétaire- Perpétuel , en a fait l'ouverture
par un Difcours , dans lequel il a annoncé les dons
que le Roi avoit accordés nouvellement à la Bibliothèque
publique de Nancy. Comme une partie des
bienfaits de S. M. a été tranſmiſe à la Société Royale
par le département des Finances , le Secrétaire Perpétuel
en a pris occafion pour remarquer , à la gloire
des lettres & des corps littéraires , que l'Académie
Françoife , en décernant la palme au Panégyrifte de
Colbert , avoit préparé peut- être l'élévation de fon
fucceffeur & de fon émule ; il a ajouté que fon exein-
'ple prouvoit qu'un homme de lettres qui déploye de
grandes vues dans fes écrits , s'il devient homme
d'état , exécute de grandes chofes dans fon adminif
⚫tration . M. de Sivry a lu enfuite l'Eloge hiſtorique
de M. André de Piroüel , l'un des Avocats de
la Chambre Royale , fondée par le feu Roi Staniflas
, pour confulter gratuitement les affaires des
Pauvres. M. Cerutti a donné plufieurs Fragmens
d'un Ouvrage de ſa compoſition . → M. François de
Neufchâteau a récité les premier & fecond Chants
de fa Traduction en Vers françois du Roland furieux
de l'Ariofte. M. de Sivry a terminé la Séance ,
en annonçant que la Société Royale avoit placé dans
la Salle de fes Affemblées particulières , le Bufte de
Voltaire , par Houdon. Pour calmer les fcrupules
de quelques efprits qui auroient pu être fcandalités de
cette efpèce d'inauguration , il a fini par appliquer à
Voltaire lui-même , ces deux vers de fa Tragédie de
la mort de Célar.
-----
-
Faifant tout pour la gloire , il ne fit rien pour Rome ,
Et c'est la feule faute où tomba ce grand homme.
Charles-Louis de Maillé , Marquis de
Maillé- la - Tour- Landry , eft mort le 9 de
ce mois dans fon château d'Entrames
dans le Maine , âgé de 68 ans .
( 186 )
Le Marquis de Jaucourt pere , eſt mort
ici le 17 dans fa 94 année.
Louis-Maurice Dardaine , fils du fieur Dardaine ,
Maître Maréchal à Paris , rue des Vieux- Auguftins ,
Paroifle Saint-Eustache , partit de chez fon pere le
premier Seprembre 1780 , fans fujet , & feignant
d'aller en claffe , il n'eft point revenu ; il eft âgé de
15 ans & demi , habillé d'un furtout & vefte pareille
camelot petit-gris , culotte de peau de mouton
noire , bas de coton blancs , grande boucles d'acier
à fes fouliers , taille d'environ 5 pieds , trèsfort
pour fon âge , grands cheveux châtains , grands
yeux & les fourcils bruns , le nez large du bas , la
bouche un peu grande , les lèvres un peu groffes ,
le vifage affez plein & un peu bazanné ; le fieur Dardaine
prie les perfonnes qui auront connoiffance du
jeune homme de vouloir bien l'en avertir ; il joindra
a la reconnoillance une honnête récompenſe.
De BRUXELLES , le 10 Octobre.
Le changement furvenu inopinément
dans le fyftême de la Cour de Lisbonne ,
afflige beaucoup les Anglois ; c'eſt à leur
conduite arbitraire qu'ils doivent s'en prendre
; il eft à préfumer que s'ils avoient eu
plus de modération , ils auroient confervé
l'afyle que leur offroient les Ports de Portugal
; mais ils ont eu l'imprudence de ne
pas avoir plus d'égards pour cette Puifance
que pour les navires neutres . On lit
fur ce fujet l'article fuivant dans la Gazette
de Madrid , fous la date de Lisbonne.
» Le 3 Septembre il arriva dans ce port un évènement
qui a fait peu de bien aux Anglois , en éclairant
fur leur conduite . Les Armateurs l'Artois &
( 137 )
Ia Perle , à l'exemple d'autres vaiffeaux de la même
nation , avoient attiré à leur bord quelques mariniers
Portugais , & voulurent les forcer d'y ref
ter. La Reine en ayant été informée , réclama ces
Mariniers , & envoya deux fois les demander. Les
Commandans les rendirent fans oppofition mais à
regret ; ils continuèrent leur pratique illicite , & la
Reine envoya un de les Défembargadors avec main
forte , pour retirer de ces bâtimens tous ceux de
fes fujets qui s'y trouvèrent ; fur la fignification
que le Juge fit de fes ordres , l'équipage Anglois
répondit avec menaces ; ils eurent même l'audace
de jetter à la tête du Juge & de fes gens , quelques
groffes balles de mitrailles , comme s'ils euflent
voulu le lapider à terre. Le Défembargador fe retira
fur le champ , & paffant à la Tour Saint-Julien ,
qui commande l'entrée du port , il impofa un embargo
général fur tout corfaire ou bâtiment Anglois
armé , & il rendit compte à fa Souveraine de
ce qu'il venoit d'ordonner. Quelques jours après ,
S. M. T. F. leva l'embargo général , & le borna
aux deux bâtimens qui avoient commis l'infulte .
-
Il court dans cette ville un bruit qui , s'il fe confirme
, prouve de plus en plus de quoi font capables
les marins Anglois . Une barque Américaine
pourfuivie par un corfaire Anglois , fe réfugia dans
une des Inles Açores . Le corfaire la voyant en fûreté,
fe retira à un village voifin . Le Commandant
du Fort fous lequel l'Américain fe tenoit , craignant
quelque entreprise de la part du corfaire ,
prit la précaution de tenir cette nuit - là plufieurs
chaloupes armées en garde à la rade. Le corfaire
envoya en effet la fienne , avec ordre de couper
les cables du bâtiment Américain ; mais les chaloupes
de garde la découvrirent & s'en emparèrent.
Le corfaire ne la voyant point revenir ,
voya fon bateau pour le même effet , il fut également
arrêté ; enfin informé du fort de fes gens , il
en(
188 )
mit à la voile ; ayant rencontré une frégate de ſa
nation , il lui fit part de ce qui s'étoit patié . Le Capitaine
de la frégate defirant s'en venger , fe rendit
devant le Fort ; & s'y étant mis en travers , commença
à le battre , de façon qu'on dit qu'il lui a fait
affez de donmage ; il coupa enfuite les cables du
petit bâtiment Américain , & l'emmena de l'Ifle où
il s'étoit réfugié.
Cette violence a beaucoup de reffemblance
avec celle faite à l'établiffement
Hollandois de l'Ifle St Martin ; elle ne peut
qu'indifpofer à la fois le Portugal & la
Hollande . Selon les lettres de la Haye ,
les Etats de Hollande & de Weft-Frife
en fe féparant pour fe raffembler le 18 de
ce mois , avoient arrêté de demander les
avis de leurs Villes refpectives fur plufieurs
objets , & entr'autres fur celui-ci : ne feroitil
pas néceffaire d'envoyer une efcadre aux
Indes Occidentales , pour s'opposer autant
qu'il fera poffible à ce que les Anglois ne
commettent plus par la fuite des hoftilités
auffi graves & auffi contraires au droit des
gens que celles commifes à St - Martin ?
Les mêmes lettres ajoutent que les Directeurs
de la Compagnie des Indes Occidentales
, de la Chambre Préfidiale d'Amfterdam
, ont écrit à LL. HH. PP. , pour
leur donner connoiffance de ce qui s'eft
paffé dans cette Ifle , & folliciter qu'on
accorde au plutôt une protection efficace ,
capable d'empêcher que la Compagnie &-
les particuliers foient expofés à de plus
grands dommages ; les Américains voyant
( 189 )
que leurs navires & leurs cargaiſons ne
font pas en fûreté dans les Ports des Indes,
Occidentales , cefferont tout commerce avec
les Colonies Hollandoifes , où l'on affure
que les Anglois ont pris la réfolution d'enlever
de force tous les navires Américains.
On ajoute même que tous ceux qui ſe trouvoient
à Curaçao , à Ste- Croix & à St-
Thomas s'en font retirés .
On dit que le Capitaine Landois , commandant
le vaifleau l'Alliance , s'eft emparé
pour fa part , fur les bancs de Terre-
Neuve , de 9 navires de la flotte de Québec . ୨
Selon les lettres de Cadix , les Officiers
Eſpagnols ayant nommé 2 Négocians Efpagnols
pour faire la vente des cargaiſons
& navires pris fur l'ennemi , les Officiers
François en ont pareillement nommé 2 de
leur Nation pour le même objet.
PRÉCIS des nouvelles de Londres , du 17 Octobre.
Dans le Confeil privé du 13 , le Lord Carliſle a
été nommé Vice - Roi d'Irlande. Il aura M. Eden
- pour Secrétaire d'Etat. Le Lord Grantham
remplace
le Lord Carliſle dans le Bureau du Commerce & Plantations.
---
Le 12 , le Barfleur que doit menter l'Amiral
Hood , eft rentré à Portſmouth . Il eſt deſtiné , avec
quatre autres , pour les Ifles . La grande efcadre
avoit quitté Torbay le 11 ; elle y eft rentrée le
14 , après avoir été fort maltraitée d'un coup de
vent. Le Victory , le Royal - George & l'Union
avoient perdu leurs gouvernails. On dit que le
Cumberland , de 74 , eft parti le 4 avec trois autres
vaiffeaux de ligne pour les Illes , Cependant cette
nouvelle a befoin de confirmation .
Un paquebot de la Jamaïque a apporté des nouvelles
de Penfacola datées du 22 Juillet. Tout y
étoit tranquille. Le Gouverneur avoit mis un em(
190 )
bargo fur la flotte jufqu'au mois d'Octobre . D. Ber
nard Galvez paroiffoit avoir remis à un autre tems fon
expédition contre cette place.
-
Le 11 au matin , les Généraux Paterfon , Mathews
& Tryon ont débarqué à Portſmouth , arrivant
de New Yorck avec le vaifleau le Renown ,
de so canons , qui a convoyé une flotte de près de
deux cents bâtimens , dont la plus grande partic
eft restée à Corke. - Ces Officiers étoient partis
de Shandy Hook le 2 Septembre. Ils ont remis le
14 au Lord Germaine des lettres du Général Clinton.
Il transpire feulement que le Général Clinton
eft obligé de refter à New-Yorck avec la totalité de
fes forces , le Général Washington étant campé
très- près avec une armée très - forte. Vers la fin
d'Aout, Washington , avec le Marquis de la Fayette ,
les Généraux Green & Wagner fe font approchés de
Bergen ( pointe de Jerſeys oppofée à la ville de
New -Yorck ) . Le 25 Août ils font venus fourager
jufqu'a Priorfwell. L'Artillerie à l'exception de
quelques pièces de campagne & de bagages , n'étoit
pas à plus de 20 milles. Le 27 , ils ont détruit
des magasins de fourrage à Carleifle fur la rive nord
Au Hoebuck.
5 Dès le 26 Juillet le quartier général étoit dans
Bergen- County. Il y a dans les papiers une lettre
de cette date du Général Washington.
Il réfulte de ces nouvelles que l'expédition de
Clinton projettée pour la rivière James , dans la
baie de Cheſapeak , n'aura point pu avoir lieu.
Il a péri 12 bâtimens de la flotte qui vient de rentrer
à New- Yorck . Les équipages ont été recueillis fur les
autres.
Le Jéfuite Espagnol pris fur le Paquebot de
Buenos-Ayres , a été examiné le 13 par les Secrétaires
d'Etat , fur les prétendus foulèvemens dans
l'Amérique Espagnole. On croit que le Ministère ,
pour foutenir la gageure , l'enverra fur les lieux ,
à la fuite du Régiment du Colonel Fullarton , qui
eft chargé , dit-on , d'une expédition fecrette dans
cette partie. M. de Pinto , ci - devant Miniftre
-
( 191 )
Plénipotentiaire de Portugal , qui étoit allé s'embarquer
à Falmouth, eft revenu à Londres . On prétend:
que le Gouvernement l'a fait prier de revenir
charger d'un Mémoire important pour la Cour.
pour fe .
On avoit vu avec étonnement que la victoire
remportée par le Lord Cornwallis , n'avoit prefque ..
pas fait hauffer les fonds . L'Oppofition n'a pas manqué
de dire que cet évènement ne pouvant que prolonger
la guerre , il étoit impoffible qu'il produisît
une hauffe dans les fonds. Le 15 & le 16 on les a
yu hauffer d'un & demi pour cent , fur le bruit
qui s'eft répandu avec la plus grande vivacité que
l'Espagne alloit faire fa paix particulière , parce que
le Prêtre Huffey , ci -devant Aumônier du Marquis
d'Almodovar , venoit d'arriver de Madrid . — Ona
bientôt découvert que c'étoit un artifice miniftériel
pour amortir l'effet du fâcheux évènement attendu
pour le 16 , jour auquel , à la grande furprife
de toute la ville de Londres , le paiement du
dividende de la demi-année du nouvel emprunt a
manqué. Il s'eft débité que l'argent étoit tout
prêt dans la caiffe , mais que l'ordre du paiement
n'étoit pas arrivé , ce qui provenoit de quelque
faute de bureau. Un exprès a été dépêché auffi-tôt
au Lord Palmerston à fa terre , près de Rumney
& l'ordre a dû arriver le 16 au foir.
--
Le 17 au matin , les partitans du Ministère fe
félicitoient d'avoir fi habilement dupé les Agioteurs,>
en leur faifant croire pendant deux heures feulement
, qui étoit tout le tems qu'il falloit , l'improbable
nouvelle d'une paix féparée avec l'Espagne.
Chaque parti a déja compté les forces dans le
nouveau Parlement, L'Oppofition ne paffe pas 179
fur le nombre de 558 ; ainfi le Parti Ministériel
fera de 388. L'Oppofition n'a pas gagné , à beaucoup
près , au changement. Il fe débite que le
fubfide fera de 18 millions ſterl.
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Les Miniftres fe font conduits avec tant de précipitation
& d'imprudence dans l'affaire de l'empri
fonnement de M. Laurens , qu'après l'avoir envoyé
à la Tour , ils ont tenu confeil fur la propriété de
( 192 )
cette démarche. Ce confeil a duré cinq heures , &
it eft de fait que plufieurs de ceux qui font à la tête
du Gouvernement de ce pays, ont délibéré lérieuſement
pour favoir s'ils prendroient l'avis du Préfident
du Confeil ou du Lord Chancelier: La queſtion a été
décidée en faveur du dernier , & en conféquence
on lui a dépêché dans la nuit un Courier à Bath ,
où il eſt actuellement. Jufqu'à ce qu'ils aient reçu
des inftructions du Lord Chancelier , ils ne favent
point fi la conduite qu'ils ont tenue relativement à
M. Laurens eft blâmable ou non , & ils ignorent
pareillement ce qu'ils doivent faire par la fuite en
conféquence de leur première démarche.
Le Gouvernement n'a en fa poffeffion aucuns papiers
Américains d'importance : ceux qui ont rapport .
à la fituarion de leurs finances , à leurs reffources &
à leurs liaiſons Européennes , ont été jettés à la mer
par M. Laurens avant la priſe du vaiffeau . Le paquer
qui a été trouvé ne contenoit que des lettres à divers
Particuliers du Continent , relatives à des affaires de
commerce , & qui ne peuvent donner au Miniſtère
aucune lumière qui puiffe l'éclairer fur les projets
ou les opérations de l'ennemi.
>
Les Miniftres ont fait ces jours derniers des prodiges
de politique , du moins par les plumes de leurs
Ecrivains. Ils ont détaché le Roi de Suède de la
Confédération des neutres. Une vifite rendue par
ce Prince au Chevalier Jofeph Yorck leur a fuffi
pour former une alliance entre lui & la G. B. , &
il a ainfi rompu avec l'Impératrice de Ruffie , pour
avoir été enfermé une heure avec un Miniftre Anglois
. La violence du Parti anti -Britannique à Amfterdam
a été transformée en modération : des modérés
ils ont fait des amis , & ils ont trouvé le
moyen de rompre le traité entre la Ruffie & la Hol
lande , quoique les Plénipotentiaires de la République
foient actuellement occupés à négocier cette affaire
à Pétersbourg.
ERRATA. Dans le Journal du 21 de ce mois on
a mal mis le nom de l'Architecte du Monaftère de l'Abbaye
Royale de Jarcy , c'eft M. Boulland & non M.
Boullaut
Qualité de la reconnaissance optique de caractères