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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits, Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
JOTHE
5
Mai 1779.
NITEAL
PALLIS
RCIAL
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins.
Avec Approbation & Brevet du Roi,
འད
L E.
TUGITIVES. A
Epitre à M.... Auteur
d un Recueil de Contes ,
3
-
ACADÉMIE ST
Des Sciences de Paris
,
VARI É s.
63
7 Lettre au Rédacteur du
Mercure , fur la nou-
Réponse à la même ,
Commentfaire ? Conte, 10
Enigme & Logogryp. 16
NOUVELLES
LITTÉRAIRES .
velle découverte del'Air
fixe , 65
SCIENCES ET ARTS .
67
Effai fur différentes efpè- Chimie ,
ces d' Air, qu'on défigne Annonces Littéraires, 72
fous le nom d'Air fixe , JOURNAL POLITIQUE.
17 Conftantinople ,
Abrégé des principaux Pétersbourg,
Traités entre les diffé - Copenhague ,
rentes Puiffances de Stockholm ,
l'Europe , 20 Vienne ,
uvres de M. de la Har- Hambourg ,
pe , fecond Extrait , 27 Ratisbonne ,
Nouvelles Obfervatio Londres ,
fur-l-Angleterre , partats- Unis de
un Voyageur , $ 6 Septent
SPECTACLES. Verfallles
Académie Royale de Mu- Paris ,
fique ,
73
74
75
76
78
79
82
83
Amériq.
94
96
97
58 Bruxelles 112
Comédie Italienne , 61
APPROBATION.
Mai
Alu, par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour le
Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impre
fion. A Paris , ce 4 Mai 177. DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint -Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
5 Mai 1779 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.,
ÉPITRE à M...... Auteur d'un Recueil
de Contes intitulé : Graves Obfervations
fur les Moeurs du dix-huitième fiécle , par
le Frère Paul , Hermite de Paris , à fes
Soeurs , &c.
FRIRE PAU
Crush br
RAIBRARY
RERE PAUL, qui r'ignore rien,
Vous favez que dans tous les âges ,
Af
MERCURE
Tantôt en mal , tantôt en bien ,
Le fol Amour , changeant d'uſages
Changea toujours d'Hiſtorien.
L'Italie a vu chaque Muſe
De fes moeurs fuivre le deftin ;
Bocace , aimable libertin ,
Succède à l'amant de Vauclufe ,
Et meurt ſuivi de l'Arétin :
Beau temps de la Chevalerie ! ...
Les Romans dans ces heureux jours
Duroient autant que les amours ,
Qui duroient autant que la vie ;
Mais quand l'efprit avec les Arts ,
Sortant de la belle Italie ,
Vint vifiter notre patrie
Qui l'appeloit de toutes parts ,
La courtoife galanterie
S'enlumina de fes couleurs ;
On ne vit plus qu'amours jaſeurs,
De la meilleure compagnie
La jouiffance fut bannie ,
L'efprit feul enflamma les coeurs;
Des métaphysiques ardeurs
La volupté moins avilie
Infpira nos galans Auteurs ,
Hiftoriens de leur folie ;
Et chaque amant lut dans Clélie
Lelong Journal de les langueurs.
DE FRANCE
On vit enfin les fens rébelles ,
Las de grands mots & de foupirs ,
Joindre aux faveurs fpirituelles ,
·Incognito les doux plaifirs.
Tout étoit bien ; quand à Cithère
La mode vint avec fracas ,
De la pudeur & du myſtère,
Brouiller les amours délicats
La convenance impérieuſe
Fut de deux fexes vains & fous
L'univerſelle appareilleufe ;
L'amour-propre afficha fes goûts....
Mais quoi ! qui le fait mieux quevous
Chez nos bons ayeux que j'envie ,
On avoit fait du tendre amour
La grande affaire de la vie ,
Il eft chez-nous celle du jour.
Plus d'esclavage , plus de flammes ;
Adieu conftance , adieu devoir ,
Il étoit doux d'aimer ces Dames
Il eft plus court de les avoir ;
Adieu les miffives difcrettes
Plus de rendez- vous amoureux ,
Plus de ténébreuſes retraites ,
C'eft en plein jour qu'on eft heureux
Nos amantes font des grifettes ,
Nos amours font des amourettes ;
Il faut tout peindre en camayeux
A j
MERCURE
Et vous avez mis pour le mieux
Notre Hiftoire en hiſtoriettes ,
Oui , Si l'on peint l'amour du temps ,
C'eſt dans un conte qu'il peut plaire ,, T
Et l'on ne doit que des inftans,
A le conter comme à le faire.
心
O GRAND Hermite de Paris ,
Que j'ainte vos graves faillies !
Voilà nos Dames , ' nos maris ;
Voilà bien toutes nos folies .
Un Inquifiteur mal appris ,
De vos petits prônes chéris
Interrompt les faintes franchifes :
Hélas ! je n'en fuis pas furpris ;
Quand on permet tant de fottifes
On doit défendre vos écrits .
Mais quoi ! déjà fur la toilette
On vous garde un coin aſſez doux :
Au fond d'une alcove fecrette ,
Chloé , folitaire & diftraite ,
S'endort & s'éveille avec vous.
Dans votre Brochure chérie ,
Entre deux draps elle parcourt ,
Et de la Ville & du Fauxbourg
L'intéreffante galerie .
Par-tour vous avez trait
pour
trait
...
DE FRANCE. 47
Peint la nouvelle cotterie ;
Par -tout le nom vole au portrait ;
Oui , voilà le fot qui lui plaît ,
Et l'honnête homme qui l'ennuie ,
La jeune Aminte qu'elle hait ,
La laide Églé fa tendre amie.
Dans vos univerfels tableaux ,
Si vous peignez quelque infidelle ,
Au coeur blafé , même un peu faux ,
Peignez-la jeune & vive & belle;
Chloé, malgré tous ces défauts ,
Se croit toujours votre modèle .
Ainfi , grâce à l'heureux fecours
De vos entretiens folitaires ,
Initiée aux grands myſtères
Des plaifirs & des caractères
De nos Cités & de nos Cours ,
Tout à la fois & fans fcandale,
Chloé chez vous va faire un cours
De voluptés & de morale.
ParM. Grouvelle. )
RÉPONSE DU FRERE PAUL.
DE tous les temps , non de nos jours ,
Non de Paris , nais de la terre ,
A iv
MERCURE
J'ai , d'une plume un peu légère ,
Tracé les moeurs & les amours.
LES Romans de Chevalerie ,
Les propos de la Bergerie
Qu'Urfé bâtit près du Lignon ,
Et les longs difcours de Clélis ,..
Me
prouvent qu'on changea de ton
Mais le coeur beaucoup moins varie
En parlant de galanterie ,.
En faisant proteftation
D'aimer tout le temps de fa vie ..
On jouiffoit & de Ninon ,
Et de cent beautés dont le nom,
Les charmes , la coquetterie
Ont acquis bien moins de renom.
DE l'homme obfervateur févère ,
Quitte ton fiécle & ton pays ,
Il change de mode & d'habits ;-
Mais il garde fon caractère.
La femme n'eft pas plus légère
Qu'elle n'étoit au temps jadis..
A nos Dames rends - donc juftice ;
Approuve ou blâme ce caprice ;
Mais conviens qu'il n'eft pas nouveau:
Autre Théâtre , même Scènes.
DE FRANCE. 9
J'ouvre Ovide , il nous a tranfmis
Les tours piquans que les Romaines
De fon temps jouoient aux maris.
Faftueufe , brillante , aimable ,
La Cour d'Auguste étoit ſemblable
A l'heureufe Cour de Louis.
On eft trop enclin à médire ,
Sénèque , Épictete , Rouſſeau ,
De leur fiécle ont fait la fatyre ,
J'en aurois voulu le tableau.
CES rufes , ces friponneries,
Ce for amas de tromperies ,
Qu'on nous vient ſouvent reprocher ,
N'eft qu'un jeu que par- tout on joue :
L'homme grave veut s'en cacher ,
Le fou s'en vante & je l'en loue ;
Mais qu'on le nie ou qu'on l'avoue
Qui perd ne doit pas fe facher.
Ce n'eft point une perfidie ;
Mais on le croit , mais ce joueur
S'arme , & prétend dans fa furie
Poignarder l'objet ſéducteur
Qui lui fit perdre la partie.
Volez, diffipez fon erreur,
De fes mains arrachez les armes ,
Qu'il refpecte aujourd'hui les charmes
Qui caufoient hier fon bonheur-
Av
12 MERCURE
fermer fa bibliothèque. Dans la folitude où
'ils vivoient tous deux , en l'abſence des autres
plaifirs , il n'auroit pas cru pouvoir , fans :
inhumanité , lui interdire encore celui-là .
On a vu déjà Verfieux.compofer fa bibliothèque
de livres d'amour, c'étoit la collection
des Romans les plus tendres . Difons maintenant
que le jeune homme , qui fe nommoit:
Sainclair , avoit l'imagination la plus ardente ;
après cela on fera peu furpris de le voir s'attacher
à cette lecture avec la plus grande
avidité. Il dévoroit tous les Romans qui
tomboient fous fa main. Il étoit dans l'âge
où l'on aime ; & le Père lui avoit toujours
caché que fes malheurs n'avoient d'autre
caufe que l'amour.
Sur ces entrefaites , foit que Verfieux eût
regagné le coeur de fon infidelle , foit qu'il
l'eut tout-à - fait oubliée , il s'ennuya de fa
folitude , & revint à la ville , où il ramena
fon fils. Sainclair y arriva la tête remplie
de fes Romans , qu'il avoit appris par coeur ,
fans les avoir étudiés. Il étoit ivre encore
des délices dont il avoit vu fous tant d'afpects
la féduifante peinture. Il ne connoiffoit
encore l'amour que par le portrait qu'il
"en avoit vu chez quelques tendres Romanciers
, qui, en parlant de leur tendreffe , peignoient
bien moins les plaifirs de leur coeur
que les defirs de leur imagination.
Toutes ces tendres idées formoient la logique
de Sainclair lorfqu'il entra dans le monde.
Son premier foin fut de chercher le moDE
FRANCE. B3
ގ
dèle du portrait charmant qui l'avoit féduit
, & qu'il portoit toujours dans fon coeur.
Trop douce illufion , s'il avoit pu la conferver
! Oh ! comme l'amour qu'il trouva étoit
différent de celui qu'il cherchoit ! Il vit bientôt
qu'à fouftraire ce que l'imagination avoit
prêté à la vérité , il reftoit bien moins qu'on
n'avoit fouftrait. L'amour lui parut prefque
reffembler à l'indifférence , & fes plaifirs à
l'ennui. Avant d'avoir aimé , il fembloit
avoir fenti ce dégoût , cette fatiété qui fuit
l'abus des jouiffances. Cependant il ne pou-i
voit fe réfoudre à renoncer à ce qu'il avoit
tant defiré , chaque belle qu'il rencontroit lu
fembloit toujours celle que l'amour lui deftinoit
; & toujours trompé , jamais defabufé
, il couroit fans ceffe après fa chimère.
Verfieux plaignoit d'autant plus le malheur
de fon fils , qu'il en étoit lui - même la
caufe innocente. C'eft lui qui , fans le vouloir
, avoit jeté dans fon coeur les femences
de cette paffion malheureuſe. Sa tendreſſe
paternelle lui fit tenter plufieurs fois de l'en
arracher; mais il perdit fes raifonnemens
fes prières même ; & Sainclair ufoir fa jeuneffe
par le defir & l'impuiffance d'aimer.
>
Après avoir épuifé toutes les reffources
ordinaires pour guérir fon fils amoureux ,
pour ainfi-dire , de l'amour , Verfieux réfolut
enfin d'employer un moyen violent &
peu ufité. Il le fit introduire un jour dans
ane de ces maifons qu'il n'eft guères plus
-permis de nommer que de fréquenter, où les
*14 MERCURE
faveurs de l'amour font une marchandife ;
où l'on permet au vice de fervir à la honte de
volontaire victime, pour empêcher la paflion
de lui facrifier la vertu même ; où l'on ôte
enfin à l'amour fa dignité , pour lui ôter fes
fureurs.
Voilà le fpectacle que Verfieux voulut
préfenter à fon fils. Il avoit fu , fans fe montrer
, lui donner l'envie & le moyen d'en
jouir. Il ne voulut pas en être le témoin ;
mais en répandant l'or , la feule divinité adorée
dans ces temples du fcandale , il avoit
préparé lui-même la fcène qu'on joua comme
il l'avoit ordonné.
Sainclair obfervoit tout avec les yeux de
la plus avide curiofité . C'eft-là qu'il vit l'infulte
au lieu du defir , & la débauche au lieu
de la volupté ; il vit la beauté perdre ſon empire
en fe prodiguant ; il vit enfin l'amour
enlaidi par fa nudité, n'ayant pour hommages
que des mépris.
Il feroit difficile de rendre ici toute l'impreffion
que fit ce fpectacle fur les fens du
jeune Sainclair ; elle fut telle , qu'on le fit
reculer d'effroi quand on vint l'inviter luimême
à ces triftes voluptés.
Cette épreuve hardie , & dont l'exemple
feroit dangereux à fuivre , réuffit donc à
Verfieux , fuivant fon efpérance ; elle réuffit
même au-delà de fes defirs. L'amour trop
embelli par l'imagination avoit enflammé
Sainclair , l'amour avili , fali par la débauche
, venoit de faire fuccéder l'horreur à
DE FRAN CE.
S
l'enthoufiafme ; & Verfieux vit avec chagrin
qu'il n'avoit corrige un excès que par un
autre. Mais il jugea en même-tems qu'en
pareil cas il étoit plus aifé de vaincre la répugnance
, que de fatisfaire à l'enthoufiafine
& qu'il étoit bien plus facile à l'amour de
rallumer les defirs dans un jeune coeur , que
de fuffire à ceux d'une imagination trop
exaltée.
Le hafard & la beauté le fervirent heureufement.
Mérize , que Verfieux & fon fils
voyoient fouvent , fe prit d'amour pour Sainclair.
La décence défend à une belle de commencer
à dire qu'elle aime ; mais elle ne lui
défend pas de chercher à fe faire aimer. C'eft
aufli le plan que fuivit Mérize, Son efprit
& fa beauté n'échappèrent pas à Sainclair ;
Mérize avoit féduit la raiſon du jeune homme
; elle ne tarda pas à mettre fon coeur de
la partie : il l'aima , & il fut guéri par elle de
fa feconde maladie , qui eft peut-être à la
vérité moins incurable que la première ; il
comprit que l'amour n'étoit ni au-deffus ni
au- deffous , de l'humanité , & qu'il n'eft, quoiqu'on
en dife , ni un Dieu , ni une brute. Il
fut heureux avec Mérize ; & Verfieux par-.
donna tous fes chagrins à l'Amour , en voyant
le bonheur qu'il accordoit à fon fils,
( Par M. Imbert. )
16 MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Énigme eft Fauteuil ; celui du
Logogrypheeft Sacrifice , où le trouvent ris,
ire , Sire, crife, face , icare , Acis , iris,
cacis , air, re,fa , fi , le Château du Fraife.
ENIGM E.
'ETOIS ou meuble ou vêtement ;
Mais par un changement qu'on aura peine à croire
De l'efprit & du coeur je fuis le confident ,
Et je ſupplée à la mémoire .
Dans le monde je fuis d'un ufage fréquent :
Lorfque je bois , j'éprouve un mauvais traitement.
Enfin veux- tu , Lecteur , apprendre à me connoître ?
Renfe que tu me vois & me touches peut- être.
LOGOGRYPHE.
LECTEU
ECTEUR , connois- tu la grammaire ?
Je fuis un fubftantif du genre féminin :
Ma première moitié compofe la dernière ;
Avec cinq pieds on peut me traduire en latin.
DE FRANCE. 17
NOUVELLES
LITTÉRAIRES
.
ESSAI fur différentes espèces d'air , qu'on
défigne fous le nom d'Air fixe ; par M.
Sigaud de la Fond , ancien Demonſtrateur
de phyfique expérimentale en l'Univerſité
de Paris , des Académies de Montpellier ,
de Pétersbourg , Florence , &c. &c.
L'OUVRAG VRAGE que nous annonçons eft un ou
vrage élémentaire , où les découvertes de
M. Prietfley font mifes à la portée de tous
les efprits , & préfentées fous le jour le
plus favorable.
Pour peu qu'on s'occupe des fciences na→
turelles , on n'a pu entendre fans étonnement
le récit des merveilles que la nature a préfentées
depuis plufieurs années aux Phyficiens
Obfervateurs . Des fubftances invifibles
qui éteignent la lumière & les corps embrafés
, ainfi que la vie des animaux ; d'autres
qui engendrent la flamme & produisent
les plus vives explofions ; l'air nitreux devenu
la pierre de touche de l'air que nous refpirons
; l'air déphlogistiqué beaucoup plus pur
que l'air de l'atmofphère ; les acides réduits
fous la forme d'air , tantôt fluide & tranfparent
, tantôt folide & concret ; les alkalis
18
MERCURE
préfentés fous la même forme ; le mêlange
ou la combinaiſon de ces differens êtres , qui
donne naiffance àd'autres ; toutes ces espèces
de prodiges qui frappent les yeux , étonnent
l'imagination , plaifent à la raifon en les
tourmentant , rendront à jamais célèbre le
nom de M. Prietfley. Une nouvelle carrière
eft ouverte aux Phyficiens ; la Chimie femble
prendre une autre face. La formation des
métaux , les exhalaifons fouterraines , les
tremblemens de terre & les révolutions du
globe , la nature des acides & des alkalis
ces agens mystérieux de la Chimie , la conftitution
même de notre atmoſphère , & la
connoiffance de la chofe que nous refpirons
( pour emprunter les termes de M. Prierfley)
tout paroît tenir aux nouvelles découvertes.
L'air fixe & l'électricité feront peut-être déformais
deux clefs de la nature ; & leurs phé
nomènes bien obfervés , bien comparés , porteront
le flambeau dans les ténèbres les plus
impénétrables. L'ouvrage de M. Prietfley ,
qui rend compte de ces belles découvertes ,
eft entre les mains de tout le monde ; mais
peu de perfonnes font en état de fuivre fans
fatigue & avec fruit , la marche de ce grand
Phyficien. On ne peut le comprendre fans
admirer fa fagacité ; mais il faut être déjà
très- inftruit pour le comprendre . Des Savans
recommandables , entre autres MM.
Fontana , Lavoyfier , Macquer , ont répandu
à l'envi des lumières fur ces objets difficiles
& obfcurs ; mais aucun d'eux n'a fait
DE FRANCE. 19
un livre qui ne demande d'autres difpofitions
pour être bien faifi , qu'un bon efprit
& le defir de s'inftruire. Cet ouvrage manquoit
abfolument , & M. Sigaud de la Fond
vient de le donner au Public. Le talent de
cet habile Démonftrateur eft connu. Ses Élémens
de Phyfique & la Defcription de fon
Cabinet ont réuni les fuffrages . L'Ejai fur
les differentes efpèces d'air eft un noaveau
titre qui lui affurera la réputation d'un
Phyficien clair , methodique , impartial ,
& celle d'un Démonftrateur plein de dextérité
& fécond en reffources. Un ouvrage
de la nature de celui - ci n'eſt pas fufceptible
d'analyfe. Des procédés & des expériences
doivent être vus , lus & médités.
Nous nous contenterons d'inviter tous les
Amateurs de Chimie & d'Hiftoire de la nature
à faire l'acquifition de cet Efai. Ils s'inftruiront
fans peine , & fauront gré à l'Auteur de
"celle qu'il a prife pour leur en épargner.
Ils verront avec quelle adreffe l'Auteur
a fimplifié & perfectionné les inftrumens
; comment il tourne fes recherches
"vers ce qui eft utile & intéreffant à l'humanité
; avec quelle impartialité il rend compte
des différentes opinions que les découvertes
ont fait naître ; comment il pèfe les divers
degrés de probabilité de ces théories , fans
en époufer aucune. Rien n'eft plus contraire
"à l'efprit philofophique que l'efprit de fyftême
; & les Profeffeurs des fciences natuselles
devroient graver fur la porte de leurs
20 MERCURE
écoles , & plus encore dans leur efprit , cette
belle phrafe de Linnaus : Rerum naturafacra
fua non fimul tradit : initiatos nos credimus ;
in veftibulo ejus haremus. « La nature ne
révéle pas à la fois tous fes fecrets . Nous
» croyons avoir pénétré juſqu'à ſon fanc-
» tuaire ; nous fommes encore dans le veftibule
du temple
و ر
»
ABRÉGÉ des principaux Traités conclus
depuis le commencement du quatorzième
fiécle jufqu'à préfent , entre les différentes
Puiffances de l'Europe ; difpofés par ordre
chronologique. Seconde Partie de la Bibliothèque
Politique à l'ufage des Sujets
deftinés aux négociations ; par le Vicomte
de la Maillardière , Licutenant- Général
pour le Roi en Vermandois & Thierrache ,
Capitaine de Cavalerie , &c. Honoraire
de l'Académie Royale des Sciences & Arts
de Dijon , de celle de Lyon , &c . des Sociétés
Royales d'Agriculture de Paris ,
Rouen , &c. 2 vol. in- 12 . A Paris , chez.
la Veuve Duchefne & Valade , Libraires ,
rúe S. Jacques. Avec Approbation & Privilége
du Roi , 1778.
Les Traités , dit un Politique moderne
font entre les Souverains ce que les contrats
font entre les particuliers. L'objet des contrats
eft de diftinguer les droits des particuliers
, & de faire régner la juftice dans la Société
civile , dont le bien réfulte de celui des
DE FRANCE . 21
Citoyens qui la forment. L'objet des Traités
eft de prévenir ou de terminer les guerres ,
de fixer les droits des États les uns à l'egard
des autres , & de faire régner la paix entre
eux. Si les Citoyens font obligés à l'exécution
des contrats par la loi civile , les Souverains
font tenus d'obſerver les Traités par
le droit des gens. Ces tranfactions publiques
font des engagemens facrés qui lient les Souverains
, comme les particuliers font liés par
les contrats qu'ils font .
Ces actes n'ont pourtant ni la même règle
ni la même folidité. Ils n'ont pas la même
règle ; les contrats des particuliers dépendent
des loix civiles ; les Traités font faits fous la
foi du droit des gens. Ils n'ont pas la même
folidité ; car les procès des particuliers fe
jugent dans les Tribunaux civils , qui forcent
les Citoyens à exécuter les conventions
qu'ils ont faites ; au lieu que les différends
célèbres des Souverains ne fe jugent malheureufement
qu'au Tribunal de la victoire. Les
États qui n'ont point de juge commun, fe
font quelquefois un rempart de leurs forces
contre les droits les mieux fondés , contre les
prétentions les plus légitimes ; les guerres
qui en résultent ne peuvent être terminées
que par les loix qu'ils s'impofent eux-mêmes ;
& les Traités qu'ils font n'ont de folidité
qu'autant que leur en donnent , ou les sûretés
prifes , ou la bonne-foi des parties contractantes,
ou la force qui peut triompher
de leur infidélité,
20
MERCURE
écoles , & plus encore dans leur efprit , cette
belle phrafe de Linnaus : Rerum naturafacra
fua non fimul tradit : initiatos nos credimus ;
in veftibulo ejus haremus. « La nature ne
» révéle pas à la fois tous fes fecrets . Nous
» croyons avoir pénétré juſqu'à ſon fanc-
» tuaire ; nous fommes encore dans le veftibule
du temple
ABRÉGÉ des principaux Traités conclus
depuis le commencement du quatorzième
fiécle jufqu'à préfent , entre les différentes
Puiflances de l'Europe ; difpofés par ordre
chronologique. Seconde Partie de la Bibliothèque
Politique à l'ufage des Sujets
deſtinés aux négociations ; par le Vicomte
de la Maillardière , Lieutenant- Général
pour le Roi en Vermandois & Thierrache ,
Capitaine de Cavalerie , &c. Honoraire
de l'Académie Royale des Sciences & Arts
de Dijon , de celle de Lyon , & c. des Sociétés
Royales d'Agriculture de Paris ,
Rouen , &c. 2 vol. in- 12 . A Paris , chez
la Veuve Duchefne & Valade , Libraires ,
rue S. Jacques. Avec Approbation & Privilége
du Roi , 1778.
Les Traités , dit un Politique moderne ,
font entre les Souverains ce que les contrats
font entre les particuliers. L'objet des contrats
eft de diftinguer les droits des particuliers
, & de faire régner la juftice dans la Société
civile , dont le bien réfulte de celui des
DE FRANCE. 21
Citoyens qui la forment. L'objet des Traités
eft de prévenir ou de terminer les guerres ,
de fixer les droits des États les uns à l'egard
des autres , & de faire régner la paix entre
eux. Si les Citoyens font obligés à l'exécution
des contrats par la loi civile , les Souverains
font tenus d'obferver les Traités par
le droit des gens. Ces tranfactions publiques
font des engagemens facrés qui lient les Souverains
, comme les particuliers font liés par
les contrats qu'ils font.
Ces actes n'ont pourtant ni la même règle
ni la même folidité. Ils n'ont pas la même
règle ; les contrats des particuliers dépendent
des loix civiles ; les Traités font faits fous la
foi du droit des gens. Ils n'ont pas la même
folidité ; car les procès des particuliers fe
jugent dans les Tribunaux civils , qui forcent
les Citoyens à exécuter les conventions
qu'ils ont faites ; au lieu que les différends
célèbres des Souverains ne fe jugent malheureufement
qu'au Tribunal de la victoire. Les
États qui n'ont point de juge commun, fe
font quelquefois un rempart de leurs forces
contre les droits les mieux fondés , contre les
prétentions les plus légitimes ; les guerres
qui en résultent ne peuvent être terminées
que par les loix qu'ils s'impofent eux-mêmes ;
& les Traités qu'ils font n'ont de folidité
qu'autant que leur en donnent , ou les sûtetés
prifes , ou la bonne-foi des parties contractantes
, ou la force qui peut triompher
de leur infidélité,
22 MERCURE T
S'il eft indigne d'un homme d'en tromper
un autre , il l'eft encore plus d'un Prince.
Un Roi de Naples difoit que la parole d'un
Souverain devoit avoir autant de force quele
ferment d'un particulier ; & notre Roi
Jean penfoit que fi la foi & la vérite étoient
bannies de tout le monde , elles devroient
fe retrouver dans le coeur des Rois ; mais ces
fentimens fi glorieux à leurs Auteurs , net
font pas l'Evangile de tous les Princes. La
fidélité aux traites , fi vantee lorfque l'intérêt
la fait valoir , femble perdre tous les droits ,
dès qu'ils font combattus par un intérêt opt
pofe.
Les atteintes fréquentes que l'on donne
aux Traités n'empêchent pas que ce lien ne
foit en lui-même le plus fort & le plus indiffoluble
qu'il puiffe y avoir parmi les hommes.
Le but des Traités , comme ils l'énoncent
tous , eft de faire ceffer les diffenfions ,
les troubles , les haines , les guerres & leurs
malheureufes fuites , & d'établir une vraie
& fincère amitié , une union étroite & cordiale
, une paix folide & chrétienne entre
les Princes & leurs Sujets. Un Traité eft
Touvrage de plufieurs Souverains , un ouvrage
autorife fouvent par la prefence & la
médiation d'autres Souverains , une tranfac→
tion publique arrêtée à la vue de tous les
peuples de l'univers , une convention conclue
au nom de la Très- Sainte-Trinité. Qu'y
aura - t'il d'inviolable parmi les hommes , fi
un tel engagement ne l'eft pas? Où fera la
DE FRANCE. 23
sûreté fur la terre , dès qu'on rendra inutile :
le feul moyen d'y faire régner la paix ?
S'il et quelque Prince qui regarde les
Traités comme de vains fantômes qu'un inftant
critique a produits , & qu'un autre inf- :
tant peut détruire arbitrairement au gré de :
l'intérêt , c'eft non-feulement un ennemi du :
genre humain , mais encore un très- mauvais
politique. La mauvaiſe foi ne peut avoir ,
dans les affaires d'État , qu'un fuccès court
& paffager , au lieu que la réputation bien
affermie d'une fidélité inviolable à garder fes
engagemens , attire à un Prince une confiance
également glorieufe pour lui & avantageufe
pour les États.
Nous avons plufieurs grands Recueils de
Traités , le Corps Diplomatique du Droit
des Gens , le Recueil de Lamberti , celui de
Rouffet. Le Livre que nous annonçons n'eft
pas auffi volumineux que ceux-là. Auffin'eftce
qu'un fimple abrégé des principaux Traités
conclus entre les differentes Puiffances de
l'Europe , depuis le commencement du qua- i
törzième ſiècle jufqu'à préfent , fans aucun
précis hiftorique des événemers qui les ont
occafionnés , fans aucun détail des négocia -2
tions qui les ont ménagés , fans aucune réflexion
fur les fuites qu'ils ont eues . Cette
méthode paroîtra peut-être un peu sèche &
aride ; quelques Lecteurs de reront qu'on
y eût joint au moins l'Hiftoire des grands
Traités , qui font époque dans les faftes des
Nations , & peut-être que ce Livre en eûr
24 MERCURE
acquis un nouveau dégré d'utilité . Ces abrégés
font bien faits , ils nous préfentent l'effentiel
des Traités avec le mot facramental ,
comme dit M. de la Maillardière ; mais ils
font ifolés de toutes leurs circonftances . On
n'y voit point ce qui les a occafionnés , on
n'y eft point inftruit des vues des puiffances
contractantes , ni de la difcuffion de leurs
intérêts refpectifs . Quelque intéreffant que
puiffent paroître ces détails , ils n'entrent pas
dans le plan d'un fimple abrégé. Du refte les
perfonnes qui fe deſtinent aux négociations
trouveront tout ce qu'elles peuvent defirer
à cet égard dans le Dictionnaire Univerfel
des Sciences Politiques , ou Bibliothèque de
l'Homme d'État. Cette partie y fera trèscomplette
; on en peut juger par les volumes
qui ont déjà paru .
Mais n'auroit-on pas pu admettre dans
l'abrégé que nous annonçons , plufieurs traités
qu'on y a omis , & qui nous femblent
avoir autant de droit d'être appelés principaux
, que plufieurs autres qui s'y trouvent ?
C'eft un doute que nous propofons au favant
Abréviateur , fans prétendre que notre ſentiment
foit préférable au fien ; car nous fommes
bien éloignés de vouloir juger en un
moment un ouvrage qui a coûté plufieurs.
années de recherches & d'étude. On nous
donne un extrait du Traité de Commerce &
d'alliance entre le Portugal & la République
de Hollande , conclu à la Haye en 1669 ,
qui règle quelques difficultés & différens furvenns
DE FRANCE. 25
venus pour l'exécution du Traité de paix de
1661 entre les mêmes Puiflances ; & l'on ne
nous donne point l'abrégé du Traite d'Alliance
de la même année 1669 , entre l'Angleterre
& le Danemarck : Traité remarqua
ble par l'inégalité des ftipulations .
Il y eut en 1670. une alliance fecrète entre
Louis XIV & Charles II , Roi d'Angleterre.
Louis XIV imputoit aux Hollandois le Traité
de la triple alliance de 1668 , quoique ce
fût l'ouvrage du Chevalier Temple , & que
ce Miniftre Anglois eût eu befoin de toute
fon adreffe pour y faire entrer la République .
Ce Monarque irrité avoit réfolu leur ruine
lorfqu'il fignoit l'accommodement dont ils
faifoient leur sûreté. Ils n'avoient , dans le
grand nombre de leurs alliés , que l'Angleterre
capable de les défendre . Cependant
Charles II les abandonna , & vendit fon alliance
à Louis XIV par un traité ſecret. Il y
eut encore , cette même année 1670 , ur
traité d'alliance & de commerce entre l
Roi d'Angleterre Charles II , & le Portugal
Chriſtiern V ; traité très détaillé , qui contient
quarante-deux articles. On ne trouve point
dans cet abrégé ces deux traités de 1670 , ni
même celui de la triple alliance de 1668. On
y a omis auffi plufieurs traités remarquables
de l'année 1671 , entre autres l'alliance fignée
à Vienne entre l'Empereur Léopold & Louis
XIV , & celle de la Haye entre Charles II ,
Roi d'Espagne , & les Provinces Unies des
Pays- Bas.
5 Mai 1779•
B
26
MERCURE
On ne rapporte de l'année 1672 que le
Traité de paix entre le Roi de Pologne &
le Czar de Ruffie. Les Rois de France & de
Suède fignèrent néanmoins cette année deux
grands Traités d'alliance ; celui du 14 Avril
contient 3.3 Articles , outre 17 Articles fecrets.
Cette alliance fut confirmée par un
nouveau Traité en 1675 , & on y ajouta 13
Articles féparés contre les Provinces - Unies.
Ces trois Traités méritoient d'autant plus
d'être rapportés , qu'ils font la baſe de l'amitié
& de la bonne intelligence qui a depuis
fubfifté entre les deux Couronnes.
La même année nous offre une alliance
défenſive entre l'Empereur Léopold & Frédéric-
Guillaume , Électeur de Brandebourg.
C'eſt le renouvellement & la prorogation
d'une même alliance conclue en 1658 &
1668 , entre les mêmes Puiffances. On ne
nous dit rien de ces trois Traités.
Nous ne poufferons pas plus loin la note
de ces omiffions. L'Auteur peut les raffembler
, s'il le croit néceffaire , dans un fupplément
qui fera très-bien terminé par l'extrait
du Traité de Commerce & de Navigation
conclu au mois de Février 1778 , entre
la France & les États - Unis de l'Amérique.
Ce Traité n'étoit pas fans doute public lorf
que le Livre de M, de la Maillardière eft
forti de la preffe..
24
( Cet Article eft de M. R. )
DE FRANCE. 27
EUVRES DE M. DE LA HARPE de
l'Académie Françoife , VI vol. in-8° . A
Paris , chez Piffot , Libraire , Quai des
Auguſtins .
SECOND EXTRAIT.
Les principaux Ouvrages dont il nous refte
à rendre compte , parmi ceux qui paroiffent
pour la première fois dans cette nouvelle
Edition , font le Drame de Barnevel , imité
de l'Anglois ; l'Epitre au Taffe ; l'Ombre de
Duclos , & une Differtation fur les Romans
.
Dans la Préface de Barnevel , l'Auteur
examine d'abord la nature de ce fujet , dans
lequel il croit les inconvéniens inféparables
des beautés. Il rappelle plufieurs des imitations
Françoiſes dans lefquelles on a affoibli
& dénaturé cet Ouvrage en cherchant à l'adoucir.
Il fait voir qu'on a ôté à ce Drame
fon originalité , fon énergie & fon effet , en
voulant lui ôter fon horreur. Il le préfente
tel qu'il a été conçu , n'y ayant fait d'autres
changemens que ceux qu'exigent les convenances
théâtrales , beaucoup plus délicates
fur notre Théâtre que fur celui des Anglois.
La Scène eft pendant les trois premiers
Actes , dans la maifon de Sorogoud. Cet
honnête Négociant , qui a parmi ſes Commis
& fes Elèves le jeune Barnevel , neveu
d'un de fes plus intimes amis , eft furpris &
affligé de voir un dérangement marqué dans
Bij
28 MDE RACURE
la conduite de ce jeune homme , jufques -là
d'un caractère doux & de moeurs pures . Barnevel
s'eft abfenté plufieurs nuits de la maifon
; Sorogoud demande à Truman , qui
eft aufli un de fes Commis & ami particulier
de Barnevel , fi par hafard il ne fauroit
pas le motif de ces abfences ; Truman lui
répond :
A s'ouvrir avec moi ce coeur accoutumé ,
Ce coeur où je lifois , n'eft aujourd'hui fermé.
Il paroît même ici redouter ma préſence ;
Il craint que je n'aſpire à vaincre ſon filence .
Il craint peut-être , il craint , à l'aspect d'un ami
D'être dans fa réſerve encor mal affermi.
Il fent que les fecrets qu'il renferme avec peine ,
De fon ame échappés , voleroient dans la mienne.
Je veux l'entretenir ; il me fuit vainement.
Pour les infortunés il eft plus d'un moment ,
Où ,parl'excès
des maux
, le coeur
flétri
s'affaiffe
;
Il ne peut
plus porter
le fardeau
qui l'oppreffe
;
Il cherche
des appuis
; & lorſque
l'amitié
Vient
de ce poids
amer
demander
la moitié
,
En peut-on repouffer
l'empreffement
fi tendre
?
On n'en
a pas la force
: il daignera
m'entendre
.]
J'ofe
encor
l'efpérer
.
SORO
25
GOU O U D.
Qui , j'eftime fon coeurs
Je chéris de fes moeurs l'innocente douceur.
Je dis plus : offenfé de fes longues abfences ,
A
DE FRANCE. 29
J'ai cru devoir ufer de quelques remontrances.
Il étoit fi confus ! Dans fa timidité
J'ai cru voir tant de honte & tant d'honnêteté !
Je n'ai pas , je l'avoue , infifté davantage ,
J'ai craint de l'affliger, Ah ! Truman , à cet âge ,
Ou la rougeur modefte ,eft encor fur le front ,
L'erreur eft fi facile & le remords fi prompt !
Non , je n'ai pas voulu de ce coeur fi fenfible
Arracher de fa faute un aveu trop pénible.
Croyant qu'il la fentoit , j'ai dû tout eſpérer s
Mais il l'aggrave encor, loin de la réparer.
L'amour ou je me trompe , a maîtriſe ſon âme.
Ce fentiment en lui n'eft pas ce que je blâme ;
Il fied à la jeuneffe , il fert à la polir ,
Er , loin de la corrompre , eft fait pour l'embellirs
Donne un reffort de plus à notre ame exercée ,
Anime le courage , élève la pensée ,
Ajoute à la Nature , & fait la façonner
Par le joug le plus doux qu'on puiffe lui donner.
Tout dépend de l'objet à qui l'amour nous lie.
Le premier choix du coeur fait le fort de la vie.
Celui de Barnevel ne femble pas heureux.
Vous le cacheroit- il , s'il n'a rien de honteux ?
Ah ! c'eft à fon ami qu'on parle de fa flamme ;
La confidence alors eft un befoin de l'ame ;
Et la première fois qu'on fe fent attendrir ,
C'eſt devant l'amitié qu'on veut s'en applandir.
De Sara , m'a-t'on dit , il adore les charmes.
Biff
30
MERCURE
En effet , Sorogoud avoit fait fuivre Bar
nével , & s'étoit affuré qu'il étoit chez cette
femme. Truman en eft confterné. Le caractère
de Sara l'épouvante :
Sara de plus d'un crime eft déjà foupçonnée.
Veuve dans fon printemps , ſans naiſſance & fans
biens ,
Elle eut , dit-on , recours à de honteux moyens
Elle paroît naïve à force d'artifices ,
Séduit par fes talens & même par fes vices.
Elle excelle en cet art fi propre à nous charmer ,
De feindre tout l'amour qu'elle veut allumer.
Que je plains Barnevel , fi cette enchantereſſe
A furpris de fon coeur la première foibleffe !
Sorogoud convient avec Truman de la
néceffite de s'oppoſer , autant qu'il eft poffis
ble , à ce dangereux penchant qui peut per
dre Barnevel. C'étoit jufqu'à ce moment de
tous les Commis de Sorogoud le plus empreffé
à rendre fes comptes ; depuis quelque
tems on les lui demande envain . Sorogoud
charge Truman de les revoir lui-même , &
le prie de lui envoyer fa fille Lucie. Ce perfonnage
que l'Auteur François a développé
d'une manière très- intéreffante , n'eft qu'indiqué
dans l'ouvrage Anglois. Lucie a été
élevée auprès de Barnevel ; elle a conçu
pour lui une inclination fecrette , dont elle
n'a connu toute la force qu'au moment où
elle a vu s'éloigner d'elle celui qui en étoit
DE FRANCE. 31
l'objet. Trompée fi cruellement dans le premier
fentiment qu'elle ait eu , elle eft en
proie à une douleur profonde & réfléchie
qui n'a pu échapper à fon père , & qui
répand fur tout fon rôle une mélancolie
touchante. Sorogoud qui avoit formé des
projets de mariage fur elle & fur Barnevel ,
effaye de fonder fon coeur , & lui parle des
différens partis qui fe préfentent pour elle :
elle eft fille unique , riche héritière , &
peut prétendre à tout. Il la laiffe abfolument
imaîtreffe de fon choix.
Ici fans ton aveu l'on n'a rien à prétendre ,
Et mon pouvoir ſur toi n'eſt que le droit flatteur
De confirmer les voeux qu'aura formés ton coeur.
LUCIE.
Difpofez de Lucie. Oui , les bontés d'un père
M'en rendent chaque jour l'autorité plus chère.
Ne la dépofez pas , daignez vous en fervir .
Vous voulez mon bonheur ; craindrois-je d'obéir ?
Souffrez que je foumette à votre expérience
De mon coeur , de mes ans , la naïve imprudence.
Nos parens ont fur nous un bien jufte pouvoir ;
Nous ne favons qu'aimer , & vous favez prévoit,
SOROGO
Ce jeune Baronet , ce Chevalier aimable ,
Qui tient dans fa Province un rang confidérable ,
Me femble plus qu'un autre épris de tes appas...
Songe que je propofe & ne commande pas .
Biv
32 MERCURE
LUCIE.
Puifque vous permettez que fous les yeux d'un père ,
Mon ame en ce moment ſe montre toute entière ,
J'avouerai que l'époux que j'aurois préferé
N'eft point un grand Seigneur de titres décoré ,
Qui tout fier de fon nom qu'il eft réduit à vendre ,
En acceptant mon bien croiroit encor deſcendre.
Le commerce me plaît , j'y borne tous mes voeux ,
Et je chéris l'état où mon père eft heureux.
J'ajoute , en implorant toute votre tendreffe ,
Que c'est trop-tôt peut-être enchaîner ma jeuneſſe .
Je voudrois éprouver ma raiſon & mon coeur.
Le premier fentiment n'eft fouvent qu'une erreur.
Je voudrois que ce choix que vous me laiſſez faire ,
Fut applaudi de tous , & digne de mon père.
SOROGO UD.
J'approuve tes deffeins , j'en dois bien eſpérer ;
Ta jeuneffe , il eft vrai , permet de différer ;
Mais d'où naît ce chagrin dont j'ai cru voir les traces ,
Et qui de ton printemps vient obfcurcir les graces ?
Qui pourroit t'affiger ? D'où vient cette douleur
Au matin de tes ans , dans l'âge du bonheur ?
La douleur eft pour ceux qui connoiffent la vie ,
Et non pas pour ton âge , ô ma chère Lucie !
Où l'on defire tant , où l'on connoît fi peu.
LUCIE .
Heureuſe auprès de vous , je vous ferai l'aveu
DE FRANCE.
33
Que ces plaifirs bruyans que cherche la jeuneffe ,
Quelquefois dans mon ame ont porté la triſtelſe,
Le monde me fatigue & ne m'attache pas,
Un inftant de contrainte , un fecret embarras,
Peut-être ont fur mon front jeté quelque nuage ;
Votre amour paternel n'en peut prendre d'ombrage.
Je préfère aux plaifirs que l'on croit les plus doux ,
Ce moment où mon coeur s'entretient avec vous .
Sorogoud lui parle de Barnevél , & des
chagrins que lui donne fa conduite. Lucie
les partage , & fe flatte encore que ce jeune
homme pourra revenir de fes égaremens .
Sorogoud lui laiffe entrevoir les projets
qu'il avoit & la quitte. Lucie ne peut
s'empêcher de témoignér à Polli , fa Suivante
, qui entre en ce moment , quelle joie
elle vient d'éprouver en voyant que le coeur
de fon père étoit d'accord avec le fien . Mais
qu'importe cet accord , fi le coeur de Barnevel
n'y a pas foufcrit ? Elle fe retrace les premiers
momens qu'elle a paffes auprès de
lui :
O temps ! 6 jours heureux !
Jours trop-tôt écoulés de paix & d'innocence !
Quel charme fe mêloit aux jeux de notre enfance!
Qu'aifément près de lui j'ai dû m'accoutumer
Au funeste penchant qui me porte à l'aimer !
C'est pour moi que croiffoient , fous les yeux de mon
père, $
BY
34
MERCURÉ
Les grâces de fon âge & de fon caractère .
Nous confondions enfemble , au fein de nos loifirs ,
Nos foins , nos volontés , nos voeux & nos plaifirs.
Combien il chériffoit ces tendres complaiſances ,
Ces légères faveurs , ces douces préférences ,
Que l'ame ouverte alors au plus pur fentiment ,
Sans y mettre de prix , prodigue innocemment !
Qui n'eût cru qu'il m'aimoit ! combien je fus trom
pée , &c.
Polli cherche à la diftraire de fa trifteffe , &
lui repréſente tous les dédommagemens que
lui offrent la fortune & le monde :
LUCIE.
En l'état où je fuis ,
Tu veux me ramener au inonde que je fuis !
De ces cercles nombreux la gaîté turbulente
Déplaît à la tendreffe , afflige une ame aimante.
J'aime mieux dans ton fein épancher mes foupirs ,
J'aime mieux mes douleurs que tous leurs vains plaifirs
Va , ne me parle plus de fêtes , d'hymenée.
Pour le feul Barnevel je me crus deſtinée ;
Pour lui feul j'ai cru vivre ; & fi c'eft une erreur
En renonçant à lui , je renonce au bonheur,
>
Au fecond Acte , Barnevel rentre au point
du jour dans la maifon de fon Maître , &
rencontre d'abord Truman. Ce vertueux
ami a réfolu de le faire expliquer fur le
myſtère de fa conduite , de lui en montrer
DE FRANCE.
35
>
le danger , & de le ramener à la vertu . Barnevel
ne lui cache pas la paffion forcenée
qu'il reffent pour Sara ; trompé par les
artifices de cette femme , il n'a vu en
elle qu'une victime de l'injuftice & de
l'oppreffion. Il avoue même quoique
d'une manière indirecte , les moyens illégi
times qu'il a mis en oeuvre pour foulager les
befoins d'une infortunée , que fon malheur ,
dit-il , doit rendre encore plus intéreffante.
Les fommes qu'il a détournées font la cauſe
du retard qu'il apporte à rendre fes comptes.
Il ne voit plus d'autre parti à prendre
que de quitter la maiſon de Sorogoud , & de
fe réfugier auprès de Sara. Truman ne s'arrête
pas à lui prouver que cette femme le
trompe ; il commence par lui promettre de
remplir le deficit de fa caiffe , & il exige de
lui fa parole qu'il ne fortira pas de la maiſon;
Promets de me revoir , & de ne point partir.
BARNE VIL.
Je n'efpère plus rien ; mais j'y dois confentir.
Oui , je te reverrai.
TRUMA N.
Je reçois ta parole..
Crois que la mienne auffi ne fera point frivole.
Crois-moi , cher Barnevel , tu fauras quelque jour
Qu'il eft d'autres liens que ceux de ton amour ,
Qu'il eft d'autres plaiſirs , d'autres devoirs encore.
Fais que ta paffion , dont l'excès te dévore ,
B vj
36
MERCURE
Ne ferme point ton ame à d'autres fentimens.
Sois sûr qu'il eft un terme aux erreurs des amans.
Songe à ce que tu dois , à ton oncle qui t'aime ,
Aton maître , à ſa fille , & peut-être à moi-même ,
A moi qui fais te plaindre , & crains de te blâmer.
Pourrois-tu te réfoudre à ne nous plus aimer ?
Au bonheur de tes jours ici tout s'intéreſſe.
Ah ! n'abandonne pas pour cette folle ivreſſe ,
Qui trompe fi fouvent , qui coûte des regrets ,
L'amitié , la vertu , qui ne trompent jamais.
Truman en s'engageant à tirer Barnevel
d'embarras , a compté fur la générofité de
Lucie pour en trouver les moyens ; car il ne
les a pas lui- même , & la fomme eft trop
forte pour les facultés. Il ne cache rien à
Lucie de ce qui fe paffe , & il n'eft pas
trompé dans fon attente. Lucie ordonne fur
le champ à Polli de vendre tous fes bijoux
& d'en remettre l'argent à Truman pour
remplir le vuide de la caiffe de Barnevel.
Elle n'exige de Truman d'autre conditionqu'un
fecret inviolable.
Au troifième Acte Sara ofe venir dans la
maifon de Sorogoud , réfolue de porter Barnevel
à de plus grands facrifices que ceux
qu'il a faits encore. Elle veut d'ailleurs s'op
pofer au projet qu'il lui a confié de fe retirer
chez elle , & dont elle voit tout le danger.
Elle a plus que jamais befoin de fes fecours ;
elle vient de perdre un procès qui lui ôte le
peu de bien qui lui reftoit de fon mari ;
DE FRANCE.
37
elle déclare à Barnevel qu'elle a pris le parti
de fe retirer auprès d'un parent , dans le
Comté d'Oxford , perfuadee que Barnevel
rifquera tout plutôt que de confentir à la
perdre. En effet , cette réſolution le jette
dans le défeſpoir. Dans le même moment il
reçoit une lettre de fon oncle , qui lui annonce
que, pour l'arracher aux feductions de Sara ,
il vient d'obtenir pour lui une place auprès
des Confuls du Levant. Il lui ordonne de venir
à Windfor recevoir fes ordres & fes adieux.
Cet incident redouble la fureur de Sara , qui
s'apperçoit qu'on veut lui enlever la proie ;
elle dit à Barnevel qu'elle eft réfolue à le
fuivre par-tout ; & au milieu des tranfports
de joie que lui infpire cette offre feduifante ,
elle lui fait voir tout d'un coup les obftacles
qu'y peut mettre l'autorité de fon oncle ;
elle défefpère de les vaincre , & fe détermine
à mourir. Barnevel frémit . Elle avoue
qu'il refte un moyen de prévenir tous les
maux qui les menacent . Ils feroient tous
deux libres , tranquilles & réunis. Barnevel
la prefle de s'expliquer ; elle s'y refufe , &
le quitte. Il la fuit ; & au moment où il fort
Lucie entre fur la Scène. Elle vient d'apprendre
de fon père , qui a reçu de fon côté
des lettres de Windfor , le prochain départ
de Barnevel , & l'emploi auquel on le deftine
; elle eft pénétrée de douleur que Barnevel
, prêt à la quitter , ne daigne pas même
s'arrêter un moment pour l'entretenir. Polli
vient y mettre le comble. Une domestique
38
MERCURE
de la maiſon a entendu une partie de la
converfation de Barnevel & de Sara , & le
projet de quitter enſemble l'Angleterre .
Polli porte le dernier coup à fa maîtreffe ,
en lui apprenant cette affreufe nouvelle.
POLLI.
Du complot votre père eft inftruit.
De fes féductions elle perdra le fruit ,
Et chez le Magiftrat il dépofe contre elle.
On va développer leur trame criminelle ,
Prévenir tant de honte & d'infidélité.
LUCIE.
On ne préviendra pas le coup qu'ils m'ont porté.
Il fuit avec Sara ! ... Suis-je affez avilie ?
Sens- tu tous les affronts prodigués à Lucie ?
Cette femme en fon coeur éteint tout fentiment.
A-t'il daigné de moi s'occuper un moment ?
Ai-je un moment du moins arrêté fa penſée ?
Lucie eft à ce point de fon ame effacée !
Non , je ne foutiens pas cet outrageant mépris.
Mes jours par le malheur font à jamais férris ;
Et que puiffe la mort , à fa fuite amenée ,
En moiffonner bientôt la fleur déjà fanée .
POLLI.
Vous m'effrayez , hélas ! quel funeſte diſcours ?
LUCIE.
Tes yeux ont de mon fort fuivi le trifte cours.
Tu me vis , malgré moi de plaifirs entourée ,
DE FRANCE. 39
A de profonds chagrins obftinément livrée.
J'ignore fi mes fens , ainfi que ma raiſon ,
Furent dès mon aurore atteints du noir poiſon
Qui répand parmi nous fa finiftre influence ,
Et qui , nous infpirant l'horreur de l'exiftence ,
Sur le bord du tombeau qu'on balance à s'ouvrir ,
Nous tourmenté long-temps du beſoin de mourir.
D'un poifon plus cruel je reffens la furie.
Un amour malheureux m'a fait haïr la vie.
Déjà plus d'une fois j'y voulus renoncer.
POLLI.
Ciel ! que me dites- vous ! avez-vous pu penſer...
LUCIE.
Raffure-toi , Polli , tant qu'il me reste un père ,
Je ne marquerai point un terme à ma carrière.
Voudrois-je à fes vieux ans , dérobant mes fecours ,
Livrer au défefpoir les derniers de fes jours ?
Va , je vivrai pour lui ; va , la trifte Lucie
Lui prouve fa tendreffe en ſupportant la vie.
Mes jours me font facrés autant qu'ils lui font chers.
Il m'attache à mes maux , il m'attache à mes fers.
Ce tendre fentiment , parmi tant d'amertume ,
Seul adoucit encor l'horreur qui me confume.
Le quatrième acte eft celui dans lequel
M. de la Harpe s'eft le plus rapproché de
l'Auteur Anglois. La marche des deux Écrivans
eft abfolument la même. Le Théâtre
repréfente des allées d'arbres qui conduifent
40 MERCURE
à la maifon de campagne de l'oncle de Barnevel.
Le jour eft fur fa fin . Ce malheureux
jeune homme que Sara a achevé de feduire
& d'aliéner , en lui prefentant l'affreufe alternative
, ou d'affaffiner fon onclè , ou de
la poignarder elle -même , paroît dans le plus
affreux egarement. Cette épouvantable feène
ne peut le juger que fur le Théâtre ; elle eft
telle que l'a faite l'Auteur Anglois , M. Lillo :
on peut voir dans la traduction en profe
que nous avons de cet Ouvrage *, le meurtre
commis par Barnevel , de manière cependant
que les arbres dérobent au ſpectateur
l'horreur du coup de poignard. Si cet inſtant,
fait friffonner , celui où l'oncle expirant recommande
à Dieu fon cher neveu , fon cher
Barnevel, où cet infortuné jetant fon mafque
& fon poignard , fe précipite fur fa
victime qui l'embraffe & lui pardonne , ce
moment fait verfer des larmes , & a toujours
paru très-pathétique. L'on repaffe encore
de la pitié à l'horreur & à l'effroi , lorfque
Sara défefpérée que Barnevel n'ait pas
fongé à s'affurer du porte- feuille & des effets
de fon oncle , le dénonce elle-même aux
Gens de Juftice , qui arrivent envoyés par
Sorogoud , pour empêcher fa fuite avec Barnevel.
Cette atrocité tranquille & qui ferre
le coeur , révolteroit peut-être la délicateffe
* Cette Traduction eft de l'Abbé Prévot. On en
trouve des exemplaires chez la Veuve Ducheſne ,
rue S. Jacques.
DE FRANCE.
41
de nos fpectateurs François ; mais elle préfente
au moins , comme l'obferve M. de la
Harpe , la plus grande leçon de morale , &
la plus terrible punition du crime. La dénonciation
de Sara n'empêche pas que l'on
ne s'affure d'elle , ainfi que du meurtrier.
Nous nous croyons d'autant plus obligés
à tranfcrire le monologue qui ouvre le cinquième
acte , qu'à l'exception des quatre
premiers vers , ce monologue appartient
entièrement au Poëte François. Nous laiffons
au lecteur impartial & éclairé , à juger
du mérite de ce morceau. Le Théâtre repréfente
un cachot éclairé par une lampe ;
Barnevel cft affis fur une pierre & enchaîné.
Les chaînes , le cachot , la mort & l'infamie ,
Voilà donc le deftin , le terme de ma vie !
Et dans fi peu d'inftans j'ai pu paffer , hélas !
Des erreurs aux forfaits , des forfaits au trépas !
Le trépas !... je l'attends ; il eft bien légitime ;
Et qu'il me feroit cher , s'il expioit mon crime !
Qui reffent mes remords ne craint pas les bourreaux ,
Le fupplice n'eft rien que la fin de mes maux.
Que dis-je ? Eft-il bien vrai que la mort les finiffe ?
Quels feront tes décrets , éternelle juſtice ?
Aurai-je fous les yeux , dans des fiècles fans fin ,
Le fang d'un bienfaiteur immolé par ma main ?
La verrai-je toujours cette image effroyable ?
Ah ! c'eft peut-être ainfi qu'eft puni le coupable.
42
MERCURE
Le ciel de fes remords ne bornant point le cours ,
Le condamne peut- être à fe hair toujours.
Tous mes fens font glacés à cette affreuſe idée.
Je ne la foutiens pas ; mon ame intimidée
N'apperçoit qu'un abyfme , & frémit d'y tomber.
Où fuir ? A tant d'effroi comment me dérober ?
Je m'adreffe à toi feul , Arbitre incorruptible !
Aux
yeux du monde entier je fuis un monftre horrible
:
Il voit mon attentat & ne voit pas mon coeur.
Toi feul peux comparer ma faute & ma douleur .
Tu vois nos paffions des yeux de ta fageffe ;
Des yeux de ta bonté tu vois notre foibleffe ;
Et lorsqueto ut m'accufe & doit me condamner,
Je ne connois que toi qui puiffe pardonner.
La fcène fuivante , qui eft celle des deux
amis , eft célèbre , & paffe pour un chefd'oeuvre
de pathétique ; elle eft ici très - fidellement
traduite , & l'Auteur François y
a très-peu ajouté. Nous n'en pouvons citer
qu'une partie , car il faut ſe borner. Au moment
ou Truman vient embraffer fon ami ;
celui- ci fe lève d'abord , puis fe rejette ſur la
pierre où il eft enchaîné :
Non , tes embraffemens
Ne font pas faits pour moi , pour un monftre , un per
fide.
Puis-je toucher tes inains de ma main parricide ?
Ettes bras innocens peuvent-ils me preffer ?
1
DE FRANCE
43
Ah ! ces liens , ces fers doivent feuls m'embraffer.
Je dois gémir tout feul fur la pierre infenfible.
TRUMAN fe précipitant fur lui.
Je m'y jette avec toi. Dans quel afyle horrible
Fuirois-tu ton ami qui ne peut te quitter ?
Nous gémirons tous deux ; ces murs vont répéter
Nos foupirs confondus , nos fanglots & nos plaintes.
Ne te refuſe pas à ces douces étreintes.
Serré contre mon fein , verfes-y ta douleur,
Fais-la , fais-la paffer toute entière en mon coeur.
BARNEVEL.
O! de quel poids amer ce moment me foulage !
Je reſpire à la fin ; les pleurs fe font paſſage.
Voilà , voilà l'afyle où j'ai trouvé la paix ;
Le malheur ne peut plus m'y chercher déſormais.
Le ciel de fes bontés confirme l'afurance ,
Il a fait dans mon fein defcendre l'efpérance ;
Et quand je devois craindre un entier abandon ,
Sa clémence en tes mains a fcellé mon pardon.
Oui , malgré les forfaits qu'avec toi je déplore ,
Je dois me hair moins , quand tu m'aimes encore
Quand tu daignes mêler , avec tant de pitié ,
Aux larmes du remords les pleurs de l'amitié.
Le Géolier fait figne à Truman que quelqu'un
le demande ; celui - ci croit devoir
préparer Barnevel à fa dernière épreuve. Il
ne lui cache rien des fentimens que Lucie a
confervés pour lui , & des facrifices qu'elle
44 MERCURE
vouloit faire pour le fauver. Enfin , il lai
annonce qu'elle va venir le voir dans fon
cachot. C'eft elle qui avoit fait demander
Truman. Il va la chercher. Lucie le renvoie
auprès de Sorogoud , qui accablé par la
maladie & par le chagrin , a befoin de fes
fecours ; il lui fuffit que Polli refte avec elle .
Elle avoue à Barnevel dans ce dernier entretien
le malheureux amour qu'elle a nourri
dans fon fein , & les chagrins qu'il lui a
coûtés ; elle lui apprend que Sara eft morte
fans donner la moindre marque de repentir,
& lui demande de quel oeil il la voit deformais.
Barnevel répond :
Comme un objet affreux & l'opprobre & l'horreur
De ce fexe adoré dont vous faites l'honneur.
LUCIE.
Si du ciel , fi des loix la rigueur adoucie
Vous permettoit de vivre , aimeriez - vous Lucie ?
BARNEVEL.
pas.
Barnevel qu'ont fouillé les plus noirs attentats ,
Même avant les malheurs , ne vous méritoit
Mais s'il m'étoit permis du fein de ma misère
D'élever jufqu'à vous un regard téméraire ,
Je voudrois réparer , à vous feule rendu ,
Les momens où mon coeur oublia la vertu
LUCIE.
Donnez-moi votre main.
BARNEVEL.
Ah ! regardez ma chaîne.
DE FRANCE. 45
Le fupplice m'attend , & bientôt on m'y traîne.
LUCIE.
Donnez-moi votre main.
BARNEVEL fe penchant fur fa main.
O tendreffe ! ô douleurs!
LUCI 1.
( Ellefefrappe d'un poignard.)
Vous allez à la mort. Je vous aime . - Je meurs . -
BARNEVEL fe faififfant du poignard.
}
Arrêtez , ô Lucie ! ... encore une victime !
Pardonnez , Dieu vengeur ! voilà mon dernier crime.
(Ilfe frappe. )
Tel eſt le dénouement que l'Auteur a ſubftitué
à la potence & au bourreau qui terminent
la Pièce Angloife.
De Barnevel à l'Ombre de Duclos , la diftance
eft remarquable , & on ne peut pas
avoir une plus belle , occafion de juger fi
l'Auteur fait paffer avec fuccès d'un genre à
un autre. Ses ennemis même , quoique déterminés
à nier tout , n'ont pas ofé ( on ne
fait pourquoi ) nier le mérite de cet Ouvrage.
Il eft vrai qu'ils en ont parlé le plus fuccinctement
poffible , & qu'ils n'en ont indiqué
que le titre , encore en le défigurant . Ils
l'ont appelé Épitre à Duclos , quoique ce
foit un véritable Poëme , dans lequel il
une fable , une action , des caractères & un
y a
46 MERCURE
›
dénouement. On a reproché à l'Auteur d'ax
voir fait une Satyre. Il eft vrai que la fiction
de ce petit Poëme eft une allégorie fatyrique
, mais elle eft purement littéraire , &
l'Auteur ne s'eft permis que la plaifanterie
des honnêtes-gens , contre des Adverfaires
qui s'étoient permis contre lui les plus grands
excès. Il établit la fcène dans l'Élifée , & y
diftingue un féjour marqué pour les Ecrivains
célèbres. Il y fait arriver Duclos
qui rencontre d'abord cet Abbé de Bois-
Robert , qui a tant contribué à l'établiffement
de l'Académie Françoiſe. Dans la converfation
qu'ils ont enfemble , Duclos lui
parle de l'empreffement que témoignent de
nos jours des hommes de tous les rangs pour
entrer dans cette Compagnie. Il repréfente
l'audience qu'il donne aux Candidats , comme
une fcène vraiment comique , & qui amuferoit
l'Abbé. Celui- ci prétend qu'avec le
fecours de l'Illufion qui habite dans l'Elifée ,
rien n'eft fi facile que d'y tranfporter cette
Scène. En effet , la Déeffe paroît , une baguette
à la main , dans un nuage qui enveloppe
tous les objets , & qui bientôt fe diffipant
, laiffe voir Duclos dans l'entrefol
du Louvre , & la foule des afpirans qui arrivent
chez lui. Nous ne citerons aucun des
perfonnages que le Poëte fait paroître. Nous
ne voulons défobliger perfonne , & nous
renvoyons ceux qui veulent rire, à l'Ouvrage
même. Au milieu de la féance , il s'élève un
grand bruit. On annonce que Voltaire va
DE *
47
FRANCE.
venir prendre fa place dans l'Élifée ; ( allufion
à une maladie dangereuſe dont M. de
Voltaire avoit été attaqué au commencement
de l'année 1773 , époque à laquelle cet Cuvrage
fut compofe ) un moment après entre
Mercure , qui annonce la guérifon de Voltaite
, & qui lui promet une carrière telle
que celle de Sophocle & de S. Aulaire ,
prédiction qui n'a pas été tout - à - fait réaliſée.
Pour donner une idée du ftyle de cette Pièce ,
nous nous contenterons d'abord d'en citer le
début , & enfuite le tableau de l'Illufion .
DANS l'Élifée il eft un lieu charmant ,
Séjour divin de ces efprits célèbres ,
Qui de leur fiécle ont été l'ornement ,
Qui du faux goût diffipant les ténèbres ,
Ont de l'erreur combattu le peifon ,
En vers heureux fait parler la raiſon ,
Et parcouru la brillante carrière
Des arts créés pour enchanter la terre.
Après leur mor , c'eft- là qu'ils font admis ;
Tous dans leurs mains apportant leurs écrits
Sont éprouvé sur le Léthé tranquille ,
Qui de fes eaux entoure cet aſyle.
De l'onde à peine ils ont touché les bords
O vérité puiffante chez les morts !
Tout froid ouvrage , ou profe ou poéfic,
Qui foutint mal l'honneur deleur génie ,
Et qui trompa leurs ſtériles efforts
78
MERCURE
Cédant alors à la dernière épreuve ,
com a za kto
vie pina
14
S'abîme au fond du véridique fleuve,
Entre les mains il ne leur refte plus 300
Que les écrits qui feront toujours lus,
Dans la demeure éternelle & facrée ,
On ne reçoit qu'une gloire épurée
Chacun , compris dans l'arrêt général ,malo ná
Perd plus ou moins au paffage fatal
Er peu d'Auteurs , par grâce fingulière ,
Viennent à bord avec leur charge entière.
Tous du déchet font fort furpris , dit-on ,
Cesjours derniers , le cauftique Piron
Un peu confus ,fauva de la difgrâce
Le Métromane , & même fans Préface ;
Et tel Auteur qui ne s'en doute pas ,
Léger de poids , doit arriver là - bas.
Tous raffemblés dans ce riant afyle ,
Ceux dont la gloire a cenfacré le nom
Tels que jadis les a dépeints Virgile ,
Ceints du bandeau des Prêtres d'Apollon ;
Sans paffions , fans haine & fans envie ,
Heureux vainqueurs du temps & du tombeau ,
Goûtent en paix , fous le ciel le plus beau ,
Les doux loisirs d'une immortelle vie :
Rivaux unis , mais non d'accord fur tout ,
Gardant toujours leor efprit & leur goût ;.
Chacun s'amufe & penſe à ſa manière.
Houdart encor difpute contre Homère ,
་
Et
DE FRANCE. 49
Et va frondant fes Dieux & fes Héros ;
Le d'Olivet y fait la guerre aux mots.
Boileau foutient , quoi qu'on puiffe lui dire ,
Qu'un Opéra ne peut jamais le lire.
On lui répond par des vers de Roland.
L'éternité s'abrège en difputant.
Sans la difpute , où l'ame eft éguisée ,
On s'ennuieroit , même dans l'Élifée .
Portrait de l'Illufion.
L'Illufion habite dans ces lieux ;
Non cette vieille & hideufe forcière ,
Monftre impofteur qui féduit le vulgaire ,
Qui va femant les préjugés affreux ,
Et les erreurs qui défolent la terre ;
Protée impur & Lutin ténébreux ;
Mais cette Fée , heureufe enchantereffe ,
Reine des Arts , mère des fictions ,
Qu'en fes beaux jours a vu naître la Grèce ,
Et qui d'Orphée anima les chanfons ;
Fille du Ciel & foeur de l'Harmonic ,
Qui confacroit tous les jeux du Génie ,
Peuploit de Dieux les forêts & les eaux
Attendriffoit les fenfibles échos ,
Et fur une urne appuyoit les Naïades ,
Et fous l'écorce enfermoit les Dryades ;
Qui fur un char plaça le Dieu du jour,
Sut aiguifer les flèches de l'Amour
S
Mai
1779.
C
so MERCURE
Et qui berçoit de fes fonges aimables
Le genre- humain toujours épris des Fables.
Elle tourna vers de plus grands objets
De fes leçons l'utile allégorie ,
Mit fes crayons dans les mains de Thalie ,
De Melpomène éleva le Palais.
Elle enfeigna dans Athène & dans Rome
Cet Art charmant qu'on n'ofe plus blâmer ,
Cet Art divin de montrer l'homme à l'homme ,
Pour l'attendrir & pour le réformer.
Elle est toujours à nos ordres fidelle :
Elle peut tout. Il dit : & l'Immortelle
Parut foudain fur un trône d'azur ,
Baguette en main , & d'abord autour d'elle
Tout s'éclipfa fous un nuage
obfcur ;
Puis par degrés une douce lumière ,
De fes rayons pénètre l'atmosphère.
On voit Duclos fur fon grand fauteuil noir ,
Dans l'entrefol, fombre & trifte manoir ,
Où doit loger Monfieur le Secrétaire.
Là , fourmilloit tout l'effaim littéraire .
L'un apportoit la nouvelle Grammaire ,
L'autre un Roman , l'autre des Almanachs ;
L'un fes Sermons , l'autre fes Opéras ;
Et celui- ci fon recueil d'Héroïdes ,
Et celui -là fes Drames infipides ,
Drames en profe , & traduits & vendus
En Allemagne , & des François peu lus ;
DE FRANCE. SN
Mais enrichis de fleurons & d'eftampes ,
Malgré Voltaire , appelés culs-de- lampes;
Couverts de points de l'un à l'autre bout ,
Points merveilleux qui tiennent lieu de tout ,
Points éloquens qui font fi bien entendre
Ce que l'Auteur n'a pas l'efprit de rendre.
C'eſt dans les points qu'il faut s'évertuer ,
Et le génie eft l'art de ponctuer , &c.
On trouve dans l'Épître au Taffe un morceau
à peu près du même genre , quoique
d'un ton très- différent. C'eft le tableau de
l'Imagination poëtique.
PRÈS de toi quel Génie avec lui fe préſente ,
Et femble s'applaudir de fa beauté changeante.
Quel docile Protée ! Il varie à ton choix
Ses traits , les mouvemens , fa parure , ſa voix.
Il porte tour- à-tour le fceptre & le tonnerre
Les roſes de Vénus , les torches de Mégère ;
Ou rayonnant de joie , ou de larmes baigné
Tantôt noirci de deuil , tantôt de fleurs ornés
Quels changemens , quels jeux , quel pouvoir il ra
femble !
Il pleure ; je gémis : il menace ; je tremble ;
Il vole , & je le fuis au bout de l'Univers ,
Au Palais de l'Olympe , aux cachots des enfers.
Tel le Chantre d'Hector a peint le Dieu de l'onde
Atteignant en deux pas juſqu'aux bornes du monde;
Tel , & plus prompt encor , fon vol illimité¸
Cij
32 MERCURE
Sans m'échapper jamais , parcourt l'immensité
Ah je la reconnois cette puiffante Fée ; (7093)
Sa baguette en tes mains fe joint au luth d'Orphée.
La Reine des Beaux- Arts , guide de tes travaux
L'Imagination t'a remis fes pinceaux ,
D'Armide dans les pleurs , d'Armide fuppliante ,
Le portrait épuifa fa palette brillante.
Non , jamais tant d'appas n'ont été mieux tracés.
Ses modeftes regards vers la terre fixés **
Les larmes dont les yeux gardent encor les traces ,
Ce voile des douleurs foulevé par les Graces ,
Le fouriré enchanteur fur fes lèvres naillant ,
Cet all qui tour-à - tour ou fier , ou languiffant ,
En impofe au defir & permet l'efpérance , ...
Le charme de fa voix & l'art de fon filence .....
Grand Peintre ! .. Tels aux yeux de l'Olympe ſurpris,
Homère & Praxitele embelliffoient Cypris.212
な
ourish stunt
Dans la Differtation fur les Romans , les
plus célèbres ecrits de ce genre font analyfés
& appréciés depuis les Livres de Chevalerie
jufqu'aux Brochures du jour. Les bornes de
cet extrait nous obligent à ne nous arrêter
qu'a ce qui regarde Tom Jones , qui eft
aux yeux de l'Auteur le chef- d'oeuvre des
Romans.bonot fo
D'abord l'idée première fur laquelle
Ouvrage eft bâti , eft en morale
un trait de génie. Des deux principaux
» Acteurs qui occupent la Scène , l'un раз
>>
}
DE FRANCE. روق
»
,,
ور
ود
1
» roît toujours avoir tort ; l'autre toujours
raifon ; & il fe trouve à la fin que le
» premier est un honnête- homme , & l'au-
» tre un fripon ; mais l'un , plein de la candeur
& de l'étourderie de la jeuneffe ,
» commet toutes les fautes qui peuvent
prévenir contre lui la vertu même , fufceptible
de fe laiffer tromper ; l'autre ,
toujours maître de lui , fe fert de fes vices
» avec tant d'adreffe , qu'il fait en même-
» tems noircir l'innocence , & en impofer
» à la vertu. L'un n'a que des défauts , il
» les montre , & donne des avantages fur
» lui ; l'autre a des vices ; il les cache, & ne
» fait le mal qu'avec fûreté. Ce contrafte
» eft l'hiftoire de la fociété, & l'on n'a jamais,
» dans un Ouvrage d'imagination , dévelop
pé un plus beau fonds de morale , ni donné
une plus grande leçon.
ود
و و
و و
Et d'ailleurs , quelle diverfité de carac-
" tères , tous vrais , tous attachans ! La vertu
bienfaifante d'Alworthy , malheureufe-
» ment mêlée d'une trop grande facilité à
» fe lailler prévenir , la bonté naturelle
& brufque du gentilhomme Weſtern ,
fon amour pour la chaffe & pour fa fille ,
fa promptitude à fe facher & à s'appai-
» fer , fon averfion pour les Lords & pour
» les duels , fon goût pour les anciens airs
» de mufique , & la forte de refpect qu'il a
pour fa fæur , quoiqu'il la donne au diable
cent fois le jour , cette foeur fi ridi-
» cule avec fes prétentions à la politique &
و ر
35
Ciij
54 MERCURE
"3
à la fageffe , & fa gravité qui contrafte fi
plaifamment avec les boutades de Wef-
" tern ; cette Myladi Bellafton , qui retrace
» fi bien la noble effronterie & les foiblef-
» fes impérieufes des grandes Dames , quand
elles protégent de beaux garçons ; labonne
» Madame Miller , dont le coeur a deviné
ود
celui de Tom-Jones , & qui l'aime fi fran-
» chement ; M. Nichtingale , qui , comme
» tant d'autres , n'a befoin pour faire une
» bonne action que d'y être encouragé &
» Sophie , la charmante Sophie , dont l'a-
" mour eft fi vrai , fi tendre , fi courageux ;
" Sophie qui , comme toutes les ames bien
་
nées , n'en devient que meilleure en aimant ,'
» & doit à l'amour de montrer tout ce qu'el
» le a d'excellent ; enfin , juſqu'à la femme
de chambre d'Honora , & aux deux pédans
» Tuakum & Square , tous les perſonnages
» font des originaux fupérieurement tracés ,
» que vous connoiffez comme fi vous aviez
» vécu avec eux , que vous retrouvez tous
» les jours dans le monde , & que l'Auteur'
» peint , non par l'abondance des paroles
>> mais par la vérité des actions .
» Tom-Jones eft le Livre le mieux fait
» de l'Angleterre. Avec quel art le fil de
l'intrigue principale paffe à travers les évé-
» nemens épifodiques , fans que jamais on
le perde de vuc ! On n'y éprouve pas , il
» eft vrai , le grand effet de quelques fitua
» tions de Clariffe ; mais qui ne s'intéreffe
» pas aux amours de Tom-Jones & de SoDE
FRANCE.
23
و ر
phie ? Qui ne defire pas leur bonheur ?
» Comme le dénouement eft bien fufpendu
» & bien amené ! & quelle heureuſe variété
» de tons ! Quelle foule de peintures comi-
» ques , qui amufent le lecteur fans le refroidir
, & promenent fes yeux fur le tableau
du monde fans lui faire oublier les
perfonnages dont la deftinée doit l'occu-
» per ! »
»
"
D'après les citations réunies dans nos deux
Extraits , citations tirées des feuls Ouvrages
nouveaux de M. de la Harpe , on doit être
en état d'apprécier les jugemens de fes détracteurs.
Plus jaloux de le faire connoître
par fes propres écrits , que par des obfervations
générales , nous avons cru devoir le
montrer tel qu'il eft : ce que nous aurions
pu dire en fa faveur , auroit trop irrité fes
ennemis ; nos critiques mêmes n'auroient
rien appris à des Lecteurs qu'on a depuis
troplong-tems fatigués fur ce point. La feule
remarque que nous oferons nous permettre,
en cette circonſtance , c'eft que l'Auteur de
Warvic & de Mélanie , le Panégyrifte de Catinat
& de Fénélon , eft un des meilleurs
Écrivains qui restent à notre Littérature chancelante.
Ceux même qui ont eu la fottife
de le reléguer dans la dernière claffe des
gens de Lettres , portent chaque jour l'inconféquence
& la partialité jufqu'à préſenter
à l'admiration publique des Ouvrages trèsinférieurs
aux derniers des fiens. Le grand
Civ
56 MERCURE
défaut de M. de la Harpe eft d'être né avee
un goût fort févère , & une franchiſe trop
courageufe pour un fiècle tel que le nôtre ;
& le plus grand de fes torts , eft d'avoir eu
trop fouvent raifon dans fes critiques Littéraires.
Une multitude d'Écrivains médiocres
, une multitude encore plus nombreuſe
d'Écrivains déteftables , fe font armés contre
lui , parce qu'il a fu les juger , comme
les jugeroit la poftérité , fi par quelque
heureux hafard les monumens de leur plume
échappoient aux ravages du tems.
5. On avertit dans un avis particulier , ceux
qui acquerront cette Edition , que tous les
Ouvrages de l'Auteur qui pourront être imprimés
par la fui e , feront imprimés dans
le même format , de manière à faire fuite
aux volumes précédens.
Nouvelles Obfervations fur l'Angleterre , par
Mun Koyageur.Vol. in- 12 . Prix 2 liv. 8f. ,
chez la Veuve Duchefne , rue Saint -Jacques.
Ce Voyageur éclairé s'attache particulièrement
à faire connoître l'efprit & le caractère
national des Anglois. Il le découvre
par-tout. 1 ° . Dans la propreté des rues de
Londres. 2. Dans la fûreté des gens à pied ,
contre les dangers des embarras & des voitures
, par le moyen des trotoirs. 3°. Dans
la difperfion de la lumière pour éclairer la
1 '57
DE FRANCE.
nuit, 4. Dans la diftribution de l'eau pour
chaque maifon par une infinité de canaux.
15 Dans la conftruction , la folidité , &
l'entretien des grands chemins fans charger
le peuple. 69. Dans le fytême des poftes.
7. Dans la tranquillité du Voyageur , qui ,
après avoir effuyé une feule vifite dans le
Port où il aborde , peut parcourir tout le
Royaume fans répondre à aucun Bureau .
8 Dans la multiplicité & la falubrité des
Hôpitaux, 9. Dans les moyens qu'on emxploie
pour faire difparoître la mendicité.
fo . Dans un grand nombre de fociétés de
bienfaifance qui en répandant leurs dons
pour la profpérité publique , foulagent le
tréfor de l'Etat. 119. Dans le zèle affez commun
des Particuliers , qui fans former de
fociétés & fans invitation , confacrent une
partie de leur fortune à des établiffemens
utiles pour les Arts & les Sciences painfi
que pour les chofes de pure décoration &
d'agrément. 12º . Dans l'humanité qui fe
joint à la Juſtice à l'égard de la pourfuite des
criminels , des prifons & exécutions. Enfin
dans les moyens que l'Angleterre metren
ufage pour étendre & fortifier cet efprit national,
2ɔb su10010,
3
3
Le Voyageur , après avoir montré l'efprit
public fous fes différentes formes , place
dans ce grand, tableau , les féances du Parlement
qui l'ont vivement intéreffe : les Eledtions
Municipales pour les Magiftratures : les
combats trop fréquens entre le Trône & la
C v
1.8 MERCURE
liberté nationale : la force des Loix : les idées
Angloifes fur la Royauté , & les bornes qui
la limitent un Pays fans Maréchauffée ou
autres Agens de Police ; & néanmoins fans
affallinats : une Ville immenfe où toutes les
Religions exercent leur culte fans aigreur &
fans vice les progrès furprenans de l'Agriculture
: l'aifance généralement répandue
dans les Campagnes : la grandeur du Commerce
: les forces de la Marine guerrière , &
les moyens qu'elle emploie pour la confervation
des gens de mer : le goût des jardins
Anglois, & l'efquiffe de quelques- uns des plus
célèbres : la defcription des Maifons Royales
, & la façon dont le Roi tient fa Cour :
un coup d'oeil rapide fur les Arts & les
Sciences : une idée générale des moeurs & du
caractère national. Enfin , la traduction fidelle
de cinq Difcours prononcés par un Orateur
célébre dans la Chambre des Communes à
l'occafion de la guerre préfente de la Métropole
avec fes Colonies.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
LE Jeudi 15 Août on a donné pour la premièrefois
, la Buona Figliola Maritata , ou
la bonne fille mariée , Opéra bouffon en
trois Actes , muſique de M. Piccini.
DE FRANCE.
59
On a fauffeinent attribué cet Ouvrages
M. Goldoni , Auteur de la Bonne - Fitle ,
reprefentée il y a quelque- tems fur le même
Theatre avec beaucoup de fuccès. Malgré les
facrifices que le Poëte eft fans ceffe obligé
de faire au Muficien , on remarque dans la
Bonne-Fille une marche , des fituations ,
des Scènes qui annoncent la connoiffance du
Théâtre ; mais dans le nouvel Opéra bouffon
, les convenances théâtrales & les plus
fimples notions du bon fens font bleffees à
tout moment ; & la baffeffe & l'extrava
gance des perfonnages fout également révoltantes
.
La mufique a été très- goûtée & applaudie
avec tranfport , principalement le dernier
morceau de la finale du fecond Acte , que
le Public a redemandé avec acclamation , &
qu'on a exécuté une feconde fois.
Le même jourle Signor Poggi, & la Signora
Poggi , fa foeur , ont débuté ; le premier ,
par le rôle de Colonel , & la feconde , par
celui de la Bonne-Fille. La Signora Poggi
joint à un bel organe beaucoup de goût , de
précifion & de méthode; mais elle manque
de légèreté. Son jeu eft froid & embarraffé ,
ſa contenance mal affurée , & fa phyfionomie
dénuée d'expreffion ; peut-être faut- il
attribuer tout ces défauts à l'inquiétude inféparable
d'un début , fur- tout quand il eft
fait fur le Théâtre d'une Nation qu'on ne
connoît point encore.
Le rôle que remplit le Signor Poggi eft
Cvj
60 MERCURE
trop peu avantageux au Chanteur & à l'Acteur
, pour que nous difions rien de fon ta→
lent ; nous en parlerons quand nous l'aurons
vu dans un autre rôle.
Le Mardi 20 Avril , on a donné la première
repréſentation du Devin de Village , avec
quelques morceaux de Mufique refaits par
feu J. J. Rouffeau , & une nouvelle ouverture
dont il n'eft point l'Auteur.
Cette tentative n'a pas réuffi ; elle étoit
en elle - même affez étrange . Il faut être
bien sûr de faire mieux pour fe flatter de
faire oublier une Mufique que , depuis trente
ans , tout le monde fait par coeur . Peut- être
les étrangers ne la trouvent - ils pas affez riche
& affez variée ; mais elle eft d'une fimplicité
gracieufe & d'un caractère aimable ; elle a
fur-tout un grand mérite aux yeux des
hommes fenfibles , c'eft un accord très -rare
entre le chant & les paroles. Les nouveaux
airs fubftitués aux anciens ont paru généralement
très -inférieurs à ces derniers , & il a
fallu , à la repréſentation fuivante , revenir à
l'ancienne Mufique.
༄ " 33 } , 2 }).
1
PAL
Sham bobo al angsh
DE FRANCE. 61
COMÉDIE ITALIENNE..
LE Compliment de rentrée , compoſé de
quelques couplets en dialogue , étoit , felon
Pufage , de la compofition de M. Anfeaume ,
& a paru faire plaifir, Cn a donné le Mercredi
fuivant une repréfentation de la Colonie
, dans laquelle M. d'Orfonville , nouvellement
reçu au nombre des Comédiens
du Roi , a chanté le rôle de Fontalbe. Le-
Public, charmé de la pureté de fon chant & de
la beauté de fon organe, l'a vivement applaudi
dans tout le cours de fon rôle ; & lorfqu'il eft .
venu annoncer , les Spectateurs ont paru ,
På fépar
des battemens de mains réitérés , le
liciter de fa réception . On fait combien
Mde Dugazon met de grâces & de fineffe
dans le rôle de Marine , la perfection du jeu
ne fauroit aller plus loin ; & dans la partie:
du chant , cette charmante Actrice fait tous .
les jours de nouveaux progrès , qui doivent ,
la rendre de plus en plus chère au Public .
Mlle Colombe & M. Narbonne ont foutenu |
la réputation qu'ils ont acquife ; l'un dans le
rôle de Blaife , & l'autre dans celui de Bélinde.
En genéral cette Pièce eft un chefd'oeuvre
de repréſentation , ainfi que de mufique.
La première nouveauté qu'on ait vue à ce
Théâtre depuis la rentrée , eft une Comédie
62 MERCURE
en trois Actes & en vers , intitulée Rofe &
Carloman. Carloman eft un Chevalier Fran→
çois amoureux de Rofe , fille d'un autre
Chevalier. Il a pour rival Rodolphe , repréfenté
comme le plus grand fanfaron du
pays. Tous deux doivent fe battre , & Rofe
doit être le prix du vainqueur ; telles font du
moins les conditions qu'impofe le père ,
qui fait préparer le champ clos & élever un
amphithéâtre pour les Spectateurs ; mais au
moment d'entrer en lice , on apprend que
Rofe a été enlevée par Rodolphe , qui a
trouvé plus court de s'en emparer que de
combattre pour elle . Un moment après
elle eft ramenée , comme on s'y attend bien ,
par Carloman ; elle épouſe fon libérateur , &
l'on finit par danfer au lieu de fe battre.
Cette Pièce , abfolument dénuée d'intérêt ,
n'a point eu de fuccès , & la Mufique n'en
a eu qu'un très-médiocre. Ce n'eft pas qu'elle
n'ait paru d'un bon ftyle & qu'on n'ait applaudi
une jolie ouverture & quelques airs
agréables ; mais on trouve par- tout des réminifcences
, & point de caractère. A l'égard
des paroles, on avoit imaginé d'annoncer,,apparemment
comme une nouveauté piquante,
qu'elle étoit écrite en ftyle Gaulois. Il feroit
en effet affez fingulier de nous faire entendre
fur le Théâtre au dix - huitième ſiècle , le
jargon du douzième que perfonne ne comprendroit
; mais on s'eft raffuré quand on a
vu , qu'excepté quatre ou cinq mots , chevance
, émoi , defirier , &c. & le retrancheDE
FRANCE. 63
ment des pronoms toi , moi ,
vous s nous ,
&c. tout le refte étoit abfolument e: langage
ordinaire , c'eft- à- dire, en affez mauvais-
François.
ACADÉMIE S.
L'ACADÉMIE ' ACADÉMIE des Sciences a tenu fa Séance publique
le Mercredi 14 Avril . Le Secrétaire a ou
vert la Séance , en annonçant que le Prix proposé en
1779 , fur la Théorie des Machines fimples , en
ayant égard à la réfiftance des frottemens & à la
roideur des cordages , avoit été remis à l'année
1781. Il a lu enfuite l'Éloge de M. de Linné , Affocié
étranger .
M. Leroi a lu un Mémoire de M. Franklin , fur
la caufe des Aurores boréales. M. Meffier , un Mémoire
fur la Comète de 1779. M. le Comte de
Milly ,un Mémoire fur la conftruction d'une Aiguille
aimantée inaltérable dans les acides , & les moyens
d'en corriger la variation diurne. M. Portal , un
Mémoire fur les Glandes Bronchiques , dont l'engorgement
eft la caufe d'une efpèce de Phthifies pulmonaires,
M. Sabatier , un Mémoire fur le Canal
Thorachique dans l'homme . M. Cornette , un Mé
moire fur la décompofition des Sels Vitrioliques &
Nitreux à bafe métallique par l'acide marin. M. Morand
, des Réflexions fur la Population de Paris &
du Royaume. M. Jeaurat fe propofoit de lire un
Mémoire fur la conftellation des Pleiades.
“ ས་ ,
PRIX de l'année 1781 .
L'Académie avoit proposé pour fujet du Prix de
1779 , de donner la Théorie des Machines fimples
64
1
MERCURE
"
“
en ayant égard au frottement de leurs parties , & à
la roideur des cordages : elle avoit exigé de plus ,
1° . que les loix du frottement , & l'examen de l'effet
réfaltant de la roideur des cordages , fuffent déterminés
d'après des expériences nouvelles , & faites en
grand. 2 ° . Que les expériences fa fent applicables aux
Machines ufitées dans la Marine, telles que la Poulie,
le Cabeftan , & le Plan incliné.
Plufieurs des Pièces qui ont été préfentées au Contours
, renferment des recherches eftimables. L'Aca-
Hémie a diftingué la Pièce No. I , qui a pour
Devile :
45 3
Vivendum
Qua ratione fiant , & quâ vì quæque gerantur.
La Pièce N , II , qui a pour Devife :
Sunt aliquot quoque res , quare unam dicere caufam
Non faris eft .
Enfin la Pièce No. III , qui a pour Devife :
Experientia & ratione,
164
Le No. II . Sunt aliquot quoque res , &c. eft furtout
recommandable par la multiplicité & le choix
des expériences , & par la fagacité avec laquelle elles
ont été faites . L'Académie auroit feulement defiré
qu'elles euffent été faites plus en grand , & que l'application
de ces Expériences à la Théorie des Ma.
chines , fut plus développée , ainfi que le Progranime
l'exige.
En général , il lui a paru que dans ces différentes
Pièces , les Auteurs ne s'étoient pas fuffisamment attachés
à remplir , d'une manière utile pour la pratique
( ce qui eft le but principal de la queſtion ) les
divers objets énoncés dans le Programme.
L'Académie donc pouvoir exiger de nouvelles
recherches fur ce fujet , qu'elle propofe encore
DE FRANCE. 65
pour l'année 1781. Elle invite les Auteurs qui ont
concouru à perfectionner leurs ouvrages , & en
général tous les Savans de l'Europe à s'exercer fur
la queftion propofée ; mais elle déclare de nouveau ,
comme elle a déjà fait dans le Programme de 1777 ,
que le Prix ne fera point accordé aux Pièces qui ne
contiendroient qu'une théorie purement mathématique
& abftraite , ou même qu'une théorie fondée fur des
expériences déjà connues.
'"'
Le Prix fondé par feu M. Rouillé de Melai , Con
feiller au Parlement , fera double , c'eſt -à - dire , de
4000 liv . Les Pièces feront écrites en François on
en Latin , & adreffées au Secrétaire de l'Académie ;
elles ne feront admifes au concours que jufqu'au
premier de Septembre 1780. Les Auteurs n'y mettront
pas leurs noms , mais feulement une Devife , &
ils y joindront un billet cacheté qui portera la même
Devife , & renfermera leur nom. Le Prix fera délivré
le Tréforier de l'Académie , foit à l'Autcur même ,
foit à celui qui fe préfentera , ou avec la procuration
de l'Auteur , ou avec un récépiffé du Secrétaire de
l'Académie.
par
VARIÉTÉ S.
་ ་ , ་ ,
LETTRE au Rédacteur du Mercure, fur la
nouvelle découverte de l'Air fixe.
MONSIEUR,
- Les Chimiftes de l'Académie des Sciences , qui
fe difputent aujourd'hui l'honneur d'une des plus
fingulières découvertes , concernant l'Air fixe , ignorent
fûrement le fait dont je vais vous fafaire part. Je
l'ai tranfcrit de la première Édition in-4 ° . de la
66. MERCURE
4
Differtation de M. de Sauvages , qui a été imprimée à
Bordeaux en 1754 , chez la Veuve Pierre Brun.
Cette Differtation , dans laquelle M. de Sauvages
recherche comment l'air, fuivant fes différentes qualités
, agit fur le corps humain , a remporté le prix
au jugement de l'Académie Royale des Belles-Lettres ,
Sciences & Arts.
Ce Médecin , en parlant des Moufettes , s'exprime
ainfi , page 52 & fuivantes , paragraphe 158 .
« Non-feulement on trouve de ces vapeurs ap-
» pelées Pouffe ou Moufettes , dans tous les endroits
fouterrains exactement fermés , & qui ne font
point pavés ; mais encore en plein air , comme à
la grotte du Chien près de Naples , à Perraul
près de Montpellier , auprès de Toulouſe , au
afond des mines profondes , &c.
02
Si l'on met deux tonneaux défoncés fur un
tertein où il y a une Moufette
pour en ramaffer
la vapeur , elle s'y élève peu à peu à quelques
» pieds de hauteur. Cette vapeur fe diftingue à la
a vue par un peu moins de tranfparence que l'air or
dinaire ; des expériences chimiques y font dé
couvrir un peu d'acidité : l'odeur n'eft pas fen-
» fible.
33
» §. 159. Si on prend de certe vapeur dans une
» bouteille à large goulot , elle s'évapore aifément ;
» mais en bouchant la bouteille on la conferve tant
qu'on veut ; on la verfe d'une bouteille dans une
>> autre fans voir rien couler ; mais on la reconnoît
" par l'extinction des chandelles qu'on expofe à
>> fon courant. On voit qu'elle occupe le fond de la
o bouteille , parce qu'il faut porter les chandelles.
jufques- là pour les éteindre , quand la bouteille a
5. été quelques - temps débouchée ».
53
30
Je fuis , &c.
DE FRANCE. 67
SCIENCES ET ARTS.
CHIMI E.
EXTRAIT d'un Mémoire lu à la Séance
publique de l'Académie Royale des Sciences,
du Mercredi 6 Avril 1779 , fur une Aiguille
de bouffole indeftructible par l'action
des Acides , &fur un moyen de diminuer la
variation de l'Aiguille aimantée ; par M. le
Comte DE MILLY, Membre de cette
Académie.
L'AUTEUR de ce Mémoire fait voir dans fon
préambule que l'étude des Sciences & la culture
des Arts , eft ce qui eft le plus digne de l'homme ,
puifque ce font là les fources de fa prééminence
phyfique fur les animaux , & de la puiffance qu'il
exerce fur les élémens , & , pour ainfi dire fur toute
la nature ; mais felon lui , l'aptitude feule à l'étude
ne fuffit pas , il faut encore le difcernement & le
jugement néceffaires pour la diriger vers l'utilité &
Fagrément, le refte n'eft que futilité . « Mais fouvent
22
les fpéculations qui paroiffent les plus frivoles
» dans leurs principes , peuvent devenir par la fuite,
entre des mains habiles , des plus intéreſſantes . La
» vertu de l'aimant & l'électricité n'ont été longtems
que des objets d'amufement. La première
a été appliquée à la navigation ; la feconde nous
a fait connoître la nature du tonnerre , & a fervi
, comme le dit l'Auteur au célèbre Franklin ,
» d'échelle pour s'élever dans les nues , & y prendre
"
68 MERCURE
» le feu du Ciel , le diriger à fa volonté & nous
garantir de fes ravages »,
သ
M. de M *** . a foin d'avertir, que les expériences
dont il s'eft proposé d'entretenir le public ,
ne font pas à beaucoup près auifi intéreffantes , mais
il les donne comme un exemple du parti qu'on peut
tirer d'une chofe qui paroît in différente , lorsqu'on
prend l'utilité pour le but de fes travaux & de fes
Ipéculations.
Les fentimens divers qui partagent encore les
Phyficiens & les Chimiftes , fur la nature de la platine
, engagèrent M. de Milly il y a quelques années
, de travailler fur ce métal fingulier ; & n'en
ayant pas eu affez pour pouvoir l'analyfer , il prit
la voie de la fynthefe , & il tâcha d'imiter le métal
qu'il ne pouvoit pas décompofer à fon gié.
Voici comme l'Auteur s'exprime : « Dans le grand
nombre d'alliages que je fis pour parvenir à mon
but, j'obtins un métal factice qui avoit les propriétés
so magnétiques , & fur-tout celle de fe diriger vers
les poles du monde. Je rendis compte de mon
travail à l'Académie & au public, dans un Mémoire
que je lus à la rentrée de Pâques de l'année
17779; mais je ne parlai que très - fuccinctement
des propriétés de mon alliage & de l'application
qu'on pouvoit en faire ; ce feront elles
qui feront aujourd'hui le fuj.t de ce nouveau
Mémoire, que je terminerai par une conjecture
fur la caufe des variations diurnes de l'aiguille
aimantée , & le moyen d'y remédier,
»
30
29
La brieveté du tems confacré à une féance publique,
& le dégoût que les détails, qui ne font intéreffans
que pour les Savans & les Artiftes , occafionnent
toujours au public , a fait que l'Auteur n'a préfenté
dans fon Mémoire que le résultat général de fes
expériences , & l'application qu'il en a faite à un objet
d'utilité : a favoir , des aiguilles de bouffoles inDE
FRANCE. 69
ל כ
· deftructibles dans les acides purs les plus forts,
» tels que l'huile de vitriol , l'eau- forte , l'efprit
dé fel , le vinaigre , &c. ; & qui par conféquent
ne peuvent pas être attaquées par l'action de l'air
» ✰ de l'humidité ; ce qui eft d'autant plus avan
» tageux que l'on a obfervé que la rouille à la-
» quelle le fer & l'acier font fujets , fur-tout fur
mer & dans les ports , détruit la vertu magné
≫ tique.
20
33
M. le Comte de Milly dit dans fon Mémoire
que les aiguilles qui font faites avec fon mé-
» tal , fans être autfi fenfibles aux impreffions du
fer qui fe trouve dans leur voifinage , que les
aiguilles de bouffoles ordinaires , ont cependant
» comme elles la vertu de fe diriger conftamment
se vers les poles du monde ; ainfi leur peu de fenfibilité
, ajoute - t-il , pour les corps magnétiques
qui les environnent , loin d'être regardée comme
» un défaut , ne feroit-elle pas au contraire une
qualité recommandable pour l'ufage qu'on peut
en faire fur mer ? » Il fonde cette affertion fur
ce que la trop grande fenfibilité dans une aiguille
de bouffole la fait décliner à l'approche du plus petit
corps magnétique , tels que les clous & la ferraille
qui fe trouvent toujours en abondance dans un
vaiffeau . En effet, une aiguille de bouffole qui ne
feroit mue que par la caufe générale qui la fait
tourner vers les poles du monde , feront préférable,
pour la navigation , à celles qui cèdent à la puiffance
du plus petit corps magnétique qui fe trouve pla
375
* Il faut que l'eau- forte ou l'efprit de fel foient bien
purs ; car pour peu qu'ils fuffent mélangés , ils formeroient
de l'eau régale , qui eft le feul diffolvant du nowycaŭ
métál,
70 MERCURE
cé dans leur voifinage , & qui les font décliner de
leur direction naturelle.
La nouvelle compofition métallique a , fuivant
l'Auteur , les propriétés magnétiques des aiguilles
ordinaires de bouffole , fans en avoir les inconvéniens
, c'est - à -dire , que les aiguilles qui en font
faites fe dirigent vers les poles , fans être auffi fufceptibles
à l'action magnétique des corps environ
nans , & elles ne font point fujettes à la rouille , ni
perdre leur vertu directrice . Le barreau du métal
dont M. de Milly a formé l'aiguille qui fait le fujet
de fon Mémoire « a été fufpendu par un cheveu
»
;
pendant deux ans en plein air , pour lui donner
» la facilité de s'orienter , & pour obferver s'il con
» fervoit la vertu magnétique ; c'eft après ce laps
» de tems qu'il en a fait faire une aiguille de bouffole.
» Les matières principales qui compofent ce més
» tal , font l'or & un fable ferrugineux , femblable
à celui qu'on trouve mêlé avec la platine , lequel
eft très- attirable à l'aimant, indiffoluble dans tous
» les acides fimples ou compofés , les plus forts , &
qui eft infufible au plus grand feu , lorſqu'on l'y
expofe feul ».
לכ
CC
L'Auteur donne enfuite une idée de ce qu'on
appelle déclinaiſon , relativement à la bouffole : C'eft
l'effet , dit-il , d'une cauſe inconnue qui a échappé
aux recherches des plus habiles Phyficiens , qui
»› fait que les aiguilles aimantées ne fe dirigent
» prefque jamais vers les poles du monde , mais
33
qu'elles s'en écartent ordinairement , tantôt vers
» l'eft , tantôt vers l'oueft ; cette déclinaiſon non-
» feulement varie fur les différens points du globe ,
>> mais encore dans les mêmes lieux en différens
tems , & fouvent dans le même jour & dans la
même heure »».
L'Auteur croit que ces variations tiennent au
DE FRANCE. 71
différens degrés de l'électricité de l'air ; il a remar
qué , dit-il , a que dans les jours fecs & où l'élec-
» tricité eft abondante , les variations font plus fenfibles
» ; & il propofe pour les éviter , d'ifoler
l'aiguille de la bouffole autant qu'il eft poffibles
pour cet effet il fe fert d'un moyen très-facile , c'eſt
de faire enduire le dedans de la bouffole de plufieurs
couches de vernis de gomme - lacque ou de
cire d'Espagne , qui étant idioélectrique , empêche la
communication de l'électricité de l'air avec l'aiguille
magnétique ; outre cet appareil il pofe la boîte fur
un plateau de verre, qu'il fait auffi vernir pour empêcher
l'humidité de s'y attacher & de le rendre
conducteur. L'Auteur a foin d'avertir le public qu'il
ne donne fon fentiment fur la caufe des variations
de l'aiguille aimantée & le moyen de les empêcher ,
que comme des vraisemblances , & non comme
des vérités démontrées , parce qu'il n'a pas une fuite
d'obſervations affez nombreufe pour affurer fon
fentiment. L'unique but qu'il s'eft propofé dans fon
Mémoire eft , dit-il , « de faire connoître la vertu
22
و د
magnétique d'un alliage d'or & d'une fubftance
» martiale que perfonne n'avoit encore foupçonné
devoir fe diriger conftamment vers les poles du
monde , comme les aimans factices ou naturels.
La boîte de la bouffole que M. le Comte de
Milly a mile fous les yeux du public , eft mobile
fur un plan carré , & tourne fur un pivôt placé au
centre d'un cercle tracé fur le plan , lequel cercle
eft partagé en quatre parties égales , qui font ellesmêmes
divifées en quatre-vingt-dix degrés ; un index
fixé à la bafe de la boîte , fert à la faire mouvoir
& à la diriger fuivant la méridienne , qui doit
être repréſentée par une règle contre laquelle on
appuie un des côtés du plan carré qui fert de bafe
à la bouffole , ce qui donne la facilité d'obferver
les variations de l'aiguille .
72 MERCURE
M. de Milly termine fon Mémoire par une maxime
incontestable , en difant : « que l'utilité doit
être le feul but que les Savans & ceux qui cultivent
les Arts , doivent fe propofer dans leurs
recherches.
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en deux Actes & en profe . A Paris , chez Monory ,
Libraire , rue de la Comédie Françoife . Prix , 1 liv.
fols,
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 20 Mars.
LES bons offices de la France ont préva. "
lu ; la paix avec la Ruffie que des apparences
faifoient croire encore éloignée , il y a quel
ques jours , vient enfin d'être conclue. Nous la
regardons comme l'ouvrage de M. le Comte
de Saint-Prieft , qui a fu applanir en quatre conférences
avec les Plénipotentiaires Turcs , toutes
les difficultés qui l'avoient retardée jufqu'àpréfent
; les Miniftres Ottomans accoutumés à
négocier avec lenteur , ont mis beaucoup d'activité
à l'exemple de l'Ambaffadeur de France ;
ils ont rendu compte de leur travail un jour plutôt
qu'ils ne l'avoient promis à M. de Saint-
Prieft , à un grand Divan convoqué exprès ,
& compofé de tous les gens de Loi , ayant le
Mufti à leur tête , du Grand -Vifir , des Beglierbeys
de Romélie & de Natolie , du Capitan-
Bacha , du Nidchangi- Bacha , de l'Aga
des Janniffaires à la tête des chefs de la Milice
des Généraux de Cavalerie , d'Artillerie , du
Grand -Tréforier , du Kiaya du Grand- Vifir &
des Intendans des vivres. Le traité n'eft pas
encore public ; fuivant ce qui en a tranfpiré
la Porte confent à l'indépendance de la Crimée
que les troupes Ruffes évacueront ; elle recon-
Mai 1779.
D
7
( 74 )
noit le Chan Sahin- Guéray ; la libre navigation
de la mer Noire eft affurée à la Ruffie ; mais
pour couper racine à tout différend de l'efpèce
de ceux qui fe font élevés à ce fujet , la grandeur
des bâtimens fera définitivement fixée.
» Aly-Méhemet-Kan , Gouverneur de Baffora
, écrit-on de Gein à des Négocians d'Alep ,
étant parti avec 6000 hommes pour aller atta
quer les Arabes , traverfa la Méfopotamie , &
rencontra près de Corna les Arabes de Mentifick
, qui le 11 Septembre dernier , lui tuèrent
5600 hommes ; il fe noya lui-même dans
l'Euphrate ; le refte de fa troupe trouva le
moyen de fe fauver & de revenir à Baffora ;
les Arabes le pourfuivirent jufqu'auprès de cette
Ville ; mais ils fe contentèrent de piller les environs
, & fe retirèrent le 10 Octobre fans at
taquer la place qui eft défendue par Scheek-
Berket & Kiab , Prince tributaire de Perfe «.
Le 17 de ce mois , une des Sultanes encein
tes eft accouchée d'un Prince , qui a été nommé
Soliman.
RUSSIE. NAR
De PETERSBOURG , le 30 Mars.
7
L'IMPERATRICE par un Refcript adreffé au
Sénat dirigeant , le 15 de ce mois , a permis
l'exportation des grains du port de Nerva ,
comme de ceux de Pétersbourg & d'Archan
gel ; mais elle en a fixé la quantité à so mille
tfchetwerz par an , & en a excepté le froment.
S. M. I. a auffi arrêté un nouvel état de dépenfes
pour le département des affaires Etrangères .
Elle affigne , 1 ° . au département des expéditions
fecrettes 84800 roubles par an ; 2 °. a celui
des expéditions publiques 18160. 3º , Au
Collége étranger & des archives à Mofcou
8870. 4 ° . Aux Officiers , Bas-Officiers , Huif(
75 )
fiers & Soldats du département 3850. 5°. Pour
les dépenses
extraordinaires 42,000 . 6 °. Pour
les apointemens des Miniftres dans les Cours
étrangères , & pour les apointemens de leurs
Secrétaires & Interprètes 277,983 . 79. Pour la
perte fur le change & autres , frais à l'occafion
des remiſes à faire , auxdits Miniftres & leurs
Secrétaires 50,000. 8 ° . Pour l'entretien des
Prêtres & des Chapelles chez lefdits Minif
tres 17,300. La fomme totale de ces différens
articles monte à 532,963 roubles , dont le comptoir
d'Etat fournira
annuellement 515,663 , &
celui de commerce fur les biens Eccléfiaftiques
17,300. Ce même règlement fixe les appointemens
du Chancelier à 7000 roubles , fans
compter ce qu'on lui donne pour fa table , qui
eft porté à 12000. Les apointemens du Vice-
Chancelier font de 6000 roubles , & fa table qui
n'étoit que de 4000 , eft portée à 6000 .
DANEMARCK.
De
COPENHAGUE, les Avril.
L'EXPLOSION du magafin à poudre qui a
fauté le 31 du mois dernier , a fait beaucoup de
mal ; le quartier de la Ville neuve , habité par
des Matelots , & celui
d'Amalienbourg , ont
été fort endommagés . La vieille Ville & le
Château Royal , on: auffi un peu fouffert. Plufieurs
maifons ont été ruinées , & un grand
nombre de citoyens fe trouvent privés d'habitations
Heureufement pour eux , le , tems eft
extrémement doux pour la faifon . Le Gouvernement
s'eft empreffé de venir à leur fecours.
Pour faciliter les
réparations , il a été permis
aux ouvriers de travailler pendant les fêtes à
celles qui regardent
l'extérieur des maifons
; pour celles de l'intérieur , ils cefferont
toure
t
D 2
( 76 )
A.
leur travail le matin , depuis 9 jufqu'à 11 heu
res , & l'après midi depuis 2 jufqu'à 4. Il a été
défendu aux marchands de briques & de vitres
d'en refufer à ceux qui en auront befoin , ou
d'en hauffer le prix. On n'a pas eu befoin de
donner un pareil ordre aux propriétaires des
fours à chaux , qui fe font empreflés d'offrir un
rabais de 3 marcs par tonne fur le prix de la
chaux . Ceux d'une fabrique particulière en ont
offert 3000 aux citoyens mal - aifés , au prix que
leur a coûté la matière , fans compter la main
d'oeuvre . Cet évènement malheureux va faire
changer de place tous les magaſins de poudre ;
on les tranfportera dans des endroits convenables
, & affez loin de la Capitale pour qu'elle
'ne foit plus expofée à de femblables défaftres.
Il y a environ un an que les huffards de l'efcadron
qui fe trouvoient en garnifon à Roofkilde
, fe revoltèrent contre leurs Officiers ;
on les arrêta fur-le-champ , & on les conduifit
dans les prifons de cette capitale . Suivant la
Sentence qui vient d'être rendue contr'eux ,
un feul fera puni de mort ; c'eft le chef de la
révolte. Trois autres font condamnés aux travaux
publics pour le refte de leur vie ; & fept
après avoir paffé par les baguettes , feront repartis
avec 32 autres dans différens régimens
d'infanterie,
SUÈDE .
De STOCKHOLM , les Avril.
LL. MM . font de retour d'Ulrichfthal dans
cette Capitale , depuis le 29 du mois dernier ;
il paroît décidé que le Duc de Sudermanie ,
grand-Amiral du Royaume , commandera fous
le nom de Comte de Rofenberg , l'efcadre def
tinée à protéger notre commerce , & on affure
que leRoi fe rendra à Carlfcroon pour pren
( 77 )
dre infpection de cette efcadre . Une divifion
ayant à bord des détachemens des régimens de
Cronsberg & de Calmar , infanterie , fera détachée
vers Gothenbourg . Comme fuivant l'inf
titution du Roi Charles XI . le Gouvernement
a toujours 10 à 12,000 matelots qui font entretenus
par les payfans , la difette des gens de
mer , ne met pas obftacle à nos armemens ; &
l'expérience qui peut manquer à quelques - uns
s'acquiert bien-tôt par l'ufage .
Le fecond appendice de la dernière Diète ,
qui vient d'être imprimé , contient la répartition
des nouvelles impofitions perfonnelles établies
par les Ordres aſſemblés , afin de recueillir les
fommes accordées , tant à titre du préfent de
baptême que pour d'autres caufes , & cela pen
dant fept ans confécutifs , à commencer de
l'année 1779 , jufques & compris l'année 1785 .
Suivant cette répartition , tous les habitans du
Royaume au-deflus de 15 ans , font , fans aucune
exception de fexe ni de condition , divifés par
claffes , dont la première , contenant les Sénateurs
, eft taxée à une contribution annuelle de
2 rixdhalers , & ainfi fucceffivement en defcendant
; la claffe des Ouvriers à 5 & à 4 fchelings
par tête , & la dernière , compofée de fimples
Soldats & de Matelots , à 2 fchelings . Cependant
eu égard à la remife des fix tonnes d'or
fur le préfent de baptême accordé par les Etats
au Prince Royal , S. M. par une Ordonnance
particulière , a trouvé bon d'affranchir entièrement
de cette contribution les Soldats & Matelots
, & de porter à 3 fchelings celle de la
claffe des Ouvriers les moins opulens , ce qui
balancera à peu-près la diminution qu'opérera la
remife des fix tonnes d'or.
D3Y
( 78 )
ALLEMAGNE.
De
VIENNE , le 10 Avril.
M. de Haan , Confeiller de Cour , qui avoit
été chargé de rédiger le protocolle des interrogatoires
du Baron de Senkenberg , s'eft acquitté
de cet emploi à la fatisfaction de LL.
MM . II . & R. qui venoient de l'ennoblir.
La mère du Baron de Senkenberg , qui étoit
établie ici , vient de prendre le parti de fe re
tirer ailleurs. La difgrace que fon fils a effuyée
pour avoir fait connoître l'acte de renonciation
du Duc Albert d'Autriche , prouve combien il
avoit eu raifon d'exiger de la Cour de Munich
le plus grand fecret fur l'auteur de cette découverte.
On apprend d'Olmutz que le Baron Hyacin
the de Breton , Général d'infanterie , Commandant
de cette place , y eft mort le 24 du moiš
dernier, âgé de 84 ans. Cet Officier s'étoit
élevé par fon mérite & fes fervices du rang
de fimple foldat au grade de Général ; il y avoit
vingt ans , qu'il étoit chargé du commandement
de la fortereffe d'Olmutz , qu'il défendit en 1758
contre les Pruffiens .
Lors de la dernière levée des recrues , en
automne , l'Empereur ordonna d'enrôler plu
feurs perfonnes détenues pour leurs délits dans
les maifons de force & de correction ; il y avoit
parmi ces prifonniers , un Commis de l'Hôtel
de Ville , qui ayant volé quelques milliers de
florins qui lui avoient été confiés , s'étoit évadé ,
avoit été pris enfuite & condamné à être pendu.;
l'Impératrice avoit bien voulu commuer cette
peine en celle d'une prifon perpétuelle dans la
maifon de force militaire. Ce malheureux , qui
appartenoit à un honnête famille , fut compris
( 79 )
dans le nombre des recrues . On efpéroit que
la leçon qu'il avoit reçue le corrigeroit ; mais
à peine fut- il arrivé à l'armée , qu'il fit , avec
plufieurs fcélérats , de fa trempe , un complot
pour déferter ; ce complot fut découvert par
un de fes complices , & il est vraisemblable
qu'il lui coûtera la vie. L'Empereur a ordonné
qu'il fût tranfporté ici , pour y être jugé fuivant
la rigueur des Loix & pour fervir d'exemple .
De
HAMBOURG , le 10 Avril.
CE qui fe paffe à Tefchen eft toujours couvert
d'un voile impénétrable ; les Miniftres négocient
avec le plus grand fecret , & vraisemblablement
on n'apprendra rien de pofitif qu'au moment
où le Traité fera conclu & figné. Malgré les
craintes que la continuation des préparatifs hoftiles
infpirent à quelques spéculatifs , on eſpère
généralement que les négociations auront une
heureufe iffue. L'armiftice , qui avoit été déja
prolongé jufqu'au 16 de ce mois , vient de l'être .
encore jufqu'au 28. On ne doute pas que les
principales Puiffances ne foient d'accord , & que
les difficultés qui s'élèvent actuellement n'aient
pour unique objet l'accommodement de la Cour
de Saxe & de la Cour Palatine . Ce font des
intérêts à difcuter qui exigent néceffairement
du tems ; mais on eft perfuadé que c'eft le feul
point qui refte à régler , & qu'il ne peut manquer
de l'être bien-tôt.
On fe flatte d'apprendre bien-tôt la pacification
de l'Allemagne , comme on vient d'apprendre
celle de la Rufie & de la Turquie. C'eft
aux bons offices de la France que les deux Empires
doivent la fin de leurs longs différends .
Cette Puiffance , par une fingularité affez remarquable
, dans la combinaifon des affaires
actuelles , fe trouve avoir contribué à donner
D
4
( 80 )
la paix à la moitié du globe , tandis que fes liai
fons , avec l'Amérique-Septentrionale , occafionnent
dans l'autre moitié une guerre dans laquelle
elle eft engagée . Le feul vou qui reſteroit à
former , c'est que par une réciprocité de bons
offices , les Puiffances pacifiées s'employaffent
à leur tour à terminer les différends qui fubfiftent
entre elle & l'Angleterre , & à donner
ainfi la paix à tout le globe . Ce voeu fera fans
doute celui de tous les amis de l'humanité ; en
attendant qu'il fe réalife , les fpéculatifs remarquent
dans le nord des mouvemens qui femblent
prouver que l'Angleterre ne doit plus compter
fur cette déférence abfolue à fa fuprématie maritime
, à laquelle elle l'avoit accoutumé. Tous
les Etats commencent à fentir qu'il convient
que cette Puiffance , prépondérante fur mer ,
reprenne le rang que la nature & la politique
lui affignent dans le commerce général des deux
mondes. Dans cette circonftance , elle cherche
à refferrer fes liaiſons avec la Ruffie ; felon quelques
papiers publics , elle a obtenu la permiffion
de faire conftruire pour fon compte à Archangel
quelques frégates d'une espèce de bois
de fapin , connue dans le pays fous le nom de
Liftiwiana , qui croît dans les environs de la rivière
d'Onega , & qu'on eft actuellement occupé
à en conftruire trois ; on remarque que
cette permiffion eft d'autant plus extraordinaire
que juiqu'à préfent il n'a jamais été permis
d'exporter ce bois ni de l'employer à des ufages
particuliers , parce qu'il avoit toujours été
.deſtiné ainfi que le chêne de Cafan , pour la
conftruction des vaiffeaux de guerre Ruffes.
Cette faveur , fi elle a été réellement ac
cordée aux Anglois , ne prouve peut - être
rien autre chofe , finon que cette eſpèce de
bois eft très-abondante , que n'en ayant pas befoin
, on s'eft décidé à fe défaire avantageufe(
81 )
ment de quelques parties. Le moment actuel
feroit défirer à l'Angleterre des fecours plus
importans ; & il n'eft pas vraisemblable qu'elle
les obtienne après la paix fignée entre la Ruffie
& la Porte.
I
» Le 1 de ce mois , écrit- on de Jaegerndorf, il
ſe manifeſta ici un incendie qui comunença chez les
Frères Mineurs , fous le toît , près d'une cheminée ,
pendant que les troupes pruffiennes étoient forties
pour faire leurs exercices devant la porte de la ville.
Comme le toît étoit couvert de bardeaux , le feu fit
des progrès fi rapides , qu'il fe communiqua bientôt
aux maifons voisines. Le Lieutenant- général de
Stutterheim averti de ce malheur , détacha auſſi -tôt
de chaque bataillon 4 Officiers , 4 Bas- Officiers &
40 Soldats ; il s'y rendit lui- même pour donner les
ordres néceflaires ; mais les fecours furent inutiles ;
la plus grande partie de la Ville , ainfi que le Château
& 2 Eglifes , furent brûlées . On ne parvint à
fauver que 40 maifons & les Fauxbourgs. Le Roi
a ordonné de faire des recherches exactes pour favoir
comment le feu avoit pris ; la commiffion chargée
de ce foin , n'a pu rien découvrir ; elle notifia
aux Frères Mineurs & aux membres du Sénat , l'otdre
du Roi , les fommant de dire fans crainte ce
qu'ils favoient , de dénoncer même celui qui dans
les troupes du Roi pouvoit être foupçonné d'être
compliqué dans cette malheureuſe affaire , par malice
au par inadvertence. Il eſt reſulté de ces recherches
une affurance pofitive & unanime , qu'on ne
pouvoit foupçonner perfonne parmi les troupes du
Roi , d'avoir part directement ni indirectement à
cét accident «,
La Ville de Braunau en a effuyé un pareil
ces jours derniers : voici les détails qu'on en
mande , en date du 9 de ce mois.
» Avant-hier , vers les 7 heures du foir , il
furvint dans le couvent des peres Bénédictins de
cette Ville , un incendie fi violent qu'en moins
DS
( 82 )
de 10 minutes les flammes avoient gagné le
bâtiment entier , & qu'il n'étoit plus poffible
d'y entrer ni d'en fortir. Tout ce que l'on peut
mander pour le préfent de ce fàcheux évènement
, c'eft que tout le couvent avec les bâtimens
adjacens , ainfi qu'environ 20 maifons
d'un des fauxbourgs de la Ville ont été totalement
réduits en cendres : il eft certain que
fans la préfence du Général Comte d'Anhalt ,
les bonnes & promptes difpofitions qu'il fit ,
& fans le fecours du régiment de Pelkowsky
qui accourut pour arrêter les progrès du feu ,
toute la Ville eût été , en peu d'heures , convertie
en un monceau de ruines , vu le mauvais
ordre qui règne en pareil cas parmi les
bourgeois de cette Ville , aucun de ces derniers
ne s'étant montré dans les rues pour affifter
& porter du fecours dans un danger.
auffi imminent ; de forte que s'ils ont été préfervés
cette fois - ci de la ruine totale de leur
Ville , ils en font uniquement redevables aux
foins du Général Comte d'Anhalt , & à la bonne .
affiftance que leur a prêté la garnifon en cette
occafion c'eft auffi à quoi les Religieux du
Couvent , ainfi que tous les Eccléfiaſtiques qui
fe trouvent en cette Ville , n'ont pu refufer
leur témoignage ; ils ont en outre affirmé
unanimement , qu'on ne peut en aucune manière
imputer la caufe de cet incendie à aucun
des militaires dont la garnifon eft compofée
«.
De
RATISBONNE , le 15 Avril.
LA Diète à repris fes féances le 12 de ce
mois , après les vacances de Pâques ; jufqu'à
préfent elles ont été peu nombreuſes & peu
intéreffantes ; on ne s'occupe point dans fes affemblées
des grandes affaires de l'Allemagne ,
( 83 );
& les Miniftres fe contentent de lire chez eux les
mémoires que les prétendans à la fuccceffion de
Bavière ne ceffent de multiplier, & qui devroient
être plutôt portés à Tefchen qu'à là Diète . ·
" On vient d'apprendre , écrit - on de Cologne ,
que les habitans de Dierdorf , réfidence 'du Comte de
Wied - Runkel fe font foulevés à l'occafion d'une
permiffion que leur Seigneur a accordée aux Capucins
, de conftruire un Couvent à Dierdorf. On
y avoit publié & affiché un referit portant défenfe
à qui que ce foit d'empêcher la conftruction de ce
Couvent , & de s'oppofer à ce que le Comte avoit
accordé aux Capucins ; mais les habitans ont arra
ché le refcrit , & détruit le Couvent , dont une
partie étoit déjà bâtie , après en avoir chaffé les
Religieux. Le Comte a fait arrêter les chefs de la
révolte , mis le refte du bâtiment fous une forte.
garde de fes Troupes. La bourgeoifie , de fon côté ,
s'eft adreffée au Corps Evangélique pour obtenir
le redreffement de fes griefs contre fon Seigneur.
Au milieu du tumulte , on a remarqué que les Paf
teurs Proteftans ont fait tous leurs efforts pour
contenir le peuple & pour le faire rentrer dans fon
devoir ".
ANGLETERRE.
De LONDRES
1
te 20 Avril.
APRÈS une longue attente de recevoir des
nouvelles de l'Amérique-Septentrionale & des
Indes Occidentales ; on a enfin vu arriver de la
première de ces deux parties du théâtre de la
guerre , le Commodore Hyde Parker , & le
Lieutenant-Colonel Campbell , arrivés hier fun
le Phénix , on a débité auffi-tôt qu'il y a eu une
action très-vive fur les frontières de la Géorgie,
D : 6:
( 84 )
entre les troupes du Roi , commandées par le
Général Prevoft , & les Américains par le Général
Lincoln , dans laquelle on dit que ces derniers
ont été battus & forcés de fe réfugier dans
la Caroline ; que la Géorgie s'eft foumife , & a
prêté ferment de fidélité à S. M. B. ; que le
Général Prevolt , renforcé par une partie des
milices , qui ont pris parti fous fes drapeaux ,
fe difpofe à fubjuguer les deux Carolines & la
Virginie . Nous attendons la Gazette de la Cour
qui ne manquera pas de confirmer ce foir ces
nouvelles importantes , auxquelles le retour de
M. Campbell donne néceffairement quelque
poids ; on ne laiffe pas cependant d'être furpris
de l'avoir vu arriver au moment du triomphe ;
& qu'il ait préféré de venir annoncer la foumiffion
d'une Province à l'honneur de partager les
efforts qu'on va faire pour conquérir les autres.
Cette conquête , malgré les efpérances de la
Cour , ne paroit pas encore bien aflurée . Le
Général Prevoft auroit befoin d'un renfort ; &
felon les lettres particulières de New-York ,
le Général Clinton n'eft pas en état de lui en
envoyer aucun ; fa fituation lui rend néceffaires
le peu de troupes qu'il a ; il ne pourroit fe dégar
nir fans s'expofer au danger le plus évident. Les
autres nouvelles de cette partie du monde fe
réduisent à une gazette de New-Yorck , qui
rend compte de deux expéditions faites par des
détachemens du Général Clinton , fur la fin de
Février , à Elifabeth-Town dans le Jerfey ,fous :
la conduite du Lieutenant Colonel Stirling , &
l'autre dans le Connecticut fous celle du Général-
Major Tryon ; le fruit qu'on en a retiré ,
eft la deftruction de quelques vieux canons , &
le dégât d'une quantité de provifions que nos
troupes auroient eu befoin d'emporter , mais
qu'il étoit plus facile de détruire ...
( 85 )
La pofition des troupes Royales fur le Continent
, a fait fentir la néceffité de les renforcer
le plus promptement poffible ; on a regretté
d'en avoir détaché un corps auffi confidérable
fous les ordres du Général Grant pour les Antilles
, où elles font arrivées en effet heureufement
, mais où elles n'ont fait autre chofe que
s'emparer de Sainte - Lucie , où il en eft mort
beaucoup lors de l'attaque du Comte d'Estaing ,
& où l'infalubrité du climat les fait périr journellement
. On dit qu'on leur a expédié l'ordre .
de fe rembarquer pour retourner à New-Yorck,
& que c'eft le Capitaine Douglas qui a été char
gé de le porter. Il ne peut arriver qu'à la fin de
ce mois au plutôt à Sainte-Lucie ; & les lettres
qu'on a reçues , portent que le 24 Février , il y
avoit 1800 malades dont la vie étoit en danger
, & que tous les jours leur nombre augmentoit
; il fe pourroit qu'à la fin de ce
mois le Capitaine Douglas n'en retrouvât plus
beaucoup en état d'être reconduits à New.
Yorck.
Notre pofition en Europe n'eft pas moins inquiétante
que dans le Nouveau - Monde. Les
traintes que l'on avoit fur la déclaration de l'Ef.
pagne fe renouvellent avec plus de fureur ; le
Marquis d'Almodovar , dans un court intervalle,
a eu de fréquentes conférences avec nos Miniftres
; ceux qui fe prétendent inftruits de leur
objet , prétendent qu'il y étoit queftion ' d'un
accommodement avec la France ; mais que ces
négociations ont échoué comme les précédentes
, & que la dernière entrevue du Miniftre
d'Espagne avec les nôtres a été courte &
décifive. Tous nos papiers ne font remplis
maintenant que d'affurances pofitives de l'adhéfion
de la Cour de Madrid au traité de la
France avec les Etats-Unis , & de la réception
9
( 86 )
faite publiquement aux Agens du Congrès.
» Voici felon le Morningpoft , le plan des opé :
rations de la campagne prochaine . La flotte
'de Breft , confiftant en 34 vaiffeaux de ligne ,
tiendra celle de Porfmouth en échec dans la
Baye , fi elle n'eft pas affez forte pour lui livrer
combat ; 16 vaiffeaux de ligne fortiront de
Cadix , pour attaquer Gibraltar ; tandis que
l'efcadre du Ferrol , qui eft de 5 vaiffeaux de
ligne , jointe à celle de Rochefort , qui eft de
4 , eſcortera une flotte de tranſport fur la côte …
d'Irlande ; l'embarquement fe fera à Cherbourg
, au Havre , à Dunkerque ; on a préparé
en même tems un grand nombre de vaiffeaux ,
à l'aide defquels on eflayera de brûler ce que
nous avons fur la Tamife , & de bombarder
Londres. Ces expéditions font concertées de
manière qu'elles doivent être exécutées en
même-tems. Les deux Puiffances ont le nombre
fuffifant de vaiffeaux pour cet effet , quoique
la France ait fait paffer 4 vaiffeaux , &
l'Eſpagne 6 , aux Indes Occidentales , où les
Efpagnols en avoient déja 10 , ce qui rend ces
forces combinées très - fupérieures à celles de
l'Amiral Byron «.:
A ces affertions nos papiers en joignent d'au
tres qui ne font pas moins fingulières , l'alarme
eft fi grande dans le Ministère , qu'il prend toutes
les mefures poffibles pour s'oppofer à tous .
ces projets ; l'embarquement des troupes raffemblées
à Pétersfield, & dans quelques endroits
voifins pour paffer en Amérique , a été fufpendu
, & on a réfolu de rappeller l'efcadre avec
laquelle le Chevalier Hughes eft parti récem
ment pour l'Inde ; on ne laiffe que deux vaif
feaux continuer leur route pour cette deſtina
tion.
En attendant que ces nouvelles vagues &
3...
( 87 )
fans doute étranges , mais qui le feroient moins
fi la jonction de l'Eſpagne à la France s'effectuoit
auffi-tôt qu'on le craint , ce qui nous obligeroit
de råmaffer prefque toutes nos forces en
Europe , pour effayer de leur faire face , fe
confirment ou fe détruifent , on redouble d'activité
pour mettre la flotte de Portſmouth en
état de fortir ; on cherche & on employe tous
les moyens de l'augmenter ; mais les vaiffeaux
nous manquent , & nous fommes forcés d'en
armer plufieurs qui étoient condamnés à ne plus
fortir de nos ports ; mais dont le befoin oblige
de fe fervir pour faire au moins nombre dans
nos flottes ; tel eft entr'autres le Britannia de
100 canons , qu'on a armé pour qu'il mette à la
voile avec la flotte . C'eft un de nos plus anciens
vaiſſeaux qui avoit été jugé il y a quelque tems
hors d'état de fervir davantage , & que la
néceffité nous fait employer après avoir depenfé
4000 liv . fterl . à le réparer comme on a pu.
La maladie de l'Amiral Hardy continue ; on
doute qu'il foit en état de prendre le commandement
de la flotte , & on prétend que le
Gouvernement a expédié à l'Amiral Byron ,
l'ordre de revenir en Europe pour commander
à la place de Sir-Charles Hardy. Dans ce cas ,
il ne ramenera que le feul vaiffeau qu'il mon
tera pour fon voyage , & l'Amiral Barrington
aura le commandement de nos efcadres aux
Antilles. On affure auffi que le Gouverneur
Johnftone , qui s'eft permis des réflexions affez
graves fur la conduite de l'Amiral Howe , & à"
qui cet Amiral s'eft contenté de répondre qu'il
pouvoit n'avoir que des connoiffances maritimes
très-bornées , après avoir offert publiquement
fes fervices à fa Patrie , vient d'accepter
le commandement de cinq vaiffeaux de ligne
& de quelques frégates , qui font deſtinés pour
une expédition fecrette .
( 88 )
à
Pendant que notre Ministère , embarraſſe
cruellement par une fuite de fautes impardonnables
, lit-on dans un de nos papiers , ne devroit
travailler qu'à les réparer , en s'occupant
des moyens de faire une paix honnête avec la
France , ou de prévenir une rupture avec l'Eſpagne
, il femble déterminé à en rifquer une
avec toutes les autres Puiffances maritimes de
l'Europe ; on fait que la Suède & le Dannemarck
ont réfolu de mettre en mer des forces
refpectables pour garantir leur commerce des
entraves que la Grande-Bretagne juge à propos
d'y mettre ; la Hollande , dont les droits ,
cet égard , font fondés fur la fainteté des traités
, eft fur le point de prendre la réſolution
d'accorder à fes fujets toute la protection qu'ils
font dans le cas de réclamer , en vertu des droits
acquis de leur Patrie . Malgré cela , on a expé-~
dié ces jours derniers dans nos ports de nouveaux
ordres d'y conduire tous les navires neutres
deftinés pour les ports de France , chargés
de bois de conftruction , de chanvre , de fer ,
de fel , & de tout ce qui eft néceffaire pour
l'équippement ou l'avitaillement de la marine
«.
Le bruit fe répand que nous venons de
perdre le Jupiter , vaiffeau de so canons , à la
préfence duquel nous devons le fuccès du
combat de la chaloupe le Plaifir , contre le
corfaire le Jean Bart & la prife de ce dernier .
Il a été pris , dit-on , par z vaiffeaux de guerre
François de 74 canons ; mais cette nouvelle n'eft
pas revêtue de toute l'authenticité qu'on pourroit
défirer . On cite une lettre d'un Officier de
ce vaiffeau , qui donne cette fàcheufe nouvelle ,
mais qui eft remplie de fanfaronades au moins
étranges. Le Jupiter a fait une belle défenſe ,
dans laquelle il a tué ou bleffé 495 François.
( 89 )
On nomme les deux vaiffeaux preneurs , le Don
ou Ledon , & le Die Maria , noms auffi inconnus
dans la marine Françoife , que celui de
l'Apollon qu'on dit avoir été pris en Améri
.que .
Le Parlement a repris fes féances ; & malgré
les débats qui accompagnent toujours fes délibérations
, il paroît décidé à voter les impôts
avec la même facilité qu'on les demande ; on
écarte , avec foin , tout ce qui pourroit en retarder
la perception . Le Lord North , cet habile
financier , va propofer de mettre une fur- taxe
aux impofitions déja établies , au lieu d'en créer
de nouvelles , dont la recettte ne feroit pas fi
facile . On ne doute pas que cette propofition
ne foit agréée. » Le concours unanime du Parlement
& du Ministère , dit-on dans un de nos
papiers , pour mettre l'Angleterre à la preffe ,
prouve que l'on fe promet infiniment de cette
méthode , auffi ruineufe pour le moment qu'elle
peut être glorieufe & profitable pour l'avenir
".
Le bruit qui avoit couru que cet Eté il n'y
auroit peut - être point de camps ne s'eft point
confirmé. Voici la diftribution de ceux qui fe
ront établis ; 24 régimens à Coxheak 12 à
Warty ; 4 à Portſmouth ; 2 à Plymouth & à
Chatham ; 2 dans le Comté de Suffolck ; 3 de
cavalerie à Salisbury ; il n'y en aura point à
Winchefter, Ils feront établis dans le courant
de Mai , auffi- tôt que les fourrages le permettront
; le Roi fe propoſe d'en faire la revue au
commencement de la campagne ; S. M. fera
accompagnée du Prince de Galles , à qui l'on
préfentera les Officiers Généraux & ceux de
l'Etat-Major.
Le Procès du Vice-Amiral Palifer eft commencé
; l'Amirauté a été long - tems indécife
( 00 )
fur le lieu où fe tiendroit le confeil de guerre.
Après avoir décidé qu'il ne fe tiendroit point
fur terre , elle défigna d'abord l'Invincible. On
a fini par ordonner qu'il feroit affemblé à bord
du Sandwich , vaiffeau de 90 canons actuellement
défarmé , fans mats , fans agrèts , où l'on
a été obligé d'employer quelques cordages poftiches
pour les fignaux . Le Confeil eft compofé
du Vice- Amiral Darby , Préfident , du Contre
Amiral Digby, des Capitaines fir Chaloner Ogle,
Kempenfelt , Peyton , Bayne , Robinſon , Ducan,
Goodall , Cranfton , Linzet , Colpeys , Walters ;
M. Jakfon fait les fonctions de Juge- Avocat.
Il tint fa première féance le 12 ; Sir Hugh
Pallifer déclara que fon intention n'étoit pas
de foumettre la conduite de l'Amiral Keppel >
à un nouvel examen , qu'il ne fe propofoit que
de juftifier la fienne ; & le Confeil , après avoir
décidé qu'il feroit ufage des minutes de celui
qui avoit été tenu à l'occafion de l'Amiral
Keppel , parce qu'il y a plufieurs circonftances
qui tendent à inculper le Vice-Amiral , procéda
à l'audition des témoins. Ils font en petit nombre.
Les principaux , cités de la part de la
Couronne , font les Amiraux Keppel , Harland
& Campbell , M. Rogers , Secrétaire du pre.
mier , M. Faulkner , fon Capitaine de Pavillon ;
& les Capitaines Washington , Sir Charles
Douglas , Macbride , Levifon , Gower , Stewart
, Laforey , Jervis & Berkley . L'Amiral
Keppel fut appellé le premier ; il témoigna
combien fa fituation étoit pénible quoiqu'il fût
bien fûr de ne laiffer entrevoir dans fa dépofition
rien qui annonçât du reffentiment ; il demanda
à être difpenfé de dépofer dans une affaire où il
feroit forcé de ne pas s'en tenir à de fimples
oui & non. Sa demande , prife en confidération ,
fut rejettée , il répondit aux queſtions qu'on
(91)
~
lui fit. L'interrogatoire de ce jour fut court ;
l'Amiral déclara que Sir Hugh , pendant l'ac
tion , avoit prolongé la ligne Françoife auffi bien
qu'aucun des vaiffeaux qui le précédoient ou
le fuivoient , qu'il l'avoit fait d'une manière judicieufe
, & qu'il avoit agi comme un Amiral
doit agir. L'interrogatoire du 13 fut plus étendu.
Les queftions faites relativement au combat
d'Oueffant , jettent quelquefois un peu de
jour fur cette affaire fingulière , dans laquelle
il importe à l'Angleterre de dire qu'elle a eu
l'avantage ; & on remarque qu'il échappe quel
quefois à l'Amiral des demi-aveux contraires. Il
croyoit que le 27 feroit un jour de gloire pour
l'Angleterre ; mais la flotte ne put pas être également
prête à agir ; le Vice -Amiral & fa divifion
qui étoit refté plus long-tems engagé au combat
, s'étant retiré le dernier , eut befoin de
plus de temps pour fe réparer. La réponſe de
l'Amiral à la queftion , fi en n'obéiffant pas à fon
fignal , le Vice-Amiral fut caufe qu'il ne put
former la ligne à bas-bord , eft curieufe .
» Non , les François formoient leur ligne de la
même manière dont M. de Conflans avoit formé la
fienne lorfqu'elle fur attaquée par l'Amiral Hawke ;
c'eft une manière qui leur eft particulière , & dans
laquelle ceux qui n'y font pas accoutumés peuvent
remarquer de la confufion . Connoiffant cette mancuvre
, j'ai très -bien vu qu'ils fe formoient ; mais ne
pouvant me former moi- même , falloit - il que je
facrifiaffe la flotte d'Angleterre ? Je fuis prêt à déclarer
à l'Univers ce qu'en pareil cas je crus devoir
faire. S'il m'eût été poffible de paffer à leur vent
certainement je l'euffe fait . Je fis donc le fignal
pour virer. On ne prétendra pas fans doute que le
Victory & le Formidable feuls aient été en état
d'atraquer la flotte ennemie toute entière. Me demanderez-
vous file Vice- Amiral obéit à mon ſignal ?
Je réponds non ; mais il ne s'en fuit pas qu'en
( 92 )
-
-
n'obéiffant pas alors , il m'ait empêché de former
ma ligne . Au refte , fi ces mots l'apparence d'une
fuite paroiffent préfenter quelques réflexions , ne
les inférez point dans les minutes. Après le fignal
pour former la ligne à bas- hord , quel eft le fignal
général que vous avez fait ? Je donnai un ordre
qu'aucun fignal n'annonça. J'ordonnai au Capitaine
d'une frégate de dire à Sir Robert Harland de fe
former en avant , mais dans le moment je fus
dans la défagréable néceffité d'en donner un contraire.
Je me trouvai dans une circonftance où , vu
les dommages conſidérables que nos vaiſſeaux avoient
effuyés dans leurs mâts & leurs agrets , on peut
dire que les François perdirent une belle occafion ,
à moins qu'ils n'aient à répondre qu'ils avoient été
très - maltraités eux - mêmes dans le corps de leurs
vaiffeaux. J'ordonnai donc à Sir Robert Harland de
fe former derrière & de la couvrir ; pendant qu'on
fit quelques manoeuvres néceffaires , il les exécuta ;
& comme l'ennemi ne faifit pas le moment favo
rable qui le préfentoit à lui , ces ordres produifirent
l'effet que j'en attendois . Ces réponſes prouvent
combien la flotte Angloife étoit maltraitée.
Le résultat des dépofitions de ce jour & des fuivantes
, eft que M. Pallifer s'eft conduit avec courage
& intelligence lorfqu'il a combattu ; mais qu'il
a conftamment défobéi au fignal & aux ordres
qui lui ont été portés & donnés avec une humeur
que l'Amiral Keppel fe reproche.
La tournure de ce procès commence à devenir
plus grave pour le Vice - Amiral ; bien
des perfonnes qui n'en jugeoient d'abord que
d'après les précautions que la Cour fembloit
avoir prifes pour ne faire examiner qu'un point
de fa conduite, & qu'un petit nombre de témoins,
commencent à penfer que ce n'eft plus un procès
pour rire , & qu'il pourra avoir des fuites
funeftes pour lui . On a remarqué que le Gouvernement
, qui n'avoit difpofé ni de fon loge
( 93 )
ment à l'Amirauté , ni de fes places , y a nommé
le 15 de ce mois , précisément le lendemain
du jour où les dépolitions de Keppel le chargeoient
davantage. C'eft l'abandonner dans le
moment le plus critique ; on eft toujours perfuadé
cependant , qu'il n'a agi que par fes inf,
tigations fecrettes en accufant l'Amiral ; & ce
qui femble confirmer qu'il n'a pas vu fans peine
le triomphe de celui-ci , c'eft que l'Amiral Montague
dont la conduite lui a mérité pendant
cette procédure , la reconnoiffance & la vénération
publique , vient de perdre le Gouverne.
ment de Terre- Neuve , dont on a difpofé en
faveur de M. Richard Edwars ; le peuple pré.
tend que l'Adminiftration l'a puni de n'avoir pas
voulu trouver un coupable dans un homme
qu'elle n'eût peut-être pas été fachée de perdre.
Comme on l'a dit , les feules nouvelles du continent
de l'Amérique , qui circulent dans le Public ,
font celles que fournit la gazette de New-Yorck ,
que tout le monde lit à fon arrivée , & en qui perfonne
n'a confiance ; on l'a vue plufieurs fois publier
de prétendus actes du Congrès , les uns abfurdes
, les autres odieux , tous deſtinés à préfenter
les Américains fous un faux jour ; peut - être
eft- ce dans ce même deffein qu'elle annonce à pré,
fent une querelle qui s'eft élevée entre le Confeil
exécutif de Penfylvanie & le Général Arnold , qui
commande à Philadelphie. Le Confeil accufe le
Général d'avoir tenu une conduite oppreffive à
plufieurs égards contre les fidèles Sujets de l'Etat ,
la juge indigne de fon rang & de fa place , hautement
décourageante pour ceux qui ont manifefté
leur attachement aux libertés & aux intérêts de
l'Amérique , & contraire au respect dû à la fuprême
autorité exécutive. A l'arrêté détaillé du Confeil
la même gazette a joint une adreffe de M. Clark fon
Aide- de- Camp du Général , invitant le Public à
( 94 )
fufpendre fon jugement jufqu'à ce qu'il le foit defendu
; & enfin une adreffe de M. Arnold à ce
même Public , qu'il informe qu'il a demandé un
Confeil de guerre au Congrès pour examiner fa
conduite. Le Gouvernement defire trop qu'il s'éleve
de pareilles divifions parmi les Américains , & il
s'eft trouvé trop de gens empreffés de le fervir en
fabriquant des nouvelles & des pièces de cette efpèce
, pour qu'elles ne foient pas fufpectes.
ÉTATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT .
- -
De Philadelphie , le 25 Février. Suivant toutes
les apparences , l'expédition combinée entre les
troupes envoyées de New Yorck , & celles
qui ont marché de S. Auguftin pour pénétrer
par le Midi dans les Provinces-Unies de l'Amérique
, fera à peu près femblable à celle du
Canada , du moins pour ce qui regarde l'éclat
du début , & les difficultés de la pourfuite.
Nous n'ofons pas garantir que l'iffue en foit la
même ; mais nous ne fommes pas fans efpérances.
Il eft certain , du moins , que plus le
Général Prevoft , & le Colonel Campbell
s'avanceront dans le Pays , plus ils trouveront
de réfiftance. Au commencement de ce mois ,
nous apprimes que le premier & le fixième
Régiment de la Caroline Méridionale , un gros
corps de la Caroline Septentrionale & 1000
hommes de milices du Comté de Cambden ,
s'étoient déja mis en marche vers les frontières
Méridionales ; qu'un autre détachement deodo
hommes de la milice de Cambien une fe
conde divifion de la Caroline Septentrionale ,
& un gros corps de Virginiens alloient les
fuivre . Nous apprenons aujourd'hui quelle Général
Lincoln & le Général Moaltrée , après
avoir combiné leurs mouvemens & leurs marches
, tentent , avec la plus grande eſpérance
( 25 )
de fuccès , de couper la retraite de l'ennemi ,
qui ne peut éviter le fort de l'armée de Saratoga,
qu'en combattant heureufement ; ce qui
paroit difficile lorfqu'il fera attaqué de deux
côtés par les troupes qui l'entourent .
-
Si les vaiffeaux Britanniques nous enlèvent
de tems en tems quelques - uns de nos Armateurs
, ceux- ci prennent auffi fouvent leur revanche.
L'Amérique de 36 canons a conduit le
25 du mois dernier à Charles Town dans la
Caroline méridionale , l'Autruche , frégate de
24 canons , appartenant à l'efcadre de l'Amiral
Gambier , dont elle s'eft emparée après un
combat qui a duré 3 heures. On écrit auffi de
Bofton , que l'armateur l' Allarme a pris le Refus ,
chaloupe de 16 canons , ainfi qu'un bâtiment
venant d'Halifax , avec 3700 galons de melaffe
, 5600 livres de fucre , &c. & que l'armateur
la Défiance y eft rentré , après avoir
fait 8 prifes , dont il avoit débarqué les équipages
à la Martinique .
Trentown , du 28 Février. Les troupes Royales
font toujours très - refferrées à New - Yorck
manquant de tout , & trop foibles pour pouvoir
faire aucune entreprife confidérable. La défertion
y règne , ce qui contribue encore à les
affoiblir ; le Général Clinton , qui n'a pu l'arrêter
, vient d'effayer d'y remédier par la proclamation
fuivante , qui ne lui ramènera peutêtre
pas un homme. » Attendu que les déferteurs
des troupes de S. M. qui font à mes ordres ,
& que l'on fçait être paffés au fervice de l'ennemi
, en réfléchiffant fur l'infamie dont ils fe
couvrent en portant les armes contre leur
Souverain & contre leur Pays , rentreroient
dans le devoir , s'ils n'étoient retenus par la
crainte du châtiment , je proclame , par la
préfente , un pardon général pour tour déferteur
de quelque grade & dénomination qu'il
(198 )
puiffe être qui joindra volontairement , n'importe
quel corps des troupes de S. M. , avant
le premier Mai prochain « .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 30 Avril.
?
LE 12 de ce mois le Roi , fur la démiffion
de M. de Bory , a difpofé du Commandement du
Château de Pierre- en - Cife en faveur de
M. de Rouches , Lieutenant- Colonel de Cava
lerie , ci devant Maréchal des Logis de fes
Gardes en la Compagnie de Villeroy.
-
S. M. a nommé le 18 à l'Abbaye de Beaulieu ,
Diocèfe de Limoges , l'Abbé Gondoin , Vicaire-
Général d'Orléans ; à celle du Perray - Neuf,
l'Abbé de Mallian , Aumônier de Madame ; au
Prieuré de St. Martin - de - Paley , M. de la
Bintmaye ; à celui du Gahart , M. du Voifin ,
Vicaire Général de Laon ; & à celui de la
Roche-fur-Yon , M. Charette de la Colinière.
Le même jour,M.Mefnard de Chouzy, Miniftre
Plénipotentiaire du Roi auprès du Cercle de
Franconie , qui étoit de retour en cette Cour
par congé a eu l'honneur d'être préfenté à
S. M. par le Comte de Vergennes , Miniftre
& Secrétaire d'Etat au département des affaires
Etrangères , & de prendre congé de S. M.
pour retourner près ce Cercle.
Le Roi & la Famille Royale fignèrent ces
jours derniers le Contrat de mariage du Comte
de la Tour- du - Pin - la - Charce , Brigadier des
Armées du Roi , avec la Comteffe de Bérulle
de Rigny , Chanoineffe de Neuville , fille du
Marquis de Bérulle , premier Préfident du Par
lement de Grenoble.
La Cour eft partie d'ici le 25 de ce mois
pour aller au Château de Marly , où elle doit
refter jufqu'à la veille de la Pentecôte ,
M.
( 97 )
M. de la Foffe , Graveur , eut l'honneur de
remettre le 18 à LL. MM. & à la Famille
Royale , la cinquième livraiſon du Voyage Pittorefque
de l'Italie.
De PARIS , le 30 Avril.
LE départ de l'efcadre de M. de la Mothe-
Piquet a été fufpendu par les vents contraires
qui ont régné quelque-tems , & qui ont enfin
changé de la manière la plus favorable. On a
lieu d'efpérer qu'avant fon arrivée aux Indes-
Occidentales , les affaires auront changé de
face. La jonction de M. de Graffle avec M. le
Comte d'Estaing doit être actuellement effectuée
. Un navire Hollandois parti de St-Euftache
, affure avoir vu cette efcadre arriver par la
Guadeloupe , & éviter par conféquent la flotte
Angloife qui l'attendoit vers la pointe méri
dionale de la Martinique ; cette nouvelle eft
d'autant plus vraisemblable , que l'on fait par les
dépêches reçues précédemment du Vice-Amiral
François , qu'il avoit envoyé 4 frégates audevant
de M. de Graffe , pour l'informer de la
jonction des Amiraux Byron & Barrington , &
de la pofition qu'ils avoient prife dans la baie du
Gros Iflet , à Ste - Lucie , pour le couper s'il ne
prenoit fon cours par le nord de la Martinique.
Les vaiffeaux le Deftin de 74 canons & le
Caton de 64 , font arrivés de Toulon à Breft ,
où l'on compte avoir bientôt 36 à 38 vaiffeaux
de ligne fous les ordres de M. le Comte d'Orvilliers
, malgré les différentes divifions qui en
font forties fucceffivement fous ceux de MM. de
Graffe , d'Orves , de Vaudreuil & de la Mothe-
Piquet. Lorfqu'on aura parfaitement remédié
aux défauts de conftruction des trois vaiffeaux
nouvellement effayés à Rochefort , ils fe joindront
à cette grande flotte qui , à ce que l'on
S
Mai 1779.
E
( 98 )
croit , pourra être encore augmentée par 6
vaiffeaux de guerre que l'on préfume que M.
d'Abon a ordre , dit-on , d'y conduire de Toulon.
On parle du moins beaucoup de la jonction
des vaiffeaux de ces deux départemens ; fi elle
s'effectuoit , cela confirmeroit l'opinion où l'on
eft généralement , tant ici qu'en Angleterre ,
que l'Espagne s'eft chargée de garder la Méditerranée
, & que la déclaration qu'elle en a
fait faire à la Cour de Londres , a empêché
celle-ci d'y faire paffer plus d'un vaiffeau de ligne
& quelques frégates. Ce fervice que nous
rendroit la flotte de Cadix feroit déja important
, quand même la démarche à laquelle on
s'attend de la part de la Cour de Madrid n'auroit
pas lieu . On fe flatte cependant que cette
démarche , fi long-tems fufpendue , n'eſt pas
éloignée. » Tout paroit toujours annoncer des
projets hoftiles , écrit-on de Bilbao ; plufieurs
régimens arrivés dans les lignes de St- Roch , 4.
autres qui viennent de renforcer la garnifon de
Cadix , & 2 qui cantonnent aux environs de
cette place , 2000 quintaux de poudre conduits
à Séville , des levées continuelles pour les troupes
de terre & de mer , tous les Officiers de
marine ayant ordre d'être rendus dans leurs dé.
partemens pour le premier Avril prochain , la
fréquence des couriers de Madrid à Verfailles ,
& de Verfailles à Madrid , tout en un mot annonce
une guerre prochaine, mais notre cabinet,
toujours plus impénétrable , nous tient encore
dans l'incertitude «<.
>> Si les Hollandois , lit-on dans une lettre de
Breft , pour ne pas bleſſer la majeſté du peuple
Anglois , héfitent à nous apporter des bois de
conftruction , d'autres Nations neutres s'empref
fent de les remplacer ; 3 vaiffeaux de guerre
Suédois ont conduit ici plufieurs bâtimens de
leur Nation qui en étoient chargés ; & les Da(
99 )
nois paroiffent ne pas demander mieux que de
profiter des avantages que ce commerce peut
leur procurer «.
Le 16 de ce mois , 2 cotters du Roi arrivérent
dans la rade de Dunkerque , avec le paquebot
Anglois le Prince d'Orange , aux ordres du
Capitaine Williamftory , dont ils s'étoient emparés
à la vue des côtes d'Angleterre . On ajoute
que c'étoit la première fortie de ces cotters.
Leur prife eft confidérable , puifqu'il y avoit
outre 21,000 liv . fterl . en or , beaucoup de
diamans & d'autres bijoux de, prix . On a remarqué
que c'eft déja la feconde fois que ce
paquebot a été pris depuis le commencement
des hoftilités entre la France & l'Angleterre ,
& que c'eft même le feul auquel cet accident
foit arrivé.
Le Capitaine Mignard , Capitaine du Corfaire
la Ville de Honfleur , le même qui , le 19
Février dernier , foutint pendant 7 heures &
demie un combat contre 2 corvettes Angloifes
' vient de fe fignaler encore . » Le 29 Mars
écrit-on de Cherbourg , faifant route pour fortir
de la Manche , il fut chaffé par une caiche du
Roi d'Angleterre , de 18 canons de 6 , & qui
avoit des troupes à bord ; M. Mignard n'avoit
que 14 canons de 4 , & 107 hommes . Quoiqu'il
reconnût qu'il étoit inférieur à tous égards à fon
ennemi , il réfolut de l'attendre . Le combat
s'engagea à 5 heures & demie , avec une ardeur
égale de part & d'autre ; les deux batteries fe
font trouvées plufieurs fois bord à bord , mais
l'Anglois qui marchoit fupérieurement , a toujours
évité l'abordage , & s'eft vu à la fin obligé
de quitter la partie. Le Corfaire François eft
arrivé le 30 à la rade de Cherbourg , tout défemparé;
il a eu 3 hommes tués & 18 bleffés.
Le Capitaine qui eft au nombre de ces derniers
a le vifage tout brûlé ainsi que les mains , par
›
"
E 2
( 100 )
les artifices que l'Anglois a lancés fur fon bord «<
Sur le compte qui a été rendu au Roi des preuves
réitérées de bravoure qu'a donné M. Mignard
, S. M. a bien voulu lui en marquer fa
fatisfaction par le don d'une épée.
» M. Franjon de cette Ville , jeune homme
de 22 ans , écrit-on de Montelimart , vient de
fe diftinguer d'une manière remarquable , qui
mérite d'être publiée . La bravoure connue de
ce jeune homme , lui avoit fait confier le commandement
du vaiffeau corfaire nommé le Mars ;
cette confiance a été pleinement juftifiée . Il eft
arrivé à la Martinique , conduifant avec lui
deux prifes , dont l'une , fur - tout , eft importante
par la cargaifon , & les difficultés qu'il
a furmontées pour s'en rendre maître . C'eſt un
corfaire Anglois chargé de 7000 quintaux de
marchandifes , monté en forces bien fupérieures
à celles de Franjon . Il engagea lui - même le
combat. Son ennemi fit une longue réfiftance
mais fa fupériorité ne le déconcerta pas. Il
parvint à l'abordage , & fe mit lui-même aux
prifes avec le chef Anglois. Il lui trancha la
tête d'un coup de fabre , & l'équipage fe rendit
en voyant tomber fon Chef La feconde prife
qu'il a faite , eft une goëlette Angloiſe , dont
la cargaifon eft également avantageufe. Les
parens de M. Franjon en étoient fort en peine ;
depuis long-tems ils n'avoient reçu de fes nou
velles ; & ils fe trouvent à préfent bien dédom
magés de leurs inquiétudes «.
MM. Defgranges & Compagnie , dont nous
avons annoncé l'Armement , & auxquels M. le
Chevalier de Larminat a adreffé des propofitions
par la voie de notre Journal , viennent
de nous faire paffer leur réponſe que nous
nous empreffons de tranfcrire. Elle offre au
Public en général & à leurs Actionnaires en
particulier , des détails intéreffans fur une partie
•
IOI )
de la vafte entreprife qu'ils ont formée , & une
jufte idée de quelques - uns de leurs moyens
pour en affurer le fuccès. L'attention qu'ils ont
apportée à la partie militaire garantit celle
qu'ils mettent dans toutes les autres , & eft
faite pour exciter la confiance.
» Nous avons vu avec plaifir , M. dans le Mercure
du 25 de ce mois , la propofition qui nous avoit
dejà été faite directement par M. le Chevalier de
Larminat. Nous fommes très - aifes de ce que cet Officier
, en s'étant déterminé à la publier , nous ait
fourni le moyen de rendre un hommage public à
fon patriotifime , & au zèle dont il a toujours été
animé pour la gloire de l'Etat . Mais quelque flatteufes
que foient fes propofitions , & quelque detir
que nous ayons de les accepter en entier , nous
n'avons pu lui diffimuler les engagemens que nous
avions contractés avec M. de Milly , Major d'Infanterie
, avant que de le connoître. Comme nous
femmes perfuadés que M. le Chevalier de Larminat
eft convaincu de toute la juftice des motifs qui
nous ont porté à ce premier choix , nous espérons
qu'il nous verra fans peine renouveller ici les con
ditions que nous avons conféquemment été obligés
de mettre à l'acceptation de les offres de fervices.
Nous allons rendre compte au Public & à tous
ceux qui veulent bien nous confier leurs intérêts
dans l'affaire dont il s'agit , des raisons qui nous
ont porté à accorder à M. de Milly le commandement
en chef des Volontaires qui doivent être employés
dans notre armement. Nous manquerions à
notre première obligation à celle que nous ferons
toujours les plus empreffés de remplir , fi , dans
toutes les circonftances qui fe préfentent , nous ne
juftifions de tous nos foins pour rendre notre entreprife
auffi recommandable par fon exécution que
par fon objet.
M. de Milly nous a été recommandé par M. le
E3
( 102 )
Maréchal de Broglie & par M. le Marquis de Caf
tries , qui l'honorent fingulièrement de leur protection
; ces titres fuffiroient sûrement à cet Offcier
pour nous prouver fon mérite , ainfi qu'à toute
la Nation , qui fait que de pareils fuffrages font les
témoignages les plus glorieux & les plus affurés
qu'un militaire puiffe donner de fon courage & de
fa bonne conduite ; mais nous devons une reconnoiffance
particulière au zèle que M. de Milly ne
ceffe de nous manifefter ; & nous ne pouvons mieux
nous en acquitter qu'en entrant dans quelques détails
fur ce qui lui a mérité la protection dont il
eft honoré. Nous fommes perfuadés que ce détail
fera plaifir à tous ceux de nos Actionnaires qui
le liront & cela feul nous le fait juger néceffaire.
>
M. de Milly , Chevalier de S. Louis , eft entré
au Service en 1747 par la nomination à une Lieutenance
dans le Régiment de Limofin ; & à la paix ,
en qualité de Volontaire dans le Régiment du Hainault
, dont il eft forti en 1753 pour prendre une
Lieutenance dans le Corps de Fifcher , duquel il eft
paffé , en 1756 , en qualité de premier Lieutenant ,
dans celui des Volontaires Etrangers , où il s'eft
trouvé à l'affaire de Saint . Caft . Réformé à Metz en
1759 , & remplacé dans le Corps des Chaffeurs
de Turpin , où il a reçu un coup de fufil à la
jambe gauche à Yesberg , fous les ordres de M.
d'Origny avec lequel il a fait toute la campagne ,
& pendant laquelle il s'eft diftingué de manière
qu'il fut confié plufieurs détachemens à fes ordres.
Après l'affaire de Wolckemiffen , il a été choifi
pour aller reconnoître les ennemis pendant la nuit ,
a percé jufques dans leur camp avec s hommes ,
& eft venu rendre compte de leur marche à M. le
Comte de Chabot.
On lui a
confeété
attaqué infructueufement
; le commandement du Château
d'Aremberg , où il a
( 103 )
il a fait dans cette occafion dix Dragons prisonniers.
aux ennemis .
A l'affaire de Stadt ruden , fous les ordres de M.
de Maupeou , il fut choifipour commander l'arrièregarde
compofée de 200 hommes , avec lesquels il
fit retirer les ennemis. Il s'eft trouvé dans cette
campagne aux attaques d'Yesberg , Saltzgoth ,
Arensberg , Stadsberg , Wolckemillen , à l'affaire
de Corbac ; & dans toutes les occafions où fon
Corps a donné , il a mérité l'applaudiflement de fes
chefs .
Pendant l'hiver de 1760 à 1761 , il a réuffi , avec
so hommes , à faire retirer les Troupes qui étoient
cantonnées dans le Comté de la Marck , & a donné
par ce moyen la facilité d'en enlever les fourrages.
Après avoir encore éprouvé une réforme en 1761 ,
il a été envoyé par la Cour à la fuite des Volontaires
du Haynault , fous les ordres de M. de Grandmaifon
, qui l'a employé tant pour des détachemens que
pour les fortifications du Mulhaufen , & la vifite de
Î'Unftruck.
A l'affaire d'Amonebourg , M. de Milly s'eft
trouvé au feu depuis 6 heures du matin jufqu'à s
heures du foir , où il reçut neuf bleffures légères ou
contufions , perdit 35 hommes fur environ 80 qu'il
commandoit dans la maifon du Moulin. M. le
Marquis de Caftries , pendant l'affaire , lui envoya
demander fon nom par M. Luker , alors fon
Aide- de- Camp , & lui fit dire de paffer chez lui
après l'affaire. Trois jours auparavant , il s'étoit
offert d'entrer dans la ville pendant la nuit avec
so hommes ; mais l'ordonnance qui avoit été envoyée
à M. de Caftries à ce fujet , s'étant perdue ,"
l'entreprife ne put réuffir. Sur le compte qui
en a été rendu à la Cour , & d'après la note particulière
de M. de Grandmaiſon , M. de Milly reçut
nne gratification de 300 liv .
Ila tenu pendant deux heures avec so hommes
E 4
( 104 )
contre deux bataillons d'Infanterie ennemie à Eidotf
près d'Arfeld , fous les ordres de M. de Poyanne ,
lors de la retraite des Volontaires de Soubife & de
S. Victor , de Ziegenhayn , & a donné par ce moyen
le tems à fa Cavalerie de fe retirer. M. de Grandmaifon
fut tellement fatisfait de fa manoeuvre , qu'en
arrivant , il lui en fit compliment.
Il a été réformé avec les appointemens , étant
à la fuite , & a obtenu en 1763 l'Aide - Majorité de
Stenay , fans appointemens , & n'y a joui jufqu'à préfent
d'aucuns émolumens , & il a feul rempli ,
jufqu'en 1777 , les fonctions de Major & d'Aide-
Major.
A cette époque , il eft paffé en qualité de Major
au fervice des Etats- Unis de l'Amérique , avec M.
de Bretigny , où il a été pris & conduit à St Auguftin
, d'où il s'eft échappé à la fin de Mars
1778.
Tous les fervices de M. de Milly font certifiés par
M. de Grandmaiſon , M. le Comte de Chabot , &
tous les Officiers - Généraux fous lesquels il a eu
l'honneur d'être employé.
Nous regrettons fincérement qu'on nous ait prévenu
dans l'avis dont votre Mercure nous a donné
connoiffance fur l'énumération des fervices qui ont
mérité à M. de Larminat la confidération dont il
jouit ; mais ce que l'on en a dir , & ce que nous venons
de faire connoître de M. de Milly , nous ont
déterminé aux arrangemens fuivans :
1º. M. de Milly , comme Commandant en chef,
aura le commandement des Volonlaires qui mon.
teront la première divifion . M. de Larminat aura lę
commandement de ceux employés fur la feconde ,
chacun à la tête de leurs Volontaires , & nous aurons
l'honneur de les préfenter l'un & l'autre en
cette qualité à M. de Sartine.
2. En cas de réunion des deux divifions & de
defcente , M. de Milly ayant le commandement en
chef fur toutes les Troupes de l'armement , M. le
( 105 )
Chevalier de Larminat fera dans ce cas les fonctions
de Major- Général defdites Troupes .
3 ° . Le fuccès entier de notre entrepriſe dépendant
en grande partie du Public , & par conféquent le
nombre des fix frégates & deux corvettes pouvant
n'être pas entièrement rempli pour le tems que nous
nous fommes propofé , les commandement de MM .
de Milly & de Larminat auront lieu pour les frégates
qui feront mifes les premières à la mer , toujours
conformément aux deux articles ci - deflus.
40. Nous verrons toujours avec plaifir MM. de
Milly & de Larminat fe concerter entr'eux pour le
choix des Officiers & Volontaires qui doivent compofer
les Compagnies qui feront employées fur les
frégates & corvettes ; mais ils nous feront toujours
préfentés par M. de Milly , comme Commandant en
chef.
Quant à la réponse que M. de Larminat exige de
nous fur la propofition de recevoir fa compagnie de
Volontaires en qualité de foufcripteurs , outre que
la condition d'employer le montant de leur foufcription
dans leur habillement , nous paroît trop onéreufe
à nos Actionnaires , la détermination que nous
prendrons là -deffus ne peut être que la fuite de l'adhéfion
formelle de M. le Chevalier de Larminat
aux conditions que nous venons d'avoir l'honneur
de lui propofer. Nous aurons attention à ce que
cette détermination tourne également au plus grand
avantage de nos Actionnaires à celui des Volonque
>
taires ; nous la publierons dans le tems ; mais l'ordre
de notre travail exige que nous nous occupions
des premières opérations dont celle - ci ne doit être
la conféquence ; le compte que nous en devons
rendre doit y être affujetti ; & fi nous en fortons
quelquefois , ce ne fera jamais que dans les circon
tances où comme dans celle- ci , on nous mettra
dans le cas de juſtifier que toutes nos opérations
font préméditées.
Il nous refte , M. à vous remercier de l'attention
E s
( 106 )
que vous voulez bien avoir de publier tous les avis
qui vous font adreffés fur notre entreprife. Quoique
fon objet le rende digne d'occuper une place dans
vorre Journal , confacré tout entier à l'utilité de la
Nation , nous ne vous fommes pas moins reconnoiffans
du moyen que vous nous procurez de faire prendre
de nous l'opinion que nous defirens qu'on en ait, en
nous mettant à portée de juftifier de tous nos efforts ,
pour mériter la confiance dont on nous honore ;
nous vous prions de vouloir bien toujours avoir
la même complaiſance , & de ne rien laiſſer ignorer
de ce qui vous fera adreffé concernant notre armement.
Nous avons l'honneur d'être , & c.
On nous a fait paffer une autre letrre de
M. de Garchery , Avocat au Parlement de
Bourgogne , adreffée à un de fes amis qui lui
avoit envoyé des profpectus de l'Armement
en queftion. Comme elle contient des questions
intereffantes qu'on a faites plufieurs fois , qui
peuvent fe répéter encore & qui demandent
une réponse que MM . Defgranges & Compagnie
feront , fans doute , aifément ; nous croyons
répondre aux intentions de M. de Garchery &
aux leurs en la plaçant ici.
Je vous remercie , M. , de ce que vous avez bien
voulu me faire paffer plufieurs exemplaires du
Profpectus qui le débite à Paris à l'occafion de l'armement
de fix frégates & deux corvettes , projetté
par une compagnie de Négocians de cette Ville . Je
me charge avec plaifir d'en diftribuer parmi mes
amis & mes connoillances , & je defire , autant par
une fuite de mon attachement au bien public , que
pour répondre à votre confiance , de pouvoir coopérer
à l'exécution d'un projet auffi honorable. Mais
plus une opération eft étendue , plus elle eft fufcepible
d'examen dans fes détails. C'eft ce qui m'engage
à vous faire part de quelques obfervations
dont le motif ne peut déplaire aux perfonnes qui
こ
( 107 )
ont formé ce plan , & qui conféquemment ont dû
tout prévoir.
En général , tout le monde convient qu'un armement
de cette force eft , par fa fupériorité fur tout ce
qui a paru dans ce genre jufqu'à préfent , de nature
à procurer beaucoup d'Actionnaires , principalement
dans cette claffe de Citoyens , qui ne font
pas moins fenfibles à l'honneur de la Patrie qu'à la
perfpective utile qui fe préfente au premier abord ;
j'ajouterai même qu'on a faifi tous les moyens poflìbles
pour conduire cette petite flotte aux plus grands
fuccès , foit par le nombre & le calibre des canons.
foit par la quantité de Volontaires , foit enfin par la
nature de la conftruction ; & la réunion de tous ces
objets eft bien propre à exciter l'efprit du patriotifme
dans tous les coeurs , four feconder les vues de
notre fage Monarque contre l'ennemi commun de
la liberté des mers ; mais dans une entreprife , telle
brillante qu'elle foit , il faut faire paître & établir
la confiance. Il eft néceffaire à cet effet que le Public
foir inftruit de plufieurs chofes qui ne font pas
dans le Profpectus. 1 ° . Dans quel tems à peu- près
penfe-t- on que cet armement pourra avoir lieu ?
2º . Peut on compter fur la protection immédiate
du Roi & des Miniftres ? 3 ° . Quelle affurance donnera-
t- on de l'emploi & de la diftribution de fonds
auffi confidérables que la fomme de deux millions fix
cens mille livres ? 4 ° . Dans le cas où les circonf
tances en empêcheroient l'effet , quel feroit le recours
des Intéreffés , & ne conviendroit-il pas que ,
pour cet objet , on défignât un Banquier connu.
comme on l'a fait pour la réception des actions ?
5o . Enfin , quels font les arrangemens pour le commandement
, tant de la Marine que des Volontaires
? L'expérience , les talens & la bravoure ont
fans doute motivé le choix des Chefs dans les deux
parties.
Communiquez ma lettre à MM. Defgranges &
Compagnie , qui connoiffans comme moi la néceffité
E 5
( 108 )
de tranquillifer tout le monde , jugeront bien que
ces différentes demandes qui résultent tout naturellement
du fujet , ne font pas fuggérées par une
fimple curiofité ; d'ailleurs leur réponse , que vous
me ferez paffer par la voie du Journal que vous
jugerez à propos , pour lui donner plus d'authenticité
, multipliera & répandra les éclairciflemens
les plus avantageux , peut-être même les plus décififs
. On ne fe diffimule pas les pertes du Commerce
, mais le découragement n'eft que le partage
des ames foibles & fans caractère ; les inalheurs
ne fe réparent que par des efforts foutenus , &
l'intérêt dans cette circonftance eſt toujours joint
à la gloire . La conduite des Anglois dans la guerre
de 1715 , fournit une preuve bien frappante de
cette vérité , lorfqu'après nos premiers fuccès l'efprit
de patriotifme fit former une fociété de Marine
qui , pour fuppléer aux inconvéniens de la
preffe & de la difette des Matelots , invita dans la
claffe indigente du Peuple, les enfans des trois Royan
mes à fe faire Mouffes , & leurs peres à embraffer la
prefeffion de Matelots , en fe chargeant de la fourniture
de tout ce qui leur étoit néceffaire . Un pen
de réflexion fuffit pour concevoir tout le mérite
d'une action auffi patriotique.
J'ai l'honneur d'être , & c .
Les armemens en courfe fe continuent dans
tous nos Ports ; l'émulation des Armateurs ne
néglige rien pour rendre au Commerce des
Anglois le mal qu'ils ont fait au nôtre . Le Maréchal
de Mouchy , de 28 canons de 18 & de 12 ,
& de 8 de 4 fur les gaillards , Capitaine Gramon ,
260 hommes d'équipage , & le Patrocle de 14
canons de 4 , Capitaine Gramon , cadet , for
tirent de Bordeaux le 6 de ce mois pour commencer
leur croifière ; l'Ecureuil & le Guerrier
du même port , de 12 canons de 6 , & de 60
hommes chacun , font encore en courfe ; la
Revanche y eft entrée après une croifière de s
( 109 )
mois , pendant laquelle elle n'a fait que 3 prifes
peu confidérables . Le corfaire Monfieur de Gran.
ville , a envoyé à Breft un corfaire Anglois de
14 canons . Lê 9 , un bâtiment Espagnol qui
avoit chargé du vin à Bordeaux , pour le compte
d'un Négociant de Morlaix , elt entré dans ce
Port ; il avoit été rencontré par un corfaire
Anglois qui s'en étoit emparé , & le corfaire
Monfieur l'a repris & conduit à Morlaix , où
l'Amirauté y a mis les fcellés. Le Tapageur de
S. Malo de 16 canons , après avoir combattu
pendant 4 heures & demie un corfaire ennemi
de 20 canons , & s'en être débarraflé , a été
rencontré par 3 cutters Anglois , qui l'ont forcé
d'amener.
» Dans le Journal de Bouillon , première quinzaine
d'Avril , page 43 , on lit an article concernant
la famille de MM . du Barry , qu'on y dit avoir été
condamnés à une Cour des Aides , pour ufurpation
de Noblelle . MM . du Barry , connus depuis longtems
en Languedoc au nombre des Gentilshommes
de cette Province , n'ont pu être attaqués fur leur
origine , bien conftatée dans les archives de l'Ecole
Royale Militaire en 1754 , & dans celles de l'Ordre
de S. Lazare , en 1759 ".
Suivant un règlement arrêté par le Roi pour
l'équippement & l'habillement de fes troupes ,
les habits- veftes , les manteaux , les bonnets de
grenadiers , les chapeaux pointus & à quatre
cornes , les plumets élevés & bariolés , dont la
tenue paroifloit avoir été inutilement furchargée
, ont été fupprimés . On en revient à l'habillement
national , qui fera compofé à l'avenir
d'un habit & d'une vefte de drap , d'une culotte
de tricot & d'un gilet blanc . Les habits &
veftes feront coupés à l'ordinaire , dans les proportions
de la taille & de la groffeur des hommes.
Ils feront affez larges pour que le foldat
puifle porter un gilet fous la velle . La longueur
( 110 )
de l'habit fera telle , que boutonné & agraffé
du haut en bas de la taille , il arrive à 3 pouces
& demi de terre , l'homme étant à genoux .
La durée des habits , veftes & gilets , eft fixée
à trois années pour l'infanterie Françoife , &
le remplacement en fera fait par tiers chaque
année ; celle des culottes eft d'un an. La durée
des habits & veftes de la cavalerie & dragons
eſt fixée à 6 ans , & le remplacement s'en fera
par fixième . Mais chaque cavalier & dragon
aura un furtout de tricot qui fera remplacé
tous les deux ans , & fous lequel il portera un
gilet qui fera fait de l'étoffe du vieux furtout.
La cavalerie portera des chapeaux , mais les
dragons conferveront leurs cafques de cuivre
jaune jufqu'à nouvel ordre . Le règlement fixe
invariablement les couleurs affectées à l'uniforme
de chaque régiment , de manière qu'il
fera facile de diftinguer au premier coup- d'oeil
les différens régimens dont les troupes du Roi
font compofées.
1
Des Lettres- Patentes du Roi données à Verfailles
le 18 Février , & enregistrées au Parlement
le 28 du même mois , renvoyant au Parlement
de Paris la connoiffance de tous les Procès
& conteftations que Monfieur a ou pourroit avoir
dans toutes les Cours & Jurifdictions du Royaume.
D'autres , en date du 23 Février , & enregiftrées
à la Cour des Monnoies le 10 Mars
fuivant , ftatuent fur l'exécution de l'Edit du
mois de Septembre dernier , concernant la
comptabilité des monnoies.
Il paroit auffi huit Arrêts du Confeil d'Etat
du Roi ; le premier , en date du 13 Novembre
dernier , permet l'entrée des fels étrangers , de
gemme , d'epfum & de glauber dans le Royaume
, par tous les bureaux de la France , ou
verts au commerce de la droguerie , & impofe
un droit uniforme de 30 liv. par quintal. Le fed
( III )
cond en date du 21 Décembre , défend aux
rouliers-voituriers d'entrepofer les marchandifes
dont ils feront chargés , & leur ordonne de les
transporter directement aux lieux de leur deftination
, conformément aux lettres de voiture
dont ils feront porteurs . Le troisième , en date
du 27 Février , & fuivi de Lettres Patentes ,
ordonne la fabrication de 100 mille marcs , efpièces
de cuivre dans la monnoie de Lyon . Par le
quatrième , en date du 5 Mars , S. M. informée
que l'exportation à l'étranger des métiers propres
aux Manufactures , étoit préjudiciable à
celles de fon Royaume , fait très-expreffes inhibitions
& défenfes à toutes perfonnes , de quelque
qualité & condition qu'elles foient , d'exporter
les métiers , ainfi que les outils &, inftrumens
fervant à leur fabrication , à peine de
3000 liv . d'amende contre les contrevenans
& même d'être pourfuivis extraordinairement ;
S. M. dérogeant à tous Arrêts & Règlemens
à ce contraires . Le cinquième , en date du 12
Mars , concerne le commerce & la vente des
toiles fous la halle de Paris. Le fixième , en
date du 13 Mars , commet M. Bertin Tréforier
des Revenus Cafuels , pour faire le recouvre
ment de la recette des Maîtrifes dans le ref
fort du Parlement de Rouen. Le feptième ,
en date du 14 Mars , porte nouveau Règlement
fur la répartition & le recouvrement des impofitions
dans les Corps & Communautés d'Arts
& Métiers de la ville de Paris. Le huitième a
pour objet les droits de marque & de contrôle
fur les ouvrages d'or & d'argent qui feront
vendus au Mont-de-Piété établi à Paris.
,
Jaques Gui - Georges- Henri de Chaumont ,
Marquis de Quitri , Seigneur & Baron d'Orbec ,
& autres lieux en Normandie , Baron & Sei
gneur de Lefques , & autres lieux en Languedoc
, Chevalier de l'Ordre de Saint- Louis y
( 112 )
Meftre de Camp de Cavalerie , eft mort en
fon château de Saint-Michel dans le Bas- Languedoc
, âgé de quarante - fept ans . Il étoit
héritier du Marquis de Chaumont - Quitri , qui
fut tué au paffage du Rhin en 1672 , pour lequel
Louis XIV avoit créé la charge de Grand-
Maitre de fa Garde- robe , par Lettres - Patentes
en date de S. Germain-en-Laye du 6 Novembre
1669. Il ne refte de cette Maiſon que trois garçons
en bas âge , fils dudit Marquis de Quitri ,
& le Comte de Quitri , Meftre de Camp de
Cavalerie , frère du mort. Cette Maifon tire
fon origine des Comtes de Chaumont en Vexin.
Le dernier chef qui fit plufieurs branches , dont
celle- ci reſte ſeule , fut le Maréchal de Chaumont
, qui , en 1509 , commandoit fous Louis
XII à la bataille de l'Agnadel , & qui fut tué
en 1511 , au fiége de la Mirandole .
Germain-Hyacinthe de Romance , Chevalier
de Prefmon , ci - devant Ecuyer ordinaire du
Roi , commandant fa grande Ecurie , place que
Louis XIV , dont il avoit été Page à la grande
Ecurie , lui avoit donnée , & dans laquelle il
avoit fuccédé à fon père & à fes grands- oncles
qui avoient rempli la même charge dès le règne
de Henri IV , eft mort le 13 de ce mois dans
la 86e . année de fon âge .
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du i de ce mois ,
font 329
26,61,36,90.
1
De BRUXELLES , le 30 Avril.
LES Anglois & leurs partifans , écrit-on de Paris ,
fe font empreliés de regarder & de vouloir faire regar
der la prife de Pondichery comme une conquête du
premier rang ; mais il eft un peu fingulier qu'ils prétendent
que cet évènement attendu & prédit par des
particuliers, ne l'a pas été par le Ministère. Non- feule,
( 113 )
ment le Gouvernement avoit tout prévu , mais fon intention
n'avoit jamais été de conferver fes polleffions
dans l'Inde ; il avoit envoyé par différentes voies
l'ordre de les évacuer. Malheureufement l'exprès
chargé de le porter, envoyé par terre , fut dépouillé
par les Arabes ; la corvette les deux Amis,
qui devoit faire la même route par mer ,
fut retenue
par
tems
>
les vents contraires jufqu'au 21 Mai 1778 ,
& ne put arriver à tems. Un pareil contreretarda
auffi le vaiffeau le Fargés , qui avoit à bord
copie des mêmes ordres , qui ne purent arriver à
leur deftination avant l'attaque de cette Place
affiégée le 7 Août , & qui fe rendit le 17 Octobre.
La conduite des Anglois dans cette occafion prouve
qu'ils ont été les agreffeurs en Afie comme en Europe
, & a été jugée. Les Nations étrangères n'ignorent
pas que fi une fois les François étoient abfolument
expulfés de l'Inde , que fi un traité de
paix ne les rétablit pas dans leurs poffeffions , il y
en a peu qui puiffent fe flatter d'y conferver longtems
les leurs. Quelle que fût la fituation des François
dans ces Contrées , quelque foible qu'on la
fuppofe , il n'en eft pas moins vrai qu'ils y formoient
une puiffante barrière contre l'ambition immodérée
des Anglois.
La réfolution que les Etats - Généraux des
Provinces - Unies ont prife de faire convoyer
toutes les marchandifes qui ne font pas de contrebande
, n'a pas été vue de bon oeil par la
Grande-Bretagne ; le Chevalier Yorke , Am
baffadeur de S. M. B. à la Haye , a reçu ordre
d'en faire des plaintes ; & le 9 de ce mois , il a
préfenté aux Etat- Généraux le Mémoire fuivant.
" Hauts & Puiffants Seigneurs. Le Roi de la
Grande- Bretagne , par une fuite de fon amitié pour
vos hautes Puiflances , & par les juftes égards que
les Souverains fe doivent réciproquement , s'eft
abftenu jufqu'à préfent de fe mêler de la négocia
( 114 )
-
tion que la Cour de France a entamée avec elles
au fujet de la protection à donner à toutes el
pèces de munitions navales , pendant la guerre actuelle
entre Sa Majesté & le Roi très - Chrétien.
Mais les dernières démarches de l'Ambaſſadeur
de France ne lui permettent pas de garder plus
long- tems le filence , & Sa Majefté croiroit manquer
à ce qu'elle doit aux anciennes liaiſons de fa
Couronne , avec V. H. P. fi elle ne les informoit
pas de fes fentimens , fur le danger auquel elles
s'expoferoient , en prêtant l'oreille à des propofitions
, qui les forceroient d'enfreindre une neutralité
qu'elles ont déclaré vouloir obferver. Propofitions
qui attaquent leur indépendance , & qui fa-
Pent même la bafe de leur Gouvernement , n'allant
à rien moins qu'à diffoudre leur union . V. H. P. font
trop éclairées , pour ne pas fentir qu'une Puiffance
étrangère qui s'arroge le droit de favorifer un
Membre de leur Gouvernement , au préjudice des
autres , ne peut avoir d'autre but que de femer la
difcorde entr'eux , & de rompre tous les liens qui
les uniffent , & que fi d'autres Puiffances fuivoient
un pareil exemple , la République feroit mife en
combuftion & totalement déchirée ; qu'une entière
anarchie en feroit la fuite , & fuccéderoit au bon ordre
établi.
Jufques - là l'affaire femble n'intéreffer que V. H. P.
mais quand le but de toutes ces intrigues eft manifeftement
celui de brouiller la République avec le
Roi , & d'entraîner V. H. P. dans une guerre contre
la Grande - Bretagne , fous le prétexte féduifant d'une
parfaite neutralité & de l'intérêt du Commerce , le
Roi ne peut plus demeurer fpectateur indifférent ,
& fe trouve obligé d'expofer à V. H. P. le danger
dans lequel la France a cherché à les plonger.
Sur quel fondement la France a - t elle le droit de
dicter à V. H. P. les arrangemens qu'elles doivent
prendre avec l'Angleterre , par où & quand l'a - t-elle
acquis Le traité que y. H. P. réclament , & ceux
( 115 )
que S. M. feroit également en droit de réclamer ,
ne contiennent rien de femblable , il faut par con
féquent le chercher dans les vues ambitieufes de
cette Puiffance , qui a fait une ligue avec les rebelles
Américains , & qui travaille à y entraîner d'autres.
Dans le cours du mois d'Octobre de l'année paffée ,
le Roi a fait une communication amicale de fa fituation
& de fes fentimens à V. H. P. au moyen d'un
Mémoire remis à leur Envoyé le Comte de Welderen
, par feu Milord Comte Suffolk , dans lequel il
a expofé les vues & la néceffité qui l'obligeoit à fè
défendre contre un ennemi qui l'a attaqué par fur.
prife & injuſtement ; & quoique cet ennemi ait por
té les chofes au point de dicter les réglemens pour la
navigation de V. H. P. pendant les troubles actuels
S. M. loin d'infifter fur une conduite fi arbitraire ,
s'eft contentée de propofer à V. H. P. de conférer
avec fon Ambaffadeur fur ce qu'il conviendroit de
faire pour la sûreté & l'utilité réciproque des deux
Pays.
V. H. P. il eft vrai , ont jugé à propos , à mon
grand regret , de décliner cette offre , & d'incliner
fur l'obfervation littérale & rigoureuſe d'un traité
qu'elles- mêmes doivent s'appercevoir être auffi incompatible
avec la sûreté de la Grande- Bretagne ,
que directement contraire à l'efprit & aux ftipula
tions de tous les traités poftérieurs entre les deux
Nations.
Quel objet en effet plus important , plus indic
penfable que celui de priver fon ennemi des matériaux
qui le mettroient à même de redoubler fes
efforts pendant la guerre ; comment concilier une
protection avouée pour ces matériaux , avec les al
liances fi fouvent renouvellées entre les deux Nations
, ou avec les affurances d'amitié que V. H. P.
ne ceffent de répéter au Roi dans chaque réfolution
qu'elles lui font parvenir . S. M. eft perfuadée que
V. H. P. connoiffent trop le prix de fon amitié pour
fe laiffer entraîner dans des démarches qui y foient
directement contraires .
( 116 )
Pour prévenir des fuites auffi funeftes , & pour manifefter
d'une façon non équivoque la conftante amitié
du Roi , envers la République , S. M. m'ordonne expreffément
d'affurer de nouveau V. H. P. de ſon defir
ardent de cultiver la bonne harmonie entre les deux
Nations ; de leur renouveller les promeffes qu'elle
leur a faites de maintenir la liberté du commerce
innocent de leurs Sujets , conformément aux ordres
déjà donnés , tant aux vaiffeaux du Roi qu'aux
Armateurs , malgré tout l'avantage qui en résulte
pour fon ennemi . Mais S. M. m'ordonne d'ajouter
qu'elle ne fauroit fe départir de l'exclufion que la néceffité
de fa propre défenſe l'a forcée de donner
aux tranſports des munitions navales aux Ports de
France , & nommément à toutes fortes de bois de
conftruction , quand même l'on voudroit les efcorter
par des vaiffeaux de guerre.
د
L'exemple que la France a donné de favorifer
quelques membres de cet Etat , au détriment des
autres , attaque fi directement l'union & l'indépendance
de V. H. P. que le Roi fe flatte de n'être jamais
dans le cas de le fuivre , à moins qu'une condefcendance
déplacée aux vues de la France ne l'ý
oblige , pour indemnifer par - là autant qu'il dépendra
de lui , les Membres de la République qui
fouffriront par la partialité de fes ennemis. Sa Majefté
a toujours cru qu'il n'eft pas de la dignité
d'un Souverain de femer la difcorde dans les Etats
de les voifins,
Le dernier Edit publié par la Cour de France ,
exceptant les villes d'Amfterdam & de Haarlem , de
certains droits impofés aux autres Membres de la
République , pour les punir d'avoir fait uſage du
droit de fouveraineté qui leur appartient , ne peut
que rappeller à l'Europe entière l'expofe des motifs
qui ont engagé le Roi Très- Chrétien de fe liguer
avec les Rebelles en l'Amérique.
Le Roi eft conftamment prêt à faire tout ce qui
peut tendre à l'avantage & à la tranquillité de V.H.P.
( 117 )
pourvu que cela ne foit pas incompatible avec la
sûreté de les Royaumes.
Il fe flatte que V. H. P. ne confulteront dans
cette occafion que leurs vrais intérêts , fans fe laiſſer
divertir ou intimider par des vues étrangères ; qu'elles
coopéreront par- là au maintien de la bonne intelligence
entre les deux Nations , & que S. M. ne fera
jamais obligée de prendre d'autres mefures vis-àvis
de la République , que celles que fon amitié pour
elle lui dictera toujours «.
*
On ignore encore l'effet qu'opérera ce Mé
moire ; s'il en résulte du changement dans les
réfolutions déja prifes de faire convoyer les
vaiffeaux chargés pour le commerce , la Hollande
fera réellement dans la dépendance de
S. M. B. Elle eft actuellement dans un moment
critique , qui la plonge de nouveau dans l'incertitude
& les inquiétudes qui en font la fuite .
>> On ne peut envifager fans furprife & fans
douleur , écrit-on de la Haye , la fingulière pofition
de notre République au milieu des différends
qui divifent deux Puiffances Etrangères.
L'une lui dit : Je veux que vous foyez fouveraine
& indépendante , que vous m'apportiez
les munitions navales dont j'ai befoin , & que
vous faffiez eſcorter les navires qui me les apporteront.
L'autre furvient & dit à fon tour , je
veux que vous foyez fouveraine & indépendante
, pour cet effet je vous défends de porter
des munitions navales à mon ennemi , quand
même l'on voudroit les eſcorter par des vaiffeaux
de guerre . Sur quel fondement ajoute
encore l'une , l'Angleterre a-t- elle le droit de
vous dicter les arrangemens que vous devez
prendre avec la France ? L'Angleterre ne manque
pas de faire auffi la même queftion ; mais
aflurément elle n'a pas la même raifon . La
France veut que nous foyons libres , & que
nous faffions ufage de notre liberté , d'une ma(
118 )
1
nière avantageufe pour nous ; l'Angleterre n'ofe
pas nous dire qu'elle ne veut pas que nous foyons
libres ; mais le fommes-nous , fi comme elle le
prétend , nous ne pouvons faire ufage de notre
liberté qu'à fon profit ? Elle réclame la teneur
de quelques traités en fa faveur ; mais c'eſt une
maxime de politique qui a fi fouvent & fi longtems
été établie par le fait qu'on peut dire
qu'elle a paffé en droit , que les Traités entre
Puiffances fouveraines ne font obligatoires qu'autant
que les raifons d'intérêt , de convenance ,
de force ou de crainte qui les ont dictés , fubfiftent
; & que ces raifons venant à ceffer , les
Traités ceffent par-là d'avoir aucune vertu . Or ,
s'il a été un tems où des raifons de crainte , des
motifs de foibleffe ou de befoin , ont impofé à
la République la néceffité d'affujettir fon commerce
à des reftrictions uniquement avantageufes
à l'Angleterre , il eft évident que ces motifs
ne fubfiftant plus , que les tems & les circonftances
étant changés , fon intérêt fa dignité ,
fon honneur , lui font une obligation de changer
auffi fes difpofitions & fes engagemens. Dans
quel Code du droit de la nature , du droit des
gens ou du droit politique eft- il établi , qu'un
état fouverain ayant commencé d'être dans la
dépendance d'un autre état , doit y refter éternellement
, & que cet affujettiffement qui réfulta
uniquement de la force , doit fubfifter encore
après que la force eft détruite . Il eft des
tems fans doute , où il faut favoir céder à un
autre une partie de fes droits pour conferver
le refte ; mais lorfque le tems vient de rentrer
complettement dans fes droits , il convient également
de favoir en profiter. Le grand mal eft
que la République ait négligé fa marine pendant
quelque tems , & qu'elle n'en ait pas actuellement
une capable de faire refpecter fa
neutralité. Un autre mal , c'eft peut-être le dé(
119 )
"
faut d'unanimité dans les vues générales ; que
des intérêts particuliers dérangent quelquefois «.
Une autre lettre d'Amfterdam contient les
détails fuivans ; les faits dont elle parle font antérieurs
à la précédente ; mais ils ont fans doute
contribué à faire préfenter le Mémoire de l'Ambaffadeur
Anglois ..
1
» Le 10 du mois dernier , le Prince Stadhouder
propofa à l'Affemblée Provinciale de Hollande , un
avis qui a été publié depuis , & dent on a fait plufieurs
éditions. Il porte en fubftance qu'il convenoit de
fufpendre les convois pour les bâtimens chargés de
bois de conftruction , jufqu'à ce que la République
fe fût mife dans un état complet de défenfe ; c'eftà-
dire qu'elle eût porté fon armée de terre à 50 ou 60
mille hommes , & fa flotte à 50 ou 60 vaiſſeaux de
guerre , dont au moins zo de ligne . Cette Ville &
les -Villes les plus confidérables de la Hollande , furent
au contraire d'avis que la République n'étant
-menacée d'aucune apparence de guerre fur terre ,
rien n'indiquoit la néceffité urgente d'augmenter l'armée
; qu'à la verité , il conviendroit au bien-être de
la République , d'avoir fur pied so à 60 vaiſſeaux de
guerre ; mais que cette augmentation demandoit
beaucoup de temps & d'argent ; & qu'en attendant
que les autres Provinces euffent fourni leur quotepart
réelle à cette dépenfe , il falloit s'en tenir à l'armement
réfolu vers la fin de l'année dernière , qui
eft de 32 vaiffeaux pour la protection de la navigation
de cette République ; & à la réfolution des Etats
de Hollande du 26 Janvier , que les Etats-Généraux
adoptèrent le 28 , par laquelle on ordonnoit des
convois , felon toute l'étendue des traités. Dans l'affemblée
des Etats de Hollande du 30 Mars , ce dernier
fentiment l'emporta à la pluralité de 10 voix ,
contre 9 , & les convois furent réfolus en conféquence
. Le lendemain , la moitié du corps des nobles
qui n'a qu'une voix dans les 19 , voulut faire
une proteſtation contre cette réfolution ; mais elle
( 120 )
eft nulle pour deux raiſons. 1c. Parce qu'il n'étoit
plus tems de proteſter , & qu'il falloit le faire quand
la réfolution pafla . 20. L'autre moitié eſt du ſentiment
contraire ; & l'on ne fauroit protefter qu'à
l'unanimité «.
>> M. le Chevalier de Verdière , Maréchal de
Camp , écrit-on de Paris , a été préfenté au Roi
par le Maréchal Duc de Duras , premier Gentilhomme
de la Chambre. Il étoit parti il y a 3 ans
pour aller vacquer à fes affaires aux ifles de
France & de Bourbon . Il effectuoit fon retour
fur un vaiffeau particulier , fans défenſe & fans
connoiffance des hoftilités , lorfque le 27 Septembre
dernier , à 40 lieues des côtes de France ,
il est devenu la proie des corfaires Anglois.
On l'a retenu 7 jours dans la rade de Moterbank
, l'une de celles de Portſmouth , pour lui
faire éprouver les plus mauvais traitemens. Les
malheurs de cet Officier Général ne fe bornent
point aux pertes qu'il a faites ; fon fort eft encore
plus à plaindre. Les Miniftres , en Angleterre
, prétendent qu'il eft prifonnier de guerre ,
ceux de France ne penfent pas de même , & ne
font pas contens qu'il ait pris en Angleterre
un Paffe- port avec parole de retourner dans
3 mois en effet , il ne paroît ni jufte ni raifonnable
de regarder comme prifonnier de
guerre un Officier Général qui eft dans l'état
d'un homme privé à la fuite de fes affaires ,
fans lettre de fervice , fans Gouvernement , fans
Régiment. Cette conféquence eft d'autant
mieux fondée , qu'il a cru pouvoir difpofer de
lui , en demandant ce Paffe-port , & s'obligeant
de retourner en Angleterre fur la première fommation
, fans qu'aucun Miniftre en France ait
pris part à ces arrangemens . On a de la peine
fe perfuader que les Miniftres d'une grande
Nation , comme celle d'Angleterre , exercent
plus long-tems une pareille injuftice «.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTEN ANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis›
particuliers , &c . &c .
15 Mai 1779.
APARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABL E.
PIÈCES
FUGITIVES.
&
Vers à M. le Comte de
Treffan J
Ordres de Saint François
,
123 Bibliothèque Universelle
Réponse de Madame du des Romans ,
Boccage à un Ottogénaire
,
168
177
SPECTACLES.
172
180
124 Académie Royale de Mu-
Aventures de Voyage, 126 fique ,
La Mort de Coco , Elégie , Comédie Françoife
135 Comédie Italienne , 181
Traduction d'une Chanfon ACADÉMIE S.
Laponne , 136 Séance publique de l'Aca-
Stances Anacréontiq. 137 démie Royale de Chi-
Aux Mânes de J. J. Rouf- rurgie ,
feau , 138 Anecdote
Réflexion ,
,
182
190
139 Annonces Littéraires, 191
JOURNAL POLITIQUE.
Conftantinople ,
Enigme & Logogryp, ibid.
NOUVELLES
LITTERAIRES. Pétersbourg,
OEuvres complettes d'Ale- Stockholm ,
xandre Pope , 141 Varfovie
La Fortification Perpendi- Vienne ,
culaire,
Séances publiques de l'A- Livourne ,
cadémie Royale de Chi- Londres ,
193
194
ibid.
197
198
200
203
158 Hambourg,
141206
rurgie , 167 Etats- Unis de Amériq.
Abrégé hiftorique dela Vie Septent. 217
Bienheureux & Bien- Paris , ro
JAT
des Saints & Saintes , Verfailles .
heureufes, &c. des trois Bruxelles
APPROBATION.
Alu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Je n'y ai Mercure de
France , pour le 15 Mai
l'impref
ion, A Paris , ce 14 Mai 1779. DE SANC
220
221
235
MERCURE
DE FRANCE.
15 Mai 1779.
PIECES FUGITIVES
EN VERS. ET EN PROSE
६
VERS à M. le Comte DE TRESSAN ,
Lieutenant-Général des Armées du Roi,
Commandant du Comté de Bitch , de la
Société Royale de Londres , de l'Acad me
de Berlin , & Affocié Libre de l'Académie
Royale des Sciences , fur la Traduction
libre d'Amadis de Gaule.
EMULE d'Amadis , tival d'Anacréon
CherauDieu des Combats comme aa Dieudu Permefle,
Fij
124
MERCURE
Les Myrthes autrefois ont paré ta jeuneffe ;
7
Mais les lauriers , Treffan , font de toute faifon ,
Et la palme des Arts couronne ta vieilleſfe.
RÉPONSE de Madame DU BOCCAGE
à un Octogénaire.
DANs
ANS l'hiver des ans la pareffe
Engendre l'ennui , les regrets ;
Et tu demandes quels hochets
Pourroient amufer la vieilleffe ?
Je l'ignore : eft-ce un jeu d'onchets ?
Ta main tremblante a peu d'adreffe :
Aurois- tu recours aux échecs ?
Ta tête, hélas ! n'y peut fuffire ;
Et le charme des vains projets
Sur un vieillard n'a plus d'empire.
Veut- il fe délecter des mets
Que fans befoin le goût defire ?
Son corps en fouffre , & mille maux
Le défolent tant qu'il refpire.
2
Pour s'en diftraire , s'il veut rire ,
Le mot ne vient point à propos,
Si près d'une belle il foupire
Elle en rit avec les rivaux.
Pour goûter les Romans nouveaux
Son cerveau manque de délire.
Le temps eft paffé de s'inftruire à
DE FRANCE. 125
En vain
par
d'amufans travaux ,
Dans les ans paffés veut- il lire ,
Ses yeux demandent du repos ;
Et des doux accords de la lyre ,
Son oreille a perdu le fon.
L'héritier , que fon bien attire,
Attend, pour jouir , qu'il expire.
Oui ( quoi qu'en dife Cicéron )
Un Neftor mêine eft un martyre 3
Il rampe en vain vers l'Hélicon ;
Son pied chancelle , & la Sageffe
Lui dit : tes chants hors de faifon
N'ont plus d'attrait pour la jeuneffe ,
Et pour danfer un rigaudon
Tes jambes manquent de foupleffe ;
Tes amis , déjà chez Pluton ,
Ne peuvent calmer ta trifteffe.
Qué te refte-t'il ? ... La raiſon :
peut-on réfléchir fans ceffe ! Et
Fij
126
MERCURE
AVENTURES DE VOYAGE ,
Nouvelle imitée de l'Italien de Malefpini.
ISIDO
ISIDORE , Gentilhomme de Favie , fe mit
en voyage , fur la fi de l'automne , pour fe
rendre aux invitations du Prince de Maifa ,
fon parent :& fon ami. Il s'arrêta quelques
jours à Gènes , & après avoir vifité les curiofités
de cette fuperbe ville , il refolut de
s'embarquer dans une tartane , le chemin
par terre étant devenu trop dangereux à
caufe des guerres civiles qui troubloient
l'Etat. Le Patron du havire vint avant le
jour l'avertir du départ . On déploya les
voiles par un vent favorable. La tartane
étoit pourvue de bons matelots , & ne renfermoit
que fept paffagers , parmi lefquels
un jeune homine d'une figure très - avantageufe
couvroit de fon manteau une Dame
pour la garantir du froid & de l'humidité de
pour
Les autres étoient deux femmes- dechambre
& des hommes du commun. A
peine eut- on fait douze milles en mer , que
le vent changea , & devint fi violent que
les matelots ne pouvoient fe fervir de leurs
rames , ni gouverner le petit bâtiment. Ifidore
engagea le Patron de débarquer à Porto!
Fino ; ce qu'il exécuta avec beaucoup de
peine. Nos voyageurs fe réfugièrent dans
DE FRANCE. 127
une auberge , où le noble Pavelan fit faire
un grand feu , & apprêter un bon repas . Cependant
le jeune homme & la Dame fetenoient
à l'ecart , & fembloient n'ofer fe
montrer. Il fallut les plus vives inftances du
Pavefan pour les engager de fe rendre à fes
offres. Quel fur fon étonnement quand il vit
la beauté de cette Dame ! Il conçut dès - lors
le plus vif interêt pour ces aimables étran
gers , & fut bientôt gagner leur confiance
par fes foins obligeans. La mer continuoit
d'être fi orageufe qu'elle ne permettoit pas
de fe remettre, en voyage. En attendant ,
Ifidore & l'étranger laiffant la Dame avec
l'hôteffe & les gens de l'équipage , mɔntèrent
fur une éminence pour voir le fpectacle impofant
des flots agités. Alors le jeune homme
jetant un profond foupir , dit au Pavelan :
Seigneur , l'état déplorable où je me trouve
» avec mon épouſe m'arrache enfin le fecret
» de mes malheurs ; mais j'efpère en vous
» les confiant mettre en sûreté fon honneur
» & nos jours , menacés des plus grands dan-
" gers ". Daignez , répondit Ifidore , me
faire part de vos craintes & de vos infortunes
, & comptez que j'emploirai mes richeffes
, mes amis , ma vie même , s'il le faut ,
à votre fervice. L'étranger encouragé par des
fentimens auffi généreux , lui dit : « Vous
faurez donc que je fuis le fils unique du
Comte de Tolingue. Je devins éperdument
amoureux de Mélanie , fille du Marquis de
Maguclonne. Je n'ai rien négligé pour obte
Fiv
728 MERCURE
nir fa main; mais une vieille inimitié qui
fubufte entre nos deux Maifons s'eft toujours
oppofée aux fuccès de mes voeux. Informé
que , pour m'ôter tout espoir , fes parens
avoient choifi pour fon époux le Chevalier
de Ramufe , qu'elle ne pouvoit fouffrir ,
j'ai pris le parti , d'accord avec Mélanie , de
l'enlever de chez fon père , qui ne craignant
rien de pareil , ne veilloit pas de fort près à
fes actions. Une belle nuit , affifté de quatre
de mes vaffaux les plus affidés , j'entrepris de
la conduire en Picardie dans une Terre d'une
de mes parentes , pour la fouftraire aux perfécutions
de fa famille . Avec le renfort de
quelques amis bien montés , nous fuivions
notre route , lorfqu'au fortir d'un bois nous
rencontrâmes le Comte de Rones , coufin
de Mélanie , homme fier & violent , qui prétendoit
auflì à fa main , mais qu'elle avoit
toujours rejeté. Il étoit accompagné de gens
à cheval ; il avoit fans doute fait épier notre
marche. Auffi-tôt qu'il nous apperçut : qu'on
-arrête , dit-il d'un ton impérieux , ces genslà;
je veuxfavoir qui ils font , & où ils emmènent
cette jeune perfonne. Nous fûmes
en même- tems inveftis de toutes parts . Perfuadé
qu'avec ma foible eſcorte je ne pouvois
réfiſter à tant de monde , je crus mettre
fin à cette aventure en déclarant qui nous
étions , & notre deffein. Que je fus cruellement
détrompé ! Dès que le Comte de Rones
entendit mon nom , devenu encore plus
furieux , il s'écria : Traítre ! infâme raviffeur!
DE FRANCE. 129
j'arrêterai tes odieux projets ; tu vas périr de
la mort la plus affreufe , pour fervir àjamais
d'exemple aux fcélérats de ta forte ! A ces
mots il me porte un coup d'épée fi terrible ,
que , fi je n'euffe effacé le corps en me précipitant
de cheval , il m'auroit tué. Mes gens
me croyant mort , l'attaquèrent avec intrépidité
; & , comme il étendoit le bras pour
faifir aux cheveux Mélanie , ils le bleffèrent:
dangereufement. Le combat devint général
avec ma troupe & la fienne. Sans doute que
la nuit , qui s'approchoit , aura donné aux
miens , qui étoient en trop petit nombre , la
facilité de s'échapper. Pour moi , fongeant à
fauver Mélanie , qui étoit étendue par terre
fans connoiffance , je m'approchai d'elle en
tremblant. Elle m'apperçoit , fe foulève , &
fe précipite entre mes bras. Je lui dis d'une
voix baffe & prefqu'étouffée : Idole de mon
coeur, fi jamais il fallut montrer du courage
& de l'agilité , c'eſt à-préfent ; rappelez toutes
vos forces & fuivez - moi . Auffi- tôt je l'entraînai
dans la forêt. Nous y courûmes longtems
, jufqu'à ce que , fuccombant à la laffitude
& à la détreffe , nous nous jetâmes au'
pied d'un arbre. Nous ne favions comment
fortir de ce bois touffu , où il ne paroiffoit
ni voie ni fentier ; nous appréhendions de
n'avoir été préſervé par notre barbare deſtinée
, que pour devenir la proie de bêtes fauvages
qui pouffoient des hurlemens affreux.
Dans cette extrémité, au milieu des halliers
& des ronces , nous entendimes le trépigne-
Fy
130
MERCURE
ment de quelque animal qui s'avançoit vers
nous ; craignant , non fans fondement , que.
ce ne fût quelque bête carnacière , faidai
Mélanie à grimper fur l'arbre , & je me mis
en défenfe heureufement que ce n'étoit
qu'un mulet fort pacifique. Je l'arrêtai , me
doutant bien qu'il s'étoit échappé de quelque
maifon ou cabane voifine ; je fis defcendre
ma compagne , & la plaçai fur le mulet
que nous laiffames aller en liberté , le prenant
pour notre guide. En effet , il nous con .
duifit à la chaumière d'un Bûcheron , qui
nous reçut avec d'autant plus de joie que
nous lui ramenions fa monture, qu'il croyoit
dévorée par les loups dont le bois eft rempli.
Obligés de fuir précipitamment , nous avions
laffe fur le champ de bataille , équipages ,
argent , bijoux ; il ne nous reftoit que nos
habits , une chaîne d'or que j'avois au cou ,
& quelques pierreries. Nous fîmes le projet
de paffer en Italie , & d'y demeurer inconnus
jufqu'à ce que le temps , remède univerfel
de tous les maux mit fin à nos:
misères. Le lendemain nous priâmes le Bûcheron
& fa femme de nous donner quelques-
uns de leurs vêtemens en place des
nôtres , à quoi ils acquiefcèrent volontiers ,
dans l'efpérance du profit ; car la fimplicité
ruftique n'exclud point la cupidité , & l'amitié
du Payfan l'aveugle rarement fur fes
intérêts. Habillés en villageois , & inftruits
par ces bonnes gens , qui nous accompagnerent
quelque tems , de la route qu'il falloit
DE FRANCE. 131
tenir , nous les quittâmes. Arrivés à Marfeille
, nous nous embarquâmes pour Gênes,
où Mélanie , fatiguée de la mer , me propofa
de faire quelque féjour . Nous vendîmes la
chaîne d'or & le peu de pierreries qui nous
reſtoient , & , abandonnant nos habits ruftiques
, nous achetâmés ceux que vous nous
voyez. La fortune n'avoit pas épuisé tous fes
traits contre nous ; elle nous préparoit encore
de nouvelles difgrâces. Nous avions
pris dans Gênes , à l'Auberge de Sainte-Marie ,
un logement fort ifolé. Certain jour que
j'étois forti du matin pour quelques affaires ,
le valet de l'hôtellerie , qui avoit fans été
doute gagné , introduifit un jeune homme fuperbement
vêtu dans la chambre de Mélanie.
Je ne fais comment ce galant avoit pu
la voir pour en être fi paffionnément épris ,
car elle vivoit extrêmement retirée. Il employa
les offres les plus riches , les flatteries ,
& tous les moyens de féduction ; mais ne
pouvant réuffir dans fon criminel deffein , il
vouloit recourir à la violence : Mélanie
crioit , fe défefpéroit , appeloit du fecours ,
lorfque j'arrivai , fort à propos fans doute.
J'enfonce la porte ; je m'élancé fur cet
homme , & le perce de mon épée , délivrant
à la fois Mélanie & moi d'un commun opprobre
ce malheureux tomba roide mort.
Le meurtre s'étant fait fans éclat , j'entraînai
aufli- tôt Mélanie , fermant la chambre , où la
frayeur nous fit oublier encore nos hardes &
l'argent qui nous reftoit de la vente de nos
F vj
132 MERCURE
bijoux. C'étoit avant- hier. Nous nous réfu
giames , fans être apperçus de perfonne , chez
un François dont j'avois fait depuis peu connoiffance
: nous lui avons caché notre fu
nefte aventure ; & , prétextant des affaires
très - preffantes , nous l'avons engagé d'aller
voir au Môle fi aucun vaiffeau ne mettoit
pas à la voile. Il nous a rapporté qu'une tartane
devoit partir pour Lérici . Nous avons
alors follicité le Patron d'accélérer fon départ :
il nous a dit qu'il étoit obligé de vous attendre
; mais nos inftances réitérées l'ont déter-
'miné à vous aller chercher de grand matin .
Dieu fait le trouble & l'inquiétude où nous
avons été plongés jufqu'à votre arrivée.Enfin ,
nous comptions être en fûreté , lorſque la
mer , les vents & la fortune ont conjuré
contre nous , pour que la Juftice , informée
de l'homicide , puiffe encore envoyer fur nos
traces , nous faire arrêter & nous livrer au
fupplice comme de vils affaffins. Jugez , Seigneur
, s'il fut jamais une fituation plus
cruelle & plus alarmante ! »
Le jeune Tolingue termina fon récit en
fuppliant le généreux Pavefan de lui accorder
fes confeils & fon appui . Ifidore ne put refufer
des larmes d'attendriffement aux malheurs
de ces Etrangers . Comptez , dit-il , fur
tous les fecours qui feront en ma puiſſance ,
& regardez moi comme un ami & comme
un frère qui vous eft inviolablement attaché.
Je veux , en dépit des ouragans & de la mer ,
vous tirer d'ici , & vous arracher au danger
DEFRANCE.
་ 33
1
:
qui vous menace. Si le chemin par terre
n'étoit pas impraticable , nous monterions
tout à l'heure à cheval ; mais quelque temps
qu'il faffe, il faut nous rembarquer cette nuit,
Il promit triple paie au Patron & aux Matelots
s'ils mettoient fur le champ à la voile ,
& les détermina ainfi à partir fans délai ,
quoique le vent fut très- contraire. On étoit
à la vue de Montereno , paffage fort dange→
reux , où la mer fe divifant , s'engouffre
dans des grottes profondes avec un fracas
épouvantable. Le temps devint tellement
orageux , que le Patron dit à fes gens , qui
étoient immobiles d'effroi fi la tempête
continue , je me jette à l'eau , & fauve qui
pourra. Chacun pâlit à ces mots : Mélanie
confternée , embraffe le Pavefan , qui la
raffure de fon mieux. Il va trouver le Pilote
au gouvernail , &, manoeuvrant avec lui , il
le dirige avec prudence contre la fureur des
ondes ; il harangue les Matelots , leur diftribue
des liqueurs fortes , & leur rend le courage
& la vigueur. Tolingue travailloit auffi
avec les autres paffagers. Enfin on parvint ,
avec des efforts incroyables, à Porto-Venere,
où le généreux Pavelan régala tout l'équi
page ; & le lendemain on arriva de bonne
heure à Lérici. Ifidore retint les deux filles
au fervice de Mélanie , & les conduifit avec
Tolingue à Maffa , qui eft à peu de diſtance
de cette ville. Le Prince reçut avec diftinction
fon Parent & les deux jeunes Etrangers ,
& leur affigna un logement dans fon Palais ,
134
MERCURE
>
prit le plus vif intérêt au fort de ces Amans
infortunés ; &, ayant eu autrefois quelques
liaifons avec leurs familles, dont il avoit connu
plufieurs Officiers dans les guerres d'Italie , il
fit paffer un de fes Gentilshommes en France
pour ménager leur reconciliation. L'Envoyé
agit avec tant de zèle & d'adreffe, qu'il parvint
à réconcilier leurs intérêts : leur plus
grand étoit de revoir leurs enfans , dont ils
pleuroient l'abfence & les malheurs. Ils envoyèrent
vers eux des gens de confiance ,
pour les ramener dans leur patrie , où ils
étoient attendus avec un tendre empreffement.
Ils prirent donc congé du Prince
après l'avoir remercié mille fois de fes bontés
officieuſes. Ils exigèrent du bienfaiſant Ifidore
qu'il les accompagnât , & vint aflifter
à leurs noces : elles furent célébrées avec
grande pompe au fein des deux familles réunies.
Les deux Epoux & leurs Parens ne pouvoient
affez fêter à leur gré leur commun
bienfaiteur. Dans ce même-tems , une Coufine
de Mélanie , riche , aimable , & encore
dans la fleur de la jeuneffe , ayant perdu un
vieux mari qui lui laiffoit de grands biens , ils
la lui firent époufer ; ce qui le fixa pour toujours
en France , où ces deux couples charmans
goûtèrent long - temps les délices de
l'amour & de l'amitié.
DE FRANCE. 135
LA MORT DE COCO ,
SINGE CHERI D'ÉGLÉ.
Optima prima ferè manibus rapiuntur avaris.
ÉLÉGIE
.
QUITTEZ , z , Ameurs , cet air folâtre;
Hélas ! vos jeux font fuperflus !
Nymphes , voilez ce teint d'albâtre :
Pleurez , pleurez , Coco n'eft plus.
QUEL Singe fut plus beau , quelle ame fut plus belle !
On vit briller en lui les grâces de l'Amour :
La Nature jalouſe en briſa le modèle
En lui donnant le jour.
LA mort , l'affreufe mort , infenfible à vos larmes ,
Ofa donc , belle Églé , le frapper dans vos bras !
Errant aux bords du Styx , il pleure encor vos charmes
,
Si l'on pleure là-bas !
Il nous faut tous paffer dans la fatale barque ;
Pour les foibles humains tel eft l'arrêt du fort :
Lerang même n'eft rien ; Berger , Singe & Monarque ,
Tout doit craindre la mort.
136 MERCURE
VOTRE ame à la douleur fuccombe ,
Églé , vos cris font fuperflus !
Jetons des rofes fur la tombe :
Pleurez , Amours , Coco n'eft plus !
( Par M. Maffon de Morvilliers , Avoca
au Parlement. )
TRADUCTION d'une Chanfon Laponne ,
tirée d'une des Lettres du Spectateur
Anglois.
MA Renne * , hâre-toi ; que tu vas lentement !
Qu'au gré de mes defirs ta courſe eft peu fenfible !
Au travers de ces eaux , lance-toi fièrement ,
Sache que pour l'amour il n'eft rien d'impoffible .
PAR-TOUT en ces climats , où je porte les yeux ,
Je ne vois des marais que la vaſte étendue ;
Et déjà le foleil affoibliffant fes feux ,
Bientôt va pour long -temps fe cacher à má vue.
LES prés verds & fleuris , & les côteaux rians
N'ont plus d'attraits pour moi ; je leur préfère même
La glace de ces lacs , & les triſtes étangs :
C'eft par-là que je vole aux pieds de ce que j'aime.
!I
** La Renne eft un animal qui fert aux Lapons pour
voyager en traîneau:
DE FRANCE.
137
JE brûle de defirs ; ma Renne , hâte -toi ,
A mon impatience égale ta vîteffe ,
Bientôt notre voyage eft terminé pour moi ;
Bientôt , ô doux moment ! je verrai ma maîtreffe.
STANCES ANACREONTIQUES.
U
Qui n'a point vu mon
ai- ma - ble
EP
Maîtref- fe , N'a jamais vu
ni graces , ni beau- té ; Dans les beaux yeux .
quel-le dou- ce ten- dref- fe , Et fur fon
fein,Dieux ! quelle vo-lupté , Et fur fon
fein , Dieux quel- le vo -lup- té!
#38 MERCURE
ILs font paffés , les beaux jours de ma vie!
Ils font paffés , cès trop fortunés jours ;
Je ne vois plus l'aimable Virginie ,
Je ne vois plus l'objet de mes amours.
JE pleure , ôcie!! Dieu d'Amour je t'implores
Viens arpaiſer le trouble de mes fens.
Ah ! bien plutôt , viens , beauté que j'adore ,
Sécher mes pleurs par tes charmes puiffans .
REVIENS , reviens diffiper mes alarmes ;
Viens , Virginie , accours entre mes bras;
Si tu ne veux bientôt verfer des larmes
Sur le tombeau du malheureux Hilas .
(Par M. F***. )
AUX MANES DE J. J. ROUSSEAU.
Pour les fenfibles coeurs que ta plume a de char
mes !
Hélas ! le tien jamais n'auroit dû fe flétrir!
A ta cendre je dois l'hommage de mes larmes;
J'admirois la vertu , tu me la fis chérir.
(Par Madame la Marquife de la Fer...)
DE FRANCE. 139
JE
RÉFLEXIO N..
E vois approcher fans frémir
La froide & pefante vieilleffe ;
Et fans regretter ma jeunere ,
Je vois fuir Amour & plaifir.
Si pourtant cet enfant volage
Devenoit fincère & conftant ,
Ah ! je le dis en foupirant ,
Je regretterois le bel âge !
(Par la même.)
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Papier; celui du
Logogryphe eft Tête.
ÉNIGME.
NE me cherchez point fur la terre ,
Bien moins encor au firmament :
Où donc ? Dans l'huinide élément ;
C'eft- là mon féjour ordinaire .
On m'en fait fortir quelquefois
Avec l'animal qui me porte ,'
Pour nous fervir tous deux à la table des Rois ,
140 MERCURE
Ainfi qu'à celle du Bourgeois.
Qu'on m'y traite d'étrange forte !
Je me vois en tous lieux le rebut des valets ;
Mais fur plus d'un mortel j'exerce ma vengeance ,
Et fur les Rois auffi ; fitôt qu'en leur palais ,
En dépit de leur garde , ils fentent ma préſence ,
Il faut voir comme alors ils font embarrallés :
Sans qu'ils me voient , je les pique .....
Lecteur , plus clairement veux - tu que je m'explique ?
Je fuis.... Arrête , Mufe ; en voilà bien affez.
( Par Madame de Potelle. )
LOGOGRYPHE.
L'on me voit à la guerre au milieu du carnage ,
Et mes enfans y font un terrible ravage ;
Car je loge en mon fein tous ces coups meurtriers
Qui renverfent fouvent des bataillons entiers.
Si tu veux , cher Lecteur , un peu mieux me connoître,
Renverſes mes fept piés , & tu verras paroître
Ce qu'on voit en campagne au temps de la moiffon ;
Ton dernier logement ; une amère boiffon ;
Une Province en France ; un ton de la mufique;
Le bord d'une rivière ; un habitant d'Afrique ;
Ce qui tombe fur terre en la triſte ſaiſon ;
Un péché capital ; de la Suiffe un Canton .
Je voudrois-bien , Lecteur , t'en dire davantage ,
Mais le tambour m'appelle , il faut ployer bagage.
DE FRANCE. 141
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EUVRES complettes d'Alexandre Pope ,
traduites en François . Nouvelle Édition ,
revue , corrigée & augmentée du texte
Anglois , mis à côté des meilleures Pièces ,
& ornée de belles gravures. A Paris , chez
la Veuve Duchefne , rue S. Jacques , 8 vol.
in-8°. Prix , 48 liv . brochés.
CETTE Édition l'emporte fur toutes les
précédentes , par la beauté & la correction ,
& fur-tout par l'avantage qu'elle a de contenir
en original les ouvrages qui ont fait
la réputation de l'Auteur , l'Effai fur la critique
& l'Effai fur l'homme , l'Épître d'Héloife
à Abeilard , la Forêt de Windſor , la
Boucle de Cheveux enlevée , le Temple de la
Renommée , & la Dunciade. Il s'en faut de
beaucoup que ces trois derniers approchent
de la fupériorité des précédens . L'Effai fur
la critique eft un ouvrage d'autant plus étonnant
, qu'il fut compofé , dit-on , à dix- neuf
ans. Jamais la raifon & le goût ne furent
plus précoces ; & cette compofition n'a rien
de la jeuneffe que la vigueur & la franchiſe.
D'ailleurs , tout y eft mûr & plein de fens. Il
a peut-être moins d'agrément que l'Art Poé
142
3 MERCURE
tique de Boileau , & une méthode moins
marquée ; mais on y trouveroit plus d'idées.
On a prétendu qu'il y avoit du defordre ; ce
reproche nous paroit injufte ; & la marche
du Poëte Anglois , fans être aufli clairement
tracée que celle de Defpréaux , n'eft ni moins
sûre ni moins rapide. L'Abbé du Refnel s'eft
permis de la changer , de tranfpofer plufieurs
morceaux , de partager en quatre Livres le
Poëme Anglois , qui n'en a que trois. On ne
s'apperçoit pas que Pope ait rien gagné à
tous ces changemens. La verfion de l'Abbé
du Refnel eft pure & correcte , mais fouvent
aulli foible qu'infidelle . Il eſt fort éloigné de
la précision & de l'énergie de fon Auteur
& fa diction eft en général trop profaïque ,
quoiqu'on y remarque plufieurs morceaux
qui ont du mérite, Il paroit que celui de
Pope étoit fur- tout un très-grand fens , un
excellent efprit ; c'eft du moins le mérite
qu'il a pour les Lecteurs de toutes les Nations
celui d'être le plus élégant des Poëtes
Anglois , ne peut être fenti que par ſes compatriotes
; eux-feuls en font les juges compétens.
Mais nous ne pouvons pas les en
croire , lorfqu'ils mettent la boucle de Cheveux
enlevée à côté ou même au-deffus du
Lutrin. Nous fommes fort éloignés de mettre
dans ce jugement aucune partialité nationale ;
mais nous invoquerons le témoignage de
tous les Lecteurs éclairés ; nous les prierons
de comparer la fable , les perfonnages , les
tableaux , les épiſodes , les détails des deux
DE FRANCE. 143
Ouvrages; & peut -être penferont- ils comme
nous que l'invention n'étoit pas le talent de
Pope ; & que s'il a eu la gloire de lutter à
dix- neuf ans contre l'Art Poétique , il eſt
refté bien au- deffous du Lutrin.
Que l'on examine dans cet ouvrage la petiteffe
du fujet fi heureufement vaincue , l'action
fi bien ordonnée , & augmentant toujours
d'intérêt ( autant que le fujet en eft fufceptible
) , du moins pendant les cinq premiers
Livres ; ( car le fixième n'eft pas dignet
des autres ) tous les perfonnages fi bien caractérisés
, tous les difcours fi bien foutenus ,
cet admirable épiſode de la Molleffe , ces
peintures fi variées & fi riches , cette excellente
plaifanterie , ces comparaifons tou
jours fi bien placées , cette meſure fi pafaitement
gardée dans le mélange du ferieux
& du comique , enfin cette perfection continue
d'un ftyle qui prend tous les tons ; &
- l'on conviendra que le Lutrin eft un chefd'oeuvre
de verve poétique , une de ces créa
tions du grand talent , dans lesquelles il fu
faire beaucoup de rien .
>
Qu'on life enfuite la Boucle de Cheveux ,
& l'on verra cinq chants abfolument dénués
d'action de caractères , de mouvement ,
d'intérêt , d'idées & de variété. Un Baron
forme le projet de couper une boucle dest
cheveux de Bélinde. Il la coupe pendant
qu'elle prend du café. Voilà tout le fond
du Poëme ; l'on ne vous dit pas même ce que
' étoit que Bélinde ni le Baron , on n'établit
144 MERCURE
aucun rapport entre eux. Il ne fe paffe rien
avant ni après la boucle coupée ; & en mettant
à part le mérite de l'élégance Angloiſe ,
( dont , encore une fois nous ne parlons pas )
on ne trouve d'ailleurs que des defcriptions
monotones , de froides allégories , des plaifanteries
tout auffi froides. La Fable des Sylphes
, que Pope a très-inutilement empruntée
du Comte de Gabalis , pour en faire
le merveilleux de fon Poëme , n'y produit
rien d'agréable , rien d'intéreffant . Un Sylphe
apparoît en fonge à Belinde , & lui déclare
qu'elle eft menacée d'un malheur. Il
ordonne à d'autres Sylphes , fes compagnons ,
de veiller fur elle. On s'attend à voir naître
quelque chofe de cette fiction . Point du
tour. Le Sylphe eft coupé en deux par les
cifeaux qui coupent les cheveux de Bélinde ,
& les deux parties de fa fubftance aërienne
fe rejoignent auffi-tôt. Le Gnome Umbriel
va chercher la Mélancolie ou la Déeffe aux
vapeurs , pour affliger Bélinde , comme fi
Bélinde , au moment où elle perd fes cheveux
, avoit befoin d'une Divinité pour s'attrifter
de fa perte . Survient enfuite une querelle
entre Belinde & Taleftris, fon amie. La
querelle eft fuivie d'un combat d'hommes &
de femmes , dans lequel Belinde terraffe le
Baron avec de la fumée de tabac & une aiguille
de tête . Elle lui redemande fes cheveux
; mais on ne fait ce qu'ils font devenus.
Le Poëte prétend qu'il les a vus monter à la
fphère de la lune. On demande ce qu'il y a
dans
DE FRANCE.
145
dans toute cette Fable qui puille offrir de
l'agrément , de la gaîté ou de l'intérêt.
Voyez, au contraire, comme dans le Lutrin
tous les agens employés par le Poëte ont chas
cun leur objet & leur effet . Voyez la Dif
corde
Encor toute noire de crimes ,
Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes ,
s'indigner du repos qui règne à la Sainte Cha
pelle , & jurer d'y détruire la paix , comme
elle a fu la détruire ailleurs . Elle apparoît en
fonge , fous les traits d'un vieux Chantre
au Prélat qu'elle anime contre fon rival. Et
comme l'épiſode de la Molleffe eft amené !
Au moment où les amis du Prélat ont , dans
la nuit , élevé un lutrin qui doit défefpérer
les Chantres , la Diſcorde pouffe un cri de
joie :
L'air qui gémit du cri de l'horrible Déeffe ,
Va jufques dans Citeaux réveiller la Molleffe .
La Nuit vient lui raconter les querelles
qui vont s'allumer . La Molleffe en prend occafion
de fe plaindre de tous les maux que
lui fait un Roi qui ne la connoît pas.
L'Égliſe du moins m'affuroit un afyle.
Par ce feul vers le Poëte rentre auffi-tôt
dans fon fujet. Cet Art n'eſt connu que des
Maîtres.
Par mon exil honteux la Trappe eſt annoblie.
15 Mai 1779.
G
146 MERCURE
J'ai vu dans Saint -Denis la réforme établie.
Le Carme , le Feuillant s'endurcit aux travaux ,
Et la régle déjà fe remet dans Clairvaux.
Citeaux dormoit encore , & la Sainte - Chapelle
Confervoit du vieux temps l'oifiveté fidelle .
Que ces deux derniers vers font heureux !
Elle prie la Nuit de la venger des profanes
qui , avec leur Lutrin , vont chaffer la Molleffe
de fon dernier afyle.
O toi , de mon repos compagne aimable & fombre ,
A de fi noirs forfaits prêteras-tu ton ombre ?
Ah Nuit ! fi tant de fois dans les bras de l'Amour
Je t'admis aux plaifirs que je cachois au jour
Du moins ne permets pas !….…
Voilà la Nuit mife en action . C'eſt elle
qui va placer dans le Lutrin ce hibou qui
épouvante Boirude & fes deux compagnons.
Ils fuyent , mais la Diſcorde , fous les traits
de Sidrac , vient leur rendre le courage , &
les fait rougir de leur puérile frayeur. Ils fe
raniment , ils mettent la main à l'oeuvre ,
Et le pupitre enfin tourne fur fon pivot.
Voilà de la machine poétique , du mouvement
, de l'action , de la vie,
Que l'on effaye de comparer la partie.
d'Hombre, & le combat fi infipide & fi long
des Piques contre les Treffles , & des Coeurs
contre les Carreaux , à ce combat fi ingénieux
& fi finement fatyrique, des , Chantres
DE FRANCE. 147
& des Chanoines qui fe jettent à la tête tous
les livres de la boutique de Barbin fur les
degrés du Palais. Quel modèle de la bonne
plaifanterie & de la fatyre mife en action
& habilement encadrée , & quelle foule de
traits piquans !"
L'art des plaifanteries de Pope eſt toujours
le même , celui de rapprocher un grand
objet & un petit. Bélinde eft menacée d'un
malheur.«Je ne fais , dit le Sylphe Ariel ,
» fi la Nymphe doit enfreindre les lois de
.
Diane , ou fi elle doit feulement caffer
sune porcelaine , fi fon honneur ou fon
habit recevra quelques taches , fi elle ou-
» bliera de faire fes prières , ou d'aller à une
ور
16
partie de mafques , fi elle perdra fon coeur
» ou fon collier au bal, ou fi enfin la def-
» tinée a déterminé qu'il arrive un malheur
» à fon petit chien ». Peint-il la douleur
de Bélinde au moment où fes cheveux lui
font enlevés « On ne pouffe point au cicl
» des cris auffi perçans lorfqu'un mari ou
?
un chien favori rendent le dernier foupir,
» ou quand une belle porcelaine tombe , &
» que les fraginens fe réduifent en poudre ».
Ce genre de plaifanteries eft froid , furtout
lorfqu'il eft répété. On en trouve d'une
efpèce encore plus mauvaife. Chez la Déeffe
aux Vapeurs , on apperçoit quantité de transformations
& de métamorphofes fantaſtiques.
" Dans le défordre de leur imagina
tion , les hommes accouchent , & les filles
و د
Gij
148 MERCURE
*
changées en bouteilles , demandent tout
» haut des bouchons »,
And maids turn'd bottles , call aloud for corks.
On ne voit point dans Defpréaux de traces
de ce mauvais goût ; & ce n'eft pas là la
gaîté des honnêtes- gens.
A l'égard des caractères , qu'eft- ce que le
Baron & Bélinde , & la prude Clarice, & Ta
leftris , & le Chevalier Plume , & Ariel le
Sylphe, & Umbriel le Gnome ? Cherchez dans
tous ces perfonnages une figure dramatique
ou une tête pittorefque , & vous n'en trou
verez pas une, Voyez au contraire dans Boileau
le portrait du Prélat qui repoſe :
La jeuneffe en fa fleur brille fur fon vifage.
Son menton fur fon fein defcend à double étage ;
Et fon corps ramaffé dans fa courte groffeur,
Fait gémir les couffins fous fa molle épaiffeur,
Voyez s'avancer le vieux Sidrac , Confeiller
du Prélat,
Quand Sidrac , à qui l'âge allonge le chemin ,
Arrive dans la chambre un bâton à la main ;
Ce vieillard dans le Choeur a déjà vu quatre âges ;
Il fait de tous les temps les différens ufages ;
Et fon rare favoir , de fimple Marguillier ,
L'éleva par degrés au rang de Cheffecier,
Les héros d'Homère font- ils mieux peints ?
MADE FRANGE 6149
Aláin touſſe & fe lève ; Alain , ce favant homme,
Qui de Bauni yingt fois a lu toute la fomme ,
Qui pofsède Abelly , qui fait tout Raconis ,
Et même entend , dit-on , le latin d'Akempis.
Au mérite des portraits , joignez celui des
peintures.
Parmi les doux plaifirs d'une paix fraternelle ,
Paris voyoit fleurir fon antique Chapelle.
Ses Chanoines , vermeils & brillans de fanté,
S'engraiffoient d'une longue & fainte oifiveté .
Sans fortir de leurs lits , plus doux que leurs hermines,
Ces pieux fainéans faifoient chanter matines ,
Veilloient à bien dîner , & laiffoient en leur lieu ,
A des Chantres gagés , le foin de louer Dieu .
Dans le réduit obfcur d'une alcove enfoncée ,
S'élève un lit de plume à grands frais amaſſée.
Quatre rideaux pompeux par un double contour ,
En défendent l'entrée à la clarté du jour.
Là , parmi les douceurs d'un tranquille filence ,
Règne fur le duver une heureuſe indolence ;
Ceft- là que le Prélat , muni d'un déjeûner ,
Dormant d'un léger fomme , attendoit le dîner.
O puiffant porte- croix !
Boirude , Sacriftain , cher appui de ton maître !
Lorfqu'aux yeux du Prélat tu vis ton nom paroître ,
On dit
que ton front jaune & ton teint fans couleur ,
Giij
150
MERCURE
Perdit en ce moment fon antique pâleur ;
Et que ton corps goutteux , plein d'une ardeur guerrière
,
Pour fauter au plancher , fit deux pas en arrière .
Entrez dans le féjour de la Molleffe :
C'eſt-là qu'en un dortoir elle fait fon féjour ;
Les plaifirs nonchalans folâtrent à l'entour.
L'un paitrit dans un coin l'embonpoint des Chanoines
L'autre broye en riant le vermillon des Moines.
La Volupté la fert avec des yeux dévots ,
Et toujours le Sommeil lui verfe des pavots.
Lifez la defcription des vêtemens du
Chantre.
On apporte à l'inftant fes fomptueux habits
Où fur l'ouate molle éclate le tabis . f
D'une longue foutane il endoffe la moire ,
Prend fes gands violets , les marques de fa gloire ,
Et faifit en pleurant ce rochet qu'autrefois
Le Prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
N'est- ce pas ainfi que la Poéfie anime
&
embellit tout? L'Auteur fait la faire def
cendre avec fuccès juſqu'aux objets les plus
communs .
A ces mots il faifit un vieil Infortiat ,
Groffi des vifions d'Accurfe & d'Alciar ,
Inutile ramas de gothique écriture ,
DE FRANCE. 151
Dont quatre ais mal unis formoient la couverture ,
Entourée à demi d'un vieux parchemin noir ,
Où pendoit à trois clous un refte de fermoir.
La deftruction du Lutrin n'eft pas d'une
beauté moins remarquable , à un feul mot
près.
Enfin fous tant d'efforts la machine fuccombe ,
Et fon corps entrouvert chancelle , éclate & tombe.
Tel fur les monts glacés des farouches Gélons ,
Tombe un chêne battu des voifins aquilons ;
Ou tel , abandonné de fes poutres ufées ,
Fond enfin un vieux toit fous fes tuiles brifées .
A
Quoi de plus commun , & qui femble
prêter moins aux couleurs poétiques , que
d'allumer une chandelle avec une pierre à
fufil & un briquet ! Le talent faura encore
ennoblir ces détails fi familiers .
Des veines d'un caillou qu'il frappe au même inftant,
Il fait fortir un feu qui pétille en fortant ;
Et bientôt au brafier d'une mèche enflammée ,
Montre , à l'aide du foufre , une cire allumée .
Et de jeunes gens qui s'occupent à rajeûnir
des lieux communs fur le foleil & la
lune , prétendent , dit - on , créer la Poéfie
defcriptive , créer une langue inconnue à
Defpréaux & à Racine ! Avant de prétendre
à en faire une , qu'ils étudient encore celle
de leurs Maîtres.
Giv
352
MERCURE
On s'est étendu volontiers fur cet excellent
ouvrage, parce que c'eft un de ceux qui font
le plus d'honneur à notre Littérature , un de
ceux où la perfection de notre Poéfie a été
portée le plus loin : on peut même dire qu'il
n'a point eu de modèle ; car qu'eft- ce , en
comparaifon du Lutrin , que le Combat des
Rats & des Grenouilles , & le Seau enlevé de
Taffoni Si Boileau a montré dans les autres
écrits une raiſon fupérieure , ici il s'eft montré
grand Poëte.
On n'a point remis fous les yeux du Lecteur
ce beau morceau de la Molleffe , parce
qu'il eft trop connu. Il y en a un dans la
Boucle de Cheveux qui eft le meilleur de
l'ouvrage , & qu'on peut mettre en parallèle
avec l'épifode du Lutrin , d'autant plus
aifément que nous avons deux traductions
des vers Anglois , une de Voltaire , & l'autre
de M. de Marmontel. Ce dernier s'eft amule
dans fa jeuneffe à traduire la Boucle de Che
veux. C'eft-là qu'on trouve ce vers heureux
fur les montres à répétition :
Et la montre répond au doigt qu'elle repouffe.
Vers peut-être fupérieur au vers Anglois ;
And the prefs'd watch return'd a filver found ;
Et qui rappelle celui de l'Anti-Lucrèce è
Digitoque premens interrogat horam.
L'endroit dont il s'agit , eft celui où
Poëte conduit Umbriel chez la Mélancolie
DE FRANCE. 152-
ou la Déeffe des Vapeurs. Voici la version dé
M. de Marmontel.
Auffi-tôt Umbriel , Gnome ennemi du jour ,
De la Nymphe aux Vapeurs va chercher le féjour.
Par l'oblique détour d'une fombre , avenue ,
Dans ce lieu fouterrain le Gnome s'infinue . »!
Jamais on n'y fentit le Zéphir careffant ;
Mais du vent du midi le ſouffle aſſoupiſſant ,
Ne ceffe d'y porter une vapeur impure.
Dans l'humide réduit de cette grotte obfcure ,
Les regards du Soleil n'ont jamais pénétré :
Ceft- làà que fur un lit , aux ſoucis confacré ,
Le coeur gros de foupirs , trifte , pâle & rêveuſe ,
Repofe mollement la Déeffe quinteufe.
La douleur la retient attachée au duvet ,
Et la fombre Migraine affiége fon chevet.
Aux côtés de fon lit paroiffent deux Veftales ;
Leurs traits font différens , leurs dignités égales.
L'une vieille Sybille , au teint noir & plombé ,
Y traîne un corps mourant fous cent luftres courbé: 1
C'eſt la Malignité. Sur fes membres arides
S'étend un cuir tanné que fillonnent les rides :
Les yeux pleins de douceur , le coeur rempli de fiel ,
Déchirant les humains , elle bénit le ciel
Et flattant avec art le mérite modefte , makap
A fes embraffemens mêle un poifon funefte.
L'autre, jeune beauté , ( c'eft l'Affectation )
Pour prévenir de loin des maux d'opinion ,,,
ba
Gv
154
.MEK CURE MERCURE
Dans un lit fomptueux fe plonge par grimace ,
Roulé un oeil languiſſant , & ſe pâme avec grâce.
M. de Voltaire a donné une imitation trèslibre
de ce même morceau , qu'il a embelli.
Umbriel à l'inftant , vieux Gnome rechigné,
Va d'une aîle pefante & d'un air renfrogné ,
Chercher en foupirant la caverne profonde ,
Où loin des doux rayons que répand l'oeil du monde,
La Déeffe aux Vapeurs a choifi fon féjour .
Les triftes aquilons y fifflent à l'entour ,
Et le fouffle mal fain de leur aride haleine ,
Y
porte
aux environs la fièvre & la migraine.
Sur un riche fopha , derrière un paravent ,
1
I
Loin des flambeaux, du bruit, des parleurs & du vent ,
La quinteufe Déeffe inceffamment repofe ,
Le coeur gros de chagrins , fans en favoir la cauſe ,
N'ayant penfé jamais , l'efprit toujours troublé ,
L'oeil chargé, le teint pâle , & l'hipocondre enfié.
La médifante Envie eft affife auprès d'elle ,
Vieux fpectre féminin , décrépite pucelle ,
Avec un air dévot déchirant fon prochain ,
Et chanfonnant les gens , l'Évangile à la main.
Sur un lit plein de fleurs , négligemment penchée ,
Une jeune beauté non loin d'elle eft couchée :
C'eſt l'Affectation , qui graffeye en parlant ,
Écoute fans entendre , & lorgne en regardant ,
Qui rougit fans pudeur , & rit de tout fans joie ,
De cent maux différens prétend qu'elle eſt la proie ;
DE FRANCE. 155
Et pleine de fanté fous le rouge & le fard ,
Se plaint avec molleffe & fe pâme avec art.
On cite une Lettre de M. de Voltaire , où
il met la Boucle de Cheveux au - deffus du
Lutrin , & prodigue les plus grands éloges
au Poëme Anglois. En refpectant , comme
on le doit , l'autorité de ce grand Homme ,
on peut répondre qu'il vivoit alors en Angleterre
, qu'il voyoit Pope ; que l'on peut
fort bien dans une lettre mettre de la politeffe
& de la complaifance plutôt qu'un jugement
exact & réfléchi ; qu'enfin dans les
Lettres fur les Anglois , dont nous venons
de tirer cette Traduction d'un paffage de la
Boucle de Cheveux , il ne donna pas le moindre
éloge à cet ouvrage , & referva toutes
fes louanges pour l'Efjaifur l'Homme , dout
il a toujours fait le plus grand cas .
#
Cet admirable Poëme eft en effet le chefd'oeuvre
de fon Auteur , & le fondement de
fa grande réputation. Il n'a eu , à proprement
parler , aucun modèle chez les anciens ni
les modérnes ; car, quel rapport de la mau
vaiſe phyſique d'Épicure , miſe en vers par
Lucrèce , & ornée de quelques beaux morceaux
de poéfie defcriptive ; quel rapport
entre cet amas d'erreurs , quelquefois brillantes
, & un ouvrage tel que celui de Pope ,
où la philofophie la plus fublime a pris le
langage de la plus belle poéfie ? On objecte-·
roit en vain que l'optimisme n'eft qu'une
hypothèſe comme tant d'autres. C'eft du
G vj
156 MERCURE
moins la plus belle folution du grand problême
de la nature humaine ( la révélation
mife à part ) . C'eft une idée très-élevée , que
Pope a embellie des couleurs de l'imagination
. C'eft là fur- tout qu'eft empreint le
caractère de fon ftyle , qui confifte dans une
marche rapide d'idées preffées les unes fur les
autres fans fe confondre , & dans une heureufe
énergie d'expreflions qui ne va jamais
jufqu'à la recherche & à l'enflure.
L'Abbé du Refnel a aufli traduit en vers
l'Effaifur l'Homme , quelquefois avec élégance
; mais en général il fubftitue la foibleffe
& la prolixité du ftyle , à la force & à
la précifion . On nous annonce deux nouvelles
verfions en vers de ce chef- d'oeuvre des
Mufes Angloiſes , l'une de M. l'Abbé de Lille,
qui a fait fes preuves , l'autre de M. de Fontanes
, dont les effais ontdonné des efpérances.
Les deux meilleures productions de l'Aureur,
après l'Effai fur l'Homme , font l'Épître
d'Héloïfe à Abélard , chef- d'oeuvre de fentiment
& de goût , fi heureuſement tranfporté
dans notre langue par feu M. Colardeau
, & le Poëme qui a pour titre la Forêt
de Windfor, & où l'on trouve de très-beaux
morceaux de poéfie pittorefque,
1
Nous ne parlerons point des Paftorales &
de quelques ouvrages de jeuneffe , tels , par
exemple, que le Temple de la Rénommée, qui
péche par une fiction mal inventée, par l'abondance
des lieux communs , & , ce qui eft
affez rare dans Pope, par la fauffeté des idées.
DE FRANCE. 357
Al'égard de la Dunciade , c'eft un ouvrage
tellement Anglois , fi rempli d'allufions fatyriques
perdues pour nous , & de perfonnages
qui nous font abfolument étrangers ,
qu'il nous feroit difficile d'affeoir un jugement
fur le mérite intrinsèque de cette production.
Ce qu'on peut affurer , c'eſt qu'un
Poëme de quatre Chants fort longs , dont le
fond n'eft autre chofe que l'allégorie & la
fatyre , eft néceffairement un peu froid.
La Dunciade Françoife , qui eft écrite avec
élégance , & qui offre même des morceaux
plaifans & des vers heureux , ferviroit encore
à prouver ce principe. Il eft trop difficile
d'attacher & de plaire long-temps , en
faifant revenir fans ceffe les mêmes noms
avec le même accompagnement d'injures &
de farcafmes. Le plaifir de la malignité s'ufe
très- vîte chez le Lecteur , & la fatyre , pour
avoir un fuccès conſtant , ne doit guères être
qu'épifodique. Son effet dépend fur- tout du
cadre où elle eft enfermée , & des bornes où
elle eft circonfcrite ; & c'eft pour cela que
lepauvre Diable eft peut-être le chef- d'oeuvre
de ce genre.
Les Mémoires de Martin Scribler, & l'Art
de ramper en Poefie , font des plaifanteries
dans le goût de Swift , l'une fur la manie des
Antiquaires & le pédantifme des Érudits ,
l'autre fur les défauts de ftyle qui étoient le
plus à la mode chez les Écrivains. Pope y
tourne furtout en ridicule l'extravagant
abus des figures , qui en tout temps & en
158
MERCURE
tous lieux ont été pour les fots & les ignorans
la véritable poéfie & la véritable éloquence .
Auffi en lifant le Chapitre des Figures dans
Pope , on croiroit qu'il a pris dans plufieuts
de nos Auteurs tous le galimatias qualifié
de fublime par les Ariftarques du jour.
L'ouvrage qui fit la fortune de Pope , &
dont l'Angleterre lui a fu le plus de gré , eft
fa Traduction d'Homère , qui paffe pour la
plus belle qu'on ait faite en vers dans les
langues modernes. Un homme tel que Pope
n'a pas dédaigné d'être Traducteur , parce
qu'il favoit qu'il faut du génie pout traduire
le génie ; & que tranfporter des monumens
anciens dans fa langue , c'eft en élever un à
fa propre gloire ; & nous avons vu de jeunes
Auteurs qui croyoient s'abaiffer en traduifant !
tel eft dans nos jours le délire de l'amourpropre
poétique !
Au refte , Pope eut le fort de tous les Gé--
nies fupérieurs. Il fut conftamment en butte
aux clameurs infolentes & calomnieufes de la
po pulace Littéraire, & honoré par tout ce que
l'Angleterreavoit de plus illuftre en toutgenre .
( Cet Article eft de M. De la Harpe. )
La Fortification Perpendiculaire , par M. le
Marquis de Montalembert , Maréchal- des-
Camps & Armées du Roi, &c. Tomes III .
& IV. grand in-4° . A Paris , chez Pierres ,
Imprimeur du Grand-Confeil , rue Saint
: Jacques.
•
Nous avons déjà rendu compte des deux
DE FRANCE. 159
premiers volumes de ce grand & eftimable
Ouvrage , dans le Journal de Littérature.
Le premier Chapitre du troiſième volume
n'eft qu'une fuite du Chapitre neuvième du
fecond volume , qui traite des forts ronds
propres à occuper le fommet des montagnes.
On y enfeigne dans le plus grand détail la
conftruction des forts ronds convenables aux
pays de plaines. Six grandes planches font
employées à en développer & rendre fenfibles
toutes les parties.
Dans les Chapitres deuxième & troisième,
il s'agit de conftruire les enceintes irrégulières
& les ports de mer. L'Auteur , fuivant
fon fyftême , y fait l'application des
différens forts , dont il penfe qu'il convient
d'entourer ces fortes de places ; il obſerve
qu'il ne fuffiroit pas de fortifier l'enceinte d'un
port de Roi , qu'il faut encore tenir l'ennemi
à une affez grande diftance , pour qu'il ne
puiffe l'incendier par le moyen des bombes ;
& des forts environnans en font le feul moyen.
Les Chapitres quatre & cinq font deſtinés
aux détails des forts propres à la défenſe de
l'entrée des rades & aux batteries marines!
La compofition de ces forts & de ces batteries
eft totalement différente de tout ce
qui a été fait jufqu'à préfent dans ce genre.
Rien n'eft plus redoutable que le feu pro
digieux qui peut fortir à la fois de ces for
tereffes , & les effets en font démontrés de la
manière la plus fenfible dans une planche
deftinée à cet ufage.
160 MERCURE
Le fixième a pour objet de prouver , par
des faits hiftoriques connus , l'infuffifance
des forts en ufage pour la défenſe des rades ,
afin d'établir d'autant mieux la néceffité
d'avoir recours à d'autres moyens. La relation
des deux fiéges de Carthagène d'Amérique
, l'un par M. de Pointis en 1697 , &
l'autre par les Anglois en 1741 , eft une au
torité fur laquelle M. le Marquis de Montalembert
fe fonde pour appuyer fon opinion.
Ses réflexions à la fin de ce Chapitre ,
fur la défenfe des Colonies , mérite la plus
grande attention. Il combat avec beaucoup
d'avantage le fyftême défenfif reçu . Nous
renvoyons à l'ouvrage même , depuis la page
127 juſqu'à la page 135 inclufivement , fur
cette importante queftion.
Dans le Chapitre fept , on trouve une
comparaifon de la force des fyftêmes baſ
tionnés avec celle d'un fort appelé Fort-
Royal , décrit au fecond volume du même
ouvrage, planches 19 , 20 & 21 ; & pour
rendre cette comparaifon plus fenfible , M.
le Marquis de Montalembert fait l'attaque
de ce fort fuivant les règles en uſage. Unê
planche èft deftinée au tracé de ces attaques.
On y voit les batteries à ricochets de l'affié+
geant , placées où elles doivent l'être , atta
quées par les batteries cafematées du fort ,
avec un tel avantage , tant pour le nombre
que pour la sûreté du fervice , que l'établif
fement en paroît démontré impoffible.
" Ce plan d'attaque étoit néceffaire , dit
DE FRANCE. 161
39
و د
33
3
"3
ود
fe
» l'Auteur , afin de fixer les idées fur ce qui
peut ou ne fe peut pas. On eft dans
l'habitude de voir l'affiégeant réuflir dans
» tout ce qu'il entreprend contre l'affiégé ;
de-là on juge que ce fera toujours de
» même. On dit , fans aucun examen , les
batteries à ricochets renverferont tous ces
» murs. Ce n'eft donc qu'en mettant à leur
polition ces batteries , defquelles on at-
» tend tant d'effet , qu'on peut rendre fen-
» fible leur infuffifance vis-à- vis d'une telle
» manière de fortifier. Comment les établir
» fous un pareil feu ? Mais fi l'affiégeant
vouloit l'entreprendre , le Commandant
» de la Place n'auroit point de meilleur
parti à prendre que celui de le laiffer
faire, & de ne pas tirer un coup que toutes
» les pièces ne fuffent en batterie , afin d'en
brifer tous les affûts ; ce qui feroit exécuté
» en un quart- d'heure ; & il en feroit de
» même de toutes celles qu'on y améneroit
» pour les remplacer. Tout ce qu'on vou
» droit objecter du danger des éclats de
pierres dans les embrafures pratiquées
» dans des murailles , quand il feroit tel
» qu'on le repréfente , n'eft point applicable
ici. On ne peut ni ajufter , ni même fervir
» le canon fous un fer auffi multiplié , d'où
pil fuit
que les éclats de pierres , ni les bou
» lets même ne font à craindre. C'eft en
quoi la grande fpériorité de l'artillerie
d'une place eft bien d'un autre mérite que
>>
وو
ود
و ر
ور
3
162 MERCURE
33
l'épaiffeur de fes murailles. On ne peut.
» abattre un mur contre lequel on ne peut
» tirer ; & dès qu'il eft impoffible ici de
» prétendre que l'artillerie de l'affiégeant
ود
"3
"
puiffe être mife en activité , il feroit ab-
» furde d'alléguer des deftructions d'embrâfures
& des éclats de pierres ; d'alleguer
» enfin des fuppofitions arbitraires contre
» des effets certains ». Au refte la planche
XXII répond à tout.
و د
M. le Marquis de Montalembert termine
ce Chapitre par des réflexions fur la ville de
Malthe , qu'il regarde comine la plus forte de
l'Europe.
Le dernier Chapitre de ce volume traite
des fortereffes à murailles cafematées , tenant
lieu de remparts. C'eft encore une application
des effets des batteries cafematées
dominant fur tous les terreins environnans.
" Ce font ici véritablement ( dit M. de Mon-
» talembert ) les murailles des anciens fous
» une autre forme , affujéties à des tracés
» différens, & rendues capables d'une défenſe
» infiniment plus avantageufe ; c'eſt enfin
» une manière tout autre que celle que nous
» avons employée. Nous l'avons développée
» dans la vue d'étendre les idées & de don-
» ner lieu à en faire naître d'autres . Ce n'eſt
ود
qu'en reculant les bornes de l'art qu'on
» peut en augmenter le degré d'utilité.
Ce volume termine tout ce qui eft relatif
aux places de guerre. On y trouve , comme
DE FRANCE. 163
dans les précédens , de la clarté dans les defcriptions
, de l'ordre , des idées neuves , &
les planches y font nombreuſes & de la plus
belle exécution .
Le dernier volume traite des retranchemens
de campagne ; des ouvrages qu'on peut
faire à la hâte pour rendre les places menacées
d'un fiége , capables d'une meilleure
défenſe ; des lignes de circonvallation & de
contrevallation ; enfin , des lignes frontières
pour la garde des Provinces.
Le Chapitre premier traite particulièrement
des retranchemens de campagne. M. de
Montalembert commence par faire voir la
foibleffe des méthodes en ufage . Il rapporte
à l'appui de fon fentiment , celui de M. le
Maréchal de Saxe , qui fe trouve conforme
au fien ; enfuite il établit les principes auxquels
la conftruction des bons retranchemens
doit être foumife : il donne l'application
qu'il en a faite lui-même dans l'ifle d'Oléron ,
où il commandoit en 1761. Des redoutes
qu'il appelle Redoutes à flèche , de fon invention
, font les points d'appui des retranchemens
fuivant fon fyftême. C'eft à l'aide de
ces redoutes qu'il a foriné le camp retranché
qu'il a fait exécuter dans l'ifle d'Oléron. Il
donne un plan topographique de ce camp,
avec la difpofition des troupes qu'il avoit
fous fes ordres , telle qu'elle devoit être
pour la défenſe la plus avantageuſe de fon
eamp retranché.
Le Chapitre fecond fait connoître com-
1
164 MERCURE
ment un Commandant peut améliorer la
place qu'il eft chargé de défendre. L'Auteur
donne pour exemple deux projets ; l'un pour
la ville & citadelle de Saint-Martin , dans
l'ifle de Ré , & l'autre pour la citadelle
d'Oléron. Ce dernier eft celui qu'il a fair
exécuter en 1761. Il paroît , par les témoi
gnages qu'il en rapporte , que le Miniftre ,
le Maréchal de France commandant dans la
Province , & le Directeur du Génie , ont
donné une entière approbation à fes travaux
de la citadelle , & à fon camp retranché.
Le Chapitre troisième traite des lignes de
circonvallation en terrein régulier. M. de
Montalembert y fuppofe une armée de foixante-
quatre bataillons & quatre -vingt efcadrons
faifant le fiége d'une place à huit baftions.
Il conftruit autour de cette place feize
redoutes à flèche , liées par des lignes d'une
conftruction nouvelle , qui forment la cir
convallation ; & il donne, comme il l'a fait
pour fon camp retranché , la difpofition qui
convient aux troupes deftinées à la défenfe
de ces lignes.
Mais connoiffant la force des préventions
établies contre la défenfe des lignes en géné+
ral , & fachant furtout combien les grandes
pertes que nous fimes en 1706 , devant Turin ,
accréditent ces préventions , il a jugé indiſ→
penfable , pour remplir l'objet de fon ou
Wake ,
de faire connoître toutes les circonf→
tances de cet événement mémorable, d'une
armée forcée dans des lignes , afin de détruire-
293
DE FRANCE,
165
le préjugé établi qu'on n'y a été battu que
parce qu'on a entrepris de les défendre. Ce
motif important l'a engagé à faire l'abrégé
hiftorique d'une partie des guerres du règne
de Louis XIV , parce que , fuivant lui , ce
mauvais fuccès tient à des caufes anciennes
qu'il eft néceffaire de développer , pour prouver
qu'il n'eft pas inhérent à l'entreprife , &
qu'il n'en eft pas même une fuite probable.
Il termine ce Chapitre par les réflexions
fuivantes :
" On lit l'hiftoire affez généralement fans
» s'appliquer à démêler les rapports des évé
» nemens entre eux. On retient les faits
» principaux ceux qui font extraordinaires
» étonnent & laiffent dans l'efprit des idées
» vagues d'infortunes inévitables dans les
" guerres que les Nations ont à foutenir.
» Ces idées tendent à admettre une eſpèce
» de fatalité qui affoiblit le mérite des con
" noiffances à acquérir. Les Hiftoriens favole
rifent auffi ces fortes d'impreflions par
» peu de foin qu'ils prennent de recueillir
" ce qui peut faire difparoître la fingularité
dés événemens ; car ils font toujours une.
" fuite naturelle du degré d'intelligence , de
" capacité , de talens des Agens chargés
de les opérer. C'est ce que nous avons
tâché de développer dans l'analyſe fuccinte
du règne que nous venons d'efquiffer. Un
efprit patriotique , que rien ne peut affoiblir
, nous a fait efpérer qu'en dévoilant
les principes de ces grands défaftres , se
"
•
30
166 MERCURE
6
ور
»
pouvoit être un moyen de les prévenir.
» Jaloux de l'honneur de la Nation , nous
» avons voulu fur - tout la laver de la honte ,
» dûe feulement à ceux qui l'ont fi mal con-
» duite , faire voir qu'elle eſt toujours la
» même dans les mêmes circonftancces , &
ne pas fouffrir que l'on faffe un tort gé-
» néral des torts de quelques particuliers.
» Cet objet intéreffant , pour être bien rempli
, eût demandé d'être traité avec beaucoup
plus d'étendue que nous n'avons pu
» lui en donner ici ; mais il eût fur-tout demandé
bien plus de talent. Au reſte , ceci
» n'eft qu'une ébauche de ce qui pourroit fe
و ر
ود
ود
ور
faire dans ce genre , que quelque main
» plus habile pourra développer mieux un
» jour ; & nous n'aurons point à regretter
» nos foins , fi cette ébauche , telle qu'elle
» eft , peut produire quelques bons effets ».
و ر
Le quatrième Chapitre eft encore deſtiné
aux lignes de circonvallation , pour appliquer
la même méthode aux terreins irréguliers.
Les environs de Philisbourg fervent ici
d'exemple , & les lignes formées pendant le
dernier fiége de 1734 , font l'objet de comparaifon
que l'Auteur, offre pour juger de la
préférence que fa manière peut mériter.
Le cinquième & dernier Chapitre traite
des lignes propres à la défenfe des frontières.
M. le Marquis de Montalembert fe fert
avec beaucoup d'avantages , dans cette occafion
, de fes forts à tours angulaires . Il rend ,
par ce moyen , fes lignes fufceptibles d'être
DE FRANCE. 167
défendues par un très - petit corps on ne
pourra même s'en rendre maître , qu'après
le fiège de quelques -uns de ces forts ; ce qui
donnera toujours le temps aux fecours d'arriver.
Il fait l'application de fa méthode à
la rivière de Lauter , dans la baffe-Alface.
Au refte , ce n'eft que dans l'ouvrage qu'on
prendra une connoiffance entière & de fes
principes & de fes différentes conftructions.
Dans tout cet ouvrage , on apperçoit le Militaire
profondément inftruit , & le Citoyen
zélé pour la gloire de fa patrie . M. de Montalembert
en mérite l'eftime & la reconnoiffance
; mais il ne doit attendre que du temps
le fuccès des réformes & des innovations
qu'il propofe : il connoît mieux que nous
l'empire de l'habitude & des autres paflions
toujours armées contre les idées nouvelles
en tout genre .
SÉANCES Publiques de l'Académie Royale
de Chirurgie , où l'on traite de diverfes
matières intéreffantes , & particulièrement
de la fection de la Symphife des Os
Pubis . Brochure in- 40. Prix, 3 liv . 12 fols.
A Paris , chez. Lambert , Imprimeur
de l'Académie Royale de Chirurgie , rue
de la Harpe , près S. Côme , 1779.
Cette Brochure , utile & intéreffante, contient
les Séances des années 1775 , 1776
1777 , 1778 & 1779. On y. trouve le détail
des moyens dont M. Andrieu s'eft fervi pour
168 MERCURE
rappeler à la vie un enfant nouveau né : un
Remède pour la guérifon des Hernies , employé
par M. Gachet Defellarts , Maître en
Chirurgie à Falaife : l'Eloge de Louis XV ;
ceux de MM. Quefnay & Haller ; un Mémoire
fur une queftion Chirurgicale , relative
à laJurifprudence, dans l'affaire de Remi
Baronet ; & le Rapport fur les Obfervations
& les Expériences communiquées à l'Acadé
mie pour & contre la Symphife des os pubis
, avec l'Examen des faits fur la même matière
, par M. Louis , Secrétaire perpétuel
de l'Académie.
ABRÉGÉ Hiftorique de la Vie des Saints &
des Saintes , Bienheureux & Bienheureufes ,
& autres pieux & célèbres perfonnages des
trois Ordres de Saint François , dédié à
l'Ordre Séraphique , par le R. P. Fulgence
Frerot , Récollet , ancien Gardien , 3 Vol.
in- 12. A Paris, chez Baftien , Libraire , rue
du Petit-Lion , Fauxbourg Saint- Germain.
Parmi les nombreux perfonnages qui dé--
corent cette galerie édifiante , on diftingue
la bienheureufe Cunégonde , fille de Béla ,
Roi de Hongrie. En venant au monde elle
prononça d'une voix diftincte : Je vousfalue ,
Reine des Cieux , mère du Roi des Anges.
Tous les mercredis & vendredis , la jeune
Princeffe ne prenoit qu'une feule fois le fein
de fa nourrice : dès ce tems-là même, quand
on la portoit à la meffe , & qu'elle entendoit
DE FRANCE. 169
و د
doit prononcer les noms de Jefus & de Ma- ·
rie, elle faifoit une inclination de tête ; & à
peine fut-elle fevrée , qu'elle fe livra toute
entière aux exercices de la piété. Des intérêts
politiques l'ayant obligée d'époufer Boleflas ,,
Roi de Pologne , elle obtint de lui » qu'il la
laifferoit vivre dans la continence pendant
» un certain tems. Ce Prince lui ayant ac-
»"cordé ce délai , elle en profita fi habilement
qu'elle le détermina à conferver comme
» elle fa virginité. Pour en rendre le voeu
plus folennel , ils convinrent tous deux de
» le dépofer entre les mains de l'Évêque de
38
ود
ود
و د
ود
Cracovie , & la cérémonie s'en fit en pré-
» fence des Grands & du Peuple , raffemblés
» dans la Métropole » . En 1628 , Sigifmond ,
Roi de Pologne , pourfuivit la canonifation
de Cunégonde , qui avoit été interrompue
divers événemens , & Urbain VIII nomma
plufieurs Cardinaux pour examiner les
actes qui conftatent fa vie & fes miracles.
par
2
Le R. P. Gardien nous retrace ainfi l'origine
des Indulgences attachées à la fête actuelle
de la Portiuncule. Un jour que Saint .
François , anéanti devant la majeſté divine
prioit pour la converfion des pécheurs , il fut
averti , par un Efprit celefte , d'aller à
l'Eglife de la Portiuncule , & qu'il y trouveroit
Jefus - Chrift & fa mère. François
» court à l'Églife ; il y trouve en effet une
multitude d'Anges , la Reine du ciel &
Jefus-Chrift. Le Saint Patriarche fe prof
terne , le Fils de Dieu lui dit : il vous eft
1 Mai 177.9. H
و ر ا
ود
ود
170
MERCURE
23
33
"
و د
و ر
33
-"
permis de demander quelque grace utile
» aux pécheurs & à la gloire de mon nom .
Seigneur mon Dieu , s'écria Saint François,
je ne fuis moi-même qu'un miférable pé-
» cheur ; cependant j'ofe fupplier votre
» bonté d'accorder une Indulgence plénière
» à tout Chrétien qui vifitera cette Églife
après s'être confellé de fes péchés , & en
" avoir reçu l'abfolution : s'adreffant alors
" à la Sainte Vierge , il follicita fa puiffante
intercellion , & l'obtint. Alors Jefus-
Chrift lui dit ce que vous me demandez
» eft grand ; mais vous recevrez des faveurs
plus grandes encore. Il lui accorda donc
l'Indulgence qu'il defiroit , mais fous la
condition expreffe de la faire ratifier par
» le Souverain Pontife ». François vole
en Italie. Honorius lui obſerve que le Saint
Siége n'eft pas dans l'ufage d'accorder de
telles graces ; mais preffé par un mouve-
» ment intérieur , il répète trois fois : je veux
» bien que vous l'ayez». Les Cardinaux qui
étoient préfens font remarquer au Pape que
cette grace pourra nuire aux Indulgences de
la Terre-Sainte. Honorius rappelle François :
je n'accorde l'Indulgence que pour un jour
naturel , c'eft-à-dire, depuis un foir juſqu'au
foir du lendemain. » Le Saint Patriarche fe
» retiroit après s'être incliné , quand le
Pape lui dit où allez - vous , homme
fimple & quelle affurance avez - vous de
Mais
» ce que vous venez d'obtenic ?
François lui répartit votre parole me
92
25
DE FRANCE. 171
ود
رود
fuffit , Saint - Père , cette Indulgence eft
l'oeuvre de Dieu , lui-même la manifettera:
que Jefus - Chrift , fa Samte Mère & les
Anges , foient à cet égard Notaires ,
Papier & Témoins ».
François part. Au bout de deux ans il eft
attaqué au milieu de la nuit par le Démon ;
il fe rend dans un bois , s'y dépouille , fe
roule fur des épines ; une lumiere fubite
l'environne , & lui découvre une multitude
de rofes blanches & rouges. Des Anges lui
apparurent , le revêtirent d'une robe blanche
, & lui ordonnèrent d'entrer dans l'Eglife.
François prend fix rofes de chaque couleur ;
en entrant dans l'Eglife il apperçoit Jefus-
Chrift & la Sainte Vierge , les fupplie de
vouloir bien déterminer le jour où l'on
gagnera l'Indulgence. Le Sauveur le fixe au
jour même où il avoit délivré Saint Pierre
de la prifon d'Hérode , & ordonne au Saint
d'aller rendre compte au Pape de ce qui
venoit de fe paffer. » Honorius , étonné de
» voir des rofes fi belles & d'une fi excel-
» lente odeur , dans la faifon où l'on étoit :
» quant à moi , lui dit- il , je crois que ce
» que vous dites eft vrai ; mais c'eft une
affaire à propofer aux Cardinaux » . Sept
Evêques font envoyés à Notre-Dame des
Anges , avec ordre de publier l'Indulgence ,
reftreinte à dix années ; mais au moment de
la publier, ils fentent que Dieu gouverne leur
langue, & lui rendant gloire , ils la publient
à perpétuité.
Hij
172
MERCURE
L'Auteur nous apprend que cette Indulgence
, en vertu d'une conceffion d'Innocent
XII , peut fe gagner tous les jours dans
l'Eglife de Sainte Marie des Anges ; & qu'en
vertu d'une autre bulle de Clement XIII ,
les Catholiques de Hollande en jouiffent
pendant huit jours : extenfion qui , récemment
encore , a produit les meilleurs fruits
dans les deux miffions que les Récollets rempliffent
à Amfterdam.
ور
و ر
و ر
92
Le bienheureux Bernard de Corléon , né
en Sicile au commencement du fiécle dernier
, fe fit Capucin après une jeuneffe fort
licentieufe. » Inftruit que c'eft la chair qui
» fait naître en nous les mauvais defirs , il
s'appliqua à la matter par des macérations
dont le récit fait frémir. Aux difciplines
fanglantes , il ajoutoit un jeûne rigoureux ,
portoit une ceinture garnie de pointes de
» clous.... Une femme de qualité , parfaitement
belle , vint le folliciter au crime :
elle s'expliqua en termes très- preffans ....
Il s'apperçoit que fes difcours ne font
aucun effet fur cette tentatrice ; alors il va
à la cheminée , prend des charbons ardens
dans fes mains , & les laiffe brûler devant
elle : ce trait effraya la dame , qui s'enfuit
» avec beaucoup de précipitation » ,
ور
و د
و د
92
Ayant été pris par des Corfaires , & vendu
à un Maître inhumain , une jeune efclave
conçoit pour lui une affection déréglée : » fa
و ر
refiftance irrite la jeune fille , qui , devenue
la favorite de leur commun Maître ,
DE FRANCE. 173
و و
ود
» le fit mettre aux fers après qu'on l'eut-
» accablé de coups. La Providence adoucit
" le poids terrible de fa captivité ; le terme
» de fa délivrance arriva enfin au bout de
feize mois. De retour en Sicile , il exerça
l'emploi , plus délicat qu'on ne penſe , de
Quêteur , qu'il continua jufqu'en 1666 ....
» A fa mort , fix Gentilshommes portèrent
» fon cercueil d'abord ; ils furent relevés
» par fix Seigneurs ; ceux- ci par fix Gouver-
» neurs de Places , auxquels fuccédèrent fix
Bénéficiers ; & enfin , fix Supérieurs d'Ordre
, qui le remirent entre les mains des
» Capucins de Palerme ».
و د
ور
ןכ
"
"
30
رد
En 1559 , le bienheureux Jean fe rendit
également recommandable dans l'Ordre de
Saint-François par fon amour pour la pauvreté
évangélique , & par la rigueur de fes
abſtinences ; il ne mangeoit que deux fois
par femaine , ne prenant que du pain & de
l'eau ; quelquefois même il perfévéra dans
l'abftinence abfolue pendant fix jours de
fuite , & pendant ces longs intervalles il
» ne ceffoit de prier ». ». Aufli mourut-il au
Couvent de Maffacio , à l'âge de 60 ans , le
11 jour de Mars , & fut enterré fous le
crucifix du grand autel. Il avoit guéri pendant
fa vie plufieurs malades par le figne de
la croix ; & Dieu honore chaque jour fon
tombeau par de nouveaux prodiges , qui y
attirent un grand nombre de Peuple.
و د
Nous ne nous permettrons fur cet ouvrage
que les obfervations fuivantes. 1 °. Il
H iij
174.
MERCURE
renferme un grand nombre de Saints & de
Bienheureux dont la vie eft trop abrégée ; car
elle fe réduit fouvent aux feules époques de
la naiffance , de la profeflion religieufe & de
la mort des perfonnages.
2º. Lorfque l'Auteur entre dans des détails
, il en choifit quelquefois d'inutiles ou
de ridicules. Par exemple , dans la vie du
bienheureux Loup , Évêque de Maroc , il
rapporte une anecdote du Pape Innocent ,
qu'on peut regarder comme un jeu de mots
indigne de la Majefté Pontificale. « Auflitôt
» que Loup fut élevé à la Prélature , Inno-
» cent lui dit : celui que nous avions fait de
loup un agneau , mérite que nous le faffions
d'agneau Pafteur des loups ». Et dans la
vie d'Antoinette , l'Auteur nous apprend que
la ferveur de cette bienheureuſe dans la
prière , à laquelle elle employoit la plus
grande partie des nuits , lui valurent le
» don des larmes qu'elle répandoit à grands
ود
»
ور
وو Alots durant l'oraifon & la méditation ».
Le R. P. Récollet dit ailleurs que la bienheureufe
Jeanne du village de Hazagna a
compofé en Espagnol des Sermons qui renferment
de grands myftères , & qu'il eſt difficile
de ne pas reconnoître qu'une main invifible
conduifoit fa plume. Quels étoient donc
ces grands myftères ? Il falloit au moins en
dire un mot.
3 ° . La plupart des actions célébrées dans
l'ouvrage du P. Fulgence , font des vertus
monachales , que les gens du monde ne peuDE
FRANCE. 175
vent guères imiter , & qui influeront diffici- .
lement fur leur conduite .
Ilferoit à defirer qu'on fît dans toutes nos
Vies des Saints , un choix des perfonnages qui
ayant réuni les vertus civiles aux vertus chrétiennes
, offrent des modèles de perfection aux
différens états , aux différentes claffes de la
fociété. Un bon père , un bon maître , un
Juge-intègre , un Prêtre charitable , la piété
filiale , la tendreffe maternelle , un patriotifme
éclairé , &c. voilà ce qu'il faudroit
prefenter à l'imagination . Les héros de l'Ordre
Séraphique font tellement éloignés de nos
ufages , de nos opinions & de nos moeurs ,
que leur exemple eft moins un objet d'émulation
pour nous , qu'un fimple objet de curiofité.
Des hommes auffi extraordinaires
étonnent ; mais édifient-t'ils ? Pouvons - nous
& devons-nous prendre leur efprit & marcher
fur leurs traces ?
4° . Le P. Fulgence , dans fon ouvrage ,
ne met aucune diftinction entre les Saints &
les Bienheureux ; cependant il doit favoir
micux que nous que la béatification s'eft introduite
depuis que les procédures de la canonifation
font devenues plus longues , plus
févères & plus difpendieufes. Dans les béatifications
, le Pape n'agit point en Juge qui
prononce fur l'état de celui qu'il béarifie ; il
accorde feulement à certaines perfonnes le
privilége d'honorer celui qui eft béatifié ,
fans encourir les peines décernées contre les
cultes fuperftitieux. Dans la canonifation au
Hiy
176 MERCURE
contraire , il prononce en Juge fur l'état du
perfonnage qu'il met au rang des Saints . Les
Bienheureux font honorés d'un culte moins
folennel ; on ne peut les choifir pour Patrons
, leur Office n'a point d'Octave ; le
jour où on les célèbre ne peut être une Fête
de commandement. Ces diftinctions entre
les Saints & les Bienheureux étoient incon-.
nues à l'Églife primitive. La voix publique
prononçoit , & alors les Ordinaires , les Métropolitains
, les Primats confirmoient cette
apothéose , ou dans le cours de leurs vifites ,
ou dans leurs Conciles Provinciaux. Le premier
acte de canonifation fait par le Saint-
Siége , eft celui d'un Évêque d'Ausbourg en
993. Les Évêques comme les Papes ont joui
du même droit pendant une longue fuite
d'années. Hugues , Archevêque de Rouen ,
canonifa S. Gonthier le 3 Mai 1153. Et il
paroît que la première qui fe foit faite en
verta de la réferve aux Souverains Pontifes ,
eft celle d'Édouard , Roi d'Angleterre. L'Auteur
de cette réſerve eft vraisemblablement
Alexandre III . Le titre 45 du troifième Livre
des Décrétales , en fuppofe l'existence & non
l'ancienneté , comme on le voit par les expreffions
du texte même , où Alexandre III
condamne le culte d'un ivrogne canonifé
par la populace : cùm etiamfi per eum miracula
fierent , non liceret ipfum pro fancto
abfque auctoritate Romana ecclefia venerari.
DE FRANCE. 177
BIBLIOTHEQUE , Univerfelle des Romans ,
Cuvrage périodique , dans lequel on donne
l'analyfe raifonnée des Romans anciens &
modernes , François ou traduits dans notre
langue , avec des anecdotes & des notices
hiftoriques concernant les Auteurs ou leurs
ouvrages , ainfi que les moeurs , les ufages
du temps , les circonstances particulières
& relatives , les perfonnages connus , déguifés
ou emblématiques , & c .
Il y a près de quatre ans que ce recueil
périodique fe continue avec la plus grande
exactitude , & fe foutient avec le plus grand
fuccès. On n'a peut-être point fait , dans le
genre de la littérature agréable , d'entrepriſe
plus étendue & plus utile , & qui demandât
des fecours plus abondans , & un travail plus
obftine. La Bibliothèque de M. le Marquis
de Paulmy , l'un des Protecteurs les plus éclairés
des Sciences & des Lettres , a été longtemps
ouverte aux Rédacteurs . Ce dépôt , le
plus vafte qu'aucun particulier poſsède en
Europe , & que beaucoup de Souverains fe
feroient honneur d'avoir formé , n'a pas fuffi
aux recherches infatigables des Auteurs de la
Bibliothèque des Romans. Ils puifent aujourd'hui
dans la Bibliothèque du Roi , & l'on
fent qu'il ne faut rien moins qu'un fonds auffi
riche pour le plan immenfe qu'ils fe propofent
d'achever. Leur projet eft de faire connoître
les Romans écrits dans toutes les lan-
Hv
178 MERCURE
gies ; & en effet , avec le fecours de nos interprètes
des langues étrangères & orientales ,
ils ont déjà donné des extraits , non-feulement
des Romans écrits chez tous les peuples
de l'Europe , en Allemagne , en Italie , en
Efpagne , en Angleterre & chez les Nationsdu
Nord , mais même des Romans Indiens ,
Perfans , Turcs , Arabes , Chinois . Plufieurs
de ces morceaux font extrêmement curieux ;
tel eft , par exemple , l'extrait de l'Edda , qui
contient l'ancienne théologie des Nations
Septentrionales. L'on fent combien l'inftruction
fe joint ici à l'agrément , & les connoiffances
qu'on peut tirer de ces fortes
d'analyſes qui préfentent , dans les productions
romanefques de chaque peuple , les
rapports néceffaires de leurs fables avec leur
hiftoire , & de leurs écrits avec leur caractère
& leurs moeurs . Indépendamment de ce mérite
fi effentiel pour tout Lecteur qui veut
s'inftruire , du mérite de la variété fi important
en tout genre d'ouvrage dont le but
cft d'amufer , cette collection offre encore
aux gens de goût des morceaux de pur agrément
qui feroient honneur à nos meilleurs
Écrivains. Tels font fur- tout ceux qu'a rajeunis
, d'après nos anciens Romans de Chevalerie
, M. le Comte de Treffan , fi avantageufement
connu par fon nouvel abrégé
d'Amadis , dont on prépare une feconde
édition . Sa plume élégante & gracieuſe n'a
pas peu contribué à embellir la Bibliothèque
des Romans , & l'hiſtoire d'Urfino en partiDE
FRANCE. ཙྪི
culier a été regardée généralement comme un
ouvrage plein d'originalité & d'intérêt. Elle
a paru dans un des derniers numéros . On
foufcrit toujours pour Paris au Bureau , rue
du Four Saint-Honoré , près Saint- Eustache ;
& pour la Province , au Bureau & chez
Moutard , Imprimeur-Libraire de la Reine ,
rue des Mathurins , Hôtel de Cluny.
( Cet Article eft de M. de la Harpe ).
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Vendredi 23 Avril , Mlle Briancour a
debuté dans l'Opéra de Roland , par le rôle
d'Angélique. Malgré l'embarras infeparable
du defaut d'habitude , & augmenté encore
par une extrême timidité , on a reconnu dans
'organe de cette Débutante , de la fentibilité
& de l'aifance , & même de l'adreffe &
du goût dans fon chant . Ces avantages lui
ont obtenu l'indulgence du Public ; & avec
du travail & de l'étude , elle peut un jour
mériter fes fuffrages.
Le Jeudi 29 du même mois , M. Hus ,
jeune Danfeur , ci -devant attaché au Spectacle
de Lyon , a débuté dans le genre de
M. Dauberval . Il a de la légèreté , de la vi-
H vj
180 MERCURE
gueur & de la hardieffe. Nous avons cru
remarquer que le defir d'obtenir les applaudiffemens
lui faifoit forcer fes moyens , ce
qui peut donner à fa danfe un air de contrainte
& de gêne incompatible avec les
grâces & la foupleffe qui caractériſent le
genre qu'il a embraffé. Nous l'exhortons à
y faire attention , & fur-tout à varier le jeu
de fa phyfionomie. Au refte , il a été fort applaudi
, & il mérite en effet des encouragemens.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ONNa remis le Vendredi 23 Avril , le
Médifant , Comédie de Deftouches , en cinq
Actes & en vers.
On peut préfumer que fi cette Pièce n'eût
pas été placée au nombre de celles qui ont
été repréſentées à la Cour l'hiver dernier ,
les Comédiens ne l'auroient pas préférée à
d'autres pour la mettre au courant de leur
répertoire . Elle eft effectivement très- éloignée
de mériter une pareille diſtinction . Sans
parler du ftyle , qui eft tout à la fois lâche &
incorrect, fans examiner l'intrigue, qui, toutè
compliquée qu'elle eft , n'excite pas même
un intérêt de curiofité ; fans rien dire des
Perfonnages , Scènes ou fituations, dont l'Auteur
a pris l'idée dans les ouvrages de fes
prédéceffeurs ; le caractère principal eſt abfolument
manqué. Damon , qu'on annonce
DE FRANCE. 181
pour un homme bien né , parle & fe comporte
comme un homme fans éducation , &
qui n'a nulle connoiffance du ton ni du ftyle
de la bonne compagnie . Médifant fans ef
prit, ou, pour mieux dire, calomniateur auffi
inconféquent que rempli d'impudence , il
déchire avec audace les moeurs , l'efprit de
Valère , fon ami , dont il veut époufer la
foeur. Il ne ménage pas davantage le refte
de la famille. Tel eft le caractère du Médifant.
On fent qu'un pareil perfonnage eft
odieux , & nullement comique.
On continue avec fuccès les repréfentations
de l'Amour François , dont l'Auteur a changé
le dénoument d'une manière très - fatisfai
fante , & fupprimé quelques longueurs.
COMÉDIE ITALIE NN E.
LE Jeudi 15 Avril , Mlle Finet a débuté dans
l'emploi des Jeunes Amoureufes , par le
rôle de Lucette , de l'Opéra de Silvain , elle
a continué fes débuts dans le Déferteur , la
Rofière , les Deux-Avares , &c.
1.
暮
}
Cette Actrice n'a eu d'autre intention que
celle d'effayer fes talens fur le Théâtre de
la Capitale, & va partir pour la Province.
Ses moyens font foibles , mais elle n'eft pas ...
fans adreffe ; fa manière de chanter eft affez !
agréable , quoiqu'elle manque quelquefois
de précifion , & même de juftelle. Son jeu
eft vif , & même trop décidé pour les rôles
182 MERCURE
qu'elle joue ; & ce qui peut être la matière
d'un reproche plus grave , elle donne le même
caractère à tous les perfonnages qu'elle repréfente.
Si cette Actrice veut reparoître quelque
jour fur le Théâtre de Paris , il eft néceffaire
qu'elle travaille avec un foin égal , &
fa manière de chanter & fa inanière de jouer
la Comédie.
ACADÉMIE S.
SÉANCE publique de l'Académie Royale de
Chirurgie , du Jeudi 15 Avril 1779.
L'ACADÉMIE avoit propofé pour le Prix de cette
année d'établir les régles diététiques relatives aux
alimens , dans la cure des Maladies Chirurgicales.
Le Prix étoit double. On a adjugé l'une des deux
médailles de la valeur de 500 liv . au Mémoire N ° 8 ,
dont l'Auteur eft M. Tiffot , Maître ès -Arts de l'Univerfité
de Paris , ancien Élève des Écoles de Chirurgie
, Docteur en Médecine de la Faculté de Reims ,
nommé à la place de Chirurgien - Major du quatrième
Régiment de Chevaux -Légers , nouvellement créés.
L'autre médaille , de pareille valeur , a été accordée
au Mémoire N° 3 , qui a pour Auteur , M. de
Laflize , Lieutenant de M. le Premier Chirurgien du
Roi , Correfpondant de l'Académie , & Chirurgien
en Chef des Hôpitaux de Charité à Nancy.
M. Louis , Secrétaire - Perpétuel , a annoncé enfuite
que le Prix étoit double pour l'année prochaine ,
fur le fujet fuivant :
Expofer les effets du mouvement & du repos , & les
indications fuivant lefquelles on doit en preferire
l'ufage dans les Maladies Chirurgicales.
DE FRANCE. 183
Le peu d'attention qu'on a donné jufqu'à préfent
à l'hygiène , confidérée comme fource de moyens
curatifs , pourroit faire croire qu'on n'a pas fur la
queftion du mouvement & du repos les mêmes reffources
que fur l'emploi des alimens ; matière que
nombre d'Auteurs ont traitée avec fuccès. S'il ne
s'agiffoit que de fatisfaire la curiofité concernant les
exercices des anciens , on trouveroit dans l'art gymnaftique
que Jérôme Mercurialis publia en 1573 , tout
ce qui a rapport à la lutte , au pugilat, à la danfe, aux
courfes & à tous les exercices du corps . M. Burette ,
Médecin , l'Abbé Gédoyn , ont traité favamment
de ces diverfes exercices dans les anciens Mémoires
de l'Académie des Belles - Lettres ; & M. Sabatier ,
Profeffeur du Collège de Châlons- fur- Marne , &
Secrétaire - Perpétuel de l'Académie Littéraire de la
même ville , vient de publier fur cette matière un
Traité pour fervir à l'éducation de la jeuneffe .
Ces jeux athlétiques n'avoient lieu que pour la récréation
du Public , comme aujourd'hui nos fauteurs
& danfeurs de corde : nous avons un objet utile en
nous occupant des exercices du corps. Nous ne devons
pas ignorer en quoi ils fervent à l'éducation .
Feu M. Jean-Jacques Rouffeau a remarqué , comme
tous les Auteurs modernes d'hygiène , que l'exercice
rend le corps agile , les membres fouples & flexibles ,
& les difpofe à prendre fans peine toutes fortes
d'attitudes . Il prétend même que l'influence de l'exercice
s'étend jufqu'aux facultés de l'ame , dont les
opérations font , toutes chofes d'ailleurs égales , plus
vigoureuſes dans un corps fort & robufte.
Le mouvement eft le principe de la vie & fa
cauſe formelle ; la Nature entière ne fubfifte que par
le mouvement , & le corps humain eft régi par les
mêmes loix l'Univers. L'action du coeur ,
que
le battement
des artères , le jeu alternatif des poumons ,
font les caufes particulières qui entretiennent la
vie & les fonctions de tous nos organes . Tout le
184 MERCURE
monde connoît les avantages de l'exercice qui donne
au mouvement vital l'énergie dont il a fouvent befoin
pour lui aider à furmonter la réſiſtance des fluïdes
& celle que lui oppofent les courbures & les angles
des vaiffeaux . On n'ignore pas combien l'action de
marcher , de monter à cheval , d'aller en carroffe ,
de jouer au billard , à la paume , à la boule , de
travailler à la terre , &c . peut fervir à la fanté. Les
Ouvrages qui donnent l'art de la conferver ont été
très - multipliés de nos jours ; tels font l'Hiftoire de la
Santé , par le Docteur Mackenfie : ce Livre a été
traduit de l'Anglois : l'Art de conferver la Santé des -
perfonnes Valétudinaires & de leur prolonger la vie ,
traduit du Latin de M. Cheyne : M. l'Abbé Jacquin
a publié un Traité qui a pour titre : De la Santé,
ouvrage utile à tout le monde. Ce font des fources où
l'on pourra puifer de très-bons documens , ainfi que
dans d'autres plus fécondes , parce qu'elles ont pour
Auteurs des perfonnes attachées par état à l'Art de
guérir. La Médecine Statique de Sanctorius , dont il
y a une nouvelle Édition augmentée de Commentaires
& de Notes par M. Lorry ; le Traité de Plempius
, Profeffeur de Louvain , de Valetudine tuendâ ,
ne difpenferont pas de lire ce qu'on trouve fur cet objet
dans les Livres d'Oribafe & d'Etius : on en
tirera la plus grande utilité. Hippocrate , Celfe &
Galien font les Auteurs dont la doctrine doit faire
les premiers fondemens de nos connoiffances. Les
éloges donnés à l'exercice montrent les inconvéniens
du repos , décrits d'ailleurs d'une manière préciſe &
pofitive dans plufieurs Ouvrages , & particulièrement
dans le Traité de Ramazzini fur les Maladies des
Artifans : ceux qui mènent une vie fédentaire font
fujets à des accidens qu'il faut favoir prévenir.
Ces connoiffances bien méditées pourront être
tranfportées dans le champ de la Chirurgie . Les
grandes bleffures , les opérations graves , dont la
DE FRANCE. 185
cure eft néceffairement très - longue , les fractures des
extrémités inférieures , obligent indiſpenſablement à
garder un repos qui peut devenir funefte. M. Van-
Swieten , qui a fait des réflexions très - folides fur la
formation des pierres urinaires , dans fes Commentaires
fur les aphorifmes de Boerhaave , prétend que
le repos du corps contribue plus à la génération du
calcul des reins , qui eft le germe de ceux de la
veffie , que toutes les autres cauſes auxquelles on attribue
l'origine de cette cruelle maladie. S'il y a plus
de calculeux parmi les gens du peuple , c'eft , dit-il ,
parce qu'ils gagnent leur vie à des métiers fédentaires.
Les enfans font très - fujets à la pierre , parce
qu'ils ont le fommeil très- long dans leur bas - âge ,
& qu'on les laiffe la plus grande partie du temps couchés
dans leurs berceaux , où ils ne peuvent changer
de fituation , par rapport aux langes dont ils font
enveloppés , & où ils font contenus par des bandes &
des liens.
L'ufage contraire , prefque généralement adopté ,
qui laiffe aux enfans la liberté de fe mouvoir & de
s'agiter fuivant le voeu de la Nature dans leurs petits
lits , diminuera beaucoup à l'avenir le nombre des
calculeux , au grand foulagement de l'humanité.
M. Van- Swieten rapporte qu'un homme qui n'avoit
jamais paru avoir la moindre difpofition à la pierre ,
ayant été obligé de garder le lit immobilement pendant
deux mois & demi pour une fracture de cuiffe ,
fut attaqué quelques femaines après fa guérifon d'une
colique néphrétique. Il rendit , après avoir effuyé
les plus vives douleurs , une pierre affez inégale ; &
pendant le refte de fa vie , il a reffenti de temps à
autres des accès de cette maladie.
Sydenham avoit déjà fait Iobfervation que les
gouteux étoient fort fujets à la pierre , non- feulement
par rapport aux fucs concrefcibles qui fe forment
en eux , mais à raiſon du long féjour dans le
186 MERCURE
Jit , où la violence des douleurs les retient ; & M.
Haller, dans fon Hémaftatique, a expliqué d'une manière
fatisfaifante , par la connoiffance de la ftructure
, de la pofition & des ufages des organes deftinés
à la fécrétion de l'urine , comment la fituation
horisontale & le long féjour dans le lit pouvoient occafionner
la formation de la pierre .
D'après ces vérités , le Chirurgien ne fe croirat'il
pas obligé de prendre les précautions néceffaires
pour prévenir cet inconvénient , en favorifant par
les noyens convenables le libre cours des urines , &
le nettoyement des voies urinaires ? Ne chercherat'il
pas dans les maladies où le repos du corps eft
forcé , à preferire le mouvement propre aux parties
dont l'action eft libre ? Les frictions sèches ne lui
paroîtront- elles pas capables de fuppléer les avantages
de l'exercice qui ne peut avoir lieu ? On trouve chez
les anciens , & parmi les modernes , dans Ambroise
Paré , les différentes vertus des frictions , lorfqu'elles
font foibles , modérées où fortes . C'eft une matière
a approfondir pour pouvoir en preſcrire l'uſage avec
connoiffance de caufes .
Le mouvement offre des reffources directes pour
la guérifon de plufienrs maladies , telles que la
goute , les rhumatifmes , les ankylofes , où il faut
faire mouvoir particulièrement la partie malade . Les
douches donnent du mouvement aux liqueurs en
ftagnation ; attenuées & divifées , la réfolution peut
s'en opérer avec fruit , & le malade recouvre l'ufage
de la partie, dont cet engorgement empêchoit l'action.
La promenade affez long- temps continuée &
au degré de procurer la fueur , favorife fingulièrement
l'opération des remèdes fudorifiques & la guérifon
de certains fymptômes vénériens qu'on ne peut
efpérer de diffiper que par ce moyen .
D'un autre côté , le repos peut être preferit fuivant
des vues rationelles dans le flux immodéré de
DE FRANCE. 187
fang par différens couloirs : par le repos, on prévient
fouvent l'avortement , on remedie aux laffitudes qui
font l'effet des exercices violens ou trop long-temps
continués .
Ces notions fommaires font aifées à faifir : ceux
qui voudront s'occuper de ce fujet à la fatisfaction
de l'Académie , pourront auffi le confidérer du côté
orthopédique ; la carrière eft ouverte au génie pour
prévenir & corriger dans les enfans les difformités
du corps , foit en leur faifant faire des mouvemens
raifonnés , foit en contenant ou foutenant les membres
en repos dans une fituation favorable , à l'aide
de différens moyens.
Les obfervations de la Médecine vétérinaire pourroient
jeter quelque jour fur les avantages & les inconvéniens
refpectifs du mouvement & du repos. M.
Térentius Varron , dans fon économie rurale , parlant
des maladies des beftiaux , prefcrit d'observer
les caufes de chacune d'elles , les fignes qui les font
connoître & la manière de traiter chaque eſpèce de
maladies. Toutes les maladies des beftiaux , ajoute- "
t'il , viennent de ce qu'ils travaillent par le grand
chaud ou par le grand froid , ou d'un excès de tra
vail , ou au contraire du défaut d'exercice , ou enfin
de ce que , fi-tôt après le travail , & fans laiffer d'intervalle
, on leur a donné à boire & à manger.
Les principes , tant fur les avantages du mouve→
ment & du repos , que fur les dangers de leur excès ,
étant pofés & convenus , on n'imagineroit pas cette
matière fujette à controverfe. Il femble qu'ici l'efprit
le plus inquiet ne peut fecouer le joug de l'autorité
& s'égarer dans de nouvelles routes par de
fauffes vues de perfection . Il en eft cependant de ce
fujet comme de tout ce qui eft foumis à l'opinion
des hommes. L'action de monter à cheval ,
que Sy
denham a préconisée comme l'un des moyens le
plus falutaires contre les embarras des vifcères du
188
MERCURE
bas-ventre, eft formellement défapprouvée par quelques
Auteurs qui l'ont reconnue nuifible.
Il en eft de même de la vocifération ou de l'exercice
de parler à haute voix ; les fentimens font trèspartagés
fur fes bons ou mauvais effets . La raifon
de cette diverfité d'opinions eft fenfible. C'eſt que
tout n'eft bon & mauvais que relativement. Le difcernement
des effets par les caufes conftituera toujours
le vrai favoir ; la prefcription de tous les
moyens curatifs ne fera raifonnable que d'après ces
connoiffances , qu'on eft trop enclin à négliger fur
certains objets , parce qu'on ne les a pas jugé auffi
intéreffans qu'ils le font.
On convient généralement que les membres qui
ont coutume d'être exercés font conftamment ceux
qui acquièrent le plus de force. Les bras du forgeron
font donnés pour exemple , & l'on en tire des inductions
pour la cure des parties atrophiées & paralytiques
, &c. mais le principe n'eft vrai qu'à certains
égards : Ramazzini rapporte qu'un Écrivain de
profeffion , qui gagnoit beaucoup d'argent par fon
affiduité à ce travail , fe plaignit d'abord d'une
grande laffitude au bras droit , laquelle ne céda à
aucun remède. Il fut enfuite frappé d'une paralyfie
parfaite. Cet homme s'habitua à écrire de la main
gauche. Quelque-temps après elle éprouva le même
fort. Cette obfervation pourroit fervir de preuve à
ce que dit Hippocrate au feptième Livre des Épidémies.
Il parle de deux Artifans qui gagnoient leur vie par
le travail de leurs mains Ils furent délivrés l'un &
l'autre d'une toux qui les fatiguoit , par la paralyfie
de la main droite . Hippocrate ajoute que ceux qui
ont voyagé à cheval ou à pied deviennent paralytiques
des lombes & des jambes ; preuve que les
parties peuvent s'affoiblir par l'exercice . On ne verra
plus de contradictions entre les principes & les faits
cités , fi l'on conçoit que c'eft l'exercice modéré qui
DE FRANCE. 139
donne de la vigueur aux parties , & qu'elles fe débilitent
quand on les exerce immodérément , & jufqu'à
la fatigue ; c'eft l'excès du mouvement qui eft
nuifible. Un Philofophe en a fait la remarque :
S'exercer n'eft pas s'excéder.
Mon but dans ces Réflexions eft d'applanir les
difficultés du fujet , & de favorifer le travail de ceux
qui voudront s'occuper de la queftion propofée pour
le Prix de l'année prochaine , dont la matière eft
auffi intéreffante qu'elle a été négligée fous le point
de vue où nous defirons qu'elle foit traitée .
L'Académie récompenfe l'Émulation des Chirurgiens
qui ont envoyé pendant le cours de l'année
dernière des Obfervations intéreffantes ou des Mémoires
à leur choix , en accordant la médaille de
200 liv. à M. Sernin , Chirurgien en Chefde l'Hôtel
Dieu à Narbonne.
Les cinq petites médailles ont été adjugées à M.
Michaud fils , Maître en Chirurgie à Aubervilliersles-
Paris ; à M. Puaux , Maître en Chirurgie à la
Gore , près Barjac en Languedoc ; à M. Houillier
Lieutenant de M. le Premier Chirurgien du Roi , à
Sezanne en Brie ; à M. Groffier , Chirurgien - Major
du Régiment Dauphin Infanterie , à Saar-Louis , &
à M. Meftivier , Maître ès -Arts & en Chirurgie, en
Chef de l'Hôpital S. André à Bordeaux.
Les Mémoires & Obfervations adreffées à l'Académie
par M. Billard , Chirurgien - Major de la
Marine au port de Breft , lui auroient mérité le Prix
d'Émulation , s'il ne l'avoit obtenu il y a quelques
années. Il a eu depuis des Lettres de Correfpondant ,
dont il a rempli le devoir avec une grande dif
tinction.
Après la diftribution des Prix , M. Deleurye a lu
un Mémoire fur les avantages de l'opération Céfarienne
, pratiquée à la ligne blanche . M. Sabatier, des
Remarques & Obfervations fur la fracture du
190 MERCURE
Sternum ; & M Louis a terminé la Séance par la
lecture d'un Mémoire , intitulé : Examen des faits
concernant la fection de la Symphife des os pubis.
ANECDOTE.
ONN peut
regarder
Charles
V comme
le
véritable
fondateur
de la Bibliothèque
du
Roi. Ce
Prince
aimoit
fort
la Lecture
, &
c'étoit
lui faire
un
préſent
très -agréable
que
de lui donner
des
Livres
. Il parvint
à en raffembler
environ
900
, nombre
bien
confidérable
pour
un temps
où l'impreffion
n'avoit
pas
encore
été
inventée
, & pour
un
Prince
à qui
le Roi
Jean
fon
père
n'avoit
laiffé
que
vingt
volumes
au plus
. La Bibliothèque
de Charles
V étoit
compofée
de Livres
de Dévotion
, d'Aftrologie
, de Médecine
,
de Droit
, d'Hiftoire
& de
Romans
, peu
d'anciens
Auteurs
des
bons
fiécles
, pas
un
feul
exemplaire
des
ouvrages
de Cicéron
;
& l'on
n'y
trouvoit
de
Poëtes
Latins
qu'Ovide
, Lucain
& Boëce
, des
traductions
en François
de quelques
Auteurs
, comme
Tite
- Live
, Valère
-Maxime
, la Cité
de Dieu
,
la Bible
, &c. Charles
les fit placer
dans
une
des
tours
du
Louvre
, que
l'on
nomma
la
tour
de la Librairie
. C'eft
de ces foibles
commencemens
que
s'eft
formée
la Bibliothèque
Royale
, dont
il auroit
été difficile
alors
de
prévoir
l'éclat
& la grandeur
. Elle
fut
confidérablement
augmentée
par
les
foins
de
>
DE FRANCE. 191
Louis XII & de François I , à mesure que les
Lettres & le goût des Sciences s'étendirent
dans la France fous la protection de ces Princes
; mais c'a été principalement fous les règnes
de Louis XIV & de Louis XV , qu'elle a été
portée à ce degré d'immenfité & de magnificence
qui la rendent aujourd'hui la plus
riche & la plus précieufe Bibliothèque du
monde.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
HISTOL
;
ISTOIRE Naturelle de la terre , des volcans
éteints , des volcans non éteints & de leurs émanations
méphitiques ; des Mines d' Argent , &c . &c.;
du Feu , de l'Air , de l'Eau & de leurs Météores
des Lacs , des Fleuves , des Rivières , des Fontaines
d'eaux douces , intermittentes & minérales; des Arbres
& Arbriffeaux ; des Reptiles , des Poiffons , des
Oifeaux , des Quadrupèdes , & de l'Homme Montagnard
du Vivarais. Suivie de l'Hiftoire des guerres
de Religion de cette Province , qui n'avoit pas été
encore mife au jour. 6 vol. in- 8 ° . avec des planches.
P. u. V. des M. d. V.
Conditions de la foufcription.
L'Ouvrage que nous annonçons eft fini , approuvé
& muni du privilége. Il fera compofé de fix volumes
in- 8 ° . avec des planches qui repréfenteront
les vues les plus curieufes , les plans des fortifications
fituées fur nos montagnes avant leur deftruction
ordonnée par Louis XIII , d'après les deffins
tirés fous les yeux du Duc de Montmorenci. Nos
I 2 MERCURE
volcans , nos vues les plus pittorefques feront gravés
au naturel , avec le plus grand foin.
On payera 18 liv. en foufcrivant. En recevant les
deux premiers volumes en Janvier prochain 1780 ,
on payera 12 liv. En recevant les deux volumes
faivans , le mois de Mars de la même année , on
payera encore 6 liv. On recevra fans payer , les
deux derniers volumes dans le moisde Mai de la même
année.
Dans la diftribution des volumes , on donnera
les premières épreuves aux premiers Soufcripteurs ,
dont la lifte fera imprimée felon la date des foufcriptions
; il paroît jufte que ceux qui auront voulu
s'intéreffer les premiers à l'Ouvrage , foient le mieux
partagés. Les vingt premiers exemplaires , fur grand
papier , avec les plus belles épreuves , fe payeront
48 livres.
On foufcrit à Paris , chez M. COSME , Maître
en Chirurgie , rue des Poulies , vis - à- vis le Café de
l'Etoile , quartier Saint-Honoré. Chez MONORY ,
Libraire , rue & vis -à- vis l'ancienne Comédie Fran- .
çoife , Fauxbourg Saint Germain. A Aubenas , chez
M. MESTRE , Orfévre , qui reçoit les Mémoires
ou Notices qu'on voudroit faire paffer à l'Auteur.
A Bourg- Saint-Andeol , chez M. GUILLET. Et chez
les principaux Libraires de l'Europe.
L'Ezour- Vedam , ou Ancien Commentaire du
Vedam , contenant l'expofition des opinions Religieufes
& Philofophiques des Indiens , traduit du
Samfcretan par un Brame ; revu & publié avec des
obfervations préliminaires , des notes & des éclairciffemens.
2 vol. in - 12 . Prix broché 3 liv . A Paris ,
chez Debure l'aîné , Libraire , Quai des Auguſtins .
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De
CONSTANTINOPLE , le 25 Mars.
LE nouveau Traité conclu par la médiation
de la France entre cet Empire & celui de Ruffie
, confirme , dit-on , la plupart des difpofitions
de celui de Kainardgi ; les deux puiflances
renouvellent la paix pour 35 ans ; les conditions
principales font , ajoute - t - on , que les
Tartares auront toujours la liberté d'élire leur
Chan , auquel le Grand - Seigneur enverra ,
comme par le paffé , le fabre & le turban , en
figne de fon approbation. Les Ruffes pourront
expédier tous les ans 6 vaiffeaux dans la mer
Noire ; mais ces vaiffeaux uniquement deftinés
au commerce , ne pourront porter que 4 canons.
On affure auffi que la France a obtenu la liberté
d'en envoyer également deux de la même force
fur cette mer , pour porter en crimée des productions
Françoifes , & en exporter celles de
cette prefqu'ifle .
Le froid que nous avons éprouvé ici pendant
quelque tems , commence à fe diffiper ; mais
il eft encore très-vif. La cherté de toutes les
denrées de première néceffité est toujours trèsgrande
; felon les lettres de Smyrne , elle y eft
exceſſive .
Is Mai 1779. I
( 194 ).
+
RUSS I E.
De
PETERSBOURG , le S Avril.
M. James Harris , envoyé extraordinaire de
la Cour de Londres , nommé depuis peu Chevalier
du Bain , vient d'être reçu en cette qualité
par l'Impératrice , qui à la réquifition du
Roi d'Angleterre , a bien voulu remplacer S.
M. B. dans cette cérémonie . Ce fut le 21 du
mois dernier , que M. Harris fe rendit au Palais
pour cet effet ; il y fut reçu par le Grand-
Maitre des cérémonies , & introduit dans la
falle d'Audience où fe trouvoient le Comte de
Panin , le Vice- Chancelier , le Maréchal Prince
de Gallitzin , & plufieurs autres perfonnes de
diftinction. Après les cérémonies d'ufage en
pareille occafion , M. Harris fe mit à genoux ,
I'Impératrice le décora du Cordon & des autres
marques de l'Ordre , & ayant pris enfuite
une épée d'or enrichie de diamans , elle en
frappa trois coups fur l'épaule du Récipiendaire
, en lui difant : au nom de Dieu , foyer
un bon & loyal Chevalier. M. Harris s'étant levé
enfuite , eut l'honneur de baifer la main de
S. M. I. , qui lui dit : » pour vous témoigner
combien je fuis contente de vous , je vous fais
préfent de l'épée avec laquelle je vous ai imprimé
le caractère de Chevalier.
On dit que le Prince Orlow , qu'on attend
inceffamment ici de Mofcou , fe propofe de faire
un voyage dans les pays Etrangers.
SUÈDE.
De
STOCKHOLM , le 10 Avril.
LE College de l'Amirauté Royale vient de
( 195 )
publier la notification fuivante en date du 26
du mois dernier , concernant la protection du
commerce maritime de ce Royaume.
» Notre Augufte Souverain ayant trouvé convenable
, pendant la guerre maritime qui actuellement
a lieu en Europe , de faire équiper une efcadre de
dix vaiffeaux de guerre & de fix frégates , pour pro
téger la navigation & le commerce de la Suède , le
Collège d'Amirauté Royale & de ce Royaume , autorifé
à cet effet par S. M. , notifie qu'outre l'efcadre
fufmentionnée , il en partira encore une feconde
pour la mer du Nord , qui établira fa croiſière entre
le cap de Ter-Neus , le Jutland , le Rif de Jutland
& le Doggers-bank ; au moyen de quoi elle protégera
le commerce dans cette mer depuis le canal de
la Manche jufqu'au Sund : le Collége Royal vient
en conféquence de fixer le Sund pour lieu d'affemblée
de tous les navires marchands deſtinés pour l'étranger
& hors la Baltique , qui voudront profiter de
cette eſcorte. Pour que tous ceux que ce nouvel arrangement
concerne , puiffent être prévenus à tems ,
ils font avertis , que ce convoi compofé de fix frégates
, partira en trois divifions de deux chacune ,
& à trois différentes époques. La première eft fixée
au 27 Mai pour les navires marchands , qui alors
pourroient être prêts à mettre à la voile , & qui
feront efcortés par les frégates l'Upland & Jaramas
, commandées par les Majors- Chevaliers Hifingfchiold
& Hard , ' qui convoyeront ces bâtimens
par le canal jufqu'au cap Finiftere ; après quoi ces
deux Commandans établiront une croifière commune
dans le Golphe de France , fur les fonds au-delà de
Finifterre , les Sorlingues , le canal de St. George &
celui de la Manche , entre la côte de France,& l'ifle
de Whigt.
Le deuxième convoi partira du Sund le 31 Juillet ,
fous la protection de deux frégates l'Aigle Noire &
le Sprengporten, commandées par les Majors Falſtedt
& Torning , & qui croiferont de même que les premières.
12
196 )
Le troisième convoi fera voile du Sund le 30 Septembre
, avec les frégates le Prince Gustave &
Trolle , commandées par les Chevaliers - Majors
Comte Horn & Baron Fletvod. Ces dernières frégates
prendront la même route que les précédentes ;
mais elles continueront leur eſcorte aux bâtimens
qui vont en Portugal , en Efpagne , dans la Méditerranée
, & felon l'exigence du cas , en Sicile & à
Malthe. Lorfque les navires marchands auront été
conduits fûrement au lieu de leur deftination , les
frégates feront voile pour Livourné , où leurs Commandans
délibéreront avec le Conful de Suède fur
la croifière la plus avantageufe aux navires Suédois
à établir dans la Méditerranée , laquelle ils prolon
geront , ou en commun , ou chacun féparément ,
jufqu'à la fin de Janvier ou au commencement de
Février 1780 ; après quoi elles fe rendront à Malaga
, afin d'y croifer de nouveau jufques vers le
milieu ou la fin de Février , terme fixé pour prendre
fous leur convoi les bâtimens Suédois venant de Cette
& d'autres ports de la Méditerranée , qu'elles efcorteront
par la mer d'Efpagne , celle du Nord , par le
canal & finalement jufques aux ports de ce Royaume.
On avertit en outre qu'aucuns autres navires marchands
ne feront admis fous la fufdite efcorte , que
ceux qui feront aux termes de l'Ordonnance de S. M.
publiée le 18 Février paffé.Et quoique notre très - gracieux
Souverain ait fait prendre ces mesures pour
la protection de la navigation Suédoife , cependant
S. M. , eu égard au libre cours du négoce , accorde
gracieufement que les navires marchands jouiffent ,
de la liberté de naviguer feuls on fous convoi , &
qu'en pleine mer ils puiffent s'en féparer , après en
avoir préalablement donné connoiffance aux Commandans
des vaiffeaux ou des frégates , fans que
ces derniers puiffent y mettre oppofition , ou empêcher
les bâtimens marchands de faire ce qu'ils jugeront
de plus avantageux pour leurs intérêts ; quant
au furplus , ces navires fe conformeront aux ordres
( 197 )
que leur donneront les Commandans , conformément
à leurs inftructions , &c .
POLOGNE.
De VARARSOVIE le 10 Avril. 2
LE retour de M. Kamenskoy , Général au
fervice de Ruffie , & qui étoit deftiné à commander
fous les ordres du Prince de Repnin ,
le cops auxiliaire que la Cour de Pétersbourg
devoit fournir à celle de Berlin , ne laiffe plus
aucun doute fur la prochaine pacification de
l'Allemagne . Celle de la Ruffie & de la Porte
eft effectuée ; & on croit que M. de Kamenskoy,
qui fe rend en Ukraine auprès des troupes de
fa nation , va prendre des arrangemens qui les
concernent. On fe flatte que la paix étant faite
de tous côtés , la Ruffie ne jugera pas fi néceffaire
la préfence de fes troupes dans ce Royaume
, & qu'enfin elles l'évacueront ; en attendant
que cette efpérance fe confirme , les perfonnes
qui avoient fait des fpéculations à l'occafion de
ces deux guerres , & fait des amas de grains ,
& fur-tout d'avoine , dont elles fe flattoient que
les armées feroient une grande confommation ,
cherchent de nouveaux débouchés pour s'en
défaire , & en envoyent à Dantzick & à Elbin
gen, d'où on les fera paffer ailleurs.
On apprend que la femaine dernière , il y a
eu à Wezelin un incendie qui a duré trois
jours , & qui a réduit en cendres un grand nombre
de maifons & d'autres édifices. La quantité
d'eau-de-vie qui fe trouvoit dans les magafins
embrafés , a contribué à la durée du feu qu'on
n'eft parvenu à éteindre que difficilement. Le.
Prince Czartorisky , Général de Podolie , a
envoyé une commiffion à Wezelin pour donner
tous les fecours poffibles aux incendiés.
I 3
( 198 )
ALLEMAGNE.
DE
VIENNE , le 20 Avril.
L'ÉLECTION du Baron d'Erthal aux fiéges
de Wurtzbourg & de Bamberg a rendue vacante
la place importante de co - Commiffaire
Impérial à la Diète de l'Empire . L'Empereur
vient d'en difpofer en faveur du Baron de
Lehrbach , Confeiller à la Chancellerie de
Cour de Bohême & d'Autriche . Le Comte de
Langlois , Lieutenant-Général d'Infanterie , a
été nommé pour fuccéder au feu Lieutenant-
Général Baron de Plunquer , dans le Gouvernement
d'Anvers.
Le 12 de ce mois le Baron de Jacquemin
eft parti pour la Moravie , où il va prendre
le commandement des troupes qui fe trouvent
dans cette Province , que la fanté du Général
d'Elrichshaufen ne lui permet pas de conferver.
Le 3 du mois prochain la Cour partira pour
Laxembourg , où l'Archiduc Maximilien fe
rendra auffi ; ce Prince ne paroît pas encore
en public ; on fe flatte qu'il reprendra bientôt ,
dans un air plus pur , fes forces , qu'a confidé
rablement affoiblies l'accident douloureux qu'il
a éprouvé à la jambe .
Il s'eft commis dernièrement ici un crime horrible
. Un Aubergifte étranger fut affaffiné Dimanche
dernier dans fa chambre. Son meurtrier étoit à la
tête de les affaffins , qui étoient au nombre de cinq ;
ils emportoient fon argent & fes meilleurs effets ,
lorfqu'il entendit du bruit & courut à eux pour
arrêter ; ils le tuèrent à coups de hache & de couteaux
, & le laiffèrent fur la place , où il fut trouvé le
lendemain refpirant encore , & avec aflez de connoiffance
pour défigner fes affaffins & leur nombre.
les
( 199 )
Ils commirent ce crime en plein jour , & on s'étonne
qu'ils ayent pu emporter un grand coffre fans fe
déceler , fur-tout dans cette ville , où il n'eft permis
de faire aucun tranfport d'effets d'un lieu à un autre
un jour de fête ou de dimanche , & où la Police fait
arrêter & mettre en prison tout homme qu'on rencontre
chargé ces jours- là.
A ce trait affligeant , nous en joindrons un plus
confolant qu'un papier Allemand nous fournit , fans
nominer le lieu où il s'eft paffé . » Le Baron de Lubefchutz
, Juif de Nation , vient de fe diftinguer par un
trait qui n'eft guère ordinaire parmi les Ifraelites ,
de quelque tribu qu'ils foient. Il occupoit depuis 12
ans une maifon appartenant à M. Naumann , Secrétaire
Confiftorial , qui à raison de fes dettes & de
fon inconduite , vivoit enfermé en prifon ; il y a peu
-de jours que M. Naumann , étant parvenu à la 70e
année de fon âge , a été mis en liberté , malgré les
follicitations qu'il a faites pour qu'on lui permît de
paffer le refte de fes jours en prifon. On ne les
écouta point , & on le mit dehors. N'ayant plus ni
párens , ni amis , ni afyle , il erra pendant toute la
journée , fans favoir que faire ni cù aller . Le foir
étant venu ,
fe fentant fatigué , cherchant une maifon
où l'on voulût bien lui donner le couvert , il fe
reffouvint qu'il en avoit eu une qu'il avoit vendue ;
il s'y rendit dans l'efpérance que l'acquéreur auroit
quelque pitié de fon âge & de fon malheur. 1 fe
trouva qu'elle n'appartenoit plus à ce même acquéreur
; M. Lubeſchutz l'avoit achetée ; inftruit de
l'infortune de l'ancien propriétaire , il le reçut ; le
lendemain , il le pria de lui montrer l'appartement
qu'il avoit occupé autrefois ; il le céda à M. Naumann
avec tous les meubles qui y étoient , & le
força d'accepter 20 louis & la promeffe de pourvoir
à fes befoins pendant le refte de fa vie «.
I 4
( 200 )
De HAMBOURG , le 25 Avril.
L'IGNORANCE où l'on eft toujours fur ce
qui fe paffe à Tefchen , contribue à multiplier
& à varier les conjectures de ceux qui veulent
le deviner ; & les papiers publics font
pleins de rapports vagues & contradictoires
tantôt allarmans , tantôt confolans , felon l'intérêt
que les pays fous l'influence defquels
ils font écrits , ont à la paix ou à la continuation
de la guerre . Dans le même-tems où les
uns ne parlent que de préparatifs hoftiles , qui
ne font en effet pas encore interrompus , de
la marche des troupes Autrichiennes en Moravie
& en Bohême , les autres annoncent qu'on
eft convena de tous les articles du Traité , auquel
il ne reste plus qu'à donner la forme convenable
. Sans nous arrêter à difcuter cette
dernière conjecture , qui eft plus vraisemblable
, nous citerons une lettre dont les détails
femblent l'appuyer. » Le réſultat de toutes les
lettres que nous avons reçues de Tefchen , paroit
prouver que la fatisfaction à donner à la
Cour de Saxe a été la principale difficulté qui
a fait traîner les négociations en longueur. En
effet , le Roi & l'Impératrice Reine étant convenus
d'avance des articles qui les concernoient,
& rien n'étant capable de faire changer la détermination
de ces deux auguftes Souverains
les ennemis de la paix , car on croit qu'elle en
a , n'ont pas trouvé d'autre moyen , pour
effayer
de la faire rompre une feconde fois , que
celui d'exciter la Cour Palatine à fe refufer au
paiement des 4 millions ftipulés pour la Cour
de Saxe. Dès les premières conférences le
Miniftre Palatin protefta contre tout ce qui
avoit été arrêté entre les Plénipotentiaires. Le
Prince de Repnin prononça à cette occafion un
( 201 )
difcours rempli de force & de dignité , dans
lequel il déclara qu'on ne pouvoit avoir égard
à la proteftation du Miniftre Palatin , lui demandant
d'informer fon maître de cette décla
ration , & de folliciter une prompte réponſe.
Quelques jours après le Miniftre Palatin offrit
un million , puis deux ; mais fans fuccès , le Roi
ayant déclaré qu'il étoit fi fenfible à la confiance
que la Maifon de Saxe lui avoit témoignée dans
cette occafion , qu'il ne confentiroit jamais
qu'on ne lui accordât pas la farisfaction conve
nable ; & qu'entr'autres , elle devoit abfolu
ment avoir 4 millions. Dans ces entrefaites ,
l'Impératrice- Reine ayant été informée des
difficultés que faifoit le Miniftre Palatin , &
fentant parfaitement quels en étoient les motifs
& la fource , fit expédier un Courier au
Comte de Cobentzel , fon Miniftre , avec une
nouvelle inftruction , portant , dit- on , que dans
le cas où l'Envoyé Palatin voudroit donner à
entendre que la Cour de Vienne pouvoit être
de concert avec fon maître fur le refus du dédommagement
convenable pour la Saxe il
eût à le contredire formellement en produifant
fa préfente inftruction . Cette déclaration a eu ,
dit-on , l'effet defiré ; les oppofitions ont ceffé ;
& le Miniftre Palatin ayant écrit à fa Cour ,
on reçut à Tefchen , le 12 de ce mois , le confentement
de l'Electeur pour les 4 millions qui
doivent être payés à la Saxe «
Si ces détails font vrais , & dont quelquesuns
paroiffent fondés , les difficultés doivent
être levées ; & la conclufion de ce grand ouvrage
ne peut pas être éloignée . On en attend
la nouvelle avec impatience ; on n'a pas moins
de curiofité d'apprendre quelles font toutes les
autres conditions du Traité. Il y en aura vraifemblablement
de fecrettes ; les fpéculatifs
travaillent déja à en prévoir quelques - unes ;
( 202 )
mais il femble qu'ils devroient attendre de
connoître celles qui feront publiées & qui
pourront mettre fur la voie. Selon des lettres
de Ratisbonne , la paix eft regardée comme
conclue ; & ce qui ajoute encore un degré
de probabilité à cette opinion , c'eſt qu'on affure
que les troupes Impériales , qui font dans
les environs de cette Ville , font déja les préparatifs
néceffaires pour leur prochain départ ,
& que d'un autre côté quelques bataillons de
troupes Palatines fe difpofent à aller rempla
cer les troupes Autrichiennes , dans les lieux
dont elles s'étoient mifes en poffeffion. Les 4
Régimens Impériaux qui ont occupé jufqu'à
préfent la Bavière , doivent , felon les mêmes
lettres , aller en garnifon dans le diftrict de
cet Electorat , fitué entre les rivières de Salza
& d'Inu , cédé par le nouveau Traité à la
Maifon d'Autriche.
Pendant que tout fe prépare pour la paix
d'Allemagne , les préparatifs militaires ne fe
rallentiffent pas dans l'Electorat de Hanovre ;
les troupes qui y font raffemblées doivent former
cet été un camp près de Hamelen on
ne dit pas de combien il fera compofé ; mais
on croit qu'une partie des Régimens de l'Elec
torat ne restera pas dans le Pays , & qu'on en
enverra plufieurs dans différens endroits où la
Grande- Bretagne a befoin de fe fortifier. Des
lettres de Bremerlehe portent qu'il y eft arrivé
d'Angleterre quantité de bâtimens , deſtinés à
tranfporter en Amérique les recrues de Heffe
& des autres Pays d'Allemagne , qui ont fourni
des troupes à cette Puiffance . Selon les mêmes
lettres , un bâtiment neuf venant de
Brême , chargé de toiles , & destiné pour
Londres , a été renverfé par la violence des
torrens dans le Wefer , près de Blerer- Horne
: tout l'équipage a péri à l'exception d'un feul
( 203 )
homme ; & il y a peu d'efpérance d'en retirer
quelques marchandifes. Cette perte eft évaluée
à 2 tonnes d'or.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 15 Avril.
C
ON vient de publier de nouveau , par ordre
du Grand-Duc , la lettre circulaire par laquelle
il eft ordonné à tous les Juges de la Grande-
Tofcane , de veiller exactement à ce que la
bulle in canâ Domini , ne foit ni lue ni affichée
dans aucune Eglife .
Notre Cour & celle de Rome , font convenues
pour l'utilité du commerce des deux
Etats , de faire creufer un canal , qui en paffant
par le territoire de Cortone , portera les
eaux du lac de Peroufe dans l'Arno . On fait
déja des difpofitions pour l'exécution de ce
projet.
Les nouvelles de Rome ne laiffent plus aucane
inquiétude fur la fanté du S. Pere qui
en a donné de très-grandes pendant quelque
tems , & qui paroît à préfent hors de danger.
»Nous avons été ici , écrit-on de Tripoli de Barbarie
, à la veille de voir s'allumer une petite guerre
entre les Anglois & les François qui fréquentent
notre port. La fermeté de M. Durocher , Conful-
Général de France , a réuffi heureufement à faire
échouer les projets avides de M. Thulis , Chance-
Her du Conful d'Angleterre. Ce dernier avoit engagé
un Algérien , poffeffeur d'un bâtiment portant
pavillon Anglois , à armer fon bâtiment en courfe
contre les François ; déja poffédé de l'efprit de cupidité
, l'Algérien preffoit fon armement & débauchoit
les matelots étrangers ; il devoit partager avec
M. Thulis le montant des prifes qui feroient faites
malgré leur illégalité , attendu le défaut de lettres de
16650
( 204 )
marque . Le Conful de France , ayant inutilement
parlé au Pacha Bey pour faire défarmer ce forban ,
fut requis par les commerçans François de les autoriſer
à faire un armement pareil pour en impoſer à
l'Algérien : cet armement fut fait en 24 heures , & le
Capitaine Gipier fut choifi pour le commander. L'AIgérien
n'ofa fortir jufqu'au 16 Décembre. Ce jourlà
nous vimes en mer un chebeck Mahonnois monté
de 10 canons & de 80 hommes d'équipage , qui conduifoit
une prife Françoife commandée par le Capitaine
Blanchard : le Capitaine Gipier fortit auffi-tôt
pour aller au moins dégager la prife ; mais il ne put
joindre ni le chebeck , ni la tartane Françoiſe , &
ils rentrèrent l'un & l'autre dans le port , après avoir
effuyé une rude canonnade. Le Pacha- Bey , oubliant
la foi des traités , fe plaignit de la hardieffe des Fran
çois , & demanda des réparations ; le bâtiment du
Capitaine Gipier refta toujours armé & protégea
l'entrée des navires François ; cependant le chebeck
Mahonnois s'unit au pinque Algérien , qu'il échangea
enfuite contre la tartane du Capitaine Blanchard
, qu'il arma de 18 canons & de hommes
d'équipage. Auffi- tôt le Conful de France augmenta
fon armement & y joignit le bâtiment du Capitaine
Trullet , dont les fabords furent percés , & tous les
marins François qui fe trouvoient dans cette échelle ,
demandèrent à s'embarquer fur les deux corfaites.
François. Cette réſolution en impofa aux Anglois ,
& le Pacha-Bey interpofa enfin la médiation pour
farie ceffer l'efpèce de guerre qui tenoit fon port
comme bloqué ; il régla que les corfaires ne forti
roient qu'à 24 heures de diſtance les uns des autres.
Cet arrangement pouvoit nuire aux François , dont
les bâtimens n'étoient pas auffi bons voiliers que
ceux des Anglois ; en conféquence le Conful de
France s'en plaignit , & obtint les conditions fuivantes.
10. Que le corfaire armé dans ce port iroit
en droiture à Mahon fans pouvoir faire prife fur les
François , & que le Pacha-Bey , après avoir reçu
40
( 205 )
un cautionnement du Confular Anglois , fourniroit
le fien au Conful de France . 2 °. Que le corfaire armé
à Mahon quitteroit la côte de Tripoli . 3 ° . Que le
Pacha Bey , pour avoir laiffé armer dans fon port
contre la foi des traités , payeroit les frais de l'armement
des François , ce qu'il a fait moyennant
1200 fequins. Cette conduite ferme de M. Durocher
, lui a valu l'avantage d'être nommé par le Miniſtère
de France , au Confulat général de Tunis . II
faut connoître la foibleffe & la cupidité de cette petite
Régence , pour imaginer les dépenfes & les,
peines du Conful de France , pour obtenir la justice
qui étoit due à la nation «.
Une lettre de Tanger contient les détails
d'un fait qui paroîtra extraordinaire à des peuples
civilifés. Les voici tels qu'elle les préfente :
» Il y a quelque tems que le Prince Muley Guiad-
Guid , fecond fils du Roi , porté par les Negres &
par les Ethiopiens qui vouloient l'élire pour Roi
Le rendit dans la place publique , efcorté par les
mutins qui alloient procéder à cette élection . Les
Blancs du pays , reftés fidèles à leur Souverain , dif
fipèrent les factieux conjointement avec quelques
troupes envoyées contr'eux. Muley Guiad . Guid
s'échappa & fe rendit dans les Provinces méridionales
où il fe fit encore des partifans , mais ils furent
auffi difperfés , & lui-même fut conduit prifonnier
à Mequinez. Le Roi ayant ordonné le 6 de се mois
qu'on l'amenât devant lui avec les fers aux pieds &
aux mains fur la même place où il devoit être proclamé
Roi , lui témoigna toute fon indignation , &
tirá fon fabre pour lui couper la tête ; mais après un
moment de réflexion il le fit enfermer dans un cachot
, avec défenſe à qui que ce foit , fous peine de
la vie , de lui donner aucun aliment. Ce fupplice
fi l'ordre n'eft pas révoqué , comme on l'efpère
fera plus cruel & plus long que le premier , car le
Roi excelle à trancher des têtes . Les partifans du
Prince ont été févèrement punis de différentes ma(
206 )
nières. Ces actes de févérité & l'exil de tous les
Ethiopiens & Negres qui ont été envoyés dans les
ports de mer , ont entièrement affoupi la rebellion.
Le Roi a changé fa garde , & a confié fa perfonne
à des Blancs qui fe font diftingués par leur fidélité
& par les fervices qu'ils lui ont rendus pendant le
foulevement des Negres ".
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 30 Avril.
LA relation de l'avantage remporté le 3 du
mois dernier par les troupes Royales dans la
Georgie , fur les Américains , commandés par
le Général Lincoln , a produit les effets ordinaires
à toutes celles de cette eſpèce . On a
commencé par prévoir les plus grandes fuites
de ce triomphe , la foumiffion effectuée d'une
province & la conquête prochaine de deux
autres . Lorfque le premier enthouſiaſme a été
paffé , on a trouvé un peu étrange que dans un
combat auffi opiniâtre , qui n'a pas coûté moins
de 2000 ,
& même de 2500 morts aux vaincus
, la perte des vainqueurs fe réduife à 5 foldats
tués , & un Officier & 10 foldats bleffés ;
il peut y avoir quelque erreur de chiffre dans
la lettre du Major-Général Prevoft ; mais il
n'y a fans doute aucune méprife , aucune amphibologie
dans ce paragraphe de fa lettre.
» Les bons effets de cette déroute font évidens
; je les efpère du moins. Les rebelles ne
nous troubleront plus dans cette province , notre
communication avec nos partifans dans l'intérieur
du pays & avec les Indiens , reftera ouverte
; & quoique je ne pense pas qu'il foit
prudent de nous étendre immédiatement plus
en avant , cependant en confervant ce que nous
avons gagné , nous nous tenons prêts à profiter
( 207 )
de tous les incidens favorables qui pourront
s'offrir dans la fuite «<.
Cette réflexion n'annonce pas que le Général
croie tirer des avantages bien prochains
de fa victoire ; ainfi l'objet de cette expédition
qui étoit de pénétrer dans la Caroline , n'eft
point encore rempli , & paroît au moins trèsdifféré.
» On peut en conclure , dit un de nos
papiers , que cette grande victoire n'eft qu'une
répétition de l'affaire de Still-Water , & la
regarder comme ces momens trompeurs d'un
mieux apparent , qui dans ces maladies graves
font les avant- coureurs de la mort «<.
La Cour a publié auffi copie de la proclamation
publiée dans la Georgie pour rétablir
les Loix dans cette province fur le pied où
elles étoient à la fin de 1775 ; elle a annoncé
en même -tems la foumiffion de 1400 hommes
qui ont prêté ferment à Augufta , & qui fe font
divifés , en 20 compagnies qui renforcent les
troupes du Général Prevoft ; elle parle pareillement
d'un corps de 600 Royaliſtes des deux
Carolines , qui cherchoit à joindre l'armée Angloife
& dont la moitié étoit arrivée heureufement
; elle ne dit rien de l'autre moitié , &
fon filence femble confirmer ce que l'on a
appris par d'autres avis , qu'elle étoit tombée
entre les mains des Américains , qui l'avoient
faite prifonnière de guerre.
Du côté de New-Yorck on n'a rien appris
de nouveau depuis l'entrepriſe du Lieutenant-
Colonel Stirling fur Elifabeth- Town , & celle
du Général-Major Tryon dans le Connecticut ;
ni l'une ni l'autre ne paroiffent avoir eu de
fuccès. Les troupes Royales , dans la dernière ,
ont dû avoir été vivement harcelées , puifque
le Général Tryon a été forcé de faire la retraite
la plus rapide , & qu'il a fait faire à fes
troupes une marche de so milles en 40 heures.
( 208 )
Auffi font elles arrivées demi - mortes de fa
tigues à New - Yorck Le Général Clinton
avec trop peu de monde pour tenter rien de
confidérable , a cru pouvoir tenter de petites
expéditions dont le but n'eft que de détruire ;
il ne feroit pas prudent qu'il en fit faire fou
vent d'auffi malheureufes ; fes troupes , felon
des avis qu'on dit exacts , ne confiftent qu'en 10
régimens Anglois , tellement réduits , que l'un
dans l'autre , ils n'ont pas plus de 300 hommes
chacun ; 700 gardes , 500 hommes de cavalerie
légère & d'artillerie , 1500 provinciaux nouvellement
levés , & 9 á 10 régimens Heffois ,
dont aucun n'eft complet. Il attend des renforts
; on fe propofoit en effet de lui en envoyer ,
mais les affaires de l'Europe & les befoins des
Ifles , ne permettent pas de porter une attention
égale fur tous les points où le théâtre de la
guerre fe trouve actuellement porté.
Les allarmes que donnent depuis fi long .
tems les difpofitions de l'Efpagne font à la
veille de fe réalifer ; les armemens immenfes
qu'a faits cette Puiffance ne feront fans doute
pas long-tems inutiles ; nous favons tout ce que
nous avons à en craindre ; lente à prendre les
armes , elle ne les quitte pas facilement ; on
fe rappelle la peine que l'on eut à la faire
confentir à la paix qui termina la dernière guer
re ; & à préfent qu'elle eft mieux en état que
jamais d'en foutenir une , fa conftance peut venir
à bout de tous nos efforts , & l'argent , ce
nerf fi néceffaire qui nous manque , & qui
nous force à recourir fans ceffe aux expédiens ,
ne lui manque point. On affure que depuis la
dernière paix le Roi d'Efpagne a épargné plus
de 200 mille liv. fterl. tous les ans , & qu'il
a aujourd'hui dans fes coffres toutes les fommes
que peuvent exiger fix ans de la guerre
la plus active , fans avoir befoin de recourir à
( 209 )
fon revenu ordinaire ; s'il fe déclare cette an
née , aux fonds que le Gouvernement a déja
obtenus de la Nation , il faudra joindre encore
3 millions fterling.
Au milieu de ces inquiétudes , dont la Nation
ne peut fe défendre il ne manque pas
de fe trouver des fpéculatifs qui rêvent les plus
beaux plans d'alliances propres à nous raffurer.
Si l'Espagne fe déclare pour la France , difentils
, les Puiffances maritimes ne le verront pas
de bon ceil ; la Ruffie & le Danemarck fe joindront
à la Grande-Bretagne ; la Suède prendra
le parti de la France & de l'Eſpagne'; & la
Hollande reftera neutre . On ne voit pas comment
le projet d'abaiffer notre Puiffance fur
les mers peut intéreffer les Etats maritimes de
l'Europe en notre faveur ; oublions - nous combien
nous en avons abufé , & que l'intérêt.commun
eft abfolument oppofé au nôtre ? Le feul
parti que nous aurions peut - être à prendre ,
feroit de mettre fin à la guerre d'Amérique
& de chercher enfuite à nous arranger avec les
Puiffances qui la protégent ; mais ce ne fera pas
celui que nous prendrons ; il exigeroit des facrifices
qui nous paroiffent humilians , & que
peut- être un jour la néceffité nous preſcrira.
Nous n'en ferons pas mieux .
Parmi les plans politiques qui fe croifent
qui occupent toutes les têtes , & auxquels l'Ad
miniftration ne fait pas attention , il a paru un
pamphlet affez fingulier ; il a pour titre , quef
tions au peuple d'Angleterre. » N'y a - t - il pas
lieu de croire que l'Efpagne fe joindra à la
France & à l'Amérique avant la fin du mois
de Mai de cette année ? L'alliance propofée
par la Ruffie n'eft - elle pas auffi dangereufe &
illufoire , qu'infuffifante & difpendieufe . Dangereufe
en ce qu'elle inftruira les Ruffes dans la
navigation , & que par-là elle les mettra en
( 210 )
état de devenir par la fuite une Puiffance rivale ,
finon même une dangereufe ennemie de lá
Grande-Bretagne ? Illufoire en ce qu'il peut fe
faire que nous comptions trop fur ce fecours,
qui doit fe réduire à très- peu de chofe , principalement
en vaiffeaux . Difpendieufe en ce que
foudoyer des alliés dans la détreffe où nous
fommes , c'eft reffembler à un banqueroutier ,
qui emprunte de l'argent quand il ne paie ni le
principal ni les intérêts des dettes qu'il a contractées
précédemment. Accepter l'alliance de
la Ruffie , n'eft - ce pas accélérer les mouvemens
que l'Efpagne fait déja pour fe joindre
à la France ? Recevoir cette année des vaiffeaux
Ruffes dans nos ports , n'eft - ce pas annoncer
que l'année prochaine on introduira en
Angleterre une armée Ruffe ? Lorfque nous
compterons la dette non fondée de l'année dernière
& de celle - ci , car il faudra bien faire
ce compte pour payer les foldats Allemands
tués , perdus ou pris en Amérique ; lorfque nous
fupputerons les accidens de cette guerre , en
fuppofant même qu'elle finiffe cette campagneci
, la Grande - Bretagne ne fe trouvera-t- elle
pas endettée de plus de 200 millions fterling ?
Quelles font nos reffources pour payer les intérêts
de cette dette immenfe ? car je ne parle
pas du capital , & je ne pense pas qu'on imagine
qu'on ait jamais la polibilité de le payer .
L'Irlande n'eft-elle pas fur le point de fuivre
l'exemple de l'Amérique ? Elle demande des
foulagemens, on les lui refufe ; & quatre Comtés
de ce Royaume n'ont - ils pas déja figné une
convention pour ne rien importer d'Angleterre ?
On a ouvertement renoncé à tout projet &
à tout efpoir de tirer un revenu d'Amérique ,
pourquoi donc continuer la guerre ? «<
Nos papiers publics ne font remplis que d'avis
allarmans fur le fort de Minorque qu'ils
( 2TI )
prétendent menacé , & de détails du nombre
des troupes que les François font défiler en
Provence , des vaiffeaux de tranſport qui fe
-raffemblent fur cette côte . D'autres ne cherchent
pas à inquiéter moins fur un projet de
defcente de la part de nos ennemis & dont on
fixe l'exécution à l'été prochain ; mais on nous
en a menacés auffi l'année dernière , & il n'a
point eu lieu ; on a lieu de eroire qu'il en fera
de même cette année ; le moyen de prévenir
toute expédition femblable eft d'avoir une
flotte formidable pour protéger nos côtes ; ce
font nos vaiffeaux qui doivent les défendre ; on
en arme autant que l'on peut dans tous nos
ports , pour remplacer ceux que nous avons
envoyés en Amérique & aux ifles ; on fent que
nous en avons un égal befoin en Europe , où
pourra fe trouver le principal théâtre de la
guerre. On affure de nouveau qu'on rappelle
ceux qui font partis avec l'Amiral Hughes pour
l'Inde . Deux floops de guerre ont été expédiés
fur leurs traces , l'un à Madere , & l'autre à
la côte d'Afrique pour ordonner à cet Amiral
de renvoyer tous les vaiffeaux qu'il a fous fes
ordres à l'exception de deux , parce que dans
ce moment- ci , les affaires de l'Inde n'exigent
pas des forces auffi confidérables. Pour former
les équipages de ceux que nous avons dans nos
ports , la preffe a recommencé depuis quelques
jours ; elle a été très-vive le 20 de ce mois
à Spithéad , à Motherbank & à Ste- Hélène.
La flotte marchande , écrit- on de Portſmouth ,
prête à mettre à la voile pour l'Amérique , n'en
a pas été à l'abri : on a enlevé également tous
les matelots qui étoient fur les vaiffeaux de la
Compagnie des Indes. Cette preffe a produit
au moins 1100 hommes , la plupart excellens
matelots. Le 23 la preffe a auffi eu lieu fur
la tamife , où elle a été également vive , &
( 212 )
dont aucune protection n'a défendu les malheu
reux qu'on a tranfportés à bord des vaiffeaux
de guerre.
ges ,
Ces enlèvemens qui ne font pas finis & que
l'on s'attend chaque jour à voir recommencer ,
gênent beaucoup nos commerçans ; ils ne font
pas moins de tort à nos armateurs , dont quel.
ques-uns ont été dépouillés de leurs équipa
& ceux qui rentreront font menacés de
l'être pareillement. Ils les réduiront à l'inaction
, dans un moment où il faudroit les encourager.
Leur nombre ne fauroit être plus confidérable
. Suivant un calcul qu'on en a fait depuis
le mois d'Août 1778 , on a armé 340 navires
de différentes grandeurs qui employent 4000
canons & 11,000 matelots. La ville de Liverpool
feule en a armé 100 qui montent 1650 canons
, & 7439 matelots . De ces cent corfaires ,
il y en a eu 11 pris , 2 perdus , & un manque .
Les prifes qu'ils ont faites au nombre de 59 ,
font évaluées à 940,800 liv . fterl. On remarque
que depuis le 28 Février jufqu'au 7 Mars , ils :
ont enlevé 9 vaiffeaux eftimés 140,000 liv. fterl .
La marine royale n'a pas eu moins de fuccès.
On dit que l'Amiral Young a gagné 50,000 liv .
fterl. pour fon huitième des prifes faites par les
croifeurs qui font fous fes ordres à la hauteur
des ifles au vent.
On dit depuis quelque tems que l'Amiral By.
ron eft rappellé en Europe pour venir prendre
le commandement de l'efcadre que l'on équipe
à Portſmouth. Si en effet on lui a expédié
les ordres néceffaires , on a eu raifon , & fi on
ne l'a pas fait on ne fauroit trop fe hâter , puif.
que ce commandement eft vacant. Sir Charles
Hardy , retenu dans fon lit par la goutte , eft
mort le 23 de ce mois ; comme pendant fa
maladie aucun des Amiraux qui fe trouvent en
Europe n'a voulu prendre fa place , & qu'on
( 213 )
doute qu'ils y confentent après fa mort , tant
que les motifs de leurs refus fubfiftent , & que
Amiral Byron ne peut pas être fitôt de retour
, on craint que notre grande flotte ne foit
pas encore de long - tems prête à fortir du
port.
On remarque depuis quelque tems beaucoup
d'Officiers de la marine qui quittent le fervice
M. Faulkener , Capitaine duVictory , eft le 6e ,
qui depuis quelques jours a donné fa démiſſion ;
il paroît que ces retraites fe multiplieront tant
que le Lord Sandwich reftera en place . On
a dit plufieurs fois que ce Miniftre alloit quit
ter ; on a annoncé encore récemment qu'il fai
foit toutes fes difpofitions pour fe retirer ; les
nouvelles graces que le Roi vient de lui accorder
, prouvent qu'il n'y fonge point. S. M..
vient de le défigner , ainfi que M. Jean Buller ,
Ecuyer , l'honorable Charles Spencer , le Comte
de Litburne , Henri Penton , Ecuyer , Conftantin-
Jean Lord Mulgrave , & Robert Mann
Ecuyer , fes Commiffaires , pour remplir les.
fonctions de Grand-Amiral de la Grande- Breta
gne , d'Irlande , & des domaines , ifles & territoires
qui en dépendent.
›
Les Communes affemblées en comité rédigèrent
le 20 de ce mois le bill pour l'importation
du chanvre d'Irlande dans la Grande-
Bretagne , & celui en faveur des non- confor
miftes ; on inféra dans le dernier le ferment que
doivent prêter ceux des différentes communions
proteftantes qui ne font pas de la religion dominante
; il fera conçu en ces termes : je - jure
& me profeffe Chrétien & Proteftant , croyant au
vieux & au nouveau Teftament , aux révélations
contenues dans l'un & dans l'autre , & je promets
d'en faire la règle de ma conduite .
L'affaire de l'Imprimeur Parker arrêté par
ordre de la Chambre-Haute , après avoir donné
264
;
( 214 )
caution pour fa comparution , fait beaucoup de
bruit. Le 19 de ce mois le Lord Abingdon entreprit
de le défendre & de faire radier l'ordre
de la détention comme irrégulier ; mais il n'y
réuffit point ; on vouloit le faire conduire à Newgate
; mais comme cette prifon fe trouve fous
la Jurifdiction des Shérifs de Londres & de Middlefex
, dont il eût pu réclamer l'autorité pour
obtenir d'être relâché , on l'envoya dans la prifon
neuve. Le crime qui le fait punir felon
la motion du Vicomte de Dudley , eft d'avoir
défobéi à la Chambre , & de s'être vanté enfuite
de maintenir fes libertés comme Anglois
& comme citoyen de Londres. Le Duc de
Richmond ne manqua pas de relever la tournure
de cette motion en difant : » je vois à préfent
toute la noirceur du crime du Sieur Parker
; il a ofé vouloir défendre les droits de l'Anglois
& du citoyen , ce qui eft en effet odieux
& puniffable comme le délit du dernier malfaiteur
«.Après avoir obfervé plus férieuſement
enfuite que la faute du prifonnier ne confiftoit
tout au plus qu'en ce qu'il avoit différé d'opinion
avec la pluralité des Seigneurs , n'eft-il
pas cruel , s'écria-t-il , de vouloir forcer par
la prifon un citoyen à changer de fentiment !
Dieu nous garde , Mylords , d'établir chez nous
une pareille mode ; car nous différons fi fouvent
d'avis , qu'il y a peu de jours où quelqu'un
de nous ne dût être enfermé pour être
ramené par un moyen auffi perfuafif.
Le procès de Sir Hugh Pallifer continue. On en
attend l'iffue avec autant d'impatience que de curiofité
; & on commence à prévoir qu'il fe pourroit
qu'elle lui fût moins funefte que l'ont fait préfumer
d'abord les dépofitions des témoins entendus
contre lui. L'Amiral Keppel , le Vice- Amiral Sir Robert
Harland , le Contre Amiral Campbell , les
Capitaines Marshall , Boyle , Walfingham , Faul(
215 )
kner , Windfor , Jervis , Prefcott , Douglas , la
Forey , Berkely , Stoney &c . , entendus contre lui ,
fe font tous accordés à dépofer qu'il n'a point obéi
aux fignaux que l'Amiral fit après le combat ; qu'il ne
les répéta point , à l'exception de celui de venir dans
les caux de l'Amiral ; qu'il ne fit aucun mouvement ,
aucun effort pour s'y porter, quoiqu'aucun de ſes mats
& de fes vergues ne fût endommagé ; enfin , qu'après
le combat , il ne vira jamais vent arrière pour mettre
le cap vers l'ennemi . Le Capitaine Bazely , Capitaine
de fon pavillon & fon ami , chargé de dépofer
auſſi contre lui , fut le feul qui contredit ces circonftances
, & qui déclara pofitivement que le Formidable
étoit un vaiffeau abfolument défemparé à
perfect wreck. Le 28 le Vice - Amiral a prononcé un
difcours pour fa défenſe ; & elle embarraffera certainement
ceux qui ont vu le procès de l'Amiral , &
les dépofitions des témoins ; fes ennemis , dit- il ,
n'ont pas ofé accufer fa conduite pendant le combat ;
il s'y préfenta avec défavantage ; les divifions du
centre & de l'avant- garde fe trouvoient à portée dé
fe foutenir ; lui n'avoit que 2 - vaiffeaux à fa fuite
& le plus près le trouvoit à un mille & demi ;
s'imaginant que l'Amiral , après avoir dépaffé l'artière-
garde ennemie rengageroit le combat , il fe
difpofa à prendre fa ftation en avant & vira vent
arrière. Sir William Burnaby , les Capitaines Marshall
& Robinſon en furent témoins. Il remarqua
peu de tems après que l'Amiral avoit amené le fignal
du combat , qu'on en avoit fait de même à la divifion
de Sir Robert Harland ; perfuadé que l'intention
de l'Amiral n'étoit pas de le rengager , voyant 3
vaiffeaux ennemis porter fur lui , étant exposé à être
coupé , il vira encore pour joindre le corps de la
flotte ; il ne vit le fignal pour former la ligne que
lorfqu'il fe trouva par le travers du Victory , &
cela ne paroîtra pas étonnant , puiſque Sir Robert
Harland né l'avoit pas vu lui- même , pendant qu'il
couroit de bas bord. Si au lieu de ce fignal on eût
( 2.16. )
fait celui qui indique que l'on voit des vaiffeaux hors
de leur ftation , comme il eût été hiffé au mât de
grande hune , il l'eût probablement apperçu , & il
convenoit mieux à la circonftance . Ce fut à 3 heures
qu'il vit ce fignal. Ce fait fera prouvé par les
témoins qu'il produira ; il prouvera auffi qu'il a été
répété à bord du Formidable , & y a reſté juſqu'à la
nuit cloſe , à l'exception d'un tems très - court , pendant
lequel il ne l'ôta que dans la vue de rendre
plus remarquable celui pour que les vaiffeaux fe
portaffent dans les eaux de l'Amiral. M. Pallifer dit
que le fignal du Victory ne fut fait qu'à 3 heures
24 minutes , & fut amené peu après , & ne reparut
qu'à 6 heures. Lorsqu'il fut hiffé la première fois , il
ne pouvoit regarder le Vice- Amiral qui étoit dans les
caux du Victory & fous fon vent ; il prétend qu'il
pouvoit regarder Sir Harland. A l'égard du fecond
fignal , il n'a été fait qu'à 6 heures , l'Amiral ne dut
pas attendre le Formidable avant ce tems , s'il l'eût
attendu plutôt , il auroit fait le fignal plutôt . La frégate
le Fox n'a été expédiée qu'às heures , le Capitaine
dit qu'elle l'a été plutôt , le Vice- Amiral le nie ,
& affure qu'il le prouvera par les minutes produites
par le Capitaine Marshall , qui prétend que le Fox
fut hélé às heures 30 minutes par le Victory. Il a
dû faire , pour arriver au Formidable , un chemin
qui a duré une heure , & n'a pu y arriver qu'entre 7
& 8 , & il étoit trop tard de fonger à rengager le
combat , parce qu'en Juillet , par la latitude d'Oucffant
, le foleil fe couche entre 7 heures & demie & 8.
Dans cette défenfe , M. Pallifer nie tout ; les témoins
qu'il doit faire entendre doivent prouver ce qu'il a
avancé ; on s'y attend ; & il paroît qu'il reftera bien
des obfcurités fur la conduite de l'Amiral & du Vice-
Amiral dans l'affaire d'Oueffant. Il a terminé fon
difcours en difant : » Je remets entre vos mains ma
vie & mon honneur ; j'attends de vous la justice
qu'un Officier doit à fon camarade. Je ne dirai plus
deux mots. Je ne vois point de milieu entre vivre que
avec
( 217 )
2
avec honneur & mourir deshonoré ; je defire que
cette alternative ferve de règle à votre jugement «.
ÉTATS -UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie le 25 Février. Le 6 de ce mois,
on a célébré l'anniverſaire de l'alliance heureuſe
& honorable que les Etats-Unis ont faite
avec la France. Le Congrès donna ce jour-là
une fête publique au Miniftre de S. M. T. C.
Le repas fut magnifique , & on y but les fantés
fuivantes au bruit du canon . 1 ° . Puiffe l'alliance
entre la France & les Etats-Unis être
éternelle. 2 ° . Les Etats-Unis . 3 ° . S. M. T. C.
4° . La Reine de France . 5º . S. M. C. 6°. Les
Princes de la Maiſon de Bourbon . 7° . Succès
aux armes des Puiffances alliées. 8 ° . Le Général
Washington & l'Armée . 9º. Les amis
de la liberté dans toutes les parties du monde .
10° . Puiffe la nouvelle conftellation s'élever au
Zénith . 11. Puiffent les efforts des Américains
mettre la Grande-Bretagne à la raiſon.
12° . La mémoire des patriotes qui ont péri
noblement en défendant la liberté & l'indépendance
de l'Amérique . 13º . A une paix fûre
& honorable.
}
La gaité & la joie de la Compagnie raffemblée
à cette heureuſe occafion , font inexprimables
; il n'eft pas douteux que tout véritable
Américain & tout bon François , ne contribuent
de tous leurs efforts à refferrer les
noeuds d'une alliance fi néceflaire au bonheur
& à l'agrandiffement des deux nations ; leurs
intérêts réciproques leur prefcrivent la conduite
la plus amicale & la plus affectionnée . Les principes
de leur alliance font fondés fur la faine
politique & fur la juftice . Il eft probable que
le genre humain aura lieu de fe réjouir de l'union
étroite formée entre deux nations , dont
15.Mai. 1779.
K
( 218 )
l'une eft la plus puiffante dans l'ancien monde ,
& l'autre doit l'être dans le nouveau .
De Bofton le 8 Mars. Nous n'avons point
encore de nouvelles des fuites de l'expédition
de la Géorgie ; on dit feulement que le Comte
Pulawski , avec un détachement d'infanterie
& un efcadron de chevaux-légers , eft en marche
pour la Caroline , où il va prendre le commandement
à la place du Général Robert
Howe qui a couru rifque d'être fait prifonnier
par les troupes Britanniques , près de Savanah ,
en traverfant une rivière à la nage ; mais ces
nouvelles ne nous viennent que de New -Yorck ,
& toutes celles qui paffent par cette voie font
ordinairement fufpectes. La Gazette de cette
ville s'eft empreffée d'annoncer les deux expéditions
des détachemens envoyés par le Général
Clinton dans les Jerſeys & dans le Connecticut
; elle a joint à la relation des Anglois
une relation prétendue Américaine , & conçue
de manière à jetter du ridicule fur nos opérations
& fur la façon d'en rendre compte. Nous
lui oppoferons les deux lettres fuivantes publiées
par ordre du Congrès. La première eft
du Général Washington , en date de la tête
des quartiers de Middlebrook le 26 Janvier
dernier.
>> Hier matin , un détachement ennemi parti
de Staten-Iſland, a effayé de furprendre les troupes
poftées à Elifabeth-Town. A la première
nouvelle qu'on en a reçue , le Général Sinclair
avec la divifion de Penfylvanie , & le Général
Smallwood avec celle de Maryland , fe mirent
en mouvement par différentes routes pour
fe réunir à Scotch- plains , renforcer le Général
Maxwell , & agir felon que les circonstances
le requerroient ; ayant appris la fubite retraite
de l'ennemi , ils font revenus avant de s'être
avancés fort loin . La copie ci -incluſe d'une
( 219 )
lettre du Général Maxwell vous donnera toutes
les particularités que j'ai apprifes de cette
incurfion que nos ennemis ont faite fans fruit «.
Extrait de la lettre du Brigadier - Général
Maxwell , datée d'Elifabeth-Town le 25 Février.
» L'ennemi a tenté de nous furprendre ce matin
; il a débarqué à environ 3 heures du matin ;
le Colonel Ogden , Officier de fervice ce
jour-là , en fut informé & m'en prévint. Le
débarquement s'eft fait à notre gauche , qui
étoit la partie la moins foupçonnée à caufe des
difficultés qu'offroit le lieu. Ne connoiffant ni
le deffein , ni le nombre de nos ennemis , je
raffemblai les troupes , & je les conduifis derrière
la ville , pour les empêcher de tourner
notre gauche ou de gagner nos derrieres. A
la pointe du jour nous nous avançâmes contre
les Anglois qui fe retirèrent vers leurs bateaux ;
nous en avons tué & pris quelques-uns en les
pourfuivant. Pendant que nous étions reftés
hors de la ville , ils avoient raſſemblé une
certaine quantité de beftiaux & de chevaux
qu'ils abandonnèrent à notre approche , pour
fe rembarquer. La difficulté & les embarras
du lieu les retardèrent ; les Colonels Dayton ,
Ogden & Barber , avec différens détachemens
choifis les pourfuivirent. La précipitation avec'
laquelle ils cherchoient à rentrer dans leurs bateaux
& à s'éloigner , ne nous permit d'en
enlever qu'un feul avec les hommes qui s'y
étoient retirés . Je crois que notre perte ne va
pas à plus de 3 ou 4 hommes. Le Major Ogden ,
en reconnoiflant l'ennemi , a reçu un coup de
bayonnette ; mais on efpère qu'il n'eft pas dan
gereux. La milice s'eft affemblée dans cette
occafion avec la plus grande célérité , & le
Colonel Shrieve inftruit de ce qui fe paffoit ,
étoit venu de Newark à notre fecours. Les
ennemis comptoient indubitablement nous fur-
K 2
( 220 )
prendre complettement ; & je me félicite de
pouvoir informer Votre Excellence qu'ils ont
été parfaitement trompés. Ma prochaine lettre
vous donnera des détails plus particuliers «<.
FRANC E.
De MARLY le 10 Mai,
?
LE 24 du mois dernier , avant le départ de
la Cour , Monfieur & Madame tinrent , à Verfailles
, fur les Fonts de Baptême , le fils du
Comte de Fougieres , premier Maitre-d'Hôtel
de Monfeigneur le Comte d'Artois ; les céré→
monies du Baptême furent fuppléées par l'Evêque
de Séez , premier Aumônier de Monfieur
, en préfence de M. Brocquevielle , Curé
de la Paroiffe de Notre- Dame. Ils tinrent auffi
l'enfant de M. de l'Efpine de St- Germain ,
Ecuyer , Huffier ordinaire du Cabinet de la
Princeffe , Commis de la Guerre au Bureau
de l'Artillerie. Monfieur fut repréfenté par le
Marquis de Noailles , premier Gentilhomme
de fa Chambre , & Madame par la Ducheffe
de la Vauguyon , fa Dame d'honneur ; le Curé
de la Paroifle de Saint-Louis fit la cérémonie,
Le lendemain le Roi & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte de
la Galiffonniere , avec Demoifelle de Malvoifie
; celui du Comte d'Etfiat , avec Demoiſelle
de Noiré ; & celui du Comte de Coufans ,
avec Demoiſelle de la Granche .
MM. Née & Mafquelier ont eu l'honneur
de préfenter à LL. MM. & à la Famille
Royale , la 28 livraiſon des Tableaux Pittoref
ques , Phyfiques , Hiftoriques , Moraux , Politis
ques & Littéraires de la Suiffe.
( 221 )
De PARIS , le to Mai.
EN attendant des nouvelles directes de M.
le Comte d'Estaing , on recueille toutes celles
qui viennent des Ifles . Une lettre de Saint-
Euſtache , en date du 6 Mars , contient les fuivantes.
Il arriva la femaine dernière 14 bâtimens
de la Martinique , efcortés par une Frégate
Françoife , qui repartit le même jour ,
avec 8 navires qu'elle trouva ici , chargés pour
la Martinique & la Guadeloupe. Lundi dernier
il nous arriva de nouveau 3 Frégates Françoifes
, qui venoient de reprendre fur les Anglois
l'Ile de Saint- Barthelemy , & qui repartiront
jeudi matin avec les bâtimens François
& Hollandois , deftinés pour la Martinique
la Dominique & la Guadeloupe . Il eft furpre
nant que ces convois aillent & viennent ainfi
pendant que l'Amiral Byron eft mouillé à Ste-
Lucie avec 23 Navires de guerre . M. le
Comte d'Estaing eft de fon côté au Fort
Royal , avec 16 vaiffeaux de ligne , M. de
Graffe y étant arrivé avec 4 le 20 du mois
dernier. Il eft certain que les vivres ne man
quent pas à la Martinique ; le Vice - Amiral
François y a trouvé des vivres frais ; le nom
bre des malades , à bord de fon Efcadre , fe
trouve réduit à 100 hommes , 'dont so font
attaqués du fcorbut & commencent à fe rétablir.
La pofition de l'Amiral Byron eft bien
différente ; les maladies qui règnent à terre
ne font pas moins de ravages fur fes vaiffeaux .
Le Comte d'Estaing en attend encore quelques-
uns avec des convois annoncés de France
; ils n'avoient pas encore paru le 3 de ce
mois ; mais il y étoit arrivé 7 Navires Américains
«<.
,
Selon les lettres de Breft , la Tourterelle eft
K 3
( 222 )
entrée dans ce Port avec quelques -uns des
bâtimens partis de la Martinique ; l'Etourdie
en a conduit d'autres à l'Orient , & l'Engageante
eft arrivée dans ce Port après en avoir
mis plufieurs à Nantes. Ce convoi , compofé
de 30 bâtimens , a été rencontré par deux
vaiffeaux ennemis de 74 canons ; les frégates
d'eſcorte fe font auffi- tôt approchées à la portée
du canon , pour fe faire pourſuivre , dans
l'efpoir de les écarter du convoi confié alors
à la corvette ; mais les Anglois ont préféré de
courir fur deux traîneurs qu'ils ont amarinés ,
ainfi qu'un troifième qui , voulant bien s'abufer
fur ce que les ennemis avoient conftamment
gardé le pavillon François , a porté fur
eux très-volontairement .
>> On mande de Breft , écrit-on de Morlaix
qu'une Frégate Angloife de 32 canons s'eft
perdue fur l'Ile de Molene ; cette lle n'eft
pas favorable à nos ennemis. On nous affure
que le Deftin & le Caron , la Magicienne &
Atalante , venant de Toulon , ont relâché à
l'Orient , où ils ont conduit le vaiffeau le Pon
dichery. M. du Couedic , Commandant de la
Surveillante , a conduit dans le même Port
une Frégate de la Marine Royale Angloife ,
de 18 canons en batterie . L'Anglois avoit pris
notre Fregate pour le Pondichery , qu'il guettoit
, & lui cria d'amener , en lui lâchant fa
bordée. M. du Couedic le laiffa bien approcher
, lui ripofta de la fienne & s'en empara
après une heure de combat. On dit ici que le
voyage de M. le Comte d'Orvilliers à la Cour,
a pour objet de recevoir fes inftructions fur les
opérations de la campagne , qui va s'ouvrir ,
& fur la manière dont il doit fe conduire
avec l'Efcadre Eſpagnole , fi elle ſe joint à la
fienne «<.
On parle toujours de cette jonction de l'Ef(
223 )
pagne ; on efpère qu'elle eft prochaine , & les
lettres de Cadix femblent appuyer cette efpérance
dont l'accompliffement ne paroît pas
moins defiré dans cette Monarchie qu'en Fran
ce . » Il eſt conftant , écrit-on de cette Ville
que de tous les combats qui fe font donnés
depuis le commencement de la guerre jufqu'au
jourd'hui , il n'en eft pas un qui ne foit glorieux
pour les François , ce qui nous fait grand
plaifir à nous autres Efpagnols ; & nous ne
voyons qu'avec peine la lenteur de la Cour à
fe déclarer , pour humilier l'orgueil Anglois ,
reprendre en même-tems le Fort de Gibraltar,
& tout ce que cette Nation avide nous a enlevé
jufqu'à préfent . Nous avons actuellement
dans cette rade 36 vaiffeaux de ligne , équippés
de tout point , & ayant des vivres pour
4 mois ; favoir i de 114 canons 3 de 80
28 de 74 , 3 de 64 , & 1 de 54 ; plus 12 fréga
tes , 2 hourques ou flûtes & 2 brûlots. On
vient d'équipper au Ferrol , avec la plus gran
de diligence , une Efcadre de 12 vaiffeaux ,
dont 4 de 80 canons
Il y a outre cela , à Carthagène du Levant ,
2 vaiffeaux de 74 canons tout armés. On
conftruit dans ce même Port & au Ferrol , 2
vaiffeaux de 74 chacun , qui feront prêts dans
le courant de l'été ; & la Cour a donné l'ordre
dernièrement d'en hâter la conftruction , & de
finir le plus promptement poffible de carener
2 autres vaiffeaux de la même force , qui font
actuellement en carène . Nous avons encore à
la Havane une Efcadre de 5 vaiffeaux de 74 ,
& à Lima 3 vaiffeaux portant le même nombre
de canons. Tel eft l'état actuel de nos
forces maritimes , capables par leur union avec
celles de France de donner la loi à celles d'Angleterre.
Tous ces armemens , joints au gros
s de 74 , & 3 de 64.
,
K4
( 224 )
train d'artillerie qu'on a embarqué à Malaga
à celui qu'on a railemblé à Séville , & qui eft
prêt à marcher , à la quantité de bombes de
12 pouces , qu'on tranfporte par terre de Ciudad-
Rodrigo à Cadix , nous font croire que
notre Cour fe prépare à fe déclarer , n'étant
pas probable que dans le cas contraire elle
s'engageât dans des dépenfes aui confidérables
. Bien des gens difent que l'Efpagne travaille
à concilier les différends entre la France
& l'Angleterre , qu'elle a mis en avant des
prétentions pour fon compte , & que fi elle ne
réuffit pas dans fa médiation , ainfi qu'à faire
valoir les prétentions , elle fe déclarera au
printems, Le tems nous inftruira fur toutes ces
chofes «<.
Comme il s'étoit élevé des doutes fur le
tems auquel ont commencé les hoftilités avec
P'Angleterre on a publié une lettre que le
Roi a écrite le 5 du mois dernier à M. le
Duc de Penthievre . » Mon Coufin , je fuis
informé qu'il s'eft élevé des doutes fur l'épo
que à laquelle doit être fixé le commencement
des hoftilités , & qu'il pourroit réfulter
de cette incertitude des conteftations préjudiciables
au commerce ; c'eft pour les prévenir
que j'ai jugé néceffaire de vous expliquer plus
particulièrement ce que je vous ai déja fait affez
connoître par ma lettre du 10 Juillet. Je vous
charge en conféquence de mander à tous ceux
qui font fous vos ordres , que c'est l'infulte
faite à mon pavillon , par l'Efcadre Angloife ,
en s'emparant le 17 Juillet 1778 de mes Frégates
la Pallas & la Licorne , qui m'a mis
dans la néceffité d'ufer de repréſailles , & que
c'eft de ce jour , 17 Juin 1778 , que l'on doit
fixer le commencement des hoftilités commifes
contre mes Sujets par ceux du Roi
( 225 )
d'Angleterre ; & la préfente n'étant à autre
fin , je prie Dieu , mon Coufin , qu'il vous ait
en fainte & digne garde «< .
La prife du Sénégal a entraîné celle de tout
les établiffemens que les Anglois avoient en
Afrique . La perte du premier , felon les lettres
de Londres , fait perdre à une feule maifon de
cette ville plus de 50 mille liv . fterling .
» Il eft entré dernièrement dans ce port ,
écrit- on de Fécamp , un corfaire Anglois pris
par le corfaire du Havre le Jean Bart , Capitaine
Cottin. En examinant le Porte-feuille du
Capitaine Anglois , on a trouvé un certificat
authentique d'une loge de Sunderland , en Angleterre
, qui a fait reconnoître qu'il étoit
Franc-Maçon . Ceux de la Loge de Fécamp ,
enchantés de trouver une occafion de fecourir
un de leurs frères , ont faifi avec empreffe..
ment celle de procurer l'élargiffement de l'Anglois
qu'ils ont cautionné , fuivant la liberté que
leur en donnoit l'Ordonnance du Roi . Comme
ce Capitaine avoit pour fecond fon frère , &
qu'il déclaroit qu'il ne quitteroit pas fa prifon
fi celui - ci y reftoit , la Loge partageant fes
généreux fentimens , a pareillement cautionné
ce dernier . Les Mâçons , en faifant deux plai
firs à l'Anglois , ont fenti la douce fatisfaction,
que doit éprouver tout homme en fecourant fon
femblable , & dont jouiffent particulièrement
les membres d'un ordre uniquement fondé fur
ces principes ".
Une lettre de Perpignan contient les détails
fuivans. » Pendant le cours de cet hiver , un
corfaire de Mahon avoit faifi fur nos côtes les
petits bâtimens de pêché & de commerce qu'il
rencontroit ; il faifoit même fouvent des def
centes aux environs du petit village de Bagnols
& enlevoit les beftiaux dans les campagnes ifo
lées. Les habitans de ce village ayant appris
KS
( 226 )
un jour que plufieurs Anglois étoient débar
qués , & qu'ils étoient occupés à boire dans
une cabane au bord de la mer , formèrent le
projet d'aller les furprendre. Ils s'armèrent de
fufils & arrivèrent fans bruit à la cabane ; quand
ils l'eurent entourée , le chef de la troupe
fomma les Anglois de fe rendre , & fur leur
refus ils firent feu fur les deux premiers qui for
tirent & les couchèrent par terre ; les autres
firent peu de réfiftance & furent arrêtés au nom
bre de 22. Enfuite les habitans de Bagnols les
conduifirent au fort de Collioure où ils font
encore détenus . Pendant que ces braves gens
faifoient le rapport de leur prife au Juge de
l'Amirauté de Collioure , on vint les avertir
qu'un bâtiment à trois mâts s'approchoit de la
côte & faifoit mine d'y vouloir débarquer : furle-
champ , ils partirent pour aller à la défenſe
de leurs foyers en difant au Juge : » fi ce font
des ennemis de l'Etat & qu'ils débarquent ,
nous vous en rendrons bon compte , & nous
finirons deux rapports à la fois «. Mais le vaiffeau
n'approcha point : depuis cet inftant les
habitans de Bagnols n'ont pas ceffé de faire la
garde de leur côte ; il leur a été envoyé deux
canons pour leur défenfe ; & lorfqu'il a été ordonné
de former des compagnies de Gardescôtes
, ils ont prié l'Intendant de cette province
de permettre qu'ils formaffent feuls une compagnie
entière , quoique , fuivant l'état arrêté
au Confeil , ils ne duffent former que les deux
tiers d'une compagnie .
Des lettres de l'ifle de France portent que
les mufcadiers qui y ont été plantés ont donnés
des fruits à la fatisfaction de ces habitans
& des bons François en général . Cette branche
intéreffante de commerce peut devenir de la
plus grande importance. On apprend par les
mêmes lettres , que l'on a fait à Maurice , fur
( 227 )
la corvette l'Heureuse , à fon retour de Coromandel
, l'expérience d'un maftic- enduit , inventé
par un habitant de l'ifle de France , pour
préferver les bâtimens qui naviguent dans les
mers chaudes , de la piquure des vers. Cette
expérience a répondu à ce qu'avoit annoncé fon
Auteur , qui avoit pris ce maftic à bord des bâtimens
Malabares ; les habitans de cette côte
s'en fervent depuis un tems immémorial , &
c'eſt un des moyens qu'ils emploient pour faire
durer leurs navires 50 ou 60 ans.
» Le 30 Mars dernier , le corfaire la Fortune ,
commandé par le Capitaine Pey , écrit- on de Mar.
feille , eft rentré dans ce port avec le corfaire Anglois
la Floride , monté de 12 canons & de 10
Pierriers. Le 11 Mars à 3 heures du matin , étant
fur le cap Ferra , le Capitaine Pey fe trouva boid
à bord & à portée de la voix d'un gros navire qu'il
jugea être Anglois , il le héla & apprit de lui qu'il
alloit de Gibraltar à Livourne , & qu'il étoit chargé
de inorue. Sur cette réponſe il fit dire à l'Anglois de
mettre fon canot à la mer & de venir à bord ; celuici
répondit que fon canot étoit percé. Le Capitaine
Pey , qui n'entendoit point la plaifanterie , & qui
avoit déja fait tout préparer pour le combat malgré
l'obfcurité de la nuit , fit faire auffi -tôt une décharge
de so coups de fufil ; mais les ennemis étoient
tous dans l'entrepont , fabords fermés & cette
moufqueterie n'eut d'autre effet que d'être fuivie
de toute la bordée du corfaire Anglois ; on lui
ripofta vivement pendant une heure , après quoi le
Capitaine Pey attendit le jour pour recommencer le
combat ; il avoit eu deux hommes bleffés , le Nocher
& le Tonnelier. Le jour vint , le Marſeillois
arbora fon pavillon & fa flamme , & l'affura par
un coup de canon ; l'Anglois en fit autant , &
le combat recommença à la portée du piftolet ; les
Anglois , toujours dans l'entrepont , combattoient
à fabords fermés , & rendoient ainfi inutile le feu de
K 6
( 228 )
la moufqueterie ; celui de leurs canons étoit d'autant
plus vif qu'ils étoient montés fur des pivots , &.
qu'un homme feul les fervoit avec beaucoup de
promptitude. Le Capitaine Pey fe réfolut à en venir:
à l'abordage ; il le tenta vainement deux fois ; il
réullit à la troisième , malgré toutes les manoeuvres
de l'Anglois. A peine l'équipage eut fauté fur le
corfaire , que celui - ci amena. Le Capitaine Anglois
qui s'eft fi bien défendu , eft âgé de 22 ans & fe
nomme Salomon Champmen ; M. Pey l'a traité avec
toute la politeffe poffible , l'a fait paffer fur fon bord ,
& a donné enfuite le commandement de fa prife à
M. Duval , fon Lieutenant , avec 24 hommes. En
revenant à Marſeille avec la Floride , il rencontra
le 18 Mars un chebec Mahonnois monté de 20 canons
, qu'il attaqua & qui prit la fuite après fa première
bordée. Il lui eût donné chaffe fans la crainte
de perdre fa prife . Le 22 , il en fut feparé par un
coup de vent dont il fut affailli fur le cap Créon1 ;
de forte qu'il arriva feul dans notre port le 30 Mars ;
& le 2 de ce mois fa prife entra au port du Bouc.
Le corfaire la Fortune a eu un homme tué dans le
combat & fix bleffés dangereufement ; la Floride n'a
eu que fon Capitaine de bleffé.
Réponse de MM. Defgranges & Compagnie , aux
obfervations de M. de Garchery , Avocat au
Parlement de Bourgogne , inférées dans le Journal
précédent.
M. , la perfonne qui vous avoit adreffé des profpectus
de notre armement de Nantes , s'étant conformée
à vos defirs , en nous communiquant par le
dernier Mercure de France la Lettre que vous lui
avez écrite au fujet de cette entreprife ; nous nous
fervons de la même voie pour vous faire paſſer
notre réponſe aux diverfes queftions, que vous nous
faites , & nous fouhaitons que les éclairciffemens
qu'elle contient , vous fatisfaflent pleinement. Nous
( 229 )
fentons comme vous , M. , qu'il faut dans telle en
treprise que ce foit , faire naître & établir la confiance
, & nous ne croyons pouvoir mieux y parvenir
, qu'en répondant avec une préciſion ſcrupuleufe
à toutes vos demandes . C'eft par cette attention foutenue
de notre part que tous nos Actionnaires feront
convaincus que leurs intérêts particuliers nous font
auffi chers , que nous avons lieu chaque jour de
nous applaudir du fentiment patriotique qui a dicté
notre entrepriſe.
Première question. Dans quel tems à-peu- près ,
penfe-t-on que cet armement pourra avoir lieu ?
R. Nous avons cru convenable pour l'intérêt de
nos Actionnaires , d'éviter les frais & les longueurs
des conftructions , en achetant par des moyens qui
nous font connus , & à des conditions avantageufes ,
ce qui nous coûteroit peut- être trois fois autant à
bâtir , en confervant néanmoins la vîteffe pour la
courfe des vaiffeaux bâtis exprès ; quant aux mefures
que nous avons prifes & que nous prenons pour y
parvenir , la prudence nous impofe la loi la plus févère
de ne pouvoir les communiquer qu'au Miniftre
feul ; ces vaiffeaux étant achetés dans certains ports
Etrangers ; mais dans le cas où nos marchés ne
s'effectueroient pas , on peut être affuré & fe faire
affurer par M. Jean Ballan de Nantes , que tous les
bois néceffaires pour les fix frégates font prêts , &
que nous avons pris en outre toutes les précautions
qui peuvent accélérer leur prompte conſtruction &
départ , fur-tout de la première divifion , que nous
efpérons pouvoir mettre à la mer dans le courant de
Septembre ou Octobre prochain . Il ne dépendra que›
des Actionnaires , qu'il y en ait davantage , & même
la totalité , parce que les difpofitions dernières ne
peuvent s'en faire qu'en raifon des moyens .
Deuxième question. Peut -on compter fur la protection
immédiate du Roi & des Miniftres ?
> R. Vous nous permettrez de vous obferver , M.
qu'une entreprife telle que la nôtre , fembloit ne
( 230 )
pouvoir donner lieu à la queftion que vous nous
faites . Son objet qui ne peut être que le bien de
l'Etat & l'avantage du commerce , vous garantit , &
nous a obtenu fans difficulté la protection particulière
du Miniftre qui eft à la tête de la Marine ; il a
bien voulu nous le marquer par fes différentes Let
tres , & notamment par celle du 13 Avril paffé ,
qu'il nous a écrite de la part de S. M. , pour nous
témoigner qu'elle eft très fatisfaite de notre zèle , &
nous promettre toute la protection & les facilités
qu'il dépendra d'elle de nous accorder
Troifième queftion . Quelle affurance donnera -ton
de l'emploi & de la diftribution de fonds auffi
confidérables que la fomme de 2,600,000 livres ?
R. Nous croyons avoir prévu d'avance cette ob
jection , par la précaution que nous avons prife de
ne confier de recette pour les actions , à Paris & dans
les Provinces , qu'aux maifons de banque & de
commerce les mieux famées. Elles garderont , ainfi
que nous , toutes les fommes qu'elles toucheront , &
ne feront de payement que fur des traites que nous
ferons fur elles , foit pour achat de vaiffeaux , foit
au profit des fourniffeurs , conftructeurs & autres
employés dans l'armement , dont nous leur juftifierons
de l'emploi ; de forte que la certitude du placement
& de la diftribution des fommes perçues , ne
fera jamais douteufe ; d'ailleurs , le parti que nous
avons pris de publier par le Mercure de France toutes
nos opérations , mettra tous nos Actionnaires
dans le cas d'être fuffisamment inftruits de tout ce
qui pourra les intéreffer. Nous croyons que ces précautions
étoient les feules qu'il fût poffible de prendre
; car , fi nous avions pu concevoir un plan plus
propre à montrer notre déíintéreffement , la sûreté &
l'avantage de notre entrepriſe , nous l'aurions adopré
notre objet principal étant de fervir utilement
I'Etat & le commerce .
Quatrième question. Dans le cas où les circonfrances
en empêcheroient l'effet , quel feroit le recours
( 231 )
des intéreffés , & ne conviendroit- il pas que pour cet
objet , on défignât un banquier connu, comme on l'a
fait pour la réception des actions ?
R. Les précautions que nous avons prifes , & que
nous prenons tous les jours avec fruit pour le fuccès
de notre entreprife , ne nous ont jamais permis
d'avoir le moindre doute fur fa réuffite ; d'ailleurs ,
comme nous l'avons dit ci-deffus , nous commencerons
toujours par mettre en mer une partie de l'armement
, & nous fommes même dans le cas de prévenir
à ce fujet les Actionnaires qui n'auront pas
payé le montant de leurs foufcriptions pendant le
tems de la conftruction , ou formation de la première
divifion des frégates , qu'ils n'auront rien à
prétendre dans le produit des prifes réſultant de fa
première fortie , qui doit avoir lieu , nous le répétons
, en Septembre ou Octobre prochain. L'hypothefe
de la paix , indépendamment de fon éloignement
évident , n'eft pas plus-inquiétante pour les intéreffés
, puifque ce fera les mêmes perfonnes diftin
guées dans le commerce qui fe feront chargées des
recettes , & qui auront veillé à l'emploi des fonds ,
qui s'occupperont pareillement des opérations qu'un
changement de circonftance entraîneroit , foit pour
la vente des bâtimens & acceffoires dont on n'auroit
plus befoin , foit pour l'exécution & les fuites d'un
plan que nous avons formé , pour ouvrir à la paix
à nos Actionnaires un commerce très - fructueux , &
qui pourra s'étendre fort loin , felon les convenances
& le voeu de la généralité de ceux d'entr'eux qui
continueront de nous honorer de leur confiance , &
que nous nous chargerons de conduire également
fous leurs yeux , moyennant la plus modique com
million.
Cinquième queftion . Quels font les arrangemens
pour le commandement , tant de la manoeuvre que
des volontaires ?
R. L'attention particulière que nous donnons à
toutes les parties qui doivent concourir au fuccès de
( 232 )
notre armement , demandant que nous foyons infiniment
fcrupuleux fur le choix des Capitaines qui
doivent commander les frégates , nous nous fommes
jufqu'à ce jour bornés à recevoir toutes les offres de
fervice des fujets diftingués qui nous ont été préfentés
& propofés de divers ports , & nous pouvons
vous donner l'affurance que dans la détermination
que nous ferons dans le cas de prendre à leur égard ,
nous ne donnerons de préférence qu'à ceux qui fe
feront le plus diftingués par leur mérite & leurs
actions de valeur , & fur lefquels nous aurons reçu
- le plus de preuves écrites fur ces deux points , pour
en juftifier publiquement à nos Actionnaires , fans
que les recommandations de qui que ce foit puiffent
influer en rien fur le choix qui fera fait d'eux , à
moins qu'elles ne foient appuyées fur des faits.
Quant aux volontaires qui feront employés fur les
frégates , vous ferez à portée de juger de leur choix
par le même Mercure qui nous a donné connoiffance
de votre Lettre , & par la détermination que nous
avons prife à cet égard , & que nous publicrons inceffamment
, autant pour la fatisfaction de nos Ac
tionnaires que pour fervir de règle aux perfonnes qui
font dans l'intention d'offrir leurs fervices en cette
qualité.
Voilà , M. , nos réponses aux obfervations que
vous avez bien voulu nous faire , & qui nous font
d'autant plus agréables , qu'en cherchant à vous fa
tisfaire , elles nous ont mis en même tems à portéo
d'éclairer de plus en plus les citoyens patriotes auffi
zélés que vous paroiffez l'être . Nous avons lien de
les croire affes fondées en raiſons , pour vous con
vaincre , & le public , de la pureté de nos intentions.
Si , cependant , vous aviez befoin de nouveaux éclaira
ciffemens , veuillez nous le faire connoître , nous ne
négligerons rien pour vous fatisfaire fur tous les
points , & juftifier la confiance due aux travaux &
aux foins dont nous fommes occupés pour le fuccès
d'une entrepriſe formée uniquement pour intérêt
( 233 )
public , dont nous n'avons voulu nous rendre que
les Agens.
Nous avons l'honneur d'être & c.
Nous venons de recevoir la lettre fuivante de
Morlaix :
nom
» On a bien raiſon , M. , de rendre par - tout hommage
à la Belle- Boule. Les perfonnes les plus diftinguées
le font honneur d'en orner leurs têtes . Pour
moi j'ai cru devoir l'élever jufqu'aux nues . Elle repofe
honorablement fur la cime de mon clocher.
Cette place éminente s'accorde très - bien avec le
du Héros qui la commande. J'espère que M. de la
Clocheterie , qui a l'art de vaincre les plus grands
obftacles , aura celui d'enchaîner dans fes voiles
les vents & les tempêtes ; mon églife n'a donc plus
rien à craindre ayant un fi puiffant protecteur ; mais
je ne puis fans votre fecours lui marquer publiquement
ma jufte reconnoiffance. Je vous prie done ,
Monfieur , de la configner dans votre Journal , ainfi
que ma lettre. J'ai l'honneur d'être , figné LATOUCHE
, Recteur de la Paroiffe de S. Martin de Morlaix.
P. S. C'eft fur le clocher de ma Paroiffe qu'on a
fubftitué la Belle - Poule à un coq qui croyoit avoir
le droit exclufif d'y habiter toujours «.
M. Crinchon , Curé de la Paroiffe de l'Abbaye du
Lieu- Dieu , près de la Ville d'Eu , a bien voulu nous
communiquer un fait très -intéreffant & très - curieux ,
qui mérite l'attention des Médecins , & que nous nous
empreffons de publier. » La femme d'un excellent
Maître d'Ecole , & encore meilleur Organifte , demeurant
à une portée de fufil de notre Abbaye du
Lieu-Dieu , près la ville d'Eu , mariée depuis cinq
ans , parut groffe dans la première année de fon
mariage ; rien ne s'en eft fuivi , elle est toujours
reftée dans cet état , ( mais fans fanté & fans vigueur
, & dans un extrême chagrin de ne pouvoir
pas donner un Muficien à fon mari , ce qui fait tous
fes défirs , ) jufqu'au 24 Avril dernier , qu'aux environs
de minuit , elle eft accouchée fans aucune dou
( 234 )
leur , d'une tête informe d'enfant pétrifiée ; fon mari
étoit alors occupé à foulager une de les vaches qui
avoit beauconp de peine à faire fon veau. Quelle
fut la furprise du mari , lors qu'à fon retour fa
femme lui montra cette tête , dont elle l'affuraqu'elle
venoit de fe délivrer ? Elle ne l'auroit jamais
perfuadé , s'il ne s'en étoit convaincu lui -même , en
voyant que la grolleffe ordinaire de fa femme étoit
vraiment difparue. Cette groffeffe lui avoit occas
fonné dans les premiers tems une espèce de honte ,
ce qui lui avoit fait contracter l'habitude de marcher
un peu courbée , mais depuis la délivrance elle commence
à fe redreffer , & le porte à préſent auffi-bien
qu'on puiffe le défirer . Le Médecin & le Chirurgien-
Accoucheur , qui ont été appellés immédiatement
après cette opération , & d'autres avec lesquels
ils ont confulté , s'occupent beaucoup de la caufe
de cette pétrification ; ils n'ont encore rien décidé
fur cet article , inais ils conviennent tous , après
avoir bien examiné la femme , qu'elle pourra devenir
féconde dans la fuite . Cette nouvelle a tellement
excité la curiofité du peuple de ces environs ; qu'il
vient en foule tous les jours pour fe convaincre
par fes propres yeux de la verité de ce fruit fingulier
«.
Alix de Cabane , âgée de 100 ans moins
3 mois , née le 9 Juillet 1679 , fur la Paroiffe
de Teiffieu , Diocèfe de Cahors , eft morte à
Saint- Cère , en Querci , le 9 Avril 1779. Elke
étoit agrégée au Monaftère de Notre - Dame
de la Vifitation de cette ville ; elle y a paffé
fes jours dans la pratique des plus folides vertus
; elle a jeûné régulièrement jufqu'à l'âge
de 97 ans , & fe fentoit affez de forces pour
jeûner encore le dernier Carême de fa vie . Des
travaux pénibles & des occupations journalières
n'ont jamais porté la moindre atteinte à fa fanté.
Une chûte qu'elle fit le jour de Pâques , 4 Avril
de cette année a occafionné fa mort ; & on peut
( 235 )
roire que fans cet accident funefte , elle auroit
fourni une carrière bien plus longue . Elle a
confervé jufqu'à fon dernier moment tout fon
bon fens , une connoiffance parfaite & une mémoire
prodigieufe.
Jofeph-François-Marie de Boylefve de Chambollan
, Préfident Honoraire au Parlement de
Bretagne , ancien Grand-Vicaire du Diocèfe
de Nantes , Commandeur Eccléhaftique des
Ordres Royaux Militaires & Hofpitaliers de
Notre - Dame de Mont - Carmel & de Saint-
Lazare , de Jérufalem , eft mort ici le 8 Avril ,
âgé de 76 ans .
Louis- Gilles de l'Efcu de Runefaon , Préfident
Honoraire au Parlement de Bretagne , eft
mort à Rennes le 19 du même mois , dans la
quatre-vingt-deuxième année de fon âge.
De BRUXELLES le ΤΟ Mai.
LE bruit de la prochaine réunion de l'Efpagne
& de la France fe fortifie tous les jours ;
il y a long-tems qu'elle eft attendue , & peutêtre
feroit-elle moins utile fans être moins né
ceffaire , fi elle venoit à être retardée . Ceux
qui fe flattent qu'elle ne le fera pas davantage
prétendent que la France doit joindre 25,000
hommes aux forces Efpagnoles , & qu'ils ont
déja eu ordre de fe rendre fur les frontières.
Cette deftination , vraie ou fauffe , a ouvert un
champ vaſte aux fpéculations ; felon les unes ,
ces troupes fe rendront à Carthagène , d'où
le trajet eft fort court jufqu'à Minorque , ou à
Malaga , d'où l'on pafle facilement à Gibraltar.
Cette dernière conjecture eft celle fur laquelle
nos Politiques s'arrêtent avec plus de complaifance
. » Il eft vraisemblable , difent - ils , que
l'Efpagne commencera fes opérations par Gi
braltar. Dans ce cas il fera peut - être queſtion
( 236 )
d'exécuter le projet de M. de Valliere , rela
tivement à cette attaque. On dit que cet Officier.
Général , envoyé à Gibraltar avant la dernière
guerre avec les Anglois , y entra déguifé , en leva
le Plan , remplit parfaitement fa million , & fe
fauva à tems , car 2 heures plus tard , il auroit
été pris par les Anglois. On prétend que le
réfultat de fes découvertes étoit que la place
imprenable du côté de terre pouvoit être aifé
ment attaquée par mer ; que cependant l'exécution
demandoit une artillerie fi bien fervie ,
& une vivacité telle que ce fiége ne pouvoit
être tenté avec fuccès que par des François.
D'après ces notions , ajoutent nos Politiques
l'Efpagne demande le concours de la France à
cette entrepriſe «.
En attendant que l'on fache quelque chofe
de pofitif , & que les faits confirment ou détruifent
leurs rêves , ils fe multiplient prodigieufement
, & ils ne s'accordent en aucune
manière fur le plan des opérations des deux
Puiffances ; ils font paffer des troupes Françoifes
en Efpagne , fous les ordres de M. le Comte
de Maillebois & de M. le Marquis de Voyer ;
on affure même que le premier a eu déja une
audience fecrète du Roi , & plufieurs confé
rences avec le Miniftre de la Guerre , mais dont
il ne tranſpire rien ; ils difent auffi que le Prince
de Condé en a eu d'auffi fréquentes & d'auffi
fecrètes , & on part de - là pour faire de nouvelles
conjectures . Selon d'autres , les premiers
coups ne fe porteront point en Europe , on fait
combien l'Efpagne délire la Jamaïque ; on dit
en conféquence que M. de Guichen pourroit
bien être envoyé aux ifles avec des forces capables
de faire cette conquête .
Une lettre de Saint-Malo , en date du 2 de
ce mois , rend compte ainfi de l'expédition du
Prince de Naffau que les vens ont contrarié
( 237 )
fans ceffe. » On avoit raffemblé dans l'ifle de
Cefambre , à deux lieues de cette ville , 1500
hommes de la légion de Naffau qui , dès le 20
du mois dernier , étoient prêts à s'embarquer
avec ce Prince fur des bateaux de pêcheurs ,
fous l'eſcorte de deux frégates , une corvette
une flûte , 3 cotters & 3 chaloupes canonniè
res ; on gardoit le filence fur la deftination de
cette flotille , que le lieu où elle étoit raffemblée
, la nature des bâtimens de tranfport qui
ne fuppofoient pas une courfe bien longue ,
faifoient conjecturer. Soixante jeunes gens de
cette ville avoient joint le Prince à Cefambre
pour avoir part à cette expédition , & il s'étoit
rendu auprès de lui plufieurs perfonnes de tout
rang de toutes les parties de la Bretagne. La
flote partit le 21 , & fut obligée de rentrer
auffi-tôt ; les vens furent contraires pendant tout
le refte du mois ; & cet intervalle , en faiſant
pénétrer le but de l'expédition , qui étoit pour
Jerfey , a nui peut - être à fon fuccès. Enfin
le premier de ce mois les bateaux furent à
portée d'exécuter la defcente dans la baie de
Saint-Ouen. Les vens étoient au N. O. la mer
étoit belle & defcendoit depuis 2 heures ; les
chaloupes canonnières étoient mouillées à portée
de tirer fur 4 pièces de campagne , & fur
quelques petits détachemens de troupes qui
s'oppofoient à la defcente . Les frégates ne pou
vant approcher de terre étoient un peu au large
pour écarter quelques petits corfaires qui cher
choient à s'emparer de nos bateaux un peu
difperfés , & que les Patrons n'étoient pas dif
pofés à échouer. Il a fallu du tems pour les
raffembler , & ce tems a donné le loifir aux
ennemis d'affembler du monde fur la côte ; les
vents de N. O. ont forcé ; les bateaux fe font
ralliés aux frégates ; le Prince de Naffau a paffé
à bord de la Diane , & la flotille a fait route
( 238 )
pour St -Malo , où les premiers bâtimens ont
mouillé hier au foir , à 7 heures ; la Danaë & les
cutters ne font rentrés qu'à 9. la Diane a refté
au large & n'a mouillé que ce matin à 7 heures
en-dehors des rochers de Saint-Malo . Tel
eft le dénouement de cette expédition , dans
laquelle M. de Naffau & fes Officiers ont montré
la plus grande volonté. M. de Chambertrand,
Capitaine de vaiffeaux , & Commandant de la
Diane , a fait tout ce qu'il devoit & ce qu'il
a pu , puifqu'il a mis les bateaux en pofition
d'exécuter la defcente qui auroit eu lieu infailliblement
fans les vens contraires , & peut- être
la réfiftance des Pilotes qui craignoient pour leurs
bateaux. Le Prince & fa troupe brûlent de prendre
leur revanche. Il eft fort malade , il l'étoit
avant de partir ; mais l'entrepriſe qui l'occupoit
l'empêchoit de s'en appercevoir &: lui donnoit
des forces . Il fe reffent aujourd'hui des
fatigues extraordinaires qu'il s'eft données. Il
eft resté s jours dans une ifle , ou plutôt fur
un rocher , ou il avoit réuni fon monde . Il a
couché pendant tout ce tems fur la terre humi
de , expofé dans une mauvaife petite tente
comme le dernier foldat , à tous les vents &
à la pluie ; ne prenant que de mauvaiſes nourritures
& s'occupant des plus petits détails ;
il a la poitrine en mauvais état ; mais on a lieu
d'efpérer que quelques jours de repos , & furtout
quelque bonne nouvelle le remettront en
état de conduire encore fa troupe où elle défire
ardemment d'aller «<,
La prife du paquebot le Prince George coû
tera cher aux Négocians Hollandois , qui n'avoient
affuré les espèces qui s'y trouvoient qu'à
un pour cent. L'Amirauté de la République
au département de la Meufe , a mis en commiffion
les vaiffeaux de guerre la Meufe & la
Princeffe Caroline , l'un de 70 & l'autre de sa
4
( 239 )
canons , & les frégates la Brille , le Jafon de
36 , la Bellone de 20 , dont le commandement
a été donné aux Capitaines Zegers, Satink, Van
Hoogwerff , Corneille Van Genney , & Knol .
Le département d'Amfterdam a conféré celui
du Naffau de 64 canons , qu'il auffi mis en commiffion
au Capitaine Rietveld ; il a été réfolu
en même-tems de continuer en fervice plufieurs
vaiffeaux actuellement en mer . L'objet de ces
armemens eft de protéger efficacement le commerce
de la République dans la conjoncture
actuelle, au fujet de laquelle il eft à remarquer
qu'on affecte de répandre dans quelques papiers
publics , que la République voudroit étendre
cette protection aux approvifionnemens militaires
, c'est - à - dire aux munitions de guerre ,
comme aux munitions navales.. Ce n'eft affuré.
ment pas fon deffein ; perfonne ne peut ignorer
qu'il ne s'agit que des dernières que le traité
de 1674 entre la République & la Grande -Bretagne
, diftingue très- clairement des munitions
de guerre qui font cenfées de contrebande aujourd'hui
, comme elles l'ont toujours été .
>> Tout nous faifoit , écrit on de la Haie , une
loi de prendre ce parti avantageux . Les Villes
d'Amfterdam & de Harlem fe feroient enrichies
exclufivement de nos pertes ; & tandis
que leurs vaiffeaux fe feroient emparés de
tout le commerce , les autres Villes de la République
auroient langui & pérí dans une inaction
funefte. Les Puiffances du Nord fongeoient
déja à profiter de nos fautes ; la Suède
& le Danemarck appelloient chez eux la li
berté que notre pavillon perdoit , & il étoit
effentiel de ne pas laiffer prendre au commerce
une route nouvelle qu'il n'eft plus poffible enfuite
de changer. Les liaiſons intimes de notre
Cour avec celle d'Angleterre ont donc cédé à
l'intérêt général de la République ; il ne reſte
( 240 )
plus qu'à favoir comment l'Amirauté de Londres
prendra cette démarche tardive , & fi elle
trouvera bon que notre neutralité dont elle a
tiré de fi grands avantages dans tous les tems ,
foit maintenue aujourd'hui. On nous exagère
fans doute la grandeur des armemens qui fe
font dans la Grande - Bretagne ; mais plus ils
font nombreux , plus ils annoncent qu'elle
compte fur un grand nombre d'ennemis ; nous
n'avons jamais été les fiens ; mais auffi elle
n'avoit jamais ofé dire à l'Europe entière , qui
n'eft pas pour moi eft contre moi. En vain nos
compatriotes qui ont des fonds dans fa banque
nous crient que nous allons caufer leur ruine.
Comme les titres de leurs richeffes font des
billets au porteur , ils doivent fe raflurer en fongeant
que fi la banque d'Angleterre pouvoit
jamais manquer à quelques-uns de fes engagemens
, elle feroit obligée de manquer à tous à
la fois , & de perdre ainfi un crédit étranger
& national que les circonftances lui rendent
plus néceffaire que jamais «.
Une lettre d'Amfterdam , ajoute à ces détails,
que les Etats de la Province de Frife on auffi
arrêté d'accorder des convois à tous les bâtimens
marchands Hollandois , chargés de marchandifes
conformément aux traités conclus entre
la République & les Etars voifins. Les Né.
gocians de Dordrecht & de Rotterdam , ont
préfenté par une députation aux Etats- Géné.
raux de Hollande & de Weftfrife , une Re.
quête tendante à fupplier L. N. & G. P. de faire
enforte qu'ils puiffent jouir des bénéfices que
S. M.T. C. a accordés aux Négocians d'Amfterdam
, & de Harlem , qui jufqu'à préfent n'ont
payé aucun des nouveaux droits impofés fur les
bâtimens Hollandois entrant dans les ports de
France,
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ,les Spectacles ;
Les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
25 Mai 1779.
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIÈCES
FUGITIVES.
Vers à Madame la Comteffe
de Genlis ,
-- A Mlle Cécile ,
243
Académie Royale de Mu-
246
-
La Fauvette , Fable , ibid.
fique ,
ACADEMIES.
293
· Des Belles -Lettres de
Caen ,
Le Feftin , nouvelle imitée VA RIÉTÉS.
301
249 Fragmens fur l'Architec- de l'Allemand ,
Couplet à Mde la Mar- ture ,
quife de Marnezia , 258 Anecdote ,
Enigme &Logogryp. 260 JOURNAL POLITIQUE.
NOUVELLES Conftantinople ,
LITTÉRAIRES. Pétersbourg,
Ode à M. de Buffon , Stockholm ,
261 Vienne ,
304
310
313
314
315
317
Vue de l'Évidence de la Hambourg , 318
Religion Chrétienne , Rome , 320
confidérée en elle-même , Livourne , 322
& de la France , 282 Septent.
272 Londres ,
Nouvelle Hiftoire de Paris Etats- Unis de l'Amériq.
324
334
Nouveau Dictionnaire Marly , 340
Hiftorique , 288 Paris , 341
SPECTACLE S. Bruxelles
355
Concert Spirituel , 291
J'AT
AP PROBATION.
A1 lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour le 25 Mai
Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impref
fion. A Paris , ce 24 Mai 1779. DE SANCY,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
25 Mai 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
T
VERS
A Madame la Comteffe DE GENLIS , fur
une repréfentation defes Comédies morales,
jouées par Mefdemoifelles fes Filles.
NoN, ce que j'ai fenti ne peut être un preftige ;
t
Non , j'ai fu trop bien en jouir ;
L
244 MERCURE
Et fi l'on doute d'un prodige ,
Comment douter de fon plaifir ?
Ces Drames ingénus , compofés pour l'enfance ,
Ou Part , foumis à l'innocence *
Se défend les refforts qu'ailleurs il fait mouvoir ,
Avec tant de réferve , ont- ils tant de pouvoir ?
Ton art, belle Genlis , l'emportant fur le nôtre
Ne fait parler qu'un fexe , & charme l'un & l'autre,
Que tes tableaux font vrais dans leur fimplicité !
Tu peins pour des enfans ; mais la maturité
Et fe reconnoît & t'admire ;
Le miroir où tu les fais lire ,
Sur nous de tes leçons réfléchit la clarté.
Jamais , jamais la vérité "
N'exerça fur les cours un plus aimable empire.
MAIS je parle à l'Auteur de fes fuccès brillans ,
Quand je puis applaudir au bonheur d'une mère!
Je fuis bien plus sûr de te plaire ,
En te parlant de tes enfans .
Vous , la gloire & l'amour d'une mère attendrie ,
O Caroline ! Pulchérie !
Des mains de la Nature , ô chef- d'oeuvres naifans !
Elle a fur votre aurore épuifé ſes préfens .
Vous femblez ignorer , parmi tant de fuffrages ,
Et nos plaifirs & vos talens ;
* Il n'y a que des rôles de femme , & le mot d'amour
a'y eft pas même prononcé,
DE FRANCE. 245
A celle dont les foins forment vos premiers ans ,
Vous reportez tous nos hommages ;
Vous oubliez enfin , dans vos jeux innocens ,
Qu'il n'eft dopné qu'à vous d'embellir fes Ouvrages.
QUEL enſemble enchanteur ! quel fpectacle charmant
!
Mon coeur est encor plein du plus pur fentiment ,
Mon oeil encor frappé de la plus douce image ,
De ce transport flatteur , de ce raviffement ,
Que faifoient naître à tout moment
Les grâces de fon ſtyle & celles de votre âge.
Je penfois à fa joie , à fes félicités ,
Aux mouvemens de fa tendreffe ;
Je fongeois que ces cris de la publique ivreffe ,
Dans fon coeur maternel étoient tous répétés.
DIGNE mère , jouis , jouis de ces délices ;
Des vertus , des talens , voilà les plus beaux droits.
Dans toi feule aujourd'hui l'on adore à la fois
L'Auteur , l'Ouvrage & les Actrices.
( Par M. De la Harpe. )
List
246
MERCURE
A Mademoiselle CECILLE , danfant dans
le Devin de Village.
Cécil , quand fi joliment
Vous préfentez une fleurette ,
A la bonne & tendre Colette ,
C'eſt Flore qui fait un préſent.
La jeune Hébé n'eut point encore
Votre gaîté, votre air fripon.
Quand vous dansez , c'eft Terpficore
Qui fe joue avec Nivellon *.
Déjà vous régnez à Cithère
Et fur les coeurs que vous charmez.
Si favante dans l'art de plaire ,
Qu'êtes-vous donc quand vous aimez ?
( Par M. Lorgnimâne. )
LA FAUVETTE ,
UNE
FABLE.
NE Fauvette un peu trop tendre,
Fat furpriſe en flagrant délit;
Son fot époux fit un efclandre
Que tout le quartier entendit.
* Jeune Acteur de fon âge.
DE FRANCE. 247
On vole , on s'affemble , on faifit
La pauvrette toute confuſe ;
Car , hélas ! quand le crime accufe ,
On perd le courage & l'efprit.
Une vieille Margot , jadis fort libertine ,
Fut la première à détefter
L'incartade de fa voifine ,
Qu'elle ne pouvoit imiter.
Eh quoi ! dit la fauſſe veſtale ,
A-t'on jamais vu parmi nous
Un tel excès , un tel fcandale
Contre l'honneur de nos époux ?
La Fauvette étoit mon amie
Quand je lui croyois des vertus ;
Mais maintenant je la renie :
Qu'on la renferme pour fa vie ,
Et qu'on n'en parle jamais plus.
La Caille encor fut plus ' févère ,
Quoique dans ce même printemps
Elle eut , fans honte & ſans myſtère ,
Prodigué les faveurs à plus de vingt amans.
Quant à la chafte Tourterelle ,
Lorfque fon tour vient de parler ,
D'abord fur la pauvre infidelle
Ses pleurs commencent à couler
La Fauvette a fait une faute ,
Mais chacune de nous en pouvoit faire autant 3
De la pureté la plus haute
Liv
MERGURE
On peut déchoir en un inftant
La foibleffe eft notre partage :
Mais j'efpère qu'à l'avenir
Sa conduite fera plus fage ,
Ne parlons plus de la punir :
;
Vous vous êtes aimés , vous vous aimez encore-;
Si vous vous séparez , vous ferez malheureux :
L'orgueil eft un tyran , le monde une pécore ,
Pourquoi vous embarraffer d'eux ?
A cette éloquence naïve ,
Tout fe rend , tout eft attendri ;
C'en eft fait , & notre captive
Se jette au cou de fon mari.
Pour nous , triftes humains , nous fommes les victimes
D'une abfurde rigidité.
Moins de tourmens & plus d'humanité ,
Préviendroient la plupart des crimes.
Heureufe la Ruffie ! enfin elle a quitté
Ses lois barbares & cruelles ;
Mais tout code n'eft pas dicté
Par d'innocentes Tourterelles.
DE FRANCE. 249
LE FESTIN ,
Nouvelle imitée de l'Allemand..
CIMON m'avoit invité à un feftin. Je
n'avois jamais éprouvé de bonheur plus
pur. Les convives appelés à la table de
Cimon étoient tous mes amis , & le contentement
fe manifcfteit dans les regards
de chacun d'eux . Le feul Arifte avoit confervé
fa mélancolie. Il paroifleit , comme à
fon ordinaire , infenfible à tous les plaifirs.
Je m'étois appliqué à connoitre le caractère
de cet homme , qui fejournoit depuis quatre
années dans notre ville. Ses lumières annonçoient
un efprit cultivé , & fes actions un
coeur honnête ; mais fa trifteffe le rendoir
quelquefois infupportable. La vue d'une
jeune femme , ou les careffes d'un enfant lui.
arrachoient des foupirs , & lui faifoient repandre
des larmes qu'il tachoit en vain de
dérober. Je ne fais quel intérêt preffant m'attachoit
à fon fort. Je tentai nombre de fois
de pénétrer la caufe de fon abattement , mais
il refufa conftamment de répondre à mon
amitié.
Après le repas on fe mit au jeu . Comme
ce paffe- temps m'ennuie au lieu de me dittraire
, je pris un prétexte pour fortir & aller
faire une promenade .. Je voulus engager
Arifte de m'accompagner , mais il s'étoit dejà,
I W
250 MERCURE
lié à une partie ; & fans doute qu'il craignoit
mes queſtions & ma tendre curiofité.
Je m'étois déjà promené fouvent dans une
allée folitaire du jardin où je portai mes pas.
J'y goûtois la joie intime que fait naître un
beau jour, une riante contrée , & des points
de vue pittorefques. Alors un petit garçon,
d'une figure intéreffante , vint me tirer de
mon raviffement , & réveiller en moi une
fenfibilité douloureuſe , en me tendant fon
chapeau. " Comment , lui dis-je , fi jeune ,
» connois - tu déjà le malheur ? » Je lui
donnai en même-temps une pièce de monnoic.
L'enfant rougit , & des pleurs mouillèrent
fon vifage. «Eh ! mon petit ani, qu'as-
» tu à pleurer ? »- Ah, Monfieur , ma mère
eftfi pauvre , fi pauvre ! Il fe mit à fanglo-
" Mais que ne vas-tu dans la ville
» où il y a plus de monde. »
Monfieur , je crains qu'on ne m'y arrête ;je
n'ai pas encore mendié mon pain.
ter.
"3
-
-
66
Hélas !
Ou eft
» ton père? Que fait- il ? .. » - Mon pèré !...
je n'en ai point. Comment , pauvre enfant
, tu n'as point de père , & ta mère
éprouve toutes les horreurs du befoin ! »
Les fenfations agréables qui un moment
auparavant enivroient mon ame de plaifir ,
difparurent toutes pour faire place à des réflexions
affligeantes. " Mon ami , dis-je au
» petit garçon , retrouve-toi ici à la chûte
» du jour , tu me conduiras chez ta mère ;
| » je veux voir ſi elle eſt en effet auſſi à plainDE
FRANCE. 25.1
1
» dre que tu le dis ». Il me le promit , & je
continuai ma promenade.
J'effayai en vain de me diftraire & de m'occuper
des amuſemens que j'avois goûtés &
de ceux qui m'attendoient , je ne pus me défendre
d'une fombre inquiétude ; je devançai ,
comme malgré moi , l'heure du rendez - vous .
Hélas ! le pauvre enfant m'attendoit ; il
m'aborda en fautant , & fe mit aufli-tôt à
marcher devant moi , fe retournant fouvent
pour voir fi vraiment je le fuivois . Il me conduifit
dans une maifon que je n'aurois jamais
cru habitée par la pauvreté. Je réfléchis alors
que la plupart des honnêtes malheureux
cherchent fouvent à cacher leur misère fous
l'extérieur de la fimplicité , & qu'ils languiffent
fans ofer avouer leur indigencé.
Mon conducteur m'ouvrit enfin une chambre
près du toit , où je vis une jeune femme
affife près d'une table : elle étoit vêtue fimplement
, mais avec propreté. Elle s'appuyoit
fur fon bras , & cachoit fon vifage avec la
main gauche ; & dans la droite , qu'elle tenoit
négligemment fur fes genoux , elle avoit
un ouvrage de tricot. Une petite fille à fes
pieds penchoit fa tête fur elle , & dormoit
pailiblement. Ma préfence inattendue l'effraya;
elle fe leva en tremblant. « Reftez ,
» lui dis -je , je viens favoir en quoi je puis
» vous être utile. Cet enfant , qui felon
» toute apparence eft le vôtre , m'a dit que
" vous n'aviez point de pain ; je veux vous
en procurer. Que ne fuis-je affez riche !
L vj
252
MERCURE
» Dieu m'eft témoin que je vous en donne
» rois affez pour vivre vous & vos enfans !
»
La petite fille s'étoit réveillée lorſque fa
mère fe leva. Elle étendit fes deux mains vers
elle en pleurant , & criant d'un ton qui alloit
au coeur , j'ai faim . Helas ! pentai- je
alors , il eſt reſte tant de fuperflu fur la table
de mon ami ! Le petit garçon tira de fa poche
un pain au lait qu'il avoit acheté avec
le creutzar que je lui avoit donné , & il le
mit d'un air content dans la main de fa
foeur. La mère lui fourit , les enfans reprirent
un peu de gaîté, & cette pauvre femme
un peu d'affurance.
"
"6
Il me femble , lui dis -je , que vous êtes.
étrangère en cette ville. Un court récit de
» vos malheurs me mettroit peut être en
» état de vous procurer quelques fecours
de la part de mes amis , fi votre fort n'eft 39
59 pas un fecret.
و د
Ah ! Monfieur , s'écria- t'elle d'une voix
douloureufe , pourquoi fuis - je forcée de
rompre le filence que je m'étois impofé. Que
ne puis-je enfevelir dans un oubli éternel le
fujet de mes chagrins ; mais la misère m'en
arrache l'aveu.
Mon père exerçoit une charge confidérable
à D**. J'eus le malheur de plaire à
un Officier ; & moi je devins encore plus
épriſe de lui . L'amour qu'il m'avoit infpiré
e put jamais s'éteindre , malgré les efforts
que je fis pour le vaincre. Mon père ne voulur
pas ,je ne fais ppaarr qquueell mmoottiiff,, confentir à
DE FRANCE. 253
notre union . Mon amant trouva encore plus
d'obſtacles à furmonter auprès de fa famille.
Il n'eft point de prières ni de démarches humiliantes
que nous n'employàmes pour obtenir
leur confentement ; mais tout fut inu
tile. Je ne veux point vous faire , Monticur,
un long roman. La pailion , & peut - être en
core plus , l'inconfequence de la jeuneffe
nous feduifirent. Nous fimes ce que tant
d'autres ont fait avant nous , & dont ils fe
font repentis : nous nous épousâmes fecrettement.
Notre mariage ne put refter longtemps
ignoré ; mon père m'abandonna à
mon fort. Les parens de mon mari firent
tant d'éclat à cette occafion , qu'il fut difgracié
& obligé de quitter le fervice. Mais
comme il poffedoit quelque bien de fon
côté , nous nous trouvâmes à l'abri de la
misère. Pendant les quatre ans que je paſſai
avec lui dans une petite terre, je goûtai tout
le bonheur imaginable.
Lorfque j'accouchai de cette petite fille ,
je crus appercevoir pour la première fois
un air de mécontentement dans les traits de
mon époux , qui avoient toujours été fereins ,
& où la douceur & l'amour dont il étoit
rempli pour moi , avoient toujours été exprimés.
Je lui en demandai la raifon , mais
il ne me fit que des réponſes courtes & équivoques.
Cette conduite , à laquelle j'étois fil
peu accoutumée , me remplit de trouble &
d'effroi. Je n'ofai le preíler davantage à ce
fujet. Il me dit quelque temps après qu'il
254
MERCURE
devoit s'abfenter pour quelques jours. Je ne
me doutai de rien . Il alloit fouvent dans le
voifinage chez un de fes amis ; mais cette
fois il y refta plus que de coutume . J'eus
bientôt recouvré affez de force pour pouvoir
vaquer moi - même aux foins de mon
ménage. La longue abſence de mon mari me
caufoit de l'inquiétude : j'envoyai un domeftique
pour en avoir des nouvelles . Il m'apporta
en effet une lettre écrite de la main de
mon mari ; mais il m'apprit en même- temps
qu'il étoit parti depuis, fix jours , & qu'il
avoit laiffe cet écrit pour qu'on me l'envoyât
auffi-tôt que le danger de mes cou--
ches feroit paffe . J'ouvris en tremblant la
lettre. Elle me préfageoit mon infortune.
Ah, Monfieur , épargnez - moi la douleur
de vous en répéter tout le contenu. Elle renfermoit
les reproches les plus amers ; mais
auffi , j'en prends Dieu à témoin , les accufations
les plus injuftes. Il fe fondoit fur un
foupçon que la méchanceté ſeule , ou plutôt
le démon pouvoit lui avoir inſpiré. Enfin il
m'avoit abandonnée & ne vouloit plus me
voir. Il me laiffoit la liberté , ou de refter
dans fa terre , & d'y vivre d'une penfion
honnête qu'il me fixoit , ou de me rendre
ailleurs. Je fus quelques jours entièrement
indéciſe fur le parti que je devois prendre.
J'étois tombée dans un abattement qui me
rendoit prefqu'infenfible. Mon chagrin éclata
enfin: je veux le voir , m'écriai-je , je veux
le chercher , le convaincre de mon innoDE
FRANCE. 255
cence , lui mener mes enfars , & , s'il me
trouve puniffable , mourir de fa main.
Accablée comme je l'étois par la douleur ,
je pris mal les mefures néceffaires à l'exécution
de mon deffein. Je ne me fentois pas
la force de différer mon départ. Je craignois
que chaque inftant ne l'éloignât de moi .
Sans réflexion , fans avoir égard à mon état
futur , j'entaffai à la hâte ce qui me tomba
entre les mains. J'emmenai mes deux enfans,
ayant pour conducteur un homme fur lequel
je pouvois me repofer. Il nous mena
de nuit à la ville la plus prochaine , où j'efpérois
avoir des nouvelles de mon mari ;
mais ayant été trompée dans mes efpérances
, je pourfuivis ma route ; & , de la forte ,
j'ai parcouru dans l'efpace de quatre ans
une grande partie de l'Allemagne , allant
toujours d'une ville à l'autre , & ayant toujours
l'efpoir de le trouver. J'avois économifé
en grande partie les préfens que j'avois
reçus de mon époux ; & quelques jours après
la lettre fatale , fon ami me paya d'avance.
une année entière de la penfion qu'il m'avoit
fixée . Il avoit ordre de prendre mon fils fous
fa tutelle ; mais il céda néanmoins aux prières
inftantes que je lui fis de me le laiffer encore
pour quelque temps. Je fus obligée de
me défaire peu - à - peu de mes meilleurs
effets , & maintenant j'en fuis venue au point
de perdre entièrement l'efpérance de revoir
mon cher Arifte , & de mourir de faim
avec més enfans ».
1
256 MERCURE
Arifte m'écriai -je en me levant brufquement
, feroit-ce le malheureux Arifte que
je connois ? Oui , ce l'eft fans doute.
Elle n'avoit remarqué ni mon mouvement
ni ce que j'avois dit ; car à fes dernières
paroles avoit fuccédé un torrent de larmes ,
dont elle arrofoit les deux enfans qu'elle tenoit
ferrés entre ſes bras .
Je lui laiffai quelques inftans pour revenir
à elle-même. Votre polition eft bien trifte ,
lui dis-je ; mais avouez-le moi fincèrement ,
êtes- vous sure de votre innocence , & vous
fentiriez-vous le courage de paroitre devant
votre époux avec l'affurance que donne la
vertu ? Ah! Monfieur , s'écria - t'elle avec
le plus grand tranfport , je paroîtrois devant
lui avec la fermeté que donne le fentiment
intérieur d'une bonne confcience , de
même que j'espère un jour de paroître au
Tribunal du Juge Suprême.
--
Eh bien , repris-je en lui faififfant la main,
cela fuffit. Venez avec moi . Je vous conduirai
chez un ami qui vous accueillera bien .
N'ayez aucune crainte ; je fuis trop conna
dans cette ville pour que vous ayez rien à
apprehender fous ma protection. Elle prit
fa petite fille entre fes bras , me donna l'autre
main; & de la forte nous allâmes , accompagnés
du petit garçon , à la demeure de
Cimon.
-
Il étoit déjà tard , & l'on avoit douté que
je revinile pour fouper. Toute la Société
s'étoit mife à table.. Je fis conduire dans une
DE FRANCE. 257
chambre voifine cette pauvre femme avec
fes enfans. Elle étoit toute tremblante. Je
joignis alors la Société. Mon ami , dis- je à
Cimon , feriez - vous fâché que j'augmen
taffe le nombre des convives de quelques
perfonnes , dont la connoiffance ne vous
fera peut-être pas défagréable.
d Tout convive
amené par un ami tel que vous , répondit
Cimon , eft le bien venu . Je le remerciai
, & ouvris auffi- tôt la porte du cabinet
, d'où je fis fortir la mère infortunée
avec fes enfans .
Un Peintre habile repréfenteroit mieux
cette Scène que je ne puis le faire. La furprife
, la curiofité , la crainte étoient les principaux
traits marqués fur chaque vifage .
Arifte étoit devenu auffi immobile qu'une
ftatue. Il portoit fixement fes regards fur fa
femme , qui au moment que je l'introduifis ,
courut à lui avec fes enfans , & tomba fans
connoiffance à fes pieds . Un filence général ,
& une certaine fenfation qu'il eft impoffible
d'exprimer , rendit certe fcène fi touchante ,
que je ne me fouviens pas d'avoir vu ou
éprouvé quelque chofe de femblable. Arifte
jetant fes bras autour de fa femme & de fes
enfans , les tint long- temps ferrés contre fon
fein ; & après qu'il eut repris fa fermeté , il
fe leva , courut à moi, & m'embraffa tendrement.
Ah ! mon ami , s'écria - t'il , ou vous me
rendez aujourd'hui la vie, ou vous me caufez
la mort la plus cruelle. Soyez tranquille ,
Arifte , lui dis-je , votre épcuſe feroit la plus
258
MERCURE
criminelle des femmes , fi elle étoit capable
de vous en impofer en ce moment ; je fuis
sûr qu'elle eft innocente & digne de tout
votre amour.
Il s'éleva alors un grand murmure. Chacun
prit le parti de l'époufe infortunée. On fe
mit enfin à table : nous n'apprîmes rien autre
chofe de toute cette hiftoire , finon qu'Arifte
avoit écouté trop facilement les fauffes infinuations
que fon ami lui avoit données ; &
nous conclumes avec affez de vraisemblance
que fon perfide ami avoit eu le deffein de
tendre des pièges à la vertu de cette digne
époufe lorfqu'elle feroit abandonnée de fon
mari. Nous paſsâmes la foirée , & même
une partie de la nuit , à célébrer la réunion
de ces époux , qui fe promirent bien de ne
plus croire ni de donner lieu à la jaloufie .
-
COUPLET à Madame la Marquife DE
MARNEZIA
Sur l'Air: Que ne fuis-je la fougère.
MON étude eft la Nature ,
Depuis que j'ai vu Zélis ;
Près d'elle mon goût s'épure ,
Du beau feul il eft épris.
Mais Zélis , d'un oeil rapide ,
Cette Dame s'occupe de l'Hiftoire Naturelle , dont
elle possède un riche cabinet,
DE FRANCE. 259
Parcourt la terre & les mers ;
Moi je ne vois que mon guide ;
Ce qu'on aime eft l'Univers .
l'aurore ,
SON teint plus frais que
Des fleurs nous offre l'émail ;
Son regard eſt le phoſphore ;
Sur fa bouche eſt le corail.
Son fein au plus beau carrare
Peut difputer la blancheur ;
Mais pour moi , le fort barbare
De filex forma fon coeur.
ZELIS , je viens fur ta trace
Rendre hommage à la raifon.
L'Ifle d'Elbe eſt mon Parnaſſe ,
Ton efprit mon Apollon.
De l'Etna fouillons la cendre ,
D'Herculanum les débris ;
Mais n'irons-nous rien apprendre
Dans les bofquets de Cypris ?
(Par M. Philipon de la Madeleine. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LEE mot de l'Énigme eft Arrête de Poiffon;
celui du Logogryphe eft Giberne , où fe trouvent
gerbe , bière ( cercueil ) , bière ( boiſſon ) ,
Brie , ré, berge, nègre , neige , ire , Berne .
260 MERCURE
ENIGM E.
JE fuis au rang des morts en fortant de ma mère ;
Je vis après pour être dans le temps
Le mari de ma foeur ou femme de mon frère ,
Selon la loi de mes premiers parens .
Par M. Bouvet , à Giſors. )
LOGOGRYPHE.
DAN s mon entier je fuis femelle ,
Tantôt du règne végétal ,
Et tantôt du règne animal.
Mais retranchant ma dernière parcelle ,
Je deviens mâle & fuis homme fans bien ,
N'efpérant même pas d'acquérir jamais rien.
Ainfi nous fommes l'un dans l'autre
Frère & foeur , vivans en Apôtre .
Mais fi vous me faites trotter
Sur mes huit pieds , je vais vous apprêter
Deux animaux encore :
L'un vous tracaffe & vous dévore ,
L'autre , qui n'eft pas un Caton ,
Semble être né pour les coups de bâton.
(Par un Frère Convers. )
DE FRANCE. 261
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ODE à M. de Buffon , par M. le Brun
fuivie d'une Épître fur la bonne & la
mauvaiſe plaifanterie. A Paris , chez les
Libraires qui vendent les Nouveautés.
LA fiction de cette Ode n'eſt pas heureufe.
Le fujet eft une maladie qui fit
craindre , il y a quelques années , pour les
jours de M. de Buffon . " Madame de Buffon ,
( dit l'Auteur dans un Avertiffement ) étoit
» morte l'année précédente à la fleur de fon
âge. Elle joignoit à la beauté toutes les
و د
ود
c
grâces de l'efprit ». Le Poëte feint que
l'Envie , irritée contre M. de Buffon , va
chercher la Fièvre & l'Infomnie pour attaquer
les jours d'un grand Homme. Nonfeulement
cette idée de mettre l'Envie en
oeuvre , eft une machine un peu ufée ; mais
quel rapport d'ailleurs de l'Envie à la Fièvre
& à l'Infomnie ? Car il faut toujours qu'il y ait
an rapport entre les idées morales & les
fictions poétiques ; c'est ce qui fait le
charme de celles- ci , & ce qui en fonde
l'effet. On peut croire que l'Envie ne dort
guères ; mais jamais la Fièvre n'a été à fes
262 MERCURE
'ordres. Les motifs qu'elle emploie pour exciter
contre fon ennemi les deux Divinités
infernales dont elle implore le fecours , fontils
bien juftes & bien raifonnables ?
Noires Divinités ! un demi Dieu nous brave ;
La gloire eft fon amante , & la mort ſon eſclave.
Son titre d'immortel par-tout choque mes yeux.
Chaque inſtant de ſa vie ajoute à mon fupplice :
Son Roi même eft complice ,
Et prétend m'infulter par un marbre odieux.
Quoi !je ferois l'Envie ! Eh ! qui pourroit le croire,
S'il jouiffoit vivant de cet excès de gloire ?
Vengez -moi : terminez fes brillans attentats.
Allez , courez , volez : que vos flammes funeftes
Chaffent les feux çéleftes
Qui fauveroient Buffon des glaces du trépas.
Il n'y a pas un mot dans ces deux ftrophes
qui ne foit un contre-fens. Paffons à l'Auteur
de faire de l'Infomnie une Divinité infernale
, quoique la fiction foit un peu forcée ;
mais que veut dire cet hémistiche : Un demi
Dieu nous brave? Quoi ! M. de Buffon brave
la Fièvre & l'Infomnie ! Qu'eft -ce que cela
veut dire ? & quelle mal-adreffe de le faire
appeler un demi- Dieu par l'Envie elle-même !
C'eft précisément parce qu'elle ne veut pas
qu'un homme devienne un demi Dieu , que
Envie fe déchaîne contre le mérite.
La gloire eft fon amante & la mort ſon eſclave.
Et qu'importe à la Fièvre & à l'Infomnie
DE FRANCE. 263
que la gloire foit l'amante de M. de Buffon ?
Et comment peut-on dire d'un grand Écrivain
que la mort eft fon efclave ? C'eft tout
au plus ce qu'on pourroit dire d'un grand
Médecin. Quel amas d'idées vuides de fens !
C'eft donc là ce qu'on eft convenu d'appeler
aujourd'hui de la Poéfie !
Son Roi même eft complice.
Complice de quoi , ou de qui ? On entend
très-bien Ariane , lorfqu'elle dit :
Le Roi , vous & les Dieux , vous êtes tous complices.
Mais lorsqu'on n'a parlé de rien , ce mot
complice, qu'on ne fait à quoi rapporter ,
n'eft qu'une faute de langage,
Quoi ! je ferois l'Envie !
Cet hémiſtiche rappelle celui-ci du Lutrin :
Suis-je donc la Difcorde ? Mais quand la
Difcorde parle ainfi , elle vient de s'expliquer
d'une manière convenable. Rien n'eft plus
aifé que d'employer à tort & à travers les
allégories & les formules confacrées par les
maîtres de l'art ; mais ce n'eft point ainfi
qu'on fe place à côté d'eux ,
Vengez-moi : terminez fes brillans attentats,
Sans nous arrêter à l'inconcevable idée des
brillans attentats d'un Écrivain Philofophe ,
pourquoi l'Envie veut - elle que la Fièvre
& l'Infomnie la vengent ? Quel intérêt y
ont-elles ? Voilà ce qu'il falloir motiver.
264
MERCURE
Dans Homère , dans Virgile , dans tous les
grands Poëtes , quand une Divinité demande
le fecours d'une autre , elle donne des raiſons
plaufibles de cette alliance : ici , où fontelles
?
Allez , courez , volez : que vos flammesfunefte
Chaffent les feux céleftes , &c.
L'inconfequence des idees fe joint partour
à l'improprieté des termes. Faire voler
la Fièvre , la Fièvre à la marche inégale !
donner des flammes à l'Infomnie ! & les feux
céleftes , qui n'ont jamais fignifié que les
aftres ou les météores , mis à la place du
feu célefte qui anime les humains ! c'eft abufer
étrangement du principe qui recommande
le pluriel en Poëfie. C'eſt par une
fuite de ce même abus du même principe
que l'Auteur emploie plufieurs fois le mot
effors , qui n'a jamais été François .
Dirigent vers Buffon leurs finiftres effors.
Son ame ardente & pure ,
·Dans fes brillans effors , planoit fur la Nature.
Quel ftyle ! Le début de l'Ode eft peutêtre
encore plus extraordinaire.
Cet aftre , Roi du jour , au brûlant diademe,
Lance d'aveugles feux , & s'ignore lui- même.
Il éclaire le monde , & ne le connoît pas.
Mais l'aftre dugénie , intelligent , fublime ,
Du ciel perce l'abyfme,
L'embraffe , & des Dieux mê.ne ofe y fuivre les pas.
Analyfez
DE FRANCE. 265
Analyfez cette ftrophe : il en résultera le
plus inintelligible amphigouri . Permettons au
Poëte d'appeler le foleil Roi du jour, expreffion
beaucoup moins heureuſe & beaucoup
moins claire que celle de Père du jour ; de
lui donner un brûlant diadême , tel qu'on
pourroit le donner à Vulcain dans la Mytho
logie Grecque , ou à Satan, dans la Théologie
Chrétienne ; mais qu'eft- ce que le foleil lançant
d'aveugles feux, & s'ignorant lui-même?
De deux chofes l'une , ou le foleil eft ici perfonnifié
, ou il ne l'eft pas. S'il ne l'eft pas ,
c'eſt tout naturellement un globe de feu , un
être inanimé ; il eft tout fimple qu'il s'ignore
lui -même , & fi fimple , que ce n'eft pas la
peine de le dire , du moins de cette manière ;
mais s'il eft Roi du jour , & s'il a un brûlant
diadême , il eft donc perſonnifié . Alors ce
n'eft autre chofe qu'Apollon , le Dieu de la
lumière & des arts , qui ne lance point d'aveugles
feux , & qui ne s'ignore point lui -même.
Cette conféquence eft d'autant plus néceffaire
, que toute l'Ode eft fondée fur la Mythologie
ancienne , puifqu'elle anime l'Envie,
la Fièvre , l'Infomnie , qu'on y fait intervenir
une Ombre , les Parques , &c. Qu'a donc
voulu dire l'Auteur ? Il a voulu nous appren
dre que l'aftre du Génie étoit intelligent : un
aftre intelligent ! qu'il perçoit l'abyfme du ciel,
& qu'il l'embrasfoit , &c . &c.
Il eſt donc bien évident que l'on peut écrire
un Ouvrage entier fans s'être entendu foimême
, fans s'être rendu compte d'une feule
25 Mai 1779.
M
266 MERCURE
idée. On a beau dire , ce caractère eft plus
particulier qu'aucun autre aux productions'
de notre fiècle. Voilà ce qu'a produit cette
foule d'Energumènes , qui , dans vingt Journaux
à leurs ordres , & dans mille brochures
de leur compofition , répètent avec une emphafe
fi monotone les mots de génie , de
coloris , de chaleur , & quand ils les ont vaguement
accumulés , penſent avoir répondu
à tout , & rejettent loin d'eux avec tant de
mépris la raifon , la clarté , le naturel , le jugement
, le goût , la pureté , la précifion , enfin
tout ce dont faifoient cas de petits efprits
tels que Virgile , Racine , Voltaire , Oracles
éternels de la pufillanime médiocrité.
Cette forte d'exagération , que l'on prend
pour de la force , peut- elle être plus clairement
marquée, que dans la ftrophe où le Poëte veur
peindre la Fièvre & l'Infomnie fortant des
enfers pour aller exécuter les ordres de
l'Envie ?
Elle dit , & courant le long des rives fombres ,
Ces monftres font frémir jufqu'au tyran des ombres ;
L'Érèbe eft effrayé de les avoir produits ;
Et le fatal inftant où leur effaim barbare
S'envole du tartare ,
Semble adoucir l'horreur des éternelles nuits .
Deux monftres ne peuvent guères former
un effaim ; mais qui croiroit qu'il eft
queftion de la Fièvre & de l'Infomnie? Et
que diroit de plus l'Auteur , s'il faifoit fortir
des enfers le Fanatifme , la Vengeance , la Dif
DE FRANCE. 267
corde , &c. ? Mais la manie des grands mots
n'examine pas s'il s'agit de petites chofes.
Nous voudrions pouvoir oppofer à tant
de fautes quelques ftrophes d'une beauté
réelle ; mais à peine y en a-t- il une de cette
efpèce. Voici celle qui nous a paru la meilleure.
Que vois-je? Ah ! cette main fi rapide & fi sûre ,
Qui d'un trait enflammé fut peindre la Nature ,
Se glace, & fent tomber fon immortel pinceau ;
Et déjà fur ces yeux qu'allumoit le Génie ,
La Fièvre & l'Infomnie'
Ont des pâles douleurs étendu le bandeau.
L'idée d'introduire l'ombre d'une épouſe ,
s'efforçant de fléchir le Roi des enfers en
faveur de M. de Buffon , eft beaucoup meilleure
que la première fiction qui amène le danger
de l'Hiftorien de la Nature ; & ce vers :
Sois fenfible deux fois aux larmes de l'Amour ,
a été cité avec raifon comme un vers heureux.
Prefque tout le refte eft d'un ftyle pénible
, contourné , obſcur , offenfant à la fois
la langue & l'oreille.
Et les bords du Léthé t'en devinrent plus doux.
Nos coeurs & nos penchansfuivoient un même cours &c;
Dès mon aurore, hélas ! plongée aux fombres rives, &c.
A peine elles touchoient aufeuil du noble afyle, &c,
Mij
268. MERCURE
Sont-ce-là des vers lyriques ? Les termes
parafites font encore un des défauts de l'Auteur.
Le mot rouler revient trois fois dans
cinq ftrophes.
Sur fon axe rouler dans l'océan des airs , &c.
Devant fon char tonnant roule en vain les orages , &4.
Là , dans l'immenfité l'Éther roule fes ondes &c.
Et un moment après , on trouve encore
La nuit avec horreur roule fon char d'ébène , &c.
Le mot immortel revient encore plus fouvent.
Ces défauts font moins graves que ceux
que nous avons été obligés de relever ; mais
ils fe font fentir dans un ouvrage de iso vers.
C'en eft encore un , aux yeux des Juges févères
, que d'emprunter des hémiftiches con
nus par leur beauté , & de les placer moins
heureufement. Tout le monde fait ces beaux
vers de Rouffeau :
Lachéfis apprendroit à devenir ſenſible ,
Et le double cifeau de fa four inflexible
Tomberoit devant moi.
M. le Brun a mis :
Lachéfis s'én émeut : Clothon devient fenfible ;
Mais fafour inflexible
Déjà preffe le fil entre fes noirs cifeaux.
Voilà encore une occafion de comparer la
DE FRANCE. 265
manière moderne avec celle des modèles da
bon ftyle. Rouleau , dans fes belles Odes ,
a mérité ce titre par fon harmonie & fon
expreflion. Quel tableau du moment où les
Divinités de l'enfer s'attendriffent , dans ces
trois vers que nous venons de citer ! Quel
heureux accord de l'image qu'ils expriment
avec le mouvement de la phrafe ! & comme
' elle tombe d'une manière admirable par ce
vers pittorefque :
3420
Tomberoit devant moi !
On voit tomber le cifeau. Voilà de la vraie
poësie. Elle n'eft pourtant ni bizarre ni baroque.
Il n'a pas fallu créer une langue pous
trouver ces beautés. Il n'a fallu qu'avoir l'oreille
& l'imagination fenfibles . Voulez-vous
voir M. le Brun exprimer la même chofe
dans les vers où il peint la Parque attendrie
en faveur de M. de Buffon ?
"
Tes pleurs , nouvelle Alcefte , ont fauvé ton époux.
Tu vois le noir cifeau pardonner à fa proie ;
Un cri marque tajoie ,
Et les bords du Léthé t'en devinrent plus doux .
Le noir cifeau pardonner à fa proie ! Écou
tez les Prédicateurs de la nouvelle doctrine ;
vous allez les voir dans l'admiration. Voilà
de ces chofes , difent - ils , qui séparent un
homme du vulgaire des Verfificateurs.
C'eft
que cela jamais n'a rien dit comme un autre.
Métroin
M iij
270 MERCURE
Mais comparez le cifeau qui pardonne au
cifeau qui tombe , & jugez entre une image
' naturelle & vraie , & une expreffion recherchée.
Comme la première eft touchante ! &
comme l'autre eft froide ! Comment ne s'apperçoit-
on pas que ce n'eft pas le cifeau qu'il
falloit attendrir , que ce n'eft pas lui qui doit
pardonner ! Et la proie d'un cifeau ! autre
efpèce de recherche tout auffi déplacée. Un
cri marque ta joie , eft peut-être pis que tout
le refte , parce que ce vers eft glacial. Quoi !
le cri de joie qui échappe à l'ame au moment
d'un bonheur inefpéré, eft un cri qui marque
la joie ! Voilà de ces fautes qui tuent.
**
L'Épître fur la plaifanterie eft meilleure
que l'Ode. Ce n'eft pas qu'il n'y ait encore
beaucoup de fautes , que le ftyle n'en foit
découfu , trop chargé d'épithètes & de termes
abftraits ; mais il y a des vers bien tournés
dans cette Pièce , qui n'eft d'ailleurs qu'un
commentaire de quelques vers de Boileau
dans l'Épître fur le vrai.
Quelle gloire en effet pour tout être qui penfe ,
De vieillir dans ces jeux d'enfantine démence,
D'avilir fon efprit , noble préfent des Dieux ,
Au rôle indigne & plat d'un farceur ennuyeux ,
Qui payant fon écot en équivoques fades ,
Envie à Taconet l'honneur de fes parades ,
Et même en cheveux gris , paraſite bouffon ,
Transporte les tréteaux chez les gens du bon ton !
Ces vers font dans le ſtyle de l'Épître fatyDE
FRANCE. 271
rique , ainfi que les deux fuivans , & quel
ques autres .
Je plains le malheureux qui s'eſt mis dans la tête
De plaire aux gens d'efprit à force d'être bête , &c.
Ceux- ci font d'un mérite fort fupérieur.
D'une gaîté fans frein rejetez la licence ,
Et refpectez les Dieux , la pudeur & l'abſence.
Qu'un ami par vos traits ne foit point immolé.
En vain le Repentir honteux & défolé ,
Court après le bon mot aux aîles trop légères ;
Il perd fes pas tardifs & fes larmes amères.
L'amour-propre offenfé ne pardonne jamais , & c.
Voilà des vers du bon genre , & qui prouvent
un talent poëtique , qui s'éleveroit plus
fouvent , s'il n'étoit corrompu par le déteftable
goût qui a fait tant de progrès , & s'il
vouloit fuivre de meilleurs modèles . Un ami
éclairé & fincère ne pafferoit point à M. le
Brun des vers tels que ceux- ci :
Pfyché , du fentiment n'emprunte que les armes.
Les armes dufentiment ! A quoi a-t-il penfé ?
L'aimable vérité rit dans des coupes d'or.
Pourquoi dans des coupes d'or? Les feftins
les plus magnifiques font- ils les plus gais ?
Rien n'eft plus faux que cette image. Mais
l'Auteur aime à employer le mot de coupe.
Dans l'Ode dont nous venons de parler , il
fait boire à M. de Buffon la coupe de la gloire.
Miv
272 MERCURE
Se flatteroit-il de nous faire comprendre bien
clairement ce que c'eft que la coupe de la
gloire ?
Nous ne pouvons donner à M. le Brun
un meilleur confeil que celui de tâcher de
fuivre dans la poéfie les mêmes principes de
ftyle que M. de Buffon a fuivis dans fa profe
éloquente , où il a fu être élevé fans enflure ,
noble fans recherche , énergique fans roideur
& fans obfcurité.
( Cet Article eft de M. de la Harpe ) .
JUE de l'Évidence de la Religion Chrétienne
confidérée en elle-même ; traduit de l'Anglois
par M. le Tourneur. Vol. in- 8 ° .
Prix, i liv. 16 fols. A Paris , chez l'Au
teur , rue de Tournon .
Dans une Préface , le Traducteur nous
apprend que cet Ouvrage a eu le plus grand
fuccès en Angleterre , & qu'il y eft regardé
comme une espèce de démonftration rigoureufe
de l'existence de la révélation & de la vérité
du Chriftianifme. L'Auteur lui-même dit à
la fin de fon Ouvrage : « Je ne doute pas
que ces Meffieurs ( les Lecteurs pareffeux ,
& les hommes livrés au tumulte des affaires
) ne décident que ce doit être l'ou-
» vrage de quelque enthoufiafte ou quelque
pédant , d'un homme de néant ou d'un
fou. Je prendrai donc la peine de les
affurer que l'Auteur eft on ne peut pas
plus éloigné de tous ces caractères ; que
ود
و ر
DE FRANCE
.
273
"
ל כ
>>
peut-être autrefois il ne croyoit pas plus
qu'eux; mais qu'ayant eu quelques loifirs ,
» & encore plus de curiofité , il les a employés
à réfoudre une queftion qui lui pa
toiffoit être de quelque importance.
L'Anglois converti démontre que le Chriftianifme
n'eft pas , comme on le fuppofe ,
une impofture fondée fur une fable abfurde
& furannée ; mais qu'il eft au contraire une
révélation certaine , communiquée au genrehumain
par un pouvoir furnaturel . Il établit
cette vérité fur trois propofitions. 1 ° . Il exifte
actuellement un Livre qui a pour titre le
Nouveau Teftament. 2 ° . De ce Livre , on
peut extraire un fyftême de Religion abfolument
nouveau , foit dans fon objet , foit
dans fes maximes , qui n'eft pas feulement infiniment
fupérieur , mais qui ne reſſemble à
rien de ce qui étoit auparavant entré dans
l'efprit humain. 3 ° . De ce même Livre ,
on peut également recueillir un fyftême de
morale , où tout précepte fondé fur la raifon ,
eft porté à un plus haut degré de perfection
qu'il ne l'a jamais été dans les écrits des Philofophes
les plus célèbres : fyftême où l'on
ne trouve aucun précepte fondé fur de faux
principes , & où fe trouvent quantité de nouveauxpréceptes
qui correfpondent uniquement
avec le nouvel objet de cette Religion.
L'Auteur démontre en trois pages fa pres
mière propofition. La feconde ne lui paroît
pas tout- à-fait auffifimple; mais il ne la croit
pas moins inconteftable. Il nefaut
274
MERCURE
و د
cher dans le Nouveau Teftament un ſyſtême
régulier & fuivi , " qui n'eft jamais entré
» dans les deffeins de fon fuprême Auteur .
" Nous ignorons pourquoi il n'a pas préféré
la forme régulière & didactique ; c'eſt
peut-être parce qu'il favoit que l'imperfection
de l'homme n'eft pas fufceptible
» d'embraller un pareil fyftême , & que nous
» ferions plus furement conduits par ces
rayons épars & femés de loin en loin
» que par l'éclat trop éblouillant de l'illu-
ود
» mination divine. »
D'abord , l'objet de cette Religion eft abfolument
nouveau : c'eft de nous préparer un
Royaume des cieux par un vrai noviciat dans
cette vie. Quelques Philofophes , il eſt vrai ,
ont cu des notions d'une vie future . Des anciens
Législateurs ont auffi tâché d'infinuer
dans l'efprit des peuples Ja croyance des
peines & des récompenfes après la mort ;
mais le bonheur de cette vie étoit toujours
leur objet principal , au lieu qu'il n'eft qu'accelloire
dans la Religion Chretienne . Ilsuf
fifoit aux uns de pratiquer la juftice , la tempérance
, la fobrieté ; mais les autres doivent
ajouter à ces vertus , une piété habituelle , la
foi , la réfignation , le mépris du monde. Lepremierplan
peutfaire de nous , de bons Citoyens;
mais il n'en fera jamais des Chrétiens fup
Portables.
Les autres parties du Chriftianiſme font
encore plus merveilleufes le détachement
2pusa refurrection , le jugement der
DE FRANCE.
275
nier , la néceflité générale du péché & de la
punition ; les moyens de réfifter à l'un & à
l'autre ; la nature déclarée impardonnable
du crime , fans la médiation d'un Être qui
l'expie par fes fouffrances généreufes ; l'incarnation
du Chrift ; l'Etre Suprême repréſenté
fous le caractère de trois perfonnes unies en
un feul Dieu : voilà des dogmes qui diftinguent
le Chriftianifme de toutes les autres
religions & de toutes les autres doctrines
philofophiques ; & ces dogmes font des faits
aufli certains que l'exiftence de la Grèce &
de Rome.
ود
" On a vu des hommes qui ont haſardé
» d'effacer des Saintes Ecritures tous ces
dogmes ; & voici comme ils raiſonnoient :
» l'Écriture eft la parole de Dieu ; dans l'Ecri-
» ture il ne peut le trouver de propofitions
» contradictoires avec la raifon ; donc ces
propofitions ne font pas dans l'Écriture .
Mais ces hardis Docteurs devroient retour-
» ner l'argument , & dire : ces dogmes font
partie , & partie matérielle de l'Écriture ;
» ils font contradictoires avec la raiſon : or ,
» nulle propofition contradictoire avec la
raifon ne peut faire partie de la parole de
Dieu ; doncni l'Écriture , ni cette prétendue
." révélation , ne viennent de Dieu . Ce feroit
s du moins un raifonnement digne des
» Déiftes raisonnables & de bonne- foi , &
qui pourroit mériter quelque attention ;
mais quiconque prétend détruire des faits
M vj
༢་ 276 MERCURE
→ par des raisonnemens , ne mérite aucune
réponse.
ود
"
"
L'Auteur ajoute qu'il n'apportera pas en
preuve de la Religion , les miracles de Jeſus-
Chrift , fa réfurrection , fa naiſſance d'une
Vierge , qui peuvent être conteſtés par les
incrédules ; mais il s'arrête à un point qu'il
croit à l'abri de toute conteftation . » Par
exemple , on ne trouve que Jeſus- Chrift
dans toute l'hiftoire du genre-humain , qui
» ait fondé une Religion qui n'a nulle
liaiſon, nul rapport avec la politique hu-
» maine , avec aucun gouvernement , & qui ,
» par conféquent , eft abfolument inutile à
» toute vue mondaine ». Tous les autres
Fondateurs de cultes religieux , tels que
Numa , Mahomet , Moyfe lui-même , avoient
lié leurs cultes à des inftitutions humaines ;
jamais l'Auteur de l'Evangile n'a vifé à ce
but.... » Un Chrétien n'eft d'aucun pays ;
» il eft Citoyen de l'univers .... Le patriotiſme
même cette vertu fameufe tant
idolâtrée par les Anciens , tant vantée dans
nos fiécles modernes , qui a fi long- tems
confervé les libertés de la Grèce , & qui
» éleva Rome à l'Empire de l'Univers ; cette
» vertu , toute célèbre qu'elle eft , doit être
» exclue du nombre des vertus chrétiennes ....
و د
,
fouvent même elle y eft directement contraire....
L'amitié même , dans fa plus
» grande pureté , n'eſt d'aucun prix aux yeux
de cette Religion ».
1
DE FRANCE. 277
"
29
Mais c'eft dans les preuves de fa troisième
propofition que l'Auteur , développant la
morale évangelique , la met dans une claffe
toute particulière , la détache de toutes les
loix civiles , de toutes les inftitutions fociales
; il voit dans une foule de textes du
Nouveau Teftament , la difcorde irréconciliable
entre le Chriftianifme & le monde. » Ceux
» qui prétendent dela droit de rejeter cette
» inftitution , n'entrent point dans fon fu-
» blime efprit .... C'eft une leçon divine de
pureté & de perfection , fi fupérieure aux
» frivoles confidérations de conquêtes , de
» gouvernemens & de commerce , qu'elle
n'y fait pas plus d'attention qu'à la police
» des abeilles ou à l'induftrie des fourmis.
» Les Philofophes oublient le premier & le
principal objet de cette inftitution , qui
» n'eft pas , comme je l'ai tant de fois répété
, de nous rendre heureux , & même
» vertueux dans cette vie préfente ; mais bien
» de nous conduire au travers de cet état
» dangereux de fouffrances , de tentations
» & de péchés , d'une manière qui nous
rende dignes & capables de jouir de la féli-
» cité de l'autre vie.... Il ne faut donc pas
pefer dans la balance de l'utilité publique
» le mérite des préceptes du Chriftianiſme ,
" parce qu'ils n'ont pas pour but l'utilité de
» ce monde ».
و د
و د
"
ود
ود
99
Les vertus caractériftiones du Chriftianifme
font la piété , l'humilité , le courage
paffif, le pardon des injures , l'amour de fes
278 MERCURE
ennemis , le renoncement à foi-même , la
foi , qui eft devenue un devoir moral d'une
efpècefi nouvelle, que les Philofophes de l'Antiquité
n'avoient aucun terme pour exprimer
cette idée , ni aucune idée de ce genre à
primer.
ex-
L'Auteur trouve une fi grande différence
entre l'efprit des Anciens , & celui du Chriftianifme
, qu'il ofe affirmer que les vertus les
plus célèbres à leurs yeux , font précisément
les plus oppofées au but du Chriftianifme.
כ כ
Elles le font même beaucoup plus
» que leurs vices les plus infâmes . Brutus
» arrachant la vengeance des mains de
» l'Etre Suprême , à qui feul elle appartient
, & affaffinant l'oppreffeur de fon
» pays ; Caton fe tuant lui- même , parce
qu'il ne pouvoit fouffrir de maître , ont
» plus fouillé le monde , & l'ont plus reculé
de l'entrée des cieux , que les honteux
» excès de Meffaline , ou les brutales débau-
» ches d'Héliogabale. » .
ود
ود
Aufli penfe - t- il que rien n'a autant contribué
à corrompre le véritable efprit du
Chriftianifme , que cette admiration qu'on
nous infpire dès l'enfance pour les moeurs
de l'antiquité. C'eft dans les Ecoles que nous
apprenons à adopter des idées morales toutes
contraires à celles de l'Evangile ; à applaudir
à toutes les fauffes vertus qu'il condamne
; à imiter des caractères & des perfonnages
qu'il détefte ; à contempler avec
DE FRANCE. 279
enthouſiaſme des héros , des patriotes , &
mille prétendus fages qu'il réprouve.
" C'eft de l'affemblage de principes monf-
" trueux , que s'eft engendre le monftfueux
fyftême de cruauté & de bienveillance , de
barbarie & de politeffe , de caprice & de
juſtice , de guerre & de piété , de vengean-
» ce & de générofité , qui , pendant plufieurs
fiècles , a fatigué le monde de croifades , de
» guerres facrées , de chevalerie errante , & c.
و و
93
"
"
Je ne prétends pas cenfurer ici les princi-
» pes de valeur , de patriotifme & d'hon-
» neur ; ils peuvent être utiles , & peutêtre
font- ils néceffaires dans le commerce
& les affaires de cette vie imparfaite &
» tumultueufe. Les hommes qui font animés
par ces principes , peuvent être des
» hommes vertueux honnêtes & même
religieux ; tout ce que j'aflure c'eft qu'ils
» ne peuvent être de vrais & de parfaits
» Chrétiens . »
"
›
On trouve quelquefois dans cet Ouvrage
des chofes difficiles à concilier , & des objec
tions plus fortes que les réponfes. Par exemple,
à l'objection de la Trinité des perfonnes Divines
, l'Auteur. oppofe une difficulté contre
l'exiſtence du Dieu des Déiftes , & prétend
qu'il eft auíli difficile de comprendre qu'un
feul & premier être exifte fans caufe , ou
foit la caufe de fa propre existence , que de
concevoir comment trois ne font qu'un. A
l'objection tirée du châtiment de l'innocent
à la place du coupable , il répond qu'il fau
280 MERCURE
droit auparavant réfoudre cet autre probleime
: d'où le mal eft- il venu ? & que d'ailleurs
la raifon ignore fi Dieu ne peut pas
lever une taxe pour le bien général , & fi
cette taxe ne peut pas être aufli bien acquitée
par un innocent que par les coupables ?
Сс
Tantôt l'Auteur affure que l'évidence des
preuves du Chriftianifme eft acceffible à tous
les hommes ; & ailleurs il obferve que la
plupart d'entre eux , entraînés par le tourbillon
des affaires , font incapables d'exáminer
& de faifir l'enfemble de ces mêmes
preuves , à moins qu'ils n'en faffent une étu
de fuivie. « Ce font , dit-il , tous ces hom-
» mes affairés ou pareffeux, qui ne favent de
la Religion que ce qu'ils en ont recueilli en
" paffant & au hafard dans des converfa
tions découfues , ou dans une lecture fuperficielle
, & qui font partis de-là pour
» conclure avec eux-mêmes qu'une prétendue
révélation fondée fur une hiftoire auffi
étrange , auſſi invraisemblable , fi incroya
» ble dans fes dogmes , fi impraticable dans
ود
و د
*
fes préceptes, ne peut être qu'une impoftu
» re , l'ouvrage frauduleux des Prêtres qui
» ont trompé les fiècles ignorans & fans let-
" tres ; impoftures que la politique des Souverains
a adoptée , & qu'elle entretient
» avec foin , comme une machine habile-
» ment concertée pour imprimer la terreur
» & recommander l'obéiffance du vulgaire
fuperftitieux. Differter avec de pareils auditeurs
fur les mystères de la Religion ;
DE FRANCE. 281
"
33
c'eft converfer fur la mufique avec un
» fourd... Il faudroit auparavant que leurs
efprits fullent formés & préparés à ces
conceptions fublimespar la contemplation,
» dans la retraite , par l'entier éloignement
» de toutes diffipations & de toutes affaires
" par la mauvaife fanté , par les difgraces
» les malheurs , & furtout par l'invifible intervention
de l'influence Divine. »
Telles font les idées du nouvel Apologiſte
de la Religion Chrétienne. Ce qui manque
à fes preuves eft facile à réparer en confultant
les Ouvrages des Apologiftes & des Théologiens
François , qui paroîtront fans doute
beaucoup plus folides.
Le ftyle de cette Traduction pouvoit être
mieux foigné. L'on y trouve des barbarifmes
, des mots nouveaux , des métaphores
étranges , des conftructions inufitées. Une
partie des Textes de l'Evangile eft traduite
François moderne , & l'autre en ftyle Marotique.
On préſente ainfi un verſet de Saint
Matthieu : « Étroite eft la porte , étroit eft
le fentier qui conduit à la vie , & il y
en
"9
30 a bien peu qui le trouve. »
en
En citant le morceau de Saint Paul fut
la Charité , qui fe plaît dans la vérité , qui
craint tout , qui croit tout , qui efpère tout ,
qui endure tout , le Traducteur dit que « ce
"
paffage offre l'exacte deſcription de cette
» brillante conftellation de toutes les vertus . »
Ailleurs , que les Livres Saints « font étoi
lés de fignes vifibles d'une affikance
282 MERCURE
و د
ور
naturelle , &c. » Quand ce verbe feroit
François , on ne pourroit pas dire : un Livre
étoile de lignes d'afliftance. Et dans un autre
endroit : " en tamifant , pour ainfi- dire , &
» raffinant toutes les vérités , la Philofophie
" peut réduire tous les êtres à l'invilible
» pouffière du fuplicifme. » Jufqu'au titre de
cette Traduction fournit matière à la critique
: qu'eft- ce en effet que la vue de l'évidence
? Voir ce qu'on voit !
ور و ر
( Cet Article eft de M. l'Abbé Remy. )
NOUVELLE Hiftoire de Paris & de la France,
précédée des Annales Celtiques , & d'une
defcription Topographique des Gaules ,
& ornée d'un grand nombre de gravures
en taille -douce. Par M. Beguillet , Avocat
au Parlement , Correfpondant de l'Académie
Royale de Sciences , de celle des
Infcriptions & Belles-Lettres , Honoraire
de l'Inftitut de Bologne , des Arcades de
Rome , de la Société de Berne , des Académies
de Florence , Lyon , Marſeille ,
Montpellier , Caen , Metz , &c. A Paris ,
chez Martinet , Graveur & Ingénieur du
Roi , rue S. Jacques , 1779. Brochure
in-8° . de 32 pages.
Nous annonçons une grande & belle entreprife,
une entreprife digne de piquer la cu
riofité & de fixer l'attention des vrais Patriotes.
DE FRANCE. 283
Cette Hiftoire de Paris fera précédée d'un
Difcours preliminaire qui contiendra un examen
critique de toutes les opinions fabuleufes
fur la fondation de Paris , & fur l'origi
ne des Celtes & de leurs anciens Rois ; des
recherches hiftoriques fur la Celtique & les
'Gaulois , fur leurs expéditions , leurs Colonies
, celles des Peuples qui font venus s'établir
dans les Gaules , &c. avec une defcription
Topographique des Gaules & des Peuples
qui occupoient cette contrée avant l'arrivée
des Romains.
Les Annales Celtiques & Romaines fui-
"vront cette introduction , & feront partagées
en deux époques , qui renfermeront
PHiftoire des Gaulois , & celle de leur conquête
par les Romains ; on y trouvera la
fuite des Empereurs , & le récit de tout
ce qui eft arrivé dans les Gaules depuis
Céfar jufqu'à la défaite de Siagrius par Clovis.
Cette partie traitera en même - tems de
l'état des Gaules fous les Romains ; de l'origine
des Vifigots , des Bourguignons & des
Francs , qui partagèrent les Gaules entr'eux ;
des moeurs , loix , coutumes & ufages de
tous ces Peuples , &c.
L'Hiftoire de Paris & de la France fera
divifée en fix époques.
Première époque , Paris fous les Rois
Merovingiens &les Maires du Palais , juf
qu'au facre de Pepin le Bref. On verra fous
cette époque le Royaume fouvent partagé &
réuni , les guerres civiles des Francs , l'extinc
$4
MERCURE
tion des deux Royaumes de Bourgogne , les
Loix Gombettes , la Loi Salique , celle des
Ripuaires , &c.
Seconde époque , Paris fous les Rois Car
lovingiens , fous les Ducs de France & les
Comtes Propriétaires. Cette époque, brillante
dans fes commencemens , & qui vit paffer
l'Empire dans la Maifon de France , eſt enco
re plus fameufe par l'établiffement du Gouvernement
féodal qui changea la conftitution
: le Siège de Paris chanté par un témoin
oculaire , &c.
Troifième époque , Paris fous les Capétiens
& les Prévôts Royaux. L'affranchiffement
des Serfs , l'établiffement des Communes
, les Croifades , les Établiſſemens de
S. Louis , l'Univerfité , le Droit nouveau
les Parlemens , &c. rendent cette époque intéreffante
.
Quatrième époque , Paris fous les Valois.
Confirmation de la Loi Salique ou Loi
Royale , qui règle pour toujours la fucceffion
au Trône ; guerres avec les Anglois ,
dont le Roi eft proclamé à Paris ; guerres
avec la Maifon Royale de Bourgogne ; les
Anglois chaffés ; extinction du Gouvernément
féodal , & c .
Cinquième époque , Paris fous la Maifon
d'Angoulême. Guerres avec la Maifon
d'Autriche ; Concordat ; rétabliffemen . des
Lettres ; guerres de Religion , la Ligue ,
&c.
Sixième & dernière époque , Paris fous la
DE FRANCE. 285
Maifon de Bourbon. Epoque de la gloire &
du bonheur des François ; beau fiècle de
Louis XIV. Légiflation ' nouvelle ; Académies
, Sciences , Arts , Commerce , Agricul
ture , &c.
Après l'Hiftoire de la Capitale réunie à
celle de la Monarchie , on donnera une def
cription de Paris & de fes plus beaux monumens
, qui contiendra :
1º . La defcription générale de Paris , fon
origine , fes accroiffemens. fucceflifs fous
tous les règnes , fa fituation & l'hiftoire naturelle
de fes environs , fon enceinte , fes
portes , fa divifion en plufieurs quartiers ,
fa population , fa police , fes divers établiffemens
, fon Commerce , fes Manufactures ,
les moeurs de fes habitans , &c. Cette partie
fera ornée d'un frontifpice allégorique ,
grand Plan de Paris & de fes accroiffemens
des portes-vues de plufieurs faces , des différentes
vues de boulevards , des bains de
Julien , des reftes d'aqueducs , & autres antiquités
, &c.
du
2°. Un examen critique de tous les projets
propofés pour la décoration , l'utilité &
les embelliffemens de Paris ; tout ce qui concerne
les ponts , les quais , les ports , les
fontaines publiques , les pompes , les réfervoirs
, les égoûts , places , halles , marchés
&c , &c. avec les vues perfpectives de ces
différens objets.
3°. L'Hiftoire & la defcription des Maifons
Royales , telles que le Louvre , los
286 MERCURE
Tuileries , le Luxembourg , &c , avec les
tableaux , buftes , vafes , plans & vues de
çes maifons , jardins , &c.
4° . Les monumens & édifices publics
l'Hôtel- de-Ville , le Palais , le Châtelet , la
Monnoie , l'Arfenal , le Temple , la Baftille ,
les Académies , Bibliothèques , Salles de
Spectacle , &c.
5. Les Eglifes , Couvens , Tombeaux ,
Maufolées , &c , avec tout ce qui concerne
le Clergé & les différens Ordres Religieux.
6°. Les Hôtels & Jardins , avec la notice
des grandes Maiſons auxquels ces Hôtels appartiennent
ou ont appartenu , ceux qui les
ont fait conftruire , &c.
Enfin , l'Ouvrage fera terminé par un
Dictionnaire étymologique & anecdotique
des rues de Paris.
Tout l'Ouvrage formera feize volumes
in-8° ; favoir , deux pour l'introduction &
la defcription topographique des Gaules ,
deux pour les Annales Celtiques , fix pour
les fix époques hiftoriques de Paris , & fix
pour la defcription de cette Capitale. Chaque
volume d'hiftoire fera orné de vingt à
vingt-cinq planches & de vignettes relatives
au fujet , & les volumes de defcription
auront chacun environ cinquante planches.
Le premier volume paroîtra au mois de
Juin prochain , & les autres fuivront de
trois en trois mois fans interruption. On
payera 9 livres en foufcrivant pour le premier
volume , & ainfi de fuite en recevant
DE FRANCE. 287
chaque volume. Ceux qui n'auront pas foufcrit
les paieront 15 liv. , parce qu'on n'en
tirera qu'un petit nombre au- delà de celui
des Soufcripteurs. On fuivra l'ordre de la
foufcription pour la livraifon des planches ,
afin de donner les plus belles épreuves aux
premiers Soufcripteurs. Il y aura une grande
Edition in-4° . en papier d'Hollande , que
Fon payera 18 liv. le volume. Ceux qui
voudront des exemplaires enluminés préviendront
le Graveur. On fait que les eftampes
enluminées de cet Artifte équivalent
prefqu'à des tableaux .
Ce n'eft point un fimple projet que l'on
annonce. L'Hiftoire eft entièrement finie ,
& la defcription eft fort avancée . Les planches
des monumens & les perites vues qui
doivent accompagner la defcription , font
prefque toutes gravées , & les deffins de
celles qui feront jointes à la partie hiftorique
font faits on peut les voir chez le fieur
Martinet , Graveur & Ingénieur du Roi ,
rue S. Jacques , chez qui l'on foufcrit. On
peut foufcrire auffi chez Me Fenouillette ,
Notaire , rue de la Verrerie , & l'argent des
foufcriptions reftera dépofé chez lui .
288
MERCURE
NOUVEAU Dictionnaire Hiftorique , on
Hiftoire abrégée de tous les hommes qui fe
font fait un nom par le génie , les talens ,
les vertus , les erreurs , &c. depuis le commencement
du monde juſqu'à nos jours ,
avec des tables chronologiques pour réduire
en corps d'hiftoire les articles répandus dans
ee Dictionnaire ; par une Société de gens
de lettres. Quatrième édition , enrichie
d'augmentations nombreufes & intéreffantes
, & purgée de toutes les fautes qui
défiguroient les précédentes. Mihi Galba,
Otho , Vitellius nec beneficio nec injuria
cogniti. Six vol. in- 8 °. A Caen , chez
Leroy , Imprimeur du Roi , hôtel de la
Monnoie , rue Notre - Dame ; à Paris , chez
le Jay , Libraire , rue S. Jacques ; à Rouen ,
chez Machuel , Libraire , rue Ganterie.
Prix , 31 liv. 4 fols broché , 36 liv. relié.
Il n'y a peut -être perfonne parmi ceux
qui aiment à lire & à s'inftruire, qui n'ait fenti
& éprouvé plus d'une fois , non- feulement
l'utilité , mais même la néceflité de ces fortes
de nomenclatures alphabétiques faites pour
être confultées au befoin , pour épargner
l'embarras d'une longue recherche , & fuppléer
beaucoup de livres . Les hiftoires générales
gravent dans notre mémoire le tableau
des grands événemens & des principales époques
; mais fi vous voulez vous rappeler une
date , un titre d'ouvrage , un fait relatif à
DE FRANCE. 289%
un perfonnage célèbre , alors un Diction
naire hiftorique fe trouve très à propos fous
votre main , & vous offre facilement ce que
vous cherchez.
Tel fut le premier objet de la grande compilation
de Moréri , le premier modèle de
ces fortes de livres , & que fes continuateurs
ont réformé & enrichi à l'aide & aux dépens
de ceux qui l'ont imité. Bayle , qui travailla
far un plan à peu- près femblable , donna à
fon ouvrage le mérite & l'intérêt d'une critique
favante & d'une dialectique hardie , &
depuis lui il n'a été donné qu'aux Auteurs de
Encyclopédie de mettre du génie dans un
Dictionnaire. Celui de l'Abbé l'Advocat n'a
guères été qu'un abrégé affez fec du Moréri.
Un Dictionnaire critique , hiftorique , & ,
comme l'appeloit Voltaire , Janfenifte , en
quatre volumes in- 8 ° . , méritoit en effet cette
dénomination par l'efprit de partialité qui
s'y montroit ; défaut le plus grand qui puiffe
détériorer un livre de cette efpèce. Le nouveau
Dictionnaire hiftorique , dont la quatrième
édition paroît aujourd'hui , eft en gé
néral exempt de ce grand vice de partialité ,
fi commun & fi odieux . On ne peut que
prendre une très-bonne opinion des Auteurs,
en lifant la Préface très-fage & très-judicieufe
qu'ils ont mife à la tête de leur Dictionnaire.
On ne peut s'expliquér d'une manière plus
defintéreffée fur les différens partis qui depuis
un fiècle & demi ont produit tant de fcandales
dans l'Eglife & dans la Littérature. Nous
25 Mai 1779.
N
290 MERCURE
ne citerons que ce paffage concernant la philofophie.
" Quoique notre but ait été de
" faire un Dictionnaire moitié hiftorique ,
» moitié philofophique , nous ne diffimule-
" rons point en remarquant les biens qu'a
faits la vraie Philofophie , les maux qu'a
produits la fauffe , qui a pris fon maſque.
Ce n'eft point celle- ci que nous prendrons
» pour guide ; ce feroit vouloir nous égarer.
» On croit aujourd'hui que pour paroître
99
ود
Philofophe , il faut profcrire tous les an-
» ciens Hiftoriens & fronder toutes les traditions.
Dans les fiècles d'ignorance on a
» trop cru ; & dans notre fiècle éclairé , on
» ne croit pas affez. Rejeter tout , eft d'un
» Pyrrhonien téméraire, Douter de tout , eft
» d'un Légendaire imbécille, Il y a un milieu
» entre ces deux extrémités , & nous avons
» tâché de le tenir, ود
Cette compilation hiſtorique nous a paru
préférable à toutes celles qui ont été publiées
jufqu'ici , par l'étendue , la forme & l'exactitude
des articles.
(Çet Article eft de M. De la Harpe,)
DE FRANCE. 291
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert exécuté au Château des Tuileries
le jour de l'Afcenfion , a commencé
par une nouvelle fymphonie de Hayden.
Le premier morceau , d'un genre fombre
a paru très -expreffif ; le fecond , quoiqu'imité
de l'ancien ſtyle François , a fait encore plaifir
; le troisième n'a pas eu le même ſuccès ,
à caufe de l'incohérence des idées.
M. Moreau , dont les talens fe perfeetionnent
chaque jour , & qui déjà ſe montre
le digne émule de M. Larrivée , a chanté ,
avec autant d'intelligence que de vigueur ,
un Motet de la compofition de M. Can-,
deille.
Le début de M. Satory a démontré qu'on
peut être un violon de la plus grande force
fans obtenir des applaudiffemens auffi flatteurs
qu'en ont fouvent mérités des hommes
médiocres. On n'a vu dans la première partie
de fon Concerto que des difficultés de la
plus ridicule extravagance. L'adagio qui l'a
fuivi n'a pas accablé l'oreille d'une auffi prodigieufe
multitude de triples croches ; cependant
l'ame n'en a pas été vivement émue.
On a été plus fatisfait du menuet qui termine
ce Concerto ; il offre un chant très-
Nij
292 MERCURE
agréable ; on n'en peut critiquer que deux
variations un peu trop reffemblantes , & une
troifième où le fond du chant dévient méconnoiffable.
Madame Todi a chanté enfuite un air
bouffon de Sacchini ; l'air a produit fon
effet ; c'est-à- dire qu'on l'a trouvé fort comique
: il a fait rire ; & la Cantatrice a ſu le
répéter avec le même fuccès. Refte à favoir
fi des airs de ce genre ont quelque analogie
avec la mufique d'un Concert Spirituel.
Ce morceau a été fuivi de l'ouverture d'un
Opéra de Maio , où l'on à reconnu une manière
plus brillante que pathétique ; & du
Lauda Jerufalem , Motet à grand choeur de
la compofition de M. Rodolphe. Le ftyle en
eft très - beau , les accompagnemens bien
entendus , les airs pleins d'intérêt , fur-tout
le rondeau : Qui dat nivem. On pourroit
feulement reprocher à l'Auteur d'avoir fini
fon Ouvrage par une fugue , genre de mufique
digne des Goths, qui en font les inventeurs;
de n'avoir pas toujours refpecté la
profodie dans certaines voyelles brèves , fur
lefquelles il place des doubles notes , &
même des cadances , ce qui doit choquer
l'oreille des Amateurs de la langue Latine . Ce
Motet , chanté par MM . le Gros & Chéron ,
leur a mérité de juftes applaudiffemens. H
femble que ce dernier n'a pas la voix affez
flexible pour rendre un fuite rapide de notes
diatoniques.
M, le Brun a fupérieurement exécuté
DE FRANCE. 293
fur le hautbois , un Concerto de fa compofition
. La gaieté du dernier morceau a réuni
tous les fuffrages .
On a terminé le Concert par une fcène.
de Traetta. Le récitatif , comme la mélodie
& les accompagnemens , ont répondu à la
célébrité d'un Muficien , le plus pathétique
des Compofiteurs actuels de l'Italie . Le mérite
de cette charmante fcène a été encore
augmenté par les talens de Madame Todi ,
qui s'eft fait entendre pour la dernière fois ,
& que peut-être on regrettera long- temps
parce qu'il fera difficile de retrouver de fitôt
une Cantatrice auffi accomplie.
L'Orcheſtre a fecondé les efforts de ces
differens Virtuofes , par fon intelligence ,
fa vigueur & par le plus bel enfemble.
par
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Dimanche 16 de ce mois , on a donné
à ce Théâtre la première repréfentation d'un
Intermède Italien , intitulé : Il Vago dif
prezzato , ou le Fat méprifé.
Nous ne pouvons dire de cet Intermède
que ce qu'on a dit de prefque tous les autres,
Le Poëme ne mérite pas qu'on en parle ;
c'eft toujours une intrigue fans vraifemblance
, un dialogue fans efprit , de la bouffonnerie
fans gaîté.
Quant à la Mufique , il fuffit de dire qu'elle
eft de M. Piccini , pour annoncer qu'on y
Niij
294
MERCURE
trouve plufieurs morceaux d'un chant facile
& agréable , d'une tournure élégante , d'un
excellent goût & d'un effet piquant . Mais
malgré les talens de ce célèbre Compofiteur,
une Muſique néceffairement dépourvue d'intérêt
& de caractère , quelque excellente
qu'elle foit par la facture , ne peut fuffire
pour faire goûter ces farces ridicules à une
Nation accoutumée à des Drames Lyriques
où la Mafique eft affociée à des ſujets
téreffans & vraiment comiques , traités
avec art , & écrits avec de l'efprit & du
goût. I feroit cependant fâcheux que l'indifférence
du Public pour les Intermèdes
Italiens , nous privât de ce genre de Specracle
, qui a des beautés réelles & feduifantes
, & qui offre aux Composteurs &
aux Amateurs des objets d'étude & de comparajfon
, propres à former le goût & à étendre
la connoiffance de l'Art.
و
Le Mardi 18 , on a donné la première repréfentation
d'Iphigénie en Tauride Tragédie
Lyrique , attendue avec toute l'impatience
que devoit infpirer le nom de M. le
Chevalier Gluck , qui en a fait la Mufique.
Le Poëme eft de M. Guillard , jeune
homme qui annonce par cet effai des talens
qui méritent d'être applaudis & encouragés.
Le fujet d'Iphigénie en Tauride , traité par
Euripide chez les Grecs , tranfporté avec
fuccès fur le théâtre de l'Opéra par Duché &
DE FRANCE. 29$
-
Danchet , & fur celui de la Comédie Françoife
par Guimond de la Touche , eſt connu
de tout le monde. L'action en eft très-tragique
, mais trop fimple , offrant peu de
variété , & difficile à dénouer. M. Guillard a
fuivi en général le plan de la Tragédie Françoife
; mais pour l'adapter à la Scène lyrique
avec fuccès , il falloit donner à l'action une
marche plus animée & plus rapide ; c'eſt ce
qu'il a fair avec beaucoup d'intelligence. Il a
d'ailleurs enrichi fon ouvrage de plufieurs
traits heureux qu'il ne doit point à ſon modèle.
La Scène ouvre par un orage. Iphigénie
& les Prêtreffes de Diane fe répandent dans
le portique du Temple , effrayées & en défordre
, implorant la clémence des Dieux.
La tempête a jeté fur les côtes de la Tauride
Orefte & Pilade. Thoas , tourmenté par des
frayeurs fuperftitieufes , ordonne à Iphigénie
d'immoler, fuivant l'ufage , ces deux étrangers
fur l'autel de Diane . Elle interroge l'un d'eux
fur fon nom & fa patrie ; elle apprend qu'il
eft d'Argos ; qu'Agamemnon eft mort égorgé
par Clitemneftre ; qu'Orefte , après avoir
vengé fur fa propre mère le meurtre de fon
père , a trouvé auffi la mort qu'il cherchoit ,
& qu'il ne reftoit plus qu'Électre de cette
famille infortunée. Elle déplore la deftruction
de toute fa famille , qu'un fonge lui
avoit déjà annoncée . L'humanité l'intéreffe
au fort des deux captifs ; elle prend le parti
de fauver l'un des deux ; & un penchant fe-
Niv
296 MERCURE.
cret fait tomber fon choix fur Orefte : elle
le charge de porter une lettre à Électre fa
foeur , & Pilade eft condamné à périr. Oreſte ,
pourfuivi fans ceffe par les Euménides , ne
defirant que la mort , refuſe la vie qu'on lui
offre ; il exige que fon ami foit fauvé. La
Prêtreffe eft obligée de céder ; & Pilade ,
n'ayant pu vaincre fa réfiftance , n'accepte
la liberté que dans l'efpérance de venir bientôt
délivrer fon ami. Au moment où Iphigénie
s'approche de l'aurel , le couteau levé
fur Orefte , il s'écrie : Ainfi tu péris en Aulide,
ma foeur Iphigénie. Ce mot , indiqué par
Ariftote , produit la reconnoiffance du frère
& de la foeur. Dans le moment où ils fe
livrent à cette joie inattendue , Thoas arrive;
il preffe le facrifice. Iphigénie nomme fon
frère. Thoas furieux veut l'égorger lui -même ;
mais il eft prévenu par Pilade , qui arrive à
la tête des Grecs , & plonge un poignard dans
le fein du Tyran. Les Grecs & les Scythes
commencent un combat , interrompu par
l'apparition de Diane, qui ordonne aux Scythes
de remettre fa ftatue entre les mains des
Grecs , & qui annonce à Oreſte la fin de fes
tourmens .
Le temps , qui nous preffe d'envoyer cet
Article à l'impreffion , ne nous permet pas
d'entrer dans de plus grands détails fur la
marche & le ftyle du Poëme. Nous obferverons
feulement que jufqu'ici les ' Poëtes
qui avoient voulu tranfporter fur le théâtre
de l'Opéra un fujet de Tragédie , s'étoient
DE FRANCE.
toujours cru obligés d'en affoiblir l'effet tragique
par des épiſodes d'amour & de galanterie
, & par des fêtes agréables propres à
varier le Spectacle en l'embelliffant . Duché
& Danchet n'ont pas manqué de rendre
Thoas amoureux d'Electre , amoureufe ellemême
& aimée de Pilade. M. Guillard a
confervé à fon fujet toute la févérité de la
Tragédie antique , & il nous a donné le premier
Opéra fans amour qui exifte fur aucun
théâtre. Il n'y a introduit qu'une feule fête à
la fin du premier Acte ; c'eft la danfe des
Scythes , qui fe réjouiffent de l'arrivée des
deux victimes de leur culte abominable
& dont la joie barbare ajoute au pathétique
de la fituation . L'efpèce de danfe .
des Euménides , qui au fecond Acte viennent
tourmenter Orefte dans fon fommeil , produifent
auffi un accroiffement de terreur &
de pathetique qu'on auroit peut - être de la
peine à foutenir fans la mufique ; car c'eſt
une propriété remarquable de cet Art enchanteur
, d'adoucir & de rendre même délicieufe
la peinture des fituations les plus déchirantes
& les plus terribles, parce que les
fenfations agréables qui réſultent du matériel
même de l'art , tempèrent les mouvemens
trop violens que l'imitation peut exciter dans
l'ame.
C'est ce que paroît avoir fenti le premier
M. le Chevalier Gluck , & ce qu'il a prouvé
par fes fublimes compofitions.
Ny
298 MERCURE
L'Iphigénie en Aulide , conçue felon fes
vues , & exécutée avec une grande intelligence
, eft la première Tragédie lyrique que
nous ayons eue ; nous avions peine à croire
que la mufique dramatique pût aller plus loin
l'Iphigénie en Tauride nous prefente un
Spectacle peut-être encore plus étonnant ,
parce qu'avec un fujet moins riche & moins
heureux , il produit encore de plus grands
effets. Tout ce que la Tragédie antique a de
plus augufte & de plus touchant , y eft
paré de toutes les richeffes de la mulique
moderne.
Tout porte dans cer Ouvrage le caractère
de l'originalité , de la grandeur & du génie..
La plus grande difficulté qui s'offroit à una
Compofiteur étoit dans l'action même qui ,,
toujours fombre & terrible, fembloit ne comporter
aucune teinte douce & agréable ; oppofition
dont la mufique a plus befoin qu'au
cun des autres beaux Arts . M. Gluck a trouvé
ces nuances dans les choeurs des Prêtreffes
qui font prefque toujours fur la Scène ; &
dans le rôle tendre & confolateur de Pilade ::
des chants religieux , pleins de douceur &
d'onction , affortis à des voix de femmes ,
& des airs d'une mélodie naturelle & fenfible,
exécutés par le bel organe de M. le
Gros , forment un contrafte heureux avec la
terreur qui règne dans le cours de la Pièce..
Nous renvoyons au Mercure prochain l'asmalyfe
des beautés principales qui brillent
DE FRANCE. 299
dans cette compofition muficale ; nous dirons
feulement que l'art de donner au chant
de chaque perfonnage un caractère , une
couleur propre , dominant toujours dans
les différentes fituations qui le modifient ;
Fart d'animer & de paffionner le récitatif ,
de le rendre auffi rapide , aufli véhément &
plus éloquent que la déclamation ; d'en fufpendre
les repos pour foutenir l'attention de
l'Auditeur ; de l'unir au chant mefuré & aux
airs par des nuances infenfibles , de manière
qu'un Acte entier ne femble faire , pour
ainfi dire , qu'un feul morceau de mufique ;
que l'art d'exprimer par le rhythme les
grands mouvemens de l'ame ; que l'art de
traiter les différentes parties de l'orcheftre
comme autant de perfonnages intéreffés
à l'action , qui concourent à fortifier *
varier , ou à faire contraſter les fentimens
des Acteurs qui font fur la Scène ; que ces
grands fecrets enfin de la mufique dramatique
, dont les procédés ne paroiffent encore
connus que de M. Gluck , n'ont jamais
produit de plus puiffans effets que dans l'Iphi
génie en Tauride.
Nous exprimerions avec plus de réſerve
Penthouſiafme que nous infpire ce ſublime ou
vrage , fi notre fentiment ne fe trouvoit pas
juftifié par celui du Public. Jamais opéra n'a
fait une impreffion fi forte & fi générale à une
première repréſentation . Une attention extrême
& non interrompue ; l'émotion la plus
N vj
300 MERCURE :.
vive exprimée fur tous les vifages , & un
attendriffement porté ſouvent juſqu'aux larmes
; des applaudiffemens arrachés par l'admiration
& fufpendus par la crainte de per
dre un mot de la fcène & un accent de la
mufique , étoient des fignes d'intérêt & d'approbation
moins équivoques & plus flatteurs
que ces battemens de mains , commandés
par le froid engoûment de l'amour-propre
& de l'efprit de parti.
Quelque éclatant que foit ce fuccès , nous
ofons dire cependant qu'il ne peut qu'augmenter.
Il y a une multitude de beautés de
détail , qui ont dû échapper à une première
sepréſentation , où l'on n'eft guères frappé
que des maffes, & qu'on ne peut fentir qu'après
s'être familiarifé avec les différentes parties
de l'ouvrage , & lorfque l'exécution a acquis
la précifion & l'enfemble qui ne peuvent être
que l'effet du temps. Quand on confidère
combien il eft difficile de donner cet enfemble
à une compofition où tout eft lié &
enchaîné , où rien n'eft négligé ni indifférent,,
où l'effet du tout tient à l'accord de toutes
les parties , on fent qu'on ne peut refufer
les plus grands applaudiffemens aux Acteurs
& à l'Orchestre, qui femblent difputer à l'envi
de zèle & de talens. Nous nous ferons un plaifir
de rendre à chacun d'eux en particulier le
jufte tribut d'éloges qu'ils méritent , & nous
y joindrons les obfervations que nous aurons
occafion de faire, ou qu'on nous communiDE
FRANCE. 301
quera , fur ce que le Public pourroit encore
defirer , pour voir exécuter ce bel ouvrage
avec la perfection dont il eft fufceptible.
La Reine , accompagnée de Madame , de
Madame la Comteffe d'Artois & de Madame
Élifabeth, a honoré de fa préfence la première
repréſentation d'Iphigénie en Tauride. Ces
Princeffes ont témoigné à M. Gluck , de la
manière la plus flatteufe, combien elles étoient
fatisfaites de cette nouvelle production de
fon génie.
20
( Cet Article eft de M. S * . )
ACADÉMIE S.
L'ACADEMIE Royale des Belles- Lettres de Caen ,
avoit proposé pour fujet d'un Prix qu'elle devoit
donner en 1777 : « Quelles ont été les principales
branches du Commerce de la Ville de Caen , depuis
le commencement du 11 ° fiècle , & plus par-
» ticulièrement depuis la réunion du Duché de Normandie
à la Monarchie Françoife ? Quelles font
» celles qu'il feroit le plus facile d'y établir & d'y
étendre , relativement au fol du Pays , à fes productions
, à fes débouchés actuels , à ceux qu'il
eft poffible de lui procurer , ainfi qu'à fes Loix ,
» coutumes & ufages ; & quels feroient les moyens
d'y parvenir ? »
30
39
Les Mémoires qu'elle reçut , ne lui parurent pas
traiter la matière d'une manière affez fatisfaifante
pour la déterminer donner le prix . Elle jugea à
propos de prolonger le tems du concours jufqu'à la
302
MERCURE
An de 1778 , pour donner aux Auteurs qui avoient
déjà concouru , le tems de retoucher leurs ouvrages ,
& laiffer à ceux qui voudroient entrer en lice , le
rems convenable pour faire les recherches néceffaires.
Parmi les Mémoires qu'elle a reçus , il s'en eft
trouvé un qui remplit entièrement la première partie
de la queftion propofée ; mais la feconde , qui eft la
plus intéreffante , n'y eft pas même ébauchée. L'Auteur
de cette Diſſertation eft Dom le Noir , déjà
connu par un Mémoire relatif au projet d'une Hiftoire
générale de la Province de Normandie , diftri
bué en 1760.
Quant à la feconde partie , favoir : « Quelles font
» les branches de Commerce qu'il feroit le plus fa-
» cile d'établir à Caen & d'y étendre , relativement
au fol du Pays , à fes productions , à fes débouchés
actuels , à ceux qu'il eft poffible de lui pro-
» curer , ainsi qu'à fes Loix , coutumes & ufages ;
» & quels feroient les moyens d'y parvenir ? »
L'Académie a diftingué le Mémoire qui a pour
epigraphe Liberté , Sûreté & Protection , princi
pes de tout Commerce. Elle engage l'Auteur à retoucher
fon ouvrage , à en approfondir les vues , à en
développer les détails. Elle fait la même invitation
à tous ceux que l'amour de la gloire & celui du
bien public pourra réfoudre à traiter un ſujet auffi
intéreffant.
L'Académie ne propofe que cette feconde partie
pour fujet du prix qu'elle diftribuera le Jeudi 2 Décembre
de cette année 1779 .
Le prix fera double , c'eft -à- dire , de huit cent livres
pour le meilleur Mémoire fur l'objet propofé. On fe
referve cependant le droit de partager cette fomme
entre les deux premiers , s'ils fe trouvoient d'un mé-
1ite à - peu-près égal.
On avoit auffi propofé pour 1778 , un autre prix
quatre cent livres , à l'Auteur du meilleur Mé
DE FRANCE.
303
ɔɔ
cc moire fur cette queftion : « Quels font les Arbres ,
» les Arbuftes & les Plantes , qui , creiffant fur le
rivage de la Mer , fans avoir néanmoins befoin
» d'en être baignés à toutes les marées , pourroiens
» être employés à la conftruction des Digues & Epis
» néceffaires fur les côtes & le long des Rivières dans
lefquelles la Mer monte , pour défendre de fes
» irruptions les terreins qui les bordent ? Quelle eft
la culture de ces Arbres , Arbuftes & Plantes , &
quel feroit le meilleur moyen à employer pour en
former des Digues , à la fois les plus économi-
» ques , & les feules fufceptibles d'une réfiftance
conftante & progreffive ?
ככ
"
>>
Comme cette matière demande de grandes difcuffions
pour être traitée d'une manière convenable ,
des Auteurs qui s'en occuppent , ont demandé , pour
faire des expériences , un délai que l'Académie a
jugé à propos de leur accorder. Ce fecond prix ferat
donné le même jour que le précédent.
Les Mémoires feront adreffés , francs de port ,
avant le premier Novembre , à M. Moyfant , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , ou fous l'enveloppe
de M. l'Intendant .
" L'Académie , qui n'a aucun fonds pour les prix
eft redevable de ceux qu'elle propoſe , à la générofité
de Monfieur Efmangart , Intendant de Caen
à fon zèle pour les Lettres , & à l'attention avec
laquelle il veille aux avantages de la Généralité con
fiée à fes foins.
304
MERCURE
VARIÉTÉ S.-
FRAGMENS SUR L'ARCHITECTURE *.
Le but des Beaux -Arts eft la perfection de l'homme , E
& le plus grand bonheur où il puiffe atteindre. Telle
eft la haute idée que nous nous formons de leur deftination
, que l'Artifte , & le Philofophe qui dirige
l'Artiste , ne doivent jamais perdre de vue. Les Arts
contribuant à procurer à l'homme la ſuprême jouiffance
de fon être , doivent fe mettre au rang des
chofes les plus importantes de la vie , & des plus
dignes des foins du Législateur & du Souverain . Ne
bornons pas les fruits du génie à un agrément frivole.
L'Homme d'État peut en tirer les plus grands avantages
pour le bien de la Société politique ....
C'eft avec raifon que l'on confidère les Arts comme
des troupes auxiliaires dont ne fautoit fe paffer la
fageffe qui veille au bien des hommes . Elle voit ce
* Ces fragmens font extraits des articles ARCHITECTE
& ARCHITECTURE du Dictionnaire des Sciences Politiques
, ( Tome VI , qui n'a pas encore paru ) où les trois
efpèces d'Architecture , la civile , la militaire & la navale ,
font confidérées , non du côté fcientifique , mais du côté
moral & politique ; car , dans cet ouvrage , tout fe rapporte
à l'administration , tout tend à perfectionner les
différentes branches de la bonne police. Nous avons cru
que cet extrait , tout abrégé qu'il eft , pourroit être de
quelque ufage dans un moment où le luxe des bâtimens
eft porté à l'excès , & où la fureur de bâtir femble être
la pamon dominante des riches , & de ceux qui veulent
le parole.
DE FRANCE.
305
que l'homme doit être ; elle trace la route qui conduit
à la perfection & à la félicité qui en eft infépa
rable ; mais elle ne fait pas nous donner les forces
néceffaires pour vaincre les difficultés de ce chemin
fouvent rude & eſcarpé . C'eft l'ouvrage des Arts : ils
applaniffent la route , & la parsèment de fleurs dont
l'odeur agréable attire le Voyageur , & le ranime à chaque pas ...
L'homme de la nature eft un être groffièrement
fenfuel. Le Philofophe des Stoïciens , tel qu'ils l'imaginoient
fans pouvoir jamais le réaliſer , eût été la
raifon toute pure , un être toujours occupé à connoître
, & n'agiffant jamais. L'homme formé par les
Arts tient un jufte milieu entre ces deux extrêmes :
fes goûts & fes plaifirs , ainfi que la fenfualité qui le
caractériſe , fi toutefois on peut dire qu'il eft fenfuel ,
proviennent d'une fenfibilité épurée , de laquelle naît
en lui une activité noble , toujours relative à l'ordre
moral.
Mais les Beaux - Arts peuvent aisément devenir
pernicieux à l'homme. C'est l'arbre du jardin d'Eden
qui porte les fruits du bien & du mal . Ils perdront
l'homme qui en fera un ufage indifcret. Leur énergie
déployée par une main traîtreffe , devient un poifon
mortel. Alors le vice reçoit l'aimable empreinte de
Ja vertu. Il eft donc abfolument indifpenfable de
foumettre l'emploi & l'ufage des Beaux - Arts à la
direction de la raifon . Ils méritent , par leur utilité ,
que la faine politique les encourage efficacement ,"
les foutienne puiffamment , & les répande parmi les
divers ordres des Citoyens ; mais à raiſon de l'abus
dangereux qu'on en peut faire , cette même politique
doit en refferrer l'emploi dans les bornes indiquées
par leur utilité même.
A ne confidérer que les fimples avantages du bon
goût , & les maux qu'entraîne néceffairement un goût
dépravé , une Légiſlation vraiment fage ne devroit ,
3.06 MERCURE
permettre à aucun Particulier de gâter le goût des
Concitoyens , ni par conféquent de bâtir des maifons
, ou de tracer des jardins affez magnifiques , audehors
& au-dedans pour attirer l'attention , fi d'ailleurs
il y règne quelque défaut fenfible de jugement ;
fi l'on y apperçoit , par exemple , des parties ridicules ,
baroques ou extravagantes. Pour cet effet , il devroit
être défendu à tout Artifte d'exercer fon Art avant
d'avoir donné , outre des preuves de fon habileté ,
des preuves toutes particulières de fon jugement , de
l'honnêteté de fon ame & de la droiture de fes intentions.
Le Législateur doit être convaincu qu'il eſt trèsimportant
, non-feulement que les édifices & les monumens
publics , mais aufli tout objet visible travaillé
par les Arts , même mécaniques , portent l'empreinte
du bon goût , de la même manière que l'on
doit veiller à ce que non - feulement l'argent monnoyé
, mais encore la vaiffelle porte la marque de
fon vrai titre. Un fage Magiftrat-ne fe contente pas
de profiter de l'influence des Beaux-Arts pour rendre
plus énergiques & plus avantageufes aux Citoyens,
les réjouiffances , les fêtes publiques & les cérémonies
folennelles ; il a foin même que chaque fête domef
tique , chaque ufage privé conduife au même but &
par la même voie ......
L'Art de l'Architecture remonte à l'origine même
du monde , parce que dès qu'il y a eu des hommes ,
ils ont fongé à fe bâtir & des cabanes & des maiſons
pour fe mettre à couvert des injures de l'air & des
attaques des bêtes féroces. Leurs premières retraites
furent vraisemblablement des antres & des cavernes
qu'ils trouvèrent toutes faites , ou qu'ils fe creusèrent
eux-mêmes. Ces habitations durent bientôt leur paroître
aufli triftes que malfaines. Ils fongèrent à s'en
former d'autres avec des rofeaux , des branches d'arbres
, des feuilles , de la mouffe & des terres graffes
DE FRANCE.. 307
C'eſt de ces commencemens fi groffiers & fi fimples
qu'eft venu cet Art pompeux & fuperbe , qui femble
ajouter encore à l'ouvrage du Créateur , & donner
un nouvel ornement à l'Univers.
C'eft chez les Egyptiens qu'ont paru les premiers
chef-d'oeuvres d'Architecture. Les Grecs les ont imités
& furpaffés. Les Romains ont copié ces derniers ; &
ce font les édifices fuperbes & en tout genre
de ces
trois peuples , c'eft-à-dire , leurs pyramides , leurs
temples , leurs amphithéâtres , leurs obéiifques , leurs
ponts , leurs aqueducs & autres édifices , qui font devenus
les modèles de tous les ouvrages d'Architecture
dont l'Italie , la France & l'Europe entière font décorées
.
La fcience de l'Architecte eft de la plus grande
étendue . Elle comprend , 19 , le deffin , pour tracer
les plans avec la jufteffe & la netteté convenables ;
2º . la Géométrie , pour connoftre l'étendue & la
qualité du terrein fur lequel il a à bâtir , & pour en
tirer le parti convenable ; 3 ° . les Mathématiques ,
pour régler l'efprit de l'Archite &te d'une manière sûre
dans les différentes opérations ; 4° . les règles de
l'optique , afin de pouvoir donner à fes ouvrages
les points de vue & les hauteurs néceffaires ; 5º . l'intelligence
de la coupe des pierres. A toutes ces connoiffances,
il doit joindre un génie inventif , un goût
sûr pour la difpofition & l'arrangement des parties
d'un édifice , un difcernement fin & éclairé pour la
diftribution des ornemens. 6 ° . Enfin , il doit joindre
la probité à la capacité & à l'expérience , pour mériter
la confiance des perfonnes qui font bâtir. Il ne doit
donc pas avilir fon Art , en le regardant uniquement
commie une fource de fortune pour lui. La noble
envie d'être utile à la Société par fon talent , la
gloire qui marche fur les pas des Artiftes qui s'élè
vent au-deffus du commun , le témoignage d'une
bonne confcience lorfque l'on peut le dire , fans
308
MERCURE
mentir à foi-même , que l'on rend à la patrie , par
fon travail , fes lumières , fes moeurs & fon honnêteté
, une jufte compenfation des avantages qu'on en
reçoit ; voilà les motifs qui doivent enflammer l'ame
de l'Architecte , exciter fon émulation , & le porter
à remplir les devoirs de fon état. Ils font plus grands
qu'on ne penfe communément , fur - tout lorsqu'on eft
appelé aux emplois deftinés à cette profeffion . L'Architecte
d'un Prince , d'une Ville , doit répondre au
choix & à la confiance qui l'honorent , par la plus
fcrupuleuse exactitude dans toutes les entrepriſes
dont il eft chargé. Il vole le Prince & la Ville , s'il
les entraîne dans des dépenfes fuperflues . Il ne doit
pas regarder un Palais à conftruire , une Egliſe à
bâtir , un Théâtre à élever , comme une mine à
exploiter. Il doit y employer les meilleurs matériaux
& les meilleurs Ouvriers , fans que l'argent ,
la brigue , la conſidération , la jaloufie ou d'autres
bas intérêts puiffent corrompre fa probité. Si la fupériorité
de fon talent le porte à faire un bel édifice , fa
délicateffe doit lui preferire la plus fcrupuleuse exactitude
dans fes marchés , foit pour l'achat des matériaux
& leur emploi , foit pour le travail des Ouvriers
& la conduite de ce travail , dans les plans & devis ,
dans les rapports , appréciations , arbitrages , & c.
Mais fi , facrifiant l'honneur & la vertu à la cupidité ,
il cherche à rapiner fur tout , fur les achats & fur le
falaire des Ouvriers ; s'il vend fon fuffrage lorsqu'il
eft requis de donner fon avis ; fi , lorsqu'il eft chargé
de tracer des alignemens , foit pour étendre une place ,
redreffer une rue tortueule ou lui donner un débouché
, & c. le rang , la puiffance ou la richeffe d'un
Particulier , ou quelque autre confidération , font
dévier la règle dans fa main , la reculant , l'avançant
ou l'arrêtant au préjudice du bien public ; fi
enfin une baffe rivalité lui fait déprifer des talens
égaux ou fupérieurs aux fiens ; s'il eft avare de fes
DE FRANCE. 309
connoiffances quand on le confulte ; s'il fe fert baffement
de fon crédit & de fa réputation pour nuire à
ceux qu'il jaloufe , c'eft un mauvais Citoyen , un
Artifte dangereux , qui fait plus de tort à la Société
par la corruption de fon coeur d'honneur à
l'Art par fon habileté ....
, que
L'Architecture deviendra un Art extravagant &
nuifibie , toutes les fois que les Artiftes & ceux qui les
emploient , perdront de vue la base de tout Gouver
nernent , les bonnes moeurs. J'aime à voir l'Architecture
élever des arcs de triomphe aux défenfeurs de la
patrie , des pyramides , des obélifques , des tombeaux
aux mânes des Citoyens illuftres qui le font diftingués
par une bienfaifance extraordinaire ; des temples
aux fciences & aux talens . Mais elle me fernble
folle , ridicule , hontcufe même & infâme corruptrice
des bonnes moeurs , lorfqu'elle s'épuife en vains
ornemens pour loger dans un Palais immenfe un petit
étre de cinq pieds , qui , du haut d'un balcon doré ,
infulte à la misère publique . Elle n'eft guères moins
qu'an fléau , lorfqu'elle mine lentement la fanté du
peuple par des maifons mal expofées , mal aërées ,
ou exceffivement élevées ; par des hôpitaux conftruits
au centre des Villes où ils entretiennent la contagion ;
par des rues qui , mal alignées ou fans iffue , s'oppofent
à la libre circulation de l'air. Elle devient une
vexation tyrannique , lorfque , fervant baffement le
luxe & le fafte des Grands , elle s'empare , ou par
violence ou par
ſubtilité , de la demeure des Particuliers
, la détruit & élève fur ſes ruines un fuperbe logement
pour leurs chevaux ou leur meute. N'eft-elle
pas une calamité lorfque des Princes , vainement magnifiques
, furchargent leurs fujets d'impôts , pour
conftruire à grands frais des bâtimens fomptueux ,
monumens orgueilleux de leur vanité & de leur infenfibilité
pour les malheureux qu'ils oppriment ? Ne
craignent- ils point que ces édifices cimentés par la
310 MERCURE
fueur & le fang du peuple , ne leur reprochent à eux
& à leur postérité , qu'ils ont changé en un monceau
de pierres le pain des malheureux ? Les dépenfes que
l'on fait pour les bâtimens publics , fur-tout lorſque
l'on donne plus à la grandeur & à la magnificence
qu'à l'utilité , ne font tolérables que quand elles font
prifes fur le fuperflu réel d'une Nation. Eh ! la Nation
a - t -elle un fuperflu réel , quand un grand nom◄
bre de fes Membres , gens honnêtes , utiles , laborieux
, ont à peine de quoi ne pas mourir de fain
& manquent de moyens pour élever leur famille ?
L'Architecture enfin fe manque à elle - même , lorfqu'elle
facrifie la folidité & la noble fimplicité aux
colifichers ordonnés par le luxe & le mauvais goût ...
ANECDOTE qui prouve l'utilité des
Spectacles. Elle est tirée de la Gazette Angloife
, intitulée: ( The general Advertiſer) .
LE Docteur Barnaby fut un jour appelé
chez un riche Négociant de Londres , qui
avoit un Commis malade d'une fièvre ardente
, à laquelle s'étoit joint le tranſport.
Cejeune homme étoit d'une bonne famille ,
& le Négociant l'aimoit beaucoup . Le Docteur
l'examine , fait les queftions ordinaires ,
apprend que deux jours auparavant il avoit
été à la Comédie , qu'à fon retour il s'étoit
mis au lit , qu'il n'y avoit pas dormi ; & ne
trouvant pas dans toutes ces informations
des lumières fuffifantes , il dreffe fon ordonnance
, & s'en va.
Heureufement il n'étoit pas de ces Mé
DE FRANCE. 311
decins dont l'ame dure & mercenaire fe
borne aux foins matériels dont on les paie ;
il aimoit les hommes , & favoit que parmi
les caufes de nos maladies , les paffions ne
font ni la plus rare ni la moins active. Il fe
fouvint que le jour même dont il étoit queftion
, il avoit été à la Comédie , & qu'on y
avoit donné Barnevelt : il lui vint en conféquence
dans l'efprit que la fièvre du jeune
homme pouvoit être une fuite de l'effet trop
violent qu'il fuppofa que cette Pièce avoit
fait fur lui.
Plein de cette idée , il le revit le lendemain
, & le trouva plus calme , mais dévoré
d'un chagrin profond . Après avoir converfé
quelque tems de chofes indifférentes
il lui demanda fans affectation s'il avoit été
ému de la Pièce qu'il avoit vue. Oh terriblement
! terriblement ! répondit l'infortuné
jeune homme , avec une forte de phrénéfie :
j'ai cru que j'y mourrois. Il n'en fallut pas
davantage pour achever d'éclairer le Docteur
, qui , connoiffant l'humanité du Négociant
, lui fit part à fon tour du fatal fecret
qu'il avoit découvert.
L'avis étoit trop important pour être négligé,
Le Négociant qui le fentit , ne tarda
pas à monter chez fon Commis . Il y prend
le ton le plus obligeant , le plus affectueux ;
il prie le jeune homme de lui ouvrir fon
coeur ; il le conjure de dépofer dans fon fein
des chagrins qu'il aura peut-être le bonheur
de foulager. Ce que je fais , ajoute - t - il , ne
312 MERCURE.
doit pas vous étonner ; ce n'eft qu'une fuite
des égards que mérite votre famille , & de
l'amitié que je n'ai pu refufer à vos bonnes
qualités. Ah ! Monfieur , ne vantez pas mes
qualités s'écria le malheureux Commis
Peut-être , répliqua le Négociant , manquét-
il quelque chofe à la caiffe , ce n'eft pas
un mal fans remède.
O Monfieur ! vous connoiffez mon crime
, & vous avez la bonté de m'en accorder
le pardon ! Eh bien , à cette grâce inelpérée
, daignez donc en joindre une autres
celle d'engager mes parens à m'éloigner de
l'Angleterre. Une liaiſon fatale.... cette liaifon
me fait trembler. Au nom de Dieu ,
faites- moi partir , ou mon abominable maîtreffe
deviendra pour moi une Milwood.
Depuis que j'ai vu Barnevelt , je n'ai pas
fermé l'oeil. Chaque mot de cette Pièce m'a
percé le coeur , & le trouble avec lequel je
l'ai entendue étoit fi grand , que tous ceux
qui étoient auprès de moi l'ont remarqué.
Mais , Dieu foit loué ce trouble même , &
fes fuites épouvantables , m'ont empêché
de vous voler encore la nuit dernière trente
livres fterling. Ah ! Monfieur , je veux partir
; il faut abfolument que je parte !
"?
Cet aveu terrible , & la bonté du Négociant
, ayant un peu foulagé le coeur de l'infortunéCommis
,il obtint de fes parens la permiffion
de partir , il partit, & , felon toutes
les apparences , dut à la Comédie le bonheur
d'avoir évité une finhonteufe. Ceci eft un fait.
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQU I E.
De CONSTANTINOPLE , le 1 Avril.
LE nouveau traité que nous venons de conclure
avec la Ruffie , a été figné le ro du mois
dernier , & échangé le 21 ; le lendemain M. de
Stachiefinvité à faire une vifite au Grand- Vifir
fe rendit chez ce Miniftre , où il fut reçu avec
toutes les cérémonies d'ufage dans les premières
audiences. On lui fit préfent d'un cheval richement
harnaché, & d'une belle péliffe de martre.
Ses deux fils , fon Secrétaire de légation , & fon
premier Interprète , reçurent des péliffes d'hermine.
Cinq autres, Dragomans eurent des
kerchets , & 40 cafetans furent diftribués aux
40 perfonnes qui compofoient fa fuite. Le 25
Ambaffadeur de France invité folemnellement
à faire une femblable vifite , s'en acquita, & fut
reçu de même. Abdoul- Rezack , le Beilikgi-Effendi
qui a fait les fonctions de Secrétaire pen.
dant le tems de la négociation , l'Interprète de la
Porte & fon fils reçurent des péliffes de martre.
Celle de l'Interprète étoit couverte de drap jaune
, couleur la plus diftinguée ici après la verte.
Le nouveau traité confirme dans toute fon étendue
celui de Kainardgi & en éclaircit quelques
articles , dont l'interprétation avoit donné lieu
aux difficultés qui s'étoient élevées. La Ruffie
s'engage à retirer fes troupes de la Crimée dans
25 Mai 1779.
( 314 )
trois mois , à compter du jour de la fignature
du traité , & du Cuban dans 3 mois & 20 jours.
Omer-Effendi vient d'être déposé , & remplacé
dans la dignité de Reis- Effendi par Abdoul-
Rezak , qui lorfqu'il figna le traité , avoit
été déja honoré du titre de Nidfchangi .
Les armemens que la Porte n'a pas difcontinués
jufqu'à-préfent , & dont l'activité faifoit
craindre pour les négociations aujourd'hui terminées
heureufement , avoient un but important
; ils font deſtinés à rétablir l'ordre dans la
Morée où les Albanois continuent de commettre
toutés fortes de ravages. Le Capitan- Bacha
a ordre de fe rendre dans cette péninfule ; il
fera ce voyage par terre , tandis que fon Kiaya
avec 12 vaiffeaux , prendra la même route par
mer afin d'intercepter tous les fecours que les
Rebelles pourroient recevoir de ce côté ; Abdoulah
- Pacha , Seraskier d'Ifmaïl , marchera
en Albanie avec toutes les troupes qu'il a fous
fes ordres .
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 16 Avril.
-
LA Cour s'eft rendue hier à Czarsko . Zelo ;
l'Impératrice en eft partie après avoir diné dans
cette capitale . La Grande Ducheffe dont la
groffeffe eft heureufement avancée , & dont les
couches ne font pas éloignées , s'étoit miſe en
route dès le matin , parce que fon état ne lui
permet que de voyager lentement , & a diné à
Keriki , maifon de plaifance de l'Impératrice ,
à 8 werftes de cette ville .
Plufieurs couriers arrivés fucceffivement de
Mofcou , nous ont appris que la nuit du 24 au 25
dumois dernier, le feu a pris au quartier des Marchands
, où prefque toutes les boutiques & les
marchandifes qui y étoient raflemblées , ont été
la proie des flammes malgré les fecours qu'on y
( 315 )
a portés. On évalue la perte occafionnée par
cet incendie , à 2 ou 3 millions de roubles , &
plus de so perfonnes y ont perdu la vie ; ce n'eft
qu'avec peine qu'on a réuffi à conferver la
Bourfe où les Négocians , tant nationaux qu'étrangers
, ont leurs magafins. On dit que cet
accident n'eft point l'effet du hafard ; mais qu'un
Commis employé dans une des boutiques incendiées,
hors d'état de produire fes comptes , qu'on
lui demandoit , a pris le parti défefpéré de
mettre le feu à la fienne pour ſe tirer d'embarras.
Le 11 de ce mois la rivière s'eft trouvée dégagée
des glaces qui la couvroient depuis 135
jours , & qui fufpendoient la navigation qui vient
de reprendre fon cours.
S. M. I. vient de donner des ordres pour établir
à Aftracan un Mont - de- Piété , qui fera
réuni à la banque de la même ville ; cet établif
fement a pour objet de favorifer les Arméniens
établis dans ce Gouvernement , auxquels là
fuite des Calmouks en 1771 a fait efluyer de
grandes pertes. La banque établie à Mofcou
pour le change des affignations de l'Empire ,
avancera 50,000 roubles , qui formeront le premier
fond de ce nouvel établiffement.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 20 Avril.
ON compte recevoir inceffamment ici la réponſe
définitive de la Cour d'Angleterre , concernant
la conduite que fes vaiffeaux de guerre
& fes armateurs obferveront à l'égard de nos
navires. En attendant , nous avons 4 vaiffeaux
de guerre & 6 frégates , qui doivent mettre à
la voile au commencement du mois prochain.
Le reste de l'efcadre qui eft également prêt ,
fufpendra fon départ jufqu'à nouvel ordre. Le
O 2
( 316 )
Duc de Sudermanie n'en prendra pas le com
mandement , que le Roi vient de donner au
Contre -Amiral Jean-Guillaume Gerdten.S.A.R .
s'y embarquera comme fimple particulier , pour
faire le voyage de Carlfcron à Gothembourg .
Le mécontentement des payfans qui s'étoient
flattés d'obtenir à la Diète la liberté de braffer
de l'eau-de-vie pour l'ufage particulier de
leurs familles , paroit exiger l'attention du Gouvernement
; dans différens endroits , ils ont mal
reçu leurs députés ; quelques - uns de ceux - ci
craignant un traitement pareil de la part de
leurs compatriotes , reftent dans cette capitale.
Il y a eu une émeute en Dalécarlie , où les
payfans ont ufé de violence pour s'emparer des
uftenciles fervant à la diftillation que le Gouvernement
avoit fait faifir. Cette fermentation
a paflé des campagnes dans les villes , où des
brochures anonymes continuent à l'augmenter.
L'Auteur d'un de ces écrits , nommé Haldin ,
a été arrêté , & on lui fait fon procès ; nonfeulement
il ne défavoue point fon ouvrage ;
mais il déclare qu'il n'a fait qu'y configner le
voeu de la nation ; il dit qu'il n'a fait en publiant
fes idées , qu'ufer du droit que lui donnoit la
liberté de la preffe , liberté qui ne feroit qu'illufoire
& nulle , fi le citoyen qui aime fon
pays n'en pouvoit profiter pour indiquer au Gouvernement
les méprifes qui peuvent échapper à
fa fagèffe , lui montrer des maux qu'il ne guérit
point , parce qu'ils lui font fouvent inconnus.
Il paroît que la généralité des fujets de ce
Royaume eft de l'avis de M. Haldin ; il a reçu
bien des encouragemens de la part de fes compatriotes
, & des préfens de fommes confidérables
d'argent. On eft fort curieux de voir quelle
fera l'iffue de cette affaire . On ne croit pas
qu'elle ait des fuites fâcheufes pour l'Ecrivain ;
on connoit la bienfaifance du Roi , fa tolérance
( 317 )
politique & religieufe , & on rappelle à cette
occafion cette anecdote.
» Un jeune homme avec des talens diftingués
pour la Poéfie , s'avifa d'en faire un ufage funefte
, en écrivant quelques fatyres dans lesquelles
le Souverain lui-même n'étoit pas épargné. Le
Prince qui la lut , fit appeller l'Auteur. Vous
avez des talens , lui dit-il , mais vous manquez
des fecours néceffaires pour les perfectionner
& en faire un meilleur emploi ; vous manquez
peut-être auffi de pain. Je vous fais mon Bibliothécaire.
Cet emploi fournira à vos befoin phy.
fiques & moraux. Le jeune Poëte pénétré de
reconnoiffance , n'écrivit plus que pour la célébrer
. Ces nouveaux ouvrages lui méritèrent
une nouvelle grace du Roi, qui le fit fon Lecteur.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 30 Avril.
LE Baron de Lehrbach vient de partir pour
Ratisbonne , où il va remplir les fonctions de
co-Commiffaire Impérial de l'Empereur . Les talens
qu'il a montrés dans plufieurs négociations ,
dont il s'eft acquitté à la fatisfaction de l'Empereur
, l'ont fait nommer à cet emploi . S. M. I.
lui a fait préfent d'un attelage de huit chevaux
choifis dans les écuries de la Cour , & avec lefquels
il doit faire fon entrée publique à Ratisbonne.
Comme la fanté du Général d'Elrichshaufen
eft fort dérangée , l'Empereur lui a permis d'aller
prendre les eaux de Spa ; il a bien voulu lui
accorder en même-tems une fomme de 10,000
florins , à prendre fur la Caiffe Militaire , pour
les frais de fon voyage .
Il eft arrivé ici , par le Danube , plufieurs millions
d'efpèces qui ont été envoyés des Pays-Bas,
& qui ont été remis fur-le -champ au tréfor Royal.
03
( 318 )
On mande de Presbourg que le 6 de ce mois
à 2 heures après- midi , on reffentit , pour la fe
conde fois , à Homonna , un tremblement de
terre qui dura 6 à 7 fecondes. Les crevaffes
faites aux murailles par le premier , ont été
confidérablement aggrandies par celui-ci , qui
y en a fait de nouvelles. L'air ce jour-là étoit
fort épais , fur-tout du côté des montagnes
dont on ne pouvoit voir le fommet : comme il
n'eft pas devenu plus férein , les allarmes continuent
, & on craint quelques nouvelles fe
couffes.
De HAMBOURG , les Mai.
LES nouvelles publiques depuis le commen
cement des négociations qui fe font à Tef
chen , ont préſenté jufqu'à préfent la paix d'Allemagne
comme très - incertaine ou du moins
très -éloignée . Une lettre de Prague , du 19 du
mois dernier , annonçoit au moins une grande
fluctuation fur cet objet important. » On ne fait
pas encore , y diſoit -on , fi la paix fe fera ou fi
la guerre continuera . Hier nous avons reçu un
ordre du Commandant - Général de l'armée ,
conçu en ces termes : Comme les circonftances
actuelles font encore trop obfcures pour pouvoir
rien déterminer de certain , l'Empereur a ordonné
que toutes les troupes faffent les difpofitions néceffaires
pour r'ouvrir la campagne le 28 de ce mois ,
fans aucun délai. Cet ordre a été réitéré aujourd'hui
; les préparatifs pour la guerre font plus
grands que jamais , & on craint que fi la paix
a lieu préfentement , elle ne foit pas de durée ;
car tout l'attirail pour l'armée qui nous eft venu
de Vienne & d'ailleurs , refte ici pour être toujours
prêt au befoin « .
Les nouvelles du jour font plus favorables.
Elles annoncent toutes la paix prochaine : l'ar(
319 )
miftice qui devoit finir le 28 du mois dernier ,
a été prolongé jufqu'à la conclufion effective de
la paix. Le papiers de Vienne difent que ç'a
été à la follicitation des Pruffiens ; ceux de
Breflau affurent que les Cours médiatrices ont
feules propofé cette prolongation. Quoiqu'il
en foit , elle exifte ; & on alieu d'efpérer que
les armes ne feront pas repriſes .
» Les Plénipotentiaires refpectifs affemblés
à Tefchen , écrit - on de Breilau , ont achevé
de régler tous les principaux articles de la pacification.
La publication ne tient plus qu'à quelques
points acceffoires ou a des formalités telles
que la garantie , la ratification , l'échange
des traités. Il eft certain que le premier obſtacle
qui a retardé la négociation a confifté dans la
difficulté de mettre la Saxe & la Bavière d'accord
fur la fomme à payer par la dernière à l'au
tre. Lorsque ce point a été réglé , il s'eft élevé
un nouveau fujet de difcuffion. Le Roi de Pruffe
a demandé que la Maifon d'Autriche fut garante
du traité entre les deux Electeurs ; cependant
, au moyen de quelques tempéramens ,
les Miniftres médiateurs font parvenus a appla
nir cet obftacle ; il s'en eft élevé enfuite un troifième.
Le Duc de Deux - Ponts eft intervenu ,
& a demandé une penfion pour foutenir avec
plus de dignité fon titre d'héritier préfomptif
tant de la Bavière que des autres Etats de la
Maifon Palatine. Cette prétention n'a , dit- on ,
pas été appuyée, & on croit que ce Prince , s'en
étant défifté , la paix n'éprouvera plus de retard.
Il s'agit à préfent de convenir des termes
du payement de la fomme de quatre millions
d'écus ou 6 millions de florins que l'Electeur Palatin
doit payer à l'Electeur de Saxe : on prétend
que ce payement fe fera en 12 ans . Peut-être les
termes feront- ils moins longs , fi , comme on
le prétend , le revenu des pays que la Cour de
04
( 320 )
"
Vienne doit reftituer à la Cour Palatine , fuffifent
pour faire cette fomme en 3 ans de tems «<<.
Selon d'autres lettres le traité eft figné, & on
s'occupe actuellement à le rédiger. Quelquesuns
prétendent qu'il l'auroit été plutôt , s'il ne
s'étoit élevé quelques débats au fujet des termes
de la garantie demandée aux deux Puiffances
médiatrices pour en affurer la pleine & entière
exécution dans tous les tems . En terminant une
guerre , on voit trop fouvent dans les traités
des omiffions qui peuvent fervir de prétexte
aux Puiffances contractantes de la renouveller
lorfqu'elles pourront le faire avec avantage ; &
on defire ne laiffer aucun de ces prétextes dans
le traité qu'on vient de conclure , ou qu'on va
conclure inceffamment. S'il faut en croire des
avis de Vienne , l'Ambaffadeur de France y eft
attendu de retour de Tefchen dans 10 à 12 jours.
» Les Généraux Pruffiens , à Braunau & à.
Landshut , écrit-on de Siléfie , ont fait circuler.
par ordre du Roi des billets , pour avertir les
habitans de Bohême qui manquent du bled néceffaire
pour enfemencer leurs terres , qu'ils
peuvent en venir prendre dans les magalins du
Roi , en promettant fimplement de le rendre
lorfqu'ils feront en état. Cet acte d'humanité a
répandu la joie parmi ces malheureux habitans ,
dont un grand nombre périffoit de misère & de
maladie ; & qui ont vu avec une furpriſe égale
à leur reconnoiffance , ceux qui n'aguère étoient
leurs ennemis , s'empreffer de leur procurer les
fecours & la fubſiſtance dont ils ont befoin « .
ITALIE.
De RoME, le 25 Avril.
LE Pape eft actuellement rétabli de la maladie
qui a fait craindre pour les jours ; aux
( 321 )
prières que le Peuple avoit faites pour fa guérifon
, ont fuccédé celles qu'il fait actuellement
pour remercier le Ciel d'avoir confervé
les jours du Souverain Pontife.
Ce n'eft pas en Allemagne feulement que
les prétendans à la fucceffion de Bavière fe
font multipliés . Nous apprenons qu'à Bologne
les Maifons Pallavicini & Cambiafo forment
une prétention d'un million de florins fur cette
fucceffion ; elles viennent de la faire préfenter,
de concert par le Mandataire , à la Cour de
Munich.
Les lettres de Naples portent que le Roi ,.
par un Edit envoyé à toutes les Garnifons &
aux Juges de ce Royaume , a ordonné de
prendre une note exacte de tous les bois
qu'il y a dans chaque Province . Ces notes détaillées
doivent contenir la quantité des arbres ,
diftinguer leur qualité , leur eſpèce , leur groffeur
, & défigner les noms de leurs propriétaires.
L'objet de cet Edit eft de faciliter les
approvifionnemens de bois néceflaires pour le
fervice de la Marine .
» Le vaiffeau de guerre le S. Jean-Baptifte ,
écrit-on de Lisbonne , eft prêt à fortir du Tage
au premier bon vent. On a doublé fon équipage
, & on y a embarqué deux Compagnies
d'infanterie & deux d'Artillerie ; ce na
vire fera fuivi inceffamment d'un autre vaiffeau
de 64 canons &: de trois bâtimens de tranfport
, avec 6 Compagnies d'Infanterie & d'Artillerie
. Ces forces font deftinées pour l'Ifle du
Prince , voifine de celle de Fernando- del - Po ,
pour effectuer la remife de ces établiſſemens
à l'Espagne , conformément au dernier Traité
de paix avec la Cour de Madrid , à laquelle
les habitans ont fait difficulté de fe foumettre .
En vertu d'un décret de la Reine , ajoute la
même lettre , le Tribunal de la Relation a
05
( 322 )
jugé le procès criminel intenté à Don Manuel
Saldanha de Albuquerque , Comte d'Ega,
après un examen rigoureux de tous les chefs
d'accufation , fait par un Comité des principaux
Membres de ce Tribunal , avec le Défembargador
Fifcal du département des Finances
d'outre-mer , il a été déclaré innocent ; la
Sentence rendue eft très-honorable pour l'accufé
, puifqu'elle porte que dans fon adminiftration
il a manifefté la plus grande fidélité & le
plus grand zèle pour le fervice du Roi , &
qu'il a montré la juftice & l'intégrité les plus
louables dans toutes les parties de fes fonctions
de Gouverneur des Indes «<,
De LIVOURN E › le 30 Avril.
ON a conduit dans les prifons de Florence
le nommé Antoine Capreta de Venife ; il a été
amené d'Allemagne par des foldats de police
de Vienne ; c'eft un de ces falfificateurs de
lettres-de-change que l'on a arrêtés en Hongrie
: on croit que c'eft le même qui,fous le nom
de Pierre Regis, en tira une , il y a quelque
tems , fur M. Jacob de Prado , à Âmſterdam
.
» Les Etats de Maroc , écrit- on de Gibraltar
offrent , fous le règne actuel , un tableau
frappant des effets du defpotifme & de l'avihiffement
des fujets : ce ne font que des révoltes
& des fupplices qui fe fuccèdent. On
apprend de Tétuan que le 20 du mois dernier
les Maures de la garnifon de Tanger fe foulevèrent
& fe rendirent maîtres des portes &
de la place ; ils coupèrent la tête & les pieds
à l'Officier qui en avoit la garde , parce qu'il
refufa de les leur remettre. Après avoir forcé
les troupes blanches à fe joindre à eux , ils
publièrent une proclamation pour abolir tous
( 323 )
les impôts ; ils ouvrirent les prifons , relâchèrent
les malfaiteurs , & commirent beaucoup
d'autres défordres. Les Alcaïdes Ben -Abdimelek
& Shek , nommés par le Prince Maure ,
pour veiller à la tranquillité publique à Tanger
, & pour maintenir la difcipline parmi ces
troupes , fe rendirent aux portes dont elles
s'étoient emparées ; les rebelles firent feu fur
eux , & les contraignirent de fe fauver à toute
bride jufqu'à Arzilla. Reftés maîtres de la
place , ils pillèrent les maifons des deux Alcaïdes
; ils trouvèrent dans celle du premier
trois mille piaftres en argent , différens meubles
& autres effets de prix . Le foir , les fuites
de leurs crimes commencèrent à les épouvanter
; rentrés en eux-mêmes , & craignant
les fupplices qu'ils avoient mérités , ils implorèrent
l'interceffion du Cadi de la Ville pour
obtenir leur pardon. Ce Magiftrat refufa de
fe mêler de folliciter pour eux jufqu'à ce qu'ils
lui euffent remis eux - mêmes 150 des principaux
chefs de la révolte , qui feront fans
doute punis rigoureufement. La révolte qui a
eu lieu à Mequinez , eft appaiſée ; le Prince
de Guiazguid eft toujours en prifon , où l'ordre
de ne lui donner aucun aliment n'eft pas obfervé.
Son frère le Prince Abderame eft auffi
dans les fers ; il a trempé dans la confpiration
faite par le premier contre leur père , qui a
déjà fait mourir un grand nombre de ceux
qui avoient favorifé fes fils «.
Selon d'autres lettres , le Roi de Maroc a
jugé à propos de nommer un Conful , qui fera
chargé des affaires de toutes les Nations Européennes
qui font le commerce dans fes Etats
& qui n'ont point de Confuls . Il a revêtu de
cette Commision M. Etienne d'Audibert , Négociant
François & lui a permis d'arborer
en cette qualité la bannière de paix fur fa
maiſon. 06
( 324 )
ANGLETERRE .
De LONDRES , le 10 Mai.
L'AMIRAL Gambier , parti de New-Yorck
le cinq du mois dernier , à bord de l'Ardent
, fuivi de deux frégates , & arrivé le 25
en 20 jours de traverfée , n'a point apporté de
nouvelles de l'Amérique Septentrionale. Un
Aide - de - Camp du Général Clinton , qui eft
revenu avec lui a remis des dépêches à la
Cour , & l'on efpéroit qu'elles fourniroient la
matière d'une gazette extraordinaire ; mais depuis
quinze jours cette efpérance eſt évanouie .
Tout ce que l'on a daigné nous apprendre
c'eft que les corfaires armés à New-Yorck font
au nombre de 121 , qui employent 1976 canons
& 9680 hommes. Les prifes qu'ils ont faites
depuis le commencement des repréfailles ne
vont pas à moins de 165 ; mais ces liftes , quand
elles ne feroient pas exagérées , prouveroient
feulement que les particuliers font avec fuccès
la petite guerre ; elles ne prouvent pas que la
Nation la faffe auffi heureufement. » Ce que
l'on voit en Europe , dit un de nos papiers , nous
peut donner une idée jufte des opérations en
Amérique ; & les prifes fi vantées que font nos
corfaires ne rendent pas notre fituation moins
malheureuſe & moins défefpérante . Le Gouvernement
ne participe pas aux richeffes que
nos armateurs amènent journellement dans nos
Ports ; s'il y prend quelque part , c'eſt par des
emprunts. Le nombre de ces armateurs , qui
monte à plus de 340 navires , employe au-delà
de 11000 matelots ; le numéraire immenfe qui
fe trouve par-là entre les mains des particuliers,
les met en état de faire la loi au Gouvernement
qui eft obéré , & l'Etat ſe ruine à me(
325 )
fure que les particuliers s'enrichiffent tant par
les prifes qu'ils font fur l'ennemi , que par les
marchés qu'ils forcent l'adminiſtration à faire
avec eux . En obfervant avec attention cette
différence entre la fituation de l'Etat & celle
des Sujets , on y trouvera la raifon de la grande
cupidité & du peu d'union qui règnent entre
les membres gouvernans & gouvernés des
trois Royaumes «.
Le filence de la Cour fur les dépêches du
Général Clinton ne paroît pas d'un bon augure
; il prouve au moins que le 4 Avril dernier
on n'avoit aucune nouvelle à New-Yorck
de ce qui fe paffe dans la Géorgie . Depuis
l'avantage remporté le 3 Mars dernier , il s'eft
écoulé deux mois fans qu'on fache fi l'on a pu
en profiter. Quelques avis particuliers rabaiffent
beaucoup cet avantage , qui fe réduit à la défaite
d'un corps ramaffé à la hâte , fous les or
dres de chefs peu expérimentés , & non point
fous ceux du Général Lincoln , qui a auprès de
lui les principales forces Américaines , qui n'ont
point encore été entamées . Le climat brûlant de
la Géorgie , l'air mal-fain qu'on y refpire , parce
qu'elle eft couverte de bois & de marais , ont
caufé , felon ces avis , des maladies contagieufes
qui font de grands ravages parmi les troupes
; & l'on craint toujours que s'il n'eft pas fecouru
à temps , il n'éprouve un fort femblable à
celui de M. Burgoyne.
On n'eft pas moins inquiet fur le compte de
nos troupes & de notre flotte à Sainte - Lucie ;
le bâtiment l'Elifabeth , arrivé de Saint- Chrif
tophe à Briſtol en so jours de traverfée , a
rapporté que le Comte d'Eftaing eft toujours."
à la Martinique avec fon Eſcadre , où il a
été joint par les fix vaiffeaux de guerre , conduits
par M. de Graffe , ce qui porte fes forces
à 18 vaiffeaux de ligne ; il a eu encore l'a(
326 )
vantage de voir arriver un convoi de 80 vaiſ.
feaux marchands ou de tranfport , qui ont
échappé à l'Amiral Byron , & qui ont porté à la
Martinique toutes fortes d'approvifionnemens
dont elle ne manquoit cependant pas , puifqu'elle
a la facilité de tirer de Saint- Euftache
tout ce dont elle a befoin ; la flotte Angloife
, quoique fupérieure , n'a pu réuffir à
couper la communication qui exiſte entre ces
deux Ifles .
Notre fituation n'eft pas plus favorable aux
Antilles que fur le Continent ; nous ignorons
quand elle pourra devenir meilleure . Il étoit
d'une néceffité indifpenfable de renforcer le
Général Clinton à New-Yorck , pour le mettre
en état de s'y foutenir , & de faire paffer
des fecours au Général Prevoft dans la Géorgie
; l'Amiral Arbuthnot , chargé de lui mener
des troupes , de remplacer l'Amiral Gamby
fur ces mers , étoit parti le i de ce mois ;
un évènement imprévu l'a arrêté en commençant
fon voyage , qu'il étoit fi important de
hâter. L'Amirauté en a reçu , le 4 de ce mois "
ane lettre en date du 2 portant qu'ayant
hêlé le matin , un peu à l'ouest de l'Ile de
Wight , un bâtiment de Jerfey , il avoit appris
qu'une flotte Françoife des vaiffeaux de
ligne & de so bâtimens de tranfport , s'étant
montrée inopinément à la hauteur de cette
Ifle le 29 Avril , y avoit débarqué un corps
de 2000 hommes ; que fur cet avis il s'étoit
d'abord déterminé , fans attendre de nouveaux
ordres , à fe porter fans délai au fecours de
' Ifle attaquée . Nous favons aujourd'hui que
cette expédition des François n'a été que projettée
, que les vents contraires fe font oppofés
à fon exécution , & que le i de ce mois
les troupes qui s'en étoient chargées étoient
rentrées à Saint-Malo . Il n'y a pas d'apparence
I
( 327 )
qu'elles la tentent de nouveau , à préfent furtout
que nous fommes prévenus , & que nous
allons nous hâter de mettre cette Ifle en état
de défenſe ; mais le projet a toujours produit
un grand effet ; il a retardé le voyage de
l'Amiral Arbuthnot ; les forces qu'il conduit en
Amérique , où l'on en a un befoin fi preffant ,
n'arriveront pas avant le mois d'Août ; il fera
trop tard alors de faire quelque chofe ; c'eſt
encore une campagne de manquée : fi nous ne
fubiffons que ce malheur , & cela fans aucun
fruit , puifqu'il n'aura pas même fauvé Jerſey ,
qui étoit déja fauvée fans fon fecours.
La répartition des troupes qui doivent agir
cette année en Amérique , & qui vraisemblablement
y feront peu de chofes , eft la fuivante.
5000 hommes dans les Indes Occidentales
12,000 dans la Géorgie & les Carolines , 3000
dans le Canada , 1000 dans le New-Foundland
& la Nouvelle-Ecoffe , 7500 de troupes régu
lières , & 6000 de troupes provinciales dans la
Nouvelle-Yorck ; total 34,500 hommes.
La flotte affemblée à Spithead confiſte à préfent
en 3 vaiffeaux de 100 canons , 4 de 90 , I
de 80 , 13 de 74 , 2 de 64 , en tout 23 non compris
les frégates . On ne parle point encore de
l'Amiral qui doit en prendre le commandement
; l'Amiral Hardy , dont on s'eft empreffé
d'annoncer la mort , & qui en effet a été trèsmal
, vit encore ; on efpère même qu'il fe rétablira
; mais on ignore s'il fera en état de
s'embarquer ; on croit que l'Amiral Keppel ne
refufera pas de prendre de nouveau ce commandement
; il a reçu une lettre de l'Amirauté
qui lui demande fi l'état de fa fanté lui permet
de continuer à fervir fur mer : il n'y a
point encore répondu ; mais comme il a déclaré
en plein Parlement qu'il étoit bien éloigné
de vouloir refter dans l'inaction , pendant
( 328 )
que fa patrie auroit befoin de fes fervices
on préfume qu'il ne les refufera pas dans cette
occafion. » La Nation , dit un de nos papiers ,
n'a pas partagé l'ingratitude de l'adminiftration
, elle lui en a donné des preuves ; elle
mérite qu'il ne lui faffe pas fubir la peine d'un
crime qui lui eft étranger & pour lequel
elle a fuffifamment témoigné fon horreur « .
Le procès du Vice- Amiral fir Hugh Pallifer
eft fini ; il a eu l'effet qu'on en avoit
prévu d'abord , lorfqu'au nombre de fes juges
on avoit vu nommer fon propre neveu & 4
témoins entendus dans le procès de l'Amiral
Keppel , & qui avoient dépofé contre lui. Le
procès du Vice - Amiral avoit été bien jugé ,
forfqu'on l'avoit regardé comme un procès pour
rire . Les témoins entendus à fa charge , ättef
toient tous qu'il avoit défobéi aux fignaux ; ceux
qui l'ont été à fa décharge , ont déposé qu'il
étoit hors d'état d'obéir : le réfultat de ces dernières
dépofitions donnoit lieu à deux queſtions
1°. Pourquoi le Vice -Amiral n'a- t'il pas détaché
un bateau pour informer l'Amiral de fa fituation
? 2 °. Pourquoi n'a-t'il pas tranſporté fon
pavillon à bord d'un autre vaiffeau en état de
manoeuvrer ? Il a répondu à ces queftions dans.
un fupplément de défenfe , tendant à prouver
qu'il n'eft point de loi de tranfporter fon pavillon
d'un bord à l'autre , & qu'il a eu raifon
de ne le pas faire , puifque le combat étoit fini ;
qu'il voyoit qu'on ne le renouvelleroit pas le
même foir , puifqu'il étoit trop tard , & que les
dommages de fon vaiffeau feroient réparés le
lendemain. Quant à ce qu'il n'avoit pas inftruit
l'Amiral de fa fituation , if a dit qu'il ne l'avoit
pu n'ayant point de frégates. Le Confeil s'étant
affemblé , le 5 Mai , a prononcé , après de longs
débats , le Jugement fuivant : » Les minutes du
Confeil de guerre , tenu au fujet de l'Amiral
( 329 )
Keppel , ayant été communiquées à la Cour ,
& ayant remarqué dans icelles plufieurs faits re
latifs à la conduite qu'a tenue le Vice-Amiral
fir Hugh Pallifer , les 27 & 28 Juillet dernier ,
lefquels faits demandoient un ftrict examen ; la
Cour ayant de plus entendu des témoins, férieufement
& mûrement confidéré le tout , eft d'avis
, que la conduite que le Vice -Amiral de
l'efcadre bleue a tenue , les deux jours ci -deſſus
mentionnés , a été en beaucoup de cas extrêmement
méritoire & exemplaire ; en même-tems
nous croyons le Vice-Amiral repréhensible en
ce qu'il n'a pas informé l'Amiral comniandant
en chef, de l'état de détreffe où il fe trouvoit ;
ce qu'il pouvoit faire , foit par l'entremife du
Fox , foit par d'autres moyens qu'il avoit en fon
pouvoir. En conféquence , ne penfant pas qu'il
ait mérité d'être cenfuré à d'autres égards , la
Cour l'acquitte , & il eft par la préfente acquitté
en conféquence «. Ce Jugement n'acquitte affurément
pas honorablement l'accufé , qui n'a pu
recevoir les honneurs que lui préparoient fes
partifans , pour faire le pendant de ceux que les
amis de l'Amiral Keppel lui rendirent en pareille
circonftance .
On n'a pas manqué de rappeller à l'occafionde
ce Jugement , un mot de l'Amiral Keppel ,
qui , dans la féance des Communes , du 19 du
mois dernier , répondit aux réflexions un peu
amères que M. Fox fe permit fur les Membres
du Confeil de guerre affemblé pour juger
fir Hugh Pallifer ; » L'équité & la difcrétion
>> ne nous permettent pas de les juger avant
» qu'ils n'aient prononcé leur Jugement eux-
>> mêmes dans celui qu'on attend d'eux , & qui
» ne peut tarder «.
Cette féance orageufe , ainfi que celles qui
la fuivirent , avoit pour objet de folliciter la
retraite du Comte de Sandwich , qui ne fut
( 330 )
pas attaqué moins vivement dans la Chambre
haute par le Comte de Briſtol ; mais avec auffi
peu de fuccès. Parmi les Pairs qui votèrent
contre ce miniftre , on compte les Ducs de Glocefter
& de Cumberland , freres du Roi ; ils
étoient en tout au nombre de 39. Lorfque leur
propofition fut rejettée , 25 proteſtèrent contre
La décifion de la pluralité. Le 25 , Mylord Brif
tol y ajouta les articles fuivans : >> Ayant fait
la motion à laquelle fe rapporte la proteftation
ci-deffus , je crois de mon devoir d'inftruire la
poftérité des motifs particuliers qui m'ont porté
à la faire.
1º. Parce qu'il a été accordé depuis l'année 1771
une fomme de 6 millions 917 mille liv. ft. s ch. &
un quart denier pour le département naval plus.
qu'il n'a été accordé dans un nombre égal d'années
depuis 1751 jufqu'en 1759 pour l'ufage de la marine
, quoique dans ce période de tems nous ayons
cu 4 années de guerre avec la France,
2º. Parce qu'il eft conftaté que la marine Angloife
eft au-deffous de l'érat où elle ſe trouvoit
en 1771 , lorfque le premier Commiffaire actuel fur
placé à la tête de l'Amirauté , nonobftant les fommes
immenfes accordées depuis ce tems pour le
maintien & l'accroiffement de ce département.
39. Parce qu'il paroît qu'après avoir reçu des
informations réitérées , comme l'on convient de
les avoir reçues depuis le 3 Janvier juſqu'au 27
Avril , touchant l'équipement & les progrès de
l'efcadre de Toulon , jufqu'à ce qu'elle fit voile le
13 Avril 1778 ; c'étoit expofer la flotte , ainfi que
l'armée d'Angleterre , employées alors en Amérique,
à des forces Françoifes grandement fupérieures ,
que de n'avoir pas envoyé une efcadre dans la Méditerranée
, pour veiller aux mouvemens de cette
efcadre Françoife , & pour tâcher de lui intercepter
le paffage du Détroit , ainfi que de n'avoir pas envoyé
de renfort au Vice-Amiral Howe , ou même
( 331 )
de n'avoir pas dépêché le Vice-Amiral Byron avant
le 9 Juin 1778.
4. Parce qu'il paroît que l'envoi de l'Amiral
Keppel à la hauteur de Breft le 13 Juin avec 20
vailleaux de ligne , tandis que les Seigneurs de l'Amirauté
favoient , ou du moins devoient favoir ,
que la flotte qui fe trouvoit à Breft & s'apprêtoit
pour mettre en mer , confiftoit en 32 vaiffeaux de
ligne , outre un grand nombre de groffes frégates ,
auroit pu produire les fuites les plus fatales aux
feules forces maritimes de quelque confidération ,
que ce Royaume avoit alors prêtes pour fa protection
, ainfi qu'an commerce & même aux ports
de ce pays ; & que , fi l'Amiral Keppel eût resté
avec les 20 vaiffeaux de ligne à la hauteur de
Breft , il eût dû avec ces 20 vaiffeaux combattre
la flotte Françoife de 30 vaiffeaux de ligne , qui
fir voile le 8 Juillet , attendu que l'Amiral Keppel.
ne put pas fe procurer du renfort , pas même de
quatre vaiffeaux , pour le joindre avant le Juil
let , quoiqu'il fût alors à Sainte- Hélène pour l'attendre.
>
5. Parce qu'il paroît que nous avons perdu
cette poffeffion précieuſe , l'ifle de la Dominique
manque d'y avoir envoyé un renfort à tems &
des inftructions convenables à l'Amiral Barrington
.
6. Parce que , faute d'avoir envoyé la plus
petite force navale à la côte d'Afrique , nous avons
auffi perdu l'établiffement précieux du Sénégal , qui
pourroit avoir fourni avec le tems , par une attention
convenable , de nouveaux débouchés pour nos
manufactures dépériffantes .
7 ° . Parce qu'il paroît que la conduite de l'Amirauté
, en ordonnant avec tant de précipitation ,
& fans aucune délibération convenable , la tenue
d'un confeil de guerre , pour juger un Commandant
en chef d'un haut rang & d'un tel caractère ,
comme celui que l'Amiral Keppel poffède dans la
( 332 )
marine de Sa Majefté , tendoit à fruftrer la falu
taire intention de ce pouvoir de difcrétion
que la Conftitution a placé dans les mains des
Seigneurs Commillaires , établis pour exercer la
chatge de Grand-Amiral de la Grande-Bretagne ;
pouvoir au moyen duquel toutes accufations malicieufes
& mal- fondées , préfentées par qui que ce
foit , peuvent être évitées , ainfi que l'union & la
bonne difcipline dans le fervice préservées de toute
interruption.
Tous nos Papiers publics fe font empreffés
d'annoncer qu'il étoit arrivé quatre vaiffeaux de
guerre Ruffes aux dunes , & ils n'ont pas manqué
d'ajouter qu'ils faifoient partie des fecours
que l'Impératrice devoit nous envoyer , que
bientôt on verroit arriver huit autres vaiffeaux .
On adopta avidement cette affurance , fans fonger
à ce qui fe paffe à Conftantinople entre la
Cour de Verſailles & de Pétersbourg , & à la
bonne harmonie avec laquelle elles travaillent
actuellement à la paix d'Allemagne , ' lorfque la
lettre fuivante de Boulogne a détruit ce beau
rêve. » Il eft arrivé , le 20 Avril , une flottille
Ruffe venant de Livourne , compofée de fix
frégates ; les deux plus légères font venues
mouiller près de Calais , à la rade , pendant que
les quatre autres font allé mouiller à la rade
de Deal en Angleterre . Cette flottille eft venue
, fuivant les ordres de l'Impératrice de
Ruffie , pour prendre la Ducheffe de Kingſton
qui doit fe rendre à Pétersbourg pour y paffer.
l'été. Les vents orageux qu'il a fait ont retardé
le départ de la Ducheffe , qui s'eft embarquée
le 3 Mai , fur le vaiffeau de l'Amiral , qui eft
venu avec fes quatre vaiffeaux à fa rencontre à
la rade de Calais .
Nos Papiers ne ceffent de varier fur les..
difpofitions de l'Efpagne ; après avoir affuré
qu'elle étoit décidée à garder la neutralité , ils
( 333 )
difent aujourd'hui qu'elle s'occupe fortement à
faire notre paix avec la France . Voici les conditions
principales que l'on propofe : l'Angleterre
reconnoitra l'indépendance des EtatsUnis ;
la France renoncera à ſon alliance avec ces derniers
; mais les Américains feront libres de faire
des traités de commerce avec elle , comme avec
toutes les autres Puiffances de l'Europe . Il n'eft
pas sûr encore que ces propofitions foient adoptées
; il ne l'eft pas même qu'elles aient été faites
on fent le beſoin de la paix , & cette néceffité
fait rêver tous les moyens de la procurer.
Pendant que nous avons la guerre au- dehors
nous n'éprouvons pas beaucoup de tranquillité
dans l'intérieur . L'Irlande que nous nous obftinons
à mécontenter , nous donne de juftes inquiétudes.
La Bourgeoisie de Dublin , dans une
affemblée tenue il y a peu de tems , a arrêté
de ceffer , à compter du premier de ce mois ,
toute importation de manufactures ou de marchandifes
de laine fabriquées à Mancheſter ou
dans toute autre ville d'Angleterre. Cet acte
rappelle celui de la non- importation en Amérique
, qui a précédé la guerre que nous faifons
fur le continent , & il eft à craindre qu'il n'en ·
entraîne une nouvelle en Europe.
On n'eft pas plus tranquille en Ecoffe , où les
troubles renaiffent fans cefle : » Un parti de 45
montagnards , écrit - on d'Edimbourg , deſtinés à
recruter le 42e & le 71e régimens , étant en marche
pour fe rendre à Leith , où il devoit s'embarquer
pour l'Amérique , il fe répandit un bruit que ces
recrues ne ferviroient pas dans le corps de montagnards
pour lequel ils étoient enrôlés ; d'après ce
rapport , ces gens refafèrent de s'embarquer ; le
Gouverneur du château d'Edimbourg en étant informé
, envoya
à Leith un parti de 200 hommes
commandés par un Major , 3 Capitaines & 6 Offciers
fubalternes «<.
( 334 )
» Le parti étant arrivé trouva les 45 mutins
adoffés contre un mur en face du quai , ayant la
bayonnette au bout du fufil ; le Major n'imaginant
pas qu'un fi petit nombre d'hommes pût effectivement
oppofer de la réfiftauce , forma un cordon
pour les envelopper , afin qu'il n'en échappât aucun
; enfuite it s'approcha d'eux , leur notifia les
ordres dont il étoit chargé , & leur repréſenta
combien il feroit infenfé de faire de la réfiltance
pendant ce tems-là , un fergent ayant remarqué
qu'un des mutins cherchoit à s'échapper ,
le faifit au collet , & en reçut deux coups de bayonnette
; un autre fergent fut bleflé d'un coup de fufil ;
alors l'action devint générale ; on fit feu de Part &
d'autre ; le Capitaine Mansfield fut tué à la première
charge , 2 foldats furent tués à la ſeconde ,
& plufieurs furent bleffés , quelques uns même
moriellement. On croit que du côté des mutins
15 ont été tués & environ 20 bleſſés ; on s'afſura
du refte & même des bleffés , qui font actuellement
dans les prifons du château.
·
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie , les Mars. Nous n'avons
point de nouvelles récentes de la Géorgie , où
nos ennemis ont fait d'abord des progrès , &
dont nous espérons que les avantages ne fe
foutiendront pas. Les feuls détails que nous
avons reçus ne vont pas plus loin qu'au 4 du
mois dernier , date de la lettre fuivante du
Brigadier-Général Moultrie au Général Lincoln
; il étoit à Beaufort , à 60 milles de
Charles Town , dans la Caroline Méridionale .
» Je vous écrivis il y a quelques jours du camp du
Général Bull ; pendant que j'y étois la milice me
pria de paffer la rivière avec elle ; le lendemain matin
ayant laiffé un corps de troupes fuffifant pour la
garde de notre camp , nous fallâmes l'eau , & le
( 335 )
où
foir nous étions environ 230 hommes de l'autre
côté ; nous nous mîmes immédiatement en marche
& nous continuâmes jufqu'à un mille de Beaufort ;
là je fis prendre aux troupes quelques heures de repos
, enfuite nous prîmes le chemin de la ville ,
nous entrâmes le lendemain au lever du foleil. Ayant
ordonné aux troupes de fe rendre à leurs quartiers ,
& ayant pris moi - même un peu de repos , je montai
à cheval avec le Général Bull & deux ou trois autres
Officiers pour aller voir le fort ; à peine y étionsnous
arrivés qu'un exprès nous informa que l'ennemi
marchoit à Beaufort , dont il n'étoit pas éloigné de
plus de milles ; je priai le Général Bull de galoper
vers la ville & d'en retirer les troupes ; je le
Tuivis & les trouvai fous les armes ; un fecond avis
m'apprit que l'ennemi s'avançoit très - vîte ; je fis fortir
les troupes pour aller au-devant de lui : après avoir
marché deux milles j'appris par un troisième exprès
qu'il étoit à quatre milles ; j'avançai lentement , cherchant
des yeux quelque terrein convenable où nous
puiffions nous former ; en ayant découvert un trèsavantageux
, j'y attendis l'ennemi pendant une heure ,
au bout de laquelle je fus informé qu'après avoir fait
une courte halte , il avoit changé fa marche & fe
portoit vers notre bac ; je le fuivis , & j'avois fair
environ 3 milles lorfque j'appris qu'il revenoit du
bac , marchoit vers nous , & n'étoit qu'à la diftance •
d'un mille ayant envoyé M. Kinlock mon Aide- de-
Camp , pour reconnoître & me rendre un compte circonftancié
, il revint & m'annonça que l'ennemi
étoit près de nous : je fis doubler le pas pour gagner
un marais voifin , mais voyant que l'ennemi avoit
déja pris poffeffion du terrein que je m'étois propofé
d'occuper, je fis halte à environ 200 verges & je
formai les troupes fur deux lignes bordant les deux
côtés du chemin , ayant 2 pièces de campagne au
centre & une autre de moindre calibre fur la droite
dans le bois. L'ennemi s'étant approché de plus près ,
j'ordonnai au Capitaine Heyward de commencer
( 336 )
avec deux pièces de campagne ; je portai mes deux
alles plus près du marais , & alors le feu devint à
peu -près général. Cette action a été le revers de la
manière dont les Anglois & les Américains combattent
pour l'ordinaire : les premiers fe font enfoncés
dans les buiffons & nous fommes reftés en plaine
découverte ; quelque tems après , m'appercevant que
nos gens étoient trop expofés au feu de l'ennemi ,
je leur ordonnai de fe retrancher derrière des arbres.
Il y avoit environ 3 quarts d'heure que le
combat duroit lorfque j'entendis un cri général de ,
plus de cartouches , & je fus des Capitaines Heyward
& Rutlege que la munition deſtinée au fervice des piè
ces de campagne étoit prefque entiérement confommée
après avoir tiré chacune 40 coups ; j'ordonnai
que l'on retirât très -lentement les deux pièces de campagne
, & que les deux aîles marchaffent d'un pas également
lent pour couvrir les flancs de l'artillerie ; ce
qui fut exécuté en affez bon ordre pour des troupes
indifciplinées ; avant que nous nous miſſions en mouvement
, l'ennemi avoit battu la retraite , mais nous
n'avions guère de munitions de refte , ou même nous
n'en avions plus ; nous ne pûmes donc poursuivre ;
l'ennemi fe retira fi précipitamment qu'il laiffa un
Officier , un Sergent & trois foldats bleffés dans une
maifon voifine du lieu de l'action , & fes morts étendus
fur le champ de bataille. Les ennemis s'étoient
enfoncés pour combattre dans des buiffons trèsépais
, le Capitaine Barnwell avec un peu de cavalerie
légère , nous a été d'une grande utilité , ſoit
en nous donnant fréquemment avis des mouvemens
de l'ennemi , foir en attaquant fon arrière-garde dans
fa retraite : il avoit fait prifonniers un Capitaine Brewer,
qui eft grièvement bleffé , 2 fergens & 12 foldats
; mais un parti ennemi s'étant rallié en ſe retirant
, a repris le Capitaine , 1 Sergent & 6 hommes.
Il a emmené le reſte avec une douzaine de fufils ,
& celui de Brewer : Barnwell n'avoit qu'environ is
hommes. Je puis vous affurer que notre milice n'a
rien
( 337 )
rien perdu du courage qu'on a toujours reconnu
en elle ; pour en faire de bonnes troupes il ne lui
manque que la difcipline ; l'artillerie de Charles-
Town s'eft conduite avec bravoure , elle s'eft attachée
à fon canon comme l'euflent fait des troupes vétéranes
, & l'a parfaitement bien fervi , jufqu'au moment
où les munitions étant prefque confommées ,
je me fuis vu dans la néceffité de lui ordonner de le
retirer. Mes forces confiftoient feu'ement en 9 compagnies
de troupes continentales ; le Capitaine Treville
, 2 Officiers & 6 hommes , une pièce de bronze
de 2 livres de balle , & feulement 15 coups à tirer :
pour leur rendre juftice , je dois ajouter qu'ils fe
font tous bien comportés. Il me paroît néceflaire de
féjourner ici quelques jours de plus , afin de foigner
convenablement les bleflés, & de mettre quelques autres
objets en bon ordre ; je ferois bien- aife que vous
m'en donnaffiez la permiffion , & que vous me fiffiez
favoir combien de temps je puis féjourner encore....
Un Officier précieux , un excellent citoyen vient de
mourir à l'inftant des bleffures qu'il a reçues hier ,
c'eft le fieur Benjamin Wilkins , Lieutenant de l'artil .
lerie de la ville ; nous avons 3 ou 4 autres Officiers
bleffés ; Heyward l'eft légèrement au bras , les Lieutenans
Sawyer & Brown , l'un & l'autre de l'infanterie
légère , le font auffi ; nous avons cu 6 ou 7
foldats tués , environ 15 bleffés ; je ne puis être bien
exact dans le compte que je vous rends , parce que
je n'ai pas encore reçu les états ; le corps ennemi confiftoit
en 2 compagnies du foixantième régiment , une
du feizième , le tour hommes choifis , tirés de l'infanterie
légère : immédiatement après l'actions de
leurs déferteurs paffèrent de notre côté , nous en
avons appris les détails ci-deffus ; ils ajoutent que le
fecond coup de canon que nous avons tiré à démonté
un obufier auquel l'ennemi n'avoit mis le feu
qu'une fois d'après tout ce que vous pouvez recueillir
dans ma lettre , il me femble que vous devez
convenir que nous les avons battus .
:
125 Mai 1779.
P
( 338 )
De Middelbrock , le 8 Mars, Le Congrès a
rendu une proclamation pour ordonner la célébration
du jour de jeûne dans toute l'éten
due des Etats-Unis , le 6 Mai prochain. Le renouvellement
des Membres qui le compofent ,
dont le terme eft expiré , s'eft fait de la ma
nière établie par l'acte d'union. Il eſt compofé
de 4 pour le nouvel Hampshire , de 7
pour Maffachuffets-Bay , à la tête defquels font
MM. Jean Hancock & Samuel Adams; de 3 pour
Rhode-Iſland , de 7 pour le Conecticut ; de 6
pour la Nouvelle-Yorck , dont le premier eftM,
Jean Rai , Préfident actuel de l'affemblée ; de
5 pour New- Jerfey ; de 6 pour la Penſylvanie
; de 3 pour la Delaware , de 6 pour le Maryland
, dont l'un eft M. de Carmichael , cidevant
Secrétaire de la Commiffion à Paris ; de
7 pour la Virginie , dont deux frères Lée ; de
s pour la Caroline Septentrionale , autant pour
la Méridionale , dont le premier eft l'ancien
Préfident Henri Laurens ; & de 7 pour la
Géorgie.
Le Congrès vient de publier la lettre fuivante
du Général Putnam :
» Un détachement de l'armée ennemie qui eft à
King's - Bridge , compofé des 17 , 44 & 57me ré .
gimens , d'un régiment Hellois & deux de nouvelles
levées , dans la foirée du 25 Février fortit de fes
lignes & fe porta vers Horfeneck dans l'intention
de furprendre les troupes qui s'y trouvoient , & de
détruire les falines : nous avions envoyé vers Hor.
feneck un Capitaine & 300 hommes tirés de nos
poftes avancés ; ils découvrirent l'ennemi à New.
Rochelle , & fe retirèrent fans être apperçus , juf
qu'à Rye-neck , où le jour naiffant les découvrir à
l'ennemi , qui les attaqua ; ils le défendirent le
mieux qu'ils purent & gagnèrent Sawpitts , où ils
profitèrent d'une petite éminence pour y tenir ferme
quelque tems ; mais la fupéiioté de l'ennemi les
( 339 )
força de fe retirer au- delà du port de Byrum qu'ils
levèrent , & par ce moyen ils gagnèrent Horfeneck
fains & faufs ; comme je me trouvois en perfonne
à ce pofte pour obferver la pofition des gardes
avancées , j'eus le temps de former les troupes fur
une hauteur à côté de Meeting- Houfe , pour recevoir
l'ennemi à mefure qu'il arriveroit ; il marchoic
à grands pas , & je ne tardai pas à remarquer que
fon deffein étoit de tourner nos flancs & de s'emparer
d'un défilé qui fe trouvoit derrière nous , ce
qui eût rendu notre retraite impoffible ; je détachai
en conféquence de l'un & l'autre flanc des partis que
je chargeai de m'informer de l'approche de l'ennemi
, ahn que nous puffions nous retirer à temps .
Pendant ce temps- là une colonne s'avança fur le
grand chemin où le refte des troupes ( montaut
60 hommes feulement ) étoit pofté ; nous fìmes
deux ou trois décharges de quelques vieilles pièces
de campagne qui fe trouvoient là , nous en fîmes
auffi quelques -unes de moufqueterie , mais fans effet
confidérable : la fupériorité de l'ennemi força bientôt
notre petit détachement à abandonner la place .
J'ordonnai en conféquence aux troupes de fe reti .
rer & de fe former fur une éminence à une petite
diftance de Horfeneck , & prenant fur - le-champ la
route de Seaford , je raffemblai un corps de milice
& quelques troupes continentales qui s'y trouvoient,
& avec lesquelles je retournai à Horfeneck : lorf ,
que j'arrivai l'ennemi , après avoir enlevé aux habitans
la majeure partie de leurs effets , détruit quelques
falines & un petit floop , s'en retournoit déja.
L'Officier qui commandoit les troupes continentales
à Horfeneck , entendit mal mes ordres , & fe
porta beaucoup plus loin que je ne le voulois , de
forte qu'il ne put attaquer l'ennemi avec avantage ;
cependant j'ordonnai au peu de troupes que j'avois
tiré de Seaford , de le pourfuivre , efpérant que quelques
traîneurs tomberoient ainfi dans nos mains ;
cet efpoir ne fut point déçu , ainfi qu'en pourra juger
T
P 2
( 340 )
V. E. en jetta les yeux fur la lifte ci- inclufe des prifonniers
; on a pris auffi deux chariots dont l'un
chargé de munitions , l'autre de bagages : dans le
premier il y avoit environ 200 charges dont les boulets
annonçoient qu'ils étoient destinés pour des pièces
de trois livres de plus environ 200 paquets d'effets
pillés que j'eus le plaifir de rendre à ceux des habitans
auxquels ils avoient été enlevés : comme on
ne m'a pas encore fourni les états , je ne puis dire
précisément à quoi monte notre perte ; cependant
je ne crois pas qu'elle excède le nombre de ro foldats
& d'environ autant d'habitans , dont très- peu
avoient les armes à la main « .
Les prifonniers faits dans cette occafion con
fiftent en 15 foldats du 17e . Régiments du 44e.
3 du sze. 5 du Régiment Royal Américain ,
8 du Corps d'Eminerik , un du 1er. Bataillon
d'artillerie ; Pionnier ; en tout 38 hommes ,
& 7 déferteurs du Corps d'Emmerik .
FRANCE.
De MARLY le 20 Mai.
LE 6 de ce mois , le Roi , accompagné de
Monfieur , partit d'ici après-diner , & arriva
vers les 3 heures & demie à la Plaine des
Sablons , où il paffa en revue le Régiment
des Gardes Françoifes & celui des Suifles.
Monfeigneur le Comte d'Artois étoit à la tête
de ce dernier. Madame , Madame la Comteffe
d'Artois & Madame Elifabeth de France , accompagnées
de leurs Dames , s'y rendirent
auffi . Les Troupes , après avoir fait l'exercice
défilèrent devant le Roi & Monsieur , & des
vant les Princeffes .
Le 10 , S. M. fe rendit à l'Eglife de la Paroille
de Notre -Dame de Verfailles , & affifta
au fervice folemnel que les Curé & Marguil(
" 341 )
lers firent célébrer ce jour- là pour l'Anniverfaire
de l'ame de Louis XV . Madame , Madame
la Comteffe d'Artois , Madame Elifabeth
de France y affiftèrent , ainfi que Mefdames
Adélaïde , Victoire & Sophie de France , qui
s'y étoient rendues de leur Château de Bellevue
.
"
Le même jour Monfieur & Monfeigneur le
Comte d'Artois fe rendirent à St. Denis , &
affiftèrent au Service folemnel célébré dans
l'Abbaye Royale , pour le même Anniverfaire
; les principaux Officiers de la Couronné
s'y étoient auffi rendus.
S. M. a accordé le titre de Dame à la De
moifelle de la Galiffonnière , fous le nom de
la Comteffe de la Galiffonnière .
M. Percheron de la Galezière , Avocat au
Parlement , a eu l'honneur de remettre au
Roi , à Monfieur & à Monfeigneur le Comte
d'Artois , un ouvrage de fa compofition , intitulé
: Epitome fur l'état civil de la France.
*
De PARIS , Le 20 Mai.
ON ne doute plus de la jonction de M. de
Graffe , avec M. le Comte d'Eftaing ; toutes
les lettres particulières reçues de la Martinique
& des Ifles voifines , ne laiffent plus aucune
incertitude fur cette nouvelle ; on l'a même
apprife à Londres , où l'on s'étonne de la faci
lité qu'ont eu les bâtimens de tranſport partis
de France , chargés d'approvifionnement , à
arriver fains & faufs à la Martinique , malgré
L'Amiral Byron & fes forces qu'on dit toujours
fupérieures . Ces heureux évènemens femblent
prouver que fa pofition n'eſt pas aufli avantageufe
à Sainte- Lucie , qu'on l'a d'abord imaginé
; on peut s'en faire une jufte idée d'après
cette lettre , fi le fait qu'elle annonce eft auffi
P3
( 342 )
vrai qu'il eft vraifemblable. » Une de nos frégates
s'eft emparée dernièrement d'un avifo
Anglois ; les dépêches qu'il portoit n'ont pu être
jettées à la mer ; elles étoient de l'Amiral By .
ron , & on affure qu'entre autres chofes , elles
contenoient des plaintes très-vives au Miniftère
de Londres , fur fa négligence à lui faire paſſer
les chofes dont il avoit le plus preffant befoin
pour mettre fes vaifleaux en état de tenir la
iner , & de tenter quelque entrepriſe. L'Amiral
ajoutoit que les provifions manquoient à
Sainte-Lucie
parce que M. d'Estaing a 16
frégates qui défolent ces parages , & interceptent
tous les vivres deftinés pour la flotte &
pour les troupes de terre qui fe trouvent dans
' Ifle , où l'infalubrité du climat , la difette &
l'ennui emportoient beaucoup de monde , &
avoient réduit à un état de langueur plus des
deux tiers des troupes de terre & de mer «.
Il paroit que depuis l'avantage remporté par
les Anglois dans la Géorgie , le 3 Mars dernier,
il ne s'elt rien paffé de confidérable dans cette
Province. Il est entré dans ce Port , écrit-on
de l'Orient , un vaiffeau de la Virginie le 28
Mars. Selon fes rapports , les armées dans la
partie feptentrionale des Etats - Unis , occupoient
encore alors leurs quartiers d'hiver ; il
n'y avoit rien eu d'effentiel entr'elles. Les
Troupes Britanniques dans la Géorgie n'avoient
fait aucun progrès vers Charles-Town , & il
marchoit contre elles un Corps parti de la Caro-
Tine. Le Swift , chaloupe Angloife , ajoutent
ces rapports , en chaffant l'Armateur le Serpent
à Sonettes , avoit échoué fur la Côte de la Virginie
, où tout l'équipage avoit été fait prifonnier
& conduit à Philadelphie. Nos lettres de
la Martinique portent auffi qu'un Armateur Anglois
y a été amené par quelques Américains
qui fe trouvant dans l'équipage , s'étoient rendus
maîtres du bâtiment.
( _343 )
M. le Comte de Lowendahl étoit à bord
le la frégate la Tourterelle , l'une de celles
qui convoyoient les vaiffeaux partis de la Mar
tinique , que la rencontre de deux vaiffeaux de
guerre Anglois a difperfés. Depuis ce tems il
eft arrivé un grand nombre de ces bâtimens
dans nos ports , quelques-uns ont eu le malheur
de tomber entre les mains de nos ennemis.
M. de Lowendahl n'a point apporté de
nouvelles récentes de la Martinique , d'où il
étoit parti de trop bonne heure ; mais il a pu
donner au Gouvernement des informations
exactes de l'état des affaires dans cette Iſle "
fur laquelle , felon tous les avis , on ne doit
pas avoir d'inquiétudes . » Nous attendons , écri
voit-on de la Dominique , le 15 Janvier der
nier , M. de Graffe , avec des vaiffeaux , des
troupes de l'argent & des vivres. Si , comme
nous l'efpérons , il arrive à bon port , nous ferons
au moins égaux aux Anglois dans ces
parages , & j'efpère que nous y ferons de la
bonne befogne. Nous fommes préparés , tant
à la Martinique qu'à la Guadeloupe & ici , à
foutenir toutes les attaques des ennemis , qui
ne nous paroiffent pas en état d'entreprendre.
On a ajouté dans cette Ifle tout ce qu'il étoit
poffible de joindre par l'art , à un focal fortifié
par la nature ; & il ne fera pas aifé de
nous y forcer. «‹.
Le Bizarre , le Solitaire , l'Inconftante & la
Surveillante , font rentrés dans le port de
Breft ; ils ont pris pendant leur croiſière , huit
corfaires ennemis ; trois ont été coulés bas ,
& les cinq autres ont été amenés à Breft
avec 800 prifonniers. La Ville de Paris , percée
pour go canons , l'a été pour 104 ; ce vaiffeau
a dû fortir du baffin le 29 du mois dernier , &
être armé tout de fuite.
» Depuis les derniers jours du mois de Mars ,
P 4
( 344 )
écrit-on de Baſtia en Corte , on voit un gros bâ--
riment de guerre qui croife dans nos parages ; on
ignore s'il eft Anglois , mais on le préfume depuis
que nous avons appris que plufieurs navires
armés en courfe & en marchandifes de cette nation
font fortis de ce port avec des lettres de marque.
Voici les détails que nous avons reçus à cet égard .
Le 23 Février , le navire Anglois la Paix & l'Abondance
monté de 16 canons & de 80 hommes
d'équipage , Capitaine Charles Mekenfi ; le 15 Mars,
le fénaut le Faucon de 14 canons & de 109 hommes
d'équipage , Capitaine William Will ; le 15 Mars ,
le Carleton de 12 canons 12 pierriers & 90
hommes d'équipage , Capitaine John Wleb ; le 16
Mars , le navire la Judith de 14 canons , 12 pierriers
& 40 hommes d'équipage , Capitaine Michel
Winter.
2
» » Nous apprenons de Naples qu'un corfaire Mahonnois
, qu'on croît être le Faucon , attendu qu'il
a auffi 14 canons & 109 hommes d'équipage , après
avoir relâché à Civita -Vecchia , où il a fait des
vivres & de l'eau , s'eft emparé près de Meffine
d'un bâtiment Vénitien chargé pour Marſeille ; &
qu'une frégate Angloife , ainfi que deux corfaires
de cette nation , ont établi leur croifière fur le Moretino
, fur les caps St. Vito & Luftrica , ainfi que
fur Spartivento où ces bâtimens ont été vus fucceffivement
.
Les prifonniers de guerre provenans de la prife
Angloife le Rambler , Capitaine John Roach , qui
étoient détenus à Bonifacio , ont été transportés à
Baftia , d'où le Commiflaire de la matine les a fait
paffer à St. Florent , & c'eft dans ce dernier port
que la corvette du Roi la Sardaigne eft venue les
prendre pour les conduire à Toulon.
t
» Le fieur Viall & Compagnie , Négocians Corfes,
continuent d'exploiter avec fuccès la forêt du
Poggio di Naffo à 4 lieues de Malliacticaro ; ils
ont déja fait paffer à Toulon plufieurs chargemens
•
( 345 )
de bordages , & ils doivent y envoyer inceffamà
faire des mâts pour arbres
gros propres
ment fix
des vaiffeaux de ligne.
Le corfaire le Va - de-bon - Coeur, Capitaine Coulomb
de Marfeillé , s'étant trouvé dans le port de
St. Florent avec une goëlette portant pavillon Tofcan
, a demandé à la vifter. Sur ce qu'on lui a
dit que cela ne fe pouvoit pas tant qu'elle feroit
mouillée dans le golfe , il a attendu qu'elle partît ,
& il l'a fuivie ; en mer il l'a vifitée , & on croit
qu'il l'a amenée à Marſeille , parce que les deuxbâtimens
ont paru prendre cette route. Cette goëlette
venoit de Livourne & alloit à Mahon avec
un chargement de plufieurs caiffes de drap , d'un
caillon plein d'or , & de fix caiffons d'argent qu'on
croit êtie deflinés au prêt de la garnifon de cette
ifle « .
2
Les armemens en courfe fe multiplient dans
tous nos Ports. On arme actuellement à l'Orient
le vaiffeau le Breton , ci-devant le Fitz-
James , qui vient de l'Inde ; ce vaiffeau , quoique
d'un échantillon de 64 canons n'en portera
plus que 44 de 18 livres de balles , &
fera commandé par le Chevalier de Boutteville
, ancien Lieutenant des vaiffeaux du Roi ;
il aura 350 hommes d'équipage , & il fera la
courfe avec une corvette de 18 canons , qui
lui fervira de découverte. Les Etats de Bretagne
ont pris une grande partie des actions
de cet armement , & on pourra prendre celles
qui restent , & qui font de 2000 liv . chacune
à Paris , chez MM. Lottin & Jauge , file ,
Banquiers.
* Le vaiffeau la Bourgogne , de 74 canons
écrit-on de Toulon , commandé par M. de Marin
, appareilla le io du mois dernier à midi
& mit enfuite en travers pour attendre la
Victoire , commandée par le Chevalier d'Albert
de St- Hyppolite. Ce dernier ne put le fui-
P
5
( 346 )
vre que le furlendemain. Ces deux vaiffeaux
doivent fe rendre à Breft. Une tartane de
Marſeille s'eft emparée à deux lieues d'ici d'un
navire Napolitain , venant de Gibraltar , chargé
pour le compte des Anglois : cette prife a
été amenée ici au Lazareth. Comme le Capitaine
Napolitain difpute la cargaison , & que
le François craint de s'engager dans un procès
douteux , on croit que cette priſe fera relâchée
, & qu'elle fe rendra à fa deſtination .
On commence à efpérer que M. le Comte
Duchaffault pourra faire la campagne prochaine
ou du moins partie de cette campagne ; fa fanté
fe rétablit ; la lettre fuivante de M. Dufau ,
Médecin à Acqs en Guyenne , en date du 10
Avril , confirme ces efpérances. » M. le Comte
Duchaffault , Lieutenant- Général des armées
navales , étant venu en cette ville prendre les
bains & la douche des eaux thermales de Tercis
, pour la dangereufe bleffure qu'il reçut au
combat d'Oueffant , sen eft très-bien trouvé .
Les croûtes qui fe renouvelloient fans ceffe fur
la cicatrice font entièrement diffipées , & il a
acquis toute la facilité qu'il pouvoit efpérer dans
le mouvement du bras droit , après la deftruċtion
totale de l'acromium , des deux tiers de
la clavicule & des mufcles qui y ont leurs attaches.
Il écrit aujourd'hui avec aifance , & il
doit partir le 14. On doit efpérer qu'il pourra
bientôt rendre encore à fa Patrie les fervices
qu'elle à lieu d'attendre de ce brave Officier-
Général ".
» Une jeune fille , écrit- on de Breft a été reconnue
ces jours derniers fervant en qualité de
foldat depuis 8 mois dans le régiment de la Reine :
elle étoit fort gaie en terme de garnifon ; elle fe
battoir fans réferve , elle étoit de toutes les parties ;
mais elle évitoit avec foin de s'enivrer. Elle avoit
déja foutenu l'épée à la main l'honneur des dames.
( 347 )
contre un de fes camarades , lorfque dans un det
nier combat elle a été affez grièvement bleffée.
Le Chirurgien chargé de la panfer a averti M. de
Lange faifant fonction de Commandant , du réfultat
de cette bleffure , & fur un ordre du Colonel
le congé a été délivré à cette fille , avec injonction
de fe rendre à Paris . Le régiment lui a donné 400
liv. pour faire fa route , & elle eft partie le 23
du mois dernier en habit d'homme qu'elle a préféré
pour fa commodité «.
. On fait que M. Scheel eft le premier qui ait
trouvé l'acide de phoſphore dans les os & dans
la corne de Cerf; on fait que le procédé de ce
favant Suédois fut perfectionné par M. Rouelle ,
qui parvint à réduire en verre , l'acide du phofphore
des os , & qui mêlant ce verre pulvérifé
avec la pouffière du charbon , en obtint par la
diftillation du vrai phofphore . Cette découverte
vient d'être portée beaucoup plus loin par M.
Nicolas , célèbre Chymifte . It obtient des os
plus promptement que M. Rouelle de très-beau
phofphore. Il met dans un vaiffeau d'une capacité
fuffifante fix livres d'os pulvérisés. Sur
cette poudre il verfe quatre livres de vitriol
& feize parties d'os ; après une digeftion de fept
à huit heures , il décante la liqueur , mêle exactement
avec le marc defsèché huit onces de
pouffière de charbon , & en obtient par la diftillation
fept onces de phofphore.
On mande de Poitiers , qu'on a récemment
découvert dans une Paroiffe du Poitou , une
mine d'argent & de plomb. On en a envoyé
des échantillons à Paris. Si les épreuves qu'on
doit en faire promettent des avantages , les
propriétaires de cette mine demanderont au
Gouvernement la permiffion de l'exploiter. It
n'y a que quelques années qu'on a trouvé dans
cette même Province du marbre , de l'antimoine
, de l'albâtre , du charbon de terre ,
ochres , & c. P 6
, des
'( 348 )
Les Affiches de Poitou contiennent les détails
fuivans fur une fondation ancienne . » Le maître
de l'hôtel de la Tête-Noire , y a réuni une maifon
voifine chargée de la redevance de quelques
pains & de quelques bouteilles de vin que l'on
fert, tous les ans , le jour de Pâques fur une table
placée dans l'allée qui conduit à l'Eglife Paroiffiale
de Ste Opportune , & près de la porte
de cette Eglife . On raconte ainfi l'origine de
cette fondation , dont on affure que les titres
exiftent , & que l'on exécure encore ponctuellement.
Une des premières propriétaires de
cette maifon , qui eft fort ancienne , & qui eſt
fituée fur cette Paroiffe , fe trouvant le jour de
Pâques à la Grand'Meffe & à jeun , éprouva
une foiblefle occafionnée par le befoin de manger
un morceau ; elle fouffrit beaucoup parce
qu'elle n'avoit pas affez de force pour retourner
dans fa maifon , & parce que la cérémonie fut
très-longue & finit fort tard. De retour chez
elle , elle imagina , pour prévenir tout accident
femblable à l'avenir , cet acte de prévoyance
& d'humanité. Depuis ce tems , les perfonnes
délicates & foibles peuvent trouver ce jour-là
à la porte de l'Eglife un fecours fuffifant pour
foutenir leurs forces «.
M. Morand s'occupe depuis long- tems d'un
travail intéreffant , dont l'objet étoit de fixer
l'état de la population de cette Capitale ; fes.
recherches l'ont conduit à en faire d'autres fur
celles du Royaume en général. Le dernier Mémoire
qu'il a lu à la rentrée publique de l'Aca--
démie Royale des Sciences , le 14 du mois dernier
, contient des détails curieux , dont on fera
bien-aife de trouver ici le réfultat. » M. Morand
a reconnu une augmentation fenfible dans la population
de Paris depuis une quarantaine d'années.
Il a rapproché les fupputations faites par
les perfonnes qui s'occupent foigneufement de
( 349 )
ce genre de fpéculation ; & d'après l'évalua
tion de M. l'Abbé d'Expilly qui compte 600,000
perfonnes vivantes à Paris , celles de M. Buffon
qui en compte 658,000 , & de M. Moheau qui
en fait monter le nombre à 670,000 à-peu-près,
jointes à la diminution des morts & à l'augmentation
des naiffances , il a trouvé que la population
de la Capitale s'eft accrue depuis quarante
ans , d'un quart
felon les uns , & d'un dixfeptième
felon les autres. Il examine enfuite fi
cet accroiffement ne fe fait pas au préjudice des
Provinces , comme bien des perfonnes le prétendent
. Pour cet effet , il examine l'état des
principales villes du Royaume , depuis le cont
mencement de ce fiècle jufqu'à préfent . Tous
les réfultats de ces examens offrent une augmentation
de naiffances ; de forte que , fans com..
prendre Paris , la population du Royaume , qui
au commencement de ce fiècle étoit portée à
19 millions 94,146 , & réduite même par plufieurs
Ecrivains à 16 millions , fe trouve aujourd'hui
de 21 millions felon M. l'Abbé d'Expilly ;
de 22,672,077 felon M. de Buffon ; & de 24
millions felon les rapports réunis des Inten
dants , & felon l'eftime de M. Moheau.
On écrit d'Aix en Provence , que le 27 Avril ,
M. Larive , Comédien penfionnaire du Roi ,
après y avoir joué 6 fois avec le plus grand
concours poffible des Spectateur , fut harangué
du parterre par un Avocat , qui au nom du
public lui adreffa le difcours luivant , en lui
préfentant une couronne de laurier .
» M. , vos talens vraiment fublimes en au- {
» gmentant chaque jour notre enthouſiaſme
» ont dû néceffairement accroître nos defirs
» ne pouvant ajouter à notre admiration , veuil-
» lez du moins ajouter à notre reconnoiffance ,
» en nous donnant toutes les repréſentations i
» qu'il vous fera libre de nous accorder encore «
( 350 )
On écrit auffi de Marfeille , à l'occafion du
même Acteur , que le parterre de cette ville en
lui envoyant également une couronne de laurier
, lui adreflà ces vers dans une lettre attachée
à la couronne avec cette infcription , Doris
Suprema pramium & decus.
Que ce laurier te foit le gage ,
De notre fenfibilité
Comme il eft le prix & l'hommage ,
Que nous payons à ta célébrité ;
En te donnant cette couronne ,
Il ne nous reste à former qu'un défir ,
Larive , que ton coeur ait autant de plaifir ,
Qu'en a goûté le public qui la donne.
,
La Marquife douairiere de l'Efpinaſſe , née
de Sancierres , des Barons de Tenance eft
morte à Tonnerre le 30 du mois dernier , dans
la 79e année de fon âge.
Arrêt du Confeil du 27 Avril . » Le Roi ayant
déclaré , par l'Arrêt de fon Confeil du 14 Janvier
dernier concernant le commerce & la
navigation des Sujets de la République des
Provinces-Unies des Pays-Bas , que S. M. fe
roit publier inceffamment un nouveau tarif ,
relativement aux denrées & aux productions
des manufactures defdits Sujets , S. M. a confidéré
que la manière la plus fimple de former
ce tarif étoit d'impofer uniformément lef
dites denrées & productions à 15 pour 100 de
leur valeur , outre les droits ordinaires ; &
voulant fur ce faire connoître fes intentions
a ordonné 1 ° . que les denrées & objets du
crû , de la pêche , des fabriques & du commerce
des Sujets de la République des Provinces-
Unies des Pays - Bas , payeront à leur
entrée dans tous les Ports du Royaume , outre
& par-deffus les droits actuellement exiftans ,
( 351 )
is pour 100 de leur valeur , à compter du 1er
Mai 1779. 2 ° . Les droits actuellement exiftans
& les 15 pour 100 de la valeur defdites marchandifes
, feront perçus , même en tems de
foire , & à leur entrée dans les Ports des
Villes réputées étrangeres. 3 ° . Excepte néannéanmoins
, S. M. , des préfentes difpofitions
les drogues propres à la teinture , la garance ,
les chanvres en maffe , les laines non filées ,
les fuifs & les foudes , l'arcanfon ou poix-réfine
, le brai ou goudron , les mâts & bois propres
à la conftruction , & les cordages , lef
quels continueront à être traités commé par
le paffé. 4. Les Habitans des Villes d'Am
fterdam & de Harlem jouiront auffi des exceptions
& faveurs dont ils ont joui jufqu'à
préfent fur des objets de leur crû , pêche , fabrique
& commerce , à la charge néanmoins
de conftater , par un certificat du Comm ffaire
de la Marine à Amfterdam , que lefdits objets
proviennent réellement de leur crû , pêche ,
fabrique & commerce «<.
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie
Royale de France , du 16 de ce mois , font 11 ,
88 , 90 , 27 , 54.
Article extrait des Papiers étrangers qui entrent
en France.
» On nous mande d'Aix- la- Chapelle qu'il vient de
s'y élever contre les Francs-Maçons de cette Ville
une perfécution prefque auffi forte que celle qu'ont
efluyé ces dernières années les Francs Maçons de
Naples , & qui peut avoir pour ceux là des conféquences
funeftes ; on les a peints en chaire fous
les couleurs les plus fauffes & les plus odieufes,
en les repréfentant comme des voleurs , des fripons
, des efcrocs , des forciers , des avant- coureurs
de l'Ante-Chrift , que le feu du Ciel ne peut man(
352 )
quer d'écrafer , &c. Le pouvoir féculier s'appercevant
de la fermentation que ces homélies faintement
féditieuſes occafionnoient parmi les habitans
, a cru devoir , par prudence fans doute , paroître
entrer dans les vues desPrédicateurs, & a rendu
un placard qui défend toute affemblée de foi - difant
Francs-Maçons , fous peine de diverfes amendes
pour ceux qui les recevront dans leurs maiſons
& permettront qu'ils s'y affemblent. Cette ordonnance
a produit l'effet tout contraire que s'en étoient
promis les membres du Magiftrat ; elle n'a fervi
qu'à enhardir les Prédicateurs , auxquels on auroit
peut- être du faire dire fous main d'être plus circonfpects
; ils ont tonné avec plus de véhémence
contre les Francs Maçons ; quelques - uns ont été
infultés le jour dans les rues , & tous ceux qui
font connus pour être attachés à cet inftitur , font
obligés de fe tenir cachés dans leurs maifons ,
ne fortir que la nuit , de peur d'être lapidés par la
populace. Dans cette fâcheufe extrémité , la loge
d'Aix-la - Chapelle a cru devoir s'adreffer à diverfes
loges du même ordre , pour implorer leur appui &-
leurs bons offices , & leur a écrit la lettre fuivante
qui contient un détail de toute cette étrange affaire.
»A la gloire du grand Architecte de l'Univers.
" Salut , force & union.
de
Très-vénérables & très-refpectables Frères ,
La loge de la Conftance , fituée à l'orient d'Aixla
- Chapelle , a la faveur de fupplier les refpectables
freres de la loge de. & de celle de ..
youloir bien lui accorder leur protection dans la
malheureufe fituation où elle fe trouve «.
• de
>
» Le pere Louis Greineman , Dominicain , natif
de Mayence , actuellement lecteur de théologie
dans le couvent des Dominicains de cette ville ,
a, pendant le carême dernier , prêché continuellement
contre les Francs - Maçons de cette ville , &
leur inftitut ; il ne s'eft pas contenté de prêcher
( 353 )
on termes généraux , mais il a attaqué perfonnellement
des frères que tout fon auditoire pouvoit
ailément reconnoître «<.
» Il a dit que les Maçons avoient un pacte entre
eux d'où il pourroit réfulter les fuites les plus
dangereufes , tant pour la Religion que pour l'E
tat ; il fe flattoit de connoître tous les Maçons de
cette ville , & de favoir de bonne part qu'il y avoit
des perfonnes de la régence dans la fociété ; il a
dit à ce fujet : Comment voulez -vous
mes chers
>
diteurs , que la juftice foit adminiftrée par de pareils
membres ? «<
au-
» Un accident qu'un de nos frères effuya dans
fon commerce , donna lieu au prédicateur de dire
que c'étoit une punition de Dieu , & que tous les
Maçons feroient expofés à la vengeance célèfte ,
s'ils ne fe convertiffoient pas. Il ne fut pas difficile
au public de reconnoître ce frère malheureux .
Le prédicateur ajouta que les Maçons n'étoient que
des frippons & des forciers qui faifoient un ferment
à leur réception femblable à celui que prêtèrent les
voleurs qui ont été pendus dans le pays de Rolduć
& Faulcaumont. Le Magiftrat de cette ville fit publier
, le 26 Mars dernier , un décret par lequel il
rappelle l'excommunication lancée contre les Francs-
Maçons , & inflige une peine de 100 florins d'or
pour la première fois , 200 pour la feconde , & 300
ainsi que le banniffement pour la troifième fois
contre ceux qui donneront afyle ou permettront
de tenir loge chez eux , offrant de céder la moitié
de l'amende à celui qui viendra déclarer une pareille
aflemblée , fous promeffe de taire fon nom «e ,
» Le Dominicain , après avoir beaucoup loué le
Magiftrat de ces fages précautions pour exterminer
les Maçons , s'eft énoncé en ces termes dans fon
fermon : Vous , Maçons avant - coureurs de
l'Antechrift , vous avez déja été chaffés d'un en
droit à l'autre de cette ville ; & vous le ferez en.
core. Quel parti vous refte-t-il ? Où irezvous ?
à Brunfwick ? non , à Babylone " .
גכ
"
( 354 )
לכ
Ayant réulfi à engager le Magiftrat à agir
contre les Maçons , il a invité le peuple à fon iccours
, en le conjurant de l'aider à exterminer cere
maudite race. Cette invitation a prodait l'effet qu'il
s'en étoit promis ; quelques frères ayant déja été
infultés dans les rues , quoique légèrement ; ce
qui cft caufe que nous ne pouvons fortir que rarement
, de peur de donner pleine carrière à un
peuple rempli de bonne volonté pour le mal , &
d'ailleurs conftamment encouragé par un homme
qui l'a affuré que ni menaces ni flatteries ne
l'empêcheroient de perfécuter ces fripons & ces
trompeurs , pourvu que le peuple le foutienne avec
fon ardeur & fon courage ordinaires «
,
» Le père Schuff , Capucin , prêcha auffi le 1
Avril contre les malheureux frères ; il débuta par les
nommer mauvais Chrétiens & impies ; il exhorta
tous les bons Chrétiens à les regarder comme
des payens & publicains , parce qu'ils fe font attiré
, par leur méchanceté & leurs affemblées diaboliques
, l'excommunication. Ces mêmes puni
tions , dit-il , font réservées à ceux qui les fréquenteront
; encore plus à ceux qui travaillent pour
eux & pour leur loge ; & même ceux qui les
logent , les nourriffent & les fervent ne peuvent
être fauvés. Ceux qui auront fait leurs Pâques ,
& qui n'auroient pas dénoncé à leur confeffeur le
commerce qu'ils ont eu avec eux , font doablement
excommuniés , & le Pape feul peut les abfoudre ,
même dans leurs derniers momens ; & fi dans cet
intervalle quelqu'un d'entr'eux venoit à mourir &
à être enterré en terre fainte on feroit obligé
de déterrer fon cadavre , & de le transporter loin
de cette terre facrée , qui , fe trouvant fouillée ,
feroit rebénite , &c . Enfin il exhorte tous les Curés,
Vicaires & Confeffeurs à refufer les Sacremens à
tous les Maçons , fous quelque prétexte qu'ils
puiffent les demander. Jugez , très refpectables
frères de notre trifte fituation ; fi ces Moines
"
( 355 )
continuent à prêcher , nous rifquons tous d'être
affaffinés ; nous avons recours à vous , chers frères ;
il n'y a abfolument que vos bons offices qui puiffent
nous tirer de l'angoiffe où nous fommes.
Vos coeurs compatillans & votre zèle pour l'art
royal nous autorisent à eſpérer que voudrez bien
joindre vos prières aux nôtres , pour que... nous
accorde fa protection . Dans cette douce attente ,
nous avons la faveur d'être par le N. D. V. O.
( nombre de votre orient ) , & par les honneurs
que vous méritez «.
Vos affectionnés frères , &c.
Très-vénérables & très-refpectables Frères ,
De la loge de la Conftance. A Aix-la-Chapelle ,
le 13 Avril 1779. ( Courier du Bas-Rhin, Nº. 36 ).
De
BRUXELLES le 20 Mai.
UNE Déclaration de l'Impératrice -Reine ,
en date du 15 du mois dernier , déclare nulles
& fans effet toutes les promeffes de mariage
faites par les Officiers & Soldats à fon fervice ,
lorfqu'elles l'auront été fans le confentement
de leurs chefs. Elle défend en même-tems à
tous les Juges , tant Eccléfiaftiques que civils ,
d'y avoir aucun égard.
La défenſe que l'Impératrice- Reine a faite
d'imprimer , dans fes Etats-Héréditaires , les
actes du Confiftoire fecret tenu à Rome le
15 Décembre dernier , au fujet de la rétractation
de Febronius , a été publiée ici en
vertu d'un décret du gouvernement général
des Pays - Bas , en date du 28 du mois dernier.
Quelques papiers étrangers ont prétendu
que cette défenſe n'avoit point eu lieu dans
les autres Etats-Héréditaires . La lettre fuivante
de Vienne peut leur fervir de réponſe.
Le Prélat de Gleinck dans l'Autriche- Supérieure,
animé foit par quelque inftigation étrangère , foit
( 356-)
·
par un faux zèle de religion , avoit fait réimprimer
les actes du Confiftoire fecret dans la petite ville
voisine de Sreyër. Ayant été mandé à ce fujet à
Vienne avec l'Imprimeur , ils s'excusèrent l'un &
l'autre fur ce qu'ils ignoroient les défenſes du Gouvernement
à l'égard de ces Actes : ils efluyèrent une
vive réprimande ; tous les Exemplaires de leur réimpreflion
furent confifqués ; & S. M. ne pardonna au
Prélat & à l'Imprimeur , que par un effet de fa clémence.
Peu après l'on fut informé , que le Libraire
de l'Archevêque de Prague , excité probablement
par une inftigation du même genre que celui de
Steyer , avoit imprimé une Brochure fous le titre de
nouvel Etat de l'Eglife Romaine pour l'année courante
, à la fuite de laquelle il avoit ajouté les Actes
du Confiftoire fecret . Sur l'avis que le Gouvernement
en reçut , il a non-feulement fait punir cé Libraire
& confifquer tous les Exemplaires de l'Imprimé :
mais , pour ôter tout prétexte à de pareilles contraventions
dans les Etats de S. M. en Allemagne , il y
a envoyé par-tout des copies de la défenfe de la
réimpreffion defdits Actes ; précaution qu'on n'avoit
pas jugée néceffaire jufqu'ici , parce que tous les
Tribunaux de Cenfure dans ces pays dépendent de
la Cenfure Suprême de Vienne. Ce dernier Tribu
nal a aufli fait faifir tous les exemplaires de l'Edition
originale de Rome , qu'on avoit introduits clandef
tinement dans les Etats de S. M. peu après fa publication
; & la lecture n'en fera permife qu'à des
perfonnes d'une difcrétion connue. Pour ce qui eft
de la même prohibition , qui a été faite dans les
Provinces des Pays-Bas & dans la Lombardie , l'on
conçoit ailement qu'elle n'a pu avoir lieu à l'infçu de
l'autorité Souveraine.
Les lettres de la Haye contiennent la copie
de la réfolution prife le 26 du mois dernier ,
par les Etats- Généraux des Provinces-Unies.
Après avoir délibéré fur le rapport fait par
MM. Pick & autres Députés de L. H. P. fur ce qui
( 357 )
concerne les affaires maritimes , pour donner leur
effet aux réfolutions commifforiales prifes par L. H. P.
les 15 , 16 & 18 Septembre de l'année paffée ; après
avoir examiné les requêtes de plufieurs Négocians ,
Propriétaires de navires & Affureurs des villes de
Dort , Amfterdam & Rotterdam , remplies de plaintes
amères contre l'arrêt & la faifie d'un nombre confidérable
de bâtimens appartenans aux habitans de
cette République , frétés pour les ports de France ,
faifis par des vaiffeaux de Roi , des navires munis de
commiffion & d'autres corfaires Anglois , quoique les
fufdits bâtimens ne fuffent pas cependant chargés de
contrebande ; repréfentant enfuite dans lefdites requêtes
le préjudice notable qui en rejaillifoit fur le
commerce & la navigation de ces pays , avec prière
à L. H. P. de prendre les mefures les plus efficaces
pour préferver les fupplians de la ruine qui les mepace
après avoir encore examiné les requêtes de
F. & A. Dubbeldemuts , Négocians & Propriétaires
de navires à Rotterdam , qui s'étoient adreffés en
particulier à L. H. P.: ayant de plus , en conféquence
de la réfolution commifforiale de L. H. P. du 12 Octobre
dernier , examiné la propofition de MM. les
Députés de la Province de Frife , faite à l'appui
d'une requête préfentée par plufieurs Commerçans ,
Teneurs de livres & Propriétaires de navires de ladite
Province , contenant auffi des plaintes de la faife
d'une grande quantité de leurs bâtimens , en priant
d'y remédier : Enfin , conformément à la réfolution
commifforiale de L. H. P. du 10 Septembre dernier ,
ayant confidéré avec des Comités des Colléges d'Amirauté
refpectifs , mandés ici à cet effet , quels
équipemens extraordinaires devoient être mis fur
pied dans la fituation préfente des affaires pour l'année
prochaine ; il a été jugé néceffaire d'équiper pour
T'année 1779 , trente-deux vaiffeaux & frégates , favoir
: quatre vaiffeaux de 60 canons & de,350 hommes
d'équipage chacun ; un de 340 hommes ; &
un autre de la même grandeur , monté de 290 hom(
358 )
›
›
mes ; huit vaiffeaux de so canons , chacun monté
de 300 hommes ; huit frégates de 36 canons , mon.
tées de 230 hommes chacune ; fept autres frégates
de 20 canons & de 150 hommes d'équipage ; & enfin
un fenau , de 12 pièces , monté de 100 hommes :
total 1280 canons , & 7920 hommes ; dont , le Collége
d'Amirauté fur la Meule fournira un vaiſſeau
de 60 canons avec 350 hommes d'équipage ; un
de so canons avec 300 hommes ; trois frégates
de 36 canons & de 230 hommes ; une de 20 canons
& de 150 hommes ; enfin un fenau de 12
canons , monté de 100 hommes : le Collège d'Amirauté
d'Amſterdam équipera deux vailleaux de 60
canons & de 350 hommes d'équipage chacun ; quatre
autres de so canons & de 300 hommes ; deux frégates
de 40 canons & de 250 hommes chacune ;
deux de 36 canons & de 230 hommes ; & deux de
20 canons & de 150 hommes chacune : le Collége
d'Amirauté de Zélande fournira un vaiffeau de 60
canons , & 350 hommes d'équipage ; un de la même
grandeur , avec 290 hommes ; un de so canons
& 300 hommes ; une frégate de 36 canons , avec
230 hommes ; & une autre de 20 canons & de 150
hommes le Collége d'Amirauté de Weftfiile & du
quartier du Nord équipera une frégate de 36 canons
, avec 230 hommes d'équipage , & une autre
de 20 canons & de 150 hommes : enfin , le Collége
d'Amirauté de Frife fournira un vaiſſeau de 60 camonté
de 340 hommes , deux autres de 50
avec 300 hommes chacun une frégate
de 36 canons , avec 230 hommes ; & une de 20
canons & de 150 hommes.
nons ,
canons ,
!
Que les fraix de cet équipement confiſtant en 7920
hommes , payés fur le pied de 36 florins chacun par
mois , faifant par mois 285,120 florins , & 3,991,680
florins dans le cours de 14 mois , la moitié qui fe
monte à la fomme de 1,995,840 florins , fera trouvée
au moyen de la pétition du 3 Novembre dersier
, agréée aujourd'hui , & l'autre moitié , for(
359 )
mant une pareille fomme de 1,995,840 florins , fera
tirée du fonds des droits de Left & de Vente ( Laſt- en
Veilgeld ) qui ont été augmentés ; de manière que
chaque fois & à chaque paiement il fera remis aux
Colléges d'Amirauté , la moitié de la fomme par
Ordonnance des Confeillers des Etats , & l'autre moitié
, par une réſolution de L. H. P. à la charge du
Receveur - Général defdits droits de Left & de Vente
augmentés ; devant ces paiemens auxdits Colleges être
faits fur le pied accoutumé ; c'est- à - dire de toutes
les dépenfes pour chaque vaiffeau , ſavoir par Or
donnance du Confeil des Etats , & l'autre du fonds
des fufdits droits de Left & de Vente augmentés ,
dès que le vaiffeau fera équipé : la moitié , ou 4 par
Ordonnance du Confeil des Etats , & dudit fonds
des droits de Left & de Vente augmentés , dès que
le vaiffeau fera entièrement achevé & le nombre
d'hommes complet ; & le 4 reftant , ou par Ordonnance
du Confeil des Etats & du même fonds des
droits de Left & de Vente augmentés , dès que le vaiffeau
, fi c'en est un récemment conftruit , aura eu fon
équipage complet depuis 12 mois ; & fi c'eft un vaiffeau
employé auparavant extraordinairement , & dont
le fervice foit continué pendant 14 mois complets ,
à compter du jour que fon précédent équipement extraordinaire
aura ceffé d'être employé par la République
: & les Colléges d'Amirauté feront tenus
fur leur ferment prêté au Souverain , de donner une
exacte connoiffance des points fufmentionnés . Qu'en
outre les Colléges d'Amirauté refpectifs feront avertis
par écrit d'avoir foin que l'enrôlement foit ou
vert fur-le- champ & que les vaiffeaux même folent
mis en état , pour être fucceffivement prêts à mettre
à la voile , s'il eft question de les employer aux efcortes
qu'on le propofe d'accorder pour la protection
efficace du commerce & de la navigation de
l'Etat. Que de plus il en fera donné connoiffance à
S. A. S. Mgr. le Prince d'Orange & de Naffau , le
( 360 )
1
requérant de prêter la main , afin que l'Equipement
en queftion fe fafle régulièrement , de propofer fucceffivement
les Officiers qui doivent commander ces
vaiffeaux , de mettre ordre à la diftribution des convois
, ainfi que des vaiffeaux deftinés à les protéger,
d'avoir foin , autant qu'il fera paffible , que tous
les mois , des convois foient accordés pour les ports
de France & d'Angleterre , ainfi que , felon l'exigeance
des cas , pour Lisbonne & la Méditerranée , enfin ,
au moins deux fois par an , pour les colonies de
l'Etat dans les Indes occidentales .
Il fera , au furplus envoyé un extrait de cette
réfolution de L. H. P. au Confeil des Etats , afin de
lui fervir d'avis . Meffieurs les Députés de la province
de Zélande out inféré la réſolution de Meffieurs
les Etats , leurs Commettans , en date du 24 Décembre
de l'année paffée , & remife du 7 Janvier dernier
à l'Affemblée de L. H. P. « ,
Le voeu de la Province de Hollande , fuivi
de celui de la Frife & des autres Provinces ,
fe trouve rempli par cette réfolution. Les Etats-
Généraux adoptent la plus exacte neutralité entre
la France & l'Angleterre , & fe promettent
de ne pas confentir qu'on innove ou qu'on déroge
aux traités actuellement fubfiftans . On a
lieu d'efpérer , d'après ces mefures , que l'objet
des plaintes que les Négocians de Dordrecht
& de Rotterdam ont fait préfenter
par une députation à l'affemblée des Etats de
la Province au fujet de l'exécution de l'Arrêt
du Confeil de S. M. T. C. ne foit bientôt redreffé
. Ce qui ajoute à cette efpérance , c'eſt
que cette démarche , qui ne laiffe plus de
doute fur les difpofitions de la République ,
a été faite après la lecture & l'examen du
Mémoire préfenté par le Chevalier Yorck aux
Etats- Généraux , au nom du Roi d'Angleterre.
( 1 )
NOUVEL AVIS ,
Concernant le Mercure de France ,
Politique , Hiftorique & Littéraire.
CET Ouvrage Périodique , le plus ancien
& le plus varié de tous les Journaux , paroîtra
à l'avenir le Samedi de chaque Semaine. Sa
publication hebdomadaire ne put avoir lieu ,
lorfque le Sieur Panckoucke forma le projet
de réunir au Mercure de France le Journal
Politique de Bruxelles , & les Souſcriptions
du Journal François , du Journal des Dames ,
du Journal des Spectacles , de la Gazette de
Littérature . Il eft enfin parvenu à l'obtenir du
Gouvernement. Le Mercure , à l'avenir , fera
compofé de quatre feuilles , & augmenté par
conféquent de foixante - quatre feuilles par
an *. Au moyen de cette augmentation , le
Journal de Politique fera déformais d'un
caractère plus gros , afin de répondre aux
defirs des Soufcripteurs qui fe plaignoient de
fa petiteffe dans la partie Politique.
* Le Mercure , compofé des feuilles , paroiffant
36 fois par an , donne 180 feuilles ; compofé de
4 feuilles , & paroiffant 52 fois , il donne 208 feuilles,
Le Mercure , du temps du Sieur Lacombe , ne paroiffoit
que 16 fois , & ne contenoit que 144 feuilles ; il
eft donc aujourd'hui augmenté de 64 feuilles.
A
( 2 )
Publié tous les huit jours , cet Ouvrage
acquiert un plus grand degré d'intérêt pour
les Nouvelles Littéraires , & fur- tout pour
les Nouvelles Politiques , que les circonftances
rendent aujourd'hui ſi intéreffantes .
C
Le Journal Politique de Bruxelles , réuni au
Mercure, prend encore, dans cet arrangement
un nouveau degré d'intérêt par la réunion des
travaux de l'Auteur de ce Journal ( M. de
Fontanelle ) avec ceux de l'Auteur du Journal
Hiftorique & Politique de Genève. Ainfi le
Mercure de France , réuni avec le Journal
Politique , quoiqu'augmenté de 64 feuilles
par an , & paroiffant 52 fois au lieu de 16 ,
fera , comme ci- devant , pour la Province , du
prix de 32 liv . rendu franc de port ; la Soufcription
pour Paris fera de 30 liv.; mais à
l'aide de cette augmentation , les Soufcripteurs
de la Capitale n'auront plus déformais
de port à payer , lorfqu'ils iront paffer plufeurs
mois en province ou à la campagne.
Les mêmes Gens de Lettres qui , juſqu'à
préfent , ont bien voulu concourir à fon fuccès
, ont promis de nous continuer leurs ſecours
. Sichacun des Mercures qu'on a publiés
depuis la nouvelle réforme , n'a pas toujours
répondu à l'attente du Public , c'eſt qu'il eſt
difficile , pour ne pas dire impoffible , qu'un
Ouvrage de cette nature ait toujours le même
degré, foit d'agrément , foit d'utilité : cependant
on ne fauroit difconvenir que depuis
l'exiſtence du Mercure , iln'ajamais été ni plus
piquant, ni mieux fait ; il eft l'Ouvrage, non
( 3 )
d'un homme de Lettres , mais des hommes
les plus diftingués dans la Littérature , qui
l'ont regardé comme une entrepriſe honnête ,
où ils pouvoient dépofer leurs jugemens &
leurs obfervations fans fe compromettre.
On ne change rien ni à la forme ni au plan
du Mercure par cette plus prompte publication
; tout y eft à l'avantage des Soufcripteurs :
il fera , comme ci - devant , compofé d'une ou
deux Pièces de Vers ; d'un Conte , quand on
pourra s'en procurer d'affez bons , ou de
quelques Pièces Fugitives en proſe ; de
l'Enigme & du Logogryphe , qui font , pour .
ainfi dire , le cachet du Mercure ; des jugemens
critiques fur les Ouvrages nouveaux ;
de quelques articles d'Arts , d'Inventions , de
Découvertes ; des Spectacles , partie qui a
toujours été traitée avec foin & d'une manière
diftinguée * ; d'Avis particuliers ; de l'Annonce
des Livres nouveaux **. Quant aux Arrêts ,
Édits & Déclarations , Annonces des Académies
de Paris & de Province ; Cauſes Célèbres
, Anecdotes , Événemens publics & par-
* M. de la Harpe continuera de faire ce qui regarde
la Comédie Françoife & la Comédie Italienne ;
M. Suard , l'Opéra ; & M. l'Abbé Remy , le Concert
Spirituel.
** Les Libraires & les Auteurs s'étant plaint de ce
qu'on imprimoit quelques Annonces de Livres fur la
couverture du Mercure , on ne les placera plus déformais
que dans le Texte , à la fin de la partie Littéraire.
( 4 )
ticuliers , on les trouvera à l'Article de Paris ,
dans la partie Politique , &c.
Cette partie continuera d'offrir toutes les
femaines avec la même exactitude , les mêmes
détails & la même fidélité , le réfumé de tout
ce que les Gazettes étrangères contiennent
d'important & de curieux , fouvent même
elle précédera ces Gazettes ; pluſieurs Correfpondances
établies pour ces deux Journaux
procurent journellement un grand nombre
de faits qu'on chercheroit vainement ailleurs.
On croit devoir obferver que le Journal Politique
jouit de la même liberté que toutes
les autres Gazettes étrangères qui peuvent
entrer dans le Royaume . On y trouve , fous
le titre d'Articles extraits des Papiers Etrangers
qui entrent en France , les nouvelles dont
on ne peut garantir l'authenticité , & on y
insère fous l'Article de Bruxelles , les nouvelles
les plus piquantes & les plus fraîches.
On foufcrit à Paris , Hôtel de Thou , rue
des Poitevins , & chez les principaux Libraires
& Directeurs des Poftes,
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits, Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
JOTHE
5
Mai 1779.
NITEAL
PALLIS
RCIAL
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins.
Avec Approbation & Brevet du Roi,
འད
L E.
TUGITIVES. A
Epitre à M.... Auteur
d un Recueil de Contes ,
3
-
ACADÉMIE ST
Des Sciences de Paris
,
VARI É s.
63
7 Lettre au Rédacteur du
Mercure , fur la nou-
Réponse à la même ,
Commentfaire ? Conte, 10
Enigme & Logogryp. 16
NOUVELLES
LITTÉRAIRES .
velle découverte del'Air
fixe , 65
SCIENCES ET ARTS .
67
Effai fur différentes efpè- Chimie ,
ces d' Air, qu'on défigne Annonces Littéraires, 72
fous le nom d'Air fixe , JOURNAL POLITIQUE.
17 Conftantinople ,
Abrégé des principaux Pétersbourg,
Traités entre les diffé - Copenhague ,
rentes Puiffances de Stockholm ,
l'Europe , 20 Vienne ,
uvres de M. de la Har- Hambourg ,
pe , fecond Extrait , 27 Ratisbonne ,
Nouvelles Obfervatio Londres ,
fur-l-Angleterre , partats- Unis de
un Voyageur , $ 6 Septent
SPECTACLES. Verfallles
Académie Royale de Mu- Paris ,
fique ,
73
74
75
76
78
79
82
83
Amériq.
94
96
97
58 Bruxelles 112
Comédie Italienne , 61
APPROBATION.
Mai
Alu, par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour le
Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impre
fion. A Paris , ce 4 Mai 177. DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint -Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
5 Mai 1779 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.,
ÉPITRE à M...... Auteur d'un Recueil
de Contes intitulé : Graves Obfervations
fur les Moeurs du dix-huitième fiécle , par
le Frère Paul , Hermite de Paris , à fes
Soeurs , &c.
FRIRE PAU
Crush br
RAIBRARY
RERE PAUL, qui r'ignore rien,
Vous favez que dans tous les âges ,
Af
MERCURE
Tantôt en mal , tantôt en bien ,
Le fol Amour , changeant d'uſages
Changea toujours d'Hiſtorien.
L'Italie a vu chaque Muſe
De fes moeurs fuivre le deftin ;
Bocace , aimable libertin ,
Succède à l'amant de Vauclufe ,
Et meurt ſuivi de l'Arétin :
Beau temps de la Chevalerie ! ...
Les Romans dans ces heureux jours
Duroient autant que les amours ,
Qui duroient autant que la vie ;
Mais quand l'efprit avec les Arts ,
Sortant de la belle Italie ,
Vint vifiter notre patrie
Qui l'appeloit de toutes parts ,
La courtoife galanterie
S'enlumina de fes couleurs ;
On ne vit plus qu'amours jaſeurs,
De la meilleure compagnie
La jouiffance fut bannie ,
L'efprit feul enflamma les coeurs;
Des métaphysiques ardeurs
La volupté moins avilie
Infpira nos galans Auteurs ,
Hiftoriens de leur folie ;
Et chaque amant lut dans Clélie
Lelong Journal de les langueurs.
DE FRANCE
On vit enfin les fens rébelles ,
Las de grands mots & de foupirs ,
Joindre aux faveurs fpirituelles ,
·Incognito les doux plaifirs.
Tout étoit bien ; quand à Cithère
La mode vint avec fracas ,
De la pudeur & du myſtère,
Brouiller les amours délicats
La convenance impérieuſe
Fut de deux fexes vains & fous
L'univerſelle appareilleufe ;
L'amour-propre afficha fes goûts....
Mais quoi ! qui le fait mieux quevous
Chez nos bons ayeux que j'envie ,
On avoit fait du tendre amour
La grande affaire de la vie ,
Il eft chez-nous celle du jour.
Plus d'esclavage , plus de flammes ;
Adieu conftance , adieu devoir ,
Il étoit doux d'aimer ces Dames
Il eft plus court de les avoir ;
Adieu les miffives difcrettes
Plus de rendez- vous amoureux ,
Plus de ténébreuſes retraites ,
C'eft en plein jour qu'on eft heureux
Nos amantes font des grifettes ,
Nos amours font des amourettes ;
Il faut tout peindre en camayeux
A j
MERCURE
Et vous avez mis pour le mieux
Notre Hiftoire en hiſtoriettes ,
Oui , Si l'on peint l'amour du temps ,
C'eſt dans un conte qu'il peut plaire ,, T
Et l'on ne doit que des inftans,
A le conter comme à le faire.
心
O GRAND Hermite de Paris ,
Que j'ainte vos graves faillies !
Voilà nos Dames , ' nos maris ;
Voilà bien toutes nos folies .
Un Inquifiteur mal appris ,
De vos petits prônes chéris
Interrompt les faintes franchifes :
Hélas ! je n'en fuis pas furpris ;
Quand on permet tant de fottifes
On doit défendre vos écrits .
Mais quoi ! déjà fur la toilette
On vous garde un coin aſſez doux :
Au fond d'une alcove fecrette ,
Chloé , folitaire & diftraite ,
S'endort & s'éveille avec vous.
Dans votre Brochure chérie ,
Entre deux draps elle parcourt ,
Et de la Ville & du Fauxbourg
L'intéreffante galerie .
Par-tour vous avez trait
pour
trait
...
DE FRANCE. 47
Peint la nouvelle cotterie ;
Par -tout le nom vole au portrait ;
Oui , voilà le fot qui lui plaît ,
Et l'honnête homme qui l'ennuie ,
La jeune Aminte qu'elle hait ,
La laide Églé fa tendre amie.
Dans vos univerfels tableaux ,
Si vous peignez quelque infidelle ,
Au coeur blafé , même un peu faux ,
Peignez-la jeune & vive & belle;
Chloé, malgré tous ces défauts ,
Se croit toujours votre modèle .
Ainfi , grâce à l'heureux fecours
De vos entretiens folitaires ,
Initiée aux grands myſtères
Des plaifirs & des caractères
De nos Cités & de nos Cours ,
Tout à la fois & fans fcandale,
Chloé chez vous va faire un cours
De voluptés & de morale.
ParM. Grouvelle. )
RÉPONSE DU FRERE PAUL.
DE tous les temps , non de nos jours ,
Non de Paris , nais de la terre ,
A iv
MERCURE
J'ai , d'une plume un peu légère ,
Tracé les moeurs & les amours.
LES Romans de Chevalerie ,
Les propos de la Bergerie
Qu'Urfé bâtit près du Lignon ,
Et les longs difcours de Clélis ,..
Me
prouvent qu'on changea de ton
Mais le coeur beaucoup moins varie
En parlant de galanterie ,.
En faisant proteftation
D'aimer tout le temps de fa vie ..
On jouiffoit & de Ninon ,
Et de cent beautés dont le nom,
Les charmes , la coquetterie
Ont acquis bien moins de renom.
DE l'homme obfervateur févère ,
Quitte ton fiécle & ton pays ,
Il change de mode & d'habits ;-
Mais il garde fon caractère.
La femme n'eft pas plus légère
Qu'elle n'étoit au temps jadis..
A nos Dames rends - donc juftice ;
Approuve ou blâme ce caprice ;
Mais conviens qu'il n'eft pas nouveau:
Autre Théâtre , même Scènes.
DE FRANCE. 9
J'ouvre Ovide , il nous a tranfmis
Les tours piquans que les Romaines
De fon temps jouoient aux maris.
Faftueufe , brillante , aimable ,
La Cour d'Auguste étoit ſemblable
A l'heureufe Cour de Louis.
On eft trop enclin à médire ,
Sénèque , Épictete , Rouſſeau ,
De leur fiécle ont fait la fatyre ,
J'en aurois voulu le tableau.
CES rufes , ces friponneries,
Ce for amas de tromperies ,
Qu'on nous vient ſouvent reprocher ,
N'eft qu'un jeu que par- tout on joue :
L'homme grave veut s'en cacher ,
Le fou s'en vante & je l'en loue ;
Mais qu'on le nie ou qu'on l'avoue
Qui perd ne doit pas fe facher.
Ce n'eft point une perfidie ;
Mais on le croit , mais ce joueur
S'arme , & prétend dans fa furie
Poignarder l'objet ſéducteur
Qui lui fit perdre la partie.
Volez, diffipez fon erreur,
De fes mains arrachez les armes ,
Qu'il refpecte aujourd'hui les charmes
Qui caufoient hier fon bonheur-
Av
12 MERCURE
fermer fa bibliothèque. Dans la folitude où
'ils vivoient tous deux , en l'abſence des autres
plaifirs , il n'auroit pas cru pouvoir , fans :
inhumanité , lui interdire encore celui-là .
On a vu déjà Verfieux.compofer fa bibliothèque
de livres d'amour, c'étoit la collection
des Romans les plus tendres . Difons maintenant
que le jeune homme , qui fe nommoit:
Sainclair , avoit l'imagination la plus ardente ;
après cela on fera peu furpris de le voir s'attacher
à cette lecture avec la plus grande
avidité. Il dévoroit tous les Romans qui
tomboient fous fa main. Il étoit dans l'âge
où l'on aime ; & le Père lui avoit toujours
caché que fes malheurs n'avoient d'autre
caufe que l'amour.
Sur ces entrefaites , foit que Verfieux eût
regagné le coeur de fon infidelle , foit qu'il
l'eut tout-à - fait oubliée , il s'ennuya de fa
folitude , & revint à la ville , où il ramena
fon fils. Sainclair y arriva la tête remplie
de fes Romans , qu'il avoit appris par coeur ,
fans les avoir étudiés. Il étoit ivre encore
des délices dont il avoit vu fous tant d'afpects
la féduifante peinture. Il ne connoiffoit
encore l'amour que par le portrait qu'il
"en avoit vu chez quelques tendres Romanciers
, qui, en parlant de leur tendreffe , peignoient
bien moins les plaifirs de leur coeur
que les defirs de leur imagination.
Toutes ces tendres idées formoient la logique
de Sainclair lorfqu'il entra dans le monde.
Son premier foin fut de chercher le moDE
FRANCE. B3
ގ
dèle du portrait charmant qui l'avoit féduit
, & qu'il portoit toujours dans fon coeur.
Trop douce illufion , s'il avoit pu la conferver
! Oh ! comme l'amour qu'il trouva étoit
différent de celui qu'il cherchoit ! Il vit bientôt
qu'à fouftraire ce que l'imagination avoit
prêté à la vérité , il reftoit bien moins qu'on
n'avoit fouftrait. L'amour lui parut prefque
reffembler à l'indifférence , & fes plaifirs à
l'ennui. Avant d'avoir aimé , il fembloit
avoir fenti ce dégoût , cette fatiété qui fuit
l'abus des jouiffances. Cependant il ne pou-i
voit fe réfoudre à renoncer à ce qu'il avoit
tant defiré , chaque belle qu'il rencontroit lu
fembloit toujours celle que l'amour lui deftinoit
; & toujours trompé , jamais defabufé
, il couroit fans ceffe après fa chimère.
Verfieux plaignoit d'autant plus le malheur
de fon fils , qu'il en étoit lui - même la
caufe innocente. C'eft lui qui , fans le vouloir
, avoit jeté dans fon coeur les femences
de cette paffion malheureuſe. Sa tendreſſe
paternelle lui fit tenter plufieurs fois de l'en
arracher; mais il perdit fes raifonnemens
fes prières même ; & Sainclair ufoir fa jeuneffe
par le defir & l'impuiffance d'aimer.
>
Après avoir épuifé toutes les reffources
ordinaires pour guérir fon fils amoureux ,
pour ainfi-dire , de l'amour , Verfieux réfolut
enfin d'employer un moyen violent &
peu ufité. Il le fit introduire un jour dans
ane de ces maifons qu'il n'eft guères plus
-permis de nommer que de fréquenter, où les
*14 MERCURE
faveurs de l'amour font une marchandife ;
où l'on permet au vice de fervir à la honte de
volontaire victime, pour empêcher la paflion
de lui facrifier la vertu même ; où l'on ôte
enfin à l'amour fa dignité , pour lui ôter fes
fureurs.
Voilà le fpectacle que Verfieux voulut
préfenter à fon fils. Il avoit fu , fans fe montrer
, lui donner l'envie & le moyen d'en
jouir. Il ne voulut pas en être le témoin ;
mais en répandant l'or , la feule divinité adorée
dans ces temples du fcandale , il avoit
préparé lui-même la fcène qu'on joua comme
il l'avoit ordonné.
Sainclair obfervoit tout avec les yeux de
la plus avide curiofité . C'eft-là qu'il vit l'infulte
au lieu du defir , & la débauche au lieu
de la volupté ; il vit la beauté perdre ſon empire
en fe prodiguant ; il vit enfin l'amour
enlaidi par fa nudité, n'ayant pour hommages
que des mépris.
Il feroit difficile de rendre ici toute l'impreffion
que fit ce fpectacle fur les fens du
jeune Sainclair ; elle fut telle , qu'on le fit
reculer d'effroi quand on vint l'inviter luimême
à ces triftes voluptés.
Cette épreuve hardie , & dont l'exemple
feroit dangereux à fuivre , réuffit donc à
Verfieux , fuivant fon efpérance ; elle réuffit
même au-delà de fes defirs. L'amour trop
embelli par l'imagination avoit enflammé
Sainclair , l'amour avili , fali par la débauche
, venoit de faire fuccéder l'horreur à
DE FRAN CE.
S
l'enthoufiafme ; & Verfieux vit avec chagrin
qu'il n'avoit corrige un excès que par un
autre. Mais il jugea en même-tems qu'en
pareil cas il étoit plus aifé de vaincre la répugnance
, que de fatisfaire à l'enthoufiafine
& qu'il étoit bien plus facile à l'amour de
rallumer les defirs dans un jeune coeur , que
de fuffire à ceux d'une imagination trop
exaltée.
Le hafard & la beauté le fervirent heureufement.
Mérize , que Verfieux & fon fils
voyoient fouvent , fe prit d'amour pour Sainclair.
La décence défend à une belle de commencer
à dire qu'elle aime ; mais elle ne lui
défend pas de chercher à fe faire aimer. C'eft
aufli le plan que fuivit Mérize, Son efprit
& fa beauté n'échappèrent pas à Sainclair ;
Mérize avoit féduit la raiſon du jeune homme
; elle ne tarda pas à mettre fon coeur de
la partie : il l'aima , & il fut guéri par elle de
fa feconde maladie , qui eft peut-être à la
vérité moins incurable que la première ; il
comprit que l'amour n'étoit ni au-deffus ni
au- deffous , de l'humanité , & qu'il n'eft, quoiqu'on
en dife , ni un Dieu , ni une brute. Il
fut heureux avec Mérize ; & Verfieux par-.
donna tous fes chagrins à l'Amour , en voyant
le bonheur qu'il accordoit à fon fils,
( Par M. Imbert. )
16 MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Énigme eft Fauteuil ; celui du
Logogrypheeft Sacrifice , où le trouvent ris,
ire , Sire, crife, face , icare , Acis , iris,
cacis , air, re,fa , fi , le Château du Fraife.
ENIGM E.
'ETOIS ou meuble ou vêtement ;
Mais par un changement qu'on aura peine à croire
De l'efprit & du coeur je fuis le confident ,
Et je ſupplée à la mémoire .
Dans le monde je fuis d'un ufage fréquent :
Lorfque je bois , j'éprouve un mauvais traitement.
Enfin veux- tu , Lecteur , apprendre à me connoître ?
Renfe que tu me vois & me touches peut- être.
LOGOGRYPHE.
LECTEU
ECTEUR , connois- tu la grammaire ?
Je fuis un fubftantif du genre féminin :
Ma première moitié compofe la dernière ;
Avec cinq pieds on peut me traduire en latin.
DE FRANCE. 17
NOUVELLES
LITTÉRAIRES
.
ESSAI fur différentes espèces d'air , qu'on
défigne fous le nom d'Air fixe ; par M.
Sigaud de la Fond , ancien Demonſtrateur
de phyfique expérimentale en l'Univerſité
de Paris , des Académies de Montpellier ,
de Pétersbourg , Florence , &c. &c.
L'OUVRAG VRAGE que nous annonçons eft un ou
vrage élémentaire , où les découvertes de
M. Prietfley font mifes à la portée de tous
les efprits , & préfentées fous le jour le
plus favorable.
Pour peu qu'on s'occupe des fciences na→
turelles , on n'a pu entendre fans étonnement
le récit des merveilles que la nature a préfentées
depuis plufieurs années aux Phyficiens
Obfervateurs . Des fubftances invifibles
qui éteignent la lumière & les corps embrafés
, ainfi que la vie des animaux ; d'autres
qui engendrent la flamme & produisent
les plus vives explofions ; l'air nitreux devenu
la pierre de touche de l'air que nous refpirons
; l'air déphlogistiqué beaucoup plus pur
que l'air de l'atmofphère ; les acides réduits
fous la forme d'air , tantôt fluide & tranfparent
, tantôt folide & concret ; les alkalis
18
MERCURE
préfentés fous la même forme ; le mêlange
ou la combinaiſon de ces differens êtres , qui
donne naiffance àd'autres ; toutes ces espèces
de prodiges qui frappent les yeux , étonnent
l'imagination , plaifent à la raifon en les
tourmentant , rendront à jamais célèbre le
nom de M. Prietfley. Une nouvelle carrière
eft ouverte aux Phyficiens ; la Chimie femble
prendre une autre face. La formation des
métaux , les exhalaifons fouterraines , les
tremblemens de terre & les révolutions du
globe , la nature des acides & des alkalis
ces agens mystérieux de la Chimie , la conftitution
même de notre atmoſphère , & la
connoiffance de la chofe que nous refpirons
( pour emprunter les termes de M. Prierfley)
tout paroît tenir aux nouvelles découvertes.
L'air fixe & l'électricité feront peut-être déformais
deux clefs de la nature ; & leurs phé
nomènes bien obfervés , bien comparés , porteront
le flambeau dans les ténèbres les plus
impénétrables. L'ouvrage de M. Prietfley ,
qui rend compte de ces belles découvertes ,
eft entre les mains de tout le monde ; mais
peu de perfonnes font en état de fuivre fans
fatigue & avec fruit , la marche de ce grand
Phyficien. On ne peut le comprendre fans
admirer fa fagacité ; mais il faut être déjà
très- inftruit pour le comprendre . Des Savans
recommandables , entre autres MM.
Fontana , Lavoyfier , Macquer , ont répandu
à l'envi des lumières fur ces objets difficiles
& obfcurs ; mais aucun d'eux n'a fait
DE FRANCE. 19
un livre qui ne demande d'autres difpofitions
pour être bien faifi , qu'un bon efprit
& le defir de s'inftruire. Cet ouvrage manquoit
abfolument , & M. Sigaud de la Fond
vient de le donner au Public. Le talent de
cet habile Démonftrateur eft connu. Ses Élémens
de Phyfique & la Defcription de fon
Cabinet ont réuni les fuffrages . L'Ejai fur
les differentes efpèces d'air eft un noaveau
titre qui lui affurera la réputation d'un
Phyficien clair , methodique , impartial ,
& celle d'un Démonftrateur plein de dextérité
& fécond en reffources. Un ouvrage
de la nature de celui - ci n'eſt pas fufceptible
d'analyfe. Des procédés & des expériences
doivent être vus , lus & médités.
Nous nous contenterons d'inviter tous les
Amateurs de Chimie & d'Hiftoire de la nature
à faire l'acquifition de cet Efai. Ils s'inftruiront
fans peine , & fauront gré à l'Auteur de
"celle qu'il a prife pour leur en épargner.
Ils verront avec quelle adreffe l'Auteur
a fimplifié & perfectionné les inftrumens
; comment il tourne fes recherches
"vers ce qui eft utile & intéreffant à l'humanité
; avec quelle impartialité il rend compte
des différentes opinions que les découvertes
ont fait naître ; comment il pèfe les divers
degrés de probabilité de ces théories , fans
en époufer aucune. Rien n'eft plus contraire
"à l'efprit philofophique que l'efprit de fyftême
; & les Profeffeurs des fciences natuselles
devroient graver fur la porte de leurs
20 MERCURE
écoles , & plus encore dans leur efprit , cette
belle phrafe de Linnaus : Rerum naturafacra
fua non fimul tradit : initiatos nos credimus ;
in veftibulo ejus haremus. « La nature ne
révéle pas à la fois tous fes fecrets . Nous
» croyons avoir pénétré juſqu'à ſon fanc-
» tuaire ; nous fommes encore dans le veftibule
du temple
و ر
»
ABRÉGÉ des principaux Traités conclus
depuis le commencement du quatorzième
fiécle jufqu'à préfent , entre les différentes
Puiffances de l'Europe ; difpofés par ordre
chronologique. Seconde Partie de la Bibliothèque
Politique à l'ufage des Sujets
deftinés aux négociations ; par le Vicomte
de la Maillardière , Licutenant- Général
pour le Roi en Vermandois & Thierrache ,
Capitaine de Cavalerie , &c. Honoraire
de l'Académie Royale des Sciences & Arts
de Dijon , de celle de Lyon , &c . des Sociétés
Royales d'Agriculture de Paris ,
Rouen , &c. 2 vol. in- 12 . A Paris , chez.
la Veuve Duchefne & Valade , Libraires ,
rúe S. Jacques. Avec Approbation & Privilége
du Roi , 1778.
Les Traités , dit un Politique moderne
font entre les Souverains ce que les contrats
font entre les particuliers. L'objet des contrats
eft de diftinguer les droits des particuliers
, & de faire régner la juftice dans la Société
civile , dont le bien réfulte de celui des
DE FRANCE . 21
Citoyens qui la forment. L'objet des Traités
eft de prévenir ou de terminer les guerres ,
de fixer les droits des États les uns à l'egard
des autres , & de faire régner la paix entre
eux. Si les Citoyens font obligés à l'exécution
des contrats par la loi civile , les Souverains
font tenus d'obſerver les Traités par
le droit des gens. Ces tranfactions publiques
font des engagemens facrés qui lient les Souverains
, comme les particuliers font liés par
les contrats qu'ils font .
Ces actes n'ont pourtant ni la même règle
ni la même folidité. Ils n'ont pas la même
règle ; les contrats des particuliers dépendent
des loix civiles ; les Traités font faits fous la
foi du droit des gens. Ils n'ont pas la même
folidité ; car les procès des particuliers fe
jugent dans les Tribunaux civils , qui forcent
les Citoyens à exécuter les conventions
qu'ils ont faites ; au lieu que les différends
célèbres des Souverains ne fe jugent malheureufement
qu'au Tribunal de la victoire. Les
États qui n'ont point de juge commun, fe
font quelquefois un rempart de leurs forces
contre les droits les mieux fondés , contre les
prétentions les plus légitimes ; les guerres
qui en résultent ne peuvent être terminées
que par les loix qu'ils s'impofent eux-mêmes ;
& les Traités qu'ils font n'ont de folidité
qu'autant que leur en donnent , ou les sûretés
prifes , ou la bonne-foi des parties contractantes,
ou la force qui peut triompher
de leur infidélité,
20
MERCURE
écoles , & plus encore dans leur efprit , cette
belle phrafe de Linnaus : Rerum naturafacra
fua non fimul tradit : initiatos nos credimus ;
in veftibulo ejus haremus. « La nature ne
» révéle pas à la fois tous fes fecrets . Nous
» croyons avoir pénétré juſqu'à ſon fanc-
» tuaire ; nous fommes encore dans le veftibule
du temple
ABRÉGÉ des principaux Traités conclus
depuis le commencement du quatorzième
fiécle jufqu'à préfent , entre les différentes
Puiflances de l'Europe ; difpofés par ordre
chronologique. Seconde Partie de la Bibliothèque
Politique à l'ufage des Sujets
deſtinés aux négociations ; par le Vicomte
de la Maillardière , Lieutenant- Général
pour le Roi en Vermandois & Thierrache ,
Capitaine de Cavalerie , &c. Honoraire
de l'Académie Royale des Sciences & Arts
de Dijon , de celle de Lyon , & c. des Sociétés
Royales d'Agriculture de Paris ,
Rouen , &c. 2 vol. in- 12 . A Paris , chez
la Veuve Duchefne & Valade , Libraires ,
rue S. Jacques. Avec Approbation & Privilége
du Roi , 1778.
Les Traités , dit un Politique moderne ,
font entre les Souverains ce que les contrats
font entre les particuliers. L'objet des contrats
eft de diftinguer les droits des particuliers
, & de faire régner la juftice dans la Société
civile , dont le bien réfulte de celui des
DE FRANCE. 21
Citoyens qui la forment. L'objet des Traités
eft de prévenir ou de terminer les guerres ,
de fixer les droits des États les uns à l'egard
des autres , & de faire régner la paix entre
eux. Si les Citoyens font obligés à l'exécution
des contrats par la loi civile , les Souverains
font tenus d'obferver les Traités par
le droit des gens. Ces tranfactions publiques
font des engagemens facrés qui lient les Souverains
, comme les particuliers font liés par
les contrats qu'ils font.
Ces actes n'ont pourtant ni la même règle
ni la même folidité. Ils n'ont pas la même
règle ; les contrats des particuliers dépendent
des loix civiles ; les Traités font faits fous la
foi du droit des gens. Ils n'ont pas la même
folidité ; car les procès des particuliers fe
jugent dans les Tribunaux civils , qui forcent
les Citoyens à exécuter les conventions
qu'ils ont faites ; au lieu que les différends
célèbres des Souverains ne fe jugent malheureufement
qu'au Tribunal de la victoire. Les
États qui n'ont point de juge commun, fe
font quelquefois un rempart de leurs forces
contre les droits les mieux fondés , contre les
prétentions les plus légitimes ; les guerres
qui en résultent ne peuvent être terminées
que par les loix qu'ils s'impofent eux-mêmes ;
& les Traités qu'ils font n'ont de folidité
qu'autant que leur en donnent , ou les sûtetés
prifes , ou la bonne-foi des parties contractantes
, ou la force qui peut triompher
de leur infidélité,
22 MERCURE T
S'il eft indigne d'un homme d'en tromper
un autre , il l'eft encore plus d'un Prince.
Un Roi de Naples difoit que la parole d'un
Souverain devoit avoir autant de force quele
ferment d'un particulier ; & notre Roi
Jean penfoit que fi la foi & la vérite étoient
bannies de tout le monde , elles devroient
fe retrouver dans le coeur des Rois ; mais ces
fentimens fi glorieux à leurs Auteurs , net
font pas l'Evangile de tous les Princes. La
fidélité aux traites , fi vantee lorfque l'intérêt
la fait valoir , femble perdre tous les droits ,
dès qu'ils font combattus par un intérêt opt
pofe.
Les atteintes fréquentes que l'on donne
aux Traités n'empêchent pas que ce lien ne
foit en lui-même le plus fort & le plus indiffoluble
qu'il puiffe y avoir parmi les hommes.
Le but des Traités , comme ils l'énoncent
tous , eft de faire ceffer les diffenfions ,
les troubles , les haines , les guerres & leurs
malheureufes fuites , & d'établir une vraie
& fincère amitié , une union étroite & cordiale
, une paix folide & chrétienne entre
les Princes & leurs Sujets. Un Traité eft
Touvrage de plufieurs Souverains , un ouvrage
autorife fouvent par la prefence & la
médiation d'autres Souverains , une tranfac→
tion publique arrêtée à la vue de tous les
peuples de l'univers , une convention conclue
au nom de la Très- Sainte-Trinité. Qu'y
aura - t'il d'inviolable parmi les hommes , fi
un tel engagement ne l'eft pas? Où fera la
DE FRANCE. 23
sûreté fur la terre , dès qu'on rendra inutile :
le feul moyen d'y faire régner la paix ?
S'il et quelque Prince qui regarde les
Traités comme de vains fantômes qu'un inftant
critique a produits , & qu'un autre inf- :
tant peut détruire arbitrairement au gré de :
l'intérêt , c'eft non-feulement un ennemi du :
genre humain , mais encore un très- mauvais
politique. La mauvaiſe foi ne peut avoir ,
dans les affaires d'État , qu'un fuccès court
& paffager , au lieu que la réputation bien
affermie d'une fidélité inviolable à garder fes
engagemens , attire à un Prince une confiance
également glorieufe pour lui & avantageufe
pour les États.
Nous avons plufieurs grands Recueils de
Traités , le Corps Diplomatique du Droit
des Gens , le Recueil de Lamberti , celui de
Rouffet. Le Livre que nous annonçons n'eft
pas auffi volumineux que ceux-là. Auffin'eftce
qu'un fimple abrégé des principaux Traités
conclus entre les differentes Puiffances de
l'Europe , depuis le commencement du qua- i
törzième ſiècle jufqu'à préfent , fans aucun
précis hiftorique des événemers qui les ont
occafionnés , fans aucun détail des négocia -2
tions qui les ont ménagés , fans aucune réflexion
fur les fuites qu'ils ont eues . Cette
méthode paroîtra peut-être un peu sèche &
aride ; quelques Lecteurs de reront qu'on
y eût joint au moins l'Hiftoire des grands
Traités , qui font époque dans les faftes des
Nations , & peut-être que ce Livre en eûr
24 MERCURE
acquis un nouveau dégré d'utilité . Ces abrégés
font bien faits , ils nous préfentent l'effentiel
des Traités avec le mot facramental ,
comme dit M. de la Maillardière ; mais ils
font ifolés de toutes leurs circonftances . On
n'y voit point ce qui les a occafionnés , on
n'y eft point inftruit des vues des puiffances
contractantes , ni de la difcuffion de leurs
intérêts refpectifs . Quelque intéreffant que
puiffent paroître ces détails , ils n'entrent pas
dans le plan d'un fimple abrégé. Du refte les
perfonnes qui fe deſtinent aux négociations
trouveront tout ce qu'elles peuvent defirer
à cet égard dans le Dictionnaire Univerfel
des Sciences Politiques , ou Bibliothèque de
l'Homme d'État. Cette partie y fera trèscomplette
; on en peut juger par les volumes
qui ont déjà paru .
Mais n'auroit-on pas pu admettre dans
l'abrégé que nous annonçons , plufieurs traités
qu'on y a omis , & qui nous femblent
avoir autant de droit d'être appelés principaux
, que plufieurs autres qui s'y trouvent ?
C'eft un doute que nous propofons au favant
Abréviateur , fans prétendre que notre ſentiment
foit préférable au fien ; car nous fommes
bien éloignés de vouloir juger en un
moment un ouvrage qui a coûté plufieurs.
années de recherches & d'étude. On nous
donne un extrait du Traité de Commerce &
d'alliance entre le Portugal & la République
de Hollande , conclu à la Haye en 1669 ,
qui règle quelques difficultés & différens furvenns
DE FRANCE. 25
venus pour l'exécution du Traité de paix de
1661 entre les mêmes Puiflances ; & l'on ne
nous donne point l'abrégé du Traite d'Alliance
de la même année 1669 , entre l'Angleterre
& le Danemarck : Traité remarqua
ble par l'inégalité des ftipulations .
Il y eut en 1670. une alliance fecrète entre
Louis XIV & Charles II , Roi d'Angleterre.
Louis XIV imputoit aux Hollandois le Traité
de la triple alliance de 1668 , quoique ce
fût l'ouvrage du Chevalier Temple , & que
ce Miniftre Anglois eût eu befoin de toute
fon adreffe pour y faire entrer la République .
Ce Monarque irrité avoit réfolu leur ruine
lorfqu'il fignoit l'accommodement dont ils
faifoient leur sûreté. Ils n'avoient , dans le
grand nombre de leurs alliés , que l'Angleterre
capable de les défendre . Cependant
Charles II les abandonna , & vendit fon alliance
à Louis XIV par un traité ſecret. Il y
eut encore , cette même année 1670 , ur
traité d'alliance & de commerce entre l
Roi d'Angleterre Charles II , & le Portugal
Chriſtiern V ; traité très détaillé , qui contient
quarante-deux articles. On ne trouve point
dans cet abrégé ces deux traités de 1670 , ni
même celui de la triple alliance de 1668. On
y a omis auffi plufieurs traités remarquables
de l'année 1671 , entre autres l'alliance fignée
à Vienne entre l'Empereur Léopold & Louis
XIV , & celle de la Haye entre Charles II ,
Roi d'Espagne , & les Provinces Unies des
Pays- Bas.
5 Mai 1779•
B
26
MERCURE
On ne rapporte de l'année 1672 que le
Traité de paix entre le Roi de Pologne &
le Czar de Ruffie. Les Rois de France & de
Suède fignèrent néanmoins cette année deux
grands Traités d'alliance ; celui du 14 Avril
contient 3.3 Articles , outre 17 Articles fecrets.
Cette alliance fut confirmée par un
nouveau Traité en 1675 , & on y ajouta 13
Articles féparés contre les Provinces - Unies.
Ces trois Traités méritoient d'autant plus
d'être rapportés , qu'ils font la baſe de l'amitié
& de la bonne intelligence qui a depuis
fubfifté entre les deux Couronnes.
La même année nous offre une alliance
défenſive entre l'Empereur Léopold & Frédéric-
Guillaume , Électeur de Brandebourg.
C'eſt le renouvellement & la prorogation
d'une même alliance conclue en 1658 &
1668 , entre les mêmes Puiffances. On ne
nous dit rien de ces trois Traités.
Nous ne poufferons pas plus loin la note
de ces omiffions. L'Auteur peut les raffembler
, s'il le croit néceffaire , dans un fupplément
qui fera très-bien terminé par l'extrait
du Traité de Commerce & de Navigation
conclu au mois de Février 1778 , entre
la France & les États - Unis de l'Amérique.
Ce Traité n'étoit pas fans doute public lorf
que le Livre de M, de la Maillardière eft
forti de la preffe..
24
( Cet Article eft de M. R. )
DE FRANCE. 27
EUVRES DE M. DE LA HARPE de
l'Académie Françoife , VI vol. in-8° . A
Paris , chez Piffot , Libraire , Quai des
Auguſtins .
SECOND EXTRAIT.
Les principaux Ouvrages dont il nous refte
à rendre compte , parmi ceux qui paroiffent
pour la première fois dans cette nouvelle
Edition , font le Drame de Barnevel , imité
de l'Anglois ; l'Epitre au Taffe ; l'Ombre de
Duclos , & une Differtation fur les Romans
.
Dans la Préface de Barnevel , l'Auteur
examine d'abord la nature de ce fujet , dans
lequel il croit les inconvéniens inféparables
des beautés. Il rappelle plufieurs des imitations
Françoiſes dans lefquelles on a affoibli
& dénaturé cet Ouvrage en cherchant à l'adoucir.
Il fait voir qu'on a ôté à ce Drame
fon originalité , fon énergie & fon effet , en
voulant lui ôter fon horreur. Il le préfente
tel qu'il a été conçu , n'y ayant fait d'autres
changemens que ceux qu'exigent les convenances
théâtrales , beaucoup plus délicates
fur notre Théâtre que fur celui des Anglois.
La Scène eft pendant les trois premiers
Actes , dans la maifon de Sorogoud. Cet
honnête Négociant , qui a parmi ſes Commis
& fes Elèves le jeune Barnevel , neveu
d'un de fes plus intimes amis , eft furpris &
affligé de voir un dérangement marqué dans
Bij
28 MDE RACURE
la conduite de ce jeune homme , jufques -là
d'un caractère doux & de moeurs pures . Barnevel
s'eft abfenté plufieurs nuits de la maifon
; Sorogoud demande à Truman , qui
eft aufli un de fes Commis & ami particulier
de Barnevel , fi par hafard il ne fauroit
pas le motif de ces abfences ; Truman lui
répond :
A s'ouvrir avec moi ce coeur accoutumé ,
Ce coeur où je lifois , n'eft aujourd'hui fermé.
Il paroît même ici redouter ma préſence ;
Il craint que je n'aſpire à vaincre ſon filence .
Il craint peut-être , il craint , à l'aspect d'un ami
D'être dans fa réſerve encor mal affermi.
Il fent que les fecrets qu'il renferme avec peine ,
De fon ame échappés , voleroient dans la mienne.
Je veux l'entretenir ; il me fuit vainement.
Pour les infortunés il eft plus d'un moment ,
Où ,parl'excès
des maux
, le coeur
flétri
s'affaiffe
;
Il ne peut
plus porter
le fardeau
qui l'oppreffe
;
Il cherche
des appuis
; & lorſque
l'amitié
Vient
de ce poids
amer
demander
la moitié
,
En peut-on repouffer
l'empreffement
fi tendre
?
On n'en
a pas la force
: il daignera
m'entendre
.]
J'ofe
encor
l'efpérer
.
SORO
25
GOU O U D.
Qui , j'eftime fon coeurs
Je chéris de fes moeurs l'innocente douceur.
Je dis plus : offenfé de fes longues abfences ,
A
DE FRANCE. 29
J'ai cru devoir ufer de quelques remontrances.
Il étoit fi confus ! Dans fa timidité
J'ai cru voir tant de honte & tant d'honnêteté !
Je n'ai pas , je l'avoue , infifté davantage ,
J'ai craint de l'affliger, Ah ! Truman , à cet âge ,
Ou la rougeur modefte ,eft encor fur le front ,
L'erreur eft fi facile & le remords fi prompt !
Non , je n'ai pas voulu de ce coeur fi fenfible
Arracher de fa faute un aveu trop pénible.
Croyant qu'il la fentoit , j'ai dû tout eſpérer s
Mais il l'aggrave encor, loin de la réparer.
L'amour ou je me trompe , a maîtriſe ſon âme.
Ce fentiment en lui n'eft pas ce que je blâme ;
Il fied à la jeuneffe , il fert à la polir ,
Er , loin de la corrompre , eft fait pour l'embellirs
Donne un reffort de plus à notre ame exercée ,
Anime le courage , élève la pensée ,
Ajoute à la Nature , & fait la façonner
Par le joug le plus doux qu'on puiffe lui donner.
Tout dépend de l'objet à qui l'amour nous lie.
Le premier choix du coeur fait le fort de la vie.
Celui de Barnevel ne femble pas heureux.
Vous le cacheroit- il , s'il n'a rien de honteux ?
Ah ! c'eft à fon ami qu'on parle de fa flamme ;
La confidence alors eft un befoin de l'ame ;
Et la première fois qu'on fe fent attendrir ,
C'eſt devant l'amitié qu'on veut s'en applandir.
De Sara , m'a-t'on dit , il adore les charmes.
Biff
30
MERCURE
En effet , Sorogoud avoit fait fuivre Bar
nével , & s'étoit affuré qu'il étoit chez cette
femme. Truman en eft confterné. Le caractère
de Sara l'épouvante :
Sara de plus d'un crime eft déjà foupçonnée.
Veuve dans fon printemps , ſans naiſſance & fans
biens ,
Elle eut , dit-on , recours à de honteux moyens
Elle paroît naïve à force d'artifices ,
Séduit par fes talens & même par fes vices.
Elle excelle en cet art fi propre à nous charmer ,
De feindre tout l'amour qu'elle veut allumer.
Que je plains Barnevel , fi cette enchantereſſe
A furpris de fon coeur la première foibleffe !
Sorogoud convient avec Truman de la
néceffite de s'oppoſer , autant qu'il eft poffis
ble , à ce dangereux penchant qui peut per
dre Barnevel. C'étoit jufqu'à ce moment de
tous les Commis de Sorogoud le plus empreffé
à rendre fes comptes ; depuis quelque
tems on les lui demande envain . Sorogoud
charge Truman de les revoir lui-même , &
le prie de lui envoyer fa fille Lucie. Ce perfonnage
que l'Auteur François a développé
d'une manière très- intéreffante , n'eft qu'indiqué
dans l'ouvrage Anglois. Lucie a été
élevée auprès de Barnevel ; elle a conçu
pour lui une inclination fecrette , dont elle
n'a connu toute la force qu'au moment où
elle a vu s'éloigner d'elle celui qui en étoit
DE FRANCE. 31
l'objet. Trompée fi cruellement dans le premier
fentiment qu'elle ait eu , elle eft en
proie à une douleur profonde & réfléchie
qui n'a pu échapper à fon père , & qui
répand fur tout fon rôle une mélancolie
touchante. Sorogoud qui avoit formé des
projets de mariage fur elle & fur Barnevel ,
effaye de fonder fon coeur , & lui parle des
différens partis qui fe préfentent pour elle :
elle eft fille unique , riche héritière , &
peut prétendre à tout. Il la laiffe abfolument
imaîtreffe de fon choix.
Ici fans ton aveu l'on n'a rien à prétendre ,
Et mon pouvoir ſur toi n'eſt que le droit flatteur
De confirmer les voeux qu'aura formés ton coeur.
LUCIE.
Difpofez de Lucie. Oui , les bontés d'un père
M'en rendent chaque jour l'autorité plus chère.
Ne la dépofez pas , daignez vous en fervir .
Vous voulez mon bonheur ; craindrois-je d'obéir ?
Souffrez que je foumette à votre expérience
De mon coeur , de mes ans , la naïve imprudence.
Nos parens ont fur nous un bien jufte pouvoir ;
Nous ne favons qu'aimer , & vous favez prévoit,
SOROGO
Ce jeune Baronet , ce Chevalier aimable ,
Qui tient dans fa Province un rang confidérable ,
Me femble plus qu'un autre épris de tes appas...
Songe que je propofe & ne commande pas .
Biv
32 MERCURE
LUCIE.
Puifque vous permettez que fous les yeux d'un père ,
Mon ame en ce moment ſe montre toute entière ,
J'avouerai que l'époux que j'aurois préferé
N'eft point un grand Seigneur de titres décoré ,
Qui tout fier de fon nom qu'il eft réduit à vendre ,
En acceptant mon bien croiroit encor deſcendre.
Le commerce me plaît , j'y borne tous mes voeux ,
Et je chéris l'état où mon père eft heureux.
J'ajoute , en implorant toute votre tendreffe ,
Que c'est trop-tôt peut-être enchaîner ma jeuneſſe .
Je voudrois éprouver ma raiſon & mon coeur.
Le premier fentiment n'eft fouvent qu'une erreur.
Je voudrois que ce choix que vous me laiſſez faire ,
Fut applaudi de tous , & digne de mon père.
SOROGO UD.
J'approuve tes deffeins , j'en dois bien eſpérer ;
Ta jeuneffe , il eft vrai , permet de différer ;
Mais d'où naît ce chagrin dont j'ai cru voir les traces ,
Et qui de ton printemps vient obfcurcir les graces ?
Qui pourroit t'affiger ? D'où vient cette douleur
Au matin de tes ans , dans l'âge du bonheur ?
La douleur eft pour ceux qui connoiffent la vie ,
Et non pas pour ton âge , ô ma chère Lucie !
Où l'on defire tant , où l'on connoît fi peu.
LUCIE .
Heureuſe auprès de vous , je vous ferai l'aveu
DE FRANCE.
33
Que ces plaifirs bruyans que cherche la jeuneffe ,
Quelquefois dans mon ame ont porté la triſtelſe,
Le monde me fatigue & ne m'attache pas,
Un inftant de contrainte , un fecret embarras,
Peut-être ont fur mon front jeté quelque nuage ;
Votre amour paternel n'en peut prendre d'ombrage.
Je préfère aux plaifirs que l'on croit les plus doux ,
Ce moment où mon coeur s'entretient avec vous .
Sorogoud lui parle de Barnevél , & des
chagrins que lui donne fa conduite. Lucie
les partage , & fe flatte encore que ce jeune
homme pourra revenir de fes égaremens .
Sorogoud lui laiffe entrevoir les projets
qu'il avoit & la quitte. Lucie ne peut
s'empêcher de témoignér à Polli , fa Suivante
, qui entre en ce moment , quelle joie
elle vient d'éprouver en voyant que le coeur
de fon père étoit d'accord avec le fien . Mais
qu'importe cet accord , fi le coeur de Barnevel
n'y a pas foufcrit ? Elle fe retrace les premiers
momens qu'elle a paffes auprès de
lui :
O temps ! 6 jours heureux !
Jours trop-tôt écoulés de paix & d'innocence !
Quel charme fe mêloit aux jeux de notre enfance!
Qu'aifément près de lui j'ai dû m'accoutumer
Au funeste penchant qui me porte à l'aimer !
C'est pour moi que croiffoient , fous les yeux de mon
père, $
BY
34
MERCURÉ
Les grâces de fon âge & de fon caractère .
Nous confondions enfemble , au fein de nos loifirs ,
Nos foins , nos volontés , nos voeux & nos plaifirs.
Combien il chériffoit ces tendres complaiſances ,
Ces légères faveurs , ces douces préférences ,
Que l'ame ouverte alors au plus pur fentiment ,
Sans y mettre de prix , prodigue innocemment !
Qui n'eût cru qu'il m'aimoit ! combien je fus trom
pée , &c.
Polli cherche à la diftraire de fa trifteffe , &
lui repréſente tous les dédommagemens que
lui offrent la fortune & le monde :
LUCIE.
En l'état où je fuis ,
Tu veux me ramener au inonde que je fuis !
De ces cercles nombreux la gaîté turbulente
Déplaît à la tendreffe , afflige une ame aimante.
J'aime mieux dans ton fein épancher mes foupirs ,
J'aime mieux mes douleurs que tous leurs vains plaifirs
Va , ne me parle plus de fêtes , d'hymenée.
Pour le feul Barnevel je me crus deſtinée ;
Pour lui feul j'ai cru vivre ; & fi c'eft une erreur
En renonçant à lui , je renonce au bonheur,
>
Au fecond Acte , Barnevel rentre au point
du jour dans la maifon de fon Maître , &
rencontre d'abord Truman. Ce vertueux
ami a réfolu de le faire expliquer fur le
myſtère de fa conduite , de lui en montrer
DE FRANCE.
35
>
le danger , & de le ramener à la vertu . Barnevel
ne lui cache pas la paffion forcenée
qu'il reffent pour Sara ; trompé par les
artifices de cette femme , il n'a vu en
elle qu'une victime de l'injuftice & de
l'oppreffion. Il avoue même quoique
d'une manière indirecte , les moyens illégi
times qu'il a mis en oeuvre pour foulager les
befoins d'une infortunée , que fon malheur ,
dit-il , doit rendre encore plus intéreffante.
Les fommes qu'il a détournées font la cauſe
du retard qu'il apporte à rendre fes comptes.
Il ne voit plus d'autre parti à prendre
que de quitter la maiſon de Sorogoud , & de
fe réfugier auprès de Sara. Truman ne s'arrête
pas à lui prouver que cette femme le
trompe ; il commence par lui promettre de
remplir le deficit de fa caiffe , & il exige de
lui fa parole qu'il ne fortira pas de la maiſon;
Promets de me revoir , & de ne point partir.
BARNE VIL.
Je n'efpère plus rien ; mais j'y dois confentir.
Oui , je te reverrai.
TRUMA N.
Je reçois ta parole..
Crois que la mienne auffi ne fera point frivole.
Crois-moi , cher Barnevel , tu fauras quelque jour
Qu'il eft d'autres liens que ceux de ton amour ,
Qu'il eft d'autres plaiſirs , d'autres devoirs encore.
Fais que ta paffion , dont l'excès te dévore ,
B vj
36
MERCURE
Ne ferme point ton ame à d'autres fentimens.
Sois sûr qu'il eft un terme aux erreurs des amans.
Songe à ce que tu dois , à ton oncle qui t'aime ,
Aton maître , à ſa fille , & peut-être à moi-même ,
A moi qui fais te plaindre , & crains de te blâmer.
Pourrois-tu te réfoudre à ne nous plus aimer ?
Au bonheur de tes jours ici tout s'intéreſſe.
Ah ! n'abandonne pas pour cette folle ivreſſe ,
Qui trompe fi fouvent , qui coûte des regrets ,
L'amitié , la vertu , qui ne trompent jamais.
Truman en s'engageant à tirer Barnevel
d'embarras , a compté fur la générofité de
Lucie pour en trouver les moyens ; car il ne
les a pas lui- même , & la fomme eft trop
forte pour les facultés. Il ne cache rien à
Lucie de ce qui fe paffe , & il n'eft pas
trompé dans fon attente. Lucie ordonne fur
le champ à Polli de vendre tous fes bijoux
& d'en remettre l'argent à Truman pour
remplir le vuide de la caiffe de Barnevel.
Elle n'exige de Truman d'autre conditionqu'un
fecret inviolable.
Au troifième Acte Sara ofe venir dans la
maifon de Sorogoud , réfolue de porter Barnevel
à de plus grands facrifices que ceux
qu'il a faits encore. Elle veut d'ailleurs s'op
pofer au projet qu'il lui a confié de fe retirer
chez elle , & dont elle voit tout le danger.
Elle a plus que jamais befoin de fes fecours ;
elle vient de perdre un procès qui lui ôte le
peu de bien qui lui reftoit de fon mari ;
DE FRANCE.
37
elle déclare à Barnevel qu'elle a pris le parti
de fe retirer auprès d'un parent , dans le
Comté d'Oxford , perfuadee que Barnevel
rifquera tout plutôt que de confentir à la
perdre. En effet , cette réſolution le jette
dans le défeſpoir. Dans le même moment il
reçoit une lettre de fon oncle , qui lui annonce
que, pour l'arracher aux feductions de Sara ,
il vient d'obtenir pour lui une place auprès
des Confuls du Levant. Il lui ordonne de venir
à Windfor recevoir fes ordres & fes adieux.
Cet incident redouble la fureur de Sara , qui
s'apperçoit qu'on veut lui enlever la proie ;
elle dit à Barnevel qu'elle eft réfolue à le
fuivre par-tout ; & au milieu des tranfports
de joie que lui infpire cette offre feduifante ,
elle lui fait voir tout d'un coup les obftacles
qu'y peut mettre l'autorité de fon oncle ;
elle défefpère de les vaincre , & fe détermine
à mourir. Barnevel frémit . Elle avoue
qu'il refte un moyen de prévenir tous les
maux qui les menacent . Ils feroient tous
deux libres , tranquilles & réunis. Barnevel
la prefle de s'expliquer ; elle s'y refufe , &
le quitte. Il la fuit ; & au moment où il fort
Lucie entre fur la Scène. Elle vient d'apprendre
de fon père , qui a reçu de fon côté
des lettres de Windfor , le prochain départ
de Barnevel , & l'emploi auquel on le deftine
; elle eft pénétrée de douleur que Barnevel
, prêt à la quitter , ne daigne pas même
s'arrêter un moment pour l'entretenir. Polli
vient y mettre le comble. Une domestique
38
MERCURE
de la maiſon a entendu une partie de la
converfation de Barnevel & de Sara , & le
projet de quitter enſemble l'Angleterre .
Polli porte le dernier coup à fa maîtreffe ,
en lui apprenant cette affreufe nouvelle.
POLLI.
Du complot votre père eft inftruit.
De fes féductions elle perdra le fruit ,
Et chez le Magiftrat il dépofe contre elle.
On va développer leur trame criminelle ,
Prévenir tant de honte & d'infidélité.
LUCIE.
On ne préviendra pas le coup qu'ils m'ont porté.
Il fuit avec Sara ! ... Suis-je affez avilie ?
Sens- tu tous les affronts prodigués à Lucie ?
Cette femme en fon coeur éteint tout fentiment.
A-t'il daigné de moi s'occuper un moment ?
Ai-je un moment du moins arrêté fa penſée ?
Lucie eft à ce point de fon ame effacée !
Non , je ne foutiens pas cet outrageant mépris.
Mes jours par le malheur font à jamais férris ;
Et que puiffe la mort , à fa fuite amenée ,
En moiffonner bientôt la fleur déjà fanée .
POLLI.
Vous m'effrayez , hélas ! quel funeſte diſcours ?
LUCIE.
Tes yeux ont de mon fort fuivi le trifte cours.
Tu me vis , malgré moi de plaifirs entourée ,
DE FRANCE. 39
A de profonds chagrins obftinément livrée.
J'ignore fi mes fens , ainfi que ma raiſon ,
Furent dès mon aurore atteints du noir poiſon
Qui répand parmi nous fa finiftre influence ,
Et qui , nous infpirant l'horreur de l'exiftence ,
Sur le bord du tombeau qu'on balance à s'ouvrir ,
Nous tourmenté long-temps du beſoin de mourir.
D'un poifon plus cruel je reffens la furie.
Un amour malheureux m'a fait haïr la vie.
Déjà plus d'une fois j'y voulus renoncer.
POLLI.
Ciel ! que me dites- vous ! avez-vous pu penſer...
LUCIE.
Raffure-toi , Polli , tant qu'il me reste un père ,
Je ne marquerai point un terme à ma carrière.
Voudrois-je à fes vieux ans , dérobant mes fecours ,
Livrer au défefpoir les derniers de fes jours ?
Va , je vivrai pour lui ; va , la trifte Lucie
Lui prouve fa tendreffe en ſupportant la vie.
Mes jours me font facrés autant qu'ils lui font chers.
Il m'attache à mes maux , il m'attache à mes fers.
Ce tendre fentiment , parmi tant d'amertume ,
Seul adoucit encor l'horreur qui me confume.
Le quatrième acte eft celui dans lequel
M. de la Harpe s'eft le plus rapproché de
l'Auteur Anglois. La marche des deux Écrivans
eft abfolument la même. Le Théâtre
repréfente des allées d'arbres qui conduifent
40 MERCURE
à la maifon de campagne de l'oncle de Barnevel.
Le jour eft fur fa fin . Ce malheureux
jeune homme que Sara a achevé de feduire
& d'aliéner , en lui prefentant l'affreufe alternative
, ou d'affaffiner fon onclè , ou de
la poignarder elle -même , paroît dans le plus
affreux egarement. Cette épouvantable feène
ne peut le juger que fur le Théâtre ; elle eft
telle que l'a faite l'Auteur Anglois , M. Lillo :
on peut voir dans la traduction en profe
que nous avons de cet Ouvrage *, le meurtre
commis par Barnevel , de manière cependant
que les arbres dérobent au ſpectateur
l'horreur du coup de poignard. Si cet inſtant,
fait friffonner , celui où l'oncle expirant recommande
à Dieu fon cher neveu , fon cher
Barnevel, où cet infortuné jetant fon mafque
& fon poignard , fe précipite fur fa
victime qui l'embraffe & lui pardonne , ce
moment fait verfer des larmes , & a toujours
paru très-pathétique. L'on repaffe encore
de la pitié à l'horreur & à l'effroi , lorfque
Sara défefpérée que Barnevel n'ait pas
fongé à s'affurer du porte- feuille & des effets
de fon oncle , le dénonce elle-même aux
Gens de Juftice , qui arrivent envoyés par
Sorogoud , pour empêcher fa fuite avec Barnevel.
Cette atrocité tranquille & qui ferre
le coeur , révolteroit peut-être la délicateffe
* Cette Traduction eft de l'Abbé Prévot. On en
trouve des exemplaires chez la Veuve Ducheſne ,
rue S. Jacques.
DE FRANCE.
41
de nos fpectateurs François ; mais elle préfente
au moins , comme l'obferve M. de la
Harpe , la plus grande leçon de morale , &
la plus terrible punition du crime. La dénonciation
de Sara n'empêche pas que l'on
ne s'affure d'elle , ainfi que du meurtrier.
Nous nous croyons d'autant plus obligés
à tranfcrire le monologue qui ouvre le cinquième
acte , qu'à l'exception des quatre
premiers vers , ce monologue appartient
entièrement au Poëte François. Nous laiffons
au lecteur impartial & éclairé , à juger
du mérite de ce morceau. Le Théâtre repréfente
un cachot éclairé par une lampe ;
Barnevel cft affis fur une pierre & enchaîné.
Les chaînes , le cachot , la mort & l'infamie ,
Voilà donc le deftin , le terme de ma vie !
Et dans fi peu d'inftans j'ai pu paffer , hélas !
Des erreurs aux forfaits , des forfaits au trépas !
Le trépas !... je l'attends ; il eft bien légitime ;
Et qu'il me feroit cher , s'il expioit mon crime !
Qui reffent mes remords ne craint pas les bourreaux ,
Le fupplice n'eft rien que la fin de mes maux.
Que dis-je ? Eft-il bien vrai que la mort les finiffe ?
Quels feront tes décrets , éternelle juſtice ?
Aurai-je fous les yeux , dans des fiècles fans fin ,
Le fang d'un bienfaiteur immolé par ma main ?
La verrai-je toujours cette image effroyable ?
Ah ! c'eft peut-être ainfi qu'eft puni le coupable.
42
MERCURE
Le ciel de fes remords ne bornant point le cours ,
Le condamne peut- être à fe hair toujours.
Tous mes fens font glacés à cette affreuſe idée.
Je ne la foutiens pas ; mon ame intimidée
N'apperçoit qu'un abyfme , & frémit d'y tomber.
Où fuir ? A tant d'effroi comment me dérober ?
Je m'adreffe à toi feul , Arbitre incorruptible !
Aux
yeux du monde entier je fuis un monftre horrible
:
Il voit mon attentat & ne voit pas mon coeur.
Toi feul peux comparer ma faute & ma douleur .
Tu vois nos paffions des yeux de ta fageffe ;
Des yeux de ta bonté tu vois notre foibleffe ;
Et lorsqueto ut m'accufe & doit me condamner,
Je ne connois que toi qui puiffe pardonner.
La fcène fuivante , qui eft celle des deux
amis , eft célèbre , & paffe pour un chefd'oeuvre
de pathétique ; elle eft ici très - fidellement
traduite , & l'Auteur François y
a très-peu ajouté. Nous n'en pouvons citer
qu'une partie , car il faut ſe borner. Au moment
ou Truman vient embraffer fon ami ;
celui- ci fe lève d'abord , puis fe rejette ſur la
pierre où il eft enchaîné :
Non , tes embraffemens
Ne font pas faits pour moi , pour un monftre , un per
fide.
Puis-je toucher tes inains de ma main parricide ?
Ettes bras innocens peuvent-ils me preffer ?
1
DE FRANCE
43
Ah ! ces liens , ces fers doivent feuls m'embraffer.
Je dois gémir tout feul fur la pierre infenfible.
TRUMAN fe précipitant fur lui.
Je m'y jette avec toi. Dans quel afyle horrible
Fuirois-tu ton ami qui ne peut te quitter ?
Nous gémirons tous deux ; ces murs vont répéter
Nos foupirs confondus , nos fanglots & nos plaintes.
Ne te refuſe pas à ces douces étreintes.
Serré contre mon fein , verfes-y ta douleur,
Fais-la , fais-la paffer toute entière en mon coeur.
BARNEVEL.
O! de quel poids amer ce moment me foulage !
Je reſpire à la fin ; les pleurs fe font paſſage.
Voilà , voilà l'afyle où j'ai trouvé la paix ;
Le malheur ne peut plus m'y chercher déſormais.
Le ciel de fes bontés confirme l'afurance ,
Il a fait dans mon fein defcendre l'efpérance ;
Et quand je devois craindre un entier abandon ,
Sa clémence en tes mains a fcellé mon pardon.
Oui , malgré les forfaits qu'avec toi je déplore ,
Je dois me hair moins , quand tu m'aimes encore
Quand tu daignes mêler , avec tant de pitié ,
Aux larmes du remords les pleurs de l'amitié.
Le Géolier fait figne à Truman que quelqu'un
le demande ; celui - ci croit devoir
préparer Barnevel à fa dernière épreuve. Il
ne lui cache rien des fentimens que Lucie a
confervés pour lui , & des facrifices qu'elle
44 MERCURE
vouloit faire pour le fauver. Enfin , il lai
annonce qu'elle va venir le voir dans fon
cachot. C'eft elle qui avoit fait demander
Truman. Il va la chercher. Lucie le renvoie
auprès de Sorogoud , qui accablé par la
maladie & par le chagrin , a befoin de fes
fecours ; il lui fuffit que Polli refte avec elle .
Elle avoue à Barnevel dans ce dernier entretien
le malheureux amour qu'elle a nourri
dans fon fein , & les chagrins qu'il lui a
coûtés ; elle lui apprend que Sara eft morte
fans donner la moindre marque de repentir,
& lui demande de quel oeil il la voit deformais.
Barnevel répond :
Comme un objet affreux & l'opprobre & l'horreur
De ce fexe adoré dont vous faites l'honneur.
LUCIE.
Si du ciel , fi des loix la rigueur adoucie
Vous permettoit de vivre , aimeriez - vous Lucie ?
BARNEVEL.
pas.
Barnevel qu'ont fouillé les plus noirs attentats ,
Même avant les malheurs , ne vous méritoit
Mais s'il m'étoit permis du fein de ma misère
D'élever jufqu'à vous un regard téméraire ,
Je voudrois réparer , à vous feule rendu ,
Les momens où mon coeur oublia la vertu
LUCIE.
Donnez-moi votre main.
BARNEVEL.
Ah ! regardez ma chaîne.
DE FRANCE. 45
Le fupplice m'attend , & bientôt on m'y traîne.
LUCIE.
Donnez-moi votre main.
BARNEVEL fe penchant fur fa main.
O tendreffe ! ô douleurs!
LUCI 1.
( Ellefefrappe d'un poignard.)
Vous allez à la mort. Je vous aime . - Je meurs . -
BARNEVEL fe faififfant du poignard.
}
Arrêtez , ô Lucie ! ... encore une victime !
Pardonnez , Dieu vengeur ! voilà mon dernier crime.
(Ilfe frappe. )
Tel eſt le dénouement que l'Auteur a ſubftitué
à la potence & au bourreau qui terminent
la Pièce Angloife.
De Barnevel à l'Ombre de Duclos , la diftance
eft remarquable , & on ne peut pas
avoir une plus belle , occafion de juger fi
l'Auteur fait paffer avec fuccès d'un genre à
un autre. Ses ennemis même , quoique déterminés
à nier tout , n'ont pas ofé ( on ne
fait pourquoi ) nier le mérite de cet Ouvrage.
Il eft vrai qu'ils en ont parlé le plus fuccinctement
poffible , & qu'ils n'en ont indiqué
que le titre , encore en le défigurant . Ils
l'ont appelé Épitre à Duclos , quoique ce
foit un véritable Poëme , dans lequel il
une fable , une action , des caractères & un
y a
46 MERCURE
›
dénouement. On a reproché à l'Auteur d'ax
voir fait une Satyre. Il eft vrai que la fiction
de ce petit Poëme eft une allégorie fatyrique
, mais elle eft purement littéraire , &
l'Auteur ne s'eft permis que la plaifanterie
des honnêtes-gens , contre des Adverfaires
qui s'étoient permis contre lui les plus grands
excès. Il établit la fcène dans l'Élifée , & y
diftingue un féjour marqué pour les Ecrivains
célèbres. Il y fait arriver Duclos
qui rencontre d'abord cet Abbé de Bois-
Robert , qui a tant contribué à l'établiffement
de l'Académie Françoiſe. Dans la converfation
qu'ils ont enfemble , Duclos lui
parle de l'empreffement que témoignent de
nos jours des hommes de tous les rangs pour
entrer dans cette Compagnie. Il repréfente
l'audience qu'il donne aux Candidats , comme
une fcène vraiment comique , & qui amuferoit
l'Abbé. Celui- ci prétend qu'avec le
fecours de l'Illufion qui habite dans l'Elifée ,
rien n'eft fi facile que d'y tranfporter cette
Scène. En effet , la Déeffe paroît , une baguette
à la main , dans un nuage qui enveloppe
tous les objets , & qui bientôt fe diffipant
, laiffe voir Duclos dans l'entrefol
du Louvre , & la foule des afpirans qui arrivent
chez lui. Nous ne citerons aucun des
perfonnages que le Poëte fait paroître. Nous
ne voulons défobliger perfonne , & nous
renvoyons ceux qui veulent rire, à l'Ouvrage
même. Au milieu de la féance , il s'élève un
grand bruit. On annonce que Voltaire va
DE *
47
FRANCE.
venir prendre fa place dans l'Élifée ; ( allufion
à une maladie dangereuſe dont M. de
Voltaire avoit été attaqué au commencement
de l'année 1773 , époque à laquelle cet Cuvrage
fut compofe ) un moment après entre
Mercure , qui annonce la guérifon de Voltaite
, & qui lui promet une carrière telle
que celle de Sophocle & de S. Aulaire ,
prédiction qui n'a pas été tout - à - fait réaliſée.
Pour donner une idée du ftyle de cette Pièce ,
nous nous contenterons d'abord d'en citer le
début , & enfuite le tableau de l'Illufion .
DANS l'Élifée il eft un lieu charmant ,
Séjour divin de ces efprits célèbres ,
Qui de leur fiécle ont été l'ornement ,
Qui du faux goût diffipant les ténèbres ,
Ont de l'erreur combattu le peifon ,
En vers heureux fait parler la raiſon ,
Et parcouru la brillante carrière
Des arts créés pour enchanter la terre.
Après leur mor , c'eft- là qu'ils font admis ;
Tous dans leurs mains apportant leurs écrits
Sont éprouvé sur le Léthé tranquille ,
Qui de fes eaux entoure cet aſyle.
De l'onde à peine ils ont touché les bords
O vérité puiffante chez les morts !
Tout froid ouvrage , ou profe ou poéfic,
Qui foutint mal l'honneur deleur génie ,
Et qui trompa leurs ſtériles efforts
78
MERCURE
Cédant alors à la dernière épreuve ,
com a za kto
vie pina
14
S'abîme au fond du véridique fleuve,
Entre les mains il ne leur refte plus 300
Que les écrits qui feront toujours lus,
Dans la demeure éternelle & facrée ,
On ne reçoit qu'une gloire épurée
Chacun , compris dans l'arrêt général ,malo ná
Perd plus ou moins au paffage fatal
Er peu d'Auteurs , par grâce fingulière ,
Viennent à bord avec leur charge entière.
Tous du déchet font fort furpris , dit-on ,
Cesjours derniers , le cauftique Piron
Un peu confus ,fauva de la difgrâce
Le Métromane , & même fans Préface ;
Et tel Auteur qui ne s'en doute pas ,
Léger de poids , doit arriver là - bas.
Tous raffemblés dans ce riant afyle ,
Ceux dont la gloire a cenfacré le nom
Tels que jadis les a dépeints Virgile ,
Ceints du bandeau des Prêtres d'Apollon ;
Sans paffions , fans haine & fans envie ,
Heureux vainqueurs du temps & du tombeau ,
Goûtent en paix , fous le ciel le plus beau ,
Les doux loisirs d'une immortelle vie :
Rivaux unis , mais non d'accord fur tout ,
Gardant toujours leor efprit & leur goût ;.
Chacun s'amufe & penſe à ſa manière.
Houdart encor difpute contre Homère ,
་
Et
DE FRANCE. 49
Et va frondant fes Dieux & fes Héros ;
Le d'Olivet y fait la guerre aux mots.
Boileau foutient , quoi qu'on puiffe lui dire ,
Qu'un Opéra ne peut jamais le lire.
On lui répond par des vers de Roland.
L'éternité s'abrège en difputant.
Sans la difpute , où l'ame eft éguisée ,
On s'ennuieroit , même dans l'Élifée .
Portrait de l'Illufion.
L'Illufion habite dans ces lieux ;
Non cette vieille & hideufe forcière ,
Monftre impofteur qui féduit le vulgaire ,
Qui va femant les préjugés affreux ,
Et les erreurs qui défolent la terre ;
Protée impur & Lutin ténébreux ;
Mais cette Fée , heureufe enchantereffe ,
Reine des Arts , mère des fictions ,
Qu'en fes beaux jours a vu naître la Grèce ,
Et qui d'Orphée anima les chanfons ;
Fille du Ciel & foeur de l'Harmonic ,
Qui confacroit tous les jeux du Génie ,
Peuploit de Dieux les forêts & les eaux
Attendriffoit les fenfibles échos ,
Et fur une urne appuyoit les Naïades ,
Et fous l'écorce enfermoit les Dryades ;
Qui fur un char plaça le Dieu du jour,
Sut aiguifer les flèches de l'Amour
S
Mai
1779.
C
so MERCURE
Et qui berçoit de fes fonges aimables
Le genre- humain toujours épris des Fables.
Elle tourna vers de plus grands objets
De fes leçons l'utile allégorie ,
Mit fes crayons dans les mains de Thalie ,
De Melpomène éleva le Palais.
Elle enfeigna dans Athène & dans Rome
Cet Art charmant qu'on n'ofe plus blâmer ,
Cet Art divin de montrer l'homme à l'homme ,
Pour l'attendrir & pour le réformer.
Elle est toujours à nos ordres fidelle :
Elle peut tout. Il dit : & l'Immortelle
Parut foudain fur un trône d'azur ,
Baguette en main , & d'abord autour d'elle
Tout s'éclipfa fous un nuage
obfcur ;
Puis par degrés une douce lumière ,
De fes rayons pénètre l'atmosphère.
On voit Duclos fur fon grand fauteuil noir ,
Dans l'entrefol, fombre & trifte manoir ,
Où doit loger Monfieur le Secrétaire.
Là , fourmilloit tout l'effaim littéraire .
L'un apportoit la nouvelle Grammaire ,
L'autre un Roman , l'autre des Almanachs ;
L'un fes Sermons , l'autre fes Opéras ;
Et celui- ci fon recueil d'Héroïdes ,
Et celui -là fes Drames infipides ,
Drames en profe , & traduits & vendus
En Allemagne , & des François peu lus ;
DE FRANCE. SN
Mais enrichis de fleurons & d'eftampes ,
Malgré Voltaire , appelés culs-de- lampes;
Couverts de points de l'un à l'autre bout ,
Points merveilleux qui tiennent lieu de tout ,
Points éloquens qui font fi bien entendre
Ce que l'Auteur n'a pas l'efprit de rendre.
C'eſt dans les points qu'il faut s'évertuer ,
Et le génie eft l'art de ponctuer , &c.
On trouve dans l'Épître au Taffe un morceau
à peu près du même genre , quoique
d'un ton très- différent. C'eft le tableau de
l'Imagination poëtique.
PRÈS de toi quel Génie avec lui fe préſente ,
Et femble s'applaudir de fa beauté changeante.
Quel docile Protée ! Il varie à ton choix
Ses traits , les mouvemens , fa parure , ſa voix.
Il porte tour- à-tour le fceptre & le tonnerre
Les roſes de Vénus , les torches de Mégère ;
Ou rayonnant de joie , ou de larmes baigné
Tantôt noirci de deuil , tantôt de fleurs ornés
Quels changemens , quels jeux , quel pouvoir il ra
femble !
Il pleure ; je gémis : il menace ; je tremble ;
Il vole , & je le fuis au bout de l'Univers ,
Au Palais de l'Olympe , aux cachots des enfers.
Tel le Chantre d'Hector a peint le Dieu de l'onde
Atteignant en deux pas juſqu'aux bornes du monde;
Tel , & plus prompt encor , fon vol illimité¸
Cij
32 MERCURE
Sans m'échapper jamais , parcourt l'immensité
Ah je la reconnois cette puiffante Fée ; (7093)
Sa baguette en tes mains fe joint au luth d'Orphée.
La Reine des Beaux- Arts , guide de tes travaux
L'Imagination t'a remis fes pinceaux ,
D'Armide dans les pleurs , d'Armide fuppliante ,
Le portrait épuifa fa palette brillante.
Non , jamais tant d'appas n'ont été mieux tracés.
Ses modeftes regards vers la terre fixés **
Les larmes dont les yeux gardent encor les traces ,
Ce voile des douleurs foulevé par les Graces ,
Le fouriré enchanteur fur fes lèvres naillant ,
Cet all qui tour-à - tour ou fier , ou languiffant ,
En impofe au defir & permet l'efpérance , ...
Le charme de fa voix & l'art de fon filence .....
Grand Peintre ! .. Tels aux yeux de l'Olympe ſurpris,
Homère & Praxitele embelliffoient Cypris.212
な
ourish stunt
Dans la Differtation fur les Romans , les
plus célèbres ecrits de ce genre font analyfés
& appréciés depuis les Livres de Chevalerie
jufqu'aux Brochures du jour. Les bornes de
cet extrait nous obligent à ne nous arrêter
qu'a ce qui regarde Tom Jones , qui eft
aux yeux de l'Auteur le chef- d'oeuvre des
Romans.bonot fo
D'abord l'idée première fur laquelle
Ouvrage eft bâti , eft en morale
un trait de génie. Des deux principaux
» Acteurs qui occupent la Scène , l'un раз
>>
}
DE FRANCE. روق
»
,,
ور
ود
1
» roît toujours avoir tort ; l'autre toujours
raifon ; & il fe trouve à la fin que le
» premier est un honnête- homme , & l'au-
» tre un fripon ; mais l'un , plein de la candeur
& de l'étourderie de la jeuneffe ,
» commet toutes les fautes qui peuvent
prévenir contre lui la vertu même , fufceptible
de fe laiffer tromper ; l'autre ,
toujours maître de lui , fe fert de fes vices
» avec tant d'adreffe , qu'il fait en même-
» tems noircir l'innocence , & en impofer
» à la vertu. L'un n'a que des défauts , il
» les montre , & donne des avantages fur
» lui ; l'autre a des vices ; il les cache, & ne
» fait le mal qu'avec fûreté. Ce contrafte
» eft l'hiftoire de la fociété, & l'on n'a jamais,
» dans un Ouvrage d'imagination , dévelop
pé un plus beau fonds de morale , ni donné
une plus grande leçon.
ود
و و
و و
Et d'ailleurs , quelle diverfité de carac-
" tères , tous vrais , tous attachans ! La vertu
bienfaifante d'Alworthy , malheureufe-
» ment mêlée d'une trop grande facilité à
» fe lailler prévenir , la bonté naturelle
& brufque du gentilhomme Weſtern ,
fon amour pour la chaffe & pour fa fille ,
fa promptitude à fe facher & à s'appai-
» fer , fon averfion pour les Lords & pour
» les duels , fon goût pour les anciens airs
» de mufique , & la forte de refpect qu'il a
pour fa fæur , quoiqu'il la donne au diable
cent fois le jour , cette foeur fi ridi-
» cule avec fes prétentions à la politique &
و ر
35
Ciij
54 MERCURE
"3
à la fageffe , & fa gravité qui contrafte fi
plaifamment avec les boutades de Wef-
" tern ; cette Myladi Bellafton , qui retrace
» fi bien la noble effronterie & les foiblef-
» fes impérieufes des grandes Dames , quand
elles protégent de beaux garçons ; labonne
» Madame Miller , dont le coeur a deviné
ود
celui de Tom-Jones , & qui l'aime fi fran-
» chement ; M. Nichtingale , qui , comme
» tant d'autres , n'a befoin pour faire une
» bonne action que d'y être encouragé &
» Sophie , la charmante Sophie , dont l'a-
" mour eft fi vrai , fi tendre , fi courageux ;
" Sophie qui , comme toutes les ames bien
་
nées , n'en devient que meilleure en aimant ,'
» & doit à l'amour de montrer tout ce qu'el
» le a d'excellent ; enfin , juſqu'à la femme
de chambre d'Honora , & aux deux pédans
» Tuakum & Square , tous les perſonnages
» font des originaux fupérieurement tracés ,
» que vous connoiffez comme fi vous aviez
» vécu avec eux , que vous retrouvez tous
» les jours dans le monde , & que l'Auteur'
» peint , non par l'abondance des paroles
>> mais par la vérité des actions .
» Tom-Jones eft le Livre le mieux fait
» de l'Angleterre. Avec quel art le fil de
l'intrigue principale paffe à travers les évé-
» nemens épifodiques , fans que jamais on
le perde de vuc ! On n'y éprouve pas , il
» eft vrai , le grand effet de quelques fitua
» tions de Clariffe ; mais qui ne s'intéreffe
» pas aux amours de Tom-Jones & de SoDE
FRANCE.
23
و ر
phie ? Qui ne defire pas leur bonheur ?
» Comme le dénouement eft bien fufpendu
» & bien amené ! & quelle heureuſe variété
» de tons ! Quelle foule de peintures comi-
» ques , qui amufent le lecteur fans le refroidir
, & promenent fes yeux fur le tableau
du monde fans lui faire oublier les
perfonnages dont la deftinée doit l'occu-
» per ! »
»
"
D'après les citations réunies dans nos deux
Extraits , citations tirées des feuls Ouvrages
nouveaux de M. de la Harpe , on doit être
en état d'apprécier les jugemens de fes détracteurs.
Plus jaloux de le faire connoître
par fes propres écrits , que par des obfervations
générales , nous avons cru devoir le
montrer tel qu'il eft : ce que nous aurions
pu dire en fa faveur , auroit trop irrité fes
ennemis ; nos critiques mêmes n'auroient
rien appris à des Lecteurs qu'on a depuis
troplong-tems fatigués fur ce point. La feule
remarque que nous oferons nous permettre,
en cette circonſtance , c'eft que l'Auteur de
Warvic & de Mélanie , le Panégyrifte de Catinat
& de Fénélon , eft un des meilleurs
Écrivains qui restent à notre Littérature chancelante.
Ceux même qui ont eu la fottife
de le reléguer dans la dernière claffe des
gens de Lettres , portent chaque jour l'inconféquence
& la partialité jufqu'à préſenter
à l'admiration publique des Ouvrages trèsinférieurs
aux derniers des fiens. Le grand
Civ
56 MERCURE
défaut de M. de la Harpe eft d'être né avee
un goût fort févère , & une franchiſe trop
courageufe pour un fiècle tel que le nôtre ;
& le plus grand de fes torts , eft d'avoir eu
trop fouvent raifon dans fes critiques Littéraires.
Une multitude d'Écrivains médiocres
, une multitude encore plus nombreuſe
d'Écrivains déteftables , fe font armés contre
lui , parce qu'il a fu les juger , comme
les jugeroit la poftérité , fi par quelque
heureux hafard les monumens de leur plume
échappoient aux ravages du tems.
5. On avertit dans un avis particulier , ceux
qui acquerront cette Edition , que tous les
Ouvrages de l'Auteur qui pourront être imprimés
par la fui e , feront imprimés dans
le même format , de manière à faire fuite
aux volumes précédens.
Nouvelles Obfervations fur l'Angleterre , par
Mun Koyageur.Vol. in- 12 . Prix 2 liv. 8f. ,
chez la Veuve Duchefne , rue Saint -Jacques.
Ce Voyageur éclairé s'attache particulièrement
à faire connoître l'efprit & le caractère
national des Anglois. Il le découvre
par-tout. 1 ° . Dans la propreté des rues de
Londres. 2. Dans la fûreté des gens à pied ,
contre les dangers des embarras & des voitures
, par le moyen des trotoirs. 3°. Dans
la difperfion de la lumière pour éclairer la
1 '57
DE FRANCE.
nuit, 4. Dans la diftribution de l'eau pour
chaque maifon par une infinité de canaux.
15 Dans la conftruction , la folidité , &
l'entretien des grands chemins fans charger
le peuple. 69. Dans le fytême des poftes.
7. Dans la tranquillité du Voyageur , qui ,
après avoir effuyé une feule vifite dans le
Port où il aborde , peut parcourir tout le
Royaume fans répondre à aucun Bureau .
8 Dans la multiplicité & la falubrité des
Hôpitaux, 9. Dans les moyens qu'on emxploie
pour faire difparoître la mendicité.
fo . Dans un grand nombre de fociétés de
bienfaifance qui en répandant leurs dons
pour la profpérité publique , foulagent le
tréfor de l'Etat. 119. Dans le zèle affez commun
des Particuliers , qui fans former de
fociétés & fans invitation , confacrent une
partie de leur fortune à des établiffemens
utiles pour les Arts & les Sciences painfi
que pour les chofes de pure décoration &
d'agrément. 12º . Dans l'humanité qui fe
joint à la Juſtice à l'égard de la pourfuite des
criminels , des prifons & exécutions. Enfin
dans les moyens que l'Angleterre metren
ufage pour étendre & fortifier cet efprit national,
2ɔb su10010,
3
3
Le Voyageur , après avoir montré l'efprit
public fous fes différentes formes , place
dans ce grand, tableau , les féances du Parlement
qui l'ont vivement intéreffe : les Eledtions
Municipales pour les Magiftratures : les
combats trop fréquens entre le Trône & la
C v
1.8 MERCURE
liberté nationale : la force des Loix : les idées
Angloifes fur la Royauté , & les bornes qui
la limitent un Pays fans Maréchauffée ou
autres Agens de Police ; & néanmoins fans
affallinats : une Ville immenfe où toutes les
Religions exercent leur culte fans aigreur &
fans vice les progrès furprenans de l'Agriculture
: l'aifance généralement répandue
dans les Campagnes : la grandeur du Commerce
: les forces de la Marine guerrière , &
les moyens qu'elle emploie pour la confervation
des gens de mer : le goût des jardins
Anglois, & l'efquiffe de quelques- uns des plus
célèbres : la defcription des Maifons Royales
, & la façon dont le Roi tient fa Cour :
un coup d'oeil rapide fur les Arts & les
Sciences : une idée générale des moeurs & du
caractère national. Enfin , la traduction fidelle
de cinq Difcours prononcés par un Orateur
célébre dans la Chambre des Communes à
l'occafion de la guerre préfente de la Métropole
avec fes Colonies.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
LE Jeudi 15 Août on a donné pour la premièrefois
, la Buona Figliola Maritata , ou
la bonne fille mariée , Opéra bouffon en
trois Actes , muſique de M. Piccini.
DE FRANCE.
59
On a fauffeinent attribué cet Ouvrages
M. Goldoni , Auteur de la Bonne - Fitle ,
reprefentée il y a quelque- tems fur le même
Theatre avec beaucoup de fuccès. Malgré les
facrifices que le Poëte eft fans ceffe obligé
de faire au Muficien , on remarque dans la
Bonne-Fille une marche , des fituations ,
des Scènes qui annoncent la connoiffance du
Théâtre ; mais dans le nouvel Opéra bouffon
, les convenances théâtrales & les plus
fimples notions du bon fens font bleffees à
tout moment ; & la baffeffe & l'extrava
gance des perfonnages fout également révoltantes
.
La mufique a été très- goûtée & applaudie
avec tranfport , principalement le dernier
morceau de la finale du fecond Acte , que
le Public a redemandé avec acclamation , &
qu'on a exécuté une feconde fois.
Le même jourle Signor Poggi, & la Signora
Poggi , fa foeur , ont débuté ; le premier ,
par le rôle de Colonel , & la feconde , par
celui de la Bonne-Fille. La Signora Poggi
joint à un bel organe beaucoup de goût , de
précifion & de méthode; mais elle manque
de légèreté. Son jeu eft froid & embarraffé ,
ſa contenance mal affurée , & fa phyfionomie
dénuée d'expreffion ; peut-être faut- il
attribuer tout ces défauts à l'inquiétude inféparable
d'un début , fur- tout quand il eft
fait fur le Théâtre d'une Nation qu'on ne
connoît point encore.
Le rôle que remplit le Signor Poggi eft
Cvj
60 MERCURE
trop peu avantageux au Chanteur & à l'Acteur
, pour que nous difions rien de fon ta→
lent ; nous en parlerons quand nous l'aurons
vu dans un autre rôle.
Le Mardi 20 Avril , on a donné la première
repréſentation du Devin de Village , avec
quelques morceaux de Mufique refaits par
feu J. J. Rouffeau , & une nouvelle ouverture
dont il n'eft point l'Auteur.
Cette tentative n'a pas réuffi ; elle étoit
en elle - même affez étrange . Il faut être
bien sûr de faire mieux pour fe flatter de
faire oublier une Mufique que , depuis trente
ans , tout le monde fait par coeur . Peut- être
les étrangers ne la trouvent - ils pas affez riche
& affez variée ; mais elle eft d'une fimplicité
gracieufe & d'un caractère aimable ; elle a
fur-tout un grand mérite aux yeux des
hommes fenfibles , c'eft un accord très -rare
entre le chant & les paroles. Les nouveaux
airs fubftitués aux anciens ont paru généralement
très -inférieurs à ces derniers , & il a
fallu , à la repréſentation fuivante , revenir à
l'ancienne Mufique.
༄ " 33 } , 2 }).
1
PAL
Sham bobo al angsh
DE FRANCE. 61
COMÉDIE ITALIENNE..
LE Compliment de rentrée , compoſé de
quelques couplets en dialogue , étoit , felon
Pufage , de la compofition de M. Anfeaume ,
& a paru faire plaifir, Cn a donné le Mercredi
fuivant une repréfentation de la Colonie
, dans laquelle M. d'Orfonville , nouvellement
reçu au nombre des Comédiens
du Roi , a chanté le rôle de Fontalbe. Le-
Public, charmé de la pureté de fon chant & de
la beauté de fon organe, l'a vivement applaudi
dans tout le cours de fon rôle ; & lorfqu'il eft .
venu annoncer , les Spectateurs ont paru ,
På fépar
des battemens de mains réitérés , le
liciter de fa réception . On fait combien
Mde Dugazon met de grâces & de fineffe
dans le rôle de Marine , la perfection du jeu
ne fauroit aller plus loin ; & dans la partie:
du chant , cette charmante Actrice fait tous .
les jours de nouveaux progrès , qui doivent ,
la rendre de plus en plus chère au Public .
Mlle Colombe & M. Narbonne ont foutenu |
la réputation qu'ils ont acquife ; l'un dans le
rôle de Blaife , & l'autre dans celui de Bélinde.
En genéral cette Pièce eft un chefd'oeuvre
de repréſentation , ainfi que de mufique.
La première nouveauté qu'on ait vue à ce
Théâtre depuis la rentrée , eft une Comédie
62 MERCURE
en trois Actes & en vers , intitulée Rofe &
Carloman. Carloman eft un Chevalier Fran→
çois amoureux de Rofe , fille d'un autre
Chevalier. Il a pour rival Rodolphe , repréfenté
comme le plus grand fanfaron du
pays. Tous deux doivent fe battre , & Rofe
doit être le prix du vainqueur ; telles font du
moins les conditions qu'impofe le père ,
qui fait préparer le champ clos & élever un
amphithéâtre pour les Spectateurs ; mais au
moment d'entrer en lice , on apprend que
Rofe a été enlevée par Rodolphe , qui a
trouvé plus court de s'en emparer que de
combattre pour elle . Un moment après
elle eft ramenée , comme on s'y attend bien ,
par Carloman ; elle épouſe fon libérateur , &
l'on finit par danfer au lieu de fe battre.
Cette Pièce , abfolument dénuée d'intérêt ,
n'a point eu de fuccès , & la Mufique n'en
a eu qu'un très-médiocre. Ce n'eft pas qu'elle
n'ait paru d'un bon ftyle & qu'on n'ait applaudi
une jolie ouverture & quelques airs
agréables ; mais on trouve par- tout des réminifcences
, & point de caractère. A l'égard
des paroles, on avoit imaginé d'annoncer,,apparemment
comme une nouveauté piquante,
qu'elle étoit écrite en ftyle Gaulois. Il feroit
en effet affez fingulier de nous faire entendre
fur le Théâtre au dix - huitième ſiècle , le
jargon du douzième que perfonne ne comprendroit
; mais on s'eft raffuré quand on a
vu , qu'excepté quatre ou cinq mots , chevance
, émoi , defirier , &c. & le retrancheDE
FRANCE. 63
ment des pronoms toi , moi ,
vous s nous ,
&c. tout le refte étoit abfolument e: langage
ordinaire , c'eft- à- dire, en affez mauvais-
François.
ACADÉMIE S.
L'ACADÉMIE ' ACADÉMIE des Sciences a tenu fa Séance publique
le Mercredi 14 Avril . Le Secrétaire a ou
vert la Séance , en annonçant que le Prix proposé en
1779 , fur la Théorie des Machines fimples , en
ayant égard à la réfiftance des frottemens & à la
roideur des cordages , avoit été remis à l'année
1781. Il a lu enfuite l'Éloge de M. de Linné , Affocié
étranger .
M. Leroi a lu un Mémoire de M. Franklin , fur
la caufe des Aurores boréales. M. Meffier , un Mémoire
fur la Comète de 1779. M. le Comte de
Milly ,un Mémoire fur la conftruction d'une Aiguille
aimantée inaltérable dans les acides , & les moyens
d'en corriger la variation diurne. M. Portal , un
Mémoire fur les Glandes Bronchiques , dont l'engorgement
eft la caufe d'une efpèce de Phthifies pulmonaires,
M. Sabatier , un Mémoire fur le Canal
Thorachique dans l'homme . M. Cornette , un Mé
moire fur la décompofition des Sels Vitrioliques &
Nitreux à bafe métallique par l'acide marin. M. Morand
, des Réflexions fur la Population de Paris &
du Royaume. M. Jeaurat fe propofoit de lire un
Mémoire fur la conftellation des Pleiades.
“ ས་ ,
PRIX de l'année 1781 .
L'Académie avoit proposé pour fujet du Prix de
1779 , de donner la Théorie des Machines fimples
64
1
MERCURE
"
“
en ayant égard au frottement de leurs parties , & à
la roideur des cordages : elle avoit exigé de plus ,
1° . que les loix du frottement , & l'examen de l'effet
réfaltant de la roideur des cordages , fuffent déterminés
d'après des expériences nouvelles , & faites en
grand. 2 ° . Que les expériences fa fent applicables aux
Machines ufitées dans la Marine, telles que la Poulie,
le Cabeftan , & le Plan incliné.
Plufieurs des Pièces qui ont été préfentées au Contours
, renferment des recherches eftimables. L'Aca-
Hémie a diftingué la Pièce No. I , qui a pour
Devile :
45 3
Vivendum
Qua ratione fiant , & quâ vì quæque gerantur.
La Pièce N , II , qui a pour Devife :
Sunt aliquot quoque res , quare unam dicere caufam
Non faris eft .
Enfin la Pièce No. III , qui a pour Devife :
Experientia & ratione,
164
Le No. II . Sunt aliquot quoque res , &c. eft furtout
recommandable par la multiplicité & le choix
des expériences , & par la fagacité avec laquelle elles
ont été faites . L'Académie auroit feulement defiré
qu'elles euffent été faites plus en grand , & que l'application
de ces Expériences à la Théorie des Ma.
chines , fut plus développée , ainfi que le Progranime
l'exige.
En général , il lui a paru que dans ces différentes
Pièces , les Auteurs ne s'étoient pas fuffisamment attachés
à remplir , d'une manière utile pour la pratique
( ce qui eft le but principal de la queſtion ) les
divers objets énoncés dans le Programme.
L'Académie donc pouvoir exiger de nouvelles
recherches fur ce fujet , qu'elle propofe encore
DE FRANCE. 65
pour l'année 1781. Elle invite les Auteurs qui ont
concouru à perfectionner leurs ouvrages , & en
général tous les Savans de l'Europe à s'exercer fur
la queftion propofée ; mais elle déclare de nouveau ,
comme elle a déjà fait dans le Programme de 1777 ,
que le Prix ne fera point accordé aux Pièces qui ne
contiendroient qu'une théorie purement mathématique
& abftraite , ou même qu'une théorie fondée fur des
expériences déjà connues.
'"'
Le Prix fondé par feu M. Rouillé de Melai , Con
feiller au Parlement , fera double , c'eſt -à - dire , de
4000 liv . Les Pièces feront écrites en François on
en Latin , & adreffées au Secrétaire de l'Académie ;
elles ne feront admifes au concours que jufqu'au
premier de Septembre 1780. Les Auteurs n'y mettront
pas leurs noms , mais feulement une Devife , &
ils y joindront un billet cacheté qui portera la même
Devife , & renfermera leur nom. Le Prix fera délivré
le Tréforier de l'Académie , foit à l'Autcur même ,
foit à celui qui fe préfentera , ou avec la procuration
de l'Auteur , ou avec un récépiffé du Secrétaire de
l'Académie.
par
VARIÉTÉ S.
་ ་ , ་ ,
LETTRE au Rédacteur du Mercure, fur la
nouvelle découverte de l'Air fixe.
MONSIEUR,
- Les Chimiftes de l'Académie des Sciences , qui
fe difputent aujourd'hui l'honneur d'une des plus
fingulières découvertes , concernant l'Air fixe , ignorent
fûrement le fait dont je vais vous fafaire part. Je
l'ai tranfcrit de la première Édition in-4 ° . de la
66. MERCURE
4
Differtation de M. de Sauvages , qui a été imprimée à
Bordeaux en 1754 , chez la Veuve Pierre Brun.
Cette Differtation , dans laquelle M. de Sauvages
recherche comment l'air, fuivant fes différentes qualités
, agit fur le corps humain , a remporté le prix
au jugement de l'Académie Royale des Belles-Lettres ,
Sciences & Arts.
Ce Médecin , en parlant des Moufettes , s'exprime
ainfi , page 52 & fuivantes , paragraphe 158 .
« Non-feulement on trouve de ces vapeurs ap-
» pelées Pouffe ou Moufettes , dans tous les endroits
fouterrains exactement fermés , & qui ne font
point pavés ; mais encore en plein air , comme à
la grotte du Chien près de Naples , à Perraul
près de Montpellier , auprès de Toulouſe , au
afond des mines profondes , &c.
02
Si l'on met deux tonneaux défoncés fur un
tertein où il y a une Moufette
pour en ramaffer
la vapeur , elle s'y élève peu à peu à quelques
» pieds de hauteur. Cette vapeur fe diftingue à la
a vue par un peu moins de tranfparence que l'air or
dinaire ; des expériences chimiques y font dé
couvrir un peu d'acidité : l'odeur n'eft pas fen-
» fible.
33
» §. 159. Si on prend de certe vapeur dans une
» bouteille à large goulot , elle s'évapore aifément ;
» mais en bouchant la bouteille on la conferve tant
qu'on veut ; on la verfe d'une bouteille dans une
>> autre fans voir rien couler ; mais on la reconnoît
" par l'extinction des chandelles qu'on expofe à
>> fon courant. On voit qu'elle occupe le fond de la
o bouteille , parce qu'il faut porter les chandelles.
jufques- là pour les éteindre , quand la bouteille a
5. été quelques - temps débouchée ».
53
30
Je fuis , &c.
DE FRANCE. 67
SCIENCES ET ARTS.
CHIMI E.
EXTRAIT d'un Mémoire lu à la Séance
publique de l'Académie Royale des Sciences,
du Mercredi 6 Avril 1779 , fur une Aiguille
de bouffole indeftructible par l'action
des Acides , &fur un moyen de diminuer la
variation de l'Aiguille aimantée ; par M. le
Comte DE MILLY, Membre de cette
Académie.
L'AUTEUR de ce Mémoire fait voir dans fon
préambule que l'étude des Sciences & la culture
des Arts , eft ce qui eft le plus digne de l'homme ,
puifque ce font là les fources de fa prééminence
phyfique fur les animaux , & de la puiffance qu'il
exerce fur les élémens , & , pour ainfi dire fur toute
la nature ; mais felon lui , l'aptitude feule à l'étude
ne fuffit pas , il faut encore le difcernement & le
jugement néceffaires pour la diriger vers l'utilité &
Fagrément, le refte n'eft que futilité . « Mais fouvent
22
les fpéculations qui paroiffent les plus frivoles
» dans leurs principes , peuvent devenir par la fuite,
entre des mains habiles , des plus intéreſſantes . La
» vertu de l'aimant & l'électricité n'ont été longtems
que des objets d'amufement. La première
a été appliquée à la navigation ; la feconde nous
a fait connoître la nature du tonnerre , & a fervi
, comme le dit l'Auteur au célèbre Franklin ,
» d'échelle pour s'élever dans les nues , & y prendre
"
68 MERCURE
» le feu du Ciel , le diriger à fa volonté & nous
garantir de fes ravages »,
သ
M. de M *** . a foin d'avertir, que les expériences
dont il s'eft proposé d'entretenir le public ,
ne font pas à beaucoup près auifi intéreffantes , mais
il les donne comme un exemple du parti qu'on peut
tirer d'une chofe qui paroît in différente , lorsqu'on
prend l'utilité pour le but de fes travaux & de fes
Ipéculations.
Les fentimens divers qui partagent encore les
Phyficiens & les Chimiftes , fur la nature de la platine
, engagèrent M. de Milly il y a quelques années
, de travailler fur ce métal fingulier ; & n'en
ayant pas eu affez pour pouvoir l'analyfer , il prit
la voie de la fynthefe , & il tâcha d'imiter le métal
qu'il ne pouvoit pas décompofer à fon gié.
Voici comme l'Auteur s'exprime : « Dans le grand
nombre d'alliages que je fis pour parvenir à mon
but, j'obtins un métal factice qui avoit les propriétés
so magnétiques , & fur-tout celle de fe diriger vers
les poles du monde. Je rendis compte de mon
travail à l'Académie & au public, dans un Mémoire
que je lus à la rentrée de Pâques de l'année
17779; mais je ne parlai que très - fuccinctement
des propriétés de mon alliage & de l'application
qu'on pouvoit en faire ; ce feront elles
qui feront aujourd'hui le fuj.t de ce nouveau
Mémoire, que je terminerai par une conjecture
fur la caufe des variations diurnes de l'aiguille
aimantée , & le moyen d'y remédier,
»
30
29
La brieveté du tems confacré à une féance publique,
& le dégoût que les détails, qui ne font intéreffans
que pour les Savans & les Artiftes , occafionnent
toujours au public , a fait que l'Auteur n'a préfenté
dans fon Mémoire que le résultat général de fes
expériences , & l'application qu'il en a faite à un objet
d'utilité : a favoir , des aiguilles de bouffoles inDE
FRANCE. 69
ל כ
· deftructibles dans les acides purs les plus forts,
» tels que l'huile de vitriol , l'eau- forte , l'efprit
dé fel , le vinaigre , &c. ; & qui par conféquent
ne peuvent pas être attaquées par l'action de l'air
» ✰ de l'humidité ; ce qui eft d'autant plus avan
» tageux que l'on a obfervé que la rouille à la-
» quelle le fer & l'acier font fujets , fur-tout fur
mer & dans les ports , détruit la vertu magné
≫ tique.
20
33
M. le Comte de Milly dit dans fon Mémoire
que les aiguilles qui font faites avec fon mé-
» tal , fans être autfi fenfibles aux impreffions du
fer qui fe trouve dans leur voifinage , que les
aiguilles de bouffoles ordinaires , ont cependant
» comme elles la vertu de fe diriger conftamment
se vers les poles du monde ; ainfi leur peu de fenfibilité
, ajoute - t-il , pour les corps magnétiques
qui les environnent , loin d'être regardée comme
» un défaut , ne feroit-elle pas au contraire une
qualité recommandable pour l'ufage qu'on peut
en faire fur mer ? » Il fonde cette affertion fur
ce que la trop grande fenfibilité dans une aiguille
de bouffole la fait décliner à l'approche du plus petit
corps magnétique , tels que les clous & la ferraille
qui fe trouvent toujours en abondance dans un
vaiffeau . En effet, une aiguille de bouffole qui ne
feroit mue que par la caufe générale qui la fait
tourner vers les poles du monde , feront préférable,
pour la navigation , à celles qui cèdent à la puiffance
du plus petit corps magnétique qui fe trouve pla
375
* Il faut que l'eau- forte ou l'efprit de fel foient bien
purs ; car pour peu qu'ils fuffent mélangés , ils formeroient
de l'eau régale , qui eft le feul diffolvant du nowycaŭ
métál,
70 MERCURE
cé dans leur voifinage , & qui les font décliner de
leur direction naturelle.
La nouvelle compofition métallique a , fuivant
l'Auteur , les propriétés magnétiques des aiguilles
ordinaires de bouffole , fans en avoir les inconvéniens
, c'est - à -dire , que les aiguilles qui en font
faites fe dirigent vers les poles , fans être auffi fufceptibles
à l'action magnétique des corps environ
nans , & elles ne font point fujettes à la rouille , ni
perdre leur vertu directrice . Le barreau du métal
dont M. de Milly a formé l'aiguille qui fait le fujet
de fon Mémoire « a été fufpendu par un cheveu
»
;
pendant deux ans en plein air , pour lui donner
» la facilité de s'orienter , & pour obferver s'il con
» fervoit la vertu magnétique ; c'eft après ce laps
» de tems qu'il en a fait faire une aiguille de bouffole.
» Les matières principales qui compofent ce més
» tal , font l'or & un fable ferrugineux , femblable
à celui qu'on trouve mêlé avec la platine , lequel
eft très- attirable à l'aimant, indiffoluble dans tous
» les acides fimples ou compofés , les plus forts , &
qui eft infufible au plus grand feu , lorſqu'on l'y
expofe feul ».
לכ
CC
L'Auteur donne enfuite une idée de ce qu'on
appelle déclinaiſon , relativement à la bouffole : C'eft
l'effet , dit-il , d'une cauſe inconnue qui a échappé
aux recherches des plus habiles Phyficiens , qui
»› fait que les aiguilles aimantées ne fe dirigent
» prefque jamais vers les poles du monde , mais
33
qu'elles s'en écartent ordinairement , tantôt vers
» l'eft , tantôt vers l'oueft ; cette déclinaiſon non-
» feulement varie fur les différens points du globe ,
>> mais encore dans les mêmes lieux en différens
tems , & fouvent dans le même jour & dans la
même heure »».
L'Auteur croit que ces variations tiennent au
DE FRANCE. 71
différens degrés de l'électricité de l'air ; il a remar
qué , dit-il , a que dans les jours fecs & où l'élec-
» tricité eft abondante , les variations font plus fenfibles
» ; & il propofe pour les éviter , d'ifoler
l'aiguille de la bouffole autant qu'il eft poffibles
pour cet effet il fe fert d'un moyen très-facile , c'eſt
de faire enduire le dedans de la bouffole de plufieurs
couches de vernis de gomme - lacque ou de
cire d'Espagne , qui étant idioélectrique , empêche la
communication de l'électricité de l'air avec l'aiguille
magnétique ; outre cet appareil il pofe la boîte fur
un plateau de verre, qu'il fait auffi vernir pour empêcher
l'humidité de s'y attacher & de le rendre
conducteur. L'Auteur a foin d'avertir le public qu'il
ne donne fon fentiment fur la caufe des variations
de l'aiguille aimantée & le moyen de les empêcher ,
que comme des vraisemblances , & non comme
des vérités démontrées , parce qu'il n'a pas une fuite
d'obſervations affez nombreufe pour affurer fon
fentiment. L'unique but qu'il s'eft propofé dans fon
Mémoire eft , dit-il , « de faire connoître la vertu
22
و د
magnétique d'un alliage d'or & d'une fubftance
» martiale que perfonne n'avoit encore foupçonné
devoir fe diriger conftamment vers les poles du
monde , comme les aimans factices ou naturels.
La boîte de la bouffole que M. le Comte de
Milly a mile fous les yeux du public , eft mobile
fur un plan carré , & tourne fur un pivôt placé au
centre d'un cercle tracé fur le plan , lequel cercle
eft partagé en quatre parties égales , qui font ellesmêmes
divifées en quatre-vingt-dix degrés ; un index
fixé à la bafe de la boîte , fert à la faire mouvoir
& à la diriger fuivant la méridienne , qui doit
être repréſentée par une règle contre laquelle on
appuie un des côtés du plan carré qui fert de bafe
à la bouffole , ce qui donne la facilité d'obferver
les variations de l'aiguille .
72 MERCURE
M. de Milly termine fon Mémoire par une maxime
incontestable , en difant : « que l'utilité doit
être le feul but que les Savans & ceux qui cultivent
les Arts , doivent fe propofer dans leurs
recherches.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ELOGE de Milord Maréchal, par M. d'Alembert.
Se trouve chez les Libraires qui vendent des nouveautés.
L'Ami de la Concorde , ou Effai fur les motifs.
d'éviter les Procès , & fur les moyens d'en tarir la
Source , par un Avocat au Parlement Vol . in- 8 °.
Prix , 1 liv. 4 fols . A Paris , chez Monory , Libraire ,
rue de la Comédie Françoiſe.
I
L'Art de guérir les Hernies. Seconde Édition ,
par M. Balin. Vol. in - 12 . A Paris , chez l'Auteur ,
place de Grêve , au coin de la rue de la Tannerie.
Le Polyglotte , ou Collection des principaux objets
qui peuvent être rendus par la Gravure , avec
leurs noms en treize des principales langues de l'Europe.
A Paris , chez Mérigot le jeune , Libraire ,
Quai des Auguftins , & chez Mademoiſelle Peſtel
cul-de-fac S. Pierre.
Le Campagnard , ou le Riche défabufé , Drame
en deux Actes & en profe . A Paris , chez Monory ,
Libraire , rue de la Comédie Françoife . Prix , 1 liv.
fols,
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 20 Mars.
LES bons offices de la France ont préva. "
lu ; la paix avec la Ruffie que des apparences
faifoient croire encore éloignée , il y a quel
ques jours , vient enfin d'être conclue. Nous la
regardons comme l'ouvrage de M. le Comte
de Saint-Prieft , qui a fu applanir en quatre conférences
avec les Plénipotentiaires Turcs , toutes
les difficultés qui l'avoient retardée jufqu'àpréfent
; les Miniftres Ottomans accoutumés à
négocier avec lenteur , ont mis beaucoup d'activité
à l'exemple de l'Ambaffadeur de France ;
ils ont rendu compte de leur travail un jour plutôt
qu'ils ne l'avoient promis à M. de Saint-
Prieft , à un grand Divan convoqué exprès ,
& compofé de tous les gens de Loi , ayant le
Mufti à leur tête , du Grand -Vifir , des Beglierbeys
de Romélie & de Natolie , du Capitan-
Bacha , du Nidchangi- Bacha , de l'Aga
des Janniffaires à la tête des chefs de la Milice
des Généraux de Cavalerie , d'Artillerie , du
Grand -Tréforier , du Kiaya du Grand- Vifir &
des Intendans des vivres. Le traité n'eft pas
encore public ; fuivant ce qui en a tranfpiré
la Porte confent à l'indépendance de la Crimée
que les troupes Ruffes évacueront ; elle recon-
Mai 1779.
D
7
( 74 )
noit le Chan Sahin- Guéray ; la libre navigation
de la mer Noire eft affurée à la Ruffie ; mais
pour couper racine à tout différend de l'efpèce
de ceux qui fe font élevés à ce fujet , la grandeur
des bâtimens fera définitivement fixée.
» Aly-Méhemet-Kan , Gouverneur de Baffora
, écrit-on de Gein à des Négocians d'Alep ,
étant parti avec 6000 hommes pour aller atta
quer les Arabes , traverfa la Méfopotamie , &
rencontra près de Corna les Arabes de Mentifick
, qui le 11 Septembre dernier , lui tuèrent
5600 hommes ; il fe noya lui-même dans
l'Euphrate ; le refte de fa troupe trouva le
moyen de fe fauver & de revenir à Baffora ;
les Arabes le pourfuivirent jufqu'auprès de cette
Ville ; mais ils fe contentèrent de piller les environs
, & fe retirèrent le 10 Octobre fans at
taquer la place qui eft défendue par Scheek-
Berket & Kiab , Prince tributaire de Perfe «.
Le 17 de ce mois , une des Sultanes encein
tes eft accouchée d'un Prince , qui a été nommé
Soliman.
RUSSIE. NAR
De PETERSBOURG , le 30 Mars.
7
L'IMPERATRICE par un Refcript adreffé au
Sénat dirigeant , le 15 de ce mois , a permis
l'exportation des grains du port de Nerva ,
comme de ceux de Pétersbourg & d'Archan
gel ; mais elle en a fixé la quantité à so mille
tfchetwerz par an , & en a excepté le froment.
S. M. I. a auffi arrêté un nouvel état de dépenfes
pour le département des affaires Etrangères .
Elle affigne , 1 ° . au département des expéditions
fecrettes 84800 roubles par an ; 2 °. a celui
des expéditions publiques 18160. 3º , Au
Collége étranger & des archives à Mofcou
8870. 4 ° . Aux Officiers , Bas-Officiers , Huif(
75 )
fiers & Soldats du département 3850. 5°. Pour
les dépenses
extraordinaires 42,000 . 6 °. Pour
les apointemens des Miniftres dans les Cours
étrangères , & pour les apointemens de leurs
Secrétaires & Interprètes 277,983 . 79. Pour la
perte fur le change & autres , frais à l'occafion
des remiſes à faire , auxdits Miniftres & leurs
Secrétaires 50,000. 8 ° . Pour l'entretien des
Prêtres & des Chapelles chez lefdits Minif
tres 17,300. La fomme totale de ces différens
articles monte à 532,963 roubles , dont le comptoir
d'Etat fournira
annuellement 515,663 , &
celui de commerce fur les biens Eccléfiaftiques
17,300. Ce même règlement fixe les appointemens
du Chancelier à 7000 roubles , fans
compter ce qu'on lui donne pour fa table , qui
eft porté à 12000. Les apointemens du Vice-
Chancelier font de 6000 roubles , & fa table qui
n'étoit que de 4000 , eft portée à 6000 .
DANEMARCK.
De
COPENHAGUE, les Avril.
L'EXPLOSION du magafin à poudre qui a
fauté le 31 du mois dernier , a fait beaucoup de
mal ; le quartier de la Ville neuve , habité par
des Matelots , & celui
d'Amalienbourg , ont
été fort endommagés . La vieille Ville & le
Château Royal , on: auffi un peu fouffert. Plufieurs
maifons ont été ruinées , & un grand
nombre de citoyens fe trouvent privés d'habitations
Heureufement pour eux , le , tems eft
extrémement doux pour la faifon . Le Gouvernement
s'eft empreffé de venir à leur fecours.
Pour faciliter les
réparations , il a été permis
aux ouvriers de travailler pendant les fêtes à
celles qui regardent
l'extérieur des maifons
; pour celles de l'intérieur , ils cefferont
toure
t
D 2
( 76 )
A.
leur travail le matin , depuis 9 jufqu'à 11 heu
res , & l'après midi depuis 2 jufqu'à 4. Il a été
défendu aux marchands de briques & de vitres
d'en refufer à ceux qui en auront befoin , ou
d'en hauffer le prix. On n'a pas eu befoin de
donner un pareil ordre aux propriétaires des
fours à chaux , qui fe font empreflés d'offrir un
rabais de 3 marcs par tonne fur le prix de la
chaux . Ceux d'une fabrique particulière en ont
offert 3000 aux citoyens mal - aifés , au prix que
leur a coûté la matière , fans compter la main
d'oeuvre . Cet évènement malheureux va faire
changer de place tous les magaſins de poudre ;
on les tranfportera dans des endroits convenables
, & affez loin de la Capitale pour qu'elle
'ne foit plus expofée à de femblables défaftres.
Il y a environ un an que les huffards de l'efcadron
qui fe trouvoient en garnifon à Roofkilde
, fe revoltèrent contre leurs Officiers ;
on les arrêta fur-le-champ , & on les conduifit
dans les prifons de cette capitale . Suivant la
Sentence qui vient d'être rendue contr'eux ,
un feul fera puni de mort ; c'eft le chef de la
révolte. Trois autres font condamnés aux travaux
publics pour le refte de leur vie ; & fept
après avoir paffé par les baguettes , feront repartis
avec 32 autres dans différens régimens
d'infanterie,
SUÈDE .
De STOCKHOLM , les Avril.
LL. MM . font de retour d'Ulrichfthal dans
cette Capitale , depuis le 29 du mois dernier ;
il paroît décidé que le Duc de Sudermanie ,
grand-Amiral du Royaume , commandera fous
le nom de Comte de Rofenberg , l'efcadre def
tinée à protéger notre commerce , & on affure
que leRoi fe rendra à Carlfcroon pour pren
( 77 )
dre infpection de cette efcadre . Une divifion
ayant à bord des détachemens des régimens de
Cronsberg & de Calmar , infanterie , fera détachée
vers Gothenbourg . Comme fuivant l'inf
titution du Roi Charles XI . le Gouvernement
a toujours 10 à 12,000 matelots qui font entretenus
par les payfans , la difette des gens de
mer , ne met pas obftacle à nos armemens ; &
l'expérience qui peut manquer à quelques - uns
s'acquiert bien-tôt par l'ufage .
Le fecond appendice de la dernière Diète ,
qui vient d'être imprimé , contient la répartition
des nouvelles impofitions perfonnelles établies
par les Ordres aſſemblés , afin de recueillir les
fommes accordées , tant à titre du préfent de
baptême que pour d'autres caufes , & cela pen
dant fept ans confécutifs , à commencer de
l'année 1779 , jufques & compris l'année 1785 .
Suivant cette répartition , tous les habitans du
Royaume au-deflus de 15 ans , font , fans aucune
exception de fexe ni de condition , divifés par
claffes , dont la première , contenant les Sénateurs
, eft taxée à une contribution annuelle de
2 rixdhalers , & ainfi fucceffivement en defcendant
; la claffe des Ouvriers à 5 & à 4 fchelings
par tête , & la dernière , compofée de fimples
Soldats & de Matelots , à 2 fchelings . Cependant
eu égard à la remife des fix tonnes d'or
fur le préfent de baptême accordé par les Etats
au Prince Royal , S. M. par une Ordonnance
particulière , a trouvé bon d'affranchir entièrement
de cette contribution les Soldats & Matelots
, & de porter à 3 fchelings celle de la
claffe des Ouvriers les moins opulens , ce qui
balancera à peu-près la diminution qu'opérera la
remife des fix tonnes d'or.
D3Y
( 78 )
ALLEMAGNE.
De
VIENNE , le 10 Avril.
M. de Haan , Confeiller de Cour , qui avoit
été chargé de rédiger le protocolle des interrogatoires
du Baron de Senkenberg , s'eft acquitté
de cet emploi à la fatisfaction de LL.
MM . II . & R. qui venoient de l'ennoblir.
La mère du Baron de Senkenberg , qui étoit
établie ici , vient de prendre le parti de fe re
tirer ailleurs. La difgrace que fon fils a effuyée
pour avoir fait connoître l'acte de renonciation
du Duc Albert d'Autriche , prouve combien il
avoit eu raifon d'exiger de la Cour de Munich
le plus grand fecret fur l'auteur de cette découverte.
On apprend d'Olmutz que le Baron Hyacin
the de Breton , Général d'infanterie , Commandant
de cette place , y eft mort le 24 du moiš
dernier, âgé de 84 ans. Cet Officier s'étoit
élevé par fon mérite & fes fervices du rang
de fimple foldat au grade de Général ; il y avoit
vingt ans , qu'il étoit chargé du commandement
de la fortereffe d'Olmutz , qu'il défendit en 1758
contre les Pruffiens .
Lors de la dernière levée des recrues , en
automne , l'Empereur ordonna d'enrôler plu
feurs perfonnes détenues pour leurs délits dans
les maifons de force & de correction ; il y avoit
parmi ces prifonniers , un Commis de l'Hôtel
de Ville , qui ayant volé quelques milliers de
florins qui lui avoient été confiés , s'étoit évadé ,
avoit été pris enfuite & condamné à être pendu.;
l'Impératrice avoit bien voulu commuer cette
peine en celle d'une prifon perpétuelle dans la
maifon de force militaire. Ce malheureux , qui
appartenoit à un honnête famille , fut compris
( 79 )
dans le nombre des recrues . On efpéroit que
la leçon qu'il avoit reçue le corrigeroit ; mais
à peine fut- il arrivé à l'armée , qu'il fit , avec
plufieurs fcélérats , de fa trempe , un complot
pour déferter ; ce complot fut découvert par
un de fes complices , & il est vraisemblable
qu'il lui coûtera la vie. L'Empereur a ordonné
qu'il fût tranfporté ici , pour y être jugé fuivant
la rigueur des Loix & pour fervir d'exemple .
De
HAMBOURG , le 10 Avril.
CE qui fe paffe à Tefchen eft toujours couvert
d'un voile impénétrable ; les Miniftres négocient
avec le plus grand fecret , & vraisemblablement
on n'apprendra rien de pofitif qu'au moment
où le Traité fera conclu & figné. Malgré les
craintes que la continuation des préparatifs hoftiles
infpirent à quelques spéculatifs , on eſpère
généralement que les négociations auront une
heureufe iffue. L'armiftice , qui avoit été déja
prolongé jufqu'au 16 de ce mois , vient de l'être .
encore jufqu'au 28. On ne doute pas que les
principales Puiffances ne foient d'accord , & que
les difficultés qui s'élèvent actuellement n'aient
pour unique objet l'accommodement de la Cour
de Saxe & de la Cour Palatine . Ce font des
intérêts à difcuter qui exigent néceffairement
du tems ; mais on eft perfuadé que c'eft le feul
point qui refte à régler , & qu'il ne peut manquer
de l'être bien-tôt.
On fe flatte d'apprendre bien-tôt la pacification
de l'Allemagne , comme on vient d'apprendre
celle de la Rufie & de la Turquie. C'eft
aux bons offices de la France que les deux Empires
doivent la fin de leurs longs différends .
Cette Puiffance , par une fingularité affez remarquable
, dans la combinaifon des affaires
actuelles , fe trouve avoir contribué à donner
D
4
( 80 )
la paix à la moitié du globe , tandis que fes liai
fons , avec l'Amérique-Septentrionale , occafionnent
dans l'autre moitié une guerre dans laquelle
elle eft engagée . Le feul vou qui reſteroit à
former , c'est que par une réciprocité de bons
offices , les Puiffances pacifiées s'employaffent
à leur tour à terminer les différends qui fubfiftent
entre elle & l'Angleterre , & à donner
ainfi la paix à tout le globe . Ce voeu fera fans
doute celui de tous les amis de l'humanité ; en
attendant qu'il fe réalife , les fpéculatifs remarquent
dans le nord des mouvemens qui femblent
prouver que l'Angleterre ne doit plus compter
fur cette déférence abfolue à fa fuprématie maritime
, à laquelle elle l'avoit accoutumé. Tous
les Etats commencent à fentir qu'il convient
que cette Puiffance , prépondérante fur mer ,
reprenne le rang que la nature & la politique
lui affignent dans le commerce général des deux
mondes. Dans cette circonftance , elle cherche
à refferrer fes liaiſons avec la Ruffie ; felon quelques
papiers publics , elle a obtenu la permiffion
de faire conftruire pour fon compte à Archangel
quelques frégates d'une espèce de bois
de fapin , connue dans le pays fous le nom de
Liftiwiana , qui croît dans les environs de la rivière
d'Onega , & qu'on eft actuellement occupé
à en conftruire trois ; on remarque que
cette permiffion eft d'autant plus extraordinaire
que juiqu'à préfent il n'a jamais été permis
d'exporter ce bois ni de l'employer à des ufages
particuliers , parce qu'il avoit toujours été
.deſtiné ainfi que le chêne de Cafan , pour la
conftruction des vaiffeaux de guerre Ruffes.
Cette faveur , fi elle a été réellement ac
cordée aux Anglois , ne prouve peut - être
rien autre chofe , finon que cette eſpèce de
bois eft très-abondante , que n'en ayant pas befoin
, on s'eft décidé à fe défaire avantageufe(
81 )
ment de quelques parties. Le moment actuel
feroit défirer à l'Angleterre des fecours plus
importans ; & il n'eft pas vraisemblable qu'elle
les obtienne après la paix fignée entre la Ruffie
& la Porte.
I
» Le 1 de ce mois , écrit- on de Jaegerndorf, il
ſe manifeſta ici un incendie qui comunença chez les
Frères Mineurs , fous le toît , près d'une cheminée ,
pendant que les troupes pruffiennes étoient forties
pour faire leurs exercices devant la porte de la ville.
Comme le toît étoit couvert de bardeaux , le feu fit
des progrès fi rapides , qu'il fe communiqua bientôt
aux maifons voisines. Le Lieutenant- général de
Stutterheim averti de ce malheur , détacha auſſi -tôt
de chaque bataillon 4 Officiers , 4 Bas- Officiers &
40 Soldats ; il s'y rendit lui- même pour donner les
ordres néceflaires ; mais les fecours furent inutiles ;
la plus grande partie de la Ville , ainfi que le Château
& 2 Eglifes , furent brûlées . On ne parvint à
fauver que 40 maifons & les Fauxbourgs. Le Roi
a ordonné de faire des recherches exactes pour favoir
comment le feu avoit pris ; la commiffion chargée
de ce foin , n'a pu rien découvrir ; elle notifia
aux Frères Mineurs & aux membres du Sénat , l'otdre
du Roi , les fommant de dire fans crainte ce
qu'ils favoient , de dénoncer même celui qui dans
les troupes du Roi pouvoit être foupçonné d'être
compliqué dans cette malheureuſe affaire , par malice
au par inadvertence. Il eſt reſulté de ces recherches
une affurance pofitive & unanime , qu'on ne
pouvoit foupçonner perfonne parmi les troupes du
Roi , d'avoir part directement ni indirectement à
cét accident «,
La Ville de Braunau en a effuyé un pareil
ces jours derniers : voici les détails qu'on en
mande , en date du 9 de ce mois.
» Avant-hier , vers les 7 heures du foir , il
furvint dans le couvent des peres Bénédictins de
cette Ville , un incendie fi violent qu'en moins
DS
( 82 )
de 10 minutes les flammes avoient gagné le
bâtiment entier , & qu'il n'étoit plus poffible
d'y entrer ni d'en fortir. Tout ce que l'on peut
mander pour le préfent de ce fàcheux évènement
, c'eft que tout le couvent avec les bâtimens
adjacens , ainfi qu'environ 20 maifons
d'un des fauxbourgs de la Ville ont été totalement
réduits en cendres : il eft certain que
fans la préfence du Général Comte d'Anhalt ,
les bonnes & promptes difpofitions qu'il fit ,
& fans le fecours du régiment de Pelkowsky
qui accourut pour arrêter les progrès du feu ,
toute la Ville eût été , en peu d'heures , convertie
en un monceau de ruines , vu le mauvais
ordre qui règne en pareil cas parmi les
bourgeois de cette Ville , aucun de ces derniers
ne s'étant montré dans les rues pour affifter
& porter du fecours dans un danger.
auffi imminent ; de forte que s'ils ont été préfervés
cette fois - ci de la ruine totale de leur
Ville , ils en font uniquement redevables aux
foins du Général Comte d'Anhalt , & à la bonne .
affiftance que leur a prêté la garnifon en cette
occafion c'eft auffi à quoi les Religieux du
Couvent , ainfi que tous les Eccléfiaſtiques qui
fe trouvent en cette Ville , n'ont pu refufer
leur témoignage ; ils ont en outre affirmé
unanimement , qu'on ne peut en aucune manière
imputer la caufe de cet incendie à aucun
des militaires dont la garnifon eft compofée
«.
De
RATISBONNE , le 15 Avril.
LA Diète à repris fes féances le 12 de ce
mois , après les vacances de Pâques ; jufqu'à
préfent elles ont été peu nombreuſes & peu
intéreffantes ; on ne s'occupe point dans fes affemblées
des grandes affaires de l'Allemagne ,
( 83 );
& les Miniftres fe contentent de lire chez eux les
mémoires que les prétendans à la fuccceffion de
Bavière ne ceffent de multiplier, & qui devroient
être plutôt portés à Tefchen qu'à là Diète . ·
" On vient d'apprendre , écrit - on de Cologne ,
que les habitans de Dierdorf , réfidence 'du Comte de
Wied - Runkel fe font foulevés à l'occafion d'une
permiffion que leur Seigneur a accordée aux Capucins
, de conftruire un Couvent à Dierdorf. On
y avoit publié & affiché un referit portant défenfe
à qui que ce foit d'empêcher la conftruction de ce
Couvent , & de s'oppofer à ce que le Comte avoit
accordé aux Capucins ; mais les habitans ont arra
ché le refcrit , & détruit le Couvent , dont une
partie étoit déjà bâtie , après en avoir chaffé les
Religieux. Le Comte a fait arrêter les chefs de la
révolte , mis le refte du bâtiment fous une forte.
garde de fes Troupes. La bourgeoifie , de fon côté ,
s'eft adreffée au Corps Evangélique pour obtenir
le redreffement de fes griefs contre fon Seigneur.
Au milieu du tumulte , on a remarqué que les Paf
teurs Proteftans ont fait tous leurs efforts pour
contenir le peuple & pour le faire rentrer dans fon
devoir ".
ANGLETERRE.
De LONDRES
1
te 20 Avril.
APRÈS une longue attente de recevoir des
nouvelles de l'Amérique-Septentrionale & des
Indes Occidentales ; on a enfin vu arriver de la
première de ces deux parties du théâtre de la
guerre , le Commodore Hyde Parker , & le
Lieutenant-Colonel Campbell , arrivés hier fun
le Phénix , on a débité auffi-tôt qu'il y a eu une
action très-vive fur les frontières de la Géorgie,
D : 6:
( 84 )
entre les troupes du Roi , commandées par le
Général Prevoft , & les Américains par le Général
Lincoln , dans laquelle on dit que ces derniers
ont été battus & forcés de fe réfugier dans
la Caroline ; que la Géorgie s'eft foumife , & a
prêté ferment de fidélité à S. M. B. ; que le
Général Prevolt , renforcé par une partie des
milices , qui ont pris parti fous fes drapeaux ,
fe difpofe à fubjuguer les deux Carolines & la
Virginie . Nous attendons la Gazette de la Cour
qui ne manquera pas de confirmer ce foir ces
nouvelles importantes , auxquelles le retour de
M. Campbell donne néceffairement quelque
poids ; on ne laiffe pas cependant d'être furpris
de l'avoir vu arriver au moment du triomphe ;
& qu'il ait préféré de venir annoncer la foumiffion
d'une Province à l'honneur de partager les
efforts qu'on va faire pour conquérir les autres.
Cette conquête , malgré les efpérances de la
Cour , ne paroit pas encore bien aflurée . Le
Général Prevoft auroit befoin d'un renfort ; &
felon les lettres particulières de New-York ,
le Général Clinton n'eft pas en état de lui en
envoyer aucun ; fa fituation lui rend néceffaires
le peu de troupes qu'il a ; il ne pourroit fe dégar
nir fans s'expofer au danger le plus évident. Les
autres nouvelles de cette partie du monde fe
réduisent à une gazette de New-Yorck , qui
rend compte de deux expéditions faites par des
détachemens du Général Clinton , fur la fin de
Février , à Elifabeth-Town dans le Jerfey ,fous :
la conduite du Lieutenant Colonel Stirling , &
l'autre dans le Connecticut fous celle du Général-
Major Tryon ; le fruit qu'on en a retiré ,
eft la deftruction de quelques vieux canons , &
le dégât d'une quantité de provifions que nos
troupes auroient eu befoin d'emporter , mais
qu'il étoit plus facile de détruire ...
( 85 )
La pofition des troupes Royales fur le Continent
, a fait fentir la néceffité de les renforcer
le plus promptement poffible ; on a regretté
d'en avoir détaché un corps auffi confidérable
fous les ordres du Général Grant pour les Antilles
, où elles font arrivées en effet heureufement
, mais où elles n'ont fait autre chofe que
s'emparer de Sainte - Lucie , où il en eft mort
beaucoup lors de l'attaque du Comte d'Estaing ,
& où l'infalubrité du climat les fait périr journellement
. On dit qu'on leur a expédié l'ordre .
de fe rembarquer pour retourner à New-Yorck,
& que c'eft le Capitaine Douglas qui a été char
gé de le porter. Il ne peut arriver qu'à la fin de
ce mois au plutôt à Sainte-Lucie ; & les lettres
qu'on a reçues , portent que le 24 Février , il y
avoit 1800 malades dont la vie étoit en danger
, & que tous les jours leur nombre augmentoit
; il fe pourroit qu'à la fin de ce
mois le Capitaine Douglas n'en retrouvât plus
beaucoup en état d'être reconduits à New.
Yorck.
Notre pofition en Europe n'eft pas moins inquiétante
que dans le Nouveau - Monde. Les
traintes que l'on avoit fur la déclaration de l'Ef.
pagne fe renouvellent avec plus de fureur ; le
Marquis d'Almodovar , dans un court intervalle,
a eu de fréquentes conférences avec nos Miniftres
; ceux qui fe prétendent inftruits de leur
objet , prétendent qu'il y étoit queftion ' d'un
accommodement avec la France ; mais que ces
négociations ont échoué comme les précédentes
, & que la dernière entrevue du Miniftre
d'Espagne avec les nôtres a été courte &
décifive. Tous nos papiers ne font remplis
maintenant que d'affurances pofitives de l'adhéfion
de la Cour de Madrid au traité de la
France avec les Etats-Unis , & de la réception
9
( 86 )
faite publiquement aux Agens du Congrès.
» Voici felon le Morningpoft , le plan des opé :
rations de la campagne prochaine . La flotte
'de Breft , confiftant en 34 vaiffeaux de ligne ,
tiendra celle de Porfmouth en échec dans la
Baye , fi elle n'eft pas affez forte pour lui livrer
combat ; 16 vaiffeaux de ligne fortiront de
Cadix , pour attaquer Gibraltar ; tandis que
l'efcadre du Ferrol , qui eft de 5 vaiffeaux de
ligne , jointe à celle de Rochefort , qui eft de
4 , eſcortera une flotte de tranſport fur la côte …
d'Irlande ; l'embarquement fe fera à Cherbourg
, au Havre , à Dunkerque ; on a préparé
en même tems un grand nombre de vaiffeaux ,
à l'aide defquels on eflayera de brûler ce que
nous avons fur la Tamife , & de bombarder
Londres. Ces expéditions font concertées de
manière qu'elles doivent être exécutées en
même-tems. Les deux Puiffances ont le nombre
fuffifant de vaiffeaux pour cet effet , quoique
la France ait fait paffer 4 vaiffeaux , &
l'Eſpagne 6 , aux Indes Occidentales , où les
Efpagnols en avoient déja 10 , ce qui rend ces
forces combinées très - fupérieures à celles de
l'Amiral Byron «.:
A ces affertions nos papiers en joignent d'au
tres qui ne font pas moins fingulières , l'alarme
eft fi grande dans le Ministère , qu'il prend toutes
les mefures poffibles pour s'oppofer à tous .
ces projets ; l'embarquement des troupes raffemblées
à Pétersfield, & dans quelques endroits
voifins pour paffer en Amérique , a été fufpendu
, & on a réfolu de rappeller l'efcadre avec
laquelle le Chevalier Hughes eft parti récem
ment pour l'Inde ; on ne laiffe que deux vaif
feaux continuer leur route pour cette deſtina
tion.
En attendant que ces nouvelles vagues &
3...
( 87 )
fans doute étranges , mais qui le feroient moins
fi la jonction de l'Eſpagne à la France s'effectuoit
auffi-tôt qu'on le craint , ce qui nous obligeroit
de råmaffer prefque toutes nos forces en
Europe , pour effayer de leur faire face , fe
confirment ou fe détruifent , on redouble d'activité
pour mettre la flotte de Portſmouth en
état de fortir ; on cherche & on employe tous
les moyens de l'augmenter ; mais les vaiffeaux
nous manquent , & nous fommes forcés d'en
armer plufieurs qui étoient condamnés à ne plus
fortir de nos ports ; mais dont le befoin oblige
de fe fervir pour faire au moins nombre dans
nos flottes ; tel eft entr'autres le Britannia de
100 canons , qu'on a armé pour qu'il mette à la
voile avec la flotte . C'eft un de nos plus anciens
vaiſſeaux qui avoit été jugé il y a quelque tems
hors d'état de fervir davantage , & que la
néceffité nous fait employer après avoir depenfé
4000 liv . fterl . à le réparer comme on a pu.
La maladie de l'Amiral Hardy continue ; on
doute qu'il foit en état de prendre le commandement
de la flotte , & on prétend que le
Gouvernement a expédié à l'Amiral Byron ,
l'ordre de revenir en Europe pour commander
à la place de Sir-Charles Hardy. Dans ce cas ,
il ne ramenera que le feul vaiffeau qu'il mon
tera pour fon voyage , & l'Amiral Barrington
aura le commandement de nos efcadres aux
Antilles. On affure auffi que le Gouverneur
Johnftone , qui s'eft permis des réflexions affez
graves fur la conduite de l'Amiral Howe , & à"
qui cet Amiral s'eft contenté de répondre qu'il
pouvoit n'avoir que des connoiffances maritimes
très-bornées , après avoir offert publiquement
fes fervices à fa Patrie , vient d'accepter
le commandement de cinq vaiffeaux de ligne
& de quelques frégates , qui font deſtinés pour
une expédition fecrette .
( 88 )
à
Pendant que notre Ministère , embarraſſe
cruellement par une fuite de fautes impardonnables
, lit-on dans un de nos papiers , ne devroit
travailler qu'à les réparer , en s'occupant
des moyens de faire une paix honnête avec la
France , ou de prévenir une rupture avec l'Eſpagne
, il femble déterminé à en rifquer une
avec toutes les autres Puiffances maritimes de
l'Europe ; on fait que la Suède & le Dannemarck
ont réfolu de mettre en mer des forces
refpectables pour garantir leur commerce des
entraves que la Grande-Bretagne juge à propos
d'y mettre ; la Hollande , dont les droits ,
cet égard , font fondés fur la fainteté des traités
, eft fur le point de prendre la réſolution
d'accorder à fes fujets toute la protection qu'ils
font dans le cas de réclamer , en vertu des droits
acquis de leur Patrie . Malgré cela , on a expé-~
dié ces jours derniers dans nos ports de nouveaux
ordres d'y conduire tous les navires neutres
deftinés pour les ports de France , chargés
de bois de conftruction , de chanvre , de fer ,
de fel , & de tout ce qui eft néceffaire pour
l'équippement ou l'avitaillement de la marine
«.
Le bruit fe répand que nous venons de
perdre le Jupiter , vaiffeau de so canons , à la
préfence duquel nous devons le fuccès du
combat de la chaloupe le Plaifir , contre le
corfaire le Jean Bart & la prife de ce dernier .
Il a été pris , dit-on , par z vaiffeaux de guerre
François de 74 canons ; mais cette nouvelle n'eft
pas revêtue de toute l'authenticité qu'on pourroit
défirer . On cite une lettre d'un Officier de
ce vaiffeau , qui donne cette fàcheufe nouvelle ,
mais qui eft remplie de fanfaronades au moins
étranges. Le Jupiter a fait une belle défenſe ,
dans laquelle il a tué ou bleffé 495 François.
( 89 )
On nomme les deux vaiffeaux preneurs , le Don
ou Ledon , & le Die Maria , noms auffi inconnus
dans la marine Françoife , que celui de
l'Apollon qu'on dit avoir été pris en Améri
.que .
Le Parlement a repris fes féances ; & malgré
les débats qui accompagnent toujours fes délibérations
, il paroît décidé à voter les impôts
avec la même facilité qu'on les demande ; on
écarte , avec foin , tout ce qui pourroit en retarder
la perception . Le Lord North , cet habile
financier , va propofer de mettre une fur- taxe
aux impofitions déja établies , au lieu d'en créer
de nouvelles , dont la recettte ne feroit pas fi
facile . On ne doute pas que cette propofition
ne foit agréée. » Le concours unanime du Parlement
& du Ministère , dit-on dans un de nos
papiers , pour mettre l'Angleterre à la preffe ,
prouve que l'on fe promet infiniment de cette
méthode , auffi ruineufe pour le moment qu'elle
peut être glorieufe & profitable pour l'avenir
".
Le bruit qui avoit couru que cet Eté il n'y
auroit peut - être point de camps ne s'eft point
confirmé. Voici la diftribution de ceux qui fe
ront établis ; 24 régimens à Coxheak 12 à
Warty ; 4 à Portſmouth ; 2 à Plymouth & à
Chatham ; 2 dans le Comté de Suffolck ; 3 de
cavalerie à Salisbury ; il n'y en aura point à
Winchefter, Ils feront établis dans le courant
de Mai , auffi- tôt que les fourrages le permettront
; le Roi fe propoſe d'en faire la revue au
commencement de la campagne ; S. M. fera
accompagnée du Prince de Galles , à qui l'on
préfentera les Officiers Généraux & ceux de
l'Etat-Major.
Le Procès du Vice-Amiral Palifer eft commencé
; l'Amirauté a été long - tems indécife
( 00 )
fur le lieu où fe tiendroit le confeil de guerre.
Après avoir décidé qu'il ne fe tiendroit point
fur terre , elle défigna d'abord l'Invincible. On
a fini par ordonner qu'il feroit affemblé à bord
du Sandwich , vaiffeau de 90 canons actuellement
défarmé , fans mats , fans agrèts , où l'on
a été obligé d'employer quelques cordages poftiches
pour les fignaux . Le Confeil eft compofé
du Vice- Amiral Darby , Préfident , du Contre
Amiral Digby, des Capitaines fir Chaloner Ogle,
Kempenfelt , Peyton , Bayne , Robinſon , Ducan,
Goodall , Cranfton , Linzet , Colpeys , Walters ;
M. Jakfon fait les fonctions de Juge- Avocat.
Il tint fa première féance le 12 ; Sir Hugh
Pallifer déclara que fon intention n'étoit pas
de foumettre la conduite de l'Amiral Keppel >
à un nouvel examen , qu'il ne fe propofoit que
de juftifier la fienne ; & le Confeil , après avoir
décidé qu'il feroit ufage des minutes de celui
qui avoit été tenu à l'occafion de l'Amiral
Keppel , parce qu'il y a plufieurs circonftances
qui tendent à inculper le Vice-Amiral , procéda
à l'audition des témoins. Ils font en petit nombre.
Les principaux , cités de la part de la
Couronne , font les Amiraux Keppel , Harland
& Campbell , M. Rogers , Secrétaire du pre.
mier , M. Faulkner , fon Capitaine de Pavillon ;
& les Capitaines Washington , Sir Charles
Douglas , Macbride , Levifon , Gower , Stewart
, Laforey , Jervis & Berkley . L'Amiral
Keppel fut appellé le premier ; il témoigna
combien fa fituation étoit pénible quoiqu'il fût
bien fûr de ne laiffer entrevoir dans fa dépofition
rien qui annonçât du reffentiment ; il demanda
à être difpenfé de dépofer dans une affaire où il
feroit forcé de ne pas s'en tenir à de fimples
oui & non. Sa demande , prife en confidération ,
fut rejettée , il répondit aux queſtions qu'on
(91)
~
lui fit. L'interrogatoire de ce jour fut court ;
l'Amiral déclara que Sir Hugh , pendant l'ac
tion , avoit prolongé la ligne Françoife auffi bien
qu'aucun des vaiffeaux qui le précédoient ou
le fuivoient , qu'il l'avoit fait d'une manière judicieufe
, & qu'il avoit agi comme un Amiral
doit agir. L'interrogatoire du 13 fut plus étendu.
Les queftions faites relativement au combat
d'Oueffant , jettent quelquefois un peu de
jour fur cette affaire fingulière , dans laquelle
il importe à l'Angleterre de dire qu'elle a eu
l'avantage ; & on remarque qu'il échappe quel
quefois à l'Amiral des demi-aveux contraires. Il
croyoit que le 27 feroit un jour de gloire pour
l'Angleterre ; mais la flotte ne put pas être également
prête à agir ; le Vice -Amiral & fa divifion
qui étoit refté plus long-tems engagé au combat
, s'étant retiré le dernier , eut befoin de
plus de temps pour fe réparer. La réponſe de
l'Amiral à la queftion , fi en n'obéiffant pas à fon
fignal , le Vice-Amiral fut caufe qu'il ne put
former la ligne à bas-bord , eft curieufe .
» Non , les François formoient leur ligne de la
même manière dont M. de Conflans avoit formé la
fienne lorfqu'elle fur attaquée par l'Amiral Hawke ;
c'eft une manière qui leur eft particulière , & dans
laquelle ceux qui n'y font pas accoutumés peuvent
remarquer de la confufion . Connoiffant cette mancuvre
, j'ai très -bien vu qu'ils fe formoient ; mais ne
pouvant me former moi- même , falloit - il que je
facrifiaffe la flotte d'Angleterre ? Je fuis prêt à déclarer
à l'Univers ce qu'en pareil cas je crus devoir
faire. S'il m'eût été poffible de paffer à leur vent
certainement je l'euffe fait . Je fis donc le fignal
pour virer. On ne prétendra pas fans doute que le
Victory & le Formidable feuls aient été en état
d'atraquer la flotte ennemie toute entière. Me demanderez-
vous file Vice- Amiral obéit à mon ſignal ?
Je réponds non ; mais il ne s'en fuit pas qu'en
( 92 )
-
-
n'obéiffant pas alors , il m'ait empêché de former
ma ligne . Au refte , fi ces mots l'apparence d'une
fuite paroiffent préfenter quelques réflexions , ne
les inférez point dans les minutes. Après le fignal
pour former la ligne à bas- hord , quel eft le fignal
général que vous avez fait ? Je donnai un ordre
qu'aucun fignal n'annonça. J'ordonnai au Capitaine
d'une frégate de dire à Sir Robert Harland de fe
former en avant , mais dans le moment je fus
dans la défagréable néceffité d'en donner un contraire.
Je me trouvai dans une circonftance où , vu
les dommages conſidérables que nos vaiſſeaux avoient
effuyés dans leurs mâts & leurs agrets , on peut
dire que les François perdirent une belle occafion ,
à moins qu'ils n'aient à répondre qu'ils avoient été
très - maltraités eux - mêmes dans le corps de leurs
vaiffeaux. J'ordonnai donc à Sir Robert Harland de
fe former derrière & de la couvrir ; pendant qu'on
fit quelques manoeuvres néceffaires , il les exécuta ;
& comme l'ennemi ne faifit pas le moment favo
rable qui le préfentoit à lui , ces ordres produifirent
l'effet que j'en attendois . Ces réponſes prouvent
combien la flotte Angloife étoit maltraitée.
Le résultat des dépofitions de ce jour & des fuivantes
, eft que M. Pallifer s'eft conduit avec courage
& intelligence lorfqu'il a combattu ; mais qu'il
a conftamment défobéi au fignal & aux ordres
qui lui ont été portés & donnés avec une humeur
que l'Amiral Keppel fe reproche.
La tournure de ce procès commence à devenir
plus grave pour le Vice - Amiral ; bien
des perfonnes qui n'en jugeoient d'abord que
d'après les précautions que la Cour fembloit
avoir prifes pour ne faire examiner qu'un point
de fa conduite, & qu'un petit nombre de témoins,
commencent à penfer que ce n'eft plus un procès
pour rire , & qu'il pourra avoir des fuites
funeftes pour lui . On a remarqué que le Gouvernement
, qui n'avoit difpofé ni de fon loge
( 93 )
ment à l'Amirauté , ni de fes places , y a nommé
le 15 de ce mois , précisément le lendemain
du jour où les dépolitions de Keppel le chargeoient
davantage. C'eft l'abandonner dans le
moment le plus critique ; on eft toujours perfuadé
cependant , qu'il n'a agi que par fes inf,
tigations fecrettes en accufant l'Amiral ; & ce
qui femble confirmer qu'il n'a pas vu fans peine
le triomphe de celui-ci , c'eft que l'Amiral Montague
dont la conduite lui a mérité pendant
cette procédure , la reconnoiffance & la vénération
publique , vient de perdre le Gouverne.
ment de Terre- Neuve , dont on a difpofé en
faveur de M. Richard Edwars ; le peuple pré.
tend que l'Adminiftration l'a puni de n'avoir pas
voulu trouver un coupable dans un homme
qu'elle n'eût peut-être pas été fachée de perdre.
Comme on l'a dit , les feules nouvelles du continent
de l'Amérique , qui circulent dans le Public ,
font celles que fournit la gazette de New-Yorck ,
que tout le monde lit à fon arrivée , & en qui perfonne
n'a confiance ; on l'a vue plufieurs fois publier
de prétendus actes du Congrès , les uns abfurdes
, les autres odieux , tous deſtinés à préfenter
les Américains fous un faux jour ; peut - être
eft- ce dans ce même deffein qu'elle annonce à pré,
fent une querelle qui s'eft élevée entre le Confeil
exécutif de Penfylvanie & le Général Arnold , qui
commande à Philadelphie. Le Confeil accufe le
Général d'avoir tenu une conduite oppreffive à
plufieurs égards contre les fidèles Sujets de l'Etat ,
la juge indigne de fon rang & de fa place , hautement
décourageante pour ceux qui ont manifefté
leur attachement aux libertés & aux intérêts de
l'Amérique , & contraire au respect dû à la fuprême
autorité exécutive. A l'arrêté détaillé du Confeil
la même gazette a joint une adreffe de M. Clark fon
Aide- de- Camp du Général , invitant le Public à
( 94 )
fufpendre fon jugement jufqu'à ce qu'il le foit defendu
; & enfin une adreffe de M. Arnold à ce
même Public , qu'il informe qu'il a demandé un
Confeil de guerre au Congrès pour examiner fa
conduite. Le Gouvernement defire trop qu'il s'éleve
de pareilles divifions parmi les Américains , & il
s'eft trouvé trop de gens empreffés de le fervir en
fabriquant des nouvelles & des pièces de cette efpèce
, pour qu'elles ne foient pas fufpectes.
ÉTATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT .
- -
De Philadelphie , le 25 Février. Suivant toutes
les apparences , l'expédition combinée entre les
troupes envoyées de New Yorck , & celles
qui ont marché de S. Auguftin pour pénétrer
par le Midi dans les Provinces-Unies de l'Amérique
, fera à peu près femblable à celle du
Canada , du moins pour ce qui regarde l'éclat
du début , & les difficultés de la pourfuite.
Nous n'ofons pas garantir que l'iffue en foit la
même ; mais nous ne fommes pas fans efpérances.
Il eft certain , du moins , que plus le
Général Prevoft , & le Colonel Campbell
s'avanceront dans le Pays , plus ils trouveront
de réfiftance. Au commencement de ce mois ,
nous apprimes que le premier & le fixième
Régiment de la Caroline Méridionale , un gros
corps de la Caroline Septentrionale & 1000
hommes de milices du Comté de Cambden ,
s'étoient déja mis en marche vers les frontières
Méridionales ; qu'un autre détachement deodo
hommes de la milice de Cambien une fe
conde divifion de la Caroline Septentrionale ,
& un gros corps de Virginiens alloient les
fuivre . Nous apprenons aujourd'hui quelle Général
Lincoln & le Général Moaltrée , après
avoir combiné leurs mouvemens & leurs marches
, tentent , avec la plus grande eſpérance
( 25 )
de fuccès , de couper la retraite de l'ennemi ,
qui ne peut éviter le fort de l'armée de Saratoga,
qu'en combattant heureufement ; ce qui
paroit difficile lorfqu'il fera attaqué de deux
côtés par les troupes qui l'entourent .
-
Si les vaiffeaux Britanniques nous enlèvent
de tems en tems quelques - uns de nos Armateurs
, ceux- ci prennent auffi fouvent leur revanche.
L'Amérique de 36 canons a conduit le
25 du mois dernier à Charles Town dans la
Caroline méridionale , l'Autruche , frégate de
24 canons , appartenant à l'efcadre de l'Amiral
Gambier , dont elle s'eft emparée après un
combat qui a duré 3 heures. On écrit auffi de
Bofton , que l'armateur l' Allarme a pris le Refus ,
chaloupe de 16 canons , ainfi qu'un bâtiment
venant d'Halifax , avec 3700 galons de melaffe
, 5600 livres de fucre , &c. & que l'armateur
la Défiance y eft rentré , après avoir
fait 8 prifes , dont il avoit débarqué les équipages
à la Martinique .
Trentown , du 28 Février. Les troupes Royales
font toujours très - refferrées à New - Yorck
manquant de tout , & trop foibles pour pouvoir
faire aucune entreprife confidérable. La défertion
y règne , ce qui contribue encore à les
affoiblir ; le Général Clinton , qui n'a pu l'arrêter
, vient d'effayer d'y remédier par la proclamation
fuivante , qui ne lui ramènera peutêtre
pas un homme. » Attendu que les déferteurs
des troupes de S. M. qui font à mes ordres ,
& que l'on fçait être paffés au fervice de l'ennemi
, en réfléchiffant fur l'infamie dont ils fe
couvrent en portant les armes contre leur
Souverain & contre leur Pays , rentreroient
dans le devoir , s'ils n'étoient retenus par la
crainte du châtiment , je proclame , par la
préfente , un pardon général pour tour déferteur
de quelque grade & dénomination qu'il
(198 )
puiffe être qui joindra volontairement , n'importe
quel corps des troupes de S. M. , avant
le premier Mai prochain « .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 30 Avril.
?
LE 12 de ce mois le Roi , fur la démiffion
de M. de Bory , a difpofé du Commandement du
Château de Pierre- en - Cife en faveur de
M. de Rouches , Lieutenant- Colonel de Cava
lerie , ci devant Maréchal des Logis de fes
Gardes en la Compagnie de Villeroy.
-
S. M. a nommé le 18 à l'Abbaye de Beaulieu ,
Diocèfe de Limoges , l'Abbé Gondoin , Vicaire-
Général d'Orléans ; à celle du Perray - Neuf,
l'Abbé de Mallian , Aumônier de Madame ; au
Prieuré de St. Martin - de - Paley , M. de la
Bintmaye ; à celui du Gahart , M. du Voifin ,
Vicaire Général de Laon ; & à celui de la
Roche-fur-Yon , M. Charette de la Colinière.
Le même jour,M.Mefnard de Chouzy, Miniftre
Plénipotentiaire du Roi auprès du Cercle de
Franconie , qui étoit de retour en cette Cour
par congé a eu l'honneur d'être préfenté à
S. M. par le Comte de Vergennes , Miniftre
& Secrétaire d'Etat au département des affaires
Etrangères , & de prendre congé de S. M.
pour retourner près ce Cercle.
Le Roi & la Famille Royale fignèrent ces
jours derniers le Contrat de mariage du Comte
de la Tour- du - Pin - la - Charce , Brigadier des
Armées du Roi , avec la Comteffe de Bérulle
de Rigny , Chanoineffe de Neuville , fille du
Marquis de Bérulle , premier Préfident du Par
lement de Grenoble.
La Cour eft partie d'ici le 25 de ce mois
pour aller au Château de Marly , où elle doit
refter jufqu'à la veille de la Pentecôte ,
M.
( 97 )
M. de la Foffe , Graveur , eut l'honneur de
remettre le 18 à LL. MM. & à la Famille
Royale , la cinquième livraiſon du Voyage Pittorefque
de l'Italie.
De PARIS , le 30 Avril.
LE départ de l'efcadre de M. de la Mothe-
Piquet a été fufpendu par les vents contraires
qui ont régné quelque-tems , & qui ont enfin
changé de la manière la plus favorable. On a
lieu d'efpérer qu'avant fon arrivée aux Indes-
Occidentales , les affaires auront changé de
face. La jonction de M. de Graffle avec M. le
Comte d'Estaing doit être actuellement effectuée
. Un navire Hollandois parti de St-Euftache
, affure avoir vu cette efcadre arriver par la
Guadeloupe , & éviter par conféquent la flotte
Angloife qui l'attendoit vers la pointe méri
dionale de la Martinique ; cette nouvelle eft
d'autant plus vraisemblable , que l'on fait par les
dépêches reçues précédemment du Vice-Amiral
François , qu'il avoit envoyé 4 frégates audevant
de M. de Graffe , pour l'informer de la
jonction des Amiraux Byron & Barrington , &
de la pofition qu'ils avoient prife dans la baie du
Gros Iflet , à Ste - Lucie , pour le couper s'il ne
prenoit fon cours par le nord de la Martinique.
Les vaiffeaux le Deftin de 74 canons & le
Caton de 64 , font arrivés de Toulon à Breft ,
où l'on compte avoir bientôt 36 à 38 vaiffeaux
de ligne fous les ordres de M. le Comte d'Orvilliers
, malgré les différentes divifions qui en
font forties fucceffivement fous ceux de MM. de
Graffe , d'Orves , de Vaudreuil & de la Mothe-
Piquet. Lorfqu'on aura parfaitement remédié
aux défauts de conftruction des trois vaiffeaux
nouvellement effayés à Rochefort , ils fe joindront
à cette grande flotte qui , à ce que l'on
S
Mai 1779.
E
( 98 )
croit , pourra être encore augmentée par 6
vaiffeaux de guerre que l'on préfume que M.
d'Abon a ordre , dit-on , d'y conduire de Toulon.
On parle du moins beaucoup de la jonction
des vaiffeaux de ces deux départemens ; fi elle
s'effectuoit , cela confirmeroit l'opinion où l'on
eft généralement , tant ici qu'en Angleterre ,
que l'Espagne s'eft chargée de garder la Méditerranée
, & que la déclaration qu'elle en a
fait faire à la Cour de Londres , a empêché
celle-ci d'y faire paffer plus d'un vaiffeau de ligne
& quelques frégates. Ce fervice que nous
rendroit la flotte de Cadix feroit déja important
, quand même la démarche à laquelle on
s'attend de la part de la Cour de Madrid n'auroit
pas lieu . On fe flatte cependant que cette
démarche , fi long-tems fufpendue , n'eſt pas
éloignée. » Tout paroit toujours annoncer des
projets hoftiles , écrit-on de Bilbao ; plufieurs
régimens arrivés dans les lignes de St- Roch , 4.
autres qui viennent de renforcer la garnifon de
Cadix , & 2 qui cantonnent aux environs de
cette place , 2000 quintaux de poudre conduits
à Séville , des levées continuelles pour les troupes
de terre & de mer , tous les Officiers de
marine ayant ordre d'être rendus dans leurs dé.
partemens pour le premier Avril prochain , la
fréquence des couriers de Madrid à Verfailles ,
& de Verfailles à Madrid , tout en un mot annonce
une guerre prochaine, mais notre cabinet,
toujours plus impénétrable , nous tient encore
dans l'incertitude «<.
>> Si les Hollandois , lit-on dans une lettre de
Breft , pour ne pas bleſſer la majeſté du peuple
Anglois , héfitent à nous apporter des bois de
conftruction , d'autres Nations neutres s'empref
fent de les remplacer ; 3 vaiffeaux de guerre
Suédois ont conduit ici plufieurs bâtimens de
leur Nation qui en étoient chargés ; & les Da(
99 )
nois paroiffent ne pas demander mieux que de
profiter des avantages que ce commerce peut
leur procurer «.
Le 16 de ce mois , 2 cotters du Roi arrivérent
dans la rade de Dunkerque , avec le paquebot
Anglois le Prince d'Orange , aux ordres du
Capitaine Williamftory , dont ils s'étoient emparés
à la vue des côtes d'Angleterre . On ajoute
que c'étoit la première fortie de ces cotters.
Leur prife eft confidérable , puifqu'il y avoit
outre 21,000 liv . fterl . en or , beaucoup de
diamans & d'autres bijoux de, prix . On a remarqué
que c'eft déja la feconde fois que ce
paquebot a été pris depuis le commencement
des hoftilités entre la France & l'Angleterre ,
& que c'eft même le feul auquel cet accident
foit arrivé.
Le Capitaine Mignard , Capitaine du Corfaire
la Ville de Honfleur , le même qui , le 19
Février dernier , foutint pendant 7 heures &
demie un combat contre 2 corvettes Angloifes
' vient de fe fignaler encore . » Le 29 Mars
écrit-on de Cherbourg , faifant route pour fortir
de la Manche , il fut chaffé par une caiche du
Roi d'Angleterre , de 18 canons de 6 , & qui
avoit des troupes à bord ; M. Mignard n'avoit
que 14 canons de 4 , & 107 hommes . Quoiqu'il
reconnût qu'il étoit inférieur à tous égards à fon
ennemi , il réfolut de l'attendre . Le combat
s'engagea à 5 heures & demie , avec une ardeur
égale de part & d'autre ; les deux batteries fe
font trouvées plufieurs fois bord à bord , mais
l'Anglois qui marchoit fupérieurement , a toujours
évité l'abordage , & s'eft vu à la fin obligé
de quitter la partie. Le Corfaire François eft
arrivé le 30 à la rade de Cherbourg , tout défemparé;
il a eu 3 hommes tués & 18 bleffés.
Le Capitaine qui eft au nombre de ces derniers
a le vifage tout brûlé ainsi que les mains , par
›
"
E 2
( 100 )
les artifices que l'Anglois a lancés fur fon bord «<
Sur le compte qui a été rendu au Roi des preuves
réitérées de bravoure qu'a donné M. Mignard
, S. M. a bien voulu lui en marquer fa
fatisfaction par le don d'une épée.
» M. Franjon de cette Ville , jeune homme
de 22 ans , écrit-on de Montelimart , vient de
fe diftinguer d'une manière remarquable , qui
mérite d'être publiée . La bravoure connue de
ce jeune homme , lui avoit fait confier le commandement
du vaiffeau corfaire nommé le Mars ;
cette confiance a été pleinement juftifiée . Il eft
arrivé à la Martinique , conduifant avec lui
deux prifes , dont l'une , fur - tout , eft importante
par la cargaifon , & les difficultés qu'il
a furmontées pour s'en rendre maître . C'eſt un
corfaire Anglois chargé de 7000 quintaux de
marchandifes , monté en forces bien fupérieures
à celles de Franjon . Il engagea lui - même le
combat. Son ennemi fit une longue réfiftance
mais fa fupériorité ne le déconcerta pas. Il
parvint à l'abordage , & fe mit lui-même aux
prifes avec le chef Anglois. Il lui trancha la
tête d'un coup de fabre , & l'équipage fe rendit
en voyant tomber fon Chef La feconde prife
qu'il a faite , eft une goëlette Angloiſe , dont
la cargaifon eft également avantageufe. Les
parens de M. Franjon en étoient fort en peine ;
depuis long-tems ils n'avoient reçu de fes nou
velles ; & ils fe trouvent à préfent bien dédom
magés de leurs inquiétudes «.
MM. Defgranges & Compagnie , dont nous
avons annoncé l'Armement , & auxquels M. le
Chevalier de Larminat a adreffé des propofitions
par la voie de notre Journal , viennent
de nous faire paffer leur réponſe que nous
nous empreffons de tranfcrire. Elle offre au
Public en général & à leurs Actionnaires en
particulier , des détails intéreffans fur une partie
•
IOI )
de la vafte entreprife qu'ils ont formée , & une
jufte idée de quelques - uns de leurs moyens
pour en affurer le fuccès. L'attention qu'ils ont
apportée à la partie militaire garantit celle
qu'ils mettent dans toutes les autres , & eft
faite pour exciter la confiance.
» Nous avons vu avec plaifir , M. dans le Mercure
du 25 de ce mois , la propofition qui nous avoit
dejà été faite directement par M. le Chevalier de
Larminat. Nous fommes très - aifes de ce que cet Officier
, en s'étant déterminé à la publier , nous ait
fourni le moyen de rendre un hommage public à
fon patriotifime , & au zèle dont il a toujours été
animé pour la gloire de l'Etat . Mais quelque flatteufes
que foient fes propofitions , & quelque detir
que nous ayons de les accepter en entier , nous
n'avons pu lui diffimuler les engagemens que nous
avions contractés avec M. de Milly , Major d'Infanterie
, avant que de le connoître. Comme nous
femmes perfuadés que M. le Chevalier de Larminat
eft convaincu de toute la juftice des motifs qui
nous ont porté à ce premier choix , nous espérons
qu'il nous verra fans peine renouveller ici les con
ditions que nous avons conféquemment été obligés
de mettre à l'acceptation de les offres de fervices.
Nous allons rendre compte au Public & à tous
ceux qui veulent bien nous confier leurs intérêts
dans l'affaire dont il s'agit , des raisons qui nous
ont porté à accorder à M. de Milly le commandement
en chef des Volontaires qui doivent être employés
dans notre armement. Nous manquerions à
notre première obligation à celle que nous ferons
toujours les plus empreffés de remplir , fi , dans
toutes les circonftances qui fe préfentent , nous ne
juftifions de tous nos foins pour rendre notre entreprife
auffi recommandable par fon exécution que
par fon objet.
M. de Milly nous a été recommandé par M. le
E3
( 102 )
Maréchal de Broglie & par M. le Marquis de Caf
tries , qui l'honorent fingulièrement de leur protection
; ces titres fuffiroient sûrement à cet Offcier
pour nous prouver fon mérite , ainfi qu'à toute
la Nation , qui fait que de pareils fuffrages font les
témoignages les plus glorieux & les plus affurés
qu'un militaire puiffe donner de fon courage & de
fa bonne conduite ; mais nous devons une reconnoiffance
particulière au zèle que M. de Milly ne
ceffe de nous manifefter ; & nous ne pouvons mieux
nous en acquitter qu'en entrant dans quelques détails
fur ce qui lui a mérité la protection dont il
eft honoré. Nous fommes perfuadés que ce détail
fera plaifir à tous ceux de nos Actionnaires qui
le liront & cela feul nous le fait juger néceffaire.
>
M. de Milly , Chevalier de S. Louis , eft entré
au Service en 1747 par la nomination à une Lieutenance
dans le Régiment de Limofin ; & à la paix ,
en qualité de Volontaire dans le Régiment du Hainault
, dont il eft forti en 1753 pour prendre une
Lieutenance dans le Corps de Fifcher , duquel il eft
paffé , en 1756 , en qualité de premier Lieutenant ,
dans celui des Volontaires Etrangers , où il s'eft
trouvé à l'affaire de Saint . Caft . Réformé à Metz en
1759 , & remplacé dans le Corps des Chaffeurs
de Turpin , où il a reçu un coup de fufil à la
jambe gauche à Yesberg , fous les ordres de M.
d'Origny avec lequel il a fait toute la campagne ,
& pendant laquelle il s'eft diftingué de manière
qu'il fut confié plufieurs détachemens à fes ordres.
Après l'affaire de Wolckemiffen , il a été choifi
pour aller reconnoître les ennemis pendant la nuit ,
a percé jufques dans leur camp avec s hommes ,
& eft venu rendre compte de leur marche à M. le
Comte de Chabot.
On lui a
confeété
attaqué infructueufement
; le commandement du Château
d'Aremberg , où il a
( 103 )
il a fait dans cette occafion dix Dragons prisonniers.
aux ennemis .
A l'affaire de Stadt ruden , fous les ordres de M.
de Maupeou , il fut choifipour commander l'arrièregarde
compofée de 200 hommes , avec lesquels il
fit retirer les ennemis. Il s'eft trouvé dans cette
campagne aux attaques d'Yesberg , Saltzgoth ,
Arensberg , Stadsberg , Wolckemillen , à l'affaire
de Corbac ; & dans toutes les occafions où fon
Corps a donné , il a mérité l'applaudiflement de fes
chefs .
Pendant l'hiver de 1760 à 1761 , il a réuffi , avec
so hommes , à faire retirer les Troupes qui étoient
cantonnées dans le Comté de la Marck , & a donné
par ce moyen la facilité d'en enlever les fourrages.
Après avoir encore éprouvé une réforme en 1761 ,
il a été envoyé par la Cour à la fuite des Volontaires
du Haynault , fous les ordres de M. de Grandmaifon
, qui l'a employé tant pour des détachemens que
pour les fortifications du Mulhaufen , & la vifite de
Î'Unftruck.
A l'affaire d'Amonebourg , M. de Milly s'eft
trouvé au feu depuis 6 heures du matin jufqu'à s
heures du foir , où il reçut neuf bleffures légères ou
contufions , perdit 35 hommes fur environ 80 qu'il
commandoit dans la maifon du Moulin. M. le
Marquis de Caftries , pendant l'affaire , lui envoya
demander fon nom par M. Luker , alors fon
Aide- de- Camp , & lui fit dire de paffer chez lui
après l'affaire. Trois jours auparavant , il s'étoit
offert d'entrer dans la ville pendant la nuit avec
so hommes ; mais l'ordonnance qui avoit été envoyée
à M. de Caftries à ce fujet , s'étant perdue ,"
l'entreprife ne put réuffir. Sur le compte qui
en a été rendu à la Cour , & d'après la note particulière
de M. de Grandmaiſon , M. de Milly reçut
nne gratification de 300 liv .
Ila tenu pendant deux heures avec so hommes
E 4
( 104 )
contre deux bataillons d'Infanterie ennemie à Eidotf
près d'Arfeld , fous les ordres de M. de Poyanne ,
lors de la retraite des Volontaires de Soubife & de
S. Victor , de Ziegenhayn , & a donné par ce moyen
le tems à fa Cavalerie de fe retirer. M. de Grandmaifon
fut tellement fatisfait de fa manoeuvre , qu'en
arrivant , il lui en fit compliment.
Il a été réformé avec les appointemens , étant
à la fuite , & a obtenu en 1763 l'Aide - Majorité de
Stenay , fans appointemens , & n'y a joui jufqu'à préfent
d'aucuns émolumens , & il a feul rempli ,
jufqu'en 1777 , les fonctions de Major & d'Aide-
Major.
A cette époque , il eft paffé en qualité de Major
au fervice des Etats- Unis de l'Amérique , avec M.
de Bretigny , où il a été pris & conduit à St Auguftin
, d'où il s'eft échappé à la fin de Mars
1778.
Tous les fervices de M. de Milly font certifiés par
M. de Grandmaiſon , M. le Comte de Chabot , &
tous les Officiers - Généraux fous lesquels il a eu
l'honneur d'être employé.
Nous regrettons fincérement qu'on nous ait prévenu
dans l'avis dont votre Mercure nous a donné
connoiffance fur l'énumération des fervices qui ont
mérité à M. de Larminat la confidération dont il
jouit ; mais ce que l'on en a dir , & ce que nous venons
de faire connoître de M. de Milly , nous ont
déterminé aux arrangemens fuivans :
1º. M. de Milly , comme Commandant en chef,
aura le commandement des Volonlaires qui mon.
teront la première divifion . M. de Larminat aura lę
commandement de ceux employés fur la feconde ,
chacun à la tête de leurs Volontaires , & nous aurons
l'honneur de les préfenter l'un & l'autre en
cette qualité à M. de Sartine.
2. En cas de réunion des deux divifions & de
defcente , M. de Milly ayant le commandement en
chef fur toutes les Troupes de l'armement , M. le
( 105 )
Chevalier de Larminat fera dans ce cas les fonctions
de Major- Général defdites Troupes .
3 ° . Le fuccès entier de notre entrepriſe dépendant
en grande partie du Public , & par conféquent le
nombre des fix frégates & deux corvettes pouvant
n'être pas entièrement rempli pour le tems que nous
nous fommes propofé , les commandement de MM .
de Milly & de Larminat auront lieu pour les frégates
qui feront mifes les premières à la mer , toujours
conformément aux deux articles ci - deflus.
40. Nous verrons toujours avec plaifir MM. de
Milly & de Larminat fe concerter entr'eux pour le
choix des Officiers & Volontaires qui doivent compofer
les Compagnies qui feront employées fur les
frégates & corvettes ; mais ils nous feront toujours
préfentés par M. de Milly , comme Commandant en
chef.
Quant à la réponse que M. de Larminat exige de
nous fur la propofition de recevoir fa compagnie de
Volontaires en qualité de foufcripteurs , outre que
la condition d'employer le montant de leur foufcription
dans leur habillement , nous paroît trop onéreufe
à nos Actionnaires , la détermination que nous
prendrons là -deffus ne peut être que la fuite de l'adhéfion
formelle de M. le Chevalier de Larminat
aux conditions que nous venons d'avoir l'honneur
de lui propofer. Nous aurons attention à ce que
cette détermination tourne également au plus grand
avantage de nos Actionnaires à celui des Volonque
>
taires ; nous la publierons dans le tems ; mais l'ordre
de notre travail exige que nous nous occupions
des premières opérations dont celle - ci ne doit être
la conféquence ; le compte que nous en devons
rendre doit y être affujetti ; & fi nous en fortons
quelquefois , ce ne fera jamais que dans les circon
tances où comme dans celle- ci , on nous mettra
dans le cas de juſtifier que toutes nos opérations
font préméditées.
Il nous refte , M. à vous remercier de l'attention
E s
( 106 )
que vous voulez bien avoir de publier tous les avis
qui vous font adreffés fur notre entreprife. Quoique
fon objet le rende digne d'occuper une place dans
vorre Journal , confacré tout entier à l'utilité de la
Nation , nous ne vous fommes pas moins reconnoiffans
du moyen que vous nous procurez de faire prendre
de nous l'opinion que nous defirens qu'on en ait, en
nous mettant à portée de juftifier de tous nos efforts ,
pour mériter la confiance dont on nous honore ;
nous vous prions de vouloir bien toujours avoir
la même complaiſance , & de ne rien laiſſer ignorer
de ce qui vous fera adreffé concernant notre armement.
Nous avons l'honneur d'être , & c.
On nous a fait paffer une autre letrre de
M. de Garchery , Avocat au Parlement de
Bourgogne , adreffée à un de fes amis qui lui
avoit envoyé des profpectus de l'Armement
en queftion. Comme elle contient des questions
intereffantes qu'on a faites plufieurs fois , qui
peuvent fe répéter encore & qui demandent
une réponse que MM . Defgranges & Compagnie
feront , fans doute , aifément ; nous croyons
répondre aux intentions de M. de Garchery &
aux leurs en la plaçant ici.
Je vous remercie , M. , de ce que vous avez bien
voulu me faire paffer plufieurs exemplaires du
Profpectus qui le débite à Paris à l'occafion de l'armement
de fix frégates & deux corvettes , projetté
par une compagnie de Négocians de cette Ville . Je
me charge avec plaifir d'en diftribuer parmi mes
amis & mes connoillances , & je defire , autant par
une fuite de mon attachement au bien public , que
pour répondre à votre confiance , de pouvoir coopérer
à l'exécution d'un projet auffi honorable. Mais
plus une opération eft étendue , plus elle eft fufcepible
d'examen dans fes détails. C'eft ce qui m'engage
à vous faire part de quelques obfervations
dont le motif ne peut déplaire aux perfonnes qui
こ
( 107 )
ont formé ce plan , & qui conféquemment ont dû
tout prévoir.
En général , tout le monde convient qu'un armement
de cette force eft , par fa fupériorité fur tout ce
qui a paru dans ce genre jufqu'à préfent , de nature
à procurer beaucoup d'Actionnaires , principalement
dans cette claffe de Citoyens , qui ne font
pas moins fenfibles à l'honneur de la Patrie qu'à la
perfpective utile qui fe préfente au premier abord ;
j'ajouterai même qu'on a faifi tous les moyens poflìbles
pour conduire cette petite flotte aux plus grands
fuccès , foit par le nombre & le calibre des canons.
foit par la quantité de Volontaires , foit enfin par la
nature de la conftruction ; & la réunion de tous ces
objets eft bien propre à exciter l'efprit du patriotifme
dans tous les coeurs , four feconder les vues de
notre fage Monarque contre l'ennemi commun de
la liberté des mers ; mais dans une entreprife , telle
brillante qu'elle foit , il faut faire paître & établir
la confiance. Il eft néceffaire à cet effet que le Public
foir inftruit de plufieurs chofes qui ne font pas
dans le Profpectus. 1 ° . Dans quel tems à peu- près
penfe-t- on que cet armement pourra avoir lieu ?
2º . Peut on compter fur la protection immédiate
du Roi & des Miniftres ? 3 ° . Quelle affurance donnera-
t- on de l'emploi & de la diftribution de fonds
auffi confidérables que la fomme de deux millions fix
cens mille livres ? 4 ° . Dans le cas où les circonf
tances en empêcheroient l'effet , quel feroit le recours
des Intéreffés , & ne conviendroit-il pas que ,
pour cet objet , on défignât un Banquier connu.
comme on l'a fait pour la réception des actions ?
5o . Enfin , quels font les arrangemens pour le commandement
, tant de la Marine que des Volontaires
? L'expérience , les talens & la bravoure ont
fans doute motivé le choix des Chefs dans les deux
parties.
Communiquez ma lettre à MM. Defgranges &
Compagnie , qui connoiffans comme moi la néceffité
E 5
( 108 )
de tranquillifer tout le monde , jugeront bien que
ces différentes demandes qui résultent tout naturellement
du fujet , ne font pas fuggérées par une
fimple curiofité ; d'ailleurs leur réponse , que vous
me ferez paffer par la voie du Journal que vous
jugerez à propos , pour lui donner plus d'authenticité
, multipliera & répandra les éclairciflemens
les plus avantageux , peut-être même les plus décififs
. On ne fe diffimule pas les pertes du Commerce
, mais le découragement n'eft que le partage
des ames foibles & fans caractère ; les inalheurs
ne fe réparent que par des efforts foutenus , &
l'intérêt dans cette circonftance eſt toujours joint
à la gloire . La conduite des Anglois dans la guerre
de 1715 , fournit une preuve bien frappante de
cette vérité , lorfqu'après nos premiers fuccès l'efprit
de patriotifme fit former une fociété de Marine
qui , pour fuppléer aux inconvéniens de la
preffe & de la difette des Matelots , invita dans la
claffe indigente du Peuple, les enfans des trois Royan
mes à fe faire Mouffes , & leurs peres à embraffer la
prefeffion de Matelots , en fe chargeant de la fourniture
de tout ce qui leur étoit néceffaire . Un pen
de réflexion fuffit pour concevoir tout le mérite
d'une action auffi patriotique.
J'ai l'honneur d'être , & c .
Les armemens en courfe fe continuent dans
tous nos Ports ; l'émulation des Armateurs ne
néglige rien pour rendre au Commerce des
Anglois le mal qu'ils ont fait au nôtre . Le Maréchal
de Mouchy , de 28 canons de 18 & de 12 ,
& de 8 de 4 fur les gaillards , Capitaine Gramon ,
260 hommes d'équipage , & le Patrocle de 14
canons de 4 , Capitaine Gramon , cadet , for
tirent de Bordeaux le 6 de ce mois pour commencer
leur croifière ; l'Ecureuil & le Guerrier
du même port , de 12 canons de 6 , & de 60
hommes chacun , font encore en courfe ; la
Revanche y eft entrée après une croifière de s
( 109 )
mois , pendant laquelle elle n'a fait que 3 prifes
peu confidérables . Le corfaire Monfieur de Gran.
ville , a envoyé à Breft un corfaire Anglois de
14 canons . Lê 9 , un bâtiment Espagnol qui
avoit chargé du vin à Bordeaux , pour le compte
d'un Négociant de Morlaix , elt entré dans ce
Port ; il avoit été rencontré par un corfaire
Anglois qui s'en étoit emparé , & le corfaire
Monfieur l'a repris & conduit à Morlaix , où
l'Amirauté y a mis les fcellés. Le Tapageur de
S. Malo de 16 canons , après avoir combattu
pendant 4 heures & demie un corfaire ennemi
de 20 canons , & s'en être débarraflé , a été
rencontré par 3 cutters Anglois , qui l'ont forcé
d'amener.
» Dans le Journal de Bouillon , première quinzaine
d'Avril , page 43 , on lit an article concernant
la famille de MM . du Barry , qu'on y dit avoir été
condamnés à une Cour des Aides , pour ufurpation
de Noblelle . MM . du Barry , connus depuis longtems
en Languedoc au nombre des Gentilshommes
de cette Province , n'ont pu être attaqués fur leur
origine , bien conftatée dans les archives de l'Ecole
Royale Militaire en 1754 , & dans celles de l'Ordre
de S. Lazare , en 1759 ".
Suivant un règlement arrêté par le Roi pour
l'équippement & l'habillement de fes troupes ,
les habits- veftes , les manteaux , les bonnets de
grenadiers , les chapeaux pointus & à quatre
cornes , les plumets élevés & bariolés , dont la
tenue paroifloit avoir été inutilement furchargée
, ont été fupprimés . On en revient à l'habillement
national , qui fera compofé à l'avenir
d'un habit & d'une vefte de drap , d'une culotte
de tricot & d'un gilet blanc . Les habits &
veftes feront coupés à l'ordinaire , dans les proportions
de la taille & de la groffeur des hommes.
Ils feront affez larges pour que le foldat
puifle porter un gilet fous la velle . La longueur
( 110 )
de l'habit fera telle , que boutonné & agraffé
du haut en bas de la taille , il arrive à 3 pouces
& demi de terre , l'homme étant à genoux .
La durée des habits , veftes & gilets , eft fixée
à trois années pour l'infanterie Françoife , &
le remplacement en fera fait par tiers chaque
année ; celle des culottes eft d'un an. La durée
des habits & veftes de la cavalerie & dragons
eſt fixée à 6 ans , & le remplacement s'en fera
par fixième . Mais chaque cavalier & dragon
aura un furtout de tricot qui fera remplacé
tous les deux ans , & fous lequel il portera un
gilet qui fera fait de l'étoffe du vieux furtout.
La cavalerie portera des chapeaux , mais les
dragons conferveront leurs cafques de cuivre
jaune jufqu'à nouvel ordre . Le règlement fixe
invariablement les couleurs affectées à l'uniforme
de chaque régiment , de manière qu'il
fera facile de diftinguer au premier coup- d'oeil
les différens régimens dont les troupes du Roi
font compofées.
1
Des Lettres- Patentes du Roi données à Verfailles
le 18 Février , & enregistrées au Parlement
le 28 du même mois , renvoyant au Parlement
de Paris la connoiffance de tous les Procès
& conteftations que Monfieur a ou pourroit avoir
dans toutes les Cours & Jurifdictions du Royaume.
D'autres , en date du 23 Février , & enregiftrées
à la Cour des Monnoies le 10 Mars
fuivant , ftatuent fur l'exécution de l'Edit du
mois de Septembre dernier , concernant la
comptabilité des monnoies.
Il paroit auffi huit Arrêts du Confeil d'Etat
du Roi ; le premier , en date du 13 Novembre
dernier , permet l'entrée des fels étrangers , de
gemme , d'epfum & de glauber dans le Royaume
, par tous les bureaux de la France , ou
verts au commerce de la droguerie , & impofe
un droit uniforme de 30 liv. par quintal. Le fed
( III )
cond en date du 21 Décembre , défend aux
rouliers-voituriers d'entrepofer les marchandifes
dont ils feront chargés , & leur ordonne de les
transporter directement aux lieux de leur deftination
, conformément aux lettres de voiture
dont ils feront porteurs . Le troisième , en date
du 27 Février , & fuivi de Lettres Patentes ,
ordonne la fabrication de 100 mille marcs , efpièces
de cuivre dans la monnoie de Lyon . Par le
quatrième , en date du 5 Mars , S. M. informée
que l'exportation à l'étranger des métiers propres
aux Manufactures , étoit préjudiciable à
celles de fon Royaume , fait très-expreffes inhibitions
& défenfes à toutes perfonnes , de quelque
qualité & condition qu'elles foient , d'exporter
les métiers , ainfi que les outils &, inftrumens
fervant à leur fabrication , à peine de
3000 liv . d'amende contre les contrevenans
& même d'être pourfuivis extraordinairement ;
S. M. dérogeant à tous Arrêts & Règlemens
à ce contraires . Le cinquième , en date du 12
Mars , concerne le commerce & la vente des
toiles fous la halle de Paris. Le fixième , en
date du 13 Mars , commet M. Bertin Tréforier
des Revenus Cafuels , pour faire le recouvre
ment de la recette des Maîtrifes dans le ref
fort du Parlement de Rouen. Le feptième ,
en date du 14 Mars , porte nouveau Règlement
fur la répartition & le recouvrement des impofitions
dans les Corps & Communautés d'Arts
& Métiers de la ville de Paris. Le huitième a
pour objet les droits de marque & de contrôle
fur les ouvrages d'or & d'argent qui feront
vendus au Mont-de-Piété établi à Paris.
,
Jaques Gui - Georges- Henri de Chaumont ,
Marquis de Quitri , Seigneur & Baron d'Orbec ,
& autres lieux en Normandie , Baron & Sei
gneur de Lefques , & autres lieux en Languedoc
, Chevalier de l'Ordre de Saint- Louis y
( 112 )
Meftre de Camp de Cavalerie , eft mort en
fon château de Saint-Michel dans le Bas- Languedoc
, âgé de quarante - fept ans . Il étoit
héritier du Marquis de Chaumont - Quitri , qui
fut tué au paffage du Rhin en 1672 , pour lequel
Louis XIV avoit créé la charge de Grand-
Maitre de fa Garde- robe , par Lettres - Patentes
en date de S. Germain-en-Laye du 6 Novembre
1669. Il ne refte de cette Maiſon que trois garçons
en bas âge , fils dudit Marquis de Quitri ,
& le Comte de Quitri , Meftre de Camp de
Cavalerie , frère du mort. Cette Maifon tire
fon origine des Comtes de Chaumont en Vexin.
Le dernier chef qui fit plufieurs branches , dont
celle- ci reſte ſeule , fut le Maréchal de Chaumont
, qui , en 1509 , commandoit fous Louis
XII à la bataille de l'Agnadel , & qui fut tué
en 1511 , au fiége de la Mirandole .
Germain-Hyacinthe de Romance , Chevalier
de Prefmon , ci - devant Ecuyer ordinaire du
Roi , commandant fa grande Ecurie , place que
Louis XIV , dont il avoit été Page à la grande
Ecurie , lui avoit donnée , & dans laquelle il
avoit fuccédé à fon père & à fes grands- oncles
qui avoient rempli la même charge dès le règne
de Henri IV , eft mort le 13 de ce mois dans
la 86e . année de fon âge .
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du i de ce mois ,
font 329
26,61,36,90.
1
De BRUXELLES , le 30 Avril.
LES Anglois & leurs partifans , écrit-on de Paris ,
fe font empreliés de regarder & de vouloir faire regar
der la prife de Pondichery comme une conquête du
premier rang ; mais il eft un peu fingulier qu'ils prétendent
que cet évènement attendu & prédit par des
particuliers, ne l'a pas été par le Ministère. Non- feule,
( 113 )
ment le Gouvernement avoit tout prévu , mais fon intention
n'avoit jamais été de conferver fes polleffions
dans l'Inde ; il avoit envoyé par différentes voies
l'ordre de les évacuer. Malheureufement l'exprès
chargé de le porter, envoyé par terre , fut dépouillé
par les Arabes ; la corvette les deux Amis,
qui devoit faire la même route par mer ,
fut retenue
par
tems
>
les vents contraires jufqu'au 21 Mai 1778 ,
& ne put arriver à tems. Un pareil contreretarda
auffi le vaiffeau le Fargés , qui avoit à bord
copie des mêmes ordres , qui ne purent arriver à
leur deftination avant l'attaque de cette Place
affiégée le 7 Août , & qui fe rendit le 17 Octobre.
La conduite des Anglois dans cette occafion prouve
qu'ils ont été les agreffeurs en Afie comme en Europe
, & a été jugée. Les Nations étrangères n'ignorent
pas que fi une fois les François étoient abfolument
expulfés de l'Inde , que fi un traité de
paix ne les rétablit pas dans leurs poffeffions , il y
en a peu qui puiffent fe flatter d'y conferver longtems
les leurs. Quelle que fût la fituation des François
dans ces Contrées , quelque foible qu'on la
fuppofe , il n'en eft pas moins vrai qu'ils y formoient
une puiffante barrière contre l'ambition immodérée
des Anglois.
La réfolution que les Etats - Généraux des
Provinces - Unies ont prife de faire convoyer
toutes les marchandifes qui ne font pas de contrebande
, n'a pas été vue de bon oeil par la
Grande-Bretagne ; le Chevalier Yorke , Am
baffadeur de S. M. B. à la Haye , a reçu ordre
d'en faire des plaintes ; & le 9 de ce mois , il a
préfenté aux Etat- Généraux le Mémoire fuivant.
" Hauts & Puiffants Seigneurs. Le Roi de la
Grande- Bretagne , par une fuite de fon amitié pour
vos hautes Puiflances , & par les juftes égards que
les Souverains fe doivent réciproquement , s'eft
abftenu jufqu'à préfent de fe mêler de la négocia
( 114 )
-
tion que la Cour de France a entamée avec elles
au fujet de la protection à donner à toutes el
pèces de munitions navales , pendant la guerre actuelle
entre Sa Majesté & le Roi très - Chrétien.
Mais les dernières démarches de l'Ambaſſadeur
de France ne lui permettent pas de garder plus
long- tems le filence , & Sa Majefté croiroit manquer
à ce qu'elle doit aux anciennes liaiſons de fa
Couronne , avec V. H. P. fi elle ne les informoit
pas de fes fentimens , fur le danger auquel elles
s'expoferoient , en prêtant l'oreille à des propofitions
, qui les forceroient d'enfreindre une neutralité
qu'elles ont déclaré vouloir obferver. Propofitions
qui attaquent leur indépendance , & qui fa-
Pent même la bafe de leur Gouvernement , n'allant
à rien moins qu'à diffoudre leur union . V. H. P. font
trop éclairées , pour ne pas fentir qu'une Puiffance
étrangère qui s'arroge le droit de favorifer un
Membre de leur Gouvernement , au préjudice des
autres , ne peut avoir d'autre but que de femer la
difcorde entr'eux , & de rompre tous les liens qui
les uniffent , & que fi d'autres Puiffances fuivoient
un pareil exemple , la République feroit mife en
combuftion & totalement déchirée ; qu'une entière
anarchie en feroit la fuite , & fuccéderoit au bon ordre
établi.
Jufques - là l'affaire femble n'intéreffer que V. H. P.
mais quand le but de toutes ces intrigues eft manifeftement
celui de brouiller la République avec le
Roi , & d'entraîner V. H. P. dans une guerre contre
la Grande - Bretagne , fous le prétexte féduifant d'une
parfaite neutralité & de l'intérêt du Commerce , le
Roi ne peut plus demeurer fpectateur indifférent ,
& fe trouve obligé d'expofer à V. H. P. le danger
dans lequel la France a cherché à les plonger.
Sur quel fondement la France a - t elle le droit de
dicter à V. H. P. les arrangemens qu'elles doivent
prendre avec l'Angleterre , par où & quand l'a - t-elle
acquis Le traité que y. H. P. réclament , & ceux
( 115 )
que S. M. feroit également en droit de réclamer ,
ne contiennent rien de femblable , il faut par con
féquent le chercher dans les vues ambitieufes de
cette Puiffance , qui a fait une ligue avec les rebelles
Américains , & qui travaille à y entraîner d'autres.
Dans le cours du mois d'Octobre de l'année paffée ,
le Roi a fait une communication amicale de fa fituation
& de fes fentimens à V. H. P. au moyen d'un
Mémoire remis à leur Envoyé le Comte de Welderen
, par feu Milord Comte Suffolk , dans lequel il
a expofé les vues & la néceffité qui l'obligeoit à fè
défendre contre un ennemi qui l'a attaqué par fur.
prife & injuſtement ; & quoique cet ennemi ait por
té les chofes au point de dicter les réglemens pour la
navigation de V. H. P. pendant les troubles actuels
S. M. loin d'infifter fur une conduite fi arbitraire ,
s'eft contentée de propofer à V. H. P. de conférer
avec fon Ambaffadeur fur ce qu'il conviendroit de
faire pour la sûreté & l'utilité réciproque des deux
Pays.
V. H. P. il eft vrai , ont jugé à propos , à mon
grand regret , de décliner cette offre , & d'incliner
fur l'obfervation littérale & rigoureuſe d'un traité
qu'elles- mêmes doivent s'appercevoir être auffi incompatible
avec la sûreté de la Grande- Bretagne ,
que directement contraire à l'efprit & aux ftipula
tions de tous les traités poftérieurs entre les deux
Nations.
Quel objet en effet plus important , plus indic
penfable que celui de priver fon ennemi des matériaux
qui le mettroient à même de redoubler fes
efforts pendant la guerre ; comment concilier une
protection avouée pour ces matériaux , avec les al
liances fi fouvent renouvellées entre les deux Nations
, ou avec les affurances d'amitié que V. H. P.
ne ceffent de répéter au Roi dans chaque réfolution
qu'elles lui font parvenir . S. M. eft perfuadée que
V. H. P. connoiffent trop le prix de fon amitié pour
fe laiffer entraîner dans des démarches qui y foient
directement contraires .
( 116 )
Pour prévenir des fuites auffi funeftes , & pour manifefter
d'une façon non équivoque la conftante amitié
du Roi , envers la République , S. M. m'ordonne expreffément
d'affurer de nouveau V. H. P. de ſon defir
ardent de cultiver la bonne harmonie entre les deux
Nations ; de leur renouveller les promeffes qu'elle
leur a faites de maintenir la liberté du commerce
innocent de leurs Sujets , conformément aux ordres
déjà donnés , tant aux vaiffeaux du Roi qu'aux
Armateurs , malgré tout l'avantage qui en résulte
pour fon ennemi . Mais S. M. m'ordonne d'ajouter
qu'elle ne fauroit fe départir de l'exclufion que la néceffité
de fa propre défenſe l'a forcée de donner
aux tranſports des munitions navales aux Ports de
France , & nommément à toutes fortes de bois de
conftruction , quand même l'on voudroit les efcorter
par des vaiffeaux de guerre.
د
L'exemple que la France a donné de favorifer
quelques membres de cet Etat , au détriment des
autres , attaque fi directement l'union & l'indépendance
de V. H. P. que le Roi fe flatte de n'être jamais
dans le cas de le fuivre , à moins qu'une condefcendance
déplacée aux vues de la France ne l'ý
oblige , pour indemnifer par - là autant qu'il dépendra
de lui , les Membres de la République qui
fouffriront par la partialité de fes ennemis. Sa Majefté
a toujours cru qu'il n'eft pas de la dignité
d'un Souverain de femer la difcorde dans les Etats
de les voifins,
Le dernier Edit publié par la Cour de France ,
exceptant les villes d'Amfterdam & de Haarlem , de
certains droits impofés aux autres Membres de la
République , pour les punir d'avoir fait uſage du
droit de fouveraineté qui leur appartient , ne peut
que rappeller à l'Europe entière l'expofe des motifs
qui ont engagé le Roi Très- Chrétien de fe liguer
avec les Rebelles en l'Amérique.
Le Roi eft conftamment prêt à faire tout ce qui
peut tendre à l'avantage & à la tranquillité de V.H.P.
( 117 )
pourvu que cela ne foit pas incompatible avec la
sûreté de les Royaumes.
Il fe flatte que V. H. P. ne confulteront dans
cette occafion que leurs vrais intérêts , fans fe laiſſer
divertir ou intimider par des vues étrangères ; qu'elles
coopéreront par- là au maintien de la bonne intelligence
entre les deux Nations , & que S. M. ne fera
jamais obligée de prendre d'autres mefures vis-àvis
de la République , que celles que fon amitié pour
elle lui dictera toujours «.
*
On ignore encore l'effet qu'opérera ce Mé
moire ; s'il en résulte du changement dans les
réfolutions déja prifes de faire convoyer les
vaiffeaux chargés pour le commerce , la Hollande
fera réellement dans la dépendance de
S. M. B. Elle eft actuellement dans un moment
critique , qui la plonge de nouveau dans l'incertitude
& les inquiétudes qui en font la fuite .
>> On ne peut envifager fans furprife & fans
douleur , écrit-on de la Haye , la fingulière pofition
de notre République au milieu des différends
qui divifent deux Puiffances Etrangères.
L'une lui dit : Je veux que vous foyez fouveraine
& indépendante , que vous m'apportiez
les munitions navales dont j'ai befoin , & que
vous faffiez eſcorter les navires qui me les apporteront.
L'autre furvient & dit à fon tour , je
veux que vous foyez fouveraine & indépendante
, pour cet effet je vous défends de porter
des munitions navales à mon ennemi , quand
même l'on voudroit les eſcorter par des vaiffeaux
de guerre . Sur quel fondement ajoute
encore l'une , l'Angleterre a-t- elle le droit de
vous dicter les arrangemens que vous devez
prendre avec la France ? L'Angleterre ne manque
pas de faire auffi la même queftion ; mais
aflurément elle n'a pas la même raifon . La
France veut que nous foyons libres , & que
nous faffions ufage de notre liberté , d'une ma(
118 )
1
nière avantageufe pour nous ; l'Angleterre n'ofe
pas nous dire qu'elle ne veut pas que nous foyons
libres ; mais le fommes-nous , fi comme elle le
prétend , nous ne pouvons faire ufage de notre
liberté qu'à fon profit ? Elle réclame la teneur
de quelques traités en fa faveur ; mais c'eſt une
maxime de politique qui a fi fouvent & fi longtems
été établie par le fait qu'on peut dire
qu'elle a paffé en droit , que les Traités entre
Puiffances fouveraines ne font obligatoires qu'autant
que les raifons d'intérêt , de convenance ,
de force ou de crainte qui les ont dictés , fubfiftent
; & que ces raifons venant à ceffer , les
Traités ceffent par-là d'avoir aucune vertu . Or ,
s'il a été un tems où des raifons de crainte , des
motifs de foibleffe ou de befoin , ont impofé à
la République la néceffité d'affujettir fon commerce
à des reftrictions uniquement avantageufes
à l'Angleterre , il eft évident que ces motifs
ne fubfiftant plus , que les tems & les circonftances
étant changés , fon intérêt fa dignité ,
fon honneur , lui font une obligation de changer
auffi fes difpofitions & fes engagemens. Dans
quel Code du droit de la nature , du droit des
gens ou du droit politique eft- il établi , qu'un
état fouverain ayant commencé d'être dans la
dépendance d'un autre état , doit y refter éternellement
, & que cet affujettiffement qui réfulta
uniquement de la force , doit fubfifter encore
après que la force eft détruite . Il eft des
tems fans doute , où il faut favoir céder à un
autre une partie de fes droits pour conferver
le refte ; mais lorfque le tems vient de rentrer
complettement dans fes droits , il convient également
de favoir en profiter. Le grand mal eft
que la République ait négligé fa marine pendant
quelque tems , & qu'elle n'en ait pas actuellement
une capable de faire refpecter fa
neutralité. Un autre mal , c'eft peut-être le dé(
119 )
"
faut d'unanimité dans les vues générales ; que
des intérêts particuliers dérangent quelquefois «.
Une autre lettre d'Amfterdam contient les
détails fuivans ; les faits dont elle parle font antérieurs
à la précédente ; mais ils ont fans doute
contribué à faire préfenter le Mémoire de l'Ambaffadeur
Anglois ..
1
» Le 10 du mois dernier , le Prince Stadhouder
propofa à l'Affemblée Provinciale de Hollande , un
avis qui a été publié depuis , & dent on a fait plufieurs
éditions. Il porte en fubftance qu'il convenoit de
fufpendre les convois pour les bâtimens chargés de
bois de conftruction , jufqu'à ce que la République
fe fût mife dans un état complet de défenfe ; c'eftà-
dire qu'elle eût porté fon armée de terre à 50 ou 60
mille hommes , & fa flotte à 50 ou 60 vaiſſeaux de
guerre , dont au moins zo de ligne . Cette Ville &
les -Villes les plus confidérables de la Hollande , furent
au contraire d'avis que la République n'étant
-menacée d'aucune apparence de guerre fur terre ,
rien n'indiquoit la néceffité urgente d'augmenter l'armée
; qu'à la verité , il conviendroit au bien-être de
la République , d'avoir fur pied so à 60 vaiſſeaux de
guerre ; mais que cette augmentation demandoit
beaucoup de temps & d'argent ; & qu'en attendant
que les autres Provinces euffent fourni leur quotepart
réelle à cette dépenfe , il falloit s'en tenir à l'armement
réfolu vers la fin de l'année dernière , qui
eft de 32 vaiffeaux pour la protection de la navigation
de cette République ; & à la réfolution des Etats
de Hollande du 26 Janvier , que les Etats-Généraux
adoptèrent le 28 , par laquelle on ordonnoit des
convois , felon toute l'étendue des traités. Dans l'affemblée
des Etats de Hollande du 30 Mars , ce dernier
fentiment l'emporta à la pluralité de 10 voix ,
contre 9 , & les convois furent réfolus en conféquence
. Le lendemain , la moitié du corps des nobles
qui n'a qu'une voix dans les 19 , voulut faire
une proteſtation contre cette réfolution ; mais elle
( 120 )
eft nulle pour deux raiſons. 1c. Parce qu'il n'étoit
plus tems de proteſter , & qu'il falloit le faire quand
la réfolution pafla . 20. L'autre moitié eſt du ſentiment
contraire ; & l'on ne fauroit protefter qu'à
l'unanimité «.
>> M. le Chevalier de Verdière , Maréchal de
Camp , écrit-on de Paris , a été préfenté au Roi
par le Maréchal Duc de Duras , premier Gentilhomme
de la Chambre. Il étoit parti il y a 3 ans
pour aller vacquer à fes affaires aux ifles de
France & de Bourbon . Il effectuoit fon retour
fur un vaiffeau particulier , fans défenſe & fans
connoiffance des hoftilités , lorfque le 27 Septembre
dernier , à 40 lieues des côtes de France ,
il est devenu la proie des corfaires Anglois.
On l'a retenu 7 jours dans la rade de Moterbank
, l'une de celles de Portſmouth , pour lui
faire éprouver les plus mauvais traitemens. Les
malheurs de cet Officier Général ne fe bornent
point aux pertes qu'il a faites ; fon fort eft encore
plus à plaindre. Les Miniftres , en Angleterre
, prétendent qu'il eft prifonnier de guerre ,
ceux de France ne penfent pas de même , & ne
font pas contens qu'il ait pris en Angleterre
un Paffe- port avec parole de retourner dans
3 mois en effet , il ne paroît ni jufte ni raifonnable
de regarder comme prifonnier de
guerre un Officier Général qui eft dans l'état
d'un homme privé à la fuite de fes affaires ,
fans lettre de fervice , fans Gouvernement , fans
Régiment. Cette conféquence eft d'autant
mieux fondée , qu'il a cru pouvoir difpofer de
lui , en demandant ce Paffe-port , & s'obligeant
de retourner en Angleterre fur la première fommation
, fans qu'aucun Miniftre en France ait
pris part à ces arrangemens . On a de la peine
fe perfuader que les Miniftres d'une grande
Nation , comme celle d'Angleterre , exercent
plus long-tems une pareille injuftice «.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTEN ANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis›
particuliers , &c . &c .
15 Mai 1779.
APARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABL E.
PIÈCES
FUGITIVES.
&
Vers à M. le Comte de
Treffan J
Ordres de Saint François
,
123 Bibliothèque Universelle
Réponse de Madame du des Romans ,
Boccage à un Ottogénaire
,
168
177
SPECTACLES.
172
180
124 Académie Royale de Mu-
Aventures de Voyage, 126 fique ,
La Mort de Coco , Elégie , Comédie Françoife
135 Comédie Italienne , 181
Traduction d'une Chanfon ACADÉMIE S.
Laponne , 136 Séance publique de l'Aca-
Stances Anacréontiq. 137 démie Royale de Chi-
Aux Mânes de J. J. Rouf- rurgie ,
feau , 138 Anecdote
Réflexion ,
,
182
190
139 Annonces Littéraires, 191
JOURNAL POLITIQUE.
Conftantinople ,
Enigme & Logogryp, ibid.
NOUVELLES
LITTERAIRES. Pétersbourg,
OEuvres complettes d'Ale- Stockholm ,
xandre Pope , 141 Varfovie
La Fortification Perpendi- Vienne ,
culaire,
Séances publiques de l'A- Livourne ,
cadémie Royale de Chi- Londres ,
193
194
ibid.
197
198
200
203
158 Hambourg,
141206
rurgie , 167 Etats- Unis de Amériq.
Abrégé hiftorique dela Vie Septent. 217
Bienheureux & Bien- Paris , ro
JAT
des Saints & Saintes , Verfailles .
heureufes, &c. des trois Bruxelles
APPROBATION.
Alu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Je n'y ai Mercure de
France , pour le 15 Mai
l'impref
ion, A Paris , ce 14 Mai 1779. DE SANC
220
221
235
MERCURE
DE FRANCE.
15 Mai 1779.
PIECES FUGITIVES
EN VERS. ET EN PROSE
६
VERS à M. le Comte DE TRESSAN ,
Lieutenant-Général des Armées du Roi,
Commandant du Comté de Bitch , de la
Société Royale de Londres , de l'Acad me
de Berlin , & Affocié Libre de l'Académie
Royale des Sciences , fur la Traduction
libre d'Amadis de Gaule.
EMULE d'Amadis , tival d'Anacréon
CherauDieu des Combats comme aa Dieudu Permefle,
Fij
124
MERCURE
Les Myrthes autrefois ont paré ta jeuneffe ;
7
Mais les lauriers , Treffan , font de toute faifon ,
Et la palme des Arts couronne ta vieilleſfe.
RÉPONSE de Madame DU BOCCAGE
à un Octogénaire.
DANs
ANS l'hiver des ans la pareffe
Engendre l'ennui , les regrets ;
Et tu demandes quels hochets
Pourroient amufer la vieilleffe ?
Je l'ignore : eft-ce un jeu d'onchets ?
Ta main tremblante a peu d'adreffe :
Aurois- tu recours aux échecs ?
Ta tête, hélas ! n'y peut fuffire ;
Et le charme des vains projets
Sur un vieillard n'a plus d'empire.
Veut- il fe délecter des mets
Que fans befoin le goût defire ?
Son corps en fouffre , & mille maux
Le défolent tant qu'il refpire.
2
Pour s'en diftraire , s'il veut rire ,
Le mot ne vient point à propos,
Si près d'une belle il foupire
Elle en rit avec les rivaux.
Pour goûter les Romans nouveaux
Son cerveau manque de délire.
Le temps eft paffé de s'inftruire à
DE FRANCE. 125
En vain
par
d'amufans travaux ,
Dans les ans paffés veut- il lire ,
Ses yeux demandent du repos ;
Et des doux accords de la lyre ,
Son oreille a perdu le fon.
L'héritier , que fon bien attire,
Attend, pour jouir , qu'il expire.
Oui ( quoi qu'en dife Cicéron )
Un Neftor mêine eft un martyre 3
Il rampe en vain vers l'Hélicon ;
Son pied chancelle , & la Sageffe
Lui dit : tes chants hors de faifon
N'ont plus d'attrait pour la jeuneffe ,
Et pour danfer un rigaudon
Tes jambes manquent de foupleffe ;
Tes amis , déjà chez Pluton ,
Ne peuvent calmer ta trifteffe.
Qué te refte-t'il ? ... La raiſon :
peut-on réfléchir fans ceffe ! Et
Fij
126
MERCURE
AVENTURES DE VOYAGE ,
Nouvelle imitée de l'Italien de Malefpini.
ISIDO
ISIDORE , Gentilhomme de Favie , fe mit
en voyage , fur la fi de l'automne , pour fe
rendre aux invitations du Prince de Maifa ,
fon parent :& fon ami. Il s'arrêta quelques
jours à Gènes , & après avoir vifité les curiofités
de cette fuperbe ville , il refolut de
s'embarquer dans une tartane , le chemin
par terre étant devenu trop dangereux à
caufe des guerres civiles qui troubloient
l'Etat. Le Patron du havire vint avant le
jour l'avertir du départ . On déploya les
voiles par un vent favorable. La tartane
étoit pourvue de bons matelots , & ne renfermoit
que fept paffagers , parmi lefquels
un jeune homine d'une figure très - avantageufe
couvroit de fon manteau une Dame
pour la garantir du froid & de l'humidité de
pour
Les autres étoient deux femmes- dechambre
& des hommes du commun. A
peine eut- on fait douze milles en mer , que
le vent changea , & devint fi violent que
les matelots ne pouvoient fe fervir de leurs
rames , ni gouverner le petit bâtiment. Ifidore
engagea le Patron de débarquer à Porto!
Fino ; ce qu'il exécuta avec beaucoup de
peine. Nos voyageurs fe réfugièrent dans
DE FRANCE. 127
une auberge , où le noble Pavelan fit faire
un grand feu , & apprêter un bon repas . Cependant
le jeune homme & la Dame fetenoient
à l'ecart , & fembloient n'ofer fe
montrer. Il fallut les plus vives inftances du
Pavefan pour les engager de fe rendre à fes
offres. Quel fur fon étonnement quand il vit
la beauté de cette Dame ! Il conçut dès - lors
le plus vif interêt pour ces aimables étran
gers , & fut bientôt gagner leur confiance
par fes foins obligeans. La mer continuoit
d'être fi orageufe qu'elle ne permettoit pas
de fe remettre, en voyage. En attendant ,
Ifidore & l'étranger laiffant la Dame avec
l'hôteffe & les gens de l'équipage , mɔntèrent
fur une éminence pour voir le fpectacle impofant
des flots agités. Alors le jeune homme
jetant un profond foupir , dit au Pavelan :
Seigneur , l'état déplorable où je me trouve
» avec mon épouſe m'arrache enfin le fecret
» de mes malheurs ; mais j'efpère en vous
» les confiant mettre en sûreté fon honneur
» & nos jours , menacés des plus grands dan-
" gers ". Daignez , répondit Ifidore , me
faire part de vos craintes & de vos infortunes
, & comptez que j'emploirai mes richeffes
, mes amis , ma vie même , s'il le faut ,
à votre fervice. L'étranger encouragé par des
fentimens auffi généreux , lui dit : « Vous
faurez donc que je fuis le fils unique du
Comte de Tolingue. Je devins éperdument
amoureux de Mélanie , fille du Marquis de
Maguclonne. Je n'ai rien négligé pour obte
Fiv
728 MERCURE
nir fa main; mais une vieille inimitié qui
fubufte entre nos deux Maifons s'eft toujours
oppofée aux fuccès de mes voeux. Informé
que , pour m'ôter tout espoir , fes parens
avoient choifi pour fon époux le Chevalier
de Ramufe , qu'elle ne pouvoit fouffrir ,
j'ai pris le parti , d'accord avec Mélanie , de
l'enlever de chez fon père , qui ne craignant
rien de pareil , ne veilloit pas de fort près à
fes actions. Une belle nuit , affifté de quatre
de mes vaffaux les plus affidés , j'entrepris de
la conduire en Picardie dans une Terre d'une
de mes parentes , pour la fouftraire aux perfécutions
de fa famille . Avec le renfort de
quelques amis bien montés , nous fuivions
notre route , lorfqu'au fortir d'un bois nous
rencontrâmes le Comte de Rones , coufin
de Mélanie , homme fier & violent , qui prétendoit
auflì à fa main , mais qu'elle avoit
toujours rejeté. Il étoit accompagné de gens
à cheval ; il avoit fans doute fait épier notre
marche. Auffi-tôt qu'il nous apperçut : qu'on
-arrête , dit-il d'un ton impérieux , ces genslà;
je veuxfavoir qui ils font , & où ils emmènent
cette jeune perfonne. Nous fûmes
en même- tems inveftis de toutes parts . Perfuadé
qu'avec ma foible eſcorte je ne pouvois
réfiſter à tant de monde , je crus mettre
fin à cette aventure en déclarant qui nous
étions , & notre deffein. Que je fus cruellement
détrompé ! Dès que le Comte de Rones
entendit mon nom , devenu encore plus
furieux , il s'écria : Traítre ! infâme raviffeur!
DE FRANCE. 129
j'arrêterai tes odieux projets ; tu vas périr de
la mort la plus affreufe , pour fervir àjamais
d'exemple aux fcélérats de ta forte ! A ces
mots il me porte un coup d'épée fi terrible ,
que , fi je n'euffe effacé le corps en me précipitant
de cheval , il m'auroit tué. Mes gens
me croyant mort , l'attaquèrent avec intrépidité
; & , comme il étendoit le bras pour
faifir aux cheveux Mélanie , ils le bleffèrent:
dangereufement. Le combat devint général
avec ma troupe & la fienne. Sans doute que
la nuit , qui s'approchoit , aura donné aux
miens , qui étoient en trop petit nombre , la
facilité de s'échapper. Pour moi , fongeant à
fauver Mélanie , qui étoit étendue par terre
fans connoiffance , je m'approchai d'elle en
tremblant. Elle m'apperçoit , fe foulève , &
fe précipite entre mes bras. Je lui dis d'une
voix baffe & prefqu'étouffée : Idole de mon
coeur, fi jamais il fallut montrer du courage
& de l'agilité , c'eſt à-préfent ; rappelez toutes
vos forces & fuivez - moi . Auffi- tôt je l'entraînai
dans la forêt. Nous y courûmes longtems
, jufqu'à ce que , fuccombant à la laffitude
& à la détreffe , nous nous jetâmes au'
pied d'un arbre. Nous ne favions comment
fortir de ce bois touffu , où il ne paroiffoit
ni voie ni fentier ; nous appréhendions de
n'avoir été préſervé par notre barbare deſtinée
, que pour devenir la proie de bêtes fauvages
qui pouffoient des hurlemens affreux.
Dans cette extrémité, au milieu des halliers
& des ronces , nous entendimes le trépigne-
Fy
130
MERCURE
ment de quelque animal qui s'avançoit vers
nous ; craignant , non fans fondement , que.
ce ne fût quelque bête carnacière , faidai
Mélanie à grimper fur l'arbre , & je me mis
en défenfe heureufement que ce n'étoit
qu'un mulet fort pacifique. Je l'arrêtai , me
doutant bien qu'il s'étoit échappé de quelque
maifon ou cabane voifine ; je fis defcendre
ma compagne , & la plaçai fur le mulet
que nous laiffames aller en liberté , le prenant
pour notre guide. En effet , il nous con .
duifit à la chaumière d'un Bûcheron , qui
nous reçut avec d'autant plus de joie que
nous lui ramenions fa monture, qu'il croyoit
dévorée par les loups dont le bois eft rempli.
Obligés de fuir précipitamment , nous avions
laffe fur le champ de bataille , équipages ,
argent , bijoux ; il ne nous reftoit que nos
habits , une chaîne d'or que j'avois au cou ,
& quelques pierreries. Nous fîmes le projet
de paffer en Italie , & d'y demeurer inconnus
jufqu'à ce que le temps , remède univerfel
de tous les maux mit fin à nos:
misères. Le lendemain nous priâmes le Bûcheron
& fa femme de nous donner quelques-
uns de leurs vêtemens en place des
nôtres , à quoi ils acquiefcèrent volontiers ,
dans l'efpérance du profit ; car la fimplicité
ruftique n'exclud point la cupidité , & l'amitié
du Payfan l'aveugle rarement fur fes
intérêts. Habillés en villageois , & inftruits
par ces bonnes gens , qui nous accompagnerent
quelque tems , de la route qu'il falloit
DE FRANCE. 131
tenir , nous les quittâmes. Arrivés à Marfeille
, nous nous embarquâmes pour Gênes,
où Mélanie , fatiguée de la mer , me propofa
de faire quelque féjour . Nous vendîmes la
chaîne d'or & le peu de pierreries qui nous
reſtoient , & , abandonnant nos habits ruftiques
, nous achetâmés ceux que vous nous
voyez. La fortune n'avoit pas épuisé tous fes
traits contre nous ; elle nous préparoit encore
de nouvelles difgrâces. Nous avions
pris dans Gênes , à l'Auberge de Sainte-Marie ,
un logement fort ifolé. Certain jour que
j'étois forti du matin pour quelques affaires ,
le valet de l'hôtellerie , qui avoit fans été
doute gagné , introduifit un jeune homme fuperbement
vêtu dans la chambre de Mélanie.
Je ne fais comment ce galant avoit pu
la voir pour en être fi paffionnément épris ,
car elle vivoit extrêmement retirée. Il employa
les offres les plus riches , les flatteries ,
& tous les moyens de féduction ; mais ne
pouvant réuffir dans fon criminel deffein , il
vouloit recourir à la violence : Mélanie
crioit , fe défefpéroit , appeloit du fecours ,
lorfque j'arrivai , fort à propos fans doute.
J'enfonce la porte ; je m'élancé fur cet
homme , & le perce de mon épée , délivrant
à la fois Mélanie & moi d'un commun opprobre
ce malheureux tomba roide mort.
Le meurtre s'étant fait fans éclat , j'entraînai
aufli- tôt Mélanie , fermant la chambre , où la
frayeur nous fit oublier encore nos hardes &
l'argent qui nous reftoit de la vente de nos
F vj
132 MERCURE
bijoux. C'étoit avant- hier. Nous nous réfu
giames , fans être apperçus de perfonne , chez
un François dont j'avois fait depuis peu connoiffance
: nous lui avons caché notre fu
nefte aventure ; & , prétextant des affaires
très - preffantes , nous l'avons engagé d'aller
voir au Môle fi aucun vaiffeau ne mettoit
pas à la voile. Il nous a rapporté qu'une tartane
devoit partir pour Lérici . Nous avons
alors follicité le Patron d'accélérer fon départ :
il nous a dit qu'il étoit obligé de vous attendre
; mais nos inftances réitérées l'ont déter-
'miné à vous aller chercher de grand matin .
Dieu fait le trouble & l'inquiétude où nous
avons été plongés jufqu'à votre arrivée.Enfin ,
nous comptions être en fûreté , lorſque la
mer , les vents & la fortune ont conjuré
contre nous , pour que la Juftice , informée
de l'homicide , puiffe encore envoyer fur nos
traces , nous faire arrêter & nous livrer au
fupplice comme de vils affaffins. Jugez , Seigneur
, s'il fut jamais une fituation plus
cruelle & plus alarmante ! »
Le jeune Tolingue termina fon récit en
fuppliant le généreux Pavefan de lui accorder
fes confeils & fon appui . Ifidore ne put refufer
des larmes d'attendriffement aux malheurs
de ces Etrangers . Comptez , dit-il , fur
tous les fecours qui feront en ma puiſſance ,
& regardez moi comme un ami & comme
un frère qui vous eft inviolablement attaché.
Je veux , en dépit des ouragans & de la mer ,
vous tirer d'ici , & vous arracher au danger
DEFRANCE.
་ 33
1
:
qui vous menace. Si le chemin par terre
n'étoit pas impraticable , nous monterions
tout à l'heure à cheval ; mais quelque temps
qu'il faffe, il faut nous rembarquer cette nuit,
Il promit triple paie au Patron & aux Matelots
s'ils mettoient fur le champ à la voile ,
& les détermina ainfi à partir fans délai ,
quoique le vent fut très- contraire. On étoit
à la vue de Montereno , paffage fort dange→
reux , où la mer fe divifant , s'engouffre
dans des grottes profondes avec un fracas
épouvantable. Le temps devint tellement
orageux , que le Patron dit à fes gens , qui
étoient immobiles d'effroi fi la tempête
continue , je me jette à l'eau , & fauve qui
pourra. Chacun pâlit à ces mots : Mélanie
confternée , embraffe le Pavefan , qui la
raffure de fon mieux. Il va trouver le Pilote
au gouvernail , &, manoeuvrant avec lui , il
le dirige avec prudence contre la fureur des
ondes ; il harangue les Matelots , leur diftribue
des liqueurs fortes , & leur rend le courage
& la vigueur. Tolingue travailloit auffi
avec les autres paffagers. Enfin on parvint ,
avec des efforts incroyables, à Porto-Venere,
où le généreux Pavelan régala tout l'équi
page ; & le lendemain on arriva de bonne
heure à Lérici. Ifidore retint les deux filles
au fervice de Mélanie , & les conduifit avec
Tolingue à Maffa , qui eft à peu de diſtance
de cette ville. Le Prince reçut avec diftinction
fon Parent & les deux jeunes Etrangers ,
& leur affigna un logement dans fon Palais ,
134
MERCURE
>
prit le plus vif intérêt au fort de ces Amans
infortunés ; &, ayant eu autrefois quelques
liaifons avec leurs familles, dont il avoit connu
plufieurs Officiers dans les guerres d'Italie , il
fit paffer un de fes Gentilshommes en France
pour ménager leur reconciliation. L'Envoyé
agit avec tant de zèle & d'adreffe, qu'il parvint
à réconcilier leurs intérêts : leur plus
grand étoit de revoir leurs enfans , dont ils
pleuroient l'abfence & les malheurs. Ils envoyèrent
vers eux des gens de confiance ,
pour les ramener dans leur patrie , où ils
étoient attendus avec un tendre empreffement.
Ils prirent donc congé du Prince
après l'avoir remercié mille fois de fes bontés
officieuſes. Ils exigèrent du bienfaiſant Ifidore
qu'il les accompagnât , & vint aflifter
à leurs noces : elles furent célébrées avec
grande pompe au fein des deux familles réunies.
Les deux Epoux & leurs Parens ne pouvoient
affez fêter à leur gré leur commun
bienfaiteur. Dans ce même-tems , une Coufine
de Mélanie , riche , aimable , & encore
dans la fleur de la jeuneffe , ayant perdu un
vieux mari qui lui laiffoit de grands biens , ils
la lui firent époufer ; ce qui le fixa pour toujours
en France , où ces deux couples charmans
goûtèrent long - temps les délices de
l'amour & de l'amitié.
DE FRANCE. 135
LA MORT DE COCO ,
SINGE CHERI D'ÉGLÉ.
Optima prima ferè manibus rapiuntur avaris.
ÉLÉGIE
.
QUITTEZ , z , Ameurs , cet air folâtre;
Hélas ! vos jeux font fuperflus !
Nymphes , voilez ce teint d'albâtre :
Pleurez , pleurez , Coco n'eft plus.
QUEL Singe fut plus beau , quelle ame fut plus belle !
On vit briller en lui les grâces de l'Amour :
La Nature jalouſe en briſa le modèle
En lui donnant le jour.
LA mort , l'affreufe mort , infenfible à vos larmes ,
Ofa donc , belle Églé , le frapper dans vos bras !
Errant aux bords du Styx , il pleure encor vos charmes
,
Si l'on pleure là-bas !
Il nous faut tous paffer dans la fatale barque ;
Pour les foibles humains tel eft l'arrêt du fort :
Lerang même n'eft rien ; Berger , Singe & Monarque ,
Tout doit craindre la mort.
136 MERCURE
VOTRE ame à la douleur fuccombe ,
Églé , vos cris font fuperflus !
Jetons des rofes fur la tombe :
Pleurez , Amours , Coco n'eft plus !
( Par M. Maffon de Morvilliers , Avoca
au Parlement. )
TRADUCTION d'une Chanfon Laponne ,
tirée d'une des Lettres du Spectateur
Anglois.
MA Renne * , hâre-toi ; que tu vas lentement !
Qu'au gré de mes defirs ta courſe eft peu fenfible !
Au travers de ces eaux , lance-toi fièrement ,
Sache que pour l'amour il n'eft rien d'impoffible .
PAR-TOUT en ces climats , où je porte les yeux ,
Je ne vois des marais que la vaſte étendue ;
Et déjà le foleil affoibliffant fes feux ,
Bientôt va pour long -temps fe cacher à má vue.
LES prés verds & fleuris , & les côteaux rians
N'ont plus d'attraits pour moi ; je leur préfère même
La glace de ces lacs , & les triſtes étangs :
C'eft par-là que je vole aux pieds de ce que j'aime.
!I
** La Renne eft un animal qui fert aux Lapons pour
voyager en traîneau:
DE FRANCE.
137
JE brûle de defirs ; ma Renne , hâte -toi ,
A mon impatience égale ta vîteffe ,
Bientôt notre voyage eft terminé pour moi ;
Bientôt , ô doux moment ! je verrai ma maîtreffe.
STANCES ANACREONTIQUES.
U
Qui n'a point vu mon
ai- ma - ble
EP
Maîtref- fe , N'a jamais vu
ni graces , ni beau- té ; Dans les beaux yeux .
quel-le dou- ce ten- dref- fe , Et fur fon
fein,Dieux ! quelle vo-lupté , Et fur fon
fein , Dieux quel- le vo -lup- té!
#38 MERCURE
ILs font paffés , les beaux jours de ma vie!
Ils font paffés , cès trop fortunés jours ;
Je ne vois plus l'aimable Virginie ,
Je ne vois plus l'objet de mes amours.
JE pleure , ôcie!! Dieu d'Amour je t'implores
Viens arpaiſer le trouble de mes fens.
Ah ! bien plutôt , viens , beauté que j'adore ,
Sécher mes pleurs par tes charmes puiffans .
REVIENS , reviens diffiper mes alarmes ;
Viens , Virginie , accours entre mes bras;
Si tu ne veux bientôt verfer des larmes
Sur le tombeau du malheureux Hilas .
(Par M. F***. )
AUX MANES DE J. J. ROUSSEAU.
Pour les fenfibles coeurs que ta plume a de char
mes !
Hélas ! le tien jamais n'auroit dû fe flétrir!
A ta cendre je dois l'hommage de mes larmes;
J'admirois la vertu , tu me la fis chérir.
(Par Madame la Marquife de la Fer...)
DE FRANCE. 139
JE
RÉFLEXIO N..
E vois approcher fans frémir
La froide & pefante vieilleffe ;
Et fans regretter ma jeunere ,
Je vois fuir Amour & plaifir.
Si pourtant cet enfant volage
Devenoit fincère & conftant ,
Ah ! je le dis en foupirant ,
Je regretterois le bel âge !
(Par la même.)
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Papier; celui du
Logogryphe eft Tête.
ÉNIGME.
NE me cherchez point fur la terre ,
Bien moins encor au firmament :
Où donc ? Dans l'huinide élément ;
C'eft- là mon féjour ordinaire .
On m'en fait fortir quelquefois
Avec l'animal qui me porte ,'
Pour nous fervir tous deux à la table des Rois ,
140 MERCURE
Ainfi qu'à celle du Bourgeois.
Qu'on m'y traite d'étrange forte !
Je me vois en tous lieux le rebut des valets ;
Mais fur plus d'un mortel j'exerce ma vengeance ,
Et fur les Rois auffi ; fitôt qu'en leur palais ,
En dépit de leur garde , ils fentent ma préſence ,
Il faut voir comme alors ils font embarrallés :
Sans qu'ils me voient , je les pique .....
Lecteur , plus clairement veux - tu que je m'explique ?
Je fuis.... Arrête , Mufe ; en voilà bien affez.
( Par Madame de Potelle. )
LOGOGRYPHE.
L'on me voit à la guerre au milieu du carnage ,
Et mes enfans y font un terrible ravage ;
Car je loge en mon fein tous ces coups meurtriers
Qui renverfent fouvent des bataillons entiers.
Si tu veux , cher Lecteur , un peu mieux me connoître,
Renverſes mes fept piés , & tu verras paroître
Ce qu'on voit en campagne au temps de la moiffon ;
Ton dernier logement ; une amère boiffon ;
Une Province en France ; un ton de la mufique;
Le bord d'une rivière ; un habitant d'Afrique ;
Ce qui tombe fur terre en la triſte ſaiſon ;
Un péché capital ; de la Suiffe un Canton .
Je voudrois-bien , Lecteur , t'en dire davantage ,
Mais le tambour m'appelle , il faut ployer bagage.
DE FRANCE. 141
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EUVRES complettes d'Alexandre Pope ,
traduites en François . Nouvelle Édition ,
revue , corrigée & augmentée du texte
Anglois , mis à côté des meilleures Pièces ,
& ornée de belles gravures. A Paris , chez
la Veuve Duchefne , rue S. Jacques , 8 vol.
in-8°. Prix , 48 liv . brochés.
CETTE Édition l'emporte fur toutes les
précédentes , par la beauté & la correction ,
& fur-tout par l'avantage qu'elle a de contenir
en original les ouvrages qui ont fait
la réputation de l'Auteur , l'Effai fur la critique
& l'Effai fur l'homme , l'Épître d'Héloife
à Abeilard , la Forêt de Windſor , la
Boucle de Cheveux enlevée , le Temple de la
Renommée , & la Dunciade. Il s'en faut de
beaucoup que ces trois derniers approchent
de la fupériorité des précédens . L'Effai fur
la critique eft un ouvrage d'autant plus étonnant
, qu'il fut compofé , dit-on , à dix- neuf
ans. Jamais la raifon & le goût ne furent
plus précoces ; & cette compofition n'a rien
de la jeuneffe que la vigueur & la franchiſe.
D'ailleurs , tout y eft mûr & plein de fens. Il
a peut-être moins d'agrément que l'Art Poé
142
3 MERCURE
tique de Boileau , & une méthode moins
marquée ; mais on y trouveroit plus d'idées.
On a prétendu qu'il y avoit du defordre ; ce
reproche nous paroit injufte ; & la marche
du Poëte Anglois , fans être aufli clairement
tracée que celle de Defpréaux , n'eft ni moins
sûre ni moins rapide. L'Abbé du Refnel s'eft
permis de la changer , de tranfpofer plufieurs
morceaux , de partager en quatre Livres le
Poëme Anglois , qui n'en a que trois. On ne
s'apperçoit pas que Pope ait rien gagné à
tous ces changemens. La verfion de l'Abbé
du Refnel eft pure & correcte , mais fouvent
aulli foible qu'infidelle . Il eſt fort éloigné de
la précision & de l'énergie de fon Auteur
& fa diction eft en général trop profaïque ,
quoiqu'on y remarque plufieurs morceaux
qui ont du mérite, Il paroit que celui de
Pope étoit fur- tout un très-grand fens , un
excellent efprit ; c'eft du moins le mérite
qu'il a pour les Lecteurs de toutes les Nations
celui d'être le plus élégant des Poëtes
Anglois , ne peut être fenti que par ſes compatriotes
; eux-feuls en font les juges compétens.
Mais nous ne pouvons pas les en
croire , lorfqu'ils mettent la boucle de Cheveux
enlevée à côté ou même au-deffus du
Lutrin. Nous fommes fort éloignés de mettre
dans ce jugement aucune partialité nationale ;
mais nous invoquerons le témoignage de
tous les Lecteurs éclairés ; nous les prierons
de comparer la fable , les perfonnages , les
tableaux , les épiſodes , les détails des deux
DE FRANCE. 143
Ouvrages; & peut -être penferont- ils comme
nous que l'invention n'étoit pas le talent de
Pope ; & que s'il a eu la gloire de lutter à
dix- neuf ans contre l'Art Poétique , il eſt
refté bien au- deffous du Lutrin.
Que l'on examine dans cet ouvrage la petiteffe
du fujet fi heureufement vaincue , l'action
fi bien ordonnée , & augmentant toujours
d'intérêt ( autant que le fujet en eft fufceptible
) , du moins pendant les cinq premiers
Livres ; ( car le fixième n'eft pas dignet
des autres ) tous les perfonnages fi bien caractérisés
, tous les difcours fi bien foutenus ,
cet admirable épiſode de la Molleffe , ces
peintures fi variées & fi riches , cette excellente
plaifanterie , ces comparaifons tou
jours fi bien placées , cette meſure fi pafaitement
gardée dans le mélange du ferieux
& du comique , enfin cette perfection continue
d'un ftyle qui prend tous les tons ; &
- l'on conviendra que le Lutrin eft un chefd'oeuvre
de verve poétique , une de ces créa
tions du grand talent , dans lesquelles il fu
faire beaucoup de rien .
>
Qu'on life enfuite la Boucle de Cheveux ,
& l'on verra cinq chants abfolument dénués
d'action de caractères , de mouvement ,
d'intérêt , d'idées & de variété. Un Baron
forme le projet de couper une boucle dest
cheveux de Bélinde. Il la coupe pendant
qu'elle prend du café. Voilà tout le fond
du Poëme ; l'on ne vous dit pas même ce que
' étoit que Bélinde ni le Baron , on n'établit
144 MERCURE
aucun rapport entre eux. Il ne fe paffe rien
avant ni après la boucle coupée ; & en mettant
à part le mérite de l'élégance Angloiſe ,
( dont , encore une fois nous ne parlons pas )
on ne trouve d'ailleurs que des defcriptions
monotones , de froides allégories , des plaifanteries
tout auffi froides. La Fable des Sylphes
, que Pope a très-inutilement empruntée
du Comte de Gabalis , pour en faire
le merveilleux de fon Poëme , n'y produit
rien d'agréable , rien d'intéreffant . Un Sylphe
apparoît en fonge à Belinde , & lui déclare
qu'elle eft menacée d'un malheur. Il
ordonne à d'autres Sylphes , fes compagnons ,
de veiller fur elle. On s'attend à voir naître
quelque chofe de cette fiction . Point du
tour. Le Sylphe eft coupé en deux par les
cifeaux qui coupent les cheveux de Bélinde ,
& les deux parties de fa fubftance aërienne
fe rejoignent auffi-tôt. Le Gnome Umbriel
va chercher la Mélancolie ou la Déeffe aux
vapeurs , pour affliger Bélinde , comme fi
Bélinde , au moment où elle perd fes cheveux
, avoit befoin d'une Divinité pour s'attrifter
de fa perte . Survient enfuite une querelle
entre Belinde & Taleftris, fon amie. La
querelle eft fuivie d'un combat d'hommes &
de femmes , dans lequel Belinde terraffe le
Baron avec de la fumée de tabac & une aiguille
de tête . Elle lui redemande fes cheveux
; mais on ne fait ce qu'ils font devenus.
Le Poëte prétend qu'il les a vus monter à la
fphère de la lune. On demande ce qu'il y a
dans
DE FRANCE.
145
dans toute cette Fable qui puille offrir de
l'agrément , de la gaîté ou de l'intérêt.
Voyez, au contraire, comme dans le Lutrin
tous les agens employés par le Poëte ont chas
cun leur objet & leur effet . Voyez la Dif
corde
Encor toute noire de crimes ,
Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes ,
s'indigner du repos qui règne à la Sainte Cha
pelle , & jurer d'y détruire la paix , comme
elle a fu la détruire ailleurs . Elle apparoît en
fonge , fous les traits d'un vieux Chantre
au Prélat qu'elle anime contre fon rival. Et
comme l'épiſode de la Molleffe eft amené !
Au moment où les amis du Prélat ont , dans
la nuit , élevé un lutrin qui doit défefpérer
les Chantres , la Diſcorde pouffe un cri de
joie :
L'air qui gémit du cri de l'horrible Déeffe ,
Va jufques dans Citeaux réveiller la Molleffe .
La Nuit vient lui raconter les querelles
qui vont s'allumer . La Molleffe en prend occafion
de fe plaindre de tous les maux que
lui fait un Roi qui ne la connoît pas.
L'Égliſe du moins m'affuroit un afyle.
Par ce feul vers le Poëte rentre auffi-tôt
dans fon fujet. Cet Art n'eſt connu que des
Maîtres.
Par mon exil honteux la Trappe eſt annoblie.
15 Mai 1779.
G
146 MERCURE
J'ai vu dans Saint -Denis la réforme établie.
Le Carme , le Feuillant s'endurcit aux travaux ,
Et la régle déjà fe remet dans Clairvaux.
Citeaux dormoit encore , & la Sainte - Chapelle
Confervoit du vieux temps l'oifiveté fidelle .
Que ces deux derniers vers font heureux !
Elle prie la Nuit de la venger des profanes
qui , avec leur Lutrin , vont chaffer la Molleffe
de fon dernier afyle.
O toi , de mon repos compagne aimable & fombre ,
A de fi noirs forfaits prêteras-tu ton ombre ?
Ah Nuit ! fi tant de fois dans les bras de l'Amour
Je t'admis aux plaifirs que je cachois au jour
Du moins ne permets pas !….…
Voilà la Nuit mife en action . C'eſt elle
qui va placer dans le Lutrin ce hibou qui
épouvante Boirude & fes deux compagnons.
Ils fuyent , mais la Diſcorde , fous les traits
de Sidrac , vient leur rendre le courage , &
les fait rougir de leur puérile frayeur. Ils fe
raniment , ils mettent la main à l'oeuvre ,
Et le pupitre enfin tourne fur fon pivot.
Voilà de la machine poétique , du mouvement
, de l'action , de la vie,
Que l'on effaye de comparer la partie.
d'Hombre, & le combat fi infipide & fi long
des Piques contre les Treffles , & des Coeurs
contre les Carreaux , à ce combat fi ingénieux
& fi finement fatyrique, des , Chantres
DE FRANCE. 147
& des Chanoines qui fe jettent à la tête tous
les livres de la boutique de Barbin fur les
degrés du Palais. Quel modèle de la bonne
plaifanterie & de la fatyre mife en action
& habilement encadrée , & quelle foule de
traits piquans !"
L'art des plaifanteries de Pope eſt toujours
le même , celui de rapprocher un grand
objet & un petit. Bélinde eft menacée d'un
malheur.«Je ne fais , dit le Sylphe Ariel ,
» fi la Nymphe doit enfreindre les lois de
.
Diane , ou fi elle doit feulement caffer
sune porcelaine , fi fon honneur ou fon
habit recevra quelques taches , fi elle ou-
» bliera de faire fes prières , ou d'aller à une
ور
16
partie de mafques , fi elle perdra fon coeur
» ou fon collier au bal, ou fi enfin la def-
» tinée a déterminé qu'il arrive un malheur
» à fon petit chien ». Peint-il la douleur
de Bélinde au moment où fes cheveux lui
font enlevés « On ne pouffe point au cicl
» des cris auffi perçans lorfqu'un mari ou
?
un chien favori rendent le dernier foupir,
» ou quand une belle porcelaine tombe , &
» que les fraginens fe réduifent en poudre ».
Ce genre de plaifanteries eft froid , furtout
lorfqu'il eft répété. On en trouve d'une
efpèce encore plus mauvaife. Chez la Déeffe
aux Vapeurs , on apperçoit quantité de transformations
& de métamorphofes fantaſtiques.
" Dans le défordre de leur imagina
tion , les hommes accouchent , & les filles
و د
Gij
148 MERCURE
*
changées en bouteilles , demandent tout
» haut des bouchons »,
And maids turn'd bottles , call aloud for corks.
On ne voit point dans Defpréaux de traces
de ce mauvais goût ; & ce n'eft pas là la
gaîté des honnêtes- gens.
A l'égard des caractères , qu'eft- ce que le
Baron & Bélinde , & la prude Clarice, & Ta
leftris , & le Chevalier Plume , & Ariel le
Sylphe, & Umbriel le Gnome ? Cherchez dans
tous ces perfonnages une figure dramatique
ou une tête pittorefque , & vous n'en trou
verez pas une, Voyez au contraire dans Boileau
le portrait du Prélat qui repoſe :
La jeuneffe en fa fleur brille fur fon vifage.
Son menton fur fon fein defcend à double étage ;
Et fon corps ramaffé dans fa courte groffeur,
Fait gémir les couffins fous fa molle épaiffeur,
Voyez s'avancer le vieux Sidrac , Confeiller
du Prélat,
Quand Sidrac , à qui l'âge allonge le chemin ,
Arrive dans la chambre un bâton à la main ;
Ce vieillard dans le Choeur a déjà vu quatre âges ;
Il fait de tous les temps les différens ufages ;
Et fon rare favoir , de fimple Marguillier ,
L'éleva par degrés au rang de Cheffecier,
Les héros d'Homère font- ils mieux peints ?
MADE FRANGE 6149
Aláin touſſe & fe lève ; Alain , ce favant homme,
Qui de Bauni yingt fois a lu toute la fomme ,
Qui pofsède Abelly , qui fait tout Raconis ,
Et même entend , dit-on , le latin d'Akempis.
Au mérite des portraits , joignez celui des
peintures.
Parmi les doux plaifirs d'une paix fraternelle ,
Paris voyoit fleurir fon antique Chapelle.
Ses Chanoines , vermeils & brillans de fanté,
S'engraiffoient d'une longue & fainte oifiveté .
Sans fortir de leurs lits , plus doux que leurs hermines,
Ces pieux fainéans faifoient chanter matines ,
Veilloient à bien dîner , & laiffoient en leur lieu ,
A des Chantres gagés , le foin de louer Dieu .
Dans le réduit obfcur d'une alcove enfoncée ,
S'élève un lit de plume à grands frais amaſſée.
Quatre rideaux pompeux par un double contour ,
En défendent l'entrée à la clarté du jour.
Là , parmi les douceurs d'un tranquille filence ,
Règne fur le duver une heureuſe indolence ;
Ceft- là que le Prélat , muni d'un déjeûner ,
Dormant d'un léger fomme , attendoit le dîner.
O puiffant porte- croix !
Boirude , Sacriftain , cher appui de ton maître !
Lorfqu'aux yeux du Prélat tu vis ton nom paroître ,
On dit
que ton front jaune & ton teint fans couleur ,
Giij
150
MERCURE
Perdit en ce moment fon antique pâleur ;
Et que ton corps goutteux , plein d'une ardeur guerrière
,
Pour fauter au plancher , fit deux pas en arrière .
Entrez dans le féjour de la Molleffe :
C'eſt-là qu'en un dortoir elle fait fon féjour ;
Les plaifirs nonchalans folâtrent à l'entour.
L'un paitrit dans un coin l'embonpoint des Chanoines
L'autre broye en riant le vermillon des Moines.
La Volupté la fert avec des yeux dévots ,
Et toujours le Sommeil lui verfe des pavots.
Lifez la defcription des vêtemens du
Chantre.
On apporte à l'inftant fes fomptueux habits
Où fur l'ouate molle éclate le tabis . f
D'une longue foutane il endoffe la moire ,
Prend fes gands violets , les marques de fa gloire ,
Et faifit en pleurant ce rochet qu'autrefois
Le Prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
N'est- ce pas ainfi que la Poéfie anime
&
embellit tout? L'Auteur fait la faire def
cendre avec fuccès juſqu'aux objets les plus
communs .
A ces mots il faifit un vieil Infortiat ,
Groffi des vifions d'Accurfe & d'Alciar ,
Inutile ramas de gothique écriture ,
DE FRANCE. 151
Dont quatre ais mal unis formoient la couverture ,
Entourée à demi d'un vieux parchemin noir ,
Où pendoit à trois clous un refte de fermoir.
La deftruction du Lutrin n'eft pas d'une
beauté moins remarquable , à un feul mot
près.
Enfin fous tant d'efforts la machine fuccombe ,
Et fon corps entrouvert chancelle , éclate & tombe.
Tel fur les monts glacés des farouches Gélons ,
Tombe un chêne battu des voifins aquilons ;
Ou tel , abandonné de fes poutres ufées ,
Fond enfin un vieux toit fous fes tuiles brifées .
A
Quoi de plus commun , & qui femble
prêter moins aux couleurs poétiques , que
d'allumer une chandelle avec une pierre à
fufil & un briquet ! Le talent faura encore
ennoblir ces détails fi familiers .
Des veines d'un caillou qu'il frappe au même inftant,
Il fait fortir un feu qui pétille en fortant ;
Et bientôt au brafier d'une mèche enflammée ,
Montre , à l'aide du foufre , une cire allumée .
Et de jeunes gens qui s'occupent à rajeûnir
des lieux communs fur le foleil & la
lune , prétendent , dit - on , créer la Poéfie
defcriptive , créer une langue inconnue à
Defpréaux & à Racine ! Avant de prétendre
à en faire une , qu'ils étudient encore celle
de leurs Maîtres.
Giv
352
MERCURE
On s'est étendu volontiers fur cet excellent
ouvrage, parce que c'eft un de ceux qui font
le plus d'honneur à notre Littérature , un de
ceux où la perfection de notre Poéfie a été
portée le plus loin : on peut même dire qu'il
n'a point eu de modèle ; car qu'eft- ce , en
comparaifon du Lutrin , que le Combat des
Rats & des Grenouilles , & le Seau enlevé de
Taffoni Si Boileau a montré dans les autres
écrits une raiſon fupérieure , ici il s'eft montré
grand Poëte.
On n'a point remis fous les yeux du Lecteur
ce beau morceau de la Molleffe , parce
qu'il eft trop connu. Il y en a un dans la
Boucle de Cheveux qui eft le meilleur de
l'ouvrage , & qu'on peut mettre en parallèle
avec l'épifode du Lutrin , d'autant plus
aifément que nous avons deux traductions
des vers Anglois , une de Voltaire , & l'autre
de M. de Marmontel. Ce dernier s'eft amule
dans fa jeuneffe à traduire la Boucle de Che
veux. C'eft-là qu'on trouve ce vers heureux
fur les montres à répétition :
Et la montre répond au doigt qu'elle repouffe.
Vers peut-être fupérieur au vers Anglois ;
And the prefs'd watch return'd a filver found ;
Et qui rappelle celui de l'Anti-Lucrèce è
Digitoque premens interrogat horam.
L'endroit dont il s'agit , eft celui où
Poëte conduit Umbriel chez la Mélancolie
DE FRANCE. 152-
ou la Déeffe des Vapeurs. Voici la version dé
M. de Marmontel.
Auffi-tôt Umbriel , Gnome ennemi du jour ,
De la Nymphe aux Vapeurs va chercher le féjour.
Par l'oblique détour d'une fombre , avenue ,
Dans ce lieu fouterrain le Gnome s'infinue . »!
Jamais on n'y fentit le Zéphir careffant ;
Mais du vent du midi le ſouffle aſſoupiſſant ,
Ne ceffe d'y porter une vapeur impure.
Dans l'humide réduit de cette grotte obfcure ,
Les regards du Soleil n'ont jamais pénétré :
Ceft- làà que fur un lit , aux ſoucis confacré ,
Le coeur gros de foupirs , trifte , pâle & rêveuſe ,
Repofe mollement la Déeffe quinteufe.
La douleur la retient attachée au duvet ,
Et la fombre Migraine affiége fon chevet.
Aux côtés de fon lit paroiffent deux Veftales ;
Leurs traits font différens , leurs dignités égales.
L'une vieille Sybille , au teint noir & plombé ,
Y traîne un corps mourant fous cent luftres courbé: 1
C'eſt la Malignité. Sur fes membres arides
S'étend un cuir tanné que fillonnent les rides :
Les yeux pleins de douceur , le coeur rempli de fiel ,
Déchirant les humains , elle bénit le ciel
Et flattant avec art le mérite modefte , makap
A fes embraffemens mêle un poifon funefte.
L'autre, jeune beauté , ( c'eft l'Affectation )
Pour prévenir de loin des maux d'opinion ,,,
ba
Gv
154
.MEK CURE MERCURE
Dans un lit fomptueux fe plonge par grimace ,
Roulé un oeil languiſſant , & ſe pâme avec grâce.
M. de Voltaire a donné une imitation trèslibre
de ce même morceau , qu'il a embelli.
Umbriel à l'inftant , vieux Gnome rechigné,
Va d'une aîle pefante & d'un air renfrogné ,
Chercher en foupirant la caverne profonde ,
Où loin des doux rayons que répand l'oeil du monde,
La Déeffe aux Vapeurs a choifi fon féjour .
Les triftes aquilons y fifflent à l'entour ,
Et le fouffle mal fain de leur aride haleine ,
Y
porte
aux environs la fièvre & la migraine.
Sur un riche fopha , derrière un paravent ,
1
I
Loin des flambeaux, du bruit, des parleurs & du vent ,
La quinteufe Déeffe inceffamment repofe ,
Le coeur gros de chagrins , fans en favoir la cauſe ,
N'ayant penfé jamais , l'efprit toujours troublé ,
L'oeil chargé, le teint pâle , & l'hipocondre enfié.
La médifante Envie eft affife auprès d'elle ,
Vieux fpectre féminin , décrépite pucelle ,
Avec un air dévot déchirant fon prochain ,
Et chanfonnant les gens , l'Évangile à la main.
Sur un lit plein de fleurs , négligemment penchée ,
Une jeune beauté non loin d'elle eft couchée :
C'eſt l'Affectation , qui graffeye en parlant ,
Écoute fans entendre , & lorgne en regardant ,
Qui rougit fans pudeur , & rit de tout fans joie ,
De cent maux différens prétend qu'elle eſt la proie ;
DE FRANCE. 155
Et pleine de fanté fous le rouge & le fard ,
Se plaint avec molleffe & fe pâme avec art.
On cite une Lettre de M. de Voltaire , où
il met la Boucle de Cheveux au - deffus du
Lutrin , & prodigue les plus grands éloges
au Poëme Anglois. En refpectant , comme
on le doit , l'autorité de ce grand Homme ,
on peut répondre qu'il vivoit alors en Angleterre
, qu'il voyoit Pope ; que l'on peut
fort bien dans une lettre mettre de la politeffe
& de la complaifance plutôt qu'un jugement
exact & réfléchi ; qu'enfin dans les
Lettres fur les Anglois , dont nous venons
de tirer cette Traduction d'un paffage de la
Boucle de Cheveux , il ne donna pas le moindre
éloge à cet ouvrage , & referva toutes
fes louanges pour l'Efjaifur l'Homme , dout
il a toujours fait le plus grand cas .
#
Cet admirable Poëme eft en effet le chefd'oeuvre
de fon Auteur , & le fondement de
fa grande réputation. Il n'a eu , à proprement
parler , aucun modèle chez les anciens ni
les modérnes ; car, quel rapport de la mau
vaiſe phyſique d'Épicure , miſe en vers par
Lucrèce , & ornée de quelques beaux morceaux
de poéfie defcriptive ; quel rapport
entre cet amas d'erreurs , quelquefois brillantes
, & un ouvrage tel que celui de Pope ,
où la philofophie la plus fublime a pris le
langage de la plus belle poéfie ? On objecte-·
roit en vain que l'optimisme n'eft qu'une
hypothèſe comme tant d'autres. C'eft du
G vj
156 MERCURE
moins la plus belle folution du grand problême
de la nature humaine ( la révélation
mife à part ) . C'eft une idée très-élevée , que
Pope a embellie des couleurs de l'imagination
. C'eft là fur- tout qu'eft empreint le
caractère de fon ftyle , qui confifte dans une
marche rapide d'idées preffées les unes fur les
autres fans fe confondre , & dans une heureufe
énergie d'expreflions qui ne va jamais
jufqu'à la recherche & à l'enflure.
L'Abbé du Refnel a aufli traduit en vers
l'Effaifur l'Homme , quelquefois avec élégance
; mais en général il fubftitue la foibleffe
& la prolixité du ftyle , à la force & à
la précifion . On nous annonce deux nouvelles
verfions en vers de ce chef- d'oeuvre des
Mufes Angloiſes , l'une de M. l'Abbé de Lille,
qui a fait fes preuves , l'autre de M. de Fontanes
, dont les effais ontdonné des efpérances.
Les deux meilleures productions de l'Aureur,
après l'Effai fur l'Homme , font l'Épître
d'Héloïfe à Abélard , chef- d'oeuvre de fentiment
& de goût , fi heureuſement tranfporté
dans notre langue par feu M. Colardeau
, & le Poëme qui a pour titre la Forêt
de Windfor, & où l'on trouve de très-beaux
morceaux de poéfie pittorefque,
1
Nous ne parlerons point des Paftorales &
de quelques ouvrages de jeuneffe , tels , par
exemple, que le Temple de la Rénommée, qui
péche par une fiction mal inventée, par l'abondance
des lieux communs , & , ce qui eft
affez rare dans Pope, par la fauffeté des idées.
DE FRANCE. 357
Al'égard de la Dunciade , c'eft un ouvrage
tellement Anglois , fi rempli d'allufions fatyriques
perdues pour nous , & de perfonnages
qui nous font abfolument étrangers ,
qu'il nous feroit difficile d'affeoir un jugement
fur le mérite intrinsèque de cette production.
Ce qu'on peut affurer , c'eſt qu'un
Poëme de quatre Chants fort longs , dont le
fond n'eft autre chofe que l'allégorie & la
fatyre , eft néceffairement un peu froid.
La Dunciade Françoife , qui eft écrite avec
élégance , & qui offre même des morceaux
plaifans & des vers heureux , ferviroit encore
à prouver ce principe. Il eft trop difficile
d'attacher & de plaire long-temps , en
faifant revenir fans ceffe les mêmes noms
avec le même accompagnement d'injures &
de farcafmes. Le plaifir de la malignité s'ufe
très- vîte chez le Lecteur , & la fatyre , pour
avoir un fuccès conſtant , ne doit guères être
qu'épifodique. Son effet dépend fur- tout du
cadre où elle eft enfermée , & des bornes où
elle eft circonfcrite ; & c'eft pour cela que
lepauvre Diable eft peut-être le chef- d'oeuvre
de ce genre.
Les Mémoires de Martin Scribler, & l'Art
de ramper en Poefie , font des plaifanteries
dans le goût de Swift , l'une fur la manie des
Antiquaires & le pédantifme des Érudits ,
l'autre fur les défauts de ftyle qui étoient le
plus à la mode chez les Écrivains. Pope y
tourne furtout en ridicule l'extravagant
abus des figures , qui en tout temps & en
158
MERCURE
tous lieux ont été pour les fots & les ignorans
la véritable poéfie & la véritable éloquence .
Auffi en lifant le Chapitre des Figures dans
Pope , on croiroit qu'il a pris dans plufieuts
de nos Auteurs tous le galimatias qualifié
de fublime par les Ariftarques du jour.
L'ouvrage qui fit la fortune de Pope , &
dont l'Angleterre lui a fu le plus de gré , eft
fa Traduction d'Homère , qui paffe pour la
plus belle qu'on ait faite en vers dans les
langues modernes. Un homme tel que Pope
n'a pas dédaigné d'être Traducteur , parce
qu'il favoit qu'il faut du génie pout traduire
le génie ; & que tranfporter des monumens
anciens dans fa langue , c'eft en élever un à
fa propre gloire ; & nous avons vu de jeunes
Auteurs qui croyoient s'abaiffer en traduifant !
tel eft dans nos jours le délire de l'amourpropre
poétique !
Au refte , Pope eut le fort de tous les Gé--
nies fupérieurs. Il fut conftamment en butte
aux clameurs infolentes & calomnieufes de la
po pulace Littéraire, & honoré par tout ce que
l'Angleterreavoit de plus illuftre en toutgenre .
( Cet Article eft de M. De la Harpe. )
La Fortification Perpendiculaire , par M. le
Marquis de Montalembert , Maréchal- des-
Camps & Armées du Roi, &c. Tomes III .
& IV. grand in-4° . A Paris , chez Pierres ,
Imprimeur du Grand-Confeil , rue Saint
: Jacques.
•
Nous avons déjà rendu compte des deux
DE FRANCE. 159
premiers volumes de ce grand & eftimable
Ouvrage , dans le Journal de Littérature.
Le premier Chapitre du troiſième volume
n'eft qu'une fuite du Chapitre neuvième du
fecond volume , qui traite des forts ronds
propres à occuper le fommet des montagnes.
On y enfeigne dans le plus grand détail la
conftruction des forts ronds convenables aux
pays de plaines. Six grandes planches font
employées à en développer & rendre fenfibles
toutes les parties.
Dans les Chapitres deuxième & troisième,
il s'agit de conftruire les enceintes irrégulières
& les ports de mer. L'Auteur , fuivant
fon fyftême , y fait l'application des
différens forts , dont il penfe qu'il convient
d'entourer ces fortes de places ; il obſerve
qu'il ne fuffiroit pas de fortifier l'enceinte d'un
port de Roi , qu'il faut encore tenir l'ennemi
à une affez grande diftance , pour qu'il ne
puiffe l'incendier par le moyen des bombes ;
& des forts environnans en font le feul moyen.
Les Chapitres quatre & cinq font deſtinés
aux détails des forts propres à la défenſe de
l'entrée des rades & aux batteries marines!
La compofition de ces forts & de ces batteries
eft totalement différente de tout ce
qui a été fait jufqu'à préfent dans ce genre.
Rien n'eft plus redoutable que le feu pro
digieux qui peut fortir à la fois de ces for
tereffes , & les effets en font démontrés de la
manière la plus fenfible dans une planche
deftinée à cet ufage.
160 MERCURE
Le fixième a pour objet de prouver , par
des faits hiftoriques connus , l'infuffifance
des forts en ufage pour la défenſe des rades ,
afin d'établir d'autant mieux la néceffité
d'avoir recours à d'autres moyens. La relation
des deux fiéges de Carthagène d'Amérique
, l'un par M. de Pointis en 1697 , &
l'autre par les Anglois en 1741 , eft une au
torité fur laquelle M. le Marquis de Montalembert
fe fonde pour appuyer fon opinion.
Ses réflexions à la fin de ce Chapitre ,
fur la défenfe des Colonies , mérite la plus
grande attention. Il combat avec beaucoup
d'avantage le fyftême défenfif reçu . Nous
renvoyons à l'ouvrage même , depuis la page
127 juſqu'à la page 135 inclufivement , fur
cette importante queftion.
Dans le Chapitre fept , on trouve une
comparaifon de la force des fyftêmes baſ
tionnés avec celle d'un fort appelé Fort-
Royal , décrit au fecond volume du même
ouvrage, planches 19 , 20 & 21 ; & pour
rendre cette comparaifon plus fenfible , M.
le Marquis de Montalembert fait l'attaque
de ce fort fuivant les règles en uſage. Unê
planche èft deftinée au tracé de ces attaques.
On y voit les batteries à ricochets de l'affié+
geant , placées où elles doivent l'être , atta
quées par les batteries cafematées du fort ,
avec un tel avantage , tant pour le nombre
que pour la sûreté du fervice , que l'établif
fement en paroît démontré impoffible.
" Ce plan d'attaque étoit néceffaire , dit
DE FRANCE. 161
39
و د
33
3
"3
ود
fe
» l'Auteur , afin de fixer les idées fur ce qui
peut ou ne fe peut pas. On eft dans
l'habitude de voir l'affiégeant réuflir dans
» tout ce qu'il entreprend contre l'affiégé ;
de-là on juge que ce fera toujours de
» même. On dit , fans aucun examen , les
batteries à ricochets renverferont tous ces
» murs. Ce n'eft donc qu'en mettant à leur
polition ces batteries , defquelles on at-
» tend tant d'effet , qu'on peut rendre fen-
» fible leur infuffifance vis-à- vis d'une telle
» manière de fortifier. Comment les établir
» fous un pareil feu ? Mais fi l'affiégeant
vouloit l'entreprendre , le Commandant
» de la Place n'auroit point de meilleur
parti à prendre que celui de le laiffer
faire, & de ne pas tirer un coup que toutes
» les pièces ne fuffent en batterie , afin d'en
brifer tous les affûts ; ce qui feroit exécuté
» en un quart- d'heure ; & il en feroit de
» même de toutes celles qu'on y améneroit
» pour les remplacer. Tout ce qu'on vou
» droit objecter du danger des éclats de
pierres dans les embrafures pratiquées
» dans des murailles , quand il feroit tel
» qu'on le repréfente , n'eft point applicable
ici. On ne peut ni ajufter , ni même fervir
» le canon fous un fer auffi multiplié , d'où
pil fuit
que les éclats de pierres , ni les bou
» lets même ne font à craindre. C'eft en
quoi la grande fpériorité de l'artillerie
d'une place eft bien d'un autre mérite que
>>
وو
ود
و ر
ور
3
162 MERCURE
33
l'épaiffeur de fes murailles. On ne peut.
» abattre un mur contre lequel on ne peut
» tirer ; & dès qu'il eft impoffible ici de
» prétendre que l'artillerie de l'affiégeant
ود
"3
"
puiffe être mife en activité , il feroit ab-
» furde d'alléguer des deftructions d'embrâfures
& des éclats de pierres ; d'alleguer
» enfin des fuppofitions arbitraires contre
» des effets certains ». Au refte la planche
XXII répond à tout.
و د
M. le Marquis de Montalembert termine
ce Chapitre par des réflexions fur la ville de
Malthe , qu'il regarde comine la plus forte de
l'Europe.
Le dernier Chapitre de ce volume traite
des fortereffes à murailles cafematées , tenant
lieu de remparts. C'eft encore une application
des effets des batteries cafematées
dominant fur tous les terreins environnans.
" Ce font ici véritablement ( dit M. de Mon-
» talembert ) les murailles des anciens fous
» une autre forme , affujéties à des tracés
» différens, & rendues capables d'une défenſe
» infiniment plus avantageufe ; c'eſt enfin
» une manière tout autre que celle que nous
» avons employée. Nous l'avons développée
» dans la vue d'étendre les idées & de don-
» ner lieu à en faire naître d'autres . Ce n'eſt
ود
qu'en reculant les bornes de l'art qu'on
» peut en augmenter le degré d'utilité.
Ce volume termine tout ce qui eft relatif
aux places de guerre. On y trouve , comme
DE FRANCE. 163
dans les précédens , de la clarté dans les defcriptions
, de l'ordre , des idées neuves , &
les planches y font nombreuſes & de la plus
belle exécution .
Le dernier volume traite des retranchemens
de campagne ; des ouvrages qu'on peut
faire à la hâte pour rendre les places menacées
d'un fiége , capables d'une meilleure
défenſe ; des lignes de circonvallation & de
contrevallation ; enfin , des lignes frontières
pour la garde des Provinces.
Le Chapitre premier traite particulièrement
des retranchemens de campagne. M. de
Montalembert commence par faire voir la
foibleffe des méthodes en ufage . Il rapporte
à l'appui de fon fentiment , celui de M. le
Maréchal de Saxe , qui fe trouve conforme
au fien ; enfuite il établit les principes auxquels
la conftruction des bons retranchemens
doit être foumife : il donne l'application
qu'il en a faite lui-même dans l'ifle d'Oléron ,
où il commandoit en 1761. Des redoutes
qu'il appelle Redoutes à flèche , de fon invention
, font les points d'appui des retranchemens
fuivant fon fyftême. C'eft à l'aide de
ces redoutes qu'il a foriné le camp retranché
qu'il a fait exécuter dans l'ifle d'Oléron. Il
donne un plan topographique de ce camp,
avec la difpofition des troupes qu'il avoit
fous fes ordres , telle qu'elle devoit être
pour la défenſe la plus avantageuſe de fon
eamp retranché.
Le Chapitre fecond fait connoître com-
1
164 MERCURE
ment un Commandant peut améliorer la
place qu'il eft chargé de défendre. L'Auteur
donne pour exemple deux projets ; l'un pour
la ville & citadelle de Saint-Martin , dans
l'ifle de Ré , & l'autre pour la citadelle
d'Oléron. Ce dernier eft celui qu'il a fair
exécuter en 1761. Il paroît , par les témoi
gnages qu'il en rapporte , que le Miniftre ,
le Maréchal de France commandant dans la
Province , & le Directeur du Génie , ont
donné une entière approbation à fes travaux
de la citadelle , & à fon camp retranché.
Le Chapitre troisième traite des lignes de
circonvallation en terrein régulier. M. de
Montalembert y fuppofe une armée de foixante-
quatre bataillons & quatre -vingt efcadrons
faifant le fiége d'une place à huit baftions.
Il conftruit autour de cette place feize
redoutes à flèche , liées par des lignes d'une
conftruction nouvelle , qui forment la cir
convallation ; & il donne, comme il l'a fait
pour fon camp retranché , la difpofition qui
convient aux troupes deftinées à la défenfe
de ces lignes.
Mais connoiffant la force des préventions
établies contre la défenfe des lignes en géné+
ral , & fachant furtout combien les grandes
pertes que nous fimes en 1706 , devant Turin ,
accréditent ces préventions , il a jugé indiſ→
penfable , pour remplir l'objet de fon ou
Wake ,
de faire connoître toutes les circonf→
tances de cet événement mémorable, d'une
armée forcée dans des lignes , afin de détruire-
293
DE FRANCE,
165
le préjugé établi qu'on n'y a été battu que
parce qu'on a entrepris de les défendre. Ce
motif important l'a engagé à faire l'abrégé
hiftorique d'une partie des guerres du règne
de Louis XIV , parce que , fuivant lui , ce
mauvais fuccès tient à des caufes anciennes
qu'il eft néceffaire de développer , pour prouver
qu'il n'eft pas inhérent à l'entreprife , &
qu'il n'en eft pas même une fuite probable.
Il termine ce Chapitre par les réflexions
fuivantes :
" On lit l'hiftoire affez généralement fans
» s'appliquer à démêler les rapports des évé
» nemens entre eux. On retient les faits
» principaux ceux qui font extraordinaires
» étonnent & laiffent dans l'efprit des idées
» vagues d'infortunes inévitables dans les
" guerres que les Nations ont à foutenir.
» Ces idées tendent à admettre une eſpèce
» de fatalité qui affoiblit le mérite des con
" noiffances à acquérir. Les Hiftoriens favole
rifent auffi ces fortes d'impreflions par
» peu de foin qu'ils prennent de recueillir
" ce qui peut faire difparoître la fingularité
dés événemens ; car ils font toujours une.
" fuite naturelle du degré d'intelligence , de
" capacité , de talens des Agens chargés
de les opérer. C'est ce que nous avons
tâché de développer dans l'analyſe fuccinte
du règne que nous venons d'efquiffer. Un
efprit patriotique , que rien ne peut affoiblir
, nous a fait efpérer qu'en dévoilant
les principes de ces grands défaftres , se
"
•
30
166 MERCURE
6
ور
»
pouvoit être un moyen de les prévenir.
» Jaloux de l'honneur de la Nation , nous
» avons voulu fur - tout la laver de la honte ,
» dûe feulement à ceux qui l'ont fi mal con-
» duite , faire voir qu'elle eſt toujours la
» même dans les mêmes circonftancces , &
ne pas fouffrir que l'on faffe un tort gé-
» néral des torts de quelques particuliers.
» Cet objet intéreffant , pour être bien rempli
, eût demandé d'être traité avec beaucoup
plus d'étendue que nous n'avons pu
» lui en donner ici ; mais il eût fur-tout demandé
bien plus de talent. Au reſte , ceci
» n'eft qu'une ébauche de ce qui pourroit fe
و ر
ود
ود
ور
faire dans ce genre , que quelque main
» plus habile pourra développer mieux un
» jour ; & nous n'aurons point à regretter
» nos foins , fi cette ébauche , telle qu'elle
» eft , peut produire quelques bons effets ».
و ر
Le quatrième Chapitre eft encore deſtiné
aux lignes de circonvallation , pour appliquer
la même méthode aux terreins irréguliers.
Les environs de Philisbourg fervent ici
d'exemple , & les lignes formées pendant le
dernier fiége de 1734 , font l'objet de comparaifon
que l'Auteur, offre pour juger de la
préférence que fa manière peut mériter.
Le cinquième & dernier Chapitre traite
des lignes propres à la défenfe des frontières.
M. le Marquis de Montalembert fe fert
avec beaucoup d'avantages , dans cette occafion
, de fes forts à tours angulaires . Il rend ,
par ce moyen , fes lignes fufceptibles d'être
DE FRANCE. 167
défendues par un très - petit corps on ne
pourra même s'en rendre maître , qu'après
le fiège de quelques -uns de ces forts ; ce qui
donnera toujours le temps aux fecours d'arriver.
Il fait l'application de fa méthode à
la rivière de Lauter , dans la baffe-Alface.
Au refte , ce n'eft que dans l'ouvrage qu'on
prendra une connoiffance entière & de fes
principes & de fes différentes conftructions.
Dans tout cet ouvrage , on apperçoit le Militaire
profondément inftruit , & le Citoyen
zélé pour la gloire de fa patrie . M. de Montalembert
en mérite l'eftime & la reconnoiffance
; mais il ne doit attendre que du temps
le fuccès des réformes & des innovations
qu'il propofe : il connoît mieux que nous
l'empire de l'habitude & des autres paflions
toujours armées contre les idées nouvelles
en tout genre .
SÉANCES Publiques de l'Académie Royale
de Chirurgie , où l'on traite de diverfes
matières intéreffantes , & particulièrement
de la fection de la Symphife des Os
Pubis . Brochure in- 40. Prix, 3 liv . 12 fols.
A Paris , chez. Lambert , Imprimeur
de l'Académie Royale de Chirurgie , rue
de la Harpe , près S. Côme , 1779.
Cette Brochure , utile & intéreffante, contient
les Séances des années 1775 , 1776
1777 , 1778 & 1779. On y. trouve le détail
des moyens dont M. Andrieu s'eft fervi pour
168 MERCURE
rappeler à la vie un enfant nouveau né : un
Remède pour la guérifon des Hernies , employé
par M. Gachet Defellarts , Maître en
Chirurgie à Falaife : l'Eloge de Louis XV ;
ceux de MM. Quefnay & Haller ; un Mémoire
fur une queftion Chirurgicale , relative
à laJurifprudence, dans l'affaire de Remi
Baronet ; & le Rapport fur les Obfervations
& les Expériences communiquées à l'Acadé
mie pour & contre la Symphife des os pubis
, avec l'Examen des faits fur la même matière
, par M. Louis , Secrétaire perpétuel
de l'Académie.
ABRÉGÉ Hiftorique de la Vie des Saints &
des Saintes , Bienheureux & Bienheureufes ,
& autres pieux & célèbres perfonnages des
trois Ordres de Saint François , dédié à
l'Ordre Séraphique , par le R. P. Fulgence
Frerot , Récollet , ancien Gardien , 3 Vol.
in- 12. A Paris, chez Baftien , Libraire , rue
du Petit-Lion , Fauxbourg Saint- Germain.
Parmi les nombreux perfonnages qui dé--
corent cette galerie édifiante , on diftingue
la bienheureufe Cunégonde , fille de Béla ,
Roi de Hongrie. En venant au monde elle
prononça d'une voix diftincte : Je vousfalue ,
Reine des Cieux , mère du Roi des Anges.
Tous les mercredis & vendredis , la jeune
Princeffe ne prenoit qu'une feule fois le fein
de fa nourrice : dès ce tems-là même, quand
on la portoit à la meffe , & qu'elle entendoit
DE FRANCE. 169
و د
doit prononcer les noms de Jefus & de Ma- ·
rie, elle faifoit une inclination de tête ; & à
peine fut-elle fevrée , qu'elle fe livra toute
entière aux exercices de la piété. Des intérêts
politiques l'ayant obligée d'époufer Boleflas ,,
Roi de Pologne , elle obtint de lui » qu'il la
laifferoit vivre dans la continence pendant
» un certain tems. Ce Prince lui ayant ac-
»"cordé ce délai , elle en profita fi habilement
qu'elle le détermina à conferver comme
» elle fa virginité. Pour en rendre le voeu
plus folennel , ils convinrent tous deux de
» le dépofer entre les mains de l'Évêque de
38
ود
ود
و د
ود
Cracovie , & la cérémonie s'en fit en pré-
» fence des Grands & du Peuple , raffemblés
» dans la Métropole » . En 1628 , Sigifmond ,
Roi de Pologne , pourfuivit la canonifation
de Cunégonde , qui avoit été interrompue
divers événemens , & Urbain VIII nomma
plufieurs Cardinaux pour examiner les
actes qui conftatent fa vie & fes miracles.
par
2
Le R. P. Gardien nous retrace ainfi l'origine
des Indulgences attachées à la fête actuelle
de la Portiuncule. Un jour que Saint .
François , anéanti devant la majeſté divine
prioit pour la converfion des pécheurs , il fut
averti , par un Efprit celefte , d'aller à
l'Eglife de la Portiuncule , & qu'il y trouveroit
Jefus - Chrift & fa mère. François
» court à l'Églife ; il y trouve en effet une
multitude d'Anges , la Reine du ciel &
Jefus-Chrift. Le Saint Patriarche fe prof
terne , le Fils de Dieu lui dit : il vous eft
1 Mai 177.9. H
و ر ا
ود
ود
170
MERCURE
23
33
"
و د
و ر
33
-"
permis de demander quelque grace utile
» aux pécheurs & à la gloire de mon nom .
Seigneur mon Dieu , s'écria Saint François,
je ne fuis moi-même qu'un miférable pé-
» cheur ; cependant j'ofe fupplier votre
» bonté d'accorder une Indulgence plénière
» à tout Chrétien qui vifitera cette Églife
après s'être confellé de fes péchés , & en
" avoir reçu l'abfolution : s'adreffant alors
" à la Sainte Vierge , il follicita fa puiffante
intercellion , & l'obtint. Alors Jefus-
Chrift lui dit ce que vous me demandez
» eft grand ; mais vous recevrez des faveurs
plus grandes encore. Il lui accorda donc
l'Indulgence qu'il defiroit , mais fous la
condition expreffe de la faire ratifier par
» le Souverain Pontife ». François vole
en Italie. Honorius lui obſerve que le Saint
Siége n'eft pas dans l'ufage d'accorder de
telles graces ; mais preffé par un mouve-
» ment intérieur , il répète trois fois : je veux
» bien que vous l'ayez». Les Cardinaux qui
étoient préfens font remarquer au Pape que
cette grace pourra nuire aux Indulgences de
la Terre-Sainte. Honorius rappelle François :
je n'accorde l'Indulgence que pour un jour
naturel , c'eft-à-dire, depuis un foir juſqu'au
foir du lendemain. » Le Saint Patriarche fe
» retiroit après s'être incliné , quand le
Pape lui dit où allez - vous , homme
fimple & quelle affurance avez - vous de
Mais
» ce que vous venez d'obtenic ?
François lui répartit votre parole me
92
25
DE FRANCE. 171
ود
رود
fuffit , Saint - Père , cette Indulgence eft
l'oeuvre de Dieu , lui-même la manifettera:
que Jefus - Chrift , fa Samte Mère & les
Anges , foient à cet égard Notaires ,
Papier & Témoins ».
François part. Au bout de deux ans il eft
attaqué au milieu de la nuit par le Démon ;
il fe rend dans un bois , s'y dépouille , fe
roule fur des épines ; une lumiere fubite
l'environne , & lui découvre une multitude
de rofes blanches & rouges. Des Anges lui
apparurent , le revêtirent d'une robe blanche
, & lui ordonnèrent d'entrer dans l'Eglife.
François prend fix rofes de chaque couleur ;
en entrant dans l'Eglife il apperçoit Jefus-
Chrift & la Sainte Vierge , les fupplie de
vouloir bien déterminer le jour où l'on
gagnera l'Indulgence. Le Sauveur le fixe au
jour même où il avoit délivré Saint Pierre
de la prifon d'Hérode , & ordonne au Saint
d'aller rendre compte au Pape de ce qui
venoit de fe paffer. » Honorius , étonné de
» voir des rofes fi belles & d'une fi excel-
» lente odeur , dans la faifon où l'on étoit :
» quant à moi , lui dit- il , je crois que ce
» que vous dites eft vrai ; mais c'eft une
affaire à propofer aux Cardinaux » . Sept
Evêques font envoyés à Notre-Dame des
Anges , avec ordre de publier l'Indulgence ,
reftreinte à dix années ; mais au moment de
la publier, ils fentent que Dieu gouverne leur
langue, & lui rendant gloire , ils la publient
à perpétuité.
Hij
172
MERCURE
L'Auteur nous apprend que cette Indulgence
, en vertu d'une conceffion d'Innocent
XII , peut fe gagner tous les jours dans
l'Eglife de Sainte Marie des Anges ; & qu'en
vertu d'une autre bulle de Clement XIII ,
les Catholiques de Hollande en jouiffent
pendant huit jours : extenfion qui , récemment
encore , a produit les meilleurs fruits
dans les deux miffions que les Récollets rempliffent
à Amfterdam.
ور
و ر
و ر
92
Le bienheureux Bernard de Corléon , né
en Sicile au commencement du fiécle dernier
, fe fit Capucin après une jeuneffe fort
licentieufe. » Inftruit que c'eft la chair qui
» fait naître en nous les mauvais defirs , il
s'appliqua à la matter par des macérations
dont le récit fait frémir. Aux difciplines
fanglantes , il ajoutoit un jeûne rigoureux ,
portoit une ceinture garnie de pointes de
» clous.... Une femme de qualité , parfaitement
belle , vint le folliciter au crime :
elle s'expliqua en termes très- preffans ....
Il s'apperçoit que fes difcours ne font
aucun effet fur cette tentatrice ; alors il va
à la cheminée , prend des charbons ardens
dans fes mains , & les laiffe brûler devant
elle : ce trait effraya la dame , qui s'enfuit
» avec beaucoup de précipitation » ,
ور
و د
و د
92
Ayant été pris par des Corfaires , & vendu
à un Maître inhumain , une jeune efclave
conçoit pour lui une affection déréglée : » fa
و ر
refiftance irrite la jeune fille , qui , devenue
la favorite de leur commun Maître ,
DE FRANCE. 173
و و
ود
» le fit mettre aux fers après qu'on l'eut-
» accablé de coups. La Providence adoucit
" le poids terrible de fa captivité ; le terme
» de fa délivrance arriva enfin au bout de
feize mois. De retour en Sicile , il exerça
l'emploi , plus délicat qu'on ne penſe , de
Quêteur , qu'il continua jufqu'en 1666 ....
» A fa mort , fix Gentilshommes portèrent
» fon cercueil d'abord ; ils furent relevés
» par fix Seigneurs ; ceux- ci par fix Gouver-
» neurs de Places , auxquels fuccédèrent fix
Bénéficiers ; & enfin , fix Supérieurs d'Ordre
, qui le remirent entre les mains des
» Capucins de Palerme ».
و د
ور
ןכ
"
"
30
رد
En 1559 , le bienheureux Jean fe rendit
également recommandable dans l'Ordre de
Saint-François par fon amour pour la pauvreté
évangélique , & par la rigueur de fes
abſtinences ; il ne mangeoit que deux fois
par femaine , ne prenant que du pain & de
l'eau ; quelquefois même il perfévéra dans
l'abftinence abfolue pendant fix jours de
fuite , & pendant ces longs intervalles il
» ne ceffoit de prier ». ». Aufli mourut-il au
Couvent de Maffacio , à l'âge de 60 ans , le
11 jour de Mars , & fut enterré fous le
crucifix du grand autel. Il avoit guéri pendant
fa vie plufieurs malades par le figne de
la croix ; & Dieu honore chaque jour fon
tombeau par de nouveaux prodiges , qui y
attirent un grand nombre de Peuple.
و د
Nous ne nous permettrons fur cet ouvrage
que les obfervations fuivantes. 1 °. Il
H iij
174.
MERCURE
renferme un grand nombre de Saints & de
Bienheureux dont la vie eft trop abrégée ; car
elle fe réduit fouvent aux feules époques de
la naiffance , de la profeflion religieufe & de
la mort des perfonnages.
2º. Lorfque l'Auteur entre dans des détails
, il en choifit quelquefois d'inutiles ou
de ridicules. Par exemple , dans la vie du
bienheureux Loup , Évêque de Maroc , il
rapporte une anecdote du Pape Innocent ,
qu'on peut regarder comme un jeu de mots
indigne de la Majefté Pontificale. « Auflitôt
» que Loup fut élevé à la Prélature , Inno-
» cent lui dit : celui que nous avions fait de
loup un agneau , mérite que nous le faffions
d'agneau Pafteur des loups ». Et dans la
vie d'Antoinette , l'Auteur nous apprend que
la ferveur de cette bienheureuſe dans la
prière , à laquelle elle employoit la plus
grande partie des nuits , lui valurent le
» don des larmes qu'elle répandoit à grands
ود
»
ور
وو Alots durant l'oraifon & la méditation ».
Le R. P. Récollet dit ailleurs que la bienheureufe
Jeanne du village de Hazagna a
compofé en Espagnol des Sermons qui renferment
de grands myftères , & qu'il eſt difficile
de ne pas reconnoître qu'une main invifible
conduifoit fa plume. Quels étoient donc
ces grands myftères ? Il falloit au moins en
dire un mot.
3 ° . La plupart des actions célébrées dans
l'ouvrage du P. Fulgence , font des vertus
monachales , que les gens du monde ne peuDE
FRANCE. 175
vent guères imiter , & qui influeront diffici- .
lement fur leur conduite .
Ilferoit à defirer qu'on fît dans toutes nos
Vies des Saints , un choix des perfonnages qui
ayant réuni les vertus civiles aux vertus chrétiennes
, offrent des modèles de perfection aux
différens états , aux différentes claffes de la
fociété. Un bon père , un bon maître , un
Juge-intègre , un Prêtre charitable , la piété
filiale , la tendreffe maternelle , un patriotifme
éclairé , &c. voilà ce qu'il faudroit
prefenter à l'imagination . Les héros de l'Ordre
Séraphique font tellement éloignés de nos
ufages , de nos opinions & de nos moeurs ,
que leur exemple eft moins un objet d'émulation
pour nous , qu'un fimple objet de curiofité.
Des hommes auffi extraordinaires
étonnent ; mais édifient-t'ils ? Pouvons - nous
& devons-nous prendre leur efprit & marcher
fur leurs traces ?
4° . Le P. Fulgence , dans fon ouvrage ,
ne met aucune diftinction entre les Saints &
les Bienheureux ; cependant il doit favoir
micux que nous que la béatification s'eft introduite
depuis que les procédures de la canonifation
font devenues plus longues , plus
févères & plus difpendieufes. Dans les béatifications
, le Pape n'agit point en Juge qui
prononce fur l'état de celui qu'il béarifie ; il
accorde feulement à certaines perfonnes le
privilége d'honorer celui qui eft béatifié ,
fans encourir les peines décernées contre les
cultes fuperftitieux. Dans la canonifation au
Hiy
176 MERCURE
contraire , il prononce en Juge fur l'état du
perfonnage qu'il met au rang des Saints . Les
Bienheureux font honorés d'un culte moins
folennel ; on ne peut les choifir pour Patrons
, leur Office n'a point d'Octave ; le
jour où on les célèbre ne peut être une Fête
de commandement. Ces diftinctions entre
les Saints & les Bienheureux étoient incon-.
nues à l'Églife primitive. La voix publique
prononçoit , & alors les Ordinaires , les Métropolitains
, les Primats confirmoient cette
apothéose , ou dans le cours de leurs vifites ,
ou dans leurs Conciles Provinciaux. Le premier
acte de canonifation fait par le Saint-
Siége , eft celui d'un Évêque d'Ausbourg en
993. Les Évêques comme les Papes ont joui
du même droit pendant une longue fuite
d'années. Hugues , Archevêque de Rouen ,
canonifa S. Gonthier le 3 Mai 1153. Et il
paroît que la première qui fe foit faite en
verta de la réferve aux Souverains Pontifes ,
eft celle d'Édouard , Roi d'Angleterre. L'Auteur
de cette réſerve eft vraisemblablement
Alexandre III . Le titre 45 du troifième Livre
des Décrétales , en fuppofe l'existence & non
l'ancienneté , comme on le voit par les expreffions
du texte même , où Alexandre III
condamne le culte d'un ivrogne canonifé
par la populace : cùm etiamfi per eum miracula
fierent , non liceret ipfum pro fancto
abfque auctoritate Romana ecclefia venerari.
DE FRANCE. 177
BIBLIOTHEQUE , Univerfelle des Romans ,
Cuvrage périodique , dans lequel on donne
l'analyfe raifonnée des Romans anciens &
modernes , François ou traduits dans notre
langue , avec des anecdotes & des notices
hiftoriques concernant les Auteurs ou leurs
ouvrages , ainfi que les moeurs , les ufages
du temps , les circonstances particulières
& relatives , les perfonnages connus , déguifés
ou emblématiques , & c .
Il y a près de quatre ans que ce recueil
périodique fe continue avec la plus grande
exactitude , & fe foutient avec le plus grand
fuccès. On n'a peut-être point fait , dans le
genre de la littérature agréable , d'entrepriſe
plus étendue & plus utile , & qui demandât
des fecours plus abondans , & un travail plus
obftine. La Bibliothèque de M. le Marquis
de Paulmy , l'un des Protecteurs les plus éclairés
des Sciences & des Lettres , a été longtemps
ouverte aux Rédacteurs . Ce dépôt , le
plus vafte qu'aucun particulier poſsède en
Europe , & que beaucoup de Souverains fe
feroient honneur d'avoir formé , n'a pas fuffi
aux recherches infatigables des Auteurs de la
Bibliothèque des Romans. Ils puifent aujourd'hui
dans la Bibliothèque du Roi , & l'on
fent qu'il ne faut rien moins qu'un fonds auffi
riche pour le plan immenfe qu'ils fe propofent
d'achever. Leur projet eft de faire connoître
les Romans écrits dans toutes les lan-
Hv
178 MERCURE
gies ; & en effet , avec le fecours de nos interprètes
des langues étrangères & orientales ,
ils ont déjà donné des extraits , non-feulement
des Romans écrits chez tous les peuples
de l'Europe , en Allemagne , en Italie , en
Efpagne , en Angleterre & chez les Nationsdu
Nord , mais même des Romans Indiens ,
Perfans , Turcs , Arabes , Chinois . Plufieurs
de ces morceaux font extrêmement curieux ;
tel eft , par exemple , l'extrait de l'Edda , qui
contient l'ancienne théologie des Nations
Septentrionales. L'on fent combien l'inftruction
fe joint ici à l'agrément , & les connoiffances
qu'on peut tirer de ces fortes
d'analyſes qui préfentent , dans les productions
romanefques de chaque peuple , les
rapports néceffaires de leurs fables avec leur
hiftoire , & de leurs écrits avec leur caractère
& leurs moeurs . Indépendamment de ce mérite
fi effentiel pour tout Lecteur qui veut
s'inftruire , du mérite de la variété fi important
en tout genre d'ouvrage dont le but
cft d'amufer , cette collection offre encore
aux gens de goût des morceaux de pur agrément
qui feroient honneur à nos meilleurs
Écrivains. Tels font fur- tout ceux qu'a rajeunis
, d'après nos anciens Romans de Chevalerie
, M. le Comte de Treffan , fi avantageufement
connu par fon nouvel abrégé
d'Amadis , dont on prépare une feconde
édition . Sa plume élégante & gracieuſe n'a
pas peu contribué à embellir la Bibliothèque
des Romans , & l'hiſtoire d'Urfino en partiDE
FRANCE. ཙྪི
culier a été regardée généralement comme un
ouvrage plein d'originalité & d'intérêt. Elle
a paru dans un des derniers numéros . On
foufcrit toujours pour Paris au Bureau , rue
du Four Saint-Honoré , près Saint- Eustache ;
& pour la Province , au Bureau & chez
Moutard , Imprimeur-Libraire de la Reine ,
rue des Mathurins , Hôtel de Cluny.
( Cet Article eft de M. de la Harpe ).
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Vendredi 23 Avril , Mlle Briancour a
debuté dans l'Opéra de Roland , par le rôle
d'Angélique. Malgré l'embarras infeparable
du defaut d'habitude , & augmenté encore
par une extrême timidité , on a reconnu dans
'organe de cette Débutante , de la fentibilité
& de l'aifance , & même de l'adreffe &
du goût dans fon chant . Ces avantages lui
ont obtenu l'indulgence du Public ; & avec
du travail & de l'étude , elle peut un jour
mériter fes fuffrages.
Le Jeudi 29 du même mois , M. Hus ,
jeune Danfeur , ci -devant attaché au Spectacle
de Lyon , a débuté dans le genre de
M. Dauberval . Il a de la légèreté , de la vi-
H vj
180 MERCURE
gueur & de la hardieffe. Nous avons cru
remarquer que le defir d'obtenir les applaudiffemens
lui faifoit forcer fes moyens , ce
qui peut donner à fa danfe un air de contrainte
& de gêne incompatible avec les
grâces & la foupleffe qui caractériſent le
genre qu'il a embraffé. Nous l'exhortons à
y faire attention , & fur-tout à varier le jeu
de fa phyfionomie. Au refte , il a été fort applaudi
, & il mérite en effet des encouragemens.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ONNa remis le Vendredi 23 Avril , le
Médifant , Comédie de Deftouches , en cinq
Actes & en vers.
On peut préfumer que fi cette Pièce n'eût
pas été placée au nombre de celles qui ont
été repréſentées à la Cour l'hiver dernier ,
les Comédiens ne l'auroient pas préférée à
d'autres pour la mettre au courant de leur
répertoire . Elle eft effectivement très- éloignée
de mériter une pareille diſtinction . Sans
parler du ftyle , qui eft tout à la fois lâche &
incorrect, fans examiner l'intrigue, qui, toutè
compliquée qu'elle eft , n'excite pas même
un intérêt de curiofité ; fans rien dire des
Perfonnages , Scènes ou fituations, dont l'Auteur
a pris l'idée dans les ouvrages de fes
prédéceffeurs ; le caractère principal eſt abfolument
manqué. Damon , qu'on annonce
DE FRANCE. 181
pour un homme bien né , parle & fe comporte
comme un homme fans éducation , &
qui n'a nulle connoiffance du ton ni du ftyle
de la bonne compagnie . Médifant fans ef
prit, ou, pour mieux dire, calomniateur auffi
inconféquent que rempli d'impudence , il
déchire avec audace les moeurs , l'efprit de
Valère , fon ami , dont il veut époufer la
foeur. Il ne ménage pas davantage le refte
de la famille. Tel eft le caractère du Médifant.
On fent qu'un pareil perfonnage eft
odieux , & nullement comique.
On continue avec fuccès les repréfentations
de l'Amour François , dont l'Auteur a changé
le dénoument d'une manière très - fatisfai
fante , & fupprimé quelques longueurs.
COMÉDIE ITALIE NN E.
LE Jeudi 15 Avril , Mlle Finet a débuté dans
l'emploi des Jeunes Amoureufes , par le
rôle de Lucette , de l'Opéra de Silvain , elle
a continué fes débuts dans le Déferteur , la
Rofière , les Deux-Avares , &c.
1.
暮
}
Cette Actrice n'a eu d'autre intention que
celle d'effayer fes talens fur le Théâtre de
la Capitale, & va partir pour la Province.
Ses moyens font foibles , mais elle n'eft pas ...
fans adreffe ; fa manière de chanter eft affez !
agréable , quoiqu'elle manque quelquefois
de précifion , & même de juftelle. Son jeu
eft vif , & même trop décidé pour les rôles
182 MERCURE
qu'elle joue ; & ce qui peut être la matière
d'un reproche plus grave , elle donne le même
caractère à tous les perfonnages qu'elle repréfente.
Si cette Actrice veut reparoître quelque
jour fur le Théâtre de Paris , il eft néceffaire
qu'elle travaille avec un foin égal , &
fa manière de chanter & fa inanière de jouer
la Comédie.
ACADÉMIE S.
SÉANCE publique de l'Académie Royale de
Chirurgie , du Jeudi 15 Avril 1779.
L'ACADÉMIE avoit propofé pour le Prix de cette
année d'établir les régles diététiques relatives aux
alimens , dans la cure des Maladies Chirurgicales.
Le Prix étoit double. On a adjugé l'une des deux
médailles de la valeur de 500 liv . au Mémoire N ° 8 ,
dont l'Auteur eft M. Tiffot , Maître ès -Arts de l'Univerfité
de Paris , ancien Élève des Écoles de Chirurgie
, Docteur en Médecine de la Faculté de Reims ,
nommé à la place de Chirurgien - Major du quatrième
Régiment de Chevaux -Légers , nouvellement créés.
L'autre médaille , de pareille valeur , a été accordée
au Mémoire N° 3 , qui a pour Auteur , M. de
Laflize , Lieutenant de M. le Premier Chirurgien du
Roi , Correfpondant de l'Académie , & Chirurgien
en Chef des Hôpitaux de Charité à Nancy.
M. Louis , Secrétaire - Perpétuel , a annoncé enfuite
que le Prix étoit double pour l'année prochaine ,
fur le fujet fuivant :
Expofer les effets du mouvement & du repos , & les
indications fuivant lefquelles on doit en preferire
l'ufage dans les Maladies Chirurgicales.
DE FRANCE. 183
Le peu d'attention qu'on a donné jufqu'à préfent
à l'hygiène , confidérée comme fource de moyens
curatifs , pourroit faire croire qu'on n'a pas fur la
queftion du mouvement & du repos les mêmes reffources
que fur l'emploi des alimens ; matière que
nombre d'Auteurs ont traitée avec fuccès. S'il ne
s'agiffoit que de fatisfaire la curiofité concernant les
exercices des anciens , on trouveroit dans l'art gymnaftique
que Jérôme Mercurialis publia en 1573 , tout
ce qui a rapport à la lutte , au pugilat, à la danfe, aux
courfes & à tous les exercices du corps . M. Burette ,
Médecin , l'Abbé Gédoyn , ont traité favamment
de ces diverfes exercices dans les anciens Mémoires
de l'Académie des Belles - Lettres ; & M. Sabatier ,
Profeffeur du Collège de Châlons- fur- Marne , &
Secrétaire - Perpétuel de l'Académie Littéraire de la
même ville , vient de publier fur cette matière un
Traité pour fervir à l'éducation de la jeuneffe .
Ces jeux athlétiques n'avoient lieu que pour la récréation
du Public , comme aujourd'hui nos fauteurs
& danfeurs de corde : nous avons un objet utile en
nous occupant des exercices du corps. Nous ne devons
pas ignorer en quoi ils fervent à l'éducation .
Feu M. Jean-Jacques Rouffeau a remarqué , comme
tous les Auteurs modernes d'hygiène , que l'exercice
rend le corps agile , les membres fouples & flexibles ,
& les difpofe à prendre fans peine toutes fortes
d'attitudes . Il prétend même que l'influence de l'exercice
s'étend jufqu'aux facultés de l'ame , dont les
opérations font , toutes chofes d'ailleurs égales , plus
vigoureuſes dans un corps fort & robufte.
Le mouvement eft le principe de la vie & fa
cauſe formelle ; la Nature entière ne fubfifte que par
le mouvement , & le corps humain eft régi par les
mêmes loix l'Univers. L'action du coeur ,
que
le battement
des artères , le jeu alternatif des poumons ,
font les caufes particulières qui entretiennent la
vie & les fonctions de tous nos organes . Tout le
184 MERCURE
monde connoît les avantages de l'exercice qui donne
au mouvement vital l'énergie dont il a fouvent befoin
pour lui aider à furmonter la réſiſtance des fluïdes
& celle que lui oppofent les courbures & les angles
des vaiffeaux . On n'ignore pas combien l'action de
marcher , de monter à cheval , d'aller en carroffe ,
de jouer au billard , à la paume , à la boule , de
travailler à la terre , &c . peut fervir à la fanté. Les
Ouvrages qui donnent l'art de la conferver ont été
très - multipliés de nos jours ; tels font l'Hiftoire de la
Santé , par le Docteur Mackenfie : ce Livre a été
traduit de l'Anglois : l'Art de conferver la Santé des -
perfonnes Valétudinaires & de leur prolonger la vie ,
traduit du Latin de M. Cheyne : M. l'Abbé Jacquin
a publié un Traité qui a pour titre : De la Santé,
ouvrage utile à tout le monde. Ce font des fources où
l'on pourra puifer de très-bons documens , ainfi que
dans d'autres plus fécondes , parce qu'elles ont pour
Auteurs des perfonnes attachées par état à l'Art de
guérir. La Médecine Statique de Sanctorius , dont il
y a une nouvelle Édition augmentée de Commentaires
& de Notes par M. Lorry ; le Traité de Plempius
, Profeffeur de Louvain , de Valetudine tuendâ ,
ne difpenferont pas de lire ce qu'on trouve fur cet objet
dans les Livres d'Oribafe & d'Etius : on en
tirera la plus grande utilité. Hippocrate , Celfe &
Galien font les Auteurs dont la doctrine doit faire
les premiers fondemens de nos connoiffances. Les
éloges donnés à l'exercice montrent les inconvéniens
du repos , décrits d'ailleurs d'une manière préciſe &
pofitive dans plufieurs Ouvrages , & particulièrement
dans le Traité de Ramazzini fur les Maladies des
Artifans : ceux qui mènent une vie fédentaire font
fujets à des accidens qu'il faut favoir prévenir.
Ces connoiffances bien méditées pourront être
tranfportées dans le champ de la Chirurgie . Les
grandes bleffures , les opérations graves , dont la
DE FRANCE. 185
cure eft néceffairement très - longue , les fractures des
extrémités inférieures , obligent indiſpenſablement à
garder un repos qui peut devenir funefte. M. Van-
Swieten , qui a fait des réflexions très - folides fur la
formation des pierres urinaires , dans fes Commentaires
fur les aphorifmes de Boerhaave , prétend que
le repos du corps contribue plus à la génération du
calcul des reins , qui eft le germe de ceux de la
veffie , que toutes les autres cauſes auxquelles on attribue
l'origine de cette cruelle maladie. S'il y a plus
de calculeux parmi les gens du peuple , c'eft , dit-il ,
parce qu'ils gagnent leur vie à des métiers fédentaires.
Les enfans font très - fujets à la pierre , parce
qu'ils ont le fommeil très- long dans leur bas - âge ,
& qu'on les laiffe la plus grande partie du temps couchés
dans leurs berceaux , où ils ne peuvent changer
de fituation , par rapport aux langes dont ils font
enveloppés , & où ils font contenus par des bandes &
des liens.
L'ufage contraire , prefque généralement adopté ,
qui laiffe aux enfans la liberté de fe mouvoir & de
s'agiter fuivant le voeu de la Nature dans leurs petits
lits , diminuera beaucoup à l'avenir le nombre des
calculeux , au grand foulagement de l'humanité.
M. Van- Swieten rapporte qu'un homme qui n'avoit
jamais paru avoir la moindre difpofition à la pierre ,
ayant été obligé de garder le lit immobilement pendant
deux mois & demi pour une fracture de cuiffe ,
fut attaqué quelques femaines après fa guérifon d'une
colique néphrétique. Il rendit , après avoir effuyé
les plus vives douleurs , une pierre affez inégale ; &
pendant le refte de fa vie , il a reffenti de temps à
autres des accès de cette maladie.
Sydenham avoit déjà fait Iobfervation que les
gouteux étoient fort fujets à la pierre , non- feulement
par rapport aux fucs concrefcibles qui fe forment
en eux , mais à raiſon du long féjour dans le
186 MERCURE
Jit , où la violence des douleurs les retient ; & M.
Haller, dans fon Hémaftatique, a expliqué d'une manière
fatisfaifante , par la connoiffance de la ftructure
, de la pofition & des ufages des organes deftinés
à la fécrétion de l'urine , comment la fituation
horisontale & le long féjour dans le lit pouvoient occafionner
la formation de la pierre .
D'après ces vérités , le Chirurgien ne fe croirat'il
pas obligé de prendre les précautions néceffaires
pour prévenir cet inconvénient , en favorifant par
les noyens convenables le libre cours des urines , &
le nettoyement des voies urinaires ? Ne chercherat'il
pas dans les maladies où le repos du corps eft
forcé , à preferire le mouvement propre aux parties
dont l'action eft libre ? Les frictions sèches ne lui
paroîtront- elles pas capables de fuppléer les avantages
de l'exercice qui ne peut avoir lieu ? On trouve chez
les anciens , & parmi les modernes , dans Ambroise
Paré , les différentes vertus des frictions , lorfqu'elles
font foibles , modérées où fortes . C'eft une matière
a approfondir pour pouvoir en preſcrire l'uſage avec
connoiffance de caufes .
Le mouvement offre des reffources directes pour
la guérifon de plufienrs maladies , telles que la
goute , les rhumatifmes , les ankylofes , où il faut
faire mouvoir particulièrement la partie malade . Les
douches donnent du mouvement aux liqueurs en
ftagnation ; attenuées & divifées , la réfolution peut
s'en opérer avec fruit , & le malade recouvre l'ufage
de la partie, dont cet engorgement empêchoit l'action.
La promenade affez long- temps continuée &
au degré de procurer la fueur , favorife fingulièrement
l'opération des remèdes fudorifiques & la guérifon
de certains fymptômes vénériens qu'on ne peut
efpérer de diffiper que par ce moyen .
D'un autre côté , le repos peut être preferit fuivant
des vues rationelles dans le flux immodéré de
DE FRANCE. 187
fang par différens couloirs : par le repos, on prévient
fouvent l'avortement , on remedie aux laffitudes qui
font l'effet des exercices violens ou trop long-temps
continués .
Ces notions fommaires font aifées à faifir : ceux
qui voudront s'occuper de ce fujet à la fatisfaction
de l'Académie , pourront auffi le confidérer du côté
orthopédique ; la carrière eft ouverte au génie pour
prévenir & corriger dans les enfans les difformités
du corps , foit en leur faifant faire des mouvemens
raifonnés , foit en contenant ou foutenant les membres
en repos dans une fituation favorable , à l'aide
de différens moyens.
Les obfervations de la Médecine vétérinaire pourroient
jeter quelque jour fur les avantages & les inconvéniens
refpectifs du mouvement & du repos. M.
Térentius Varron , dans fon économie rurale , parlant
des maladies des beftiaux , prefcrit d'observer
les caufes de chacune d'elles , les fignes qui les font
connoître & la manière de traiter chaque eſpèce de
maladies. Toutes les maladies des beftiaux , ajoute- "
t'il , viennent de ce qu'ils travaillent par le grand
chaud ou par le grand froid , ou d'un excès de tra
vail , ou au contraire du défaut d'exercice , ou enfin
de ce que , fi-tôt après le travail , & fans laiffer d'intervalle
, on leur a donné à boire & à manger.
Les principes , tant fur les avantages du mouve→
ment & du repos , que fur les dangers de leur excès ,
étant pofés & convenus , on n'imagineroit pas cette
matière fujette à controverfe. Il femble qu'ici l'efprit
le plus inquiet ne peut fecouer le joug de l'autorité
& s'égarer dans de nouvelles routes par de
fauffes vues de perfection . Il en eft cependant de ce
fujet comme de tout ce qui eft foumis à l'opinion
des hommes. L'action de monter à cheval ,
que Sy
denham a préconisée comme l'un des moyens le
plus falutaires contre les embarras des vifcères du
188
MERCURE
bas-ventre, eft formellement défapprouvée par quelques
Auteurs qui l'ont reconnue nuifible.
Il en eft de même de la vocifération ou de l'exercice
de parler à haute voix ; les fentimens font trèspartagés
fur fes bons ou mauvais effets . La raifon
de cette diverfité d'opinions eft fenfible. C'eſt que
tout n'eft bon & mauvais que relativement. Le difcernement
des effets par les caufes conftituera toujours
le vrai favoir ; la prefcription de tous les
moyens curatifs ne fera raifonnable que d'après ces
connoiffances , qu'on eft trop enclin à négliger fur
certains objets , parce qu'on ne les a pas jugé auffi
intéreffans qu'ils le font.
On convient généralement que les membres qui
ont coutume d'être exercés font conftamment ceux
qui acquièrent le plus de force. Les bras du forgeron
font donnés pour exemple , & l'on en tire des inductions
pour la cure des parties atrophiées & paralytiques
, &c. mais le principe n'eft vrai qu'à certains
égards : Ramazzini rapporte qu'un Écrivain de
profeffion , qui gagnoit beaucoup d'argent par fon
affiduité à ce travail , fe plaignit d'abord d'une
grande laffitude au bras droit , laquelle ne céda à
aucun remède. Il fut enfuite frappé d'une paralyfie
parfaite. Cet homme s'habitua à écrire de la main
gauche. Quelque-temps après elle éprouva le même
fort. Cette obfervation pourroit fervir de preuve à
ce que dit Hippocrate au feptième Livre des Épidémies.
Il parle de deux Artifans qui gagnoient leur vie par
le travail de leurs mains Ils furent délivrés l'un &
l'autre d'une toux qui les fatiguoit , par la paralyfie
de la main droite . Hippocrate ajoute que ceux qui
ont voyagé à cheval ou à pied deviennent paralytiques
des lombes & des jambes ; preuve que les
parties peuvent s'affoiblir par l'exercice . On ne verra
plus de contradictions entre les principes & les faits
cités , fi l'on conçoit que c'eft l'exercice modéré qui
DE FRANCE. 139
donne de la vigueur aux parties , & qu'elles fe débilitent
quand on les exerce immodérément , & jufqu'à
la fatigue ; c'eft l'excès du mouvement qui eft
nuifible. Un Philofophe en a fait la remarque :
S'exercer n'eft pas s'excéder.
Mon but dans ces Réflexions eft d'applanir les
difficultés du fujet , & de favorifer le travail de ceux
qui voudront s'occuper de la queftion propofée pour
le Prix de l'année prochaine , dont la matière eft
auffi intéreffante qu'elle a été négligée fous le point
de vue où nous defirons qu'elle foit traitée .
L'Académie récompenfe l'Émulation des Chirurgiens
qui ont envoyé pendant le cours de l'année
dernière des Obfervations intéreffantes ou des Mémoires
à leur choix , en accordant la médaille de
200 liv. à M. Sernin , Chirurgien en Chefde l'Hôtel
Dieu à Narbonne.
Les cinq petites médailles ont été adjugées à M.
Michaud fils , Maître en Chirurgie à Aubervilliersles-
Paris ; à M. Puaux , Maître en Chirurgie à la
Gore , près Barjac en Languedoc ; à M. Houillier
Lieutenant de M. le Premier Chirurgien du Roi , à
Sezanne en Brie ; à M. Groffier , Chirurgien - Major
du Régiment Dauphin Infanterie , à Saar-Louis , &
à M. Meftivier , Maître ès -Arts & en Chirurgie, en
Chef de l'Hôpital S. André à Bordeaux.
Les Mémoires & Obfervations adreffées à l'Académie
par M. Billard , Chirurgien - Major de la
Marine au port de Breft , lui auroient mérité le Prix
d'Émulation , s'il ne l'avoit obtenu il y a quelques
années. Il a eu depuis des Lettres de Correfpondant ,
dont il a rempli le devoir avec une grande dif
tinction.
Après la diftribution des Prix , M. Deleurye a lu
un Mémoire fur les avantages de l'opération Céfarienne
, pratiquée à la ligne blanche . M. Sabatier, des
Remarques & Obfervations fur la fracture du
190 MERCURE
Sternum ; & M Louis a terminé la Séance par la
lecture d'un Mémoire , intitulé : Examen des faits
concernant la fection de la Symphife des os pubis.
ANECDOTE.
ONN peut
regarder
Charles
V comme
le
véritable
fondateur
de la Bibliothèque
du
Roi. Ce
Prince
aimoit
fort
la Lecture
, &
c'étoit
lui faire
un
préſent
très -agréable
que
de lui donner
des
Livres
. Il parvint
à en raffembler
environ
900
, nombre
bien
confidérable
pour
un temps
où l'impreffion
n'avoit
pas
encore
été
inventée
, & pour
un
Prince
à qui
le Roi
Jean
fon
père
n'avoit
laiffé
que
vingt
volumes
au plus
. La Bibliothèque
de Charles
V étoit
compofée
de Livres
de Dévotion
, d'Aftrologie
, de Médecine
,
de Droit
, d'Hiftoire
& de
Romans
, peu
d'anciens
Auteurs
des
bons
fiécles
, pas
un
feul
exemplaire
des
ouvrages
de Cicéron
;
& l'on
n'y
trouvoit
de
Poëtes
Latins
qu'Ovide
, Lucain
& Boëce
, des
traductions
en François
de quelques
Auteurs
, comme
Tite
- Live
, Valère
-Maxime
, la Cité
de Dieu
,
la Bible
, &c. Charles
les fit placer
dans
une
des
tours
du
Louvre
, que
l'on
nomma
la
tour
de la Librairie
. C'eft
de ces foibles
commencemens
que
s'eft
formée
la Bibliothèque
Royale
, dont
il auroit
été difficile
alors
de
prévoir
l'éclat
& la grandeur
. Elle
fut
confidérablement
augmentée
par
les
foins
de
>
DE FRANCE. 191
Louis XII & de François I , à mesure que les
Lettres & le goût des Sciences s'étendirent
dans la France fous la protection de ces Princes
; mais c'a été principalement fous les règnes
de Louis XIV & de Louis XV , qu'elle a été
portée à ce degré d'immenfité & de magnificence
qui la rendent aujourd'hui la plus
riche & la plus précieufe Bibliothèque du
monde.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
HISTOL
;
ISTOIRE Naturelle de la terre , des volcans
éteints , des volcans non éteints & de leurs émanations
méphitiques ; des Mines d' Argent , &c . &c.;
du Feu , de l'Air , de l'Eau & de leurs Météores
des Lacs , des Fleuves , des Rivières , des Fontaines
d'eaux douces , intermittentes & minérales; des Arbres
& Arbriffeaux ; des Reptiles , des Poiffons , des
Oifeaux , des Quadrupèdes , & de l'Homme Montagnard
du Vivarais. Suivie de l'Hiftoire des guerres
de Religion de cette Province , qui n'avoit pas été
encore mife au jour. 6 vol. in- 8 ° . avec des planches.
P. u. V. des M. d. V.
Conditions de la foufcription.
L'Ouvrage que nous annonçons eft fini , approuvé
& muni du privilége. Il fera compofé de fix volumes
in- 8 ° . avec des planches qui repréfenteront
les vues les plus curieufes , les plans des fortifications
fituées fur nos montagnes avant leur deftruction
ordonnée par Louis XIII , d'après les deffins
tirés fous les yeux du Duc de Montmorenci. Nos
I 2 MERCURE
volcans , nos vues les plus pittorefques feront gravés
au naturel , avec le plus grand foin.
On payera 18 liv. en foufcrivant. En recevant les
deux premiers volumes en Janvier prochain 1780 ,
on payera 12 liv. En recevant les deux volumes
faivans , le mois de Mars de la même année , on
payera encore 6 liv. On recevra fans payer , les
deux derniers volumes dans le moisde Mai de la même
année.
Dans la diftribution des volumes , on donnera
les premières épreuves aux premiers Soufcripteurs ,
dont la lifte fera imprimée felon la date des foufcriptions
; il paroît jufte que ceux qui auront voulu
s'intéreffer les premiers à l'Ouvrage , foient le mieux
partagés. Les vingt premiers exemplaires , fur grand
papier , avec les plus belles épreuves , fe payeront
48 livres.
On foufcrit à Paris , chez M. COSME , Maître
en Chirurgie , rue des Poulies , vis - à- vis le Café de
l'Etoile , quartier Saint-Honoré. Chez MONORY ,
Libraire , rue & vis -à- vis l'ancienne Comédie Fran- .
çoife , Fauxbourg Saint Germain. A Aubenas , chez
M. MESTRE , Orfévre , qui reçoit les Mémoires
ou Notices qu'on voudroit faire paffer à l'Auteur.
A Bourg- Saint-Andeol , chez M. GUILLET. Et chez
les principaux Libraires de l'Europe.
L'Ezour- Vedam , ou Ancien Commentaire du
Vedam , contenant l'expofition des opinions Religieufes
& Philofophiques des Indiens , traduit du
Samfcretan par un Brame ; revu & publié avec des
obfervations préliminaires , des notes & des éclairciffemens.
2 vol. in - 12 . Prix broché 3 liv . A Paris ,
chez Debure l'aîné , Libraire , Quai des Auguſtins .
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De
CONSTANTINOPLE , le 25 Mars.
LE nouveau Traité conclu par la médiation
de la France entre cet Empire & celui de Ruffie
, confirme , dit-on , la plupart des difpofitions
de celui de Kainardgi ; les deux puiflances
renouvellent la paix pour 35 ans ; les conditions
principales font , ajoute - t - on , que les
Tartares auront toujours la liberté d'élire leur
Chan , auquel le Grand - Seigneur enverra ,
comme par le paffé , le fabre & le turban , en
figne de fon approbation. Les Ruffes pourront
expédier tous les ans 6 vaiffeaux dans la mer
Noire ; mais ces vaiffeaux uniquement deftinés
au commerce , ne pourront porter que 4 canons.
On affure auffi que la France a obtenu la liberté
d'en envoyer également deux de la même force
fur cette mer , pour porter en crimée des productions
Françoifes , & en exporter celles de
cette prefqu'ifle .
Le froid que nous avons éprouvé ici pendant
quelque tems , commence à fe diffiper ; mais
il eft encore très-vif. La cherté de toutes les
denrées de première néceffité est toujours trèsgrande
; felon les lettres de Smyrne , elle y eft
exceſſive .
Is Mai 1779. I
( 194 ).
+
RUSS I E.
De
PETERSBOURG , le S Avril.
M. James Harris , envoyé extraordinaire de
la Cour de Londres , nommé depuis peu Chevalier
du Bain , vient d'être reçu en cette qualité
par l'Impératrice , qui à la réquifition du
Roi d'Angleterre , a bien voulu remplacer S.
M. B. dans cette cérémonie . Ce fut le 21 du
mois dernier , que M. Harris fe rendit au Palais
pour cet effet ; il y fut reçu par le Grand-
Maitre des cérémonies , & introduit dans la
falle d'Audience où fe trouvoient le Comte de
Panin , le Vice- Chancelier , le Maréchal Prince
de Gallitzin , & plufieurs autres perfonnes de
diftinction. Après les cérémonies d'ufage en
pareille occafion , M. Harris fe mit à genoux ,
I'Impératrice le décora du Cordon & des autres
marques de l'Ordre , & ayant pris enfuite
une épée d'or enrichie de diamans , elle en
frappa trois coups fur l'épaule du Récipiendaire
, en lui difant : au nom de Dieu , foyer
un bon & loyal Chevalier. M. Harris s'étant levé
enfuite , eut l'honneur de baifer la main de
S. M. I. , qui lui dit : » pour vous témoigner
combien je fuis contente de vous , je vous fais
préfent de l'épée avec laquelle je vous ai imprimé
le caractère de Chevalier.
On dit que le Prince Orlow , qu'on attend
inceffamment ici de Mofcou , fe propofe de faire
un voyage dans les pays Etrangers.
SUÈDE.
De
STOCKHOLM , le 10 Avril.
LE College de l'Amirauté Royale vient de
( 195 )
publier la notification fuivante en date du 26
du mois dernier , concernant la protection du
commerce maritime de ce Royaume.
» Notre Augufte Souverain ayant trouvé convenable
, pendant la guerre maritime qui actuellement
a lieu en Europe , de faire équiper une efcadre de
dix vaiffeaux de guerre & de fix frégates , pour pro
téger la navigation & le commerce de la Suède , le
Collège d'Amirauté Royale & de ce Royaume , autorifé
à cet effet par S. M. , notifie qu'outre l'efcadre
fufmentionnée , il en partira encore une feconde
pour la mer du Nord , qui établira fa croiſière entre
le cap de Ter-Neus , le Jutland , le Rif de Jutland
& le Doggers-bank ; au moyen de quoi elle protégera
le commerce dans cette mer depuis le canal de
la Manche jufqu'au Sund : le Collége Royal vient
en conféquence de fixer le Sund pour lieu d'affemblée
de tous les navires marchands deſtinés pour l'étranger
& hors la Baltique , qui voudront profiter de
cette eſcorte. Pour que tous ceux que ce nouvel arrangement
concerne , puiffent être prévenus à tems ,
ils font avertis , que ce convoi compofé de fix frégates
, partira en trois divifions de deux chacune ,
& à trois différentes époques. La première eft fixée
au 27 Mai pour les navires marchands , qui alors
pourroient être prêts à mettre à la voile , & qui
feront efcortés par les frégates l'Upland & Jaramas
, commandées par les Majors- Chevaliers Hifingfchiold
& Hard , ' qui convoyeront ces bâtimens
par le canal jufqu'au cap Finiftere ; après quoi ces
deux Commandans établiront une croifière commune
dans le Golphe de France , fur les fonds au-delà de
Finifterre , les Sorlingues , le canal de St. George &
celui de la Manche , entre la côte de France,& l'ifle
de Whigt.
Le deuxième convoi partira du Sund le 31 Juillet ,
fous la protection de deux frégates l'Aigle Noire &
le Sprengporten, commandées par les Majors Falſtedt
& Torning , & qui croiferont de même que les premières.
12
196 )
Le troisième convoi fera voile du Sund le 30 Septembre
, avec les frégates le Prince Gustave &
Trolle , commandées par les Chevaliers - Majors
Comte Horn & Baron Fletvod. Ces dernières frégates
prendront la même route que les précédentes ;
mais elles continueront leur eſcorte aux bâtimens
qui vont en Portugal , en Efpagne , dans la Méditerranée
, & felon l'exigence du cas , en Sicile & à
Malthe. Lorfque les navires marchands auront été
conduits fûrement au lieu de leur deftination , les
frégates feront voile pour Livourné , où leurs Commandans
délibéreront avec le Conful de Suède fur
la croifière la plus avantageufe aux navires Suédois
à établir dans la Méditerranée , laquelle ils prolon
geront , ou en commun , ou chacun féparément ,
jufqu'à la fin de Janvier ou au commencement de
Février 1780 ; après quoi elles fe rendront à Malaga
, afin d'y croifer de nouveau jufques vers le
milieu ou la fin de Février , terme fixé pour prendre
fous leur convoi les bâtimens Suédois venant de Cette
& d'autres ports de la Méditerranée , qu'elles efcorteront
par la mer d'Efpagne , celle du Nord , par le
canal & finalement jufques aux ports de ce Royaume.
On avertit en outre qu'aucuns autres navires marchands
ne feront admis fous la fufdite efcorte , que
ceux qui feront aux termes de l'Ordonnance de S. M.
publiée le 18 Février paffé.Et quoique notre très - gracieux
Souverain ait fait prendre ces mesures pour
la protection de la navigation Suédoife , cependant
S. M. , eu égard au libre cours du négoce , accorde
gracieufement que les navires marchands jouiffent ,
de la liberté de naviguer feuls on fous convoi , &
qu'en pleine mer ils puiffent s'en féparer , après en
avoir préalablement donné connoiffance aux Commandans
des vaiffeaux ou des frégates , fans que
ces derniers puiffent y mettre oppofition , ou empêcher
les bâtimens marchands de faire ce qu'ils jugeront
de plus avantageux pour leurs intérêts ; quant
au furplus , ces navires fe conformeront aux ordres
( 197 )
que leur donneront les Commandans , conformément
à leurs inftructions , &c .
POLOGNE.
De VARARSOVIE le 10 Avril. 2
LE retour de M. Kamenskoy , Général au
fervice de Ruffie , & qui étoit deftiné à commander
fous les ordres du Prince de Repnin ,
le cops auxiliaire que la Cour de Pétersbourg
devoit fournir à celle de Berlin , ne laiffe plus
aucun doute fur la prochaine pacification de
l'Allemagne . Celle de la Ruffie & de la Porte
eft effectuée ; & on croit que M. de Kamenskoy,
qui fe rend en Ukraine auprès des troupes de
fa nation , va prendre des arrangemens qui les
concernent. On fe flatte que la paix étant faite
de tous côtés , la Ruffie ne jugera pas fi néceffaire
la préfence de fes troupes dans ce Royaume
, & qu'enfin elles l'évacueront ; en attendant
que cette efpérance fe confirme , les perfonnes
qui avoient fait des fpéculations à l'occafion de
ces deux guerres , & fait des amas de grains ,
& fur-tout d'avoine , dont elles fe flattoient que
les armées feroient une grande confommation ,
cherchent de nouveaux débouchés pour s'en
défaire , & en envoyent à Dantzick & à Elbin
gen, d'où on les fera paffer ailleurs.
On apprend que la femaine dernière , il y a
eu à Wezelin un incendie qui a duré trois
jours , & qui a réduit en cendres un grand nombre
de maifons & d'autres édifices. La quantité
d'eau-de-vie qui fe trouvoit dans les magafins
embrafés , a contribué à la durée du feu qu'on
n'eft parvenu à éteindre que difficilement. Le.
Prince Czartorisky , Général de Podolie , a
envoyé une commiffion à Wezelin pour donner
tous les fecours poffibles aux incendiés.
I 3
( 198 )
ALLEMAGNE.
DE
VIENNE , le 20 Avril.
L'ÉLECTION du Baron d'Erthal aux fiéges
de Wurtzbourg & de Bamberg a rendue vacante
la place importante de co - Commiffaire
Impérial à la Diète de l'Empire . L'Empereur
vient d'en difpofer en faveur du Baron de
Lehrbach , Confeiller à la Chancellerie de
Cour de Bohême & d'Autriche . Le Comte de
Langlois , Lieutenant-Général d'Infanterie , a
été nommé pour fuccéder au feu Lieutenant-
Général Baron de Plunquer , dans le Gouvernement
d'Anvers.
Le 12 de ce mois le Baron de Jacquemin
eft parti pour la Moravie , où il va prendre
le commandement des troupes qui fe trouvent
dans cette Province , que la fanté du Général
d'Elrichshaufen ne lui permet pas de conferver.
Le 3 du mois prochain la Cour partira pour
Laxembourg , où l'Archiduc Maximilien fe
rendra auffi ; ce Prince ne paroît pas encore
en public ; on fe flatte qu'il reprendra bientôt ,
dans un air plus pur , fes forces , qu'a confidé
rablement affoiblies l'accident douloureux qu'il
a éprouvé à la jambe .
Il s'eft commis dernièrement ici un crime horrible
. Un Aubergifte étranger fut affaffiné Dimanche
dernier dans fa chambre. Son meurtrier étoit à la
tête de les affaffins , qui étoient au nombre de cinq ;
ils emportoient fon argent & fes meilleurs effets ,
lorfqu'il entendit du bruit & courut à eux pour
arrêter ; ils le tuèrent à coups de hache & de couteaux
, & le laiffèrent fur la place , où il fut trouvé le
lendemain refpirant encore , & avec aflez de connoiffance
pour défigner fes affaffins & leur nombre.
les
( 199 )
Ils commirent ce crime en plein jour , & on s'étonne
qu'ils ayent pu emporter un grand coffre fans fe
déceler , fur-tout dans cette ville , où il n'eft permis
de faire aucun tranfport d'effets d'un lieu à un autre
un jour de fête ou de dimanche , & où la Police fait
arrêter & mettre en prison tout homme qu'on rencontre
chargé ces jours- là.
A ce trait affligeant , nous en joindrons un plus
confolant qu'un papier Allemand nous fournit , fans
nominer le lieu où il s'eft paffé . » Le Baron de Lubefchutz
, Juif de Nation , vient de fe diftinguer par un
trait qui n'eft guère ordinaire parmi les Ifraelites ,
de quelque tribu qu'ils foient. Il occupoit depuis 12
ans une maifon appartenant à M. Naumann , Secrétaire
Confiftorial , qui à raison de fes dettes & de
fon inconduite , vivoit enfermé en prifon ; il y a peu
-de jours que M. Naumann , étant parvenu à la 70e
année de fon âge , a été mis en liberté , malgré les
follicitations qu'il a faites pour qu'on lui permît de
paffer le refte de fes jours en prifon. On ne les
écouta point , & on le mit dehors. N'ayant plus ni
párens , ni amis , ni afyle , il erra pendant toute la
journée , fans favoir que faire ni cù aller . Le foir
étant venu ,
fe fentant fatigué , cherchant une maifon
où l'on voulût bien lui donner le couvert , il fe
reffouvint qu'il en avoit eu une qu'il avoit vendue ;
il s'y rendit dans l'efpérance que l'acquéreur auroit
quelque pitié de fon âge & de fon malheur. 1 fe
trouva qu'elle n'appartenoit plus à ce même acquéreur
; M. Lubeſchutz l'avoit achetée ; inftruit de
l'infortune de l'ancien propriétaire , il le reçut ; le
lendemain , il le pria de lui montrer l'appartement
qu'il avoit occupé autrefois ; il le céda à M. Naumann
avec tous les meubles qui y étoient , & le
força d'accepter 20 louis & la promeffe de pourvoir
à fes befoins pendant le refte de fa vie «.
I 4
( 200 )
De HAMBOURG , le 25 Avril.
L'IGNORANCE où l'on eft toujours fur ce
qui fe paffe à Tefchen , contribue à multiplier
& à varier les conjectures de ceux qui veulent
le deviner ; & les papiers publics font
pleins de rapports vagues & contradictoires
tantôt allarmans , tantôt confolans , felon l'intérêt
que les pays fous l'influence defquels
ils font écrits , ont à la paix ou à la continuation
de la guerre . Dans le même-tems où les
uns ne parlent que de préparatifs hoftiles , qui
ne font en effet pas encore interrompus , de
la marche des troupes Autrichiennes en Moravie
& en Bohême , les autres annoncent qu'on
eft convena de tous les articles du Traité , auquel
il ne reste plus qu'à donner la forme convenable
. Sans nous arrêter à difcuter cette
dernière conjecture , qui eft plus vraisemblable
, nous citerons une lettre dont les détails
femblent l'appuyer. » Le réſultat de toutes les
lettres que nous avons reçues de Tefchen , paroit
prouver que la fatisfaction à donner à la
Cour de Saxe a été la principale difficulté qui
a fait traîner les négociations en longueur. En
effet , le Roi & l'Impératrice Reine étant convenus
d'avance des articles qui les concernoient,
& rien n'étant capable de faire changer la détermination
de ces deux auguftes Souverains
les ennemis de la paix , car on croit qu'elle en
a , n'ont pas trouvé d'autre moyen , pour
effayer
de la faire rompre une feconde fois , que
celui d'exciter la Cour Palatine à fe refufer au
paiement des 4 millions ftipulés pour la Cour
de Saxe. Dès les premières conférences le
Miniftre Palatin protefta contre tout ce qui
avoit été arrêté entre les Plénipotentiaires. Le
Prince de Repnin prononça à cette occafion un
( 201 )
difcours rempli de force & de dignité , dans
lequel il déclara qu'on ne pouvoit avoir égard
à la proteftation du Miniftre Palatin , lui demandant
d'informer fon maître de cette décla
ration , & de folliciter une prompte réponſe.
Quelques jours après le Miniftre Palatin offrit
un million , puis deux ; mais fans fuccès , le Roi
ayant déclaré qu'il étoit fi fenfible à la confiance
que la Maifon de Saxe lui avoit témoignée dans
cette occafion , qu'il ne confentiroit jamais
qu'on ne lui accordât pas la farisfaction conve
nable ; & qu'entr'autres , elle devoit abfolu
ment avoir 4 millions. Dans ces entrefaites ,
l'Impératrice- Reine ayant été informée des
difficultés que faifoit le Miniftre Palatin , &
fentant parfaitement quels en étoient les motifs
& la fource , fit expédier un Courier au
Comte de Cobentzel , fon Miniftre , avec une
nouvelle inftruction , portant , dit- on , que dans
le cas où l'Envoyé Palatin voudroit donner à
entendre que la Cour de Vienne pouvoit être
de concert avec fon maître fur le refus du dédommagement
convenable pour la Saxe il
eût à le contredire formellement en produifant
fa préfente inftruction . Cette déclaration a eu ,
dit-on , l'effet defiré ; les oppofitions ont ceffé ;
& le Miniftre Palatin ayant écrit à fa Cour ,
on reçut à Tefchen , le 12 de ce mois , le confentement
de l'Electeur pour les 4 millions qui
doivent être payés à la Saxe «
Si ces détails font vrais , & dont quelquesuns
paroiffent fondés , les difficultés doivent
être levées ; & la conclufion de ce grand ouvrage
ne peut pas être éloignée . On en attend
la nouvelle avec impatience ; on n'a pas moins
de curiofité d'apprendre quelles font toutes les
autres conditions du Traité. Il y en aura vraifemblablement
de fecrettes ; les fpéculatifs
travaillent déja à en prévoir quelques - unes ;
( 202 )
mais il femble qu'ils devroient attendre de
connoître celles qui feront publiées & qui
pourront mettre fur la voie. Selon des lettres
de Ratisbonne , la paix eft regardée comme
conclue ; & ce qui ajoute encore un degré
de probabilité à cette opinion , c'eſt qu'on affure
que les troupes Impériales , qui font dans
les environs de cette Ville , font déja les préparatifs
néceffaires pour leur prochain départ ,
& que d'un autre côté quelques bataillons de
troupes Palatines fe difpofent à aller rempla
cer les troupes Autrichiennes , dans les lieux
dont elles s'étoient mifes en poffeffion. Les 4
Régimens Impériaux qui ont occupé jufqu'à
préfent la Bavière , doivent , felon les mêmes
lettres , aller en garnifon dans le diftrict de
cet Electorat , fitué entre les rivières de Salza
& d'Inu , cédé par le nouveau Traité à la
Maifon d'Autriche.
Pendant que tout fe prépare pour la paix
d'Allemagne , les préparatifs militaires ne fe
rallentiffent pas dans l'Electorat de Hanovre ;
les troupes qui y font raffemblées doivent former
cet été un camp près de Hamelen on
ne dit pas de combien il fera compofé ; mais
on croit qu'une partie des Régimens de l'Elec
torat ne restera pas dans le Pays , & qu'on en
enverra plufieurs dans différens endroits où la
Grande- Bretagne a befoin de fe fortifier. Des
lettres de Bremerlehe portent qu'il y eft arrivé
d'Angleterre quantité de bâtimens , deſtinés à
tranfporter en Amérique les recrues de Heffe
& des autres Pays d'Allemagne , qui ont fourni
des troupes à cette Puiffance . Selon les mêmes
lettres , un bâtiment neuf venant de
Brême , chargé de toiles , & destiné pour
Londres , a été renverfé par la violence des
torrens dans le Wefer , près de Blerer- Horne
: tout l'équipage a péri à l'exception d'un feul
( 203 )
homme ; & il y a peu d'efpérance d'en retirer
quelques marchandifes. Cette perte eft évaluée
à 2 tonnes d'or.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 15 Avril.
C
ON vient de publier de nouveau , par ordre
du Grand-Duc , la lettre circulaire par laquelle
il eft ordonné à tous les Juges de la Grande-
Tofcane , de veiller exactement à ce que la
bulle in canâ Domini , ne foit ni lue ni affichée
dans aucune Eglife .
Notre Cour & celle de Rome , font convenues
pour l'utilité du commerce des deux
Etats , de faire creufer un canal , qui en paffant
par le territoire de Cortone , portera les
eaux du lac de Peroufe dans l'Arno . On fait
déja des difpofitions pour l'exécution de ce
projet.
Les nouvelles de Rome ne laiffent plus aucane
inquiétude fur la fanté du S. Pere qui
en a donné de très-grandes pendant quelque
tems , & qui paroît à préfent hors de danger.
»Nous avons été ici , écrit-on de Tripoli de Barbarie
, à la veille de voir s'allumer une petite guerre
entre les Anglois & les François qui fréquentent
notre port. La fermeté de M. Durocher , Conful-
Général de France , a réuffi heureufement à faire
échouer les projets avides de M. Thulis , Chance-
Her du Conful d'Angleterre. Ce dernier avoit engagé
un Algérien , poffeffeur d'un bâtiment portant
pavillon Anglois , à armer fon bâtiment en courfe
contre les François ; déja poffédé de l'efprit de cupidité
, l'Algérien preffoit fon armement & débauchoit
les matelots étrangers ; il devoit partager avec
M. Thulis le montant des prifes qui feroient faites
malgré leur illégalité , attendu le défaut de lettres de
16650
( 204 )
marque . Le Conful de France , ayant inutilement
parlé au Pacha Bey pour faire défarmer ce forban ,
fut requis par les commerçans François de les autoriſer
à faire un armement pareil pour en impoſer à
l'Algérien : cet armement fut fait en 24 heures , & le
Capitaine Gipier fut choifi pour le commander. L'AIgérien
n'ofa fortir jufqu'au 16 Décembre. Ce jourlà
nous vimes en mer un chebeck Mahonnois monté
de 10 canons & de 80 hommes d'équipage , qui conduifoit
une prife Françoife commandée par le Capitaine
Blanchard : le Capitaine Gipier fortit auffi-tôt
pour aller au moins dégager la prife ; mais il ne put
joindre ni le chebeck , ni la tartane Françoiſe , &
ils rentrèrent l'un & l'autre dans le port , après avoir
effuyé une rude canonnade. Le Pacha- Bey , oubliant
la foi des traités , fe plaignit de la hardieffe des Fran
çois , & demanda des réparations ; le bâtiment du
Capitaine Gipier refta toujours armé & protégea
l'entrée des navires François ; cependant le chebeck
Mahonnois s'unit au pinque Algérien , qu'il échangea
enfuite contre la tartane du Capitaine Blanchard
, qu'il arma de 18 canons & de hommes
d'équipage. Auffi- tôt le Conful de France augmenta
fon armement & y joignit le bâtiment du Capitaine
Trullet , dont les fabords furent percés , & tous les
marins François qui fe trouvoient dans cette échelle ,
demandèrent à s'embarquer fur les deux corfaites.
François. Cette réſolution en impofa aux Anglois ,
& le Pacha-Bey interpofa enfin la médiation pour
farie ceffer l'efpèce de guerre qui tenoit fon port
comme bloqué ; il régla que les corfaires ne forti
roient qu'à 24 heures de diſtance les uns des autres.
Cet arrangement pouvoit nuire aux François , dont
les bâtimens n'étoient pas auffi bons voiliers que
ceux des Anglois ; en conféquence le Conful de
France s'en plaignit , & obtint les conditions fuivantes.
10. Que le corfaire armé dans ce port iroit
en droiture à Mahon fans pouvoir faire prife fur les
François , & que le Pacha-Bey , après avoir reçu
40
( 205 )
un cautionnement du Confular Anglois , fourniroit
le fien au Conful de France . 2 °. Que le corfaire armé
à Mahon quitteroit la côte de Tripoli . 3 ° . Que le
Pacha Bey , pour avoir laiffé armer dans fon port
contre la foi des traités , payeroit les frais de l'armement
des François , ce qu'il a fait moyennant
1200 fequins. Cette conduite ferme de M. Durocher
, lui a valu l'avantage d'être nommé par le Miniſtère
de France , au Confulat général de Tunis . II
faut connoître la foibleffe & la cupidité de cette petite
Régence , pour imaginer les dépenfes & les,
peines du Conful de France , pour obtenir la justice
qui étoit due à la nation «.
Une lettre de Tanger contient les détails
d'un fait qui paroîtra extraordinaire à des peuples
civilifés. Les voici tels qu'elle les préfente :
» Il y a quelque tems que le Prince Muley Guiad-
Guid , fecond fils du Roi , porté par les Negres &
par les Ethiopiens qui vouloient l'élire pour Roi
Le rendit dans la place publique , efcorté par les
mutins qui alloient procéder à cette élection . Les
Blancs du pays , reftés fidèles à leur Souverain , dif
fipèrent les factieux conjointement avec quelques
troupes envoyées contr'eux. Muley Guiad . Guid
s'échappa & fe rendit dans les Provinces méridionales
où il fe fit encore des partifans , mais ils furent
auffi difperfés , & lui-même fut conduit prifonnier
à Mequinez. Le Roi ayant ordonné le 6 de се mois
qu'on l'amenât devant lui avec les fers aux pieds &
aux mains fur la même place où il devoit être proclamé
Roi , lui témoigna toute fon indignation , &
tirá fon fabre pour lui couper la tête ; mais après un
moment de réflexion il le fit enfermer dans un cachot
, avec défenſe à qui que ce foit , fous peine de
la vie , de lui donner aucun aliment. Ce fupplice
fi l'ordre n'eft pas révoqué , comme on l'efpère
fera plus cruel & plus long que le premier , car le
Roi excelle à trancher des têtes . Les partifans du
Prince ont été févèrement punis de différentes ma(
206 )
nières. Ces actes de févérité & l'exil de tous les
Ethiopiens & Negres qui ont été envoyés dans les
ports de mer , ont entièrement affoupi la rebellion.
Le Roi a changé fa garde , & a confié fa perfonne
à des Blancs qui fe font diftingués par leur fidélité
& par les fervices qu'ils lui ont rendus pendant le
foulevement des Negres ".
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 30 Avril.
LA relation de l'avantage remporté le 3 du
mois dernier par les troupes Royales dans la
Georgie , fur les Américains , commandés par
le Général Lincoln , a produit les effets ordinaires
à toutes celles de cette eſpèce . On a
commencé par prévoir les plus grandes fuites
de ce triomphe , la foumiffion effectuée d'une
province & la conquête prochaine de deux
autres . Lorfque le premier enthouſiaſme a été
paffé , on a trouvé un peu étrange que dans un
combat auffi opiniâtre , qui n'a pas coûté moins
de 2000 ,
& même de 2500 morts aux vaincus
, la perte des vainqueurs fe réduife à 5 foldats
tués , & un Officier & 10 foldats bleffés ;
il peut y avoir quelque erreur de chiffre dans
la lettre du Major-Général Prevoft ; mais il
n'y a fans doute aucune méprife , aucune amphibologie
dans ce paragraphe de fa lettre.
» Les bons effets de cette déroute font évidens
; je les efpère du moins. Les rebelles ne
nous troubleront plus dans cette province , notre
communication avec nos partifans dans l'intérieur
du pays & avec les Indiens , reftera ouverte
; & quoique je ne pense pas qu'il foit
prudent de nous étendre immédiatement plus
en avant , cependant en confervant ce que nous
avons gagné , nous nous tenons prêts à profiter
( 207 )
de tous les incidens favorables qui pourront
s'offrir dans la fuite «<.
Cette réflexion n'annonce pas que le Général
croie tirer des avantages bien prochains
de fa victoire ; ainfi l'objet de cette expédition
qui étoit de pénétrer dans la Caroline , n'eft
point encore rempli , & paroît au moins trèsdifféré.
» On peut en conclure , dit un de nos
papiers , que cette grande victoire n'eft qu'une
répétition de l'affaire de Still-Water , & la
regarder comme ces momens trompeurs d'un
mieux apparent , qui dans ces maladies graves
font les avant- coureurs de la mort «<.
La Cour a publié auffi copie de la proclamation
publiée dans la Georgie pour rétablir
les Loix dans cette province fur le pied où
elles étoient à la fin de 1775 ; elle a annoncé
en même -tems la foumiffion de 1400 hommes
qui ont prêté ferment à Augufta , & qui fe font
divifés , en 20 compagnies qui renforcent les
troupes du Général Prevoft ; elle parle pareillement
d'un corps de 600 Royaliſtes des deux
Carolines , qui cherchoit à joindre l'armée Angloife
& dont la moitié étoit arrivée heureufement
; elle ne dit rien de l'autre moitié , &
fon filence femble confirmer ce que l'on a
appris par d'autres avis , qu'elle étoit tombée
entre les mains des Américains , qui l'avoient
faite prifonnière de guerre.
Du côté de New-Yorck on n'a rien appris
de nouveau depuis l'entrepriſe du Lieutenant-
Colonel Stirling fur Elifabeth- Town , & celle
du Général-Major Tryon dans le Connecticut ;
ni l'une ni l'autre ne paroiffent avoir eu de
fuccès. Les troupes Royales , dans la dernière ,
ont dû avoir été vivement harcelées , puifque
le Général Tryon a été forcé de faire la retraite
la plus rapide , & qu'il a fait faire à fes
troupes une marche de so milles en 40 heures.
( 208 )
Auffi font elles arrivées demi - mortes de fa
tigues à New - Yorck Le Général Clinton
avec trop peu de monde pour tenter rien de
confidérable , a cru pouvoir tenter de petites
expéditions dont le but n'eft que de détruire ;
il ne feroit pas prudent qu'il en fit faire fou
vent d'auffi malheureufes ; fes troupes , felon
des avis qu'on dit exacts , ne confiftent qu'en 10
régimens Anglois , tellement réduits , que l'un
dans l'autre , ils n'ont pas plus de 300 hommes
chacun ; 700 gardes , 500 hommes de cavalerie
légère & d'artillerie , 1500 provinciaux nouvellement
levés , & 9 á 10 régimens Heffois ,
dont aucun n'eft complet. Il attend des renforts
; on fe propofoit en effet de lui en envoyer ,
mais les affaires de l'Europe & les befoins des
Ifles , ne permettent pas de porter une attention
égale fur tous les points où le théâtre de la
guerre fe trouve actuellement porté.
Les allarmes que donnent depuis fi long .
tems les difpofitions de l'Efpagne font à la
veille de fe réalifer ; les armemens immenfes
qu'a faits cette Puiffance ne feront fans doute
pas long-tems inutiles ; nous favons tout ce que
nous avons à en craindre ; lente à prendre les
armes , elle ne les quitte pas facilement ; on
fe rappelle la peine que l'on eut à la faire
confentir à la paix qui termina la dernière guer
re ; & à préfent qu'elle eft mieux en état que
jamais d'en foutenir une , fa conftance peut venir
à bout de tous nos efforts , & l'argent , ce
nerf fi néceffaire qui nous manque , & qui
nous force à recourir fans ceffe aux expédiens ,
ne lui manque point. On affure que depuis la
dernière paix le Roi d'Efpagne a épargné plus
de 200 mille liv. fterl. tous les ans , & qu'il
a aujourd'hui dans fes coffres toutes les fommes
que peuvent exiger fix ans de la guerre
la plus active , fans avoir befoin de recourir à
( 209 )
fon revenu ordinaire ; s'il fe déclare cette an
née , aux fonds que le Gouvernement a déja
obtenus de la Nation , il faudra joindre encore
3 millions fterling.
Au milieu de ces inquiétudes , dont la Nation
ne peut fe défendre il ne manque pas
de fe trouver des fpéculatifs qui rêvent les plus
beaux plans d'alliances propres à nous raffurer.
Si l'Espagne fe déclare pour la France , difentils
, les Puiffances maritimes ne le verront pas
de bon ceil ; la Ruffie & le Danemarck fe joindront
à la Grande-Bretagne ; la Suède prendra
le parti de la France & de l'Eſpagne'; & la
Hollande reftera neutre . On ne voit pas comment
le projet d'abaiffer notre Puiffance fur
les mers peut intéreffer les Etats maritimes de
l'Europe en notre faveur ; oublions - nous combien
nous en avons abufé , & que l'intérêt.commun
eft abfolument oppofé au nôtre ? Le feul
parti que nous aurions peut - être à prendre ,
feroit de mettre fin à la guerre d'Amérique
& de chercher enfuite à nous arranger avec les
Puiffances qui la protégent ; mais ce ne fera pas
celui que nous prendrons ; il exigeroit des facrifices
qui nous paroiffent humilians , & que
peut- être un jour la néceffité nous preſcrira.
Nous n'en ferons pas mieux .
Parmi les plans politiques qui fe croifent
qui occupent toutes les têtes , & auxquels l'Ad
miniftration ne fait pas attention , il a paru un
pamphlet affez fingulier ; il a pour titre , quef
tions au peuple d'Angleterre. » N'y a - t - il pas
lieu de croire que l'Efpagne fe joindra à la
France & à l'Amérique avant la fin du mois
de Mai de cette année ? L'alliance propofée
par la Ruffie n'eft - elle pas auffi dangereufe &
illufoire , qu'infuffifante & difpendieufe . Dangereufe
en ce qu'elle inftruira les Ruffes dans la
navigation , & que par-là elle les mettra en
( 210 )
état de devenir par la fuite une Puiffance rivale ,
finon même une dangereufe ennemie de lá
Grande-Bretagne ? Illufoire en ce qu'il peut fe
faire que nous comptions trop fur ce fecours,
qui doit fe réduire à très- peu de chofe , principalement
en vaiffeaux . Difpendieufe en ce que
foudoyer des alliés dans la détreffe où nous
fommes , c'eft reffembler à un banqueroutier ,
qui emprunte de l'argent quand il ne paie ni le
principal ni les intérêts des dettes qu'il a contractées
précédemment. Accepter l'alliance de
la Ruffie , n'eft - ce pas accélérer les mouvemens
que l'Efpagne fait déja pour fe joindre
à la France ? Recevoir cette année des vaiffeaux
Ruffes dans nos ports , n'eft - ce pas annoncer
que l'année prochaine on introduira en
Angleterre une armée Ruffe ? Lorfque nous
compterons la dette non fondée de l'année dernière
& de celle - ci , car il faudra bien faire
ce compte pour payer les foldats Allemands
tués , perdus ou pris en Amérique ; lorfque nous
fupputerons les accidens de cette guerre , en
fuppofant même qu'elle finiffe cette campagneci
, la Grande - Bretagne ne fe trouvera-t- elle
pas endettée de plus de 200 millions fterling ?
Quelles font nos reffources pour payer les intérêts
de cette dette immenfe ? car je ne parle
pas du capital , & je ne pense pas qu'on imagine
qu'on ait jamais la polibilité de le payer .
L'Irlande n'eft-elle pas fur le point de fuivre
l'exemple de l'Amérique ? Elle demande des
foulagemens, on les lui refufe ; & quatre Comtés
de ce Royaume n'ont - ils pas déja figné une
convention pour ne rien importer d'Angleterre ?
On a ouvertement renoncé à tout projet &
à tout efpoir de tirer un revenu d'Amérique ,
pourquoi donc continuer la guerre ? «<
Nos papiers publics ne font remplis que d'avis
allarmans fur le fort de Minorque qu'ils
( 2TI )
prétendent menacé , & de détails du nombre
des troupes que les François font défiler en
Provence , des vaiffeaux de tranſport qui fe
-raffemblent fur cette côte . D'autres ne cherchent
pas à inquiéter moins fur un projet de
defcente de la part de nos ennemis & dont on
fixe l'exécution à l'été prochain ; mais on nous
en a menacés auffi l'année dernière , & il n'a
point eu lieu ; on a lieu de eroire qu'il en fera
de même cette année ; le moyen de prévenir
toute expédition femblable eft d'avoir une
flotte formidable pour protéger nos côtes ; ce
font nos vaiffeaux qui doivent les défendre ; on
en arme autant que l'on peut dans tous nos
ports , pour remplacer ceux que nous avons
envoyés en Amérique & aux ifles ; on fent que
nous en avons un égal befoin en Europe , où
pourra fe trouver le principal théâtre de la
guerre. On affure de nouveau qu'on rappelle
ceux qui font partis avec l'Amiral Hughes pour
l'Inde . Deux floops de guerre ont été expédiés
fur leurs traces , l'un à Madere , & l'autre à
la côte d'Afrique pour ordonner à cet Amiral
de renvoyer tous les vaiffeaux qu'il a fous fes
ordres à l'exception de deux , parce que dans
ce moment- ci , les affaires de l'Inde n'exigent
pas des forces auffi confidérables. Pour former
les équipages de ceux que nous avons dans nos
ports , la preffe a recommencé depuis quelques
jours ; elle a été très-vive le 20 de ce mois
à Spithéad , à Motherbank & à Ste- Hélène.
La flotte marchande , écrit- on de Portſmouth ,
prête à mettre à la voile pour l'Amérique , n'en
a pas été à l'abri : on a enlevé également tous
les matelots qui étoient fur les vaiffeaux de la
Compagnie des Indes. Cette preffe a produit
au moins 1100 hommes , la plupart excellens
matelots. Le 23 la preffe a auffi eu lieu fur
la tamife , où elle a été également vive , &
( 212 )
dont aucune protection n'a défendu les malheu
reux qu'on a tranfportés à bord des vaiffeaux
de guerre.
ges ,
Ces enlèvemens qui ne font pas finis & que
l'on s'attend chaque jour à voir recommencer ,
gênent beaucoup nos commerçans ; ils ne font
pas moins de tort à nos armateurs , dont quel.
ques-uns ont été dépouillés de leurs équipa
& ceux qui rentreront font menacés de
l'être pareillement. Ils les réduiront à l'inaction
, dans un moment où il faudroit les encourager.
Leur nombre ne fauroit être plus confidérable
. Suivant un calcul qu'on en a fait depuis
le mois d'Août 1778 , on a armé 340 navires
de différentes grandeurs qui employent 4000
canons & 11,000 matelots. La ville de Liverpool
feule en a armé 100 qui montent 1650 canons
, & 7439 matelots . De ces cent corfaires ,
il y en a eu 11 pris , 2 perdus , & un manque .
Les prifes qu'ils ont faites au nombre de 59 ,
font évaluées à 940,800 liv . fterl. On remarque
que depuis le 28 Février jufqu'au 7 Mars , ils :
ont enlevé 9 vaiffeaux eftimés 140,000 liv. fterl .
La marine royale n'a pas eu moins de fuccès.
On dit que l'Amiral Young a gagné 50,000 liv .
fterl. pour fon huitième des prifes faites par les
croifeurs qui font fous fes ordres à la hauteur
des ifles au vent.
On dit depuis quelque tems que l'Amiral By.
ron eft rappellé en Europe pour venir prendre
le commandement de l'efcadre que l'on équipe
à Portſmouth. Si en effet on lui a expédié
les ordres néceffaires , on a eu raifon , & fi on
ne l'a pas fait on ne fauroit trop fe hâter , puif.
que ce commandement eft vacant. Sir Charles
Hardy , retenu dans fon lit par la goutte , eft
mort le 23 de ce mois ; comme pendant fa
maladie aucun des Amiraux qui fe trouvent en
Europe n'a voulu prendre fa place , & qu'on
( 213 )
doute qu'ils y confentent après fa mort , tant
que les motifs de leurs refus fubfiftent , & que
Amiral Byron ne peut pas être fitôt de retour
, on craint que notre grande flotte ne foit
pas encore de long - tems prête à fortir du
port.
On remarque depuis quelque tems beaucoup
d'Officiers de la marine qui quittent le fervice
M. Faulkener , Capitaine duVictory , eft le 6e ,
qui depuis quelques jours a donné fa démiſſion ;
il paroît que ces retraites fe multiplieront tant
que le Lord Sandwich reftera en place . On
a dit plufieurs fois que ce Miniftre alloit quit
ter ; on a annoncé encore récemment qu'il fai
foit toutes fes difpofitions pour fe retirer ; les
nouvelles graces que le Roi vient de lui accorder
, prouvent qu'il n'y fonge point. S. M..
vient de le défigner , ainfi que M. Jean Buller ,
Ecuyer , l'honorable Charles Spencer , le Comte
de Litburne , Henri Penton , Ecuyer , Conftantin-
Jean Lord Mulgrave , & Robert Mann
Ecuyer , fes Commiffaires , pour remplir les.
fonctions de Grand-Amiral de la Grande- Breta
gne , d'Irlande , & des domaines , ifles & territoires
qui en dépendent.
›
Les Communes affemblées en comité rédigèrent
le 20 de ce mois le bill pour l'importation
du chanvre d'Irlande dans la Grande-
Bretagne , & celui en faveur des non- confor
miftes ; on inféra dans le dernier le ferment que
doivent prêter ceux des différentes communions
proteftantes qui ne font pas de la religion dominante
; il fera conçu en ces termes : je - jure
& me profeffe Chrétien & Proteftant , croyant au
vieux & au nouveau Teftament , aux révélations
contenues dans l'un & dans l'autre , & je promets
d'en faire la règle de ma conduite .
L'affaire de l'Imprimeur Parker arrêté par
ordre de la Chambre-Haute , après avoir donné
264
;
( 214 )
caution pour fa comparution , fait beaucoup de
bruit. Le 19 de ce mois le Lord Abingdon entreprit
de le défendre & de faire radier l'ordre
de la détention comme irrégulier ; mais il n'y
réuffit point ; on vouloit le faire conduire à Newgate
; mais comme cette prifon fe trouve fous
la Jurifdiction des Shérifs de Londres & de Middlefex
, dont il eût pu réclamer l'autorité pour
obtenir d'être relâché , on l'envoya dans la prifon
neuve. Le crime qui le fait punir felon
la motion du Vicomte de Dudley , eft d'avoir
défobéi à la Chambre , & de s'être vanté enfuite
de maintenir fes libertés comme Anglois
& comme citoyen de Londres. Le Duc de
Richmond ne manqua pas de relever la tournure
de cette motion en difant : » je vois à préfent
toute la noirceur du crime du Sieur Parker
; il a ofé vouloir défendre les droits de l'Anglois
& du citoyen , ce qui eft en effet odieux
& puniffable comme le délit du dernier malfaiteur
«.Après avoir obfervé plus férieuſement
enfuite que la faute du prifonnier ne confiftoit
tout au plus qu'en ce qu'il avoit différé d'opinion
avec la pluralité des Seigneurs , n'eft-il
pas cruel , s'écria-t-il , de vouloir forcer par
la prifon un citoyen à changer de fentiment !
Dieu nous garde , Mylords , d'établir chez nous
une pareille mode ; car nous différons fi fouvent
d'avis , qu'il y a peu de jours où quelqu'un
de nous ne dût être enfermé pour être
ramené par un moyen auffi perfuafif.
Le procès de Sir Hugh Pallifer continue. On en
attend l'iffue avec autant d'impatience que de curiofité
; & on commence à prévoir qu'il fe pourroit
qu'elle lui fût moins funefte que l'ont fait préfumer
d'abord les dépofitions des témoins entendus
contre lui. L'Amiral Keppel , le Vice- Amiral Sir Robert
Harland , le Contre Amiral Campbell , les
Capitaines Marshall , Boyle , Walfingham , Faul(
215 )
kner , Windfor , Jervis , Prefcott , Douglas , la
Forey , Berkely , Stoney &c . , entendus contre lui ,
fe font tous accordés à dépofer qu'il n'a point obéi
aux fignaux que l'Amiral fit après le combat ; qu'il ne
les répéta point , à l'exception de celui de venir dans
les caux de l'Amiral ; qu'il ne fit aucun mouvement ,
aucun effort pour s'y porter, quoiqu'aucun de ſes mats
& de fes vergues ne fût endommagé ; enfin , qu'après
le combat , il ne vira jamais vent arrière pour mettre
le cap vers l'ennemi . Le Capitaine Bazely , Capitaine
de fon pavillon & fon ami , chargé de dépofer
auſſi contre lui , fut le feul qui contredit ces circonftances
, & qui déclara pofitivement que le Formidable
étoit un vaiffeau abfolument défemparé à
perfect wreck. Le 28 le Vice - Amiral a prononcé un
difcours pour fa défenſe ; & elle embarraffera certainement
ceux qui ont vu le procès de l'Amiral , &
les dépofitions des témoins ; fes ennemis , dit- il ,
n'ont pas ofé accufer fa conduite pendant le combat ;
il s'y préfenta avec défavantage ; les divifions du
centre & de l'avant- garde fe trouvoient à portée dé
fe foutenir ; lui n'avoit que 2 - vaiffeaux à fa fuite
& le plus près le trouvoit à un mille & demi ;
s'imaginant que l'Amiral , après avoir dépaffé l'artière-
garde ennemie rengageroit le combat , il fe
difpofa à prendre fa ftation en avant & vira vent
arrière. Sir William Burnaby , les Capitaines Marshall
& Robinſon en furent témoins. Il remarqua
peu de tems après que l'Amiral avoit amené le fignal
du combat , qu'on en avoit fait de même à la divifion
de Sir Robert Harland ; perfuadé que l'intention
de l'Amiral n'étoit pas de le rengager , voyant 3
vaiffeaux ennemis porter fur lui , étant exposé à être
coupé , il vira encore pour joindre le corps de la
flotte ; il ne vit le fignal pour former la ligne que
lorfqu'il fe trouva par le travers du Victory , &
cela ne paroîtra pas étonnant , puiſque Sir Robert
Harland né l'avoit pas vu lui- même , pendant qu'il
couroit de bas bord. Si au lieu de ce fignal on eût
( 2.16. )
fait celui qui indique que l'on voit des vaiffeaux hors
de leur ftation , comme il eût été hiffé au mât de
grande hune , il l'eût probablement apperçu , & il
convenoit mieux à la circonftance . Ce fut à 3 heures
qu'il vit ce fignal. Ce fait fera prouvé par les
témoins qu'il produira ; il prouvera auffi qu'il a été
répété à bord du Formidable , & y a reſté juſqu'à la
nuit cloſe , à l'exception d'un tems très - court , pendant
lequel il ne l'ôta que dans la vue de rendre
plus remarquable celui pour que les vaiffeaux fe
portaffent dans les eaux de l'Amiral. M. Pallifer dit
que le fignal du Victory ne fut fait qu'à 3 heures
24 minutes , & fut amené peu après , & ne reparut
qu'à 6 heures. Lorsqu'il fut hiffé la première fois , il
ne pouvoit regarder le Vice- Amiral qui étoit dans les
caux du Victory & fous fon vent ; il prétend qu'il
pouvoit regarder Sir Harland. A l'égard du fecond
fignal , il n'a été fait qu'à 6 heures , l'Amiral ne dut
pas attendre le Formidable avant ce tems , s'il l'eût
attendu plutôt , il auroit fait le fignal plutôt . La frégate
le Fox n'a été expédiée qu'às heures , le Capitaine
dit qu'elle l'a été plutôt , le Vice- Amiral le nie ,
& affure qu'il le prouvera par les minutes produites
par le Capitaine Marshall , qui prétend que le Fox
fut hélé às heures 30 minutes par le Victory. Il a
dû faire , pour arriver au Formidable , un chemin
qui a duré une heure , & n'a pu y arriver qu'entre 7
& 8 , & il étoit trop tard de fonger à rengager le
combat , parce qu'en Juillet , par la latitude d'Oucffant
, le foleil fe couche entre 7 heures & demie & 8.
Dans cette défenfe , M. Pallifer nie tout ; les témoins
qu'il doit faire entendre doivent prouver ce qu'il a
avancé ; on s'y attend ; & il paroît qu'il reftera bien
des obfcurités fur la conduite de l'Amiral & du Vice-
Amiral dans l'affaire d'Oueffant. Il a terminé fon
difcours en difant : » Je remets entre vos mains ma
vie & mon honneur ; j'attends de vous la justice
qu'un Officier doit à fon camarade. Je ne dirai plus
deux mots. Je ne vois point de milieu entre vivre que
avec
( 217 )
2
avec honneur & mourir deshonoré ; je defire que
cette alternative ferve de règle à votre jugement «.
ÉTATS -UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie le 25 Février. Le 6 de ce mois,
on a célébré l'anniverſaire de l'alliance heureuſe
& honorable que les Etats-Unis ont faite
avec la France. Le Congrès donna ce jour-là
une fête publique au Miniftre de S. M. T. C.
Le repas fut magnifique , & on y but les fantés
fuivantes au bruit du canon . 1 ° . Puiffe l'alliance
entre la France & les Etats-Unis être
éternelle. 2 ° . Les Etats-Unis . 3 ° . S. M. T. C.
4° . La Reine de France . 5º . S. M. C. 6°. Les
Princes de la Maiſon de Bourbon . 7° . Succès
aux armes des Puiffances alliées. 8 ° . Le Général
Washington & l'Armée . 9º. Les amis
de la liberté dans toutes les parties du monde .
10° . Puiffe la nouvelle conftellation s'élever au
Zénith . 11. Puiffent les efforts des Américains
mettre la Grande-Bretagne à la raiſon.
12° . La mémoire des patriotes qui ont péri
noblement en défendant la liberté & l'indépendance
de l'Amérique . 13º . A une paix fûre
& honorable.
}
La gaité & la joie de la Compagnie raffemblée
à cette heureuſe occafion , font inexprimables
; il n'eft pas douteux que tout véritable
Américain & tout bon François , ne contribuent
de tous leurs efforts à refferrer les
noeuds d'une alliance fi néceflaire au bonheur
& à l'agrandiffement des deux nations ; leurs
intérêts réciproques leur prefcrivent la conduite
la plus amicale & la plus affectionnée . Les principes
de leur alliance font fondés fur la faine
politique & fur la juftice . Il eft probable que
le genre humain aura lieu de fe réjouir de l'union
étroite formée entre deux nations , dont
15.Mai. 1779.
K
( 218 )
l'une eft la plus puiffante dans l'ancien monde ,
& l'autre doit l'être dans le nouveau .
De Bofton le 8 Mars. Nous n'avons point
encore de nouvelles des fuites de l'expédition
de la Géorgie ; on dit feulement que le Comte
Pulawski , avec un détachement d'infanterie
& un efcadron de chevaux-légers , eft en marche
pour la Caroline , où il va prendre le commandement
à la place du Général Robert
Howe qui a couru rifque d'être fait prifonnier
par les troupes Britanniques , près de Savanah ,
en traverfant une rivière à la nage ; mais ces
nouvelles ne nous viennent que de New -Yorck ,
& toutes celles qui paffent par cette voie font
ordinairement fufpectes. La Gazette de cette
ville s'eft empreffée d'annoncer les deux expéditions
des détachemens envoyés par le Général
Clinton dans les Jerſeys & dans le Connecticut
; elle a joint à la relation des Anglois
une relation prétendue Américaine , & conçue
de manière à jetter du ridicule fur nos opérations
& fur la façon d'en rendre compte. Nous
lui oppoferons les deux lettres fuivantes publiées
par ordre du Congrès. La première eft
du Général Washington , en date de la tête
des quartiers de Middlebrook le 26 Janvier
dernier.
>> Hier matin , un détachement ennemi parti
de Staten-Iſland, a effayé de furprendre les troupes
poftées à Elifabeth-Town. A la première
nouvelle qu'on en a reçue , le Général Sinclair
avec la divifion de Penfylvanie , & le Général
Smallwood avec celle de Maryland , fe mirent
en mouvement par différentes routes pour
fe réunir à Scotch- plains , renforcer le Général
Maxwell , & agir felon que les circonstances
le requerroient ; ayant appris la fubite retraite
de l'ennemi , ils font revenus avant de s'être
avancés fort loin . La copie ci -incluſe d'une
( 219 )
lettre du Général Maxwell vous donnera toutes
les particularités que j'ai apprifes de cette
incurfion que nos ennemis ont faite fans fruit «.
Extrait de la lettre du Brigadier - Général
Maxwell , datée d'Elifabeth-Town le 25 Février.
» L'ennemi a tenté de nous furprendre ce matin
; il a débarqué à environ 3 heures du matin ;
le Colonel Ogden , Officier de fervice ce
jour-là , en fut informé & m'en prévint. Le
débarquement s'eft fait à notre gauche , qui
étoit la partie la moins foupçonnée à caufe des
difficultés qu'offroit le lieu. Ne connoiffant ni
le deffein , ni le nombre de nos ennemis , je
raffemblai les troupes , & je les conduifis derrière
la ville , pour les empêcher de tourner
notre gauche ou de gagner nos derrieres. A
la pointe du jour nous nous avançâmes contre
les Anglois qui fe retirèrent vers leurs bateaux ;
nous en avons tué & pris quelques-uns en les
pourfuivant. Pendant que nous étions reftés
hors de la ville , ils avoient raſſemblé une
certaine quantité de beftiaux & de chevaux
qu'ils abandonnèrent à notre approche , pour
fe rembarquer. La difficulté & les embarras
du lieu les retardèrent ; les Colonels Dayton ,
Ogden & Barber , avec différens détachemens
choifis les pourfuivirent. La précipitation avec'
laquelle ils cherchoient à rentrer dans leurs bateaux
& à s'éloigner , ne nous permit d'en
enlever qu'un feul avec les hommes qui s'y
étoient retirés . Je crois que notre perte ne va
pas à plus de 3 ou 4 hommes. Le Major Ogden ,
en reconnoiflant l'ennemi , a reçu un coup de
bayonnette ; mais on efpère qu'il n'eft pas dan
gereux. La milice s'eft affemblée dans cette
occafion avec la plus grande célérité , & le
Colonel Shrieve inftruit de ce qui fe paffoit ,
étoit venu de Newark à notre fecours. Les
ennemis comptoient indubitablement nous fur-
K 2
( 220 )
prendre complettement ; & je me félicite de
pouvoir informer Votre Excellence qu'ils ont
été parfaitement trompés. Ma prochaine lettre
vous donnera des détails plus particuliers «<.
FRANC E.
De MARLY le 10 Mai,
?
LE 24 du mois dernier , avant le départ de
la Cour , Monfieur & Madame tinrent , à Verfailles
, fur les Fonts de Baptême , le fils du
Comte de Fougieres , premier Maitre-d'Hôtel
de Monfeigneur le Comte d'Artois ; les céré→
monies du Baptême furent fuppléées par l'Evêque
de Séez , premier Aumônier de Monfieur
, en préfence de M. Brocquevielle , Curé
de la Paroiffe de Notre- Dame. Ils tinrent auffi
l'enfant de M. de l'Efpine de St- Germain ,
Ecuyer , Huffier ordinaire du Cabinet de la
Princeffe , Commis de la Guerre au Bureau
de l'Artillerie. Monfieur fut repréfenté par le
Marquis de Noailles , premier Gentilhomme
de fa Chambre , & Madame par la Ducheffe
de la Vauguyon , fa Dame d'honneur ; le Curé
de la Paroifle de Saint-Louis fit la cérémonie,
Le lendemain le Roi & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte de
la Galiffonniere , avec Demoifelle de Malvoifie
; celui du Comte d'Etfiat , avec Demoiſelle
de Noiré ; & celui du Comte de Coufans ,
avec Demoiſelle de la Granche .
MM. Née & Mafquelier ont eu l'honneur
de préfenter à LL. MM. & à la Famille
Royale , la 28 livraiſon des Tableaux Pittoref
ques , Phyfiques , Hiftoriques , Moraux , Politis
ques & Littéraires de la Suiffe.
( 221 )
De PARIS , le to Mai.
EN attendant des nouvelles directes de M.
le Comte d'Estaing , on recueille toutes celles
qui viennent des Ifles . Une lettre de Saint-
Euſtache , en date du 6 Mars , contient les fuivantes.
Il arriva la femaine dernière 14 bâtimens
de la Martinique , efcortés par une Frégate
Françoife , qui repartit le même jour ,
avec 8 navires qu'elle trouva ici , chargés pour
la Martinique & la Guadeloupe. Lundi dernier
il nous arriva de nouveau 3 Frégates Françoifes
, qui venoient de reprendre fur les Anglois
l'Ile de Saint- Barthelemy , & qui repartiront
jeudi matin avec les bâtimens François
& Hollandois , deftinés pour la Martinique
la Dominique & la Guadeloupe . Il eft furpre
nant que ces convois aillent & viennent ainfi
pendant que l'Amiral Byron eft mouillé à Ste-
Lucie avec 23 Navires de guerre . M. le
Comte d'Estaing eft de fon côté au Fort
Royal , avec 16 vaiffeaux de ligne , M. de
Graffe y étant arrivé avec 4 le 20 du mois
dernier. Il eft certain que les vivres ne man
quent pas à la Martinique ; le Vice - Amiral
François y a trouvé des vivres frais ; le nom
bre des malades , à bord de fon Efcadre , fe
trouve réduit à 100 hommes , 'dont so font
attaqués du fcorbut & commencent à fe rétablir.
La pofition de l'Amiral Byron eft bien
différente ; les maladies qui règnent à terre
ne font pas moins de ravages fur fes vaiffeaux .
Le Comte d'Estaing en attend encore quelques-
uns avec des convois annoncés de France
; ils n'avoient pas encore paru le 3 de ce
mois ; mais il y étoit arrivé 7 Navires Américains
«<.
,
Selon les lettres de Breft , la Tourterelle eft
K 3
( 222 )
entrée dans ce Port avec quelques -uns des
bâtimens partis de la Martinique ; l'Etourdie
en a conduit d'autres à l'Orient , & l'Engageante
eft arrivée dans ce Port après en avoir
mis plufieurs à Nantes. Ce convoi , compofé
de 30 bâtimens , a été rencontré par deux
vaiffeaux ennemis de 74 canons ; les frégates
d'eſcorte fe font auffi- tôt approchées à la portée
du canon , pour fe faire pourſuivre , dans
l'efpoir de les écarter du convoi confié alors
à la corvette ; mais les Anglois ont préféré de
courir fur deux traîneurs qu'ils ont amarinés ,
ainfi qu'un troifième qui , voulant bien s'abufer
fur ce que les ennemis avoient conftamment
gardé le pavillon François , a porté fur
eux très-volontairement .
>> On mande de Breft , écrit-on de Morlaix
qu'une Frégate Angloife de 32 canons s'eft
perdue fur l'Ile de Molene ; cette lle n'eft
pas favorable à nos ennemis. On nous affure
que le Deftin & le Caron , la Magicienne &
Atalante , venant de Toulon , ont relâché à
l'Orient , où ils ont conduit le vaiffeau le Pon
dichery. M. du Couedic , Commandant de la
Surveillante , a conduit dans le même Port
une Frégate de la Marine Royale Angloife ,
de 18 canons en batterie . L'Anglois avoit pris
notre Fregate pour le Pondichery , qu'il guettoit
, & lui cria d'amener , en lui lâchant fa
bordée. M. du Couedic le laiffa bien approcher
, lui ripofta de la fienne & s'en empara
après une heure de combat. On dit ici que le
voyage de M. le Comte d'Orvilliers à la Cour,
a pour objet de recevoir fes inftructions fur les
opérations de la campagne , qui va s'ouvrir ,
& fur la manière dont il doit fe conduire
avec l'Efcadre Eſpagnole , fi elle ſe joint à la
fienne «<.
On parle toujours de cette jonction de l'Ef(
223 )
pagne ; on efpère qu'elle eft prochaine , & les
lettres de Cadix femblent appuyer cette efpérance
dont l'accompliffement ne paroît pas
moins defiré dans cette Monarchie qu'en Fran
ce . » Il eſt conftant , écrit-on de cette Ville
que de tous les combats qui fe font donnés
depuis le commencement de la guerre jufqu'au
jourd'hui , il n'en eft pas un qui ne foit glorieux
pour les François , ce qui nous fait grand
plaifir à nous autres Efpagnols ; & nous ne
voyons qu'avec peine la lenteur de la Cour à
fe déclarer , pour humilier l'orgueil Anglois ,
reprendre en même-tems le Fort de Gibraltar,
& tout ce que cette Nation avide nous a enlevé
jufqu'à préfent . Nous avons actuellement
dans cette rade 36 vaiffeaux de ligne , équippés
de tout point , & ayant des vivres pour
4 mois ; favoir i de 114 canons 3 de 80
28 de 74 , 3 de 64 , & 1 de 54 ; plus 12 fréga
tes , 2 hourques ou flûtes & 2 brûlots. On
vient d'équipper au Ferrol , avec la plus gran
de diligence , une Efcadre de 12 vaiffeaux ,
dont 4 de 80 canons
Il y a outre cela , à Carthagène du Levant ,
2 vaiffeaux de 74 canons tout armés. On
conftruit dans ce même Port & au Ferrol , 2
vaiffeaux de 74 chacun , qui feront prêts dans
le courant de l'été ; & la Cour a donné l'ordre
dernièrement d'en hâter la conftruction , & de
finir le plus promptement poffible de carener
2 autres vaiffeaux de la même force , qui font
actuellement en carène . Nous avons encore à
la Havane une Efcadre de 5 vaiffeaux de 74 ,
& à Lima 3 vaiffeaux portant le même nombre
de canons. Tel eft l'état actuel de nos
forces maritimes , capables par leur union avec
celles de France de donner la loi à celles d'Angleterre.
Tous ces armemens , joints au gros
s de 74 , & 3 de 64.
,
K4
( 224 )
train d'artillerie qu'on a embarqué à Malaga
à celui qu'on a railemblé à Séville , & qui eft
prêt à marcher , à la quantité de bombes de
12 pouces , qu'on tranfporte par terre de Ciudad-
Rodrigo à Cadix , nous font croire que
notre Cour fe prépare à fe déclarer , n'étant
pas probable que dans le cas contraire elle
s'engageât dans des dépenfes aui confidérables
. Bien des gens difent que l'Efpagne travaille
à concilier les différends entre la France
& l'Angleterre , qu'elle a mis en avant des
prétentions pour fon compte , & que fi elle ne
réuffit pas dans fa médiation , ainfi qu'à faire
valoir les prétentions , elle fe déclarera au
printems, Le tems nous inftruira fur toutes ces
chofes «<.
Comme il s'étoit élevé des doutes fur le
tems auquel ont commencé les hoftilités avec
P'Angleterre on a publié une lettre que le
Roi a écrite le 5 du mois dernier à M. le
Duc de Penthievre . » Mon Coufin , je fuis
informé qu'il s'eft élevé des doutes fur l'épo
que à laquelle doit être fixé le commencement
des hoftilités , & qu'il pourroit réfulter
de cette incertitude des conteftations préjudiciables
au commerce ; c'eft pour les prévenir
que j'ai jugé néceffaire de vous expliquer plus
particulièrement ce que je vous ai déja fait affez
connoître par ma lettre du 10 Juillet. Je vous
charge en conféquence de mander à tous ceux
qui font fous vos ordres , que c'est l'infulte
faite à mon pavillon , par l'Efcadre Angloife ,
en s'emparant le 17 Juillet 1778 de mes Frégates
la Pallas & la Licorne , qui m'a mis
dans la néceffité d'ufer de repréſailles , & que
c'eft de ce jour , 17 Juin 1778 , que l'on doit
fixer le commencement des hoftilités commifes
contre mes Sujets par ceux du Roi
( 225 )
d'Angleterre ; & la préfente n'étant à autre
fin , je prie Dieu , mon Coufin , qu'il vous ait
en fainte & digne garde «< .
La prife du Sénégal a entraîné celle de tout
les établiffemens que les Anglois avoient en
Afrique . La perte du premier , felon les lettres
de Londres , fait perdre à une feule maifon de
cette ville plus de 50 mille liv . fterling .
» Il eft entré dernièrement dans ce port ,
écrit- on de Fécamp , un corfaire Anglois pris
par le corfaire du Havre le Jean Bart , Capitaine
Cottin. En examinant le Porte-feuille du
Capitaine Anglois , on a trouvé un certificat
authentique d'une loge de Sunderland , en Angleterre
, qui a fait reconnoître qu'il étoit
Franc-Maçon . Ceux de la Loge de Fécamp ,
enchantés de trouver une occafion de fecourir
un de leurs frères , ont faifi avec empreffe..
ment celle de procurer l'élargiffement de l'Anglois
qu'ils ont cautionné , fuivant la liberté que
leur en donnoit l'Ordonnance du Roi . Comme
ce Capitaine avoit pour fecond fon frère , &
qu'il déclaroit qu'il ne quitteroit pas fa prifon
fi celui - ci y reftoit , la Loge partageant fes
généreux fentimens , a pareillement cautionné
ce dernier . Les Mâçons , en faifant deux plai
firs à l'Anglois , ont fenti la douce fatisfaction,
que doit éprouver tout homme en fecourant fon
femblable , & dont jouiffent particulièrement
les membres d'un ordre uniquement fondé fur
ces principes ".
Une lettre de Perpignan contient les détails
fuivans. » Pendant le cours de cet hiver , un
corfaire de Mahon avoit faifi fur nos côtes les
petits bâtimens de pêché & de commerce qu'il
rencontroit ; il faifoit même fouvent des def
centes aux environs du petit village de Bagnols
& enlevoit les beftiaux dans les campagnes ifo
lées. Les habitans de ce village ayant appris
KS
( 226 )
un jour que plufieurs Anglois étoient débar
qués , & qu'ils étoient occupés à boire dans
une cabane au bord de la mer , formèrent le
projet d'aller les furprendre. Ils s'armèrent de
fufils & arrivèrent fans bruit à la cabane ; quand
ils l'eurent entourée , le chef de la troupe
fomma les Anglois de fe rendre , & fur leur
refus ils firent feu fur les deux premiers qui for
tirent & les couchèrent par terre ; les autres
firent peu de réfiftance & furent arrêtés au nom
bre de 22. Enfuite les habitans de Bagnols les
conduifirent au fort de Collioure où ils font
encore détenus . Pendant que ces braves gens
faifoient le rapport de leur prife au Juge de
l'Amirauté de Collioure , on vint les avertir
qu'un bâtiment à trois mâts s'approchoit de la
côte & faifoit mine d'y vouloir débarquer : furle-
champ , ils partirent pour aller à la défenſe
de leurs foyers en difant au Juge : » fi ce font
des ennemis de l'Etat & qu'ils débarquent ,
nous vous en rendrons bon compte , & nous
finirons deux rapports à la fois «. Mais le vaiffeau
n'approcha point : depuis cet inftant les
habitans de Bagnols n'ont pas ceffé de faire la
garde de leur côte ; il leur a été envoyé deux
canons pour leur défenfe ; & lorfqu'il a été ordonné
de former des compagnies de Gardescôtes
, ils ont prié l'Intendant de cette province
de permettre qu'ils formaffent feuls une compagnie
entière , quoique , fuivant l'état arrêté
au Confeil , ils ne duffent former que les deux
tiers d'une compagnie .
Des lettres de l'ifle de France portent que
les mufcadiers qui y ont été plantés ont donnés
des fruits à la fatisfaction de ces habitans
& des bons François en général . Cette branche
intéreffante de commerce peut devenir de la
plus grande importance. On apprend par les
mêmes lettres , que l'on a fait à Maurice , fur
( 227 )
la corvette l'Heureuse , à fon retour de Coromandel
, l'expérience d'un maftic- enduit , inventé
par un habitant de l'ifle de France , pour
préferver les bâtimens qui naviguent dans les
mers chaudes , de la piquure des vers. Cette
expérience a répondu à ce qu'avoit annoncé fon
Auteur , qui avoit pris ce maftic à bord des bâtimens
Malabares ; les habitans de cette côte
s'en fervent depuis un tems immémorial , &
c'eſt un des moyens qu'ils emploient pour faire
durer leurs navires 50 ou 60 ans.
» Le 30 Mars dernier , le corfaire la Fortune ,
commandé par le Capitaine Pey , écrit- on de Mar.
feille , eft rentré dans ce port avec le corfaire Anglois
la Floride , monté de 12 canons & de 10
Pierriers. Le 11 Mars à 3 heures du matin , étant
fur le cap Ferra , le Capitaine Pey fe trouva boid
à bord & à portée de la voix d'un gros navire qu'il
jugea être Anglois , il le héla & apprit de lui qu'il
alloit de Gibraltar à Livourne , & qu'il étoit chargé
de inorue. Sur cette réponſe il fit dire à l'Anglois de
mettre fon canot à la mer & de venir à bord ; celuici
répondit que fon canot étoit percé. Le Capitaine
Pey , qui n'entendoit point la plaifanterie , & qui
avoit déja fait tout préparer pour le combat malgré
l'obfcurité de la nuit , fit faire auffi -tôt une décharge
de so coups de fufil ; mais les ennemis étoient
tous dans l'entrepont , fabords fermés & cette
moufqueterie n'eut d'autre effet que d'être fuivie
de toute la bordée du corfaire Anglois ; on lui
ripofta vivement pendant une heure , après quoi le
Capitaine Pey attendit le jour pour recommencer le
combat ; il avoit eu deux hommes bleffés , le Nocher
& le Tonnelier. Le jour vint , le Marſeillois
arbora fon pavillon & fa flamme , & l'affura par
un coup de canon ; l'Anglois en fit autant , &
le combat recommença à la portée du piftolet ; les
Anglois , toujours dans l'entrepont , combattoient
à fabords fermés , & rendoient ainfi inutile le feu de
K 6
( 228 )
la moufqueterie ; celui de leurs canons étoit d'autant
plus vif qu'ils étoient montés fur des pivots , &.
qu'un homme feul les fervoit avec beaucoup de
promptitude. Le Capitaine Pey fe réfolut à en venir:
à l'abordage ; il le tenta vainement deux fois ; il
réullit à la troisième , malgré toutes les manoeuvres
de l'Anglois. A peine l'équipage eut fauté fur le
corfaire , que celui - ci amena. Le Capitaine Anglois
qui s'eft fi bien défendu , eft âgé de 22 ans & fe
nomme Salomon Champmen ; M. Pey l'a traité avec
toute la politeffe poffible , l'a fait paffer fur fon bord ,
& a donné enfuite le commandement de fa prife à
M. Duval , fon Lieutenant , avec 24 hommes. En
revenant à Marſeille avec la Floride , il rencontra
le 18 Mars un chebec Mahonnois monté de 20 canons
, qu'il attaqua & qui prit la fuite après fa première
bordée. Il lui eût donné chaffe fans la crainte
de perdre fa prife . Le 22 , il en fut feparé par un
coup de vent dont il fut affailli fur le cap Créon1 ;
de forte qu'il arriva feul dans notre port le 30 Mars ;
& le 2 de ce mois fa prife entra au port du Bouc.
Le corfaire la Fortune a eu un homme tué dans le
combat & fix bleffés dangereufement ; la Floride n'a
eu que fon Capitaine de bleffé.
Réponse de MM. Defgranges & Compagnie , aux
obfervations de M. de Garchery , Avocat au
Parlement de Bourgogne , inférées dans le Journal
précédent.
M. , la perfonne qui vous avoit adreffé des profpectus
de notre armement de Nantes , s'étant conformée
à vos defirs , en nous communiquant par le
dernier Mercure de France la Lettre que vous lui
avez écrite au fujet de cette entreprife ; nous nous
fervons de la même voie pour vous faire paſſer
notre réponſe aux diverfes queftions, que vous nous
faites , & nous fouhaitons que les éclairciffemens
qu'elle contient , vous fatisfaflent pleinement. Nous
( 229 )
fentons comme vous , M. , qu'il faut dans telle en
treprise que ce foit , faire naître & établir la confiance
, & nous ne croyons pouvoir mieux y parvenir
, qu'en répondant avec une préciſion ſcrupuleufe
à toutes vos demandes . C'eft par cette attention foutenue
de notre part que tous nos Actionnaires feront
convaincus que leurs intérêts particuliers nous font
auffi chers , que nous avons lieu chaque jour de
nous applaudir du fentiment patriotique qui a dicté
notre entrepriſe.
Première question. Dans quel tems à-peu- près ,
penfe-t-on que cet armement pourra avoir lieu ?
R. Nous avons cru convenable pour l'intérêt de
nos Actionnaires , d'éviter les frais & les longueurs
des conftructions , en achetant par des moyens qui
nous font connus , & à des conditions avantageufes ,
ce qui nous coûteroit peut- être trois fois autant à
bâtir , en confervant néanmoins la vîteffe pour la
courfe des vaiffeaux bâtis exprès ; quant aux mefures
que nous avons prifes & que nous prenons pour y
parvenir , la prudence nous impofe la loi la plus févère
de ne pouvoir les communiquer qu'au Miniftre
feul ; ces vaiffeaux étant achetés dans certains ports
Etrangers ; mais dans le cas où nos marchés ne
s'effectueroient pas , on peut être affuré & fe faire
affurer par M. Jean Ballan de Nantes , que tous les
bois néceffaires pour les fix frégates font prêts , &
que nous avons pris en outre toutes les précautions
qui peuvent accélérer leur prompte conſtruction &
départ , fur-tout de la première divifion , que nous
efpérons pouvoir mettre à la mer dans le courant de
Septembre ou Octobre prochain . Il ne dépendra que›
des Actionnaires , qu'il y en ait davantage , & même
la totalité , parce que les difpofitions dernières ne
peuvent s'en faire qu'en raifon des moyens .
Deuxième question. Peut -on compter fur la protection
immédiate du Roi & des Miniftres ?
> R. Vous nous permettrez de vous obferver , M.
qu'une entreprife telle que la nôtre , fembloit ne
( 230 )
pouvoir donner lieu à la queftion que vous nous
faites . Son objet qui ne peut être que le bien de
l'Etat & l'avantage du commerce , vous garantit , &
nous a obtenu fans difficulté la protection particulière
du Miniftre qui eft à la tête de la Marine ; il a
bien voulu nous le marquer par fes différentes Let
tres , & notamment par celle du 13 Avril paffé ,
qu'il nous a écrite de la part de S. M. , pour nous
témoigner qu'elle eft très fatisfaite de notre zèle , &
nous promettre toute la protection & les facilités
qu'il dépendra d'elle de nous accorder
Troifième queftion . Quelle affurance donnera -ton
de l'emploi & de la diftribution de fonds auffi
confidérables que la fomme de 2,600,000 livres ?
R. Nous croyons avoir prévu d'avance cette ob
jection , par la précaution que nous avons prife de
ne confier de recette pour les actions , à Paris & dans
les Provinces , qu'aux maifons de banque & de
commerce les mieux famées. Elles garderont , ainfi
que nous , toutes les fommes qu'elles toucheront , &
ne feront de payement que fur des traites que nous
ferons fur elles , foit pour achat de vaiffeaux , foit
au profit des fourniffeurs , conftructeurs & autres
employés dans l'armement , dont nous leur juftifierons
de l'emploi ; de forte que la certitude du placement
& de la diftribution des fommes perçues , ne
fera jamais douteufe ; d'ailleurs , le parti que nous
avons pris de publier par le Mercure de France toutes
nos opérations , mettra tous nos Actionnaires
dans le cas d'être fuffisamment inftruits de tout ce
qui pourra les intéreffer. Nous croyons que ces précautions
étoient les feules qu'il fût poffible de prendre
; car , fi nous avions pu concevoir un plan plus
propre à montrer notre déíintéreffement , la sûreté &
l'avantage de notre entrepriſe , nous l'aurions adopré
notre objet principal étant de fervir utilement
I'Etat & le commerce .
Quatrième question. Dans le cas où les circonfrances
en empêcheroient l'effet , quel feroit le recours
( 231 )
des intéreffés , & ne conviendroit- il pas que pour cet
objet , on défignât un banquier connu, comme on l'a
fait pour la réception des actions ?
R. Les précautions que nous avons prifes , & que
nous prenons tous les jours avec fruit pour le fuccès
de notre entreprife , ne nous ont jamais permis
d'avoir le moindre doute fur fa réuffite ; d'ailleurs ,
comme nous l'avons dit ci-deffus , nous commencerons
toujours par mettre en mer une partie de l'armement
, & nous fommes même dans le cas de prévenir
à ce fujet les Actionnaires qui n'auront pas
payé le montant de leurs foufcriptions pendant le
tems de la conftruction , ou formation de la première
divifion des frégates , qu'ils n'auront rien à
prétendre dans le produit des prifes réſultant de fa
première fortie , qui doit avoir lieu , nous le répétons
, en Septembre ou Octobre prochain. L'hypothefe
de la paix , indépendamment de fon éloignement
évident , n'eft pas plus-inquiétante pour les intéreffés
, puifque ce fera les mêmes perfonnes diftin
guées dans le commerce qui fe feront chargées des
recettes , & qui auront veillé à l'emploi des fonds ,
qui s'occupperont pareillement des opérations qu'un
changement de circonftance entraîneroit , foit pour
la vente des bâtimens & acceffoires dont on n'auroit
plus befoin , foit pour l'exécution & les fuites d'un
plan que nous avons formé , pour ouvrir à la paix
à nos Actionnaires un commerce très - fructueux , &
qui pourra s'étendre fort loin , felon les convenances
& le voeu de la généralité de ceux d'entr'eux qui
continueront de nous honorer de leur confiance , &
que nous nous chargerons de conduire également
fous leurs yeux , moyennant la plus modique com
million.
Cinquième queftion . Quels font les arrangemens
pour le commandement , tant de la manoeuvre que
des volontaires ?
R. L'attention particulière que nous donnons à
toutes les parties qui doivent concourir au fuccès de
( 232 )
notre armement , demandant que nous foyons infiniment
fcrupuleux fur le choix des Capitaines qui
doivent commander les frégates , nous nous fommes
jufqu'à ce jour bornés à recevoir toutes les offres de
fervice des fujets diftingués qui nous ont été préfentés
& propofés de divers ports , & nous pouvons
vous donner l'affurance que dans la détermination
que nous ferons dans le cas de prendre à leur égard ,
nous ne donnerons de préférence qu'à ceux qui fe
feront le plus diftingués par leur mérite & leurs
actions de valeur , & fur lefquels nous aurons reçu
- le plus de preuves écrites fur ces deux points , pour
en juftifier publiquement à nos Actionnaires , fans
que les recommandations de qui que ce foit puiffent
influer en rien fur le choix qui fera fait d'eux , à
moins qu'elles ne foient appuyées fur des faits.
Quant aux volontaires qui feront employés fur les
frégates , vous ferez à portée de juger de leur choix
par le même Mercure qui nous a donné connoiffance
de votre Lettre , & par la détermination que nous
avons prife à cet égard , & que nous publicrons inceffamment
, autant pour la fatisfaction de nos Ac
tionnaires que pour fervir de règle aux perfonnes qui
font dans l'intention d'offrir leurs fervices en cette
qualité.
Voilà , M. , nos réponses aux obfervations que
vous avez bien voulu nous faire , & qui nous font
d'autant plus agréables , qu'en cherchant à vous fa
tisfaire , elles nous ont mis en même tems à portéo
d'éclairer de plus en plus les citoyens patriotes auffi
zélés que vous paroiffez l'être . Nous avons lien de
les croire affes fondées en raiſons , pour vous con
vaincre , & le public , de la pureté de nos intentions.
Si , cependant , vous aviez befoin de nouveaux éclaira
ciffemens , veuillez nous le faire connoître , nous ne
négligerons rien pour vous fatisfaire fur tous les
points , & juftifier la confiance due aux travaux &
aux foins dont nous fommes occupés pour le fuccès
d'une entrepriſe formée uniquement pour intérêt
( 233 )
public , dont nous n'avons voulu nous rendre que
les Agens.
Nous avons l'honneur d'être & c.
Nous venons de recevoir la lettre fuivante de
Morlaix :
nom
» On a bien raiſon , M. , de rendre par - tout hommage
à la Belle- Boule. Les perfonnes les plus diftinguées
le font honneur d'en orner leurs têtes . Pour
moi j'ai cru devoir l'élever jufqu'aux nues . Elle repofe
honorablement fur la cime de mon clocher.
Cette place éminente s'accorde très - bien avec le
du Héros qui la commande. J'espère que M. de la
Clocheterie , qui a l'art de vaincre les plus grands
obftacles , aura celui d'enchaîner dans fes voiles
les vents & les tempêtes ; mon églife n'a donc plus
rien à craindre ayant un fi puiffant protecteur ; mais
je ne puis fans votre fecours lui marquer publiquement
ma jufte reconnoiffance. Je vous prie done ,
Monfieur , de la configner dans votre Journal , ainfi
que ma lettre. J'ai l'honneur d'être , figné LATOUCHE
, Recteur de la Paroiffe de S. Martin de Morlaix.
P. S. C'eft fur le clocher de ma Paroiffe qu'on a
fubftitué la Belle - Poule à un coq qui croyoit avoir
le droit exclufif d'y habiter toujours «.
M. Crinchon , Curé de la Paroiffe de l'Abbaye du
Lieu- Dieu , près de la Ville d'Eu , a bien voulu nous
communiquer un fait très -intéreffant & très - curieux ,
qui mérite l'attention des Médecins , & que nous nous
empreffons de publier. » La femme d'un excellent
Maître d'Ecole , & encore meilleur Organifte , demeurant
à une portée de fufil de notre Abbaye du
Lieu-Dieu , près la ville d'Eu , mariée depuis cinq
ans , parut groffe dans la première année de fon
mariage ; rien ne s'en eft fuivi , elle est toujours
reftée dans cet état , ( mais fans fanté & fans vigueur
, & dans un extrême chagrin de ne pouvoir
pas donner un Muficien à fon mari , ce qui fait tous
fes défirs , ) jufqu'au 24 Avril dernier , qu'aux environs
de minuit , elle eft accouchée fans aucune dou
( 234 )
leur , d'une tête informe d'enfant pétrifiée ; fon mari
étoit alors occupé à foulager une de les vaches qui
avoit beauconp de peine à faire fon veau. Quelle
fut la furprise du mari , lors qu'à fon retour fa
femme lui montra cette tête , dont elle l'affuraqu'elle
venoit de fe délivrer ? Elle ne l'auroit jamais
perfuadé , s'il ne s'en étoit convaincu lui -même , en
voyant que la grolleffe ordinaire de fa femme étoit
vraiment difparue. Cette groffeffe lui avoit occas
fonné dans les premiers tems une espèce de honte ,
ce qui lui avoit fait contracter l'habitude de marcher
un peu courbée , mais depuis la délivrance elle commence
à fe redreffer , & le porte à préſent auffi-bien
qu'on puiffe le défirer . Le Médecin & le Chirurgien-
Accoucheur , qui ont été appellés immédiatement
après cette opération , & d'autres avec lesquels
ils ont confulté , s'occupent beaucoup de la caufe
de cette pétrification ; ils n'ont encore rien décidé
fur cet article , inais ils conviennent tous , après
avoir bien examiné la femme , qu'elle pourra devenir
féconde dans la fuite . Cette nouvelle a tellement
excité la curiofité du peuple de ces environs ; qu'il
vient en foule tous les jours pour fe convaincre
par fes propres yeux de la verité de ce fruit fingulier
«.
Alix de Cabane , âgée de 100 ans moins
3 mois , née le 9 Juillet 1679 , fur la Paroiffe
de Teiffieu , Diocèfe de Cahors , eft morte à
Saint- Cère , en Querci , le 9 Avril 1779. Elke
étoit agrégée au Monaftère de Notre - Dame
de la Vifitation de cette ville ; elle y a paffé
fes jours dans la pratique des plus folides vertus
; elle a jeûné régulièrement jufqu'à l'âge
de 97 ans , & fe fentoit affez de forces pour
jeûner encore le dernier Carême de fa vie . Des
travaux pénibles & des occupations journalières
n'ont jamais porté la moindre atteinte à fa fanté.
Une chûte qu'elle fit le jour de Pâques , 4 Avril
de cette année a occafionné fa mort ; & on peut
( 235 )
roire que fans cet accident funefte , elle auroit
fourni une carrière bien plus longue . Elle a
confervé jufqu'à fon dernier moment tout fon
bon fens , une connoiffance parfaite & une mémoire
prodigieufe.
Jofeph-François-Marie de Boylefve de Chambollan
, Préfident Honoraire au Parlement de
Bretagne , ancien Grand-Vicaire du Diocèfe
de Nantes , Commandeur Eccléhaftique des
Ordres Royaux Militaires & Hofpitaliers de
Notre - Dame de Mont - Carmel & de Saint-
Lazare , de Jérufalem , eft mort ici le 8 Avril ,
âgé de 76 ans .
Louis- Gilles de l'Efcu de Runefaon , Préfident
Honoraire au Parlement de Bretagne , eft
mort à Rennes le 19 du même mois , dans la
quatre-vingt-deuxième année de fon âge.
De BRUXELLES le ΤΟ Mai.
LE bruit de la prochaine réunion de l'Efpagne
& de la France fe fortifie tous les jours ;
il y a long-tems qu'elle eft attendue , & peutêtre
feroit-elle moins utile fans être moins né
ceffaire , fi elle venoit à être retardée . Ceux
qui fe flattent qu'elle ne le fera pas davantage
prétendent que la France doit joindre 25,000
hommes aux forces Efpagnoles , & qu'ils ont
déja eu ordre de fe rendre fur les frontières.
Cette deftination , vraie ou fauffe , a ouvert un
champ vaſte aux fpéculations ; felon les unes ,
ces troupes fe rendront à Carthagène , d'où
le trajet eft fort court jufqu'à Minorque , ou à
Malaga , d'où l'on pafle facilement à Gibraltar.
Cette dernière conjecture eft celle fur laquelle
nos Politiques s'arrêtent avec plus de complaifance
. » Il eft vraisemblable , difent - ils , que
l'Efpagne commencera fes opérations par Gi
braltar. Dans ce cas il fera peut - être queſtion
( 236 )
d'exécuter le projet de M. de Valliere , rela
tivement à cette attaque. On dit que cet Officier.
Général , envoyé à Gibraltar avant la dernière
guerre avec les Anglois , y entra déguifé , en leva
le Plan , remplit parfaitement fa million , & fe
fauva à tems , car 2 heures plus tard , il auroit
été pris par les Anglois. On prétend que le
réfultat de fes découvertes étoit que la place
imprenable du côté de terre pouvoit être aifé
ment attaquée par mer ; que cependant l'exécution
demandoit une artillerie fi bien fervie ,
& une vivacité telle que ce fiége ne pouvoit
être tenté avec fuccès que par des François.
D'après ces notions , ajoutent nos Politiques
l'Efpagne demande le concours de la France à
cette entrepriſe «.
En attendant que l'on fache quelque chofe
de pofitif , & que les faits confirment ou détruifent
leurs rêves , ils fe multiplient prodigieufement
, & ils ne s'accordent en aucune
manière fur le plan des opérations des deux
Puiffances ; ils font paffer des troupes Françoifes
en Efpagne , fous les ordres de M. le Comte
de Maillebois & de M. le Marquis de Voyer ;
on affure même que le premier a eu déja une
audience fecrète du Roi , & plufieurs confé
rences avec le Miniftre de la Guerre , mais dont
il ne tranſpire rien ; ils difent auffi que le Prince
de Condé en a eu d'auffi fréquentes & d'auffi
fecrètes , & on part de - là pour faire de nouvelles
conjectures . Selon d'autres , les premiers
coups ne fe porteront point en Europe , on fait
combien l'Efpagne délire la Jamaïque ; on dit
en conféquence que M. de Guichen pourroit
bien être envoyé aux ifles avec des forces capables
de faire cette conquête .
Une lettre de Saint-Malo , en date du 2 de
ce mois , rend compte ainfi de l'expédition du
Prince de Naffau que les vens ont contrarié
( 237 )
fans ceffe. » On avoit raffemblé dans l'ifle de
Cefambre , à deux lieues de cette ville , 1500
hommes de la légion de Naffau qui , dès le 20
du mois dernier , étoient prêts à s'embarquer
avec ce Prince fur des bateaux de pêcheurs ,
fous l'eſcorte de deux frégates , une corvette
une flûte , 3 cotters & 3 chaloupes canonniè
res ; on gardoit le filence fur la deftination de
cette flotille , que le lieu où elle étoit raffemblée
, la nature des bâtimens de tranfport qui
ne fuppofoient pas une courfe bien longue ,
faifoient conjecturer. Soixante jeunes gens de
cette ville avoient joint le Prince à Cefambre
pour avoir part à cette expédition , & il s'étoit
rendu auprès de lui plufieurs perfonnes de tout
rang de toutes les parties de la Bretagne. La
flote partit le 21 , & fut obligée de rentrer
auffi-tôt ; les vens furent contraires pendant tout
le refte du mois ; & cet intervalle , en faiſant
pénétrer le but de l'expédition , qui étoit pour
Jerfey , a nui peut - être à fon fuccès. Enfin
le premier de ce mois les bateaux furent à
portée d'exécuter la defcente dans la baie de
Saint-Ouen. Les vens étoient au N. O. la mer
étoit belle & defcendoit depuis 2 heures ; les
chaloupes canonnières étoient mouillées à portée
de tirer fur 4 pièces de campagne , & fur
quelques petits détachemens de troupes qui
s'oppofoient à la defcente . Les frégates ne pou
vant approcher de terre étoient un peu au large
pour écarter quelques petits corfaires qui cher
choient à s'emparer de nos bateaux un peu
difperfés , & que les Patrons n'étoient pas dif
pofés à échouer. Il a fallu du tems pour les
raffembler , & ce tems a donné le loifir aux
ennemis d'affembler du monde fur la côte ; les
vents de N. O. ont forcé ; les bateaux fe font
ralliés aux frégates ; le Prince de Naffau a paffé
à bord de la Diane , & la flotille a fait route
( 238 )
pour St -Malo , où les premiers bâtimens ont
mouillé hier au foir , à 7 heures ; la Danaë & les
cutters ne font rentrés qu'à 9. la Diane a refté
au large & n'a mouillé que ce matin à 7 heures
en-dehors des rochers de Saint-Malo . Tel
eft le dénouement de cette expédition , dans
laquelle M. de Naffau & fes Officiers ont montré
la plus grande volonté. M. de Chambertrand,
Capitaine de vaiffeaux , & Commandant de la
Diane , a fait tout ce qu'il devoit & ce qu'il
a pu , puifqu'il a mis les bateaux en pofition
d'exécuter la defcente qui auroit eu lieu infailliblement
fans les vens contraires , & peut- être
la réfiftance des Pilotes qui craignoient pour leurs
bateaux. Le Prince & fa troupe brûlent de prendre
leur revanche. Il eft fort malade , il l'étoit
avant de partir ; mais l'entrepriſe qui l'occupoit
l'empêchoit de s'en appercevoir &: lui donnoit
des forces . Il fe reffent aujourd'hui des
fatigues extraordinaires qu'il s'eft données. Il
eft resté s jours dans une ifle , ou plutôt fur
un rocher , ou il avoit réuni fon monde . Il a
couché pendant tout ce tems fur la terre humi
de , expofé dans une mauvaife petite tente
comme le dernier foldat , à tous les vents &
à la pluie ; ne prenant que de mauvaiſes nourritures
& s'occupant des plus petits détails ;
il a la poitrine en mauvais état ; mais on a lieu
d'efpérer que quelques jours de repos , & furtout
quelque bonne nouvelle le remettront en
état de conduire encore fa troupe où elle défire
ardemment d'aller «<,
La prife du paquebot le Prince George coû
tera cher aux Négocians Hollandois , qui n'avoient
affuré les espèces qui s'y trouvoient qu'à
un pour cent. L'Amirauté de la République
au département de la Meufe , a mis en commiffion
les vaiffeaux de guerre la Meufe & la
Princeffe Caroline , l'un de 70 & l'autre de sa
4
( 239 )
canons , & les frégates la Brille , le Jafon de
36 , la Bellone de 20 , dont le commandement
a été donné aux Capitaines Zegers, Satink, Van
Hoogwerff , Corneille Van Genney , & Knol .
Le département d'Amfterdam a conféré celui
du Naffau de 64 canons , qu'il auffi mis en commiffion
au Capitaine Rietveld ; il a été réfolu
en même-tems de continuer en fervice plufieurs
vaiffeaux actuellement en mer . L'objet de ces
armemens eft de protéger efficacement le commerce
de la République dans la conjoncture
actuelle, au fujet de laquelle il eft à remarquer
qu'on affecte de répandre dans quelques papiers
publics , que la République voudroit étendre
cette protection aux approvifionnemens militaires
, c'est - à - dire aux munitions de guerre ,
comme aux munitions navales.. Ce n'eft affuré.
ment pas fon deffein ; perfonne ne peut ignorer
qu'il ne s'agit que des dernières que le traité
de 1674 entre la République & la Grande -Bretagne
, diftingue très- clairement des munitions
de guerre qui font cenfées de contrebande aujourd'hui
, comme elles l'ont toujours été .
>> Tout nous faifoit , écrit on de la Haie , une
loi de prendre ce parti avantageux . Les Villes
d'Amfterdam & de Harlem fe feroient enrichies
exclufivement de nos pertes ; & tandis
que leurs vaiffeaux fe feroient emparés de
tout le commerce , les autres Villes de la République
auroient langui & pérí dans une inaction
funefte. Les Puiffances du Nord fongeoient
déja à profiter de nos fautes ; la Suède
& le Danemarck appelloient chez eux la li
berté que notre pavillon perdoit , & il étoit
effentiel de ne pas laiffer prendre au commerce
une route nouvelle qu'il n'eft plus poffible enfuite
de changer. Les liaiſons intimes de notre
Cour avec celle d'Angleterre ont donc cédé à
l'intérêt général de la République ; il ne reſte
( 240 )
plus qu'à favoir comment l'Amirauté de Londres
prendra cette démarche tardive , & fi elle
trouvera bon que notre neutralité dont elle a
tiré de fi grands avantages dans tous les tems ,
foit maintenue aujourd'hui. On nous exagère
fans doute la grandeur des armemens qui fe
font dans la Grande - Bretagne ; mais plus ils
font nombreux , plus ils annoncent qu'elle
compte fur un grand nombre d'ennemis ; nous
n'avons jamais été les fiens ; mais auffi elle
n'avoit jamais ofé dire à l'Europe entière , qui
n'eft pas pour moi eft contre moi. En vain nos
compatriotes qui ont des fonds dans fa banque
nous crient que nous allons caufer leur ruine.
Comme les titres de leurs richeffes font des
billets au porteur , ils doivent fe raflurer en fongeant
que fi la banque d'Angleterre pouvoit
jamais manquer à quelques-uns de fes engagemens
, elle feroit obligée de manquer à tous à
la fois , & de perdre ainfi un crédit étranger
& national que les circonftances lui rendent
plus néceffaire que jamais «.
Une lettre d'Amfterdam , ajoute à ces détails,
que les Etats de la Province de Frife on auffi
arrêté d'accorder des convois à tous les bâtimens
marchands Hollandois , chargés de marchandifes
conformément aux traités conclus entre
la République & les Etars voifins. Les Né.
gocians de Dordrecht & de Rotterdam , ont
préfenté par une députation aux Etats- Géné.
raux de Hollande & de Weftfrife , une Re.
quête tendante à fupplier L. N. & G. P. de faire
enforte qu'ils puiffent jouir des bénéfices que
S. M.T. C. a accordés aux Négocians d'Amfterdam
, & de Harlem , qui jufqu'à préfent n'ont
payé aucun des nouveaux droits impofés fur les
bâtimens Hollandois entrant dans les ports de
France,
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ,les Spectacles ;
Les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
25 Mai 1779.
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIÈCES
FUGITIVES.
Vers à Madame la Comteffe
de Genlis ,
-- A Mlle Cécile ,
243
Académie Royale de Mu-
246
-
La Fauvette , Fable , ibid.
fique ,
ACADEMIES.
293
· Des Belles -Lettres de
Caen ,
Le Feftin , nouvelle imitée VA RIÉTÉS.
301
249 Fragmens fur l'Architec- de l'Allemand ,
Couplet à Mde la Mar- ture ,
quife de Marnezia , 258 Anecdote ,
Enigme &Logogryp. 260 JOURNAL POLITIQUE.
NOUVELLES Conftantinople ,
LITTÉRAIRES. Pétersbourg,
Ode à M. de Buffon , Stockholm ,
261 Vienne ,
304
310
313
314
315
317
Vue de l'Évidence de la Hambourg , 318
Religion Chrétienne , Rome , 320
confidérée en elle-même , Livourne , 322
& de la France , 282 Septent.
272 Londres ,
Nouvelle Hiftoire de Paris Etats- Unis de l'Amériq.
324
334
Nouveau Dictionnaire Marly , 340
Hiftorique , 288 Paris , 341
SPECTACLE S. Bruxelles
355
Concert Spirituel , 291
J'AT
AP PROBATION.
A1 lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour le 25 Mai
Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impref
fion. A Paris , ce 24 Mai 1779. DE SANCY,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
25 Mai 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
T
VERS
A Madame la Comteffe DE GENLIS , fur
une repréfentation defes Comédies morales,
jouées par Mefdemoifelles fes Filles.
NoN, ce que j'ai fenti ne peut être un preftige ;
t
Non , j'ai fu trop bien en jouir ;
L
244 MERCURE
Et fi l'on doute d'un prodige ,
Comment douter de fon plaifir ?
Ces Drames ingénus , compofés pour l'enfance ,
Ou Part , foumis à l'innocence *
Se défend les refforts qu'ailleurs il fait mouvoir ,
Avec tant de réferve , ont- ils tant de pouvoir ?
Ton art, belle Genlis , l'emportant fur le nôtre
Ne fait parler qu'un fexe , & charme l'un & l'autre,
Que tes tableaux font vrais dans leur fimplicité !
Tu peins pour des enfans ; mais la maturité
Et fe reconnoît & t'admire ;
Le miroir où tu les fais lire ,
Sur nous de tes leçons réfléchit la clarté.
Jamais , jamais la vérité "
N'exerça fur les cours un plus aimable empire.
MAIS je parle à l'Auteur de fes fuccès brillans ,
Quand je puis applaudir au bonheur d'une mère!
Je fuis bien plus sûr de te plaire ,
En te parlant de tes enfans .
Vous , la gloire & l'amour d'une mère attendrie ,
O Caroline ! Pulchérie !
Des mains de la Nature , ô chef- d'oeuvres naifans !
Elle a fur votre aurore épuifé ſes préfens .
Vous femblez ignorer , parmi tant de fuffrages ,
Et nos plaifirs & vos talens ;
* Il n'y a que des rôles de femme , & le mot d'amour
a'y eft pas même prononcé,
DE FRANCE. 245
A celle dont les foins forment vos premiers ans ,
Vous reportez tous nos hommages ;
Vous oubliez enfin , dans vos jeux innocens ,
Qu'il n'eft dopné qu'à vous d'embellir fes Ouvrages.
QUEL enſemble enchanteur ! quel fpectacle charmant
!
Mon coeur est encor plein du plus pur fentiment ,
Mon oeil encor frappé de la plus douce image ,
De ce transport flatteur , de ce raviffement ,
Que faifoient naître à tout moment
Les grâces de fon ſtyle & celles de votre âge.
Je penfois à fa joie , à fes félicités ,
Aux mouvemens de fa tendreffe ;
Je fongeois que ces cris de la publique ivreffe ,
Dans fon coeur maternel étoient tous répétés.
DIGNE mère , jouis , jouis de ces délices ;
Des vertus , des talens , voilà les plus beaux droits.
Dans toi feule aujourd'hui l'on adore à la fois
L'Auteur , l'Ouvrage & les Actrices.
( Par M. De la Harpe. )
List
246
MERCURE
A Mademoiselle CECILLE , danfant dans
le Devin de Village.
Cécil , quand fi joliment
Vous préfentez une fleurette ,
A la bonne & tendre Colette ,
C'eſt Flore qui fait un préſent.
La jeune Hébé n'eut point encore
Votre gaîté, votre air fripon.
Quand vous dansez , c'eft Terpficore
Qui fe joue avec Nivellon *.
Déjà vous régnez à Cithère
Et fur les coeurs que vous charmez.
Si favante dans l'art de plaire ,
Qu'êtes-vous donc quand vous aimez ?
( Par M. Lorgnimâne. )
LA FAUVETTE ,
UNE
FABLE.
NE Fauvette un peu trop tendre,
Fat furpriſe en flagrant délit;
Son fot époux fit un efclandre
Que tout le quartier entendit.
* Jeune Acteur de fon âge.
DE FRANCE. 247
On vole , on s'affemble , on faifit
La pauvrette toute confuſe ;
Car , hélas ! quand le crime accufe ,
On perd le courage & l'efprit.
Une vieille Margot , jadis fort libertine ,
Fut la première à détefter
L'incartade de fa voifine ,
Qu'elle ne pouvoit imiter.
Eh quoi ! dit la fauſſe veſtale ,
A-t'on jamais vu parmi nous
Un tel excès , un tel fcandale
Contre l'honneur de nos époux ?
La Fauvette étoit mon amie
Quand je lui croyois des vertus ;
Mais maintenant je la renie :
Qu'on la renferme pour fa vie ,
Et qu'on n'en parle jamais plus.
La Caille encor fut plus ' févère ,
Quoique dans ce même printemps
Elle eut , fans honte & ſans myſtère ,
Prodigué les faveurs à plus de vingt amans.
Quant à la chafte Tourterelle ,
Lorfque fon tour vient de parler ,
D'abord fur la pauvre infidelle
Ses pleurs commencent à couler
La Fauvette a fait une faute ,
Mais chacune de nous en pouvoit faire autant 3
De la pureté la plus haute
Liv
MERGURE
On peut déchoir en un inftant
La foibleffe eft notre partage :
Mais j'efpère qu'à l'avenir
Sa conduite fera plus fage ,
Ne parlons plus de la punir :
;
Vous vous êtes aimés , vous vous aimez encore-;
Si vous vous séparez , vous ferez malheureux :
L'orgueil eft un tyran , le monde une pécore ,
Pourquoi vous embarraffer d'eux ?
A cette éloquence naïve ,
Tout fe rend , tout eft attendri ;
C'en eft fait , & notre captive
Se jette au cou de fon mari.
Pour nous , triftes humains , nous fommes les victimes
D'une abfurde rigidité.
Moins de tourmens & plus d'humanité ,
Préviendroient la plupart des crimes.
Heureufe la Ruffie ! enfin elle a quitté
Ses lois barbares & cruelles ;
Mais tout code n'eft pas dicté
Par d'innocentes Tourterelles.
DE FRANCE. 249
LE FESTIN ,
Nouvelle imitée de l'Allemand..
CIMON m'avoit invité à un feftin. Je
n'avois jamais éprouvé de bonheur plus
pur. Les convives appelés à la table de
Cimon étoient tous mes amis , & le contentement
fe manifcfteit dans les regards
de chacun d'eux . Le feul Arifte avoit confervé
fa mélancolie. Il paroifleit , comme à
fon ordinaire , infenfible à tous les plaifirs.
Je m'étois appliqué à connoitre le caractère
de cet homme , qui fejournoit depuis quatre
années dans notre ville. Ses lumières annonçoient
un efprit cultivé , & fes actions un
coeur honnête ; mais fa trifteffe le rendoir
quelquefois infupportable. La vue d'une
jeune femme , ou les careffes d'un enfant lui.
arrachoient des foupirs , & lui faifoient repandre
des larmes qu'il tachoit en vain de
dérober. Je ne fais quel intérêt preffant m'attachoit
à fon fort. Je tentai nombre de fois
de pénétrer la caufe de fon abattement , mais
il refufa conftamment de répondre à mon
amitié.
Après le repas on fe mit au jeu . Comme
ce paffe- temps m'ennuie au lieu de me dittraire
, je pris un prétexte pour fortir & aller
faire une promenade .. Je voulus engager
Arifte de m'accompagner , mais il s'étoit dejà,
I W
250 MERCURE
lié à une partie ; & fans doute qu'il craignoit
mes queſtions & ma tendre curiofité.
Je m'étois déjà promené fouvent dans une
allée folitaire du jardin où je portai mes pas.
J'y goûtois la joie intime que fait naître un
beau jour, une riante contrée , & des points
de vue pittorefques. Alors un petit garçon,
d'une figure intéreffante , vint me tirer de
mon raviffement , & réveiller en moi une
fenfibilité douloureuſe , en me tendant fon
chapeau. " Comment , lui dis-je , fi jeune ,
» connois - tu déjà le malheur ? » Je lui
donnai en même-temps une pièce de monnoic.
L'enfant rougit , & des pleurs mouillèrent
fon vifage. «Eh ! mon petit ani, qu'as-
» tu à pleurer ? »- Ah, Monfieur , ma mère
eftfi pauvre , fi pauvre ! Il fe mit à fanglo-
" Mais que ne vas-tu dans la ville
» où il y a plus de monde. »
Monfieur , je crains qu'on ne m'y arrête ;je
n'ai pas encore mendié mon pain.
ter.
"3
-
-
66
Hélas !
Ou eft
» ton père? Que fait- il ? .. » - Mon pèré !...
je n'en ai point. Comment , pauvre enfant
, tu n'as point de père , & ta mère
éprouve toutes les horreurs du befoin ! »
Les fenfations agréables qui un moment
auparavant enivroient mon ame de plaifir ,
difparurent toutes pour faire place à des réflexions
affligeantes. " Mon ami , dis-je au
» petit garçon , retrouve-toi ici à la chûte
» du jour , tu me conduiras chez ta mère ;
| » je veux voir ſi elle eſt en effet auſſi à plainDE
FRANCE. 25.1
1
» dre que tu le dis ». Il me le promit , & je
continuai ma promenade.
J'effayai en vain de me diftraire & de m'occuper
des amuſemens que j'avois goûtés &
de ceux qui m'attendoient , je ne pus me défendre
d'une fombre inquiétude ; je devançai ,
comme malgré moi , l'heure du rendez - vous .
Hélas ! le pauvre enfant m'attendoit ; il
m'aborda en fautant , & fe mit aufli-tôt à
marcher devant moi , fe retournant fouvent
pour voir fi vraiment je le fuivois . Il me conduifit
dans une maifon que je n'aurois jamais
cru habitée par la pauvreté. Je réfléchis alors
que la plupart des honnêtes malheureux
cherchent fouvent à cacher leur misère fous
l'extérieur de la fimplicité , & qu'ils languiffent
fans ofer avouer leur indigencé.
Mon conducteur m'ouvrit enfin une chambre
près du toit , où je vis une jeune femme
affife près d'une table : elle étoit vêtue fimplement
, mais avec propreté. Elle s'appuyoit
fur fon bras , & cachoit fon vifage avec la
main gauche ; & dans la droite , qu'elle tenoit
négligemment fur fes genoux , elle avoit
un ouvrage de tricot. Une petite fille à fes
pieds penchoit fa tête fur elle , & dormoit
pailiblement. Ma préfence inattendue l'effraya;
elle fe leva en tremblant. « Reftez ,
» lui dis -je , je viens favoir en quoi je puis
» vous être utile. Cet enfant , qui felon
» toute apparence eft le vôtre , m'a dit que
" vous n'aviez point de pain ; je veux vous
en procurer. Que ne fuis-je affez riche !
L vj
252
MERCURE
» Dieu m'eft témoin que je vous en donne
» rois affez pour vivre vous & vos enfans !
»
La petite fille s'étoit réveillée lorſque fa
mère fe leva. Elle étendit fes deux mains vers
elle en pleurant , & criant d'un ton qui alloit
au coeur , j'ai faim . Helas ! pentai- je
alors , il eſt reſte tant de fuperflu fur la table
de mon ami ! Le petit garçon tira de fa poche
un pain au lait qu'il avoit acheté avec
le creutzar que je lui avoit donné , & il le
mit d'un air content dans la main de fa
foeur. La mère lui fourit , les enfans reprirent
un peu de gaîté, & cette pauvre femme
un peu d'affurance.
"
"6
Il me femble , lui dis -je , que vous êtes.
étrangère en cette ville. Un court récit de
» vos malheurs me mettroit peut être en
» état de vous procurer quelques fecours
de la part de mes amis , fi votre fort n'eft 39
59 pas un fecret.
و د
Ah ! Monfieur , s'écria- t'elle d'une voix
douloureufe , pourquoi fuis - je forcée de
rompre le filence que je m'étois impofé. Que
ne puis-je enfevelir dans un oubli éternel le
fujet de mes chagrins ; mais la misère m'en
arrache l'aveu.
Mon père exerçoit une charge confidérable
à D**. J'eus le malheur de plaire à
un Officier ; & moi je devins encore plus
épriſe de lui . L'amour qu'il m'avoit infpiré
e put jamais s'éteindre , malgré les efforts
que je fis pour le vaincre. Mon père ne voulur
pas ,je ne fais ppaarr qquueell mmoottiiff,, confentir à
DE FRANCE. 253
notre union . Mon amant trouva encore plus
d'obſtacles à furmonter auprès de fa famille.
Il n'eft point de prières ni de démarches humiliantes
que nous n'employàmes pour obtenir
leur confentement ; mais tout fut inu
tile. Je ne veux point vous faire , Monticur,
un long roman. La pailion , & peut - être en
core plus , l'inconfequence de la jeuneffe
nous feduifirent. Nous fimes ce que tant
d'autres ont fait avant nous , & dont ils fe
font repentis : nous nous épousâmes fecrettement.
Notre mariage ne put refter longtemps
ignoré ; mon père m'abandonna à
mon fort. Les parens de mon mari firent
tant d'éclat à cette occafion , qu'il fut difgracié
& obligé de quitter le fervice. Mais
comme il poffedoit quelque bien de fon
côté , nous nous trouvâmes à l'abri de la
misère. Pendant les quatre ans que je paſſai
avec lui dans une petite terre, je goûtai tout
le bonheur imaginable.
Lorfque j'accouchai de cette petite fille ,
je crus appercevoir pour la première fois
un air de mécontentement dans les traits de
mon époux , qui avoient toujours été fereins ,
& où la douceur & l'amour dont il étoit
rempli pour moi , avoient toujours été exprimés.
Je lui en demandai la raifon , mais
il ne me fit que des réponſes courtes & équivoques.
Cette conduite , à laquelle j'étois fil
peu accoutumée , me remplit de trouble &
d'effroi. Je n'ofai le preíler davantage à ce
fujet. Il me dit quelque temps après qu'il
254
MERCURE
devoit s'abfenter pour quelques jours. Je ne
me doutai de rien . Il alloit fouvent dans le
voifinage chez un de fes amis ; mais cette
fois il y refta plus que de coutume . J'eus
bientôt recouvré affez de force pour pouvoir
vaquer moi - même aux foins de mon
ménage. La longue abſence de mon mari me
caufoit de l'inquiétude : j'envoyai un domeftique
pour en avoir des nouvelles . Il m'apporta
en effet une lettre écrite de la main de
mon mari ; mais il m'apprit en même- temps
qu'il étoit parti depuis, fix jours , & qu'il
avoit laiffe cet écrit pour qu'on me l'envoyât
auffi-tôt que le danger de mes cou--
ches feroit paffe . J'ouvris en tremblant la
lettre. Elle me préfageoit mon infortune.
Ah, Monfieur , épargnez - moi la douleur
de vous en répéter tout le contenu. Elle renfermoit
les reproches les plus amers ; mais
auffi , j'en prends Dieu à témoin , les accufations
les plus injuftes. Il fe fondoit fur un
foupçon que la méchanceté ſeule , ou plutôt
le démon pouvoit lui avoir inſpiré. Enfin il
m'avoit abandonnée & ne vouloit plus me
voir. Il me laiffoit la liberté , ou de refter
dans fa terre , & d'y vivre d'une penfion
honnête qu'il me fixoit , ou de me rendre
ailleurs. Je fus quelques jours entièrement
indéciſe fur le parti que je devois prendre.
J'étois tombée dans un abattement qui me
rendoit prefqu'infenfible. Mon chagrin éclata
enfin: je veux le voir , m'écriai-je , je veux
le chercher , le convaincre de mon innoDE
FRANCE. 255
cence , lui mener mes enfars , & , s'il me
trouve puniffable , mourir de fa main.
Accablée comme je l'étois par la douleur ,
je pris mal les mefures néceffaires à l'exécution
de mon deffein. Je ne me fentois pas
la force de différer mon départ. Je craignois
que chaque inftant ne l'éloignât de moi .
Sans réflexion , fans avoir égard à mon état
futur , j'entaffai à la hâte ce qui me tomba
entre les mains. J'emmenai mes deux enfans,
ayant pour conducteur un homme fur lequel
je pouvois me repofer. Il nous mena
de nuit à la ville la plus prochaine , où j'efpérois
avoir des nouvelles de mon mari ;
mais ayant été trompée dans mes efpérances
, je pourfuivis ma route ; & , de la forte ,
j'ai parcouru dans l'efpace de quatre ans
une grande partie de l'Allemagne , allant
toujours d'une ville à l'autre , & ayant toujours
l'efpoir de le trouver. J'avois économifé
en grande partie les préfens que j'avois
reçus de mon époux ; & quelques jours après
la lettre fatale , fon ami me paya d'avance.
une année entière de la penfion qu'il m'avoit
fixée . Il avoit ordre de prendre mon fils fous
fa tutelle ; mais il céda néanmoins aux prières
inftantes que je lui fis de me le laiffer encore
pour quelque temps. Je fus obligée de
me défaire peu - à - peu de mes meilleurs
effets , & maintenant j'en fuis venue au point
de perdre entièrement l'efpérance de revoir
mon cher Arifte , & de mourir de faim
avec més enfans ».
1
256 MERCURE
Arifte m'écriai -je en me levant brufquement
, feroit-ce le malheureux Arifte que
je connois ? Oui , ce l'eft fans doute.
Elle n'avoit remarqué ni mon mouvement
ni ce que j'avois dit ; car à fes dernières
paroles avoit fuccédé un torrent de larmes ,
dont elle arrofoit les deux enfans qu'elle tenoit
ferrés entre ſes bras .
Je lui laiffai quelques inftans pour revenir
à elle-même. Votre polition eft bien trifte ,
lui dis-je ; mais avouez-le moi fincèrement ,
êtes- vous sure de votre innocence , & vous
fentiriez-vous le courage de paroitre devant
votre époux avec l'affurance que donne la
vertu ? Ah! Monfieur , s'écria - t'elle avec
le plus grand tranfport , je paroîtrois devant
lui avec la fermeté que donne le fentiment
intérieur d'une bonne confcience , de
même que j'espère un jour de paroître au
Tribunal du Juge Suprême.
--
Eh bien , repris-je en lui faififfant la main,
cela fuffit. Venez avec moi . Je vous conduirai
chez un ami qui vous accueillera bien .
N'ayez aucune crainte ; je fuis trop conna
dans cette ville pour que vous ayez rien à
apprehender fous ma protection. Elle prit
fa petite fille entre fes bras , me donna l'autre
main; & de la forte nous allâmes , accompagnés
du petit garçon , à la demeure de
Cimon.
-
Il étoit déjà tard , & l'on avoit douté que
je revinile pour fouper. Toute la Société
s'étoit mife à table.. Je fis conduire dans une
DE FRANCE. 257
chambre voifine cette pauvre femme avec
fes enfans. Elle étoit toute tremblante. Je
joignis alors la Société. Mon ami , dis- je à
Cimon , feriez - vous fâché que j'augmen
taffe le nombre des convives de quelques
perfonnes , dont la connoiffance ne vous
fera peut-être pas défagréable.
d Tout convive
amené par un ami tel que vous , répondit
Cimon , eft le bien venu . Je le remerciai
, & ouvris auffi- tôt la porte du cabinet
, d'où je fis fortir la mère infortunée
avec fes enfans .
Un Peintre habile repréfenteroit mieux
cette Scène que je ne puis le faire. La furprife
, la curiofité , la crainte étoient les principaux
traits marqués fur chaque vifage .
Arifte étoit devenu auffi immobile qu'une
ftatue. Il portoit fixement fes regards fur fa
femme , qui au moment que je l'introduifis ,
courut à lui avec fes enfans , & tomba fans
connoiffance à fes pieds . Un filence général ,
& une certaine fenfation qu'il eft impoffible
d'exprimer , rendit certe fcène fi touchante ,
que je ne me fouviens pas d'avoir vu ou
éprouvé quelque chofe de femblable. Arifte
jetant fes bras autour de fa femme & de fes
enfans , les tint long- temps ferrés contre fon
fein ; & après qu'il eut repris fa fermeté , il
fe leva , courut à moi, & m'embraffa tendrement.
Ah ! mon ami , s'écria - t'il , ou vous me
rendez aujourd'hui la vie, ou vous me caufez
la mort la plus cruelle. Soyez tranquille ,
Arifte , lui dis-je , votre épcuſe feroit la plus
258
MERCURE
criminelle des femmes , fi elle étoit capable
de vous en impofer en ce moment ; je fuis
sûr qu'elle eft innocente & digne de tout
votre amour.
Il s'éleva alors un grand murmure. Chacun
prit le parti de l'époufe infortunée. On fe
mit enfin à table : nous n'apprîmes rien autre
chofe de toute cette hiftoire , finon qu'Arifte
avoit écouté trop facilement les fauffes infinuations
que fon ami lui avoit données ; &
nous conclumes avec affez de vraisemblance
que fon perfide ami avoit eu le deffein de
tendre des pièges à la vertu de cette digne
époufe lorfqu'elle feroit abandonnée de fon
mari. Nous paſsâmes la foirée , & même
une partie de la nuit , à célébrer la réunion
de ces époux , qui fe promirent bien de ne
plus croire ni de donner lieu à la jaloufie .
-
COUPLET à Madame la Marquife DE
MARNEZIA
Sur l'Air: Que ne fuis-je la fougère.
MON étude eft la Nature ,
Depuis que j'ai vu Zélis ;
Près d'elle mon goût s'épure ,
Du beau feul il eft épris.
Mais Zélis , d'un oeil rapide ,
Cette Dame s'occupe de l'Hiftoire Naturelle , dont
elle possède un riche cabinet,
DE FRANCE. 259
Parcourt la terre & les mers ;
Moi je ne vois que mon guide ;
Ce qu'on aime eft l'Univers .
l'aurore ,
SON teint plus frais que
Des fleurs nous offre l'émail ;
Son regard eſt le phoſphore ;
Sur fa bouche eſt le corail.
Son fein au plus beau carrare
Peut difputer la blancheur ;
Mais pour moi , le fort barbare
De filex forma fon coeur.
ZELIS , je viens fur ta trace
Rendre hommage à la raifon.
L'Ifle d'Elbe eſt mon Parnaſſe ,
Ton efprit mon Apollon.
De l'Etna fouillons la cendre ,
D'Herculanum les débris ;
Mais n'irons-nous rien apprendre
Dans les bofquets de Cypris ?
(Par M. Philipon de la Madeleine. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LEE mot de l'Énigme eft Arrête de Poiffon;
celui du Logogryphe eft Giberne , où fe trouvent
gerbe , bière ( cercueil ) , bière ( boiſſon ) ,
Brie , ré, berge, nègre , neige , ire , Berne .
260 MERCURE
ENIGM E.
JE fuis au rang des morts en fortant de ma mère ;
Je vis après pour être dans le temps
Le mari de ma foeur ou femme de mon frère ,
Selon la loi de mes premiers parens .
Par M. Bouvet , à Giſors. )
LOGOGRYPHE.
DAN s mon entier je fuis femelle ,
Tantôt du règne végétal ,
Et tantôt du règne animal.
Mais retranchant ma dernière parcelle ,
Je deviens mâle & fuis homme fans bien ,
N'efpérant même pas d'acquérir jamais rien.
Ainfi nous fommes l'un dans l'autre
Frère & foeur , vivans en Apôtre .
Mais fi vous me faites trotter
Sur mes huit pieds , je vais vous apprêter
Deux animaux encore :
L'un vous tracaffe & vous dévore ,
L'autre , qui n'eft pas un Caton ,
Semble être né pour les coups de bâton.
(Par un Frère Convers. )
DE FRANCE. 261
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ODE à M. de Buffon , par M. le Brun
fuivie d'une Épître fur la bonne & la
mauvaiſe plaifanterie. A Paris , chez les
Libraires qui vendent les Nouveautés.
LA fiction de cette Ode n'eſt pas heureufe.
Le fujet eft une maladie qui fit
craindre , il y a quelques années , pour les
jours de M. de Buffon . " Madame de Buffon ,
( dit l'Auteur dans un Avertiffement ) étoit
» morte l'année précédente à la fleur de fon
âge. Elle joignoit à la beauté toutes les
و د
ود
c
grâces de l'efprit ». Le Poëte feint que
l'Envie , irritée contre M. de Buffon , va
chercher la Fièvre & l'Infomnie pour attaquer
les jours d'un grand Homme. Nonfeulement
cette idée de mettre l'Envie en
oeuvre , eft une machine un peu ufée ; mais
quel rapport d'ailleurs de l'Envie à la Fièvre
& à l'Infomnie ? Car il faut toujours qu'il y ait
an rapport entre les idées morales & les
fictions poétiques ; c'est ce qui fait le
charme de celles- ci , & ce qui en fonde
l'effet. On peut croire que l'Envie ne dort
guères ; mais jamais la Fièvre n'a été à fes
262 MERCURE
'ordres. Les motifs qu'elle emploie pour exciter
contre fon ennemi les deux Divinités
infernales dont elle implore le fecours , fontils
bien juftes & bien raifonnables ?
Noires Divinités ! un demi Dieu nous brave ;
La gloire eft fon amante , & la mort ſon eſclave.
Son titre d'immortel par-tout choque mes yeux.
Chaque inſtant de ſa vie ajoute à mon fupplice :
Son Roi même eft complice ,
Et prétend m'infulter par un marbre odieux.
Quoi !je ferois l'Envie ! Eh ! qui pourroit le croire,
S'il jouiffoit vivant de cet excès de gloire ?
Vengez -moi : terminez fes brillans attentats.
Allez , courez , volez : que vos flammes funeftes
Chaffent les feux çéleftes
Qui fauveroient Buffon des glaces du trépas.
Il n'y a pas un mot dans ces deux ftrophes
qui ne foit un contre-fens. Paffons à l'Auteur
de faire de l'Infomnie une Divinité infernale
, quoique la fiction foit un peu forcée ;
mais que veut dire cet hémistiche : Un demi
Dieu nous brave? Quoi ! M. de Buffon brave
la Fièvre & l'Infomnie ! Qu'eft -ce que cela
veut dire ? & quelle mal-adreffe de le faire
appeler un demi- Dieu par l'Envie elle-même !
C'eft précisément parce qu'elle ne veut pas
qu'un homme devienne un demi Dieu , que
Envie fe déchaîne contre le mérite.
La gloire eft fon amante & la mort ſon eſclave.
Et qu'importe à la Fièvre & à l'Infomnie
DE FRANCE. 263
que la gloire foit l'amante de M. de Buffon ?
Et comment peut-on dire d'un grand Écrivain
que la mort eft fon efclave ? C'eft tout
au plus ce qu'on pourroit dire d'un grand
Médecin. Quel amas d'idées vuides de fens !
C'eft donc là ce qu'on eft convenu d'appeler
aujourd'hui de la Poéfie !
Son Roi même eft complice.
Complice de quoi , ou de qui ? On entend
très-bien Ariane , lorfqu'elle dit :
Le Roi , vous & les Dieux , vous êtes tous complices.
Mais lorsqu'on n'a parlé de rien , ce mot
complice, qu'on ne fait à quoi rapporter ,
n'eft qu'une faute de langage,
Quoi ! je ferois l'Envie !
Cet hémiſtiche rappelle celui-ci du Lutrin :
Suis-je donc la Difcorde ? Mais quand la
Difcorde parle ainfi , elle vient de s'expliquer
d'une manière convenable. Rien n'eft plus
aifé que d'employer à tort & à travers les
allégories & les formules confacrées par les
maîtres de l'art ; mais ce n'eft point ainfi
qu'on fe place à côté d'eux ,
Vengez-moi : terminez fes brillans attentats,
Sans nous arrêter à l'inconcevable idée des
brillans attentats d'un Écrivain Philofophe ,
pourquoi l'Envie veut - elle que la Fièvre
& l'Infomnie la vengent ? Quel intérêt y
ont-elles ? Voilà ce qu'il falloir motiver.
264
MERCURE
Dans Homère , dans Virgile , dans tous les
grands Poëtes , quand une Divinité demande
le fecours d'une autre , elle donne des raiſons
plaufibles de cette alliance : ici , où fontelles
?
Allez , courez , volez : que vos flammesfunefte
Chaffent les feux céleftes , &c.
L'inconfequence des idees fe joint partour
à l'improprieté des termes. Faire voler
la Fièvre , la Fièvre à la marche inégale !
donner des flammes à l'Infomnie ! & les feux
céleftes , qui n'ont jamais fignifié que les
aftres ou les météores , mis à la place du
feu célefte qui anime les humains ! c'eft abufer
étrangement du principe qui recommande
le pluriel en Poëfie. C'eſt par une
fuite de ce même abus du même principe
que l'Auteur emploie plufieurs fois le mot
effors , qui n'a jamais été François .
Dirigent vers Buffon leurs finiftres effors.
Son ame ardente & pure ,
·Dans fes brillans effors , planoit fur la Nature.
Quel ftyle ! Le début de l'Ode eft peutêtre
encore plus extraordinaire.
Cet aftre , Roi du jour , au brûlant diademe,
Lance d'aveugles feux , & s'ignore lui- même.
Il éclaire le monde , & ne le connoît pas.
Mais l'aftre dugénie , intelligent , fublime ,
Du ciel perce l'abyfme,
L'embraffe , & des Dieux mê.ne ofe y fuivre les pas.
Analyfez
DE FRANCE. 265
Analyfez cette ftrophe : il en résultera le
plus inintelligible amphigouri . Permettons au
Poëte d'appeler le foleil Roi du jour, expreffion
beaucoup moins heureuſe & beaucoup
moins claire que celle de Père du jour ; de
lui donner un brûlant diadême , tel qu'on
pourroit le donner à Vulcain dans la Mytho
logie Grecque , ou à Satan, dans la Théologie
Chrétienne ; mais qu'eft- ce que le foleil lançant
d'aveugles feux, & s'ignorant lui-même?
De deux chofes l'une , ou le foleil eft ici perfonnifié
, ou il ne l'eft pas. S'il ne l'eft pas ,
c'eſt tout naturellement un globe de feu , un
être inanimé ; il eft tout fimple qu'il s'ignore
lui -même , & fi fimple , que ce n'eft pas la
peine de le dire , du moins de cette manière ;
mais s'il eft Roi du jour , & s'il a un brûlant
diadême , il eft donc perſonnifié . Alors ce
n'eft autre chofe qu'Apollon , le Dieu de la
lumière & des arts , qui ne lance point d'aveugles
feux , & qui ne s'ignore point lui -même.
Cette conféquence eft d'autant plus néceffaire
, que toute l'Ode eft fondée fur la Mythologie
ancienne , puifqu'elle anime l'Envie,
la Fièvre , l'Infomnie , qu'on y fait intervenir
une Ombre , les Parques , &c. Qu'a donc
voulu dire l'Auteur ? Il a voulu nous appren
dre que l'aftre du Génie étoit intelligent : un
aftre intelligent ! qu'il perçoit l'abyfme du ciel,
& qu'il l'embrasfoit , &c . &c.
Il eſt donc bien évident que l'on peut écrire
un Ouvrage entier fans s'être entendu foimême
, fans s'être rendu compte d'une feule
25 Mai 1779.
M
266 MERCURE
idée. On a beau dire , ce caractère eft plus
particulier qu'aucun autre aux productions'
de notre fiècle. Voilà ce qu'a produit cette
foule d'Energumènes , qui , dans vingt Journaux
à leurs ordres , & dans mille brochures
de leur compofition , répètent avec une emphafe
fi monotone les mots de génie , de
coloris , de chaleur , & quand ils les ont vaguement
accumulés , penſent avoir répondu
à tout , & rejettent loin d'eux avec tant de
mépris la raifon , la clarté , le naturel , le jugement
, le goût , la pureté , la précifion , enfin
tout ce dont faifoient cas de petits efprits
tels que Virgile , Racine , Voltaire , Oracles
éternels de la pufillanime médiocrité.
Cette forte d'exagération , que l'on prend
pour de la force , peut- elle être plus clairement
marquée, que dans la ftrophe où le Poëte veur
peindre la Fièvre & l'Infomnie fortant des
enfers pour aller exécuter les ordres de
l'Envie ?
Elle dit , & courant le long des rives fombres ,
Ces monftres font frémir jufqu'au tyran des ombres ;
L'Érèbe eft effrayé de les avoir produits ;
Et le fatal inftant où leur effaim barbare
S'envole du tartare ,
Semble adoucir l'horreur des éternelles nuits .
Deux monftres ne peuvent guères former
un effaim ; mais qui croiroit qu'il eft
queftion de la Fièvre & de l'Infomnie? Et
que diroit de plus l'Auteur , s'il faifoit fortir
des enfers le Fanatifme , la Vengeance , la Dif
DE FRANCE. 267
corde , &c. ? Mais la manie des grands mots
n'examine pas s'il s'agit de petites chofes.
Nous voudrions pouvoir oppofer à tant
de fautes quelques ftrophes d'une beauté
réelle ; mais à peine y en a-t- il une de cette
efpèce. Voici celle qui nous a paru la meilleure.
Que vois-je? Ah ! cette main fi rapide & fi sûre ,
Qui d'un trait enflammé fut peindre la Nature ,
Se glace, & fent tomber fon immortel pinceau ;
Et déjà fur ces yeux qu'allumoit le Génie ,
La Fièvre & l'Infomnie'
Ont des pâles douleurs étendu le bandeau.
L'idée d'introduire l'ombre d'une épouſe ,
s'efforçant de fléchir le Roi des enfers en
faveur de M. de Buffon , eft beaucoup meilleure
que la première fiction qui amène le danger
de l'Hiftorien de la Nature ; & ce vers :
Sois fenfible deux fois aux larmes de l'Amour ,
a été cité avec raifon comme un vers heureux.
Prefque tout le refte eft d'un ftyle pénible
, contourné , obſcur , offenfant à la fois
la langue & l'oreille.
Et les bords du Léthé t'en devinrent plus doux.
Nos coeurs & nos penchansfuivoient un même cours &c;
Dès mon aurore, hélas ! plongée aux fombres rives, &c.
A peine elles touchoient aufeuil du noble afyle, &c,
Mij
268. MERCURE
Sont-ce-là des vers lyriques ? Les termes
parafites font encore un des défauts de l'Auteur.
Le mot rouler revient trois fois dans
cinq ftrophes.
Sur fon axe rouler dans l'océan des airs , &c.
Devant fon char tonnant roule en vain les orages , &4.
Là , dans l'immenfité l'Éther roule fes ondes &c.
Et un moment après , on trouve encore
La nuit avec horreur roule fon char d'ébène , &c.
Le mot immortel revient encore plus fouvent.
Ces défauts font moins graves que ceux
que nous avons été obligés de relever ; mais
ils fe font fentir dans un ouvrage de iso vers.
C'en eft encore un , aux yeux des Juges févères
, que d'emprunter des hémiftiches con
nus par leur beauté , & de les placer moins
heureufement. Tout le monde fait ces beaux
vers de Rouffeau :
Lachéfis apprendroit à devenir ſenſible ,
Et le double cifeau de fa four inflexible
Tomberoit devant moi.
M. le Brun a mis :
Lachéfis s'én émeut : Clothon devient fenfible ;
Mais fafour inflexible
Déjà preffe le fil entre fes noirs cifeaux.
Voilà encore une occafion de comparer la
DE FRANCE. 265
manière moderne avec celle des modèles da
bon ftyle. Rouleau , dans fes belles Odes ,
a mérité ce titre par fon harmonie & fon
expreflion. Quel tableau du moment où les
Divinités de l'enfer s'attendriffent , dans ces
trois vers que nous venons de citer ! Quel
heureux accord de l'image qu'ils expriment
avec le mouvement de la phrafe ! & comme
' elle tombe d'une manière admirable par ce
vers pittorefque :
3420
Tomberoit devant moi !
On voit tomber le cifeau. Voilà de la vraie
poësie. Elle n'eft pourtant ni bizarre ni baroque.
Il n'a pas fallu créer une langue pous
trouver ces beautés. Il n'a fallu qu'avoir l'oreille
& l'imagination fenfibles . Voulez-vous
voir M. le Brun exprimer la même chofe
dans les vers où il peint la Parque attendrie
en faveur de M. de Buffon ?
"
Tes pleurs , nouvelle Alcefte , ont fauvé ton époux.
Tu vois le noir cifeau pardonner à fa proie ;
Un cri marque tajoie ,
Et les bords du Léthé t'en devinrent plus doux .
Le noir cifeau pardonner à fa proie ! Écou
tez les Prédicateurs de la nouvelle doctrine ;
vous allez les voir dans l'admiration. Voilà
de ces chofes , difent - ils , qui séparent un
homme du vulgaire des Verfificateurs.
C'eft
que cela jamais n'a rien dit comme un autre.
Métroin
M iij
270 MERCURE
Mais comparez le cifeau qui pardonne au
cifeau qui tombe , & jugez entre une image
' naturelle & vraie , & une expreffion recherchée.
Comme la première eft touchante ! &
comme l'autre eft froide ! Comment ne s'apperçoit-
on pas que ce n'eft pas le cifeau qu'il
falloit attendrir , que ce n'eft pas lui qui doit
pardonner ! Et la proie d'un cifeau ! autre
efpèce de recherche tout auffi déplacée. Un
cri marque ta joie , eft peut-être pis que tout
le refte , parce que ce vers eft glacial. Quoi !
le cri de joie qui échappe à l'ame au moment
d'un bonheur inefpéré, eft un cri qui marque
la joie ! Voilà de ces fautes qui tuent.
**
L'Épître fur la plaifanterie eft meilleure
que l'Ode. Ce n'eft pas qu'il n'y ait encore
beaucoup de fautes , que le ftyle n'en foit
découfu , trop chargé d'épithètes & de termes
abftraits ; mais il y a des vers bien tournés
dans cette Pièce , qui n'eft d'ailleurs qu'un
commentaire de quelques vers de Boileau
dans l'Épître fur le vrai.
Quelle gloire en effet pour tout être qui penfe ,
De vieillir dans ces jeux d'enfantine démence,
D'avilir fon efprit , noble préfent des Dieux ,
Au rôle indigne & plat d'un farceur ennuyeux ,
Qui payant fon écot en équivoques fades ,
Envie à Taconet l'honneur de fes parades ,
Et même en cheveux gris , paraſite bouffon ,
Transporte les tréteaux chez les gens du bon ton !
Ces vers font dans le ſtyle de l'Épître fatyDE
FRANCE. 271
rique , ainfi que les deux fuivans , & quel
ques autres .
Je plains le malheureux qui s'eſt mis dans la tête
De plaire aux gens d'efprit à force d'être bête , &c.
Ceux- ci font d'un mérite fort fupérieur.
D'une gaîté fans frein rejetez la licence ,
Et refpectez les Dieux , la pudeur & l'abſence.
Qu'un ami par vos traits ne foit point immolé.
En vain le Repentir honteux & défolé ,
Court après le bon mot aux aîles trop légères ;
Il perd fes pas tardifs & fes larmes amères.
L'amour-propre offenfé ne pardonne jamais , & c.
Voilà des vers du bon genre , & qui prouvent
un talent poëtique , qui s'éleveroit plus
fouvent , s'il n'étoit corrompu par le déteftable
goût qui a fait tant de progrès , & s'il
vouloit fuivre de meilleurs modèles . Un ami
éclairé & fincère ne pafferoit point à M. le
Brun des vers tels que ceux- ci :
Pfyché , du fentiment n'emprunte que les armes.
Les armes dufentiment ! A quoi a-t-il penfé ?
L'aimable vérité rit dans des coupes d'or.
Pourquoi dans des coupes d'or? Les feftins
les plus magnifiques font- ils les plus gais ?
Rien n'eft plus faux que cette image. Mais
l'Auteur aime à employer le mot de coupe.
Dans l'Ode dont nous venons de parler , il
fait boire à M. de Buffon la coupe de la gloire.
Miv
272 MERCURE
Se flatteroit-il de nous faire comprendre bien
clairement ce que c'eft que la coupe de la
gloire ?
Nous ne pouvons donner à M. le Brun
un meilleur confeil que celui de tâcher de
fuivre dans la poéfie les mêmes principes de
ftyle que M. de Buffon a fuivis dans fa profe
éloquente , où il a fu être élevé fans enflure ,
noble fans recherche , énergique fans roideur
& fans obfcurité.
( Cet Article eft de M. de la Harpe ) .
JUE de l'Évidence de la Religion Chrétienne
confidérée en elle-même ; traduit de l'Anglois
par M. le Tourneur. Vol. in- 8 ° .
Prix, i liv. 16 fols. A Paris , chez l'Au
teur , rue de Tournon .
Dans une Préface , le Traducteur nous
apprend que cet Ouvrage a eu le plus grand
fuccès en Angleterre , & qu'il y eft regardé
comme une espèce de démonftration rigoureufe
de l'existence de la révélation & de la vérité
du Chriftianifme. L'Auteur lui-même dit à
la fin de fon Ouvrage : « Je ne doute pas
que ces Meffieurs ( les Lecteurs pareffeux ,
& les hommes livrés au tumulte des affaires
) ne décident que ce doit être l'ou-
» vrage de quelque enthoufiafte ou quelque
pédant , d'un homme de néant ou d'un
fou. Je prendrai donc la peine de les
affurer que l'Auteur eft on ne peut pas
plus éloigné de tous ces caractères ; que
ود
و ر
DE FRANCE
.
273
"
ל כ
>>
peut-être autrefois il ne croyoit pas plus
qu'eux; mais qu'ayant eu quelques loifirs ,
» & encore plus de curiofité , il les a employés
à réfoudre une queftion qui lui pa
toiffoit être de quelque importance.
L'Anglois converti démontre que le Chriftianifme
n'eft pas , comme on le fuppofe ,
une impofture fondée fur une fable abfurde
& furannée ; mais qu'il eft au contraire une
révélation certaine , communiquée au genrehumain
par un pouvoir furnaturel . Il établit
cette vérité fur trois propofitions. 1 ° . Il exifte
actuellement un Livre qui a pour titre le
Nouveau Teftament. 2 ° . De ce Livre , on
peut extraire un fyftême de Religion abfolument
nouveau , foit dans fon objet , foit
dans fes maximes , qui n'eft pas feulement infiniment
fupérieur , mais qui ne reſſemble à
rien de ce qui étoit auparavant entré dans
l'efprit humain. 3 ° . De ce même Livre ,
on peut également recueillir un fyftême de
morale , où tout précepte fondé fur la raifon ,
eft porté à un plus haut degré de perfection
qu'il ne l'a jamais été dans les écrits des Philofophes
les plus célèbres : fyftême où l'on
ne trouve aucun précepte fondé fur de faux
principes , & où fe trouvent quantité de nouveauxpréceptes
qui correfpondent uniquement
avec le nouvel objet de cette Religion.
L'Auteur démontre en trois pages fa pres
mière propofition. La feconde ne lui paroît
pas tout- à-fait auffifimple; mais il ne la croit
pas moins inconteftable. Il nefaut
274
MERCURE
و د
cher dans le Nouveau Teftament un ſyſtême
régulier & fuivi , " qui n'eft jamais entré
» dans les deffeins de fon fuprême Auteur .
" Nous ignorons pourquoi il n'a pas préféré
la forme régulière & didactique ; c'eſt
peut-être parce qu'il favoit que l'imperfection
de l'homme n'eft pas fufceptible
» d'embraller un pareil fyftême , & que nous
» ferions plus furement conduits par ces
rayons épars & femés de loin en loin
» que par l'éclat trop éblouillant de l'illu-
ود
» mination divine. »
D'abord , l'objet de cette Religion eft abfolument
nouveau : c'eft de nous préparer un
Royaume des cieux par un vrai noviciat dans
cette vie. Quelques Philofophes , il eſt vrai ,
ont cu des notions d'une vie future . Des anciens
Législateurs ont auffi tâché d'infinuer
dans l'efprit des peuples Ja croyance des
peines & des récompenfes après la mort ;
mais le bonheur de cette vie étoit toujours
leur objet principal , au lieu qu'il n'eft qu'accelloire
dans la Religion Chretienne . Ilsuf
fifoit aux uns de pratiquer la juftice , la tempérance
, la fobrieté ; mais les autres doivent
ajouter à ces vertus , une piété habituelle , la
foi , la réfignation , le mépris du monde. Lepremierplan
peutfaire de nous , de bons Citoyens;
mais il n'en fera jamais des Chrétiens fup
Portables.
Les autres parties du Chriftianiſme font
encore plus merveilleufes le détachement
2pusa refurrection , le jugement der
DE FRANCE.
275
nier , la néceflité générale du péché & de la
punition ; les moyens de réfifter à l'un & à
l'autre ; la nature déclarée impardonnable
du crime , fans la médiation d'un Être qui
l'expie par fes fouffrances généreufes ; l'incarnation
du Chrift ; l'Etre Suprême repréſenté
fous le caractère de trois perfonnes unies en
un feul Dieu : voilà des dogmes qui diftinguent
le Chriftianifme de toutes les autres
religions & de toutes les autres doctrines
philofophiques ; & ces dogmes font des faits
aufli certains que l'exiftence de la Grèce &
de Rome.
ود
" On a vu des hommes qui ont haſardé
» d'effacer des Saintes Ecritures tous ces
dogmes ; & voici comme ils raiſonnoient :
» l'Écriture eft la parole de Dieu ; dans l'Ecri-
» ture il ne peut le trouver de propofitions
» contradictoires avec la raifon ; donc ces
propofitions ne font pas dans l'Écriture .
Mais ces hardis Docteurs devroient retour-
» ner l'argument , & dire : ces dogmes font
partie , & partie matérielle de l'Écriture ;
» ils font contradictoires avec la raiſon : or ,
» nulle propofition contradictoire avec la
raifon ne peut faire partie de la parole de
Dieu ; doncni l'Écriture , ni cette prétendue
." révélation , ne viennent de Dieu . Ce feroit
s du moins un raifonnement digne des
» Déiftes raisonnables & de bonne- foi , &
qui pourroit mériter quelque attention ;
mais quiconque prétend détruire des faits
M vj
༢་ 276 MERCURE
→ par des raisonnemens , ne mérite aucune
réponse.
ود
"
"
L'Auteur ajoute qu'il n'apportera pas en
preuve de la Religion , les miracles de Jeſus-
Chrift , fa réfurrection , fa naiſſance d'une
Vierge , qui peuvent être conteſtés par les
incrédules ; mais il s'arrête à un point qu'il
croit à l'abri de toute conteftation . » Par
exemple , on ne trouve que Jeſus- Chrift
dans toute l'hiftoire du genre-humain , qui
» ait fondé une Religion qui n'a nulle
liaiſon, nul rapport avec la politique hu-
» maine , avec aucun gouvernement , & qui ,
» par conféquent , eft abfolument inutile à
» toute vue mondaine ». Tous les autres
Fondateurs de cultes religieux , tels que
Numa , Mahomet , Moyfe lui-même , avoient
lié leurs cultes à des inftitutions humaines ;
jamais l'Auteur de l'Evangile n'a vifé à ce
but.... » Un Chrétien n'eft d'aucun pays ;
» il eft Citoyen de l'univers .... Le patriotiſme
même cette vertu fameufe tant
idolâtrée par les Anciens , tant vantée dans
nos fiécles modernes , qui a fi long- tems
confervé les libertés de la Grèce , & qui
» éleva Rome à l'Empire de l'Univers ; cette
» vertu , toute célèbre qu'elle eft , doit être
» exclue du nombre des vertus chrétiennes ....
و د
,
fouvent même elle y eft directement contraire....
L'amitié même , dans fa plus
» grande pureté , n'eſt d'aucun prix aux yeux
de cette Religion ».
1
DE FRANCE. 277
"
29
Mais c'eft dans les preuves de fa troisième
propofition que l'Auteur , développant la
morale évangelique , la met dans une claffe
toute particulière , la détache de toutes les
loix civiles , de toutes les inftitutions fociales
; il voit dans une foule de textes du
Nouveau Teftament , la difcorde irréconciliable
entre le Chriftianifme & le monde. » Ceux
» qui prétendent dela droit de rejeter cette
» inftitution , n'entrent point dans fon fu-
» blime efprit .... C'eft une leçon divine de
pureté & de perfection , fi fupérieure aux
» frivoles confidérations de conquêtes , de
» gouvernemens & de commerce , qu'elle
n'y fait pas plus d'attention qu'à la police
» des abeilles ou à l'induftrie des fourmis.
» Les Philofophes oublient le premier & le
principal objet de cette inftitution , qui
» n'eft pas , comme je l'ai tant de fois répété
, de nous rendre heureux , & même
» vertueux dans cette vie préfente ; mais bien
» de nous conduire au travers de cet état
» dangereux de fouffrances , de tentations
» & de péchés , d'une manière qui nous
rende dignes & capables de jouir de la féli-
» cité de l'autre vie.... Il ne faut donc pas
pefer dans la balance de l'utilité publique
» le mérite des préceptes du Chriftianiſme ,
" parce qu'ils n'ont pas pour but l'utilité de
» ce monde ».
و د
و د
"
ود
ود
99
Les vertus caractériftiones du Chriftianifme
font la piété , l'humilité , le courage
paffif, le pardon des injures , l'amour de fes
278 MERCURE
ennemis , le renoncement à foi-même , la
foi , qui eft devenue un devoir moral d'une
efpècefi nouvelle, que les Philofophes de l'Antiquité
n'avoient aucun terme pour exprimer
cette idée , ni aucune idée de ce genre à
primer.
ex-
L'Auteur trouve une fi grande différence
entre l'efprit des Anciens , & celui du Chriftianifme
, qu'il ofe affirmer que les vertus les
plus célèbres à leurs yeux , font précisément
les plus oppofées au but du Chriftianifme.
כ כ
Elles le font même beaucoup plus
» que leurs vices les plus infâmes . Brutus
» arrachant la vengeance des mains de
» l'Etre Suprême , à qui feul elle appartient
, & affaffinant l'oppreffeur de fon
» pays ; Caton fe tuant lui- même , parce
qu'il ne pouvoit fouffrir de maître , ont
» plus fouillé le monde , & l'ont plus reculé
de l'entrée des cieux , que les honteux
» excès de Meffaline , ou les brutales débau-
» ches d'Héliogabale. » .
ود
ود
Aufli penfe - t- il que rien n'a autant contribué
à corrompre le véritable efprit du
Chriftianifme , que cette admiration qu'on
nous infpire dès l'enfance pour les moeurs
de l'antiquité. C'eft dans les Ecoles que nous
apprenons à adopter des idées morales toutes
contraires à celles de l'Evangile ; à applaudir
à toutes les fauffes vertus qu'il condamne
; à imiter des caractères & des perfonnages
qu'il détefte ; à contempler avec
DE FRANCE. 279
enthouſiaſme des héros , des patriotes , &
mille prétendus fages qu'il réprouve.
" C'eft de l'affemblage de principes monf-
" trueux , que s'eft engendre le monftfueux
fyftême de cruauté & de bienveillance , de
barbarie & de politeffe , de caprice & de
juſtice , de guerre & de piété , de vengean-
» ce & de générofité , qui , pendant plufieurs
fiècles , a fatigué le monde de croifades , de
» guerres facrées , de chevalerie errante , & c.
و و
93
"
"
Je ne prétends pas cenfurer ici les princi-
» pes de valeur , de patriotifme & d'hon-
» neur ; ils peuvent être utiles , & peutêtre
font- ils néceffaires dans le commerce
& les affaires de cette vie imparfaite &
» tumultueufe. Les hommes qui font animés
par ces principes , peuvent être des
» hommes vertueux honnêtes & même
religieux ; tout ce que j'aflure c'eft qu'ils
» ne peuvent être de vrais & de parfaits
» Chrétiens . »
"
›
On trouve quelquefois dans cet Ouvrage
des chofes difficiles à concilier , & des objec
tions plus fortes que les réponfes. Par exemple,
à l'objection de la Trinité des perfonnes Divines
, l'Auteur. oppofe une difficulté contre
l'exiſtence du Dieu des Déiftes , & prétend
qu'il eft auíli difficile de comprendre qu'un
feul & premier être exifte fans caufe , ou
foit la caufe de fa propre existence , que de
concevoir comment trois ne font qu'un. A
l'objection tirée du châtiment de l'innocent
à la place du coupable , il répond qu'il fau
280 MERCURE
droit auparavant réfoudre cet autre probleime
: d'où le mal eft- il venu ? & que d'ailleurs
la raifon ignore fi Dieu ne peut pas
lever une taxe pour le bien général , & fi
cette taxe ne peut pas être aufli bien acquitée
par un innocent que par les coupables ?
Сс
Tantôt l'Auteur affure que l'évidence des
preuves du Chriftianifme eft acceffible à tous
les hommes ; & ailleurs il obferve que la
plupart d'entre eux , entraînés par le tourbillon
des affaires , font incapables d'exáminer
& de faifir l'enfemble de ces mêmes
preuves , à moins qu'ils n'en faffent une étu
de fuivie. « Ce font , dit-il , tous ces hom-
» mes affairés ou pareffeux, qui ne favent de
la Religion que ce qu'ils en ont recueilli en
" paffant & au hafard dans des converfa
tions découfues , ou dans une lecture fuperficielle
, & qui font partis de-là pour
» conclure avec eux-mêmes qu'une prétendue
révélation fondée fur une hiftoire auffi
étrange , auſſi invraisemblable , fi incroya
» ble dans fes dogmes , fi impraticable dans
ود
و د
*
fes préceptes, ne peut être qu'une impoftu
» re , l'ouvrage frauduleux des Prêtres qui
» ont trompé les fiècles ignorans & fans let-
" tres ; impoftures que la politique des Souverains
a adoptée , & qu'elle entretient
» avec foin , comme une machine habile-
» ment concertée pour imprimer la terreur
» & recommander l'obéiffance du vulgaire
fuperftitieux. Differter avec de pareils auditeurs
fur les mystères de la Religion ;
DE FRANCE. 281
"
33
c'eft converfer fur la mufique avec un
» fourd... Il faudroit auparavant que leurs
efprits fullent formés & préparés à ces
conceptions fublimespar la contemplation,
» dans la retraite , par l'entier éloignement
» de toutes diffipations & de toutes affaires
" par la mauvaife fanté , par les difgraces
» les malheurs , & furtout par l'invifible intervention
de l'influence Divine. »
Telles font les idées du nouvel Apologiſte
de la Religion Chrétienne. Ce qui manque
à fes preuves eft facile à réparer en confultant
les Ouvrages des Apologiftes & des Théologiens
François , qui paroîtront fans doute
beaucoup plus folides.
Le ftyle de cette Traduction pouvoit être
mieux foigné. L'on y trouve des barbarifmes
, des mots nouveaux , des métaphores
étranges , des conftructions inufitées. Une
partie des Textes de l'Evangile eft traduite
François moderne , & l'autre en ftyle Marotique.
On préſente ainfi un verſet de Saint
Matthieu : « Étroite eft la porte , étroit eft
le fentier qui conduit à la vie , & il y
en
"9
30 a bien peu qui le trouve. »
en
En citant le morceau de Saint Paul fut
la Charité , qui fe plaît dans la vérité , qui
craint tout , qui croit tout , qui efpère tout ,
qui endure tout , le Traducteur dit que « ce
"
paffage offre l'exacte deſcription de cette
» brillante conftellation de toutes les vertus . »
Ailleurs , que les Livres Saints « font étoi
lés de fignes vifibles d'une affikance
282 MERCURE
و د
ور
naturelle , &c. » Quand ce verbe feroit
François , on ne pourroit pas dire : un Livre
étoile de lignes d'afliftance. Et dans un autre
endroit : " en tamifant , pour ainfi- dire , &
» raffinant toutes les vérités , la Philofophie
" peut réduire tous les êtres à l'invilible
» pouffière du fuplicifme. » Jufqu'au titre de
cette Traduction fournit matière à la critique
: qu'eft- ce en effet que la vue de l'évidence
? Voir ce qu'on voit !
ور و ر
( Cet Article eft de M. l'Abbé Remy. )
NOUVELLE Hiftoire de Paris & de la France,
précédée des Annales Celtiques , & d'une
defcription Topographique des Gaules ,
& ornée d'un grand nombre de gravures
en taille -douce. Par M. Beguillet , Avocat
au Parlement , Correfpondant de l'Académie
Royale de Sciences , de celle des
Infcriptions & Belles-Lettres , Honoraire
de l'Inftitut de Bologne , des Arcades de
Rome , de la Société de Berne , des Académies
de Florence , Lyon , Marſeille ,
Montpellier , Caen , Metz , &c. A Paris ,
chez Martinet , Graveur & Ingénieur du
Roi , rue S. Jacques , 1779. Brochure
in-8° . de 32 pages.
Nous annonçons une grande & belle entreprife,
une entreprife digne de piquer la cu
riofité & de fixer l'attention des vrais Patriotes.
DE FRANCE. 283
Cette Hiftoire de Paris fera précédée d'un
Difcours preliminaire qui contiendra un examen
critique de toutes les opinions fabuleufes
fur la fondation de Paris , & fur l'origi
ne des Celtes & de leurs anciens Rois ; des
recherches hiftoriques fur la Celtique & les
'Gaulois , fur leurs expéditions , leurs Colonies
, celles des Peuples qui font venus s'établir
dans les Gaules , &c. avec une defcription
Topographique des Gaules & des Peuples
qui occupoient cette contrée avant l'arrivée
des Romains.
Les Annales Celtiques & Romaines fui-
"vront cette introduction , & feront partagées
en deux époques , qui renfermeront
PHiftoire des Gaulois , & celle de leur conquête
par les Romains ; on y trouvera la
fuite des Empereurs , & le récit de tout
ce qui eft arrivé dans les Gaules depuis
Céfar jufqu'à la défaite de Siagrius par Clovis.
Cette partie traitera en même - tems de
l'état des Gaules fous les Romains ; de l'origine
des Vifigots , des Bourguignons & des
Francs , qui partagèrent les Gaules entr'eux ;
des moeurs , loix , coutumes & ufages de
tous ces Peuples , &c.
L'Hiftoire de Paris & de la France fera
divifée en fix époques.
Première époque , Paris fous les Rois
Merovingiens &les Maires du Palais , juf
qu'au facre de Pepin le Bref. On verra fous
cette époque le Royaume fouvent partagé &
réuni , les guerres civiles des Francs , l'extinc
$4
MERCURE
tion des deux Royaumes de Bourgogne , les
Loix Gombettes , la Loi Salique , celle des
Ripuaires , &c.
Seconde époque , Paris fous les Rois Car
lovingiens , fous les Ducs de France & les
Comtes Propriétaires. Cette époque, brillante
dans fes commencemens , & qui vit paffer
l'Empire dans la Maifon de France , eſt enco
re plus fameufe par l'établiffement du Gouvernement
féodal qui changea la conftitution
: le Siège de Paris chanté par un témoin
oculaire , &c.
Troifième époque , Paris fous les Capétiens
& les Prévôts Royaux. L'affranchiffement
des Serfs , l'établiffement des Communes
, les Croifades , les Établiſſemens de
S. Louis , l'Univerfité , le Droit nouveau
les Parlemens , &c. rendent cette époque intéreffante
.
Quatrième époque , Paris fous les Valois.
Confirmation de la Loi Salique ou Loi
Royale , qui règle pour toujours la fucceffion
au Trône ; guerres avec les Anglois ,
dont le Roi eft proclamé à Paris ; guerres
avec la Maifon Royale de Bourgogne ; les
Anglois chaffés ; extinction du Gouvernément
féodal , & c .
Cinquième époque , Paris fous la Maifon
d'Angoulême. Guerres avec la Maifon
d'Autriche ; Concordat ; rétabliffemen . des
Lettres ; guerres de Religion , la Ligue ,
&c.
Sixième & dernière époque , Paris fous la
DE FRANCE. 285
Maifon de Bourbon. Epoque de la gloire &
du bonheur des François ; beau fiècle de
Louis XIV. Légiflation ' nouvelle ; Académies
, Sciences , Arts , Commerce , Agricul
ture , &c.
Après l'Hiftoire de la Capitale réunie à
celle de la Monarchie , on donnera une def
cription de Paris & de fes plus beaux monumens
, qui contiendra :
1º . La defcription générale de Paris , fon
origine , fes accroiffemens. fucceflifs fous
tous les règnes , fa fituation & l'hiftoire naturelle
de fes environs , fon enceinte , fes
portes , fa divifion en plufieurs quartiers ,
fa population , fa police , fes divers établiffemens
, fon Commerce , fes Manufactures ,
les moeurs de fes habitans , &c. Cette partie
fera ornée d'un frontifpice allégorique ,
grand Plan de Paris & de fes accroiffemens
des portes-vues de plufieurs faces , des différentes
vues de boulevards , des bains de
Julien , des reftes d'aqueducs , & autres antiquités
, &c.
du
2°. Un examen critique de tous les projets
propofés pour la décoration , l'utilité &
les embelliffemens de Paris ; tout ce qui concerne
les ponts , les quais , les ports , les
fontaines publiques , les pompes , les réfervoirs
, les égoûts , places , halles , marchés
&c , &c. avec les vues perfpectives de ces
différens objets.
3°. L'Hiftoire & la defcription des Maifons
Royales , telles que le Louvre , los
286 MERCURE
Tuileries , le Luxembourg , &c , avec les
tableaux , buftes , vafes , plans & vues de
çes maifons , jardins , &c.
4° . Les monumens & édifices publics
l'Hôtel- de-Ville , le Palais , le Châtelet , la
Monnoie , l'Arfenal , le Temple , la Baftille ,
les Académies , Bibliothèques , Salles de
Spectacle , &c.
5. Les Eglifes , Couvens , Tombeaux ,
Maufolées , &c , avec tout ce qui concerne
le Clergé & les différens Ordres Religieux.
6°. Les Hôtels & Jardins , avec la notice
des grandes Maiſons auxquels ces Hôtels appartiennent
ou ont appartenu , ceux qui les
ont fait conftruire , &c.
Enfin , l'Ouvrage fera terminé par un
Dictionnaire étymologique & anecdotique
des rues de Paris.
Tout l'Ouvrage formera feize volumes
in-8° ; favoir , deux pour l'introduction &
la defcription topographique des Gaules ,
deux pour les Annales Celtiques , fix pour
les fix époques hiftoriques de Paris , & fix
pour la defcription de cette Capitale. Chaque
volume d'hiftoire fera orné de vingt à
vingt-cinq planches & de vignettes relatives
au fujet , & les volumes de defcription
auront chacun environ cinquante planches.
Le premier volume paroîtra au mois de
Juin prochain , & les autres fuivront de
trois en trois mois fans interruption. On
payera 9 livres en foufcrivant pour le premier
volume , & ainfi de fuite en recevant
DE FRANCE. 287
chaque volume. Ceux qui n'auront pas foufcrit
les paieront 15 liv. , parce qu'on n'en
tirera qu'un petit nombre au- delà de celui
des Soufcripteurs. On fuivra l'ordre de la
foufcription pour la livraifon des planches ,
afin de donner les plus belles épreuves aux
premiers Soufcripteurs. Il y aura une grande
Edition in-4° . en papier d'Hollande , que
Fon payera 18 liv. le volume. Ceux qui
voudront des exemplaires enluminés préviendront
le Graveur. On fait que les eftampes
enluminées de cet Artifte équivalent
prefqu'à des tableaux .
Ce n'eft point un fimple projet que l'on
annonce. L'Hiftoire eft entièrement finie ,
& la defcription eft fort avancée . Les planches
des monumens & les perites vues qui
doivent accompagner la defcription , font
prefque toutes gravées , & les deffins de
celles qui feront jointes à la partie hiftorique
font faits on peut les voir chez le fieur
Martinet , Graveur & Ingénieur du Roi ,
rue S. Jacques , chez qui l'on foufcrit. On
peut foufcrire auffi chez Me Fenouillette ,
Notaire , rue de la Verrerie , & l'argent des
foufcriptions reftera dépofé chez lui .
288
MERCURE
NOUVEAU Dictionnaire Hiftorique , on
Hiftoire abrégée de tous les hommes qui fe
font fait un nom par le génie , les talens ,
les vertus , les erreurs , &c. depuis le commencement
du monde juſqu'à nos jours ,
avec des tables chronologiques pour réduire
en corps d'hiftoire les articles répandus dans
ee Dictionnaire ; par une Société de gens
de lettres. Quatrième édition , enrichie
d'augmentations nombreufes & intéreffantes
, & purgée de toutes les fautes qui
défiguroient les précédentes. Mihi Galba,
Otho , Vitellius nec beneficio nec injuria
cogniti. Six vol. in- 8 °. A Caen , chez
Leroy , Imprimeur du Roi , hôtel de la
Monnoie , rue Notre - Dame ; à Paris , chez
le Jay , Libraire , rue S. Jacques ; à Rouen ,
chez Machuel , Libraire , rue Ganterie.
Prix , 31 liv. 4 fols broché , 36 liv. relié.
Il n'y a peut -être perfonne parmi ceux
qui aiment à lire & à s'inftruire, qui n'ait fenti
& éprouvé plus d'une fois , non- feulement
l'utilité , mais même la néceflité de ces fortes
de nomenclatures alphabétiques faites pour
être confultées au befoin , pour épargner
l'embarras d'une longue recherche , & fuppléer
beaucoup de livres . Les hiftoires générales
gravent dans notre mémoire le tableau
des grands événemens & des principales époques
; mais fi vous voulez vous rappeler une
date , un titre d'ouvrage , un fait relatif à
DE FRANCE. 289%
un perfonnage célèbre , alors un Diction
naire hiftorique fe trouve très à propos fous
votre main , & vous offre facilement ce que
vous cherchez.
Tel fut le premier objet de la grande compilation
de Moréri , le premier modèle de
ces fortes de livres , & que fes continuateurs
ont réformé & enrichi à l'aide & aux dépens
de ceux qui l'ont imité. Bayle , qui travailla
far un plan à peu- près femblable , donna à
fon ouvrage le mérite & l'intérêt d'une critique
favante & d'une dialectique hardie , &
depuis lui il n'a été donné qu'aux Auteurs de
Encyclopédie de mettre du génie dans un
Dictionnaire. Celui de l'Abbé l'Advocat n'a
guères été qu'un abrégé affez fec du Moréri.
Un Dictionnaire critique , hiftorique , & ,
comme l'appeloit Voltaire , Janfenifte , en
quatre volumes in- 8 ° . , méritoit en effet cette
dénomination par l'efprit de partialité qui
s'y montroit ; défaut le plus grand qui puiffe
détériorer un livre de cette efpèce. Le nouveau
Dictionnaire hiftorique , dont la quatrième
édition paroît aujourd'hui , eft en gé
néral exempt de ce grand vice de partialité ,
fi commun & fi odieux . On ne peut que
prendre une très-bonne opinion des Auteurs,
en lifant la Préface très-fage & très-judicieufe
qu'ils ont mife à la tête de leur Dictionnaire.
On ne peut s'expliquér d'une manière plus
defintéreffée fur les différens partis qui depuis
un fiècle & demi ont produit tant de fcandales
dans l'Eglife & dans la Littérature. Nous
25 Mai 1779.
N
290 MERCURE
ne citerons que ce paffage concernant la philofophie.
" Quoique notre but ait été de
" faire un Dictionnaire moitié hiftorique ,
» moitié philofophique , nous ne diffimule-
" rons point en remarquant les biens qu'a
faits la vraie Philofophie , les maux qu'a
produits la fauffe , qui a pris fon maſque.
Ce n'eft point celle- ci que nous prendrons
» pour guide ; ce feroit vouloir nous égarer.
» On croit aujourd'hui que pour paroître
99
ود
Philofophe , il faut profcrire tous les an-
» ciens Hiftoriens & fronder toutes les traditions.
Dans les fiècles d'ignorance on a
» trop cru ; & dans notre fiècle éclairé , on
» ne croit pas affez. Rejeter tout , eft d'un
» Pyrrhonien téméraire, Douter de tout , eft
» d'un Légendaire imbécille, Il y a un milieu
» entre ces deux extrémités , & nous avons
» tâché de le tenir, ود
Cette compilation hiſtorique nous a paru
préférable à toutes celles qui ont été publiées
jufqu'ici , par l'étendue , la forme & l'exactitude
des articles.
(Çet Article eft de M. De la Harpe,)
DE FRANCE. 291
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert exécuté au Château des Tuileries
le jour de l'Afcenfion , a commencé
par une nouvelle fymphonie de Hayden.
Le premier morceau , d'un genre fombre
a paru très -expreffif ; le fecond , quoiqu'imité
de l'ancien ſtyle François , a fait encore plaifir
; le troisième n'a pas eu le même ſuccès ,
à caufe de l'incohérence des idées.
M. Moreau , dont les talens fe perfeetionnent
chaque jour , & qui déjà ſe montre
le digne émule de M. Larrivée , a chanté ,
avec autant d'intelligence que de vigueur ,
un Motet de la compofition de M. Can-,
deille.
Le début de M. Satory a démontré qu'on
peut être un violon de la plus grande force
fans obtenir des applaudiffemens auffi flatteurs
qu'en ont fouvent mérités des hommes
médiocres. On n'a vu dans la première partie
de fon Concerto que des difficultés de la
plus ridicule extravagance. L'adagio qui l'a
fuivi n'a pas accablé l'oreille d'une auffi prodigieufe
multitude de triples croches ; cependant
l'ame n'en a pas été vivement émue.
On a été plus fatisfait du menuet qui termine
ce Concerto ; il offre un chant très-
Nij
292 MERCURE
agréable ; on n'en peut critiquer que deux
variations un peu trop reffemblantes , & une
troifième où le fond du chant dévient méconnoiffable.
Madame Todi a chanté enfuite un air
bouffon de Sacchini ; l'air a produit fon
effet ; c'est-à- dire qu'on l'a trouvé fort comique
: il a fait rire ; & la Cantatrice a ſu le
répéter avec le même fuccès. Refte à favoir
fi des airs de ce genre ont quelque analogie
avec la mufique d'un Concert Spirituel.
Ce morceau a été fuivi de l'ouverture d'un
Opéra de Maio , où l'on à reconnu une manière
plus brillante que pathétique ; & du
Lauda Jerufalem , Motet à grand choeur de
la compofition de M. Rodolphe. Le ftyle en
eft très - beau , les accompagnemens bien
entendus , les airs pleins d'intérêt , fur-tout
le rondeau : Qui dat nivem. On pourroit
feulement reprocher à l'Auteur d'avoir fini
fon Ouvrage par une fugue , genre de mufique
digne des Goths, qui en font les inventeurs;
de n'avoir pas toujours refpecté la
profodie dans certaines voyelles brèves , fur
lefquelles il place des doubles notes , &
même des cadances , ce qui doit choquer
l'oreille des Amateurs de la langue Latine . Ce
Motet , chanté par MM . le Gros & Chéron ,
leur a mérité de juftes applaudiffemens. H
femble que ce dernier n'a pas la voix affez
flexible pour rendre un fuite rapide de notes
diatoniques.
M, le Brun a fupérieurement exécuté
DE FRANCE. 293
fur le hautbois , un Concerto de fa compofition
. La gaieté du dernier morceau a réuni
tous les fuffrages .
On a terminé le Concert par une fcène.
de Traetta. Le récitatif , comme la mélodie
& les accompagnemens , ont répondu à la
célébrité d'un Muficien , le plus pathétique
des Compofiteurs actuels de l'Italie . Le mérite
de cette charmante fcène a été encore
augmenté par les talens de Madame Todi ,
qui s'eft fait entendre pour la dernière fois ,
& que peut-être on regrettera long- temps
parce qu'il fera difficile de retrouver de fitôt
une Cantatrice auffi accomplie.
L'Orcheſtre a fecondé les efforts de ces
differens Virtuofes , par fon intelligence ,
fa vigueur & par le plus bel enfemble.
par
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Dimanche 16 de ce mois , on a donné
à ce Théâtre la première repréfentation d'un
Intermède Italien , intitulé : Il Vago dif
prezzato , ou le Fat méprifé.
Nous ne pouvons dire de cet Intermède
que ce qu'on a dit de prefque tous les autres,
Le Poëme ne mérite pas qu'on en parle ;
c'eft toujours une intrigue fans vraifemblance
, un dialogue fans efprit , de la bouffonnerie
fans gaîté.
Quant à la Mufique , il fuffit de dire qu'elle
eft de M. Piccini , pour annoncer qu'on y
Niij
294
MERCURE
trouve plufieurs morceaux d'un chant facile
& agréable , d'une tournure élégante , d'un
excellent goût & d'un effet piquant . Mais
malgré les talens de ce célèbre Compofiteur,
une Muſique néceffairement dépourvue d'intérêt
& de caractère , quelque excellente
qu'elle foit par la facture , ne peut fuffire
pour faire goûter ces farces ridicules à une
Nation accoutumée à des Drames Lyriques
où la Mafique eft affociée à des ſujets
téreffans & vraiment comiques , traités
avec art , & écrits avec de l'efprit & du
goût. I feroit cependant fâcheux que l'indifférence
du Public pour les Intermèdes
Italiens , nous privât de ce genre de Specracle
, qui a des beautés réelles & feduifantes
, & qui offre aux Composteurs &
aux Amateurs des objets d'étude & de comparajfon
, propres à former le goût & à étendre
la connoiffance de l'Art.
و
Le Mardi 18 , on a donné la première repréfentation
d'Iphigénie en Tauride Tragédie
Lyrique , attendue avec toute l'impatience
que devoit infpirer le nom de M. le
Chevalier Gluck , qui en a fait la Mufique.
Le Poëme eft de M. Guillard , jeune
homme qui annonce par cet effai des talens
qui méritent d'être applaudis & encouragés.
Le fujet d'Iphigénie en Tauride , traité par
Euripide chez les Grecs , tranfporté avec
fuccès fur le théâtre de l'Opéra par Duché &
DE FRANCE. 29$
-
Danchet , & fur celui de la Comédie Françoife
par Guimond de la Touche , eſt connu
de tout le monde. L'action en eft très-tragique
, mais trop fimple , offrant peu de
variété , & difficile à dénouer. M. Guillard a
fuivi en général le plan de la Tragédie Françoife
; mais pour l'adapter à la Scène lyrique
avec fuccès , il falloit donner à l'action une
marche plus animée & plus rapide ; c'eſt ce
qu'il a fair avec beaucoup d'intelligence. Il a
d'ailleurs enrichi fon ouvrage de plufieurs
traits heureux qu'il ne doit point à ſon modèle.
La Scène ouvre par un orage. Iphigénie
& les Prêtreffes de Diane fe répandent dans
le portique du Temple , effrayées & en défordre
, implorant la clémence des Dieux.
La tempête a jeté fur les côtes de la Tauride
Orefte & Pilade. Thoas , tourmenté par des
frayeurs fuperftitieufes , ordonne à Iphigénie
d'immoler, fuivant l'ufage , ces deux étrangers
fur l'autel de Diane . Elle interroge l'un d'eux
fur fon nom & fa patrie ; elle apprend qu'il
eft d'Argos ; qu'Agamemnon eft mort égorgé
par Clitemneftre ; qu'Orefte , après avoir
vengé fur fa propre mère le meurtre de fon
père , a trouvé auffi la mort qu'il cherchoit ,
& qu'il ne reftoit plus qu'Électre de cette
famille infortunée. Elle déplore la deftruction
de toute fa famille , qu'un fonge lui
avoit déjà annoncée . L'humanité l'intéreffe
au fort des deux captifs ; elle prend le parti
de fauver l'un des deux ; & un penchant fe-
Niv
296 MERCURE.
cret fait tomber fon choix fur Orefte : elle
le charge de porter une lettre à Électre fa
foeur , & Pilade eft condamné à périr. Oreſte ,
pourfuivi fans ceffe par les Euménides , ne
defirant que la mort , refuſe la vie qu'on lui
offre ; il exige que fon ami foit fauvé. La
Prêtreffe eft obligée de céder ; & Pilade ,
n'ayant pu vaincre fa réfiftance , n'accepte
la liberté que dans l'efpérance de venir bientôt
délivrer fon ami. Au moment où Iphigénie
s'approche de l'aurel , le couteau levé
fur Orefte , il s'écrie : Ainfi tu péris en Aulide,
ma foeur Iphigénie. Ce mot , indiqué par
Ariftote , produit la reconnoiffance du frère
& de la foeur. Dans le moment où ils fe
livrent à cette joie inattendue , Thoas arrive;
il preffe le facrifice. Iphigénie nomme fon
frère. Thoas furieux veut l'égorger lui -même ;
mais il eft prévenu par Pilade , qui arrive à
la tête des Grecs , & plonge un poignard dans
le fein du Tyran. Les Grecs & les Scythes
commencent un combat , interrompu par
l'apparition de Diane, qui ordonne aux Scythes
de remettre fa ftatue entre les mains des
Grecs , & qui annonce à Oreſte la fin de fes
tourmens .
Le temps , qui nous preffe d'envoyer cet
Article à l'impreffion , ne nous permet pas
d'entrer dans de plus grands détails fur la
marche & le ftyle du Poëme. Nous obferverons
feulement que jufqu'ici les ' Poëtes
qui avoient voulu tranfporter fur le théâtre
de l'Opéra un fujet de Tragédie , s'étoient
DE FRANCE.
toujours cru obligés d'en affoiblir l'effet tragique
par des épiſodes d'amour & de galanterie
, & par des fêtes agréables propres à
varier le Spectacle en l'embelliffant . Duché
& Danchet n'ont pas manqué de rendre
Thoas amoureux d'Electre , amoureufe ellemême
& aimée de Pilade. M. Guillard a
confervé à fon fujet toute la févérité de la
Tragédie antique , & il nous a donné le premier
Opéra fans amour qui exifte fur aucun
théâtre. Il n'y a introduit qu'une feule fête à
la fin du premier Acte ; c'eft la danfe des
Scythes , qui fe réjouiffent de l'arrivée des
deux victimes de leur culte abominable
& dont la joie barbare ajoute au pathétique
de la fituation . L'efpèce de danfe .
des Euménides , qui au fecond Acte viennent
tourmenter Orefte dans fon fommeil , produifent
auffi un accroiffement de terreur &
de pathetique qu'on auroit peut - être de la
peine à foutenir fans la mufique ; car c'eſt
une propriété remarquable de cet Art enchanteur
, d'adoucir & de rendre même délicieufe
la peinture des fituations les plus déchirantes
& les plus terribles, parce que les
fenfations agréables qui réſultent du matériel
même de l'art , tempèrent les mouvemens
trop violens que l'imitation peut exciter dans
l'ame.
C'est ce que paroît avoir fenti le premier
M. le Chevalier Gluck , & ce qu'il a prouvé
par fes fublimes compofitions.
Ny
298 MERCURE
L'Iphigénie en Aulide , conçue felon fes
vues , & exécutée avec une grande intelligence
, eft la première Tragédie lyrique que
nous ayons eue ; nous avions peine à croire
que la mufique dramatique pût aller plus loin
l'Iphigénie en Tauride nous prefente un
Spectacle peut-être encore plus étonnant ,
parce qu'avec un fujet moins riche & moins
heureux , il produit encore de plus grands
effets. Tout ce que la Tragédie antique a de
plus augufte & de plus touchant , y eft
paré de toutes les richeffes de la mulique
moderne.
Tout porte dans cer Ouvrage le caractère
de l'originalité , de la grandeur & du génie..
La plus grande difficulté qui s'offroit à una
Compofiteur étoit dans l'action même qui ,,
toujours fombre & terrible, fembloit ne comporter
aucune teinte douce & agréable ; oppofition
dont la mufique a plus befoin qu'au
cun des autres beaux Arts . M. Gluck a trouvé
ces nuances dans les choeurs des Prêtreffes
qui font prefque toujours fur la Scène ; &
dans le rôle tendre & confolateur de Pilade ::
des chants religieux , pleins de douceur &
d'onction , affortis à des voix de femmes ,
& des airs d'une mélodie naturelle & fenfible,
exécutés par le bel organe de M. le
Gros , forment un contrafte heureux avec la
terreur qui règne dans le cours de la Pièce..
Nous renvoyons au Mercure prochain l'asmalyfe
des beautés principales qui brillent
DE FRANCE. 299
dans cette compofition muficale ; nous dirons
feulement que l'art de donner au chant
de chaque perfonnage un caractère , une
couleur propre , dominant toujours dans
les différentes fituations qui le modifient ;
Fart d'animer & de paffionner le récitatif ,
de le rendre auffi rapide , aufli véhément &
plus éloquent que la déclamation ; d'en fufpendre
les repos pour foutenir l'attention de
l'Auditeur ; de l'unir au chant mefuré & aux
airs par des nuances infenfibles , de manière
qu'un Acte entier ne femble faire , pour
ainfi dire , qu'un feul morceau de mufique ;
que l'art d'exprimer par le rhythme les
grands mouvemens de l'ame ; que l'art de
traiter les différentes parties de l'orcheftre
comme autant de perfonnages intéreffés
à l'action , qui concourent à fortifier *
varier , ou à faire contraſter les fentimens
des Acteurs qui font fur la Scène ; que ces
grands fecrets enfin de la mufique dramatique
, dont les procédés ne paroiffent encore
connus que de M. Gluck , n'ont jamais
produit de plus puiffans effets que dans l'Iphi
génie en Tauride.
Nous exprimerions avec plus de réſerve
Penthouſiafme que nous infpire ce ſublime ou
vrage , fi notre fentiment ne fe trouvoit pas
juftifié par celui du Public. Jamais opéra n'a
fait une impreffion fi forte & fi générale à une
première repréſentation . Une attention extrême
& non interrompue ; l'émotion la plus
N vj
300 MERCURE :.
vive exprimée fur tous les vifages , & un
attendriffement porté ſouvent juſqu'aux larmes
; des applaudiffemens arrachés par l'admiration
& fufpendus par la crainte de per
dre un mot de la fcène & un accent de la
mufique , étoient des fignes d'intérêt & d'approbation
moins équivoques & plus flatteurs
que ces battemens de mains , commandés
par le froid engoûment de l'amour-propre
& de l'efprit de parti.
Quelque éclatant que foit ce fuccès , nous
ofons dire cependant qu'il ne peut qu'augmenter.
Il y a une multitude de beautés de
détail , qui ont dû échapper à une première
sepréſentation , où l'on n'eft guères frappé
que des maffes, & qu'on ne peut fentir qu'après
s'être familiarifé avec les différentes parties
de l'ouvrage , & lorfque l'exécution a acquis
la précifion & l'enfemble qui ne peuvent être
que l'effet du temps. Quand on confidère
combien il eft difficile de donner cet enfemble
à une compofition où tout eft lié &
enchaîné , où rien n'eft négligé ni indifférent,,
où l'effet du tout tient à l'accord de toutes
les parties , on fent qu'on ne peut refufer
les plus grands applaudiffemens aux Acteurs
& à l'Orchestre, qui femblent difputer à l'envi
de zèle & de talens. Nous nous ferons un plaifir
de rendre à chacun d'eux en particulier le
jufte tribut d'éloges qu'ils méritent , & nous
y joindrons les obfervations que nous aurons
occafion de faire, ou qu'on nous communiDE
FRANCE. 301
quera , fur ce que le Public pourroit encore
defirer , pour voir exécuter ce bel ouvrage
avec la perfection dont il eft fufceptible.
La Reine , accompagnée de Madame , de
Madame la Comteffe d'Artois & de Madame
Élifabeth, a honoré de fa préfence la première
repréſentation d'Iphigénie en Tauride. Ces
Princeffes ont témoigné à M. Gluck , de la
manière la plus flatteufe, combien elles étoient
fatisfaites de cette nouvelle production de
fon génie.
20
( Cet Article eft de M. S * . )
ACADÉMIE S.
L'ACADEMIE Royale des Belles- Lettres de Caen ,
avoit proposé pour fujet d'un Prix qu'elle devoit
donner en 1777 : « Quelles ont été les principales
branches du Commerce de la Ville de Caen , depuis
le commencement du 11 ° fiècle , & plus par-
» ticulièrement depuis la réunion du Duché de Normandie
à la Monarchie Françoife ? Quelles font
» celles qu'il feroit le plus facile d'y établir & d'y
étendre , relativement au fol du Pays , à fes productions
, à fes débouchés actuels , à ceux qu'il
eft poffible de lui procurer , ainfi qu'à fes Loix ,
» coutumes & ufages ; & quels feroient les moyens
d'y parvenir ? »
30
39
Les Mémoires qu'elle reçut , ne lui parurent pas
traiter la matière d'une manière affez fatisfaifante
pour la déterminer donner le prix . Elle jugea à
propos de prolonger le tems du concours jufqu'à la
302
MERCURE
An de 1778 , pour donner aux Auteurs qui avoient
déjà concouru , le tems de retoucher leurs ouvrages ,
& laiffer à ceux qui voudroient entrer en lice , le
rems convenable pour faire les recherches néceffaires.
Parmi les Mémoires qu'elle a reçus , il s'en eft
trouvé un qui remplit entièrement la première partie
de la queftion propofée ; mais la feconde , qui eft la
plus intéreffante , n'y eft pas même ébauchée. L'Auteur
de cette Diſſertation eft Dom le Noir , déjà
connu par un Mémoire relatif au projet d'une Hiftoire
générale de la Province de Normandie , diftri
bué en 1760.
Quant à la feconde partie , favoir : « Quelles font
» les branches de Commerce qu'il feroit le plus fa-
» cile d'établir à Caen & d'y étendre , relativement
au fol du Pays , à fes productions , à fes débouchés
actuels , à ceux qu'il eft poffible de lui pro-
» curer , ainsi qu'à fes Loix , coutumes & ufages ;
» & quels feroient les moyens d'y parvenir ? »
L'Académie a diftingué le Mémoire qui a pour
epigraphe Liberté , Sûreté & Protection , princi
pes de tout Commerce. Elle engage l'Auteur à retoucher
fon ouvrage , à en approfondir les vues , à en
développer les détails. Elle fait la même invitation
à tous ceux que l'amour de la gloire & celui du
bien public pourra réfoudre à traiter un ſujet auffi
intéreffant.
L'Académie ne propofe que cette feconde partie
pour fujet du prix qu'elle diftribuera le Jeudi 2 Décembre
de cette année 1779 .
Le prix fera double , c'eft -à- dire , de huit cent livres
pour le meilleur Mémoire fur l'objet propofé. On fe
referve cependant le droit de partager cette fomme
entre les deux premiers , s'ils fe trouvoient d'un mé-
1ite à - peu-près égal.
On avoit auffi propofé pour 1778 , un autre prix
quatre cent livres , à l'Auteur du meilleur Mé
DE FRANCE.
303
ɔɔ
cc moire fur cette queftion : « Quels font les Arbres ,
» les Arbuftes & les Plantes , qui , creiffant fur le
rivage de la Mer , fans avoir néanmoins befoin
» d'en être baignés à toutes les marées , pourroiens
» être employés à la conftruction des Digues & Epis
» néceffaires fur les côtes & le long des Rivières dans
lefquelles la Mer monte , pour défendre de fes
» irruptions les terreins qui les bordent ? Quelle eft
la culture de ces Arbres , Arbuftes & Plantes , &
quel feroit le meilleur moyen à employer pour en
former des Digues , à la fois les plus économi-
» ques , & les feules fufceptibles d'une réfiftance
conftante & progreffive ?
ככ
"
>>
Comme cette matière demande de grandes difcuffions
pour être traitée d'une manière convenable ,
des Auteurs qui s'en occuppent , ont demandé , pour
faire des expériences , un délai que l'Académie a
jugé à propos de leur accorder. Ce fecond prix ferat
donné le même jour que le précédent.
Les Mémoires feront adreffés , francs de port ,
avant le premier Novembre , à M. Moyfant , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , ou fous l'enveloppe
de M. l'Intendant .
" L'Académie , qui n'a aucun fonds pour les prix
eft redevable de ceux qu'elle propoſe , à la générofité
de Monfieur Efmangart , Intendant de Caen
à fon zèle pour les Lettres , & à l'attention avec
laquelle il veille aux avantages de la Généralité con
fiée à fes foins.
304
MERCURE
VARIÉTÉ S.-
FRAGMENS SUR L'ARCHITECTURE *.
Le but des Beaux -Arts eft la perfection de l'homme , E
& le plus grand bonheur où il puiffe atteindre. Telle
eft la haute idée que nous nous formons de leur deftination
, que l'Artifte , & le Philofophe qui dirige
l'Artiste , ne doivent jamais perdre de vue. Les Arts
contribuant à procurer à l'homme la ſuprême jouiffance
de fon être , doivent fe mettre au rang des
chofes les plus importantes de la vie , & des plus
dignes des foins du Législateur & du Souverain . Ne
bornons pas les fruits du génie à un agrément frivole.
L'Homme d'État peut en tirer les plus grands avantages
pour le bien de la Société politique ....
C'eft avec raifon que l'on confidère les Arts comme
des troupes auxiliaires dont ne fautoit fe paffer la
fageffe qui veille au bien des hommes . Elle voit ce
* Ces fragmens font extraits des articles ARCHITECTE
& ARCHITECTURE du Dictionnaire des Sciences Politiques
, ( Tome VI , qui n'a pas encore paru ) où les trois
efpèces d'Architecture , la civile , la militaire & la navale ,
font confidérées , non du côté fcientifique , mais du côté
moral & politique ; car , dans cet ouvrage , tout fe rapporte
à l'administration , tout tend à perfectionner les
différentes branches de la bonne police. Nous avons cru
que cet extrait , tout abrégé qu'il eft , pourroit être de
quelque ufage dans un moment où le luxe des bâtimens
eft porté à l'excès , & où la fureur de bâtir femble être
la pamon dominante des riches , & de ceux qui veulent
le parole.
DE FRANCE.
305
que l'homme doit être ; elle trace la route qui conduit
à la perfection & à la félicité qui en eft infépa
rable ; mais elle ne fait pas nous donner les forces
néceffaires pour vaincre les difficultés de ce chemin
fouvent rude & eſcarpé . C'eft l'ouvrage des Arts : ils
applaniffent la route , & la parsèment de fleurs dont
l'odeur agréable attire le Voyageur , & le ranime à chaque pas ...
L'homme de la nature eft un être groffièrement
fenfuel. Le Philofophe des Stoïciens , tel qu'ils l'imaginoient
fans pouvoir jamais le réaliſer , eût été la
raifon toute pure , un être toujours occupé à connoître
, & n'agiffant jamais. L'homme formé par les
Arts tient un jufte milieu entre ces deux extrêmes :
fes goûts & fes plaifirs , ainfi que la fenfualité qui le
caractériſe , fi toutefois on peut dire qu'il eft fenfuel ,
proviennent d'une fenfibilité épurée , de laquelle naît
en lui une activité noble , toujours relative à l'ordre
moral.
Mais les Beaux - Arts peuvent aisément devenir
pernicieux à l'homme. C'est l'arbre du jardin d'Eden
qui porte les fruits du bien & du mal . Ils perdront
l'homme qui en fera un ufage indifcret. Leur énergie
déployée par une main traîtreffe , devient un poifon
mortel. Alors le vice reçoit l'aimable empreinte de
Ja vertu. Il eft donc abfolument indifpenfable de
foumettre l'emploi & l'ufage des Beaux - Arts à la
direction de la raifon . Ils méritent , par leur utilité ,
que la faine politique les encourage efficacement ,"
les foutienne puiffamment , & les répande parmi les
divers ordres des Citoyens ; mais à raiſon de l'abus
dangereux qu'on en peut faire , cette même politique
doit en refferrer l'emploi dans les bornes indiquées
par leur utilité même.
A ne confidérer que les fimples avantages du bon
goût , & les maux qu'entraîne néceffairement un goût
dépravé , une Légiſlation vraiment fage ne devroit ,
3.06 MERCURE
permettre à aucun Particulier de gâter le goût des
Concitoyens , ni par conféquent de bâtir des maifons
, ou de tracer des jardins affez magnifiques , audehors
& au-dedans pour attirer l'attention , fi d'ailleurs
il y règne quelque défaut fenfible de jugement ;
fi l'on y apperçoit , par exemple , des parties ridicules ,
baroques ou extravagantes. Pour cet effet , il devroit
être défendu à tout Artifte d'exercer fon Art avant
d'avoir donné , outre des preuves de fon habileté ,
des preuves toutes particulières de fon jugement , de
l'honnêteté de fon ame & de la droiture de fes intentions.
Le Législateur doit être convaincu qu'il eſt trèsimportant
, non-feulement que les édifices & les monumens
publics , mais aufli tout objet visible travaillé
par les Arts , même mécaniques , portent l'empreinte
du bon goût , de la même manière que l'on
doit veiller à ce que non - feulement l'argent monnoyé
, mais encore la vaiffelle porte la marque de
fon vrai titre. Un fage Magiftrat-ne fe contente pas
de profiter de l'influence des Beaux-Arts pour rendre
plus énergiques & plus avantageufes aux Citoyens,
les réjouiffances , les fêtes publiques & les cérémonies
folennelles ; il a foin même que chaque fête domef
tique , chaque ufage privé conduife au même but &
par la même voie ......
L'Art de l'Architecture remonte à l'origine même
du monde , parce que dès qu'il y a eu des hommes ,
ils ont fongé à fe bâtir & des cabanes & des maiſons
pour fe mettre à couvert des injures de l'air & des
attaques des bêtes féroces. Leurs premières retraites
furent vraisemblablement des antres & des cavernes
qu'ils trouvèrent toutes faites , ou qu'ils fe creusèrent
eux-mêmes. Ces habitations durent bientôt leur paroître
aufli triftes que malfaines. Ils fongèrent à s'en
former d'autres avec des rofeaux , des branches d'arbres
, des feuilles , de la mouffe & des terres graffes
DE FRANCE.. 307
C'eſt de ces commencemens fi groffiers & fi fimples
qu'eft venu cet Art pompeux & fuperbe , qui femble
ajouter encore à l'ouvrage du Créateur , & donner
un nouvel ornement à l'Univers.
C'eft chez les Egyptiens qu'ont paru les premiers
chef-d'oeuvres d'Architecture. Les Grecs les ont imités
& furpaffés. Les Romains ont copié ces derniers ; &
ce font les édifices fuperbes & en tout genre
de ces
trois peuples , c'eft-à-dire , leurs pyramides , leurs
temples , leurs amphithéâtres , leurs obéiifques , leurs
ponts , leurs aqueducs & autres édifices , qui font devenus
les modèles de tous les ouvrages d'Architecture
dont l'Italie , la France & l'Europe entière font décorées
.
La fcience de l'Architecte eft de la plus grande
étendue . Elle comprend , 19 , le deffin , pour tracer
les plans avec la jufteffe & la netteté convenables ;
2º . la Géométrie , pour connoftre l'étendue & la
qualité du terrein fur lequel il a à bâtir , & pour en
tirer le parti convenable ; 3 ° . les Mathématiques ,
pour régler l'efprit de l'Archite &te d'une manière sûre
dans les différentes opérations ; 4° . les règles de
l'optique , afin de pouvoir donner à fes ouvrages
les points de vue & les hauteurs néceffaires ; 5º . l'intelligence
de la coupe des pierres. A toutes ces connoiffances,
il doit joindre un génie inventif , un goût
sûr pour la difpofition & l'arrangement des parties
d'un édifice , un difcernement fin & éclairé pour la
diftribution des ornemens. 6 ° . Enfin , il doit joindre
la probité à la capacité & à l'expérience , pour mériter
la confiance des perfonnes qui font bâtir. Il ne doit
donc pas avilir fon Art , en le regardant uniquement
commie une fource de fortune pour lui. La noble
envie d'être utile à la Société par fon talent , la
gloire qui marche fur les pas des Artiftes qui s'élè
vent au-deffus du commun , le témoignage d'une
bonne confcience lorfque l'on peut le dire , fans
308
MERCURE
mentir à foi-même , que l'on rend à la patrie , par
fon travail , fes lumières , fes moeurs & fon honnêteté
, une jufte compenfation des avantages qu'on en
reçoit ; voilà les motifs qui doivent enflammer l'ame
de l'Architecte , exciter fon émulation , & le porter
à remplir les devoirs de fon état. Ils font plus grands
qu'on ne penfe communément , fur - tout lorsqu'on eft
appelé aux emplois deftinés à cette profeffion . L'Architecte
d'un Prince , d'une Ville , doit répondre au
choix & à la confiance qui l'honorent , par la plus
fcrupuleuse exactitude dans toutes les entrepriſes
dont il eft chargé. Il vole le Prince & la Ville , s'il
les entraîne dans des dépenfes fuperflues . Il ne doit
pas regarder un Palais à conftruire , une Egliſe à
bâtir , un Théâtre à élever , comme une mine à
exploiter. Il doit y employer les meilleurs matériaux
& les meilleurs Ouvriers , fans que l'argent ,
la brigue , la conſidération , la jaloufie ou d'autres
bas intérêts puiffent corrompre fa probité. Si la fupériorité
de fon talent le porte à faire un bel édifice , fa
délicateffe doit lui preferire la plus fcrupuleuse exactitude
dans fes marchés , foit pour l'achat des matériaux
& leur emploi , foit pour le travail des Ouvriers
& la conduite de ce travail , dans les plans & devis ,
dans les rapports , appréciations , arbitrages , & c.
Mais fi , facrifiant l'honneur & la vertu à la cupidité ,
il cherche à rapiner fur tout , fur les achats & fur le
falaire des Ouvriers ; s'il vend fon fuffrage lorsqu'il
eft requis de donner fon avis ; fi , lorsqu'il eft chargé
de tracer des alignemens , foit pour étendre une place ,
redreffer une rue tortueule ou lui donner un débouché
, & c. le rang , la puiffance ou la richeffe d'un
Particulier , ou quelque autre confidération , font
dévier la règle dans fa main , la reculant , l'avançant
ou l'arrêtant au préjudice du bien public ; fi
enfin une baffe rivalité lui fait déprifer des talens
égaux ou fupérieurs aux fiens ; s'il eft avare de fes
DE FRANCE. 309
connoiffances quand on le confulte ; s'il fe fert baffement
de fon crédit & de fa réputation pour nuire à
ceux qu'il jaloufe , c'eft un mauvais Citoyen , un
Artifte dangereux , qui fait plus de tort à la Société
par la corruption de fon coeur d'honneur à
l'Art par fon habileté ....
, que
L'Architecture deviendra un Art extravagant &
nuifibie , toutes les fois que les Artiftes & ceux qui les
emploient , perdront de vue la base de tout Gouver
nernent , les bonnes moeurs. J'aime à voir l'Architecture
élever des arcs de triomphe aux défenfeurs de la
patrie , des pyramides , des obélifques , des tombeaux
aux mânes des Citoyens illuftres qui le font diftingués
par une bienfaifance extraordinaire ; des temples
aux fciences & aux talens . Mais elle me fernble
folle , ridicule , hontcufe même & infâme corruptrice
des bonnes moeurs , lorfqu'elle s'épuife en vains
ornemens pour loger dans un Palais immenfe un petit
étre de cinq pieds , qui , du haut d'un balcon doré ,
infulte à la misère publique . Elle n'eft guères moins
qu'an fléau , lorfqu'elle mine lentement la fanté du
peuple par des maifons mal expofées , mal aërées ,
ou exceffivement élevées ; par des hôpitaux conftruits
au centre des Villes où ils entretiennent la contagion ;
par des rues qui , mal alignées ou fans iffue , s'oppofent
à la libre circulation de l'air. Elle devient une
vexation tyrannique , lorfque , fervant baffement le
luxe & le fafte des Grands , elle s'empare , ou par
violence ou par
ſubtilité , de la demeure des Particuliers
, la détruit & élève fur ſes ruines un fuperbe logement
pour leurs chevaux ou leur meute. N'eft-elle
pas une calamité lorfque des Princes , vainement magnifiques
, furchargent leurs fujets d'impôts , pour
conftruire à grands frais des bâtimens fomptueux ,
monumens orgueilleux de leur vanité & de leur infenfibilité
pour les malheureux qu'ils oppriment ? Ne
craignent- ils point que ces édifices cimentés par la
310 MERCURE
fueur & le fang du peuple , ne leur reprochent à eux
& à leur postérité , qu'ils ont changé en un monceau
de pierres le pain des malheureux ? Les dépenfes que
l'on fait pour les bâtimens publics , fur-tout lorſque
l'on donne plus à la grandeur & à la magnificence
qu'à l'utilité , ne font tolérables que quand elles font
prifes fur le fuperflu réel d'une Nation. Eh ! la Nation
a - t -elle un fuperflu réel , quand un grand nom◄
bre de fes Membres , gens honnêtes , utiles , laborieux
, ont à peine de quoi ne pas mourir de fain
& manquent de moyens pour élever leur famille ?
L'Architecture enfin fe manque à elle - même , lorfqu'elle
facrifie la folidité & la noble fimplicité aux
colifichers ordonnés par le luxe & le mauvais goût ...
ANECDOTE qui prouve l'utilité des
Spectacles. Elle est tirée de la Gazette Angloife
, intitulée: ( The general Advertiſer) .
LE Docteur Barnaby fut un jour appelé
chez un riche Négociant de Londres , qui
avoit un Commis malade d'une fièvre ardente
, à laquelle s'étoit joint le tranſport.
Cejeune homme étoit d'une bonne famille ,
& le Négociant l'aimoit beaucoup . Le Docteur
l'examine , fait les queftions ordinaires ,
apprend que deux jours auparavant il avoit
été à la Comédie , qu'à fon retour il s'étoit
mis au lit , qu'il n'y avoit pas dormi ; & ne
trouvant pas dans toutes ces informations
des lumières fuffifantes , il dreffe fon ordonnance
, & s'en va.
Heureufement il n'étoit pas de ces Mé
DE FRANCE. 311
decins dont l'ame dure & mercenaire fe
borne aux foins matériels dont on les paie ;
il aimoit les hommes , & favoit que parmi
les caufes de nos maladies , les paffions ne
font ni la plus rare ni la moins active. Il fe
fouvint que le jour même dont il étoit queftion
, il avoit été à la Comédie , & qu'on y
avoit donné Barnevelt : il lui vint en conféquence
dans l'efprit que la fièvre du jeune
homme pouvoit être une fuite de l'effet trop
violent qu'il fuppofa que cette Pièce avoit
fait fur lui.
Plein de cette idée , il le revit le lendemain
, & le trouva plus calme , mais dévoré
d'un chagrin profond . Après avoir converfé
quelque tems de chofes indifférentes
il lui demanda fans affectation s'il avoit été
ému de la Pièce qu'il avoit vue. Oh terriblement
! terriblement ! répondit l'infortuné
jeune homme , avec une forte de phrénéfie :
j'ai cru que j'y mourrois. Il n'en fallut pas
davantage pour achever d'éclairer le Docteur
, qui , connoiffant l'humanité du Négociant
, lui fit part à fon tour du fatal fecret
qu'il avoit découvert.
L'avis étoit trop important pour être négligé,
Le Négociant qui le fentit , ne tarda
pas à monter chez fon Commis . Il y prend
le ton le plus obligeant , le plus affectueux ;
il prie le jeune homme de lui ouvrir fon
coeur ; il le conjure de dépofer dans fon fein
des chagrins qu'il aura peut-être le bonheur
de foulager. Ce que je fais , ajoute - t - il , ne
312 MERCURE.
doit pas vous étonner ; ce n'eft qu'une fuite
des égards que mérite votre famille , & de
l'amitié que je n'ai pu refufer à vos bonnes
qualités. Ah ! Monfieur , ne vantez pas mes
qualités s'écria le malheureux Commis
Peut-être , répliqua le Négociant , manquét-
il quelque chofe à la caiffe , ce n'eft pas
un mal fans remède.
O Monfieur ! vous connoiffez mon crime
, & vous avez la bonté de m'en accorder
le pardon ! Eh bien , à cette grâce inelpérée
, daignez donc en joindre une autres
celle d'engager mes parens à m'éloigner de
l'Angleterre. Une liaiſon fatale.... cette liaifon
me fait trembler. Au nom de Dieu ,
faites- moi partir , ou mon abominable maîtreffe
deviendra pour moi une Milwood.
Depuis que j'ai vu Barnevelt , je n'ai pas
fermé l'oeil. Chaque mot de cette Pièce m'a
percé le coeur , & le trouble avec lequel je
l'ai entendue étoit fi grand , que tous ceux
qui étoient auprès de moi l'ont remarqué.
Mais , Dieu foit loué ce trouble même , &
fes fuites épouvantables , m'ont empêché
de vous voler encore la nuit dernière trente
livres fterling. Ah ! Monfieur , je veux partir
; il faut abfolument que je parte !
"?
Cet aveu terrible , & la bonté du Négociant
, ayant un peu foulagé le coeur de l'infortunéCommis
,il obtint de fes parens la permiffion
de partir , il partit, & , felon toutes
les apparences , dut à la Comédie le bonheur
d'avoir évité une finhonteufe. Ceci eft un fait.
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQU I E.
De CONSTANTINOPLE , le 1 Avril.
LE nouveau traité que nous venons de conclure
avec la Ruffie , a été figné le ro du mois
dernier , & échangé le 21 ; le lendemain M. de
Stachiefinvité à faire une vifite au Grand- Vifir
fe rendit chez ce Miniftre , où il fut reçu avec
toutes les cérémonies d'ufage dans les premières
audiences. On lui fit préfent d'un cheval richement
harnaché, & d'une belle péliffe de martre.
Ses deux fils , fon Secrétaire de légation , & fon
premier Interprète , reçurent des péliffes d'hermine.
Cinq autres, Dragomans eurent des
kerchets , & 40 cafetans furent diftribués aux
40 perfonnes qui compofoient fa fuite. Le 25
Ambaffadeur de France invité folemnellement
à faire une femblable vifite , s'en acquita, & fut
reçu de même. Abdoul- Rezack , le Beilikgi-Effendi
qui a fait les fonctions de Secrétaire pen.
dant le tems de la négociation , l'Interprète de la
Porte & fon fils reçurent des péliffes de martre.
Celle de l'Interprète étoit couverte de drap jaune
, couleur la plus diftinguée ici après la verte.
Le nouveau traité confirme dans toute fon étendue
celui de Kainardgi & en éclaircit quelques
articles , dont l'interprétation avoit donné lieu
aux difficultés qui s'étoient élevées. La Ruffie
s'engage à retirer fes troupes de la Crimée dans
25 Mai 1779.
( 314 )
trois mois , à compter du jour de la fignature
du traité , & du Cuban dans 3 mois & 20 jours.
Omer-Effendi vient d'être déposé , & remplacé
dans la dignité de Reis- Effendi par Abdoul-
Rezak , qui lorfqu'il figna le traité , avoit
été déja honoré du titre de Nidfchangi .
Les armemens que la Porte n'a pas difcontinués
jufqu'à-préfent , & dont l'activité faifoit
craindre pour les négociations aujourd'hui terminées
heureufement , avoient un but important
; ils font deſtinés à rétablir l'ordre dans la
Morée où les Albanois continuent de commettre
toutés fortes de ravages. Le Capitan- Bacha
a ordre de fe rendre dans cette péninfule ; il
fera ce voyage par terre , tandis que fon Kiaya
avec 12 vaiffeaux , prendra la même route par
mer afin d'intercepter tous les fecours que les
Rebelles pourroient recevoir de ce côté ; Abdoulah
- Pacha , Seraskier d'Ifmaïl , marchera
en Albanie avec toutes les troupes qu'il a fous
fes ordres .
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 16 Avril.
-
LA Cour s'eft rendue hier à Czarsko . Zelo ;
l'Impératrice en eft partie après avoir diné dans
cette capitale . La Grande Ducheffe dont la
groffeffe eft heureufement avancée , & dont les
couches ne font pas éloignées , s'étoit miſe en
route dès le matin , parce que fon état ne lui
permet que de voyager lentement , & a diné à
Keriki , maifon de plaifance de l'Impératrice ,
à 8 werftes de cette ville .
Plufieurs couriers arrivés fucceffivement de
Mofcou , nous ont appris que la nuit du 24 au 25
dumois dernier, le feu a pris au quartier des Marchands
, où prefque toutes les boutiques & les
marchandifes qui y étoient raflemblées , ont été
la proie des flammes malgré les fecours qu'on y
( 315 )
a portés. On évalue la perte occafionnée par
cet incendie , à 2 ou 3 millions de roubles , &
plus de so perfonnes y ont perdu la vie ; ce n'eft
qu'avec peine qu'on a réuffi à conferver la
Bourfe où les Négocians , tant nationaux qu'étrangers
, ont leurs magafins. On dit que cet
accident n'eft point l'effet du hafard ; mais qu'un
Commis employé dans une des boutiques incendiées,
hors d'état de produire fes comptes , qu'on
lui demandoit , a pris le parti défefpéré de
mettre le feu à la fienne pour ſe tirer d'embarras.
Le 11 de ce mois la rivière s'eft trouvée dégagée
des glaces qui la couvroient depuis 135
jours , & qui fufpendoient la navigation qui vient
de reprendre fon cours.
S. M. I. vient de donner des ordres pour établir
à Aftracan un Mont - de- Piété , qui fera
réuni à la banque de la même ville ; cet établif
fement a pour objet de favorifer les Arméniens
établis dans ce Gouvernement , auxquels là
fuite des Calmouks en 1771 a fait efluyer de
grandes pertes. La banque établie à Mofcou
pour le change des affignations de l'Empire ,
avancera 50,000 roubles , qui formeront le premier
fond de ce nouvel établiffement.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 20 Avril.
ON compte recevoir inceffamment ici la réponſe
définitive de la Cour d'Angleterre , concernant
la conduite que fes vaiffeaux de guerre
& fes armateurs obferveront à l'égard de nos
navires. En attendant , nous avons 4 vaiffeaux
de guerre & 6 frégates , qui doivent mettre à
la voile au commencement du mois prochain.
Le reste de l'efcadre qui eft également prêt ,
fufpendra fon départ jufqu'à nouvel ordre. Le
O 2
( 316 )
Duc de Sudermanie n'en prendra pas le com
mandement , que le Roi vient de donner au
Contre -Amiral Jean-Guillaume Gerdten.S.A.R .
s'y embarquera comme fimple particulier , pour
faire le voyage de Carlfcron à Gothembourg .
Le mécontentement des payfans qui s'étoient
flattés d'obtenir à la Diète la liberté de braffer
de l'eau-de-vie pour l'ufage particulier de
leurs familles , paroit exiger l'attention du Gouvernement
; dans différens endroits , ils ont mal
reçu leurs députés ; quelques - uns de ceux - ci
craignant un traitement pareil de la part de
leurs compatriotes , reftent dans cette capitale.
Il y a eu une émeute en Dalécarlie , où les
payfans ont ufé de violence pour s'emparer des
uftenciles fervant à la diftillation que le Gouvernement
avoit fait faifir. Cette fermentation
a paflé des campagnes dans les villes , où des
brochures anonymes continuent à l'augmenter.
L'Auteur d'un de ces écrits , nommé Haldin ,
a été arrêté , & on lui fait fon procès ; nonfeulement
il ne défavoue point fon ouvrage ;
mais il déclare qu'il n'a fait qu'y configner le
voeu de la nation ; il dit qu'il n'a fait en publiant
fes idées , qu'ufer du droit que lui donnoit la
liberté de la preffe , liberté qui ne feroit qu'illufoire
& nulle , fi le citoyen qui aime fon
pays n'en pouvoit profiter pour indiquer au Gouvernement
les méprifes qui peuvent échapper à
fa fagèffe , lui montrer des maux qu'il ne guérit
point , parce qu'ils lui font fouvent inconnus.
Il paroît que la généralité des fujets de ce
Royaume eft de l'avis de M. Haldin ; il a reçu
bien des encouragemens de la part de fes compatriotes
, & des préfens de fommes confidérables
d'argent. On eft fort curieux de voir quelle
fera l'iffue de cette affaire . On ne croit pas
qu'elle ait des fuites fâcheufes pour l'Ecrivain ;
on connoit la bienfaifance du Roi , fa tolérance
( 317 )
politique & religieufe , & on rappelle à cette
occafion cette anecdote.
» Un jeune homme avec des talens diftingués
pour la Poéfie , s'avifa d'en faire un ufage funefte
, en écrivant quelques fatyres dans lesquelles
le Souverain lui-même n'étoit pas épargné. Le
Prince qui la lut , fit appeller l'Auteur. Vous
avez des talens , lui dit-il , mais vous manquez
des fecours néceffaires pour les perfectionner
& en faire un meilleur emploi ; vous manquez
peut-être auffi de pain. Je vous fais mon Bibliothécaire.
Cet emploi fournira à vos befoin phy.
fiques & moraux. Le jeune Poëte pénétré de
reconnoiffance , n'écrivit plus que pour la célébrer
. Ces nouveaux ouvrages lui méritèrent
une nouvelle grace du Roi, qui le fit fon Lecteur.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 30 Avril.
LE Baron de Lehrbach vient de partir pour
Ratisbonne , où il va remplir les fonctions de
co-Commiffaire Impérial de l'Empereur . Les talens
qu'il a montrés dans plufieurs négociations ,
dont il s'eft acquitté à la fatisfaction de l'Empereur
, l'ont fait nommer à cet emploi . S. M. I.
lui a fait préfent d'un attelage de huit chevaux
choifis dans les écuries de la Cour , & avec lefquels
il doit faire fon entrée publique à Ratisbonne.
Comme la fanté du Général d'Elrichshaufen
eft fort dérangée , l'Empereur lui a permis d'aller
prendre les eaux de Spa ; il a bien voulu lui
accorder en même-tems une fomme de 10,000
florins , à prendre fur la Caiffe Militaire , pour
les frais de fon voyage .
Il eft arrivé ici , par le Danube , plufieurs millions
d'efpèces qui ont été envoyés des Pays-Bas,
& qui ont été remis fur-le -champ au tréfor Royal.
03
( 318 )
On mande de Presbourg que le 6 de ce mois
à 2 heures après- midi , on reffentit , pour la fe
conde fois , à Homonna , un tremblement de
terre qui dura 6 à 7 fecondes. Les crevaffes
faites aux murailles par le premier , ont été
confidérablement aggrandies par celui-ci , qui
y en a fait de nouvelles. L'air ce jour-là étoit
fort épais , fur-tout du côté des montagnes
dont on ne pouvoit voir le fommet : comme il
n'eft pas devenu plus férein , les allarmes continuent
, & on craint quelques nouvelles fe
couffes.
De HAMBOURG , les Mai.
LES nouvelles publiques depuis le commen
cement des négociations qui fe font à Tef
chen , ont préſenté jufqu'à préfent la paix d'Allemagne
comme très - incertaine ou du moins
très -éloignée . Une lettre de Prague , du 19 du
mois dernier , annonçoit au moins une grande
fluctuation fur cet objet important. » On ne fait
pas encore , y diſoit -on , fi la paix fe fera ou fi
la guerre continuera . Hier nous avons reçu un
ordre du Commandant - Général de l'armée ,
conçu en ces termes : Comme les circonftances
actuelles font encore trop obfcures pour pouvoir
rien déterminer de certain , l'Empereur a ordonné
que toutes les troupes faffent les difpofitions néceffaires
pour r'ouvrir la campagne le 28 de ce mois ,
fans aucun délai. Cet ordre a été réitéré aujourd'hui
; les préparatifs pour la guerre font plus
grands que jamais , & on craint que fi la paix
a lieu préfentement , elle ne foit pas de durée ;
car tout l'attirail pour l'armée qui nous eft venu
de Vienne & d'ailleurs , refte ici pour être toujours
prêt au befoin « .
Les nouvelles du jour font plus favorables.
Elles annoncent toutes la paix prochaine : l'ar(
319 )
miftice qui devoit finir le 28 du mois dernier ,
a été prolongé jufqu'à la conclufion effective de
la paix. Le papiers de Vienne difent que ç'a
été à la follicitation des Pruffiens ; ceux de
Breflau affurent que les Cours médiatrices ont
feules propofé cette prolongation. Quoiqu'il
en foit , elle exifte ; & on alieu d'efpérer que
les armes ne feront pas repriſes .
» Les Plénipotentiaires refpectifs affemblés
à Tefchen , écrit - on de Breilau , ont achevé
de régler tous les principaux articles de la pacification.
La publication ne tient plus qu'à quelques
points acceffoires ou a des formalités telles
que la garantie , la ratification , l'échange
des traités. Il eft certain que le premier obſtacle
qui a retardé la négociation a confifté dans la
difficulté de mettre la Saxe & la Bavière d'accord
fur la fomme à payer par la dernière à l'au
tre. Lorsque ce point a été réglé , il s'eft élevé
un nouveau fujet de difcuffion. Le Roi de Pruffe
a demandé que la Maifon d'Autriche fut garante
du traité entre les deux Electeurs ; cependant
, au moyen de quelques tempéramens ,
les Miniftres médiateurs font parvenus a appla
nir cet obftacle ; il s'en eft élevé enfuite un troifième.
Le Duc de Deux - Ponts eft intervenu ,
& a demandé une penfion pour foutenir avec
plus de dignité fon titre d'héritier préfomptif
tant de la Bavière que des autres Etats de la
Maifon Palatine. Cette prétention n'a , dit- on ,
pas été appuyée, & on croit que ce Prince , s'en
étant défifté , la paix n'éprouvera plus de retard.
Il s'agit à préfent de convenir des termes
du payement de la fomme de quatre millions
d'écus ou 6 millions de florins que l'Electeur Palatin
doit payer à l'Electeur de Saxe : on prétend
que ce payement fe fera en 12 ans . Peut-être les
termes feront- ils moins longs , fi , comme on
le prétend , le revenu des pays que la Cour de
04
( 320 )
"
Vienne doit reftituer à la Cour Palatine , fuffifent
pour faire cette fomme en 3 ans de tems «<<.
Selon d'autres lettres le traité eft figné, & on
s'occupe actuellement à le rédiger. Quelquesuns
prétendent qu'il l'auroit été plutôt , s'il ne
s'étoit élevé quelques débats au fujet des termes
de la garantie demandée aux deux Puiffances
médiatrices pour en affurer la pleine & entière
exécution dans tous les tems . En terminant une
guerre , on voit trop fouvent dans les traités
des omiffions qui peuvent fervir de prétexte
aux Puiffances contractantes de la renouveller
lorfqu'elles pourront le faire avec avantage ; &
on defire ne laiffer aucun de ces prétextes dans
le traité qu'on vient de conclure , ou qu'on va
conclure inceffamment. S'il faut en croire des
avis de Vienne , l'Ambaffadeur de France y eft
attendu de retour de Tefchen dans 10 à 12 jours.
» Les Généraux Pruffiens , à Braunau & à.
Landshut , écrit-on de Siléfie , ont fait circuler.
par ordre du Roi des billets , pour avertir les
habitans de Bohême qui manquent du bled néceffaire
pour enfemencer leurs terres , qu'ils
peuvent en venir prendre dans les magalins du
Roi , en promettant fimplement de le rendre
lorfqu'ils feront en état. Cet acte d'humanité a
répandu la joie parmi ces malheureux habitans ,
dont un grand nombre périffoit de misère & de
maladie ; & qui ont vu avec une furpriſe égale
à leur reconnoiffance , ceux qui n'aguère étoient
leurs ennemis , s'empreffer de leur procurer les
fecours & la fubſiſtance dont ils ont befoin « .
ITALIE.
De RoME, le 25 Avril.
LE Pape eft actuellement rétabli de la maladie
qui a fait craindre pour les jours ; aux
( 321 )
prières que le Peuple avoit faites pour fa guérifon
, ont fuccédé celles qu'il fait actuellement
pour remercier le Ciel d'avoir confervé
les jours du Souverain Pontife.
Ce n'eft pas en Allemagne feulement que
les prétendans à la fucceffion de Bavière fe
font multipliés . Nous apprenons qu'à Bologne
les Maifons Pallavicini & Cambiafo forment
une prétention d'un million de florins fur cette
fucceffion ; elles viennent de la faire préfenter,
de concert par le Mandataire , à la Cour de
Munich.
Les lettres de Naples portent que le Roi ,.
par un Edit envoyé à toutes les Garnifons &
aux Juges de ce Royaume , a ordonné de
prendre une note exacte de tous les bois
qu'il y a dans chaque Province . Ces notes détaillées
doivent contenir la quantité des arbres ,
diftinguer leur qualité , leur eſpèce , leur groffeur
, & défigner les noms de leurs propriétaires.
L'objet de cet Edit eft de faciliter les
approvifionnemens de bois néceflaires pour le
fervice de la Marine .
» Le vaiffeau de guerre le S. Jean-Baptifte ,
écrit-on de Lisbonne , eft prêt à fortir du Tage
au premier bon vent. On a doublé fon équipage
, & on y a embarqué deux Compagnies
d'infanterie & deux d'Artillerie ; ce na
vire fera fuivi inceffamment d'un autre vaiffeau
de 64 canons &: de trois bâtimens de tranfport
, avec 6 Compagnies d'Infanterie & d'Artillerie
. Ces forces font deftinées pour l'Ifle du
Prince , voifine de celle de Fernando- del - Po ,
pour effectuer la remife de ces établiſſemens
à l'Espagne , conformément au dernier Traité
de paix avec la Cour de Madrid , à laquelle
les habitans ont fait difficulté de fe foumettre .
En vertu d'un décret de la Reine , ajoute la
même lettre , le Tribunal de la Relation a
05
( 322 )
jugé le procès criminel intenté à Don Manuel
Saldanha de Albuquerque , Comte d'Ega,
après un examen rigoureux de tous les chefs
d'accufation , fait par un Comité des principaux
Membres de ce Tribunal , avec le Défembargador
Fifcal du département des Finances
d'outre-mer , il a été déclaré innocent ; la
Sentence rendue eft très-honorable pour l'accufé
, puifqu'elle porte que dans fon adminiftration
il a manifefté la plus grande fidélité & le
plus grand zèle pour le fervice du Roi , &
qu'il a montré la juftice & l'intégrité les plus
louables dans toutes les parties de fes fonctions
de Gouverneur des Indes «<,
De LIVOURN E › le 30 Avril.
ON a conduit dans les prifons de Florence
le nommé Antoine Capreta de Venife ; il a été
amené d'Allemagne par des foldats de police
de Vienne ; c'eft un de ces falfificateurs de
lettres-de-change que l'on a arrêtés en Hongrie
: on croit que c'eft le même qui,fous le nom
de Pierre Regis, en tira une , il y a quelque
tems , fur M. Jacob de Prado , à Âmſterdam
.
» Les Etats de Maroc , écrit- on de Gibraltar
offrent , fous le règne actuel , un tableau
frappant des effets du defpotifme & de l'avihiffement
des fujets : ce ne font que des révoltes
& des fupplices qui fe fuccèdent. On
apprend de Tétuan que le 20 du mois dernier
les Maures de la garnifon de Tanger fe foulevèrent
& fe rendirent maîtres des portes &
de la place ; ils coupèrent la tête & les pieds
à l'Officier qui en avoit la garde , parce qu'il
refufa de les leur remettre. Après avoir forcé
les troupes blanches à fe joindre à eux , ils
publièrent une proclamation pour abolir tous
( 323 )
les impôts ; ils ouvrirent les prifons , relâchèrent
les malfaiteurs , & commirent beaucoup
d'autres défordres. Les Alcaïdes Ben -Abdimelek
& Shek , nommés par le Prince Maure ,
pour veiller à la tranquillité publique à Tanger
, & pour maintenir la difcipline parmi ces
troupes , fe rendirent aux portes dont elles
s'étoient emparées ; les rebelles firent feu fur
eux , & les contraignirent de fe fauver à toute
bride jufqu'à Arzilla. Reftés maîtres de la
place , ils pillèrent les maifons des deux Alcaïdes
; ils trouvèrent dans celle du premier
trois mille piaftres en argent , différens meubles
& autres effets de prix . Le foir , les fuites
de leurs crimes commencèrent à les épouvanter
; rentrés en eux-mêmes , & craignant
les fupplices qu'ils avoient mérités , ils implorèrent
l'interceffion du Cadi de la Ville pour
obtenir leur pardon. Ce Magiftrat refufa de
fe mêler de folliciter pour eux jufqu'à ce qu'ils
lui euffent remis eux - mêmes 150 des principaux
chefs de la révolte , qui feront fans
doute punis rigoureufement. La révolte qui a
eu lieu à Mequinez , eft appaiſée ; le Prince
de Guiazguid eft toujours en prifon , où l'ordre
de ne lui donner aucun aliment n'eft pas obfervé.
Son frère le Prince Abderame eft auffi
dans les fers ; il a trempé dans la confpiration
faite par le premier contre leur père , qui a
déjà fait mourir un grand nombre de ceux
qui avoient favorifé fes fils «.
Selon d'autres lettres , le Roi de Maroc a
jugé à propos de nommer un Conful , qui fera
chargé des affaires de toutes les Nations Européennes
qui font le commerce dans fes Etats
& qui n'ont point de Confuls . Il a revêtu de
cette Commision M. Etienne d'Audibert , Négociant
François & lui a permis d'arborer
en cette qualité la bannière de paix fur fa
maiſon. 06
( 324 )
ANGLETERRE .
De LONDRES , le 10 Mai.
L'AMIRAL Gambier , parti de New-Yorck
le cinq du mois dernier , à bord de l'Ardent
, fuivi de deux frégates , & arrivé le 25
en 20 jours de traverfée , n'a point apporté de
nouvelles de l'Amérique Septentrionale. Un
Aide - de - Camp du Général Clinton , qui eft
revenu avec lui a remis des dépêches à la
Cour , & l'on efpéroit qu'elles fourniroient la
matière d'une gazette extraordinaire ; mais depuis
quinze jours cette efpérance eſt évanouie .
Tout ce que l'on a daigné nous apprendre
c'eft que les corfaires armés à New-Yorck font
au nombre de 121 , qui employent 1976 canons
& 9680 hommes. Les prifes qu'ils ont faites
depuis le commencement des repréfailles ne
vont pas à moins de 165 ; mais ces liftes , quand
elles ne feroient pas exagérées , prouveroient
feulement que les particuliers font avec fuccès
la petite guerre ; elles ne prouvent pas que la
Nation la faffe auffi heureufement. » Ce que
l'on voit en Europe , dit un de nos papiers , nous
peut donner une idée jufte des opérations en
Amérique ; & les prifes fi vantées que font nos
corfaires ne rendent pas notre fituation moins
malheureuſe & moins défefpérante . Le Gouvernement
ne participe pas aux richeffes que
nos armateurs amènent journellement dans nos
Ports ; s'il y prend quelque part , c'eſt par des
emprunts. Le nombre de ces armateurs , qui
monte à plus de 340 navires , employe au-delà
de 11000 matelots ; le numéraire immenfe qui
fe trouve par-là entre les mains des particuliers,
les met en état de faire la loi au Gouvernement
qui eft obéré , & l'Etat ſe ruine à me(
325 )
fure que les particuliers s'enrichiffent tant par
les prifes qu'ils font fur l'ennemi , que par les
marchés qu'ils forcent l'adminiſtration à faire
avec eux . En obfervant avec attention cette
différence entre la fituation de l'Etat & celle
des Sujets , on y trouvera la raifon de la grande
cupidité & du peu d'union qui règnent entre
les membres gouvernans & gouvernés des
trois Royaumes «.
Le filence de la Cour fur les dépêches du
Général Clinton ne paroît pas d'un bon augure
; il prouve au moins que le 4 Avril dernier
on n'avoit aucune nouvelle à New-Yorck
de ce qui fe paffe dans la Géorgie . Depuis
l'avantage remporté le 3 Mars dernier , il s'eft
écoulé deux mois fans qu'on fache fi l'on a pu
en profiter. Quelques avis particuliers rabaiffent
beaucoup cet avantage , qui fe réduit à la défaite
d'un corps ramaffé à la hâte , fous les or
dres de chefs peu expérimentés , & non point
fous ceux du Général Lincoln , qui a auprès de
lui les principales forces Américaines , qui n'ont
point encore été entamées . Le climat brûlant de
la Géorgie , l'air mal-fain qu'on y refpire , parce
qu'elle eft couverte de bois & de marais , ont
caufé , felon ces avis , des maladies contagieufes
qui font de grands ravages parmi les troupes
; & l'on craint toujours que s'il n'eft pas fecouru
à temps , il n'éprouve un fort femblable à
celui de M. Burgoyne.
On n'eft pas moins inquiet fur le compte de
nos troupes & de notre flotte à Sainte - Lucie ;
le bâtiment l'Elifabeth , arrivé de Saint- Chrif
tophe à Briſtol en so jours de traverfée , a
rapporté que le Comte d'Eftaing eft toujours."
à la Martinique avec fon Eſcadre , où il a
été joint par les fix vaiffeaux de guerre , conduits
par M. de Graffe , ce qui porte fes forces
à 18 vaiffeaux de ligne ; il a eu encore l'a(
326 )
vantage de voir arriver un convoi de 80 vaiſ.
feaux marchands ou de tranfport , qui ont
échappé à l'Amiral Byron , & qui ont porté à la
Martinique toutes fortes d'approvifionnemens
dont elle ne manquoit cependant pas , puifqu'elle
a la facilité de tirer de Saint- Euftache
tout ce dont elle a befoin ; la flotte Angloife
, quoique fupérieure , n'a pu réuffir à
couper la communication qui exiſte entre ces
deux Ifles .
Notre fituation n'eft pas plus favorable aux
Antilles que fur le Continent ; nous ignorons
quand elle pourra devenir meilleure . Il étoit
d'une néceffité indifpenfable de renforcer le
Général Clinton à New-Yorck , pour le mettre
en état de s'y foutenir , & de faire paffer
des fecours au Général Prevoft dans la Géorgie
; l'Amiral Arbuthnot , chargé de lui mener
des troupes , de remplacer l'Amiral Gamby
fur ces mers , étoit parti le i de ce mois ;
un évènement imprévu l'a arrêté en commençant
fon voyage , qu'il étoit fi important de
hâter. L'Amirauté en a reçu , le 4 de ce mois "
ane lettre en date du 2 portant qu'ayant
hêlé le matin , un peu à l'ouest de l'Ile de
Wight , un bâtiment de Jerfey , il avoit appris
qu'une flotte Françoife des vaiffeaux de
ligne & de so bâtimens de tranfport , s'étant
montrée inopinément à la hauteur de cette
Ifle le 29 Avril , y avoit débarqué un corps
de 2000 hommes ; que fur cet avis il s'étoit
d'abord déterminé , fans attendre de nouveaux
ordres , à fe porter fans délai au fecours de
' Ifle attaquée . Nous favons aujourd'hui que
cette expédition des François n'a été que projettée
, que les vents contraires fe font oppofés
à fon exécution , & que le i de ce mois
les troupes qui s'en étoient chargées étoient
rentrées à Saint-Malo . Il n'y a pas d'apparence
I
( 327 )
qu'elles la tentent de nouveau , à préfent furtout
que nous fommes prévenus , & que nous
allons nous hâter de mettre cette Ifle en état
de défenſe ; mais le projet a toujours produit
un grand effet ; il a retardé le voyage de
l'Amiral Arbuthnot ; les forces qu'il conduit en
Amérique , où l'on en a un befoin fi preffant ,
n'arriveront pas avant le mois d'Août ; il fera
trop tard alors de faire quelque chofe ; c'eſt
encore une campagne de manquée : fi nous ne
fubiffons que ce malheur , & cela fans aucun
fruit , puifqu'il n'aura pas même fauvé Jerſey ,
qui étoit déja fauvée fans fon fecours.
La répartition des troupes qui doivent agir
cette année en Amérique , & qui vraisemblablement
y feront peu de chofes , eft la fuivante.
5000 hommes dans les Indes Occidentales
12,000 dans la Géorgie & les Carolines , 3000
dans le Canada , 1000 dans le New-Foundland
& la Nouvelle-Ecoffe , 7500 de troupes régu
lières , & 6000 de troupes provinciales dans la
Nouvelle-Yorck ; total 34,500 hommes.
La flotte affemblée à Spithead confiſte à préfent
en 3 vaiffeaux de 100 canons , 4 de 90 , I
de 80 , 13 de 74 , 2 de 64 , en tout 23 non compris
les frégates . On ne parle point encore de
l'Amiral qui doit en prendre le commandement
; l'Amiral Hardy , dont on s'eft empreffé
d'annoncer la mort , & qui en effet a été trèsmal
, vit encore ; on efpère même qu'il fe rétablira
; mais on ignore s'il fera en état de
s'embarquer ; on croit que l'Amiral Keppel ne
refufera pas de prendre de nouveau ce commandement
; il a reçu une lettre de l'Amirauté
qui lui demande fi l'état de fa fanté lui permet
de continuer à fervir fur mer : il n'y a
point encore répondu ; mais comme il a déclaré
en plein Parlement qu'il étoit bien éloigné
de vouloir refter dans l'inaction , pendant
( 328 )
que fa patrie auroit befoin de fes fervices
on préfume qu'il ne les refufera pas dans cette
occafion. » La Nation , dit un de nos papiers ,
n'a pas partagé l'ingratitude de l'adminiftration
, elle lui en a donné des preuves ; elle
mérite qu'il ne lui faffe pas fubir la peine d'un
crime qui lui eft étranger & pour lequel
elle a fuffifamment témoigné fon horreur « .
Le procès du Vice- Amiral fir Hugh Pallifer
eft fini ; il a eu l'effet qu'on en avoit
prévu d'abord , lorfqu'au nombre de fes juges
on avoit vu nommer fon propre neveu & 4
témoins entendus dans le procès de l'Amiral
Keppel , & qui avoient dépofé contre lui. Le
procès du Vice - Amiral avoit été bien jugé ,
forfqu'on l'avoit regardé comme un procès pour
rire . Les témoins entendus à fa charge , ättef
toient tous qu'il avoit défobéi aux fignaux ; ceux
qui l'ont été à fa décharge , ont déposé qu'il
étoit hors d'état d'obéir : le réfultat de ces dernières
dépofitions donnoit lieu à deux queſtions
1°. Pourquoi le Vice -Amiral n'a- t'il pas détaché
un bateau pour informer l'Amiral de fa fituation
? 2 °. Pourquoi n'a-t'il pas tranſporté fon
pavillon à bord d'un autre vaiffeau en état de
manoeuvrer ? Il a répondu à ces queftions dans.
un fupplément de défenfe , tendant à prouver
qu'il n'eft point de loi de tranfporter fon pavillon
d'un bord à l'autre , & qu'il a eu raifon
de ne le pas faire , puifque le combat étoit fini ;
qu'il voyoit qu'on ne le renouvelleroit pas le
même foir , puifqu'il étoit trop tard , & que les
dommages de fon vaiffeau feroient réparés le
lendemain. Quant à ce qu'il n'avoit pas inftruit
l'Amiral de fa fituation , if a dit qu'il ne l'avoit
pu n'ayant point de frégates. Le Confeil s'étant
affemblé , le 5 Mai , a prononcé , après de longs
débats , le Jugement fuivant : » Les minutes du
Confeil de guerre , tenu au fujet de l'Amiral
( 329 )
Keppel , ayant été communiquées à la Cour ,
& ayant remarqué dans icelles plufieurs faits re
latifs à la conduite qu'a tenue le Vice-Amiral
fir Hugh Pallifer , les 27 & 28 Juillet dernier ,
lefquels faits demandoient un ftrict examen ; la
Cour ayant de plus entendu des témoins, férieufement
& mûrement confidéré le tout , eft d'avis
, que la conduite que le Vice -Amiral de
l'efcadre bleue a tenue , les deux jours ci -deſſus
mentionnés , a été en beaucoup de cas extrêmement
méritoire & exemplaire ; en même-tems
nous croyons le Vice-Amiral repréhensible en
ce qu'il n'a pas informé l'Amiral comniandant
en chef, de l'état de détreffe où il fe trouvoit ;
ce qu'il pouvoit faire , foit par l'entremife du
Fox , foit par d'autres moyens qu'il avoit en fon
pouvoir. En conféquence , ne penfant pas qu'il
ait mérité d'être cenfuré à d'autres égards , la
Cour l'acquitte , & il eft par la préfente acquitté
en conféquence «. Ce Jugement n'acquitte affurément
pas honorablement l'accufé , qui n'a pu
recevoir les honneurs que lui préparoient fes
partifans , pour faire le pendant de ceux que les
amis de l'Amiral Keppel lui rendirent en pareille
circonftance .
On n'a pas manqué de rappeller à l'occafionde
ce Jugement , un mot de l'Amiral Keppel ,
qui , dans la féance des Communes , du 19 du
mois dernier , répondit aux réflexions un peu
amères que M. Fox fe permit fur les Membres
du Confeil de guerre affemblé pour juger
fir Hugh Pallifer ; » L'équité & la difcrétion
>> ne nous permettent pas de les juger avant
» qu'ils n'aient prononcé leur Jugement eux-
>> mêmes dans celui qu'on attend d'eux , & qui
» ne peut tarder «.
Cette féance orageufe , ainfi que celles qui
la fuivirent , avoit pour objet de folliciter la
retraite du Comte de Sandwich , qui ne fut
( 330 )
pas attaqué moins vivement dans la Chambre
haute par le Comte de Briſtol ; mais avec auffi
peu de fuccès. Parmi les Pairs qui votèrent
contre ce miniftre , on compte les Ducs de Glocefter
& de Cumberland , freres du Roi ; ils
étoient en tout au nombre de 39. Lorfque leur
propofition fut rejettée , 25 proteſtèrent contre
La décifion de la pluralité. Le 25 , Mylord Brif
tol y ajouta les articles fuivans : >> Ayant fait
la motion à laquelle fe rapporte la proteftation
ci-deffus , je crois de mon devoir d'inftruire la
poftérité des motifs particuliers qui m'ont porté
à la faire.
1º. Parce qu'il a été accordé depuis l'année 1771
une fomme de 6 millions 917 mille liv. ft. s ch. &
un quart denier pour le département naval plus.
qu'il n'a été accordé dans un nombre égal d'années
depuis 1751 jufqu'en 1759 pour l'ufage de la marine
, quoique dans ce période de tems nous ayons
cu 4 années de guerre avec la France,
2º. Parce qu'il eft conftaté que la marine Angloife
eft au-deffous de l'érat où elle ſe trouvoit
en 1771 , lorfque le premier Commiffaire actuel fur
placé à la tête de l'Amirauté , nonobftant les fommes
immenfes accordées depuis ce tems pour le
maintien & l'accroiffement de ce département.
39. Parce qu'il paroît qu'après avoir reçu des
informations réitérées , comme l'on convient de
les avoir reçues depuis le 3 Janvier juſqu'au 27
Avril , touchant l'équipement & les progrès de
l'efcadre de Toulon , jufqu'à ce qu'elle fit voile le
13 Avril 1778 ; c'étoit expofer la flotte , ainfi que
l'armée d'Angleterre , employées alors en Amérique,
à des forces Françoifes grandement fupérieures ,
que de n'avoir pas envoyé une efcadre dans la Méditerranée
, pour veiller aux mouvemens de cette
efcadre Françoife , & pour tâcher de lui intercepter
le paffage du Détroit , ainfi que de n'avoir pas envoyé
de renfort au Vice-Amiral Howe , ou même
( 331 )
de n'avoir pas dépêché le Vice-Amiral Byron avant
le 9 Juin 1778.
4. Parce qu'il paroît que l'envoi de l'Amiral
Keppel à la hauteur de Breft le 13 Juin avec 20
vailleaux de ligne , tandis que les Seigneurs de l'Amirauté
favoient , ou du moins devoient favoir ,
que la flotte qui fe trouvoit à Breft & s'apprêtoit
pour mettre en mer , confiftoit en 32 vaiffeaux de
ligne , outre un grand nombre de groffes frégates ,
auroit pu produire les fuites les plus fatales aux
feules forces maritimes de quelque confidération ,
que ce Royaume avoit alors prêtes pour fa protection
, ainfi qu'an commerce & même aux ports
de ce pays ; & que , fi l'Amiral Keppel eût resté
avec les 20 vaiffeaux de ligne à la hauteur de
Breft , il eût dû avec ces 20 vaiffeaux combattre
la flotte Françoife de 30 vaiffeaux de ligne , qui
fir voile le 8 Juillet , attendu que l'Amiral Keppel.
ne put pas fe procurer du renfort , pas même de
quatre vaiffeaux , pour le joindre avant le Juil
let , quoiqu'il fût alors à Sainte- Hélène pour l'attendre.
>
5. Parce qu'il paroît que nous avons perdu
cette poffeffion précieuſe , l'ifle de la Dominique
manque d'y avoir envoyé un renfort à tems &
des inftructions convenables à l'Amiral Barrington
.
6. Parce que , faute d'avoir envoyé la plus
petite force navale à la côte d'Afrique , nous avons
auffi perdu l'établiffement précieux du Sénégal , qui
pourroit avoir fourni avec le tems , par une attention
convenable , de nouveaux débouchés pour nos
manufactures dépériffantes .
7 ° . Parce qu'il paroît que la conduite de l'Amirauté
, en ordonnant avec tant de précipitation ,
& fans aucune délibération convenable , la tenue
d'un confeil de guerre , pour juger un Commandant
en chef d'un haut rang & d'un tel caractère ,
comme celui que l'Amiral Keppel poffède dans la
( 332 )
marine de Sa Majefté , tendoit à fruftrer la falu
taire intention de ce pouvoir de difcrétion
que la Conftitution a placé dans les mains des
Seigneurs Commillaires , établis pour exercer la
chatge de Grand-Amiral de la Grande-Bretagne ;
pouvoir au moyen duquel toutes accufations malicieufes
& mal- fondées , préfentées par qui que ce
foit , peuvent être évitées , ainfi que l'union & la
bonne difcipline dans le fervice préservées de toute
interruption.
Tous nos Papiers publics fe font empreffés
d'annoncer qu'il étoit arrivé quatre vaiffeaux de
guerre Ruffes aux dunes , & ils n'ont pas manqué
d'ajouter qu'ils faifoient partie des fecours
que l'Impératrice devoit nous envoyer , que
bientôt on verroit arriver huit autres vaiffeaux .
On adopta avidement cette affurance , fans fonger
à ce qui fe paffe à Conftantinople entre la
Cour de Verſailles & de Pétersbourg , & à la
bonne harmonie avec laquelle elles travaillent
actuellement à la paix d'Allemagne , ' lorfque la
lettre fuivante de Boulogne a détruit ce beau
rêve. » Il eft arrivé , le 20 Avril , une flottille
Ruffe venant de Livourne , compofée de fix
frégates ; les deux plus légères font venues
mouiller près de Calais , à la rade , pendant que
les quatre autres font allé mouiller à la rade
de Deal en Angleterre . Cette flottille eft venue
, fuivant les ordres de l'Impératrice de
Ruffie , pour prendre la Ducheffe de Kingſton
qui doit fe rendre à Pétersbourg pour y paffer.
l'été. Les vents orageux qu'il a fait ont retardé
le départ de la Ducheffe , qui s'eft embarquée
le 3 Mai , fur le vaiffeau de l'Amiral , qui eft
venu avec fes quatre vaiffeaux à fa rencontre à
la rade de Calais .
Nos Papiers ne ceffent de varier fur les..
difpofitions de l'Efpagne ; après avoir affuré
qu'elle étoit décidée à garder la neutralité , ils
( 333 )
difent aujourd'hui qu'elle s'occupe fortement à
faire notre paix avec la France . Voici les conditions
principales que l'on propofe : l'Angleterre
reconnoitra l'indépendance des EtatsUnis ;
la France renoncera à ſon alliance avec ces derniers
; mais les Américains feront libres de faire
des traités de commerce avec elle , comme avec
toutes les autres Puiffances de l'Europe . Il n'eft
pas sûr encore que ces propofitions foient adoptées
; il ne l'eft pas même qu'elles aient été faites
on fent le beſoin de la paix , & cette néceffité
fait rêver tous les moyens de la procurer.
Pendant que nous avons la guerre au- dehors
nous n'éprouvons pas beaucoup de tranquillité
dans l'intérieur . L'Irlande que nous nous obftinons
à mécontenter , nous donne de juftes inquiétudes.
La Bourgeoisie de Dublin , dans une
affemblée tenue il y a peu de tems , a arrêté
de ceffer , à compter du premier de ce mois ,
toute importation de manufactures ou de marchandifes
de laine fabriquées à Mancheſter ou
dans toute autre ville d'Angleterre. Cet acte
rappelle celui de la non- importation en Amérique
, qui a précédé la guerre que nous faifons
fur le continent , & il eft à craindre qu'il n'en ·
entraîne une nouvelle en Europe.
On n'eft pas plus tranquille en Ecoffe , où les
troubles renaiffent fans cefle : » Un parti de 45
montagnards , écrit - on d'Edimbourg , deſtinés à
recruter le 42e & le 71e régimens , étant en marche
pour fe rendre à Leith , où il devoit s'embarquer
pour l'Amérique , il fe répandit un bruit que ces
recrues ne ferviroient pas dans le corps de montagnards
pour lequel ils étoient enrôlés ; d'après ce
rapport , ces gens refafèrent de s'embarquer ; le
Gouverneur du château d'Edimbourg en étant informé
, envoya
à Leith un parti de 200 hommes
commandés par un Major , 3 Capitaines & 6 Offciers
fubalternes «<.
( 334 )
» Le parti étant arrivé trouva les 45 mutins
adoffés contre un mur en face du quai , ayant la
bayonnette au bout du fufil ; le Major n'imaginant
pas qu'un fi petit nombre d'hommes pût effectivement
oppofer de la réfiftauce , forma un cordon
pour les envelopper , afin qu'il n'en échappât aucun
; enfuite it s'approcha d'eux , leur notifia les
ordres dont il étoit chargé , & leur repréſenta
combien il feroit infenfé de faire de la réfiltance
pendant ce tems-là , un fergent ayant remarqué
qu'un des mutins cherchoit à s'échapper ,
le faifit au collet , & en reçut deux coups de bayonnette
; un autre fergent fut bleflé d'un coup de fufil ;
alors l'action devint générale ; on fit feu de Part &
d'autre ; le Capitaine Mansfield fut tué à la première
charge , 2 foldats furent tués à la ſeconde ,
& plufieurs furent bleffés , quelques uns même
moriellement. On croit que du côté des mutins
15 ont été tués & environ 20 bleſſés ; on s'afſura
du refte & même des bleffés , qui font actuellement
dans les prifons du château.
·
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie , les Mars. Nous n'avons
point de nouvelles récentes de la Géorgie , où
nos ennemis ont fait d'abord des progrès , &
dont nous espérons que les avantages ne fe
foutiendront pas. Les feuls détails que nous
avons reçus ne vont pas plus loin qu'au 4 du
mois dernier , date de la lettre fuivante du
Brigadier-Général Moultrie au Général Lincoln
; il étoit à Beaufort , à 60 milles de
Charles Town , dans la Caroline Méridionale .
» Je vous écrivis il y a quelques jours du camp du
Général Bull ; pendant que j'y étois la milice me
pria de paffer la rivière avec elle ; le lendemain matin
ayant laiffé un corps de troupes fuffifant pour la
garde de notre camp , nous fallâmes l'eau , & le
( 335 )
où
foir nous étions environ 230 hommes de l'autre
côté ; nous nous mîmes immédiatement en marche
& nous continuâmes jufqu'à un mille de Beaufort ;
là je fis prendre aux troupes quelques heures de repos
, enfuite nous prîmes le chemin de la ville ,
nous entrâmes le lendemain au lever du foleil. Ayant
ordonné aux troupes de fe rendre à leurs quartiers ,
& ayant pris moi - même un peu de repos , je montai
à cheval avec le Général Bull & deux ou trois autres
Officiers pour aller voir le fort ; à peine y étionsnous
arrivés qu'un exprès nous informa que l'ennemi
marchoit à Beaufort , dont il n'étoit pas éloigné de
plus de milles ; je priai le Général Bull de galoper
vers la ville & d'en retirer les troupes ; je le
Tuivis & les trouvai fous les armes ; un fecond avis
m'apprit que l'ennemi s'avançoit très - vîte ; je fis fortir
les troupes pour aller au-devant de lui : après avoir
marché deux milles j'appris par un troisième exprès
qu'il étoit à quatre milles ; j'avançai lentement , cherchant
des yeux quelque terrein convenable où nous
puiffions nous former ; en ayant découvert un trèsavantageux
, j'y attendis l'ennemi pendant une heure ,
au bout de laquelle je fus informé qu'après avoir fait
une courte halte , il avoit changé fa marche & fe
portoit vers notre bac ; je le fuivis , & j'avois fair
environ 3 milles lorfque j'appris qu'il revenoit du
bac , marchoit vers nous , & n'étoit qu'à la diftance •
d'un mille ayant envoyé M. Kinlock mon Aide- de-
Camp , pour reconnoître & me rendre un compte circonftancié
, il revint & m'annonça que l'ennemi
étoit près de nous : je fis doubler le pas pour gagner
un marais voifin , mais voyant que l'ennemi avoit
déja pris poffeffion du terrein que je m'étois propofé
d'occuper, je fis halte à environ 200 verges & je
formai les troupes fur deux lignes bordant les deux
côtés du chemin , ayant 2 pièces de campagne au
centre & une autre de moindre calibre fur la droite
dans le bois. L'ennemi s'étant approché de plus près ,
j'ordonnai au Capitaine Heyward de commencer
( 336 )
avec deux pièces de campagne ; je portai mes deux
alles plus près du marais , & alors le feu devint à
peu -près général. Cette action a été le revers de la
manière dont les Anglois & les Américains combattent
pour l'ordinaire : les premiers fe font enfoncés
dans les buiffons & nous fommes reftés en plaine
découverte ; quelque tems après , m'appercevant que
nos gens étoient trop expofés au feu de l'ennemi ,
je leur ordonnai de fe retrancher derrière des arbres.
Il y avoit environ 3 quarts d'heure que le
combat duroit lorfque j'entendis un cri général de ,
plus de cartouches , & je fus des Capitaines Heyward
& Rutlege que la munition deſtinée au fervice des piè
ces de campagne étoit prefque entiérement confommée
après avoir tiré chacune 40 coups ; j'ordonnai
que l'on retirât très -lentement les deux pièces de campagne
, & que les deux aîles marchaffent d'un pas également
lent pour couvrir les flancs de l'artillerie ; ce
qui fut exécuté en affez bon ordre pour des troupes
indifciplinées ; avant que nous nous miſſions en mouvement
, l'ennemi avoit battu la retraite , mais nous
n'avions guère de munitions de refte , ou même nous
n'en avions plus ; nous ne pûmes donc poursuivre ;
l'ennemi fe retira fi précipitamment qu'il laiffa un
Officier , un Sergent & trois foldats bleffés dans une
maifon voifine du lieu de l'action , & fes morts étendus
fur le champ de bataille. Les ennemis s'étoient
enfoncés pour combattre dans des buiffons trèsépais
, le Capitaine Barnwell avec un peu de cavalerie
légère , nous a été d'une grande utilité , ſoit
en nous donnant fréquemment avis des mouvemens
de l'ennemi , foir en attaquant fon arrière-garde dans
fa retraite : il avoit fait prifonniers un Capitaine Brewer,
qui eft grièvement bleffé , 2 fergens & 12 foldats
; mais un parti ennemi s'étant rallié en ſe retirant
, a repris le Capitaine , 1 Sergent & 6 hommes.
Il a emmené le reſte avec une douzaine de fufils ,
& celui de Brewer : Barnwell n'avoit qu'environ is
hommes. Je puis vous affurer que notre milice n'a
rien
( 337 )
rien perdu du courage qu'on a toujours reconnu
en elle ; pour en faire de bonnes troupes il ne lui
manque que la difcipline ; l'artillerie de Charles-
Town s'eft conduite avec bravoure , elle s'eft attachée
à fon canon comme l'euflent fait des troupes vétéranes
, & l'a parfaitement bien fervi , jufqu'au moment
où les munitions étant prefque confommées ,
je me fuis vu dans la néceffité de lui ordonner de le
retirer. Mes forces confiftoient feu'ement en 9 compagnies
de troupes continentales ; le Capitaine Treville
, 2 Officiers & 6 hommes , une pièce de bronze
de 2 livres de balle , & feulement 15 coups à tirer :
pour leur rendre juftice , je dois ajouter qu'ils fe
font tous bien comportés. Il me paroît néceflaire de
féjourner ici quelques jours de plus , afin de foigner
convenablement les bleflés, & de mettre quelques autres
objets en bon ordre ; je ferois bien- aife que vous
m'en donnaffiez la permiffion , & que vous me fiffiez
favoir combien de temps je puis féjourner encore....
Un Officier précieux , un excellent citoyen vient de
mourir à l'inftant des bleffures qu'il a reçues hier ,
c'eft le fieur Benjamin Wilkins , Lieutenant de l'artil .
lerie de la ville ; nous avons 3 ou 4 autres Officiers
bleffés ; Heyward l'eft légèrement au bras , les Lieutenans
Sawyer & Brown , l'un & l'autre de l'infanterie
légère , le font auffi ; nous avons cu 6 ou 7
foldats tués , environ 15 bleffés ; je ne puis être bien
exact dans le compte que je vous rends , parce que
je n'ai pas encore reçu les états ; le corps ennemi confiftoit
en 2 compagnies du foixantième régiment , une
du feizième , le tour hommes choifis , tirés de l'infanterie
légère : immédiatement après l'actions de
leurs déferteurs paffèrent de notre côté , nous en
avons appris les détails ci-deffus ; ils ajoutent que le
fecond coup de canon que nous avons tiré à démonté
un obufier auquel l'ennemi n'avoit mis le feu
qu'une fois d'après tout ce que vous pouvez recueillir
dans ma lettre , il me femble que vous devez
convenir que nous les avons battus .
:
125 Mai 1779.
P
( 338 )
De Middelbrock , le 8 Mars, Le Congrès a
rendu une proclamation pour ordonner la célébration
du jour de jeûne dans toute l'éten
due des Etats-Unis , le 6 Mai prochain. Le renouvellement
des Membres qui le compofent ,
dont le terme eft expiré , s'eft fait de la ma
nière établie par l'acte d'union. Il eſt compofé
de 4 pour le nouvel Hampshire , de 7
pour Maffachuffets-Bay , à la tête defquels font
MM. Jean Hancock & Samuel Adams; de 3 pour
Rhode-Iſland , de 7 pour le Conecticut ; de 6
pour la Nouvelle-Yorck , dont le premier eftM,
Jean Rai , Préfident actuel de l'affemblée ; de
5 pour New- Jerfey ; de 6 pour la Penſylvanie
; de 3 pour la Delaware , de 6 pour le Maryland
, dont l'un eft M. de Carmichael , cidevant
Secrétaire de la Commiffion à Paris ; de
7 pour la Virginie , dont deux frères Lée ; de
s pour la Caroline Septentrionale , autant pour
la Méridionale , dont le premier eft l'ancien
Préfident Henri Laurens ; & de 7 pour la
Géorgie.
Le Congrès vient de publier la lettre fuivante
du Général Putnam :
» Un détachement de l'armée ennemie qui eft à
King's - Bridge , compofé des 17 , 44 & 57me ré .
gimens , d'un régiment Hellois & deux de nouvelles
levées , dans la foirée du 25 Février fortit de fes
lignes & fe porta vers Horfeneck dans l'intention
de furprendre les troupes qui s'y trouvoient , & de
détruire les falines : nous avions envoyé vers Hor.
feneck un Capitaine & 300 hommes tirés de nos
poftes avancés ; ils découvrirent l'ennemi à New.
Rochelle , & fe retirèrent fans être apperçus , juf
qu'à Rye-neck , où le jour naiffant les découvrir à
l'ennemi , qui les attaqua ; ils le défendirent le
mieux qu'ils purent & gagnèrent Sawpitts , où ils
profitèrent d'une petite éminence pour y tenir ferme
quelque tems ; mais la fupéiioté de l'ennemi les
( 339 )
força de fe retirer au- delà du port de Byrum qu'ils
levèrent , & par ce moyen ils gagnèrent Horfeneck
fains & faufs ; comme je me trouvois en perfonne
à ce pofte pour obferver la pofition des gardes
avancées , j'eus le temps de former les troupes fur
une hauteur à côté de Meeting- Houfe , pour recevoir
l'ennemi à mefure qu'il arriveroit ; il marchoic
à grands pas , & je ne tardai pas à remarquer que
fon deffein étoit de tourner nos flancs & de s'emparer
d'un défilé qui fe trouvoit derrière nous , ce
qui eût rendu notre retraite impoffible ; je détachai
en conféquence de l'un & l'autre flanc des partis que
je chargeai de m'informer de l'approche de l'ennemi
, ahn que nous puffions nous retirer à temps .
Pendant ce temps- là une colonne s'avança fur le
grand chemin où le refte des troupes ( montaut
60 hommes feulement ) étoit pofté ; nous fìmes
deux ou trois décharges de quelques vieilles pièces
de campagne qui fe trouvoient là , nous en fîmes
auffi quelques -unes de moufqueterie , mais fans effet
confidérable : la fupériorité de l'ennemi força bientôt
notre petit détachement à abandonner la place .
J'ordonnai en conféquence aux troupes de fe reti .
rer & de fe former fur une éminence à une petite
diftance de Horfeneck , & prenant fur - le-champ la
route de Seaford , je raffemblai un corps de milice
& quelques troupes continentales qui s'y trouvoient,
& avec lesquelles je retournai à Horfeneck : lorf ,
que j'arrivai l'ennemi , après avoir enlevé aux habitans
la majeure partie de leurs effets , détruit quelques
falines & un petit floop , s'en retournoit déja.
L'Officier qui commandoit les troupes continentales
à Horfeneck , entendit mal mes ordres , & fe
porta beaucoup plus loin que je ne le voulois , de
forte qu'il ne put attaquer l'ennemi avec avantage ;
cependant j'ordonnai au peu de troupes que j'avois
tiré de Seaford , de le pourfuivre , efpérant que quelques
traîneurs tomberoient ainfi dans nos mains ;
cet efpoir ne fut point déçu , ainfi qu'en pourra juger
T
P 2
( 340 )
V. E. en jetta les yeux fur la lifte ci- inclufe des prifonniers
; on a pris auffi deux chariots dont l'un
chargé de munitions , l'autre de bagages : dans le
premier il y avoit environ 200 charges dont les boulets
annonçoient qu'ils étoient destinés pour des pièces
de trois livres de plus environ 200 paquets d'effets
pillés que j'eus le plaifir de rendre à ceux des habitans
auxquels ils avoient été enlevés : comme on
ne m'a pas encore fourni les états , je ne puis dire
précisément à quoi monte notre perte ; cependant
je ne crois pas qu'elle excède le nombre de ro foldats
& d'environ autant d'habitans , dont très- peu
avoient les armes à la main « .
Les prifonniers faits dans cette occafion con
fiftent en 15 foldats du 17e . Régiments du 44e.
3 du sze. 5 du Régiment Royal Américain ,
8 du Corps d'Eminerik , un du 1er. Bataillon
d'artillerie ; Pionnier ; en tout 38 hommes ,
& 7 déferteurs du Corps d'Emmerik .
FRANCE.
De MARLY le 20 Mai.
LE 6 de ce mois , le Roi , accompagné de
Monfieur , partit d'ici après-diner , & arriva
vers les 3 heures & demie à la Plaine des
Sablons , où il paffa en revue le Régiment
des Gardes Françoifes & celui des Suifles.
Monfeigneur le Comte d'Artois étoit à la tête
de ce dernier. Madame , Madame la Comteffe
d'Artois & Madame Elifabeth de France , accompagnées
de leurs Dames , s'y rendirent
auffi . Les Troupes , après avoir fait l'exercice
défilèrent devant le Roi & Monsieur , & des
vant les Princeffes .
Le 10 , S. M. fe rendit à l'Eglife de la Paroille
de Notre -Dame de Verfailles , & affifta
au fervice folemnel que les Curé & Marguil(
" 341 )
lers firent célébrer ce jour- là pour l'Anniverfaire
de l'ame de Louis XV . Madame , Madame
la Comteffe d'Artois , Madame Elifabeth
de France y affiftèrent , ainfi que Mefdames
Adélaïde , Victoire & Sophie de France , qui
s'y étoient rendues de leur Château de Bellevue
.
"
Le même jour Monfieur & Monfeigneur le
Comte d'Artois fe rendirent à St. Denis , &
affiftèrent au Service folemnel célébré dans
l'Abbaye Royale , pour le même Anniverfaire
; les principaux Officiers de la Couronné
s'y étoient auffi rendus.
S. M. a accordé le titre de Dame à la De
moifelle de la Galiffonnière , fous le nom de
la Comteffe de la Galiffonnière .
M. Percheron de la Galezière , Avocat au
Parlement , a eu l'honneur de remettre au
Roi , à Monfieur & à Monfeigneur le Comte
d'Artois , un ouvrage de fa compofition , intitulé
: Epitome fur l'état civil de la France.
*
De PARIS , Le 20 Mai.
ON ne doute plus de la jonction de M. de
Graffe , avec M. le Comte d'Eftaing ; toutes
les lettres particulières reçues de la Martinique
& des Ifles voifines , ne laiffent plus aucune
incertitude fur cette nouvelle ; on l'a même
apprife à Londres , où l'on s'étonne de la faci
lité qu'ont eu les bâtimens de tranſport partis
de France , chargés d'approvifionnement , à
arriver fains & faufs à la Martinique , malgré
L'Amiral Byron & fes forces qu'on dit toujours
fupérieures . Ces heureux évènemens femblent
prouver que fa pofition n'eſt pas aufli avantageufe
à Sainte- Lucie , qu'on l'a d'abord imaginé
; on peut s'en faire une jufte idée d'après
cette lettre , fi le fait qu'elle annonce eft auffi
P3
( 342 )
vrai qu'il eft vraifemblable. » Une de nos frégates
s'eft emparée dernièrement d'un avifo
Anglois ; les dépêches qu'il portoit n'ont pu être
jettées à la mer ; elles étoient de l'Amiral By .
ron , & on affure qu'entre autres chofes , elles
contenoient des plaintes très-vives au Miniftère
de Londres , fur fa négligence à lui faire paſſer
les chofes dont il avoit le plus preffant befoin
pour mettre fes vaifleaux en état de tenir la
iner , & de tenter quelque entrepriſe. L'Amiral
ajoutoit que les provifions manquoient à
Sainte-Lucie
parce que M. d'Estaing a 16
frégates qui défolent ces parages , & interceptent
tous les vivres deftinés pour la flotte &
pour les troupes de terre qui fe trouvent dans
' Ifle , où l'infalubrité du climat , la difette &
l'ennui emportoient beaucoup de monde , &
avoient réduit à un état de langueur plus des
deux tiers des troupes de terre & de mer «.
Il paroit que depuis l'avantage remporté par
les Anglois dans la Géorgie , le 3 Mars dernier,
il ne s'elt rien paffé de confidérable dans cette
Province. Il est entré dans ce Port , écrit-on
de l'Orient , un vaiffeau de la Virginie le 28
Mars. Selon fes rapports , les armées dans la
partie feptentrionale des Etats - Unis , occupoient
encore alors leurs quartiers d'hiver ; il
n'y avoit rien eu d'effentiel entr'elles. Les
Troupes Britanniques dans la Géorgie n'avoient
fait aucun progrès vers Charles-Town , & il
marchoit contre elles un Corps parti de la Caro-
Tine. Le Swift , chaloupe Angloife , ajoutent
ces rapports , en chaffant l'Armateur le Serpent
à Sonettes , avoit échoué fur la Côte de la Virginie
, où tout l'équipage avoit été fait prifonnier
& conduit à Philadelphie. Nos lettres de
la Martinique portent auffi qu'un Armateur Anglois
y a été amené par quelques Américains
qui fe trouvant dans l'équipage , s'étoient rendus
maîtres du bâtiment.
( _343 )
M. le Comte de Lowendahl étoit à bord
le la frégate la Tourterelle , l'une de celles
qui convoyoient les vaiffeaux partis de la Mar
tinique , que la rencontre de deux vaiffeaux de
guerre Anglois a difperfés. Depuis ce tems il
eft arrivé un grand nombre de ces bâtimens
dans nos ports , quelques-uns ont eu le malheur
de tomber entre les mains de nos ennemis.
M. de Lowendahl n'a point apporté de
nouvelles récentes de la Martinique , d'où il
étoit parti de trop bonne heure ; mais il a pu
donner au Gouvernement des informations
exactes de l'état des affaires dans cette Iſle "
fur laquelle , felon tous les avis , on ne doit
pas avoir d'inquiétudes . » Nous attendons , écri
voit-on de la Dominique , le 15 Janvier der
nier , M. de Graffe , avec des vaiffeaux , des
troupes de l'argent & des vivres. Si , comme
nous l'efpérons , il arrive à bon port , nous ferons
au moins égaux aux Anglois dans ces
parages , & j'efpère que nous y ferons de la
bonne befogne. Nous fommes préparés , tant
à la Martinique qu'à la Guadeloupe & ici , à
foutenir toutes les attaques des ennemis , qui
ne nous paroiffent pas en état d'entreprendre.
On a ajouté dans cette Ifle tout ce qu'il étoit
poffible de joindre par l'art , à un focal fortifié
par la nature ; & il ne fera pas aifé de
nous y forcer. «‹.
Le Bizarre , le Solitaire , l'Inconftante & la
Surveillante , font rentrés dans le port de
Breft ; ils ont pris pendant leur croiſière , huit
corfaires ennemis ; trois ont été coulés bas ,
& les cinq autres ont été amenés à Breft
avec 800 prifonniers. La Ville de Paris , percée
pour go canons , l'a été pour 104 ; ce vaiffeau
a dû fortir du baffin le 29 du mois dernier , &
être armé tout de fuite.
» Depuis les derniers jours du mois de Mars ,
P 4
( 344 )
écrit-on de Baſtia en Corte , on voit un gros bâ--
riment de guerre qui croife dans nos parages ; on
ignore s'il eft Anglois , mais on le préfume depuis
que nous avons appris que plufieurs navires
armés en courfe & en marchandifes de cette nation
font fortis de ce port avec des lettres de marque.
Voici les détails que nous avons reçus à cet égard .
Le 23 Février , le navire Anglois la Paix & l'Abondance
monté de 16 canons & de 80 hommes
d'équipage , Capitaine Charles Mekenfi ; le 15 Mars,
le fénaut le Faucon de 14 canons & de 109 hommes
d'équipage , Capitaine William Will ; le 15 Mars ,
le Carleton de 12 canons 12 pierriers & 90
hommes d'équipage , Capitaine John Wleb ; le 16
Mars , le navire la Judith de 14 canons , 12 pierriers
& 40 hommes d'équipage , Capitaine Michel
Winter.
2
» » Nous apprenons de Naples qu'un corfaire Mahonnois
, qu'on croît être le Faucon , attendu qu'il
a auffi 14 canons & 109 hommes d'équipage , après
avoir relâché à Civita -Vecchia , où il a fait des
vivres & de l'eau , s'eft emparé près de Meffine
d'un bâtiment Vénitien chargé pour Marſeille ; &
qu'une frégate Angloife , ainfi que deux corfaires
de cette nation , ont établi leur croifière fur le Moretino
, fur les caps St. Vito & Luftrica , ainfi que
fur Spartivento où ces bâtimens ont été vus fucceffivement
.
Les prifonniers de guerre provenans de la prife
Angloife le Rambler , Capitaine John Roach , qui
étoient détenus à Bonifacio , ont été transportés à
Baftia , d'où le Commiflaire de la matine les a fait
paffer à St. Florent , & c'eft dans ce dernier port
que la corvette du Roi la Sardaigne eft venue les
prendre pour les conduire à Toulon.
t
» Le fieur Viall & Compagnie , Négocians Corfes,
continuent d'exploiter avec fuccès la forêt du
Poggio di Naffo à 4 lieues de Malliacticaro ; ils
ont déja fait paffer à Toulon plufieurs chargemens
•
( 345 )
de bordages , & ils doivent y envoyer inceffamà
faire des mâts pour arbres
gros propres
ment fix
des vaiffeaux de ligne.
Le corfaire le Va - de-bon - Coeur, Capitaine Coulomb
de Marfeillé , s'étant trouvé dans le port de
St. Florent avec une goëlette portant pavillon Tofcan
, a demandé à la vifter. Sur ce qu'on lui a
dit que cela ne fe pouvoit pas tant qu'elle feroit
mouillée dans le golfe , il a attendu qu'elle partît ,
& il l'a fuivie ; en mer il l'a vifitée , & on croit
qu'il l'a amenée à Marſeille , parce que les deuxbâtimens
ont paru prendre cette route. Cette goëlette
venoit de Livourne & alloit à Mahon avec
un chargement de plufieurs caiffes de drap , d'un
caillon plein d'or , & de fix caiffons d'argent qu'on
croit êtie deflinés au prêt de la garnifon de cette
ifle « .
2
Les armemens en courfe fe multiplient dans
tous nos Ports. On arme actuellement à l'Orient
le vaiffeau le Breton , ci-devant le Fitz-
James , qui vient de l'Inde ; ce vaiffeau , quoique
d'un échantillon de 64 canons n'en portera
plus que 44 de 18 livres de balles , &
fera commandé par le Chevalier de Boutteville
, ancien Lieutenant des vaiffeaux du Roi ;
il aura 350 hommes d'équipage , & il fera la
courfe avec une corvette de 18 canons , qui
lui fervira de découverte. Les Etats de Bretagne
ont pris une grande partie des actions
de cet armement , & on pourra prendre celles
qui restent , & qui font de 2000 liv . chacune
à Paris , chez MM. Lottin & Jauge , file ,
Banquiers.
* Le vaiffeau la Bourgogne , de 74 canons
écrit-on de Toulon , commandé par M. de Marin
, appareilla le io du mois dernier à midi
& mit enfuite en travers pour attendre la
Victoire , commandée par le Chevalier d'Albert
de St- Hyppolite. Ce dernier ne put le fui-
P
5
( 346 )
vre que le furlendemain. Ces deux vaiffeaux
doivent fe rendre à Breft. Une tartane de
Marſeille s'eft emparée à deux lieues d'ici d'un
navire Napolitain , venant de Gibraltar , chargé
pour le compte des Anglois : cette prife a
été amenée ici au Lazareth. Comme le Capitaine
Napolitain difpute la cargaison , & que
le François craint de s'engager dans un procès
douteux , on croit que cette priſe fera relâchée
, & qu'elle fe rendra à fa deſtination .
On commence à efpérer que M. le Comte
Duchaffault pourra faire la campagne prochaine
ou du moins partie de cette campagne ; fa fanté
fe rétablit ; la lettre fuivante de M. Dufau ,
Médecin à Acqs en Guyenne , en date du 10
Avril , confirme ces efpérances. » M. le Comte
Duchaffault , Lieutenant- Général des armées
navales , étant venu en cette ville prendre les
bains & la douche des eaux thermales de Tercis
, pour la dangereufe bleffure qu'il reçut au
combat d'Oueffant , sen eft très-bien trouvé .
Les croûtes qui fe renouvelloient fans ceffe fur
la cicatrice font entièrement diffipées , & il a
acquis toute la facilité qu'il pouvoit efpérer dans
le mouvement du bras droit , après la deftruċtion
totale de l'acromium , des deux tiers de
la clavicule & des mufcles qui y ont leurs attaches.
Il écrit aujourd'hui avec aifance , & il
doit partir le 14. On doit efpérer qu'il pourra
bientôt rendre encore à fa Patrie les fervices
qu'elle à lieu d'attendre de ce brave Officier-
Général ".
» Une jeune fille , écrit- on de Breft a été reconnue
ces jours derniers fervant en qualité de
foldat depuis 8 mois dans le régiment de la Reine :
elle étoit fort gaie en terme de garnifon ; elle fe
battoir fans réferve , elle étoit de toutes les parties ;
mais elle évitoit avec foin de s'enivrer. Elle avoit
déja foutenu l'épée à la main l'honneur des dames.
( 347 )
contre un de fes camarades , lorfque dans un det
nier combat elle a été affez grièvement bleffée.
Le Chirurgien chargé de la panfer a averti M. de
Lange faifant fonction de Commandant , du réfultat
de cette bleffure , & fur un ordre du Colonel
le congé a été délivré à cette fille , avec injonction
de fe rendre à Paris . Le régiment lui a donné 400
liv. pour faire fa route , & elle eft partie le 23
du mois dernier en habit d'homme qu'elle a préféré
pour fa commodité «.
. On fait que M. Scheel eft le premier qui ait
trouvé l'acide de phoſphore dans les os & dans
la corne de Cerf; on fait que le procédé de ce
favant Suédois fut perfectionné par M. Rouelle ,
qui parvint à réduire en verre , l'acide du phofphore
des os , & qui mêlant ce verre pulvérifé
avec la pouffière du charbon , en obtint par la
diftillation du vrai phofphore . Cette découverte
vient d'être portée beaucoup plus loin par M.
Nicolas , célèbre Chymifte . It obtient des os
plus promptement que M. Rouelle de très-beau
phofphore. Il met dans un vaiffeau d'une capacité
fuffifante fix livres d'os pulvérisés. Sur
cette poudre il verfe quatre livres de vitriol
& feize parties d'os ; après une digeftion de fept
à huit heures , il décante la liqueur , mêle exactement
avec le marc defsèché huit onces de
pouffière de charbon , & en obtient par la diftillation
fept onces de phofphore.
On mande de Poitiers , qu'on a récemment
découvert dans une Paroiffe du Poitou , une
mine d'argent & de plomb. On en a envoyé
des échantillons à Paris. Si les épreuves qu'on
doit en faire promettent des avantages , les
propriétaires de cette mine demanderont au
Gouvernement la permiffion de l'exploiter. It
n'y a que quelques années qu'on a trouvé dans
cette même Province du marbre , de l'antimoine
, de l'albâtre , du charbon de terre ,
ochres , & c. P 6
, des
'( 348 )
Les Affiches de Poitou contiennent les détails
fuivans fur une fondation ancienne . » Le maître
de l'hôtel de la Tête-Noire , y a réuni une maifon
voifine chargée de la redevance de quelques
pains & de quelques bouteilles de vin que l'on
fert, tous les ans , le jour de Pâques fur une table
placée dans l'allée qui conduit à l'Eglife Paroiffiale
de Ste Opportune , & près de la porte
de cette Eglife . On raconte ainfi l'origine de
cette fondation , dont on affure que les titres
exiftent , & que l'on exécure encore ponctuellement.
Une des premières propriétaires de
cette maifon , qui eft fort ancienne , & qui eſt
fituée fur cette Paroiffe , fe trouvant le jour de
Pâques à la Grand'Meffe & à jeun , éprouva
une foiblefle occafionnée par le befoin de manger
un morceau ; elle fouffrit beaucoup parce
qu'elle n'avoit pas affez de force pour retourner
dans fa maifon , & parce que la cérémonie fut
très-longue & finit fort tard. De retour chez
elle , elle imagina , pour prévenir tout accident
femblable à l'avenir , cet acte de prévoyance
& d'humanité. Depuis ce tems , les perfonnes
délicates & foibles peuvent trouver ce jour-là
à la porte de l'Eglife un fecours fuffifant pour
foutenir leurs forces «.
M. Morand s'occupe depuis long- tems d'un
travail intéreffant , dont l'objet étoit de fixer
l'état de la population de cette Capitale ; fes.
recherches l'ont conduit à en faire d'autres fur
celles du Royaume en général. Le dernier Mémoire
qu'il a lu à la rentrée publique de l'Aca--
démie Royale des Sciences , le 14 du mois dernier
, contient des détails curieux , dont on fera
bien-aife de trouver ici le réfultat. » M. Morand
a reconnu une augmentation fenfible dans la population
de Paris depuis une quarantaine d'années.
Il a rapproché les fupputations faites par
les perfonnes qui s'occupent foigneufement de
( 349 )
ce genre de fpéculation ; & d'après l'évalua
tion de M. l'Abbé d'Expilly qui compte 600,000
perfonnes vivantes à Paris , celles de M. Buffon
qui en compte 658,000 , & de M. Moheau qui
en fait monter le nombre à 670,000 à-peu-près,
jointes à la diminution des morts & à l'augmentation
des naiffances , il a trouvé que la population
de la Capitale s'eft accrue depuis quarante
ans , d'un quart
felon les uns , & d'un dixfeptième
felon les autres. Il examine enfuite fi
cet accroiffement ne fe fait pas au préjudice des
Provinces , comme bien des perfonnes le prétendent
. Pour cet effet , il examine l'état des
principales villes du Royaume , depuis le cont
mencement de ce fiècle jufqu'à préfent . Tous
les réfultats de ces examens offrent une augmentation
de naiffances ; de forte que , fans com..
prendre Paris , la population du Royaume , qui
au commencement de ce fiècle étoit portée à
19 millions 94,146 , & réduite même par plufieurs
Ecrivains à 16 millions , fe trouve aujourd'hui
de 21 millions felon M. l'Abbé d'Expilly ;
de 22,672,077 felon M. de Buffon ; & de 24
millions felon les rapports réunis des Inten
dants , & felon l'eftime de M. Moheau.
On écrit d'Aix en Provence , que le 27 Avril ,
M. Larive , Comédien penfionnaire du Roi ,
après y avoir joué 6 fois avec le plus grand
concours poffible des Spectateur , fut harangué
du parterre par un Avocat , qui au nom du
public lui adreffa le difcours luivant , en lui
préfentant une couronne de laurier .
» M. , vos talens vraiment fublimes en au- {
» gmentant chaque jour notre enthouſiaſme
» ont dû néceffairement accroître nos defirs
» ne pouvant ajouter à notre admiration , veuil-
» lez du moins ajouter à notre reconnoiffance ,
» en nous donnant toutes les repréſentations i
» qu'il vous fera libre de nous accorder encore «
( 350 )
On écrit auffi de Marfeille , à l'occafion du
même Acteur , que le parterre de cette ville en
lui envoyant également une couronne de laurier
, lui adreflà ces vers dans une lettre attachée
à la couronne avec cette infcription , Doris
Suprema pramium & decus.
Que ce laurier te foit le gage ,
De notre fenfibilité
Comme il eft le prix & l'hommage ,
Que nous payons à ta célébrité ;
En te donnant cette couronne ,
Il ne nous reste à former qu'un défir ,
Larive , que ton coeur ait autant de plaifir ,
Qu'en a goûté le public qui la donne.
,
La Marquife douairiere de l'Efpinaſſe , née
de Sancierres , des Barons de Tenance eft
morte à Tonnerre le 30 du mois dernier , dans
la 79e année de fon âge.
Arrêt du Confeil du 27 Avril . » Le Roi ayant
déclaré , par l'Arrêt de fon Confeil du 14 Janvier
dernier concernant le commerce & la
navigation des Sujets de la République des
Provinces-Unies des Pays-Bas , que S. M. fe
roit publier inceffamment un nouveau tarif ,
relativement aux denrées & aux productions
des manufactures defdits Sujets , S. M. a confidéré
que la manière la plus fimple de former
ce tarif étoit d'impofer uniformément lef
dites denrées & productions à 15 pour 100 de
leur valeur , outre les droits ordinaires ; &
voulant fur ce faire connoître fes intentions
a ordonné 1 ° . que les denrées & objets du
crû , de la pêche , des fabriques & du commerce
des Sujets de la République des Provinces-
Unies des Pays - Bas , payeront à leur
entrée dans tous les Ports du Royaume , outre
& par-deffus les droits actuellement exiftans ,
( 351 )
is pour 100 de leur valeur , à compter du 1er
Mai 1779. 2 ° . Les droits actuellement exiftans
& les 15 pour 100 de la valeur defdites marchandifes
, feront perçus , même en tems de
foire , & à leur entrée dans les Ports des
Villes réputées étrangeres. 3 ° . Excepte néannéanmoins
, S. M. , des préfentes difpofitions
les drogues propres à la teinture , la garance ,
les chanvres en maffe , les laines non filées ,
les fuifs & les foudes , l'arcanfon ou poix-réfine
, le brai ou goudron , les mâts & bois propres
à la conftruction , & les cordages , lef
quels continueront à être traités commé par
le paffé. 4. Les Habitans des Villes d'Am
fterdam & de Harlem jouiront auffi des exceptions
& faveurs dont ils ont joui jufqu'à
préfent fur des objets de leur crû , pêche , fabrique
& commerce , à la charge néanmoins
de conftater , par un certificat du Comm ffaire
de la Marine à Amfterdam , que lefdits objets
proviennent réellement de leur crû , pêche ,
fabrique & commerce «<.
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie
Royale de France , du 16 de ce mois , font 11 ,
88 , 90 , 27 , 54.
Article extrait des Papiers étrangers qui entrent
en France.
» On nous mande d'Aix- la- Chapelle qu'il vient de
s'y élever contre les Francs-Maçons de cette Ville
une perfécution prefque auffi forte que celle qu'ont
efluyé ces dernières années les Francs Maçons de
Naples , & qui peut avoir pour ceux là des conféquences
funeftes ; on les a peints en chaire fous
les couleurs les plus fauffes & les plus odieufes,
en les repréfentant comme des voleurs , des fripons
, des efcrocs , des forciers , des avant- coureurs
de l'Ante-Chrift , que le feu du Ciel ne peut man(
352 )
quer d'écrafer , &c. Le pouvoir féculier s'appercevant
de la fermentation que ces homélies faintement
féditieuſes occafionnoient parmi les habitans
, a cru devoir , par prudence fans doute , paroître
entrer dans les vues desPrédicateurs, & a rendu
un placard qui défend toute affemblée de foi - difant
Francs-Maçons , fous peine de diverfes amendes
pour ceux qui les recevront dans leurs maiſons
& permettront qu'ils s'y affemblent. Cette ordonnance
a produit l'effet tout contraire que s'en étoient
promis les membres du Magiftrat ; elle n'a fervi
qu'à enhardir les Prédicateurs , auxquels on auroit
peut- être du faire dire fous main d'être plus circonfpects
; ils ont tonné avec plus de véhémence
contre les Francs Maçons ; quelques - uns ont été
infultés le jour dans les rues , & tous ceux qui
font connus pour être attachés à cet inftitur , font
obligés de fe tenir cachés dans leurs maifons ,
ne fortir que la nuit , de peur d'être lapidés par la
populace. Dans cette fâcheufe extrémité , la loge
d'Aix-la - Chapelle a cru devoir s'adreffer à diverfes
loges du même ordre , pour implorer leur appui &-
leurs bons offices , & leur a écrit la lettre fuivante
qui contient un détail de toute cette étrange affaire.
»A la gloire du grand Architecte de l'Univers.
" Salut , force & union.
de
Très-vénérables & très-refpectables Frères ,
La loge de la Conftance , fituée à l'orient d'Aixla
- Chapelle , a la faveur de fupplier les refpectables
freres de la loge de. & de celle de ..
youloir bien lui accorder leur protection dans la
malheureufe fituation où elle fe trouve «.
• de
>
» Le pere Louis Greineman , Dominicain , natif
de Mayence , actuellement lecteur de théologie
dans le couvent des Dominicains de cette ville ,
a, pendant le carême dernier , prêché continuellement
contre les Francs - Maçons de cette ville , &
leur inftitut ; il ne s'eft pas contenté de prêcher
( 353 )
on termes généraux , mais il a attaqué perfonnellement
des frères que tout fon auditoire pouvoit
ailément reconnoître «<.
» Il a dit que les Maçons avoient un pacte entre
eux d'où il pourroit réfulter les fuites les plus
dangereufes , tant pour la Religion que pour l'E
tat ; il fe flattoit de connoître tous les Maçons de
cette ville , & de favoir de bonne part qu'il y avoit
des perfonnes de la régence dans la fociété ; il a
dit à ce fujet : Comment voulez -vous
mes chers
>
diteurs , que la juftice foit adminiftrée par de pareils
membres ? «<
au-
» Un accident qu'un de nos frères effuya dans
fon commerce , donna lieu au prédicateur de dire
que c'étoit une punition de Dieu , & que tous les
Maçons feroient expofés à la vengeance célèfte ,
s'ils ne fe convertiffoient pas. Il ne fut pas difficile
au public de reconnoître ce frère malheureux .
Le prédicateur ajouta que les Maçons n'étoient que
des frippons & des forciers qui faifoient un ferment
à leur réception femblable à celui que prêtèrent les
voleurs qui ont été pendus dans le pays de Rolduć
& Faulcaumont. Le Magiftrat de cette ville fit publier
, le 26 Mars dernier , un décret par lequel il
rappelle l'excommunication lancée contre les Francs-
Maçons , & inflige une peine de 100 florins d'or
pour la première fois , 200 pour la feconde , & 300
ainsi que le banniffement pour la troifième fois
contre ceux qui donneront afyle ou permettront
de tenir loge chez eux , offrant de céder la moitié
de l'amende à celui qui viendra déclarer une pareille
aflemblée , fous promeffe de taire fon nom «e ,
» Le Dominicain , après avoir beaucoup loué le
Magiftrat de ces fages précautions pour exterminer
les Maçons , s'eft énoncé en ces termes dans fon
fermon : Vous , Maçons avant - coureurs de
l'Antechrift , vous avez déja été chaffés d'un en
droit à l'autre de cette ville ; & vous le ferez en.
core. Quel parti vous refte-t-il ? Où irezvous ?
à Brunfwick ? non , à Babylone " .
גכ
"
( 354 )
לכ
Ayant réulfi à engager le Magiftrat à agir
contre les Maçons , il a invité le peuple à fon iccours
, en le conjurant de l'aider à exterminer cere
maudite race. Cette invitation a prodait l'effet qu'il
s'en étoit promis ; quelques frères ayant déja été
infultés dans les rues , quoique légèrement ; ce
qui cft caufe que nous ne pouvons fortir que rarement
, de peur de donner pleine carrière à un
peuple rempli de bonne volonté pour le mal , &
d'ailleurs conftamment encouragé par un homme
qui l'a affuré que ni menaces ni flatteries ne
l'empêcheroient de perfécuter ces fripons & ces
trompeurs , pourvu que le peuple le foutienne avec
fon ardeur & fon courage ordinaires «
,
» Le père Schuff , Capucin , prêcha auffi le 1
Avril contre les malheureux frères ; il débuta par les
nommer mauvais Chrétiens & impies ; il exhorta
tous les bons Chrétiens à les regarder comme
des payens & publicains , parce qu'ils fe font attiré
, par leur méchanceté & leurs affemblées diaboliques
, l'excommunication. Ces mêmes puni
tions , dit-il , font réservées à ceux qui les fréquenteront
; encore plus à ceux qui travaillent pour
eux & pour leur loge ; & même ceux qui les
logent , les nourriffent & les fervent ne peuvent
être fauvés. Ceux qui auront fait leurs Pâques ,
& qui n'auroient pas dénoncé à leur confeffeur le
commerce qu'ils ont eu avec eux , font doablement
excommuniés , & le Pape feul peut les abfoudre ,
même dans leurs derniers momens ; & fi dans cet
intervalle quelqu'un d'entr'eux venoit à mourir &
à être enterré en terre fainte on feroit obligé
de déterrer fon cadavre , & de le transporter loin
de cette terre facrée , qui , fe trouvant fouillée ,
feroit rebénite , &c . Enfin il exhorte tous les Curés,
Vicaires & Confeffeurs à refufer les Sacremens à
tous les Maçons , fous quelque prétexte qu'ils
puiffent les demander. Jugez , très refpectables
frères de notre trifte fituation ; fi ces Moines
"
( 355 )
continuent à prêcher , nous rifquons tous d'être
affaffinés ; nous avons recours à vous , chers frères ;
il n'y a abfolument que vos bons offices qui puiffent
nous tirer de l'angoiffe où nous fommes.
Vos coeurs compatillans & votre zèle pour l'art
royal nous autorisent à eſpérer que voudrez bien
joindre vos prières aux nôtres , pour que... nous
accorde fa protection . Dans cette douce attente ,
nous avons la faveur d'être par le N. D. V. O.
( nombre de votre orient ) , & par les honneurs
que vous méritez «.
Vos affectionnés frères , &c.
Très-vénérables & très-refpectables Frères ,
De la loge de la Conftance. A Aix-la-Chapelle ,
le 13 Avril 1779. ( Courier du Bas-Rhin, Nº. 36 ).
De
BRUXELLES le 20 Mai.
UNE Déclaration de l'Impératrice -Reine ,
en date du 15 du mois dernier , déclare nulles
& fans effet toutes les promeffes de mariage
faites par les Officiers & Soldats à fon fervice ,
lorfqu'elles l'auront été fans le confentement
de leurs chefs. Elle défend en même-tems à
tous les Juges , tant Eccléfiaftiques que civils ,
d'y avoir aucun égard.
La défenſe que l'Impératrice- Reine a faite
d'imprimer , dans fes Etats-Héréditaires , les
actes du Confiftoire fecret tenu à Rome le
15 Décembre dernier , au fujet de la rétractation
de Febronius , a été publiée ici en
vertu d'un décret du gouvernement général
des Pays - Bas , en date du 28 du mois dernier.
Quelques papiers étrangers ont prétendu
que cette défenſe n'avoit point eu lieu dans
les autres Etats-Héréditaires . La lettre fuivante
de Vienne peut leur fervir de réponſe.
Le Prélat de Gleinck dans l'Autriche- Supérieure,
animé foit par quelque inftigation étrangère , foit
( 356-)
·
par un faux zèle de religion , avoit fait réimprimer
les actes du Confiftoire fecret dans la petite ville
voisine de Sreyër. Ayant été mandé à ce fujet à
Vienne avec l'Imprimeur , ils s'excusèrent l'un &
l'autre fur ce qu'ils ignoroient les défenſes du Gouvernement
à l'égard de ces Actes : ils efluyèrent une
vive réprimande ; tous les Exemplaires de leur réimpreflion
furent confifqués ; & S. M. ne pardonna au
Prélat & à l'Imprimeur , que par un effet de fa clémence.
Peu après l'on fut informé , que le Libraire
de l'Archevêque de Prague , excité probablement
par une inftigation du même genre que celui de
Steyer , avoit imprimé une Brochure fous le titre de
nouvel Etat de l'Eglife Romaine pour l'année courante
, à la fuite de laquelle il avoit ajouté les Actes
du Confiftoire fecret . Sur l'avis que le Gouvernement
en reçut , il a non-feulement fait punir cé Libraire
& confifquer tous les Exemplaires de l'Imprimé :
mais , pour ôter tout prétexte à de pareilles contraventions
dans les Etats de S. M. en Allemagne , il y
a envoyé par-tout des copies de la défenfe de la
réimpreffion defdits Actes ; précaution qu'on n'avoit
pas jugée néceffaire jufqu'ici , parce que tous les
Tribunaux de Cenfure dans ces pays dépendent de
la Cenfure Suprême de Vienne. Ce dernier Tribu
nal a aufli fait faifir tous les exemplaires de l'Edition
originale de Rome , qu'on avoit introduits clandef
tinement dans les Etats de S. M. peu après fa publication
; & la lecture n'en fera permife qu'à des
perfonnes d'une difcrétion connue. Pour ce qui eft
de la même prohibition , qui a été faite dans les
Provinces des Pays-Bas & dans la Lombardie , l'on
conçoit ailement qu'elle n'a pu avoir lieu à l'infçu de
l'autorité Souveraine.
Les lettres de la Haye contiennent la copie
de la réfolution prife le 26 du mois dernier ,
par les Etats- Généraux des Provinces-Unies.
Après avoir délibéré fur le rapport fait par
MM. Pick & autres Députés de L. H. P. fur ce qui
( 357 )
concerne les affaires maritimes , pour donner leur
effet aux réfolutions commifforiales prifes par L. H. P.
les 15 , 16 & 18 Septembre de l'année paffée ; après
avoir examiné les requêtes de plufieurs Négocians ,
Propriétaires de navires & Affureurs des villes de
Dort , Amfterdam & Rotterdam , remplies de plaintes
amères contre l'arrêt & la faifie d'un nombre confidérable
de bâtimens appartenans aux habitans de
cette République , frétés pour les ports de France ,
faifis par des vaiffeaux de Roi , des navires munis de
commiffion & d'autres corfaires Anglois , quoique les
fufdits bâtimens ne fuffent pas cependant chargés de
contrebande ; repréfentant enfuite dans lefdites requêtes
le préjudice notable qui en rejaillifoit fur le
commerce & la navigation de ces pays , avec prière
à L. H. P. de prendre les mefures les plus efficaces
pour préferver les fupplians de la ruine qui les mepace
après avoir encore examiné les requêtes de
F. & A. Dubbeldemuts , Négocians & Propriétaires
de navires à Rotterdam , qui s'étoient adreffés en
particulier à L. H. P.: ayant de plus , en conféquence
de la réfolution commifforiale de L. H. P. du 12 Octobre
dernier , examiné la propofition de MM. les
Députés de la Province de Frife , faite à l'appui
d'une requête préfentée par plufieurs Commerçans ,
Teneurs de livres & Propriétaires de navires de ladite
Province , contenant auffi des plaintes de la faife
d'une grande quantité de leurs bâtimens , en priant
d'y remédier : Enfin , conformément à la réfolution
commifforiale de L. H. P. du 10 Septembre dernier ,
ayant confidéré avec des Comités des Colléges d'Amirauté
refpectifs , mandés ici à cet effet , quels
équipemens extraordinaires devoient être mis fur
pied dans la fituation préfente des affaires pour l'année
prochaine ; il a été jugé néceffaire d'équiper pour
T'année 1779 , trente-deux vaiffeaux & frégates , favoir
: quatre vaiffeaux de 60 canons & de,350 hommes
d'équipage chacun ; un de 340 hommes ; &
un autre de la même grandeur , monté de 290 hom(
358 )
›
›
mes ; huit vaiffeaux de so canons , chacun monté
de 300 hommes ; huit frégates de 36 canons , mon.
tées de 230 hommes chacune ; fept autres frégates
de 20 canons & de 150 hommes d'équipage ; & enfin
un fenau , de 12 pièces , monté de 100 hommes :
total 1280 canons , & 7920 hommes ; dont , le Collége
d'Amirauté fur la Meule fournira un vaiſſeau
de 60 canons avec 350 hommes d'équipage ; un
de so canons avec 300 hommes ; trois frégates
de 36 canons & de 230 hommes ; une de 20 canons
& de 150 hommes ; enfin un fenau de 12
canons , monté de 100 hommes : le Collège d'Amirauté
d'Amſterdam équipera deux vailleaux de 60
canons & de 350 hommes d'équipage chacun ; quatre
autres de so canons & de 300 hommes ; deux frégates
de 40 canons & de 250 hommes chacune ;
deux de 36 canons & de 230 hommes ; & deux de
20 canons & de 150 hommes chacune : le Collége
d'Amirauté de Zélande fournira un vaiffeau de 60
canons , & 350 hommes d'équipage ; un de la même
grandeur , avec 290 hommes ; un de so canons
& 300 hommes ; une frégate de 36 canons , avec
230 hommes ; & une autre de 20 canons & de 150
hommes le Collége d'Amirauté de Weftfiile & du
quartier du Nord équipera une frégate de 36 canons
, avec 230 hommes d'équipage , & une autre
de 20 canons & de 150 hommes : enfin , le Collége
d'Amirauté de Frife fournira un vaiſſeau de 60 camonté
de 340 hommes , deux autres de 50
avec 300 hommes chacun une frégate
de 36 canons , avec 230 hommes ; & une de 20
canons & de 150 hommes.
nons ,
canons ,
!
Que les fraix de cet équipement confiſtant en 7920
hommes , payés fur le pied de 36 florins chacun par
mois , faifant par mois 285,120 florins , & 3,991,680
florins dans le cours de 14 mois , la moitié qui fe
monte à la fomme de 1,995,840 florins , fera trouvée
au moyen de la pétition du 3 Novembre dersier
, agréée aujourd'hui , & l'autre moitié , for(
359 )
mant une pareille fomme de 1,995,840 florins , fera
tirée du fonds des droits de Left & de Vente ( Laſt- en
Veilgeld ) qui ont été augmentés ; de manière que
chaque fois & à chaque paiement il fera remis aux
Colléges d'Amirauté , la moitié de la fomme par
Ordonnance des Confeillers des Etats , & l'autre moitié
, par une réſolution de L. H. P. à la charge du
Receveur - Général defdits droits de Left & de Vente
augmentés ; devant ces paiemens auxdits Colleges être
faits fur le pied accoutumé ; c'est- à - dire de toutes
les dépenfes pour chaque vaiffeau , ſavoir par Or
donnance du Confeil des Etats , & l'autre du fonds
des fufdits droits de Left & de Vente augmentés ,
dès que le vaiffeau fera équipé : la moitié , ou 4 par
Ordonnance du Confeil des Etats , & dudit fonds
des droits de Left & de Vente augmentés , dès que
le vaiffeau fera entièrement achevé & le nombre
d'hommes complet ; & le 4 reftant , ou par Ordonnance
du Confeil des Etats & du même fonds des
droits de Left & de Vente augmentés , dès que le vaiffeau
, fi c'en est un récemment conftruit , aura eu fon
équipage complet depuis 12 mois ; & fi c'eft un vaiffeau
employé auparavant extraordinairement , & dont
le fervice foit continué pendant 14 mois complets ,
à compter du jour que fon précédent équipement extraordinaire
aura ceffé d'être employé par la République
: & les Colléges d'Amirauté feront tenus
fur leur ferment prêté au Souverain , de donner une
exacte connoiffance des points fufmentionnés . Qu'en
outre les Colléges d'Amirauté refpectifs feront avertis
par écrit d'avoir foin que l'enrôlement foit ou
vert fur-le- champ & que les vaiffeaux même folent
mis en état , pour être fucceffivement prêts à mettre
à la voile , s'il eft question de les employer aux efcortes
qu'on le propofe d'accorder pour la protection
efficace du commerce & de la navigation de
l'Etat. Que de plus il en fera donné connoiffance à
S. A. S. Mgr. le Prince d'Orange & de Naffau , le
( 360 )
1
requérant de prêter la main , afin que l'Equipement
en queftion fe fafle régulièrement , de propofer fucceffivement
les Officiers qui doivent commander ces
vaiffeaux , de mettre ordre à la diftribution des convois
, ainfi que des vaiffeaux deftinés à les protéger,
d'avoir foin , autant qu'il fera paffible , que tous
les mois , des convois foient accordés pour les ports
de France & d'Angleterre , ainfi que , felon l'exigeance
des cas , pour Lisbonne & la Méditerranée , enfin ,
au moins deux fois par an , pour les colonies de
l'Etat dans les Indes occidentales .
Il fera , au furplus envoyé un extrait de cette
réfolution de L. H. P. au Confeil des Etats , afin de
lui fervir d'avis . Meffieurs les Députés de la province
de Zélande out inféré la réſolution de Meffieurs
les Etats , leurs Commettans , en date du 24 Décembre
de l'année paffée , & remife du 7 Janvier dernier
à l'Affemblée de L. H. P. « ,
Le voeu de la Province de Hollande , fuivi
de celui de la Frife & des autres Provinces ,
fe trouve rempli par cette réfolution. Les Etats-
Généraux adoptent la plus exacte neutralité entre
la France & l'Angleterre , & fe promettent
de ne pas confentir qu'on innove ou qu'on déroge
aux traités actuellement fubfiftans . On a
lieu d'efpérer , d'après ces mefures , que l'objet
des plaintes que les Négocians de Dordrecht
& de Rotterdam ont fait préfenter
par une députation à l'affemblée des Etats de
la Province au fujet de l'exécution de l'Arrêt
du Confeil de S. M. T. C. ne foit bientôt redreffé
. Ce qui ajoute à cette efpérance , c'eſt
que cette démarche , qui ne laiffe plus de
doute fur les difpofitions de la République ,
a été faite après la lecture & l'examen du
Mémoire préfenté par le Chevalier Yorck aux
Etats- Généraux , au nom du Roi d'Angleterre.
( 1 )
NOUVEL AVIS ,
Concernant le Mercure de France ,
Politique , Hiftorique & Littéraire.
CET Ouvrage Périodique , le plus ancien
& le plus varié de tous les Journaux , paroîtra
à l'avenir le Samedi de chaque Semaine. Sa
publication hebdomadaire ne put avoir lieu ,
lorfque le Sieur Panckoucke forma le projet
de réunir au Mercure de France le Journal
Politique de Bruxelles , & les Souſcriptions
du Journal François , du Journal des Dames ,
du Journal des Spectacles , de la Gazette de
Littérature . Il eft enfin parvenu à l'obtenir du
Gouvernement. Le Mercure , à l'avenir , fera
compofé de quatre feuilles , & augmenté par
conféquent de foixante - quatre feuilles par
an *. Au moyen de cette augmentation , le
Journal de Politique fera déformais d'un
caractère plus gros , afin de répondre aux
defirs des Soufcripteurs qui fe plaignoient de
fa petiteffe dans la partie Politique.
* Le Mercure , compofé des feuilles , paroiffant
36 fois par an , donne 180 feuilles ; compofé de
4 feuilles , & paroiffant 52 fois , il donne 208 feuilles,
Le Mercure , du temps du Sieur Lacombe , ne paroiffoit
que 16 fois , & ne contenoit que 144 feuilles ; il
eft donc aujourd'hui augmenté de 64 feuilles.
A
( 2 )
Publié tous les huit jours , cet Ouvrage
acquiert un plus grand degré d'intérêt pour
les Nouvelles Littéraires , & fur- tout pour
les Nouvelles Politiques , que les circonftances
rendent aujourd'hui ſi intéreffantes .
C
Le Journal Politique de Bruxelles , réuni au
Mercure, prend encore, dans cet arrangement
un nouveau degré d'intérêt par la réunion des
travaux de l'Auteur de ce Journal ( M. de
Fontanelle ) avec ceux de l'Auteur du Journal
Hiftorique & Politique de Genève. Ainfi le
Mercure de France , réuni avec le Journal
Politique , quoiqu'augmenté de 64 feuilles
par an , & paroiffant 52 fois au lieu de 16 ,
fera , comme ci- devant , pour la Province , du
prix de 32 liv . rendu franc de port ; la Soufcription
pour Paris fera de 30 liv.; mais à
l'aide de cette augmentation , les Soufcripteurs
de la Capitale n'auront plus déformais
de port à payer , lorfqu'ils iront paffer plufeurs
mois en province ou à la campagne.
Les mêmes Gens de Lettres qui , juſqu'à
préfent , ont bien voulu concourir à fon fuccès
, ont promis de nous continuer leurs ſecours
. Sichacun des Mercures qu'on a publiés
depuis la nouvelle réforme , n'a pas toujours
répondu à l'attente du Public , c'eſt qu'il eſt
difficile , pour ne pas dire impoffible , qu'un
Ouvrage de cette nature ait toujours le même
degré, foit d'agrément , foit d'utilité : cependant
on ne fauroit difconvenir que depuis
l'exiſtence du Mercure , iln'ajamais été ni plus
piquant, ni mieux fait ; il eft l'Ouvrage, non
( 3 )
d'un homme de Lettres , mais des hommes
les plus diftingués dans la Littérature , qui
l'ont regardé comme une entrepriſe honnête ,
où ils pouvoient dépofer leurs jugemens &
leurs obfervations fans fe compromettre.
On ne change rien ni à la forme ni au plan
du Mercure par cette plus prompte publication
; tout y eft à l'avantage des Soufcripteurs :
il fera , comme ci - devant , compofé d'une ou
deux Pièces de Vers ; d'un Conte , quand on
pourra s'en procurer d'affez bons , ou de
quelques Pièces Fugitives en proſe ; de
l'Enigme & du Logogryphe , qui font , pour .
ainfi dire , le cachet du Mercure ; des jugemens
critiques fur les Ouvrages nouveaux ;
de quelques articles d'Arts , d'Inventions , de
Découvertes ; des Spectacles , partie qui a
toujours été traitée avec foin & d'une manière
diftinguée * ; d'Avis particuliers ; de l'Annonce
des Livres nouveaux **. Quant aux Arrêts ,
Édits & Déclarations , Annonces des Académies
de Paris & de Province ; Cauſes Célèbres
, Anecdotes , Événemens publics & par-
* M. de la Harpe continuera de faire ce qui regarde
la Comédie Françoife & la Comédie Italienne ;
M. Suard , l'Opéra ; & M. l'Abbé Remy , le Concert
Spirituel.
** Les Libraires & les Auteurs s'étant plaint de ce
qu'on imprimoit quelques Annonces de Livres fur la
couverture du Mercure , on ne les placera plus déformais
que dans le Texte , à la fin de la partie Littéraire.
( 4 )
ticuliers , on les trouvera à l'Article de Paris ,
dans la partie Politique , &c.
Cette partie continuera d'offrir toutes les
femaines avec la même exactitude , les mêmes
détails & la même fidélité , le réfumé de tout
ce que les Gazettes étrangères contiennent
d'important & de curieux , fouvent même
elle précédera ces Gazettes ; pluſieurs Correfpondances
établies pour ces deux Journaux
procurent journellement un grand nombre
de faits qu'on chercheroit vainement ailleurs.
On croit devoir obferver que le Journal Politique
jouit de la même liberté que toutes
les autres Gazettes étrangères qui peuvent
entrer dans le Royaume . On y trouve , fous
le titre d'Articles extraits des Papiers Etrangers
qui entrent en France , les nouvelles dont
on ne peut garantir l'authenticité , & on y
insère fous l'Article de Bruxelles , les nouvelles
les plus piquantes & les plus fraîches.
On foufcrit à Paris , Hôtel de Thou , rue
des Poitevins , & chez les principaux Libraires
& Directeurs des Poftes,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères