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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES .
AVRIL ,
1777.
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE .
DU
JUOT
CHATA
HATRAL
PALAIS
ROYAL A PARIS,
Chez LACOMBE , Libraire , rue de Tre
Après le Luxembourg.
Avec Approbation & Privilége du Roi
STOR
LIBRARYS
AVERTISSEMENT.
C'ESTAUSicur LACOMBE libraire , à Paris, rue de
Tournon , que l'on prie d'adrefler, francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eltampes & pièces de mufique,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
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; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
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par la polte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
Libraire, à Paris , rue deTournon.
Et pour la Province,
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151
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Revolutions de Ruffie , in- 8 ° . rel.
Spectacle des Beaux -Arts , rel.
Diction. Iconologique , in-8°. rel.
de
12 1.
baffe-
2 1.
12 1.
31. 15 f.
21. 10 f,
21. 10
3 1.
991.
41. 1of.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in - 8ª . rel,
Dict . des Beaux-Arts , in-8 " . rel .
Abrégé chronol . de l'Hift- du Nord , 2 vol . in- 8 ° . rel . 12 1,
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de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol. in-8 °.
--
el .
de l'Hift . Romaine , in- 8 ° . rel .
Théâtre de M. de Saint Foix , nouvelle édition ,
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in - 8 °. br.
Lettres nouvelles de Mãe de Sevigué , 1n- 12 br.
Les mêmes , pet. format ,
Poëme fur l'Inoculation , vol. in- 8 ° . br.
12 16-
61.
3 vol .
6 1 .
21.
2 1. 10 f.
1 l. 16 f.
31.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contre-
41.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , & c .
faits , in- 8 °. br avec fig.
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br.
in-fol. avec planches br. en carton , 241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4°. avec fig. br. en carton , 12 1 L'Agriculture réduite à fes vrais principes, vol . in-12 .
broché
Annales de l'Imperatrice-Reine , in -8 ° . br. avec fig.
11 .
41.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1777.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE de Mademoifelle *** aux
Vouloirs de M. de ... inférés dans le
Mercure . Sur le même Air.
D'AIMER jamais fi je fais la folic ,
Et que je fois maîtreffe de mon choix ,
Connois , Amour , celui qui fous tes loix
Pourroit fixer le deftin de ma vie,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Je le voudrois moins brillant qu'agréable ,
D'un Petit-Maître évitant le jargon ,
Et les faux airs & le frivole ton ;
Sachant fur-tout le grand art d'être aimable.
Je le voudrois au moins d'un moyen âge ,
Joignant l'effet à l'air du ſentiment ;
Le vieux eſt froid , inquiet , dégoûtant ,
Le jeune eft fat , importun ou volage.
Je le voudrois fans goût pour la parure,
Soigneux pourtant , & fans être affecté
De la décence & de la propreté ,
Devant à l'art bien moins qu'à la nature.
Je le voudrois complaifant , mais fincère ,
Contraire au vice , indulgent à l'érreur ,
Sans morgue inftruit , vertueux Cans humeur,
D'un bon efprit & d'un doux caractère.
Je le voudrois un tantet philoſophe ,
Moins en difcours qu'en geftes & beaux faits,
Par fes confeils , fes dons & fes bienfaits ,
Prévenant gens de la plus mince étoffe .
Je le voudrois près des Grands fans baſſeffe ,
Pour les petits rempli d'aménité ,
Ferme & conftant fans opiniâtreté ,
Grand fans orgueil , modefte fans foibleffe.
AVRIL. 1777. 7
Je le voudrois rangé fans avarice ,
Sans profufion , honnête & libéral ,
Avec meſure , ouvert & focial ;
Faifant le bien fans orgueil , fans caprice.
Je le voudrois de moeurs irréprochable ,
Pieux fans aigreur , jufte fans dureté,
Noble fans fafte , élevé fans fierté ;
J'en rougirois s'il n'étoit eftimable.
Je le voudrois qui n'eût pas d'autre envie,
D'autre defir que celui de m'aimer ;
Si cet objet pouvoit le retrouver ,
De l'époufer je ferois la folie.
A une Horlogère , Correfpondante de
PAcadémie des Sciences.
PAR AR vos attraits & vos talens ,
Vous charmerez toujours un Sage ;
Vos mains empriſonnent le tems
Vos yeux en décident l'ufage .
>
ParM, de la Louptiere,
A iv
-8 MERCURE DE FRANCE.
Sur la mort de l'Abbé PERNETTI , des
Académies de Lyon & de Villefranche ,
à un Confeiller d'Etat , fon Élève.-
Vous pleurez un Mentor plus heureux que
l'ancien ;
T
Votre goût délicat s'eft formé fur le fien ,
Et vos foins généreux en furent le falaire :-
Tout le bien qu'on lui fit & le bien qu'il a fait ,
Ne lui montroient que plus d'attrait
Dans le bienqu'il eût voulu faire.
Par lemême.
Imitation de la Préface du Panégyrique
du fixième Confulat d'Honorius , Poëme
Latin de Claudien
PAR
TIE .
AR une aimable erreur nous charmant à fon
tour ,
La fable de la nuit eft l'hiftoire du jour.
En dormant , le Chaffeur , occupé de ſa proie ,
Du daim qu'il a lancé fuit la trace avec joie ;
Le Magiftrat prononce ; & le Guide couché ,
AVRIL. 1777.
Sur fes courfiers fumans fe croit encor penché;
L'Amant fait les lareins , le Marchand fon commerce
,
Chacun avec ardeur dans fon genre s'exerce ;
Erle Buveur , qu'abuſe un fidèle fommeil ,
Boit déjà les flacons gardés pour fon réveil.
Moi ,qui de l'art des vers eut toujours la manie ,
L'oeil à peine fermé , je rêve poësie.
En fonge , l'autre nuit , de l'Olympe écouté ,
Je récitois mes vers : il étoit enchanté .
Un fonge flatte , en tout il ne faut pas le croire ;
Du vainqueur des Titans je célébrois la gloire ,
Et le brillant accueil que lui firent les Dieux ,
Quand des fils de la terre il eut vengé les cieux..
Que la vérité fuit de bien près le menfonge !
Je vois en ce moment réaliſer mon fonge.
Je chante Honorius , & fes brillans exploits ,
D'une oreille attentive il écoute ma voix ;
Son palais eft l'Olympe , & les Dieux qu'on adore,.
Auprès d'Honorius je les retrouve encore.
Le fommeil m'offroit- il rien de plus gracieux ?
Ce que je vois fur terre égale au moins les cieux..
Par M. le Métayer.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
HENRI IV & L'AMBASSADEUR
D'ESPAGNE ..
UN Roidont les vertus ont l'eftime publique ,
Sans rifquer pour la gloire , avec tous communique
,
Méprife ces dehors gênans , pleins de hauteur ,
A des Princes communs tenant lieu de grandeur..
Tel fut le grand Henri , délices de la France ,
Fameux par la candeur comme par ſa vaillance ::
Teleft ce jeune Roi , l'un de fes deſcendans.
Louis , dont la ſageſſe a devancé les ans,
>
Un jour l'Ambaffadeur de la fière Ibérie,
Sondoit Henri le Grand fur l'humeur , le génie
Des trois Grands qui tenoient les rênes de l'Erat „
Pour qu'au ton de chacun le fien s'accommodât.
Tous trois , dit le Monarque , à l'inſtant vont
paroître ;
Leurs propos, mieux que moi , vous les feront
connoître..
Le Chef de la juftice arriva le premier..
Sillery, dit le Roi, vigilant Chancelier ,.
De quifans doute à tout s'étend la prévoyance ,
Je crois ce vieux lambris , de gothique ordonnance,,
AVRIL 1777 .
II
Prêt à crouler; voyez , tirez - moi d'embarras.-
Ah ! Sire , excufez-moi , je fuis neuf en tel cas ;
Combinez gravement le danger , la dépense ;
Qu'enfuite les Experts prononcent leur fentence.
Villeroy, d'un efprit plus flexible & moins lent,
Auprès du vaillant Prince eft admis à l'inftant.
Je crains , lui dit Henri , que ce lambris antique
Ne nous écrase un jour de fon poids magnifique ;
Il faudroit l'enlever. -Le rifque eft effrayant ,
Répondit Villeroy , ( fans le voir autrement)
Sire , on doit admirer votre rare prudence .
Le Préfident Janin termina la féance.
Nous allons , dit le Roi , périr fous ce plancher ,
Sa vétufté m'effraye ; il faudroit le changer.
Janin , dont le coup- d'oeil fage & plein de fineffe,
Savoit juger de tout avec goût & jufteffe ,
N'apperçoit nul danger.
-
Je cherche , Sire ,
envain
Les défauts du lambris , je le trouve encor fain..
Mais ces crevaffes- là qui figurent un crible,
Montrent, fi j'ai des yeux, un péril bien terrible
Dormez, Sire , en repos : allez , ce plancher- là ,
Tout vieux qu'il vous paroît , plus que vous
durera..
Les Miniftres partis , le Roi , par complaifance ,
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Avec l'Ibère ainfi renoua conférence :
Ces gens , d'un zèle égal , en leur ton différent ,.
A vous , ainfi qu'à moi , font connus à préfent.
Silleri, formalifte & d'humeur flegmatique ,
En les graves avis fuit un plan méthodique ;
Il ne fait ce qu'il veut , fa lenteur me confond :
On radote fouvent pour avoir trop raiſon.
Si l'on croit Villeroy , je fuis la raifon même ;
Paroiffant d'un flatteur adopter le fyftême ,
Son amour pourfon Prince eft un voile enchanteur
Qui le montre à fes yeux incapable d'erreur.
Le principe eft très- beau ; mais il faut qu'il foit:
jufte :
L'encens ne peut changer un Tibère en Augufte.
Janin , franc & fubtil , ne me flatte fur rien ,
Me dit tout ce qu'il penfe , & penfe toujours bien ;
Il m'offre des confeils au lieu d'encens frivole..
Un Roi de fes Sujets ne peut être l'idole ,
Si , rebelle aux confeils , entier dans fon avis ,
Il répugne à s'ouvrir à de fages amis :
Les meilleurs ont fouvent l'enveloppe un pet
dure ;
Mais j'y vois un creufet où notre ame s'épure .
Les caprices du fort , qu'on me vit effuyer ,
M'ont rendu des humains chaque ton familier.
Le ton libre eſt un droit qu'ont acquis , par leur
zèle ,
AVRIL 1777. #3
Les Grands dont vous vouliez une efquiffe fidelle.
Mais fachez qu'oppofés pour l'humeur & les traits,
L'amour du Souverain réunit les Français.
Par M. Flandy.
A MADAME M...
MON ESSAI ou MA FRÉNÉSIE .
D'HYPOCRINE ou de Caliſtie
Quand j'aurois par hafard bu quelques gouttes.
d'eau ,
Je ne pourrois , je crois , fentir en mon cerveau
Un plus puiffant attrait pour la Métromanie ;
Découvre-moi la caufe , Aglaé , je te prie ,
De ce phénomène fecret
Qui trouble ma philofophie
Et tient ma raiſon en arrêt...
Seroit- ce un tranſport frénétique
Qui fe feroit en moi foudain manifefté ?
Ou bien de l'Hélicon quelque Divinité ,
Projettant d'eflayer ma veine poétique ,
M'auroit-elle foufflé ce grain métromanique
Pour chaffer ma timidité ?
Quoi qu'il en fait ,je cède au moteur qui m'engages ,
Peut - être , que fait - on , émane- t-il des cieux ,
:34 MERCURE DE FRANCE.
Et m'offre-t- il l'heureux préfage
Que mes foibles efforts feront goûtés des Dieux.
Cet efpoir en mon coeur fait germer le courage
Et naître un defir curieux ;
La fortune , dit- on , rit aux audacieux ,
Et fouvent les fuccès leur tombent en partage ;
Pourquoi balancerois - je à marcher fur leurs pas ,
S'il peut m'en advenir un ſemblable avamage ?
Il eft peu de mortels qui ne préfèrent pas
Le renom d'homme heureux à celui d'homme fage,
Et je vois dans tous lieux , & dans tous les Etats ,
Cette maxime affez d'ufage ,
Et contefrée en peu de cas.
Ainfi , fans hélites , tentons la réuffite ,
Sans cependant aller trop vîte ,
Et donnons une fois quelque chofe au hafard 5
Le génie inconnu qui m'infpire & m'excite ,
A mes foibles talens aura fans doute égard ;
Ce ne fu pas toujours jadis au vraï mérite
Qu'on donna le nom de Célar.
Mais avant que d'entrer en lice ,
Aglaé , c'eft à toi que j'adreffe mes voeux
A mon effai rends- toi propice ,
Je ne puis manquer d'être heureux ;
Tu peux m'ouvrir un champ de gloire
En me donnant quelques leçons ,
Non qu'en présomptueux j'ofe efpérer & croire
Ma lyre aflez d'accordpour imiter lesfons
AVRIL. 1777. IS
Je ne lens que trop bien que ma Mufe novice ,
Hafardant de planer avec toi de niveau ,
Tout en fortant de fon berceau ,
Tomberoit dans le précipice ,
Et n'auroit vu le jour que pour voir fon tombeau.
Des Titans autrefois les Dieux firent juftice ,
Que feroit-ce de moi , qui ne fuis qu'un rofeau?
ParM. de N. Chev . de Saint Louis.
L'ATTRIBUT DE VÉNUS.
Traduction de Shenftone.
COMME Vénus , Zélis eſt belle,
Elle a fa fraîcheur , fes attraits ;
Et feroit parfaite comme elle ,
Sile fourire ornoit fes traits ..
La chafte fille de Latone
Se diftingue par un cioillant ,
Pallas par un cafque éclatant ,
Et Junon par une couronne.
Ainfi chaque Divinité
Al'attribut de fon empire ;
Et la Reine de la Beauté
A pour fymbole le fourire.
16 MERCURE DE FRANCE.
Daignez donc fourire , Zélis
Et ceux dont le pinceau fidèle
Voudra nous bien rendre Cypris ,
Vous prendront tous pour leur modèle.
Par M. de Chateaugiron , Officier au
Régim. de Normandie .
DIALOGUE
Entre CHAPH- SEPHI , Roi de Perfe ,
ALIBÉE , Berger Perfan , élevé par
Cha-Abbas , père de Séphi , à la di¬
gnité de premier Miniftre, & AMULEM,
Courtifan de Chaph- Séphi * .
( L'action eft fuppofée ſe paſſer dans la
maifon d'Alibée. Les portes s'ouvrent
inopinément , Séphi entre fuivi d'Amulem
& d'une troupe de Satellites ).
SEPHI confidère avec ſurpriſe l'ameublement
de la maifon d'Alibée.
AMULEM ,
MULEM , quelle étonnante fimplicité
!
* Le fujet de ce Dialogue eft tiré d'un Conte-
Perfan de Fénélon , imprimé à la fuite de fes Dialogues
des Morts anciens & modernes.T.II , P. 2..I La.
AVRIL 1777. 17
AMULEM , bas à Séphi.
Il eft vrai , Seigneur ; mais c'eft pour
mieux cacher à tous les yeux les tréfors
immenfes qu'il a fu accumuler fous
le régne de votre père .
ALIBEB , fe profternant.
Souverain Seigneur , par quel bonheur
inattendu le plus fidèle de vos
fujets vous reçoit-il dans fa maifon ?
SÉP H. I.
Relevez - vous , Alibée , vous avez été
le favori du Roi mon père.
A LIBÉE.
Les bontés dont il m'a honoré , ne
fortiront jamais de ma mémoire.
SÉгHI.
Il vous a tiré du fein de la misère &
de l'obfcurité , pour vous porter au plus
haut degré de fplendeur.
A LIBÉ E.
Je lui dois tout , Seigneur ; il a fait
pour moi tout ce qu'un fouverain auffi
18 MERCURE DE FRANCE.
puiffant que lui pouvoit faire ; mais
quelques grands que foient fes bienfaits
, rien n'excite autant ma reconnoiffance
& mes regrets , que cette amitié
, cette confiance douce & ... oui ,
j'ofe le dire , familière , jufqu'à laquelle
il a bien voulu defcendre pour moi .
SÉPHI.
Sans doute , ces faveurs font gran
des . Combien feroit donc grand le
crime de celui qui en auroit abufé ? ...
( Alibée demeure interdit).
SEPHI , avec une extrême févérité.
Vous vous troublez , Alibée : répondez
; quelle punition mériteroit le vil
fcélérat qui fe feroit rendu coupable
d'un abus auffi odieux ?
ALIBEE , fe jetant aux pieds de Séphi.
Ma vie eft en vos mains , Seigneur ;
auffi bien Alibée ne pourra- t-il furvivre
au fimple foupçon du plus abominable
de tous les forfaits .
A MULEM , à part.
Je triomphe. Aurois -je deviné fans
y penfer?
AVRIL. 1777. 19
SÉ PHI , avec moins de dureté.
Relevez vous , Alibée. Je ne fuis point
venu pour vous condamner
fans vous
entendre
. Juftifiez
vous.
A MULE M.
Eh ! vous le voyez , Seigneur , il avoue
lui-même fon crime ....
SiPHI.
Taifez- vous Amulem. ( à Alibée avec
bonté) Remettez - vous Alibée ; parlez
avec affurance , j'écouterai avec plaifir
votre juftification.
A LIBÉE.
Hélas ! Prince trop généreux , que
voulez-vous que dife un malheureux
Vieillard qui a toujours cherché plutôt
à faire de bonnes actions , que des actions
d'éclat. Qui me juftifiera ? fi plus
de quarante années d'exercice de la plus
importante charge de l'Erat , fous les
yeux du plus fage & du plus jufte de
tous les Rois , ne parlent point en ma
faveur ? Si mes actions ne me juſtifient
point , entreprendrai-je de me juftifier
20 MERCURE DE FRANCE.
par des poroles ? Hélas ! fi j'étois coupable
je ferois moins embarraffé .
A MULE M.
Eh ! Seigneur , ne voyez-vous pas
que ces détours.....
SEPHI jette un regardfur Amulem qui l'interdit.
(A Alibée , toujours avec bonté. ),
Point du tout , Alibée. Je faurai récompenfer
vos fervices , même en vous
puniffant. Mais deviez- vous abufer, de
la confiance de mon père pour accumuler
des tréfors immenfes ? ( Ici Aibée
fait un gefte de furprife . Séphi continue).
Si vous euffiez accepté les richeffe's
que mon père ne ceffoit de vous offrir ,
je me ferois empreffé de confirmer ces
dons , quelques magnifiques qu'ils fuſfent
; mais affecter de les refufer pour
thefaurifer en fecret .... Je vous fais
vous-même votre Juge , Alibée ; que
dois-je penfer d'une pareille conduite ?
ALIBEE , après un inftant de filence .
Je ne fuis étonné que de la hardieffe
de l'accufation , Seigneur ma pauvreté
temoigne mon innocence.
AVRIL. 1777 . 21
SÉPHI.
Songez-y , Alibée de vaines appatences
ne me trompent point. Vous
poffédez un tréfor que vous cachez avec
foin.
A LIBÉ E.
Prince magnanime , jamais le menfonge
n'a approché de mes levres. Mes
biens font à vous ; ma vie vous appartient.
Alibée fe dévoue à toute votre
colère , s'il cache à vos yeux la moindre
chofe de ce qu'il possède.
SÉPHI.
Amulem , conduiſez - moi au lieu qui
renferme ce tréfor .
A MULE M.
Il eſt fous vos yeux , Seigneur ; ce
coffre énorme , recouvert d'acier & furchargé
de ferrures , renferme ce tréfor
dont je vous ai parlé.
SÉPHI.
Ouvrez ce coffre , Alibée.
A LIBÉ E. I
Jufte ciel ! quel excèsde noirceut &
22 MERCURE DE FRANCE .
d'effronterie ! (haut) Hélas oui , Seigneur,
ce coffre renferme un tréfor ; mais c'eſt
un tréfor que l'avarice d'Amulem ne
fauroit m'envier ; il me vient de mes
pères , ce tréfor ineftimable , & tout
mon bonheur fera de ne m'en féparer
jamais.
A M U LE
M.
Quel difcours ! Peut- on porter
pareil excès l'amour de l'or !
SEPHI en fureur.
à
un
Hypocrite infame ! ô le plus vil de
tous les hommes , ouvre ce coffre.
A LIBÉE.
Malheureux Alibée ! Je vous obéirai
Seigneur. Mais le plus fidèle de
vos fujets ofe efpérer que vous ne le
priverez pas du feul bien qui lui reſte
fur la terre.
SÉPHI.
Ouvre ce coffre , te dis-je. Il te fied
bien de demander des graces , lorfque
tu ne devrois fonger qu'à implorer ma
clémence.
A LIBÉ E ouvrant le coffre.
>
Vous êtes fatisfait , Seigneur. ( Il tire
AV RIL. 1777 . 23
du coffre des habits de Berger , une flûte ,
une houlette , &c. ) Voilà les richelles
auxquelles j'ai attaché mon bonheur
voilà le tréfor qui n'a excité la baffe
cupidité de mes ennemis, que parce qu'ils
ne le connoiffoient point.
SÉPHI.
Ciel , que vois-je !
A MULE M.
Ah Dieux ! qui l'auroit cru !
A LIBÉ E.
que
Ogrand Roi ' voilà mon tréfor , voilà
le refte précieux de mon ancien bonheur
je le garde pour m'enrichir lorfque
l'envie des hommes m'aura privé
de tout le refte . Prince généreux , digne
fils du plus jufte des Rois , vous ne
m'enleverez pas un bien qui m'appartient
fi légitimement , un bien plus précieux
pour moi , mille fois , que les vains monceaux
d'or que mes ennemis s'attendoient
de trouver ici.
SÉPH à Amulem avec courroux.
Amulem , eft- ce ainfi que vous avez
ofé tromper votre Roi ?
24 MERCURE DE FRANCE .
A MULE M avec confufion .
AM
Seigneur ... en vérité .
fois pas.... je fuis confus
SÉP HI.
.je ne pen-
Sortez & ne paroiffez jamais devant
moi ( à Alibée , qui dépouille fes habits
de courtisans & reprend ceux qu'il a tiré
du coffre. ) Que faites vous Alibée ? vous
reftez auprès de moi , vous y reprendrez
la place que vous occupiez auprès de
mon père.
A LIBÉ E.
Pardonnez , Seigneur ; quarante années
d'expérience m'ont appris à préférer
une vie douce & obfcure , au tu
multe & au dangereux éclat des cours.
P Η Ι .
11 11
Y penfez-vous Alibée ? fongez que
vous êtes utile à votre roi , & qu'il
exige vos fervices. Pouvez -vous balancer
un inftant entre votre bonheur &
votre devoir.
ALIB E.
J'obéis Seigneur. Puiffent mes fervices
AVRIL. 1777. -25
ces & ma fidélité me mettre déformais
à l'abri des entrepriſes de mes ennemis.
Par Mile Raignier de Malfontaine.
Difcours de Porcia à fes Parens & à fes
Amis , qui vouloient l'empêcher de fe
donner la mort .
AMIS MIS trop aveuglés , dont la bonté funefte
Youdroit me conferver des jours que je déteſte ',
Sufpendez la rigueur de vos foins fuperflus ,
Et connoiffez enfin la femme de Brutus.
Envain de vos complots la cruelle induftrie
Vetit refferrer le noeud qui m'enchaîne à la vie ;"
Envain , pour m'affranchir d'un deftin plein d'horreur
,
Vous défendez au fer de ſervir ma fureur ;
Peut-on vaincre l'effort d'une amemagnanime
Qui veut le dérober au fardeau qui l'opprime
Le ciel règle le fort des vulgaires humains ,
Mais il laiffe aux grands coeurs le foin de leurs
deftins ;
Et fi de la vertu la fentence fatale
Précipite leurs pas dans la nuit infernale ,
On oppofe à leurs voeux un inutile effort.
1. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
L'arrêt du défelpoir eft un arrêt du fort.
Quand l'ame de Caton , pour fuir la tyrannie ,
Eut marqué le moment du terme de la vie ,
Envain à vivre encore on voulut le forcer;
Il déchira fon coeur qu'il ne pouvoit percer,
Et d'un fils imprudent la pitié criminelle ,
N'empêcha point la mort & la rendit cruelle,
Oui , c'eſt un don du ciel qu'il accorde aux grands
coeurs ,
De pouvoir , en tout temps , terminer leurs mafheurs,
Ne ferois- je donc pas ce qu'un grand coeur peur
faire,
Moi , femme de Brurus , moi dont Caton fut père ?
Et devrois-je porter des noms fi glotieux ,
Si je vivois encor quand ils font morts tous deux ?
Non, perfides amis , & votre barbarie
Souilleroit trop ma gloire en confervant mavie,
Puifque fous les Tyrans Brutus eft abattu ,
Je dois perdre le jour ou perdre la vertų.
Ah! que votre amitié feroit digne de haine ,
Si de mes triftes jours vous pròlangiez la chaîne!
Mon coeur , dans les tourmens qu'il auroit à
fouffrir,
A V R I L. 1777- 17
Mourroit à chaque inftant de ne pouvoir mouris
Et de vos foins affreux l'activité cruelle ,
Me feroit de la vie une mortéternelle.
Qui ?moi! je pourrois vivre &voir ces fiers Tyrans
Du fang de inon Epoux leurs bras encor fumans ?
Sans pouvoir fatisfaire une haine trop juſte ,
Jepourrois refpirer l'air qu'empoifonne Auguſte ?
Antoine à les côtés , riant de mes chagrins ,
Infulteroit encor à mes affreux deftins?
Je verrois à leurs pieds la liberté mourante ?
De routes les vertus leur fureur triomphante ?
EL, pour mettre le comble à mon funeſte ſort ,
Je ne verrois plus Rome & nië verrois encor ?
1
Banniſſons loin de moi cette effroyable idée ,
Et que d'un pur plaifir mon ame poffédée ,
Prête à voir arriver le moment le plus doux,
Ne fonge qu'au bonheur de rejoindre un Epoux.
Ø Brutus! tendre objet de la plus noble flamme,
Ton corps eft au tombeau , ton ame eft dans mon
ame.
C'est toi qui , chez les morts , précipite-mes pas ,
Et tu vis dans mon coeur pour hâter mon trépas,
Cher Epour, tu le vois , digne de notre chaîne ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Lorque Rome n'eft plus , je meurs encor Romaine,
Et malgrez les Tyrans, mon coeur, jufqu'à ce jour,
N'a connu de liens que ceux de notre amour.
Par M. A. Julien.
&
VERS à un Ami à l'occafion du retour de
Sa fête.
RENDRE les mêmes
fentimens
D'une façon toujours nouvelle ,
Eft un art dans lequel excelle
Tout bon faifeur de complimens :
Mais de ce talent difficile
Je ne fis jamais mon métier ,
Et la peine d'étudier
Me dégoûta de l'honneur d'être habile.
Certain Prédicateur , dit - on ,
Qui devoit à fon auditoire
Faire l'éloge d'un Patron
Dont il avoit déjà chanté la gloire ,
Dit : Meffieurs vous avez mémoire
Que l'an paffé je traitai ce ſujet ;
Depuis ce tems le Patron n'a rien fait
Qui puiffe enrichir fon hiftoire.
AVRIL. 1777. 29
Ce que cet Orateur diſoit ,
Cher Huguet , je puis te le dire ;
Ma plume ne peut rien t'écrire
Sinon ce qu'elle t'écrivoit.
Notre amitié n'eft- elle pas la même?
Vas, je ferois moins ftérile inventeur
Si , pour te dire en cent façons que j'aime ,
Mon efprit s'épuifoit aufli peu que mon coeur.
Par M, de R. de Péronne.
Avis AU BEAU SEX E.
PAR un ufage ridicule
On follicite les procès
Et du plus injufte fuccès
Perfonne ne fe fait fcrupule.
Je trouve dans tous les états
Sur ce point égale conduite ,
Mais fur-tout je n'approuve pas
Que le Beau Sexe follicite ;
Eft- ce un ton de fociété ?
Eft- ce à titre de femme aimable ?
Avez- vous plus de dignité ,
Vous trouvez- vous plus eftimable
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
&
En expofant la probité
Du Juge le plus équitable
Et le plus expérimenté ?
Je parle à vous , Solliciteufe ;
Quel droit aviez-vous fur le bien
D'une famille malheureufe
Que vous avez réduite à rien ?
· Eh quoi ! fans connoître une affaire,
Vous accablez les malheureux ?
Et, ce que vous faites contr'eux ,
C'eft pour eux qu'il faudroit le faire :
Mais mon credit , me direz vous,
Ne tire pas à conféquence ,
La Juftice , dans la balance,
Pèfe les intérêts de tous.
Contredire cette morale ,
C'est parler contre la raifon ;
Oui, cette règle eft générale ;
Mais en voici l'exception :
Quand une femme au teint de rofe
Avec un regard enchanteur ,
Sollicite pour un Plaideur
Dont elle fait valoir la cauſe ,
Thémis s'offenfe & s'attendrit s
Dans ce combat , fouvent funefte,
Malheureusement l'homme refte,
Er le Juge s'évanouit
AVRIL. 1777. 31
Un Magiftrat incorruptible ,
A l'abri du coup de pinceau ,
M'a fouvent dir qu'il eſt poſſible
De juftifier ce tableau.
Par M. de Saint-Hubert , Chev, de
Saint-Louis.
LB TRIOMPHE DE L'AMITIÉ.
LE fier Amour & l'Amitié modeſte ,
Tous deux rivaux & jaloux de leurs droits ,
Avoient enfin , d'une commune vɔiX ,
Pour les régler , choifi la Cour céleſtę .
Les Dieux , en demi- cercle affis ,
Gerdoient yu angufte flence
Et devant eux la fidelle balance.
Brilloit dans les mains de Thémis.
Et
L'Amour , à qui rien n'en impofe ,
Se préfente d'un air vainqueur ,
par ces mots , adreffés à fa Soeur ,
Paroît für du gain de ſa cauſe.
Peux - tu, dit-il , quand tour me fait la cour,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Peux-tu me difputer l'empire ?
Ecoute: un mot va prouver ton délire :
Le douxplaifir me doit le jour...
Ne chante pas encor victoire ,
Répond fa Soeur avec tranquillité :
Le Plaifir , fi l'on veut t'en croire ,
Brille toujours à ton côté :
Mais je dois tirer plus de gloire
De voir au mien l'Adverfité .
Tu ne fouris qu'avec malignité ;
Et moi, volontiers je confole
Des maux où tòn Plaifir frivole
Plonge l'aveugle humanité.
Compagne chafte & toujours füre ,
Je fuis, pour les ca uns que j'épure,
L'afyle de tous les inftans :
.
De leur hiver je fuis l'heureux printemps ;
Au lieu que fous ton frêle empire ,
Tôt ou tard le coeur qui foupire
Se plaint des outrages du temps,
Fort bien , dit-il avec fineffe ,
Mon pis-aller fait ton pouvoir;
Et je conviens que ta foibleffe
A raifon de s'en prévaloir ;
Mais , avec tes vains avantages ,
AVRIL 33 1777.
Conviens auffi que , malgré mes défauts ;
Amon chat j'ai vu bien des Sages ,
Et que mes feux , dans tous les âges ,,
Ont pétri l'ame des Héros.
Mais , reprit-elle , que de maux!
Que d'attentats ! que de ravages !
Que d'embrafemens ! que d'orages
Ont obfcurci l'éclat de tes drapeaux !
A tes Héros , ces fuperbes cfclaves ,
Tu caches des fers fous tes fleurs ;
Aux miens je n'offre paar entraves
Que les liens de mes pures douceurs.
Befoin délicieux de l'ame ,
Ma paifible & conftante flamme ,
Devient l'aliment des grands coeurs ,
Et j'en connois dont la délicateffe ,
La candeur & l'aménité ,
A mes attraits , fur ceux de ton ivreffe ,
Affureront toujours la primauté.
Généreux , difcrets & fidèles ,
Heureux par le bonheur d'autrui ,
Dans leurs vertus ils trouventleur appui ,
Et tout le tien fe réduit à tes ailes .
Ofes- tu donc , reprit-il à fon tour ,
T'appuyer fur une chimère.
Bv
34
MERCURE DE FRANCE
Je vais reparler fans détour :
A pareils coeurs on ne croit guère;
Au lieu que la nature entière
Applaudit aux droits de l'Amour.
Ilfe tur : la Cour immortelle ,
En fa faveur , aux yeux de l'Univers ,
Peut-être auroit décidé la querelles.
Mais l'Amitié , pour fon modèle ..
Fit voir le coeur des Champdivers *.
L'Amour confus fendit les airs ,
Et tout l'Olympe fut pour elle.
Par M. des Marais du Chambon , en
Limousin.
A Monfieur le Maréchal Duc DE
FITZ-JAMES.
HiRITTER dos vertus , du rang & de la gloire
De ce fameux Héros , l'arbitre des combats ,
L'honneur du nom François, l'appui des Potentats,
Qui , toujoursà fon char , enchaîna.la victoire..
Maifon de qualité dans la Franche-Comté , & qui
aft encore plus recommandable par les qualités de l'efprit
& du coeur , que par l'éclat de la naiſſance.
AVRIL. 1777. 35
Ce vainqueur d'Almanza , modèle des guerriers ,
Loin de s'énorgueillir de fes brillans trophées ,
Je le vois profterné dépofer fes lauriers ,
Fondant tout fonefpoir fur le Dieu des armées.
Illuftre deſcendant du Favori de Mars ,
Egal à fa prudence , égal à fon courage ,
Fitz-James , toujours jufte , & magnanime & fage,
Préfide aux légions dans l'ordre des Céfars,
Déjà , d'un vol hardi , porté par l'efpérance ,
Au faîte des grandeurs s'élève ton grand nom ;
Pour t'immortalifer dans les Faftes de France ,
A côté des Berwik , Turenne & Matignon.
Te louer , eft fans doute un droit que je m'arroge.
Citoyen généreux ! ton titre mérité
Paffera d'âge en âge à la postérité ,
Et le choix de Louis furpaffe tout éloge.
Aimer à fe choifir des Miniftres fidèles ,
Se plaire à rallumer le flambeau de la loî ,
Suivredu grand Hentiles leçons immortelles ,
Ces traitsfout de Louis , ces traits font d'un grand
Roi.
De l'augufte Thémis , foutien des droits facrés
Monarque bienfaiſant , à nos voeux fi propice ,/
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Toujours Roi par devoir , toujours Roi par juftice,
Et ton coeur & tes dons font par-tout célébrés .
Le démon des combats s'éloigne de la terre ,
La paix , la douce paix règne dans nos climats ;
Ne vousy trompez pas , fiers enfans du tonnerre ,
La France á fes Héros , la France a des Soldats .
Sacrifier les jours , fes talens , fon repos ,
A fervir fa patrie , & l'Etat & fon Maître ,
Voilà le Citoyen ; oui , j'aime à le connoître
Dans Fitz-James lui-même ; & voilà mon Héros .
Par M. Hunbert.
LE SHASTA ou le livre facré des Gentons ,
traduit de l'Anglois de M. Holwel ,
par M. D. M. C. A. P.
SECTION PREMIÈRE . Dieu eſt celui qui
fut toujours : il a créé tout ce qui eft.
Dieu eft comme une Sphère parfaire ,
fans commencement & fans fin . Il régle
& gouverne toute la création par
une providence générale & conforme aux
principes invariables de fa première volonté.
Tu ne rechercheras point l'effence
AV- RIL. 1777. 37.
& la nature de l'être feul éternel , ni
les loix par lefquelles il gouverne. Cette
recherche elt vaine & criminelle : c'eſt affez
pour toi de voir chaque jour & chaque
nuit dans fes ouvrages , fa fageffe ,
fon pouvoir & fa miféricorde . Tâche
d'en profiter
.
"
SECTION II . L'Eternel abforbé dans
la contemplation de fon effence , réfolut
, dans la plénitude des temps , de
faire connoître fa gloire & fa nature à
des Etres capables de fentir & de partager
fa félicité & de fervir à fa gloire .
Ces Etres n'exiſtoient pas , l'Eternel
vonlut , & ils furent . Il les forma d'une
partie de fon effence : capables de perfection
, mais il leur accorda aufli le
pouvoir d'imperfection , fuivant le choix
de leur volonté . L'Eternel créa avant
tout Birmah, Biftnoo & Sieb , puis Moifafoor
& toute l'armée célefte. Il donna
la prééminence à Birmah , Biftnoo &
Sieb. Il établit Birmah , prince de l'armée
célefte , & il mit les Anges fous fa
domination; & il le conftitua fous-lieutenant
dans le ciel , & lui nomma pourcoadjuteurs
Biftnoo & Sieb . L'Eternel
divifa les Anges en légions , & mit à la
tête de chacune d'elles un général ou un
4
MER CURE DE FRANCE
chef. Ces adorateurs furent placés au
tour de fon trône fuivant leurs dignités ,
& l'harmonie fut dans le ciel. Moifafoor
, le chef de la première légion des
Anges , dirigeoit les chants céleftes de
louange & d'adoration pour le Créateur
, & les chants d'obéiffance pour
Birmah , le premier créé ; & l'Eternel
fe réjouit de fun ouvrage .
SECTION III . Depuis la création de
F'armée célefte , la joie & l'harmonie
environnèrent le trône de l'Eternel pen
dant des milliers de milliers d'années.
Cet état auroit duré jufqu'à la fin des
temps , l'envie ne s'étoit pas emparé de
Moifafoor& d'autres chefs des légions des
Anges , parmi lefquels fut Rhaabon , le
premier en dignité après Moifafoor.
Oubliant le bienfait de leur création
& les devoirs qui leur étoient impofés
, ils méprifèrent le pouvoir de perfection
qui leur étoit accordé ; ils exer
cèrent le pouvoir d'imperfection , & ils
firent le mal en préfence de l'Eternel.
Ils refusèrent de lui obéir & de fe foumettre
à Birmah , fon lieutenant , & à
Biftnoor & à Sieb , coadjuteurs de Birmah
, & ils fe dirent à eux- mêmes : Nous
commanderons. Et fans craindre la toute-
1
AVRIL. 1777. 19
puiffance & la colère du Créateur , ils
répandirent leurs coupables deffeins dans
l'armée des Anges , ils les féduisirent &
en entraînèrent un grand nombre dans
leur parti. Il y eut une féparation devant
le trône de l'Eternel : la douleur
s'empara des Anges fidèles , & fut connue
pour la première fois dans le ciel.
SECTION IV . L'Éternel , dont la prefcience
& le pouvoir s'étendoient fur tout,
excepté fur lesactions des Etres qu'il avoit
créés libres , vit avec douleur la défec
tion de Moifafoor , de Rhaabon & des
autres chefs des Anges. Miféricordieux
dans fa colère , il envoya Birmah , Bif
noo & Sieb leur remontrer leur crime ,
& les exhorter à rentrer dans le devoir.
Mais enivrés de l'idée de leur indépendance
, ils continuèrent à défobéir ;
alors l'Eternel ordonna à Sieb de s'ar
mer de fa toute- puiffance , de les chaf
fer du ciel , de les plonger dans les té
nèbres , & de les condamner à y fouffrit
éternellement.
SECTION V. Les Anges rebelles gé
mirent dans les ténèbres , fous l'indignation
du Créateur pendant cent vingt
hx millions d'années . Durant ce pério
de , Birmal , Biftnoo & Sieb ne cefsè40
MERCURE DE FRANCE .
la
rent pas d'implorer , de l'Eternel ,
grace & le rétabliſſement des coupables.
L'Eternel s'appaifa enân à leurs inftances
; & quoi qu'il ne pût pas prévoir
l'effet de fa clémencé fur la conduite fu
ture des coupables , ne défefpérant point
encore de leur repentir , il déclara fa
volonté « Qu'ils foient retirés des té-
» nèbres , & placés dans un état d'épreu-
» ve & de pénitence où ils pourront en
core faire leur falut » . L'Eternel promalgua
fes niféricordieufes intentions ;
& ayant laiffé fon pouvoir & le gouvernement
du ciel à Birmah , il fe reti
ra dans lui-même , & devint invifible à
l'armée célefte pendant cinq mille ans.
A la fin de ce temps , il fe manifeſta
de nouveau , il reprit le trône de lu
mière & reparut dans toute fa gloire ,
& les fidelles légions des Anges célébré
rent fon retour par des chants d'allé
greffe.
Que tout foit en filence : l'Eternel
dit , « qu'un monde de quinze planetes
» dans lefquelles les Anges rebelles fe-
» ront éprouvés , où ils fe purifieront
& feront leur réfidence , paroiffe
& il parut à l'inftant .
Et l'Eternel dit : « Que Biſtnoo , armé
AVRI L. 1777. 41
de mon pouvoir , defcende dans la
» nouvelle création , qu'il retive les
» Anges rebelles des ténèbres , & qu'il
» les place dans la dernière des quinze
planètes
"
W..
Biftnoo s'arrêta devant le trône & dit :
» Eternel , j'ai fait ce que tu m'as or-
» donné & toute la fidelle armée des
Anges refta dans l'étonnement , & admira
la fplendeur & les merveilles de
la nouvelle création .
Et l'Eternel parla encore à Biftnoo ,
& dit : « Je formerai pour les Anges
coupables des corps qui feront leurs
prifons & leurs demeures pendant un
» temps , dans lefquels ils feront fujets
au mal phyfique felon le degré
»de leur premier crime : vas , & ordenne-
leur de fe préparer à y entrer &
» à t'obéir 19.9.2
:-
Et Biftnoo s'arrêta devant le trône ,
s'inclina & dit : Éternel , tes or-
" dres font exécutés , & la fidelle ar
mée des Anges refta dans l'étonnement,
des merveilles qu'elle entendoit , & célèbra
par des louanges la miféricorde de
l'Eternel.
Que tout foit en filence ... l'Eternel .
dit encore à Biftno : « Les corps que
42 MERCURE DE FRANCE.
»
» je préparerai pour recevoir les rebelles
» feront fujets à changer, à fe détruire ,
» à mourir & à fe renouveler fuivant
» les loix que j'établirai en les formant ,
» & les Anges coupables fubiront dans
» ces corps mortels , quatre-vingt-fept
tranfmigrations , & ils feront fujets
» aux fuites du mal phyfique & du mal
moral , felon le degré de leur première
faute, & fuivant que leurs actions, dans
nces formes fucceffives , répondront au
pouvoir limité que je leur accorderai ,
& ce fera laur état de pénitence &
» d'épreuve ...
33
» Et cela fera ainfi. Lorfque les An-
» ges rebelles auront paffé par les quatre
vingt fept tranfmigrations , qu'ils foient
∞ animés par l'abondance de mes gra
Les fous une nouvelle forme , & toi
Biftnoo , tu appelleras cette forme la
vache ".
» Et cela fera ainfi . Lorfque le corps
» mortel de la vache deviendra inani-
» mé par une deſtruction naturelle , les
» Anges coupables par une plus grande
» abondance de mes graces , animeront
» la forme d'homme ; & fous cette for
» me je leur rendrai l'intelligence qu'ils
➜ avoient quand je les ai créés libres,
AVRIL. 1777. 43
» & ce fera leur principal état d'épreu-
» ve & de pénitence ».
» La vache fera regardée comme fa
» crée par les Anges coupables , car elle
leur fournira une nourriture nouvelle
» & agréable , & elles les aidera dans le
» travail auquel je les ai condamnés; & ils
» ne mangeront point de la vache ni de
la chair d'aucun des corps mortels que
» je préparerai pour leur demeure ,
foit
» que ces corps rampent for la terre ,
» foit qu'ils nagent dans l'eau , ou qu'ils
volent dans les airs. Le lait de la va
» che & les fruits de la terre feront leur
nourriture.
n
» Les formes mortelles dont je revêtirai
les Anges coupables , feront l'ou
» vrage de ma main , elles ne feront dé
truices que par une mort naturelle . Si
donc, par une violence préméditée , un
Ange occafionne la diffolution d'une
» forme mortelle , animée par un de
fes frères coupables : to Sieb
plongeras l'offenfeur dans les ténèbres
» pour un temps , & il fera condamné
» à fubir quatre-vingt-neuf tranfmigra
tions, à quelque degré qu'il fût parvenu
au temps de fon crime ; mais fi l'un
» des Anges coupables ofe fe délivrer
ta
44 MERCURE DE FRANCE.
:
» lui- même , par violence , de la forme
» dont je l'aurai . revêtu , toi Sieb , tu
» le plongeras pour toujours dans les
» ténèbres , & il fera privé de la grace de
paffer par les quinze planetes d'épreuve
, de pénitence & de purification. ».
"
Et je diftinguerai en efpèces & en
" genres , les corps mortels que j'ai deftinés
pour le châtiment des Anges
coupables, & je donnerai à ces corps des
» formes , des facultés & des qualités dif
» férentes, & ils s'uniront enfemble , &
ils fe multiplieront dans leur genre &
» dans leur efpèce , fuivant l'inftinct que
j'imprimerai en eux , & de cette union
» naturelleil procédera dans chaque genre
"
& dans chaque efpèce une fucceffion
» de formes, afin que les tranfmigrations
» progreffives des Anges coupables ne
ceffent point ».
39
» Mais fi l'un des Anges coupables
s'unit avec un corps d'une efpèce différente
, toi Sieb , tu plongeras le
coupable dans les ténèbres pour un
» temps , & il fera condamné à fubir
quatre-vingt-neuf tranfmigrations , à
quelque degré qu'il foit parvenu au
temps de fon crime » .
39
: Et fi un Ange coupable ofe , malAVRIL
1777. 48
و د
#4
gré l'instinct que je graverai dans la
fornie qu'il animera , s'unit d'une
manière contre nature , qui ne puiffe
pas produire la multiplication de
fon efpèce : toi Sieb , tu le plonge
» ras pour toujours dans les ténèbres ;
& il ne pourra plus prétendre à la
grace de paffer par les quinze planètes
de pénitence , d'épreuve & de pu
» rification »,
» Les Anges coupables & malheureux
pourront adoucir leur châtiment
» en vivant entre - eux dans une douce
union ; & s'ils s'aiment , fe chériffent
& fe rendent réciproquement de bons
offices ; slils s'aident & s'encouragent
» mutaellenient à fe repentir du crime
»
de leur défobéiflance : je feconderai
leur bonnes intentions & je les favo-
» riferai ; mais s'ils fe perfécutent , je
confolerai les perfécutés , & les perfécuteurs
n'entreront point dans la neuvième
planète , qui eft la première
planète de purification ».
Et cela fera ainfi . Que fi les Anges
, par leur repentir & leurs bonnes
oeuvres , profitant de mes graces
dans leur quatre- vingt - neuf tranfmigtations
dans des corps , mortels ,
46 MERCURE
DE
FRANCE
6
n
"
Biftnoo , tu les recevras dans ton fein,
» & tu les tranfporteras dans la feconde
planète de pénitence & d'épreuve ,
» & tu continueras ainfi jufqu'à ce qu'ils
» ayent fucceflivement paflé par les huic
planètes de pénitence & d'épreuve ;
alors leur punition ceffera , & tu les
tranfporteras dans la neuvième , qui est
» la première planète de purification
" Mais cela fera ainfi . Que fi les An-
» ges rebelles ne profitent pas de mes
graces dans leur quatre-vingt-neuf
tranfmigrations dans des corps mor-
» tels , fuivant le pouvoir que je leur
accorderai : toi Sieb , tu les replonge-
» ras pour un temps dans les ténèbres ;
» & après ce terme , que je prefcrirai ,
Biftnoo les replacera dans la dernière
planète de pénitence , pour y fubir une
feconde épreuve ; & ils feront ainſi
punis jufqu'à ce que par leur repen-
» rir & leur perfévérance , pendant les
quatre- vingt-neuftranfmigrations dans
des corps mortels , ils parvienneut
» à la neuvième planète , qui eft la première
planète de purification : car il
eft arrêté que les Anges rebelles ne
rentreront point dans le ciel , & ne
» contempleront point ma face , juſqu'à
»
»
AVRIL. 1777. 47
ce qu'il ayent paffé par les huit pla-
» nètes de pénitence , & par les fept
planètes de purification ».
"
Quand l'armée des Anges fidèles eut
entendu l'Eternel prononcer fes décrets
fur les Anges rebelles , elle chanta fes
louanges , fa puiffance & fa juftice .
Que tout foit en filence. L'Eternel dir
à l'armée célefte : « J'étendrai mes gra-
» ces fur les Anges coupables pendant
» un certain temps , que je diviferai en
quatre âges ; dans le premier , je veux
» que le terme de leur épreuve , pen-
» dant les quatre-vingt neuf tranfmigra
»tions en corps mortels , foit étendu
» à cent mille ans ; dans le fecond , le
» terme de leur épreuve fera réduit à
» dix mille ans ; dans le troifième , à
» mille ans , & dans le quatrième , à
» cent ans feulement . Et l'armée des
Anges célébra par des chants de joie la
miféricorde & l'indulgence de Dieu.
Que tout foiten filence. L'Eternel dit :
» Cela fera ainfi , lorfque le temps que
» j'ai marqué pour la durée de l'univers
» & celui que ma miféricorde a accordé
» pour l'épreuve des Anges déchus, fera
» accompli par la révolution des quatre
» âges , s'il reste encore quelques Anges
48 MERCURE DE FRANCE.
réprouvés pour n'avoir pas paffé par
les huit planètes de pénitence & dé-
» preuve , & pour n'être point entrés dans
» la neuvième , qui eft la première pla-
» nète de purification : toi Sieb , armé
de ma puiffance , précipite-les pour
toujours dans les ténèbres , & tu détruiras
alors les huit planètes de pénitence
& d'épreuve , & elles ne feront
plus . Et toi Biftnoo , tu conferveras
pour un temps les fept planètes de
purification , jufqu'à ce que les An-
» ges qui auront profité de més graces
» & de ma miféricorde , foient purifiés
199 paroi de leur crime ; & quand tout
fera accompli , quand ils feront rétablis
dans leur état & admis en ma
préfence , toi Sieb , tu détruiras les
»fept planètes de purification , & elles
» ne feront plus ».
ور
Et la puiffance & les décrets de l'Eternel
firent trembler l'armée des Anges
fidèles.
Je
L'Eternel parla encore & dit : «
n'ai point compris dans ma miféricorde
* Moifafoor , Rhaabon & les au-
Nous croyons que M. de V. s'eft trompé dans
d'art . Ide la 2 partie de fes Fragmens fur l'Inde,
» tres
AVRIL 1777.
>>
»
""
tres Chefs des Anges rébelles , mais
» comme ils font avides de puiffance ,
j'augmenterai leur pouvoir de faire
» le mal ; ils auront la liberté d'entrer
dans les huit planètes de pénitence &
d'épreuve , & les Anges coupables ferent
exposés aux mêmes tentations qui
les ont ci devant excités à la révolte ;
» mais l'exercice de ce pouvoir que
j'accorderai aux Chefs rébelles , ne fera
»pour eux qu'un moyen d'aggraver leur
faute & leur châtiment , & je regatderai
la réfiftance que les Anges coupables
feront à ces féductions , comme
une grande preuve de la fincérité
» de leurs regrets & de leur repentir » .
L'Eternel ceffa de parler , & l'armée
fidelle fit entendre des chants de louange
& d'adoration , mêlés de gémiffements
fur le deftin de leurs malheureux frères.
Les Anges fidèles s'affemblèrent, & d'une
voix unanime , ils fupplièrent l'Eternel ,
par la bouche de Biftnoo , de leur per-
W
en difant que chez les Indiens Moifafoor & la
troupe obtinrent leur grace au bout d'un Monontour;
en comparant cette traduction du Shafta
avec ce que le même Auteur rapporte de la Religion
des Brames , on verra qu'il n'a pas toujours
été exact.
1. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
+
mettre de defcendre quelquefois dans
les huit planètes de pénitence & d'épreuve,
d'y prendre la forme humaine,
& de préferver , par leur préfence , par
leurs exemples & leurs confeils , les
Anges malheureux & coupables , des féductions
de Moifafoor & des autres
Chefs rébelles. L'Eternel y confentir , &
les fidelles légions firent entendre des
chants d'allégreffe & d'actions de grace.
""
Que tout foit en filence . L'Eternel
parla encore & dit : « Toi Birmah , revêtu
de ma gloire & armé de ma
puiffance , defcend dans la dernière
planète de pénitence & d'épreuve ,
» & fais connoître aux Anges rébelles
» les décrets que j'ai prononcés fur eux
» & qu'ils entrent en ta préfence dans
» les corps que je leur ai préparés » .
و د
>>
Et Birmah s'arrêta devant le trône
& dit ; » Éternel , j'ai fait ce que tu
» m'as ordonné , les Anges coupables fe
réjouiffent dans ta miféricorde , ils
» reconnoiffent la juftice de tes décrets ,
ils avouent leurs regrets & leur repentir
, & ils font entrés dans les corps
» que tu as préparé pour eux » .
>>
30
AVRIL. 1777 .
A Monfeigneur l'Archevêque de Befançon,
à fon arrivée dans cette Ville , le 9 Février
1777.
PONTIFE ONTIFE felon Dieu , chofi felon fon coeur ,
Prélat , dont les vertus égalent la naiſſance !
Sur le trône placé , par fa toute puiffance ,
De fa tribu facrée , & la gloire & l'honneur.
Tu parois, auffi - tôt tu combles tous nos voeux.
Tendre père , fenfible à nos vives alarmes ,
De tes enfans chéris , tu viens tarir les larmes.
Que ton règne s'étende à nos derniers neveux !
Jouis de ton triomphe , applaudis à ton fort ;
Le Ciel veille fur toi ! Cité toujours illuftre ,
Il augmente en ce jour ton éclat & ton luftre ;
Il t'enlève Choifeul , tu poſsèdes Durfort.
Déjà tu l'as reçu triomphant dans tes murs ;
Déjà , de tout côté , la joie & l'allégreffe
Marquent , de fes agueaux , le refpect , la tendreffe
;
De l'amour du Paſteur, ces garans font trop sûrs .
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
Nom célèbre à jamais dans le rang des Héros ;
Nom cher à ma Patrie , à l'État , à la France ;
De l'Eglife l'appui , la force & l'espérance ,
Vers l'immortalité s'élancent tes travaux.
Par M. le Chevalier Humbert.
VERS à Mademoiſelle VALLAYER ,
Peintre du Roi.
VALLAYER , Livale d'Apelle ,
Etonne nos Zeuxis nouveaux ;
Peintre brillant , Peintre fidèle ,
Tout vit , tout plaît dans fes tableaux ;
Les fleurs que les doigts font éclore ,
Par leur duvet , par leur fraîcheur ,
Ont trompé l'oeil même de Flore ,
Qui fe pardonna fon erreur.
Mais j'admire fon caractère
Plus encore que fes talens :
A la troupe folle & légère
Des Petits -Maîtres fémillans ,
On m'affure qu'elle préfère
Les bons efprits , les bonnes gens.
Ah ! j'admire fon caractère
Plus encore que fes -talens .
AVRIL. 1777. 59
Elle fait , avec la décence ,
Allier l'aimable enjouement ,
La candeur avec la prudence ,
L'efprit avec le fentiment :
Dans l'art & commua de féduire ,
Son coeur fut toujours étranger ;
Elle plaît comme elle refpire ,
Sans effort , & fans y fonger.
Par M. l'Abbé de la S....
SUR
ANECDOTE.
UR un champ de bataille , illuftre fépulture ,
Giffoient mille Guerriers qu'on alloit inhumer :
Le gouffre étoit tout prêt ; fon immenſe ouver-
Sur eux ,
ture ,
dans un moment , devoit fe refermer.
Une plaintive voix foudain fe fait entendre :
Je refpire... Arrêtez ... de grâce, fauvez - moi,
Certain Helvétien préfidoit au convoi.
( Brave homme s'il en fut , mais on ne peut moins
tendre ).
Ah ! vraiment , ce dit- il , c'eft bien prendre fon
tems.
Puis faifant un fignal , achevez mes enfans...
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Rempliffez votre ministère ,
Qui voudroit écouter ces gens ,
A peine en trouveroit un feul à mettre en terre.
AUTR E.
LAfortune en vain m'eft cruelle ,
Difoit , avec orgueil , un fage prétendu ;
Je fais, pour m'affermir contre elle ,
M'envelopper de ma vertu.
Voilà , dit un plaifant , voilà ce qui s'appelle
Etre légèrement vêtu .
LA LINOTTE.
ALLÉGORIE.
UNELinotte jeune & vive ,
Fixoit tous les oifeaux des vergers d'alentour;
Du tourtereau la voix plaintive
Ofa lui foupirer l'amour :
Il lui peignit fi tendrement fa flammie ,
Que la Linotte écouta fes accens ;
A V.RIL. 1777.
ss
Elle parut attentive à fes chants ,
Répondit même aux tranfports de fon ame ,
Et d'unbaifer paya les fentimens.
Ah! que fur un amant un baifer a d'empire !
C'eſt un poifon fubtil qui pénètre le coeur ;
C'eft un aimant qui nous attire ,
Et dont le charme eft impofteur.
Un gentil Roffignol furvint dans le boccage ;
Il fait entendre fon ramage .
La Linotte l'écoute & forme des defirs ,
Dans la nouvelle chaîne entrevoit des plaifirs ;
Elle veut imiter un fi charmant langage ,
Et laille au Tourtereau la plainte & les foupirs.
t
Bien-tôt après autre avanture.
Arrive d'un bois étranger
Un Paffereau dont la riche parure
Rendoit jaloux les oifeaux du verger.
Un Paffereau n'eft point d'une humeur forte,
Il connoît bien fon monde ; & près de la Linotte
Il voltige à l'inftant , fans crainte du danger .
Dame Linotte eft facile à féduire !
Nouvel amant , c'eft triomphe nouveau ;
On le regarde , on daigne lui fourire ,
Pour la feconde fois , adieu le Tourtereau .
On ne veut pas pourtant l'éloigner du boccage ,
En fait d'amans le nombre eft glorieux !
Civ
ر ث ا ا ک
MERCURE DE FRANCE.
Auffi la Linotte volage ,
En coquette prudente & fage ,
Feint quelquefois d'applaudir à fes feux,
Zélis , dans cette allégorie ,
Reconnoiffez votre portrait;
Ce n'eft point une rêverie ,
Et je vous ai peint trait pour trait.
Voltigez d'hommage en hommagé ,
Méprifez la fincérité ;
Songez auffi que le bel âge
S'envole avec légèreté.
La beauté fe diffipe , & bien-tôt avec elle.
Le tems entraîne le plaifir ;
Les amans n'ont que le défîr.
Tels au printems près de la fleur nouvelle
Les zéphits careffans s'empreffent de jouir;
L'été flétrit la rofe la plus belle ,
Sans regret on la voit périr ;
Zélis , de la beauté la rofe eft le modèle ,
Et les amans reffemblent au zéphir.
Pat M. du Saufoir.
AVRIL. 1777 . 57
ROMANCE.
Sur l'Air : Trifte raifonj'abjure ton empire .
J'AVOIS brifé ma lyre & ma mufette ,
Et mes accens n'étoient que des foupirs :
Par la douleur mon ame étoit muette ,
Tu la ranime , amour ! par les plaifirs.
A l'amitié tu fais prêter tes armes ,
Pour me bleffer d'un trait moins dangereux ;
Puis de Jenni tu m'offris tous les charmes ,
Et tu me dis, l'aimer c'eft être heureux.
Près de Jennije vois fuir la trifteffe ,
Et les regrets s'éloigner de mon coeur :
Son doux regard, fa voix , tout m'intéreffe ,
Et je foutis à ce nouveau bonheur.
Avec Jenni , fi je peins la tendreſſe ,
Jefens mes yeux moins humides de pleurs ;
Defa pitié j'obtiens une careffe ,
Et ce baifer adouci : mes malheurs.
A l'amitié rien n'eftdonc impoffible ?
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Comme l'amour fon áttrait nous féduit :
J'avois juré de n'être plus fenfible ,
J'ai vu Jenni , mon ferment eft détruit.
Par Madame de Montanclos,
Explication des Enigmes & Logogryphes
du volume de Mars.
Le mot de la première Enigme eft
l'Ombre ; celui de la feconde eft l'Eau;
celui de la troisième eft Boudoir. Le mot
du premier Logogryphe
eft Promenade
, ·
où on trouve Rome , Parme , Modène
Mende , Aden , Omon , arme , armée , le
don , Arno , Pô , Oder, Marne , Drome,
orne , Morée, Edom , ame , âne ,
la
Rapée, rape , Mede , Oran , amé, Prône,
Dom , Ode , pámer, pendre , mare, Paon,
pré, drap , mon , père , mère , nom , mode,
amen , donne , dé, rade , rame , marée ,
dôme , monde , Démon , rampe , rond ,
orme, merde, amer, Médor, More, Dame;
celui du fecond eft Girouette, où le trouvent
gite, goret, rouge, rouet, roue , Roi,
ortie, or, ut, ré, goût, orge; celui du troifième
eft Poiffon , dans lequel fe trouve
poifon.
AIR
Paroles de M.Rochebrune.
Musique deM.Sarrazin.
Vous n'avez pas hum :
ble fougere l'eclat des
fleurs qui parent le prin :
:tems qui parent le prin:
tems mais leur beau te ne
dure guere Vous etes aimable
en tout tems, vous etes ai :
Fin mineur.
mable en tout tems . Vouspre:
też des secours char :
mans,aux doux plaisirs qu'on
goute surla terre vous ser:
vezdelit aux Amans aux Bu:
au majeur.
veurs vous servez de verre.
AVRIL. 1777. 59
ENIGM E.
J'AI trente enfans , ou davantage ,
Portant tous la barbe au menton ,
Pour tenir en paix mon ménage ,
A tout le féminin j'interdis ma maiſon.
Une fécondité fi rare
Mériteroit un heureux fort ;
Mais ma fortune eft fibifarre ,
Que mes propres enfans font caufe de ma mort.
Ont-ils épuifé ma ſubſtance ?
D'abord , un avide inhumain
Ufant de toute violence ,
Vient , fans nulle pitié , les tirer de mon ſein .
De me réduireen efclavage ,
Mon tyran croir que c'eft trop peu ;
Car fouvent pour dernier out age ,
Oubliant mes bienfaits , il me condamne au feu.
Par M. Arnauld, Prieur de L.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
SANS
ANS exception de perfonne ,
Je fers le riche & l'indigent ;
On me confie une couronne
De même qu'un fimple inftrument.
Gardienne de la Juftice ,
Et la sûreté des Marchands ,
J'aide quelquefois fans malice ,
A favorifer les méchants.
Par mon moyen plus d'une Belle ,
D'un jaloux fe met à l'abri ,
Conduit une intrigue nouvelle ,
Et la fait cacher au mari.
Je fers une foeur fédentaire ;
Si-tôt que nous nous accordons ,
Tout va bien ; mais pour l'ordinaire
Tout va mal quand nous no is brouillons.
Par le même.
AUTR. E.
JE fuis d'un père affez utile ,
Fille d'abord fort inutile.
AVRIL 1777.
61
Mon père eft un bon animal ,
Failant du bien , jamais du inal .
J'ai des milliers de foeurs , & n'ai pas un feul frère .
Mes foeurs , quoiqu'elles foient plus petites que
moi,
N'attendent pas pour avoir un emploi ,
Ainfi que moi , la mort de notre père ;
Et c'est dans le ménage
Qu'on les met en ufage.
Mais de mon père enfin la mort non naturelle ,
Me fait foftir de l'inutilité :
Je puis alors-fléchir une cruelle ,
Ramener à Philis un Amant infidèle ,
Ou de les rigueurs rebuté : ་
D'un trait je puis , Lycas , dans le coeur d'une
Belle ,
Allumer le feu du defir ,
Pour toi faire biller en elle
Le flambeau du plaifir
Par M. Huet de Longchamps.
LOGO GRYPHE.
SEPT pieds compofent tout mon être ,
De moi tout le monde a beſoin ;
62 MERCURE DE FRANCE.
Lecteur, es -tu fans me connoître ?
Lis donc , & ne vas pas plus loin.
Tu trouveras dans ma carcalfe ,
Le plus grand bien qu'on puiffe avoir ;
C'est lui qui donne tout pouvoir ,
Hormis que qui l'a , ne l'entaſſe.
En me coupant par la moitié ,
On voit alors dans ma dernière ,
Chofe équivalente à chaumière ,
Ou l'afyle d'un inſenſé .
Mon tout ne meut que par reffort ;
J'accompagne par - tout la mort :
J'orne l'appartement du¹tiche ;
De mes faveurs fi tu n'es chiche ,
Prends garde d'en payer l'emploi
Bien plus cher que la taille au roi .
Par M. l'Abbé P.
1:
I
IL
AUTRE.
L prend, dit- on fouvent , cela fous fon bonnet;
Moi je l'ai pris , d'acco d; tout ce qui fuit en naît,
Et de ce tout , Lecteur , une grande partie ,
Et certes , très - utile aux befoin de la vie.
D'abord c'eft ce qu'on veut quand le Dieu du reposs
AVRIL. 1777. 63
En nous fermant les yeux , y verfe fes pavots ;
Quand, dans les premiers ans de notre foible enfance
,
Des mères , par état , nous vendent leur fubftance.
Demandez- vous à table une nappe & du pain ,
Pour les faire tous deux , pour exciter la faim ,
Vous aurez ce qu'il faut , à deffert une pomme ,
Une volaille avant , je fatisfait mon homme ;
Ce n'eft pas tout , je donne un maître aux Matelots
,
Quand fur la vafte mer le vaiſeau fend les flots.
J'oubliois fous le lit un meuble très -fragile ,
Un qui, chez le Grand Turc, fans feu , refte inutile .
Vous trouverez auffi deux préfens de l'été ,
Plus foible qu'un rofeau par les vents agité ;
L'un eft fur un long corps une tête chérie ;
Ce corps eft le fecond quand fa tête eft meurtrie ,
Ce qui fit diftinguer Efau de Jacob ,
Les Aéaux de l'Egypte ou l'épreuve de Job ;
Une géniffe errante , & qui , felon la Fable ,
Pour découvrir fon nom , le traça fur le fable ;
Une taxe , une pierre , un oiſeau babillard ;
Le nom d'un Souverain prefque toujours vieillard ;
De la mer ou d'un fleuve une terre entourée ,
Ce qui porte l'oifeau fous la voûte azurée ,
La couleur des mourans , le reste du tonneau ;
Enfin , Lecteur , je touche au bout de mon ronleau
;
64
MERCURE DE FRANCE .
La volonté du Prince , un animal immonde.
Adieu , mon dernier mot fera le bout du monde.
Par M. des Landes.
D
AUTRE.
EUX membres , cher Lecteur , me forment en)
entier ;
De ces deux membres le premier
Met , contre un air trop froid , ton chef en ga-.
rantie :
Tu peux voir le dernier
Dans la Géométrie ;.
Si tu veux le tout raſſembler,
Tu me trouveras à l'Egl.ſe :
C'en eft affez , je crains que trop long je n'en dife.
Par M. I Abbé Raux , Chanoine
à Châteaudun .
AVRIL. 1777. 65
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Lettres de Clément XIV, ( Garganelli )
tome III , chez Lottin le jeune , rue
Saint -Jacques.
CE troisième volume , promis & at
tendu depuis fi long-temps, répondau jufte
empreflement du Public , par tout ce
qu'il contient outre quelques Lettres
intéreffantes , écrites à différentes perfonnes
, dont plufieurs font encore vi
vantes , il renferme des Panégyriques
& des Difcours où règne une éloquence
mâle , accompagnée d'une véritable
onction .
L'Éditeur , dans un Avertiffement de
35 pages , cite des témoignages authentiques
en faveur des Lettres , & il invite
tous ceux qui doutent encore , à venir
chez lui pour s'en affarer ; les Critiques
devroient profiter de cette invitation , &
demander à M. Carraccioli tous les éclairciffements
qui pourroient fervir à diffiper
tous les nuages que l'on cherche
à entaffer fur l'authenticité de ces Lettres.
Nous avons mieux aimé profiter
66 MERCURE DE FRANCE.
des maximes excellentes de ce faint Pontife
, que de nous livrer à des difputes
interminables. Une doctrine n'eft pas
vraie , parce qu'un Docteur illuftre l'a
enfeignée. Mais ce qu'il a enfeigné mérite
attention , felon ce qui eft conforine
au vrai. La vérité tire fon prix d'ellemême.
L'homme n'a de prix que par
la vérité la vérité fe retire , l'homme
refte & ne montre que fon néant .
Ce qu'il y a d'avantageux pour ce livre
, c'eft qu'il fe foutient par lui-même ,
ne renfermant que des maximes aufli fages
qu'utiles . La religion y paroît en
grand , telle qu'on la voit dans d'Evangile
, dans les Apôtres , dans les Conciles
, & dans les Pères .
Ce qu'on y lit fur la double fubftance
dont nous fommes compofés , eft digned'admiration
. « L'homme , dit Ganga-
» nelli , dans le tableau qu'il en trace ,
» eft vraiment une créature toute cé-
» lefte , & un être tout animal , qui, par
fon ame tient à Dieu de la maniè-
» re la plus glorieufe ; & qui , par
» fon corps, touche au néant de la façon
» la plus fenfible & la plus humiliante .
» Ici il eft un jour qui réjouit par fa pureté
, là , une nuit qui effraye par fes
» ténèbres .
,
AVRIL 1777. 67
ر د
» Le Chriftianifme , ajoute-t- il , comme
étant à l'abri de tous les écueils ,
» & tenant toujours un jufte milieu , noust
» montre l'homme fur la terre , & dans
»le fein de Dieu , comme dans un dou-
» ble centre d'où nous fommes tous fortis,
» & où nous devons tous rentrer. Si
» fon ame, femblable à une fleur qui ne
s'épanouit que par fucceffion , ne fe
développe qu'infenfiblement , c'eſt
» qu'elle dépend d'un corps pareffeux
» dans fes progreffions.
>>
"
"
» On lit dans le inême tableau , que '
l'homme vit prefque toujours dans un
" pays ennemi , en vivant avec lui- même ;
» que fon fang qui bouillonne , que
»fon imagination qui s'égare , que fes
defirs qui fe combattent , que fes
paffions qui s'allument, forment une
» guerre inteftine dont les fuites font
» fouvent les plus funeftes ; que la vie
» fe paffe à lutter contre foi -même, quand
on veut fe gouverner avec fagefle ,
» parce qu'il y a deux hommes en nous ,
» l'homme terreftre & l'homme fpiri-
» tuel , qui font fans ceffe aux prifes ,
» & qui ne s'accordent qu'autant qu'une
» raifon éclairée , & un coeur droit fervent
de pilote & de gouvernail ; il
"
68 MERCURE DE FRANCE.
" notre
compare enfuite notre ame ,
efprit , notre raifon , notre volonté
» aux quatre élémens , quoiqu'ils n'aient
» rien de matériel , mais parce qu'ils
fe combattent fans ceffe , & qu'il en
» réfulte des tempêtes & des volcans
qui défigurent l'image du Créateur » .
و د
Ce morceau eft femé de réflexions
admirables ; entre autres , on y lit que
» les vertus n'ont jamais paru dans le
» monde que comme quelques éclairs.
qu'on apperçoit au fein des tempêtes ;:
» que la plupart deshommes ne font que
» des êtres avortés qui rétrécillent leur
» coeur & ne s'attachent qu'à des objets
périffables , ou qui étouffent leur efprit
" en ne s'occupant que d'inutilités ; que
» la mort , loin d'être une deftruction
» eft une feconde création beaucoup plus
» admirable que la première , puifqu'au
» lieu des mifères qui nous traverfent
» dès la naiffance , nous trouvons en
» mourant des biens & des confolations
»
"
35
que l'oeil n'a point vu , & que nous
" ne pouvons actuellement connoître ».
Il y a des chofes qui ne font pas moins
excellentes dans une lettre où il eſt queftion
des Bibliothèques. « Ganganelli les
compare à des jardins agréables , où
AVRIL 1777. 69
22
» l'on apperçoit quelques fleurs au mi-
» lieu d'une multitude d'épines ; à des
Pharmacies oùles meilleures drogues
>> font mêlées avec des poifons . Il de-
» fire que les Bibliothécaires foient at-
» tentifs à ne pas prêter des livres indif-
» tinctement : il compare les fciences aux
» planètes , & la Théologie eft celle
On requi
avoifine le plus le foleil.
connoît dans fes comparaifons , qui
font lumineufes , & fréquentes
génie Italien ; & cela feul fuffiroit aux
yeux d'un homme qui connoît l'efprit
des Nations , pour le convaincre
que les lettres en question ont été réellement
traduites .
" 12
le
On aime à lire , à l'article des Bibliothèques
, qu'en étudiant la Théologie ,
on entend la foi dire à tout le mon
de : « Ici arrêtez vous , n'allez pas plus
» loin . Je fuis une fentinelle pofée par
» le Tout-Puiffant lui même pour éprou
» ver votre fidélité , & qui ne
»
Vous
permet d'entrer que dans le veftibule
de l'Eternel , que l'hérétique & l'incré-
» dule ont voulu forcer la garde , &
» que , pour peine de leur témérité , d'af-
» freufes ténèbres fe font emparées de
» leurs ames , & ils n'ont plus marché
» que fur des précipices , ».
70 MERCURE DE FRANCE.
Nous fommes fâchés de ne pouvoir
rapporter ce que Ganganelli dit fur l'E-
-glife. Il en donne la plus magnifique
idée , dans une lettre écrite à un Religieux
, ainfi que de la Religion , dans un
Difcours prononcé à Afcoli, en 1732 , petite
ville de l'État Eccléfiaftique , où il
profeffoit alors la Philofophie. Ses réflexions
fur le zèle , adreffées à un Evê
que qui vivoit au milieu des Proteftans ,
& qu'on croit avoir été celui de Londres
, prédéceffeur de celui- ci , ( car il
y a un Evêque Catholique à Londres
& que le Ministère Anglois connoît
parfaitement ) . Ses réflexions , dis -je
méritent la plus grande attention , en
ce qu'elles ne font que l'explication de
l'Evangile , & qu'elles ne recommandent
que la douceur , la paix , la charité.
Le zèle y eft peint tel qu'il doit
être , toujours agiffant , mais toujours
modéré , tel en un mot que Jefus-
Chrift l'a exercé pendant les jours de
fa vie mortelle , à l'égard des Saducéens
, des Samaritains & des Pécheurs.
Il les tolère avec une patience admirable
, & il ne força perfonne , comme
l'obferve fi bien Ganganelli , à être fon
difciple. Le Royaume des Cieux , ajoute-
>
AVRIL 1777. 71
til , n'eft que pour ceux qui font de
bonne volonté , bona voluntatis . Il n'y
a de méritoire que ce qui eft volontaire ;
& ce n'eft ni par la force ni par les menaces
qu'il doit annoncer la Religion
Chrétienne . Cette voie ne convient
qu'aux Sectes , telles que celle de Mahomet.
On eft enchanté de lire l'endroit
que nous allons rapporter.
» Il me femble entendre la Religion
» Chrétienne , s'écrie Ganganelli , dire
» à tous ceux que l'efprit de parti per-
» fécute : ce n'eft pas moi qui vous ai
» tourmenté ; moi qui , née du fein du
père des miféricordes , ne recommande
» que la charité ; moi qui , le fruit de
» l'amour d'un Dieu pour les hommes ,
» ne defire que leur falut ; moi qui , ne
»
"
23
refpirant que l'abnégation , l'humilité
» me mets aux pieds de tout le monde
» comme mon divin maître , & ne prê
che , à fon exemple , qu'un efprit de
douceur & de paix. Inexorable pour
les vices , comme pour les erreurs , je
» n'ai d'autres armes que des larmes ,
» des prières & des cenfures purement
fpirituelles pour ramener les pécheurs » .
Il veut qu'on voie les Proteftans ,
qu'on leur parle avec charité , & qu'on
"
72 MERCURE DE FRANCE..
les engage , à force de douceur , d'atten
tions , de bontés , à revenir fincèrement
à la véritable religion . C'eft à quoi rend
toute fon inftruction fur de zèle , qu'il
paroît avoir donnée lorſqu'il étoit Cardinal.
Son Difcours fur la Superftition annonce
une ame élevée , autant qu'une
raifon éclairée . Il y fronde les faux dévots
qui furent fi fouvent anathématifés
par le Législateur même , & qui n'ont
exactement que l'écorce de la piété.
Plus la Religion eft fainte & vraie
» dit Ganganelli , plus elle exige qu'on
détrompe les fidèles fur tout ce qui
tient à la fuperftition ; c'eft pourquoi
» S. Paul recommande expreffément à
Timothée de ne point écouter les contes
& les fables » .
"
""
Lé refpect que ce Saint Pontife avoit
pour la doctrine des Pères de l'Eglife ' ,
n'étoit point en lui un fentiment aveugle
. C'étoit plutôt l'effet de fes connoiffances
profondes , & de l'étude affidue
de la tradition. « Je n'ai point remar
» qué , écrit- il au P. Berti , Auguftin ,
» que la doctrine de S. Thomas foit
"
en contradiction avec celle de S. Auguftin
, fur les matières ( de la grâce &
و د
AVRIL. 1777. 73
» de la prédelination ) . Plus Ganganelli
avoit médité les principes de ces
deux Saints Docteurs , que la divine
Providence avoit donné à l'Eglife pour
conferver la pureté de l'ancienne foi , &
pour l'expliquer d'une manière plus claire
& plus diftincte , plus il s'étoit convaincu
qu'il y avoit entr'eux , fur tous les points
de la Doctrine Chrétienne , une confor
mité entière & parfaite. Ces illuftres témoins
de la tradition , ont configné dans
leurs Ouvrages, avec autant de force que
d'unanimité, que, par le péché du premier
homme , fa malheureufe poftérité
n'eſt devant Dieu que comme une foule
de débiteurs infolvables ; qu'il peut les
immoler tous à fa juftice , fans qu'aucun
d'eux ait droit de fe plaindre ; qu'il en
retire cependant plufieurs de la maffe de
perdition , pour faire éclater fur eux les
ticheffes de fa miféricorde ; que les bonnes
oeuvres des Saints ne font ni le principe
ni le motif de fon choix , puifqu'elles
en font le fruit ; que la plus dangereufe
maladie de l'homme , eft ce penchant
violent qui l'entraîne vers les chofes
vifibles & paffagères ; mais que Dieu
nous a préparé,par les mérites de fon fils,
un remède puiffant , c'eft - à - dire de
I. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE .
chaftes plaifirs capables de furmonter , par
un fentiment plus vif & plus pénétrant ,
les fauffes douceurs de la concupifcence ;
que Dieu, qui eft plus intime à notre
ame que notre ame ne l'eft à elle-même ,
nous fait fentir au fond du coeur qu'il
eft lui feul notre fouverain bien , ſeul
digne d'être aimé pour lui-même , feul
capable de nous rendre éternellement
heureux ; mais qu'il ne fe contente pas
de nous inviter au bien par de faints
attraits , qu'il en produit lui - même.
l'amour dans notre coeur par une opération
auffi douce que puiffante. Ce n'eft
donc qu'en réuniffant fur ce point effentiel
, la doctrine de S. Auguftin & de
S. Thomas , comme le faifoit Ganganelli
, qu'on peut fe former une jufte
idée de la vraie fource de la juſtice Chrétienne
. Mettre ces deux Saints Docteurs
en oppofition , c'eft ou ne pas affez connoître
la nature du coeur humain , &
le grand reffort qui le remue & le fair
agir , ou avoir une foible idée de cer
empire fouverain , que la caufe première
exerce fur tous les ouvrages de fes
mains , & fur notre ame , comme fur
les autres créatures . On lit toujours avec
un nouveau plaifir , les vers admirables
du fils du grand Racine ( Poëme fur la
AVRIL. 1777 . 75
Grâce ) , où l'on a fu fi bien concilier.
l'exactitude févère du dogme théologique
, avec les agrémens de la Poésie .
Notre coeur n'eft qu'amour : il ne cherche & ne
fuit ,
Qu'emporté par l'amour dont la loi le conduit.
Le plaifir eftfon maître : il fuit fa douce pente ,
Soit que le mal l'entraîne ou que le bien l'enchante."
Il ne change de fin que lorſqu'un autre objet
Efface le premier par un plus doux attrait.
La grâce qui l'arrache aux voluptés funeſtes ,
Lui donne l'avant goût des voluptés célestes ,
Le fait courir au bien qu'en elle il apperçoit ,
Voir ce qu'il doit chérir, & chérir ce qu'il voit.
C'eft par-là que la grâce exerce fon empire :
Elle-même eft amour , par amour elle attire ;
Commandement toujours avec joie accepté ;
Ordre du Souverain , qui rend la liberté ;
Charme qui , fans effort , brife tout autre charme ;
Vainqueur qui plaît encor au vaincu qu'il défarme .
La grace fe plaît-elle à la gêne du coeur ?
Nou , fes heureufes loix font des loix de douceur.
Voici comme le Prince de nos Poëtes
s'exprime dans fon Poëme épique , fur
ces mêmes vérités. C'est dommage que
Dij
تان
MERCURE DE FRANCE .
1
les Théologiens ne puiffent pas , comme
l'a fait S. Profper , employer quelquefois
les ornemens de la Poéfie , & abandonner
la forme sèche du fyllogifme.
On voit la liberté , cette efclave fi fière ,
Par d'invifibles noeuds en ces lieux prifonnière ;
Sous un joug inconnu que rien ne peut briſer,
Dicu fait l'affujétir fans la tyrannifer ;
A fes fuprêmes loix d'autant mieux attachée ,
Que fa chaîne à fes yeux pour jamais eft cachée ,
Qu'en obéiffant même elle agit par fon choix,
Et ſouvent aux deftins penſe donner des loix.
Revenons au volume de Ganganelli ,
dont nous aurions voulu pouvoir multiplier
les extraits. Il eft terminé par un
Eloge latin de ce grand Pape , imprimé
à Rome l'année dernière , & dans lequel
on renvoie les Lecteurs à l'édition de
fes Lettres publiées en France , pour le
bien apprécier.
Les particularités données par le Frère
François , fur la vie privée de Ganganelli
, & qu'on a fagement rapportées
dans ce troisième & dernier tome , ne
peuvent manquer de plaire à ceux qui
aiment à voir les grands Hommes fans
pompe & fans apprêts.
AVRIL 1777 . 77
Il n'y a point de Lecteur judicieux
qui ne foit frappé de l'excellente morale
, des fages maximes , des vues fublimes
qu'on trouve dans cet Ouvrage,
& qui ne le regarde , avec raifon , comme
une des meilleures productions dont
le fiècle puiffe s'applaudir ; mais plus
la lecture en eft utile & agréable , plus
elle excite des regrets fur la perte d'un
Pontife que fa belle ame, que fon amour
pour la concorde & pour la paix , rendirent
cher à toutes les Communions.
Il y a des penfées fur les diverfes
Nations, qui fuppofent une profonde
politique , & qui nous apprennent que
Ganganelli avoit réellement des vues
très- étendues , & qu'il ne jugeoit des
chofes qu'en parfait connoiffeur.
Quant à fon Éloge de Benoît XIV
( Lambertini ) , qu'il prononça en 1741 ,
au Chapitre Général des Cordeliers ,
on y trouve des beautés dont les plus
célèbres Orateurs fe feroient honneur.
Ce Panégyrique , comme dit très - bien
P'Editeur des Lettres , prouve que Ganganelli
favoit écrire d'une manière fublime
& touchante . Ce qui eft encore
confirmé par l'Épître dédicatoire d'une
Thèfe foutenue à Turin en 1749 , où
Diij
78 MERCURE DE FRANCE..
l'on fait l'éloge de fa fcience , de fon
goût , de fon génie & de fes écrits , qui,
quoique non imprimés , étoient déjà
connus & admirés dans tout fon Ordre .
Hiftoire de la Reine Marguerite de Valois,
première femme du Roi Henri IV,
par M. A. Mongez , Chanoine Régulier
, Bibliothécaire de l'Abbaye de
S. Jacques de Provins. A Paris , chez
Ruault , Libraire , rue de la Harpe ,
1777 , I vol . in-8 °.
Il paroît furprenant , que parmi tant
d'Auteurs qui ont écrit la vie particu
lière des Princes , aucun n'ait encore
donné celle de la Reine Marguerite de
Valois. C'est cet oubli que M. Mongez
entreprend aujourd'hui de réparer , &
qui lui paroît impardonnable , fi l'on
la
confidère les bienfaits dont cette Princeffe
combloit les Gens de Lettres ,
protection ouverte qu'elle leur accordoit
, & les connoiffances étendues dont
elle étoit elle - même douée .
Quoi qu'il en foit , on ne peut plus
fe plaindre du filence des autres Biographes
, puifque M. Mongez l'a 6 bien
réparé ; fon hiftoire eft bien écrite &
AVRIL. 1777 . 79
"
traitée d'une manière intéreffante . Il a
fuivi , pour la compofer , les Mémoires
que Marguerite a donnés elle-même de
fa vie ; mais cette reffource lui manque
à l'année 1582 , où ces Mémoires finiffent.
M. Mongez affure qu'on ne peut
trop en regretter la fuite. « L'élégance,
» dit- il , avec laquelle ils font écrits
la chaleur du ftyle dans les narrations
, la connoiffance du coeur hu-
» main qu'ils annonçent par - tout , &
» le développement d'une partie des intrigues
de la Cour de Henri III , tout
» augmente nos regrets , fur-tout lorf-
» que nous voyons l'efpace qui refte
jufqu'à fa mort , auffi dénué de faits
que ceux qui l'ont précédé le font peu.
L'unique reffource eft de raffembler
» les morceaux épars çà & là , dans les
Hiftoriens, où il eft fait quelque men-
» tion de la Reine de Navarre ; & après
» de longues recherches , on n'eft que
plus convaincu de la vérité de ces
paroles du favant Auteur de l'Efprit
» de la Ligue Depuis cette époque ,
tout ce que peut faire de mieux un
» Hiftorien , eft de paffer fous filence le
refte de fa vie ». Effectivement , M.
de Mongez parcourt , avec beaucoup
و د
و د
"
ور
:
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
de rapidité , cette partie de l'hiftoire de
Marguerite , qui comprend trente - trois
années, depuis 1582 , jufqu'à fa mort ,
arrivée en 1615. Elle étoit née à Fontainebleau
, le 14 Mai 1552 , & fut le
huitième fruir du mariage fécond de
Henri II , Roi de France , avec Catherine
de Médicis .
Nous rapporterons le portrait que M.
Mongez trace de certe Reine , à la fin
de fon hiftoire, quoiqu'un peu étendu ,
parce qu'il eft bien fait , très- propre à
donner une jufte idée du caractère de
Marguerite de Valois , & en mêmetems
à faire connoître à nos Lecteurs le
ftyle de l'Ouvrage. « On peut , à juſte
ritre , la regarder comme la Princeffe
» la plus extraordinaire de fon fiècle ;
, elle réunit en elle toutes les vertus
93
و د
& tous les défauts des Rois de la
» fouche d'Orléans-Valois . On retrou-
» voit dans Marguerite les moeurs douces
& faciles , la bonté de Louis XII,
» & en même tems fon aveuglement
» entier pour ceux qu'il aimoit & qui
» avoient acquis fur lui quelque empire ,
le même attachement à fes propres
» idées , & toute la confiance de Louis ,
» avant que l'infortune & les années
AVRIL. 1777 .
81
99
ود
»
» euffent mûri fa raifon. Marguerite ,
» comme François I fon grand - père ,
» apporta en naiffant un génie propre
» aux fciences , une grande facilité pour
» l'étude des langues qu'elle poffedoit
parfaitement , & des Belles Lettres
qu'elle cultivoit avec fuccès. On
" trouve encore dans les cabinets des
curieux , quelques-uns de fes vers , qui
» valent ceux des meilleurs Poëtes de
» fon tems. Ses Mémoires prouvent
" fon éloquence & l'élégance de fa dic-
» tion ; toute la vanité, tout l'amour
» de la gloire qui avoient animé Fran-
» çois I , fembloient être paffés dans
» l'âme de fa petite-fille . Les Gens de
» Lettres qu'elle aimoit , & dont elle
étoit fans ceffe entourée , lui prodiguèrent
les noms de Déeffe , de Vénus
» Uranie ; & Marguerite favouroit ces
éloges avec complaifance . Comme lui ,
» enfin , elle protégea les Guerriers dont
» elle chériffoit la valeur , les Savans
qu'elle étoit en état de juger , & les
» Artiftes dont elle eftimoit les talens.
» Elle tenoit de fon père , Henri II
» l'affabilité , les airs & les manières
populaires ; mais elle avoit auffi fa
légèreté & fon inconftance ; fes lai-
»
»
ود
و د
و د
"
و د
"
。
Dr
82 MERCURE DE FRANCE.
"» fons , comme celles de ce Prince ,
» fembloient être plutôt l'effet de fon
caprice & de fes paffions , que le fruit
de fes réflexions & le choix de fon
>>
33
» coeur.
»
Marguerite ne fut pas entièrement
» exempte du reproche de cruauté que
» mérita Charles IX , fi toutefois on
" peut comparer des excès paffagers à un
» vice habituel. Mais , de tous ces Rois,
» Henri III fut celui avec qui elle eut
» un rapport plus marqué. En les regardant
l'un & l'autre , on croyoit
» voir la Majefté du trône . Tout, dans
» Henri III , annonçoit un Roi ; tout ,
» dans fa foeur , annonçoit une Reine .
» D'une beauté furprenante , elle éclip-
" foit par fes grâces , fon enjouement
" & le don de plaire , des femmes
qui pouvoient la furpaffer par la dé-
» licateffe des traits & la jufteffe des
proportions. Elle joignoit à un teint
animé , des cheveux du plus beau
» noir , un regard doux , voluptueux
» & tendre , une taille riche , une dé-
» marche noble , un port majeftueux ,
un air grand & un art exquis dans le
» choix de fes parures . Pour achever
» le portrait de la Reine de Navarre
33
""
34
ود
AVRIL 1777.
"
& fa reffemblance avec le Prince affai
» finé à Saint- Cloud , il faut nous la
peindre , tantôt profternée aux pieds
» des Autels, entendant plufieurs Meffes
dans un jour , vifitant les Hôpitaux ,
diftribuant, le jour de fa naiffance &
» aux Fêtes folennelles , cent écus d'or
» aux malheureux , entretenant annuel-
» lement cent onze pauvres , quarante
» Prêtres Anglois , bâtiffant & enrichiffant
les Monaftères , entr'autres , celui
» des Jéfuites à Agen , & celui des
Auguftins du Fauxbourg S. Germain ;
paffant des exercices de piété aux plai-
» firs les plus fenfuels & fe livrant ,
après une retraite fainte & auftère ,
>> aux raffinemens de toutes les voluptés.
» C'eſt dans ce mélange bifarre de dé-
23
"
4
›
votion & de galanterie , qu'elle finit
» fes jours. Elle unit le luxe & la va-
» nité à l'amour des Lettres ; la mufi-
» que & la danfe aux études les plus
» férieufes ; la charité chrétienne à l'in-
و د
و د
juftice . Marguerite affectoit de pa-
» roître fouvent dans les Temples ; elle
, donnoit le dixième de fes revenus
» aux pauvres ; avoit à fa fuite des Gens
» de Lettres , qui fubfiftoient de fes
» libéralités ; & fe piquoit d'un autre
D vi
86 MERCURE DE FRANCE.
"
30
projet de faire périr un million de fes
Sujets en une feule nuit ? Que Ca-
» therine lait entretenu dans ces noires
» idées , on ne peut en douter ; mais
» elles ont certainement pris naiſſance
» dans l'imagination d'un Prince fujet
à des accès de fureur , que ceux
>> qu'on vient de citer » .
و د
" tels
On trouve à la fin du volume , le
Mémoire juftificatif que Marguerite de
Valois compofa en 1574 , pour Henri
IV , alors Roi de Navarre , lorfque ce
Prince fut conduit à Vincennes avec le
Duc d'Alençon , frère de Charles IX
- & de Henri III. Cette pièce est trèspropre
à faire connoître l'efprit & le
génie de la Reine de Navarre .
Hiftoire de la décadence & de la chûte de
l'Empire Romain , par M. Gibbon ;
Ouvrage traduit de l'Anglois. Tome I
in-12 . relié , 3 l . A Paris , chez Moutard
& les Frères Debure , Libraires ,
quai des Auguftins .
On fera curieux de comparer cet Ouvrage
aux Confiderations fur les caufes
de la grandeur & de la décadence des
Romains , de l'illuftre Montefquieu.
AVRIL 1777 . 85
-33
»
pas
Nous ne croyons pas devoir paffer
fous filence les réflexions que fait M.
de Mongez fur le caractère de Charles
IX ; caractère dont il affure avoir fait
une étude fuivie . Elles nous paroiffent
très - bien fondées. « Les Hiftoriens
» dit- il , trop attachés à jeter tout l'o-
» dieux des maffacres faits fous fon
» nom , fur Catherine de Médicis ,
chargée de l'exécration de la poſtérité,
paroiffent n'avoir affez approfondi
» le génie de ce Prince. Eblouis par
» quelques lueurs d'efpérance qu'il ·
» donna au commencement de fon règne,
» ils n'ont pas vu qu'il étoit natu-
» rellement dur , féroce , fanguinaire.
» Ses amuſemens en portoient l'empreintes
au fein des jeux & des plaifirs
, il fe laiffoit emporter aux vio-
» lences les plus affreufes : il voulut un
» jour tuer un Seigneur avec qui il ve-
» noit de jouer ; & ce dernier ne dur
» fon falut qu'à la porte du cabinet
32
>>
>
qu'il eut l'adreffe de fermer fur lui.
" L'affaffinat projeté du Duc de Guife
» fert à confirmer ce portrait. D'après
» cela , ne peut- on pas croire que Char-
" les IX n'eut befoin que de fa férocité
naturelle , pour concevoir l'horrible.
86 MERCURE DE FRANCE.
n
30
projet de faire périr un million de fes
Sujets en une feule nuit ? Que Ca-
» therine lait entretenu dans ces noires
» idées , on ne peut en douter ; mais
» elles ont certainement pris naiffance
dans l'imagination d'un Prince ſujet
» à des accès de fureur , tels que ceux "
"
qu'on vient de citer » .
On trouve à la fin du volume , le
Mémoire juftificatif que Marguerite de
Valois compofa en 1574 , pour Henri
IV, alors Roi de Navarre , lorfque ce
Prince fut conduit à Vincennes avec le
Duc d'Alençon , frère de Charles IX
& de Henri III. Cette pièce est trèspropre
à faire connoître l'efprit & le
génie de la Reine de Navarre.
Hiftoire de la décadence & de la chute de
l'Empire Romain , par M. Gibbon ;
Ouvrage traduit de l'Anglois. Tome I
in-12 . relié , 3 1. A Paris , chez Moutard
& les Frères Debure , Libraires ,
quai des Auguftins .
On fera curieux de comparer cet Ouvrage
aux Confidérations fur les caufes
de la grandeur & de la décadence des
Romains de l'illuftre Montefquieu.
2
AVRIL. 1777. $7
Quoique le fujet des deux Ouvrages foit
à - peu- près le même , l'Auteur Anglois
embraffe un plan bien plus vafte : il préfente
le tableau de la décadence de l'Empire
& des révolutions qui , dans cette
période , ont changé la furface de la
terre .
M. Gibbon fixe à treize fiécles la durée
de ces révolutions , & l'étend juſqu'à
la deftruction du Bas - Empire par les
Turcs ; il les divife en trois périodes ,
dont la première s'étend depuis le règne
des Antonins , après lefquels la Monarchie
Romaine , parvenue au faîte de la
grandeur , commença à décliner , jufqu'à
la deftruction de l'Empire d'Occident ,
qui mit Rome au pouvoir des Goths .
Cette période fe termine au commencement
du fixième fiécle . La feconde commence
avec le règne de Juſtinien , qui
par fes loix & fes victoires , rendit à
l'Empire d'Orient fon ancien luftre , &
finit à l'an 800 , époque de la fondation
d'un nouvel Empire par Charlemagne.
La dernière comprend environ fix fiécles
& demi , depuis le renouvellement de
l'Empire en Occident , jufqu'à la prife
de Conftantinople.
Le volume que nous annonçons ne
88 MERCURE DE FRANCE.
"
"
renferme encore que l'hiftoire d'une portion
de la première période , & fe termine
à l'époque des Jeux Séculaires , célébrés
l'an 248 fous l'Empereur Philippe , fucceffeur
du plus jeune des Gordiens . « Le
» defir de me rendre utile , dit M. G.
» dans fa Préface , m'a peut- être fait don-
» ner avec trop de précipitation , un Ou-
" vrage qui doit paroître , à tous égards ,
imparfait. Je fuis encore bien éloigné
d'y avoir mis la dernière main. Je
compte au moins terminer la première
période , & préfenter au Public une
» hiftoire complette de la décadence &
» de la chûte des Romains , depuis le
» fiécle des Antonins jufqu'à la deftruc-
» tion de l'Empire en Occident. Quelles
» que puiffent être mes efpérances , je
n'ofe prendre des engagemens aufli
formels aufujet des périodes fuivantes.
» L'exécution du plan immenfe que j'ai
» tracé rempliroit le long intervalle qui
fépare l'hiftoire ancienne de la moderne
; mais il exigeroit plufieurs années
de fanté , de loifir & de perfévé-
"
ر د
ג כ
و و
rance » .
Il est d'autant plus à defirer que M.
Gibbon achève de remplir fon plan , que
la partie de fon Ouvrage qu'il a publiée ,
AVRIL. 1777. 89
eft traitée de la manière la plus intéreſfante.
Il s'y montre également peintre &
philofophe. Il trace avec autant de chaleur
que de rapidité , dans ce premier
volume , le tableau de l'État de l'Empire
Romain fous les Antonins , & celui
du règne de leurs fucceffeurs , jufqu'au
milieu du troisième fiècle , ce qui com.
prend feulement un efpace d'environ
foixante-dix ans.
Pour donner une idée du pinceau de
M. Gibbon , nous allons rapprocher deux
endroits de fon hiftoire , qui offrent le
contrafte le plus parfait . Dans le premier,
il rappelle le fouvenir du fiécle de Tibère,
de Caligula , de Néron & de Domitien ;
temps affreux de tyrannie & de cruauté.
« Les faſtes de l'Empire font bien pré-
❞ cieux pour celui qui veut approfondir la
» nature de l'homme.Les caractères foibles.
» & incertains que l'on trouve dans l'hif-
» toire moderne, ne nous prefentent pas
» des peintures fi fortes ni fi variées . Il
feroit facile de découvrir dans la con-
» duite des Empereurs Romains , toutes
» les nuances de la vertu & du vice , la
perfection la plus fublime , & la dégra-
» dation la plus baffe de notre espèce .
L'âge d'or de Trajan & des Antonins.
39
୨୦ MERCURE DE FRANCE.
"
» avoit été précédé par un fiécle de fer.
» Il feroit inutile de parler des indignes
» fucceffeurs d'Augufte s'ils ont été
» fauvés de l'oubli , ils en font redevables
» à l'excès de leurs vices & à la grandeur
» du théâtre fur lequel ils ont paru. Le
» farouche Tibère , le furieux Caligula ,
» l'imbécille Claude , le cruel Néron , le
» brutal Vitellius & le lâche Domitien ,
» font condamnés à une réputation im-
» mortelle . Pendant près de quatre-vingt
» ans , Rome ne refpira que fous Vefpafien
& Titus. Si l'on en excepte ces
» deux règnes , qui durèrent peu , l'Em-
"
pire , dans ce long intervalle , gémir
» fous les coups redoublés d'une tyran-
» nie qui extermina les anciennes familles
» de la République , & qui fe déclara
» l'ennemie de la vertu & du talent » .
Oppofons à ce tableau celui du fiécle
heureux de Trajan & des Antonins , tel
qu'il eft tracé par la plume éloquente de
M. Gibbon. « Quel fpectacle magnifique
» que cet état heureux & floriffant , dont
» la Nature a joui depuis la mort de
» Domitien jufqu'à l'avénement de
» Commode ! Ce feroit envain qu'on
» chercheroit une autre période fem-
» blable dans les annales du monde . Un
AVRIL. 1777 : 9.1
ز و
"
feul Monarque gouvernoit alors l'éten-
» due immenfe de l'Empire , fous la di-*
» rection immédiate de la fageffe & de
R la vertu. Les armées furent contenues
par la main ferme de quatre Empereurs
» fu ceffifs , dont le caractère imprimoit
» la vénération , & qui favoient fe faire
obéir , fans avoir recours à des moyens
» violens . Les formes de l'adminiftration
» furent refpectées par Nerva , Trajan ,
» Adrien & les deux Antonins , qui ,
» loin de vouloir renverfer l'image de la
» liberté , fe glorifioient de n'être que
les dépofitaires & les Miniftres de la
» lei . De tels Princes auroient été dignes
» de rétablir la République , fi les Ro-
» mains euffent été capables de goûter
les avantages d'une conftitution libre ».
33
و د
ود
Ce fut après la mort de Marc- Aurèle ,
& fous le règne de l'indigne Commode ,
fon fils & fon fucceffeur , que l'Empire
Romain commença véritablement à dégénérer.
Il eſt à remarquer que de tous
les Empereurs dont M. Gibbon parcourt
l'hiftoire , depuis Commode jufqu'à Philippe
inclufivement , le feul Sévère mourut
de mort naturelle . Si d'infâmes Tyrans
tels que Commode , Caracalla , Eliogabale
& Maximin , trouvèrent dans une
92 MERCURE
DE FRANCE
.
fin tragique la jufte punition de leurs
crimes , Pertinax , Alexandre Sévère &
Gordien , Princes fages & vertueux
éprouvèrent le même fort. Voici comme
M. Gibbon fait le récit de la mort de
Pertinax , malfacré par les Soldats Prétoriens
, Milice infolente & formidable ,
qui , dans ces temps malheureux , difpofoit
fouvent de la vie des Empereurs , &
parmi lefquels il avoit voulu rétablir la
févérité de l'ancienne difcipline. » Deux
» ou trois cents foldats des plus détermi-
» nés , les armes à la main & la fureur
peinte dans leurs regards , marchèrent
fur le midi vers le palais impérial. Les
portes furent auffi - tôt ouvertes par
ceux de leurs camarades qui montoient
» la garde , & par les domeftiques atta-
» chés à l'ancienne Cour , qui avoient
déjà confpiré en fecret contre la vie
» d'un Empereur trop vertueux . A la
» nouvelle de leur approche , Pertinax
dédaignant de fe cacher , ou de recou-
» rir à la fuite , s'avance au-devant des
conjurés. Il leur rappelle fa propre
innocence & la fainteté de leurs fer-
» mens. Ces paroles , l'afpect vénérable
» du Souverain & fa noble fermeté , en
impofent aux féditieux. Ils fe repré-
"
AVRIL. 1777. 93 .
»
"3
» fentent toute l'horreur de leur forfait ,
» & reftent pendant quelque temps en
filence . Enfin le défefpoir du pardon
rallume leur fureur. Ün Barbare né
dans le pays de Tongres , porte le pre-
» mier coup à Pertinax , qui tombe cou-
» vert de bleffures mortelles ; fa tête eft
à l'inftant coupée & portée en triomphe
au bout d'une lance jufqu'au camp
» des Prétoriens , à la vue d'un Peuple
affligé & rempli d'indignation . Les
Romains , pénétrés de la perte de cet
» excellent Prince , regrettoient fur-tout
» le bonheur paffager d'un règne , dont
» le fouvenir devoit encore augmenter
le poids des malheurs qui alloient bien-
» tôt fondre fur la Nation ».
""
"
Tout ceux qui auront lu le premier
volume de cette hiftoire , ne pourront
manquer d'en attendre la fuite avec impatience.
L'Ouvrage eft accompagné de
notes remplies d'érudition . L'Auteur s'y
eft particulièrement attaché à citer avec
foin les endroits des Hiftoriens originaux
d'où il a tiré les faits qu'il rapporte . Il
annonce qu'il terminera peut - être fon
travail par des recherches critiques fur
tous les Auteurs qu'il aura été obligé de
confulter.
94 MERCURE DE FRANCE .
Quant à la traduction , on ne peut que
foufcrire au jugement du Cenfeur , à
qui elle a paru « fidelle fans être fervile ,
foignée fans être féche , & élégante
» fans être recherchée » . Les morceaux
que nous avons rapportés juftifient cet
éloge.
>>
Elégies de Tibulle , traduites par M. de
Longchamps. A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Morin , au Palais-
Royal , 1776 , 1 vol. in - 8 ° . avec
un frontispice gravé.
que
Cette traduction d'un des plus agréables
Poëtes du fiècle d'Augufte , eft en
quelque forte une fuite de celle de
Properce , que M. de Longchamps avoit
publiée précédemment. Le traducteur
n'accorde à Tibulle le fecond rang
parmi les Poëtes érotiques Latins ; parce
que , felon lui , on ne fauroit contefter
àa Properce la fupériorité du génie ;
qu'il et plus penfé , plus varié , plus
abondant , plus pittorefque mais Tibulle
a peut -être mieux atteint le but
de l'Élégie , s'il eft vrai qu'une mélancolie
plus douce que chagrine , la caractériſe
effentiellement ; & que ce foit
AVRIL. 1777. 95
moins le Poëme de la douleur & du
défefpoir , que celui de la tendreffe &
de la volupté.
ر د
93
.
« Au refte , continue M. de Lonchamps
, il ne paroît pas que les An-
» ciens aient eu des idées bien préciſes
» de l'Élégie : ils appeloient de ce nom
» tout Poëme d'une étendue bornée ,
qui étoit compofé de vers héxamètres
» & pentamètres , foit qu'il refpirât la
» douleur , la tendreffe ou la volupté ;
foit qu'on y peignît une orgie , ou
qu'on y célébrât des funérailles , qu'on
» y chantât le Dieu Mars , le Dieu du
» vin , ou la Déeffe des moiffons ; en
» un mot , il n'étoit point chez les
» Anciens de ſujets étrangers à ce genre
» de Poésie , & les vers élégiaques leur
paroiffoient également faits pour exprimer
& les cris du défefpoir , &
» les éclats de l'allégreffe. Les fujets
héroïques , & d'une vafte étendue ,
» étoient les feuls qui ne s'accommo-
» daffent point de cette forme trop dé-
» coufue. Les vers élégiaques marchent
39
ر د
"
prefque toujours deux à deux , n'ad-
» mettent guère la période , & ne pré-
» fentent que rarement de ces grouppes
» d'idées , de ces phrafes nombreufes
10
96 MERCURE
DE FRANCE
.
>>
"
و د
"
ود
» fans lefquelles un long Poëme eft
privé de chaleur , de vie & d'embonpoint.
Le rhythme de ces vers n'eft
point favorable à la belle harmonie ,
» & leur marche peu foutenue femble
» exclure les images d'une portée con →
» fidérable. Il falloit tout l'art de Pro-
» perce , de Tibulle & d'Ovide , pour
completter leurs idées & varier leur
» mefure ; encore ces deux derniers
» n'ont-ils pas toujours évité le repro-
» che de monotonie. Mais fi le texte
» de Tibulle péche quelquefois par une
trop grande uniformité , combien ce
» vice ne feroit-il pas exagéré dans une
verfion trop littérale de fes Elégies ?
» Notre langue plus ingrate que la latine,
n'offre prefque point de reffource
>> aux Traducteurs ferviles des Poëtes
» de l'ancienne Rome ; & cette vérité
» eft fur -tout inconteftable , lorfqu'il
s'agit de traduire les Poëtes élégia-
» ques. C'eft dans ce cas fur-tout qu'il
» faut facrifier l'élégance & la variété
» des tours , à cette prétendue fidélité
qui plaît tant à certains Érudits.
» J'avoue qu'en traduifant Tibulle , je
» n'ai pas eu le courage d'envifager leur
approbation comme un dédommage-
"
»
"
رد
و د
>> ment
AVRIL. 1777. 97
» ment du fuffrage des gens de goût ;
» il falloit opter , & j'ai préféré l'indul-
» gence de ces derniers » .
On voit par cet aveu , que M. de
Lonchamps a dû fe permettre quelque
liberté dans fa manière de traduire ;
mais cette liberté lui a fervi à répandre
beaucoup d'élégance & d'agrément
dans fa veifion . Pour mettre nos Lecreurs
à portée d'en juger , & de connoître
en même-tems de quelle manière
le Traducteur a mis fes principes
en pratique , nous citerons quelques
morceaux du texte & de la traduction .
Voici le commencement de la première
Élégie du premier Livre :
Divitias alius fulvo fibi congerat auro
Et teneat culti jugera multa foli ;
Quem labor affiduus vicino terrcat hofte ,
Martia cui fomnos claffica pulfa fugent.
Me mea paupertas vitæ traducat inerti ,
Dum meus exiguo luceat igue focus ;
Nec fpes deftituat , fed frugum ſemper acervos
Præbeat, & pleno pinguia muſta lacu .
Ipfe feram teneras , maturo tempore , vites
Rufticus, & facili grandia poma manu.
Nec tamen interdum pudeat tenuiffe bidentem,
1. Vol. E
C
98 MERCURE DE FRANCE.
Aut ftimulo tardos increpuiffe boves.
Non agnamve finu pigeat , foetumve capellæ
Defertum oblitâ matre referre domum.
Voici comme M. de Lonchamps a
traduit ce morceau . « Qu'un autre fe
complaife dans les monceaux d'or
qu'il entaffe , & que fes fertiles do-
» maines embraffent des milliers d'ar
pens. En proie à d'éternelles inquié
» tudes , jamais il ne perdra de vue l'ennemi
; la trompette guerrière a pour
» jamais écarté le fommeil de fes yeux.
» Pour moi je coulerai des jours paifibles
au fein de la médiocrité , pourvu
Qu'un modefte foyer me réchauffe & m'éclaire ,
»
و د
» que des ruiffeaux
de vin, qu'une
abon
» dante provifion
de fruits réalifent
chaque
année
les apparences
d'une bonne
» récolte. Habitant
des
campagnes
, on
» me verra , dans la faifon , aligner
mes
jeunes
plants , greffer
d'une main légère
mes pommiers
déjà forts . Je ne
rougirai
point de manier
le hoyau
,
d'aiguillonner
le boeuf trop lent dans
» fa marche
, de rapportér
au bercail
la
brebis
égarée
, ou de rendre
à fa mère
» le chevreau
délaiffé
».
"
""
»
AVRIL. 1777 :
11. eft peut - être à regretter que le
caractère de la Langue françoife ne permette
pas de rendre littéralement l'aimable
fimplicité de ce vers :
Dum mens exiguo luceat igne focus ,
dont au refte M. de Lonchamps a rendu
affez heureufement l'idée par un autre
vers que nous nous fommes permis de
faire remarquer, parce que fon ftyle en
offre affez fouvent. Continuons le pa
rallèle par un autre morceau de la même
Elégie :
Non ego divitias patrum , fructufque requiro ,
Quos tulit antiquo condita mellis avo.
Parva feges fatis eft ; fatis eft , requiefcere recto
Si licet , & folito membra levare toro.
Quam juvat immites ventos audire cubantem,
Er dominam tenero detinuiffe finu.
-Aut, gelidas hibernus aquas cum fuderit aufter ,
Securum fomnos imbre juvante fequi.
Hoc mihi contingat , fit dives jure , furorem
: Qui maris , & iriftes ferre poteft hyadas.
Jam modo non poffum contentus videre parvo ,
Nec femper longæ deditus effe viæ :
Sed canis æftivos ortus vitare fub umbrậ
Arboris , ad rives prætereuntis aquæ.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
Voici maintenant la truduction. « Je
» ne regrette point l'antique opulence
» de mes pères , ni ces récoltes abon-
» dantes qu'ont moiffonné mes ancêtres.
» Ce mince héritage fuffit à mon bon-
» heur : heureux d'y trouver le repos
» fous un toît ruftique ; fur cette couche
, mon refuge ordinaire dans ma
laffitude . Ah ! qu'il eft doux d'enten-
» dre gronder l'aquilon , & de preffer
» fur fon fein une amante chérie ! Que
fe fondent en eau ,
nuages " on les
» brave alors les humides autans , & le
» fommeil n'en eft que plus tranquille.
» A ce prix , j'abandonne la richeffe à
» ceux que le courroux des mers , que
» les hyades orageufes ne fauroient
» effrayer: Pour moi , qu'une vie frugale
» peut rendre heureux , déformais , au
» lieu de la confacrer à des voyages de
» long cours , j'irai braver les feux de
la canicule , fous le feuillage que rá-
» fraîchit un ruiffeau qui s'échappe »
و د
و د
Nous terminerons nos citations par
le morceau fuivant , tiré de l'Elégie
onzième du premier Livre, & quis,
fuivant M. de Lonchamps , eft d'une
beauté dont rien n'approche dans les au
tres Poëtes érotiques , tant anciens que
modernes.
AVRIL. 1777. 101
Intereà pax arva colar . Pax candida primùm
Duxit aratores fub juga curva boves .
Pax aluit vites , & fuccos condidit uvæ ,
Funderet ut nato tefta paterna merum.
Pace bidens , vomerque vigent ; ac triftia duri
Militis in tenebris occupat arma fitus.
Rufticus è lucoque vehit , malè fobins , ipfe
Uxorem plauftro , progeniemque domum.
Sed veneris tunc bella calent , fciffofque capillos
Femina , perfractas conqueriturque fores .
Flet teneras fubtufa genas ; fed victor & ipfe
Flet fibi dementes tam valuiffe manus .
At lafcivus amor rixæ mala verba miuiftrat ,
Inter & iratum lentus utrumque fedet.
ןכ
ود
« Douce & charmante paix, féconde
" nos campagnes ! Ce fut fous tes aufpices
que les boufs attelés fillonne-
» rent nos premiers, guérêts ; c'eft toi
» qui mûris nos vendanges , qui foules
» ces grappes dont la liqueur miſe en
réferve , doit abreuver une génération ,
» nouvelle ; c'eft toi qui fais reluire le
» foc & le hoyau , tandis que la rouille
,, mine dans l'ombre les armes du Sol-
» dat impitoyable. C'eft toi qui permets
" au Villageois , que le vin égaye far
»fon charriot ruftique , de ramener du
E iij
102 MERCURE
DE
FRANCE
.
1
» bois facré , fa femme & fes enfans.
» On ne connoît alors de combats , que
» ceux que l'amour excite ; une porte
» forcée , des cheveux arrachés , voilà
» ce qui provoque alors les plaintes
» d'une amante . Des larmes coulent fur
» fes joues meurtries ; mais cette vio-
» lence en arrache bien-tôt au barbare
qui ofa vaincre à ce prix. L'amour
fe place entre les deux amans , & leur
fuggère toutes les paroles qui doivent
» irriter & fomenter leur défunion » .
n
"
M. de
Lonchamps annonce , dans fon
Difcours
préliminaire , qu'il ne traduira
point Catulle ; & il en donne pour raifons
la trop grande obfcènité de ce
Poëte , le genre de fes beautés qui tiennent
trop à la Langue latine , pour qu'il
foit poffible de les faire paffer dans un
autre idiôme ; & l'obfcurité que produifent
fes allufions fréquentes à des
anecdotes ignorées aujourd'hui , & qui
l'étoient peut-être même de la plupart de
fes
Contemporains.
Cette traduction fait honneur à M.
de Lonchamps , comme Traducteur &
comme Écrivain . Les notes dont elle
eft accompagnée , font pleines d'érudition
& de goût. On doit aufli des élo-
C
AVRIL. 1777. 103
ges à l'art avec lequel il a fu jeter un
voile fur les endroits trop licencieux de
fon original.
Bibliothèque des Amans , Odes éroti
ques , par M. Sylvain Maréchal. A
Gnide ; & fe trouve à Paris , chez
la veuve Duchefne , Libraire , au
Temple du Goût, 1 vol . petit in- 1 2,
avec un frontifpice gravé.
L'Auteur de cet agréable Recueil
l'a confacré tout entier , comme on
peut en juger par le titre , à célébrer
les jeux de l'amour. I annonce luimême
, dans fa Préface , quels font
les Poëtes érotiques de l'antiquité qu'il
s'eft propofés pour modèles. « Mânes
du voluptueux Anacréon , de la brû
lante Sapho , du tendre Tibulle , fi
» vous êtes fenfibles encore à ce qui
» fe paffe dans un monde que vous avez
embelli , tous les échos folitaires tépètent
vos douces chanfons ; à la fin
de nos jolis foupers , fur nos théâtres
bruyans , au fond de l'alcove myſté-
» rieufe ; par- tour , jufques dans
» nos hameaux , & fur les lèvres de
» nos paſtourelles , vos charmans cou-
ود
ود
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ود
و د
plets hâtent l'heure du Berger. Les
» amans délicats vous doivent leur fé-
>> licité . Puiffiez-vous avoir tranfinis le
» feu de votre veine dans le coeur de
» votre imitatear fidèle ; afin que fes
» vers , ouvrage du fentiment , foient
placés , après vous , dans la mémoire
» tendre de nos Bergères , ou fur le
» même rayon , dans la Bibliothèque
» peu nombreufe des véritables amans ».
Plufieurs des Odes érotiques de M.
Maréchal , font dignes de juflifier fon
voeu il y en a même quelques - unes
que les Poëtes qu'il invoque , n'auroient
peut être pas défavouées . Elles ont le
ftyle naturel & agréable , plein de douceur
& de molleffe , qui doit caractérifer
ce genre de Poéfie , dont l'aimable
Anacréon , qui lui a donné fon
nom , a été le plus parfait modèle. On
lira , avec plaifir , l'Ode XV . du premier
Livre de M. Maréchal , intitulée :
Thémire infidelle.
1
:
Bofquets enchanteurs , où ma Belle-
Jura de m'aimer conftamment ;
Ma Belle a rompu fon ferment ,
Vous n'avez point changé comme elle :
Les mêmes fleurs naiffent toujours
AVRIL. 1777. 105
Sous votre épais & doux ombrage ;
Plus légère que le feuillage ,
Ma Thémire a changé d'amours.
Oifeaux ! vous n'avez qu'un ramage
Pour vous exprimer votre ardeur ;
Ma Thémire auffi n'a qu'un coeur ,
Mais ce coeur a double langage :
A répéter tous les difcours ,
Tu te plaifois , écho fidèle !
Répète mes foupirs ; ma Belle
Porte ailleurs les mêmes amours.
Toi , voluptueufe fougère ,
Témoin difcret de nos plaifirs ,
Tu renais envain ; mes defirs
Ne font plus ceux de ma Bergère :
Tu pourfuis conftamment ton cours
Ruiffeau fidèle à ton rivage ;
Moins belle encore que volage ,
Ma Thémire a changé d'amours.
Tout eft ftable dans la Nature ;
Rien n'eft fujet au changement
Ma Thémire en fait l'ornement ,
Pourquoi feule eft- elle parjure ?
Ils font donc paffés , mes beaux jours
Ma Thémire a rompu leur chaînes
Ev
106 : MERCURE DE FRANCE .
Amour , change- toi donc en haine ,
Ma Thémire a changé d'amours,
L'Ode fuivante , adreſſée à une femme
Bel- Efprit, eft ingénieufe & piquante.
1
Sur les bancs poudreux de l'école ,
Non ,je n'aimerois pas te voir,
Dans les volumes de Barthole ,
Puifer un pénible ſavoir.
Ne vante pas tant la fcience ,
Eve fait ce qu'elle a coûté ;
Il eſt une aimable ignorance
Qui fied bien mieux à la beauté.
La Beauté fouvent n'eft favante ,
Hélas ! qu'aux dépens de ton coeur :
Qu'une Agnès eft intéreffante!
On préfère à tout fa candeur.
De tous les Arts , Pallas eft mère ;
Pallas pourtant n'eut pas le prix :
Vénus , qui ne favoit que plaire ,
Le reçut des mains de Pâris.
Les neuf foeurs font encor pucelles
Malgré leurs fublimes efprits :
AVRIL. 1777. 107
Moins favantes , nos immortelles
Auroient pu trouver des maris .
Hortenfe ! une longue lunette
Qui fatigueroit tes beaux yeux ,
T'iroit plus mal qu'une navette
Entre tes doigts induftrieux .
Ta bouche ( notre idolâtrie ) !
Faite pour le propos badin ,
Deviendroit-elle plus jolie ,
Quand tu faurois parler latin ?
L'aigle altier porte le tonnerre ,
Dans les Cieux il a fon féjour:
La colombe raſe la terre ,
Et n'eft faire. que pour l'amour.
Le fecond vers de cette Ode : Non ,
je n'aimerois pas te voir, renferme une
faute contre la langue , il falloit : Je
n'aimerois pas à te voir. Nous aurions
pu relever encore , dans la même pièce ,
quelques légères taches , mais qui font
peu fenfibles dans le ftyle facile & négligé
ordinaire aux Poéfies anacréontiques
, & fur lefquelles par conféquent
la critique ne doit pas s'appefantir.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
L'Ode troisième du quatrième Livre,
intitulée les Baifers , eft un badinage
plein de fel , qui réunit à ce mérite
celui de la brièveté convenable à un tel
fujet.
Donne- moi , Thémire , un baifer ;
Non de ces baiſers de famille ,
Qu'à fa mère , pour l'appaifer ,
Prodigue une difcrette fille
Quandfon coeur appelle un époux :
Non de ces baifers d'hymenée
Que, pour les maris d'une année,
L'habitude rend fi peu doux :
Non de ces bailers d'étiquette
Que l'on fe donne à certain jour,
Et qu'à pareil jour on répète :.
Donne-moi des baifers d'amour.
L'Ode intitulée la Raifon ivre , Fune
des plus agréables de cette Bibliothèque ,
eft vraiment dans le genre d'Anacreon :
Sans me prévenir , certain foir ,
La raifon me rendit vifite :
Que n'attend- elle qu'on l'invite
Eft- on fi preffé de la voir ?
T'étois alors à faire orgie
1
AVRIL. 1777. 109
Entre ma Bergère & l'Amour ;
Chacun de nous , dans fa folie ,
Chantoit & buvoit tour-à-tour.
Entre tout à-coup la grondeuſe ,
En me jetant un noir regard:
« Eh ! bon jour , la belle prêcheufes
» Vous arrivez un peu trop tard .
Je vous croyoisfeul, me dit- elle...
Le monde vous feroit- il peur ?
Prenez place entre nous , la Belle ,
Et goûtez de cette liqueur ».
Se livrant au jus de la treille ,
Je lui verfe encore une fois ;
A la troifième elle fommeille...
Nous en profitons tous les trois.
Je donne un baifer à Glycère ;
Glycère en donne un à l'Amour;
L'Amour le rend à ma Bergère
Qui vient me le rendre à ſon tour.
L'Amour (d'accord avec mamie ,
Concertant une trahison ) ,
Fit , du grelot de la folie,
Un ornement à la raison.
110 MERCURE DE FRANCE.
و د ی
La raiſon en cet équipage ,
Se réveille ; & dans le miroir
Vit fa honte , fit grand tapage ,
Sortit & ne vintplus me voir.
A la fuite des quatre Livres d'Odes
érotiques , fe trouvent quelques autres
Poéfies moins confidérables , compriſes
fous le titre de Mélanges , & qui terminent
cette Bibliothèque des Amans.
Nous n'en rapporterons qu'un Dialogue
en profe , entre une Bergère & un Enfant
, la dernière pièce du volume , &
la feule qui foit en profe. « LA BERGÈRE ,
part. Quel est cet enfant ? il excite
» ma curiofité. L'ENFANT , à part.
» Voilà une Bergère qui m'examine
beaucoup.... La B. haut. Quel eft,
» ton Maître ? L'E. Je n'en ai point.
» La B. Tes patens ? L'E. Je fuis le feul
» de ma famille . La B. Quel âge as- tu ?
» L'E. Toujours enfant . La B. Où loges-
» tu ? L'E. Dans le coeur. La B. D'où
» viens-tu ? L'E. De ma demeure. La B.
Où vas-tu ? L'E. J'y retourne . La B.
Qu'y fais- tu? L'E. Des heureux. La B.
Quelle est ta Patrie ? L'E. L'Univers.
» La B. Et ton nom ? L'E, L'Amour ».
>>
"
"
C
AVRIL. 1777.
Quelques Odes de ce Recueil avoient
déjà paru dans différens Journaux ; mais
l'Auteur les a retouchées depuis . En général
, M. Maréchal s'annonce avec un
talent décidé pour la Poéfie érotique &
légère .
Traité de la conftruction des Théâtres &
des Machines théâtrales , par M.
Roubo le fils , Maître Menuifier. A
Paris , chez Cellot & Jombert fils
jeune , Libraires , rue. Dauphine , un
vol. in-folio de 67 pages , & dix planches
gravées.
-Ce nouvel Ouvrage de M. Roubo
fils , déjà fi avantageufement connu par
la deſcription de l'Art du Menuifier ,
complette en quelque façon celui - ci ,
& peut en être regardé comme la fuite.
Cet Artifte habile , à qui fa profeffion
doir beaucoup , par le luftre qu'il lui a
donné par fos Ouvrages littéraires &
méchaniques , a tâché de raffembler
dans un petit volume , ce qui regarde
la conftruction des Théâtres , tant chez
les Anciens que chez les Modernes ,
fur-tout chez les Grecs , les Romains
les Italiens & les François. Il y a join
f
112 MERCURE DE FRANCE .
un projet de Théâtre propre à donner
divers genres de fpectacles , des Tragédies
, des Comédies , des Opéra , des
Concerts , des Bals , & même des Fêtes
publiques. Ce projet eft décrit dans le :
plus grand détail ; & pour ne rien laiffer
à defirer , il lui fuppofe un emplacement
donné dans cette Capitale , afin
que les principales difpofitions de ce
monument , ne femblent pas avoir été
prifes au hafard, Cet emplacement, eft
l'ancien Hôtel de Condé , terrein deſtiné
à cet ufage.
Journal des Caufes Célèbres , curieufes &
intére fantes de toutes les Cours Souve
raines du Royaume , avec les Juge-.
mens qui les ont décidées , pour le
quel on fouferit chez le St Lacombe ,,
Libraire , rue de Tournon , 12 vol.
in- 2 par an. Prix de la Soufcription ,
18 liv . pour Paris , & 24 liv. pour la
Province , franc de port.
Les trois volumes de ce Journal
qui ont paru ( cette année ) , renferment
des Caufes qui méritent d'être connues.
Le premier contient la fameufe affaire
de la Demoiſelle Peloux. Les détails
AVRIL. 1777. 113
en font on ne peut pas plus piquans.
Nous allons en donner une idée .
و ر
ور
« Une fille vertueufe trompee par un
nféducteur , doit fans doute être protégée
par les Loix ; fon honneur doit
» être vengé par les Magiftrats , lorfqu'elle
apporte la pureté des moeurs
dans les Tribunaux , & qu'elle a pour
objet de rétablir fa répuration ourragée
; mais quand une fille s'eft manquée
à elle - même , avant de con-
» noître celui qu'elle voudroit rendre
""
>>
»
fa victime ; quand elle a été errante
» dans les Provinces ; quand plufieurs
» Villes ont été tour - à- tour les théâtres
» de fes débauches ; lorfque fes proches
» parens fe font élevés contre fon in-
" conduite , & ont provoqué des ordres
fupérieurs pour prévenir un plus grand
» fcandale ; qu'à l'âge de trente-fix ans
elle a employé la féduction , la rufe
& l'artifice , pour enchaîner à ſa paſfion
un jeune homme de vingt-deux
ans ; quand fon action n'eft dirigée
que par la haine & la vengeance ;
quand elle n'a ni titre ni droit pour
efpérer le triomphe qu'on accorde à
» la vertu ; quand elle a trompé la Juftice
& le public pour exciter la pitié
"
و د
114 MERCURE DE FRANCE.
» en fa faveur , & le foulèvement con-
» tre celui qui doit fe reprocher fa trop
» grande facilité pour une femme qui
» s'eft rendue indigne de fes bienfaits
» alors elle doit être rejetée , avec indignation
, du fanctuaire "" de la Juftice.
On doit être étonné qu'elle ait
trouvé autant de partifans & de protecteurs
. Telle eft l'idée que le Defenfeur
du Sieur de la Touloubre , a
donnée de cette affaire. Celle que la
Demoiſelle Peloux en a donnée , eft
bien différente .
Si je n'avois à me plaindre ( difoitelle
) que de l'inconftance d'un amant ,
» ce ne feroit pas aux pieds des Tribunaux
que je viendrois demander ven
» geance. La loi qui punit les crimes
» n'a point encore févi contre l'infidé-
» lité cette eſpèce de coupables ne connoît
de Juge que fa confcience ,
ود
53
&
» de châtimens que fes remords ; mais
» la trahifon dont je fuis la victime ;
» n'a été que le premier des crimes .
qu'a commis contre moi le plus lâche
» & le plus fcélérat des hommes . C'eſt
» du fein de la misère où il m'a plon :
gée , que j'élève la voix : déjà la pitié
» m'a donné un défenfeur ; l'équité me
3
AVRIL 1777
» promer des vengeurs dans mes Juges.
» Mon devoir à moi , eft de dice la
» vérité aux uns & aux autres : j'en fais
» le ferment ; & j'ai pour garant de
» ma fidélité à le remplir , l'obligation
» que je contracte de faire la preuve
» juridique de tous les faits que je vais
» expofer. L'hiftoire de mes malheurs
» prend un air de Roman , que je ré-
» douterois fi je ne favois pas que la
» vérité difpenfe de la vraisemblance » .
D'après ces points de vue oppofés ,
fous lefquets chacune des Parties préfentoit
fa défenfe , on peut juger de
l'intérêt du développement de cette affaire.
Les circonftances en font rappe
lées avec le plus grand ordre. On y
trouve des Lettres écrites pendant la
durée de la paffion des deux Amans
qui répandent l'intérêt le plus vif dans
la narration . Le ftyle en eft correcte ,
& la difcuffion des Moyens y eft appro
fondie.
}
>
Le fecond volume contient quatre:
Caufes. La première , eft une réclamation
de Vaux. La feconde , eft une vifite
indécente & illégale , faite d'une jeunefille
, fous prétexte qu'on la croyoit en
ceinte. La troifième , eft un Vieillard
116 MERCURE DE FRANCE.
amoureux qui promet d'époufer une jeunefille
, refufe enfuite d'exécuter fa pro-.
meife . La trième contient le procès ,
d'un Saxon contrefaifant le fourd & le
muet .
La manière dont la première de ces
Caufes eft traitée , la réclamation de.
Veux ) doit intéreffer toutes fortes de .
Lecteurs. Voici un des morceaux les
plus frappans qu'on y trouve :
รร
39 稀
Il y a long-temps que la philofo-.
phie agite devant la raifon un grand
problème , celui de favoir fi les corps
religieux font vraiment utiles , jufqu'à
quel point ils font utiles , s'il
» eft bien effentiel qu'il y ait , dans un
» état , des corps qui , féparés de la fo-
» ciété , faffent profeflion de vivre fans
» elle , des corps où, fans ceffer d'être,
» homme , on tenonce à tous les rap-
» ports attachés à ce titre par la na-
» ture ; où, fans ceffer d'ètre fujet d'un
» gouvernement , on ceffe d'en être
» citoyen ; des corps qui , fe recrutant
» perpétuellement pour ne jamais s'é-
» teindre , parviennent à ne compofer ,
» qu'une vafte & éternelle famille , for-:
» mée des débris de toutes les autres ;
» des corps enfin qui , fubfiftant tou-s
AVRIL
117
1777.
•
99
jours fans fe reproduire jamais , enfe-
» veliffent des générations entières dans
» le néant.
3-33
"
» Dans notre fiècle , où il faut avouer
qu'on a porté dans les difcuffions politiques
, plus de profondeur , plus de
» vues , plus de lumières que dans au-
» cun autre ; dans notre fiècle , où la
» raiſon a tout apperçu , tout faifi , tout
» analyfé , dans notre fiècle enfin , où
» la liberté du citoyen & les droits de
"
l'homme trop long- temps méconnus
» ou dédaignés , ont eu enfin des hommages
& des défenfeurs ; de bons efprits
ont examiné le problême dont
nous parlons : ils l'ont examiné fous
»toutes les faces ; il s'eft formé , à cet
égard , parmi eux , différentes opinions
, parce que les uns l'ont exa-
» miné du côté de la Religion , & les
» autres du côté de la politique feule-
» ment. La Religion s'intéreffera toujours
au maintien d'une inftitution
qu'elle a créée pour fes progrès même ;
la politique , dont au contraire cette
» inftitution embarraffe les projets &
» croife les vues , en demandera tou-
» jours , finon l'anéantiſſement , du
» moins la modification. L'une la re-
:99
•
18 MERCURE DE FRANCE.
» gardera toujours comine le dernier
afyle de la vertu , & l'autre comme
» le tombeau des races futures .
"
»
Dans ce choc d'opinions diverfes
laiffons , nous Citoyens , à la fageffe
» du Gouvernement , le foin de conci-
» lier ce qu'il croira néceffaire à l'affer-
» miffement de la Religion , avec ce
qu'il croira utile aux deffeins de la
politique. Contentons- nous feulement
de le bénir de la loi vraiment utile ,
» vraiment néceffaire , vraiment parernelle
, qu'il a publiée , il y a peu d'an-
» nées * & par llaaqquueellllee iill a reculé la
faculté laiffée à l'homme , de fe liar
» pat un engagement éternel , jufqu'au
» moment où il lui eft permis de connoître
toute l'étendue du facrifice au-
"
و ر
"
quel il sofe promettre de s'allujétis.
» Nous ignorons fi cette loi diminuera
» le nombre des Religieux , comme
quelques Ecrivains timorés ont paru
» affecter de le craindre , & fi cette di-
» minution feroit pour nous un mal
» dont nous duſſions , en effet , gémir.
ر
* L'Édit du mois de Mars 1768 , qui ne permetde
faire de Yeux qu'a l'âge deja bans
AVRIL. 1777. 119
»
» Mais nous fommes fûrs qu'il en réful-
» tera au moins un bien important ; c'eſt
» que les Religieux qu'elle nous confer-
» vera , ne l'étant devenus que dans un
âge où ils auront pu férieufement ré-
» fléchir fur la nature de l'engagement
» qu'ils alloient former , ils ne fe fenti-
» ront jamais tentés de brifer une chaîne
qui fera toujours légère pour eux ,
» parce qu'ils l'auront eux- mêmes for-
» gée » .
"
On peut juger , d'après ce morceau ,
du degré d'intérêt de cette caufe. Les
autres qui font inférées dans ce volume ,
font très-piquantes ; leurs titres fuffifent
pour faire naître le defir d'en connoître
les détails : ce volume qui a été rédigé
par M. Défeffarts , Avocat , un des Auteurs
de cet Ouvrage , fera lu avec empreffement.
La variété qui y règne , la
fingularité & l'importance des affaires
qu'il y a traitées, donnent l'idée la plus
avantageufe de fes talens. Son ftyle eft
pur & d'une noble fimplicité.
Le troisième volume contient les détails
du procès criminel du fieur Pinçon .
Les faits qui ont donné lieu à cette
affaire font incroyables . C'eft l'hiftoire
des débauches de la femme d'un Huiffier ,
120 MERCURE DE FRANCE.
qui , pour vivre tranquillement avec un
Gendarme fon Amant, fait engager fon
mari pour être foldat dans l'Inde , en lui
faifant figner un exploit.
On trouve auffi dans ce volume, les
difcours que la Ducheffe de Kinton'a
prononcés dans fon fameux procès , &
ceux des différens Membres de la Cour
des Pairs d'Angleterre. Ces difcours font
traduits de la manière la plus intéreſſante .
L'élégance du ftyle y répond à l'importance
des objets qui y font traités . Ainfi
ce volume ne peut être lu qu'avec beaucoup
de plaifir.
Un receuil auffi varié , formera dans la
fuite une collection précieufe pour les
Jurifconfultes & pour toutes fortes de
Lecteurs. L'attention que les Rédacteurs
ont de réunir l'agréable & f'utile , ne
peut qu'augmenter les fuccès que cét
Ouvrage a déjà obtenu.
On foufcrit en tout temps ; on foufcrit
même pour les années précédentes , &
on délivre les volumes qui forment la
collection entière , au prix de la foufcription
; mais on ne vend aucun volume
féparé.
La foufcription eft ouverte au Bureau
des Journaux , chez Lacombe , Libraire ,
ruc
AVRIL. 1777. 121
rue de Tournon . Il faut avoir foin d'af
franchir le port des lettres & de l'argent.
Recueil de Fables , librement traduites
de l'Anglois ; par M. de Trefféol . A
Amfterdam , & fe vend à Paris chez
les Marchands de nouveautés .
M. de Trefféol doit partager la gloire
de l'invention avec les Auteurs de ces
Fables , par les retranchemens & les
additions qu'il y a faits , pour les rendre
plus intéreffantes. Les caractères en font
vrais , les deſcriptions naturelles , la morale
juſte & bien amenée , le ftyle fimple
& correct. Celle du Payfan & du
Mâtin nous a paru très - attendriffante.
Now allons la citer en entier , perfuadé
qu'elle touchera les coeurs fenfibles.
« Dans cette contrée où le Nil , ce
» Roi des Fleuves , répand l'abondance
» avec fes eaux , un Payſan veuf élevoit
» fon petit enfant avec un foin vrai-
» ment paternel ; c'étoit l'unique héritier
qui lui reftoit de fon époufe qu'il
" avoit très-tendrement aimée , chofe
» bien rare ! pendant tout le temps
qu'elle avoit vécu. Une affaire pref-
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
33
>>
pas
fante furvient , & l'oblige de fortir
» de fa cabane ruftique : il n'étoit
befoin que ce père tendre excitat
» par des chanfons , l'enfant au fommeil,
» il dormoit déjà dans fon berceau.
» Un Mâtin étoit couché auprès de lui ;
» & c'eft fur la fidélité que l'homme
de campagne fe repofa pour garder fa
» maifon. Cette affaire finie , il fe hâte
» de revoir fon bien aimé nourriffon.
» Il lève le loquet ; car il n'y avoit pas
d'autre barreau , ni d'autre cloture
» à fa petite cabane. Le Mâtin , par fa
façon d'aboyer , & fon empreflement
à faire jouer fa queue , ( eh ! la perfidie
fe trouva- t- elle jamais dans cet
» animal ? ) exprime , ce femble , un
fentiment de joie plus fort qu'à l'or
dinaire. Il s'entrelace dans les jambes
de fon maître , & ne ceffe de le ca
reffer, Mais quelle fut la furprife de
celui- ci , lorfqu'il vit fon chien tout
» couvert de fang ! Sa gueule effroyable
le diftilloit encore , & donnoit des
indices qui faifoient foupçonner quel
que meurtre. Le père épouvanté regarde
autour fans découvrir fon en-
»fant , l'unique objet de fa tendreffe
& il apperçoit fon berceau renverfé.
כ
33
"
a
33
»
AVRIL. 1777. 123
» L'effroi , le défefpoir dans l'ame , il
jette un regard farouche fur tout le
» refte chaque objet lui confirme Je
» malheureux fort de fon fils ; & il ne
» voit plus dans fon chien que le meur-
" trier de cet enfant. Alors il s'aban-
" donne à la fureur , s'arrache les che-
» veux , jure d'abattre d'un coup de la
» hache qu'il tenoit à la main , la tête
» du prétendu coupable , & fur le
champ le Mâtin eft cruellement tué.
» Le Campagnard court enfuite vers le
» berceau , le lève ; & , tout étonné
voit fon petit tréfor endormi , fans
» avoir reçu le moindre mal. Auprès de
5 lui il apperçoit un ferpent monftrueux ,
» fraîchement déchiré & faignant en-
» core ; de forte qu'il étoit évident que
» ce chien fidèle , trop inhumainement
» immolé , avoit tué le ferpent pour dé-
33
و د ا
fendre le fils de fon maître , & l'arracher
à la mort. La Fable dit que ,
» dans le combat , l'enfant & le ber-
» ceau avoient été renverfés. Jugeons
» nos amis comme les autres hommes ,
» ne les condamnons jamais fans les entendre
.
La Fable du Poëte & de la Paille
belle d'Alexandre-le Grand , &c. prou
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vent que M. de Trefféol fait varier fon
ton, & le monter à l'uniffon des fujets
qu'il traite.
Mémoires fecrets , tirés des Archives des
Souverains de l'Europe , contenant le
règne de Louis XIII , Ouvrage traduir
de l'Italien , onzième & douzième
Parties. A Amfterdam; & fe trouve à
Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
Saint -Jean-de - Beauvais , 1776. Prix
broché , 3 liv, les deux Parties.
Ces deux nouveaux volumes comprennent
l'hiſtoire des années 1616 &
1617 , & font remplis principalement
par des détails de négociations , & par
les pièces qui y ont rapport. Le fecond
volume eft cependant compofé, pour la
plus grande partie , du tableau des derniers
momens du pouvoir du fameux
Maréchal d'Ancre , & de détails curieux
fur tout ce qui précéda & fuivit la mort
tragique de ce favori de la Reine Marie
de Médicis . L'Auteur des Mémoires raconte
ainfi cette cataſtrophe. « Le lundi
» 24 d'Avril 1617 , à dix heures du ma-
» tin , le Maréchal s'étant avancé à pied
fur le pont - levis du Louvre , pour
AVRIL. 1777. · 125
»
>
» entrer , dans le tems que les Gardes de
» la Porte en écartoient la foule ; Vitry,
qui fe promenoit dans la cour , averti
» de fon arrivée , courut à fa rencontre ,
» & fendit la preffe avec tant de précipi
» tation , qu'il le paffa de trois ou quatre
pas ; lorfque fa fuite , qui ne le quittoit
point , lui faifant appercevoir fon er-
» reur , il rétrograde , fe préfente devant
» le Maréchal , en lui mettant devant
» l'eftomac le bout de fa canne , & lui
"
n
dit : Je vous arrête de la part du Roi.
» Moi ! répond le Maréchal, en mettant
» fa main ( dans laquelle il tenoit un
» petit bouquet ) fur la poitrine . A l'inf-
» tant , Perfan , qui étoit derrière Vitry,
lui tira , par- deffus l'épaule de celui-ci,
» un coup de pistolet qui lui porta dans
» le coeur , & qui le renverfa par terre ,
fans qu'il pût proférer une parole. Il
» fut auffi-tôt dépouillé , à la chemiſe
» près . On trouva fur lui des écrits pour
» des affaires lucratives , de la valeur de
plus de cinq cents mille livres » . Vitry
reçut pour récompenfe le bâton de Maréchal
de France .
"
"
On trouve auffi dans ce même volume
, l'hiftoire du procès fait à la Maréchale
d'Ancre , accufée de fortilèges ; les
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
dépofitions des témoins , leurs confrontations
avec la Maréchale , les interrogatoires
de cette dernière , & l'Arrêt qui
la condamna à être décapitée & brûlée .
Cet Arrêt , rendu par le Parlement de
Paris , le 8 Juillet 1617 , fut exécuté le
même jour.
Les douze parties qui paroiffent de ces
Mémoires fecrets , commençant à l'année
1611 , & au règne de Louis XIII ,
font une fuite néceffaire des quatorze
autres qui ont para précédemment , &
qui contiennent une partie du règne de
Henri IV , depuis 1601 jufqu'en 1610 .
Elles fe trouvent chez le même Libraire.
Les Penfées , Maximes & Réflexions morales
de François VI, Duc de la Rochefoucaud
, avec des remarques &
notes critiques , morales , politiques
& hiftoriques fur chacune de ces Penfées
,par M. Amelot de la Houffaye &
l'Abbé de la Roche ; & des Maximes
Chrétiennes , par Madame de la Sablière.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire
, rue Saint-Jean -de-Beauvais , 1
vol. in- 12 . Prix relié , 3 liv .
Dès l'inftant où l'on vit paroître, dans
AVRIL 1777. 127
le fiècle dernier , les Penfées & Maximes
de M. de la Rochefoucaud , elles produi
firent la plus grande fenfation . On les
mettra toujours au nombre des produc
tions les plus diftinguées de ce fiècle célèbre.
La nobleffe du ftyle y eft réunie à
la folidité des penfées , on y admire fur
tout la pénétration avec laquelle l'Auteur
fait démêler les replis les plus fecrets de
l'efprit & du coeur , la force & la vérité
avec lefquelles il peint les hommes.
Il avoit toujours exifté jufqu'ici , en
même tems , deux éditions de ces Penfées
; l'une , avec des notes d'Amelot de
la Houffaye; l'autre , avec celles de l'Abbé
de la Roche. Quoique les mêmes Penfée's
fiffent la bafe de ces deux éditions
on en trouvoit cependant dans l'une qui
n'étoient pas dans l'autres de forte que
pour avoir l'Ouvrage parfaitement com
plet , il falloit les acheter toutes les deux.
En les réuniffant dans celle que nous annonçons
, on a épargné au public cette
double dépenfe . Cette nouvelle édition
réunit d'ailleurs d'autres avantages . Toutes
des pensées , rangées dans l'ordre alphabétique
, y préfentent fous un feul &
même point de vue , tout ce que l'illuf
tre Auteur dit fur chaque vertu & fur
Fiv
118 MERCURE DE FRANCE.
chaque vice , & ce que chaque Éditeur
y a ajouté. On a défigné par la lettre A ,
les réflexions d'Amelot de la Houffaye
& par la lettre L , celles de l'Abbé de la
Roche. Toutes les penfées auxquelles la
Roche a fait des réflexions qui fe trouvent
cependant dans l'édition d'Amelot ,
font marquées d'une L. Toutes les Penfées
& Maximes Chrétiennes qui ne fe
trouvent pas dans l'édition de la Roche
& qui font dans celle d'Amelot , font
défignées au contraire par un As de forte
qu'on peut aifément diftinguer par ce
moyen , les Penfées originales du Duc de
la Rochefoucaud , de celles qui lui font
feulement attribuées.
Afin de conferver l'ordre des numéros
qui a toujours régné dans les précédentes
éditions de ces Penfées , on a mis à la
tête du volume , une table des numéros,
avec des renvois aux articles auxquels
chacun d'eux a rapport. On en a ajouté
une feconde pour les Penfées de Madame
de la Sablière ; & , à la fin du volume
, une table alphabétique des différens
noms fous lefquels la même penfée peut
être rangée , ce qui fert à la trouver plus
facilement.
Un exemple pris au hafard , rendra
AVRIL. 1777 129
plus fenfible la manière dont les réflexions
des deux anciens Éditeurs , ont
été rangées à la fuite des Penfées.
Penfée de M. le Duc de la Rochefoucaud.
Nous aimons toujours ceux qui
nous admirent , & nous n'aimons pas
toujours ceux que nous admirons.
A. Nous aimons les uns , parce que
» nous y gagnons ; & nous n'aimons pas
les autres , parce que nous y perdons.
Auprès des uns , nous paroiffons plus
grands ; auprès des autres , nous paroiffons
plus petits » .
"
">
L. C'est que ceux qui nous admi-
» rent , nous flattent le coeur ; & ceux
que nous admirons , ou ne font pas
» aimables d'ailleurs , ou excitent notre
jaloufie ».
39
"
On retrouve dans cette nouvelle édition
, à la tête du Recueil , un Difcours
fur les Réflexions , Sentences & Maximes
morales , qui fe trouvoit dans l'édition
imprimée en 1754 , avec les notes d'Amelot
de la Houffaye ; & la Préface de
l'édition imprimée en 1765 , avec les
notes de l'Abbé de la Roche .
Les Costumes françois , repréfentans les
différens états du Royaume , avec les
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
habillemens propres à chaque état , &
accompagnés de réflexions critiques
& morales. A Paris , chez le Père &
Avaulez, Marchands d'Eftampes , Affociés
, rue S. Jacques, avec approbation,
1776.
Ces Coftumes font compofés de dix
Planches , dont la première repréfente le
Seigneur & la Dame de Cour ; la feconde
, l'Évêque & l'Abbeffe ; la troisième,
le Magiftrat & le Militaire ; la quatrième,
les Religieux & Religieufes ; la cinquième
, le Financier & l'Abbé ; la fixième ,
le Bourgeois & la Bourgeoife conduifant
leur enfant ; la feptième , le Médecin ,
le Chirurgien & le Pharmacien en fonction
de leur état auprès de la malade ; la
huitième , le Maçon & la Blanchiffeufe;
la neuvième, le Jardinier & la Payfanne;
la dixième enfin , le Pauvre de l'un & de
l'autre fexe. Les delfins & l'eau-forte font .
du Sieur Quéverdo ; & les gravures ont
été exécurées par les Sieurs Dupin & de
Moncy. Un homme de Lettres , bien.
connu par plufieurs Ouvrages , s'eft chargé
de la rédaction du Difcours ; & M.
Buc'hoz , qui avoit annoncé les Coftumes
à la tête de fon Hiftoire Naturelle de
AVRIL 1777, 131
F
la France , repréfentés dans la gravure ,
s'en eft départi pour s'en tenir uniquement
aux Animaux , aux Végétaux &
aux Minéraux , & n'a d'autre part à cet
Ouvrage , que d'en avoir conçu l'idée .
-Differtation fur l'huile de Palma Chrifti ,
ou d'huile de Ricin , que l'on appelle
communément huile de Caftor , dans
laquelle on donne l'hiftoire de cette
huile ; on expofe fes propriétés , & on
en recommande l'ufage dans les maladies
bilieufes ; calculeufes & autres ;
par le Docteur Pierre Canvane , Médecin
à Bafle , & Membre du Collége
Royal des Médecins de Londres , &
de la Société Royale Ouvrage traduit
7 de l'Anglois , par M. Hamart de la
555 Chapelle, Docteur en Médecine de la
6 ་ ་
Faculté de Caen , Bachelier de la Faculté
de Médecine de Paris, &c. 1 vol.
in- 8°. A Londres ; & fe trouve à Paris,
chez P. Fr. Didot le jeune , Libraire ,
Quail des Auguftins
Si l'on confidère combien les remèdes
nouveaux fe font multipliés de nos jours,
on èn conclura néceffairement que notre
matière médicale eft fort riche , & qu'il
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
à
n'y a prefque plus de remède à y ajouter,
qu'il y en a déjà même que trop. Le
remède dont il eft queftion dans la brochure
que nous annonçons ,
n'eft pas ,
la vérité , un de ces remèdes nouveaux
introduits depuis peu. Les Anciens fe:
font fervis de l'huile de ricin avec fuccès
; mais elle a été abandonnée dans les
derniers temps , foit par la difficulté
de
s'en
procurer , foit
le
mauvais pro-
S
par
cédé qu'on employoit pour l'extraire. M.
Canvane fait voir dans cette brochure de
quelle utilité pourroit être cette huiledans
la Médecine- pratique pour plufieurs
maladies ; & il indique les fubftances
avec lesquelles elle peut s'allier : pour:
que cette huile foit bonne, il faut qu'elle
foit d'une faveur douce , abfolument
fans aucune âcreté ; celle qui eft un peu
louche , eft plus récente & meilleure que
celle qui eft bien tranfparente & d'une
couleur fafranée on emploiera. à l'intérieur
la plus fraîche , & à l'extérieur
celle qui l'eft moins. Herman eſt le pre
mier des Médecins modernes, qui ait
donné des inftructions für cette huile.
mais M. Canvane en fait connoître plus
particulièrement les propriétés dans cette
brochure. Rien de ce qui pouvoir rendre
AVRIL. 1777. 333
ce remède plus utile, n'a échappé à fes
recherches profondes ; l'analogie a guidé
fes pas , fuggéré fes épreuves , & l'expérience
a conduit fa plume. M. de la Chapelle
n'a auffi rien négligé pour entrer
dans l'efprit de l'Auteur ; il dit même
s'en être fervi , avec fuccès , dans pluhieurs
cas.
Effai fur les Langues en général ; fur la
Langue françoife en particulier , & fa
progreffion depuis Charlemagne jufqu'à
préfent ; par M, Sablier , in - 8 ° .
broché. Prix, 2 liv. 8 f. A Paris , chez
Monory , Libraire de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Condé , rue &
vis-à - vis l'ancienne Comédie Françoife,
1777.
M. Sablier annonce lui - même , dans
une courte Introduction , qu'il ne s'eft
point propofé , en compofant fon Ouvrage
, de percer les ténèbres qui enveloppent
l'origine des Langues , fur-tout
après tant d'Ecrivains qui ont travaillé à
les épaiffir. « Je me bornerai donc , dit-il ,
» à jeter un coup - d'oeil fur les Langues
>> anciennes & modernes. Mon Ouvrage
n'eft point fait pour les Savans , mais
134 MERCURE DE FRANCE.
2
» pour ceux,à qui des occupations impor-
» tantes ne permettent pas de feuilleter
beaucoup de Livres , & qui cependant
feroient curieux d'avoir une idée géné
» rale fur cette matière ».
"
L'Ouvrage eft partagé en fept fections :
la première traite des Langues de l'Afrique
la feconde , de celles de l'Afre la
troisième , des Langues Européennes :
& la quatrième, de la Langue des Gaules
en particulier : la cinquième , contient
differentes réflexions fur la Langue françoife
: la fixième , traite des Langues de
l'Amérique : la feptieme enfin, renferme
un abrégé du Roman de la Rofe.
L'Auteur paffe légèrement fur les Lan-
'gues Africaines . Parmi les Langues Afiatiques
, il s'étend particulièrement fur
l'Hébreu , le Perfan , le Géorgien & le
Chinois. Ses obfervations font encore
plus multipliées & plus détaillées , comine
de raifon , fur la plupart des Langues
Européennes. Nous rapporterons les fuivantes
, tirées du chapitre où il parle de
l'Allemand. Les Latins , vers le temps
» du bas -Empire , fe fervoient de vos au
» lieu de dire tu , comme faifoient les
» Romains dans les fiècles de la bonne
30
" latinité. Les Italiens ont imaginé
AVRIL. 1777.
·135
"
de prendre la troifième perfonne.
Monfieur voudroit- il ? Les Allemands
» ont pouffé la politeffe encore plus loin ;
» car ils difent , au lieu de voulez- vous ,
» Meffieurs veulent-ils ?
1
» Bouhours avoit agité fi un Allemand
» pouvoit avoir de l'efprit ; mais Gefner,
Gellert & bien d'autres ont prouvé ,
» dans ce fiècle , le ridicule d'une pareille
» queſtion. Qu'auroit- il dit , s'il avoit vu
» Klopftok , non- feulement fecouer le
» joug de la rime , à l'exemple de Milton
» & duTriffin , mais employer le rhythme
» de la Poéfie Grecque & Latine , inno
vation qui a eu le plus grand fuccès.
Baif & autres , il y a deux cents ans',
voulurent entreprendre la même choſe
pour notre Langue ; mais ils n'en connoiffoient
point le génie : ils ne fongeoient
pas qu'il étoit difficile, & peutêtre
impoffible, d'affurer chez nous les
» voyelles longues & brèves. Ronfard
qui fentit la difficulté de donner de
la grâce aux vers de cette façon , lorf
qu'il voulut s'y effayer , fut obligé d'y
ajouter la rime. Ils ne fongeoient pas
encore qu'avec ces vers mefurés , il
faudroit donner une prononciation
marquée à nos e muets , qui font à la
e
136 MERCURE DE FRANCE.
1
fin de nos vers . L'Allemand n'a point
» ces difficultés ».
Dans le chapitre qui traite du Grec ,
l'Auteur donne une vingtaine d'exemples
de la grande différence qui fe trouve entre
plufieurs expreffions du Grec ancien
& du Grec moderne. Il y en a quelquesuns
qui ne nous ont pas paru bien choifis
. Exemple : Je bâtis : en Grec ancien ,
oicodoméo ; en Grec moderne , difo ;
c'est l'ancien verbe xr , qui a la même
fignification. Báton , en Grec ancien
bactron , en Grec moderne rabdi ; c'eſt
prefque le même mot que pads. Corbeille
ou Panier, en Grec ancien Kifté, en Grec
moderne Calathi ; c'eſt à - peu - près le
même mot que λades , qui fignifie la
même chofe. Cruptos , caché , fe dit en
Grec moderne erumenos ; mais ce mot eft ;
le participe paffif du verbe épú , & fignihe
tiré , traîné , mis à l'écart ; on a donc
pu l'employer dans le fens du verbe cacher
, fans qu'il cefsât abfolument d'être
un mot de l'ancien Grec .
Dans la fection où M. Sablier traite
de la Langue des Gaules , le Lecteur
verra , avec plaifir , la progreffion de
la Langue françoife , depuis le dixième
fiècle jufqu'au tems où elle a été fixée par
AVRIL 1777. 137
les bons Ecrivains du fiècle de Louis XIV.
Le tableau des progrès de la Langue, du
côté de la profe , y eft féparé de celui des
progrès de la Langue du côté de la Poéfie.
Ce dernier eft particulièrement enrichi
de citations de pièces de vers de chaque
fiècle . Nous ne citerons que cette Epigramme
compofée dans le quinzième
fiècle , par Octavien de Saint- Gelais.
Quelqu'un defirant eftre Preftre,
A l'Evefque fe préfenta ;
Lequel lui dit , fi tu veux l'eftre ,
Quotfunt feptem Sacramenta ?
Ce mot bien fort l'épouventa.
Puis dit , funt tres ; l'Evefque , quas ?
Sunt fpes, fides , & charitas.
Cela eft fort bien refpondu :
Or fus , qu'on defpêche ſon cas ,
Il mérite d'être tondu .
On pardonnera aifément à l'Auteur
de cet Effai , qui eft octogénaire , quelques
légères négligences dans un Ou
vrage qui embraffe une matière auffi
étendue , & qui fuppofe néceffairement
une érudition très- variée .
138 MERCURE DE FRANCE.
Dictionnairepour l'intelligence des Auteurs
Claffiques , Grecs & Latins , tant fas
crés que profanes , contenant la Géographie
, l'Hiftoire , la Fable & les
Antiquités , dédié à Monfeigneur le
Duc de Choifeul , par M. Sabbathier ,
de l'Académie Étrufque de Crotone,
Profefeur au Collège de Châlons
fur-Marne , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie de cette Ville , tome
vingt-unième , in- 8° . A Paris , chez
Delalain , Libraire , rue de la Comédie
Françoife.
Ce dernier volume termine la lettre
H. M. Sabbathier , dans la vue de ne
rien laiffer à defirer à ceux qui s'adonnent
à l'étude de l'Hiftoire & des Auteurs
claffiques , continue de traiter ,
avec étendue , les articles qui demandent
de la difcuffion . On lira avec fatisfaction
, dans ce nouveau volume.
les articles Hérodote , Héros , Hiftoire ,
Homère , Horace , Hymne , Huns , Penple
de la grande Tartarie; Hyperboréens,
Nation célèbre , dit Pline , mais dont
l'existence n'en eft pas moins un problême.
AVRIL. 1777. 139
Hyftérologie, eft l'avant- dernier article
de ce vingt-unième volume. L'Hyftérologie
eft ici définie une figure de penfée
, où l'ordre naturel des chofes eft
renverfé. L'Hystérologie ou le renverſement
de penfées dans le difcours d'un
perfonnage troublé par le premier mouvement
d'une paflion impétueufe , peut
fervir à peindre le caractère même de
cette paffion . Mais cette figure devient
fouvent vice de diction. Le renverfement
de penſée eft rare en profe , parce
qu'on s'en apperçoit aifément en relifant
fes productions à tête repofée . Mais
elle eft fréquente chez les Poëtes , à
qui la mefure des vers , la néceffité de
la rime , le feu de l'enthoufiafme , &
peut- être encore la pareffe , la peine du
changement , la difficulté d'y remédier,
font dire fouvent une chofe avant celle
qui la doir précéder . On cite ici comme
un exemple de ce vice , ces vers fi connus
de l'Ode à la Fortune , par Rouffeau.
Mais au moindre revers funefte ,
Le mafque tombe , l'homme refte ,
Et le Héros s'évanouit.
« Le pléonaſme , ajoute- t-on , d'après
140 MERCURE DE FRANCE.
N
33
לכ
quelques critiques , s'y joint à l'Hyf
térologie , ou renversement de penſée .
Quand on a dit qu'il ne reste plus que
l'homme , il eft inutile de dire que le
» Héros s'évanouit , parce qu'il eft de
" toute néceffité que le Héros ait dif-
» paru , pour qu'on ne voie plus que
» l'homme , de même qu'il faut avoir
» conçu pour enfanter. Mais fi le Poëte
» avoit pu dire , le mafque tombe , le
» Héros s'évanouit & l'homme reſte ,
» il auroit peint la chofe telle qu'elle
eft , & nous auroit offert une image
» exacte ». Cette critique pourra être
regardée comme une pure cavillation
par ceux qui ont admiré les trois vers
cités . En effet , le fecond vers ne dit
point qu'il ne reste plus que l'homme ,
ou que l'homme refte feul. Il étoit donc
nécelfaire au Poëte , pour exprimer fa
penfée , d'ajouter , & le Héros s'évanouit.
On fait d'ailleurs qu'en poéfie , & même
en profe , on fe permet quelquefois ,
pour faire image , ce que l'exactitude
grammaticale rejette comme fuperflue .
Ce vers de Racine , par exemple , où le
Poëte fait dire à Achille ,
Et que me fait à moi cette Troye où je cours?
AVRIL. 1777. 141
pourroit être également critiqué par ceux
qui ignorent ou ne fentent point qu'il
y a des pléonafmes , qui , employés à
propos , ajoutent à l'expreffion & produifent
un très - bet effet. Il fera donc
toujours facile à un critique adroit , &
armé des règles de la Grammaire , de
convertir en vices de ftyle ou de raifonnement
, les figures de penfées & celles
propres aux paffions.
Inftructionfur l'établiſſement des Nitrières,
& fur la fabrication du Salpêtre , publiée
par ordre du Roi , par les Régiffeurs
généraux des Poudres & Salpêtres.
A Paris, 1777, de l'Imprimerie
Royale , in-4°. de 83 pages , avec
figures. On trouve quelques exemplaires
de cet Ouvrage , chez Efprit ,
Libraire de Monfeigneur le Duc de
Chartres , au Palais-Royal.
Prefque tous les Arts font livrés à
une espèce de routine aveugle. Le fils
fait ce qu'a fait fon père , ce qu'a fait
fon aïeul , & les erreurs fe perpétuent
de générations en générations. L'art de
fabriquer du Salpêtre, fe trouve, par des
circonftances particulières, plus dans ce
cas qu'aucun autre . Il n'a point fuivi la
142 MERCURE DE FRANCE .
marche progreffive des autres Arts , &
le travail des Salpêtriers eft aujourd'hui ,
fur-tout en France , ce qu'il étoit il y a
plus d'un fiècle. On conçoit , d'après
cela, combien il étoit intéreflant de venir
au fecours de ceux qui s'occupent de la
fabrication du Salpêtre , de leur donner
une eſpèce de traité élémentaire qui pût
leur fervir de guide ; & c'eft un premier
objet de l'inftruction que nous annonçons.
Un fecond objet plus intéreffant encore
, a été de répandre , dans les Provinces
, les méthodes pratiquées dans
d'autres Royaumes , pour produire artificiellement
du Salpêtre , & fans le fecours
de la fouille ; de faire connoître
aux Habitans des campagnes ,, une nouvelle
branche d'induftrie , & de leur
apprendre comment ils peuvent faire des
établiffemens à la fois utiles pour eux &
pour l'État.
L'inftruction rédigée d'après ces vues ,
eft divifée en dix- fept articles ; on y
traite d'abord de la nature du Salpêtre,
des principes qui le compofent : on y
fait voir que ce fel réfulte de la combinaifon
de deux principes ; d'un acide
connu fous le nom d'acide nîtreux , &
AVRIL 1777.´ 143
d'un alkali fixe végétal qui lui fert de
bafe ; & que cet acide lui- même , d'après
des expériences communiquées à l'Académie
par M. Lavoifier , eft , pour la
plus grande partie, compofé d'un air trèspur.
Il paroît que la formation du Salpêtre
eft due à la décompofition totale des
matières végétales & animales : auffi
l'art de produire promptement & abondamment
du Salpêtre , confifte - t - il à
exciter une putrefaction rapide dans des
amas de terre , par le moyen de mélanges
quelconques de matières végétales
& animales. Les Rédacteurs de
l'Inftruction , ramènent , par ce moyen,
tous les phénomènes relatifs à la formation
du Salpêtre , à ceux de la fermentation
putride . Ils donnent enfuite
les moyens d'appliquer ces principes à
des établiffemens en grand : ils entrent
dans le détail de la conftruction des
hangards, du choix des terres, de leur
difpofition enfin , ils indiquent différens
procédés pour ménager , dans les
couches de terres , une circulation d'air
facile , & pour y entretenir un degré
d'humectation convenable.
Le Salpêtre formé , il faut l'extraire
144 MERCURE DE FRANCE.
de la terre : & cette opération fe fait par
le moyen de la lixiviation. On conçoit
que la terre étant infoluble dans l'eau,
tandis que le Salpêtre s'y diffout avec
facilité, la lixiviation doit former une
efpèce de départ ; & que l'eau en paffant
à travers la terre , doit fe charger
de tous les fels. Il ne s'agit plus enfuite,
pour obtenir ces fels , que de procéder
à l'évaporation par la chaleur & par
l'ébullition.
Les Salpêtriers de Paris , & le plus
grand nombre de ceux des Provinces
mêlent de la cendre avec les terres falpêtrées
qu'ils fe propofent de leffiver.
Les Rédacteurs de l'inftruction font voir
que cette cendre n'agit qu'en raifon de
la quantité d'alkali fixe qu'elles contiennent
; que les cendres peuvent être
remplacées , avec avantage , par ´la po
taffe , dans les Provinces , fur-tout où
cette dernière eft à bon marché ; que
cette fubftance alkaline a la propriété
de précipiter la terre unie à l'acide nitreux
, de fe fubftituer à la place , &
de convertir tout le nitre en bafe terreufe
en vrai falpêtre. Au lieu de potaffe
, on peut employer les eaux de
buanderies, qui en contiennent une por-.
tien
AVRIL. 1777. 143
tion affez confidérable, qui ne font d'aucun
ufage dans les Arts , & qui n'ont
aucune valeur dans le commerce.
Un point infiniment important, étoit
d'éclairer les Salpêtriers fur le degré de
force de leurs eaux. Il en eft , en effet ,
qui évaporent des leflives extrêmement
foibles , & qui font par conféquent une
confommation de bois confidérable abfolument
en pure perte. L'inftruction établit
comme principe , que la pefanteur
Spécifique de l'eau eft d'autant plus grande
, qu'elle contient plus de Salpêtre en
diffolution , ce qui conduit les Rédacreurs
à indiquer le pèfe - liqueur, comme
un moyen en même- temps commode &
sûr pour déterminer la quantité de Salpêtre
dont une leffive eft chargée. Ils
s'étendent à cette occafion fur la conftruction
du pèfe-liqueur ; & ils donnent
la manière de le divifer , de façon que
chacun de fes degrés exprime un pour
cent de Salpêtre dans la leffive où il
eft plongé.
Cer Ouvrage, dans lequel on n'a rien
oublié de tout ce qui pouvoit le rendre
utile , eft accompagné de figures pour en
faciliter l'intelligence ; & il eft terminé
par des calculs fur le produit des nitric
I.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
res , & fur le bénéfice qu'on peut raifonnablement
en attendre .
le
Nous terminerons cet extrait , en faifant
remarquer combien les Arts fe perfectionnent
, & combien les connoiffances
, en tout genre , s'étendent & fe multiplient.
C'est un tableau infiniment intéreffant
que de voir , d'une
d'une part
Gouvernement occupé de l'inftruction
& du bonheur de la Société ; & de l'autre
, des Citoyens zélés qui réuniffent à
des connoiffances approfondies de la partie
d'adminiſtration qui leur eft confiée ,
l'efprit de patriotifine & l'enthoufiafme
du bien public .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
BIBLIOTHÈQUE Univerfelle des Po
mans , Ouvrage périodique , dans lequel
on donne l'analyfe raifonnée des Romans
anciens & modernes , François-,
ou traduits dans notre langue ; avec des
Anecdotes & des Notices hiftoriques &
critiques concernant les Auteurs ou leurs
Ouvrages ; ainfi que les moeurs , les ufages
du temps , les circonftances particu
A.VRIL. 1777 $47
ཏི ༎།
lières & relatives , & les perfonnages
connus , déguifés ou emblematiques..
Le fuccès de cet Ouvrage , dit un nouvel
avis, augmente fi fenfiblement tous les
jours,qu'il exige de nouveaux foins . Pour
fuffire & obvier à tout , on s'eft détermi
né à former un Bureau particulier. Il a
été ouvert le io du mois dernier , rue du
Four- Saint- Honoré , près Saint Eustache.
Ceft au Sieur Anceaume que l'on s'y
adreffe ; & ce fera lui déformais qui
fignera & délivrera les foufcriptions pour,
Paris. A l'égard de la Province, on pourra,
s'adreffer également audit Bureau , ou
chez Lacombe, Libraire, rue de Tournon ,
près le Luxembourg , en affranchiffant les
lettres & l'argent.
Contraints de nous occuper d'une nou-,
velle édition , nous annonçons qu'il va
devenir comme impoffible de fournir les
vingt- huit volumes qui ont paru ; mais
lorfque les exemplaires qui reftent feront
épuifés , on s'engagera envers les perfonnes
qui fe préfénteront , à leur fournir.
dans le courant d'une année , tous les volumes
antérieurs à celui par lequel leur
abonnement aura commencé. Il fuffira
qu'en donnant leur argent pour dé conrant
, elles donnent leur nom pour lea
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
paffé . La Bibliothèque des Romans étant
ane Collection , & non un Journal , il
importe peu par quel volume on en
commence la lecture , pourvu que l'on
foit certain d'en pouvoir completter la
collection.
Cet Ouvrage , dont le Profpectus
fut reçu fi favorablement , il y a
près de deux années , juftifie fi bien
fon titre , & jouit d'une réputation fi
étendue , qu'il eft connu de ceux même
qui ne le lifent pas. Son éloge répété
dans tant de Journaux , eſt ſi bien confirmé
par la voix publique , qu'il eft
inutile de lui donner ici de nouvelles
louanges. Nous nous bornerons à affurer
que de nouveaux moyens , toujours accordés
par le même Protecteur ( * )
doivent chaque jour en augmenter le
mérite.
La Bibliothèque Univerfelle des Romans
, eft compofée de 16 vol. in- 12,
par année , dont le prix , rendus franc
de port par la Poſte , eſt , à Paris , de
24 liv.; & en Province , de 32 liv.
(*) Nous fommes forcés de n'employer qu
sette expreſſion. XIA
AVRIL. 1777. 149
Cet Ouvrage a commencé au mois de
Juillet 1775. C'eft une Collection qui
devient tous les jours plus précieufe ,
plus amufante , plus inftructive par les
recherches , & l'on peut dire par les ri
cheffes des hommes de goût qui fe font
un plaifir d'y donner leurs foins , &
par l'art avec lequel le favant Proptiétaire
de la Bibliothèque la plus com
plette , & qui la connoît le mieux , fait
tout embellir & rendre tout intéreffant.
Hiftoire générale de la Chine , ou Annales
de cet Empire , traduites du Tong-
Kim - Kang - Mou , par le feu Père
Jofeph - Anne Marie de Moyriac de
Nailla , Jefuite François , Millionnaire
à Pékin, publiées par M. l'Abbé
Grofier , & dirigées par M. le Roux
des Hauterayes , Confeiller- Lecteur
du Roi , Profeffeur d'Arabe au Collége
Royal de France , Interprête de
Sa Majesté pour les Langues Orien
tales ; Ouvrage enrichi de figures &
de nouvelles Cartes géographiques
de la Chine ancienne & moderne
levées par ordre du feu Empereur
Cang-hi , & gravées pour la première
fois.
*
G iij
# 50 MERCURE DE FRANCE.
T
On publie les deux premier volu
mes in- 4° à Paris , chez Ph.D.
Pierres , Imprimeur du Grand - Confeil
du Roi , & du Collège Royal de
France , rue Saint-Jacques ; Cloufier ,
Imprimeur-Libraire , rue S. Jacques.
Nous rendrons compte dans le pra
chain volume de cet Ouvrage impor
tant.
TALL
Hiftoire Naturelle de Pline , traduite en
François , avec le texte latin , rétabli
d'après les meilleures leçons manuf
crites , accompagnée de notes critiques
pour l'éclairciffement du texte ,
& d'obfervations fur les connoillances
des Anciens , comparées avec les
découvertes des Modernés , Tome
neuvième in- 4°. A Paris , chez la
veuve Defaint , Libraire , rue du Foin
S. Jacques.
Ce volume contient la fuite des
propriétés des fimples, & des remèdes
tirés des animaux .
Cet Ouvrage, un des plus confiderables
, & sûrement un des plus difficiles,
entrepris dans ce fiècle , arrive vers ſa
AVRIL. 1777. ISI
perfection. On s'étonnera un jour qu'un
feul homme , fans autre fecours que
fon zèle & fon travail , ait pu terminer
une fi grande entreprife .
Mémoire fur les travaux qui ont rapport
à l'exploitation de la mâture dans
les Pyrennées , avec une defcription des
manoeuvres & des machines employées
pour parvenir à extraire les mâts des
forêts , & les rendre à l'Entrepôt de
Bayonne , d'où enfuite ils font diftri
bués dans les différens Arfenaux de la
Marine ; par M. le Roi , Ingénieur des
Ports & Arfenaux de la Marine , in-4° .
A Paris , chez Couturier père , Imprimeur-
Libraire , aux Galeries du Louvre;
& Couturier fils , Libraire , Quai dės
Auguftins .
La Théorie du Chirurgien ou Anato
mie générale & particulière du corps hu
main , avec des obfervations chirurgicales
fur chaque partie , par M. Durand,
ancien Chirurgien - Aide - Major des
Camps & Armées du Roi , & c. 2 vol .
in- 8° . Prix 6 liv . broché . A Paris , chez
Grangé , au Cabinet Littéraire , Pont
Notre- Dame , près la Pompe .
Giv
151 MERCURE DE FRANCE.
Eulalie ou les dernières volontés de
PAmour , Anecdote récente , publiée
par Madame de V *** , qui en eft
l'Héroïne , in- 12 . A Londres ; & à Paris,
chez Couturier père , Libraire , aux Galeries
du Louvre ; & Défauges , Libraire
de Madame Victoire de France , rue S.
Louis , près le Palais.
Fables, par M. Willemain d' Abancourt ,
in-8° . A Paris , chez L. Cellor , Imprimeur-
Libraire , rue Dauphine.
Vocabulaire des termes de Marine
Anglois & François , en deux parties.
orné de planches , avec une explication
des figures qui y font contenues , & des
définitions de quelques termes de Ma
rine, principalement ceux de Gréement ,
in-4 ° . A Paris , à l'Hôtel de Thou , rue
des Poitevins.
Anecdotes Américaines , ou Hiftoire
abrégée des principaux événemens arrivés:
dans le nouveau Monde , depuis fa découverte
jufqu'à l'époque préfente , in-8 °.
A Paris , chez J. Fr. Baftien , Libraire ,
nue du petit Lion , F. S. G. Le même Lib.
AVRIL. 1777 . 137
vient d'acquérir la fuite des Anecdotes
des différentes Hiftoires modernes , formant
dix - fept volumes in - 8°. Et pour
en faciliter l'acquifition , il donnera la
collection entière à 4 liv . le vol . relié ,
fans rien changer au prix de ceux qui feront
pris féparément.
Difcuffion nouvelle des changemens
faits dans l'Artillerie , depuis 1765, par
M. du Coudray , Chef de Brigade au
Corps d'Artillerie , en réponſe à M. de
Saint - Auban , Infpecteur Général au
même Corps , in-8 ° . Prix 48 f. A Londres
; & à Paris , chez Ruault , Libraire,
rue de la Harpe.
ACADÉMIE.
Prix propofé par la Société Royale des
Sciences , en conféquence d'une Délibération
des Etats Généraux de la
Province de Languedoc , pour l'année
1777.
ES Les États Généraux de la Province de
Languedoc , toujours attentifs à favor
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
rifer le Commerce & les Arts , avoient
unanimement délibéré de donner un Prix
de 1200 liv. à celui qui , au jugement
de la Société Royale des Sciences, auroit
le mieux expliqué :
- 1°. Pourquoi la même Mine travaillée
avec de la Houille ou Charbon de terre ,
donne un fer de qualité inférieure à celui
qu'on en retire lorfqu'elle eft travaillée
avec le Charbon de bois ?
72 °. Quels font les moyens d'approprier
le Charbon de terre aux minéraux ferru
gineux , quels qu'ils foient , pour en tirer
du fer propre à tous les ufages économi↓
ques , & pareil à celui, qu'on retire au
moyen du Charbon de bois ?
2
La Société n'ayant pas été fatisfaite.
des recherches qu'on lui a communiquées
fur ce fujet , le propofe de nouveau
pour l'année 1777. Le Prix fera
le même , c'eft à dire , de 1200 liv.
Toutes perfonnes , de quelques pays.
& conditions qu'elles foient , pourront
travailler fur ce fujet & concourir pour
le Prix , même les Affociés Étrangers
& les Correfpondans de la Société. Elle
s'eft fait la loi d'exclure du concours les
Académiciens Regnicoles .
Ceux qui ont déjà travaillé pour ce
AVRIL. 1777. 155
Prix , pourront remettre les mêmes piè
ces au concours après les avoir perfectionnées
, ou en envoyer de nouvelles à
leur choix.
On ne peut trop exhorter les Auteurs
à profiter des lumières que la théorie
& la pratique de la Chymie leur fourniront
: ils ne doivent pas d'ailleurs onblier
que l'objet qu'ils ont à remplir eft
économique , puifqu'il s'agit de fubftituer
utilement le Charbon de terre au
Charbon de bois , qui devient tous les
jours plus rare & plus cher. L'Académie,
de fon côté , dans l'examen & le jugement
des pièces qui lui feront préfentées,
s'efforcera de répondre à la confiance des
États , & d'entrer dans les vues de M.
'Archevêque & Primat de Narbonne
leur illuftre Préfident , dont elle a fou
vent reffenti les bienfaits , & qu'elle fe
glorifie de compter au nombre de fes
Membres.
Ceux qui compoferont , font invités
à écrire en françois ou en latin . On les
prie d'avoir attention que leurs écrits
foient bien lifibles .
Ils ne mettront point leurs noms
leurs Ouvrages , mais feulement une
fentence on devife ; ils pourront atta
G vi
156 MERCURE DE FRANCE.
cher à leur écrit un billet féparé & cacheté
, où feront , avec la même devife ,
leurs noms , qualités & adreffes ; ce billet
ne fera ouvert qu'en cas que la pièce ait:
remporté le Prix .
On adreffera les Ouvrages , francs de
port , à M. de Ratte , Secrétaire perpé--
tuel de la Société Royale des Sciences ,
à Montpellier , ou on les lui fera remettre
entre les mains. Dans ce fecond cas ,,
le Secrétaire en donnera à celui qui les
lui aura remis , fon récépiffé , où feront
marqués la devife de l'Ouvrage , &
fon numéro , felon l'ordre ou le temps
dans lequel il aura été reçu..
Les Ouvrages feront reçus jufqu'aus
30 Septembre 1777, inclufivement.
La Société , à fon Affemblée publique
pendant la tenue des Etats de 1977 ,
proclamera la pièce qui aura mérité le
Prix.
S'il y a un récépiffé du Secrétaire, pour
la pièce qui aura remporté le Prix , le
Tréforier de la Compagnie le délivrera:
à celui qui rapportera ce récépiffé ; s'il
n'y a pas de récépiffé du Secrétaire , le
Tréforier ne délivrera le Prix qu'à l'Auteur
qui fe fera connoître , ou au porteur
une procuration de fa part..
AVRIL. 1777. 157
La Société avoit annoncé qu'elle donneroit
en outre un fecond Prix de 300- I..
à celui qui , ayant déjà traité avec fuccès
les deux premières queftions ci- deffus ,
auroit le mieux réfolu celle qui fuit :
Y a-t-il dans les Mines de Charbon ou
de Fer du Languedoc , comparées aux au
tres Mines des mêmes matières , quelques
qualités qui rendent l'appropriation du
Charbon de terre plus ou moins facile ?
Les Auteurs qui ont concouru , ayant
fait peu d'attention à cette troifième
queftion , l'Académie , forcée de remettre
ce Prix de 300 liv. , a délibéré dene
le propofer de nouveau qu'après
qu'elle aura adjugé celui de 1200 liv..
On avertit en conféquence ceux qui compoferont
, qu'ils ne doivent nullement
s'occuper de cet autre Problême , qui:
intéreffe plus particulièrement le Languedoc,
& que toute leur attention doit:
le porter far les deux premières queftions,
qui font le fujet du Prix de 1 : 200.1 .
le feul que la Société ait à décerner dans
fon Affemblée publique de la fin de
17.7.7.
158 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LB Concert Spirituel fupplée aux Spectacles
qui font fermés à caufe de la folennité
des Fêtes . C'eſt un établiſſement
utile dans une Ville comme Paris , où
il devient d'autant plus intéreffant , que
le nombre des Amateurs de la musique
s'eft beaucoup augmenté , & que c'eft
le lieu le plus favorable où les fujers
diftingués , foit pour le chant , foit pour
les inftrumens, peuvent faire connoître
leurs talens . Ce Concert eft préfentement
fous la direction de M. le Gros ,
premier Acteur de l'Académie Royale
de Mufique , qui joint le goût le plus
parfait du chant , à l'organe le plus
brillant & le plus admirable ; & qui ,
aimé du public , des Amateurs & des
virtuofes , peut efpérer beaucoup de
fuccès dans fa nouvelle entrepriſe .
AVRIL. 1777.
:
le
Le premier Concert de la nouvelle
Direction , fut donné le Dimanche 16
Mars il a été fort applaudi . Ce Concert
a commencé par une belle fymphonie
de M. Golfec. Mademoiſelle
Plantin a chanté avec beaucoup d'expreffion
, un nouveau Motet del Signor
Traietta . M. Baer a exécuté avec fuccès
, un nouveau Concert de clarinette .
Mademoiſelle Giorgi , déjà bien célèbre
par la beauté de fon organe , & par
charme de fon chant , a fait entendre
une Ariette del Signor Anfoffi . M.
Capron , qui a été revu avec la plus
grande fatisfaction , après une longue
abſence , a donné de nouvelles preuves
de fon rare talent & de fes études , par
un nouveau Concerto de violon de fa
compofition . M. Girouft , Maître de
Mufique de la Chapelle du Roi , a fait
exécuter un nouveau Motet à grand
choeur , dans lequel MM. le Gros &
Platel ont chanté avec applaudiffement .
M. Bezozzi a exécuté de la manière la
plus admirable , un Concerto de hautbois
. Ce beau Concert a été terminé
160 MERCURE DE FRANCE.
par une excellente fymphonie de M.
Guenin. Le public a remarqué l'exécution
ferme & l'intelligence fupérieure
de M. de la Houffaye , premier Violon ,
bien digne de conduire l'Orcheſtre auquel
il préfide .
Le Concert du Mercredi 19 Mars ,
a été compofé d'une fymphonie à grand
Orcheftre , de M. Goffec ; d'un air de
M. Piccini , chanté par M. Guichard ;
d'un nouveau Concerto de haut-bois ,
exécuté par M. le Brun ; d'une Ariette
Italienne , chantée par Mlle Danzi
première Cantatrice de l'Électeur Palarin
; d'un nouveau Concerto de violon,
par M. Chartrain ; d'un Morer à grand
choeur del Signor ** ; d'un Concerto
de cor- de-chaffe , par M. Punto , d'une
Ariette Italienne , chantée par Mademoifelle
Danzi , & accompagnée par
M. le Brun ; d'une fymphonie nouvelle
de M. Chartrain. On ne peut defirer
plus de variété , un choix plus aimable
& un concours de talens plus diftingués
.
AVRIL. 1777. 163
Concert du Vendredi 21 Mars. Symphonie
de M. Goffec. Ariette del Signor
Piccini , chantée par Mademoiſelle
Giorgi. Concetto de haut-bois par M.
le Brun. Ariette Italienne redemandée
& chantée par Mademoifelle Danzi ,
première Cantatrice de l'Electeur Palatin.
Concerto de violon par M. Capron.
La fortie de l'Égypte , oratorio
de M. Rigel . Concerto de cor- de- chaſſe,,
par M. Punto. Autre Ariette Italienne,
auffi redemandée , chantée par Mademoifelle
Danzi , & accompagnée par
M. le Brun. Nouvelle fymphonie del
Signor Sterzel. Tous ces morceaux ont
eu le plus grand fuccès. Ils prouvent
tous le goût & l'intelligence du nouveau
Directeur.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a continué jufqu'à la clôture de fon
Théâtre, les repréfentations alternatives
Orphée & Euridice , d'Iphigénie en
162 MERCURE DE FRANCE .
Aulide , d'Alcefte , Opéra de M. le Chevalier
Gluck. On n'a rien négligé pour
mettre les Connoiffeurs & les Amateurs
à portée de juger de cette mufique, tant
préconisée par le parti des enthoufiaftes
, & que les vrais Amateurs ont applaudi
comme une bonne mufique théâtrale,
mais peu agréable hors de la fcène,
parce qu'il faut à ce genre , pour en impofer
, tout l'appareil du fpectacle , toute
la véhémence des Acteurs , & tout l'effet
d'un Orchestre très-nombreux .
nouveau
M. Noverre a donné un
Ballet paftoral , intitulé les Rufes de
l'Amour. La compofition de ce Ballet
eft très - ingénieufe , très - agréable , &
d'une variété piquante. Le Compofiteur
a choifi pour le lieu de la fcène , un fite
champêtre , avec des côteaux qui , s'élevant
en emphithéâtre , lui ont donné
l'occafion de former des tableaux charmans
, & de varier les effets de perfpective.
On a pu remarquer que M.
Noverre fait allier dans la compofition
de fes Ballers , l'imagination du Poëte
& le talent du Peintre . C'eft de la poéfie
qu'il emprunte fes idées ; c'eft de la
Peinture qu'il imite les figures & les
attitudes des grouppes de Danfeurs.
AVRIL. 1777. 163
Heureufe invention pour enrichir la
danfe de penfees poétiques & de dif
pofitions pittorefques . Que de Ballets
charmans à tirer des Odes d'Anacréon ,
des Poëmes d'Homère , de Virgile , da
Taffe, de Voltaire , des Idyles de Théocrite
& de Gefner, &c. ! Que de figures
agréables , que d'attitudes heureufes à
emprunter de Rubens , du Corrége , de
' Albanne , de Vateau, &c . ! C'eſt ainfi
que l'homme de génie peut s'approprier
les richeffes des Arts , & en former un
nouveau, par leur réunion
DÉBUT
Le Sieur de Beauval , Acteur , venant
de Bruxelles , a débuté fur le Théâtre
de l'Académie Royale de Mufique , par
le rôle d'Orphée dans la Tragédie de
ce nom . Cet Acteur a l'intelligence de
la fcène , il a une figure théâtrale ; il
eft bon Muficien ; il tire parti , avec
beaucoup d'adreffe & de goût , d'un
organe ingrat qu'il fait ménager; il a
été fort applaudi.
On doit donner inceffamment la re164
MERCURE DE FRANCE.
prifé de Cephale & Procris , Ballet he
roïque , dont les paroles font de M. de
Marmontel, & la mufique de M. Grétry.
On nous affure que les deux Auteurs
ont fait des changemens fort heureux
dans cet Opéra ; & que les partifan
de la mufique parlante & expreffive, y
trouveront tout ce qu'ils peuvent deficer,
& de plus la belle mélodie qui appar
tient au génie , avec l'harmonie qui eft
l'ouvrage de l'art & de la fcience.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François ont donné
quelques repréfentations du Complai-
Jant , Comédie de caractère , dans laquelle
il y a des fcènes fort ingénieuſes
& fort plaifantes , attribuée à M. de P.
de V. , Auteur du Somnambule , & du
Fat puni , deux autres Pièces très- comiques.
DÉBUT.
Le Sieur DEROZIERES , Acteur , âgé
d'environ vingt - huit ans , jouant en
Province les premiers rôles , eft vena
.
AVRIL. 1777. 165
s'effayer fur le théâtre de la Comédie
Françoife. Il a débuté le premier Mars
par Augufte dans Cinna ; il a joué enfuite
le rôle de Couci dans Adélaïde du
Guefclin. Cer Acteur eft d'une tailleavantageufe
: il a l'ufage du théâtre ;;
mais le public de Paris s'accoutumeroit
difficilement à fa prononciation. Il eft
retourné en Province , où des intérêts
particuliers l'ont rappelé .
Les Comédiens ont donné une repré-
Lentation de Sémiramis au profit de Mademoiſelle
Dumefnil , qui s'eft retirée du
théâtre . Le public s'eft porté en foule à
ce fpectacle , & a marqué , par fon empreffement
, l'eftime qu'il fait de cette
Actrice célèbre.
M. Dauberval a fait cette année , à
la clôture , le compliment d'ufage , qui
a été fort applaudi . Le voici :
MESSIEURS ,
C'est toujours avec une crainte ref- ,
pectueufe que nous rempliffons , à cette
époque , l'acte d'hommage que nous
166 MERCURE DE FRANCE.
venons vous faire : celui de nous qui
s'en trouve chargé , voit au premier coupd'oeil
1 heureufe occafion qu'il peut avoir
de folliciter vos bontés pour lui -même ;
mais dès qu'il y réfléchit , il fent tout
le poids d'une fonction auffi délicate que
difficile à remplir. Notre reconnoiffance ,
Melbeurs , et une derte facrée , dont
Raven répété a droit de vous paroître
fuperfu. Je ne crois pas non plus devoir
vous parler de notre zèle & de nos efforts.
Eh ! qui de nous peut exifter avec quelque
fatisfaction dans notre état , s'il n'a
pas l'avantage de mériter votre bienveil
lance par fes travaux & fes fuccès ?
1
I
Tels font les fentimens que j'ai lu da no
le coeur de tous les Comédiens ; tels
étoient ceux de cette Actrice célèbre ,
l'honneur immortel du Théâtre , qui fut
à la fois Cléopâtre & Mérope , & qui ,
toujours fidelle aux impreffions de la
nature , les rendit avec cette vérité
naïve & impofante , qui fait le carac
tère du génie. Qu'il eft beau d'attirer le
concours dont vous avez honoré fa repréfentation
! Qu'il eft glorieux de s'en être
rendu digne ! e
- Daignez vous reffouvenir , Meffieurs ,
que c'eft par ces mêmes encouragemens
AVRIL 1777 . 167
que vous avez , pour ainfi dire , créé ces
hommes immortels que toutes les Na
tions vous envient, Ces traits de fenfibilité
, d'efprit & de délicateffe qui vous
diftinguent & vous caractériſent , inſpirent
l'émulation , transforment les hommes
, & vont chercher au fond de leurs
ames le talent qui y demeuroit enfeveli.
Si quelque peuple a mérité que la nature
devint inépuifable pour lui , ce doit
être fans doute , Meffieurs , celui chez
qui tous fes voifins viennent admirer les
chef-d'oeuvres qui l'enrichiffent , & qu'on
peut , fans adulation , regarder comme
les precieux modèles du bon goût & de
la faine littérature .
COMÉDIE ITALIENNE.
ON
Na donné pour fpectacle , le jour
de la clôture , une repréfentation de la
Soirée des Boulevards , & des Trois
Sultanes , fuivies du Couronnement de
Roxelane. Ces deux Pièces très - ingés
nieufes , qui font de M. Favart , ont
reçu tous les applaudiffemens qu'elles
méritoient Auffi - tôt après le charivari
168 MERCURE DE FRANCE.
qui termine la cérémonie du couronnement
, le Sieur Clairval , dans l'habit
de Sultan ; & le Sieur Trial , dans celui
de Chef des Eunuques , fe font avancés
fur l'avant-Scène.
OS MIN.
Vous êtes Empereur , Seigneur , & vouspleurez !
SOLIMAN.
Ofmin , ces pleurs font dus à la reconnoiffance :
J'ai vu partir Elmire avec indifférence ;
Un départ plus cruel ... des adieux différés...
Des adieux !
OS MIN.
SOLIMAN.
Au public qui fuit & qui nouslaiffe.
OSMIN.
En ce jour ? à cette heure ? au fein de l'allégretk.
SOLIMAN.
Juge fi Soliman a droit de s'affliger.
OS MIN.
Je nefuis pas furpris de ce trifte langage ;
C'e
AVRIL. 1777 .
169
C'eft un malheur qu'il nous faut
partager.
SOLIM A N.
En ce moment je lui dois mon hommagę :
Tout me l'ordonne , & le public l'attend.
Dépouillons un éclat que détruit fon abſence ,
S'il n'eft plus Spectateur , je ne fuis plus Sultan ,
Ma grandeur tient à ſa préſence ,
Il me détrône en nous quittant.
Delia , Roxelane , & vous , Mufti Narbonne ,
Pour le complimenter , rempliffez à l'inſtant
Les derniers ordres que je donne.
ROXELANE (la Dame Nainville )
Air : Je fuis Lindor
A mon bonheur , en ce jour , tout confpire ,
Je vais régner fur un peuple d'amans. ‹
J'ai déridé tous les fronts Mufulmans ,
De la gaieté j'étends ici l'empire.
Le fort pourtant me gardoit une épreuve ,
Il vous arrache à mes plus chers defirs .
Ramenez donc en ces lieux les plaifirs .
( Montrant le Sultan ).
Quoiqu'en fes bras , fans yous , je refte veuve.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
LE MUFTI ( le Sieur Narbonne ).
Air : du Vaudeville de Tom-Jones.
A Mahomet j'adreffois ma prière ,
Pour les jours d'un Sultan chéri.
Je le priois d'étendre fa carrière ;
Mais c'étoit le voeu du Mufti .
Vous nous quittez , & ma reconnoiffance
Lui demande une autre faveur.
Qu'il daigne abréger votre abfcence ,
Meffieurs , c'eft le voeu de l'Acteur.
DELIA ( la Dame Billioni ).
Air : du Vaudeville des Chaffeurs.
Meffieurs , de grâce , en affluence
Revenez ce Printems nous voir."
Nous comptons fur votre indulgence ,
La mériter eft mon devoir :
Et fi l'accueil dont on m'honore ,
Répond toujours à mon eſpoir ;
Quoiqu'on m'ait ôté le mouchoir,
Je croirai le tenir encore. ( bis. )
( Ici la Demoiselle Desbroffes a chanté
un Couplet indépendant de la Pièce
des Sultanes ).
AVRIL. 1777. 171
OSMIN.
Air : Tout roule aujourd'hui dans le Monde.
•
Les trois Sultanes font l'emblême
Des trois Théâtres de Paris.
Puifque tous les trois on les aime ,
Tous trois fans doute ils ont leur prix ;
Mais fi malgré l'éclat d'Elmire ,
Et le gofier de Délia. . .
Roxelane vous fait plus rire ,
De préférence époufez- là .
SOLIM A N.
Air : De tous les Capucins du Monde.
Mais eft - ce donc au feul Parterre
Que nous devons chercher à plaire ,
Et d'un fexe rempli d'appas ,
Ne briguons-nous point les éloges ?
OS MIN.
Mon rôle ne me permet pas
De faire un Compliment aux Loges .
SOLIMA N..
Je m'en chargerai donc. Cent Beautés à la fois ,
Dans mon coeur indécis , fe difputoient des places,
Roxelane a fixé mon choix ;
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE
.
Roxelane eft françoife, & de tout tems les grâces,
Comme elle au trône , eurent des droits .
O vous , qui partagez l'honneur de fa conquête ,
Sexe charmant , l'amour vous invite à nos yeux,
De vos regards fouvent embelliffez la fête ,
Soliman , fans vous voir , ne fauroit être heureux.
Le Compliment étoit terminé par un
choeur général , fur l'air de la marche
des Janiffaires , dans les deux Avares.
Ce Compliment a beaucoup réuffi ; il
eft des trois jeunes gens qui ont donné
fur ce Théâtre la Parodie de l'Opéra
d'Alcefte , & dont on nous promet , pour
la rentrée , la Parodie de l'Opéra d'Iphi
génie.
Retraite de Madame Laruette.
Madame Laruette , célèbre Actrice de
ce Spectacle , joua le Jeudi 13 Mars , pour
la dernière fois , dans l'Ami de la maifon ,
où elle fembla redoubler de talent , de
jeu , de voix & de goût dans fon chant.
Jamais fpectacle n'excita autant de tranfports
de plaifir & d'admiration , par la
réunion d'une Comédie charmante ,
d'une muſique enchantereffe , du jeu des
AVRIL. 1777 173
19
Acteurs , & de l'enfemble le plus parfait
des talens . Madame Laruette fut diftinguée
, dès fon enfance , par le charme
de fa voix , & par la finede de fon jeu.
Elle joua à l'âge d'environ quatorze- ans
à l'Opéra ; elle y reçut beaucoup d'ap
plaudiffemens par la vérité de fon jeu
& les graces naïves de fon chant dans le
rôle de Colette du Devin du Village. Deux
ans & demi après fon entrée à l'Opéra ,
elle débuta au théâtre de la Comédie Italiennne,
où elle eut un faccès. conftant ,
& bien mérité. Il y a des rôles qui lui
conviennent tellement , qu'il fera difficile
de l'y remplacer.
ART S.
PEINTURE.
Collection de Tableaux , deffins , bronzes ,
marbres , terres-cuites , pierres gravées,
antiques & modernes , médailles Grec
ques & Romaines , bijoux & autres
effets précieux.
CETTE Collection eft celle qui étoit
dans le Cabinet de feu Son Alreffe Séré-
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
niffime Monfeigneur le Prince de Conti ,
Prince du Sang , & Grand Prieur de
France. La vente de cette Collection eft
annoncée pour le 8 du préfent mois
d'Avril : elle commencera par les tableaux.
M. Remi , Peintre , demeurant
à Paris , rue des Grands- Auguftins , en
a dreffé un Catalogue raifonné , que l'on
trouve chez lui , ainfi que chez Mufier
père , Libraire , quai des Auguftins.
La Collection de tableaux de ce Cabinet
, eft très-importante. Nous pou
vons même confirmer ici ce que M.
Remi dit dans la Préface de fon Catalogue
, que depuis la vente du Cabinet du
Prince de Carignan , aucune Collection
ne préfente un choix auffi riche , furtout
en tableaux des Ecoles d'Italie . Plufieurs
de ces tableaux , tel que celui indiqué
fous le numéro 21 , & qui repréfente
la rencontre de Laban & de Jacob
par Piétre de Cortone , méritent d'être
placés dans les Palais des Souverains , pour
l'inftruction des Artiftes , & celle même
des riches Amateurs , dont le goût a
fouvent befoin d'être éclairé par les productions
des grands Peintres Italiens .
La Collection que nous venons d'annoncer
, n'eft pas moins riche en tableaux
}
AVRIL 1777. 175
des Ecoles des Pays-bas ; tableaux fi forr
recherchés aujourd'hui pour la gaieté de
la compofition , la vérité du coloris , &
le fini précieux de l'exécution. Les ta
bleaux Flamans les plus capitaux , qui
compofoient différentes Collections modernes
, avoient paffé dans celle du feu
Prince de Conti ; ce qui indique affez
que le choix que , nous annonçons eft
très-intéreffant.
Les Amateurs trouveront également
dans l'Ecole Françoife , des tableaux du
premier choix , & qui , par le génie de
la compofition & le mérite de l'exécution
, peuvent fe foutenir à côté des
meilleurs tableaux Italiens . M. Remi ,
en dreffant fon Catalogue , a eu foin
d'indiquer les differens Cabinets d'où
font fortis les tableaux les plus capitaux
qu'il amonce. Les Amateurs , par ce
moyen , pourront mieux s'affurer de l'originalité
de ces tableaux.
La partie du Catalogue qui renferme
les deffins , terres-cuites , bronzes, médailles
, pierres gravées , hiſtoire naturelle
, &c . ne tardera point à être publiée .
* H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURES.
I.
La pêche de jour , la pêche de nuit.
DEUX
EUX Eftampes d'environ dix - fept
pouces de longueur & quatorze de hau
teur , gravées avec beaucoup de foin &
de talent , par M. le Gouaz , d'après les
tableaux originaux de M. Vernet , Peintre
du Roi. Ces compofitions font trèsagréables
, & d'un effet très - piquant.
Elles fe vendent chacune liv. 8 fols.
A Paris , chez le Graveur , rue Saint-
Hyacinthe , la première porte à gauche ,
en entrant par la place S. Michel.
I I.
J
On vient de mettre au jour , chez F.
Regnault, Peintre & Graveur , rue Croixdes
-petits -Champs , à Paris , le premier
cahier du Supplément à la Botanique mife
à la portée de tout le monde. Il eft compofé
de vingt Planches : le Café ou Cafier,
le Ladanum , la Gratiole , le Safran des
Indes , la Bétoine , le Raifin de Renard ,
*
AVRIL. 1777.´ 177
le Tamaris, l'Aloë Succotrin, la Reine des
Prés , la Circée, le Sefeli de Marſeille, la
Pilofelle , le Nerprun , la Gomme adragant,
l'Enule campane, la Sauge des bois,
le Meum, le Chêne verd, la Tormentille &
la Saxifrage. Prix, 24 liv. conformément
aux conditions de la foufcription. Ce Sup
plément qui fera d'environ 100 Planches ,
fera fuite & partie de la Collection des
Plantes d'ufage en Médecine, dans les ali
mens & dans les Arts , en 300 Planches
in-folio , en couleurs naturelles , accompagnées
de notices inftructives fur le climat
, la culture , les propriétés , les vertus,
& c. de chaque Plante. Cet Ouvrage,
déjà connu & eftimé , a été publié , par
foufcription , en 1769 , & terminé en
1774. Le Supplément fe diftribue avec les
mêmes conditions. Les Cahiers fe fuccéderont
fans interruption , chez l'Auteur
ci - deſſus nommé , & chez les Libraires
qui ont fourni l'Ouvrage .
On trouve chez les mêmes , la Collection
des Écarts de la Nature , les Quadrupèdes
de l'oeuvre de M. de Buffon
auffi en Planches coloriées.
I I I.
Chronologie figurée pour l'intelligence
de l'hiſtoire des révolutions monarchi-
* A v
178 MERCURE DE FRANCE.
•
ques. Ce plan , exécuté en une carte
grand in -folio , offre le moyen de vérrfier
les dates des époques les plus intéreffantes
de l'hiftoire ; il rappelle l'ordre
de tous les principaux événemens ; il eft
fous la forme d'un arbre, & préfente,
d'une manière affez naturelle , la filiation
des peuples iffus les uns des autres. Cette
carte , inventée & deffinée par MM,
Mazarot , fe vend 3 liv. A Paris , chez
Mondharre , rue Saint - Jacques , à la
Ville de Caën , près la fontaine Saint-
Severin.
•
4
LETTRE de M. de VOLTAIRE à M.
HENRIQUEZ .
{
A Fernei , le 7 Février 1777-
Vous avez , Monfieur , parmi vos chefoeuvres
de gravures , envoyé à un vieillard de
quatre -vingt-trois ans , très-malade, fon portrait,
qui n'étoit pas digne de vos grands talens. Les
trois autres Eftampes dont vous l'avez gratifié
méritoient un burin tel que le vôtre . Je fais honteux
de me trouver dans une fi bonne compagnie;
mais je n'en fuis que plus reconnoiffant. L'état de
na fanté m'approche du terme où il ne refteraplus
de moi que votre Eftampe, Pardonnez aux
AVRIL. 1777. 179
maladies qui m'accablent , fi l'expreffion de mes
remercîmens eft fi courte & fi foible.
J'ai l'honneur d'être avec toute l'eftime & la
reconnoiffance que je vous dois ,
Monfieur ,
Votre très-humble & très-obéiffant
ferviteur , VOLTAIRE.
N. B. M. Henriquez qui a gravé, & chez qui le
vendent ( enfemble ou féparément ) les Portraits
de MM: de Montefquieu , de Voltaire , Diderot
& d'Alembert , ainfi que celui de M. Bouvart ,
demeure préfentement rue S. Jacques , dans la
maiſon qui eft vis - à- vis la grande-porte du Collége
du Pleffis-Sorbonne.
MUSIQUE.
I.
SIX TRIOS d'ariettes d'Opéras - Comiques
, dialogués pour deux violons &
un violoncelle , par M. Tiffier , ordinaire
de l'Académie Royale de mufique ;
OEuvre neuvième. Prix 6 1. , mis au jour ,
& gravés par Mad. Tarade . A Paris , chez
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Madame Tarade , Marchande de mufique
, rue Coquillière , à la Lyre d'Or
phée , & aux adreffes ordinaires .
I I.
Sei duetti perduè violini compoftè ,
per il Signor Stamitz le cadet , oeuvre IV .
Prix 7 liv. 4 fols , mis au jour , & gravés
par Madame Tarade , aux adreffes cideffus.
I I I.
و
Vingt-quatrième ouverture d'Alcefte &
la marche , arrangée pour le clavecin ou
le forté - piano , avec accompagnement
d'un violon & violoncelle ad libitum
par M. Benaut , Maître de clavecin de
l'Abbaye Royale de Montmartre , des Dames
de la Croix , &c. Prix , 3 l . A Paris,
chez l'Auteur, rue Dauphine, près la rue
Chriftine ; & aux adreffes ordinaires de
mufique.
I V.
Six trios concertants & dialogués ,
pour un violon , alto & baffe , compofés
par J. B. Breval. Prix , 9 liv.
í
AVRIL. 1777. 181
baſſe,
Deux fymphonies concertantes : la première
, pour deux violons & un alto
obligés ; la feconde , pour deux violons
& un violoncelle obligés ; premier &
fecond violons , ripienno, alto , baffe,
hautbois & cors , par le même . Prix ,
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur ,
rue des Mauvais- Garçons Saint- Jean , au
coin de celle de la Tixeranderie , &
chez tous les Marchands de mufique.
V.
Quatrième recueil d'airs connus , contenant
l'ouverture de l'Ami de la maifon ,
cinq morceaux de la Colonie , fix de
l'Union de l'Amour & des Arts , le Tambourin
d'Azolan , l'ouverture d'Iphigénie,
fuivi d'un menuet , & la chaconne de
M. le Berton , arrangés en pièces de
harpe , avec accompagnement de violon
& de baffon ad libitum , dédié à Mademoifelle
de Lufignan , par François Petrini
. Prix 18 liv . A Paris , chez l'Auteur
, rue Montmartre , vis à- vis celle
des Vieux- Auguftins , & aux adreſſes
ordinaires de muſique.
182 MERCURE DE FRANCE.
V I.
Sei Quintetti perduè violini alto , è
due violoncelli concertanti , compoſti
dal Signor Luigi Boccherini virtuofo di
camera , è Compofitor de Mufica di
S. A. R. Don Luigi Infante di Spagna.
Opéra XXIII , Libro fefto di Quintetti ,
nuovamente Stampati à Speſe di G. B.
Venier. Prix 12 liv.
N. B. Les parties de violoncelle font
faciles pour l'exécution , & la feconde
pourra s'exécuter fur l'alto ou un baffon.
A Paris , chez M. Venier , Editeur de
plufieurs Ouvrages de mufique , rue
Saint-Thomas - du-Louvre vis-à- vis le
Château d'Eau , & aux adreffes ordinaires
; à Lyon , chez M. Caſtaud , visà-
vis la Comédie ; & en Province , chez
tous les Marchands de nufique.
>
On trouvera chez le même Editeur ,
douze Euvres de Boccherini , fans ceux
qu'il fe propofe de donner par la fuite.
AVRIL. 1777 183
CHOROGRAPHIE.
NOUVEL OUVELLE Carte du Royaume de
France , publiée fous le titre de Tableau
des villes de France , où les plans des
principales villes du Royaume font exprimés
, fervant à faire voir le rapport
de la grandeur de Paris avec celle des
autres villes , & à comparer une ville
avec une autre dédié & préfenté au
-Roi ;; par N. L. Duchemin , Infpecteur
des ponts & chauffées de France . Cette
Carte , imprimée fur deux feuilles grand
aigle , fe trouve à Paris , chez l'Auteur ,
Lue Haute - Feuille , vis-à-vis celle des
Deux- Portes . Prix 6 liv.
›
Cette Carte intéreſſante , eſt exécutée
avec beaucoup de netteté & d'exactitude .
L'Auteur a eu foin d'y tracer les routes.
du Royaume où les poftes font établies ,
ainfi que les canaux conftruits , & ceux
projetés ; ce qui rend cette Carte d'une
utilité plus générale pour les Voyageurs ,
& pour tous ceux qui s'adonnent à l'étude
de la géographie.
184 MERCURE DE FRANCE .
TOPOGRAPHIE.
CARTE Topographique de la Province
de New-York en quatre feuilles ; par
Montrefor, Capitaine Ingénieur Anglois ,
gravée fur l'édition de Londres de
corrigée & augmentée. Prix 9 liv . Chez
M. le Rouge
, Ingénieur
Ge
du
Roi , rue des Grands-Auguftins , où l'on
trouvera fucceffivement toutes les autres
Provinces de l'Amérique Septentrionale
d'après les Anglois.
J
COURS D'ARCHITECTURE .
La fieur Daubanton , Architecte , élève
de M. Blondel , & Profeffeur du Corps
Royal des ponts & chauffées , continue
d'enfeigner chez lui le deffin d'Architec
ture , la figure , le deffin d'après la boffe ,
l'ornement de différens genres de décorations
, la perfpective , la coupe des
pierres , le payfage , la carte & les mathématiques.
Tous les quinze jours dans la
belle faifon , l'on fera fur le terrein l'apAVRIL.
1777. 185
plication des leçons de trigonométrie , &
la manière de lever les plans .
Tous les Lundis , depuis la Pentecôte
jufqu'à la Touffaint , l'on vifitera les
édifices de cette Capitale , & de fes environs
.
Les perfonnes de Province , & des
pays étrangers , qui defireront acquérir
les fciences ci- deffus énoncées , trouveront
, dans cette Ecole , des places de
Penfionnaires à un prix raiſonnable .
Dans les fix places gratuites que nous
avons deſtinées dans notre Ecole , il s'en
trouvera deux de vacantes pour la fin de
Mars.
Le fieur Daubanton demeure rue des
Nonaindières , près le Pont- Marie.
Exemple de Civifme.
UN très-honnête Citoyen de Romorantin
, près Orléans , qu'on fe difpenſe
de nommer , ayant , l'année dernière
gratifié le lieu de fa naiffance d'une boîte
entrepôt pour les noyés , & en ayant reçu ,
peu de jours après , la récompenfe la plus
flatteufe par un fuccès miraculeux opéré
186 MERCURE DE FRANCE.
fur une petite fille noyée dans un foffé
plein d'eau , a voulu encore manifefter
fon zèle pour fes compatriotes : il s'eſt
fait repréfenter l'état des perfonnes les
plus indigentes de Romorantin ainfi
que de celles qui avoient le plus fouffert
de la rigueur de l'hiver de 1776 , & il
a généreufement fatisfait pour elles aux
charges de la Capitation & de la Taille
auxquelles plus de deux cents perfonnes
étoient impofées .
Ces traits de bienfaifance & d'humanité
doivent être cités pour fervir d'exemples
à tous les particuliers aifés , qui fe
couvriroient de gloire en imitant le Patriote
de Romorantin .
C'eft en publiant la fête de la Rofière
de Salancy , qu'il s'eft formé des imitateurs
dans plufieurs autres endroits.
USAGE S.
Droit fingulier.
Il exiſte à Thouars , en Poitou , un
droit nommé Quintaine , affermé au
Meûnier du Seigneur , qu'on appelle
AVRIL. 1777 187
Meunier du Vicomte . Tous les ans , le
jour de la Trinité , chaque Meûnier ,
dépendant de la Terre , fe rend au moulin
de celui- ci , fitué près du château
& paye 4 deniers. Enfüite quatre d'entr'eux
plantent , au milieu de la rivière ,
un piquet couronné de fleurs. Un autre
Meunier eft obligé d'aller à la nage pour
l'arracher : lorfqu'il a exécuté fon opération
, les quatre premiers vont au- devant
de lui , le reçoivent dans un bateau ,
l'habillent , & vont tous en pompe offrir
les fleurs au Juge , qui fe trouve en robe
fur le bord de la rivière , avec les autres.
Officiers du fiége , auxquels où diftribue
une certaine fomme.
L'ufage fuivant fert , dans la même
ville , d'amufement au public le jour du
Mardi gras . Tous les nouveaux mariés ,
dont la profeffion eft analogue à la conftruction
ou à l'ameublement d'une maifon
, fe rendent , avec des pelottes ou
boules de bois , fur un vafte emplacement
, fitué devant une porte de la ville .
Chacun jette à fon tour fa pelotte , foit
dans une mare , foit fur une maifon , ou
ailleurs . Tous les Ouvriers du même
métier courent en foule pour s'en emparer.
Celui qui parvient à la prendre , la
188 MERCURE DE FRANCE.
rapporte au nouveau marié qui l'a jetée ,
& en reçoit une légère rétribution .
Méthode pour remettre dans leur état
naturel , les membres gelés.
On prend un morceau de favon , qu'on N
met en très- petites pièces ; on y joint du
beurre frais , de la groffeur d'un oeuf de
poule ; on verfe enfuite la quantité de
lait , fraîchement tiré , fuffifante pour
bien délayer le beurre : on répand après
cela fur ce mêlange autant de fel qu'on
peut en prendre avec les cinq doigts ; on
fait chauffer le tout fur du charbon , jufqu'à
ce qu'il fe forme une eſpèce de
bouillie . Voici la manière de fe fervir
du remède on en fait des emplâtres
qu'on applique très - chaudement fur les
membres gelés ; quand elles commen
cent à fe refroidir , on les retire , ppoour
en remettre d'auffi chaudes : on continue
ainfi quelquefois pendant une journée
entière , felon que le membre eft plus ou
moins gelé. Lorfqu'en levant l'emplâtre
on s'apperçoit que le progrès du mal eft
arrêté , la guérifon eft affurée. "
AVRIL. 1777- 189
ANECDOTES.
I.
APRès le rétabliſſement de la famille
des Stuards fur le Trône , plufieurs Gentilshommes
Anglois , Ecoffois & Irlandois
, confervèrent leurs anciens mécontentemens
. Ils n'attendoient qu'un Chef
pour éclater'; ils crurent le trouver dans
le Colonel Blood , qui fe déclara pour
eux . Comme on ne pouvoit rien tenter
avec fuccès dans l'Angleterre , on choiſit
I'Irlande pour le théâtre de la rébellion
qu'on projetoit. Le Colonel fentant.combien
il feroit avantageux pour fon parti
d'être maître de quelque place forte , ſe
propofa de furprendre le château de
Dublin. Il tenta cette entreprife le 29
Mai , qui étoit l'anniverfaire du retour
du Roi. Il prit une compagnie d'hommes
remplis de réfolution , & demanda à être
introduit dans la place , fous le prétexte
qu'il avoit à préfenter une Requête au
Lord Ormond qui y commandoit. Qua
tre-vingt hommes d'Infanterie , déguifés
190 MERCURE DE FRANCE.
en Marchands , devoient y pénétrer en
même-temps avec adreffe , & fe tenir
prêts à fe raffembler au premier fignal , à
tomber fur la garniſon & à la défarmer.
Ce projet manqua par la trahifon d'un
des conjurés. On mit les têtes des Chefs
à prix , & on promit 500 livres fterling
de récompenfe à quiconque en préfenteroit
un vivant. Cette publication eut
fon effet. M. Lockey , beau-frère de
Blood , fut pris , jugé & exécuté . Le
Colonel lui- même fut obligé de prendre
la fuite. Il réfolut de fe venger du
Duc d'Ormont , dont la vigilance avoit
déconcerté fes projets , & qui venoit de
faire pendre fon beau-frère . Mais ce ne
fut que neuf ans après qu'il ofa entre
prendre fur la perfonne du Duc. Il affembla
cinq de fes anciens compagnons
avec lefquels il arrêta un foir le carroffe
du Lord : on le força d'en defcendre , &
on fe mit en route pour le conduire
dans un lieu où un grand nombre de
mécontens , qui avoient évité le fupplice
, devoient fe trouver , pour délibérer
fur le fort du Duc d'Ormont.
Heureufement pour lui un de fes domeftiques
s'étoit caché fous le carroffe , &
avoit échappé aux perquifitions de Blood
"
AVRIL. 1777 . 191
& de fes fatellites . Il courut appeler du
fecours , & on eut le temps de délivrer
fon Maître. Ce qu'il y a de fingulier dans
cette aventure , c'eft que depuis neuf
ans , la tête de Blood & de fes compagnons
, avoit été mife à 1000 guinées.
Ni les uns ni les autres n'avoient quitté
les trois Royaumes , & perfonne n'avoit
pu gagner ce prix. Ce fut cette entreprife
qui les fit arrêter. On avoit réſolu ,
depuis long-temps , de les punir ; &
alors on leur fit grace à tous ,
I I.
Saint Thomas d'Aquin étoit nommé
par fes Condifciples , pendant fon noviciat
& fon cours d'études , le Boeuf de
l'Ecole , foit parce qu'en effet il avoit
l'air lourd & ftupide , foit à caufe de
l'aventure qu'on va rapporter. Un de fes
camarades lui dit un jour , pendant la
récréation Frère Thomas , un boeuf
qui vole ! » Il regarda en l'air , & tous
fe mirent à rire . « Cela vous étonne
» leur dit-il froidement ? Je croyois
» moi , qu'il étoit moins furprenant
» de voir un boeuf voler , que d'entendre
un Religieux mentir ! »
192 MERCURE DE FRANCE.
I I I.
Le même Saint Thomas étoit un jour
chez le Pape Alexandre IV , ou Urbain
IV : ( il a vécu fous le Pontificat de l'un
& de l'autre , & même fous celui de
Clément IV , & de Grégoire X) le Pape
contemploit avec plaifir une groffe fomme
d'argent qu'il venoit de recevoir , & lui
dit d'un air de triomphe : « Vous voyez ,
» Frère Thomas , ce n'eft plus le temps
» où Saint Pierre dit je n'ai ni or ni
argent ! Il eft vrai , Saint Père , répondit
le pieux Docteur ; mais ce n'eft
» plus le temps auffi où Saint Pierre
» dit au paralitique : prenez votre lit &
» marcheź ! »
38
"
I V.
Henri V , Roi d'Angleterre , qui avoit
conquis une partie de la France , avoit
époufé Catherine , fille de notre malheureux
Roi Charles VI , & devoit fuccéder
à ce Prince , fuivant le Traité de
Troie , étoit naturellement fier & commençoit
à voir de mauvais oeil le Maréchal
de Villiers - l'Isle - Adam , à qui ce-
*pendant
AVRIL. 1777. 193
১১
pendant il avoit des obligations , & qui
n'avoit que trop bien fervi le Duc de
Bourgogne & lui; Un jour que l'Isle-
Adam étoit devant lui : « Pourquoi , lui
» dit-il , me regardez-vous en face? Sire ,
répondit l'Isle -Adam , c'est la coutume
» de nous autres François ; nous portons
» la tête haute devant nos Rois ; ils le
» voyent avec complaifance , & impare-
» roientàmanque de courage fi nous baiffions
les yeux devant eux . Ce n'eft pas
» notre ufage à nous , répartit froide .
» ment le Monarque en lui tournant le
dos "; & de ce moment l'Isle -Adam
»
fut difgracié.
V.
ן י ד
Dans le temps que les Anglois poffédoient
une partie de la France , on ne
les diftinguoit plus des Habitans même ;
deforte que lorfqu'ils étoient prifonniers ,
on les renvoyoit , les prenant pour des
Naturels du Pays . Pour remédier à cet
inconvénient , on imagina de leur faire
prononcer le nom de Piquigny, qui eſt
un Bourg de Picardie. Les Anglois ne
pouvoient prononcer que Pigny au lieu
de Piquigny.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
Penfionnat dour l'éducation de la jeune
Nobleffe , fous la direction de MM.
Moret , dont l'aîné , Prêtre , à Paris,
Fauxbourg S. Germain , rue & barrièrė
de Sève , prefque en face de l'avenue de
Breteuil.
CIITT établiffement , annoncé dans un des Mercures
de l'année dernière , a tout le fuccès qu'on
pouvoit attendre du zèle & de l'expérience des
Inftituteurs nommés : les élèves qui les ont fuivis ,
& ceux qui leur ont été envoyés de cette extrémité
du Royaume où cet Académie étoit cidevant
, prouvent beaucoup en faveur de MM.
Moret ; mais les lettres ci- après , dont on n'a pu
fe refufer d'inférer ici copie , font pour eux un
témoignage digne de foi ; la voix publique s'y
fait entendre par l'organe d'un corps refpectable ,
fous les aufpices & l'autorité duquel MM . Moret
ent travaillé pendant un grand nombre d'années
à l'éducation ,
-
Copie conforme à l'original, « Nous Vicomte
Mayeur , Lieutenant- Général de Police , Éche
vins , Confeillers Affeffeurs de la cité royale
so de Befançon , où le papier timbré n'eft pas
en ufage , certifions à tous à qui il appartien-
❤ dra , que les feurs Moret , dont l'aîné Prêtre ,
AVRIL 1777.
195
» ont travaillé , pendant l'espace de près de vingt
années dans cette Province , à l'éducation de
la jeune Nobleffe , & qu'ils y ont mérité l'eftime
Do & la confiance publique , y ayant enfeigné
avec fuccès les langues étrangères , les fciences
& les arts propres à former de bons élèves , les
moeurs , la Religion , la difcipline , l'ordre &
l'exactitude ayant toujours fait la bafe & le
principal objet de leurs établiffemens . En témoi
gnage de quoi nous avons fait expédier les
préfentes par le fieur Nicolas Belamy , Avocat
au Parlement , Secrétaire de ladire cité , & y
appofer le feel d'icelle. Fait au Confeil , le 17
∞ Mai 1775 , par ordonnance. Belamy
00
Toutes les parties généralement , qui entrege
dans le plan d'une éducation noble & diftinguée ,
font montrées dans cette Académie
par des Maitres
recommandables par leur zèle & par leurs
talens. La langue Allemande , qui eft li néceffaire
aux enfans qu'on deftine au fervice , s'y
apprend à fond par ufage & par principes . Il y
aura chaque année des exercices littéraires , où
les élèves fubiront publiquement un examen général
fur toutes les parties qui auront fait l'objet
de leur application : Meffieurs les parens feront
priés d'y affifter pour être témoins des progrès
de leurs enfans. Les enfans font
maifon dès l'âge de trois à quatre ans . Une foeur
reçus dans cette
à MM. Moret eft uniquement occupée à foignez
les plus jeunes dans un quartier détaché. Le prix
de la penfion eft proportionné au genre d'éducamon
qu'on demande, & à l'âge des enfans.
Tij
196 MERCURE DE FRANCE.
2
NOUVELLES POLITIQUES.
De Salé , le 17 Décembre 1776.
LE Roi de Maroc a donné ordre au Gouver
SC
neur de cette Province , & à celui d'une Province
voifine , de fe rendre à Mogador , avec quelques.
détachemens de troupes. Ce Souverain doit s'y
tranfporter inceffamment lui- même ; & on affure
qu'il viendra , avec cette efcorte , parcourir tous
les ports de fon Empire.
De Pétersbourg, le 10 Janvier.
Le 29 Octobre dernier ( V. St. ) , l'Académie
Impériale des Sciences de cette Ville , célébra fa
première cinquantaine depuis fon iaftitutión ,
avec un appareil & une pompe ou éclatèrent partout
fa vénération pour fon immortel Inftituteur
, & fa vive reconnoiffance pour la bienfaitrice
actuelle Catherine II . L'Impératrice, qu'une
incommodité empêcha d'être préfente a
fête , y fut repréfentée fous la figure de Minerve,
accordant la protection aux Sciences diverfes que
cultive l'Académie.
213
De Varfovie , le 8 Février.
On a eu ávis ici que l'on travaille à un'accuitimodement
au fujet des difficultés furvenues en
AVRIL 1777. 197
Crimée , & des mouvemens qui s'en étoient enfuivis
, & que le Général Proforowki eft nommé,
de la part de la Ruffie, pour arranger cette affaire
avec les Commiffaires Ottomans.
On a long - temps agité , dans le Confeil Permanent,
quelle feroit la manière la plus avantageufe
de tirer parti des droits fur le tabac , & fans
avoir pu Le fixer à aucun de ceux qui avoient été
préfentés ; on a fini par laiffer l'adminiſtration de
cet article , à la Commiffion du Trélor , qui fera
la - deffus les arrangemens qu'elle jugera à propos.
De Copenhague , le 18 Février.
a
Le nombre des naiffances , dans ce Royaume
en 1776 , est monté à vingt - fept mille deux cens
cinquante - cinq ; celui des inors , à vingt - trois
mille cinq cens dix -neuf ; celui des mariages , à
fept mille neuf cens vingt - cing.
En Norwege , le nombre des naiffances a été
de vingt un mille neuf cens vingt- deux ; celui des
morts , de quinze mille deux cens foixante- dix ;
celui des matiages , de fix mille deux cens trenteun.
Dans les Duchés de Stefwig & de Holſtein , le
Comté de Pinneberg , le Comté de Rantzau & la
Ville d'Altona , le nombre des naiffarces a été dé
treize e mille fept cens quarante un ; celui des
morts , de quatorze mille fept cens quatre- vingtdeux
; celui des mariages , de trois mille huit cens
foixante - deux.
Dans toute l'étendue des États du Roi de Dannemarck
, le nombre total des naiſſances a donc
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
été de foixante - deux mille neuf cens dix - huit
celui des morts , de cinquante-trois mille cing
cens foixante-onze ; & celui des mariages , de
dix-huit mille dix - huit ; ainfi le nombre des naiffances
a excédé celui des morts , de neuf mille
rois cens quarante-ſept.
De Stockolm , le 31 Janvier.
Les dettes de l'État , qui fe montoient , en
1770 , à la fomme exhorbitante de 11,737,146
écus de banque de Hambourg , diminuent chaque
jour par l'économie de l'Adminiſtration ; &
nous avançons à grands pas vers l'heureuſe époque
où le papier- monnoie
ceffera de circuler
dans le commerce
. On frappe annuellement
à la
Monnoie des espèces d'or & d'argent , pour la valeur
de deux millons de rixdhallers
; & grâces à
P'emprunt
de deux millons de florins , fait es
Hollande
, par notre Souverain
; le numéraire
augmenté
accélère encore l'activité de notre com
merce , & établit notre crédit fur une baſe plus
folide nos Manufactures
font en mouvement
plus que jamais , & l'induftrie
fait affez fructifier
l'argent que nous avons emprunté
, pour nous
faire efpérer d'être bien - tôt en état de le rembourfer.
:
Une incommodité furvenue à Sa Majesté , n'a
pas eu de longues fuites ; nos alarmes ont été
bien- tôt diffipées : & afin que les affaires ne ſouffriffent
aucune interruption , le Roi , obligé de
refter au lit , a fait tenir fon Confeil dans fa
chambre,
1
AVRIL. 1777. 199
De Florence le 24 Janvier.
Le Grand-Duc vient de s'intéreffer particuliè
rement au bien-être & à la confervation de fes
Sujets , en prévenant les abus & les malheurs
fans nombre qui réfultent des inhumations précipitées.
Son Alteffe Royale a fait publier en
conféquence un Édit , à l'effet de prévenir les
accidens qui peuvent réfulter de la trop prompte
inhumation des corps , & pour qu'en même tems
il foit pris des précautions contre les dangers
auxquels leur dépôt dans les Églifes , expoſe la
fanté des Fidèles.
De Venife , le 1I Février.
Le Confeil des Dix vient d'interdire à toute
femme de qualité , l'entrée des cafés hors le tems
de mafque. Ce Régiement , qui eft général , a
principalement en vue les Patriciennes , qui paffoient
ordinairement dans ces maifons publiques
, une partie de la nuit. Les inconvéniens
qui réfultoient de ces affemblées nocturnes , ainfi
que les raifons de décence , ont donné lieu à
cette loi.
Le Confeil des Dix ne s'eft pas contenté d'interdire
aux femmes de toute qualité , la fréquentation
des cafés , hors le tems de maſque ;
-il a de plus défendu que les Patriciens puffent paroître
dans les mêmes maiſons ouvertes , fans
être en robe de Magiftrature ; ce qui , dans le
cours de l'été, équivaudra à une exclufion , atten-
LAV
200 MERCURE DE FRANCE .
du que , pendant les grandes chaleurs, il eft difficile
de faire ufage de cette robe.
De Malte , le 13 Février.
2
Le Grand - Maître vient d'accorder la Croix de
Dévotion au Sieur Caradeuc de la Chalotais
Procureur - Général du Parlement de Bretagne ,
qui avoit été Tuteur de fon Alieffe Eminentiffime.
D'Ausbourg, le 28 Février.
On écrit de Munich , que Pierre Fierville ,
Comédien François , eft mort en cette Ville , le
26 de ce mois , âgé de cent fept ans. Il fe fouvenoit
d'avoir vu Molière dans fon enfance ; il
avoit été contemporain de Baron , & avoit joué
la Comédie devant Charles II , Roi d'Angleterre ,
& devant Chriftine , Reine de Suède . Il avoit été
reçu à Paris , en 1733 , au nombre des Comédiens
du Roi , parmi lesquels il étoit resté jufqu'en
1741 .
De Madrid , le 25 Février.
Le Roi voulant avoir égard aux fupplications
réitérées que lui avoient faites le Marquis de
Grimaldi , pour être déchargé des fonctions de
premier Secrétaire d'État & des Affaires Étrangères
, à caufe de fon âge avancé , & de l'altération
de fa fanté , Sa Majefté , en acceptant ſa démiſfion
, lui a nommé pour fucceffeur , avec les honneurs
& le traitement de Confeiller d'État , le
AVRIL. 1777 .
201
Comte de Floride Blanche , qui exerçoit à Rome
l'emploi de Miniftre : Plén potenciare de certe
Couronne , avec la plus grande diflinction , &
qui a rempli , avec le même fuccès , les commif
fons importantes & délicates confiées à ſes talens,
Sa Majellé voulant montrer , par un témoignage
public , fa fa isfaction du zèle & des longs
fervices du Marquis de Grimaldi , a jugé à propos
, pour qu'il purdes continuer , de le nommer
fon Ambaffidur auprès du Saint- Siége , en lui
accordant la Grandiffe d'Espagne , pour lui &
pour les fue effeurs , à perpétuité , fous le titre
de Duc de Grimaldi.
-1
Auffi tôt que le Comte de Floride Blanche cft
arrivé au Pardo , il a pris connoiffance de toutes
les affaires relatives à fon miniftère , qui lui ont
été remifes par le Marquis de Grimaldi , lequel ,
après avoir baifé la maia du Roi , des Princes &
des autres perfonnes de la Famile Royale , s'eft
mis en route pour aller remplir à Rome fon
Amballade ..
ི་
I
De Lisbonne , le 25 Février.
Le mariage de Son Alteffe Royale le Princes
de Beira avec l'Infante Marie- Françoite - Bénédictine
, fa tante , a cté déclaté à la Cour le 20 de
ce mois , & a été béni le lendemain dans une Chapelle
du Palais , par le nouveau lauriarche der
cette Capitale.
Le Roi n'ayant pu réfifter à la violence des
nouvelles attaques de fa maladie , eft mort her
à une heure du matin, Peu de temps après , la
Princelle du Bréfil a été faluée comme Reine , &
i v
202 MERCURE DE FRANCE.
a
a reçu les hommages de toute la Cour. Cette
nouvelle Souveraine , pour fignaler fon avéne
ment au Trône , par des actes de clémence ,
déjà rendu la liberté à un nombre de Prifonniers
détenus depuis plufieurs années , & a rappelé
d'autres particuliers de l'exil auquel ils avoient
été condamnés.
De Londres , le 1 Mars.
Des lettres particu li res nous apprennent que
le Congrès Américain fait de grands préparatifs
pour la campagne prochaine ; qu'il a publié unes
Ordonnance qui confifque les biens de ceux qui
fe font rangés du parti de la Cour , & que toutes
fes opérations civiles & militaires ne laillent rien
foupçonner de la terreur dont on le prétendoit,
affecté.
On dit que le Congrès ayant été inftrnit de la
prife du Général Lée , a dépêché un Meffager au
Général Howe , à qui il a fait notifier , que fi ce
Prifonnier étoit envoyé en Angleterre , ou qu'on
attentât à fa vie , il exerceroit für le champ la repréfaille
fur, deux des principaux prifonniers qui
feroient entre les mains.
Tout s'expédie avec la plus grande diligence ,
pour l'embarquement des renforts qui doivent
paffer en Amérique , & pour le départ des vaiffeaux
de guerre , qui doit s'effectuer dans le cousant
de ce mois.
On fait qu'il a dû partir une flotte confidérable
de New-York , vers la fin de Janvier , & on atend
ici , fous peu de jours , différens bâtimens de
AVRIL. 1777. 205
cette flotte , qui confirmeront ou détruiront le
bruit répandu , que le Général Washington , a
la tête de douze mille hommes , s'eft placé entre
le Lord Cornwallis , retiré à Brunfwick , & la
petite armée de New- Yorck . On a vu des lettres "
de cette Ville , datées du 20 Janvier , qui ont
caufé de l'étonnement à quelques perfonnes ,
parce qu'elles ne contenoient que la cérémonie
du revêtiffement de l'Ordre du Bain , envoyé au
Général Howe , avec toute la pompe civile &
militaire que pouvoit comporter la fituation actuelle
de la Ville & de l'armée , & le détail des
bals , aflemblées & réjouiffances générales , aux
quels cette cérémonie a donné lieu . Quelques
perfonnes difent que les Américains avoient
voulu profiter de ce jour de fête pour furprendre
le Fort l'Indépendance , avec deux mille hommes
mais qu'ils s'étoient retirés à l'approche du Major
Rogers.
On mande de Dublin , que le Comte de Buc
kingham- Shire , Vice- Roi d'Irlande , doit y faire
la propofition d'un changement que la Cour de
fire ardemment ; c'eft de réunir le Parlement
d'Irlande à celui de la Grande-Bretagne , de la
même manière que celui d'Écoffe y a été réuni
Il a déjà fondé , à ce que l'on dit , quelques- uns
des principaux Membres des deux Chambres du
Parlement Irlandois , auxquels it a fait obferver
tous les avantages qui en réfuiteroient pour la
Nation ; mais on croit que malgréle crédit que le
Vice-Roi a déjà acquis dans ce Royaume , ce
changement important fera ſuſceptible de beauoup
de difficultés
I wij
204 MERCURE DE FRANCE.
C
,
On voit ici un acte du 18 Février dernier, fous
le titre d'Affeciation de Londres , à la Taverne
du Globe , par lequel ies Affociés , effrayés de la
fufpenfion de la foi Habeas corpus , ont arrété
que la Nobleffe du Royaume , les Représentans
dans le Parlement , & tous les amis de la glo-
» ricufe révolution, & de la forme du Gouvernement
à laquelle lle a donné lieu , feroient priés
& exhortés de fe rappeler la conduite que repoient
leurs illuftres ancêtres , dans des temps
de détreffe & de calamité nationales , & de fe
joindre à la Bou gcoifie de Londres , affemblée
en Communes , pour délibérer enfemble , &
former une remontrance générale au Trône fur
l'état de la Nation , fur la ruine du commerce
fur le fardeau accablant des taxes ... feule reffource
, dans la crife actuelle , qui puifle fauver
l'Etat . Cer acte eft figné HENRY JOHN
MASKALL , Préfident .
>>
50
Le Ministère paroît attendre avec impatience
des nouvelles ultérieures du fiége ptincipal de la
guerre en Amérique , pour être éclairci fur des
faits répandus ici par plufieurs lettres particulières,
tel , par exemple , que celui du départ du Général
Howe de New Yorck , à deffein de fe porter
jufqu'a Philadelphie , dès que la Delawarre fera
prife par les glices , &c . &c. Ferfonne ne peut fe
diffimuler combien un pareil fait eft contradictoire
avec ce que d'autres lettres nous apprennent.
Suivant ces lettres , les Américains en poffeffion
des Jerfeys, à l'exception d'Amboy & de Brunf
wick , ont coupé au Lord Cornwallis , qui occupe
cette dernière place , fes communications
AVRIL 1777. 2051
avec New - Yorck : on dit même qu'un corps
affez confidérable des infurgens , a tenté d'enlever
le Général Lée de fa prifon à Brunſwick , &
qu'il n'a été arrêté dans cette expédition , que
par la menace du Commandant du Fort de placer
fon prifonnier à l'embouchure du canon qu'ii tireroit
contre eux. Or , dans cette fituation , comment
pouvoir le perfuader que le Général Howe,
avec un armée qu'il a réduite à peu de chofe ,
l'envoi qu'il a fait de onze mille hommes à
Rhode Island , puifle traverser une Province ou
les forces ennemies viennent de le réunir pour :
mettre la Penfylvanie à l'abri de toute attaque ? =
Ce Général oferoit - il même luler New- Yorck
fans défenfe , fachant qu'un autre corps d'enne
mis , dans le Weft Chefter , menace le Pont du
Roi & les autres Forts qui protègent la Viile de
ce côté ?
par
De Verfailles , le 12 Mars.
Le ro de ce mois , Suleiman Aga , Envoyé du
Bey de Tunis , a eu une Audience du Roi . Cet
Envoyé , après avoit remis fa Lettre de créance ,
a prononcé devant fa Majeſté le Difcoursfuivant :
« SIRE ,
Le Bey de Tunis , mon Maître , m'a commandé
de me rendre auprès de Votre Majefté
Impériale , pour la féliciter fur fon avénement
" a Trône de fes Ancêtres. Jaloux de remplir
tous les devoirs que li preferit fon artache.
» ment inviolable pour l'augufte Maifon de
France , ce Prince auroit depuis long temps.
1
(
206 MERCURE DE FRANCE.
fait paffer un Envoyé dans votre Cour Impé
riale , pour lui préfenter l'hommage de fes fentimens
, fes regrets fur la mort de fon Illuftre
& grand Allié & Ami l'Empereur de France
Louis XV , de glorieufe mémoire , & fon com-
» pliment fur le bonheur que la Providence a
préparé aux François , en appelant à leur tête
une jeune Monarque , qui réunit au plus haut
degré les vertus & les qualités les plus éminentes
, fi les circonftances où mun Maître s'eft
trouvé , depuis cette époque à jamais mémorable
, lui avoient permis , jufqu'ici , de ſuivre
ce que fon coeur lui infpiroit.
"
90
» Chargé aujourd'hui de fes ordres fuprêmes ,
j'apporte aux pieds de Votre Majefté Impériale
les voux les plus ardens pour la profpérité de
votre Empire , les marqueses les plus fincères de
fon refpect & de fon entier dévouement pour
Votre Perfonne facrée, & le tribut d'admiration
qui eft dû à la fageffe de Votre Majeſté Im-
» périale , & à fa fidélné aux Traités.
50
DO
15
לכ
» Rien ne pourra jamais rompre les liens qui
uniffent , fous de fi heureux aufpices , les Nations
foumiles à la Couronne de France , & les
Sujets du Royaume de Tunis .
>>
Daignez , SIRE , agréer comme une preuve
» du defir que mon Maître aura toujours de mé
riter la haute bienveillance d'un auffi grand
Empereur , les Efclaves & les autres Préfens
» que j'ai remis , en fon nom , aux Officiers de
Votre Majefté Impériale.
"
Le plus beau moment de ma vie eft celui
où j'enviſage la gloire de Votre Trône Impé
AVRIL 207 1777.
rial . Je ferai heureux , s'il en émane fur moi
un regard favorable. »
Sa Majeſté lui a répondu en ces termes :
« Je reçois , avec une égale fatisfaction , l'ex-
» preffion & l'hommage des fentimens du Bey
» de Tunis . Je vous charge de l'aflurer de ma
» bienveillance & de ma fincère amitié.
Je vous vois avec plaifir , Monfieur , fur les
Terres de ma Domination ».
Après l'Audience de Sa Majefté , cet Envoyé
s'eft rendu dans la Galerie , où il a eu l'honneur
de faire fes révérences à la Reine , & il a été
conduit enfuite à l'Audience de Monfieur.
PRESENTATIONS.
Le 16 de Mars , la Marquife de Jaucourt a eu
Thonneur d'être préfentée à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale , par la Comteffe du Cailla.
Le Baron de Breteuil , Ambaffadeur du Roi à
la Cour de Vienne , de retour ici par congé , a
eu l'honneur d'être préſenté au Roi par le Comte
de Vergennes , Miniftre & Secrétaire d'État au
Département des Aff ires étrangères , & de prendre
congé de Sa Majefté , pour retourner à ſon
Ambaffade..
Le Marquis de Bouillé , que le Roi avoit précédemment
nommé Commandant Général à la
Martinique , a eu l'honneur d'être préſe té à Sa
Majefté par le fieur de Sartine , Miniftre & Secrétaire
d'État au Département de la Marine &
1
208 MERCURE DE FRANCE.
de faire les remercîmens à Sa Majefté , en prenant
congé d'Elle , pour fe rendre à ſon Come
mandement.
PRESENTATIONS D'OUVRAGES ,
Sa Majefté ayant trouvé les Gravures du
Monument érigé a la gloine & à celle de la
France , qui ont été préfentées par l'Abbé de
Luberfac , le 3 du mois de Mars , très - bien
exécuties par le fieur Pierre Laurent , Graveur
& Membre de l'Académie de Peinture & Sculprute
de Marfeile , a accordé a cet Artiſte le titre
de fon Graveur , par Brevet.
-
Les Mars , le fieur.Ozanne , Ingénieur de la
Marine , a eu l'honneur de prétenter au Roi , le
plan & les vues perfpectives du port de Toulon ,
faifant par.ie de la collection des ports de France,
qu'il define d'après les ordres de Sa Majesté.
Le 18 du même mois , le fieur Heurtier , Architecte
du Roi , & Infpecteur- Général de fes bâtimens
, a eu l'honneur de préfenter au Roi , à la
Reine , & à la Familie Royale , dans l'intérieurl
des petits appariemens du Château le modèle
de la nouvelle Salle de Spectacle qu'il a projetée
pour la ville de Verfailles ; Leurs Majeftes & la
Famille Royale ont paru voir ce modèle avec
plaifir , & s'intéreffer au fucces de cet édifice ,
qui doit être terminé pour le * Janvier 1778 ;
l'entreprise en eft confiée au lieu Bouillet , InfAVRIL
209 1777.
pecteur des Théâtres de Sa Majefté ; Mefdames
ayant defiré de revoir ce modèle , le fieur Heurtier
a eu l'honneur de le leur préfenter dans leur
appartement , le 27 fuivant.
Le 3 du même mois , l'Abbé de Luberfac a eu
l'honneur de préfenter à Leurs Majeſtés & à la
Famille Royale , deux grandes gravures , repréfentant
un monument à la gloire du Roi régnant
& de la France.
Le 15 du même mois , le fieur Duchemin a eu
T'honneur de préfenter au Roi , à Monfieur & à
Monfeigneur le Comte d'Artois , une nouvelle
Carte de la France , ayant pour titre : Tableau,
des Villes de France , fervant àfaire voir le rapport
de l'étendue de Paris avec les autres Villes du
Royaume.
NOMINATIONS.
Le 26 du mois dernier , le Roi a accordé la
place de Grand - Croix , vacante dans fon Ordre
Royal & Militaire de Saint - Louis , par la mort
du Comte d'Ennery , au Marquis de Talaru , '
Maréchal de Camp ; la place de Commandeur ,
authi vacante par la promotion du Marquis de
Talaru à la place de Grand - Croix , au Baron de
Wimpffen , Maréchal de Camp , & la place de
Commandeur , qui étoit vacante par la mort, du
fieur de la Merville , au fieur du Rozel de Beaumanoir
, Maréchal de Camp. Sa Majesté a auffi
accordé la charge de Colonel-Lieutenant du Ré110
MERCURE DE FRANCE.
giment d'Infanterie de Chartres , au Comte de
Boufflers , Meftre- de-Camp en fecond du Régiment
d'Huffards d'Efterhazy ; la place de Meftre
de-Camp en fecond du Régiment d'Efterhazy ,
au Comte d'Helmftat , Capitaine Commandant
dans le Régiment Royal-Allemand Gavalerie ; la
charge de Meftre- de-Camp Commandant du
Régiment de Cavalerie Royal Piémont , vacante
par la démiffion du Baron de Talleyrand , au
Duc de Lorges , Colonel en fecond du Régiment
d'Infanterie de Languedoc ; la place de Colonel
en fecond dudit Regiment de Languedoc , au
Marquis de Janfon , Capitaine Commandant dans
le Régiment des Cuiraffers ; la charge de Colonel
du Régiment d'Infanterie de Vexin , vacante
par la démiffion du Marquis de Bouillé , au Comte
de Duras , Meſtre- de- Camp en fecond du Régiment
Royal Dragons , & la place de Meftre- de-
Camp enfecond dudit Régiment Royal Dragons ,
au Comte de Laval , Capitaine - Commandant
dans le Régiment Dauphin , Cavalerię.
Le Comte d'Estaing & le Prince de Liftenois ,
que le Roi a nommés Vices- Amiraux , ont prêté
ferment en cette qualité , le 2 de ce mois , entre
les mains de Sa Majesté.
Le Dimanche , 9 de ce mois , l'Évêque de
Cahors a été facré dans l'Eglife des Prêtres de
l'Oratoire du Séminaire de Saint- Magloire , par
l'Archevêque de Paris , affifté des Évêques de
Poitiers & d'Agen.
AVRIL. 1777. 211
MARIAGES.
Le 9 , Leurs Majeftés & la Famille Royale
ont figué le Contrat de mariage du Vicomte de
Sourches , Capitaine au Régiment des Cuiraffiers ,
avec Demoiselle Caraman.
NAISSANCE S.
La Vicomteſſe de Bernis , Dame de Madame
Victoire de France , & petite-nièce du Cardinal
de Bernis , Miniftre de ſa Majefté Très - Chrétienne
en cette Cour , accoucha , mercredi dernier
, d'un garçon , qui fut tenu le lendemain
fur les fonts de Baptême , par le Cardinal fon
oncle.
MORT S.
Jean-Marc-Antoine de Morell , Comte d'Aubigny,
Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint- Louis , Gouverneur des Ville & Château
de Falaife , y eft mort le Samedi , premier de
ce mois , dans la foixante - dix - feptième année
de fon âge.
212 MERCURE DE FRANCE .
·
André- Nicolas , Marquis de Virieu - Beauvoir
, eft mort , le mêine jour , dans ſon Château
de Faverges , en Dauphiné , âgé de quatrevingts
ans
Michel Chefteu , Écuyer , fieur de Ville-
Neuve , ancien Capitaine des Grenadiers Royaux ,
ayant fervi vingt ans fous Louis XIV , dont il
étoit Penfionnaire , & vingt fous Louis XV , vient
de mourir dans la quatre- vingt - quinzième année
de fon âge , à Neuilly-Saint- Front , petite ville
du Diocèfe de Soiffons.
Pierre Herman Dofquet , ancien Eyêque de
Québec ; Abbé Commandataire de l'Abbaye
Royale de Braifre , Ordre de Prémontrés , Diocèle
de Soiffons , eft mort en cette ville , le
de ce mois , âgé de quatre- vingt ans paflés.
Louis de Walbrun , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint - Louis , Commandant de
Bataillon , réfident à l'Hôtel Royal des Invalides ,
y eft mort , âgé de cent & un an paffés ; il avoit
été admis à l'Hôtel Royal des Invalides le 21'
Avril 1763 , après avoir fervi foixante - huit ans
cinq mois dans différens Corps.
Claude Rouvroy de Saint - Simon , Chevalier ,
Grand- Croix de l'Ordre de Saint Jean de Jéruſalem
, Commandeur des Commanderies de Saint-
Etienne de Renneville , de la Romagne , d'Oifemont
& de Boncourt , Ambaffadeur Extraordinaire
de la Religion à la Cour de France , eft mort
en cette ville , le 2 de ce mois .
Jean- François-Jofeph de Rochechouart , Cardinal
- Prêtre de la Sainte Eglife Romaine de la
création de Cléinent XIII , Evêque , Duc de Laon ,
AVRIL 1777. 213
Pair Eccléfiaftique de France , ci- devant Ambaffadeur
Extraordinaire de Sa Majesté auprès du
Saint- Siége , Grand Aumônier de la feue Reine ,
Supérieur de la Maifon & Collégé de Navarre ,
Abbé Commendataire des Abbayes Royales de
Saint- Remy , Ordre de Saint- Benoît , Congréga
tion de Saint- Maur , Diocèfe & ville de Reims ,
de celle de Saint- Ouen , même Ordre & Congrégation
, Diocèfe & ville de Rouen , & de celle
de Signy , Ordre de Cîteaux , Diocèfe de Reims ,
Commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit , eft mort
en cette ville le 20 de ce mois , âgé de foixanteneuf
ans paflés.
Charles Bafchi , Marquis d'Aubaïs , eft mort
les de ce mois , en fon château d'Aubaïs près
de Nimes , en Languedoc , âgé de quatre vingt-
Onze ans.
François- Michel - Bernard de Gantès d'Ablainville
, eft mort , le 8 de ce mois , en fon château
d'Ablainville en Artois.
Tirage de la Loterie Royale de France ,
du 17 Mars 1777 . 1
Les numéros fortis de la roue de fortune font :
2 , 6 , 33 , 24 , 18.
7 at 0.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES ENVERS ET EN PROSE,
Réponse de Mademoiſelle *** aux Vouloirs
de M. de...
A une Horlogère
Sur la mort de l'Abbé Pernetti ,
Imitation de la Préface du Panégyrique du
fixième Confulat d'Honorius ,
Henri IV & l'Ambaffadeur d'Espagne.
Mon Effai ou ma Frénélie ,
L'Attribut de Vénus ,
Dialogue entre Chaph-Séphi & Alibée ,
Difcours de Porcia ,
Vers à un Ami ,
A
Avis au beau Sexe ,
Le Triomphe de l'Amitié ,
A M. le Maréchal de Fitz-James ,
Le Shafta ,
A M. l'Archevêque de Besançon ,
A Mademoiſelle Vallayer ,
Anecdote ,
La Linotte ,
P.S
ibid.
T
8
ibid.
10
13
14
16
2.5
28
29
34
36
SI
52
53
54
17
58.
59
6.3
65
ibid.
Romance ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Lettres de Clément XIV,
Hiftoire de la Reine Marguerite de Valois , 78
AVRIL. 1777. 215
Hiftoire de la décadence & de la chûte de
l'Empire Romain ,
86
Elégies de Tibulle , 94
Bibliothèque des Amans , 105
Traité de la conftruction des Théâtres , III
Journal des Cauſes Célèbres , II2
Recueil de Fables , 121
Mémoires fecrets ,
124
Maximes & Réflexions du Duc de la Rochefoucaud
, 126
Claffiques,
Annonces littéraires ,
Les Coſtumes françois ,
Differtation fur l'huile de Palma Chrifti ,
Effai fur les Langues ,
Dictionnaire pour l'intelligence des Aureurs
t
Inftruction fur l'établiſſement des Nitrières , 141
ACADÉMIES ,
129
1317
133
138
146
159
Montpellier ,
ibid.
SPECTACLES. 158
Concert ibid.
Opéra ,
161
Début , 163
Comédie Françoife, 164
Début , ibid.
Comédie Italienne 167
ARTS. 173
Peinture ,
ibid.
Gravures ,
176
Lettre de M. de Voltaire à M. Henriquez, 178
Mufique.
Chorographie ,
Topographie ,
Cours d'Architecture ,
179
·183
184
ibid.
216 MERCURE DE FRANCE.
Exemple de Civilme ,
Ufages ,
Méthode pour remettre dans leur état naturel,
les membres gelés ,
185
186
188
Anecdotes. 189
Avis ,
194
Nouvelles politiques ,
196
Préfentations , 207
d'Ouvrages ,
208
Nominations ,
209
Mariages , 211
Naillances ,
ibid.
Morts ,
ibid.
Loterie ,
213
ΑΙ
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le premier volume du Mercure de France
pour le mois d'Avril , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 2 Avril 1777 .
(
DI SANCY.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme,
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
AVRIL
( 11
1777.
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS,
Chez LACOMBE , Libraire , rue de Tournon ,
près le Luxembourg.
Avec Approbation & Privilége du Roi
AVERTISSEMENT.
C'ESTau Sieur LACOMBE libraire , à Paris , ru de
Tournon , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevia avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nominera quand
ils voudront bien le pcrinettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produir du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on priera d'avance pour ſeize volumes rendus
trancs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
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Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in- 8 . rel .
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-de l'Hift . Romaine , in- 8 ° • rel .
3
2 l.
12 1.
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21. 10 f,
21. 10 f
3 1.
୨ 1.
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121
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Lettres nouvelles de Mde de Sevigué , in- 12 br.
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ture , in-4° . avec fig. br. en carton ,
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broché
12 1.
21.
Annales de l'Imperatrice-Reine , in-80 . br. avec fig. 41.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1777.
PIECES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
Suite de L'AUTOMNE , Chant troisième
du Poëme des Saifons ; imitation libre
de Tompfon.
DERNIERS BEAUX JOURS DE L'AUTOMNE.
MAISTO AIS retournons au fein de ces bois fombres,
Où la verdure échappe & s'obfcurcit :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
&
Sur l'horiſon déjà d'épaiffes ombres ,
Du trifte hiver , nous préfage la nuit.
Baiffant le ton , la Muſe folitaire
Conduit nos pas fous la jaune clairière ,
Et , vers la fin , nous montre la ſaiſon .
Il est encor des jours où la lumière ,
Embelliffant l'azur de l'horiſon ,
Verfè l'éclat fur la nature entière.
Le do x ruiffeau qui femble friffonner ,
Demeure encor incertain dans fa courſe ;
Et le Soleil , déjà voifin de l'ourfe ,
Dans nos climats commence à décliner.
Ceux que conduit l'amour de la fageffe ,
Se dérobant à l'ennui des cités ,
Viennent alors à pas précipités ,
Loin du féjour qu'habite la molleſſe ,
De la Nature admirer la beauté :
Raffafliés des plaifrs de la Ville ,
Ils vont goûter dans un champêtre afyle ,
La paix du coeur & la tranquillité .
Puiffé -je ainfi , rêveur & ſolitaire ,
Erter fans guide au penchant des côteaux ,
Et parcourir ces bois où les oifeaux ,
Déjà muets , ne fe montrent plus guère..
AVR- IL - 1777.. 7
Heureux encor fi quelque tourtereau
Trifte , plaintif, & pleurant fa compagne ,
Que l'Oifeleur fit defcendre au tombeau ,
De fes regrets entretient la campagne ,
Et fe lamente au fommet d'un ormeau .
Jufqu'au printems , privé de fon ramage ,
L'oifeau gémit ; il cherche un doux ombrage
Et n'apperçoit que des bois dépouillés :
Il a perdu l'éclat de fon plumage ,
Et ne rend plus que des fons embrouillés.
Mais que le plomb des Chaffeurs intrépides ,
Refpecte encor ces peuplades timides ,
Dont les concerts animent le printems ,
Et que les rets des Oifeleurs perfides ,
N'accablent pas des chantres fi charmans !
271
Dans fon déclin, agréable & touchante ,
L'année infpire une plus douce humeur :
Des triftes bois la dépouille bruyante ,
Voit dépéir fon éclat enchanteur ,
Et tombe en proie au vent qui la tourmente.
Dans les forêts les farouches autans ,
Vont affaifler la riante verdure :
Déjà les prés languiſſent fans parure ,
Et l'hiver fombre enveloppe les champs.
De ſes tréſors la branche dépouillée
Perd fon éclat , & les bois languiffans
51
A iv
MERCURE DE FRANCE.
N'offrent à l'oeil qu'une fcène ilblée.
Du fentiment c'eft alors la faifon ;
C'eſt le moment où la mélancolie cha
Semble infpirer cet heureux abandon ,
Cet abandon que la Philofophie
Permet par fois à Paintère raifol..
Que ne peut point für une ame attendrie:""
Le fentiment ? Par d'énergiques pleurs ,
Tantôt il peint les profondes douleurs
Qu'excite en lui l'humanité féie
Et gémiflant fous le poids des malheurs 5
Par le moyen de fa vive influence ,
Tantôt Fair rendre & les traits adoucis ,
Il charme l'ame , embrafe les efprits ,
Et dans le coeur verfe la bienfaisance ..
L'oeil pénétrant du génie inventeur ,
Ouvre & déploie , au gré de fon ardeur ,
Des vérités les fources éternelles :
Des paffions auffi fublimes qu'elles ,
Naiffent bien -tôt avec rapidité ,
Et des vertus les vives étincelles
Élèvent l'ame à la Divinité.
Le tendre amour , l'amour de la Nature,
Et le premier de tous nos fentimens ,
Nous enivrant d'une volupté pure ,
Produit en nous de généreux élans ..
# !
I
I
14
AVRIL 1777. 9
Le foin touchant d'écarter la misère
De l'humble toit du timide indigent ,
De confoler le mérite fouffrant ,
Du Philofophe embellit la carrière ,
Er lui procure un plaifir raviſſant.
Dans fa retraite , il juge , il apprécie
Ces hommes vains , orgueilleux & puiffans ,
Qui , des vertus ainfi que des talens ,
N'eurent jamais que la fuperficie ,
Et,s'enflammant au foyer du génie ,
Des paffions il affianchit fes fens .
Préfent des Cieux ! feu divin ! pure effence !
O fentiment ! tu charmes l'amitié :
C'eſt avec toi que tout eft jouiſſance ;
Dans tes plaisirs le coeur eft de moitié ,
Et ton fourire annonce l'innocence !
Par M. Willemain d'Abancourt.
É PIGRAMME
Aun Légataire de Chapelain.
PAUVRE AUVRE Damon , tu t'abufes !
Réprime enfin tes ardeurs :
Eft- ce en violant les Muſes ,
Qu'on jouit de leurs faveurs ?
Par le même.
A v
10 MERCURE
DE FRANCE.
LE SAVETIER ET LE TEINTURIER.
Conte.
Mrs bons amis , pour vous défennuyer ,
Il faut que je vous faſſe un Conte
Touchant un Maître Savetier ,
Haigneux comme un roquet , plus fier qu'un
Maltotier ,
Et qui fe croyoit à fon compte ,
Du Pape , comme on dit , le premier Moutardier.
Il avoit paffé la Jurande ,
Etoit Syndic pour la feconde fois ,
Et Marguillier en charge , infcrit fur la légende ;
Les premiers Dimanches du mois ,
En manteau court , il alloit à l'offrande.
Ce perfonnage étoit boſſu
Comme un Polichinel. La chronique rapporte
Qu'il étoit tant foit peu . . . . ;
Je n'en fais rien , & peu m'importe.
Chaque fois que ce Monfignor
Alloit reporter de l'ouvrage
Un Teinturier du voifinage ,
Des Teinturiers le Matador ,
Se rencontroit fur fon paſſage ,
AVRIL 1777.
Lui ricannoit au nez , & ricannoit encor
A Quand il retournoit à fa cage.
Rire aux dépens , & de qui ? d'un Juré !
O crime! ô fureur ! ô vengeance!
- De ces is importuns outré ,
>>
Mon Boffu fièrement s'avance :
- Savez - vous bien qué cé ton me déplaît ,
Lui cria - t-il d'un air de fuffifance ?
A vous ? répondit l'autre : Eh! que vous ai - je
»fait?
។
"
Ce que vous m'avez fait ? Ma patience eſt
ככ
laffe
» De vos dédains , de vos mépris :
Pourquoi riez - vous quand je paffe ?
Pourquoi paffez-vous quandje ris ? »
Par le même.
ABAIRAN , CALIFE DE BAGDAT.
Anecdote Orientale.
ABAIRAN , Calife de Bagdat , chaffoit
dans la forêt voisine de cette ville fuperbe.
Fatigué d'une longue courfe , il
fe couche far un gazon Aeuri , au bord
d'un ruilleau , fort loin du gros des
A
vi
MERCURE DE FRANCE.
chaffeurs. Le doux murmure des eaux .
Pinvitoit au fommeil , il s'endormit, A
peine avoit il fermé l'oeil , qu'il fut foudainement
éveillé par l'attouchement
léger d'un lézard. Le premier mouve
ment du Calife fur de murmurer de
l'importunité du reptile. Mais en ouvrant
les yeux , il apperçut à quelques
toifes un énorme ferpent qui s'élançoit
vers lui. Il fe leva précipitamment , prit
fon libérateur qui s'étoit gliffé fous le
pan de fa robe , & s'enfuit au plus vite .
Cet événement le remplit d'une fi vive
reconnoiffance pour l'animal qui lui avoit
fauvé la vie , qu'il le chérit & le nourrit
dans fon palais avec une tendroffe toute
particulière. I lui donnoit à manger
lui-même dans fa main , & le mettoit
fouvent dans fon fein . Au bout de quelque
temps , la fanté du Calife, parut altérée.
Son teint fleuri étoit devenu pâle &
fivide ; le feu de fes yeux étoit éteint :
Il avoit perdu l'appétit. En un mot , tout
indiquoit une maladie de langueur , une
confomption dont la caufe étoit ignorée.
Les Sages de Bagdat furent appelés ; mais
PAnge de la mort fembloit avoir étendu
fon bras fur la tête du Calife. Le mal
empiroit chaque jour . Un étranger fe
AVRIL 1777 . 13
préfenta pour
le guérir. On refufa d'abord
fon offre. On le prenoit
pour un
de ces empyriques
errans , qui vont de
ville en ville , abufant
de la confiance
de
ceux qui ont recours
à eux. L'étranger
infifta , & offrit fa tête au cas qu'il ne
réuffit point à guérir Abairan
, Alchament
( c'étoit le nom du Médecin
étranger
)
fut introduit
devant
le Calife malade.
Il le regarda
fixement
pendant
quelques
minutes
, & affura que fa maladie
étoit
un effet du poifon fubtil de l'animal
qu'il
mettoit
fouvent
dans fon fein , & qu'il
careffoit
entre fes mains. Ce venin lut
avoit affecté la maffe du fang. Pour remède
, il lui donna une phiole d'un élixir,
dont il lui recommanda
de prendre
quelques
gouttes
deux fois par jour , le foir
& le matin. Abairan
ceffa de careffer
fon
lézard , prit la médecine
, & fe trouva
bientôt
rétabli . Le fommeil
, l'appétit
&
l'embonpoint
revinrent
. La fleur de la
jeuneffe
reparut
fur fon teint. Le Calife
raconta
à fon Médecin
par quelle raifon
il avoit pris tant d'affection
pour cet animal
, jufqu'à
vouloir
que fon palais lui
fervit de demeure
. Il lui offrit la même
marque
de reconnoiffance
, & le pria de
lui demander
ce qu'il voudroit
pour réJ4
: MERCURE DE FRANCE .
compenfe de lui avoir rendu lavie Alchamen
lui répondit modeftement : magnifique
Seigneur , le plaifir de faire du bien
eft une récompenfe fuffifante pour un
coeur généreux . L'homme bienfaifant.
goûte plus de fatisfaction à rendre fervice
à fes femblables , que ceux- ci n'en
trouvent à le recevoir. Si tu me crois
digne de quelque grace pour le bien que,
je t'ai fait , je te demande la permiflion ,
de quitter cette ville pour retourner dans.
ma folitude , où je nourris mon ame de
la méditation & de la fageffe, 11 eft vrai
tu es un Prince doué de toutes les vertus
fociales : ton regne eft beni de tes Sujets ,
& admiré de tes voifins ; mais je dois,
autant fair ton amitié , que les autres la
recherchent. L'air de la Cour pourroit
me devenir aufli fatal , que le venin du
lézard l'a été au Calife mon Seigneur.
Pardonne la liberté de ton ferviteur. C'eft
le caractère d'un Philofophe , comme la
grandeur est celui d'un Prince. L'amitié
eft fondée fur l'égalité des conditions &
la conformité des defirs : la vertu peut
la cimenter , mais elle ne fuffit pas pour
Tétablir. Confi lère la diftance immenſe
qu'il y a de toi à moi , & quels inconvéniens
en réfulteroien pour nous deux,
AVRIL. 1777
Tu as été élevé dans un Palais fur la
pourpre , à l'ombre du Trône ; & moi
dans la folitude , fous un toit ruftique.
Tu es chargé de faire te bonheur d'un
million d'hommes , fi tu veux être heureux
toi- même ; & moi je trouve mon
bonheur dans la contemplation de la
vérité , loin du fafte & de la grandeur .
Pourrions - nous vivre long- temps enfemble
, fans que nos goûts particuliers ne
s'altéraffent mutuellement aux dépens du
plaifir attaché à les fatisfaire ? Comment
remplirois - tu les devoirs de la dignité
royale , fi tu venois à te livrer aux douceurs
de la vie contemplative ? Et comment
pourrois -je vivre heureux , fi j'ouvrois
mon coeur à l'ambition des honneurs
pour lefquels je fens que je ne fuis
fait ? Je fuis venu te rendre la fanté
par le même principe qui te fait gouverner
tes Sujets avec équité , avec bonté.
Continuons à vivre chacun dans le
ráng
où le Ciel nous a placés. Vivons féparément
, puifque nos conditions font incompatibles.
Une trop grande communication
nous corromproit l'un l'autre ,
comme ton lézard t'avoit infecté de fon
venin .
pas
16 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
Sur le choix d'une Femme.
Si d'époufer je faifois la folie ,
Et que je fus le maître de mon choix ,
Connois hymen celle qui , fous tes loir ,
Pourroit fixer le deftin de ma vie.
Je la voudrois plus aimable que belle ;
De la fanté poffédant les tréſors ,
Aux dons du coeur , aux agrémens du corps ,
Joignant d'efprit quelque douce étincelle.
Je la voudrois de vingt ans affligée ;
Cet âge heureux, propice au fentiment ,
A la raison , fans nuire à l'enjouement ,
D'un fort flatteur préſage la durée.
Je la voudrois fimple dans fa parure ,
Dans fes difcours , ainsi que dans fes goûts.
Le vrai bonheur, les plaifirs les plus doux ,
Doivent à l'art bien moins qu'à la nature.
Te la voudrois riche fans opulence ;
AVRIL. 1777 . 17
Trop de fortune entraîne trop d'orgueil ,
Et pauvreté feroit un autre écueil ;
Faut pour jouir repos avec aifance.
Je la voudrois fur- tout femblable à Life ,
Au fort de qui tu lias mon deftin ¿
L'amour joignit le coeur avec la main :
Sur cet accord notre union fut affife.
Je la voudrois qui n'eût pas d'autre envie ,
D'autre defir que celui de m'aimer ;
Si cet objet pouvoit le retrouver,
De l'époufer je ferois la folie.
Préface du Livre premier de l'Enlèvement
de Proferpine.
CELUI qui le premier defcendu ſur les ondes ,
D'un tranchant aviron fendit les mers profondes ,
Ofa braver les vents , & s'ouvrir des chemins
Que la Nature femble interdire aux humains :
D'abord , d'un cours timide effleurant le rivage ,
Il vogua lentement , fous un Ciel fans nuage ;
Et bien-tôt , enhardi par fes heureux efforts ,
Au gré des doux zéphirs, il s'éloigna des bords.
1-8 MERCURE DE FRANCE.
Mais quand de fon vaiffeau le progrès plus ràpide
,
Eut fait naître en fon coeur une audace intrépides
Par l'aquilon fougueux emporté fur les eaux ,
D'Ionie & d'Égée il dompta tous les flots.
Difcours de Pluton à Jupiter , tiré du
premier Livre de l'Enlèvement de Pro-
Serpine. 1
FRÈRE ingrat , fur un frère, as-tu tant de ponvoir
?
Sila fortune injufte a trompé mon efpoir ,
Si j'ai perdu le Ciel... par ce coup fi funefte,
Je n'ai point tout perdu , le courage me refte. I
Crois-tu que je m'endorme au fein de la langueur,
Et qu'un lâche repos énerve ma vigueur ?
Que ta foudre aux mortels infpire les alarmes,
Si je n'ai point de foudre ... il me refte des armes
C'est peu que mon deftin , lein du jour & des
33 } Cieux ,
Me renferme à jamais dans ces funèbres lieux , a
Tandis que ton orgu il , du haut de l'empirée , v
Foule à tes pieds les feux de la voûte azurée :
Tu m'interdis encor le tendre nom d'Epoux ! ..A
AVRIL. 1777. 19
Amphitrite , livrée aux tranfports les plus doux ,
Embraffe avec ivreffe un Amant qui l'adore ;
Et la fière Junon , quand ta main fume encore
Des éclats foudroyans que tu viens de lancer ,
De fes bras dans les tiens brûle de s'enlacer .
Oui , pour toi , Thémis même , & Cérès & Latone ,
Ont fenti ces tranfports où mon coeur s'abandonne
:
1
Ah ! que d'heureux enfans embelliffent tes jours ! ...
Et moi , ton frère, moi , Roi de ces noirs féjours
Que jamais n'éclaira le flambeau d'hymenée ?
Je traîne feul ma vie obfcure , infortunée !
Mais c'eft trop endurer cet abandon affreux ! ...
( e vous attefte, ô Áots facrés à tous les Dieux !
Je vous attefte, ô nuit ) ! ... Si tu braves ma plainte,
Des Enfers ténèbreux foudain j'ouvre l'enceinte ,
De Saturne indigné ma main brife les fers , ..
Et dé noirs tourbillons obfcurciffent les airs .
Tremble de voir au fond de mes Royaumes fombres
,
Se confondre à jamais ta lumière & mes ombres.
Il dit , &c .
20 MERCURE DE FRANCE .
LE PRINTEM S ,
ODE ANACREONTIQUE.
QUE
UEL changement dans la Nature
Une feule Aurore a produit !
Un riant tapis de verdure
Couvre la terre & l'embellit .
L'air eft pur , le Ciel fans nuage ;
Flore reprend tous les attraits ,
Et par le plus tendre ramage ,
Les oifeaux charment les forêts.
Viens , accours , mon aimable Hortenfe ;
A ces prodiges du Printems ,
Hâtons-nous d'unir la présence
De deux véritables Amans .
Portons fous ce naiffant feuillage
Où vient le jouer le zéphir ,
Le bonheur dont il peint l'image,
Et le fentiment du plaifir.
Que la volupté la plus pure
AVRIL 1777. 21
Enivre nos fens en ce jour ;
Ah! tout languit dans la Nature
Sans les feux brûlans de l'amour.
Par M. Houllier de Saint- Remy.
LE JEUNE MOINEAU ET SON PÈRE,
ec
Fable.
Que j'aime ce petit enfant !
UE
» Voyez , admirez donc , mon père ;
Qu'il eft bon & compatiflant !
Qu'avons- nous donc fait pour lui plaire ?»
Un oifeau jeune encor , en ces mots s'exprimoir ,
A l'aspect d'un enfant , fe plaifant à répandre
Des miettes de pain autour d'un trébuchet
Que l'efpiégle venoit de tendre ;
Ce n'eft point , ô mon fils ! la douce humanité
Qui vient nous fecourir , dit l'autre , avec trifteffe ;
C'eft un appas trompeur qu'on offre à ta jeuueffe ,
On en veut à ta liberté :
Mon ami , je connois le monde ;
En traîtres la terre eft féconde ;
Des piéges qu'on y tend fonge à te garantir ,
Et retiens bien à l'avenir
Cette leçon trop véritable .
22 MERCURE
DE FRANCE .
Rarement un mortel oblige ſon ſemblable” ,
Sans efpoir d'un retour certain ;
Mais quand , par quelque ftratagême ,
L'un d'eux , à nos befoins, paroît tendre la main,
Mon fils , c'est toujours pour lui- nême.
Par le méme.
•
ÉPITRE AUX MUSES.
FILLES
ILLES de la décence & Nymphes du Permeſſe ,
Vous qui n'avez brigué le titre de Décile
Que pour intimider ces coupables Mortels ,
Dont les fouffles impurs profanent vos Autels :
Mufes , jufques à vous quand j'élève mon ame ,
Le droit qui m'enhardit , le droit que je réclame ,
Eft le droit le plus faint , le plus cher à vos yeux,
Le droit qu'a fur vos coeurs tout homme vertueux
,
Hélas ! fi vous daigniez agréer mon hommage ,
Et d'un tendre fourire animer mon courage ;
Glorieux fans orgueil , au rang de vos Sujets ,
Je coulerois mes jours dans le fein de la paix.
Envain le fort cruel contre moi fe déchaîne ,
Je brave tous les coups de fa bifaire haine :
Si je vois ma fortune en ruines crouler ,
AVR1L. 1777. 23
Satisfait des débris que j'ai pu raffembler ,
J'écarte loin de moi la douleur & les larmes ;
Et
pour les repouffer , Muſes , voici mes armes .
L'opulence , me dis-je , eft fouvent un fardeau ;
Son éclat adouci fous un léger rideau ,
Quand il frappe les yeux du ſtupide vulgaire ,
Ne jette , en ce moment , qu'une douce lumière ;
Et par un tel preftige aisément abuſé ,
L'homine crie, ô bonheur ! & l'homme eft infenfé.
Mais l'oeil fubtil & prompt du prudent Philofophe
,
Pénètre les replis de la magique étoffe :
Il voit confufément des feux amoncelés ;
Il voit dans le lointain des plaifirs inutiles ;
Il découvre bien- tôt des images plus fombies ;
Des éclairs élancés dans la terreur des ombres ,
Lui montrent l'opulent auprès de fon tréfor ,
Ellayant d'endormir le vautour du remord :
Malgré lui , des fes biens , il a fouillé l'ufage ;
Un vailleau trop chargé fera toujours naufrage :
Le plaifir qu'il careffe échappe de fes bras ,
Et le plaifir languit où le befoin n'eft pas.
O médiocrité ! mère des vrais délices ,
Qu'il m'eft doux d'exifter fous tes heureux aufpices
!
24 MERCURE DE FRANCE .
Je n'habiterai pas ces fuperbes Châteaux ,
Refuges de l'ennui , féjours des plaifirs faux
Je ne connoîtrai point ce riche didactique
Qui foumet un repas à l'ordre fymétrique ,
Et qui penfant voiler fon inhumanité
Sous le titre pompeux de prodigalité ,
Confume en un feul mets l'or qui,toute une année,
Nourrit une famille & la rend fortunée.
L'on ne me verra point employer mille bras
Pour mafquer les défauts de ces terreins ingrats ,
Et créer, fur un fol profcrit par la Nature,
De ces vaftes jardins l'élégante ftructure ,
Où de l'art ennuyeux le génie emprunté ,
Met jufqu'en variant de l'uniformité.
Tranquille & folitaire au fond de ma retraite ,
J'ellairai tour- à-tour la lyre & la mufette :
Mais avant de rifquer un impuiffant accord
De ma timide voix je réglerai l'eſſor
Sur les concerts heureux , fur la tendre harmonie
De ces Auteurs Divins , les échos du génie ;
Ils rempliront mon ame, ils charmeront mes fens :
Puiffé-je , d'après eux , moduler mes accens !
Tantôt je chanterai les plaifirs de l'enfance ,
Plaifirs purs & charmans qu'enfante l'innocences
Seuls plaifirs que l'envie apperçoit fans douleur ,
Et
AVRIL. 1777 . 25
Et dont les noirs chagrins refpectent la candeur.
Tantôt je defcendrai dans ces réduits paisibles ,
Aux froideurs , aux foupçons réduits inacceffibles:
C'eft-là que je verrai d'utiles Citoyens ,
De leur obfcurité chériffant les liens :
J'y verrai , quel fpe Atacle ! un père de famille
Encourageant fon fils , fouriant à fa fille ,
A fa fidelle époufe enlever un baiſer ,
Et dans fes bras chéris venir fe délaffer.
O tendre volupté ! tableau de la nature ,
Mon ame , à votre aſpect , s'annoblit & s'épure ;
Et de vos doux tranfports je peindrai la douceur ,
S'il fuffit d'en avoir la fource dans fon coeur.
Tantôtje chanterai le bonheur de la France !
Je chanterai LOUIS ramenant l'abondance :
Defcendant de fon Trône & nous tendant les bras,
Cherchant les malheureux au fond de fes Etats.
O mon Maître! ô mon Prince , acheves ton ou
vrage ;
De ton règne naiffant accomplis le préfage ;
Perfévère , & rends-moi , par tes auguftes Loix ,
Le plus heureux Sujet du plus heureux des Rois.
Oui , quand la renommée , enviant à l'Hiſtoire ,
L'honneur de te porter au Temple de la gloire ,
Réunira fa voix à celle des François ,
Et viendra m'éveiller au bruit de tes bienfaits ,
Je ne pourrai dompter mon ardeur indiſcrette ;
De ton nom glorieux j'emplirai ma retraite ;
11. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Mais n'appréhendes rien de mes hardis fermens ,
Je faurai de mon Roi refpecter les momens.
Admirateur fecret de la vertu du Sage ,
Je craindrai de lui rendre un ridicule hommage 3
Ou bien fi le filence eft trop cruel pour moi,
Si je veux m'affranchir de fon auſtère loi ,
Avant que de porter mes pas dans la carrière ,
Je fuivrai d'un ami le confeil falutaire ;
Au milieu des dangers fa voix m'enhardira ;
Ou fi je fuis trop foible , il m'en rappellera .
Mais , hélas ! ce Mentor ou ce Dieu tutélaire ...
Il n'eft encor pour moi qu'un être imaginaire .
Tendre & fidèle ami , du Ciel heureux préfent ,
t'attend ,
Que fais-tu loin de moi? Viens ! mon ame
Et toi , charmant objet , toi , pour qui je ſoupire,
Toi , que me peint fans ceffe un amoureux délire,
Toi, par qui j'apprendrai comme l'on doit aimer,
Et par quels fons heureux l'amour doit s'exprimer,
Ne fera- tu toujours qu'un fantôme inutile ?
N'éprouverai- je enfin qu'un fentiment ftérile ?
Non , j'en ai pour garant ma ſenſibilité :
Le but peut être loin ; mais il eft limité,
A ce flatteur efpoir , Mufes , je m'abandonne ,
De ce triple bonheur mon ame s'environne :
Hélas ! de mon deftin qui ne feroit jaloux ?
Je vis pour l'amitié , pour l'amour &pour vous,
Par M. de Salleri,
AVRIL 1777 . 27
L'HARMONIE,
ODE *.
Verba loquor focianda chordis.
EST-CE - T
Horat. Ode IX. Lib. IV.
ST-CE - TOI , puiſſante Harmonie ,
Dont je fens les divins tranfports !
Eft-ce-toi , qui , de mon génie ,
Ranime les foibles refforts ?
Ton charme a paffé dans mon ame :
D'une douce & rapide flamme
Tous mes efprits font agités.
C'en eft fait :tout ce qui refpire
Va connoître aux fons de ma lyre ,
Le Dieu qui me les a dictés.
En vain la Nature fommeille
Au fein d'une effroyable nuit ;
A ta voix elle fe réveille ,
>
* Cette belle Ode , dont nous ne rapportons ici que
quelques ftrophes , eft imprimée , & fe trouve à Paris
chez Monory, Libraire de S. A. S. Monſeigneur le Prince
de Condé , rue de la Comédie Françoife.
B ij
28. MERCURE DE FRANCE .
Et le vafte filence fuit.
Les fleurs naiffent ; le Ciel s'épure ;
Les ruiffeaux , par leur doux murmure ,
Témoignent leur raviſſement;
Et les oifeaux par leur ramage ,
Portent , de rivage en rivage ,
Le plaifir & le fentiment.
Nul être dans l'efpace immenfe ,
N'échappe à ton heureux lien .
Tout eft foumis à ta puiſſance ,
L'empire du monde eft le tien.
Tu parles , Dodone s'anime .
Les monftres du profond abyfme ,
S'empreffent autour d'Arion.
Les cailloux prenant des entrailles ,
Viennent s'élever en murailles
Aux tendres accens d'Amphion.
C'eft par un prodige auffi rare ,
Qu'aux premiers jours de l'Univers ,
Tu fis fortir l'homme barbare
Du fond de fes affreux déferts .
Tiré de fon repos stérile ,
L'homme à l'homme devint utile.
Tu polis , tu créas ſes moeurs.
Cérès fut alors plus féconde ;
AVRIL. 1777 . 29
Et les premiers Chantres du monde.
Furent fes premiers bienfaiteurs .
Quels font les guerriers que Bellonne
A vu reculer dans fes champs ?
De ton fein , ô Lacédémone !
Sort- il donc de lâches enfans ?
Mais que dis-je l'ardent Tyrthée
Souffle en leur ame épouvantée ,
Le feu que refpirent ſes vers :
Il ranime leur noble audace ,
Comme le Chantre de la Trace
Calme le courroux des Enfers.
Un digne fils du Dieu du Pinde ,
Par des charmes auffi puiffans ,
Soumet le Conquérant de l'Inde
Au caprice de les accens.
Tantôt Alexandre s'agite ;
De fon courage qui s'irrite ,
Rien ne peut arrêter les flots ;
Et tantôt oubliant les armes ,
Il foupire , il verfe des larmes ;
Le Chantre eft vainqueur du Héros .
Voyez fous l'ombre de ces hêtres ,
Les Habitans de nos Hameaux ,
B iij
·3·0 MERCURE
DE FRANCE.
Célébrer leurs plaifirs champêtres
Aux fons des légers chalumeaux .
Auxcris joyeux qui fe confondent ,
Les échos des vallons répondent ;
Et l'allégreffe en cet inftant ,
Efface au fond de leurs penſées ,
L'empreinte des peines paffées ,
Et de celle qui les attend.
Quels maux ne rend point fupportables ,
Duchant l'invincible pouvoir ?
Eft-il des coeurs fi miférables ,
Qu'il n'endorme au fein de l'efpoir?
Au milieu d'un déſert aride ,
Le Voyageur pâle & timide ,
Chaffe l'ennui par des concerts ,
L'Efclave chante fa misère ,
Et par fes accords ii fait taire
Le bruit de fes indignes fers.
Telle , durant la nuit obfcure,
La Mufe plaintive des bois
Attendrit toute la Nature
Par les doux accens de fa voix.
Pour l'entendre exhaler fa peine ,
Phébé plus lentement promène
Son char émaillé de faphirs ,
AVRIL. 1777. gt
Et l'Amante du beau Céphale ,
Quitte la rive orientale
Au bruit de fes tendres foupirs.
Par M. de Saint- Marcel , Garde- du- Corps
de Mgr le Comte d'Artois.
ODE A THÉMIRE.
TANDIS ANDIS qué de leur froide haleine
Les vents mutins glacent les champs ,
Quel feu s'empare de ma veine ,
Quel vif tranfport faifit mes fens !
C'eft ton pouvoir, amitié tendre ,
C'est toi qui viens te faire entendre
A mon ame pleine de toi ;
Accorde donc ma foible lyre ,
Et peignons enfemble à Thémire ,
Les charmes de ta douce loi.
Loin de l'amour & de fes vices ,
Tu fixas ton féjour divin ;
C'étoit-là qu'au fein des délices ,
Vivoit jadis le genre humain ;
Au fein de ce féjour céleste ,
Caftor , Pollux , Pylade , Oreſte ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
T'offroient leur encens nuit & jour ;
Et c'étoit-là que l'hymenée ,
De gloire & de fleurs couronnée ,
Bravoit les fureurs de l'amour.
Ton nom n'eft plus qu'une chimère ,
Tes Temples font tous renversés ;
L'Amour eft le Dieu qu'on révère ,
Ses feuls Autels font encenfés.
Ce tyran maîtriſe les hommes ,
Il prend dans le fiècle où nous fommes,
Et tes accens & ton maintien ;
Mais c'eft envain qu'il fe déguiſe
On le connoît à fa traîtrife ,
Il fait le mal , tu fais le bien.
Tant que j'ai fuivi la bannière.
De cet impofteur de Paphos ,
Le cruel , loin de ma paupière ,
Éloigna toujours le repos ,
Les maux affiégèrent ma vie ;
Le défefpoir , la jalouſie
Empoifonnèrent mes amours :
J'ai connu la belle Thémire ,
Et fes vertus & fon fourire
Ont rendu le calme à mes jours.
Quand je me rappelle l'orage
AVRIL. 1777. 33
Qui m'a fi long-tems poursuivi ,
Mon coeur, à cette horrible image ,
D'horreur refte encore faifi .
Comment un Dieu plein d'injuſtices ,
Qui traîne après lui tous les vices ,
Peut-il nous foumettre à fes loix ?
Lui qui n'offre que des entraves ,
Lui qui nous traite en vils eſclaves ,
Et qui nous réduit aux abois.
Fuis loin de moi , je te déteſte ,
Amour , fléau de l'Univers ,
Porte ailleurs ton poifon funefte ,
Mon coeur eft forti de tes fers.
L'amitié devient ma Déeſſe ;
Rempli de fa douce tendreffe ,
Je lui confacre mes momens :
Tranquille , heureux fous fon empire,
Son Temple eft le coeur de Thémire
On je veux brûler mon encers.
Par M. Lavielle , de Dax.
Br
34 MERCURE DE FRANCE.
LE MOINEAU & LA FAUVETTE .
SI VOU
Fable.
I vous avez foumis un coeur fenfible & tendre,
Gardez- vous bien de l'outrager ,
Sans quoi vous courez le danger
De n'avoir plus droit d'y prétendre,
Il acquiert celui de changer :
Le trait fuivant va vous l'apprendre.
Un Moineau des plus amoureux
Epris d'une jeune Fauvette,
Brûloit d'une flamme fecrette ,
Et n'ofoit déclarer fes feux.
Par fes foupirs , par fes careffes ,
Il fit connoître fon amour :
2
hafarda des fermens , des promeffes
Il en fit tant qu'il obtint du retour.
Malgré fon triomphe & fa gloire ,
Il jouiffoit modeftement ,
N'avoit point l'air d'un Conquérant z
Il étoit cependant tout fier de ſa victoire ,
Il vivoit heureux & content ,
En fe rendant compte à lui-même
AVRIL. 1777. 35
De la félicité fuprême
Qu'on goûte fi bien en aimant.
Avint qu'un jour , du plus prochain bocage ,
Sortit un Perroquet ,
Dont le caquet
Bien moins brillant que fon plumage ,
Etourdiffoit le voisinage ,
Ainfi qu'un jeune- homme à plumet ,
Dont le défaut feroit le bavardage.
La Fauvette lui plût : il forma le projet ,
Pour les plaifirs , d'en titer avantage.
Il fit fa cour fur un ton indiſcret ;
La fuffifance étoit fon vrai partage ,
Et fon amour ne fut point un fecret.
Notre Fauvette un peu volage ,
Prêta l'oreille à fon langage ;
Elle fut priſe au trébuchet ,
Le Moineau fentit cet outrage ;
Mais en Oifeau prudent ,
Il céda la place à l'inftant ;
C'étoit , je crois , le parti le plus fage.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
M. le D. de N. avoit demandé à Ma
dame la M. de M. de lui donner de
fes cheveux.. Elle lui envoya une boîte
avec les Vers fuivans.
Les voilà ces cheveux depuis long- tems blanchis
!
D'une longue union qu'ils foient pour nous le
gage.
Je ne regrette rien de ce que
m'ôta l'âge ,
Il m'a laiffé de vrais amis..
On m'aime prefque autant , j'ofe aimer davantage.
L'aftre de l'amitié luit dans l'hiver des ans ,
Fruit précieux du goût , de l'eftime & du tems.
On ne s'y méprend plus, on cède à fon empire 5
Et l'on joint fous les cheveux blancs ,
An charme de s'aimer , celui de fe le dire..
Réponse de M. le D. de N.
Quo
UOI ! vousparlez de cheveux blancs E
Laiffons , laiffons courir le tems ,
AVRIL. 1777. 37
Que nous importe fon ravage !
Les tendres coeurs en font exempts ;
Les Amours font toujours enfans ,
Et les grâces font de tout âge.
Pour moi , Thémire , je le fens ,
Je fuis toujours dans mon printems
Quand je vous offre mon hommage.
Si je n'avois que dix- huit ans ,
Je pourrois aimer plus long- tems ,
Mais non pas aimer davantage.
PLAINTE A L'AMOUR ,
Pièce imitée de l'Italien.
AMOUR , Philis avoit juré
De me garder une flamme éternelle ;
A fes fermens je la croyois fidelle ;
Mais fon ardeur a peu duré.
Elle accueille en fecret l'hommage
D'un autre Berger du Hameau :
Peut-elle avoir mon coeur en gage ,
Et fe permettre un choix nouveau !"
Dieu des Amans , j'implore ta vengeance :
Mais que fes yeux font féducteurs ,
Et que je crains en ta préfence
38 MERCURE DE FRANCE.
De lui voir répandre des pleurs !
Si tropfenfibleau pouvoir de fes charmes ,
Tu n'ofes croire qu'elle ait tort ,
Amour , juge-là fur les larmes ,
Et fais du moins que nous foyons d'accord.
Par M. Dareau.
Quatrinpour mettre au bas du Portrait de
Madame la Marquife de la P...
LisISE eut tous les talens . Le premier fut de plaire,
Par fa beauté , ſon efprit & fon coeur.
L'Amour fouvent l'a prife pour fa Mère ,
Et Melpomène pour la Soeur.
Autre pour la même.
Aux charmes divins d'Uranie ,
Perfonne encor n'a réſiſté ;
Les uns cèdent à fa beauté,
Et les autres à fon génie.
AVRIL 1777. 39
Traduction littérale de la Lettre compofée
en Arabe par Coagié Naffireddin
* el
Touffi , au nom de Holakou
- Kan ,
Prince Tartare , & adreffée à Moſtaafem
, dernier Khalife.
Ovi grand Dieu ! Créateur du Ciel &
de la Terre , tu fais également ce qui eft
vifible , ce qui eft caché , & tu juges les
différends de tes ferviteurs.
Sachez que nous fommes les Soldats
de Dieu , créés dans fa colère , vainqueurs
de ceux que pourfuit fon indignation
, inacceffibles à la pitié , infenfibles
aux larmes , Dieu a ôté fa miféricorde de
nos coeurs.
* Naffireddin eft célèbre chez les Crientaux
, par les Ouvrages qu'il a compofés
fur la Logique , la Phyfique , la Géométrie & la
Théorie des Planettes . Il préfenta un Ouvrage
de fa compofition au Khalife Moftaafem , qui
le déchira en fa préfence . Naffireddin outré de
cet affront , & méditant une vengeance mémorable
, fe retira auprès de Holakou, & l'engagea
à déclarer la guerre à ce Khalife,
40 MERCURE
DE FRANCE .
Malheur malheur horrible à ceux
qui n'obéiront point à nos ordres. Déjà
nous avons ruiné les villes , maffacré les
hommes , & dévasté la terre . Notre courage
eft auffi inébranlable qu'une montagne
. Nous fommes auffi nombreux que
les grains de fable : rien n'égale la vîtelle
de nos chevaux , & la pointe aiguë de
nos lances. Notre Capitaine vient à bout
de tous fes deffeins , & nos camarades
font toujours précédés par la victoire.
Si vous recevez nos loix , & obéiſſez
à nos ordres , notre fort deviendra le
vôtre. Si au contraire vous refufez de
vous foumettre à notre joug , & perfévérez
dans votre brigandage , n'en jetez
la faute que fur vous- mêmes ; car il n'eft
point de fortereffe où vous puiffiez vous
retrancher contre nous , point d'armée
en état de nous repouffer . Alors vous
aurez beau implorer notre pitié , nos
oreilles feront fermées , parce que vous
avez violé la loi & détruit les Nations.
Pénétrez- vous d'humilité & de repentir
; car vous fouffrirez aujourd'hui la
peine de l'aviliffement .
- Vous ofez penfer que nous fommes
des infidèles , vous que nous mettons
avec raifon au rang des impies , & conAVRIL.
1777 . 4I
tre lefquels nous avons été fufcités par
le Dieu qui gouverne à fon gré les événemens
de l'univers .
Votre grand nombre auprès du nôtre
eft bien petit , & vos plus grands hommes
comparés aux nôtres , font des pygmées.
Nous avons foumis l'univers du
couchant à l'aurore , & nous nous fommes
rendus maîtres par la force , des lieux
les plus inacceffibles .
Nous vous envoyons ce manifefte : hâtez-
vous d'y faire réponſe avant que le
voile ne foit levé , & qu'il ne vous refte
plus rien . Déjà le héraut de la mort vous
crie : êtes-vous tous infenfibles ? N'entendez-
vous point le fon ( des avertif
femens ?)
La juftice préfide à nos démarches
en vous envoyant cet écrit , & répandant
fur vous les perles de ce difcours.
Adieu .
Traduit de l'Arabe par M. l'Abbé
Pigeon de S. Paterne.
42 MERCURE
DE
FRANCE
.
Portrait de Madame de S ***.
UNE ame , un coeur , du foufre & du falpêtre ,
Tour- à-tour de Zirphile animent les refforts :
Pour tracer fon portrait c'eft peu de la connoître,
Il faudroit s'élever jufques à fes tranfports.
Par fa noble fierté , c'eft une Souveraine ;
Mais par fes fentimens elle eft bien au delfus ; "
Elle eft divine , elle eft humaine ,
Sans même le douter que ce foient des vertus.
Dans les yeux , eh ! quels yeux ! une flamme électrique
Brille & jaillit de toutes parts ,
Et fur elle fixé par leur pouvoir magique ,
On ne peut éviter ni fuivre les regards.
Vers tout ce qui lui plaît , ſoit objet , foit penſée ,
Elle s'élance & le faifit ,
Par-tout ce qui la bleffe auffi- tôt repouffée
Elle s'irrite & fe roidit.
De fa flottante indifférence ,
A qui tout eft égal , à qui rien ne dit rien ,
Dans nalle occafion on ne voit fon maintien
Porter l'empreinte & la nuance ,
Elle fent tout avec excès ,
Sans que jamais cet excès foit factice ;
AVRIL. 1777.
43
Sa gaieté naturelle eft un feu d'artifice ,
Sa trifteffe un nuage épais.
Ou fon froid eft glaçant ou fa chaleur dévore ,
Tantôt un Ange , & tantôt un lutin ;
Dans des momens c'eſt mieux ou pire encore....
Mais le crayon m'échappe de la main.
LE MÉDISANT ADROIT..
CROYEZ - N
ROYEZ- NOUS , diſoit-on à Cléon l'hypocrite ,
Vengez-vous de Damis ; tous les jours en public
On le voir , déchirant vos moeurs , votre conduite,
Il n'eft rien à l'abri de fa langue d'afpic .
Amis , reprit Cléon , la justice célefte
Aproferit fagement la vengeance au Chrétien ;
Loin d'imiter Damis , hélas ! je vous proteſte
Queje voudrois pouvoir n'en dire que du bien.
Par M. Lalleman.
Vers au bas du Portrait de Mademoiſelle
de * *
Sous les mêmes attraits , dans Paphos adorée
Lagalante Vénus fut ravir tous les coeurs ;
44 MERCURE DE FRANCE.
Mais d'autant de vertus Minerve décorée ,
N'avoit pas ces traits enchanteurs ;
C'eft de R✶✶ qui fe réſerve
Tous ces avantages fans prix ;
Et fon enſemble offre à nos yeux furpris ,
Les charines féduifans que n'avoit pas Minerve ,
Et la fageffe , hélas ! qui manquoit à Cypris.
Par le même.
LE NOUVEAU MENTOR.
A Mademoifelle de ***.
VOTRE OTRE bonheur , Iris , eft d'avoir en partage ,
Et beaucoup d'innocence , & beaucoup de beauté;
Mais je tremble pour vous , vous entrez dans un
âge
Où l'Amourféducteur n'eft que trop écouté.
Ce fourbe , près de nous , ſe gliſſe avec ſoupleſſe ,
Nous étale avec artfes dons & fes appas ;
Sans doute qu'il viendra tenter votre jeuneffe ,
Vous offrir mille Amans , ne vous y fiez pas .
Eh! comment en trouver de vrais & de fidèles ?
LeDieu qui les anime eft fi faux , fi léger !
AVRIL. 1777 . 45
Auroit- il un bandeau , porteroit-il des ailes ,
S'il vouloit à jamais , avec vous , s'engager ?
Nous le voyons fans choix & fans délicateffe ,
A mille objets nouveaux prodiguer fes faveurs ;
Semblable au papillon qui tour -a-tour careffe,
Desjardins & des prés , les innombrables fleurs.
S'il triomphe de vous , fier de votrefoibleffe ,
Le traitre ira par-tout publier ſon bonheur :
La honte, les remords vous pourſuivant ſans ceſſe,
Vous perdez à la fois le repos & l'honneur.
Leurés par les appas de cet enfant perfide ,
Envain attendons - nous un agréable fort :
Al'hameçon qu'il prend le poiffon tropavide ,
Compte trouver la vie , & rencontre la mort.
Pour nous perdre , il n'eft point de piéges qu'il ne
dreife .
Dans ces brillantes fleurs un afpic eft caché.
Mortels , fuyez l'Amour , & fuivez la fageffe !
Le bonheur à fa fuite eft toujours attaché.
Mais , vous qui chériffez cette aimable Déeffe ,
A votre âge eft - on sûr d'avoir un coeur conftant :
L'Amour ne peut- il pas par force ou par adreſſe ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Vous faire un jour tomber dans les filets qu'il
tend ?
La jeuneffe eft bien- tôt ou vaincue ou féduite.
Il donne tant d'affauts , il faut tant de combats !
Iris , fur mes avis , réglez votre conduite ,
Et ce Dieu devant vous mettra les armes bas.
La pudeur fcrupuleuſe , appui de l'innocence ,
Met l'Amour aux abois , & fauve une beauté.
En voilant fes appas d'une honnête décence ,
Votre Sexe en fera beaucoup plus refpecté .
Ayez l'air impofant , gardez un froid filence ,
Cet enfant devant vous fera déconcerté ;
Souvent pour contenir la vive pétulance ,
Il ne faut que s'armer d'une noble ferté.
Craignez de la vertu l'écueil trop ordinaire ,
Du Théâtre évitez le ſpectacle amuſant ,
Du Temple de l'Amour c'eſt le vrai fanctuaire ;
Et c'cft pour l'innocence un lieu trop féduifant.
N'allez point à ces bals où la licence attire
Mille efpèces de fous traveftis & maſqués :
Sous ces mafques trompeurs , s'il fe trouve un
Saryre ,
L'honneur & la vertu font bien - tôt attaqués .
AVRIL. 1777 . 47
Un livre vous plaît -il ? Donnez-vous à l'Hiftoire ;
L'Hiſtoire , en amuſant , orne & forme l'eſprit .
Mais n'allez point falir votre heureuſe mémoire
Par ces Romans affreux que la pudeur profcrit .
L'Amour cède au travail . Occupez - vous fans ceffe .
De la table & du lit évitez les excès.
Sachez que dans une ame où régne la molleſſe ,
Ce Dieu que vous fuyez trouve un facile accès.
On en devient encor la dupe & la victime ,
Quand on jette les yeux fur d'indécens tableaux ;
Peut -on bien regarder fans danger & fans crime,
Les traits voluptueux qu'ont formés fes pinceaux !
Craignez des Courtiſans l'amitié dangereufe ,
L'amitié n'eft qu'un nom dont le couvre un
Amant.
Que de fois, pour furprendre une ame généreuſe ,
J'ai vul'Amour caché fous ce voile charmant !
Evitant un chemin rempli de précipices ,
Ce feroit y rentrer par un autre fentier.
L'Amour , pour nous tromper , eft fertile en malices
,
Et fait voir aux plus fins des tours de fon métier.
Que la fageffe, enfin, foit toujours votre guide ;
48 MERCURE DE FRANCE.
Repofez-vous , Iris , fur fon bras triomphant ;
Pour tous ceux que Pallas couvre de ſon égide ,
Ce redoutable Dieu n'eft plus qu'un foible enfant.
Par M, de la Sablonière ,
Chan. Rég.
Explication des Enigmes & Logogryphes
du premier volume d'Avril.
Le mot de la première Énigme eſt
l'Épi de blé ; celui de la feconde eft la
Clef; celui de la troisième eft la Plume.
Le mot du premier Logogryphe eft Horloge
, où fe trouvent or , loge ; celui du
fecond eft Papillotte , dans lequel fe
trouvent lit , lait , toile , pâle , ail , api,
oie , Pilote , pol , pipe , épi , paille , poil,
plaie , Io , taille , opale , pie , Pape, Ile',
aile , pale , lie , loi , Laïc & pole ; celui
du troisième eft Bonnet- quarré , où l'on
trouve bonnet & quarré.
ENIGME
AVRIL. 1777- 49
ENIGM E.
E vais fautant , danfant, & faifant bonne chère
Je fais m'infinuer dans ces lieux de mystère ,
Qu'amour ne réſerva qu'à fes feuls favoris :
La Béate dévote & le bel Adonis ,
La femme de la Cour & cet homme d'Églife ,
Le petit-Maître fat , la Prude qu'on mépriſe ,
S'empreffent à l'envi de porter mes couleurs :
Des plus fières Beautés j'atteins jufques aux coeurs,
A ce tableau , Lecteur , mon fort te fait envie ;
Mais en moi reconnois le malheur d'une vie
Qui ne tient qu'aux faveurs du Sexe féminin :
Telle, dont chaque nuit je careffe le ſein ,
Se réveille foudain , frémiſſant , en délire ,
Me cherche , & de fureur elle veut que j'expire :
Je m'élance d'un trait , preffant d'autres appass
Mais la brûlante main s'attache à tous mes pas ;
Et bien-tôt , fuccombant à fon impatience ,
Je ſens jaillir ….. hélas ! toute mon exiſtence.
Par un Amateur.
II. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Sans mon frère , Lecteur , je ferois inconnue s
Je lui dois tout l'éclat dont je brille à ta vue.
Avec lui , cependant , on ne me voit jamais ,
Et s'il vient d'un côté , de l'autre je m'en vais.
Sur la terre jadis je me vis révérée ,
Même jufqu'aux Enfers je régnois adorée ;
Mais déchue aujourd'hui de ce haut
Dieux,
rang
des
Si je n'ai plus d'Autels , j'habite encor les Cieux.
Encore un mot, Lecteur , je blanchis les campagnes
,
Et tu me vois toujours avec mille compagnes ,
Par M. le Méteyer.
AVIC
AUTRE.
VEC mon ennemi , Lucile , je partage
De paroître à tes yeux le charmant avantages.
Mais fans de fes bienfaits vouloir fixer le prix ,
Ni trahir le mystère à ta flamme promis ,
J'espère à tes defirs bien plus fouvent propice ,
AVRIL. 1777. " SL
Intéreffer ton cecair à me rendre juftice.
Que te fait mon rival ? Il fait qu'en tous les lieux
D'adorateurs jaloux tu rencontres les yeux.
Je fais bien plus ; j'amène , à l'inſa de l'envio ,
Sylvandre dans tesbras , & j'embellis ta vie..
Je voudrois bien alors , fervant la volupté .
Près de toi prolonger un tems trop limité ,
Mon rival vient , je fuis la préſence envieuſe ,
Pour venir , après lui , te rendre encore heureuſe.
Parlemême.
LOGOG RY P HE.
Ja fuis un inftrument par - tout fort en uſage ;
Du beau Sexe fur-tout je peins le coloris.
Depuis long-tems je régne, & je fers à tout âge ;
Antidote excellent , je rappelle les ris
De mes huit pieds , Lecteur , combinez la ftrueture
:
Voustrouverezle nom de deux globes charmans s
-Celui d'un animal de grotesque nature ;
Un oiſeau domeftique admiré par les chants.
De l'humide élément , la perfide Déeffe
Redoutable aux Marins par les accens trompeurs,
Vous verrez du François l'objet de la tendreffe,
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE.
Que l'Étranger vit naître , & qui vit dans nos
coeurs.
Près de vous , cher Lecteur , ce n'eft plus un my
* »... tère 5 ⠀
Peut-être mes effets yous font déjà connus.
Si je vous fais un être falutaire ,
Employez-moi , mais vantez mes vertus.
2017
"
AUTR E.
RESPECTE , ami Lecteur , la tête où je repoſe
Honore en moi toujours ton maître en toute
chofe ;
Ne crois pas que, fans peine, on puiſſe m'approcher
;
En huit pieds cependant il faudra me chercher.
Tu verras un métal que par-tout on encenſe ,
Un vafe où les Anciens, pleins de reconnoiffance,
Confervoient des Héros les cendres avec ſoin ;
L'inftrument qu'un piqueur fait réfonner au loin ;
Ce qu'on doit moins à l'art ſouvent qu'à la na¬
ture ;
Dans la Géométrie on trouve ma figure 3
"Le fiége des vertus que l'on eftime tant ;
Ce que l'on voit fans peine en nos Villes ſouvent,
AVRIL. 1777. 53
J'offre un lieu trop fécond en lâches artifices;
Où gémit la vertu , où triomphent les vices.
Aux ordres d'un Prélat toujours prêt à marcher
Celui qu'en plufieurs Cours il a fait voyager .
DANS un
A UTR E.
Ns un tems , aux regards , j'offre bien des
appas ;
Dans un autre , je fuis l'image du trépas .
Si tu ne fais comme on me nomme
Lecteur , tu peux encor chercher ;
En mes huit pieds tu dois trouver
Le plus bel ornement de l'homme ;
L'ennemi de la Reine Eſther ;
Ce qui s'avance dans la mer ;
<
Ce qu'on met tous les jours fur table ;
Un nom en Perſe reſpectable ;
Un lieu néceſſaire au Guerrier ,
Pour loger & prendre quartier :
Enfin , celui qui , dès l'enfance ,
Sert à la Cour du Roi de France.
J
Par M. l'Abbé Raux , Chanoine
à Châteaudum.
Ciij
14 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES
Idylles de Théocrite , traduites en profe.
avec quelques imitations en vers de cet
Auteur , précédées d'un Effai fur les
Poëtes Bucoliques .
Ꮮ
Hodièque manent veftigia ruris.
Hor.
A Paris , chez Piſſot , Libraire , quai
des Auguftins.
¿
L MANQUOIT à notre Langue une traduction
de Théocrite, On fait qu'il paffa
chez les anciens pour le modèle de la
poéfie paſtorale ; & Virgile l'a rendu plus
célèbre encore en l'imitant. Longepierre ,
feul parmi nous , avoit effayé d'en traduire
quelques Idylles ; mais Longepierre,
très-paffionné pour la Langue Grecque ,
reffembloit à ces Adorateurs qui ne favent
qu'honorer par leur enthoufiafme l'objet
de leur culte , & ne favent point tranfmettre
ce fentiment à d'autres. Il traita
AVRIL 1777% 55
Théocrite , en le traduifant , un peu plus,
mal encore qu'il n'avoit traité Sophocle,
dans fon Electre , & Euripide dans fa
Médée .
La nouvelle traduction de Théocrite
peut fatisfaire à la fois les gens de goût ,
& ceux qui , plus jaloux encore de s'inftruire
que de s'amufer , veulent voir de
plus près le caractère & le génie particuliers
des Ecrivains Grecs , dont plufieurs
parmi nous font plus célèbres que connus.
L'Auteur de cette traduction eft M. de
Chabanon , de l'Académie des Infcriptions,
& Belles Lettres , qui a déjà donné une
traduction des Pythiques de Pindare , où
il s'eft approché , autant qu'il eft poffible
, dans une profe harmonieufe & noble
, de la poéfie énergique & fière de ce
fameux Lyrique.
Ici M. de Chabanon a été plus hardi :
il a effayé d'imiter en vers plufieurs des
Idylles de Théocrite , & il l'a fait avec
fuccès. Nous en citerons quelques exemples.
La première Idylle a pour fujet la mort
de Daphnis , fameux Berger de Sicile ,
qui paffe pour avoir été l'inventeur de ce
genre de poéfie. Après avoir vécu quelque
temps dans l'indifférence , il aima,
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
dit-on , & ne fut point aimé. Jeune encore
, il mourut confumé d'une paffion
funefte. Le Berger expirant eft étendu
fur l'herbe. Ses troupeaux , couchés languiffamment
autour de lui , pouffent des
cris plaintifs. Les Pafteurs l'environnent ,
& l'interrogent fur les motifs fecrets de
fa douleur.
Vénus approcha de lui , dit le Poëte .
Elle déguifoit fon courroux fous un fourire
aimable . Daphnis , dit elle ,
❤Tu défiois l'Amour, & l'Amour t'a vaincu.
» O Vénus ! lui dit-il , ô cruelle ennemie !
Tu triomphes ; je touche au terme de ma vie ;
Mais jufques dans l'horreur du ténébreux fé-
≫30 jour',
Mes malheurs ferviront de reproche à l'Amour.
»Vas fous les hauts cyprès dont l'Ida fe couronne,
Près des buiffons fleuris , où l'Abeille bour
90
» donne ,
Jure au Paſteur Anchiſe une éternelle foi :
»Adonis , qui te plût , fut Berger comme moi.
Adieu belle Aréthufe ; adieu valtes forêts ;
Et vous , monftres errans , qu'ont pourfuivis mes
≫ traits ;
»Collines du Tymbris , Fleuves de la Sicile ,
HOZAVRIL 1777. 57
2 .
30
Où mes troupeaux laffés puifoient une eau tran
quille ; and
Echo qui répondois à mes chants affidus
Champs aimés , bois heureux ,je ne vous verra
» plus. dol ..
» Il dit , & repoſa ſa tête languiſſante :
»Vénus veut foulever cette tête charmante ,
Elle fent défaillir ce corps inanimé.
T
Ainfi mourut Daphnis : les Nymphes l'ont aimé,
Et les filles du Pinde ont chéri fa jeuneffe .
On trouve dans cesvers de l'agrément ,
de la douceur , une molleffe élégante ; &
cette mélancolie tendre , qui fait le carac
tère du fujet , femble avoir paffé dans le
ftyle.
La même pièce nous préfente des vers
d'un autre genre , & dont le mérite eft
'de bien rendre plufieurs détails difficiles .
Telle eft la defcription d'un vafe promis
par un Berger pour le prix du chant , &
fur lequel font repréfentées , au butin ,
plufieurs figures. Je ne citerai que ceuxci
, dont la marche , l'harmonie & les
fonts femblent être parfaitement affortis
à l'objet qu'on veut peindre.
Là , le vieil Alcidon ,fur la pénible arene ,
Cv
58
MERCURE DE FRANCE
}
Soulève un lourd filet qu'avec effort it trafne :
H marche ; on croit le voir tous les membres
roidis
Font faillit de ſon corps les muſcles arrondis.
Son front eſt déjà vieux , ſon bras eſt jeune encore.
regat
La feconde Idylle , intitulée l'Enchan
tereffe , peut paffer pour le chef-d'oeuvre
de Theocrite. On dit que Racine la
doit comme un des plus beaux ouvrages
de l'antiquité ; & il n'a pas dédaigné luimême
d'en emprunter quelques traits
pour peindre la paffion & le caractère
admirable de Phèdre Le titre indique
le fujet. C'eft une jeune fille qui fait un
enchantement pour ramener à elle fon
amant qui l'abandonne. On y trouve
l'égarement & le trouble d'une paffion
violente & malheureufe , avec la reinte
fombre d'une cérémonie magique , qui
fe fait dans le filence & l'ombre de la
nuit. C'eſt l'amante trahie qui parle ellemême.
D'abord elle indique les apprêts
du facrifice qu'elle ordonne , & qui fe
prépare fous les yeux. Elle s'écrie touta-
coup :
AVRIL 1777.
Parois , aftre des nuits , aftre pur & tranquille ;
Parois , terrible Hecate , à mes chants fois docile,
Apporte àma douleur les fecours les plus promptss
Fais choix , pour me fervir , des plus mortels.poi
fons :
Quand , parmi les tombeaux , tu marches en
filence ,
Les chiens épouvantés heurlent en ta préfence.
Art puiſſant de Circé , rendez - moi mon Amant.
Le facrifice continue , & les cérémo
nies s'achèvent. Elle croit entendre des
fons funèbres ; elle croit voir Hécate , la
Déeffe des enchantemens.
Le bruit ceffe ; par-tout régne un cafme tranquille,
Les vents fonten repos ; la mer eft immobile ;
Tout fe tait : tout fe tait! le cri de la douleur
S'élève , & retentit dans le fond de mon coeur.
O tendreffe ! ôfermens que mon Amour réclamer
Que vois-je ? Quel objet m'oſe -t- on préſenter ?
La voilà cette treffe avec art enlacée ,
Dépouille de l'ingrat entre mes mains laiffée ,
Gage de fa tendreſſe .... Ah ! périſſe à jamais
Ce gage menfonger des fermens qu'il m'a faits.
Elle renvoie une femme, confidente &
C vj
бо MERCURE DE FRANCE.
témoin de fes douleurs.
Demeurée feule ,
elle s'adreffe à la nuit ; elle fe rappelle
l'hiftoire des maux qu'elle a foufferts , le
commencement & les progrès de cette
fatale paffion. C'eft dans un Temple
c'eft au milieu d'une
pompe facrée
que
commença fon amour. Elle fe plaît à
retracerjufqu'aux moindres
circonstances
de cette fête . Hélas ! dit-elle x
A ces folennités je me vis entraînée ;
Malheureufe ! quipeut prévoir ſa deſtinée ?
Autour de moi , le lin de mes riches habits ,
Noué négligemment , flottoit en longs replis:
Delphis parut : ô jour ! jour heureux & funefte !
Il quittoit les combats de la lutte & du cefte..
>
Telle Phoebé répandun jour doux & tranquille :
Je le vis , je rougis ; interdite , immobile ,
Tout mon fang fe troubla : l'éclat de ces beaux
lieux ,
La pompe de ce jour n'attiroit plus mes yeux;
Diftraite, le coeur. plein d'une image fi chère ,,
Je revins-m'exiler fous mon toît folitaire ;
La fièvre dans mon fang alluma fes ardeurs ;
Mourante , je baignois ma couche de mes pleurs
Mess yeux s'obfcurciffoient couverts d'un voile
fombre
AVRIL 1777. GI
Elle étoit prête à mourir de l'excès de
fa paffion , quand elle apperçoit fon amant
qui franchit le feuil de fa porte , & s'avance
vers elle . A cette vue , elle pâlit ,
elle friffonne ; égarée , éperdue , elle demeure
froide ; elle ne peut proférer un
feul mot. Son amant approche , l'oeil ti
mide & baiflé :
Corinne , me dit- il , ô ma chère Corinne !
Tu me cherchois ; mes voeux ont prévenu tes
voeux : :
Oui , j'attefte l'Amour , j'en jure par les feux.
Cette.nuit , m'égarant dans l'ombre & le filence ,
J'euffe erré près des lieux qu'embellit ta préſence;
Le front orné de pourpre , & d'un feuillage épais,
De ces lieux adorés j'euffe imploré l'accès ;
Heureux de contempler l'afyle où tu repoſes ,
Heureux de refpirer fur tes lèvres de roſes..
Que la voix d'un Amant perfuade fans peine !
Déjà ma raiſon cède au charme qui l'entraîne :
Mes bras demi- vaincus réſiſtent mollement ;
Et mabouche s'entrouvre au baifer d'un Amant..
Preffé contre mon ſein , ſon ſein tremblant s'agite.
Elle exprime tous les tranfports de l'amour,
& livreffe d'une pallion heureuſe ;
62 MERCURE DE FRANCE.
mais les tourmens fuccèdent à fon bonheur.
On lui annonce qu'on a vu le lie
de fon amant paré de fleurs offertes par
une main étrangère. Elle ne doute plus
qu'il ne foit coupable. Déjà douze fois
le foleil s'eft levé depuis qu'elle n'a vu
cet amant parjure. Elle achève ſes imprécations
magiques , qu'elle termine pan
ces quatre vers.
Pbébé, Reine des nuits, retourne au fein de l'onde
Mavoix n'enchaîne plus ta courfe vagabonde :
Vous qui fuivez fon char & qui formez -fa Cour,
Aktres , diſparaiſſez , & faites place au jour,
Telle est la marche de cette Idylle , qui
a quelque chofé de l'intérêt d'un Drame ,
& où le Poëte Gree & fon Traducteur
ont réuni tous deux la grace avec la force .
Qu'on la compare aux Ouvrages de ce
genre que nous avons dans notre Langue
, & où des Écrivains de beaucoup
d'efprit ont voulu fubftituer à la peinture
des paffions , cette galanterie Fran
coife , toujours froide , même lorfqu'elle
amufe , parce qu'elle n'eft jamais qu'un
jeu de l'imagination ; & qu'au lieu de la
nature, qui eft de tous les temps , elle ne
AVRIL 17770- 63
repréfente que des conventions & des
modes.
Ce recueil offre plufieurs Idylles d'un
genre différent , mais qui toutes ont quelque
chofe de piquant dans le deffein.
Telle eft , par exemple , l'entretien de
Daphnis & d'une Bergère , ou le mariage
par rencontre. La vivacité du Dialogue ,
& l'ingénuité de la Bergère , qui , tour
à-la-fois timide & curieufe , attire en
repouffant , cède en paroiffant toujours
fe défendre ; & , par fes queſtions même ,
trahit la foibleffe fecrette de fon coeur :
tout concourt à faire de cette Idylle une
pièce charmante.
Je citerai encore le mariage de Naïs ,
Idylle très-agréable . Le fujet eft une Bergère
difputée par deux rivaux , & qui
doit être le prix du chant. A la tête de
I'Idylle , eft une efpèce de Prologue fur le
contrafte des moeurs actuelles en amour ,
& de ces moeurs antiques des Bergers
Ce Prologue , qui eft tout entier du Tra
ducteur, eft d'une poéfie aimable & fa
cile.
Le Cyclope eft d'un ton plus élevé.
Ceft Poliphème amoureux de Galathée
, Nymphe de la mer. Affis fur un
rocher , il chante la Nymphe qu'il aime ,
64 MERCURE DE FRANCE.
& l'invite à fortir du fein des flots,
Tandis qu'il chante ,
L'air s'agite & murmure ;
Un mouvement foudain a troublé la Nature.
Les vieux pins de l'Etna, de leurs fronts verdoyans
Courbent, avec lenteur, les rameaux ondoyans.
La mer, en un moment, a blanchi fa ſurface ,
Et le flot fur le flot , croît , s'élève & s'entaffe.
Poliphème , attentif à tous ces mouvemens ,
Croit , efpère déjà , ( vaine erreur des Amans ) ,
Que la courfe des vents , que la mer agitée ,
Vont ramener vers lui l'aimable Galathée. :
Plein de trouble , il fe lève , il palpite , il frémit
It marche ; fous fes pas l'Etna tremble & gémit .
Loin du bord il s'avance , il fend l'onde écumante,,
Et femble, à chaque flor , demander fon Amante.
•
Certe Idylle préfente l'idée d'un géant
terrible , adouci par les charmes de l'amour
, & qui mêle à l'expreffion de fa
tendreffe , des images empruntées de
tous les objets champêtres qui l'envi
ronnent. Elle a tout à-la-fois un caractère
doux & fauvage ; & ces deux tous
de couleurs , font fondus enfemble avec
plus d'art & de goût , que peut- être
Ovide n'en a mis dans l'endroit de fes
ad
AVRIL. 1777. 65
métamorphofes , où il a imité ce même
morceau de Théocrite.
Toutes ces imitations en vers font
précédées d'une Épître , dont le fujet
eft analogue à des poéfies de ce genre.
Elle eft adreffée à M. Thomas . L'Auteur
fe propofe de prouver que les
moeurs & les ufages , amenés par le
luxe , font contraires au véritable goût
des arts ; qu'il y a un terme jufqu'où
la nature peut être embellie ; mais qu'au
delà , elle perd fon caractère , & que
tous les ornemens qu'on y ajoute , ne
fervent plus alors qu'à la défigurer ;
qu'il faut donc fe rapprocher de cette
nature qui , dans fa fimplicité même.
a un charme fecret qui intéreffe , &
dont la vue a quelque chofe de plus
doux & de plus touchant que toutes
les beautés factices qu'on a cherché à
fubftituer dans la fociété comme dans
les arts. Pour développer cette vérité
l'Auteur de l'Épître n'a point employé
des raifonnemens métaphyfiques , qui
ne peuvent s'accorder avec le langage
de la poéfie il a deffiné & peint plufieurs
tableaux en contrafte les uns avec
les autres . Tous ces tableaux font agréa
bles , & le ftyle général de l'Épître a
y
66 MERCURE DE FRANCE.
de la douceur , de la correction & de
l'élégance.
M. de Chabanon , dans les Idylles qu'il
a imitées en vers , ne s'eft attaché qu'à
celles qui fe rapprochoient un peu plas
de notre goût , foit par les fentimens
foit par les tableaux . Il y a quelquefois
dans les anciens , des beautés qui nou
font étrangères. Elles tiennent le plus
fouvent à des détails de moeurs , que
nous aurions peine à pardonner , parce
que de toutes les Nations modernes
nous fommes peut- être celle qui fait le
moins fe tranfporter hors de fes moeurs
& de fes ufages. Le François qui lit
reffemble affez au François qui voyage ;
il veut retrouver la France partout. Au
théâtre même , la plupart de nos Poëtes
ont été obligés de fe conformer à cette
foibleffe ou à ce befoin ; & , en peignant
des moeurs étrangères , ils les ont
rapprochées par des nuances adroites ,
des moeurs nationales . M. de Chabanon ,
dans fes Idylles en vers , à fuivi ces règles
de goût ; il a adouci ou effacé les traits qui
auroient pu bleffer notre délicateffe ; mais
pour fatisfaire en même- temps ceux qui
veulent connoître Théocrite tel qu'il eft ,
& ne peuvent le lire dans fa propre Lans
AVRIL 1777. 67.
gue , il en a donné une traduction exacte
en profe .
Čette traduction , outre le mérite de
la fidélité , a celui de l'élégance & de,
l'harmonie . Elle paroît d'un bout à l'au
tre écrite avec foin , à quelques négli
gences près , qu'il eft facile de corriger .
On y a blâmé auffi quelques inverfions
un peu trop poëtiques , qui , peut- être ,
font déplacées dans la profe , ou aux-,
quelles du moins notre oreille n'eft point,
accoutumée. D'ailleurs , chaque Idylle,
eft enrichie de notes , qui tantôt fervent
à éclaircir le texte , tantôt expliquent
des ufages ou des proverbes auxquels
le Poëte fait allufion. On y retrouve
auffi tous les paffages que Vir
gile , Horace , Ovide & Tibulle , &
quelques Poëtes modernes ont imités
de Théocrite. Cette érudition , pleine
de goût , inftruit à la fois & intéreffer
L'Ouvrage entier eft précédé d'un
Effai fur la poéfie paftorale , & les Poëtes
bucoliques de toutes les Nations . Théocrire
, Bion & Mofchus , chez les Grecs ;,
Virgile , Pétrarque , Bocace , l'Auteur
de l'Aminte , & celui du Paftor Fido ,
en Italie ; parmi nous , Racan , Ségrais
& Mde Deshoulières ; Fontenelle , qui
68 MERCURE DE FRANCE.
ne porta dans ce genre que la grace de
l'efprit , fans prefque jamais avoir celle
de la fenfibilité ; & la Morte , qui fut
encore plus loin de Virgile dans fes
Eclogues , que de la Fontaine dans fes
Fables ; qui prit des formes poëtiques
pour de la poéfie , & l'analyse du fentiment
pour le fentiment même : enfin ,
Pope en Angleterre , & le célèbre Gefner
en Allemagne , font appréciés & jugés
tour -à -tour dans cet Effai . L'Auteur
donne plufieurs raifons auffi ingénieufes
que fines du goût que la plupart des
Poëtes Allemands ont pour le genre de
l'Idylle , & pour la defcription des beautés
de la nature ; goût qui s'introduit à
peine en France depuis quelques années.
Nous invitons à lire ce chapitre dans
l'Ouvrage même.
On ofe réclamer ici fur le jugement
un peu févère que l'Auteur de l'Effai
a porté de Mde Deshoulières . Elle a
mis , dans la plupart de fes poéfies , un
fentiment doux & tendre , qui femble
demander grace pour le peu de variété
de fes idées ; & cette efpèce de molleffe
qu'on lui reproche , eft un charme de
plus dans les genres où l'ame femble
abandonnée à elle - même , & où le
AVRIL 1777 .
69
Poëte paroît n'écrire que pour foi , fans
fe douter qu'il ait des témoins qui l'obfervent
& qui l'écoutent. Rouffeau , qui
lui avoit déjà fait ce reproche , & qui ,
dans fes belles Odes , mérite notre admiration
à tant d'égards , femble rechercher
, dans tous fes Ouvrages , une perfection
trop laborieufe : il jugea plus
Mde Deshoulières d'après le caractère
de fon efprit , que d'après les règles générales
du goût. Car prefque tous les
jugemens fur les autres , font un retour
fecret fur nous-mêmes .
A l'égard du jugement parté par l'Auteur
de l'Effai fur la feule Eclogue que
Rouffeau lui-même ait compofée , nous
ofons être entièrement de fon avis ,
quoique quelques perfonnes de goût
femblent être d'un avis contraire. Il eſt
-vrai que les vers en font très-bien faits ;
mais ils ont tant de correction , qu'ils
manquent de douceur & de grace : toutes
les images font champêtres , & le ton
de l'Éclogue ne l'eft pas. Rouffeau , dans
cet Ouvrage , a prefque tout emprunté
de Virgile , excepté fon ame & fon efprit:
Il reffemble à ces Acteurs que nous
voyons quelquefois fur nos théâtres ,
qui , dans des Paſtorales , prennent des
70 MERCURE DE FRANCE.
A
habits de Bergers ; mais dont les at
rades , la phyfionomie & les regards
décèlent trop que c'eft un rôle étranger
qu'ils jouent.
Nous avons indiqué la plupart des
objets compris dans ce volume intéreffant.
Il a de quoi plaire aux gens de
lettres , aux gens du monde , s'ils veulent
bien ne pas tout rapporter aux moeurs
de la fociété où ils vivent ; & les Amateurs
de l'antiquité , dont l'état eft de
voyager fans ceffe hors de leur pays &
de leur fiècle , pourront encore trouver
à s'y inftruire. Nous croyons que c'est
un des Ouvrages de littérature les plus
eſtimables dans fon genre qui aient paru
depais quelques années.
Précis de l'Hiftoire Univerfelle , avec
des réflexions ; par M. l'Abbé Berardier
de Barant , ancien Profeffeur d'éloquence
en l'Univerfité de Paris ;
nouvelle édition , corrigée & augmentée.
A Paris , chez Berton , Libraire
, rue Saint-Victor , vis-à-vis le
Séminaire Saint-Nicolas.
L'étude de l'hiſtoire feroit bien vaine ,
le fruit qu'on fe propofe den tirer,
AVRIL 1777. 71
fe bornoit à retenir une fuite de faits
mémorables & d'époques certaines . Un
intérêt plus férieux & mieux raifonné , a
de tout temps déterminé les hommes à
confidérer avec attention l'admirable tableau
que leur préfente cette Reine des
fciences , ainfi nommée , non-feulement
parce qu'elle eft la fcience propre des
Rois , mais encore parce qu'elle eſt éga
lement utile aux Philofophes , en fourniffant
des exemples à la morale auffi
bien qu'à la politique. Auffi voit-on les
Princes , & tous ceux qui gouvernent
les Empires , chercher dans l'hiftoire des
règles de conduite , lorfqu'ils fe trouvent
dans des conjonctures embarraffantes
ou des lumières pour pouvoir pénétrer
dans l'avenir , lorfqu'ils craignent de ne
pas réuffir dans l'exécution de leurs deffeins
. On voit également les Sages puifer
dans la même fource , les exemples fur
lefquels ils fondent leurs préceptes , afin
d'attacher les hommes à la vertu par l'efpoir
certain d'une glorieufe récompenfe ,
ou de les détourner du vice par la crainte
des malheurs qui en font inféparables .
C'eft l'hiftoire enfin qui , formant dans
tous ceux qui la cultivent , une expérience
anticipée , donne à lear raiſon une ma72
MERCURE DE FRANCE.
turité qui devance l'âge , les met à l'abri
de toute furpriſe dans les événemens
imprévus , affermit leur courage , étend
leurs vues , & leur fait regarder d'un
il tranquille la fluctuation des chofes
humaines , & l'alternative continuelle des
profpérités & des revers. L'hiftoire peur
encore être regardée comme un tribunal
redoutable où le vice , long- temps impuni
ou même triomphant , eft enfin dégradé
de cette élévation qu'il avoit ufurpée ,
& livré pour toujours au mépris des races
futures : où la vertu opprimée & malheureufe
, reçoit auffi le jufte tribut qui
lui eft dû , l'amour & l'admiration des
fiécles à venir.
Mais , quelque grands que
foient ces
avantages , il en eft encore un auquel on
penfe peu , & qui eft cependant d'un
ordre fi fupérieur , que fans lui les autres
ne font rien , ou fe réduisent à très- peu
de chofe c'est celui de nous convaincre
;
intimement que Dieu gouverne tons fes
Ouvrages avec une autorité abfolue , de
nous découvrir les refforts principaux que
fa profonde fageffe met en oeuvre pour
donner le branle à toutes les affaires , &
de nous apprendre quel eft le but auquel
tendent les grands événemens , & les
révolutions
AVRIL. 1777- 73
révolutions furprenantes qui arrivent dans
le monde.
par
fon or-
En vain l'homme féduit
gueil , s'imagine -t -il être le maître des
événemens dans lefquels il intervient
En vain fe flattet-il que fa prudence
lui a fait choifir les moyens les plus
convenables affortis à fes deffeins , &
que c'eſt à fon habileté à manier les
efprits , qu'il doit l'avantage du fuccès.
Il ne peut pas fe diffimuler, s'il
eft de bonne foi , que rarement fes
vues font pleinement remplies , & que
fi elles le font , la docilité de ceux
avec qui il a eu à traiter , a été moins
l'effet de fa fupériorité fur eux , que celui
des circonftances où ils fe font trouvés :
il doit auffi avouer que ces circonftances
font rarement fon ouvrage , & qu'il n'a
fouvent d'autre mérite , que celui de les
mettre à profit.
Ainfi , quelque libre que l'homme foit
dans fes penfées & fes actions , il refte
roujours dans une entière dépendance
de celui qui difpofe des circonftances
felon fes deffeins éternels , qui donne ,
comme il lui plaît , la fageffe & le courage
aux uns & les refufe aux autres , &
qui lâche la bride aux paffions ou les
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
retient à fon gré. Or , la philofophie
Chrétienne nous enfeigne que c'eſt à
Dieu feul que ce pouvoir appartient.
C'est lui qui , fans bletler cette liberté
effentielle à toute créature raiſonnable ,
Ja fait fervir à l'exécution de fes deffeins.
i i..! ...!
Ce que nous difons en général , & que
chacun de nous peut éprouver en particulier
, devient d'une évidence palpable
dans la formation , la décadence & la
chûte des états. C'eft- là qu'avec un peu
d'attention , on reconnoît que ces révolutions
qui nous frappent fi vivement ,
ont leur première origine dans des événemens
qui ne dépendent en aucune
manière des hommes. La naiffance &
la mort des Princes , leur poftérité plus
ou moins nombreufe , la perte ou le gain
des grandes batailles , font les preniiers
moyens que Dieu emploie pour changer
la face de la terre , faire fuccéder les
Empires les uns aux autres , élever &
renverfer les Royaumes. Le fruit princi
pal que nous devons retirer de l'hiftoire ,
doit donc être de nous faire remonter
·juſqu'à cette main fupérieure qui conduit
ces grands événemens , & qui les
fait fervir toujours à l'exécution de fes
deffeins.
AVRIL. 1777. 75
»
: « Je regarde donc l'étude de l'histoire ,
( dit M. le Chancelier d'Agueffeau ,
tome premier de fes Euvres ) comme
» l'étude de la Providence , où l'on voit
que Dieu fe joue des fceptres & des
Couronnes ; qu'il abaiffe l'un , qu'il
» élève l'autre , & qu'il tient dans fa
main , comme parle l'écriture , cette
coupe myſtérieufe , pleine du vin de
fa fureur , dont il faut que tous les
pécheurs de la terre boivent à leur
» tour ..... Si Dieu ne parle pas tou-
» jours , ajoute cet illuftre Magiftrat ,
» il agit toujours en Dieu. Sa conduite
peut être plus ou moins manifeftée
au dehors ; mais au fond , elle eſt tou-
» jours la même ; elle fe montre par-tout
» à quiconque a des yeux pour la recon-
27
落
noître ; & comme la contemplation des
» chofes naturelles nous élève , par degrés,
jufqu'à la première caufe phyfique qui
influe en tout , & fans laquelle tous
les autres êtres font ftériles & impuiffans
; ainfi l'étude des événemens humains
nous ramène à la première caufe
» morale de tout ce qui arrive parmi les
hommes : enforte que ceux qui ne
trouvent pas Dieu dans l'hiftoire , &
qui ne lifent pas fa grandeur , fa puiſ-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fance , fa juſtice dans les caractères
» éclatans qu'elle en trace à des yeux
éclairés , font auffi inexcufables que
» ceux dont parle S. Paul , qui , à la vue
» de l'univers , de l'ordre , du concert
» & de la proportion de toutes fes parties
, s'arrêtoient à la créature , fans
remonter au Créateur.
» C'eſt ainfi , dit-il à fes enfans , que
l'étude de l'hiftoire , fondée fur les
principes de la vraie philofophie , c'eſt-
» à -dire , de la Religion , nourrit la vertu ,
élève l'homme au deffus des chofes de
la terre , au- deffus de lui- même , lui
infpire le mépris de la fortune , fortifie
fon courage , le rend capable des plus
grandes refolutions , & le remplit en-
» fin de cette magnanimité folide & véritable
, qui fait non-feulement le Hé-
» ros , mais le Héros Chrétien » .
"
iss
Peut-on ne pas regretter , en admirant
la nobleffe du pinceau avec laquelle
ce grand Magiftrat a tracé les avantages
de l'hiftoire , qu'il n'ait pas pu confacrer
une partie de fon loifir à nous donner
l'hiftoire de fa Nation . On l'auroit vu
bientôt affis à côté des Thucidides & des
Tacites , comme il l'a été dans le Sanctuaire
des loix à côté des Licurgue &
* 777. 79
A VR
des Solon. Il a lai
vrage bien propr
égard , les regre
vie de fon père
pour l'inftruction
qui a toujours é
chef- d'oeuvre d'é
ment , par tous
heur de la lire .
our en progiateur
, il
gle dans
leau :
78 MERS
tique des
crit
tes
a ofé foutenir que la Religion Chictienne
n'étoit propre qu'à rendre l'homme
ifolé , pufillanime & indifférent pour
les intérêts de fa Nation , en lui infpirant
de vaines terreurs , ou en le détachant
trop
de toutes les chofes d'ici- bas ,
c'eft venger cette même Religion contre
tous ceux qui la calomnient , & contribuer
au bonheur de la fociété , que
de mettre au jour la vie de ces hommes
rares qui ont fçu concilier , comme
le père de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
le refpect pour la Religion , & la pra-
Cent volumes de Sermons , difoit le fameux
Bayle , ne valent pas cette vie-là ( en parlant de
celle de M. Pafcal ) & font beaucoup moins
capables de défarmer les Impies . L'humilité & la
dévotion extraordinaire de M. Pafcal , mortifient
plus les libertins , que fi ou lâchoit fur eux une
douzaine de Miſſionnaires.
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE.
tique des devoirs auftères qu'elle prefcrit
, avec tous les talens fublimes & toutes
les vertus patriotiques que le monde
révère. Citoyen zélé , fujet fidèle , père
tendre , ami des malheureux , Magif
trat incorruptible , habile Jurifconfulte
& homme d'État , le père de M. le
Chancelier d'Agueffeau avoit fçu réunir
toutes ces qualités au plus haut degré ,
& les mettre fous la fauve-garde d'une
piété tendre & éclairée qui ne fe démentit
jamais. Defpréaux , ce jufte appréciateur
du mérite , le dépeignit d'un feul
trait , en difant de lui d'un ton prefque
chagrin C'est une vertu qui défefpère
l'humanité. D'après cette idée , fi bien
juftifiée par toutes les actions de la vie
de ce Magiftrat , pourroit-on ne pas defirer
ardemment la publication d'un Ouvrage
où elles fe trouvent confignées ?
Telle eft la deftinée des perfonnes.
conftituées en dignité. Leurs exemples
trouvent toujours des imitateurs , &
leurs moeurs forment bientôt les moeurs
publiques . Ainfi , l'hiftoire qui nous les
tranfmet , & qui n'eſt autre choſe que la
morale miſe en action , devient la meilleure
de toutes les Ecoles.
C'eft fous ce point de vue que M. l'A.
B. confidère l'hiftoire des Empires &
AVRIL. 1777. 79
des grands hommes . Mais , pour en profiter
, dit le judicieux Abréviateur , il
faut de l'ordre & de la méthode dans.
la lecture . L'hiftoire eft un vafte tableau :
pour juger de fon prix , l'oeil doit ſaifir
fon ordonnance : c'eft une riche architecture
; il ne fuffit pas d'examiner un portique
, un périftile , une galerie , il faut
en découvrir l'enfemble & les rapports :
c'eſt une excellente Tragédie ; vous affiftez
au dénouement , fans en avoir fuivi
l'action & l'intrigue ; vous en rappor
rez quelques vers , quelques épifodes ;
c'eft affez pour vous faire applaudir dans
nos cercles brillans , mais non pas pour
vous faire porter de la pièce un jugement
équitable.
Pour prévenir ces inconvéniens , l'Auteur
du Précis enfeigne qu'il faut commencer
par fe faire un plan général &
raccourci de l'hiftoire du monde entier.
Lorfque , d'un coup- d'oeil , on en faifiroit
l'enchaînement depuis la création jufqu'au
Meffie , & de- là jufqu'à nos jours ,
il feroit aifé de mettre de l'ordre dans
les connoiffancés de détail. Ce feroit un
vafte répertoire , où viendroient naturellement
s'enchâffer les hiftoires particulières
des Empires , des Provinces , des
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
grands hommes : plus de défordre , plus
de confufion à craindre : un fait en amèneroit
un autre ; & l'efprit , prefque fans
effort , verroit la liaifon des événemens ,
les intérêts de ceux qui agiffent , les
effets & les vices de leur conduite. Ainfi
les caractères , dans la main de l'Imprimeur
, viennent prendre leurs places , &
par leur union , forment un tout auffi
utile qu'ingénieux .
M. Boffuet fentit autrefois la jufteffe
de cette idée , & ce fut le plan qu'il
fuivit pour former le coeur & l'efprit du
Prince , qui fembloit devoir être un jour
la gloire & le bonheur des François .
Dans cette vue , il fe propofa de renfermer
dans les bornes d'un difcours
l'histoire du monde : il l'eût exécuté >
fi fa vie eût été auffi longue que fon
génie étoit vafte. La mort nous a ravi
une partie de ce bel Ouvrage . L'Auteur.
du Précis , content de fuivre les traces
de ce grand homme , s'eft propofé ſeulement
de faciliter la connoiffance de
l'hiftoire , & de placer , pour ainfi dire
fous un feul point de vue , le grand
fpectacle de l'univers. Son ouvrage ,
par le choix des événemens , &, par les
réflexions judicieufes qui les accompa - 1
›
AVRIL. 1777 .
81
gnent , peut fervir d'introduction & gui
der les pas de ceux qui fe livrent à cette
étude , fi néceffaire & fi agréable. Ignorer
ce qui s'est fait avant nous , dit Cicéron
, c'eft être toujours enfant. Qu'eft- ce ,'
en effet , la durée de l'homme , fi le'
fouvenir des chofes paffées n'unit point
fa vie avec les temps qui l'ont précédée ?
, que
Au rette , l'Auteur du Précis n'a nullement
prétendu , en indiquant les faits
de la manière la plus fuccinte , difpenfer
le Lecteur du foin d'aller puifer dans les
fources , ou du moins de confulter les
grands Ouvrages hiftoriques que nous
pollédons. Il a plutôt cherché à fournir
à ceux qui s'étoient livrés à une longue
étude , une efquiffe propre à leur rappeler
en un inftant tout ce qu'ils ont
appris. C'eft ainfi que fon Ouvrage eft
également utile à ceux qui commencent
cette étude , & à ceux qui y ont déjà
fait des progrès.
Cathéchifme Philofophique , ou Recueil
d'Obfervations propres à défendre la
Religion Chrétienne contre fes ennemis
, par M. l'Abbé Flexier de Reval.
A Paris , chez Berton , Libraire , rue
Saint-Victor.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
:
Les grands Catéchifmes que nous poffédons
, ont été publiés dans des époques
où l'efprit d'indépendance & de
contention n'avoient point encore cherché
à ébranler les principes lumineux qui
ont conduit nos pères à la Religion Chrétienne.
Les attaques étoient alors trop
obfcures & trop ifolées , pour ofer leur
donner de la célébrité par des réfutations
volumineufes mais le fiècle où
nous vivons , exige qu'on infifte fur les
preuves victorieufes de la vérité de notre
Religion , & qu'on les rende familières
& afforties à tous les efprits. Tel eft le
butque
s'eft propofé & qu'a fi bien rempli
l'Auteur du Catéchifme , fi juftement
appelé Philofophique . En effet , la
vraie philofophie mène à la Religion ,
parce qu'elle feule eft en état de
bien apprécier l'affemblage de toutes les
preuves qui établiffent la néceffité de la
révélation , la vérité des Livres faints ,
la fainteté des dogmes , & la pureté de
la morale Chrétienne . Notre Catéchifte
a fu réunir avec un choix judicieux , toutes
ces différentes preuves , & en a formé
comme un corps de lumière capable de
diffiper tous les nuages. Abfurdités inconcevables
de l'Athéifme , détruites de
1
AVRIL 1777. 83
&
fond en comble par l'admirable concert
des preuves de l'existence d'un Être Suprême
; fpiritualité , immortalité ,
liberté de l'ame , démontrées avec l'éloquence
d'un Orateur Philofophe ; les
rapports de nos efprits avec Dieu , rendus
auffi fenfibles que ceux des corps
entr'eux ; bornes & infuffifance de la
raifon humaine , qui fervent à nous montrer
la certitude de la révélation divine ;
caractères éclatans qui diftinguent cette
révélation , & qui la mettent fi fort audeffus
des doctrines des meilleurs Philofophes
de l'antiquité ; multitude de Prophéties
qui ont annoncé , dans le plus
grand détail , les différens caractères du
Meffie , & qui ont été vérifiées & accom
plies fenfiblement dans la perfonne de
Jefus-Chrift : Prophéties fi bien circonftanciées
, qu'elles femblent plutôt des
hiftoires que des prédictions ; vérité des
miracles
rapportés dans les livres de
l'ancien & du nouveau Teftament
avoués par les Juifs & par les Payens ,
& d'un caractère au-deffus de tout foupçon
d'impoſtures témoignage unanine ,
conftant & invariable , que les Apôtres.
ont rendu à la Religion de Jefus Chrift
lequel témoignage eft revêtu de toutes
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
les preuves que l'on peut exiger des témoins
également inftruits & irréprochables
; miracles nombreux opérés par les
Apôtres même , qu'on ne peut comparer
aux faux prodiges des impofteurs , qu'en
renonçant à la bonne foi & à une faine
logique ; courage & patience forhumaine
des Difciples de Jefus-Chrift au miheu ,
des tourmens les plus affreux ; progrès.
étonnant & rapide de l'Evangile dans
tous les pays du monde , fans le fecours
d'aucun appui humain , au milieu des
plus fanglantes perfécutions , & d'une
confpiration générale pour l'étouffer dès
fa naiffance. La vengeance terrible que
la Juftice divine a fait éclater fur le peu
ple Juif en punition de fon incrédulité &
de fon attentat contre la perfonne du fils
de Dieu , par l'affreufe deftruction & la
défolation de la ville & du temple de Jérufalem
, & le prodige toujours fubfif
tant de fa confervation parmi les différentes
Nations où il eſt répandu , ſans
jamais s'être confondu , durant une longue
fuite de fiècles , avec aucun peuple ,
& fans s'être départi de fon attachement
inviolable à la Loi de Moyfe , à fes Prophêtes
, à fes Livres facrés , à l'efpérance
d'un Meflie qu'il attend encore vaineAVRIL.
1777.
ment , quoique les termes fixés pour le
temps de fa venue foient tous écoulés
depuis long-temps. Dans un fpectacle
fi fingulier , expofé aux yeux de toute la
terre , peut-on ne pas reconnoître un
effet admirable de la divine Providence
qui , en faisant éclater fa jufte colère fur
ce peuple incrédule , veut néanmoins
qu'il fubfifte perfévéramment , non-feulement
pour qu'il foit un témoin perpétuel
& non fufpect des anciennes Prophéties
qui ont précédé de plufieurs fiècles
la venue du Libérateur , mais encore ,
comme la Religion nous l'apprend , afin
de lignaler un jour envers lui fa grande
miféricorde , en lai ôtant le voile épais,
qu'il a fur les yeux , & en lui faifant reconnoître
& adorer , avec les fentimens
d'une foi vive & du repentir le plus
amer, de même Jefus de Nazareth que
fes pères ont crucifié , & qu'il blafpheme
encore lui-même : l'accompliffement
palpable des deux grands événemens
clairement prédits par les Prophetes , qui
ont annoncé , en premier lieu, comme une
des fuites les plus remarquables de la venue
du Mffie , que les Nacions , jusqu'alors
plong es dans l'idolâtrie , crai
roient en lui , adoreroient le feul vrai
88 MERCURE DE FRANCE.
"
ce Catéchifme , qui feul fournira aux fidè
les , toutes les armes fpirituelles, dont ils
ont befoin pour repouffer les attaques des
ennemis de la Religion Chretienne. Les
Lecteurs de tout âge y trouveront des
inftructions folides , & même une érudition
variée qui intéreffe & qui attache.
Quant aux excurfions qu'on a cru devoir
faire par rapport aux difputes théologiques
, nous nous en tenons aux fages
réflexions du Catéchifte : « Le caractère
» de ces difputes , dit-il , parmi les Théologiens
fages , eft , 1º. de n'embraffſer
jamais des matières décidées fur lefquelles
l'écriture ou l'Eglife ont porté
un Jugement ; & tandis que lés Philofophes
ne s'accordent fur rien , pas
» même fur l'existence de Dieu , comme
» nous l'avons montré plufieurs fois , les
Théologiens font d'accord fur tout ce
qui importe à la Religion in neceſſa-
» riis unitas, 2°. D'ufer d'une liberté
» éclairée dans des chofes vraiment dou-
» teufes ; de n'affecter ni la fingularité , ni
l'audace , & de donner comme incertain
ce qui l'eft effectivement : in dubiis
» libertas. 3 ° . De conferver inviolable-
» ment la charité , & de ne jamais aigrir
les coeurs en faveur d'une opinion : in
"
N
K
AVRIL 1777 . 89
omnibus caritas » . Qu'on faffe une jufte
application de ces principes , & nous
jouirons d'une paix folide & durable .
Hiftoire de Lorraine , par M. l'Abbé
Bexon , tom. I , in-8 ° . A Paris , chez
Valade ; à Nancy , chez Babin , &
les principaux Libraires .
Cet Ouvrage , annoncé déjà depuis
quelque temps , paroît répondre au defir
& à l'attente du public. L'hiftoire de
Lorraine , toute intéreffante qu'elle eft ,
n'avoit point encore été traitée de manière
à s'attirer des Lecteurs ; celle - ci ,
artache & plaît en même-temps. Une
louange non équivoque pour un Ouvrage
, eft celle qu'on peut tirer de luimême
en le citant : voyez le début d'un
grand tableau des premiers temps &
des premiers peuples du pays.
Cette terre où nous vivons aujour
d'hui , ( mais elle avoit alors un autre ,
afpect ) fut habitée par les Belges les
» plus fiers d'entre les Gaulois. Un fol
que la main de l'homme n'avoit en- ,
» core ouvert qu'en quelques endroits ,
fe couvroit prefque par- tout de vaftes
n forêts , à travers lefquelles couloient ,
22
90 MERCURE
DE FRANCE.
» s'étendoient des rivières , dont rien
n'arrêtoit , ne précipitoit le cours. Sur
» ces bords où l'homme & la nature
» étoient libres ; fous un ciel plus froid ,
chargé de plus d'humidité , voilé par
» un ombrage éternel , erroient , fe fixoient
les peuplades des Gaulois mê-
» lées avec les troupes des Germains...
» Soit que la nature du climat ne fut
point encore affez uniforme , foit que
» le commerce & les arts n'euffent pas
» encore réuni affez d'intérêts ' pour
»former un grand corps de Nation ,
» les peuples de la Belgique , divifés par
» cantons & par peuplades , voifines encore
de la fimplicité de l'état Sauvage ,
» n'avoient pu s'affembler & s'unir pour
compofer un État; & nous n'apprenons
leurs différens noms qu'à mefure que
»les Romains les eurent fucceffivement
» à combattre . Céfar étoit entré dans
les Gaules. L'orient & le midi fubjugués
, Rome portoit aux bornes du
couchant fa grandeur & fon orgueil.
" Il falloit que tout s'abaifsât devant elle ,
» & que tout peuple fut fon efclave.
» Tel fut fon génie , que l'on admire ;
tel fut fon afcendant , que l'humanité
» détefte. Les Empires étoient briſés ,
.
AVRIL. 1777 . 91
» les Rois abattus à fes pieds : il lui
» reftoit à venir troubler ces plages
où régnoit la nature paifible & foli-
» taire. Ces forêts profondes , ces rives
» d'un océan inconnu , une terre qui
» n'avoit vu encore que fes propres en-
» fans , s'étonnèrent & s'émurent , quand
l'aigle Romaine parut fur cet horifon
fauvage , à fon extrémité feptentrio-
" nale , & c. "
و د
M. L. B. fuit & remplit le plan qu'il
s'eft propofé : trois Difcours renferment ,
dans une expofition rapide , mille ans de
révolutions. Les Belges conquis par les
Romains ; ces maîtres du monde entrainés
à leur tour par le torrent des barba
res ; l'Auftrafie formée au fixième ſiècle ,
& des débris de ce Royaume , la Lorraine
naiffante au dixième , forment l'introduction
de fon hiftoire. M. L. B. y
renferme non- feulement les événemens
dont la fuite amène à la formation de
l'Etat , & aux premiers règnes des Ducs
de Lorraine ; mais il parcourt encore tous
les reftes d'antiquités qu'on remarque
dans le pays ; & , fur cet objet curieux , fes
recherches étendues paroiffent ne laiffer
rien à defirer. C'eft avec fierté qu'il trace
les premiers traits de ce grand tableau.
22 MERCURE DE FRANCE .
Les Gaules , dit- il , vont ne plus offrir
» qu'invafions & ravages de barbares.
» Les traces de la Majelté Romaine s'ef-
» facent ; ces caractères de grandeur que
» portoient en tout les entrepriſes des
» Maîtres du monde , leurs ouvrages &
» leur génie difparoiffent : il n'eft plus
» de Romains. Mais leurs monumens
» confervent encore fous les ruines l'emn
preinte de la grandeur de leur ame ,
» & d'une nature fupérieure à celle des
» hommes de notre âge. Ils comman-
» doient à la nature . Les monts & les
❤abyfmes s'applaniffoient en routes per-
» cées à travers de vaftes pays , jufqu'aux
» bords de l'océan . Leurs édifices majef-
» tueux , fembloient impofer à la terre un
refpe&t éternel pour les hommes qui
» les avoient habités. Les pays dont
nous écrivons l'hiftoire , offrent en-
» core ici plufieurs endroits de ces magnifiques
ruines , & c. » Suivent de
riches détails , auxquels il faut joindre
ceux qu'on lit aux articles le Pois &
Bugnon , M. L. B. ranime les cendres de
cette antiquité , par une fenfibilité vive &
touchante . En rapportant les infcriptions
Romaines trouvées à Metz : « De deux
» incriptions Grecques , dit-il , l'une eft
AVRIL. 1777. 93
"
30
» aux mânes d'Apollonius , Médecin
» Méthodique ; dans l'autre , eft ce Kaïre
fréquent fur les tombeaux des Grecs ,
» ce trifte & long adieu qu'on fe dit à
» la mort , dans l'efpérance de fe revoir
» dans une plus heureuſe vie ; c'eſt un
fils qui le dit à fa mère : Mèter Kaire.
Unautel aux Divinités Mira ou Maira ,
nom celtique des Nymphes , Driades ,
» Pomones . Déités Mères ou Nourri-
» cières , qu'on voit repréſentées avec la
corne d'abondance & des amas de
fruits : ( in honor. Dom. Div . Dis Mai-
» rabus. Vicani Vici Pacis. ) Prefque
» toutes les pierres fépulcrales portent
» en relief une , ou plus fouvent deux
figures , l'époux & l'époufe . On leur
» voit à la main gauche le coffrer où ,
» fuivant le rite des Celtes , qui paroît
adopté par les Romains dans les Gau-
» les , on mettoit ce que l'on croyoit
» néceffaire aux morts pour leur paffage
» dans l'autre vie. La piété des anciens
- » & leur tendreffe dans leurs infcrip-
» tions funéraires , font remarquables &
» touchantes : c'eft un époux qui fe pré-
» pare la fépulture à côté des cendres de
fon époufe. L'Et fibi viva , vivo , font
des formules fréquentes fur leurs tom-
»
94
MERCURE DE FRANCE .
02
beaux ( D. M. Caniani Jullini Maxi
miola conj. & fibi viva ponend. C. ) Ce
font des parens infortunés qui gémif
fent fur l'urne d'une fille enlevée à la
» Aeur de l'âge ( D. M. Oreftilla
Jul. Dorcadi filia dulciffima Jul. Spurina&
ftatiliaparentes infeliciffimi, Vix.
» ann. XIV. ) Telles font les plus inté-
» reffantes de ces infcriptions recueillies
» par Meuriffe & Gruter ».
En parlant d'Antoine le Pois , Médecin
Lorrain , & docte Antiquaire , dont on
a un Livre eftimé fur les médailles Romaines
& les gravures antiques : " Le
» Pois , dit - il , eft infiniment louable
d'avoir cultivé cette belle partie , trop
» négligée parmi nous. Les veftiges de
» cette Majesté Romaine , empreinte encore
en plufieurs lieux de la terre que
» nous habitons , vont s'évanouir , & la
génération prochaine va nous reprocher
d'avoir laiffé périt entre nos mainst
les derniers reftes de l'antiquité , & ces
précieux monumens d'un peuple qui
fit l'honneur du monde » . Et en terminant
cet article : Tels font les lieux
que les Romains paroiffent avoir ha
» bités dans la Province , & cù il refte
» de leurs veftiges . Nous ne doutons pas
AVRIL 1777. i95
que plufieurs perfonnes ne nous fachent
gré de les avoir ici raffemblés .
» C'étoit ranimer les cendres du docte
le Pois. Lui-même il fit fes plaiſirs de
» cette belle antiquité , & travailla à ce
qu'elle ne pérît pas tout entière . Sou-
» vent affis dans ces ruines , il fentit s'en
élever l'enthoufiafme , & fut faifi du
génie qu'on croit voir y errer encore ».
Les règnes des Ducs de Lorraine , ces
Princes fi fameux par leur valeur & leur
bonté , préfentés , finon avec une ſuite
d'événemens que les lacunes des annales
He permettent pas de fuivre dans une
haute antiquité , le font du moins toujours
avec patriotifme. Un ftyle auquel
l'âge & le goût donneront fans doute plus
de correction & d'égalité , eft quelquefois
plein d'énergie : « C'étoit une des
во
anciennes prérogatives de la Couronne,
que les Ducs de Lorraine fuffent feuls
» en droit d'affigner le champ , & de juger
dés duels entre la Meufe & le Rhin.
Le Comte de Bar atraqua ce droit. Il
" fut convenu que le Duc demeureroit
feul en poffeffion des duels des Gen-
» tilshommes , & que le Comte pourroit
néanmoins préfider à ceux de fes
vaffaux . Quant aux duels ,dont le Comte
21. A
96 MERCURE
DE FRANCE.
"
» de Vaudemont & l'Évêque de Verdun
prétendoient connoiffance entre leurs
fujets , le Duc voulut en avoir raiſon.
» Ainfi , dans des fiècles aveugles , le
» fanatifme & la tyrannie fe partagent
» leurs droits barbares , fans imaginer
feulement qu'ils peuvent outrager la
Thiébaut II fuivoit
و د
"
nature ..
» l'Empereur Henri VII en Italie : une
» maladie de langueur le faifit à Milan
» d'où il revint en Lorraine , portant le
» germe de la mort. On crut qu'il avoit
» reçu un poiſon lent , fans favoir de
quelle main. Malheureux fort des
» Grands , pour qui font infectés les
29
"
"
doux élémens de la vie ! Mais une
fécurité du moins leur refte ; un antidote
peut leur être offert : ce n'eſt pas
» de l'innocent qu'ils auront protégé ,
» de l'infortuné dont ils auront eu pitié ,
qu'ils ont à craindre le poifon : qu'ils
prennent leur pain de cette main- là ,
» il fera affaifonné de la fanté , de la vie,
» de l'immortalité ». Il parle de ces fameufes
Affifes , dans lesquelles la nobleffe
de Lorraine jugeoit elle - même les caufes
de fes Membres. « Durant tout le temps
» des Affifes , de l'aller & du retour , on
» ne pouvoit faifir les biens des Cheva-
» liers
AVRIL. 1777. 97
"
» liers , ni pourfuivre contre eux aucune
» action civile. L'État protégeoit des mo-
» mens qu'ils confacroient au bien pu-
» blic. Ils jugeoient fouverainement ,
» fans frais ni révision de procès.
Chaque mois , les Affifes fe tenoient
» en trois différens lieux ; à Nancy , à
Vaudrevange c'étoient les Affifes
» d'Allemagne ; à Mirecourt , c'étoient
» celles de Vofges. Les Chevaliers fe
"
">
"
plaçoient tous , fans préféance ; alors
» les Avocats entroient . Le plus habile
» étoit celui qui parloit le plus claire-
» ment & le plus fuccintement . Les Ju-
» gemens étoient fommaires , fondés
» fur une Jurifprudence conftante , tranſ-
» mife dans notre Coutume : refpectés ,
fans reproche & fans atteinte durant
» fix fiècles , ces hommes vraiment
» nobles , fans autre récompenfe que de
» faire le bien , fans autre falaire que
l'honneur , furent les Juges de leur
pays. Un Chevalier avoit le droit de
plaider lui- même fa caufe , celle de
» fon ami & celle des pauvres . Précieux
privilége confervé à l'amitié & à l'hu-
» manité ».
ود
ور
Une notice des hommes illuftres du
pays , qu'on peut regarder comme fon
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
hiftoire littéraire , termine ce volume ,
& n'en est pas la partie la moins neuve
& la moins agréable . En parlant de peinture
, M. L. B. eft Peintre lui même .
Voyez cet article du fameux -le -Lorrain :
"
Claude Gelée , dit le Lorrain , fa-
» meux Payſagifte , né à Chamagne en
» 1600. Ce génie , qui devint fi beau à
»l'école de la nature , n'apprit rien des
» hommes. Il paroiffoit ftupide. Il ne fut
jamais lire . Mené à Rome par la misère
& le hafard , il fervoit & broyoit
des couleurs chez Auguftin Taffi . Il vit
» deffiner : il étoit né Peintre. Il paffoit
» les jours & les nuits dans les champs
» à obferver les divers effets de la lu-
» mière & des ombres , l'aurore & le
>> couchant , l'arrivée des nuages , les
pluies & le tonnerre . Plein de ces fuperbes
images , il fe renfermoir pour
» les reproduire avec toute leur énergie .
Dans fes aurores , on voit la lumière
remplir peu-à-peu la profondeur du
ciel , baigner l'horizon , chaffer les
» nuages , la rofée tomber fur les herbes
, les champs fe réjouir à l'arrivée
» du jour. Les arbres , dit Sandrat , fon
contemporain , paroiffent agités , & il
femble entendre le vent bruire dans leurs
"
33
AVRIL 1777. 99
"
32
feuillages. Dans fes couchans , un air
plein de feu colore tous les objets ,
échauffe les montagnes , tout l'horizon
plongé dans une fplendeur rougeâtre ,
» exhale & élève fes dernières vapeurs.
» Jamais Payfagifte ne fut plus frais &
plus vrai dans fes teintes : tout y eft
fondu , tout y eft d'un accord admi-
» rable. Les différentes heures du jour
» fe lifent dans fes tableaux ; l'air femble
y paffer , & fes lointains fuient.
→ Souvent la nature , fous le pinceau de
» cet aimable Artifte , parut fe laiffer
égaler ». D'un grand nombre d'articles
dont cette notice eft compofée , les
uns font remarquables par une érudition
.affez neuve ; les autres par une force &
une expreffion particulières. Le fecond
volume de l'hiftoire de Lorraine , offrira
des temps modernes , les règnes bienfaifans
de Léopold & de Stanillas . Le troifième
fera l'hiftoire naturelle du pays ,
Ouvrage très intéreffant. Tels font les
-travaux , bien dignes d'encouragement ,
-de ce jeune Auteur , déjà avantageufe-
-ment connu par un Catéchifme d'agriculature
, Livre utile & patriotique * , & par
»
* Chez-Valade , rue S. Jacques.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
le Syftême de la fertilifation , cité avec
éloge par l'illuftre M. de Buffon.
Nouvelles expériences fur la réfiftance des
Fluides , par MM. d'Alembert , le
Marquis de Condorcet & l'Abbé Boffut.
1 vol. in-8 ° . , chez Jombert , à Paris ,
rue Dauphine.
Il y a quinze ans que M. l'Abbé Boffut
a jeté les fondemens d'un corps d'obfervations
& d'expériences fur le mouvement
des fluides dans fon Hydrodynamique
, Ouvrage vraiment neuf & original
, qui a eu le plus grand fuccès dans
toute l'Europe. En 1775 , cet Académicien
fut chargé , conjointement avec MM.
d'Alembert & le Marquis de Condorcet ,
de faire des expériences fur la réſiſtance
des fluides , pour s'affarer fi les loix que
donne la théorie , font conformes à celles
que donne la nature.
En conféquence , on fit conftruire plufieurs
vaiffeaux de formes & de dimenfions
différentes , auxquels on ajouta fucceffivement
des proues angulaires de plufieurs
espèces , qui formoient des plans
obliques au choc du fluide , & des proues
cylindriques , ou qui avoient d'autres
AVRIL. 1777. IOL
courbures. A l'extrémité d'une grande
pièce d'eau fituée dans l'enceinte de l'É
cole Militaire , dont la longueur eft de
cent pieds , la largeur de cinquante-trois
pieds , & la profondeur de fept pieds ,
on avoit placé un mât planté verticale
ment , & de foixante-feize pieds de hauteur
deux poulies égales étoient attachées
, l'une au haut du mât , l'autre au
pied , & recevoient un cordon de foie ,
dont l'une des extrémités étoit attachée
au vaiffeau , & l'autre à un poids moteur
au haut du mât. On avoit auffi planté
fur l'un des bords du baffin , plufieurs
piquets , à cinq pieds de diftance l'un de
l'autre. Avec cet appareil, qui eft fort fimple
, & au moyen du poids moteur abandonné
à fa propre pefanteur , on a fair
courir fur le baflin un grand nombre de
fois chaque vaiffeau. Des Obfervateurs
placés à chaque piquet fur l'un des bords
du baflin , bornoyant des points correfpondans
fur le bord oppofé , déterminoient
l'inftant où le vaiffeau , par fon
mouvement , répondoit à chaque alignement
, en prêtant l'oreille à la voix d'une
perfonne qui comptoit hautement les
ofcillations à demi-fecondes d'une excellente
pendule.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
C'eft ainfi que l'on a fait près de trois
cents expériences différentes , à différentes
flottaifons , & dont chacune a été
répétée fouvent fept à huit fois : par- là ,
on s'eft procuré un très - grand nombre
de faits bien avérés , pour les réfiftances
directes & pour les réfiftances obliques.
On a eu la plus fcrupuleufe attention de
ne faire ufage des expériences , que lorfque
le mouvement étoit reconnu parfaitement
uniforme. Ce travail laborieux &
aflidu a duré plus de trois mois .
Un objet bien important , & dont
Pidée n'appartient qu'à nos trois illuftres
Géomètres , eft celui des expériences dans
des canaux étroits. En effet , la plupart
des expériences qui ont été faites dans
le fluide indéfini , ont été répétées dans
un canal étroit de foixante-quinze pieds
de longueur , pratiqué dans le même
baffin . Le fluide du canal étroit étoit
refferré par un plan bien horizontal
élevé à une certaine profondeur du baffin
, & par deux cloifons mobiles , verticales
& toujours parallèles , qu'on pouveit
rapprocher ou éloigner l'une de l'au
tre à volonté. On a fair varier plufieurs
fois les dimenfions de ce canal en largeur
& en profondeur : on a aufli fermé
AVRIL. 1777 103
& ouvert alternativement les deux bouts
de ce canal , afin de comparer ces deux
cas entr'eux , avec celui dans le baffin.indéfini
en tous fens,
M. l'Abbé Boffut a calculé dix tables
différentes des rapports des réfiftances ,
tant directes qu'obliques , fuivant la théor
rie comparée avec les expériences. Ces
tables font compofées chacune de plu
fieurs colonnes , qui renferment les efpeces
de vaiffeau qui ont couru , l'ordre
des expériences , les temps employés à
parcourir les différens efpaces , les valeurs
des frottemens , les expériences
comparées , les poids calculés & éprouvés
, qui donnent les réfiftances fuivant
la théorie & l'expérience , en ayant égard
ou non au remou central & latéral , c'eft,
à-dire , à la hauteur de l'eau qui fe lève ,
tant au- devant qu'à côté de la proue.
D'après plufieurs applications qu'il fait
de la formule que donne la théorie à
l'expérience , il trouve qu'il faut abandonner
en général la loi du quarré du
Sinus de l'angle d'incidence , pour déter
miner les réfiftances ou les percuffions
qui proviennent des chocs obliques . M.
l'Abbé Boffut fait plus ; il démontre
d'une manière très-ingénieufe , qu'il n'y
a aucune autre puiffance qu'on puiffe
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fubftituer à la feconde puiffance du Sinus
en queſtion : il eft le premier qui ait
fait cette remarque importante , & qui
ait par- là terminé toute difcuffion fur
cet article.
les
Il obferve enfuite , qu'à caufe que
réfiftances des fluides contenus dans des
canaux étroits ou peu profonds , font
beaucoup plus grandes que celles des
fluides indéfinis en tous fens , il eſt eſfentiel
de donner aux canaux de navigation
, le plus de largeur & de profondeur
qu'il eft poffible , & d'éviter , fi l'on
peut , de percer des montagnes pour le
cours des eaux , parce que la navigation
eft incomparablement plus facile & plus
prompte dans un canal à ciel ouvert ,
que dans un canal fouterrain : il ne
s'agit pas en effet de fe propofer la gloire
de vaincre des difficultés : un canal eft
un objet d'utilité , & non un monument
d'oftentation .
Il réfulte de toutes ces expériences ,
& des calculs expofés dans cet excellent
Ouvrage ,
1 °. Que les réfiftances qu'éprouve un
même corps , de figure quelconque , mu
avec différentes viteffes dans un fluide
indéfini & dans un canal étroit , font
} 105 AVRIL. 1777.
fenfiblement proportionnelles aux quarrés
des vîteffes .
2 °. Que les réfiftances perpendiculaires
& directes de plufieurs furfaces
planes , mues avec la même vîteffe ,
font fenfiblement proportionnelles aux
étendues de ces furfaces.:
13°. Que les réfiftances qui proviennent
des mouvemens obliques dans un
fluide indéfini , ne fuivent pas la raiſon
des quarrés , ni d'aucune autre puiffance
des finus des angles d'incidence : ainfi ,
la théorie ordinaire de la réfiftance des
fluides doit être, abandonnée , fi les angles
d'incidence font petits ; mais on
peut , fans erreur bien fenfible , faire
ufage de cette théorie pour les angles
d'incidence depuis quarante- cinq jufqu'à
quatre -vingt- dix degrés.
4° . Que la meſure abfolue de la réfiftance
perpendiculaire & directe d'un
plan dans un fluide, indéfini , eft fenfi-
-blement égal au poids d'une colonne de
ce Auide , laquelle auroit pour bafe la
furface choquée , & pour hauteur celle
qui eft dûe à la vîteffe avec laquelle fe
fait le choc.
5°. Que la tenacité de l'eau occafionnée
par fa vifcofité & le frottement de
cet élément le long des parvis du corps:
EV
106 MERCURE DE FRANCE.
flottant , font des forces inaflignables ou
nulles , par rapport à la réfiftance qui
provient de l'inertie .
6. Que la résistance ou la percuffion
des Auides dans des canaux étroits , ou
dans des courfiers , eft beaucoup plus
grande que dans les fluides indéfinis.
1
Qu'un efprit obfervateur , dans quel
gente que ce foit , ainaffe des faits ,
qu'il multiplie les expériences , il perdra
fon talent & fon temps à les comparer
, s'il n'a point de moyen directe
& certain de les claffer ou de les lier
enfemble , pour en former une chaîne
de rapport qui le conduife à un principe
général. Pour rendre fon travail utile ,
Il faut qu'il appelle le Géomètre à fon
fecours. En conféquence , M. le Marquis
de Condorcet donne , à la fuite de l'Ouvrage
qu'on vient d'analyfer , une trèsbelle
méthode pour trouver les loix des
Phénomènes d'après les obfervations.
L'avantage de cette méthode , indépendamment
de fa fimplicité , eft de
réduire des recherches , qui demandent
furtout de la fagacité & des connoiffances
fort étendues , à des opérations
pour ainfi dire techniques ; ce qui la
fend d'un ufage facile dans les applitations
des mathématiques aux fciences
"
AVRIL 1777. 107
naturelles , & par conféquent digne du
génie de fon Auteur.
Ce court extrait ne peut donner qu'une
idée très imparfaite de cet excellent recueil
d'obfervations & d'expériences fur
la réfiftance des fluides. Il faut voir dans
l'Ouvrage même , l'ordre , la méthode
& la profondeur avec laquelle ces matières
font traitées, *
Mémoires de la guerre d'Italie , depuis
l'année 1733 , jufqu'en 1736 , par un
ancien Militaire qui s'eft trouvé à
toutes les actions de ces trois fameufes
campagnes. A Paris , chez la veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût , 1777. Un volume
in- 12.
La guerre d'Italie , en 1733 , 1734
& 1735 , fut des plus glorieufes pour la
France . Dans la première campagne ,
commencée au mois de Novembre , &
qui ne dura que deux mois , l'armée
* Cet extrait eft de M. Dez , Profeffeur de
Mathématiques de l'ancienne Ecole Royale Militaire
, qui a été témoin & coopérateur dans ce
travail , des expériences faites avec toute la présifon
poffible.
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Françoiſe , commandée par le Maréchal
de Villars , fit , avec fuccès , les fiéges de
Gerra d'Adda , du Château de Milan ,
de Novarre & de Tortonne , & s'empara
en peu de jours de chacune de ces
places , ainfi que de toute la Lombardie .
Dans la campagne de 1734 les batailles
de Parme & de Guaftalle , deux des plus
fanglantes dont l'hiftoire moderne faffe
mention , furent gagnées , fur les Impériaux
, à trois mois l'une de l'autre , par
l'armée Françoife aux ordres des Maréchaux
de Coigny & de Broglio , combinée
avec l'armée du Roi de Sardaigne .
Tous ces exploits font décrits dans ces
Mémoires , par un Militaire refpectable
qui
en a été témoin oculaire , & qui
donne fur cette guerre les détails les
plus exacts qui aient été publiés jufqu'à
préfent , comme il le démontre luimême
par la comparaifon & la critique
des différentes relations qui parurent
dans le temps .
Lettres Écoffoifes, traduites de l'Anglois ,
par M. Vincent , Avocat . 2 Parties
in- 12 . A Amfterdam ; & fe trouve à
Paris , chez la Veuve Duchefne , Lib.
rue S. Jacques.
AVRIL. 1777 . 100
que
L'Éditeur Anglois , ou plutôt l'Auteur
de ces Lettres , les donne comme
une copie de celles Miff Elifabeth
Aureli , petite nièce du célèbre Docteur
Swift , écrivoit , pendant fes voyages , à
fes amis en Angleterre. Il affure les
avoir reçues à Genève des mains de cette
Voyageufe. Sans doute qu'il laiffe à fes
Lecteurs la liberté d'ajouter ou de ne pas
ajouter foi à ce cadre ingénieux .
Miff Elifabeth eft fuppofée écrire en
1764. Ses réflexions fur les pays qu'elle
parcourt , font remplies de fel & de fineffe
; il s'y mêle auffi quelquefois un
peu de critique , comme on en pourra
juger par la tirade fuivante , dans laquelle
la petite nièce du Docteur Swift
ne fe montre pas trop prévenue en faveur
de la Nation Hollandoife. « Depuis
quinze jours je fuis en Hollande. Quel
" pays ! Quelle Nation ! Des Marchands.
» qui n'ont d'autre plaifir que celui d'amaffer
; des filles fottes & libertines ;
des jeunes gens ftupides & groffiers ;
des femmes fages à la vérité , mais
impérieufes , fe faifant craindre de
» leurs maris , parlant plus haut qu'eux ,
» & dont la léfine fait une partie de la
dot ; enfin des efpèces de machines
"
"
MERCURE DE FRANCE.
"
» montées avec des refforts d'or : voilà
» les habitans de cette trifte contrée . Qui
» a vu plufieurs François , les connoît
» tous , dit un Auteur moderne . Il en
» eft de même des Hollandois ; qui en
» a vu un , les a vus tous. Un Voyageur
qui veut les connoître , n'a qu'à
s'arrêter quelque temps à Rotterdam ;
il lui feroit inutile d'aller plus loin .
" Les villes fe reffemblent ; les hommes
font par-tout les mêmes. Un Négo-
» ciant d'Amfterdam , un Bourgeois
» d'Harlem , un Docteur de Leyde , un
" Payfan de Serdam , un Noble d'Utrecht
» ou de la Haye , penfent , agiffent , ſe
comportent de la même façon ; tous
» vivent mefquinement , élèvent mal
» leurs enfans , fe laiffent mener par
» leurs femmes , n'aiment point la liberté
pour elle feule , mais à caufe
» de l'avantage qui en réfukte pour le
33
» commerce » .
Le jugement de Miff Aureli eft plus
favorable à la Nation Françoife , qu'elle
femble même préférer à la fienne . Plus
j'examine cette Nation , dit elle , plus
» je me vois forcée de lui rendre juftice .
» Elle fe fait un plaifir de nous prêter des
» vertus que nous n'avons pas , & de
AVRIL 1777.
* nous élever au - deffus d'elle. Tant de
bonhommie , ou , pour mieux dire ,
» tant de générofité , me paroît préférable
au fot orgueil de nos infulaires ;
» j'aime mieux un peuple doux , com-
55 patiffant , qui a le défaut de ne pas
s'eftimer affez , qu'un peuple dur ,
impérieux , extrême dans fes paffions ,
ne voyant jamais les objets tels qu'ils
font , & prefque toujours la dupe des
fourbes & des enthounaftes . En France ,
» on vous accueille , on vous fourit , on
vous tend les bras , & on fe prête à
svotte façon d'exifter . En Angleterre ,
on rebute , on méprife tout ce qui
l'air étranger ; pour plaire à la Nation ,
il faut prendre fon maintien , fon encolure
, louer jufqu'à fes fortifes , s'exstafier
aux repréfentations du monf-
» trueux Shakespear , & dire que Londres
eft la première ville de l'Europe ,
parce qu'elle a une grande Eglife , une
belle Bourfe , une Tour bâtie par le
» Roi Guillaume , & un Wauxhall qui
» peut contenir trois mille filles de joie ».
Cer Ouvrage femble promettre une
fuite ; car l'Auteur laiffe fon héroïne à
Genève , après avoir fait feulement le
voyage de Hollande & celui de Paris ,
MERCURE DE FRANCE.
de
pendant qu'il annonce , dans fon Avantpropos
, qu'elle a parcouru auffi l'Italie
& l'Allemagne. Quoique les voyages
Miff Aureli faffent le fond des deux
petits volumes qu'il publie , la partie
la plus confidérable en eft remplie par
>
des détails fur les amours de la même
Miff Aureli avec le Lord Waller &
fur ceux de Miff Charlotte Tilnei , fon
amie & fa correfpondante , avec le Lord
Tompfon ; ce qui achève de nous déterminer
à regarder les Lettres Ecoffoifes
-comme un Roman , dont le défaut eft
d'être trop court. Le ftyle du Traducteur
nous a paru facile & élégant.
Nouvelles Espagnoles de Michel de Cervantes
; traduction nouvelle , avec des
notes , ornée de figures en taille- douce .
Par M. le Febvre de Villebrune . Le
Jaloux d'Eftramadure , Nouvelle IV .
Brochure in-8 ° . A Paris , chez la
Veuve Duchefne , Libraire , rue Saint
Jacques.
Un Gentilhomme d'Eftramadure , après
avoir diffipé dans les plaifirs la plus grande
partie de fon patrimoine , prit le parti , à
F'âge de 48 ans , de paffer aux Indes. I
AVRIL. 1777 . 113
y tenta la fortune . Elle lui fut favorable.
Riche , il defira de revoir fa patrie . Il
raffembla donc fes richeffes & revint en
Efpagne . Carrizalès , c'eft le nom du
Gentilhomme , pouvoit alors avoir 70
ans. Les biens & l'indigence , comme il
ne l'éprouva que trop , font également
la fource de mille foucis. Les peines de
la pauvreté peuvent ceffer avec une médiocre
fortune ; mais les inquiétudes que
caufent les richeffes augmentent avec les
biens mêmes. Carrizalès ne contemploit
cependant pas fes tréfors en avare : il étoit
plutôt embarraffé de l'ufage qu'il en devoit
faire. Le bon Gentilhomme defiroir
un héritier ; il fe croit encore capable de
s'en procurer un. Il fe tâte le pouls , &
eft fort d'avis de fe marier ; mais au milieu
de fes réflexions , la crainte s'emparoit
de lui & faifoit évanouir ce defir
flatteur. Il fe fentoit l'homme le plus
jaloux . La feule penfée du mariage le
troubloit. La jaloufie & les foupçons le
mettoient déjà à la torture ; enfin , toute
réflexion faite , il prit le parti de refter
célibataire. Mais une jeune perfonne ,
nommée Léonore , fage , honnête , élevée
chez fes père & mère , & d'une figure
intéreffante , triompha bientôt de la réfo114
MERCURE DE FRANCE.
lution du foible Vieillard. Léonore étoit
fort pauvre. Quelle ait du bien ou non,
» n'importe , fe difoit Carrizalès , j'en ai
» pour elle. Un homme riche, ne doit
33
pas fe marier par intérêt. Contente-
» ment paffe richeffe ; & je ne dois pas
» chercher autre chofe fi je veux prolon
» ger mes jours. Eh! combien de difgrances
& de troubles ne fuivent pas une
» femme riche ! C'eft une affaire faite :
c'eft-là l'époufe qu'il me faut » . H
répéta plufieurs fois la même chofe ; &
quelques jours après il alla trouver le
père de Léonore , fort content de donner
fa fille à un homine qui lui affuroit une
fortune confidérable. Carrizalès, ne fut
pas plutôt fiancé , qu'il devint trifte ,
rêveur foupçonneux ; tout l'inquiétoit.
Il voulut donner des habits à Léonore.
Lui préfenterois-je un Tailleur ?
Non , fe difoit il , Dieu m'en garde . Il
cherche dans le voisinage une pauvre
fille dont la taille approche de celle de
fa future époufe . Il la trouve , la fait
habiller , effaye cet habillement fur Léo
nore. Il alloit au mieux , & cet habit
fervit de patron pour les riches ajuſtemens
qu'il fit bientôt faire. Carrizalès ,
comme l'on voit , ne reffembloit point
>
AVRIL 1777. 115
au Jaloux Honteux de Dufrefny. Après
le mariage , il fit éclater fa jaloufie d'une
manière encore bien, moins équivoque ,
Il avoit acheté une efpèce de Château
fort, où la jeune époufe , enfermée, étoit
dérobée aux regards de toutes les perfonnes
du dehors . Une Duégne , différentes
femmes & un Eunuque noir
veilloient fous fes ordres dans toute la
maifon ; lui feul en avoit les clefs , &
pour lui feul les portes du Château s'ouvroient.
Il avoit fait pratiquer une eſpèce
de tour pour faire paffer les provifions
du dehors. Les autres traits que Michel
de Cervantes ajoute à la peinture qu'il
nous fait des perfécutions que la jaloufre
induſtrieufe du Vieillard lui avoit inf
piré, paroîtront à quelques Lecteurs un
peu outrées. Mais l'Ecrivain Efpagnol a
imité en cela le Poëte Comique , qui
charge quelquefois fes caractères pour
les rendre fenfibles à la multitude . Michel
de Cervantes a cherché d'ailleurs ,
par cette caricature , a nous rendre plus
piquante l'adreffe de fon Virote , eſpèce
d'égrillard ou d'intriquant , qui trouve
le moyen de mettre dans fes intérêts la
Duégne de Léonore , & de s'introduitę
dans le Château auprès de cette Belle.
116 MERCURE DE FRANCE.
« Cette aventure , dit Cervantes , en
» finiffant cette Nouvelle , ne prouve
»
que trop évidemment combien peu
» l'on doit fe repofer fur les clefs , les
» doubles & triples portes , les tours , les
» hautes murailles , enfin fur tout ce que
» peut dicter la prudence humaine , lorfque
la volonté fe porte au-dehors de
» ces prifons. On voit auffi quelle crainte
» on doit avoir de ces Duégnes aux
longues coëffes , à l'oeil morne &
filencieux , lorfque , fans réſerve , on
leur abandonne la jeuneffe
»
99
»
❤ .
Léonore ne manqua point de fidélité
à fon époux ; mais il fuffit à cet époux
de croire que fa jeune époufe l'avoit
trahi , pour éprouver un cuifant chagrin
qui le conduifit en peu de temps au
tombeau. Un vieillard jaloux eft ordinairement
un homme injufte , cruel &
barbare ; & ce n'eft malheureufement
que dans cette Nouvelle que l'on verra
un jaloux octogénaire fe rendre juftice ,
& conferver jufqu'à la fin de fes jours
des fentimens de douceur & de bienfaifance
pour fa jeune moitié. Carrizalès ,
couché fur le lit de mort , fit approcher
cette époufe troublée , qu'il croyoit infidelle
& qui n'avoit été qu'imprudente.
AVRIL. 1777 . 117
39
و و
« La vengeance , lui dit- il , que je pré-
» tends tirer de cet affront , n'eft pas
» celle que tout autre en tireroit à ma
place. Comme j'ai été extrême dans le
» bien que j'ai fait jufqu'ici , je veux
auffi que ma vengeance mette le comble
à ces bienfaits. Ce défordre eft
» mon propre crime. Je ne devois pas
être affez imprudent pour oublier
» qu'une jeune femme de quinze ans ne
devoit pas être celle d'un vieillard de
quatre- vingt . J'ai donc agi comme le
vers à foie , j'ai moi - même fait la demeure
où je devois m'enfevelir. Je ne
te blâme pas , jeune inconfidérée ! » En
difant cela , il embraffe Léonore , qui
étoit un peu revenue de fon trouble.
Non , je ne te fais aucun crime de ta
conduite. Les avis , les inftigations de
cette malheureufe Duégne , & les
careffes du jeune égrillard qu'elle a
» introduit ici , étoient un écueil trop
dangereux pour que ta vertu n'y fit
pas naufrage , avec auffi peu d'expérience
que tu en avois. Mais afin qu'on
fache la fincérité & l'étendue de l'ami-
» tié que j'ai eu pour toi jufqu'à mon
dernier moment , je vais laiffer un
exemple de bonté , ou au moins de
"
»
118 MERCURE DE FRANCE.
n
fimplicité , qui ne fe fera jamais vu.
Qu'on aille chercher un Notaire pour
» me faire un autre teftament. Je veux
» doubler la dote de Léonore ; après ma
» mort , qu'elle difpofe d'elle -même à
» fon gré. Je lui demande feulement
» une grâce , car je ne puis la contraindre
alors , c'eft d'époufer le jeune homme
» dans les bras duquel je l'ai trouvée ;
elle effacera par cette conduite l'opprobre
dont elle s'eft couverte , & rẻ-
parera l'injure qu'il a fait à mes cheveux
blancs , fans avoir aucune canfe
» de m'offenſer auffi ſenſiblement . Elle
199 verra par là , que fi pendant ma vie
i ce fut pour moi le plaifir le plus flatteur
...de me rendre à fes defirs , ie my fuis
»
encore prêté à ce dernier moment , en
lui confeillant de ne pas fe féparer, de
celui qu'elle a aimé , jufqu'au point de
» s'oublier d'une manière fi étrange. » . A
ces mots il fe penche, prefque évanoui ,
vers fa femme , & l'embraffe rencore
malgré fa foibleffe . Elle, le ferre dans : fes
bras , le baife., . lui baigne la bouche de
-fes pleurs .
Le Lecteur est un peu fâché de ce que
Léonore ne paroît point affez jaloufe de
fe juftifier , en détaillant les circonftances
AVRIL 1777 . 119
de fa faute à fon mari, & lui prouvant parà
fon innocence. Il eft probable que la
honte , la crainte , ou fes fréquens évanouiffemens
, l'empêchèrent de s'expliquer.
Elle l'eût fait , fans doute , par
» la fuite , ajoute Michel de Cervantes ;
» mais la mort précipitée de fon mari
» fut un obstacle invincible aux excufes
légitimes qu'elle auroit pu produire ».
Léonore , reftée veuve avec de grands
biens , auroit, faire la fortune du jeune
homme qui lui avoit témoigné fon
amour ; le bon Carrizalès l'avoit même
exhorté en mourant à prendre ce parti.
Ses parens & fes connoiffances ne purent
donc , fans le plus grand étonnement ,·la
voir , au bout de huit jours de veuvage ,
fe renfermer dans un des Couvens les
plus auftères d'Efpagne.
我
pu
Les Nouvelles qui font fuite à celle - ci
paroîtront fucceffivement. Les Numéros
précédens ' fe trouvent chez le même Libraire.
Effai hiftorique & moral fur l'Education
Françoife ; par M. de Bury.
Dic fapientia foror mea es,
voca amicam tuam.
prudentiam
PROV, cap. VII . verf. 4.
20 MERCURE DE FRANCE.
Dites à la fageffe , vous êtes ma four , & à
la prudence , vous êtes ma bien-aimée ».
Volume in- 12 . de 507 pages ; prix 3
liv. relié . A Paris , chez G. Defprez ,
Impr. rue S. Jacques.
L'Auteur trace un plan d'éducation
qu'il divife en trois parties. La première
regarde l'éducation de la jeuneſſe dans
les Penfions ; la feconde a pour objet
fon éducation dans les Colléges . Les
jeunes gens quittent ordinairement , à
l'âge de feize ou dix- fept ans , cette
feconde éducation , pour entrer dans le
monde ; & c'est alors qu'ils ont le plus
befoin de confeils , d'inftructions , &
d'un guide fûr & fidèle . C'eft auffi à
cette troisième époque de l'éducation
que M. de Bury donne toute fon attention.
Il indique les connoiffances néceffaires
à cet âge . Il ne fait cependant point
mention de l'hiftoire naturelle ; & lorfqu'il
parle de la phyfique , c'est pour
détourner les jeunes gens de s'y appliquer.
Quelle fcience cependant plus capable
de les intéreffer & de les inftruire ,
que celle qui , par des expériences curieufes
AVRIL 1777. 121
1
fes & variées , parle continuellement aux
fens ? L'Auteur infifte principalement fur
l'étude de la Religion , de l'Hiftoire &
de la Morale , dont il enfeigne les préceptes
, qu'il a foin , le plus fouvent ,
d'appuyer fur des traits d'hiſtoire ou fur
des faits connus. On pourroit donc regarder
fon Ouvrage comme un Cours
de morale pratique. L'Auteur , à l'article
Duel , blâme , avec raifon , cette politeffe
mal entendue qui nous empêche de dire
un homme qu'il a tort , lorfqu'il l'a
effectivement. Ün Officier , dont M. de
Bury rapporte le trait fuivant , ne penfoit
point ainfi . «Un jour douze perfonnes
avoient dîné enfemble dans une
honnête maiſon ; après le repas on propofa
de jouer , & l'on fit deux parties
différentes , dans l'une defquelles il s'éleva
entre deux Officiers une difpute , fuivie
de quelques propos affez durs . Les autres
perfonnes préfentes s'emprefsèrent de
Pappaifer , en difant aux conteftans
felon la méthode ordinaire , qu'ils avoient
tort tous les deux . Ceux - ci cependant
commençoient à s'échauffer , lorfqu'un
autre Officier de la compagnie , homme
de tête , très-fage & très - fenfé , fut à la
porte de la falle , ferma la ferrure à
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
double tour , & mit la clef dans fa poches
Enfuite fe tournant vers la compagnie ,
il dit ; Perfonne ne fortira d'ici , qu'après
que ces Mellieurs fe feront accommodés.
Il faut que celui qui eft auteur de la ques
-relle , commence ( car c'est lui qui à le
premier tort ) à faire excufe à l'autre de
ce qu'il lui a dits que celui qui fe croit
attaqué , reçoive l'excufe , & témoigne
qu'il eft fâché d'avoir relevé avec trop
de hauteur , l'infulte qu'il croit qu'on
lui a faite , & qu'enfuite ces deux Mef
fieurs s'embraffent , & promettent de ne
fe rien demander davantage. S'ils.refufent
de le faire , j'en porterai mes plain
tes à Meffieurs les Maréchaux de France ,
& je les prierai de donner leurs ordres
pour empêcher un duel entre ces Meffeurs.
La conduite de cet Officier fuc
fort approuvée. La compagnie engagea
les deux conteftans à fe faire des excufes
refpectives, & ils s'embrassèrent
On aime à voir un Héros donner , au
milieu de la fociété & dans fon domeftique
, des exemples de douceur & de
modération , « M. de Turenne regardoit
» un matin par fa fenêtre en déshabillé
vêtu d'une fimple camifole; un de fes
» Domeſtiques vint par derrière, & lai
AVRIL 1777. D23
-1
donna un grand coup fur le dos. M.
» de Turenne s'étant tetourné , le Do-
❤meftique lui demanda pardon , & lai
dit : Monfeigneur, j'ai cru que vous
➡ étiez un tel, mon camarade. Et quand
wc'eût été lui , répliqua M. de Turenne ,
"falloit il frapper fi fort ? » On eſt
un peu fâché que l'Auteur n'ait pas
tranſcrit cette anecdote comme elle fe
trouve dans un Ouvrage très -connu. Un
jour d'été , qu'il faifoit chaud , y eft il
dit , le Vicomte de Turenne , en petite
vefte blanche & en bonnet , étoit à fa
fenêtre dans fon anti-chambre . Un de
fes gens furvient, &, trompé par l'habillement
, le prend pour l'Aide de cuifine ,
avec lequel ce Domestique étoit familier,
Il s'approche doucement par derrière
& d'une main qui n'étoit pas légère , lui
applique un grand coup fur les feffes.
L'homme frappé , ſe retourne à l'inſtant .
Le Valet voit en tremblant le vifage de
fon Maître. Il fe jette à fes genoux tout
éperdu : Monfeigneur , j'ai cru que c'étoit
George. Et quand c'eût été George
s'écrit Turenne en fe frottant le derrière ,
il ne falloit pas frapper fi fort.
Nous ne citerons point d'autres anecdotes
, parce qu'elles ont fouvent été
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
rapportées , & parce que l'Auteur , `en
voulant les raconter à fa manière , en a
fouvent altéré ces traits naïfs & originaux
qui les rendoient plus piquantes .
Mais nous applaudirons à fa méthode
d'appuyer les préceptes d'une morale
ardinairement sèche & rebutante , fur
des faits hiftoriques , agréables & intẻ-
reffans. L'Auteur , dans plufieurs endroits
de fon Ouvrage , donne aux Inftituteurs
des confeils généraux fur la conduite
qu'ils doivent tenir pour enfeigner l'hiftoire
à la jeuneffe. Il leur trace même un
plan de cette conduite dans la partie de
fon Effai qui a pour titre : Inftruction fur
L'étude de l'Hiftoire. Cette inftruction eft
fuivie d'une differtation fur l'ordre de
l'ancienne Chevalerie , & fur l'éducation
que les pères & mères faifoient alors
donner à leurs enfans.
Poëfies de Malherbe , rangées par ordre
chronologique , avec la vie de l'Auteur
& de courtes notes ; par M. A. G. M.
Q. Nouvelle édition , revue & corrigée
avec foin. A Paris , chez J. Barbou
, rue des Mathurins.
Malherbe peut être regardé , à juke
AVRIL 1777. 125
titre , comme le vrai reftaurateur de la
Langue & de la poëfie Françaiſe. Rien
ne donne mieux l'idée des obligations
qu'elle lui ont l'une & l'autre , que ces
vers du Législateur de notre Parnaſſe ,
de Boileau , que tout le monde fait par
coeur.
Enfin Malherbe vint , & le premier en France
Fit fentir dans les vers une juſte cadence ,
D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir,
Et réduifit la Mufe aux règles du devoir.
Par ce fage Ecrivain la langue réparée ,
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée .
Les ſtances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Tout reconnut fes loix , & ce guide fidèle
Aux Auteurs de ce temps fert encor de modèle.
Marchez donc fur fes pas : aimez fa pureté ,
Et de fon tour heureux imitez la clarté.
>
Un tel éloge a bien de la force dans
la bouche du judicieux & févère Defpréaux
, qui ne l'eût certainement point.
donné s'il n'eût été mérité. Il eſt
certain qu'à quelques tournures près ,
qui ont vieilli , Malherbe eft encore aujourd'hui
un modèle pour l'élégance de
la verfification & la pureté de la langue,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ce quidoit paroître prodigieux , lerfqu'o
réfléchit qu'il écrivit immédiatement
après Baïf & Ronfard. A peine eſt- it
croyable que les ftances que nous allons
citer , & qui font une paraphraſe du
Pleaume CXLV , ayent été composées
vers le temps de Henri IV.
N'efpérons plus , mon ame, aux promeffes du
monde ;
Sa lumière eft un verre , & fa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de caliner ,
Quittons ces vanités , laffons- nous de les fuivre 3
C'eft Dieu qui nous fait vivre ,
C
C'eftDieu qu'il faut aimer.
Envain , pour fatisfaire à nos lâches envies ,
Nous paffons près des Rois tout le temps de nos
vies
A fouffrir des mépris & ployer les genoux.
Ce qu'ils peuvent n'eft rien ; ils font , comme
nous fommes ,
Véritablement hommes ,
Et meurent comme nous .
Ont-ils rendu l'efprit , ce n'eft plus que poulière
Que cette majefté fi pompeufe & fi fière ,
Dont l'éclat orgueilleux étonnoit l'Univers
AVRIL. 1777. 27
Et dans ces grands tombeaux , ou leurs ames
hautaines
Font encore les vaines ,
Hls fout mangés des vers.
Là fe perdent ces noms de Maîtres de la terre
D'arbitres de la paix , de foudres de la guerre ,
Comme ils n'ont plus de fceptre , ils n'ontplus de
flatteurs ;
Et tombent avec eux d'une chûte commune
Tous ceux que leur fortune
Faifoit leurs ferviteurs .
La vie de Malherbe , qui précède le
recueil de fes pocfies , contient plufieurs
anecdotes.Nous en cirerons quelques unes
des moins connues . La plupart font des
traits de la caufticité du Poëte , & de fa
franchife un peu dure.
Une preuve de fon économie , c'eft
le feftin qu'il fit un jour à fix de fes
Amis , & où il faifoit le feptième .
Tout le repas ne fut compofé que de
fept chapons bouillis , dont on fervit à
chacun le fien . Cette uniformité de mêts.
furprit apparemment les Conviés ; mais
il fe tira d'affaire en leur difant : Meffieurs,
je vous aime tous également , c'eft pour-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
quoi je veux vous traiter tous de même,
& ne prétens pas que vous ayez d'avantage
l'un furl'autre.
Pendant la prifon du Prince de Condé
à Vincennes , la Princeffe fon épouſe y
étant accouchée de deux enfans morts ,
un Confeiller du Parlement de Provence
regrettoit pathétiquement la perte que
l'Etat venoit de faire de deux Princes du
Sang : Eh! Monfieur , lui dit brufquement
Malherbe , vous ne manquerezjamais
de Maîtres.
Un de fes Neveux vint le voir à la
fortie du Collège où il avoit été neuf
ans . Il lui demanda s'il étoit bien favant ;
& ouvrant un Ovide , il voulut lui en
faire expliquer quelque chofe . Le jeune
homme fe trouvant embarraffé , Malherbe
lui dit Croyez-moi , mon Neveu ,
foyez brave ; vous ne valez rien à autre
shofe
Un homme de robe & de condition
lui apporta
de méchans vers qu'il avoit
faits pour une femme ; Malherbe , après
les avoir lus , lui demanda s'il avoit été
condamné à être pendu , ou à faire ces
vers-là.
Malherbe étant un jour allé dîner chez
l'Abbé Defportes , trouva qu'on avoit
AVRIL. 1777. 129
déjà fervi les potages . Delportes fe
levant de table , reçut très- poliment Mal
herbe , & voulut d'abord lui donner un
exemplaire de fes Pfeaumes , qui étoient
nouvellement imprimés. Comme il fe
mettoit en devoir de monter dans fon
cabinet pour les aller chercher , Malherbe
lui dit : Qu'il les avoit déjà vus ,
que cela ne méritoit pas qu'il prít cette
peine , & quefon potage valoit mieux que
fes Pfeaumes. Cette brufquerie piqua
tellement Defportes , qu'il ne lui dit pas
un mot durant tout le dîner. Auffi-tôt
qu'ils furent fortis de table, ils fe féparèrent,
& ne fe virent plus depuis.
"
Cette nouvelle édition , remarquable
par l'exactitude de la correction , & la
beauté de l'exécution typographique
fait honneur aux preffes de Barbou.
Elle eft ornée du portrait gravé de
Malherbe ,
Fables , par M. Willemain d'Abancourt„
2 parties in- 89 . en un feul volume. A
Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez L. Cellor , Imprimeur-Libraire ,
Lue Dauphine.
Ces Fables , divifées en huit livres
1
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
"
font au nombre de cent . " Dans le nom-
» bre des fujets que j'ai traités , il en eft
» peu , dit modeftement M. Willemain ,
dont l'invention m'appartienne. J'ai
» mis à contribution les Muſes Alle-
» mandes; les Fables de MM. Gellert ,
» de Hagedorn , Schlegel , Lichlwers ,
» Gleim & Leffing... Je ne fuis auffi
approprié quelques- uns des Apologues
» de MM . de Saint- Lambert & de Sauvigny
». Si M. Willemain n'a pas puifé
dans fon propre fonds tous les fujers de
fes Fables , on ne peut qu'applaudir à la
manière , fouvent très-heureufe dont
il les a mis en oeuvre. En voici une qui
réunit la naïveté , la facilité & l'agrément
propres à ce genre , où il eft fi
difficile , & fur-tout fi rare de réuffir
après La Fontaine. Peut-être eût- elle été
meilleure , en faifant difparoître quelques
longueurs , & quelques tours un
peu trop profaïques.
"
Les deux Renards.
3
Il faut avoir grand . foin de traiter fon ſemblable
Comme on veur en être traité :.
L'adage eft un peu vicux ; oui , mais ſa véryſté:
Ne le rend pas moins refpectable ..
. ד ר י
AVRIL 17770 31
Vivant pour foi , le moquant des égards ,
Libre du joug de la férule , cob &
Certain Renard, fans moeurs, & fur- tour fans
fcrupule,༡ མ ི
Bref, l'Alexandre des Renards mp
}
Voloit à toutes mains , pillait de toutes parts,
Et fur les bonnes gens jetoit du ridicule.
Or l advint que l'égrillard ,
Uncertain jour qu'il étoit en maraude ,
( Ces Meffieurs-là ne vivent que de fraude )
de fes voifins pris dans un traquenard ,
Et qui , honteux comme un caffard 2007
Qu'on auroit démafqué , détournant le regard
Reflentoit , fans mot dire , une alarme un pew
chaude.
Vit
21.
un
Qu'eût fait un honnête Renard
Dans une telle circonftance ?
Il eût fauvé fon frère & béni le hafard
Qui donnoit à la bienfaisance
Le moyen d'éclater. Fort bien ! notre gaillard
Tout au rebours , afficha l'importance ,
Fit un très-beau fermon fur l'inexpérience
Et laiffa fon voifin gémiffant fous la hart ,,
Et mal édifié de fon peu d'indulgence..
A quelque temps de-là l'Orateur eut fon tour
Ine put échapper à maintes embufcades .
Qu'on lui rendit dans chaque batle , cour
Il vir gaffer maints & maints campgrades ,›
e
e
B vjj
132 MERCURE DE FRANCE.
Qui, fans le fecourir , firent maintes gambades ,
Et lui donnèrent le bonjour.
Ce n'étoit pas fon compte ; il avoit tout àcraindre ,
Et contre les Fermiers peftoit de tout fon coeur.
Voilà qu'il apperçoit , pour l'achever de peindre ,
Ce Renard , qu'il avoit bravé dans fon malheur ,
Qui , de fes procédés , avoit tant à ſe plaindre ,
Et qu'il croyoit fans doute , ainfi que le Lecteur,
Defcenda chez les morts , ou du moins mis en cage,
Et fervant de jouet aux enfans du village.
Il s'étoit échappé , je ne fais trop comment ;
Mais au furplus , cela n'importe guère :
Il s'étoit échappé , c'eft le point important.
"Oh ! oh! dit-il en voyant le compère ,
Qui vouloit l'éviter : eh ! notre ami , vraiment
»La rencontre eſt bien fingulière :
»Comment , c'est vous! mais rien n'eft plus
∞ plaifant.
30
» Eh bien ! qu'en dites-vous , confrère ?
Le gîte eft-il paffable ? en êtes - vous content ?....
Le jour paroît ; je vais rentrer dans ma tannière ;
Adieu; portez-vous bien... J'ai pitié cependant
» De l'excès de votre mifère ,
Et , pour cette fois feulement ,
Je veux bien vous aider à vous tirerd'affaire:
» La leçon eft complette & vous rendra prudent.
Je pourrois à mon tour vous envoyer aux
- piautres;
AVRIL 1777. 133
Mais j'aime beaucoup mieux vous mettre
»liberté.
» Allons , tirez de ce côté ;
Etn'oubliez jamais qu'il faut traiter les autres
20 Comme on veut en être traité ».
Traité des Maladies vénériennes , traduit
du latin de M. Aftruc ; quatrième édition
revue & augmentée de remarques
, par M. Louis , Profeffeur &
Cenfeur Royal , Chirurgien Confultant
des Armées du Roi , Infpecteur
des Hôpitaux Militaires du Royaume ,
Affocié libre de la Société Royale des
Sciences de Montpellier , &c. 4 vol .
in- 12. A Paris , chez Cavelier , Libr.
rue Saint Jacques , 1777. Avec appr.
& priv. du Roi.
Nous n'ajouterons rien à la réputation
de cet Ouvrage , qui a fi bien mérité du
Public ; nous nous contenterons feulement
de donner une notice des remar
ques que M. Louis a joint à cette nouvelle
édition , & qui fe trouvent inférées:
dans le fecond volume , pour remplacer
le vuide qui s'y trouvoit , par les tranfpofitions
& les retranchemens que l'Edi
reur a cru devoir faire en faveur de la
#34 MERCURE DE FRANCE.
mémoire du célèbre M. Aftruc. Ces
remarques font confignées en douze
paragraphes ; le premier eft une difcuffion
fur l'origine de la maladie véné
rienne ; le fecond traite de la nature du
virus & de fes différentes manières d'agir;
le troisième roule fur la diftinction entre
les maladies vénériennes récentes , annoncées
par des fymptômes primitifs
connus , & cette maladie déguifée &
compliquée ; dans le quatrième , M.
Louis examine quels font les effets de
la falivation , & s'il eft avantageux ou
nuifible de la procurer ; dans le cinquiè
me, il expofe, d'après l'expérience , les
bons effets des fudorifiques dans le
fixième , il tâche de marquer les cas où
il faut attaquer préliminairement le vice
Focal dans cette maladie ; dans le feptiè
me , il appuie la doctrine qu'il donne
fur la raifon & l'expérience , & fait voir
qu'elle eft conforme au fentiment de
Boerhaaves dans le huitième , il applique
fes principes à la g.... V... , dont il examine
particulièrement la nature , pour
dévoiler les erreurs qu'on commer ordinairement
dans le cours de cette maladie ;
dans le neuvième, il indique une méthode
différente de celle de M. Afture,
AVRIL 1777.
135
" pour guérir une ftranguerie
habituelle
provenante
de ces mauvais traitemens ;
dans le dixième , il fait voir que la pratique
du traitement
anti- venérien par
les fumigations
eft fort ancienne, & qu'elle
a toujours été infidelle ; dans l'onzième , il
combat fortement
les Charlatans
; &
dans le douzième enfin , il donne aux
Elèves un plan de travail , par lequel ils
pourront faire de grands progrès dans
leurs études. Ces remarques
font vrai
ment dignes de la célébrité de l'Editeur ',
& ne peuvent que perfectionner
le trai
tement dans ces maladies .
...
Anatomie hiftorique & pratique , par M.
Lieutaut , Confeiller d'Etat , premier
Médecin du Roi , de Monfieur & de
Monfeigneur le Comte d'Artois
Docteur Régent de la Faculté de Médecine
, & de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de la Société Royale
de Londres , & c. nouvelle édition augmentée
de diverfes remarques hiftoriques
& critiques , & de nouvelles
planches ; par M. Portal , Lecteur du
Roi , Profeffeur de Médecine au Collége
Royal de France , & c . 2 vol . in-8 °..
A Paris , chez d'Houry , rue de la Bour
136 MERCURE DE FRANCE.
clerie ; P. F. Didot le jeune , quai des
Auguftins , & chez l'Anglois , quai
des Auguftins. Prix relié ୨ liv.
M. Portal étoit fur le point de donner
au public un Traité complet d'Anatomie ,
lorfque M. Lieutaut , à qui il fit part de
fon projet , lui apprit qu'on étoit fur le
point de donner une nouvelle édition de
fes effais anatomiques ; mais que fes occupations
, d'un genre tout différent
l'empêchoient d'y faire les additions
qu'il auroit defiré. L'Ouvrage de ce célèbre
Anatomiſte avoit fixé depuis longtemps
l'attention de M. Portal , & de
tous ceux qui s'adonnent à cette partie
de la Médecine théorique , tant par les
nouvelles découvertes qu'il contient ,
que par l'ordre , la clarté & l'exactitude
des defcriptions qu'on y trouve : M.
Portal dit même avoir adopté cet Ouvrage
depuis plufieurs années pour fes
cours d'Anatomie ; c'eft ce qui l'engagea
à fe charger lui-même de la publication
de cette feconde édition. Comme il y
avoit près de trente ans que la première
édition de cet Ouvrage avoit paru , il
n'eft pas douteux que dans un fiècle
comme le nôtre , où l'on s'adonne aux
•
AVRIL. 1777. 137
fciences phyfiques , on n'ait fait depuis
ce temps beaucoup de progrès dans l'Anatomie
; c'eft pour cette raifon que M.
Portal a cru donner , dans la nouvelle
édition que nous annonçons , un extrait
des travaux qui ont été faits depuis ce
temps fur l'anatomie de l'homme . Il l'a
auffi augmenté de fes obfervations particulières
, & il l'a encore enrichi d'un
tableau hiftorique des principales découvertes
faites dans différens temps & dans
différens pays ces éditions ne peuvent
• manquer de rendre cet Ouvrage beaucoup
plus complet. Les obfervations de
M. Portal font féparées du texte , &
font imprimées en forme de notes , ou
dans des articles détachés du corps de
l'Ouvrage. Un pareil Livre ne peut
être que de la plus grande utilité : il peut
convenir également aux gens éclairés &
aux étudians ; il réunit le double avantage
de n'être ni trop fuccint , comme
eft le Traité anatomique d'Héifter & de
Verdier , ni d'être inintelligible à ceux
qui fe dévouent à l'étude de l'Anatomie
telle qu'eft celle de Winflow.
Enfin , cet Ouvrage eft la vraie bafe
de l'Anatomie , & conféquemment de
la Médecine : il ne peut affez être con
,
138 MERCURE DE FRANCE.
fulté par les gens de l'Art ; it eft mar
qué au coin de l'utilité publique , tels
que font tous les Ouvrages de ce célè
bre Médecin.
*
Précis de la matière médicale , contenant
ce qu'il importe de favoir fur la nature
, les propriétés & les dofes des
médicamens , tant fimples qu'offici
naux , avec un grand nombre de for
mules ; par M. Lieutaut , Docteur
Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , premier Médecin du Roi ,
de Monfieur & de Monfeigneur le
Comte d'Artois , de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & de
la Société Royale de Londres , noa
velle édition , revue par l'Auteur. 2
vol. in 8 °. A Paris , chez P. F. Didot
le jeune , Libraire de la Faculté de
Médecine de Paris , quai des Auguftins
1776 , avec approbation & pri
vilége du Roi. Prix 1 liv . relié.
Quoique la Médecine embraffe prefque
toutes les fciences , il n'eft pás moins
rai d'obferver qu'il faut les diriger vers
la partie qui traite des médicamens ; &
en effet , le but qu'on doit fe propoſer
AVRIL 1777. 139
que trop à opprimer
dans l'art de guérir , confifte dans leur
emploi on exige aujourd'hui d'un Médecin
la connoiffance des Mathématiques
, de la Phyſique & de l'Anatomie ;
mais avec ces fciences , on ne guérit pas
la plus légère indifpofition ; on ignore
les reffources que nous fournit journellement
la nature ; on accable les malades
de beaucoup d'ordonnances ; & , par une
infinité de juleps , d'émulfions & d'apor
sêmes , on ne parvient malheureuſement
les efforts que la
nature fait pour éloigner ce qui l'opprime.
Souvent auffi il fe trouve des
Médecins qui , pour s'accréditer aux
dépens de leurs Confrères , & pour les
fupplanter , foumettent la fanté des hommes
à un vil intérêt , & rejettent le trai
tement le plus fain , pour en adminiftrer
un autre conforme à leurs faux préjugés.
Nous fommes cependant obligés de rendre
juftice ici au plus grand nombre des
Médecins François , & principalement
de cette Capitale , qui montrent, pour
la plupart , de la délicateffe dans ce
point.
Deux chofes font abfolument néceffaires
à un Médecin : il faut qu'il fache
faire un bon choix des médicamens , &
140 MERCURE DE FRANCE:
qu'il connoiffe le temps propre à les ap
pliquer mais , combien de difficultés
n'a-t-on pas à vaincre pour remplir ces
deux conditions ! Une infinité de circonftances
fait varier les maladies ; rarement
s'en trouve - t- il deux qui foient
exactement femblables . Dans un pareil
embarras , quoi de plus utile que d'avoir
fous les yeux une quantité fuffifante de
remèdes choifis & rangés dans un bon
ordre , pour pouvoir y prendre , au moment
favorable , ce qui paroît être le
mieux indiqué ? C'eft auffi ce que M.
Lieutaut s'eft propofé en publiant cet
Ouvrage.
Les médicamens font tirés des trois
Règnes de la Nature : on en trouve d'excellens
parmi les minéraux ; mais il faut
beaucoup de fageffe pour les adminiftrer :
on en tire un plus grand nombre des
végétaux. M. Buc'hoz a rapporté , dans
fon Hiftoire Univerfelle du Règne Végétal
, dont il paroît déjà fix volumes de
difcours , tout ce qu'on peut defirer für
les propriétés médicinales des plantes ,
chofe qui n'avoit pas été faite avant lui
avec autant d'étendue. Les fubftances
enfin tirées des animaux , font la partie
la moins confidérable des médicamens ;
AVRIL 1777. 141
mais elles font , fuivant M. Lieutaut ,
pour la plupart , plus analogues à l'économie
animale , & méritent fouvent , à
ee titre , la préférence fur les autres . Ces
médicamens font fouvent foumis aux
opérations très-variées de la Chymie &
de la Pharmacie , & pour lors on les
appelle officinaux . Ils font par-là toujours
prêts pour le befoin. M. Lieutaut nous
les fait connoître dans l'excellent Ouvrage
que nous annonçons . Ce feroit
peu que de connoître les médicamens
fimples , fi un Médecin ne connoiffoit
pas les compofés. M. Lieutaut , en parlant
du baume de Leucatel , s'exprime
ainfi :
« Ce baume , dit-il , fe compofe avec
» de la cire jaune & de l'huile d'olive ,
» bouillies dans du vin d'Eſpagne. Lorf
» que celui-ci eft confommé , on ajoute
» de la thérébentine & du bois de fantal
» rouge. Ce baume , dont Marquet a fait ,
» contre la phtifie , l'ufage le plus heu-
» reux , fait partie des remèdes vulné
» raires décififs , & s'emploie principalement
dans le traitement des maladies
» de poitrine. Il produit d'heureux effers
» dans la phtifie , quand on le donne à
» propos , & après avoir fait prendre.
141 MERCURE DE FRANCE.
» les remèdes convenables. On ne fe
≫ trouve pas moins bien d'en faire ufage
dans les ulcérations & évafions des au
» tres vifceres. Le baume de Leucatel fe
prend fous la forme de bol : fa doſe
peut aller jufqu'à un ou deux fcrupules
; on peut la porter à un gros & plus ,
lorfqu'on donne ce baume dans un
bouillon. Il y a des Médecins qui n'hé-
» fitent pas d'en faire prendre de deux
» gros à demi-once . Je doute que leur
fuccès juftifient leur conduite. On peut
» auffi s'en fervir à l'extérieur , & alors
» il n'eft pas un des moins bons vulnéraires
; mais rarement l'emploie- t- on
» de cette manière » .
"
M. Marquet n'eft pas le feul qui ait
fait ufage , avec fuccès , du baume de
Leucatel pour les maladies de poitrine.
M. Buc'hoz , fon gendre , ancien Médecin
du feu Roi de Pologne , l'a auffi employé
en pareils cas pour efficacité . Voyez
Ja Médecine moderne , qui fe trouve chez
Lacombe.
L'article du baume de Leucatel , que
nous venons de rapporter , peut faire
juger des autres . On y remarque , dans
chacun d'eux , de la clarté , de la précifion
, & de l'inſtruction.
AVRIL 143 1777.
Les médicamens fe trouvent divifés
dans ce Précis , en internes & externes.
Ces deux claffes font fubdivifées en différentes
familles , relles que les fudorifiques
, les purgatifs , les diurétiques , les
vulnéraires , & c. & chacune de ces familles
comprend d'abord les maladies
dans lesquelles on peut employer ces
fortes de médicamens , avec quelques
généralités fur leur ufage ; enfuite on y
trouve indiqués tous les remèdes fimples:
& officinaux qui en font partie : après
quoi M. Lieutaut y rapporte plufieurs
formules magiftrales , qu'on peut prefcrire
avec ces médicamens en faveur des
jeunes Médecins ; enfin il termine par
des commentaires fur les remèdes particuliers
qu'il a rapporté. Que peut- on de
plus méthodique qu'un pareil ordre ? It
fe rencontre par-tout l'Ouvrage : il ne
devoit manquer à fa fuite qu'un Traité
des alimens ; c'est ce qu'a très- bien apperçu
M. Lieutaut , ce fameux Médecin
auquel nous fommes redevables de la
confervation des jours de notre illuftre
Monarque & de fa famille : auffi a-t-il
en grand foin d'en placer un à la fuite
de ce Précis . La matière alimentaire eft
la partie effentielle de la matière › mé
144 MERCURE DE FRANCE.
dicale ; & en effet , cette dernière doit
embraffer tout ce qui peut être employé
à la guérifon des maladies. Il eft furprenant
qu'avant M. Lieutaut , on ne l'air:
pas encore envifagé fous ce point de vue.
Ce célèbre Médecin voudra bien nous
permettre , en finiffant cet extrait , de
rapporter ici , d'après lui , ce qu'il a dit
dans la Préface au fujet des encouragemens
qui feroient néceffaires pour perfectionner
l'étude de la Médecine , & des
différentes parties qui la conſtituent.
30
« Il ne manque , dit ce premier Médecin
, que quelques encouragemens :
c'eft l'aiguillon , comme on le fait ,
» qui réveille l'émulation , & excite cette
» chaleur fi propre à développer les talens
& à leur donner tout le luftre dont ils
font fufceptibles. Je ne prendrai , parmi
» les exemples dont fourmille notre hif
toire littéraire , que celui du célèbre
Tournefort. Ce Botaniste incomparable
» feroit refté dans l'obfcurité , fi un pro-
» tecteur puiffant & éclairé ( M. Fagon ,
premier Médecin du Roi ) ne l'en avoit
retiré ». M. Lieutaut eft auffi premier
Médecin du Roi ; & , par cette facon
de penfer , que n'y a-t-il pas à efpérer
de la protection pour ceux qui ferdon-
"
99
nent
AVRIL. 1777 . 145
nent aux fciences utiles & dépendantes
de la Médecine ? Auffi c'eft de fon
temps que paroît en France le plus
grand Ouvrage qu'on ait jamais publié
fur la Botanique , je veux dire ,
l'Hiftoire Univerfelle du Règne Végétal
par M. Buc'hoz , qui mérite le plus
d'être protégé.
Difcours choifis fur divers fujets de Religion
& de Littérature , par M. l'Abbé
Mauri , Abbé commendataire de la
Frenade , Chanoine , Vicaire -Général
& Official de Lombez , & Prédicateur
ordinaire du Roi . A Paris , chez le
Jay, Libr. rue S. Jacques.
Ce Recueil renferme le Panégyrique de
S.Louis, prononcé en préfence de l'Acadé
mie Françoife . Les applaudiffemens d'un
pareil auditoire , font le plus bel éloge
qu'on puiffe recevoir , & font en mêmetemps
les garans les plus fùrs de la bonté
d'un Ouvrage oratoire . Ainfi la gloire du
Panégyrifte ne peut plus recevoir la plus
légère atteinte . Malgré la multitude de
Difcours fur ce même fujet , on trouve
dans celui - ci des idées neuves , & des
traits hiftoriques bien choifis & bien
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
approchés. Saint Louis , créateur de for
fiécle , Saint Louis bienfaiteur de tous
les fiécles qui l'ont fuivi . Cette divifion.
embraffe toute l'étendue du fujet ; l'Orateur
ne le perd pas un inftant de vue ,
& ne reffemble point à ces prolixes Rhétheurs
qui , au lieu d'entrer d'abord en
matière , & de tout approprier à leur
but , fe tournent & fe retournent dans
tous les fens , & laiffent l'Auditoire incertain
fur la matière qu'ils ont traitée,
Le Panégyrifte ramène tout fon Difcours
à la fin principale que doit fe propofer
un digne Miniftre de l'Eglife. C'eſt le
riomphe de la Religion Chrétienne
qu'il cherche à établir , en louant les vertus
qu'elle feule peut produire. « Par fes
» loix contre le blafphême, & fur- tout
» par fes exemples de piété , Saint Louis
$9
વ
confacra le refpect dû à la Religion .
» Le Chriftianiſine , qui a eu la gloire
» de réclamer , avant la raifon même
» en faveur des ferfs , la liberté qui eſt
» la vie civile de l'homme , comme la
» verta eft fa vie morale ; le Chriftia-
» niſme qui , en déclarant par la bouche
de fes Pontifes dans le Concile de
Latran , ne vouloir point d'Efclaves
» dans ſon ſein , a enfin aboli l'efclavage
6.
AVRIL 1777. 147
$
» en Europe : le Chriftianiſine étoit né-
» ceffaire à Louis pour policer un Peuple ,
» en faveur duquel on auroit pu répéter
» cette énergique prière de David : Seigneur
, faites naître un Légiflateur par-
» mi ces Barbares , afin que les Nations
les mettent au rang des hommes :
» Conftitue, Domine , Legiflatorem fupereos
» ut fciant gentes quoniam homines funt.
Non , il n'appartient qu'au Chriſtianifine
d'opérer une fi étonnante révolution.
L'amour-propre peut déterminer
aux plus généreux facrifices ; cependant
le plus fublime effort de la
» vertu , n'eft pas d'être vertueux avec
danger , mais fans témoins : c'eft le
» devoir du Chrétien , c'eft auffi fon
privilége . Saint Louis avoit befoin
» d'accréditer cette morale pour adoucir
& former les moeurs dans un gouver
nement dénué de principes ; & il fer-
» voit utilement fes fuccefleurs , en ci-
» mentant l'obéiffance des Sujets par les
» liens de la Religion . En effet , la Religion
Chrétienne jette fes racines dans
» le coeur humain ; & après avoir affermi
» les Trônes par l'amour , elle les appuie
"
32
39
•
encore fur les confciences ; elle détruit
» ce penchant funefte vers l'intérêt perfonnel
, qui n'auroit dû naître que
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
"
>> parmi des Sauvages , & qui nous eft
cependant venu des vices de la fociétés
» elle est la bafe des vertus fociales ,
» civiles & domeftiques : il en eft plu-
» tieurs qu'elle feule commande , & il
» n'en eft aucun qu'elle ne perfectionne,
» Eh ! quoi de plus utile aux Peuples &
» aux Rois que le Chriftianifme ! Quoi
» de plus propre à unir les hommes , à
» les faire vivre dans la paix & dans
» l'abondance , que la charité ! Eh ! Mef-
» fieurs , c'est tout l'art de la politique ,
» de ramener les Peuples , par les Loix ,
» vers les préceptes de l'Evangile ! »
"
L'Orateur , en faifant un fi bel éloge
de la morale du Chriftianifme , a l'avantage
de parler , non- feulement d'après
les Miniftres de l'Evangile , mais encore
d'après des Philofophes célèbres , dont
le témoignage ne doit point être fufpect.
Les Montefquieu , les Maupertuis , les
Rouffeau , les d'Alembert , ont tenu le
même langage , & nous ont laiffé des
armes pour repouffer les Détracteurs
d'une Religion qui , pour me fervir des
propres expreffions d'un de ces Philofofophes
, fait notre bonheur dans cette
vie , en paroiffant n'avoir d'objet que la
* Montefquieu,
AVRIL. 1777 149
félicité future , & devient le meilleur
garant que l'on puiffe avoir des moeurs &
de la probité des hommes .
Nous voudrions pouvoir extraire plufieurs
autres morceaux éloquens qui font
répandus dans le Panégyrique de Saint
Auguftin , cet efprit fublime , qui , après
avoir été abandonné à l'erreur , reçut ,
avec tant d'abondance , les plus vifs
raïons de la vérité divine , & qui devint
un des plus précieux vafes du faint
amour , après avoir été près de la moitié
de fa vie , la proie de l'amour impur.
Après une telle expérience , pouvoit- il
n'être pas le plus illuftre Prédicateur &
l'Apôtre le plus ardent de la grace de
Jéfus Chrift , qui , feule , fait fortir la
lumière des ténèbres . Cet illuftre Docteur
de l'Eglife avoit remarqué que la
plupart des Panégyriftes de fon temps
ne fembloient fe propofer d'autre but ,
que de perfuader qu'ils favoient parler
agréablement & avec élégance . M. l'Abbé
Mauri a fu éviter cet écueil , en cherchant
plus à inftruire qu'à plaire , & a prouvé ,
par fa compofition , qu'on peut einployer
avec fuccès & à propos , dans des éloges ,
ce qu'on appelle , dans l'art oratoire , les
'grands mouvemens.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
L'Éloge de M. Fénélon qui s
obtenu l'acceffit au jugement de l'Académie
Françoife , fournit matière à la
même réflexion , & prouve bien que
ce genre de compofition tire tout fon
éclat du choix judicieux des actions
du Héros qu'on loue , & de l'art avec
lequel on fait les rendre intéreffantes ,
par la manière de les préfenter. M.
T'Abbé Mauri n'a pas cru devoir fe
borner à fournir des exemples de l'élaquence
de la Chaire ; il développe , dans
fon Difcours préliminaire , & dans fes
réflexions fur les Sermons de Boffuet ,
les préceptes les plus propres à perpétuer
le bon goût de la vraie éloquence , &
appelle à fon tribunal les Ecrivains les
plus célèbres. C'eft avec la plus grande
impartialité qu'il prétend les apprécier.
Ce n'eft ni le Maître , ni Patru , dit-il ,
qui occupent le premier rang au barreau
François ; cet honneur eft réservé
à Péliffon , qui a mérité une gloire
»immortelle , en compofant fix Mémoires
pour le Sur-Intendant Fouquet ,
» & fur-tout à Arnaud , qui a furpallé
» tous les Avocats dans l'Apologie des
Catholiques d'Angleterre , accufés
» d'une confpiration contre le Roi Char,.
» les II , en 1678. Lifez cette éloquente
"
AVRIL. 1777. 1st
3
difcuffion ; que de larmes Arnaud vous
»fera répandre fur la mort du vertueux
Vicomte de Stafford ! Orateur fans
» chercher à l'être , il ne paroît pas fe
propofer de vous émouvoir ; mais
par le fimple récit des faits , par la
» feule dialectique , par les dépofitions
» des témoins fur lefquels les Catholi-
» ques furent condamnés , il prouve
» invinciblement leur innocence ; il vous
» attendrit fur le fort des infortunés dont
" il raconte les malheurs , & il rend
» exécrable pour toujours la mémoire du
» fameux Ouatès , qui inventa cette
» abfurde calomnie . Jamais on n'a porté
plus loin la démonftration morale ».
L'Auteur a cru devoir obferver à ce fujet,
que M. Arnaud juftifioit, dans cette occa
fion , des hommes qu'il haïffoit . Nous
obferverons à notre tour , qué le zèle
même trop vif contre des opinions
qu'on regarde comme dangereufes , ne
doit point fe confondre avec la haine ,
cette paffion vile des ames foibles . Dirat-
on que Boffuet haiffoit les Proteftans ,
& que Fénélon , cette ame douce &
compatiffante , ne chériffoit pas les
Théologiens dont il attaque les opinions
avec tant de zèle , dans plufieurs
Giv
12 MERCURE DE FRANCE.
de fes Inftructions Paftorales ? Ces deux
Prélats , auffi recommandables leurs
par
vertus que par leurs talens , favoient bien
que le fouvent zèle ne bleffe que pour
guérir , & que l'amour de la vérité & de
la juftice n'eft point incompatible avec la
charité chrétienne , qui aime toujours
ceux mêmes dont elle attaque les opinions
ou les erreurs : Diligite homines, interficite
errores . Voilà la devife des grands hommes,
& fur-tout de ceux qui favoient
joindre , comme le grand Arnaud , la
philofophie avec la ſcience théologique.
Ecoutons ce que dit avec tant d'éloquence
, & fans reſtriction , le Chancelier
d'Agueffeau , fur cet illuftre Auteur.
« La logique la plus exacte , con-
» duite & dirigée par un efprit naturellement
géomètre , eft l'ame de tous
» fes ouvrages : mais ce n'eft
pas une
» dialectique sèche & décharnée , qui
» ne fe préfente que comme un fquelette
» de raifonnement ; elle eft accompagnée
» d'une éloquence mâle & robufte, d'une
» abondance & d'une variété d'images
qui femblent naître d'elles- mêmes fous
» fa plume , & d'une heureufe fécondité
d'expreffion. C'eft un corps plein de
» fuc & de vigueur , qui tire toute fa
و د
">
»
AVRIL 1777. 153
beauté de fa force, & qui fait fervir
» fes ornemens mêmes à la victoire. Il
» a d'ailleurs combattu pendant toute fa
» vie . Il n'a preſque fait que des Ouvrapeut
» ges polémiques , & l'on dire que
» ce font autant de plaidoyers , où il a
eu toujours en vue d'établir ou de
» réfuter , d'édifier ou de détruire , &
de gagner fa caufe la feule fupériorité
du raifonnement. On trouve
» donc dans les écrits d'un génie fi fort
» & fi puiffant , tout ce qui peut appren-
» dre l'art d'inftruire , de prouver & de
ود
> convaincre » .
par
M. l'Abbé Mauri ne fe borne pas à
apprécier le mérite des Orateurs qui ont
illuftré la chaire , & à nous apprendre
que le célèbre Miffionnaire , M. Bridaine
, poffédoit au plus haut degré le
talent de s'emparer d'une multitude affemblée.
Il appelle encore à fon tribunal
les Orateurs qui fe font diftingués dans le
barreau , & croit nous donner une preuve
de fon goût & de fon impartialité , en
tempérant , par un correctif , les éloges
donnés de toutes parts à M. le Chancelier
d'Agueffeau , confidéré comme Orateur.
Ce Magiftrat , malgré toutes les
belles qualités que M. l'Abbé Mauri lui
donne , n'avoit pas eu affez de vigueur ,
Gv
154 MERCURE
DE FRANCE
.
s'il faut l'en croire , pour s'élever jufqu'à
la hauteur des fujets que le miniftère
public , dans le fanctuaire des loix ,
l'avoit obligé de traiter. Ainfi M. d'Agueffeau
, comme Orateur , n'a point , felon
M. l'A. M. , cette fupériorité
qu'il s'eft
acquife dans les autres genres . Cette
manière de penfer du nouveau Panégyrifte,
ne l'empêche point d'affurer que de
tous les hommes célèbres qui , depuis
le commencement
du fiécle , ont parcouru
la même carrière , M. le Chancelier
d'Agueffeau
eft celui qui s'eft acquis le
plus de gloire en exerçant les fonctions du
miniftère public. Ainfi , quoique placé
fuivant l'opinion de M. l'Abbé Mauri ,
au- deffus des grands hommes qui ont
exercé , & qui exercent encore aujourd'hui
avec tant de gloire les fonctions du
miniſtère public , le Chancelier d'Agueffeau
n'en feroit pas moins , malgré cette
prééminence
fi glorieufe , qu'un foible &
médiocre Orateur. Perfonne ne croira
que M. l'Abbé Mauri ait vouln fe rehaufer
& attirer les regards du Public , en
cherchant à diminuer , s'il étoit poffible ,
la gloire de ces grands hommes , & à
s'efforcer , par cette opinion fingulière ,
d'échapper à l'obfcurité & à l'oubli , dont
médiocrité eft digne , & que la vanité
AVRIL. 1777. 155
ne peut fouffrir. Ses Ouvrages & fa ré
putation le mettent trop au-deffus de pareilles
imputations. Cette nouvelle manière
d'apprécier le mérite du Chancelier
d'Agueffeau , ne peut être que l'effet
de la trop grande docilité d'un Écrivain
qui ne peut pas tout examiner , & qui
eft fouvent obligé de juger fur parole .
Nous fommes intimement perfuadés
qu'il ne fuffifoit à M. l'Abbé Maury.
pour apprécier avec plus d'équité & de
difcernement , les qualités littéraires de
M. le Chancelier d'Agueffeau , que d'avoir
lu , avec la plus légère attention ,
les Plaidoyers dans les caufes de M. le
Prince de Conty & de Madame la Ducheffe
de Nemours , de M. le Duc de
Luxembourg , & des autres Ducs & Pairs
Laïcs , du fieur de la Pivardière „ de M.
& Made la Comteffe de Boffur , & des
héritiers de M. le Duc de Guife , & c.....
י
Au refte , ce feroit faire injure à la mémoire
de cet illuftre Magiftrat , que d'entreprendre
ici fon apologie . Ce n'eft point
par des opinions fingulières & des para
doxes qu'on parvient à dégrader les grands
hommes , de cette haute élévation où le
jugement de la faine partie du public , &
Fadmiration de leurs contemporains s
Gvjj
156 MERCURE DE FRANCE.
ont placés . Tant que le bon goût régnera
parmi nous , le Chancelier d'Agueffeau
Occupera un rang diftingué parmi les
Orateurs du Barreau ; & s'il arrivoit jamais
qu'on ne lui rendît point la même
juftice , ce feroit une preuve que les Écrivains
, qui ont fubftitué l'enflure à l'élévation
& le bel efprit au génie , ont enfin
opéré , dans la littérature , la révolution
dont elle étoit menacée . Mais rien n'eft
plus propre à éloigner cette trifte époque
, que les préceptes excellens & les
morceaux éloquents qu'on admire dans
l'Ouvrage que nous annonçons
.
ANNONCES LIT TÉRAIRES.
DICTIONNAIRE
ICTIONNAIRE interprête , Manuel
des noms Latins de la Géographie ancienne
& moderne , pour fervir à l'intelligence
des Auteurs Latins , principalement
des Auteurs claffiques , avec
les défignations principales des lieux ;
Ouvrage utile à ceux qui lifent les Poë-
› les Hiftoriens , les Martyrologes ,
les Chartes , les vieux Actes , & c . & c.
in-8° . Prix 4 liv. broché. A Paris , chez
AVRIL. 1777. 167
Lacombe , Libraire , rue de Tournon ,
près le Luxembourg.
On trouve chez le même Libraire ,
Le Tableau Politique & Littéraire de ·
l'Europe , fuivi d'une notice des découvertes
dans les arts , dans la phyfique ,
des fingularités de la nature , des défaftres
, avec une lifte des bienfaiteurs ,
Édits , Déclarations , Ordonnances , & c.
pour l'année 1775 , vol . in- 12 broché.
Prix 2 liv.
Hiftoire de la République Romaine
dans le cours du VII fiècle ; par Sallufte
; en partie traduite du latin fur
l'original , en partie rétablie & compofée
fur les fragmens qui font reftés de
fes livres perdus , remis en ordre dans
leur plan véritable , ou le plus vraiſemblable
, trois volumes in-4 ° . avec figures .
Prix 45 1. en feuilles , 46 l . 16 f. brochés
en carton. A Dijon , chez L. N. Frontin
Imprimeur du Roi ; & fe trouve à Paris
chez Piffot , Libr. , quai des Auguftins.
L'Odyffée d'Homère , traduite en vers ,
avec des remarques , fuivie d'une difer158
MERCURE DE FRANCE .
tation fur les voyages d'Ulyffe ; par M.
de Rochefort , de l'Académie des Infcriptions
& Belles - Lettres , deux volumes.
in-8 ° . A Paris , chez Brunet , Libraire ,
rue des Écrivains.
و ک
Euvres de M. le Vicomte de Grave
contenant Varon & Phædime , Tragédies
, avec quelques pièces fugitives , br.
in- 12. Prix 2 liv. A Paris , chez la veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
& Cailleau , Imprimeur- Libraire , rue S.
Severin .
,
On trouve chez Nyon aîné , Libraire ,
Bue Saint-Jean-de- Beauvais ,
Les Coutumes Anglo- Normandes ; par
M. Houard , in-4 ° . fecond volume.
Loix des François , traduites de l'Anglois
de Littletton , deux volumes in - 4®.
24 liv.
Le tome I. François & Latin , des
Modèles choifis de latinité de M. Chom
pré , deux parties in- 12 . Le Latin & le
François font féparés pour l'ufage des
Colleges & des gens du monde.
AVRIL. 1777. 159
Cours d'Études ; par M. l'Abbé de
Condillac , quinze volumes in- 8 °.
De la Vieilleffe ; par M. Robert ;
Docteur Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , premier Médecin & Confeiller
intime de feu S. A. S. Chriftian
IV , Comte Palatin , Duc des Deux-
Ponts , volume in- 12 . A Paris , chez
L. Cellot, Imprimeur- Libraire, rue Dauphine
, 1777 .
Supplément à l'Encyclopédie , ou Dictionnaire
raifonné des Sciences , des Arts
& des Métiers ; en cinq volumes infolio
, dont un de planches. Les trois
premiers volumes actuellement en
vente ; le quatrième & le cinquième
en Juillet prochain . A Paris , chez
Stoupe , Imprimeur- Libraire , rue de
la Harpe ; & chez les principaux Libraires
de France & des pays étrangers.
On a mis en vente le Supplément as
Dictionnaire raifonné des Sciences , des
Arts & des Métiers , par une fociété de
Gens de Lettres . Il eft compofé de cinq
volumes in-folio ; favoir , quatre de dif
160 MERCURE DE FRANCE.
cours & un de planches. Le caractère &
le papier font femblables à ceux de l'Ouvrage
en vingt- huit volumes in-folio ,
dont on vient d'achever à Genève , une
réimpreffion entièrement conforme à
l'édition de Paris ; enforte que ce Supplément
fert pour l'une & pour l'autre.
C'est l'Ouvrage de MM. d'Alembert ,
le Marquis de Condorcet , le Baron de
Haller , Bernoulli , de la Lande , Adanfon
, Marmontel , & d'autres Savans
des Académies de France & étrangères.
Ils y ont raffemblé les nouvelles découvertes
faites dans les Sciences & les Arts ;
& ce qui n'eft pas moins effentiel , ils
ont corrigé un grand nombre de fautes
pardonnables , fans doute , à des Gens
de Lettres qui éprouvèrent trop de contradictions
, pour porter d'abord leur entrepriſe
à fa perfection . Ainsi , le Supplément
qu'on annonce , complette ce dépôt
immenfe des connoiffances humaines.
Au mois de Juillet dernier , on a publié
les deux premiers volumes , pour
lefquels on a payé 48 liv. & 12 liv. à
valoir fur le volume de planches .
On délivre actuellement le troisième
volume , au prix de 24 livres.
En Juillet prochain , on publiera les
AVRIL 1777,
161
quatrième & cinquième volumes , qui
complettent l'Ouvrage , pour lefquels on
paiera 60 livres .
Nous avons parlé des deux premiers
volumes de cet important Ouvrage : nous
parlerons inceffamment du troisième , qui
ne leur eft pas inférieur. Les perfonnes
qui pofsèdent l'Encyclopédie , doivent
favoir gré aux favans Auteurs de ce Supplément
, d'avoir travaillé , avec autant
de zèle que d'intelligence & de goût ,
à perfectionner ce grand Ouvrage.
Laporte , Libraire à Paris , rue des
Noyers , vient d'acquérir les articles
fuivans :
Traité des Monnoies , & de la Jurifdiction
de la Cour des Monnoies , en forme
de Dictionnaire , contenant l'hiftoire des
Monnoies des anciens peuples , Juifs ,
Gaulois & Romains ; les Monnoies de
France , leurs variations , titres , poids
& valeurs depuis le commencement de
la Monarchie jufqu'à ce jour ; la fabrication
des Monnoies de compte , réelles &
courantes en Afie , en Afrique & en
162 MERCURE DE FRANCE.
Amérique , &c. Ouvrage très- utile aux
Officiers des Monnoies , aux Changeurs,
Affineurs , Orfévres , Horlogers , Négocians
, Banquiers , & à tous les Curieux
qui veulent prendre connoiffance des
Monnoies , &c. deux volumes in-4°.
24 liv. reliés .
Lettres choifies des Auteurs François
les plus célèbres , pour fervir de modèle
aux perfonnes qui veulent fe former dans
le ftyle épiftolaire , &c . deux volumes
in- 12 de 500 pages chacun . Prix s liv.
réliés.
Nouvelle Encyclopédie portative , ou Ta
bleau général des Connoiffances humaines
; Ouvrage recueilli des meil
leurs Auteurs , dans lequel on entreprend
de donner une idée exacte des
fciences les plus utiles , & de les
mettre à la portée du plus grand nombre
des Lecteurs , deux volumes in- 8 °.
10 liv . reliés .
Le titre de ce dernier Ouvrage an
nonce fon importance , fon utilité , &
l'étendue des matières qu'il embraffe .
Les Connoiffances humaines y font difAVRIL.
1777. 163
tinguées en deux claffes : la première
comprend les connoiffances que nous
devons à nos fens , & la feconde , celles
que nous devons à la réflexion.
Avis fur la Table du Journal des Caufes
eélèbres , Ouvrage périodique pour
lequel on foufcrit chez le fieur Lacombe
, Libraire , rue de Tournon ,
douze volumes par an. Prix 18 liv.
pour Paris , 24 livres pour la Province ,
franc de port.
Nous avons annoncé au mois de Novembre
1776 , que M. Défeffarts propofoit
de donner une Table de tous les
volumes du Journal des Caufes célèbres ,
& que le volume qui la renfermeroit ,
paroîtroit dans le courant du mois de
Juin 1777. Comme il n'a reçu qu'un
très- petit nombre de foufcriptions pour
ce volume , les perfonnes qui defireront
fe le procurer , font priées de foufcrire
avant le commencement de Juillet , parce
qu'on ne tirera que le nombre des exemplaires
néceffaires pour les Soufcripteurs.
L'utilité de cette Table n'a pas befoin
d'être prouvée. Avec fon fecours , lé
Journal des Cauſes célèbres deviendrá
164 MERCURE DE FRANCE.
un receuil de Jurifprudence qu'on pourra
confulter avec la plus grande facilité . Cet
avantage eft précieux pour les Jurifcon
fultes. La Table n'eft pas moins utile
pour les perfonnes qui lifent cet Ouvrage
pour leur plaifir , puifqu'au lieu d'être
embarraffés à chercher une caufe ou un
trait particulier , ils le trouveront fur le
champ. Le prix de ce volume eft de ;
liv. franc de port.
ACADÉMIE S.
PARIS.
I.
L'ACADÉMIE Royale des Infcriptions &
Belles Lettres a fait , le 8 Avril dernier ,
fa rentrée publique . M. l'Abbé Ameilhon
a ouvert la féance par la lecture d'un
Mémoire fur la métallurgie des anciens ,
dans lequel il donne un Précis des opérations
des anciens pour la découverte
des mines , les fouilles & la fonte des
métaux .
AVRIL. 1777. 165
M. Déformeaux a lu enfuite un Mémoire
fur la nobleffe françoife .
M. Deguignes en a lu un autre intitulé
: Hiftoire de la Religion Indienne à
la Chine , dans lequel , en indiquant les
principales révolutions que cette Religion
à occafionnées . dans cet Empire , il fait
voir que depuis l'an 65 de J. C. , &
même long-temps auparavant , les Chi
nois n'ont jamais ceffé d'être en commerce
avec les peuples d'occident.
M. Dupuy a terminé la féance par la
lecture de la Préface qu'il doit mettre à
la tête d'un morceau Grec d'Enthemius
fur les miroirs ardens , qui fera imprimé
dans les Mémoires de l'Académie .
I I.
L'Académie Royale des Sciences a fait
fa rentréepublique le Mercredi 9. La féance
a commencé par
l'annonce que fait le
Secrétaire des pièces qui ont remporté
les prix , & des arts publiés par l'Académie
.
Le prix propofé fur la théorie de la
conftruction des bouffoles de déclinaifon ,
& la recherche des loix de la variation
diurne des aiguilles aimantées , a été par,
166 MERCURE DE FRANCE.
tagé entre M. Wans Winden , Profeſſeur .
de philofophie à Francker , en Frife , &
M. Coulomb , Capitaine au Corps Royal
du Génie. L'Académie a donné en mêmetemps
un pux d'encouragement de 800
liv. à M. Magni , qui lui avoit préfenté
une boutfole propre à obferver avec précifion
les variations diurnes.
Une compagnie de Négocians avoit
propofé un prix de 1200 liv. pour celui
qui donneroit la meilleure analyſe de l'Indigo
, & la meilleure théorie des opérations
de la teinture dont l'Indigo eft la
bafe : le prix a été partagé entre un Mémoire
de M. Quatremere , Ecuyer , Entrepreneur
de l'ancienne Manufacture
Rovale de draps de Pagnon , à Sedan , &
un Mémoire dont les Auteurs font MM .
Hecquet d'Orval , Négociant d'Abbeville
, & M. de Ribaucourt , Apothicaire
de la même ville .
M. Quatremere n'a que 22 ans , circonftance
qui doit encore augmenter fa
gloire. On trouvera dans fon Mémoire
des moyens certains de rétablir les cuves
de bleu , lors même qu'elles paroiffent
putréfices.
L'Académie propofe pour fujet du prix
de 1779 , de donner : La théorie des ma-
1
AVRIL. 1777. 167
chines fimples , en ayant égard au frottement
de leurs parties & à la roideur des
cordages ; mais elle exige que les loix du
frottement & l'examen de l'effet réfultant
de la roideur des cordages , foient
déterminés d'après des expériences nouvelles
, & faites en grand. Elle exige de
plus , que les expériences foient applicables
aux machines ufitées dans la Marine ,
telle que la poulie , le cabeftan , le plan
incliné.
L'Académie déclare que le prix ne fera
point accordé aux pièces qui ne contiendroient
ou qu'une théorie mathématique
& abftraite , ou même qu'une théorie
fondée fur des expériences déjà connues .
Le prix fondé par feu M. Bouillé de
Meflai , Confeiller au Parlement , eft
de 2000 livres. Les pièces feront écrires
en françois ou en latin , & adreffées au
Secrétaire de l'Académie : elles ne feront
admifes au concours que jufqu'au premier
de Septembre 1778.
Ce prix , dont le fujet eft toujours relatif
à la navigation , fe diftribue toutes
les années impaires ; l'Académie donne
toutes les années paires un prix d'Aftronomie
phyfique de 2500 liv. auffi fondé
par M. Bouillé de Meſlai,
168 MERCURE
DE FRANCE
.
Les Arts publiés cette année par l'Académie
, font la feptième partie de l'Art
de fabriquer les étoffes de foie , par M.
Paulet ; & la dernière partie de l'Art d'exploiter
& d'employer les mines de charbon
, par M. Morand. On trouve dans
ce dernier Ouvrage , une differtation trèsbien
faite & très- propre à détruire les
terreurs paniques qu'on a cherché à infpirer
contre l'ufage du charbon de terre
pour le chauffage.
Les Ouvrages lus dans la féance ont été :
1º. Une Obfervation de M. de Lavoi
fier , fur la décompofition de l'air dans les
poumons. Il paroît que nos poumons abforbent
précisément cette partie de l'air
atmosphérique qui fe combine avec les
métaux lorfqu'on les calcine ; ce qui refte
enfuite de l'air commun ainfi décomposé ,
a des propriétés différentes ; & quoique
toujours élastique , il ne peut plus fervir
à la refpiration . Ainfi cette fonction ,
regardée fi long - temps comme purement
méchanique , devient , par cette
nouvelle théorie , une opération chymique.
2. Un Mémoire de M. d'Aubenton ,
fur la manière de perfectionner l'efpèce
des bêtes à laine ; il en résulte qu'en temant
ces animaux l'hiver , foit en plein
air ,
AVRIL. 1777) 169
air , foit fous des hangards où l'air circule
librement , on pourra , avec un petit
nombre de béliers d'Espagne , mêlés avec
nos eſpèces les plus communes , fe procurer
, au bout de quelques générations ,
une race égale à celle d'Elpagne.
3º . Un Mémoire de M. de Milli , fur
un métal compofé d'or & de fer , qui
a quelques propriétés communes avec la
platine , fubftance fingulière , que plufieurs
Chymiftes regardent comme un
troisième métal partait , tandis que les
autres n'y voient qu'un mélange de fer
& d'or. Le métal de M. de Milli réfifte
aux acides fimples les plus forts , n'eft
pas fujet à la rouille , & acquiert facilement
la vertu magnétique ; ces propriétés
peuvent le rendre utile.
4º. M. Pingré a lu un Mémoire fur
une comète qu'un Écrivain grec rapporte
avoir vu paffer fur le difque de la Tune ,
en 1454.
5. La Préface d'un Ouvrage fur la
conftruction des hôpitaux ; par M. le
Roy. Un feul malade dans un lit ; les
lits féparés par des paravens ; un bâti
ment formé de plufieurs falles ifolées ,
autour defquelles l'air circule librement ;
des falles conftruites de manière qu'un
II. Vol. 且
170 MERCURE DE FRANCE
1
courant d'air perpétuel entraîne l'air putride
qui s'y forme à chaque inftant :
telles font les idées que la faine phyfique
& l'amour de l'humanité ont infpirées à
M. le Roy.
6º. Un Mémoire de M. l'Abbé Ro
chon , fur la manière d'employer la propriété
connue du cryftal de roche ; d'avoir
une double réfraction à la meſure de
petits angles avec la plus grande préci
fion. Cette idée peut devenir d'une grande
utilité dans l'Aſtronomie , & même y
faire époque.
7º . Un Mémoire de M. de la Place ,
fur la nature du fluide qui refte dans la
machine Pneumatique ; lorfqu'on y fait
le vuide , ce n'eft pas feulement de l'air
très-dilaté , comme on l'avoit fuppofé
jufqu'ici : les corps fluides , ou feulement
humides qui font fous la pompe , fe va
porifent à la chaleur de l'atmoſphère ,
lorfque le poids de l'air ne s'y oppofe
plus , & fe condenſent lorfqu'on fait rentrer
l'air fous le récipient.
8°. M. le Chevalier de Borda devoit
lire les détails d'un voyage très - intéreffant
, qu'il vient de faire par ordre du
Gouvernement , pour déterminer le giffement
des côtes de l'Afrique , & la poJAVRIL
37771 171
1
firion des Canaries ; & M. Portal , un
Mémoire fur les effets de la faim dans
les animaux .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LES Concerts donnés au Château des
Tuileries pendant la vacance des Spectacles
fous la direction de M. le Gros ,
ont attiré un grand concours d'Amateurs ,
& ont eu le fuccès le plus brillant & le
mieux mérité. On y a principalement
admiré & applaudi plufieurs belles fymphonies
de MM . Goffec , Cambini ,
Guénin , Chartrain , Hayden & Sterzel,
ainfi que les moters & oratorio de MM .
Traietta , Rigel , Saint-Amans , Goffec ,
Rey , Aleffandri , Piccini , & le Stabat
de Pergolèfe. Mademoiſelle Giorgi , fi
admirable par la beauté & la foupleffe
de fon organe , & par l'étonnante facilité
-de fon chant ; Mademoiſelle Danzi , qui
joint à la voix la plus étendue , la plus
extraordinaire dans les fons aigus , & la
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
plus agréable , un art infini & un goûr
exquis ; Mademoiſelle Plantin , dont la
belle voix eft conduite par un fentiment
toujours vrai , ont recueilli tous les fuffrages
des Connoiffeurs & des Amateurs.
On a donné les mêmes applaudiffemens
à MM. le Gros , Guichard , Nihoul ,
Richer & Platel , dont les talens font
bien connus , & célébrés par tous ceux
qui ont eu le plaifir de les entendre.
f
Les Virtuofes très-renommés qui ont
fait les délices de ces Concerts , font
M. Jarnovick , Artifte fublime ; & MM.
Capron , Chartrain , Stamitz , pour le
violon ; MM. le Brun & Bezozzi fur le
hautbois ; MM. Baer & Rhatel pour la
clarinette ; M. Punto pour le cor-dechaffe
; M. Duport pour le violoncelle .
On a entendu avec fatisfaction une fonate
de clavecin par Mademoiſelle Caroli ,
âgée de huit ans ; un concerto de violon
par Mademoiſelle Defchamps , élève de
M. Capron ; un autre concerto de violon
par M. Loifel , élève de M. Sautel ;
un concerto de violoncelle par M. Dareau
. On ne peut donner l'idée de la
perfection & de l'enſemble enchanteur
de la voix furprenante de Mademoiſelle
Danzi ,accompagnée par le hautbois , mon
AVRIL. 1777. 178
moins étonnant, de M. le Brun. L'habile
Directeur de ces charmans Concerts , a
rempli toutes les efpérances que donnoient
fes talens & fon goût , par l'heu
reux choix des morceaux les plus brillans
, par la piquante diftribution des
talens les plus diftingués , & par la réunion
d'excellens Muficiens en tout
genre.
O`PÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a fait l'ouverture de fon Spectacle par
Iphigénie en Aulide , fuivie des Rufes de
Amour , Ballet Pantomime .
Elle doit donner auffi alternativement
des repréfentations des Actes de la Danfe
& du Devin du Village , en attendant la
repriſe de Céphale & Procris .
Mademoiſelle ITASSE , qui a chanté
avec fuccès au Concert Spirituel , eſt
reçue à l'Académie Royale de Mufique ,
fa jeuneffe , l'agrément de fa figure ,
H-Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
la beauté de fon organe , & le goût de
fon chant , doivent la rendre une Actrice
agréable & utile.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné
une repréſentation du Mifantrope , pour
Louverture de leur Théâtre . M. d'Auberval
a prononcé le compliment d'ufage
dans lequel il s'eft propofé principalement
d'établir que le génie des Auteurs Dramatiques
, contribuoit à former les talens
des Acteurs.
3
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont fait l'ou
verture de leur Théâtre par une repréfentation
du Cabriolet volant , Comédie
Italienne. M. Carlin , Arlequin ,
fait le compliment. Il a joué une difpure
fort plaifante avec fon Souffleur , & a
pris de-là occafion de donner l'eſſor à
a
AVRIL. 1777. 175
fa reconnoiffance & à celle de fes Camarades.
On a donné le lendemain à ce Théâ
tre , une repréſentation de la Rofière de
Salency & du Tableau Parlant , deux
Pièces dont la mufique eft de M. Grétry.
Le Public a marqué fa fatisfaction de
voir M. Laruette reparoître , après une
longue maladie , dans le Tableau Par
tant. Cette parade charmante a été fupérieurement
jouée & chantée par Mefdames
Trial & Colombe ; par MM.
Clairval , Trial & Laruerte. Rien de fi
délicieux que ce Spectacle , quand il eſt
foutenu par des talens auffi diftingués .
On dit que M. Guichard , célèbre
Muficien , & qui a fait jufqu'ici les
délices des Concerts , eft agréé au nombre
des Acteurs de la Comédie Italienne ,
pour les rôles de baffe-taille. On parle
auffi d'un jeune Acteur de Province ,
M. d'Orfonville , bon Muficien , qui a
une voix fuperbe , & qui eft pareillement
agréé pour les rôles de haute-contre.
Ce Théâtre s'enrichit tous les
jours de Pièces agréables & de mufique
excellente dans tous les genres.
L'Italie même adopte plufieurs de fes
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Intermèdes , tels que ceux de M. Grétry,
dont elle admire la muſique , & le génie
auffi riche que
:
fécond.
DEBUT.
Mademoiſelle MONTER a débuté le
Jeudi 10 Avril , fur le Théâtre de la
Comédie Italienne , par le rôle de Fatime
, dans le Cadi dupé. Cette Actrice
n'a point paru avoir , pour remplir ce
rôle, affez de fûreté dans fon organe ,
dans fon chant , ni dans fon jeu , foit
par timidité , foit par défaut de connoiffance
du Théâtre.
Le Dimanche 13 Avril , la Demoifelle
BRABANT a débuté par le rôle de
la mère d'Agathe dans le Sorcier ; elle
a joué le lendemain le rôle de Claudine
dans le Maréchal, Cette Actrice joue
avec beaucoup de feu & d'intelligence :
elle détaille fes rôles avec efprit ;
elle chante agréablement , & elle annonce
beaucoup de talent , avec beaucoup
d'ufage du théâtre . Elle peut être
très- utile dans l'emploi des duègnes , &
autres rôles de ce genre.
AVRIL. 1977. 177
Le fieur D'ARBOVILLE a débuté , le 14
Avril , par le rôle de Marcel dans le
Maréchal ferrant. On lui reproche de
forcer trop fa voix & fon jeu : défauts
faciles à corriger,.
A Monfieur L. N. C. d'E. & L. G. d. P.
à P.
TOI dont le regard perçant , inévitable ,
Découvre , fans efforts , l'intrigue redoutable
Du pervers , qui , fuivant des chemins tortueux ,
Se promet d'échapper à ton oeil vertueux !
O toi dont l'équité , la prompte vigilance ,
Des vices réunis réprimant l'infolence ,
Fais remarquer par-tout , à l'Etranger furpris ,
La paix , la fûreté dans les murs de Paris !
Toi , qui , laborieux , prudent , incorruptible
Sans relâche pourſuis ta carrière pénible ,
Et qui , faifant mouvoir mille refforts divers ,
Semble imiter en tout le Dieu de l'Univers ;
Daigne me reconnoître , ô Magiftrat illuſtre !
L'an où s'eft terminé notre troiſième luſtre
Nous a vus l'un & l'autre , & fous les mêmes toits,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Et dans les mêmes jeux , & fous les mêmes loix.
Geoffroy, du Baudori , connus par l'éloquence *,
Du bon goût dans nos coeurs ont jeté la femence;
Jaloux de tes fuccès , ra conftante douceur ,
Ta joyeuſe amitié défarmoient ma douleur,
Ces leçons , qui traçoient la route du génie ,
Hélas ! ont amené les malheurs de ma vie !
Dans mon fein pour les arts elles ont allumé
Une ardeur dont encor je me fens confumé.
Ivre du grand Corneille , affamé de ſa gloire ,
Brûlant de m'illuftrer au Temple de Mémoire ,
Damon, je fus vingt ans en Province caché ,
Sur un fombre bureau , faus relâche attaché.
De nos Acteurs fameux la démarche fublime,
Leur filence éloquent , le feu qui les anime ,
Leursorganes flatteurs m'étoient toujours préfens;
Dans le fein du repos j'entendois leurs accens.
Plein de ces fouvenirs brûlans , inévitables,
Je combattois envain des penchans indomptables,
Pour céder aux defirs d'un père révéré ,
Mais , ofons l'avouer , plus tendre qu'éclairé.
Forcé par le deftin qui défoloit ma vie,
Je partis, l'oeil en pleurs ; je quittai ma patrie ;
* Deux Profeffeurs de Rhétorique à Louis-le- Grand.
AVRIL. 1777. ·179
"
Sous un ciel étranger , les Dieux perfécuteurs
Conduifirent mes pas à de nouveaux malheurs .
Sortant du cercle heureux d'une douce abondance ,
O Damon j'ai connu la profonde indigence !
Mon fein fut dévoré par d'horribles tourmens
Qu'excitoient avec rage un défaut d'alimens.
Dans ces jours de douleur , à ma foible paupière
Vainement le foleil prodiguoit fa lumière ;
Je croyois n'entrevoir que les pâles flambeaux ,
Dont l'homme gémiffant entoure les tombeaux.
Incertain , chancelant , accablé de trifteffe ,
Sur un lit dépouillé j'étayois ma foibleffe ;
Pour fufpendre un inftant mes fupplices affreux ,
J'appelois le fommeil ... il fuyoit de mes yeux.
<
Le mortel courageux , plongé dans l'infortune ,
Sait quitter , dira -t-on, une vie importune ;
Se déchirant le fein d'un bras déterminé ,
Il triomphe du fort contre lui déchaîné.
Cette fureur , qui naît d'un excès de courage,
A la vertu , Damon , me paroît un outrage.
Que des autres mortels le pervers détaché,
De fon propre bonheur uniquement touché,
Qui , des infortunés dédaignant les alarmes ,
N'a jamais , avec eux , fu répandre des larmes ,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Qu'un tel monftre, accablé fous le poids des revers,
Par la mort , à l'inftant , purge cet Univers ;
Peut- il , dans l'indigence où le fort l'abandonne ,
Agréer des bienfaits qu'il n'offrit à perfonne !
Mais quand on a cent fois , par des foins généreux,
Soi-même confolé les jours des malheureux ,
Malheureux à fon tour , on reçoit , fans foiblefſe ,
Des fecours empreffés , donnés avec nobleffe,
Ce mutuel tribut dévoile avec fplendeur,
Sur le front des humains , la fuprême grandeur.
Paris voit un Mortel à qui je dois la vie ,
Et par qui j'ai revu le ciel de ma patrie ;
Loin que tant de bienfaits puiffent m'humilier ,
Ma volupté , ma gloire eft de les publier.
Mon coeur eft fous les yeux de l'arbitre ſuprême ;
Le bien que j'ai reçu , je l'euffe fait moi même.
Dans mes jours fortunés , que d'un pareil malheur
J'euffe fait avec joie oublier la douleur !
Sentant avec tranſport la noble bienfaiſance ,
J'en fens mieux les plaifirs de la reconnoiffance.
Atoute heure , & du Peuple & des Grands entouré,
Damon , fi juſqu'à toi ma voix a pénétré ,
Sur moi fixe les yeux ; que mon fort t'intéreffe ;
Rappelle à ton efprit ta première jeuneffe
AVRIL. 1777. 181
Moi qui, brillant de joie , ai partagé tes jeux ,
Hélas ! en te quittant , j'ai ceffé d'être heureux!
Par M. de Longueville.
COUPLETS à l'occafion d'un trait de
bienfaifance que Mademoiſelle Baron ,
arrière petite-fille du célèbre Baron ,
Comédien du Roi , vient d'éprouver de
la part de Mademoiselle Dangeville.
Air: De tous les Capucins du monde.
Aux Defcendans du Grand Corneille
Fortune fit la fourde oreille ;
De honte on les eût va rougir ,
Aidés des fecours du vulgaire;
Un feul eut droit d'ofer s'offrir ,
Et tout Paris nomma Voltaire.
Une bienfaifance auffi belle
Aujourd'hui s'offre en parallèle
Aux Defcendans du Grand Baron :
C'eft la célèbre Dangeville
Qui , refpectant un fi beau nom,
A l'infortune fert d'afyle.
182 MERCURE DE FRANCE.
•
Et toi , Baron , aimable fille ,
En qui le fentiment pétille ,
Heureux & digne rejeton !
Dangeville , que l'on révère ,
Ajoute un beau luftre à ton nom ,
En voulant te fervir de mère.
ARTS.
GRAVURES.
1.
Les Plaifirs champêtres , la Partie de
campagne.
DEUX Eſtampes en pendant , de neuf
pouces de hauteur & douze de largeur ,
gravées avec beaucoup de foin & de
talent , d'après deux tableaux originaux de
P. J. Luterbourg , Peintre du Roi , par
Anne Philberte Coulet , de l'Académie
Impériale & Royale de Vienne. Ces
payfages ont un fite fort agréable , orné
de fabriques & de figures qui y répan
dent de l'intérêt . Elles fe vendent à Paris,
AVRIL 1777. 183
chez Lempereur , Graveur du Roi & de
-Leurs Majeftés Impériales & Royales ,
-rue & porte Saint-Jacques.
I I.
Eftampes gravées par M. David , d'après
un Tableau peint par Carle Dujardin ,
repréfentant le Marchand d'Orviétan ,
appartenant à M. d'Azincourt , & provenant
du Cabinet de feu M. Blondel
de Gagny.
Ce morceau précieux eft regardé par
tousdes Amateurs , comme le chef d'auvre
de Carle Dujardin : tous conviennent
qu'ils n'ont rien vu de plus gracieux , ni
de mieux colorié : tous l'ont reconnu pour
être le morceau le plus capital de ce grand
Maître.
M. David , Graveur à Paris , rue des
Noyers , au coin de celle des Anglois ,
déjà connu avantageufement par leMarché
aux Herbes d'Amfterdam , d'après Metfu ,
du même Cabinet que le Marchand d'Or.
viétan , & par d'autres grands morceaux
genre & des portraits des Cabinets de
Monfeigneur le Duc de Praflin , de S.
A. S. le Duc de Deux-Ponts , &c. &c.
de
184 MERCURE DE FRANCE.
& c. termine actuellement ce morceau de
la même grandeur que le tableau original
, dont les figures portent quatre pouces
fix lignes de proportion , & qui paroîtra
dans le courant de l'année 1777 .
Quantité d'Amateurs , ayant déjà retenu
un certain nombre d'épreuves avant
la lettre , M. David , pour en éviter la
multiplicité , prévient qu'il n'en fera tiré
que le nombre de ceux qui fe feront fait
enregiſtrer fuivant le numéro qui leur
fera délivré ; lequel numéro fervira de
quittance pour la fomme de 12 liv. ,
moitié du prix defdites gravures. L'ELtampe
ne fera remife qu'en rapportant
la quittance numérotée & les 12 livres
reftantes.
MUSIQUE.
I.
Ouverture de Fleur d'Épine , ouverture
d'Alcefte & la marche , le tout arrangées
pour le clavecin ou le forté-piano , avec
accompagnement
d'un violon & violoncelle
ad libitum , par M. Benaut , MaîAVRIL.
1777: 185
tre de clavecin de l'Abbaye Royale de
Montmartre , Dames de la Croix , & c.
& c. Prix 3 liv. chacune. A Paris , chez
l'Auteur , rue Dauphine , près la rue
Chriſtine , & aux adreffes ordinaires de
mufique.
I I.
Six fonates pour le clavecin ou pianoforté
, avec accompagnement de violon
ad libitum , dédiés à Monfieur de la
Garde ; par M. Neveu , Maître de clavecin
, oeuvre première. Prix 7 liv. 4 f.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Four-
Saint-Germain , à l'ancien Hôtel de la
Guette , & aux adreffes ordinaires de
mufique.
III.
Méthode de Guitarre , pour apprendre
feul à jouer de cet inftrument , fur les
principes de M. Patouart fils , par M.
Corbelin fon élève. Prix 12 liv. A
Paris , chez l'Auteur , place Saint-.
Michel , maifon du Chandelier ; au
Cabinet littéraire , pont Notre-Dame :
chez le fieur Laflèche , Marchand de
tabac fur le Pont Neuf , au Nº. 6 ;
186 MERCURE DE FRANCE.
& à Verſailles , chez Blaifot , au Cabinet
littéraire , rue Satory ; & aux
adreffes ordinaires.
La méthode que nous annonçons , femble
faire difparoître toutes les difficultés
de la guitarre des principes clairs &
faciles à faifir en font la bafe ; ils font
fimplifiés au point qu'on peut , en trèspeu
de temps , & fans avoir befoin de
Maître , connoître cet inftrument , & exécuter
deffus des accompagnemens , même
des pièces : ils n'exigent de fcience que
celle de lire un peu la mufique fur la clef
la plus connue :la cherté des Maîtres , &
l'éloignement des villes où l'on pouvoit
s'en procurer , ne fera plus un obftacle
pour ceux qui defiroient l'apprendre. Les
Maîtres qui voudront s'en fervir pour
leurs élèves , s'épargneront la peine de
faire des leçons qu'ils trouveront toutes
difpofées & par gradation de force
procureront à leurs élèves la faculté de
faire des progrès très- rapides , en les
mettant à même de rappeler à leur mémoire
, pendant leur abfence , ce qui
leur aura été dit pendant la leçon. Cet
Ouvrage , quoique deftiné à enfeigner
à ceux qui ne favent point , eft égale-
&
AVRIL 187 +
1777.
ment intéreffant pour les perfonnes qui
connoiffent déjà l'inftrument ; car outre
que l'on y trouve des principes , les accompagnemens
, & les pièces que l'Auteur
donne pour leçons , font d'un choix
qui ne peut que plaire aux perfonnes de
goût.
IV.
Recueil d'Ariettes d'Opéra- Comiques &
avec accompagnement de ( autres
guitarre , pour fervir de fuite à la
méthode ci- deffus . Prix 6 liv. , aux
mêmes adreffes.
Ce Recueil eft un choix d'airs & de
paroles , qui fait honneur au goût de
l'Auteur , auffi bien que les accompagnemens,
dont l'exécution eft facile .
*
188 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
Atlas minéralogique de France , ou connoiffance
géographique des différentes
fubftances minérales & corps foffiles
que ce Royaume renferme , entrepris
par les ordres de Monfeigneur Bertin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , dreffé
d'après le Plan , les Voyages & Jes
Mémoires de M. Guettard , de l'Académie
des Sciences , & les Obfervations
de plufieurs autres favans Naruraliſtes
, exécuté en totalité par le fieur
Dupain-Triel père , Ingénieur Géographe
du Roi.
In titre de cet Ouvrage en annonce
l'utilité générale & particulière . Les richeffes
de la France ne font pas toutes
fur fa furface ou fon fol . Elle en a de
renfermées dans fon fein , qui n'attendent
, pour être connues & en être tirées ,
que des yeux obfervateurs , & des bras
que les fecours pécuniaires fortifient.
Une carte qui peut offrir l'enſemble de
toutes ces richeſſes , & montrer à ụn
AVRIL 1777. 189
Royaume toutes fes reffources dans ce
genre , ne peut donc être que très -intéreffante
: voilà fon utilité générale . Son
utilité particulière , c'eft qu'à l'aide des
détails que cette carte offrira , les Poffeffeurs
de mine , par exemple , fauront
précisément l'endroit où elle fe trouve :
tout Propriétaire connoîtra l'intérieur de
la terre qu'il pofsède , & les avantages
qu'il en peut tirer ; les Manufactures de
toutes efpèces feront leurs établiffemens
avec une connoiffance préciſe du local
le plus commode ; les Phyficiens y trouveront
peut- être la folution de quelques
problêmes minéralogiques fur la formation
de la terre ; & les curieux y puiſeront
la découverte de plufieurs corps
foffiles particuliers . En général , voici
peut - être le commencement , dans la
partie qui nous regarde , d'une nouvelle
géographie , ou , fi l'on veut , d'une nouvelle
branche de la géographie proprement
dite , de laquelle les avantages font
déjà certains , & , fi on peut le dire , en
maturité. Plus proche de nous que la
géographie des cieux , auffi relative au
moins à nos intérêts . que la géographie
terreftre , elle offre , comme l'une , les
plus belles découvertes aux curieux , & ,
190 MERCURE DE FRANCE .
plus que l'autre , elle nous préfente , aveč
l'exacte étendue de nos poffeffions , le
tableau frappant de nos richeſſes fouterraines.
Cet Atlas fera compofé de 100 feuilles
de même format , & conftruites fur
la même échelle. Elles pourront ſe réunir
& ne compofer qu'un tout , en les
affemblant de la manière que l'indiquera
la carte particulière des 200 quadrilatères
rectangles que la France renferme ,
fuivant notre divifion .
Chacune de ces feuilles , outre la partie
géographique qui y fera traitée avec
beaucoup de détail & la plus grande exactitude
, offrira , par des caractères con
ventionnels , les différens foffiles & minéraux
qui ſe trouvent dans les environs
des lieux qu'elle renferme. Une -table
explicative de ces caractères , placée fur
la bordure à gauche , feront gravées , foit
les coupes de quelques carrières des environs
, foir quelques points de vue des
montagnes voisines , ou le niveau d'un
endroit quelconque remarquable,
Seize feuilles particulières feront ac
tuellement en état d'être préfentées au
public .
1. Celle des environs de Paris , VerAVRIL
1777. 191
failles , Saint- Germain , Montmorenci ,
Brie , Chevreuſe .
2. Celle des environs de Fontainebleau
, Corbeil , Dourdan , Etampės.
3. Celle des environs de Pontoife
Beaumont , Chaumont , Magny.
4. Celle des environs de Meaux
Rofoy , Coulommiers .
5. Celle des environs de Luzatches
Chantilly, Compiegne, Villers -Cotereſt.
6. Celle des environs de Soiffons
Braine , Fifines , & Rheims ( pour la
Champagne ) .
7. Celle des environs de Machaut
Suippe , Sainte-Mennehoult.
8. Celle des environs d'Épernai
Châlons , Vertus , Sézanne.
9. Celle des environs de Provins
Montreau , Brai , Nogent.
10. Celle des environs de Troyes ,
Anglure , Plancy , Arcis .
11. Celle des environs d'Epinal
Charmes , Thaté , Rambervillas .
12. Celle des environs de Plombières ,
Remiremont , Luxeul.
13. Celle des environs de Luze ?
Betford , Montbelliard .
14. Celle des environs de Schleftatt ,
Sainte-Marie-aux-Mines.
192 MERCURE DE FRANCE.
€
15. Celle des environs de Colmar ¿
Chann , Murback.
16. Celle des environs de Bafle , &
Porentrin.
Outre ces feize feuilles , on a encore
quatorze ou quinze planches gravées ,
qui n'attendent plus que quelques détails
pour être totalement achevées . Nombre
de matériaux & de deffins préparés que
nous a fournis le dépouillement des
meilleurs Mémoires minéralogiques ,
font dans nos porte-feuilles ; & nous
efpérons qu'aidés par les Obfervations
des Savans qui s'occupent de cette partie
, & à qui nous ferons toujours honneur
de leur travail , nous ferons en état
de fuivre , avec autant de confiance que
d'activité , un Ouvrage auffi nouveau dans
fon genre , qu'intéreffant dans fon objet.
On invite ceux qui voudront en conhoître
plus particulièrement les avantages ,
de lire l'avertiffement que nous avons
fait graver, & qui fe trouvera à la tête
de cet Atlas .
Ces feuilles , imprimées fur papier
d'Hollande , ou fur le plus beau chapelet
, font chacune d'un pied & demie de
long , fur dix pouces de large. Celles
qui feront enluminées coûteront 2 liv.
la
AVRIL 1777. ∙193
la feuille , & liv. 10 f. celles qui ne
le feront pas.
On les débitera , à mesure qu'elles
paroîtront , chez le fieur Dupain - Triel
père , cloître Notre-Dame , vis- à- vis la
Maîtrife des enfans de choeur. Il est avantageufement
connu déjà par plufieurs
opufcules de géométrie & de littérature ;
& , ayant fçu réunir les lumières de la
géographie aux talens du deffin & de la
gravure , il a été feul chargé de l'exécution
totale de cet Ouvrage.
OPTIQUE,
Le fieur Girard , Peintre & Opticien ,
fait voir dans fon Cabinet , rue Saint-
Martin , près la rue Saint-Merry , vis- àvis
la rue Oignard , le Plan de l'Elévation
du Canal fouterrain de Saint- Quentin
, jufqu'à Cambrai , à distance de trois
lieues : ainfi que celui du fameux Canal
de Languedoc , & ce qu'il y a de plus remarquable
en France : fpectacle intéreffant
, & qui fait la plus agréable illufion .
Il a auffi une Collection de Tableaux de
grands Maîtres , dont un des plus capitaux
de l'Albane.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE .
COURS DE LANGUE ANGLOISE .
Le fieur Berry , Anglois de Nation , E
Auteur de la Grammaire Générale Angloife
, & Profeffeur de cette Langue ,
commencera un Cours de Langue Angloife
le 14 du courant mois d'Avril ,
dans lequel il fe propofe de faciliter l'étude
de la Langue Angloife , & la prononciation
en peu de leçons. Ce Cours
durera fix mois , & fe tiendra trois fois
la femaine , depuis fix heures du matin
jufqu'à huir.
Les perfonnes qui ne pourront pas
affifter aux leçons du matin , pourront
les prendre le foir aux mêmes heures . Il
donne auffi des leçons en ville , & particulières
chez lui .
On peut fe faire infcrire ou l'avertir
en tout temps. Sa demeure eft , chez M.
Defprez , Marchand Mercier- Clincailler,
à la Croix Blanche , rue de la Sonnerie.
AVRIL. 1777. 195
COURS D'ÉLOCUTION ET D'ORTOGRAPHE
FRANÇOISE.
LE COURS public d'élocution & d'ortographe
françoife de M. de Villencour ,
rue Bétify , au magafin des Princes , s'eft
ouvert gratis le 18 Avril , par un dif
cours dans lequel ce Grammairien a rendu
compre de l'origine & de la variation
des Langues , ainfi que des progrès &
des beautés de la nôtre , &c. Ce Cours
elt fuivi depuis long-temps , & fe continue
tous les jours.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , & c.
Le fieur Dalgréen , Serrurier à Péterfbourg,
a préfenté à l'Académie de cette
ville un modèle d'échelle propre à fervir
dans le cas d'incendies. Il a eu le double
but de rendre fon échelle plus portative
& plus facile à élever. Pour procurer le
I ij
196 MERCURE DE FRANCE ,
" premier avantage , fon modèle eft conftruit
de façon à pouvoir être enfermé dans
une. caiffe de moyenne grandeur ; & ,
pour obtenir le fecond , l'Auteur a imaginé
une roue , au moyen de laquelle
l'échelle eft d'abord élevée & dreffée à
Tendroit requis , fans qu'il foit même
néceffaire de l'appuyer contre un mur,
ou de la foutenir de quelque autre manière
que ce foit. Les échelles faites fur
ce modèle , offriront aux travailleurs la
facilité de prendre toutes les fituations
les plus avantageufes & les plus commodes
pour la direction & le jeu des
pompes,
TRAIT DE GENEROSITÉ ,
DANS une ville de Saxe , les anciens
d'une Paroifle , chargés , fuivant l'ufage
de cet Électorat , de recueillir une collete
générale pour le foulagement des
pauvres , & d'en faire la diftribution ,
entrèrent chez une vieille femme pour
l'infcrire au nombre des infortunés qui
avoient droit à la charité publique. Elle
étoit occupée à ſon rouet dans une petite
AVRIL. 1777. 197
chambre fort obfcure , dont l'ameublement
annonçoit la misère de celle qui
l'occupoit. Inftruite du deffein des Col
lecteurs , elle fort fans rien dire , revient
un inſtant après avec une pièce de monnoie.
« Voici un gros que je viens d'emprunter
, leur dit-elle ; je pourrai le
» rendre quand j'aurai achevé ma filaffe.
" Je connois des gens plus malheureux
و د
que moi ; recevez ce foible ſecours ;
» je ne fouffrirai jamais que mon nom
»foit fur votre lifte , tant que je pourrai
gagner un morceau de pain , & que
j'aurai affez de force pour tirer de
» l'eau du puits voifin : je ne veux point
qu'il foit dit que j'ai volé la ſubſiſtance
» de l'impotent » .
ود
»
ANECDOTES.
I.
UN Matelot de Martigues , petite ville
de Provence , avoit époufé une femme
jeune , belle & vertueufe , qui , ayant
dépensé à-peu-près l'argent que fon mari
lui avoit laiffé en partant , eut recours à
I tij
198 MERCURE DE FRANCE.
un Bourgeois de la ville . Cet homme ,
épris tout- à- coup de la beauté de celle
qui imploroit fon affiftance , voulut mettre
, au fervice qu'elle lui demandoit , un
prix que cette femme honnête refufa fans
héfiter : cependant , comme fon mari ne
revenoit point , toutes fes petites reffources
fe trouvèrent bientôt épuifées.
Contrainte par la néceſſité , qui ſe faifoit
fentir de plus en plus , & par les
befoins toujours renaiffans d'un enfant
qu'elle nourriffoit , & d'un autre plus
âgé qui lui demandoit du pain , elle fe
determina , dans l'efpérance de trouver
un coeur plus humain & plus fenfible ,
à retourner chez celui dont la propofition
l'avoit indignée . Malgré fes inftances
& fes prières , elle ne put rien obtenir,
Elle fut obligée de capituler, & ,vaincue
par le befoin , elle luipermit de venir
fouper avec elle. Après le fouper , qui
fut des plus triftes , cet homme emporté,
la preffe vivement de remplir leur convention
. Cette pauvre femme voyant
qu'il n'y a plus d'efpérance pour elle ,
tire alors fon enfant du berceau où il
dormoit , & le preffant contre fon fein
les yeux remplis de larmes : Tette , lui
dit- elle , tette , mon enfant , & tette bien :
AVRIL 1777 . 199
tu reçois encore le lait d'une honnête femme ,
que la néceffitépoignarde : demain ... Que
ne puis-je , hélas ! te fevrer ? Tu n'auras
que le lait d'une malheureufe ... Ses larmes
achevèrent. Le Bourgeois déconcerté
, s'enfuit à ce fpectacle en jetant
fa bourfe , & s'écriant : Il n'eft pas pof :
fible de réfifter à tant de vertu .
I I.
En 1521 , une puiffante armée de
l'Empereur Charles Quint , mit le fiège .
devant Mezières . Le Chevalier Bayard
réfolat de la défendre , quoique cette
place fur dénuée de tout & n'eut qu'une
très -foible garnifon . Sur ce que quelques
perfonnes lui confeilloient de fe rendre ,
à caufe du peu d'apparence qu'il y avoit
de fauver la ville Avant que d'en
fortir , dit- il , il nous faudra former,
» un pont des cadavres de nos ennemis ».
་ ་
I I I.
Après la révolution qui renverfa Jacques
II du Trône d'Angleterre , on avoit
intercepté des lettres du Comte Godolphin
au Roi détrôné . Cette correfpon-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
dance étoit un crime de haute trahifon.
Le Roi Guillaume , qui connoiſſoit le
mérite du Comte , voulut fe l'attacher
au lieu de le perdre. Un jour , dans un
entretien particulier , il lui montra ces
lettres , loua fon zèle , & ne lui diffimula
point l'imprudence où il l'avoit
engagé. Il lui témoigna le defir qu'il
avoit de le compter au nombre de fes
amis , & en même temps brûla les lettres
de fa propre main. Cet acte de générosité
toucha le Comte , & l'attacha pour ja
mais à Guillaume.
1 V.
Une femme de condition , apparemment
peu fcrupuleufe , jouant au vingtun
, demandoit une carte : celui qui tenoit
la main lui donna un dix : la Dame ,
qui avoit un cinq & un fept, ce qui lui
faifoit 22 , mit le doigt fur le point du
fept , & accufa brufquement 21. Le
Banquier lui paya , fans examen , trois
louis qu'elle avoit mis fur fa carte ; mais
un Anglois qui fe tenoit derrière cette
Dame , & qui avoit mis 50 louis fur fes
cartes , ne vouloit pas accepter l'argent
de celui qui tenoit la main , & ſe tuoit
AVRIL. 1777. 201
de lui dire : Pour vous , Monfir , pour
yous.
-
Mais , Monfieur , n'avez vous
-
pas eu 21 ? Non , Monfir , c'eft Madame
; moi , je n'ai eu que 22.
V.
Richard Steele , célèbre écrivain Anglois
, invita un jour à dîner chez lui
plufieurs perfonnes de la première qua,
lité. Les convives furent furpris , en
arrivant , de la multitude de domeftiques
qui environnoient la table. Après
le dîner , lorfque le vin & la gaieté
eurent banni tout cérémonial , un d'eux
demanda à Richard comment il pouvoir
entretenir , avec fi peu de fortune , un
nombre fi prodigieux de laquais. Richard
lui avoua , avec la plus grande franchife
que c'étoient un tas de coquins dont il
defiroit fort qu'on le débarrafsât . Eh !
qui vous en empêche ? lui répondit le
Lord : « Une bagatelle Une bagatelle , répondit - il ,
c'eft que ce font autant de fergens qui n
» fe font introduits chez moi une fen-
» tence à la main ; & , ne pouvant les
congédier , j'ai jugé à propos de leur
59
» endoffer des habits de livrée afin
qu'ils puiffent me faire honneur tant
"
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
» qu'ils reiteront chez moi ». Ses amis
rirent beaucoup de l'expédient , le déchargèrent
de ces hôtes en payant fes
dettes , & lui firent promettre qu'ils ne
le trouveroient plus fi bien monté en
domeftiques.
V I.
Deux Payfans des environs de Grenoble
plaidoient l'un contre l'autre au Parlement
de cette Ville , pour un objet de
peu d'importance ; mais les frais commençoient
à devenir confidérables. Ils
fe rencontrent un jour , s'abordent , &
conviennent de décider eux -mêmes leur
procès en jouant une partie de boules.
Cette convention faite de bonne-foi de
part & d'autre , fut remplie fidellement.
Le Perdant alla tout de fuite payer les
frais communs du procès , qui montoient
à 300 liv. après quoi ils allèrent
tous deux chez un Notaire faire paffer
l'acte de leur accommodement , dînèrent
enfemble , s'embrafsèrent , & fe quittèrent
bons amis.
AVRIL. 1777. 203
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , 20 Février.
MALGRE ALGRÉ les apparences d'une rupture prochaine
, on croit pouvoir efpérer quelque rapprochement
entre notre Cour & celle de Ruffie ,,
depuis qu'on a vu ici deux yaiffeaux Rules
décharger les munitions & autres effets qu'ils
avoient à bord , & partir enfuite pour la Mer-
Blanche avec des firmans ou paffe- ports du Grand-
Seigneur, afin d'aller charger des grains dans
le golfe de Volo ( côte de Macédoine ) au compte,
de notre Gouvernement . On vient de voir arriver
auffi dans notre port un autre vaiſſeau Ruffe ,
venant de Livourne , avec différentes marchandifes
de l'Angleterre , pour le compte du commerce
établi dans cette Capitale.
Des Frontières de Pologne , 10 Mars,
On écrit de plufieurs en droits que l'on travaille
à un accommodement entre la Ruffle & la Porte,
relativement aux différends, qui fe font élevés ,
pour la Crimée , & que le Prince Proforowski .
doit arranger cette affaire avec des Commiffaires ,
Ottomans.
*
De Varfovie , le 8 Mars.
9.13
Al.1
Le Roi de Pruffe vient d'envoyer ici des
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Emiffaires pour y faire des achats confidérables
de grains , & des marchés avec des Particuliers
qui ont beaucoup
de bleds à vendre.
Les lettres des frontières Polonoifes , voifines
du Boriſthène , annoncent que lecorps des troupes
Ruffes , raff mblées par le Comte de Romanzow,
s'etend infenfiblement chaque jour le long de ce
fleuve , & femble , par cette manoeuvre , fe mettre
en poſture de couvrir de ce côté les frontières
de l'Empire , en s'avançant en même- temps vers
le lieu de fa deftination.
De Copenhague , le 18 Mars:
L'Etat avoit fait , au mois de Mars 1773 , un
emprunt de près de 800,000 rixdalers , en obligations
de 350 rixdalers chacune ; il en a fait
annoncer le remboursement pour le 11 Juin de
l'année prochaine.
De Bonn, le 19 Mars.
heures du
Hier , 18 de ce mois , à onze
matin , vingt- huit bateaux defcendant le Rhin,
ayant à bord douze cens hommes , formant deux
bataillons , l'un des troupes d'Anfpach , & l'autre
de celle de Bareith , ont paffé a la vue de cette
ville ; le Margravé de Brandebourg - Anspach précédoit
en perfonne cette flo ille , dans un yacht ,
& devoit l'accompagner jufqu'à Dordrecht , ou
ce corps de troupes doit être embarqué pour
* Amérique.
AVRIL 1777. 205
De Lisbonne, le 11 Mars.
On célébra ici , le 26 du mois dernier , les
obsèques du Roi Jofeph I. Le convoi , auquel
affiitèrent les Grands du Royaume , partit du
château a huit heures du foir , pour aller a l'Eglife
de Saint- Vincent , où eft le tombeau des Rois.
On a pris ici , à cette occafion , le deuil , qu'on
portera , fuivant l'ufage , pendant un an.
Le Marquis de Pombal ayant donné la démiſfon
de tous fes emplois , a demandé la permiffion
de fe retirer dans la Terre de Pombal ; la
Reine la li a accordée , avec les appointemens
de Secrétaire d'Etat , & lui a donné de plus une
Commanderie de l'Ordre du Ch ift . Le Vicomte
de Ponte de Lima vient d'être nominé pour lui
fuccéder dans la place de Secrétaire d'Etat au
département des affaires intérieures du Royaume.
De Civita-Vecchia , le 20 Février.
La réparation de l'antémural de notre port ,
dont un Ingénieur Maltois eft chargé , a fouffert
peu d'interruption pendant cet hiver , & s'avance
autant qu'on peut le defirer.
De Gênes, le 10 Mars.
Les avis reçus de Livourne annoncent l'arrivée
d'une frégate de guerre Angloife , qui a déposé
que le Roi de Maroc follicitoit vivement la paix,
avec la Hollande , & que ce Prince attendoit de
nouvelles propofitions de la part des Etats -Géné
Iaux
206 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 25 Mars.
Quelques papiers ont dit que c'étoit l'Armée
Provinciale qui feule avoit proclamé le Général
Washington fous le titre de Dictateur; que les
Virginiens , les Troupes du Maryland , & celles de
Triconderago s'étoient hâtées de faire cette élection
militaire , pour empêcher que le Congrès ,
averti du deffein où les Troupes étoient a cet
égard, n'y mit quelque obftacle ; mais des perfonnes
, vraisemblablement mieux inftruites
croyent que le Congrès a feulement donné à se
Général un pouvoir militaire plus étendu , afin
que l'Armée Continentale eut déformais plus de
confiftance fous fes ordres .
Le Lord Guillaume Cambell , Gouverneur de
la Caroline du Sud , vient d'arriver de New-
Yorck , & il a eu auffi-tôt une longue conférence
avec le Roi au Palais de la Reine .
Quoique les Régimens actuellement en Amérique
ayent été augmentés ; la Cour n'étant rien
moins que certaine de pouvoir le procurer d'au
tres Troupes auxiliaires , a envoyé des ordres à
Hanovre pour y tenir les Troupes Électorales
complettes & prêtes à paffer où les circonstances
pourroient l'exiger. On dit auffi que les renforts
qui étoient deftinés pour Quebec ont ordre de fe
rendre à la Nouvelle- Yorck ,
Le Congrès a pris la réfolution de porter l'Armée
Américaine jufqu'à cent dix bataillons , for-'
mant un corps de quatre - vingt-deux mille cinq
cens foixante hommes , qui doivent être prêts à
AVRIL 207 1777.
entrer de très bonne heure en campagne , & dont
les derniers fuccès rendent la levée plus facile
qu'on n'avoit ofé l'efpérer.
Le Régiment de l'Artillerie Royale , à Dublin ,
a follicité auprès du Comte de Buckingham l'hon
neur d'aller fervir le Roi en Amérique ; leurs
defirs ont été communiqués à Sa Majeſté , qui
leur a auffi - tôt expédié des ordres de s'embar
quer à Corke pour Halifax.
La Cour a envoyé des inſtructions nouvelles au
Général & au Lord Howe , pourleur être portées
par un paquebot retenu à Falmouth pour cet
effet. Le plan d'opération pour la campagne prochaine
différera , dit- on , de celui de l'année dernière.
Les Généraux font chargés de pénétrer
plus avant dans l'intérieur du pays , & de raffembler
leurs principales forces vers le centre des
Colonies , fans néanmoins perdre de vue les oc
cafions & les moyens de réconciliation.
De Verfailles , les Avril.
Le 31 du mois dernier , le Roi a revêtu de la
grand'croix de l'ordre de Malte Son Alteffe Royale
Monfeigneur le Duc d'Angoulême , Grand- Prieur
de France . Cette cérémonie s'eft faite dans le
Cabinet de Sa Majefté , où les Grands'Croix &
Commandeurs ont été admis.
De Paris , le 11 Avril,
Le Confeil - Supérieur du Port au - Prince a
arrêté , le 16 décembre dernier , qu'il feroit élevé
208 MERCURE DE FRANCE.
dans le cimetière de cette ville , aux frais de la
caiffe municipale du reffort , un mauſolée à la
mémoire du Comte d'Ennery , lieutenant géné
ral des armées du Roi , gouverneur-général à
Saint- Domingue hommage rendu a la confi
dération qu'il s'étoit acquife , & jufte tribut des
regrets & de la recornoiffance des Habitans de
cette Colonie.
PRESENTATIONS.
Le 27 mars , le fieur O- Dune , miniftre plénipotentiaire
du Roi près l'Electeur Palatin , qui
étoit ici par congé , a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi par le Comte de Vergennes , Miniftre
& Secrétaire d'État au département des
Affaires étrangères , & de prendre congé de Sa
Majefté , pour retourner à la deftination .
Le 1 avril , la ducheffe du Châtelet , préfentée
par la ducheffe de Mortemart à Leurs Majeftés &
à la Famille royale , prit le tabouret.
Le comte de Montézan , que le Roi avoit
précédemment nommé fon miniftre plénipotentiaire
près l'Electeur de Cologne , fur la démiffion
du marquis de Monteynard , a eu , le 3 du même
mois , l'honneur d'être préſenté au Roi par le
comte de Vergennes, Miniftre & Secrétaire d'État ,
& de prendre congé de Sa Majefté , pour retourner
à fa deftination .
Le 6 , le chevalier de Damas eut l'honneur
AVRIL. 1777. 109
être préfentée au Roi , ainfi qu'à la Famille
royale , par le duc d'Orléans , en qualité de l'un
de fes Chambellans .
L'après-midi du même jour , la vicomteſſe de
Sourches eut l'honneur d'être préfentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille royale , par la marquife
de Tourzel.
Le 27 avril , le fieur Mefnard de Choufy , miniftre
du Roi auprès du cercle de Franconie , a eu
l'honneur d'être préfenté au Roi par le comte de
Vergennes , miniftre & fecrétaire d'état au dépar
tement des affaires étrangères , & de prendre
congé de Sa Majefté pour le rendre à fa deftination.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES,
Le avril , le fieur Hilliard d'Auberteuil
avocat au Parlement , ancien habitant de Saint-
Domingue , a eu l'honneur de préfenter au Roi ,
à Monfieur & à Monfeigneur le Comte d'Artois ,
un ouvrage de fa compofition , ayant pour titre:
Confidérations fur l'état préfent de la colonie
françoife de Saint- Domingue , ouvrage politique
& législatif.
NOMINATIONS .
Le bailli de Latour- Saint-Quentin , ci - devant
210 MERCURE DE FRANCE .
capitaine général des efcadres de la Religion ;
que le chapitre de l'ordre avoit nommé par interim
lieutenant du grand prieuré , après la mort
du prince de Conti , a été confiriné ,,
par la nomination
du Roi , lieutenant de Son Alteffe Royale.
Monfeigneur le Duc d'Angoulème , grand prieur
de France : il a fait fes remercîmens le 8 du
même mois .
Le fieur Boyer de Fons - Colombe ayant donné
fa démiffion , pour raifon de fanté , de la place
d'envoyé extraordinaire du Roi auprès de la République
de Gênes , Sa Majefté a difpofé de cette
place en faveur du marquis de Monteil , maréchal
de fes camps & armées.
Le Roi a avancé au grade de capitaine de vaiffeau
dans fa marine , les fieurs Meffieres , Cillart
de Suville , come le Begue , Larchantel , la
Motte-Vauvert , comte de Soulange , marquis de
Coriolis - Puymichel , chevalier de Gras - Preville ,
Brun de Boades , Keredern de Trobriam , chevalier
de Tremigon , Vialis de Fontbelle , Ginefte ,
Cafteller l'aîné , chevalier du Pavillon , Caftellane
Majaftre , chevalier de Botderu , Bajetton
de Montale , Duffault , baron de Cohorn , chevalier
Garnier Saint - Antonin , chevalier de
Montperoux , vicomte de Souillac , d'Aymar
Saint - Orens , Charitre , le Grain , Clavel , Tromelin
, baron de Darfort , de Cambray , comte
de Ligondes , Martelly de Chautard , Seillans-
Collomps , baron de Bombelles , Renaud d'Aleins,
chevaler Turpin du Breuil, comte de Bruyeres ,
Raimondis - Canaux , Duchaffault de Chaon ,
Saint- Riveul , Miffieffy , Lombard , Beffey de la
AVRIL. 1777 . 211.
Voufte , marquis de Laubepin , vicomte de Beaumont
, chevalier de Sillans , Gaetan de Thienne ,
chevalier de Clavieres , comte de Pontèves- Gien ,
& baron d'Efcats , lieutenants de vaiffeaux .
MARIAGES.
Le 31 mars, Leurs Majeftés & la Famille Royale
ont figné le contrat de mariage du duc de
Cruffol , avec demoifelle de Chatillon.
Le fieur Maurice Fitz - Geral- Géraldin , ancien
commandant du régiment irlandeis de Buckley ,
a renouvellé fon mariage avec demoiſelle O
Drifcol , fon époufe , les avril , dans l'églife
royale & paroiffiale de Saint - Louis. Cet Officier ,
qui avoit été page du Roi Jacques Stuart , entra
au fervice en 1710; il commandoit ce régiment
à la bataille de Laufeld , il y cut fon fils
unique tué à fes côtés , & fut lui même bleffé
dangéreufement du même coup de feu qui l'avoit
privé de ce fils .
Le 6 , Leurs Majeftés , ainfi que la Famille
royale ont fignéle contrat de mariage du baron
de Jumilhac , avec demoiſelle de Launay ; &
celui du comte de Mirepoix , capitaine de dragons
au Régiment de Jarnac , avec demoiſelle de Montboiffier.'
MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Chriftian Siegfried , baron de Pleffen , chambellan
de Sa Majefté Danoife , & chevalier de
fon ordre de Dannebrogue , eft mort à Paris, le 9
avril , dans la 81 année de fon âge.
Claude-Profper-Jolyot de Crébillon , cenſeur
royal , né à Paris en 1707 , y eft décédé le 12
avril 1777. Le nom de Crébillon , déja rendu
célèbre par les Tragédies du Père , a acquis encere
de l'illuftration dans les lettres , par les
Ouvrages du Fils . On connoît fes Romans pleins
d'imagination & d'efprit de Tanzaï, du Sopha ,
des Egaremens du coeur & de l'efprit , les Lettres
de la Marquife de ** , Lettres de la Ducheffe ,
&c. Ces ouvrages ne font pas faits pour toutes
fortes de Lecteurs , & ils doivent mêine être mis
avec précaution entre les mains de la jeuneffe.
Mais l'homme du monde y reconnoît les tableaux
vrais de la fociété ; il y voit développés , avee
beaucoup d'art & de franchife , les plus fecrets
refforts des paffions , & les mouvemens d'un
coeur entraîné par la tendreffe . Le but de l'Auteur
étoit de corriger le vice par la peinture même du
vice. L'homme étoit encore plus admirable que
fes 'ouvrages ; douceur de moeurs , fimplicité de
caractère , probité incorruptible , amitié féduifante
& fùre , empreffement d'obliger , oubli de
fes propres intérêts pour ceux des autres ; tels
étoient les principaux traits qui l'ont toujours fait
AVRIL 1777.
213
rechercher , aimer , eftimer par les hommes de
lertres , qui l'appeloient le Grand Enfant , parce
qu'il avoit la candeur de l'enfance unie à tous les
agrémens de l'efprit, & au charme de l'imagina
tion,
Tirage de la Loterie Royale de France ,
du 2 Avril 1777 .
Les numéros fortis de la roue de fortune font :
65, 58 , 14, 82 , 78..
214 MERCURE DE FRANCE.
P
TABLE.
IÈCES FUGITIVES ENVERS ET EN PROSE , p.§
Suite de l'Automne ,
Epigramme ,
Le Savetier & le Teinturier ,
Abairan ,
Couplets fur le choix d'une femme ,
Préface du Ier Livre de l'enlèvement de Proferpine
,
Difcours de Pluton à Jupiter,
Le Printemps ,
Le jeune Moineau & fon Père,
Epître aux Mufes ,
L'Harmonic ,
Ode à Thémire ,
Le Moineau & la Fauvette ,
ibid.
9
10
Π
16
17
19
20
21
22
27
31
Vers à M. le D. de N.
Réponse de M. le D. de N.
Plainte à l'Amour ,
Quatrains pour mettre au bas du portrait de
Madame la Marquise de la P.
Traduction d'une Lettre Arabe ,
Portrait de Madame de S **.
Le Médifant adroit ,
Vers au bas du Portrait de Mile de ** .
Le nouveau Mentor ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
34
36
ibid.
37
38
39
42
43
ibid.
44
48
49
.51
AVRIL. 1777 . 213
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 54
Idylles de Théocrite , ibid.
Précis de l'Hiftoire Universelle , 70
Cathéchifme philoſophique ,
81
Hiftoire de Lorraine , 89
Expériences fur la réſiſtance des fluides , 100
Mémoires de la guerre d'Italie , 107
Lettres Ecoffoifes ,
108
Nouvelles Espagnoles ,
112
Eflai ſur l'éducation Françoiſe ,
119
Poëfies de Malherbe , 124
Fables par M. Willemain d'Abancourt , 129
Traité des maladies vénériennes , 133
Anatomie hiftorique & pratique , 135
Précis de la matière médicale , 138
Difcours choifis fur divers fujets de Religion
& de littérature ,
145
Annonces littéraires , 156
ACADÉMIES , 164
ibid.
Paris ,
SPECTACLES.
Concert ,
Opéra
Comédie Françoife ,
Comédie Italienne
A M. L. N.
171
ibid.
173
174
ibid.
177
Couplets à l'occafion d'un trait de bienfaifance
que Mile Baron vient d'éprouver de la part
de Mile Dangeville .
ARTS.
Gravures
Mufique.
Géographie ,
Optique ,
181
182
ibid.
184
1188
193
216 MERCURE DE FRANCE .
Cours de langue Angloiſe ,
194
--d'élocution françoife , 195
Variétés , inventions , &c. ibid.
Anecdotes. 197
Nouvelles politiques ; 203
Préſentations , 208
d'Ouvrages,
209
Nominations,
ibid.
Mariages , 211
Morts , 212
Lorerie , 213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le fecond volume du Mercure de France
pour le mois d'Avril , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 18 Avril 1777.
DE SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpes
près Saint Côme,
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES .
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1777.
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Tournon , que l'on prie d'adrefler, francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public, & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eltampes & pièces de mufique,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
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que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
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2 1.
12 1.
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21. 10 f,
21. 10
3 1.
991.
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de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol. in-8 °.
--
el .
de l'Hift . Romaine , in- 8 ° . rel .
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brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in - 8 °. br.
Lettres nouvelles de Mãe de Sevigué , 1n- 12 br.
Les mêmes , pet. format ,
Poëme fur l'Inoculation , vol. in- 8 ° . br.
12 16-
61.
3 vol .
6 1 .
21.
2 1. 10 f.
1 l. 16 f.
31.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contre-
41.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , & c .
faits , in- 8 °. br avec fig.
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br.
in-fol. avec planches br. en carton , 241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4°. avec fig. br. en carton , 12 1 L'Agriculture réduite à fes vrais principes, vol . in-12 .
broché
Annales de l'Imperatrice-Reine , in -8 ° . br. avec fig.
11 .
41.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1777.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE de Mademoifelle *** aux
Vouloirs de M. de ... inférés dans le
Mercure . Sur le même Air.
D'AIMER jamais fi je fais la folic ,
Et que je fois maîtreffe de mon choix ,
Connois , Amour , celui qui fous tes loix
Pourroit fixer le deftin de ma vie,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Je le voudrois moins brillant qu'agréable ,
D'un Petit-Maître évitant le jargon ,
Et les faux airs & le frivole ton ;
Sachant fur-tout le grand art d'être aimable.
Je le voudrois au moins d'un moyen âge ,
Joignant l'effet à l'air du ſentiment ;
Le vieux eſt froid , inquiet , dégoûtant ,
Le jeune eft fat , importun ou volage.
Je le voudrois fans goût pour la parure,
Soigneux pourtant , & fans être affecté
De la décence & de la propreté ,
Devant à l'art bien moins qu'à la nature.
Je le voudrois complaifant , mais fincère ,
Contraire au vice , indulgent à l'érreur ,
Sans morgue inftruit , vertueux Cans humeur,
D'un bon efprit & d'un doux caractère.
Je le voudrois un tantet philoſophe ,
Moins en difcours qu'en geftes & beaux faits,
Par fes confeils , fes dons & fes bienfaits ,
Prévenant gens de la plus mince étoffe .
Je le voudrois près des Grands fans baſſeffe ,
Pour les petits rempli d'aménité ,
Ferme & conftant fans opiniâtreté ,
Grand fans orgueil , modefte fans foibleffe.
AVRIL. 1777. 7
Je le voudrois rangé fans avarice ,
Sans profufion , honnête & libéral ,
Avec meſure , ouvert & focial ;
Faifant le bien fans orgueil , fans caprice.
Je le voudrois de moeurs irréprochable ,
Pieux fans aigreur , jufte fans dureté,
Noble fans fafte , élevé fans fierté ;
J'en rougirois s'il n'étoit eftimable.
Je le voudrois qui n'eût pas d'autre envie,
D'autre defir que celui de m'aimer ;
Si cet objet pouvoit le retrouver ,
De l'époufer je ferois la folie.
A une Horlogère , Correfpondante de
PAcadémie des Sciences.
PAR AR vos attraits & vos talens ,
Vous charmerez toujours un Sage ;
Vos mains empriſonnent le tems
Vos yeux en décident l'ufage .
>
ParM, de la Louptiere,
A iv
-8 MERCURE DE FRANCE.
Sur la mort de l'Abbé PERNETTI , des
Académies de Lyon & de Villefranche ,
à un Confeiller d'Etat , fon Élève.-
Vous pleurez un Mentor plus heureux que
l'ancien ;
T
Votre goût délicat s'eft formé fur le fien ,
Et vos foins généreux en furent le falaire :-
Tout le bien qu'on lui fit & le bien qu'il a fait ,
Ne lui montroient que plus d'attrait
Dans le bienqu'il eût voulu faire.
Par lemême.
Imitation de la Préface du Panégyrique
du fixième Confulat d'Honorius , Poëme
Latin de Claudien
PAR
TIE .
AR une aimable erreur nous charmant à fon
tour ,
La fable de la nuit eft l'hiftoire du jour.
En dormant , le Chaffeur , occupé de ſa proie ,
Du daim qu'il a lancé fuit la trace avec joie ;
Le Magiftrat prononce ; & le Guide couché ,
AVRIL. 1777.
Sur fes courfiers fumans fe croit encor penché;
L'Amant fait les lareins , le Marchand fon commerce
,
Chacun avec ardeur dans fon genre s'exerce ;
Erle Buveur , qu'abuſe un fidèle fommeil ,
Boit déjà les flacons gardés pour fon réveil.
Moi ,qui de l'art des vers eut toujours la manie ,
L'oeil à peine fermé , je rêve poësie.
En fonge , l'autre nuit , de l'Olympe écouté ,
Je récitois mes vers : il étoit enchanté .
Un fonge flatte , en tout il ne faut pas le croire ;
Du vainqueur des Titans je célébrois la gloire ,
Et le brillant accueil que lui firent les Dieux ,
Quand des fils de la terre il eut vengé les cieux..
Que la vérité fuit de bien près le menfonge !
Je vois en ce moment réaliſer mon fonge.
Je chante Honorius , & fes brillans exploits ,
D'une oreille attentive il écoute ma voix ;
Son palais eft l'Olympe , & les Dieux qu'on adore,.
Auprès d'Honorius je les retrouve encore.
Le fommeil m'offroit- il rien de plus gracieux ?
Ce que je vois fur terre égale au moins les cieux..
Par M. le Métayer.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
HENRI IV & L'AMBASSADEUR
D'ESPAGNE ..
UN Roidont les vertus ont l'eftime publique ,
Sans rifquer pour la gloire , avec tous communique
,
Méprife ces dehors gênans , pleins de hauteur ,
A des Princes communs tenant lieu de grandeur..
Tel fut le grand Henri , délices de la France ,
Fameux par la candeur comme par ſa vaillance ::
Teleft ce jeune Roi , l'un de fes deſcendans.
Louis , dont la ſageſſe a devancé les ans,
>
Un jour l'Ambaffadeur de la fière Ibérie,
Sondoit Henri le Grand fur l'humeur , le génie
Des trois Grands qui tenoient les rênes de l'Erat „
Pour qu'au ton de chacun le fien s'accommodât.
Tous trois , dit le Monarque , à l'inſtant vont
paroître ;
Leurs propos, mieux que moi , vous les feront
connoître..
Le Chef de la juftice arriva le premier..
Sillery, dit le Roi, vigilant Chancelier ,.
De quifans doute à tout s'étend la prévoyance ,
Je crois ce vieux lambris , de gothique ordonnance,,
AVRIL 1777 .
II
Prêt à crouler; voyez , tirez - moi d'embarras.-
Ah ! Sire , excufez-moi , je fuis neuf en tel cas ;
Combinez gravement le danger , la dépense ;
Qu'enfuite les Experts prononcent leur fentence.
Villeroy, d'un efprit plus flexible & moins lent,
Auprès du vaillant Prince eft admis à l'inftant.
Je crains , lui dit Henri , que ce lambris antique
Ne nous écrase un jour de fon poids magnifique ;
Il faudroit l'enlever. -Le rifque eft effrayant ,
Répondit Villeroy , ( fans le voir autrement)
Sire , on doit admirer votre rare prudence .
Le Préfident Janin termina la féance.
Nous allons , dit le Roi , périr fous ce plancher ,
Sa vétufté m'effraye ; il faudroit le changer.
Janin , dont le coup- d'oeil fage & plein de fineffe,
Savoit juger de tout avec goût & jufteffe ,
N'apperçoit nul danger.
-
Je cherche , Sire ,
envain
Les défauts du lambris , je le trouve encor fain..
Mais ces crevaffes- là qui figurent un crible,
Montrent, fi j'ai des yeux, un péril bien terrible
Dormez, Sire , en repos : allez , ce plancher- là ,
Tout vieux qu'il vous paroît , plus que vous
durera..
Les Miniftres partis , le Roi , par complaifance ,
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Avec l'Ibère ainfi renoua conférence :
Ces gens , d'un zèle égal , en leur ton différent ,.
A vous , ainfi qu'à moi , font connus à préfent.
Silleri, formalifte & d'humeur flegmatique ,
En les graves avis fuit un plan méthodique ;
Il ne fait ce qu'il veut , fa lenteur me confond :
On radote fouvent pour avoir trop raiſon.
Si l'on croit Villeroy , je fuis la raifon même ;
Paroiffant d'un flatteur adopter le fyftême ,
Son amour pourfon Prince eft un voile enchanteur
Qui le montre à fes yeux incapable d'erreur.
Le principe eft très- beau ; mais il faut qu'il foit:
jufte :
L'encens ne peut changer un Tibère en Augufte.
Janin , franc & fubtil , ne me flatte fur rien ,
Me dit tout ce qu'il penfe , & penfe toujours bien ;
Il m'offre des confeils au lieu d'encens frivole..
Un Roi de fes Sujets ne peut être l'idole ,
Si , rebelle aux confeils , entier dans fon avis ,
Il répugne à s'ouvrir à de fages amis :
Les meilleurs ont fouvent l'enveloppe un pet
dure ;
Mais j'y vois un creufet où notre ame s'épure .
Les caprices du fort , qu'on me vit effuyer ,
M'ont rendu des humains chaque ton familier.
Le ton libre eſt un droit qu'ont acquis , par leur
zèle ,
AVRIL 1777. #3
Les Grands dont vous vouliez une efquiffe fidelle.
Mais fachez qu'oppofés pour l'humeur & les traits,
L'amour du Souverain réunit les Français.
Par M. Flandy.
A MADAME M...
MON ESSAI ou MA FRÉNÉSIE .
D'HYPOCRINE ou de Caliſtie
Quand j'aurois par hafard bu quelques gouttes.
d'eau ,
Je ne pourrois , je crois , fentir en mon cerveau
Un plus puiffant attrait pour la Métromanie ;
Découvre-moi la caufe , Aglaé , je te prie ,
De ce phénomène fecret
Qui trouble ma philofophie
Et tient ma raiſon en arrêt...
Seroit- ce un tranſport frénétique
Qui fe feroit en moi foudain manifefté ?
Ou bien de l'Hélicon quelque Divinité ,
Projettant d'eflayer ma veine poétique ,
M'auroit-elle foufflé ce grain métromanique
Pour chaffer ma timidité ?
Quoi qu'il en fait ,je cède au moteur qui m'engages ,
Peut - être , que fait - on , émane- t-il des cieux ,
:34 MERCURE DE FRANCE.
Et m'offre-t- il l'heureux préfage
Que mes foibles efforts feront goûtés des Dieux.
Cet efpoir en mon coeur fait germer le courage
Et naître un defir curieux ;
La fortune , dit- on , rit aux audacieux ,
Et fouvent les fuccès leur tombent en partage ;
Pourquoi balancerois - je à marcher fur leurs pas ,
S'il peut m'en advenir un ſemblable avamage ?
Il eft peu de mortels qui ne préfèrent pas
Le renom d'homme heureux à celui d'homme fage,
Et je vois dans tous lieux , & dans tous les Etats ,
Cette maxime affez d'ufage ,
Et contefrée en peu de cas.
Ainfi , fans hélites , tentons la réuffite ,
Sans cependant aller trop vîte ,
Et donnons une fois quelque chofe au hafard 5
Le génie inconnu qui m'infpire & m'excite ,
A mes foibles talens aura fans doute égard ;
Ce ne fu pas toujours jadis au vraï mérite
Qu'on donna le nom de Célar.
Mais avant que d'entrer en lice ,
Aglaé , c'eft à toi que j'adreffe mes voeux
A mon effai rends- toi propice ,
Je ne puis manquer d'être heureux ;
Tu peux m'ouvrir un champ de gloire
En me donnant quelques leçons ,
Non qu'en présomptueux j'ofe efpérer & croire
Ma lyre aflez d'accordpour imiter lesfons
AVRIL. 1777. IS
Je ne lens que trop bien que ma Mufe novice ,
Hafardant de planer avec toi de niveau ,
Tout en fortant de fon berceau ,
Tomberoit dans le précipice ,
Et n'auroit vu le jour que pour voir fon tombeau.
Des Titans autrefois les Dieux firent juftice ,
Que feroit-ce de moi , qui ne fuis qu'un rofeau?
ParM. de N. Chev . de Saint Louis.
L'ATTRIBUT DE VÉNUS.
Traduction de Shenftone.
COMME Vénus , Zélis eſt belle,
Elle a fa fraîcheur , fes attraits ;
Et feroit parfaite comme elle ,
Sile fourire ornoit fes traits ..
La chafte fille de Latone
Se diftingue par un cioillant ,
Pallas par un cafque éclatant ,
Et Junon par une couronne.
Ainfi chaque Divinité
Al'attribut de fon empire ;
Et la Reine de la Beauté
A pour fymbole le fourire.
16 MERCURE DE FRANCE.
Daignez donc fourire , Zélis
Et ceux dont le pinceau fidèle
Voudra nous bien rendre Cypris ,
Vous prendront tous pour leur modèle.
Par M. de Chateaugiron , Officier au
Régim. de Normandie .
DIALOGUE
Entre CHAPH- SEPHI , Roi de Perfe ,
ALIBÉE , Berger Perfan , élevé par
Cha-Abbas , père de Séphi , à la di¬
gnité de premier Miniftre, & AMULEM,
Courtifan de Chaph- Séphi * .
( L'action eft fuppofée ſe paſſer dans la
maifon d'Alibée. Les portes s'ouvrent
inopinément , Séphi entre fuivi d'Amulem
& d'une troupe de Satellites ).
SEPHI confidère avec ſurpriſe l'ameublement
de la maifon d'Alibée.
AMULEM ,
MULEM , quelle étonnante fimplicité
!
* Le fujet de ce Dialogue eft tiré d'un Conte-
Perfan de Fénélon , imprimé à la fuite de fes Dialogues
des Morts anciens & modernes.T.II , P. 2..I La.
AVRIL 1777. 17
AMULEM , bas à Séphi.
Il eft vrai , Seigneur ; mais c'eft pour
mieux cacher à tous les yeux les tréfors
immenfes qu'il a fu accumuler fous
le régne de votre père .
ALIBEB , fe profternant.
Souverain Seigneur , par quel bonheur
inattendu le plus fidèle de vos
fujets vous reçoit-il dans fa maifon ?
SÉP H. I.
Relevez - vous , Alibée , vous avez été
le favori du Roi mon père.
A LIBÉE.
Les bontés dont il m'a honoré , ne
fortiront jamais de ma mémoire.
SÉгHI.
Il vous a tiré du fein de la misère &
de l'obfcurité , pour vous porter au plus
haut degré de fplendeur.
A LIBÉ E.
Je lui dois tout , Seigneur ; il a fait
pour moi tout ce qu'un fouverain auffi
18 MERCURE DE FRANCE.
puiffant que lui pouvoit faire ; mais
quelques grands que foient fes bienfaits
, rien n'excite autant ma reconnoiffance
& mes regrets , que cette amitié
, cette confiance douce & ... oui ,
j'ofe le dire , familière , jufqu'à laquelle
il a bien voulu defcendre pour moi .
SÉPHI.
Sans doute , ces faveurs font gran
des . Combien feroit donc grand le
crime de celui qui en auroit abufé ? ...
( Alibée demeure interdit).
SEPHI , avec une extrême févérité.
Vous vous troublez , Alibée : répondez
; quelle punition mériteroit le vil
fcélérat qui fe feroit rendu coupable
d'un abus auffi odieux ?
ALIBEE , fe jetant aux pieds de Séphi.
Ma vie eft en vos mains , Seigneur ;
auffi bien Alibée ne pourra- t-il furvivre
au fimple foupçon du plus abominable
de tous les forfaits .
A MULEM , à part.
Je triomphe. Aurois -je deviné fans
y penfer?
AVRIL. 1777. 19
SÉ PHI , avec moins de dureté.
Relevez vous , Alibée. Je ne fuis point
venu pour vous condamner
fans vous
entendre
. Juftifiez
vous.
A MULE M.
Eh ! vous le voyez , Seigneur , il avoue
lui-même fon crime ....
SiPHI.
Taifez- vous Amulem. ( à Alibée avec
bonté) Remettez - vous Alibée ; parlez
avec affurance , j'écouterai avec plaifir
votre juftification.
A LIBÉE.
Hélas ! Prince trop généreux , que
voulez-vous que dife un malheureux
Vieillard qui a toujours cherché plutôt
à faire de bonnes actions , que des actions
d'éclat. Qui me juftifiera ? fi plus
de quarante années d'exercice de la plus
importante charge de l'Erat , fous les
yeux du plus fage & du plus jufte de
tous les Rois , ne parlent point en ma
faveur ? Si mes actions ne me juſtifient
point , entreprendrai-je de me juftifier
20 MERCURE DE FRANCE.
par des poroles ? Hélas ! fi j'étois coupable
je ferois moins embarraffé .
A MULE M.
Eh ! Seigneur , ne voyez-vous pas
que ces détours.....
SEPHI jette un regardfur Amulem qui l'interdit.
(A Alibée , toujours avec bonté. ),
Point du tout , Alibée. Je faurai récompenfer
vos fervices , même en vous
puniffant. Mais deviez- vous abufer, de
la confiance de mon père pour accumuler
des tréfors immenfes ? ( Ici Aibée
fait un gefte de furprife . Séphi continue).
Si vous euffiez accepté les richeffe's
que mon père ne ceffoit de vous offrir ,
je me ferois empreffé de confirmer ces
dons , quelques magnifiques qu'ils fuſfent
; mais affecter de les refufer pour
thefaurifer en fecret .... Je vous fais
vous-même votre Juge , Alibée ; que
dois-je penfer d'une pareille conduite ?
ALIBEE , après un inftant de filence .
Je ne fuis étonné que de la hardieffe
de l'accufation , Seigneur ma pauvreté
temoigne mon innocence.
AVRIL. 1777 . 21
SÉPHI.
Songez-y , Alibée de vaines appatences
ne me trompent point. Vous
poffédez un tréfor que vous cachez avec
foin.
A LIBÉ E.
Prince magnanime , jamais le menfonge
n'a approché de mes levres. Mes
biens font à vous ; ma vie vous appartient.
Alibée fe dévoue à toute votre
colère , s'il cache à vos yeux la moindre
chofe de ce qu'il possède.
SÉPHI.
Amulem , conduiſez - moi au lieu qui
renferme ce tréfor .
A MULE M.
Il eſt fous vos yeux , Seigneur ; ce
coffre énorme , recouvert d'acier & furchargé
de ferrures , renferme ce tréfor
dont je vous ai parlé.
SÉPHI.
Ouvrez ce coffre , Alibée.
A LIBÉ E. I
Jufte ciel ! quel excèsde noirceut &
22 MERCURE DE FRANCE .
d'effronterie ! (haut) Hélas oui , Seigneur,
ce coffre renferme un tréfor ; mais c'eſt
un tréfor que l'avarice d'Amulem ne
fauroit m'envier ; il me vient de mes
pères , ce tréfor ineftimable , & tout
mon bonheur fera de ne m'en féparer
jamais.
A M U LE
M.
Quel difcours ! Peut- on porter
pareil excès l'amour de l'or !
SEPHI en fureur.
à
un
Hypocrite infame ! ô le plus vil de
tous les hommes , ouvre ce coffre.
A LIBÉE.
Malheureux Alibée ! Je vous obéirai
Seigneur. Mais le plus fidèle de
vos fujets ofe efpérer que vous ne le
priverez pas du feul bien qui lui reſte
fur la terre.
SÉPHI.
Ouvre ce coffre , te dis-je. Il te fied
bien de demander des graces , lorfque
tu ne devrois fonger qu'à implorer ma
clémence.
A LIBÉ E ouvrant le coffre.
>
Vous êtes fatisfait , Seigneur. ( Il tire
AV RIL. 1777 . 23
du coffre des habits de Berger , une flûte ,
une houlette , &c. ) Voilà les richelles
auxquelles j'ai attaché mon bonheur
voilà le tréfor qui n'a excité la baffe
cupidité de mes ennemis, que parce qu'ils
ne le connoiffoient point.
SÉPHI.
Ciel , que vois-je !
A MULE M.
Ah Dieux ! qui l'auroit cru !
A LIBÉ E.
que
Ogrand Roi ' voilà mon tréfor , voilà
le refte précieux de mon ancien bonheur
je le garde pour m'enrichir lorfque
l'envie des hommes m'aura privé
de tout le refte . Prince généreux , digne
fils du plus jufte des Rois , vous ne
m'enleverez pas un bien qui m'appartient
fi légitimement , un bien plus précieux
pour moi , mille fois , que les vains monceaux
d'or que mes ennemis s'attendoient
de trouver ici.
SÉPH à Amulem avec courroux.
Amulem , eft- ce ainfi que vous avez
ofé tromper votre Roi ?
24 MERCURE DE FRANCE .
A MULE M avec confufion .
AM
Seigneur ... en vérité .
fois pas.... je fuis confus
SÉP HI.
.je ne pen-
Sortez & ne paroiffez jamais devant
moi ( à Alibée , qui dépouille fes habits
de courtisans & reprend ceux qu'il a tiré
du coffre. ) Que faites vous Alibée ? vous
reftez auprès de moi , vous y reprendrez
la place que vous occupiez auprès de
mon père.
A LIBÉ E.
Pardonnez , Seigneur ; quarante années
d'expérience m'ont appris à préférer
une vie douce & obfcure , au tu
multe & au dangereux éclat des cours.
P Η Ι .
11 11
Y penfez-vous Alibée ? fongez que
vous êtes utile à votre roi , & qu'il
exige vos fervices. Pouvez -vous balancer
un inftant entre votre bonheur &
votre devoir.
ALIB E.
J'obéis Seigneur. Puiffent mes fervices
AVRIL. 1777. -25
ces & ma fidélité me mettre déformais
à l'abri des entrepriſes de mes ennemis.
Par Mile Raignier de Malfontaine.
Difcours de Porcia à fes Parens & à fes
Amis , qui vouloient l'empêcher de fe
donner la mort .
AMIS MIS trop aveuglés , dont la bonté funefte
Youdroit me conferver des jours que je déteſte ',
Sufpendez la rigueur de vos foins fuperflus ,
Et connoiffez enfin la femme de Brutus.
Envain de vos complots la cruelle induftrie
Vetit refferrer le noeud qui m'enchaîne à la vie ;"
Envain , pour m'affranchir d'un deftin plein d'horreur
,
Vous défendez au fer de ſervir ma fureur ;
Peut-on vaincre l'effort d'une amemagnanime
Qui veut le dérober au fardeau qui l'opprime
Le ciel règle le fort des vulgaires humains ,
Mais il laiffe aux grands coeurs le foin de leurs
deftins ;
Et fi de la vertu la fentence fatale
Précipite leurs pas dans la nuit infernale ,
On oppofe à leurs voeux un inutile effort.
1. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
L'arrêt du défelpoir eft un arrêt du fort.
Quand l'ame de Caton , pour fuir la tyrannie ,
Eut marqué le moment du terme de la vie ,
Envain à vivre encore on voulut le forcer;
Il déchira fon coeur qu'il ne pouvoit percer,
Et d'un fils imprudent la pitié criminelle ,
N'empêcha point la mort & la rendit cruelle,
Oui , c'eſt un don du ciel qu'il accorde aux grands
coeurs ,
De pouvoir , en tout temps , terminer leurs mafheurs,
Ne ferois- je donc pas ce qu'un grand coeur peur
faire,
Moi , femme de Brurus , moi dont Caton fut père ?
Et devrois-je porter des noms fi glotieux ,
Si je vivois encor quand ils font morts tous deux ?
Non, perfides amis , & votre barbarie
Souilleroit trop ma gloire en confervant mavie,
Puifque fous les Tyrans Brutus eft abattu ,
Je dois perdre le jour ou perdre la vertų.
Ah! que votre amitié feroit digne de haine ,
Si de mes triftes jours vous pròlangiez la chaîne!
Mon coeur , dans les tourmens qu'il auroit à
fouffrir,
A V R I L. 1777- 17
Mourroit à chaque inftant de ne pouvoir mouris
Et de vos foins affreux l'activité cruelle ,
Me feroit de la vie une mortéternelle.
Qui ?moi! je pourrois vivre &voir ces fiers Tyrans
Du fang de inon Epoux leurs bras encor fumans ?
Sans pouvoir fatisfaire une haine trop juſte ,
Jepourrois refpirer l'air qu'empoifonne Auguſte ?
Antoine à les côtés , riant de mes chagrins ,
Infulteroit encor à mes affreux deftins?
Je verrois à leurs pieds la liberté mourante ?
De routes les vertus leur fureur triomphante ?
EL, pour mettre le comble à mon funeſte ſort ,
Je ne verrois plus Rome & nië verrois encor ?
1
Banniſſons loin de moi cette effroyable idée ,
Et que d'un pur plaifir mon ame poffédée ,
Prête à voir arriver le moment le plus doux,
Ne fonge qu'au bonheur de rejoindre un Epoux.
Ø Brutus! tendre objet de la plus noble flamme,
Ton corps eft au tombeau , ton ame eft dans mon
ame.
C'est toi qui , chez les morts , précipite-mes pas ,
Et tu vis dans mon coeur pour hâter mon trépas,
Cher Epour, tu le vois , digne de notre chaîne ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Lorque Rome n'eft plus , je meurs encor Romaine,
Et malgrez les Tyrans, mon coeur, jufqu'à ce jour,
N'a connu de liens que ceux de notre amour.
Par M. A. Julien.
&
VERS à un Ami à l'occafion du retour de
Sa fête.
RENDRE les mêmes
fentimens
D'une façon toujours nouvelle ,
Eft un art dans lequel excelle
Tout bon faifeur de complimens :
Mais de ce talent difficile
Je ne fis jamais mon métier ,
Et la peine d'étudier
Me dégoûta de l'honneur d'être habile.
Certain Prédicateur , dit - on ,
Qui devoit à fon auditoire
Faire l'éloge d'un Patron
Dont il avoit déjà chanté la gloire ,
Dit : Meffieurs vous avez mémoire
Que l'an paffé je traitai ce ſujet ;
Depuis ce tems le Patron n'a rien fait
Qui puiffe enrichir fon hiftoire.
AVRIL. 1777. 29
Ce que cet Orateur diſoit ,
Cher Huguet , je puis te le dire ;
Ma plume ne peut rien t'écrire
Sinon ce qu'elle t'écrivoit.
Notre amitié n'eft- elle pas la même?
Vas, je ferois moins ftérile inventeur
Si , pour te dire en cent façons que j'aime ,
Mon efprit s'épuifoit aufli peu que mon coeur.
Par M, de R. de Péronne.
Avis AU BEAU SEX E.
PAR un ufage ridicule
On follicite les procès
Et du plus injufte fuccès
Perfonne ne fe fait fcrupule.
Je trouve dans tous les états
Sur ce point égale conduite ,
Mais fur-tout je n'approuve pas
Que le Beau Sexe follicite ;
Eft- ce un ton de fociété ?
Eft- ce à titre de femme aimable ?
Avez- vous plus de dignité ,
Vous trouvez- vous plus eftimable
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
&
En expofant la probité
Du Juge le plus équitable
Et le plus expérimenté ?
Je parle à vous , Solliciteufe ;
Quel droit aviez-vous fur le bien
D'une famille malheureufe
Que vous avez réduite à rien ?
· Eh quoi ! fans connoître une affaire,
Vous accablez les malheureux ?
Et, ce que vous faites contr'eux ,
C'eft pour eux qu'il faudroit le faire :
Mais mon credit , me direz vous,
Ne tire pas à conféquence ,
La Juftice , dans la balance,
Pèfe les intérêts de tous.
Contredire cette morale ,
C'est parler contre la raifon ;
Oui, cette règle eft générale ;
Mais en voici l'exception :
Quand une femme au teint de rofe
Avec un regard enchanteur ,
Sollicite pour un Plaideur
Dont elle fait valoir la cauſe ,
Thémis s'offenfe & s'attendrit s
Dans ce combat , fouvent funefte,
Malheureusement l'homme refte,
Er le Juge s'évanouit
AVRIL. 1777. 31
Un Magiftrat incorruptible ,
A l'abri du coup de pinceau ,
M'a fouvent dir qu'il eſt poſſible
De juftifier ce tableau.
Par M. de Saint-Hubert , Chev, de
Saint-Louis.
LB TRIOMPHE DE L'AMITIÉ.
LE fier Amour & l'Amitié modeſte ,
Tous deux rivaux & jaloux de leurs droits ,
Avoient enfin , d'une commune vɔiX ,
Pour les régler , choifi la Cour céleſtę .
Les Dieux , en demi- cercle affis ,
Gerdoient yu angufte flence
Et devant eux la fidelle balance.
Brilloit dans les mains de Thémis.
Et
L'Amour , à qui rien n'en impofe ,
Se préfente d'un air vainqueur ,
par ces mots , adreffés à fa Soeur ,
Paroît für du gain de ſa cauſe.
Peux - tu, dit-il , quand tour me fait la cour,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Peux-tu me difputer l'empire ?
Ecoute: un mot va prouver ton délire :
Le douxplaifir me doit le jour...
Ne chante pas encor victoire ,
Répond fa Soeur avec tranquillité :
Le Plaifir , fi l'on veut t'en croire ,
Brille toujours à ton côté :
Mais je dois tirer plus de gloire
De voir au mien l'Adverfité .
Tu ne fouris qu'avec malignité ;
Et moi, volontiers je confole
Des maux où tòn Plaifir frivole
Plonge l'aveugle humanité.
Compagne chafte & toujours füre ,
Je fuis, pour les ca uns que j'épure,
L'afyle de tous les inftans :
.
De leur hiver je fuis l'heureux printemps ;
Au lieu que fous ton frêle empire ,
Tôt ou tard le coeur qui foupire
Se plaint des outrages du temps,
Fort bien , dit-il avec fineffe ,
Mon pis-aller fait ton pouvoir;
Et je conviens que ta foibleffe
A raifon de s'en prévaloir ;
Mais , avec tes vains avantages ,
AVRIL 33 1777.
Conviens auffi que , malgré mes défauts ;
Amon chat j'ai vu bien des Sages ,
Et que mes feux , dans tous les âges ,,
Ont pétri l'ame des Héros.
Mais , reprit-elle , que de maux!
Que d'attentats ! que de ravages !
Que d'embrafemens ! que d'orages
Ont obfcurci l'éclat de tes drapeaux !
A tes Héros , ces fuperbes cfclaves ,
Tu caches des fers fous tes fleurs ;
Aux miens je n'offre paar entraves
Que les liens de mes pures douceurs.
Befoin délicieux de l'ame ,
Ma paifible & conftante flamme ,
Devient l'aliment des grands coeurs ,
Et j'en connois dont la délicateffe ,
La candeur & l'aménité ,
A mes attraits , fur ceux de ton ivreffe ,
Affureront toujours la primauté.
Généreux , difcrets & fidèles ,
Heureux par le bonheur d'autrui ,
Dans leurs vertus ils trouventleur appui ,
Et tout le tien fe réduit à tes ailes .
Ofes- tu donc , reprit-il à fon tour ,
T'appuyer fur une chimère.
Bv
34
MERCURE DE FRANCE
Je vais reparler fans détour :
A pareils coeurs on ne croit guère;
Au lieu que la nature entière
Applaudit aux droits de l'Amour.
Ilfe tur : la Cour immortelle ,
En fa faveur , aux yeux de l'Univers ,
Peut-être auroit décidé la querelles.
Mais l'Amitié , pour fon modèle ..
Fit voir le coeur des Champdivers *.
L'Amour confus fendit les airs ,
Et tout l'Olympe fut pour elle.
Par M. des Marais du Chambon , en
Limousin.
A Monfieur le Maréchal Duc DE
FITZ-JAMES.
HiRITTER dos vertus , du rang & de la gloire
De ce fameux Héros , l'arbitre des combats ,
L'honneur du nom François, l'appui des Potentats,
Qui , toujoursà fon char , enchaîna.la victoire..
Maifon de qualité dans la Franche-Comté , & qui
aft encore plus recommandable par les qualités de l'efprit
& du coeur , que par l'éclat de la naiſſance.
AVRIL. 1777. 35
Ce vainqueur d'Almanza , modèle des guerriers ,
Loin de s'énorgueillir de fes brillans trophées ,
Je le vois profterné dépofer fes lauriers ,
Fondant tout fonefpoir fur le Dieu des armées.
Illuftre deſcendant du Favori de Mars ,
Egal à fa prudence , égal à fon courage ,
Fitz-James , toujours jufte , & magnanime & fage,
Préfide aux légions dans l'ordre des Céfars,
Déjà , d'un vol hardi , porté par l'efpérance ,
Au faîte des grandeurs s'élève ton grand nom ;
Pour t'immortalifer dans les Faftes de France ,
A côté des Berwik , Turenne & Matignon.
Te louer , eft fans doute un droit que je m'arroge.
Citoyen généreux ! ton titre mérité
Paffera d'âge en âge à la postérité ,
Et le choix de Louis furpaffe tout éloge.
Aimer à fe choifir des Miniftres fidèles ,
Se plaire à rallumer le flambeau de la loî ,
Suivredu grand Hentiles leçons immortelles ,
Ces traitsfout de Louis , ces traits font d'un grand
Roi.
De l'augufte Thémis , foutien des droits facrés
Monarque bienfaiſant , à nos voeux fi propice ,/
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Toujours Roi par devoir , toujours Roi par juftice,
Et ton coeur & tes dons font par-tout célébrés .
Le démon des combats s'éloigne de la terre ,
La paix , la douce paix règne dans nos climats ;
Ne vousy trompez pas , fiers enfans du tonnerre ,
La France á fes Héros , la France a des Soldats .
Sacrifier les jours , fes talens , fon repos ,
A fervir fa patrie , & l'Etat & fon Maître ,
Voilà le Citoyen ; oui , j'aime à le connoître
Dans Fitz-James lui-même ; & voilà mon Héros .
Par M. Hunbert.
LE SHASTA ou le livre facré des Gentons ,
traduit de l'Anglois de M. Holwel ,
par M. D. M. C. A. P.
SECTION PREMIÈRE . Dieu eſt celui qui
fut toujours : il a créé tout ce qui eft.
Dieu eft comme une Sphère parfaire ,
fans commencement & fans fin . Il régle
& gouverne toute la création par
une providence générale & conforme aux
principes invariables de fa première volonté.
Tu ne rechercheras point l'effence
AV- RIL. 1777. 37.
& la nature de l'être feul éternel , ni
les loix par lefquelles il gouverne. Cette
recherche elt vaine & criminelle : c'eſt affez
pour toi de voir chaque jour & chaque
nuit dans fes ouvrages , fa fageffe ,
fon pouvoir & fa miféricorde . Tâche
d'en profiter
.
"
SECTION II . L'Eternel abforbé dans
la contemplation de fon effence , réfolut
, dans la plénitude des temps , de
faire connoître fa gloire & fa nature à
des Etres capables de fentir & de partager
fa félicité & de fervir à fa gloire .
Ces Etres n'exiſtoient pas , l'Eternel
vonlut , & ils furent . Il les forma d'une
partie de fon effence : capables de perfection
, mais il leur accorda aufli le
pouvoir d'imperfection , fuivant le choix
de leur volonté . L'Eternel créa avant
tout Birmah, Biftnoo & Sieb , puis Moifafoor
& toute l'armée célefte. Il donna
la prééminence à Birmah , Biftnoo &
Sieb. Il établit Birmah , prince de l'armée
célefte , & il mit les Anges fous fa
domination; & il le conftitua fous-lieutenant
dans le ciel , & lui nomma pourcoadjuteurs
Biftnoo & Sieb . L'Eternel
divifa les Anges en légions , & mit à la
tête de chacune d'elles un général ou un
4
MER CURE DE FRANCE
chef. Ces adorateurs furent placés au
tour de fon trône fuivant leurs dignités ,
& l'harmonie fut dans le ciel. Moifafoor
, le chef de la première légion des
Anges , dirigeoit les chants céleftes de
louange & d'adoration pour le Créateur
, & les chants d'obéiffance pour
Birmah , le premier créé ; & l'Eternel
fe réjouit de fun ouvrage .
SECTION III . Depuis la création de
F'armée célefte , la joie & l'harmonie
environnèrent le trône de l'Eternel pen
dant des milliers de milliers d'années.
Cet état auroit duré jufqu'à la fin des
temps , l'envie ne s'étoit pas emparé de
Moifafoor& d'autres chefs des légions des
Anges , parmi lefquels fut Rhaabon , le
premier en dignité après Moifafoor.
Oubliant le bienfait de leur création
& les devoirs qui leur étoient impofés
, ils méprifèrent le pouvoir de perfection
qui leur étoit accordé ; ils exer
cèrent le pouvoir d'imperfection , & ils
firent le mal en préfence de l'Eternel.
Ils refusèrent de lui obéir & de fe foumettre
à Birmah , fon lieutenant , & à
Biftnoor & à Sieb , coadjuteurs de Birmah
, & ils fe dirent à eux- mêmes : Nous
commanderons. Et fans craindre la toute-
1
AVRIL. 1777. 19
puiffance & la colère du Créateur , ils
répandirent leurs coupables deffeins dans
l'armée des Anges , ils les féduisirent &
en entraînèrent un grand nombre dans
leur parti. Il y eut une féparation devant
le trône de l'Eternel : la douleur
s'empara des Anges fidèles , & fut connue
pour la première fois dans le ciel.
SECTION IV . L'Éternel , dont la prefcience
& le pouvoir s'étendoient fur tout,
excepté fur lesactions des Etres qu'il avoit
créés libres , vit avec douleur la défec
tion de Moifafoor , de Rhaabon & des
autres chefs des Anges. Miféricordieux
dans fa colère , il envoya Birmah , Bif
noo & Sieb leur remontrer leur crime ,
& les exhorter à rentrer dans le devoir.
Mais enivrés de l'idée de leur indépendance
, ils continuèrent à défobéir ;
alors l'Eternel ordonna à Sieb de s'ar
mer de fa toute- puiffance , de les chaf
fer du ciel , de les plonger dans les té
nèbres , & de les condamner à y fouffrit
éternellement.
SECTION V. Les Anges rebelles gé
mirent dans les ténèbres , fous l'indignation
du Créateur pendant cent vingt
hx millions d'années . Durant ce pério
de , Birmal , Biftnoo & Sieb ne cefsè40
MERCURE DE FRANCE .
la
rent pas d'implorer , de l'Eternel ,
grace & le rétabliſſement des coupables.
L'Eternel s'appaifa enân à leurs inftances
; & quoi qu'il ne pût pas prévoir
l'effet de fa clémencé fur la conduite fu
ture des coupables , ne défefpérant point
encore de leur repentir , il déclara fa
volonté « Qu'ils foient retirés des té-
» nèbres , & placés dans un état d'épreu-
» ve & de pénitence où ils pourront en
core faire leur falut » . L'Eternel promalgua
fes niféricordieufes intentions ;
& ayant laiffé fon pouvoir & le gouvernement
du ciel à Birmah , il fe reti
ra dans lui-même , & devint invifible à
l'armée célefte pendant cinq mille ans.
A la fin de ce temps , il fe manifeſta
de nouveau , il reprit le trône de lu
mière & reparut dans toute fa gloire ,
& les fidelles légions des Anges célébré
rent fon retour par des chants d'allé
greffe.
Que tout foit en filence : l'Eternel
dit , « qu'un monde de quinze planetes
» dans lefquelles les Anges rebelles fe-
» ront éprouvés , où ils fe purifieront
& feront leur réfidence , paroiffe
& il parut à l'inftant .
Et l'Eternel dit : « Que Biſtnoo , armé
AVRI L. 1777. 41
de mon pouvoir , defcende dans la
» nouvelle création , qu'il retive les
» Anges rebelles des ténèbres , & qu'il
» les place dans la dernière des quinze
planètes
"
W..
Biftnoo s'arrêta devant le trône & dit :
» Eternel , j'ai fait ce que tu m'as or-
» donné & toute la fidelle armée des
Anges refta dans l'étonnement , & admira
la fplendeur & les merveilles de
la nouvelle création .
Et l'Eternel parla encore à Biftnoo ,
& dit : « Je formerai pour les Anges
coupables des corps qui feront leurs
prifons & leurs demeures pendant un
» temps , dans lefquels ils feront fujets
au mal phyfique felon le degré
»de leur premier crime : vas , & ordenne-
leur de fe préparer à y entrer &
» à t'obéir 19.9.2
:-
Et Biftnoo s'arrêta devant le trône ,
s'inclina & dit : Éternel , tes or-
" dres font exécutés , & la fidelle ar
mée des Anges refta dans l'étonnement,
des merveilles qu'elle entendoit , & célèbra
par des louanges la miféricorde de
l'Eternel.
Que tout foit en filence ... l'Eternel .
dit encore à Biftno : « Les corps que
42 MERCURE DE FRANCE.
»
» je préparerai pour recevoir les rebelles
» feront fujets à changer, à fe détruire ,
» à mourir & à fe renouveler fuivant
» les loix que j'établirai en les formant ,
» & les Anges coupables fubiront dans
» ces corps mortels , quatre-vingt-fept
tranfmigrations , & ils feront fujets
» aux fuites du mal phyfique & du mal
moral , felon le degré de leur première
faute, & fuivant que leurs actions, dans
nces formes fucceffives , répondront au
pouvoir limité que je leur accorderai ,
& ce fera laur état de pénitence &
» d'épreuve ...
33
» Et cela fera ainfi. Lorfque les An-
» ges rebelles auront paffé par les quatre
vingt fept tranfmigrations , qu'ils foient
∞ animés par l'abondance de mes gra
Les fous une nouvelle forme , & toi
Biftnoo , tu appelleras cette forme la
vache ".
» Et cela fera ainfi . Lorfque le corps
» mortel de la vache deviendra inani-
» mé par une deſtruction naturelle , les
» Anges coupables par une plus grande
» abondance de mes graces , animeront
» la forme d'homme ; & fous cette for
» me je leur rendrai l'intelligence qu'ils
➜ avoient quand je les ai créés libres,
AVRIL. 1777. 43
» & ce fera leur principal état d'épreu-
» ve & de pénitence ».
» La vache fera regardée comme fa
» crée par les Anges coupables , car elle
leur fournira une nourriture nouvelle
» & agréable , & elles les aidera dans le
» travail auquel je les ai condamnés; & ils
» ne mangeront point de la vache ni de
la chair d'aucun des corps mortels que
» je préparerai pour leur demeure ,
foit
» que ces corps rampent for la terre ,
» foit qu'ils nagent dans l'eau , ou qu'ils
volent dans les airs. Le lait de la va
» che & les fruits de la terre feront leur
nourriture.
n
» Les formes mortelles dont je revêtirai
les Anges coupables , feront l'ou
» vrage de ma main , elles ne feront dé
truices que par une mort naturelle . Si
donc, par une violence préméditée , un
Ange occafionne la diffolution d'une
» forme mortelle , animée par un de
fes frères coupables : to Sieb
plongeras l'offenfeur dans les ténèbres
» pour un temps , & il fera condamné
» à fubir quatre-vingt-neuf tranfmigra
tions, à quelque degré qu'il fût parvenu
au temps de fon crime ; mais fi l'un
» des Anges coupables ofe fe délivrer
ta
44 MERCURE DE FRANCE.
:
» lui- même , par violence , de la forme
» dont je l'aurai . revêtu , toi Sieb , tu
» le plongeras pour toujours dans les
» ténèbres , & il fera privé de la grace de
paffer par les quinze planetes d'épreuve
, de pénitence & de purification. ».
"
Et je diftinguerai en efpèces & en
" genres , les corps mortels que j'ai deftinés
pour le châtiment des Anges
coupables, & je donnerai à ces corps des
» formes , des facultés & des qualités dif
» férentes, & ils s'uniront enfemble , &
ils fe multiplieront dans leur genre &
» dans leur efpèce , fuivant l'inftinct que
j'imprimerai en eux , & de cette union
» naturelleil procédera dans chaque genre
"
& dans chaque efpèce une fucceffion
» de formes, afin que les tranfmigrations
» progreffives des Anges coupables ne
ceffent point ».
39
» Mais fi l'un des Anges coupables
s'unit avec un corps d'une efpèce différente
, toi Sieb , tu plongeras le
coupable dans les ténèbres pour un
» temps , & il fera condamné à fubir
quatre-vingt-neuf tranfmigrations , à
quelque degré qu'il foit parvenu au
temps de fon crime » .
39
: Et fi un Ange coupable ofe , malAVRIL
1777. 48
و د
#4
gré l'instinct que je graverai dans la
fornie qu'il animera , s'unit d'une
manière contre nature , qui ne puiffe
pas produire la multiplication de
fon efpèce : toi Sieb , tu le plonge
» ras pour toujours dans les ténèbres ;
& il ne pourra plus prétendre à la
grace de paffer par les quinze planètes
de pénitence , d'épreuve & de pu
» rification »,
» Les Anges coupables & malheureux
pourront adoucir leur châtiment
» en vivant entre - eux dans une douce
union ; & s'ils s'aiment , fe chériffent
& fe rendent réciproquement de bons
offices ; slils s'aident & s'encouragent
» mutaellenient à fe repentir du crime
»
de leur défobéiflance : je feconderai
leur bonnes intentions & je les favo-
» riferai ; mais s'ils fe perfécutent , je
confolerai les perfécutés , & les perfécuteurs
n'entreront point dans la neuvième
planète , qui eft la première
planète de purification ».
Et cela fera ainfi . Que fi les Anges
, par leur repentir & leurs bonnes
oeuvres , profitant de mes graces
dans leur quatre- vingt - neuf tranfmigtations
dans des corps , mortels ,
46 MERCURE
DE
FRANCE
6
n
"
Biftnoo , tu les recevras dans ton fein,
» & tu les tranfporteras dans la feconde
planète de pénitence & d'épreuve ,
» & tu continueras ainfi jufqu'à ce qu'ils
» ayent fucceflivement paflé par les huic
planètes de pénitence & d'épreuve ;
alors leur punition ceffera , & tu les
tranfporteras dans la neuvième , qui est
» la première planète de purification
" Mais cela fera ainfi . Que fi les An-
» ges rebelles ne profitent pas de mes
graces dans leur quatre-vingt-neuf
tranfmigrations dans des corps mor-
» tels , fuivant le pouvoir que je leur
accorderai : toi Sieb , tu les replonge-
» ras pour un temps dans les ténèbres ;
» & après ce terme , que je prefcrirai ,
Biftnoo les replacera dans la dernière
planète de pénitence , pour y fubir une
feconde épreuve ; & ils feront ainſi
punis jufqu'à ce que par leur repen-
» rir & leur perfévérance , pendant les
quatre- vingt-neuftranfmigrations dans
des corps mortels , ils parvienneut
» à la neuvième planète , qui eft la première
planète de purification : car il
eft arrêté que les Anges rebelles ne
rentreront point dans le ciel , & ne
» contempleront point ma face , juſqu'à
»
»
AVRIL. 1777. 47
ce qu'il ayent paffé par les huit pla-
» nètes de pénitence , & par les fept
planètes de purification ».
"
Quand l'armée des Anges fidèles eut
entendu l'Eternel prononcer fes décrets
fur les Anges rebelles , elle chanta fes
louanges , fa puiffance & fa juftice .
Que tout foit en filence. L'Eternel dir
à l'armée célefte : « J'étendrai mes gra-
» ces fur les Anges coupables pendant
» un certain temps , que je diviferai en
quatre âges ; dans le premier , je veux
» que le terme de leur épreuve , pen-
» dant les quatre-vingt neuf tranfmigra
»tions en corps mortels , foit étendu
» à cent mille ans ; dans le fecond , le
» terme de leur épreuve fera réduit à
» dix mille ans ; dans le troifième , à
» mille ans , & dans le quatrième , à
» cent ans feulement . Et l'armée des
Anges célébra par des chants de joie la
miféricorde & l'indulgence de Dieu.
Que tout foiten filence. L'Eternel dit :
» Cela fera ainfi , lorfque le temps que
» j'ai marqué pour la durée de l'univers
» & celui que ma miféricorde a accordé
» pour l'épreuve des Anges déchus, fera
» accompli par la révolution des quatre
» âges , s'il reste encore quelques Anges
48 MERCURE DE FRANCE.
réprouvés pour n'avoir pas paffé par
les huit planètes de pénitence & dé-
» preuve , & pour n'être point entrés dans
» la neuvième , qui eft la première pla-
» nète de purification : toi Sieb , armé
de ma puiffance , précipite-les pour
toujours dans les ténèbres , & tu détruiras
alors les huit planètes de pénitence
& d'épreuve , & elles ne feront
plus . Et toi Biftnoo , tu conferveras
pour un temps les fept planètes de
purification , jufqu'à ce que les An-
» ges qui auront profité de més graces
» & de ma miféricorde , foient purifiés
199 paroi de leur crime ; & quand tout
fera accompli , quand ils feront rétablis
dans leur état & admis en ma
préfence , toi Sieb , tu détruiras les
»fept planètes de purification , & elles
» ne feront plus ».
ور
Et la puiffance & les décrets de l'Eternel
firent trembler l'armée des Anges
fidèles.
Je
L'Eternel parla encore & dit : «
n'ai point compris dans ma miféricorde
* Moifafoor , Rhaabon & les au-
Nous croyons que M. de V. s'eft trompé dans
d'art . Ide la 2 partie de fes Fragmens fur l'Inde,
» tres
AVRIL 1777.
>>
»
""
tres Chefs des Anges rébelles , mais
» comme ils font avides de puiffance ,
j'augmenterai leur pouvoir de faire
» le mal ; ils auront la liberté d'entrer
dans les huit planètes de pénitence &
d'épreuve , & les Anges coupables ferent
exposés aux mêmes tentations qui
les ont ci devant excités à la révolte ;
» mais l'exercice de ce pouvoir que
j'accorderai aux Chefs rébelles , ne fera
»pour eux qu'un moyen d'aggraver leur
faute & leur châtiment , & je regatderai
la réfiftance que les Anges coupables
feront à ces féductions , comme
une grande preuve de la fincérité
» de leurs regrets & de leur repentir » .
L'Eternel ceffa de parler , & l'armée
fidelle fit entendre des chants de louange
& d'adoration , mêlés de gémiffements
fur le deftin de leurs malheureux frères.
Les Anges fidèles s'affemblèrent, & d'une
voix unanime , ils fupplièrent l'Eternel ,
par la bouche de Biftnoo , de leur per-
W
en difant que chez les Indiens Moifafoor & la
troupe obtinrent leur grace au bout d'un Monontour;
en comparant cette traduction du Shafta
avec ce que le même Auteur rapporte de la Religion
des Brames , on verra qu'il n'a pas toujours
été exact.
1. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
+
mettre de defcendre quelquefois dans
les huit planètes de pénitence & d'épreuve,
d'y prendre la forme humaine,
& de préferver , par leur préfence , par
leurs exemples & leurs confeils , les
Anges malheureux & coupables , des féductions
de Moifafoor & des autres
Chefs rébelles. L'Eternel y confentir , &
les fidelles légions firent entendre des
chants d'allégreffe & d'actions de grace.
""
Que tout foit en filence . L'Eternel
parla encore & dit : « Toi Birmah , revêtu
de ma gloire & armé de ma
puiffance , defcend dans la dernière
planète de pénitence & d'épreuve ,
» & fais connoître aux Anges rébelles
» les décrets que j'ai prononcés fur eux
» & qu'ils entrent en ta préfence dans
» les corps que je leur ai préparés » .
و د
>>
Et Birmah s'arrêta devant le trône
& dit ; » Éternel , j'ai fait ce que tu
» m'as ordonné , les Anges coupables fe
réjouiffent dans ta miféricorde , ils
» reconnoiffent la juftice de tes décrets ,
ils avouent leurs regrets & leur repentir
, & ils font entrés dans les corps
» que tu as préparé pour eux » .
>>
30
AVRIL. 1777 .
A Monfeigneur l'Archevêque de Befançon,
à fon arrivée dans cette Ville , le 9 Février
1777.
PONTIFE ONTIFE felon Dieu , chofi felon fon coeur ,
Prélat , dont les vertus égalent la naiſſance !
Sur le trône placé , par fa toute puiffance ,
De fa tribu facrée , & la gloire & l'honneur.
Tu parois, auffi - tôt tu combles tous nos voeux.
Tendre père , fenfible à nos vives alarmes ,
De tes enfans chéris , tu viens tarir les larmes.
Que ton règne s'étende à nos derniers neveux !
Jouis de ton triomphe , applaudis à ton fort ;
Le Ciel veille fur toi ! Cité toujours illuftre ,
Il augmente en ce jour ton éclat & ton luftre ;
Il t'enlève Choifeul , tu poſsèdes Durfort.
Déjà tu l'as reçu triomphant dans tes murs ;
Déjà , de tout côté , la joie & l'allégreffe
Marquent , de fes agueaux , le refpect , la tendreffe
;
De l'amour du Paſteur, ces garans font trop sûrs .
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
Nom célèbre à jamais dans le rang des Héros ;
Nom cher à ma Patrie , à l'État , à la France ;
De l'Eglife l'appui , la force & l'espérance ,
Vers l'immortalité s'élancent tes travaux.
Par M. le Chevalier Humbert.
VERS à Mademoiſelle VALLAYER ,
Peintre du Roi.
VALLAYER , Livale d'Apelle ,
Etonne nos Zeuxis nouveaux ;
Peintre brillant , Peintre fidèle ,
Tout vit , tout plaît dans fes tableaux ;
Les fleurs que les doigts font éclore ,
Par leur duvet , par leur fraîcheur ,
Ont trompé l'oeil même de Flore ,
Qui fe pardonna fon erreur.
Mais j'admire fon caractère
Plus encore que fes talens :
A la troupe folle & légère
Des Petits -Maîtres fémillans ,
On m'affure qu'elle préfère
Les bons efprits , les bonnes gens.
Ah ! j'admire fon caractère
Plus encore que fes -talens .
AVRIL. 1777. 59
Elle fait , avec la décence ,
Allier l'aimable enjouement ,
La candeur avec la prudence ,
L'efprit avec le fentiment :
Dans l'art & commua de féduire ,
Son coeur fut toujours étranger ;
Elle plaît comme elle refpire ,
Sans effort , & fans y fonger.
Par M. l'Abbé de la S....
SUR
ANECDOTE.
UR un champ de bataille , illuftre fépulture ,
Giffoient mille Guerriers qu'on alloit inhumer :
Le gouffre étoit tout prêt ; fon immenſe ouver-
Sur eux ,
ture ,
dans un moment , devoit fe refermer.
Une plaintive voix foudain fe fait entendre :
Je refpire... Arrêtez ... de grâce, fauvez - moi,
Certain Helvétien préfidoit au convoi.
( Brave homme s'il en fut , mais on ne peut moins
tendre ).
Ah ! vraiment , ce dit- il , c'eft bien prendre fon
tems.
Puis faifant un fignal , achevez mes enfans...
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Rempliffez votre ministère ,
Qui voudroit écouter ces gens ,
A peine en trouveroit un feul à mettre en terre.
AUTR E.
LAfortune en vain m'eft cruelle ,
Difoit , avec orgueil , un fage prétendu ;
Je fais, pour m'affermir contre elle ,
M'envelopper de ma vertu.
Voilà , dit un plaifant , voilà ce qui s'appelle
Etre légèrement vêtu .
LA LINOTTE.
ALLÉGORIE.
UNELinotte jeune & vive ,
Fixoit tous les oifeaux des vergers d'alentour;
Du tourtereau la voix plaintive
Ofa lui foupirer l'amour :
Il lui peignit fi tendrement fa flammie ,
Que la Linotte écouta fes accens ;
A V.RIL. 1777.
ss
Elle parut attentive à fes chants ,
Répondit même aux tranfports de fon ame ,
Et d'unbaifer paya les fentimens.
Ah! que fur un amant un baifer a d'empire !
C'eſt un poifon fubtil qui pénètre le coeur ;
C'eft un aimant qui nous attire ,
Et dont le charme eft impofteur.
Un gentil Roffignol furvint dans le boccage ;
Il fait entendre fon ramage .
La Linotte l'écoute & forme des defirs ,
Dans la nouvelle chaîne entrevoit des plaifirs ;
Elle veut imiter un fi charmant langage ,
Et laille au Tourtereau la plainte & les foupirs.
t
Bien-tôt après autre avanture.
Arrive d'un bois étranger
Un Paffereau dont la riche parure
Rendoit jaloux les oifeaux du verger.
Un Paffereau n'eft point d'une humeur forte,
Il connoît bien fon monde ; & près de la Linotte
Il voltige à l'inftant , fans crainte du danger .
Dame Linotte eft facile à féduire !
Nouvel amant , c'eft triomphe nouveau ;
On le regarde , on daigne lui fourire ,
Pour la feconde fois , adieu le Tourtereau .
On ne veut pas pourtant l'éloigner du boccage ,
En fait d'amans le nombre eft glorieux !
Civ
ر ث ا ا ک
MERCURE DE FRANCE.
Auffi la Linotte volage ,
En coquette prudente & fage ,
Feint quelquefois d'applaudir à fes feux,
Zélis , dans cette allégorie ,
Reconnoiffez votre portrait;
Ce n'eft point une rêverie ,
Et je vous ai peint trait pour trait.
Voltigez d'hommage en hommagé ,
Méprifez la fincérité ;
Songez auffi que le bel âge
S'envole avec légèreté.
La beauté fe diffipe , & bien-tôt avec elle.
Le tems entraîne le plaifir ;
Les amans n'ont que le défîr.
Tels au printems près de la fleur nouvelle
Les zéphits careffans s'empreffent de jouir;
L'été flétrit la rofe la plus belle ,
Sans regret on la voit périr ;
Zélis , de la beauté la rofe eft le modèle ,
Et les amans reffemblent au zéphir.
Pat M. du Saufoir.
AVRIL. 1777 . 57
ROMANCE.
Sur l'Air : Trifte raifonj'abjure ton empire .
J'AVOIS brifé ma lyre & ma mufette ,
Et mes accens n'étoient que des foupirs :
Par la douleur mon ame étoit muette ,
Tu la ranime , amour ! par les plaifirs.
A l'amitié tu fais prêter tes armes ,
Pour me bleffer d'un trait moins dangereux ;
Puis de Jenni tu m'offris tous les charmes ,
Et tu me dis, l'aimer c'eft être heureux.
Près de Jennije vois fuir la trifteffe ,
Et les regrets s'éloigner de mon coeur :
Son doux regard, fa voix , tout m'intéreffe ,
Et je foutis à ce nouveau bonheur.
Avec Jenni , fi je peins la tendreſſe ,
Jefens mes yeux moins humides de pleurs ;
Defa pitié j'obtiens une careffe ,
Et ce baifer adouci : mes malheurs.
A l'amitié rien n'eftdonc impoffible ?
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Comme l'amour fon áttrait nous féduit :
J'avois juré de n'être plus fenfible ,
J'ai vu Jenni , mon ferment eft détruit.
Par Madame de Montanclos,
Explication des Enigmes & Logogryphes
du volume de Mars.
Le mot de la première Enigme eft
l'Ombre ; celui de la feconde eft l'Eau;
celui de la troisième eft Boudoir. Le mot
du premier Logogryphe
eft Promenade
, ·
où on trouve Rome , Parme , Modène
Mende , Aden , Omon , arme , armée , le
don , Arno , Pô , Oder, Marne , Drome,
orne , Morée, Edom , ame , âne ,
la
Rapée, rape , Mede , Oran , amé, Prône,
Dom , Ode , pámer, pendre , mare, Paon,
pré, drap , mon , père , mère , nom , mode,
amen , donne , dé, rade , rame , marée ,
dôme , monde , Démon , rampe , rond ,
orme, merde, amer, Médor, More, Dame;
celui du fecond eft Girouette, où le trouvent
gite, goret, rouge, rouet, roue , Roi,
ortie, or, ut, ré, goût, orge; celui du troifième
eft Poiffon , dans lequel fe trouve
poifon.
AIR
Paroles de M.Rochebrune.
Musique deM.Sarrazin.
Vous n'avez pas hum :
ble fougere l'eclat des
fleurs qui parent le prin :
:tems qui parent le prin:
tems mais leur beau te ne
dure guere Vous etes aimable
en tout tems, vous etes ai :
Fin mineur.
mable en tout tems . Vouspre:
też des secours char :
mans,aux doux plaisirs qu'on
goute surla terre vous ser:
vezdelit aux Amans aux Bu:
au majeur.
veurs vous servez de verre.
AVRIL. 1777. 59
ENIGM E.
J'AI trente enfans , ou davantage ,
Portant tous la barbe au menton ,
Pour tenir en paix mon ménage ,
A tout le féminin j'interdis ma maiſon.
Une fécondité fi rare
Mériteroit un heureux fort ;
Mais ma fortune eft fibifarre ,
Que mes propres enfans font caufe de ma mort.
Ont-ils épuifé ma ſubſtance ?
D'abord , un avide inhumain
Ufant de toute violence ,
Vient , fans nulle pitié , les tirer de mon ſein .
De me réduireen efclavage ,
Mon tyran croir que c'eft trop peu ;
Car fouvent pour dernier out age ,
Oubliant mes bienfaits , il me condamne au feu.
Par M. Arnauld, Prieur de L.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
SANS
ANS exception de perfonne ,
Je fers le riche & l'indigent ;
On me confie une couronne
De même qu'un fimple inftrument.
Gardienne de la Juftice ,
Et la sûreté des Marchands ,
J'aide quelquefois fans malice ,
A favorifer les méchants.
Par mon moyen plus d'une Belle ,
D'un jaloux fe met à l'abri ,
Conduit une intrigue nouvelle ,
Et la fait cacher au mari.
Je fers une foeur fédentaire ;
Si-tôt que nous nous accordons ,
Tout va bien ; mais pour l'ordinaire
Tout va mal quand nous no is brouillons.
Par le même.
AUTR. E.
JE fuis d'un père affez utile ,
Fille d'abord fort inutile.
AVRIL 1777.
61
Mon père eft un bon animal ,
Failant du bien , jamais du inal .
J'ai des milliers de foeurs , & n'ai pas un feul frère .
Mes foeurs , quoiqu'elles foient plus petites que
moi,
N'attendent pas pour avoir un emploi ,
Ainfi que moi , la mort de notre père ;
Et c'est dans le ménage
Qu'on les met en ufage.
Mais de mon père enfin la mort non naturelle ,
Me fait foftir de l'inutilité :
Je puis alors-fléchir une cruelle ,
Ramener à Philis un Amant infidèle ,
Ou de les rigueurs rebuté : ་
D'un trait je puis , Lycas , dans le coeur d'une
Belle ,
Allumer le feu du defir ,
Pour toi faire biller en elle
Le flambeau du plaifir
Par M. Huet de Longchamps.
LOGO GRYPHE.
SEPT pieds compofent tout mon être ,
De moi tout le monde a beſoin ;
62 MERCURE DE FRANCE.
Lecteur, es -tu fans me connoître ?
Lis donc , & ne vas pas plus loin.
Tu trouveras dans ma carcalfe ,
Le plus grand bien qu'on puiffe avoir ;
C'est lui qui donne tout pouvoir ,
Hormis que qui l'a , ne l'entaſſe.
En me coupant par la moitié ,
On voit alors dans ma dernière ,
Chofe équivalente à chaumière ,
Ou l'afyle d'un inſenſé .
Mon tout ne meut que par reffort ;
J'accompagne par - tout la mort :
J'orne l'appartement du¹tiche ;
De mes faveurs fi tu n'es chiche ,
Prends garde d'en payer l'emploi
Bien plus cher que la taille au roi .
Par M. l'Abbé P.
1:
I
IL
AUTRE.
L prend, dit- on fouvent , cela fous fon bonnet;
Moi je l'ai pris , d'acco d; tout ce qui fuit en naît,
Et de ce tout , Lecteur , une grande partie ,
Et certes , très - utile aux befoin de la vie.
D'abord c'eft ce qu'on veut quand le Dieu du reposs
AVRIL. 1777. 63
En nous fermant les yeux , y verfe fes pavots ;
Quand, dans les premiers ans de notre foible enfance
,
Des mères , par état , nous vendent leur fubftance.
Demandez- vous à table une nappe & du pain ,
Pour les faire tous deux , pour exciter la faim ,
Vous aurez ce qu'il faut , à deffert une pomme ,
Une volaille avant , je fatisfait mon homme ;
Ce n'eft pas tout , je donne un maître aux Matelots
,
Quand fur la vafte mer le vaiſeau fend les flots.
J'oubliois fous le lit un meuble très -fragile ,
Un qui, chez le Grand Turc, fans feu , refte inutile .
Vous trouverez auffi deux préfens de l'été ,
Plus foible qu'un rofeau par les vents agité ;
L'un eft fur un long corps une tête chérie ;
Ce corps eft le fecond quand fa tête eft meurtrie ,
Ce qui fit diftinguer Efau de Jacob ,
Les Aéaux de l'Egypte ou l'épreuve de Job ;
Une géniffe errante , & qui , felon la Fable ,
Pour découvrir fon nom , le traça fur le fable ;
Une taxe , une pierre , un oiſeau babillard ;
Le nom d'un Souverain prefque toujours vieillard ;
De la mer ou d'un fleuve une terre entourée ,
Ce qui porte l'oifeau fous la voûte azurée ,
La couleur des mourans , le reste du tonneau ;
Enfin , Lecteur , je touche au bout de mon ronleau
;
64
MERCURE DE FRANCE .
La volonté du Prince , un animal immonde.
Adieu , mon dernier mot fera le bout du monde.
Par M. des Landes.
D
AUTRE.
EUX membres , cher Lecteur , me forment en)
entier ;
De ces deux membres le premier
Met , contre un air trop froid , ton chef en ga-.
rantie :
Tu peux voir le dernier
Dans la Géométrie ;.
Si tu veux le tout raſſembler,
Tu me trouveras à l'Egl.ſe :
C'en eft affez , je crains que trop long je n'en dife.
Par M. I Abbé Raux , Chanoine
à Châteaudun .
AVRIL. 1777. 65
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Lettres de Clément XIV, ( Garganelli )
tome III , chez Lottin le jeune , rue
Saint -Jacques.
CE troisième volume , promis & at
tendu depuis fi long-temps, répondau jufte
empreflement du Public , par tout ce
qu'il contient outre quelques Lettres
intéreffantes , écrites à différentes perfonnes
, dont plufieurs font encore vi
vantes , il renferme des Panégyriques
& des Difcours où règne une éloquence
mâle , accompagnée d'une véritable
onction .
L'Éditeur , dans un Avertiffement de
35 pages , cite des témoignages authentiques
en faveur des Lettres , & il invite
tous ceux qui doutent encore , à venir
chez lui pour s'en affarer ; les Critiques
devroient profiter de cette invitation , &
demander à M. Carraccioli tous les éclairciffements
qui pourroient fervir à diffiper
tous les nuages que l'on cherche
à entaffer fur l'authenticité de ces Lettres.
Nous avons mieux aimé profiter
66 MERCURE DE FRANCE.
des maximes excellentes de ce faint Pontife
, que de nous livrer à des difputes
interminables. Une doctrine n'eft pas
vraie , parce qu'un Docteur illuftre l'a
enfeignée. Mais ce qu'il a enfeigné mérite
attention , felon ce qui eft conforine
au vrai. La vérité tire fon prix d'ellemême.
L'homme n'a de prix que par
la vérité la vérité fe retire , l'homme
refte & ne montre que fon néant .
Ce qu'il y a d'avantageux pour ce livre
, c'eft qu'il fe foutient par lui-même ,
ne renfermant que des maximes aufli fages
qu'utiles . La religion y paroît en
grand , telle qu'on la voit dans d'Evangile
, dans les Apôtres , dans les Conciles
, & dans les Pères .
Ce qu'on y lit fur la double fubftance
dont nous fommes compofés , eft digned'admiration
. « L'homme , dit Ganga-
» nelli , dans le tableau qu'il en trace ,
» eft vraiment une créature toute cé-
» lefte , & un être tout animal , qui, par
fon ame tient à Dieu de la maniè-
» re la plus glorieufe ; & qui , par
» fon corps, touche au néant de la façon
» la plus fenfible & la plus humiliante .
» Ici il eft un jour qui réjouit par fa pureté
, là , une nuit qui effraye par fes
» ténèbres .
,
AVRIL 1777. 67
ر د
» Le Chriftianifme , ajoute-t- il , comme
étant à l'abri de tous les écueils ,
» & tenant toujours un jufte milieu , noust
» montre l'homme fur la terre , & dans
»le fein de Dieu , comme dans un dou-
» ble centre d'où nous fommes tous fortis,
» & où nous devons tous rentrer. Si
» fon ame, femblable à une fleur qui ne
s'épanouit que par fucceffion , ne fe
développe qu'infenfiblement , c'eſt
» qu'elle dépend d'un corps pareffeux
» dans fes progreffions.
>>
"
"
» On lit dans le inême tableau , que '
l'homme vit prefque toujours dans un
" pays ennemi , en vivant avec lui- même ;
» que fon fang qui bouillonne , que
»fon imagination qui s'égare , que fes
defirs qui fe combattent , que fes
paffions qui s'allument, forment une
» guerre inteftine dont les fuites font
» fouvent les plus funeftes ; que la vie
» fe paffe à lutter contre foi -même, quand
on veut fe gouverner avec fagefle ,
» parce qu'il y a deux hommes en nous ,
» l'homme terreftre & l'homme fpiri-
» tuel , qui font fans ceffe aux prifes ,
» & qui ne s'accordent qu'autant qu'une
» raifon éclairée , & un coeur droit fervent
de pilote & de gouvernail ; il
"
68 MERCURE DE FRANCE.
" notre
compare enfuite notre ame ,
efprit , notre raifon , notre volonté
» aux quatre élémens , quoiqu'ils n'aient
» rien de matériel , mais parce qu'ils
fe combattent fans ceffe , & qu'il en
» réfulte des tempêtes & des volcans
qui défigurent l'image du Créateur » .
و د
Ce morceau eft femé de réflexions
admirables ; entre autres , on y lit que
» les vertus n'ont jamais paru dans le
» monde que comme quelques éclairs.
qu'on apperçoit au fein des tempêtes ;:
» que la plupart deshommes ne font que
» des êtres avortés qui rétrécillent leur
» coeur & ne s'attachent qu'à des objets
périffables , ou qui étouffent leur efprit
" en ne s'occupant que d'inutilités ; que
» la mort , loin d'être une deftruction
» eft une feconde création beaucoup plus
» admirable que la première , puifqu'au
» lieu des mifères qui nous traverfent
» dès la naiffance , nous trouvons en
» mourant des biens & des confolations
»
"
35
que l'oeil n'a point vu , & que nous
" ne pouvons actuellement connoître ».
Il y a des chofes qui ne font pas moins
excellentes dans une lettre où il eſt queftion
des Bibliothèques. « Ganganelli les
compare à des jardins agréables , où
AVRIL 1777. 69
22
» l'on apperçoit quelques fleurs au mi-
» lieu d'une multitude d'épines ; à des
Pharmacies oùles meilleures drogues
>> font mêlées avec des poifons . Il de-
» fire que les Bibliothécaires foient at-
» tentifs à ne pas prêter des livres indif-
» tinctement : il compare les fciences aux
» planètes , & la Théologie eft celle
On requi
avoifine le plus le foleil.
connoît dans fes comparaifons , qui
font lumineufes , & fréquentes
génie Italien ; & cela feul fuffiroit aux
yeux d'un homme qui connoît l'efprit
des Nations , pour le convaincre
que les lettres en question ont été réellement
traduites .
" 12
le
On aime à lire , à l'article des Bibliothèques
, qu'en étudiant la Théologie ,
on entend la foi dire à tout le mon
de : « Ici arrêtez vous , n'allez pas plus
» loin . Je fuis une fentinelle pofée par
» le Tout-Puiffant lui même pour éprou
» ver votre fidélité , & qui ne
»
Vous
permet d'entrer que dans le veftibule
de l'Eternel , que l'hérétique & l'incré-
» dule ont voulu forcer la garde , &
» que , pour peine de leur témérité , d'af-
» freufes ténèbres fe font emparées de
» leurs ames , & ils n'ont plus marché
» que fur des précipices , ».
70 MERCURE DE FRANCE.
Nous fommes fâchés de ne pouvoir
rapporter ce que Ganganelli dit fur l'E-
-glife. Il en donne la plus magnifique
idée , dans une lettre écrite à un Religieux
, ainfi que de la Religion , dans un
Difcours prononcé à Afcoli, en 1732 , petite
ville de l'État Eccléfiaftique , où il
profeffoit alors la Philofophie. Ses réflexions
fur le zèle , adreffées à un Evê
que qui vivoit au milieu des Proteftans ,
& qu'on croit avoir été celui de Londres
, prédéceffeur de celui- ci , ( car il
y a un Evêque Catholique à Londres
& que le Ministère Anglois connoît
parfaitement ) . Ses réflexions , dis -je
méritent la plus grande attention , en
ce qu'elles ne font que l'explication de
l'Evangile , & qu'elles ne recommandent
que la douceur , la paix , la charité.
Le zèle y eft peint tel qu'il doit
être , toujours agiffant , mais toujours
modéré , tel en un mot que Jefus-
Chrift l'a exercé pendant les jours de
fa vie mortelle , à l'égard des Saducéens
, des Samaritains & des Pécheurs.
Il les tolère avec une patience admirable
, & il ne força perfonne , comme
l'obferve fi bien Ganganelli , à être fon
difciple. Le Royaume des Cieux , ajoute-
>
AVRIL 1777. 71
til , n'eft que pour ceux qui font de
bonne volonté , bona voluntatis . Il n'y
a de méritoire que ce qui eft volontaire ;
& ce n'eft ni par la force ni par les menaces
qu'il doit annoncer la Religion
Chrétienne . Cette voie ne convient
qu'aux Sectes , telles que celle de Mahomet.
On eft enchanté de lire l'endroit
que nous allons rapporter.
» Il me femble entendre la Religion
» Chrétienne , s'écrie Ganganelli , dire
» à tous ceux que l'efprit de parti per-
» fécute : ce n'eft pas moi qui vous ai
» tourmenté ; moi qui , née du fein du
père des miféricordes , ne recommande
» que la charité ; moi qui , le fruit de
» l'amour d'un Dieu pour les hommes ,
» ne defire que leur falut ; moi qui , ne
»
"
23
refpirant que l'abnégation , l'humilité
» me mets aux pieds de tout le monde
» comme mon divin maître , & ne prê
che , à fon exemple , qu'un efprit de
douceur & de paix. Inexorable pour
les vices , comme pour les erreurs , je
» n'ai d'autres armes que des larmes ,
» des prières & des cenfures purement
fpirituelles pour ramener les pécheurs » .
Il veut qu'on voie les Proteftans ,
qu'on leur parle avec charité , & qu'on
"
72 MERCURE DE FRANCE..
les engage , à force de douceur , d'atten
tions , de bontés , à revenir fincèrement
à la véritable religion . C'eft à quoi rend
toute fon inftruction fur de zèle , qu'il
paroît avoir donnée lorſqu'il étoit Cardinal.
Son Difcours fur la Superftition annonce
une ame élevée , autant qu'une
raifon éclairée . Il y fronde les faux dévots
qui furent fi fouvent anathématifés
par le Législateur même , & qui n'ont
exactement que l'écorce de la piété.
Plus la Religion eft fainte & vraie
» dit Ganganelli , plus elle exige qu'on
détrompe les fidèles fur tout ce qui
tient à la fuperftition ; c'eft pourquoi
» S. Paul recommande expreffément à
Timothée de ne point écouter les contes
& les fables » .
"
""
Lé refpect que ce Saint Pontife avoit
pour la doctrine des Pères de l'Eglife ' ,
n'étoit point en lui un fentiment aveugle
. C'étoit plutôt l'effet de fes connoiffances
profondes , & de l'étude affidue
de la tradition. « Je n'ai point remar
» qué , écrit- il au P. Berti , Auguftin ,
» que la doctrine de S. Thomas foit
"
en contradiction avec celle de S. Auguftin
, fur les matières ( de la grâce &
و د
AVRIL. 1777. 73
» de la prédelination ) . Plus Ganganelli
avoit médité les principes de ces
deux Saints Docteurs , que la divine
Providence avoit donné à l'Eglife pour
conferver la pureté de l'ancienne foi , &
pour l'expliquer d'une manière plus claire
& plus diftincte , plus il s'étoit convaincu
qu'il y avoit entr'eux , fur tous les points
de la Doctrine Chrétienne , une confor
mité entière & parfaite. Ces illuftres témoins
de la tradition , ont configné dans
leurs Ouvrages, avec autant de force que
d'unanimité, que, par le péché du premier
homme , fa malheureufe poftérité
n'eſt devant Dieu que comme une foule
de débiteurs infolvables ; qu'il peut les
immoler tous à fa juftice , fans qu'aucun
d'eux ait droit de fe plaindre ; qu'il en
retire cependant plufieurs de la maffe de
perdition , pour faire éclater fur eux les
ticheffes de fa miféricorde ; que les bonnes
oeuvres des Saints ne font ni le principe
ni le motif de fon choix , puifqu'elles
en font le fruit ; que la plus dangereufe
maladie de l'homme , eft ce penchant
violent qui l'entraîne vers les chofes
vifibles & paffagères ; mais que Dieu
nous a préparé,par les mérites de fon fils,
un remède puiffant , c'eft - à - dire de
I. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE .
chaftes plaifirs capables de furmonter , par
un fentiment plus vif & plus pénétrant ,
les fauffes douceurs de la concupifcence ;
que Dieu, qui eft plus intime à notre
ame que notre ame ne l'eft à elle-même ,
nous fait fentir au fond du coeur qu'il
eft lui feul notre fouverain bien , ſeul
digne d'être aimé pour lui-même , feul
capable de nous rendre éternellement
heureux ; mais qu'il ne fe contente pas
de nous inviter au bien par de faints
attraits , qu'il en produit lui - même.
l'amour dans notre coeur par une opération
auffi douce que puiffante. Ce n'eft
donc qu'en réuniffant fur ce point effentiel
, la doctrine de S. Auguftin & de
S. Thomas , comme le faifoit Ganganelli
, qu'on peut fe former une jufte
idée de la vraie fource de la juſtice Chrétienne
. Mettre ces deux Saints Docteurs
en oppofition , c'eft ou ne pas affez connoître
la nature du coeur humain , &
le grand reffort qui le remue & le fair
agir , ou avoir une foible idée de cer
empire fouverain , que la caufe première
exerce fur tous les ouvrages de fes
mains , & fur notre ame , comme fur
les autres créatures . On lit toujours avec
un nouveau plaifir , les vers admirables
du fils du grand Racine ( Poëme fur la
AVRIL. 1777 . 75
Grâce ) , où l'on a fu fi bien concilier.
l'exactitude févère du dogme théologique
, avec les agrémens de la Poésie .
Notre coeur n'eft qu'amour : il ne cherche & ne
fuit ,
Qu'emporté par l'amour dont la loi le conduit.
Le plaifir eftfon maître : il fuit fa douce pente ,
Soit que le mal l'entraîne ou que le bien l'enchante."
Il ne change de fin que lorſqu'un autre objet
Efface le premier par un plus doux attrait.
La grâce qui l'arrache aux voluptés funeſtes ,
Lui donne l'avant goût des voluptés célestes ,
Le fait courir au bien qu'en elle il apperçoit ,
Voir ce qu'il doit chérir, & chérir ce qu'il voit.
C'eft par-là que la grâce exerce fon empire :
Elle-même eft amour , par amour elle attire ;
Commandement toujours avec joie accepté ;
Ordre du Souverain , qui rend la liberté ;
Charme qui , fans effort , brife tout autre charme ;
Vainqueur qui plaît encor au vaincu qu'il défarme .
La grace fe plaît-elle à la gêne du coeur ?
Nou , fes heureufes loix font des loix de douceur.
Voici comme le Prince de nos Poëtes
s'exprime dans fon Poëme épique , fur
ces mêmes vérités. C'est dommage que
Dij
تان
MERCURE DE FRANCE .
1
les Théologiens ne puiffent pas , comme
l'a fait S. Profper , employer quelquefois
les ornemens de la Poéfie , & abandonner
la forme sèche du fyllogifme.
On voit la liberté , cette efclave fi fière ,
Par d'invifibles noeuds en ces lieux prifonnière ;
Sous un joug inconnu que rien ne peut briſer,
Dicu fait l'affujétir fans la tyrannifer ;
A fes fuprêmes loix d'autant mieux attachée ,
Que fa chaîne à fes yeux pour jamais eft cachée ,
Qu'en obéiffant même elle agit par fon choix,
Et ſouvent aux deftins penſe donner des loix.
Revenons au volume de Ganganelli ,
dont nous aurions voulu pouvoir multiplier
les extraits. Il eft terminé par un
Eloge latin de ce grand Pape , imprimé
à Rome l'année dernière , & dans lequel
on renvoie les Lecteurs à l'édition de
fes Lettres publiées en France , pour le
bien apprécier.
Les particularités données par le Frère
François , fur la vie privée de Ganganelli
, & qu'on a fagement rapportées
dans ce troisième & dernier tome , ne
peuvent manquer de plaire à ceux qui
aiment à voir les grands Hommes fans
pompe & fans apprêts.
AVRIL 1777 . 77
Il n'y a point de Lecteur judicieux
qui ne foit frappé de l'excellente morale
, des fages maximes , des vues fublimes
qu'on trouve dans cet Ouvrage,
& qui ne le regarde , avec raifon , comme
une des meilleures productions dont
le fiècle puiffe s'applaudir ; mais plus
la lecture en eft utile & agréable , plus
elle excite des regrets fur la perte d'un
Pontife que fa belle ame, que fon amour
pour la concorde & pour la paix , rendirent
cher à toutes les Communions.
Il y a des penfées fur les diverfes
Nations, qui fuppofent une profonde
politique , & qui nous apprennent que
Ganganelli avoit réellement des vues
très- étendues , & qu'il ne jugeoit des
chofes qu'en parfait connoiffeur.
Quant à fon Éloge de Benoît XIV
( Lambertini ) , qu'il prononça en 1741 ,
au Chapitre Général des Cordeliers ,
on y trouve des beautés dont les plus
célèbres Orateurs fe feroient honneur.
Ce Panégyrique , comme dit très - bien
P'Editeur des Lettres , prouve que Ganganelli
favoit écrire d'une manière fublime
& touchante . Ce qui eft encore
confirmé par l'Épître dédicatoire d'une
Thèfe foutenue à Turin en 1749 , où
Diij
78 MERCURE DE FRANCE..
l'on fait l'éloge de fa fcience , de fon
goût , de fon génie & de fes écrits , qui,
quoique non imprimés , étoient déjà
connus & admirés dans tout fon Ordre .
Hiftoire de la Reine Marguerite de Valois,
première femme du Roi Henri IV,
par M. A. Mongez , Chanoine Régulier
, Bibliothécaire de l'Abbaye de
S. Jacques de Provins. A Paris , chez
Ruault , Libraire , rue de la Harpe ,
1777 , I vol . in-8 °.
Il paroît furprenant , que parmi tant
d'Auteurs qui ont écrit la vie particu
lière des Princes , aucun n'ait encore
donné celle de la Reine Marguerite de
Valois. C'est cet oubli que M. Mongez
entreprend aujourd'hui de réparer , &
qui lui paroît impardonnable , fi l'on
la
confidère les bienfaits dont cette Princeffe
combloit les Gens de Lettres ,
protection ouverte qu'elle leur accordoit
, & les connoiffances étendues dont
elle étoit elle - même douée .
Quoi qu'il en foit , on ne peut plus
fe plaindre du filence des autres Biographes
, puifque M. Mongez l'a 6 bien
réparé ; fon hiftoire eft bien écrite &
AVRIL. 1777 . 79
"
traitée d'une manière intéreffante . Il a
fuivi , pour la compofer , les Mémoires
que Marguerite a donnés elle-même de
fa vie ; mais cette reffource lui manque
à l'année 1582 , où ces Mémoires finiffent.
M. Mongez affure qu'on ne peut
trop en regretter la fuite. « L'élégance,
» dit- il , avec laquelle ils font écrits
la chaleur du ftyle dans les narrations
, la connoiffance du coeur hu-
» main qu'ils annonçent par - tout , &
» le développement d'une partie des intrigues
de la Cour de Henri III , tout
» augmente nos regrets , fur-tout lorf-
» que nous voyons l'efpace qui refte
jufqu'à fa mort , auffi dénué de faits
que ceux qui l'ont précédé le font peu.
L'unique reffource eft de raffembler
» les morceaux épars çà & là , dans les
Hiftoriens, où il eft fait quelque men-
» tion de la Reine de Navarre ; & après
» de longues recherches , on n'eft que
plus convaincu de la vérité de ces
paroles du favant Auteur de l'Efprit
» de la Ligue Depuis cette époque ,
tout ce que peut faire de mieux un
» Hiftorien , eft de paffer fous filence le
refte de fa vie ». Effectivement , M.
de Mongez parcourt , avec beaucoup
و د
و د
"
ور
:
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
de rapidité , cette partie de l'hiftoire de
Marguerite , qui comprend trente - trois
années, depuis 1582 , jufqu'à fa mort ,
arrivée en 1615. Elle étoit née à Fontainebleau
, le 14 Mai 1552 , & fut le
huitième fruir du mariage fécond de
Henri II , Roi de France , avec Catherine
de Médicis .
Nous rapporterons le portrait que M.
Mongez trace de certe Reine , à la fin
de fon hiftoire, quoiqu'un peu étendu ,
parce qu'il eft bien fait , très- propre à
donner une jufte idée du caractère de
Marguerite de Valois , & en mêmetems
à faire connoître à nos Lecteurs le
ftyle de l'Ouvrage. « On peut , à juſte
ritre , la regarder comme la Princeffe
» la plus extraordinaire de fon fiècle ;
, elle réunit en elle toutes les vertus
93
و د
& tous les défauts des Rois de la
» fouche d'Orléans-Valois . On retrou-
» voit dans Marguerite les moeurs douces
& faciles , la bonté de Louis XII,
» & en même tems fon aveuglement
» entier pour ceux qu'il aimoit & qui
» avoient acquis fur lui quelque empire ,
le même attachement à fes propres
» idées , & toute la confiance de Louis ,
» avant que l'infortune & les années
AVRIL. 1777 .
81
99
ود
»
» euffent mûri fa raifon. Marguerite ,
» comme François I fon grand - père ,
» apporta en naiffant un génie propre
» aux fciences , une grande facilité pour
» l'étude des langues qu'elle poffedoit
parfaitement , & des Belles Lettres
qu'elle cultivoit avec fuccès. On
" trouve encore dans les cabinets des
curieux , quelques-uns de fes vers , qui
» valent ceux des meilleurs Poëtes de
» fon tems. Ses Mémoires prouvent
" fon éloquence & l'élégance de fa dic-
» tion ; toute la vanité, tout l'amour
» de la gloire qui avoient animé Fran-
» çois I , fembloient être paffés dans
» l'âme de fa petite-fille . Les Gens de
» Lettres qu'elle aimoit , & dont elle
étoit fans ceffe entourée , lui prodiguèrent
les noms de Déeffe , de Vénus
» Uranie ; & Marguerite favouroit ces
éloges avec complaifance . Comme lui ,
» enfin , elle protégea les Guerriers dont
» elle chériffoit la valeur , les Savans
qu'elle étoit en état de juger , & les
» Artiftes dont elle eftimoit les talens.
» Elle tenoit de fon père , Henri II
» l'affabilité , les airs & les manières
populaires ; mais elle avoit auffi fa
légèreté & fon inconftance ; fes lai-
»
»
ود
و د
و د
"
و د
"
。
Dr
82 MERCURE DE FRANCE.
"» fons , comme celles de ce Prince ,
» fembloient être plutôt l'effet de fon
caprice & de fes paffions , que le fruit
de fes réflexions & le choix de fon
>>
33
» coeur.
»
Marguerite ne fut pas entièrement
» exempte du reproche de cruauté que
» mérita Charles IX , fi toutefois on
" peut comparer des excès paffagers à un
» vice habituel. Mais , de tous ces Rois,
» Henri III fut celui avec qui elle eut
» un rapport plus marqué. En les regardant
l'un & l'autre , on croyoit
» voir la Majefté du trône . Tout, dans
» Henri III , annonçoit un Roi ; tout ,
» dans fa foeur , annonçoit une Reine .
» D'une beauté furprenante , elle éclip-
" foit par fes grâces , fon enjouement
" & le don de plaire , des femmes
qui pouvoient la furpaffer par la dé-
» licateffe des traits & la jufteffe des
proportions. Elle joignoit à un teint
animé , des cheveux du plus beau
» noir , un regard doux , voluptueux
» & tendre , une taille riche , une dé-
» marche noble , un port majeftueux ,
un air grand & un art exquis dans le
» choix de fes parures . Pour achever
» le portrait de la Reine de Navarre
33
""
34
ود
AVRIL 1777.
"
& fa reffemblance avec le Prince affai
» finé à Saint- Cloud , il faut nous la
peindre , tantôt profternée aux pieds
» des Autels, entendant plufieurs Meffes
dans un jour , vifitant les Hôpitaux ,
diftribuant, le jour de fa naiffance &
» aux Fêtes folennelles , cent écus d'or
» aux malheureux , entretenant annuel-
» lement cent onze pauvres , quarante
» Prêtres Anglois , bâtiffant & enrichiffant
les Monaftères , entr'autres , celui
» des Jéfuites à Agen , & celui des
Auguftins du Fauxbourg S. Germain ;
paffant des exercices de piété aux plai-
» firs les plus fenfuels & fe livrant ,
après une retraite fainte & auftère ,
>> aux raffinemens de toutes les voluptés.
» C'eſt dans ce mélange bifarre de dé-
23
"
4
›
votion & de galanterie , qu'elle finit
» fes jours. Elle unit le luxe & la va-
» nité à l'amour des Lettres ; la mufi-
» que & la danfe aux études les plus
» férieufes ; la charité chrétienne à l'in-
و د
و د
juftice . Marguerite affectoit de pa-
» roître fouvent dans les Temples ; elle
, donnoit le dixième de fes revenus
» aux pauvres ; avoit à fa fuite des Gens
» de Lettres , qui fubfiftoient de fes
» libéralités ; & fe piquoit d'un autre
D vi
86 MERCURE DE FRANCE.
"
30
projet de faire périr un million de fes
Sujets en une feule nuit ? Que Ca-
» therine lait entretenu dans ces noires
» idées , on ne peut en douter ; mais
» elles ont certainement pris naiſſance
» dans l'imagination d'un Prince fujet
à des accès de fureur , que ceux
>> qu'on vient de citer » .
و د
" tels
On trouve à la fin du volume , le
Mémoire juftificatif que Marguerite de
Valois compofa en 1574 , pour Henri
IV , alors Roi de Navarre , lorfque ce
Prince fut conduit à Vincennes avec le
Duc d'Alençon , frère de Charles IX
- & de Henri III. Cette pièce est trèspropre
à faire connoître l'efprit & le
génie de la Reine de Navarre .
Hiftoire de la décadence & de la chûte de
l'Empire Romain , par M. Gibbon ;
Ouvrage traduit de l'Anglois. Tome I
in-12 . relié , 3 l . A Paris , chez Moutard
& les Frères Debure , Libraires ,
quai des Auguftins .
On fera curieux de comparer cet Ouvrage
aux Confiderations fur les caufes
de la grandeur & de la décadence des
Romains , de l'illuftre Montefquieu.
AVRIL 1777 . 85
-33
»
pas
Nous ne croyons pas devoir paffer
fous filence les réflexions que fait M.
de Mongez fur le caractère de Charles
IX ; caractère dont il affure avoir fait
une étude fuivie . Elles nous paroiffent
très - bien fondées. « Les Hiftoriens
» dit- il , trop attachés à jeter tout l'o-
» dieux des maffacres faits fous fon
» nom , fur Catherine de Médicis ,
chargée de l'exécration de la poſtérité,
paroiffent n'avoir affez approfondi
» le génie de ce Prince. Eblouis par
» quelques lueurs d'efpérance qu'il ·
» donna au commencement de fon règne,
» ils n'ont pas vu qu'il étoit natu-
» rellement dur , féroce , fanguinaire.
» Ses amuſemens en portoient l'empreintes
au fein des jeux & des plaifirs
, il fe laiffoit emporter aux vio-
» lences les plus affreufes : il voulut un
» jour tuer un Seigneur avec qui il ve-
» noit de jouer ; & ce dernier ne dur
» fon falut qu'à la porte du cabinet
32
>>
>
qu'il eut l'adreffe de fermer fur lui.
" L'affaffinat projeté du Duc de Guife
» fert à confirmer ce portrait. D'après
» cela , ne peut- on pas croire que Char-
" les IX n'eut befoin que de fa férocité
naturelle , pour concevoir l'horrible.
86 MERCURE DE FRANCE.
n
30
projet de faire périr un million de fes
Sujets en une feule nuit ? Que Ca-
» therine lait entretenu dans ces noires
» idées , on ne peut en douter ; mais
» elles ont certainement pris naiffance
dans l'imagination d'un Prince ſujet
» à des accès de fureur , tels que ceux "
"
qu'on vient de citer » .
On trouve à la fin du volume , le
Mémoire juftificatif que Marguerite de
Valois compofa en 1574 , pour Henri
IV, alors Roi de Navarre , lorfque ce
Prince fut conduit à Vincennes avec le
Duc d'Alençon , frère de Charles IX
& de Henri III. Cette pièce est trèspropre
à faire connoître l'efprit & le
génie de la Reine de Navarre.
Hiftoire de la décadence & de la chute de
l'Empire Romain , par M. Gibbon ;
Ouvrage traduit de l'Anglois. Tome I
in-12 . relié , 3 1. A Paris , chez Moutard
& les Frères Debure , Libraires ,
quai des Auguftins .
On fera curieux de comparer cet Ouvrage
aux Confidérations fur les caufes
de la grandeur & de la décadence des
Romains de l'illuftre Montefquieu.
2
AVRIL. 1777. $7
Quoique le fujet des deux Ouvrages foit
à - peu- près le même , l'Auteur Anglois
embraffe un plan bien plus vafte : il préfente
le tableau de la décadence de l'Empire
& des révolutions qui , dans cette
période , ont changé la furface de la
terre .
M. Gibbon fixe à treize fiécles la durée
de ces révolutions , & l'étend juſqu'à
la deftruction du Bas - Empire par les
Turcs ; il les divife en trois périodes ,
dont la première s'étend depuis le règne
des Antonins , après lefquels la Monarchie
Romaine , parvenue au faîte de la
grandeur , commença à décliner , jufqu'à
la deftruction de l'Empire d'Occident ,
qui mit Rome au pouvoir des Goths .
Cette période fe termine au commencement
du fixième fiécle . La feconde commence
avec le règne de Juſtinien , qui
par fes loix & fes victoires , rendit à
l'Empire d'Orient fon ancien luftre , &
finit à l'an 800 , époque de la fondation
d'un nouvel Empire par Charlemagne.
La dernière comprend environ fix fiécles
& demi , depuis le renouvellement de
l'Empire en Occident , jufqu'à la prife
de Conftantinople.
Le volume que nous annonçons ne
88 MERCURE DE FRANCE.
"
"
renferme encore que l'hiftoire d'une portion
de la première période , & fe termine
à l'époque des Jeux Séculaires , célébrés
l'an 248 fous l'Empereur Philippe , fucceffeur
du plus jeune des Gordiens . « Le
» defir de me rendre utile , dit M. G.
» dans fa Préface , m'a peut- être fait don-
» ner avec trop de précipitation , un Ou-
" vrage qui doit paroître , à tous égards ,
imparfait. Je fuis encore bien éloigné
d'y avoir mis la dernière main. Je
compte au moins terminer la première
période , & préfenter au Public une
» hiftoire complette de la décadence &
» de la chûte des Romains , depuis le
» fiécle des Antonins jufqu'à la deftruc-
» tion de l'Empire en Occident. Quelles
» que puiffent être mes efpérances , je
n'ofe prendre des engagemens aufli
formels aufujet des périodes fuivantes.
» L'exécution du plan immenfe que j'ai
» tracé rempliroit le long intervalle qui
fépare l'hiftoire ancienne de la moderne
; mais il exigeroit plufieurs années
de fanté , de loifir & de perfévé-
"
ر د
ג כ
و و
rance » .
Il est d'autant plus à defirer que M.
Gibbon achève de remplir fon plan , que
la partie de fon Ouvrage qu'il a publiée ,
AVRIL. 1777. 89
eft traitée de la manière la plus intéreſfante.
Il s'y montre également peintre &
philofophe. Il trace avec autant de chaleur
que de rapidité , dans ce premier
volume , le tableau de l'État de l'Empire
Romain fous les Antonins , & celui
du règne de leurs fucceffeurs , jufqu'au
milieu du troisième fiècle , ce qui com.
prend feulement un efpace d'environ
foixante-dix ans.
Pour donner une idée du pinceau de
M. Gibbon , nous allons rapprocher deux
endroits de fon hiftoire , qui offrent le
contrafte le plus parfait . Dans le premier,
il rappelle le fouvenir du fiécle de Tibère,
de Caligula , de Néron & de Domitien ;
temps affreux de tyrannie & de cruauté.
« Les faſtes de l'Empire font bien pré-
❞ cieux pour celui qui veut approfondir la
» nature de l'homme.Les caractères foibles.
» & incertains que l'on trouve dans l'hif-
» toire moderne, ne nous prefentent pas
» des peintures fi fortes ni fi variées . Il
feroit facile de découvrir dans la con-
» duite des Empereurs Romains , toutes
» les nuances de la vertu & du vice , la
perfection la plus fublime , & la dégra-
» dation la plus baffe de notre espèce .
L'âge d'or de Trajan & des Antonins.
39
୨୦ MERCURE DE FRANCE.
"
» avoit été précédé par un fiécle de fer.
» Il feroit inutile de parler des indignes
» fucceffeurs d'Augufte s'ils ont été
» fauvés de l'oubli , ils en font redevables
» à l'excès de leurs vices & à la grandeur
» du théâtre fur lequel ils ont paru. Le
» farouche Tibère , le furieux Caligula ,
» l'imbécille Claude , le cruel Néron , le
» brutal Vitellius & le lâche Domitien ,
» font condamnés à une réputation im-
» mortelle . Pendant près de quatre-vingt
» ans , Rome ne refpira que fous Vefpafien
& Titus. Si l'on en excepte ces
» deux règnes , qui durèrent peu , l'Em-
"
pire , dans ce long intervalle , gémir
» fous les coups redoublés d'une tyran-
» nie qui extermina les anciennes familles
» de la République , & qui fe déclara
» l'ennemie de la vertu & du talent » .
Oppofons à ce tableau celui du fiécle
heureux de Trajan & des Antonins , tel
qu'il eft tracé par la plume éloquente de
M. Gibbon. « Quel fpectacle magnifique
» que cet état heureux & floriffant , dont
» la Nature a joui depuis la mort de
» Domitien jufqu'à l'avénement de
» Commode ! Ce feroit envain qu'on
» chercheroit une autre période fem-
» blable dans les annales du monde . Un
AVRIL. 1777 : 9.1
ز و
"
feul Monarque gouvernoit alors l'éten-
» due immenfe de l'Empire , fous la di-*
» rection immédiate de la fageffe & de
R la vertu. Les armées furent contenues
par la main ferme de quatre Empereurs
» fu ceffifs , dont le caractère imprimoit
» la vénération , & qui favoient fe faire
obéir , fans avoir recours à des moyens
» violens . Les formes de l'adminiftration
» furent refpectées par Nerva , Trajan ,
» Adrien & les deux Antonins , qui ,
» loin de vouloir renverfer l'image de la
» liberté , fe glorifioient de n'être que
les dépofitaires & les Miniftres de la
» lei . De tels Princes auroient été dignes
» de rétablir la République , fi les Ro-
» mains euffent été capables de goûter
les avantages d'une conftitution libre ».
33
و د
ود
Ce fut après la mort de Marc- Aurèle ,
& fous le règne de l'indigne Commode ,
fon fils & fon fucceffeur , que l'Empire
Romain commença véritablement à dégénérer.
Il eſt à remarquer que de tous
les Empereurs dont M. Gibbon parcourt
l'hiftoire , depuis Commode jufqu'à Philippe
inclufivement , le feul Sévère mourut
de mort naturelle . Si d'infâmes Tyrans
tels que Commode , Caracalla , Eliogabale
& Maximin , trouvèrent dans une
92 MERCURE
DE FRANCE
.
fin tragique la jufte punition de leurs
crimes , Pertinax , Alexandre Sévère &
Gordien , Princes fages & vertueux
éprouvèrent le même fort. Voici comme
M. Gibbon fait le récit de la mort de
Pertinax , malfacré par les Soldats Prétoriens
, Milice infolente & formidable ,
qui , dans ces temps malheureux , difpofoit
fouvent de la vie des Empereurs , &
parmi lefquels il avoit voulu rétablir la
févérité de l'ancienne difcipline. » Deux
» ou trois cents foldats des plus détermi-
» nés , les armes à la main & la fureur
peinte dans leurs regards , marchèrent
fur le midi vers le palais impérial. Les
portes furent auffi - tôt ouvertes par
ceux de leurs camarades qui montoient
» la garde , & par les domeftiques atta-
» chés à l'ancienne Cour , qui avoient
déjà confpiré en fecret contre la vie
» d'un Empereur trop vertueux . A la
» nouvelle de leur approche , Pertinax
dédaignant de fe cacher , ou de recou-
» rir à la fuite , s'avance au-devant des
conjurés. Il leur rappelle fa propre
innocence & la fainteté de leurs fer-
» mens. Ces paroles , l'afpect vénérable
» du Souverain & fa noble fermeté , en
impofent aux féditieux. Ils fe repré-
"
AVRIL. 1777. 93 .
»
"3
» fentent toute l'horreur de leur forfait ,
» & reftent pendant quelque temps en
filence . Enfin le défefpoir du pardon
rallume leur fureur. Ün Barbare né
dans le pays de Tongres , porte le pre-
» mier coup à Pertinax , qui tombe cou-
» vert de bleffures mortelles ; fa tête eft
à l'inftant coupée & portée en triomphe
au bout d'une lance jufqu'au camp
» des Prétoriens , à la vue d'un Peuple
affligé & rempli d'indignation . Les
Romains , pénétrés de la perte de cet
» excellent Prince , regrettoient fur-tout
» le bonheur paffager d'un règne , dont
» le fouvenir devoit encore augmenter
le poids des malheurs qui alloient bien-
» tôt fondre fur la Nation ».
""
"
Tout ceux qui auront lu le premier
volume de cette hiftoire , ne pourront
manquer d'en attendre la fuite avec impatience.
L'Ouvrage eft accompagné de
notes remplies d'érudition . L'Auteur s'y
eft particulièrement attaché à citer avec
foin les endroits des Hiftoriens originaux
d'où il a tiré les faits qu'il rapporte . Il
annonce qu'il terminera peut - être fon
travail par des recherches critiques fur
tous les Auteurs qu'il aura été obligé de
confulter.
94 MERCURE DE FRANCE .
Quant à la traduction , on ne peut que
foufcrire au jugement du Cenfeur , à
qui elle a paru « fidelle fans être fervile ,
foignée fans être féche , & élégante
» fans être recherchée » . Les morceaux
que nous avons rapportés juftifient cet
éloge.
>>
Elégies de Tibulle , traduites par M. de
Longchamps. A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Morin , au Palais-
Royal , 1776 , 1 vol. in - 8 ° . avec
un frontispice gravé.
que
Cette traduction d'un des plus agréables
Poëtes du fiècle d'Augufte , eft en
quelque forte une fuite de celle de
Properce , que M. de Longchamps avoit
publiée précédemment. Le traducteur
n'accorde à Tibulle le fecond rang
parmi les Poëtes érotiques Latins ; parce
que , felon lui , on ne fauroit contefter
àa Properce la fupériorité du génie ;
qu'il et plus penfé , plus varié , plus
abondant , plus pittorefque mais Tibulle
a peut -être mieux atteint le but
de l'Élégie , s'il eft vrai qu'une mélancolie
plus douce que chagrine , la caractériſe
effentiellement ; & que ce foit
AVRIL. 1777. 95
moins le Poëme de la douleur & du
défefpoir , que celui de la tendreffe &
de la volupté.
ر د
93
.
« Au refte , continue M. de Lonchamps
, il ne paroît pas que les An-
» ciens aient eu des idées bien préciſes
» de l'Élégie : ils appeloient de ce nom
» tout Poëme d'une étendue bornée ,
qui étoit compofé de vers héxamètres
» & pentamètres , foit qu'il refpirât la
» douleur , la tendreffe ou la volupté ;
foit qu'on y peignît une orgie , ou
qu'on y célébrât des funérailles , qu'on
» y chantât le Dieu Mars , le Dieu du
» vin , ou la Déeffe des moiffons ; en
» un mot , il n'étoit point chez les
» Anciens de ſujets étrangers à ce genre
» de Poésie , & les vers élégiaques leur
paroiffoient également faits pour exprimer
& les cris du défefpoir , &
» les éclats de l'allégreffe. Les fujets
héroïques , & d'une vafte étendue ,
» étoient les feuls qui ne s'accommo-
» daffent point de cette forme trop dé-
» coufue. Les vers élégiaques marchent
39
ر د
"
prefque toujours deux à deux , n'ad-
» mettent guère la période , & ne pré-
» fentent que rarement de ces grouppes
» d'idées , de ces phrafes nombreufes
10
96 MERCURE
DE FRANCE
.
>>
"
و د
"
ود
» fans lefquelles un long Poëme eft
privé de chaleur , de vie & d'embonpoint.
Le rhythme de ces vers n'eft
point favorable à la belle harmonie ,
» & leur marche peu foutenue femble
» exclure les images d'une portée con →
» fidérable. Il falloit tout l'art de Pro-
» perce , de Tibulle & d'Ovide , pour
completter leurs idées & varier leur
» mefure ; encore ces deux derniers
» n'ont-ils pas toujours évité le repro-
» che de monotonie. Mais fi le texte
» de Tibulle péche quelquefois par une
trop grande uniformité , combien ce
» vice ne feroit-il pas exagéré dans une
verfion trop littérale de fes Elégies ?
» Notre langue plus ingrate que la latine,
n'offre prefque point de reffource
>> aux Traducteurs ferviles des Poëtes
» de l'ancienne Rome ; & cette vérité
» eft fur -tout inconteftable , lorfqu'il
s'agit de traduire les Poëtes élégia-
» ques. C'eft dans ce cas fur-tout qu'il
» faut facrifier l'élégance & la variété
» des tours , à cette prétendue fidélité
qui plaît tant à certains Érudits.
» J'avoue qu'en traduifant Tibulle , je
» n'ai pas eu le courage d'envifager leur
approbation comme un dédommage-
"
»
"
رد
و د
>> ment
AVRIL. 1777. 97
» ment du fuffrage des gens de goût ;
» il falloit opter , & j'ai préféré l'indul-
» gence de ces derniers » .
On voit par cet aveu , que M. de
Lonchamps a dû fe permettre quelque
liberté dans fa manière de traduire ;
mais cette liberté lui a fervi à répandre
beaucoup d'élégance & d'agrément
dans fa veifion . Pour mettre nos Lecreurs
à portée d'en juger , & de connoître
en même-tems de quelle manière
le Traducteur a mis fes principes
en pratique , nous citerons quelques
morceaux du texte & de la traduction .
Voici le commencement de la première
Élégie du premier Livre :
Divitias alius fulvo fibi congerat auro
Et teneat culti jugera multa foli ;
Quem labor affiduus vicino terrcat hofte ,
Martia cui fomnos claffica pulfa fugent.
Me mea paupertas vitæ traducat inerti ,
Dum meus exiguo luceat igue focus ;
Nec fpes deftituat , fed frugum ſemper acervos
Præbeat, & pleno pinguia muſta lacu .
Ipfe feram teneras , maturo tempore , vites
Rufticus, & facili grandia poma manu.
Nec tamen interdum pudeat tenuiffe bidentem,
1. Vol. E
C
98 MERCURE DE FRANCE.
Aut ftimulo tardos increpuiffe boves.
Non agnamve finu pigeat , foetumve capellæ
Defertum oblitâ matre referre domum.
Voici comme M. de Lonchamps a
traduit ce morceau . « Qu'un autre fe
complaife dans les monceaux d'or
qu'il entaffe , & que fes fertiles do-
» maines embraffent des milliers d'ar
pens. En proie à d'éternelles inquié
» tudes , jamais il ne perdra de vue l'ennemi
; la trompette guerrière a pour
» jamais écarté le fommeil de fes yeux.
» Pour moi je coulerai des jours paifibles
au fein de la médiocrité , pourvu
Qu'un modefte foyer me réchauffe & m'éclaire ,
»
و د
» que des ruiffeaux
de vin, qu'une
abon
» dante provifion
de fruits réalifent
chaque
année
les apparences
d'une bonne
» récolte. Habitant
des
campagnes
, on
» me verra , dans la faifon , aligner
mes
jeunes
plants , greffer
d'une main légère
mes pommiers
déjà forts . Je ne
rougirai
point de manier
le hoyau
,
d'aiguillonner
le boeuf trop lent dans
» fa marche
, de rapportér
au bercail
la
brebis
égarée
, ou de rendre
à fa mère
» le chevreau
délaiffé
».
"
""
»
AVRIL. 1777 :
11. eft peut - être à regretter que le
caractère de la Langue françoife ne permette
pas de rendre littéralement l'aimable
fimplicité de ce vers :
Dum mens exiguo luceat igne focus ,
dont au refte M. de Lonchamps a rendu
affez heureufement l'idée par un autre
vers que nous nous fommes permis de
faire remarquer, parce que fon ftyle en
offre affez fouvent. Continuons le pa
rallèle par un autre morceau de la même
Elégie :
Non ego divitias patrum , fructufque requiro ,
Quos tulit antiquo condita mellis avo.
Parva feges fatis eft ; fatis eft , requiefcere recto
Si licet , & folito membra levare toro.
Quam juvat immites ventos audire cubantem,
Er dominam tenero detinuiffe finu.
-Aut, gelidas hibernus aquas cum fuderit aufter ,
Securum fomnos imbre juvante fequi.
Hoc mihi contingat , fit dives jure , furorem
: Qui maris , & iriftes ferre poteft hyadas.
Jam modo non poffum contentus videre parvo ,
Nec femper longæ deditus effe viæ :
Sed canis æftivos ortus vitare fub umbrậ
Arboris , ad rives prætereuntis aquæ.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
Voici maintenant la truduction. « Je
» ne regrette point l'antique opulence
» de mes pères , ni ces récoltes abon-
» dantes qu'ont moiffonné mes ancêtres.
» Ce mince héritage fuffit à mon bon-
» heur : heureux d'y trouver le repos
» fous un toît ruftique ; fur cette couche
, mon refuge ordinaire dans ma
laffitude . Ah ! qu'il eft doux d'enten-
» dre gronder l'aquilon , & de preffer
» fur fon fein une amante chérie ! Que
fe fondent en eau ,
nuages " on les
» brave alors les humides autans , & le
» fommeil n'en eft que plus tranquille.
» A ce prix , j'abandonne la richeffe à
» ceux que le courroux des mers , que
» les hyades orageufes ne fauroient
» effrayer: Pour moi , qu'une vie frugale
» peut rendre heureux , déformais , au
» lieu de la confacrer à des voyages de
» long cours , j'irai braver les feux de
la canicule , fous le feuillage que rá-
» fraîchit un ruiffeau qui s'échappe »
و د
و د
Nous terminerons nos citations par
le morceau fuivant , tiré de l'Elégie
onzième du premier Livre, & quis,
fuivant M. de Lonchamps , eft d'une
beauté dont rien n'approche dans les au
tres Poëtes érotiques , tant anciens que
modernes.
AVRIL. 1777. 101
Intereà pax arva colar . Pax candida primùm
Duxit aratores fub juga curva boves .
Pax aluit vites , & fuccos condidit uvæ ,
Funderet ut nato tefta paterna merum.
Pace bidens , vomerque vigent ; ac triftia duri
Militis in tenebris occupat arma fitus.
Rufticus è lucoque vehit , malè fobins , ipfe
Uxorem plauftro , progeniemque domum.
Sed veneris tunc bella calent , fciffofque capillos
Femina , perfractas conqueriturque fores .
Flet teneras fubtufa genas ; fed victor & ipfe
Flet fibi dementes tam valuiffe manus .
At lafcivus amor rixæ mala verba miuiftrat ,
Inter & iratum lentus utrumque fedet.
ןכ
ود
« Douce & charmante paix, féconde
" nos campagnes ! Ce fut fous tes aufpices
que les boufs attelés fillonne-
» rent nos premiers, guérêts ; c'eft toi
» qui mûris nos vendanges , qui foules
» ces grappes dont la liqueur miſe en
réferve , doit abreuver une génération ,
» nouvelle ; c'eft toi qui fais reluire le
» foc & le hoyau , tandis que la rouille
,, mine dans l'ombre les armes du Sol-
» dat impitoyable. C'eft toi qui permets
" au Villageois , que le vin égaye far
»fon charriot ruftique , de ramener du
E iij
102 MERCURE
DE
FRANCE
.
1
» bois facré , fa femme & fes enfans.
» On ne connoît alors de combats , que
» ceux que l'amour excite ; une porte
» forcée , des cheveux arrachés , voilà
» ce qui provoque alors les plaintes
» d'une amante . Des larmes coulent fur
» fes joues meurtries ; mais cette vio-
» lence en arrache bien-tôt au barbare
qui ofa vaincre à ce prix. L'amour
fe place entre les deux amans , & leur
fuggère toutes les paroles qui doivent
» irriter & fomenter leur défunion » .
n
"
M. de
Lonchamps annonce , dans fon
Difcours
préliminaire , qu'il ne traduira
point Catulle ; & il en donne pour raifons
la trop grande obfcènité de ce
Poëte , le genre de fes beautés qui tiennent
trop à la Langue latine , pour qu'il
foit poffible de les faire paffer dans un
autre idiôme ; & l'obfcurité que produifent
fes allufions fréquentes à des
anecdotes ignorées aujourd'hui , & qui
l'étoient peut-être même de la plupart de
fes
Contemporains.
Cette traduction fait honneur à M.
de Lonchamps , comme Traducteur &
comme Écrivain . Les notes dont elle
eft accompagnée , font pleines d'érudition
& de goût. On doit aufli des élo-
C
AVRIL. 1777. 103
ges à l'art avec lequel il a fu jeter un
voile fur les endroits trop licencieux de
fon original.
Bibliothèque des Amans , Odes éroti
ques , par M. Sylvain Maréchal. A
Gnide ; & fe trouve à Paris , chez
la veuve Duchefne , Libraire , au
Temple du Goût, 1 vol . petit in- 1 2,
avec un frontifpice gravé.
L'Auteur de cet agréable Recueil
l'a confacré tout entier , comme on
peut en juger par le titre , à célébrer
les jeux de l'amour. I annonce luimême
, dans fa Préface , quels font
les Poëtes érotiques de l'antiquité qu'il
s'eft propofés pour modèles. « Mânes
du voluptueux Anacréon , de la brû
lante Sapho , du tendre Tibulle , fi
» vous êtes fenfibles encore à ce qui
» fe paffe dans un monde que vous avez
embelli , tous les échos folitaires tépètent
vos douces chanfons ; à la fin
de nos jolis foupers , fur nos théâtres
bruyans , au fond de l'alcove myſté-
» rieufe ; par- tour , jufques dans
» nos hameaux , & fur les lèvres de
» nos paſtourelles , vos charmans cou-
ود
ود
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ود
و د
plets hâtent l'heure du Berger. Les
» amans délicats vous doivent leur fé-
>> licité . Puiffiez-vous avoir tranfinis le
» feu de votre veine dans le coeur de
» votre imitatear fidèle ; afin que fes
» vers , ouvrage du fentiment , foient
placés , après vous , dans la mémoire
» tendre de nos Bergères , ou fur le
» même rayon , dans la Bibliothèque
» peu nombreufe des véritables amans ».
Plufieurs des Odes érotiques de M.
Maréchal , font dignes de juflifier fon
voeu il y en a même quelques - unes
que les Poëtes qu'il invoque , n'auroient
peut être pas défavouées . Elles ont le
ftyle naturel & agréable , plein de douceur
& de molleffe , qui doit caractérifer
ce genre de Poéfie , dont l'aimable
Anacréon , qui lui a donné fon
nom , a été le plus parfait modèle. On
lira , avec plaifir , l'Ode XV . du premier
Livre de M. Maréchal , intitulée :
Thémire infidelle.
1
:
Bofquets enchanteurs , où ma Belle-
Jura de m'aimer conftamment ;
Ma Belle a rompu fon ferment ,
Vous n'avez point changé comme elle :
Les mêmes fleurs naiffent toujours
AVRIL. 1777. 105
Sous votre épais & doux ombrage ;
Plus légère que le feuillage ,
Ma Thémire a changé d'amours.
Oifeaux ! vous n'avez qu'un ramage
Pour vous exprimer votre ardeur ;
Ma Thémire auffi n'a qu'un coeur ,
Mais ce coeur a double langage :
A répéter tous les difcours ,
Tu te plaifois , écho fidèle !
Répète mes foupirs ; ma Belle
Porte ailleurs les mêmes amours.
Toi , voluptueufe fougère ,
Témoin difcret de nos plaifirs ,
Tu renais envain ; mes defirs
Ne font plus ceux de ma Bergère :
Tu pourfuis conftamment ton cours
Ruiffeau fidèle à ton rivage ;
Moins belle encore que volage ,
Ma Thémire a changé d'amours.
Tout eft ftable dans la Nature ;
Rien n'eft fujet au changement
Ma Thémire en fait l'ornement ,
Pourquoi feule eft- elle parjure ?
Ils font donc paffés , mes beaux jours
Ma Thémire a rompu leur chaînes
Ev
106 : MERCURE DE FRANCE .
Amour , change- toi donc en haine ,
Ma Thémire a changé d'amours,
L'Ode fuivante , adreſſée à une femme
Bel- Efprit, eft ingénieufe & piquante.
1
Sur les bancs poudreux de l'école ,
Non ,je n'aimerois pas te voir,
Dans les volumes de Barthole ,
Puifer un pénible ſavoir.
Ne vante pas tant la fcience ,
Eve fait ce qu'elle a coûté ;
Il eſt une aimable ignorance
Qui fied bien mieux à la beauté.
La Beauté fouvent n'eft favante ,
Hélas ! qu'aux dépens de ton coeur :
Qu'une Agnès eft intéreffante!
On préfère à tout fa candeur.
De tous les Arts , Pallas eft mère ;
Pallas pourtant n'eut pas le prix :
Vénus , qui ne favoit que plaire ,
Le reçut des mains de Pâris.
Les neuf foeurs font encor pucelles
Malgré leurs fublimes efprits :
AVRIL. 1777. 107
Moins favantes , nos immortelles
Auroient pu trouver des maris .
Hortenfe ! une longue lunette
Qui fatigueroit tes beaux yeux ,
T'iroit plus mal qu'une navette
Entre tes doigts induftrieux .
Ta bouche ( notre idolâtrie ) !
Faite pour le propos badin ,
Deviendroit-elle plus jolie ,
Quand tu faurois parler latin ?
L'aigle altier porte le tonnerre ,
Dans les Cieux il a fon féjour:
La colombe raſe la terre ,
Et n'eft faire. que pour l'amour.
Le fecond vers de cette Ode : Non ,
je n'aimerois pas te voir, renferme une
faute contre la langue , il falloit : Je
n'aimerois pas à te voir. Nous aurions
pu relever encore , dans la même pièce ,
quelques légères taches , mais qui font
peu fenfibles dans le ftyle facile & négligé
ordinaire aux Poéfies anacréontiques
, & fur lefquelles par conféquent
la critique ne doit pas s'appefantir.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
L'Ode troisième du quatrième Livre,
intitulée les Baifers , eft un badinage
plein de fel , qui réunit à ce mérite
celui de la brièveté convenable à un tel
fujet.
Donne- moi , Thémire , un baifer ;
Non de ces baiſers de famille ,
Qu'à fa mère , pour l'appaifer ,
Prodigue une difcrette fille
Quandfon coeur appelle un époux :
Non de ces baifers d'hymenée
Que, pour les maris d'une année,
L'habitude rend fi peu doux :
Non de ces bailers d'étiquette
Que l'on fe donne à certain jour,
Et qu'à pareil jour on répète :.
Donne-moi des baifers d'amour.
L'Ode intitulée la Raifon ivre , Fune
des plus agréables de cette Bibliothèque ,
eft vraiment dans le genre d'Anacreon :
Sans me prévenir , certain foir ,
La raifon me rendit vifite :
Que n'attend- elle qu'on l'invite
Eft- on fi preffé de la voir ?
T'étois alors à faire orgie
1
AVRIL. 1777. 109
Entre ma Bergère & l'Amour ;
Chacun de nous , dans fa folie ,
Chantoit & buvoit tour-à-tour.
Entre tout à-coup la grondeuſe ,
En me jetant un noir regard:
« Eh ! bon jour , la belle prêcheufes
» Vous arrivez un peu trop tard .
Je vous croyoisfeul, me dit- elle...
Le monde vous feroit- il peur ?
Prenez place entre nous , la Belle ,
Et goûtez de cette liqueur ».
Se livrant au jus de la treille ,
Je lui verfe encore une fois ;
A la troifième elle fommeille...
Nous en profitons tous les trois.
Je donne un baifer à Glycère ;
Glycère en donne un à l'Amour;
L'Amour le rend à ma Bergère
Qui vient me le rendre à ſon tour.
L'Amour (d'accord avec mamie ,
Concertant une trahison ) ,
Fit , du grelot de la folie,
Un ornement à la raison.
110 MERCURE DE FRANCE.
و د ی
La raiſon en cet équipage ,
Se réveille ; & dans le miroir
Vit fa honte , fit grand tapage ,
Sortit & ne vintplus me voir.
A la fuite des quatre Livres d'Odes
érotiques , fe trouvent quelques autres
Poéfies moins confidérables , compriſes
fous le titre de Mélanges , & qui terminent
cette Bibliothèque des Amans.
Nous n'en rapporterons qu'un Dialogue
en profe , entre une Bergère & un Enfant
, la dernière pièce du volume , &
la feule qui foit en profe. « LA BERGÈRE ,
part. Quel est cet enfant ? il excite
» ma curiofité. L'ENFANT , à part.
» Voilà une Bergère qui m'examine
beaucoup.... La B. haut. Quel eft,
» ton Maître ? L'E. Je n'en ai point.
» La B. Tes patens ? L'E. Je fuis le feul
» de ma famille . La B. Quel âge as- tu ?
» L'E. Toujours enfant . La B. Où loges-
» tu ? L'E. Dans le coeur. La B. D'où
» viens-tu ? L'E. De ma demeure. La B.
Où vas-tu ? L'E. J'y retourne . La B.
Qu'y fais- tu? L'E. Des heureux. La B.
Quelle est ta Patrie ? L'E. L'Univers.
» La B. Et ton nom ? L'E, L'Amour ».
>>
"
"
C
AVRIL. 1777.
Quelques Odes de ce Recueil avoient
déjà paru dans différens Journaux ; mais
l'Auteur les a retouchées depuis . En général
, M. Maréchal s'annonce avec un
talent décidé pour la Poéfie érotique &
légère .
Traité de la conftruction des Théâtres &
des Machines théâtrales , par M.
Roubo le fils , Maître Menuifier. A
Paris , chez Cellot & Jombert fils
jeune , Libraires , rue. Dauphine , un
vol. in-folio de 67 pages , & dix planches
gravées.
-Ce nouvel Ouvrage de M. Roubo
fils , déjà fi avantageufement connu par
la deſcription de l'Art du Menuifier ,
complette en quelque façon celui - ci ,
& peut en être regardé comme la fuite.
Cet Artifte habile , à qui fa profeffion
doir beaucoup , par le luftre qu'il lui a
donné par fos Ouvrages littéraires &
méchaniques , a tâché de raffembler
dans un petit volume , ce qui regarde
la conftruction des Théâtres , tant chez
les Anciens que chez les Modernes ,
fur-tout chez les Grecs , les Romains
les Italiens & les François. Il y a join
f
112 MERCURE DE FRANCE .
un projet de Théâtre propre à donner
divers genres de fpectacles , des Tragédies
, des Comédies , des Opéra , des
Concerts , des Bals , & même des Fêtes
publiques. Ce projet eft décrit dans le :
plus grand détail ; & pour ne rien laiffer
à defirer , il lui fuppofe un emplacement
donné dans cette Capitale , afin
que les principales difpofitions de ce
monument , ne femblent pas avoir été
prifes au hafard, Cet emplacement, eft
l'ancien Hôtel de Condé , terrein deſtiné
à cet ufage.
Journal des Caufes Célèbres , curieufes &
intére fantes de toutes les Cours Souve
raines du Royaume , avec les Juge-.
mens qui les ont décidées , pour le
quel on fouferit chez le St Lacombe ,,
Libraire , rue de Tournon , 12 vol.
in- 2 par an. Prix de la Soufcription ,
18 liv . pour Paris , & 24 liv. pour la
Province , franc de port.
Les trois volumes de ce Journal
qui ont paru ( cette année ) , renferment
des Caufes qui méritent d'être connues.
Le premier contient la fameufe affaire
de la Demoiſelle Peloux. Les détails
AVRIL. 1777. 113
en font on ne peut pas plus piquans.
Nous allons en donner une idée .
و ر
ور
« Une fille vertueufe trompee par un
nféducteur , doit fans doute être protégée
par les Loix ; fon honneur doit
» être vengé par les Magiftrats , lorfqu'elle
apporte la pureté des moeurs
dans les Tribunaux , & qu'elle a pour
objet de rétablir fa répuration ourragée
; mais quand une fille s'eft manquée
à elle - même , avant de con-
» noître celui qu'elle voudroit rendre
""
>>
»
fa victime ; quand elle a été errante
» dans les Provinces ; quand plufieurs
» Villes ont été tour - à- tour les théâtres
» de fes débauches ; lorfque fes proches
» parens fe font élevés contre fon in-
" conduite , & ont provoqué des ordres
fupérieurs pour prévenir un plus grand
» fcandale ; qu'à l'âge de trente-fix ans
elle a employé la féduction , la rufe
& l'artifice , pour enchaîner à ſa paſfion
un jeune homme de vingt-deux
ans ; quand fon action n'eft dirigée
que par la haine & la vengeance ;
quand elle n'a ni titre ni droit pour
efpérer le triomphe qu'on accorde à
» la vertu ; quand elle a trompé la Juftice
& le public pour exciter la pitié
"
و د
114 MERCURE DE FRANCE.
» en fa faveur , & le foulèvement con-
» tre celui qui doit fe reprocher fa trop
» grande facilité pour une femme qui
» s'eft rendue indigne de fes bienfaits
» alors elle doit être rejetée , avec indignation
, du fanctuaire "" de la Juftice.
On doit être étonné qu'elle ait
trouvé autant de partifans & de protecteurs
. Telle eft l'idée que le Defenfeur
du Sieur de la Touloubre , a
donnée de cette affaire. Celle que la
Demoiſelle Peloux en a donnée , eft
bien différente .
Si je n'avois à me plaindre ( difoitelle
) que de l'inconftance d'un amant ,
» ce ne feroit pas aux pieds des Tribunaux
que je viendrois demander ven
» geance. La loi qui punit les crimes
» n'a point encore févi contre l'infidé-
» lité cette eſpèce de coupables ne connoît
de Juge que fa confcience ,
ود
53
&
» de châtimens que fes remords ; mais
» la trahifon dont je fuis la victime ;
» n'a été que le premier des crimes .
qu'a commis contre moi le plus lâche
» & le plus fcélérat des hommes . C'eſt
» du fein de la misère où il m'a plon :
gée , que j'élève la voix : déjà la pitié
» m'a donné un défenfeur ; l'équité me
3
AVRIL 1777
» promer des vengeurs dans mes Juges.
» Mon devoir à moi , eft de dice la
» vérité aux uns & aux autres : j'en fais
» le ferment ; & j'ai pour garant de
» ma fidélité à le remplir , l'obligation
» que je contracte de faire la preuve
» juridique de tous les faits que je vais
» expofer. L'hiftoire de mes malheurs
» prend un air de Roman , que je ré-
» douterois fi je ne favois pas que la
» vérité difpenfe de la vraisemblance » .
D'après ces points de vue oppofés ,
fous lefquets chacune des Parties préfentoit
fa défenfe , on peut juger de
l'intérêt du développement de cette affaire.
Les circonftances en font rappe
lées avec le plus grand ordre. On y
trouve des Lettres écrites pendant la
durée de la paffion des deux Amans
qui répandent l'intérêt le plus vif dans
la narration . Le ftyle en eft correcte ,
& la difcuffion des Moyens y eft appro
fondie.
}
>
Le fecond volume contient quatre:
Caufes. La première , eft une réclamation
de Vaux. La feconde , eft une vifite
indécente & illégale , faite d'une jeunefille
, fous prétexte qu'on la croyoit en
ceinte. La troifième , eft un Vieillard
116 MERCURE DE FRANCE.
amoureux qui promet d'époufer une jeunefille
, refufe enfuite d'exécuter fa pro-.
meife . La trième contient le procès ,
d'un Saxon contrefaifant le fourd & le
muet .
La manière dont la première de ces
Caufes eft traitée , la réclamation de.
Veux ) doit intéreffer toutes fortes de .
Lecteurs. Voici un des morceaux les
plus frappans qu'on y trouve :
รร
39 稀
Il y a long-temps que la philofo-.
phie agite devant la raifon un grand
problème , celui de favoir fi les corps
religieux font vraiment utiles , jufqu'à
quel point ils font utiles , s'il
» eft bien effentiel qu'il y ait , dans un
» état , des corps qui , féparés de la fo-
» ciété , faffent profeflion de vivre fans
» elle , des corps où, fans ceffer d'être,
» homme , on tenonce à tous les rap-
» ports attachés à ce titre par la na-
» ture ; où, fans ceffer d'ètre fujet d'un
» gouvernement , on ceffe d'en être
» citoyen ; des corps qui , fe recrutant
» perpétuellement pour ne jamais s'é-
» teindre , parviennent à ne compofer ,
» qu'une vafte & éternelle famille , for-:
» mée des débris de toutes les autres ;
» des corps enfin qui , fubfiftant tou-s
AVRIL
117
1777.
•
99
jours fans fe reproduire jamais , enfe-
» veliffent des générations entières dans
» le néant.
3-33
"
» Dans notre fiècle , où il faut avouer
qu'on a porté dans les difcuffions politiques
, plus de profondeur , plus de
» vues , plus de lumières que dans au-
» cun autre ; dans notre fiècle , où la
» raiſon a tout apperçu , tout faifi , tout
» analyfé , dans notre fiècle enfin , où
» la liberté du citoyen & les droits de
"
l'homme trop long- temps méconnus
» ou dédaignés , ont eu enfin des hommages
& des défenfeurs ; de bons efprits
ont examiné le problême dont
nous parlons : ils l'ont examiné fous
»toutes les faces ; il s'eft formé , à cet
égard , parmi eux , différentes opinions
, parce que les uns l'ont exa-
» miné du côté de la Religion , & les
» autres du côté de la politique feule-
» ment. La Religion s'intéreffera toujours
au maintien d'une inftitution
qu'elle a créée pour fes progrès même ;
la politique , dont au contraire cette
» inftitution embarraffe les projets &
» croife les vues , en demandera tou-
» jours , finon l'anéantiſſement , du
» moins la modification. L'une la re-
:99
•
18 MERCURE DE FRANCE.
» gardera toujours comine le dernier
afyle de la vertu , & l'autre comme
» le tombeau des races futures .
"
»
Dans ce choc d'opinions diverfes
laiffons , nous Citoyens , à la fageffe
» du Gouvernement , le foin de conci-
» lier ce qu'il croira néceffaire à l'affer-
» miffement de la Religion , avec ce
qu'il croira utile aux deffeins de la
politique. Contentons- nous feulement
de le bénir de la loi vraiment utile ,
» vraiment néceffaire , vraiment parernelle
, qu'il a publiée , il y a peu d'an-
» nées * & par llaaqquueellllee iill a reculé la
faculté laiffée à l'homme , de fe liar
» pat un engagement éternel , jufqu'au
» moment où il lui eft permis de connoître
toute l'étendue du facrifice au-
"
و ر
"
quel il sofe promettre de s'allujétis.
» Nous ignorons fi cette loi diminuera
» le nombre des Religieux , comme
quelques Ecrivains timorés ont paru
» affecter de le craindre , & fi cette di-
» minution feroit pour nous un mal
» dont nous duſſions , en effet , gémir.
ر
* L'Édit du mois de Mars 1768 , qui ne permetde
faire de Yeux qu'a l'âge deja bans
AVRIL. 1777. 119
»
» Mais nous fommes fûrs qu'il en réful-
» tera au moins un bien important ; c'eſt
» que les Religieux qu'elle nous confer-
» vera , ne l'étant devenus que dans un
âge où ils auront pu férieufement ré-
» fléchir fur la nature de l'engagement
» qu'ils alloient former , ils ne fe fenti-
» ront jamais tentés de brifer une chaîne
qui fera toujours légère pour eux ,
» parce qu'ils l'auront eux- mêmes for-
» gée » .
"
On peut juger , d'après ce morceau ,
du degré d'intérêt de cette caufe. Les
autres qui font inférées dans ce volume ,
font très-piquantes ; leurs titres fuffifent
pour faire naître le defir d'en connoître
les détails : ce volume qui a été rédigé
par M. Défeffarts , Avocat , un des Auteurs
de cet Ouvrage , fera lu avec empreffement.
La variété qui y règne , la
fingularité & l'importance des affaires
qu'il y a traitées, donnent l'idée la plus
avantageufe de fes talens. Son ftyle eft
pur & d'une noble fimplicité.
Le troisième volume contient les détails
du procès criminel du fieur Pinçon .
Les faits qui ont donné lieu à cette
affaire font incroyables . C'eft l'hiftoire
des débauches de la femme d'un Huiffier ,
120 MERCURE DE FRANCE.
qui , pour vivre tranquillement avec un
Gendarme fon Amant, fait engager fon
mari pour être foldat dans l'Inde , en lui
faifant figner un exploit.
On trouve auffi dans ce volume, les
difcours que la Ducheffe de Kinton'a
prononcés dans fon fameux procès , &
ceux des différens Membres de la Cour
des Pairs d'Angleterre. Ces difcours font
traduits de la manière la plus intéreſſante .
L'élégance du ftyle y répond à l'importance
des objets qui y font traités . Ainfi
ce volume ne peut être lu qu'avec beaucoup
de plaifir.
Un receuil auffi varié , formera dans la
fuite une collection précieufe pour les
Jurifconfultes & pour toutes fortes de
Lecteurs. L'attention que les Rédacteurs
ont de réunir l'agréable & f'utile , ne
peut qu'augmenter les fuccès que cét
Ouvrage a déjà obtenu.
On foufcrit en tout temps ; on foufcrit
même pour les années précédentes , &
on délivre les volumes qui forment la
collection entière , au prix de la foufcription
; mais on ne vend aucun volume
féparé.
La foufcription eft ouverte au Bureau
des Journaux , chez Lacombe , Libraire ,
ruc
AVRIL. 1777. 121
rue de Tournon . Il faut avoir foin d'af
franchir le port des lettres & de l'argent.
Recueil de Fables , librement traduites
de l'Anglois ; par M. de Trefféol . A
Amfterdam , & fe vend à Paris chez
les Marchands de nouveautés .
M. de Trefféol doit partager la gloire
de l'invention avec les Auteurs de ces
Fables , par les retranchemens & les
additions qu'il y a faits , pour les rendre
plus intéreffantes. Les caractères en font
vrais , les deſcriptions naturelles , la morale
juſte & bien amenée , le ftyle fimple
& correct. Celle du Payfan & du
Mâtin nous a paru très - attendriffante.
Now allons la citer en entier , perfuadé
qu'elle touchera les coeurs fenfibles.
« Dans cette contrée où le Nil , ce
» Roi des Fleuves , répand l'abondance
» avec fes eaux , un Payſan veuf élevoit
» fon petit enfant avec un foin vrai-
» ment paternel ; c'étoit l'unique héritier
qui lui reftoit de fon époufe qu'il
" avoit très-tendrement aimée , chofe
» bien rare ! pendant tout le temps
qu'elle avoit vécu. Une affaire pref-
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
33
>>
pas
fante furvient , & l'oblige de fortir
» de fa cabane ruftique : il n'étoit
befoin que ce père tendre excitat
» par des chanfons , l'enfant au fommeil,
» il dormoit déjà dans fon berceau.
» Un Mâtin étoit couché auprès de lui ;
» & c'eft fur la fidélité que l'homme
de campagne fe repofa pour garder fa
» maifon. Cette affaire finie , il fe hâte
» de revoir fon bien aimé nourriffon.
» Il lève le loquet ; car il n'y avoit pas
d'autre barreau , ni d'autre cloture
» à fa petite cabane. Le Mâtin , par fa
façon d'aboyer , & fon empreflement
à faire jouer fa queue , ( eh ! la perfidie
fe trouva- t- elle jamais dans cet
» animal ? ) exprime , ce femble , un
fentiment de joie plus fort qu'à l'or
dinaire. Il s'entrelace dans les jambes
de fon maître , & ne ceffe de le ca
reffer, Mais quelle fut la furprife de
celui- ci , lorfqu'il vit fon chien tout
» couvert de fang ! Sa gueule effroyable
le diftilloit encore , & donnoit des
indices qui faifoient foupçonner quel
que meurtre. Le père épouvanté regarde
autour fans découvrir fon en-
»fant , l'unique objet de fa tendreffe
& il apperçoit fon berceau renverfé.
כ
33
"
a
33
»
AVRIL. 1777. 123
» L'effroi , le défefpoir dans l'ame , il
jette un regard farouche fur tout le
» refte chaque objet lui confirme Je
» malheureux fort de fon fils ; & il ne
» voit plus dans fon chien que le meur-
" trier de cet enfant. Alors il s'aban-
" donne à la fureur , s'arrache les che-
» veux , jure d'abattre d'un coup de la
» hache qu'il tenoit à la main , la tête
» du prétendu coupable , & fur le
champ le Mâtin eft cruellement tué.
» Le Campagnard court enfuite vers le
» berceau , le lève ; & , tout étonné
voit fon petit tréfor endormi , fans
» avoir reçu le moindre mal. Auprès de
5 lui il apperçoit un ferpent monftrueux ,
» fraîchement déchiré & faignant en-
» core ; de forte qu'il étoit évident que
» ce chien fidèle , trop inhumainement
» immolé , avoit tué le ferpent pour dé-
33
و د ا
fendre le fils de fon maître , & l'arracher
à la mort. La Fable dit que ,
» dans le combat , l'enfant & le ber-
» ceau avoient été renverfés. Jugeons
» nos amis comme les autres hommes ,
» ne les condamnons jamais fans les entendre
.
La Fable du Poëte & de la Paille
belle d'Alexandre-le Grand , &c. prou
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vent que M. de Trefféol fait varier fon
ton, & le monter à l'uniffon des fujets
qu'il traite.
Mémoires fecrets , tirés des Archives des
Souverains de l'Europe , contenant le
règne de Louis XIII , Ouvrage traduir
de l'Italien , onzième & douzième
Parties. A Amfterdam; & fe trouve à
Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
Saint -Jean-de - Beauvais , 1776. Prix
broché , 3 liv, les deux Parties.
Ces deux nouveaux volumes comprennent
l'hiſtoire des années 1616 &
1617 , & font remplis principalement
par des détails de négociations , & par
les pièces qui y ont rapport. Le fecond
volume eft cependant compofé, pour la
plus grande partie , du tableau des derniers
momens du pouvoir du fameux
Maréchal d'Ancre , & de détails curieux
fur tout ce qui précéda & fuivit la mort
tragique de ce favori de la Reine Marie
de Médicis . L'Auteur des Mémoires raconte
ainfi cette cataſtrophe. « Le lundi
» 24 d'Avril 1617 , à dix heures du ma-
» tin , le Maréchal s'étant avancé à pied
fur le pont - levis du Louvre , pour
AVRIL. 1777. · 125
»
>
» entrer , dans le tems que les Gardes de
» la Porte en écartoient la foule ; Vitry,
qui fe promenoit dans la cour , averti
» de fon arrivée , courut à fa rencontre ,
» & fendit la preffe avec tant de précipi
» tation , qu'il le paffa de trois ou quatre
pas ; lorfque fa fuite , qui ne le quittoit
point , lui faifant appercevoir fon er-
» reur , il rétrograde , fe préfente devant
» le Maréchal , en lui mettant devant
» l'eftomac le bout de fa canne , & lui
"
n
dit : Je vous arrête de la part du Roi.
» Moi ! répond le Maréchal, en mettant
» fa main ( dans laquelle il tenoit un
» petit bouquet ) fur la poitrine . A l'inf-
» tant , Perfan , qui étoit derrière Vitry,
lui tira , par- deffus l'épaule de celui-ci,
» un coup de pistolet qui lui porta dans
» le coeur , & qui le renverfa par terre ,
fans qu'il pût proférer une parole. Il
» fut auffi-tôt dépouillé , à la chemiſe
» près . On trouva fur lui des écrits pour
» des affaires lucratives , de la valeur de
plus de cinq cents mille livres » . Vitry
reçut pour récompenfe le bâton de Maréchal
de France .
"
"
On trouve auffi dans ce même volume
, l'hiftoire du procès fait à la Maréchale
d'Ancre , accufée de fortilèges ; les
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
dépofitions des témoins , leurs confrontations
avec la Maréchale , les interrogatoires
de cette dernière , & l'Arrêt qui
la condamna à être décapitée & brûlée .
Cet Arrêt , rendu par le Parlement de
Paris , le 8 Juillet 1617 , fut exécuté le
même jour.
Les douze parties qui paroiffent de ces
Mémoires fecrets , commençant à l'année
1611 , & au règne de Louis XIII ,
font une fuite néceffaire des quatorze
autres qui ont para précédemment , &
qui contiennent une partie du règne de
Henri IV , depuis 1601 jufqu'en 1610 .
Elles fe trouvent chez le même Libraire.
Les Penfées , Maximes & Réflexions morales
de François VI, Duc de la Rochefoucaud
, avec des remarques &
notes critiques , morales , politiques
& hiftoriques fur chacune de ces Penfées
,par M. Amelot de la Houffaye &
l'Abbé de la Roche ; & des Maximes
Chrétiennes , par Madame de la Sablière.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire
, rue Saint-Jean -de-Beauvais , 1
vol. in- 12 . Prix relié , 3 liv .
Dès l'inftant où l'on vit paroître, dans
AVRIL 1777. 127
le fiècle dernier , les Penfées & Maximes
de M. de la Rochefoucaud , elles produi
firent la plus grande fenfation . On les
mettra toujours au nombre des produc
tions les plus diftinguées de ce fiècle célèbre.
La nobleffe du ftyle y eft réunie à
la folidité des penfées , on y admire fur
tout la pénétration avec laquelle l'Auteur
fait démêler les replis les plus fecrets de
l'efprit & du coeur , la force & la vérité
avec lefquelles il peint les hommes.
Il avoit toujours exifté jufqu'ici , en
même tems , deux éditions de ces Penfées
; l'une , avec des notes d'Amelot de
la Houffaye; l'autre , avec celles de l'Abbé
de la Roche. Quoique les mêmes Penfée's
fiffent la bafe de ces deux éditions
on en trouvoit cependant dans l'une qui
n'étoient pas dans l'autres de forte que
pour avoir l'Ouvrage parfaitement com
plet , il falloit les acheter toutes les deux.
En les réuniffant dans celle que nous annonçons
, on a épargné au public cette
double dépenfe . Cette nouvelle édition
réunit d'ailleurs d'autres avantages . Toutes
des pensées , rangées dans l'ordre alphabétique
, y préfentent fous un feul &
même point de vue , tout ce que l'illuf
tre Auteur dit fur chaque vertu & fur
Fiv
118 MERCURE DE FRANCE.
chaque vice , & ce que chaque Éditeur
y a ajouté. On a défigné par la lettre A ,
les réflexions d'Amelot de la Houffaye
& par la lettre L , celles de l'Abbé de la
Roche. Toutes les penfées auxquelles la
Roche a fait des réflexions qui fe trouvent
cependant dans l'édition d'Amelot ,
font marquées d'une L. Toutes les Penfées
& Maximes Chrétiennes qui ne fe
trouvent pas dans l'édition de la Roche
& qui font dans celle d'Amelot , font
défignées au contraire par un As de forte
qu'on peut aifément diftinguer par ce
moyen , les Penfées originales du Duc de
la Rochefoucaud , de celles qui lui font
feulement attribuées.
Afin de conferver l'ordre des numéros
qui a toujours régné dans les précédentes
éditions de ces Penfées , on a mis à la
tête du volume , une table des numéros,
avec des renvois aux articles auxquels
chacun d'eux a rapport. On en a ajouté
une feconde pour les Penfées de Madame
de la Sablière ; & , à la fin du volume
, une table alphabétique des différens
noms fous lefquels la même penfée peut
être rangée , ce qui fert à la trouver plus
facilement.
Un exemple pris au hafard , rendra
AVRIL. 1777 129
plus fenfible la manière dont les réflexions
des deux anciens Éditeurs , ont
été rangées à la fuite des Penfées.
Penfée de M. le Duc de la Rochefoucaud.
Nous aimons toujours ceux qui
nous admirent , & nous n'aimons pas
toujours ceux que nous admirons.
A. Nous aimons les uns , parce que
» nous y gagnons ; & nous n'aimons pas
les autres , parce que nous y perdons.
Auprès des uns , nous paroiffons plus
grands ; auprès des autres , nous paroiffons
plus petits » .
"
">
L. C'est que ceux qui nous admi-
» rent , nous flattent le coeur ; & ceux
que nous admirons , ou ne font pas
» aimables d'ailleurs , ou excitent notre
jaloufie ».
39
"
On retrouve dans cette nouvelle édition
, à la tête du Recueil , un Difcours
fur les Réflexions , Sentences & Maximes
morales , qui fe trouvoit dans l'édition
imprimée en 1754 , avec les notes d'Amelot
de la Houffaye ; & la Préface de
l'édition imprimée en 1765 , avec les
notes de l'Abbé de la Roche .
Les Costumes françois , repréfentans les
différens états du Royaume , avec les
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
habillemens propres à chaque état , &
accompagnés de réflexions critiques
& morales. A Paris , chez le Père &
Avaulez, Marchands d'Eftampes , Affociés
, rue S. Jacques, avec approbation,
1776.
Ces Coftumes font compofés de dix
Planches , dont la première repréfente le
Seigneur & la Dame de Cour ; la feconde
, l'Évêque & l'Abbeffe ; la troisième,
le Magiftrat & le Militaire ; la quatrième,
les Religieux & Religieufes ; la cinquième
, le Financier & l'Abbé ; la fixième ,
le Bourgeois & la Bourgeoife conduifant
leur enfant ; la feptième , le Médecin ,
le Chirurgien & le Pharmacien en fonction
de leur état auprès de la malade ; la
huitième , le Maçon & la Blanchiffeufe;
la neuvième, le Jardinier & la Payfanne;
la dixième enfin , le Pauvre de l'un & de
l'autre fexe. Les delfins & l'eau-forte font .
du Sieur Quéverdo ; & les gravures ont
été exécurées par les Sieurs Dupin & de
Moncy. Un homme de Lettres , bien.
connu par plufieurs Ouvrages , s'eft chargé
de la rédaction du Difcours ; & M.
Buc'hoz , qui avoit annoncé les Coftumes
à la tête de fon Hiftoire Naturelle de
AVRIL 1777, 131
F
la France , repréfentés dans la gravure ,
s'en eft départi pour s'en tenir uniquement
aux Animaux , aux Végétaux &
aux Minéraux , & n'a d'autre part à cet
Ouvrage , que d'en avoir conçu l'idée .
-Differtation fur l'huile de Palma Chrifti ,
ou d'huile de Ricin , que l'on appelle
communément huile de Caftor , dans
laquelle on donne l'hiftoire de cette
huile ; on expofe fes propriétés , & on
en recommande l'ufage dans les maladies
bilieufes ; calculeufes & autres ;
par le Docteur Pierre Canvane , Médecin
à Bafle , & Membre du Collége
Royal des Médecins de Londres , &
de la Société Royale Ouvrage traduit
7 de l'Anglois , par M. Hamart de la
555 Chapelle, Docteur en Médecine de la
6 ་ ་
Faculté de Caen , Bachelier de la Faculté
de Médecine de Paris, &c. 1 vol.
in- 8°. A Londres ; & fe trouve à Paris,
chez P. Fr. Didot le jeune , Libraire ,
Quail des Auguftins
Si l'on confidère combien les remèdes
nouveaux fe font multipliés de nos jours,
on èn conclura néceffairement que notre
matière médicale eft fort riche , & qu'il
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
à
n'y a prefque plus de remède à y ajouter,
qu'il y en a déjà même que trop. Le
remède dont il eft queftion dans la brochure
que nous annonçons ,
n'eft pas ,
la vérité , un de ces remèdes nouveaux
introduits depuis peu. Les Anciens fe:
font fervis de l'huile de ricin avec fuccès
; mais elle a été abandonnée dans les
derniers temps , foit par la difficulté
de
s'en
procurer , foit
le
mauvais pro-
S
par
cédé qu'on employoit pour l'extraire. M.
Canvane fait voir dans cette brochure de
quelle utilité pourroit être cette huiledans
la Médecine- pratique pour plufieurs
maladies ; & il indique les fubftances
avec lesquelles elle peut s'allier : pour:
que cette huile foit bonne, il faut qu'elle
foit d'une faveur douce , abfolument
fans aucune âcreté ; celle qui eft un peu
louche , eft plus récente & meilleure que
celle qui eft bien tranfparente & d'une
couleur fafranée on emploiera. à l'intérieur
la plus fraîche , & à l'extérieur
celle qui l'eft moins. Herman eſt le pre
mier des Médecins modernes, qui ait
donné des inftructions für cette huile.
mais M. Canvane en fait connoître plus
particulièrement les propriétés dans cette
brochure. Rien de ce qui pouvoir rendre
AVRIL. 1777. 333
ce remède plus utile, n'a échappé à fes
recherches profondes ; l'analogie a guidé
fes pas , fuggéré fes épreuves , & l'expérience
a conduit fa plume. M. de la Chapelle
n'a auffi rien négligé pour entrer
dans l'efprit de l'Auteur ; il dit même
s'en être fervi , avec fuccès , dans pluhieurs
cas.
Effai fur les Langues en général ; fur la
Langue françoife en particulier , & fa
progreffion depuis Charlemagne jufqu'à
préfent ; par M, Sablier , in - 8 ° .
broché. Prix, 2 liv. 8 f. A Paris , chez
Monory , Libraire de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Condé , rue &
vis-à - vis l'ancienne Comédie Françoife,
1777.
M. Sablier annonce lui - même , dans
une courte Introduction , qu'il ne s'eft
point propofé , en compofant fon Ouvrage
, de percer les ténèbres qui enveloppent
l'origine des Langues , fur-tout
après tant d'Ecrivains qui ont travaillé à
les épaiffir. « Je me bornerai donc , dit-il ,
» à jeter un coup - d'oeil fur les Langues
>> anciennes & modernes. Mon Ouvrage
n'eft point fait pour les Savans , mais
134 MERCURE DE FRANCE.
2
» pour ceux,à qui des occupations impor-
» tantes ne permettent pas de feuilleter
beaucoup de Livres , & qui cependant
feroient curieux d'avoir une idée géné
» rale fur cette matière ».
"
L'Ouvrage eft partagé en fept fections :
la première traite des Langues de l'Afrique
la feconde , de celles de l'Afre la
troisième , des Langues Européennes :
& la quatrième, de la Langue des Gaules
en particulier : la cinquième , contient
differentes réflexions fur la Langue françoife
: la fixième , traite des Langues de
l'Amérique : la feptieme enfin, renferme
un abrégé du Roman de la Rofe.
L'Auteur paffe légèrement fur les Lan-
'gues Africaines . Parmi les Langues Afiatiques
, il s'étend particulièrement fur
l'Hébreu , le Perfan , le Géorgien & le
Chinois. Ses obfervations font encore
plus multipliées & plus détaillées , comine
de raifon , fur la plupart des Langues
Européennes. Nous rapporterons les fuivantes
, tirées du chapitre où il parle de
l'Allemand. Les Latins , vers le temps
» du bas -Empire , fe fervoient de vos au
» lieu de dire tu , comme faifoient les
» Romains dans les fiècles de la bonne
30
" latinité. Les Italiens ont imaginé
AVRIL. 1777.
·135
"
de prendre la troifième perfonne.
Monfieur voudroit- il ? Les Allemands
» ont pouffé la politeffe encore plus loin ;
» car ils difent , au lieu de voulez- vous ,
» Meffieurs veulent-ils ?
1
» Bouhours avoit agité fi un Allemand
» pouvoit avoir de l'efprit ; mais Gefner,
Gellert & bien d'autres ont prouvé ,
» dans ce fiècle , le ridicule d'une pareille
» queſtion. Qu'auroit- il dit , s'il avoit vu
» Klopftok , non- feulement fecouer le
» joug de la rime , à l'exemple de Milton
» & duTriffin , mais employer le rhythme
» de la Poéfie Grecque & Latine , inno
vation qui a eu le plus grand fuccès.
Baif & autres , il y a deux cents ans',
voulurent entreprendre la même choſe
pour notre Langue ; mais ils n'en connoiffoient
point le génie : ils ne fongeoient
pas qu'il étoit difficile, & peutêtre
impoffible, d'affurer chez nous les
» voyelles longues & brèves. Ronfard
qui fentit la difficulté de donner de
la grâce aux vers de cette façon , lorf
qu'il voulut s'y effayer , fut obligé d'y
ajouter la rime. Ils ne fongeoient pas
encore qu'avec ces vers mefurés , il
faudroit donner une prononciation
marquée à nos e muets , qui font à la
e
136 MERCURE DE FRANCE.
1
fin de nos vers . L'Allemand n'a point
» ces difficultés ».
Dans le chapitre qui traite du Grec ,
l'Auteur donne une vingtaine d'exemples
de la grande différence qui fe trouve entre
plufieurs expreffions du Grec ancien
& du Grec moderne. Il y en a quelquesuns
qui ne nous ont pas paru bien choifis
. Exemple : Je bâtis : en Grec ancien ,
oicodoméo ; en Grec moderne , difo ;
c'est l'ancien verbe xr , qui a la même
fignification. Báton , en Grec ancien
bactron , en Grec moderne rabdi ; c'eſt
prefque le même mot que pads. Corbeille
ou Panier, en Grec ancien Kifté, en Grec
moderne Calathi ; c'eſt à - peu - près le
même mot que λades , qui fignifie la
même chofe. Cruptos , caché , fe dit en
Grec moderne erumenos ; mais ce mot eft ;
le participe paffif du verbe épú , & fignihe
tiré , traîné , mis à l'écart ; on a donc
pu l'employer dans le fens du verbe cacher
, fans qu'il cefsât abfolument d'être
un mot de l'ancien Grec .
Dans la fection où M. Sablier traite
de la Langue des Gaules , le Lecteur
verra , avec plaifir , la progreffion de
la Langue françoife , depuis le dixième
fiècle jufqu'au tems où elle a été fixée par
AVRIL 1777. 137
les bons Ecrivains du fiècle de Louis XIV.
Le tableau des progrès de la Langue, du
côté de la profe , y eft féparé de celui des
progrès de la Langue du côté de la Poéfie.
Ce dernier eft particulièrement enrichi
de citations de pièces de vers de chaque
fiècle . Nous ne citerons que cette Epigramme
compofée dans le quinzième
fiècle , par Octavien de Saint- Gelais.
Quelqu'un defirant eftre Preftre,
A l'Evefque fe préfenta ;
Lequel lui dit , fi tu veux l'eftre ,
Quotfunt feptem Sacramenta ?
Ce mot bien fort l'épouventa.
Puis dit , funt tres ; l'Evefque , quas ?
Sunt fpes, fides , & charitas.
Cela eft fort bien refpondu :
Or fus , qu'on defpêche ſon cas ,
Il mérite d'être tondu .
On pardonnera aifément à l'Auteur
de cet Effai , qui eft octogénaire , quelques
légères négligences dans un Ou
vrage qui embraffe une matière auffi
étendue , & qui fuppofe néceffairement
une érudition très- variée .
138 MERCURE DE FRANCE.
Dictionnairepour l'intelligence des Auteurs
Claffiques , Grecs & Latins , tant fas
crés que profanes , contenant la Géographie
, l'Hiftoire , la Fable & les
Antiquités , dédié à Monfeigneur le
Duc de Choifeul , par M. Sabbathier ,
de l'Académie Étrufque de Crotone,
Profefeur au Collège de Châlons
fur-Marne , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie de cette Ville , tome
vingt-unième , in- 8° . A Paris , chez
Delalain , Libraire , rue de la Comédie
Françoife.
Ce dernier volume termine la lettre
H. M. Sabbathier , dans la vue de ne
rien laiffer à defirer à ceux qui s'adonnent
à l'étude de l'Hiftoire & des Auteurs
claffiques , continue de traiter ,
avec étendue , les articles qui demandent
de la difcuffion . On lira avec fatisfaction
, dans ce nouveau volume.
les articles Hérodote , Héros , Hiftoire ,
Homère , Horace , Hymne , Huns , Penple
de la grande Tartarie; Hyperboréens,
Nation célèbre , dit Pline , mais dont
l'existence n'en eft pas moins un problême.
AVRIL. 1777. 139
Hyftérologie, eft l'avant- dernier article
de ce vingt-unième volume. L'Hyftérologie
eft ici définie une figure de penfée
, où l'ordre naturel des chofes eft
renverfé. L'Hystérologie ou le renverſement
de penfées dans le difcours d'un
perfonnage troublé par le premier mouvement
d'une paflion impétueufe , peut
fervir à peindre le caractère même de
cette paffion . Mais cette figure devient
fouvent vice de diction. Le renverfement
de penſée eft rare en profe , parce
qu'on s'en apperçoit aifément en relifant
fes productions à tête repofée . Mais
elle eft fréquente chez les Poëtes , à
qui la mefure des vers , la néceffité de
la rime , le feu de l'enthoufiafme , &
peut- être encore la pareffe , la peine du
changement , la difficulté d'y remédier,
font dire fouvent une chofe avant celle
qui la doir précéder . On cite ici comme
un exemple de ce vice , ces vers fi connus
de l'Ode à la Fortune , par Rouffeau.
Mais au moindre revers funefte ,
Le mafque tombe , l'homme refte ,
Et le Héros s'évanouit.
« Le pléonaſme , ajoute- t-on , d'après
140 MERCURE DE FRANCE.
N
33
לכ
quelques critiques , s'y joint à l'Hyf
térologie , ou renversement de penſée .
Quand on a dit qu'il ne reste plus que
l'homme , il eft inutile de dire que le
» Héros s'évanouit , parce qu'il eft de
" toute néceffité que le Héros ait dif-
» paru , pour qu'on ne voie plus que
» l'homme , de même qu'il faut avoir
» conçu pour enfanter. Mais fi le Poëte
» avoit pu dire , le mafque tombe , le
» Héros s'évanouit & l'homme reſte ,
» il auroit peint la chofe telle qu'elle
eft , & nous auroit offert une image
» exacte ». Cette critique pourra être
regardée comme une pure cavillation
par ceux qui ont admiré les trois vers
cités . En effet , le fecond vers ne dit
point qu'il ne reste plus que l'homme ,
ou que l'homme refte feul. Il étoit donc
nécelfaire au Poëte , pour exprimer fa
penfée , d'ajouter , & le Héros s'évanouit.
On fait d'ailleurs qu'en poéfie , & même
en profe , on fe permet quelquefois ,
pour faire image , ce que l'exactitude
grammaticale rejette comme fuperflue .
Ce vers de Racine , par exemple , où le
Poëte fait dire à Achille ,
Et que me fait à moi cette Troye où je cours?
AVRIL. 1777. 141
pourroit être également critiqué par ceux
qui ignorent ou ne fentent point qu'il
y a des pléonafmes , qui , employés à
propos , ajoutent à l'expreffion & produifent
un très - bet effet. Il fera donc
toujours facile à un critique adroit , &
armé des règles de la Grammaire , de
convertir en vices de ftyle ou de raifonnement
, les figures de penfées & celles
propres aux paffions.
Inftructionfur l'établiſſement des Nitrières,
& fur la fabrication du Salpêtre , publiée
par ordre du Roi , par les Régiffeurs
généraux des Poudres & Salpêtres.
A Paris, 1777, de l'Imprimerie
Royale , in-4°. de 83 pages , avec
figures. On trouve quelques exemplaires
de cet Ouvrage , chez Efprit ,
Libraire de Monfeigneur le Duc de
Chartres , au Palais-Royal.
Prefque tous les Arts font livrés à
une espèce de routine aveugle. Le fils
fait ce qu'a fait fon père , ce qu'a fait
fon aïeul , & les erreurs fe perpétuent
de générations en générations. L'art de
fabriquer du Salpêtre, fe trouve, par des
circonftances particulières, plus dans ce
cas qu'aucun autre . Il n'a point fuivi la
142 MERCURE DE FRANCE .
marche progreffive des autres Arts , &
le travail des Salpêtriers eft aujourd'hui ,
fur-tout en France , ce qu'il étoit il y a
plus d'un fiècle. On conçoit , d'après
cela, combien il étoit intéreflant de venir
au fecours de ceux qui s'occupent de la
fabrication du Salpêtre , de leur donner
une eſpèce de traité élémentaire qui pût
leur fervir de guide ; & c'eft un premier
objet de l'inftruction que nous annonçons.
Un fecond objet plus intéreffant encore
, a été de répandre , dans les Provinces
, les méthodes pratiquées dans
d'autres Royaumes , pour produire artificiellement
du Salpêtre , & fans le fecours
de la fouille ; de faire connoître
aux Habitans des campagnes ,, une nouvelle
branche d'induftrie , & de leur
apprendre comment ils peuvent faire des
établiffemens à la fois utiles pour eux &
pour l'État.
L'inftruction rédigée d'après ces vues ,
eft divifée en dix- fept articles ; on y
traite d'abord de la nature du Salpêtre,
des principes qui le compofent : on y
fait voir que ce fel réfulte de la combinaifon
de deux principes ; d'un acide
connu fous le nom d'acide nîtreux , &
AVRIL 1777.´ 143
d'un alkali fixe végétal qui lui fert de
bafe ; & que cet acide lui- même , d'après
des expériences communiquées à l'Académie
par M. Lavoifier , eft , pour la
plus grande partie, compofé d'un air trèspur.
Il paroît que la formation du Salpêtre
eft due à la décompofition totale des
matières végétales & animales : auffi
l'art de produire promptement & abondamment
du Salpêtre , confifte - t - il à
exciter une putrefaction rapide dans des
amas de terre , par le moyen de mélanges
quelconques de matières végétales
& animales. Les Rédacteurs de
l'Inftruction , ramènent , par ce moyen,
tous les phénomènes relatifs à la formation
du Salpêtre , à ceux de la fermentation
putride . Ils donnent enfuite
les moyens d'appliquer ces principes à
des établiffemens en grand : ils entrent
dans le détail de la conftruction des
hangards, du choix des terres, de leur
difpofition enfin , ils indiquent différens
procédés pour ménager , dans les
couches de terres , une circulation d'air
facile , & pour y entretenir un degré
d'humectation convenable.
Le Salpêtre formé , il faut l'extraire
144 MERCURE DE FRANCE.
de la terre : & cette opération fe fait par
le moyen de la lixiviation. On conçoit
que la terre étant infoluble dans l'eau,
tandis que le Salpêtre s'y diffout avec
facilité, la lixiviation doit former une
efpèce de départ ; & que l'eau en paffant
à travers la terre , doit fe charger
de tous les fels. Il ne s'agit plus enfuite,
pour obtenir ces fels , que de procéder
à l'évaporation par la chaleur & par
l'ébullition.
Les Salpêtriers de Paris , & le plus
grand nombre de ceux des Provinces
mêlent de la cendre avec les terres falpêtrées
qu'ils fe propofent de leffiver.
Les Rédacteurs de l'inftruction font voir
que cette cendre n'agit qu'en raifon de
la quantité d'alkali fixe qu'elles contiennent
; que les cendres peuvent être
remplacées , avec avantage , par ´la po
taffe , dans les Provinces , fur-tout où
cette dernière eft à bon marché ; que
cette fubftance alkaline a la propriété
de précipiter la terre unie à l'acide nitreux
, de fe fubftituer à la place , &
de convertir tout le nitre en bafe terreufe
en vrai falpêtre. Au lieu de potaffe
, on peut employer les eaux de
buanderies, qui en contiennent une por-.
tien
AVRIL. 1777. 143
tion affez confidérable, qui ne font d'aucun
ufage dans les Arts , & qui n'ont
aucune valeur dans le commerce.
Un point infiniment important, étoit
d'éclairer les Salpêtriers fur le degré de
force de leurs eaux. Il en eft , en effet ,
qui évaporent des leflives extrêmement
foibles , & qui font par conféquent une
confommation de bois confidérable abfolument
en pure perte. L'inftruction établit
comme principe , que la pefanteur
Spécifique de l'eau eft d'autant plus grande
, qu'elle contient plus de Salpêtre en
diffolution , ce qui conduit les Rédacreurs
à indiquer le pèfe - liqueur, comme
un moyen en même- temps commode &
sûr pour déterminer la quantité de Salpêtre
dont une leffive eft chargée. Ils
s'étendent à cette occafion fur la conftruction
du pèfe-liqueur ; & ils donnent
la manière de le divifer , de façon que
chacun de fes degrés exprime un pour
cent de Salpêtre dans la leffive où il
eft plongé.
Cer Ouvrage, dans lequel on n'a rien
oublié de tout ce qui pouvoit le rendre
utile , eft accompagné de figures pour en
faciliter l'intelligence ; & il eft terminé
par des calculs fur le produit des nitric
I.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
res , & fur le bénéfice qu'on peut raifonnablement
en attendre .
le
Nous terminerons cet extrait , en faifant
remarquer combien les Arts fe perfectionnent
, & combien les connoiffances
, en tout genre , s'étendent & fe multiplient.
C'est un tableau infiniment intéreffant
que de voir , d'une
d'une part
Gouvernement occupé de l'inftruction
& du bonheur de la Société ; & de l'autre
, des Citoyens zélés qui réuniffent à
des connoiffances approfondies de la partie
d'adminiſtration qui leur eft confiée ,
l'efprit de patriotifine & l'enthoufiafme
du bien public .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
BIBLIOTHÈQUE Univerfelle des Po
mans , Ouvrage périodique , dans lequel
on donne l'analyfe raifonnée des Romans
anciens & modernes , François-,
ou traduits dans notre langue ; avec des
Anecdotes & des Notices hiftoriques &
critiques concernant les Auteurs ou leurs
Ouvrages ; ainfi que les moeurs , les ufages
du temps , les circonftances particu
A.VRIL. 1777 $47
ཏི ༎།
lières & relatives , & les perfonnages
connus , déguifés ou emblematiques..
Le fuccès de cet Ouvrage , dit un nouvel
avis, augmente fi fenfiblement tous les
jours,qu'il exige de nouveaux foins . Pour
fuffire & obvier à tout , on s'eft détermi
né à former un Bureau particulier. Il a
été ouvert le io du mois dernier , rue du
Four- Saint- Honoré , près Saint Eustache.
Ceft au Sieur Anceaume que l'on s'y
adreffe ; & ce fera lui déformais qui
fignera & délivrera les foufcriptions pour,
Paris. A l'égard de la Province, on pourra,
s'adreffer également audit Bureau , ou
chez Lacombe, Libraire, rue de Tournon ,
près le Luxembourg , en affranchiffant les
lettres & l'argent.
Contraints de nous occuper d'une nou-,
velle édition , nous annonçons qu'il va
devenir comme impoffible de fournir les
vingt- huit volumes qui ont paru ; mais
lorfque les exemplaires qui reftent feront
épuifés , on s'engagera envers les perfonnes
qui fe préfénteront , à leur fournir.
dans le courant d'une année , tous les volumes
antérieurs à celui par lequel leur
abonnement aura commencé. Il fuffira
qu'en donnant leur argent pour dé conrant
, elles donnent leur nom pour lea
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
paffé . La Bibliothèque des Romans étant
ane Collection , & non un Journal , il
importe peu par quel volume on en
commence la lecture , pourvu que l'on
foit certain d'en pouvoir completter la
collection.
Cet Ouvrage , dont le Profpectus
fut reçu fi favorablement , il y a
près de deux années , juftifie fi bien
fon titre , & jouit d'une réputation fi
étendue , qu'il eft connu de ceux même
qui ne le lifent pas. Son éloge répété
dans tant de Journaux , eſt ſi bien confirmé
par la voix publique , qu'il eft
inutile de lui donner ici de nouvelles
louanges. Nous nous bornerons à affurer
que de nouveaux moyens , toujours accordés
par le même Protecteur ( * )
doivent chaque jour en augmenter le
mérite.
La Bibliothèque Univerfelle des Romans
, eft compofée de 16 vol. in- 12,
par année , dont le prix , rendus franc
de port par la Poſte , eſt , à Paris , de
24 liv.; & en Province , de 32 liv.
(*) Nous fommes forcés de n'employer qu
sette expreſſion. XIA
AVRIL. 1777. 149
Cet Ouvrage a commencé au mois de
Juillet 1775. C'eft une Collection qui
devient tous les jours plus précieufe ,
plus amufante , plus inftructive par les
recherches , & l'on peut dire par les ri
cheffes des hommes de goût qui fe font
un plaifir d'y donner leurs foins , &
par l'art avec lequel le favant Proptiétaire
de la Bibliothèque la plus com
plette , & qui la connoît le mieux , fait
tout embellir & rendre tout intéreffant.
Hiftoire générale de la Chine , ou Annales
de cet Empire , traduites du Tong-
Kim - Kang - Mou , par le feu Père
Jofeph - Anne Marie de Moyriac de
Nailla , Jefuite François , Millionnaire
à Pékin, publiées par M. l'Abbé
Grofier , & dirigées par M. le Roux
des Hauterayes , Confeiller- Lecteur
du Roi , Profeffeur d'Arabe au Collége
Royal de France , Interprête de
Sa Majesté pour les Langues Orien
tales ; Ouvrage enrichi de figures &
de nouvelles Cartes géographiques
de la Chine ancienne & moderne
levées par ordre du feu Empereur
Cang-hi , & gravées pour la première
fois.
*
G iij
# 50 MERCURE DE FRANCE.
T
On publie les deux premier volu
mes in- 4° à Paris , chez Ph.D.
Pierres , Imprimeur du Grand - Confeil
du Roi , & du Collège Royal de
France , rue Saint-Jacques ; Cloufier ,
Imprimeur-Libraire , rue S. Jacques.
Nous rendrons compte dans le pra
chain volume de cet Ouvrage impor
tant.
TALL
Hiftoire Naturelle de Pline , traduite en
François , avec le texte latin , rétabli
d'après les meilleures leçons manuf
crites , accompagnée de notes critiques
pour l'éclairciffement du texte ,
& d'obfervations fur les connoillances
des Anciens , comparées avec les
découvertes des Modernés , Tome
neuvième in- 4°. A Paris , chez la
veuve Defaint , Libraire , rue du Foin
S. Jacques.
Ce volume contient la fuite des
propriétés des fimples, & des remèdes
tirés des animaux .
Cet Ouvrage, un des plus confiderables
, & sûrement un des plus difficiles,
entrepris dans ce fiècle , arrive vers ſa
AVRIL. 1777. ISI
perfection. On s'étonnera un jour qu'un
feul homme , fans autre fecours que
fon zèle & fon travail , ait pu terminer
une fi grande entreprife .
Mémoire fur les travaux qui ont rapport
à l'exploitation de la mâture dans
les Pyrennées , avec une defcription des
manoeuvres & des machines employées
pour parvenir à extraire les mâts des
forêts , & les rendre à l'Entrepôt de
Bayonne , d'où enfuite ils font diftri
bués dans les différens Arfenaux de la
Marine ; par M. le Roi , Ingénieur des
Ports & Arfenaux de la Marine , in-4° .
A Paris , chez Couturier père , Imprimeur-
Libraire , aux Galeries du Louvre;
& Couturier fils , Libraire , Quai dės
Auguftins .
La Théorie du Chirurgien ou Anato
mie générale & particulière du corps hu
main , avec des obfervations chirurgicales
fur chaque partie , par M. Durand,
ancien Chirurgien - Aide - Major des
Camps & Armées du Roi , & c. 2 vol .
in- 8° . Prix 6 liv . broché . A Paris , chez
Grangé , au Cabinet Littéraire , Pont
Notre- Dame , près la Pompe .
Giv
151 MERCURE DE FRANCE.
Eulalie ou les dernières volontés de
PAmour , Anecdote récente , publiée
par Madame de V *** , qui en eft
l'Héroïne , in- 12 . A Londres ; & à Paris,
chez Couturier père , Libraire , aux Galeries
du Louvre ; & Défauges , Libraire
de Madame Victoire de France , rue S.
Louis , près le Palais.
Fables, par M. Willemain d' Abancourt ,
in-8° . A Paris , chez L. Cellor , Imprimeur-
Libraire , rue Dauphine.
Vocabulaire des termes de Marine
Anglois & François , en deux parties.
orné de planches , avec une explication
des figures qui y font contenues , & des
définitions de quelques termes de Ma
rine, principalement ceux de Gréement ,
in-4 ° . A Paris , à l'Hôtel de Thou , rue
des Poitevins.
Anecdotes Américaines , ou Hiftoire
abrégée des principaux événemens arrivés:
dans le nouveau Monde , depuis fa découverte
jufqu'à l'époque préfente , in-8 °.
A Paris , chez J. Fr. Baftien , Libraire ,
nue du petit Lion , F. S. G. Le même Lib.
AVRIL. 1777 . 137
vient d'acquérir la fuite des Anecdotes
des différentes Hiftoires modernes , formant
dix - fept volumes in - 8°. Et pour
en faciliter l'acquifition , il donnera la
collection entière à 4 liv . le vol . relié ,
fans rien changer au prix de ceux qui feront
pris féparément.
Difcuffion nouvelle des changemens
faits dans l'Artillerie , depuis 1765, par
M. du Coudray , Chef de Brigade au
Corps d'Artillerie , en réponſe à M. de
Saint - Auban , Infpecteur Général au
même Corps , in-8 ° . Prix 48 f. A Londres
; & à Paris , chez Ruault , Libraire,
rue de la Harpe.
ACADÉMIE.
Prix propofé par la Société Royale des
Sciences , en conféquence d'une Délibération
des Etats Généraux de la
Province de Languedoc , pour l'année
1777.
ES Les États Généraux de la Province de
Languedoc , toujours attentifs à favor
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
rifer le Commerce & les Arts , avoient
unanimement délibéré de donner un Prix
de 1200 liv. à celui qui , au jugement
de la Société Royale des Sciences, auroit
le mieux expliqué :
- 1°. Pourquoi la même Mine travaillée
avec de la Houille ou Charbon de terre ,
donne un fer de qualité inférieure à celui
qu'on en retire lorfqu'elle eft travaillée
avec le Charbon de bois ?
72 °. Quels font les moyens d'approprier
le Charbon de terre aux minéraux ferru
gineux , quels qu'ils foient , pour en tirer
du fer propre à tous les ufages économi↓
ques , & pareil à celui, qu'on retire au
moyen du Charbon de bois ?
2
La Société n'ayant pas été fatisfaite.
des recherches qu'on lui a communiquées
fur ce fujet , le propofe de nouveau
pour l'année 1777. Le Prix fera
le même , c'eft à dire , de 1200 liv.
Toutes perfonnes , de quelques pays.
& conditions qu'elles foient , pourront
travailler fur ce fujet & concourir pour
le Prix , même les Affociés Étrangers
& les Correfpondans de la Société. Elle
s'eft fait la loi d'exclure du concours les
Académiciens Regnicoles .
Ceux qui ont déjà travaillé pour ce
AVRIL. 1777. 155
Prix , pourront remettre les mêmes piè
ces au concours après les avoir perfectionnées
, ou en envoyer de nouvelles à
leur choix.
On ne peut trop exhorter les Auteurs
à profiter des lumières que la théorie
& la pratique de la Chymie leur fourniront
: ils ne doivent pas d'ailleurs onblier
que l'objet qu'ils ont à remplir eft
économique , puifqu'il s'agit de fubftituer
utilement le Charbon de terre au
Charbon de bois , qui devient tous les
jours plus rare & plus cher. L'Académie,
de fon côté , dans l'examen & le jugement
des pièces qui lui feront préfentées,
s'efforcera de répondre à la confiance des
États , & d'entrer dans les vues de M.
'Archevêque & Primat de Narbonne
leur illuftre Préfident , dont elle a fou
vent reffenti les bienfaits , & qu'elle fe
glorifie de compter au nombre de fes
Membres.
Ceux qui compoferont , font invités
à écrire en françois ou en latin . On les
prie d'avoir attention que leurs écrits
foient bien lifibles .
Ils ne mettront point leurs noms
leurs Ouvrages , mais feulement une
fentence on devife ; ils pourront atta
G vi
156 MERCURE DE FRANCE.
cher à leur écrit un billet féparé & cacheté
, où feront , avec la même devife ,
leurs noms , qualités & adreffes ; ce billet
ne fera ouvert qu'en cas que la pièce ait:
remporté le Prix .
On adreffera les Ouvrages , francs de
port , à M. de Ratte , Secrétaire perpé--
tuel de la Société Royale des Sciences ,
à Montpellier , ou on les lui fera remettre
entre les mains. Dans ce fecond cas ,,
le Secrétaire en donnera à celui qui les
lui aura remis , fon récépiffé , où feront
marqués la devife de l'Ouvrage , &
fon numéro , felon l'ordre ou le temps
dans lequel il aura été reçu..
Les Ouvrages feront reçus jufqu'aus
30 Septembre 1777, inclufivement.
La Société , à fon Affemblée publique
pendant la tenue des Etats de 1977 ,
proclamera la pièce qui aura mérité le
Prix.
S'il y a un récépiffé du Secrétaire, pour
la pièce qui aura remporté le Prix , le
Tréforier de la Compagnie le délivrera:
à celui qui rapportera ce récépiffé ; s'il
n'y a pas de récépiffé du Secrétaire , le
Tréforier ne délivrera le Prix qu'à l'Auteur
qui fe fera connoître , ou au porteur
une procuration de fa part..
AVRIL. 1777. 157
La Société avoit annoncé qu'elle donneroit
en outre un fecond Prix de 300- I..
à celui qui , ayant déjà traité avec fuccès
les deux premières queftions ci- deffus ,
auroit le mieux réfolu celle qui fuit :
Y a-t-il dans les Mines de Charbon ou
de Fer du Languedoc , comparées aux au
tres Mines des mêmes matières , quelques
qualités qui rendent l'appropriation du
Charbon de terre plus ou moins facile ?
Les Auteurs qui ont concouru , ayant
fait peu d'attention à cette troifième
queftion , l'Académie , forcée de remettre
ce Prix de 300 liv. , a délibéré dene
le propofer de nouveau qu'après
qu'elle aura adjugé celui de 1200 liv..
On avertit en conféquence ceux qui compoferont
, qu'ils ne doivent nullement
s'occuper de cet autre Problême , qui:
intéreffe plus particulièrement le Languedoc,
& que toute leur attention doit:
le porter far les deux premières queftions,
qui font le fujet du Prix de 1 : 200.1 .
le feul que la Société ait à décerner dans
fon Affemblée publique de la fin de
17.7.7.
158 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LB Concert Spirituel fupplée aux Spectacles
qui font fermés à caufe de la folennité
des Fêtes . C'eſt un établiſſement
utile dans une Ville comme Paris , où
il devient d'autant plus intéreffant , que
le nombre des Amateurs de la musique
s'eft beaucoup augmenté , & que c'eft
le lieu le plus favorable où les fujers
diftingués , foit pour le chant , foit pour
les inftrumens, peuvent faire connoître
leurs talens . Ce Concert eft préfentement
fous la direction de M. le Gros ,
premier Acteur de l'Académie Royale
de Mufique , qui joint le goût le plus
parfait du chant , à l'organe le plus
brillant & le plus admirable ; & qui ,
aimé du public , des Amateurs & des
virtuofes , peut efpérer beaucoup de
fuccès dans fa nouvelle entrepriſe .
AVRIL. 1777.
:
le
Le premier Concert de la nouvelle
Direction , fut donné le Dimanche 16
Mars il a été fort applaudi . Ce Concert
a commencé par une belle fymphonie
de M. Golfec. Mademoiſelle
Plantin a chanté avec beaucoup d'expreffion
, un nouveau Motet del Signor
Traietta . M. Baer a exécuté avec fuccès
, un nouveau Concert de clarinette .
Mademoiſelle Giorgi , déjà bien célèbre
par la beauté de fon organe , & par
charme de fon chant , a fait entendre
une Ariette del Signor Anfoffi . M.
Capron , qui a été revu avec la plus
grande fatisfaction , après une longue
abſence , a donné de nouvelles preuves
de fon rare talent & de fes études , par
un nouveau Concerto de violon de fa
compofition . M. Girouft , Maître de
Mufique de la Chapelle du Roi , a fait
exécuter un nouveau Motet à grand
choeur , dans lequel MM. le Gros &
Platel ont chanté avec applaudiffement .
M. Bezozzi a exécuté de la manière la
plus admirable , un Concerto de hautbois
. Ce beau Concert a été terminé
160 MERCURE DE FRANCE.
par une excellente fymphonie de M.
Guenin. Le public a remarqué l'exécution
ferme & l'intelligence fupérieure
de M. de la Houffaye , premier Violon ,
bien digne de conduire l'Orcheſtre auquel
il préfide .
Le Concert du Mercredi 19 Mars ,
a été compofé d'une fymphonie à grand
Orcheftre , de M. Goffec ; d'un air de
M. Piccini , chanté par M. Guichard ;
d'un nouveau Concerto de haut-bois ,
exécuté par M. le Brun ; d'une Ariette
Italienne , chantée par Mlle Danzi
première Cantatrice de l'Électeur Palarin
; d'un nouveau Concerto de violon,
par M. Chartrain ; d'un Morer à grand
choeur del Signor ** ; d'un Concerto
de cor- de-chaffe , par M. Punto , d'une
Ariette Italienne , chantée par Mademoifelle
Danzi , & accompagnée par
M. le Brun ; d'une fymphonie nouvelle
de M. Chartrain. On ne peut defirer
plus de variété , un choix plus aimable
& un concours de talens plus diftingués
.
AVRIL. 1777. 163
Concert du Vendredi 21 Mars. Symphonie
de M. Goffec. Ariette del Signor
Piccini , chantée par Mademoiſelle
Giorgi. Concetto de haut-bois par M.
le Brun. Ariette Italienne redemandée
& chantée par Mademoifelle Danzi ,
première Cantatrice de l'Electeur Palatin.
Concerto de violon par M. Capron.
La fortie de l'Égypte , oratorio
de M. Rigel . Concerto de cor- de- chaſſe,,
par M. Punto. Autre Ariette Italienne,
auffi redemandée , chantée par Mademoifelle
Danzi , & accompagnée par
M. le Brun. Nouvelle fymphonie del
Signor Sterzel. Tous ces morceaux ont
eu le plus grand fuccès. Ils prouvent
tous le goût & l'intelligence du nouveau
Directeur.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a continué jufqu'à la clôture de fon
Théâtre, les repréfentations alternatives
Orphée & Euridice , d'Iphigénie en
162 MERCURE DE FRANCE .
Aulide , d'Alcefte , Opéra de M. le Chevalier
Gluck. On n'a rien négligé pour
mettre les Connoiffeurs & les Amateurs
à portée de juger de cette mufique, tant
préconisée par le parti des enthoufiaftes
, & que les vrais Amateurs ont applaudi
comme une bonne mufique théâtrale,
mais peu agréable hors de la fcène,
parce qu'il faut à ce genre , pour en impofer
, tout l'appareil du fpectacle , toute
la véhémence des Acteurs , & tout l'effet
d'un Orchestre très-nombreux .
nouveau
M. Noverre a donné un
Ballet paftoral , intitulé les Rufes de
l'Amour. La compofition de ce Ballet
eft très - ingénieufe , très - agréable , &
d'une variété piquante. Le Compofiteur
a choifi pour le lieu de la fcène , un fite
champêtre , avec des côteaux qui , s'élevant
en emphithéâtre , lui ont donné
l'occafion de former des tableaux charmans
, & de varier les effets de perfpective.
On a pu remarquer que M.
Noverre fait allier dans la compofition
de fes Ballers , l'imagination du Poëte
& le talent du Peintre . C'eft de la poéfie
qu'il emprunte fes idées ; c'eft de la
Peinture qu'il imite les figures & les
attitudes des grouppes de Danfeurs.
AVRIL. 1777. 163
Heureufe invention pour enrichir la
danfe de penfees poétiques & de dif
pofitions pittorefques . Que de Ballets
charmans à tirer des Odes d'Anacréon ,
des Poëmes d'Homère , de Virgile , da
Taffe, de Voltaire , des Idyles de Théocrite
& de Gefner, &c. ! Que de figures
agréables , que d'attitudes heureufes à
emprunter de Rubens , du Corrége , de
' Albanne , de Vateau, &c . ! C'eſt ainfi
que l'homme de génie peut s'approprier
les richeffes des Arts , & en former un
nouveau, par leur réunion
DÉBUT
Le Sieur de Beauval , Acteur , venant
de Bruxelles , a débuté fur le Théâtre
de l'Académie Royale de Mufique , par
le rôle d'Orphée dans la Tragédie de
ce nom . Cet Acteur a l'intelligence de
la fcène , il a une figure théâtrale ; il
eft bon Muficien ; il tire parti , avec
beaucoup d'adreffe & de goût , d'un
organe ingrat qu'il fait ménager; il a
été fort applaudi.
On doit donner inceffamment la re164
MERCURE DE FRANCE.
prifé de Cephale & Procris , Ballet he
roïque , dont les paroles font de M. de
Marmontel, & la mufique de M. Grétry.
On nous affure que les deux Auteurs
ont fait des changemens fort heureux
dans cet Opéra ; & que les partifan
de la mufique parlante & expreffive, y
trouveront tout ce qu'ils peuvent deficer,
& de plus la belle mélodie qui appar
tient au génie , avec l'harmonie qui eft
l'ouvrage de l'art & de la fcience.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François ont donné
quelques repréfentations du Complai-
Jant , Comédie de caractère , dans laquelle
il y a des fcènes fort ingénieuſes
& fort plaifantes , attribuée à M. de P.
de V. , Auteur du Somnambule , & du
Fat puni , deux autres Pièces très- comiques.
DÉBUT.
Le Sieur DEROZIERES , Acteur , âgé
d'environ vingt - huit ans , jouant en
Province les premiers rôles , eft vena
.
AVRIL. 1777. 165
s'effayer fur le théâtre de la Comédie
Françoife. Il a débuté le premier Mars
par Augufte dans Cinna ; il a joué enfuite
le rôle de Couci dans Adélaïde du
Guefclin. Cer Acteur eft d'une tailleavantageufe
: il a l'ufage du théâtre ;;
mais le public de Paris s'accoutumeroit
difficilement à fa prononciation. Il eft
retourné en Province , où des intérêts
particuliers l'ont rappelé .
Les Comédiens ont donné une repré-
Lentation de Sémiramis au profit de Mademoiſelle
Dumefnil , qui s'eft retirée du
théâtre . Le public s'eft porté en foule à
ce fpectacle , & a marqué , par fon empreffement
, l'eftime qu'il fait de cette
Actrice célèbre.
M. Dauberval a fait cette année , à
la clôture , le compliment d'ufage , qui
a été fort applaudi . Le voici :
MESSIEURS ,
C'est toujours avec une crainte ref- ,
pectueufe que nous rempliffons , à cette
époque , l'acte d'hommage que nous
166 MERCURE DE FRANCE.
venons vous faire : celui de nous qui
s'en trouve chargé , voit au premier coupd'oeil
1 heureufe occafion qu'il peut avoir
de folliciter vos bontés pour lui -même ;
mais dès qu'il y réfléchit , il fent tout
le poids d'une fonction auffi délicate que
difficile à remplir. Notre reconnoiffance ,
Melbeurs , et une derte facrée , dont
Raven répété a droit de vous paroître
fuperfu. Je ne crois pas non plus devoir
vous parler de notre zèle & de nos efforts.
Eh ! qui de nous peut exifter avec quelque
fatisfaction dans notre état , s'il n'a
pas l'avantage de mériter votre bienveil
lance par fes travaux & fes fuccès ?
1
I
Tels font les fentimens que j'ai lu da no
le coeur de tous les Comédiens ; tels
étoient ceux de cette Actrice célèbre ,
l'honneur immortel du Théâtre , qui fut
à la fois Cléopâtre & Mérope , & qui ,
toujours fidelle aux impreffions de la
nature , les rendit avec cette vérité
naïve & impofante , qui fait le carac
tère du génie. Qu'il eft beau d'attirer le
concours dont vous avez honoré fa repréfentation
! Qu'il eft glorieux de s'en être
rendu digne ! e
- Daignez vous reffouvenir , Meffieurs ,
que c'eft par ces mêmes encouragemens
AVRIL 1777 . 167
que vous avez , pour ainfi dire , créé ces
hommes immortels que toutes les Na
tions vous envient, Ces traits de fenfibilité
, d'efprit & de délicateffe qui vous
diftinguent & vous caractériſent , inſpirent
l'émulation , transforment les hommes
, & vont chercher au fond de leurs
ames le talent qui y demeuroit enfeveli.
Si quelque peuple a mérité que la nature
devint inépuifable pour lui , ce doit
être fans doute , Meffieurs , celui chez
qui tous fes voifins viennent admirer les
chef-d'oeuvres qui l'enrichiffent , & qu'on
peut , fans adulation , regarder comme
les precieux modèles du bon goût & de
la faine littérature .
COMÉDIE ITALIENNE.
ON
Na donné pour fpectacle , le jour
de la clôture , une repréfentation de la
Soirée des Boulevards , & des Trois
Sultanes , fuivies du Couronnement de
Roxelane. Ces deux Pièces très - ingés
nieufes , qui font de M. Favart , ont
reçu tous les applaudiffemens qu'elles
méritoient Auffi - tôt après le charivari
168 MERCURE DE FRANCE.
qui termine la cérémonie du couronnement
, le Sieur Clairval , dans l'habit
de Sultan ; & le Sieur Trial , dans celui
de Chef des Eunuques , fe font avancés
fur l'avant-Scène.
OS MIN.
Vous êtes Empereur , Seigneur , & vouspleurez !
SOLIMAN.
Ofmin , ces pleurs font dus à la reconnoiffance :
J'ai vu partir Elmire avec indifférence ;
Un départ plus cruel ... des adieux différés...
Des adieux !
OS MIN.
SOLIMAN.
Au public qui fuit & qui nouslaiffe.
OSMIN.
En ce jour ? à cette heure ? au fein de l'allégretk.
SOLIMAN.
Juge fi Soliman a droit de s'affliger.
OS MIN.
Je nefuis pas furpris de ce trifte langage ;
C'e
AVRIL. 1777 .
169
C'eft un malheur qu'il nous faut
partager.
SOLIM A N.
En ce moment je lui dois mon hommagę :
Tout me l'ordonne , & le public l'attend.
Dépouillons un éclat que détruit fon abſence ,
S'il n'eft plus Spectateur , je ne fuis plus Sultan ,
Ma grandeur tient à ſa préſence ,
Il me détrône en nous quittant.
Delia , Roxelane , & vous , Mufti Narbonne ,
Pour le complimenter , rempliffez à l'inſtant
Les derniers ordres que je donne.
ROXELANE (la Dame Nainville )
Air : Je fuis Lindor
A mon bonheur , en ce jour , tout confpire ,
Je vais régner fur un peuple d'amans. ‹
J'ai déridé tous les fronts Mufulmans ,
De la gaieté j'étends ici l'empire.
Le fort pourtant me gardoit une épreuve ,
Il vous arrache à mes plus chers defirs .
Ramenez donc en ces lieux les plaifirs .
( Montrant le Sultan ).
Quoiqu'en fes bras , fans yous , je refte veuve.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
LE MUFTI ( le Sieur Narbonne ).
Air : du Vaudeville de Tom-Jones.
A Mahomet j'adreffois ma prière ,
Pour les jours d'un Sultan chéri.
Je le priois d'étendre fa carrière ;
Mais c'étoit le voeu du Mufti .
Vous nous quittez , & ma reconnoiffance
Lui demande une autre faveur.
Qu'il daigne abréger votre abfcence ,
Meffieurs , c'eft le voeu de l'Acteur.
DELIA ( la Dame Billioni ).
Air : du Vaudeville des Chaffeurs.
Meffieurs , de grâce , en affluence
Revenez ce Printems nous voir."
Nous comptons fur votre indulgence ,
La mériter eft mon devoir :
Et fi l'accueil dont on m'honore ,
Répond toujours à mon eſpoir ;
Quoiqu'on m'ait ôté le mouchoir,
Je croirai le tenir encore. ( bis. )
( Ici la Demoiselle Desbroffes a chanté
un Couplet indépendant de la Pièce
des Sultanes ).
AVRIL. 1777. 171
OSMIN.
Air : Tout roule aujourd'hui dans le Monde.
•
Les trois Sultanes font l'emblême
Des trois Théâtres de Paris.
Puifque tous les trois on les aime ,
Tous trois fans doute ils ont leur prix ;
Mais fi malgré l'éclat d'Elmire ,
Et le gofier de Délia. . .
Roxelane vous fait plus rire ,
De préférence époufez- là .
SOLIM A N.
Air : De tous les Capucins du Monde.
Mais eft - ce donc au feul Parterre
Que nous devons chercher à plaire ,
Et d'un fexe rempli d'appas ,
Ne briguons-nous point les éloges ?
OS MIN.
Mon rôle ne me permet pas
De faire un Compliment aux Loges .
SOLIMA N..
Je m'en chargerai donc. Cent Beautés à la fois ,
Dans mon coeur indécis , fe difputoient des places,
Roxelane a fixé mon choix ;
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE
.
Roxelane eft françoife, & de tout tems les grâces,
Comme elle au trône , eurent des droits .
O vous , qui partagez l'honneur de fa conquête ,
Sexe charmant , l'amour vous invite à nos yeux,
De vos regards fouvent embelliffez la fête ,
Soliman , fans vous voir , ne fauroit être heureux.
Le Compliment étoit terminé par un
choeur général , fur l'air de la marche
des Janiffaires , dans les deux Avares.
Ce Compliment a beaucoup réuffi ; il
eft des trois jeunes gens qui ont donné
fur ce Théâtre la Parodie de l'Opéra
d'Alcefte , & dont on nous promet , pour
la rentrée , la Parodie de l'Opéra d'Iphi
génie.
Retraite de Madame Laruette.
Madame Laruette , célèbre Actrice de
ce Spectacle , joua le Jeudi 13 Mars , pour
la dernière fois , dans l'Ami de la maifon ,
où elle fembla redoubler de talent , de
jeu , de voix & de goût dans fon chant.
Jamais fpectacle n'excita autant de tranfports
de plaifir & d'admiration , par la
réunion d'une Comédie charmante ,
d'une muſique enchantereffe , du jeu des
AVRIL. 1777 173
19
Acteurs , & de l'enfemble le plus parfait
des talens . Madame Laruette fut diftinguée
, dès fon enfance , par le charme
de fa voix , & par la finede de fon jeu.
Elle joua à l'âge d'environ quatorze- ans
à l'Opéra ; elle y reçut beaucoup d'ap
plaudiffemens par la vérité de fon jeu
& les graces naïves de fon chant dans le
rôle de Colette du Devin du Village. Deux
ans & demi après fon entrée à l'Opéra ,
elle débuta au théâtre de la Comédie Italiennne,
où elle eut un faccès. conftant ,
& bien mérité. Il y a des rôles qui lui
conviennent tellement , qu'il fera difficile
de l'y remplacer.
ART S.
PEINTURE.
Collection de Tableaux , deffins , bronzes ,
marbres , terres-cuites , pierres gravées,
antiques & modernes , médailles Grec
ques & Romaines , bijoux & autres
effets précieux.
CETTE Collection eft celle qui étoit
dans le Cabinet de feu Son Alreffe Séré-
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
niffime Monfeigneur le Prince de Conti ,
Prince du Sang , & Grand Prieur de
France. La vente de cette Collection eft
annoncée pour le 8 du préfent mois
d'Avril : elle commencera par les tableaux.
M. Remi , Peintre , demeurant
à Paris , rue des Grands- Auguftins , en
a dreffé un Catalogue raifonné , que l'on
trouve chez lui , ainfi que chez Mufier
père , Libraire , quai des Auguftins.
La Collection de tableaux de ce Cabinet
, eft très-importante. Nous pou
vons même confirmer ici ce que M.
Remi dit dans la Préface de fon Catalogue
, que depuis la vente du Cabinet du
Prince de Carignan , aucune Collection
ne préfente un choix auffi riche , furtout
en tableaux des Ecoles d'Italie . Plufieurs
de ces tableaux , tel que celui indiqué
fous le numéro 21 , & qui repréfente
la rencontre de Laban & de Jacob
par Piétre de Cortone , méritent d'être
placés dans les Palais des Souverains , pour
l'inftruction des Artiftes , & celle même
des riches Amateurs , dont le goût a
fouvent befoin d'être éclairé par les productions
des grands Peintres Italiens .
La Collection que nous venons d'annoncer
, n'eft pas moins riche en tableaux
}
AVRIL 1777. 175
des Ecoles des Pays-bas ; tableaux fi forr
recherchés aujourd'hui pour la gaieté de
la compofition , la vérité du coloris , &
le fini précieux de l'exécution. Les ta
bleaux Flamans les plus capitaux , qui
compofoient différentes Collections modernes
, avoient paffé dans celle du feu
Prince de Conti ; ce qui indique affez
que le choix que , nous annonçons eft
très-intéreffant.
Les Amateurs trouveront également
dans l'Ecole Françoife , des tableaux du
premier choix , & qui , par le génie de
la compofition & le mérite de l'exécution
, peuvent fe foutenir à côté des
meilleurs tableaux Italiens . M. Remi ,
en dreffant fon Catalogue , a eu foin
d'indiquer les differens Cabinets d'où
font fortis les tableaux les plus capitaux
qu'il amonce. Les Amateurs , par ce
moyen , pourront mieux s'affurer de l'originalité
de ces tableaux.
La partie du Catalogue qui renferme
les deffins , terres-cuites , bronzes, médailles
, pierres gravées , hiſtoire naturelle
, &c . ne tardera point à être publiée .
* H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURES.
I.
La pêche de jour , la pêche de nuit.
DEUX
EUX Eftampes d'environ dix - fept
pouces de longueur & quatorze de hau
teur , gravées avec beaucoup de foin &
de talent , par M. le Gouaz , d'après les
tableaux originaux de M. Vernet , Peintre
du Roi. Ces compofitions font trèsagréables
, & d'un effet très - piquant.
Elles fe vendent chacune liv. 8 fols.
A Paris , chez le Graveur , rue Saint-
Hyacinthe , la première porte à gauche ,
en entrant par la place S. Michel.
I I.
J
On vient de mettre au jour , chez F.
Regnault, Peintre & Graveur , rue Croixdes
-petits -Champs , à Paris , le premier
cahier du Supplément à la Botanique mife
à la portée de tout le monde. Il eft compofé
de vingt Planches : le Café ou Cafier,
le Ladanum , la Gratiole , le Safran des
Indes , la Bétoine , le Raifin de Renard ,
*
AVRIL. 1777.´ 177
le Tamaris, l'Aloë Succotrin, la Reine des
Prés , la Circée, le Sefeli de Marſeille, la
Pilofelle , le Nerprun , la Gomme adragant,
l'Enule campane, la Sauge des bois,
le Meum, le Chêne verd, la Tormentille &
la Saxifrage. Prix, 24 liv. conformément
aux conditions de la foufcription. Ce Sup
plément qui fera d'environ 100 Planches ,
fera fuite & partie de la Collection des
Plantes d'ufage en Médecine, dans les ali
mens & dans les Arts , en 300 Planches
in-folio , en couleurs naturelles , accompagnées
de notices inftructives fur le climat
, la culture , les propriétés , les vertus,
& c. de chaque Plante. Cet Ouvrage,
déjà connu & eftimé , a été publié , par
foufcription , en 1769 , & terminé en
1774. Le Supplément fe diftribue avec les
mêmes conditions. Les Cahiers fe fuccéderont
fans interruption , chez l'Auteur
ci - deſſus nommé , & chez les Libraires
qui ont fourni l'Ouvrage .
On trouve chez les mêmes , la Collection
des Écarts de la Nature , les Quadrupèdes
de l'oeuvre de M. de Buffon
auffi en Planches coloriées.
I I I.
Chronologie figurée pour l'intelligence
de l'hiſtoire des révolutions monarchi-
* A v
178 MERCURE DE FRANCE.
•
ques. Ce plan , exécuté en une carte
grand in -folio , offre le moyen de vérrfier
les dates des époques les plus intéreffantes
de l'hiftoire ; il rappelle l'ordre
de tous les principaux événemens ; il eft
fous la forme d'un arbre, & préfente,
d'une manière affez naturelle , la filiation
des peuples iffus les uns des autres. Cette
carte , inventée & deffinée par MM,
Mazarot , fe vend 3 liv. A Paris , chez
Mondharre , rue Saint - Jacques , à la
Ville de Caën , près la fontaine Saint-
Severin.
•
4
LETTRE de M. de VOLTAIRE à M.
HENRIQUEZ .
{
A Fernei , le 7 Février 1777-
Vous avez , Monfieur , parmi vos chefoeuvres
de gravures , envoyé à un vieillard de
quatre -vingt-trois ans , très-malade, fon portrait,
qui n'étoit pas digne de vos grands talens. Les
trois autres Eftampes dont vous l'avez gratifié
méritoient un burin tel que le vôtre . Je fais honteux
de me trouver dans une fi bonne compagnie;
mais je n'en fuis que plus reconnoiffant. L'état de
na fanté m'approche du terme où il ne refteraplus
de moi que votre Eftampe, Pardonnez aux
AVRIL. 1777. 179
maladies qui m'accablent , fi l'expreffion de mes
remercîmens eft fi courte & fi foible.
J'ai l'honneur d'être avec toute l'eftime & la
reconnoiffance que je vous dois ,
Monfieur ,
Votre très-humble & très-obéiffant
ferviteur , VOLTAIRE.
N. B. M. Henriquez qui a gravé, & chez qui le
vendent ( enfemble ou féparément ) les Portraits
de MM: de Montefquieu , de Voltaire , Diderot
& d'Alembert , ainfi que celui de M. Bouvart ,
demeure préfentement rue S. Jacques , dans la
maiſon qui eft vis - à- vis la grande-porte du Collége
du Pleffis-Sorbonne.
MUSIQUE.
I.
SIX TRIOS d'ariettes d'Opéras - Comiques
, dialogués pour deux violons &
un violoncelle , par M. Tiffier , ordinaire
de l'Académie Royale de mufique ;
OEuvre neuvième. Prix 6 1. , mis au jour ,
& gravés par Mad. Tarade . A Paris , chez
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Madame Tarade , Marchande de mufique
, rue Coquillière , à la Lyre d'Or
phée , & aux adreffes ordinaires .
I I.
Sei duetti perduè violini compoftè ,
per il Signor Stamitz le cadet , oeuvre IV .
Prix 7 liv. 4 fols , mis au jour , & gravés
par Madame Tarade , aux adreffes cideffus.
I I I.
و
Vingt-quatrième ouverture d'Alcefte &
la marche , arrangée pour le clavecin ou
le forté - piano , avec accompagnement
d'un violon & violoncelle ad libitum
par M. Benaut , Maître de clavecin de
l'Abbaye Royale de Montmartre , des Dames
de la Croix , &c. Prix , 3 l . A Paris,
chez l'Auteur, rue Dauphine, près la rue
Chriftine ; & aux adreffes ordinaires de
mufique.
I V.
Six trios concertants & dialogués ,
pour un violon , alto & baffe , compofés
par J. B. Breval. Prix , 9 liv.
í
AVRIL. 1777. 181
baſſe,
Deux fymphonies concertantes : la première
, pour deux violons & un alto
obligés ; la feconde , pour deux violons
& un violoncelle obligés ; premier &
fecond violons , ripienno, alto , baffe,
hautbois & cors , par le même . Prix ,
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur ,
rue des Mauvais- Garçons Saint- Jean , au
coin de celle de la Tixeranderie , &
chez tous les Marchands de mufique.
V.
Quatrième recueil d'airs connus , contenant
l'ouverture de l'Ami de la maifon ,
cinq morceaux de la Colonie , fix de
l'Union de l'Amour & des Arts , le Tambourin
d'Azolan , l'ouverture d'Iphigénie,
fuivi d'un menuet , & la chaconne de
M. le Berton , arrangés en pièces de
harpe , avec accompagnement de violon
& de baffon ad libitum , dédié à Mademoifelle
de Lufignan , par François Petrini
. Prix 18 liv . A Paris , chez l'Auteur
, rue Montmartre , vis à- vis celle
des Vieux- Auguftins , & aux adreſſes
ordinaires de muſique.
182 MERCURE DE FRANCE.
V I.
Sei Quintetti perduè violini alto , è
due violoncelli concertanti , compoſti
dal Signor Luigi Boccherini virtuofo di
camera , è Compofitor de Mufica di
S. A. R. Don Luigi Infante di Spagna.
Opéra XXIII , Libro fefto di Quintetti ,
nuovamente Stampati à Speſe di G. B.
Venier. Prix 12 liv.
N. B. Les parties de violoncelle font
faciles pour l'exécution , & la feconde
pourra s'exécuter fur l'alto ou un baffon.
A Paris , chez M. Venier , Editeur de
plufieurs Ouvrages de mufique , rue
Saint-Thomas - du-Louvre vis-à- vis le
Château d'Eau , & aux adreffes ordinaires
; à Lyon , chez M. Caſtaud , visà-
vis la Comédie ; & en Province , chez
tous les Marchands de nufique.
>
On trouvera chez le même Editeur ,
douze Euvres de Boccherini , fans ceux
qu'il fe propofe de donner par la fuite.
AVRIL. 1777 183
CHOROGRAPHIE.
NOUVEL OUVELLE Carte du Royaume de
France , publiée fous le titre de Tableau
des villes de France , où les plans des
principales villes du Royaume font exprimés
, fervant à faire voir le rapport
de la grandeur de Paris avec celle des
autres villes , & à comparer une ville
avec une autre dédié & préfenté au
-Roi ;; par N. L. Duchemin , Infpecteur
des ponts & chauffées de France . Cette
Carte , imprimée fur deux feuilles grand
aigle , fe trouve à Paris , chez l'Auteur ,
Lue Haute - Feuille , vis-à-vis celle des
Deux- Portes . Prix 6 liv.
›
Cette Carte intéreſſante , eſt exécutée
avec beaucoup de netteté & d'exactitude .
L'Auteur a eu foin d'y tracer les routes.
du Royaume où les poftes font établies ,
ainfi que les canaux conftruits , & ceux
projetés ; ce qui rend cette Carte d'une
utilité plus générale pour les Voyageurs ,
& pour tous ceux qui s'adonnent à l'étude
de la géographie.
184 MERCURE DE FRANCE .
TOPOGRAPHIE.
CARTE Topographique de la Province
de New-York en quatre feuilles ; par
Montrefor, Capitaine Ingénieur Anglois ,
gravée fur l'édition de Londres de
corrigée & augmentée. Prix 9 liv . Chez
M. le Rouge
, Ingénieur
Ge
du
Roi , rue des Grands-Auguftins , où l'on
trouvera fucceffivement toutes les autres
Provinces de l'Amérique Septentrionale
d'après les Anglois.
J
COURS D'ARCHITECTURE .
La fieur Daubanton , Architecte , élève
de M. Blondel , & Profeffeur du Corps
Royal des ponts & chauffées , continue
d'enfeigner chez lui le deffin d'Architec
ture , la figure , le deffin d'après la boffe ,
l'ornement de différens genres de décorations
, la perfpective , la coupe des
pierres , le payfage , la carte & les mathématiques.
Tous les quinze jours dans la
belle faifon , l'on fera fur le terrein l'apAVRIL.
1777. 185
plication des leçons de trigonométrie , &
la manière de lever les plans .
Tous les Lundis , depuis la Pentecôte
jufqu'à la Touffaint , l'on vifitera les
édifices de cette Capitale , & de fes environs
.
Les perfonnes de Province , & des
pays étrangers , qui defireront acquérir
les fciences ci- deffus énoncées , trouveront
, dans cette Ecole , des places de
Penfionnaires à un prix raiſonnable .
Dans les fix places gratuites que nous
avons deſtinées dans notre Ecole , il s'en
trouvera deux de vacantes pour la fin de
Mars.
Le fieur Daubanton demeure rue des
Nonaindières , près le Pont- Marie.
Exemple de Civifme.
UN très-honnête Citoyen de Romorantin
, près Orléans , qu'on fe difpenſe
de nommer , ayant , l'année dernière
gratifié le lieu de fa naiffance d'une boîte
entrepôt pour les noyés , & en ayant reçu ,
peu de jours après , la récompenfe la plus
flatteufe par un fuccès miraculeux opéré
186 MERCURE DE FRANCE.
fur une petite fille noyée dans un foffé
plein d'eau , a voulu encore manifefter
fon zèle pour fes compatriotes : il s'eſt
fait repréfenter l'état des perfonnes les
plus indigentes de Romorantin ainfi
que de celles qui avoient le plus fouffert
de la rigueur de l'hiver de 1776 , & il
a généreufement fatisfait pour elles aux
charges de la Capitation & de la Taille
auxquelles plus de deux cents perfonnes
étoient impofées .
Ces traits de bienfaifance & d'humanité
doivent être cités pour fervir d'exemples
à tous les particuliers aifés , qui fe
couvriroient de gloire en imitant le Patriote
de Romorantin .
C'eft en publiant la fête de la Rofière
de Salancy , qu'il s'eft formé des imitateurs
dans plufieurs autres endroits.
USAGE S.
Droit fingulier.
Il exiſte à Thouars , en Poitou , un
droit nommé Quintaine , affermé au
Meûnier du Seigneur , qu'on appelle
AVRIL. 1777 187
Meunier du Vicomte . Tous les ans , le
jour de la Trinité , chaque Meûnier ,
dépendant de la Terre , fe rend au moulin
de celui- ci , fitué près du château
& paye 4 deniers. Enfüite quatre d'entr'eux
plantent , au milieu de la rivière ,
un piquet couronné de fleurs. Un autre
Meunier eft obligé d'aller à la nage pour
l'arracher : lorfqu'il a exécuté fon opération
, les quatre premiers vont au- devant
de lui , le reçoivent dans un bateau ,
l'habillent , & vont tous en pompe offrir
les fleurs au Juge , qui fe trouve en robe
fur le bord de la rivière , avec les autres.
Officiers du fiége , auxquels où diftribue
une certaine fomme.
L'ufage fuivant fert , dans la même
ville , d'amufement au public le jour du
Mardi gras . Tous les nouveaux mariés ,
dont la profeffion eft analogue à la conftruction
ou à l'ameublement d'une maifon
, fe rendent , avec des pelottes ou
boules de bois , fur un vafte emplacement
, fitué devant une porte de la ville .
Chacun jette à fon tour fa pelotte , foit
dans une mare , foit fur une maifon , ou
ailleurs . Tous les Ouvriers du même
métier courent en foule pour s'en emparer.
Celui qui parvient à la prendre , la
188 MERCURE DE FRANCE.
rapporte au nouveau marié qui l'a jetée ,
& en reçoit une légère rétribution .
Méthode pour remettre dans leur état
naturel , les membres gelés.
On prend un morceau de favon , qu'on N
met en très- petites pièces ; on y joint du
beurre frais , de la groffeur d'un oeuf de
poule ; on verfe enfuite la quantité de
lait , fraîchement tiré , fuffifante pour
bien délayer le beurre : on répand après
cela fur ce mêlange autant de fel qu'on
peut en prendre avec les cinq doigts ; on
fait chauffer le tout fur du charbon , jufqu'à
ce qu'il fe forme une eſpèce de
bouillie . Voici la manière de fe fervir
du remède on en fait des emplâtres
qu'on applique très - chaudement fur les
membres gelés ; quand elles commen
cent à fe refroidir , on les retire , ppoour
en remettre d'auffi chaudes : on continue
ainfi quelquefois pendant une journée
entière , felon que le membre eft plus ou
moins gelé. Lorfqu'en levant l'emplâtre
on s'apperçoit que le progrès du mal eft
arrêté , la guérifon eft affurée. "
AVRIL. 1777- 189
ANECDOTES.
I.
APRès le rétabliſſement de la famille
des Stuards fur le Trône , plufieurs Gentilshommes
Anglois , Ecoffois & Irlandois
, confervèrent leurs anciens mécontentemens
. Ils n'attendoient qu'un Chef
pour éclater'; ils crurent le trouver dans
le Colonel Blood , qui fe déclara pour
eux . Comme on ne pouvoit rien tenter
avec fuccès dans l'Angleterre , on choiſit
I'Irlande pour le théâtre de la rébellion
qu'on projetoit. Le Colonel fentant.combien
il feroit avantageux pour fon parti
d'être maître de quelque place forte , ſe
propofa de furprendre le château de
Dublin. Il tenta cette entreprife le 29
Mai , qui étoit l'anniverfaire du retour
du Roi. Il prit une compagnie d'hommes
remplis de réfolution , & demanda à être
introduit dans la place , fous le prétexte
qu'il avoit à préfenter une Requête au
Lord Ormond qui y commandoit. Qua
tre-vingt hommes d'Infanterie , déguifés
190 MERCURE DE FRANCE.
en Marchands , devoient y pénétrer en
même-temps avec adreffe , & fe tenir
prêts à fe raffembler au premier fignal , à
tomber fur la garniſon & à la défarmer.
Ce projet manqua par la trahifon d'un
des conjurés. On mit les têtes des Chefs
à prix , & on promit 500 livres fterling
de récompenfe à quiconque en préfenteroit
un vivant. Cette publication eut
fon effet. M. Lockey , beau-frère de
Blood , fut pris , jugé & exécuté . Le
Colonel lui- même fut obligé de prendre
la fuite. Il réfolut de fe venger du
Duc d'Ormont , dont la vigilance avoit
déconcerté fes projets , & qui venoit de
faire pendre fon beau-frère . Mais ce ne
fut que neuf ans après qu'il ofa entre
prendre fur la perfonne du Duc. Il affembla
cinq de fes anciens compagnons
avec lefquels il arrêta un foir le carroffe
du Lord : on le força d'en defcendre , &
on fe mit en route pour le conduire
dans un lieu où un grand nombre de
mécontens , qui avoient évité le fupplice
, devoient fe trouver , pour délibérer
fur le fort du Duc d'Ormont.
Heureufement pour lui un de fes domeftiques
s'étoit caché fous le carroffe , &
avoit échappé aux perquifitions de Blood
"
AVRIL. 1777 . 191
& de fes fatellites . Il courut appeler du
fecours , & on eut le temps de délivrer
fon Maître. Ce qu'il y a de fingulier dans
cette aventure , c'eft que depuis neuf
ans , la tête de Blood & de fes compagnons
, avoit été mife à 1000 guinées.
Ni les uns ni les autres n'avoient quitté
les trois Royaumes , & perfonne n'avoit
pu gagner ce prix. Ce fut cette entreprife
qui les fit arrêter. On avoit réſolu ,
depuis long-temps , de les punir ; &
alors on leur fit grace à tous ,
I I.
Saint Thomas d'Aquin étoit nommé
par fes Condifciples , pendant fon noviciat
& fon cours d'études , le Boeuf de
l'Ecole , foit parce qu'en effet il avoit
l'air lourd & ftupide , foit à caufe de
l'aventure qu'on va rapporter. Un de fes
camarades lui dit un jour , pendant la
récréation Frère Thomas , un boeuf
qui vole ! » Il regarda en l'air , & tous
fe mirent à rire . « Cela vous étonne
» leur dit-il froidement ? Je croyois
» moi , qu'il étoit moins furprenant
» de voir un boeuf voler , que d'entendre
un Religieux mentir ! »
192 MERCURE DE FRANCE.
I I I.
Le même Saint Thomas étoit un jour
chez le Pape Alexandre IV , ou Urbain
IV : ( il a vécu fous le Pontificat de l'un
& de l'autre , & même fous celui de
Clément IV , & de Grégoire X) le Pape
contemploit avec plaifir une groffe fomme
d'argent qu'il venoit de recevoir , & lui
dit d'un air de triomphe : « Vous voyez ,
» Frère Thomas , ce n'eft plus le temps
» où Saint Pierre dit je n'ai ni or ni
argent ! Il eft vrai , Saint Père , répondit
le pieux Docteur ; mais ce n'eft
» plus le temps auffi où Saint Pierre
» dit au paralitique : prenez votre lit &
» marcheź ! »
38
"
I V.
Henri V , Roi d'Angleterre , qui avoit
conquis une partie de la France , avoit
époufé Catherine , fille de notre malheureux
Roi Charles VI , & devoit fuccéder
à ce Prince , fuivant le Traité de
Troie , étoit naturellement fier & commençoit
à voir de mauvais oeil le Maréchal
de Villiers - l'Isle - Adam , à qui ce-
*pendant
AVRIL. 1777. 193
১১
pendant il avoit des obligations , & qui
n'avoit que trop bien fervi le Duc de
Bourgogne & lui; Un jour que l'Isle-
Adam étoit devant lui : « Pourquoi , lui
» dit-il , me regardez-vous en face? Sire ,
répondit l'Isle -Adam , c'est la coutume
» de nous autres François ; nous portons
» la tête haute devant nos Rois ; ils le
» voyent avec complaifance , & impare-
» roientàmanque de courage fi nous baiffions
les yeux devant eux . Ce n'eft pas
» notre ufage à nous , répartit froide .
» ment le Monarque en lui tournant le
dos "; & de ce moment l'Isle -Adam
»
fut difgracié.
V.
ן י ד
Dans le temps que les Anglois poffédoient
une partie de la France , on ne
les diftinguoit plus des Habitans même ;
deforte que lorfqu'ils étoient prifonniers ,
on les renvoyoit , les prenant pour des
Naturels du Pays . Pour remédier à cet
inconvénient , on imagina de leur faire
prononcer le nom de Piquigny, qui eſt
un Bourg de Picardie. Les Anglois ne
pouvoient prononcer que Pigny au lieu
de Piquigny.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
Penfionnat dour l'éducation de la jeune
Nobleffe , fous la direction de MM.
Moret , dont l'aîné , Prêtre , à Paris,
Fauxbourg S. Germain , rue & barrièrė
de Sève , prefque en face de l'avenue de
Breteuil.
CIITT établiffement , annoncé dans un des Mercures
de l'année dernière , a tout le fuccès qu'on
pouvoit attendre du zèle & de l'expérience des
Inftituteurs nommés : les élèves qui les ont fuivis ,
& ceux qui leur ont été envoyés de cette extrémité
du Royaume où cet Académie étoit cidevant
, prouvent beaucoup en faveur de MM.
Moret ; mais les lettres ci- après , dont on n'a pu
fe refufer d'inférer ici copie , font pour eux un
témoignage digne de foi ; la voix publique s'y
fait entendre par l'organe d'un corps refpectable ,
fous les aufpices & l'autorité duquel MM . Moret
ent travaillé pendant un grand nombre d'années
à l'éducation ,
-
Copie conforme à l'original, « Nous Vicomte
Mayeur , Lieutenant- Général de Police , Éche
vins , Confeillers Affeffeurs de la cité royale
so de Befançon , où le papier timbré n'eft pas
en ufage , certifions à tous à qui il appartien-
❤ dra , que les feurs Moret , dont l'aîné Prêtre ,
AVRIL 1777.
195
» ont travaillé , pendant l'espace de près de vingt
années dans cette Province , à l'éducation de
la jeune Nobleffe , & qu'ils y ont mérité l'eftime
Do & la confiance publique , y ayant enfeigné
avec fuccès les langues étrangères , les fciences
& les arts propres à former de bons élèves , les
moeurs , la Religion , la difcipline , l'ordre &
l'exactitude ayant toujours fait la bafe & le
principal objet de leurs établiffemens . En témoi
gnage de quoi nous avons fait expédier les
préfentes par le fieur Nicolas Belamy , Avocat
au Parlement , Secrétaire de ladire cité , & y
appofer le feel d'icelle. Fait au Confeil , le 17
∞ Mai 1775 , par ordonnance. Belamy
00
Toutes les parties généralement , qui entrege
dans le plan d'une éducation noble & diftinguée ,
font montrées dans cette Académie
par des Maitres
recommandables par leur zèle & par leurs
talens. La langue Allemande , qui eft li néceffaire
aux enfans qu'on deftine au fervice , s'y
apprend à fond par ufage & par principes . Il y
aura chaque année des exercices littéraires , où
les élèves fubiront publiquement un examen général
fur toutes les parties qui auront fait l'objet
de leur application : Meffieurs les parens feront
priés d'y affifter pour être témoins des progrès
de leurs enfans. Les enfans font
maifon dès l'âge de trois à quatre ans . Une foeur
reçus dans cette
à MM. Moret eft uniquement occupée à foignez
les plus jeunes dans un quartier détaché. Le prix
de la penfion eft proportionné au genre d'éducamon
qu'on demande, & à l'âge des enfans.
Tij
196 MERCURE DE FRANCE.
2
NOUVELLES POLITIQUES.
De Salé , le 17 Décembre 1776.
LE Roi de Maroc a donné ordre au Gouver
SC
neur de cette Province , & à celui d'une Province
voifine , de fe rendre à Mogador , avec quelques.
détachemens de troupes. Ce Souverain doit s'y
tranfporter inceffamment lui- même ; & on affure
qu'il viendra , avec cette efcorte , parcourir tous
les ports de fon Empire.
De Pétersbourg, le 10 Janvier.
Le 29 Octobre dernier ( V. St. ) , l'Académie
Impériale des Sciences de cette Ville , célébra fa
première cinquantaine depuis fon iaftitutión ,
avec un appareil & une pompe ou éclatèrent partout
fa vénération pour fon immortel Inftituteur
, & fa vive reconnoiffance pour la bienfaitrice
actuelle Catherine II . L'Impératrice, qu'une
incommodité empêcha d'être préfente a
fête , y fut repréfentée fous la figure de Minerve,
accordant la protection aux Sciences diverfes que
cultive l'Académie.
213
De Varfovie , le 8 Février.
On a eu ávis ici que l'on travaille à un'accuitimodement
au fujet des difficultés furvenues en
AVRIL 1777. 197
Crimée , & des mouvemens qui s'en étoient enfuivis
, & que le Général Proforowki eft nommé,
de la part de la Ruffie, pour arranger cette affaire
avec les Commiffaires Ottomans.
On a long - temps agité , dans le Confeil Permanent,
quelle feroit la manière la plus avantageufe
de tirer parti des droits fur le tabac , & fans
avoir pu Le fixer à aucun de ceux qui avoient été
préfentés ; on a fini par laiffer l'adminiſtration de
cet article , à la Commiffion du Trélor , qui fera
la - deffus les arrangemens qu'elle jugera à propos.
De Copenhague , le 18 Février.
a
Le nombre des naiffances , dans ce Royaume
en 1776 , est monté à vingt - fept mille deux cens
cinquante - cinq ; celui des inors , à vingt - trois
mille cinq cens dix -neuf ; celui des mariages , à
fept mille neuf cens vingt - cing.
En Norwege , le nombre des naiffances a été
de vingt un mille neuf cens vingt- deux ; celui des
morts , de quinze mille deux cens foixante- dix ;
celui des matiages , de fix mille deux cens trenteun.
Dans les Duchés de Stefwig & de Holſtein , le
Comté de Pinneberg , le Comté de Rantzau & la
Ville d'Altona , le nombre des naiffarces a été dé
treize e mille fept cens quarante un ; celui des
morts , de quatorze mille fept cens quatre- vingtdeux
; celui des mariages , de trois mille huit cens
foixante - deux.
Dans toute l'étendue des États du Roi de Dannemarck
, le nombre total des naiſſances a donc
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
été de foixante - deux mille neuf cens dix - huit
celui des morts , de cinquante-trois mille cing
cens foixante-onze ; & celui des mariages , de
dix-huit mille dix - huit ; ainfi le nombre des naiffances
a excédé celui des morts , de neuf mille
rois cens quarante-ſept.
De Stockolm , le 31 Janvier.
Les dettes de l'État , qui fe montoient , en
1770 , à la fomme exhorbitante de 11,737,146
écus de banque de Hambourg , diminuent chaque
jour par l'économie de l'Adminiſtration ; &
nous avançons à grands pas vers l'heureuſe époque
où le papier- monnoie
ceffera de circuler
dans le commerce
. On frappe annuellement
à la
Monnoie des espèces d'or & d'argent , pour la valeur
de deux millons de rixdhallers
; & grâces à
P'emprunt
de deux millons de florins , fait es
Hollande
, par notre Souverain
; le numéraire
augmenté
accélère encore l'activité de notre com
merce , & établit notre crédit fur une baſe plus
folide nos Manufactures
font en mouvement
plus que jamais , & l'induftrie
fait affez fructifier
l'argent que nous avons emprunté
, pour nous
faire efpérer d'être bien - tôt en état de le rembourfer.
:
Une incommodité furvenue à Sa Majesté , n'a
pas eu de longues fuites ; nos alarmes ont été
bien- tôt diffipées : & afin que les affaires ne ſouffriffent
aucune interruption , le Roi , obligé de
refter au lit , a fait tenir fon Confeil dans fa
chambre,
1
AVRIL. 1777. 199
De Florence le 24 Janvier.
Le Grand-Duc vient de s'intéreffer particuliè
rement au bien-être & à la confervation de fes
Sujets , en prévenant les abus & les malheurs
fans nombre qui réfultent des inhumations précipitées.
Son Alteffe Royale a fait publier en
conféquence un Édit , à l'effet de prévenir les
accidens qui peuvent réfulter de la trop prompte
inhumation des corps , & pour qu'en même tems
il foit pris des précautions contre les dangers
auxquels leur dépôt dans les Églifes , expoſe la
fanté des Fidèles.
De Venife , le 1I Février.
Le Confeil des Dix vient d'interdire à toute
femme de qualité , l'entrée des cafés hors le tems
de mafque. Ce Régiement , qui eft général , a
principalement en vue les Patriciennes , qui paffoient
ordinairement dans ces maifons publiques
, une partie de la nuit. Les inconvéniens
qui réfultoient de ces affemblées nocturnes , ainfi
que les raifons de décence , ont donné lieu à
cette loi.
Le Confeil des Dix ne s'eft pas contenté d'interdire
aux femmes de toute qualité , la fréquentation
des cafés , hors le tems de maſque ;
-il a de plus défendu que les Patriciens puffent paroître
dans les mêmes maiſons ouvertes , fans
être en robe de Magiftrature ; ce qui , dans le
cours de l'été, équivaudra à une exclufion , atten-
LAV
200 MERCURE DE FRANCE .
du que , pendant les grandes chaleurs, il eft difficile
de faire ufage de cette robe.
De Malte , le 13 Février.
2
Le Grand - Maître vient d'accorder la Croix de
Dévotion au Sieur Caradeuc de la Chalotais
Procureur - Général du Parlement de Bretagne ,
qui avoit été Tuteur de fon Alieffe Eminentiffime.
D'Ausbourg, le 28 Février.
On écrit de Munich , que Pierre Fierville ,
Comédien François , eft mort en cette Ville , le
26 de ce mois , âgé de cent fept ans. Il fe fouvenoit
d'avoir vu Molière dans fon enfance ; il
avoit été contemporain de Baron , & avoit joué
la Comédie devant Charles II , Roi d'Angleterre ,
& devant Chriftine , Reine de Suède . Il avoit été
reçu à Paris , en 1733 , au nombre des Comédiens
du Roi , parmi lesquels il étoit resté jufqu'en
1741 .
De Madrid , le 25 Février.
Le Roi voulant avoir égard aux fupplications
réitérées que lui avoient faites le Marquis de
Grimaldi , pour être déchargé des fonctions de
premier Secrétaire d'État & des Affaires Étrangères
, à caufe de fon âge avancé , & de l'altération
de fa fanté , Sa Majefté , en acceptant ſa démiſfion
, lui a nommé pour fucceffeur , avec les honneurs
& le traitement de Confeiller d'État , le
AVRIL. 1777 .
201
Comte de Floride Blanche , qui exerçoit à Rome
l'emploi de Miniftre : Plén potenciare de certe
Couronne , avec la plus grande diflinction , &
qui a rempli , avec le même fuccès , les commif
fons importantes & délicates confiées à ſes talens,
Sa Majellé voulant montrer , par un témoignage
public , fa fa isfaction du zèle & des longs
fervices du Marquis de Grimaldi , a jugé à propos
, pour qu'il purdes continuer , de le nommer
fon Ambaffidur auprès du Saint- Siége , en lui
accordant la Grandiffe d'Espagne , pour lui &
pour les fue effeurs , à perpétuité , fous le titre
de Duc de Grimaldi.
-1
Auffi tôt que le Comte de Floride Blanche cft
arrivé au Pardo , il a pris connoiffance de toutes
les affaires relatives à fon miniftère , qui lui ont
été remifes par le Marquis de Grimaldi , lequel ,
après avoir baifé la maia du Roi , des Princes &
des autres perfonnes de la Famile Royale , s'eft
mis en route pour aller remplir à Rome fon
Amballade ..
ི་
I
De Lisbonne , le 25 Février.
Le mariage de Son Alteffe Royale le Princes
de Beira avec l'Infante Marie- Françoite - Bénédictine
, fa tante , a cté déclaté à la Cour le 20 de
ce mois , & a été béni le lendemain dans une Chapelle
du Palais , par le nouveau lauriarche der
cette Capitale.
Le Roi n'ayant pu réfifter à la violence des
nouvelles attaques de fa maladie , eft mort her
à une heure du matin, Peu de temps après , la
Princelle du Bréfil a été faluée comme Reine , &
i v
202 MERCURE DE FRANCE.
a
a reçu les hommages de toute la Cour. Cette
nouvelle Souveraine , pour fignaler fon avéne
ment au Trône , par des actes de clémence ,
déjà rendu la liberté à un nombre de Prifonniers
détenus depuis plufieurs années , & a rappelé
d'autres particuliers de l'exil auquel ils avoient
été condamnés.
De Londres , le 1 Mars.
Des lettres particu li res nous apprennent que
le Congrès Américain fait de grands préparatifs
pour la campagne prochaine ; qu'il a publié unes
Ordonnance qui confifque les biens de ceux qui
fe font rangés du parti de la Cour , & que toutes
fes opérations civiles & militaires ne laillent rien
foupçonner de la terreur dont on le prétendoit,
affecté.
On dit que le Congrès ayant été inftrnit de la
prife du Général Lée , a dépêché un Meffager au
Général Howe , à qui il a fait notifier , que fi ce
Prifonnier étoit envoyé en Angleterre , ou qu'on
attentât à fa vie , il exerceroit für le champ la repréfaille
fur, deux des principaux prifonniers qui
feroient entre les mains.
Tout s'expédie avec la plus grande diligence ,
pour l'embarquement des renforts qui doivent
paffer en Amérique , & pour le départ des vaiffeaux
de guerre , qui doit s'effectuer dans le cousant
de ce mois.
On fait qu'il a dû partir une flotte confidérable
de New-York , vers la fin de Janvier , & on atend
ici , fous peu de jours , différens bâtimens de
AVRIL. 1777. 205
cette flotte , qui confirmeront ou détruiront le
bruit répandu , que le Général Washington , a
la tête de douze mille hommes , s'eft placé entre
le Lord Cornwallis , retiré à Brunfwick , & la
petite armée de New- Yorck . On a vu des lettres "
de cette Ville , datées du 20 Janvier , qui ont
caufé de l'étonnement à quelques perfonnes ,
parce qu'elles ne contenoient que la cérémonie
du revêtiffement de l'Ordre du Bain , envoyé au
Général Howe , avec toute la pompe civile &
militaire que pouvoit comporter la fituation actuelle
de la Ville & de l'armée , & le détail des
bals , aflemblées & réjouiffances générales , aux
quels cette cérémonie a donné lieu . Quelques
perfonnes difent que les Américains avoient
voulu profiter de ce jour de fête pour furprendre
le Fort l'Indépendance , avec deux mille hommes
mais qu'ils s'étoient retirés à l'approche du Major
Rogers.
On mande de Dublin , que le Comte de Buc
kingham- Shire , Vice- Roi d'Irlande , doit y faire
la propofition d'un changement que la Cour de
fire ardemment ; c'eft de réunir le Parlement
d'Irlande à celui de la Grande-Bretagne , de la
même manière que celui d'Écoffe y a été réuni
Il a déjà fondé , à ce que l'on dit , quelques- uns
des principaux Membres des deux Chambres du
Parlement Irlandois , auxquels it a fait obferver
tous les avantages qui en réfuiteroient pour la
Nation ; mais on croit que malgréle crédit que le
Vice-Roi a déjà acquis dans ce Royaume , ce
changement important fera ſuſceptible de beauoup
de difficultés
I wij
204 MERCURE DE FRANCE.
C
,
On voit ici un acte du 18 Février dernier, fous
le titre d'Affeciation de Londres , à la Taverne
du Globe , par lequel ies Affociés , effrayés de la
fufpenfion de la foi Habeas corpus , ont arrété
que la Nobleffe du Royaume , les Représentans
dans le Parlement , & tous les amis de la glo-
» ricufe révolution, & de la forme du Gouvernement
à laquelle lle a donné lieu , feroient priés
& exhortés de fe rappeler la conduite que repoient
leurs illuftres ancêtres , dans des temps
de détreffe & de calamité nationales , & de fe
joindre à la Bou gcoifie de Londres , affemblée
en Communes , pour délibérer enfemble , &
former une remontrance générale au Trône fur
l'état de la Nation , fur la ruine du commerce
fur le fardeau accablant des taxes ... feule reffource
, dans la crife actuelle , qui puifle fauver
l'Etat . Cer acte eft figné HENRY JOHN
MASKALL , Préfident .
>>
50
Le Ministère paroît attendre avec impatience
des nouvelles ultérieures du fiége ptincipal de la
guerre en Amérique , pour être éclairci fur des
faits répandus ici par plufieurs lettres particulières,
tel , par exemple , que celui du départ du Général
Howe de New Yorck , à deffein de fe porter
jufqu'a Philadelphie , dès que la Delawarre fera
prife par les glices , &c . &c. Ferfonne ne peut fe
diffimuler combien un pareil fait eft contradictoire
avec ce que d'autres lettres nous apprennent.
Suivant ces lettres , les Américains en poffeffion
des Jerfeys, à l'exception d'Amboy & de Brunf
wick , ont coupé au Lord Cornwallis , qui occupe
cette dernière place , fes communications
AVRIL 1777. 2051
avec New - Yorck : on dit même qu'un corps
affez confidérable des infurgens , a tenté d'enlever
le Général Lée de fa prifon à Brunſwick , &
qu'il n'a été arrêté dans cette expédition , que
par la menace du Commandant du Fort de placer
fon prifonnier à l'embouchure du canon qu'ii tireroit
contre eux. Or , dans cette fituation , comment
pouvoir le perfuader que le Général Howe,
avec un armée qu'il a réduite à peu de chofe ,
l'envoi qu'il a fait de onze mille hommes à
Rhode Island , puifle traverser une Province ou
les forces ennemies viennent de le réunir pour :
mettre la Penfylvanie à l'abri de toute attaque ? =
Ce Général oferoit - il même luler New- Yorck
fans défenfe , fachant qu'un autre corps d'enne
mis , dans le Weft Chefter , menace le Pont du
Roi & les autres Forts qui protègent la Viile de
ce côté ?
par
De Verfailles , le 12 Mars.
Le ro de ce mois , Suleiman Aga , Envoyé du
Bey de Tunis , a eu une Audience du Roi . Cet
Envoyé , après avoit remis fa Lettre de créance ,
a prononcé devant fa Majeſté le Difcoursfuivant :
« SIRE ,
Le Bey de Tunis , mon Maître , m'a commandé
de me rendre auprès de Votre Majefté
Impériale , pour la féliciter fur fon avénement
" a Trône de fes Ancêtres. Jaloux de remplir
tous les devoirs que li preferit fon artache.
» ment inviolable pour l'augufte Maifon de
France , ce Prince auroit depuis long temps.
1
(
206 MERCURE DE FRANCE.
fait paffer un Envoyé dans votre Cour Impé
riale , pour lui préfenter l'hommage de fes fentimens
, fes regrets fur la mort de fon Illuftre
& grand Allié & Ami l'Empereur de France
Louis XV , de glorieufe mémoire , & fon com-
» pliment fur le bonheur que la Providence a
préparé aux François , en appelant à leur tête
une jeune Monarque , qui réunit au plus haut
degré les vertus & les qualités les plus éminentes
, fi les circonftances où mun Maître s'eft
trouvé , depuis cette époque à jamais mémorable
, lui avoient permis , jufqu'ici , de ſuivre
ce que fon coeur lui infpiroit.
"
90
» Chargé aujourd'hui de fes ordres fuprêmes ,
j'apporte aux pieds de Votre Majefté Impériale
les voux les plus ardens pour la profpérité de
votre Empire , les marqueses les plus fincères de
fon refpect & de fon entier dévouement pour
Votre Perfonne facrée, & le tribut d'admiration
qui eft dû à la fageffe de Votre Majeſté Im-
» périale , & à fa fidélné aux Traités.
50
DO
15
לכ
» Rien ne pourra jamais rompre les liens qui
uniffent , fous de fi heureux aufpices , les Nations
foumiles à la Couronne de France , & les
Sujets du Royaume de Tunis .
>>
Daignez , SIRE , agréer comme une preuve
» du defir que mon Maître aura toujours de mé
riter la haute bienveillance d'un auffi grand
Empereur , les Efclaves & les autres Préfens
» que j'ai remis , en fon nom , aux Officiers de
Votre Majefté Impériale.
"
Le plus beau moment de ma vie eft celui
où j'enviſage la gloire de Votre Trône Impé
AVRIL 207 1777.
rial . Je ferai heureux , s'il en émane fur moi
un regard favorable. »
Sa Majeſté lui a répondu en ces termes :
« Je reçois , avec une égale fatisfaction , l'ex-
» preffion & l'hommage des fentimens du Bey
» de Tunis . Je vous charge de l'aflurer de ma
» bienveillance & de ma fincère amitié.
Je vous vois avec plaifir , Monfieur , fur les
Terres de ma Domination ».
Après l'Audience de Sa Majefté , cet Envoyé
s'eft rendu dans la Galerie , où il a eu l'honneur
de faire fes révérences à la Reine , & il a été
conduit enfuite à l'Audience de Monfieur.
PRESENTATIONS.
Le 16 de Mars , la Marquife de Jaucourt a eu
Thonneur d'être préfentée à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale , par la Comteffe du Cailla.
Le Baron de Breteuil , Ambaffadeur du Roi à
la Cour de Vienne , de retour ici par congé , a
eu l'honneur d'être préſenté au Roi par le Comte
de Vergennes , Miniftre & Secrétaire d'État au
Département des Aff ires étrangères , & de prendre
congé de Sa Majefté , pour retourner à ſon
Ambaffade..
Le Marquis de Bouillé , que le Roi avoit précédemment
nommé Commandant Général à la
Martinique , a eu l'honneur d'être préſe té à Sa
Majefté par le fieur de Sartine , Miniftre & Secrétaire
d'État au Département de la Marine &
1
208 MERCURE DE FRANCE.
de faire les remercîmens à Sa Majefté , en prenant
congé d'Elle , pour fe rendre à ſon Come
mandement.
PRESENTATIONS D'OUVRAGES ,
Sa Majefté ayant trouvé les Gravures du
Monument érigé a la gloine & à celle de la
France , qui ont été préfentées par l'Abbé de
Luberfac , le 3 du mois de Mars , très - bien
exécuties par le fieur Pierre Laurent , Graveur
& Membre de l'Académie de Peinture & Sculprute
de Marfeile , a accordé a cet Artiſte le titre
de fon Graveur , par Brevet.
-
Les Mars , le fieur.Ozanne , Ingénieur de la
Marine , a eu l'honneur de prétenter au Roi , le
plan & les vues perfpectives du port de Toulon ,
faifant par.ie de la collection des ports de France,
qu'il define d'après les ordres de Sa Majesté.
Le 18 du même mois , le fieur Heurtier , Architecte
du Roi , & Infpecteur- Général de fes bâtimens
, a eu l'honneur de préfenter au Roi , à la
Reine , & à la Familie Royale , dans l'intérieurl
des petits appariemens du Château le modèle
de la nouvelle Salle de Spectacle qu'il a projetée
pour la ville de Verfailles ; Leurs Majeftes & la
Famille Royale ont paru voir ce modèle avec
plaifir , & s'intéreffer au fucces de cet édifice ,
qui doit être terminé pour le * Janvier 1778 ;
l'entreprise en eft confiée au lieu Bouillet , InfAVRIL
209 1777.
pecteur des Théâtres de Sa Majefté ; Mefdames
ayant defiré de revoir ce modèle , le fieur Heurtier
a eu l'honneur de le leur préfenter dans leur
appartement , le 27 fuivant.
Le 3 du même mois , l'Abbé de Luberfac a eu
l'honneur de préfenter à Leurs Majeſtés & à la
Famille Royale , deux grandes gravures , repréfentant
un monument à la gloire du Roi régnant
& de la France.
Le 15 du même mois , le fieur Duchemin a eu
T'honneur de préfenter au Roi , à Monfieur & à
Monfeigneur le Comte d'Artois , une nouvelle
Carte de la France , ayant pour titre : Tableau,
des Villes de France , fervant àfaire voir le rapport
de l'étendue de Paris avec les autres Villes du
Royaume.
NOMINATIONS.
Le 26 du mois dernier , le Roi a accordé la
place de Grand - Croix , vacante dans fon Ordre
Royal & Militaire de Saint - Louis , par la mort
du Comte d'Ennery , au Marquis de Talaru , '
Maréchal de Camp ; la place de Commandeur ,
authi vacante par la promotion du Marquis de
Talaru à la place de Grand - Croix , au Baron de
Wimpffen , Maréchal de Camp , & la place de
Commandeur , qui étoit vacante par la mort, du
fieur de la Merville , au fieur du Rozel de Beaumanoir
, Maréchal de Camp. Sa Majesté a auffi
accordé la charge de Colonel-Lieutenant du Ré110
MERCURE DE FRANCE.
giment d'Infanterie de Chartres , au Comte de
Boufflers , Meftre- de-Camp en fecond du Régiment
d'Huffards d'Efterhazy ; la place de Meftre
de-Camp en fecond du Régiment d'Efterhazy ,
au Comte d'Helmftat , Capitaine Commandant
dans le Régiment Royal-Allemand Gavalerie ; la
charge de Meftre- de-Camp Commandant du
Régiment de Cavalerie Royal Piémont , vacante
par la démiffion du Baron de Talleyrand , au
Duc de Lorges , Colonel en fecond du Régiment
d'Infanterie de Languedoc ; la place de Colonel
en fecond dudit Regiment de Languedoc , au
Marquis de Janfon , Capitaine Commandant dans
le Régiment des Cuiraffers ; la charge de Colonel
du Régiment d'Infanterie de Vexin , vacante
par la démiffion du Marquis de Bouillé , au Comte
de Duras , Meſtre- de- Camp en fecond du Régiment
Royal Dragons , & la place de Meftre- de-
Camp enfecond dudit Régiment Royal Dragons ,
au Comte de Laval , Capitaine - Commandant
dans le Régiment Dauphin , Cavalerię.
Le Comte d'Estaing & le Prince de Liftenois ,
que le Roi a nommés Vices- Amiraux , ont prêté
ferment en cette qualité , le 2 de ce mois , entre
les mains de Sa Majesté.
Le Dimanche , 9 de ce mois , l'Évêque de
Cahors a été facré dans l'Eglife des Prêtres de
l'Oratoire du Séminaire de Saint- Magloire , par
l'Archevêque de Paris , affifté des Évêques de
Poitiers & d'Agen.
AVRIL. 1777. 211
MARIAGES.
Le 9 , Leurs Majeftés & la Famille Royale
ont figué le Contrat de mariage du Vicomte de
Sourches , Capitaine au Régiment des Cuiraffiers ,
avec Demoiselle Caraman.
NAISSANCE S.
La Vicomteſſe de Bernis , Dame de Madame
Victoire de France , & petite-nièce du Cardinal
de Bernis , Miniftre de ſa Majefté Très - Chrétienne
en cette Cour , accoucha , mercredi dernier
, d'un garçon , qui fut tenu le lendemain
fur les fonts de Baptême , par le Cardinal fon
oncle.
MORT S.
Jean-Marc-Antoine de Morell , Comte d'Aubigny,
Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint- Louis , Gouverneur des Ville & Château
de Falaife , y eft mort le Samedi , premier de
ce mois , dans la foixante - dix - feptième année
de fon âge.
212 MERCURE DE FRANCE .
·
André- Nicolas , Marquis de Virieu - Beauvoir
, eft mort , le mêine jour , dans ſon Château
de Faverges , en Dauphiné , âgé de quatrevingts
ans
Michel Chefteu , Écuyer , fieur de Ville-
Neuve , ancien Capitaine des Grenadiers Royaux ,
ayant fervi vingt ans fous Louis XIV , dont il
étoit Penfionnaire , & vingt fous Louis XV , vient
de mourir dans la quatre- vingt - quinzième année
de fon âge , à Neuilly-Saint- Front , petite ville
du Diocèfe de Soiffons.
Pierre Herman Dofquet , ancien Eyêque de
Québec ; Abbé Commandataire de l'Abbaye
Royale de Braifre , Ordre de Prémontrés , Diocèle
de Soiffons , eft mort en cette ville , le
de ce mois , âgé de quatre- vingt ans paflés.
Louis de Walbrun , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint - Louis , Commandant de
Bataillon , réfident à l'Hôtel Royal des Invalides ,
y eft mort , âgé de cent & un an paffés ; il avoit
été admis à l'Hôtel Royal des Invalides le 21'
Avril 1763 , après avoir fervi foixante - huit ans
cinq mois dans différens Corps.
Claude Rouvroy de Saint - Simon , Chevalier ,
Grand- Croix de l'Ordre de Saint Jean de Jéruſalem
, Commandeur des Commanderies de Saint-
Etienne de Renneville , de la Romagne , d'Oifemont
& de Boncourt , Ambaffadeur Extraordinaire
de la Religion à la Cour de France , eft mort
en cette ville , le 2 de ce mois .
Jean- François-Jofeph de Rochechouart , Cardinal
- Prêtre de la Sainte Eglife Romaine de la
création de Cléinent XIII , Evêque , Duc de Laon ,
AVRIL 1777. 213
Pair Eccléfiaftique de France , ci- devant Ambaffadeur
Extraordinaire de Sa Majesté auprès du
Saint- Siége , Grand Aumônier de la feue Reine ,
Supérieur de la Maifon & Collégé de Navarre ,
Abbé Commendataire des Abbayes Royales de
Saint- Remy , Ordre de Saint- Benoît , Congréga
tion de Saint- Maur , Diocèfe & ville de Reims ,
de celle de Saint- Ouen , même Ordre & Congrégation
, Diocèfe & ville de Rouen , & de celle
de Signy , Ordre de Cîteaux , Diocèfe de Reims ,
Commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit , eft mort
en cette ville le 20 de ce mois , âgé de foixanteneuf
ans paflés.
Charles Bafchi , Marquis d'Aubaïs , eft mort
les de ce mois , en fon château d'Aubaïs près
de Nimes , en Languedoc , âgé de quatre vingt-
Onze ans.
François- Michel - Bernard de Gantès d'Ablainville
, eft mort , le 8 de ce mois , en fon château
d'Ablainville en Artois.
Tirage de la Loterie Royale de France ,
du 17 Mars 1777 . 1
Les numéros fortis de la roue de fortune font :
2 , 6 , 33 , 24 , 18.
7 at 0.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES ENVERS ET EN PROSE,
Réponse de Mademoiſelle *** aux Vouloirs
de M. de...
A une Horlogère
Sur la mort de l'Abbé Pernetti ,
Imitation de la Préface du Panégyrique du
fixième Confulat d'Honorius ,
Henri IV & l'Ambaffadeur d'Espagne.
Mon Effai ou ma Frénélie ,
L'Attribut de Vénus ,
Dialogue entre Chaph-Séphi & Alibée ,
Difcours de Porcia ,
Vers à un Ami ,
A
Avis au beau Sexe ,
Le Triomphe de l'Amitié ,
A M. le Maréchal de Fitz-James ,
Le Shafta ,
A M. l'Archevêque de Besançon ,
A Mademoiſelle Vallayer ,
Anecdote ,
La Linotte ,
P.S
ibid.
T
8
ibid.
10
13
14
16
2.5
28
29
34
36
SI
52
53
54
17
58.
59
6.3
65
ibid.
Romance ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Lettres de Clément XIV,
Hiftoire de la Reine Marguerite de Valois , 78
AVRIL. 1777. 215
Hiftoire de la décadence & de la chûte de
l'Empire Romain ,
86
Elégies de Tibulle , 94
Bibliothèque des Amans , 105
Traité de la conftruction des Théâtres , III
Journal des Cauſes Célèbres , II2
Recueil de Fables , 121
Mémoires fecrets ,
124
Maximes & Réflexions du Duc de la Rochefoucaud
, 126
Claffiques,
Annonces littéraires ,
Les Coſtumes françois ,
Differtation fur l'huile de Palma Chrifti ,
Effai fur les Langues ,
Dictionnaire pour l'intelligence des Aureurs
t
Inftruction fur l'établiſſement des Nitrières , 141
ACADÉMIES ,
129
1317
133
138
146
159
Montpellier ,
ibid.
SPECTACLES. 158
Concert ibid.
Opéra ,
161
Début , 163
Comédie Françoife, 164
Début , ibid.
Comédie Italienne 167
ARTS. 173
Peinture ,
ibid.
Gravures ,
176
Lettre de M. de Voltaire à M. Henriquez, 178
Mufique.
Chorographie ,
Topographie ,
Cours d'Architecture ,
179
·183
184
ibid.
216 MERCURE DE FRANCE.
Exemple de Civilme ,
Ufages ,
Méthode pour remettre dans leur état naturel,
les membres gelés ,
185
186
188
Anecdotes. 189
Avis ,
194
Nouvelles politiques ,
196
Préfentations , 207
d'Ouvrages ,
208
Nominations ,
209
Mariages , 211
Naillances ,
ibid.
Morts ,
ibid.
Loterie ,
213
ΑΙ
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le premier volume du Mercure de France
pour le mois d'Avril , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 2 Avril 1777 .
(
DI SANCY.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme,
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
AVRIL
( 11
1777.
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS,
Chez LACOMBE , Libraire , rue de Tournon ,
près le Luxembourg.
Avec Approbation & Privilége du Roi
AVERTISSEMENT.
C'ESTau Sieur LACOMBE libraire , à Paris , ru de
Tournon , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevia avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nominera quand
ils voudront bien le pcrinettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produir du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on priera d'avance pour ſeize volumes rendus
trancs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit , au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés .
port
Ou fupplic Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix dé leur abonnement franc de
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire , à Paris , rue de Tournon
Ontrouve auffi chez le même Libraire les Journaux
fuivans, port franc par la Pofte.
JOURNAL DES SAVANS , in-4° . ou in- 12 , 14 vol . à
Paris ,
Franc de port en Province ,
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par an , à Paris ,
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périodique , 16 vol. in- 12 . à Paris ,
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JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
14 vol . par an , à Paris , 91.16 f
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JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in - 12 par an.
à Paris •
Et pour la Province ,
18 1.
241.
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE DE GENÉVE , 36
cahiers par an , à Paris & en Province , 181 .
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province , 12 1
JOURNAL ANGLOIS , 24 cahiers par an ; à Paris & en
Province , 24 1
JOURNAL DES 1) AMES , 12 cahiers , de chacun 5 feuilles ,
par an, pour Paris ,
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Morale , 12 parties in 12. dans l'efpace de fix mois,
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12 vol. in-12. à Paris , 24 1. en Province ,
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181.
A ij
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naturelles, in 8°. Lei.
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fes rapports , 2 vol . in-8 ° . rel .
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Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in- 8 . rel .
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Abrégé chronol. de l'Hift. du Nord , 2 vol in- 8° . rel.
de l'Hift. Eccléfiaftique , 3 vol. in-8° . rel. 18 L
- de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol. sel.
-de l'Hift . Romaine , in- 8 ° • rel .
3
2 l.
12 1.
1. 15 f.
21. 10 f,
21. 10 f
3 1.
୨ 1.
41. ic f
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121
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3 vol .
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2 l.
2 1. 10 f.
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Théâtre de M. de Sivry , vol. in- 8 ° . br.
Lettres nouvelles de Mde de Sevigué , in- 12 br.
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Poëme furl'Inoculation , vol. in- 8 ° . br
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8 ° . br. avec fig .
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 °. br.
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41.
1.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , & c .
241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architec
ture , in-4° . avec fig. br. en carton ,
L'Agriculture réduite à fes vrais principes , vol. in-12.
broché
12 1.
21.
Annales de l'Imperatrice-Reine , in-80 . br. avec fig. 41.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1777.
PIECES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
Suite de L'AUTOMNE , Chant troisième
du Poëme des Saifons ; imitation libre
de Tompfon.
DERNIERS BEAUX JOURS DE L'AUTOMNE.
MAISTO AIS retournons au fein de ces bois fombres,
Où la verdure échappe & s'obfcurcit :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
&
Sur l'horiſon déjà d'épaiffes ombres ,
Du trifte hiver , nous préfage la nuit.
Baiffant le ton , la Muſe folitaire
Conduit nos pas fous la jaune clairière ,
Et , vers la fin , nous montre la ſaiſon .
Il est encor des jours où la lumière ,
Embelliffant l'azur de l'horiſon ,
Verfè l'éclat fur la nature entière.
Le do x ruiffeau qui femble friffonner ,
Demeure encor incertain dans fa courſe ;
Et le Soleil , déjà voifin de l'ourfe ,
Dans nos climats commence à décliner.
Ceux que conduit l'amour de la fageffe ,
Se dérobant à l'ennui des cités ,
Viennent alors à pas précipités ,
Loin du féjour qu'habite la molleſſe ,
De la Nature admirer la beauté :
Raffafliés des plaifrs de la Ville ,
Ils vont goûter dans un champêtre afyle ,
La paix du coeur & la tranquillité .
Puiffé -je ainfi , rêveur & ſolitaire ,
Erter fans guide au penchant des côteaux ,
Et parcourir ces bois où les oifeaux ,
Déjà muets , ne fe montrent plus guère..
AVR- IL - 1777.. 7
Heureux encor fi quelque tourtereau
Trifte , plaintif, & pleurant fa compagne ,
Que l'Oifeleur fit defcendre au tombeau ,
De fes regrets entretient la campagne ,
Et fe lamente au fommet d'un ormeau .
Jufqu'au printems , privé de fon ramage ,
L'oifeau gémit ; il cherche un doux ombrage
Et n'apperçoit que des bois dépouillés :
Il a perdu l'éclat de fon plumage ,
Et ne rend plus que des fons embrouillés.
Mais que le plomb des Chaffeurs intrépides ,
Refpecte encor ces peuplades timides ,
Dont les concerts animent le printems ,
Et que les rets des Oifeleurs perfides ,
N'accablent pas des chantres fi charmans !
271
Dans fon déclin, agréable & touchante ,
L'année infpire une plus douce humeur :
Des triftes bois la dépouille bruyante ,
Voit dépéir fon éclat enchanteur ,
Et tombe en proie au vent qui la tourmente.
Dans les forêts les farouches autans ,
Vont affaifler la riante verdure :
Déjà les prés languiſſent fans parure ,
Et l'hiver fombre enveloppe les champs.
De ſes tréſors la branche dépouillée
Perd fon éclat , & les bois languiffans
51
A iv
MERCURE DE FRANCE.
N'offrent à l'oeil qu'une fcène ilblée.
Du fentiment c'eft alors la faifon ;
C'eſt le moment où la mélancolie cha
Semble infpirer cet heureux abandon ,
Cet abandon que la Philofophie
Permet par fois à Paintère raifol..
Que ne peut point für une ame attendrie:""
Le fentiment ? Par d'énergiques pleurs ,
Tantôt il peint les profondes douleurs
Qu'excite en lui l'humanité féie
Et gémiflant fous le poids des malheurs 5
Par le moyen de fa vive influence ,
Tantôt Fair rendre & les traits adoucis ,
Il charme l'ame , embrafe les efprits ,
Et dans le coeur verfe la bienfaisance ..
L'oeil pénétrant du génie inventeur ,
Ouvre & déploie , au gré de fon ardeur ,
Des vérités les fources éternelles :
Des paffions auffi fublimes qu'elles ,
Naiffent bien -tôt avec rapidité ,
Et des vertus les vives étincelles
Élèvent l'ame à la Divinité.
Le tendre amour , l'amour de la Nature,
Et le premier de tous nos fentimens ,
Nous enivrant d'une volupté pure ,
Produit en nous de généreux élans ..
# !
I
I
14
AVRIL 1777. 9
Le foin touchant d'écarter la misère
De l'humble toit du timide indigent ,
De confoler le mérite fouffrant ,
Du Philofophe embellit la carrière ,
Er lui procure un plaifir raviſſant.
Dans fa retraite , il juge , il apprécie
Ces hommes vains , orgueilleux & puiffans ,
Qui , des vertus ainfi que des talens ,
N'eurent jamais que la fuperficie ,
Et,s'enflammant au foyer du génie ,
Des paffions il affianchit fes fens .
Préfent des Cieux ! feu divin ! pure effence !
O fentiment ! tu charmes l'amitié :
C'eſt avec toi que tout eft jouiſſance ;
Dans tes plaisirs le coeur eft de moitié ,
Et ton fourire annonce l'innocence !
Par M. Willemain d'Abancourt.
É PIGRAMME
Aun Légataire de Chapelain.
PAUVRE AUVRE Damon , tu t'abufes !
Réprime enfin tes ardeurs :
Eft- ce en violant les Muſes ,
Qu'on jouit de leurs faveurs ?
Par le même.
A v
10 MERCURE
DE FRANCE.
LE SAVETIER ET LE TEINTURIER.
Conte.
Mrs bons amis , pour vous défennuyer ,
Il faut que je vous faſſe un Conte
Touchant un Maître Savetier ,
Haigneux comme un roquet , plus fier qu'un
Maltotier ,
Et qui fe croyoit à fon compte ,
Du Pape , comme on dit , le premier Moutardier.
Il avoit paffé la Jurande ,
Etoit Syndic pour la feconde fois ,
Et Marguillier en charge , infcrit fur la légende ;
Les premiers Dimanches du mois ,
En manteau court , il alloit à l'offrande.
Ce perfonnage étoit boſſu
Comme un Polichinel. La chronique rapporte
Qu'il étoit tant foit peu . . . . ;
Je n'en fais rien , & peu m'importe.
Chaque fois que ce Monfignor
Alloit reporter de l'ouvrage
Un Teinturier du voifinage ,
Des Teinturiers le Matador ,
Se rencontroit fur fon paſſage ,
AVRIL 1777.
Lui ricannoit au nez , & ricannoit encor
A Quand il retournoit à fa cage.
Rire aux dépens , & de qui ? d'un Juré !
O crime! ô fureur ! ô vengeance!
- De ces is importuns outré ,
>>
Mon Boffu fièrement s'avance :
- Savez - vous bien qué cé ton me déplaît ,
Lui cria - t-il d'un air de fuffifance ?
A vous ? répondit l'autre : Eh! que vous ai - je
»fait?
។
"
Ce que vous m'avez fait ? Ma patience eſt
ככ
laffe
» De vos dédains , de vos mépris :
Pourquoi riez - vous quand je paffe ?
Pourquoi paffez-vous quandje ris ? »
Par le même.
ABAIRAN , CALIFE DE BAGDAT.
Anecdote Orientale.
ABAIRAN , Calife de Bagdat , chaffoit
dans la forêt voisine de cette ville fuperbe.
Fatigué d'une longue courfe , il
fe couche far un gazon Aeuri , au bord
d'un ruilleau , fort loin du gros des
A
vi
MERCURE DE FRANCE.
chaffeurs. Le doux murmure des eaux .
Pinvitoit au fommeil , il s'endormit, A
peine avoit il fermé l'oeil , qu'il fut foudainement
éveillé par l'attouchement
léger d'un lézard. Le premier mouve
ment du Calife fur de murmurer de
l'importunité du reptile. Mais en ouvrant
les yeux , il apperçut à quelques
toifes un énorme ferpent qui s'élançoit
vers lui. Il fe leva précipitamment , prit
fon libérateur qui s'étoit gliffé fous le
pan de fa robe , & s'enfuit au plus vite .
Cet événement le remplit d'une fi vive
reconnoiffance pour l'animal qui lui avoit
fauvé la vie , qu'il le chérit & le nourrit
dans fon palais avec une tendroffe toute
particulière. I lui donnoit à manger
lui-même dans fa main , & le mettoit
fouvent dans fon fein . Au bout de quelque
temps , la fanté du Calife, parut altérée.
Son teint fleuri étoit devenu pâle &
fivide ; le feu de fes yeux étoit éteint :
Il avoit perdu l'appétit. En un mot , tout
indiquoit une maladie de langueur , une
confomption dont la caufe étoit ignorée.
Les Sages de Bagdat furent appelés ; mais
PAnge de la mort fembloit avoir étendu
fon bras fur la tête du Calife. Le mal
empiroit chaque jour . Un étranger fe
AVRIL 1777 . 13
préfenta pour
le guérir. On refufa d'abord
fon offre. On le prenoit
pour un
de ces empyriques
errans , qui vont de
ville en ville , abufant
de la confiance
de
ceux qui ont recours
à eux. L'étranger
infifta , & offrit fa tête au cas qu'il ne
réuffit point à guérir Abairan
, Alchament
( c'étoit le nom du Médecin
étranger
)
fut introduit
devant
le Calife malade.
Il le regarda
fixement
pendant
quelques
minutes
, & affura que fa maladie
étoit
un effet du poifon fubtil de l'animal
qu'il
mettoit
fouvent
dans fon fein , & qu'il
careffoit
entre fes mains. Ce venin lut
avoit affecté la maffe du fang. Pour remède
, il lui donna une phiole d'un élixir,
dont il lui recommanda
de prendre
quelques
gouttes
deux fois par jour , le foir
& le matin. Abairan
ceffa de careffer
fon
lézard , prit la médecine
, & fe trouva
bientôt
rétabli . Le fommeil
, l'appétit
&
l'embonpoint
revinrent
. La fleur de la
jeuneffe
reparut
fur fon teint. Le Calife
raconta
à fon Médecin
par quelle raifon
il avoit pris tant d'affection
pour cet animal
, jufqu'à
vouloir
que fon palais lui
fervit de demeure
. Il lui offrit la même
marque
de reconnoiffance
, & le pria de
lui demander
ce qu'il voudroit
pour réJ4
: MERCURE DE FRANCE .
compenfe de lui avoir rendu lavie Alchamen
lui répondit modeftement : magnifique
Seigneur , le plaifir de faire du bien
eft une récompenfe fuffifante pour un
coeur généreux . L'homme bienfaifant.
goûte plus de fatisfaction à rendre fervice
à fes femblables , que ceux- ci n'en
trouvent à le recevoir. Si tu me crois
digne de quelque grace pour le bien que,
je t'ai fait , je te demande la permiflion ,
de quitter cette ville pour retourner dans.
ma folitude , où je nourris mon ame de
la méditation & de la fageffe, 11 eft vrai
tu es un Prince doué de toutes les vertus
fociales : ton regne eft beni de tes Sujets ,
& admiré de tes voifins ; mais je dois,
autant fair ton amitié , que les autres la
recherchent. L'air de la Cour pourroit
me devenir aufli fatal , que le venin du
lézard l'a été au Calife mon Seigneur.
Pardonne la liberté de ton ferviteur. C'eft
le caractère d'un Philofophe , comme la
grandeur est celui d'un Prince. L'amitié
eft fondée fur l'égalité des conditions &
la conformité des defirs : la vertu peut
la cimenter , mais elle ne fuffit pas pour
Tétablir. Confi lère la diftance immenſe
qu'il y a de toi à moi , & quels inconvéniens
en réfulteroien pour nous deux,
AVRIL. 1777
Tu as été élevé dans un Palais fur la
pourpre , à l'ombre du Trône ; & moi
dans la folitude , fous un toit ruftique.
Tu es chargé de faire te bonheur d'un
million d'hommes , fi tu veux être heureux
toi- même ; & moi je trouve mon
bonheur dans la contemplation de la
vérité , loin du fafte & de la grandeur .
Pourrions - nous vivre long- temps enfemble
, fans que nos goûts particuliers ne
s'altéraffent mutuellement aux dépens du
plaifir attaché à les fatisfaire ? Comment
remplirois - tu les devoirs de la dignité
royale , fi tu venois à te livrer aux douceurs
de la vie contemplative ? Et comment
pourrois -je vivre heureux , fi j'ouvrois
mon coeur à l'ambition des honneurs
pour lefquels je fens que je ne fuis
fait ? Je fuis venu te rendre la fanté
par le même principe qui te fait gouverner
tes Sujets avec équité , avec bonté.
Continuons à vivre chacun dans le
ráng
où le Ciel nous a placés. Vivons féparément
, puifque nos conditions font incompatibles.
Une trop grande communication
nous corromproit l'un l'autre ,
comme ton lézard t'avoit infecté de fon
venin .
pas
16 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
Sur le choix d'une Femme.
Si d'époufer je faifois la folie ,
Et que je fus le maître de mon choix ,
Connois hymen celle qui , fous tes loir ,
Pourroit fixer le deftin de ma vie.
Je la voudrois plus aimable que belle ;
De la fanté poffédant les tréſors ,
Aux dons du coeur , aux agrémens du corps ,
Joignant d'efprit quelque douce étincelle.
Je la voudrois de vingt ans affligée ;
Cet âge heureux, propice au fentiment ,
A la raison , fans nuire à l'enjouement ,
D'un fort flatteur préſage la durée.
Je la voudrois fimple dans fa parure ,
Dans fes difcours , ainsi que dans fes goûts.
Le vrai bonheur, les plaifirs les plus doux ,
Doivent à l'art bien moins qu'à la nature.
Te la voudrois riche fans opulence ;
AVRIL. 1777 . 17
Trop de fortune entraîne trop d'orgueil ,
Et pauvreté feroit un autre écueil ;
Faut pour jouir repos avec aifance.
Je la voudrois fur- tout femblable à Life ,
Au fort de qui tu lias mon deftin ¿
L'amour joignit le coeur avec la main :
Sur cet accord notre union fut affife.
Je la voudrois qui n'eût pas d'autre envie ,
D'autre defir que celui de m'aimer ;
Si cet objet pouvoit le retrouver,
De l'époufer je ferois la folie.
Préface du Livre premier de l'Enlèvement
de Proferpine.
CELUI qui le premier defcendu ſur les ondes ,
D'un tranchant aviron fendit les mers profondes ,
Ofa braver les vents , & s'ouvrir des chemins
Que la Nature femble interdire aux humains :
D'abord , d'un cours timide effleurant le rivage ,
Il vogua lentement , fous un Ciel fans nuage ;
Et bien-tôt , enhardi par fes heureux efforts ,
Au gré des doux zéphirs, il s'éloigna des bords.
1-8 MERCURE DE FRANCE.
Mais quand de fon vaiffeau le progrès plus ràpide
,
Eut fait naître en fon coeur une audace intrépides
Par l'aquilon fougueux emporté fur les eaux ,
D'Ionie & d'Égée il dompta tous les flots.
Difcours de Pluton à Jupiter , tiré du
premier Livre de l'Enlèvement de Pro-
Serpine. 1
FRÈRE ingrat , fur un frère, as-tu tant de ponvoir
?
Sila fortune injufte a trompé mon efpoir ,
Si j'ai perdu le Ciel... par ce coup fi funefte,
Je n'ai point tout perdu , le courage me refte. I
Crois-tu que je m'endorme au fein de la langueur,
Et qu'un lâche repos énerve ma vigueur ?
Que ta foudre aux mortels infpire les alarmes,
Si je n'ai point de foudre ... il me refte des armes
C'est peu que mon deftin , lein du jour & des
33 } Cieux ,
Me renferme à jamais dans ces funèbres lieux , a
Tandis que ton orgu il , du haut de l'empirée , v
Foule à tes pieds les feux de la voûte azurée :
Tu m'interdis encor le tendre nom d'Epoux ! ..A
AVRIL. 1777. 19
Amphitrite , livrée aux tranfports les plus doux ,
Embraffe avec ivreffe un Amant qui l'adore ;
Et la fière Junon , quand ta main fume encore
Des éclats foudroyans que tu viens de lancer ,
De fes bras dans les tiens brûle de s'enlacer .
Oui , pour toi , Thémis même , & Cérès & Latone ,
Ont fenti ces tranfports où mon coeur s'abandonne
:
1
Ah ! que d'heureux enfans embelliffent tes jours ! ...
Et moi , ton frère, moi , Roi de ces noirs féjours
Que jamais n'éclaira le flambeau d'hymenée ?
Je traîne feul ma vie obfcure , infortunée !
Mais c'eft trop endurer cet abandon affreux ! ...
( e vous attefte, ô Áots facrés à tous les Dieux !
Je vous attefte, ô nuit ) ! ... Si tu braves ma plainte,
Des Enfers ténèbreux foudain j'ouvre l'enceinte ,
De Saturne indigné ma main brife les fers , ..
Et dé noirs tourbillons obfcurciffent les airs .
Tremble de voir au fond de mes Royaumes fombres
,
Se confondre à jamais ta lumière & mes ombres.
Il dit , &c .
20 MERCURE DE FRANCE .
LE PRINTEM S ,
ODE ANACREONTIQUE.
QUE
UEL changement dans la Nature
Une feule Aurore a produit !
Un riant tapis de verdure
Couvre la terre & l'embellit .
L'air eft pur , le Ciel fans nuage ;
Flore reprend tous les attraits ,
Et par le plus tendre ramage ,
Les oifeaux charment les forêts.
Viens , accours , mon aimable Hortenfe ;
A ces prodiges du Printems ,
Hâtons-nous d'unir la présence
De deux véritables Amans .
Portons fous ce naiffant feuillage
Où vient le jouer le zéphir ,
Le bonheur dont il peint l'image,
Et le fentiment du plaifir.
Que la volupté la plus pure
AVRIL 1777. 21
Enivre nos fens en ce jour ;
Ah! tout languit dans la Nature
Sans les feux brûlans de l'amour.
Par M. Houllier de Saint- Remy.
LE JEUNE MOINEAU ET SON PÈRE,
ec
Fable.
Que j'aime ce petit enfant !
UE
» Voyez , admirez donc , mon père ;
Qu'il eft bon & compatiflant !
Qu'avons- nous donc fait pour lui plaire ?»
Un oifeau jeune encor , en ces mots s'exprimoir ,
A l'aspect d'un enfant , fe plaifant à répandre
Des miettes de pain autour d'un trébuchet
Que l'efpiégle venoit de tendre ;
Ce n'eft point , ô mon fils ! la douce humanité
Qui vient nous fecourir , dit l'autre , avec trifteffe ;
C'eft un appas trompeur qu'on offre à ta jeuueffe ,
On en veut à ta liberté :
Mon ami , je connois le monde ;
En traîtres la terre eft féconde ;
Des piéges qu'on y tend fonge à te garantir ,
Et retiens bien à l'avenir
Cette leçon trop véritable .
22 MERCURE
DE FRANCE .
Rarement un mortel oblige ſon ſemblable” ,
Sans efpoir d'un retour certain ;
Mais quand , par quelque ftratagême ,
L'un d'eux , à nos befoins, paroît tendre la main,
Mon fils , c'est toujours pour lui- nême.
Par le méme.
•
ÉPITRE AUX MUSES.
FILLES
ILLES de la décence & Nymphes du Permeſſe ,
Vous qui n'avez brigué le titre de Décile
Que pour intimider ces coupables Mortels ,
Dont les fouffles impurs profanent vos Autels :
Mufes , jufques à vous quand j'élève mon ame ,
Le droit qui m'enhardit , le droit que je réclame ,
Eft le droit le plus faint , le plus cher à vos yeux,
Le droit qu'a fur vos coeurs tout homme vertueux
,
Hélas ! fi vous daigniez agréer mon hommage ,
Et d'un tendre fourire animer mon courage ;
Glorieux fans orgueil , au rang de vos Sujets ,
Je coulerois mes jours dans le fein de la paix.
Envain le fort cruel contre moi fe déchaîne ,
Je brave tous les coups de fa bifaire haine :
Si je vois ma fortune en ruines crouler ,
AVR1L. 1777. 23
Satisfait des débris que j'ai pu raffembler ,
J'écarte loin de moi la douleur & les larmes ;
Et
pour les repouffer , Muſes , voici mes armes .
L'opulence , me dis-je , eft fouvent un fardeau ;
Son éclat adouci fous un léger rideau ,
Quand il frappe les yeux du ſtupide vulgaire ,
Ne jette , en ce moment , qu'une douce lumière ;
Et par un tel preftige aisément abuſé ,
L'homine crie, ô bonheur ! & l'homme eft infenfé.
Mais l'oeil fubtil & prompt du prudent Philofophe
,
Pénètre les replis de la magique étoffe :
Il voit confufément des feux amoncelés ;
Il voit dans le lointain des plaifirs inutiles ;
Il découvre bien- tôt des images plus fombies ;
Des éclairs élancés dans la terreur des ombres ,
Lui montrent l'opulent auprès de fon tréfor ,
Ellayant d'endormir le vautour du remord :
Malgré lui , des fes biens , il a fouillé l'ufage ;
Un vailleau trop chargé fera toujours naufrage :
Le plaifir qu'il careffe échappe de fes bras ,
Et le plaifir languit où le befoin n'eft pas.
O médiocrité ! mère des vrais délices ,
Qu'il m'eft doux d'exifter fous tes heureux aufpices
!
24 MERCURE DE FRANCE .
Je n'habiterai pas ces fuperbes Châteaux ,
Refuges de l'ennui , féjours des plaifirs faux
Je ne connoîtrai point ce riche didactique
Qui foumet un repas à l'ordre fymétrique ,
Et qui penfant voiler fon inhumanité
Sous le titre pompeux de prodigalité ,
Confume en un feul mets l'or qui,toute une année,
Nourrit une famille & la rend fortunée.
L'on ne me verra point employer mille bras
Pour mafquer les défauts de ces terreins ingrats ,
Et créer, fur un fol profcrit par la Nature,
De ces vaftes jardins l'élégante ftructure ,
Où de l'art ennuyeux le génie emprunté ,
Met jufqu'en variant de l'uniformité.
Tranquille & folitaire au fond de ma retraite ,
J'ellairai tour- à-tour la lyre & la mufette :
Mais avant de rifquer un impuiffant accord
De ma timide voix je réglerai l'eſſor
Sur les concerts heureux , fur la tendre harmonie
De ces Auteurs Divins , les échos du génie ;
Ils rempliront mon ame, ils charmeront mes fens :
Puiffé-je , d'après eux , moduler mes accens !
Tantôt je chanterai les plaifirs de l'enfance ,
Plaifirs purs & charmans qu'enfante l'innocences
Seuls plaifirs que l'envie apperçoit fans douleur ,
Et
AVRIL. 1777 . 25
Et dont les noirs chagrins refpectent la candeur.
Tantôt je defcendrai dans ces réduits paisibles ,
Aux froideurs , aux foupçons réduits inacceffibles:
C'eft-là que je verrai d'utiles Citoyens ,
De leur obfcurité chériffant les liens :
J'y verrai , quel fpe Atacle ! un père de famille
Encourageant fon fils , fouriant à fa fille ,
A fa fidelle époufe enlever un baiſer ,
Et dans fes bras chéris venir fe délaffer.
O tendre volupté ! tableau de la nature ,
Mon ame , à votre aſpect , s'annoblit & s'épure ;
Et de vos doux tranfports je peindrai la douceur ,
S'il fuffit d'en avoir la fource dans fon coeur.
Tantôtje chanterai le bonheur de la France !
Je chanterai LOUIS ramenant l'abondance :
Defcendant de fon Trône & nous tendant les bras,
Cherchant les malheureux au fond de fes Etats.
O mon Maître! ô mon Prince , acheves ton ou
vrage ;
De ton règne naiffant accomplis le préfage ;
Perfévère , & rends-moi , par tes auguftes Loix ,
Le plus heureux Sujet du plus heureux des Rois.
Oui , quand la renommée , enviant à l'Hiſtoire ,
L'honneur de te porter au Temple de la gloire ,
Réunira fa voix à celle des François ,
Et viendra m'éveiller au bruit de tes bienfaits ,
Je ne pourrai dompter mon ardeur indiſcrette ;
De ton nom glorieux j'emplirai ma retraite ;
11. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Mais n'appréhendes rien de mes hardis fermens ,
Je faurai de mon Roi refpecter les momens.
Admirateur fecret de la vertu du Sage ,
Je craindrai de lui rendre un ridicule hommage 3
Ou bien fi le filence eft trop cruel pour moi,
Si je veux m'affranchir de fon auſtère loi ,
Avant que de porter mes pas dans la carrière ,
Je fuivrai d'un ami le confeil falutaire ;
Au milieu des dangers fa voix m'enhardira ;
Ou fi je fuis trop foible , il m'en rappellera .
Mais , hélas ! ce Mentor ou ce Dieu tutélaire ...
Il n'eft encor pour moi qu'un être imaginaire .
Tendre & fidèle ami , du Ciel heureux préfent ,
t'attend ,
Que fais-tu loin de moi? Viens ! mon ame
Et toi , charmant objet , toi , pour qui je ſoupire,
Toi , que me peint fans ceffe un amoureux délire,
Toi, par qui j'apprendrai comme l'on doit aimer,
Et par quels fons heureux l'amour doit s'exprimer,
Ne fera- tu toujours qu'un fantôme inutile ?
N'éprouverai- je enfin qu'un fentiment ftérile ?
Non , j'en ai pour garant ma ſenſibilité :
Le but peut être loin ; mais il eft limité,
A ce flatteur efpoir , Mufes , je m'abandonne ,
De ce triple bonheur mon ame s'environne :
Hélas ! de mon deftin qui ne feroit jaloux ?
Je vis pour l'amitié , pour l'amour &pour vous,
Par M. de Salleri,
AVRIL 1777 . 27
L'HARMONIE,
ODE *.
Verba loquor focianda chordis.
EST-CE - T
Horat. Ode IX. Lib. IV.
ST-CE - TOI , puiſſante Harmonie ,
Dont je fens les divins tranfports !
Eft-ce-toi , qui , de mon génie ,
Ranime les foibles refforts ?
Ton charme a paffé dans mon ame :
D'une douce & rapide flamme
Tous mes efprits font agités.
C'en eft fait :tout ce qui refpire
Va connoître aux fons de ma lyre ,
Le Dieu qui me les a dictés.
En vain la Nature fommeille
Au fein d'une effroyable nuit ;
A ta voix elle fe réveille ,
>
* Cette belle Ode , dont nous ne rapportons ici que
quelques ftrophes , eft imprimée , & fe trouve à Paris
chez Monory, Libraire de S. A. S. Monſeigneur le Prince
de Condé , rue de la Comédie Françoife.
B ij
28. MERCURE DE FRANCE .
Et le vafte filence fuit.
Les fleurs naiffent ; le Ciel s'épure ;
Les ruiffeaux , par leur doux murmure ,
Témoignent leur raviſſement;
Et les oifeaux par leur ramage ,
Portent , de rivage en rivage ,
Le plaifir & le fentiment.
Nul être dans l'efpace immenfe ,
N'échappe à ton heureux lien .
Tout eft foumis à ta puiſſance ,
L'empire du monde eft le tien.
Tu parles , Dodone s'anime .
Les monftres du profond abyfme ,
S'empreffent autour d'Arion.
Les cailloux prenant des entrailles ,
Viennent s'élever en murailles
Aux tendres accens d'Amphion.
C'eft par un prodige auffi rare ,
Qu'aux premiers jours de l'Univers ,
Tu fis fortir l'homme barbare
Du fond de fes affreux déferts .
Tiré de fon repos stérile ,
L'homme à l'homme devint utile.
Tu polis , tu créas ſes moeurs.
Cérès fut alors plus féconde ;
AVRIL. 1777 . 29
Et les premiers Chantres du monde.
Furent fes premiers bienfaiteurs .
Quels font les guerriers que Bellonne
A vu reculer dans fes champs ?
De ton fein , ô Lacédémone !
Sort- il donc de lâches enfans ?
Mais que dis-je l'ardent Tyrthée
Souffle en leur ame épouvantée ,
Le feu que refpirent ſes vers :
Il ranime leur noble audace ,
Comme le Chantre de la Trace
Calme le courroux des Enfers.
Un digne fils du Dieu du Pinde ,
Par des charmes auffi puiffans ,
Soumet le Conquérant de l'Inde
Au caprice de les accens.
Tantôt Alexandre s'agite ;
De fon courage qui s'irrite ,
Rien ne peut arrêter les flots ;
Et tantôt oubliant les armes ,
Il foupire , il verfe des larmes ;
Le Chantre eft vainqueur du Héros .
Voyez fous l'ombre de ces hêtres ,
Les Habitans de nos Hameaux ,
B iij
·3·0 MERCURE
DE FRANCE.
Célébrer leurs plaifirs champêtres
Aux fons des légers chalumeaux .
Auxcris joyeux qui fe confondent ,
Les échos des vallons répondent ;
Et l'allégreffe en cet inftant ,
Efface au fond de leurs penſées ,
L'empreinte des peines paffées ,
Et de celle qui les attend.
Quels maux ne rend point fupportables ,
Duchant l'invincible pouvoir ?
Eft-il des coeurs fi miférables ,
Qu'il n'endorme au fein de l'efpoir?
Au milieu d'un déſert aride ,
Le Voyageur pâle & timide ,
Chaffe l'ennui par des concerts ,
L'Efclave chante fa misère ,
Et par fes accords ii fait taire
Le bruit de fes indignes fers.
Telle , durant la nuit obfcure,
La Mufe plaintive des bois
Attendrit toute la Nature
Par les doux accens de fa voix.
Pour l'entendre exhaler fa peine ,
Phébé plus lentement promène
Son char émaillé de faphirs ,
AVRIL. 1777. gt
Et l'Amante du beau Céphale ,
Quitte la rive orientale
Au bruit de fes tendres foupirs.
Par M. de Saint- Marcel , Garde- du- Corps
de Mgr le Comte d'Artois.
ODE A THÉMIRE.
TANDIS ANDIS qué de leur froide haleine
Les vents mutins glacent les champs ,
Quel feu s'empare de ma veine ,
Quel vif tranfport faifit mes fens !
C'eft ton pouvoir, amitié tendre ,
C'est toi qui viens te faire entendre
A mon ame pleine de toi ;
Accorde donc ma foible lyre ,
Et peignons enfemble à Thémire ,
Les charmes de ta douce loi.
Loin de l'amour & de fes vices ,
Tu fixas ton féjour divin ;
C'étoit-là qu'au fein des délices ,
Vivoit jadis le genre humain ;
Au fein de ce féjour céleste ,
Caftor , Pollux , Pylade , Oreſte ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
T'offroient leur encens nuit & jour ;
Et c'étoit-là que l'hymenée ,
De gloire & de fleurs couronnée ,
Bravoit les fureurs de l'amour.
Ton nom n'eft plus qu'une chimère ,
Tes Temples font tous renversés ;
L'Amour eft le Dieu qu'on révère ,
Ses feuls Autels font encenfés.
Ce tyran maîtriſe les hommes ,
Il prend dans le fiècle où nous fommes,
Et tes accens & ton maintien ;
Mais c'eft envain qu'il fe déguiſe
On le connoît à fa traîtrife ,
Il fait le mal , tu fais le bien.
Tant que j'ai fuivi la bannière.
De cet impofteur de Paphos ,
Le cruel , loin de ma paupière ,
Éloigna toujours le repos ,
Les maux affiégèrent ma vie ;
Le défefpoir , la jalouſie
Empoifonnèrent mes amours :
J'ai connu la belle Thémire ,
Et fes vertus & fon fourire
Ont rendu le calme à mes jours.
Quand je me rappelle l'orage
AVRIL. 1777. 33
Qui m'a fi long-tems poursuivi ,
Mon coeur, à cette horrible image ,
D'horreur refte encore faifi .
Comment un Dieu plein d'injuſtices ,
Qui traîne après lui tous les vices ,
Peut-il nous foumettre à fes loix ?
Lui qui n'offre que des entraves ,
Lui qui nous traite en vils eſclaves ,
Et qui nous réduit aux abois.
Fuis loin de moi , je te déteſte ,
Amour , fléau de l'Univers ,
Porte ailleurs ton poifon funefte ,
Mon coeur eft forti de tes fers.
L'amitié devient ma Déeſſe ;
Rempli de fa douce tendreffe ,
Je lui confacre mes momens :
Tranquille , heureux fous fon empire,
Son Temple eft le coeur de Thémire
On je veux brûler mon encers.
Par M. Lavielle , de Dax.
Br
34 MERCURE DE FRANCE.
LE MOINEAU & LA FAUVETTE .
SI VOU
Fable.
I vous avez foumis un coeur fenfible & tendre,
Gardez- vous bien de l'outrager ,
Sans quoi vous courez le danger
De n'avoir plus droit d'y prétendre,
Il acquiert celui de changer :
Le trait fuivant va vous l'apprendre.
Un Moineau des plus amoureux
Epris d'une jeune Fauvette,
Brûloit d'une flamme fecrette ,
Et n'ofoit déclarer fes feux.
Par fes foupirs , par fes careffes ,
Il fit connoître fon amour :
2
hafarda des fermens , des promeffes
Il en fit tant qu'il obtint du retour.
Malgré fon triomphe & fa gloire ,
Il jouiffoit modeftement ,
N'avoit point l'air d'un Conquérant z
Il étoit cependant tout fier de ſa victoire ,
Il vivoit heureux & content ,
En fe rendant compte à lui-même
AVRIL. 1777. 35
De la félicité fuprême
Qu'on goûte fi bien en aimant.
Avint qu'un jour , du plus prochain bocage ,
Sortit un Perroquet ,
Dont le caquet
Bien moins brillant que fon plumage ,
Etourdiffoit le voisinage ,
Ainfi qu'un jeune- homme à plumet ,
Dont le défaut feroit le bavardage.
La Fauvette lui plût : il forma le projet ,
Pour les plaifirs , d'en titer avantage.
Il fit fa cour fur un ton indiſcret ;
La fuffifance étoit fon vrai partage ,
Et fon amour ne fut point un fecret.
Notre Fauvette un peu volage ,
Prêta l'oreille à fon langage ;
Elle fut priſe au trébuchet ,
Le Moineau fentit cet outrage ;
Mais en Oifeau prudent ,
Il céda la place à l'inftant ;
C'étoit , je crois , le parti le plus fage.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
M. le D. de N. avoit demandé à Ma
dame la M. de M. de lui donner de
fes cheveux.. Elle lui envoya une boîte
avec les Vers fuivans.
Les voilà ces cheveux depuis long- tems blanchis
!
D'une longue union qu'ils foient pour nous le
gage.
Je ne regrette rien de ce que
m'ôta l'âge ,
Il m'a laiffé de vrais amis..
On m'aime prefque autant , j'ofe aimer davantage.
L'aftre de l'amitié luit dans l'hiver des ans ,
Fruit précieux du goût , de l'eftime & du tems.
On ne s'y méprend plus, on cède à fon empire 5
Et l'on joint fous les cheveux blancs ,
An charme de s'aimer , celui de fe le dire..
Réponse de M. le D. de N.
Quo
UOI ! vousparlez de cheveux blancs E
Laiffons , laiffons courir le tems ,
AVRIL. 1777. 37
Que nous importe fon ravage !
Les tendres coeurs en font exempts ;
Les Amours font toujours enfans ,
Et les grâces font de tout âge.
Pour moi , Thémire , je le fens ,
Je fuis toujours dans mon printems
Quand je vous offre mon hommage.
Si je n'avois que dix- huit ans ,
Je pourrois aimer plus long- tems ,
Mais non pas aimer davantage.
PLAINTE A L'AMOUR ,
Pièce imitée de l'Italien.
AMOUR , Philis avoit juré
De me garder une flamme éternelle ;
A fes fermens je la croyois fidelle ;
Mais fon ardeur a peu duré.
Elle accueille en fecret l'hommage
D'un autre Berger du Hameau :
Peut-elle avoir mon coeur en gage ,
Et fe permettre un choix nouveau !"
Dieu des Amans , j'implore ta vengeance :
Mais que fes yeux font féducteurs ,
Et que je crains en ta préfence
38 MERCURE DE FRANCE.
De lui voir répandre des pleurs !
Si tropfenfibleau pouvoir de fes charmes ,
Tu n'ofes croire qu'elle ait tort ,
Amour , juge-là fur les larmes ,
Et fais du moins que nous foyons d'accord.
Par M. Dareau.
Quatrinpour mettre au bas du Portrait de
Madame la Marquife de la P...
LisISE eut tous les talens . Le premier fut de plaire,
Par fa beauté , ſon efprit & fon coeur.
L'Amour fouvent l'a prife pour fa Mère ,
Et Melpomène pour la Soeur.
Autre pour la même.
Aux charmes divins d'Uranie ,
Perfonne encor n'a réſiſté ;
Les uns cèdent à fa beauté,
Et les autres à fon génie.
AVRIL 1777. 39
Traduction littérale de la Lettre compofée
en Arabe par Coagié Naffireddin
* el
Touffi , au nom de Holakou
- Kan ,
Prince Tartare , & adreffée à Moſtaafem
, dernier Khalife.
Ovi grand Dieu ! Créateur du Ciel &
de la Terre , tu fais également ce qui eft
vifible , ce qui eft caché , & tu juges les
différends de tes ferviteurs.
Sachez que nous fommes les Soldats
de Dieu , créés dans fa colère , vainqueurs
de ceux que pourfuit fon indignation
, inacceffibles à la pitié , infenfibles
aux larmes , Dieu a ôté fa miféricorde de
nos coeurs.
* Naffireddin eft célèbre chez les Crientaux
, par les Ouvrages qu'il a compofés
fur la Logique , la Phyfique , la Géométrie & la
Théorie des Planettes . Il préfenta un Ouvrage
de fa compofition au Khalife Moftaafem , qui
le déchira en fa préfence . Naffireddin outré de
cet affront , & méditant une vengeance mémorable
, fe retira auprès de Holakou, & l'engagea
à déclarer la guerre à ce Khalife,
40 MERCURE
DE FRANCE .
Malheur malheur horrible à ceux
qui n'obéiront point à nos ordres. Déjà
nous avons ruiné les villes , maffacré les
hommes , & dévasté la terre . Notre courage
eft auffi inébranlable qu'une montagne
. Nous fommes auffi nombreux que
les grains de fable : rien n'égale la vîtelle
de nos chevaux , & la pointe aiguë de
nos lances. Notre Capitaine vient à bout
de tous fes deffeins , & nos camarades
font toujours précédés par la victoire.
Si vous recevez nos loix , & obéiſſez
à nos ordres , notre fort deviendra le
vôtre. Si au contraire vous refufez de
vous foumettre à notre joug , & perfévérez
dans votre brigandage , n'en jetez
la faute que fur vous- mêmes ; car il n'eft
point de fortereffe où vous puiffiez vous
retrancher contre nous , point d'armée
en état de nous repouffer . Alors vous
aurez beau implorer notre pitié , nos
oreilles feront fermées , parce que vous
avez violé la loi & détruit les Nations.
Pénétrez- vous d'humilité & de repentir
; car vous fouffrirez aujourd'hui la
peine de l'aviliffement .
- Vous ofez penfer que nous fommes
des infidèles , vous que nous mettons
avec raifon au rang des impies , & conAVRIL.
1777 . 4I
tre lefquels nous avons été fufcités par
le Dieu qui gouverne à fon gré les événemens
de l'univers .
Votre grand nombre auprès du nôtre
eft bien petit , & vos plus grands hommes
comparés aux nôtres , font des pygmées.
Nous avons foumis l'univers du
couchant à l'aurore , & nous nous fommes
rendus maîtres par la force , des lieux
les plus inacceffibles .
Nous vous envoyons ce manifefte : hâtez-
vous d'y faire réponſe avant que le
voile ne foit levé , & qu'il ne vous refte
plus rien . Déjà le héraut de la mort vous
crie : êtes-vous tous infenfibles ? N'entendez-
vous point le fon ( des avertif
femens ?)
La juftice préfide à nos démarches
en vous envoyant cet écrit , & répandant
fur vous les perles de ce difcours.
Adieu .
Traduit de l'Arabe par M. l'Abbé
Pigeon de S. Paterne.
42 MERCURE
DE
FRANCE
.
Portrait de Madame de S ***.
UNE ame , un coeur , du foufre & du falpêtre ,
Tour- à-tour de Zirphile animent les refforts :
Pour tracer fon portrait c'eft peu de la connoître,
Il faudroit s'élever jufques à fes tranfports.
Par fa noble fierté , c'eft une Souveraine ;
Mais par fes fentimens elle eft bien au delfus ; "
Elle eft divine , elle eft humaine ,
Sans même le douter que ce foient des vertus.
Dans les yeux , eh ! quels yeux ! une flamme électrique
Brille & jaillit de toutes parts ,
Et fur elle fixé par leur pouvoir magique ,
On ne peut éviter ni fuivre les regards.
Vers tout ce qui lui plaît , ſoit objet , foit penſée ,
Elle s'élance & le faifit ,
Par-tout ce qui la bleffe auffi- tôt repouffée
Elle s'irrite & fe roidit.
De fa flottante indifférence ,
A qui tout eft égal , à qui rien ne dit rien ,
Dans nalle occafion on ne voit fon maintien
Porter l'empreinte & la nuance ,
Elle fent tout avec excès ,
Sans que jamais cet excès foit factice ;
AVRIL. 1777.
43
Sa gaieté naturelle eft un feu d'artifice ,
Sa trifteffe un nuage épais.
Ou fon froid eft glaçant ou fa chaleur dévore ,
Tantôt un Ange , & tantôt un lutin ;
Dans des momens c'eſt mieux ou pire encore....
Mais le crayon m'échappe de la main.
LE MÉDISANT ADROIT..
CROYEZ - N
ROYEZ- NOUS , diſoit-on à Cléon l'hypocrite ,
Vengez-vous de Damis ; tous les jours en public
On le voir , déchirant vos moeurs , votre conduite,
Il n'eft rien à l'abri de fa langue d'afpic .
Amis , reprit Cléon , la justice célefte
Aproferit fagement la vengeance au Chrétien ;
Loin d'imiter Damis , hélas ! je vous proteſte
Queje voudrois pouvoir n'en dire que du bien.
Par M. Lalleman.
Vers au bas du Portrait de Mademoiſelle
de * *
Sous les mêmes attraits , dans Paphos adorée
Lagalante Vénus fut ravir tous les coeurs ;
44 MERCURE DE FRANCE.
Mais d'autant de vertus Minerve décorée ,
N'avoit pas ces traits enchanteurs ;
C'eft de R✶✶ qui fe réſerve
Tous ces avantages fans prix ;
Et fon enſemble offre à nos yeux furpris ,
Les charines féduifans que n'avoit pas Minerve ,
Et la fageffe , hélas ! qui manquoit à Cypris.
Par le même.
LE NOUVEAU MENTOR.
A Mademoifelle de ***.
VOTRE OTRE bonheur , Iris , eft d'avoir en partage ,
Et beaucoup d'innocence , & beaucoup de beauté;
Mais je tremble pour vous , vous entrez dans un
âge
Où l'Amourféducteur n'eft que trop écouté.
Ce fourbe , près de nous , ſe gliſſe avec ſoupleſſe ,
Nous étale avec artfes dons & fes appas ;
Sans doute qu'il viendra tenter votre jeuneffe ,
Vous offrir mille Amans , ne vous y fiez pas .
Eh! comment en trouver de vrais & de fidèles ?
LeDieu qui les anime eft fi faux , fi léger !
AVRIL. 1777 . 45
Auroit- il un bandeau , porteroit-il des ailes ,
S'il vouloit à jamais , avec vous , s'engager ?
Nous le voyons fans choix & fans délicateffe ,
A mille objets nouveaux prodiguer fes faveurs ;
Semblable au papillon qui tour -a-tour careffe,
Desjardins & des prés , les innombrables fleurs.
S'il triomphe de vous , fier de votrefoibleffe ,
Le traitre ira par-tout publier ſon bonheur :
La honte, les remords vous pourſuivant ſans ceſſe,
Vous perdez à la fois le repos & l'honneur.
Leurés par les appas de cet enfant perfide ,
Envain attendons - nous un agréable fort :
Al'hameçon qu'il prend le poiffon tropavide ,
Compte trouver la vie , & rencontre la mort.
Pour nous perdre , il n'eft point de piéges qu'il ne
dreife .
Dans ces brillantes fleurs un afpic eft caché.
Mortels , fuyez l'Amour , & fuivez la fageffe !
Le bonheur à fa fuite eft toujours attaché.
Mais , vous qui chériffez cette aimable Déeffe ,
A votre âge eft - on sûr d'avoir un coeur conftant :
L'Amour ne peut- il pas par force ou par adreſſe ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Vous faire un jour tomber dans les filets qu'il
tend ?
La jeuneffe eft bien- tôt ou vaincue ou féduite.
Il donne tant d'affauts , il faut tant de combats !
Iris , fur mes avis , réglez votre conduite ,
Et ce Dieu devant vous mettra les armes bas.
La pudeur fcrupuleuſe , appui de l'innocence ,
Met l'Amour aux abois , & fauve une beauté.
En voilant fes appas d'une honnête décence ,
Votre Sexe en fera beaucoup plus refpecté .
Ayez l'air impofant , gardez un froid filence ,
Cet enfant devant vous fera déconcerté ;
Souvent pour contenir la vive pétulance ,
Il ne faut que s'armer d'une noble ferté.
Craignez de la vertu l'écueil trop ordinaire ,
Du Théâtre évitez le ſpectacle amuſant ,
Du Temple de l'Amour c'eſt le vrai fanctuaire ;
Et c'cft pour l'innocence un lieu trop féduifant.
N'allez point à ces bals où la licence attire
Mille efpèces de fous traveftis & maſqués :
Sous ces mafques trompeurs , s'il fe trouve un
Saryre ,
L'honneur & la vertu font bien - tôt attaqués .
AVRIL. 1777 . 47
Un livre vous plaît -il ? Donnez-vous à l'Hiftoire ;
L'Hiſtoire , en amuſant , orne & forme l'eſprit .
Mais n'allez point falir votre heureuſe mémoire
Par ces Romans affreux que la pudeur profcrit .
L'Amour cède au travail . Occupez - vous fans ceffe .
De la table & du lit évitez les excès.
Sachez que dans une ame où régne la molleſſe ,
Ce Dieu que vous fuyez trouve un facile accès.
On en devient encor la dupe & la victime ,
Quand on jette les yeux fur d'indécens tableaux ;
Peut -on bien regarder fans danger & fans crime,
Les traits voluptueux qu'ont formés fes pinceaux !
Craignez des Courtiſans l'amitié dangereufe ,
L'amitié n'eft qu'un nom dont le couvre un
Amant.
Que de fois, pour furprendre une ame généreuſe ,
J'ai vul'Amour caché fous ce voile charmant !
Evitant un chemin rempli de précipices ,
Ce feroit y rentrer par un autre fentier.
L'Amour , pour nous tromper , eft fertile en malices
,
Et fait voir aux plus fins des tours de fon métier.
Que la fageffe, enfin, foit toujours votre guide ;
48 MERCURE DE FRANCE.
Repofez-vous , Iris , fur fon bras triomphant ;
Pour tous ceux que Pallas couvre de ſon égide ,
Ce redoutable Dieu n'eft plus qu'un foible enfant.
Par M, de la Sablonière ,
Chan. Rég.
Explication des Enigmes & Logogryphes
du premier volume d'Avril.
Le mot de la première Énigme eſt
l'Épi de blé ; celui de la feconde eft la
Clef; celui de la troisième eft la Plume.
Le mot du premier Logogryphe eft Horloge
, où fe trouvent or , loge ; celui du
fecond eft Papillotte , dans lequel fe
trouvent lit , lait , toile , pâle , ail , api,
oie , Pilote , pol , pipe , épi , paille , poil,
plaie , Io , taille , opale , pie , Pape, Ile',
aile , pale , lie , loi , Laïc & pole ; celui
du troisième eft Bonnet- quarré , où l'on
trouve bonnet & quarré.
ENIGME
AVRIL. 1777- 49
ENIGM E.
E vais fautant , danfant, & faifant bonne chère
Je fais m'infinuer dans ces lieux de mystère ,
Qu'amour ne réſerva qu'à fes feuls favoris :
La Béate dévote & le bel Adonis ,
La femme de la Cour & cet homme d'Églife ,
Le petit-Maître fat , la Prude qu'on mépriſe ,
S'empreffent à l'envi de porter mes couleurs :
Des plus fières Beautés j'atteins jufques aux coeurs,
A ce tableau , Lecteur , mon fort te fait envie ;
Mais en moi reconnois le malheur d'une vie
Qui ne tient qu'aux faveurs du Sexe féminin :
Telle, dont chaque nuit je careffe le ſein ,
Se réveille foudain , frémiſſant , en délire ,
Me cherche , & de fureur elle veut que j'expire :
Je m'élance d'un trait , preffant d'autres appass
Mais la brûlante main s'attache à tous mes pas ;
Et bien-tôt , fuccombant à fon impatience ,
Je ſens jaillir ….. hélas ! toute mon exiſtence.
Par un Amateur.
II. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Sans mon frère , Lecteur , je ferois inconnue s
Je lui dois tout l'éclat dont je brille à ta vue.
Avec lui , cependant , on ne me voit jamais ,
Et s'il vient d'un côté , de l'autre je m'en vais.
Sur la terre jadis je me vis révérée ,
Même jufqu'aux Enfers je régnois adorée ;
Mais déchue aujourd'hui de ce haut
Dieux,
rang
des
Si je n'ai plus d'Autels , j'habite encor les Cieux.
Encore un mot, Lecteur , je blanchis les campagnes
,
Et tu me vois toujours avec mille compagnes ,
Par M. le Méteyer.
AVIC
AUTRE.
VEC mon ennemi , Lucile , je partage
De paroître à tes yeux le charmant avantages.
Mais fans de fes bienfaits vouloir fixer le prix ,
Ni trahir le mystère à ta flamme promis ,
J'espère à tes defirs bien plus fouvent propice ,
AVRIL. 1777. " SL
Intéreffer ton cecair à me rendre juftice.
Que te fait mon rival ? Il fait qu'en tous les lieux
D'adorateurs jaloux tu rencontres les yeux.
Je fais bien plus ; j'amène , à l'inſa de l'envio ,
Sylvandre dans tesbras , & j'embellis ta vie..
Je voudrois bien alors , fervant la volupté .
Près de toi prolonger un tems trop limité ,
Mon rival vient , je fuis la préſence envieuſe ,
Pour venir , après lui , te rendre encore heureuſe.
Parlemême.
LOGOG RY P HE.
Ja fuis un inftrument par - tout fort en uſage ;
Du beau Sexe fur-tout je peins le coloris.
Depuis long-tems je régne, & je fers à tout âge ;
Antidote excellent , je rappelle les ris
De mes huit pieds , Lecteur , combinez la ftrueture
:
Voustrouverezle nom de deux globes charmans s
-Celui d'un animal de grotesque nature ;
Un oiſeau domeftique admiré par les chants.
De l'humide élément , la perfide Déeffe
Redoutable aux Marins par les accens trompeurs,
Vous verrez du François l'objet de la tendreffe,
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE.
Que l'Étranger vit naître , & qui vit dans nos
coeurs.
Près de vous , cher Lecteur , ce n'eft plus un my
* »... tère 5 ⠀
Peut-être mes effets yous font déjà connus.
Si je vous fais un être falutaire ,
Employez-moi , mais vantez mes vertus.
2017
"
AUTR E.
RESPECTE , ami Lecteur , la tête où je repoſe
Honore en moi toujours ton maître en toute
chofe ;
Ne crois pas que, fans peine, on puiſſe m'approcher
;
En huit pieds cependant il faudra me chercher.
Tu verras un métal que par-tout on encenſe ,
Un vafe où les Anciens, pleins de reconnoiffance,
Confervoient des Héros les cendres avec ſoin ;
L'inftrument qu'un piqueur fait réfonner au loin ;
Ce qu'on doit moins à l'art ſouvent qu'à la na¬
ture ;
Dans la Géométrie on trouve ma figure 3
"Le fiége des vertus que l'on eftime tant ;
Ce que l'on voit fans peine en nos Villes ſouvent,
AVRIL. 1777. 53
J'offre un lieu trop fécond en lâches artifices;
Où gémit la vertu , où triomphent les vices.
Aux ordres d'un Prélat toujours prêt à marcher
Celui qu'en plufieurs Cours il a fait voyager .
DANS un
A UTR E.
Ns un tems , aux regards , j'offre bien des
appas ;
Dans un autre , je fuis l'image du trépas .
Si tu ne fais comme on me nomme
Lecteur , tu peux encor chercher ;
En mes huit pieds tu dois trouver
Le plus bel ornement de l'homme ;
L'ennemi de la Reine Eſther ;
Ce qui s'avance dans la mer ;
<
Ce qu'on met tous les jours fur table ;
Un nom en Perſe reſpectable ;
Un lieu néceſſaire au Guerrier ,
Pour loger & prendre quartier :
Enfin , celui qui , dès l'enfance ,
Sert à la Cour du Roi de France.
J
Par M. l'Abbé Raux , Chanoine
à Châteaudum.
Ciij
14 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES
Idylles de Théocrite , traduites en profe.
avec quelques imitations en vers de cet
Auteur , précédées d'un Effai fur les
Poëtes Bucoliques .
Ꮮ
Hodièque manent veftigia ruris.
Hor.
A Paris , chez Piſſot , Libraire , quai
des Auguftins.
¿
L MANQUOIT à notre Langue une traduction
de Théocrite, On fait qu'il paffa
chez les anciens pour le modèle de la
poéfie paſtorale ; & Virgile l'a rendu plus
célèbre encore en l'imitant. Longepierre ,
feul parmi nous , avoit effayé d'en traduire
quelques Idylles ; mais Longepierre,
très-paffionné pour la Langue Grecque ,
reffembloit à ces Adorateurs qui ne favent
qu'honorer par leur enthoufiafme l'objet
de leur culte , & ne favent point tranfmettre
ce fentiment à d'autres. Il traita
AVRIL 1777% 55
Théocrite , en le traduifant , un peu plus,
mal encore qu'il n'avoit traité Sophocle,
dans fon Electre , & Euripide dans fa
Médée .
La nouvelle traduction de Théocrite
peut fatisfaire à la fois les gens de goût ,
& ceux qui , plus jaloux encore de s'inftruire
que de s'amufer , veulent voir de
plus près le caractère & le génie particuliers
des Ecrivains Grecs , dont plufieurs
parmi nous font plus célèbres que connus.
L'Auteur de cette traduction eft M. de
Chabanon , de l'Académie des Infcriptions,
& Belles Lettres , qui a déjà donné une
traduction des Pythiques de Pindare , où
il s'eft approché , autant qu'il eft poffible
, dans une profe harmonieufe & noble
, de la poéfie énergique & fière de ce
fameux Lyrique.
Ici M. de Chabanon a été plus hardi :
il a effayé d'imiter en vers plufieurs des
Idylles de Théocrite , & il l'a fait avec
fuccès. Nous en citerons quelques exemples.
La première Idylle a pour fujet la mort
de Daphnis , fameux Berger de Sicile ,
qui paffe pour avoir été l'inventeur de ce
genre de poéfie. Après avoir vécu quelque
temps dans l'indifférence , il aima,
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
dit-on , & ne fut point aimé. Jeune encore
, il mourut confumé d'une paffion
funefte. Le Berger expirant eft étendu
fur l'herbe. Ses troupeaux , couchés languiffamment
autour de lui , pouffent des
cris plaintifs. Les Pafteurs l'environnent ,
& l'interrogent fur les motifs fecrets de
fa douleur.
Vénus approcha de lui , dit le Poëte .
Elle déguifoit fon courroux fous un fourire
aimable . Daphnis , dit elle ,
❤Tu défiois l'Amour, & l'Amour t'a vaincu.
» O Vénus ! lui dit-il , ô cruelle ennemie !
Tu triomphes ; je touche au terme de ma vie ;
Mais jufques dans l'horreur du ténébreux fé-
≫30 jour',
Mes malheurs ferviront de reproche à l'Amour.
»Vas fous les hauts cyprès dont l'Ida fe couronne,
Près des buiffons fleuris , où l'Abeille bour
90
» donne ,
Jure au Paſteur Anchiſe une éternelle foi :
»Adonis , qui te plût , fut Berger comme moi.
Adieu belle Aréthufe ; adieu valtes forêts ;
Et vous , monftres errans , qu'ont pourfuivis mes
≫ traits ;
»Collines du Tymbris , Fleuves de la Sicile ,
HOZAVRIL 1777. 57
2 .
30
Où mes troupeaux laffés puifoient une eau tran
quille ; and
Echo qui répondois à mes chants affidus
Champs aimés , bois heureux ,je ne vous verra
» plus. dol ..
» Il dit , & repoſa ſa tête languiſſante :
»Vénus veut foulever cette tête charmante ,
Elle fent défaillir ce corps inanimé.
T
Ainfi mourut Daphnis : les Nymphes l'ont aimé,
Et les filles du Pinde ont chéri fa jeuneffe .
On trouve dans cesvers de l'agrément ,
de la douceur , une molleffe élégante ; &
cette mélancolie tendre , qui fait le carac
tère du fujet , femble avoir paffé dans le
ftyle.
La même pièce nous préfente des vers
d'un autre genre , & dont le mérite eft
'de bien rendre plufieurs détails difficiles .
Telle eft la defcription d'un vafe promis
par un Berger pour le prix du chant , &
fur lequel font repréfentées , au butin ,
plufieurs figures. Je ne citerai que ceuxci
, dont la marche , l'harmonie & les
fonts femblent être parfaitement affortis
à l'objet qu'on veut peindre.
Là , le vieil Alcidon ,fur la pénible arene ,
Cv
58
MERCURE DE FRANCE
}
Soulève un lourd filet qu'avec effort it trafne :
H marche ; on croit le voir tous les membres
roidis
Font faillit de ſon corps les muſcles arrondis.
Son front eſt déjà vieux , ſon bras eſt jeune encore.
regat
La feconde Idylle , intitulée l'Enchan
tereffe , peut paffer pour le chef-d'oeuvre
de Theocrite. On dit que Racine la
doit comme un des plus beaux ouvrages
de l'antiquité ; & il n'a pas dédaigné luimême
d'en emprunter quelques traits
pour peindre la paffion & le caractère
admirable de Phèdre Le titre indique
le fujet. C'eft une jeune fille qui fait un
enchantement pour ramener à elle fon
amant qui l'abandonne. On y trouve
l'égarement & le trouble d'une paffion
violente & malheureufe , avec la reinte
fombre d'une cérémonie magique , qui
fe fait dans le filence & l'ombre de la
nuit. C'eſt l'amante trahie qui parle ellemême.
D'abord elle indique les apprêts
du facrifice qu'elle ordonne , & qui fe
prépare fous les yeux. Elle s'écrie touta-
coup :
AVRIL 1777.
Parois , aftre des nuits , aftre pur & tranquille ;
Parois , terrible Hecate , à mes chants fois docile,
Apporte àma douleur les fecours les plus promptss
Fais choix , pour me fervir , des plus mortels.poi
fons :
Quand , parmi les tombeaux , tu marches en
filence ,
Les chiens épouvantés heurlent en ta préfence.
Art puiſſant de Circé , rendez - moi mon Amant.
Le facrifice continue , & les cérémo
nies s'achèvent. Elle croit entendre des
fons funèbres ; elle croit voir Hécate , la
Déeffe des enchantemens.
Le bruit ceffe ; par-tout régne un cafme tranquille,
Les vents fonten repos ; la mer eft immobile ;
Tout fe tait : tout fe tait! le cri de la douleur
S'élève , & retentit dans le fond de mon coeur.
O tendreffe ! ôfermens que mon Amour réclamer
Que vois-je ? Quel objet m'oſe -t- on préſenter ?
La voilà cette treffe avec art enlacée ,
Dépouille de l'ingrat entre mes mains laiffée ,
Gage de fa tendreſſe .... Ah ! périſſe à jamais
Ce gage menfonger des fermens qu'il m'a faits.
Elle renvoie une femme, confidente &
C vj
бо MERCURE DE FRANCE.
témoin de fes douleurs.
Demeurée feule ,
elle s'adreffe à la nuit ; elle fe rappelle
l'hiftoire des maux qu'elle a foufferts , le
commencement & les progrès de cette
fatale paffion. C'eft dans un Temple
c'eft au milieu d'une
pompe facrée
que
commença fon amour. Elle fe plaît à
retracerjufqu'aux moindres
circonstances
de cette fête . Hélas ! dit-elle x
A ces folennités je me vis entraînée ;
Malheureufe ! quipeut prévoir ſa deſtinée ?
Autour de moi , le lin de mes riches habits ,
Noué négligemment , flottoit en longs replis:
Delphis parut : ô jour ! jour heureux & funefte !
Il quittoit les combats de la lutte & du cefte..
>
Telle Phoebé répandun jour doux & tranquille :
Je le vis , je rougis ; interdite , immobile ,
Tout mon fang fe troubla : l'éclat de ces beaux
lieux ,
La pompe de ce jour n'attiroit plus mes yeux;
Diftraite, le coeur. plein d'une image fi chère ,,
Je revins-m'exiler fous mon toît folitaire ;
La fièvre dans mon fang alluma fes ardeurs ;
Mourante , je baignois ma couche de mes pleurs
Mess yeux s'obfcurciffoient couverts d'un voile
fombre
AVRIL 1777. GI
Elle étoit prête à mourir de l'excès de
fa paffion , quand elle apperçoit fon amant
qui franchit le feuil de fa porte , & s'avance
vers elle . A cette vue , elle pâlit ,
elle friffonne ; égarée , éperdue , elle demeure
froide ; elle ne peut proférer un
feul mot. Son amant approche , l'oeil ti
mide & baiflé :
Corinne , me dit- il , ô ma chère Corinne !
Tu me cherchois ; mes voeux ont prévenu tes
voeux : :
Oui , j'attefte l'Amour , j'en jure par les feux.
Cette.nuit , m'égarant dans l'ombre & le filence ,
J'euffe erré près des lieux qu'embellit ta préſence;
Le front orné de pourpre , & d'un feuillage épais,
De ces lieux adorés j'euffe imploré l'accès ;
Heureux de contempler l'afyle où tu repoſes ,
Heureux de refpirer fur tes lèvres de roſes..
Que la voix d'un Amant perfuade fans peine !
Déjà ma raiſon cède au charme qui l'entraîne :
Mes bras demi- vaincus réſiſtent mollement ;
Et mabouche s'entrouvre au baifer d'un Amant..
Preffé contre mon ſein , ſon ſein tremblant s'agite.
Elle exprime tous les tranfports de l'amour,
& livreffe d'une pallion heureuſe ;
62 MERCURE DE FRANCE.
mais les tourmens fuccèdent à fon bonheur.
On lui annonce qu'on a vu le lie
de fon amant paré de fleurs offertes par
une main étrangère. Elle ne doute plus
qu'il ne foit coupable. Déjà douze fois
le foleil s'eft levé depuis qu'elle n'a vu
cet amant parjure. Elle achève ſes imprécations
magiques , qu'elle termine pan
ces quatre vers.
Pbébé, Reine des nuits, retourne au fein de l'onde
Mavoix n'enchaîne plus ta courfe vagabonde :
Vous qui fuivez fon char & qui formez -fa Cour,
Aktres , diſparaiſſez , & faites place au jour,
Telle est la marche de cette Idylle , qui
a quelque chofé de l'intérêt d'un Drame ,
& où le Poëte Gree & fon Traducteur
ont réuni tous deux la grace avec la force .
Qu'on la compare aux Ouvrages de ce
genre que nous avons dans notre Langue
, & où des Écrivains de beaucoup
d'efprit ont voulu fubftituer à la peinture
des paffions , cette galanterie Fran
coife , toujours froide , même lorfqu'elle
amufe , parce qu'elle n'eft jamais qu'un
jeu de l'imagination ; & qu'au lieu de la
nature, qui eft de tous les temps , elle ne
AVRIL 17770- 63
repréfente que des conventions & des
modes.
Ce recueil offre plufieurs Idylles d'un
genre différent , mais qui toutes ont quelque
chofe de piquant dans le deffein.
Telle eft , par exemple , l'entretien de
Daphnis & d'une Bergère , ou le mariage
par rencontre. La vivacité du Dialogue ,
& l'ingénuité de la Bergère , qui , tour
à-la-fois timide & curieufe , attire en
repouffant , cède en paroiffant toujours
fe défendre ; & , par fes queſtions même ,
trahit la foibleffe fecrette de fon coeur :
tout concourt à faire de cette Idylle une
pièce charmante.
Je citerai encore le mariage de Naïs ,
Idylle très-agréable . Le fujet eft une Bergère
difputée par deux rivaux , & qui
doit être le prix du chant. A la tête de
I'Idylle , eft une efpèce de Prologue fur le
contrafte des moeurs actuelles en amour ,
& de ces moeurs antiques des Bergers
Ce Prologue , qui eft tout entier du Tra
ducteur, eft d'une poéfie aimable & fa
cile.
Le Cyclope eft d'un ton plus élevé.
Ceft Poliphème amoureux de Galathée
, Nymphe de la mer. Affis fur un
rocher , il chante la Nymphe qu'il aime ,
64 MERCURE DE FRANCE.
& l'invite à fortir du fein des flots,
Tandis qu'il chante ,
L'air s'agite & murmure ;
Un mouvement foudain a troublé la Nature.
Les vieux pins de l'Etna, de leurs fronts verdoyans
Courbent, avec lenteur, les rameaux ondoyans.
La mer, en un moment, a blanchi fa ſurface ,
Et le flot fur le flot , croît , s'élève & s'entaffe.
Poliphème , attentif à tous ces mouvemens ,
Croit , efpère déjà , ( vaine erreur des Amans ) ,
Que la courfe des vents , que la mer agitée ,
Vont ramener vers lui l'aimable Galathée. :
Plein de trouble , il fe lève , il palpite , il frémit
It marche ; fous fes pas l'Etna tremble & gémit .
Loin du bord il s'avance , il fend l'onde écumante,,
Et femble, à chaque flor , demander fon Amante.
•
Certe Idylle préfente l'idée d'un géant
terrible , adouci par les charmes de l'amour
, & qui mêle à l'expreffion de fa
tendreffe , des images empruntées de
tous les objets champêtres qui l'envi
ronnent. Elle a tout à-la-fois un caractère
doux & fauvage ; & ces deux tous
de couleurs , font fondus enfemble avec
plus d'art & de goût , que peut- être
Ovide n'en a mis dans l'endroit de fes
ad
AVRIL. 1777. 65
métamorphofes , où il a imité ce même
morceau de Théocrite.
Toutes ces imitations en vers font
précédées d'une Épître , dont le fujet
eft analogue à des poéfies de ce genre.
Elle eft adreffée à M. Thomas . L'Auteur
fe propofe de prouver que les
moeurs & les ufages , amenés par le
luxe , font contraires au véritable goût
des arts ; qu'il y a un terme jufqu'où
la nature peut être embellie ; mais qu'au
delà , elle perd fon caractère , & que
tous les ornemens qu'on y ajoute , ne
fervent plus alors qu'à la défigurer ;
qu'il faut donc fe rapprocher de cette
nature qui , dans fa fimplicité même.
a un charme fecret qui intéreffe , &
dont la vue a quelque chofe de plus
doux & de plus touchant que toutes
les beautés factices qu'on a cherché à
fubftituer dans la fociété comme dans
les arts. Pour développer cette vérité
l'Auteur de l'Épître n'a point employé
des raifonnemens métaphyfiques , qui
ne peuvent s'accorder avec le langage
de la poéfie il a deffiné & peint plufieurs
tableaux en contrafte les uns avec
les autres . Tous ces tableaux font agréa
bles , & le ftyle général de l'Épître a
y
66 MERCURE DE FRANCE.
de la douceur , de la correction & de
l'élégance.
M. de Chabanon , dans les Idylles qu'il
a imitées en vers , ne s'eft attaché qu'à
celles qui fe rapprochoient un peu plas
de notre goût , foit par les fentimens
foit par les tableaux . Il y a quelquefois
dans les anciens , des beautés qui nou
font étrangères. Elles tiennent le plus
fouvent à des détails de moeurs , que
nous aurions peine à pardonner , parce
que de toutes les Nations modernes
nous fommes peut- être celle qui fait le
moins fe tranfporter hors de fes moeurs
& de fes ufages. Le François qui lit
reffemble affez au François qui voyage ;
il veut retrouver la France partout. Au
théâtre même , la plupart de nos Poëtes
ont été obligés de fe conformer à cette
foibleffe ou à ce befoin ; & , en peignant
des moeurs étrangères , ils les ont
rapprochées par des nuances adroites ,
des moeurs nationales . M. de Chabanon ,
dans fes Idylles en vers , à fuivi ces règles
de goût ; il a adouci ou effacé les traits qui
auroient pu bleffer notre délicateffe ; mais
pour fatisfaire en même- temps ceux qui
veulent connoître Théocrite tel qu'il eft ,
& ne peuvent le lire dans fa propre Lans
AVRIL 1777. 67.
gue , il en a donné une traduction exacte
en profe .
Čette traduction , outre le mérite de
la fidélité , a celui de l'élégance & de,
l'harmonie . Elle paroît d'un bout à l'au
tre écrite avec foin , à quelques négli
gences près , qu'il eft facile de corriger .
On y a blâmé auffi quelques inverfions
un peu trop poëtiques , qui , peut- être ,
font déplacées dans la profe , ou aux-,
quelles du moins notre oreille n'eft point,
accoutumée. D'ailleurs , chaque Idylle,
eft enrichie de notes , qui tantôt fervent
à éclaircir le texte , tantôt expliquent
des ufages ou des proverbes auxquels
le Poëte fait allufion. On y retrouve
auffi tous les paffages que Vir
gile , Horace , Ovide & Tibulle , &
quelques Poëtes modernes ont imités
de Théocrite. Cette érudition , pleine
de goût , inftruit à la fois & intéreffer
L'Ouvrage entier eft précédé d'un
Effai fur la poéfie paftorale , & les Poëtes
bucoliques de toutes les Nations . Théocrire
, Bion & Mofchus , chez les Grecs ;,
Virgile , Pétrarque , Bocace , l'Auteur
de l'Aminte , & celui du Paftor Fido ,
en Italie ; parmi nous , Racan , Ségrais
& Mde Deshoulières ; Fontenelle , qui
68 MERCURE DE FRANCE.
ne porta dans ce genre que la grace de
l'efprit , fans prefque jamais avoir celle
de la fenfibilité ; & la Morte , qui fut
encore plus loin de Virgile dans fes
Eclogues , que de la Fontaine dans fes
Fables ; qui prit des formes poëtiques
pour de la poéfie , & l'analyse du fentiment
pour le fentiment même : enfin ,
Pope en Angleterre , & le célèbre Gefner
en Allemagne , font appréciés & jugés
tour -à -tour dans cet Effai . L'Auteur
donne plufieurs raifons auffi ingénieufes
que fines du goût que la plupart des
Poëtes Allemands ont pour le genre de
l'Idylle , & pour la defcription des beautés
de la nature ; goût qui s'introduit à
peine en France depuis quelques années.
Nous invitons à lire ce chapitre dans
l'Ouvrage même.
On ofe réclamer ici fur le jugement
un peu févère que l'Auteur de l'Effai
a porté de Mde Deshoulières . Elle a
mis , dans la plupart de fes poéfies , un
fentiment doux & tendre , qui femble
demander grace pour le peu de variété
de fes idées ; & cette efpèce de molleffe
qu'on lui reproche , eft un charme de
plus dans les genres où l'ame femble
abandonnée à elle - même , & où le
AVRIL 1777 .
69
Poëte paroît n'écrire que pour foi , fans
fe douter qu'il ait des témoins qui l'obfervent
& qui l'écoutent. Rouffeau , qui
lui avoit déjà fait ce reproche , & qui ,
dans fes belles Odes , mérite notre admiration
à tant d'égards , femble rechercher
, dans tous fes Ouvrages , une perfection
trop laborieufe : il jugea plus
Mde Deshoulières d'après le caractère
de fon efprit , que d'après les règles générales
du goût. Car prefque tous les
jugemens fur les autres , font un retour
fecret fur nous-mêmes .
A l'égard du jugement parté par l'Auteur
de l'Effai fur la feule Eclogue que
Rouffeau lui-même ait compofée , nous
ofons être entièrement de fon avis ,
quoique quelques perfonnes de goût
femblent être d'un avis contraire. Il eſt
-vrai que les vers en font très-bien faits ;
mais ils ont tant de correction , qu'ils
manquent de douceur & de grace : toutes
les images font champêtres , & le ton
de l'Éclogue ne l'eft pas. Rouffeau , dans
cet Ouvrage , a prefque tout emprunté
de Virgile , excepté fon ame & fon efprit:
Il reffemble à ces Acteurs que nous
voyons quelquefois fur nos théâtres ,
qui , dans des Paſtorales , prennent des
70 MERCURE DE FRANCE.
A
habits de Bergers ; mais dont les at
rades , la phyfionomie & les regards
décèlent trop que c'eft un rôle étranger
qu'ils jouent.
Nous avons indiqué la plupart des
objets compris dans ce volume intéreffant.
Il a de quoi plaire aux gens de
lettres , aux gens du monde , s'ils veulent
bien ne pas tout rapporter aux moeurs
de la fociété où ils vivent ; & les Amateurs
de l'antiquité , dont l'état eft de
voyager fans ceffe hors de leur pays &
de leur fiècle , pourront encore trouver
à s'y inftruire. Nous croyons que c'est
un des Ouvrages de littérature les plus
eſtimables dans fon genre qui aient paru
depais quelques années.
Précis de l'Hiftoire Univerfelle , avec
des réflexions ; par M. l'Abbé Berardier
de Barant , ancien Profeffeur d'éloquence
en l'Univerfité de Paris ;
nouvelle édition , corrigée & augmentée.
A Paris , chez Berton , Libraire
, rue Saint-Victor , vis-à-vis le
Séminaire Saint-Nicolas.
L'étude de l'hiſtoire feroit bien vaine ,
le fruit qu'on fe propofe den tirer,
AVRIL 1777. 71
fe bornoit à retenir une fuite de faits
mémorables & d'époques certaines . Un
intérêt plus férieux & mieux raifonné , a
de tout temps déterminé les hommes à
confidérer avec attention l'admirable tableau
que leur préfente cette Reine des
fciences , ainfi nommée , non-feulement
parce qu'elle eft la fcience propre des
Rois , mais encore parce qu'elle eſt éga
lement utile aux Philofophes , en fourniffant
des exemples à la morale auffi
bien qu'à la politique. Auffi voit-on les
Princes , & tous ceux qui gouvernent
les Empires , chercher dans l'hiftoire des
règles de conduite , lorfqu'ils fe trouvent
dans des conjonctures embarraffantes
ou des lumières pour pouvoir pénétrer
dans l'avenir , lorfqu'ils craignent de ne
pas réuffir dans l'exécution de leurs deffeins
. On voit également les Sages puifer
dans la même fource , les exemples fur
lefquels ils fondent leurs préceptes , afin
d'attacher les hommes à la vertu par l'efpoir
certain d'une glorieufe récompenfe ,
ou de les détourner du vice par la crainte
des malheurs qui en font inféparables .
C'eft l'hiftoire enfin qui , formant dans
tous ceux qui la cultivent , une expérience
anticipée , donne à lear raiſon une ma72
MERCURE DE FRANCE.
turité qui devance l'âge , les met à l'abri
de toute furpriſe dans les événemens
imprévus , affermit leur courage , étend
leurs vues , & leur fait regarder d'un
il tranquille la fluctuation des chofes
humaines , & l'alternative continuelle des
profpérités & des revers. L'hiftoire peur
encore être regardée comme un tribunal
redoutable où le vice , long- temps impuni
ou même triomphant , eft enfin dégradé
de cette élévation qu'il avoit ufurpée ,
& livré pour toujours au mépris des races
futures : où la vertu opprimée & malheureufe
, reçoit auffi le jufte tribut qui
lui eft dû , l'amour & l'admiration des
fiécles à venir.
Mais , quelque grands que
foient ces
avantages , il en eft encore un auquel on
penfe peu , & qui eft cependant d'un
ordre fi fupérieur , que fans lui les autres
ne font rien , ou fe réduisent à très- peu
de chofe c'est celui de nous convaincre
;
intimement que Dieu gouverne tons fes
Ouvrages avec une autorité abfolue , de
nous découvrir les refforts principaux que
fa profonde fageffe met en oeuvre pour
donner le branle à toutes les affaires , &
de nous apprendre quel eft le but auquel
tendent les grands événemens , & les
révolutions
AVRIL. 1777- 73
révolutions furprenantes qui arrivent dans
le monde.
par
fon or-
En vain l'homme féduit
gueil , s'imagine -t -il être le maître des
événemens dans lefquels il intervient
En vain fe flattet-il que fa prudence
lui a fait choifir les moyens les plus
convenables affortis à fes deffeins , &
que c'eſt à fon habileté à manier les
efprits , qu'il doit l'avantage du fuccès.
Il ne peut pas fe diffimuler, s'il
eft de bonne foi , que rarement fes
vues font pleinement remplies , & que
fi elles le font , la docilité de ceux
avec qui il a eu à traiter , a été moins
l'effet de fa fupériorité fur eux , que celui
des circonftances où ils fe font trouvés :
il doit auffi avouer que ces circonftances
font rarement fon ouvrage , & qu'il n'a
fouvent d'autre mérite , que celui de les
mettre à profit.
Ainfi , quelque libre que l'homme foit
dans fes penfées & fes actions , il refte
roujours dans une entière dépendance
de celui qui difpofe des circonftances
felon fes deffeins éternels , qui donne ,
comme il lui plaît , la fageffe & le courage
aux uns & les refufe aux autres , &
qui lâche la bride aux paffions ou les
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
retient à fon gré. Or , la philofophie
Chrétienne nous enfeigne que c'eſt à
Dieu feul que ce pouvoir appartient.
C'est lui qui , fans bletler cette liberté
effentielle à toute créature raiſonnable ,
Ja fait fervir à l'exécution de fes deffeins.
i i..! ...!
Ce que nous difons en général , & que
chacun de nous peut éprouver en particulier
, devient d'une évidence palpable
dans la formation , la décadence & la
chûte des états. C'eft- là qu'avec un peu
d'attention , on reconnoît que ces révolutions
qui nous frappent fi vivement ,
ont leur première origine dans des événemens
qui ne dépendent en aucune
manière des hommes. La naiffance &
la mort des Princes , leur poftérité plus
ou moins nombreufe , la perte ou le gain
des grandes batailles , font les preniiers
moyens que Dieu emploie pour changer
la face de la terre , faire fuccéder les
Empires les uns aux autres , élever &
renverfer les Royaumes. Le fruit princi
pal que nous devons retirer de l'hiftoire ,
doit donc être de nous faire remonter
·juſqu'à cette main fupérieure qui conduit
ces grands événemens , & qui les
fait fervir toujours à l'exécution de fes
deffeins.
AVRIL. 1777. 75
»
: « Je regarde donc l'étude de l'histoire ,
( dit M. le Chancelier d'Agueffeau ,
tome premier de fes Euvres ) comme
» l'étude de la Providence , où l'on voit
que Dieu fe joue des fceptres & des
Couronnes ; qu'il abaiffe l'un , qu'il
» élève l'autre , & qu'il tient dans fa
main , comme parle l'écriture , cette
coupe myſtérieufe , pleine du vin de
fa fureur , dont il faut que tous les
pécheurs de la terre boivent à leur
» tour ..... Si Dieu ne parle pas tou-
» jours , ajoute cet illuftre Magiftrat ,
» il agit toujours en Dieu. Sa conduite
peut être plus ou moins manifeftée
au dehors ; mais au fond , elle eſt tou-
» jours la même ; elle fe montre par-tout
» à quiconque a des yeux pour la recon-
27
落
noître ; & comme la contemplation des
» chofes naturelles nous élève , par degrés,
jufqu'à la première caufe phyfique qui
influe en tout , & fans laquelle tous
les autres êtres font ftériles & impuiffans
; ainfi l'étude des événemens humains
nous ramène à la première caufe
» morale de tout ce qui arrive parmi les
hommes : enforte que ceux qui ne
trouvent pas Dieu dans l'hiftoire , &
qui ne lifent pas fa grandeur , fa puiſ-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fance , fa juſtice dans les caractères
» éclatans qu'elle en trace à des yeux
éclairés , font auffi inexcufables que
» ceux dont parle S. Paul , qui , à la vue
» de l'univers , de l'ordre , du concert
» & de la proportion de toutes fes parties
, s'arrêtoient à la créature , fans
remonter au Créateur.
» C'eſt ainfi , dit-il à fes enfans , que
l'étude de l'hiftoire , fondée fur les
principes de la vraie philofophie , c'eſt-
» à -dire , de la Religion , nourrit la vertu ,
élève l'homme au deffus des chofes de
la terre , au- deffus de lui- même , lui
infpire le mépris de la fortune , fortifie
fon courage , le rend capable des plus
grandes refolutions , & le remplit en-
» fin de cette magnanimité folide & véritable
, qui fait non-feulement le Hé-
» ros , mais le Héros Chrétien » .
"
iss
Peut-on ne pas regretter , en admirant
la nobleffe du pinceau avec laquelle
ce grand Magiftrat a tracé les avantages
de l'hiftoire , qu'il n'ait pas pu confacrer
une partie de fon loifir à nous donner
l'hiftoire de fa Nation . On l'auroit vu
bientôt affis à côté des Thucidides & des
Tacites , comme il l'a été dans le Sanctuaire
des loix à côté des Licurgue &
* 777. 79
A VR
des Solon. Il a lai
vrage bien propr
égard , les regre
vie de fon père
pour l'inftruction
qui a toujours é
chef- d'oeuvre d'é
ment , par tous
heur de la lire .
our en progiateur
, il
gle dans
leau :
78 MERS
tique des
crit
tes
a ofé foutenir que la Religion Chictienne
n'étoit propre qu'à rendre l'homme
ifolé , pufillanime & indifférent pour
les intérêts de fa Nation , en lui infpirant
de vaines terreurs , ou en le détachant
trop
de toutes les chofes d'ici- bas ,
c'eft venger cette même Religion contre
tous ceux qui la calomnient , & contribuer
au bonheur de la fociété , que
de mettre au jour la vie de ces hommes
rares qui ont fçu concilier , comme
le père de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
le refpect pour la Religion , & la pra-
Cent volumes de Sermons , difoit le fameux
Bayle , ne valent pas cette vie-là ( en parlant de
celle de M. Pafcal ) & font beaucoup moins
capables de défarmer les Impies . L'humilité & la
dévotion extraordinaire de M. Pafcal , mortifient
plus les libertins , que fi ou lâchoit fur eux une
douzaine de Miſſionnaires.
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE.
tique des devoirs auftères qu'elle prefcrit
, avec tous les talens fublimes & toutes
les vertus patriotiques que le monde
révère. Citoyen zélé , fujet fidèle , père
tendre , ami des malheureux , Magif
trat incorruptible , habile Jurifconfulte
& homme d'État , le père de M. le
Chancelier d'Agueffeau avoit fçu réunir
toutes ces qualités au plus haut degré ,
& les mettre fous la fauve-garde d'une
piété tendre & éclairée qui ne fe démentit
jamais. Defpréaux , ce jufte appréciateur
du mérite , le dépeignit d'un feul
trait , en difant de lui d'un ton prefque
chagrin C'est une vertu qui défefpère
l'humanité. D'après cette idée , fi bien
juftifiée par toutes les actions de la vie
de ce Magiftrat , pourroit-on ne pas defirer
ardemment la publication d'un Ouvrage
où elles fe trouvent confignées ?
Telle eft la deftinée des perfonnes.
conftituées en dignité. Leurs exemples
trouvent toujours des imitateurs , &
leurs moeurs forment bientôt les moeurs
publiques . Ainfi , l'hiftoire qui nous les
tranfmet , & qui n'eſt autre choſe que la
morale miſe en action , devient la meilleure
de toutes les Ecoles.
C'eft fous ce point de vue que M. l'A.
B. confidère l'hiftoire des Empires &
AVRIL. 1777. 79
des grands hommes . Mais , pour en profiter
, dit le judicieux Abréviateur , il
faut de l'ordre & de la méthode dans.
la lecture . L'hiftoire eft un vafte tableau :
pour juger de fon prix , l'oeil doit ſaifir
fon ordonnance : c'eft une riche architecture
; il ne fuffit pas d'examiner un portique
, un périftile , une galerie , il faut
en découvrir l'enfemble & les rapports :
c'eſt une excellente Tragédie ; vous affiftez
au dénouement , fans en avoir fuivi
l'action & l'intrigue ; vous en rappor
rez quelques vers , quelques épifodes ;
c'eft affez pour vous faire applaudir dans
nos cercles brillans , mais non pas pour
vous faire porter de la pièce un jugement
équitable.
Pour prévenir ces inconvéniens , l'Auteur
du Précis enfeigne qu'il faut commencer
par fe faire un plan général &
raccourci de l'hiftoire du monde entier.
Lorfque , d'un coup- d'oeil , on en faifiroit
l'enchaînement depuis la création jufqu'au
Meffie , & de- là jufqu'à nos jours ,
il feroit aifé de mettre de l'ordre dans
les connoiffancés de détail. Ce feroit un
vafte répertoire , où viendroient naturellement
s'enchâffer les hiftoires particulières
des Empires , des Provinces , des
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
grands hommes : plus de défordre , plus
de confufion à craindre : un fait en amèneroit
un autre ; & l'efprit , prefque fans
effort , verroit la liaifon des événemens ,
les intérêts de ceux qui agiffent , les
effets & les vices de leur conduite. Ainfi
les caractères , dans la main de l'Imprimeur
, viennent prendre leurs places , &
par leur union , forment un tout auffi
utile qu'ingénieux .
M. Boffuet fentit autrefois la jufteffe
de cette idée , & ce fut le plan qu'il
fuivit pour former le coeur & l'efprit du
Prince , qui fembloit devoir être un jour
la gloire & le bonheur des François .
Dans cette vue , il fe propofa de renfermer
dans les bornes d'un difcours
l'histoire du monde : il l'eût exécuté >
fi fa vie eût été auffi longue que fon
génie étoit vafte. La mort nous a ravi
une partie de ce bel Ouvrage . L'Auteur.
du Précis , content de fuivre les traces
de ce grand homme , s'eft propofé ſeulement
de faciliter la connoiffance de
l'hiftoire , & de placer , pour ainfi dire
fous un feul point de vue , le grand
fpectacle de l'univers. Son ouvrage ,
par le choix des événemens , &, par les
réflexions judicieufes qui les accompa - 1
›
AVRIL. 1777 .
81
gnent , peut fervir d'introduction & gui
der les pas de ceux qui fe livrent à cette
étude , fi néceffaire & fi agréable. Ignorer
ce qui s'est fait avant nous , dit Cicéron
, c'eft être toujours enfant. Qu'eft- ce ,'
en effet , la durée de l'homme , fi le'
fouvenir des chofes paffées n'unit point
fa vie avec les temps qui l'ont précédée ?
, que
Au rette , l'Auteur du Précis n'a nullement
prétendu , en indiquant les faits
de la manière la plus fuccinte , difpenfer
le Lecteur du foin d'aller puifer dans les
fources , ou du moins de confulter les
grands Ouvrages hiftoriques que nous
pollédons. Il a plutôt cherché à fournir
à ceux qui s'étoient livrés à une longue
étude , une efquiffe propre à leur rappeler
en un inftant tout ce qu'ils ont
appris. C'eft ainfi que fon Ouvrage eft
également utile à ceux qui commencent
cette étude , & à ceux qui y ont déjà
fait des progrès.
Cathéchifme Philofophique , ou Recueil
d'Obfervations propres à défendre la
Religion Chrétienne contre fes ennemis
, par M. l'Abbé Flexier de Reval.
A Paris , chez Berton , Libraire , rue
Saint-Victor.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
:
Les grands Catéchifmes que nous poffédons
, ont été publiés dans des époques
où l'efprit d'indépendance & de
contention n'avoient point encore cherché
à ébranler les principes lumineux qui
ont conduit nos pères à la Religion Chrétienne.
Les attaques étoient alors trop
obfcures & trop ifolées , pour ofer leur
donner de la célébrité par des réfutations
volumineufes mais le fiècle où
nous vivons , exige qu'on infifte fur les
preuves victorieufes de la vérité de notre
Religion , & qu'on les rende familières
& afforties à tous les efprits. Tel eft le
butque
s'eft propofé & qu'a fi bien rempli
l'Auteur du Catéchifme , fi juftement
appelé Philofophique . En effet , la
vraie philofophie mène à la Religion ,
parce qu'elle feule eft en état de
bien apprécier l'affemblage de toutes les
preuves qui établiffent la néceffité de la
révélation , la vérité des Livres faints ,
la fainteté des dogmes , & la pureté de
la morale Chrétienne . Notre Catéchifte
a fu réunir avec un choix judicieux , toutes
ces différentes preuves , & en a formé
comme un corps de lumière capable de
diffiper tous les nuages. Abfurdités inconcevables
de l'Athéifme , détruites de
1
AVRIL 1777. 83
&
fond en comble par l'admirable concert
des preuves de l'existence d'un Être Suprême
; fpiritualité , immortalité ,
liberté de l'ame , démontrées avec l'éloquence
d'un Orateur Philofophe ; les
rapports de nos efprits avec Dieu , rendus
auffi fenfibles que ceux des corps
entr'eux ; bornes & infuffifance de la
raifon humaine , qui fervent à nous montrer
la certitude de la révélation divine ;
caractères éclatans qui diftinguent cette
révélation , & qui la mettent fi fort audeffus
des doctrines des meilleurs Philofophes
de l'antiquité ; multitude de Prophéties
qui ont annoncé , dans le plus
grand détail , les différens caractères du
Meffie , & qui ont été vérifiées & accom
plies fenfiblement dans la perfonne de
Jefus-Chrift : Prophéties fi bien circonftanciées
, qu'elles femblent plutôt des
hiftoires que des prédictions ; vérité des
miracles
rapportés dans les livres de
l'ancien & du nouveau Teftament
avoués par les Juifs & par les Payens ,
& d'un caractère au-deffus de tout foupçon
d'impoſtures témoignage unanine ,
conftant & invariable , que les Apôtres.
ont rendu à la Religion de Jefus Chrift
lequel témoignage eft revêtu de toutes
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
les preuves que l'on peut exiger des témoins
également inftruits & irréprochables
; miracles nombreux opérés par les
Apôtres même , qu'on ne peut comparer
aux faux prodiges des impofteurs , qu'en
renonçant à la bonne foi & à une faine
logique ; courage & patience forhumaine
des Difciples de Jefus-Chrift au miheu ,
des tourmens les plus affreux ; progrès.
étonnant & rapide de l'Evangile dans
tous les pays du monde , fans le fecours
d'aucun appui humain , au milieu des
plus fanglantes perfécutions , & d'une
confpiration générale pour l'étouffer dès
fa naiffance. La vengeance terrible que
la Juftice divine a fait éclater fur le peu
ple Juif en punition de fon incrédulité &
de fon attentat contre la perfonne du fils
de Dieu , par l'affreufe deftruction & la
défolation de la ville & du temple de Jérufalem
, & le prodige toujours fubfif
tant de fa confervation parmi les différentes
Nations où il eſt répandu , ſans
jamais s'être confondu , durant une longue
fuite de fiècles , avec aucun peuple ,
& fans s'être départi de fon attachement
inviolable à la Loi de Moyfe , à fes Prophêtes
, à fes Livres facrés , à l'efpérance
d'un Meflie qu'il attend encore vaineAVRIL.
1777.
ment , quoique les termes fixés pour le
temps de fa venue foient tous écoulés
depuis long-temps. Dans un fpectacle
fi fingulier , expofé aux yeux de toute la
terre , peut-on ne pas reconnoître un
effet admirable de la divine Providence
qui , en faisant éclater fa jufte colère fur
ce peuple incrédule , veut néanmoins
qu'il fubfifte perfévéramment , non-feulement
pour qu'il foit un témoin perpétuel
& non fufpect des anciennes Prophéties
qui ont précédé de plufieurs fiècles
la venue du Libérateur , mais encore ,
comme la Religion nous l'apprend , afin
de lignaler un jour envers lui fa grande
miféricorde , en lai ôtant le voile épais,
qu'il a fur les yeux , & en lui faifant reconnoître
& adorer , avec les fentimens
d'une foi vive & du repentir le plus
amer, de même Jefus de Nazareth que
fes pères ont crucifié , & qu'il blafpheme
encore lui-même : l'accompliffement
palpable des deux grands événemens
clairement prédits par les Prophetes , qui
ont annoncé , en premier lieu, comme une
des fuites les plus remarquables de la venue
du Mffie , que les Nacions , jusqu'alors
plong es dans l'idolâtrie , crai
roient en lui , adoreroient le feul vrai
88 MERCURE DE FRANCE.
"
ce Catéchifme , qui feul fournira aux fidè
les , toutes les armes fpirituelles, dont ils
ont befoin pour repouffer les attaques des
ennemis de la Religion Chretienne. Les
Lecteurs de tout âge y trouveront des
inftructions folides , & même une érudition
variée qui intéreffe & qui attache.
Quant aux excurfions qu'on a cru devoir
faire par rapport aux difputes théologiques
, nous nous en tenons aux fages
réflexions du Catéchifte : « Le caractère
» de ces difputes , dit-il , parmi les Théologiens
fages , eft , 1º. de n'embraffſer
jamais des matières décidées fur lefquelles
l'écriture ou l'Eglife ont porté
un Jugement ; & tandis que lés Philofophes
ne s'accordent fur rien , pas
» même fur l'existence de Dieu , comme
» nous l'avons montré plufieurs fois , les
Théologiens font d'accord fur tout ce
qui importe à la Religion in neceſſa-
» riis unitas, 2°. D'ufer d'une liberté
» éclairée dans des chofes vraiment dou-
» teufes ; de n'affecter ni la fingularité , ni
l'audace , & de donner comme incertain
ce qui l'eft effectivement : in dubiis
» libertas. 3 ° . De conferver inviolable-
» ment la charité , & de ne jamais aigrir
les coeurs en faveur d'une opinion : in
"
N
K
AVRIL 1777 . 89
omnibus caritas » . Qu'on faffe une jufte
application de ces principes , & nous
jouirons d'une paix folide & durable .
Hiftoire de Lorraine , par M. l'Abbé
Bexon , tom. I , in-8 ° . A Paris , chez
Valade ; à Nancy , chez Babin , &
les principaux Libraires .
Cet Ouvrage , annoncé déjà depuis
quelque temps , paroît répondre au defir
& à l'attente du public. L'hiftoire de
Lorraine , toute intéreffante qu'elle eft ,
n'avoit point encore été traitée de manière
à s'attirer des Lecteurs ; celle - ci ,
artache & plaît en même-temps. Une
louange non équivoque pour un Ouvrage
, eft celle qu'on peut tirer de luimême
en le citant : voyez le début d'un
grand tableau des premiers temps &
des premiers peuples du pays.
Cette terre où nous vivons aujour
d'hui , ( mais elle avoit alors un autre ,
afpect ) fut habitée par les Belges les
» plus fiers d'entre les Gaulois. Un fol
que la main de l'homme n'avoit en- ,
» core ouvert qu'en quelques endroits ,
fe couvroit prefque par- tout de vaftes
n forêts , à travers lefquelles couloient ,
22
90 MERCURE
DE FRANCE.
» s'étendoient des rivières , dont rien
n'arrêtoit , ne précipitoit le cours. Sur
» ces bords où l'homme & la nature
» étoient libres ; fous un ciel plus froid ,
chargé de plus d'humidité , voilé par
» un ombrage éternel , erroient , fe fixoient
les peuplades des Gaulois mê-
» lées avec les troupes des Germains...
» Soit que la nature du climat ne fut
point encore affez uniforme , foit que
» le commerce & les arts n'euffent pas
» encore réuni affez d'intérêts ' pour
»former un grand corps de Nation ,
» les peuples de la Belgique , divifés par
» cantons & par peuplades , voifines encore
de la fimplicité de l'état Sauvage ,
» n'avoient pu s'affembler & s'unir pour
compofer un État; & nous n'apprenons
leurs différens noms qu'à mefure que
»les Romains les eurent fucceffivement
» à combattre . Céfar étoit entré dans
les Gaules. L'orient & le midi fubjugués
, Rome portoit aux bornes du
couchant fa grandeur & fon orgueil.
" Il falloit que tout s'abaifsât devant elle ,
» & que tout peuple fut fon efclave.
» Tel fut fon génie , que l'on admire ;
tel fut fon afcendant , que l'humanité
» détefte. Les Empires étoient briſés ,
.
AVRIL. 1777 . 91
» les Rois abattus à fes pieds : il lui
» reftoit à venir troubler ces plages
où régnoit la nature paifible & foli-
» taire. Ces forêts profondes , ces rives
» d'un océan inconnu , une terre qui
» n'avoit vu encore que fes propres en-
» fans , s'étonnèrent & s'émurent , quand
l'aigle Romaine parut fur cet horifon
fauvage , à fon extrémité feptentrio-
" nale , & c. "
و د
M. L. B. fuit & remplit le plan qu'il
s'eft propofé : trois Difcours renferment ,
dans une expofition rapide , mille ans de
révolutions. Les Belges conquis par les
Romains ; ces maîtres du monde entrainés
à leur tour par le torrent des barba
res ; l'Auftrafie formée au fixième ſiècle ,
& des débris de ce Royaume , la Lorraine
naiffante au dixième , forment l'introduction
de fon hiftoire. M. L. B. y
renferme non- feulement les événemens
dont la fuite amène à la formation de
l'Etat , & aux premiers règnes des Ducs
de Lorraine ; mais il parcourt encore tous
les reftes d'antiquités qu'on remarque
dans le pays ; & , fur cet objet curieux , fes
recherches étendues paroiffent ne laiffer
rien à defirer. C'eft avec fierté qu'il trace
les premiers traits de ce grand tableau.
22 MERCURE DE FRANCE .
Les Gaules , dit- il , vont ne plus offrir
» qu'invafions & ravages de barbares.
» Les traces de la Majelté Romaine s'ef-
» facent ; ces caractères de grandeur que
» portoient en tout les entrepriſes des
» Maîtres du monde , leurs ouvrages &
» leur génie difparoiffent : il n'eft plus
» de Romains. Mais leurs monumens
» confervent encore fous les ruines l'emn
preinte de la grandeur de leur ame ,
» & d'une nature fupérieure à celle des
» hommes de notre âge. Ils comman-
» doient à la nature . Les monts & les
❤abyfmes s'applaniffoient en routes per-
» cées à travers de vaftes pays , jufqu'aux
» bords de l'océan . Leurs édifices majef-
» tueux , fembloient impofer à la terre un
refpe&t éternel pour les hommes qui
» les avoient habités. Les pays dont
nous écrivons l'hiftoire , offrent en-
» core ici plufieurs endroits de ces magnifiques
ruines , & c. » Suivent de
riches détails , auxquels il faut joindre
ceux qu'on lit aux articles le Pois &
Bugnon , M. L. B. ranime les cendres de
cette antiquité , par une fenfibilité vive &
touchante . En rapportant les infcriptions
Romaines trouvées à Metz : « De deux
» incriptions Grecques , dit-il , l'une eft
AVRIL. 1777. 93
"
30
» aux mânes d'Apollonius , Médecin
» Méthodique ; dans l'autre , eft ce Kaïre
fréquent fur les tombeaux des Grecs ,
» ce trifte & long adieu qu'on fe dit à
» la mort , dans l'efpérance de fe revoir
» dans une plus heureuſe vie ; c'eſt un
fils qui le dit à fa mère : Mèter Kaire.
Unautel aux Divinités Mira ou Maira ,
nom celtique des Nymphes , Driades ,
» Pomones . Déités Mères ou Nourri-
» cières , qu'on voit repréſentées avec la
corne d'abondance & des amas de
fruits : ( in honor. Dom. Div . Dis Mai-
» rabus. Vicani Vici Pacis. ) Prefque
» toutes les pierres fépulcrales portent
» en relief une , ou plus fouvent deux
figures , l'époux & l'époufe . On leur
» voit à la main gauche le coffrer où ,
» fuivant le rite des Celtes , qui paroît
adopté par les Romains dans les Gau-
» les , on mettoit ce que l'on croyoit
» néceffaire aux morts pour leur paffage
» dans l'autre vie. La piété des anciens
- » & leur tendreffe dans leurs infcrip-
» tions funéraires , font remarquables &
» touchantes : c'eft un époux qui fe pré-
» pare la fépulture à côté des cendres de
fon époufe. L'Et fibi viva , vivo , font
des formules fréquentes fur leurs tom-
»
94
MERCURE DE FRANCE .
02
beaux ( D. M. Caniani Jullini Maxi
miola conj. & fibi viva ponend. C. ) Ce
font des parens infortunés qui gémif
fent fur l'urne d'une fille enlevée à la
» Aeur de l'âge ( D. M. Oreftilla
Jul. Dorcadi filia dulciffima Jul. Spurina&
ftatiliaparentes infeliciffimi, Vix.
» ann. XIV. ) Telles font les plus inté-
» reffantes de ces infcriptions recueillies
» par Meuriffe & Gruter ».
En parlant d'Antoine le Pois , Médecin
Lorrain , & docte Antiquaire , dont on
a un Livre eftimé fur les médailles Romaines
& les gravures antiques : " Le
» Pois , dit - il , eft infiniment louable
d'avoir cultivé cette belle partie , trop
» négligée parmi nous. Les veftiges de
» cette Majesté Romaine , empreinte encore
en plufieurs lieux de la terre que
» nous habitons , vont s'évanouir , & la
génération prochaine va nous reprocher
d'avoir laiffé périt entre nos mainst
les derniers reftes de l'antiquité , & ces
précieux monumens d'un peuple qui
fit l'honneur du monde » . Et en terminant
cet article : Tels font les lieux
que les Romains paroiffent avoir ha
» bités dans la Province , & cù il refte
» de leurs veftiges . Nous ne doutons pas
AVRIL 1777. i95
que plufieurs perfonnes ne nous fachent
gré de les avoir ici raffemblés .
» C'étoit ranimer les cendres du docte
le Pois. Lui-même il fit fes plaiſirs de
» cette belle antiquité , & travailla à ce
qu'elle ne pérît pas tout entière . Sou-
» vent affis dans ces ruines , il fentit s'en
élever l'enthoufiafme , & fut faifi du
génie qu'on croit voir y errer encore ».
Les règnes des Ducs de Lorraine , ces
Princes fi fameux par leur valeur & leur
bonté , préfentés , finon avec une ſuite
d'événemens que les lacunes des annales
He permettent pas de fuivre dans une
haute antiquité , le font du moins toujours
avec patriotifme. Un ftyle auquel
l'âge & le goût donneront fans doute plus
de correction & d'égalité , eft quelquefois
plein d'énergie : « C'étoit une des
во
anciennes prérogatives de la Couronne,
que les Ducs de Lorraine fuffent feuls
» en droit d'affigner le champ , & de juger
dés duels entre la Meufe & le Rhin.
Le Comte de Bar atraqua ce droit. Il
" fut convenu que le Duc demeureroit
feul en poffeffion des duels des Gen-
» tilshommes , & que le Comte pourroit
néanmoins préfider à ceux de fes
vaffaux . Quant aux duels ,dont le Comte
21. A
96 MERCURE
DE FRANCE.
"
» de Vaudemont & l'Évêque de Verdun
prétendoient connoiffance entre leurs
fujets , le Duc voulut en avoir raiſon.
» Ainfi , dans des fiècles aveugles , le
» fanatifme & la tyrannie fe partagent
» leurs droits barbares , fans imaginer
feulement qu'ils peuvent outrager la
Thiébaut II fuivoit
و د
"
nature ..
» l'Empereur Henri VII en Italie : une
» maladie de langueur le faifit à Milan
» d'où il revint en Lorraine , portant le
» germe de la mort. On crut qu'il avoit
» reçu un poiſon lent , fans favoir de
quelle main. Malheureux fort des
» Grands , pour qui font infectés les
29
"
"
doux élémens de la vie ! Mais une
fécurité du moins leur refte ; un antidote
peut leur être offert : ce n'eſt pas
» de l'innocent qu'ils auront protégé ,
» de l'infortuné dont ils auront eu pitié ,
qu'ils ont à craindre le poifon : qu'ils
prennent leur pain de cette main- là ,
» il fera affaifonné de la fanté , de la vie,
» de l'immortalité ». Il parle de ces fameufes
Affifes , dans lesquelles la nobleffe
de Lorraine jugeoit elle - même les caufes
de fes Membres. « Durant tout le temps
» des Affifes , de l'aller & du retour , on
» ne pouvoit faifir les biens des Cheva-
» liers
AVRIL. 1777. 97
"
» liers , ni pourfuivre contre eux aucune
» action civile. L'État protégeoit des mo-
» mens qu'ils confacroient au bien pu-
» blic. Ils jugeoient fouverainement ,
» fans frais ni révision de procès.
Chaque mois , les Affifes fe tenoient
» en trois différens lieux ; à Nancy , à
Vaudrevange c'étoient les Affifes
» d'Allemagne ; à Mirecourt , c'étoient
» celles de Vofges. Les Chevaliers fe
"
">
"
plaçoient tous , fans préféance ; alors
» les Avocats entroient . Le plus habile
» étoit celui qui parloit le plus claire-
» ment & le plus fuccintement . Les Ju-
» gemens étoient fommaires , fondés
» fur une Jurifprudence conftante , tranſ-
» mife dans notre Coutume : refpectés ,
fans reproche & fans atteinte durant
» fix fiècles , ces hommes vraiment
» nobles , fans autre récompenfe que de
» faire le bien , fans autre falaire que
l'honneur , furent les Juges de leur
pays. Un Chevalier avoit le droit de
plaider lui- même fa caufe , celle de
» fon ami & celle des pauvres . Précieux
privilége confervé à l'amitié & à l'hu-
» manité ».
ود
ور
Une notice des hommes illuftres du
pays , qu'on peut regarder comme fon
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
hiftoire littéraire , termine ce volume ,
& n'en est pas la partie la moins neuve
& la moins agréable . En parlant de peinture
, M. L. B. eft Peintre lui même .
Voyez cet article du fameux -le -Lorrain :
"
Claude Gelée , dit le Lorrain , fa-
» meux Payſagifte , né à Chamagne en
» 1600. Ce génie , qui devint fi beau à
»l'école de la nature , n'apprit rien des
» hommes. Il paroiffoit ftupide. Il ne fut
jamais lire . Mené à Rome par la misère
& le hafard , il fervoit & broyoit
des couleurs chez Auguftin Taffi . Il vit
» deffiner : il étoit né Peintre. Il paffoit
» les jours & les nuits dans les champs
» à obferver les divers effets de la lu-
» mière & des ombres , l'aurore & le
>> couchant , l'arrivée des nuages , les
pluies & le tonnerre . Plein de ces fuperbes
images , il fe renfermoir pour
» les reproduire avec toute leur énergie .
Dans fes aurores , on voit la lumière
remplir peu-à-peu la profondeur du
ciel , baigner l'horizon , chaffer les
» nuages , la rofée tomber fur les herbes
, les champs fe réjouir à l'arrivée
» du jour. Les arbres , dit Sandrat , fon
contemporain , paroiffent agités , & il
femble entendre le vent bruire dans leurs
"
33
AVRIL 1777. 99
"
32
feuillages. Dans fes couchans , un air
plein de feu colore tous les objets ,
échauffe les montagnes , tout l'horizon
plongé dans une fplendeur rougeâtre ,
» exhale & élève fes dernières vapeurs.
» Jamais Payfagifte ne fut plus frais &
plus vrai dans fes teintes : tout y eft
fondu , tout y eft d'un accord admi-
» rable. Les différentes heures du jour
» fe lifent dans fes tableaux ; l'air femble
y paffer , & fes lointains fuient.
→ Souvent la nature , fous le pinceau de
» cet aimable Artifte , parut fe laiffer
égaler ». D'un grand nombre d'articles
dont cette notice eft compofée , les
uns font remarquables par une érudition
.affez neuve ; les autres par une force &
une expreffion particulières. Le fecond
volume de l'hiftoire de Lorraine , offrira
des temps modernes , les règnes bienfaifans
de Léopold & de Stanillas . Le troifième
fera l'hiftoire naturelle du pays ,
Ouvrage très intéreffant. Tels font les
-travaux , bien dignes d'encouragement ,
-de ce jeune Auteur , déjà avantageufe-
-ment connu par un Catéchifme d'agriculature
, Livre utile & patriotique * , & par
»
* Chez-Valade , rue S. Jacques.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
le Syftême de la fertilifation , cité avec
éloge par l'illuftre M. de Buffon.
Nouvelles expériences fur la réfiftance des
Fluides , par MM. d'Alembert , le
Marquis de Condorcet & l'Abbé Boffut.
1 vol. in-8 ° . , chez Jombert , à Paris ,
rue Dauphine.
Il y a quinze ans que M. l'Abbé Boffut
a jeté les fondemens d'un corps d'obfervations
& d'expériences fur le mouvement
des fluides dans fon Hydrodynamique
, Ouvrage vraiment neuf & original
, qui a eu le plus grand fuccès dans
toute l'Europe. En 1775 , cet Académicien
fut chargé , conjointement avec MM.
d'Alembert & le Marquis de Condorcet ,
de faire des expériences fur la réſiſtance
des fluides , pour s'affarer fi les loix que
donne la théorie , font conformes à celles
que donne la nature.
En conféquence , on fit conftruire plufieurs
vaiffeaux de formes & de dimenfions
différentes , auxquels on ajouta fucceffivement
des proues angulaires de plufieurs
espèces , qui formoient des plans
obliques au choc du fluide , & des proues
cylindriques , ou qui avoient d'autres
AVRIL. 1777. IOL
courbures. A l'extrémité d'une grande
pièce d'eau fituée dans l'enceinte de l'É
cole Militaire , dont la longueur eft de
cent pieds , la largeur de cinquante-trois
pieds , & la profondeur de fept pieds ,
on avoit placé un mât planté verticale
ment , & de foixante-feize pieds de hauteur
deux poulies égales étoient attachées
, l'une au haut du mât , l'autre au
pied , & recevoient un cordon de foie ,
dont l'une des extrémités étoit attachée
au vaiffeau , & l'autre à un poids moteur
au haut du mât. On avoit auffi planté
fur l'un des bords du baffin , plufieurs
piquets , à cinq pieds de diftance l'un de
l'autre. Avec cet appareil, qui eft fort fimple
, & au moyen du poids moteur abandonné
à fa propre pefanteur , on a fair
courir fur le baflin un grand nombre de
fois chaque vaiffeau. Des Obfervateurs
placés à chaque piquet fur l'un des bords
du baflin , bornoyant des points correfpondans
fur le bord oppofé , déterminoient
l'inftant où le vaiffeau , par fon
mouvement , répondoit à chaque alignement
, en prêtant l'oreille à la voix d'une
perfonne qui comptoit hautement les
ofcillations à demi-fecondes d'une excellente
pendule.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
C'eft ainfi que l'on a fait près de trois
cents expériences différentes , à différentes
flottaifons , & dont chacune a été
répétée fouvent fept à huit fois : par- là ,
on s'eft procuré un très - grand nombre
de faits bien avérés , pour les réfiftances
directes & pour les réfiftances obliques.
On a eu la plus fcrupuleufe attention de
ne faire ufage des expériences , que lorfque
le mouvement étoit reconnu parfaitement
uniforme. Ce travail laborieux &
aflidu a duré plus de trois mois .
Un objet bien important , & dont
Pidée n'appartient qu'à nos trois illuftres
Géomètres , eft celui des expériences dans
des canaux étroits. En effet , la plupart
des expériences qui ont été faites dans
le fluide indéfini , ont été répétées dans
un canal étroit de foixante-quinze pieds
de longueur , pratiqué dans le même
baffin . Le fluide du canal étroit étoit
refferré par un plan bien horizontal
élevé à une certaine profondeur du baffin
, & par deux cloifons mobiles , verticales
& toujours parallèles , qu'on pouveit
rapprocher ou éloigner l'une de l'au
tre à volonté. On a fair varier plufieurs
fois les dimenfions de ce canal en largeur
& en profondeur : on a aufli fermé
AVRIL. 1777 103
& ouvert alternativement les deux bouts
de ce canal , afin de comparer ces deux
cas entr'eux , avec celui dans le baffin.indéfini
en tous fens,
M. l'Abbé Boffut a calculé dix tables
différentes des rapports des réfiftances ,
tant directes qu'obliques , fuivant la théor
rie comparée avec les expériences. Ces
tables font compofées chacune de plu
fieurs colonnes , qui renferment les efpeces
de vaiffeau qui ont couru , l'ordre
des expériences , les temps employés à
parcourir les différens efpaces , les valeurs
des frottemens , les expériences
comparées , les poids calculés & éprouvés
, qui donnent les réfiftances fuivant
la théorie & l'expérience , en ayant égard
ou non au remou central & latéral , c'eft,
à-dire , à la hauteur de l'eau qui fe lève ,
tant au- devant qu'à côté de la proue.
D'après plufieurs applications qu'il fait
de la formule que donne la théorie à
l'expérience , il trouve qu'il faut abandonner
en général la loi du quarré du
Sinus de l'angle d'incidence , pour déter
miner les réfiftances ou les percuffions
qui proviennent des chocs obliques . M.
l'Abbé Boffut fait plus ; il démontre
d'une manière très-ingénieufe , qu'il n'y
a aucune autre puiffance qu'on puiffe
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fubftituer à la feconde puiffance du Sinus
en queſtion : il eft le premier qui ait
fait cette remarque importante , & qui
ait par- là terminé toute difcuffion fur
cet article.
les
Il obferve enfuite , qu'à caufe que
réfiftances des fluides contenus dans des
canaux étroits ou peu profonds , font
beaucoup plus grandes que celles des
fluides indéfinis en tous fens , il eſt eſfentiel
de donner aux canaux de navigation
, le plus de largeur & de profondeur
qu'il eft poffible , & d'éviter , fi l'on
peut , de percer des montagnes pour le
cours des eaux , parce que la navigation
eft incomparablement plus facile & plus
prompte dans un canal à ciel ouvert ,
que dans un canal fouterrain : il ne
s'agit pas en effet de fe propofer la gloire
de vaincre des difficultés : un canal eft
un objet d'utilité , & non un monument
d'oftentation .
Il réfulte de toutes ces expériences ,
& des calculs expofés dans cet excellent
Ouvrage ,
1 °. Que les réfiftances qu'éprouve un
même corps , de figure quelconque , mu
avec différentes viteffes dans un fluide
indéfini & dans un canal étroit , font
} 105 AVRIL. 1777.
fenfiblement proportionnelles aux quarrés
des vîteffes .
2 °. Que les réfiftances perpendiculaires
& directes de plufieurs furfaces
planes , mues avec la même vîteffe ,
font fenfiblement proportionnelles aux
étendues de ces furfaces.:
13°. Que les réfiftances qui proviennent
des mouvemens obliques dans un
fluide indéfini , ne fuivent pas la raiſon
des quarrés , ni d'aucune autre puiffance
des finus des angles d'incidence : ainfi ,
la théorie ordinaire de la réfiftance des
fluides doit être, abandonnée , fi les angles
d'incidence font petits ; mais on
peut , fans erreur bien fenfible , faire
ufage de cette théorie pour les angles
d'incidence depuis quarante- cinq jufqu'à
quatre -vingt- dix degrés.
4° . Que la meſure abfolue de la réfiftance
perpendiculaire & directe d'un
plan dans un fluide, indéfini , eft fenfi-
-blement égal au poids d'une colonne de
ce Auide , laquelle auroit pour bafe la
furface choquée , & pour hauteur celle
qui eft dûe à la vîteffe avec laquelle fe
fait le choc.
5°. Que la tenacité de l'eau occafionnée
par fa vifcofité & le frottement de
cet élément le long des parvis du corps:
EV
106 MERCURE DE FRANCE.
flottant , font des forces inaflignables ou
nulles , par rapport à la réfiftance qui
provient de l'inertie .
6. Que la résistance ou la percuffion
des Auides dans des canaux étroits , ou
dans des courfiers , eft beaucoup plus
grande que dans les fluides indéfinis.
1
Qu'un efprit obfervateur , dans quel
gente que ce foit , ainaffe des faits ,
qu'il multiplie les expériences , il perdra
fon talent & fon temps à les comparer
, s'il n'a point de moyen directe
& certain de les claffer ou de les lier
enfemble , pour en former une chaîne
de rapport qui le conduife à un principe
général. Pour rendre fon travail utile ,
Il faut qu'il appelle le Géomètre à fon
fecours. En conféquence , M. le Marquis
de Condorcet donne , à la fuite de l'Ouvrage
qu'on vient d'analyfer , une trèsbelle
méthode pour trouver les loix des
Phénomènes d'après les obfervations.
L'avantage de cette méthode , indépendamment
de fa fimplicité , eft de
réduire des recherches , qui demandent
furtout de la fagacité & des connoiffances
fort étendues , à des opérations
pour ainfi dire techniques ; ce qui la
fend d'un ufage facile dans les applitations
des mathématiques aux fciences
"
AVRIL 1777. 107
naturelles , & par conféquent digne du
génie de fon Auteur.
Ce court extrait ne peut donner qu'une
idée très imparfaite de cet excellent recueil
d'obfervations & d'expériences fur
la réfiftance des fluides. Il faut voir dans
l'Ouvrage même , l'ordre , la méthode
& la profondeur avec laquelle ces matières
font traitées, *
Mémoires de la guerre d'Italie , depuis
l'année 1733 , jufqu'en 1736 , par un
ancien Militaire qui s'eft trouvé à
toutes les actions de ces trois fameufes
campagnes. A Paris , chez la veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût , 1777. Un volume
in- 12.
La guerre d'Italie , en 1733 , 1734
& 1735 , fut des plus glorieufes pour la
France . Dans la première campagne ,
commencée au mois de Novembre , &
qui ne dura que deux mois , l'armée
* Cet extrait eft de M. Dez , Profeffeur de
Mathématiques de l'ancienne Ecole Royale Militaire
, qui a été témoin & coopérateur dans ce
travail , des expériences faites avec toute la présifon
poffible.
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Françoiſe , commandée par le Maréchal
de Villars , fit , avec fuccès , les fiéges de
Gerra d'Adda , du Château de Milan ,
de Novarre & de Tortonne , & s'empara
en peu de jours de chacune de ces
places , ainfi que de toute la Lombardie .
Dans la campagne de 1734 les batailles
de Parme & de Guaftalle , deux des plus
fanglantes dont l'hiftoire moderne faffe
mention , furent gagnées , fur les Impériaux
, à trois mois l'une de l'autre , par
l'armée Françoife aux ordres des Maréchaux
de Coigny & de Broglio , combinée
avec l'armée du Roi de Sardaigne .
Tous ces exploits font décrits dans ces
Mémoires , par un Militaire refpectable
qui
en a été témoin oculaire , & qui
donne fur cette guerre les détails les
plus exacts qui aient été publiés jufqu'à
préfent , comme il le démontre luimême
par la comparaifon & la critique
des différentes relations qui parurent
dans le temps .
Lettres Écoffoifes, traduites de l'Anglois ,
par M. Vincent , Avocat . 2 Parties
in- 12 . A Amfterdam ; & fe trouve à
Paris , chez la Veuve Duchefne , Lib.
rue S. Jacques.
AVRIL. 1777 . 100
que
L'Éditeur Anglois , ou plutôt l'Auteur
de ces Lettres , les donne comme
une copie de celles Miff Elifabeth
Aureli , petite nièce du célèbre Docteur
Swift , écrivoit , pendant fes voyages , à
fes amis en Angleterre. Il affure les
avoir reçues à Genève des mains de cette
Voyageufe. Sans doute qu'il laiffe à fes
Lecteurs la liberté d'ajouter ou de ne pas
ajouter foi à ce cadre ingénieux .
Miff Elifabeth eft fuppofée écrire en
1764. Ses réflexions fur les pays qu'elle
parcourt , font remplies de fel & de fineffe
; il s'y mêle auffi quelquefois un
peu de critique , comme on en pourra
juger par la tirade fuivante , dans laquelle
la petite nièce du Docteur Swift
ne fe montre pas trop prévenue en faveur
de la Nation Hollandoife. « Depuis
quinze jours je fuis en Hollande. Quel
" pays ! Quelle Nation ! Des Marchands.
» qui n'ont d'autre plaifir que celui d'amaffer
; des filles fottes & libertines ;
des jeunes gens ftupides & groffiers ;
des femmes fages à la vérité , mais
impérieufes , fe faifant craindre de
» leurs maris , parlant plus haut qu'eux ,
» & dont la léfine fait une partie de la
dot ; enfin des efpèces de machines
"
"
MERCURE DE FRANCE.
"
» montées avec des refforts d'or : voilà
» les habitans de cette trifte contrée . Qui
» a vu plufieurs François , les connoît
» tous , dit un Auteur moderne . Il en
» eft de même des Hollandois ; qui en
» a vu un , les a vus tous. Un Voyageur
qui veut les connoître , n'a qu'à
s'arrêter quelque temps à Rotterdam ;
il lui feroit inutile d'aller plus loin .
" Les villes fe reffemblent ; les hommes
font par-tout les mêmes. Un Négo-
» ciant d'Amfterdam , un Bourgeois
» d'Harlem , un Docteur de Leyde , un
" Payfan de Serdam , un Noble d'Utrecht
» ou de la Haye , penfent , agiffent , ſe
comportent de la même façon ; tous
» vivent mefquinement , élèvent mal
» leurs enfans , fe laiffent mener par
» leurs femmes , n'aiment point la liberté
pour elle feule , mais à caufe
» de l'avantage qui en réfukte pour le
33
» commerce » .
Le jugement de Miff Aureli eft plus
favorable à la Nation Françoife , qu'elle
femble même préférer à la fienne . Plus
j'examine cette Nation , dit elle , plus
» je me vois forcée de lui rendre juftice .
» Elle fe fait un plaifir de nous prêter des
» vertus que nous n'avons pas , & de
AVRIL 1777.
* nous élever au - deffus d'elle. Tant de
bonhommie , ou , pour mieux dire ,
» tant de générofité , me paroît préférable
au fot orgueil de nos infulaires ;
» j'aime mieux un peuple doux , com-
55 patiffant , qui a le défaut de ne pas
s'eftimer affez , qu'un peuple dur ,
impérieux , extrême dans fes paffions ,
ne voyant jamais les objets tels qu'ils
font , & prefque toujours la dupe des
fourbes & des enthounaftes . En France ,
» on vous accueille , on vous fourit , on
vous tend les bras , & on fe prête à
svotte façon d'exifter . En Angleterre ,
on rebute , on méprife tout ce qui
l'air étranger ; pour plaire à la Nation ,
il faut prendre fon maintien , fon encolure
, louer jufqu'à fes fortifes , s'exstafier
aux repréfentations du monf-
» trueux Shakespear , & dire que Londres
eft la première ville de l'Europe ,
parce qu'elle a une grande Eglife , une
belle Bourfe , une Tour bâtie par le
» Roi Guillaume , & un Wauxhall qui
» peut contenir trois mille filles de joie ».
Cer Ouvrage femble promettre une
fuite ; car l'Auteur laiffe fon héroïne à
Genève , après avoir fait feulement le
voyage de Hollande & celui de Paris ,
MERCURE DE FRANCE.
de
pendant qu'il annonce , dans fon Avantpropos
, qu'elle a parcouru auffi l'Italie
& l'Allemagne. Quoique les voyages
Miff Aureli faffent le fond des deux
petits volumes qu'il publie , la partie
la plus confidérable en eft remplie par
>
des détails fur les amours de la même
Miff Aureli avec le Lord Waller &
fur ceux de Miff Charlotte Tilnei , fon
amie & fa correfpondante , avec le Lord
Tompfon ; ce qui achève de nous déterminer
à regarder les Lettres Ecoffoifes
-comme un Roman , dont le défaut eft
d'être trop court. Le ftyle du Traducteur
nous a paru facile & élégant.
Nouvelles Espagnoles de Michel de Cervantes
; traduction nouvelle , avec des
notes , ornée de figures en taille- douce .
Par M. le Febvre de Villebrune . Le
Jaloux d'Eftramadure , Nouvelle IV .
Brochure in-8 ° . A Paris , chez la
Veuve Duchefne , Libraire , rue Saint
Jacques.
Un Gentilhomme d'Eftramadure , après
avoir diffipé dans les plaifirs la plus grande
partie de fon patrimoine , prit le parti , à
F'âge de 48 ans , de paffer aux Indes. I
AVRIL. 1777 . 113
y tenta la fortune . Elle lui fut favorable.
Riche , il defira de revoir fa patrie . Il
raffembla donc fes richeffes & revint en
Efpagne . Carrizalès , c'eft le nom du
Gentilhomme , pouvoit alors avoir 70
ans. Les biens & l'indigence , comme il
ne l'éprouva que trop , font également
la fource de mille foucis. Les peines de
la pauvreté peuvent ceffer avec une médiocre
fortune ; mais les inquiétudes que
caufent les richeffes augmentent avec les
biens mêmes. Carrizalès ne contemploit
cependant pas fes tréfors en avare : il étoit
plutôt embarraffé de l'ufage qu'il en devoit
faire. Le bon Gentilhomme defiroir
un héritier ; il fe croit encore capable de
s'en procurer un. Il fe tâte le pouls , &
eft fort d'avis de fe marier ; mais au milieu
de fes réflexions , la crainte s'emparoit
de lui & faifoit évanouir ce defir
flatteur. Il fe fentoit l'homme le plus
jaloux . La feule penfée du mariage le
troubloit. La jaloufie & les foupçons le
mettoient déjà à la torture ; enfin , toute
réflexion faite , il prit le parti de refter
célibataire. Mais une jeune perfonne ,
nommée Léonore , fage , honnête , élevée
chez fes père & mère , & d'une figure
intéreffante , triompha bientôt de la réfo114
MERCURE DE FRANCE.
lution du foible Vieillard. Léonore étoit
fort pauvre. Quelle ait du bien ou non,
» n'importe , fe difoit Carrizalès , j'en ai
» pour elle. Un homme riche, ne doit
33
pas fe marier par intérêt. Contente-
» ment paffe richeffe ; & je ne dois pas
» chercher autre chofe fi je veux prolon
» ger mes jours. Eh! combien de difgrances
& de troubles ne fuivent pas une
» femme riche ! C'eft une affaire faite :
c'eft-là l'époufe qu'il me faut » . H
répéta plufieurs fois la même chofe ; &
quelques jours après il alla trouver le
père de Léonore , fort content de donner
fa fille à un homine qui lui affuroit une
fortune confidérable. Carrizalès, ne fut
pas plutôt fiancé , qu'il devint trifte ,
rêveur foupçonneux ; tout l'inquiétoit.
Il voulut donner des habits à Léonore.
Lui préfenterois-je un Tailleur ?
Non , fe difoit il , Dieu m'en garde . Il
cherche dans le voisinage une pauvre
fille dont la taille approche de celle de
fa future époufe . Il la trouve , la fait
habiller , effaye cet habillement fur Léo
nore. Il alloit au mieux , & cet habit
fervit de patron pour les riches ajuſtemens
qu'il fit bientôt faire. Carrizalès ,
comme l'on voit , ne reffembloit point
>
AVRIL 1777. 115
au Jaloux Honteux de Dufrefny. Après
le mariage , il fit éclater fa jaloufie d'une
manière encore bien, moins équivoque ,
Il avoit acheté une efpèce de Château
fort, où la jeune époufe , enfermée, étoit
dérobée aux regards de toutes les perfonnes
du dehors . Une Duégne , différentes
femmes & un Eunuque noir
veilloient fous fes ordres dans toute la
maifon ; lui feul en avoit les clefs , &
pour lui feul les portes du Château s'ouvroient.
Il avoit fait pratiquer une eſpèce
de tour pour faire paffer les provifions
du dehors. Les autres traits que Michel
de Cervantes ajoute à la peinture qu'il
nous fait des perfécutions que la jaloufre
induſtrieufe du Vieillard lui avoit inf
piré, paroîtront à quelques Lecteurs un
peu outrées. Mais l'Ecrivain Efpagnol a
imité en cela le Poëte Comique , qui
charge quelquefois fes caractères pour
les rendre fenfibles à la multitude . Michel
de Cervantes a cherché d'ailleurs ,
par cette caricature , a nous rendre plus
piquante l'adreffe de fon Virote , eſpèce
d'égrillard ou d'intriquant , qui trouve
le moyen de mettre dans fes intérêts la
Duégne de Léonore , & de s'introduitę
dans le Château auprès de cette Belle.
116 MERCURE DE FRANCE.
« Cette aventure , dit Cervantes , en
» finiffant cette Nouvelle , ne prouve
»
que trop évidemment combien peu
» l'on doit fe repofer fur les clefs , les
» doubles & triples portes , les tours , les
» hautes murailles , enfin fur tout ce que
» peut dicter la prudence humaine , lorfque
la volonté fe porte au-dehors de
» ces prifons. On voit auffi quelle crainte
» on doit avoir de ces Duégnes aux
longues coëffes , à l'oeil morne &
filencieux , lorfque , fans réſerve , on
leur abandonne la jeuneffe
»
99
»
❤ .
Léonore ne manqua point de fidélité
à fon époux ; mais il fuffit à cet époux
de croire que fa jeune époufe l'avoit
trahi , pour éprouver un cuifant chagrin
qui le conduifit en peu de temps au
tombeau. Un vieillard jaloux eft ordinairement
un homme injufte , cruel &
barbare ; & ce n'eft malheureufement
que dans cette Nouvelle que l'on verra
un jaloux octogénaire fe rendre juftice ,
& conferver jufqu'à la fin de fes jours
des fentimens de douceur & de bienfaifance
pour fa jeune moitié. Carrizalès ,
couché fur le lit de mort , fit approcher
cette époufe troublée , qu'il croyoit infidelle
& qui n'avoit été qu'imprudente.
AVRIL. 1777 . 117
39
و و
« La vengeance , lui dit- il , que je pré-
» tends tirer de cet affront , n'eft pas
» celle que tout autre en tireroit à ma
place. Comme j'ai été extrême dans le
» bien que j'ai fait jufqu'ici , je veux
auffi que ma vengeance mette le comble
à ces bienfaits. Ce défordre eft
» mon propre crime. Je ne devois pas
être affez imprudent pour oublier
» qu'une jeune femme de quinze ans ne
devoit pas être celle d'un vieillard de
quatre- vingt . J'ai donc agi comme le
vers à foie , j'ai moi - même fait la demeure
où je devois m'enfevelir. Je ne
te blâme pas , jeune inconfidérée ! » En
difant cela , il embraffe Léonore , qui
étoit un peu revenue de fon trouble.
Non , je ne te fais aucun crime de ta
conduite. Les avis , les inftigations de
cette malheureufe Duégne , & les
careffes du jeune égrillard qu'elle a
» introduit ici , étoient un écueil trop
dangereux pour que ta vertu n'y fit
pas naufrage , avec auffi peu d'expérience
que tu en avois. Mais afin qu'on
fache la fincérité & l'étendue de l'ami-
» tié que j'ai eu pour toi jufqu'à mon
dernier moment , je vais laiffer un
exemple de bonté , ou au moins de
"
»
118 MERCURE DE FRANCE.
n
fimplicité , qui ne fe fera jamais vu.
Qu'on aille chercher un Notaire pour
» me faire un autre teftament. Je veux
» doubler la dote de Léonore ; après ma
» mort , qu'elle difpofe d'elle -même à
» fon gré. Je lui demande feulement
» une grâce , car je ne puis la contraindre
alors , c'eft d'époufer le jeune homme
» dans les bras duquel je l'ai trouvée ;
elle effacera par cette conduite l'opprobre
dont elle s'eft couverte , & rẻ-
parera l'injure qu'il a fait à mes cheveux
blancs , fans avoir aucune canfe
» de m'offenſer auffi ſenſiblement . Elle
199 verra par là , que fi pendant ma vie
i ce fut pour moi le plaifir le plus flatteur
...de me rendre à fes defirs , ie my fuis
»
encore prêté à ce dernier moment , en
lui confeillant de ne pas fe féparer, de
celui qu'elle a aimé , jufqu'au point de
» s'oublier d'une manière fi étrange. » . A
ces mots il fe penche, prefque évanoui ,
vers fa femme , & l'embraffe rencore
malgré fa foibleffe . Elle, le ferre dans : fes
bras , le baife., . lui baigne la bouche de
-fes pleurs .
Le Lecteur est un peu fâché de ce que
Léonore ne paroît point affez jaloufe de
fe juftifier , en détaillant les circonftances
AVRIL 1777 . 119
de fa faute à fon mari, & lui prouvant parà
fon innocence. Il eft probable que la
honte , la crainte , ou fes fréquens évanouiffemens
, l'empêchèrent de s'expliquer.
Elle l'eût fait , fans doute , par
» la fuite , ajoute Michel de Cervantes ;
» mais la mort précipitée de fon mari
» fut un obstacle invincible aux excufes
légitimes qu'elle auroit pu produire ».
Léonore , reftée veuve avec de grands
biens , auroit, faire la fortune du jeune
homme qui lui avoit témoigné fon
amour ; le bon Carrizalès l'avoit même
exhorté en mourant à prendre ce parti.
Ses parens & fes connoiffances ne purent
donc , fans le plus grand étonnement ,·la
voir , au bout de huit jours de veuvage ,
fe renfermer dans un des Couvens les
plus auftères d'Efpagne.
我
pu
Les Nouvelles qui font fuite à celle - ci
paroîtront fucceffivement. Les Numéros
précédens ' fe trouvent chez le même Libraire.
Effai hiftorique & moral fur l'Education
Françoife ; par M. de Bury.
Dic fapientia foror mea es,
voca amicam tuam.
prudentiam
PROV, cap. VII . verf. 4.
20 MERCURE DE FRANCE.
Dites à la fageffe , vous êtes ma four , & à
la prudence , vous êtes ma bien-aimée ».
Volume in- 12 . de 507 pages ; prix 3
liv. relié . A Paris , chez G. Defprez ,
Impr. rue S. Jacques.
L'Auteur trace un plan d'éducation
qu'il divife en trois parties. La première
regarde l'éducation de la jeuneſſe dans
les Penfions ; la feconde a pour objet
fon éducation dans les Colléges . Les
jeunes gens quittent ordinairement , à
l'âge de feize ou dix- fept ans , cette
feconde éducation , pour entrer dans le
monde ; & c'est alors qu'ils ont le plus
befoin de confeils , d'inftructions , &
d'un guide fûr & fidèle . C'eft auffi à
cette troisième époque de l'éducation
que M. de Bury donne toute fon attention.
Il indique les connoiffances néceffaires
à cet âge . Il ne fait cependant point
mention de l'hiftoire naturelle ; & lorfqu'il
parle de la phyfique , c'est pour
détourner les jeunes gens de s'y appliquer.
Quelle fcience cependant plus capable
de les intéreffer & de les inftruire ,
que celle qui , par des expériences curieufes
AVRIL 1777. 121
1
fes & variées , parle continuellement aux
fens ? L'Auteur infifte principalement fur
l'étude de la Religion , de l'Hiftoire &
de la Morale , dont il enfeigne les préceptes
, qu'il a foin , le plus fouvent ,
d'appuyer fur des traits d'hiſtoire ou fur
des faits connus. On pourroit donc regarder
fon Ouvrage comme un Cours
de morale pratique. L'Auteur , à l'article
Duel , blâme , avec raifon , cette politeffe
mal entendue qui nous empêche de dire
un homme qu'il a tort , lorfqu'il l'a
effectivement. Ün Officier , dont M. de
Bury rapporte le trait fuivant , ne penfoit
point ainfi . «Un jour douze perfonnes
avoient dîné enfemble dans une
honnête maiſon ; après le repas on propofa
de jouer , & l'on fit deux parties
différentes , dans l'une defquelles il s'éleva
entre deux Officiers une difpute , fuivie
de quelques propos affez durs . Les autres
perfonnes préfentes s'emprefsèrent de
Pappaifer , en difant aux conteftans
felon la méthode ordinaire , qu'ils avoient
tort tous les deux . Ceux - ci cependant
commençoient à s'échauffer , lorfqu'un
autre Officier de la compagnie , homme
de tête , très-fage & très - fenfé , fut à la
porte de la falle , ferma la ferrure à
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
double tour , & mit la clef dans fa poches
Enfuite fe tournant vers la compagnie ,
il dit ; Perfonne ne fortira d'ici , qu'après
que ces Mellieurs fe feront accommodés.
Il faut que celui qui eft auteur de la ques
-relle , commence ( car c'est lui qui à le
premier tort ) à faire excufe à l'autre de
ce qu'il lui a dits que celui qui fe croit
attaqué , reçoive l'excufe , & témoigne
qu'il eft fâché d'avoir relevé avec trop
de hauteur , l'infulte qu'il croit qu'on
lui a faite , & qu'enfuite ces deux Mef
fieurs s'embraffent , & promettent de ne
fe rien demander davantage. S'ils.refufent
de le faire , j'en porterai mes plain
tes à Meffieurs les Maréchaux de France ,
& je les prierai de donner leurs ordres
pour empêcher un duel entre ces Meffeurs.
La conduite de cet Officier fuc
fort approuvée. La compagnie engagea
les deux conteftans à fe faire des excufes
refpectives, & ils s'embrassèrent
On aime à voir un Héros donner , au
milieu de la fociété & dans fon domeftique
, des exemples de douceur & de
modération , « M. de Turenne regardoit
» un matin par fa fenêtre en déshabillé
vêtu d'une fimple camifole; un de fes
» Domeſtiques vint par derrière, & lai
AVRIL 1777. D23
-1
donna un grand coup fur le dos. M.
» de Turenne s'étant tetourné , le Do-
❤meftique lui demanda pardon , & lai
dit : Monfeigneur, j'ai cru que vous
➡ étiez un tel, mon camarade. Et quand
wc'eût été lui , répliqua M. de Turenne ,
"falloit il frapper fi fort ? » On eſt
un peu fâché que l'Auteur n'ait pas
tranſcrit cette anecdote comme elle fe
trouve dans un Ouvrage très -connu. Un
jour d'été , qu'il faifoit chaud , y eft il
dit , le Vicomte de Turenne , en petite
vefte blanche & en bonnet , étoit à fa
fenêtre dans fon anti-chambre . Un de
fes gens furvient, &, trompé par l'habillement
, le prend pour l'Aide de cuifine ,
avec lequel ce Domestique étoit familier,
Il s'approche doucement par derrière
& d'une main qui n'étoit pas légère , lui
applique un grand coup fur les feffes.
L'homme frappé , ſe retourne à l'inſtant .
Le Valet voit en tremblant le vifage de
fon Maître. Il fe jette à fes genoux tout
éperdu : Monfeigneur , j'ai cru que c'étoit
George. Et quand c'eût été George
s'écrit Turenne en fe frottant le derrière ,
il ne falloit pas frapper fi fort.
Nous ne citerons point d'autres anecdotes
, parce qu'elles ont fouvent été
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
rapportées , & parce que l'Auteur , `en
voulant les raconter à fa manière , en a
fouvent altéré ces traits naïfs & originaux
qui les rendoient plus piquantes .
Mais nous applaudirons à fa méthode
d'appuyer les préceptes d'une morale
ardinairement sèche & rebutante , fur
des faits hiftoriques , agréables & intẻ-
reffans. L'Auteur , dans plufieurs endroits
de fon Ouvrage , donne aux Inftituteurs
des confeils généraux fur la conduite
qu'ils doivent tenir pour enfeigner l'hiftoire
à la jeuneffe. Il leur trace même un
plan de cette conduite dans la partie de
fon Effai qui a pour titre : Inftruction fur
L'étude de l'Hiftoire. Cette inftruction eft
fuivie d'une differtation fur l'ordre de
l'ancienne Chevalerie , & fur l'éducation
que les pères & mères faifoient alors
donner à leurs enfans.
Poëfies de Malherbe , rangées par ordre
chronologique , avec la vie de l'Auteur
& de courtes notes ; par M. A. G. M.
Q. Nouvelle édition , revue & corrigée
avec foin. A Paris , chez J. Barbou
, rue des Mathurins.
Malherbe peut être regardé , à juke
AVRIL 1777. 125
titre , comme le vrai reftaurateur de la
Langue & de la poëfie Françaiſe. Rien
ne donne mieux l'idée des obligations
qu'elle lui ont l'une & l'autre , que ces
vers du Législateur de notre Parnaſſe ,
de Boileau , que tout le monde fait par
coeur.
Enfin Malherbe vint , & le premier en France
Fit fentir dans les vers une juſte cadence ,
D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir,
Et réduifit la Mufe aux règles du devoir.
Par ce fage Ecrivain la langue réparée ,
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée .
Les ſtances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Tout reconnut fes loix , & ce guide fidèle
Aux Auteurs de ce temps fert encor de modèle.
Marchez donc fur fes pas : aimez fa pureté ,
Et de fon tour heureux imitez la clarté.
>
Un tel éloge a bien de la force dans
la bouche du judicieux & févère Defpréaux
, qui ne l'eût certainement point.
donné s'il n'eût été mérité. Il eſt
certain qu'à quelques tournures près ,
qui ont vieilli , Malherbe eft encore aujourd'hui
un modèle pour l'élégance de
la verfification & la pureté de la langue,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ce quidoit paroître prodigieux , lerfqu'o
réfléchit qu'il écrivit immédiatement
après Baïf & Ronfard. A peine eſt- it
croyable que les ftances que nous allons
citer , & qui font une paraphraſe du
Pleaume CXLV , ayent été composées
vers le temps de Henri IV.
N'efpérons plus , mon ame, aux promeffes du
monde ;
Sa lumière eft un verre , & fa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de caliner ,
Quittons ces vanités , laffons- nous de les fuivre 3
C'eft Dieu qui nous fait vivre ,
C
C'eftDieu qu'il faut aimer.
Envain , pour fatisfaire à nos lâches envies ,
Nous paffons près des Rois tout le temps de nos
vies
A fouffrir des mépris & ployer les genoux.
Ce qu'ils peuvent n'eft rien ; ils font , comme
nous fommes ,
Véritablement hommes ,
Et meurent comme nous .
Ont-ils rendu l'efprit , ce n'eft plus que poulière
Que cette majefté fi pompeufe & fi fière ,
Dont l'éclat orgueilleux étonnoit l'Univers
AVRIL. 1777. 27
Et dans ces grands tombeaux , ou leurs ames
hautaines
Font encore les vaines ,
Hls fout mangés des vers.
Là fe perdent ces noms de Maîtres de la terre
D'arbitres de la paix , de foudres de la guerre ,
Comme ils n'ont plus de fceptre , ils n'ontplus de
flatteurs ;
Et tombent avec eux d'une chûte commune
Tous ceux que leur fortune
Faifoit leurs ferviteurs .
La vie de Malherbe , qui précède le
recueil de fes pocfies , contient plufieurs
anecdotes.Nous en cirerons quelques unes
des moins connues . La plupart font des
traits de la caufticité du Poëte , & de fa
franchife un peu dure.
Une preuve de fon économie , c'eft
le feftin qu'il fit un jour à fix de fes
Amis , & où il faifoit le feptième .
Tout le repas ne fut compofé que de
fept chapons bouillis , dont on fervit à
chacun le fien . Cette uniformité de mêts.
furprit apparemment les Conviés ; mais
il fe tira d'affaire en leur difant : Meffieurs,
je vous aime tous également , c'eft pour-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
quoi je veux vous traiter tous de même,
& ne prétens pas que vous ayez d'avantage
l'un furl'autre.
Pendant la prifon du Prince de Condé
à Vincennes , la Princeffe fon épouſe y
étant accouchée de deux enfans morts ,
un Confeiller du Parlement de Provence
regrettoit pathétiquement la perte que
l'Etat venoit de faire de deux Princes du
Sang : Eh! Monfieur , lui dit brufquement
Malherbe , vous ne manquerezjamais
de Maîtres.
Un de fes Neveux vint le voir à la
fortie du Collège où il avoit été neuf
ans . Il lui demanda s'il étoit bien favant ;
& ouvrant un Ovide , il voulut lui en
faire expliquer quelque chofe . Le jeune
homme fe trouvant embarraffé , Malherbe
lui dit Croyez-moi , mon Neveu ,
foyez brave ; vous ne valez rien à autre
shofe
Un homme de robe & de condition
lui apporta
de méchans vers qu'il avoit
faits pour une femme ; Malherbe , après
les avoir lus , lui demanda s'il avoit été
condamné à être pendu , ou à faire ces
vers-là.
Malherbe étant un jour allé dîner chez
l'Abbé Defportes , trouva qu'on avoit
AVRIL. 1777. 129
déjà fervi les potages . Delportes fe
levant de table , reçut très- poliment Mal
herbe , & voulut d'abord lui donner un
exemplaire de fes Pfeaumes , qui étoient
nouvellement imprimés. Comme il fe
mettoit en devoir de monter dans fon
cabinet pour les aller chercher , Malherbe
lui dit : Qu'il les avoit déjà vus ,
que cela ne méritoit pas qu'il prít cette
peine , & quefon potage valoit mieux que
fes Pfeaumes. Cette brufquerie piqua
tellement Defportes , qu'il ne lui dit pas
un mot durant tout le dîner. Auffi-tôt
qu'ils furent fortis de table, ils fe féparèrent,
& ne fe virent plus depuis.
"
Cette nouvelle édition , remarquable
par l'exactitude de la correction , & la
beauté de l'exécution typographique
fait honneur aux preffes de Barbou.
Elle eft ornée du portrait gravé de
Malherbe ,
Fables , par M. Willemain d'Abancourt„
2 parties in- 89 . en un feul volume. A
Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez L. Cellor , Imprimeur-Libraire ,
Lue Dauphine.
Ces Fables , divifées en huit livres
1
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
"
font au nombre de cent . " Dans le nom-
» bre des fujets que j'ai traités , il en eft
» peu , dit modeftement M. Willemain ,
dont l'invention m'appartienne. J'ai
» mis à contribution les Muſes Alle-
» mandes; les Fables de MM. Gellert ,
» de Hagedorn , Schlegel , Lichlwers ,
» Gleim & Leffing... Je ne fuis auffi
approprié quelques- uns des Apologues
» de MM . de Saint- Lambert & de Sauvigny
». Si M. Willemain n'a pas puifé
dans fon propre fonds tous les fujers de
fes Fables , on ne peut qu'applaudir à la
manière , fouvent très-heureufe dont
il les a mis en oeuvre. En voici une qui
réunit la naïveté , la facilité & l'agrément
propres à ce genre , où il eft fi
difficile , & fur-tout fi rare de réuffir
après La Fontaine. Peut-être eût- elle été
meilleure , en faifant difparoître quelques
longueurs , & quelques tours un
peu trop profaïques.
"
Les deux Renards.
3
Il faut avoir grand . foin de traiter fon ſemblable
Comme on veur en être traité :.
L'adage eft un peu vicux ; oui , mais ſa véryſté:
Ne le rend pas moins refpectable ..
. ד ר י
AVRIL 17770 31
Vivant pour foi , le moquant des égards ,
Libre du joug de la férule , cob &
Certain Renard, fans moeurs, & fur- tour fans
fcrupule,༡ མ ི
Bref, l'Alexandre des Renards mp
}
Voloit à toutes mains , pillait de toutes parts,
Et fur les bonnes gens jetoit du ridicule.
Or l advint que l'égrillard ,
Uncertain jour qu'il étoit en maraude ,
( Ces Meffieurs-là ne vivent que de fraude )
de fes voifins pris dans un traquenard ,
Et qui , honteux comme un caffard 2007
Qu'on auroit démafqué , détournant le regard
Reflentoit , fans mot dire , une alarme un pew
chaude.
Vit
21.
un
Qu'eût fait un honnête Renard
Dans une telle circonftance ?
Il eût fauvé fon frère & béni le hafard
Qui donnoit à la bienfaisance
Le moyen d'éclater. Fort bien ! notre gaillard
Tout au rebours , afficha l'importance ,
Fit un très-beau fermon fur l'inexpérience
Et laiffa fon voifin gémiffant fous la hart ,,
Et mal édifié de fon peu d'indulgence..
A quelque temps de-là l'Orateur eut fon tour
Ine put échapper à maintes embufcades .
Qu'on lui rendit dans chaque batle , cour
Il vir gaffer maints & maints campgrades ,›
e
e
B vjj
132 MERCURE DE FRANCE.
Qui, fans le fecourir , firent maintes gambades ,
Et lui donnèrent le bonjour.
Ce n'étoit pas fon compte ; il avoit tout àcraindre ,
Et contre les Fermiers peftoit de tout fon coeur.
Voilà qu'il apperçoit , pour l'achever de peindre ,
Ce Renard , qu'il avoit bravé dans fon malheur ,
Qui , de fes procédés , avoit tant à ſe plaindre ,
Et qu'il croyoit fans doute , ainfi que le Lecteur,
Defcenda chez les morts , ou du moins mis en cage,
Et fervant de jouet aux enfans du village.
Il s'étoit échappé , je ne fais trop comment ;
Mais au furplus , cela n'importe guère :
Il s'étoit échappé , c'eft le point important.
"Oh ! oh! dit-il en voyant le compère ,
Qui vouloit l'éviter : eh ! notre ami , vraiment
»La rencontre eſt bien fingulière :
»Comment , c'est vous! mais rien n'eft plus
∞ plaifant.
30
» Eh bien ! qu'en dites-vous , confrère ?
Le gîte eft-il paffable ? en êtes - vous content ?....
Le jour paroît ; je vais rentrer dans ma tannière ;
Adieu; portez-vous bien... J'ai pitié cependant
» De l'excès de votre mifère ,
Et , pour cette fois feulement ,
Je veux bien vous aider à vous tirerd'affaire:
» La leçon eft complette & vous rendra prudent.
Je pourrois à mon tour vous envoyer aux
- piautres;
AVRIL 1777. 133
Mais j'aime beaucoup mieux vous mettre
»liberté.
» Allons , tirez de ce côté ;
Etn'oubliez jamais qu'il faut traiter les autres
20 Comme on veut en être traité ».
Traité des Maladies vénériennes , traduit
du latin de M. Aftruc ; quatrième édition
revue & augmentée de remarques
, par M. Louis , Profeffeur &
Cenfeur Royal , Chirurgien Confultant
des Armées du Roi , Infpecteur
des Hôpitaux Militaires du Royaume ,
Affocié libre de la Société Royale des
Sciences de Montpellier , &c. 4 vol .
in- 12. A Paris , chez Cavelier , Libr.
rue Saint Jacques , 1777. Avec appr.
& priv. du Roi.
Nous n'ajouterons rien à la réputation
de cet Ouvrage , qui a fi bien mérité du
Public ; nous nous contenterons feulement
de donner une notice des remar
ques que M. Louis a joint à cette nouvelle
édition , & qui fe trouvent inférées:
dans le fecond volume , pour remplacer
le vuide qui s'y trouvoit , par les tranfpofitions
& les retranchemens que l'Edi
reur a cru devoir faire en faveur de la
#34 MERCURE DE FRANCE.
mémoire du célèbre M. Aftruc. Ces
remarques font confignées en douze
paragraphes ; le premier eft une difcuffion
fur l'origine de la maladie véné
rienne ; le fecond traite de la nature du
virus & de fes différentes manières d'agir;
le troisième roule fur la diftinction entre
les maladies vénériennes récentes , annoncées
par des fymptômes primitifs
connus , & cette maladie déguifée &
compliquée ; dans le quatrième , M.
Louis examine quels font les effets de
la falivation , & s'il eft avantageux ou
nuifible de la procurer ; dans le cinquiè
me, il expofe, d'après l'expérience , les
bons effets des fudorifiques dans le
fixième , il tâche de marquer les cas où
il faut attaquer préliminairement le vice
Focal dans cette maladie ; dans le feptiè
me , il appuie la doctrine qu'il donne
fur la raifon & l'expérience , & fait voir
qu'elle eft conforme au fentiment de
Boerhaaves dans le huitième , il applique
fes principes à la g.... V... , dont il examine
particulièrement la nature , pour
dévoiler les erreurs qu'on commer ordinairement
dans le cours de cette maladie ;
dans le neuvième, il indique une méthode
différente de celle de M. Afture,
AVRIL 1777.
135
" pour guérir une ftranguerie
habituelle
provenante
de ces mauvais traitemens ;
dans le dixième , il fait voir que la pratique
du traitement
anti- venérien par
les fumigations
eft fort ancienne, & qu'elle
a toujours été infidelle ; dans l'onzième , il
combat fortement
les Charlatans
; &
dans le douzième enfin , il donne aux
Elèves un plan de travail , par lequel ils
pourront faire de grands progrès dans
leurs études. Ces remarques
font vrai
ment dignes de la célébrité de l'Editeur ',
& ne peuvent que perfectionner
le trai
tement dans ces maladies .
...
Anatomie hiftorique & pratique , par M.
Lieutaut , Confeiller d'Etat , premier
Médecin du Roi , de Monfieur & de
Monfeigneur le Comte d'Artois
Docteur Régent de la Faculté de Médecine
, & de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de la Société Royale
de Londres , & c. nouvelle édition augmentée
de diverfes remarques hiftoriques
& critiques , & de nouvelles
planches ; par M. Portal , Lecteur du
Roi , Profeffeur de Médecine au Collége
Royal de France , & c . 2 vol . in-8 °..
A Paris , chez d'Houry , rue de la Bour
136 MERCURE DE FRANCE.
clerie ; P. F. Didot le jeune , quai des
Auguftins , & chez l'Anglois , quai
des Auguftins. Prix relié ୨ liv.
M. Portal étoit fur le point de donner
au public un Traité complet d'Anatomie ,
lorfque M. Lieutaut , à qui il fit part de
fon projet , lui apprit qu'on étoit fur le
point de donner une nouvelle édition de
fes effais anatomiques ; mais que fes occupations
, d'un genre tout différent
l'empêchoient d'y faire les additions
qu'il auroit defiré. L'Ouvrage de ce célèbre
Anatomiſte avoit fixé depuis longtemps
l'attention de M. Portal , & de
tous ceux qui s'adonnent à cette partie
de la Médecine théorique , tant par les
nouvelles découvertes qu'il contient ,
que par l'ordre , la clarté & l'exactitude
des defcriptions qu'on y trouve : M.
Portal dit même avoir adopté cet Ouvrage
depuis plufieurs années pour fes
cours d'Anatomie ; c'eft ce qui l'engagea
à fe charger lui-même de la publication
de cette feconde édition. Comme il y
avoit près de trente ans que la première
édition de cet Ouvrage avoit paru , il
n'eft pas douteux que dans un fiècle
comme le nôtre , où l'on s'adonne aux
•
AVRIL. 1777. 137
fciences phyfiques , on n'ait fait depuis
ce temps beaucoup de progrès dans l'Anatomie
; c'eft pour cette raifon que M.
Portal a cru donner , dans la nouvelle
édition que nous annonçons , un extrait
des travaux qui ont été faits depuis ce
temps fur l'anatomie de l'homme . Il l'a
auffi augmenté de fes obfervations particulières
, & il l'a encore enrichi d'un
tableau hiftorique des principales découvertes
faites dans différens temps & dans
différens pays ces éditions ne peuvent
• manquer de rendre cet Ouvrage beaucoup
plus complet. Les obfervations de
M. Portal font féparées du texte , &
font imprimées en forme de notes , ou
dans des articles détachés du corps de
l'Ouvrage. Un pareil Livre ne peut
être que de la plus grande utilité : il peut
convenir également aux gens éclairés &
aux étudians ; il réunit le double avantage
de n'être ni trop fuccint , comme
eft le Traité anatomique d'Héifter & de
Verdier , ni d'être inintelligible à ceux
qui fe dévouent à l'étude de l'Anatomie
telle qu'eft celle de Winflow.
Enfin , cet Ouvrage eft la vraie bafe
de l'Anatomie , & conféquemment de
la Médecine : il ne peut affez être con
,
138 MERCURE DE FRANCE.
fulté par les gens de l'Art ; it eft mar
qué au coin de l'utilité publique , tels
que font tous les Ouvrages de ce célè
bre Médecin.
*
Précis de la matière médicale , contenant
ce qu'il importe de favoir fur la nature
, les propriétés & les dofes des
médicamens , tant fimples qu'offici
naux , avec un grand nombre de for
mules ; par M. Lieutaut , Docteur
Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , premier Médecin du Roi ,
de Monfieur & de Monfeigneur le
Comte d'Artois , de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & de
la Société Royale de Londres , noa
velle édition , revue par l'Auteur. 2
vol. in 8 °. A Paris , chez P. F. Didot
le jeune , Libraire de la Faculté de
Médecine de Paris , quai des Auguftins
1776 , avec approbation & pri
vilége du Roi. Prix 1 liv . relié.
Quoique la Médecine embraffe prefque
toutes les fciences , il n'eft pás moins
rai d'obferver qu'il faut les diriger vers
la partie qui traite des médicamens ; &
en effet , le but qu'on doit fe propoſer
AVRIL 1777. 139
que trop à opprimer
dans l'art de guérir , confifte dans leur
emploi on exige aujourd'hui d'un Médecin
la connoiffance des Mathématiques
, de la Phyſique & de l'Anatomie ;
mais avec ces fciences , on ne guérit pas
la plus légère indifpofition ; on ignore
les reffources que nous fournit journellement
la nature ; on accable les malades
de beaucoup d'ordonnances ; & , par une
infinité de juleps , d'émulfions & d'apor
sêmes , on ne parvient malheureuſement
les efforts que la
nature fait pour éloigner ce qui l'opprime.
Souvent auffi il fe trouve des
Médecins qui , pour s'accréditer aux
dépens de leurs Confrères , & pour les
fupplanter , foumettent la fanté des hommes
à un vil intérêt , & rejettent le trai
tement le plus fain , pour en adminiftrer
un autre conforme à leurs faux préjugés.
Nous fommes cependant obligés de rendre
juftice ici au plus grand nombre des
Médecins François , & principalement
de cette Capitale , qui montrent, pour
la plupart , de la délicateffe dans ce
point.
Deux chofes font abfolument néceffaires
à un Médecin : il faut qu'il fache
faire un bon choix des médicamens , &
140 MERCURE DE FRANCE:
qu'il connoiffe le temps propre à les ap
pliquer mais , combien de difficultés
n'a-t-on pas à vaincre pour remplir ces
deux conditions ! Une infinité de circonftances
fait varier les maladies ; rarement
s'en trouve - t- il deux qui foient
exactement femblables . Dans un pareil
embarras , quoi de plus utile que d'avoir
fous les yeux une quantité fuffifante de
remèdes choifis & rangés dans un bon
ordre , pour pouvoir y prendre , au moment
favorable , ce qui paroît être le
mieux indiqué ? C'eft auffi ce que M.
Lieutaut s'eft propofé en publiant cet
Ouvrage.
Les médicamens font tirés des trois
Règnes de la Nature : on en trouve d'excellens
parmi les minéraux ; mais il faut
beaucoup de fageffe pour les adminiftrer :
on en tire un plus grand nombre des
végétaux. M. Buc'hoz a rapporté , dans
fon Hiftoire Univerfelle du Règne Végétal
, dont il paroît déjà fix volumes de
difcours , tout ce qu'on peut defirer für
les propriétés médicinales des plantes ,
chofe qui n'avoit pas été faite avant lui
avec autant d'étendue. Les fubftances
enfin tirées des animaux , font la partie
la moins confidérable des médicamens ;
AVRIL 1777. 141
mais elles font , fuivant M. Lieutaut ,
pour la plupart , plus analogues à l'économie
animale , & méritent fouvent , à
ee titre , la préférence fur les autres . Ces
médicamens font fouvent foumis aux
opérations très-variées de la Chymie &
de la Pharmacie , & pour lors on les
appelle officinaux . Ils font par-là toujours
prêts pour le befoin. M. Lieutaut nous
les fait connoître dans l'excellent Ouvrage
que nous annonçons . Ce feroit
peu que de connoître les médicamens
fimples , fi un Médecin ne connoiffoit
pas les compofés. M. Lieutaut , en parlant
du baume de Leucatel , s'exprime
ainfi :
« Ce baume , dit-il , fe compofe avec
» de la cire jaune & de l'huile d'olive ,
» bouillies dans du vin d'Eſpagne. Lorf
» que celui-ci eft confommé , on ajoute
» de la thérébentine & du bois de fantal
» rouge. Ce baume , dont Marquet a fait ,
» contre la phtifie , l'ufage le plus heu-
» reux , fait partie des remèdes vulné
» raires décififs , & s'emploie principalement
dans le traitement des maladies
» de poitrine. Il produit d'heureux effers
» dans la phtifie , quand on le donne à
» propos , & après avoir fait prendre.
141 MERCURE DE FRANCE.
» les remèdes convenables. On ne fe
≫ trouve pas moins bien d'en faire ufage
dans les ulcérations & évafions des au
» tres vifceres. Le baume de Leucatel fe
prend fous la forme de bol : fa doſe
peut aller jufqu'à un ou deux fcrupules
; on peut la porter à un gros & plus ,
lorfqu'on donne ce baume dans un
bouillon. Il y a des Médecins qui n'hé-
» fitent pas d'en faire prendre de deux
» gros à demi-once . Je doute que leur
fuccès juftifient leur conduite. On peut
» auffi s'en fervir à l'extérieur , & alors
» il n'eft pas un des moins bons vulnéraires
; mais rarement l'emploie- t- on
» de cette manière » .
"
M. Marquet n'eft pas le feul qui ait
fait ufage , avec fuccès , du baume de
Leucatel pour les maladies de poitrine.
M. Buc'hoz , fon gendre , ancien Médecin
du feu Roi de Pologne , l'a auffi employé
en pareils cas pour efficacité . Voyez
Ja Médecine moderne , qui fe trouve chez
Lacombe.
L'article du baume de Leucatel , que
nous venons de rapporter , peut faire
juger des autres . On y remarque , dans
chacun d'eux , de la clarté , de la précifion
, & de l'inſtruction.
AVRIL 143 1777.
Les médicamens fe trouvent divifés
dans ce Précis , en internes & externes.
Ces deux claffes font fubdivifées en différentes
familles , relles que les fudorifiques
, les purgatifs , les diurétiques , les
vulnéraires , & c. & chacune de ces familles
comprend d'abord les maladies
dans lesquelles on peut employer ces
fortes de médicamens , avec quelques
généralités fur leur ufage ; enfuite on y
trouve indiqués tous les remèdes fimples:
& officinaux qui en font partie : après
quoi M. Lieutaut y rapporte plufieurs
formules magiftrales , qu'on peut prefcrire
avec ces médicamens en faveur des
jeunes Médecins ; enfin il termine par
des commentaires fur les remèdes particuliers
qu'il a rapporté. Que peut- on de
plus méthodique qu'un pareil ordre ? It
fe rencontre par-tout l'Ouvrage : il ne
devoit manquer à fa fuite qu'un Traité
des alimens ; c'est ce qu'a très- bien apperçu
M. Lieutaut , ce fameux Médecin
auquel nous fommes redevables de la
confervation des jours de notre illuftre
Monarque & de fa famille : auffi a-t-il
en grand foin d'en placer un à la fuite
de ce Précis . La matière alimentaire eft
la partie effentielle de la matière › mé
144 MERCURE DE FRANCE.
dicale ; & en effet , cette dernière doit
embraffer tout ce qui peut être employé
à la guérifon des maladies. Il eft furprenant
qu'avant M. Lieutaut , on ne l'air:
pas encore envifagé fous ce point de vue.
Ce célèbre Médecin voudra bien nous
permettre , en finiffant cet extrait , de
rapporter ici , d'après lui , ce qu'il a dit
dans la Préface au fujet des encouragemens
qui feroient néceffaires pour perfectionner
l'étude de la Médecine , & des
différentes parties qui la conſtituent.
30
« Il ne manque , dit ce premier Médecin
, que quelques encouragemens :
c'eft l'aiguillon , comme on le fait ,
» qui réveille l'émulation , & excite cette
» chaleur fi propre à développer les talens
& à leur donner tout le luftre dont ils
font fufceptibles. Je ne prendrai , parmi
» les exemples dont fourmille notre hif
toire littéraire , que celui du célèbre
Tournefort. Ce Botaniste incomparable
» feroit refté dans l'obfcurité , fi un pro-
» tecteur puiffant & éclairé ( M. Fagon ,
premier Médecin du Roi ) ne l'en avoit
retiré ». M. Lieutaut eft auffi premier
Médecin du Roi ; & , par cette facon
de penfer , que n'y a-t-il pas à efpérer
de la protection pour ceux qui ferdon-
"
99
nent
AVRIL. 1777 . 145
nent aux fciences utiles & dépendantes
de la Médecine ? Auffi c'eft de fon
temps que paroît en France le plus
grand Ouvrage qu'on ait jamais publié
fur la Botanique , je veux dire ,
l'Hiftoire Univerfelle du Règne Végétal
par M. Buc'hoz , qui mérite le plus
d'être protégé.
Difcours choifis fur divers fujets de Religion
& de Littérature , par M. l'Abbé
Mauri , Abbé commendataire de la
Frenade , Chanoine , Vicaire -Général
& Official de Lombez , & Prédicateur
ordinaire du Roi . A Paris , chez le
Jay, Libr. rue S. Jacques.
Ce Recueil renferme le Panégyrique de
S.Louis, prononcé en préfence de l'Acadé
mie Françoife . Les applaudiffemens d'un
pareil auditoire , font le plus bel éloge
qu'on puiffe recevoir , & font en mêmetemps
les garans les plus fùrs de la bonté
d'un Ouvrage oratoire . Ainfi la gloire du
Panégyrifte ne peut plus recevoir la plus
légère atteinte . Malgré la multitude de
Difcours fur ce même fujet , on trouve
dans celui - ci des idées neuves , & des
traits hiftoriques bien choifis & bien
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
approchés. Saint Louis , créateur de for
fiécle , Saint Louis bienfaiteur de tous
les fiécles qui l'ont fuivi . Cette divifion.
embraffe toute l'étendue du fujet ; l'Orateur
ne le perd pas un inftant de vue ,
& ne reffemble point à ces prolixes Rhétheurs
qui , au lieu d'entrer d'abord en
matière , & de tout approprier à leur
but , fe tournent & fe retournent dans
tous les fens , & laiffent l'Auditoire incertain
fur la matière qu'ils ont traitée,
Le Panégyrifte ramène tout fon Difcours
à la fin principale que doit fe propofer
un digne Miniftre de l'Eglife. C'eſt le
riomphe de la Religion Chrétienne
qu'il cherche à établir , en louant les vertus
qu'elle feule peut produire. « Par fes
» loix contre le blafphême, & fur- tout
» par fes exemples de piété , Saint Louis
$9
વ
confacra le refpect dû à la Religion .
» Le Chriftianiſine , qui a eu la gloire
» de réclamer , avant la raifon même
» en faveur des ferfs , la liberté qui eſt
» la vie civile de l'homme , comme la
» verta eft fa vie morale ; le Chriftia-
» niſme qui , en déclarant par la bouche
de fes Pontifes dans le Concile de
Latran , ne vouloir point d'Efclaves
» dans ſon ſein , a enfin aboli l'efclavage
6.
AVRIL 1777. 147
$
» en Europe : le Chriftianiſine étoit né-
» ceffaire à Louis pour policer un Peuple ,
» en faveur duquel on auroit pu répéter
» cette énergique prière de David : Seigneur
, faites naître un Légiflateur par-
» mi ces Barbares , afin que les Nations
les mettent au rang des hommes :
» Conftitue, Domine , Legiflatorem fupereos
» ut fciant gentes quoniam homines funt.
Non , il n'appartient qu'au Chriſtianifine
d'opérer une fi étonnante révolution.
L'amour-propre peut déterminer
aux plus généreux facrifices ; cependant
le plus fublime effort de la
» vertu , n'eft pas d'être vertueux avec
danger , mais fans témoins : c'eft le
» devoir du Chrétien , c'eft auffi fon
privilége . Saint Louis avoit befoin
» d'accréditer cette morale pour adoucir
& former les moeurs dans un gouver
nement dénué de principes ; & il fer-
» voit utilement fes fuccefleurs , en ci-
» mentant l'obéiffance des Sujets par les
» liens de la Religion . En effet , la Religion
Chrétienne jette fes racines dans
» le coeur humain ; & après avoir affermi
» les Trônes par l'amour , elle les appuie
"
32
39
•
encore fur les confciences ; elle détruit
» ce penchant funefte vers l'intérêt perfonnel
, qui n'auroit dû naître que
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
"
>> parmi des Sauvages , & qui nous eft
cependant venu des vices de la fociétés
» elle est la bafe des vertus fociales ,
» civiles & domeftiques : il en eft plu-
» tieurs qu'elle feule commande , & il
» n'en eft aucun qu'elle ne perfectionne,
» Eh ! quoi de plus utile aux Peuples &
» aux Rois que le Chriftianifme ! Quoi
» de plus propre à unir les hommes , à
» les faire vivre dans la paix & dans
» l'abondance , que la charité ! Eh ! Mef-
» fieurs , c'est tout l'art de la politique ,
» de ramener les Peuples , par les Loix ,
» vers les préceptes de l'Evangile ! »
"
L'Orateur , en faifant un fi bel éloge
de la morale du Chriftianifme , a l'avantage
de parler , non- feulement d'après
les Miniftres de l'Evangile , mais encore
d'après des Philofophes célèbres , dont
le témoignage ne doit point être fufpect.
Les Montefquieu , les Maupertuis , les
Rouffeau , les d'Alembert , ont tenu le
même langage , & nous ont laiffé des
armes pour repouffer les Détracteurs
d'une Religion qui , pour me fervir des
propres expreffions d'un de ces Philofofophes
, fait notre bonheur dans cette
vie , en paroiffant n'avoir d'objet que la
* Montefquieu,
AVRIL. 1777 149
félicité future , & devient le meilleur
garant que l'on puiffe avoir des moeurs &
de la probité des hommes .
Nous voudrions pouvoir extraire plufieurs
autres morceaux éloquens qui font
répandus dans le Panégyrique de Saint
Auguftin , cet efprit fublime , qui , après
avoir été abandonné à l'erreur , reçut ,
avec tant d'abondance , les plus vifs
raïons de la vérité divine , & qui devint
un des plus précieux vafes du faint
amour , après avoir été près de la moitié
de fa vie , la proie de l'amour impur.
Après une telle expérience , pouvoit- il
n'être pas le plus illuftre Prédicateur &
l'Apôtre le plus ardent de la grace de
Jéfus Chrift , qui , feule , fait fortir la
lumière des ténèbres . Cet illuftre Docteur
de l'Eglife avoit remarqué que la
plupart des Panégyriftes de fon temps
ne fembloient fe propofer d'autre but ,
que de perfuader qu'ils favoient parler
agréablement & avec élégance . M. l'Abbé
Mauri a fu éviter cet écueil , en cherchant
plus à inftruire qu'à plaire , & a prouvé ,
par fa compofition , qu'on peut einployer
avec fuccès & à propos , dans des éloges ,
ce qu'on appelle , dans l'art oratoire , les
'grands mouvemens.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
L'Éloge de M. Fénélon qui s
obtenu l'acceffit au jugement de l'Académie
Françoife , fournit matière à la
même réflexion , & prouve bien que
ce genre de compofition tire tout fon
éclat du choix judicieux des actions
du Héros qu'on loue , & de l'art avec
lequel on fait les rendre intéreffantes ,
par la manière de les préfenter. M.
T'Abbé Mauri n'a pas cru devoir fe
borner à fournir des exemples de l'élaquence
de la Chaire ; il développe , dans
fon Difcours préliminaire , & dans fes
réflexions fur les Sermons de Boffuet ,
les préceptes les plus propres à perpétuer
le bon goût de la vraie éloquence , &
appelle à fon tribunal les Ecrivains les
plus célèbres. C'eft avec la plus grande
impartialité qu'il prétend les apprécier.
Ce n'eft ni le Maître , ni Patru , dit-il ,
qui occupent le premier rang au barreau
François ; cet honneur eft réservé
à Péliffon , qui a mérité une gloire
»immortelle , en compofant fix Mémoires
pour le Sur-Intendant Fouquet ,
» & fur-tout à Arnaud , qui a furpallé
» tous les Avocats dans l'Apologie des
Catholiques d'Angleterre , accufés
» d'une confpiration contre le Roi Char,.
» les II , en 1678. Lifez cette éloquente
"
AVRIL. 1777. 1st
3
difcuffion ; que de larmes Arnaud vous
»fera répandre fur la mort du vertueux
Vicomte de Stafford ! Orateur fans
» chercher à l'être , il ne paroît pas fe
propofer de vous émouvoir ; mais
par le fimple récit des faits , par la
» feule dialectique , par les dépofitions
» des témoins fur lefquels les Catholi-
» ques furent condamnés , il prouve
» invinciblement leur innocence ; il vous
» attendrit fur le fort des infortunés dont
" il raconte les malheurs , & il rend
» exécrable pour toujours la mémoire du
» fameux Ouatès , qui inventa cette
» abfurde calomnie . Jamais on n'a porté
plus loin la démonftration morale ».
L'Auteur a cru devoir obferver à ce fujet,
que M. Arnaud juftifioit, dans cette occa
fion , des hommes qu'il haïffoit . Nous
obferverons à notre tour , qué le zèle
même trop vif contre des opinions
qu'on regarde comme dangereufes , ne
doit point fe confondre avec la haine ,
cette paffion vile des ames foibles . Dirat-
on que Boffuet haiffoit les Proteftans ,
& que Fénélon , cette ame douce &
compatiffante , ne chériffoit pas les
Théologiens dont il attaque les opinions
avec tant de zèle , dans plufieurs
Giv
12 MERCURE DE FRANCE.
de fes Inftructions Paftorales ? Ces deux
Prélats , auffi recommandables leurs
par
vertus que par leurs talens , favoient bien
que le fouvent zèle ne bleffe que pour
guérir , & que l'amour de la vérité & de
la juftice n'eft point incompatible avec la
charité chrétienne , qui aime toujours
ceux mêmes dont elle attaque les opinions
ou les erreurs : Diligite homines, interficite
errores . Voilà la devife des grands hommes,
& fur-tout de ceux qui favoient
joindre , comme le grand Arnaud , la
philofophie avec la ſcience théologique.
Ecoutons ce que dit avec tant d'éloquence
, & fans reſtriction , le Chancelier
d'Agueffeau , fur cet illuftre Auteur.
« La logique la plus exacte , con-
» duite & dirigée par un efprit naturellement
géomètre , eft l'ame de tous
» fes ouvrages : mais ce n'eft
pas une
» dialectique sèche & décharnée , qui
» ne fe préfente que comme un fquelette
» de raifonnement ; elle eft accompagnée
» d'une éloquence mâle & robufte, d'une
» abondance & d'une variété d'images
qui femblent naître d'elles- mêmes fous
» fa plume , & d'une heureufe fécondité
d'expreffion. C'eft un corps plein de
» fuc & de vigueur , qui tire toute fa
و د
">
»
AVRIL 1777. 153
beauté de fa force, & qui fait fervir
» fes ornemens mêmes à la victoire. Il
» a d'ailleurs combattu pendant toute fa
» vie . Il n'a preſque fait que des Ouvrapeut
» ges polémiques , & l'on dire que
» ce font autant de plaidoyers , où il a
eu toujours en vue d'établir ou de
» réfuter , d'édifier ou de détruire , &
de gagner fa caufe la feule fupériorité
du raifonnement. On trouve
» donc dans les écrits d'un génie fi fort
» & fi puiffant , tout ce qui peut appren-
» dre l'art d'inftruire , de prouver & de
ود
> convaincre » .
par
M. l'Abbé Mauri ne fe borne pas à
apprécier le mérite des Orateurs qui ont
illuftré la chaire , & à nous apprendre
que le célèbre Miffionnaire , M. Bridaine
, poffédoit au plus haut degré le
talent de s'emparer d'une multitude affemblée.
Il appelle encore à fon tribunal
les Orateurs qui fe font diftingués dans le
barreau , & croit nous donner une preuve
de fon goût & de fon impartialité , en
tempérant , par un correctif , les éloges
donnés de toutes parts à M. le Chancelier
d'Agueffeau , confidéré comme Orateur.
Ce Magiftrat , malgré toutes les
belles qualités que M. l'Abbé Mauri lui
donne , n'avoit pas eu affez de vigueur ,
Gv
154 MERCURE
DE FRANCE
.
s'il faut l'en croire , pour s'élever jufqu'à
la hauteur des fujets que le miniftère
public , dans le fanctuaire des loix ,
l'avoit obligé de traiter. Ainfi M. d'Agueffeau
, comme Orateur , n'a point , felon
M. l'A. M. , cette fupériorité
qu'il s'eft
acquife dans les autres genres . Cette
manière de penfer du nouveau Panégyrifte,
ne l'empêche point d'affurer que de
tous les hommes célèbres qui , depuis
le commencement
du fiécle , ont parcouru
la même carrière , M. le Chancelier
d'Agueffeau
eft celui qui s'eft acquis le
plus de gloire en exerçant les fonctions du
miniftère public. Ainfi , quoique placé
fuivant l'opinion de M. l'Abbé Mauri ,
au- deffus des grands hommes qui ont
exercé , & qui exercent encore aujourd'hui
avec tant de gloire les fonctions du
miniſtère public , le Chancelier d'Agueffeau
n'en feroit pas moins , malgré cette
prééminence
fi glorieufe , qu'un foible &
médiocre Orateur. Perfonne ne croira
que M. l'Abbé Mauri ait vouln fe rehaufer
& attirer les regards du Public , en
cherchant à diminuer , s'il étoit poffible ,
la gloire de ces grands hommes , & à
s'efforcer , par cette opinion fingulière ,
d'échapper à l'obfcurité & à l'oubli , dont
médiocrité eft digne , & que la vanité
AVRIL. 1777. 155
ne peut fouffrir. Ses Ouvrages & fa ré
putation le mettent trop au-deffus de pareilles
imputations. Cette nouvelle manière
d'apprécier le mérite du Chancelier
d'Agueffeau , ne peut être que l'effet
de la trop grande docilité d'un Écrivain
qui ne peut pas tout examiner , & qui
eft fouvent obligé de juger fur parole .
Nous fommes intimement perfuadés
qu'il ne fuffifoit à M. l'Abbé Maury.
pour apprécier avec plus d'équité & de
difcernement , les qualités littéraires de
M. le Chancelier d'Agueffeau , que d'avoir
lu , avec la plus légère attention ,
les Plaidoyers dans les caufes de M. le
Prince de Conty & de Madame la Ducheffe
de Nemours , de M. le Duc de
Luxembourg , & des autres Ducs & Pairs
Laïcs , du fieur de la Pivardière „ de M.
& Made la Comteffe de Boffur , & des
héritiers de M. le Duc de Guife , & c.....
י
Au refte , ce feroit faire injure à la mémoire
de cet illuftre Magiftrat , que d'entreprendre
ici fon apologie . Ce n'eft point
par des opinions fingulières & des para
doxes qu'on parvient à dégrader les grands
hommes , de cette haute élévation où le
jugement de la faine partie du public , &
Fadmiration de leurs contemporains s
Gvjj
156 MERCURE DE FRANCE.
ont placés . Tant que le bon goût régnera
parmi nous , le Chancelier d'Agueffeau
Occupera un rang diftingué parmi les
Orateurs du Barreau ; & s'il arrivoit jamais
qu'on ne lui rendît point la même
juftice , ce feroit une preuve que les Écrivains
, qui ont fubftitué l'enflure à l'élévation
& le bel efprit au génie , ont enfin
opéré , dans la littérature , la révolution
dont elle étoit menacée . Mais rien n'eft
plus propre à éloigner cette trifte époque
, que les préceptes excellens & les
morceaux éloquents qu'on admire dans
l'Ouvrage que nous annonçons
.
ANNONCES LIT TÉRAIRES.
DICTIONNAIRE
ICTIONNAIRE interprête , Manuel
des noms Latins de la Géographie ancienne
& moderne , pour fervir à l'intelligence
des Auteurs Latins , principalement
des Auteurs claffiques , avec
les défignations principales des lieux ;
Ouvrage utile à ceux qui lifent les Poë-
› les Hiftoriens , les Martyrologes ,
les Chartes , les vieux Actes , & c . & c.
in-8° . Prix 4 liv. broché. A Paris , chez
AVRIL. 1777. 167
Lacombe , Libraire , rue de Tournon ,
près le Luxembourg.
On trouve chez le même Libraire ,
Le Tableau Politique & Littéraire de ·
l'Europe , fuivi d'une notice des découvertes
dans les arts , dans la phyfique ,
des fingularités de la nature , des défaftres
, avec une lifte des bienfaiteurs ,
Édits , Déclarations , Ordonnances , & c.
pour l'année 1775 , vol . in- 12 broché.
Prix 2 liv.
Hiftoire de la République Romaine
dans le cours du VII fiècle ; par Sallufte
; en partie traduite du latin fur
l'original , en partie rétablie & compofée
fur les fragmens qui font reftés de
fes livres perdus , remis en ordre dans
leur plan véritable , ou le plus vraiſemblable
, trois volumes in-4 ° . avec figures .
Prix 45 1. en feuilles , 46 l . 16 f. brochés
en carton. A Dijon , chez L. N. Frontin
Imprimeur du Roi ; & fe trouve à Paris
chez Piffot , Libr. , quai des Auguftins.
L'Odyffée d'Homère , traduite en vers ,
avec des remarques , fuivie d'une difer158
MERCURE DE FRANCE .
tation fur les voyages d'Ulyffe ; par M.
de Rochefort , de l'Académie des Infcriptions
& Belles - Lettres , deux volumes.
in-8 ° . A Paris , chez Brunet , Libraire ,
rue des Écrivains.
و ک
Euvres de M. le Vicomte de Grave
contenant Varon & Phædime , Tragédies
, avec quelques pièces fugitives , br.
in- 12. Prix 2 liv. A Paris , chez la veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
& Cailleau , Imprimeur- Libraire , rue S.
Severin .
,
On trouve chez Nyon aîné , Libraire ,
Bue Saint-Jean-de- Beauvais ,
Les Coutumes Anglo- Normandes ; par
M. Houard , in-4 ° . fecond volume.
Loix des François , traduites de l'Anglois
de Littletton , deux volumes in - 4®.
24 liv.
Le tome I. François & Latin , des
Modèles choifis de latinité de M. Chom
pré , deux parties in- 12 . Le Latin & le
François font féparés pour l'ufage des
Colleges & des gens du monde.
AVRIL. 1777. 159
Cours d'Études ; par M. l'Abbé de
Condillac , quinze volumes in- 8 °.
De la Vieilleffe ; par M. Robert ;
Docteur Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , premier Médecin & Confeiller
intime de feu S. A. S. Chriftian
IV , Comte Palatin , Duc des Deux-
Ponts , volume in- 12 . A Paris , chez
L. Cellot, Imprimeur- Libraire, rue Dauphine
, 1777 .
Supplément à l'Encyclopédie , ou Dictionnaire
raifonné des Sciences , des Arts
& des Métiers ; en cinq volumes infolio
, dont un de planches. Les trois
premiers volumes actuellement en
vente ; le quatrième & le cinquième
en Juillet prochain . A Paris , chez
Stoupe , Imprimeur- Libraire , rue de
la Harpe ; & chez les principaux Libraires
de France & des pays étrangers.
On a mis en vente le Supplément as
Dictionnaire raifonné des Sciences , des
Arts & des Métiers , par une fociété de
Gens de Lettres . Il eft compofé de cinq
volumes in-folio ; favoir , quatre de dif
160 MERCURE DE FRANCE.
cours & un de planches. Le caractère &
le papier font femblables à ceux de l'Ouvrage
en vingt- huit volumes in-folio ,
dont on vient d'achever à Genève , une
réimpreffion entièrement conforme à
l'édition de Paris ; enforte que ce Supplément
fert pour l'une & pour l'autre.
C'est l'Ouvrage de MM. d'Alembert ,
le Marquis de Condorcet , le Baron de
Haller , Bernoulli , de la Lande , Adanfon
, Marmontel , & d'autres Savans
des Académies de France & étrangères.
Ils y ont raffemblé les nouvelles découvertes
faites dans les Sciences & les Arts ;
& ce qui n'eft pas moins effentiel , ils
ont corrigé un grand nombre de fautes
pardonnables , fans doute , à des Gens
de Lettres qui éprouvèrent trop de contradictions
, pour porter d'abord leur entrepriſe
à fa perfection . Ainsi , le Supplément
qu'on annonce , complette ce dépôt
immenfe des connoiffances humaines.
Au mois de Juillet dernier , on a publié
les deux premiers volumes , pour
lefquels on a payé 48 liv. & 12 liv. à
valoir fur le volume de planches .
On délivre actuellement le troisième
volume , au prix de 24 livres.
En Juillet prochain , on publiera les
AVRIL 1777,
161
quatrième & cinquième volumes , qui
complettent l'Ouvrage , pour lefquels on
paiera 60 livres .
Nous avons parlé des deux premiers
volumes de cet important Ouvrage : nous
parlerons inceffamment du troisième , qui
ne leur eft pas inférieur. Les perfonnes
qui pofsèdent l'Encyclopédie , doivent
favoir gré aux favans Auteurs de ce Supplément
, d'avoir travaillé , avec autant
de zèle que d'intelligence & de goût ,
à perfectionner ce grand Ouvrage.
Laporte , Libraire à Paris , rue des
Noyers , vient d'acquérir les articles
fuivans :
Traité des Monnoies , & de la Jurifdiction
de la Cour des Monnoies , en forme
de Dictionnaire , contenant l'hiftoire des
Monnoies des anciens peuples , Juifs ,
Gaulois & Romains ; les Monnoies de
France , leurs variations , titres , poids
& valeurs depuis le commencement de
la Monarchie jufqu'à ce jour ; la fabrication
des Monnoies de compte , réelles &
courantes en Afie , en Afrique & en
162 MERCURE DE FRANCE.
Amérique , &c. Ouvrage très- utile aux
Officiers des Monnoies , aux Changeurs,
Affineurs , Orfévres , Horlogers , Négocians
, Banquiers , & à tous les Curieux
qui veulent prendre connoiffance des
Monnoies , &c. deux volumes in-4°.
24 liv. reliés .
Lettres choifies des Auteurs François
les plus célèbres , pour fervir de modèle
aux perfonnes qui veulent fe former dans
le ftyle épiftolaire , &c . deux volumes
in- 12 de 500 pages chacun . Prix s liv.
réliés.
Nouvelle Encyclopédie portative , ou Ta
bleau général des Connoiffances humaines
; Ouvrage recueilli des meil
leurs Auteurs , dans lequel on entreprend
de donner une idée exacte des
fciences les plus utiles , & de les
mettre à la portée du plus grand nombre
des Lecteurs , deux volumes in- 8 °.
10 liv . reliés .
Le titre de ce dernier Ouvrage an
nonce fon importance , fon utilité , &
l'étendue des matières qu'il embraffe .
Les Connoiffances humaines y font difAVRIL.
1777. 163
tinguées en deux claffes : la première
comprend les connoiffances que nous
devons à nos fens , & la feconde , celles
que nous devons à la réflexion.
Avis fur la Table du Journal des Caufes
eélèbres , Ouvrage périodique pour
lequel on foufcrit chez le fieur Lacombe
, Libraire , rue de Tournon ,
douze volumes par an. Prix 18 liv.
pour Paris , 24 livres pour la Province ,
franc de port.
Nous avons annoncé au mois de Novembre
1776 , que M. Défeffarts propofoit
de donner une Table de tous les
volumes du Journal des Caufes célèbres ,
& que le volume qui la renfermeroit ,
paroîtroit dans le courant du mois de
Juin 1777. Comme il n'a reçu qu'un
très- petit nombre de foufcriptions pour
ce volume , les perfonnes qui defireront
fe le procurer , font priées de foufcrire
avant le commencement de Juillet , parce
qu'on ne tirera que le nombre des exemplaires
néceffaires pour les Soufcripteurs.
L'utilité de cette Table n'a pas befoin
d'être prouvée. Avec fon fecours , lé
Journal des Cauſes célèbres deviendrá
164 MERCURE DE FRANCE.
un receuil de Jurifprudence qu'on pourra
confulter avec la plus grande facilité . Cet
avantage eft précieux pour les Jurifcon
fultes. La Table n'eft pas moins utile
pour les perfonnes qui lifent cet Ouvrage
pour leur plaifir , puifqu'au lieu d'être
embarraffés à chercher une caufe ou un
trait particulier , ils le trouveront fur le
champ. Le prix de ce volume eft de ;
liv. franc de port.
ACADÉMIE S.
PARIS.
I.
L'ACADÉMIE Royale des Infcriptions &
Belles Lettres a fait , le 8 Avril dernier ,
fa rentrée publique . M. l'Abbé Ameilhon
a ouvert la féance par la lecture d'un
Mémoire fur la métallurgie des anciens ,
dans lequel il donne un Précis des opérations
des anciens pour la découverte
des mines , les fouilles & la fonte des
métaux .
AVRIL. 1777. 165
M. Déformeaux a lu enfuite un Mémoire
fur la nobleffe françoife .
M. Deguignes en a lu un autre intitulé
: Hiftoire de la Religion Indienne à
la Chine , dans lequel , en indiquant les
principales révolutions que cette Religion
à occafionnées . dans cet Empire , il fait
voir que depuis l'an 65 de J. C. , &
même long-temps auparavant , les Chi
nois n'ont jamais ceffé d'être en commerce
avec les peuples d'occident.
M. Dupuy a terminé la féance par la
lecture de la Préface qu'il doit mettre à
la tête d'un morceau Grec d'Enthemius
fur les miroirs ardens , qui fera imprimé
dans les Mémoires de l'Académie .
I I.
L'Académie Royale des Sciences a fait
fa rentréepublique le Mercredi 9. La féance
a commencé par
l'annonce que fait le
Secrétaire des pièces qui ont remporté
les prix , & des arts publiés par l'Académie
.
Le prix propofé fur la théorie de la
conftruction des bouffoles de déclinaifon ,
& la recherche des loix de la variation
diurne des aiguilles aimantées , a été par,
166 MERCURE DE FRANCE.
tagé entre M. Wans Winden , Profeſſeur .
de philofophie à Francker , en Frife , &
M. Coulomb , Capitaine au Corps Royal
du Génie. L'Académie a donné en mêmetemps
un pux d'encouragement de 800
liv. à M. Magni , qui lui avoit préfenté
une boutfole propre à obferver avec précifion
les variations diurnes.
Une compagnie de Négocians avoit
propofé un prix de 1200 liv. pour celui
qui donneroit la meilleure analyſe de l'Indigo
, & la meilleure théorie des opérations
de la teinture dont l'Indigo eft la
bafe : le prix a été partagé entre un Mémoire
de M. Quatremere , Ecuyer , Entrepreneur
de l'ancienne Manufacture
Rovale de draps de Pagnon , à Sedan , &
un Mémoire dont les Auteurs font MM .
Hecquet d'Orval , Négociant d'Abbeville
, & M. de Ribaucourt , Apothicaire
de la même ville .
M. Quatremere n'a que 22 ans , circonftance
qui doit encore augmenter fa
gloire. On trouvera dans fon Mémoire
des moyens certains de rétablir les cuves
de bleu , lors même qu'elles paroiffent
putréfices.
L'Académie propofe pour fujet du prix
de 1779 , de donner : La théorie des ma-
1
AVRIL. 1777. 167
chines fimples , en ayant égard au frottement
de leurs parties & à la roideur des
cordages ; mais elle exige que les loix du
frottement & l'examen de l'effet réfultant
de la roideur des cordages , foient
déterminés d'après des expériences nouvelles
, & faites en grand. Elle exige de
plus , que les expériences foient applicables
aux machines ufitées dans la Marine ,
telle que la poulie , le cabeftan , le plan
incliné.
L'Académie déclare que le prix ne fera
point accordé aux pièces qui ne contiendroient
ou qu'une théorie mathématique
& abftraite , ou même qu'une théorie
fondée fur des expériences déjà connues .
Le prix fondé par feu M. Bouillé de
Meflai , Confeiller au Parlement , eft
de 2000 livres. Les pièces feront écrires
en françois ou en latin , & adreffées au
Secrétaire de l'Académie : elles ne feront
admifes au concours que jufqu'au premier
de Septembre 1778.
Ce prix , dont le fujet eft toujours relatif
à la navigation , fe diftribue toutes
les années impaires ; l'Académie donne
toutes les années paires un prix d'Aftronomie
phyfique de 2500 liv. auffi fondé
par M. Bouillé de Meſlai,
168 MERCURE
DE FRANCE
.
Les Arts publiés cette année par l'Académie
, font la feptième partie de l'Art
de fabriquer les étoffes de foie , par M.
Paulet ; & la dernière partie de l'Art d'exploiter
& d'employer les mines de charbon
, par M. Morand. On trouve dans
ce dernier Ouvrage , une differtation trèsbien
faite & très- propre à détruire les
terreurs paniques qu'on a cherché à infpirer
contre l'ufage du charbon de terre
pour le chauffage.
Les Ouvrages lus dans la féance ont été :
1º. Une Obfervation de M. de Lavoi
fier , fur la décompofition de l'air dans les
poumons. Il paroît que nos poumons abforbent
précisément cette partie de l'air
atmosphérique qui fe combine avec les
métaux lorfqu'on les calcine ; ce qui refte
enfuite de l'air commun ainfi décomposé ,
a des propriétés différentes ; & quoique
toujours élastique , il ne peut plus fervir
à la refpiration . Ainfi cette fonction ,
regardée fi long - temps comme purement
méchanique , devient , par cette
nouvelle théorie , une opération chymique.
2. Un Mémoire de M. d'Aubenton ,
fur la manière de perfectionner l'efpèce
des bêtes à laine ; il en résulte qu'en temant
ces animaux l'hiver , foit en plein
air ,
AVRIL. 1777) 169
air , foit fous des hangards où l'air circule
librement , on pourra , avec un petit
nombre de béliers d'Espagne , mêlés avec
nos eſpèces les plus communes , fe procurer
, au bout de quelques générations ,
une race égale à celle d'Elpagne.
3º . Un Mémoire de M. de Milli , fur
un métal compofé d'or & de fer , qui
a quelques propriétés communes avec la
platine , fubftance fingulière , que plufieurs
Chymiftes regardent comme un
troisième métal partait , tandis que les
autres n'y voient qu'un mélange de fer
& d'or. Le métal de M. de Milli réfifte
aux acides fimples les plus forts , n'eft
pas fujet à la rouille , & acquiert facilement
la vertu magnétique ; ces propriétés
peuvent le rendre utile.
4º. M. Pingré a lu un Mémoire fur
une comète qu'un Écrivain grec rapporte
avoir vu paffer fur le difque de la Tune ,
en 1454.
5. La Préface d'un Ouvrage fur la
conftruction des hôpitaux ; par M. le
Roy. Un feul malade dans un lit ; les
lits féparés par des paravens ; un bâti
ment formé de plufieurs falles ifolées ,
autour defquelles l'air circule librement ;
des falles conftruites de manière qu'un
II. Vol. 且
170 MERCURE DE FRANCE
1
courant d'air perpétuel entraîne l'air putride
qui s'y forme à chaque inftant :
telles font les idées que la faine phyfique
& l'amour de l'humanité ont infpirées à
M. le Roy.
6º. Un Mémoire de M. l'Abbé Ro
chon , fur la manière d'employer la propriété
connue du cryftal de roche ; d'avoir
une double réfraction à la meſure de
petits angles avec la plus grande préci
fion. Cette idée peut devenir d'une grande
utilité dans l'Aſtronomie , & même y
faire époque.
7º . Un Mémoire de M. de la Place ,
fur la nature du fluide qui refte dans la
machine Pneumatique ; lorfqu'on y fait
le vuide , ce n'eft pas feulement de l'air
très-dilaté , comme on l'avoit fuppofé
jufqu'ici : les corps fluides , ou feulement
humides qui font fous la pompe , fe va
porifent à la chaleur de l'atmoſphère ,
lorfque le poids de l'air ne s'y oppofe
plus , & fe condenſent lorfqu'on fait rentrer
l'air fous le récipient.
8°. M. le Chevalier de Borda devoit
lire les détails d'un voyage très - intéreffant
, qu'il vient de faire par ordre du
Gouvernement , pour déterminer le giffement
des côtes de l'Afrique , & la poJAVRIL
37771 171
1
firion des Canaries ; & M. Portal , un
Mémoire fur les effets de la faim dans
les animaux .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LES Concerts donnés au Château des
Tuileries pendant la vacance des Spectacles
fous la direction de M. le Gros ,
ont attiré un grand concours d'Amateurs ,
& ont eu le fuccès le plus brillant & le
mieux mérité. On y a principalement
admiré & applaudi plufieurs belles fymphonies
de MM . Goffec , Cambini ,
Guénin , Chartrain , Hayden & Sterzel,
ainfi que les moters & oratorio de MM .
Traietta , Rigel , Saint-Amans , Goffec ,
Rey , Aleffandri , Piccini , & le Stabat
de Pergolèfe. Mademoiſelle Giorgi , fi
admirable par la beauté & la foupleffe
de fon organe , & par l'étonnante facilité
-de fon chant ; Mademoiſelle Danzi , qui
joint à la voix la plus étendue , la plus
extraordinaire dans les fons aigus , & la
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
plus agréable , un art infini & un goûr
exquis ; Mademoiſelle Plantin , dont la
belle voix eft conduite par un fentiment
toujours vrai , ont recueilli tous les fuffrages
des Connoiffeurs & des Amateurs.
On a donné les mêmes applaudiffemens
à MM. le Gros , Guichard , Nihoul ,
Richer & Platel , dont les talens font
bien connus , & célébrés par tous ceux
qui ont eu le plaifir de les entendre.
f
Les Virtuofes très-renommés qui ont
fait les délices de ces Concerts , font
M. Jarnovick , Artifte fublime ; & MM.
Capron , Chartrain , Stamitz , pour le
violon ; MM. le Brun & Bezozzi fur le
hautbois ; MM. Baer & Rhatel pour la
clarinette ; M. Punto pour le cor-dechaffe
; M. Duport pour le violoncelle .
On a entendu avec fatisfaction une fonate
de clavecin par Mademoiſelle Caroli ,
âgée de huit ans ; un concerto de violon
par Mademoiſelle Defchamps , élève de
M. Capron ; un autre concerto de violon
par M. Loifel , élève de M. Sautel ;
un concerto de violoncelle par M. Dareau
. On ne peut donner l'idée de la
perfection & de l'enſemble enchanteur
de la voix furprenante de Mademoiſelle
Danzi ,accompagnée par le hautbois , mon
AVRIL. 1777. 178
moins étonnant, de M. le Brun. L'habile
Directeur de ces charmans Concerts , a
rempli toutes les efpérances que donnoient
fes talens & fon goût , par l'heu
reux choix des morceaux les plus brillans
, par la piquante diftribution des
talens les plus diftingués , & par la réunion
d'excellens Muficiens en tout
genre.
O`PÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a fait l'ouverture de fon Spectacle par
Iphigénie en Aulide , fuivie des Rufes de
Amour , Ballet Pantomime .
Elle doit donner auffi alternativement
des repréfentations des Actes de la Danfe
& du Devin du Village , en attendant la
repriſe de Céphale & Procris .
Mademoiſelle ITASSE , qui a chanté
avec fuccès au Concert Spirituel , eſt
reçue à l'Académie Royale de Mufique ,
fa jeuneffe , l'agrément de fa figure ,
H-Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
la beauté de fon organe , & le goût de
fon chant , doivent la rendre une Actrice
agréable & utile.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné
une repréſentation du Mifantrope , pour
Louverture de leur Théâtre . M. d'Auberval
a prononcé le compliment d'ufage
dans lequel il s'eft propofé principalement
d'établir que le génie des Auteurs Dramatiques
, contribuoit à former les talens
des Acteurs.
3
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont fait l'ou
verture de leur Théâtre par une repréfentation
du Cabriolet volant , Comédie
Italienne. M. Carlin , Arlequin ,
fait le compliment. Il a joué une difpure
fort plaifante avec fon Souffleur , & a
pris de-là occafion de donner l'eſſor à
a
AVRIL. 1777. 175
fa reconnoiffance & à celle de fes Camarades.
On a donné le lendemain à ce Théâ
tre , une repréſentation de la Rofière de
Salency & du Tableau Parlant , deux
Pièces dont la mufique eft de M. Grétry.
Le Public a marqué fa fatisfaction de
voir M. Laruette reparoître , après une
longue maladie , dans le Tableau Par
tant. Cette parade charmante a été fupérieurement
jouée & chantée par Mefdames
Trial & Colombe ; par MM.
Clairval , Trial & Laruerte. Rien de fi
délicieux que ce Spectacle , quand il eſt
foutenu par des talens auffi diftingués .
On dit que M. Guichard , célèbre
Muficien , & qui a fait jufqu'ici les
délices des Concerts , eft agréé au nombre
des Acteurs de la Comédie Italienne ,
pour les rôles de baffe-taille. On parle
auffi d'un jeune Acteur de Province ,
M. d'Orfonville , bon Muficien , qui a
une voix fuperbe , & qui eft pareillement
agréé pour les rôles de haute-contre.
Ce Théâtre s'enrichit tous les
jours de Pièces agréables & de mufique
excellente dans tous les genres.
L'Italie même adopte plufieurs de fes
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Intermèdes , tels que ceux de M. Grétry,
dont elle admire la muſique , & le génie
auffi riche que
:
fécond.
DEBUT.
Mademoiſelle MONTER a débuté le
Jeudi 10 Avril , fur le Théâtre de la
Comédie Italienne , par le rôle de Fatime
, dans le Cadi dupé. Cette Actrice
n'a point paru avoir , pour remplir ce
rôle, affez de fûreté dans fon organe ,
dans fon chant , ni dans fon jeu , foit
par timidité , foit par défaut de connoiffance
du Théâtre.
Le Dimanche 13 Avril , la Demoifelle
BRABANT a débuté par le rôle de
la mère d'Agathe dans le Sorcier ; elle
a joué le lendemain le rôle de Claudine
dans le Maréchal, Cette Actrice joue
avec beaucoup de feu & d'intelligence :
elle détaille fes rôles avec efprit ;
elle chante agréablement , & elle annonce
beaucoup de talent , avec beaucoup
d'ufage du théâtre . Elle peut être
très- utile dans l'emploi des duègnes , &
autres rôles de ce genre.
AVRIL. 1977. 177
Le fieur D'ARBOVILLE a débuté , le 14
Avril , par le rôle de Marcel dans le
Maréchal ferrant. On lui reproche de
forcer trop fa voix & fon jeu : défauts
faciles à corriger,.
A Monfieur L. N. C. d'E. & L. G. d. P.
à P.
TOI dont le regard perçant , inévitable ,
Découvre , fans efforts , l'intrigue redoutable
Du pervers , qui , fuivant des chemins tortueux ,
Se promet d'échapper à ton oeil vertueux !
O toi dont l'équité , la prompte vigilance ,
Des vices réunis réprimant l'infolence ,
Fais remarquer par-tout , à l'Etranger furpris ,
La paix , la fûreté dans les murs de Paris !
Toi , qui , laborieux , prudent , incorruptible
Sans relâche pourſuis ta carrière pénible ,
Et qui , faifant mouvoir mille refforts divers ,
Semble imiter en tout le Dieu de l'Univers ;
Daigne me reconnoître , ô Magiftrat illuſtre !
L'an où s'eft terminé notre troiſième luſtre
Nous a vus l'un & l'autre , & fous les mêmes toits,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Et dans les mêmes jeux , & fous les mêmes loix.
Geoffroy, du Baudori , connus par l'éloquence *,
Du bon goût dans nos coeurs ont jeté la femence;
Jaloux de tes fuccès , ra conftante douceur ,
Ta joyeuſe amitié défarmoient ma douleur,
Ces leçons , qui traçoient la route du génie ,
Hélas ! ont amené les malheurs de ma vie !
Dans mon fein pour les arts elles ont allumé
Une ardeur dont encor je me fens confumé.
Ivre du grand Corneille , affamé de ſa gloire ,
Brûlant de m'illuftrer au Temple de Mémoire ,
Damon, je fus vingt ans en Province caché ,
Sur un fombre bureau , faus relâche attaché.
De nos Acteurs fameux la démarche fublime,
Leur filence éloquent , le feu qui les anime ,
Leursorganes flatteurs m'étoient toujours préfens;
Dans le fein du repos j'entendois leurs accens.
Plein de ces fouvenirs brûlans , inévitables,
Je combattois envain des penchans indomptables,
Pour céder aux defirs d'un père révéré ,
Mais , ofons l'avouer , plus tendre qu'éclairé.
Forcé par le deftin qui défoloit ma vie,
Je partis, l'oeil en pleurs ; je quittai ma patrie ;
* Deux Profeffeurs de Rhétorique à Louis-le- Grand.
AVRIL. 1777. ·179
"
Sous un ciel étranger , les Dieux perfécuteurs
Conduifirent mes pas à de nouveaux malheurs .
Sortant du cercle heureux d'une douce abondance ,
O Damon j'ai connu la profonde indigence !
Mon fein fut dévoré par d'horribles tourmens
Qu'excitoient avec rage un défaut d'alimens.
Dans ces jours de douleur , à ma foible paupière
Vainement le foleil prodiguoit fa lumière ;
Je croyois n'entrevoir que les pâles flambeaux ,
Dont l'homme gémiffant entoure les tombeaux.
Incertain , chancelant , accablé de trifteffe ,
Sur un lit dépouillé j'étayois ma foibleffe ;
Pour fufpendre un inftant mes fupplices affreux ,
J'appelois le fommeil ... il fuyoit de mes yeux.
<
Le mortel courageux , plongé dans l'infortune ,
Sait quitter , dira -t-on, une vie importune ;
Se déchirant le fein d'un bras déterminé ,
Il triomphe du fort contre lui déchaîné.
Cette fureur , qui naît d'un excès de courage,
A la vertu , Damon , me paroît un outrage.
Que des autres mortels le pervers détaché,
De fon propre bonheur uniquement touché,
Qui , des infortunés dédaignant les alarmes ,
N'a jamais , avec eux , fu répandre des larmes ,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Qu'un tel monftre, accablé fous le poids des revers,
Par la mort , à l'inftant , purge cet Univers ;
Peut- il , dans l'indigence où le fort l'abandonne ,
Agréer des bienfaits qu'il n'offrit à perfonne !
Mais quand on a cent fois , par des foins généreux,
Soi-même confolé les jours des malheureux ,
Malheureux à fon tour , on reçoit , fans foiblefſe ,
Des fecours empreffés , donnés avec nobleffe,
Ce mutuel tribut dévoile avec fplendeur,
Sur le front des humains , la fuprême grandeur.
Paris voit un Mortel à qui je dois la vie ,
Et par qui j'ai revu le ciel de ma patrie ;
Loin que tant de bienfaits puiffent m'humilier ,
Ma volupté , ma gloire eft de les publier.
Mon coeur eft fous les yeux de l'arbitre ſuprême ;
Le bien que j'ai reçu , je l'euffe fait moi même.
Dans mes jours fortunés , que d'un pareil malheur
J'euffe fait avec joie oublier la douleur !
Sentant avec tranſport la noble bienfaiſance ,
J'en fens mieux les plaifirs de la reconnoiffance.
Atoute heure , & du Peuple & des Grands entouré,
Damon , fi juſqu'à toi ma voix a pénétré ,
Sur moi fixe les yeux ; que mon fort t'intéreffe ;
Rappelle à ton efprit ta première jeuneffe
AVRIL. 1777. 181
Moi qui, brillant de joie , ai partagé tes jeux ,
Hélas ! en te quittant , j'ai ceffé d'être heureux!
Par M. de Longueville.
COUPLETS à l'occafion d'un trait de
bienfaifance que Mademoiſelle Baron ,
arrière petite-fille du célèbre Baron ,
Comédien du Roi , vient d'éprouver de
la part de Mademoiselle Dangeville.
Air: De tous les Capucins du monde.
Aux Defcendans du Grand Corneille
Fortune fit la fourde oreille ;
De honte on les eût va rougir ,
Aidés des fecours du vulgaire;
Un feul eut droit d'ofer s'offrir ,
Et tout Paris nomma Voltaire.
Une bienfaifance auffi belle
Aujourd'hui s'offre en parallèle
Aux Defcendans du Grand Baron :
C'eft la célèbre Dangeville
Qui , refpectant un fi beau nom,
A l'infortune fert d'afyle.
182 MERCURE DE FRANCE.
•
Et toi , Baron , aimable fille ,
En qui le fentiment pétille ,
Heureux & digne rejeton !
Dangeville , que l'on révère ,
Ajoute un beau luftre à ton nom ,
En voulant te fervir de mère.
ARTS.
GRAVURES.
1.
Les Plaifirs champêtres , la Partie de
campagne.
DEUX Eſtampes en pendant , de neuf
pouces de hauteur & douze de largeur ,
gravées avec beaucoup de foin & de
talent , d'après deux tableaux originaux de
P. J. Luterbourg , Peintre du Roi , par
Anne Philberte Coulet , de l'Académie
Impériale & Royale de Vienne. Ces
payfages ont un fite fort agréable , orné
de fabriques & de figures qui y répan
dent de l'intérêt . Elles fe vendent à Paris,
AVRIL 1777. 183
chez Lempereur , Graveur du Roi & de
-Leurs Majeftés Impériales & Royales ,
-rue & porte Saint-Jacques.
I I.
Eftampes gravées par M. David , d'après
un Tableau peint par Carle Dujardin ,
repréfentant le Marchand d'Orviétan ,
appartenant à M. d'Azincourt , & provenant
du Cabinet de feu M. Blondel
de Gagny.
Ce morceau précieux eft regardé par
tousdes Amateurs , comme le chef d'auvre
de Carle Dujardin : tous conviennent
qu'ils n'ont rien vu de plus gracieux , ni
de mieux colorié : tous l'ont reconnu pour
être le morceau le plus capital de ce grand
Maître.
M. David , Graveur à Paris , rue des
Noyers , au coin de celle des Anglois ,
déjà connu avantageufement par leMarché
aux Herbes d'Amfterdam , d'après Metfu ,
du même Cabinet que le Marchand d'Or.
viétan , & par d'autres grands morceaux
genre & des portraits des Cabinets de
Monfeigneur le Duc de Praflin , de S.
A. S. le Duc de Deux-Ponts , &c. &c.
de
184 MERCURE DE FRANCE.
& c. termine actuellement ce morceau de
la même grandeur que le tableau original
, dont les figures portent quatre pouces
fix lignes de proportion , & qui paroîtra
dans le courant de l'année 1777 .
Quantité d'Amateurs , ayant déjà retenu
un certain nombre d'épreuves avant
la lettre , M. David , pour en éviter la
multiplicité , prévient qu'il n'en fera tiré
que le nombre de ceux qui fe feront fait
enregiſtrer fuivant le numéro qui leur
fera délivré ; lequel numéro fervira de
quittance pour la fomme de 12 liv. ,
moitié du prix defdites gravures. L'ELtampe
ne fera remife qu'en rapportant
la quittance numérotée & les 12 livres
reftantes.
MUSIQUE.
I.
Ouverture de Fleur d'Épine , ouverture
d'Alcefte & la marche , le tout arrangées
pour le clavecin ou le forté-piano , avec
accompagnement
d'un violon & violoncelle
ad libitum , par M. Benaut , MaîAVRIL.
1777: 185
tre de clavecin de l'Abbaye Royale de
Montmartre , Dames de la Croix , & c.
& c. Prix 3 liv. chacune. A Paris , chez
l'Auteur , rue Dauphine , près la rue
Chriſtine , & aux adreffes ordinaires de
mufique.
I I.
Six fonates pour le clavecin ou pianoforté
, avec accompagnement de violon
ad libitum , dédiés à Monfieur de la
Garde ; par M. Neveu , Maître de clavecin
, oeuvre première. Prix 7 liv. 4 f.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Four-
Saint-Germain , à l'ancien Hôtel de la
Guette , & aux adreffes ordinaires de
mufique.
III.
Méthode de Guitarre , pour apprendre
feul à jouer de cet inftrument , fur les
principes de M. Patouart fils , par M.
Corbelin fon élève. Prix 12 liv. A
Paris , chez l'Auteur , place Saint-.
Michel , maifon du Chandelier ; au
Cabinet littéraire , pont Notre-Dame :
chez le fieur Laflèche , Marchand de
tabac fur le Pont Neuf , au Nº. 6 ;
186 MERCURE DE FRANCE.
& à Verſailles , chez Blaifot , au Cabinet
littéraire , rue Satory ; & aux
adreffes ordinaires.
La méthode que nous annonçons , femble
faire difparoître toutes les difficultés
de la guitarre des principes clairs &
faciles à faifir en font la bafe ; ils font
fimplifiés au point qu'on peut , en trèspeu
de temps , & fans avoir befoin de
Maître , connoître cet inftrument , & exécuter
deffus des accompagnemens , même
des pièces : ils n'exigent de fcience que
celle de lire un peu la mufique fur la clef
la plus connue :la cherté des Maîtres , &
l'éloignement des villes où l'on pouvoit
s'en procurer , ne fera plus un obftacle
pour ceux qui defiroient l'apprendre. Les
Maîtres qui voudront s'en fervir pour
leurs élèves , s'épargneront la peine de
faire des leçons qu'ils trouveront toutes
difpofées & par gradation de force
procureront à leurs élèves la faculté de
faire des progrès très- rapides , en les
mettant à même de rappeler à leur mémoire
, pendant leur abfence , ce qui
leur aura été dit pendant la leçon. Cet
Ouvrage , quoique deftiné à enfeigner
à ceux qui ne favent point , eft égale-
&
AVRIL 187 +
1777.
ment intéreffant pour les perfonnes qui
connoiffent déjà l'inftrument ; car outre
que l'on y trouve des principes , les accompagnemens
, & les pièces que l'Auteur
donne pour leçons , font d'un choix
qui ne peut que plaire aux perfonnes de
goût.
IV.
Recueil d'Ariettes d'Opéra- Comiques &
avec accompagnement de ( autres
guitarre , pour fervir de fuite à la
méthode ci- deffus . Prix 6 liv. , aux
mêmes adreffes.
Ce Recueil eft un choix d'airs & de
paroles , qui fait honneur au goût de
l'Auteur , auffi bien que les accompagnemens,
dont l'exécution eft facile .
*
188 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
Atlas minéralogique de France , ou connoiffance
géographique des différentes
fubftances minérales & corps foffiles
que ce Royaume renferme , entrepris
par les ordres de Monfeigneur Bertin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , dreffé
d'après le Plan , les Voyages & Jes
Mémoires de M. Guettard , de l'Académie
des Sciences , & les Obfervations
de plufieurs autres favans Naruraliſtes
, exécuté en totalité par le fieur
Dupain-Triel père , Ingénieur Géographe
du Roi.
In titre de cet Ouvrage en annonce
l'utilité générale & particulière . Les richeffes
de la France ne font pas toutes
fur fa furface ou fon fol . Elle en a de
renfermées dans fon fein , qui n'attendent
, pour être connues & en être tirées ,
que des yeux obfervateurs , & des bras
que les fecours pécuniaires fortifient.
Une carte qui peut offrir l'enſemble de
toutes ces richeſſes , & montrer à ụn
AVRIL 1777. 189
Royaume toutes fes reffources dans ce
genre , ne peut donc être que très -intéreffante
: voilà fon utilité générale . Son
utilité particulière , c'eft qu'à l'aide des
détails que cette carte offrira , les Poffeffeurs
de mine , par exemple , fauront
précisément l'endroit où elle fe trouve :
tout Propriétaire connoîtra l'intérieur de
la terre qu'il pofsède , & les avantages
qu'il en peut tirer ; les Manufactures de
toutes efpèces feront leurs établiffemens
avec une connoiffance préciſe du local
le plus commode ; les Phyficiens y trouveront
peut- être la folution de quelques
problêmes minéralogiques fur la formation
de la terre ; & les curieux y puiſeront
la découverte de plufieurs corps
foffiles particuliers . En général , voici
peut - être le commencement , dans la
partie qui nous regarde , d'une nouvelle
géographie , ou , fi l'on veut , d'une nouvelle
branche de la géographie proprement
dite , de laquelle les avantages font
déjà certains , & , fi on peut le dire , en
maturité. Plus proche de nous que la
géographie des cieux , auffi relative au
moins à nos intérêts . que la géographie
terreftre , elle offre , comme l'une , les
plus belles découvertes aux curieux , & ,
190 MERCURE DE FRANCE .
plus que l'autre , elle nous préfente , aveč
l'exacte étendue de nos poffeffions , le
tableau frappant de nos richeſſes fouterraines.
Cet Atlas fera compofé de 100 feuilles
de même format , & conftruites fur
la même échelle. Elles pourront ſe réunir
& ne compofer qu'un tout , en les
affemblant de la manière que l'indiquera
la carte particulière des 200 quadrilatères
rectangles que la France renferme ,
fuivant notre divifion .
Chacune de ces feuilles , outre la partie
géographique qui y fera traitée avec
beaucoup de détail & la plus grande exactitude
, offrira , par des caractères con
ventionnels , les différens foffiles & minéraux
qui ſe trouvent dans les environs
des lieux qu'elle renferme. Une -table
explicative de ces caractères , placée fur
la bordure à gauche , feront gravées , foit
les coupes de quelques carrières des environs
, foir quelques points de vue des
montagnes voisines , ou le niveau d'un
endroit quelconque remarquable,
Seize feuilles particulières feront ac
tuellement en état d'être préfentées au
public .
1. Celle des environs de Paris , VerAVRIL
1777. 191
failles , Saint- Germain , Montmorenci ,
Brie , Chevreuſe .
2. Celle des environs de Fontainebleau
, Corbeil , Dourdan , Etampės.
3. Celle des environs de Pontoife
Beaumont , Chaumont , Magny.
4. Celle des environs de Meaux
Rofoy , Coulommiers .
5. Celle des environs de Luzatches
Chantilly, Compiegne, Villers -Cotereſt.
6. Celle des environs de Soiffons
Braine , Fifines , & Rheims ( pour la
Champagne ) .
7. Celle des environs de Machaut
Suippe , Sainte-Mennehoult.
8. Celle des environs d'Épernai
Châlons , Vertus , Sézanne.
9. Celle des environs de Provins
Montreau , Brai , Nogent.
10. Celle des environs de Troyes ,
Anglure , Plancy , Arcis .
11. Celle des environs d'Epinal
Charmes , Thaté , Rambervillas .
12. Celle des environs de Plombières ,
Remiremont , Luxeul.
13. Celle des environs de Luze ?
Betford , Montbelliard .
14. Celle des environs de Schleftatt ,
Sainte-Marie-aux-Mines.
192 MERCURE DE FRANCE.
€
15. Celle des environs de Colmar ¿
Chann , Murback.
16. Celle des environs de Bafle , &
Porentrin.
Outre ces feize feuilles , on a encore
quatorze ou quinze planches gravées ,
qui n'attendent plus que quelques détails
pour être totalement achevées . Nombre
de matériaux & de deffins préparés que
nous a fournis le dépouillement des
meilleurs Mémoires minéralogiques ,
font dans nos porte-feuilles ; & nous
efpérons qu'aidés par les Obfervations
des Savans qui s'occupent de cette partie
, & à qui nous ferons toujours honneur
de leur travail , nous ferons en état
de fuivre , avec autant de confiance que
d'activité , un Ouvrage auffi nouveau dans
fon genre , qu'intéreffant dans fon objet.
On invite ceux qui voudront en conhoître
plus particulièrement les avantages ,
de lire l'avertiffement que nous avons
fait graver, & qui fe trouvera à la tête
de cet Atlas .
Ces feuilles , imprimées fur papier
d'Hollande , ou fur le plus beau chapelet
, font chacune d'un pied & demie de
long , fur dix pouces de large. Celles
qui feront enluminées coûteront 2 liv.
la
AVRIL 1777. ∙193
la feuille , & liv. 10 f. celles qui ne
le feront pas.
On les débitera , à mesure qu'elles
paroîtront , chez le fieur Dupain - Triel
père , cloître Notre-Dame , vis- à- vis la
Maîtrife des enfans de choeur. Il est avantageufement
connu déjà par plufieurs
opufcules de géométrie & de littérature ;
& , ayant fçu réunir les lumières de la
géographie aux talens du deffin & de la
gravure , il a été feul chargé de l'exécution
totale de cet Ouvrage.
OPTIQUE,
Le fieur Girard , Peintre & Opticien ,
fait voir dans fon Cabinet , rue Saint-
Martin , près la rue Saint-Merry , vis- àvis
la rue Oignard , le Plan de l'Elévation
du Canal fouterrain de Saint- Quentin
, jufqu'à Cambrai , à distance de trois
lieues : ainfi que celui du fameux Canal
de Languedoc , & ce qu'il y a de plus remarquable
en France : fpectacle intéreffant
, & qui fait la plus agréable illufion .
Il a auffi une Collection de Tableaux de
grands Maîtres , dont un des plus capitaux
de l'Albane.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE .
COURS DE LANGUE ANGLOISE .
Le fieur Berry , Anglois de Nation , E
Auteur de la Grammaire Générale Angloife
, & Profeffeur de cette Langue ,
commencera un Cours de Langue Angloife
le 14 du courant mois d'Avril ,
dans lequel il fe propofe de faciliter l'étude
de la Langue Angloife , & la prononciation
en peu de leçons. Ce Cours
durera fix mois , & fe tiendra trois fois
la femaine , depuis fix heures du matin
jufqu'à huir.
Les perfonnes qui ne pourront pas
affifter aux leçons du matin , pourront
les prendre le foir aux mêmes heures . Il
donne auffi des leçons en ville , & particulières
chez lui .
On peut fe faire infcrire ou l'avertir
en tout temps. Sa demeure eft , chez M.
Defprez , Marchand Mercier- Clincailler,
à la Croix Blanche , rue de la Sonnerie.
AVRIL. 1777. 195
COURS D'ÉLOCUTION ET D'ORTOGRAPHE
FRANÇOISE.
LE COURS public d'élocution & d'ortographe
françoife de M. de Villencour ,
rue Bétify , au magafin des Princes , s'eft
ouvert gratis le 18 Avril , par un dif
cours dans lequel ce Grammairien a rendu
compre de l'origine & de la variation
des Langues , ainfi que des progrès &
des beautés de la nôtre , &c. Ce Cours
elt fuivi depuis long-temps , & fe continue
tous les jours.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , & c.
Le fieur Dalgréen , Serrurier à Péterfbourg,
a préfenté à l'Académie de cette
ville un modèle d'échelle propre à fervir
dans le cas d'incendies. Il a eu le double
but de rendre fon échelle plus portative
& plus facile à élever. Pour procurer le
I ij
196 MERCURE DE FRANCE ,
" premier avantage , fon modèle eft conftruit
de façon à pouvoir être enfermé dans
une. caiffe de moyenne grandeur ; & ,
pour obtenir le fecond , l'Auteur a imaginé
une roue , au moyen de laquelle
l'échelle eft d'abord élevée & dreffée à
Tendroit requis , fans qu'il foit même
néceffaire de l'appuyer contre un mur,
ou de la foutenir de quelque autre manière
que ce foit. Les échelles faites fur
ce modèle , offriront aux travailleurs la
facilité de prendre toutes les fituations
les plus avantageufes & les plus commodes
pour la direction & le jeu des
pompes,
TRAIT DE GENEROSITÉ ,
DANS une ville de Saxe , les anciens
d'une Paroifle , chargés , fuivant l'ufage
de cet Électorat , de recueillir une collete
générale pour le foulagement des
pauvres , & d'en faire la diftribution ,
entrèrent chez une vieille femme pour
l'infcrire au nombre des infortunés qui
avoient droit à la charité publique. Elle
étoit occupée à ſon rouet dans une petite
AVRIL. 1777. 197
chambre fort obfcure , dont l'ameublement
annonçoit la misère de celle qui
l'occupoit. Inftruite du deffein des Col
lecteurs , elle fort fans rien dire , revient
un inſtant après avec une pièce de monnoie.
« Voici un gros que je viens d'emprunter
, leur dit-elle ; je pourrai le
» rendre quand j'aurai achevé ma filaffe.
" Je connois des gens plus malheureux
و د
que moi ; recevez ce foible ſecours ;
» je ne fouffrirai jamais que mon nom
»foit fur votre lifte , tant que je pourrai
gagner un morceau de pain , & que
j'aurai affez de force pour tirer de
» l'eau du puits voifin : je ne veux point
qu'il foit dit que j'ai volé la ſubſiſtance
» de l'impotent » .
ود
»
ANECDOTES.
I.
UN Matelot de Martigues , petite ville
de Provence , avoit époufé une femme
jeune , belle & vertueufe , qui , ayant
dépensé à-peu-près l'argent que fon mari
lui avoit laiffé en partant , eut recours à
I tij
198 MERCURE DE FRANCE.
un Bourgeois de la ville . Cet homme ,
épris tout- à- coup de la beauté de celle
qui imploroit fon affiftance , voulut mettre
, au fervice qu'elle lui demandoit , un
prix que cette femme honnête refufa fans
héfiter : cependant , comme fon mari ne
revenoit point , toutes fes petites reffources
fe trouvèrent bientôt épuifées.
Contrainte par la néceſſité , qui ſe faifoit
fentir de plus en plus , & par les
befoins toujours renaiffans d'un enfant
qu'elle nourriffoit , & d'un autre plus
âgé qui lui demandoit du pain , elle fe
determina , dans l'efpérance de trouver
un coeur plus humain & plus fenfible ,
à retourner chez celui dont la propofition
l'avoit indignée . Malgré fes inftances
& fes prières , elle ne put rien obtenir,
Elle fut obligée de capituler, & ,vaincue
par le befoin , elle luipermit de venir
fouper avec elle. Après le fouper , qui
fut des plus triftes , cet homme emporté,
la preffe vivement de remplir leur convention
. Cette pauvre femme voyant
qu'il n'y a plus d'efpérance pour elle ,
tire alors fon enfant du berceau où il
dormoit , & le preffant contre fon fein
les yeux remplis de larmes : Tette , lui
dit- elle , tette , mon enfant , & tette bien :
AVRIL 1777 . 199
tu reçois encore le lait d'une honnête femme ,
que la néceffitépoignarde : demain ... Que
ne puis-je , hélas ! te fevrer ? Tu n'auras
que le lait d'une malheureufe ... Ses larmes
achevèrent. Le Bourgeois déconcerté
, s'enfuit à ce fpectacle en jetant
fa bourfe , & s'écriant : Il n'eft pas pof :
fible de réfifter à tant de vertu .
I I.
En 1521 , une puiffante armée de
l'Empereur Charles Quint , mit le fiège .
devant Mezières . Le Chevalier Bayard
réfolat de la défendre , quoique cette
place fur dénuée de tout & n'eut qu'une
très -foible garnifon . Sur ce que quelques
perfonnes lui confeilloient de fe rendre ,
à caufe du peu d'apparence qu'il y avoit
de fauver la ville Avant que d'en
fortir , dit- il , il nous faudra former,
» un pont des cadavres de nos ennemis ».
་ ་
I I I.
Après la révolution qui renverfa Jacques
II du Trône d'Angleterre , on avoit
intercepté des lettres du Comte Godolphin
au Roi détrôné . Cette correfpon-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
dance étoit un crime de haute trahifon.
Le Roi Guillaume , qui connoiſſoit le
mérite du Comte , voulut fe l'attacher
au lieu de le perdre. Un jour , dans un
entretien particulier , il lui montra ces
lettres , loua fon zèle , & ne lui diffimula
point l'imprudence où il l'avoit
engagé. Il lui témoigna le defir qu'il
avoit de le compter au nombre de fes
amis , & en même temps brûla les lettres
de fa propre main. Cet acte de générosité
toucha le Comte , & l'attacha pour ja
mais à Guillaume.
1 V.
Une femme de condition , apparemment
peu fcrupuleufe , jouant au vingtun
, demandoit une carte : celui qui tenoit
la main lui donna un dix : la Dame ,
qui avoit un cinq & un fept, ce qui lui
faifoit 22 , mit le doigt fur le point du
fept , & accufa brufquement 21. Le
Banquier lui paya , fans examen , trois
louis qu'elle avoit mis fur fa carte ; mais
un Anglois qui fe tenoit derrière cette
Dame , & qui avoit mis 50 louis fur fes
cartes , ne vouloit pas accepter l'argent
de celui qui tenoit la main , & ſe tuoit
AVRIL. 1777. 201
de lui dire : Pour vous , Monfir , pour
yous.
-
Mais , Monfieur , n'avez vous
-
pas eu 21 ? Non , Monfir , c'eft Madame
; moi , je n'ai eu que 22.
V.
Richard Steele , célèbre écrivain Anglois
, invita un jour à dîner chez lui
plufieurs perfonnes de la première qua,
lité. Les convives furent furpris , en
arrivant , de la multitude de domeftiques
qui environnoient la table. Après
le dîner , lorfque le vin & la gaieté
eurent banni tout cérémonial , un d'eux
demanda à Richard comment il pouvoir
entretenir , avec fi peu de fortune , un
nombre fi prodigieux de laquais. Richard
lui avoua , avec la plus grande franchife
que c'étoient un tas de coquins dont il
defiroit fort qu'on le débarrafsât . Eh !
qui vous en empêche ? lui répondit le
Lord : « Une bagatelle Une bagatelle , répondit - il ,
c'eft que ce font autant de fergens qui n
» fe font introduits chez moi une fen-
» tence à la main ; & , ne pouvant les
congédier , j'ai jugé à propos de leur
59
» endoffer des habits de livrée afin
qu'ils puiffent me faire honneur tant
"
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
» qu'ils reiteront chez moi ». Ses amis
rirent beaucoup de l'expédient , le déchargèrent
de ces hôtes en payant fes
dettes , & lui firent promettre qu'ils ne
le trouveroient plus fi bien monté en
domeftiques.
V I.
Deux Payfans des environs de Grenoble
plaidoient l'un contre l'autre au Parlement
de cette Ville , pour un objet de
peu d'importance ; mais les frais commençoient
à devenir confidérables. Ils
fe rencontrent un jour , s'abordent , &
conviennent de décider eux -mêmes leur
procès en jouant une partie de boules.
Cette convention faite de bonne-foi de
part & d'autre , fut remplie fidellement.
Le Perdant alla tout de fuite payer les
frais communs du procès , qui montoient
à 300 liv. après quoi ils allèrent
tous deux chez un Notaire faire paffer
l'acte de leur accommodement , dînèrent
enfemble , s'embrafsèrent , & fe quittèrent
bons amis.
AVRIL. 1777. 203
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , 20 Février.
MALGRE ALGRÉ les apparences d'une rupture prochaine
, on croit pouvoir efpérer quelque rapprochement
entre notre Cour & celle de Ruffie ,,
depuis qu'on a vu ici deux yaiffeaux Rules
décharger les munitions & autres effets qu'ils
avoient à bord , & partir enfuite pour la Mer-
Blanche avec des firmans ou paffe- ports du Grand-
Seigneur, afin d'aller charger des grains dans
le golfe de Volo ( côte de Macédoine ) au compte,
de notre Gouvernement . On vient de voir arriver
auffi dans notre port un autre vaiſſeau Ruffe ,
venant de Livourne , avec différentes marchandifes
de l'Angleterre , pour le compte du commerce
établi dans cette Capitale.
Des Frontières de Pologne , 10 Mars,
On écrit de plufieurs en droits que l'on travaille
à un accommodement entre la Ruffle & la Porte,
relativement aux différends, qui fe font élevés ,
pour la Crimée , & que le Prince Proforowski .
doit arranger cette affaire avec des Commiffaires ,
Ottomans.
*
De Varfovie , le 8 Mars.
9.13
Al.1
Le Roi de Pruffe vient d'envoyer ici des
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Emiffaires pour y faire des achats confidérables
de grains , & des marchés avec des Particuliers
qui ont beaucoup
de bleds à vendre.
Les lettres des frontières Polonoifes , voifines
du Boriſthène , annoncent que lecorps des troupes
Ruffes , raff mblées par le Comte de Romanzow,
s'etend infenfiblement chaque jour le long de ce
fleuve , & femble , par cette manoeuvre , fe mettre
en poſture de couvrir de ce côté les frontières
de l'Empire , en s'avançant en même- temps vers
le lieu de fa deftination.
De Copenhague , le 18 Mars:
L'Etat avoit fait , au mois de Mars 1773 , un
emprunt de près de 800,000 rixdalers , en obligations
de 350 rixdalers chacune ; il en a fait
annoncer le remboursement pour le 11 Juin de
l'année prochaine.
De Bonn, le 19 Mars.
heures du
Hier , 18 de ce mois , à onze
matin , vingt- huit bateaux defcendant le Rhin,
ayant à bord douze cens hommes , formant deux
bataillons , l'un des troupes d'Anfpach , & l'autre
de celle de Bareith , ont paffé a la vue de cette
ville ; le Margravé de Brandebourg - Anspach précédoit
en perfonne cette flo ille , dans un yacht ,
& devoit l'accompagner jufqu'à Dordrecht , ou
ce corps de troupes doit être embarqué pour
* Amérique.
AVRIL 1777. 205
De Lisbonne, le 11 Mars.
On célébra ici , le 26 du mois dernier , les
obsèques du Roi Jofeph I. Le convoi , auquel
affiitèrent les Grands du Royaume , partit du
château a huit heures du foir , pour aller a l'Eglife
de Saint- Vincent , où eft le tombeau des Rois.
On a pris ici , à cette occafion , le deuil , qu'on
portera , fuivant l'ufage , pendant un an.
Le Marquis de Pombal ayant donné la démiſfon
de tous fes emplois , a demandé la permiffion
de fe retirer dans la Terre de Pombal ; la
Reine la li a accordée , avec les appointemens
de Secrétaire d'Etat , & lui a donné de plus une
Commanderie de l'Ordre du Ch ift . Le Vicomte
de Ponte de Lima vient d'être nominé pour lui
fuccéder dans la place de Secrétaire d'Etat au
département des affaires intérieures du Royaume.
De Civita-Vecchia , le 20 Février.
La réparation de l'antémural de notre port ,
dont un Ingénieur Maltois eft chargé , a fouffert
peu d'interruption pendant cet hiver , & s'avance
autant qu'on peut le defirer.
De Gênes, le 10 Mars.
Les avis reçus de Livourne annoncent l'arrivée
d'une frégate de guerre Angloife , qui a déposé
que le Roi de Maroc follicitoit vivement la paix,
avec la Hollande , & que ce Prince attendoit de
nouvelles propofitions de la part des Etats -Géné
Iaux
206 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 25 Mars.
Quelques papiers ont dit que c'étoit l'Armée
Provinciale qui feule avoit proclamé le Général
Washington fous le titre de Dictateur; que les
Virginiens , les Troupes du Maryland , & celles de
Triconderago s'étoient hâtées de faire cette élection
militaire , pour empêcher que le Congrès ,
averti du deffein où les Troupes étoient a cet
égard, n'y mit quelque obftacle ; mais des perfonnes
, vraisemblablement mieux inftruites
croyent que le Congrès a feulement donné à se
Général un pouvoir militaire plus étendu , afin
que l'Armée Continentale eut déformais plus de
confiftance fous fes ordres .
Le Lord Guillaume Cambell , Gouverneur de
la Caroline du Sud , vient d'arriver de New-
Yorck , & il a eu auffi-tôt une longue conférence
avec le Roi au Palais de la Reine .
Quoique les Régimens actuellement en Amérique
ayent été augmentés ; la Cour n'étant rien
moins que certaine de pouvoir le procurer d'au
tres Troupes auxiliaires , a envoyé des ordres à
Hanovre pour y tenir les Troupes Électorales
complettes & prêtes à paffer où les circonstances
pourroient l'exiger. On dit auffi que les renforts
qui étoient deftinés pour Quebec ont ordre de fe
rendre à la Nouvelle- Yorck ,
Le Congrès a pris la réfolution de porter l'Armée
Américaine jufqu'à cent dix bataillons , for-'
mant un corps de quatre - vingt-deux mille cinq
cens foixante hommes , qui doivent être prêts à
AVRIL 207 1777.
entrer de très bonne heure en campagne , & dont
les derniers fuccès rendent la levée plus facile
qu'on n'avoit ofé l'efpérer.
Le Régiment de l'Artillerie Royale , à Dublin ,
a follicité auprès du Comte de Buckingham l'hon
neur d'aller fervir le Roi en Amérique ; leurs
defirs ont été communiqués à Sa Majeſté , qui
leur a auffi - tôt expédié des ordres de s'embar
quer à Corke pour Halifax.
La Cour a envoyé des inſtructions nouvelles au
Général & au Lord Howe , pourleur être portées
par un paquebot retenu à Falmouth pour cet
effet. Le plan d'opération pour la campagne prochaine
différera , dit- on , de celui de l'année dernière.
Les Généraux font chargés de pénétrer
plus avant dans l'intérieur du pays , & de raffembler
leurs principales forces vers le centre des
Colonies , fans néanmoins perdre de vue les oc
cafions & les moyens de réconciliation.
De Verfailles , les Avril.
Le 31 du mois dernier , le Roi a revêtu de la
grand'croix de l'ordre de Malte Son Alteffe Royale
Monfeigneur le Duc d'Angoulême , Grand- Prieur
de France . Cette cérémonie s'eft faite dans le
Cabinet de Sa Majefté , où les Grands'Croix &
Commandeurs ont été admis.
De Paris , le 11 Avril,
Le Confeil - Supérieur du Port au - Prince a
arrêté , le 16 décembre dernier , qu'il feroit élevé
208 MERCURE DE FRANCE.
dans le cimetière de cette ville , aux frais de la
caiffe municipale du reffort , un mauſolée à la
mémoire du Comte d'Ennery , lieutenant géné
ral des armées du Roi , gouverneur-général à
Saint- Domingue hommage rendu a la confi
dération qu'il s'étoit acquife , & jufte tribut des
regrets & de la recornoiffance des Habitans de
cette Colonie.
PRESENTATIONS.
Le 27 mars , le fieur O- Dune , miniftre plénipotentiaire
du Roi près l'Electeur Palatin , qui
étoit ici par congé , a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi par le Comte de Vergennes , Miniftre
& Secrétaire d'État au département des
Affaires étrangères , & de prendre congé de Sa
Majefté , pour retourner à la deftination .
Le 1 avril , la ducheffe du Châtelet , préfentée
par la ducheffe de Mortemart à Leurs Majeftés &
à la Famille royale , prit le tabouret.
Le comte de Montézan , que le Roi avoit
précédemment nommé fon miniftre plénipotentiaire
près l'Electeur de Cologne , fur la démiffion
du marquis de Monteynard , a eu , le 3 du même
mois , l'honneur d'être préſenté au Roi par le
comte de Vergennes, Miniftre & Secrétaire d'État ,
& de prendre congé de Sa Majefté , pour retourner
à fa deftination .
Le 6 , le chevalier de Damas eut l'honneur
AVRIL. 1777. 109
être préfentée au Roi , ainfi qu'à la Famille
royale , par le duc d'Orléans , en qualité de l'un
de fes Chambellans .
L'après-midi du même jour , la vicomteſſe de
Sourches eut l'honneur d'être préfentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille royale , par la marquife
de Tourzel.
Le 27 avril , le fieur Mefnard de Choufy , miniftre
du Roi auprès du cercle de Franconie , a eu
l'honneur d'être préfenté au Roi par le comte de
Vergennes , miniftre & fecrétaire d'état au dépar
tement des affaires étrangères , & de prendre
congé de Sa Majefté pour le rendre à fa deftination.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES,
Le avril , le fieur Hilliard d'Auberteuil
avocat au Parlement , ancien habitant de Saint-
Domingue , a eu l'honneur de préfenter au Roi ,
à Monfieur & à Monfeigneur le Comte d'Artois ,
un ouvrage de fa compofition , ayant pour titre:
Confidérations fur l'état préfent de la colonie
françoife de Saint- Domingue , ouvrage politique
& législatif.
NOMINATIONS .
Le bailli de Latour- Saint-Quentin , ci - devant
210 MERCURE DE FRANCE .
capitaine général des efcadres de la Religion ;
que le chapitre de l'ordre avoit nommé par interim
lieutenant du grand prieuré , après la mort
du prince de Conti , a été confiriné ,,
par la nomination
du Roi , lieutenant de Son Alteffe Royale.
Monfeigneur le Duc d'Angoulème , grand prieur
de France : il a fait fes remercîmens le 8 du
même mois .
Le fieur Boyer de Fons - Colombe ayant donné
fa démiffion , pour raifon de fanté , de la place
d'envoyé extraordinaire du Roi auprès de la République
de Gênes , Sa Majefté a difpofé de cette
place en faveur du marquis de Monteil , maréchal
de fes camps & armées.
Le Roi a avancé au grade de capitaine de vaiffeau
dans fa marine , les fieurs Meffieres , Cillart
de Suville , come le Begue , Larchantel , la
Motte-Vauvert , comte de Soulange , marquis de
Coriolis - Puymichel , chevalier de Gras - Preville ,
Brun de Boades , Keredern de Trobriam , chevalier
de Tremigon , Vialis de Fontbelle , Ginefte ,
Cafteller l'aîné , chevalier du Pavillon , Caftellane
Majaftre , chevalier de Botderu , Bajetton
de Montale , Duffault , baron de Cohorn , chevalier
Garnier Saint - Antonin , chevalier de
Montperoux , vicomte de Souillac , d'Aymar
Saint - Orens , Charitre , le Grain , Clavel , Tromelin
, baron de Darfort , de Cambray , comte
de Ligondes , Martelly de Chautard , Seillans-
Collomps , baron de Bombelles , Renaud d'Aleins,
chevaler Turpin du Breuil, comte de Bruyeres ,
Raimondis - Canaux , Duchaffault de Chaon ,
Saint- Riveul , Miffieffy , Lombard , Beffey de la
AVRIL. 1777 . 211.
Voufte , marquis de Laubepin , vicomte de Beaumont
, chevalier de Sillans , Gaetan de Thienne ,
chevalier de Clavieres , comte de Pontèves- Gien ,
& baron d'Efcats , lieutenants de vaiffeaux .
MARIAGES.
Le 31 mars, Leurs Majeftés & la Famille Royale
ont figné le contrat de mariage du duc de
Cruffol , avec demoifelle de Chatillon.
Le fieur Maurice Fitz - Geral- Géraldin , ancien
commandant du régiment irlandeis de Buckley ,
a renouvellé fon mariage avec demoiſelle O
Drifcol , fon époufe , les avril , dans l'églife
royale & paroiffiale de Saint - Louis. Cet Officier ,
qui avoit été page du Roi Jacques Stuart , entra
au fervice en 1710; il commandoit ce régiment
à la bataille de Laufeld , il y cut fon fils
unique tué à fes côtés , & fut lui même bleffé
dangéreufement du même coup de feu qui l'avoit
privé de ce fils .
Le 6 , Leurs Majeftés , ainfi que la Famille
royale ont fignéle contrat de mariage du baron
de Jumilhac , avec demoiſelle de Launay ; &
celui du comte de Mirepoix , capitaine de dragons
au Régiment de Jarnac , avec demoiſelle de Montboiffier.'
MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Chriftian Siegfried , baron de Pleffen , chambellan
de Sa Majefté Danoife , & chevalier de
fon ordre de Dannebrogue , eft mort à Paris, le 9
avril , dans la 81 année de fon âge.
Claude-Profper-Jolyot de Crébillon , cenſeur
royal , né à Paris en 1707 , y eft décédé le 12
avril 1777. Le nom de Crébillon , déja rendu
célèbre par les Tragédies du Père , a acquis encere
de l'illuftration dans les lettres , par les
Ouvrages du Fils . On connoît fes Romans pleins
d'imagination & d'efprit de Tanzaï, du Sopha ,
des Egaremens du coeur & de l'efprit , les Lettres
de la Marquife de ** , Lettres de la Ducheffe ,
&c. Ces ouvrages ne font pas faits pour toutes
fortes de Lecteurs , & ils doivent mêine être mis
avec précaution entre les mains de la jeuneffe.
Mais l'homme du monde y reconnoît les tableaux
vrais de la fociété ; il y voit développés , avee
beaucoup d'art & de franchife , les plus fecrets
refforts des paffions , & les mouvemens d'un
coeur entraîné par la tendreffe . Le but de l'Auteur
étoit de corriger le vice par la peinture même du
vice. L'homme étoit encore plus admirable que
fes 'ouvrages ; douceur de moeurs , fimplicité de
caractère , probité incorruptible , amitié féduifante
& fùre , empreffement d'obliger , oubli de
fes propres intérêts pour ceux des autres ; tels
étoient les principaux traits qui l'ont toujours fait
AVRIL 1777.
213
rechercher , aimer , eftimer par les hommes de
lertres , qui l'appeloient le Grand Enfant , parce
qu'il avoit la candeur de l'enfance unie à tous les
agrémens de l'efprit, & au charme de l'imagina
tion,
Tirage de la Loterie Royale de France ,
du 2 Avril 1777 .
Les numéros fortis de la roue de fortune font :
65, 58 , 14, 82 , 78..
214 MERCURE DE FRANCE.
P
TABLE.
IÈCES FUGITIVES ENVERS ET EN PROSE , p.§
Suite de l'Automne ,
Epigramme ,
Le Savetier & le Teinturier ,
Abairan ,
Couplets fur le choix d'une femme ,
Préface du Ier Livre de l'enlèvement de Proferpine
,
Difcours de Pluton à Jupiter,
Le Printemps ,
Le jeune Moineau & fon Père,
Epître aux Mufes ,
L'Harmonic ,
Ode à Thémire ,
Le Moineau & la Fauvette ,
ibid.
9
10
Π
16
17
19
20
21
22
27
31
Vers à M. le D. de N.
Réponse de M. le D. de N.
Plainte à l'Amour ,
Quatrains pour mettre au bas du portrait de
Madame la Marquise de la P.
Traduction d'une Lettre Arabe ,
Portrait de Madame de S **.
Le Médifant adroit ,
Vers au bas du Portrait de Mile de ** .
Le nouveau Mentor ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
34
36
ibid.
37
38
39
42
43
ibid.
44
48
49
.51
AVRIL. 1777 . 213
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 54
Idylles de Théocrite , ibid.
Précis de l'Hiftoire Universelle , 70
Cathéchifme philoſophique ,
81
Hiftoire de Lorraine , 89
Expériences fur la réſiſtance des fluides , 100
Mémoires de la guerre d'Italie , 107
Lettres Ecoffoifes ,
108
Nouvelles Espagnoles ,
112
Eflai ſur l'éducation Françoiſe ,
119
Poëfies de Malherbe , 124
Fables par M. Willemain d'Abancourt , 129
Traité des maladies vénériennes , 133
Anatomie hiftorique & pratique , 135
Précis de la matière médicale , 138
Difcours choifis fur divers fujets de Religion
& de littérature ,
145
Annonces littéraires , 156
ACADÉMIES , 164
ibid.
Paris ,
SPECTACLES.
Concert ,
Opéra
Comédie Françoife ,
Comédie Italienne
A M. L. N.
171
ibid.
173
174
ibid.
177
Couplets à l'occafion d'un trait de bienfaifance
que Mile Baron vient d'éprouver de la part
de Mile Dangeville .
ARTS.
Gravures
Mufique.
Géographie ,
Optique ,
181
182
ibid.
184
1188
193
216 MERCURE DE FRANCE .
Cours de langue Angloiſe ,
194
--d'élocution françoife , 195
Variétés , inventions , &c. ibid.
Anecdotes. 197
Nouvelles politiques ; 203
Préſentations , 208
d'Ouvrages,
209
Nominations,
ibid.
Mariages , 211
Morts , 212
Lorerie , 213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le fecond volume du Mercure de France
pour le mois d'Avril , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 18 Avril 1777.
DE SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpes
près Saint Côme,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères