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1780, 03, n. 10-13 (4, 11, 18, 25 mars)
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16.50 Mo
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407
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Texte
MERCURE
DE
FRANCE
DÉDIÉ
AU
ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE
LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
SAMEDI 4
MARS 1780 .
130
2011313
DEE
A
PARIS
ROYAL
Chez
PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins.
Avec Approbation & Breveté du Rol
STOR
BRU
s wel
TABLE
Des Matières du mois de Février.
PIÈCES IECES FUGITIVES.
BOUTS rimés donnés à
l'Auteur , & remplis fur
le champ ,
Vers à Mdela M** ,
3
49
60 Gens Vicieux ,
Extrait du Difcours prononcé
dans l'Acad. Françoife , 68
Coup-d'oeil fur la Littérature
,
-84
& la Souris , La Journée des Dames , 88 La Chatte
Fable ,
L'hiver , Ode ,
97
145
A MM. les Amateurs de
Mufique .
146
Pasfi près de Nous , ou l'Egalité
Rétablie ,
Portrait de l'Homme Généreux
50
Confeils à unjeune Poëte , 99
Lettre de Frère Pacôme , Her
120
127
Hofpice de Charité
Le Petit Chanfonnier François
,
Dictionnaire Univerfel des
Sciences Morale , &c. 157
Recueil de tous les Coftumes
des Ordres Religieux & Militaires
de toutes les Nations,
166
Le Lord Anglois & le Chevamite
de la Forêt de Sénar , à lier François , Comédie, 169
Frère Paul , Hermite de La Comieffe d'Alibre ,
Bibliothèque Universelle des
Romans ,
151 Paris ,
Enigmes
& Logogryphes
, 11 ,
12
19 , 119 , 155 ,
NOUVELLES LITTÉR .
Géographie comparée,
Voyages de Genève & deTou
raine ,
Théâtre à l'ufage des jeunes
Perfonnes, dernier Extrait ,
16
SPECTACLES .
་ 7 ་
179
41 Concet extraordinaire
Académie Roy, de Muſiq. 42 ,
89.
Comédie Françoiſe , 43 , 91
Comédie Italienne , 44 , 128,
183.
26 Variétés ,
39
131 , 137 , 189
Gravures , 46 , 93 , 142 , 191
Bon jour aux Muſes ,
Extrait d'un Dialogue en vers Mufique ,
fur le Traitement
doit dans la Société aux 143 , 191 .
que
94 , 191-
l'on Annonces Littéraires , 46, 95,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 4
MARS 1780.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN
PROSE.
VERS
A Mlle DE L..... en lui
envoyant le
Théâtre à
l'ufage des
Jeunes
Perfonnes *.
Les
hommes font de
grands enfans ,
Pour les
inftruire il faut leur plaire ;
C'eſt leur beſoin de tous les
temps.
Une morale trop auftère ,
Qui dédaigne les
agrémens ,
Auprès d'eux ne profite guère.
Jeune Pauline , en ces
Drames
charmans ,
Sous le mafque heureux de Thalie ,
* Cet Ouvrage ſe trouve à Paris , chez Lambert &
Baudouin , Imprim.-Libraires , rue de la Harpe , près
S. Côme. 4 vol. in- 8° . 20 liv.
brochés.
Sam 4 Mars 1780.
A ij
4
MERCURE
Des grâces de l'efprit la Nature embellie ,
Dans nos coeurs attendris grave ſes ſentimens.
Pour vous qui , devançant les vertus de votre âge ,
Toujours fur les confeils avez réglé vos pas ,
Quels doux plaifirs ne goûterez -vous pas
En reconnoiffant fon langage ?
Avec Agar ( 1 ) vous apprendrez d'abord
Que le bonheur eft le prix du courage.
Le bon , l'intéreflant Phanor ( 2 ) ,
Sous des dehors hideux , cachant un coeur aimable ,
Obtient de l'Amour même un regard favorable,
Inftruite par la vérité ,
Vous le favez , jeune Bergère ;
Souvent par vous ce mot fut répété :
Beauté n'eft qu'une fleur légère ,
La bienfaifance & la bonté
1
Sont les plus sûrs moyens de plaire,
Hélas ! trop fouvent la première
Ne produit que la vanité.
Plus fage qu'Iphiſe ( 3 ) & Cénie ,
Vous avez avec foin évité cet écueil ,
Et jamais le poifon d'un dangereux orgueil
Ne corrompra l'inftinct de votre heureux génie,
Auffi , fans aucune féerie ,
Entre les deux flacons , votre choix déjà fait
(1 ) Agar , Comédie. Premier Vol,
(2) La Belle & la Bête , Comédie. Premier Vol
( 3 ) Les Flacons , Comédie. Premier Vol.
DE FRANCE.
Vous feroit préférer celui qui rend parfait ,
Euffiez-vous le beſoin de devenir jolie .
( 1) Mais en vain à tous les talens
Que l'éducation vous donne ,
Vous joindriez encor mille & mille agrémens ,
Si vous n'étiez honnête & bonne :
Ces avantages vains tourneroient contre vous ,
Bien loin de vous gagner perfonne.
Plus on a de talens , plús on a de jaloux ;
Le grand fecret n'eft pas de les pofféder tous ,
C'eft de faire qu'on les pardonne.
O vous , qui poffédez ce charme intéreffant ,
De ces beaux lieux , aimable fouveraine ,
Régnez fur tous les coeurs ; vous en êtes la Reine ,
Et croyez qu'il n'eft point de pouvoir plus touchant.
(2) O le funefte appât que celui des louanges !
Comme il gâte aiſément le meilleur naturel !
Son charme , dit Milton , a fait tomber les Anges ,
Que ne fera - t'il pas fur un efprit mortel ?
Que des Adulateurs l'efpèce meurtrière
Auprès de vous ne trouve aucun accès.
Défiez -vous de ceux qui comptent vos fuccès;
Et croyez à l'ami fincère
Qui ne vous trompera jamais.
Hélas ! fans cet ami , fans ce guide fidèle ,
Comment échapper aux dangers ( 3 )
(1) L'Ifle Heureufe , Comédie. Premier Voł.
(2 ) L'Enfant Gâté , Comédie. Premier Vol.
( 3 ) Les Dangers du Monde, Comédie. Deuxième Vol.
A lij
MERCURE
De ce monde enchanteur , aux dehors d'un faux zèle,
Aux vices brillans & légers
Qui prennent chaque jour une forme nouvelle ?
La raison quelquefois pourroit vous avertir ;
Mais trop fouvent fa tardive ſcience
Ne vient qu'après le repentir .
Ce monde eft un dédale ; on n'en fauroit fortir
Sans le fil de l'expérience.
Dans ces tableaux intéreffans ,
Dont je viens de tracer une efquiffe imparfaite ,
Vous verrez les écueils de ces plaifirs brayans
Ordonnés par l'ennui , réglés par l'étiquette,
Et tout le prix des doux amuſemens
Que l'on goûte en cette retraite .
Interrogez Zélis ( 1 ) , elle vous apprendra
Quel charme vous attend au bal de l'Opéra.
Interrogez la touchante Emilie (2 ) ;
Et retrouvant au fond de votre coeur
Sa fenfibilité , fa raiſon , fa douceur ,
Rendez grâce à celui dont vous tenez la vie ,
De vous avoir donné tant de droits au bonheur.
( Par M. du B.... )
( 1 ) La Colombe , Comédie. Deuxième Vol.
(2 ) La Bonne Mère , Comédie. Deuxième Vol.
DE FRANCE.
REMERCIEMENT en vers à M. de la L *** .
Lieutenant de Cavalerie en quartier à
Vitré , en Bretagne , où l'on a dit les
chofes les plus flatteufes fur une Építre
de l'Auteur , qui a paru dans le Mercure de
Novembre dernier.
Left donc vrai , fils de Bellone ,
De mon bercail , agneau ( 1 ) chéri ,
Que chez la nation Bretonne ,
A mon Epître on a fouri !
Chacun a fait l'apologie
De ma candeur, de mes accens ,
Et s'eft ranimé pour les chants
De la célefte Poélie ?
Du goût , des arts & des talens ,
Ah ! vous habitez la patrie ,
Puifqu'en ces climats tolérans ,
Les chaftes foeurs de Polymnic
Trouvent de fenfibles amans.
Les Dieux de la Mythologic
Auront encor un grain d'encens ,
Et dompteront encor l'Envie.
L'Armorique , à tout fage Auteur
Refpectant la vertu , l'honneur ,
( 1) M. de la L *** eft natif de S. D. ** .
A iv
8 MERCURE
Accorda toujours fon eftime :
Dans fon fein l'amant de la rime
Peut , fans craindre d'Inquifiteur ,
Attendre & tenir fon bonheur
D'un plaifir auffi légitime .
Faites -vous naturalifer
Dans cette charmante Contrée ,
Où l'on voit fe réaliſer
Les beaux jours du règne d'Aftrée.
Sur ce rivage fortuné
L'inimitable Sévigné ,
Si riche en grâces naturelles ,
D'un burin facile & foigné.
Traça fes Lettres immortelles
A l'Écrivain le plus orné ,
Dignes de fervir de modèles.
C'eft encor , non loin de Vitré ,
Que des lois , ce grand interprète
Le docte & profond d'Argentré ,
A , par fes talens , illuftré
Et fa Province & fa retraite .
Là , Duguay -Trouin & Maupertuis
Ont , pour l'honneur de leur pays ,
Apperçu leur première aurore :
Là , digne oracle de Thémis ,
De la Chalotois brille encore.
Sous ce ciel propice & fi beau ,
Du brave Laclocheterie
On va contempler le berceau :
DE FRANCE.
Du Coüedic y reçut la vie ;
Ce trait achève mon tableau.
(Par M. l'Abbé Dourneau , Curé à S. D **.) .
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE
E mot de l'Enigme eft Fenêtre ; celui
du Logogryphe eſt Eteignoir , où le trouvent
neige , ire , tigre , été, ré , Gien , oie , rien ,
Roi , Reine , or , ortie , teigne , le Niger .
Nègre.
SEULE
ENIGM E.
EULE ou jumelle , mon partage
Eft d'être utile également.
D'une coquette à beau plumage
Je fais par-tout l'amufement.
Pour le Petit-Maître volage
Je ne fuis qu'un joujou d'enfant ;
Je me prête à leur badinage ,
Quoique par
fois
trop indécent.
Alors mon nom , mon entourage
Ont fubi quelque changement.
Pour un favant & pour un fage ,
Mon rôle devient important.
Jumelle : au milieu du vifage
On me place honorablement
.
Seule..... Eh ! finis ton verbiages
A. v
10
A
MERGUR E
Si tu babillois davantage ,
Adieu l'Enigme & le déguisement.
LOGO GRYPHE
LECTEUR , je fuis toujours & je ne fus jamais ;
En tous lieux conftamment je vis , meurs & renais .
Tu peux , dans les fept pieds fur lefquels je chemine ,
Trouver ce que l'on ſuit deſcendant la collinë ;
Un piége au peuple aîlé , tendu par l'Oifeleur ;
Un reptile fameux dans la Sainte Ecriture ;
Cet endroit qu'en Juillet ravage le Faucheur ;
Enfin , un inftrument prepte à l'Agriculture.
( Par Mde *** , à Valence , en Dauphiné. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSAI fur les Élégies de Tibulle , auquel on
a joint quelques Poefies légères , par M.
Guys , Secrétaire du Roi , de l'Académie
de Marfeille. 1 vol . in - 8 ° . A la Haye ; &
fe trouve à Paris , chez la Veuve Duchefne ,
Libraire , rue S. Jacques , au Temple du
Goût , 1779.
ON ne fe laffe point de relire les Ouvrages
des Poëtes anciens : on admire toujours avec
un nouveau plaifir les beautés dont ils ont
fu les enrichir. Pourquoi n'éprouvons- nous
1
DE FRANCE. 1 I
pas le même fentiment à la lecture de leurs
Traducteurs ? On pourroit répondre & trancher
la queſtion , en difant que nous n'avons
prefque point de bonnes traductions des
Poetes anciens. En effet , fi l'on compare
ces foibles copies aux originaux , on n'y reconnoîtra
plus le Poëte. Les penfées y perdent
le plus fouvent leur nobleffe ; des
expreflions pleines de feu & d'énergie , deviennent
chez les Traducteurs froides &
languiffantes. Ces défauts , qui font ceux de
toutes nos Traductions en profe , doiventils
être rejetés entièrement fur les Ecrivains?
Ne doit-on pas accufer la profe elle - même
d'être peu fufceptible de prendre les
formes néceffaires pour repréfenter parfaitement
les penſées & les expreffions du
Poëte ? Ce qu'on appelle profe poétique
même , peut- il remplacer la poéfie revêtue
des grâces de la verification ? M. de
Voltaire , dont l'autorité eft ici d'un grand
poids , a penſé que l'une ne pouvoit jamais
marcher fans l'autre ; que c'étoit abufer des
termes que de donner le nom de poëmes à
des ouvrages en profe ; & c'est pour cette
raifon que le Télémaque , fi juftement eftimé
, quoiqu'il ait d'ailleurs toutes les conditions
requifes pour un Poëme épique , ne
fera jamais regardé que comme un roman ,
par le feul défaut de verfification .
On a demandé s'il falloit traduire les
Pottes en vers. Plaifante queftion ! Sans
A vj
12.
MERCURE
examiner ici toutes les raifons de ceux qui
ont cru pouvoir former des doutes fur cet
objet , il paroît qu'une des principales eft la
difficulté de l'exécution : tous les Savans l'ont
fentie , puifque fi l'on en excepte l'élégante
traduction des Georgiques , nous n'avons fur
les Poëtes Grecs & Latins aucun ouvragefuivi
qui mérite ce nom. La Littérature Angloiſe ,
plus riche & plus hardie que la nôtre , nous
offre plufieurs modèles en ce genre. Homère ,
fi heureufement traduit par M. Pope , eft un
exemple qui devroit encourager nos Poëtes..
On aura beau alléguer que la meſure du vers
& la gêne de la rime font des entraves qui
rendent la marche du Traducteur encore:
plus difficile que celle du Poëte ; il n'en fera
pas moins vrai que la difficulté n'eſt pas infurmontable
; & que pour qui faura la vaincre
, elle deviendra une fource inépuisable
de beautés. Nous avons déjà quelques effais
en ce genre : plufieurs de nos Poëtes , même
de ceux du premier ordre , ont imité &
même traduit différens morceaux des Poëtes .
anciens. Leurs ouvrages font pleins de traits
copiés d'après ces grands Maîtres ; mais
Poëtes eux - mêmes , ils ont dédaigné , ou
peut- être redouté l'emploi de traducteur :
fans doute ils ont jugé qu'il étoit plus facile
de prendre fon imagination pour guide ,
que de travailler toujours d'après les idées
d'autrui.
*་ ”
La co de ces difficultés n'a point
DE FRANCE.
arrêté M. Guys . Plus courageux que la plupart
de ceux qui l'ont précédé , il a entrepris
la traduction de Tibulle , qu'il préfente aujourd'hui
au Public fous le titre modefte
d'Effai. M. Guys a voulu faire connoître
fon Auteur par ce qu'il a de plus beau . Il
s'eft contenté de traduire les quinze plus
belles Pièces , abandonnant les autres comme
trop libres , ou de beaucoup inférieures à
celles- ci. Ce Poëte avoit été , avant M. Guys ,
traduit en profe & en vers , mais Tibulle n'avoit
pas encore trouvé un Traducteur digne
de lui.
Le plus ancien , celui dont les traductions
font peut-être le plus connues , quoique perfonne
ne les life , eft l'Abbé de Marolles.
Traducteur par état , ou plutôt par métier ,
il a traduit tous les Poëtes Latins. On eût dit
qu'il avoit fans ceffe à fes côtés un mauvais
génie qui le pouffoit à changer de beaux vers
Latins en mauvaife profe Françoife ; ou que
femblable à ces oifeaux impurs de la Fable ,
il fe faifoit un malin plaifir,de gâter tout ce
qu'il touchoit. Cependant ce feroit le cafomnier
que de lui fuppofer une intention ;
il ne fongeoit pas à mal , car il avoit l'ame
trop
bonne.
>
Long-temps après l'Abbé de Marolles ,
M. de Longchamp qui traduifoit Properce
, entreprit de réformer le jugement
des Savans fur Tibulle . Traducteur de Properce
, il étoit admirateur né de ce Poëtej
14
MERCURE
·
il devoit fe paffionner pour fon Auteur ; il
devoit , felon l'ufage , le préférer à tous les
autres. Pour nous , quoique nous foyons
affez de l'avis de M. de Longchamp , fur
ce qui regarde Properce , nous ne faurions
lui pardonner de l'avoir élevé aux depens de
Tibulle , qu'il traite d'Auteur fade , affoupiffant
, défectueux. Si M. de Longchamp
n'eût pas traduit Tibulle , on pourroit en
quelque forte l'excufer , en fuppofant qu'il
ne connoiffoit pas l'Auteur qu'il maltraitoit
fi fort ; malheureufement pour lui , M. de
Longchamp nous a donné une traduction
de ce Poëte encore plus fade , plus affoupiffante
& plus défectuerfe , au jugement de
toutes les perfonnes de goût ; & s'il y avoit
quelqu'un de fon avis fur le jugement qu'il
a porté de Tibulle , il ne pourroit être fondé
que fur la lecture de Tibulle dans la profe
de M. de Longchamp .
M. le Marquis de la Fare penfoit tout autrement
de ce Poëte fi plein de fentiment ; il
avoit même commencé à traduire en vers
quelques- unes de fes Elégies. Ce qu'il nous
en a laiffé nous fait regretter la fuite de ce
travail , qu'il auroit fans doute continué
S'il eût été Poëte onze ou douze ans plus tôt.
Nous ne parlerons point des vers de M.
Gillet de Moivre , ni de ceux de M. de la
-Chapelle ; peu de perfonnes les connoiffent ,
& ils ne gagneroient pas à l'être davantage.
Celui- ci , pour réchauffer fon imagination ,
DE FRANCE.
IS
refroidie par les glaces de la vieilleife , ou
peut-être croyant par-là mieux entrer dans
l'efprit de fon Auteur , en a travefti avec une
liberté indécente les endroits les plus innocens
; celui-là tronque & change fans raifon
les penfées de Tibulle , & y fubftitue les
fiennes , qui ne font ni heureufes ni noblement
exprimées.
M. le Marquis de Pezai , connu par fes
Poéfies fugitives , dont tous les Recueils font
remplis , a traduit auffi Catulle & Tibulle .
Ses traductions renferment , comme fes autres
ouvrages , beaucoup de grâces & d'efprit
; mais elles manquent d'exactitude , première
qualité de ce genre de travail. Ce font
plutôt des imitations de ces deux Auteurs que
de véritables traductions.
M. Guys a fenti les défauts des Traducteurs
qui l'ont précédé ; il a cherché à les
éviter , & on peut dire qu'il y a réuffi . Ses
vers en général font aifés , nobles , & quelquefois
heureux .
Dans la première Élégie , où la douceur de
la retraite , les avantages de la médiocrité ,
les agrémens de la campagne, & le fouvenir
d'une maitreffe chérie , fourniſſent au Poëte
les images les plus agréables , le Traducteur
le fait parler ainfi :
C'eſt à toi , Meffala , de courir à la gloire ,
D'enchaîner des vaincus au char de la Victoire :
Pour moi , tendre & fidèle , & toujours alarmé ,
16 MERCURE
J'aime , & j'ignore encore fi Tibulle eft aimé.
Je foupire à ta porte , & tu m'entends , Délie .
De prétendre aux honneurs je n'ai pas la folie.
T'aimer, te le redire eſt tout ce que je veux ;
Si j'étois plus connu , ferois-je plus heureux ?
Je voudrois avec toi , toi feule pour compagne ,
Suivre à boeufs errans fur la montagne,
lents ces
pas
Dans le fond des forêts vivre obfcur & caché.
Voudrois-je être fans toi fur la pourpre couché ?
Je verrois revenir l'aftre qui nous éclaire ,
En baignant de mes pleurs ma couche folitaire.
Mais , dis- moi , quel mortel , quel Scythe a préféré
Le laurier de Bellone au myrthe defiré ,
Dont l'Amour couronnoit le vainqueur de Délie ?
Qu'il vole , l'infenfé , loin des bois d'Idalie ,
Aux champs Ciliciens , fous les drapeaux de Mars ,
Sur un courfer fuperbe affronter les hafards .
Puiffé-je , ma Délie , à mon heure dernière ,
En te voyant , rouvrir ma mourante paupière !
De mes jours prefqu'éteints rallume le flambeau.
Heureux quand je defcends dans la nuit du tombeau
Heureux d'entendre encor la voix de mon amante ,
De retrouvér fa main dans ma mai défaillante !
Ce morceau eft certainement rempli de
beautés , les vers ont un air vraiment original
, & ne fe fentent point de la gêne de
la traduction. M. Guys y fait varier fon ftyle
fuivant les objets qu'il a à peindre. Il feroit
difficile de rendre avec plus de tendreffe les
DE FRANCE
17.
fentimens d'un coeur épris pour une maîtreffe
qu'il aime uniquement , que par ces
vers :
T'aimer , te le redire , eft tout ce que je veux.
Si j'étois plus connu , ferois -je plus heureux ?
Je voudrois avec toi , toi feule pour compagne ,
Suivre à pas lents ces boeufs errans fur la montagne, & c.
L'harmonie imitative n'a pas été négligée
dans ce dernier vers . On fe rappelle avec
plaifir , en le lifant , ceux de Boileau , à peuprès
fur le même fujet.
La grandeur & la magnificence de l'expreflion
font le caractère de ceux- ci :
Qu'il vole , l'infenfé , loin des bois d'Idalie ,
Aux champs Ciliciens , fous les drapeaux de Mars ,
Sur un courfier fuperbe affronter les hafards.
Enfin la douceur & la molleffe des fix derniers
vers ,
Puiffé-je ma Délie. . . . . &c.
rendent très -bien le fentiment exprimé dans
ceux- ci du Poëte Latin ,
Te fpectemfuprema mihi cum venerit hora ,
Te teneam moriens deficiente manu.
Il n'eft point de notre objet de réfuter ici
la critique de M. de Voltaire , & de favoir fi
Tibulle a eu raifon de fe flatter d'un rendezvous
à l'agonie ; tout ce que nous pouvons
dire, c'eft qu'on ne peut refufer des éloges à
18 MERCURE
ces vers du Traducteur , quoiqu'on n'y trou
ve point la brièveté & la précifion du texte.
M. Guys , il eft vrai , a un peu étendu la
penfée du Poëte ; mais il eft difficile , comme
il le dit lui- même , de fe refufer au plaifir
de s'arrêter un moment de plus fur des objets
qui nous attachent. Quoi qu'il en foit ,
puifque la vérité doit être notre unique loi ,
nous devons avouer qu'on defirercit en géné
ral dans le Traducteur un peu plus de précifion
& de fidélité. On voit avec peine que
dans le morceau cité il n'a point rendu ces
deux vers ,
Et te dum liceat teneris retinere lacertis
Mollis in inculta fit mihi fomnus humo.
Dans d'autres endroits il eft difficile de
reconnoître l'Auteur dans la traduction. Il
faut convenir pourtant qu'il ek de ces beautés
particulières à chaque langue , & que le
génie de chacune d'elles ne permet pas de
tranſporter dans une autre. On eft alors réduit
à y fuppléer par des équivalens ; c'eft
ce qu'a fait M. Guys. Il eft encore certains
détails fur les ufages du temps qui ne peuvent
fe fupporter qu'en Latin. La délicateffe
de notre langue , & fur-tout la poéfie , ne
les admettent point. Dans ces circonstances
M. Guys a fuivi le confeil d'Horace ;
Et
qua
Desperat tractata nitefcere poffe , relinquit.
il les a abandonnés lorſqu'il a cru ne posDE
FRANCE.
19
·
voir les employer fans bleſſer la nobleſſe de
la poésie. Tel eft dans la onzième Élégie
l'endroit où Tibulle fait la defcription d'un
facrifice qu'il promet à fes Dieux pénates.
Hoftia erit plena ruftica porcus hara
Hanc pura cum vefte fequar , myrthaque caniftra
Vinita geram, myrtho vinitus & ipfe caput , &c.
Et plus bas :
· • ·
Alius fit fortis in armis ,
Sternat & adverfos Martefavente duces ,
Ut mihi potanti poffit fua dicere facta
Miles , & in menfa pingere caftra mero.
Ce que M. Guys a traduit ainfi :
Au milieu des guerriers qu'un autre fe fignale ;
Au Dieu Mars , s'il le peut , que la valeur l'égale ;
Et puiffe-t'il un jour , à l'ombre de nos bois ,
Ou Roi dans nos feftins , me compter les exploits.
On ne voit point dans cette traduction ,
affez fidelle d'ailleurs , l'expreflion pingere
caftra mero ; mais la langue elle-même fe
trouve ici en défaut ; & ce feroit trop exiger
d'un Traducteur , que de vouloir qu'il rendît
de pareilles expreffions : il faut fe contenter
de les admirer.
Pour éviter la monotonie , prefqu'inféparable
de toute traduction , M. Guys a fu
varier la meſure de fes vers dans quelques
Élégies , avantage qu'il a fur le Poëte Latin ;
car , on nepeut fe le diffimuler, la lecture des
20 MERCURE
vers élégiaques nous paroîtroit un peu
monotone fi ce défaut n'étoit racheté par
une infinité d'autres agrémens de la poéfie.
M. Guys , en changeant la meſure de fes
vers , femble leur avoir donné des grâces
nouvelles : toujours facile , toujours tendre ,
il fait oublier qu'on lit une Traduction.
Nous n'en citerons qu'un exemple tiré de la
cinquième Élégie , où le Poëte célèbre l'union
de l'Amour & de l'Amitié. Le Traducteur
n'y refte jamais au- deffous de fon modèle ;
il cn a exprimé tous les traits d'une manière
noble & touchante.
Je me forgeois l'agréable chimère
Du plus doux avenir.
Je difois : fi Délie à mes voeux eft rendue ,
J'irai revoir mes champs , y fixer mon ſéjour :
Mon amante Y fera ma compagne affidue ,
Et la nuit & le jour.
Je la verrai toujours plus touchante & plus belle
Se couronner des fleurs qui naîtront fous fes pas.
Je verrai les Plaifirs badiner avec elle ,
Et l'Amour dans fes bras , &c.
Il faudroit lire toute cette belle Élégie
pour avoir une jufte idée de la manière de
M. Guys ; car ce n'eft point par des extraits
qu'on en pourroit juger. Et quoi qu'on puiffe
reprocher à M. Guys de s'être trop fouvent
DE FRANCE. 21
écarté du fens de fon Auteur , & d'avoir oublié
fa qualité de Traducteur en fubftituant
fes idées à celles de Tibulle , malgré ces
taches légères & quelques autres encore ,
nous ne doutons point que le Public ne lą
reçoive avec plaiſir.
Offendar maculis.
· Non ego paucis
M. Guys ne s'eft pas borné à traduire ; il
a montré qu'il pouvoit voler de fes propres
aîles. On verra dans les Poéfies légères qu'il
a jointes à fa traduction , qu'elles ne lui font
point inférieures. Après avoir rempli le rôle
pénible de Traducteur , il étoit naturel de
récréer fon imagination par quelques amufemens
moins férieux. Ces enfans du loisir
de M, Guys , prouvent que Tibulle étoit fon
Poëte favori , puifque les vers qu'il ne doit
qu'à lui - même font , comme ceux qu'il a
faits en fuivant les traces de Tibulle , confacrés
à l'Amour & aux Divinités cham
pêtres ,
LES MOIS , Poëme en douze Chants. Par
M. Roucher 2 Vol. in-4° . grand papier ,
avec figures, Le même , 4 vol. in- 12 , petit
papier. A Paris , chez Piffot , Libraire ,
Quai des Auguftins.
PREMIER EXTRAIT.
Je vais parler d'un Ouvrage où je fuis
nommé avec éloge. J'ai preffenti les dangers
22 MERCURE
de cette démarche ; mais j'ai cru que quelques
mots de louanges pouvoient flatter mon
orgueil fans corrompre mon jugement ; en
un mot, je me fuis fenti affez fupérieur à
ce petit intérêt d'amour-propre , pour me
croire à l'abri même du foupçon. D'ailleurs
, fi je dois de la reconnoiffance à M..
Roucher pour la mention honorable qu'il
a bien voulu faire de moi , fon ouvrage , qui
a des défauts fans doute , a tant de droits.
auffi aux éloges d'un juge impartial , que
j'ai cru pouvoir être vrai fans être ingrat.
Une autre féduction plus puiffante auprès
de moi que l'amour-propre , c'eſt l'amitié
qui m'unit à l'Auteur des Mois. Voilà
le fentiment fur tout contre lequel j'ai à défendre
mon impartialité. Mais c'est l'intérêt
de cette amitié même qui me fait un devoir
d'être jufte ; perfuadé qu'ayant à parler
d'un Poëme tel que celui - ci , dont les
beautés & les défauts feront mis dans un
fi grand jour , ce feroit nuire à l'Auteur ,
que de louer l'ouvrage aux dépens de la vérité.
Parlons d'abord du plan , des idées générales
du Poëme , & commençons par avouer
que ce n'eft pas ici que la vérité nous permettroit
de grands éloges. On s'eft fouvent
élevé contre le genre defcriptif , comme
n'étant fufceptible d'aucun intérêt ; & le
Poëme des Mois eft un Poëme defcriptif. Si
M. Roucher a peu de fortes raifons à oppoDE
FRANCE. 23

fer à la critique , il a au moins des exemples
qui pourroient faire autorité ; Thompſon, en
Angleterre , & M. de St. Lambert parmi
nous. Mais fi les reffources de ces deux
Ecrivains n'ont pu faire abfoudre le genre de
leurs Poëmes , en fe renfermant dans l'efpace
de quatre chants , comment M. Roucher
a- t-il pu fe flatter d'y réuflir en étendant
le fien jufqu'à douze chants ? Et nous
ne devons pas diflimuler que le plan adopté
par l'Auteur des Mois , ajoute encore aux
défauts du genre. En général , les Poëtes defcriptifs
n'ont à décrire qu'un objet plus ou
moins étendu , plus ou moins fertile en
détails. Mais tous les objets , tous les tems
& tous les lieux rentrent dans le plan de
M. Roucher , comme on le voit d'abord par
la fin de cette apoftrophe au Soleil , qui fait
partie de fon expofition .
Bienfaiteur des mortels , ô géant invincible ,
Dont l'Hercule Thébain fut l'image fenfible ;
Toi ! qui combats toujours , & toujours plus ardent,
De triomphe en triomphe , atteins à l'Occident ;
Toi , qui de la Nature enfantas l'harmonie ,
O Soleil ! c'est toi feul qu'implore mon génie.
Sois l'aftie de ma Muſe , & préfide à mes vers :
Comme toi , monſujet embraſſe l'Univers .
Ce dernier vers eft un beau vers , &
une forte critique de l'ouvrage. M. Roucher
, en étendant le fujet de fon Poëme , a
crutrouver plus de refources pour le varier,
24
MERCURE
& il n'a pas fongé qu'avec tout l'art des tranfitions
, des cafcades continuelles fatiguent
le Lecteur fans le réveiller , parce que rien
n'eft plus monotone qu'une exceíſive variété.
Mais fi une pareille conception eft un
grand défaut dans un Ouvrage , c'est encore
un plus grand malheur pour le Poëte luimême.
Il a multiplié les obftacles à fon
fuccès ; il s'eft impofé la tâche de plaire , fans
avoir la reffource d'intéreffer ; il fe préfente
au combat fans autres armes que fes propres
forces ; il n'a , pour triompher , que fon génie
poétique. C'est donc un fujet d'éloge pour
M. Roucher , d'avoir vaincu , au moins en
partie , ce qu'on ne peut vaincre tout- àfait
; car nous croyons qu'on peut pouffer
loin la lecture de fon ouvrage , fans fe'
reffentir du vice du fujet. Et ce moment eft
pour lui l'épreuve la plus formidable. La première
lecture d'un Poëme , fi elle ne décide
point fon mérite , décide au moins fon fuccès
du moment ; & ce qui rend ce fuccès
difficile à obtenir , c'eft que dans fa première
apparition , un ouvrage nouveau eft demande
, recherché avidement ; c'eft qu'on veut
le lire en entier , & tout d'une haleine. Or,
fix mille vers defcriptifs font une terrible
carrière à fournir , fur - tout pour des lecteurs
Français. Mais lorsqu'au moins une affez
grande maffe de talent a laiffé dans l'efprit
des lecteurs ce fouvenir qui confeille
une feconde lecture ; quand on reprend
l'ouvrage ,

DE FRANCE. 25
f'ouvrage , non pour en fuivre la marche,
parce qu'on n'a plus à juger le plan ; non pour
prolonger trop la lecture , parce qu'on n'eft
plus entraîné par l'attrait de la nouveauté ;
mais pour courir au hafard de page en page,
comme une abeille s'égare de fleur en fleur ;
alors chaque morceau n'ayant ni à fupporter
les longueurs qui le précèdent , ni à répondre
de celles qui fuivent , il produit fon entier
effet ; on fait même gré au Poëte de quelques
tranfitions heureufes , parce qu'on ne
fent point la fatigue d'en avoir trop vu ;
alors le génie poétique de l'Auteur paroît dans
toutefa force ; il fatisfait fes lecteurs , parce
que fes lecteurs n'en exigent jamais que ce
qu'ils en obtiennent ; & l'on quitte l'ouvrage
avec l'efpoir de le reprendre encore. Quand
le Poëme de M. Roucher n'auroit qu'un fuccès
difputé , tel eft au moins le fort que nous
ofons lui prédire.
Un autre objet de reproche moins
grave , fans doute , mais que je ne dois pas
diffimuler , c'eft qu'à ce vice du fujet , M.
Roucher a joint encore un défaut d'unité
dans fon fyftême poétique. Il s'élève plus
d'une fois contre l'ufage de la vieille mythologie;
on approuve fon opinion , fur-tour
quant à fon poëme ; mais on eft furpris de le
voir en faire lui-même un ufage affez fréquent.
Après avoir fait une fortie contre
l'âge d'or dans le premier Chant , il en fait
lui - même ailleurs la defcription en vrai
mythologiſte.
Sam. Mars 1780.
4
B
26 MERCURE
Ils ne font plus , les jours de l'aimable Arcadie ,
Ces jours qui , fous des Cieux fermés aux Aquilons ,
De la fraîche Aréthufe enchantoient les vallons ;
Qui voyoient l'Eurotas , égaré dans fa courſe ,
De lui-même amoureux , fuir à regret fa fource.
L'âge a changé des bords autrefois fi charmans :
Là , d'innocens Bergers , de fidèles amans ,
En vers mélodieux foupiroient leur tendreffe ,
Se difputoient le coeur d'une jeune Maîtreſſe ,
La choififfoient pour Juge , & , par des chants nouveaux
,
Savoient la conquérir fur d'aimables rivaux.
Alors les fils des Rois , parés d'une houlette ,
Des riantes forêts habitoient la retraite.
Le beau Pâris enfla les chalumeaux légers ;
Les Dieux mêmes , les Dieux fe mêloient aux Bergers.
Apollon , vers l'Amphrife , & Pan fur le Ménale ,
Comme eux , faifoient parler la flûte paſtorale ;
Les fleuves arrêtés écoutoient , & l'Hémus
Balançoit les rameaux de fes chênes émus .
M. Roucher s'eft abandonné , dans bien
d'autres endroits de fon Poëme , à des def
criptions tout auffi mythologiques . Souvent
il parle de nos ufages ; il cite , pour
ainfi dire , nos actions de la veille ; il célèbre
nos Rofières , peint des mariages faits dans
nos Eglifes , & c'eft les Dieux du Paganifme
qu'il invoque
Dieux bons, Dieux paternels, c'eft à vous à préfent, &c .
?
DE FRANCE. 27
Ailleurs , en parlant de la Navigation , il
s'écrie :
Oui , modernes Typhis ; oui , c'eft par vos travaux,
Que peut-être les Dieux ont trouvé des rivaux.
Au commencement du quatrième Chant ,
il dit , en parlant de l'Ethna :
Ces gouffres , foupiraux des gouffres de Pluton , &c.
La Mythologie de ce vers - là eft d'autant
plus répréhensible , qu'elle contredit à-la-fois
& l'abjuration que l'Auteur avoit faite &
avoit dû faire de la Mythologie , & un autre
principe qu'il énonce ailleurs , que la
Poélie ne doit jamais confacrer l'erreur ni
le menfonge. Ce vers -ci confacre en effet
une opinion fuperftitieufe , comme on peut
s'en convaincre par cette note de l'Auteur.
» Ce n'eft point fimplement comme
» Poëte que j'appelle l'Ethna foupiraux des
Enfers. Ce mot eft fondé fur la croyance
fuperftitieufe des habitans voifins de ce
» volcan. Ils affurent que les méchans y
» trouvent l'Enfer après la mort. &c. »
و ر
و ر
"
t
Ce vers a donc le double, tort d'être b
mythologique & menfonger. On pourroite
en dire autant du morceau de la Senfitive.
M. Roucher , qui , par un rigorifme 15
qu'on pourroit réfuter , veut que les vers
non-feulement difent , ( * ) comme ceux de
(*) Et monvers, bien ou mal, dit toujours quelque chofe.
BOILEAU.

Bij
28
MERCURE
Boileau mais apprennent toujours quel
que chofe & qui prétend que notre Poé
fie ne tombe dans le difcrédit , que parce
qu'elle n'eſt pas inſtructive , n'a pas cru affurément
, par cette hiftoire de la Senſitive,
jeter des lumières fur la Botanique. Hâtonsnous
pourtant de dire ( car fouvent une
beauté & la critique qui la combat ont
prefque également raifon ) que cette Senfitive
eft une métamorphofe intéreffante , une
fable très- ingénieufe , qui eut toujours le
plus brillant fuccès dans les lectures qu'en
fit l'Auteur, Nous allons même la citer ici en
entier , afin que fi elle nous a fourni le fujet
d'une aride difcuffion , elle en corrige au
moins la fechereffe par une lecture agréable,
PLUS loin , quelle autre feur ai - je vu s'embellir ?
Sa modefte beauté m'invite à la cueillir.
J'approche , elle me fuit ; Dieux ! quel eft ce preſtige ?
Je cherchois une fleur , je ne vois qu'une tige.
Interdit & confus , je m'éloigne à regret ,
Et la fleur raffurée , à l'inftant reparoît.
Ah ! je te reconnoîs , ô tendre Senſitive !
Seule , parmi les fleurs , devant l'homme craintive ;
Sans doute il te fouvient que , mortelle autrefois
De ta jeune pudeur on méconnut la voix.
ELLE adoroit Iphis , Iphis brûloit pour elle.
Cependant , vertueufe autant qu'elle étoit belle ,
La Nymphe demandoit que l'Hymenée , un jour
Au pied de fon Autel , confacrât leur amour.
>
DE FRANCE 29
t
Quatre foleils encor , cejour alloit paroître.
L'innocente Beauté , dans un réduit champêtre ,
Soupiroit , folitaire , à l'heure où le jour fuit.
L'impatient Iphis l'apperçoit & la fuit ;
Il approche avec crainte ; & , verfant quelques larmes,'
Il veut hâter l'inftant où , maître de ſes charmes ,
L'Hymen doit la porter dans les bras d'un époux.
Elle réfifte : Iphis embraffe fes genoux ,
Et bientôt du refpe & paffant juſqu'à l'andace ,
Infulte à la pudeur qui lui demande grâce :
Il oppofe la force aux refus redoublés.
La Nymphe vers le Ciel levant fes yeux troublés :
Dieux d'Hymen & d'Amour , prenez ſoin de ma
" gloire ;
A mon perfide Amant arrachez la victoire.
» Hâtez -vous , détruifez mes funeſtes appas ;
Dieux vengeurs ! contre lui j'invoque le trépas,
ELLE dit.; & foudain fes appas fe flétriffent ,
Et fon front & fes doigts de feuilles fe hériffent. "
"Au lieu des vêtemens dont fon corps eft couvert ,
Sur fon fein qui décroît s'étend un rézeau verd ,
Et les pieds , du Zéphyr quinze ans rivaux agiles ,
En racine allongés , demeurent immobiles.
Enfin , c'eft une Fleur : mais confervant toujours
Le profond fouvenir de fes triftes amours ,
Elle craint d'éprouver une infulte nouvelle ,
Et de tous les Humains fuit la main criminelle .
Qu'on me permette encore une critique
Biij
30 MERCURE
du même genre fur ces quatre vers de l'expofition
:
J'aime mieux du Soleil chanter les douze enfans ,
Qui , d'un pas inégal le fuivent triomphans
Et de fignes divers la tête couronnée ,
Monarques to ur-à- tour , fe partagent l'année .
On ne pouvoit peindre les douze mois
par des vers plus élégans , plus ingénieux &
plus poétiques . Mais cette Allégorie , une fois
énoncée dans l'expofition , affujétiffoit l'Auteur
à la continuer dans tout le Poëme. Chaque
mois devoit donc paroître fucceffivement
avec le figne dont il eſt couronné , & nous
montrer fon influence fur la Nature , en
qualité de Monarque. Mais M. Roucher ne
s'eft fouvenu que deux fois de s'affervir à
fon expofition. La première , pour le mois
de Mai ;
Du mois cher à Vénus la courfe eft terminée ;
Son frère , nouveau Roi des beaux jours de l'année
Descenda de l'Ether fur un nuage d'or ,
Aux grâces du Printems vient ajouter encor.
La feconde fois pour le mois d'Août
¡ Il renaît triomphant , le mois où nos guérets
Perdent les blonds épis dont les orna Cérès ;
Il fait reluire aux yeux de la terre étonnée ,
Les plus belles des nuits que difpenfe l'année.
Il falloit que chaque mois parût ainſi avec
DE FRANCE.
31
fon coftume poétique . Mais tantôt , au lieu
des enfans , c'eft le père lui - même que
chante le Poëte. Commencement du Chant
dixième .
Sur un char pareffeux , le Soleil triftement
Se lève enveloppé d'un fombre vêtement. &c.
Tantôt il a l'air de parler de l'Automne.
Commencement du Chant neuvième.
'Les vents font accourus : leur troupe déchaînée
Déjà vers fon déclin précipite l'année .
Déjà , n'offrant par-tout qu'un aride coup d'oeil ,
L'Automne fe dépouille. &c.
Cette négligence , qui peut fembler d'abord
n'être qu'une faute de ftyle , eft plus conféquente
qu'on n'imagineroit ; & l'on pourroit
prouver que ce n'eft quelquefois qu'aux dé
pens de la clarté & de la précifion dans fa
marche poétique , que M. Roucher s'y eft
abandonné. La différence d'un mois à l'autre
n'étant déjà pas trop fenfible , il auroit
dû ne rien négliger pour en marquer les
nuances ; & , par-là , chaque mois eût été
indépendant des autres , au moins poétiquement.
C'eſt avec la même furpriſe qu'après avoir
lu une très - violente fortie contre les Guerriers
& les Poëtes qui les chantent , nous
avons vu M. Roucher inviter les jeunes gens
à aller faire à la chaffe l'apprentiffage de la
guerre.
B iv.
32 MERCURE
Je crains d'autant moins de relever ces in
cohérences , qu'elles ne proviennent point
d'un défaut de logique. Quelle en eft donc la
véritable fource? M. Roucher va, je crois, nous
aider lui-même à la découvrir. Il nous apprend
que ce Poëme , le fruit de douze années de
travail , a été refait jufqu'à quatre fois . Il a
même fubftitué le vers alexandrin au vers
de huit fyllabes qu'il avoit choifi d'abord .
L'Ouvrage ayant été fait & refait en différens
tems , il peut fe reffentir des différens
efprits dans lefquels il a été compofé. En réformant
les idées , on a fouvent de la peine
à facrifier un morceau charmant qu'on avoit
fait avant de changer de fyftême. Cet amour
paternel qui fe fortifie des charmes de la
pareffe , cette habitude de lire , de réciter ,
de garder dans fa mémoire de beaux vers
qu'on a faits , tout cela peut affoiblir , dérober
même aux yeux du Poëte la contradiction
de ces premiers vers avec ceux qu'il fait
encore. C'eft-là , je crois , qu'il faut chercher
la caufe des difparates qui nous ont
frappé dans la marche du Poëme des Mois.
C'est donc aux circonftances furtout , &
au malheureux choix du fujet qu'il faut s'en
prendre de tout ce que nous avons cru devoir
relever jufqu'ici dans cet Ouvrage.
Lafuite auprochain Mercure.
DE FRANCE. 33
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE
LE Mardi 22 du mois dernier , on a donné
P'Opéra d'Atys , mis en trois Actes , paroles
de Quinault , mufique de M. Piccinni.
Malgre les doutes que l'efprit de parti s'efforce
d'élever fur le mérite de cet ouvrage ,
nous ne balançons point à dire que le fuccès
en eft très decidé , & ne peut aller qu'en
croiffant. L'impreffion qu'il a faite prefque
d'un bout à l'autre , eft celle du plaiſir , porté
fouvent , & dans tous les Actes , jufqu'au
tranfport.
Au lieu d'une ouverture qu'on avoit annoncée
comme médiocre & fans effet , le
Public a été agréablement furpris d'en entendre
une très - belle. Les Scènes légères &
rapides qui commencent le premier Acte
ont été applaudies dans tous les airs qui
coupent le récitatif. L'appel de la fête , allons,
accourez tous , l'a été à plufieurs reprifes ;
mais c'eft dans la belle Scène d'Atys & de
Sangaride que le charme de la mufiqué de
M. Piccinni s'eft déployé & s'eft fait fentir
avec tout fon pouvoir. Jamais on n'a entendu
de récitatif plus naturel & plus fenfible
; jamais une expreffion plus vraie & plus
paffionnée que dans l'air , déchirez ce coeur
infidèle; jamais une mélodie plus touchante ,
B v
34 MERCURE
ni des accens plus animés que dans le duo qui
termine la Scène. Le choeur qui annonce l'arrivée
de Cybèle , & la fymphonie qui accompagne
ce choeur , font d'une majefté religieuse
, & ils ont produit leur effet .
Dans ce premier Acte , un feul air , l'amour
fait verfer trop de pleurs , a paru long ; &
M. Piccinni , avec la docilité d'un homme
habile & modefte, en a retranché une partie,
que les Amateurs feront bien aifes de retrouver
dans la gravure.
Dans le même Acte , quelques gens de
goût ont penfe que l'air , eft- il un deftin plus
cruel? feroit plus touchant encore fi le mouvement
en étoit moins preffé.
$
zgo
Le fecond Acte d'un bout à l'autre a en
le plus grand fuccès. L'air de Cybèle dans
la première Scène , je reffens un plaifir extrême
, a fait paffer dans l'ame des Specta
reurs ce plaifir fi bien exprimé. Le monologue
d'Atys , & l'air pallionné qui le termine
, ont enlevé les applaudiffemens. L'invocation
au fommeil & les choeurs des
fonges ont excité des tranfports que l'Envie
elle même n'ofe défavouer ; & c'eft l'endroit
qu'elle a choifi pour fe montrer fincère en
Jouant une fois.
Après la vive impreffion qu'avoit faite la
Scène des fonges , il étoit difficile de terminer
l'Acte par un morceau qui en couronnât
le fuccès ; l'air de Cybèle , tremblez,
ingrats , de me trahir , a obtenu cet
avantage.
AJ
DE FRANCE. 435
L'effet du troifième Acte a été le même
que celui du fecond , jufqu'au moment de
la cataſtrophe. L'air de Sangaride , malheureufe
, hélas ! j'aime encore; cet air fi beau
qu'on ne fe laffera jamais d'entendre , a été
vivement fenti , quoique l'Actrice qui l'a
chanté avec une expreffion fi vraie & fi touchante
, n'eût pas tout le brillant & toute la
force de fa voix. Le duo d'Atys & de Sangaride
, jurons de nous aimer toujours , a paru
du caractère le plus tendre, & a été vivement
applaudi. Le quatuor a eu le même fuccès
que la Scène du fommeil. Les Scènes des fureurs
d'Atys & de fon défefpoir , après avoir
tué Sangaride , nous femblent un modèle de
déclamation pathétiques, mais à des oreilles
charmées par une foule de beaux chants , la
déclamation la plus vraie & la plus énergique
ne peut faire que l'impreffion d'un tragique
fombre ; & il eft difficile qu'à l'Opéra
une cataſtrophe funefte enlève l'applaudiffement.
Le choeur qui fuit la mort d'Atys
n'en eft pas moins d'un très - grand caractère;
& on y remarque fingulièrement cette vérité
d'expreflion qui , obfervée dans chacune des
parties , ne fait que fe fortifier par leur enfemble
& leur accord . Telle est l'impreffion
que ce Spectacle nous a paru faire fur le
Public à la première repréſentation *.
On voit par ce détail que jamais Opéra
* La feconde , d'où nous fortons , a eu encore
plus de fuccès.
B vj
36 MERCURE
n'a été plus continuellement applaudi que
celui- ci , que dans tous les Actes il y a eu
des morceaux univerfellement admirés ; que
le feul reproche qu'on puiffe faire au troifième
, eft de finir tragiquement ; mais avec
un peu moins de févérité fur les bienféances
théâtrales , il feroit bien facile de contenter
ceux qui demandent qu'on diffipe par des
danfes la trifteffe inévitable du dénouement.
Nous ne craignons pas d'ajouter aux éloges
que nous avons donnés à la partie de la déclamation
& du chant , ceux que mérite auffi
juftement la beauté , la pureté , l'expreffion
toujours fidelle & jufte des accompagnemens.
Enfin les deux Ballets du premier & du fecond
Acte , à quelques longueurs près , qu'on
fera fans doute difparoître , doivent ajouter
un plaifir nouveau à l'intérêt du Spectacle ;
ils ont même été fort applaudis. C'eſt - là
cependant ce qu'une cabale , trop déclarée
pour être dangereufe , s'efforce de faire
paffer pour un fuccès équivoque. Nous aimons
à nous perfuader que le temps prouvera
le contraire.
Le Poëme d'Atys eft connu pour le plus
intéreffant des Opéras de Quinault. Un
Homme de Lettres , en l'abrégeant , a pris
foin de l'accommoder au génie & au caractère
de la nouvelle mufique ; & quoiqu'en
difent fes aveugles détracteurs , perfonne ne
connoît mieux que lui la ftructure des vers
lyriques & l'art de couper la Scène par des
chants agréables ; perfonne n'a contribué
DE FRANCE.
37
davantage aux progrès de la bonne mufique
en France ; le Théâtre Italien lui doit une
grande partie de fa gloire ; notre langue , fi
rébelle aux mouvemens & aux formes de la
mélodie Italienne , eft devenue , fous fa plume
, auffi flexible , auffi douce que celle des
Pergolèze & des Jomelli. En rendant compte
de fon travail dans le prochain Mercure ,
nous oppoferons l'ancien Atys au nouveau ,
afin de mettre le Public à portée d'apprécier
la mauvaiſe foi de fes détracteurs , & de
rendre enfin juſtice à ſon zèle , à ſon goût &
à fes talens .
Quant à préfent , nous nous bornons à
donner aux acteurs les juftes éloges qu'ils
méritent. M. le Gros , dans le rôle d'Atys ,
& Mlle La Guerre , dans celui de Sangaride,
ont joint l'un & l'autre à la beauté de l'organe
& à la perfection du chant , une intelligence
, une fenfibilité , une jufteſſe d'expreflion
, & des nuances fi délicates dans
tout ce qu'ils avoient à peindre , qu'on doute
lequel des deux talens on doit le plus eftimer
en eux , de celui de Chanteurs , ou de
celui d'Acteurs. Mlle Duplan , déjà connue
pour bonne Actrice , s'eft furpaffée elle mê→
me, & a fait voir que , dans le genre de la
nouvelle mufique , il ne lui eft pas difficile
d'obtenir les plus grands fuccès. Le rôle de
Cealnus , quoique peu confidérable , n'a
pas laiffé de montrer dans M. Larrivée , les
mêmes talens que le Public a tant de fois
applaudis dans des rôles plus importans.
MERCURE
Les deux Compofiteurs des Ballets , MM.
Gardel & d'Auberval ont eu le mérite de
former des tableaux analogues à l'action.
Ces Danfes , exécutées par eux-mêmes , &
par des talens bien dignes de les feconder ,
Mlles Heinel , Guimard , Théodore , Peflin ,
MM. Veftris père & fils , &c. ont rempli
agréablement les intervalles de la Scène , &
amenées par l'action , elles n'en ont point affoibli
l'intérêt. Les airs qui , dans ces Ballets
, ont paru les plus agréables , font les
gavottes du premier Acte , & les airs des
Songes heureux.
( Cet Article eft de M. L. A.R. )
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 22 Février , M. VOLLANGE ,
( Jeannot ) a débuté par les rôles des Trois
Jumeaux , dans la Pièce de ce nom * .
Vers l'an 1730 brilloit à la Foire un Acteur
nommé Hamoche. Cet homme , que
chaque jour on voyoit applaudir davantage,
savila de croire qu'il étoit fait pour paroître
& pour réaffir fur un Théâtre plus élevé. Il
follicita un ordre , l'obtint , & débuta à lai
Comédie Italienne. Dans un Spectacle forain,
* C'eft la même que les Trois Jumeaux Vénitiens
de feu M. Colalto. Nous aurons inceffammen occafion
de parler de l'ouvrage & des changemens qu'on
y a faits.
DE FRANCE. 39
le talent d'Hamoche étoit placé d'une ma
nière avantageufe ; dans un Spectacle plus
décent il le fut mal ; les connoiffeurs ( car
il y en avoit alors un affez grand nombre )
lerrebatèrent ; & le trifte Hamoche , à
l'orgueil duquel on avoit rendu juſtice , tâcha
de rentrer en grâce avec le Public , en reparoiffant
fur fon ancien Théâtre, On fit faire
pour lui une Scène , dans laquelle on deman
doit à la Foire perfonnifiée , fi elle vouloit le
recevoir. Qu'il entre , difoit- elle , c'est ici
fon centre. Les Spectateurs ne furent pas fi
indulgens : Hamoche rebuté à la Comédie
Italienne , le fut encore aux lieux qui jadis
avoient été les témoins de fa gloire . Confus ,
humilié , le pauvre diable fe retira.
-
A quoi bon cette anecdote ? vont s'écrier
les partifans enthouſiaſtes de M. Vollange .
Meffieurs , & fur- tout Mefdames , ce n'eft
pas pour vous que nous écrivons . Quand
vous ferez guéris de la fièvre qui vous brûle ;
quand vous ne fifflerez plus l'aimable Carlin ,
parce qu'il fe trouve dans fes rôles des
mots , des phrafes dont on peut faire allufion
aux moyens tant phyfiques que moraux de
votre idole ; quand vous vous donnerez la
peine de penfer que la véritable manière
d'écrafer un talent médiocre, pour ne pas diret
plus , c'eft de le vanter à outrance ; alors
nous pourrons vous parler. Aujourd'hui c'eſt
au très-petit nombre de connoiffeurs qui
gémit fur la décadence du Théâtre , & fur la
perte prefqu'abfolue du goût, que nous adref
40
MERCURE
fons la parole. Nous leur préfentons dans
l'avenir , & cet avenir n'eft pas loin , nous
leur préfentons M. Vollange éprouvant le
fort d'Hamoche. Et comment ne l'éprou
veroit- il pas ? Comment foutiendroit- il le
fuccès extravagant qu'on a ſu lui faire ? Eftce
avec une voix grêle & fans flexibilité ,
avec une démarche lourde , avec des geftes
gauches & monotones , avec un maintien &
un máfque qui rappellent fans ceffe le Jeannot
& l'Euftache pointu des Variétés Amufantes
? Eft- ce enfin avec une diction lâche
& vague , où l'on ne trouve jamais aucun
des temps indiqués par la Nature , où toutes
les phrafes, toutes les idées accumulées les unes
fur les autres, n'offrent ni intelligence ni vérité,
où rien n'eft fenti, rien n'eft apperçu , rien
n'eft détaillé ? Non fans doute. Encore quelques
momens d'ivreffe , l'idole fera brifée , &
les vrais talens feront vengés . O Marivaux ! &
toi , Comédien trop peu connu , inimitable
Colalto ! que diriez - vous fi vous pouviez
apprendre que vos ouvrages , abandonnés
jufqu'ici , n'amènent maintenant l'affluence
du Public que parce qu'ils font repréſentés
par Jeannot ? Ne prenons pourtant point
d'humeur. Nous avons eu les Pantins ; aujourd'hui
c'eft un autre hochet & en voyant
nos fottifes fe fuccéder, on peut toujours dire
avec La Fontaine ,
Ainfi vit -on chez nous autres François.
( Cet Article eft de M. de Charnois. )
DE FRANCE.
41
SCIENCES ET ARTS.
DÉCOUVERTES.
PARMI
ARMI les fecrets qu'on s'empreffe d'annoncer
chaque jour au Public , il en eft qui
méritent une attention particulière à cauſe
de leur objet , & du genre de témoignages
qui enconftarent l'utilité . La découverte du
fieur Heran paroît être de ce nombre :
voici ce qu'en difent & la Faculté de Médecine
, & l'Académie Royale des Sciences.
Perfonne n'ignore les fâcheux effets des Vins durs,
auftères ou acerbes. Ces défauts qu'ils tiennent de la
nature du terroir , d'une expofition peu favorable ,
de l'intempérie des faifons , d'une culture ou d'une
façon également vicieufes , affectent fouvent d'une
manière trop fenfible le corps humain. Des douleurs
d'eftomach , des vomiffemens , des tranchées vives
des dyffenteries , des coliques , font les fuites fréquentes
de ces boiffons dangereufes. Quelques-unes ,
il eft vrai , fe corrigent prefque d'elles-mêmes ; mais
cette correction fpontanée eft l'ouvrage du temps ,
& les facultés du Peuple ne lui permettent guère de
l'attendre.

Le fieur Heran a tenté d'enlever à ces boiffons
leurs qualités nuifibles & défagréables . Nous pouvons
affurer qu'il a réuffi . Il a répété en notre préfence
plufieurs effais fur le Vin de Cahors , fur
ceux d'Orléans , blanc & rouge , fur celui de Bourgogne
, tous de la dernière récolte. La différence de
leur caractère , leur auftérité plus ou moins forte
42 MERCURE
F
la quantité plus ou moins abondante de leurs parties
colorantes , des parties groffières , ont réglé , pour
ainfi dire , la mefure & la rapidité des changemens
que nous leur avons vu éprouver. Chacun d'eux s'eft
adouci fubitement ; celui de Cahors moins que les
autres ; le Vin rouge d'Orléans infiniment davantage
, le blanc eft devenu très -potable ; & le Bourgogne
auroit pu fe donner pour vieux . L'expérience
prouve même que plufieurs jours après le procédé ,
tous acquièrent un nouveau degré d'amélioration ,
toujours fufceptible de s'accroître .
Notre devoir ne feroit pas entièrement rempli ,
Meffieurs , fi nous héfitions en ce moment d'aller
au-devant des craintes & des foupçons qu'inſpire
une défiance légitime. Nous déçlarons que l'ufage
de la découverte dont on nous a fait part , ne peut
jamais devenir préjudiciable , qu'elle eft incapable
de bleffer la délicateffe d'aucun tempéramment , &
que ce n'eft point une fraude plus favante , deſtinée
à fuccéder aux anciennes.
Signé le Thieullier , l'aîné , ancien Doyen ,
Bernard , le Thieullier , le jeune , Descemet
Darcet , Philip.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences.
Nous avons examiné , par ordre de l'Académie ,
les moyens pratiqués par le fieur Heran pour corriger
les Vins gâtés , améliorer ceux qui font trop
durs , & reconnoître ceux qui auroient été falfifiés
par certains mêlanges pernicieux , tels que la litharge
, l'alun , la chaux , & autres. L'Auteur voulant
, à jufte titre , fe réferver l'ufage de fon procédé
, ne nous l'a fait connoître que fous la condition
qu'il feroit tenu fecret.
La liqueur qu'il a compofée en notre préfence , a
DE FRANCE. 43
été d'abord employée à faire quelques épreuves en
petit fur quelques bouteilles de vins gâtés : favoir ,
un vin de Côte-Rôtie rouge , tournant à l'aigre ; un
vin de Chablis rouge , devenu amer & un peu vapide
; un vin des environs d'Auxerre , devenu amer.
En faisant ces épreuves & celles qui fuivent , nous
avons toujours eu foin de réſerver de pareilles bouteilles
des mêmes vins non corrigés , pour en faire
la comparaiſon avant & après l'opération du fieur
Heran. Toutes ces bouteilles ayant été ouvertes au
bout de huit jours , le vin de Côte-Rôtie n'avoit plus
d'aigreur ; le vin de Chablis n'avoit plus de mauvais
goût ; le vin d'Auxerre avoit encore un peu
d'amertume mais elle étoit beaucoup moindre
qu'auparavant tous ces vins étoient fenfiblement
corrigés.
,
Nous avons enfuite appliqué la compofition du
fieur Héran fur plufieurs bouteilles de vins trèsverds
& très- âpres , que nous avons fait prendre
dans un cabaret hors des barrières de Paris. On les
a partagées en demi-bouteilles pour réferver des
termes de comparaiſon. En moins de quatre jours les
demi- bouteilles préparées par le fieur Heran nous
ont paru fenfiblement améliorées ; les vins , tant blancs
que rouges , étoient moins verds , d'un goût moins
défagréable , ne laiffant plus d'âcreté dans la gorge ;
les vins rouges étoient devenus plus clairs , & d'une
meilleure couleur , à la réferve d'un feul , dont la
couleur étoit prefqu'entièrement détruite ; ce qui
nous a fait préfumer que ce vin pouvoit avoir été
2teint par le fue de quelque fruit ou racine rouge.
La lie ou le fédiment de ce vin , qui reftoit au fond`
de la bouteille , étoit de couleur noirâtre , tandis
que les fédimens des autres vins accommodés par le
fieur Heran , quoique fort troubles comme celui -ci ,
avoient confervé leur couleur rouge.
་་་་
Les vins de Dauphiné , de Chablis & d'Auxerre,
24 MERCURE
dont il a été mention ci -deflus , ont auffi donne
des fédimens troubles & épais , lorfqu'on a décanté
aux trois quarts & plus les bouteilles où le fieur
Heran avoit appliqué fa compofition . Point de lie ni
tien de femblable dans les bouteilles de comparaifon
; ce qui démontre aux yeux , que la compofition
du fieur Heran a beaucoup d'action fur le vin , &
qu'elle en détache en peu de temps beaucoup de
parties dont le mêlange altéroit leur goût.
Après avoir va ces effets en petit , nous avons
cru devoir fuivre quelques opérations en grand fur
des pièces entières de différens vins altérés. La
,première a été faite fur une pièce de vin de Bordeaux
tournant à l'aigre , contenant environ 160
pintes. Le fieur Heran ayant verfé & remué dans
cette pièce la dole de fa compofition qu'il a jugé
convenable , on l'a laiffé repofer pendant quinze
jours , & l'ayant goûté après cet intervalle , ainfi
qu'une bouteille du même vin tirée & mife à part
avant l'opération , nous avons trouvé l'acidité de
ce vin entièrement détruite ; fon goût étoit auffi
agréable que celui des bons vins du même pays ;
fa couleur étoit moins épaiffe , & d'un plus beau
rouge.
F %
Pareilles épreuves en grand ont été faites depuis
en notre préfence fur une pièce contenant 230 bouteilles
de vin de Bordeaux âpre & un peu amer , fur
une pièce de 240 bouteilles de vin rouge de Beaune
tournant à l'aigre , fur une pièce contenant environ
250 bouteilles de vin de Bourgogne blanc très-verd ,
fur une pièce contenant 150 bouteilles de vin de
Tonnerre rouge , d'un goût amer , enfin für une
-pièce de vin rouge des environs de Blois, très-âpres
tenant 230 bouteilles environ. Aux effais que nous
avons fait faire par le fieur Heran fur toutes ces
pièces , nous étions accompagnés d'un Marchand de
DE FRANCE.
45
The
win expérimenté , chargé de foigner des approvifion
nemens très- conſidérables,
Ces différens vins lui ont paru , comme à nous,
bien corrigés & améliorés lorfqu'on les a goûtés ,
quinze jours après l'opération du ficur Heran : ils
ont été trouvés de bon goût & d'une belle couleur ;
nous avons obfervé feulement un refte d'armertume
dans le vin de Tonnerre rouge . Le fieur Heran nous
a affurés , d'après les épreuves nombreuses qu'il a
faites en grand dans plufieurs maifons connues , que
ces vins deviendroient encore meilleurs quand ils
auroient repofé fix femaines dans le tonneau , &
nous fonimes fondés à le croire , par les change,
mens avantageux que nous avons reconnus dans
l'intervalle de quinze jours.
M. de Fouchy nous a dit avoir fait appliquer la
compofition du ficur Heran fur quatre pièces de vin
d'Irancy affez verd ; que ce vin avoit en très -peu
de temps perdu fa verdeur , & qu'il étoit devenu
d'un goût très -agréable.
Nous avons auffi reconnu , par des épreuves faites
en petit , que la compofition du fieur Heran peut
fervir à corriger l'âcreté de quelques eaux - de- vie ;
ce qui fait encore un objet d'utilité .
Nous concluons , des faits qui précèdent , que
Me fieur Heran ' eft en état , comme il l'annonce
d'adoucir les vins trop durs , de détruire l'acidité de
ceux qui commencent à s'aigrir , de corriger dans
d'autres l'amertume qu'ils contractent en vieilliſſant,
de reconnoître dans plufieurs cas fi leur couleur eft
fauffe ou produite par le mêlange d'une partie colorante
étrangère , tel que le jus du fruit de l'hyéble ,
dont fe fervent les Vinaigriers ; enfin de reconnoître
s'ils font altérés par le mêlange de l'alun , de
la chaux ou de la litharge , objet fur- tout important
à caufe des accidens qui peuvent résulter de
leur ufage. Tous ces articles font avantageux , tant
46
MERCURE
pour les Particuliers qui confervent des provifions
de Vins , que pour ceux qui font chargés de maintenir
la Police fur ce, Commerce . Nous pouvons affurer
de plus , que la compofition du fieur Heran ,
préparée en notre préfence , ne contient rien de préjudiciable
à la fanté , ce qui d'ailleurs eft conftaté
l'examen qu'en a fait la Faculté de Médecine , &
les certificats qu'elle en a délivrés . Nous croyons
en conféquence que la Compofition & le procédé
du fieur Heran méritent l'Approbation de l'Académie.
Signé Bourdelin , de Montigni , Cadet & Grandjean
de Fouchy.
par
par
Le fieur Heran demeure rue S. Dominique , visà-
vis les Jacobins , près de l'Hôtel de Luynes.
GRAVURES.
ON vient de mettre en vente fix Eftampes nouvelles
de la fuite des Planches Hiftoriques & Allégoriques
deftinées à orner l'Abrégé Chronologique de
l'Hiftoire de France de M. le Préfident Hénault.
Ces Eftampes , ainfi que les premières , deffinées
par M. Cochin , & gravées par M. Prevoft , offrent
les Tableaux des Règnes de Charles V.
Charles VI , Charles VII , Louis XI , Charles VIII
& Louis XII .
On les trouvera chez M. Cochin , aux Galleries du
Louvre , & chez Prevoft , Graveur , Rue S. Thomas
, porte S. Jacques , la deuxième porte cochère
en entrant par la rue St. Jacques.
On eft férieuſement occupé de la continuation de
cet Ouvrage , dont vingt-fix Planches font au jour,
& l'on efpère que les huit qui reftent pour le completter
, feront achevées dans un an.
$ 220 d
DE FRANCE. 47
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ExLoOGE de Louis Dauphin , père de Louis XVI,
par M. l'Abbé Cordier de S. Firmin , in - 8 ° . A Paris ,
chez Gueffier , Imprimeur - Libraire , rue de la
Harpe.
Traité des Péages. V. in-4° . par M. Allemand.
Introduction & Plan d'un Traité général de la Navigation
intérieure , & particulièrement de celle de la
France ; & confidérations fur les Forêts , Bois &
autres objets fufceptibles d'améliorations au moyen
de nouveaux débouchés , par le même Auteur , ancien
Confervateur des Forêts de l'Ifle de Corſe , in- 4 ° .
A Paris , chez Cellot & Jombert , Libraires , rue
Dauphine.
Zoramis , Roi de Crète , ou le Miniftre vertueux,
Tragédie nouvelle , en cinq Actes & en vers , par
M. Dorat. A Paris chez Monori , Libraire
rue & vis-à-vis l'ancienne Comédie Françaiſe , ainfi
que chez Gueffier , Imprimeur-Libraire , au bas de
la rue de la Harpe. La Pièce du Miniftre vertueux
complettera le premier volume du Théâtre des Tragédies
de M. Dorat . Il contiendra Zoramis , Adélaide
de Hongrie , & Pierre- le-Grand. Chaque Pièce
eft ornée d'une Planche très-bien gravée. On trouve
à la fin de la Tragédie que nous annonçons ,
Poëme érotique en trois chants. Ce Volume fe vend
36 f. petit format , & 48 f. en grand papier. Nous
en rendrons compte inceffamment.
un
L'Abailard fuppofé, ou le fentiment à l'épreuve,
Chez Gueffier , Imprimeur- Libraire , au bas de la
rue de la Harpe. Ce Roman nous a paru auſſi pi28
MERCURE
quant par la gaîté, qu'attachant par la partie de l'intérêt.
On en rendra compte.
Analyfe critique des faits Militaires de Céfar ,
racontés par lui-même , par M, Davon . Vol. in- 18 .
Prix 11. 4. A Paris , chez Jombert , Libraire ,
rue Dauphine.
La Météorologie appliquée à la Médecine & à
Agriculture , Ouvrage couronné par l'Académie de
Bruxelles , en 1778 , par M. Retz , Docteur en Médecine.
Vol, in- 8 ° . A Paris , chez Méquignon
l'aîné , & à Amiens , chez Caron fils , Imprimeur-
Libraire.
Mercredi dernier , premier Mars , le Tome 4. du
Dictionnaire de Chimie in-8 ° . a été mis eu vente ,
à Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur- Libraire ,
Quai des Auguftins.
TABLE.
VERS à Milede l.... Chants , 21
Remerciement en vers à M. de Académie Roy, de Mufiq. 33 L *** ?
Enigme & Logogryphe
7 Comédie Italienne
Découvertes ,
Effai fur les Elégies de Ti- Gravures
19 Annonces Littéraires , bulle ,
Les Mois , Poëme en douze
38
41
46
47
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 4 Mars. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
les Mars 1780. DE SANCY. 3
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI II MARS 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A
L'ENFANCE.
Ό τους , qui du bonheur nous retracez l'image ,
O précieux espoir des auteurs de vos jours ,
Que vous employez bien le printemps de votre âge !
Toujours vous badinez , vous folâtrez toujours.
AIMABLE & jeune effaim , les Ris vous environnent;
Dans vos airs enfantins vous avez mille appas ,
Les Grâces & Cypris tour -à - tour vous couronnent ;
La Folie & les Jeux vous fuivent pas à pas.
DANS le moindre joujou , par un heureux preſtige ,
Vous croyez découvrir les plus grandes beautés ;
Une balle qui roule & l'oiſeau qui voltige ,
Sufficent pour tenir tous vos fens enchantés.
Sam, 11 Mars 1780.
C
༡༠
MERCURE
D'UN carton recourbé la mobile ftructure
Pour vous eft un prodige , un fuperbe château ;
D'un Turc ou d'un Chinois la grocefque peinture
Vous amufe bien plus qu'un deffin de Vateau.
L'AMOUR , l'ambition , ces vautours de la vie ,
Ne peuvent exciter vos frivoles defirs ;
Et le fouffle mortel de la maligne Envie
Ne fauroit altérer vos innocens loiſirs.
QUELQUEFOIS difputant pour un prétendu trône ,
Lorfque des combats feints font l'objet de vos jeux ,
En riant le vaincu renonce à la couronne ,
Et tout déchu qu'il eft , il n'eft pas moins heureux.
VOTRE efprit , quoique vif, jamais ne fe tourmente
Pour des maux qui ſouvent ne doivent point venir ;
Et vous prenez le temps ainfi qu'il fe préfente ,
Sans vous embarraſſer d'un douteux avenir.
UN hochet égaré cauſe- t'il vos alarmes ?
Tels que des papillons errans de fleurs en fleurs ,
Vous oubliez bientôt ce qu'il avoit de charmes ,
Et fur l'aile des vents vous renvoyez les pleurs.
Ce que j'admire encor , c'est votre indifférence
Pour ces métaux fatals que la terre produit :.
'Trop heureux de ne mettre aucune différence
Entre un morceau d'argile & l'or qui nous ſéduit
INCAPABLES de nuiię , & fuiv: nt la Nature ,
DE FRANCE. Sa
De la fimple Colombe on vous voit la candeur ;
Et le germe du bien n'attend que la culture
Pour le développer au fond de votre coeur.
VERS les fentiers du vrai , dans des ans fi dociles ,
Vos pas , avec le temps , font aifés à tourner.
Ah ! fortunés cent fois , fi des guides habiles ,
Par l'attrait des plaiſirs , vouloient vous y mener!
MOMENS délicieux ! ô première exiſtence !"
Qu'ils font triftes les jours qui vous ont fuccédé!
Ah ! je préfèrerois votre folle inconftance
A la froide raifon dont je fuis obfédé .
TROP vains regrets ! an lieu de ces nuits fans orages
Où de légers Zéphyrs fufpendoient mon réveil ,
Des vives paffions , fertiles en naufrages ,
L'ouragan furieux m'arrache au doux fommeil.
CEPENDANT vers cet âge éloigné d'artifice ,
Où la jeuneſſe encor fe dépeint tout en beau ,
On touche , je l'avoue , au bord du précipice ,
Et de l'expérience il faudroit le flambeau.
IGNORANT ces détours , qu'on appelle prudence ,
J'ouvrois mon ame alors dans mon zèle indifcret ;
Le plus fourbe fouvent avoit ma confiance :
Imprudent ! dans fon ſein j'épanchois mon fecret.
L'ILLUSION a fui. L'affreux tableau du monde ,
De ſa perverſité m'a montré les effets ;
Cij
52
MERCURE
Et de l'hypocrifie , en fraude fi féconde ,
J'ai foulevé le mafque , & j'ai vu des forfaits.
Du mortel corrompu j'ai fondé le menſonge ;
Son difcours éloquent n'eft pas moins impofteur :
A ſes yeux la vertu n'eft , hélas ! qu'un vain ſonge ;
Dans la bouche exaltée , elle eft loin de fon coeur.
J'AI fenti dans fes bras que celui qui vous preſſe ,
Rarement eft conduit par un noble intérêt :
Que pour vous tromper mieux le traître vous careſſe
En aiguifant un glaive , à percer toujours prêt.
J'AI compris qu'un fuccès exigeoit des foupleffes
Dont rougit quelquefois l'homme le plus rampant;
Qu'un ftupide Créfus prodiguoit fes largeſſes
Au lâche adulateur qui fe traîne en ferpent.
MAIS vous , bien différens dans votre infouciance ,
Senfibles , francs & bons , quel eſt votre deſtin !
Votre aurore eft paiſible, & vos coeurs, dans l'enfance ,
Sont purs comme la fleur qui naît un beau matin.
Non , non ; fi j'avois pu difpofer de mon être ,
Je n'aurois point connu l'homme injufte & jaloux.
Tendres fruits de l'Amour , je n'aurois voulu naître
Que pour refter enfant , & vivre parmi vous.
( Par M. l'Abbé Fréville. )
DE FRANCE.
53.
VERS
A JULIE, le jour de fa Naiſſance.
Du jour où tu naquis voici l'anniverſaire ; U
Ce moment , quoique doux , me touche foiblement ,
Tes yeux s'ouvroient à la lumière ,
Ton coeur étoit encor privé de fentiment.
Il eft un jour qui me plaît davantage ,
Jour mémorable où je reçus ta foi ,
Où ta bouche jura de m'aimer fans partage :
Voilà l'inftant , Ju'ie , où tu naquis pour moi.
ROMANCE EN DIALOGUE ,
Par M. de Murville.
ACANTE & GLYCÈRE , ou l'Amant
rien ne peut contenter.
AIR : De mes Moutons le nombre augmente.
UN jour le trop fenfible Acante
Etoit aux pieds de fon amante :
Ils fe parloient ; placé près d'eux
Je les entendis tous les deux .
A CANT E.
Oui , je t'adore , ma Glycère ;
Mais c'eft en vain que j'attends du retour :
que
C iij
14
MERCURE
Ah ! dis - moi donc , que faut il faire ( bis. Y
Pour que ton coeur réponde à mon amour ?
GLYCER E.
Aux fleurs que Licas me préfente
Je fuis toujours indifférente.;
Mais un lilas , un fimple willet,
S'il eft offert par, toi , me plaît..
Un ruban devient ton ſalaire ,
Tu ne dois pas te plaindre du retour.
Ah ! dis - moi donc , que faut-il faire (bis. )
Pour re donner plus de preuves d'amour ?
Je fais
A CANT E.
que l'art des vers t'enchante ,
Et c'est toi feule que je chante :)
L'Amour , dontje fuis les leçons ,
Prête plus de grâce à mes fons.
Hier , mon chien parut te plaire ,
Je t'en fis don fans prendre du retour .
Ah ! dis-le moi , que faut-il faire ( lis .)
Pour que ton coeur réponde à mon amour ?
GLYCER F.
Tes chants , tes vers , je les répète ,
Je change avec toi de roulette :
Je fais qu'un Berger , pour tout bien ,
Na que fes moutons & fou chien ;
Mon troupeau dépend de ma mère ,
Je n'ai qu'un coeur , reçois - le pour retour,
DE FRANCÉ. 55
Ah ! dis - moi donc , que faut-il faire ( bis . )
Pour te donner plus de preuves d'amour ?
A CANT E.
Je vais te voir avant l'auroré ,
Et le foir je te cherche encore.
Mais , fi trop contraire à mes voeux
Le deſtin te cache à mes yeux ,
La Nature ne peut me pla're ,
Le ciel , pour moi , n'eſt beau qu'à ton retour.
Ah ! dis-moi donc , que faut-il faire ( bis. )
Pour que ton coeur réponde à mon amour ?
GLYCER E.
Ton abfence auffi me déſole ,
Loin de toi rien ne me confole ;
C'eft en vain qu'un ciel toujours pur
M'environne de fon azur ,
Je me refuſe à fa lumière ,
Le jour pour moi ne luit qu'à ton retour .
Ah ! dis-moi donc , que faut-il faire ( bis.)
Pour te donner plus de preuves d'amour ?
Civ
56 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphedu
Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Lunette ; celui
du Logogryphe eft Préfent ( prafens ), où ſe
trouvent pente , rets , ferpent , pré, ferpe.
ÉNIGM E.
UOIQUE vieille déjà , je dois vivre long- temps ,
Et ne mourrai qu'avec le monde.
Or , comment expliquer cette Enigme profonde ,
Puifqu'on eft convenù que j'expire à trente ans ?
Je tranche , je décide en toute circonftance ,
Le plus fouvent fans nulle attention ;
Eft-ce ignorance ? Eft- ce présomption ?
Eft-ce défaut d'expérience ?
C'est tout cela : c'eft plus , c'eft fuffifance.
Je fuis , dit-on , volage & folle en mes defirs ,
Et dans mes goûts peu réfléchie ;
Il en eft un pourtant auquel je facrifie
Tout , jufqu'à la fanté : c'est celui des plaifirs.
Sans être belle on peut être jolie ,
Auffi ne fuis-je pas proprement la beauté ;
Jecrois pouvoir me paffer d'elle.
De mes propres attraits on me trouve affez belle ;
Et même je pourrois dire , fans vanité ,
Que , loin de moi , femme ne fauroit l'être.
Lecteur impatient , & qui veux me connoître ,
DE FRANCE. 57
Malgré ces contradictions.
Ecoute, & pèſe bien ces trois divifions ,
Elles te fuffiront pour démêler mon être :
Tu m'as connue , me tiens ou me verras peut-être.
M'as-tu connue ? tu n'es pas fans regrets ;
Si tu me tiens , prends bien tes avantages ,
Sinon redoute les naufrages ;
Qui meurt adolefcent , ne me verra jamais.
JE
LOGOGRYP HF.
E fuis un fruit peu beau , quoiqu'affez délicat ;
Je nais en Afrique , en Afie ,
Ainfi qu'en Amérique , & même en Italic ;
Mais je ne viendrois point dans un autre climat.
Tu vois d'abord , Lecteur , lorfque l'on me partage ,
L'endroit d'où te vient le laitage ,
Et ce qu'honneur ne fouffre pas
Dans le haut rang ni dans le bas .
Bien plus , de mes huit pieds , fi tu fais l'aſſemblage ,
Sans te peiner tu trouveras
Le mortel ennemi des rats ;
Un oiſeau babillard , fur- tout s'il eft en cage ;
De Provence une ville ; une conjonction ;
Le contraire d'humide ; un ornement de table ;
Un outil de manoeuvre ; une interjection ;
Une boiffon commune , & qu'on trouve agréable ;
Le feptième des tons qu'inventa l'Arétin ;
Une herbe aſſez commune , utile en Médecine ;
Cv
38 MERCURE
Ce dans quoi le Meûnier rapporte la farine ;
Un terme de Marchand de Vin ; .
Une habitude vicieufe ;
Ce que ne laiffe pas , en faifon pluvicufe ,
Le Voyageur prudent qui doit partir matin....
Mais j'en dis trop , pour l'honneur du devin.
( Par M. F. , de Montferrand. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXAMEN du Poëme de l'Opéra d'Atys , mis
en trois Acles , & retouchépar M. M....
TANDIS ANDIS que les gens de Lettres les plus
verfés dans l'art des vers felicitent M. M.....
du fervice qu'il rend aux Poëmes de Quinault
, en les réduifant à leurs beautés réelles
; tandis que les Muficiens les plus habiles
lui favent gré du fervice qu'il rend à leur
art en retouchant ces beaux Poëmes , on
trouve encore des Critiques allez injuftes :
pour dire qu'il les a gâtés.
Et cette opinion eft affez bien reçue des
perfonnes qui , dans leur jeunelle , ont eu:
le plaifir de chanter fur les Opéras de Quinault
la mulique de Lulli. Nous renons à
tout ce qui nous retrace les beaux jours de
notre vie ; toutes les idées qui nous rappellent
nos premiers fentimens & nos premiers.
plaifirs , nous intéreffent, & nous font chè-
Ies ; rien n'eft fi beau dans notre fouvenir
DE FRANCE.
59
que les objets qui frappoient en nous une
imagination jeune & vive , & des organes
délicats. Voilà pourquoi les révolutions dans
le goût font d'autant plus lentes , que les
objets des arts tiennent plus aux fens , voilà
pourquoi , de toutes ces révolutions , la plus
difficile à faire a été celle de la mufique . Mais
fi l'on eft enfin privé de Lulli , au moins ne
voudroit- on rien perdre de la Poéfie de Quinault
; & , fans examiner fi elle eft fufceptible
des formes & des mouvemens de la mufique
nouvelle , on croit avoir droit de fe
plaindre de ce qu'on ait ofé la retoucher . Ne
regardons pas comme injufte ce regret des
chofes paffées , fi naturel à tous les hommes ;
mais examinons fi M. M.... a fait quelquet
tort à Quinault , en retouchant fes Opéras.
Celui d'Atys nous fervira d'exemple.
Plan de l'Opéra d'ATYS , dans Quinault.
و ر
ACTE PREMIER. La Fête de Cybèle annon
cée , Atys , après avoir diffimulé avec Idas
lui avoue qu'il eft amoureux. Il joue l'indif
férence avec Sangaride , qui , de fon côté ,
feint d'être contente d'époufer le Roi Celænus.
Elle confie à Doris , fa compagne ,
mour qu'elle fent pour Atys. Scène entre
Arys & Sangaride , où leur amour mutuel fe
déclare. Defcente de Cybele , & fa Fête .
l'a
ACTE II. Célonus , feul avec Atys dans:
le Temple de Cybele , lui avoue la crainte
où il eft de n'être pas aimé de Sangaride..
Cybèle paroit elle déclare à Celenus le:
Gj.
60 MERCURE
choix qu'elle fait d'Atys pour fon Sacrificateur;
& comme Atys s'eft retiré à l'arrivée
de la Déeffe , elle charge le Roi d'aller lui
annoncer l'honneur dont il eft revêtu. Confidence
de Cybèle à Méliffe. Elle lui commande
de faire venir le Sommeil pour inftruire
Atys , par des fonges , de l'amour
qu'elle fent pour lui . Fête où Atys eft revêtu
des marques de fa dignité.
ACTE III. Atys , avec Idas & Doris , fe
reproche de trahir le Roi , en lui enlevant
le coeur de Sangaride. Dans le Monologue
fuivant , il fe Hatte que Cybèle fera pour
lui ; mais le devoir & la reconnoiffance
combattent l'amour dans fon coeur. Le Sommeil
le furprend , il s'endort. Scène du Sommeil
& des Songes . Atys s'éveille , tout difparoît.
Cybèle vient à lui , & , fans détour,
elle lui confirme ce que les Songes lui ont
appris. Dans le moment où Atys hélite à lui
répondre , Sangaride vient implorer la protection
de Cybèle pour fe difpenfer d'époufer
Célænus : Atys l'interrompt au moment
où fon fecret va lui échapper , & il follicite
pour elle . Cybèle raffure Sangaride , lui
avoue qu'elle aime Atys , & qu'elle en eft
aimée , & promet de la dérober aux pourfuites
de Célonus par le ministère d'Atys.
Cybèle avec Méliffe laiffe éclater fon inquiétude
fur l'indifférence que lui témoigne
Atys , & les foupçons jaloux qu'elle en a
conçus ; mais il lui fera facile de pénétrer
les fecrets fentimens d'Atys pour Sangaride,
DE FRANCE. 61
& , dans cette vue , elle imagine de la faire
enlever par lui :
Vas , Méliffe , donne ordre à l'aimable Zéphyre
D'accomplir promptement tout ce qu'Atys defire.
Monologue & plaintes de Cybèle_contre
l'Amour , qui l'a flattée d'un vain eſpoir.
ACTE IV. Sangaride fe croit trahie par
Atys ; dans fon dépit elle a réfolu d'époufer
le Roi. Le Roi vient l'y inviter lui - même ;
elle y confent. Atys arrive ; Célonus lui
fait part de fon bonheur , & les laiffe enfemble
. Dépit de Sangaride contre Atys ; il
s'explique , & lui perfuade aifément qu'il
n'aime qu'elle , & que c'eft avec Cybèle
qu'il a diflimulé . Dans ce moment le fleuve
Sangar , père de Sangaride , arrive avec le
Roi & une troupe de Dieux de fleuves , de
ruiffeaux , & c. Alors Atys prend fa réfolution
, & dit à Sangaride :
Que rien ne vous étonne ;
Servons-nous du pouvoir que Cybèle me donne ;
Je vais préparer les Zéphyrs
A fuivre nos defirs.
On célèbre la fête de l'hymen de Céleenus
& de Sangaride. Atys paroît , le choeur l'invite
à les unir : Atys, fur un nuage porté
par les Zéphyrs , enlève Sangaride.
Apprenez , audacieux ,
Qu'il n'eft rien qui n'obéiffe
Aux fouveraines lois de la Reine des Dieux.
62 MERCURE
Qu'on nous enlève de ces lieux :
Zéphyrs , que fans tarder mon ordre s'accompliffe.
CHOEUR.
Quelle injuftice ! -
ACTE V. Au moment où Célonus vient:
Le plaindre à Cybèle de ce qu'elle lui a fait
enlever Sangaride , Cybèle lui apprend qu'ils
font trahis , & qu'Atys adore cette Nymphe..
On les amène l'un & l'autre. Ils demandent:
grâce ; Cybèle & Célonus font inflexibles :
la Déeffe évoque Alecton . Atys rendu furieux
, prend Sangaride pour un monſtre , &
la tue. Cybèle lui rend la raifon pour connoître
fon crime & fentir fon malheur.
Défefpoir d'Atys . Il va fe tuer auprès de
Sangaride. Scène de Cybele avec Méliffe ,
où elle fe reproche fa rigueur. Atys reparoît
expirant. Cybele s'accufe , & ils chantent.
enfemble :
Il eft doux de mourir
Avec ce que l'on aime.
Atys meurt , & Cybèle le change en pin.
Les Nymphes des caux , les Divinités des
bois , les Corybantes viennent pleurer la
mort d'Atys , & célébrer fa inétamorphofe.
Ce que nous allons obferver ne tend point
´a obfcurcir la gloire de Quinault. M. M…………
feroit le premier à nous defavouer ; perfonne
ne connoît mieux le mérite de ce
Poëte, dont il a fait lui - même de fi grands
DE FRANCE. 635
éloges dans fa poétique & dans fes articles
litteraires de l'Encyclopédie. Le plus bel
hommage qu'il ait pu lui rendre , c'eft le
fin quil a pris de conferver au Théâtre fes
Opéras, en les pliant aux formes d'une mufi--
que qui , depuis un fi grand nombre d'années
fait les délices de l'Europe ; mais fans méconnoître
aucune des beautés d'Atys , nous devons
faire remarquer les endroits où ce
Poëme a pu être abrégé ou retouché à fon
avantage..
Le principal défaut de ce plan vient de la
néceflité que Quinault s'étoit impofée de
divifer l'Opéra en cinq Actes , & d'y amener
cinq divertiffemens. C'eft ce qui l'a forcé
de couper en deux Actes l'action fimple de
la defcente de Cybèle , & du choix qu'elle
fait d'Atys pour fon facrificateur. C'est ce
qui lui a fait imaginer l'enlèvement de Sangaride
par Atys , au moment de la fête de
fes noces avec Celenus , & dans le palais de
fon père : incident également contraire à la
vraifemblance & à l'intérêt , puifqu'il eft
autli invraiſemblable que Cybèle , foupçonnant
l'amour d'Atys & de Sangaride
faffe commander aux Zéphyrs de les enlever
enfemble , qu'il eft odieux dans
fon Grand - Prêtre & dans le favori du
Roi , dabufer du pouvoir que la Déeffe lui
confie pour enlever Sangaride des bras de
fon père & de fon époux. C'eft enfin ce qui
lui a fait ajouter à la catastrophe la métamorphofe
d'Atys en pin , & la fête que l'on
64 MERCURE
clèbre en l'honneur de cet arbre favori de
Cybèle.
Dans le Poëme réduit en trois Actes , l'action
eft plus preffée. C'eſt dans la fête même
de Cybele qu'Atys eft déclaré fon facrificateur.
La confidence qu'elle fait à Méliffe
commence le fecond Acte ; celle que fait
Célonus à Atys de fa crainte & de fes
foupçons , amène immédiatement après les
remords d'Atys fur fon ingratitude ; & ces
remords , calmés par le Sommeil , font place
à la Scène des Songes.
Au lieu d'engager Sangaride juſqu'à la
célébration de fes noces avec le Roi , & de
la faire enlever par Atys , M. M..... les
fait furprendre par Cybele dans les jardins
de Célonus , fe jurant de s'aimer toujours.
Tout l'odieux de la trahifon difparoît , &
ils confervent l'un & l'autre l'intérêt de leur
caractère.
Enfin , à la faveur de l'ufage établi depuis
quelque temps de fe paffer de ballet après
un dénouement tragique , M. M..... s'eft
permis de fupprimer celui de la métamorphofe.
Les autres changemens faits au Poëme de
Quinault, portent fur des détails qui , de
fon temps , pouvoient ne pas déplaire ; mais
qu'un Public plus difficile ne goûteroit pas
aujourd'hui. Par exemple , on n'auroit pas
trouvé affez décent qu'une Nymphe comme
Sangaride dit à celui qu'elle aime , & qu'elle
croit indifférent ,
DE
65
FRANCE.
Quand le péril eft agréable ,
Le moyen de s'en alarıner !
Eft- ce un grand mal de trop aimer
Ce que l'on trouve aimable ?
On n'auroit pas approuvé que Doris , fuppofant
à fon amie Sangaride le caractère
d'une coquette , lui dit :
C'eſt le commun défaut des belles :
L'ardeur des conquêtes nouvelles
Fait négliger les coeurs qu'on a trop- tôt charmés ,
Et les indifférens font quelquefois aimés
Aux dépens des amans fidèles.
On n'auroit trouvé ni affez noble , ni affez
lyrique ce duo de Sangaride & de Doris.
Un amour malheureux , dont le devoir s'offenfe ,
Se doit condamner au filence :
Un amour malheureux , qu'on peut nous reprocher,
Ne fauroit trop bien fe cacher.
Lorfque Célanus dit à Atys :
Mais quand j'ai vu tantôt la beauté qui m'enchante ,
N'as -tu pas remarqué comme elle étoit tremblante ?
On auroit trouvé profaïque cette réponſe
d'Atys :
A nos jeux , à nos chants , j'étois trop appliqué ;
Hors la fête , Seigneur , je n'ai rien remarqué.
Cette réflexion de Célonus auroit paru
froide & commune :
Quand on aime bien tendrement ,
On ne ceffe jamais de fouffrir & de craindre ;
66
MERCURE
Dans le bonheur le plus charmant ,
On eft ingénieux à fe faire un tourment ,
Et l'on prend plaifir à fe plaindre.
On auroit defiré plus de nobleffe & de
réferve dans le langage que Méliffe tient à
la Reine des Dieux :
Vous méprifiez trop l'Amour ,
Son nom vous fembloit étrange :
A la fin il vient un jour
Où l'Amour fe venge…………
·
Vous braviez à tort
L'Amour qui vous bleffe ;
Le coeur le plus fort
A des momens de foibleffe ;
Mais vous pouviez aimer , & defcendre moins bas.
Doris & Idas , pour lever les fcrupules
d'Atys , ne lui difent plus :
Dans l'empire amoureux
Le devoir n'a point de puiffance ;
L'Amour difpenfe
Les rivaux d'être généreux :
Il faut fouvent , pour devenir heureux ,
Qu'il en coûte un peu d'innocence.
Er Atys ne dit plus lui- même :
En vain un coeur incertain de fon choix ,
Met en balance mille fois
L'Amour & la reconnoiffance :
L'Amour toujours emporte la balance.
3
DE FRANCE. 67
Les maximes que Defpréaux reprochoic
à Quinault avec trop de rigueur , peuvent
du moins être facrifiées à la rapidité du
dialogue , fans que cela nuife ni à l'intérêt
de l'action , ni à celui de la mufique.
Après ce vers d'Atys ,
Les fonges font trompeurs , & je ne les crois pas.
Ce petit quatrain :
Les plaifirs & les peines
Dont en dormant on eft féduit ,
Sont des chimères vaines
Que le réveil détruit.
Et la réponſe de Cybèle ,
Ne méprifez pas tant les Songes,
L'Amour peut empranter leurs voix 5
S'ils font fouvent des menſonges,
Ils difent vrai quelquefois.
pouvoient paroître jolis dans leur temps ,
mais nous les trouverions aujourd'hui déplacés
, dans un moment où l'action veut
être preffée & rapide..
Ce Dialogue d'Atys & de Cybèle :
ATY S.
Une grande Divinité
Doit s'affurer toujours de mon refpect extrême.
CYBELE .
Les Dieux , dans leur grandeur fuprême ,
Reçoivent tant d'honneurs qu'ils en font rebutés ;
Ils fe laffent fouvent d'être trop refpectés ,
Ils font plus conténs qu'on les aime.
68 MERCURE
Ce Dialogue avoit beſoin d'être adouci ,
& M. M.... a cru devoir conferver l'idée
& ménager les termes.
ATY S.
Vous fervir avec zèle eft mon devoir fuprême.
CYBELE.
Le zèle n'eft pas de l'amour ; //
Et les Dieux font encor plus flattés qu'on les aime.
Pour faire marcher la Scène , il a cru pouvoir
fupprimer ces vers de Cybèle à Arys ..
Non, non , il n'eft pas néceffaire
Que vous cachiez votre bonheur :
Je ne prétends point faire
Un vain mystère
D'un amour qui vous fait honneur.
Cette excufe de l'embarras d'Atys , que
Méliffe donne à Cybèle ,
Ce n'eft pas un fi grand crime
De ne s'exprimer pas bien ;
Un coeur qui n'aima jamais rien
Sait peu comment l'Amour s'exprime.
lui a paru auffi fuperflue.
A ce Dialogue d'Atys & de Sangaride , en
parlant du Roi :
Qu'ilfait
ATY S.
peu fon malheur ! & qu'il eſt déplorable !
Son amour méritoit un fort plus favorable ;
J'ai pitié de l'erreur dont fon coeur eſt flatté.
DE FRANCE. 69
SANGA RIDE.
Épargnez-vous le ſoin d'être fi pitoyable ,
Son amour obtiendra ce qu'il a mérité.
Il a cru devoir fubftituer celui- ci :
ATY S.
Qu'avec lui j'ai de peine à feindre ,'
Et que je plains l'erreur dont il eft ſi flatté !
SANGA RIDE.
Non , difpenfez-vous de le plaindre ,
Il obtiendra le prix qu'il a bien mérité !
Enfin , lorfqu'on amène Atys & Sangaride
devant Cybèle , M. M.... a cru pouvoir
abréger le Dialogue , pour faire place à un
Quatuor qui eft reconnu pour un chef d'oeuvre
de la part du Muficien.
Parmi les morceaux retranchés , il en eſt ,
fi l'on veut , quelques-uns qu'on pourroit
regretter à la lecture ; mais il n'en eft aucun
, nous ofons le dire , qui , dans le chant,
n'eût rallenti & réfroidi le dialogue ; & l'on
peut voir , en lifant le Poëme mis en trois
Actes , que dans aucune Scène , on ne de-
Gre ni plus de gradation , ni plus de développement.
On y peut voir auffi qu'à l'exception
de la première Scène du fecond Acte ,
qui ne fait qu'annoncer l'amour de Cybèle
& la fête des Songes , & qui , fans laiffer le
Théâtre vuide , a pourtant le petit défaut
d'être détachée de la Scène fuivante , on
peut voir que tout le refte eft lié , non -feulement
dans le tiffu du dialogue , mais d'une
Scène à l'autre , & avec tant de foin qu'il
70 MERCURE
eft impoffible d'appercevoir l'endroit où les
fils en font renoués.
Mais pour accommoder ce Poëme au génie
& au caractère de la raufique Italienne,
ce n'étoit pas affez d'en refferrer l'action &
d'en élaguer les détails inutiles : il falloit
y fubftituer des morceaux de Poéfie fufceptibles
de chant. Les vers de Quinault donnent
lieu quelquefois à ces airs fumples &
agréables , que l'on appelle cavatines ; mais
tous les airs de caractère , tous les morceaux
d'un grand deffin exigent des formes nouvelles
, & le plus fouvent un degré de chaleur
& de force que la Mufique de Lulli ne
demandoit point à Quinault. C'est là que
M. M.... a employé cet art dont on fait
qu'il a fait une étude particulière , de plier
notre langue au rhithme , & de donner aux
wers Français une coupe analogue au chant.
De cinq vers charmans de Quinault , mais
qui étoient perdus dans la bouche d'un confident
, il a fait le début du Poëne , & ce
monologue mis en action , & fuivi d'un
air , eft devenu , dans la bouche d'Atys ,
l'expofition la plus touchante. Dans la première
Scène de Sangaride avec Doris , il a
exprimé la fituation du coeur de cette Amante
par un air du caractère le plus tendre. Il a
coupé la grande Scène d'Arys & de Sangaride
par un air très- pationné ; il l'a terminée
par un Duo dont la mufique eftravillante,
Au fecond Acte , il a peint le trouble &
les remords d'Atys dans un monologue fuivi
DE FRANCE
71
d'unair où le Muficien a déployé toutes les
forces de fon art , comme il en a déployé
tout le charme dans la Scène des Songes ;
& ce même Acte finit par un air qui , dans
la bouche de Cybèle , exprime le dépit &
la fureur de l'amour jaloux , avec une énergie
que le Mulicien a portée à un degré fublime,
Dans le troisième Acte , l'air fi touchant
de Sangaride , Malheureufe , hélas ! j'aime
encore ; l'air de Célanus : Je vais poffeder
Sangaride , où le Muficien a mis tant de
chaleur ; le Duo d'Atys & de Sangaride : Jurons
denous aimer toujours ; le Quatuor enfin
, font de la main de M. M.... Il n'a eu
garde de toucher aux Scènes de l'égarement
& du defefpoir d'Arys ; elles font de Quinault
d'un bout à l'autre , & il n'y a rien ,
fur aucun théâtre , de mieux écrit ni de
plus tragique,
On voit , par l'examen où nous venons
d'entrer , qu'après avoir dégagé ce Poëme de
tops les détails fuperflus , & en avoir rendų
action plus vive & plus rapide , M. M. ,. ,
a tiré du fond des fituations mêmes & des
fentimens indiqués par Quinault , des mor
ceaux de Poéfie de divers caractères , fur
lefquels le Mulicien a pu répandre toutes
les richeffes de fon art ; & c'eft ainfi qu'il
eft poffible de rendre nos Opéras François
fufceptibles de toutes les beautés de la Mue
fique Italienne. L'épreuve en avoit été faite
fur Roland ; le fuccès d'Atys la confirme
& il n'eſt plus douteux , après les effets de
72 MERCURE
f'un & de l'autre , que notre Théâtre lyrique
ne puiffe réunir tout ce que la Poeſie , la
Mufique , la Danfe , la Peinture , & les
illufions théâtrales , ont de plus intéreſfant
pour l'ame , & de plus enchanteur pour
les fens.
Obfervons avant de finir , que le feul
amour des Beaux- Arts nous a guidé dans cet
article comme dans tous les autres : perfuadés
que le génie arrive au même but par des
moyens différens , nous ne pouvons croire
qu'un Opéra foit déteftable quand il n'eft pas.
calqué fur ceux du Chevalier Gluck : tel qui
vient d'applaudir à la véhémence de fes accens
, feroit- il donc infenfible aux beautés
régulières & touchantes d'une mélodie qui a
féduit toutes les Nations ? La circonftance
préfente nous démontre le contraire : Atys
& Iphigénie en Aulide , remis au Théâtre ,
& foutenus par les preftiges du Ballet
de Médée , ont été alternativement joués
pendant plufieurs jours confécutifs ; Atys a
même fubi l'épreuve d'être chanté par un
Acteur qui ne s'y attendoit point , & pour
lequel on n'avoit fait qu'une feule répétition
générale ; qu'en eft-il réfulté La muſique
d'Iphigénie n'a point éclipfé celle d'Atys ; on
a comparé l'une & l'autre , & cette partie du
Public inacceffible à l'efprit de parti , a fu
leur rendre juſtice , en manifeftant , par fes
acclamations , que la mufique Allemande ne
doit point exclure la mufique Italienne du
Théâtre François.
LES
DE FRANCE.
7%
LES MOIS , Poëme en douze Chants , par
M. Roucher. 2 Vol. in -4° . grand papier ,
avec figures. Le même , 4 vol. in- 12 , petit
papier. A Paris , chez Piffot , Libraire ,
Quai des Auguſtins .
SECOND EXTRAIT.
D'APRÈS Ce que nous avons dit du Poëme
des Mois , on fent qu'il ſe refuſe à une exacte
analyſe. L'imagination de l'Auteur ſe tranſporte
dans tous les climats & dans tous les
lieux ; il obferve tous les ouvrages des hommes
, & toutes les productions de la nature ;
il peint ce qui le frappe davantage ; & il
claffe le tableau dans le mois qui en pro-
-duit le modèle. On voit par - là combien
il étoit difficile (que la marche du Poëte fût
diftincte & affurée . Sans entamer une difcuffion
qui nous mèneroit trop loin , la feule
différence des climats , qui en met tant dans
l'influence des faifons , n'offroit - elle pas au
Poëte des difficultés fans nombre , pour
marquer les nuances de chaque Mois ? M.
Roucher fe flatte -il d'avoir vaincu tous les
obftacles ? Il va lui -même nous fournir une
réponſe négative. » Cette douce tempéra-
» ture ', dit-il dans une de fes notes , que
» j'attribue au mois de Septembre , ne peut
» être commune à toutes les provinces de
la France. Fixé depuis long- tems fous le
ciel de Paris , c'est celui que j'ai dû peindre
le plusfouvent. » Cette phrafe , cette
Sam. 11 Mars 1780.
"
"
23
و د

74
MERCURE
dernière expreffion fur- tout , le plusfouvent,
eft un aveu qui juftifie notre critique . Ainli
difpenfes de nous perdre dans une analyſe
qui ne pourroit être qu'une très longue table
de matières , difons feulement que M.
Roucher , à l'exemple des anciens Peuples
& des François eux mêmes avant Charles
IX , commence fon année par le mois de
Mars ; ce qui eft plus conforme à la raifon
, car il eft naturel & plus poétique que
la naiffance du Printems foit l'époque de la
nailfance de l'année .
La marche de ce Poëme ne comporte &
ne laiffe à juger que le choix des peintures ,
& l'art des tranfitions. Le mérite des tranfitions
eft d'être toujours natureiles, de mener
le lecteur par des paffages prefque infenfibles
, de changer pour ainfi dire la fcène ,
la décoration , fans que le coup de fifflet foit
entendu. Quant au choix des peintures , c'eſt
l'intérêt & la variété qui doivent déterminer
le Poëte. Il eft encore un artifice permis ,
commandé même par le goût dans ce genre
de Poëme ; c'eft la reffource des épifodes ,
qui , en variant le ton de l'ouvrage , y jette
encore un intérêt , au moins du moment.
Il feroit difficile , par un Extrait , de mettre
le Public à portée de juger M. Roucher
fur ces trois points effentiels ; ou plutôt
il feroit également facile de l'accufer &
de le juftifier. Le Théatre immenfe qu'il
avoit embraffé , l'a forcé de multiplier à tel
point fes deſcriptions , fes tranfitions & fee
DE FRANCE.
75
pifodes , qu'il doit néceffairement avoir
très -fouvent mérité l'éloge & la critique , de
manière qu'un ami & un antagoniſte pourroient
également le defendre & l'attaquer
par des citations nombreuſes & concluantes.
Ainti , nous nous contenterons de dire , ( &
c'eſt un aveu que nous devons à la vérité )
que parmi un grand nombre de tranfitions
heureuſes , il s'en trouve auffi dont
le travail ou la négligence fe fait trop fentir ,
& qui ne portent que fur un mot. Par
exemple , l'Auteur , dans le cinquième Chant,
ayant terminé l'Epiſode d'Hachette par ces
vers qu'il adreffe à la France :
"
Entretiens-moi d'Hachette , offre-moi fon image ;
Que j'y puiffe attacher mon oeil religieux ,
Et couronner de fleurs ce front victorieux !
Ces fleurs que le Poëte doit offrir à Hachette
, quand il fera un voyage à Beauvais,
Patrie de cette Héroïne , lui fervent de tranfition
pour peindre le defféchement des
Heurs par les ardeurs de l'été ; car il ajoute
aufli- tôt :
Quelles Aeurs toutefois offrir à fa ftatue ,
Aujourd'hui que pleurant fa vigueur abattue
La terré voit régner aux céleſtes lambris
Le lion de Némée & le chien de Procris ?
On eft fâché de rencontrer de pareilles
tranſitions , fur- tout quand , dans le même
ouvrage , on en trouve d'autres pleines d'a-
D 访
76 MERCURE
dreffe & de naturel , notamment au fixième
Chant , où , après avoir parlé du malfacre
de la S. Barthélemy , le Poëte s'arrête en
s'écriant n'attriftons plus notre Patrie par
ces tableaux déshonorans ;
:
La Fête de mon Roi commande l'allégreffe.
& auffi- tôt il paffe très-heureuſement à la
fête de Saint - Louis.
C'eft avec le même efprit . d'équité que
nous reprocherons à M. Roucher d'avoir
trop fouvent négligé fes Epiſodes , qui n'ont
pas toujours l'intérêt qu'ils devroient avoir.
Si l'on en trouve d'intéreffans , il en eſt auſſi
où l'Auteur demeure au - deffous de fon fujet
; tel eft celui de la Rofière , qui eſt dans
le quatrième Chant. Il femble que fon talent
poétique , dont nous efpérous donner
des preuves fatisfaifantes quand nous entrerons
dans les détails du Poëme ; il femble ,
dis-je , que fon talent , qui aime à fe nourrir
d'images & de deſcriptions , ſe néglige
& fe refroidiffe dans tout ce qui tient aux
récits & au raifonnement.
Après ces réflexions fur le fujet & la marche
du Poëme , nous allons parcourir les
détails , en menant de front & l'éloge
& la critique. Nous rappellerons quelques
principes reconnus en Poéfie ; l'application
que nous en ferons fucceffivement au Poëme
des Mois , fervira à la critique ou à l'apologie
de l'Auteur ; & le Lecteur décidera fi , en
affemblant les traits épars que nous allons
DE FRANCE
77
mettre fous les yeux , on peut en compoſer,
un tout , qui annonce un Poëte de plus à
la Nation .
On n'a pas encore oublié la brillante explofion
de ce Poëme , quand l'Auteur le
communiqua , par des lectures , aux plus célèbres
Sociétés de la Capitale. Ces fuccès -là
font auffi dangereux que faciles à obtenir.
Ils éveillent l'envie des rivaux , & bleffent
jufqu'à l'amour-propre du Public indifférent
, qui , s'eftimant le Juge né des talens
& le difpenfateur de la gloire , eft d'autant
plus difpofe à caffer ce premier arrêt , qu'il
le croit rendu par incompétence. Mais il eſt
des hommes fages , qui au milieu de
ce conflict d'opinions , favent défendre
la liberté de leur jugement. S'ils penfent
qu'il y a trop de bonhommie à croire un
ouvrage excellent parce qu'il a réufli dans
des foupers , ils jugent auffi qu'il y a de la
fottife à le condamner , par cela feul qu'il
a réuffi . C'eft avec ce Public auffi fage
qu'impartial , que nous avons voulu difcuter
les beautés & les défauts du Poëme des
Mois.
,
On doit d'abord à M. Roucher un éloge
mérité bien rarement ; c'eft qu'il a fu fe préferver
de deux défauts que la mode a introduits
dans notre Poéfie ; défauts trop familiers
, même à ceux qui les condamnent
chez autrui ; qu'on profcrit par goût , &
qu'on imite par intérêt , parce qu'ils fervent
au fuccès du moment. Je veux parler
D_iij
78 MERCURE
ر
du faux bel - efprit , qui féduit toujours le
vulgaire des Lecteurs ; & de ce ftyle haché,
fi propre à enfanter ce qu'on eft convenu
d'appeler de beaux vers c'est- à-dire , de ces
vers qui forment un fens complet , qu'on
retient fans effort , & qu'on cite toujours
avec fuccès . Le ftyle de M. Roucher eft
toujours pur , nombreux & noble , même
dans les détails les plus fimples . Dans les
defcriptions agréables , il n'eft jamais précieux
, & il est toujours poétique. Juftitions
cet éloge par un exemple que nous fournit
le troisième chant , c'est- à- dire , le mois
de Mai. Le Poëte y parle des Jardins..
VERRAI - JE fans ennui la froide fymétrie
Prolonger une route où rien ne fe varie ;
Borner le libre effor de ces jeunes ormeaux ,
Qui cherchent à s'épandre en immenfes rameaux ;
L'if épaiffir en mur fa funèbre verdure ;
Le buis parmi les fleurs ferpenter en bordure ;
Le verre fur leur tige en prifon s'arrondir ,
Et le fable au gazon défendre de verdir ?
NON , non ; de ce jardin févèrement bannie ,
La régularité n'en fait point l'harmonie.
Tout naît comme au hafard en ce fertile enclos :
Une fource en fuyant l'abreuve de fes flots ,
Creufe un riant vivier , s'échappe , & , plus rapide ,
Embraffe un tertre verd de fa zône lympide,
Du milieu de cette Ifle un berceau toujours frais
Monte , fe courbe en voûte , & s'embellit fans frais
DE FRANCE. 79
De touffes d'aubépine & de lilas fauvage ,
Qui , courant en feftons , pendent fur le rivage.
Plus loin , ce même enclos fe transforme en verger ;
Où l'art négligemment a pris foin de ranger
Les arbustes nombreux que Pomone raffemble :
Autour d'eux je vois naître & s'élever enſemble ,
Et des plantes , fans gloire , & de brillantes fleurs.
UN amoureax Zéphyr en nourrit les couleurs.
L'Iris de la Tamife échappe au ſein de l'herbe ,
Et brille fans orgueil aux pieds du Lys fuperbe ;
Mais par l'Impériale à ſon tour dominé ,
Devant elle en fujet , le lys tremble incliné.
L'oeillet au large front , la pleine renoncule ,
Le bleuet qui , bravant l'ardente canicule ,
Emaillera les champs de la blonde Cérès ;
Le chevrefeuille , ami de l'ombre des forêts ,
Le fureau , le lilas , l'épaiſſe giroflée ,
L'églantier , orgueilleux de la fleur étoilée ,
De ce beau labyrinthe émaillent les détours .
Ici , le frais muguet fe marie aux paftours ;
I
Là , du jafmin doré la précoce famille
Brille avec le rofier à travers la charmille.
Veut- on une tirade jetée avec encore plus
d'aifance & de liberté ? le Mois d'Août va
nous la fournir.
LE fang des végétaux , qui , fous la canicule
De leur tête à leurs pieds , trop rapide circule ,
Depuis trente foleils oublioit de nourrir
Div
-80ჭი . MERCURE
L'arbre que le bélier avoit vu refleurir.
La feuille jauniffante & de foif épuisée
Vainement dans la nuit s'abreuvoit de rofée }
L'aube vers l'Orient à peine renaiſſoit ,
Que plus aride encor la feuille languiffoit.
Mais aujourd'hui qu'enfin la chaleur amortie
Laiffe couler en paix la sève rallentie ,
De ce fuc nourricier pénétré lentement ,
L'arbre de fes rameaux rajeûnit l'ornement .
Le fauvage arbouzier pompeufement étale
Sous les bras reverdis la pourpe orientales
L'ananas épaiffit fon feuillage étranger ;
Un parfum plus fuave embaume l'oranger ;
Du rofier épineux la tige printannière
S'ouvre & laiffe échapper fa feuille priſonnière ;
La pelouze renaît & borde le ruiffeau ;
↑ Des guirlandes de fleurs courent fur l'arbriffeau
Qu'envoya fur nos bords la froide Sybérie ;
L'albâtre a couronné le jafmin d'Ibérie ,
Et l'humble violette , au piftil brillant d'or ,
Croit revoir le printemps & refleurit encor .
Mais fur-tout de Bacchus le tortueux arbuste
Environne Formeau d'un cercle plus robufte ;
Et prolongeant fes bras jufqu'au berceau voifin ,
Sous un dôme de pampre y cache le raifin.
Nous ne ferons pas cet affront aux amateurs
de la Poéfie , de détailler les beautés de
... ces deux morceaux , qui ne font pas encore
les plus frappans du Poëme. Combien dé 225
DE FRANCE. SI
>
défauts ne font-ils pas couverts par de femblables
beautés ? La critique aura le malheur
d'y découvrir des taches fans doute ;
mais le goût y fentira la main du vrai Poëte,
qui répand la vie & la chaleur fur tout ce
qu'elle touche. Quand le connoiffeur , renfermé
feul dans le filence de la retraite
jette les yeux fur de femblables tableaux ;
cette peinture parlante réveille & réchauffe
fon imagination ; il croit voir tout- à- coup
peupler la folitude de fon cabinet : fans faire
un pas , il fe trouve environné du fpectacle
de la Nature ; tout prend une voix pour lui
parler, & une ame pour l'intéreifer . Telle
eft l'illufion de la Poésie.
En général , les vers de M. Roucher ne
font pas compofés , comme il arrive trop
fouvent , d'un ramaffis d'hémiftiches étrangers
que la mémoire a retenus çà & là , &
que l'art , le goût même , fi l'on veut , a mariés
avec plus ou moins d'adreffe. Ce ne font
point de ces vers bien faits qui ennuient ; de
ces lignes harmonieuſes , qui n'ont l'avantage
ni d'amufer l'efprit , ni de toucher le
coeur , parce que ni l'efprit , ni le coeur ne
les ont infpirées. La Poéfie des Mois a un
caractère de création ; l'Auteur a lu nos modèles
, non pour imiter leur ftyle , mais pour
enrichir & perfectionner le fien ; fes beautés ,
comme fes défauts , lui appartiennent ; je dis ,
comme fes défauts, parce qu'en effet, dans nos
ouvrages , telle qualité touche toujours , tient
prefque à tel défaut. Par exemple , la crainte
Dv
82 MERCURE
de tomber dans l'abus de l'efprit , jette quel
quefois M. Roucher dans une fimplicité nue,
& même dans la négligence. Pour éviter la
puerile manie de finir rigoureufement chaque
tirade par le vers le plus faillant , il finit
quelquefois les fiennes d'une manière commune
& foible. C'eſt à cette louable ambition
d'être foi , jointe au defir de multipher
les effets de l'harmonie , qu'il faut attribuer
ce qu'on lui a reproché , même avant
Pimpreflion de fon Ouvrage. On devine
peut être qu'il eft queftion de la coupe dé
fes vers , qui , en lui faifant trouver des beautés
nouvelles , donne prife fouvent à une
jufte critique , & qui même le jette quelquefois
dans le défaut qu'il cherche à éviter,
la monotonie.
Depuis long-temps , en jugeant nos vers
alexandrins , on a crié contre le retour monotone
de l'hémiftiche & de la rime ; onatenté
des vers blancs , des vers mefurés , & l'on
eft revenu à l'hémiftiche & àla rime. It
paroît
qu'après de longues difcuffions , on s'eft
accorde à dire que le genre de verfification que
nous avons adopté , eft le feul qui convienne
à notre langue. M. Roucher a penſé qu'au
moins en variant la coupe de les vers , on
pouvoit trouver de nouvelles fources d'harmonie
, & de nouvelles beautés. Le principe
eft jufte , mais l'abus qu'il en a fait nous
paroît répréhenfible. Si l'on permet quelquefois
au génie de s'affranchir de la règle ,
c'eft à condition qu'il fe fera abfoudre par
DE FRANCE. 83
>
une grande beauté; & l'on ne le permet
guères que dans des momens où le Poëte
dominé par l'enthoufiafme , femble ne pouvoir
prendre des loix que de lui-même. Mais
rcmpre la mefure d'un vers dans un mcment
tranquille , fans amener une grande
beauté, couper irrégulièrement deux ver's de
fuite , ce n'eft pas trouver des coupes heureufes
; c'eft fe permettre des enjambemens.
On peut demander , par exemple , à M.
Roucher , quel genre de beauté lui a fourni
la coupe de ce vers , en parlant des biches ,
qui , dans le tems du rut , s'affeinblent autour
du cerf:
Que leur brillant effaim me plut ! à fa préfence ,
Je me crus introduit au palais de Bylance.
Le repos renvoyé à l'expreffion me plut , ne
laiffe voir que la tranfgreffion de la règle
& l'on cherche en vain la beauté qui doit
l'expier. Que fera- ce fi l'hémiftiche ſe trouve
ainfi bouleverfé dans plufieurs vers de fuite ,
comme dans ceux- ci ?
Libre tout à la fois de labours & d'impôts ,
L'Agriculteur jouit . Voyez- le en fon repos
Placer amis , voifins à fa table : la troupe
Sans ceffe rempliffant & vuidant une coupe ,
Rit, chante ; & de bons mots &c.
Cu comme dans ces autres vers ?
;
Lorfqu'enfin fuccombant aux terreurs qui l'obsèdent ,
Philamandre s'endort. De la faveur des cieux
D vj
84
MERCURE
Un fonge le berçoit. Songe fallacieux !
Tout-à-coup un long cri l'éveille. Aux lucurs fombres
, &c.
Qu'on life ces vers en obfervant les repos
marqués par l'Auteur , la rime s'anéantit
pour l'oreille ; par conféquent il n'y a plus
de vers François , parce que l'effence des vers
François eft d'être rimés .
Dans ceux qu'on va lire , la rime ne dif
paroît point ; mais la même coupe , employée
deux fois de fuite fans intervalle ,
produit un effet bien contraire à l'harmonie.
« Et c'est moi , malheureux , qui vois ta dernière
» heure !
Mes enfans ne font plus ; je les perds..... Que je
>> meure. »
Attaché fur fonfils , il pleuroit ; & la mort
Dans fes bras paternels avoit frappé Sainmaurt.
Le même principe , qui fait defirer à M.
Roucher de voir multiplier nos richeffes
poétiques , lui a infpiré le projet de faire révivre
quelques mots anciens profcrits ou
abandonnés , & même d'en créer de nouveaux.
Mais parmi un certain nombre d'expreffions
qu'il a eu raiſon de réhabiliter , on
peut demander à M. Roucher , qui fait que
les conditions qu'on impofe à un mot créé
ou reffufcité , font d'être néceſſaire , conforme
au génie de la langue , & agréable
à l'oreille , on peut lui demander , dis - je ,
DE FRANCE.
$5
quel charme lui a fait adopter celui - ci :
Il bleuit l'heppatique , & dore le crocus.
Comment ce mot bleuit a - t-il pu flatter fon
oreille poétique ? On peut lui demander encore
pourquoi il a fait paffer dans fes vers
d'autres mots qui doivent refter à la profe :
De l'infpiration le délire extatique.....
Prête au chêne affermi fur le mont qu'il couroune ,
Prête un fus aftringent qui , par un prompt fecours....
Bien loin de rajeûnir , la terre tous les ans
S'épuife , & par degrés amoindrit ſes préſens....
Les gens de goût , en lifant ces obfervations
critiques , n'ignorent pas combien il
eft facile de relever un petit nombre de négligences
dans un grand ouvrage ; mais ils
favent auffi qu'il eft important de les dénoncer
, parce qu'un grand talent convertit
fes fautes en autorites ; & que la critique
d'un ouvrage doit toujours être utile , moins
à l'Auteur , qui d'ordinaire eft encore mieux
inftruit que fes Cenfeurs des fautes qu'il a
commifes , qu'à ceux qui lifent fon Ouvrage
.
Onme pardonnera donc de reprocher encore
à l'Auteur des Mois , des répétitions
d'idées & d'images , & quelques expreffions
que le goût devoit exclure.
En s'emportant philofophiquement contre
un ufage auquel il fe prête fans doute en
particulier , celui de fe nourrir de la chair
86 MERCURE
des animaux M. Roucher dit que


L'homme s'arrogeant un droit imaginaire ,
Tyran des animaux , étale fans remords
Ses meurtres déguiſés , & le nourrit de morts.
Il dit d'un homme tranfi de froid ;
L'homme foible & percé jufqu'au fond defes os.
Et en parlant des fleuves ,
Les fleuves dans leur lit en écumant fe roulent.
A quoi tient fouvent la juſteſſe & la beauté
d'une expreflion ! un fleuve qui roule eft
une expreflion noble ; un fleuve quife roule
devient tout- à - la- fois une faute contre le
goût , & une faute de langage. Cette obfervation
nous prouve combien une langue a de
finelles fouvent prefque imperceptibles ; &
elle doit nous faire fentir combien de beautés
& de défauts nous échappent néceffairement
dans des Cuvrages écrits en langues mortes .
Voici une autre obfervation qui peut fournir
encore une réflexion utile. En lifant les
morceaux touchans de ce Poëme , on trouve
quelques vers où l'expreffion poétique éteint
le fentiment. On ne peut s'empêcher de fonger
alors combien il feroit difficile de dire quel
eft le degré de Poéfie qui doit entrer dans des
vers de fentiment ; mais on s'apperçoit fans
peine quand le Poëte a outre- paffé la mefure.
Lorfqu'après avoir imité le morceau
du Poëme de Milton fur la cecité , M. Rou
DE FRANCE. 87
cher finit par cette apoftrophe au Soleil :
Ah ! tant que roulera le flambeau de ma vie ,
Que ta douce clarté ne me foit point ravie !
Puiffe tourné vers toi , mon oeil près du tombeau ,
Par un dernier regard faluer ton flambeau !
On fent que flambeau eſt là déplacé , & qu'il
y jette de la féchereffe ; te faluer par un der
nier regard , voilà ce que vouloit dire le
Poëte , & voilà l'expreffion du fentiment.
Nous en dirons autant de ces vers , où il
peint une amante qui reprend fes vêtemens
fur le bord d'une rivière , où elle a failli périr
en fe baignant
Kofe après lui retrouve fur la plage
Ses voiles , & tous deux font rentrés au village.
Comme l'expreffion de voiles , employée
pour habits , eft vicieufe en cet endroit , par
fa prétention à la Poélie ! Dans le même épifode
, voici comment s'exprime l'Amant qui
voit fa Maîtreffe fe baigner :
Auprès d'un faule antique , au-deffous du baffin
Où la vague a reçu la Nymphe dans fon fein ,
Lozon s'eft arrêté. Sur l'onde fugitive
Il fixe en foupirant une vue attentive.
« O toi qui , repliée en finueux détours ,
» Ducorps charmant de Rofe as baigné les contours ...
Affurément il n'eft pas naturel qu'un Amant,
dans cette fitnation , s'amufe à dire que l'onde
eft repliée en finueux détours:
88 MERCURE
Ces fautes font en petit nombre dans le
Poëme des Mois ; & l'on y trouve une infinité
d'endroits où la fimplicité de l'expreffion
répond à la vérité du fentiment. Par exemple
, il dit , en parlant des libations des Anciens
:
Ce refpect pour les morts , fruit d'une erreur groffière ,
Touchoit peu , je le fais , une froide pouffière ,
Qui tôt ou tard s'envole éparfe au gré des vents ,
Et qui n'a plus enfin de nom chez les vivans ;
Mais ces triftes honneurs , ces funèbres hommages
Ramenoient les regards fur de chères images :
Le coeur près des tombeaux treffaillojt ranimé ,
Et l'on aimoit encor ce qu'on avoit aimé .
L'expreffion , dans ces vers , quoique poétique
, ne détruit point le fentiment . Les
vers fur Jean-Jacques ont un intérêt indépendant
même du fujet. Ils font pleins de ces
mouvemens que le coeur feul peut infpirer.
Dans le genre des beautés vraies & fans fafte
poétique , nous pouvons claffer encore le
morceau qu'on va lire. Le Poëte crie contre
des riches inhumains qui avoient voulu faire
défendre au pauvre de glaner dans leurs
champs. Quoi ! dit - il ,
Quoi ! de monceaux de blé tes granges feront pleines !
Du fol de vingt hameaux que ton faſte a détruits ,
Toi feul , vil parvenu , tu dérobes les fruits !
Et quand ce malheureux , qu'afflige & défeſpère
Le nom jadis fi cher & d'époux & de père ,
DE FRANCE. 89
Vient , timide glaneur , dans ton champ moiffonné ,
Recueillir de tes grains le reſte abandonné ,
De ce refte par toi fa misère eft fruftrée !
Ah ! dans ce même champ dont tu fermes l'entrée ,
Vois ces flots de fourmis , ardens à conquérir
Leur part de ce tréfor que l'été fait mûrir ;
Contemples- les , barbare ; & leur troupe fidelle
De la douce pitié va t'offrir le modèle , &c.
Il n'y a guères , dans ces vers que le degré
de Poéfie qu'il faut pour embellir le fentiment.
Ajoutons qu'ils expriment une philofophie
fage & intereffante. Quoique la
partie philofophique ne foit pas la mieux
traitée dans cet Ouvrage , on y trouve , dans
ce genre , de grandes beautés.
Quel grand peuple affemblé dans cette vafte plaine
Y brave du midi la dévorante haleine ?
Sous le rapide fil d'une tranchante faulx ,
Qui va , revient fans ceffe & frappe à coups égaux ,
Il fait tomber fans choix fur le fein de Cybèle ,
Et l'herbe la plus vile , & la fleur la plus belle.
Ainfi tombent , ô mort , fous ton fer meurtrier ,
Le Héros magnanime & le lâche Guerrier ....
Ailleurs , en parlant de la famine ,
Aux portes du palais , où s'endort la molleffe ,
L'indigent fe traînoit ; là , vaincu de foibleffe ,
D'une voix prefque éteinte il demandoit du pain :
Et le riche endurci , que menaçoit la faim ,
Dans le malheur commun devenu plus barbare ,
و ه
MERCURE
Aux befoins du mourant fermoit fa main avare ;
Mais lui-même à fon tour de beſoin dévoré ,
Pouffa des cris plaintifs dans ſon palais doré.
QUE lui fervit alors que l'Euphrate & l'Hydafpe ,
A l'orgueil de fon luxe euffent fourni le jaſpe ;
Que l'art eût lentement appris à le vêtir
D'un lin plongé trois fois dans la pourpre de Tyr ;!
A façonner pour lui l'albâtre & le porphyre ;
Que , dans les bras trompeurs , la vénale Delphire
Le reçut à prix d'or , & qu'il s'en crût aimé ?
Au milieu de fon fafte il mouroit affamé.
Ce que nousavons déjà cité , fuffiroit pour
prouver que M. Roucher fait varier fon
ftyle. Nous pourrions tranfcrire une foule
de morceaux où il a fu réunir la force & la
grace . Nous renvoyons ce que nous avons à
dire des autres qualités de fon ftyle , à un troifième
& dernier extrait .
( Cet Article eft de M. Imbert. )
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON vient de remettre à ce Théâtre trois
Pièces, qui n'avoient pas été repréſentees
depuis longtemps. Le 20 Février , l'Homme
Singulier , Comédie de Deítouches , en vers
DE FRANCE. 91
& en cinq Actes ; le 26 du même mois ,
Atrée & Thyefte , Tragédie de Crébillon ; le
premier Mars , l'Avare Amoureux , Comédie
de feu M.d'Aigueberre, en un Acte & en profe.
La première a eu peu de fuccès , & n'en
méritoit pas un plus grand. Les fituations en
font très-romanefques fans être attachantes.
M. Sans-Pair eft un homme plus ridicule
que fingulier , & les fingularités qui lui
échappent font d'une espèce très peu plaifante.
La Comteffe eft un être de raifon ; le
Baron une caricature. L'intrigue eft nouée
difficilement. Le ftyle eft en général aflez
foutenu , quoiqu'il ne foit pas exempt des
négligences & de la prolixité qu'on reproche
à Deftouches. En un mot , c'eft un ouvrage
médiocre , où l'on trouve des chofes fort
heureufes , & dont l'enſemble ne produit
aucun intérêt.
Les repréfentations de la feconde ont été
affez fuivies. Le couteau de Beverley , levé
fur le fein de fon fils endormi ; le coeur de
Coucy, offert tout fanglant aux yeux de Gabrielle
, ont accoutumé nos ames à des atrocités
d'un certain genre ; en conféquence là
coupe d'Atrée , repouffée avec horreur il y a
trente ans , a été moins maltraitée par des
Spectateurs plus aguerris. Il eſt difficile de fe
prêter à l'idée d'une vengeance calculée de- ,
puis vingt ans , fi l'on ne fe perfuade pas
qu'il foit des offenfes impardonnables en
elles - mêmes , & des caractères naturellement.
féroces , chez lefquels la haine devienne d'au
92 MERCURE
tant plus cruelle , qu'elle a été plus long- tems
renfermée. Il eft difficile encore de ne pas trouver
de l'invraiſemblance dans la facilité avec
laquelle Thyefte accorde toute fa confiance
à Atrée , après avoir été trompé par une
feinte réconciliation ; mais la confiance même
de Thyefte le rend fi intéreſſant ; le caractère
d'Atrée eft foutenu avec tant de force & de
profondeur , les inquiétudes , les foupçons
l'héroïfme , la fenfibilité de Pliſthène ont
un charme fi attachant , qu'en faveur du
grand nombre de beautés qu'on rencontre
dans cet ouvrage , on peut pardonner les défauts
qu'on y trouve , fans néanmoins les
offrir pour modèles , comme ont fait quelques
critiques ou ignorans , ou voués à l'eſprit
de parti.
La troisième eft un petit Ouvrage fort gai ,
fort agréable , où l'on apperçoit fouvent du
comique & du bon esprit. En voici le fond en
deux mots. Un avare confent à époufer sans
dot la fille d'un autre avare. Celle- ci a un
Amant : elle met fa tante , veuve fort riche ,
dans fes intérêts. Une Soubrette intrigante
fe fert du vice des deux vieillards pour mettre
entr'eux la divifion : elle confeille à l'un
de ne pas donner, fa fille fans recevoir une
fomme en préfent de noces , à l'autre de ne
point fe marier fans dot. L'avare amoureux
renonce à fon amour , & croit qu'il pourra
fe dédommager en époufant la vieille tante
dont il avoit demandé la main. Il est encore
refufé ; car celle- ci donne tout fon bien à fa
DE FRANCE. 93
nièce , à condition qu'elle époufera fonjeune
Amant.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Samedi 26 Février , on a donné pour
la première fois Cécile , Comédie en trois
Actes & en profe , mêlée d'Ariettes,
Le joli Roman de Juliette Catesby , de
Mde Riccoboni , a fourni le fond de cet Ouvrage.
Dorville étoit fur le point d'époufer
Cécile , tout-à-coup il a difparu. Forcé
de céder au devoir & à l'honneur , il revient
après y avoir fatisfait , & dans le moment
même où fon Amante va époufer un Baron
ami de fon oncle , & qui lui a infpiré beaucoup
d'eftime. C'eft au Baron même que Dor
ville s'adreffe pour faire connoître les raifons
de fa conduite. L'honnête homme renonce
à Cécile , rend à l'oncle fa parole , & réunit
les deux Amans. On trouve dans cet Ouvrage
des Scènes épifodiques qui varient le
fpectacle & le rendent agréable ; mais point
de conduité , peu d'intérêt & un ſtyle foible.
L'Auteur eft un homme d'efprit livré par
état à de graves occupations , & pour qui la
Littérature n'eft qu'un délaffement.
La Mufique eft de M. Defaides : elle ré
pond à l'idée que tout le monde a conçue
des talens de cet agréable Compofiteur.
Nous lui reprocherons pourtant l'Ariette de
bravoure du fecond Acte ; elle nous paroît
abfolument déplacée.
94
MERCURE
Mde Trial a fort bien chanté le rôle de
Cécile ; & le rôle de l'oncle a été rendu par
M. Clairval avec une vérité , une grace ,
une intelligence bien rares aujourd'hui
même fur les théâtres de la Capitale.
GRAVURES.
LA mort du Général Wolfe , Eſtampe Angloiſe
de 4 pouces de haut fur 6 de large , gravée par
Somebody. Prix , 1 liv. 4 fols. A Paris, chez M.
Lenoir , Marchand du Cabinet des Eftampes du
Roi , rue du Coq S. Honoré.
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Hydrographe du Roi , au Bureau de la Marine ;
dédiée à fon Alteffe Séréniffime Mgr. le Duc de
Penthièvre , Grand Amiral de France. Prix 1 liv. 16 ſ.
y compris l'analyſe.
La fuitefur les Couvertures.
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de Harpe , par F. Pétrini . OEuvre
XVI , Prix , 2 liv. 8 fols.
La Soufcription de cet Ouvrage fera encore ouverte
jufqu'au premier Janvier prochain , à 18 liv.;
mais après cette époque il fe vendra 24 liv . Il faut
s'adreffer chez l'Auteur , rue Montmartre , vis-à-vis
celle des Vieux Auguftins ; & chez Mde Oger , Graveufe
de Mufique , rue S. Honoré , vis-à-vis les
phiers des Halles.
DE FRANCE.
95
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d'un violon , par E. Godecharle. OEuvre
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& à Paris , chez Cornouaille , Montagne Sainte-
Geneviève.
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de violon ad libitum , par M. H. Pétrini.
OEuvre IV. Prix , 7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur
, rue du Jour S. Euftache , à l'Hôtel Lambèſe ;
& aux Adreffes ordinaires de Mufique .
Six Sonates en trios pour un Violon , un Alto &
Baffe , par J. Gehot. OEuvre II . Prix , 7 liv. 4 fols .
A Paris , chez Mlle de Silly , Marchande de Mufique
, rue du Temple , près celle de Montmorency ;
& aux Adreffes ordinaires de Mufique.
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96
MERCURE
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chez Méquignon , Libraire , rue des Cordeliers.
E,
Vers à Julie,
Romance,
TABLE.
PITRE à l'Enfance , 49 Chants ,fecond Extrait , 73
53 Comédie Françoise , 90
ibid . Comédie Italienne 93
94
ib.
95
Enigme & Logogryphe , 56 Gravures ,
Exanen du Poëme de l'Opéra Mufique
d'Atys , 58 Annonces Littéraires ,
Les Mois, Poëme en douge !
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 11 Mars. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Patiș ,
le 10 Mars 1780. DE SANCY.
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 18
MARS 1780 .
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE BEAU IDÉ
ALS
Ode à M. Houdon.
TEMPLE augufte & pur , où mon amé
Echappe à mes fens afſervis ,
Quelle ardeur céleſte m'enflamme
Lorfque j'aborde à tes parvis !
A l'oeil qui plane en ton enceinte ,
Oui , des Dieux la majefté fainte
Se dévoile dans fa grandeur:
Olympe élevé fur la terre ,
Leur gloire , dans ton fan&uaire ,
M'environne de fa fplendeur,
ÉMANÉ de leur main divine,
De leur fouffle encore inſpiré ,
L'homme , atteſtant ſon origine ,
En montroit l'éclat révéré ;
Sam 18 Mars 1780.
ALE
98
MERCURE
Bientôt le crime impur & fombre ,
Sur la beauté portant fon ombre ,
Vint en éteindre les rayons .
La paix célefte en fut bannie ,
Il en détruifit l'harmonie
Par l'orage des paffions.
COPIE imparfaite , infidelle ,
Où fous un nuage voilé ,
Le premier trait d'un grand modèle
N'eft plus qu'à peine révêlé !
A peine un fouris de l'enfance ,
Les yeux fereins de l'innocence
En font briller quelque lueur ;
A peine encore au front du fage
S'en réfléchit la vive image
Quand la vertu brûle en fon coeur
SAISIS tes pinceaux , docte Apelle !
Le rayon part , il eſt lancé ;
Déjà fous la touche immortelle
Son éclat rapide eft fixé ( 1 ).
Que vois-je ? aux accens d'Uranie
Épris du beau , l'oeil du Génie
Pourfuit par-tout ſes traits épars....
C'en eft fait , & la beauté pure
Qui n'étoit plus dans la Nature ,
Reparoît fous la main des Arts ( 2 ).
(1 ) La Nature choifie , ou le beau individuel.
(2) La Nature embellie , ou le beau Idéal d'enſemble.
DE
FRANCE.
D'UN ÉLAN sûr & fans modèle,
C'eſt peu que
l'homme ait à nos yeux ,
Dans fa grandeur originelle ,
Reftitué l'oeuvre des Dieux :
De leur féjour perçant la nue
Jufqu'à leur Nature inconnue
Il porte fa témérité ;
Ce qu'elle cache , il le devine ,
Il la fixe , il la détermine ,
Et l'Art s'élève à leur beauté ( 1 ),
VÉNUS paroît timide & nue ,
Sa vue embrafe fon Auteur ( 2 ) ;
Il fe trouble , il la croit émue
D'un foufle prompt & créateur ;
La main égarée & ravie
Il fent la flamme de la vie
Errer fous l'albâtre animé...
Heureufe ivreffe qui partage
Entre l'Artifte & fon
ouvrage
L'ardeur dont il eſt conſumé !
CONTRE quel écueil redoutable
Lutte ce mortel orgueilleux ?
Rendra - t'il l'éclat formidable
Du Souverain de tous les Dieux ?
Il l'a vu de l'oeil du délire ;
fl veut lancer fur le porphire
(1) La Nature élevée , ou le beau Idéal furnaturel.-
99
(2 ) Pigmalion.
E ij
100 MERCURE
... Ce jour divin qu'il a reçu .
Il fuit fous la touchè preffée ,
Sa main refuſe à la pensée
Le trait profond qu'il a conçu.
Sous le grand poids qui le terraffe
Il eft long-temps anéanti ;;
Il fe relève avec audace ,
De fes yeux l'éclair eft partis
Ua moment la main ſuſpendue ,
Prêt à frapper... Sur la ſtatue ,
Son oeil brûlant refte fixé ;
Le coup defcend , c'eft le tonnerre,
Il voit le Maître de la terre ,
Et tombe à fes piés renverfé (r)...
MAIS quel Dieu , de la tendre aurore
Diffipant l'éclat incertain ,
Renouvelle , éclaire & colore
L'émail humide du matin ?
Dans fon palais Thétis répofe
Il a quitté fon lit de rofe
Pour épancher les feux du jour y
Il paroît , je fens fa préſence
Moins aux rayons purs qu'il me lance ,
Qu'aux doux tranfports de mon amour.
DIEUX des Arts ! quelle main mortelle
Peindroit ces charmes éclatans ,
(1) Jupiter Olimpien de Phidias.
DE FRANCE. 101
Dont la fraîcheur toujours nouvelle
Immortaliſe ton printemps ? ;
Quelle touche tendre & moëlleufe
Rendroit la vapeur lumineufe
Qui foumet tes formes aux yeux ,
Et la raviffante harmonie
De cette beauté réunie
Qui fe partage entre les Dieux ( 1 ) ?
EST- CE Votre main téméraire ,
Peintres , qu'infpire la terreur ,
Vous , fur qui l'affreule mégère
Semble avoir fouflé fa fureur?
Aux crimes fanglans & difformes ,
Aux forfaits monftrueux , énormes ,
Vous ouvrez le cirque des Arts ,
Et par un beau choix qui l'épure ,
Loin de corriger la Nature ,
Vous exagerez les écarts ( 2 ).
Ce n'eft pas qu'en deuil Melpomène
S'entourant de pâles flambeaux ,
De fes pleurs n'ofe fur la Scène
Baigner le marbre des tombeaux ;
Fourfuivant le fang des Atrides ,
Sous les ferpens des Euménides
Ne nous montre Orcfte abattu ;
(1 ) Le beau Idéal divin , où la Nature divine choilie ,
l'Apollon du Belvédère .
(2 ) Les Drames patibulaires , & pareilles imitations,
E lij
102 MERCURE
Et de l'effroi qui fuit le crime
N'étale un exemple fublime
Pour faire éclater la vertu ( 1 ).
MAIS yous , dont la fougue indocile
Égare & force les crayons ,
Apprenez du Peintre d'Achile
A faire agir les paffions ;
Dans les tableaux de ce grand Maître
Elles n'ofoient jamais paroître-
Qu'avec grandeur & dignité ,
Ni dans leur courſe impétueuſe
Franchir cette limite heureufe
Que leur prefcrivoit la beauté.
AINSI dans l'étreinte mortelle
Des triples replis d'un Dragon ,
La main d'un autre Praxitelle
Fait admirer Laocoon ;
Tout plein d'un Dieu qui le raffure
Du monftre affreux par fa morfure
Il boit le venin dévorant ;
De la douleur fur fon vilage
Le fublime effort du courage
Paroît fufpendre le torrent ( 2 ).
AINSI l'époux de Déjanire ,
Aux âpres fommets de l'Oëta ,
Montoit avec un fier fourire
( 1) La Tragédie.
(2) La beauté inaltérée par l'expreffion .
DE FRANCE.
103
Sur le bûcher qu'il affronta.
On vit des cieux , portant la palme ,
Sur fon front héroïque & calme
Defcendre l'Immortalité ;
Et dans fon regard intrépide ,
Atravers la flamme homicide ,
Rayonner la Divinité,
O GRANDEUR d'une ame affranchie
Des ombres de l'humanité !
Vertu ! ta fplendeur réfléchie
Fait tout l'éclat de la beauté :
Toi quefa pure idée embrafe
Dans la chaleur de ton extafe ,
Tu la conçois , tu la produis ;
L'Olympe en vain fe la réſerve ,
Il cède à l'effor de ta verve
Son modèle que tu pourfuis.
PARS , vole , ame fublime & fière ,
Diffous ta chaîne en t'enflammant ,
Cours te plonger dans la lumière
Et refpirer ton élément.
L'aigle divin de l'Empirée
Elance fa courſe éthérée
Jufqu'au ciel qui luit fur les cieux ;
Et de ces voûtes immortelles
N'abaiffe l'orgueil de fes aîles
Que jufques au trône des Dieux.
(Par M. le Baron de T ***. ¸
E iv
104
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eſt Jeuneſſe ; celui
du Logogryphe et Piftache , où le trouvent
pis , tache , chat , pie , Apt , fi , fec , tapis
pic , ah ! ou eh! thé, fi , note de mufique ,
ache , fac, picket , tic , cape,
ENIGM E.
I
LECTEUR , c'eſt par moi que Thémire ,
D'un feul regard a l'art de te féduire.
Mes quatre pieds fe réduifent à trois ;
Je fers aux Bergers comme aux Rois ;
Je ſuis un Orateur fouvent plein d'éloquence ;
Je fuis le fondement d'une vafte fcience ;
Et j'ai le don prodigieux
De refter fur la terre en parcourant les cieux.
( Par M. Joly , de Bagneux. )
LOGO GRYPHE
PAR la Nature & les liens du fang
J'appartiens à l'Europe & je tiens à l'Afie ;
Mais je dois plus à l'art d'un Artiſte excellent
Qu'aux premiers auteurs de ma vie.
Le cifeau m'a poli , le pinceau m'a doré.
L'on me voit à la Cour , l'on me voit à la ville ;
DE FRANCE. tos
J'habite tous les lieux , & d'un ſexe adoré
Je fuis fouvent une arme affez agile.
Je fuis blanc, je fais noir ; je m'accommode aux goûrs.
Je fuis bleu chez Alinde , & rouge chez Lucile;
Souvent par mes couleurs j'ai fait bien des jaloux .
Là , je me change en fceptre , & plus loin en colonnes
Je parois au printemps , & m'éclipſe en automne .
Veux-tu favoir mon nom & mon fens captieux ?
Sans plus tarder décompoſe mon être.
Je marche fur huit pieds : à ces marques peut-être
Je vais me montrer à tes yeux.
D'abord je t'offrirai la boiffon de Silène ;
Le nom d'un végétal ; le nectar d'un enfant ;
Une mouche qui pique ; un utile élément ;
L'Auteur d'une Hiftoire Romaine ;
Un pays montagneux ; le foutien d'un oifean ;
Ce qui trouble la mer & diffipe l'orage ;
Trois mots Latins ; le tréfor d'un troupeau ;
Une ville de France ; une plante fauvage ;
Le trône où la Beauté repofe mollement ;
Le nom de l'être vil qui porte la livrée ;
Celui d'un Saint ; enfin le mobile inftrument
Par qui , du froment pur , la paille eft féparée,
Ev
106
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES D'UN VOYAGEUR ANGLOIS ;
Rien n'eft beau que le vrai , le vrai feul eft aimable.
Vol . in -8 ° . A Londres , & fe vend à Paris ,
chez Efprit , Libraire , au Palais Royal , &
chez la Veuve Duchefne , rue S. Jacques.
Nous avons rendu compte d'un Ouvrage
écrit en Italien par M. de Sherlock : en voici
un qui eft écrit en François par le m me Auteur.
Formasfe vertit in omnes. Mais il a beau
changer de forme , on retrouve toujours
l'homme d'efprit, l'homme fenfible aux beautés
des Arts , & prefque toujours l'homme
de goût. Ne parlez point de Shakeſpear
à M. de Sherlock , & vous le prendrez pour
un Élève d'Horace & de Boileau. Les héréfies
font , dit - on , des opinions de choix.
On ne comprend pas trop comment M. de
Sherlock a pu choisir cette opinion , à laquelle
il paroît fort attaché. Elle fera pour
tous les François à peu près une hérélie
énorme , & une opinion qui ne paroîtra pas
même d'un choix heureux. On a reproché à
ce nouvel Ouvrage de M. de Sherlock quelques
phrafes qui manquent de correction ,
quelques expreffions que notre langue n'admet
point, & nous conviendrons de la jufteffe
de ces critiques ; mais ce n'eft ni quelDE
FRANCE. 107
ques fautes de grammaire , ni quelques expredlions
impropres , qui font le mauvais
ftyle & les mauvais ouvrages. L'exageration
& le précieux , le défaut de convenance &
de rapport entre le ton & le fujet , l'impuiffance
fur-tout de donner un caractère particulier
à fon idée , foit par un nouvel emploi
de mots , foit par des mouvemens vrais ,
mais inattendus, foit par des images vives qui
mettent devant les yeux les objets dont l'efprit
doit juger , voilà ce qui fait les mauvais
ouvrages & le mauvais ftyle : & fi l'on juge
fur ce principe les Lettres de M. de Sherlock ;
la manière dont cet Anglois écrit tour-à-tour
en Italien & en François , paroîtra peut - être
une eſpèce de phénomène en Littérature. Ils
font fi rares ceux qui écrivent d'une manière
fupportable la langue même dans laquelle ils
ont appris à fentir & à penfer, qu'il fuffit fans
doute d'écrire deux langues étrangères , auffibien
que M. de Sherlock écrit le François &
l'Italien , pour faire preuve d'un mérite très
diftingué.
M. de Sherlock n'a écrit que vingt Lettres
affez courtes fur fes voyages en Allemagne ,
en Hollande & en Italie. Il paroît bien
pénétré du principe de cet Hiftorien Romain,
(V. Paterculus ) qui difoit qu'il vaut mieux
omettre des chofes néceffaires que d'en dire
de fuperdues. Magis neceffaria omittenda
quàm fupervacua amplectenda. En Pruffe, une
feule chofe le frappe , une feule choſe l'occupe
; & c'eft le Roi. Il ne dit rien & du
E vj
108. MERCURE
Royaume & des fujets , & l'on peut en être
furpris ; car il doit être doux de parler d'un
empire & d'un peuple dont on admire &
dont on loue beaucoup le Souverain . Quand
le génie & la justice font fur le trône , on
doit rencontrer par- tout dans l'empire les
images de la vertu & de la felicité. Qu'il eft
beau cependant , qu'il eft glorieux pour un
Souverain de fixer feul les regards & les
obfervations des voyageurs , dans un Royaume
& dans une nation entière ! M. de Sherlock
prend quelquefois , pour louer le Ror
de Pruffe , un ton beaucoup plus piquant que
celui du panégyrique.
Flutarque & Shakeſpear ont montré les
grands hommes dans leurs pantoufles &
dans leurs bonnets de nuit. Je ne puis pas
» vous montrer Sa Majefté Pruffienne dans
» fon bonnet de nuit , car il n'en porte ja
» mais ; c'eft une habitude qu'il a prife etant
» jeune de dormir tête nue pour s'endurcir.
Il n'a point de pantoufles non plus , car ent
» fortant du lit il met fes bottes. L'on fait
» qu'il fe lève à quatre heures , qu'il fe
couche à neuf , qu'il aime à plaifanter ,
» qu'il mange beaucoup de fruit , qu'il joue
de la flûte tous les foirs , qu'il paffe la
plupart de fon temps à Sans- Souci dans fes
vieilles bottes , & qu'il gouvernel Europe.
Il eft douteux que tous les Souverains
de l'Europe conviennent de ce dernier trait.
Il est même douteux que ce foit là un sujet
d'éloge pour un Roi. Ceux qui ont en
92
DE FRANCE. 100
l'ambition de gouverner l'Europe , ont , en
général , affez mal gouverné leur peuple ;
Mais quand un Roi trouble l'Europe , fes
flatteurs lui difent qu'il la gouverne. Ce
fentiment eft fans doute bien loin de
l'ame de M. de Sherlock, qui , dans plufieurs.
endroits de fon ouvrage , montre ce be
foin & cet amour de la liberté qui fait
le caractère d'un Anglois. On pouvoit don
ner un éloge bien different au Roi de Pruffe,
au moment où la modération vient de
rendre la paix à l'Allemagne.
Ce que M. de Sherlock dit du goût du
Roi de Prufle pour la plaifanterie, nous
rappelle un trait qu'on fera peut - être
bien aife de trouver ici.
On fait que ce Prince , né avec un grand
amour pour les plaifirs de l'efprit , faifoit
fouvent des foupers dans fon Palais , avec
quelques hommes de lettres François qu'il
avoit raffemblés dans fa Cour. Pour donner
plus de liberté à la joie & aux faillies ,
il avoit exigé qu'on oubliât abfolument fon
pouvoir & fon trône ; & il avoit mérité ,
en effet , qu'on ne vit plus en lui qu'un
homme plein d'esprit & de grâces , qu'un
convive charmant . Mais un de ces hommes
de lettres paffa peut- être un peu la meſure
que cette liberté devoit avoir , & tout le
monde apperçut de l'altération dans les traits
du Monarque. Paix , dit Voltaire , parlons
plus bas , je crains que le Roi ne nous air
entendus
110 MERCURE
M. de Sherlock parle de Drefde , prefqu'avec
autant d'intérêt que de Berlin . C'eft
qu'il y a vu auffi un grand homme , ou ,
ce qui eft la même chofe , les ouvrages
d'un grand -homme ; mais ce grand-homme
n'eft plus un Roi ; c'eft un Peintre , c'eſt le
Corrège .
"
ور
و د »C'eftvraimentunpaysdélicieux,&
les Saxons feroient trop heureux s'ils
» n'avoient pas un héros pour voifin . Ah !
c'eft un mauvais voilinage que celui d'un
» Héros ou d'un Volcan. La fituation de
» Drefde reffemble à celle de Portici , &
» fes habitans frémiffent d'une menace
» de Frédéric , comme ceux de Portici d'un
gémiffement du Véfuve ..... Rien ne donne
» une image fi parfaite de la guerre que
» la lave. Imaginez une riche campagne cou-
» verte de vignes , de pâturages & de bled:
» vient un torrent de feu , & dans un ins-
» tant le paysage le plus brillant eſt chan-
» gé dans le tableau le plus morne que
» la nature puiffe offrir ; c'eft l'hiftoire d'une
éruption du Véfuve ; c'eft celle du Pala-
» tinat embrâfé par Turenne. »

4
L'efprit feul ne feroit pas de rapprochemens
femblables : & M. de Sherlock prouve
dans plufieurs autres encore , qu'il a de
l'imagination comme de l'efprit.
» C'eſt au Vatican qu'on apprend à admirer
les chef - d'oeuvres de Raphaël ;
» c'eſt à Dreſde qu'on apprend à appré-
» cier les tableaux du Corrége. Raphaël
DE FRANCE. III
» eft prefqu'universellement reconnu pour
» Monarque du règne pittorefque. Un Gòu-
» vernement Confulaire me plairoit da-
» vantage ; je voudrois qu'il eût pour - col-
"2
lègue le Corrége ..... Jamais Peintre n'a
» defliné comme Raphaël : jamais Peintre
» n'a connu le clair- obfcur comme le Cor-
» rége..... Raphaël prit beaucoup d'idées
» dans les ftatues & les bas- reliefs anciens ;
» le Corrége ne pilla que la nature. Raphaël
a toutes les grâces majeftueuſes ;
» le Corrége a toutes les grâces aimables.
» On ne peut pas décider la queſtion : Raphaël
et Junon avec la ceinture de
» Vénus ; le Corrége eft Venus elle-même.
و د
ور
و ر
ود
» Nous aurons une raifon de plus pour
» élever le Corrége , en comparant fa f-
» tuation avec celle de Raphaël . Pauvre &
ifolé , le Corrége vivoit dans une petite
ville , où il n'avoit pour maître que fon
génie , pour modèle que la nature , & la
néceffité de procurer du pain à fa famille
» pour encouragement.Voyez Raphaël à Ro-
» me , protégé du Souverain , courtifé ( par
conféquent ) des Princes & des Cardi-
" naux , efpérant de devenir Cardinal lui-
ود
ور
و ر
و د
ور
même , entouré d'ouvrages Grecs & de
grands Artiftes fes rivaux. Que d'avan-
» tages fur le pauvre & l'aimable Corrége ,
qui fut obligé d'aller à pied à Parme ,
" portant fur fon dos ces chef d'oeuvres ,
» dont un feul aujourd'hui fait la richeffe
» d'un cabinet l
ود
112 MERCURE
On ne parle guères avec tant de fenfbilité
des Artiftes , fans être en état de
bien fentir & de bien apprécier les productions
des arts.
Dans fon ouvrage Italien , M. de Sherlock
a mis les Poëtes Grecs , & fur-tout Homère ,
au - deffus des Poëtes de tous les fiècles ( excepté
Shakespear ) dans celui- ci , il met
les ftatues Grecques , & fur - tout l'Apollon
du Belvedère , au-deflus de tout ce qu'on
a produit dans le même genre.
ود
Que le jeune Voyageur , en regardant
l'Apollon , fe rappelle que ce qu'il voit
» a été un rude bloc de marbre. Le premier
pas pour l'Artifte étoit de créer
» le caractère de ce Dieu. Avant donc que
» le marbre ait été touché , le Sculpteur
» avoit fait un effort de génie ; & cet effort
» de génie a été li grand , que tous les hom-
» mes qui lui ont fuccédé jufqu'à ce mo-
» ment- ci , n'ont jamais pu en faire un femblable.
» " '
M. de Sherlock dit ailleurs : « La diftance
qui eft entre l'Apollon , le Laocoon
& tous les chef- d'oeuvres des François
» & des Italiens eft fi grande , qu'il eft
prefque ridicule de les nommer enfem-
„ ble. »
"
J'avoue qu'il m'eft venu fouvent en idée
que ceux qui étoient prêts à fe profterner
ainfi devant quelques ftatues Grecques ,
exageroient , par amour propre , le fentyment
de leur enthoufiafme , & vouloient
DE FRANCE. 114
s'élever au-deffus des autres hommes par
une admiration , qu'il eft difficile de
partager au même degré. Mais oferoiton
accufer de ce charlatanifine miférable .
Raphaël , qui faifoit fes études devant les
troncs & les membres mutilés de quelques
Statues antiques , tandis que la nature offroit
pour modèle à fon génie des formes
pleines de vie & de mouvement ? Le Pouffin,
à qui Raphaël paroiffoit un Dieu en le
comparant aux Modernes , & une Bête en
le comparant aux Anciens ; Vinkelman , qui
voyant circuler un fluide pluspar que le fang
dans les veines du Torfo , reconnut un
Dieu dans ce tronc mutilé ; Montefquieu
enfin , dont l'enthoufiafme étoit fans doute
le plus bel hommage que pût recevoir le
génie , & qui difoit , en parlant des Grecs:
le Goût & les Arts , ont été portés chez
» cux à un point , que de croire les
furpaffer , fera toujours ne les pas cont
» noître. » Il faut croire à la fincérité de
l'admiration de ces hommes qui , pour être
grands, n'avoient befoin que de l'admiration
qu'ils infpiroient eux-mêmes.
On trouve des details très- agréables dans
la defcription d'une courfe de traîneaux
que
M.
de Serlock
a vue
à Vineaux
" L'Archiducheffe de Milan , l'Archiducheffe
Marie - Élifabeth , la Princeffe
» Shwarzenberg étoient menées par l'Archi-
» duc de Milan , l'Archiduc Maximilien
"
& le Prince Albert de Saxe, Elles étoient
114 MERCURE
39
"
" fuivies de vingt- cinq Dames , toutes vêtues
de velours cramoifi , galonné d'un galon
» d'or très -large. Les habits des Chevaliers
» étoient de velours bleu célefte , galonnés
» comme ceux des Dames. Il y avoit des
équipages qui avoient coûté mille louis....
» C'eft ici un des beaux momens de la vie
» d'une Dame Viennoiſe ; c'eft le moment
» dans lequel elle fait l'étalage le plus faf-
» tueux de fes richeffes & de fes charmes.
» Parée de toutes les grâces , la tête étoilée
» de diamans , fon fein à découvert , elle
paroît une Vénus dans fon char ; & fa-
» chant qu'elle eft l'objet de l'admiration
de quelques milliers de perfonnes , elle
» montre le contentement de fon coeur
» par un perpétuel fourire. En tout pays
» le fexe va paré aux fpectacles pour être
regardé ; mais ici les femmes font le
fpectacle ; & le plaifir que cette idée leur
» donne eft fi vif, qu'il leur fait oublier
» entièrement les rigueurs de la faifon. Il
n'en eft pas de même du pauvre Chevalier
; n'ayant de plaifir que celui d'ad-
» mirer le chignon de fa belle , il périt de
» froid : en effet , des hommes ont été fou-
" vent obligés de fe retirer avant la fin de
» ces deux heures , à caufe du froid exceffif;
» mais on n'a jamais vu de femme s'en
» plaindre.
33
>>
M. de Sherlock mêle fouvent de ces
traits ingénieux à des defcriptions bien
faites.
DE FRANCE. 115
ود
ور
93
» Il n'eft pas étonnant que Virgile ait
» fait de fi beaux vers à Naples ; l'air y
» eft fi doux & fi pur , le foleil fibrillant &
» fichaud, & la nature fi riche & fi variée , que
l'imagination fe fentune vivacité & une vi !
" gueur qu'elle n'éprouve pas dans les autres.
» pays.... A droite eft la colline de Pofilipo ,
» dont la forme eft très-agréable : elle eft
femi- circulaire , & ornée jufqu'au haut
» d'arbres & de maifons de plaifance. De-
" puis fa pointe qui fe perd dans la mer ,
» cette montagne s'accroît infenfiblement ,
» jufqu'à ce qu'elle arrive derrière le centre
» de Naples ; & fur fon fommet ſe voit une
» vafte tour qui domine la Ville & cou-
» ronne la fcène. On voit à gauche une chaîne
» de montagnes très- hautes , qui entourent
» l'autre côté du golfe , & dont les rudes
hardieffes font un contrafte des plus heu-
» reux avec les beautés élégantes & cultivées
de Pofilipo . Shakeſpear & Corneille au-
» roient toujours regardé du côté du Vésuve ;
" Racine & Pope du côté de Pofilipo . »
ود
Le don de fentir , & le talent de décrire
les beautés des Arts & de la Nature , ne
pourroient fuffire qu'au Peintre & au Poëte,
qui voyageroient uniquement pour enrichir
leur imagination . Les voyages ont un objet
plus utile & plus important encore ; c'eſt
d'avancer la connoiffance de l'homme , c'est
d'obferver les moeurs & les loix de chaque
pays pour y découvrir les causes des malheurs
ou des profpérités des Nations ; c'eft d'ap116
MERCURE
1
7
prendre enfin à chaque peuple ce que tous
les peuples ont fait pour combattre & adoucir
, par la fociété , les maux auxquels nous
fommes condamnés par la Nature. J'aime à
me repréſenter Montefquieu dans le Cortile ,
promenant & fixant tour à tour fes regards
fur le Laocoon , l'Antinois , l'Apollon &
le Torse d'Hercule , & je me dis alors , fi
Montefquieu veut jamais écrire fur le goût ,
des fraginens même qui lui feront échappés ,
porteront la plus vive lumière fur les principes
de tous les Arts ; & ceux qui par un orgueil
infenfé dédaignent le goût, apprendront peutêtre
à refpecter le goûtd'un homme de génie.
Mais lorfque je me repréfente ce grand
Homme obfervant , au milieu de Venife ,
les refforts les plus fecrets d'une Ariftocratie
foupçonneufe & farouche , j'attends de lai
des idées où les Rois & les Légiflateurs apprendront
à faire le bonheur des peuples ;
& je fuis sûr au moins qu'il infpirera um
mortel effroi pour les Gouvernemens tels que
celui de Veniſe , à tous ceux qui ne penfent
point que , pour être heureux , il fuffit aux
hommes de trouver toujours du pain à la
porte d'un Grand, de recevoir, quoique couverts
de haillons , les carreffes d'une prostituée ,
& de chanter en concert , au clair de la lune ,
des octaves de la Gerufalemme liberata . Pour
M. de Sherlock , il ne paroît pas même
avoir jeté une feule fois les yeux fur les
Gouvernemens des pays qu'il a parcourus ;
& c'eft peut-être une chose auffi (urprenante
DE FRANCE. 117
dans un Anglois , que la manière dont il écrit
en François & en Italien * . Comment concevoir
, par exemple , que M. de Sherlock
ait pu traverfer, deux fois la Tofcane fans
rien obferver fur cette terre heureufe , où un
jeune Prince net dans fes loix & dans fon
gouvernement , tout ce que nos Philofophes
ont répandu de lumières dans leurs Ouvrages
? Sans ajouter , au moins une lettre , aux
vingt lettres qui compofent fon livre , pour
rendre graces à ce jeune Prince au nom de
l'humanité ?
& Mais fi M. de Sherlock n'obferve point
les peuples en politique , il obferve au moins
les hommes en moralifte ; & fouvent fa manière
de peindre les caractères & les efprits
eft très ingénieufe.
و ر
و د
Il parle de l'Eglife de S. Pierre. Ce
temple , dit- il , le plus merveilleux qu'il
» y ait au monde , a mille défauts , mille
» mauvaifes chofes en Sculpture , Peinture ,
» &c. &c. &c. Mais je plains l'homme qui
penfe à les chercher. Quand un défaut fe
prefente , qu'il faffe un pas de plus , une
» beauté fublime l'attend. Ces idées me font
» venues ce matin , pendant que je me pro-
» menois dans cette Eglife. J'y fuis allé avec
» un Anglois , un François & un Polonois.
"
">
و
* Il feroit affez fingulier que M. de Sherlock , rem
pli , comme tous les Anglois , d'un enthouſiaſme exagété
pour la Conftitution Britannique , eût penſé que
tous les autres Gouvernemens Le méritent pas trop
la peine d'être obfervés.
118 MERCURE
ور
و ر
و ر
L'Anglois cherchoit des beautés , le François
des défauts ; le Polonois ne cherchoit
» rien. Voyez , dit le François , cette Charité
» de Bernini ; qu'elle eft mauvaife ! L'air de
fa tête eft affecté ; fa chair eft fans os ; elle
» fait des mines épouvantables. Ces remar-
» ques me paroiffent affez juftes , répond
» l'Anglois ; mais regardez de l'autre côté
» de l'autel , vous verrez une des plus belles
» choses de la Sculpture moderne , la Juftice
» de Guglielmo della Porta. Vous avez raifon
, dit le François ( fans la regarder ) ;
» mais cet enfant , au pied de la Charité ,
» me dégoûte encore plus que fa mère .
» Pendant que l'Anglois continuoit à louer
la Juftice , & le François à critiquer la
Charité , le Polonois regardoit la porte par
laquelle il étoit entré , & me difoit que
l'Eglife étoit bien plus longue qu'il ne
l'avoit cru.
و ر
ور
و د
ور
وو
»
ود

M. de Sherlock , qui paroît juger avec
beaucoup d'impartialité tous les peuples qu'il
a connus , décide , fans aucune reſtriction ,
que pour les arts l'Italie eft fupérieure à la
France. De quels arts a-t -il voulu parler? Eftce
de tous indiftinctement ? Mais il réfulte des
Ouvrages même de M. de Sherlock , qu'il
en eft plufieurs dans lefquels il nous adjuge
la fupériorité ; comme l'art Dramatique ,
par exemple. Et dans quel art eft - il plus
glorieux à une Nation d'avoir une prééminence
non conteſtée ? Les arts réunis ont - ils
jamais produit en Italie un fpectacle qu'on ,
DE FRANCE. 119
puiffe comparer au fpectacle que Paris admire
prefque tous les jours ,
A ce Palais magique ,
Où les beaux Vers , la Danfe , la Mufique
L'art de tromper les yeux par les couleurs ,
L'art plus heureux de féduire les coeurs ,
De cent plaifirs font un plaifir unique ?
*
"
La voix fi vantée des Mufici , de ces inf
trumens dont on a tiré du bois pour
pour les rendre
fonores, feroit -elle faite pour produire
les effets de la voix de Legros lorfqu'il chante
dans Orphée , Objet de mon amour , &c. ,
ou dans Iphigénie en Tauride , Ah ! mon
ami , j'implore ta pitié ? Les Italiens , célèbres
en Europe pour la Pantomime , fembloient
deftinés à avoir d'excellens Acteurs
fur leur théâtre ; je ne demanderai point
s'ils ont eu jamais un Acteur qui , comme
Le Kain , ait réuni au plus haut degré l'énergie
& le pathétique de la Tragédie ; mais
dans un genre qui leur convient davantage ,
dans la Comédie , ont -ils jamais eu fur tous
leurs théâtres un Acteur qui ait mérité &
obtenu la célébrité de Préville ? Et dans la
Danfe , qui s'eft élevée au rang des beaux
Arts depuis que M. Noverre a trouvé le
moyen de lui faire exprimer des idées &
des paffions , depuis qu'il l'a rendue dramatique
; qu'eft ce que les Italiens & tous
les autres peuples de l'Europe pourroient
oppofer au Théâtre du Palais - Royal ? Si
120 MERCURE
quelqu'un étoit né affez malheureux pour
être privé du fentiment des grâces , ne lui
fuffiroit - il pas , pour l'acquérir , de voir
marcher feulement Mlle Guimard fur le
théâtre ? Mlle Théodore , dans les nouveaux
progrès qu'elle fait chaque jour , ne commence
t-elle pas à réunir auffi la grace & la
molleffe à l'exécution la plus brillante & la
plus forte ? Où trouvera t -on ailleurs un
Dauberval , le premier de tous qui ait été
grand Acteur dans la Danfe ? M. Veftris le
fils danfe avec tant de facilité & tant d'aifance,
qu'on n'apperçoit d'abord en lui que la gaîté ,
fes grâces & la légèreté de la jeuneffe : mais
écoutez les connoiffeurs ; ils vous diront que
jamais nul Danfeur n'a exécuté des pas
auffi difficiles. M. de Sherlock & les Italiens
eux-mêmes feront fans doute forcés de convenir
que les arts n'ont point encore étalé
tant de prodiges fur les Théâtres de l'Italie .
Toutes les merveilles des Spectacles de la
Grèce ont paffé à l'Opéra de Paris , avec les
fables & les Dieux de ces peuples aimables.
Quelqu'un a imprimé que c'eſt le ſpectacle
de la jeunelfe , je conviens que c'eft peutêtre
le fpectacle que la jeuneffe aime le
mieux; mais je vois encore que c'eft celui
qu'on continue, le plus à aimer à tous les
ages . On croit avoir obfervé que c'eft celui
où l'on voit conftamment un plus grand
nombre de vieillards : c'eft-là qu'ils vont ra
jeunir en eux le goût de la vie , & retrouver
les fouvenirs de leur jeune âge. Combien
un
DE FRANCE. 121
un peuple fenfible doit attacher de prix à
un fpectacle qui répand encore quelques
charmes fur la vieilleffe !
Nous pourrions ajouter ici quelques critiques
aux éloges que nous avons donnés fi
volontiers à M.de Sherlock; mais des hommes
de lettres François doivent fe piquer fans doute
d'une grande bienveillance envers un étranger
qui prend leur langue, & même la plupart
de leurs principes. La juftice des critiques ici
doit fe faire remarquer fur- tout en relevant
ce que l'Ouvrage a de meilleur. Pour
les défauts , M, de Sherlock en a fans doute;
mais on peut obferver qu'il n'en a prefque
jamais que lorfqu'il montre le plus grand
attachement aux fentimens & aux opinions
que tout Anglois fe croit obligé de profeffer ;
& c'est une politeffe qu'on doit encore à
M. de Sherlock de lui laiffer le mérite de
découvrir lui - même fes défauts , & de
s'éclairer de fa propre critique. Et pourquoi
ne pas employer ces ménagemens délicats ,
même envers des compatriotes ? Les Critiques
paroîtroient des bienfaiteurs à l'homme
de talent , s'ils éclairoient fans bleffer ; mais
prefque toujours ils bleffent fans éclairer ,
& l'homme de talent refte expofé toute fa
vie au malheur de confondre dans fa haîne
la critique & les Critiques.
Après la lecture des deux Ouvrages de M.
de Sherlock , nous demeurons perfuadés
que lorsqu'il ne fera plus obligé de donner
aux mots & au ftyle une partie de l'attention
Sam. 18 Mars 1780. F
122 MERCURE
qu'un Ecrivain doit donner à fon fujet &
à fes idées , que lorfqu'il écrira dans fa
langue , M. de Sherlock méritera d'être traduit
dans toutes les autres. Une chofe bien
précieuſe encore , que l'on remarque dans
ces deux ouvrages , c'eft cette fenfibilité
d'un homme de bien , qui ne peut parler
fans le plus grand intérêt de tout ce qui regarde
les vertus & le bonheur de l'homme ;
Etfon ame& fes moeurs empreints dans fes Ouvrages,
N'offrent jamais de lui que de nobles images.
( Cet Article eft de M. Garat. )
LES MOIS , Poëme en douze Chants , par
M. Roucher. 2 Vol. in-4° , grand papier ,
avec figures, Le même , 4 vol . in- 12 , petit
papier. A Paris , chez Piffot, Libraire ,
Quai des Auguftins.
Troifième & dernier Extrait,
Nous avons dit que M. Roucher réunif
foit dans fon ſtyle & la force & la grâce .
Son ouvrage en effet étincelle de beautés
dans plus d'un genre . Quelle harmonie ſourenue
! quelle force de peinture dans ces
vers fur le Nil !
Ce fleuve , qui long-temps nous céla fon berceau ,
Échappé de Goyame en rapide ruiffeau ,
Du vafte Dambéa traverſe le domaine.
Sous des Inles fans nombre il recourbe , il promène
Ses flots purs , couronnés de lauriers toujours verds
DE FRANCE.
123
Bientôt devenu Roi de vingt fleuves divers ,
Entraînant avec lui leurs ondes tributaires ,
Par de puiffans Etats , par des lieux folitaires ,
Aux bornes de Nubie il court impétueux.
En vain pour le dompter , mille rocs tortueux
Du fauvage Mosho hériffent la contrée ,
Et remparts de l'Égypte en défendent l'entrée ;
De fes flots mutinés que l'écume blanchit ,
Le Nil couvre ces monts , s'enlève & les franchit ;
Il tombe ; les échos , dans les rocs qu'il inonde ,
Répètent longuement le fracas de fon onde.
Oppofons à cette peinture un morceau
d'un autre genre. Le Poëte repréfente d'abord
le Prêtre qui va proceffionnellement
allumer le feu de la S. Jean.
Il paroît dans l'éclat de ſa parure fainte ,
De ce temple fans murs parcourt trois fois l'enceinte
Et tandis que les voix d'un cortège picux
Font retentir les airs de chants religieux ,
Seul , des flancs du bûcher il s'approche en filence ,"
D'une torche le frappe , & la flamme s'élance .
Il s'éloigne ; les Ris , qu'effrayoit fon aſpect ,
Prennent fur tous les fronts la place du refpect.
Sa retraite a donné le ſignal de la danſe ;
Un aimable délire en trouble la cadence :
On fe prend , on fe quitte , on fe reprend encor.
Là , l'Amour ne bleffant qu'avec des flèches d'or ,
Infpire à fes fujets une audace charmante.
L'un foulève en fes bras la fyelte Şélimante ;
Fij
124 MERCURE
L'autre vole en paſſant un rapide baiſer ,
Que la boudeuſe Iris feignoit de refufer.
Des Neftors du canton plus loin s'affied un groupe
Qui de joie & de vin s'enivre à pleine coupe.
Le feu baiffe ; & l'enfant qui n'ofoit approcher ,
D'un pied hardi s'enlève & franchit le bûcher.
Cette tirade , avec quelques imperfec
tions , a d'agréables détails ; & l'image qui
la termine eft charmante.
On fent que M. Roucher , dans fa marche
, aura rencontré , cherché même des
chofes difficiles à exprimer ; & il faut avouer
que dans ce genre de lutte , il a obtenu de
nombreux fuccès. Son talent poétique fubjugue
, maîtrife tout ; & les difficultés les
plus effrayantes n'excluent prefque jamais de
fa poéfie l'élégance & la facilité. De fon pinceau
libre & fier s'échappent des traits hardis
& pleins de vie ; & fi le travail de fes
vers fe laiffe deviner , il fe fait rarement
fentir. Ce n'eft pas qu'il n'ait quelquefois
fuccombé fous les difficultés qu'il s'eft plu
à multiplier autour de lui , ou que par-là
du moins il n'ait imprimé à quelques-uns
de fes vers une féchereffe qui en détruit le
charme , comme dans cette defcription de
la gelée.
Dans la Nature entière
Circule un océan de fubtile matière ,
Qui pénètre , environne , affiége tous les corps ,
Et qui feule dilate ou preffe leurs refforts.
DE FRANCE
125

Tantôt fon flux rapide embraffant leurs parties
Eſt le noeud fortuné qui les tient afforties ;
Tantôt fon cours plus lent , de ce lien heureux
Dégageant par degrés leurs atômes nombreux ,
Sufpend ou rallentit leur action première.
Si donc , ne dardant plus qu'une oblique lumière ,
Aujourd'hui du ſoleil les foibles javelots
De ce fluide errant laiffent dormir les flots ;
Sans doute que des corps , où cet agent s'enferme
Les atômes , liés d'une chaîne plus ferme ,
Doivent ferrer leurs rangs , & plus durs , plus épais ,
Tranquilles à leur tour , fommeiller dans la paix.
Alors paroît la glace , & c.
Affurément ces vers ont l'empreinte du
talent ; & l'on fent qu'ils ont coûté à l'Auteur
; mais on ne fait gré à un Poëte de la
peine qu'il s'eft donnée , que lorsqu'on en
retire du plaifir ; & l'on peut dire que des
vers femblables à ceux que nous venons de
citer , font difficiles à faire & à lire. On
peut en dire autant de quelques autres , tels
que celui- ci , en parlant des couleurs pri
mitives :
Et du flambeau du ciel décompofant les feux ,
Du pourpre au double jaune , & du verd aux deux
bleus ,
Jufques au violet , qui par degrés s'efface , &c
Mais ces endroits - là font fi rares ,
laiffent tout entier à M. Roucher l'éloge
qu'ils
Fiij
126 MERCURE
que nous avons cru lui devoir fur la manière
de peindre les chofes difficiles ; ce qu'il fait
quelquefois avec une préciſion & une rapidiré
rares , comme dans ces vers , où il parle
de la découverte des Arts.
Honteux du cercle étroit où de groffiers befoins ,
Aux premiers jours du monde, avoient borné fes foins ,
Ille franchit : foudain tout prend une autre face.
La terre de vergers couronne fa furface ;
f
Le roc fort de fes flancs , & s'élève en palais ;
Le lin fur l'éléphant fe déploie en filets ;
De la croupe d'un mont roulant dans la vallée ,
Le chêne eft un navire , il fend l'onde falée ;
La meule tourne , crie , elle écrâfe le grain ;
La flamme en Dieu tonnant a transformé l'airain ;
L'homme , tout l'univers fous le pinceau refpire ;
L'harmonieux roſeau par ſept bouches ſoupire,
Et le poiſſon de Tyr rougit l'habit des Rois.
Comme ce morceau étincelle de beautés
imitatives !
La meule tourne , crie , elle écrâſe le grain.
M. Roucher peint quelquefois auffi par
des mouvemens heureux , vifs , poétiques.
Telle eft la plantation qui fe trouve au Chant
dixième. Nous allons la tranſcrire ici.
D'une race nouvelle allons peupler les bois ;
* L'homme.
DE FRANCE: 127
2
Cent jeunes Citoyens s'offrent à notre choix ;
Le plane qui couvrit le banquet de Socrate ;
Le cèdre , antique enfant des rives de l'Euphrate ,
Lui , de qui les rameaux dans la nuit allumés ,
Éclairoient les palais de flambeaux parfumés.
Le frêne qui fe plaît à plonger daus l'argile ;
Le tremble murmurant & le hêtre fragile .
Venez , Belles ; venez , Poëtes & Guerriers :
Je vais planter pour vous le myrthe & les lauriers.
Ombres des morts , fortez du féjour des ténèbres ;
J'élève le cyprès fur vos urnes funèbres .
Que le faule & l'ofier embraffent les ruiffeaux ;
Ormes , dans les vallons préparez des berceaux ;
Vous, fapins , qui des mers devez braver la rage ,
Apprenez fur les monts à défier l'orage :
Confiens à la roche , aux côteaux fabloneux ,
Le melèfe , qui feul des arbres réfineux ,
Peu jaloux de fa feuille , à l'hyver l'abandonne ,
Et le chêne fur-tout , vieux Prophète à Dodone.
M. Roucher fe diftingue par l'abondance
du ſtyle , par la hardieffe , la magnificence
de l'expreffion , & par la verve poétique.
Avec quelle richeffe , quelle harmonie , il
peint l'aimable contrée , qui vit le grand Henri
foupirer pour d'Eftrée.
Là , de coteaux fleuris règne une double chaîne ,
Qu'ombragent des forêts & de hêtre & de chêne;
A leur pié , que jamais n'a battu l'aquilon ,
S'élargit & s'allonge un immenfe vallon .
Fiv
28 MERCURE
Errante en vingt canaux , l'Oife majestueufe
Y promène à longs plis fon onde tortueule.
Fleuve antique , ornement de ces prés toujours verds ,
Où robuftes vainqueurs des vents & des hivers ,
Trois ormeaux , abreuvés de ton onde éternelle ,
M'ont prêté quelquefois leur ombre fraternelle ,
Je vois près de tes eaux , & c.
Le même genre de beautés fe fait remar
quer dans les vers fuivans ,
Je veux par de là tous les cieux ,
Je veux encor pouffer mon vol ambitieux ;
Traverser les déferts , où , pâle & taciturne ,
Se roule pefamment l'aftre du vieux Saturne ;.
Voir même au loin fous moi dans le vague nager
De la comète en feu le globe paffager ;
Ne m'arrêter qu'aux bords de cet abyme immenfe
Où finit la Nature , où le néant commence ;
Et de cette hauteur dominant l'Univers ,
Pourfuivre dans leur cours tous ces orbes divers ,
Ces mondes , ces foleils , flambeaux de l'empirée ,
Dont la Reine des nuits fe promène entourée .
Peut- on exprimer , par des vers plus heureux
& plus poétiques , un foible jour de
quatre heures , tel qu'on en voit en Inlande .
C'eft le Soleil que repréfente le Poëte ,
Sur ces bords où fon char , demi plongé dans l'onde ,
Sembloit fuir à regret aux limites du monde ;
Où quatre heures en deuil , feules formant fa cour,
En obliques rayons donnoient un trifte jour....
}
DE FRANCE.
129
Ces quatre heures en deuil , qui forment
feules la cour du Soleil , font tout à la fois
beauté d'idée , d'image & d'expreffion.
Quoi de plus heureux encore que ces vers
fur la fanté Le Poëte , après avoir dit que
l'année , en fe renouvelant , ne fait que renouveler
nos maux , ajoute :
Mais les biens , les plaifirs que nous avons perdus ,
Poffédés un moment , nous feront-ils rendus ?
Comment la recouvrer , cette fanté fragile ,
Tréfor que nous portons en des vafes d'argile ?
Avec quelle vérité ce dernier vers nous
peint cette fanté fi précieufe & fi facile à
perdre ! En lifant ce vers charmant , l'ima→
gination trompée tremble de voir brifer ce
vafe d'argile. Voilà de ces beautés qu'on admireroit
avec raifon dans Homère , & qui
appartiennent à l'Auteur des Mois.
Mais un talent dont on a déjà pu fe convaincre
par les morceaux que nous avons
cités ; un art qui eft particulier à M. Roucher
, ou du moins qu'aucun Poëte ne nous
paroît avoir pouffé plus loin , c'est celui de
groupper les objets , de faire d'un plan géogra
phique ou d'une nomenclature , un tableau
auffi riche que varié. Tels font les vers où il
repréfente l'Etre Suprême, débrouillant le
chaos , à la naiffance du monde .
Il déploya des cieux la tenture azurée ;
Du foleil fur fon trône en fit le pavillon ;
Voulut qu'il y régnât , & qu'à fon tourbillon
LF V
130 MERCURE
"
Il enchaînât en Roi le monde planétaire ;
Que du globe terreftre , efclave tributaire
Le nocture croiffant dont Phoebé refplendit ,
Sous les feux du foleil tous les mois s'arrondît ;
Que d'un cours finueux traverfant les vallées ,
Le fleuve s'engloutît dans les plaines falées ;
Qu'on vît toujours aux fleurs fuccéder les moiffons
Et les fruits précéder le règne des glaçons ;
Que l'ambre hérifsât la bruyante Baltique ;
Que l'ébène ombrageât la rive Afiatique ;
Que le fol des Incas d'un or pur s'enrichît ;
Que dans les flots d'Ormus la perle ſe blanchît ;
Qu'aux veines des rochers une chaleur féconde
Changeât en diamant le fable de Golconde ;
Que le fleuve du Caire, en fes profondes eaux ,
Prêtât au Crocodile un abri de roſeaux ;
Que le Phoque rampât aux bords de la Finlande ;
Que l'Ours dormît trois mois fur les rochers d'Iſlande;
Que fous le Pôle même , où vingt fleuves glacés
Apportent le tribut des hivers entaffés ,
Éparfes en troupeaux , les énormes baleines ,
Du fauvage Océan fiffent mûgir les plaines , & c .
Quoi de plus énergique dans ce genre que
le voyage de la pefte noire ?
Vers les bois où le perd le fauvage Tartare ,
Les flots empoisonnés que roule le Ténare ,
Par un gouffre entr'ouvert le vomirent au jour.
* La pefte .
DE FRANCE.
131
Trop refferré bientôt dans cet obfcur féjour ,
Le monftre , déployant fes aîles ténébreuſes ,
Vole au Cathay , s'abbat fur fes villes nombreuſes ,
Les comble de mourans entaffés fous des morts ;
Reprend fon vol ; du Gange atteint les riches bords ,
Les transforme , en paffant , en vafte cimetière ;
Du fuperbe Mogol traverſe la frontière ;
Remplit de fes poiſons l'empire des Sophis ,
Les murs de Conftantin , l'Arabie & Memphis ;
Franchit les hauts rochers d'où le Nil roule & tombe ;
Fléau des Nubiens , les plonge dans la tombe ;
Abbat le grand- Negus , fon peuple , ſes enfans ;
Frappe la côte d'or , celle des éléphans ;
Dévafte le Zaïre & les forêts fauvages ,
Qui du frère du Nil couronnent les rivages ;
Perce du vieux Atlas les fommets orageux ;
De cadavres infects couvre fes rocs négeux ;
Une feconde fois fait expirer Carthage ;
Vole au- delà des mers , jufqu'aux fources du Tage
Rend veuves d'habitans fes antiques cités ;
Mêle enſemble & l'Ibère & le Maure indomptés ;
Entre eux & les François quelque temps en balance,
Des Monts -Pyrénéens fur les Alpes s'élance ;
Par monceaux livre en proie à l'avide Pluton ,
Les lâches defcendans d'Émile & de Caton ;
De tous les Potentats purge la Germanic ;
Des Ducs de la Newa punit la tyrannie ;
Ronge avec leurs troupeaux les Bergers du Lapland ,
Brave les feux d'Hecta , parcourt le Groënland ,
F vj
132 MERCURE [
Touche
au Pôle; & foudain retournant fur fa trace}
Dévore tout le Nord que l'Océan embraſſe.
S'acharne fur le Belge & dans les champs François ,
Par des excès plus grands vient combler fes excès.
Si dans les morceaux que nous avons tranfcrits,
notre critique ne s'eft pas appefantie fur
chaque faute de détail , notre admiration ne
s'eft pas traînée non plus de vers en vers.
Trop refferrés par les bornes que nous nous
fommes prefcrites , nous avons mieux aimé
employer en citations l'efpace que nous aurions
perdu à difcuter. Nous avons cru que
par ces citations on feroit à portée d'apprécier
le talent de M. Roucher , & qu'il feroit
mieux loué par fes propres vers que par nos
éloges. On voit qu'il s'eft nourri de la lecture
des anciens . C'eft prefque toujours avec
fuccès qu'il les a mis à contribution , ainfi
que quelques modernes étrangers , notamment
Tompfon. Il a imité , pour ainsi dire ,
en créateur . Quel magnifique tableau que
celui des fleuves ! on peut l'oppofer à la
belle peinture que Tompfon en a faite dans.
fon Poëme des Saifons.
Admire-les , ces Rois de l'humide élément ,
Le Gange , où l'Indien plongé ftupidement
En l'honneur de Brama ' voudroit finir la courfe;
L'Yrtis impatient de voir les feux de l'ourfe ;
Le Volga , vafte mer tributaire des Czars ;
La Seine , dont les bords embellis par les Arts
Font envier leur gloire à la fière Tamife ;
DE FRANCE. 133
La Saône , tendre amante à fon époux foumife ;
Le Rhône , cet époux qui l'entraîne en grondant,
Et brife fur des rocs fon orgueil imprudent ;
La Loire , dont les eaux , captives fans contrainte ,
Se creufent chaque année un nouveau labyrinthe ;
Le Tibre , qui , déchu de fes antiques droits ,
Veut quelquefois encore intimider les Rois ;
Le Nil , le Sénégal & l'immenfe Amazone ,
Trompant l'aridité de la brûlante Zone ,
Tous , fleuves bienfaiteurs , que doit cet Univers
Aux nuages , aux vents , fombres fils des hivers.
Nous ne finirons point cet article fans
féliciter M. Roucher de la richeffe continue.
de fes rimes. C'eft une fource d'harmonie
qu'un Poète François ne néglige jamais qu'à
fes dépens. Il en refulte pour l'oreille un
plaifir qui eft toujours fenti par ceux même
qui ne fauroient le raifonner. Plus notre profodie
eft pauvre , plus nous devons enrichir
notre rime.
Chaque Chant du Poëme des Mois eft
accompagné de notes de l'Auteur. On y
trouve quelques inutilités & quelques horsd'oeuvres
mais elles fuppofent des recherches
, & prouvent une érudition affez étendue.
Il y en a une fur-tout qui mérite d'être
lue par ceux qui fe deftinent à l'art des vers;
c'eft celle qui traite de la Poéfie Hébraïque,
M. Roucher , qui a voulu au moins que
le vice de fon fujet tournât au profit de fes
fentimens , a ufé de la liberté que lui don134
MERCURE
noit le plan de fon Poëme , pour rendre divers
hommages aux talens , à l'amitié , à
l'amour , à la nature. Parmi les Perfonnes
que M. Roucher a chantées , on a vu avec
plaifir M. Turgot , à qui il exprime fa reconnoiffance
par une louange auffi noblement
donnée que méritée ; & M. du Paty , Ma
giftrat auffi recommandable fes lumières
par
Les vertus courageufes. que par
On doit aufli favoir gré à M. Roucher
d'avoir inféré dans fes notes une differtation
fur le commerce des grains par M. de Freville
, Ouvrage fort bien raiſonné , fuivant
les principes de l'Auteur ; deux morceaux
précieux , l'un fur le divorce , l'autre fur l'efclavage
des Nègres , tous deux de M. Garat,
connu par un éloge de Suger couronné à
l'Académie Françoife , & par d'autres Ouvrages
de Littérature , qui réuniffent l'efprit
au favoir , & la raifon à l'éloquence ; & un
fragment d'une traduction d'Homère , par
M. Cabanis , jeune homme qui donne les
plus hautes efpérances , & dont le talent
commande l'eftime , comme fes qualités
perfonnelles infpirent l'amitié. Enfin , on y
lit auffi quatre Lettres de Jean - Jacques
Rouffeau , où l'on retrouve toute l'éloquence
de cet Écrivain philofophe. Ces Lettres n'avoient
jamais vu le jour ; mais l'Auteur eût
été reconnu , qquuaanndd iill nn''eeûûtt pas été nommé
on y retrouve la double originalité de l'homme
& de l'écrivain.
En m'engageant à parler du Poëme des
DE FRA N. CE. 133
Mois , j'avois promis d'être jufte , c'est-àdire
, de parler felon ma penſée. Voilà ma
tâche remplie. Il réfulte des obfervations
que j'ai ofé faire , que M. Roucher , dans
un âge où l'imagination tient prefque lieu de
raifon , avoit moins cherché à faire un ouvrage
, qu'à exercer fa verve poétique ; qu'entraîné
malgré lui par l'impatiente ardeur
d'un talent jeune & impérieux , il avoit été
féduit par un cadre qui lui offroit toute la
Nature à peindre ; que fon imagination ,
fécondée par le travail , en prolongeant le
Poëme , n'avoit fait qu'aggrandir le vice du
fujet , & qu'enfin en fongeant aux défauts
du plan, on ne peut s'empêcher de gémir
fur les richeffes que l'Auteur a perdues dans
l'exécution. Mais , que dis- je ? elles ne font
point perdues pour la gloire de M. Roucher.
Elles ont prouvé , ( car enfin je crois avoir
acheté par une critique févère le droit de
donner de juftes éloges ) elles ont prouvé
que la Nation peut compter un nom
de plus parmi fes Poëtes. On trouve dans
les détails de cet Ouvrage une imagination
vive & profonde ; les mouvemens de la véritable
éloquence ; la phrafe & l'expreffion
poétiques ; ce talent créateur qui donne à
tout l'ame & la vie ; cette abondance qui ne
provient pas d'une facilité indigente , mais
d'une riche fécondité ; l'art de jeter des
maſſes , d'enchaîner des objets divers dans
un même tableau ; une marche sûre &
hardie ; un pinceau large & vrai '; enfin
136 "MERCURE
l'ame & la voix du Poëte . Même à trávers
les défauts , le génie poétique s'y fait
fentir & s'échappe de tous côtés : semblable
à ces fources cachées fous la terre , qui, luttant
contre leur prifon , l'entr'ouvrent de
toutes parts , & jailliffent à travers l'arène
qui les couvre. En lifant le Poëme des Mois,
ce n'eft pas l'ouvrage , mais l'Auteur qu'il faut
juger. Auffi, quoiqu'on ait raifon de dire que
par le travail M. Roucher auroit pu donner
plus de perfection à fon Poëme , nous fommes
loin de lui confeiller une réviſion qui
pourroit corriger quelques défauts de détail,
fans détruire le vice de l'enfemble. Le travail
qu'il emploieroit à cette correction peut
nous enrichir d'un bon ouvrage. Qu'il prenne
un fujet digne de fon talent , & qu'il prétende
aux grands fuccès. Ce Poëme- ci eft tel que ,
même en le condamnant , on n'en pourroit
rien conclure contre l'Auteur. Dans un fujer
pareil , on ne pouvoit s'attendre qu'à voir
un Poëte ; & nous ofons le répéter , le Poëte
s'y montre avec fes plus riches attributs. On
voit que M. Roucher a l'os magna fonaturum
; il a prouvé , par les détails , qu'il pouvoit
exécuter , & rien ne prouve qu'il ne
puiffe pas concevoir un bel enfemble. Nous
croyons avoir affigné la caufe du mal , &
avoir démontré en même temps que M.
Roucher vient de montrer un talent dont on
peut tout exiger & tout eſpérer.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
DE FRANCE. 137
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
C'EST un ufage adopté fagement , que celui
de repréſenter , pour la capitation des
Acteurs , les Ouvrages qui , par leur mérite ,
ou leur réputation , amènent le plus certai
nement l'affluence du Public. Depuis la révolution
de la Mufique en France , & furtout
depuis quatre ans , les Opéras de M.
Gluck ont toujours été choifis pour cet objet
; & , fi l'on en excepte l'année dernière,
pendant laquelle la faine partie des Specta
teurs s'éloignoit avec raifon d'un Théâtre où
régnoient alors la divifion & la méfintelligence
; les recettes , comme les applaudiffemens
, ont prouvé qu'on ne s'étoit pas
trompé en leur donnant la préférence. Mais
cette préférence & l'opinion publique fontelles
opérées par la force entraînante du gé→
nie de M. Gluck , ou ne font - elles que le
réfultat de la facilité avec laquelle le François
fe paffionne pour les nouveautés &
pour les idoles qu'il s'eft faites ? Faut-il blâ+
mer l'Auteur d'Alcefte d'avoir voulu parler
à l'ame fur un Théâtre qui n'étoit que celui
de l'efprit , de l'oreille & des yeux ? Le genre
qu'il a introduit à l'Académie Royale de Mufique
doit-il être exclufif ? Eft-il d'autres
moyens de plaire ? C'eft ce que nous nous
138 MERCURE
propofons d'examiner en rendant compte
dans notre prochain N° . des travaux faits à
chacun de nos Théâtres pendant l'année
qui vient d'expirer . Nous dirons feulement
ici que peu de repréſentations ont amené
un concours de Spectateurs auffi nombreux
que celles que l'on vient de donner d'Armide
, & d'Iphigénie en Aulide .
Le rôle d'Iphigénie a été joué avec beau
coup d'intelligence & d'intérêt , par Mlle
Beaumefnil , principalement au troisième
Acte. Mlle Duplan étoit chargée de celui de
Clytemneftre. Jamais M. Le Gros n'a mieux
chanté celui d'Achille , que le Lundi 28 Février.
Quant à fon jeu , fans doute il plaît ,
puifqu'il eft applaudi. Le perfonnage d'Aga
memnon a été repréfenté par M. Larrivée ,
dont les talens doivent de jour en jour être
plus chers au Public..
A la repréſentation du famedi 4 Mars ,
M. Lainez a joué le rôle d'Achille , & nous
ayons été très-fatisfaits de fon jeu ; mais fon
chant nous a laiffé beaucoup à defirer. Nous
ne cefferons de l'exhorter à travailler cette
partie de fon talent trop effentielle fur un
Théâtre comme celui de l'Opéra , pour être
négligée.
Nous ne parlerons que de la repréſentation
d'Armide , donnée le Lundi 6 , parce qu'elle
a été rendue d'une manière fort fupérieure à
celle du Samedi fuivant.
Mlle Le Vaffeur a joué le principal rôle
avec le plus grand fuccès , & l'a mérité à
DE FRAN ĆE. 139
beaucoup d'égards. Au troifième Acte & au
cinquième , nous avons remarqué dans fon
jeu une grande intelligence , de la chaleur ,
& de véritables beautés ; mais nous ignorons
pourquoi cette Actrice emploie l'expreffion
de l'ironie pour rendre le fecond
vers du fameux Monologue :
Enfin il eft en ma puiſſance ,
Ce fatal ennemi , ce fuperbe vainqueur ;
Le charme du fommeil le livre à ma vengeance :
Je vais percer fon invincible coeur.
Que Mlle Levaffeur fe donne la peine
d'examiner la fituation d'Armide ; qu'elle
prenne garde à ce mot enfin , & à la fuite
jufqu'à ce vers , qu'il éprouve toute ma rage;
elle verra qu'Armide , dévorée du defir de
la vengeance , ne peut fe fervir d'une expreffion
qui fuppofe toujours un calme vrai ou
fimulé , inadmiffible dans le commencement
de ce monologue. D'ailleurs , plus l'ame de
la Magicienne a de fureur & de rage , plus
la vue de Renaud doit produire fur elle un
effet rapide & victorieux. Si elle a été froide
un moment elle ne peut le voir qu'avec
les fentimens qui réfultent d'une pareille
difpofition , & il n'eft pas naturel que l'amour
prenne dans fon coeur la place d'une
haine dédaigneufe . Tout doit donc engager
l'Actrice dont nous parlons , à quitter un jeu
abfolument faux , & qu'elle a confervé peutêtre
parce qu'il a été applaudi par quelques
ignorans.
,
140 MERCURE
Les autres rôles ont été joués ou chantés
par MM. Legros , Durand, Larrivée, Laînez ,
& par Mlles Joinville , Châteauvieux , &
Gavaudan.
COMÉDIE FRANÇOISE.
La clôture de ce Théâtre s'eſt faité par
Tancrède , Tragédie de Voltaire , & la Gageûre
imprévue , Comédie de M. Sédaine. Le
Compliment a été prononcé entre les deux
Pièces par M. Courville ; nous l'imprimons
ici entier , & nous y joignons deux ou trois
obfervations .
Γ
MESSIEURS ,
Chaque année , nouvelles bontés de votre part s
chaque année , de la nôtre , nouveaux efforts pour
la mériter , nouveaux remercimens , tribut de notre
reconnoiffance ; & à qui en devons - nous à plus
jufte titre qu'à ceux dont nos talens fout l'ouvrage ?
Oui , Meffieurs , vous feuls avez créé tous les Acteurs
célèbres qui ont honoré jufqu'ici notre Théâtre
; vous feuls pouvez les reproduire en encourageantceux
qui leur furvivent , & votre plaifir en fera
la récompenfe. C'eft le feul but où nous tendons
tous , l'objet de nos defirs , le dédommagement & le
prix de nos peines.
Nous obferverons que les encouragemens
n'ont jamais manqué à nos Comédiens ;
mais qu'ils ont fouvent manqué aux encou
ragemens qu'on leur a prodigués . On en
pourroit citer cent exemples .
DE FRA N. CE. 14
Ceux mêmes d'entre nous qui , fubordonnés par
les petits détails où leur emploi les reftreint , ne
peuvent prétendre à faire naître ces élans &
Ges tranfports qu'excitent les grandes paffions auffi
vivementfenties qu'énergiquement exprimées , tâchent
d'y fuppléer par l'attention la plus fcrupuleufe , & le
foin extrême qu'ils apportent dans les rôles qui font
de leur reffort.
Ici l'Orateur peint la Comédie Françoife,
non pas comme elle eft , mais comme elle
devroit être. Efpérons qu'elle fera quelque
jour reconnue dans ce tableau ; c'eſt déjà
une jouiffance que l'efpoir.1
Mais fi nos talens vous doivent tout , Meffieurs
les Lettres ne vous doivent pas moins. Vous êtes ,
pour ainfi dire, le creufet ou s'épurent & fe raffinent
les Ouvrages des Auteurs qui vous ont voué leurs
plumes & leurs veilles , la pierre de touche qui en
conftate le véritable titrę. Jamais Sophocle , Euripide ,
Efchile , Ménandre , Plaute & Terence n'auroient
franchi l'immenfe efpace des fiéclesqui fe font écoulés
depuis eux jufqu'à nous , fi le Public judicieux &
éclairé d'Athènes & de Rome n'avoit mis à leurs
Ecrits le fceau de l'immortalité C'eſt à vos ancêtres ,
Meffieurs , que nous devons notre Molière , Corneille
& Racine , dont les chef- d'oeuvres fans ceffe
expofés fous vos yeux , vous caufent chaque fois de
nouveaux tranſports d'étonnement & d'admiration,
Leurs fucceffeurs , dignes rivaux de leur gloire, ont
été jugés dignes par leurs contemporains de la partager
avec eux. Vos larmes coulent encore fur le tombeau
du Neftor de la Littérature , cette abeille , enrichie
du fuc de toutes les fleurs que le champ des
Lettres , tant anciennes que modernes , a fait éclore ,
qui s'en eft approprié les beautés , & a fondu dans
142 MERCURE
notre langue les richeffes de toutes les autres. Vous
avez confacré fa mémoire parmi celle des hommes
de génie qui illuftreront à jamais la France , & vous
ferez de même , vous & vos defcendans , paſſer à la
poſtérité ceux qui marcheront für leurs traces .
Ainfi , Meffieurs , c'eft par vous que fe perpétue
l'honneur des Lettres & des Talens : ce Théâtre eft
un héritage que vos ayeux vous ont tranfmis pour en
foutenir la gloire & la durée. Votre préſence en eft le
principal ornement & l'appui , votre goût en eft
l'unique régle ; & quand vous applaudiffez avec
tranfport & l'Auteur & l'Acteur , vous jouiffez de
votre propre Ouvrage ; & , s'il m'eft permis de me
fervir de ce terme , vous êtes vous-même les Artifans
de vos plaifirs.
Nous ne ferons aucune remarque fur les
obligations que les Lettres & l'Art Dramatique
peuvent avoir à ce qu'on appelle aujourd'hui
le Public. Ces fortes d'éloges font toujours
bien placés dans la bouche d'un Comédien
, & on peut dire à M. Courville
avec Molière ,
Après ce beau Difcours , toute la Confrèrie
Doit un remercîment à votre Seigneurie.
COMÉDIE ITALIENNE.
LESES Comédiens Italiens ont fermé leur
Théâtre par une repréſentation de la Servante
Juftifiée , Opéra-Comique de M. Favart , &
de l'Amant Jaloux , Comédie de M. d'Hèle.
Leur Compliment confifte en une eſpèce
de petit Drame , intitulé le Départ du SeiDE
FRANCE. 141
gneur , dont l'Auteur eft M. Favart le fils.
Les Fermiers d'un Seigneur s'attriſtent de
fon départ prochain , qui les privera pendant
trois femaines du plaifir de le voir. Dubois ,
fon Valet , leur reproche leur trifteffe , &
les engage à fe réunir pour lui donner une
petite fête villageoife qui lui prouve leur
zèle & le defir de lui plaire. Ils conviennent
qu'il a raifon ; toute la ferme fe raffemble ;
Arlequin qui eneft le Doyen, veut être auffi
de la fête , à laquelle il amène les enfans,
On répète les complimens & les couplets
qu'on a deſtinés au Seigneur , & la répétition
finit par celle d'un choeur des trois Fermiers
, vous plaire eft c'que j'voulons , &c.
L'allégorie eft facile à faifir.
L'idée de cette bagatelle eft heureuſe. On
y trouve des couplets très- bien adaptés au
fujet , & que la circonftance a dû rendre
agréables. M. Favart y a jeté une Scène pour
lui , qui nous paroît fort adroite & fort ingénieufe.
Il paroît fous le nom de Juftin. Quel
eft ton emploi ? lui demande l'Intendant du
Seigneur.
JUSTIN.
Je ne fuis jufqu'à préfent que le ballayeur de la
falle de ce château , où ,Monfeigneur vient tous les
foirs s'amufer avec une brillante Cour ; mais je ne
demande qu'à travailler ; & fi l'on veut bien me
donner de l'ouvrage , peut- être pourrai-je efpérer...
L'INTENDANT.
Quels font tés répondans ?
244 MERCURE
JUSTIN.
Mon courage & mon coeur,
L'INTENDANT,
Ta famille ?
JUSTIN.
Je fuis le fils de cette petite Baftienne , connue
depuis fous le nom de la bonne vieille Urgèle.
L'INTENDANT.
On ne l'a point oubliée dans le village , & c'eſt un
titre pour vous auprès de Monfeigneur.
Le Public ne peut qu'applaudir à la confiance
de M. Favart fils ; & nous ne doutons
pas que fon zèle , fon travail & fon intelligence
ne le rendent bientôt un des Fermiers
les plus intéreffans du Seigneur qui a
dû tant de plaifirs aux talens de la charmante
Baftienne & de fon aimable époux .
cc
ERRATA pour le N°, 11 du Mercure , page 72,
on lit : « Iphigénie en Aulide , remis au Théâtre , &
foutenus , &c, lifez : Iphigénie en Aulide remiſe
au Théâtre , & foutenue par , & c,
לכ כ כ
TABLE.
LE Beau Idéal , Qde à M. Les Mois , Poëme en douze
Houdon , 97 Chants , troifième Extr. 122
Enigme & Logogryphe , 104 Académie Roy. de Mufiq. 137
Lettres d'un Voyageur An- Comédie Françoife ,
106 Comédie Italienne ,
glois ,
APPROBATION.
140
142
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 18 Mars. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 17 Mars 1780. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 25. MARS 1780 .
PIÈCES FUGITIVES,
EN VERS ET EN PROSE.
ODE DE MÉTASTASE ر
Sur la parfaite Indifférence , mife en vers.
JE're connois enfin, trop perfide Nicé ,
Tu m'avois enchanté , comme une autre Circé ;
D'un malheureux enfin les Dieux ont vu les peines ;
Ils m'ont ouvert les yeux , ils ont briſé mes chaînes,
Mes defirs font éteints ainſi que mon ardeur :
Du dépit ne crois pas que ce foit le langage ;
La froide indifférence eft mon heureux partage ,
Et tes charmes n'ont plus de pouvoir fur mon coeur.
TON nom jadis fi doux frappe en vain mon oreille ;
Sans m'occuper de toi je dors....je me réveille....
Tu peux, fans m'infpirer ni regret ni defir ,
Me quitter , reparoître , arriver ou me fuir.
Sam. 25 Mars 1780.
G
146 MERCURE
SANS en être attendri , je parle de tes charmes ;
Tu t'approches de moi fans que j'en fois flatté
Même avec mes rivaux j'exalte ta beauté……….
D'un amant , d'un jaloux je n'ai plus les alarmes .
D'UN regard méprifant , ou bien d'un doux fourire ,
En vain autour de moi tu tendras les filets ;
Mon coeur indifférent bravera tes projets :
Je verrai l'artifice & n'en ferai que rire.
JE faurai bien , fans toi , trop ingrate maîtreffe ,
Ou tempérer ma joie , ou calmer ma triſteſſe.
Fuis nos bois , nos coteaux !... feul je m'y trouve
heureux :
Peut-être tou afpect les rendroit ennuyeux.
MALGRÉ tes torts , Nicé , ( vois fi je fuis fincère , )
J'avouerai que tes traits font ceux de la Beauté ,
Qu'ici-bas tu parois une Divinité ;
Mais ton coeur eft perfide & ceffe de me plaire.
QUANDje brifai ma chaîne , ah ! de cent maux divers
Je fentis dans mon coeur une atteinte mortelle ;
Mais j'aurois affronté la mort la plus cruelle
S'il m'eût fallu refter plus long-temps dans tes fers.
TEL qu'un timide oiſeau , qui fe fent pris au piège ,
Tente , pour échapper au danger qui l'affiège ,
Mille efforts douloureux ; s'il peut
s'ouvrir le retsa
fegliffe , il s'envole & chanse fon fuccès,
DE FRANCE. 147
NON , je ne t'aime plus ; à chaque inſtant du jour ,
Nicé , je le redis.... cet aveu fans myſtère ,
D'un feu qui couve encor , n'a point le caractères
Je rappelle mes maux. c'eft abjurer l'Amour.
...
Le Guerrier courageux montre fes cicatrices ,
Il fe plaît à conter des périls toujours chers ;
L'esclave en liberté garde & montre les fers :
La caufe de fes maux fait alors fes délices.
Moi, je fonge aux tourmens que tu m'as fait fouffrir,
A me les rappeler je trouve du plaifir.
Approuve ou non , Nicé , pour moi c'est même choſe ;
J'aime l'indifférence où mon coeur fe repoſe.
SANS regret j'abandonne une amante volage ;
Tu perds le plus fidèle & le plus tendre amant.
Cette perte , Nicé, pourra te rendre fage ,
En te faiſant ſentir le prix d'un coeur conſtant.
AISEMENT je pourrai faire meilleure emplette ;
Oui , oui, n'en doute pas mais toi , Nicé , mais toi ,
1
Où pourras-tu trouver un Berger tel que moi?
Je fus ardent & vrai , tu n'étois que coquette,
14
( Par Mlle de Vardon. }
!
Gij
148. MERCURE
VERS
Sur la Mort de M. DU COUEDIC ,
Commandant de la Frégate la Surveillante.
Du Pavillon François , défenfeur courageux , U
L'impitoyable mort , jaloufe de ta gloire ,
T'enlève à la lumière , alors que la Victoire ,
De fes plus beaux lauriers , ceint ton front glorieux !
Eh quoi ! dans fa rage cruelle ,
Croit-elle te ravir cette palme immortelle
Qu'au milieu des combats nous t'avons vu cueillir ?
Le temps qui détruit tout ne pourra la flétrir ;
Et tes exploits fameux , confacrés dans l'Hiftoire ,
Aux fiécles à venir tranſmettront ta mémoire .
Pour corriger du fort l'arrêt trop rigoureux ,
Et confoler ta famille affligée ,
La bienfaiſante main d'un Prince généreux ,
Au nom de la France vengée ,
Couronnant ta valeur dans ta veuve & tes fils ,
Vient de te décerner un noble & jufte prix .
Senfible à ce bienfait , aux champs de l'Élysée ,
Jouis , brave Guerrier , d'un triomphe fi beau.
Quand on a bien fervi fon Prince & fa Patrie ,
Qu'on obtient fes regrets au-delà du tombeau ,
C'eft peut-être un bonheur d'avoir perdu la vie ,
( Par M. Marandel de Salinfville. )
DE FRANCE. 149
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
+
LE mot de l'énigme eft Eil ; celui du
Logogryphe eſt Eventail , où fe trouvent
vin , ail , lait , taon ou tan , eau Tite-
Live , Vélai , aile , vent , eva , nata , vita,
laine , Ifle , lin , lit , valet , Jean & van.
ÉNIGM E.
PROMPTI ROMPTE à voler comme un Robin ,
J'ai la robe d'un Jacobin ,
Et la marche d'un Baladin ,
Et l'appétit d'un Bernardin ,
Et le babil d'une Nonain .
Et pour rimer toujours en in ,
Mon nom dévotieux , bénin ,
Eft celui d'un Prince Latin
Plus revéré que Conftantin.
( Par M. C. d'H. Avocat. )
LOGOGRYPHE.
E fuis utile à la toilette :
La femme la plus fage , ainfi que la coquette ,
Le magot , le bel homme & même jusqu'au Roi ,
Par ton ou par befoin , tous fe fervent de moi.
Arrangeant mes huit pieds de certaine manière,
G iij
10 MERCURE
On
Y rencontrera l'égal du mot colère
Un arbre toujours verd ;
Un volatile ; un fleuve d'Italie ;
Un bourg de Normandie ;
Un bon fruit de deſſert ;
D'une eſpèce de pain je fournis la matière,
Et fouvent celle de la bière ;
Le fynonyme de pays ;
Un nom qui nous eft cher , refpecté dans Paris
Enfin l'on trouve en moi le nom d'une rivière .
Me voilà trait pour trait ; cherche , ne cède pas
Peut-être en ce moment tu m'as entre tes bras.
( Par M. Blanchard, Écolier de Philofophia
au Collège du Bois , à Caen. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'ABAILARD Suppofe , ou le Sentiment à
l'épreuve. Vol. in - 8 ° . avec cette épigraphe ,
Qu'ai-je aimé que toi -même ?
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris , chez
Gaeffier, Imprimeur- Libraire , rue de la
Harpe , vis - à- vis celle de Saint - Severin ,
à la Liberté.
LA Conteſſe Dolnange , mariée avant
treize ans , devint veuve avant dix -huit d'un
époux amoureux fans délicateffe , enivré
d'une ardeur paffagère pour des charmes
DE FRANCE. 151
dont il n'étoit que le raviffeur & non l'amant.
Lè Comte , peu fait pour favoir qu'une
figure parfaite eft le moindre des avantages
de fa jeune époufe , la pqffédoit fans la métiter
& fans lui plaire. Des noeuds ſi mal
affortis n'eurent pour elle que de l'amer
tume ; mais ne pouvant les chérir , elle fut
les refpecter.
Veuve & rendue à elle - même , fon coeur
refte libre au milieu de ceux qui l'attaquent,
autant qu'il l'a été fous le joug de l'hymen.
L'époux qu'elle avoit perdu la defiroit fans
l'apprécier ; fes adorateurs prétendus lui patoillent
tous animés des mêmes fentimens ,
& elle n'a pas befoin de recourir à fa vertu
pour réfifter à de tels hommages . Née avec
de la fierté & une fenfibilité délicate , rien
n'étoit dangereux pour fon coeur qu'un amant
tendre , fincère , refpectueux & foumis ;
quelquefois elle fouhaite qu'il puiffe en
exifter un feul , plus foavent elle le redoute ,
& jamais elle n'ofe l'efpérer. Elle le trouve
enfin , cet être embelli par fon imagination ,
& fi craint par fon coeur , elle le trouve ,
dis-je , dans la perfonne du Marquis de Rofebelle.
Il joint aux vertus de fes ancêtres
les grâces de fon fiécle. L'inftruction qu'il a
acquife pendant fept années de voyage ,
ajoute encore à fa modeftie naturelle ; l'amour
femble l'avoir formé pour Madame
Dolnange ; il la défend avant de la connoître ,
il l'adore dès qu'il l'a vue.
Le même penchant entraîne vers lui la
Giv
152 MERCURE
Comteffe ; il s'y abandonne , elle y réfifte ,
le renferme , s'ignore ou feint de s'ignorer ,
& tient toujours à fes principes . L'un &
l'autre font bientôt également malheureux.
En vain un oncle de la Comteffe le réunit
au Marquis de Rofebelle pour engager fa
nièce à accepter fa main. Alarmée par le
fouvenir de fon premier hymen , ayant encore
préfente la perte d'une amie , dont les
charmes ni la fenfibilité n'ont pu ramener
l'époux le plus ingrat , & qu'elle a vue , confumée
par la douleur , expirer dans fes bras ,
tout l'effraye & tout lui perfuade que l'amour
même le plus ardent ne tarde pas à s'éteindre
au fein du bonheur. Elle refufe la main
de Roſebelle , parce qu'elle appréhende le
malheur de tous deux ; fon courage tient à
cette idée. Elle le fuit , l'afflige , s'en déſeſpère.
Tant de combats font inutiles. L'amour
triomphe ; fa fanté s'altère , elle tombe malade
: Rofebelle l'apprend , il ne peut réfifter
à fes inquiétudes ; il gagne la femme de
confiance de la Comtelle , s'introduit chez
elle pendant la nuit , non pour ofer ſe montrer
à fes yeux , mais feulement pour la
voir & fe raffurer fur fon indifpofition .
La Comteffe , plus belle que jamais , malgré
fon abattement , lit , fe croyant feule ,
une lettre de Rofebelle , l'appuie contre fon
coeur , la preffe de fes lèvres. Le Marquis ,
hors de lui - même , trop heureux , trop
enivré pour pouvoir fe contraindre , oublie
qu'il va l'offenfer ; il paroît & ſe jette à ſes
DE FRANCE. 153
pieds. Le faififfement , le trouble , l'effroi de
la Comteffe font inexprimables ; mais revenue
à elle-même , elle bannit à jamais Rofebelle
de fa préfence . On juge de fes remords
, de fes regrets , de fa douleur. Le
Commandeur , oncle de la Comteffe , ni le
Duc de....... proche parent de Roſebelle ,
du même nom que lui , & par qui ce der
Bier a été préfenté chez Mde Dolnange ; le
Duc, dis- je , ni le Commandeur , tous les
deux confidens dé fon amour , ne peuvent
parvenir à le calmer. Une Mde de Volneuil ,
qui a déjà fait beaucoup d'attention au Marquis
, entreprend , fans y réuflir , de le confoler.
Le Duc arrive chez cette Mde de Volneuil
pendant qu'elle excède Roſebelle de
fes attaques & de fa coquetterie. Il fe fauve ;
elle refte furieufe. Le Duc fe doute du motif;
& avec une préfence d'efprit admirable
, lui fait vite une déclaration , le tout
pour réparer les torts de Roſebelle : elle ne
l'écoute point ; rien ne l'appaifé. Le Duc
craint qu'elle ne perfécute les deux amans :
elle a un afcendant décidé fur le père de
Mde Dolnange.
Par bonheur un mot qu'il dit au hafard
fur le malheur de Rofebelle eft faifi le plus fingulièrement
par Mde de Volneuil. Comme
il n'a pas voulu être fon amant , la bonne
Dame croit entrevoir qu'il ne peut être celui
de perfonne.
Le Duc trouve plaifant de l'entretenir
dans cette idée. Elle l'adopte. Son orgueil
G v
154
MERCURE
en eft plus à l'aife. L'habile fourbe , pour
l'y confirmer encore , lui fait une petite hiftoire
, foi -difant de Venife , où il prétend
qu'un époux impitoyable a traité Roſebelle
à peu - près comme Fulbert traita l'amant
d'Héloïfe . Voilà , comme de raiſon , Mde
de Volneuil guérie de fon penchant pour
ce dernier , & d'autant plus impatiente de
confier ce fecret, que le mystère lui a été recommandé
plus expreffément.
Entre autres elle en fait part à Mde Dolmange
, qui languiffoit loin de fon amant ,
qu'elle s'étoit condamnée à ne plus revoir.
Cette nouvelle fait fur fon ame une impreffion
toute oppofée à celle qu'elle avoit faite
fur la Volneuil. Le Marquis ne lui en eft .
que plus cher du moment qu'elle le croit
malheureux , elle celle de le trouver coupable.
Son départ eft arrêté pour le même
jour avec la Princeffe de...... qui l'emmène
dans une de fes Terres ; & elle éprouve en
partant le plus vif regret d'abandonner Rofebelle
à fes chagrins , fur-tout d'avoir pu les
accroître. Une union pure, qui ne doit rien à
Fillufion des fens , & conféquemment qui
ne peut jamais s'affoiblir , s'offre à Mde
Dolnange avec des charmes qui ne feront
pas goûtés du grand nombre , mais que les
coeurs fenfibles & les imaginations ardentes
comprendront, Toutefois avant de s'éloigner
elle faiffe échapper devant le Commandeur ,
à qui il étoit défendu de prononcer même le
nom de Roſebelle , quelques mots qui marDE
FRANCE. 155
quent pour lui de l'intérêt. A peine en eſt-il
inftruit que fes tranfports éclatent. Le Duc
foupçonne la caufe de ce changement ; il fe
doute que la fauffe confidence qu'il a faire à
Mde de Volneuil rendant Roſebelle moins
redoutable aux yeux de la Comteſſe qui
l'adore , lui permet de fe livrer à toute la
vivacité de fon penchant. L'idée que cela
pourroit fort bien arriver étoit même déjà
venue au Duc , & l'avoit déterminé plus que
tout le refte à tromper la bavarde & crédule
Volneuil. Rofebelle ignore tout le noeud de
cette intrigue. Pour fe rapprocher de la
Comtelle , tous deux vont à la Terre d'un
des amis du Duc , voifine de celle qu'habite
Mde Dolnange. Le lendemain de leur arrivée
eft le jour de la fête de la Princeffe. Cette
fête eft terminée par une promenade dans
une Ifle charmante , fituée à l'une des extrémités
d'un fuperbe canal qui ferpente dans
les jardins. L'Ile enchantée renferme un hermitage
qui , comme on va le voir , ne l'eft
pas moins. Rofebelle y paroît vêtu en Hermite,
jouant le perfonnage d'Amadis , lorfqu'il
eft banni de la préſence d'Oriane. La
Comteffe , de plus en plus attendrie , lui a
déjà pardonné dans le fond de fon coeur.
Bientôt fes regards l'en affurent , elle ne le
craint plus , elle ſe livre toute entière à ſon
fentiment.
Cependant , quelques mots qui doivent
être énigmatiques , fur- tout pour un amant
aufli paflionné , l'étonnent , l'inquiétent , le
G vj
·156 MERCURE
font rêver . Obligé de fe feparer d'elle au moment
où il alloit lui en demander l'explication
, dans fon trouble il s'adreffe au Duc,
qui fe voit contraint de l'éclairer fur la ma- .
nière dont il s'y eft pris pour le faire rentrer
en grâce. Roſebelle eft furieux , indigné ,
veut tout découvrir . Enfin les prières , les
menaces , les bonnes raifons du Duc , l'afcendant
de fon efprit & de fon fang- froid ,
fur-tout la crainte de déplaire à ce qu'il
aime , le forcent à tout endurer . Mais fes fureurs
, fes impatiences , l'horreur bien naturelle
de la fituation dans laquelle on le fuppofe
, percent fans ceffe à travers fon apparente
foumiffion. A chaque inftant il eft prêt
à fe trahir , & toujours il eft retenu par l'abandon
touchant de fa maîtreffe , par fa confiance
même , par la certitude qu'elle l'auroit
fui toujours fans fon accident prétendu
fans cette maudite infortune , la plus imaginaire
qui fût jamais. Quoi qu'il en foit , plus
la Comteffe fe livre à tout ce que fon amant
lui infpire , & plus elle le voit malheureux :
elle craint qu'il ne foit jaloux ; & pour le
raffurer , elle veut bien renoncer à tout ,
s'exiler avec lui , ne vivre que pour lui ſeul.
Sa refpectable amie défapprouve ce projet ,
à moins qu'une union facrée ne rende tout
permis aux deux amans. Mde Dolnange la
defire cette union ; mais Rofebelle n'en
parle point , & ne peut le réfoudre à s'offrir
poursêtre l'époux de celle qu'il adore , avec
l'opinion qu'elle a de lui , & que fa délica
DE FRANCE.
157
teffe même ne fert qu'à confirmer. La Prin
ceffe apprend l'erreur où eft Mde Dolnange ;
fa foumiffion & le courage héroïque de fon
amant la touchent & la furprennent. Ellemême
propofe à tous deux que l'hymen les
uniffe , Rofebelle confent à la fin à profiter
d'une méprife qu'il n'a entretenue que par un
excès d'amour & par les confeils de l'amitié.
On demande le confentement du père de Mdë
Dolnange. Mde de Volneuil lui a fait l'hiftoire
de Venife, qu'elle tient du Duc ; d'abord il ne
veut point entendre parler d'un tel mariage;
il enlève fa fille : on apprend qu'elle eft en
fa puiffance ; l'amant vole aux pieds du père
de fa maîtreffe ; le premier accueil ne lui eft
pas favorable ; bientôt tout s'explique , le
père s'appaife , il accorde fa fille à Rofebelle :
elle feule refte encore dans l'erreur ; on
craint toujours qu'elle n'immole fon amant
& elle-même à fes principes , fi on la défabufe
avant que tour foit terminé. L'Hymen
& l'Amour les uniffent ; les droits de Roſebelle
ne font qu'ajouter à ſes tranfports. La
contrainte infupportable où il eft, porte fon
amour au dernier degré de l'ivreffe , & aux
entreprifes très légitimes qu'elle infpire. Ses
tranfports paffent dans l'ame de la maîtreffe.
Surprife , mais enchantée , elle abjure fes préventions
; & défabufée enfin autant qu'il foit
poffible de l'être , elle n'en eft que plus tendre
, plus aimable , plus aimée , & fur- tout
plus heureuſe.
On peut juger , d'après cette Analyſe ra
158
MERCURE
pide , combien de fituations piquantes a dû
faire naître un pareil fujet. Mais le comble
de l'art dans cet Ouvrage , eft d'avoir fu
tirer d'un fond fi gai au premier afpect , le
développement d'une ame honnête , délicate
& fenfible : cette idée , abfolument neuve ,
diftinguera à jamais ce roman , & le placera
à côté de nos plus agréables productions.
Un autre mérite qui ajoute infiniment à
l'intérêt , c'est la vérité des événemens , l'unité
de l'action , & la fimplicité avec laquelle
elle eft conduite ; c'eft par -tout la peinture
fidèle de la Société. Le ftyle eft vif, animé ,
rapide , du meilleur ton : rien de plus aimable
que le Duc. Quel est l'homme qui ,
pour fon malheur , n'a pas rencontré vingt
fois dans fa vie des femmes comme Mde
de Volneuil , la naïve Flore , la prude rafi
née , varient la nuance de ce tableau , &
ne. fervent qu'à faire reffortir les autres
perfonnages ; tout contribue à l'enſemble ,
tour marche au dénouement , & l'intéreffant
Anonyme n'en a pas moins fu fe ménager
par intervalle des tableaux dignes de l'Albane
par la fraîcheur du coloris : telle eft la defcription
de l'Hermitage, & celle de la Chaffe.
Le rêve qui agite la fenfible Dolange ,
& que fon Amant réalife , eft la peinture
la plus vive des plaifirs de l'amour; mais
la delicateffe les épure , l'Hymen les couvre
de fon voile , & la décence même applaudit
à l'expreffion d'un bonheur avoué
par la vertu.

( Cet article eft de M. D... )
DE FRANCE.
159
DISCOURS qui a remporté le prix de la Société
Royale d'Agriculture de Soiffons en
1779 , fur cette Queftion , propofée par
la même Société : Quels font les moyens
de détruire la Mendicité, de rendre les
Pauvres valides utiles , & de les fecourir
dans la Ville de Soiffons ? Par M. l'Abbé
Monilinot. A Lille , chez Lehoucq , Libraire
, & fe trouve à Paris , chez Durand
neveu , Libraire , rue Galande.
IL feroit fuperflu de s'arrêter à faire fentir
l'importance de la queftion qu'on traite dans
ce Difcours : il n'en est point de plus digne
d'occuper un bon citoyen & un homme fenfible.
Il faut convenir que les ouvrages qu'on
publie fur des matières d'adminiftration , font
d'ordinaire peu propres à diriger les vues
& les opérations des Gouvernemens. Les
écrivains même les plus éclairés , s'attachent
pour la plupart à des principes abfolus
, dont la trop grande généralité eft peu
compatible avec les moyens-pratiques de
l'Adminiftration. Ils voient & relèvent trèsbien
les abus & les défordres publics ; mais
dans les plans qu'ils propofent pour y remédier
, ils ne calculent ou ne connoiffent pas
affez les obftacles que des paffions particulières
, des intérêts puiffans , des erreurs
accréditées , & fur- tout des inconvéniens
inféparables de tout changement dans l'ordre
établi , oppoſent aux innovations les plus
falutaires .
160 MERCURE
En général , c'eft moins à guider les Adminiftrateurs
que les livres font utiles , qu'à
éclairer & à diriger l'opinion publique ; &
cet effet eſt déjà un très - grand bien. Mais
nous ofons croire que l'utilité du difcours
que nous annonçons , ne fe borne pas à ce
feul effet , il nous paroît joindre à des principes
fains , préfentés d'une manière intéreffante
, des vues & des moyens - pratiques
propres à fervir les intentions d'une Adminiftration
fage, éclairée & courageufe, qui, au
fein même de la guerre , fléau le plus funefte
de tous à la profpérité des Etats, prépare
fur une bafe folide le plan d'une réformation
générale dans les parties les plus effentielles
de l'ordre public.
བྱུས་
و ر
» La question que je vais traiter , dit M.
» de Montlinot , renferme deux objets :
Par quels moyens peut - on venir à bout de
» détruire la Mendicité ? Ma réponſe eft
fimple ne faifons plus d'aumônes , &
détruifons les hôpitaux. Comment rendre
» les Mendians utilesfans les rendre malheu
reux ? N'exigeons plus du Pauvre un tra-
» vail commun au profit des Adminiſtra-
» tions de Charité , foutenons les mains laborieufes
de l'indigent , & laiffons-le jouir
» d'un air pur & de la liberté.
ود
Cette première réponſe de l'Auteur
point d'aumônes , point d'hôpitaux , a quelque
chofe qui peut étonner d'abord un lecreur
human durus hic fermo. Mais fi l'on
fuit le développement de ces idées , on les
DE FRANCE. 161
trouvera peut-être aufli conformes aux vrais
principes de l'humanité , qu'à ceux de la
bonne politique .
,
Il faut qu'il y ait des pauvres par- tout où
il y a des riches c'eft le vice de nos fociétés
politiques. L'inégalité des conditions,
dit M. de M. , a divifé tous les hommes en deux
claffes , ceile qui a trop , & celle qui n'a rien.
Il falloit bien que la première de ces claffes
vint au fecours de l'autre. Cette affection
naturelle , ou plutôt cet inftinct qu'on
nomme compaffion , & par lequel feul on
peut dire que l'homme eft naturellement
bon , a réparé en partie le crime de la fociété.
La Religion venant à l'appui de cet
inftinct bienfaifant , a commandé enfuite
ce que la nature infpiroit aux hommes : de- là
ces aumônes abondantes , ces legs , ces inftitutions
charitables , qui , dans tous les
tems & dans tous les pays du monde ,
font deftinées à foulager la misère du pauvre.
Moïfe recommande aux Hébreux de ne
pas tamaffer les épis & les grains de raiſin
qui restent à terre après la moiffon & la
vendange , afin de les laiffer aux pauvres.
Mais rien n'eft plus humain que ce précepte
de la loi Judaïque dans des tems poftérieurs,
rapporté par le Rabbin Maimonide, dans fon
traité de Jure Pauperis & Peregrini. » Si un
» Pauvre que vous ne connoiffez pas s'approche
de vous & vous dit , j'ai faim
» ne vous informez pas fi c'eft un impof-
» teur , & donnez -lui de quoi fe nourrir.
"3
762 MERCURE
Si un pauvre vous demande l'aumône ,
» & que vous n'ayez rien à lui donner
» confolez-le par de bonnes paroles. Il n'eſt
" pas permis de faire des reproches à
l'homme malheureux , ni d'élever la voix
contre lui , car fon coeur eft brifé par la
» peine. » Jamais l'humanité n'a parlé un
langage plus touchant.
La charité eft la première vertu du Chrétien
; nul précepte n'eft plus fortement res
commandé par l'Evangile & par fes Miniftres
que celui de faire l'aumône. Les biens
de l'Eglife font regardés comme le patrimoine
des Pauvres ; des afyles innombra
bles font ouverts par - tout à l'indigence , &
des fecours de toute efpèce lui font pros
digués par la main de la bienfaifance & de
la piété. Comment fe fait - il donc que , malgré
des fecours fi abondans , nos grands
chemins , nos rues , hos portes foient in
feftés de cette multitude de mendians , dont
la plupart fe font un jeu de folliciter la
compaffion publique pour des maux & des
befoins qu'ils n'éprouvent pas ? C'est que la
mendicité eft devenue, pour la dernière claffe
du Peuple, un moyen de fubfifter plus com
mode & même plus sûr que le travail , &
que cette branche d'induſtrie a dû , comme
toute autre , s'étendre & fe propager à proportion
des encouragemens qu'elle recevoit.
Les pères y ont élevé leurs enfans ; &
cette infame dégradation a achevé d'avilir
les moeurs de cette claffe d'hommes , & à y
DE FRANCE. 163
étouffer jufqu'au germe de toute eſpèce
d'honneur comme d'induftrie.
Il eft réſulté un autre mal de cette multiplicité
de mendians ; c'eft que l'impoffibilité
de les foulager tous , & la certitude que
la plupart ne méritent aucun fecours , en
émouffant jufqu'au principe de la compaffion
publique , accoutume les hommes à voir
fans émotion les images de la fouffrance
& de la mifère.
Tous les Gouvernemens , dans tous les teins,
ont fenti ces inconvéniens , & ont tâché d'y
remédier. Les Loix d'Egypte ne fouffroient
ni mendians ni gens oififs ; celles de la Grèce
les profcrivirent avec la même févérité. Dès
les premiers fiècles de la République Romaine
, les Cenfeurs veilloient à ce qu'il n'y
eût ni mendians ni vagabonds , & l'on regardoit
commeune charité nuifible l'aumône
qu'on leur donnoit. On trouve dans une Comédie
de Plaute ce paffage remarquable :
Celui qui donne à un Mendiant de quoi man
ger & boire , perd ce qu'il donne ainfi , & ne
fait que l'entretenir dans une vie de misère.
Conftantin fit un grand mal en fondant le
premier des hôpitaux , & en faifant des Réglemens
pour entretenir tous les pauvres. Les
villes & les grands chemins en furent bientôt
inondés , & les Empereurs qui vinrent
enfuite furent obligés de réprimer la Mendicité
par des loix févères. Charlemagne fit
auffi des loix contre les Mendians & les vagabonds
, & de femblables Réglemens ont
164
MERCURE
-
été depuis conftamment renouvellés en
France , fans pouvoir déraciner le défordre
qu'on ne faifoit que fufpendre quelques inftans.
C'est qu'on n'a jamais attaqué le mal
dans fa fource , dit très bien M. de M.
Quand une loi eft infuffifante pour réprimer
un défordre , il faut multiplier les
Réglemens pour la faire exécuter ; & il
» arrive à la fin que la Loi & les Régle-
» mens tombent en défuétude.
ود
ور
93
و ر
>>
Il eft arrivé quelquefois qu'on a profcrit
tout-à-coup les Mendians , & qu'on a même
prononcé contre eux des peines afflictives,
fans avoir auparavant pourvu aux moyens
de faire fubfifter ceux qui n'avoient que cette
reffource . C'est trop imiter la politique de
Sganarelle , qui , lorfque fa femme lui dit
que fes entans demandent du pain , répond :
Donne leur lefouet.
On a établi , pour la fubfiftance des Pauvres,
des hôpitaux , des maifons de travail, des dépôts
&c. M. de Montlinot fait voir les inconvéniens
& l'infuffifance de ces reffources.
» Le plan , dit-il , fur lequel nos Maiſons
» de Charité font dirigées , ne fert qu'à fo-
» menter la pareffe du Pauvre on l'ac-
» coutume à s'ifoler& à contempler d'un oeil
» fec l'afyle de la misère : il calcule d'avance
و ر
le degré de privation qu'on infligera
» à la débauche , à la crapule & à l'oifiveté.
» On ne fauroit croire combien il eſt dan-
» gereux d'endormir l'activité des hommes
» fur l'avenir. J'ai vu dans toutes les villes
» où il y a des hôpitaux , que les hommes
"
DE FRANCE 165
99
ود
"9
وو
99
y font moins laborieux & plus débauchés :
Quand on s'avife de leur faire quelque
leçon , en leur peignant l'avenir affreux
qui les menace , ils répondent avec ce
fang - froid qui défole l'ame honnête ,
j'irai à l'Hôpital : expreffion du Peuple,
à la vérité, mais qui doit être recueillie
par le Philofophe , parce qu'elle annonce
» que le Pauvre ne fait aucun effort pour
fe mettre à l'abri de la misère , & qu'elle
détruit le feul reffort qui meut les hom-
» mes , l'espoir d'être mieux. »
››
وو
M. de M. fait enfuite un tableau effrayant,
mais malheureufement trop fidèle, des maux
accumulés fur les miférables qui habitent
les Maifons de charité : l'enfant féparé de la
mère & l'époufe de l'époux ; les hommes faits
périffant avant le tems ; les jeunes gens n'en
rapportant que des conftitutions foibles ou
vicieuſes , l'habitude de la pareffe & de
l'aviliffement ; ce qui eft plus affligeant encore
, c'eſt que d'après l'examen des Regiftres
de Tournelle , on voit , ajoute l'Auteur,
que les deux tiers des grands crimes qui
troublent l'ordre de la Société , font commis
par des célibataires élevés dans les hôpitaux
, ou échappés des maiſons de force ..
Quel moyen plus efficace fubftituera -t - on
à ces établiffemens ? L'Auteur en propoſe
un qui nous paroît plus conforme à la bonne
politique & à l'humanité : ce n'eft point un
plan d'imagination , mais une imitation , modifiée
fuivant les circonftances , de ce qui
fe pratique dans une partie de la Flandre.
466 MERCURE
Il en expofe les détails avec beaucoup de
clarté , il en fait voir les avantages ,& pré-
Lente les objections qu'on peut y faire d'une
manière qui me paroît très - fatisfaifante..
Mais nous n'entreprendrons pas de donner.
une idée de ce plan ; nous craindrions d'en
faire mal juger par une efquiffe imparfaite ,
dépouillée des circonftances & des détails
qui peuvent en conftater l'utilité. Nous
renverrons donc nos Lecteurs au Difcours
même , qu'aucun bon citoyen ne lira fans
intérêt & fans fruit. Il joint au mérite.
des vues faines & utiles , celui d'un ſtyle
quelquefois négligé , mais toujours animé
& fouvent énergique & éloquent,
Nous ne pouvons nous difpenfer de rapporter
en entier l'Epitre Dédicatoire qu'on
lit à la tête , & qui nous paroît mériter une
attention particulière.
J'ÉCRIS pour les Pauvres ; c'eſt à un ami
des Pauvres que je voudrois dédier cet Ouvrage,
»Il eft trop vrai que par l'organiſation même
» des corps politiques , l'inégalité des richelles eft
l'effet naturel des richeffes mêmes , & que l'ex-
» trême richeffe dans une claffe entraîne néceffaire-
» ment l'extrême misère dans une autre. Il eft trop
≫ vrai que dans les Gouvernemens les plus libres
A
» les inftitutions , les moeurs , l'opinion , la liberté
même , tout pèfe fur le peuple, Une des plus belles
» fonctions , un des premiers devoirs de l'Admi-
» niſtration , feroit donc de balançer par une adroite
& fage difpenfation de l'autorité légitime , cet af-
» cendant inévitable du puiffant fur le foihle , du
» riche fur le pauvre.
» S'il y avoit un homme d'Etat Philofophe qui
DE FRANCE, 167
» eût confacré cette importante vérité dans un ou-
» vrage éloquent & profond ; fi , appelé enfuite
par la voix publique à une des premières places
du Gouvernement , il n'avoit démenti par aucune
de fes opérations les principes de juftice & d'humanité
qu'il auroit établis n'étant qu'homme pri
» vé ; fi , forcé de fubvenir , par des reſſources ex-
» traordinaires, à des befoins extraordinaires de l'Etat ,
il n'avoit cherché ces reffources que dans la réforme
des abus & dans l'établiffement de l'ordre
, fans appefantir un moment le fardeau qui
écrafe le peuple ; fi l'objet le plus cher à fon coeur,
animé des mêmes vertus & guidé par les mêmes
principes , occupé comme lui de tout ce qui peut
adoucir les misères du peuple , avoit enfin réfoly
le problême fi important & fi difficile * de procu
» rer , aux moindres frais poflibles , les fecours les
» plus efficaces aux maux de l'humanité fouffrante,
ce feroit à cet homme d'Etat que j'aimerois à
confacrer le fruit , de mes penfées fur un objet digne
de fixer toute fon attention. Mais il ne per-
» mettroit peut-être pas que fon nom parût à la tête
» d'un fi foible ouvrage : occupé à mériter par fes
» travaux les bénédictions du Pauvre , la recon-
» noiffance de la Nation & l'eftime de la Poſtérité
pourroit-il être flatté de ces éloges publics , tou-
» jours fufpects , parce qu'ils font presque toujours
dégradés par un vil intérêt ? »
ע
ל כ
Voilà un hommage digne d'être offert par un
Philofophe, & d'être accepté par un grand Miniftre.
Toute la Nation fuppléera aifément le
nom qui manque à la tête de l'Epitre : il y a
peu d'hommes à qui un pareil éloge puiffe convenir;
mais loin de trouver cet éloge exagéré ,
Voyez le Mercure du 19 Février dernier , §. 129,

168 MERCURE
ilferoit aiféd'y ajouter de nouveaux traits ; car
depuis qu'il eft imprimé , l'homme d'Etat qui
en eft l'objet a acquis de nouveaux droits à
l'eftime & à la reconnoiffance publique. Que
le tems & la paix lui permettent d'accomplir
fes grands deffeins , & le règne du jeune &
vertueux Monarque dont il feconde fi courageufement
les vues d'ordre & de juſtice, ſera -
marqué dans nos Annales par la première de
toutes les gloires.
OBSERVATIONS fur la Nature & fur le
Traitement de la Rage , par M. Portal.
Yverdon , 1779.
CES obfervations étoient deſtinées à faire
partie d'un Traité fur les caufes & le fiège
des Maladies , auquel M, Portal travaille
depuis long- tems , & que le fuccès des leçons
qu'il donne au Collège Royal fur la mêine
matière , doit faire defirer,
M. Portal regarde la rage comme une ma
ladie convulfive caufée par l'irritation des
nerfs , & cette irritation a pour caufe ordinaire
, dans l'homme , un virus particulier
que l'on contracte par l'infertion de la falive
d'un animal enragé. Les exemples de
rage fpontanée font très - incertains dans l'ef
pèce humaine. Cependant M. Portal ne nie
pas que les paffions violentes ne puiffent produire
une Hydrophobie , qui peut - être dif
fère alors de celle qui eft un fymptôme de
la rage.
Parmi les remèdes propofés pour la rage,
M. Portal
DE FRANCE. 169
M. Portal n'adopte que le mercure. Ceft
celui en faveur duquel on peut citer un plus
grand nombre d'obfervations heureuſes , &
d'obfervations faites avec foin & fuivies
par des Médecins éclairés. Il ne voit pas
qu'il foit néceffaire de produire la falivation
, & il eft perfuadé qu'il en eft de l'adminiſtration
dumercure pour la rage, comme
de fon ufage pour les maladies vénériennes ,
où prefque toutes les méthodes font bonnes
dans quelques cas , mais où aucune en
particulier ne l'eft dans tous.
L'état des cadavres des hommes & des
animaux morts de la rage , varie beaucoup.
M. Portal en a ouvert plufieurs , il cite des
ouvertures faites par Morgagny , par Sau
vages , &c. on y remarque des différences
très - confidérables qu'on ne peut attribuer
à des Obfervateurs auffi exacts , ce qui
confirme l'opinion de M. Portal. En effet , la
caufe générale , l'irritation exceffive des nerfs,
eft une ; mais les effets de cette caufe varient
fuivant le tempérament des fujets ou
fuivant la manière dont ils ont été traités.
,
M. Portal termine fon Ouvrage par une
notice de tous les Traités , Mémoires , Obfervations
, Remèdes pour la rage , qu'il a
pu découvrir. Les cantharides & les infectes
qui peuvent produire les mêmes effets
dans l'ufage intérieur , lui paroiffent contreindiqués
, malgré la réputation qu'ont eue ces
remèdes chez les Anciens , & qu'ils ont confervée
dans quelques pays. Il feroit utile
Sam. 25 Mars 1780.
H
170
MERCURE
qu'on tentat fur des animaux des expériences
propres à décider abfolument cette quef
tion importante . D'autres , remèdes tels que
les fudorifiques , peuvent auffi mériter d'être
effayés , d'autant plus qu'ils l'ont été avec
fuccès dans plufieurs des autres maladies que
l'on traite avec les mercuriels. Les expérien
ces font difficiles à faire à Paris , & il feroit
peut-être imprudent de les y tenter. Mais
dans les campagnes , où la rage des chiens
eft commune , il feroit facile de les multiplier
fans aucun rifque.
AMUSEMENS variés ou Mélange de
Littérature en profe & en vers , &c. Par
M. d'Offreville , Ecuyer- porte-manteau
de MONSIEUR. A Verfailles , chez Blaiſot,
1780, 1 Volume in- 12 ,
AUTANT le Critique doit mettre de févérité
dans l'examen des Ouvrages qui s'annoncent
avec prétention , autant il doit
d'indulgence à l'Auteur modefte qui ne préfente
au public fes productions que comme
le fruit de fes loifirs.
ا ل
Le livre qui fait l'objet de cet Article ,
eft forti de la plume d'un homme du monde,
qui ne cultive les Lettres que pour fon amufement
particulier , & dans les intervalles
que lui laiffent les fonctions de fon état. En
Te livrant à l'impreffion , l'Auteur déclare
qu'il a cédé aux prières réitérées de fes amis,
qui , ayant rempli une foufcription affez
DE FRANCE. 171'
و د
confidérable , l'ont mis dans l'obligation de
fatisfaire à la fois & à leurs defirs , & à
l'efpèce d'engagement qu'ils avoient pris en
fon nom : il n'attache , dit-il ni la moindre
importance , ni la plus légère pré-
» tention à ſon ouvrage ; » & en le confidérant
fous le même point de vue , on
n'entrera point ici dans un examen bien détaillé
des Pièces fugitives ,tant en profe qu'en
vers , dont il eft compofé. L'incorrection du
ftyle , & la négligence de la verfification ,
indiquent , comme M. d'O.... l'annonce
lui même, qu'il n'avoit pas deftinéfon opuf
cule à franchir les bornes de la fociété particulière
on fe contentera donc de dire
qu'on remarque de la facilité dans fa Poéſie,
& de la liaifon dans fes idées ; & on attendra
, pour le juger , qu'il ait rendu publiques
les productions auxquelles il attachera plus
d'importance.
Mais ce qui peut rendre fon ouvrage véritablement
intéreffant , c'eft qu'il renferme
une lettre du fameux Citoyen de Genève ,
où l'on retrouve l'énergie , le feu , & l'admirable
logique qui caractérisent tous les
écrits de cet homme célèbre.
M. d'O.... a une difcuffion avec un de
fes amis , fur les motifs qui peuvent enga
ger les hommes à faire le bien. Son adver
faire prétend qu'ils n'agiffent que relativement
à leur propre intérêt, & rapportent tout
à eux -mêmes ; l'Auteur penfe au contraire
qu'on doit faire le bien pour le bien même,
Hij
472
MERCURE
& fans aucun intérêt perfonnel ; & il invite
J. J. Rouffeau à juger ce differend , par une
lettre dans laquelle il expofe fimplement
l'état de la queftion .
93
"
Le Philofophe ne diffimule point à M.
d'O.... que fur le fond de la queſtion , il
eft de l'avis de fon adverfaire ; car , dit - il ,
quand nous agiffons , il faut que nous
ayons un motif pour agir , & ce motifne
» peut être étranger à nous , puifque c'eſt
» nous qu'il met en oeuvre : n'eft il pas vrai
» que fi l'on vous difoit qu'un corps eft
pouffé fans que rien le touche , vous di-
» riez que cela n'eft pas concevable ? C'eſt
» la même chofe , en Morale , quand on
» croit agir fans nul intérêt. Mais il faut
expliquer ce mot intérêt ; car vous pour-
» riez lui donner tel fens , vous & votre
adverfaire , que vous feriez d'accord fans
22 vous entendre ; & lui -même pourroit lui
» en donner un fi groffier , qu'alors ce fe-
» roit vous qui auriez raifon.
"2
J. J. diftingue un premier intérêt qui fe
rapporte entièrement au bien être corporel
, à la fortune , à la confidération qu'on
peut acquérir dans le monde , en faiſant de
belles actions : Tout le bien qu'on fait
» pour un tel intérêt , ajoute -t - il , ne pro-
» duit qu'un bien du même ordre , comme
» un Marchand fait fon bien en vendant
» le plus cher qu'il peut. Si je fais l'aumône.
» pour me faire eftimer charitable , je ne
"
DE FRANCE. 173
fuis qu'un March nd qui achette de la ré
putation , &c. »
Le fecond intérêt eft celui qui produit no
tre avantage fans que nous exigions rien
d'autrui ; il eft abfolument relatif à notre
bien -être intérieur , au contentement de notre
ame ; & c'eſt & c'eft pour cela que le Philofophe
le nomme intérêt moral ou fpirituel
, pour l'oppofer au premier , qu'il ap
pelle intérêt fenfuel : c'eft cet intérêt fenfuel
, c'eft cet intérêt qui n'a de tendance
que vers notre bonheur , & qui n'ôte rien
au mérite & à la pureté des actions qu'il inf
pire , c'est lui que l'homme vertueux doit fe
propofer , & qui peut feul le porter aux actes
de vertu qu'il opère.
:
Après avoir établi ſon opinion , J. J. propofe
à fon tour une queftion aux deux adverfaires
il leur cite un fait arrivé en Angleterre.
Douze Jurés font enfermés dans
une chambre pour y juger un Accufé. Suivant
l'ofage du pays , on ne rend point la
liberté aux Juges , on ne leur donne même
pas à manger que le Jugement ne foit prononcé.
Des douze Jurés , onze d'entre eux ,
féduits par des preuves qui leur fembloient
convaincantes , condamnèrent l'Accufé ; mais
le douzième s'obſtine à l'abfoudre , fans préfenter
d'autres motifs de fa conduite , finon
qu'il le croit innocent. Il déclare qu'il eft
déterminé à mourir de faim plutôt que de
porter un Jugement inique. Les autres Jurés
ne voulant pas mourir de faim , fe trouvè-
H iij
174 MERCURE
rent forcés d'en revenir à fon avis , & l'Aeculé
fut abfous. Lorfque l'affaire fut affou
pie , le Juré qui avoit fauvé la vie de l'Ac- ·
cufé , avoua à quelques- uns de fes Collègues,
que c'étoit lui-même qui avoit fait le coup
pour lequel l'autre avoit été traduit en juftice
, & qu'il avoit eu moins d'horreur de
mourir de faim, que de laiffer l'innocent port
ter la peine de fon propre forfait..
Le Philofophe invite M. d'O.... & fon
ami à examiner foigneufement l'état intérieur
de ce Juré , qui n'étoit pas un homme ver
tueux , puifqu'il avoit commis un crime ,
& qui , en outre , avoit intérêt de faire périr
l'Accufé , pour enfevelir avec lui le fou
venir de fon crime.. Il les engage à rechercher
quel intérêt puiffant a pu le déterminer
à courir le double rifque de mourir de faim,
& d'être découvert pour l'auteur du crime.
Ce motiffi impérieux qui le fit agir , fut , fuivant
J. J. , puilé, dans les réflexions qu'il fir
fur fon état à- venir. S'il eût fait périr l'Accufé
, il fe voyoit , le refte de la vie , pourfuivi
par des remords affreux , qui lui auroient
rendu fon exiftence infupportable ,
& dont l'idée feule lui fit préférer la mort.
L'intérêt perfonnel de fon bien - être intérieur
le pouffa donc à faire un acte de bien , en
arrachant l'innocent aux horreurs du fupr
plice. Le Lecteur retrouvera dans cette
lettre , cette force de iraifonnement qui
l'a entraîné fi fouvent à la lecture de fes
-Ouvrages , & cet ordre admirable de
DE FRANCE. 17)
"
""
ود
و د
و د
difcuffion qui jette tant de clarté fur les
queftions qu'il fe propofe de réfoudre .
Voici comment il la termine : Faire
» le bien pour le bien , c'eft le faire pour
» foi , pour fon propre intérêt , puifqu'il
" donne à l'ame une fatisfaction intérieure ,
» un contentement d'elle-même , fans le
quel il n'y a point de vrai bonheur , il eft
» für encore que tous les méchans font miférables
, quel que foit leur fort apparent,
» parce que le bonheur extérieur s'empoi-
» fonné dans une ame corrompue , comme
» le plaifir des fens dans un corps mal fair.
» Mais il eft faux que les bons foient tous
» heureux ; & comme il ne fuffit pas au
corps de fe bien porter pour avoir de quoi
» fe nourrir , il ne fuffit pas à l'ame d'être
faine pour obtenir tous les biens dont elle
" a befoin. Quoiqu'il n'y ait qu'un homme
de bien qui puiffe vivre content , ce n'eft
» pas à dire que tout homme de bien foit
content : la vertu ne donne pas le bonheur
, mais elle apprend à en jouir quand
on l'a : la vertu ne garantit pas des maux
» de cette vie , & n'en procure pas les
biens ; mais elle fait porter plus pa
» tiemment les uns , & goûter plus deli-
» cieufement les autres. Nous avons donc,
» dans tout état de cauſe , un véritable in-
» térêt à la cultiver , & nous faifons toujours
bien de travailler pour cet inté-
2. Kết, s
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ور
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Hiv
176 MERCURE
SPECTACLES.
COUP-D'OEIL fur le travail fait aux trois
Théatres Royaux , pour l'augmentation du
Répertoire , pendant le cours de l'année
dramatique , ( Avril 1779 jufqu'au mois
de Mars 1780. ).
ON fe plaint tous les jours de la négligence
des Comédiens. Avide de nouveautés ,
le Public leur reproche de ne lui en donner
que très- rarement ; impatiens de voir repréfenter
leurs Ouvrages , les Auteurs voudroient
hâter le moment après lequel ils
foupirent ; & tout ce qui femble le reculer,
eft pour eux un motif d'humeur. Il n'eſt pas
difficile de juger jufqu'à quel point font
fondés les torts des uns & les plaintes des
autres. Un tableau fidèle , mis chaque année
fous les yeux du Public , du travail fait à
chacun de nos Théâtres , nous femble fair
pour décider la queftion. Nous allons nous
en occuper fans autre préambule .
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
11 n'en
L n'en eft pas de ce Spectacle comme des
autres. Il eft plus difficile d'y mettre un ouvrage
fur pié que d'en monter quatre ailleurs.
Un Opéra eft une machine immenſe
DE FRANCE. 177
divifée en mille refforts différens qui doivent
tous tendre au même but , & dont l'accord
eft auffi indiſpenſable qu'il eft difficile
à faifir. Des répétitions nombreuſes & fréquentes
peuvent ſeules établir l'enſemble néceffaire
entre les machines , les décorations ,
les choeurs , les ballets , les premiers Danfeurs
, les Acteurs principaux & l'orcheftre.
C'est donc moins fur la multiplicité des ou ~
vrages, que fur le foin relatif à leur plus parfaite
repréfentation , qu'on doit examiner le
travail fait à l'Académie Royale de Mufique.
Nous ne dirons rien des bouffons Italiens.
Nous ne parlerons que de ce qui tient à notre
Théâtre. Quatre grands Drames , Iphigénie
en Tauride , Écho , Amadis & Atys ; deux
Ballets d'action , Mirfa & Médée , telles font
les nouveautés qu'on a vues à l'Opéra dans
le cours de l'année dernière. La première &
la dernière Tragédie ont été mifes & exécutées
avec beaucoup d'intelligence ; nous ne
dirons rien d'Écho , les Auteurs y ont fait
des changemens confidérables , dont le Public
jugera à la repriſe qu'on en doit bientôt
faire. Quant à l'exécution d'Amadis , elle
étoit au deffous de toute critique. L'ouvrage
, en lui-même, manquoit de chaleur &
d'intérêt ; mais la meilleure production devoit
paroître foible , préſentée avec la négligence
apportée tant aux répétitions qu'aux
repréſentations de cet Opéra. Les deux Ballets
ont été rendus à la plus grande fatisfaction
des Amateurs. Detrois petits Actes remis,
-
Hv
178 MERCURE
Théodore , Vertumne & Pomone , Euthyme
& Lyris ; la remife du premier a feule eu
quelque fuccès ; celle des deux autres a fait
murmurer tout le monde.
Nous placerons ici quelques réflexions fur
notre Académie Royale de Muſique , & fur
le talent des deux célèbres Muficiens qui , en
travaillant pour nos plaifirs , divifent tant
d'efprits , & font naître tant de querelles.
Comme nous parlerons fans paffion , nous
ne comptons pas fur un grand nombre d'approbateurs
; car maintenant , pour avoir une
exiftence dans les Arts , être jufte n'eſt pas un
titre , il faut être enthousiaste & prôneur.
Qu'est- ce que l'Opéra ? Un Théâtre où l'on
doit parler à l'efprit par le charme & la jufteffe
de la penfee , par l'élégance & l'heureux
choix des expreffions ; aux yeux , par la
pompe du Spectacle , le jeu rapide des machines
& la magie des décorations ; à l'oreille ,
par une diftribution bien entendue de tous
les effets qui résultent de l'harmonie & de
la mélodie ; à l'ame enfin , par des fituations
intéreffantes fans être forcées , & par des
accens auffi rapprochés de la vérité que les
-conventions de l'Art le permettent. Si nous
ne nous trompons pas , ces quatre points bien
obfervés doivent former le meilleur ouvrage
lyrique reconnu poffible jufqu'à préfent.
Nous dirons plus à quelques exceptions
près attachées à la nature des fujets , fans
le concours de ces quatre moyens effentiels ,
L'objet d'un ouyrage lyrique ne peut être
DE FRA N. C E. 179
parfaitement rempli , & tous les fujets ne
font pas fufceptibles d'être traités pour un
théâtre tel que celui de l'Opéra , par exemple
, la Tragédie proprement dite ; cari ,
quoique nous foyons perfuadés que c'eſt une
entrepriſe tout à la fois vaine & ridicule
que de vouloir fixer , fans s'écarter de
l'art , les nuances qu'exigent les grandes
paffions qu'on doit y peindre ; en fuppofant
que cela foit pu Tible , de deux chefes
l'une : ouil en faudra baunir tous les acceffoires
relatifs à un Opéra ; alors ce ne fera qu'un
Ouvrage qui , en laiffant beaucoup à defirer,
fera étranger au Théâtre de Polymnie ; ou
leur admiffion rallentira la marche &
l'intérêt du Drame. L'Auteur de l'Opéra
d'Iphigénie en Aulide paroît avoir été
convaincu de ces vérités , & M, Gluck
répondu aux intentions du Poëte , de manière
à perfuader qu'il les a fenties aufli vivement
que lui . Pourquoi donc , après le
fuccès d'une production qui avoit concilié
à cet illuftre Compofiteur les fuffrages des
Muficiens , des gens de goût , & de ceux
qui connoiffent la machine de notre Opéra
François , a- t-il quitté la route qui lui avoit
été fi glorieuſe ? Pourquoi l'a- t-on préſenté
comme le feul homme digne de le faire
entendre à des êtres bien organifés ? Pourquoi
a-t- on cherché à écarter de la carrière
des gens d'un vrai mérite , & dont l'Europe
entière attefte les talens ? C'est qu'ici tous
les goûts font extrêmes & exclufifs ; c'eft
a
Hvj
130 MERCURE
·
que M. Gluck a pris pour le voeu de la
Nation , les affertions exagérées de fes
partifans. Nous lui avons , fans doute 2
beaucoup & de très grandes obligations.
Sa touche eft quelquefois dure & âpre ,
mais fon ftyle eft prefque toujours rapide ,
fier , mâle & vigoureux ; il court à l'effet ,
il le hâte. Dans les fituations pathétiques,
fes accens font vifs & animés , il émeut
l'ame , il l'entraîne. Heureux , fi de tems à
autre , il ne lui faifoit pas éprouver des fecouffes
trop violentes , comme fa Tragédie
d'Iphigénie en Tauride pourroit en fournir
plus d'une preuve. Ses Choeurs font bien
conçus ; ils ont de l'action & de la vie.
Doué d'une adreffe & d'une intelligence
rares , il fait rejeter à propos dans fon
Orchestre ce qu'il n'a pu faire entièrement
exprimer par le perfonnage chantant , &
fes accompagnemens fe rapportent toujours
à ce qu'il veut peindre *. La mélo- ,
die ne lui eft pas non plus étrangère : le
rôle d'Iphigénie en Aulide en donne un
exemple d'autant plus convaincant , qu'on
* Nous n'entendons point parler des morceaux
que M. Gluck a compofés dans les pays étrangers ,
& qu'il a placés dans fes Opéras François , comme
le premier air du quatrième Acte d'Iphigénie en
Tauride ,je t'implore & je tremble , 6 Déeffe implacable
! dont les accompagnemens ne nous paroiffent
pas parfaitement d'accord avec les idées que le Poëte
a prêtées à Iphigénie ; & quelques autres que l'on
pourroit citer.
DE FRANCE. 18
peut , d'un bout à l'autre , le regarder comme
un chef-d'oeuvre ; mais il dédaigne trop
fouvent d'en faire ufage , & de parfaire fon
motif , fi nous pouvons employer cette expreffion.
Ce que l'on remarque le plus fouvent
en lui , c'eſt le facrifice qu'il fait d'un
art à l'autre , c'eft - à-dire , de la Mufique à
la marche dramatique. Si c'eft une faute ,
il faut convenir qu'elle peut porter fon excufe
avec elle auprès de la plus grande
partie des fpectateurs dont , par ce moyen,
il fixe l'attention , & qu'il force , pour ainfi
dire , à fuivre avec lui l'action dont il eft
fans ceffe occupé. Tant & de fi brillantes
qualités ort dû lui acquérir une foule d'admirateurs
, même parmi ceux qui ont le
mieux fenti fes défauts ; & nous croyons
que c'est avec juftice qu'on l'a regardé
comme un homme de beaucoup de génie.
Mais n'eft-il pas poffible d'être agréable &
intéreffant avec d'autres moyens que ceux
adoptés par M. Gluck ? Nous en fommes
perfuadés. M. Piccini eft moins dramatique
que l'Auteur d'Armide ; il va plus lentement
à fon but. Son chant eft quelquefois coupé
par des traits de fymphonie qui en fufpendent
& en altèrent le fens. Moins vigoureux,
mais plus doux , plus tendre , plus fenfible ,
c'eft après avoir enchanté l'oreille par les
charmes de la mélodie , qu'il vient émouvoir
le coeur. Son ftyle toujours pur , élégant
& facile , n'eft pourtant pas incapable
de s'élever jufqu'aux plus grandes beautés
182 MERCURE
du tragique . Nous ne citerons que le morceau
ajouté à la fin du troifième Acte de
Roland , morceau qui réunit le double mérite
de joindre l'expreflion la plus pathétique
& la plus vraie , à l'obſervation la
plus exacte des règles de l'art . On peut lui
faire un reproche oppofé à celui qu'on a
fait à M. Gluck ; c'eft de négliger quelquefois
la rapidité que la Scène exige , pour
déployer la richeffe & toutes les relfources
de fon génie mufical ; mais bien des gens
prétendent qu'au théâtre de l'Opéra , un pareil
facrifice doit être approuvé , quand il eft
fait de manière à rendre en mélodie la portion
de plaifir qu'auroit donnée la chaleur de la
Scène. Il faut obferver d'ailleurs qu'à peine M.
Piccini entendoit la langue Françoife , qu'à
peine il avoitune idée de notre Théâtre , quand
il compofa fon premier ouvrage ; & que , chaque
jour , ajoutant aux connoiffances qu'il
doit déjà en avoir acquifes , on a le droit d'efpérer
beaucoup des compofitions dont il s'oc
cupe : & que ne doit- on pas attendre d'un
homme de fon mérite, quand il marchera dans
une route qui lui fera devenue plus familière !
Sans doute il n'acquerra jamais la manière de
fon célèbre émule , & tant mieux pour nos
jouiffances ; nous admirerons dans M. Gluck
le Crébillon de la Mufique ; & peut-être quelque
jour trouvera- t'on , pour M. Piccini , un
objet de comparaiſon auffi flatteur & auffi
mérité. ( L'étendue de cet article nous force
à remettre au prochain No. ceux des Comédies
Françoife & Italienne. )
DE FRAANNCE. 183
ACADÉMIE S.
SÉANCE de l'Académie de Bordeaux
du 24 Février 1780.
L'ACADÉMIE de Bordeaux , qui compte le
célèbre Montefquieu
parmi fes Inftituteurs
a tenu le 24 Février une Séance que plufieurs
circonftances
doivent rendre très - remarquable.
-
M. le Préfident de Loret ouvrit la Séance ,
en qualité de Directeur , par un Difcours
fur l'influence de la Phyfique expérimentale
fur les Sciences & fur les Arts. Ce fujet
choifi , & traité par un Magiftrat d'un âge
très-avancé , eft peut être une forte preu
ve du progrès que font tous les jours les
lumières. Il n'y a pas vingt ans encore qu'un
Magiftrat n'auroit pas pu parler de Phyfique
fans être accufé de négliger l'étude des Lois..
On fait aujourd'hui qu'un efprit fait pour
embraffer dans toute fon étendue une bran-.
che de nos connoiffances , ne peut guère
s'empêcher de porter fes vues fur les autres.
M. Blanc , Lieutenant Particulier des Eaux
& Forêts , lut enfuite un Difcours fur le bon
& mauvais emploi du Mouvement. Montagne
a dit , en parlant de l'homme , le Mouvement
eft fa vie & fa grâce. M. Blanc a fait
voir que le bonheur de l'homme dépend du
plus ou du moins de mouvement qu'il donne
à fes facultés phyfiques & morales; il éten
184 MERCURE
dit ce principe aux États , & prouva que
leur profperité en dépendoit comme le bonheur
des individus. En un mot , dans ce Difcours
, dont le titre & le fujet paroiffent
d'abord très-vagues , M. Blanc développa
des vues profondes & intéreffantes , & il
obtint le fuccès très-rare de faire compren
dre & applaudir des idées métaphysiques à
une multitude affemblée.
Don Carrère , Bénédictin › prononça
l'éloge de Don Bedos , connu par la perfection
que l'orgue doit à fon induftrie & à fes
connoiffances. On écouta avec intérêt l'éloge
d'un Religieux qui a employé à perfectionner
un inftrument de mufique , les loifirs
que fes Confrères emploient communément
à tirer de vieilles chartes de la pouflière , &
à porter quelques pierres de plus dans les
décombres de la féodalité. On applaudit
beaucoup au moment où Don Carrère parla
des effets que produit l'harmonie pompeufe
de l'orgue dans la célébration de nos Myf
tères.
M. Dupaty , ancien Avocat-Général du
Parlement , prit enfin la parole , & c'eft fur
lui fur-tout que fe réunirent l'intérêt & Pattention
de toute l'Affemblée . Le Public s'attendoit
à lui entendre lire l'introduction
d'un ouvrage fur les principes de la Juftice
Criminelle , auquel ce Magiftrat travaille
depuis plufieurs années ; mais il annonça
d'abord que des circonftances qui l'avoient
obligé de fufpendre tous fes travaux , ne lui
DE FRANCE. 185
ans ,
avoient pas permis de mettre cette introduction
en état d'être lue à une Affemblée
publique. Il n'y eut perfonne qui ne parut
très-affligé de ce que ces circonftances malheureuſes
, trop connues de tout le monde ,
détournoient un Magiftrat Philofophe de
travaux fiintéreffans pour l'humanité entière.
M. Dupaty lut enfuite la traduction d'un
Chapitre de l'effai fur l'Hiftoire de la Société,
par Ferguffon , Écrivain Anglois . A ce
fujer , il rappela qu'il avoit paru , il y a deux
une excellente Traduction de deux
Chapitres du même ouvrage , par une Dame.
Il ne la nomma point ; mais comment eûtil
été poffible de ne pas la reconnoître lorfque
M. Dupaty ajouta que , liée à un grand Miniftre
par l'union la plus affortie , elle partage
fes vertus & fes talens , dont elle eft la
plus digne récompenfe ; que les foins de la
felicité publique , auxquels ils fe font confacrés
tous les deux , font les devoirs de l'un
& les plaifirs de l'autre ? M. Dupaty traça
quelques traits plus particuliers encore du
caractère & des talens de ce Miniftre , qui
foulage le peuple du poids du Gouvernement
, dans des temps mêmes où le peuple
s'attendoit à y voir ajouter le poids d'une
guerre ; quil, plein des grandes vues de l'adminiftration
, les exécute toujours , parce
qu'il trouve des moyens ingénieux pour leur
exécution ; qui a fait prendre de nouvelles
´routes aux richelles de l'État , avant de détruire
les canaux qui les abforboient ; qui
186 MERCURE
enfin , réduit au filence ou force même à
Peftime , jufqu'à ceux qui trouvoient leur
fortune dans les abus qu'il a fupprimés ;
éloge que lui feul a mérités, peut- être, parmi
tous les Adminiftrateurs.
,
Les applaudiffemens contenus avec peine
jufqu'à la fin de ce morceau éclatèrent
enfin avec des tranfports redoublés , & fe
partagèrent entre le Miniftre qui venoit de
recevoir cet hommage , & le Magiftrat Orateur
qui le lui avoit rendu. Les bons Citoyens
fe réjouirent fur- tout de voir les vues
nouvelles d'un Adminiftrateur applaudies
par un Magiftrat , par un Membre de ces
Corps dépofitaires des idées antiques fur
l'adminiftration.
M. Dupaty fit précéder encore la lecture
de fa Traduction par une courte notice fur
l'Auteur de l'ouvrage , fur M. Ferguffon . Il
finit cette notice par ces mots : enfin M. Ferguffon
a été aimé & eftimé , MEME DANS
SA PATRIE. A ces mots , & à l'accent douloureux
dont M. Dupary les prononça , le
Public crut entendre la plainte d'un homme
de bien , à qui on avoit fait craindre d'être
méconnu lui-même dans fa Patrie. Des acclamations
& des applaudiffemens univerfels
lui donnèrent à l'inftant même tous les
fuffrages du Public ; & jamais la voix du
peuple ne s'eft juftifiée d'une manière plus
éclatante & plus touchante d'une de ces injuftices
, dont on l'accufe plus fouvent en
core qu'elle n'en eft coupable.
4
DE FRANCE.
187
L'Auteur de cet Article fe rappelle d'avoir
entendu dire plus d'une fois à un Membre
que l'Académie de Bordeaux vient de perdre ,
que Montefquieu y reçut un jour les mêmes
hommages de fes Concitoyens , dans un
moment où les expreffions de leur recon-
` noiffance étoient devenues également néceffaires
à fon coeur. Il y avoit près d'un an que
l'Efprit des Lois avoit paru. L'Europe n'avoit
pas encore eu le temps de prononcer
que jamais le génie n'avoit créé d'ouvrage.
qui pût être plus utile au bonheur des hom²
mes ; mais une foule de Journaliſtes & d'ennemis
de la vérité , avoient eu le temps de
décrier l'ouvrage & de calomnier l'Auteur.
Les uns difoient qu'ils n'avoient trouvé que
des épigrammes dans l'Efprit des Lois ; les
autres , que Montefquieu ne s'élevoit jamais
au ton de la véritable éloquence ; & que
fa manière sèche , entortillée & néologique ,
dégradoit la majefté de fon fujet. L'homme
qui avoit conçu & exécuté l'Efprit des Lois
n'étoit pas fair , fans doute , pour fe rabaiffer
à la lecture des feuilles de ces Journa
liftes *; mais il fut obligé de lire ceux qui
* Des hommes de talent n'ont pas craint de défendre
quelquefois . leurs Ecrits contre des critiques
femblables. Tout le monde a fenti qu'ils honoroient
trop leurs ennemis, & qu'ils fe rabaiffoient trop euxmêmes
: on ne voit guère plus de ces combats du
génie contre la fottife , & de la vertu contre la baffeffe.
Ceux qui aiment à remarquer ce qui honore
les talens , doivent avoir obfervé que jamais les pre188
MERCURE
l'accufoient à la fois de déifme & d'athéifme';
ceux qui lui faifoient un crime , & de n'a
voir pas parlé avec reſpect de quelques - unes
de nos Lois barbares , & d'avoir fait l'éloge
de la Conſtitution d'Angleterre ; tous ceux ,
en un mot , qui vouloient prouver à la
miers hommes de notre Littérature n'ont été en
butte à des diffammations plus calomnieuſes , à des
critiques plus infolentes & plus abfurdes ; & que
cependant jamais ils n'ont oppofé un filence plus
courageux & plus conſtant aux injures de leurs détracteurs.
On ne confond pas des gens qui ne font
plus fenfibles à la honte ; mais il y auroit peut - être
un moyen , fans inconvénient de dévoiler toute
l'injustice & l'abfurdité de ces critiques , aux yeux
même de ceux qui ne rougiffent pas de fe déclarer
de leur parti ; ce feroit de tirer leurs feuilles de la
pouffière , lorfque le temps & l'opinion des Hommes
de Lettres ont fixé la place des ouvrages ; on verroit
alors que des ouvrages qu'ils ont dénoncés à l'autorité
, comme deftinés à corrompre les moeurs & à
renverser les Lois , ne font plus connus que par l'admiration
& la reconnoiffance des peuples dont ils ont
adouci les moeurs , perfectionné les Lois , & augmenté
le bonheur ; que des Difcours ou des Poëmes
qu'ils ont voulu profcrire , comme funeftes au bon
goût , & oppofés aux grands modèles , fervent de
modèles à leur tour , & donnent au bon goût qu'ils
ont étendu , des jouiſſances qui lui étoient inconnues.
Si ces Critiques comparoient eux-mêmes de temps
en temps ce qu'ils ont écrit avec ce qu'ils voient , ils
pourroient avouer qu'ils reffemblent parfaitement à
ce Juge qui , en fe couchant , condamna un homme
à être pendu ; & qui , en ſe réveillant le lendemain ,
apprit que cet homme étoit fur le trône.
DE FRANCE. 189
4
France que Montefquieu étoit un mauvais
Citoyen & un homme fans religion.
L'Auteur de l'Eſprit des Lois , pourſuivi
encore de ces clameurs , après les avoir confondues
, étoit allé chercher le repos dans fa
Terre de la Bréde *. Il voulut affifter un
jour à une Séance publique de l'Académie
de Bordeaux : à peine fes Concitoyens l'eurent
apperçu parmi les Académiciens , que
fon nom mêlé au bruit des applaudiffemens
, remplit à l'inftant toute l'Affemblée.
Les Académiciens qui avoient déjà pris leurs
places , fe levèrent eux-mêmes devant cet
homme de Génie perfécuté : il refta feul
affis . Le trouble & le faififfement dont il fut
pénétré lui ôtèrent la force de fe lever de
fon fauteuil. Quel moment ! & fi le malheur
le plus affreux & le plus commun aux
grands Hommes eft d'être perfécuté par leurs
Concitoyens , qu'il doit leur être doux &
confolant de trouver un afyle contre la perfécution
dans le fein même de leur Patrie !
( Cet Article eft de M. Garat, )
* Le repos d'un homme de génie n'eſt jamais
de l'oifiveté. Dans fa Terre de la Bréde , Montef
quieu s'occupoit alors à faire des analyfes raifonnées
des premiers volumes de M. de Buffon. Il lifoit ces
analyfes à l'Académie de Bordeaux. Montefquieu fe
repofant de fes derniers travaux dans l'examen des
premières productions du génie de M. de Bouffon ,
me paroît une époque remarquable dans l'Hiftoire de
la Philofophic.

199
MERCURE
GRAVURES.
LEjour , ou le départ de la Mariće ; la nuit , où
' la
la foirée de la Mariée ; le Dangereux Modèle ;
Fille furprife. Ces quatre Eftampes , gravées par
M. Patas , d'après les deffins de Eiſen & de Queverdo,
fe vendent à Paris , chez Crépy , rue S. Jacques ,
près celle de la Parcheminerie ; & en Province , chez
les Marchands d'Eftampes. Prix des deux premières ,
4 liv. la pièce ; & les deux autres , 3 liv. la pièce.
En 1767 , il parut fur les mêmes fujets quatre Eftampes
gravées
d'après
les tableaux
de feu M.
Baudouin
, par deux Artiftes
célèbres
, MM . Choffard
& Moreau . M. Eiſen compofa
deux deffins relatifs
au même fujet , mais fur un plan différent
. Il y employa
le coftume
en faifant
paroître les perfonnages
qui doivent
tenir le premier
rang à cette fête , de
manière
que le tout enfemble
forme un coup-d'oeil
agréable
. Il s'agiffoit
alors de compoſer
deux autres
deffins pour faire fuite aux deux fujets gravés par
Choffard ; M. Queverdo
en fut chargé, & ces quatre
deffins font honneur
à fes talens.
I
On trouve à Paris , chez David , Graveur , rue
des Noyers , vis-à- vis celle des Anglois , la première
&feconde Vue de l'Ile de la Grenade , d'après F.
Kobell. Prix , 1 liv. La première & feconde Vue des
environs de Dunkerque , d'après Vernet. Prix , 1 liv.
Les Trois Coufines , d'après Bartholomé-Bréemberg.
Prix , 1 liv. Ces cinq Eftampes font de même grandeur
, elles portent 8 pouces de largeur furs de
Jaauteur.
Deux petits Planifphères célestes , l'un de 14
pouces de diamètre , en feuille , enluminé , avec une
inftruction relative à l'hémisphère fupérieur d'une
DE FRANCE. ror
"
petite Mappemonde . Prix , 3 liv ; le même enluminé ,
monté, prêt à s'en fervir , 6 liv . L'autre Planifphère
des pouces de diamètre , en feuille & enluminé ,
avec la même inftruction & la même Mappemonde
1 liv. 15 fols . Le même enluminé , monté , prêt
s'en fervir , 4 liv. 10 fols , par le P Chryfologue,
Capucin . A Paris , chez Mérigot l'aîné , Libraire ,
quai des Auguftins ; & chez Perrier & Vernier,
Géographes , à l'hôtel de Soubife
ANNONCES LITTÉRAIRES.
F
RANÇOIS DE BEAUVILLE , nouvelle Françoife ,
in- 8 °. Tome II , No. 9. A Paris , chez Brunet ,
Libraire , rue des Ecrivains. Le 10 N °. paroîtra inceffamment.
Indication des Ouvrages & Pièces de Légiflation ,
relative à la faifie des Bâtimens Neutres , par M.
Groult. in- 8 ° . Prix , 12 fols. A Paris , chez Lottip
l'aîné , Imprimeur-Libraire , rue S. Jacques.
Hiftoire de Laurent Marcel , ou l'Obfervateur
fans préjugés. 4 vol . in- 12 . A Paris , chez Laporte ,
Libraire , rue des Noyers.
Catalogue Raifonné d'une Collection de Minéraux ,
Cryftallifations , Pétrifications , Coquilles & autres
objets d'Hiftoire Naturelle , dont la vente fe fera à
Paris , le 21 Février 1780 , à l'hôtel d'Aligre , rue
S. Honoré. Vol. in- 8°. A Paris , chez Didot le jeune ,
Imprimeur- Libraire , quai des Auguſtins.
Réponse aux Réflexions fur Suger & ſon ſiècle ,
par M. l'Abbé .... Avocat en Parlement. in- 8 °
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
Tableau Hiftorique & raisonné des Epidémies
192
MERCURE
Catharrales , vulgairement dites , la Grippe , depuis
1510 jufques & y compris celle de 1780 , avec l'indication
des traitemens curatifs & des moyens propres
à s'en préferver , par M. Saillant , Docteur en Médecine.
A Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur-
Libraire , Quai des Auguftins ; & chez Defaint ,
Nyon & Méquignon , Libraires. in- 8 ° . Frix , 1 liv.
fols. 4
L'expreffion Muficale mife au rang des Chimères ,
par M. Boyé . in- 8 ° . A Paris , chez Eſprit , Libraire ,
au Palais Royal ; & chez la Veuve Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques.
Suite des Livres qui fe trouvent chez Baftien
Libraire , rue du Petit-Lion.
1°. Correſpondance d'un Jeune Militaire , ou Mémoires
du Marquis de Luzigny. Deux Parties in- 12 .
2º. Sophie , où Lettres de deux Amies , recueillies
& publiées par un Citoyen de Genève. Deux Parties
in-8 °. 3. Hiftoire du grand Pompée , par M. Molines
. Deux Parties in- 12 . 4 ° . L'Indifcret , ou Avantures
Parifiennes . Vol. in- 12.
0
TABLE.
DE de Métaftafe ,
Vers sur la Mort de M.
Couêdic ,
Enigme & Logogryphe
L'Abailard Supposé ,
145 Observations sur la Rage , 168
du Amusemens variés , 170
148 Académie Roy. de Mufiq. 176
Séance de l'Académie de Bor
deaux ,
149
Iso
Discours qui a remporté le prix Gravures
dela Société Royale d'Agri- Annonces Littéraires ,
culture de Soiffons , 159
APPROBATIO N.
183
190
191
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 25 Mars. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Pasis,
10 14 Mars 1780. DE SANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , les Janvier.
LECapitan-Bacha qui a été occupé l'année
dernière à rétablir l'ordre en Morée , va l'être
cette année à calmer les troubles de l'Egypte ;
on travaille déja depuis quelques jours à
l'équipement de la flotte avec laquelle il doit
mettre en mer au printems prochain . Il
mènera avec lui des forces fuffifantes pour
mettre à la raifon les Beys qui gouvernent
cette Province , & qui , pour s'affranchir de
toute dépendance , ont maffacré Ifmaël- Bey
que le Grand-Seigneur avoit envoyé en Egypte
revêtu de la dignité & de l'autorité de Bacha ,
le même qui avoit été ici pendant plufieurs
années à la tête du département des affaires
étrangères.
Le Fameux Gianikli Ali Bey eft maintenant
à Caffa où il s'eft mis fous la protection du
Kan des Tartares. On avoit dit que celui - ci
avoit intercédé pour lui auprès de la Porte ;
mais cette nouvelle ne s'eft pas confirmée.
On croit que Gianikli Aly n'a pas de meilleur
moyen à employer pour appaifer S. H. , que
4 Mars 1780.
a
2 )

de faire le facrifice de 3 ou 400 bourfes que
les circonftances actuelles & l'épuisement du
tréfor feroient recevoir fans doute volontiers,
Ileft arrivé deux nouveaux navires Ruffes ,
venant de la mer Noire & allant à Smyrne ,
avec une cargaifon dont le fer faifoit la principale
partie. Comme c'eft une des marchan
difes qui ayant été importées dans ce port ne
peuvent en fortir fans le confentement préalable
du Gouvernement , le Grand - Douanier
exigea qu'on déchargeât ces navires. L'Envoyé
de Ruffie en a porté des plaintes , & la Porte ,
fans décider la queftion du droit réclamé par
les Ruffes , a permis que ces vaiffeaux continuaffent
leur route , & ne s'eft point déclarée
fur la liberté indéfinie pour l'avenir :
elle paroît craindre qu'une conceffion formelle
n'ait des fuites dans le cas où la difette
fe feroit fentir dans cette capitale ; il eft cependant
évident que dans ce cas tous les
navires venant de la mer Noire , chargés de
comeftibles , préféreroient de les décharger
à Conftantinople , où ils en trouveroient un
débit sûr , à l'embarras de les porter plus loin
avec la certitude de les vendre moins,
RUSSIE,.
De PÉTERSBOURG , le 20 Janvier.
ON lit les détails fuivans dans une lettre
de la Ruffie- Blanche .
D'après le dénombrement du Peuple fait dans
cette Province , on compte 1,100,000 ames ,
fans y
(33. )
comprendre la Nobleffe & le Clergé . Les deux Pro
vinces de Pfkow & de Weliki-Louki , qui appartenoient
à cet Empire avant le démembrement de la
Pologne , n'en contenoient que 210,473 ; de forte
que la partie de ce Pays qu'on vient d'acquérir , en
renferme 890,000 . En doublant ce nombre , on aura
à-peu- près le total des habitans de la Ruffie - Blanche.
Selon les règlemens faits par l'Impératrice ,
chaque Bourgeois paiera un rouble & 20 copekes ;
chaque Juif demeurant dans une Ville , autant ; &
ceux qui font établis dans les villages , la moitié.
Chaque Payfan eft taxé à 70 cope kes & à une portion
de grains , qu'il donnera pour l'entretien des
Poftes. On perçoit pour le droit de brûler de l'eaude-
vie dans les Villes , un rouble so copekes ; &
dans les Villages , so copekes feulement.
On annonce dans le fupplément au calen
drier géographique de cette ville l'apparition
d'une comète dans le cours de cette année
& de la prochaine . D'après la table du Profeffeur
Lexell qui indique les degrés de longitude
& de latitude qu'elle parcourra dans
le ciel , elle fera vifible depuis le mois de
Mai 1780 jufqu'à la fin d'Avril 1781. Si ce
calcul eft exact , on aura fans doute tout le
tems de la voir & de l'obferver.
"
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 25 Janvier.
On parle beaucoup ici d'un évènement
extraordinaire dont on fera fans doute bien
aife de trouver ici les détails.
» Un Soldat des Gardes à pied , nommé ' Goſſ ,
travaillant chez le fieur Knaut , maître Fontainier de
a 2
( 4 )
cette Capitale , defcendit le 2 Décembre dans le
puits d'un Boulanger où il s'agiffoit de mettre quelques
poutres , & dont , d'après une inſpection faite
la veille , la charpente du haut avoit paru affez
bonne. Pendant qu'il travailloit , les quatre côtés du
puits s'affaiffèrent à la fois , & le couvrirent de terre
& du refte de la charpente. Heureufement les poutres
en tombant s'étoient croiſées , & lui formèrent une
efpèce de voûte fous laquelle il reſta ſans être bleſſé.
Le Fontainier témoin de l'accident prit la fuite ,
laiffant un autre foldat feul , hors d'état de fecourir
fön, camarade. Le Boulanger qui furvint , jugeant
que celui qui étoit dans le puits étoit écrasé , ramena
l'autre aux cafernes . En vain le Major fit ordonner
au Boulanger d'employer tous les moyens
poffibles pour délivrer le malheureux mort ou vif;
on offrit auffi vainement vingt ducats de récompenfe
aux fpectateurs qui étoient en grand nombre. Le fils
du Boulanger s'arrangea avec un autre Fontainier
pour cet effet , & lui promit dix ducats . On ne fe
mit à l'ouvrage que le 6. Le 7 , on n'étoit pas encore
parvenu à enlever les décombres. Le Prince
Palatin de Ruffie y envoya des foldats pour accélérer
l'ouvrage ; on enleva beaucoup de terre. A
trois heures après- midi , un foldat defcendit dans
le puits pour parler aux ouvriers . Groff reconnut fa
voix & fit entendre ces mots : Secourez-moi , mes
camarades , je péris , fi vous n'ôtez la terre , fur
tout au milieu du puits où je me trouve. On redoubla
d'activité ; entre cinq & fix heures on le découvrit
; on lui dégagea une main , & on lui paſſa une
chandelle pour lui faciliter les moyens de travailler
auffi à fa délivance. Il demanda une fcie à main
dont il fe fervit autant que les forces le lui permirent
; & aidé par les ouvriers qui étoient au- deffus
il pratiqua une ouverture par laquelle il parvint à fe
délivrer. Le Major lui jetta une ſerviette fur la tête ,
de peur que le grand air ne l'étouffât ; on le retira
>
(5)
avec des cordes ; il fut tranfporté chez le Boulanger
, où les Chirurgiens du Régiment vinrent l'examiner
, & il fut conduit enfuite chez le Major , où
il eft refté jufqu'à fon parfait rétabliſſement. Il a
demeuré quatre jours , quatre nuits & neuf heures
dans le puits , tour courbé , enfoncé dans la terre
jufqu'à la ceinture , ne pouvant dans cette pénible
fituation faire aucun ufage de fes mains . Pendant cet
espace detems , iln'a pu faire d'autres fonctions que
ceile d'uriner deux fois , & le befoin étant précédé
de défaillance & d'une fueur abondante , il a éprou.
vé enfuite une foif ardente avec une amertume à la
bouche , & il rongeoit & fuçoit la pourriture du
bois dont il étoit environné. Il avoit mangé avant
d'entrer dans le puits , un peu de pain avec trois
pommes ".
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le s Février.
LA Cour a pris le 30 du mois dernier le
deuil à l'occafion de la mort de la Princeffe
Douairière de Pruffe , née de Brunſwick
Lunébourg ; elle le portera 15 jours.
On a préſenté à la Cour le plan de trois
nouvelles fortereffes qu'on fe propoſe d'élever
fur les frontières de la Bohême ; une à
Pottelberg entre le Comté de Gratz &
Koniggratz ; une à Leutmeritz , au paffage
important entre Prague & Drefde ; & la
troifième à Schermitz où l'on a acheté pour
cet effet une terre du Prince de Paar. On dit
que ce plan a été déja remis à une commiſſion
militaire qui doit l'examiner ; elle fera préfidée
par les Felds - Maréchaux de Haddick ,
a 3
( 6 )
de Lafcy & de Laudohn . On ajoute qu'on a
déja calculé les frais néceffaires pour l'exécution
de ce projet , le tems qu'il exigera , ainfi
que le nombre des canons , des mortiers &
des troupes deftinés à défendre ces fortereffes .
Nos alarmes , écrit-on de Trieſte , au fujet
de la maladie des bêtes à cornes , ne font point encore
diffipées ; elle peut devenir d'autant plus funefte
au commerce , qu'elle étend fes ravages aux chevaux
fi neceffaires pour les tranfports . Elle a emporté
à la vérité peu de beftiaux dans nos cantons
, mais elle a fait beaucoup de mal dans l'Iſtrie ;
on fait qu'elle s'eft manifeftée en Stirie , & qu'elle a
caufé beaucoup de dégâts dans les cercles de ce
Duché. Heureufement les Provinces voifines , telles
que la Carinthie , la Carniole , la Hongrie , la
Croatie , ont pris des mefures fi fages qu'elle ne
s'eft point étendue au- delà des frontières «.
De RATISBONNE , le 8 Février.
LES vacances du Carnaval doivent durer
*jufqu'au 14 de ce mois , felon la réfolution
prife par la diète dans fa dernière affemblée
du 28 du mois dernier. Les Envoyés dès
Maifons Electorales de Saxe & de Brandebourg
ayant preffé le Directoire de Mayence
de mettre fur le tapis l'affaire de l'acceffion
de l'Empire au traité de Tefchen , il a
été répondu qu'on feroit tout ce qui étoit
poffible pour en hâter la propofition ; on
ne doute point qu'on ne s'occupe à en déterminer
le jour dans la première affemblée ,
& plufieurs perfonnes croient que ce fera
le 21 de ce mois qui fera choifi. Comme
les fuffrages des Comtes en Franconie &
( 7)
en Weftphalie pourroient occafionner des débats
, parce que l'alternation de leurs Miniftres
n'eft pas encore décidée , les Envoyés
Proteftans ont propofé au Baron de
Borie , Envoyé Directorial d'Autriche , de
fufpendre pour cette fois le fuffrage des
Colléges des Comtes en Weftphalie à
condition que la qualité du fuffrage Proteftant
en Franconie feroit reconnue ; mais
cette propofition , dont le but étoit de lever
tous les obftacles à la ratification du
traité de paix de Tefchen , a été rejettée.
>
L'Electeur Palatin vient de faire remettre
à l'Electeur de Saxe 1 500 mille florins , pour
le premier terme de la fomme de 6 millions
, qu'il doit lui payer , fuivant la difpofition
du dernier traité de paix.
Pour remédier à plufieurs abus qui s'étoient
gliffés parmi quelques Religieux , écrit on de Spire ,
le Prince-Evêque vient de publier une Ordonnance
remarquable , en date du 20 Janvier dernier. On y
exhorre entr'autres , les Ordres Religieux à mener
une vie régulière ; on leur interdit plufieurs pratiques
abufives ; on leur défend de confeffer perfonne
dans les maifons particulières , fans une permiffion
fpéciale des Curés des lieux refpectifs , & de faire
aucune fonction paftorale «.
L'affaire du fameux Docteur Bahrdt eft
portée à la Diète de l'Empire : ce Novateur
ayant été fommé précédemment par
l'empereur & le Confeil- Aulique , d'abjurer
fes erreurs , de reconnoître la divinité
de J. C. & le mystère de la Trinité , fous
peine d'être banni de l'Empire , a adreſſé
a
2 4
( 8 )

à S. M. I. une espèce de confeſſion , dans
laquelle il fe déclare manifeftement Socinien.
» Tous les Chrétiens , dit-il , font oblig's de
croire & de refpecter les dogmes qui font dans la
Sainte- Ecriture , mais je ne crois pas que l'Eglife ait
le droit de m'obliger à croire des dogmes artificiellement
tirés de la Sainte- Ecriture. Une telle affertion
feroit du moins contraire aux premiers principes
de la Religion proteftante , qui dans l'Empire
eft également dominante avec la Religion Catho
lique , & jouit des mêmes droits & prérogatives ;
car fuivant ces principes , je ne fuis pas obligé de
régler ma foi fur l'autorité d'un homme , mais j'ai
le droit d'examiner tout , & de ne croire que les dog.
mes dont je me fuis convaincu par la Sainte-Ecri
ture ; & ce droit s'étend beauconp plus loin chez les
Docteurs Proteftans , que chez les Membres Laics
de la Religion Proteftante. Comme tel , je fuis Membre
de l'Eglife repréfentante , & par conféquent je
fuis obligé d'examiner les dogmes de mon Eglife ,
& de communiquer le réfultat de mes recherches à
mes Confrères , fi je le crois important ; c'eft ce que
je ferai auffi à l'avenir , & que j'ai déjà fait pour la
première fois devant le Suprême Tribunal de l'Em
pire , par ma confeffion actuelle..
Cette affaire ne peut pas finir d'une ma
nière favorable pour le Docteur ; fes opinions
font contraires aux trois Religions
tolérées dans l'Empire qui les condamnent
également & fe réuniffent pour les profcrire.
ITALI E.
De FLORENCE , le 30 Janvier.
S. A. R. , par une lettre circulaire adreffée
( 9)
à tous les Supérieurs des Couvens de ce
grand Duché , leur ordonne de ne plus permettre
à l'avenir à aucun de leurs Religieux
de fortir feul & fans raiſons légitimes , furtout
à des heures indues , & de fréquenter
les fpectacles & les redoutes. Ils doivent
leur faire fuivre exactement les Conftitutions
& les Règles de leur Ordre , remettre
en vigueur l'étude & l'obfervance Religieufe
, & veiller à ce que les Offices foient célébrés
avec décence. S. A. R. rend les Supérieurs
refponfables des inconvéniens , des
défordres & du ſcandale qui pourroient réſul
ter de la conduite de leurs Religieux.
On mande de Rome qu'en exécution du
Chirographe de S. S. on a paflé le bail emphytéotique
des biens de M. Biſchi , pour
la fomme de 40,000 écus Romains. L'Annone
a rétrocédé ce bail pour 30,000 écus à
M. Septime Bifchi , fils aîné , & pour les
10,000 reftans à la dame Bifchi fa mere ,
fous la redevance annuelle de 600 écus. Il
eft déclaré dans l'acte que la ligne mafculine
venant à s'éteindre , l'Annone rentrera
dans tous ces biens ; & il eft ftipulé en ou
tre que fa créance eft confervée en entier
fur les mêmes biens.
Selon les lettres de Parme , M. de Poyeul,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
St-Louis , choisi pour être le Gouverneur
du Prince héréditaire , y eft arrivé le 20 de
ce mois , & a été préfenté par le Comte de
Saccco au Souverain , qui l'a fait inſtaller
as
( 10 )
*
le lendemain dans le pofte important qu'il
lui confie.
ESPAGNE.
De MADRID , le 12 Février.:
LES pluies continuelles ont retardé les
couriers du Camp de St-Roch. Nos dernières
nouvelles de Cadix font du 4. de ce
mois , & portent ce qui fuit :
» Hier D Gaſton a mouillé dans notre baie avec
22 vaiffeaux de ligne , dont 3 François ; 3 frégates ,
dont une Françoife , & une flûte Depuis la fortie de
Breft , les vents ont toujours pourfuivi certe flotte ;
elle a effuyé quelques dommages aifés & prompts à
réparer ; ce font les feuls vaiffeaux François qui ont
réfifté aux tempêtes. D. Gafton a laiffé quatre
vaiffeaux au Ferrol fous les ordies de Don de
Arcé.
» Le vent de S. O. eft devenu fi violent depuis le
départ du dernier courier , que toute notre Baie a
' été dans la confternation . Deux vaiffeaux de ligne
ont échoué , l'un paroît fans reffource , on eſpèreide
relever l'autre. Ce malheur nous enlève deux
gros vaiffeaux dans le moment où ils nous étoient
le plus néceffaires . Cependant il nous en reſte aſſez
pour faire face aux Amiraux. Anglois. Don Louis
de Cordova pourra fortir dans deux jours avec 30
à 31 vaiffeaux de ligne on croit qu'il fera joint
par le Héros , vaiffeau François qui revient du Sênégal
. Les difpofitions doivent être réglées ce foir
dans un confeil de guerre qui s'affemble fur ce
-fujet.
Tout ce que nous avons appris du Camp de
Saint Roch le réduit à ceci : les ennemis ont envoyé
Minorque trois vaiffeaux avec quatre frégates ,
qui cfcorteront une partie de leur convoi , & 1000
( 11 )
hommes , ainfi que des munitions pour Mahon.
Nous avons lieu de croire que le vent de S. O he
les a pas laiffé tranquilles dans la Baie de Gibraltar.
Rodney n'en eft pas forti , mais il eft vraifemblable
que fi l'on ne fe preffe pas de le bloquer ,
il profitera du premier vent favorable pour s'échapper.
Nos mains croient s'appercevoir qu'il changera
cette nuit ce.
Nous ne doutons pas à préfent que D.
Louis de Cordova ne foit forti avec tous
les vaiffeaux ; ceux de D. Gaſton n'avoient
befoin de reparations que dans la petite mâture
. La Cour laiffe le Général maître d'attaquer
les Anglois dans la Baie ou de les attendre
au Détroit . Le Confeil de Guerre a
dû décider le parti que l'on prendroit à cet
égard. Nous attendons les premières nouvelles
avec la plus grande impatience.
» Nous
comptons
, écrit-on d'Algéfiras
, en date
du 29 Janvier , 23 vaiffeaux
de ligne Anglois
dans
la Baie , dont 3 à trois ponts , montés par les Ami- raux. Il y a avec eux 5 frégates. Ils font mouillés depuis l'Arfenal
- Rouge jufqu'à
la pointe d'Europe
.
L'Amiral
a placé en avant un vaiſſeau
& trois fré- gates de garde , chargés
de vifiter tout ce qui paffe
le Détroit
. On ne voit flotter le pavillon
Elpagnol que fur le vaiffeau
le Phénix , où il a été confervé par honneur
. Les prifonniers
qu'on nous a envoyés nous apprennent
que l'Amiral
a donné au plus gros
vaiffeau
de la Compagnie
de Caraque
, le nom de
Prince Williams
Barcelo
n'a plus aucune inquié- tude furle fort de fa petite efcadre
. Il a placé à terre
19 canons & quelques
mortiers
. Une forte eftacade de gros cables & de futailles
ferme l'entrée du Port,
& aboutit
à l'Ile de Patmos
, de manière
que nous -ne craignons
ni les brûlots , ni les autres tentatives
6
( 12 )
qu'on pourroit faire de nuit ; car il n'y a pas appa
rence , vu notre pofition , qu'on haſarde de nous attaquer
de jour. L'armée de terre ne s'eft appliquée
qu'à garnir & à augmenter les batteries qui dominent
une partie de la Baie ; elles pourroient être fort
utiles , fur- tout fi le vent du S. O. , qui commence
à fouffler avec violence , forçoit les ennemis à changer
de mouillage. On a appris qu'il y a 3000 hommes
fur la flotte Angloife. L'Amiral a voulu les
débarquer ; le Gouverneur s'y eft oppofé , en diſant
qu'il a affez de monde , qu'il ne veut point de bouches
inutiles , & qu'il n'a befoin que de vivres & de
munitions de guerre , dont il peut manquer. Les
prifonniers débarqués dernièrement à Puente Mayorga
, avoient éte bleffés par le feu qui prit aux
gargouffes fur le vaiffeau la Princeffe ; ils n'avoient
pas encore été panfés. Le même bâtiment ennemi
amena encore 109 hommes le lendemain
la plupart malades. On dit que les ennemis , après
s'être réparés , comptent failer quelques vaiffeaux
dans la Méditerranée , & faire voile enfuite partic
pour l'Amérique , partie pour l'Angleterre «<,
On apprend de la Corogne que le Commodore
Paul-Jones , qui eft tout prêt à
mettre en mer avec fa frégate , a offert
d'efcorter nos couriers - paquebots , jufqu'à
une certaine hauteur.
ANGLETERRE.
5
De LONDRES , le 18 Février.
LA gazette de la Cour du 12 de ce mois ,
a enfin publié une lettre de l'Amiral Rodney
en date du 9 Janvier ; elle contient les détails
de la prife du convoi Efpagnol.
Hier , au point du jour , l'efcadre à mes ordres ,
( 13 )
découvrit 22 voiles au N. E.; nous donnâmes chaſſe
immédiatement , & tout fut pris en peu d'heures.
Ces voiles fe font trouvées être un convoi efpagnol
qui avoit appareillé de St. Sébastien le 1er . Janvier
fous la protection de 7 vaiſſcaux ou navires de guerre
appartenant à la Compagnie Royale de Curacao.
Savoir le Guipufcoano , de 64 canons & s so hom-
-mes ; le San Carlos , de 32 & 200 hommes ; le
San Rafael , de 30 & 155 hommes ; la Santa
Terefa , de 28 & 150 hommes ; la Corbetta San
Firmin , de 16 & 60 hommes ; le San Vincente
de 10 & 40 hommes ; partie du convoi étoit chargé
d'approvifionnements pour la marine & de vivres
pour les vaiffeaux de guerre Efpagnols qui font à
Cadix ; le refte l'étoit de marchandifes en balles ,
appartenant à la Compagnie Royale.
>
Je vais expédier immédiatement en Angleterre ,
fous l'efcorte des vaifleaux de S. M. l'America &
la Pearl , les navires chargés d'approvifionnements
pour la marine , & de marchandiſes en balles . Je
conduirai ceux chargés de vivres à Gibraltar , place
vers laquelle je dirige actuellement ma courfes, je
ne doute pas que le fervice pour lequel j'y fuis envoyé
, ne foit promptement effectué ; comme j'ai
cru de la plus haute néceffité d'employer un vaiffeau
de 64 canons pour protéger un convoi fi précieux ,
j'ai mis en commiffion , fourni de monde & d'Officiers
, le vaiffeau de guerre Efpagnol qui fe trouve
être du même rang , & je lui ai donné le nom de
Prince William par refpect pour S. A. R. , en préfence
de laquelle ce vaiffeau a eu l'honneur d'être
pris ; il n'y a que 6 mois qu'il avoit été lancé : il eft
à tous égards complètement équipé en guerre , &
beaucoup plus grand que le Bienfaisant , Capitaine
Macbride , auquel il s'eft rendu.
Permettez que je félicite leurs Seigneuries de cet
évènement, qui néceffairement jetera dans une grande
détreſſe l'ennemi , que je fais avoir un très grand
( 14 )
befoin de vivres & d'approvifionnements pour fa
marine.
La lifte des navires marchands eſcortés
par les vaiffeaux armés ci deflus & pris avec
eux , les porte à 5 qui font :
La Noftra Senora de l'Ores , chargé de farine ;
la San Francifco , idem ; la Conceptione , idem
& partie froment ; le San Nicholas , chargé de
froment ; le San Jeronimo , idem ; la Divina
Providentia , chargée de farine ; le San Gibilan ,
idem ; le San Pacora , idem ; le San Lauren ,
chargé de bled noir ou farrafin ; la Belona , chargée
de farine ; l'Esperanza , chargée de farine de
France ; la Cidada de Mercia , chargée d'approvi
fionnements pour la Marine ; l'Amistad , idem ; le
San Michael , chargé d'ancres & de cables ; la
Frégate de Bilbao , chargée de tabac «<.
Nous n'avons point encore de nouvelles
directes de l'Amiral Rodney fur fon combat
du 16 avec D. Juan de Langara . Toutes celles
que la Cour a reçues & qu'elle a publiées ,
fe réduifent à ces détails que lui a adreffés
M. Fitzherberg , Réfident du Roi à Bruxelles .
» L'efcadre Efpagnole commandée par D. Juan de
Langara , foutint un combat de retraite dont les cir
conftances ne font pas connues. Elle confifloit en Ir
vaiffeaux de ligne , dont 3 , le St Gennaro , le St-
Jufto & le Monarca , fe féparèrent avant le combat.
Le St-Juliano , le St- Eugenio , le St - Augustino , &
le St - Lorenzo font arrivés à Cadix en mauvais état .
Le St-Domingo , fauta en l'air pendant le combat ; le
Phénix , la Princeffe & le Diligent ont été pris . Le
premier eft de 80 canons , les autres de 70 cc.
Ces détails , fans fatisfaire la curiofité.
ont augmenté nos inquiétudes ; elles ne
diffiperont que quand nous faurons l'état où
( 15 )
T'Amiral Rodney s'eft trouvé après le combat
que les Efpagnols ont foutenu contre lui avec
tant d'inégalité ; leur fuperbe défenſe a dû
endommager plufieurs de nos vaifleaux. Il
s'eft écoulé à préfent un mois depuis fon
combat , & il ne nous en a point encore
envoyé la relation . Cette lenteur nous fait
préfumer que fon triomphe lui a coûté cher ,
ou que du moins il eft encore dans la baie de
Gibraltar , hors d'état de fortir du détroit , &
cet évènement feroit un défavantage réel.
Pendant qu'il approvifionne Gibraltar & met
cette place en état de réfifter plus long- tems ,
il expofe nos Ifles où les François font paffer
des forces confidérables qui vont leur rendre
la fupériorité fur ces mers. Si la fortune nous
a fecondés en Europe , elle nous a été moins
favorable dans ces parages. L'Amiral Parker
, avec 16 vaiffeaux de ligne , au lieu de
fonger à intercepter la divifion de M. de
la Mothe- Piquet , s'eft amufé à courir après
des prifes , & cette divifion eft entrée faine
& fauve à la Martinique ; on n'a pas tenté
la repriſe de la Grenade & de l'Ile de St-
Vincent ; & à l'arrivée du Cointe de Guichen
, nous perdrons peut- être la Jamaïque.
On parle beaucoup de renforcer notre flotte
des Ifles , & certainement c'eft une entreprife
d'une néceffité indifpenfable , puifque
l'Amiral Rodney n'eft point encore en
route , & qu'il eft incertain qu'il ait la liberté
de s'y rendre , mais il feroit important
de faire partir promptement ces ren
( 16 )
forts ; ils ne font pas encore prêts , & M. de
Guichen aura bientôt tant d'avance , qu'avant
qu'il puiffe arriver , il aura eu le tems
de nous mettre hors d'état de reprendre la
fupériorité.
Nous n'avons point encore de nouvelles
du Continent de l'Amérique , depuis celle
que nous a apportée la flotte partie de New-
Yorck le 24 Décembre , & arrivé à Corke ,
en Irlande , à la fin de Janvier. Nous favons
que le lendemain du jour de fon départ
elle effuya une tempête qui démâta le
Solebay , qui l'efcortoit , & qu'on croit être
retourné à New - Yorck ; un bâtiment vivrier
& un de tranfport coulèrent à fond , &
on en fauva heureufement les équipages.
Toute la flotte confiftoit en 9 bâtimens armés
& 100 marchands. Comme il n'eft rien
arrivé depuis , nous ignorons ce qui ſe paſſe
dans ces contrées.
Le projet qu'on a de porter des forces
confidérables aux Ifles , ne fait pas oublier
que nous avons befoin d'une flotte dans la
Manche pour la fûreté des côtes des trois
Royaumes. Une des opérations importantes
dont elle doit être chargée , eft de
s'oppofer plus efficacement cette année à
la jonction des François & des Eſpagnols
qu'il eft fans doute avantageux pour nous
d'avoir forcés de fe féparer avant l'ouverture
de la campagne. Pour remplir ces
grands objets , on parle d'équiper une efcadre
de 24 vaiffeaux de ligne ; bien des
( 17 )
perfonnes trouvent que ce nombre n'eft
pas proportionné aux befoins ; & il y en
a plufieurs qui demandent où on les prendra
, s'il n'en revient aucun de ceux qui
font avec Rodney , & fi les autres ne peuvent
en allant en Amérique nous diſpenſer
d'y en envoyer.
Les débats des dernières féances des Communes
ont roulé fur l'objet des pétitions prefque générales ,
dont la difcuffion fera interrompue jufqu'au 2 1 par
l'indifpofition du Directeur de la Chambre. Nous en
donnerons la fubftance. Le Miniftre harcelé & tourmenté
par les queſtions importunes de l'Oppofition ,
& peut- être un peu étourdi de quelques fuccès que
nous avons eus fur mer & fur terre , a fait entendre
affez clairement que les atteintes patriotiques qui fe
dirigent contre lui de toutes parts , n'auroient pas
toute l'efficacité qu'on fembloit en attendre : au lieu
de fe prêter au redreffement qui lui eft demandé , il
paroît déterminé , d'après un arrêté du Confeil du
Cabinet , à réſiſter avec vigueur à des demandes faites
par des affemblées factieuſes , tumultueuſes & in
conftitutionelles , qui ont une tendance directe à la
rébellion. D'un autre côté , l'Oppofition déclare que
les moyens de redreffement qu'elle indique font légaux
, conftitutionels & pacifiques ; mais que s'ils
manquent de produire l'effer defiré , & qu'on foit
obligé d'en employer d'autres , les malheurs qui en
réfulteront devront s'imputer à ceux qui auront refufé
d'accorder aux Anglois l'exercice de leur droit
naturel , & non point à ceux qui ont eu le courage
de le réclamer. Le Lord North ayant déclaré qu'il
avoit ordre du Roi d'admettre le bill propofé dans la
féance du 11 , MM . Barré & Fox affectèrent de croire
qu'il fe rangeoit de leur parti , & de lui en faire leur
compliment. Ce Miniftre , foutenu du Lord Mulgrave
dans les débats du 14 , s'en défendit de toutes
-
( 18 )
fes forces , & prodigua les imputations de faction ;
de réfiftance , de fédition & de rébellion à toutes les
démarches actuelles du parti contraire . M. Fox , daus
un difcours plein d'énergie , lui fit voir le danger de
parler fi légèrement de rébellion . » Si vous apprenez
aux peuples , dit - il , que c'eft par la rébellion feule
qu'ils peuvent faire écouter leurs pétitions , ils fe
croiront dans la néceffité de fe révolter , & de fuivre
l'exemple qui a fi bien réuſſi à l'Irlande & à l'Amérique.
Eft - ce qu'il n'y a plus de milieu pour les
Anglois , entre la rébellion & l'obéiſſance paſſive ?
Nous fuppofe - t- on autfi dénués d'amour pour notre
pays , que de raifon & de fens ? Notre conduite eſtelle
un mystère , une énigme que les Miniftres ne
puiffent débrouiller , qu'en nous faisant paffer pour
des fous ? Tant que nous n'avons pas parlé de toucher
aux places , & aux penſions , on fuppofoit charitablement
que toutes nos clameurs provenoient du
defir d'en avoir notre part. Le Miniftre fympatifoit
en quelque forte avec nous : il nous excufoit ; mais
à préfent que nous demandons qu'on fupprime les
places& les penfions inutiles , bon Dieu , difent ils ,
ces gens-la ont perdu la tête ! Quelque phrénéfie épi
démique s'eft faifie d'eux : il n'y a rien de fi extravagant
& de fi dangereux qu'on ne doive craindre de
leur part : c'eft sûrement à une rébellion qu'ils vifent,
car ils s'élèvent contre notre adminiſtration , & ils
veulent qu'on falle des retranchemens à nos revenus
; ils vont mettre la Conftitution dans les plus
grands rifques a .
Le Lord Cavendish déclara que les affociations
prendroient ou non de la confiftance felon la conduite
que tiendroit le Ministère. Le Col. Barré , en
foutenant que ces Affemblées provinciales étoient légales
, alla jufqu'a dire : » qu'il eft des rems où la nécefité
publique doit mettre de côté toutes les formalités
légales : que la voix du peuple , pour lefe
faire entendre n'a pas befoin du gargarifme des 55
* formes ".
( 19 )
Ce qui doit vraiment embarraffer le Miniftère
, c'est l'unanimité qui règne dans
la plupart de ces pétitions , la quantité des
perfonnes qui les fignent. Celle du Comté
d'Yorck remife le 8 à la Chambre des Communes
par Sir George Saville , ne contenoit
pas moins de 9000 fignatures. C'eſt cette
pétition qui a ouvert la marche de cette
grande affaire dans la Chambre des Communes.
» Sir George Saville pria les Miniftres d'obſerver
que fa demande & toutes celles qui la fuivroient n'avoient
point été fignées par des gens armés de mouſquets
ou d'épieux , & réfolus , comme on en a eu
l'exemple en Irlande , à fe faire rendre juſtice par la
force . Mais il ajouta qu'on ne devoit pas moins y
avoir égard ; & que quel que dût être leur fort , il
devoit en réfulter une révolution dans la forme actuelle
de l'adminiſtration ; il prévint Lord North
que tous les fubterfuges Parlementaires feroient envain
mis en oeuvre pour en faire avorter l'effet. De
la réponſe de Mylord North , qui toucha d'abord la
corde fenfible , c'eſt- à dire , l'objet du fubfide , des
déclarations de M. Fox & du Chevalier Saville , il réfulte
que la ferme réfolution de l'Oppofition eft de
fuivre la marche qui a fi bien réuffi à l'Irlande , c'eftà
- dire,de ne point accorder de nouveaux fubfides que
le tedreffement demandé ne foit effectué ou en train
de l'être. Si cela s'exécute , Mylord North ne peut
que fe trouver dans le plus grand embarras , puifqu'il
n'a obtenu encore que 10 millions fur le fubfide , &
qu'il a le plus preffant befoin de 3 millions de plus
pour les dépenfes imprévues de l'année dernière.
» Vous avez prétendu , dit M. Fox , que nos coeurs
étoient corrompus ; nous avons rejetté cette imputation
fur les vôtres . Aujourd'hui nous élevons nos
voix pour demander une réforme dans les dépenses
( 20 )
publiques , & l'anéantiffement de tous les moyens de
corruption ; c'eftà vous que nous en faifons la prière,
que le monde juge à préfent de quel côté eft la corruption
«<.
On prévoit que fi les pétitions font rejettées
fous le prétexte des affociations qui
les accompagnent , & qu'on regarde comme
un piftolet dans la main du Suppliant , ces
affociations fubfifteront pour la défolation
du Miniſtère dans la prochaine opération
d'une élection générale & dans le mouvement
qu'on voudra donner au prochain
Parlement ; on craint fur-tout que dans le
moment de l'élection , il fe paffe des scènes
dé défordres & de tumulte qui peuvent
mettre la tranquillité de l'Etat en danger.
La proteftation des 19 Pairs contre la
pluralité qui rejetta le 8 la motion de nommer
un Comité de Lords ne poffédant ni
places , ni penfions , pour examiner fans délai
les dépenfes publiques & la manière dont
on en rend compte , eft conçue ainfi :
» D'avis différent pour les raisons fuivantes :
1°. Quoique la diffipation de l'argent de la Nation
, & la profufion des appointemens inutiles
n'aient pas fait jufqu'ici la plus légère fenfation dan's
les jours d'opulence & de profpérité , les befoins
du moment actuel ne peuvent pas permettre que ce
fyftême de corruption & d'égalité dure plus longtems
.
La rareté de l'argent , la diminution de la valeur
des terres , la réduction des revenus & le dépériffement
du commerce , font de triftes preuves que
nous fommes arrivés à l'époque où il n'y a plus de
poffibilité de mettre de nouvelles taxes ; & cependant
( 21 )
tous les ans on fait de nouvelles demandes d'argent,
quoiqu'on voie les espérances de la paix s'éloigner
de plus en plus chaque année.
Confidérons notre énorme dette qui s'accroît au
point qu'il ne fera plus poffible de la payer ; l'accumulation
des taxes fur chaque article , non- feulement
de luxe , mais encore de convenance & même de
néceffité ; enviſageons les droits additionnels qu'on
doit inceffamment établir pour affurer l'intérêt du
prochain emprunt & de la dette qui restera non
conftituée , & nous verrons qu'il faut faire face à
un million & demi d'intérêt pour le moins , indépendamment
de ce qu'il fera encore néceffaire de
trouver pour remplir le deficit des dernières taxes.
Dans ces circonftances , les épargnes d'une rigide
& foigneufe économie dans toutes les branches
, & la fomme des appointemens trop forts , des
penfions non-méritées & des places inutiles , tranfportés
au fervice public , font prefque les feules
reffources qui nous reftent dans l'état d'épuiſement
où se trouvent nos finances ; outre cette preuve
évidente de la néceffité qui nous commande dans le
moment préfent , il y a des abus fi grands & fi mul- ,
tipliés dans l'adminiftration & l'emploi de l'argent,
de la Nation , que même dans les tems les plus
heureux on ne fauroit le difpenfer de foumettre ces
abus aux recherches les plus exactes & les plus févères.
On eft dans l'ufage de dépenfer des fommes
immenfes fans le confentement du Parlement , fous
le titre illufoire de contingences & d'extraordinaires
dont on pourroit ailément comprendre la plus
grande partie dans une eftimation ; mais parce qu'il
y a quelques articles qui ne font pas fufceptibles de
cette précifion , le Miniftre s'autoriſe de ce prétexte
pour prendre I habitude de commencer par dépenfer
l'argent du Public , & enfuite il trouve le moyen
d'induire le Parlement àfe faire un point d'honneur
de ratifier & d'approuver cet emploi. Une pareille
( 22 )
conduite mérite la plus haute cenfure & tout Mi
niftre qui ofe engager le crédit public pour un argent
qui n'a pas été voté , ne devroit être juſtifié
que par un acte de ratification .
Les millions dont en conféquence il n'a été rendu
aucun compte; la honteuse facilité d'admettre prefque
toutes les prétentions , les marchés pour le fervice de
l'Etat paffés avec tant de précipitation & fans unexamen
réfléchi ; la négligence criminelle & même le
mépris qu'on fait du petit nombre de contrôles établis
dans le Bureau de la Trésorerie , indépendamment de
ce qu'une grande partie de l'argent eft partagée dans
fon paffage entre les mains d'un peuple de Receveurs
, Commis , Agens , Agioteurs ou Entrepreneurs
, ou enlevée par l'extorfion officielle , ou ar
rêtée dans fon cours pour augmenter la fortune de
quelques individus , font des griefs dont le redreffement
eft l'objet de la motion qui vient d'être re
jettée .
2°. Toute grande & importante qu'eft la motion'
confidérée fous ce point de vue , elle acquiert un intérêt
encore plus fenfible quand on l'examine fous
une autre face , en ce qu'elle tend à renfermer dans
un lit plus étroit le torrent de l'influence de la
Couronne , dont les débordemens ont inondé toutes
les parties du Royaume.
a
La fimple intention de ce grief fuffit & peut difpenfer
de commentaires. Mais cet argument , quoique
peut être le plus fort en faveur de la motion ,
été tourné en objection contre elle , comme s'il
tendoit à diminuer les droits du Monarque & à
mettre la Couronne dans la dépendance du Parlément.
Si ceux qui font cette objection veulent donner
à entendre que la corruption eft néceffaire au Gouvernement
c'eft un principe qui ſe réfutera de
lui même par fon injuftice frappante.

Non moins que cette motion foit deſtinée à dimi(
23 )
nuer le pouvoir conftitutionnel de la Couronne ,
nous ne fommes pas moins empreffés de maintenir
le pouvoir conftitutionnel de la Couronne qu'à détruire
celui qu'elle exerce contre le voeu de la conftitution
. La prérogative réduite à la véritable effence
à laquelle on n'a ni touché , ni eu deffein de toucher
par cette motion , entretiendra la Couronne dans
toute la fplendeur que demande la dignité perfonnelle
du Roi , & dans toute l'autorité & la vigueur
néceffaires pour donner l'effet légal aux pouvoirs
exécutifs du Gouvernement.
On prétendu que ce n'étoit point un tems propre
pour des réformes que celui où le Royaume
devoit tourner toute fon attention du côté de la
guerre , comme notre grand & feul objet dans ce
moment de détreffe . Mais nous demandons la permiffion
d'infifter , & de maintenir que la circonftance
actuelle eft , par• cette raiſon même , le tems le
plus propre , attendu que rien n'eft fi effentiel pour
la conduite & la pourfaite de la guerre , que l'ufage
le plus économe des fonds , qui peuvent feuls
faire efpérer de la continuer avec quelqu'apparence
de fuccès . On ne peut plus différer d'adopter ces
plans d'économie fans expofer la Nation à une banqueroute
générale ; & l'hiftoire d'Angleterre d'accord
avec tous les autres Etats , prouve que les
tems de détreffe ont toujours été des tems de réforme.
3. Nous penfons qu'un Comité qui feroit autorisé
à fe concerter avec un Comité de l'autre Chambre,
& qui pourroit , s'il étoit néceffaire , être établi à
demeure , & invefti des pouvoirs convenables par
un acte de toute la légiflation , feroit un moyen de
ramener les dépenfes publiques à leur principe conf
titutionnel , de conduire aux réglemens convenables
pour faire écouter & admettre les propofitions
de tout particulier qui feroit des offres honnêtes ,
de réformer les abns des Bureaux & l'énormité des
( 24 )
droits ; & entr'autres , de cet argent immenfe qui
refte dans les mains de certains individus , & qui
eft perdu pour l'Etat .
On a fait valoir auffi comme une objection de
la plus grande force , les prétendues inquiétudes témoignées
par quelques Lords , que cet arrangement
ne produisît des divifions entre les deux Chambres
du Parlement , & que cette querelle ne préjudiciât
aux affaires publiques , attendu que la Chambre
des Communes feroit en droit de prétendre quelle
feule a droit de connoître des objets de cette motion
& d'y pourvoir ainfi qu'il convient.
Certainement il eft impoffible qu'une prétention
pareille foit mife en avant comme la fuite du droit
appartenant à la Chambre des Communes de connoître
en premiere inftance de tous les bills d'argent.
Pas un Lord n'a paru penfer qu'une telle prétention
eût le moindre fondément. Dans le vrai ,
l'objection même fuppofe que cette prétention ne
feroit point fondée , & qu'en conféquence elle feroit
rejettée par la Chambre des Pairs , & cepen
dant on affure que la Chambre des Communes
mettra en avant & foutiendra cette prétention . Nous
ne pouvons imaginer ce qui donne lieu à une telle
fuppofition , à moins d'adopter les infinuations de
ceux qui prétendent que l'influence de la corruption,
( que notre objet eft de détruire ) eft l'efprit dominant
chez les Communes. Les perfonnes qui ont
une pareille opinion dans une des Chambres du Parlement
ne doivent guère avoir plus de vénération
pour l'autre : alors il leur fera indifférent que la motion
échoue par le moyen de cette influence qui provoquera
une réclamation non- fondée de la part
d'une des Chambre , ou par la crainte auffi peu
fondée d'une femblable reclamation dans l'autre .
Mais pour nous , qui faifons profeffion d'avoir une
opinion plus avantageufe des deux Chambres , il.
nous eft impoffible de penfer affez mal de la Chambre
>
des
( 25 )
des Commu nes pour croire qu'elle voulût principalement
dans la circonftance actuelle , & pour un
tel fujet , fe déshonorer par une pareille accla
mation.
On s'eft auffi oppofé à la motion fur ce qu'elle
excluoit du Comité propofé les Lords ayant
des places ou des penfions. Nous fommes bien
loin de fuppofer que la polleflion d'une place
ou d'une penfion corrompe l'intégrité du poffelleur.
Nous avons vu , ainfi que le Public , une
foule d'exemples qui prouvent le contraire. Cepen
dant il nous femble que le Public n'auroit pas fondé
des efpérances fi brillantes fur l'exécution du projet
, s'il eût vu des gens en place choifis pour examiner
jufqu'à quel point leurs places étoient utiles ,
& leurs appointemens proportionnés à leur travail .
Il auroit peut - être cu quelque peine à regarder le
poffeffeur d'une penfion ou d'une place comme le
plus propre pour décider fi cette penfion ou cette
place eft méritée ou néceffaire. En conféquence nous
Fouvons avec raifon regarder la motion comme
exempte de tout reproche à ce fujet : nous voyons
au contraire qu'on y a donné la marque la plus
obligeante d'attention & d'égarde pour les Lords
du Parlement , pourvus de places ou de penfions ,
en les difpenfant d'un travail où certainement ils
doivent defirer de ne prendre aucune part.
Nous croyons n'avoir rien fait que de louable en
propofant un moyen autorisé par l'exemple autant
que par la raifon , & on a prouvé à la Chambre
qu'il a eu le fuffrage des Auteurs les plus conftitutionnels
depuis la révolution ; mais ayant offert
d'approuver toute autre propofition qui pourroit
porter un remède efficace aux abus en queſtion ; &
le parti du Gouvernement n'en ayant fait aucune de
cette nature , malgré tout le tems qu'on a eu pour
s'en occuper , nous ne pouvons nous empêcher de
confidérer la négative actuelle comme portant fur
4 Mars 1780.
b
( 26 )
les fonds autant que fur la forme de la motion , &
nous croyons être obligés de faire ufage de notre
droit d'enregistrer notre proteftation contre l'inadmiffion
de la propofition fufdite.
4°. Nous fommes encore portés à infifter fur
cette motion , parce que fon objet a été fecondé &
defiré par une majorité confidérable de la Nation
qui s'eft affociée pour la même caufe , & qui paroît
déterminée à la foutenir par tous les moyens conf
titutionnels qui peuvent être imaginés pour la faire
réuffir; & quoique certaines gens affectent d'être
alarmés de ces affociations , comme fi elles tendoient
à troubler la paix ou à empiéter ſur le pouvoir tranfmis
à la Chambre des Communes, nous fommes per.
fuadés qu'elles n'ont point d'autres vues que de recueillir
les opinions du Peuple , & de faire connoî
tre à tout le Corps des Repréfentans , quels font les
fentimens de tout le Corps de leurs Conftituans , &
à cet égard ceux- ci ont procédé avec ordre paisiblement
& conftitutionnellement. Si on demande ce
qu'il y aura enfuite à faire fi ces pétitions font rejettées
, la meilleure réponſe eft que la chofe
ne peut pas être fuppofée ; car quoiqu'à l'égard
d'un petit nombre de pétitions particulières ,
on puiffe dire hardiment que la Chambre des
Communes ne doit pas être décidée par une partie
feulement de fes conftituans , cependant il eft
impoffible de préfumer qu'elle agiffe contre l'opi
nion réunie de toute la Nation , ou du moins contre
l'opinion d'une grande & notoire majorité de cette
Nation. On fait qu'elle a le pouvoir de voter comme
il lui plaît , mais il ne tombe pas fous les fens qu'une
auffi (age affemblée foit jamais affez téméraire pour
rejetter ces pétitions , & donner lieu par ce moyen à
mettre en queftion : Si elle n'a pas décliné de la
confiance qu'on avoit en elle ?
La voix du Peuple produira certainement fon effet,
Les Miniftres peuvent , comme ils l'ont fait tour
( 27 )
récemment , deftituer à leur gré un homme en place,
pour avoir eu l'audace de manifefter fon opinion
particulière fur cet objet & fur d'autres objets pu
blics , droit incontestablement donné à tout indi
vidu quelconque ; mais il y auroit de l'imprudence
à eux de traiter avec mépris ces affociations , ou de
les qualifier du nom odieux de faction , nom dont
la minorité dans les deux Chambres a été fi fréquemment
& fi injuftement calomniée , parce que
le nom de factieux leur reftera à eux feuls lorfqu'ils
agiront contre l'opinion générale de la Nation , &
qu'ils ne pourront plus qualifier ce grand nombre
d'individus fi refpectables par leurs rangs & leurs
propriétés , comme étant un ramas d'incendiaires indigens
& féditieux , ainfi qu'ils l'ont fait fi adroitement
vis à- vis des mécontens d'Amérique ; parce
que le Peuple , à qui ce nom de féditieux s'adreffe ,
eft le même Peuple qui eft trompé , & que tout homme
porte au fond de fon coeur le témoignage de la
faulleté de l'application.
Des Miniftres dans une affaire comme celle- ci ne
peuvent pas le jouer du Peuple.
>
Fortescue , Harcourt , de Ferrars , Beaulieu ,
Camden , Coventry , Richemond Mancheſter
Derby , Effingham , Grafton , Portland , Ferrers ,
Cholmondeley , King , Abergavenny , J. Petersborough
, Abingdon , Pembroke Montgomery ,
Fitz-William , Rutland , Nugent-Temple , Bolton ,
Courtenay , Stamford , Tankerville , J. Saint-Afaph
Wycombe , Craven , Rockingham , Scarboroug
Jerfey , Devonshire.

Radnor , indépendamment de toutes ces raifons.
Osborne , pour toutes ces raifons , excepté la
quatrième.
Cette proteftation ne peut qu'embarraſſer
le Ministère qui protefte à fon tour contre
les affociations. Il eft tout fimple que
b 2
( 28 )
dans ces circonftances, toutes les têtes fe
montent & qu'il y ait dans tout de la
politique ; en voici dans une nouvelle d'Opéra.
» Le 29 Janvier , un des Gardelles après le ballet ,
s'eft avilé d'haranguer l'affemblée , pour fe plaindre
de la mefquinerie des habits dans lefquels il avoit
danfé , & voulant lui faire entendre que ce n'étoit
point fa faute , mais celle des Adminiftrateurs , il
a fini en déclarant d'une voix forte qu'il proteftoit
contre eux devant l'honorable Public. Au mot de
protefter , fur lequel précisément roule toute la reffource
du parti de la Cour contre les affociations
& pétitions antiminiftérielles , il s'eft élevé les plus
violents éclats de rire, & par malheur pour deux
Lords proteftans , qui fe trouvoient au centre du
Parquet , tous les regards fe font tournés fur eux,
On le les montroit au doigt ; on les reconnoiffoit
à la pâleur qui s'étoit faifie d'eux , & à leur air
embarraffé & confus , bientôt toute la falle à retenti
des noms du Lord Onflow & du Lord Cranley ,
accompagnés des épithètes les plus défobligeantes.
Les pauvres Lords ont eu toutes les peines imaginables
à fendre la preffe pour fortir & gagner leurs
voitures. On les fuivoit en les complimentant fur
ce qu'ils figuroient fi bien dans le ballet des Proreftans
, & il eft à croire que tous les Gardelles
du monde, quelque talent qu'ils aient , & en quelque
lieu qu'ils l'exercent , ne les compteront jamais
plus au nombre de leurs Admirateurs ,
a
Les preneurs du vaiffeau Efpagnol de
Manille qui a été conduit à Corke ne ti
reront pas de cette prife tout le profit qu'ils
en attendoient ils comproient principaleinent
fur le contenu d'une caiffe aux armes
& à l'adreffe du Roi d'Efpagne ; il avoir été
jugé convenable d'aflembler la compagnie
( 29 )
des Intéreffés pour en faire l'ouverture en
leur préfence. Mais au lieu de la trouver
pleine de diamans , on n'y a vu que des
perroquets & autres oifeaux de l'Inde , bien
confervés ; tréfor qui peut être précieux
pour des Rois , mais dont fe foucient fort
peu des Armateurs.
+
Le Tribunal du Banc du Roi n'a pas fuivi
dans leur totalité les conclufions prifes par
l'Avocat Général contre les Confeillers de
Madras. Les quatre coupables font condamnés
feulement à une amende de 1000
liv . fterl . chacun , & à garder prifon jufqu'au
paiement. On conçoit que des gens qui
arrivent de l'Inde , riches de 100,000 liv.
fterl . , ne fe font pas laiffe conduire en
prifon pour en payer 1000. Quelques - uns
de nos écrivains ont dit à cette occafion
que maintenant on fait pour combien d'argent
on peut dépofer & tuer impunément
un Gouverneur. C'eft une moquerie qu'un
pareil Jugement qui leur laiffe la faculté
d'être employés de nouveau , par un Gouvernement
que leurs mauvailes têtes ou
leur méchanceté ont mis dans le plus grand
dangers 44 meyller på
ÉTATS - UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
40074
De Philadelphie le 20 Novembre. On a
beaucoup parlé de l'affaire de Savanah ; nos
ennemis en ont publié des relations dont ils
fe font plu à broder les détails de prétendues
marques de méfintelligence entre nos troupes
b3
( 30 )
& les François ; la lettre fuivante du Général
Lincoln , adreffée au Congrès , réfute ces
calomnies . C
Dans ma dernière , en date du 5 Septembre ,
j'ai eu l'honneur d'informer le Congrès que le
Comte dEftaing étoit arrivé devant Savanah ; on
donna immédiatement les ordres néceffaires pour
affembler les troupes : le 11 elles arrivèrent au bac
de Zubly & dans fes environs , & l'on établit d'autres
bacs fur la rivière. On employa le 12 & le 13
à faire paffer les troupes & les bagages , ce qui ne
s'effectua pas fans beaucoup de fatigue , vu le manque
des bâteaux néceffaires & le mauvais état des
chemins , pratiqués dans un marais profond d'envi
ron 3 milles d'étendue , & dans lequel il le trouve
plufieurs grandes criques : l'ennemi avoit briſé les
ponts fur lefquels on les paffoit auparavant : nous
campâmes fur les hauteurs d'Ebenezer à 23 milles
de Savanah ; là nous fûmes joints par les troupes
d'Augufta , aux ordres du Général M. Intosh.
Le 14 ne pouvant favoir avec certitude file
Comte avoit débarqué fes troupes , quoique l'on
eût expédié plufieurs Exprès à cet effet , nous reftâ
mes dans le camp.
Le 15 ayant reçu cet avis & que le Comte pren
droit cette nuit même pofte à 9 milles de Sava
nah , nous nous mîmes en marché, & campâmes à
Cherokehill , à 9 milles de la ville ..
Le 16 nous formâmes la jonction devant Savanah
: après avoir reconnu les ouvrages de l'ennemi
, voyant que la ville étoit bien couverte , &
facliant qu'il étoit déterminé à la défendre , on jugea
néceffaire de faire quelques approches & d'eſſayer
l'effet de l'artillerie . (
Du 18 au 23 nous fumes occupés à débarquer
& faire transporter l'artillerie & les approvifionnements
militaires ; ouvrage difficile , parce que nous
n'avions pas les roues convenables pour tranfporter
( 31 )
les canons qui étoient montés fur des affuts propres
au fervice des vaiffeaux .
Dans la foirée du 23 on travailla à la terre ' ,
& les courant on ouvrit fur l'ennemi des batteries
de 38 canons & 9 mortiers : elles continuèrent de
jouer par intervalles jufqu'au 8 fans produire l'effet
defiré.
7. Le terme affigné par le Comte d'Estaing à la durée
de cette expédition , étant écoulé dès long- temps ,
les Ingénieurs l'ayant informé qu'il faudroit employer
beaucoup plus de temps encore s'il fe propoioit
de réduire la place par des approches régu
lières ; comme il étoit impoffible d'ailleurs qu'il
féjournât plus long - temps , on fe vit réduit à l'alternative
de lever, immédiatement le fiége & de renoncer
à toute idée de conquête , ou de tenter l'affaut
on fe détermina au dernier parti ; en conféquence,
dans la matinée du 9 l'attaque fut faite
Elle ne réuffit pas , & nous fumes repouffés avec
quelque perte.
>
Lorsque le Comte d'Eftaing arriva, la première
thofe qu'il fit fut de nous informer qu'il ne pouvoit
refter que 8 jours à terre. Il y avait paflè quatre
fois cet efpace de temps : fon départ devenoit par
conféquent indifpenfable : fon premier foin fur de
rembarquer fon artillerie & fes approvifionnements
militaires , ce qui fut complètement effectué le 18 .
Dans la foirée de ce même jour , ayant fait partir
préalablement nos malades , nos bleffés & nos gros
bagages , les troupes Américaines quitèrent ce terrein
, arrivèrent le lendemain matin au bac de Zubly,
repaffèrent la rivière & campèrent la même nuic
dans la Caroline : les troupes Françoiſes campè
rent la nuit du 11 à environ a milles de Savanah
elles devoient fe rembarquer 24 heures après
à Kincaid.
:
Nous fommes confidérablement trompés dans
notre attente, & ce qui rend cette circonftance plus
( 32 )
fenfible pour nous , eft la perte de plufieurs braves
Officiers & foldats ; au nombre des premiers fe
trouve l'intrépide Comte Pulawski....
Le Comte d'Estaing a certainement les intérêts
de l'Amérique infiniment à coeur , il l'a prouvé envenant
à notre fecours , ainfi que l'attention conftante
qu'il a donnée à la conduire du fiége ; par la
tentative qu'il a faite d'emporter la place d'allaur
quand il a défefpéré de réullir autrement ; par la
bravoure enfin avec laquelle il s'eft mis à la tête
de les troupes & les a conduites à l'attaque : il a
verfé fon fang en abondance pour notre service , il
m'affecte infiniment ; car tandis qu'il fouffre de fes
bleffures douloureufes il a encore le chagrin à combattre
j'espère qu'il recevra quelque confolation
de l'affurance dans laquelle il doit être , que s'il n'a
pas réuffi felon les defirs & ceux, de l'Amérique ,
nous donnons la plus haute approbation à l'inten
tion qu'il a manifeftée de nous fervir ;. & que le
defaut de fuccès ne diminue rien de l'idée que nous
nous fommes formée de fon mérite.
Mon devoir feroit de joindre une lifte des morts
& bleffés que nous avons eu dans la dernière affai
re , mais l'Adjudant Général , entre les mains , duquel
elle fe trouve , n'eft pas encore, arrivé , il eft en
chemin au refte , autant que je puis me le rappeler
le tout monte à 170 “.
Le papier monnoie a repris le plus grand
crédit depuis la réfolution publiée par le
Congrès de n'en plus créer de nouveau. Le
foin avec lequel on le retire , les difpofitions
faites pour affurer la dette nationale , ont
ranimé la confiance de tous les fujets. La
fuite de la lettre circulaire du Congrès fera
voir combien cette confiance eſt fondée.
Suite de la Lettre circulaire du Congrès!
Ily a eu un temps où les honnêtes gens , fans
être taxés de timidité , ont pu douter du fuccès de
733 )
la révolution actuelle ; mais ce temps cft paffé . L'independance
de l'Amérique eft aujourd'hui fixe comme
le deftin , & les efforts de l'Angleterre pour la détruire
font aufli vains & auffi infructueux , que la
fureur des vagues qui battent un rocher escarpé.
Que ceux qui font encore tourmentés de doutes à ce
fujet confidèrent le caractère & la fituation de nos
ennemis. Qu'ils le fouviennent que nous combattons
contre un Etat qui tombe en pièces ; une Nation
fans efprit public , un peuple vendu & trahi par
fes propres Repréfentants , un Roi gouverné par fes
paffions & par un Miniftère fans fageffe , & en qui
le public n'a aucune confiance ; des armées à qui
l'on ne donne que demi paie , & des Généraux auxquels
on n'a qu'une demi- confiance ; un Gouvernement
qui ne reflemble qu'à un plan de rapines , d'incendies
& de meurtres , qui par la violation la plus
impie des droits de la Religion , de la Juſtice , de
l'Humanité & des Gens , appelle la vengeance du
Ciel & renonce avec révolte à la protection de la
Providence. Vous avez réſiſté avec fuccès à la fureur
de ces ennemis lorfque vous étiez encore fans amis ,
feuls & livrés à vous même , dans des jours de
foibleffe , & , pour ainfi dire , d'enfance. Y a-t- il
quelque raison de craindre que le fouverain arbitre
des événements humains après nous avoir tirés de
la terre de fervitude , & nous avoir conduits , à
travers une mer de fang , vers la terre de liberté ,
vers la terré promife , laillera imparfait l'ouvrage
de notre délivrance politique , & permettra , ou que
nous péritons dans un défert de difficultés , ou que
nous foyons ramenés chargés de chaînes dans cette
contrée d'opreffion , à la tyrannie de laquelle fa main
toute puiflante nous a arrachés ? Allié avec l'une
des plus puiffantes Nations de l'Europe qui fait
généreufement fa caufe de la nôtre , en liaifon d'a
mitié avec plufieurs autres , jouiffant de la bienveillance
de toutes , qu'avons - nous à craindre de
br
( 34)
l'Angleterre Loin d'acquérir de nouvelles poffeffions
par des conquêtes , les limites de fon empire
fe refferrent tous les jours : fes flottes ne dominent
plus les mers , fes armées ne font pas invincibles
fur terre. Combien de fes drapeaux arrachés des
mains de fes combattants , parent vos trophées &
ont orné les triomphes de vos troupes ; & qu'il eft
confidérable , le nombre de ceux qui , mis dans
vos fers , font devenus vos captifs , & ont reçu la
vie de votre générosité ? Enfin quiconque confidé
rera que ces Etats augmentent tous les jours leur
puiffance ; que leurs foldats font déjà des vétérans ;
que leurs gouvernements , fondés fur la liberté ,
font établis ; que leur fertile pays , & leurs alliés
pleins d'affection , leur fourniffent d'amples reffources
; que le Roi d'Espagne , bien préparé pour la
guerre , avec des flottes & des armées prêtes au
combat , avec des tréfors regorgeant de richeſſes ,
eft entré dans la carrière contre la Grande-Bretagne;
que les autres Nations de l'Europe , fouvent infultées
par l'orgueil anglois , & alarmées de fon ambirion,
ont abandonné ce peuple à fon fort ; que l'Irlande
, fatiguée de l'oppreffion , foupire après la
liberté ; que l'Ecoffe même s'indigne & fe plaint de
fes Edits au lieu de douter de l'iffue de la guerre ,
fe réjouira de la glorieufe , de la sûre , de l'indubitable
efpérance du fuccès .
Ce point établi , examinons fi la richeffe naturelle ,
la bonté & les reffources du pays , pourront fournir
la fomme de la dette.
La fuite à l'ordinaire prochain.
FRANCE
De VERSAILLES , le 29 Février.
*
Le Roi vient de nommer à la place de
Vice- Amiral , vacante par la mort du Comte
d'Aché , le Comte d'Aubigny qui a eu l'hon(
35 )
neur de faire fes remerciemens à S. M. , à
laquelle il a été préfenté par M. de Sartine.
Le 20 de ce mois , le Comte d'Offonville
Maréchal- de - Camp , prêta ferment entre les
mains du Roi pour la charge de grand Louvetier
de France , en furvivance du Comte
de Flamarens . Le même jour la Ducheffe de
Sully & la Comteffe de Caufans furent préfentées
à LL. MM . & à la famille Royale , la
première par la Ducheffe de Béthune , & la
feconde par la Marquife de Caufans.
M. de Monthieu , Confeiller d'Etat , qui
avoit précédemment prêté ferment entre les
mains de Monfeigneur le Comte d'Artois
pour la place de Chancelier de ce Prince ,
vacante par la mort de M. Baftard , eut le 30
du mois dernier & le 13 de celui - ci , l'honneur
d'être préfenté en cette qualité par ce
Prince à LL. MM.
De PARIS , le 29 Février.
UN Courier, parti de Madrid le 18 , a , dit - on
apporté , vendredi dernier , l'avis que l'Amiral Rodney
a appareillé le 13 de Gibraltar vers les S
heures du foir. Les figuaux ayant été faits à Alge
firas , on a fu en moins de 2 heures , à Cadix
que l'ennemi étoit fous voile , & l'armée Espagnole
s'apprêtoit à mettre en mer à fon tour pour donner
chaffe. Voilà tout ce que le Courier a pu nous apprendre.
Depuis, on a prétendu que les flottes s'étoient
rencontrées , qu'il y avoit eu un combat , &c. On a
enfuite débité que l'Amiral Rodney avoit débarqué
fans être inquiété . Tout cela eft vifiblement controuvé
, puifqu'il n'eft pas venu d'autre Courier depuis
vendredi.
bGdA
C
( 36 )
On a reçu des dépêches de M. le Marquis
ON
de Bouillé , Commandant aux Ifles du Vent,
en date du 4 Janvier , qui ont fait tomber
tous les bruits qu'on fe plaifoit à répandre
depuis quelques jours de l'arrivée de l'Amiral
Arbuthnot à Ste-Lucie , de la prife
de deux de nos frégates , &c. Il paroit que
les ennemis loin de nous attaquer , cherchent
au contraire à fe précautionner contre
les coups qu'on peut leur porter. Inftruits
fans doute de l'armement qu'on préparoit
à Breft , ils ont retiré leurs troupes de Ste-
Lucie , & les ont réparties dans leurs différentes
Ifles. Ces nouvelles font confirmées
par la lettre fuivante de Nantes.
» Un bâtiment forti de la Martinique le 8 Janvier
, & arrivé ici le 29 , nous apprend qu'à l'époque
de fon départ il ne s'étoit rien paffé d'in
téreffant aux Ifles. M. de la Mothe- Piquet étoit
forti dans les premiers jours du mois avec 6
vaifleaux & 2 frégates pour une expédition ignorée
, ce qui prouve que les ennemis ne feront pas
en état de s'oppofer aux entreprifes qu'il pourra
senter lorfqu'il aura reçu des renforts , puifque
aujourd'hui , tout foible qu'il eft , il tient la mer.
Nos forces dans les Ifles confiftent actuellement en
5 vaiffeaux au Cap qui font le Tonnant de 80 ,
le Robufte , le Fendant de 74 , le Sphinx de 645
ces deux derniers y font arrivés & l'Amphion de
so; & en 8 vaiffeaux à la Martinique , favoir
3
Annibal , le Magnifique , le Dauphin Royal ,
le Diadême de 74 , le Réfléchi , le Vengeur, l'Ar
réfien de 64 , & le Fier de so «,
dog contab do zaldit
( 37 )
Le Capitaine d'un bâtiment mouillé à la
Rochelle , & venant auffi de la Martinique
, eft le feul qui parle de l'arrivée d'Arbuthnot
à la Barbade , dans une fituation
déplorable . Cet avis en général paroît trop
précoce. Les lettres de Londres du 18 portent
que cette efcadre fortie de Shandy-
Hook le 31 Décembre , a été difperfée par
la tempête. On dit que l'Amiral Parker a
été tué dans le combat contre M. de la
Mothe- Piquet aux attérages de la Martinique.
On
En même tems qu'on travailloit à l'armement
de l'efcadre de M. de Guichen , écrit- on de Breft ,
on s'occupoit vivement des travaux du Pórt. Des!
4 vaiffeaux de l'efcadre de M. le Comte d'Estaing ,
le Languedoc , le Céfar , la Provence & le Fantafque
, les trois derniers font déja carénés &
fortis du baffin , où le Languedoc va entrer.
efpère lancer à la pleine lune de Mars , le Royal,
Louis , le Northumberland & l'Aftrée. Après avoir
mis à la mer 43 vaiffeaux de ligne en un mois de
tems , à dater du moment que les ordres de fa
Cour font arrivés , il en eelſtt parvenu de nouveauxy
pour en armer fix autres en toute diligence. Ce
font le Duc de Bourgogne de so canons , Com
mandant M. de Ternay , Chef d'efcadre ; le Neptune
de 74 , M. Deftouches ; le Magnanime 74 , M.
de Vaudreuil ; L'Eveillé de 64 , M. de Trobriand ;
le Jafon de 64 , M. de la Clocheterie, & l'Ardent
ou la Provence de 64 , M. de Marigny. On doit
embarquer , dit-on , fur cette efcadre 2000 hom
mes ; on la dit deftinée à une expédition incon
nue ; & toutes les probabilités font qu'elle l'eft .
pour l'Amérique Septentrionale , où l'on peut attaquer
Terre- Neuve , Hallifax ou d'autres poftes ;
་ ་
( 38 )
on eft informé d'ailleurs que les Américains ar
ment puiffamment à Bofton. La Bretagne va rentrer
dans le Port pour être carénée , & on travaillera
tout de fuite à fon réarmement «<,
Le Capitaine commandant la frégate
corfaire la Marquife de Seignelay , eft entrée
au Havre avec deux prifes Angloifes ;
ce font des navires à trois mâts , Fun de
350 tonneaux , armé de 16 canons , chargé
de 2000 barils de boeuf , beurre , & c.; l'autre
de 250 tonneaux & chargé de farine.
L'un & l'autre étoient partis d'Angleterre
pour l'Amérique Septentrionale ; il a coulé
bas un flibustier qui a refufé d'amener , &
il a mis à la côte un autre bâtiment Anglois
qui étoit fur fon left.
Le corfaire la Princeffe de Robeck , Ca
pitaine Canet , eft rentré à Dunkerque le
16 de ce mois après avoir dépofé au Havre
pour 60,000 liv. de rançon. Il fait plu
feurs prifes dont les unes ont été repriſes.
& les autres ne font pas encore arrivées.
a
On n'a pas lu fans intérêt la relation des
malheurs qu'a effuyés M. Chevalier dans
les déferts de l'Arabie , en fe rendant de
Suez au Caire ; le voyage de M. Borel du
Bourg , Capitaine au régiment de Pondichery,
n'intéreffera pas moins , fur tout fi
l'on fait attention à l'époque de fon voyage
& à l'objet de fa miffion .
CHARGÉ par le Gouvernement , des dépêches les
plus importantes pour Pondichéry , je partis le 20
Juillet 1778. Les vents me retinrent à Marseille juf
qu'au 14 du mois d'Août qu'on mit à la voile. J'a-
4
( 39 )
"
bordai en Syrie le 14 Septembre ; & le 27 je me
trouvai à Alep.
me
Mon premier foin fut de remettre au Conful la
lettre de Mgr. de Sartine , qui lui enjoignoit expreffément
de prendre toutes les précautions néceffaires
pour affurer le fuccès de mon voyage ; il n
dit qu'il n'ofoit prendre fur lui une pareille entreprife,
que le défert qu'il me falloit traverser étoit alors
infefté de brigands , & que les Arabes qu'on employoit
ordinairement dans les efcortes , obfervoient
alors un carême rigoureux , qui ne leur permettoit
pas de voyager. Je pris alors le parti de lui écrire que
je me chargeois moi-même de tous les évènemens
& que quelque danger qu'il y eût à courir , je voulois
abfolument pafler outre. Vaincu par ma perfévérance
; il découvrir enfin à force de recherches & .
d'argent , dix-fept guides bien armés & un domeftique
pour me fervir d'interprète. Je rifquois fans
doute ma vie , mais j'aimois beaucoup mieux en
faire le facrifice , que de m'expoſer au déshonneur de
manquer mon devoir.
à
Nous partîmes le 4 Octobre , montés fur des chameaux
; nous entrâmes dans ce défert qui joint Alep;
& le 20e. jour au matin , à la diftance de 20 heures'
de Grey; nous fumes arrêtés par un corps de 30
Arabes qui nous harcelèrent toute la journée;je tâchai
de m'en débarraffer fur le foir , leur faifant offrir
une récompenfe, s'ils vouloient nous accompagner .
jufqu'à notre deſtination.
lls demandèrent cent fequins , lorfque venant tout
à coup à changer d'avis , ils ne me proposèrent plus
d'autre accommodement , qu'un abandon général de
tout ce que j'avois .
A cette propofition & à d'autres infâmes , le fang
s'alluma dans nos veines , nous prîmes le parti de
vaincre ou de mourir , nous les attendions de pied
ferme ; & voyant qu'ils s'approchoient , nous prévinmes
par deux décharges leur impétuofité prête à
fondre fur nous ; ils répondirent à coups de fufils
( 40 ))
toute mon eſcorte für renversée , je reftai feul , &
allailli de tous côtés par ces brigands , dont le nombre
fe montoit à plus de 150.
Je mé cius à mon dernier moment , mais je voulus
vendre ma vie : je fis ufage de mes deux pistolets ;
& me fentant cruellement atteint d'un coup de lance ,
je plongeai mon fabre dans le corps de l'affaffing ceux
qui me ferroient de plus près , faifirent ce moment
pour me percer de toutes parts.
Je tombai fans connoiffance , & quand je revins à
moi , je me trouvai baigné dans mon fang. Je traînai
ma douloureuſe exiſtence vers un feu entouré de ces
malheureux . Je favois qu'en en prenant un par la
ceinture , on étoit für de fa protection ; j'atteignis ,
dans le défordre où ils étoient , le premier qui fut
à ina portée , & qui me fecourant au gré de mes
defirs , retint fes camarades lorfqu'ils alloient m'a.
chever ; puis me tirant à l'écart , il me donna de
l'eau pour étancher ma foif, me couvrit d'un manteau
, banda mes plaies ; & après m'avoir répété plus
fieurs fois malec , qui , dans leur langue , fignific
ne craignez rien , il difparut.
Je paffai la nuit dans ce terrible abandon , & dès
la pointe du jour ils revinrent encore exercer fur moi
leur fureur , en arrachant jufqu'au manteau dont on
m'avoit couvert , fans doute à deffein de fe convaincre
fi je n'avois pas caché quelqu'argent' ; comme je
fis figne qu'il ne me reftoit abfolument rien , ils
m'amenèrent quatre de mes conducteurs & mon domeftique
, les feuls qui avoient échappé à la mort
mais qui fe trouvoient cruellement bleffés.
Je fis tous mes efforts pour les engager à me tranf
porter à Gren , & fur- tout à me rendre mon portefeuille
, leur promettant tout ce qu'ils exigeroient,
& leur offrant même juſqu'à mon domestique pour
garant.
Animés d'une nouvelle rage , ils alloient me couper
la tête , quand les moins forcenés arrêtèrent les
plus barbares , & les obligèrent à me laiffer à la
( 41 )
merci des évènemens avec les cinq perfonnes qui me
reftoient.
L'eſpoir du gain ramena un de ces brigands fur
fes pas je le conjurai de toutes mes forces de me
rendre mon porte - feuille , & de venir à notre aide ;
il fe lailla fléchir ; mes papiers me furent, rapportés
fous la condition que je donnerois trente feqnins ;
j'en promis quarante de plus , s'il vouloit nous faire
conduire à Gren ; il y confentit ; mais avant qu'il
nous eût donné des fecours , il nous fallut effuyer
toute la chaleur du jour , fupporter la faim , la foif
& les horreurs de la nuit ; & ce ne fut qu'après tout
ces contre tems qu'enfin on nous traîna plus morts
que vifs jufqu'à la ville de Gren , où nous arrivâmes
le 27 Octobre. !F ནིཡཱ ཝཱ 'ནཱབྷོ ཏིདྡྷིམ
1
Ne pouvant y trouver aucune reffource , & me
fentant hors d'état de gagner Baffora , j'envoyai un
exprès chez le fieur Rouffeau qui faifoit les fonctions
de Pro-Conful ; je lui expofai ma fituation , & la
veille dujour que la réponſe devoit arriver , c'est- àdire
la nuit du 3 au 4 Novembre , 40 Anglois vin
rent m'enlever de force , & quoiqu'à demi -mort, me
transportèrent fans humanité fur le corfaire l'Aigle
qu'ils expédierent fur-le- champ pour Bombay : procédé
d'autant plus révoltant , qu'ils ne vinrent
bout de leur perfide deflein qu'après avoir corrompu
le Gouverneur à prix d'argent , & lui avoir faulement
attefté que j'étois de leur Nation . T
A peine fus - je arrivé à Bombay , qu'on vint me
demander ma parole , en me déclarant prifonnier ,
& me difant que je pouvois écrire au Gouverneur
fi j'avois quelque chofe à lui communiquer.
Je lui adreffai une lettre pleine de vigueur , je m'y
plaignois amèrement de ce qu'on m'avoit enlevé contre
le droit des gens , dans un pays abfolument neytre
, & de ce qu'on vouloit me regarder comme
prifonnier je n'acceptai rien des offres qu'on me
fit , & je fus fingulièrement étongé de me voir conduit
dans un fort par des Officiers qui me gardoient
( 421)
ayue, malgré les promeffes qu'on m'avoit données
de me laiffer une honnête liberté ; ils me balotoient
d'un jour à l'autre ; & fans ma fermeté qui les déconcerta
, je ne l'aurois pas recouvrée. Ce ne fut que
d'après mes plaintes réitérées , contre l'outrage qu'on
faifoit à ma Nation , qu'ils fe déterminèrent enfin à
me laiffer partir fur un bâtiment qui alloit à Baffora,
A cette époque , j'empruntai 250 roupies pour
fatisfaire à mes befoins les plus urgens , dont je
donnai traite fur le Conful d'Alep.
Je n'aurois jamais imaginé qu'en vertu d'un ordre
exprès du Confeil de Bombay , on me retiendroit
encore 20 jours à Ballora : fi je pris alors de l'ar
gent pour continuer ma route , ce ne fut qu'en
donnant de bonnes sûretés , ne voulant leur avoir
aucune forte d'obligation .
Le malheur, toujours obftiné à me poursuivre ,
m'ouvrit une nouvelle carrière de peines & de périls;
le Roi de Perfe venoit de mourir , & cet évènement
qui mettoit les Arabes aux prifes avec les Perfans ,
couvroit les bords de l'Euphrate de combattans , je
ne remontai ce fleuve qu'en me voyant tantôt infulté,
tantôt pillé , & toujours prêt à étre malfacré : je me
rendis à Hilla , & dela à Bagdad , où je n'eus garde
de reprendre la route du défert , & d'où je m'ache
minai à travers la Province de Mofful , Diarbeck &
Curdeftan , pour aller joindre Alep ; je n'avois qu'un
tartare pour me conduire , & ma cruelle deftinée fut
d'être encore dépouillé près la ville d'Antap ; des
Curdes , efpèce d'Arabes , fondirent fur nous , au
nombre de vingt , & nous enlevèrent tout ce que
nous avions.
C'eft ainfi que le voyage le plus propre à prouver
mon zèle & mon patriotifme , eft devenu le tourment
de ma vie , moins par les dangers que j'ai
couru & qui ont totalement altéré ma fanté , que
par le vif chagrin de n'avoir pu feconder les intentions
d'un Miniftre qui m'avoit honoré de fa
confiance & de fes bontés.
( 43 )
La révifion du procès du feu Comte de
Lally ne peut que piquer la curiofité de
nos Lecteurs ; nous nous propofons de
rendre compte des progrès de cette affaire
intéreffante , & nous donnerons aujourd'hui
les détails fuivans extraits d'une lettre de
Rouen du 9 de ce mois.
» Le jeune Comte de Lally & M. Duval de Prémefnil
, Confeiller au Parlement de Paris , fe font
rendus ici pour plaider eux -mêmes leur caufe.
Cet acte de courage & de dévouement filial de la
part du premier porte au plus haut degré l'intérêt
univerfel qu'il a infpiré ; cet intérêt d'un côté
& de l'autre les talens connus de fon Adverfaire ,
attirent ici un concours prodigieux . C'eft un fpectacle
affez nouveau , en effet , que de voir defcendre
dans la même arêne un Guerrier & un Magiftrat
, & d'entendre retentir dans le Barreau la
voix d'un jeune Militaire .
Le fujet de cette plaidoirie tire fa fource des
Mémoires juftificatifs du feu Général Lally , dans
lefquels il avoit inféré plufieurs imputations contre
fon dénonciateur , M. Duval de Leyrit , Gouverneur
de Pondichery pour la Compagnie des Indes.
M. de Prémefnil , fon neveu & fon héritier , alors
Avocat du Roi au Châtelet de Paris , n'attaqua
point le Général Lally vivant ; aujourd'hui Confeiller
au Parlement de Paris , après treize ans de
filence , il attaque le Général Lally mort , & vient
demander raifon au jeune Comte fon fils de ce que
fon père a dit. Sa Requête préfentée au Parlement
de Rouen a fufpendu le rapport qu'un travail
laborieux avoit mis M. Mouchard , Confeiller-
Rapporteur du procès du malheureux Général en
état de commencer.
Les parties ont comparu aujourd'hui à l'Audience
où M. de Préniefnil a pris fes conclufions divifées
ainfi . Quant au jeune Comte de Lally , il a perfifté
(
44)
à demander la fuppreffion des Mémoires de fon
père , & s'eft réfervé à demander la fuppreffion
de ceux qu'il pourroit produire & qui parviendroient
à fa connoiffance .
4
19
Quant à MM. de Chaponnay, Alleu , Gadeville
& Poully , il a déclaré qu'il n'étoit pas leur Adverfaire.
Quant à ceux qui ont été déchargés
tels que MM . Rochette , & c. , il a déclaré que fa
caufe étoit commune avec eux ; qu'il faifoit des
voeux pour que leur innocence remportâr un triom
phe plus durable. Quant à M. de Fumel , nonfeulement
il a fait les mêmes voeux pour lui ,
mais il invoque fon témoignage comme celui d'un
Officier refpectable fait pour juger fainement la
conduite qui a été tenue dans l'Inde , & pour
attefter que M. de Leyrit n'avoit pas eu un feul
approbateur , & que M. de Lally n'avoit pas eu
un feul Cenfeur qui ne fût inviolablement attaché
au Service du Roi . Quant à M. d'Aché , il fe propofe
d'ajouter une palme à fa couronne , & d'a
doucir par- là le malheur d'un Vice-Amiral de France
rappelle en Jugement après douze années par un
évènement inattendu , &c. , &c.
Il paroît que M de Prémefnil embraffe un plan
bien vafte, & qu'il ne fe bornera pas feulement à
la défenſe de fon oncle , mais qu'il entreprendra
aufli celle des témoins , cenfeurs & accufateurs ;
enfin celle de tous ceux qui ont été entendus contre
le feu Comte de Lally. Si le jeune Lally fuit le
même plan dans fa réponſe , le procès du feu Gé
néral aura cette feconde fois autant de publicité en
France , que celui de l'Amiral Keppel en a eu en
Angleterre.
MM . les Actionnaires dans l'Armement à Nantes,
dont le Profpectus a paru aux yeux du Public en
Février de l'année dernière , font prévenus que la
fuite de cette opération , que le défaut d'actions &
le reu d'ardeur de leurs compatriotes pour ce genrent
de fpéculation maritime , a forcés de réduire à une
( 45 )
1
divifion de deux frégates de 44 canons chacun , &
une corvette , dont la conftruction eft en activité
dans le Port de Grandville , eſt maintenant confiée
aux foins de MM . le Séfne & Compagnie , Négocians
rue Bailleul ; le fieur Defgranges , leur ci -de-"-
vant affocié , ayant été obligé , pour des affaires
qui lui font perfonnelles , & qui font incompatibles
avec ce genre d'affaires , de dilloudre la fociété ,
en demeurant toutefois garant , conjointement avec
les fieurs le Séfne & Compagnie , de tous les engagemens
contractés envers les Actionnaires , pour
raifon de cet Armement tant fous la premiere
fignature de Defgranges & Compagnie , que lous
celle qui s'en eft enfuivie de Defgranges , le Séfne
& Compagnie.
MM. le Séfne & Compagnie donneront aux Intéreffés
tous les éclairciffemens qu'ils leur deman
deront fur l'activité de leurs conftructions , & le
tems préfix ou leur expédition fera prête à mettre à
la mer.
De BRUXELLES , le 29 Février.
ON ignore, encore l'effet qu'aura produit
en Hollande la dernière déclaration faite
par la Cour de Londres à l'Ambafladeur de
la République ; on doit trouver un peu
étrange qu'on n'ait penfé à affurer les Hollandois
, qu'on obferveroit avec eux le droit
`des gens qu'au moment où on leur annonce
de l'indifférence , & qu'on ait négligé de
l'obſerver pendant qu'on les follicitoir de
prendre le parti de l'Angleterre dans la
guerre actuelle. Cet arrangement eft fans
doute tout ce qu'ils demandent ; la faculté.
de garder la neutralité ; ils en auroient été
plus sûrs en commençant & fur-tout ils l'auroient
fait refpecter , s'ils avoient eu foin
is
( 46 )
d'armer & de fe montrer en état de repouffer
les infultes.
La déclaration de la Cour Britannique
leur annoncé que l'on continuerà à viſiter
& à faifir leurs vaiffeaux : on dit que le Fail
lant , de 74 canons , en a encore arrêtés qui
Le rendoient à Breft , chargés de grains , de
provifions de bouche & de provifions navales
, qui ont été envoyés à Plimouth . On
craint que les autres Puiffances belligérantes
ne foient pas contentes que la République
fe laiffe ainfi trairer par les Anglois ;
on dit même que le ministère Espagnol a
déclaré que fi la République fouffre que les
Anglois violent impunément fon pavillon ,
P'Espagne en ufera de même , & n'aura plus
d'égards pour les convois Hollandois qu'elle
arrêtera & vifitera fans diftinction , qu'ils
foient ou ne foient pas eſcortés .
" Le Peuple , écrit- on d'Anvers , étoit ici dans,
l'ufage de faire tous les ans une grande maſcarade
dont l'objet étoit de fe moquer de plufieurs de fes
Supérieurs, en parodiant quelques-unes de leurs actions
, & en cherchant à jetter du ridicule fur
toutes. Ces plaifanteries , quelquefois fatyriques ,
n'avoient apprêté qu'à rire , & le Gouvernement ne
fongeoit pas à les réprimer. L'année dernière on les
avoit pouffées trop loin ; la méchanceté & l'indécence
avoient attaqué un Prélat refpectable , &
avoient été jufqu'à revêtir un cochon des or
nemens pontificaux . On a cru devoir interdire cette
année ces divertiffemens fcandaleux , qui terminoient
ceux du carnaval , & n'avoient lieu
premier Dimanche du Carême. Malgré cette dé
fenfe , un nombre confidérable de jeunes gens s'eft
attroupe ; on a voulu les diffiper ; il y a eu rixe ;
que le
(47 )
t
un Membre de la Magiftrature a été bleſſé ; cependant
les fages & vigoureufes mesures qu'on a
prifes fur le champ pour appaifer le tumulte , ont
eu leur effet ; l'ordre a été bientôt rétabli , & il eſt
vraisemblable que les mafcarades n'auront pas lieu
l'année prochaine .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 20 au 21 Février.
ON eft inquiet de 7000 hommes de l'armée
embarquée par le Général Clinton , partie de Sandy-
Hook le 23 Décembre. Tous les vaiffeaux fortis
en même-tems pour l'Angleterre fous l'escorte de
la frégate le Solebay , ont été difperfés . Heureufement
les vaiffeaux de guerre & les bâtimens
chargés de provifions ne devoient partir pour les
fuivre que le to Janvier.
Le Gouvernement & les Marchands Commerçans
aux Ifles du Vent viennent d'apprendre quelque
chofe de bien contrariant. Le Paquebot le
St-John parti le 15 Janvier d'Antigoa , & arrivé
le 13 Février , n'a apporté aucune lettre , quoiqu'à
fon départ on lui en eût remis plufieurs milliers
. Aux attérages d'Angleterre il a rencontré
un bâtiment qu'il a pris pour un corſaire ennemi
& a jetté toutes fes malles à la mer. Quand ils
ont été à la portée du canon , il s'eft trouvé que
c'étoit un corfaire de Guernesey..
Depuis qu'on fait M. de Guichen parti de Breft
pour les es le 2 Février , le Confeil du Cabinet
a demandé à Mylord Sandwich pourquoi les
20 vaiffeaux qu'il a toujours dit être prêts n'étoient
point partis . Il a répondu qu'ils feroient
prêts affez tôt. Cependant on peut être fûr que les
fept commandés pour fortir avec le Commodore
Walfingham , ne feront pas en état de partir de
quinze jours. Il n'y en a pas un feul autre qui
puiffe être en état de renforcer cet armement.
Nos Marchands font défolés que la divifion de
M. de la Mothe-Piquer foit revenue fi heureufement
à la Martinique. Ils n'efpèrent plus la re
prife de la Grenade , ni aucune expédition favorable.
Les François vont être les maîtres de ces
ti
( 48 )
mers. Nous n'avons point de forces réelles à leur
oppofer. La petite Elcadre de Walfingham n'eſt pas
prête , & le Chevalier Rodney eft à Gibraltar avec
fes prices Espagnoles . La victoire remportée le
16 Janvier nous coûtera quelqu'une de nos Ifles.
Les bâtimens de tranfport chargés de troupes &
de bâteaux plats , partis de Portſmouth le 28
Janvier fous le convoi de l'Intrépide de 64 canons
ont été difperfés le lendemain ; partie cft entrée
à Corke & à Kinfale. Le Colonel St-Leger
qui y eft embarqué avec le régiment levé par le
Duc de Rutland , a écrit aux Miniftres , pour favoir
s'ils daigneroient s'ouvrir affez avec lui fur
la deftination fecrète de l'expédition pour lui dire
où il doit aller. Les ordres donnés par l'Amirauté
à cette flotte n'ayant prefcrit aucun rendez- vous ,
& ne s'étant trouvé fur les vaiffeaux aucun pa
quet cacheté à ouvrir en cas d'accidens , il eft
entré douze bâtimens avec l'Intrépide à Corke ,
fans favoir que devenir , & ils y attendent de
nouveaux ordres. Le nombre des hommes eft d'environ
1200. Il peut y en avoir autant à Kinfale,
Voilà une expédition dont le fuccès eft bien hafardé
, mais ce n'eft pas la feule faute qu'on a
faite en la preffant trop. Les troupes n'étoient ni
chauffées , ni vétues ; & il n'y avoit avec le convoi
aucun vaiffeau hopital . - Ón croit que l'Exprès
qui fuivoit la flotte avec les inftructions , en a été
éloigné par un coup de vent.
Il échapa le 2 de ce mois un trait d'inconfé
quence remarquable à M. Wilkes ; fur les deux
heures après midi , il fit une motion dans l'aſſemblée
de Weftminſter pous engager les Lords qui s'y
trouvoient à employer leur crédit & leur influence
auprès des Electeurs de leur dépendance , pour faire
élire M. Fox député de Weſtminſter à la prochaine
élection générale ; deux heures après dans la chambre
des Communes , le même John- Wilkes , fit
férieufement & folemnellement cette motion : qu'il
feroit porté une cenfure contre le Duc de Chaudos
pour avoir fait ufage de fon crédit & de fon influence
, en qualité de Pair , four faire élite un
candidat de ſes amis, ”
"
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le I1S5 Janvier.
ON travaille fans relâche dans notre arfenal
à l'équipement de la flotte qui doit être
prête au printems prochain ; le nombre des
vaiffeaux qui doivent la compofer eſt trèsconfidérable
; il appuie l'opinion de quelques
perfonnes qui croient qu'elle fera partagée
en trois divifions , dont chacune fera chargée
d'une miffion différente ; une fe rendra
à Sinope où il s'eft élevé quelques troubles ;
la 2 fera voile pour la Morée ; & la 3e eft
deftinée à rétablir l'autorité du Grand - Seigneur
en Egypte. Celle - ci fera plus forte que
les autres , & fera fous les ordres du Capitan-
Bacha. Cet Officier préfide lui - même à ces
travaux ; fa préfence n'a pas peu contribué à
prévenir les fuites d'un accident qui eft arrivé
le´s de ce mois à l'arfenal ; le feu prit
à un vaiffeau de guerre qu'on carénoit , &
quiavoit été violemment échauffé ; les ordres
fages & prompts que le Capitan - Bacha donna
fur- le-champ , fauvèrent le bâtiment qui a
été peu endommagé.
II Mars 1780.
( 50 )
» La Frégate Françoife la Flore , commandée par
le Chevalier de Ventimille , écrit- on de Smyrne ,
eſt arrivée ici le 28 du mois dernier , avec les bâtimens
qu'elle avoit fous fon convoi . Mais elle a remis à
la voile le jour fuivant , parce que le Commandant
a été inftruit que deux jeunes Grecs venoient de
mourir de la pette dans un bain . On n'a point appris
cependant que ce fléau fe foit manifefté ailleurs; &
cette circonftance fortifie le bruit qui fe répand que
les deux Grecs ont été maſſacrés , & qu'on a publié
qu'ils avoient été les victimes de la peſte pour prévenir
les recherches de la Juſtice «.
La Porte n'eſt point encore décidée fur le
parti qu'elle prendra pour empêcher les Armateurs
des Puiffances belligérantes de s'attaquer
, & de gêner le commerce dans l'Archipel.
On dit qu'elle a répondu aux plaintes
de l'Ambaffadeur de la République des Provinces
-Unies , qu'elle avoit fait des repréſentations
à ceux de France & d'Angleterre ,
qui l'avoient affurée que fous peu de jours
ils comptoient recevoir des inftructions fatisfaifantes
de leurs Cours ; qu'elle attendoit
ce qu'ils lui communiqueroient en conféquence
; mais que s'il n'arrivoit point de réponſe
, elle enverroit quelques vaiffeaux de
guerre pour protéger le commerce & la navigation
dans fes mers , & l'honneur & la
liberté de fes ports. On ajoute qu'elle a envoyé
fecrettement un Hatichérif à Smyrne ,
pour témoigner à la Régence de cette ville
combien elle eft mécontente des défordres
commis dans ce port par les Corfaires étran
gers , & pour lui enjoindre de les faires ceffer.
( si )
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 30 Janvier.
POUR accélérer les travaux des nouvelles
fortifications du château de Kronembourg ,
& économiser fur les dépenfes qu'ils entraînent
, on employoit depuis long- tems des
forçats ; leur nombre s'étoit accru jufqu'à 90 ;
la garde du château ne confiftoit qu'en 25
hommes. Ils ont cru qu'elle n'étoit pas fuffifante
pourles contenir, & ont formé le deffein
de recouvrer leur liberté par la fuite. Pour
cet effet , ils devoient s'évader par les cheminées
de leurs prifons , tuer la fentinelle
& les foldats de la garde , s'ils ne les engageoient
pas à les favorifer & à déferter ;
l'Officier qui la commande devoit avoir le
même fort. Au fortir du château , ils fe propofoient
de gagner un village de pêcheurs
où demeure un particulier riche qu'ils auroient
volé & maffacré ainfi que fa femme &
fes enfans ; après cela ils auroient forcé les
pêcheurs à les tranfporter en Suède. Ce complot
dont l'exécution eût été facile , a été
heureufement découvert par un des complices
. On a pris auffi- tôt les mesures néceffaires
; les coupables ont été refferrés plus
étroitement ; & on leur fait actuellement
leur procès.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 12 Février.
7
On dit qu'il y aura cette année , comme
C 2
( 52 )
avant la dernière guerre , divers camps en
Bohême & en Moravie , & un à Minkendorf
près de Laxembourg , & que l'Empereur fe
propoſe de s'y rendre fucceffivement.
LL. MM . II. & R. ont réfolu de ne plus
employer en qualité de couriers , que les
gardes nobles Hongrois ; les couriers de cabinet
feront fupprimés. Les gardes nobles
qui en feront les fonctions , réduits aujourd'hui
à 60 hommes , feront rétablis fur l'ancien
pied , c'est-à- dire à 140.
On mande de Prague que l'on vient d'achever
le maufolée que l'Empereur fait ériger à
la mémoire du Baron Charles Reinhard
d'Ellrichshaufen , Général d'artillerie . Il eft
de marbre , orné de trophées entrelaffés de
lauriers dorés . On voit au milieu les armes
du Général avec les marques de l'Ordre de
Marie-Thérèfe , & au-deffous une infcription
en lettres d'or.
L'Impératrice- Reine , par une réfolution
en date du 21 du mois dernier , a érigé en
ville libre la ville de Cinq-Eglifes , en Baffe-
Hongrie . On fe flatte qu'elle ne tardera pas
à profiter de tous les avantages de fa franchife
, qui en a produit de grands dans toutes
celles auxquelles on a accordé la même
faveur.
בכ »DepuisqueCarlstadtaétéérigéenville
franche , écrit un Marchand de cette Ville , le commerce
y fleurit tous les jours de plus en plus . Des
tranſports confidérables venant de la Hongrie, paffent
fréquemment par ici pour fe rendre aux côtes de la
mer & de là dans des pays plus éloignés , L'année
( 53 )
dernière il en a été expédié vers les côtes pour être
transporté plus loin , plus de 60, coo quintaux de
tabac , & 300,000 feptiers de grains tirés de la
Hongrie qui ont produit au moins un million de flor.
Les habitans du Comté de Szeverin ont gagné par
le charroi feul 60,000 florins . Le foin avec lequel
on bâtit des Ponts par tout où l'on en a befoin &
on répare les chauffées , mérite la reconnoiffance du
public . Si l'on conftruifoit auffi des Ponts fur la Save
& la Drave , nous n'aurions rien à défirer. Notre
Magiftrat s'occupe ici à procurer au commerce toutes
les commodités poffibles . Pour détruire les obftacles
qui s'oppofent à la navigation , il fait déblayer la
Kulpe & la Save par -tout où le paffage en pourroit
être moins facile. Il a été conftruit fur nos chantiers ,
depuis 3 ans , dix gros bâtimens fur le modèle de
ceux qu'on employe en mer. On ne difcontinue
point de bâtir. Tous les ans on voit s'élever des
maifons neuves & des magafins , & le nombre des
Négocians étrangers qui viennent s'établir ici s'accroît
journellement. De pareils fuccès affurent que
dans peu de tems cette Ville fera l'une des plus
riches & des plus floriffantes des Etats Héréditaires" .
De RATISBONNE , le 14 Février.
LA Diète reprend aujourd'hui fes féances ,
interrompues par les vacances du Carnaval ;
on ne doute pas que la ratification de la paix
de Tefchen ne foit propofée dans la prochaine
affemblée . Comme quelques Etats de
l'Empire ont paru défirer que l'ón inférât dans
cette ratification la claufe defauf les droits
de chacun , il a paru une note fur les inconvéniens
qui réfulteroient de cette réſerve .
» Par cette clauſe on ôteroit leur efficacité à la
plupart , pour ne pas dire à toutes les conditions
c 3
( 54)
du Traité de Tefchen , qui deviendroient fufcep
tibles d'une difcuffion juridique & d'une décifion
arbitraire. LL. MM. II . & RR. ayant figué & 1atifié
ce Traité fans exception ni réſerve , leurs Mi
niftres n'en peuvert faire aucunes. Sans cela , ni le
Roi de Pruffe , ni la Maifon Palatine ne pourroient
faire aucun fond fur ce qui a été ftipulé en leur faveur.
Les Traités de Weftphalie , de Breſlau ,
de
Berlin & de Habertzbourg , renouvellés & ratifiés
par l'Article XII de Tefchen , feroient mis dans
un état d'incertitude par cette clauſe , contre laquelle
l'art. 14 de ce même Traité eft décifif , puifqu'il
porte expreffément que S. M. l'Empereur &
l'Empire font requis par toutes les Puiffances intéreffées
& contractantes d'accorder à ce préfent
Traité & aux actes & conventions qui en font partie
, & de donner leur confentement par écrit à
toutes les ftipulations qui y font contenues. Le
Miniftre Autrichien eft donc obligé de s'y confor
mer pleinement dans fon fuffrage , & d'y donner
un confentement plein & fans réſerve. Tous les Miniftres
Electoraux & ceux des Princes doivent opiner
de même , fi l'on veut fatisfaire entièrement à
l'article dont il s'agit ici «.
Le décret de commiffion par lequel l'Empereur
a demandé l'avis des deux fuprêmes
Colléges de l'Empire pour conférer les fiefs
qui y font devenus vacans par la mort de
l'Electeur de Bavière , a donné lieu à un
Mémoire de la part du Collége des villes ,
qui fe plaint de ce qu'on n'a pas demandé
auffi fon avis.
Dans l'Art. XI , § . 10 de la Capitulation Impériale
, il eft dit : » Nous ne devons , ni ne voulons
conferver déformais les Fiefs vacans de l'Empire ,
que comme il fuit ; favoir : les Electorats du ſu &
confentement du Collège Electoral , & le Princi
( 35 )
*
pautés , Comtés , Seigneuries , Villes , & c. du fu
& confentement des Colléges des Electeurs & des
Princes ; de même que s'il s'agiffoit d'une ville de
l'Empire , de celui du Collège des Villes Libres Impériales
«. Cette difpofition , dit - on dans le Mémoire
, ayant été inférée la première fois dans la
Capitulation de l'Empereur Charles VI , du confentement
feul des deux fupérieurs Collèges ; celui
des Villes Libres de l'Empire avoit demandé alors
& depuis , à chaque occafion qui s'étoit préfentée ,
que le confentement de tous les Etats de l'Empire ,
& nommément celui des Villes Libres Impériales y
fut requis conformément à l'Art. VIII , § . 2 & 4
du Traité de paix de Weftphalie , ce qu'on avoit
auffi obfervé continuellement avant & après la Capitulation
de l'Empereur Charles VI.
L'Electeur Palatin , depuis fon avènement
au Gouvernement de la Bavière , a fait plufieurs
Règlemens qui ont tous pour objet le
bonheur de fes peuples. Il a entr'autres aboli
la fervitude de la glèbe dans les Communautés
de Nierftein , Dexheim & Schawbfbourg.
Les habitans ont célébré cet évènement
par des actions de graces & des réjouiffances
publiques.
,
» Le Roi , écrit - on de Berlin , continuant de
porter fon attention fur l'adminiſtration de la Jultice
, a fait publier un règlement de trois feuilles
d'impreffion concernant la manière dont il fera
procédé dans les différends entre les Seigneurs propriétaires
& leurs Vaffaux . S. M. y promet fes faveurs
aux Juges qui fe diftingueront par leur intégrité
, leur application & leur droiture . Voulant
en même-tems éclairer la conduite des Magiftrats
des Jurifdictions Municipales de fes Etats , elle a
nommé le Confeiller du Tribunal de la Chambre ›
( 56 )
Baumgarten , Commiffaire pour cette vérification , &
il a été annoncé dans nos feuilles publiques , que
tous ceux qui croient avoir de juftes plaintes à
faire contre les Magiftrats ou les Juftices Municipales
, doivent s'adreffer à ce Commiffaire , qui
fera redreffer les griefs qui feront trouvés fondés ;
mais que l'on punira fuivant les loix ceux qui auront
porté de fauffes accufations . Les Préfident , Bourgmeftres
& Confeil de cette Ville , en conféquence
d'un ordre du Roi , ont publié un avis
portant que perfonne ne fera tenu de payer des honoraires
à fon Avocat , que celui - ci n'ait obtenu
un arrêt de la Nation «.
Dernièrement , ajoutent les mêmes lettres ,
MM. de Merian & Bernoulli furent admis à l'aurdience
du Roi , à qui ils préfemèrent une nou.
velle Carte du Ciel , relativement à laquelle S. M.
eut une longue conférence avec eux .
ITALI E.
De RO ME , les Février.
LA difette d'huiles & de falaifons a
déterminé le S. Père à permettre , dans
l'Etat Eccléfiaftique , de manger gras pendant
le Carême , à compter du premier
Dimanche jufqu'au Mardi de la femaine
Sainte , à l'exception des Vendredis & des
Samedis. On apprend de Florence que le
même motif a engagé le Cardinal Archevêque
à donner la même permiſſion dans
fon Diocèfe .
L'Ordonnance que le Grand - Duc de
Tofcane a adreffée aux Supérieurs des Ordres
Monaftiques de fes Etats , de veiller
( 57 )
fur la conduite de leurs Religieux , & de
les rappeller à l'efprit de leur inſtitution ,
mériteroit d'être adoptée par - tout ; une
atrocité récente en fournit la preuve. Un
jeune Francifcain Sicilien , a aflaffiné dans
le mois dernier , fon Maître de Théologie
pendant qu'il faifoit fa prière . On
prétend qu'il a commis ce crime pour
fe venger de ce Religieux qui ne vouloit
pas lui permettre de fortir feul du Couvent
, comme on dit que c'est l'ufage en
Sicile. L'affailin a été arrêté à quelques
milles d'ici.
› Les Religieufes Oblates Camaldules.
ayant obtenu la Maifon & l'Eglife de
l'Ordre fupprimé de S. Antoine de Vienne ,
ont auffi obtenu du S. Père le droit qu'avoient
ci -devant les Religieux qu'elles remplacent
, de bénir les animaux le jour de
la fête du Saint , & de recevoir , à cette
occafion , les offrandes & les aumônes
publiques.
Parmi les objets de police intérieure qui
ont beaucoup occupé le Gouvernement de
Veniſe pendant les dernières années , on a
longtemps débattu au Sénat , s'il falloit
accorder aux Juifs établis dans les Etats de
la République , des Patentes en qualité de
Propriétaires de vaiffeaux. Cette affaire vient
d'être décidée à l'affirmative par un Décret
portant que ce privilége feroit accordé à
ceux de la nation Juive qui , jufqu'à la
( 58 )
date du Décret , ont payé à l'Etat 150 du
cats de taxe par an.
>
On mande de Milan que le 31 du mois dernier ,
pendant le Spectacle qui avoit attiré une grande
affluence de monde , un morceau du plafond de la
voûte fur l'Amphithéâtre fe détacha avec beaucoup
de fracas ; il ne fit heureuſement aucun mal ,
mais il infpira un effroi qui faillit en caufer beau
coup tout le monde s'empreffa de gagner les
portes de la Salle pour en fortir ; la preffe qui fe
faifoit fentir de ces côtés eût pu être funefte à
plufieurs fpectateurs , fans l'attention & la vigilance
des gardes , qui parvinrent à empêcher le
tumulte , prefqu'inévitable dans ces circonstances.
ESPAGNE.
De MADRID , le 18 Février.
Nous attendons encore avec la plus
vive impatience des nouvelles ultérieures de
Cadix , qui nous apprendront la fortie de
D. Louis de Cordova avec 26 à 28 vaiffeaux
de ligne , pour fuivre l'Amiral Rodney.
Le vailleau l'Ange - Gardien étoit rentré
à Cadix avant le 8 de ce mois ; & on y
attendoit d'un moment à l'autre le vaiffeau
François le Scipion , que le premier avoit
laiffé près du cap Sainte-Marie.
di.
Suivant des lettres reçues de l'Amérique par
vers particuliers , D. J. B. Bonnet , Lieutenant-
Général des Armées navales , qui croife dans les
Antilles , s'eft emparé d'un convoi de 16 bâtimens
Anglois qui faifoient voile pour la Jamaïque . Elles
ajoutent qu'ayant été informé que les ennemis méditoient
une expédition contre Porto- Ricco , il s'eft
( 59 )
rendu dans cette Isle pour la mettre à l'abri de toute
infulte ; & qu'en conféquence le convoi Anglois à
bord duquel le Gouverneur de la Jamaïque avoit
fait embarquer deux régimens , & qui devoit être
efcorté par deux vaiffeaux de ligne , n'avoit point
paru.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 25 Février.
.
LES bâtimens arrivés fucceffivement de
New-Yorck , n'ont apporté au Gouvernement
aucunes nouvelles de l'Amérique ; ou
du moins il n'a pas jugé à propos de publier
celles qu'il peut avoir reçues ; tout ce que
l'on fait d'après des rapports vagues , fondés
fur des lettres particulières , c'eft que le Général
Clinton , après avoir appareillé le 26
Décembre , effuya un orage affreux qui difperfa
la flotte qui ne put fe raffembler que 1 2
jours après , & qu'il ne remit à la voile que
le 12 Janvier. Cela ne nous apprend ni fes
projets , ni fa deſtination . Cela n'empêche
pas quelques papiers de nous rendre compte
de ceux qu'ils lui prêtent , & d'annoncer
déja les plus brillans fuccès dans la Géorgie
& dans les deux Carolines qui , à les entendre ,
font déja foumifes. Ils ne doutent pas que le
refte de l'Amérique ne fuive leur exemple ,
& qu'un accommodement avec les Etats-
Unis ne nous mette en état de porter toutes
nos forces contre les établiffemens Espagnols.
Les conditions de cet accommodement font ,
felon eux, celles- ci . » La légiflation Britannique
abandonne toute jurifdiction & toute
c 6
( 60 )
autorité fur l'Amérique qui , de fon côté ,
renonce à fon alliance avec la maifon de
Bourbon , & reconnoît le Roi George III
pour fon légitime Souverain . Elle confent à
payer chaque année un tribut à S. M. Le
paffé fera généralement oublié de part &
G'autre ". Il feroit fans doute à fouhaiter que
ces nouvelles euffent quelqu'apparence de
fondement ; mais tout nous prouve qu'elles
n'en ont aucune , & que nous ne devons pas
nous flatter de traiter déformais avec l'Amérique
que comme avec une Puiffance indépendante
, pour laquelle nous allons devenir
étrangers comme pour toutes les autres.
Notre pofition aux Antilles eft toujours
inquiétante depuis qu'on fait que M. de
Guichen a mis à la voile pour s'y rendre. On
preffe l'équipement de l'efcadre du Capitaine
Walfingham ; mais elle ne peut pas être en
état de mettre à la voile avant le 8 du mois
prochain au plutôt ; & nos ennemis auront
alors une avance de plus d'un mois. Ils auront
le tems de profiter de la fupériorité que
leur donnera l'arrivée de M. de Guichen. Le
Général Walfingham ne conduira que 7
vaiffeaux dans ces mers , & ce nombre n'eft
pas proportionné au befoin . Notre unique
efpérance eft que l'Amiral Rodney qui a eu
le bonheur d'entrer à Gibraltar , fera fecondé
encore par la fortune , & qu'elle l'en fera
fortir pour fuivre les traces du Comte de
Guichen , & arriver le plutôt poffible après
lui. Alors l'égalité pourra fe rétablir , & fi
( 61 )
nous ne faifons point de conquêtes dans les
Antilles , nous pouvons efpérer du moins de
parvenir à mettre obftacle aux entrepriſes
des François.
La néceffité d'augmenter nos forces en
Amérique & dans les Ifles , ne diminue pas
celle où nous fommes d'en conferver de
refpectables en Europe. Pour juger plus facilement
de nos moyens , on a fait le tableau
fuivant de comparaifon des Etats de la
marine en 1768 & en 1779.
Vaiffeaux de ligne.
1768. 1769 .
Canons. Vaiſleaux En
existants. conftruct,
En com Hors de com.
120 I •
116
100 · 3
90
84
NOΙΟ
2 •
2 4
13
7. K

180 · 7
74 • 30 •
70 • ΙΟ •
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460
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50
44
40
·
I
20
4
22 • 13
· 6
Vaiffeaux de so à 40.
22 • •
8 •
· • 10 ·
36
32
• 10
• 28 •
30
· · I

Frégates.
· 13
·
6
I
27



7
3
2
3
2
7
( 62 )
28
32
26 I •
24 · 14 ·
22 • • I ·
20
20
2
9 •

724
17
Corvettes & Vaiffeaux.
53 ·
32 •
· ·
35 ·
Le résultat de ce tableau eft qu'il y avoit en
1768 en commiſſion 117 vaiſſeaux de ligne , 16 en
conftruction , 40 de 40 à 50 canons , 104 frégates,
53 corvettes & vaiffeaux armés , montant en total
14954 canons. En 1779 , il y a eu en commiſſion
75 vaiffeaux de ligne , 1 hors de commiflion
de 50 à 40 canons en commiffion , 8 hors de
commiffion , 7 frégates en commiffion , 24 hors
de commiffion , 51 corvettes & vaiſſeaux armés ,
faifant en tout 13,172 canons.
19
>
Ce fut le 11 de ce mois que M. Burke
fit fa motion pour la réforme de la lifte
civile ; on compta dans fon parti 209 Membres
, & 238 dans celui du Miniftère. On
a remarqué que c'étoit la plus forte minorité
& la plus foible majorité qu'on ait vue
depuis la durée de l'adminiſtration actuelle ,
ou depuis Walpoole , fi on en excepte la
queftion des ordres arbitraires & des emprifonnemens
en 1764 ; le nombre des places
tériles dont M. Burke propofe la fuppreffion
eft de plus de 60 ; & il y en a de 10,000
liv. fterl. de revenus.
Le 21 , les Communes reprirent la motion faite
le 15 par le Chevalier Saville , pour la production
d'une lifte des penfions , à terme , viagères ou à
volonté , avec les noms des penfionnaires . Le Lord
North propofa deux amendemens à la motion ; &
( 63 )
"
·
dans cet état qui excita les réclamations du Cheva.
lier , elle paffà à la pluralité de deux voix feulement
, 188 contre 186. Le Miniftre confent à produire
la lifte des penfions ou traitemens fur l'échiquier
, dont le montant eft de 35,000 liv. fterl.;
mais il ne veut donner qu'en bloc celle des penfionnaires
de la lifte civile , dont le total eft de
58,000 liv. fterl . Le Lord North fit voir encore que
par les retenues fur les traitemens & penfions
fur la taxe foncière , le total fe réduifoit à 48,000
liv. fterl. & que par conféquent il reftoit bien peu de
retranchemens à faire ; il s'en faut de beaucoup que
la Nation foit de fon opinion : on a fait des relevés
des places fans fonctions , parmi lesquelles on
compte un Amiral , qui eft Général de troupes de
Marine , à 5 liv. fterl. par jour ; un Vice -Amiral ,
qui eft Lieutenant Général des Troupes de Marine ,
à 3 liv. fterl. par jour ; & trois Capitaines de Vaiffeaux
de ligne , qui font Colonels de troupes de
Marine , à 40 fchellings par jour chacun ; en tout
14 liv . fterling par jour , ce qui monte à 5110 liv.
fterl .par année : tous ces Officiers ont été d'ailleurs
extrêmement bien pourvus par le Gouvernement.
" Le Lord Anſon , d'heureufe mémoire , obſerve un
de nos papiers , donnoit pour motif de leur paie ,
qu'elle avoit pour objet de perfectionner la difcipline
des forces navales fur terre. ì faut efpérer
que la Chambre des Communes , qui s'occupe
d'une réforme examinera convenablement ce
point , ainfi que plufieurs autres abus de l'argent
public.
و
Dans les débats de ce jour , il a été beaucoup
question des affociations que tout le
parti miniftériel regarde comme illégales
& tendantes à former de l'affemblée des
Provinces un corps dictatorial , dont le
Parlement ne feroit que la Chambre d'en(
64 )
regiſtrement. On fent bien que le parti oppofé
ne parle pas de même. Un de nos
papiers examine ainfi la queſtion , ſavoir ſi
elles produiront quelque effet falutaire.
» la
ל כ
Le Docteur Robertfon , Hiftoriographe du
Roi , s'exprime ainfi dans ſon hiſtoire de Charles V :
En Allemagne , les Villes & les Nobles firent des
» alliances & des affociations , par lesquelles ils s'engagèrent
à maintenir la paix publique , & à faire
guerre à celui qui la violeroit. Telle fut l'ori-
» gine de la ligue du Rhin , de la Souabe & de beaucoup
d'autres petites confédérations connues fous
» divers noms . La naiffance , les progrès & les effets
» avantageux de ces affociations font décrits très-
» foigneufement par Dalt. L'Allemagne doit à ces
ligues tout ce qu'elle put conferver de paix pu-
» blique ou de bonne administration depuis le commencement
du 12e. fiècle jufqu'à la fin du 15e. «
V. fon hift. ch. 5 , t. 1 , P. 347 •
ג כ
»Bientôt après l'introduction du Tiers Etat dans
» le Confeil national , l'efprit de liberté que cette
» introduction excita en France , commença à produire
des effets remarquables. Dans plufieurs Provinces
, la Nobleſſe & les Communes formèrent
» des affociations par lesquelles elles s'engagèrent
à défendre leurs droits & leurs priviléges ; & la
» vigueur avec laquelle le peuple les défendit , &
» le prépara à les maintenir , obligea de les ref
pecter «. Ib. t . 1 , p. 318.
33
و د
ן כ
Ségovie , Tolède , Séville & plufieurs autres
Villes du premier rang formèrent une confédéra
» tion pour la défenſe de leurs droits & de leurs
priviléges ; & nonobftant le filence de la Nobleſſe
qui en cette occaſion ne montra ni le zèle public ,
» ni la réſolution qui convenoit à un ordre auffi
diftingué , les confédérés mirent fous les yeux du
" Roi un tableau fidèle de l'état du Royaume , & de
la mauvaife adminiſtration de fes favoris, Les
23
( 65 )
35
préférences données aux étrangers , l'exportation
des espèces courantes , l'augmentation des taxes
» étoient les griefs dont ils fe plaignoient principa-
» lement , & ils en demandèrent le redreffement
» avec cette hardieffe qui eft le partage d'un peuple
» libre. Charles ne fit pas la moindre attention à
» ces remontrances préfentées d'abord à Saragoce
» & enfuite à Barcelone. Cependant la confédération
de ces Villes , dans cette conjoncture , donna:
» naiffance à la fameufe union entre les Communes
» de Caftille ; union qui bientôt après jetta le
» Royaume dans les plus violentes convulfions
» ébranla le trône jufques dans fes fondemens , &
penfa renverser la Conſtitution «.
Un autre Hiftorien apprend auffi au Public, » que
» la caufe de la vertu & de la liberté eft la caufe de
» Dieu fur la terre , & que le plus augufte ſpectacle
que puiffe offrir le théâtre de la nature humaine ,
» eft une fociété d'hommes libres qui , mettant toute
» leur confiance dans la Providence , s'obligent mu-
» tuellement à affronter tous les dangers & tous les
» obftacles poffibles pour défendre leurs droits na-
» turels & conftitutionels , & pour les tranfmettre
» dans leur pureté & en entier à leurs deſcendans «.
ל כ
"
ל כ
Un troisième Auteur nous dit auffi : » que ce fut
» à une affociation que ce Royaume dut fa grande
charte ; que c'en fut une qui chaffa du trône le
bigot tyrannique Jacques , & qui amena la gloo
rieufe révolution , & que c'eft à une affociation
» qu'il faut que le Royaume foit encore une fois
» redevable de la sûreté de fes libertés , par la ré-
» forme du Parlement «<.
Ces Meffieurs félicitent le grand Théologien ( a)
qui fait commerce de fa religion , & de la religion
fon commerce , & ils lui confeillent de publier à
préfent la feconde partie de fon Alarm qu'il a fait
inférer dans une des dernières gazettes le Morning
Chronicle du 25 Janvier , pour démontrer l'illéga-
(1) Le Doyen de Gloucefter.
>
( 66 )
lité des affociations des Communes , pour faire voir
les horribles effets qui peuvent réfulter d'une réforme
, ainfi que les conféquences ruineufes d'une
adminiftration économe , & la néceffité de laiſſer un
libre cours à la corruption & à l'augmentation des
taxes.
Après la motion du Chevalier Saville dont
le fort a été décidé le 21 , il reſte à la Chambre
la difcuffion des affaires fuivantes pour la
femaine prochaine. La motion de M. Burke
pour régler les dépenfes de la lifte civile ;
celle du Colonel Barré pour former un
comité de comptes ; celle du Chevalier
Clerke pour le marché des fournitures ; &
dans la Chambre haute , celles du Marquis
de Rockingham relativement à la Jamaïque,
& du Duc de Bolton contre l'ufage de donner
fa voix par procureur.
» Il cft d'une néceffité preffante pour les Minif
tres , dit un de nos papiers , de renouveller le Parlement.
S'ils attendoient la fin de la feptième &
dernière feffion en 1781 , leurs amis qui auroient
voté contre l'admiffion des pétitions , feroient décriés
dans les Provinces , & manqueroient par -tout
leur élection . Ces Députés du parti Ministériel vont
à préfent , pour ainfi dire , entre deux caux , faifant
mine d'approuver les pétitions , en s'élevant
contre les affociations. Quelques mois de plus donneroient
le tems aux Peuples de connoître à fond
leurs fentimens , & c'eft pourquoi on ſe hâte de
mettre fur pied l'élection générale « .
Les affaires d'Irlande n'occupent pas
moins le Ministère ; il ne néglige rien pour
obtenir de la Chambre des Communes de
Dublin qu'elle règle l'affaire du fubfide avant
( 67 )
d'entamer celle de la révocation de l'acte
de Poyning , ou en autres termes de l'affranchiffement
de la conftitution . L'arrêté
de cette Chambre , du 9 de ce mois , porte
que le bill du fubfide ne paffera qu'en ce
qu'il a de relatif au commerce , & non
quant à la levée des deniers pendant 18
mois , c'est- à - dire , jufqu'à une autre feffion.
Lorfque cette grande queftion fera agitée
le 16 , le parti de l'indépendance eſt réfolu
de joindre à la motion un anathême contre
quiconque traverfera le voeu général pour
F'anéantiffement de cette Loi tyrannique
dont nos Lecteurs feront bien aife de trouver
ici l'origine.
ל כ
Henry VII. pour l'intérêt de fes affaires en
Irlande , nomma Vice-Roi de ce Royaume fon fecond
fils qui étoit encore en bas âge , & fui donna pour
Lieutenant , le Chevalier Edouard Poyning , perfonnage
employé depuis long-tems dans les Ambaffades
& dans les Affaires. Pendant fa Lieutenance , plufieurs
fameufes Loix furent paffées , entr'autres celle qui
fut appellée la Loi de Poyning, laquelle ftatuoit
Que le Parlement d'Irlande ne pourroit point
so s'affembler avant que le Vice-Roi & le Confeil
euffent informé le Roi des motifs pour lesquels il
demandoit à s'affembler , & qu'il eût obtenu la
permiflion Royale , fcellée du grand Sceau «<, Il
fut paffé auffi une autre Loi , en vertu de laquelle
toutes les Loix d'Angleterre concernant la Nation
» en général , feroient obfervées en Irlande « . Ces
deux Loix font toujours en vigueur . Les Aſſociations
armées , ne fe fépareront point que le Gouvernement
n'ait cédé ſur ce point , comme il a déja cédé ſur le
Commerce «.
:
( 68 )
L'état futur de la Compagnie des Indes
n'eft pas encore bien décidément arrêté.
Le Ministère en tirera , dit- on , deux millions
comptant pour une charte de vingtune
années , avec une taxe du cinquième
fur les revenus territoriaux ; ou le commerce
fera rendu libre à tout le monde
fous la direction du Gouvernement qui
payeroit les dettes & les engagemens de la
Compagnie , & rembourferoit les Actionnaires
; mais comme il faudroit leur donner,
après toute la liquidation faite , au moins
400 liv. fterl . pour chaque action de 100
liv. , il eft douteux que ce foit à ce dernier
parti que s'arrête le Gouvernement.
" Les violentes difputes élevées entre les Miniftres
au nom de la Nation , & les Directeurs au nom de
le Compagnie des Indes , exigent qu'un homme honnête
& impartial , entende l'une & l'autre partie
avant de prononcer fur cette affaire . L'attaque de
Pondichéry & la guerre offenfive dans l'Inde , ont
été l'oeuvre du Gouvernement qui en a envoyé l'ordre
exprès de la part de la Nation ; & quoiqu'on ait
perfuadé aux Directeurs de la Compagnie , d'accorder
généreufement de grandes récompenfes aux
Militaires qui fe font bien comportés , néanmoins
le Gouvernement ne permet pas à la Compagnie de
pofféder légitimement Pondichéry , ou les territoires.
qui en dépendent , & depuis la prife de cette Place ,
il a envoyé le plutôt qu'il a pû , deux Régimens pour
en prendre poffeffion ; & il faut aujourd'hui que la
Compagnie paye ces Régimens , ainfi qu'onze vaiffeaux
de guerre , dont elle n'auroit pas eu befoin ,
fi elle n'avoit pas été engagée dans une guerre à
l'inftigation de la Nation , ou plutôt des Miniftres
arbitraires qui actuellement cherchent à extorquer
( 69 )
aux Actionnaires une fomme annuelle de 200,000
liv. ft. , pour foutenir une guerre qu'ils ont eu l'imprudence
d'occafionner .
Il eft cependant notoire qu'en confidération d'une
fomme d'argent confidérable , payée à la trésorerie ,
le Gouvernement s'eft engagé folemnellement dans
la charte de la Compagnie à la protéger, & que
cette charte a été confirmée & rendue perpétuelle
par un acte de la troisième & de la dix-feptième
année du règne de George II , & cela dans l'intention
d'engager les Actionnaires à rifquer leurs propriétés
fuivant les vues du Miniſtère ; cette fomme de
280,000 liv. par an , monte plus haut que le dividende
ancien & actuel des Propriétaires , favoir :
8 pour cent du capital. En outre les Miniftres demandent
que la Compagnie , au préjudice des priviléges
de fa charte , paye le furplus des profits &
revenus à la Trésorerie , pour les befoins de la
Nation , jufqu'à ce qu'une nouvelle fomme de 8
pour cent , foit efcamotée aux Actionnaires de la
Compagnie. Indépendamment de la fomme de 8
pour cent pour la protection , & d'une autre encore
de 8 pour cent pour la Trésorerie , les Miniftres
ont ofé propofer de participer dans tout ce qui
excédera ces trois huit pour cent ; ou , pour m'expliquer
d'une autre manière , après que les Actionnaires
auront partagé 8 pour cent , & qu'on leur
aura extorqué 16 pour cent faifant en tout 24 pour
cent , la Nation & la Compagnie , participeront.
dans le furplus , qui probablement le réduira à rien,
Je demande à préfent fi un tel marché eft conforme
à la juftice , à l'équité , à l'honneur , ou fiun pareil
procédé de la part de l'Adminiftration peut raifonnablement
engager les gens à argent à placer leurs
propriétés fur quelques fûretés quelconques du
Gouvernement. Pour moi je répons que non .
Si le Gouvernement a befoin d'argent , je ne vois
pas qu'il puiffe fans injuftice en extorquer , foit aux
( 70 )

Compagnies foit aux Indivi lus , & une parcille
ex:orhon me paroit condamnable juſqu'à ce que les
membres du Parlement ſe foient préalablement taxés
en impolant , fur les terres , un droit convenable
& également réparti «<,
Les Directeurs de la Compagnie des Indes
viennent d'être avertis que l'Amirauté tiendra
prêts , pour le 28 Avril , un convoi pour
ceux de leurs vaiffeaux qui feront en état
d'en profiter.
On prétend que le Lord North ne fe
propofe d'ouvrir le Budget que lorfque les
affaires de la Compagnie des Indes feront
arrangées , ce qui ne peut guère avoir lieu
.qu'après les Fêtes de Pâques .
Le célèbre Juge Blackſtone , Auteur d'un
excellent Commentaire. fur nos Loix , eſt
mort ici le 14 de ce mois. M. Stanley ,
ancien Miniftre Plénipotentiaire en France ,
vient auffi de mourir ; il venoit d'achever
une traduction de Pindare. La mort du
Lord Holland , en faisant paffer ſon titre à
M. Charles Fox , va faire paffer ce dernier
de la Chambre des Communes dans la
Chambre haute.
ÉTATS - UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
Suite de la Lettre circulaire du Congrès.
Suppofons qu'à la conclufion de la guerre les diver
fes émiflions de papiers fe montent à 200,000,000 ;
que fans compter les impôts , qui ne laiffent pas
d'être très-confidérables , les emprunts fe montent
à 100,000,000 ; le total de la dette nationale fera
de 300,000,000. Il y amaintenant 3,000,000 d'ha(
71 )
bitans dans les treize Etats ; 300 millions de dol. ,
divifés entre trois millions d'hommes , font cent
dollars tête :
par & y a-t-il un individu en Amérique
incapable de les rembourfer dans le cours de
18 ou 20 ans ? Suppofons la dette répartie fur tous
les habitans comme elle doit l'être en proportion de
leurs propriétés , quelle fera la part qu'en fupporteront
les gens pauvres ? elle ne fera peut- être pas
de dix dollars. Outre que cette dette ne fera point
payable immédiatement , & que probablement on
accordera vingt ans pour l'acquiter , le nombre des
habitans fera doublé dans cet espace de temps . On
fait que la population de cette contrée augmente
prefque en même proportion que l'intérêt compofé.
Par la propagation , elle double tous les vingt ans ;
& l'on ne peut dire quel fera le nombre de ces Emi- ..
grants qui nous arrivent en foule des autres contrées .
Nous avons les plus fortes raifons de croire qu'il
fera immenfe. Suppofons qu'il en vienne ſeulement
dix mille la première année après la guerre ; en
vingt ans , qu'auront produit ces dix mille avec
leurs familles probablement leur nombre fera double.
On peut calculer ainfi , en proportion , le produit
des Emigrants venus dans chacune des années
fuivantes. La plus grande partie de votre dette ne
fera donc pas payée par les feuls habitans actuels ,
mais encore par les enfants qu'ils auront donnés à
l'Etat , par la multitude des Emigrants qui nous
arrivent des pays étrangers , & par les nouveaux
habitants qu'ils produiront fucceffivement ; la portion
de dette de chaque perfonne diminuera donc
conftamment à mesure que d'autres viendront partager
la dette totale , & en payer leur quotité.
Tels font les avantages dont les Etats naiffants
jouiffent feuls. Le nombre des habitants de chaque
Nation de l'Europe eft à - peu - près le même d'un
fiècle à l'autre. Un pays ne produit que la quantité
d'hommes qu'il peut nourrir ; & tout pays qui eft
( 72 )
Jibre & cultivé , la produit toujours à coup sûr.
De- là nous pouvons nous former quelque idée de
la population future de ces Etats . Des déferts immenfes
que l'on connoît à peine , où même l'on a
peu cherché à pénétrer , attendent la culture ; de
vaftes lacs & des rivières dont les eaux ont roulé
pendant plufieurs âges vers l'Océan dans le filence
de l'obfcurité , ne demandent qu'à entendre le bruit
de l'induftrie , s'offrent à fervir le commerce , &
s'enorgueilliffent de l'espoir de voir s'élever fur leurs
bords des hameaux , des pointes dorées de tours &
des cités fpacieufes.
En voilà affez fur le nombre des perfonnes qui
partageront le poids de la dette. Il reste à examiner
leurs moyens. Ceux qui cherchent combien il
y a de millions d'acres dans la feule partie de l'Amérique
du Nord , où fe font faits des établiſſements ,
& quelle eft la valeur de chaque acre , fe formeront
une grande & très -jufte idée de la bonté de notre
terrein. Mais ceux qui pouffant leurs recherches
plus loin , apprendront que nous avons payé
ci - devant à l'Angleterre une taxe annuelle de
trois millions fterlings en objets de commerce ,
& que nous n'en avons pas moins continué à nous
enrichir ; que nous n'avions de commerce qu'avec
cette feule nation ; que nous étions obligés de porter
nos marchandifes à fes marchés , & par conféquent
de les vendre au prix qu'elle y mettoit ellemême
; que nous achetions les marchandifes étrangères
dans fes magafins , en recevant les conditions
pour cet achat ; qu'il nous étoit défendu d'établir
aucune manufacture qui pût contrarier les vues de
gain & qu'à l'avenir le monde entier nous fera
ouvert , que nous aurons la liberté d'acheter de
ceux qui donneront au meilleur marché , & de vendre
à ceux qui acheteront le plus cher ; que le nombre
des habitans & la culture augmentant tous les
jours, les productions de la terre , & par conféquent
la richeffe publique , augmenteront en pro-
"
:
portion ,
( 73 )
portion , fouriront fans doute avec dédain à l'igno
rance de quiconque doute des moyens qu'ont les
Etats -Unis de retirer leurs papiers.
Le papier- monnoie eft la feule efpèce d'argent qui
ne peut pas fe faire des aîles & s'envoler. 11 demeure
parmi nous ; il eft toujours prêt & fous la main
pour les entreprifes du commerce , pour le paiement
des impôts ; & tout homme induftrieux peut fe le
procurer. Si la Grande-Bretagne , dans le même cas
que Ninive & pour la même raifon , trouve encore
grace & échappe à l'orage prêt à crever fur elle ,
elle trouvera fa dette nationale dans un état bien
différent . Au moment que fon territoire eft refferré ,
fon peuple appauvri , fon commerce ruiné , fes monopoles
perdus pour toujours , il faut qu'elle tra
vaille à fe décharger d'une dette immenſe par des
impôts payés en efpèces , dont l'or ou l'argent font
encote enfevelis dans les mines du Mexique ou da
Pérou , ou caché dans le fable des fources & des
ruiffeaux de l'Afrique ou de l'Indoftan «.
Le Congrès après avoir prouvé qu'on ne peut
douter des moyens qu'ont les Etats - Unis de payer
leur dette , prouve qu'ils en ont également la volonté
; cette partie de fa lettre répond aux doutes
que les Anglois ont effayé de répandre.
» Ce feroit montrer une bien mauvaiſe opinion
du bon fens & de l'honneur de tout véritable
Américain , que d'employer beaucoup d'arguments
pour prouver la baffeffe & la mauvaife politique
qu'il y auroit à violer notre for nationale , & à ne
pas prendre toutes les mesures néceffaires pour la
garder. Une République , infidèle banqueroutière,
feroit une nouveauté dans le monde politique , &
ne s'y montreroit que comme une vile proftituée
parmi de chaftes & refpectables matrones. La fierté
Américaine fe révolte à cette feule idée : nos citoyens
favent dans quelles vues ont été faites les émiſſions
des papiers ; ils ont engagé , à plufieurs repriſes ,
11 Mars 1780.. d
( 74 )
leur parole facrée de les retirer : ces papiers fe trouvent
faire partie des poffeffions de chaque particulier
; chaque particulier eft intéreffé à leur rachat .
Ils ont fans doute une grande opinion de la crédulité
Américaine , ceux qui fuppofent le peuple
capable de croire , après une mûre réflexion , que
contre la foi , l'honneur & l'intérêt de toute l'Amé
rique , toute l'Amérique fera portée à favorifer ,
foutenir ou permettre une opération auffi ruineufe
& auffi infâme. Nous fommes convaincus que nos
ennemis n'épargneront aucun effort , aucun artifice
pour nous mettre dans cette humiliante & méprifable
fituation . Pouffés par la haine & par les fuggeftions
du défefpoir & des mauvais fuccès , incapables
de courber nos têtes fous leur joug , ils
s'efforceront , par la violence & la féduction , de
nous faire commettre cette faute impardonnable ,
afin d'attirer fur nous la punition qui lui feroit dûe ,
& de nous rendre le rebut de l'humanité , & notte
nom un mot de reproche chez toutes les nations .
Prévenue de ces conféquences , connoiffant le prix
d'une réputation nationale , & pénétrée du vif fentiment
de la juftice , de l'honneur & de leurs loix
immuables , l'Amérique ne peut penfer fans horreur
à une auffi exécrable action .
Puifque ni nos moyens , ni nos defirs d'acquitter
la dette publique ne peuvent être mis en queftion ;
que notre conduite réponde à cette confiance , &
délivrons notre crédit de ces imputations. Si l'at
tention des Américains eût été dirigée fans relâche
vers cet objet ; fi les impôts euffent été payés &
recueillis à temps; fi les prêts euffent été faits à
propos ; fi l'on eût porté des loix , & exercé toute
leur rigueur contre ceux qui s'efforçoient d'affoiblir
le crédit public fi l'on eût pris tous ces moyens ,
& plufieurs autres également néceffaires , & que ,
malgré tous ces efforts , la valeur de nos monnoies
cût décliné jufqu'au point de la dépréciation actuel.
( 75 )
le , notre fituation feroit en effet déplorable : mais
comme ils n'ont pas été employés , nous pouvons
encore éprouver les bons effets qu'ils doivent produire.
Notre ancienne négligence anime ainfi nos
efpérances , & nous ne devons pas défefpérer d'écarter
, par la vigilance & l'application , le mal
caufé par l'inattention & l'indolence.
Nous avons déjà dit que pour prévenir dorénavant
la naturelle dépréciation des papiers , nous
avons réfolu de ne plus en créer , & de vous demander
des fecours par la voie des emprunts & des
impôts. Vous êtes en état de les fourhir, & obligés
, par les engagements les plus forts , de le faire.
Ne nous laiffez donc pas fans fecours , & flottants
dans la foule de maux qui fuivroient cette négli
gence. Ce feroit l'évènement le plus agréable pour
vos ennemis ; & ils ne négligeront ni foins ni artifices
pour le produire. Soyez donc fur vos gardes ,
& examinez bien la politique de chaque mefure ,
& l'évidence de chaque bruit qu'on fera courir
parmi vous , avant d'adopter l'un ou de croire l'au- .
tre : fongez que c'eft le prixde la liberté , la paix
& la fûreté & de vos defcendants & de vous - même ,
qu'on vous demande ; cette paix , cette liberté ,
cette fûreté , pour l'acquifition & la confervation
defquelles vous vous êtes déclarés fi folemnellement
prêts à facrifier vos vies & vos biens . La guerre ,
quoique près d'une iffue heureufe , dure encore dans
toute la fureur. Craignez la honte de laiffer à vos
alliés tout le foin de votre défenſe. La plus brillante
efpérance peut être obfcurcie , & la prudence ,
nous ordonne de nous préparer à tous les évène- .
ments. Pourvoyez donc à tenir vos armées en cam .
pagne jufqu'à ce que la victoire & la paix les ramènent
dans leurs foyers ; évitez le reproche d'avoir
laiffé décliner entre vos mains la valeur de vos
monnoies , tandis qu'en en cédant une partie , foit
par la voie des prêts , foit par celle des taxes , vous
d 2.
( 76 )
pouviez leur conferver tout leur crédit . L'humanité
& la juftice vous le demandent ; les plaintes des
veuves éplorées , les cris des enfants orphelins dont
les appuis & toute l'efpérance , confiés à vos mains ,
fe font évanouis pour eux , ont fans doute frappé
vos oreilles. Craiguez qu'ils ne montent plus haut.
Réveillez-vous ; faites les efforts les plus profitables
à cette contrée , rallumez le feu du patriotifme
qui , au nom de honte & d'esclavage , brilla toutà-
coup dans toute l'Amérique & enflamma tous fes
citoyens.
été
Terminez la conteftation comme vous l'avez
commencée , honnêtement & glorieufement. Ne
fouffrez pas qu'on dife que l'Amérique n'a pas
plutôt indépendante , qu'elle eft devenue banqueroutière
, & que fa gloire naiffante & fa réputation
qui commence à s'étendre ont été ternies & fouillées
par la violation de fes contrats & de fa foi ,
dans le moment même où toutes les Nations de
la terre étoient dans l'admiration & prefque dans
l'adoration de la fplendeur de fon enfance.
Fin de la Lettre circulaire du Congrès.
FRANCE.
De VBRSAILLES , le 7 Mars.
LE Marquis de la Fayette ayant demandé
au Roi la permiffion de rejoindre l'armée
des Etats -Unis , & de fervir dans fa qualité
d'Officier- Général Américain , eut l'honneur
de prendre , le 29 du mois dernier , congé
de S. M. & de la Famille Royale.
Le 27 la Maréchale de Richelieu , eut
l'honneur d'être préfentée à LL. MM. &
à la Famille Royale , par la Ducheffe de
Fronfac , & de prendre en même tems le
Tabouret.
·
( 77 )).
La Marquife de S. Sauveur & la Marquife
de la Tour- du- Pin , eurent l'honneur
d'être préfentées le même jour à LL. MM.
& à la Famille Royale , la première par la
Marquife de Roquefeuille , & la feconde
par la Vicomteffe de la Chatre. ››
LL. MM. & la Famille Royale fignèrent
le Contrat de mariage du Comte de Chaftenay
de Puifégur , Lieutenant des vailfeaux
du Roi , avec Demoifelle d'Hérouville.
M. le Comte du Chaffaut , Lieutenant- Général
des Armées navales , a eu l'honneur de
prendre congé du Roi le premier de ce mois.
Ce Général a été préfenté à S. M. par M.
de Sartines , Miniftre & Secrétaire d'Etat
au département de la Marine.
Le 17 , M. Graincourt , Peintre & Penfionnaire
du Cardinal de Luynes , eut l'honneur
de préſenter à LL. MM. & à la famille
Royale , le premier cahier des Hommes illuftres
de la Marine Françoife , leurs actions
mémorables & leurs portraits.
M. Jeaurat , de l'Académie Royale des
Sciences , ancien Profeffeur de Mathématiques
, & penfionnaire de l'Ecole Royale
Militaire , chargé par l'Académie de calculer
chaque année la connoiffance des tems ou la
connoillance l'ufage des
Amens
céleftes , pour
des Navigateurs ,
préfenta à S. M. , le 20 , le volume de l'année
1782. C'eft le 104 que l'Académie publie
fans interruption depuis l'année 1679.
d 3
' ( 78 )
De PARIS , le 7 Mars.
ON mande de Fougères en Bretagne ,
les détails fuivans , que leur intérêt nous
engage à citer.
Cent foldats du régiment Royal - Corfe , également
diftingués par leur zèle , leur bravoure & leur
bonne conduite , étoient à la fin de leur fervice ;
ils devoient avoir leur congé dans ce mois , &
ne vouloient pas contracter de nouveaux engagemens
, parce qu'ils étaient devenus néceffaires
à leur famille ; mais ayant appris que le régiment
qu'ils alloient quitter étoit deftiné à faire
la campagne prochaine , ils fe font réunis pour
demander la grace d'y être confervés , & d'y faire
la guerre en qualité de Volontaires, Cette faveur
leur a été accordée , & elle a été folemnifée par
une fête & un bal que les Officiers du Régiment
ont donné à ces foldats au Château de Fougeres .
Selon les lettres de Breft , le Conquérant
a été bientôt réparé ; & l'efcadre qu'on
prépare pourroit mettre à la voile le s
I'
de ce mois , fi les bâtimens qu'elle doit
convoyer étoient prêts pour ce temps- là.
En conféquence du cartel convenu entre la France
& l'Angleterre pour l'échange des Prifonniers ref-
•pectifs , il eft parti le 28 Janvier 266 prifonniers
Anglois détenus depuis 15 mois dans le Château de
Niort , pour fe rendre à la Rochelle , où ils doivent
être embarqués. Lorfqu'on ouvrit la porte du
Château pour les remettre au détachement du Régiment
Royal- Picardie , qui les a conduit jufqu'à
Manzé , tous ces prifonniers fe réunirent pour
crier trois fois vive le Roi . Arrivés à la porte de
( 79 )
la Ville , ils s'arrêtèrent pour regarder la Ville &
répéter le même cri , en jettant leurs chapeaux en
l'air . Ils ont montré qu'à la fatisfaction de recouvrer
leur liberté , le mêloit un fentiment de reconnoiffance
pour le foin qu'on avoit pris d'eux
dans leur prifon . La veille de leur départ , ils
avoient demandé qu'on permît à 3 d'entr'eux d'aller
remercier en leur nom le Commandant du Château.
La même députation alla exprimer le même
fentiment au Maire qui avoit été chargé de leur police.
S'étant apperçu que ce dernier faifoit une collection
d'hiftoire naturelle , elle lui a prétenté des
coquilles & des pétrifications dont plufieurs font
affez rares. Au moment du départ , les prisonniers
lui ont fait remettre un petit vaiffeau Corfaire de 30
pouces de long , armé de 16 canons , qu'un d'eux
avoit travaillé pendant fa détention . Tout ce qui
repréfente les différentes parties du bâtiment , jufqu'aux
agrêts , à l'artillerie , &c. eft complet &
travaillé avec beaucoup de délicateffe .
Le corfaire le Monfieur , a envoyé à l'Orient la
Bellonne , corfaire de 12 & de 8 livres , & de 10
hommes d'équipage , dont il s'eft emparé après une
courte réfiftance .
>
Le corfaire le Duguay - Trouin , de 20 canons
130 hommes d'équipage , armé au Havre par MM .
Thieulleut , Colleville & Compagnie , fous les
ordres de M. Pierre Denis Ducaffon , forti le 22
Janvier dernier , s'empara le 24 à la hauteur de
Portland , du floop Anglois les Deux Soeurs ,
allant d'Arundel à Liverpool , chargé de farine &
d'orge. Le lendemain , il fe trouva fous la volée
d'un vaiffeau de guerre ennemi de 74, canons ,
démâté de fon grand & de fon petit mât de hune ;
il l'évita par une manoeuvre habile . Le même jour ,
il s'empara du Brick le Hope , armé de 8 à 10
canons , commandé par M. Gaunelet , Lieutenant
d 4
( 8 )
8
de Vaiffeau de S. M. B. Ce bâtiment parti de
Portsmouth , & deftiné pour ferfey , avoit à bord
136 hommes de troupes , 60 femmes & 18 hommes
d'équipage ; cette prife eft arrivée à l'Orient. Le 27
il reprit à la vue d'Oueffant fur le corfaire le Vautour
de Jerſey , le navire François la petite Marguerite
de Bordeaux , chargé de vin , bray , raifiné
, &c. qui avoit été pris le 25 , & qui eſt arrivé
à Breft. Le 29 , à la vue de la Manche , les vents
forcés & la mer très - groffe , il eut connoiffance
d'une frégate Angloife , il voulut l'arrêter ; mais
l'ennemi , dont la marche étoit fupérieure , l'attaqua
après 10 heures de chaffe. Il fut contraint d'engager
le combat , qui dura depuis 3 heures après
midi jufqu'as , que voyant le gréement de fon
navire coupé & haché par le feu de l'ennemi ,
coups de canons percés à l'eau , & 4 pieds & demi
d'eau dans fa calle , il amena. Il n'eut que s
blefíés ,
un Anglois tué. Ce dernier faifoit partie de 1cO
autres prifonniers qu'il avoit à bord , & qui le
génèrent beaucoup dans le combat , pendant lequel
il lui manquoit 3 Officiers & 17 hommes qu'il
avoit fait paffer fur fes prifes. Cette 3e. croifère ,
dont les commencemens ont été fi heureux , auroit
été , fans cet accident , auffi avantageufe que la
première & la feconde , où il s'étoit tellement diftingué
, que le Roi lui avoit fait don d'une épée .
Les Anglois ont fait juftice à fon courage , en lui
rendant les armes & fes effets , & en le renvoyant
en France avec les Officiers & 57 hommes de fon
équipage .
3
On lit , dans les Affiches du Dauphiné
un fait affurément plaifant , qu'on annonce
comme ayant été mandé d'Ambrun.
J. B. & François Audier , frères , du lieu de
Châteauqueyras,avoient fait annoncer au Prône qu'ils
devoient fe marier , le premier avec Marie d'Abriés ,
& le fecond avec Françoife Martin, Le jour des
( 81 )
époufailles arrivé , & les deux couples fe trouvant
enfemble , les prétendus fe félicitèrent réciproquement
, & avec une forte d'envie du bon goût qui
régnoir dans leur choix ; leurs complimens devenant
bientôt plus vifs , leurs têtes s'échauffèrent , ils
ne purent fe cacher la préférence que chacun donnoit
à la femme qui ne lui étoit pas deſtinée , &
finirent par le propofer un échange. Les femmes
ne s'y opposèrent point , il fut en effet conclu. Le
Curé qui avoit publié ces mariages , en publia le
revirement ; & ce qu'il y a de plus fingulier , c'eft
qu'une des femmes ayant en dot 400 1. de plus que
l'autre cette fomme a été cédée à celui des échangeurs
à qui elle étoit d'abord deſtinée « .

On mande de Vienne , en Dauphiné
que le 16 du mois dernier , 26 prifonniers
s'évadèrent des Prifons de cette Ville. Tous ,
à l'exception de deux , étoient détenus à la
requête du Ministère public ; ce qui annonce
l'efpèce de ces malheureux ; ils ont
cependant montré des fentimens d'humanité
& de générofité dont on ne les eût
pas foupçonnés ; 4 de leurs camarades
avoient les fers aux pieds ; on ne put les
brifer d'abord , cela auroit entraîné du tems ;
ils n'ont point été abandonnés , les autres
les ont emportés avec eux en les chargeant
alternativement fur leurs épaules , fans être
arrêtés par la confidération que cela ne pouvoit
que retarder leur marche , & les expofer
à être repris.
» Voici un fait qui paffera sûrement pour être trèsextraordinaire
, & capable peut - être d'étonner les
Phyficiens. J'ai fait abattre il y a quelques jours
fur mon domaine ( dans les environs de St Maixent )
d s
( 82 )
un gros chêne pour en faire une poutre dont j'ai
befoin. Cette opération s'eft faite devant moi. Lorl
que les branches & la tête ont été féparées de la tige ,
& que l'arbre m'a paru de bonne qualité, & propre à la
deftination que je voulois , j'ai ordonné à trois ouvriers
que j'employois de l'équarrir à la mefure convenable
; il fuffifoit d'enlever de chaque côté l'é
paiffeur d'environ quatre pouces. Cela fut bientôt
fait , toujours devant moi. Je vis avec ſurpriſe mes
trois hommes jetter à la fois leurs coignées , fe
réunir à la même place , & fe preffer les uns & les
autres , en fe penchant fur l'arbre avec les fignes.
de l'étonnement & de l'admiration . J'approchai , &
jettant les yeux fur la partie de l'arbre qui les fixoit,
je vis un crapaud , gros comme un oeuf, incrusté en
quelque forte dans l'arbre , à la profondeur de 4
bons pouces , dans fon diamètre , & à la diftance de
15 pieds de fa racine ; un coup de coignée avoit atteint
& bleffé dangereufement l'animal qui pourtant
remuoit encore. Je le fis fortir de fa prifon dont
il rempliffoit fi exactement la capacité , qu'il fem
bloit y être comprimé. Il paroiffoit vieux , maigre ,
Janguiffant & décrépit. Nous examinâmes enfuite
avec tout le fcrupule de la plus curieuſe attention les
quatre faces & les alentours de l'arbre pour tâcher
de découvrir la trace par laquelle le crapaud avoit
fu s'introduire dans fon domicile. Notre recherche
fut vaine. L'arbre étoit plein , fain & entier par - tout.
Il nous parut que fon gîte étoit hermétiquement
fermé. Je demande maintenant comment il avoit pu
entrer dans cet arbre , fans aucune ouverture , comme
il avoit pu s'y nourrir , s'y conferver & y vivre affez
long- tems pour que le chêne ait pris un accroiſſement
circulaire de 4 pouces de groffeur ; comment enfin
un crapaud qui n'eft pas un animal lefte ni adroit , a
pu ainfi monter à la hauteur de 15 pieds. Il me femble
que ce phénomène doit faire naître toutes ces
queftions ; les réfoudra qui pourra . J'attefte le fait ,
& j'ai trois témoins «.
( 83 )
La Société Royale de Médecine , dans fon affemblée
publique , du 15 de ce mois , a procédé à la diftribution
de fes prix ; elle en avoit proposé un de 330
liv . fur cette question : déterminer par un nombre
fuffifant d'obfervations & d'expériences exactes , fi
les maladies contagieufes , principalement la petite
vérole , peuvent fe tranfmettre par l'intermède de,
l'air ? Ce prix , dont M. Raft , Médecin à Lyon , &
Aflocié Regnicole de la Société, a bien voulu faire les
frais , a été adjugé à M. Menuret , Médecin à Montelimart
, & Affocié Regnicole de la Société, auteur du
Mémoire qui a été envoyé avec l'Epigraphe ſuivante :
Ne quidfalse audeas , ne quid veri non audeas.
La Société a cité , avec éloge , deux Mémoires ,
portant pour Epigraphe l'un : Experientia quando
fallax,judicium difficile ; l'autre,Felix quipotuit rerum
cognofcere caufas . Mais les auteurs s'étant trop
écartés de la queftion , aucun n'a paru mériter l'Acceffit.
Un Militaire diftingué , defirant exciter l'émulation
des Médecins & des Chirurgiens , fur tout ce
qui a rapport à la confervation des Soldats , eft dans
l'intention de propofer , fous la forme de Program-
-mes , une fuite de queftions relatives à cet objet important
, de forte que , de la collection des Mémoires
qui auront été couronnés , il puiffe réfulter un Ou
vrage utile à la fanté des gens de guerre. La Société
s'eft prêtée avec empreffement à ces vues de bienfaifance.
En conféquence , elle propofe pour premier
Programme dans ce genre :
D'indiquer quelles font les maladies qui règnent
le plus communément parmi les troupes , pendant la
faifon de l'automne ? quels font les moyens de les
prévenir? & quelle eft la méthode la plus fimple , la
plus facile & la moins difpendieufe de les traiter?
Les auteurs qui concourront détermineront furtout
les cas dans lefquels les fecours fuivis qui ne peuvent
fe trouver que dans les Hopitaux font néceffaires
d 6
( 84 )
aux Soldats , & ceux dans leſquels un régime convenable
ou des remèdes fimples & faciles à adminiſtrer
peuvent difpenfer le Soldat de fe déplacer . La Société
invite MM. les Chirurgiens Majors des Régimens
à lui communiquer leurs obfervations à ce ſujet ?
Elle fera une mention honorable de leurs travaux
dans les féances publiques & dans les volumes.
Ce Prix , de la valeur de 300 liv . , ſera diſtribué
dans la féance publique , qui aura lieu le premier
mardi après la fête de S. Louis en 1781. Les Mémoires
feront envoyés avant le premier Juin de la
mème année , francs de port , à M. Vicq-d'Azyr,
Secrétaire perpétuel , rue du Sépulcre.
La Société défire toujours qu'on lui adreffe , par
la voie ordinaire de la correfpondance , des Mémoires
pour concourir aux prix d'encouragement. 1 °.
Sur la defcription Topographique & Médicale des
différens cantons de la France. 2º . Sur l'analyſe
des eaux Minérales . 39. Sur les Maladies auxquelles
les Beftiaux font exposés dans chaque Pays. La
féance a été terminée par la lecture de plufieurs
ouvrages intérefans.
Françoife de la Roche Lambert , Prieure
des Dames de Courpière , Diocèle de Clermont
en Auvergne , eſt morte dans fon
Prieuré , âgée de 87 ans .
Marie Angélique de Conpigny , veuve
en fecondes nôces de feu René , Comte de
Moges , eft morte en fon Château de Coulonges
dans fa 82e année. Le Comte de Moges ,
fon mari , y étoit mort le 3 Décembre 1777 .
dans la 93e année de fon âge.
Marguerite Mélanie le Feron , veuve de
J. B. le Rebours , Préfident au Parlement
de Paris , eft morte le 20 de ce mois , dans
fa sse année.
( 85 )
Charles- Gabriel Chevalier , Comte de
Tollet , eft mort le 15 de ce mois dans la
79 année de fon âge.
M. de Loyauté , Maréchal des camps &
armées du Roi , Infpecteur général de l'Artillerie
au département de Metz , eft mort
le 29 Janvier dans fa 73 ° année , après 60
ans de fervice dans le corps.
*
François Briffon , Préfident en la première
Chambre des Enquêtes de Paris , eft
mort ici le 8 de ce mois âgé de 69 ans.
Le nommé Patouyard eft mort à Lagny
dans le Perche , âgé de 112 ans accomplis
, ayant confervé l'ufage de fa raiſon
jufqu'au dernier moment de fa vie.
Ôn defireroit connoître les perfonnes qui
ont droit à la fucceffion de Jean Guidel &
Agnès des Rieux , Marchands à Troyes en
Champagne. Jean Guidel dont on ne connoît
pas le lieu d'origine , eft mort en 1681 ;
il a eu de fon mariage onze enfans . On fait
que trois on été mariés ; un garçon mort
fans poftérité ; deux filles dont l'une a épousé
le fieur Jean Souart , Marchand à Troyes
& qui eft morte en 1767 ; l'autre le fieur
Ponce , Marchand à Noyon fur Seine on
à Provins. Elles ont laiffé plufieurs enfans ;
s'il en exifte & qu'ils puiffent juftifier leur
defcendance , ils peuvent , en affranchiffant
leurs lettres , s'adreffer fans délai à M.
Diderot , Chanoine à Langres.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , le premier de ce mois ,
font 88 , 60 , 56 , 68 & 26.
( 86 )
Déclaration du Roi concernant la Taille & Capitation
, donnée à Verſailles le 13 Février 1780.
» En étudiant la nature & les circonstances des
différens impôts qui pèfent fur nos peuples , notre
attention particulière s'eft arrêtée fur la Taille &
fur la Capitation taillable ; & nous n'avons pu voir
fans peine , que ce tribut de la partie la moins fortunée
de nos fujets , s'étoit accrû néanmoins dans
une proportion fupérieure à celle de tous les autres
impôts . Occupés d'en connoître la caufe nous n'avons
pu nous diffimuler que la forme ufitée jufqu'à
préfent pour l'augmentation de la Taille & de fes
acceffoires , ayant fait de cette impofition la reffource
la plus prompte & la plus facile , l'adminiſtration
des finances y avoit eu recours par préférence , quor
que plufieurs autres euffent été moins onéreufes à
nos peuples , & moins contraires à la profpérité
du royaume.
..
Souvent même de cette facilité font nés des projets
de dépenfes dans les provinces , dont l'utilité
n'étoit pas affez démontrée ; & le fecond brevet de
la Taille s'eft accrû fucceffivement , & prefque obfcurément
, fans que les peuples , en fentant l'aug
mentation de leur fardeau , en aient été confolés ,
ou par ces grandes améliorations qui préparent de
nouveaux moyens de richeffes , ou par ces nobles
entreprifes qui étendent la gloire de leur Souverain
& l'éclat de leur Patrie.
Que cependant les Taillables déjà tourmentés
par les variations attachées à la répatition individuelle
de la Taille , fe voyoient encore annuellement
expofés à ces augmentations inattendues , provenant
des befoins plus ou moins paffagers de la finance ;
qu'ainfi nulle loi ne pouvoit être fi importante à la
plus nombreufe partie de nos Sujets , que celle qui ,
en déterminant d'une manière invariable le montant
de la Taille & de la Capitation dans chaque Généra
lité , affujettiroit toute efpèce d'augmentation aux
( 87 )
formes qui font néceffaires pour toutes les autres
impofitions , afin que fi , dans aucun temps l'adminiftration
des finances avoit à nous propofer des
contributions nouvelles pour les befoins de l'Etat ,
elle ne fut jamais guidée dans fon choix par des
motifs étrangers au bien de nos peuples .
En exécutant ce plan de bienfaifance , nous avons
pris pour bafe de la fixation de la Taille & de la
Capitation dans chaque Généralité , les impofitions
de 1780 , parce que , malgré la guerre , elles font
encore les mêmes qu'en 1779 , & nous trouverons
dans la diminution fucceffive de quelques dépenfes
actuellement comprifes dans le fecond brevet de
la Taille , le dédommagement de celles de même
genre , auxquelles nous ferions dans le cas de
'pourvoir.
Quoi qu'il en foit , déclarons que nous ne vou
lons plus à l'avenir , que la fixation de ces impofitions
puiffe être changée , fi ce n'eft par des loix
enregistrées dans nos Cours ; & à cet effet nous
feróns dépofer , chaque année , aux greffes de nos
Chambres des Comptes & de nos Cours des Aides ,
une expédition du brevet général de la Taille &
de la Capitation , afin que l'exécution fidèle de notre
volonté puiffe être facilement fuivie & conftamment
reconnue.
Nous voulons cependant que la partie de ces
impofitions , deftinée à des objets particuliers , y
foit toujours appliquée , & qu'il en foit rendu comme
ci devant , un compte diftinét à nos Chambres des
Comptes.
Nous continuerons d'ailleurs à venir au fecours
de chaque Généralité , foit par des diminutions locales
& partielles , fous le nom de moins impofé ,
foit par des fonds deftinés aux travaux de Charité.
Nous nous réfervons encore d'examiner un jour
( 88 )
dans notre fageffe , fi les proportions de la Taille
& de la Capitation , établies entre les différentes
Généralités , font les plus conformes à leur richelle
refpective ; mais fi cette étude nous engage jamais
à faire quelque changement dans la répartition de
cette impofition , nous l'ordonnerons par une loi
femblable à celle - ci , afin que nos motifs foient
toujours manifeftes : & c'est encore fous ce point
de vue que nous avons fenti l'avantage de fixer dans
chaque Généralité , le montant de la Taille & de
la Capitation d'une manière authentique. Nous avons
également apperçu que ce préliminaire étoit indif
penfable , dans le deffein où nous fommes de nous
occuper à la paix , & pour le bonheur de nos Peuples
, de la Gabelle , des Traites & des droits d'Aides
car fi en tendant à cette fimplicité & à cette
uniformité fi néceffaires pour la prospérité de la
France , nous étions obligés d'établir une balance
& des compenfations , foit en augmentant , foit
en diminuant dans quelques Généralités , les impofitions
territoriales & perfonnelles ; comment pourrions-
nous donner à nos difpofitions , ce caractère
évident de juftice dont nous fommes jaloux , fi la
Taille & la Capitation taillable , cette partie effentielle
des impofitions des Campagnes , dépendoient,
comme à préfent , d'une détermination arbitraire &
variable ? Et comment établirions- nous , au milieu
des foupçons & de l'obfcurité , un fyftême de bienfaifance
, qui ne doit s'appuyer que fur la perfuafion
& la confiance ?
Loin de nous donc cette crainte de la lumière &
de la vérité , & fur-tout la moindre défiance d'adreffer
nos Loix de finance à l'enregistrement de
BOS Cours ! Comme , fi le fecours de leurs obfervations
, les éveils de leur zèle , pouvoient jamais
nous être inutiles ou indifférens ! ou comme fi ce
pouvoit être un obſtacle à l'exécution de notre vo(
89 )
lonté, au moment où elle feroit fuffisamment éclatrée
! Ainfi , c'eft fans aucune inquiétude & avec une
*pure fatisfaction , que nous rendons aujourd'hui
une Déclaration conforme à ces principes , & qu'en
témoignant à nos Cours notre confiance , nous
donnons à nos fidèles Sujets une preuve fenfible
du foin que nous prenons de leur tranquillité &
de leur bonheur. A CES CAUSES , &c. «.
Edit du Roi , portant prorogation du fecond
Vingtième , des Droits réfervés , & des fous pour
livre en-fus de différens Droits , donné à Versailles
au mois de Février 1780 , regiſtré en Parlement
le 25 defdits mois & an. » Louis , par la grace
de Dieu , Roi de France & de Navarre , & c.
Malgré l'état dans lequel nous avons trouvé les
.finances à notre avènement au Trône , nous ferions
parvenu , par l'effet de nos foins & de nos
économies , à remettre à nos Peuples une partie
des Impofitions dont le terme échéoit cette année ;
mais l'intérêt des dettes que nous avons été obligés
de contracter pour fuppléer aux frais de la guerre ,
ayant confommé la plus grande partie de nos épargnes
, nous fommes privés , dans ce moment
d'une des plus douces fatisfactions que nons aurions
pu reffentir : Nous nous trouvons donc forcés
-de proroger ces mêmes Impofitions , & nous attendons
de nos peuples , qu'ils ne douteront point de
notre empreffement à diminuer le poids de leurs
charges , auffi-tôt que les circonftances nous en
fourniront les moyens. A CES CAUSES , &c , &c .
Cet Edit eft compofé de trois articles.
De BRUXELLES , le 7 Mars
Le Duc d'Aremberg fit le 18 du mois
dernier fon entrée dans Mons , capitale du
( 90 )
Hainault , en qualité de Grand -Bailli & Officier
Souverain du pays ; le lendemain il prêta
les fermens ordinaires , & reçut les complimens
d'ufage. L'ouverture des Etats auxquels
il préfide en cette qualité eut lieu le 24 , &
ajouta à la folemnité des fêtes données à cette
occafion , en lui procurant celle d'en donner
à fon tour.
Selon les lettres de Hollande , on eft raffuré
fur la crainte qu'on avoit que l'Espagne
n'imitât la conduite des Anglois à l'égard des
vailleaux de la République, qui ne peut évitèr
ces défagrémens , qu'en ne négligeant rien.
pour réprimer ceux qui ont donné l'exemple
de ces entrepriſes. La réponſe que le Comte
de Florida-Bianca a faite à l'Ambaffadeur des
Etats Généraux au fujet des plaintes fi fouvent
répétées de la part des commerçans
prouve combien elles étoient peu fondées.
» Il n'y a point de prifes faites par la marine
Efpagnole , y eft - il dit , dont la détention ou la
déclaration de bonne prife n'ait été fondée fur les
Traités , les loix & les Ordonnances. Les falfifications
des papiers de mer , leur duplicité , la
variété de leur contenu , des déclarations des équipages
ont été telles , que la fcrupuleufe équité de
S M. , des motifs d'amitié l'ont feuls déterminée à
faire rendre plufieurs de ces prifes . Lorfque quel
ques parties intéreffées ne fe font pas trouvées
fatisfaites des procédures des Miniftres Subdélégués
de la Marine , elles ont trouvé & trouveront toujours
ouvert les Tribunaux Supérieurs . Quand les rapports
& les proteftations des Propriétaires d'Amfterdam
feroient fondés , l'expérience a prouvé que les Patrons
( 91 )
ou Capitaines fe dirigent vers la place bloquée de
Gibraltar , contre le voeu fans doute des Proprié.
.taires , en prétextant ou fimulant de motifs apparens
, leur direction ; loin d'avoir fait tort aux
Propriétaires par la vente des cargaisons , on leur
a procuré un grand avantage , puifqu'elles confif
toient en comeftibles qui euffent fouffert avarie
s'ils fuffent reftés à bord , & qui ont été vendus
dans des lieux où les circonftances en ont augmenté
le prix. C'eft fans raifon qu'on crie à l'injuftice ,
& qu'on compromet la repréſentation du Miniftre
des Etats - Généraux , en lui fuggérant des plaintes
deftituées de preuves. S'il recourt à la clémence
du Roi pour modérer dans quelques cas particuliers
la févérité de la Juftice , le meilleur moyen fera de
reconnoître cette même Juſtice , & de fe recommander
à fa grandeur d'ame & fon amitié pour
LL. HH. PP .; alors les repréfentations auront pour
règle la raison & les preuves données par LL. HH.
PP. annoncées dans leur Placard . C'eft en vertu
de ces mêmes preuves d'amitié qu'elles ont données ,
que S. M. a réfolu d'ordonner qu'on ait des égards
pour les vaiffeaux de la République , pourvu toutefois
qu'ils n'abufent pas de fa condefcendance «.
On ne fait point encore comment fe terminera
l'affaire de la faifie des vaiffeaux
Hollandois. Les Négocians propriétaires de
ces vaiffeaux , ont préfenté aux Etats de
Hollande & de Weft-Frife , une requête dans
laquelle ils fe plaignent de la conduite des
Anglois qui n'ont pas refpecté le pavillon
de la République , & follicitent une protection
efficace & illimitée , fans laquelle le
commerce ne peut plus fe foutenir. Cette
requête montre quel eft le voeu général de la
( 92 )
Nation; il eft à préfumer que le gouvernement
ne refufera pas de le remplir , dans
un moment fur -tout où l'on a violé ouvertement
à fon égard , les droits les plus facrés
des Nations. L'avis des Colléges de l'Amirauté
de la République , que l'on vient de
publier , y eft conforme. Il y eft dit exprellément.
כ
?
Que tous les ménagemens employés jufqu'à préfent
par L.H.P. , en faisant même, quoique fans aucune
obligation , quelque diftinction entre les Convois à
accorder aux mâts & gros bois de conftruction ,
uniquement appropriés aux vaiffeaux de guerre , ou
d'autres matériaux de marine à l'ufage de toute forte
de bâtimens , ainfi que les matières premières , dont
ils pourroient être fabriqués ; à deffein d'éviter, par une
pareille condefcendance , des affronts de la nature de
celui que vient d'effuyer préfentement le Convoi fous
les ordres du Chef - d'Efcadre Comte de Byland ,
dont après l'attaque , neuf navires ont été enlevés :
ces ménagemens ne doivent plus avoir lieu , mais
au contraire , tous les effets que les Traités ne
déclarent pas pofitivement être de contrebande , fans
la moindre diftinction quelconque , doivent être pris
fous le Convoi & la protection de l'Etat , en priant
enfuite S. A. S. de vouloir bien ordonner aux Officiers
Commandans les vaiffeaux & les efcadres de la
République , de traiter & de protéger indiftinctement
& fur le même pied tous les effets en
queſtion «.
3 P
On fait que la république arme des vaiffeaux
dont la miffion fera de protéger efficacement
fon commerce fur toutes les mers
& contre toutes les Nations qui voudront
entreprendre de le troubler.
( 93 )
PRÉCS DES GAZETTES ANGL . du 26 Février.
» On voit ici une lettre de St - Vincent , écrite
par un Anglois qui crie à la vexation contre le
nouveau Gouvernement de cette lfle , fur ce qu'un
Soldat François eft entré chez lui fans fe faire annoncer
; que le voyant à dîner avec la famille , il a pris
une place à table , a bien mangé & s'en est allé
comme il étoit venu. C'eſt une efpieglerie puniffable
fans doute , mais des Anglois n'ont pas le droit de
la qualifier de vexation fur- tout dans l'Ile de Saint-
Vincent , & au milieu de fes Caraïbes qui en ont
éprouvé de fi atroces de la part du Gouvernement
Anglois c.
Cans les débats fur la queſtion de la durée du
nouveau bail de la Compagnie des Indes,un M.Huffey
répondant au Général Smith , qui parloit avec beau
coup d'affurance des droits territoriaux de la Compagnie
, lui propofa quelques doutes qui dûrent
paroître finguliers dans cette Affemblée. » Je voudrois
favoir , dit-il , comment les droits territoriaux ont
été acquis ? On prétend que c'eft par la conceffion
d'un Prince. Mais eft - ce qu'un Souverain qui ne
l'eft que de nom, peut donner à une Compagnie étran
gère le droit de dépouiller de paifibles habitans de
leurs propriétés, & de le tranfmette à d'autres ? Je fuis
confondu de voir difcuter dans une Affemblée de
gens honnêtes & raifonnables , la juftice d'un partage
à faire d'une propriété ainfi acquife, & c'eſt pour
l'intérêt d'une caufe auffi injufte & auffi extravagante
que les actionnaires prétendent lutter avec le Parlement
".
» On affure que le Sicur Haftings , Gouverneur
Général des Etabliſſements Anglois dans l'Inde , &
actuellement en route pour revenir , a été garçon de
cabaret. Lorsqu'il fit les premiers pas dans la route
de la fortune , quelques Membres du Parlement qui
en difcouroient entr'eux en buvant du vin de Chainpagne
dans le cabaret même où il les avoit fervis ,
( 94 )
donnèrent lieu à cette réfléxion piquante du Chevalier
George Selwyn. »Vous êtes bien étonnés qu'un
homme à qui étoit confié le foin de la taverne foit
devenu votre égal : mais c'eſt que vous ne favez
point qu'il n'y a pas unetrès-grande différence entre
coëffer une bouteille ou la décoëffer A
Le vaiffeau de ligne le Courageux eft actuellement
à la mer, étant parti de Spithéad le 11 , avec
l'Alexandre , pour escorter jufqu'à une certaine
hauteur fix vaiffeaux de la Compagnie des Indes.
Le Lord Mulgrave , Capitaine de ce vaiffeau , fait
fa campagne dans le Parlement , tandis qu'un autre
Officier le remplace à bord . Il eft apparemment plus
utile dans les circonstances actuelles au Miniftère ,
comme Sénateur , que comme homme de mer « .
r

Les Miniftres , pour fe venger du Comte de
Pembroke , qui ofe , ainfi que bien d'autres , leur
réfifter dans le Parlement , viennent de lui faire
retirer la Lieutenance du Comté de Wilts , qui étoit
dans fa famille depuis le règne d'Henti VIII . fans
interruption, fi ce n'eſt une lacune de trois ans . On ne
lui a pas encore retiré fon Régiment , qui eft le
premier des Dragons , mais on ne tardera pas . Il
a remis fa charge de Gentilhomme de la Chambre.
Le Lord Carmarthen a été traité de même , ainfi
que le Duc Richemond & beaucoup d'autres . Les
Miniftres font pourtant dans l'embarras pour le
faire remplacer , parce qu'ils ont déja effuyé plusieurs
refus.
Au grand mécontentement des deux partis , le
Gouvernement de l'Ile de Wight ,vient d'être donné
au Chevalier Worfley , âgé de 24 ans & créa
ture des Miniftres ; mais ce qu'il y a de plus bizarre
c'eft que fon Lieutenant eft le Général Howe , qui
fe trouveroit fous les ordres fi l'Ile de Wight étoit
menacée d'une defcente comme elle l'a été l'année
dernière.
21
Ce moment- ci fournit encore un autre exemple
L
སྙ
( 95 )
d'une fingulière inconféquence. Le Roi & les Miniftres
ne veulent point fe laiffer fléchir pour abréger
l'année de prifon de l'Imprimeur Parker , que
le banc du Roi a condamné pour un imprimé
féditieux , & le même banc du Roi , n'a prononcé
qu'une légère amende contre des millionaires qui
ont renversé le Gouvernement de Madraſſ , deſtitué
& emprifonné le Gouverneur qui étoit un Lord
& caufé fa mort. M. Stratton lui même quand on
lui a lû fon jugement , l'a trouvé fi rifible qu'il
a mis fa main devant fa bouche pour ne point
éclater de rire.
Les diverfes affociations d'Irlande , ont fait éclater
la plus vive indignation contre l'Archevêque Primat,
qui dans fon mandement pour l'obſervation
du jour de jeûne & de prières , ordonné par une
proclamation du Roi , prefcrit pour la première collecte
du Service du matin & du foir , une prière
finiffant par cette phrafe , abfolument contraire au
voeu général de l'Irlande : » accordez-leur , ô Sei-
" gneur , votre puiffante affiſtance pour qu'ils réfif-
» tent à la violence de ceux d'entre leurs concitoyens
"
qui hautement fe déclarent contre l'obéiffance due '
» à notre Souverain & à l'autorité légitime du
» Parlement de la Grande - Bretagne «. Ce Prélat
a fait imprimer ces derniers mots en lettres italiques.
Plufieurs membres des deux Chambres fe propolent
de le dénoncer au Parlement dès qu'il aura repris
fes féances.
-
L'Oppofition vient de faire paroître , chez l'im
primeur M. Parker , ( détenu à Newgate pour la
caufe antiminiftérielle ) , un ouvrage qui porte ce
titre. Effai pour donner une vraie idée du caractère
& du règne de Charles I, & des caufes de
la guerre civile, d'après Clarendon , Coke , Bur
net , Tindal , &c . , où on reconnoîtra que les commotions
civiles de ce règne , ne furent produites par
aucunes fectes religieufes ou parti populaire , mais
uniquement par la tyrannie de la Cour.
3
( 96 )
On fe rappellera que lorfque la Chambre dès
Communes commença à s'occuper des redreffemens
demandés par l'Irlande , la crainte de déplaire à
quelques villes commerçantes d'Angleterre, empêcha
plufieurs membres de l'Oppofition de dire leur avis
en cette occafion. M. Edm . Burke , député de la
ville de Briſtol , qui a été de ce nombre , avoit été
accufé de duplicité par les Irlandois. Il vient d'écrire,
pour la juftification , une lettre de 28 pages
à M. Burgh , membre du Parlement d'Irlande . Les
affociations Angloifes dont le projet fe négocioit alors
expliquent aujourd'hui clairement les motifs de la
neutralité qu'obfervèrent dans cette circonſtance les
principaux membres de l'Oppofition «<,
Sur le refus du Roi & fur celui du Lord
Sandwich , de nommer les trois vaiffeaux de
guerre que la Compagnie des Indes donne à
la marine Royale , cette Compagnie vient de les
nommer le Carnatique , le Gange & le Château
de Bombay.
C'eft un fait pofitif, que l'Amiral Rodney n'eft
pas une adoption de Mylord Sandwich. C'eft le Duc
de Chandos qui a parlé au Roi de cet Officier. Le
Roi a fait venir le Miniftre , pour lui déclarer qu'il
choififloit cet Amiral , & qu'il auroit le commandement
de l'efcadre que l'on armoit à Portsmouth.
Mylord Sandwich a fait tout fon poffible pour
détourner le Roi de cette réfolution mais il a
été obligé de céder on affure qu'il devoit propofer
au Roi l'Amiral Pallifer.
Le Dublin , vailleau neuf de 74 canons de l'efcadre
du Chevalier Rodney , étoit fi mal en ordre ,
que dans le coup de vent que cette efcadre a effuyé ,
il a été obligé de le faire remorquer le 18 Janvier
dans le port de Lisbonne par le Shrewsbury , vieux
vaiffeau , qui a mieux réfifté à l'orage que le vailfeau
neuf de Mylord Sandwich.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE
De PETERSBOURG , le 5 Février.
LE 29 du mois dernier , le Grand- Duc &
la Grande - Ducheffe donnèrent dans leur
palais de l'Ifle de Kamennoy Oftrow , une
fête fuperbe à l'Impératrice. On y exécuta un
Opéra Italien , fuivi d'un ballet allégorique ,
repréfentant les principales époques du règne
de S. M. I. Le foir il y eut un fouper de 100
couverts , fervi dans l'Orangerie qui avoit
été difpofée de manière à faire oublier à tous
les affiftans la faiſon rigoureuſe dans laquelle
nous nous trouvons ,& à faire croire que ncus
étions en plein été . Le chemin qui conduit
de la ville au palais étoit décoré avec beaucoup
de goût & de magnificence.
On fait avec quelle ardeur plufieurs de
nos Souverains fe font occupés des décou
vertes à faire dans la mer du Nord , & avec
quel foin l'Impératrice a fait fuivre ces découvertes
; pour les étendre encore , elle vient
d'ordonner d'équiper pour cet effet tous les
ans dix navires à Kamtfchatka ; 3 dirigeront
leur route vers le nouvel Archipel fepten
18 Mars 1780. e
( 98 )
trional ; 3 vers l'Amérique , un pareil nombre
yers Ochotskoy , & un vers les Illes .
Kuriles.
On fait tous les préparatifs néceffaires
pour le voyage que S. M. I. fe propofe de
faire dans les Etats ; fuivant une Ordonnance
publiée depuis peu , il doit y avoir au mois
de Mai prochain 300 chevaux prêts à courir
dans chaque ftation de pofte de la province
d'Ingrie & fur la route de Polozk. Le Prince
de Gallitzin , Commandera en chef dañs
cette capitale pendant l'abſence de l'Impératrice.
Le Métropolitain de Caffa & les Grecs
établis en Crimée , ayant fupplié dès 1778
S. M. I. de les recevoir fous fa protection ,
elle vient de leur accorder leur Requête par
une Patente imprimée tant en Ruffe qu'en
Grec ; elle leur affigne fur la mer d'Afoph un
diftrict qu'ils occuperont , où ils bâtiront
deux villes qui porteront , l'une le nom
d'Ekatherinoflaw , l'autre celui de Marianople
, & où ils jouiront de plufieurs priviléges.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 12 Février.
LES marchands de ce Royaume ont renouvellé
leurs inftances auprès du Roi pour le
fupplier d'accorder à leur commerce la protection
dont il a befoin fur mer. Ces Requêtes
motivées par la détention de plufieurs de
leurs vaifleaux enlevés par les Anglois &
( 99 )
conduits dans leurs ports , paroiffent attirer
l'attention de la Cour. On travaille à Carlf
crona à l'équipement de plufieurs vaiffeaux
& frégates deftinés à convoyer les navires
marchands.
On n'a pas vu , il y a long-tems , autant
de neige qu'il en eft tombé depuis quelques
jours , elle a été à la hauteur d'une aune dans
les rues de cette ville ; & il y en avoit 6 pieds
dans les campagnes. Le cours des poftes a été
fort dérangé dans cette circonftance,
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Février.
ON va mettre un impôt fur les boiffons
étrangères qui entrent dans les Etats héréditaires.
On augmentera en même- tems ceuxque
payent le vin & la bière. Ces nouveaux
arrangemens commenceront à avoir lieu , à
compter du mois d'Avril prochain . On a
calculé qu'on boit annuellement , tant dans
cette ville que dans fes fauxbourgs , 980,000
eimers de vin & de bière.
Nous avons eu beaucoup de neige ces
jours derniers ; les rues en étoient couvertes ,
& les toîts des maifons furchargés. La Police ,
pour nous en débarraffer plus promptement ,
l'a fait enlever par tous les voituriers qui ar
rivoient ici chargés , & qui s'en retournoient
à vuide , & les a engagés à la conduire à une
certaine diſtance.
On écrit de Belgrade qu'il y a beaucoup
e 2
( 100 )
de mécontentement parmi les Turcs contre
le Bacha qui commande en Servie , & qu'il
eft à craindre qu'il ne s'y élève une révolte
dont les fuites peuvent devenir funeftes .
Plufieurs habitans de cette province , &
parmi eux beaucoup de Muſulmans , pleins
de confiance en nos Intendans des frontières ,
demandent la permiffion de venir s'établir
fur le territoire Autrichien pour y trouver
un afyle au cas que les circonftances le leur
rendiffent néceffaire .
On dit que la Cour de Danemarck a envoyé
un fupplément au Mémoire qu'elle a
déja fait préfenter iei par fon Miniſtre au
fujet de la priſe de poffeffion de l'Ile de Nicobar
par M. Boltz , Commandant le vaiffeau
le Jofeph-Thérèfe. Il eft dit que M. Boltz ,
fans avoir égard aux proteftations des Hernutters
, fujets de S. M. D. établis à Nicobar ,
s'étoit emparé d'une maison où il avoit
placé 3 foldats & 10 canons , en difant qu'il
y arriveroit inceffamment un renfort. Ce
fupplément a été joint au inémoire fur le
contenu duquel M. Boltz fera entendu à fon
x
retour.
De RATISBONNE , le 25 Février.
Le décret de commiffion de S. M. I. concernant
la paix de Tefchen fut préſenté aux
Colléges le 18 de ce mois , & mis le même
jour en délibération formelle. Toutes les
voix furent affirmatives ; plufieurs cependant
ſe déclarèrent pour la clauſe de la
( 101 )
réferve des droits de chacun. Mais on ignore
encore fi elle fera inférée dans l'avis de
l'Empire. La féance dura jufqu'à quatre
heures après - midi . M. de Fisher y opina
en qualité d'Envoyé du Collège des Comtes
en Franconie , & de celui des Comtes en
Weftphalie. Il fit en cette dernière qualité
la lecture de fes pleins pouvoirs , en s'excufant
de ce qu'il étoit obligé de fe fervir de
ce moyen extraordinaire pour fe légitimer ,
parce que le Directoire de l'Empire avoit
refufé d'accepter fon plein pouvoir pour
ce fuffrage , en acceptant celui de M. Haims,
ce qui étoit s'émanciper à décider la queftion.
Il réclama l'appui des autres Envoyés
Proteftans qui promirent de le maintenir.
Cependant à la féance du 21 , lorfque le
décret de commiffion Impériale pour conférer
à l'Electeur Palatin les fiefs de l'Empire
vacans par la mort de l'Electeur de
Bavière , ce fut la voix de M. Haims qui
fut reçue au Protocole , mais avec la réferve
que cela ne tourneroit au préjudice
de perfonne. Au refte les fuffrages des deux
Colléges fupérieurs de l'Empire furent unanimes
fur l'affaire en queftion .
On apprend de Minden que les troupes
Hinovriennes commenceront cette année
de très bonne heure leurs exercices ; les
Officiers , bas -Officiers & Recrues qui cidevant
ne rejoignoient leurs régimens qu'au
10 ou au 20 de Mars , doivent Y être rendus
à la fin de ce mois.
e 3
( 102 )
Le Roi de Pruffe vient de défendre dans
fes Etats toute importation de papier étranger.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 18 Février.
DES lettres de S. Marcello portent que
- deux Payfans de Pefcia qui portoient des
denrées à la montagne , fe trouvant le 27
Décembre dans les Alpes d'Andra , Diſtrict
de Lizzano , furent tout-à- coup aflaillis
par une fi grande quantité de neige poulfée
par un coup de vent terrible , que l'un
des deux y refta enfeveli ; elle s'eft élevée
à plus de trois braffes de hauteur. L'autre
n'échappa qu'avec peine On écrit auffi de
Pontremoli que le 30 du même mois , on
avoit trouvé mort fous la neige dans les
environs de Montelungo , un Voiturier
venant de Florence avec trois mulets chargés
de fromages. Deux de ces mulets avoient
été également étouffés.
» S. S. , écrit - on de Rome , a approuvé l'ordre
donné par le Majordome du Palais Apoftolique
afin que déformais les Chevaliers de garde qui faifoient
leurs fonctions tant à pied qu'à cheval , en
habit noir & en rabat , euffent un uniforme militaire.
Cet uniforme confifte en un habit d'écarlate
, collet & revers de velours noir , vefte &
culotte chamois , avec une petite broderie d'or «.
Selon quelques lettres de Pavie , le
bruit y couroit qu'un Miniftre étranger ,
à Gênes , avoit quitté cette Ville fans
prendre congé de la République . On en
( 103 )
donne pour motif qu'on avoit ufé de violence
contre quelques Officiers de fa Nation
qui levoient des recrues à San Remo.

» Le 6 de ce mois vers les 11 heures de la
nuit , mande- t - on de Bologne , nous éprouvâmes
une nouvelle fecouffe de tremblement de terre fi
violente , que l'effroi fut général. Aucune de celles
qui l'ont précédé n'avoit rien de fi affreux pour la
véhémence & la durée. Elle a endommagé plufieurs
édifices , mais perfonne n'a été bleffé . Un moment
avant la fecouffe , on a vu un grand éclair . Ceux
qui étoient pour lors fur des lieux élevés & ouverts
, affurent l'avoir vu fortir de terre , femblable
à une flamme. Les uns fupposèrent que c'étoit une
groffe étincelle électrique ; les autres le regardèrent
comme une véritable exhalaiſon d'un feu fouterrain ,
qui d'après l'expérience & l'analogie des effets , occupe
certainement la premiere place dans la production
des tremblemens de terre «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 24 Février.
LA Gazette de cette Ville du 22 de ce
mois contient les détails fuivans :
» On apprend par les lettres du camp de Saint-
Roch du 13 , que l'efcadre Angloife eft fortie, à
5 heures du foir du même jour , du port & de la
baie de Gibraltar , au nombre de ving-deux vaiffeaux
de ligne , y compris les prifes , de deux frégates
& de douze tranſports , faiſant route à l'ouest ,
& laiffant dans la Baie le vaiffeau la Panthère , de
60 canons , & un autre de la même efcadre , indépendamment
de trois frégates , un corfaire , & divers
bâtimens de moindre force. Avant le départ
de cette efcadre dans la matinée du même jour
les Anglois renvoyèrent à notre camp le Licute-
>
e 4
( 104 )
nant- Général D. Juan de Langara , & tous les autres
Officiers & Gardes- Marines , moyennant quelques
prifonniers que nous leur rendîmes , quoique
les ennemis n'euffent pas attendu l'exécution de l'échange
qu'ils avoient cux mêmes propofé , &
dans lequel il étoit queftion de la reftitution de
tous les prifonniers.
-
Des lettres de Lisbonne rapportent que
le Commodore Johnftone y eft rentré le
7 de ce mois après la plus infructueuſe
des croifières. On fait par ce Commodore ,
qui s'étoit flatté du fuccès le plus brillant ,
que fept Armateurs Anglois font rentrés
comme lui , fans avoir fait la moindre
prife.
Les lettres de Cadix du 19 nous apprennent
que le vaiffeau le Scipion eft entré
le 16 dans cette Baie ; c'eft le feul vaiffeau
forti de Breft avec D. Gafton qui y fût encore
attendu . Tous les autres qui n'étoient
pas avec cet Officier-Général avoient eu
ordre de relâcher au Ferrol où ils font arrivés.
» Plufieurs Maures qui font arrivés dans ce port
fur un bâtiment Hollandois venant de Tétuan ,
ajoutent les mêmes lettres , ont apporté les nouvelles
fuivantes : Un vaiffeau de guerre Anglois ,
deux frégates & neaf bâtimens de tranfport font
fortis de Gibraltar , & ont été mouiller à Tétuan ,
pour prier le Gouverneur Maroquin d'accepter
deux de ces tranſports chargés de bled , comme
un préfent fait au nom de S. M. B. , & pour lui
demander en même tems la permiſſion d'acheter des
beftiaux & divers articles dont on avoit befoin à
( 105 )
Gibraltar ; ce que le Gouverneur a refuflé , parce
qu'il n'avoit point d'ordre de fon Souverain relativement
à cette demande. Les Anglois là - deffus
appareillèrent de Tétuan , en difant qu'ils alloient à
Alger , où ils trouveroient tout ce qu'ils cherchoient.
Les Maures ajoutent qu'ils ont fait les mêmes
tentatives à Tanger , & qu'ils ont entendu
dire que le Gouverneur de cette place eft convenu
de leur donner des beftiaux , mais qu'ils ignorent
s'il a accepté le bled ; & que s'il a fait cela fans
les ordres de l'Empereur , il pourroit s'en repentir
; ils font certains que ce Prince a donné les
ordres les plus précis pour le maintien de la plus
grande harmonie avec les Espagnols , ainfi que
pour la liberté de leur commerce , en même tems
qu'il a menacé des peines les plus rigoureufes
ceux de les fujets qui commerceroient avec Gibraltar
".
On a ici des copies de la lettre de D.
Juan de Langara à D. André Regio , Lieu .
tenant-Général , Directeur - Général de la
Marine & Commandant au Département
de Cadix. Cette lettre écrite de Gibraltar
le 21 Janvier , contient les détails fuivans
du combat du 16.
» M. le mauvais tems que l'efcadre fous mes
ordres a fouffert depuis fon entrée dans l'Océan ,
le 2 de ce mois , les brumes épaiffes qui m'ont
empêché de prendre hauteur , & les vents forcés
du S. O. qui ne m'ont pas permis de reconnoître
la terre , laiffoient la direction de notre route à
mon eftime , qui m'établiſſoit à la hauteur de Ca
dix le Cap Sainte - Marie me reftant entre le
Nord & le Nord quart - Nord- Eft , lorfque le 16 ,
une heure & demie du foir , je fis le fignal de virer
vent arrière & de courir la bordée au Sud-
Eft.
es
( 106 )
Pendant cette manoeuvre , le brouillard s'étant
un peu éclairci , on découvrit du haut des mâts
de mon vaiffeau , qui faifoit l'avant - garde , vingt
voiles dans le N. Ñ. O.; je ne changeai point ma
difpofition , & je fis fignal de fe former en ligne les
amures à tribord & de fe préparer au combat :
cette ligne fut formée avec mes neuf vaiſſeaux ,
le Phénix , le Saint- Auguftin , le Saint-Eugène ,
le Saint-Dominique , le Saint-Laurent , la Prin
ceffe , le Diligent , le Monarque & le Saint-Julien
; je fis placer fous le vent à nous les frégates
la Sainte - Rofalie & la Sainte - Cécile , ainfi que
les quatre prifes que j'avois faites précédemment :
nous reftâmes fous les huniers pour pouvoir reconnoître
la force des bâtimens qui couroient le
même bord que nous , & pour être à même de
prendre le parti que les circonftances & -la prudence
détermineroient. A deux heures nons commençâmes
à diftinguer vingt-quatre grandes voiles
& foixante petites . A leurs fignaux nous les jsgeâmes
ennemis , fans pouvoir encore diftinguer
leurs forces ; lorfqu'elles nous reftèrent à la diftance
de trois lieues , nous reconnûmes vingt - deux
vaiffeaux de ligne , dont trois à trois ponts , &
quelques frégates , qui fe divisèrent en deux co-
Jonnes , l'une courant au Nord , & l'autre qui conftituoit
la grande efcadre , paroiffant vouloir dou
bler notre ligne , ou nous couper la retraite.
Cette fupériorité d'ennemis me décida à profiter
du tems pour connoître le fentiment des autres
Commandans , en leur demandant par un fignal
s'ils croyoienr convenable d'arriver au premier
port. Les opinions fe trouvèrent telles unanimement
, & je fis les fignaux d'arriver au premier
port , en ordre de retraite , & de forcer les
Voiles.
A trois heures , je fis porter à l'Eft , afin d'engager
les ennemis à s'enfourner dans le fac de Ca(
107 )
dix , s'ils perfiftoient à nous chaffer , mais ils vinrent
toujours fur nous à force de voiles , & un
d'eux , nommé l'Edgard , de 74 , qui marchoit le
mieux , s'approcha du Saint - Dominique , com
mandé par D. Jacques de Mendizabal , qui ayant
perdu fa grande vergue dans le coup de vent d'Eft
du 13 , ne pouvoit pas nous fuivre l'Edgard
affura fon pavillon , le Saint - Dominique en fit au
tant avec intention de fe défendre ; & à quatre
heures & demie , l'Anglois lui envoya fa bordée ,
à laquelle notre vaiffeau ripofta de la fienne de
bas -bord ; le feu de ce dernier fut fi bien fervi , que
l'Edgard fut obligé de fe retirer. Le Saint- Do.
minique fe rapprochoit de nous lorsqu'il fut gagné
par deux vaiffeaux ennemis , qui le mirent
entre deux feux , & qui le canonnèrent par les
hanches ; mais il continua fon.combat bas - bord &
ftri-bord avec la plus grande, vivacité , & particulièrement
avec fes canons de retraite. Nous admirions
la brillante défenfe & le courage du Capitaine
, des Officiers & de l'équipage du Saint-
Dominique , lorfqu'après une épaiffe fumée ce
malheureux vaiffeau difparut à nos yeux je préfume
que ce bâtiment fauta en l'air par le feu de
Les propres canons de retraite , que le vent- arrière
communiqua à fes poudres. Telle fut la
trifte fin des vaillans Efpagnols qui le montoient
& dont la noble défenfe méritoit un meilleur
fort.
Dans ce même tems , trois autres vaiffeaux de
ligne ennemis combattoient la Princeſſe , qui feule
fe défendit en forçant de voiles , & avec un feu
très-vif , jufqu'à l'arrivée du Diligent , qui vint à
fon fecours.
Au coucher du foleil , le vaiffeau Anglois la
Défenfe , de 74 canons de 32 à la première batterie
, & de 18 à la feconde , commença à combattre
le Phénix que je montois , & qui portoit
e 6
( 108 )
80 canons de 24 & de 18 ; la vivacité de notre feu
obligea l'ennemi d'éviter notre côté , & à prendre
la hanche de bas-bord , pendant que nous combattions
à ftribord le Bienfaifant , de 64 canons de
24 & de 18 ; j'arrivai fur la Défenfe , qui paroilfoit
très - maltraitée , à portée de piftolet . Mon intention
étoit de me défaire d'un de mes ennemis ;
j'étois également déterminé à arrêter les meilleurs
voiliers Anglois , pour donner à nos autres bâtimens
le tems de fe fauver , mais je me trouvai
auffi-tôt attaqué par un troifieme vailleau de 90
canons , le Sandwich , commandé , à ce que l'on
dit , par l'Amiral Roff , & qui dans une de fes bordées
coupa notre mât d'artimon , dont la chûte empêcha
quelques inftans le fervice de quelques - uns
de nos canons de ba -bord , mais dont nous parvinmes
cependant à nous dégager avec la plus
grande promptitude . Je reçus à fix heures du foir
ne balle de fufil qui me bleffa auprès de l'oreille
gauche je continuai à refter fur le gaillard en
donnant les ordres néceſſaires , & le combat continuoit
toujours , malgré la fupériorité de nos
ennemis , l'incommodité de la groffe mer & le
peu de batterie que nous avions ; notre entre- pont
étoit inondé , & je fus obligé de faire faire de nouveaux
dalots pour l'écoulement des eaux . A 7 heures
un quatrieme vaiffeau ennemi furvint par notre
poupe ; une balle de mitraille me bleffa à la cuiffe
droite , & bientôt après une troifième bleffure que
je reçus dans la tête me fit tomber évanoui , & on
me tranfporta au pofte des Chirurgiens . Un cinquieme
vaiffeau s'approcha , nous tira fa bordée ,
& nous caffa le grand mât de hune qui tomba fur
le pont avec fa vergue & le grand perroquet.
,
Le feu continuel des s vaiffeaux Anglois qui nous
attaquoient par la prore , la poupe & le travers
nous avoit mis hors d'état de gouverner , toutes nos
manoeuvres étoient conpées ; fans agrès , notre
( 109 )
,
grande voile criblée , notre mât de hune & fon
perroquet tombé notre mât d'artimon perdu , nos
grands & petits focs emportés , notre grand mât
offenfé en plufieurs endroits & percé de boulets &
de boulets ramés , notre entre-pont plein d'eau ,
n'ayant plus que la mifaine dont le mât avoit confenti
& le petit mâr de hune & fon perroquet qui
ne pouvoient porter la voile ; hors d'efpoir d'améliorer
notre fort & de recevoir aucun fecours , telle
étoit notre fituation lorfque nous amenames , à la
dernière extrémité & à dix heures du foir le
pavillon que nous avions défendu pour la gloire de
notre Partie & de notre Roi , contre des forces
dont la fupériorité juſtifie notre défenſe & né nous
permettoit pas de douter de l'évènement . Les ennemis
eux- mêmes peuvent dire fi cette relation eft
conforme à la vérité «.
"
» Le combat ayant ceffé , le Bienfaisant nous
envoya un détachement commandé par deux Officiers ,
& ce vaiffeau ainfi que la Défenfe s'éloignèrent de
nous . Ce détachement travailla à nous regréer en
mettant une petite voile au lieu & place de celle du
petit perroquet en paffant celle du grand hunier å
notre grande vergue & la voile d'artimon à la mifaine .
Cette foible voilure par une groffe mer & de forts
vents de S. O. , auroit mis en danger le Phénix , fur
les baffes de la Aceitera , fr dans la nuit du 17 le vent
n'avoit pas tourné au N. O. , ce qui nous jetta vers le
Cap Spartel que nous ne pouvions pas doubler ,
dont nous nous étions approchés jufques par s
braffes & demie d'eau , & dont nous nous relevames
par le paffage du vent à l'O. «.
» Au jour , & auffi - tôt que l'on put mettre le canot
à la mer , M. Maffarride , Capitaine du Bienfaisant,
vint me voir & me complimenter , il me dit ( pour
me fervir de fes propres expreffions ) qu'une défenfe
auffi glorieufe avec une fi grande inégalité de forces
étoit plus digne d'envie que l'attaque , & il m'ajouta
( 110 )
que lorfque nous ferions plus à loifit il me communiqueroit
plufieurs particularités qui nous fai
foient honneur dont il avoit été témoin , & que
je n'avois pû obferver. IIll eut l'honnêteté , contre,
I'ufage général , de laiffer fubfifter fur le Phénix
notre pavillon & celui diftinctif de mon commandement
, & il permit à tous les Officiers & à l'Equipage
de refter à bord parce que la petite vérole étoit
dans le Bienfaifant. Ce même jour 18 , l'efcadre
Angloife & fon convoi paffèrent le détroit , mais
comme le calme les mit fous le vent de Gibraltar ,
ils mouillèrent à l'eft de cette place , le Phénix entra
le 19 dans la Baie avec les 2 vaiffeaux de fa conferve
, la Défenfe & le Bienfaifant , & je reçus à
Gibraltar toutes les politeffes poffibles de l'Amiral
Duff, qui y Commande la marine , du Gouverneur
de la Place , & de l'Amiral Digby , fecond Commandant
de l'Ecadre de l'Amiral Rodney : on m'y
rendit même les honneurs Militaires ".
» Pour fatisfaire mon honneur & ma confcience
je dois rendre compte à V. E. du courage , de l'intrépidité
, du fang froid & de la conftance qu'ont
montré pendant toute l'action , les Officiers de
marine & de terre , nos deux Gardes - Marine & les
trois Contre- Enfeignes de Sa Majesté Sicilienne embarqués
fur le Phénix. L'équipage de ce vaiffeau a
témoigné la plus grande ardeur & bravoure ; plufieurs
bleffés ne reftoient en bas que le tems néceffaire
pour le faire panfer & ils s'empreffoient de revenir
à leurs poftes , pour acquérir & partager une nouvelle
gloire. Je répréfente tout cela à V. E. pour
qu'elle puiffe expofer à S. M. , combien fes fujets à
bord du Phénix , ont témoigné de defir de facrifier
leur vie pour l'honneur & la gloire de fes armes «.
L'efcadre Angloife n'étant pas encore entrée
dans cette rade , j'ignore les circonltances par
ticulières de chacun des vaiffeaux de mon efcadre ;
mais la voix générale de nos ennemis eft que notre
défenſe a été très - glorieuſe «,
( i )
Cette relation eft la première que nous
ayons qui contienne quelques détails .
Les Anglois à préfent qu'ils font fortis en
ont envoyé vraisemblablement une en Angleterre
où elle ne tardera pas à être publiée
, & avec laquelle on pourra la comparer.
On peut oppofer aux tableaux peu fondés
qu'on donne dans bien des pays de notre
population & de la difette prétendue où
nous fommes de bras pour l'agriculture &
le fervice militaire fur terre & fur mer ,
les détails fuivans écrits de S. Jacques en
Galice .
» Le 31 Décembre de l'année dernière , après
Vêpres , l'Archevêque de cette ville fortit en proceffion
, précédé de fon Chapitre & du Clergé ,
tant féculier que régulier , & accompagné de la
Nobleffe & des habitans , four célébrer la pieufe
cérémonie de fermer la Porte- Sainte à l'expiration
du Jubilé de St. Jacques de Compostelle , dont
jouit cette Métropole en vertu de l'autorité Apoftolique
lequel . Jubilé accorde à tous ceux qui ,
après s'être reconciliés avec Dieu , vifiteront cette
Eglife , les mêmes Indulgences que gagnent & dont
jouiffent ceux qui vifitent les Eglifes de Rome dans
l'année Sainte. Il y a eu un fi grand nombre de Pélerins
, qui dans cette vue chrétienne font venus
vifiter le corps de notre faint Patron , pendant le
cours de l'année , que dans la Cathédrale feule ;
on a donné la communion à 1,510,000 perfonnes ,
fans compter celles qui ont approché la Sainte
Table dans beaucoup de Paroiffes , Couvents &
Chapelles publiques de cette Ville «.

( 112 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le s Mars.
APRÈS une longue attente , la Cour à
enfin reçu le 28 des nouvelles de l'Amiral
Rodney ; elle les a publiées le foir du même
jour ; le Capitaine Edouard Thompſon , du
vaiffeau de S. M. l'Hyenne , les a apportées.
Ce font en général les duplicatas des dépêches
de l'Amiral ; les originaux ne font
point arrivés. La première eft en date du
27 Janvier , & conçue ainfi :
M. C'eft avec la plus vive fatisfaction que je félicite
L. S fur la victoire fignalée , remportée par les
vailleaux de S. M. fur l'efcadre Efpagnole , commandée
par Don Juan de Lar gara , dans laquelle l'Amiral
Elpagnol & la plus grande partie de fon efcadre ont
été pris ou détruits . Inftruit qu'une eſcadre Eſpagnole
, compofée de 14 vaiffeaux de ligne , croifoit
la hauteur du Cap St- Vincent , j'avertis en approchant
de ce Cap , tous les Capitaines , de fe préparer
an combat ; & l'ayant doublé le 16 au matin avec
tout le convoi , à une heure après midi , le Cap
reftant au Nord à quatre lieues , le Bedford fit
fignal qu'il appercevoit une flotte dans le S. E.
Je fis auffi -tôt celui de la ligne de combat en échiquier
, & j'arrivai fur cette flotte ; mais avant d'avoir
exécuté entièrement cette manoeuvre , je m'apperçus
que l'ennemi tâchoit de former la ligne de combat
de l'avant tribord amure , & comme le jour étoit .
fort avancé , & que je ne voulois pas différer
l'action , j'amenai , à deux heures après midi , le
figual de ligne de combat en échiquier , & je fis
celui d'une chaffe générale , afin de combattre à
mefure que les vaiffeaux arrivoient par converfion ,
( 113 )
& de gagner le deffous du vent , pour empêcher
l'ennemi de fe retirer dans fes ports. Après midi ,
voyant les vaifleaux de la tête fort près de l'ennemi
, je fis le fignal général d'engager de près ;
dans l'efpace de quelques minutes les 4 vaiffeaux
de la tête commencèrent l'action , & l'ennemi le
défendit avec beaucoup de vivacité. A 4 heures 40
minutes un des vaiffeaux de ligne de l'ennemi fauta
en l'air avec une explofion terrible ; tout le monde.
périt. Après 6 heures , un des vaiffeaux Eſpagnols
amena. L'action & la chaffè continuèrent avec un
feu non interrompu jufqu'à deux heures du matin
du 17 ; alors le Monarque , le vaiffeau ennemi le
plus de la tête , ayant amené au Sandwich après
avoir reçu une bordée , & tout le feu ayant ceffé ,
je fis le fignal de panne.
Le temps pendant la nuit fut , par repriſes , trèsorageux
, avec une groffe mer , & il fut difficile ,
par cette raison , d'amariner les vaifleaux qui s'étoient
rendus , & d'en retirer les piifonniers. Le temps
continua d'être mauvais ; le jour fuivant le Royal
George , le Prince George , le Sandwich & d'autres
vaiffeaux furent en grand danger , & dans la néceffité
de porter des voiles pour éviter les hauts
fonds qui fe trouvent à la hauteur de St. Lucar ,
& ils n'eurent un bon braffeyage que le 18 au matin ;
alors ayant joint le convoi , & découvert le Cap
Spartel , j'envoyai deux frégates à Tanger , pour
informer le Conful de S. M. de nos fuccès , en
lui apprenant que la Grande - Bretagne étoit de nouveau
la maitreffe du Détroit , & pour le prier d'expédier
au plutôt des provifions fraîches à Gibraltar.
Au coucher du foleil nous entrâmes dans le Goulet .
La brave conduire des Amiraux , Capitaines , Officiers
& équipages que j'avois l'honneur de commander
, m'a donné la plus grande fatisfaction. Ils
fembloient être tous animés de la même ardeur 3
& ils ont montré le plus grand defir d'abaifler l'orgueil
de nos ennemis.
( 114 )
Je puis avancer hardiment , quoique l'ennemi fe
foit défendu avec bravoure , que fi le temps eût été
un peu plus calme , ou fi l'action fe füt paffée pendant
le jour , pas un feul vaiſleau de l'efcadre Eſpagnole
n'eût échappé.
Suit la lifte des vaiffeaux de l'efcadre
Espagnole.
Phonix , Don Juan de Langara , Amiral ; Don
Francifco Melgarefo , Capitaine , 80 canons , 700
hommes , pris & conduit à Gibraltar.
San Auguftin , Don Vincent Dos , Commandant ,
70 canons , 600 hommes , échappé :
San Genaro , Don Felix Zevado , Commandant
70 canons , 600 hommes , échappé.
"
San-Jufto , Don Jofef, Commandant , 70 canens ,
600 hommes , fauvé , très - endommagé .
San Laurenzo , Don Juan de Araoz , Commandant
, 70 canons , 600 hommes , fauvé , très - endommagé.
San-Julian , Marquis de Medina , Commandant ,
70 canons , 600 homines , pris , les Officiers retirés ,
& un Lieutenant avec 70 matelors Anglois , mis à
bord , après quoi jetté à la côte.
བོ ོ ོལ ། ི
San- Lugenio , Don Antonio Dumonte , Comman
dant , 70 canons , 600 hommes , pris , les Officiers
retirés , mais jetté à la côte par les brifans , &
perdu ( * ) .
Monarca , Don Antonio Oyarvide , Commandant
, 70 canons , 600 hommes , pris & conduit
à Gibraltar.
Princeffa , Don Manuel de Leon , Commandant ,
70 canons , 600 hommes , pris & conduit à Gibraltar.
Diligente , Don Antonio Aborncz , Comman .
dant , 70, canons 600 hommes , pris & conduit
à Gibraltar .
2
* Ce vaiffeau & le précédent font ceux qui font revenus
à Cadix amenant les preneurs prifonniers .
( 115 )
San-Domingo , Don Ignacio Mendezabel , Cont
mmandant , 70 canons , 6co hommes , fauté en l'air
dans le combat.
રે
Santa Gertrudia , Don Annibal Caffoni , Commandant
, 26 canons , 250 hommes , échappé.
Santa Rofalia , Don Antonio Ortega , Commandant
, 28 canons , 250 hommes , échappé.
» L'état des tués & des bleffés porte les premiers
34 hommes, dont 2 Officiers , & les feconds à 104 ,
dont 2 Officiers . L'Ajax , avec fon petit mat de hune
emporté, 4 canons démontés. La Défenfe, les mâts &
vergues très-endommagés; le Monarque, fon petit mât
de hane emporté ; le Terrible, fon mât de grand perroquet
; l'Alcide , fon grand mât de hune ; le Bienfaifant
, fon mât de perroquet de fougue.
La deuxième lettre de l'Amiral eſt du 28
Janvier.
"
Depuis ma lettre d'hier 27 , par laquelle j'ai
informé leurs Seigneuries de notre combat avec
l'efcadre ennemie , & de mon entrée dans le Détroit
le 18 au foleil couchant avec l'eſcadre & le convoi ,
je dois les informer que n'ayant perfonne à bord du
Sandwich qui connût la baye de Gibraltar , j'ai
donné ordre au Contre-Amiral Digby de marcher
en avant , précédé de deux frégates , pour donner
avis de notre approche à la garnifon . Le temps
étoit très-mauvais , & les courans fi violens , que
la plupart des vaiffeaux de notre efcadre ont été
pouffés derrière les rochers, Le Sandwich , & plufieurs
autres vaiffeaux ne fent arrivés dans la baye
que hier. On eft occupé à décharger tous les bâtimens
de transport & vivriers , & on apporte la plus
grande diligence pour mettre à exécution les ordres
de Sa Majesté «.
On ajoute à ces lettres les extraits de trois autres
du même Amiral , en date du 4 & du 7 Février
; par la premiere , il informe l'Amirauté de
l'envoi qu'il a fait d'un convoi à Minorque , qu'il a
( 116 )
fait escorter par trois vaiffeaux de ligne doublés en
cuivre ; & dans la feconde , des égards qu'il a eus
pour l'Amiral Efpagnol & fes Officiers , de fa corref
pondance avec lui , au fujet des prifonniers refpectifs
; dans la troifième , il apprend au Lord Sandwich
que les 5 vailleaux Elpagnols qu'il a conduits
à Gibraltar font les plus beaux qu'on puiffe mettre
en mer ; qu'il les a complettement répatés , équipés
& mis en ligne de bataille. A cette lettre on a joint
l'extrait d'une quatrieme , écrite par le Gouverneur
de Gibraltar , en date du 28 Janvier , dans laquelle
il donne avis qu'on débarquoit les régimens , les
provifions , l'argent & les munitions arrivées
avec l'Amiral Rodney , au moyen de quoi la garnifon
eft complettement renforcée , & la place en
parfait état de fûreté contre les entreprises de l'ennemi.
Dans toutes ces lettres il n'eft pas queftion
de la fortie de notre efcadre , ni de
la deſtination ultérieure de l'Amiral. On
en attend des nouvelles avec impatience ;
on ignore combien il conduira de vaiffeaux
en Amérique où nous en avons un befoin
preffant ; comme nous n'en avons pas moins
befoin en Europe , on ne doute pas qu'il n'en
renvoie quelques - uns qui font fans doute en
route à préfent ; il n'eftpas vraisemblable, par
exemple , que le Prince Guillaume qui s'eft
embarqué fur cette flotte fe rende aux Indes
Occidentales. L'efcadre de l'Amiral Walfingham
n'eſt pas encore partie ; elle fera
compofée de 7 vaiffeaux , & il faut les prendre
fur ceux que nous avons actuellement
en état , & qui ne paffent pas le nombre
de 16. On croit cette petite efcadre deſtinée
( 117 )
à augmenter nos forces aux Indes Occidentales
, où le départ du Comte de Guichen
forti de Breft le 2 Février avec dixfept
vaiffeaux de ligne & quatre groffes frégates
, nous donne lieu de craindre que les
François ne reprennent la fupériorité qui
nous a coûté S. Vincent & la Grenade.
Nous n'avons aucunes nouvelles de l'Amérique
Septentrionale ; un tranſpott venant
de New-Yorck d'où il eft parti le 16
Janvier , & arrivé le 24 du mois dernier
à Plimouth , ne nous a rien appris finon
que tout y eft tranquille ; s'il eft vrai que
le Général Clinton en partant de New-Yorck
ait emmené le feul paquebot qui s'y trouvoit
lors de fon départ , il n'y a pas apparence
qu'on reçoive de long-tems des nouvelles
de cette place. En revanche il en eft
arrivé des Antilles qui ont fourni la matière
d'une Gazette de la Cour qui a paru
hier. Elles ont été apportées par le Capitaine
Sutton , ci-devant commandant le
vaiffeau le Sphynx de 20 canons , arrivé
le premier de ce mois.
La première lettre de l'Amiral Parker à
bord de la Princeffe Royale dans la baie
Gros- Iflet à Ste-Lucie le 9 Décembre n'eſt
donnée que par extrait . Il apprend la prife
de l'Alcmène conduite dans la baie de Carleifle
par l'Acteon & la Proferpine , &
donne une lifte des prifes faites depuis le
30 Août jufqu'au premier Décembre. Elles
confiftent en dix -huit vaiffeaux y compris
( 118 )
l'Alcmène , dont douze François , quatre
Américains & deux Efpagnols.
Le Capitaine Sutton n'étant pas parti encore le
23 Décembre , l'Amiral écrivit ce jour une feconde
lettre. » Le 18 de ce mois , entre 8 & 9 heures ( du
matin, le Prefton étant entre la Martinique & Ste .
Lucie au vent , fit fignal qu'il appercevoit une flotte ,
ce qui n'eut pas été plutôt remarqué à bord de la
Princeffe-Royale , que je fis celui de couper les cables
& de chaffer au vent. Les Capitaines étoient alors
affemblés pour tenir un Confeil de Guerre , &
comme les vaiffeaux étoient en train de s'équiper ,
quelques-uns étoient abattus en carène , d'autres
avoient leurs voiles déferlées , & une grande partie
des équipages étoit occupée à faire de l'eau & du
bois à terre. La vivacité & la promptitude avec
lefquelles les vaiffeaux mirent en mer , me furprirent
moi-même quoique jeois bien accoutumé
à l'activité des Officiers & des Matelots Anglois.
Lorfque l'efcadre paffa le Canal faiſant route vers
Port- Royal , nous reconnumes que les vaiffeaux
ennemis étoient un Convoi. Avant 4 heures aprèsmidi
, 9 ou 10 d'entr'eux s'échouèrent fur les côtes
de la Martinique , & furent incendiés par nos chaloupes
, foit immédiatement où le lendemain matin.
Vers le même tems j'obfervai que le Boreas étoit
engagé avec une frégatte Françoife dans la baye
de Port- Royal ; un Contre -Amiral François avec
deux autres vaiffeaux de 74 canons , coupèrent leurs
cables & arrivèrent fur lui , ce qui obligea le
Boreas de s'éloigner. Cette manoeuvre adroite fauva
leur frégatte & quelques- uns des bâtimens de Commerce.
L'Amiral François ferra le vent à propos ,
& tâcha de fe rendre à la rade en louvoyant. Les
vaiffeaux qui étoient alors de l'avant à la Princeffe-
Royale , étoient le Conqueror , l'Albion , Elifabeth
, le Vigilant & le Centurion ; mais le Conqueror
étoit de l'avant à tous les autres & au vent.
( 119 )
As heures ce vaiffcau ſe mit à la portée du Contre-
Amiral François , qui commenca la canonnade. La
fermeté & le fang froid avec lefquels à chaque bordée
qu'il couroit le Conqueror recevoit le feu de ces
trois vaiffeaux & leur envoyoit le fien , en manouvrant
avec autant de précision que s'il eût été dans
la rade de Spithéad , & l'avantage confidérable qu'il
gagnoit fur l'ennemi chaque fois qu'il changeoit
d'amures , me firent beaucoup de plaifir . Les autres
vaiffeaux ne montrèrent pas moins d'ardeur pour
participer à l'action . Vers le foir l'Albion s'étoit
affez approché pour feconder le Conqueror & les
autres vaiffeaux avoient pris part à l'action , mais
comme par leuis manoeuvres , ils s'étoient mis en
danger d'échouer fur les battures de cette Baie ,
& qu'ils étoient auffi à la portée de ces batteries
d'où l'on tiroit des bombes & des boulets , je les
rappellai à 7 heures un quart. J'appris alors avec
une douleur inexprimable que le Capitaine Walter ,
Griffith du Conqueror avoit été tué dans la dernière
bordée. La Marine ne pouvoit perdre un plus
digne homme , & un meilleur Officier. Le Conqueror
eut trois hommes tués & 11 bleffés ; le dommage
qu'il a reçu n'eft pas fort confidérable , non plus
que celui des autres vaiffeaux , car ils ne me l'ont
pas fait dire. Ils croifent fous les ordres du Commodore
Collingwood à la hauteur de la pointe de
Salines. Nous avons pris bâtimens de ce Convoi
qui étoit parti de Marfeille fous l'escorte de l'Aurore ,
vers la mi- Octobre. J'eftime qu'y compriſe la frégatte
ils étoient au nombre de 26 , quatre autres
s'étoient éparés & font encore attendus , mais
plutôt à Ste- Lucie qu'à la Martinique. Tous les
vaiffeaux François , excepté ceux qui ont eu part au
combat , étoient daus le carénage , & je crois en
mauvais état , & une partie de leurs équipages à
l'hopital «.
-
» Le 20 , faiſant route avec 7 vaiſſeaux pour Ste(
129 )
Lucie, fort avant dans la foirée , je reçus une lettre
du Chevalier Henry Calder , qui m'informoit qu'on
avoit découvert dans l'après midi , trois gros vail
feaux venant du Morne , & portant au Nord ,
qu'on fupofoit faire partie de la divifion de M. de
la Motte Piquet , revenant de la Grenade. Comme
cet avis me parut fondé , je détachai , auffi- tôt le
Contre Amiral Rowley , à bord du Suffolk , avec la
Vengeance , le Magnificent & le Sterling Castle ,
pour les pourfuivre «.
P. S.Je fuis affuré de bonne part , que le Sphynx
a été repris par la Proferpine , après une action trèsvive
; mais comme je n'ai reçu aucune lettre du
Commodore Hotham , je ne puis pas informer L. S.
des détails . da Cx
Un nouveau délai furvenu au départ du
Capitaine Sutton a permis à l'Amiral d'éof
crires encore le 2 Janvier , & d'envoyer à
la Cour une lettre qu'il venoit de recevoir
du Contre-Amiral Bowley , dont on donne
l'extrait fuivant
3.
:
En conféquence de vos ordres du 20 Décembre ,
j'allai avec les vaiffeaux à la pourfuite des 3 vaiffeaux
dont vous aviez reçu avis . Le 21 à 8 heures du
matin , 3 vailleaux étrangers ayant été apperçus du
haut des mâts du Suffolk dans le N. O. , je fis le
fignal d'une chaffe générale qui fut exécuté avec la
plus grande promptitude ; à midi nous avions gagné
beaucoup fur eux en peu de tems. Le 22 a 3 heures
après midi ils hilsèrent le pavillon François , mais
bientôt après ils l'amenèrent. As heures nous étant
affez approchés , je reconnus que c'étoit des frégates
Françoiles ; je leur tirai un boulet qui fut
rendu. A 6 heures & demie , le Magnificent échangea
plufieurs boulets avec une des frégates , qui ,
après une chaffe de 14 heures , amena à ce vaiffeau.
C'eft la Blanche, frégate de 36 canons & 212 hommes
( 121 )
mes d'équipage , commandée par M. Galiffonniere.
A 11 heures la Fortunée , frégate de 42 canons
& 247 hommes d'équipage , commandée par le Chevalier
de Marigny , amena au Suffolk après une
chaffe de 18 heures . La Vengeance qui étoit fous
le vent à moi , ayant joint la Blanche , la prit fous
fa garde & échangea les prifonniers , tandis que le
Sterling - Castle & le Magnificent continuèrent de
chaffer fous le vent le troisième vaiffeau qu'ils atteignirent
, & dont ils s'emparèrent après une chaffe
de 36 heures , le 23 à 3 heures après midi . C'étoit
Ellis , de 28 canons & 68 hommes , commandéc
par M. Fonteneaux . Par le rapport des Officiers appartenans
à ces frégates , j'apprends qu'ils étoient
fortis de Savannah le 1er . de Novembre paffé , qu'ils
étoient arrivés à la Grenade le 6 Décembre , &
qu'ils étoient partis de cet endroit le 9 , arrivés à
St-Vincent le is , d'où ils avoient mis à la voile le
'19 , & étoient en route pour la Martinique.
Dans notre croiſière étant par le 16° . 36 fe
condes de latitude , je rencontrai un brigantin François
allant de la Martinique à l'Amérique feptentrionale
, lequel fut pris par le Sterling- Cafle.
Par le 15. 36 fecondes de latitude , je rencontrai
auffi le Young Frow Ifabella , floop venant de la
Grenade & allant à St- Euftache ; mais comme il
n'avoit que des Américains à bord , il fut arrêté
comme prife par le Suffolk. Le 28 , la Vengeance
prit auffi un petit brigantin chargé de poiffon pour
'Ifle Marguerite , & allant à la Martinique «.
La lifte des prifes faites par cette efcadre les porte
à 15 , dont 13 Françoifes , y compriſes les 3 frégates
& la reprife du Sphynx & 2 Américains.
Le fecours donné à Gibraltar avec un fuccès
qu'on n'ofoit efpérer , a donné lieu à une difcuffion
intéreffante au Parlement . Le Comte de Sandwich
propofa à la Chambre Haute , le rer. de ce
mois , de voter un remerciment à l'Amiral Rodney.
Cette motion fut accueillie & n'effuya au-
18 Mars 1780. f
( 122 )
cune contradiction . Le Marquis de Rockingham
fe leva en déclarant qu'il ne le faifoit que pour la
forme , & obferva que le mauvais état de la fortune
de l'Amiral exigeoit que l'on fît quelque chofe de
plus pour un Officier long - tems négligé , & qui
doit l'emploi dans lequel il a fi bien fervi la Nation
aux recommandations de l'amitié ( du Duc
de Chandos ) , plus qu'au choix des Miniftres . On
dit qu'à fon départ M. Rodney a laiffé 70,000 liv.
fterl. de dettes éteintes par prefcription , & dont il
a eu l'honnêteté de renouveller les titres . Le Duc
de Bolton ajouta quelques obfervations fur la néceffité
de ne pas compter uniquement fur le bonheur
qui nous avoit fi bien fervi , & de fonger à augmenter
nos forces. Il fut fecondé par le Comte
d'Effingham . » Les bruits publics , dit- il , trop univerfels
pour n'être pas fondés annoncent que
l'Amiral Rodney ne mène que trois vailleaux de
ligne aux Indes Occidentales . Ceux qui doivent
partir avec le Commodore Wafingham , ne confiftent
qu'en 7 , ce qui portera l'envoi total à 10.
Nous en avons 24 dans cette partie du monde
dont 8 au moins doivent revenir pour être réparés
, de forte qu'il nous en reftera 25 à 26. La
France en a maintenant 14 à la Martinique . Le
Comte de Guichen en conduit 173 les Efpagnols
en ont fix à la Havanne , cela fait 37 vaiffeaux connus
, fans compter une efcadre prête à partir de
Breft , compofée de 12 vailleaux , dont le Miniftre
fait probablement la deftination mieux que moi .
C'eft avec cette inégalité de force que le brave
Amiral , en faveur de qui nous votons aujour
d'hui des remercimens , va commander dans les
Indes Occidentales. S fa bonne fortune l'abandonne
, fa réputation qui brille aujourd'hui avec
tant d'éclat , va être expofée à la diffamation , qui
a pourſuivi tant de braves Commandans . J'en préviens
à tems cette Chambre , je l'exhorte à ne
pas attendre d'un bon Officier plus qu'un bon Of
>
( 123 )
ficier ne peut faire , à ne lui jamais imputer des
malheurs occafionnés par l'impuillance , & fur - tout
à ne jamais permettre que pour voiler leur négli
gence ou leur incapacité , certains hommes s'atta
chent à déshonorer l'Amiral qu'elle honore aujourd'hui
de fes remercimens .
Les lettres que la Cour a reçues de
l'Irlande font bien moins favorables aux
vues du Gouvernement qu'il n'avoit affecté
de le publier ; on peut en juger par celle- ci
écrite de Dublin en date du 15 du mois
dernier.
» On s'eft empreſſé d'annoncer que l'Irlande étoit
au comble de fes voeux depuis qu'elle a obtenu ce qui
avoit d'abord été refulé avec hauteur , une liberté
entière de commerce . Au milieu de cette confiance
générale , il s'eft trouvé pourtant quelques incrédules.
Nous fentons trop le prix d'une circonstance
qui ne reviendra peut - être pas de plufieurs fiècles ,
pour n'en point profiter ; & tout ce qui fe paffe autour
de nous en fournit la preuve. Le 9 de ce mois , Sir
Richard Johnſton propofa dans la Chambre des
Communes la convocation de tous les membres pour
le 16 , pour entendre la motion qu'il veut faire qu'il
foit porté un bill pour révoquer l'acte dit la loi de
Poyning ; & l'ordre du jour fut arrêté en conféquence.
Ce fut avec peine qu'on confentit dans la
même féance fur la motion de M. Fofter , que la
Chambre fe formeroit en grand Comité pour prendre
ultérieurement en confidération le difcours du
Viceroi fur la partie des finances ; & fur l'obfervation
que firent M. Grattan & quelques autres , qu'on
-pourroit profiter de leur abfence ; les affifes étant
prochaines , pour entamer l'affaire du Subfide , les
Membres miniftériaux furent obligés de promettre
qu'elle ne feroit point mile fur le tapis pendant cet
intervalle. Le 10 , MM . Fortefcu & Corry , préfenf
2
( 124 )
tèrent deux Requêtes ; l'une des Fabricans de toile
du Comté de Donegal , l'autre de ceux de Newry,
qui fe plaignent de ce qu'on favorife plus l'exportation
des toiles fabriquées en Angleterre que celle des
toiles fabriquées en Irlande , & demandent que les
mêmes primes foient accordées aux unes & aux autres.
Sir Richard Heron protefta que tant qu'il fubfifteroit
la plus légère reſtriction fur la moindre partie
du commerce de l'Irlande , il ne voteroit pas un
shelling d'addition aux fubfides déja votés . M. For
bes mit une matière encore plus importante fur le
tapis ; il fit lecture des chefs d'un bill pour rendre
Ja commiflion des Juges dépendante de la claufe
Quamdiu fe bene gefferint , & annonça en mêmetems
qu'il propoferoit de prier le Roi d'augmenter
les appointemens des Magiftrats . M. Grattan ob-
Lerva que cette queftion avoit été agitée il y a dix
ans , & que malgré la promeffe faite alors par la
Cour, le bill paffé à cet effet revint d'Angleterre
fi mutilé & fi altéré , qu'il fut rejetté par la Chambre
, tel qu'il étoit alors , comme une infulte faite
Là la Nation “.
-
+
Si l'on fe rappelle que de pareilles démarches ,
pour rendre les Juges plus indépendans de la Couronne
, furent les fymptômes de la révolution qui
Le préparoit en Amérique , on jugera de l'espèce
d'indépendance qui anime l'Irlande en général . Les
partifans du Ministère emploient encore des négociations
pour en fufpendre les effets , & fur - tout
pour faire différer la révocation de la loi de
Poyning, en repréfentant aux Membres des Comqu'ils
doivent prendre , avant tout , l'avis de
leurs conftituans ; mais comme le fentiment du
peuple à cet égard n'eft pas douteux , on eft perfuadé
que cet objet fera entamé le 16. On affure
encore qu'une des claufes du bill fera que quiconque
s'oppofera à la révocation de cet acte , fera
regardé comme l'ennemi de l'Irlande & de fa libre
Conftitution ".
munce
( 125 )
L'Affemblée générale des Directeurs &
Actionnaires de la Compagnie des Indes
elt toujours occupée de l'affaire du renouvellement
de fa charte. Les fentimens furent
fort partagés le 15 fur les conditions
propofées pour fervir de bafe à la négociation
avec le Gouvernement. On défapprouva
fur-tout le premier article fuivant
lequel le privilége exclufif de la Compagnie
ne dureroit que dix ans outre les trois
d'avertiffement qui devoient précéder fa diffolution.
On jugea cet efpace trop court
eu égard aux avantages accordés au Gouvernement
confiftant en un million ſterling
qui lui feroit prêté fans intérêt pour dix
ans , & le partage égal de profits de la
Compagnie. Le 18 il fut décidé par 11
voix contre 278 qu'on demanderoit le renouvellement
de la charte pour 20 ans au
lieu de 10. Le 22 on a commencé à difcuter
les conditions à propofer aux Miniftres
pour obtenir ce renouvellement.:
P. S. du 6 Mars. M. Oakes , premier Lieutenant
du Prince George , eft arrivé hier avec des
dépêchés de l'Amiral Rodney , & du Contre- Amiral
Rowley , publiées aujourd'hui par extraits dans la
Gazette de la Cour. Le premier rend compte de fa
fortie du Détroit , du foin qu'il à pris d'approvifionner
Mahon , ou le Gouverneur eft dans la plus
parfaite fécurité ; du renvoi qu'il a fait de D. Langara
au Camp de Saint-Roch. Le ſecond donne les
détails fuivans , en date du 2 Mars .
7
»› L. S. recevront ci -joint les dépêches du Chevalier
George Rodney , avec un journal des opérations
de la flotte , depuis qu'elle a été laiffée fous
fj
( 126 )
mes ordres ; je mis à la voile de Gibraltar le 14
Février avec le Chevalier Rodney , qui me garda
avec lui jufqu'au 18 , jour auquel il fe fépara , me
laiffant le commandement de l'efcadre & des priſes
Efpagnoles , à l'exception des vaiffeaux qui curent
ordre de le fuivre au lieu de fa deftination . Il ne
fe palla rien d'important jufqu'au 23 , environ à
une heure , que nous rencontrâmes un convoi François
, compofé de deux vaiffeaux de 64 , deux
gros
vaiffeaux munitionnaires armés en flûte , une frégate
& environ treize bâtimens allant à l'Ifle de
France. Ils étoient fi fort fur leurs gardes , qu'avant
que nous avons pu les appercevoir du pont , à l'exception
d'un feul , dont on voyoit feulement la
tête de fes humiers , ils s'éloignèrent de nous à
force de voiles. Le fignal pour une chaffe générale
fut hiffé auffi -tôt , & la Réfolution , de 74 ,
eut le bonheur de joindre le Prothée de 64 , &
700 hommes ; à environ une heure du matin , ce
vailleau s'en empara fans perdre un feul homme.
Le Prothée est commandé par M. du Chilleau qui
à ce que j'apprends , commandoit l'expédition .
Tout le convoi eft chargé , pour le compte du Roi ,
de munitions de guerre & de troupes ; le Prothée
& l'Ajax , tous deux de 64 , ont environ 120
mille liv . fterl . à bord. Le Marborough a pris un
fenaut avec des munitions de guerre , & l'Apollo
qui s'étoit féparé pendant la chaffe du matin , où
nous apperçumes l'ennemi , a aulli fait une prife.
L'Invincible , le Bienfaifant & le Triton , viennent
de joindre à l'inftant avec une autre petite
prife du même convoi ; il faut que les autres fe
foient échappés de bonne- heure le foir ; il y avoit
déjà plufieurs heures que les mêmes vaiffeaux le
plus de la tête , n'en appercevoient plus aucun.
>
Du 3 Mars à 3 heures. Nous venons de reconnoître
les Sorlingues. J'envoie donc l'Apollo à
Plimouh pour donner à L. S. les avis les plus
prompts de l'arrivée de l'efcadre à mes ordres « .
( 127 )
FRANCE
De VERSAILLES , le 14 Mars:
LES de ce mois la Comteffe de Wittgenftein
, & la Marquife du Bois de la Motte
ont eu l'honneur d'être préfentées à LL.
MM. & à la Famille Royale ; la première
par la Comteffe de Bentheim , & la feconde
par la Comteffe du Bois de la Motte.
Le Roi a nominé à l'Abbaye de l'Etoile ,
Ordre de Citeaux , Diocèfe de Poitiers ,
l'Abbé de Verges , Vicaire- Général du Diocèfe
de Lefcar , Chapelain de Monſeigneur
le Comte d'Artois , fur la nomination &
préſentation de ce Prince en vertu de fon
appanage ; à l'Abbaye Régulière de Bonne .
faigue , Ordre de S. Benoît , transférée à
Brives , Diocèse de Limoges , la Dame Gran
de S. Marfaut , Religieufe Profeffe de l'Abbaye
de S. Corentin , du même Ordre ,
Diocèle de Chartres.
De PARIS , le 14 Mars.
M. le Comte du Chaffaut eft parti d'ici
le
3 de ce mois pour retourner à Breft.
M. le Marquis de la Fayette eft auffi parti
peu de jours après pour Rochefort. L'armement
qu'on fait dans le premier Port eft ,
dit- on , de douze vaiffeaux de ligne dont
la deftination eft très-inconnue ; on fait
que les Régimens de Bourbonnois , Soilfonnois
, Neuftrie , Saintonge , Anhalt &
Royal-deux- Ponts ( on nomme encore Bou-
"
£
4
( 128 )
lonnois & Royal- Corfe ) ont reçu ordre de
fe tenir prêts à s'embarquer. Le Comman
dement de ce corps de troupes , dont , nous
le répétons , la deftination eft ignorée , eft
donné , dit-on , à M. le Comte de Rochambeau.
On parle encore d'une efcadre de
trois vaiffeaux , qui fera , dit- on , confiée à
M. de Bougainville ; M. de la Clocheterie
en commandera deux autres pour des expéditions
féparées & fecrettes,
On part de la deftination faufle ou vraie
de M. du Chaffaut pour une expédition
éloignée, pour donner le commandement de
Harmée navale à M. le Comte d'Estaing ;
le von général femble l'y appeller ; c'eft
du moins celui de plufieurs Officiers de
fon corps , de toute la Marine auxiliaire
fans exception , de tous les équipages qui ont
fervi fous lui & de tous les Négocians.
Les troupes de terre qui font depuis un an
fur nos côtes en attendant le moment d'agir,
ont les yeux fur ce brave Général , qui
leur a infpiré une confiance fondée fur la
connoiffance de fon génie , de fes talens &
de fon courage , & l'heureux emploi qu'il
en a fait pendant la campagne la plus longue
& la plus active qui ait eu lieu depuis
bien long-tems.
La promotion annoncée depuis quelqué
tems eft publique ; elle est très- nombreuſe ;
il n'y a point de lifte chaque Officier
qui y eft compris , a reçu une lettre du
Miniftre qui lui annonce le grade qui lui
a été accordé.
Les frégates la Chimère , commandée par
782947
M. du Rumain , la Lively & Ariel viens
nent de mouiller à Breft ; felles font par
ties de Charles- Town le 23 Janvier à
cette époque tout étoit tranquille dans cette
partie des Etats- Unis . On'y favoit que l'Amiral
Arbuthnot avoit embarqué 6000 hom
mes de troupes , & qu'il alloit aux Indes
Occidentales. C'eft un Courier du Cabinet
qui eft venu annoncer l'arrivée de ces frégates
, les feuls bâtimens que M. d'Estaing
eût laiffé dans les parages de Savanah.
1. On dit que M. Franklin'a eu des nouvelles
de Bofton qui portent que deux Armateurs
Américains ont pris fept bâtimens
chargés de vivres & de munitions de guerre,
avec un floop qui les efcortoit. Ce convoi
alloit d'Hallifax à Penobfcott.

>
Le bruit général eft depuis quelques jours
que le convoi deftiné pour l'Inde eft tombé
entre les mains des Anglois , à la hauteur
du cap Finisterre. Ce convoi étoit composé
du Prothée , de 64 canons , de l'Ajax
armé en flûte , de l'Eléphant & de ig
autres bâtimens marchands oude tranfport ,
fur lefquels étoit reparti le régiment d'Auftrafie.
Cette nouvelle fâcheufc vient de
Londres , où elle a été envoyée par le Contre-
Amiral Digby , qui après la féparation de
l'Amiral Rodney , s'eft emparé de partie
du convoi , & a envoyé à la pourfuite de
ceux qui fe font échappés. Les lettres de
POrient & de Nantes n'en parlent pas ;
celles du dernier Port , en date du 7 , nous
( 130 )
raffuroient fur cet évènement en difant que
la Charmante qui a accompagné ce convoi
jufqu'au cap. Finiſterre a eu connoiſſance ,
le furlendemain du jour qu'elle l'a quitté ,
de 26 voiles Angloifes qu'elle a jugé être
l'escadre de Rodney qui gouverndit vers
l'Angleterre.
On écrit de Barfleur que le 16 du mois
dernier , 15 prifonniers Américains échappés
des prifons de Plimouth , font arrivés dans
ce port. Ils s'étoient d'abord emparés dans
la nuit , au fortir de leur prifon , d'une chaloupe;
mais en paffant dans la rade , voyant
un bateau de so tonneaux , à demi chargé de
fel , & gardé par 3 Anglois propriétaires , ils
les avoient pris & les ont amenés avec eux.
Le 29 , le Prince Noir eft entré dans la
rade de Morlaix às heures du foir avec deux
prifes très-confidérables chargées de fucre ,
indigo , café & farines. Depuis fa dernière
fortie , ce corfaire a fait 17 prifes , & toutes
arrivées à bon port . Il a remis à la mer le
premier de ce mois avec la Princeſſe- Noire ,
pour courir de nouveaux hafards.
Nous ne pouvons nous refufer de donner
de la publicité à la lettre fuivante , les Officiers
qui en font l'objet la réclament unanimement
comme devant fervir à inftruire le
public de ce qui les a empêchés de rendre à
leur patrie les fervices qu'elle étoit en droit
d'en efpérer , & à en juftifier quelques- uns
auprès de leurs familles , qui ayant contribué
aux dépenses de l'armement feront étonnées
qu'il n'ait pas eu fon effet.
( 131 )
& S
M. , le Mercure de France ( des 25 Avril 5 Mai
particulièrement 5 Juin ) & la gazette de France
du Vendredi Novembre 1779 ; ces deux journaux
de la Nation , avoués du Gouvernement , ont parlé ,
comme toutes les autres feuilles périodiques de
l'Europe , de la formation & de l'affemblée des Volontaires
de Tonnerre au port de Dieppe. Le Public
avoit donc le droit de s'attendre à quelques témoi̟-
gnages éclatans du zèle d'un corps dont les projets
d'armement & de courfe étoient annoncés par le
Chef avec tant d'oftentation .
En effet , M. , ce corps s'eft affemblé à Dieppe
le 15 Novembre avec une ardeur égale de la part de
chacun de fes membres , dont plufieurs venant du
fond du Royaume , avoient fait remettre aux Entrepreneurs
de l'armement les fommes exigées par chaque
grade.
A leur arrivée à Dieppe , les Volontaires de Tonnerre,
réunis fous un nom refpectable , avec la promeffe
faite par leur chef aux Officiers d'être brevetés
du Roi , ne, furent pas peu furpris de n'y trouver
qu'une frégate très éloignée de pouvoir être mise en
mer, & dont la conftruction étoit interrompue.
Obligés de pourvoir par eux- mêmes à leur logement
& à leur ſubſiſtance , ils ne furent pas moins étonnés
de voir qu'on n'avoit pas même penfé à donner des
ordres pour cela
Cependant , M. , la conftance la plus unanime
a diftingué ce corps ; les facrifices n'ont rien
coûté à les membres ; & après deux mois & demi de
réunion , chacun attendoit encore l'exécution des
promelles journalières d'un chef toujours abfent
qui n'en a rempli d'aucun genre , & n'a fatisfait à
rien que trop imparfaitement . Chargé par lui , avec
l'agrément du corps , du commandement des Volontaires
de Tonnerre , je dois , & aux Officiers & aux
Volontaires , la juftice de dire qu'avec une conduite
fans reproche , il n'en eft aucun qui n'ait gémi bien
f. 6
:
( 132 )
plus fur l'inaction dans laquelle on nous laiffoit ;
que fur la manière étrange dont les Entrepreneurs de
l'armement ont abufé de notre zèle & de notre confiance.
T'ajoute que fi j'ai été affez heureux de pouvoir
contribuer pour quelque chofe au foulagement du
corps , ce n'a été que lorsque les facultés particulières
de fes membres fe trouvèrent épuisées .
?
Epuifé moi- même par des avances que ma fortune
ne me permettoit pas de continuer , la frégate
étant décrétée depuis un mois , la première enchère
devant avoir lieu le 1er. Février ( elle a été adju
gée le 1 ) , je crus devoir , huit jours d'avance,
par une lettre circulaire en date du 24 Janvier fixer
mon départ , & annoncer aux Officiers & aux Volontaires
que fans miffion pour cela du Roi ou de fes
Miniftres , je me voyois forcé de mettre le terme à
mes foins pour la difcipline & la fubfiftance du corps.
C'eſt ainfi qu'au 31 de Janvier le font féparés de braves
gens qui tous avoient acquis , en payant ce plaifir
d'avance , la gloire de courir fur les ennemis de l'Etat .
La publication de cette lettre que j'attends , M.,
de votre honnêteté comme de votre juftice
vaudra mieux que tous les certificats follicités de
moi par les membres du corps , pour juftifier à leur
famille la conduite qu'ils ont tenue & l'ufage qu'ils ont
fait de leur tems & de leur argent. 1
J'ai l'honneur d'être , &c. Signé DE ROCHETTE
DU PLUSET , ci - devant Lieutenant en premier des
Chaffers , au Régiment de l'Ile de France
19
H
Le Procès entre M. le Maréchal de Duras
& M. Defgrées du Lou , a fait trop de bruit
pour que l'on ne defire pas de connoître
l'Arrêt qui l'a terminé. En voici le difpofitif.
> La Cour faifant droit fur le tout , en exécution de
l'Arrêt du 29 Février dernier fur les conclufions du
Procureur- Général du Roi , a rejetté du Procès les 101b
Requêtees préfentées, tant à la Cour qu'à MM. Huart, onl
Charette & Bonamon , Confeillers en icelle , & les
b
!! } מ
1000 1500
loup
(21335 ) reißeni'i
u zalq
informations
tirées par le Procureur
-General
du Rois
ordonné
qu'elles
demeurent
fupprimées
au Greffes
a décerné
, audit Procureur
- Général
du Roi , acte de fa déclaration
, de ne pouvoir
continuer
l'inſtruction
,
ordonnée
par l'Arrêt
du 20 Novembre
1778 ; en con féquence
, ayant aucunement
égard à la requête
du,
fieur Defgrées
du 6 Février
préfent
mois , que la
Cour a joint au Procès , l'a déchargé
de l'accufation
intentée
par ledit Procureur
du Roi , d'avoir
reçu la ,
fomme
de 1500 liv. pour faire paffer une délibéra
tion contraire
aux intérêts
de la Province
, & le fur
plus de ladite requête
; enfemble
fur celles du 19
Novembre
1778 & 17 Août 1779 , ainfi que des
déclarations
& affirmations
du Duc de Duras n'y a jamais eu ni, pacte ni convention
entre ledit
conventions
qu'il
Defgrées
& lui pour faire paffer la délibération
du,
25 Mars 1769, & qu'il n'eft point auteur du bruit qui.
s'en eft répandu
, dit qu'il n'y a lieu à la plainte
en V
calomnie
ni à information
, ayant aucunement
égard à la requête
dudit Duc de Duras , du 16 Novembre
1779 ; faiſant droit fur les conclufions
, du Procu
reut-Général
du Roi , ordonne
que tout l'état du
Procès reftera fupprimé
au Greffe , & fur toutes les
autres demandes
, requêtes
& conclufions
des Parties,
tant par écrit que verbales
, les renvoie
hors Procès fans dépens . Fait en Parlement
, à Rennes
le 28 Fé
vrier 1780.5
St
On écrit de St- Gilles fur Vic , que la nuit
du 17 au 18 du mois dernier , le feu prit dans
un moulin qui fut entièrement confumé &
Quatre familles qui ne vivoient que de fon
produit , fe trouvent réduites à la misère
Heureufement la flamme fe portoit du côté o
de la campagne ; car l'embrâlement étoit telat
qu'ily auroit eu tout à craindre, fi le vent qui
étoit fort eût foufflé du côté du bourg dont ce
moulin n'étoit éloigné que d'environ yo pas. 23. X
( 134 )
Un chien enragé a mordu à la fin de Janvier
dernier,à Senlis, 17 perfonnes ; M. Audry,
Médecin de la Faculté de Paris , appellé furle
champ,a adminiftré le remède de M.Portal,
dont le mercure fait la bafe ; & ceux que l'animal
enragé a maltraités fe portent au mieux.
M. de Champs , Chevalier Seigneur du
Creufet , nous a fait paffer le remède fuivant
contre la rage , qu'il a vu employer avec
fuccès fous les yeux fur plufieurs perfonnes
& quantité d'animaux , quelques- uns même
après un violent accès de rage. D'après cette
affurance , nous ne devons pas en différer la
publication.
Il faut prendre de la racine d'Eglantier qui fera
le plus expofé au foleil levant , l'arracher , autant
que cela fe peut , dans la pleine lune de Mars.
L'Eglantier eft une épine qui produit des roles fauvages
, & a une efpèce d'éponge à la branche ;
quand l'Eglantier eft arraché , il faut bien ôter
toute l'écorce de deffus la racine & la tige de
l'arbriffeau , & qu'il n'en refte abfolument point ;
la racine eft la meilleure ; vous laifferez fécher
cet Eglantier bien pelé & bien écorcé , vous le
raperez avec une lime à bois , ou avec un couteau
ou une fcie qui foit bien propre , & fur- tout bien
dégraiffée ; car il faut éviter tout mélange , furtout
de graiffe , vous le mettrez donc en poudre ,
il faut auffi bien prendre garde de ne pas raper la
moëlle en façon quelconque ; cette poudre fe conferve
tant que l'on veut , ainfi que le bois ou racine
que vous rapez quand vous en avez befoin.
Quand une perfonne a été mordue d'un chien, chat
ou loup enragé , il faut ufer du remède le plutôt
poffible , & fur - tout avant les neuf jours. Il faut
prendre trois oeufs frais , autant que cela fe peut ,
les caffer l'un après l'autre fur une affietté de terre
( 135 )
qui n'ait pas fervi , & qui ne ferve qu'à cela , parce
qu'il eft à craindre qu'il n'y ait quelque mixtion ,
comme graiffe , huile , beurre , fel ou autre chofe.
Quand vous aurez caffé le premier oeuf fur cette
affiette de terre , il en faut ôter les deux germes
bien fcrupuleufement , enfuite vous le verferez fur
une autre affiette neuve ou qui ne ſerve qu'à cela
comme la première , blanc & jaune , ainfi des deux
autres oeufs ; fur ces trois oeufs , vous verferez un
peu plus que la valeur d'une pleine coque d'oeuf
d'huile de noix tirée fans feu ; elle eft la meilleure ;
au défaut de cette huile , vous en prendrez à l'ordinaire
que vous jetterez pareillement fur vos trois
oeufs. Cependant pour plus grande,sûreté , il eft bon
d'avoir de l'huile de noix , & encore mieux tirée
fans feu , enfuite vous y jetterez de votre poudre
d'Eglantier , la pefanteur de trois bons liards , ou
un peu plus ; vous battrez ces oeufs avec l'huile
& la poudre , & vous en ferez une aumelette dans
un poëlon de fer que vous ferez chauffer fur un feu
clair , la gueule en dedans fur le feu ; quand il fera
chaud à pouvoir l'approcher à peu près de la joue ,
vous l'efluierez & jetterez dedans vos oeufs battus ;
vous ferez votre aumelette , qu'elle foit raifonnablement
cuite fans être baveufe ; vous la détacherez
du poélon avec un couteau pour la faire cuire fans
être brûlée ; étant cuite , vous la mettrez ſur l'affiette
de terre où vous l'aurez battue , ou fur une autre
affiette très propre & bien dégraiffée ; vous la ferez
manger au malade le matin à jeûn , qui fera au moins
trois heures après fans boire ni manger ; fi le malade
veut dormir , il faut le laiffer dormir, & avoir attention
qu'il ne s'éveille ni en furfaut , ni en peur; il n'y
a pas de mal que celui qui fait l'aumelette foit à jeûn.
S'il y a morfure , plaie ou bave de l'animal
enragé qui ait touché au malade , ou qu'il en ait
porté à la bouche , il faut manger l'aumelette ; &
pour la morfure ou plaie , s'il y en a , il faut
commencer par faire tiédir du gros vin ce qu'il
( 136 )

en faudra , & étuver la plaie avec un linge if
faut délayer dans ce vin de bonne, thériaque gros
comme une aveline , enfuite lavez la plaje , qui
étant bien étuvée on prend de l'aumelette un
morceau fuffifant pour la couvrir , & le malade
mange le refte ; s'il y a des plaies où il faille beaucoup
d'aumelette , il en faut faire deux , parce qu'il faut
que le malade en mange environ la valeur d'une ;
l'aumelette appliquée fur la plaie , il faut y faire
un bandage , afin que l'aumelette refte deffus neuf
jours , après lefquels on lève l'appareil , & on jette
le tout au feu ; car fi quelque animal mangeoit de
cette aumelette, il enrageroit dans les vingt- quatre
heures ; cela fait , fi la plaie eft confidérable , il la
faut faire panier par un Chirurgien jufqu'à guéri
fon, & lever l'appareil à jeûn, délayer de la thériaque
gros comme une aveline dans du vin rouge , la
faire avaler au malade , qui fera trois heures après
fans boire ni manger.
Les plaies à la tête font périlleuses , fur - tout £
les os font mutilés ou offenlés ; il faut auffi panfer
la plaie avec de la thériaque & du vin,fans l'écorcher ;
fi le malade a eu un accès de rage , il faut promp
tement lui faire l'aumelette , & réitérer dans l'intervalle
, & lui donner des remèdes au petit lait ,
où vous mettrez , comme dans l'aumelette , de la
poudre ; il y en a eu de guéris. Si ce font des
animaux qui ont été mordus , on fait manger l'aumelette
aux chiens & aux cochons le matin , &
qu'ils n'aient pas mangé depuis les cinq heures du
foir de la veilles qu'ils foient couchés fur la paille
de feigle fraîche. Si ce font boeufs , chevaux & autres
il faut prendre la pefanteur d'un écu de
trois livres de cette groffe poudre , qu'on met infufer
dans trois verres d'huile de noix pendant douze
heures ; vous ferez prendre le remède avec la
corne à l'animal bleffé ; s'il a peine à avaler,, on
lui facilitera avec du vin ou du petit- lait ; qu'ils
foient fans manger , comme il eft dit pour les

( 137 )
>
chiens & les cochons , & couchés de même ; enfuite
fi on peut faire baigner ces animaux ou less
faire nager ce n'en fera que mieux. Si ces aniët
maux ont des plaies , il faut prendres du blanc des
poireau avec une pincée de fel , piter le tout dans
un mortier & étuver les plaies. toulin à
» Il faut que les animaux foient trois ou quatre
heures après le remède fans boire ni manger
the
La Chambre Littéraire de la ville de Blaye pro
pofe , pour le fujer de la préfente année 1780 , la
queftion fuivante : ' quels feroient les moyens de
rendre le pont de la ville de Bergerac plus acceffible
aux voyageurs . Ceux qui defireront travailler fur
cet objet font priés d'adrefferleurs mémoires franos de
port au fieur Sianza , Chanoine-Curé de la Paroifle
de Saint- Romain dudit Blaye , Secrétaire perpétuel
de ladite Chambre : ce Prix confifte dans un lys d'art
gent à deux branches , de la valeur de louis d'or.
Le Chevalier de Jaucourt , auffi diftingué
par fa naiffance que par fon mérite & fes
travaux littéraires , eft mort à Compiegne
dans le courant de Février dernier..
Louis Marc de Jaubert , Chevalier de
Nanthiat' , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , eft mort le 20 du mois dernier , au
château de Nanthiat , en Périgord , dans la
67° année de fon âge,
+
.
3.10 B CUSTATAS
Ordonnance du Roi , en date du 16 Janvier. » Le,
Roi a été informé qu'au préjudice des Ordonnances
& Règlemens concernant la courfe, divers particuliers
s'annonent comme étant chargés par le Gouvernement
de faire des armemens , & de lever des
compagnies de Volontaires pour les Corfaires ,
quoiqu'ils n'aient aucune miffion à cet effet , & qu'ils
fe fervent de ces prétextes pour tromper le public ,
& recevoir de l'argent fur la promeffe de fournir des
( 138 )
actions dans lefdits armemens , on de procurer des
emplois dans lefdites compagnies. S. M. défend ,
tant aux particuliers qui auront obtenu des Lettres
de marque , qu'aux Capitaines des Corfaires , de
recevoir aucune fomme des Officiers qu'ils employeront
fur les Corfaires .
Un Arrêt du Confeil , de la même date , fixe les
avances à payer aux équipages des Corfaires qui
feront armés à Dunkerque , & le nombre des Officiers
mariners qui doivent y être embarqués.
Un fecond , de la même date auffi , concerne les
droits des Officiers des Amirautés pour les dépôts
des actes de cautionnement des armateurs en courſe
& de ceux de ces actes de fociété , connus à Marſeille
fous le nom d'écrite
Lettres patentes du Roi , données à Verſailles
le 27 Février , regiſtrées en Parlement le 29 , concernant
le Droit annuel des Officiers. » Obligés
de chercher à raffembler des fonds affez confidérables
pour fuppléer à la continuation des dépenfes
de la guerre , notre fagelle nous invite à préférer
les moyens qui s'accordent le plus avec nos vues.
générales d'aminiftration ; & dans l'examen des
différentes reffources qui nous ont été préfentées ,
nous avons adopté une difpofition nouvelle , relative
au Droit annuel dû pour la confervation des Offices
, parce qu'en même temps que cette difpofition
nous procure un fecours extraordinaire, elle remédie à
des inconvéniens d'adminiſtration dont nous fommes
frappés depuis long- temps. En effet , nous n'avons
pu voir fans peine , qu'on étoit expofé à la perte
de fon Office , non -feulement fi l'on manquoit à
en payer annuellement le Droit ; mais encore fi on
ne le faifoit pas avant une époque précife & rigoureufe
? Qu'une telle privation cependant étoit d'autant
plus févère, qu'une fimple omiffior , un oubli ,
ou la négligence d'un Mandataire , fuffifoient pour
la faire encourir ? Qu'enfin cette peine , fût-elle
applicable à une inexactitude volontaire , devenoit
( 139 )
toujours dure dans fon exécution , dès qu'elle retomboit
fur des enfans ou des proches parens , qui
fe trouvoient ainfi privés de leur héritage par un
défaut de ponctualité dont ils étoient innocens ? Qu'à
la vérité les titulaires des Offices avoient la faculté
de s'acquitter des années du Droit annuel qu'ils
avoient laiffées en arrière , pourvu qu'ils furvécuf
fent un certain temps après ce payement tardif ,
mais qu'une telle faculté ne fervoit le plus fouvent
qu'à favorifer leur indifférente par une illuſion trom
peufe , l'expérience ayant appris qu'ils prenoient
rarement leurs meſures affez à temps pour le mettre
en règle , & prévenir après eux la perte de leurs
Offices. Que cette condition cependant étant le feul
moyen coërcitif établi pour déterminer au payement
d'un Droit qui fait une partie importante de nos
revenus , l'adminiftration fe trouvoit fans celle
combattue entre la néceffité de ne point accoutumer
à envifager cette peine comme illufoire , & les
fentimens de commifération & d'équité , qui dans
chaque cas paticulier , excitoient à l'adoucir , ou
portoient à des exceptions .
Juftement fenfible à ces diverfes conſidérations ,
nous avons penfé que nous pourrions remédier en
partie à ces contrariétés , fi nous prévenions la néceffité
répétée d'un payement annuel , & fi nous
écartions les rifques qui font l'effet des oublis ou
des omiffions involontaires ; ce moyen confifteroit
dans une forte de rachat du Droit annuel des Offices
, mais pour un temps limité , ce qui dès - lors
ne contrarieroit point les principes rigides du Domaine
, & ne pourroit donner lieu à aucune défiance ,
comme les rachats perpétuels qui ont eu lieu cidevant.
Nous fommes donc déterminés à ne promettre
l'affranchiffement de ce Droit que pendant
huit années , moyennant le payement de fix qui nous
feroit fait à l'avance dans le courant de la préfente
année , de forte les titulaires euffent le temps
que
éceffaire & pour être inftruits de leur obligation
( 146 )
à cet égard , & pour s'en acquitter fans efforts.
De cette manière , ce n'eft proprement qu'un prêt
modique à intérêt de la part des propriétaires
d'Offices foumis au Droit annuel. Nous enviſagerons
cependant leur empreffement dans ces circonftances ,
comme un témoignage de zèle que nous remarquerons
: & pleins de confiance à cet égard , nous
modérons mémé les claufes anciennes contre les
titulaires négligens , ne voulant plus que dans aucun
cas , un défaut d'exactitude puiffe entraîner la perte
d'un Office , & le rendre vacant à notre profit.
Nous avons obfervé de plus , que ce rachat , qui
lors de fon expiration , fera probablemt renouvelé ,
difpenferoit à l'avenir de tout recouvrement annuel
de ce genre, & favoriferoit par conféquent la réfor
me des Bureaux établis dans les provinces pour
percevoir le Droir annuel , & ce même arrangement
diminuant auffi le travail de Paris , nous y trouverons
d'autres épargnes . Ce font ces diverſes confidérations
qui nous ont déterminé à changer par notre Arrêt
de ce jour , le traitement & les taxations du Tré
forier de nos Revenus cafuels ; nous avons de plus
aboli la perception des droits de quittance à laquelle
il étoit autorifé ainfi par l'effet de la même opération
, nous nous procurons un fecours extraordinaire
, nous affurons à nos finances une économie
annuelle , nous prévenons pour les particuliers , ces
pertes & ces privations d'héritage , réfultant des
anciens Règlemens , & nous établiffons un ordre
nouveau plus conforme aux vues d'une adminiftration
jufte & attentive. A CES CAUSES , &c . Ces Lettres
patentes contiennent douze articles
à
Un Arrêt du Confeil concernant , le traitement
du Receveur- Général des revenus cafuels , le porte
25,000 liv. par an , à commencer de l'exercice
de 1781 , indépendamment des gages au denier 20 ,
tant de la finance de fon office que de la finance
particulière qu'il avoit payée en 1722 , pour jouir
des droits de quittances que S. M. a fupprimés
( 1419)
le tout franc de retenue & de tous frais quelconques
auxquels S. M. le réferve de pourvoir , d'après l'e
xamen qu'elle en ordonnera S
De BRUXELLES , le 14 Mars.
LES lettres de Lisbonne portent que le
vaiffeau de guerre la Grace Divine y arriva
le 21 Janvier de Rio-Janeiro , ayant à bord
trois cailles avec un million & demi de
piaftres en efpèces. Ce navire y a tranfporté
toutes les perfonnes qui avoient été arrêtées
pour avoir rendu l'Ile de Ste- Catherine
aux Efpagnols fans avoir fait la défenſe
convenable. D. Antonio-Charles Hurtado ,
ci- devant Gouverneur de l'Ifle , qui fe
trouve au nombre des prifonniers avec
douze autres perfonnes de diftinction , a
été conduit au fort Ste- Apollonie , & les
autres au Château de Belem.
*
S'il faut en croire des lettres de Londres
qui cependant demandent une confirmation
ultérieure , le Baron de Nolken , Envoyé
extraordinaire de Suède , a déclaré que fi
le convoi de fa nation n'étoit pas relâché
fur le champ avec indemnité des frais &
des pertes que fa détention avoit pu occafionner
aux bâtimens Suédois , il avoit
ordre de quitter la Cour de Londres dans
heures ; cette déclaration , ajoutent- elles ,
a produit un tel effet , que le convoi a
été fur le champ remis en liberté , & il eft
entré dans le port de Breft pour lequel il
eft deſtiné.
24
1
Quoi qu'il en foit de cette nouvelle qui
( 142 )
fi elle eft vraie , ne peut que donner aux
Hollandois des regrets de n'avoir pas agi
avec la même fermeté qui eût eu fans doute
le même fuccès , on parle d'une quintuple
alliance qui , dit - on , vient de fe conclure
entre la Suède , le Danemark , la Ruffie
la Pruffe & les Provinces Unies pour le
maintien de l'honneur des pavillons de ces
Puiffances.
Le Comte de Byland eft arrivé au Texel
avec fon efcadre ; mais les navires qu'il
convoyoit font reftés dans les ports d'Angleterre
.
» Nous ignorons , écrit - on d'Amfterdam , s'ils
feront reftitués. Les primes fur les voyages fujets à
l'effet de cette reftitution ne ceffent de hauffer. En
ce moment on ne trouveroit de fignature à aucun
prix fur des navires à nommer , & il en coûteroit
au moins 15 à 16 pour cent fur des bâtimens
nommés & connus . On affure que la propofition
faite pour l'équipement des vaiffeaux de guerre pour
le fervice de la République pendant cette année ,
a été approuvée , & que le nombre en fera de 526
Savoir , au département du Collège de l'Amirauté
fur la Meufe , un vaiffeau de 70 canons , un de
60 , trois de so , trois de 36 , & deux de 20 , & un
de garde. Dans le département du Collège de l'Amirauté
d'Amfterdam , un de 70 , trois de 60
fept de 50 , deux de 40 , fix de 36 , cinq de 20 , &
quatre vaiffeaux de garde. Dans le département du
College de l'Amirauté de Zélande , deux de 60 ,
un de 36 , & deux de 20 ; & dans le Collège du
Département de la Frife , deux de so , un de 36 ,
& un de 2c. On fait monter à 13870 hommes le
nombre des équipages qui doivent fervir fur ces
vaiffeaux.
( 143 )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 6.
» Le bill de M. Burke , pour remettre l'ordre
dans les dépenses de la lifte civile , a été préſenté
à la Chambre par ce Député , dans la féance du
Mercredi 25. Il fut foutenu par M. Powis , Député
du Comté de Northampton , qui pria la Chambre de
ne point refufer légèrement fon attention à la péti
tion du Comté qu'il repréfentoit , lequel n'avoit
point , à l'inftar de la plupart des autres , formé des
Comités & des Affociations , mais qui étoit réſolu
à fe conduire à cet égard d'après la manière dont
fa pétition teroit accueillie du Parlement . Il déclara
que le plan de M. Burke , lui paroifloit devoir ſatiſfaire
tout le monde : que c'étoit un chef- d'oeuvre
de fageffe , de maturité de Jugement , & qu'il étoit
praticable dans tous les points . Il y eut quelques
difcuffions fur le jour auquel feroit renvoyée la
lecture du bill. M. Burke défiroit que ce fût le
Mardi 29. Milord North demandoit un délai plus
long qui auroit été jufqu'au 7 Mars. On convint
enfin que ce feroit pour le Jeudi 2 « .
» Les eftimations pour la dépenſe de la Marine
amenèrent quelques difcuffions. Seroient - elles envoyées
au Comité du fubfide & le fubfide feroit- il
octroyé avant que les griefs publics fuffent redreffés ?
M. David Hartley , prétendoit que ce feroit trop fe
preffer , d'autant qu'il devenoit toujours de plus en
plus difficile à Milord North de faire fon emprunt ,
& qu'il feroit obligé de le livrer à une ſouſcription
publique , les Compagnies qui s'étoient offertes
d'abord s'étant retirées . Milord combattit forcement
cette affertion : il foutint qu'il ne feroit point réduit
à cette extrémité , quoiqu'il ne pûr s'empêcher
d'avouer qu'il auroit de la peine à trouver dequoi
payer l'intérêt de l'emprunt. Malgré cet aveu , il
fut ordonné que les eftimations feroient portées au
Comité qui s'ouvrit auffi-tôt. Il y fut propofé
d'octroyer une lomme de 385,381 liv . fterl . pour
les dépenfes ordinaires de la Marine , & une aurre de
693,380 liv. pour les extraor linaires . L'une & l'autre
paffèrent fans qu'il fût néceffaire d'aller aux voix.
-
( 144 )
1
Mais ce fut à la faveur de la modification fuivante.
M. David Hartley , demanda qu'il fût produit le
plutôt poffible dans la feffion prochaine un compte
des dépenfes extraordinaires de la Marine. Cette
motion donna lieu à un débat très - animé , dans
lequel le Lord North , le Lord Mulgrave & M.
Buller , firent inutilement les plus grands efforts pour
la faire rejetter. Voici cette motion , à la faveur
de laquelle , a paffé l'octroi des extraordinaires de
la Marine , & dont M. Luttrel a déclaré n'être point
encore fatisfait. » Qu'il fera produit un compte de
l'emploi des fommes votées l'année dernière , pour
les dépenfes ordinaires & extraordinaires de la
Marine , lequel fpécifieroit les objets de fervice.
remplis par cet argent depuis le premier Janvier
jufqu'au 31 Décembre 1779 ".
35
55
35
Le parti Ministériel effaya dans ce débat de
ramener le Parlement à des difpofitions favorables
pour le Chevalier Hughes Pallifer ; mais il n'y eut
aucune délibération de prife à ce fujet , quoique
M. Pultney eût foutenu avec affez de fuccès , que
le fecond Confeilde Guerre avoit juftifié cet Amiral
& qu'après l'avoir lu , on ne pouvoit point l'accufer
d'avoir manqué par mauvaiſe intention . On remarque
depuis ce jour là , que l'Amiral s'eft montré en divers
lieux publics avec une cocarde à ſon chapeau «<
» Le Jeudi 24 , le Chevalier Jennings Clarke
renouvella fa motion des années dernières , pour
qu'aucun Membre du Parlement ne pût prendre des
marchés pour des fournitures d'Armée , de Marine
ou d'Artillerie , autrement qu'à une enchère publique.
Un Comité fut nommé pour rédiger ce bill . M. Coxe
Député de Derby , propofa de mettre un impôt de
vingt livres fterling , fur toutes les Patentes émanées
des Communautés du Royaume , pour donner les
titres de Bourgeois Honoraires , defquels réfulta le
droit-actif & paffif d'Election , & qui entraîne les
plus grands inconvéniens . Cette propofition fut
vivement combatue par M. Fox , comme attentatoire
à la liberté , & fut rejettée à la pluralité de 121
contre 23 ".
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
De PÉTERS BOURG , le 12 Février.
LE 8 de ce mois le Comte d'Oftermann
Vice - Chancelier de l'Empire , eut l'honneur
de recevoir chez lui l'Impératrice & de lui
donner à dîner. S. M. I. lui fit préſent à cette
occafion d'une tabatière évaluée à 3000 roubles
; elle donna en même tems à la Comteffe
d'Oftermann une aigrette de diamans
de la valeur de 7000 .
Hier le Grand- Duc & la Grande-Ducheffe
allèrent avec le Prince de Wurtemberg vifiter
le Cabinet de Curiofités de l'Académie
Impériale. Les Membres affemblés , ayant
leur Directeur à leur tête , les reçurent à la
porte & les accompagnèrent. Au fortir du
Cabinet cette illuftre Compagnie voulut
voir l'Imprimerie ; elle fe fit montrer auffi
le fameux Globe de Gottorp , & rentra au
Palais vers les 2 heures après - midi.
Le Comte de Cobenzel , Ambaffadeur extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire de la
Cour de Vienne , eut le 6 de ce mois fa première
audience de l'Impératrice , à laquelle
25 Mars 1780 . g
( 146 )
il remit fes lettres de créance ; il fe rendit
enfuite à l'audience du Grand - Duc & de la
Grande-Ducheffe.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le is Février.
LES nouvelles de Norwege portent que
le froid y a été exceffif ; le 13 Janvier à Spydeberg
, entre Chriftiania & Friderichshall ,
le thermomètre de Réaumur étoit à 25 degrés
& demi au-deffous de la glace ; le lendeinain
la diminution du froid fut fenfible ; le thermomètre
fe trouva feulement à 3 degrés audeffous
de ce point. On a remarqué que la
chaleur de l'été précédent y avoit été auffi
'extrême.
On ne voit point de glaces dans le Sund ;
on n'en trouve des morceaux que le long de
la côte depuis Helfingor jufqu'ici .
L'épizootie , qui a fait tant de ravages dans
les Illes de Fuhnen , de Seeland , de Laland ,
de Langeland & de Fehimern , a menacé de
s'y manifefter de nouveau à la fin de l'année
dernière : le froid en a fait difparoître
les fymptômes ; mais on n'eft pas fans inquiétude
à ce fujet au retour du printems.
Elle s'eft montrée auffi dans les Duchés de
Slefwick & de Holftein : l'heureux fuccès de
Pinoculation de cette maladie , effayée fur
un grand nombre de bêtes à cornes , en a
fauvé plufieurs milliers ; & l'on fe propoſe
de faire ufage de ce préfervatif dans bien des
( 147 )
endroits où le Gouvernement l'encourage
& le recommande .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 25 Février.
e
Le nombre des Camps qui s'affembleront
cette année est fixé : le premier fera près de
Leubnitz , en Autriche , & aura lieu depuis
le 20 Mai jufqu'au premier Juin ; le 2º près
de Peft , en Hongrie , durera depuis le 20
Août jufqu'au premier Septembre ; le 3º en
Moravie , commencera le premie, Septembre
pour le féparer le 10 ; le 4 , depuis le
10 jufqu'au 20 du même mois , fe formera
près de Prague ; & le dernier , depuis le 20
Septembre jufqu'au premier Octobre , près
de Menkendorff , dans les environs de cette
Capitale. Le Camp de Bohême fera le plus
confidérable ; les troupes s'y raffembleront
au nombre de 41,118 hommes , fans compter
l'artillerie qui campera plus long- tems
& féparément. Les 10 jours deftinés aux
autres Camps feront employés aux grandes
manoeuvres , en préfence de l'Empereur.
Les régimens qui doivent s'y rendre s'exerceront
auparavant dans les environs de leurs
quartiers ; chaque bataillon aura une pièce
de canon de 3 liv. de balle & les hommes!
néceffires pour la fervir.
Le Comte de Proli avoit amené ici de
Livourne deux Chinois , arrivés fur le vaiffeau
le Prince de Kaunitz : ils ont été prég
2
( 148 )
fentés à la Cour & font repartis pour Livourne
où ils s'embarqueron: fur le vaiffeau
qui les a amenés : ils font de Canton ; l'un
a environ 22 ans & l'autre 25 : tous deux
font mariés. Leur taille eft médiocre ; ils '
ont le front & le nez plat , les yeux petits
le teint bafanné ; ils font chauves jufques
derrière la tête , d'où il leur pend une longue
queue jufqu'aux talons . Leur langage
reffemble plutôt a du chant qu'à un diſcours.
Plufieurs Eccléfiaftiques , qui ont été en miſfion
dans cette partie de l'Afie , ont voulu
les entretenir & n'ont pu parvenir à les entendre
ni à s'en faire entendre , ce qui vient
apparemment de ce qu'il y a trois différens
idiômes dans le pays ; celui de la Cour ,
celui des lettrés & celui du peuple .
Le froid le plus vif a fuccédé ici à la nei
ge , qui eft tombée avec la plus grande abondance
; le 20 , vers les 10 heures du matin ,
deux arches du grand pont du Danube ont
été emportées par les glaçons , qui s'étoient
élevés à la hauteur de 10 pieds : le même
jour , à 10 heures du foir , une 3 fubit le
même fort. On parle de conftruire un nouveau
pont pour le printems prochain : le
plan , tracé par un habile Architecte , &
approuvé par S. M. I. , eft , dit-on , très beau :
le pont projetté doit réſiſter à la violence des
eaux , & braver les effets funeftes de la glace
qui ont été fi fréquens.
( 149 )
De RATIS BONNE , le 2 Mars.
RATISBONNE ,
L'AFFAIRE de l'acceffion de l'Empire
au traité de Tefchen , a été terminée dans
la féance de la Diète du 28 du mois dernier
; le decret de la commiffion impériale
à ce fujet fut remis ce jour-là aux Colléges
des Electeurs & des Princes. Après un mut
examen , l'acceffion au traité a été arrêtée ;
on n'a excepté que le treizième article fur
lequel on fe propofe de délibérer ultérieurement
en particulier ( 1 ) . La claufe de la
réferve des droits de chacun a été admife.
» En vingt-quatre heures de temps , écrit - on de
Coblentz , nous avons effuyé quatre fecouffes de
tremblement de terre. La premiere , dans la nuit
du 25 au 26 Février , entre minuit & une heure ;
la feconde , à cinq heures & demie , fut plus violente
; la troisieme le fut moins , mais dura plus
(1 ) Le traité fe trouve en entier dans le Journal du Is
Juin de l'année dernière page 198. Nous tranfcrirons ici
ce 13e. article pour ceux qui n'auront pas ce Journal.
» XIII . S. M. l'Impératrice-Reine , fe joindra à S. M.
Pruffienne , à l'Electeur Palatin , & à M. le Duc des Deux-
Ponts , pour requérir S. M. l'Empereur & l'Empire de
vouloir bien conferver à S. A. E. P. tant pour elle que
pour toute la Maiſon Palatine , les Fiefs de l'Empire ,
fitués tant en Bavière qu'en Souabe , tels qu'ils ont été
poffédés par le feu Electeur , & pour convaincre d'au
tant plus l'Electeur Palatin de la fincérié de fes intentions
pour fa perfonne & en faveur de fa maiſon , elle
promet de s'employer auffi à faire abandonner l'adminiftration
defdits Fiefs à S. A. E. immédiatement après la
ratification du préfent traité «. On fe rappelle que plufieurs
Princes ont formé des prétentions furquelques -uns
de ces Fiefs ; & la réſerve des droits de chacun montre
qu'aucun n'y a renoncé , en attendant que le tems &
les circonftances permettent de les faire valoir.
g 3
(( 150 )
·
long- tems. Le 27 à quatre heures quarante cinq
minutes , la quatrieme s'eft fait fentir ; elle étoit
très -foible. Un ciel toujours nébuleux nous en fait
craindre de nouvelles. On apprend de Boppard ,
petite ville de cet Electorat , que le 26 à fix heures
trente cinq minutes , on en a éprouvé une trèsforte
, dont la direction étoit entre le Sud & le
Nord. Le lendemain matin entre quatre & cinq
heures , il y en a eu une feconde . Une obfervation
qui a été faite , c'eft que le 25 , veille du
tremblement , plufieurs des meilleures pendules fe
font arrêtées tout - à -coup depuis une heure jufqu'à
quatre heures & demie de l'après-midi . Le reffort
de quelques unes s'eft caffé ; les tenons des autres
ont fauté, tandis que plufieurs font restées dans leur
état naturel « .
Des lettres de Cologne contiennent les
détail fuivans :
Le Prince - Evêque de Spire , & quelques autres
Prélars étant convenus de diminuer le Carême
dans leurs Diocèles , s'étant adreffés pour cet effer
au Souverain Pontife , dont ils demandoient le
confentement , S. S. leur a fait réponſe qu'ils étoient
les maîtres de prendre à cet égard les arrangemens
qu'ils jugeroient les plus convenables . Cependant
ces changemens n'ont point eu lieu , parce que
l'Archevêque - Electeur de Mayence a refufé de les
approuver. Les mêmes lettres ajoutent que le Prince-
Evêque de Spire a fait publier une nouvelle Ordonnance
contre le dérèglement des Eccléfiaftiques
& fur-tout des Moines mendians Il leur eft en
outre très expreffément défendu de tromper le Peuple
en lui donnant des préfervatifs contre les fortiléges
, & d'animer les payfans contre leurs Pafteurs
. Comme depuis quelque tems le zèle & la
charité du peuple commencent à fe rallentir à l'égard
des Moines , les Mendians ne pouvant fubfifter
fans ces fecours , emploient , pour ſe les rendre
( ISI )
favorables , une multitude de petits moyens , dont
quelques-uns peuvent devenir dangereux , & qu'il
eft enjoint à leurs Supérieurs de réprimer févèrement
«,
De FRANCFORT , fur le Meyn , le 6 Mars.
E Le Roi de Pruffe , écrit- on de Berlin ,
après avoir puni des abus & des vexations
de la part des Tribunaux de juſtice , vient
de prendre des mefures pour les prévenir.
Il a donné à M. Carmer , fon nouveau Chancelier
, une inftruction fur les mesures qu'il
convient de prendre pour affurer la bonne
adminiſtration de la juftice . Un des premiers
devoirs qu'il lui impofe , c'eft de s'inftruire
autant qu'il eft poffible des moeurs
& du caractère des Juges qui lui font fubordonnés
d'empêcher que les fiéges inférieurs
foient préfidés par des Officiers qui
auroient des parens exerçant les mêmes fonctions
dans les Tribunaux fupérieurs ; de
veiller à ce que ceux - ci n'aient aucune de
leurs créatures employées dans les juftices
fubalternes. Il doit s'oppofer auffi à tous les
engagemens qui lui paroîtront fufpects
recueillir fouvent les voix , & examiner fi
certains membres ne votent pas toujours
de la même manière , & s'il ´n'y a pas lieu
de foupçonner quelque collufion fecrette .
I
Les mêmes lettres portent que le Roi a
mis un impôt fur le vin & fur le café. La
nobleffe de Halberstadt ayant cru fes droits
léfés par cet impôt , a préſenté à ce fujet une

g 4
( 152 )
humble requête à S. M. qui a bien voulu
la recevoir & y faire la réponſe ſuivante
que nous tirons du Mufaum Allemand où
elle a été imprimée.
Le Roi ayant lu les repréfentations de fes
nobles & fidèles Sujets de la Principauté de Halberſtadt
, en date du 10 Février , à l'occaſion de
l'impôt mis fur le vin & le café qui fe confomment
dans le plat pays , leur répond qu'ils n'ont
aucune raifon de fe plaindre d'être léfés dans leurs
priviléges , quant à l'impôt mis fur le café , parce
que l'ufage n'en fur connu que long - tems après
que ces priviléges leur eurent été accordés ; d'où
il s'enfuit qu'il n'y a été porté aucune atteinte .
>
>> Les vues de S. M. tendent au bien public ; il importe
de mettre un frein à la grande confoinmation
de café qui le fait dans fes Etats , d'empêcher que,
fous le nom de la Nobleſſe , il en foit importé des
quantités auffi énormes & que le commerce de
contrebande y foit favorisé. La confommation
du café eft énorme , & les fommes qu'il fait fortir
du pays font exorbitantes. Le payfan , l'homme
du commun , & c. s'accoutument à cette boiffon
carce qu'on fe la procure à peu de frais dans les
pampagnes. Un léger impôt mis fur cette marchandife
ramenera les laboureurs à l'ufage de la
pière , ce qui fera d'ailleurs un profit pour les bral
feries de la Nobleffe , dont le débit augmentera.
Quant à la vifite ordonnée , elle eft devenue néceffaire
pour maintenir l'ordre. Les Nobles & fr
bèles Sujets de S. M. n'ont donc pas un mot à
dire contre cette Ordonnance , & doivent applau
dir à fes bonnes intentions & fentir les avantages
qui leur en reviennent. Au refte , S. M. a été
elle-même élevée & nourrie pendant fa jeuneſſe
avec de la foupe de bière ; conféquemment les
gens de la campagne peuvent s'en contenter ; cette
nourriture & cette boiffon font d'ailleurs réellement
plus faines que le café «
>
( 153 )

ESPAGNE.
De CADIX , le 28 Février.
D. Louis de Cordova a été nommé Commandant
de la Marine de ce port , & l'armée
eft actuellement fous les ordres de D. Gafton ;
elle eft réparée & en état de retourner à la
mer ; le vaiffeau François le Héros , qui feroit
forti avec cette elcadre fi elle avoit pu
appareiller , il y a dix jours , a reçu décidément
l'ordre de fe joindre à elle ; il y a
apparence qu'elle retournera à Breſt. Ón
vient d'en détacher 4 vaiffeaux de ligne
2 frégates & 3 chébecs qui vont croifer à
l'entrée du détroit. Cette petite efcadre ſera
bientôt renforcée par d'autres vailleaux ; ce
qui fait préfumer que le fiége de Gibraltar ne
tardera pas à commencer. L'armée du camp
de S. Roch a été augmentée de 6 nouveaux
bataillons dont 3 de gardes Wallonnes & 3.
de gardes Espagnoles .
On fait ici & au Ferrol des armemens
pour l'Amérique ; à en juger par le départ
de M. de Guichen , & par l'ordre qu'ont
reçu 10 bataillons de nos troupes de fe rendre
ici & de s'y embarquer , il femble que
l'on veut tranfporter le principal théâtre de
la guere dans cette partie du monde.
On apprend de la Corogne que le paquebot
Anglois le Robert', a été forcé par les
vents contraires de relâcher dans ce port.
Il étoit parti de Mildford dans la Princi
g S
2
( 154 )
pauté de Galles le premier de ce mois , avec
210 prifonniers François qu'il tranſportoit
à Nantes pour les échanger contre un pareil
nombre de prifonniers Anglois.
La frégate la Sainte- Perpétue eft entrée
à la Corogne le 16 avec 14 bâtimens marchands
qu'elle eſcortoit depuis S. Ander ;
leurs cargaifons confiftent en grains , chanvre
& bois , tant pour ce port que pour
celui du Ferrol.
» Le 14 de ce mois , écrit - on de Tarragone , une
galiote Mahonnoife , montée de 36 hommes , de
2 canons , & 2 pierriers , qui avoit auffi 32 rames ,
parut à la vue de ce port , & s'empara du coudre
le St- Antoine de Padoue , qui venoit de mettre à
la voile pour le Levant. Les Patrons & Matelots
de ce Port , témoins de cette prife , le réunirent
auffi -tôt & armèrent cinq petites barques de pêcheurs
, avec lefquelles ils donnèrent chaffe à la
galiote , qui étoit déjà à deux lieues & demie en
mer. A force de voiles & de rames , ils parvinrent
affez près du corfaire pour lui faire lâcher fa prife ,
ainfi qu'une grande tartane dont il s'étoit emparé.
Ils chaffèrent encore quelque tems le corfaire
, que la fupériorité de fa marche leur déroba
enfin , & ils rentrèrent dans le Port avec
leurs deux prifes , aux acclamations de tout le
peuple accouru fur le rivage . Ces braves gens ,
fecondés par l'Intendant de la Province , n'avoient
guère mis plus de trois heures à fe fournir de
munitions , de pierriers , de fufils & de vivres «.
?
D. Francifco- Inocenzio de Souza Continho
, Ambaffadeur de S. M. T. F. à notre
Cour , eft mort à Madrid le 6 de ce mois
d'une inflammation de poitrine , à l'âge de
ss ans.
( 155 )
On mande de Catalogne que le P. François Jean
Garcia , Religieux Trinitaire , s'étant trouvé un
peu indifpofé le 7 de ce mois , un Laïque & le
Sacriftain reftèrent auprès de lui pour le veiller . Le
lendemain matin , comme on vit que ce dernier ne
venoit pas ouvir la porte de l'Eglife , on alla le
chercher dans la cellule du malade ; comme la
porte en étoit fermée , qu'on ne répondit point à
ceux qui frappoient , on l'enfonça , & on trouva
le P. Garcia & le Laïc morts. Le Sacriftain paroiffoit
dans le même état , mais des faignées &
d'autres remèdes le rappellèrent à la vie. On a
fu par lui qu'à minuit on avoit apporté dans la
cellule une poële pleine de feu . Quelque tems
après , le Sacriftain entendit le P. Garcia l'appeller
d'une voix foible ; il courut à fon lit , & l'enten
dit dire qu'il fe fentoit mourir. Au moment où il
alloit lui répondre , il tomba lui - même fur le
lit , fans connoiffance , & c'eft dans cette fituation
qu'il a été trouvé . Il n'a pas pu donner d'autres
détails de cet accident. Les Gens de l'art , quoiqu'ils
manquaffent des inftrumens propres à fccourir
les fuffoqués , ont ufé de tous les moyens
poffibles pour rappeller à la vie le Trinitaire & le
Laique ; mais ils n'ont réuffi qu'à l'égard du Sacriftain
. On regrette beaucoup de n'avoir pas eu
dans cette ville la machine fumigatoire , dont les
effets falutaires font conftatés par tant d'expériences
répétées avec fuccès dans d'autres villes
du Royauine & ailleurs .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 11 Mars.
Les nouvelles particulières qu'on a reçues
de Gibraltar ajoutent à l'importance
du fervice que l'Amiral Rodney a rendu à
g 6
( 156 )
la patrie en avitaillant cette place. Malgré
tour ce que l'on publioit de l'abondance qui
y régnoit , la difette commençoit à s'y faire
fentir ; les vivres y étoient hors de prix ;
une vieille truie s'y étoit vendue 25 guinées
la veille de l'arrivée des fecours. Maintenant
on eft tranquille fur la fubfiftance de
la garnifon ; mais on ne l'eft pas également
fur les fuites du fiége ; les Efpagnols ne l'ont
pas levé ; il paroît qu'en perdant l'espoir de
prendre la place par famine , ils l'attaqueront
dans les règles. On prétend que le Général
Elliot dit dans fes derrières dépêches
adreffées au Gouvernement , que les ennemis
ont ouvert plufieurs batteries , & que
leurs lignes font fi fortes & fi étendues , que
la plus extrême vigilance de la part de la
garnifon fuffiroit à peine pour réfifter à une
attaque.
Ces bruits vrais ou faux diminuent un
peu l'allégreffe qu'ont caufé généralement.
les dépêches qu'on attendoit depuis fi longtems
de l'Amiral Rodney ; on fait que la
Cour n'a donné que des extraits de quelques
- unes , & on fe plaint vivement de
fes réticences.
» La relation qu'elle a publiée dans fa gazette , du
fiége de Gibraltar , dit un de nos papiers , eft peutêtre
la plus tronquée , la plus imparfaite & la
moins fatisfaifante qui ait jamais été publiée par
autorité en Angleterre & par-tout ailleurs , telativement
à un très- long fiége d'une des plus importantes
fortereffes du monde. Quoique ce foit
la premiere nouvelle officielle dont le Gouverne(
157
ment nous ait fait part depuis le commencement
de ce fiége , qui a été ouvert il y a fept à huit
mois ; on n'y dit cependant pas un mot de fon
origine , de fes progrès , ni de fon état actuel , du
nombre des affiégeans , de leur manière d'appro
cher , de leurs travaux de leurs opérations , de
leurs efforts , de leurs attaques , ni de la réfif
tance de notre garuifon , des moyens pris pour
défendre la fortereffe , pour détruire les batteries
ennemies , repouffer les gardes avancées , faire des
forties , & c. & c. «
La nation , comme l'on voit , en applau
diffant à l'Amiral Rodney , ne paroît pas
difpofée à faire aucune grace au Ministère
en faveur des fervices de ce brave Officier.
On obferve que lorfqu'il a mis en commiffion
les 5 vaiffeaux de ligne qu'il a pris
aux Efpagnols , il a avancé 29 Cfficiers ,
favoir , Capitaines , 24 Lieutenans , fans
compter 130 autres Officiers fubalternes de
tout genre , & cela dans l'efpacé de fix fe
maines. Aucun de nos Amiraux n'a fait la
moitié d'une femblable promotion , même
après une ſtation de 7 ans. On ne croit pas
cependant que ces cinqvaiffeaux foient équipés
comme il l'a dit ; les incrédules fe fondent
fur ce que cela eft impoffible à moins
queles Espagnols n'aient confenti à l'échange
proposé par l'Amiral. Dans le cas contraire
en fuppofant que ces vaiffeaux ne montaffent
que 400 hommes chacun , cela en feroit
2000 , & l'Amiral ne pouvoit pas diſpoſer.
d'un pareil nombre ; il faut donc qu'ils viennent
en Angleterre pour les trouver.
Les vaiffeaux que l'Amiral Rodney con- '
( 158 )
duit avec lui ne font qu'au nombre de 4 ,
le Sandwich , le Montagu, le Terrible, l'Ajax.
Ce nombre n'eft certainement pas proportionné
à nos befoins , dans un moment furtout
où le Comte de Guichen' qui a une
grande avance fur lui , va redonner la fupériorité
aux François. Notre flotte malgré
fes prifes , eft dans la fituation la plus affligeante
dans ces parages ; felon les rapports
de l'équipage du vaiffeau qui a tranfporté ici
le Capitaine Sutton , avec les dépêches de
l'Amiral Parker , nos troupes & nos matelots
font fi malades , qu'il leur eft impoffible
de rien entreprendre. Il circule cependant
depuis deux jours une lettre d'Antigoa en
date du 7 Janvier , qui femble nous préparer
à quelque entrepriſe : l'efcadre Angloife
qui fe trouve dans la rade de cette
ifle , avoit eu ordre , dit- on , de couper fes
cables pour fe mettre à la pourfuite des
François qui , avec 6 vàiffeaux de ligne & s
frégates croifoient devant S. Chriftophe.
La lettre fuivante du Vice- Amiral Parker,
du Port-Royal de la Jamaïque , publiée dans
la Gazette de la Cour d'hier , eft d'une date.
poſtérieure à ce prétendu avis : elle contient
ces détails.
» Le 25 Novembre un corps confidérable d'Eſpagnols
inveftit San- Fernando d'Omoa. Une maladie
épidémique avoit réduit à un fi petit nombre la
garnifon & les troupes de mer , que l'on fut obligé
d'évacuer le Fort le 28 du même mois , après avoir
encloué les canons & mis à bord des vaiffeaux ce
qu'il y avoit de munitions.
( 159 )
» Le 8 du même mois le vaiffeau le Salisbury',
commandé par le Capitaine Inglis , entra dans ce
Port avec une prife faite fur les Ennemis : c'eſt un
vaiffeau de so canons , armé pour le compte de
quelques particuliers ; on le nomme le San- Carlos ,
& il eft commandé par Don Juan Antonio Zavelletta .
Ce Navire alloit de Cadix à Omoa , ayant à bord
un chargement qui confiftoit en canons de fonte ,
moufquets & autres munitions de guerre , déftiné
pour le Fort. Le Capitaine Inglis a montré beaucoup
de valeur & de bonne conduite avant & après le
combat. Vous trouverez ci - joint la lettre qu'il m'écrit
à ce fujet.
» Le 27 Novembre le vaiffeau la Pénélope a pris
& envoyé dans ce Port un navire garde- côte Elpagnol
, montant 10 canons & 75 hommes d'équipage .
Le Capitaine Lutrell a pris poffeffion , au nom de Sa
Majefté de l'Ile de Ruatan.
On s'attendoit à voir la relation de la prife
de poffeffion de cette Ifle ; on n'a donné que
celle de la prife du San- Carlos , contenue
dans la lettre fuivante du Capitaine Inglis
à M. Parker .
Etant à la hauteur de Porto de Salla , dans la
baie d'Honduras , nous apperçûmes à l'Eſt deux vaiſfeaux
, dont l'un étoit un gros navire , l'autre un
floop ; aidés d'un petit vent frais , nous leur donnâmes
chaffe . Après différentes maoeuvres , & ayant
obfervé que pendant le jour le vaiffeau Etranger.ne
ceffoit de faire des fignaux particuliers , nous nous
en trouvâmes fort près fur les 6 heures ; à notre
approche il hiffa pavillon Eſpagnol. A fix heures &
demie nous lâchâmes quelques volées de canon auxquelles
l'Ennemi répondit , & nous continuâmes nos
approches , failant feu de part & d'autre jufqu'à huit
heures qu'il le rendit , après avoir eu fon grand mât
emporté ainfi que fon mât d'artimon, Ce vaiſeau
( 160 )
eft le San- Carlos , de so canons , dont 33 font de
fonte & du calibre de 12 liv . de balle, 12 de 6 , & 397
hommes d'équipage. Ce Navire , armé pour le
compte de quelques particuliers , étoit fous les ordres
de Don Juan- Antonio Zavelletta , faiſant voile
de Cadix à Omoa. Il avoit à bord 12 canons de
fonte de 24 liv. de balle , une grande quantité de
boulets , bombes , 5,000 fufils , &c. Le floop s'eft
échappé pendant la nuit . Nous avons eu 4 hommes
tués & 14 bleffés , dont s font morts depuis de leurs
bleffures. Le fieur Miller , Maître , a été grièvement
bleffé , mais il eft à préfent hors de danger.
» Le Salisbury a été fi fort endommagé dans fa
voilure & fes agrès , que l'on s'eft mis fur le champ
à le réparer. J'ai auffi fait mettre la prife dans le
meilleur état de défenfe poflible , vu les circonftances
, & j'en ai donné le commandement à mon
premier Lieutenant , le fieur Haynes .
Depuis ce temps nous avons eu une navigation
pénible , faifant route pour la Jamaïque , que nous
avons gagnée avec bien de la peine . J'ai la fatisfaction
de pouvoir vous affurer que tout s'eft paflé
d'une manière qui fait honneur aux Officiers & à
tout l'équipage du Salisbury «.
Nous attendons toujours avec impatiente des
nouvelles de New Yorck , & nous avons lieu de
craindre de n'en recevoir que de fâcheufes . L'Alma
, bâtiment de transport , chargé de 200 chaf
feurs Heffois de l'armée avec laquelle le Général
Clinton s'eft embarqué le 26 Décembre pour fon
expédition au Sud , eft arrivé en Cornouailles , &
confirme la trifte nouvelle de la difperfion de la
flotte par un coup de vent du 29. On apprend par
le même bâtiment que l'Amiral Arbuthnot eft parti
de New- Yorck pour la même expédition ou pour
les Ifles , avec les cinq vaiffeaux de ligne , qui tous
cinq font très- pefants. L'Alma jette en Angle
terre a fouffert la plus extrême détrelle dans fa
( 161 )
>
traversée . On juge par fes rapports qu'une partie
de l'armée embarquée aura gagné les ifles ; fuivant
d'autres elle eft retournée à New - Yorck ,
d'où elle eft repartie le 8 Janvier. L'état de l'embarquement
eft , dit - on , le fuivant : l'Infanterie
légère , & les Grenadiers des 7 , 2.3 33, 42 , 62
& 64 régimens , une Légion de Cavalerie , les
Volontaires de New - Yorck , le corps de Fergufon
, les Chaffeurs , quatre bataillons de grenadiers
Heffois , un régiment Heffois , un détachement
du 71e. ; le tout eft fuppofé faire 9763 hommes
, & ne forme que 7900 hommes effectifs .
"
Le Chevalier George Collier , montant le
Canada , de 74 canons , a ordre de mettre à
la voile le plutôt poffible pour Hallifax &
pour Québec , où il doit efcorter les bâtimens
de tranfport , chargés de troupes & de
munitions pour ces deux places.
""
Le bruit court ici depuis quelques jours ,
& le public ne manque pas de fe perfuader
que le Commodore Jarvis a pris à la mer des
dépêches de la Cour de France au Congrès ,
qui mettent nos Miniftres dans une grande
perplexité. Il y eft dit , à ce qu'on prétend ,
que fur la connoiffance qu'on a eue en
France des difpofitions du Congrès à traiter
avec l'Angleterre , la Cour de Verſailles s'eft
décidée à envoyer des vailfeaux & des troupes
aux Ainéricains ". L'embarras eft de favoir
fi ces dépêches , dans le cas où l'on les
auroit réellement interceptées , font vraies
ou fuppofées . Les fecours qu'on enverroit
à New-Yorck manqueroient à une deftination
plus effentielle fi c'étoit une rufe de
guerre ; mais fi c'eft réellement la réfolution
( 162 )
de la France , & qu'on s'y méprenne , New-
Yorck & Hallifax courront les plus grands
rifques.
On ne ceffe de répéter que les Américains
font difpofés à s'accommoder ; & l'on
ne fonge pas à la manière dont nos Commiffaires
ont rempli leurs négociations à cet
égard on ne veut pas le rappeller que l'indépendance
eft leur première condition , &
qu'il faut commencer par l'accorder fi l'on
veut être écouté : on fent qu'enfin il faudra
en venir là . Le Lord Abingdon , un des plus
zélés partifans de la Conftitution , vient de
difcuter dans un Ouvrage dédié au Corps
collectif du Peuple d'Angleterre , la manière
dont doit fe faire la reconnoiffance de cette
indépendance.
» La Couronne , dit il , peut traiter avec l'Amérique
fur des propofitions d'indépendance , & le
Parlement peut confeiller à la Couronne de fuivre
cette négociation ; la Couronne peut négocier un traité
d'indépendance avec l'Amérique , & le Parle
ment peut le ratifier ou le rejetter ; mais je doute
qu'un acte de Parlement puiffe , de prime abord.
abfoudre les fujets de la Couronne de l'obéiffance
qu'ils lui doivent , & la dépouiller de fes territoires.
La Hollande fut déclarée indépen lante ,
mais ce fut par un traité , pour une trève de dix
ans , & non par aucune renonciation de la part de
l'Espagne. En effet je me confirme encore plus dans
cette opinion , lorfque e confidère que la propofition
faite par les Américains eux-mêmes ( comme
s'ils s'étoient attend is à l'objection ) , portoit l'alternative
fuivante : Ou accordez-nous l'indépen
dance , ou retirez vos troupes ; & fur cette dernière
alternative , l'accommodement avec l'Améri(
163 )
3
que propofé par le Lord Chatam , auroit dû avoir
lieu. Il faut auffi fe rappeller qu'il n'y a point
d'Etat qui n'ait pour principe invariable de conferver
un droit éternel fur tous les pays qui lui
ont appartenu à un titre légitime à moins que
leur aliénation n'ait été effectuée par des moyens.
juftes & conformes aux loix univerfelles ; que
comme il s'agit ici de fujets révoltés , l'indépen
dance de l'Amérique effectuée par un acte du Parlement
, ne devient pas conforme à ce principes
que le titre de Roi de France que prend le Roi
d'Angleterre , quoiqu'il n'ait pas la poffeffion de ce
Royaume , eft fondé fur ce principe invariable , &
que pour cette raiſon S. M. doit mettre aujourd'hui
far fa couronne la plume de Roi d'Amérique
en place de l'ineftimable joyau que les mauvais
Miniftres lui ont fait perdre.
L'ouverture du Budget a eu enfin lieu ; le
Lord North a produit fon plan de finances
pour l'année courante.
> Il favoit a- t-il dit , que le public en étoit effrayé
, qu'il en murmuroit d'avance ; mais c'eft aux
befoins , & non au plan même qu'il faut s'en prendre
; ils font exorbitans, Près de 21 millions fterlings
( 472,500,000 liv. ) font indifpenfablement
néceffaires pour le fervice de l'année & pour les
divers deficit des taxes dans les années dernieres,
Il comptoit fur la Compagnie des Indes . On ne
peut compter fur les arrangemens qu'elle propofe ;
peut-être faudra-t- il lui retirer fa charte exclufive
& traiter avec elle pour fes acquifitions territoriales
s'il y a quelques fecours à en attendre , ce fera
pour l'année prochaine ; mais pour la préfente
il faut que l'emprunt foit de 12 millions. Les neuf
de furplus fe leveront par les taxes annuelles , des
billets d'échiquier , le million de vote de crédit &
le fond d'amortiffement. Quant à l'emprunt , s'il
avoit voulu le faire de 20 millions , il trouvoit
,
( 164 )
des foufcriptions pour cette fomme . Il n'eft donc
point embarraffé pour les douze millions , dont
l'intérêt fera de 697,500 liv. fterl. Il ne s'explique
pas encore fur la nature des taxes qui le fourni
ront , mais il annonce qu'elles feront fubftancielles
( c'est - à-dire , bien pefantes ) . Il s'attend bien que
l'on criera , mais il ne veut pas qu'on lui reproche
de mal affurer les moyens , comme les années précédentes.
Voici le plan de la foufcription pour une fomme
de 100 liv . fterl.
la.
On portera à l'échiquier , à différens termes ,
dite fomme , dont Fintérêt commencera du 5 Janvier
1780 ; & on recevra de cet argent :
1º. une action de 100 liv . à 4 p. 10 , valant
fur la place
2º. Une annuité de 75 ans
d'1 liv. 16 fols 3 den. valant fur
la place ·
·
3 °. Quatre billets de loterie pour
chaque fomme de 1000 liv . , fur
lefquels on pourra gagner
Total ,
74 liv. fterk
29
104
De forte qu'il y a d'entrée de jeu 4 p . 100 de
profit pour les prêteurs , & près de 13 p. 100 par
divers avantages que les connoiffeurs ont calculés
.
Milord North s'étoit flatté de faire un emprunt
moins cher , mais c'étoit par le moyen d'une tontine
, & les prêteurs , par zèle pour l'intérêt du
commerce qui en auroit fouffert , lui ont fait la
loi. Il a reçu la loi des prêteurs , difoit M. Fox,
& il en trouvoit dix fois plus qu'il ne lui en falloit !
rifum teneatis amici !
Voici , dit-on , quelles feront les taxes impofées i
pour faire face aux nouveaux emprunts : Un droit |
additionnel de 4 liv. par tonne fur tous les vis
f
( 165 )
de Portugal ; 20 fchellings par an payables par
tous les Regratiers vendant , pour la permiffion du
débit. C'est dans cette vue que le dernier acte , pour
prévenir la contrebande a obligé tous les Marchands
de thé d'écrire leurs noms fur leurs portes .
-Quatre fchellings par quintal de droit addition
nel fur les fucres. Un droit additionnel fur la
drêche & fur le houblon.
و
On affure que le Lord North a retenu
pour lui & pour fes amis 4 millions fur la
Tomme des 12 qui forment l'emprunt ; fi
cela eft , obferve une de nos gazettes , il y
aura bientôt une grande quantité de ces
nouveaux papiers fur la place , la plûpart
des amis de ce Miniftre n'étant pas en état
de faire le premier paiement.
Parmi les objets intéreffans qui furent difcutés
le 23 du mois dernier dans la Chambre
des Communes , le tableau fuivant de la
Marine , expofé par M. Luttrell , doit trouver
place ici.
La marine , dit - il , ne confiftoit au 31 Dé
cembre dernier , qu'en foixante & dix - fept
vaiffeaux de ligne , & en cinq autres qui étoient
fur le chantier ou dans le baffin . Aucun de ceux- ci ,
à l'exception d'un feul , ne fera prêt à mettre en
mer que bien avant dans la campagne , quoiqu'ils
foient portés fur l'eftimation comme en état de
fervir , avant qu'elle commence. Si on ajoute à ce
nombre les vaiffeaux de ligne en conſtruction ou
en réparation , on n'en comptera que trois en conftruction
& quatre en réparation pour l'année 1780 ;
cinq en construction & un en réparation pour l'an-.
née 1781 ; quatre en conftruction & trois en répa
ration pour l'année 1782. Ce renfort eft-il propor
tionné au besoin , en fuppofant même qu'il n'ar
( 166 )
,
rive point d'accident par prife , ou par le mauvais
tems ? Dans l'espace de 23 ans , il y a eu , année
commune cinq vaiffeaux conftruits & dans
les trois années prochaines , il n'y en aura pas
plus de trois. Ainu dans une des guerres les
plus dangereufes que nous ayons foutenues , la
plus étendue dans fes opérations , on ne donne pas
même l'espoir de balancer par le renfort ordinaire
de vaiſſeaux neufs , le déchet naturel des vaiſſeaux
actuellement au fervice , qui pourroient être condamnés
ou devenir inutiles. La France & l'Eſpagne
ont plus de 120 vaiffeaux de ligne ; l'Angle
terre n'en a que 80 ou environ ; ces Puiflances
en lanceront 12 dans l'année 1780. La Grande-
Bretagne n'en lancera que 3. Je prouverai que
mon eftimation eft exacte. Je fouhaite que le Lord
North fe lève & dife fi elle eft fauffe , & s'il connoir
quelqu'autre moyen de mettre la marine fur un
pied plus refpectable. Le Bureau de l'Amirauté
pourroit faire plus qu'il n'a fait. Il eft difficile , je
conviens , de trouver des conſtructeurs , mais on
pourroit employer des charpentiers ordinaires , des
menuifiers , & c. pour les Ouvrages moins difficiles
& pour ceux de l'intérieur du vaiffeau . Il n'y a pas
d'homme fachant fe fervir d'une doloire , d'une
coignée ou d'une fcie , qui ne puiffe être employé
utilement dans le befoin actuel. On doit encoura
ger auffi la conftruction dans les chantiers parti
culiers. Plufieurs exemples récens prouvent clairement
que les vaiffeaux qu'on y a conſtruit pour
le fervice de S. M. font moins chers , mieux
conftruirs moins fujets au dépériffement , &
fupérieurs à beaucoup d'autres égards Je connois
un conftructeur d'un chantier particu
lier qui a des calles pour trois vailleaux de ligne ,
pour 2 de so & frégates de forte dimenfion. Il eft
donc du devoir de l'Amirauté , dans le befoin actuel
, de chercher de tels hommes , & de les en-
5
1
( 167 )
courager , & d'employer tous leurs efforts pour
nous donner l'efpoir dégaler à peu près nos ennemis.
Le noble Lord ( Mulgrave ) de l'autre côté de
la Chambre , fe prépare à me répondre avec le
porte-feuille qu'il tient dans fa main ; mais je puis
lui faire voir des documens auffi vrais & aufli authentiques
que les fiens .
Le Lord Mulgrave produifit en effet fon portefeuille
, & fit le parallèle fuivant de l'état actuel
de la marine avec celui de 1762 , époque regardée
comme la plus brillante de notre puiffance navale.
» Nous avons à préfent 86 vaiſſeaux de ligne
, fans compter ceux qui font fur les chantiers
ou dans les baffins. En 1762 , nous en avions 89 ,
ce qui forme une fupériorité de trois ; mais fi l'on
confidère la grandeur des vaiffeaux , le calibre des
pièces , & c. je fuis fûr de prouver , à la fatisfac
tion de la Chambre, que la fupériorité effective eſt
en faveur de nos forces actuelles . Nous avions en
1762 un vaiffeau du premier rang en commiffion
, maintenant nous en avons trois ; nous en
avions alors 8 du fecond rang ; nous en avons
maintenant neuf; 58 de 74 , ou gros vaiffeaux du
troifième rang , maintenant 68 ; 21 de 64 , préfentement
15 ; 10 de 60 , nous n'en avons actuellement
que fix ; en comparant la grandeur des
vaiffeaux , le calibre des piéces & les équipages ,
notre force eft fupérieure en 1780 , à ce qu'elle
étoit en 1762 ; outre cela nous avons plus
d'hommes,car en 1762 nous n'en avions que 89,000,
& maintenant nous en avons plus de 94,000 ; en
1762 , nous n'avions que 314 vaiffeaux de ligne &
bâtimens armés en gerre , nous en avons actuel.
lement 38. Quant à la négligence dont on ac
cufe l'Amirautě , je prouverai combien ce reproche
eft peu fondé en allegiant ce fait -ci , qu'en Février
1778 nous avions 64 vailleaux de ligne en
commiffion ; & en Mars 1779 , nous en avions 80
( 168 )
en commiffion , ce qui formoit un furcroît de 16
en un peu plus d'un an ; en Février 1780 , nous
avons 86 vailleaux de ligne ; ainfi le Comité
peut juger fi , en prenant l'augmentation fimple
ment ou doublement , on a prouvé l'accufation
que nous n'avons pas augmenté notre marine de
plus de trois ou cinq vailleaux par an .
M. Luttrel revint à fes premieres affertions gé
nérales , & combattit prefque toutes les conféquences
tirées par le Lord Mulgrave . Il lui fit compter
les vaiffeaux en commiffion , mais qui ne fer
voient jamais , étant deftinés a recevoir les hommes
levés par la preffe , ainfi que les vieux vaiffeaux qui
ne fervent que de garde. Il défia de prouver qu'il
puiffe y avoir plus de 81 ou 82 vaiffeaux en fervice
actuel , dans le cours de l'été prochain.
Il paria enfuite des dépenfes . Les extraordinaires
pour les conftructions refontes & réparation en
1780 , montent à 697,903 liv. fterl. fomme trois
fois plus forte qu'elle ne l'étoit dans l'année la
plus brillante & la plus difpendieufe de l'adminif
tration du Lord Chatam . En 1759 , les extraordinaires
furent 227,052 liv . Cent vaiffeaux de ligne
ont été lancés depuis Noël 1757 ( 23 ans ) , trois
l'ont été année commune pendant les 19 années
du Ministère du Lord Sandwich ( en tout 27 ) , plus
des , année commune pendant les 14 années antérieures
, ( 73 ).
Ce n'a été qu'après bien des débats que
la Compagnie des Indes a pris une réfolution
fixe & déterminée fur les propofitions
faites par le Lord North ; elles étoient au
nombre de 26 , & elle les a réduites à 8.
ל כ »LaCourdesDirecteursdelaCompagnieayant
foumis à la confidération du Lord North une chaîne
de Propofitions deſtinées à fervir de baſe à la Convention
qui feroit faite avec le Gouvernement relativement
à une prolongation de la Chartre de la
Compagnie
( 169 )
Compagnie ; attendu que le 1er. Article defdites
Propofitions, concernant la durée du terme de cette
Prolongation, a été rejetté à là pluralité des Suffrages
des Actionnaires en Affemblée générale ; les
Propofitions fuivantes font humblement offertes à
la Cour générale pour être fubftituées à celles qui
ont été communiquées à Lord North.
ART. Ier. Pareil à l'Article Ier. qui fe trouve
dans les premières Propofitions ( * ) , à cela près
qu'au terme de dix ans , il faut fubftituer le terme
de 20 ans . II . Pareil à l'Art. VIII . des premières
Propofitions. III. Pareil aux Art. II . & IV. des
premières Propofitions , à cela près qu'au lieu d'avancer
au Gouvernement un million fterl . , fans intérêt
, la Compagnie demande un intérêt de deux
pour cent IV. Pareil à l'Art. VI. & VII . des premières
Propofitions , leur donne plus d'étendue ,
avec cette différence qu'on faifira facilement , en
comparant les deux Art. indiqués avec celui -ci .
Chaque année il fera fait un compte diſtinct des
profits nets de la Compagnie , & chaque année les
profits nets feront divilés de la manière fuivante.
La Compagnie recevra toujours huit pour cent , fi
les profits le permettent par le rapport du Comité
fecret de la Chambre des Communes , il paroît
que pendant 47 ans , l'un dans l'autre , c'est -à - dire ,
de 1708 à 1755 , le Dividende provenant du Commerce
a monté à huit & un quart pour cent. Après
avoir payé ledit Dividende de huit pour cent , le
furplus des profits nets fera employé de la manière
fuivante. Cent mille liv. fterl . feront employés
annuellement & par préférence , à l'amortiflement
du million fterl . emprunté par la Compagnie comme
eft dit ci -deffus . Après avoir payé ladite fomme
de cent mille liv. fterl. par an , le refte du furplus
fera également divifé entre le Public & la Compagnie
; la moitié affignée au Public fera annuelle
1) Voyez le Journal d26 Février , page 163.
25 Mars 1780.
h
( 170 )
}
ment verfée dans l'Echiquer de S. M. à la difpofition
du Parlement. La moitié qui reviendra à
la Compagnie , fera employée de la manière fuivante.
Au Dividende de huit pour cent paffé aux Actionnaires
, il fera ajouté la première année un Dividende
d'un pour cent , fi ladite moitié le permet ,
& ce qui reftera du furplus de la moitié ( s'il y
a du rete ) fera encore employé à l'amortiſſement
da million fterling emprunté , comme eft dit cideffus.
L'année fuivante ; à ce Dividende porté à neuf
pour cent , il fera ajouté un autre Dividende d'un
pour cent , fi la moitié de la Compagnie le permet
; de forte que , la feconde annnée , chaque
Actionnaire recevra un Dividende de dix pour cent ,
& le refte du furplus de ladite moitié ( s'il y a
da refte ) fera de même employé encore à l'amortiffement
du million fterl . emprunté comme eft dit
ci-deffus.
Après la feconde année , ladite moitié du ſurplus
qui pourra revenir à la Compagnie , en- fus des
deux pour cent de Dividende additionnel , fpécifié
ci-deffus , fera employée de même à l'Amortiffement
dudit million emprunté.
Lorfque ledit million emprunté , comme eft dit
ci-deffus , fera totalement remboursé , la Compagnie
déchargera le public de toute demande relative audit
million qui lui aura été ainfi avancé. Après que
ledit million aura été remboursé , le montant entier
du furplus des profits nets , au- delà de huit pour
cent , fera également divifé entre le Public & la
Compagnie alors , chaque année il fera ajouté un
Dividende qui n'excédera pas un pour cent , jufqu'à
ce que le Dividende total monte à douze & demni
pour cent chaque année ( fi la moitié de la Compagnie
le permet ) & après avoir payé ledit Dividende
de 12 & demi pour cent , le reſte de la
( 171 )
moitié de la Compagnie fera employé à la liquidation
de fes dettes .
ART. VI . Pareil à l'Article IX. des premières
Propofitions. VII . Pareil à l'Art. XII , des premières
Propofitions. VIII. Pareil à l'Article XIII, des 13
premières Propofitions .
Ces changemens paſsèrent dans l'Affemblée
du 26 à la pluralité de 466 voix contre
192. Le Général Smith & M. Creighton furent
nommés Commiffaires de la part des
Intéreffés , pour accompagner le Préfident
& le Vice-Préſident de la Direction dans les
conférences avec le Miniftre . Cette négociation
jufqu'à préſent n'eſt pas fort avancée ;
le Miniftre a d'abord tout rejetté ; il a menacé
de rendre le commerce de l'Inde libre ; mais
en aboliffant la Compagnie , il faudroit acheter
fes poffeffions , il faudroit payer les dettes
contractées avec les Intéreflés ; & ce
moment où l'on a befoin d'argent , où l'on
a tant de peine à en trouver , rend ces opérations
très-difficiles. On fent bien que le
Miniſtre ſe relâchera , la Compagnie de fon
côté fera quelques efforts , & cette affaire
s'arrangera.
On n'a pas des efpérances auffi fondées
du côté de l'Irlande ; il n'eft plus douteux
que cette Nation n'afpire à l'indépendance
la plus abfolue de la Grande- Bretagne , la
feule Communauté d'un même Souverain
exceptée. Les troupes levées par les Affociations
, qui forment aujourd'hui entre
60 & 70,000 hommes , vont s'augmenter
par le parti qu'on prend d'armer les Payh2
( 172 )
fans. Chaque Officier en fournira 4 , qui
feront habillés & payés fur les fonds que
chaque Régiment fera pour cet effet : ce corps
de Payfans fera une augmentation de 10,000
hommes.
» Voici les principaux objets fur lesquels roulent
ces affociations armées , & qu'elles veulent voir
remplis dans leur entier avant de mettre bas les
armes c .
» Un commerce libre & illimité dans toutes les
Parties du Monde à l'exception des Grandes Indes
feulement <<
» La révocation ample & précife de la Loi de
Poyning , paffée fous le règne de Henry VII , &
d'une autrede George 1 , qui reftraint l'autorité légif.
Jative du Parlement d'Irlande : avec la claufe expreffe
que le Parlement de ce Royaume doit être & fera
pour toujours entièrement exempt de toute eſpèce
de dépendaece & d'infpection de la part du Parlement
Britannique , dans tous les cas quelconques «.
" Les Etudians ne feront plus obligés d'aller au
Temple à Londres , & aux autres Séminaires d'Angleterre
, pour y étudier les Loix. Mais à l'avenir
ils feront leurs études fous la direction de perſonnes
convenables dans l'Univerfité de Dublin , & ils feront
admis à la Barre en Irlande , par le Lord Chancelier
& les autres Juges principaux alors exiftant , après
un examen convenable «
» On ne recevra pour Juges dans aucune des Cours
de Juftice d'Irlande , que des perfonnes qui feront
nées dans ce Royaume , la place de Lord Chancelier
fera feule exceptée de cette règle générale «<,
Il faudra pareillement être né en Irlande , pour
pouvoir être Evêque , ou obtenir quelqu'autres dignités
Eccléfiaftiques , à l'exception de celle de
Primat & des Archevêchés de Dublin , de Tuam &
de Caftel «.
( 173 )
On dit que le 29 du mois dernier les càr
gaifons des vaiffeaux Hollandois , pris par le
Commodre Fielding , & confiftant en munitions
navales , ont été condamnées comme
de bonne prife. Ce jugement a été prononcé
quelques jours après le départ du Comte de
Byfand comme on craint qu'il n'ait des
fuites , on croit qu'on indemnifera les propriétaires
pour arrêter leurs plaintes.
On prétend qu'il n'y a pas moins de trois
Confeils de Guerre affemblés actuellement à
Portſmouth , & tous les trois de nature à
piquer la curiofité du public. Le premier
a été tenu pour juger le Capitaine Botteler , .à
l'occafion de la prife de l'Ardent , de 64 canons
, dont il étoit Commandant ; comme
il s'eft montré le partifan de l'Amiral Keppel
, tous ceux du Lord Sandwich & de
l'Amiral Pallifer ont paru contre lui ; il a été
caffé & déclaré incapable de fervir dans la marine
. Les autres Officiers de ce vaiffeau ont été
déchargés. Le 2 doit juger le Capitaine Hugh
Bromedge , Commandant du Buffalo, de 60 ,
contre lequel tous les Officiers de ce Vaiffeau
ont porté des plaintes. Le 3º , examiner la
conduite du Chevalier William Burnaby ,
Capitaine du Milford , de 28 , qui eft revenu
d'Irlande & a abandonnné fans ordre le convoi
qu'il devoit eſcorter jufqu'aux Ifles .
Il a été expédié des ordres à Portſmouth ,
pour faire fortir au plutôt 5 ou 6 frégates ,
qui croiferont devant le port de Breft & obferveront
les mouvemens de la flotte Fran-
-h
3
( 174 )
çoife , qu'on dit devoir mettre inceffamment
à la voile.
Dans les difcuffions qui ont eu lieu chez les
Communes le 29 Février , pour lavoir quelle feroit
la récompenfe de l'Amiral Rodney , le parti de Keppel
a propofé de lui donner la place vacante de
Lieutenant-Général des troupes de Marine , qui rapporteun
gros revenu & eft abfolument fans fonction.
Le Lord George Gordon fit à ce fujet une remarque
qui frappa la Chambre par la jufteffe de fon appli .
cation. C'eft qu'il étoit fingulier qu'au moment où
on demande avec tant d'ardeur que le Parlement
faffe fupprimer les places fans fonction , on puiffe
fonger à en donner une pour récompenfe à un Amiral
qui a rendu de fi grands fervices à la Nation ".
L'Amiral Rodney a déja reçu une fois , dans
l'autre guerre , des remercimens de la Chambre des
Communes , & depuis ce tems là il a fouffert lá
plus extrême indigence , virtus laudatur & alget «.
Les Créanciers Anglois de cet Amiral le pourfuivoient
avec acharnement depuis fon retour de
France en Angleterre , qui lui avoit été facilité par
un acte de générofité qui eût honoré les plus beaux
tems de la Chevalerie Françoife. Il fut apperçu
l'année dernière par quelques Matelors qu'on vouloit
enlever de force. Ces malheureux courent à lui pour
implorer fa protection. Dans ce moment là il fe
trouvoit environné de quatre Records qui lui
fignifioient l'ordre du Juge pour l'arrêter. Les Matelots
continuoient à l'importuner de leurs cris & de
leurs lamentations , ignorant ce qui fe paffoit . L'Amiral
fe tournant vers eux , leur dit: » Mes amis ce
» feroit de tout mon coeur , que je m'intéreſſerois à
votre liberté, mais vous me demandez cela quand
» je perds la mienne , & que preflé moi - même je
ne trouve perfonne qui veuille me protéger «.
» On affûre qu'auffi- tôt qu'il a été queſtion
de le nommer à un Commandement , le Sieur
( 175 )
>
Atkinfon Entrepreneur des Fournitures de la Ma.
tine a acheté des Créanciers de cet Amiral
leurs titres & actions contre lui , avant qu'ils euffent
connoiffance de cette nomination, & que ce coup s'eft
fait de l'aveu , & peut-être à l'inftigation de Mylord
Sandwich .
On dit que les recrues fe font très difficilement
en
Allemagne , & que les enrôlemens
y coûtent le triple
de ce qu'ils coûtoient il y a fept ans. Cependant
on a faic affez clairement
entendre dans les débats du
chez les Pairs , qu'il y avoit un Général Anglois tout botté pour aller chercher des troupes en Allemagne fi on voyoit les affociations
prendre une confiftance
capable de donner de l'inquiétude
à la Cour.
Une motion a été faite le 6 chez les Pairs par Mi.
lord Shelburne , pour demander au Roi les motifs
qui ont fait deftituer deux Lords ( Pembroke & Carmarthen
) de leurs Lieutenances générales de Provinces
; mais une pluralité de 56 contre 31 , l'a fait
rejetter .
Deux motions de M. Temple-Luttrel chez les
Communes , ont eu plus de fuccès. Il a obtenu de
faire recevoir , par la Chambre , les preuves qu'il a
du manége commencé par Milord North , pour empêcher
que fes conftituans ne lui donnent leur voix à
la prochaine élection .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 21 Mars.
"
LA Cour a pris , le 11 de ce mois , le
deuil pour 11 jours à l'occaſion de la mort
du Duc de Modène.
Le 12 les députés des Etats de Cambrai .
du pays & Comté de Cambrefis , furent admis
à l'audience du Roi. Ils furent préfentés
par le Maréchal de Soubife , Gouver
h
4
( 176 )
neur dela Flandre , Haynault & Cambrefis ,
& par le Prince de Montbarrey , Miniftre
de la Guerre , ayant le département de la
province. La députation conduite par M.
de Nantouillet , Maître des cérémonies , &
M. de Watronville , Aide des cérémonies ,
étoit compofée pour le Clergé de l'Archevêque
Duc de Cambrai , qui porta la parole ;
pour la nobleffe du Marquis de Sart 'du
Catelet , & pour le tiers - état de M. de
Franqueville , Chevalier d'Abancourt , Echevin
de la ville .
La Marquife de Chaftenet- Puységur eut
l'honneur d'être préſentée à LL. MM. & à
la Famille Royale par la Comteffe de Kercado.
Le même jour M. Gerard , Miniftre
plénipotentiaire du Roi près les Etats-Unis
de l'Amérique Septentrionale de retour
de fa miffion , eut à fon arrivée ici l'honneur
d'être préfenté au Roi par le Miniſtre
des affaires étrangeres.
M. de la Foffe , Graveur , a préfenté à
LL. MM. & à la Famille Royale la 12e
livraiſon du Voyage Pittorefque de l'Italie.
Le 12 , M. des Elfarts , Avocat , Membre
de plufieurs Académies , eut l'honneur de
préfenter au Roi le fixième & dernier volume
d'un Ouvrage de fa compofition , ayant
pour titre : Effai fur l'Hiftoire Générale des
Tribunaux de toutes les Nations , tant anciennes
que modernes , ou Dictionnaire Hif
torique & judiciaire , contenant les Anecdotes
piquantes & les Jugemens fameux des Trit
( 177 )
bunaux de tous les tems & de toutes les nations
( 1 ).
De PARIS , le 25 Mars.
Le malheur arrivé à la Flottille de l'Inde
avoit été beaucoup exagéré,puifque le Contre-
Amiral Digby , dans fes lettres à l'Amirauté
de Londres , n'annonce que la priſe de 3 petits
bâtimens de tranfports . On dit qu'au moment
où l'on apperçut l'efcadre Angloife ,
le Commandant de l'Ajax fit fignal au convoi
de fe rapprocher de lui , & auffi- tôt
qu'il fe vit entendu il fit celui de faulle
route , ce qui fut heureuſement exécuté ; on
dit que le Commandant du Prothée a été
trompé par les fignaux Efpagnols dont les
ennemis fe fout fervis , & qu'il a mieux
aimé expofer fon vaiffeau & par- là donner
le tems de fe fauver à la plus grande partie
de fon eſcorte , que de l'abandonner à la merci
de l'ennemi , que de chercher à fe fauver luimême.
On ajoute que la Charmante a été chaf
fée pendant deux jours entiers par deux vaiffeaux
de 74 canons , & n'a dû fon falut qu'à
la fupériorité de fa marche. Elle a conduit à
l'Orient , où elle eft arrivée le 3 de ce mois ,
un corfaire Anglois de 24 canons doublé en
cuivre dont elle s'eft emparé.
Cet Ouvrage fe vend chez l'Auteur , rue Dauphine à
PHôtel de Mouy , chez Mérigot le jeune , Libraire , quai
des Auguftins , Durand neveu , Libraire , rue Galande ,
& Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet . Les volumes
fe vendent 24 liv . En faiſant pafler cette fomme à l'Auteur
, il fait parvenir ces 6 volumes francs de port
dans toute l'étendue du Royaume.
hs
( 178 )
On vient de voir un nouvel exemple de la
facilité avec laquelle les bruits fâcheux fe répandent
dans cette Capitale , & font adoptés
par quelques perfonnes quelque peu de fondement
qu'ils aient ; on difoit que M. de la
Motte-Piquet avoit rencontré l'Amiral Parker
en revenant de St Euftache , qu'il avoit
été contraint de fe refugier dans le petit port
de l'ifle de St- Martin où il avoit brûlé 3 de
fes vaiffeaux, Ceux qui débitoient cette nouvelle
ne difoient point d'où ils la tenoient ,
comment elle étoit arrivée , & on ne la répétoit
pas moins , elle a eu le fort de toutes
celles de cette eſpèce ; elle eft tombée peu de
jours après .
On en a reçu une plus fûre & bien intéreffante
pour le commerce , c'eft l'heureuſe
arrivée du Tonnant avec la flotte de S. Domingue
, confiſtant en 60 voiles. Le Robufte ,
l'Amphion , le Sphynx , fous les ordres de
M. de Graffe , l'ont efcortée jufqu'au débouquement
, & fe font rendus enfuite à la
Martinique , le Tonnant l'a heureuſement
conduite en Europe.
Onze des navires qui la compofent , deftinés
pour Nantes , ont mouillé dans la
rivière de Loire , le 14 de ce mois , fous la
protection de la frégate la Nymphe , qui la
veille au foir s'étoit féparée pour escorter
cette divifion. Les lettres de Rochefort du 17
portent que le 16 le Tonnant a mouillé dans
la rade de la Rochelle ; comme les tours
( 179 )
des fignaux annonçoient un grand nom
bre de voiles , à vue des pertuis , on juge
que les vents contraires ont obligé les 44 navires
deftinés pour Bordeaux à mouiller dans
la rade de Rochefort pour en appareiller fous
eſcorte au premier vent favorable .
On affure qu'on a eu des nouvelles de
M. de Guichen , de so lieues au- delà des
Açores ; fon efcadre étoit bien enſemble en
bon état , & marchoit par un bon vent ,
elle ne peut être en conféquence à préſent
fort éloignée de fa deftination .
L'efcadre qu'on arme à Breft & dont la
deſtination eſt toujours inconnue , confiftoit
le 6 de ce mois dans les vaiffeaux fuivans :
,
3
Le Duc de Bourgogne , de 80 canons , commandé
par le Chevalier de Ternay ; le Magnanime
le Neptune & le Céfar , de 74 , Capitaines ,
MM. de Vaudreuil & Deftouche ; on ne fait pas
le nom du troifieme ; de l'Eveillé , du Jafon
la Provence l'Ardent & le Fantafque , de
64 , commandé par MM . de Tilly , de la Clochetterie
, Lombard & de Marigny ; & les frégares
la Bellonne & la Surveillante , de 32 , par
MM. de Gonidec & Villeneuve-Tillard : d'autres
avis portent que cette efcadre fera portée à 12
vaiffeaux de ligne. Le Conquérant , ajoutent les
mêmes lettres , en rade depuis douze jours , devoit
partir au premier bon vent pour rejoindre M. de
Guichen aux Ifles ; le Royal - Louis , de 110 cánons
, devoit être mis à l'eau le 20 Mars ; & le
Nortumberland , de 74 , le mois fuivant . Il étoit
entré dans le même port durant les mois de Janvier
& de Février , 130 barques venues de différens
lieux , & 11 bâtimens, Hollandois & autres ,
h 6
( 180 )
qui y ont apporté tant des ports du Royaume que
de ceux de l'étranger des marchandiſes & des
provifions de toute espèce.
Le corfaire de Dunkerque , la Dunkerquoife
, y est entré le 7 , amenant un gros
bâtiment Anglois , de 400 tonneaux , allant
de Saint -Chriftophe à Londres , avec
un chargement de tabac & de fucre , &
un fénaut chargé de bois d'Acajou &
de tabac , eftimé so0,000 liv . Il avoit
coulé à fond un floop venant de Corke
& dont la cargaifon étoit de peu de valear.
?
" Une petite flotte Angloife de 7 voiles , compofée
de frégates , cutters , & d'un vailleau de
40 canons , a paru dans ces parages , écrit- on de
Saint-Malo , elle fembloit menacer Cancale , ου
il y avoit trois ou quatre corfaires à l'ancre ;
comme elle a été arrêtée tantôt par les vents
tantôt par le calme , il ne lui a pas été poffible
de former aucune attaque hier ; & pendant la
nuit les deux gros corfaires fe font réfugiés à
Granville. Comme on a eu le tems de fe préparer
à la recevoir , il eft probable qu'elle s'éloignera ,
& qu'elle ne cherchera pas davantage à s'approcher
de Cancale «.
Nos politiques s'amuſent déjà à tracer
le plan de la campagne prochaine. Nous
nous garderons bien de les fuivre dans le
dédale de leurs vaftes opérations. D'après
les tableaux les plus exacts des forces
navales Britanniques , lorfque Walfingham
fera parti avec 7 vaiffeaux , il ne peut
en refter plus de 31 dans les ports d'Anglea
( 181 )
terre , en comptant les divifions de Digby
& de Roff.
La lettre par laquelle M. de Sartine a
fait part à Madame du Couëdic des graces
du Roi , eft conçue ainfi :
» Je voudrois , Madame , n'avoir point à vous
annoncer des graces trop amères pour vous ; mais
puifque la fin glorieufe de M. de Couëdic ne
laiffe au Roi que le trifte avantage de répandre des
bienfaits fur la famille , il faut qu'en mêlant mes
larmes aux vôtres , je vous fafle part de fes intentions.
S. M. vous accorde 2000 liv. de penfion
, payables à la fin de chaque année , fur fon
tréfor royal ; & 500 liv. de penfion fur le même
fond , à chacun de vos enfans ; voulant aufli que
votre penfion de zooo liv. leur foit réversible par
égale portion , dans le cas où vous viendriez à
leur manquer. C'eft ainfi que S. M. a voulu ho
norer la mémoire d'ua Officier qui a facrifié fa
vie , en foutenant avec tant de courage l'honneur
du pavillon François . Si d'ailleurs vos enfans font
fufceptibles d'autres graces , comme ils font devenus
enfans de l'Etat , vous pouvez compter fur
la bienveillance du Roi , & fur mon empreſſement
à être utile à la famille d'un homme dont le fouvenir
me caufera toujours autant d'admiration que
de regrets. Je donnerai mes ordres pour vous faire
indemnifer de toutes les dépenfes que votre malheur
vous a caufé «
Le procès entre M. de la Maugerie &
M. de Luzerne , vient d'être terminé , mardi
dernier , par un Jugement fouverain des
Requêtes de l'Hôtel . Le rapport commencéle
15 Février , n'a fini que le 15 Mars , &
a fourni trois féances par femaine. M. de
la Luzerne a fuccombé. La Sentence de la
Connétablie , du 29 Janvier 1768 , a été
( 182 )
confirmée dans tous les points. M. de la
Maugerie eft déchargé des accuſations , il
obtient 51,000 liv. de dommages & intérêts
, fuppreffion des Mémoires de M. de
la Luzerne , qui eft condamné à tous les
dépens , au banniffement pour 20 ans , à
l'amende , l'aumône , &c. il gardera prifon
jufqu'au paiement ; Noël hors de Cour ;
permis à M. de la Maugerie de faire afficher
le Jugement , &c. Le public ne peut
qu'appliquer à M. de la Maugerie , après
Piffue de cette longue affaire , ce que l'Avocat
adreffoit à fes Juges dans le dernier
Mémoire qui a été publié.
» Faudroit il , pour les intéreffer au malheur du
fieur de la Maugerie , leur retracer les horreurs
qu'il a éprouvées avant d'arriver à leurs pieds ?
qu'il fuffife de leur rappeller que cet infortuné
gémit depuis 16 ans fous le poids d'une accufation
calomnieufe ; qu'il a tout perdu , qu'il eft
fans reſſource , écrasé par le crédit d'une famille
puiffante , qui l'a conduit prefqu'à l'échafaud par
une abominable impofture. Son courage & fa perfévérance
ont étonné l'Univers. Jamais il n'y a eu
d'innocent plus malheureux & plus intrépide. Il eft
tems qu'il obtienne le prix de fon courage ; & que
ce procès unique , après avoir été l'exemple le
plus effrayant de l'innocence perfécutée , devienne
un monument éclatant des reffources qu'elle peut
trouver dans le coeur des Magiftrats juſtes & Lenfibles
«.
Si le Chapitre de St. - Claude , malgré
toutes les remontrances des plus grands
Ecrivains , a voulu fe faire maintenir par
Arrêt dans le droit de main-morte fur fes
( 183 )
vaffaux; il fent aujourd'hui qu'il ne peut
fe difpenfer de les affranchir après l'exemple
que le Roi a donné. Les Procureurs
fpéciaux de 1200 habitans du Jura , ont
fait le 9 Janvier à ce Chapitre les repréfentations
fuivantes :
» C'eſt du commerce & de leur induſtrie , bien
plus que du produit de leurs terres , qu'ils tirent
leur fubfiftance & les moyens de fubvenir à leurs
charges ; le commerce ne peut fubfifter ſans ſecours
& fans crédit , & fans faculté d'hypothé
quer & d'aliéner fes biens. La main - morte étant
plus généralement connue qu'elle ne l'a jamais
été , fi nous reftions , difent- ils , forcés à cette fervitude
, nous ne trouverions plus ni confiance ni
crédit parmi nos voisins , & nos Seigneurs ne régueroient
plus que fur des glaces & des rochers
fans produit. Nous les conjurons de feconder les
voeux de notre bon Roi , & d'abolir toute mainmorte
perfonnelle & réelle dans toute l'étendue
de nos Communautés. Pour les indemnifer , nous
les prions d'accepter une fomme de 100,000 liv.
payable dans dix années , avec intérêts , à compter
du jour du traité . Ils peuvent être tranquilles fur
leurs droits de dîmes dont ils jouiront comme
par le paffé ; qu'ils ne craignent pas non plus que
les bourgeois viennent acheter nos fonds & y met
tre des fermiers ; ceux des villes qui nous entourent
ne fe réfoudront jamais à quitter leurs agréables
demeures pour s'enfevelir fous des neiges , &c .
Le Vicomte de Beaumont , dont on fe
rappelle le combat glorieux contre le Capitaine
Anglois Lord Windfor , a été opéré
de la pierre par le neveu de l'Elève du
frere Cofme , qui , en 6 minutes , lui a
extrait 16 pierres ; il fe trouve en ſi bon état
( 184 )
qu'il efpère pouvoir prendre cette campa
gne le commandement d'un vaiffeau .
On mande de Lyon un fait affez extraordinaire .
Deux fcélérats ayant affaffiné aux travaux Perrache
un particulier , leur procès a été fait , & ils
ont été condamnés a être roués , l'un en perfonne ,
& l'autre en effigie , attendu qu'il étoit abfent. Au
moment qu'on menoit le premier au fupplice , le
fecond s'eft préfenté volontairement , en affirmant
que fon camarade n'étoit pas plus coupable que
lui . On a fufpendu l'exécution , & ils ont été ramenés
tous deux en prifon , où leur procès fera
fait enfemble.
Jean-François de Coffigny , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , Chevalier de
l'Ordre de St - Louis , ci-devant Directeur
Général des Fortifications de Bourgogne &
Franche - Comté , eft mort à l'Orient le 26
Janvier dernier dans la 91 ° année de fon
âge. Cet Officier , l'un des plus anciens ferviteurs
du Roi , avoit commencé à fervir
dans le Régiment de Bretagne en 1705 ;
une bleffure qu'il reçut à la bataille de Malplaquet
, l'ayant forcé de quitter fon Régiment
, il entra en 1713 dans le Génie , où
il a fervi avec diftinction jufqu'en 1774 ,
que le Roi lui accorda fa retraite.
Edit du Roi portant prorogation du fecond 20. des
droits réservés , & des fols pour livre en-fus de différens
droits ; donné à Verſailles au mois de Février 1780.
"
Malgré l'état dans lequel nous avons trouvé les
finances à notre avènement au trône , nous ferions
parvenus , par l'effet de nos foins & de nos écono .
mies , remettre à nos peuples une partie des impofitions
dont le terme échéoit cette année ; mais
l'intérêt des dettes que nous avons été obligé de
contracter, pour fuppléer aux frais de la guerre,
( 185 )
ayant confommé la plus grande partie de nos épar``
gnes , nous fommes privé , dans ce moment , d'une
des plus douces fatisfactions que nous aurions pu
reffentir ; nous nous trouvons donc forcé de proroger
ces mêmes impofitions , & nous attendons de
nos fidèles fujets que , fe fiant à notre inquiétude
ils ne douteront point de notre empreffement à
diminuer le poids de leurs charges auffi - tôt
circonstances nous en fourniront les moyens .
que les
1. Le fecond vingtième continuera d'être reçu
jufqu'au dernier Décembre 1779 inclufivement ;
voulons que les cottes des propriétaires , dont le
règlement aura été fait à compter du premier
Janvier 1778 , ne puiffent , fous quelque prétexte
que ce foit , être augmentées ni examinées de
nouveau pendant le cours de 20 années qui fuivront
ledit règlement , fi les vingtièmes ou partie d'iceux
continuent d'avoir lieu pendant ledit tems . 2°. Les
droits ordonnés en conféquence de l'édit du mois
d'Août 1758 , par la déclaration du 3 Janvier 1759 ,
& autres déclarations & lettres patentes particulières
enregistrées dans nos cours , enfemble les droits
ci -devant attribués aux offices fupprimés par l'édic
du mois d'Avril 1768 , & la déclaration interprétative
d'icelui , du 15 Décembre 1770 , dont la
perception a été prorogée jufqu'au 31 Décembre
1780 , continueront d'être levés & perçus à notre
profit jufqu'au 31 Décembre 1790 inclufivement ,
conformément aux édits , déclarations , let-res- patentes
, règlemens & tarifs qui les concernent en
registrés dans nos cours. 3. Les deux fols pour
livre , dont la perception devoit ceffer , partie au
premier Octobre 1780, & partie au premier Janvier
1781 , feront levés & perçus jufqu'au 31 Décembre
1790 inclufivement , en- fus des droits principaux
fur lesquels ils ont été ordonnés ; pour ,
avec les fix premiers fols pour livre , faire , jufqu'à
ladite époque , huit fols pour livre « .
Régiftré , oui & ce requérant le Procureur- général
du Roi, pour être exécuté felon fa forme
( 186 )
& teneur , fans aucune approbation des vérifica
tions & augmentations mentionnées ou indiquées
dans l'article premier ; à la charge pareillement
que , relativement au don gratuit , il ne fera donné
aucune extenfion à l'édit du mois d'Août 1718 , à
la déclaration du 3 Janvier 1759 , & aux lettrespatentes
du 22 Avril fuivant , dont les difpofitions
ne pourront être appliquées , fous quelque prétexte
que ce foit , à d'autres lieux que ceux où les droits
ont été perçus jufqu'à préfent en vertu d'icelles :
fera même le Roi très- humblement fupplié de reftreindre
la perception defdits droits aux feules
maifons & lieux fitués dans l'enceinte des Villes &
Bourgs ; fe réfervant ladite cour de fupplier trèshumblement
ledit Seigneur Roi , à la ceflation des
hoftilités , de fixer un terme au premier vingtième ,
& d'abréger la durée du fecond , & copies collationnées
envoyées aux bailliages & fénéchauffées du
reffort , pour y être lu publié & regiſtré : Enjoint
aux fubftituts du procureur général du Roi d'y
tenir la main , & d'en certifier la cour dans le
mois fuivant l'arrêt de ce jour. A Paris en Parlement
, toutes les Chambres aſſemblées , le 25
Février 1780 «.
*
У
De BRUXELLES , le 25 Mars
SELON des lettres de la Corogne , le
Commodore Paul- Jones s'y trouvoit encore
avec la frégate le 26 Janvier dernier ; le bruit
fe répandoit qu'il fe préparoit à faire voile
pour l'Amérique Septentrionale , où à fon
arrivée il devoit prendre le commandement
d'une efcadre confiftant en 24 navires , tant
François qu'Américains , deftinés pour une
expédition contre les Anglois dont les forces
ont beaucoup diminué fur le continent , depuis
que la néceffité les a forcés de porter
leur attention fur leurs ifles .
( 187 )
On mande d'Amfterdam qu'outre les 52
vaiffeaux de guerre que la République doit
armer cette année , elle a réfolu d'équiper
encore quatre bâtimens d'avis , chacun de 60
hommes d'équipages. Les avis de Rotterdam
portent qu'on s'eft fort occupé à lever du
monde pour le fervice des vaiffeaux qu'on y
arme.
» Le vaiffeau de guerre le Naffau , aux ordres
du Capitaine Rietveld , écrit - on du Texel , eft
arrivé ici , où il a été obligé de revenir à cauſe
du grand nombre de malades qu'il a à bord , &
qui montent à 128. Lorsqu'il relâcha à l'Ile de
Wight , il follicita des fecours qui lui furent refufés
; il s'adreffa au Comte de Welderen , Ambaffadeur
des Etats- Généraux , pour le prier de lui
obtenir la permiffion de faire conduire les malades
à terre , ou au moins un vaiffeau vuide pour lui
fervir d'hopital. Les follicitations du Comte de
Welderen , fondées fur les droits de l'amitié & de
l'humanité , furent fans effet ; le Ministère Britannique
refufa conftamment , fous prétexte que la
maladie confiftoit , fuivant l'avis des Médecins , en
ces fièvres cathareufes inflammatoires qui avoient
fait , l'été dernier , de grands ravages à bord de
la flotte Françoiſe. Le Miniftre Hollandois offrit
vainement de faire couler bas le navire - hopital
qu'on fourniroit lorfqu'on n'en auroit plus befoin.
Le Capitaine Rietveld a été forcé de revenir «<.
On avoit parlé d'un confeil de guerre qui
devoit fe tenir pour examiner la conduite.
du Contre-Amiral Comte de Byland ; ce
bruit s'étoit diffipé , & on croyoit qu'il n'en
feroit plus queftion ; felon quelques lettres
de la Haye , ce Confeil eft nommé. Il s'agit ,
dit on , de difcuter fi le chef-d'eſcadre a dû
( 188 )
hiffer de nouveau fon pavillon après avoir
été contraint de le baiffer par la violence &
la force fupérieure des Anglois . On prétend
qu'il auroit dû fe déclarer prifonnier de
guerre , ce qui auroit motivé les juftes récla
mations de la République contre les procédés
arbitraires & hoftiles de l'Angleterre , aulieu
qu'en relevant fon pavillon , il paroît
en quelque forte avoir reconnu le droit des
Anglois & la régularité prétendue de leur
démarche. On eft curieux d'apprendre l'iffue
de cette affaire .
Le Mémoire juftificatif de la Cour de Londres ,
a paru généralement lorfqu'on l'a publié une Décla
mation éloquente , dans laquelle on avoit multiplié
les injures , & où l'on cherchoit vainement des
raifons. Une replique de la part de la France , fous
le titre d'Obfervations fur ce Mémoire , écrite avec
la fageffe & la modération qui l'ont toujours caractérisée
, rétablit l'exactitude des faits , pulvérife
tes fophifmes de l'Angleterre , & détruit cette
multitude de faits faux , avancés avec une hardieffe
capable d'en impofer , fi l'on ignoroit que
l'intérêt perfonnel des Miniftres , leur sûreté même
leur prefcrivoient d'eflayer de juftifier leur conduite
s'il étoit poffible , ou du moins de la pallier ; que
pour y réullir , le facrifice de la vérité étoit néceffaire
, & que pour arriver à leur but , ils n'ont pas
toujours été délicats fur les moyens. Dans ces Ob.
fervations , on expofe les principes qui ont dirigé
la conduite du Roi , & dans quelle conjoncture &
dans quelle vue il s'eft lié avec les Etats - Unis . Les
mécontentemens des Américains avoient déja éclatté
à fon avènement au Trône ; toute l'Europe en prévoyoit
les fuites. Ou ils devoient fecouer le joug
ou céder à la fupériorité. Les circonſtances ne pou
( 189 )
>

voient être plus favorables pour le venger de l'An
gleterre ; fa délicateffe lui défendit d'en profiter.
L'acte de confédération , & celui d'indépendance; qui
le fuivit , ne vinrent à fa connoiffance que par la
voie de l'Angleterre . Le Sr. Déane , chargé de
former des liaifons de commerce & de propofer
un Traité avec S. M. , qui refufa de recevoir fes
ouvertures , & de le reconnoître même en qualité
de Commiffaire du Congrès , ne refta dans le
Royaume que comme un particulier jouiflant de
la protection accordée à tout étranger : fon féjour
inquiéta l'Angleterre ; oubliant qu'elle avoit chez
elle un Chef de Rebelles à fes gages , elle demanda
l'éloignement du Sr. Deane ; elle multiplia
les plaintes , les demandes & les exigeances ; la
complaifance du Roi ne fe laffa point de la fatisfaire.
Cette partie des Obfervations eft très intéréreffante
; elle met , fous les yeux du Public , les
négociations fans ceffe renaiffantes de Lord Stormond
, & rétablit la vérité des faits altérés dans le
Mémoire juftificatif. On y rappelle enfuite les
fujets de plaintes que l'Angleterre donnoit à la
France , dans le même temps , & fon obftination
à refufer des fatisfactions qu'on lui accordoir
toujours à elle-même , quand les fiennes étoient
fondées. On entre dans le détail des foins qu'elle
fe donna pour faire fa paix avec l'Amérique , &
l'engager à la feconder pour faire la guerre à la
France ; il étoit aifé de nier ce fait ; on fçait que
c'est l'unique réponſe de ceux qui n'en ont point
à faire ; le foin de fa propre sûreté , porta enfin
la France à traiter avec les Etats- Unis ; ils lui proposèrent
une alliance offenfive & défenfive , la
reconnoiffance , la garantie & la défenſe de leur
indépendance. Le Roi fit répondre qu'il pouvoit
regarder leur indépendance comme exiftante , mais
qu'il ne lui appartenoit pas de la reconnoître , parce
qu'il n'avoit pas le droit de la juger ; qu'il ne
( 390 )-
>
pouvoit pas non plus la garantir , parce qu'il ne
vouloit pas faire la guerre pour la foutenir. Il
fe borna à un traité d'amitié & de commerce.
Mais comme il étoit probable que la Cour de
Londres vouloit l'attaquer , il crut devoir faire une
alliance éventuelle & purement défenfive. Les ftipu
lations de ce Traité portent en fubftance , que fi
la France eft attaquée par l'Angleterre avant la
ceffation des hoftilités entre celle- ci & fes Colonies
, le Roi & les Etats Unis s'affifteront mutuellement
contre leur ennemi commun ; que le Roi
garantiroit l'indépendance & la fouveraineté des
Etats Unis & ne poferoit les armes qu'après
qu'elle auroit été reconnue par la Grande-Bretagne.
Ce Traité n'a acquis de réalité que par la rupture
de la Cour de Londres. Il lui a plû de le regarder
comme une agreffion manifefte. Il étoit cependant
fondé fur deux vérités inconteftables ; l'une que les
Américains avoient la poffeffion de leur indépendance
, l'autre que le Roi étoit le maître de la regarder
comme exiftante , fans être obligé d'en examiner
la légalité. Le Ministère Anglois en appelle
à l'ancienne poffeffion de la Couronne Britannique ,
il n'eſt jamais venu dans la penfée du Roi de la
contefter ; ce Ministère auroit plus fait pour
La caufe s'il eût prouvé qu'une poffeffion légitime
ne fauroit fe perdre dans aucun cas. Mais comment
entreprendre une preuve démentie par les annales
de toutes les nations , & la concilier avec les faits
qu'offre l'Hiftoire de Marie Stuart , de Charles I ,
de Jacques II , & les loix qui affurent le Trône
d'Angleterre à la Maifon régnante . On ne peut
contefter le droit qu'a tout Souverain d'accueillir
un peuple qui s'eft déclaré indépendant ; on le
peut moins encore en Angleterre qu'ailleurs , où Elifabeth
l'a reconnu , & lui a donné une extenfion
que le Roi ne s'eft pas permis à l'égard des Etats-
Unis. Elle fe lia avec les Flamands par un Traité
( 191 )
fecret après la pacification de Gand , & leur promit
des troupes , des munitions & de l'argent en 15763
en 1978 , nouveau traité , nouvelle promeffe
condition qu'ils ne feroient point la paix avec le
Roi Catholique , fans l'y comprendre ; ce ne fut
qu'en 1585 que les confédérés déclarèrent leur indépendance
, qui fut fuivie d'un traité d'alliance
offenfive & défenfive , qu'Elifabeth juſtifia par un
Manifefte. Tout cela n'occafionna pas le rappel des
Ambaffadeurs refpectifs ; & Elifabeth > en 1588 ,
n'en remplit pas moins , à la requifition de Philippe
II , l'office de Médiatrice entre ce Prince &
les Provinces - Unies au Congrès de Bourbourg.
Ces Obfervations jettent le plus grand jour fur
l'origine de la guerre actuelle ; elles feront recueillies
avec foin dans tous dépôts hiftoriques , & conful--
tées , méditées , copiées , même par l'Ecrivain qui
entreprendra un jour de donner l'Hiftoire d'une
des plus importantes révolutions qui foient arrivées
fur ce globe , & dont les fuites préparent l'avenir
à de plus grandes encore . Le ton de fageffe & de
modération , qui ne s'y dément jamais , eft celui de
la vérité & de la fupériorité. La Cour de Londres ,
pour rédiger fon Mémoire , a eu befoin d'un
Ecrivain qui eût de l'éloquence & de l'adreffe.
L'Auteur François des Obfervations , qui n'a pas
moins d'éloquence , réunit à un ftyle fier & vigoureux,
la folidité du raifonnement, la profondeur
des vues , la connoiffance des faits , la noble franchife
inféparable de leur certitude . Il a réuffi à
convaincre les Lecteurs que l'autre n'a voulu
qu'éblouir ; il a fait plus , il a défabufé , en les
éclairant , ceux qui ont pu être féduits,
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 13 Mars.
» Depuis le 21 , le Lord North a effuyé trois
´nouvelles défaites ; d'abord relativement au délai
qu'il défiroit pour la lecture du bill économique de
( 192 )
-
M. Burke ; en fecond lieu , fur les comptes à
fournir des dépenfes extraordinaires de la Marine ; &
enfin , fur la préfentation d'un bill pour expulfer
du Parlement , les Entrepreneurs & c . « .
» Ce font deux Députés nouvellement élus , qui
ont donné la Majorité à Milord North , dans la
fameufe Séance du 21. La plupart des Députés de
Provinces fe font trouvés dans la Minorité. Il n'y
a pas eu un feul Député Anglois qui a foutenu le
Miniftre. Il fera imprimé des liftes , par lesquelles
on connoîtra ceux qui étoient difpofés à concourir
à l'objet falutaire d'une réforme des penfions inutiles.
Il a été reproché dans ce débat , au Miniftre
des Finances , que les penfions du Duc de
Glouceftre frère du Roi , & du Lord Chatham ,
font arriérées de fept ans «.
» Le Chevalier Robert Walpole , fe voyant réduit
à une Majorité de quatre ; après avoir pendant bien
des années tenu en bride la Minorité , fe hâta de
quitter fa place de premier Miniftre , & fe mit à
Couvert , en prenant un titre de Pairie & féance
chez les Lords . Le Lord North , dans les débats da
fur la production des noms des penfionaires ,
n'a eu qu'une Majorité de deux. Il femble toucher
à fon dernier moment ".
21 , -
,
» Les Vacations qui doivent avoir lieu pendant
les affifes , étant près de commencer le Chevalier
Richard Johnfton , a demandé le 15 , à la Chambre
des Communes , à remettre de la rentrée la propo
fition qu'il avoit à faire d'un bill , pour révoquer
un acte de la onzième année d'Eliſabeth , qui fervoit
comme de rempart à l'acte de Poyning. Il fit voir
que les Députés tireroient avantage de la circonstance
des affifes , pour confulter leurs conftituans fur
cette grande affaire Nationale , & que le concert
avec les affociations étant bien pris , elle feroit
pouffée avec bien plus de vigueur & fur un plas
plus étendu qu'on ne fe l'étoit proposé d'abord s
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le