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1776, 02-03
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
FEVRIER, 1776.
Mobilitate viget. VIRGIL
WTU
CHATEA!
D
A PARIS,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chrifti
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi
ASTOR
LIBR
NEW
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris , rue
Chriftine, que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à la perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nominera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
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que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendusfrancs
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L'abonnement pour la province eft de 32 livres
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libraire , à Paris , rue Chriftine.
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Juivans , port franc par la Pofte.
JOURNAL DES SAVANS , in - 4 ° . ou in- 12 , 14
Paris ,
Franc de port en Province ,
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JOURNAL DES BEAUX-ARTS ET DES SCIENCES , 24 cahiers
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JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in - 12 par an ,
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par an , pour Paris ,
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L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , 24 Cahiers par an, à Paris ,
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121.
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Dict . Diplomatique , in- 8 °. 2 vol.avec fig. br. 12 1.
Dict . Héraldique , fig. in- 8 ° . br. 31. 15 f.
Révolutions de Ruffie , in-8° . rel. ,
2 1. 10
Spectacle des Beaux - Arts , rel . 2 1. rof.
31.
9 1.
4 1. 10f.
Diction . Iconologique , in - 8 ° . rel.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in - 8 ° . rel .
Dict . des Beaux-Arts , in-8 . rel .
Abrégé chronol . de l'Hift du Nord , 2 vol . in- 8 ° . rel. 12 1
de l'Hift. Eccléfiaftique , 3 vol . in- 8 ° . rel . 18 1 .
rel...
de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol, in-8° .
de l'Hift . Romaine , in- 8 °. rel .
Théâtre de M. de Saint Foix , nouvelle édition ,
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in- 8 , br.
Bibliothèque Grammat . in-8° . br.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné , in-12 br.
Les mêmes , pet. format,
Poëme fur l'Inoculation , vol . in-8 ° . br.
12 1.
61.
3 vol.
61.
21.
21. 10 f.
21. 10f
1 l. 16 f, {
31. Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8° . br. avec fig, 41.
Eloge de la Fontaine , par M. de la, Harpe , in-8 ° . br.
Les Mules Grecques , in-8 °.br ,.
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br .
1 l. 4f,
1. 16 ft
5 1.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , &c.
in-fol, avec planches br. en carton , 241.:
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4° , avec fig . br. en carton , 12 1.
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
Mémoire fur la Mufique dos Anciens , nouvelle édition ,
in-4 . br.
3 1.
Journal dePierre le Grand, in- 8° . br.
L'agriculture réduite à fes vrais principes , vol, in-12 .
broché ,
7 1.
$1.
2
MERCURE
DE FRANCE.
FÉVRIER , 1776.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA VERTU FAIT LE GRAND HOMME.
Ode qui a remporté le prix , aujugement
de l'Académie des Jeux Floraux
t'année
1775.
MORTEL enorgueilli des dons de la Nature ,
Un beau defir t'anime , & , dans la foule obfcure ,
Tu frémis indigné de te voir confondu :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
As tu fondé ton âme ? Et connois - tu la gloire ?
Si tu veux parvenir au temple de mémoire ,
Suis le fentier de la vertu.
Aux mortels étonnés donne un exemple augufte ,
Jufqu'au dernier foupir fois bienfaiſant & juſte :
Sers les infortunés & l'Etat & ton Roi :
Qu'embelli par Phon neur , ur , le tableau de ta vie
Excite nos tranfports , & donne à la patrie
Des citoyens plus grands que toi.
Le Héros ne meurt point : le temps détruit l'argile;
Il abandonne au temps fa dépouille fragile ,
Er vit dans les vertus qu'il attache à fon nom .
Sur l'autel de la gloire il reçoit notre hommage.
La terre à cet aurel , élevé pour le Sage ,
A placé Socrate & Caton .
Tout fléchit fous les loix du Defpote farouches
Tout tremble à lon afpect ; un feul mot de fa
bouche ,
En cent climats divers fait flotter les drapeaux :
Qu'importe à la vertu la puiflance fuprême ?
Forfenna , vil guerrier , eft ceint du diadême ;
Mais Mutius eft un héros .
Quand la mort a frappé l'orgueilleule victime ,
Son éternelle chûte entraîne dans l'abyfme
FÉVRIER . 1776.
Les débris confondus de fa vaine grandeur.
Un inftant a détruit le colofle éphémere :
Il ne reſte que l'homme ; & l'avenir févere
Juge cet homme fur fon coeur.
Mon eil vous cherche en vain fur la feène du
monde ;
Votre pouffiere , ô Rois ! dans une nuit profonde ,
Gît , au lein de l'oubli , fous de froids monumens.
Le foc a fillonné vos pompeux édifices ;
Vos plaifirs font paflés ; vos vertus ou vos
Echappent feuls aux coups du temps.
Tous les crimes affreux fignalent ta furie ;
Tu déchires le fein où tu reçus la vie ,
vices
Monftre , que les enfers ... C'en eft fait , to n'es
plus ;
D'alegrefle & d'horreur à la fois agitée ,
Rome libre a foulé ta cendre détestée ,
Et vengé Séneque & Burrhus.
Mais quel tableau divin féduit mon coeur fenfible!
Titus ! Henti ! Trajan ! l'humanité paifible
Sourit entre vos bras & vous offre nos voeux :
Les peuples attendris embrafient vos images ;
Ils demandent au ciel , après de longs orages ,
Les jours où vous régniez fur eux .
Jours degloire & de paix que la vertu nous donne !
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Yous charmez les humains & décorez le trône :
Le feu de vos rayons eft bienfaifant & pur ;
Il ranime les arts , il produit l'abondance ,
Et dérobe à nos yeux les horreurs de Mézepce
Et les ravages de Timur.
¡Enflammé des tranfports d'une valeur atroce ,
Dans des ruifleaux de lang le conquérant féroce
Plonge & baigne à loifir fon homicide -bras :
Croit il-qu'en fa fureur l'humanité l'honore ?
Et peut-elle encenfer un guerrier qu'elle abhorre',
Et qui l'écrafe fous les pas ?
i
Octave étouffe enfin la vengeance & la haine.
La vertu qui le fuit , fous les traits de Mécène ,
Au temple de Janus a changé les deſtins .
Letyran difparoît ; il fait place au grand homme ;
Et l'objet odieux de la terreur de Rome ,
Devient l'Idole des Romains.
Mécène ? .... O doux refpect où mon coeur siabandonne
! ....
Mais vous qui foutenez le poids de la couronne ,
Vous , que l'orgueil enchaîne aux plus nobles
emplois ;
Ofez fixer Mécène à fon heure derniere , *
* Mécène mourut épuisé par les travaux . du ›Ministère.
Pendant les trois dernières années de fa vie , il ne
dormoit presque point pour donner plus de temps aux
affaires de l'Etat.
FÉVRIER. 1776 .
Et d'un regard jaloux obfervant fa carriere ,
Apprenez à fervir les Rois .
Je l'ai vu ce Miniftre , inexorable , avare ,
Al'indigence en pleurs fermer (on coeur baibare ,
Et des travaux du peuple enrichir les trésors .
Elclave du plaifir , repouflant l'infortune ,
Il a vieilli , courbé fous la haine commune ,
Sans poufler le cri du remords.
ப
Ehtoi , Sulli ? ... tu fuis le féjour de l'envie ?
Son fouffle empoisonné s'exhale fur ta vie ,
Et le grand homme échappe à l'Etat abattu ....
Le jaloux Courtifan eft paffé comme l'ombre ,
Et le temps l'a couvert du voile horrible & fombre
Qu'il crut jeter fur la vertu.
Des malheurs de Thémis , victime illuftre &
chère ,*
O toi , dont le grand nom pare fon fanctuaire ,"
Magiftrat éloquent & juge vertueux !
Que les fiécles futurs , en t'offrant leur hommage,
Apprennent que ton fiécle a reconnu le fage ,
Et qu'il fut l'honorer comme eux.
* M. de Lamoignon de Malesherbes étoit encore
Premier Préfident de la Cour des Aides.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Tel que l'aftre du jour , dans fa courfe féconde,
L'oeil pénétrant du fage , en éclairant le monde ,
Fait germer le bonheur , & veille autour de nous :
Auteurs licencieux qui fouillez l'art d'écrire ,
Cet encens des humains , que la vertu refpire ,
Ne brûlera jamais pour vous.
Eft- ce à vous de prétendre à ce tribut infigne ?
L'efpoir d'un nom fameux , quand on n'en eft pas
digne ,
Infulte , avec mépris , à la poſtérité-
La gloire des talens eft dans leur noble uſage ,
Et la feule vertu peut frapper fon ouvrage
Au coin de l'immortalité .
Defcends , fille du ciel , & transformé mon être ;
Imprime lui ces traits qui le font reconnoître ;
Donne moi le courage embrafé de tes feux
Qui pardonne à Cinna , perce le coeur d'Arie
Fait déchirer Caton , immole Virginie ,
C
Et place l'homme au rang des Dieux .
Par M. Pilhes , de Tarafcon , en Foix ;
Avocat au Parlement.
FÉVRIER. 1776. II
LA NOUVELLE PANDORE.
Etrennes à Madame la Comteffe de R*** .
Ce n'eft point à cette Pandore
Chefd'oeuvre de Vulcain , & que les Immortels
De tous les dons embellirent encore
Que ma main drefle des autels .
Elle ne doit fon exiſtence
Qu'à la brillante fiction ;
Mais tout Paris connoît Hortenfe ,
Comme Cythère Cupidon.
Belle de fes attraits elle feule l'ignore ;
Qui la voit en fecret l'adore ,
Et s'apperçoit du trouble de fes (ens ;
Plus d'un Titon la prendroit pour l'Aurore ,
Lorfque fortant des bras des fonges careflans ,
Le carmin de l'amour l'anime & la colore.
Du Dieu du Pinde elle a tous les talens :
Euterpe envieroit les accens :
Zéphit pour elle oubliant Flore
Voleroit àles pieds foupirer les tourmens.
De la nature elle eſt l'ouvrage :
Sur fon front brille l'aflemblage
De la décence & de la dignité ;
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Quelle douceur dans fon langage !
Et dans fon coeur que de bonté !
Loin qu'elle tire vanité
Du rare & fublime avantage
Que donnent refprit , la beauté ;
Toujours fimple , toujours modefte ,
Elle cache une âme célefte
Sous les traits de la volupté.
La Pandore que l'on nous vante ,
Répandit tous les maux fur les triftes humains ;
Mais la Pandore que je chante ,
Verſe les biens à pleines mains.
Quels voeux je formerois pour elle
S'ils pouvoient ajouter à la félicié !
Ah ! pour donner quelque eflor à mon zèle
La fortune & les Dieux ont trop bien concerté ?”
Puiffent du moins les deſtinées
En un feul point feconder mon defir !
Ceft de prendre fur mes années
Celles dont ma Pandore a befoin pour jouir.
ParM. l'Abbé Dourneau , Ch du S. S.
FEVRIER. 1776. 13
LES RESSOURCES DE L'ÉQUIVOQUE.
Epigramme.
Vosreproches , Cléon , ſont injuftes , & vains ;
Je ne diffipe point mes petites finances :
Appelez vous folles dépenses
Ce queje donne aux Quinze- Vingts ? *
Par le même.
VERS de Madame de... à M. le Préfidens
d'Alco.
On dit que la mélancolie N
Etend fon voile ténébreux
Sur le matin de votre vie ,
Et que votre brillant génie
Déjà le cache à tous les yeux.
Je ne crois pas que la fageffe
Nous fafle un devoir du chagrin :
Je vois d'un regard plus ferein
Les fottifes de potre espece ;
* La Fortune & l'Amour .
14
MERCURE DE FRANCE:
Il faut traiter le genre humain
Comme une coquette maîtreЯe
Qu'on aime un jour avec tendrefle
Et que l'on fuit le lendemain ,
Qu'on querelle & qu'on fuit fans cefle
Si vous avez des ennemis ,
Croyez- moi , c'eft un bien fuprême ;
La bouche qui vous dit : Je t'aime ,
En eft pour vous d'un plus grand prix.
LES SEURS DE LAIT.
Drame de Société.
PERSONNAGES .
Madame BEAUPRÉ , veuve .
JULIE , filles de Mde Beaupré ,
HENRIETTE
, âgées de 12 à 14 ans.
MATHURINE
, Nourrice
des filles de
Mde Beaupré.
filles de Mathutine & foeurs
MADELON Sde lait des filles de Mada-
BABET ,
Sme Beaupré .
La Scène eft chez Madame Beaupré.
Le Théâtre repréfente une Salle baffe de la
Maifon de Madame Beaupré.
FÉVRIER. 1776.
SCÈNE I.
Madame BEAUPRÉ , HENRIETTE.
Madame BEAUPRÉ traverse le Théâtre
pourfortir: dans le même inftant Henriette
le traverfe du côté oppofé ; fa mère
l'arrête.
V ENEZ ici , Henriette; où eft votre foeur ?
HENRIETTE . Elle eft dans le jardin ,
où je crois qu'elle s'amufe à courir après
des papillons.
Mde BEAUPRÉ. La belle occupation !
Votre foeur est bien folle , bien légère ;
elle n'eft cependant plus une enfant , & il
me déplaît fort de la voir ainfi courir de minucies
en minucies , avec autant d'ardeut
que l'on en auroit pour les chofes les plus
férieufes . Pour vous , Henriette , je fuis
plus contente de vous ; quoique vous ne
foyez que la cadette , vous montrez plus
de raifon , & vous êtes moins évaporée.
Que faifiez- vous là haut ?
HENRIETTE . Ma chère mère , je repaffois
ma leçon de clavecin d'hier , parce
16
MERCURE
DE FRANCE
.
que mon maître m'a dit qu'il ne pouvoit
pas venir aujourd'hui .
Mde BEAUPRÉ. C'eſt bien fait . Je
fors pour quelques affaires ; lorfque votre
foeur fera rentrée , je vous charge de lui
témoigner mon mécontentement. Je veux
que vous lui donniez des leçons ; & , comme
vous avez plus de raifon qu'elle , j'entends
qu'elle ait des égards pour vous ,
qu'elle vous écoute avec docilité . Diteslui
cela de ma part ; entendez- vous ?
HENRIETTE. Oui , ma chère mère . ( Mde
Beaupréfort ).
SCÈNE I I.
HENRIETTE feule.
( Mde Beaupré eft à peine fortie , qu’Henriette
fe redreffe & fe regarde dans les
glaces enfe donnant des airs ) .
Pour cela , Mademoiſelle Julie , je vais
bien rabattre votre caquet. Quoique vous
foyez mon aînée , il faudra que vous m'obéiffiez
actuellement ; oui , que vous m'obéiffiez
; car c'est sûrement ce que ma mère
a voulu dire. Auffi n'eft- il pas étrangè
FÉVRIER. 1776.
que ce foit l'âge qui établiffe la fubordination
? comme fi , quoique plus jeune ,
on ne pouvoit pas être plus raifonnable.
Moi , par exemple , ne fuis- je pas faire
pour commander à cette folle- là , qui n'a
non plus d'intelligence .... qui , au lieu
d'étudier fes leçons de clavecin , s'amule
à caufer avec le Jardinier & à lui voir
planter les choux ; qui eft affez fimple
pour lui donner tout fon argent , placôt
que d'en acheter des bijoux qui li feroient
honneur,
SCÈNE 111.
HENRIETTE , JULIE.
JULIE entre d'un air d'empreffement :
elle tient une boîte fermée . Ma foeur , ma
foeur , wiens voir les beaux papillons que
j'ai attrapés .
HENRIETTE d'un air dédaigneur . Oui ,
cela eft bien beau vraiment.
JULIE . Ils font charmans , te dis - je , je
n'en ai point encore vu de plus brillans .
HENRIETTE. Oui , en vérité , voilà
une occupation bien digne d'une fille de
votre âge.
18 MERCURE DE FRANCE,
JULIE . Tu te trompes , ma foeur , ce
n'eſt qu'un amuſement .
HENRIETTE. Eh bien , foit : voilà un
amufement d'une belle eſpèce , & qui te
fera bien de l'honneur dans le monde.
Au lieu de t'appliquer à ton clavecin que
tu négliges entièrement.
JULIE . Oh ! mon clavecin m'ennuie
& je ne veux d'amufemens que ceux qui
me plaifent.
HENRIELTE . Tu as un goût vraiment
diftingué.
JULIB . Comme tu voudras ; mais veuxtu
que je te le dife : j'aime la liberté, moi
fur- tout dans mes divertiffemens . Qu'ai - je
affaire de cet homme au ton rogue &
dur , qui vient , d'un air de pédant , m'apprendre
à me divertir , & qui ne parvient
qu'à m'ennuyer autant que je le vois trèsfouvent
s'ennuyer lui - même .
HENRIETTE pliant les épaules . Quelle
petiteffe d'idées !
JULIE. Que veux-tu ? je penſe comme
cela . Je me plais fingulièrement dans
notre jardin; j'y refpire un air de liberté
qui m'enchante . La fleur que j'ai vue naître
eft celle que je préfère pour me parer ;
je trouve , ce me femble , un meilleur
goût au fruit que j'ai vu croître & mûrir,
FÉVRIER. 1776. 19
& que je cueille de ma main. Ces amufemens
, s'ils n'ont pas le brillant des
tiens , font au moins fort innocens .
HENRIETTE . C'eſt fort bien dit ; mais
ma mère , qui n'a pas le goût ruftique
comme toi , eft fort mécontente , & tu
devrois pour la fatisfaite....
JULIE légèrement . Oui , je voudrois de
tout mon coeur , pour lui plaire , que le
clavecin fût plus de mon goût A
propos , que je t'apprenne une nouvelle .
HENRIETTE. Comment donc ?
JULIE . Mais une nouvelle qui te fera
sûrement bien du plaifir .
HENRIETTE . Eh quoi encore ! dis donc
vîte.
JULIE . Devine .
HENRIETTE . Ohje ne fais pas deviner ;
tu m'impatientes.
JULIE. Notre maman nourrice eft ici.
HENRIETTE avec un grand éclat de rire.
Ah mon Dieu , voilà ta nouvelle !
JULIE . Mais , oui.
HENRIETTE. C'eft- là cette bonne nouvelle
, cette grande nouvelle ; mais je
n'en reviens pas.
JULIE . Et ce qu'elle ne te fait pas
plaifir ?
HENRIETTE, Mais ni plaifir ni peine ;
20 MERCURE DE FRANCE.
je crois que je ne fuis pas
faire pour
m'occuper beaucoup de ces gens - là .
JULIE. Elle est pourtant ta nourrice ,
auffi bien que la mienne.
HENRIETTE. A la bonne heure.
JULIE. Elle a amené nos deux foeurs
de lait , Madelon & Babet.
HENRIETTE. Que m'importe ?
JULIE. Tu es bien froide , il me femble
que la reconnoiflance ....
HENRIETTEpiquée & avec hauteur: Point
de leçons , s'il vous plait , Mademoiſelle ,
c'eft à moi de vous en donner . Songez
feulement à vous comporter avec plus
de retenue qu'à votre ordinaire.
JULIE. Eh mais ; mais tu badines , 'je
crois.
HENRIETTE . Point du tout.'Demandez
à ma mère ; elle fait combien j'ai plus
de raifon que vous , & elle m'a chargé
de vous commander ; entendez - vous
Mademoiſelle ? Ainfi prenez garde de
vous compromettre dans l'accueil que
vous ferez à votre nourrice.
JULIE . Bien . Comme je me moqué
de tes ordres. ( Elle fort en fautant & en
chantant ).
FEVRIE R. 1776 . 20:
SCÈNE I V.
HENRIETTE feule .
Eh bien , voyez donc cette extravagante ,,
comme elle eft rétive , opiniâtre. Oh pour
cela , j'en aurai raifon. Mais bon , voici
la nourrice ; elle ne l'aura sûrement pas
rencontrée. Auffi - tôt qu'elle apperçoit
entrer Mathurine , elle va s'affeoir dans un
coin du Théâtre , tire de fon fac une pièce
de broderie & travaille ) .
SCÈNE V.
HENRIETTE , MATHURINE , MADELON ,
BABET.
MATHURINE entre d'un air épanoui ,
fes filles lafuivent d'un air honteux & décontenance.
Eh bon jour m'n'enfant , mon
Henriette ; Jéfus ! comme la v'là brave &
grandelette !
HENRIETTEfans la regarder. Bon jour ,
ma Bonne,
MATHURINE. Comme ça eft devenu
22 MERCURE
DE FRANCE
.
grand & gentil ! Moi qui ai vu ça fi
petit . Mon Dieu ! ça me confond . Embraffe
moi donc , ma pauvre enfant ; je
pleure de joie.
HENRIETTE déconcertée fe laiffe embraffer.
Plus doucement , ma Bonne , vous
me faites mal.
MATHURINE . Mon Dieu comme t'es .
devenue délicate , indifférente dès depuis
qu'tu n'es plus au village . Dame c'eſt
que je t'aimons toujours bian tretous.
HENRIETTE toujours travaillant . C'eſt
bien fait , ma Bonne.
MATHURINE prend Madelon par le bras
& la préfente à Henriette. Tians v'là ta
four Madelon , qui eft fi contente de te
voir : elle eft auffi grande que toi ; mais
tredame alle n'eft ni auffi gente ni auffi
brave . Approche , Madelon .
MADELON . Ma mère , je ſons honteufe.
HENRIETTE . Elle a raiſon , nourrice ;
vous êtes trop familière .
MATHURINE . Comment , eft- ce que
tu ne la reconnois plus ; c'eft ta font
Madelon je vous baillais mon lait dans
le même temps . Auffi vous vous aimiez ,
vous vous embraffiaint ( à Madelon ) .
Allons, nigaude, approche, approche donc.
FÉVRIER. 1776. 23
MADELON s'avance pour embraffer Henriette
. Si vous vouliais parmettre ...
HENRIETTE la repouffe durement . Doucement
doucement donc , vous allez
gâter mes habits.
MADELON pleurant . Ah ma mère ! ce
n'eft sûrement pas là ma foeur Henriette
qui m'aimois tant .
MATHURINE. Si fait , fi fait , c'eft alle
même ; mais c'est qu'alle n'est plus au
village : fes biaux habits ly faifons torner
la tête , vois-tu ; not' pauvreté ly fait
konte, & not' amiquié ly fait déshonneur .
MADELON . Eft- ce que je n'avons pas
de l'honneur itou nous autres , quoique
je foyons pauvres ?
BABET. Oh pour ma foeur Julie , alle
a un meilleur ceeur que ça , je gage.
MATHURINE. Et tu patdras, m'n'enfan;
va je parierois moi qu'c'eft la même
chofe . Eft- ce que ftelle - ci ne nous baillait
pas affez de fignifiance d'amiquié ? Tant
que je les avons au village , vois-cu
alles font douces , accortes , alles nousfont
des amiquiés , des careffes ; maman
nourrice par ci , ma foeur Madelon par là;
Oh je vous aimons tant , j'aurons tant de
foin de vous ; vous ne manquerais jamais .
I
FÉVRIER. 1776. 23
MADELON s'avance pour embraffer Henriette
. Si vous vouliais parmettre ...
HENRIETTE la repouffe durement . Doucement
, doucement donc , vous allez
gâter mes habits .
MADELON pleurant . Ah ma mère ! ce
n'est sûrement pas là ma foeur Henriette
qui m'aimois tant.
t
MATHURINE. Si fait , fi fait , c'eft alle
même ; mais c'est qu'alle n'est plus au
village : fes biaux habits ly faifons torner
la tête , vois - tu ; not' pauvreté ly fait
konte, & not' amiquié ly fait déshonneur.
MADELON . Eft- ce que je n'avons pas
de l'honneur itou nous autres , quoique
je foyons pauvres ?
BABET. Oh pour ma four Julie , alle
a un meilleur coeur que ça , je gage.
>
MATHURINE. Et tu patdras, m'n'enfan ;
va je parierois moi qu'c'eft la même
chofe. Eft- ce que ftelle - ci ne nous baillait
pas affez de fignifiance d'amiquié ? Tant
que je les avons au village , vois-tu
alles font douces , accortes , alles nous
font des amiquiés , des careffes ; maman
nourrice par ci , ma foeur Madelon par là ;
Oh je vous aimons tant , j'aurons tant de
foin de vous ; vous ne manquerais jamais .
24 MERCURE DE FRANCE.
Mais , à la ville , ils nous les gâtons ,
alles devenont fiares , ingrates . , ..
HENRIETTE avec aigreur. Ma Bonne
finillez vos propos , s'il vous plaît . Sia
j'ai été nourrie chez vous , on vous a bien
payée fans doute , & vous n'avez . rien
à dire .
1
MATHURINE. Oh Madame vot' mère
m'a toujours bian aidée , bian reconnue ;
& j'autions tort de nous plaindre d'elle ;
mais vous que j'ont nourrie , que j'ont
foignée comme not' enfant , à qui j'avons .
bouté not' affection , tout ainfi comme...!
nous voir ainſi rebutée ... ( Elle pleure )
Ça
Ca eft bian rude .
HENRIETTE. Mais vous êtes folle , ma
Bonne .
SCENE VI.
JULIE ET LES PERSONNAGES PRÉCÉDENS .
JULIE entre en accourant & faute au
cou de Mathurine. Eh vous voilà , maman
nourrice ; il y a une heure que je vous ,
cherche.
MATHURINE s'effuyant les yeux. Bon
jour ; Mamefelle Julie .
LIS .
FÉVRIER. 1776. 25
JULIE . Ah ! & voici m'amie Baber.
Comment te portes- tu ?
BABET s'effuyant les yeux & faifant la
révérence. Bien de l'honneur à nous , Mamelelle
Julie.
JULIE . Eh bien ! pourquoi ne m'appelles
-tu pas ta four ? Eft-ce que je ne
fuis plus ta bonne amie ? Mais tu pleures ,
je crois ; qu'as tu donc ?
BABET. C'eft ma mère qui a du chagrin .
JULIE . Mais , oui ; vous pleurez auffi ,
maman nourrice ; & toi auffi , Madelon .
Qu'est-ce que tout cela fignifie donc ? Le
papa nourricier feroit- il malade ?
MATHURINE. Non , Dieu merci ! Mamefelle
Julie .
JULIE . Oh! pour le coup , vous m'impatientez
avec vos tévérences & vos Mamefelle
Julie. Maman nourrice , je me
rappelle toujours , avec reconno flance , les
foins que vous avez eus de moi .
BABET à Mathurine. Quand je vous le
difois , ma mère , qu'alle avoit bon coeur
celle-là .
JULIE . Et toi , ma petite Babet , je
t'aime toujours de tout mon coeur .
BABET faisant la révérence. Bian obli .
gée , ma foeur ... Mamefeile Julie .
B
16 MERCURE DE FRANCE.
JULIE avec impatience . Finirez - vous ,
ou bien je vais me fâcher tout- à - fait.
MATHURINE . Tredame , je parlons
comme on nous l'a commandé . Aç 'heure
qu'ous êtes grand'Dames , je ne fons pas
daignes de vot' amiquié.
JULIE. Voilà de bien fots propos ; ce
n'eft pas moi qui les tiens , maman nourrice
: allez , je vous ferai attachée toute
ma vie ; je n'oublierai jamais que je dois
à vos foins ce qui en fait le bonheur.
MATHURINE . La daigne enfant ! v'là·
parler ça ; v'là qu'eft d'un bel exemple.
pour les enfaus fiats & ingrats qui nous
méconnoiffons .
HENRIETTE , qui , pendant toute cette
Scène, eft restée àfon ouvrage en l'interrompant
de différens geftes d'impatience , fe
lève &fort brufquement. Oh ! je n'y tiens
plus .
SCENE VII.
JULIE , MATHURINE , MADELON ,
ВАВЕ Т.
JULIE . Bon , la voilà partie ; maman
FÉVRIER. 1776. 27
nourrice , je vous attendois avec impatience.
( Elle va prendre un petit coffret
qu'elle ouvre ) Tenez , voilà une coëffure
& un mouchoir de cou que je vous garde
depuis long-temps.
MATHURINE Confidérant ce que
Julie. La brave enfant !
lui donne
JULIE . Et toi , Babet , voilà un petit
coeur d'or que je veux que tu portes toujours
pour te reffouvenir de moi .
BABET. Oh ! je n'ont pas befoin de ça
pour vous aimer de tout not' coeur , Mamefelle
Julie.
JULIE . Encore Mamefelle Julie. Ch
bien , tu n'auras pas le coeur d'or & tu ne
feras plus ma bonne amie , fi tu ne m'appelles
pas ta foeur.
BABET honteuse. Dame , je n'ofe.
JULIE. Je le veux , je le veux .
BABET. Eh bian ! ma foeur , je vous
remarcie.
JULIE . Allons , embraſſe - moi . ( Elles
s'embraffent ) Ertoi , ma pauvre Madelon ,
il faut que je te trouve auffi quelque chofe.
Ah! tiens , voilà une petite croix d'argent.
Dame , je ne peux pas te donner davantage
actuellement.
MADELON faifant des révérences. Oh !
Bij
26 MERCURE DE FRANCE.
JULIE avec impatience. Finirez - vous ,
ou bien je vais me fâcher tout à- fait .
MATHURINE. Tredame , je parlons
comme on nous l'a commandé. Aç ' heure
qu'ous êtes grand'Dames , je ne fons pas
daignes de vot' amiquié .
JULIE. Voilà de bien fots propos ; ce
n'eft pas moi qui les tiens , maman nourrice
: allez , je vous ferai attachée toute
ma vie ; je n'oublierai jamais que je dois
à vos foins ce qui en fait le bonheur.
MATHURINE . La daigne enfant ! v'là
parler ça ; v'là qu'eft d'un bel exemple
pour les enfaus fiars & ingrats qui nous
méconnoiffons.
HENRIETTE , qui , pendant toute cette
fcène, eft restée àfon ouvrage en l'interrompant
de différens geftes d'impatience , fe
lève & fort brufquement . Oh ! je n'y tiens
plus.
SCÈNE VII.
JULIE , MATHURINE , MADELON
BABET.
JULIE . Bon , la voilà partie ; maman
FÉVRIER . 1776.
27
nourrice , je vous attendois avec impatience.
( Elle va prendre un petit coffret
qu'elle ouvre ) Tenez , voilà une coëffure
& un mouchoir de cou que je vous garde
depuis long-temps.
MATHURINE Confidérant ce que lui donne
Julie. La brave enfant !
JULIE . Et toi , Babet , voilà un petit
coeur d'or que je veux que tu portes toujours
pour te reffouvenir de moi .
ça
BABET. Oh ! je n'ont pas befoin de
pour vous aimer de tout not ' coeur , Mamefelle
Julie.
JULIE . Encore Mamefelle Julie. Oh
bien , tu n'auras pas le coeur d'or & tu ne
feras plus ma bonne amie , fi tu ne m'appelles
pas ta foeur.
BABET honteuse. Dame , je n'ofe.
JULIE . Je le veux , je le veux .
BABET. Eh bian ! ma foeur , je vous
remarcie.
JULIE . Allons , embraffe-moi . ( Elles
s'embraffent ) Ertoi , ma pauvre Madelon.
il faut que je te trouve auffi quelque chofe.
Ah! tiens ,voilà une petite croix d'argent .
Dame , je ne peux pas te donner davantage
actuellement.
MADELON faifant des révérences . Oh !
Bij
-2.8 MERCURE DE FRANCE.
Mamelelle .... C'eſt toujours plus ....
Je ne méritons pas ....
JULIE . Allons , prends , & ne fais pas
la forte.
MADELON . Grand merci ! Mamefelle
Julie.
MATHURINE . Pour le coup , je n'y
tenons plus ; v'là un coeur ça auprès de
l'autre je fommes bian confolées du chagrin
qu'alle m'a donné.
:
JULIE. Comment donc ?
MATHURINE. Ta foeur , m'n'enfant ,
faut voir ,
qui ne te vaut pas ,
fitu favois
comme alle nous a reçues en faiſant la
Madame ; comme alle nous a rebutées
quand j'avons voulu l'y faire amiquié.
Tians , j'en is encore toute je ne lais
comment : & ç'te pauvre Madelon alle
ne peut pas s'en remettre .
JULIE . Allez , allez , maman nourrice ,
il ne faut pas prendre garde à cela . Est- ce
que je ne vous refte pas , moi ? Ne vous
inquiétez pas , je vous aimerai pour deux ;
je ferai auffi la foeur de Madelon , ainfi
vous ne perdrez rien .
FÉVRIER. 1776. 29
SCÈNE VIII.
Mde BEAUPRÉ , JULIE , MATHURINE ,
ВАВЕТ , MADELON.
Mle BEAUPRÉ à Julie févérement. Eh
bien ! Mademoifelle , avez - vous allez
couru , aflez folâtré toute la journée ? Fi ,
n'avez vous pas honte ; un petit garçon
eft moins diffipé que vous. ( appercevant
Mathurine ) Ah ! ah ! vous voilà Mathurine
, bon jour.
MATHURINE faifant la révérence . Je
fis vot' fervante , Madame Beaupré.
Mde BEAUPRÉ. Voilà , je crois , vos
filles , les foeurs de mes enfans ; comme
elles font grandes & fortes ! cela doit
vous faire plair à voir , nourrice ?
MATHURINE . Dame , Madaine , ça
m'eft itou bian agréable.
Mde BEAUPRÉ . Ont - elles vu leurs
fours ? car c'eft ainfi que je veux qu'elles
appellent mes filles : fans doute qu'Henriette
a été bien contente de vous voir.
MATHURINE avec un foupir. Ah ! not
Dame , vous avais toujours eu plus de
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
bontés pour nous que je n'en fommes
daignes.
Mde BEAUPRÉ . Qu'est ce à dire , nourrice
? vous n'avez point l'air contente.
Vous auroit- on mal reçue ? Je voudrois
bien favoir cela , par exemple. Mademoifelle
Julie , vos folies me préparent
elles quelque nouveau chagrin .
JULIE . Moi , ma chère mère ! Oh , maman
nourrice vous dira fi je ne l'ai pas
reçue avec plaifir.
Mde BEAUPRÉ . Je le crois ; mais cela
ne fuffit pas . Peut être lui aurez - vous dit
quelque chofe de défagréable ; car vous
êtes fi folle , fi inconféquente ....
MATHURINE. Oh Madame ! ben du
contraire.
Mde BEAUPRÉ . Mais encore : je veux
favoir ce qui vous chagrine , nourrice.
Peut- être n'aura-t- elle pas fait d'amitiés
à fa foeur.... Oui , c'eft cela sûrement :
ces petits airs là ne me conviennent point
da tout , Mademoifelle . Imitez votre
foeur Henriette : elle eft douce , fage ,
pofée ; elle a l'ame fenfible , reconnoiffante
, généreufe ; je fuis sûre qu'elle aura
accablé fa foeur de careffes.
FÉVRIER. 1775. 3x
SCÈNE IX & dernière.
HENRIETTE ET LES PERSONNAGES
PRÉCÉDENS.
Mde BEAUPRÉ continue. Eh bien ,
Henriette , n'êtes - vous pas bien contente
de voir votre four & votre nourrice ?
HENRIETTE d'un air contraint. Mais ,
oui ; ma chère mère .
Mde BEAUPRÉ avec joie. Je le difois
bien qu'elle eft fenfible & bien née , ma
fille Henriette . Mais qu'est - ce que je
vois entre vos mains , nourrice ? Je gage
que ce font des préfens de ma fille Hentiette.
Ah ! que je fuis contente de cette
marque de fon attention & de fa reconnoiffance
; les larmes m'eu viennent aux yeux
de fatisfaction . ( Elle embraffe Henriette)
Ah ! ma chère Henriette , tu feras la confolation
de mes vieux jours : & vous ,
Mademoiselle , profitez d'un & bel exemple
, fi votre légèreté vous le permet.
MATHURINE faifant la révérence. Je
vous fais excufe , not' Dame ; c'eſt Ma-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
mefelle Julie qui m'a baillé ça : v'là itou
ce qu'alle a donné à mes filles .
Mde BEAUPRÉ avec furprife. Quoi ,
e'eft vous Julie ! Vous ne m'en difiez rien .
JULIE . Ma chère mère , je ne croyois
pas que cela en valût la peine.
•
Mde BEAUPRÉ . Et Henriette ?
MATHURINE. Oh ! Madame , je ne
fommes pas daignes de l'approcher ni de
by parler ; alle eft trop grand' Dame.
Mde BEAUPRÉ mécontente. Oui dà !
HENRIETTE Confufe. Ma chère mère ,
Vous ne croyez pas...
Mde BEAUPRÉ févérement . Rentrez ,
Mademoiselle . ( à part après un inftant
de filence ) Je vois que j'ai été la dupe de
leurs caractères ; & cela arrivera toujours
à ceux , qui , au lieu d'approfondir les
coeurs , ne s'arrêteront qu'à la fuperficie.
Par Mademoiſelle Raigner de Malfontaine.
FÉVRIER. 1776. 33
En l'honneur de l'Immaculée Conception
de la Sainte Vierge.
La naiffance de Monfeigneur le Duc
D'ANGOULEME.
SONNET qui a été couronné à Caën le 3
ENSEVEL
Décembre 1775 •
8
NSEVELIS , grand Dieu , dans la nuit éternelle
Ces Tyrans furieux qui portent la terreur :
Ereins dès le berceau leur race criminelle :
Que leurs nouns déformais n'infpirent plus d'hor
reur ......
Mais que le fils des Rois , en croiflant fous ton aile,
Comme un autre Louis ( 1 ) fafle notre bonheur :
Que fon front foit couvert d'une gloire immortelle
Et que fa bienfaifance ajoute à la grandeur !
Pourroit- il démentir fon illuftre naiflance ?
Un Prince (2 ) vertueux éclaire fon enfance ,
Et la main des Bourbons va diriger les pas .
( 1 ) Louis XVI.
(2) Monfeigneur le Comte d'Argois.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
Pallas ( 1 ) fème de fleurs la trame de fa vie ,
En écartant de lui la bafle flatterie :
ALLUSION .
Ainfi , Vierge, Dien fçut te ſouſtraire au trépas.
En l'honneur de l'Immaculée Conception
de la Sainte Vierge .
LE RETOUR DE L'ÂGE D'OR .
A Monfieur TURGOT , Contrôleur-Général
des Finances .
·SONNET qui a été couronné à Caën le 8
Décembre 1774.
DES Sully , des Colbert toi qui cours la carriere,
Ton nom vole avec eux à l'immortalité ;
Sur la nuit des calculs tu répands la lumiere ,
Et rien ne fe dérobe à ton activité.
Limoges t'a donné le tendre nom de pere :
La France avec tranſport la déjà répété :
(1) Madame la Comteffe d'Artois.
FÉVRIER . 1776. 35
Vas , portant dans les Cours le flambeau qui t'é-
Aux
claire ,
yeux des Souverains offrir la vérité .
Des dons de ton génie enrichis nos Provinces ,
En couronnant les arts faïs - les aimer des Princes :
Louis a par fon choix honoré ta vertu.
Ecrafe fous tes pieds les ferpens de l'envie ,
Suis tes nobles projets... Ainfi chafte Maric
Le Tyran des enfers par toi fut confondu .
L'HOMME CONSOLÉ PAR LA RELIGION.
ODE couronnée par l'Académie de la Conception
de Rouen , au mois de Décembre
1775 .
CIEL! nene m'as tu donné ma fatale exiſtence ,
Que pour boire à longs traits le fiel de ta vengeance
?
L'homme libre à la fois , elclave , infortuné ,
Gémit fous le fardeau d'une accablante vie ,
Par de longues douleurs on croiroit qu'il expie
Le crime d'être né.
Mon coeur s'égare en vain dans ſa pénible courſe
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
Pour trouver de la paix la véritable fource ;
Elle échappe à mes voeux ; un frivole de fir
A trompé de mes fens l'ivrefle paflagere ,
J'ai vu fuir à mes yeux comme une ombre légere ,
L'image du plaifir.
Que dis je ? Autour de moi le démon de la guerre ,
De les feux deftructeurs vient embrafer la terre ;
L'enfer a fecondé fon barbare tranſport ,
Par tout il fait régner le crime & l'imposture ,
Sa main enlanglantée a couvert la nature
Du voile de la mort.
Ce brigand contonné qu'enhardit l'opulence ,
Vole de crime en crime , & fa fiere infolence
A force d'attentars a fçu trouver la paix ;
Tous les jours font fereins , fon bonheur eft
extrême ,
Et puiflant par le vice , il s'adore lui- même
A l'ombre des forfaits.
Tout fatte ſon penchant , tout cherche à le diftraire
,
Le fort à fes defirs fut - il jamais contraire ?
Son paisible pouvoir ignore les revers :
L'innocence gémit fous la main qui l'opprimes
Quand l'aveugle fortune a couronné le crime ,
Le juíte eft dans les fers.
FEVRIER . 1776. 37
Quoi ! la vie , ô douleur ! fous les loix d'un Dieu
fage ,
Des tourmens à la mort eft le trifte paſſage ?
Qui voit du fcélérat les defirs triomphans ,
Accufe la rigueur d'un defpote févere ,
Et ne découvre plus la main d'un tendre pere
Qui chérit fes enfans .
Des folles paffions l'homme eft donc la victime ;
Comme fon coeur , la terre eft l'empire du crime ?
Non , il n'eft point ce Dieu , j'ignore (on appui ;
S'il eft vrai qu'il exifte , armé de ſon tonnerre ,
Qu'il venge l'innocent , qu'il le montre à la terre ,
Et mon coeur croit en lui.
Téméraire mortel , ton aveugle caprice
Blefle aina de ton Dieu la fuprême juſtice !
Fais defcendre la paix dans ton coeur abattu ,
Que l'orgueil de ton être & t'anime & t'enflamme ,
Abjure ton erreur , reconnois dans ton âme
Le prix de la vertu .
Dans l'abyfme des maux dont le poids nous ac
cable ,
Defirer un bonheur conftant , inaltérable ,
Je l'avone avec toi , c'eſt un frivole eſpoir ;
Si la longue douleur , que l'on nomme la vie ,
D'un état plus heureux ne doit être fuivie ,
Je frémis de me voir.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mon âme périroit ! A ces mots je friffonne ,
Le trouble me faifit , & l'horreur m'environne :
Quoi ! ce maîtreinflexible , & fi jufte & fi grand ,
M'accable fous le poids de fon fceptre barbare ,
Et du fein de mes maux fa fureur me prépare ,
L'abyfme du néant ?
O de l'éternité féduifante espérance ,
Du plus parfait bonheur chere & douce affurance !
Ton avenir réfout l'énigme du préfent ;
L'homme oublie à ta voix les tourmens qu'il
endure ;
Et fier de fes vertus , il fouffre fans murmure
Lejoug le plus pefant.
I goûte fous les loix du Maître qu'il adore
Un plaifir auffi doux que les feux de l'aurore :
L'innocence eft fon bien , la vertu fes trésors ,
La gloire qu'il envie , en lui-même il la trouve ,
Un Dieu vit dans fon fein ; jamais fon coeur
n'éprouve
Les tourmens du remords.
Toi qui vantes les droits de la raiſon altiere ,
Son flambeau vit en vain pour ta foible paupiere ;
Si dans ce lieu d'exil nos jours tant combattus ,
Devoient être fixés à l'éclair de la vie ,
Nous euffions vu du moins , dans notre rêverie ,
Le fonge des vercus .
FÉVRIE R. 1776. 39
Néron cût expiré , quand la main languinaire
Ola plonger la mort dans le fein de fa mere ;
Mais il peut fans ebſtacle enfanter les forfaits.
Si le Très-Haut voit tout des yeux de ſa puiſlance
Il doit punir le crime & venger l'innocence
Par d'éternels bienfaits.
Philofophe ſi vain dans ton incertitude ,
Montre moi l'heureux fruit de ta pénible étude.
Quelfuccès ton efprit ofe- t- il me vanter ?
Ses efforts impuiflans irritent fon audace ,
Tandis qu'en fes defirs il n'eft rien qu'il n'embraffe,
Tu n'apprends qu'à douter.
Ainfi les Nautonniers , dans l'ardeur qui les guide ,
Affrontent les hafards d'un élément perfide ,
Au vafte fein de l'onde ils tombent renfermés :
Sous un ciel étranger , privés de fépulture ,
Leurs cadavres langlans deviennent la pâture
Des monftres affamés.
L'homme n'a pu former qu'un ténébreux lyftême :
En voulant fe connoître , il fe perd en lui - même ;
L'erreur a vu brifer fon fceptre criminel :
O confolant espoir ! ( ur des ailes de flamme ,
Ravie au haut des cieux , s'élancera mon ame
Au fein de l'Eternel.
Le ciel a conirmé ce qu'efpere le Sage ;
40 MERCURE DE FRANCE.
Il a parlé la terre atrefte fon langage ;
Les ombres ont fait place à l'éclat d'un beaujour ;
Le Très Haut , pour fixer la foi de fes oracles ,
Fait entendre à nos coeurs , par la voix des miracles
,
Les loix de fon amour.
De fes defleins cachés , d'éloquens interprêtes
Levent le voile obfcur fufpendu fur nos têtes ;
Les temps font accomplis , l'Univers eſt changé ;
Le colofle orgueilleux de la raifon hautaine
Tombe dans la pouffiere à leur voix fouveraine ,
Et le ciel eft vengé .
Pour obscurcir l'éclat de leur gloire naiſlante ,
L'enfer a déployé fa fureur impuiflante ;
Ils ont tout immolé , la vie & le repos ;
De la mort, des tourmens, victimes triomphantes,
Pour les fuivre il renaît de leur cendres fumantes
Un Peuple de Héros .
Oui , je crois , ô mon Dieu ! ta parole éternelle :
Toujours à tes fermens tu te montras fidele ;
A régner avec toi le jufte deſtiné ,
Enivré de bonheur , beureux comme toi - même ,
Des rayons immortels de ta grandeur fuprême
Doit être couronné.
Que les vents déchaînés raflemblant les nuages ,
FÉVRIER . 1776 . 41
Dans leurs flancs ténébreux enfantent les orages ,
Que la foudre brûlante éclate dans les airs ,
Que les champs , fous mes pas , foient hérités
d'épines ,
Je verrois , fans pâlir , les immenfes ruines
De ce vafte Univers .
Qui fe fent immortel , fur les pas de la gloire
Arrache les lauriers des mains de la victoire ;
Armé d'un noble orgueil , il court , vole à la mort :
Qui peut croire au néant meurt comme un vil
elclave ;
Sur l'aile de la foi l'homme vertueux brave
Rien ne
Les outrages du fort.
peut ébranler mon tranquille courage :
Un jour , une heure encor , j'ai fini mon voyage ;
La vie eft un éclair , un zéphir inconftant ;
Les attraits du plaifir ne font qu'un beau fantôme ,
La grandeur un vain nom , l'Univers un atôme ,
Les fiecles un inftant.
Du cercle de nos jours la grandeur eft décrite ,
Dujeune homme au vieillard la diftance eft petite;
Au moment où le ciel par la nuit eſt voilé ,
Du foleil qui s'échappe on apperçoit l'image ;
C'eſt le jour de la vie : avant d'en faire ulage
On le voit écoulé.
42 MERCURE DE FRANCE .
Dunis *, ô mon ami ! toi que la mortjaloufe
Vint arracher des bras de la plus tendre époule ;
Pardonne fiton nom réveillant ma douleur ,
De mes yeux attendris a fait couler des larmes ,
Que ne puis je te fuivre & m'enivrer des charmes
D'un éternel bonheur !
Tu rougis de mes pleurs , ton âme toute entiere
Nage dans des torrens d'une pure lumiere ,
Tut'affieds triomphant fur la fphère des cieux ,
Tu contemples le monde avec l'oeil de fon maître,
Et ton coeur goûte en paix , du Dieu qui t'a fait
naître ,
L'empire glorieux .
Apprends-moi l'art heureux de mourir & de vivre:
Des horreurs du trépas la vertu nous délivre ,
Du chemin de la vie abiége la longueur ,
Soutient les durs combats que le ciel nous ordonne
,
Des mains de l'Éternel fait ravit la couronne
Qu'il deftine au vainqueur.
Toi , qui verfant fur lui les flots de ton ivreffe ,
Des fruits del'âge mûr couronnas fajeuneffe ,
Sainte Religion, viens , defcends dans mon coeur ;
Que ma fiere raifon s'accoutume à t'entendre :
* L'Auteur vient de perdre le plus cher de fes amis.
FÉVRIER . 1776 . 43
C'eft en fuivant tes loix que l'homme doit ap .
prendre
La leçon du bonheur.
PRIÈRE A LA SAINTE VIERGE.
Vierge (ainte , en ces vers reçois un pur hommage ,
De la Religion tu couronnas l'ouvrage ,
L'erreur a vu paffer fon regne audacieux :
Tu vois à ton amour la Nature affervie ,
Ton Dicu naît de ton fein , il meurt , reprend la
vie ,
Et nous ouvre les cieux .
O Mere ! c'eft ton fils qu'on choifit pour victime !
Es- tu coupable , hélas ! pour expier le crime ?
Non , lorfque les mortels dévoués au tombeau ,
D:s vices en naiflant recueilloient l'héritage ,
De l'Univers entier l'effroyable naufrage
Refpecta ton berceau.
Daigne du haut des cieux conferver à la France
Un Prince quin'eft Roi que par la bienfailance ;
Il voit fleurir les lis à l'ombre de tes loix * .
Henri , le bon Henri deviendra fon modele ;
Déjà par les vertus Augufte nous rappelle
Le plus grand de nos Rois.
* Louis XIII a mis la France fous la protection de
la Sainte Vierge.
Par M.l'Abbé de Calignon , Chanoine.
44
MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre LE TEMPS & LA BEAUTÉ.
L A BEAUTÉ .
ARRÊTE ICI , Vieillard chagrin ,
Tu nous menes un peu trop vîte.
L E TEMPS.
C'est le pas qu'autrefois m'a preferir le Deftin .
Rien ne peut l'arrêter : rien ne le précipite.
L A BEAUTÉ .
Je découvre un vallon charmant :
La Nature s'y plaît ; un ruiffeau le partage.
Cueillons des fleurs fur cet heureux rivage ,
Mais cucillons- les avec difcernement.
Le choix en tout doît précéder l'uſage .
LE TEMPS.
Vous le pouvez , mais en paſſant :
Rien ne doit ralentir mon éternel voyage .
LA BEAUTÉ .
Vieillard , tu n'es pas fort galant.
FÉVRIER. 1776. 45
LE TEMPS .
On ne l'eft plus guere à mon âge.
L A
+
BEAUTÉ.
On peut , du moins fe montrer complaifant.
Je fuis belle , dit - on.
LE
L A
TEMPS.
Oh ! j'en ai bien vu d'autres !
BEAUTÉ.
Chacune a les attraits.
Mais ,
LE TEMPS.
Confervez bien les vôtres ;
, pourtant , avançons .
L A BEAUTÉ.
On m'a dit qu'autrefois
Une Belle plus tard fut ſoumiſe à tes loix.
La beauté n'étoit pas le fruit d'une journée :
L'Hellefpont vit combattre & périr trente Rois
Pour une Hélene furannée.
LE TEMPS.
Il m'en fouvient fort peu,
1
46 MERCURE
DE FRANCE
.
LA BEAUTÉ .
Diane à foixante ans
Eut encor de l'amour , cut encor des Amans .
Elle fut réunir la tendrelle à la brigue .
Tes yeux en furent les témoins.
LE
TEMPS.
Elle avançoit toujours , n'en fatiguoit pas moins ;
Mais elle fut long- temps déguifer la fatigue.
LA BEAUTÉ .
Ninon , plus vieille encore , enchaîna bien des
coeurs ,
Et les appas octogénaires
Trouverent des adorateurs.
LE TEMPS.
On a plus d'une fois adoré des chimeres .
Mais que m'importe enfin cette burlesque erreur ?
La beauté n'eft pour moi qu'une fragile fleur
Qu'en pallant je détruis , qu'en paffant je fais
naître.
La rofe unjour entier conferve fa fraîcheur.
Un autre luit & la fait difparoître.
* Diane de Poitiers . Elle fut d'abord aimée de
François I , & enfuite de Henri II , qui l'aima toute
fa vie. Elle avoit plus de foixante ans lorsqu'il porta
fes couleurs dans ce fameux tournoi où il fut bleffé
mortellement.
FÉVRIER . 1776. 47
LA BEAUTÉ.
T'entends ; tu fais détruire & non pas conferver.
L E TEMPS.
*
Mon foible eft , j'en conviens , d'abattre ou
d'élever.
Quelquefois d'un vallon je fais une montagne ,
Et d'une montagne un vallon ;
Des eaux de l'Océan je couvre la campagne :
Plus loin , du fein des flots fort une autre Albion .
LeMonde enfin varie au gréde mon caprice ;
Mais à travers ces changemens ,
On reconnoît encor le premier édifice :
Il est toujours le Monde , & moi je fuis le Temps,
LA BE A U TÍ ,
Ton meflage eft bien trifte.
L E TEMPS.
Il a les agrémens.
Ce globe qu'à mes foins foumet la deſtinée ,
Eft un char ambulant , d'originaux rempli.
Leur comique affemblage égaie une tournée
Qui pourroit à la fuite entraîner trop d'ennui.
L'un gémit , l'autre chante ; un troifieme , plus
fage ,
Obferve les objets qui bordent fon paffage :
48 MERCURE
DE FRANCE..
L'autre dort , c'eft mieux fait ; il ne s'apperçoit
pas
Si la route à franchir offre quelque embarras .
Suivons la nôtre... Allons...
L A BEAUTÉ.
Qui ? moi ?.. Rien ne me preſſe :
Accorde- moi plutôt un fiecle de jeuneЛle .
Ce Monde , qui t'amufe , eft affez bien mon fait.
Je fais lui plaire , & dès lors il me plaît .
Là, dans chaque regard je découvre un hommage ,
On m'entoure , on me fuit : mon plus léger coup
d'oeil ,
Au plus foible , comme au plus fage ,
Infpire ou l'amour ou l'orgueil.
J'ai ce foir à foupé l'Amant que je préfere:.
Demain nouveaux plaifirs , que nul dégoût n'altere .
La toilette , les jeux , les propos médifans ,
Des jours , quelquefois longs , abrégent les inftans
.
J'ai le goût des beaux - arts , & trois fois la femaine
,
Mes charmes de Paris ornent la triple ſcene.
Je chante , & de Gréiri les fons harmonicux
Ne perdent rien quand ma voix les répette.
Mes traits font achevés & ma taille eft parfaite .
Ainfi donc , Vieiliard dangereux ,
Garde toi de troubler un fort digne d'envie :
Aflez d'autres fans moi végetent fous les cieux ;
Va
FÉVRIER. 1776 . 49
Va les débarrafler du fardeau de la vie.
Tu pourras t'offrir à mes yeux
Lorfqu'ils auront perda leur éclat ordinaire :
Je ne me plairai dans ces lieux
Qu'autant que j'aurai droit d'y plaire.
LE TEMPS.
Adieu... Mais , non ; jufqu'au revoir :
Je vous laifle vieillir ; c'eft une foible grâce.
Aux yeuxdu Temps , ce court efpace
N'eft que du matinjufqu'au foir.
Par M. de la Dixmerie.
A
LA FOURMI BIENFAISANTE,
Fable.
IDE - MOI , tant loit peu , diſoit à la voiſine
Une Fourmi qui voituroit du grain ;
Et fois lûre , en cas de famine ,
Que tu pourras toujours chez moi trouver du
pain.
Je le fais avec complaiſance ,
Lui répondit l'autre Fourmi :
C'eft dégrader un fervice d'ami
Que d'en exiger récompenſe.
C
50 MERCURE
DE FRANCE
:
Auffi-tôt dit , auffi tôt fait ,
Avec ardeur elle travaille .
La famine vint en effet ,
Et la pauvrette alors ſe vit fans pain pi maille ;
Chez la voiſine elle courut
Pour y trouver quelque affiftance ;
Le bienfait oublié dans cette circonftance ,
Fut remplacé par le rebut.
C'eft un fardeau bien lourd que la reconnoiflance.
Par M. le Clerc de la Mothe , Chev.de
Saint Louis , Membre de la Société
littéraire de Metz.
RÉPONSE à la Chanfon fur les plumes
que portent aujourd'hui nos Dames ,
imprimée aupremier volume du Mercure
de Janvier de cette année.
AIR : Réveillez-vous , belle endormie.
POURQUOI TAI tant reprocher aux Dames
Les plumes qu'on leur voit porter ?
Si l'inconftance eft dans leurs âmes
Les hommes doivent l'en ôter.
D'un grand Roi c'étoit la coutume ,
En tout temps l'on voyoit flotter
FÉVRIER . 1776.
Sur fon chapeau panache ou plume ;
En tout il faudroit l'imiter.
Sous fon regne on vir chaque Belle
Porter des plumes à la Cour ,
Et la plume de Gabrielle
Fut prife aux ailes de l'Amour.
Mais fi la plume eft très légere ,
Le coeur de l'homme eſt bien léger';
La femme n'eft pas la premiere
Qui foit toujours prête à changer.
Falloit-il chercher dans la mule
Une dure comparaiſon ?
Le mulet eft bien fon émule ,
Plus qu'elle a-t-il de la raiſon ?
Aux amours on rend des hommages
Ici mieux que chez les Incas ;
Chez eux les amours font fauvages ,
Chez nous légers , mais délicats .
Ainfi , laiflons- là tout emblêmes
Laiflons les plumes voltiger.
Le fexe eft bien fait pour qu'on l'aime ;
Et s'il change , on peut s'en venger.
Par le même.
Cij
32 MERCURE
DE FRANCE .
Madame la Princeffe DE PIEMONT
relève & embraffe deux jeunes Mariées
qui luipréfentent à genoux des corbeilles
de fleurs & de fruits , le jour de fon
paffage à Roanne.
LORSQUE de fleurs fe couronnant la tête ,
Et par de chaftes noeuds s'uniflant à jamais ,
Dans les champs de Sion jadis le Roi Prophete
Vit s'embrailer la Juftice & la Paix :
Ne fut-ce que l'eflor d'une pieuſe ivrefle ,
Le fonge fugitif d'un bonheur médité ?
Dans ce tableau , quoique Alatté ,
Du regne des vertus j'entrevois la promeffe ;
A fon récit mon âme s'intérefle ,
Et d'un fi doux elpoir , comme lui tranſporté ,
J'adore , en le chantant , l'efprit qui l'a dicté ;
Mais fur les pas de la fagefle *,
Dans tout l'éclat de la beauté ,
Loríque je vois une augufte Princeffe ,
D'un trait fublime de bonté ,
Faire oublier les grâces , fa jeuneffe ,
Et fon tang & lá dignité ,
* Madame la Comteſſe de Marfan.
FEVRIER. 1776. 3: གྲུ
Quand de l'air de l'égalité ,
Parmi la foule qui s'empreffe ,
Et que l'orgueil & la détrefle
Placent au dernier rang de la fociété ,
Une Fille des Rois embrafle avec tendrefle ,
Encourage , foutient , releve la foiblefle
De l'innocence & de la pauvreté ;
Quand fur fon fein je la vois qui les prefle ,
Et que la main qui les careſſe
Devient l'appui de leur timidité :
Mes yeux alors ont percé le nuage
Dont la profonde obſcurité
Enveloppoit ce fortuné préſage ,
Et le fonge devient une réalité.
Mais que ce tendre & généreux hommage ,
Offert par la grandeur à l'humble humanité ,
Parleencore à mon coeur un plus touchant langage:
Sous les traits de l'humilité ,
C'eft la gloire & la majeſté
Qui réverent leur propre image,
Et rendant à la vérité
Le plus éclatant témoignage ,
Jufques dans fon dernier ouvrage
Reconnoiffent le fceau de la Divinité.
Par M. Pouchon , Docteur en Médecine.
Ciij
54 MERCURE
DE FRANCE.
VERS fur l'Election du nouveau Grand
Maître de Malte , par un Chevalier de
cet Ordre.
Qu UEL eft donc ce Mortel qui marchant vers le
Trône ,
Conferve un air paifible à travers mille cris
L'eftime le conduit , la vertu le couronne :
Pour luites coeurs font réunis .
Je reconnois Rohan ; Caton dès ſa jeuneſſe ,
Simple avec un grand nom , vertueux fans rudeffe;
Puifle- t- il , rappelant l'âge d'or en ces lieux ,
Surpaffer les Héros qui furent les aïeux ,
Et les ans de Neftor dont il a la fagefle !
Le mot de la première Enigme du
volume précédent eft les Cartes du Piquet
; celui de la feconde eft Epingle ;
celui de la troisième eft Puce ( dont la
couleur est aujourd'hui à la mode ) .
Le mot du premier Logogryphe eft Angleterre
, dans lequel fe trouvent angle
& terre ; celui du fecond eft Lame , où fe
trouve ame; celui du troisième eft Rofier
atbufte , où le trouve ofter arbriffeau .
FÉVRIER . 1776. 55
ENIGM E.
Du bâtiment je fuis la couverture ,
Ou , pour le moins j'y bouche un trou ;
Et c'eft précisément par où
Dans l'Univers je fais figure.
Au fexe je ne fuis d'aucune utilité ,
Car je ne puis entrer dans fa parure ,
Et dans le vrai , je fuis d'une nature
Contradictoire à la mondanité.
En confervant mon nom ,
ftructure ,
Je protége l'humanité
mais changeant de
Dans les combats & contre la froidure.
A ce tableau je joindrois bien des traits ;
Mais je ferois trop facile à connoître ;
Il fuffit , Lecteur , de favoir que , peut-être ,
Je pourrois te compter au rang de mes fujets.
Par M. Parron , Capit. d'Infanterie,
Chevalier de Saint Louis.
Civ
16 MERCURE
DE FRANCE
.
SUR
AUTR E.
UR un lit à trois pieds , giflantes fur le dos ,
Sans ſoins & fans emplois nous goûtons le repos ,
Tandis que de Phébus le flambeau nous éclaire ;
Mais dès que terminant fa courſe circulaire ,
Ce Dieu va chez Thétis & fait place à la nuit ,
Nous fortons de notre réduit.
Alors notre double mâchoire
S'exerce à dévorer & la flamme & le feu ;
Et tout Lecteur qui veut favoir l'hiſtoire ,
Quand il voit mal nous occupe à ce jeu.
Par M. Dracolff, à Strasbourg.
AUTRE.
Nous fommes quatre , iffus de même pere ,
Et toutefois aflez peu reffemblans
De vifage & de caractere .
Soumis aux mêmes mouvemens ,
Nous parcourons une égale carriere ;
Mais nonjamais en même temps.
N'a guère , hélas ! j'ai fait périr mon frere :
Un autre frere plus méchant ,
Quad vous lirez ces vers m'en aura fait autant .
Par un Curé de Baſſe -B¡etagne.
FÉVRIER. 1776. $7
LOGO GRY PH E.
AMMI Lecteur , pour me connoître ,
Imaginez un gîte , où , quelquefois fans bruit ,
Et malgré- nous , le diable s'introduit.
Vous préferve le ciel de loger un tel maître !
Si ce début ne décele mon être ,
Des divers membres de mon corps
Décompolez avec moi les rèflorts.
Avos regards tour-à- tourje préfente
Ce dangereux métal , idole des mortels ,
Qui ne corrompt que trop leurvertu chancelante ;
Un lit de mort pour les grands criminels ;
Un chemin ; un reptile ; une étoffe groffiere ;
Dans les forêts du Nord un monftre redouté ;
Dans le ciel un char de lumiere ;
Un vêtement que vous avez porté ,
Que vous portez peut - être encore ;
L'un des plus beaux préfens de Flore ;
Un ton dans la mufique ; un oileau dont le nom
Se dit d'un homme auffi fot qu'un oifon ;
L'un des moyens qu'en un jour de bataille
Un Général habile appelle à ſon ſecours ;
Ce que je fais ici , vaille que vaille ;
Un fynonyme à nos froids calembours ;
Une ville de la Neuftrie ;
Cv
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
D'une livre tournois la vingtieme partie ;
Celle qui doit la vie aux auteurs de vos jours ;
Au corps de l'animal la chole la plus dure ;
Une conjonction ; une matiere impure.
Me retournant d'autre façon ,
. Je pourrois bien de ma fubftance ,
Extraire encor mainte combinaiſon :
Mais je craindrois , Lecteur , avec raiſon ,
De laffer votre patience.
Je ne dis plus qu'un mot , & je finis :
C'eft en m'ouvrant le coeur qu'on fe fait des amis.
Par le même.
AUTRE.
SANS moi , Lecteur, tu n'aurois point depain,
Coupe mon chef, je luis route ou chemin .
ParM. de la Perche , à Sens.
LON
AUTRE.
ne me voit jamais qu'au milieu des
.: foldats;
Je vais à l'exercice , aux fiéges , aux combats ;
La moitié de mon corps , cher Lecteur , vous habille
,
Et l'autre de poiflons fourmille.
Par M. Bouchet , à Paris.
FÉVRIER. 1776. 59
Pour la Fête de Madame P....
Vous connoiffez , mes a- mis ,
2
43
6
Celle qui m'inf- pi- re ;
3 6 4 3
65
Vous fa- vez qu'elle eft fans prix ,
5
*6 8
Et n'o- fez lui di- re :
6 6
4 * 3
*Paroles de M, Marf.Mufique de M. Grétry.
Cvj
62 MERCURE DE FRANCE.
Répette qu'on l'adore ,
Qu'elle fait naître & l'eftime & l'amour,
tout dit encore.
Tu n'auras pas
Mes vers foyez glorieux ,
Mon but vous décore ;
Tout ce qui touche les Dieux
S'épure & s'honore :
Un petit préfent comme un grand ,
Mérite leur clémence ,
Et je dirai : le jour du fentiment
Le fut auffi de l'indulgence."
Nature , Hymen , de moitié ,
T'offrent pour exemple ;
Dans notre coeur l'amitié
A placé ton temple ;
La raifon t'offre en ton printemps ,
Les fruits mûrs de l'automne ,
L'Hymen fourit , & les pleurs des Amansi
Ne font qu'embellir fa couronne.
Finiflons notre bouquet ,
Le fujet m'entraîne ,
Avec plaifir il fut fait ,
Reçois- le fans peine ; .
A tant de voeux je n'en joins plus
Qu'un fur les deftinées ...
Puifle le ciel régler fur tes vertus
La mesure de tes années !
FÉVRIER. 1776. 63
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Ermance , anecdote Françoife ; par M.
d'Arnaud. Vol . in- 8 °. avec figures.
A Paris , chez Delalain , Libraire , rue
de la Comédie Françoife.
ERMANCE , fortie de parens diftingués
dans la Province , & qui , indépendamment
des places & des biens , jouiffoient
de la confidération
perfonnelle , réuniffoit
peut-être tous les avantages. S'atta-
» choit on à la beauté , il n'étoit pas poffible
que rien de plus beau s'offrît aux
» yeux . Les grâces étoient elles préférées ,
» c'étoient les grâces mêmes qui fe multiplioient
à l'infini dans cette jeune perfonne
; elle poffédoit tous les genres de
» féduction : une brillante éducation étoit
» venue ajouter aux riches préfens de la
"
nature ; les arts d'agrément , les con-
» noiffances même utiles & profondes ,
» un goût auffi folide que délicat , la rai-
» fon cachée fous la magie de l'efprit ,
» fur- tour une élévation d'âme à laquelle
fa vertu eûr tout 39 facrifié.: telle eft ,
64 MERCURE
DE FRANCE
.
ajoute l'Auteur de cette anecdote , l'idée
» qu'on peut concevoir d'une eſpèce
» d'héroïne dont fon fexe doit s'énorgueillir
».
n
Ermance , feule héritière d'un bien
aflez confidérable , étoit en droit de prétendre
aux partis les plus élevés ; mais
fur le portrait qui nous en eft ici tracé ,
on doit croire que ni le rang , ni la fortune
ne pouvoient toucher un coeur éclairé
par le fentiment : & qui nous fait mieux
connoître & aimer la vérité ? Rarement ,
c'eft la réflexion de l'Ecrivain , la voix du
fentiment nous trompe : mais la fociété a
prononcé qu'il feroit l'efclave des conventions
, & de là ces malheurs , ces
foibleffes , ces égaremens , cet enchaînement
de revers , fuite prefque inféparable
d'une fenfibilité qui fe révolte contre
le joug qu'on lui veut impofer. Ermance
étoit déterminée à s'y foumettre : cette
jeune perfonne avoit éprouvé tous les
charmes du fentiment ; elle voyoit dans
le Chevalier de Lorménil , doué des
plus excellentes qualités , un amant , qui ,
par le don de fa foi , pouvoir la rendre
heureufe ; elle fçut néanmoins facrifier
fesplus flatteufes efpérances à fes devoirs.
Elle ne fe cachoit point que l'obligation
FÉVRIER . 1776. 65
filiale l'enchaînoit fans réſerve à l'autorité
paternelle , & que la moindre réfiftence
à cette autorité étoit une faute très - grave ,
qu'une fille , nourrie au fein de la fageffe ,
ne pouvoit fe pardonner. Conduite par.
ces principes , elle n'oppofa que fes prières
& fes larmes aux ordres impérieux d'un
père qui vouloit être obéi , & croyoit tout
faire pour fa fille en lui choififlant un
époux opulent. « Daramant , c'eſt le nom
» de cet époux , joignoit à une fortune
» éclatante quelques qualités qui lui auroient
prêté de l'agrément : il avoit en
» effet un extérieur prévenant , un efprit
» cultivé , de la vivacité dans l'imagina.
» tion , de la dignité dans le caractère ;
mais fon penchant à la jaloufie le por-
» toit à des excès dont il avoit déjà eu
» lieu de fe repentir : plufieurs Demoi-
» felles de la ville qu'il avoit recherchées
» en mariage , s'étoient apperçues de ce
» défaut que les femmes ne pardonnent
guères : elles le fuyoient...» Quand le
père d'Ermance le préfenta à fa fille , fes
compignes même la plaignirent , loin de
lui porter envie .
"
M. d'A. a voulu nous peindre , dans .
cette jeune perfonne , le triomphe de
l'obéiflance filiale & de la vertu . Mais .
66 MERCURE DE FRANCE.
comme il n'y a point de vertu fans combat
, il nous repréfente Ermance ayant à
fe défendre contre fon propre coeur & les,
veux d'un amant qui lui étoit toujours
cher . Cet amant , défefpéré de perdre fa
maîtreffe , vouloit mourir à fes yeux . Elle
s'arme alors d'une fermeté furnaturelle ,
& lui rappelle ce que le devoir & l'honneur
prefcrivent. « J'avois , lui avoue t-
» elle , un coeur capable de s'attacher par
» des noeuds durables : mais je vais for-
» mer d'autres liens que ceux dont la
» nature fembloit nous avoir enchaînés .
» Je me foumers au joug qui m'attend
» le devoir me l'ordonne ; oui , je dois
ne point vous voir , vous refuſer la
» moindre penſée , vous oublier . Je vous
» dirai plus : mon père a été inſtruit , par
» ma propre bouche , d'un penchant que
l'un & l'autre nous fommes obligés
» d'étouffer. Je ne vous nierai point que
j'euffe cru trouver mon bonheur dans
» notre union : la volonté paternelle n'a,
point été d'accord avec mes voeux ; il
» faut céder : je porterai ma chaîne ; il
ne s'agit point ici de vous montrer
» mon ame , mes combats , les chagrins.
qui me font préparés : imitez - moi ;
ayez ma fermeté , & en nous plaignant
"
"
萨
FÉVRIER. 1776. 67
tous deux , ne nous voyons jamais ».
Le caractère intraitable de Daramant
que cette victime du devoir filial ne tarda
point d'époufer , lui préparoit bien d'autres
ennuis. Cet homme jaloux faififfoir
les moindres apparences pour adopter des
foupçons injurieux à fon époufe & à luimême.
Il s'abandonnoit alors à l'impétuofité
de fes tranſports. Plus d'une fois
il accabla de les menaces cette vertueuſe
époufe à laquelle il faifoit un crime des
larmes mêmes qu'elle verfoit dans le fein
d'une amie . Tout , jufqu'à Eugénie , c'eſt
le nom de cette amie , lui caufoit de l'inquiétude
. Il obfervoit les regards d'Ermance;
il interprêtoit fes penfées. Cetre
femme mouroit de fa douleur , & prenoit
cependant toutes les précautions imaginables
pour la dérober aux yeux de fon père :
j'y fuccomberai , difoit elle , à fon amie ;ej .
» mais de quel fecours me feroient des
plaintes indifcrettes ? Mon deftin eſt
irrévoquable ; quand l'auteur de mes
» maux , quand mon père envifageroit
l'abyfme où il m'a précipitée ... peut-il
» m'en retirer ? Il faut m'y perdre , m'y
» anéantir » . La vertu avoit tant d'empire
fur cette ame fi noble & fi pure , qu'elle
fe défendoit en quelque forte de penfer :
H
"
68 MERCURE DE FRANCE.
à Lorménil : cette femme eſtimable fe
redouroit plus encore qu'elle n'appréhen
doit Daramant , & elle fuyoit jufqu'à
l'ombre du reproche. On avouera ici
avec l'Auteur de cette anecdote , que peu
de coeurs portent l'amour de la vertu à
cette délicateffe ; & il ne faut pas fe le
diffimuler, une malheureuſe créature , fou
mife involontairement à un joug auffi
rigoureux que celui d'Ermance , faifit
tout ce qui peut la confoler ; elle goûte
une espèce de dédommagement à s'occuper
en fecret de l'objet qu'elle a lieu
de regretter.
Un feul enfant étoit le fruit de ce mariage
, formé fous de fi cruels aufpices :
il réunifloit tous les fentimens de fa mère ,
qui éprouvoit chaque jour de nouveaux
emportemens de la part de fon époux .
Ermance dévoroit en fecret fes ennuis
& craignoit d'en faire la confidence à fon
amie la plus intime . Elle étoit perfuadée
que le premier devoir d'une femme eſt
de tenir le voile abaiffé fur les erreurs
de fon mari . Cet homme devenoit de
jour en jour plus fombre & plus emporté.
On nous le repréfente ici pallant avec la
même vivacité de la tendre fe à la fureur.
Il accabloit Ermance de reproches , d'ouFÉVRIER.
1776 . 69
trages , fe précipitoit enfuite à fes genoux ,
& imploroit un pardon que bientôt il
celloit de mériter. Il étoit devenu l'ami
d'un Officier , diftingué par fa nailfance
& par fon mérite perfonnel : cet Officier
étoit Anglois d'origine , & avoit pris parti
dans le fervice de France. Blinford , c'eft
fon nom , étoit d'autant plus aimable ,
qu'il réunifloit à une belle phyfionomie ,
un coeur fufceptible du fentiment le plus
profond & le plus délicat ; d'ailleurs d'une
pureté de moeurs peu commune , & qu'il
portoit à un degré rarement connu de
notre jeunefle Françoife : fon âge étoit
de vingt- huit à trente ans. La mort d'une
jeune perfonne qu'il devoit époufer , lui
avoit laiflé une mélancolie qui augmentoit
l'intérêt que fon abord faifoit naître :
il avoit renoncé à l'amour ; & pour fe
confoler , il recherchoit les douceurs de
l'amitié. Daramant , enchanté de cette
nouvelle connoiffance , préfente Blinford
à fa femme , qui lui marque une forte
de froideur , dont fon mari s'apperçoir.
La compagnie retirée , il demande à fon
épouſe la raison de cet accueil fi peu
prévenant qu'elle a fait à fon ami. « Vous
le favez , Monfieur , répond Ermance
en jetantun profond foupir : vous n'igno
70 MERCURE DE FRANCE.
»
» rez point votre malheureux penchant
» à recevoir & à nourrir des foupçons
indignes de nous deux . Eh ! pourquoi
» chercher les occafions d'enflammer vo-
» tre caractère ? Laiffez- moi fuir la fociété :
» le monde n'eft fait ni pour vous , ni
» pour moi ». Daramant chercha à raffurerfa
femme par des fermens qu'il accompagnoit
des careffes les plus touchantes.
Mais cette femme infortunée ne pouvoit
fe diffimuler qu'il n'étoit point au pouvoir
de fon mari de réformer jamais fon
caractère jaloux . Cet homme fi eſtimable
qu'il avoit appelé dans fa maiſon , Blinford
lui- même , n'étoit point à l'abri de
fes foupçons ombrageux . La trifte Ermance
s'en étoit apperçue plus d'une fois ,
& c'est ce qui augmentoit le chagrin qui
ne ceffoit de la confumer . Elle croyoit à
la probité de Blinford . Elle crut donc
pouvoir lui faire une confidence toujours
défagréable pour une époufe qui connoît
toute l'étendue de fes devoirs , & n'en
veut bleſſer aucun . Elle lui laiſſa entrevoir
à travers tous les ménagemens d'une
femme circonfpecte , ce qu'elle auroit
voulu fe cacher à elle- même . Blinford a
foupçonné que Daramant étoit jaloux.
Ermance pria l'Anglois de venir moins
FÉVRIE R. 1776. 71
fouvent , de faifir enfin quelque prétexte
qui l'éloignât de la maiſon de Daramant ,
fans que cet homme inquiet puiffe foupçonner
que fon ami a été prévenu fur
ce fujer. L'Anglois témoigna tous fes
regrets d'être privé de la fociété de Daramant
: il redit combien il lui étoit cher ;
& en même temps , quelque chagrin que
cette féparation lui faffe reffentir , il renouvelle
à l'épouſe de fon ami la promeffe
de ne plus fe remontrer à fes yeux,
Ermance traînoit depuis long- temps
une fanté languiffante . Les combats éternels
qu'elle avoit à foutenir pour dompter
la profonde langueur qui la confumoit ,
peut être la néceffité cruelle d'inftruire un
étranger de ces fecrets qui doivent refter
enfevelis entre un mari & une femme :
ces affauts multipliés , déterminent l'effet
d'une révolution violente ; elle fe lève
tout à coup , & fe précipite vers fa cheminée
, comme pour tirer fa fonnette..
Blinford s'apperçoit qu'elle fe trouve mal :
elle eft prête à tomber ; il vole vers elle ,
la foutient dans fes bras , & cherche à la
rappeler au jour : la porte s'ouvre ; Daramant
entre enflammé de fureur , l'épée à
la main , & court la plonger dans le fein
de fon ami , en s'écriant : «traître ! reçois
72 MERCURE DE FRANCE.
» le prix de ton infidélité ». Ermance
avoit perdu l'ufage de fes fens . Elle r'ouvre
les yeux quel fpectacle l'a frappée !
Blinford étendu fur la terre , & baigné
dans les flots de fon fang. Daramant refte
immobile ; il recule de terreur , quand il
voit l'Anglois expirant s'efforcer de fe
traîner à fes pieds ; quand il l'entend lui
dire d'une voix lamentable & touchante :
" que viens tu de faire , Daramant ? ...
» Tu as tué ton ami. Mon ami ! mon
"
-
ami qui ne refpiroit que mon déshon-
» neur !.. - Je vais rendre le dernier foupir
le Ciel m'eft témoin que je ne t'ai
jamais offenfé, que je te chériffois comme
mon frère ... Puiffes - tu vivre heu-
» reux après un meurtre auffi injuſte ! ..
» Daramant , ... mon ami , je te par-
» donne ... accours m'embrasfer
» meurs ».
...· je
Ermance étoit retombée évanouie ; elle
entend les derniers accens de Blinford ;
elle fe relève avec vivacité de fon accablement
: « malheureux , quel crime
» as tu commis ? Oui , cruel ! Blinford eft
» innocent ; oui , tu es l'affaffin de ton
ami , de l'ami le plus tendre ; hélas !
» en ce moment , il me parloit de fon
attachement pour roi ! il en étoit rem-
» pli !
39
»
FÉVRIER. 1776. 73
"" ---- pli ! Tu étois dans fes bras ! -II
» voloit à mon fecours ; je fuccombois à
» une défaillance , la fuite des maux que
» tu me caufes ... Toi , fouillé du fang
» d'un homme qui n'eft point coupable ,
qui t'aimoit ! Ah ! joins ta femme , à
» cet infortuné , le meurtre ne doit plus
» t'effrayer : après de pareils malheurs ,
» il ne m'eft plus poffible de vivre » .
La nouvelle de cette affreufe cataſtro
phe étoit déjà femée ; les domestiques
étoient accourus. La Juftice s'empare du
criminel , & donne des ordres pour qu'on
tranfporte le corps de Blinford à fa demeure
: Daramant eft enfin plongé dans
une prifon , tandis que fa femme reſte
anéantie fous des coups auffi imprévus
qu'accablans.
Cependant les parens , informés de
cette espèce d'affaffinat , accourent du
fond de l'Angleterre , & demandent à
grands cris la punition de Daramant : le
délit étoit prefque prouvé ; il n'y avoit
point d'apparence que le coupable pût
efpérer d'obtenir fa grâce. Ermance revoyoit
la lumière : tout fon malheur s'offroit
à fes regards ; eh ! quelle vafte infortune
elle avoit à envifager ; le paffé , le
préfent , l'avenir ! Mais c'étoit fur ce der-
D
74 MERCURE DE FRANCE .
nier tableau que s'arrêtoit fa vue : elle
contemploit fon mari enfermé dans un
cachot ; quelquefois même elle s'alarmoit
pour fa vie . La pitié dans les ames fenfibles
, touche de près à l'amour : Ermance
ne fe reffouvenoit plus du jaloux , du
barbare Daramant , de l'auteur de fes
difgrâces les plus cruelles ; fon coeur ne
s'ouvroit qu'à l'image d'un époux , &
toute la compaffion , on pourroit même
dire toute fa tendreife , s'attachoit à cet
objet. S'il eût été nécellaire qu'Ermance
donnât fa vie pour dérober fon époux au
fupplice infame qui l'attendoir , elle
n'auroit pas hélité un moment de faire ce
facrifice ; mais on exigeoit de fon courage
un effort beaucoup plus grand . Le
père de Daramant ne propofa même qu'en
frémillant à fa bru l'expédient qu'il avoit
imaginé pour fauver de l'échafaud (fon
malheureux époux. « Conviens , lui dit- il
» d'une voix baffe & in urticulée , lorfque
» les Juges t'appelleront en témoignage... "
ofe dépofer ... que ton époux ... le
» dirai -je , Ermance ? n'a fait que venger
» fon injure , qu'il t'a furprife . . . tu
m'entends , ton déshonneur ... A ce
» prix , ton époux , le père de ton enfant
, ton enfant , font fauvés de l'igno-
"
39
FÉVRIER. 1776. 75
minie la prifon eft ouverte à Da-
» ramant ; je te laille réfléchir fur le
parti que tu veux prendre ; fonge à ce
» cher enfant qui nous furvivra » .
ود
M. d'A. n'a peut - être point encore eu
de fituation plus intéreflante à peindre ,
plus capable de faire voir jufqu'où peut
aller l'effort d'un coeur vertueux , & qui ,
uniquement jaloux de fa propre eftine ,
fait le mettre au - deffus de l'opinion des
hommes. On nous préfente tous les jours ,
dit l'eftimable Ecrivain au commencement
de cette anecdote , comme un des objets
les plus impofans du grand tableau de
l'antiquité , cette efpèce de dévouement
généreux qui confiftoit à donner la vie ,
foit pour fon pays , foit pour le falut d'autrui
affurément ces fortes de facrifices
méritent les éloges que leur prodigue
l'hiftoire , & il y auroit autant de bizarrerie
que d'injuftice à leur refufer le tribut
d'admiration qui leur eft dû . Tout ce
qui nous fait voir la nature s'élevant audeffus
d'elle- même , a droit de frapper nos
regards . Mais immoler plus que l'exiftence
, abandonner fon honneur , lorfqu'on
en fent tout le prix , à la honte de la diffamation
publique , le couvrir , en un mot ,
de la fange de l'opprobre , quand on porte
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
le coeur le plus fenfible & le plus irréprochable
, & être convaincu en même
temps que cet effort inoui de grandeur
d'âme reftera enfeveli dans une éternelle
obfcurité ; n'avoir enfin pour tout dédommagement
du blâme & du mépris du
monde entier que l'aveu de fon propre
coeur : voilà de ces actes de magnanimité
qu'un jufte enthouſiaſme ne fauroit trop
admirer ni trop célébrer , dont nous ne
parlons point , & qui appartiennent pour-
-tant à notre fiècle . M. d'A. nous en offre
un exemple non moins pathétique que
fublime dans l'infortunée & vertueufe
Ermance .
Cette dernière anecdote ouvre le qua.
trième volume in- 8 ° . & le cinquième
volume in 12 des épreuves du fentiment.
Elle fera fuivie de quatre autres anecdotes
qui formeront ce quatrième volume
in- 8 ° . & fe fuccéderont rapidement.
Le Comte d'Umby , anecdote hiſtorique .
Brochure in 8 °. de 39 pages. A Paris ,
chez Coftard , Libraire , rue Saint-
Jean- de- Beauvais.
Le Comte d'Alifax , connu depuis fous
le nom du Comte d'Umby , parce qu'il
FÉVRIER . 1776. 77
avoit hérite des titres & des biens de
Milord , Comte d'Umby fon oncle
avoit la plus grande partie de fa fortune
en Amérique . Sa préfence y étoit néceffaire.
La Comtelfe d'Alifax , fa femme ,
qui aimoit tendrement fon mari , voulut
l'accompagner. Ils emmenèrent avec eux
Mil Fiore leur fille . Cet enfant , encore
en bas âgé , étoit trop chère à fes père &
mère pour qu'is confentiflent à s'en féparer
pendant leur féjour à la Caroline.
Tout étant difpofé , ils s'embarquèrent.
Leur navigation fut fort heureuſe juſqu'à
l'embouchure du Fleuve Saint- Laurent :
ce n'étoit pas directement leur chemin ;
mais le Comte d'Alifax avoit pris la
route du Canada pour terminer une diſcuffion
immenſe avec un vieux Négociant
qui venoit de fe retirer à Québec : ce détail
demandoit abfolument les foins & la
préfence du Comte. En entrant dans le
fleuve , ils avoient obfervé , avec leurs
téleſcopes , une multitude de canots raf
femblés , qui formoient comme une petite
flotte : ils reconnurent depuis que
c'étoit une armée d'Iroquois , qui fe tenoit
fur la défenfive contre les forces du Gouverneur
de Canada , avec qui ils étoient
en guerre. La crainte de tomber entre
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
les mains de ces barbares , eût peut- être
troublé nos Voyageurs , fi la préfence d'un
péril plus éminent ne les eût occupés.
Dans le même inftant , un matelot cria
qu'il voyoit une épaiffe fumée fortir
d'une des écoutilles . Alifax commandoit
le vaiffeau , & ne perdit point la tête :
il employa toutes les refources humaines ;
mais malgré les foins , le feu éclata . Son
époufe , pénétrée à ce terrible afpect de
mille frayeurs , fe jera à fon col , en tenant
fa fille par la main . Elle perdit bientôt
toute connoiffance ; & , revenue à ellemême
, elle fe trouva fur le rivage , environnée
de Miff Flore , des trois femmes
qui la fervoient & du Chevalier de Sommurs
, dont les foins généreux la fauve-
Fent da trépas. C'étoit à la pruden 、e de
cer ami
que le Comte d'Alifax avoit confié
fa femme & fa fille , qu'une chaloupe
venoit de tranfporter fur le rivage. Pendant
ce temps , Alifax donnoit tous fes
foins à fon vaiffeau ; mais fon activité fuc
inutile , le bâtiment fauta avec fracas.
Dans cette extrémité , par le hafard le
plus heureux , une partie confidérable du
grand mât fe préfenta au Comte ; il eut
la force de l'embraffer & de monter deffus.
Aidé alors d'un courant & avec des efforts
FÉVRIER. 1776. 79
incroyables , il gagna les bords d'une le
inhabitée. Cependant la Comtelle , qui
favoit le danger éminent auquel fon époux
avoit été expoſé , déſeſpéroit de le revoir
jamais . L'âge & la foiblelle de Mill Flore
fa fille , & la crainte de fe trouver bientôt
à la merci d'un peuple féroce & barbare ,
ou de moutir de faim & de misère , tendoient
fa fituation encore plus cruelle ,
fituation que l'on jugera bien au- dellus
du courage d'une femme de vingt & un
ans . Le Chevalier de Sommers cherchoit
à calmer les craintes de la Cointelle , dont
les alarmes fe réalisèrent bientôt à la vue
d'une troupe d'Iroquois qui venoit du
milieu d'un bois épais . Cette troupe fondit
fur eux. Une telle capture à laquelle
ils ne s'attendoient pas , les charma . Ils
forcèrent le Chevalier de Sommers & fa
fuite de les fuivre. La Comteffe , fa fille
& les femmes qui la fervoient , furent
conduites dans une plaine où il y avoit
une multitude de cabanes faites de branches
d'arbres , doublées de peaux féchées
au foleil. On les établit dans la plus
grande fous la garde de deux femmes
Iroquoifes , en leur recommandant de
veiller exactement fur eux , mais de les
traiter avec douceur. La Comteffe , cap-
›
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
tive de ces barbares , eut encore la douleur
de fe voir féparée du Chevalier de
Sommers. Ce Chevalier , qui n'avoit pû
avoir la permillion de lui offrir fes fervi
ces , obtint du moins que fon domestique
reftât auprès d'elle . Ce domeftique , nom .
mé Morback , étoit un jeune Iroquois ,
que la reconnoiffance tenoit depuis quelques
années attaché au Chevalier de
Sommers , ancien Officier de Marine.
Morback avoit fuivi fon bienfaiteur en
Angleterre ; actuellement dans fon propre
pays , dont il déteftoit les cruels ufages
, & vêtu à l'Angloife . , il ne fut point
reconnu par fes compatriotes. Mais le gé
néreux Chevalier avoit engagé fon fidele
efclave à fe découvrir , pour obtenir la
permiflion de fervir la Comtefle dans fa
captivité. Morback obéit aux ordres de
fon maître , & obtint le foin de garder
la Comteffe . Il avoit tremblé plufieurs
fois fur fon fort , dont alors elle n'envifageoit
pas toute l'horreur. « Voici , s'étoit
» écrié le chef des Iroquois , en regardant
» ces femmes , voici des morceaux bien
friands ; nous en ferons plus d'un repas ,
quand elles feront répofées ». C'étoit
en effet ce barbare motif qui caufoir pour
lors les ménagemens qu'elles éprouvoient.
99
FÉVRIER. 1776. 81
Le lendemain, la Comteffe enfermée dans
fa cabane , déploroit fa deftinée , & ie
confumoit d'inquiétude fur le fort de fon
époux & fur celui de fa fille ; lorfque
Morback , qui avoit été fort accueilli de
fes compatriotes en Alattant leur goût ,
fe préſenta devant l'infortunée Lady :
« belle Dame , lui dit il , ( c'étoit ainfi
» qu'il l'appeloit dans le vaiffeau ) je
» t'apporte de bonnes nouvelles , tous
» les périls font paffés ». La Comtelle
l'écoutoit avec une émotion extrême ,
fans pouvoir imaginer le danger auquel
elle avoit été expofée . Morback lui
répéta enfuite le propos terrible qu'il
avoit entendu la veille . Apprenez ,
19
6
ajouta Morback , apprenez que vous
» êtes fous la puitfance d'un peuple antropophage
, & qu'ici on trafique la
chair humaine comme le maGuron à
"
"
Londres ; déjà , continua til , l'un des
» nôtres fe difpofoit à venir découper vos
» membres délicats & ceux de Mil Flore
» pour les chefs ; vos trois femmes étoient
» deſtinées à régaler le reſte de la tronpè :
quand , avec beaucoup de ménagement ,
» je leur ai repréfenté un point d'honneur
» facré entre nous .
Abandonnerons nous ,
» leur ai - je dit , entre les mains de nos
»
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
» ennemis , des prifonniers de notre Na-
» tion ? Les François tiennent captifs un
grand nombre des nôtres ; confervons
» ces femmes pour faire un échange avan-
» tageux , nous en gagnerons vingt pour
un ; le François refpecte & adore ce
» fexe . Le Ciel , je crois , agit alors fur
» mes compatriotes ; mon avis a été généralement
adopté ; l'exécution vient
» d'en être jurée à haute voix , & les
clameurs que vous avez dû entendre ,
vous en affurent : je fuis chargé , ajouta-
» til , de vous garder avec les deux fem-
» mes Iroquoifes , & de prendre foin de
» votre sûreté » . Cette relation avoit
faili la Comteffe d'horreur ; mais la naiveté
de Morback , en lui faifant cet affreux
récit avec une froideur étonnante , me
put , ainfi qu'elle l'avoue elle -même dans
la fuite de cette hiftoire , s'effacer de fon
efprit . Après un an de craintes & de louffrances
, la guerre qui continuoit procura
enfin à la Comteffe la douceur de voir
deux Officiers de fa Nation . Son premier
foin fat de leur demander des nouvelles
de fon malheureux époux . Mais le récit
qu'ils lui firent de l'incendie de fon vaiffeau
, ne fervit qu'à confirmer les craintes
de cette femme infortunée . Souftermond,
FÉVRIER. 1776. $3
c'eft le nom d'un de ces Officiers , étoit
un homme d'une probité reconnue ; il
entendoit la langué des Iroquois , &
s'étoit acquis de la confidération parmi
les chefs , en leur promettant de les aider
dans leur querelle auprès du Gouverneur
du Canada. Ce fut à fes foins généreux
que la Comteffe d'Alifax dut fa liberté.
Le Gouverneur du Canada les recueillit
l'un & l'autre dans fon Palais . Le caractère
de Souftermond plut infiniment à ce
Gouverneur ; & pour ſe l'attacher & le
tirer de la misère où les malheurs l'avoient
réduit , il lui confia un emploi honorable
& très - avantageux , qui le mit au bout
de deux ans fort à fon aife. Ce Gouverneur
bienfaifant défrayoit libéralement
la Comtefle , tandis qu'elle écrivoit lettres
fur lettres en Angleterre , fans recevoir
aucunes réponſes : elle ignoroit
que le fort obftiné à la perfécuter l'avoit
encore privée de fon père & de fon oncle ,
& qu'un Intendant infidèle s'étoit emparé
de tous leurs effets , fous prétexte d'attendre
des éclairciffemens fur fa deftinée .
Ses biens dans la Caroline lui demeuroient
; mais ils exigeoient des foins dont
elle n'étoit point capable. Cette détreffe ,
dont le Gouverneur fut touché , lui fit
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
imaginer un expedient qu'il lui propofa
avec toute forte de ménagement : un jour
fe trouvant feul avec elle , il lui demanda
quels étoient fes projets pour la fuite de
la vie: « je n'en puis former , lui répondit
» la Comtelfe ; abandonnée de ma pro-
» pre famille , privée d'un époux que
» j'adorois , je n'ai plus qu'à traîner ici
» une mourante vie ; hélas ! je la perdrois
fans regret, Gi Mi Flore pouvoit fe paf-
» fer de mon fecours ; elle me perce
» l'ame ... Eh bien ! reprit le Général ,
» il faut faire un effort pour elle ; Souftermond
eft d'une noble origine , &
» le plus galant homme que j'aie jamais
» connu , fon refpect eft tel qu'il n'a
» jamais ofé vous déclarer la paffion qu'il
» reflent pour vous donnez un appui à
» votre fille & à vous même en l'épou
» fant ...— Ah ciel ! s'écria la Comteffe ,
» que me propofez vous ? Serois je capa-
» ble de faire cette injure à la mémoire
» de mon cher Alifax , dont l'image eft
» pour toujours gravée dans mon coeur » .
Le Général ne la preffa point davantage
alors ; mais il revint tant de fois à la
charge, lui alléguant fans ceffe les intérêts
de MilfFore & la néceffité d'être accom
pagnée à la Caroline , qu'elle fe rendit &
FÉVRIER. 1776. 35
>
époufa Souftermond . La Comteffe eftimoit
fincèrement ce nouvel époux qui
ne fongeoit qu'à lui plaire , & donnoit
à Mill Fiore les foins du père le plus tendre
: cependant elle ne pouvoit lui accorder
de l'amour . Ils fe difpofoient ferieufement
à leur voyage de la Caroline
lorfque dans une promenade un rayon de
foleil frappa fi vivement la Comteile à la
tête , que non feulement il changea pour
toujours la couleur de fon teint , mais
qu'il la réduific à l'extrémité par une
fièvre violente , dont elle fut attaquée à
l'heure même . Ce contre- temps , qui für
fuivi d'une déclaration de guerre entre
les François & les Anglois , ne leur permit
plus de fonger à leur voyage . Le temps
s'écouloit en Canada , & le trifte coeur
de la Comteffe fentoit toujours la priva
tion de ce qui lui avoit été fi cher ; mais
les tendres fentimens de Souftermond allégeant
fes peines , elle lui favoit gré de
J'entretenir fouvent de fon ami Alifax.
Ce fut dans cette trifte occurrence qu'une
maladie aiguë emporta Souftermond en
trois jours , & lailla la Comteffe privée
de toute confolation . Elle éprouva alors ,
ainfi qu'elle l'avoue dans le récit qu'elle
fait de fes malheurs , que fans amour
86 MERCURE DE FRANCE.
on peut être vivement attaché. Lorfque
Milady Soutermond faifoit ce récit , elle
vivoit alors retirée depuis plufieurs années
dans une folitude fituée en Ecoffe fur les
bords de la mer. Et à qui racontoit - elle
fes infortunes ? Au Comte d'Umby , à
Milord Alifax lui- même , à cet époux
qu'elle ne ceffoit de regretter , & qu'elle
venoit de recevoir chez elle comme un
fimple étranger qui lui demandoit l'hofpitalité
. Alifax , héritier du Comte
d'Umby fon oncle , avoir pris fon nom´,
fes armes & jufqu'à fes livrées . Le Lecteur
fera un peu furpris que ces deux
époux , quoique féparés depuis plus de
neuf ans , ne fe foient pas d'abord reconnus.
Mais l'Hiftorien de cette anecdote
a eu foin de nous prévenir que les
infortunes , les fatigues , les maladies
avoient beaucoup altéré leurs phyfionomies.
La certitude où ces époux penfoient
être que chacun d'eux avoit été la victime
de fon malheureux fort , ' pouvoit encore
les empêcher de fe reconnoître. Ces citconftances
produifent ici une fituation
qui n'eft cependant point fans exemple ,
& dont l'Auteur de cette nouvelle a fçu
tirer parti. La reconnoiffance qui la termine
, intéreffe particulièrement le LecFÉVRIER
. 1776. 87
reur. Il partage en quelque forte la joie
que reffent le Comte d'Umby de retrouver
dans Milady Souftermond une épouſe
fage , vertueufe , & qui , malgré fon fecond
mariage , n'avoit jamais ceffé de
lui être fidèle ; & dans Miff Flore , une
fille charmante qui n'apprit fon bonheur
qu'en répandant des larmes de joie dans
le fein de fon père .
Difcours prononcé aux Ecoles de Médecine
pour l'ouverture folemnelle des Ecoles
de Chirurgie , le 26 Novembre 1775 ;
par Me Claude Lafiffe , Docteur Régent
de la Faculté de Médecine en
l'Univerfité de Paris , & Profeffeur de
Chirurgie en langue Françoife ; fur le
fujet : Eft-il néceffaire au Chirurgien
d'être fenfible? A Paris , de Imprimerie
de Quillau.
:
Nous ne pouvons mieux faire connoître
ce Difcours qu'en rapportant ici l'extrait
de la Faculté de Médecine à fon
fujet le Vendredi , premier Décembre
» de l'année 1775 , la Faculté de Méde-
» cine étant affemblée dans les Ecoles
fupérieures , fur la repréfentation de Me
» le Thieullier , ancien Doyen & Cen-
""
88 MERCURE DE FRANCE.
»
» feur des Ecoles , le Difcours prononcé
» le Dimanche précédent par M. Lafiffe ,
» Profeffeur de Chirurgie en langue Françoife
, eft devenu l'objet d'une délibération
particulière . La queſtion inté-
» retfante qui fait le fujet de ce Difcours ,
» la manière plus intéreffante encore dont
elle eft traitée , l'adreffe avec laquelle
» l'Orateur à fçu l'orner des grâces du
» fentiment & du charme de l'éloquence ,
"auront également enlevé les applaudiffe-
» mens du public & fixé les fuffrages des
gens de l'art. En conféquence du confentement
unanime de tous les Docteurs
» préſens , il a été décidé que ce Difcours
» feroit imprimé aux frais de la Faculté ,
pour être diftribué à fes Membres , &
qu'il en feroit remis à l'Auteur un
» nombre fuffifant d'exemplaires , comme
» une marque de fatisfaction & de l'ef-
» time fingulière de la compagnie ; &
c'est ainsi que j'ai conclu . Signé , J. L.
» Alleaume , Doyen » .
"
"
Lettres & obfervations anatomiques , phyfiologiques
& phyfiques fur la vue des
enfans naifans , avec un Mémoire fur
l'établitfe nent d'un prix m'd.illique ;
M. l'Abbé Deſmonceaux .
par
FÉVRIER. 1776. 89
Lux à luce pendet.
Brochure in- 8 °. De l'Imprimerie de
Michel Nicolas.
M. l'Abbé Defmonceaux nous avoir
déjà donné , fur les maladies des yeux , des
obfervations , fruit de fon expérience &
d'une compaffion tendre pour fes Temblables.
Ces obfervations ont été publiées
en 1772. On doit y joindre l'écrit que
nous venons d'annoncer , dans lequel on
trouvera de nouvelles obfervations trèsintéreffantes
, & de plus, le précis des
recherches que l'Auteur vient de faire
fur la nature de la vue des enfans nailfans
, & fur les caufes qui retardent plus
ou moins les rayons vifuels de fe peindre
dans l'oeil. Ce point de phyfiologie ,
"
»
C₁
dit il dans une lettre qu'il écrit à D
» Binet , Religieux , Oculifte de l'Abbaye
de Marmoutier , m'a paru inté
» reffant , & m'a décidé à fcruter le jeu
» de nature fur la nature même . Après
» différentes ouvertures de cerveau , après
» dix à douze diffections anatomiques
» des branches du nerf optique & du
compofé membraneux du globe de
» l'oeil , j'ai reconnu , en préfentant cet
"
"
90 MERCURE DE FRANCE.
»
" organe entier aux bougies , du côté
» du nerf optique , & regardant par le
» trou de la pupille : j'ai reconnu , dis je ,
que les rayons vifuels n'étoient pas fufceptibles
d'être abforbés par la cho-
» roïde ; mais que cette membrane étoit
» d'une tranfparence , d'un rouge plus
» ou moins foncé , fuivant la forte ou
» délicate conftitution du fujet . Cette
» obfervation attira toute mon attention
$3
93
» & me porta à prendre le fcapel , pour
incifer l'oeil dans toute fa profondeur :
» en fcrutant ainfi la nature , j'ai trouvé ,
» à la vérité , la cornée tranfparente
» moins diaphane , les humeurs aqueufes
» & cryftallines moins abondantes que
dans l'état de fanté & de conforma
tion parfaite , mais pas affez dé-
» pourvues pour nuire aux rayons vi-
» fuels ; j'ai reconnu la lentille cryftal
» line & le corps vitré dans un état à
» peu près femblable , ainfi que le tiffu
» de la rétine , qui s'eft trouvé d'une
» tranfparence mixte , ce qui eft ordi-
» naire après la mort , & en ce cas à
» tous les corps de l'oeil ; enfin je fuis
parvenu à la choroïde , où , avec l'aide
» de la loupe , j'ai obfervé que les deux.
» lames de cette membrane paroiffent
FÉVRIER. 1776.
و د
و د
»
» formées à l'ordinaire par un lacis de
» fibres , de filets nerveux , de vailleaux
lymphatiques , de vailleaux fanguins ;
» mais que le méconium , cette belle
encre noire qui tapifle cette membrane
, n'étoit autre chofe qu'un alfemblage
de petits globules touges ,
incapables d'arrêter les rayons vifuels ,
» ce qui rendait le fond de l'oeil d'un
rouge tranfparent. D'après cette oblet-
» vation , il me femble , Monfieur , qu'on
peut réunir le fentiment de la plupart
» des Anciens avec celui des Modernes :
» car vous favez que dans le nombre des
Phyfiologiftes , MM. Mariotte , Mery
» & le Cat indiquoient la choroïde pour
» l'organe immédiat de la vue , au lieu
» que Defcartes & fes Sectateurs réfutoient
cette opinion pour en donner le
pouvoir à la rétine feule ; ce qui paroît
» aujourd'hui , parmi les Gens de l'art ,
» une décifion invariable . Pour moi ,
3
"
99
و د
"
99
d'après une répétition de plufieurs obfervations
, je crois pouvoir allier le
» fentiment des uns avec celui des au-
» tres , & dire avec quelque confiance ,
la rétine & la choroïde concourent
abforber les rayons de
» que
33 enfemble pour
» lumière , qui fe réfléchiffent de l'objet
92 MERCURE DE FRANCE.
»
» à l'oeil , qui y tranfmettent la figure
» la grandeur , les proportions , enfin les
» couleurs qui fe trouvent à la ſurface du
même objet ; prodige qui s'opère à
» l'aide de la rétine , qui , par fon tilfu
» lâche & baveux , modère les impref
» fions de lumière qui fe portent fur la
» choroïde , qui forment for cette membrane
le tableau des différentes peinrures
qui fe repréfentent , & delà ſe
» fe rendent fenfibles au fenforium com-
&
mune , partie merveilleufe de notre
» existence , que l'on ne peut fcruter fans
» s'écrit: O altitudo ! La preuve que je
donne de cette réunion néceflaire , fe
trouve dans le jeu de nature ,
» peut être comparé , dans le physique ,
» à une glace , qui , privée de fon tain ,
» ne peut rendre aucuns points de vue :
» d'où il réfulte que la glace & le tain
"font néceffaires pour la vifion ; que l'un
» ne peut rien fans l'autre ; & qu'il en
» eft de même de la rétine fans la cho-
» roïde , & vice verfâ , de la choroïde
» fans la rétine . Je fuis d'autant plus por-
" té à adopter ce fyftême , que j'ai re
» connu qu'il eft des enfans qui voyent
les objets , les uns à un mois , les autres
à cinq femaines , d'autres à fix
FÉVRIER. 1776. 93
femaines & au- delà , & qu'il dépend
» du plus ou du moins d'activité de la
» nature à perfectionner fon ouvrage » .
L'Auteur répond à quelques objections
que l'on pourroit faire contre fon
fyftême , & termine cet écrit par former
des voeux pour la fondation d'une Ecole
en faveur des Elèves de la Médecine qui
voudroient étudier les maladies des yeux ;
& pour qu'il y ait un prix démulation ,
auquel tous les hommes éclairés pourroient
concourir par leurs obfervations.
ou leurs découvertes anatomiques & phyfiologiques.
Elémens de fortification , contenant la
conftruction raifonnée des ouvrages
de fortification , les fyftêmes des Ingénieurs
les plus célèbres , la fortification
irrégulière , le tracé des redoutes , forts
de campagne , & c. avec un plan des
principales inftructions pour former
les jeunes Officiers dans la fcience
militaire . Par M. le Blond , Maître de
Mathématiques des Enfans de France ,
des Pages de la grande Ecurie , Cenfeur
Royal. Septième édition in - 8 ° .
avec beaucoup de planches. A Paris ,
chez Jombert , Lib, rue Dauphine .
94 .
MERCURE DE FRANCE .
Cette nouvelle édition beaucoup
plus correcte que les précédentes , eft
augmentée d'un difcours fur l'utilité des
places fortes ; de nouvelles notes & d'obfervations
particulières fur différens objets
de fortification .
Traité de la petite vérole , tité des Commentaires
de G. Van Swieten , fur les
Aphorifmes de Boerrhave , avec la
Méthode curative de M. de Haen
Premier Profefleur de Médecine pratique
à Vienne en Autriche . A Paris ,
chez d'Houry , Imprim .- Lib. de Mgr
le Duc d'Orléans , rue de la vieille
Bouclerie ; 1 vol . in - 12 . 1776. Avec
approb. & priv. du Roi .
L'Aureur donne dans cet Ouvrage le
Traité le plus compler qui ait paru fur
le traitement de la petite vérole . Il a
puifé dans les bonnes fources ; Boerrhave
, Sydenham , Van Swieten , de Haen ,
font les Auteurs dont il a mis les Ou• ™
vrages à contribution ; il a réuni fous
un même point de vue toute leur doctrine
, & il a concilié les fentimens des
uns & des autres ; il décrit donc dans ce
Traité les différentes efpèces de petites
FÉVRIER. 1776.
25
véroles , leurs périodes , leurs diagnoſtics ,
leurs prognoſtics , ſymptômes & accidens
gul furviennent , felon les differens indi-
-vidus & les diverſes fufons , il en donne
enfuite le traitement , & toujours d'après
les Auteurs cités . Un jeune Médecin qui
fe dévoue à la pratique , trouvera d'excellentes
vues dans cet Ouvrage .
Cours élémentaire des accouchemens , dif
tribué en quarante leçons ; avec l'expofition
fommaire de la matière qu'on
doit expliquer dans chacune d'elles
rédigé pour l'inftruction des élèves
par ordre des Etats du pays & Comté
d'Hainault. A Mons, chez Henri Hoyois ,
Imprimeur Libraire ; & à Paris , chez
Didot le jeune , quai des Auguftins ;
prix , 2 liv. broché.
Depuis quelque temps le Gouvernement
a jeté les vues fur l'art des accouchemens
on fait combien il périt journellement
de mères & d'enfans par l'impéritie
des fages- femmes de la campagne
; ce qui prive l'état d'une infinité
de fujers. On ne peut donc aflez publier
d'inftructions fur un objet de cette importance
; mais les inftructions doivent en
96 MERCURE DE FRANCE.
même temps être rédigées de façon qu'elles
' puiffent être entendues des efprits même
les plus bouchés : c'est uniquement le but
que l'Auteur anonyme de cet Ouvrage
s'eft propofé en le publiant. Tout ce qui
concerne l'art des accouchemens y eft
détaillé avec jufteffe , précifion & clarté ;
il mérite de figurer à côté des excellens
Ouvrages manuels qui ont paru en France
depuis quelque temps.
Article fur l'Opéra . Extrait du 17. Vol.
du Journal Littéraire de Berlin , à Berlin;
& à Paris, chez Lacombe , Librai
re , rue Chriftine, 6 Volumes in- 12 par
année.
Nous tranferivons d'autant plus volon⚫
tiers cet article en particulier , qu'en faifant
connoître de plus en plus le mérite
du Journal d'après lequel nous le copions ,
il nous paroît très - propre à donner au
Public les idées les plus juftes fur un
Spectacle dont il a la gloire & le fuccès
à coeur. Il s'agit de l'Opéra ; mais les
Auteurs du Journal de Berlin , on traduit
eux-mêmes cet article , de la Théorie des
Beaux Arts , du célèbre M. de Sulzer.
» Il ne règne dans ce Spectacle extraordinaire
FÉVRIER . 1776. 97
dinaire , auquel les Italiens ont donné
le nom d'Opéra , un tel mélange de
grandeur & de petiteffe , de beauté & de
fadeur, que je ne fais ni comment en par
ler , ni ce que j'en dois dire. On voit &
on entend dans le meilleur Opéra , tant
de chofes infipides & puériles , qu'on diroit
qu'elles n'y font placées que pour
amufer des enfans , ou pour étonner une
populace frivole ; cependant, au milieu de
ces mifères , qui par toutes fortes d'endroits
révoltent le bon goût , fe trouvent
des chofes qui pénètrent le coeur , font
goûter à l'efprit les charmes de la volupté
la plus delicioufe , le comblent de la compaffion
la pas tendre , ou le rempliffent
de terreur & d'étonnement . Une fcène
qui nous ravit & qui nous intéreffe trèsvivement
, eft fouvent fuivie d'une autre
où les mêmes perfonnages ne nous paroiffent
plus que de vils Jongleurs , qui
abufent de la magnificence du Spectacle.
D'un côté , choqué de ces abfurdi : és
* Le vrai nom en Italien eft Operaper muſica,
Ouvrage pour être mis en mulique ; enfuite ,
pour abréger , on a dit Opera tout court , & ce
nom eft paflé aux Etrangers. (Note du Journa ;
lifte).
E
1
MERCURE DE FRANCE.
qui fe rencontrent fi fouvent dans l'Opéra
, on perd le courage d'approfondir ce
fujet d'un autre côté , fe rappelant ces
fcènes raviffantes , qui nous affectent fi
vivement , on voudroit voir toutes les
perfonnes de goût fe réunir pour donner
à ce grand Spectacle le degré de perfection
, dont il eft fufceptible. Il faut que
je répette ici ce que j'ai dit ailleurs . *
و د
»
» De tous les beaux Arts , l'Art Dra
matique eft le plus important ; il n'y a
» aucune eſpèce d'énergie qui n'ait lieu
» dans l'exécution d'une pièce Dramati-
» que fa compofition renferme tout ce
que la Poëfie a de plus féduifant , & la
bonne exécution y ajoute ce qu'il y a
» de plus fort dans les geftes , dans les
» mouvemens , dans les caractères &
» les tons de voix . Aucune autre production
de l'Art ne réunit tant d'avantages
. Parmi les différentes efpèces d'ou-
›› vrages Dramatiques , celui qu'on
» nomme l'Opéra eft très fupérieur aux
» autres , vu que tous les beaux Arts fans
exception , s'y trouvent réunis . Si tous
* Dans le Traitéfur l'énergie , contenu dans les
Mém. de l'Acad. Royale des Sciences & Belles
Lettres de Berlin. Année 1765.
FÉVRIER . 1776. 99
» ceux qui concourent à rendre ce Spec-
» tacle brillant , Poëtes , Muficiens . Ac-
» teurs , Danfeurs Décorateurs , joi-
» gnoient au caractère de grands Antiftes
» les lumières de la Philofophie , & qu'ils
» fuffent bien unis dans leurs vues ; ce
Spectacle entre les mains d'un Légifla-
» teur Philofophe , deviendroit infiniment
important mais ce même Spectacle
»prouve, de la manière la plus frappante ,
» combien les modernes font éloignés
» d'en avoir la moindre idée . Telie eft
» la frivolité de notre fiècle , qu'on a fçu
» avilir tous les Arts dans un genre , qui
» feul pouvoit les anoblir tous » .
"
Mais comme je ne peux me réfoudre à
paffer l'Opéra tout-à fait fous filence , il
me paroît que ce que je puis faire de
mieux , c'eft d'indiquer d'abor d ce qu'à
mes yeux ce Spectacle renferme de contrai
re au bon goût , & d'expofer enfuite mes
idées , fur le moyen de le perfectionner.
La Poëfie , la Mufique , la Danſe , la
peinture , l'Architecture fe réuniflent pour
former l'Opéra. Afin d'éviter la confufion,
confidérons féparément le rôle qu'y joue
chacun de ces Arts.
La Poëfie eft le fondement de l'Ouvrage
, c'est elle qui fournit le Drame:
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
En Italie , où l'Opéra a pris naiffance ,
on en puifoit anciennement les fujets dans
le monde fabuleux. L'ancienne Mythologie
, l'Empire des Fées & des enchantemens,
& enfuite les tems fabuleux de la chevalerie
, fourniffoient le fond & les per
fonnages de l'Opéra . De nos jours les
Amateurs d'Opéra n'ont pas entièrement
rejeté ces fujets , cependant ils en pren
nentfouvent dans l'hiftoire de femblables à
ceux de la Tragédie : ainfi les uns & les
autres travaillent fur le même fondles
uns & les autres nous mettent devant
les yeux une grande action de courte
durée , remarquable par le choc des paffions
& par la péripétie : mais dans la
façon dont ils manient leur fujet , on diroit
que les Poëtes Lyriques fe font fait
une loi d'abandonner tout- à- fait le chemin
de la Nature. Leur maxime eft de
faire enforte , que par les fréquens changemens
de fcène , par la magnificence des
décorations , par la variété & la force des
objets , l'oeil foit dans une furprife
continuelle. N'importe que cela foit aufli
peu naturel , qu'il eft poffible , pourvu
que le Spectateur foit conftamment frappar
des objets nouveaux & éblouiffans.
Il faut , de quelque manière que cela foir
pé
FEVRIER . 1776.
amené , qu'il ait toujours devant lui dés
combats , des triomphes , des orages , des
naufrages , des fantômes , des bêtes féroces
, & d'autres objets de cette nature,
On peut facilement fe faire une idée
de la peine & des efforts qu'il en doit
coûter au Poëte , pour plier fon fujet à
cet ufage. Combien de fois n'eft - il pas
obligé de facrifier à la fatisfaction de l'oeil ,
le principe de l'action tragique , le déve
loppement des grands caractères & des
paffions ? C'eft pourquoi l'on rencontre fi
fouvent dans le plan du meilleur Opéra ,
des chofes contre nature , forcées & ridicules
. C'eft là le premier inconvénient
auquel la coutume affujettit les meilleurs
Poëtes en ce genre : encore fi c'étoit le
féu!!
Viennent enfuite les prétentions des
Chanteurs. Dans chaque Opéra le meilleur
Chanteur doit chanter le plus fouvent
qu'il eft poffible ; mais il faut auffi
que les médiocres & les plus mauvais
inême, qui font attachés à ce Spectacle
& payés , chantent au moins un grand air.
Les deux premières voix & notamment
le premier Chanteur & la première Chanteufe
, doivent néceffairement chanter enfemble
une ou plufieurs fois. Il faut par-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
conféquent que le Poëte place dans fon
Poëme des duo , fouvent des trio , des
quatuor , ainfi du refte . Outre cela les premiers
Chanteurs veulent montrer en particulier
tout leur talent , dans le genre où
ils réuffiffent le mieux ; celui- ci dans un
tendre adagio , celui - là dans un allegro
plein de feu : ainfi , il faut que le Poëte
falle fes airs de façon que chaque Ac-,
teur puiffe briller dans fon genre.
Onpeut à peine concevoir les différen
tes abfurdités qui en réfuttent . Que la
nature de la Pièce le permette ou non , il
faut nécellairement qu'une ou deux Chanteufes
ayent les principaux rôles. Si le Poëte
ne peut trouver d'autre expédient , il a
recours aux intrigues amoureufes , lors
même que fon fujet les exclut tout à fait.
Pour que deux Chanteufes euffent occafion
de fe faire entendre , il a fallu , dans
un Opéra dont la fcène eft à Utique , &
qui aboutit à la mort de Caton , qu'en.
dépit de la nature & du bon fens , le
meilleur Poëte Lyrique Metaftafio , introduisît
deux femmes , la veuve de Pompée ,
& Marcie , fille de Caton ; il a fallu que
celle ci fût amante de Céfar , & aimée
d'un Prince Numide. Il n'eft pas néceffaire
d'être accoutumé à réfléchir , pour
FÉVRIER. 1776. 103
il
fentir qu'une intrigue amoureufe eft révoltante
dans un fujet auffi lugubre.
De plus , pour que tous les Chanteurs
puiffent faire parade de leurs talents ,
faut fouvent leur faire chanter des chofes
que nul être raiſonnable ne s'aviferoit de
chanter , même en rêve ; de froides , ou
de graves réflexions , par exemple , ou
des maximes communes . Et quel feroit
l'homme fenfé , qui fongeroit à mettre
en chant une maxime comme celle- ci : un
vieux Militaire expérimenté , ne combat
pas en aveugle , mais réprime fon courage
jufqu'à ce qu'il trouve l'occafion favorable
; ou cette froide allégorie fur
les vertus que produit le malheur : c'eft
que le fep pouffe mieux lorfqu'il a été
taillé , & que les gommes les plus parfaites
fortent des arbres bleffés? On trouve
des détails auffi puériles dans prefque
tous les Opéra. Il y en a peu , où un perfonnage
fort preffé ne s'arrête ridiculement
pendant qu'on joue une ritournelle
traînante & grave , & après avoir touffé ,
* Voyez l'Adrien de Métaſtaſe , acte 2 , ſc. 5 ,
Saggioguerriero antico , &c
Adrien , acte 3 , fc . 2 , Piu bella al tempo ufate.
( Ces deux notes font de l'Auteur ) .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
pe chante un air dont il répette chaque
mot jufqu'à fix fois , & même davantage ;
air , qui fait entièrement oublier la fitua
tion du perfonnage . Pourroit- on jamais
s'écrier , à plus jufte titre , avec Horace ;
Spectatum admiffi rifum teneatis amici !
Ajoutez à cela qu'on ramène conftamment
les mêmes fujets . Celui qui a vu un ou
deux Opéra , a vu plufieurs fcènes de cent
auttes. Deux tendres Amants dont l'un
fera prifonnier & en danger de perdre
a vie , gémiffent enfemble ; & leurs trif
tes adieux fe font par un duo , ou par
quelque chofe de femblable , dans prefque
tous les Opéra.
Les abfurdités qui réfultent de la Mufique
ne font pas moindres . La Mufique
par fa nature eft & ne peut être que l'expreffion
des paffions , ou la peinture des
fentimens. Mais ni les Compofiteurs , niles
Chanteurs , ni l'Orcheſtre ne feroient
fatisfaits , fi l'on donnoit à cet Art , dans
l'Opéra , des limites fi étroites , & fi on
le bornoit à fon unique but. Ils font comme
les Bateleurs qui , pour étonner le
Peuple , fe fervent des mains pour marcher,
& des pieds pour porter des épées . Il
y a peu d'Opéra , où le Compofiteur ne
faffe fon poffible pour fe plier au goût du
FÉVRIER . 1776 , 105
Décorateur. Sa Mufique imite tantôt le
tonnerre & l'éclair , tantôt le bruit des
vents , tantôt le murmure des ruiffeaux , le
cliquetis des armes , le vol des oifeaux ,
ou d'autres chofes feniblables , qui n'one
aucun rapport avec les fenfations que le
cour devroit éprouver . C'eft fans doute ,
ce goût corrompu des Compofiteurs ,
qui a engagé les Poëtes à adopter la
coutame ridicule de remplir leurs aits de
comparaifons tirées de vaiffeaux , de lions ,
de tigres , & d'autres belles idées femblables,
Outre cela , le Compofiteur , l'Actear
& l'Orchestre , ont toujours le defir
puérile d'exécuter avec art des chofes
difficiles. L'Acteur voudroit faire parade
de la faculté qu'il a de chanter longtems
fans reprendre haleine , d'élever ou
de baiffer fa voix juſqu'à un point furprenant
; il voudroit faire admirer la flexi
bilité & l'agilité incompréhensible de
fon gofier , dans un paffage brillant , ou
dans un faut plein de force : il faut que
le Compofiteur lui en fourniffe les occafions.
De -là cette foule de paffages , de
roulades , de cadences , qui , fouvent dans
les airs les plus intéreflans , étouffent
entièrement toutes les fenfations que nous
devrions éprouver ; c'eft comme fi l'on
E v
105 MERCURE DE FRANCE.
>
verfoit de l'eau fur des charbons ardens :
deli , ces infoutenables ornemens , par
lefquels le ton le plus propre à faire
impresion fe trouve fi fort enveloppé
dans une foule d'autres tons plus recherch's
, qu'à peine on peut le démêler .
Celui qui n'a que du goût & du fentiment
, eft ouré d'entendre un Chanteur
, qui ayant commencé à exprimer fur
le ton le plus touchant une fituation
trifte & douleureufe , fe donne tout d'un
coup l'effor, & exécute des chofes extraor
dinaires. On fe fent d'abord pénétrer
d'une tendre pitié pour fa fituation ; mais
à peine on commence à partager avec
lui ce doux fentiment , qu'on voit ce
Chanteur changé en Charlatan , qui ne
fent point ce qu'il nous infinuoit , & qui
n'eft occupé qu'à faire parade de la foupletfe
de fon gofier ; on feroit tenté de le
chafer à coups de pierres , pour le punir
de penfer que nous avons le goût affez
dépravé pour prendre plaifir à de pareilles
pauvretés.
Entin , dans plufieurs Opéra , il faut la
plupart du tems effuyer l'ennui d'entendre
des airs qui n'ont pas l'ombre du
fentiment , & dont le texte ne fignifie
rien , car dans chaque , ou peu s'en faut ,
FÉVRIE R. 1776. 107
il doit y avoir un air. Si le Drame ne
contenoit abfolument rien qui fût propre
à nous émouvoir , il faudroit que le
Poëte pour fujet des airs prêt des ordres ,
des projets , des obfervations , ou des juftifications
, & le Compofiteur feroit forcé
à faire fur fes paroles une Mufique qui
ne pourroit que procurer aux Auditeurs
un ennui infupportable ; ou ce qui pis eft
encore , une Mufique qui rappelleroit
l'idée d'une danfe badine , au milieu d'une
Pièce férieufe. Car la Mufique faite fur
des paroles qui ne fignifient rien , eſt aſſez
généralement fur le ton & la mefure du
Menuet des Polonoifes , ou de quelqu'autre
danſe.
A tous ces inconvéniens fe joint encore
l'uniformité fomnifère de la conftruction
des airs : c'eft d'abord la ritournelle ;
enfuite le Chanteur exécute une partie
de l'air ; après il s'arrête pour que les
inftrumeus puiffent faire entendre leur
vacarme ; il recommence à nouveaux frais
& nous répette la même chofe fur un
ron diffèrent ; c'est alors qu'il nous étale
fes talens pour les paffages , les roulades
& les cadences. On croiroit la dignité
d'un Opéra bleffée , fi la même , où la
fituation rendroit la chofe très naturelle .
Evi
108 , MERCURE DE FRANCE.
on admettoit un air touchant ou gai
fans divifions , fans répétitions , & fans
la broderie de l'Art. Indubitablement le
Chanteur qu'on en chargeroit fe croireit
avili ; & l'infenfé ne penferoit pas , que
le plus grand mérite de fon Art eſt de
pouvoir faire une vive impreffion avec
l'air le plus fimple.....
20
Pour que peifonne , continue M. de
Sulzer , ne m'accufe de dire tant de mal
de l'Opéra par humeur , & d'exagérer les
chofes , je rapporterai ici le jugement
d'un homme , à coup fur impartial fur cet
article ; c'eſt le Comte Algarotti, il commence
fon Effai Jur l'Opéra par ces réflexions
: De tous les Spectacles inven-
» tés pour l'amufement des honnêtesgens
, il n'en eft peut être point de plus
» ingénieux , ni de plus parfait que l'O-
» péra , rien de ce qui pouvoit mener à
» la fin qu'on fe propofoit en l'imaginant,,
» n'y a été oublié . Tout ce que la Poë-
» fie , la Mufione , la Déclamation , la
» Danfe , la Peinture , ont de plus at-
" trayant , s'y réuniflent pour flatter les
fens , pour charmer le coeur , & pour
enchanter l'efprit par de douces illufions.
Mais par malheur, il en eſt de
P'Opéra , comme des inftrumens de
"
FÉVRIER. 1776. 109
"
n
"
méchanique , qui à mesure qu'ils font ,
plus compofés , font aufli plus fujets à.
fe détraquer ; & il n'y auroit pas de
quoi s'étonner qu'une machine aufli
» ingénieufe & auffi compliquée , man-,
quât quelquefois fon effet , quand mê-
» me ceux qui la dirigent mettroient tous
» leurs fons & toute leur étude à en
» lier , & en combiner exactement les
» differentes parties . Mais ces arbitres
» de nos plaifirs font aujourd hui bien
""
éloignés de prendre les peines qu'exige
» l'arrangement d'un bon Opéra . Ils ne
» font qu'une attention très - médiocre au
» choix du fujet . Ils en font encore moins
» à l'accord de la Mufique avec les pa-
» roles , & aucune à la vérité du chant &
» du récit , à la liaifon des danfes avec
"
l'action , à la convenance des décora-
» tions. Ceci confidéré , & en y ajoutant
≫.combien nos Théatres pèchent par la
» construction , il ne fera pas difficile de.
comprendre pourquoi un Spectacle , qui
», devroit naturellement être le plus agréa
ble de tous , devient fi infipide & fien-
» nuyeux. Il ne faut l'attribuer qu'au peu
» d'union qui règne entre les différen-
» Les parties qui le compofent ; par- là
il ne tefte aucune ombre d'imitation;
»
+
110 MERCURE DE FRANCE.
l'illufion , qui ne peut naître que de
» l'accord parfait de ces mêmes parties ,
» s'évanouit. L'Opéra , ce chef d'oeuvre
» de l'efrit humain , fe change en une
19
compofition languiffante , découfue ,
» fans vraiſemblance , monftrueule , grotefque
, digne en un mot des épithetes
injurieufes qu'on lui donne , & de la
» cenfure de ceux , qui , avec raifon ,
regardent le plaifir comme une choſe
très importante » .
מ
C'est ainsi qu'un Italien , qui a fort à
coeur l'honneur de fa Patrie , jage d'une
invention due à l'Italie , qui en a retiré
beaucoup de gloire .
Voilà , continuent les Auteurs du Journal
de Berlin , les défauts que notre judicieux
Auteur trouve à l'Opéra , tel qu'il
eft ; & les moyens d'y remédier , il ne les
oublie pas . Les Auteurs les rapportent dans
le volume fuivant de leur Journal,
*
Obfervations fur les pertes de fang des
femmes en couches , & fur les moyens
de les guérir ; par M. le Roux , Maître
en Chirurgie de l'Hôpital G néral de
la même ville ; 1 vol . in 8° A Dijon ,
chez Frantin; & à Paris , chez Didot
FEVRIER. 1776.
le jeune , Libr. quai des Auguftins ,
1776.
le
La
perte de fang
exceffive
qui arrive
aux femmes
, immédiatement
après
l'accouchement
à terme
, eft un accident
d'autant
plus tertible
& effrayant
, que
quelquefois
l'Accoucheur
ne peut le prévoir
; les Auteurs
ont propofé
différens
moyens
pour remédier
à ce fâcheux
accident
; mais
tous ces moyens
n'ont
n'ont pas
même
degré
d'efficacité
. Il en propofe
dans
cet Ouvrage
un autre
qui eft fort
fimple
, qui a été employé
autrefois
par
les Anciens
pour
les hémorrhagies
uté
rines
, & qui , fuivant
M. le Roux
, a
été prefque
abandonné
par les Modernes
:
il confifte
à oppofer
une digue
à l'écoulement
du fang , par le fecours
de plufieurs
lambeaux
de linges
ou d'étoupes
imbibés
de
vinaigre
pur ,
dont on
remplit
le vagin
, & qu'on
introduit
même
quelquefois
jufqu'à
la matrice
,
lorfque
la circonftance
l'exige
; un pareil
remède
n'exige
pas une longue
préparation
: il fe trouve
fans
peine
dans
la
cabane
du pauvre
, comme
dans le palais
des Grands
; mais il n'eft pas à beaucoup
près.fi
négligé
que l'Auteur
le prétend
,
1,12 MERCURE DE FRANCE.
ن ا
Y a même des Provinces où an est
dans l'ufage de fe fervir par préférence
de linges teints en bieu , ou de la mouffe
de Chine ; cependant on doit toujours
favoir gré à M. le Roux d'étendre la
connoiffance d'un remède aufli efficace .
Les obfervations qu'il rapporte dans fon
Ouvrage , & qui font au nombre de plus,
decent , font très - bien rédigées , avec clarté
& précision elles méritent d'être confultées.
Inftitutions desfourds & muets par la voie
des fignes méthodiques ; Ouvrage qui
contient le projet d'une langue univerfelle
par Ventremife des fignes naturels
affujettis à une méthode . A Paris
, chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
Saint-Jean de Beauvais ; i vol . in 12.
prix 2 1. 10 f. rel.
·
L'Auteur de cet Ouvrage eft M. l'Abbé
Lépée , connu par fon cours gratuit d'inf
titutions des fourds & muets , ouver
toute l'année à deux jours de leçons par
femaine . Sa méthode eft fimple , ingé
nieufe , & les effets qui en ont réfuité
ont paru i prodigieux , que plufieurs,
Souverains étrangers ne croyant pas pou
FÉVRIER. 1776. 117
voir s'en rapporter à la voix publique
n'ont pas dédaigné d'affifter à fes leçons.
On trouve dans l'Ouvrage que nous an
nonçons le précis de cette méthode ; l'Au
teur la compare à celle de M. Peyrere ,
Portugais , le plus célèbre de tous ceux
qui ayent entrepris d'apprendre aux fourds,
& aux muets à converfer par écrit &
même à parler ; il fe fervoit d'un alphabet
manuel , ou, pour mieux dire , de
fignes qu'il faifoit avec la main , & dont
il compofoit un alphabet , Pour pouvoir
bien juger de la méthode de M. Lépée ,
il faut la lire dans le Traité même : nous
invitons nos Lecteurs à y recourir.
Mémoire pour fervir au traitement d'une
fièvre épidémique , fait & imprimé par
ordre du Gouvernement ; par M. Ma
ret , Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Montpellier , Aggrégé an
Collége des Médecins de Dijon , Aggrégé
honoraire du Collège Royal de
Médecine de Nancy , &c A Dijon ,
chez Frantin , Imprimeur du Roi ; &
à Paris , chez Didot le jeune , qual des
Auguftios .
La fièvre épidémique que M. Maret
114 MERCURE DE FRANCE.
a obfervée à Dijon en 1761 , fait le fujer
de ce Mémoire . Comme cette maladie
paroît avoir beaucoup de reffemblance
avec celles qui dévaftent depuis longtemps
plufieurs Provinces , le Gouver
nement a penfé qu'un précis méthodique
de cette obfervation pourroit rendre plus
fûr le traitement des maladies de cette
efpèce c'est donc par fes ordres que
M. Maret le publie aujourd'hui .
Toutes celles qui règnent épidémi
quement ne fe reffemblent point , & il
en eft dont le caractère eft fi oppofé
qu'elles exigent un traitement abfolument
différent ; elles font ou inflammatoires
ou putrides ; la combinaifon de
ces deux caractères génériques & l'inten
fité du caractère dominant , diftinguent
les espèces : mais la plupart de celles qui
règnent dans les campagnes , appartiennent
au fecond genre ; elles reconnoiffent
presque toujours pour caufes prochaines
la putridité des premières voies ,
à laquelle fuccède une putridité de la
male humorale plus ou moins exaltée ,
faivant les circonftances & les difpofitions
des fujets. L'hiftoire de celles dont
il eft fair mention dans ce Mémoire , &
l'expofition du traitement qui lui conFÉVRIER.
1776. 115
vient , pourront diriger dans celui des
épidémies putrides ; M. Buc'hoz , dans
fon Mauuel médical & ufuel des plantes ,
Tome II , article fièvre putride , rapporte
plufieurs obfervations qu'il a faites , de
même que celles de M. Marquet , Médecin
Lorrain , fur ces fortes de fièvres
putrides , qui font fi communes dans la
Lorraine ; le traitement qui y eft indiqué
a toujours eu des fuccès dans cette Province
; il eft à peu près le même que
celui de M. Maret . Les uns & les autres
recommandent prefque toujours un vomitif
au commencement de ces fortes
de maladies ; au furplus , rien n'eſt plus
méthodique que le traitement de M.
Maret. L'hiftoire qu'il donne de la maladie
, eft très - détaillée : il en décrit avec
exactitude la marche dans chacun des
périodes que cette maladie parcourt , &
ce qui facilitera d'autant plus un jeune
Praticien , c'est que cette hiftoire fel
trouve écrite fur une colonne , & l'expofition
du traitement fur une autre colonne
parallèle ; par ce moyen , le traitement
qui convient à chaque période fe
trouve rapproché des accidens qui le
rendent néceffaire . On ne peut affez
louer M. Maret , dont le zèle patriotique
116 MERCURE DE FRANCE.
& fon amour pour les femblables font
univerfellement connus ; il feroit à defi-,
rer qu'il fe trouvât dans chaque Province
des Médecins auffi éclairés , qui vouluſ
fent fe donner la peine de décrire les
épidémies qui y règnent ; on parvien
droit un jour à pouvoir publier l'hiſtoire,
des différentes épidémies de la France ;
c'est le projet de M. Buc'hoz , dont nous
avons déjà fait mention l'année der
nière.
Second Mémoire.inftructif fur l'exécution,
du plan adopté par le Roi pour parvenir
à détruire entièrement la maladie,
qui s'eft répandue fur les beftiaux dans
les Provinces méridionales de la France
, publié en Novembre 1775. A
Paris , de l'Imprimerie Royale.
Sa Majefté , toujours occupée du bien
de fes Peuples & à les foulager , tolère
pendant cet hiver , dans l'intérieur du
pays dévasté par la maladie épizootique ,
le traitement des animaux attaqués. Elle
veut & entend qu'on ne néglige rien pour;
perfectionner les méthodes curatives &
pour fauver le plus grand nombre des animaux
poffibles , puifque la circonstance
FÉVRIER. 1776 117
le permer ; elle indique en conféquence
toutes les précautions qu'il conviendra
de prendre dans ce cas .
Réflexionsfur les dangers des exhumations
précipitées , &fur les abus des inhumations
dans les Eglifes , fuivies d'obfer.
vations fur les plantations d'arbres da s
les cimetières ; par M. Pierre Toufla
Navier , Docteur en Médecine , Confeiller
Médecin du Roi pour les ma
ladies épidémiques dans la Province
de Champagne. A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez B. Morin , Imprimeur
Libraire , rue Saint-Jacques ,
à la Vérité. 1775.
L'Auteur de ces réflexions n'a pû voir
fans frayeur les dangers auxquels le font
trouvés expolés les Concitoyens dans des
exhumations précipitées , & par la multiplicité
des inhumations dans les Eglifes.
14 s'eft appliqué à démontrer l'abus de
ces ufages , & à donner les moyens d'en
prévenir les fuites & d'en corriger les
foneftes effets. Les accidens fâcheux &
fans nombre qui fe font paffés fous fes
yeux , joints à ceux dont les écrits publics
ont fait mention dans différens temps ,
118 MERCURE DE FRANCE.
ont fait accélérer à l'Auteur un travail
auli important : il étoit de la dernière
importance de remonter à l'origine & aux
époques des inhumations dans les Eglifes ,
de démontrer qu'elles s'étoient établies
par l'ambition & accréditées par la cupidité
, de préfenter un tableau des malheurs
qu'elles enfantent tous les jours ;
enfin d'indiquer des moyens de remédier
à la contagion inévitable qui en réfulte :
ce font autant d'objets que l'Auteur a
développés avec foin , en appuyant ferupuleufement
fes raifonnemens de preuves
démonftratives. Cette brochure eft une
nouvelle preuve que M. Navier donne
de fon zèle & de fon attachement pour
fes compatriotes .
Defcription & ufage d'un cabinet de phyfique
expérimentale; par M. Sigaud de
la Fond , de plufieurs Académies . A
Paris chez Gueffier , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe . Deux volumes
in-8°.
C'eft à la phyfique expérimentale que
les différentes fciences naturelles doivent
aujourd'hui une grande partie de l'éclat
qui les diftingue. L'étude de cette partie
FÉVRIER . 1776. 119
de la philofophie la plus intéreffante &
la plus utile , entre aujourd'hui dans l'ordre
des connoiffances qui font renfermées
dans tout plan de bonne éducation . Les
richeffes de la création forment le plus
beau de tous les fpectacles. Quelle magnificence
, quelle profufion le Maître de
l'univers n'a-t -il pas répandues dans tous
fes Ouvrages ! Quelle eft l'ame affez infenfible
pour n'être pas tranfportée d'admiration
à la vue de toutes les merveilles
dont nous fommes inveftis de toutes parts?
Mais doit- on fe borner à les contempler
fans chercher à les approfondir pour en
mieux connoître la deftination & l'uſage ?
Ce feroic en quelque forte avilir l'efprit
humain & méconnoître les bienfaits du
Créateur que de réduire tous fes devoirs
à une admiration muette & ftupide.
L'étude des ouvrages de la nature a le
double avantage de nous conduire à Dieu,
de nous pénétrer d'amour & de reconnoitfance
pour l'auteur de tant de merveilles ,
& d'orner notre efprit des connoiffances
les plus fatisfaifantes & les plus utiles .
Cette étude roule fur deux points qu'il
ne faut pas confondre , l'expérience proprement
dite & l'obfervation : celle- ci
difent les Philofophes , moins recherchée
120 MERCURE DE FRANCE .
& moins fubtile , fe borne aux faits qu'elle
a fous les yeux , ne cherche qu'à bien voit
& à détailler les phénomènes de toute
efpèce que le fpectacle de la nature préfente.
Celle- là , au contraire , employe
tous les moyens pour dérober à la nature
ce qu'elle cache , à créer , en quelque manière
, par la différente combinaiſon des
corps , de nouveaux phénomènes pour
les détruire : enfin elle ne fe borne pas à
l'écouter , mais elle l'interroge & la preffe.
C'eft ainfi qu'on cherche à la forcer jufques
dans fes derniers retranchemens.
Mais il faut pour cela renoncer à toutè ,
prévention particulière & abjurer cet efprit
de fyftêmé qui ne nous fait voit les chofes
que d'un certain biais , & nous empêche
de les voir de tout autre . Se livrer à cet
efprit qui a fi long- temps retardé le progrès
des fciences , c'eft , comme le dit
bien l'Auteur de l'Ouvrage que nous
annonçons , fe mettre fur les yeux ná
verre teint d'une couleur particulière ,
fans s'embarraffer fi ce verre altérera ces
objets , ou s'il les ternira . Un Auteur fyftématique
ne voit plus la nature , ne voit
que fon Ouvrage propre. Tout ce qui n'eft
pas abfolument contraire à fon fyftême le
confirme. Les phénomènes qui lui font le
plus
FÉVRIE R. 1776. 121
plus oppofés, ne font que quelques excep
tions. Ceux qui le lifent , font enchantés
d'acquérir tant de fcience à fi peu de frais ,
& joignent leur intérêt au fien . Auffi tout
efprit fyftématique refufe-t-il d'entendre
tout argument contraire à fon opinion .
Or , rien n'eft plus néceffaire au progrès
des fciences que d'abjurer cet efprit ,
& de fecouer le joug de toute autorité.
Ce font ces deux écueils qu'il faut néceſfairement
franchir , avant d'entreprendre
de bien faire des expériences fans lefquelles
on ne fait nul progrès dans l'étude de
la nature.
on
L'Ouvrage que nous annonçons , en
mettant de côté toutes les théories phyfiques
, ne préfente à fes Lecteurs que des
inftrumens & des expériences . Mais pour
leur rendre en même temps le fervice do
ces inftrumens commode & familier ,
leur indique la manière de s'en fervir
les précautions qu'il convient de prendre
en quantité de circonftances , pour que
le fuccès foit affuré & conftant . On les
metfur la voie des travaux qu'ils peuvent
fuivre , en leur indiquant ce qui a déjà
été fait & ce qui reste encore à faire ,
pour hâter le progrès des fciences. L'Aubeur
, déjà connu par plufieurs bone
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrages n'a rien omis dans celui-ci ,
Il expofe avec foin , dans chaque branche
de divifion , l'état de la queftion qui
eft propofée , les difficultés qu'elle préfente
, les appareils dont on peut faire
ufage pour remplir cet objet . La defcription
de chaque appareil eft roujours
fuivie de la manière d'en faire
ufage , ou de la manière de faire l'expérience
; vient enfuite la conclufion qui
fuit naturellement de cette expérience.
Les obfervations judicieufes de l'Auteur
font le fruit de la grande habitude qu'il a
acquife à manier des machines & à étudier
les inftrumens qu'on rencontre dans
le fervice de plufieurs . On trouve dans
cet Ouvrage un article intéreffant fur l'air
fixe & fur l'air principe . Cette matière
encore neuve en phyfique , exigeoit en
effet une expofition qui pût mettre le
Phyficien au fait de la queftion , & fur la
voie des recherches qu'il doit faire à ce
fujer. On y a joint tout ce qui concerne
l'air , relativement à la refpiration des
animaux , & tout ce qui a rapport à la
théorie du feu qu'on a abandonnée jufqu'ici
aux recherches & aux ſpéculations
des Chymiftes. Enfin on doit regarder
acet Ouvrage comme neuf en fon genre,
FÉVRIER . 1776 .
123
& comme abfolument néceffaire à tous
ceux qui veulent connoître un peu en détail
la phyfique expérimentale & les procédés
qu'elle employe.
Les vues fimples d'un bon homme . A Paris ,
chez Baftien , Libraire , rue du Petit-
Lyon.
La première vue a pour objet la marière
importante de l'adminiſtration des
blés. Le bon homme qui prétend n'être
ni publicifte , ni economifte , ni fullifte ,
ni colbertiſte , n'en fait pas moins l'analyfe
des caufes auxquelles on attribue le
furhauffement des blés. La première
felon lui , provient de la diminution de
l'efpèce opérée depuis quelques années
par l'inclémence des faifons . On s'eft
plaint affez généralement dans le Royaume
de n'avoir eu que des récoltes médiocres
. Or , quelque habile que foit un Gouvernement
, il ne peut ni difpofer des
faifons , ni changer la nature des terres.
Les approvifionnemens auxquels on a eu
recours , ont été auffi onéreux à l'Etat ,
qu'avantageux aux prépofés qui ont été
les feuls gagnans . Pour corriger cette
inclémence des faifons , les hommes ne
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
viennent qu'en fous ordre , & ne peuvent
qu'invoquer les bienfaits de la nature &
réunir les lumières des plus habiles politiques
& des meilleurs Commerçans ,
pour difcerner le plan d'adminiftration
qui fera fujet à moins d'inconvéniens.
La feconde caufe efficiente de la cherté
de l'espèce , eft l'augmentation du prix des .
baux qui ont prefque doublé depuis 1720.
Un Fermier qui a un furcroît d'impofitions
en tout genre, &(qui achette au double
ce qui lui eft néceffaire pour faire
valoir fa terre, peut- il vendre le blé à bon
marché , lorfque le prix eft confidérablement
augmenté? La chofe eft impoffible.
Le Fermier eft forcé de vendre fon blé à
proportion du prix du bail. Voilà une feconde
caufe du furhauffement du prix des
denrées que les propriétaires cherchent en
vain à diffimuler . Le bon homme affigne
pour troisième caufe , l'augmentation dans
le rombre des Confommateurs . Il affirme
qu'il eft né dans le Royaume , depuis la
dernière paix , plus d'un million de Sujets
qui fe nourriffent journellement de pain
& qui diminuent l'efpèce . D'après cette
fuppofition , la dépenfe a augmenté d'un
vingtième , & conféquemment le prix a
dû s'élever en proportion . Ceux qui fouFEVRIER
. 1776. 125
tiennent qu'il y a un dépériffement dans
l'efpèce humaine , en comparant le nombre
des anciens habitans de notre globe ,
avec la quantité de ceux qu'il porte au
jourd'hui , n'admettront pas aifément ce
nouveau calcul . Le furhauffement du blé
a encore trouvé une caufe dans l'aifance
de tous les Fermiers qui récoltent le grain
des Provinces les plus productives , telles .
que l'Ile de France , la Brie , & c . La liberté
qu'ils ont eue d'acheter , d'exploiter
& de vendre à leur volonté , a fait refluer
dans leurs mains un argent comptant immenfe.
Cet argent eft enlevé à la circulation
, & n'eft jamais employé en effets
royaux. Enfin ce qui contribue à maintenir
la cherté des grains , c'eft le prix exceffit
des autres comeftibles , prix occafionné
par celui du blé ; car tout eft dans
une correfpondance relative. L'Auteur
des vues , après avoir infifté fur les différentes
caufes du furhauffement du prix
conclut qu'il eft auffi néceffaire de faciliter
en France une fubfiftance aifée &
abondante , qu'il eft dangereux de l'accumuler
au point de la rendre exceffive.
Il en résulteroit un grand dommage pour
le Seigneur Foncier , le Cultivateur &
l'Etat. En effet le Maître ne feroit pas
2
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
payé de fes fermages , le Fermier mourroit
de faim vis à vis des tas de blé , & le Roi
ne récolteroit pas les impofitions néceffaires
au foutien de fa dignité & au bonheur
de fes peuples. Mais la grande difficulté
eft le jufte emploi de la balance
entre les amas onéreux & le tranfport
immodéré des fubfiftances que fait faire,
à l'étranger l'avidité indiferète du vendeur
, qui , ne fongeant qu'à fon intérêt.
perfonnel , court à l'argent compiant &
fe dépouille totalement de fes grains
fans s'embarraßer de faire chèrement
remplacer aux autres le vuide qu'ilʊpère.
dans la fociété . Il est trèsaifé d'appercevoir
les difficultés & les inconvéniens fur
cette matière. Mais on ne découvre pas
faifément le jufte milieu qu'on doit
garder. Ni les réglemens , ni les fyftêmes
de liberté indéfinie , femblent n'avoir pas
encore fourni les moyens efficaces d'arrê
ter les entreprises de la cupidité toujours
agiflante & induftrieufe. L'Auteur des
vues prétend qu'il faut abandonner l'efprit
de fyftême , & s'en tenir févèrement
à une exacte furveillance dirigée par les
événemens & fubordonnée aux variations
des années plus ou moins abondantes.
Cet Ouvrage , dirigé par un efprit patrio
FÉVRIER . 1776. 127
tique , mérite d'être bien accueilli . On
y trouve des réflexions judicieufes fur la
liberté fans licence , qu'une fage adminiftration
doit protéger. Les Directeurs
des différens fpectacles ne choifiront pas
pour leur Avocat , le bon homme , qui
déploye toute fon éloquence contre les
abus des petites loges , comme s'il n'étoit
pas commode pour les perfonnes fort
Occupées , d'arriver à coup sûr au fpectaele
à l'heure où il commence .
Analyfe des Traités des bienfaits & de la
clémence de Seneque , précédée d'une
vie de ce Philofophe , plus ample que
toutes celles qui ont paru. Volume
in- 12 ; prix , 4 liv . relié en veau &
doré fur tranche. A Paris , chez J.
Barbou , Imprimeur- Libraire , rue des
Mathurins 1776 Ce volume fait le
einquante- neuvième de la collection
des Auteurs Latins , parmi lefquels on
trouve un autre extrait de Seneque ,
intitulé : Selecta Seneca opera.
•
Les recherches que l'Editeur a faites
pour compofer la vie de Seneque , lui
ont prouvé que l'envie , qui eft le fléau
érernet des hommes d'une vertu émi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
nente , a poursuivi conftamment ce Philofophe
depuis fon fiècle jufqu'au nôtre :
il a reconnu que les accufations dont
on l'a chargé , font pour la plupart fauffes ,
injuftes & ridicules. Cet Ouvrage lui
tiendra lieu d'apologie , & fervira à détruire
un préjugé qui ne peut qu'être funefte
à ceux qui en font atteints , en
les privant d'un précieux tréfor d'excellente
morale . L'hiftoire de la vie de Se-.
neque le Philofophe , eft précédée de celle
de Seneque le Rheteur fon père. L'Editeur
s'est étendu fur les Ouvrages de ce
dernier , parce qu'il eft moins connu &
qu'il eft affez ordinaire de le confondre
fouvent avec fon fils.
Les préfens , dit Seneque , me feront
pas fans mérite , quand ils feront faits exclufivement
& pat préférence à tout autre.
Lorfqu'Alexandre , Roi de Macédoine
vainqueur de l'Orient , formoit des projets
plus qu'humains , les Corinthiens lui
envoyèrent des Ambaffadeurs pour le
féliciter de fes conquêtes , & pour lui
offrir le droit de bourgeoisie dans leur
ville. Alexandre ne put s'empêcher de
rire de cet hommage fingulier , lorfqu'un
des Ambaffadeurs lui dit : Prince , nous
n'avonsjamais accordé cet honneur à d'au
FEVRIER. 1776. 129
tres qu'à vous & à Hercule. Alors le conquérant
accepta leur offre & les remercia
affectueufement , en confidérant , non ceux
qui lui offroient cet honneur , mais celui
à qui il avoit déjà été offert.
Il ne faut pas aigrir les bienfaits en y
mêlant du noir & de l'amertume. Quand
même vous auriez quelqu'avis à donner ,
choififlez un moment plus favorable. Fabius
Verrucofus appeloit pain de pierre un
bienfait accordé durement par un homme
rebarbatif.
Alexandre , qui n'avoit que des idées
gigantefques , donna une ville à un particulier.
Celui - ci affez modefte pour refufer
un préfent fi confidérable , remercia
ce Prince , en lui difant qu'un fi beau don
ne convenoit point à un homme comme
lui ; Je ne te demande pas , lui repartie
Alexandre , ce qu'il te convient de recevoir;
mais je confidère ce qu'il me fied de te
donner.
Profpectus d'un Traitéfur la Cavalerie;
L'ouvrage que ce Profpectus annonce
au Militaire , pour le courant du mois de
Mai 1776 , eft un Traité fur la Cavalerie ,
qui réunit tout ce qu'un homme attaché à
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
cefervice , à commencer depuis le fimple
Cavalier , jufqu'au Lieutenant Général ,
doit indifpenfablement favoir , pour être
en état de s'y diftinguer.
C'eft aux grands Capitaines que nous
fommes redevables des progrès fucceffifs
que l'on a faits dans la fcience de la guerre:
conféquemment tout homme qui fe fent
animé du defir de mériter un jour la
confiance du Souverain , qui veut fe rendre
utile à fa Patrie , qui n'eſt pas arrêté
par les difficultés , & qui , après avoir
approfondi une partie de cet art , entrevoit
que c'eft fervir l'Etat , que d'en tranfmettre
la connoiffance à fes concitoyens , ne
doit , pour remplir un objet auffi fatisfai
fant , épargner , ni foins , ni veilles , nj
recherches.
न
Ce font ces confidérations qui ont
engagé M. le Comte de Melfort , Maréchal
de Camp des Armées du Roi , &
Infpecteur Général des Troupes- Légères,
à donner au Public ce que l'expérience &
fes réflexions lui ont fuggéré de plus utile
pour perfectionner la Cavalerie .
Quoique nous ayons fur la Guerre de
très- bons Ouvrages des Anciens , ils ne
peuvent cependant fervir , tout au plus ,
maintenant , qu'à nous faire connoître le
FÉVRIER. 1776. 131
plus ou le moins d'avantages qu'on pour
roit retirer des camps fortifiés , d'une
pofition plus ou moins refpectable , ou
d'un mouvement d'armée fait à propos ,
& dirigé avec plus ou moins d'habilitá
de la part des Généraux.
Mais depuis que l'artillerie s'eft mul
tipliée au point où elle l'eft aujourd'hui ,
depuis que l'Infanterie a quitté la pique
pour prendre le fufil & la baïonnette , &
que la Cavalerie a abandonné la lance &
la hache d'armes pour fe fervir unique
ment de fon fabre ; la manière de faire la
guerre étant totalement changée , les
Ouvrages dont on vient de parler , quoique
excellents pour les temps où ils ont été
faits , ne peuvent plus être confidérés
comme la fource où nous devions aller
puifer les préceptes qui font propres aux
armes dont nous nous fervons aujourd'hui .
Ce feroit n'avoir aucune notion des
propriétés des différentes Troupes qui
compofent une armée , que d'attribuer
à la Cavalerie feule le mérite de décider
du fuccès des batailles. Mais quoique
l'Infanterie foit la pierre fondamentale
des armées , & qu'avec le fecours d'une
artillerie formidable il fût poffible de
remporter une victoire fans le fecours de
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
la Cavalerie ; il n'en eft pas moins recom
nu , que tant par la légèreté de fes monvemens
que par l'étendue de terrein qu'elle
peut embraffer , c'eft celle qui , commuaément
, contribue le plus , fi ce n'eft précifément
à décider la victoire , du moins
à la rendre plus complette.
1
Depuis le milieu du fiècle de Louis
XIV jufqu'aujourd'hui , les Généraux
François ont donné de très bons Ouvrages
fur la Guerre , dans lefquels ile
fe font occupés avec fruit de tout ce qui
pouvoit être avantageux au bien du fervice
du Roi , & glorieux à la nation :
mais le peu d'harmonie qui exifte parmi
les hommes , n'a pas permis qu'il y eûc
plus d'accord dans leurs principes ; ce
qui eft caufe que la plupart des Officiers
de Cavalerie ne font pas plus rapprochés
entr'eux , fur les objets qui font relatifs
à l'inſtruction de ce Corps , que ne le font
les autres gens de guerre fur les différentes
parties qui les concernent .
C'eft fans doute cette diverfité d'opi-
Bions qui exifte même parmi les Officiers
les plus inftruits , qui , les ayant tenus
long- temps indécis fur les principes , a
retardé jufqu'ici les progrès de la Cava
lerie, & qui l'a empêchée d'arriver au
FÉVRIER. ' 1776. 133
•
degré de perfection dont elle eft fufcep
tible.
.
Les deux dernières guerres , pendant
lefquelles M. le Comte de Melfort a
toujours commandé de la Cavalerie , lui
ont donné plus d'une occafion de comparer
, d'approfondir & de balancer les
avantages ou les inconvéniens qui fuivent
ordinairement les différentes manières
de diriger fon inftruction pendant la paix
& de l'employer pendant la guerre ; connoiffances
qui lui ont également procuré
les moyens d'apprécier à fa jufte valeur ,
le travail qu'il avoit commencé fur le
ſervice de cette armée , dès l'année 1748 ,
époque où il étoit paffé à la tête d'un Régiment
de Cavalerie , après avoir été
pourvu d'un Régiment d'Infanterie trois
ans auparavant.
1
Ce premier travail , de même que
ceux qu'on y a ajoutés depuis , eft enrichi
de Planches deffinées fous les yeux & fous
la dictée de M. le Comte de Melfort, par
le fieur Van-Blarembergh , Peintre du
Roi , attaché au Département de la Marine
. Lefdites Planches forment autant
de Tableaux que l'on peut dire précieux,
puifque , indépendamment de la manière
dont les deffins en font traités, des objets
miles qu'ils renferment , ils font voir
134 MERCURE DE FRANCE.
par- tout , les hommes & les chevaux ,
dans l'action naturelle où ils doivent être
dans la réalité de l'exécution des principes
, des mouvemens , ou des mancu÷
vres qu'ils repréfentent .
Toute l'Ecole du Manége , divifée en
deux claffes , l'une d'Equitation purement
militaire , & l'autre d'Equitation , quoi
que limitée , cependant pouffée plus loin
que la première , y eft auffi repréfentée
au naturel , ainsi que tout ce qui peut
avoir quelque rapport à l'inftruction des
hommes & des chevaux de la Cavalerie.
Il embraffe également toutes les con
noiffances qui peuvent être utiles au
fervice journalier des Cavaliers en temps
de paix & en temps de guerre , ainfi qu'à
celui des Officiers fupérieurs & autres .
Il comprend en outre des détails fuc
la compofition qu'on juge la plus folide
à donner à un Efcadron ainfi qu'à un
Régiment : après quoi l'on traite , dans
le plus grand détail , tous les principes
fur lefquels la plupart des Officiers de
Cavalerie diffèrent d'opinions ; & cela
d'une manière d'autant plus fatisfailante
que, pour rendre les chofes plus frap
pantes , les Planches dont on a parlé
plus haut , au moyen des hommes à
cheval qui y font vus en action , reprá
FÉVRIER. 1776. 135
fentent d'un côté un Efcadron agiffant
d'après l'un des principes qui font en
difcuffion ; & vis - à-vis en oppofition ,
un autre Elcadron manoeuvrant fur les
principes que l'on préfère , & de la fupériorité
defquels on donne la preuve dans
le difcours ; ce qui joint à la démonftration
dont le tableau fournit l'exemple ,
met ce travail à la portée de tout homme ,
non-feulement du métier , mais de ceux
mêmes qui n'auroient que du bon fens &
des yeux.
Après avoir difcuté tous les objets fur
lefquels le fentiment des Officiers de
Cavalerie eft partagé , on approfondit
également tous les principes des mancuvres
de détail pour un ou plufieurs Eſcadrons
, auxquels on juge que la Cavalerie
ne peut mieux faire que de s'exercer
pendant la paix .
De ces détails , qui font la feconde
partie du travail annoncé , & qui ne font
que la théorie du métier , on paffe dans la
troisième & dernière à ceux des opérations
de la guerre , tels que font les
Camps , les grandes- Gardes , les convois
défendus ou attaqués , les difpofitions
d'arrières- Gardes compofées de Troupes
mêlées , les détachements , les embufca136
MERCURE DE FRANCE,
des , les découvertes , les déploiemens
de colonnes , les reploiemens de lignes ,
les marches en bataille , les combats
enfin d'une aile entière de Cavalerie ;
tous fujets appuyés de principes & des
exemples qu'offrent les différens ta
bleaux où ils font traités , & dans le
deffin defquels on a mis affez de correc
tion & d'exactitude pour qu'on puiffe
dire que ce font autant de démonftrations.
Enfin pour fe réfumer , on peut ajouter
que ce travail eft le fruit de quinze
campagnes de guerre , faites fans négligence,
& le réſultat d'une étude fuivie
de plus de trente années , de la part d'un
Officier qui , pendant tout ce laps de
temps n'a pas ceffé d'avoir de la Cavalerie
à exercer pendant la paix , & d'en
avoir de toutes les espèces à conduire à
la guerre.
Les planches , dont il a été queftion
plus d'une fois dans ce Profpectus , feront
gravées fur du papier grand-aigle , de
trois 'pieds de long fur deux pieds de
large . Tous ceux qui en ont vu les deffins
font convenus qu'ils n'avoient rien
vu jufqu'ici , en fait d'Ouvrages militaires
, qui pût approcher de la netteté &
de la clarté dont elles font.
FÉVRIER . 1776. 137
Elles démontrent d'abord l'Ecole du
manége , où, chaque homme eft deffiné à
cheval , dans une attitude auffi exacte
qu'elle eft analogue à ce qu'on lui enfeigne.
Elles embraffent l'inftruction & fourniffent
l'exemple de toutes les mancuvres
qu'il eft avantageux à la cavalerie
d'apprendre dans les temps de repos .
Enfin elles repréfentent une infinité
d'actions des plus importantes de la
guerre , & dont la vue feule , qui feroit
jointe à une beaucoup plus courte explication
que celles dans lefquelles on eft
entré , fuffiroit pour inftruire en très peu
de temps la plupart des Officiers de Cavalerie
, qui n'auroient pas eu la poffibilité
de joindre la pratique à la théorie
du métier .
Elles feront au nombre de trente- deux,
dont plufieurs renferment chacune quatre
tableaux , & elles feront gravées par les
plus célèbres Artiftes en ce genre qu'on
ait pu trouver à Paris .
La totalité de l'Ouvrage confifte en
deux volumes le premier, grand in- fol.
imprimé en très- beaux caractères , fur du
papier grand-raifin double ; le fecond
contiendra trente- deux planches qui ont
138 MERCURE DE FRANCE.
ainſi qu'il a déjà été dit , plus de trois
pieds de long fur deux pieds deux pouces
de large. Le prix en fera de 120 livres ;
mais ceux qui foufcriront auront les deux
volumes pour 96 liv. dont on payera 63
liv. en foufcrivant , & 33 liv. en faifant
retirer l'Ouvrage.
La foufcription eft ouverte depuis le
ro Août 1775 , chez Me Gibert , Noraire
à Paris , cloître Ste Opportune.
L'Ouvrage paroîtra dans le courant du
mois de Mai 1776 , & fe délivrera chez
G. Defprez , Imprimeur ordinaire d'a.
Roi & du Clergé de France , rue Saint
Jacques , près la rue des Noyers.
Auilie , Tragédie nouvellement impri•
mée. Elle ne fe vend point.
Cette Tragédie , dont M. de la Croix
eft éditeur, nous a paru vraiment digne de
fortir de l'obfcurité dans laquelle la modeftie
de fon Auteur vouloit la fixer.
La poéfie en eft noble & fouvent fublime
dans les endroits qui demandent
de la chaleur & de l'élévation . Les caractères
en font bien deffinés . On fent
en la lifant un intérêt qui attache , ce
qui fait regretter qu'elle n'appartienne
FÉVRIER. 1776. 139
pas à notre Théâtre. Nous en ferons l'extrait
dans notre premier Mercure .
Lettre fur les Drames - Opéra ; Brochure
dess pages in- 8°. A Amfterdam ; &
à Paris , chez Efprit , Libr . au Palais
Royal .
L'Auteur dit que certainement de tous
les Ouvrages dramatiques le plus difficile
à compofer , c'eft un bon Opéra ; & vrai
femblablement cette affertion vient de
quelqu'un qui fait des Opéra , & qui ne
fait point des Tragédies ni des Comédies.
Il n'admet avec les Italiens que trois
genres ou trois ftyles diftincts & féparés
de poëmes lyriques , le Tragique , le
Paftoral ou galant , & le bouffon . Mais
cette diftinction eſt- elle bien juſte ? N'ya-
til pas autant de genres qu'il y a de
poëmes , & le même poëme n'admet - t- il
pas des nuances très différentes ? Il entre
enfuite dans l'examen des différentes par
ties qui compofent un poëme lyrique ,
ce qui lui donne lieu de faire de bonnes
obfervations. Nous ne fommes pas de
fon avis quand il avoue que le genre
tragique et le premier & le feul où le
Poëte & le Muficien peuvent , fans con140
MERCURE DE FRANCE.
trainte , développer toute la magié de
leur art. En effet , fi le tragique ne demande
, felon lui , qu'un ftyle , le Poëte
& le Muficien ne pourront également
développer qu'une partie de leur art .
L'Auteur avance que le charme de la
verfification de Quinault , le choix & la
douceur de fes expreffions , leur molle
élégance , fa facilité à tout peindre , la
douce & tendre harmonie de fon ftyle ,
tour , dans ce Poëte enchanteur , eft fait
pour plaire à l'oreille & pour la féduire ;
mais que toutes les perfections qui diftinguent
& caractérisent ce Poëte , ne
peuvent fervir de modèle du ftyle qui
doit être employé dans la Tragédie lyrique.
Il prétend que l'élégance & l'harmonie
de la poëfie contrarient fouvent
l'expreffion musicale , & qu'un vers dont
la dureté choque l'oreille , produit fouvent
un grand effet avec le chant. L'Auteur
finir par l'examen d'Armide , cité
comme le chef- d'oeuvre des Opéra de
Quinault, & il en fait la critique; il donne
en exemple Iphigénie en Aulide , comme
la Tragédie lyrique la moins défectueufe
qui ait encore paru fur notre Théâtre ;
mais cette Tragédie lyrique , qui n'eſt
qu'une imitation fervile & dégradée de
FÉVRIER. 1776. 141
la belle Tragédie de Racine , n'eft - elle
point déplacée fur le Théâtre de l'Opéra ,
pour lequel ce poëme n'a pas été compofé
? Armide , Dardanus , Caftor & Pollux,
Thétis & Pelée , & d'autres , font
affurément d'un genre de beautés plus
convenable à la fcène lyrique , & font
un fpectacle plus grand , plus varié , plus
intéreffant.
Anti - Dictionnaire philofophique pour
fervir de commentaire & de correctif
au Dictionnaire philofophique & autres
Livres qui ont paru de nos jours
contre le Chriftianifme : Ouvrage dans
lequel on donne en abrégé les preuves
de la Religion , & la réponfe aux
objections de fes adverfaires ; avec la
notice des principaux Auteurs qui l'ont
attaquée , & l'apologie des grands
hommes qui l'ont défendue. Quatriè
me édition corrigée , confidérablement
augmentée & entièrement refondue
fur les Mémoires de divers
Théologiens. Deux volumes grand
in-8°. broch. chez Niel & Aubanel ,
Libraires à Avignon ; & à Paris , chez
Durand , Lib. rue Galande , Hôtel de
Leffeville ; & Nyon , Libr. rue Saint
Jean de Beauvais.
142 MERCURE DE FRANCE.
les
Quatre éditions confécutives prouvent
le fuccès & l'utilité de ce Dictionnaire .
On a eu foin dans cette dernière que
controverfes agitées par les Incrédules y
fuffent dépouillées de l'appareil fcolaftique
, & que les preuves de la Religion ,
quoiqu'abrégées, y fuffent préfentées avec
autant de force qu'elles peuvent l'être
dans un court efpace. Des Théologiens
favans font entrés dans les vues des Editeurs
, & leur ont fourni ou indiqué des
armes contre les efforts de l'incrédulité.
ANNONCES LITTÉRAIRES .
ETAT TAT de la marine , année biffextile
1776. A Paris , chez le Breton , premier
Imprimeur ordinaire du Roi , rue Haute-
Feuille ; & chez Nyon , Libraire , rue
Saint -Jean- de- Beauvais ; prix , 1 livre
broché .
Etat actuel de la mufique du Roi , &
'des trois Spectacles de Paris. Chez Vente ,
Libraire des menus plaifirs du Roi , au
bas de la Montagne Sainte - Geneviève
1776 .
FEVRIER. 1776. 143
Petit Calendrier perpétuel. Broché , 15
fols ; relié, 24 fols. A Paris , chez Mérigot
père , quai des Auguftins ; & Sau
grain , Libraire , quai des Auguftins.
Hiftoire du facre & du couronnement de
Louis XVI , Roi de France & de Navar ,
précédée de recherches hiftoriques fur le facre
des Rois de France depuis Clovis juſqu'à
Louis XV, & fuivi du Journal de ce qui
s'eft paffé à cette augufte cérémonie. Le tout
en un volume in 4°. de 400 pages , orné
de neuf grands tableaux gravés en tailledouce
, repréfentant les différentes fituations
de cette pompeufe cérémonie , de
quatorze vignettes allégoriques au facre
de Sa Majefté , & de quarante figures
gravées d'après nature , repréfentant le
Roi dans les trois habillemens de fon
facre , les Pairs Laïcs & Eccléfiaftiques ,
-Cardinaux , Connétable , Chancelier
Grands -Officiers de la Couronne , Maréchaux
de France , Chevaliers des Ordres du
Roi, Capitaines desGardesduCorps, Secré
taires & Confeillers d'Etat , Maîtres des córémonies
, Héraults- d'Armes de France ,
Pages & Huiffiers de la Chambre , Gardes
Ecoffois , Cent Suiffes & Gardes de
.
144 MERCURE DE FRANCE.
la Prévôté de l'Hôtel , &c. & c. tous
dans leurs habits de cérémonie , & avec
leurs noms & qualités. Prix , 36 liv.
broché , 24 liv . relié en veau , & 48 liv.
relié en maroquin . Le même Livre in 8°.
24 liv. en maroquin , 21 liv . en veau , &
18 liv. broché. A Paris , chez Vente ,
Libraire des menus - plaifirs du Roi , au
bas de la rue Montagne Sainte Geneviève.
ACADÉMIE.
Prix extraordinaireproposépar l'Académie
Royale des Sciences , pour l'année 1778 .
SUR le compte qui a été rendu au Roi , par
M. le Contrôleur général des Finances , de l'état
actuel de la fabrication du Salpêtre en France ,
& de la diminution fenfible qu'elle a éprouvée ;
Sa Majeſté , après avoir reconnu que cet inconvénient
provenoit des défautsdu fiftême ci - devant
adopté fur cette branche d'adminiſtration , &
y avoir fait les réformes & les changemens qui
lui ont paru néceflaires , a jugé qu'il feroit encore
avantageux à fes Sujets , de faire rechercher tous
les moyens d'augmenter le produit du falpêtre
dans fon Royaume , fur- tout pour les délivrer ,
le plutôt qu'il fera poffible , de la gêne & des
torts que leur occafionnent les perquifitions , les
fouilles
FÉVRIER. 1776. 145
fouilles & démolitions que les falpêtriers ont
le droit de faire dans les habitations des particuliers
, & des abus qui en peuvent résulter.
Aucun moyen n'a paru plus propre à Sa
Majefté pour remplir les vues , que de propofer
Lur cet objet un prix au jugement de l'Académie ,
& elle l'a chargée d'en publier un programme
affez d'étaillé & aflez inftructif
pour faciliter ,
le plus qu'il fera poffible , les recherches de
ceux qui voudront concourir .
L'Académie , pour fe conformer aux intentions
du Roi, croit donc devoir faire les obfervations
fuivantes , en indiquant le fujet & les
conditions de ce prix.
Nos connoiffances actuelles fur l'origine & la
génération du falpêtre , fe réduifent à plufieurs
faits certains fur lefquels on a établi quelques
théories affez incertaines.
Il eft conftant , par l'obfervation journalière
des Chimiſtes & de tous ceux qui travaillent à
l'extraction & à la fabrication du falpêtre , que ce
fel ne fe forme ou ne fe dépofe habituellement
que dans des murs , des terres & des pierres
tendres & poreufes , qui peuvent être imprégnées
des fucs des fubftances végétales ou animales , &
fufceptibles de putréfaction ; que le falpêtre ne
commence à devenir fenfible , dans ces terres
& pierres, qu'au bout d'un certain temps , tout- àfait
indéterminé , & qu'il eft pourtant très effentiel
de connoître & d'abréger s'il eft poffible : ce
remps varie fans doute , fuivant les circonftances,
& c'eft problablement celui où la décompofition
des végétaux & des animaux a été portée
àfon. plus haut point.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On fait encore que les endroits les plus favorables
à la production du nitre , font les lieux
bas qui ne font pas trop expofés à l'action du
grand air , dans lefquels , cependant l'air a un
affez libre accès , qui font a l'ombre , à l'abri
du foleil & de la pluie , & où il règne habituellement
un peu d'humidité ; tels que font les
caves , les cuifines , les latrines , les celliers , les
granges , écuries , étables ; en un mot , tous les
endroits , toutes les pièces habitées par les hommes
& les animaux .
On s'eft affuré par l'expérience , qu'en mêlant
les fumiers , les litières des animaux , les plantes ,
même toutes feules , de quelqu'efpèce qu'elles
foient , avec des terres , fur- tout calcaires , marneufes
& limonneufes , on peut conſtruire des
murs ou des monceaux de fept à huit pieds
' d'élévation , qui , lorfqu'ils font placés dans des
lieux , tels que ceux qu'on vient d'indiquer , &
arrofés de temps en temps avec de l'urine , commencent
à fournir une quantité fenfible de falpêtre
quelque temps après leur conftruction ; que
ce falpêtre qui eft à bafe d'alkali fixe , quand il
vient des plantes, fe cryftallife à la ſurface ; qu'on
peut l'enlever par le houflage ; que fa quantité
augmente jufqu'à un certain termes qu'on peut en
retirer de cette manière , & fans lefliver les mélanges
, pendant fept ou huit ans ; & qu'enfin
on les leffive pour achever de retirer tout le
-falpêtre qui s'y eft formé ou raffemblé . C'eft de
cette manière que fe conftruifent & s'exploitent,
à ce qu'on allure , les couches ou nitriaires arti
ficielles en Suède , dans plufieurs autres pays , &
peut- être même aux Indes , dont on apporte
FÉVRIER. 1776. 147
en Europe une énorme quantité de falpêtre ,
lequel , malgré les frais du tranfport & le bénéfice
du commerce , n'eft point ici d'un plus haut
prix que celui du pays.
Au rapport des falpêtriers , les terres qu'ils
ont épuifées de nitre par les leffives , en fourniflent
une nouvelle quantité , après qu'elles ont
féjourné fous les hangards où ils les confervent
pour cet ufage ; il eft vrai qu'ils répandent fur
ces mêmes terres , les eaux- mères qu'ils obtiennent
de leurs cuites , & que ces eaux contenant
ordinairement encore une portion de falpêtre ,
& toujours du nitre à bafe terreufe , cette circonftance
répand de l'incertitude fur la production
du falpêtre dans ces terres , quoiqu'elle foit
bien d'accord, d'ailleurs, avec la génération de ce
: fel dans les couches Suédoifes . *
* Nota. Le peu de temps que l'Académie a eu pour
dreffer & publier ce Programme , ne lui a pas permis
de fe procurer , par le moyen de fes Correfpondans ,
tous les éclairciffemens qu'elle auroit defiré d'inférer
ici , fur ce qui fe pratique dans les Pays étrangers
au fujet des couches à falpêtre ou nitriaires artificielles ;
mais voici ce qu'un Citoyen ( M. de Chaumont ) qui
s'occupe avec zèle depuis un certain temps de cer objet ,
sa bien voulu lui communiquer. : *
» Les couches à falpêtre établies près de Stockholm ,
font faites en pyramides triangulaires , avec du chau-
» me , de la chaux , des cendres & des terres de pré ;
» leur bafe eft conftruite en briques pofées de champ ;
»fur cette bate eft un lit de chaume de neufpouces
» de hauteur , & fur ce chaume et pofé un lit de
» mortier fait avec de la terre de pré , de la cendre ,
de la chaux , & fuffifante quantité d'eau- mere de
falpêtre ou d'urine : les lits de chaume & de mor
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
Enfin , les analyfes des Chimiftes ont prouvé
que beaucoup de plantes, telles que la bourache,
la parrétaire , & fur-tout le grand foleil , contiennent,
fans aucune putréfaction préalable, une
quantité fouvent confidérable de falpêtre à bafe
d'alkali fixe ; on a obfervé que celles qui croiffent
tier fe fuccèdent ainfi alternativement jufqu'au fom-
>> met de la couche.
« Pour couvrir ces monceaux & les garantir de la
» pluie , on pique en terre autour d'eux des perches ,
» qu'on lie par leur extrémité fupérieure , & le rout
» eſt couvert avec de la bruyère ; on obſerve qu'il y ait
entre le monceau & fa couverture un efpace affez
grand pour qu'on puiffe les arrofer quand il convient
, & recueillir le falpêtre qui fe cryftallife à leur
furface ; l'arro fement fe fait avec des urines & des
> matières fécales , que des femmes de mauvaife viefont
» forcées d'y tranſporter.
>> Ces couches font en rapport au bout d'un an , ^&
» durent dix ans. On en détache le nitre avec des
» balais tous les huit jours , & on les arrofe , dès
» qu'elles font balayées , avec des eaux-mères étendues
» d'eau pure, quand on n'a pas affez d'eau-mère pour
arrofer complertement la couche.
» Le réfidu de ces couches au bout de dix ans
» eft un excellent engrais & très- recherché pour la cul-
» ture du chanvre & du lin.
" On conftruit auffi en Pruffe des murs de terre
» mêlée avec la vidange des latrines , & quand ils font
»falpêtres , on en retire le nître par les fexiviations &
» les cuites ordinaires, »>
Le Citoyen qui a bien voulu communiquer ces
détails à l'Académie , dit qu'il les tient du fieur Berthelin
, François , qui a conduit en Suède une Manufacture
de porcelaine , & qui eft actuellement à fa
terre pour y diriger une nitriaire à peu-près fur les
mêmes principes , mais avec quelques changemens dont
efpère de l'avantage.
FÉVRIE R. 1776. 149
au pied des murs, ou dans des terreins remplis
de fumier , en contiennent beaucoup plus que.
leurs analogues , qui ont végété dans des terres
moins nitreufes , ou contenant beaucoup
moins de matériaux du falpêtre , ce qui peutfaire
préfumer , avec beaucoup de vraisemblance ,
qu'il fe forme habituellement une grande quantité
de falpêtre fur toute la furface de la terre , par la
putréfaction des herbes , feuilles & racines qui
y reftent ensevelies , chaque année ; mais que
ce falpêtre étant emporté & difperfé par l'eau
des pluies , ne fe trouve nulle part en quantité
fenfible dans les endroits découverts , à moins
qu'il ne foit recueilli & raffemblé par des plantes
qui ont en quelque forte la vertu de le pomper.
On reconnoît que les terres & pierres font
bien falpêtrées , à leur faveur qui a quelque cho
fe de falin & de piquant : de plus , ces matières
quand le falpêtre y eft abondant , n'ont plus leur
confiftence naturelle ; elles font plus friables ,
ordinairement leur furface fe couvre d'une efflorefcence
qui fe réduit en pouffière dès qu'on y
touche , & dans certaines circonftances on y
obferve même un vrai falpêtre de houffage .
Les faits qui viennent d'être expofés , réunis
avec les procédés connus , ou faciles à connoî
tre , de l'extraction & de la purification du falpêtre
, compofent toutes nos connoiffances certaines
fur la production& l'extraction de ce fel ;
car comme on l'a déjà fait obferver , les Chimiftes
n'ont encore établi aucune théorie entièrement
fatisfaifante fur les principes de l'acide
nitreux , fur fa véritable origine & la manière
dont il fe forme.
Giij
16 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qui a été dit fur cet objet , peut fe
réduire à trois fentimens principaux.
Le premier eft celui des anciens Chimiftes :
ils penfoient que l'air de l'atmosphère, étoit le
lieu natal & le grand magazin de l'acide nitreux;
fuivant cette opinion qui a même encore des
partifans , cet acide nitreux de l'air fe dépofe
dans les terres calcaires & autres matières alkalines
, qu'il trouve à fa portée , & forme avec
elles les différentes efpèces de nitre qui fe manifeftent
dans ces matières après qu'elles ont été
expofées à l'air pendant un temps convenable.
Ceux qui adoptent ce fentiment, fe fondent principalement
fur ce qu'on ne trouve point de falpêtre
dans les terres & pierres , à moins qu'elles
n'aient éprouvé pendant long-temps l'action & .
le contact d'un air tranquille ; mais outre que
ce fait n'eft pas bien avéré , & qu'il eft un de
ceux qui demandent à être vérifiés , il eſt combattu
par un autre fait indubitable , favoir , que
les mêmes terres & pierres qui fe falpêtrent abondamment
dans les habitations des hommes &
des animaux , ne produifent point du tout de falpêtre
dans leur carrière lors même qu'elles s'y
trouvent placées de manière qu'elles foient acceffibles
à l'air , précisément comme dans les
maifons & autres lieux habités .
Le fecond fentiment eft celui de Stahl , qui
n'admettant avec Bécher qu'un feul acide primitif
, principe & origine de tous les autres , favoir
l'acide vitriolique , croit que l'acide nitreux n'eft
que cet acide univerfel , tranfmué par fon
union intime avec un principe inflammable qui fe
fépare des fubftances végétales & animales , &
FÉVRIER. 1776.
151
même de l'alkali volatil , dans la décompofition
que la putréfaction fait éprouver à toutes ces
matières. Il y a beaucoup de faits chimiques.
qui dépofent en faveur de cette opinion , comme
on peut le voir dans les ouvrages de Stahl , &
particulièrement dans les Fundamenta Chimic
dogmatico-rationalis , dans le Specimen Becherianum
, & dans le Confpectus Chimia de Jemker
, Tab. de nitro , & de acido nitri. Cependant
on ne peut pas regarder cette théorie comme
fuffifamment prouvée , parce qu'elle exigeront
un travail expérimental , fuivi d'après ces vues ,
& plus complet que tout ce qu'on a entrepris
jufqu'à préfent. On n'a fur cet objet que la differtation
du docteur Pietch , imprimée à Berlin en
1750 , & qui a remporté le prix que l'Académic
de Pruffe avoit propofé fur l'origine & la formation
du nitre. Les expériences de ce Chimifte ,.
qui font toutes en faveur du fentiment de Stahl ,
demandent néanmoins à être vérifiées , & fur - tout +
variées & multipliées.
On croit devoir ajouter ici , que Stahl avance
encore dans plufieurs endroits de fes ouvrages ,
que l'acide du fel commun peut auffi ſe tranſmuer
en acide nitreux dans certaines circonftances ; &
il eft certain qu'en différens temps plufieurs
gens à fecrets ont prétendu pofséder celui de
cette tranfmutation , & ont offert de la réaliſer ;
mais foit qu'on n'ait pas accepté leurs offres ,
foit que leurs expériences n'aient point réuffi ,
leurs propofitions ne paroiffent avoir eu aucune
fuite.
Le troifième fentiment fur l'origine du nitre , eft
eelui de M. Lémnery le fils ; il l'a expofé dans deux
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
mémoires imprimés dans le recueil de ceux de l'Académie
, pour l'année 1717. Ce Chimiſte entreprend
de prouver dans ces mémoires , que le
nitre eft un produit de la végétation ; qu'il fe
forme habituellement dans les plantes vivantes ,
d'où il paffe dans les animaux ; & que fi ce
nitre ne fe manifefte point , finon en très- petite
quantité , dans les analyfes ordinaires des fubf
tances végétales & animales , c'eft parce qu'il
cЯ embarraffé & mafqué par les autres principes
de ces mixtes , ou détruit par l'action du feu ;
mais que la putréfaction eft le moyen que la
nature emploie pour le développer & le féparer.
On peut voir les preuves que M. Lémery apporte
de fon opinion dans ces mémoires , qui méritent
d'être lûs à caufe des réflexions qu'il contiennent,
& des vues qu'il peuvent fournir : au furplus il
en eft de cette théorie , comme de celle de Stahl ,
elle demande à être confirmée par des expériences
beaucoup plus variées & plus multipliées que
celles de l'auteur .
Les trois fentimens qui viennent d'être expofés
en abrégé , renferment , comme on l'a dit , toutes
les idées théoriques que les Chimiftes on eues jufqu'à
préfent fur l'origine & la production du falpêtre.
Quoiqu'aucune d'elles ne foit affez bienétablie
pour n'être pas fujette à de grandes difficultés
, elles peuvent fervir néanmoins à fuggérer
des plans d'expérience , & à empêcher qu'on ne
travaille en quelque forte au hasard . D'ailleurs
il est très-probable , que les fuites d'expériences
dirigées d'après chacune de ces théories & tendantes
à découvrir fi elles foat bien ou mal fondées ,
répandront beaucoup de lumières fur le point de
FÉVRIER. 1776. 153
phyfique qu'il s'agit d'approfondir , quand même
ilen réfulteroit que ces théories font toutes fauffes
ou incomplettes.
Il eſt facile de connoître fi l'acide vitriolique
ou l'acide marin fe tranfmue en acide nitreux ,
par le concours des matières en putréfaction ,
fuivant l'opinion de Stahl : il ne s'agit pour cela
que de mêler avec des matières végétales & animales
, fufceptibles de putréfaction , l'un & l'autres
de ces acides féparément , foit libres , foit
engagés dans différentes bafes, en obfervant néanmoins
de les proportionner ou de les combiner de
manière qu'ils ne puiffent retarder fenfiblement
la fermentation putride . Il fera à propos de
laifler ces mélanges en expérience dans un lieu
tel que ceux que l'obfervation a fait reconnoître
comme les plus favorables à la génération du
falpêtre , & de mettre de plus dans le même lieu
d'autres mélanges qui ne différeront des premiers
, qu'en ce qu'on n'y aura ajouté ni acide
vitriolique , ni acide matin , ces derniers devant
fervir de comparaison.
Și l'on a fait entrer en même temps dans plufieurs
de ces mélanges une affez grande quantité
de terres calcaires ou marneufes , bien exemptes
de falpêtre , comme cela paroît affez convenable
en ce que ces terres accélèrent la putréfaction ;
il est bien certain qu'avec le temps , il fe fera
formé du falpêtre dans tous ces mélanges : mais
s'il y a eu en effet tranfmutation des acides
vitriolique ou marin en acide nitreux , cela
fera démontré par la quantité de falpêtre qu'on
obtiendra de chacune des matières mifes en
expérience , & qui , dans ce cas , doit être plus
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
grande dans celle où ces acides auront été
ajoutés , & ne doit pas être plus contidérable
dans les autres.
Des expériences de ce genre , faites comme
il convient , feront d'anrant plus avantageufes ,'
qu'elles pourront fervir en même temps à fe
décider fur le fentiment de Lémery' , qui adinet
la préexiſtence du falpêtre dans les végétaux
& les animaux , & fon dégagement par la putréfaction
. Mais comme il eft de la plus grande importance
de prévoir tout ce qui pourroit induire
en erreur fur le réſultat des expériences , c'eftà
- dire fur les quantités de falpêtre qu'on pourra
obtenir dans ces procédés ; il fera abſolument
néceffaire de garantir les mélanges , ou du
moins une portion notable de chacun d'eux ,
du
contact immédiat des murs , & même du fol du
lieu où il feront placés : fans quoi le falpêtre qui
doit naturellement le former dans ces mêmes
endroits , indépendamment de toute addition ,
répandroit immanquablement beaucoup d'incer
titude fur le produit réel de celui qui pourroit
s'être formé dans les mélanges mis en expérience
.
A l'égard de l'influence de l'air dans la production
du falpêtre , c'eft encore un objet ellentiel
, & auquel on ne peut fe difpenfer de donner
la plus grande attention . Il paroît démontré , à
la vérité , contre le fentiment des Anciens , que
l'air n'eft point le réceptacle ni le véhicule de
l'acide nitreux tout formé ; mais il eft vraiſemblable
qu'il contribue directement ou indireetement
à la production de cet acide. On fair
que le concours de l'air favorife & accélère la
FÉVRIER. 1776. 155
putréfaction ; & quand il n'y auroit que cette
circonftance , il en réſulteroit que fon influence
n'eſt point indifférente pour la production de
l'acide nitreux : mais , indépendamment de cette
circonstance , il est très- poffible que l'air entre
lui-même comme partie conftituante dans la
compofition de cet acide , ou qu'il fourniffe
quelque fubftance gazeuse , ou autre , qui , fans
être de l'acide nitreux , fe trouveroir cependant
un des ingrédiens néceffaires à fa mixtion .
Ces confidérations fuffifent pour faire fentir
combien il importe de déterminer fi l'air contribue
ou ne contribue point à la génération du falpêtre
; & , en cas qu'il y influe , en quoi , & jufqu'à
quel point fon concours eft néceffaite à certe
opération. Cette circonftance introduit dans les
recherches qu'il convient de faire , une nouvelle
fuite d'expériences toutes dirigées vers l'action
de l'air. On ne les indique ici qu'en général ,
parce qu'elles font faciles à imaginer , & qu'elles
ne peuvent manquer de fe préfenter d'ellesmêmes
à ceux qui voudront s'occuper de ces travaux.
Après cet expofé des connoiffances actuelles
fur l'origine & la production du falpêtre , l'Académie
annonce que le fujet du prix qu'elle propofe
eft de trouver les moyens les plus prompts & les
"plus économiques de procurer en France une production
& une récolte de falpêtre plus abondantes
que celles qu'on obtient préfentement , &fur- tout
qui puiffent difpenfer des recherches que les falpêtriers
ont le droit de faire dans les maifons des
particuliers.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Elle exige que ceux qui enverront des mémoires
expofent leurs procédés avec toute la
clarté & tous les détails néceffaires , pour qu'on
puiffe les vérifier fans aucune incertitude
comme l'Académie fe propoſe de le faire : elle
déclare que le prix fera adjugé à celui qui aura
indiqué le procédé le plus avantageux pour la
promptitude , l'économie & l'abondance du produit
, indépendamment de toute autre confidération
; & quand même ce procédé réſulteroit
uniquement d'une application heureuſe des ob-
Tervations & des pratiques déjà connues , il fera
préféré aux plus belles découvertes dont on ne
pourroit pas tirer auffi promptement la même
utilité.
Ce prix fera de 4000 livres , & fera proclamé
à l'Affemblée publique de Pâques 1778. Les
mémoires ne feront admis pour le concours que
jufqu'au 1er. Avril 1777 , inclufivement ; mais
l'Académie recevra jufqu'au dernier Décembre de
la même année les fupplémens & les éclairciſſemens
que voudrout envoyer les Auteurs des
mémoires qui lui feront parvenus dans le temps
prefcrit.
Outre le prix de 4000 livres , il Y aura auffi
deux Acceffit , le premier de 1200 livres , & le
fecond de 800 livres .
Les Savans & les Artistes de toutes les Nations
font invités à concourir au prix , & même les
Affociers - Etrangers de l'Académie ; les feuls Académiciens
régnicoles en font exclus.
Les mémoires feront écrits fiblement en
François ou en latin,
FÉVRIER. 1776. 125
Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs
ouvrages , mais feulement une fentence ou
devife; ils pourront , s'ils le veulent , attacher à
leur mémoire un billet féparé & cacheté par eux,
qui contiendra avec la même ſentence ou deviſe
leurs noms , leurs qualités & leur adreffe : ce
billet ne fera ouvert fans le confentement de
l'Auteur qu'au cas que la pièce ait remporté le
prix , ou un des deux Acceffit.
Les
ouvrages deftinés pour le concours feront
adreflés à Paris au Secrétaire
perpétuel de l'Académie
, ou bien les Auteurs les feront remettre
entre fes mains . Dans ce fecond cas le Secrétaire
en donnera en même-temps , à celui qui les lui
aura remis , fon récépiflé , où feront marqués
la fentence de l'ouvrage & fon numero , felon
l'ordre ou le temps dans lequel il aura été reçu.
S'il y aun récépiffé du Secrétaire pour la pièce
qui aura remporté le prix , le Tréforier de
l'Académie délivrera la femme du Prix à celui
qui rapportera ce récépiffé ; il n'y aura à cela
-mulle autre formalité.
S'il n'y a pas de récépiffé du Secrétaire , le
Tréforier ne délivrera le prix qu'à l'Auteur
même qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part .
158 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
continue les repréfentations d'Adèle de
Ponthieu , Tragédie lyrique en cinq
actes.
On a remis le vendredi 26 Janvier ,
au Théâtre , le Ballet de Médée & Jaſon .
Ce Ballet Dramatique , de la compofition
de M. Veftris , a eu le plus grand
fuccès . L'inconftance de Jafon qui abandonne
Médée pour époufer Créufe , fes
nouvelles amours , le dépit de Médée ,
les efforts qu'elle fait pour réveiller la tendreffe
de fon époux infidèle , en lui préfentant
les enfans ; les fureurs de cette
femme jaloufe , fes enchantemens , les
fêtes du mariage de Créufe , la réconciliation
infidieufe que Médée paroît
faire avec fa rivale , les préfens empoiſonnés
qu'elle lui donne ; les tourmens & la
mort de Créufe , le défefpoir de Jafon ,
les furies qui l'agitent , la rage infultante
de Médée enlevée dans un char traîFEVRIER
. 1776. 159.
né par des dragons ; le meurtre de fes
enfans qu'elle poignarde à la vue de leur
père ; une pluie de feu & l'embrafement
du Palais ; toute cette action & ce fpectacle
produifent le plus grand effet . Mais
ce qui eft plus admirable , c'eſt le talent
de Mademoiſelle Heynel , pour exprimer
l'énergie des paffions & des fentimens
les plus contraires ; fa danfe , fes geſtes ,
fes attitudes , les traits de fon viſage
font un tableau rapide & impofant , dont
les Spectateurs font émus & tranfportés ,
tant et puiffant l'art de la pantomime ,
quand l'exécution en eft précife & naturelle.
Mademoiſelle Heynel eft parfai
tement fecondée dans ce Ballet par M :
Veftris , qui repréfente avec force le
rôle de Jafon , par Mademoiſelle Guimard
jouant avec beaucoup de fenfibilité
le rôle de Créufe , par M. Gardel , & par
d'autres , qui font non - feulement excellens
Danfeurs , mais encore Acteurs &
pantomimes admirables.
L'Académie doit encore reprendre inceffamment
Iphigénie en Aulide , Tragé
die lyrique de M. le Chevalier Gluck.
160 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LES Comédiens François doivent jouer,
inceflamment Lorédan , Tragédie en
quatre actes de M. de Fontanelle .
COMÉDIE ITALIENNE.
Олаa donné à ce Théâtre quelques
repréſentations de la repriſe de l'Amitié
à l'épreuve , Comédie réduite en un acte ;
paroles de M. Favart , mufique de M.
Grétry .
Cette Comédie , dont nous avons
rendu compte dans fa nouveauté , a paru
bien écrite & très - intéreflante. La mufique
a fait le plus grand plaifir ; l'hymne
en trio à l'amitié eft de l'expreffion la
plustouchante . Madame Trial , Madame
Billionni , M. Clairval , en rempliffeot
les. rôles à certe repriſe avec beaucoup
d'intelligence & de fenfibilité.
On doit aufli remettre à ce Théâtre
La Faule Magie, Comédie en deux actes ,
.
FEVRIER. 1776. 160
avec quelques changemens dans les paroles
, & une augmentation dans la mufique.
Les Comédiens fe difpofent à donner
le Faux Lord , Comédie mêlée d'ariettes.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Coftumes des anciens peuples ; par M.
d'André Bardon , Profeffeur de l'Académie
Royale de peinture & de fculpture.
Vingt feptième & vingt- huitième
cahiers de la feconde Partie in 4° . A
Paris , chez Cellot , Imprimeur ; &
Jombert , Libraire , rue Dauphine.
CES derniers cahiers , compofés chacun
de douze planches comme les précédens ,
nous préfentent les ufages civils & militaires
des Scythes , des Amazones , des
Parthes , Daces , Sarmates & autres penples
, tant Orientaux qu'Occidentaux.
•
162 MERCURE DE FRANCE.
Comme ces différens peuples ont été
très nombreux , & qu'ils ont été vêtus.
& armés à peu près de la même manière
, le favant Profeffeur ne fait mention
que des plus renommés , dont les
armures & les accoutremens préfentent
quelques fingularités diftinctives . On obfervera
encore que plufieurs de ces Nations
n'étant parvenues à notre connoiffance
que par les guerres qu'elles ont
faires ou effuyées , il n'a pas été poffible
de préfenter dans la gravure différens
monumens de leurs ufages religieux ou
domeftiques. M. d'A. cependant a fuppléé
autant qu'il lui a été poffible , à ces
monumens par les récits de quelques
Hiftoriens , qui pouvoient être relatifs
à ces ufages .
I I.
Agar préfentée à Abraham par Sara ;
eftampe d'environ dix - huit pouces de
large , fur quinze de haut , gravée
par J. G. Wille , Graveur du Roi ,
de S. M. Impériale & Royale , & de .
S. M. le Roi du Dannemarck , d'après
le tableau original de C, W. E. Die-..
tricy , Peintre de la Cour Electorale
FÉVRIER. 1776. 1776. 163 L
de Saxe ; prix , 16 liv. A Paris , chez
l'Auteur , quai des Auguftins .
-
Cette eftampe très intéreffante par
l'agréable difpofition du fujet , la beauté
des expreffions & la richeffe des acceffoires
, l'eft encore par la fupériorité de
l'exécution . Où trouver un burin plus
pur , plus fouple & dont les travaux
foient variés avec plus d'harmonie &
d'intelligence On peut même regarder
cette nouvelle gravure comme le chefd'oeuvre
du burin de M. Wille , dont les
différentes productions ne font pas moins
d'honneur à l'art même qu'à l'Artiste.
II I.
La Mère Indulgente. Cette eftampe
environ feize pouces de hauteur & douze
de largeur ; elle eft gravée avec beaucoup
de foin & de talent , par l'Empereur
d'après un tableau de Wille. Elle
eft dédiée à M. le Comte de la Billatderie
d'Angiviler ; & elle fe trouve chez
l'Empereur , Graveur du Roi & de LL..
MM . Impériales & Royale , rue & porte
Saint Jacques , au- deffus du Petit ,
Marché.
164 MERCURE DE FRANCE.
f
I V.
Portrait en médaillon de Madame Louife-
Marie de France , Prieure des Religieufes
Carmelites de Saint Denis , deffiné par
C. Monnet d'après le bufte , fait par J.
B. Lemoine , Sculpteur du Roi , & gravé
pår J. B. Bradel. Ce Portrait eft dédié
& a été préſenté à Madame Victoire de
France. A Paris , chez Bradel , rue des
Sept-Voies , au Collège de Forter.
V.
M. David , Graveur , rue des Noyers ,
au coin de celle des Anglois , à Paris ,
annonce qu'il termine chez M. le Duc
de Praflin , la gravure du fuperbe tableau
peint par M. Leprince , Peintre du Roi ,
faifant partie de la précieufe collection
du cabinet de M. le Duc de Praflin.
Le fujet repréfente une mère , qui ,
n'étant point la confidente de fa fille ,
la croit malade , parce qu'elle ignore
qu'elle a de l'amour. On a fait venir un
Empirique pour le confulter; pendant qu'il
examine avec gravité l'arine , & que la
mère le regarde avec une attention mêlée
FÉVRIER. 1776. 165
d'inquiétude , la feinte malade faifit cet
inftant pour donner fa main à baifer à
fon amant , qu'une fervante a fait cacher
dans la ruelle. Cette fervante qui connoît
toute l'intrigue , rit de l'ignorante
fécurité du Charlatan.
Les amateurs fe rappelleront d'avoir
vu au falon du Louvre , en 1771 , ce
tableau qui réuniffoit dans toutes les parties
, tout ce que l'on avoit droit d'auten
dre de ce célèbre Artifte .
L'on doit à la protection que M. le
Duc de Praflin accorde aux arrs , l'eftampe
qui va paroître : le jeune Artiſte ,
qui en eft honoré , eft déjà connu par
plufieurs Ouvrages , & réunit en ſa faveur
les fuffrages , lorfque le Marché aux herbes
-d'Amfterdam fut mis au jour , quoique
giavé d'après une copie ; & l'on a tout
lieu d'efpérer que la gravure qu'il annonce
, faite d'après le tableau original ,
feta une eftampe précieule dans tous les
-détails. Gette eftampe a vingt deux pou-
-ces de largeur , fur dix fept de hauteur ,
-& fera délivrée , le premier Avril , au
prix de 16 liv. Chez l'Auteur , rue des
Noyers , au coin de celle des Anglois .
M. David avertit que s'il y a quel-
-qu'un de MM. les Amateurs qui deſi166
MERCURE DE FRANCE.
re avoir des premières épreuves avant
la lettre , on lui écrive franc de port
avant le 15 Mars , afin qu'il puiffe faire
imprimer le nombre jufte des épreuves
retenues. Ses intentions étant de n'en point
faire , ces premières épreuves feront délivrées
le 20 Mars.
L'on trouve chez l'Auteur l'agréable
Défordre , & la Promeffe du retour , deux
eftampes faifant pendant ; prix chacune ,
2 liv. 8 fols.
V I.
Le fieur Feffard , Graveur du Roi ,
de fa bibliothèque ordinaire , de fon
cabinet & de l'Académie Royale de Parme
, prie les perfonnes qui ont les premiers
volumes des Fables de la Fontaine ,
de vouloir bien faire retirer chez lui , ou
aux adreffes ci -deffous , les volumes de
la fuite ; parce qu'il ne lui feroit pas pof-
-fible , pallé les fix mois de cet avertiflement
, de leur fournir les épreuves comme
il le defiteroit. Ceux qui fe preſenteront
après le temps , n'auront rien à
lui reprocher , s'il ne les fournit pas comme
-il l'auroit fouhaité , la Province & le
pays étranger lui ea confommant beauFÉVRIER
. 1776. 167
coup depuis la confection des fix volumes.
Il avertit aufli que des Marchands ont
annoncé une édition en fix vol , en papier
de France des mêmes Fables de la
Fontaine au prix de 48 liv. les fix volumes.
Ils auroient dû dire , pour ne pas
tromper le public , que c'étoit un nombre
d'exemplaires effectivement en papier
de France , qu'ils ne tenoient pas du fieur
Fellart qui ne s'en eft défait qu'à des
perfonnes qui ne font nullement dans la
Librairie , ces exemplaires n'étant bons
que pour des écoliers : enfin plufieurs perfonnes
font venues chez le Geur Feflard
pour approfondir le fait , & ils ont vu
la vérité que ledit fieur Feffard a grand
intérêt de faire connoître au public. Les
fix volumes fe vendent toujours 108 liv.
fur le plus beau papier d'Hollande .
1 profite de cet avis pour dire qu'il
travaille à la Pfyché , à une Henriade
& à faire un volume de choix des Contes
de la Fontaine qui fera précédé de l'éloge
qu'en a fait M. de Champfort : il va
fuivre ces Ouvrages avec tout le foin
poffible , n'étant pas pourfuivi par aucun
engagement de foufcription : par ce
moyen , il fe trouvera le maître de faire
tous les efforts pour porter ces Ouvrages
168 MERCURE DE FRANCE.
au degré le plus haut qu'un Artiſte puiſſe
atteindre. Si pourtant les perfonnes qui
veulent avoir les premières épreuves
fouhaitent de fe faire infcrite , elles le
pourront , ainfi que pour les exemplaires
des Fables : chez Fellard , rue Saint-
Honoré ; chez M. Rougeot , Fermier-
Général , près Saint Roch ; Durand
neveu , Libraire , rue Galande Place
Maubert ; Coftard , Libraire , rue Saint-
Jean de - Beauvais ; Brunet , Libraire &
Marchand de papier , rue des Ecrivains,
Cloître Saint Jacques de la Boucherie.
LE
·
MUSIQUE.
I.
>
E Plaifir de la Campagne , Ariette
nouvelle , a corno principale, violino primo
è fecondo , baffe , oboe & cors ad libitum
, dédiée à Madame la Comtefle
Augufte de la Marck , mife en Mufique
par M. Pérelard le jeune , Maître de
chant , prix 2 liv . 8 fols ; à Valenciennes,
chez l'Auteur , à Paris , aux adreſſes ordinaires.
Cette
FEVRIER. 1776. 169
Cette Ariette eft d'un chant agréable
& d'une exécution facile.
I I.
Ter. Recueil de petits Airs pour le Clavecin
ou Piano - Forté , compofé par M.
N. J. Hullmandel , OEuvre 2º. A Paris
chez l'Auteur , rue Baffe > porte faint
Denis , au coin du cul de fac faint I aurent;
& aux ad effes ordinaires de Mufique
, où l'on trouve aufli un premier
Euvre de fix fonates avec accompagnement
de violon , ad libitum , du même
Auteur.
I I I.
XXXe. Livre de Guitarre , contenant
des Airs d'Opéra comiques & autres ,
avec des accompagnemens d'un nouveau
goût , des préludes & des ritournelles ,
par M. Merchi , OEuvre XXXIV , prix
7 liv . 4 fols . A Paris chez l'Auteur , rue
Saint Thomas du Louvre , en entrant
du côté du Château d'Eau , à côté de
M. Godin , & aux adreffes ordinaires de
Mufique ; à Lyon chez Caftaud , Place
de la Comédie .
H
170 MERCURE DE FRANCE.
1 V.
Profpectus.
On propofe à Meffieurs les Amateurs ,
un Abonnement de vingt Simphonies
concertantes , de la compofition de del
Seig. CAMBINI. L'avantage qu'on en retirera
, joint à la bonté des Ouvrages de
cet Auteur, engagera fans peine Meffieurs
les Amateurs à y foufcrire. La Soufcrip
tion fera ouverte jufqu'au premier Mars
1776 , tems auquel on délivrera la première
Simphonie ; les autres fuivront fuc
ceffivement de mois en mois ; elle fera
marquée du n° . 5 ; les quatre premières
étant déjà gravées , elles ne feront point
compriſes.
Le prix de l'Abonnement eft de 60
liv. pour
les vingt Simphonies . Les perfonnes
qui ne feront point abonnées
payeront féparément chaque Simphonie
liv. 4 fols. 4
L'on ne fouferit que chez Madame
BERAULT , Marchande de Muſique , à
Paris , rue de la Comédie Françoiſe , au
Dieu de l'Harmonie,
FÉVRIER. 1776. 177
GNOMONIQUE.
CADRANS folaires verticaux , tranſparens
fur les glaces & verres de Bohême , conftraits
fur des piédeftaux portatifs , avec
des bouffoles pour les placer à la Méridienne
, ou fans bouffole , en marquant
une fois leur place.
D'autres pour pofer aux carreaux de
vitre des appartemens , fuivant toutes les
pofitions , déclinaifons & latitudes.
• Par cette nouvelle & charmante invention
, on peut , fans fortir de fa chambre ,
voir à quelque heure du jour que ce foit ,
l'heure qu'il eft au foleil , & régler fa
montre & fa pendule avec toute la précifion
requife. C'eft ce qui rend ces Cadrans
extrêmement utiles , commodes &
agréables pour la Ville & pour la campagne.
Ils fervent auffi d'ornement fur
une cheminée , ou fur une commode &
à la croifée .
L'Auteur en trace fur tous les plans ,
tant en peinture fur les murs , que fur
le marbre , le cuivre , & de toutes manières
& grandeurs différentes , & dans
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
toute forte d'élégance , d'agrément & de
boo goût.
Le fieur Rouffeau , Auteur de ces nouveaux
Cadrans , demeure rue faint Victor
, vis à vis le Cardinal le Moine , à
éôté du Serrurier , au premier , au fond de
la Cour.
On peut voir quelques - uns de fes
Cadrans chez Monfieur & Mademoiſelle
de Saint Marcel , au jour & heure de
leur Concert , du mardi de chaque femaine
, dans le Cloître faint Benoît , la
deuxième porte cochère à gauche . Les
Connoiffeurs , & toutes Perfonnes honnêtes
& de bon goût y feront bien reçus.
Prospectus du nouveau Cabeſtan , approuvé
avec éloge par l'Académie Royale des
Sciences qui l'a reconnu fupérieur à ceux
qui ont remporté le Prix en 1739 & em
1741 , dansfon Certificat dont la teneur
fuit.
Extrait des registres de l'Académie des Sciences
du 24 Avril 1771.
Nous ous avons examiné , par ordre de
l'Académie , diverfes Machines où InFÉVRIER.
1776. 173
>
ventions préfentées par M. JEAN
ARNOUX , Méchanicien du Dauphiné ;
entre autres , un Cabeftan deſtiné à empêcher
que la corde ou le cable ne chevauche
, & qu'on ne foit obliger de choquer.
( Suit la defcription des pièces qui le com
pofent. )
Dans les huit pièces qui furent préfentées
à l'Académie pour le prix de
1739 & 1741 , il n'y en a aucune où
l'on ait employé cette méthode , quoique
naturelle & utile . Les Cabeftans à fufée
de M. de Pontis n'avoient pas le même
avantage , & c.
Nous croyons donc que ces différentes
inventions de M. Ainoux annoncent
du talent ; qu'elles font utiles & qu'elles
méritent l'approbation de l'Académie
Royale des Sciences. Le 24 Avril 1771 .
Signé , DE LA LANDE & DE FOUCHY.
Et plus bas : je certifie l'extrait ci - deffus
conforme à l'original & au jugement de
P'Académie. A Paris , les jour & an que
deffus. Signé , GRANDJEAN DE FOUCHY ,
Secrétaire perpétuel , & c.
Le Cabeftan eft une machine d'une
utilité fi commuue & fi univerfellement
reconnue , même dans l'état d'imperfecation
où il est resté jufqu'à préfent , que
Hiij
374 MERCURE DE FRANCE .
T'annonce de fa plus grande perfection
poffible ne fauroit manquer d'être accueil
lie le plus favorablement par le Public,
Sans le Cabeftan comment mouvois
ces fardeaux énormes fur lefquels la force
des hommes & des chevaux n'a pas la
commodité d'agir ? Faciliter fon opération
, la rendre non feulement plus sûre ,
mais conftamment infaillible ? C'étoit
donc rendre à la Méchanique le plus im
portant fervice. M. Arnoux en a reçu la
premiere récompenfe de l'Académie
dans l'approbation qu'on vient de lire.
Le Souverain l'a gratifié de la feconde
en lui accordant à cet effet un Privilége
exclufif pendant quinze années , duement
enregistré au Parlement de Paris . Ce Privilége
fait défenfes à toutes perfonnes ,
de quelque qualité & condition qu'elles
foient , de contrefaire , vendre , ni débiter
le Cabeftan de M. Arnoux , à peine
de dix mille livres d'amende , applicables
un tiers au Roi , un tiers à l'Hôpital
le plus voifin du lieu du délit , &
un tiers à lui ou à fes repréfentans , avec
confifcation des outils & matériaux.
L'Auteur fe propofe ici de donner une
idée fommaire , mais claire & exacte des
principaux avantages de fon Cabeſtan. ,
FÉVRIE R. 1776. 175
19. La conftruction en eft auffi fimple
que facile.
29. Son ufage eft auffi commode de
loin que de près ; il ne choque point &
ne s'engorge jamais : deux inconvéniens
confidérables des anciens Cabeftans , dont
celui-ci eft abfolument préfervé dans
tous les cas , avec une force moindre
ou plus confidérable , & à des diftances
plus ou moins grandes.
Pour obtenir un effet égal , on y
employera moitié moins d'hommes & de
cordages .
4. Sa force furpaflera , fans aucune
comparaifon , celle des anciens Cabef
tans .
5º. On pourra multiplies cette force
aurant qu'il fera néceffaire , en augmentant
le nombre des Cabeftans & des
hommes. Ces différens Cabeftans employés
en même tems ne fe nuiront jamais
entre eux , & leur effet réuni fe
siendra toujours dans le plus parfait
accord .
6º. On transportera le Cabeftan partout
aifément , & on le placera où l'on
voudra avec la même facilité , fans rien
diminuer de fon action.
7. Employé au lieu de crie , machine
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE,
› or linaire très - connue fon opération
fera auffi prompte & auffi sûre que celle
du cric eft lente & dangereufe pour:
agens.
2
fes
8. A quelque diftance du fardeau
que le Cabeftan fe trouve placé , fa force
fera toujours la même , à la feule déduc
tion du poids de la corde ou cable.
9°. Que le Cabeftan foit placé en bas
ou en haut , fur on plan horizontal ou
incliné , il tire également le fardeau , &
avec la même force ; ce qui le rend prodigieufement
utile pour tous les travaux des
Digues , Jetées , Fortifications , & c. & c.
& généralement pour toutes les conftructions
ou démolitions poffibles .
10°. On peut dans tous les cas laiffer
couler le fardeau jufqu'au point de fon
repos , fans craindre fa chûte & fans le
moindre danger pour les hommes .
A l'égard de l'utilité de fon ufage,
elle embrafle tant d'objets , qu'il fuffit
d'en fixer ici les principaux en général ,
tant fur terre que fur mer.
Avantages fur Terre.
1 °. Le nouveau Cabeftan facilitera
fingulièrement l'exploitation des forêts.
FÉVRIER. 1776. 177
L'impoffibilité de pratiquer des chemins ,
l'ingratitude de la fituation entre des
rochers ou dans des abîmes , ne feront
plus un obftacle à l'extraction des arbres
les plus précieux pour la Marine &
pour toute autre conſtruction.
2º. Dans toute conftruction ou démolition
poffible d'édifices & fortifications ,
de digues & de jetées , les plus groffes
pièces de charpente , des pierres , des arbres
énormes pourront être placés ou enlevés
aifément & fans aucuns rifques à
quelque hauteur ou profondeur que ce.
puifle être.
3º. On tirera le plus facilement des
carrières & des mines les plus profondes
toutes les matières , les eaux , les blocs
de marbre , les meules , les pierres de
taille , &c. & c . Le chargement & le
tranfport de tous ces objets en fera par
conféquent d'autant plus facile.
4. Enfin on tranfportera les plus
groffes pièces d'artillerie dans les endroits
les plus difficiles & l'on pourra les
placer par - tout où elles feront jugées
néceffaires.
Avantages particuliers pour la Marine.
1º. Dans la conftruction des vailleaux
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
il fervira à placer facilement les plus
groffes pièces.
2. A charger ou décharger avec la
même facilité les fardeaux les plus con-
Adérables.
3 °. Pour tendre ou lâcher les voiles
felon le befoin , avec autant de promptitude
que de sûreté .
4. Pour empêcher les vaiffeaux , en
cas de tempête , de fe brifer contre le
rocher ou d'échouer à terre.
5°. Pour les tirer , ainfi que les ancres
, ou toute autre chofe , du fond de
la mer.
6°. Il facilitera la manoeuvre néceffaire
pour visiter les vaiffeaux jufqu'à la quille,
les calfater & regaudronner.
Les perfonnes qui defireront faire l'acquifition
du nouveau Cabeftan , & d'une
portion du Privilége , pour s'en fervir avec
les mêmes droits & prérogatives pendant
fa durée , dans tout Port de mer ou
autre endroit du Royaume à leur convenance,
s'adrefferont , ainfi que les étrangers
, à Paris , à M Arnoux , Ingénieur-
Méchanicien , Privilégié du Roi , & Com
pagnie , ou à la Manufacture Royale à la
Râpée ; on leur donnera tous les éclaireiffemens
& inftructions néceffaires pour
FÉVRIER. 1776. x177%2
faire produire à fon Cabeſtan tous les
effets annoncés ; elles pafferont enfuite
avec lui & fa Compagnie devant Notaires
tous traités & conventions relatifs à
Fobjet précis qu'elles fe propoferont d'ac
quérir , fuivant Fétendue on arrondiffement
du territoire qu'elles voudront
choifir.
Les Etrangers qui auront deffein da
fe procurer le Cabeftan , n'auront pas
befoin de paffer d'actes ; ils le feront
acheter parleurs Banquiers ou Correfpondans
, qui le payeront en argent ou en
effets de commerce.
Miner
CHIRURGIE.
LA mort de M. Gendron , Chirurgien-
Oculifte , nous donne occafion d'annoncer
au Public que M. Deshaies Gendron ,
Médecin du Grand Confeil , demeurant
àl'Hôtel de la Vallière , rue du Bacg ,
eſt le feul dépofitaire de tous les Ouvrages
manufcrits de feu fon Oncle Gendron
, Médecin de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , & de l'Abbé Gendron ; qu'il
a puifé les principes de fon Art fous les
H vj
a8o MERCURE DE FRANCE.
yeux d'auffi habiles Maîtres , ce qui lui
a accordé de la part du feu Roi , la permiffion
de joindre à fon nom de Deshaies:
le nom de Gendron , par Lettres : Patentes
enregistrées au Parlement le 5 Décembre
775 en conféquence , il s'empreffera
de procurer fes fecours aux perfonnes
affectées de maladies des yeux qui voudront
bien lui donner leur confiance.
COURS DE LANGUE ALLEMANDE.
Le fieur Friedel , qui a commencé l'année
paffée à enfeigner avec fuccès la Langue
Allemande , qui devient de jour en
jour plus utile & néceffaire à la Nation
Françoife, continuera , non -feulement fes
Leçons en Ville , mais il commencera
auffi au mois de Février un Cours de
Langue Allemande. Les perfonnes qui
voudront prendre des arrangemens avec
lui , le trouveront tous les jours , de midi :
à deux heures , chez lui , rue Dauphine
près celle de faint André des Arts , au
Café de Butli , chez Mde Monmayeux .
FÉVRIER. 1776 . 18 i
REPONSE de M. de Voltaire à l'Auteur
du Philofophe fans prétention , qui
lui a envoyéfon Ouvrage.
29 Décembre 1775, au Château de Ferney.
Le Malade de Ferney , qui n'a d'autre prétention
, à l'âge de quatre - vingt deux ans , que celle
de mourir en paix , remercie très - fenfiblement le
Philofophe fans prétention , qui lui a fait l'honneur
de lui envoyer fon livre. Si l'Auteur n'a pas
eu la prétention de plaire , il a été directement
contre fon bur. Le vieux Malade eft pénétré de
reconnaiflance pour le Philofophe qui lui a fait
un préfent fi agréable . Il a l'honneur d'être , avec
tous les fentimens qu'il lui doit , fon très-humble
& très - obéiffant ferviteur.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , &c.
I.
A
UN Artifte Saxon , nommé Dubin , a
inventé une machine propre à rafraîchir
les appartemens pendant les grandes cha182
MERCURE DE FRANCE.
leurs de l'été ; l'effet de cette machine
eft beaucoup plus sûr & plus prompt
que celui de toute autre machine myentée
pour le même ufage..
Į L.
M. Farrel a conftruit une machine ,
dont l'ufage eft de fauver les perfonnes
furpriſes dans les maifons par des incendies
. Par ce fecours , on monte &
l'on defcend avec autant de célérité que
de facilité. La machine peut contenir
plufieurs enfans,
IIL
On a effayé , fur la route d'Ipfwich
en Angleterre , un inftrument qui applanit
& baille les bords des chemins , de
manière à faire bomber le milieu . Le
fuccès a furpallé toute attente. Cette
machine fait plus d'ouvrage que n'en
feroient cinquante hommes .
I V.
M. Hide , Anglois , établi à la Cha
rité fur- Loire , vient de conftruire dans
cette ville , pne forge , où il fait du fer
FÉVRIER. 1776. 183
parfaitement rond de toutes grolleurs ,
depuis cinq lignes . Ce fer elt de la plus
grande beauté , & tel que la ligne me
peut en procurer de femblable . Il eft
poli & bronzé de manière qu'on le
croiroit verni . Ce fer eft bon pour efpagnolettes
, tringles de lit & de croiſée ,
&c. qui fe trouvent ainfi toutes faites ,
en fortant de la forge, Comme ces dernières
font percées à froid & pour toute
forte de croifées , iill eenn résulte que les
boats n'augmentent point de grofleur ,
comme les bouts de celles qui font percées
à chaud ; & qu'en s'allontiffans d'anneaux
de rideaux , proportionnés aux
tringles , & juftes , les rideaux ferment
exactement & ne laiffent point de paffage
au foleil ; inconvénient très - fréquent
lorfqu'on fe fert de teingles ordinaires
avec lesquelles il faut employer des.
anneaux proportionnés à la groffeur des
bouts de ces tringles , & qui par - là ont,
trop de jeu lorfqu'ils les parcourent.
V.
Le fieur Bouffey , Docteur en Médecine
à Argentan , annonce un moyen
sûr , facile & peu coûteux , de conferver
184 MERCURE DE FRANCE.
le poiffon frais , & d'en faciliter l'exportation
loin de la mer ; mais il attend ,
dit-il , pour rendre fa méthode publique
, le réſultat de quelques expériences
qui lui ont encore paru néceffaires , afin
de ne rien lailler à defirer fur cet objet
important pour le commerce.
V I.
à
On fe fert depuis quelque temps
Liége , & dans plufieurs autres endroits ,
d'une nouvelle méthode économique &
durable de dorer , fans or , lés fambris ,
cadres de tableaux , bordures d'eftampes ,"
voitures , & c. en employant du cuivre.
Il est vrai que cette dorure , beaucoup
plus durable que celle dont on s'étoit fervi
jufqu'à préfent , eft moins brillante en fortant
des mains de l'Ouvrier ; mais au bout
d'un an tout au plus , on n'y remarque
aucune différence d'avec celle dans laquelle
on a employé de l'or.
FÉVRIER. 1776. 185
BIENFAISANCE.
I.
UN Prêtre refpectable , qui , pendant
une longue fuite d'années a été à la
tête d'une Paroifle , a donné l'exemple
de toutes les vertus aux ouailles qui
lui étoient confiées , & un grand modèle
à fuivre aux Eccléfiaftiques qui remplif
fent de pareilles places . Le fieur Mongodin
, né de parens pauvres , mais d'une
condition honnête , embraffa l'état Eccléfiaftique
, & y porta les lumières & les
vertus convenables . Après s'être diftingué
pendant fon Vicariar par des actes de
bienfaifance & un zèle infatigable , it
fut , à la demande , & au voeu unanime
de toute la Paroiffe , nommé Recteur ,
ou Curé de Saint Aubin , dans la ville
de Rennes . Il trouva un écu de rente
fondée pour les pauvres ; & à fa mort ,
arrivée vingt ans après , il en a laiflé une
d'environ 700 liv . , conftituée en leur
faveur. La bienfaifance , l'aumône & la
concorde , étoient le texte ordinaire de
186 MERCURE DE FRANCE.
fes fermons : c'eft en chaire feulement
qu'il recommandoit la chatité , & qu'il
intéreffoit en faveur des malheureux : hors
de là , il ne réclamoit point. Il ne permit
jamais qu'on fît des quêtes dans fa Paroifle
pour les pauvres ; & lorfque. Le
Parlement permit à celles de Rennes de
faire des emprunts , il ne confentia point
que la Genne en fit : il pourvut lui même
à fes befoins ; fes dixmes y furent em
ployées . « Mon revenu , difoit il , appartient
aux malheureux , je fuis leur
» caiffier ; qu'ils viennent chez moi re-
» tirer ce qui leur eft dû » . Jamais il
n'en renvoya fans fecours : il fe trouva
quelquefois dans des momens de difette ,
partagea avec eux fon repas . Ses parens
p'eurent jamais exclufivement part à les
dons quelques - uns , réduits à la misère ,
recevoient feulement le pain de l'aumône ;
lui-même s'en pourriffoit : il cultiva les
patates , & en fit un très- ben pain . A fa
mort , on n'a trouvé que quarante écus
à lui ; il a difpofé , en faveur des pauvres ,
par un teftament olographe , de ce que
la communauté pouvoit lui devair. Plas
de deux cents Artifans lui doivent leur
état : il a laiffé en mourant foixante enfans
en apprentiffage ; c'étoit fon oeuvre
FÉVRIER . 1776. 187
favorite. Son dernier acte a été un acte
de bienfaisance : le jour de fa mort , il
venoit , à fix heures du matin , de donner
vingt écus à fon Vicaire , pour procurer
une fituation & un lieu commode à une
malheureuſe domestique trompée & aban
donnée par fon maître. Les vertus du
fieur Mongadin font un fpectacle tou
chant & rare pour l'humanité : la reli
gion & la piété doivent le réunir pour
les célébrer. Sa Paroiffe lui a érigé un
monument : la reconnoiffance qui l'a
élevé , l'a décoré d'une infcription fimple
, mais qui rappelle les vertus du refpectable
Recteur.
I I.
Un Seigneur qui pofsède des terres
confidérables vers le nord de l'Angleterre ,
vient d'y inftituer des fêtes appelées
Céréales , qui fe célébreront tous les cinq
ans pendant la moillon. Durant le temps
de ces fêtes , le Seigneur , confondu avec
Les Valfaux , habillé comme eux , &
travaillant avec eux , redeviendra ce
qu'étoit l'homme dans le premier âge ,
Au retour des champs , tous ces Labou
reurs , égaux par la nature , prendront
188 MERCURE DE FRANCE.
leur repas au Château avec le Seigneur
& toute fa famille. Les Céréales dureront
huit jours , & fe termineront par le mariage
des douze jeunes filles les plus fages ,
avec les douze jeunes Laboureurs les plus
laborieux. Le Seigneur en fera les frais ,
donnera à chaque nouveau ménage vingt
guinées , avec tous les outils d'agriculture
, & les exemptera de toute réde
vance pour les deux premières années.
I I I.
M. Garrick , touché de l'infortune
de plufieurs particuliers , dont les maifons
ont été confumées dans le dernier incendie
arrivé à Londres , leur a cédé gratuitement
les logemens dépendans de fon
théâtre, pour tout le temps qui leur fera
néceflaire.
I V.
>
Le Comte de P .... qui pofsède des
terres confidérables dans le Béarn a
donné ordre à fes gens d'affaires de diftribuer
les fecours les plus abondans à
tous ceux de fes Vaffaux que la maladie
épizootique des bêtes à cornes a laiffés
FÉVRIER . 1776. 189
dans l'indigence. Il n'a mis aucune borne
à fa bienfaifance. Il a exigé qu'on tirât
fur lui pour toutes les fommes néceffaires
aufoutien des pauvres familles , auxquelles
il veut fervir de père.
ANECDOTES.
I.
Un jour Henri IV ayant été furpris
d'une réponſe fière & hardie que lui faifoit
M. de Villeroy , un de fes Secrétaires
d'Etat, lui dit avec vivacité : ventre faintgris
, parle t on ainfi à ſon maître ? M.
de Villeroy voyant le Roi en colère ſe
retira par refpect . Mais Henri IV le
fuivit , & l'atteignit à la porte de fon
anti -chambre : M. de Villeroy , lui dit le
Rai , faut-il que deux vieux amis fe quit
tent pourfi peu de chofe ?
I I.
que
Comme on repréfentoit à Boileau
s'il s'attachoit à la fatire , il fe feroit des
190 MERCURE DE FRANCE.
ennemis qui auroient toujours les yeux
fur lui , & ne chercheroient qu'à le décrier ;
il répondit : Eh bien ! je ferai honnête
homme , & je ne les craindrai point.
I I I.
On parloit de lavarice dont le Duc
de Malbouroug avoit été accufé , & l'on
citoit des traits fur lefquels on appeloit
au témoignage de Milord Bolinbroock ,
qui avoit été l'ennemi déclaré du Duc.
C'étoit unfi grand homme , tépondit Bo
linbroock , quej'ai oublié fes vices.
I V.
Charlemagne vouloit qu'on eût un fein
extrême des pauvres. On vint un jour,
annoncer á ce Prince la mort d'un Evêque
, & il demanda combien ce Prélac
avoit légué aux pauvres en mourant. On
lui répondit qu'il n'avoit donné que deux
livres d'argent. Un jeune Clerc , qui étoit
préfent , s'écria : c'eft un bien petit viatique
pour un fi grand voyage ! Charlemagne
fut fi fatisfait de cette réponse , que
fur le champ il donna l'Evêché à celui
qui l'avoit faite , & fai dit n'oubliezjaTEVRIE
R. 1776 . 141
mais ce
que vous venez
de dire , & donnez
aux pauvres plus que ne faifoit celui dont
vous venez de blamer la conduite.
V.
Ben Johnfon , célèbre Poëte Dramatique
Anglois , étoit en prifon pour s'être
battu en duel . Il étoit grand buveur , &
cherchoit à fe dédommager des ennuis de
fa captivité , en fatisfaifant amplement
à ce goût. Un jour il lui prit fantaisie
d'appeler le Geolier dans la chambre à
l'heure du dîner ; il le fait mettre à table ,
& lui dit fort férieufement qu'il veur
faire de lui un Poëte. Le Geolier en rit
beaucoup , & accepte fa part du repas.
Johnfon lui verfe à boire ; le Geolier
refufe , & lui protefte qu'il n'a jamais bu
de vin de fa vie, Johnfon fe met en co
Tère , & le Geolier boir. Le premier jour
il fut malade , le fecond il le fut moins ;
le troifième il y étoit accoutumé. Au
bout de huit jours , il favoit très-bien
boire , & ne favoit pas encore faire un
vers. Les amis de Johnſon , inftruits de
cette aventure , lui demandèrent , en raillant
, à voir les oeuvres de fon nouveau
Difciple. Vous vous moquez , leur dit- il ,
W
192 MERCURE DE FRANCE.
en montrant un buffet rempli de bouteilles
vuides : il eft déjà Poëte à demi ,
puifqu'il a bu de l'hippocrène.
V I.
Un particulier affez bien mis , fur
attaqué la nuit , près de Londres , par
un voleur qui lui demanda la bourfe .
Sij'avois de l'argent , tépondit le Citoyen ,
ce n'eft pas vous que auriez la peine de me
L'enlever. Mes Créanciers me font pourfuivre
pour 20 liv. fierlings : je n'ai pas
un fol ; je cherche un afyle , mais je fuis
bien sûr de n'en point trouver. Vous vous
trompez , repliqua f : oidement le voleur.
Trouvez vous ici demain à neuf heures da
matin , ajouta t- il , en lui monɛrant une
maiton peu éloignée , vous verrez qu'ily
a encore en Angleterre des ames honnêtes
& des coeurs fenfibles. Tous deux furent
exacts à l'heure durendez- vous . Le voleur
donna au débiteur infolvable 50 livres
fterlings , en l'ex hortant à aller payer fa
dette & les frais de juftice , & le déroba
fur le champ aux témoignages de fa reconnoiffance.
VII.
FÉVRIER. 1776. 193.
VII.
Fletcher , Poëte Dramatique Anglois ,
ayant été deftiné au Barreau par fon père ,
étudia quelque temps en droit ; mais il
y fit fi peu de progrès , qu'il ne put jamais
bien apprendre une feule définition . Le
jour de l'examen étant arrivé au bout de
quelques mois , il s'y laiffa entraîner par
fes camarades. Son tour d'être queſtionné
étant venu , on lui demanda : quid eft Jurifprudentia
? Le jeune Fletcher , plein de
dépit , & tout à fait dégoûté de cette
étude , répondit : mafoi , je n'en fais rien ;
mais je fais bien qu'elle eft la plus ennuyeufe
créature que je connoiffe.
VIII.
Spencer , fameux Poëte Anglois , s'introduifit
un jour dans la maifon du Lord
Sidney , dont il n'étoit point connu , tenant
à la main une copie du neuvième
chant du premier livre de fon Poëme
intitulé : la Nymphe Reine . On porte fa
copie au Lord. Il la prend , la lit ; & ,
frappé de la defcription du défefpoir dans
ce chant , fait paroître le tranfport le plus
194 MERCURE DE FRANCE.
vif à la découverte d'un génie fi neuf &
fi rare. Il lit paffionnément quelques ftances
; & fe tournant vers fon Intendant :
donnez , lui dit- il , so liv. ( fterlings ) à
l'Auteur de ces vers ... Il pourfuit la lecture
; & plus frappé encore d'une nouvelle
ftance , s'écrie : doublez , doublez la
fomme.... L'Intendant étonné , différoit
d'exécuter l'ordre de fon maître . Sidney
continue de lire ; la libéralité s'accroît
avec fon admiration : je donne , dit- il ,
200 livres ; & pouffant fon Intendant par
l'épaule víte , vite , & fur le champ ; car
fije lis davantage , jeferai tenté de donner
tout mon bien .
NOUVELLES POLITIQUES .
De Conftantinople , le 4 Décembre 1775 .
SA Hautefle a fait au Grand - Vifir l'honneur de
venir dîner chez lui le feptieme jour du Ramazan .
C'eft une faveur diftinguée dont les Souverains
Ottomans ne font pas dans l'ufage d'honorer
leurs Sujets , & que le Sultan Muftapha n'avoit
accordée que deux fois dans le cours de fon regne.
On a déjà dieffé au Sérail les pavillons pour
'
FÉVRIER. 1776.
195
l'accouchement d'une des femmes du Grand- Seigneur
, & tout eft difpolé pour les réjouiffances
relatives a cet événement prochain .
Le Capitan - Pacha cft arrivé avant hier dans
le port de cette Ville , avec la Flotte & de nouvelles
dépouilles du Chéïk- Daher , renfermées
dans un coffre de fer , dont l'énorme pefanteur
annonce la richefle , & que ce Chéik , en partant
pour fon expédition d'Egypte , dans laquelle il
a perdu la vie , avoit laiflé dans un Hoſpice
de la Terre Sainte à Acre. Ibrahim Sebak eft enchaîné
ſur cette Flotte , & ne tardera
doute à recevoir le châtiment dû au Miniftre.
fans pas
d'un Rebelle. L'aîné des fils du Chéik Daher
paroît s'être foumis à la Porte ; mais les deux
cadets , dont l'aîné fe nomme Ali , tiennent la
campagne contre les Arabes. Gezar Bey ,
commande actuellement dans Acre pour le Grand
qui
Seigneur , redoute peu cette cfpèce de troupes qui
ne peut rien contre des villes fermées. Ce Commandant
eft le même qui a défendu Baruth contre
les Rufles. Il vient de recevoir de Sa Hauteffe les
deux queues.
Du Caire , le 16 Octobre 1775.
Le 16 du mois dernier , les Crieurs publics ,
accompagnés de tambours & de trompettes , annoncerent
, dans la ville , que les eaux du Nil
étoient parvenues jufqu'au pied des montagnes
qui bordent l'Egypte , ce fleuve a continué de
croître encore jufqu'à la fin de Septembre ; mais
il s'en faut
d'enviroane coudée ( un pied & demi)
qu'il ne fe foit élevé à la hauteur de l'année der-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
miere , enforte qu'on ne peut eſpérer qu'une récolte
médiocre .
De Mofcou , le 7 Décembre 1775 .
Le nouveau Réglement pour l'adminiſtration
intérieure eft imprimé en langue Rufle , & les
premiers exemplaires viennent d'être diftribués .
Il n'aura lieu d'abord que dans les Gouvernemens
de Twer & Smolensko , tant pour juger
de fon utilité pratique , que parce qu'il feroît
trop difficile de le faire exécuter en même
temps dans toute l'étendue de l'Empire . On
prétend qu'il occafionnera des changemens effentiels
dans la forme de l'adminiſtration actuelle.
De Copenhague , le 26 Décembre 1775 .
Les Seigneurs & les Propriétaires des terres.
fituées fur les bords de la mer , par un abus
contraire aux loix du Royaume , & particulie
ment à l'ordonnance du 21 mars 1705 , s'étoient
infenfiblement arrogé le droit exclusif d'acheter
les marchandiles échouées ou avariées des bâtimens
naufragés fur les côtes , ce qui forçoit
les Négocians de les céder , faute de concurrence
, à un prix infiniment au deffous de leur
valeur. Il vient de paroître fur cet objet une
ordonnance par laquelle Sa Majesté abolit ce
prétendu droit exclufif , & permet à tous les fujets
indiftinctement d'acheter ces marchandifes &
d'enchérir fur les offres des acheteurs qui fe
croyoient mal - à- propos privilégiés .
FÉVRIER . 1776. 197
De Gibraltar , le Décembre 1775.
Il est arrivé à Salé quelques Artiftes François
venant de la côte de Maroc , où ils étoient pallés
de Londres & de Livourne , dans l'espoir d'y être
employés utilement ; mais comme les arts ne
trouvent aucun encouragement dans ce Gouvernement
rigoureux , ces Artiftes fe feroient
trouvés très - embarraflés , fi le fieur Chenier ,
chargé des affaires du Roi de France dans ce département
, n'eût obtenu l'agrément du Roi de
Maroc pour leur départ.
De Veftphalie , le 26 Décembre 1775.
Un Fermier des environs du bourg de Linnick
, voyant périr chaque jour fes beftiaux par
l'épizootic , imagina de conduire une de les
vaches malades à la petite riviere de fon village
& de l'y laiffer plufieurs jours. Le quatrieme , la
bête , preflée par la farm , vint d'elle même à
la ferme , mangea & fur guérie. Encouragé par le
fuccès de ce bain , il y fit traîner cous les autres
animaux qui languifloient fur les fumiers de fa
Cour , & il les a fauvés par ce même remede qu'il
n'a dû qu'au hafard.
•
De la Baffe Allemagne , le 3 Janvier 1776.
Le Roi de Prufle fe propofe de fonder une Uni
verfité Catholique à B eslau. Cet établiſlement
utile dans fes Etats au progrès des Sciences & des
Arts , peut encore , en artirant les Polonois , que
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
le manque de Colléges Nationaux oblige de
chercher une éducation étrangère , les habituer
aux moeurs Allemandes & les attacher par la
reconnoillance au Prince qui aura pris foin de
pourvoir à leur inftruction.
De la Haye, le 12 Janvier 1776.
entre L'état de guerre qui continue de fubfifter
les Etats Généraux & le Roi de Maroc , ne permet
pas à Leurs Hautes Puiflances de fufpendre les
convois. Le Gouvernement vient d'accorder encore
aux navires marchands deſtinés pour la Méditerranée
, l'efcorte de deux vaifleaux de guerre
qui ont mis en mer dès le 6 de ce mois , au Texel,
(avoir , la Bellone , aux ordres du Comte de
Byland , & leZephire , Capitaine Guillaume May.
Les Capitaines marchands ont été avertis dès le
mois de Décembre , s'ils vouloient profiter de ce
convoi , de fe rendre aux Greffes de l'Amirauté ,
pour prendre communication des fignaux de ces
deux bâtimens.
De Warfovie, le 19 Décembre 1775.
La Cour de Vienne a envoyé nouvellement à
fon Miniftre dans cette Cour , un ordre précis
de reprendre l'affaire de la démarcation des nouvelles
frontieres . On prétend que le Roi de Prufle
eft dans l'intention de procéder au même ouvrage.
La Ruffie vient de remettre un impôt de 400 ,
soo roubles ( deux millions de France ) par an
FÉVRIER . 1776. 199
aux Provinces qu'elle occupe en Lithuanie , & ce
foulagement doit leur être continué pendant trois
années confécutives .
De Naples , le 19 Décembre 1775 .
On affure que leVéfuve commence ,depuis quel
ques jours , à jeter du feu , ce qui menace d'une
éruption prochaine . Le Margrave de Bareuth &
quantité d'étrangers font partis , d'après cette
nouvelle , pour être témoins & obfervateurs
fideles de tout ce qui fe paflera ; mais on n'a
point parlé de tremblemens de tesre antérieurs ,
& ce font là ordinairement les précurseurs des
éruptions de ce volcan. On fait que la derniere
de 1767 avoit été annoncée dès 1760 par une
effervefcence & des convulfions prefque continuelles
.
De Rome, le 3 Janvier 1776.
Le Duc de Glo efter fe rendit , jeudi dernier
auprès du Souverain Pontife qui lui fit l'accuei
le plus diftingué.
La mort du Cardinal de Vecchis fait vaquer
dans le Sacré College le dix huitième Chapeau.
L'Ouverture des Théâtres de cette Ville s'eſt
faite hier: on repréſenta fur celui d'Argentina Vologefe
, Drame d'Apoftolo Zeno , mis en Mufique
par Mafi , Compofiteur Napolitain ; il y a Opéra.
Comique au Théâtre d'Aliberti & divers autres
Spectacles inférieurs.
On a découvert , dans une des vignes aux en-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
virons de cette Ville dix- fept Statues antiques &
sinq Têtes , dont une repréfentant Apollon , eft.
d'une beauté rare. Elles appartiennent au fieur .
Jenkin , Anglois , aux frais de qui fe font ces
fouilles .
Le Tibre a été gelé à Perouſe d'un bord à l'ausre
, ce qui arrive très rarement . Les beftiaux expofés
à l'air , & particulierement les moutons
ont beaucoup fouffert du froid exceffif qu'on vient
d'éprouver.
De Londres, le 30 Décembre 1775 .
>
Le Boyne , arrivé le 26de Bofton à Portsmouth,
a , dit on , apporté des nouvelles très - facheuíes .
Il avoit à bord plufieurs Officiers qui ont déclaré
ne vouloir retourner en Amérique . On a lçu par
ce Vaifleau que différens bâtimens de tranfport
parris de Londres avec des proviſions n'étoient
point arrivés , & il eft à préfumer qu'ils feront
tombés entre les mains des Provinciaux .
On a reçu la nouvelle qu'une de nos frégates de
guerre , ayant à bord plufieurs Officiers & Soldats
, avoit été prife par trois Vaiffeaux Américains
armés en guerre près de Nantuker , après un
combat opiniâtre , dans lequel elle a été abordée
fept fois . L'équipage a été fait prifonnier de
guerre .
Le Comte de Taube , que le Roi a envoyé ea
France , eft chargé de remercier Sa Majesté Très-
Chrétienne , du fecours que la Garniſon de l'Isle
de Rhé a donné aux troupes Hanovriennes qui
ent échoué fur cette côte , & de diftribuer une
FÉVRIER . 1776. 201
fomme de 1000 liv . fterl. entre ceux qui y ont comtribué
, & particulierement entre les Soldats du
Régiment de Royal- Corfe , qui , animés par
leur Commandant & les autres Officiers ,
oublié leur propre danger pour fauver les naufragés
.
ont
Le Duc de Grafton , occupé d'un projet de réconciliation
avec l'Amérique , attend que le Par--
lement fe foit raflemblé , pour y propofer fon
plan à la Chambre des Pairs ; mais les derniers
fuccès des Infurgens dans le Canada peuvent avoir
éloigné les difpofitions qu'on leur fuppofoit à
l'efprit de paix .
Il paroît conftant que leChevalier Peter Parker,
paflera à Bofton pour y prendre le commandement
de l'Elcadre , & que l'Amiral Greaves a ordre de
revenir ici.
La nouvelle de la prise du Nancy vient d'être
confirmée par un Bâtiment arrivé de Boſton à Douvres
; il a donné de cette prife les détails fuivans.
Ce bâtiment ayant demandé un Pilote , fut abordé
par un bateau portant huit hommes qui lui offrirent
leurs fervices ; mais à peine furent - ils dans
le vavire , qu'ils parurent armés de fabres & de
piftolets , & que bientôt maîtres de l'équipage
ils conduifirent à Portsmouth ce bâtiment chargé
d'un grand nombre de fufils & d'armes blanches,
ainfi que d'un mortier de fonte d'une nouvelle
conftruction .
Le Capitaine d'un des bâtimens partis de Corke
pour Boſton avec des provifions & des munitions
deftinées aux troupes de Sa Majefté en Amérique
a conduit fon bâtiment à Philadelphie , & l'a re-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
mis , ainfi que toute fa cargaifon , au Congrès qui
s'eft emparé des lettres qui étoient à bord de ce
bâtiment & dout il a été fait une lecture publique ;
enforte qu'on ne doit ignorer dans cette Colonie
aucune des melures que prend le Gouvernement
contre les Américains .
De Paris , le 19 Janvier 1776.
La nuit du 10 au 11 de ce mois , le feu prit au
Palais , dans la falle appelée la galerie des Prifonniers.
Comme ce lieu eft entouré de bâtimens ,
dans la plus grande partie defquels il ne fe trouve
perfonne pendant la nuit ; tout porte à croire que
le feu y eft demeuré long- tems caché , puifqu'au
moment où l'on s'en eft apperçu au- dehors , les
fla mmes occupoient déjà certe galerie en entier ,
la premiere Antichambre de la Chancellerie , la
Chapelle & le Greffe des Bureaux qui étoit à côté ,
le grand efcalier des Requêtes du Palais , le cabinet
, l'antichambre jufqu'à la falle d'Audience , let
logement du Buvetier de cette chambre , les galeries
qui communiquent à leur dépôt donnant fur
la cour des cuifines du premier Préfident , les cuifines
, offices & autres bâtimens attenant à l'Hòtel
de la Première Préfidence , la feconde & troifième
chambres , & le Greffe des Dépôts de la Cour
des Aides, l'escalier donnant dans la grande falle
du Palais , où étoit la bibliotheque du Grand Confeil
, toutes les parties avoifinant la tour de Montgommeri
dans la Conciergerie , plufieurs petits
bâtimens du Maître de Mufique de la Sainte Chapelle
, partie du logement du Concierge & le
Greffe des Eaux & Forêts.
FEVRIER. 1776. 203
Ce fut environ à une heure du matin qu'on
donna l'alarme. Le fieur Morat , Directeur des
Pompes , & le fieur Dubois , Commandant de la
Garde de Paris , avertis promptement , fe trouvèrent
au Palais à une heure un quart. Les pompes
que le fieur Morat eft chargé de diriger , & qui
le fuivent toujours de près , arrivèrent auffitôt a
la difficulté des iffues , l'immensité du terrein à
parcourir , l'abſence de la plûpart de ceux qui
avoient les clefs , tous ces obftacles n'empêchèrent
pas que bientôt le fieur Morat ne circonfcrivit
le foyer principal , de manière à concentrer les
flammes dans le lieu qu'elles occupoient , lors de
fon arrivée. C'eſt par cette manoeuvre qu'à l'extrémité
occidentale de la galerie des prifonniers
on fauva celles des Greffes , conftruite en bois
que les flammes attaquoient déjà . Les mêmes mefures
garantirent la première chambre de la Cour
des Aides , qui forme un pavillon adhérant aux
autres chambres de cette Cour , déjà enflammées;
mais où le fervice des pompes multipliées diminua
tellement l'action du feu , qu'on ceffa de craindre
pour la chambre des Comptes , pour la Sainte
Chapelle , & pour le dépôt des chartres qu'il avoi➡
fine.
"
Le fervice des pompes , fait avec autant d'intelligence
que d'activité , le zèle & le travail de tous
les ouvriers répartis de tous côtés , & parmi lefquels
on a vu des Religieux de plufieurs Ordres ,
confervèrent le bâtiment neuf des Parquets , où le
feu entroit par plufieurs endroits . Ils garantirent de
même les combles de la grande falle , plus combuftibles
encore que tout le refte de cet ancien
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
édifice , par l'immensité des bois qu'ils renferment
, & qui tenoient à ceux de la Cour des
Aides entièrement enflammés .
L'écroulement de la galerie des prifonniers
dans le préan de la Conciergerie ayant formé un
monceau de ruines , plus vivement embrasé par
le mouvement de la chûte , on vit la galerie des
Greffes une feconde fois menacée , & fauvée une
feconde fois par les prompts fecours qu'on y apporta
, & qui , donnés partout , confervèrent encore
les bâtimens de la cour des cuifines de la
première Préfidence , quoique la galerie des Dépôts
fut entièrement en feu , & de niveau avec
les combles de ces mêmes bâtimens .
A 9 heures du matin , le Directeur des pompes
calma les vives alarmes des Magistrats , en les
affurant que le feu ne s'étendroit pas plus loin ,
& fes promeffes fe font en effet réalifées . Il fut
appuyé dans fon travail par le Régiment des
Gardes- Françoifes & Suiffes , & il ne dut pas
moins à la facilité que la Ville lui procura
d'avoir de l'eau , ainfi qu'aux foins de la Garde
de Paris , qui maintint l'ordre fi néceffaire aux
différens travaux de tous ceux qui étoient occupés
à éteindre ce feu violent.
Le local incendié ne contient que 320 toiles
de fuperficie ; mais comme la plus grande partie
des bâtimens étoit fort élevée , on peut juger
de ce qu'on avoit à redouter d'un incendie qui
trouvoit autant d'aliment.
Le Duc de Coffé , Gouverneur de Faris , le Pre
mier Préfident & le Procureur- Général du Par
FÉVRIER. 1776. 205
lement , le Premier Président de la Cour des
Aydes , le Lieutenant de Police , le Prévôt des
Marchands , l'Intendant de Paris , & un grand
nombre d'autres Magiftrats du Parlement & de
la Cour des Aydes y ont affifté la nuit & les jours
fuivans , occupés à donner les ordres néceffaires ;
la Garde de Paris , dès le premier inftant , y avoit
heureufement établi le meilleur ordre . Le Maréchal
de Biron , ainfi que le Comte d'Affry , s'y
sont rendus pour commander en perfonne les
fecours donnés avec le plus grand zèle par leurs
Régimens . On a vu le public , au milieu de ce
défaltre affligeant, applaudir avec reconnoiffance
aux foins éclairés & au courage du ſieur Morat ,
Directeur des pompes .
Le Roi & la Reine ont envoyé , dès le lendemain
, des fecours en argent , pour être diftribués
à ceux qui ont le plus fouffert des ravages
de cet incendie .
L'Académie Royale des Sciences ayant reconnu
par une longue expérience qu'il ne réfultoit des
Ouvrages qui lui font fouvent préfentés fur la
quadrature du cercle , le mouvement perpétuel ,
la trifection de l'angle , la duplication du cube &
autre eſpèce , aucun avantage pour le progrès des
Sciences , mais feulement une perte de tems confidérable
pour les Académiciens qui fe trouvent
chargés de l'examen de ces Ouvrages , elle déclare
qu'à l'avenir , elle ne recevra ni n'examinera
aucun Mémoire fur de pareils objets , & que ceux
qui lui feront envoyés feront mis au rebut & demeu
reront fans réponſe.
On écrit de Soujé dans le Maine , qu'un des
206 MERCURE DE FRANCE.
effets du dernier tremblement de terre avoit été
d'y faire bouillonner l'eau dans les ruiffeaux qui
couloient du Sud Oueft; ce qu'on ne remarqua pas
dans les ruifleaux dont le cours avoit la même direction
que le tremblement , c'eft - à- dire , du Nord-
Eft au Sud -Eft. Un pauvre , qui fe trouvoit en ce
moment- là au fommet de Rochart , à deux lieues
de Connée vers le couchant , une des plus hautes
montagnes de la Province , a rappotté qu'il avoit
vu le rocher fe fendre & des pieries s'en détacher.
Les Villages enfoncés dans les vallons & qui
n'étoient pas commandés pas des montagnes au
Sud Eft , le font à peine apperçus de ce tremblement.
PRESENTATIONS .
Le 31 décembre , le fieur Godefroy de Boisjugan
, gentilhomme d'une ancienne famille de
bafle Normandie , près Saint Lo , eut l'honneur
d'être préfenté avec la plus grande partie de fa
famille , au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale . Les enfans de ce Gentilhomme font au
nombre de quatorze , vivans , douze garçons ,
dont dix préfens , preſque en état de fervir , &
deux filles religieufes depuis quelques années à
l'abbaye royale de la Sainte- Trinité à Caen ; tous
ces enfans , excepté un feul qui eft prêtre & licencié
de Sorbonne , fe deftinent à l'état militaire.
Le 14 janvier , le premier Préfident du ParleFÉVRIER.
1776. 207
ment de Paris , ainfi que le Procureur - général du
même Parlement , ont eu l'honneur de faire leurs
remerciemens au Roi des fecours que Sa Majeſté
a bien voulu envoyer à l'occafion de l'incendie
arrivé au Palais la nuit du 10 au 11 du même
même mois ; ils ont auffi eu l'honneur de faire
leurs remerciemens à la Reine qui avoit envoyé
une fomme d'argent à l'occafion de ce fâcheux
événement.
1: Ce jour , la comtefle Jules de Rochechouart a
eu l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeftés &
à la Famille Royale , par la comieſe Louiſe de
Rochechouart.
Le 21 du même mois , la maréchale de Nico❤
łai & la marquife de la Vaupaliere ont eu Thoaneur
d'être préfentées à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale , la premiere par la comtefle le
Veneur , & la feconde par la marquife de Rochechouart.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 16 janvier, le fieur Déformeaux , de l'académie
royale des infcriptions & belles- lettres , ent
l'honneur de préfenter à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale le fecond Tome de l'Hiftoire de
la Maifon de Bourbon.
Le 17 du même mois , l'abbé de la Sauvagere
a eu l'honneur de préfenter à Monfieur un Ou208
MERCURE DE FRANCE.
vrage du fieur de la Sauvagere , fon pere , dont
ce Prince avoit bien voulu agréer la dédicace , &
intitulé : Recueil de Differtations fur la Lorraine
&fur l'Anjou .
Le 18 , le fieur Moreau , hiftoriographe de
France , a eu l'honneur de remettre au Roi le ma
nufcrit de fon dix- neuvieme & de fon vingtieme
difcours fur l'Hiftoire de la Monarchie Francoife.
Le 31 décembre , le chevalier d'Oify, capitaine
de valeaux , inspecteur du dépôt des cartes ,
plans & journaux de la marine , a eu l'honneur
de préfenter à Sa Majesté le projet d'une nouvelle
édition du Neptune François , corrigée fur toutes
les obfervations aftronomiques & autres qui ont
été faites depuis la premiere édition de cet Ou
vrage , exécuté lous le regue & par les ordres de
Louis XIV.
NOMINATIONS.
Le 11 janvier , le duc de Bouillon , grandchambellan
du Roi en furvivance , a prêté ferment
entre les mains de Sa Majesté , en qualité de
gouverneur & lieutenant- général de la province
d'Auvergne.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre à
l'Archevêque de Cambray.
Sa Majesté vient d'accorder l'abbaye de Cham ;
FÉVRIER. 1776. 209
bon , diocèſe de Vivier , à l'abbé de Raze , miniftre
du Prince - Evêque de Bafle , à la Cour.
Le Roi a nommé le fieur de Chaumont de la
Galaifiere , confeiller d'état ordinaire , ancien
chancelier de Lorraine , à la place de confeiller au
confeil royal des Finances , vacante par la mort .
du fieur d'Ormellon . Sa Majefté lui a accordé en
même temps les entrées de la chambre .
L'abbé de Vienne , nommé à l'évêché in partibus
de Sarepre (on Phénicie a été facré le 14 du
même mois, dans l'églite de l'abbaye royale de
Saint Victor , par l'archevêque de Lyon , affifté
des évêques de Toul & de Séez.
Il a été enfuite nommé par le Roi , fuffragant
de diocèfe de Lyon , à la requête de l'archevêque
de cette ville .
Le Roi a accordé l'abbaye de Saint- Michel de ,
Dourlens , ordre de Saint Benoît , diocèfe
d'Amiens , à la dame Defpiés , religieufe de l'abbaye
Saint Paul , diocèfe de Beauvais ; & l'abbaye
de Billon , ordre de Citeaux , diocèfe de Befançon
, à l'abbé Moly de Brézolz . , ancien vicaire
général de Langres .
MARIAGES.
Le 7 janvier , Leurs Majeftés & la Famille
210 MERCURE DE FRANCE.
Royale fignerent le contrat de mariage du fieur
le Boulanger , préfident de la chambre des comptes
, avec demoifelle Moreau de Plancy.
Le 14 , Leuis Majeſtés , ainfi que la Famille
Royale , ont figné le contrat de mariage du
vicomte de Sade avec la demoiſelle de Caufans.
NAISSANCE S.
Dans la paroiffe de Luc , à trois lieues de Caen
la femme d'un laboureur , nommé Geoffroi , eft
accouchée , le 2 Novembre dernier , de trois en⚫
fans , deux filles & un garçon ; les premieres ont
vécu cinq jours , & le garçon eft mort le dixieme.
L'année précédente , la même femme étoit pareillement
accouchée du même nombre d'enfans ,
morts auffi au bout de dix -huit à vingt jours . On
obferve , relativement à la population de ce vilage
, compofé de fept à huit cents habitans
qu'elle eft augmentée , depuis douze ans , de
deux cents cinquante . L'accroiffement de cette
année eft de vingt -fix , le nombre des morts étant
de vingt- huit & celui des baptêmes de cinquantequatre.
MORTS.
Armand Henri de Clermont , comte de ClerFÉVRIER.
1776 . 217
mont Gallerande , ancien colonel d'infanterie ,
eft mort à Paris le 5 janvier , dans la 91 ° année
de fon âge.
y eft
Louis Laurent , piêtre du diocefe de Toul ,
mort âgé de 100 ans. Il avoit été élu doyen rural
des curés de fon canton dit de Reynel , fous le
de Louis XIV .
regne
Françoife Saintours eft morte à Sciffiner , près
de Grenoble , âgée de toz ams , ayant confervé
toute la connoiffance . Elle étoit au fervice de la
famille du fieur de Montal , major de Grenoble
depuis 83 ans.
F Renée le Grand , femme d'un Laboureur , eft
morte à St Lo , âgée de 109 ans , n'ayant éprouvé
que la feule incommodité de la furdité .
La dame Louiſe Magdeleine Grimod de la Reyniere
, épouse du fieur Marc - Antoine comte de
Levis , baron de Lugny , colonel du régiment de
Picardie , eft morte à Paris le 11 janvier , âgée de
39 ans.
Le nommé Antoine Royer , laboureur , né à
Vignory en Champagne , près de Chaumont en
Baffigny, eft mort , le 21 décembre dernier , âgé
de 102 ans , quoique depuis 30 ans il cût une
hernie confidérable.
Le fieur Bernard -Bonaventure de Clerel , comte
de Tocqueville , meftre de camp de cavalerie ,
chevalier de l'ordre royal & militaire de St Louis ,
eft mort à Paris le 18 janvier , dans fa 46 ° année.
Jean-Florent , marquis de Valliere , lieutenant212
MERCURE DE FRANCE.
général des armées du Roi , ancien directeur- général
du génie & directeur -général de l'artillerie ,
eft mort à Paris le ro de ce mois , digne du nom
célèbre qu'il portoit.
Paul Hippolite de Beauvillier , duc de Saint-
Aignan , Pair de France , chevalier des ordres
du Roi , lieutenant- général de les armées , gouverneur
& lieutenant général pour le Roi des
ville & citadelle du Havre - de Grace , & c . l'un des
Quarante de l'Académie Françoife , & honoraire
de celle des Infcriptions & Belles Lettres , eft
mort à Paris , le 22 janvier , âgé de 91 ans , un
mois , 29 jours , également diftingué par les
vertus , les talens politiques & fon goût pour les
lettres & les arts , qu'il a confervé jufqu'au dernier
inftant de fa vie.
Gilles Gervais de Pechpeyrou , marquis de
Beaucayre , chevalier de l'ordre royal & militaire
de Saint Louis , maréchal de camp des armées du
Roi , meftre de camp du régiment de cavalerie
de fon nom , baron de Blanquefort & de Montbarla
, Seigneur de Lavalade - Pechpeyrou , eft
mort, à la faite d une attaque d'apoplexie , le premierjour
de l'an , dans la 70 année de fon âge ,
dans la ville de Moiflac en Quercy . Son héritier
du nom & armes eft Meffire Louis Georges de
Pechpeyrou , feigneur de l'Aboiffiere , réfidant à
Lauferte en Quercy , fils de Charles de Pechpeyrou
, décédé capitaine de cavalerie .
Louis Georges eft la derniere tête qui reste de
la maifon de Pechpeyrou , l'une des plus anciennes
de la province & des plus illuftres , puifqu'on a
les titres depuis 1200 , & les époques des grades
les plus honorables avec les plus belles alliances .
FÉVRIER. 1776. 213
LOTER I E.
Lecent quatre-vingt- unième tirage de la Loterie
de l'Hôtel- de -Ville s'eft fait , le 25 du mois de
Janvier , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv. eſt échu au Nº . 60994. Celui
de vingt mille livres au Nº . 73954, & les deux
de dix mille , aux numéros 67989 × 73156.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe ,page s
La vertu fait le grand homme ,
La nouvelle Pandore ,
Les reflources de l'équivoque ,
Vers de Madame de .... à M. le Préfident
d'Alco ,
Les Soeurs de lait ,
ibid.
Sonnet fur la naiſlance de Mgr le Duc d'Angoulême
,
Sonnet à M. Turgot , contrôleur - général des
Finances ,
L'homme confolé par la Religion ,
Dialogue entre le Temps & la Beauté ,
La Fourmi bienfailante ,
II
13
ibid.
14
33
34
35
44
49
214 MERCURE DE FRANCE.
Réponse à la chanfon fur les plumes que por.
tent aujourd'hui nos Dames ,
Vers à Madame la Princefle de Piémont ,
Vers fur l'élection du nouveau Grand- Maître
de Malte ,
ر م
$2
54
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Pour la fête de Mde P ..
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Ermance ,
Le Comte d'Umby ,
55
5.7
59
63
ibid.
76
Difcours prononcé aux Ecoles de Médecine , 87
Lettres & obfervations fur la vue des enfans
naiffans ,
Elémens de fortification ,
Traité de la petite vérole ,
Cours élémentaire des accouchemens ,
Article fur l'Opéra ,
Obfervations fur les pertes de fang des femmes
en couches ,
Inftitutions des fourds & des muers par la voie
des fignes méthodiques ,
Mém .pour fervir au traitement d'une fievre
épidémique ,
Second mémoire pour parvenir à détruire la
maladie fur les beftiaux ,
Réflexions fur les dangers des exhumations
précipitées ,
88
93
94
95
96
110
I 12
113
116
117
FÉVRIER . 1776. 215
Deſcription d'un cabinet de phyfique expérimentale
,
Les vues fimples d'un bon homme ,
Analyle des traités des bienfaits de la clémence
de Séneque ,
Prospectus d'un traité fur la cavalerie ,
118
123
129
129
Attilie ,
Lettres fur les Drames -Opéra ,
Anti-Dictionnaire philofophique ,
Annonces littéraires ,
138
139
141
142
ACADÉMIE..
Prix extraordinaire propofé par l'Acad . Roy.
144
1
des Sciences , ibid.
SPECTACLES . 158
Opéra ,
ibid.
Comédie Françoiſe, 160
Comédie Italienne ibid. •
ARTS . 161
Gravures ibid.
Mufique . 168
Gnomonique , } 173
Profpectus d'un nouveau cabeſtan , 173
Chirurgie ,
179
Cours de langue Allemande , 180
Réponse de M. de Voltaire à l'Auteur du Philofophe
fans prétention ,
Variétés , inventions , & c.
Bienfaifance.
181
ibid.
185
16 ME RCURE DE FRANCE.
Anecdotes.
Nouvelles politiques ;
Préſentations ,
Nominations ,
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries ,
189
194
206
208
209
210
ibid.
213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des ΑΙ
Sceaux , le Mercure de Février 1776. Je n'y
ai rien trouvé qui doive en empêcher l'im
preffion.
A Paris , ces Eévrier 1776.
DE SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
MARS, 1776.
Mobilitate viget. VIRGILE.
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A
PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriftine ,
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , oblervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique .
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols
ceux qui font abonnés.
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d'avance le prix de leur abonnement franc de port
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14 1.
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JOURNAL DES CAUSES CÉLEBRES , 12 vol in - 12 par an
à Paris 18 1.
241 .
18
121.
Et pour la Province ,
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE DE GENÉVE , 36
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LE SPECTATEUR FRANÇOIS , 15 cah . par an , à Paris , 9l.
Et pour la Province ,
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province ,
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ET NON ENLUMINEES des trois règnes de l'Hiftoire
Naturelle , avec l'explication , chaque calier broché ,
prix , 30 1.
JOURNAL DES DAMES , 12 cahiers , de chacun 5 feuilles ,
par an , pour Paris ,
>
12 1
121 .
15 i. Et pour la Province ,
L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , 24 cahiers par an, à Paris , 181 .
En Province ,
JOURNAL LITTÉRAIRE de Berlin , 6 vol . in- 12. par an ;
241.
à Paris ,
15 1
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A ij
Nouveautés quife trouvent chez le même Libraire,
Dictionnaire hiftorique & géographique d'Italie , 2 vol ,
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naturelles , in 8 ° . rel . 5 liv.
liv. Preceptes fur la fanté des gens de guerre , in- 8° . rel .
De la Connoiffance de l'Homme , dans fon être & dans
rapports , 2 vol . in - 8 ° . rel . fes
Traité économique & physique des Oifeaux
cour , in- 12 br.
Dict . Diplomatique , in - 8° . 2 vol. avec fig . br.
12 1.
de baffe-
2 1.
Dia. Héraldique , fig. in 8 ° . br.
Révolutions de Rufie , in-8 ° . rel.
Spectacle des Beaux - Arts , rel .
Diction . Iconologique , in 8 ° . rel.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol. in-8 . rel .
Dict . des Beaux-Arts , in-82 . rel .
12 1,
1. 15 f.
21. 10 f,
3
2 l. 10 f
31.
9 l.
4 1. 10f.
12 1 .
18 1 .
in-8 °.
12 1.
Abrégé chronol . de l'Hift du Nord , 2 vol in-8 ° . rel .
de l'Hift. Eccléfiaftique , 3 vol. in-8 °. rel .
de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol .
rel.
de l'Hift. Romaine , in-8° . rel.
Théâtre de M. de Saint- Foix , nouvelle édition ,
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in-8° . br.
Bibliothèque Grammat. in-8 °. br.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné , in 12 br.
Les mêmes, pet. format ,
Poëme fur l'Inoculation , vol . in- 89 . br.
61.
3 vol.
6 1.
21.
21. 10 f.
2 1. 10 f
1 1. 16 f
31.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in-8° . br. avec fig. 41.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe , in-8 ° . br.
Les Mules Grecques , in- 8 °.br ,
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br.
11.41 .
1. 16 f
51.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV ,
in-fol. avec planches br. en carton ,
&c.
241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4°. avec fig, br. en carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br .
12 1,
3 1.
Mémoire fur la Mufique des Anciens , nouvelle édition
in-4°. br.
Journal de Pierre le Grand , in- 8 ° . br.
L'Agriculture réduite à fes vrais principes, vol. in-12 .
broché ,
2
MERCURE
DE FRANCE.
MARS , 1776.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE de Marie de Roffan , Marquife
de Ganges , à fa Mère.
MARIE DE ROSSAN , la plus vertueuse &
la plus malheureufe des femmes , naquit en
1637 du fieur de Roffan , & de la fille du
fieur de Nochères : elle n'étoit pas d'une
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
naiffance fort illuftre ; mais fa grande beauté
& fes richeffes confidérables la firent rechercher
des Partis les plus avantageux . Elle
époufa en fecondes noces le Marquis de
Ganges , Gouverneur de Saint - André ;
c'étoit un homme qui cachoit fon caractère
avec un foin extrême , qui avoit tous les
vices & paroiffoit avoir toutes les vertus.
Les premières années de fon mariage , il fit
le bonheur de fon épouſe : mais il en devint
dans la fuite jaloux au point qu'il fut caufe
de fa mort ; voici comment. Il avoit deux
frères auffi méchans que lui , qui tâchèrent ,
mais en vain , de fe faire aimer de leur bellefoeur.
Leur amour fe tourna en fureur. Ils
remplirent l'efprit du Marquis de foupçons
fi terribles , qu'il leur abandonna ſon épouſe
pour en tirer vengeance. Ils réfolurent donc
de l'émpoifonner , & le firent ; mais la Marquife
s'étant échappée de leurs mains , après
avoir pris le breuvage dont ellë jeta la moitié
, & s'étant fauvée dans une maiſon voifine
, un de fes frères la fuivit , & lui donna
fept coups d'épée . Elle furvécut dix-fept
jours à tous ces affauts , après lefquels elle
mourut , à l'âge de trente- un ans . C'eſt
dans l'efpace qui fe trouve de fon malheur
à fa mort , qu'on la fuppofe écrire à fa Mère
MARS.
7
1776 .
& lui faire le récit de fes infortunes. On
a été obligé de faire quelques changemens ,
dont il est inutile d'avertir le Lecteur. Ceux
qui feront curieux de lire l'Hiftoire de
Marie de Roffan , pourront confulter les
Femmes Illuftres de la France , Tome III ,
page première.
Ce n'est plus , ô ma mere , une épouſe adorée ,
Mais une malheureuſe à fes bourreaux livrée ,
Qui , prête de pafler de la vie à la mort ,
Dans ce terrible inftant va te tracer fon fort.
Cher & cruel époux ! frere injufte & barbare!
C'est donc vous qui portez le coup qui nous fépare !
Vos coeurs , vos lâches coeurs , nourtis dans les
forfairs ,
Doivent de mon trépas le trouver fatisfaits !
Vos voeux font accomplis ; je meurs votre victime
:
Mais mon fort eft trop beau , puifque je meurs
fans crime ,
Et que le coup fatal , porté par vos fureurs ,
Me fait appercevoir la fin de mes malheurs .
Oui , ce temps n'eft pas loin . O douce ! ô tendre
mere !
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Devois- je craindre tout d'une main auffi chere ?
Eft-ce à ceux qui nous font attachés de plus près
A trahir les premiers les fermens qu'ils ont faits 2
Malheur à vous , mortels , dont l'ame fiere & dure
Rejette avec horreur les droits de la nature ,
Ec qui , dans les forfaits , étroitement unis ,
Olez , fans nuls remords.... Mais , écoute , &
frémis...
Frémis... Je vais te faire un récit effroyable :
Puifle ma mort toucher un frere trop coupable !
Puifle- t- il à ce prix détefter les forfaits !
Souvent le repentir fuit les plus grands excès !
Dans les commencemens d'un nouvel hyménée ,
La trame de mes jours étoit trop fortunée ,
Et le bonheur conftant à s'attacher à moi
Me failoit de l'amour goûter l'aimable loi :
Mon époux m'adoroit , je l'adorois de même ;
Notre félicité pour lors étoit fuprême .
Je jouiflois , hélas ! du deftin le plus doux...
Bientôt je vis changer le coeur de mon époux .
La pâle jaloufie , au front morne & févere ,
Ce monftre que l'enfer a vomi fur la terre
Pour déchirer le coeur des malheureux mortels ,
Et les faire fouvent devenir criminels ;
Ce monftre , effroi de l'ame , ami de l'injustice ,
MARS. 9 1776.
Qui fuit , fans volonté , les traces du caprice ,
Et qui , loin d'appailer les maux des malheureux ,
Ne fait que les aigrir , les rendre plus affreux ;
Ce monftre enfin , l'auteur du deftin qui me reſte ,
Infecta mon époux de fon poiſon funeſte.
Son coeur de noirs foupçons eft bientôt déchiré :
Le doux repos le fuit , furieux , égaré ,
Ne le poffédant plus , tout l'offufque & l'irrite ,
Et rien ne peut calmer le courroux qui l'agite.
Depuis fix mois , qu'en proie aux plus vives douleurs
,
Je ne vois point tarit la fource de mes pleurs ,1
Espérant le retour dans une ame parjure ,
Je t'ai toujours caché les tourmens que j'endure .
Le devoir d'une époufe ( & tu le dois favoir )
Eft de ne point marquer jamais ſon déſeſpoir ,
De cacher les erreurs de l'ingrat qui l'opprime ,
Et d'attendre du ciel la vengeance du crime.
Ce motif(eul m'a fait différer tous les jours
De t'écrire ... De toi j'aurois eu des fecours ,
Et j'aurois épargné ce forfait à mon frere.
Maintenant que je touche à mon heure derniere ,
J'ai cru que je pouvois , fans manquer à l'hon
neur ,
Dévoiler à tes yeux fon crime & mon malheur.
Je t'inftruis de mon fort à regret , je l'attefte ...
· Av
JO MERCURE DE FRANCE.
•
Sur- tout ne montre point cette preuve funefte :
Tout malheureux qu'il eft , je foulcris à mon fort ;
Ma mere , garde- toi de venger cette moit .
Je pardonne à l'ingrat dont la main meurtriere ,
En me perçant le fein , me ravit la lumiere ;
Qu'il jouille à jamais de ce forfait affreux !
Ne le fais point punir , c'est tour ce que je veux .
Ce n'eft point aux humains qu'appartient la vengeance
;
Mais c'eft à l'Eternel à venger l'innocence.
Hélas ! que les mortels favent bien l'art affreux
De voiler leurs dehors & d'échapper aux yeux !
Jeune encore , ô ma mere ! & fans expérience ,
Je jugeois par moi feule & croyois l'apparence .
Ils fembloient fortement attachés à l'honneur ,
Je les crus vertueux ... Quelle étoit mon erreur !
Bientôt .. bientôt .. grand Dieu ! je vis qu'à l'arti
fice ,
A la brigue , à l'orgueil , à la mollefle , au vice ,
Ils drefloient feulement de coupables autels :
Trop tard , pour mon malheur , je connus ces
mortels ;
Trop tard je m'apperçus de leur vertu trompeule ;
Leur aveuglement feul m'a rendu malheureufe :
Il en eft , j'en frémis ! ... que , loin d'épouvanter ,
Le crime dans fes fers femble encor arrêter :
Et... Mais c'eft trop long-temps demeurer fur
l'abyfime :
MAR S. 1776 .
II
Tu connois le coupable , apprends quel eft le
crime.
Mon frere , ce cruel , auteur de tous mes maux
S'étoit fait un devoir de troubler mon repos.
D'abord , pour mieux cacher la noire perfidie ,
Il a de mon époux calmé la jaloufie :
Je vis renaître alors des jours purs & fereins ;
Je crus jouir encor de profperes deftins ;
Mais ce temps n'étoit plus , & j'étois destinée
A fervir de jouet à fa rage effrénée.
Grand Dieu ! ce fcélérat , haïflant la vertu ,
Sous un mafque trompeur portoit un coeur perdu :
Sa vie eft de forfaits un horrible aflemblage ;
Meurtre , attentat , voilà les objets de fa rage.
C'est un de ces mortels au crime abandonnés ,
Qui de mort & de fang ne font point étonnés ;
Qui paroiflent toujours , tant ils ont d'artifice ,
Pratiquer la vertu , quand ils fuivent le vice ;
Et qui , ne craignant point un Dieu jufte & vengeur
,
Se livrent fans réſerve à toute leur fureur.
Ce traître a de fa mort payé mon innocence.
Ma vertu m'a rendu l'objet de ſa vengeance.
Trop de vertu fouvent nous caule un fort affreux :
Peut être... Mais , que dis-je ? il eft plus glorieux
De mourir innocente & nullement Aétrie,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Que de vivre coupable avec l'ignominie :
Pour un coeur vertueux la mort a des appas ;
L'innocence a des droits que l'on ne connoît pas .
Qui l'eût dit ? il brûloit pour moi d'un feu cou
pable ,
Et fon coeur adultere étoit impitoyable.
Il voulut m'engager à flatter fon amour ;
Il voulut de mon coeur exiger le retour.
Je rejetai bientôt fa flamme criminelle :
Sa paffion trompée en devint plus cruelle.
J'ofai le menacer d'avertir mon époux ;
Mais lui , craignant l'effet d'un trop jufte courroux
,
Meprévint... A ces mots fi ma douleur augmente ,
Oma mere ! pardonne à ta fille expirante :
Pardonne ... Je ne puis arrêter mes langlots ,
Ni retenir mes pleurs au récit de mes maux.
Ce malheureux , voyant fa flamme méprifée ,
Fit retomber fur moi la fureur infenſes ;
Il m'accufa , le coeur rempli de déſeſpoir ,
D'avoir voulu trahit mon époux , mon devoir ,
De m'être , fans pudeur , abandonnée aux crimes ,
D'avoir conçu pour lui des feux illégitimes....
Ce trait , de mon époux ranima la fureur :
Toute la jaloufie a rentré dans fon coeur.
Juge de quel effroi mon ame fut faiGe
MAR S. , 1776. 13
Quand je me vis ainfi couverte d'infamie !
Quatre fois , pour calmer ces injuftes foupçons ,
J'ai voulu m'efforcer d'articuler des (ons ;
Et quatre fois ma voix , & foible & languiflante ,
Sans effet fur ma bouche eft restée expirante ;
Toujours & vainement j'ai voulu lui parler :
Mon filence n'a fait encor que m'accabler :
Mon frere a perfifté dans la rage égarée ,
Et mon époux , giand Dieu ! m'a cru déshonorée.
Enfuite me laillant dévorer ma douleur ,
Il eft forti , les yeux enflammés de fureur ,
Pour tramer un complot dont l'auteur eft mon
frere ,
Complot digne en effet d'une ame meurtriere ,
D'un tigre furieux ... Mortels dénatutés ,
Le crime n'est- il rien pour vos coeurs ulcérés ?
Le titre refpeétable & de foeur & d'époule
N'a- t-il donc aucuns droits fur votre ame jaloufe?
Enfin , pour t'éclaircir tout-à- fait fur mon fort ,
Ces cruels aflaffins ont réfolu ma mort...
Je le foupçonne au moins ... Dès cet inftant ter
rible ,
Mon époux m'a livrée à ce frere inflexibler :
Craignant de fe trouver témoin de mon trépas ,
Il a loin de ces lieux précipité les pas.
De cet affreux forfait l'inquiétante image ,
Sans doute dans fon coeur entretenoit la rage :
14
MERCURE
DE FRANCE
.
Pour s'en débarrailer , il part ... il fuit ces bords...
Un refte de vertu lui caufoit des remords.
La veille cependant de l'horrible journée
Oùje devois fubir ma triſte deſtinée ,
J'avois de mon malheur quelques preſſentimens :
Une frayeur fecrette alarmoit tous mes (ens ;
La nature à mes yeux paroifloit moins brillante :
Son afpect me donnoit une idée affligeante.
Les ombres de la mort erroient autour de moi ;
Dans mon coeur confterné tout apportoit l'effroi :
La nuit,un fonge affreux , vive & frappante image,
Augmenta ma frayeur , abattit mon courage ..
J'ignorois mon malheur ... ciel ! ... je n'y penſvis
pas ;
Et ne me croyois point fi proche du trépas .
A peine le foleil commençoit la carriere
Et répandoit (ur nous la brillante lumiere ,
Que ma porte s'ouvrit , & j'apperçus .. ah ! Dieux ! ...
Quelle horreur ?.. Je frémis à ce fpectacle affreux..
Qui n'eût point éprouvé cette frayeur extrême ?...
Ma mere... au récit feul tu frémiras toi même !...
Mon frere , furieux , une coupe à la main ,
Et de l'autre portant unpoignard inhumain ;
Se préfente à mes yeux , me remplit d'épouvante ,
Et fait paffer vers moi cette voix menaçante ;
MARS. 1776. 15
« Il faut mourir ; choifis » . A ces mots effrayans
Mon coeur fe confterna ; je perdis tous mes fens ;
Mais bientôt de la mort la redoutable image
Se préfentant à moi , m'en a rendu l'uſage :
En vain je m'efforçai d'appaifer la fureur ;
La pitié n'entre point dans un barbare coeur .
« C'eft aflez , m'écriai - je , & puifqu'à ta furie
Il faut , fans balancer , que j'immole ma vie :
» Donne .. donne la coupe , & repais -toi , cruel ,
» En me voyant faifir ce breuvage mortel .
» Donne .. il mefaut mourir... ne me fais point
>> attendre ».
ဘ
Je la prends ... Un bruit fourd qui vient le faire
entendre ,
L'agite ... Un fcélérat n'eft jamais fans frayeur !
Il veut voir d'où provient ce bruit vain & trompeur
;
Il détourne de moi fon regard effroyable ...
Je le vois ... Je faifis cet inftant favorable :
Je jette le poifon , & je crois le tromper ;
Mais d'un plus grand malheur Dieu me vouloit
frapper.
Ce monftre , fe doutant de cette tromperie ,
Ne veut plus que le fer pour m'arracher la vie :
Le poifon n'eft plus rien... il n'en veut qu'à mon
fang...
De fept coups de poignard il m'a percé le flanc ;
Puis , craignant de fubir la peine qu'il mérite
16 MERCURE DE FRANCE.
Il a 3 me croyant morte , eut recours à la fuite,
Cependant , ô ma mere ! ou foit que le courroux
Ait aveuglé les yeux en me portant ces coups ,
Ou plutôt que de Dieu la volonté p : opice
Ait reculé la fin de ce dur facrifice ,
Afin de m'accorder le bonheur & le temps
D'adorer à ma more fes décrets tout- puiflans ;
Aucun coup n'eft mortel. Dans peu de jours
guérie ,
J'aurois pu m'arracher à toute leur furie ,
Mais ce malheureux fer , à ma mort deſtiné ,
Ce fer , vil inftrument , étoit empoisonné .
Un funefte venin , qui coule dans mes veines ,
A rendu tout-à-coup mes efpérances vaines :
Tous les jours dans mon fein il fait quelques
progrès ;
Rien ne peut arrêter les barbares fuccès :
Je me vois dépérir , & la mort inflexible
Me fait fentir déjà ſon approche terrible.
De ta fille voilà , voilà l'état affreux :
Peut-il être , ô ma mere ! un fort plus rigoureux ?
Grand Dieu ! toi , qui d'un mot as créé cette terre,
Et cet aftre brillant qui tous les jours l'éclaire ,
Toi , que j'adore ; toi , l'objet de tous mes voeux ;
Reçois , reçois mon ame en ton fein bienheureux.
MARS. 1776. 17
Dans ces derniers momens dont je jouis encore ,
Pour un frere , un époux , ma foible voix t'implore.
Pardonne leur les maux qu'ils m'ont fait reflentir;
Grand Dieu ! pénetre -les d'un jufte repentir ;
Touche leur coeur coupable & grave dans leur
ame
L'amour de la vertu ; fais - y paffer ta flamme ,
Compagne du bonheur & fource de tout bien.
Qu'ils jouiffent d'un fort plus heureux que le
mien ;
Que les revers jamais ne traverfent leur vie ;
Puifle-t -elle de biens être toujours remplie !
Puiffe le repentir dans leur ame refter !
La vengeance à ce prix eft bien donce à goûter.
Toi , ma mere , prends íoin de ma trifte famille :
Inſpire tes vertus à mon fils , à ma fille ;
Qu'inftruits par ton exemple à vivre avec honneur
,
Pour le crime toujours ils foient faifis d'horreur !
Parle-leur quelquefois du trépas de leur mere;
De ce forfait fur-tout n'accule pas leur pere.
pere... Il étoit né pour être vertueux !
Quand Dieu nous abandonne , ah ! qu'on est malheureux
!
Leur
O ma mere ! voilà ma volonté derniere ;
18 MERCURE DE FRANCE.
S'il eft en ton pouvoir , viens fermer ma paupierė
Viens... le ciel peut encor reculer mon trépas ...
Je mourrai trop heureufe en mourant dans tes
bras.
Par M. W.. d'A *** .
LES DEUX CERFS & LE RENARD .
Fable.
L'AVIDITÉ , défaut de bien des gens ,
Futde tout temps dangereufe & nuifible :
J'en vais donner une preuve fenfible.
Un jour deux Cerfs fe battoient dans les champs:
Pour quelque Biche ils avoient pris querelle ;
Peut-être bien pour quelque bagatelle
S'étoit ému ce mortel différend :
Je n'en fais rien . Nos champions cependant ,
Piqués tous deux , acharnés à leur perte ,
Avec leurs bois fe portoient mille coups ;
Et chacun d'eux tâchoir , d'un air alerte ,
Afon rival de donner le deffous .
Le fang couloit. D'une hauteur voifine,
Maître Renard vit ces fiers combatrans :
« Oh ! oh ! dit-il , vivons à leurs dépens ;
A leurs dépens fondons notre cuifine »
MARS . 1776 . 19
Auffi - tôt dit , notre drôle de fcend
Fort promptement & va tefter la panfe :
Avec ardeur il leche , il boit le fang ,
Et s'en repaît tant & plus , comme on penfe ,
Bref ſe ſoula . Mais fon avidité
d'envie.
L'inftant d'après lui fit perdre la vie :
Il veut encor , plein de témérité ,
Tâter d'un mets qui lui fait trop
Bientôt des Cerfs il brave la furie ,
Se met entre eux & boit fur nouveaux frais.
Qu'arrive-t- il bien peu de temps après ,
Les Cerfs toujours animés , en colere ,
Foibles pourtant & réduits aux abois ,
L'un , furieux , le frappe de fon bois ,
Luifend le ventre & le jette par terre .
Ceci s'adreffe à vous , ames infatiables ,
Voyez dans ce Renard un fidele tableau :
Vous voulez trop de bien , vous mourrez milérables
,
Et votre avidité fera votre tombeau.
Par le même.
20 MERCURE DE FRANCE.
L'INSOMNIE.
Sonnet.
QUE l'Infomnie eft un tourment affreux !
Fut-il jamais de plus cruel fupplice !
Si c'eft ainfi que le vengent les Dieux ,
Malheur à ceux qui bleflent leur juſtice !
O doux fommeil ! feul bien des malheureux
Viens , je t'implore ; à ma voix fois propice :
Fuiflant Morphée , ah ! couronnes mes voeux ,
Et je te fais demain un facrifice.
Mais , quoi ? .. déjà mon oeil s'appefantit...
Je n'y fuis plus... tout mon corps s'engourdit...
Je fens venir l'effet de mes promeffes...
Grands de la terre... hommes puiflans ... héros...
Oui, .. vos honneurs... vos grandeurs ... vos richeffes...
Ne valent.. pas... un... inſtant... de….. re…..pos…..
Par le même.
MARS. 1776. 21
EPITRE au R. P. DE P ***
Tor qui , dès ma plus tendre enfance ,
ΟΙ
Par un choix qui me fut flatteur ,
En m'accordant ta bienveillance ,
Pris plaifir à former mon coeur ;
Qui , te fiant fur ma candeur ,
Malgré mon peu d'expérience ,
Me choifis , avec complaifance ,
Pour confident de ce malheur ,
Que tufus foutenir en fage ;
Toi , le premier de mes amis ,
Cher P*** reçois l'hommage
Qu'en te quittant je te promis.
Le temps , en rapprochant notre âge
A décidé nos fentimens ;
Pourroient- ils n'être pas conftans
Rien de futil , rien de volage
Ne forma nos engagemens,
Tous les hommes ont leur manic :
C'est un axiôme conuu ;
De tout préjugé revenu ,
Je veux à la philofophic
Donner le refle de ma vie ;
Quoique jeune encor , j'ai vécu.
22 MERCURE
DE FRANCE.
De la fortune trop frivole
J'ai long - temps brigué la faveur ,
Je croyois la trompeufe idole
L'uniqué fource du bonheur ;
Enfin je fois de mon erreur ;
De fes mépris je me conſole :
Tout l'or que roule le Pactole
Ne fauroit féduire mon coeur.
Des Grands j'ai connu les caprices :
Faufles pro mefles , injuftices ,
Rien n'échappe à leur coeur gâté ;
Ennemis de la vérité ,
Le vil flatteur , qui de leurs vices
Déguife la difformité ,
Obtient tout dès qu'il follicite ,
Tandis que l'homme de mérite
Loin d'eux eft toujours rejeté.
De la Cour , des Grands dégoûté
J'imaginai que la tendrefle-
Pouvoit , par une douce ivrefle ,
Conduire à la félicité.
J'aurois voulu dans ma Maîtrefle
Trouver les grâces , la beauté ,
De la décence fans fierté ,
Elprit , candeur , délicatefle ,
Dans l'humeur de l'égalité ;
MARS. 1776. 23
Je n'ai trouvé que faufleté,
Jargon , vapeurs , minauderie ,
Beauté d'emprunt , coquetterie ,
Et beaucoup de méchanceté.
Fatigué d'avoir tout tenté
Sans avoir pu me fatisfaire ,
Dans ce monde l'homme a beau faire ,
Ai je dit , tout eft vanité.
Savoir le fuffire à foi même
Eft le feul moyen d'être heureux ;
Il n'eft point de meilleur fytême.
Tous les jours je rends grace aux Dieux ,
Dont l'immuable providence
M'a placé loin de l'opulence ,
Qni trop fouvent corrompt les moeurs ,
Mais aufli loin de l'indigence ,
Qui ne peut qu'avilir les coeurs.
Satisfait de mon toît ruftique ,
Des lots méprisant la critique ,
Je veux jouir de tous mes jours :
Je ferai mon unique étude
De bien profiter de leur cours.
Tranquille dans ma folitude,
J'aurai pour guide ma raison ,
Locke , Defcartes , la Bruyere ,
Pafcal , Mallebranche , Newton
par fois leur fublime ton
M'oblige à refter en arriere
Si
24
MERCURE DE FRANCE.
Avec l'aimable Deshouliere ,
La Fare , Chaulieu , Pavillon ,
Egayant mon foible génie ,
J'aurai peut- être la manie
De les fuivre fur l'Hélicon .
Le goût de la littérature
Ne prendra pas tous mes inftans ,
Je laurai partager mon temps
Entre l'étude & la nature.
Lorfque les fougueux aquilons ,
Ceflant de nous faire la guerre ,
N'épouvanteront
plus la terre
Par l'effort de leur tourbillons
,
Je verrai l'empire de Flore ,
Par les pleurs de la jeune Aurore ,
Renouvelé
chaque matin ,
Embellir mon petit jardin .
Je me dirai , voyant éclore
Le lis , l'oeillet & le jaſmin ,
Je les ai plantés de ma main.
Cette rofe qui fe colore
N'eft pas aflez ouverte encore ,
Confervons
-la jufqu'à demain.
De la plaintive Philomele ,
Qui déplore encor fes malheurs ,
J'entendrai
les chants (éducteurs ;
Loin des villes ,je fuis comme elle
Da
MARS. 1776. 25
Du monde les appas trompeurs .
Les deux gémaux ayant fait place
A l'écrevifle au pas tardif ,
D'un oeil vigilant , attentif,
Des moiflonneurs fuivant la trace ,
J'irai , foigneux de l'avenir ,
M'occuper à voir recueillir
Les préfens que Cérès difpenfe :
Non que je veuille m'enrichir ;
Contept d'une honnête abondance .
Je ne demande qu'à jouir.
Si le lion , dans fa furie ,
Me fait reflentir la chaleur ;
Je refpirerai la fraîcheur ,
A l'ombre , aflis dans la prairie ;
Quelquefois je prendrai le bain
Dans un canal dont l'onde pure
Semble inviter par fon murmure
A fe rafraîchir dans fon fein.
Mais déjà l'aimable Pomone
Habite mon giant verger ,
Et m'invite à le décharger
Des fruits dont elle le couronne.
Cependant , le thyrfe à la main ,
Le vieux Silène fur fon âne
Précédant l'époux d'Ariane ,
B
26 MERCURE
DE FRANCE .
Viendra s'enivrer de mon vin.
Je ne fuivrai point des Bacchantes
Les tranſports trop tumultueux :
Le coeur feul rend grâces aux Dieux
De leurs largeffes bienfaifantes
Quand l'hiver , au ſouffle glacé ,
Aura dépouillé la nature
De la fraîcheur, de fa parure ;
Alors qu'Eole courroucé ,
A tous les vents lâchant les rènes ,
Se plaît à redoubler les peines
Du Nautonnier embar flé :
Auprès de mes Lares tranquille ,
Je ferai quelque ouvrage utile ,
Gardant le coin de mon foyer ;
Quelquefois d'un chevreuil leger ,
Ou d'un cerf, je fuivrai la trace ;
Plus fouvent , fans quitter ma place ,
Avec trébuchet & gluaux ,
Je ferai la guerre aux oileaux.
Ainfi , loin de toute contrainte ,
Mes jours le trouveront remplis
Et j'envilagerai fans crainte ,
Aux décrets du deftin foumis .
L'inftant où la parque inflexible ,
Cellant de tourner lon fuſeau ,
MARS. 1776. 27
S'armera du fatal cifeau..
Qu'a donc la mort de fi terrible ?
Au refte , crois -moi , cher ami ,
Le projet que je trace ici
N'eft pas un fimple badinage ;
Enfanté pendant mon fommeil ,
C'est plutôt l'inftant du réveil
Dont je veux faire un bon uſage:
Semblable à ce pilote fage
Qui vit, fatisfait de fon fort ,
Et qui tranquille dans le port ,
Ne va plus affronter l'orage
L'AVEUGLE VOLONTAIRE .
En fes vieux jours , Razis * perdit la vae ; N
Un Empirique auffi -tôt s'évertue ,
Veut le traiter : une minute ou deux
Vont lui donner l'ufage de les yeux.
Dans les promeffes magnifiques ,
Razis l'arrête , & lui dit : Cher Docteur ,
Combien l'oeil a - t-il de tuniques ?
Je n'en fais rien , répond l'opérateur;
* Fameux Médecin Arabe , ainfi nommé du nɔm
appellatif de la ville de Reï , dans la Perse.
Bij
28
MERCURE
DE FRANCE
.
Mais laiflez faire , & comptez fur le refte :
Non pas ( dit Razis ) s'il vous plaît ,
Un ignorant n'eft pas mon fait ,
Sa main pourroit m'être funefte ;
Qui ne fait pas compter les tuniques de l'oeil ,
Neme touchera point , malgré cout fon orgucil.
Parens , amis , alors le réunirent
Pour l'engager à le faire opérer :
No Charlatans quelquefois réuffiffent
(Lui difent- ils) à quoi bon différer ?
En pareil cas , le refus n'eft pas fage.
Si les efforts font impuiflans ,
Vous refterez fans voir : voilà tout le dommage .
Non (dit Razis ) j'ai vu le monde allez long temps,
J'aurois regret de le voir davantage.
Par M. B***.
LES TROIS SAGES.
TROIS Sages , le premier Perſan ,
L'autre Indien , le troisieme de Grece ,
Difcouroient devant Nouskirvan
Du plus fâcheux état de notre humaine eſpece :
Le Grec ne trouva rien de pis
Que l'indigence & l'infime vieilleffe ;
L'Indien appuya fur les maux inouïs
MARS. 1776 . 29
Que dans un grabat de fouffrance
Enduroit un malade avec impatience ;
Que reftoit-il au Perſan à trouver ?
Le plus cruel des maux que l'on puifle éprouver ,
L'affreux remords & fes couleuvres ,
L'inftant où finit notre fort ,
Où l'on voit approcher. la mort
Sans l'eſcorte des bonnes oeuvres .
Par le même.
LES FOUS DE BASRA * .
HAROUND
2
AROUND ' chargea Behloul d'infcrire dans
Bafra
Tous les fous de fa connoiflance .
Ma foi , dit le Plaifant , les compte qui pourra :
Je ne faurois , la liſte en eft immenſe.
Les vrais (avans ne font pas fi nombreux :
S'il veut favoir leurs noms , on peut le fatisfaire ;
Deux ou trois en feront l'affaire ,
Encor m'en pourra- t-on difputer un ou deux.
Par le méme.
* C'eft , suivant nos Géographes , la ville de Balsora
sur le golfe Perfique .
¹ Haroun Erreschid , célèbre Calife.
2 Savant de la Courdu Calife.
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE
.
LES TROIS DAMIS.
Comédie - Proverbe.
PERSONNAGES.
M. I UCIDOR.
CLARICE , fille de Lucidor.
ERASTE , Amant de Clarice ,
ISABELLE .
DAMIS , Amant d'lfabelle.
PICARD , Laquais.
La Scène eft à Paris dans la Maiſon de
Lucidor.
SCÈNE I.
ERASTE , CLARICE. ( Ils entrent fur la
Scène en converfant).
ERAST E.
Que m'apprenez- vous !
CLARICE . Rien que de véritable .
ERASTE . Je fuis bien malheureux ! le
MARS. 1776 . 3.1
comprois me préfenter aujourd'hui à
votre père.
CLARICE , Hélas ! mon cher Erafte !
ERASTE . E , il a été accepté far le
champ .
pas .
CLARICE . Sur le champ.
ERASTE . Mais , vous ne le connoiſſez
CLARICE. Mon Dieu , non , je ne l'ai
jamais vu.
ERASTE . EC M. Lucidor ne le connoît
pas non plus.
CLARICE . Pas plus que moi : il ne l'a
jamais vu ; mais c'eft le fils de fon meilleur
ami.
ERASTE . Quelle bizarrerie ! S'il étoit
fot & mal bâti.
CLARICE. Ah! Erafte ! ne pouvant être
à vous , les autres hommes me feront
également indifférens .
ERASTE lui baifant la main . Adorable
Clarice ! que nous fommes à plaindre !
CLARICE. Que voulez - vous ?
ERASTE . Au moins devoit on vous
confulter.
CLARICE. Vous ne connoiffez pas mon
père il eft maître abfolu dans fa famille.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
ERASTE. Mais , encore pouvoit - il
vous en toucher quelque chofe.
CLARICE. Oh ! oui ; auffi m'a - t- il prévenue
de fon arrivée , en m'ordonnant de`
le bien recevoir.
ERASTE. Et quand arrive til ?
CLARICE. Inceffamment , peut - être
aujourd'hui .
ERASTE . Aujourd'hui ! mon fort est -il
affez cruel ?
CLARICE. Hélas ! je fuis auffi à plaindre
que vous.
ERASTE, Si j'avois plus de temps , peutêtre
qu'à l'aide de quelques amis communs
, j'aurois pu faire changer les choſes .
CLARICE . Vaine efpérance , Erafte !
ERASTE . Comment ?
CLARICE. Mon père a donné fa parole ,
rien ne l'en fera départir.
ERASTE. Je fais le plus malheureux
des hommes.
CLARICE. Hélas !
ERASTE Et le nom de cet heureux rival?
CLARICE. Je ne fais trop fi je m'en
fouviendrai ... Da... Dam...
ERASTE. Damis ?
CLARICE. Damis , juſtement.
ERASTE . Damis !
CLARICE. Qui , Damis,
MARS. 33 1776 .
ERASTE. N'eft il pas de Pontoife ?
CLARICE . Précisément.
ERASTE. Eft il poffible ?
CLARICE. C'eft lui- même : vous le
connoiffez ?
ERASTE. Beaucoup ; vous ne vous
trompez point?
CLARICE . Non , certainement . D'où
vient cette furpriſe ?
ERASTE . Ce Damis là eft le dernier
des hommes ; & lorfque M. Lucidor le
connoîtra , je ne doute point qu'il ne
retire fa parole.
CLARICE . Il faudroit de puiffans motifs.
ERASTE . Auffi s'en trouveroit- il.
CLARICE. Mais , encore , expliquez-
.moi...
ERASTE . C'eft un homme fans moeurs
& fans foi , qui s'eft plu à mettre le défordre
dans plufieurs familles honnêtes , en
féduifant des filles qui avoient été jufqu'alors
fans reproches .
là ?
CLARICE. Ah ciel ! que me dites-vous
ERASTE. La vérité. Il y a quelques
mois , il paroiffoit fincèrement attaché
à Ifabelle , une des plus aimables filles de
Pontoife ; on s'imaginoit qu'elle fauroit
Bv
34
MERCURE DE FRANCE.
fixer enfin fon inconftance : mais il paroît
qu'elle a été trompée comme toutes les
autres.
CLARICE. L'abominable homme !
ERASTE . Et vous ne penfez pas que de
pareilles raifons foient affez fortes pour
rompre un engagement qui ne peut que
-vous être funefte ?
CLARICE. Hélas ! je crains bien que
nor.
ERASTE. Vous m'étonnez .
CLARICE . Non , mon cher Eraſte ,
tout cela ne fera que pures bagatelles
aux yeux de mon père .
ERASTE. Quelles bagatelles !
CLARICE . Oui , de pures bagatelles ;
mon père a là -deffus des façons de penfer
qui me paroiffent bien étranges ; il ne
fait point de différence d'une débauchée
qui a dépouillé toute honte , d'avec une
perfonne vertueufe , mais foible , qui a
eu le malheur de tomber dans les piéges
d'un féducteur adroit. D'ailleurs il ne
connoît pas d'autres vertus dans les perfonnes
de votre fexe , que cette probité
que l'on doit apporter dans le commerce
des affaires ; mais il en difpenfe abfolument
avec nous.
ERASTE. Oh bien ! Damis eft véritaMARS.
1.776. 35
blement fon homme ; il devroit l'époufer:
mais vous le donner à vous , rien
n'eſt plus injufte ; vos principes méritent
au moins d'être reſpectés.
CLARICE. Hélas ! il ne fait état que
des fiens . Mais , retirez- vous ; je crains
qu'il ne rentre.
ERASTE. Eh mais ! je fais venu dans
le deffein de lui parler.
CLARICE. C'est une démarche inutile ,
& qui ne fera que l'aigrir.
ERASTE . Il faut en courir l'événement ;
je l'attendrai.
CLARICE . Non , je vous prie ; revenez
plutôt.
ERASTE. Et pourquoi ?
CLARICE . Al ! s'il me voyoit avec
vous , tout feroit perdu .
ERASTE. Quoi ! dans fa propre maifon
! dans un endroit ouvert à tout le
monde !
CLARICE. N'importe ; il eft tellement
indifpofé contre notre fexe , qu'il
nous croit toujours coupables , lors même
qu'il n'y a pas lieu à un foupçon
fondé.
ERASTE , Voilà une étrange tyrannie.
CLARICE. Mon père m'aime beaucoup :
mais je fuis la victime de fes faux prin-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
A
cipes. Le malheur qu'il a eu de ne fréquenter
que des femmes vicieufes dans
fa jeuneffe , lui a donné pour le fexe une
forte de mépris général duquel , je ne
fuis point exceptée . Mais ... qu'entendsje?
Ciel ! c'eft lui-même... Ah! comment
faire ?..
ERASTE . Laiffez ; ne craignez rien .
SCÈNE I I.
LUCIDOR , ERASTE , CLARICE .
LUCIDOR falue Erafte d'un air mécontent
& embarraffé . Monfieur , je fuis votre
ferviteur. (à Clarice , d'un air courroucé)
Que faites- vous ici , Mademoiſelle ?
CLARICE . Mon père , je ne fais que
d'entrer pour recevoir Monfieur , qui demandoit
à vous parler.
LUCIDOR. Eh bien ! Monfieur ; que
voulez vous de moi ?
ERASTE. C'eft M. Lucidor , fans doute?
LUCIDOR . Oui , c'eft moi - même . A
quoi puis-je vous être utile ?
ERASTE . Ah ! Monfieur , permettez
que cet embraffement ... (Il l'embrasse ) .
LUCIDOR avec embarras. Monfieur...
MARS. 1776. 37
ERASTE . Vous exprime la joie que j'ai
de vous voir. Vous ne me connoiffez
pas.
LUCIDOR. Non , en vérité .
ERASTE. Je fuis de Pontoife , & je
m'appelle Damis.
CLARICE à part . Que va-t- il lui conter
?
LUCIDOR , d'un air épanoui. Eh quoi !
c'est vous , mon ami ? Ventrebleu , qu'il
eft bien planté ! On ne m'avoit pas trompé
en me difant que vous étiez un joli homme.
(à Clarice qui veut fortir ) Ici , petite
fille ; un moment .
ERASTE. Monfieur , vous me flattez.
LUCIDOR . Ah ! de la modeftie ! Bien ,
bien , j'aime affez cela ; mais , avec votre
figure , on peut s'en paffer , mon gendre
.
ERASTE. Monfieur , j'ai toujours
compté pour peu les avantages de la
figure , & je commencerois aujour l'hui
à faire cas de la mienne , fi elle plaifoit à
la charmante Clarice.
LUCIDOR . Oui , oui , cui ; elle lui
plaira , je vous en réponds , moi ; elle
feroit parbleu bien difficile ; vous pouvez
compter fur ma parole. Ecoute , Clarice ,
38
MERCURE
DE
FRANCE
.
voilà le mari que je te donne ; n'en es-tu
pas contente ?
CLARICE. Je fuis diſpoſée à obéir en
tout à mon père.
LUCIDOR , avec fatisfaction. Je m'en
doutois bien ; ce que c'eft que la bonne
éducation ! (Il fait un figne defatisfaction
à Clarice & la congédie ) .
SCÈNE I I I,
LUCIDOR , ERASTE.
LUCIDOR . Eh bien ! mon gendre ,
qu'en dites- vous ? Elle n'eft pas mal au
moins, ma Clarice , & vous ne devez pas
être fâché de l'emplette.
ERASTE. Ah ! Monfieur , je ferai le
plus heureux des hommes!
LUCIDOR. J'ai pris tous les foins ima
ginables pour la bien élever : je n'en garantis
pas abfolument le fuccès : car vous
favez ce que c'eft que les femmes
, auffi
bien que moi ; mais fi l'on peut répondre
de quelqu'une
, tenez , c'eft de ma Cla-
-rice.
ERASTE,Monfieur, vous pouvez en réMARS.
1776. 39
pondre hardiment : la réputation de Mademoiſelle...
LUCIDOR. Eh ! mon Dieu , mon gen
dre , ne nous faifons point d'illufions ;
ma fille eft bien née , je la crois fage
vous le croyez auffi , voilà tout ce qu'il
faut, Tâchons de demeurer l'un & l'autre
dans cette perfuafion le plus long - temps
que nous pourrons , & nous ferons heureux.
Oh çà ! depuis quand êtes - vous
arrivé de Pontoife ?
ERASTE. A l'inftant ; j'ai pris à peine
le temps de me débarraffer de mes habits
de voyage.
LUCIDOR. Vous avez bien fait ; mais
il falloit defcendre chez moi , & y faire
conduire tout votre bagage : au point
où nous en fommes , vous devez regarder
ma maifon comme la vôtre. Et le
papa Géronte , comment fe porte-t il?
ERASTE. Tout doucement , autant que
le comporte fon grand âge.
LUCIDOR . Hon ! hon! mais il n'eft pas
fi vieux .
ERASTE. Non pas abfolument , fi vous
voulez ; mais fes infirmités le vieilliffent
un peu.
LUCIDOR , Ses infirmités ! je ne lui en
connois pas d'autres que fa goutte.
40 MERCURE DE FRANCE.
ERASTE . C'eft cela même ; c'est que
c'eſt une terrible infirmité que celle - là ,
convenez qu'elle en vaut bien d'autres.
LUCIDOR . Je vous en réponds , je le
fais par expérience. Il fouffre donc beaucoup
le bonhomme.
ERASTE. Exceffivement.
LUCIDOR. J'en fuis vraiment fâché.
Ce font des fruits de la vieille guerre ;
nous étions deux égrillards. Mais , ditesmoi
, devient-il un peu plus raifonnable ;
je le fermone actuellement , moi . Tenez ,
mon gendre , il eft un temps pour tout ;
on m'a dit de vos nouvelles , je ne vous
en fais pas de reproches ; à votre âge ,
rien n'eft plus naturel .
ERASTE . Moi ! Monfieur.
LUCIDOR . Oui , vous ; il eft inutile de
faire ici le mystérieux ; d'ailleurs il fuffic
de vous voir mon gendre ; où eft le joli
homme qui n'ait eu des aventures galan
: es ?
ERASTE. Monfieur , ce font des bagatelles
que je tâche d'oublier.
LUCIDOR riant . Eh ! oui , oui , tâchez ;
tâchez toujours : les nouvelles font oublier
les vieilles ; mais , pour notre ami ,
franchement , je le défapprouve . ( à demi
bas ) Dites un peu , qu'eft devenue la
MARS. 1776. 41
petite Manon, cette brune , là , qui déplaît
tant à Madame Géronte ?
ERASTE. Monfieur , je ne fais ce que
vous voulez dire .
LUCIDOR . Allons donc , quelle enfance
! vous ne me perfuaderez pas que
yous ignorez ces chofes - là .
ERASTE . Monfieur , en tout cas je
mets tout en oeuvre pour les oublier bien
vite , & j'y réuffis.
LUCIDOR. Bien , bien ; j'aime votre
difcrétion , mon gendre : je ne puis vous
en favoir mauvais gré ; mais apprenez
donc que je fuis l'intime de votre père ,
& quoique je ne l'aye pas vu depuis près
de vingt ans , il n'a pas d'ami plus chaud
que moi je m'intérelle vivement à tout
ce qui le concerne , & j'ai foin de le tancer
, comme il le mérite , de fes folies :
ainfi vous ne rifquez rien de vous ouvrir
à moi .
ERASTE . J'y ferois très - difpofé , Mon.
fieur ; mais , à vous parler franchement ,
je m'occupe peu de la conduite de mon
père , pour jouir de mon côté d'une liberté
plus entière : ce font nos conventions.
LUCIDOR riant. Eh ! eh! eh ! l'habile
garçon ! Oh çà , brifons là- deffus , Mon42
MERCURE DE FRANCE.
fieur le difcret , nous n'en ferons pas
moins bons amis . Dites un peu , il ne
viendra pas , fuivant toute apparence ,
le
pauvre cher homme ? ( à Erafte qui a l'air
inquiet) Vous avez l'air inquiet , mon
gendre , qu'avez - vous ?
ERASTE . Je vous demande pardon ,
Monfieur... j'ai donné à mon valet ...
quelques ordres...
LUCIDOR. Liberté entière , mon gen.
dre , liberté entière . ( Eraftefort ).
SCÈNE I V.
LUCIDOR feul.
Il n'eft ma foi pas mal , ce garçon - là ,
pas mal du tout. J'avois quelque inquiétude
fur la parole que j'ai donnée à mon
vieil ami , fans connoître fon fils ; mais
heureuſement je n'ai point à me repen .
tir , & la petite fille doit être fort contente.
MARS. 1776. 43
SCÈNE V.
LUCIDOR , PICARD.
PICARD annonçant, Monfieur Damis.
LUCIDOR . Comment dis-tu ?
PICARB . M. Damis , Monfieur.
LUCIDOR . Mon gendre ? Eh parbleu ,
il fort d'ici. ( Picard fort ).
SCÈNE VI .
LUCIDOR , ISABELLE en homme.
(Ifabelle , traveftie en homme , entre une
lettre à la main , &falue Lucidorfans rien
dire).
LUCIDOR. Qui demandez vous , Monfieur?
ISABELLE . M. Lucidor : je viens lui
préfenter mes très - humbles refpects.
LUCIDOR. De quelle part ? qui êtesvous
? voilà bien des révérences.
ISABELLE . Je fuis Damis , de Pon
toife.
44 MERCURE DE FRANCE.
LUCIDOR avec la plus grande furpriſe.
Qui? vous!
ISABELLE . Voici une lettre de mon
père qui vous expliquera le fujet de ma
vifite.
LUCIDOR la prend avec empressement .
Voyons . C'eſt pa bleu fon écriture. ( Il
lit bas) Je fuis confondu : voilà une
étrange effionterie .
ISABELLE , qui a entendu les derniers
mots , inquiète & déconcertée ) . Ah ciel !
tout est découvert , je fuis perdue . (haut)
Cet accueil me furprend , Monfieur , &
la lettre de mon père fembloit me promettre
...
LUCIDOR. Ce n'eft pas pour vous que
je parle , mon cher ami ; mais il vient
de m'arriver une fingulière aventure.
ISABELLE. Comment donc ?
LUCIDOR . Un maître fourbe fort d'ici ,
qui s'eft annoncé fous votre nom .
ISABELLE intriguée , à part . Damis
m'auroit-il prévenue ? ( haut , riant fortement)
Le tour eft vraiment original .
LUCIDOR Jérieufement. Dites que le
tour cft pendable , mon ami , dites que
le tour eft pendable. Comment , morbleu
! m'affronter ainfi ... Ah ! je lui apprendrai
à qui il fe joue.
MARS. 1776 . 45
ISABELLE , d'un ton mal affuré. Monfieur
, je me flatte que vous ne doutez
pas....
LUCIDOR . Eh non , vous dis - je , la
chofe eft claire maintenant . Vous avez
l'air d'un honnête homme , vous ; d'ailleurs
la lettre de votre père ne me laiffe
aucun doute... Ce drôle- là eft un hardi
coquin.
ISABELLE . Je vous affure .
LUCIDOR. Mais je le tiens , & il fera
la dupe de fa propre rufe.
ISABELLE . Comment ferez vous ?
: LUCIDOR. Il doit revenir , & comme
il ne fast point votre arrivée , je me propofe
de le confondre & de le mettre entre
les mains de la Juftice.
ISABELLE intriguée & alarmée. Ah !"
gardez vous en bien .
LUCIDOR . Et pourquoi ?
ISABELLE avec embarras.Peut être eft ce
un jeune fou fans expérience.
LUCIDOR. Tant pis pour lui .
ISABELLE. Qui ne fentoit pas la conféquence
d'une pareille démarche .
LUCIDOR. Il l'apprendra.
ISABELLE . Voudriez - vous caufer la
perte de ce malheureux?
LUCIDOR . C'eit fa faute .
46 MERCURE
DE FRANCE
.
ISABELLE . Jeter la défolation dans une
famille honnête & la couvrir de honte ?
LUCIDOR . J'en fuis fâché. Mais fi vous
fuffiez arrivé plus tard de quelques jours ,
il épouloit ma fille . Hein ? l'hiftoire auroit-
elle été gentille ? Un malheureux
aventurier , que fais - je , moi ? Je m'en
rapporte à vous .
ISABELLE. Votre colère eft jufte ; mais,
permettez-moi auffi quelques réflexions :
fi c'étoit quelqu'amant fecret de votre
fille car elle ne m'a jamais vụ , & fi
elle a le coeur prévenu pour quelque
autre , ils ont pu concerter enſemble le
traveftiffement qui vous chagrine. Songez-
y.
LUCIDOR . Effectivement , ce que vous
me dites là peut fort bien être vrai ,
ISABELLE . Faites y attention : il feroit
fâcheux de prendre un parti qui compro.
mettroit l'honneur de votre fille & le
vôtre.
LUCIDOR. J'ai peine à croire que ma
fille ait ofé fe prêter à une pareille action
; mais ce maudit fexe - là eft fi trompeur
, que franchement je ne pourrois en
répondre.
ISABELLE . C'eſt pour cela que je vous
confeille de demeurer en repos , & de
MARS. 47 1776.
vous contenter de faire défendre votre
porte à l'impofteur .
LUCIDOR . Non ferai , de pardieu ; je
vais commencer par interroger Clarice ,
& fi je la trouve coupable , un bon Couvent
m'en fera raifon.
ISABELLE . Comment y. parviendrez.
vous ? elle ne l'avouera pas.
LUCIDOR. Je l'y forcerai . bien..
ISABELLE. Le fexe eft fi diffimulé :
vous le favez.
LUCIDOR. Oh! s'il eft diffimulé , je
fuis fin , moi ; & l'on ne me trompe pas
aifément .
ISABELLE . A votre place , ce ne feroit
point le parti que je prendrois. "
LUCIDOR. Et que feriez vous ?
ISABELLE. Sans revenir fur ce qui s'eſt
paffé , je banirois le faux Damis , & je
faivrois mon premier deflein.
(
LUCIDOR . Eh quoi ! mon ami , êtesvous
toujours dans la réfolution d'épouſer
ma fille?
ISABELLE . De tout mon coeur.
LUCIDOR. Que je vous embraffe , vous
penfez en brave garçon.
ISABELLE. Bon , ne fais je pas que ces
petites fantaisies là paffent chez les filles
48
MERCURE
DE
FRANCE
.
en aufli peu de temps qu'elles leur viennent.
LUCIDOR. Vous avez raifon : touchezlà
, mon gendre ; ma foi vous penfez
fenfément ; à votre âge , c'eft vraiment
extraordinaire. Quel âge avez - vous ?
vous me paroiffez bien jeune.
ISABELLE. Mais , quelques vingt - cinq
ans.
LUCIDOR. Parbleu , on ne s'en douteroit
pas , à peine vous donnerois- je dixhuit
ans. Morbleu le bel âge ! & qu'il
palle vite . Mon gendre , vous vous ên
appercevez .
ISABELLE . Oh , Monfieur , je vois mes
belles années s'écouler fans peine .
LUCIDOR . Et Vous ne les employez
pas mal; je fais de vos nouvelles . Eh ,
eh , eh , vous connoiffez à Pontoise une
certaine Iſabelle , n'eft- ce pas ? Eh , eh ,
eh .
ISABELLE déconcertée , Moi , Monfieur ?
LUCIDOR . Vous , oui , vous . Allez y
allez , mon garçon , raffurez vous ; ce
n'eft pas que je vous en falfe des reproches.
ISABELLE. Mais encor un coup , Monheur
, que vous a t-on dit de cette Ifa .
belle?
LUCIDOR .
MARS. 1776. 49
LUCIDOR. Bon , ce que l'on en devoit
dire ; c'eft quelque petite coquette là ,
comme on en trouve tant à votre âge
qui vous a fait paffer agréablement quelques
mois.
ISABELLE . Monfieur , vous vous trompez
, & vous êtes mal informé ; je ne
connois point cette Ifabelle , dont j'ai
feulement entendu parler comme d'une
très-honnête fille.
LUCIDOR . Encore une fois , mon gendre
, je ne vous en veux pas de mal . Lorfque
j'étois jeune , je faifois comme vous ;
& je ne fuis pas affez injufte pour blâmer
dans les autres ce dont je n'ai pu me
garantir moi- même . Mais je vous amufe
ici vous voudriez voir votre future
n'est - ce pas ? Entrez , je vous fuis à
l'inftant. (Ifabelle fort) .
SCÈNE VII .
LUCIDOR feul.
Parbleu , l'aventure eft comique , &
le véritable Damis a fuivi de près l'impofteur.
Un petit moment plutôt ils ſe
rencontroient , &...
C
MERCURE DE FRANCE.
SCENE VIII
LUCIDOR , PICARD .
PICARE. Il y a encore là bas un Monfieur
qui dit s'appeler M. Damis , & qui
demande à vous parler .
LUCIDOR. Encore un Damis ? je crois
qu'il en pleut.
PICARD. Ferai -je entrer , Monfieur ?
LUCIDOR à part. Oh ! parbleu , je tiens
celui ci. ( haut à Picard) Oui , & dis à
mon gendre que je l'attends ici .
SCÈNE IX,
LUCIDOR , DAMIS .
DAMIS . M. Lucidor.
LUCIDOR. Entrez , Monfieur , entrez ;
vous êtes M. Damis de Pontoife , n'eft ce
pas ?
DAMIS faluant. A vous fervir , Monfieur.
LUCIDOR à part , examinant la contenance
de Damis. Voilà , fur ma parole ,
MARS.. 1776 . St
un des plus hardis frippons que je connoille.
DAMIS . Permettez que cet embraffement...
LUCIDOR , lui tournant le dos . Doucement,
Monfieur , doucement ; c'eft pouffer
un peu trop loin l'effronterie .
DAMIS . Cet accueil a lieu de me furprendre
, & dans les termes où mon père
m'a dit que nous en étions , je n'avois
pas lieu de m'y attendre..
LUCIDOR . Dans un inftant vous aurez
l'explication de tout ceci , Monteur le
fourbe .
DAMIS. Monfieur , voilà des épithètes
qui ne me conviennent point du tout.
1
SCÈNE X.
LUCIDOR , DAMIS , ISABELLE .
DAMIS
Ciel!
appercevant Ifabelle , à part.
que vois je?
ISABELLE à part. Voilà mon perfide ;
armons nous de courage.
LUCIDOR examinant la confufion de
Damis. Le voilà pris . ( haut) Eh bien !
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
M. l'affronteur , connoiffez vous ce Cava
lier là
DAMIS déconcerté , à part. C'eſt Ifabelle
! quel étrange événement ! haut à
Lucidor) Je ne puis vous diffimuler ma
furprife ; mais ...
LUCIDOR furieux . Mais , mais ; vous
ofez ainfi vous jouer à moi ?
DAMIS. J'avoue ma faute , Monfieur ,
&...
LUCIDOR . Il est parbleu bien temps ,
& je trouve l'aveu plaifant. Holà ! ho !
qu'on m'aille chercher un Commiffaire.
ISABELLE. Eh ! Monfieur , laiffez ; fa
confufion nous venge affez.
LUCIDOR. Je fuis votre ferviteur.
DAMIS. L'arrivée de votre Commiffaire
fera fort inutile , Monfieur ; c'eft
de Mademoiſelle feule que j'attends ma
grâce ou ma punition ; je fuis depuislong-
temps en proie à un remords qui me
déchire.
LUCIDOR . Mademoiſelle ! il extravague.
DAMIS fe jetant aux pieds d'Ifabelle.
Charmante Ifabelle , aurez- vous l'indulgence
de pardonner à un perfide , qui ne
mérite que votre colère ? Me permettrez
vous de vous offrir un coeur que l'ambiMARS.
1776 . 53
tion vous enlevoit , mais que l'amour
vous ramène.
ISABELLE attendrie. Ah Damis !
LUCIDOR à Ifabelle. Mon gendre , que
veut dire tout ceci ?
SCÈNE XI & dernière.
LUCIDOR , DAMIS , ISABELLE , ERASTE .
ERASTE à Lucidor. Je viens , Monfieur
, vous demander pardon d'une fupercherie
qui a dû vous offenfer , quoique
la circonftance pût la rendre excufable
: je me préfente fous mon vrai
nom ...
LUCIDOR . A l'autre ; je crois que j'en
deviendrai fou . Oh çà ! Meffieurs , puifque
vous voilà raffemblés , dites- moi de
grâce qui de vous trois s'appelle Damis .
DAMIS. Il ne faut pas vous abufer plus
long -temps , Monfieur ; c'eft moi qui
m'appelle Damis , & qui devois époufer
votre fille mais j'ai donné ma foi à Ifabelle
, & rien au monde ne pourra déformais
rompre nos engagemens.
LUCIDOR . Voilà un fort for compli-
M. Damis , & vous pourriez vous
ment ,
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE.
épargner la peine de venir me le faire
ici .
DAMIS Je ne vous diffimule pas que
j'étois venu dans un autre deffein : honteux
de ma perfidie , je n'ofois me préfenter
devant celle qui en étoit l'objet :
L'intérêt m'amenoit aux pieds de Mademoiſelle
votre fille , je rencontre l'adorable
labelle : l'amour & la vertu remportent
la victoire , & je lui rends un
coeur que j'ai le bonheur de voir bien
reçu , quoiqu'il foit fi peu digne d'elle .
LUCIDOR , avec le plus grand étonnement.
Ifabelle !
ISABELLE . Vous la voyez devant vous ,
Monfieur , confufe de la tromperie
qu'elle vous a faite ; elle vous croit trop
généreux pour troubler le bonheur de
deux Amans auffi tendrement Onis.
LUCIDOR An diable les Amans ! j'avois
bien befoin d'être mêlé dans toutes ces
tracalleries - là , mới ?
ERASTE . Vous pouvez aifément réparer
tout ceci : vous m'avez accepté tantôt
fous le nom de Damis : oferois- je
me flatter que vous ne me rejeterez pas
lorfque vous faurez mon vrai nom ? Je
m'appelle Erafte , & je fuis fils de Lyfimon..
MARS. ss 1776 .
LUCIDOR . Lyfimon ?
ERASTE. Oui , Monfieur ; connoîtriezvous
mon père ?
LUCIDOR. Oui , un peu ; j'ai fait avec
lui un voyage en Italie , il y a bien long⚫
temps ; c'eft un très brave homme.
ERASTE . Je m'eftimerai fort heureux
fi cette ancienne connoiffance vous prévient
favorablement pour moi.
LUCIDOR. Oui - dà , nous verrons çà ;
j'écrirai au bonhomme ; vous pouvez efpérer
cependant.
ERASTE Ah ! Monfieur , vous me rendez
le plus heureux de tous les hommes.
Ce coup inopiné du fort juftifie le proverbe
.
Par Mademoiſelle Raigner de Malfontaine.
LE
LA TIMIDITÉ RÉCOMPENSÉE.
Idylle.
PALÉMON & DORIS.
‚¤ Berger Palémon , dès fa plus tendre enfance ;
Perdit tous les parens , demeura fans appui.
Le vieux pafteur Egon , dur , plein de défiance ,
Civ
5.6 MERCURE
DE FRANCE:
Pour garder les troupeaux le retira chez lui.
Si la fortune contraire ,
Au jeune Palémon n'accorda pas de bien ,
La Nature , en bonne mere ,
Prodigue à fon égard , ne lui refufa rien .
Une fuperbe chevelure
A replis ondoyans tomboit fur fa ceinture ;
L'air le plus doux , les plus beaux yeux ,
Déceloient , malgré lui , fon caractere heureux.
Tout ce qu'il voyoit faire étoit pour lui facile ,
Il favoit le faifir dès la premiere fois ;
Il n'apprit jamais le hautbois ,
Et de tous les bergers c'étoit le plus habile;
Un autre eût été vain de ces dons étonnans ,
Mais Palémon , naïf , bon , timide à l'extrême,
Paroilloit ignorer lui- même
Qu'il poflédât tant de talens.
Content de fon état , (ans regrets , fans envie ,
A tout plaifir bruïant préférant fon repos ,
Lefpectacle des champs , le foin de festroupeaux
Faifoient le charme de la vie.
Dejour en jour plus matineux ,
Il étoit exact à le rendre
Sur un côteau délicieux
D'où l'oeil pouvoit au loin s'étendre,
Aflez près de ce lieu , la bergere Doris
Menoit auffi fes moutons paître.
Tousdeux fur le gazon , nonchalamment affis ,
MAR S. 1776. 57
Prenoient fouvent plaifir à voir l'aurore naître.
On eût dit deux ainans , mais il n'étoient qu'amis
De ce fertile & beau pays ,
Doris étoit la plus riche bergere ,
Et Palémon , toujours humble & foumis ,
Renfermoit fes defirs , n'ofoit vouloir lui plaire
La bergere en effet , par un certain maintien ,
Tout à la fois engageante & ſévere ,
En impofoit , paroifloit froide & fiere ;
Mais , dans le fond , l'amour n'y perdoit rien.
On fongeoit au berger ; le coeur , en fon abfence ,
De fon image étoit doucement tourmenté ;
On auroit même fouhaité
Qu'un heureux halard fit naître une circonſtance ,
Où ce penchant fecret fe fût manifeſté.
Ce hafard vint enfin. Un beau matin d'été ,
Doris manqua l'heure de l'entrevue,
Du plaifir qu'il avoit goûté ,
Palémon encor transporté ,
Auffi tôt qu'il l'eut apperçue :
Ah Doris pourquoi tardois-tu a
Combien tesyeux ont aujourd'hui perdu!
Tu ne verras jamais une plus belle aurore ...
. L'air étoit fi frais & fi pur...
Le foleil s'eft levé dans un fi bel azur....
Mon ame étoit comblée : elle en treflaille encore
Plus nombreux que jamais , les oiſeaux d'alentour
Sembloient le difputer , par leur bruïant ramage,
Cy
58
MERCURE
DE
FRANCE
.
A qui fauroit au Dieu du jour ,
Rendre le plus brillant hommage.
Comme je te souhaitois_là !
Combien ta joie cût redoublé la mienne !
Qui peut, difois- je, empêcher qu'elle vienne ?...
Tu m'as inquiété... Mais enfin , te voilà.
DORIS .
Il eſt vrai , j'ai tardé . Je fuis vraiment fâchée
Du trouble où je t'ai mis : mais j'étois empêchée...
PALÉM O N.
Quelque agacau nouveau né...
DORIS.
Non, ce n'eft pas cela ;
Une occupation plus chere
Me retenoit...
PALÉM O N.
Plus chere ! Eh quot !
Peut-il être un fein ? ...
DORIS.
Oui . Je travaillois pour toi .
PALÉM O N.
Pour moi !
MARS. 1776 . 59
DORIS.
Découvre -la .
Vois dans ma panetiere...
PALÉM O N.
C'est un chapeau .
Ciel ! qu'il eft galant ! qu'il eſt beau !
DORIS.
Que je le voye fur ta tête.
PALÉM O N,
Parles- tu tout de bon ?
DORIS.
Quelle crainte t'arrête è
PALÉM O N.
Tu n'as donc pas prévu , fi j'ole m'en parer ;
Que chacun en va murmurer.
DORIS .
Du hameau n'est- ce pas après demain la fête ?
Cette raifon t'excufera .
PALÉM O N.
C'eft Egon que je crains ; ce vieux Pâtre dira
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Que j'aurai vendus en cachette
Ou fes fruits ou fon lait ... Tu fais comme il me
traite .
DORIS.
Eh bien ! prends un parti : mes troupeaux font à
moi ,
Ils croiflent tous les jours , je n'y peux plus fuffire :
J'ai besoin de quelqu'un qui m'aide à les conduire ;
Dès demain , fi tu veux , je t'en donne l'emploi.
PALÉMON .
Si je veux !... Dès demain tu feras obéie.
Servir une maîtrefle auffi douce que toi, .
Eft le plus grand bonheur que j'aurai de ma vie..
DORIS.
Maîtreffe , moi ! ce n'eft point-là mon nom ;
Je fuis toujouis Doris , toi toujours Palémon.
De vrais bergers ne doivent reconnoître
Entre eux aucune primauté .
Ces oileaux que tu vois rampent- ils fous un
maître?
Non leur plus grand bonheur naît de l'égalité.. -
Regarde cette panetiere ;
Qu'il te fouvienne , en la voyant ,
Que Doris fut ton écoliere ,
Qu'elle te doit plus d'un talent....
MARS. 1776. 61
N'est- il pas jufte enfin qu'avec toi je m'acquitte.
PALÉM O N.
Dès long-temps tu dois être quitre.
Tu me fais chaque jour quelque nouveau préfent ;
Tantôt c'eft un bouquet , tantôt c'est un ruban.
Que de fois ta main libérale
A , d'une adrefle fans égale ,
Gliflé dans ma corbeille , au moment des repas
Mille fruits fucculens que je n'attendois pas ?
DORIS.
Combien de fois auffi , jufqu'à perte d'haleine ,
N'avois- tu pas chanté pour charmer mon loifir 2
PALÉM O N.
Eh bien ! chanter eft- ce une peine ?
On chante tous les jours pour fon propre plaifir.
DORIS.
Tu te défends en vain ; je ne puis être ingrate 3.
De tes égards pour moi le fouvenir me flatte,,
Et dès ce jour , fans différer ,
Je veux...
PALÉM O N.
A te lervir je vais paffer ma vie ;
Nos Pafteurs à mon fort vont tous porter envies
Que pourrois je encor defirer-t
62 MERCURE DE FRANCE.
DORIS.
Ce que tu méritas , en n'ofant l'efpérer :
Le coeur de ta Doris , la main de ta bergere ;
Je te les donne , ils font à toi.
PALÉM o N.
Eft-il bien vrai ? ton coeur & ta main font à moi !
J'ofe à peine t'en croire... Ah Doris ! quel falaire !
DORIS
.
J'en partage le prix ; je t'aimois , & mon coeur ,
En affurant le tien garantit fon bonheur.
Par M. Delautel.
VERS à l'occafion de l'Eloge de Catinat ,
par M. de la Harpe , couronné par
l'AcadémieFrançoife.
L'AMOUR même forma les traits de Mélanie;
Le goût & la vertu chanterent Fénélon.
L'éloge du Bonhomme eſt au lacré vallon ,
Juftement couronné des palmes du génie ;
L'Elope des Français & l'Auteur d'Athalie
Conduisirent la main qui finit leurs portraits.
Leurs talens réunis , leurs pinceaux & leurs traits ,
MARS. 1776 .
163
*
D'un Guerrier généreux nous tracerent la vie
A la gloire des lys , à la gloire des arts .
Ce tableau raviflant fixa tous les regards
Au Temple de l'Académie.
Préparez vos poifons , noirs ferpens de l'envie ,
Le Dieu du Pinde a chanté le Dieu Mars.
Par M. Aude.
VERS à M. WORLOK ™ fur la guérifon
de Mademoiselle d'Ormoy.
Q
VEL miracle, Docteur ,tu viens de faire encore !
La charmante Félicité
Alloit périr dès fon aurore
Et tu la rends à l'amitié ,
SOVS ZUJ
Nous te devons l'agréable efpérance
De revoir l'enjouement , les grâces , les amours
Orner la nouvelle existence ;
Ah ! reçois le tribut de la reconnoiffance !
Tu nous donnes la vie en affu ant les jours,
PurM.LV ) .
* Catinat.
¹ Inoculateur ¹Anglois , célèbre furtout par nn
Spécifique dont il poffède feul le fecret , & qui eft
infaillible pour la guérison de la petite vérole natu
zelle.
64
MERCURE
DE FRANCE
.
VERS à Mademoiselle G... fur une Fête
que , pour bouquet , elle a donnée à M.
fon Père , le 8 du mois de Janvier , &
pour laquelle on a repréſenté les deux
Opéra comiques intitulés , la Servante
Maîtreffe , & Annette & Lubin, pécédés
d'un Prologue de la compofition de cette
Demoiselle.
Aux plus riches préfens que fafle la nature
Vous avez ajouté tous les tréfors de l'art ;
Aux attraits , lestalens ; à l'efprit , la culture :
Et vous avez un coeur incapable de fard.
N
Comment , avec tant de droiture ,
Sans avoir du théâtre acquis nulle teinture,
Jeune & furprenante G...
D'une touche légere &fûre
Pouvez-vous nous tracer la fidelle peinture
Des rôles qu'à jouer on vous donne au haſard ?
Vous fembiez de la fépulture .
Retirer les talens de l'aimable Favart.
Quede latendre & fimple Annette
On reconnoifle en vous une image parfaite ,
Jenefuis nullement furpris. ·
MARS. 1776. 65
C'eft la candeur , c'est l'innocence ,
C'eſt la tendrefle & la conftance ;
De mille & mille foins dignes d'être chéris ,
C'eft la vive reconnoiffance ,
Ou celle d'un bienfait dont on ſent tout le prix.
Ces fentimens par excellence ,
Dans votre coeur font tous écrits ;
Et , pour les rendre avec aifance ,
Vous n'avez pas befoin de les avoir appris :
Vous n'avez, pour cela , confulté que vous même.
Mais un point qui me caufe une furpriſe extrême ,
Et , plus que tout le refte , enchante mes efprits ,
C'est la facilité du jeu plein de fineffe
Dont vous avez rendu la Servante Maîtreſſe ;
Ce font vos tons plaiſans & vos malins fouris ;
De vos humbles adieux c'eft la touchante adreſſe ;
De tous vos mouvemens , c'eſt l'extrême juſteſſe.
D'où vous vient ce talent ? Où donc l'avez -vous
pris ?
Dans un âge encore fi tend e ,
L'art le plus accompli n'auroit pu vous l'appren
dre.
Ovous qui me tenez dans un enchantement
Qu'augmente la beauté de votre caractere !
Vous qui favez fi bien peindre le fentiment ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Qu'infpirent les bontés d'un pere & d'une mere ,
Qui les chantez fi tendrement ,
Et d'une voix fi douce ensemble & fi légere ;
Vous qui favez payer fi délicatement
Le retour que mérite une amitié fincere ;
Vous enfin qui favez , & fi parfaitement ,
Mainte chole peu néceflaire ,
Jeune G... objet charmant ,
Ne faurez-vous jamais comme on aime un amant ?
LE
mot de la première Enigme du
volume précédent eft la Calone ; celui
de la feconde eft les Mouchettes ; celui
de la troisième et les quatre Saifons.
Le mot du premier Logogrypheeft Bour
fe , dans lequel fe trouvent or , roue ,
rue , ver , bure , ours , ourfe (conftellation),
robe , rofe , re , bufe , rufe , vers , rebus, eu ,
fou , foeur , os , ou , boue ; celui du fecond
eft Croûte , où fe trouve route ; celui du
troisième est Drapeau , où l'on trouve drap
& eau.
MARS. 1776. 67
ENIGM E.
Je vais , Lecteur , pour un moment ,
Te donner du fil à retordre ;
Tu me nommeras ailément ,
Il eft très-facile d'y mordre ;
Je fuis de toutes les couleurs
Et de différentes grolleurs ;
Mais plus utile auprès des Dames ,
Sans être jamais amoureux,
Je puis former les plus beaux noeuds ,
Sans reflentir aucunes flammes .
Mon nom fe joint avec de l'eau ,
Les Parques , le diſcours , & même ton couteau,
Par M le Clerc de la Mothe , Chev de
Saint Louis , Membre de la Société
littéraire de Meiz
JB
A UTR E.
3
E fuis mere des élémens ,
A tour je donnai l'exiſtence ;.
C'est par moi qu'un Amant exprime ce gil
penfe ;
68 MERCURE DE FRANCE:
Du commerce je fuis un des premiers agens ;
Organe de la peine ainfi que de la joie ,
Je fuis caufe du bien , je fuis cauſe du mal :
Mon fecours eft , Lecteur , ou propice ou fatal ,
Selon que l'on m'emploie ;
Ne me cherches pas loin , mon fort dépend de toi ,
Tu ne peux me nommer fans te fervir de moi .
Par M. L ***.
AUTR E.
MALGRÉ mon obfcure naiſſance ,
Je contracts fouvent une haute alliance ,
Et de roturieres mains
M'élevent au- dellus du commun des humains.
Un trait eft en mon coeur , qui feul foutient ma
vie ,
Sans lui je périrois , fur lui feul je m'appuie
Peut - être on me mettra de pair avec un fol
Si je dis que la corde au col ,
Dans les fers , même à la potence ,
Loin de fentir quelque fouffrance ,
Loin de me plaindre d'un tel fort ,
Qui femble précéder de peu d'inftans la mort ,
Plus heureuſe ainſi qu'on ne penſe ,
Je gazonille , je joue , & quelquefois je danfe.
?
MARS. 1776. 69
Je ne parle jamais , & c'eft , fans contredit ,
Ce que l'on fait de mieux quand on n'a pas d'efprit :
La raison de cela n'eft pas que je fois bête ,
Mais c'eft que je n'ai point de tête ,
Féminine pourtant , ce qui te furprendra ,
Lecteur , & bien t'étonnera ;
Sans être de chancellerie ,
Tu peux me voir fort près des ( ceaux ;
Et pour mes foins & mes travaux ,
Tu peux me voir encor pendue en effigie
Au milieu des eaux.
Par M. Gazil , fils.
LOGO GRYPH E.
RIVAL de Jupiter , je fais trembler la terre :
Je porte dans mes flancs l'épouvante & la mort.
Mon chef à bas , plaignez mon fort :
Vivant, beaucoup de peine , un fort mince (alaire ,
Je devrois , en mourant , jouir de ce repos
Que tout mortel attend après tant de mifere ;
Alcide eft dans les cieux pour prix de ſes travaux.
Suis -je mort ? Un vil mercenaire
De cent coups redoublés fait retentir mon dos.
ParM. deW... Capit. de Cavalerie.
70 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
LECTEUR , en campagne , à la ville ,
Il est peu de logis où je ne fois utile :
De mon tout fais deux parts , réfléchis un moment ;
De
Eh bien ? ne vois - tu pas fouvent
Gens qui , fans avoir ma premiere ,
Portent fierement ma derniere !
A Nantes. Par M. Onfroy de Breville.
LE PRINTEMPS. Arience. *
Amorofo.
**
D'E nos fo- rêts , l'om-brage & ·
la frai- cheur ; De ces ruiffeaux ,'
le mur-mure en- chan- teur ; De
131 V A
Paroles de M. la Richerie, mufique de M.
l'Abbé de Malidor.
MARS. 1776 . 71
番
ces ga- fons , la ri- an- te verdu-
re : Tout nous an - nonce , en
Ꮎ
ce bril- lant fé- jour , Le réveil
de la Na- tu- re , Et du Prin-
+
tems l'a gré- a- ble retour.
I- ci les Rof- fi- gnols , fous
de naiffans feuil- la- ges , Agi- tés
M
par les doux Zé- phirs , Font entendre
aux échos leur diffé- rens ra72
MERCURE DE FRANCE.
mages
:
Que de dou- ceurs ! que de plaifirs
! U ne di- vi- ne
flamme Pé- netre au fond des
coeurs , Et nous fen- tons que notre
a- me S'é- panou- it a
vec les fleurs .. DE nos forêts , & c.
NOUVELLES
MARS. 1776 . 73
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Principes du Droit civil Romain ; par
M. Olivier D. ès D. A Paris , chez ,
Mérigot l'aîné , Libraire , quai des
Auguftins , près la rue Dauphine ; 2
vol. in 8°.
Na fait dans tous les temps l'éloge
des Loix Romaines , collection précieufe
où l'on trouve le développement de ces
loix primitives , qui ne font autres que
Pexpreffion de l'équité la plus pure , ap
pliquée aux différens intérêts des hom
mes dans la fociété civile . On diroit
que
la raifon a réfléchi fur elle- même pour
fe réduire en règles . Auffices loix immor
telles tiennent elles encore , malgré leur
ancienneté , malgré la mobilité des chofes
humaines , toutes les Nations policées
comme affujetties: à leur empire.
Tout y manifefte cette profondeur de bon
fens , cet efprit de légiflation qui a été
le caractère propre & fingulier des Maîtres
du monde . Il femble que la juftice
n'a dévoilé pleinement fes mystères
D
74 MERCURE DE FRANCE.
qu'aux Jurifconfultes Romains . La fageffe
avec laquelle ils découvrent équité
au milieu de tout ce qui femble l'enve
lopper de voiles épais , frappa d'admiration
nos Ancêtres ; & cette admiration
a été la même dans tous les fiècles. Le
droit Romain fut toujours refpecté parmi
nous , & plufieurs grands hommes
ont confacré ledrs talens & leurs veilles
à lui rendre fon éclat ; mais on doit con.
venir qu'on n'a pas encore ôté toutes les
épines qui rendent rebutante l'étude des
textés que les Pandectes & le Code renferment.
L'Auteur des Principes du droit
civil Romain a cherché, à applanir lest
difficultés , en fourniſſant les idées- principales
fur toutes les matières du droit ,
en préfentant un point de vue exact ſous
lequel ces matières doivent être envifagées
, & en renfermant dans le plus court
efpace toutes les maximes élémentaires
du droit Romain .
C'eſt une bizarrerie , nous ofons le
dire , de faire entrer dans un cours complet
d'éducation une foule d'objets , fans
faire aucune mention de l'étude des loix
auxquelles tant de Peuples de l'Europe
font foumis. On n'a pas befoin de fe
deftiner à l'étude de la Jurifpradence
C
MARS. 1776 .
759
pour le déterminer à acquérir des notions,
exactes du droit Romain , qui eft appelé
à juste titre la raifon écrite , & qui eit le,
droit commun de piafieurs Provinces du
Royaume.
Cicéron nous apprend que les enfans
mâles , dans l'âge d'adolefcence , étoient
obligés d'apprendre par coeur les douze
tables de la loi . C'étoit une leçon indifpenfable
pour imprimer de bonne heure
dans leur mémoire la connoiffance des
loix de leur pays . Il ne fera pas hors de
propos de rappeler ici un trait de l'Hiftoire
Romaine . Servius Sulpicius , de,
l'ordre des Patriciens & Orateur célèbre ,
fut un jour dans le cas de prendre l'opi
nion de Quintus Mutius Scevola , l'oracle,
des loix Romaines ; mais , par le défaut
de connoiffance de cette fcience , il ne
put pas même entendre les termes tecniques
dont fon ami fit ufage pour lui
expliquer fon fentiment; fur quoi Marius:
Scevola ne put s'empêcher de lui faire ce
reproche mémorable : « N'eft il pas hon.
» teux , lui dit- il , pour un Patricien de
» ne point comprendre une loi qui le
concerne fi particulièrement? Et ce
reproche fit une fi profonde impreffion
fur Sulpicius , qu'il s'appliqua depuis à
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
cette étude , & qu'il y fit de fi_grands
progrès , qu'il a laiffé à fa mort environ
180 volumes de fa compofition fur cette
matière , & que , fuivant Cicéron , il
paffe pour avoir été depuis plus favant
Jurifconfulte que n'étoit Scevola même.
L'Auteur des principes du Droit civil
Romain nous fournit , par fon Ouvrage ,
les moyens d'éviter les reproches que
l'on fit à Sulpicius. On n'a pas befoin de
fouiller cette multitude de Commentateurs
qui ont inondé la Jurifprudence ,
& l'ont rendue bien plus douteufe qu'elle
' étoit , lorſqu'on n'avoit que les loix à
confulter. Ces loix doivent être regardées
comme un fyftême lié & fuivi , où l'on
ne voit aucunes de ces contrariétés & de
ces décifions difparates , formées au hafard
, que l'on rencontre fi fouvent dans
lés Loix barbares & même dans nos Coutumės.
La fcience du Droit Romain ,
que nous devons à de profonds Jurifconfultes
, nourris dans la dialectique des
Stoïciens , eft fondée fur des définitions
claires , des règles préciſes & des conféquences
certaines ; & les Ouvrages trop
multipliés des Commentateurs n'ont fait
que répandre de l'obſcuritéſur cette étude .
Le célèbre Montagne nous apprend que
MARS. 1776. 77
plus on fème les questions & les opinions
, plus on fait naître d'incertitudes
& de querelles. Les Rédacteurs des Loix
Romaines avoient bien prévu cet inconvénient
, en faifant défendre , par une
loi expreffe , qu'aucun Jurifconfulte ne fît
à l'avenir des glofes fur le Digefte ou
fur le Code. L'obfervation de cette loi
fi fage n'auroit pu produire que d'heureux
effers .
On n'a point fuivi dans cet Ouvrage
le plan de Domat , ni d'aucuns des Jurifconfultes
qui ont pris des points de
vue différens de ceux qui nous font in
diqués par les textes des Loix . L'Ouvrage
des Loix Civiles ne nous difpenfe point
de lire & d'étudier les textes . L'Auteur
a feulement rangé les matières du Droit
dans un certain ordre , & n'a point prétendu
donner une introduction à l'étude
du Droit civil Romain . Ainfi le dernier
Ouvrage ne reflemble en rien au premier
ce font deux marches différentes
qui n'ôtent rien au mérite de chaque Auteur.
:
Tous ceux qui voudront avoir de juftes
notions des élémens de la Jurifprudence
Romaine , n'auront befoin que de lite
l'Ouvrage que nous annonçons. Comme
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
des Loix Romaines , loin d'être l'ouvrage
d'un feul homme & d'un feul âge , font
au contraire le réfultat des réflexions
d'un grand nombre de Sages , inftruits
par l'expérience de pluſieurs fiècles ; pour
en connoître l'origine & les progrès , on
eft obligé de confulter les monumens
antiques & d'étudier l'Hiftoire des anciens
Peuples , fur tour celle des Egyptiens
, fi célèbres par l'étendue de leurs
connoillances ; c'eft par cette étude qu'on
peut découvrir les principes de ces loix ,
que les premiers Philofophes de la Grèce
avoient rapportées dans leur patrie . Ces
loix elles mêmes , après avoir acquis un
nouveau degré de perfection entre les
mains des Magiftrats des différentes Républiques
Grecques , devinrent le germe
de celles des douze Tables que Tacite
regardoit comme la fin des bonnes loix.
On convient que le Droit Romain eft
un peu défiguré dans la compilation de
Juftinien , parce que le Rédacteur a mutilé
plufieurs conftitutions des Empereurs
& les fragmens des anciens Jurifconfultes
; auffi devient il néceffaire d'approfondir
l'hiftoire , les moeurs , la langue
& les anciennes loix des Romains , &
de recueillir avec foin les précieux débris
MARS. 1776 .. 79
du Droit qu'on fuivoit avant Juftinien.
Toutes ces idées fe trouvent développées
dans le difcours préliminaire qui eft á la
tête des principes du Droit civil Romain.
Le Philofophefans prétention ou l'Homme
rare ; Ouvrage phyâque , chimique ,
politique & moral ; par M. D. L. F.
A Paris , chez Cloufier , Impr . Libr.
rue St Jacques; & Lacombe , Lib. rue
Chriftine ; in- 8° . br. 41.
L'Auteur de cet Ouvrage a craint que
la forme purement didactique , ne muisît
aux explications neuves & ingénieufes
qu'il nous donne de plufieurs phénomè
nes ; il a mieux aimé envelopper les differtations
dans un Roman , où la variété
des épifodes amufe le Lecteur , que de
donner une fuite de leçons qui amènent
fouvent l'ennui & le dégoût. Voici fes
raifons. Une belle femme , fimplement
vêtue , excite rarement la curiofué de
ceux qui en font éloignés ; mais cette
femme annonce elle l'éclat d'une toilette
intéreſſante , on accourt vers elle ,
on reconnoît fes charmes , l'on s'en occupe.
Telle eft la fcience. Combien de
jolis efprits s'y feroient attachés & au-
Div
82 MERCURE DE FRANCE.
difpofition des terres par couches , les
tremblemens de terre , la formation des
métaux , les pétrifications d'animaux ou
végétaux , &c. L'Auteur , par les charmes
de fon ftyle , rend agréables &
intérefans tous ces différens objets de la
phyfique , qui fembloient les moins ſuſceptibles
d'ornemens .
Lettres intérefantes du Pape Clément XIV
( Ganganelli ) traduites de l'Italien &
duLatin . AParis , chez Lottin le jeune ,
rue St Jacques . A Lyon , chez Bruyfet.
Ponthus , Libraire. A Rouen , chez
Benitier , Libraire ; en 2 vol . in - 12.
Cette édition eft ornée d'une planche
en taille douce , & fignée au dos du'
frontifpifce par le Libraire de Paris ,
Lottin le jeune , pour reconnoître les
contre factions.
ļ
Ne jugeons les hommes que fur leursfaits
&fur leurs lettres , difoit le Cardinal
Bentivoglio ; car ce n'eft fouvent que l'adu.
lation ou la malignité qui les peint à nos
yeux. D'après cette règle , quiconque
lita les lettres de Ganganelli , le regardera
, à jufte titre , comme un des plus
grands Pontifes de l'Eglife Romaine. Il
MARS. 1776 . 83
fuffit de comparer ces lettres éloquentes ,
dans tous les genres , & utiles à toutes
les conditions , avec les bulles & les
brefs de Clément XIV , pour reconnoî,
tre que c'est le même génie qui les a
dictées *, le même efprit de fagelle & de
modération qui en fait la ſubſtance , &
le prix.
Parmi tant de beautés qui brillent dans
ces lettres , nous nous bornerons à préfenter
quelques uns des traits qui nous
ont le plus frappés , & qui font propres
à fixer le jugement du public fur le mérite
*
Og faifoit
dans
un
cercle
, compofé
de pers
fonnes
diftinguées
, l'éloge
des
lettres
de Clément
XIV
; on admiroit
fur
tout
cette
tolérance
, évángélique
, cet
efprit
de paix
& de charité
qui
y
règne
& qui
conviennent
fi bien
aux
Miniftres
d'une
Religion
fainte
Quelqu'un
foutint
qu'aucunes
de ces
letries
n'avoit
été
écrite
par
Ganganelli
, ce qui
fit naître
une
difcuffion
qui
commençoit
à s'échauffer
, lorfqu'une
Dame
, également
diftinguée
par
fon
efprit
& par
la paillance
,
termina
la querelle
en difant
d'un
art
de dignité
qui
lui
eft naturel
: Que
les maximes
répandues
dans
ces
lettres
, quel
qu'en
pût
être
l'Auteur
,
n'en
étoient
pas
moins
vraie
, moins
importantes
& moins
dignes
de l'illufire
Pontife
; & qu'il
étoit
plus
effentiel
de
chercher
à les mettre
en pratique
,
que
dedifputer
vainement
fur
leur
origine
,
D
vj
84 MERCURE DE FRANCE .
་
de cet illuftre Pontife . Eatendons - le
d'abord s'expliquer lui - mêine , avec autant
de fageffe que d'impartialité , fur
l'état qu'il avoit choifi . Quand on em
» brate la vie cénobitique , on doit
» craindre que ce ne foit une illufion ....
» Je n'aime pas qu'on fe furcharge
d'obligations ..... La deftination de
» l'homme eft de travailler. Il n'y a qu'un
» pas de la vie fpéculative à la vie parelfeufe
... Il eft difficile de trouver un
grand nombre de Religieux fervens
» on doit appréhender d'appauvrir l'Etat ,
» en fe rendant inutile à la fociété.....
» Je ne vous confeille nullement de
"
donner aux Communautés . Il n'eft pas
jufte d'appauvrir les familles pour les
» enrichir. Notre richelle doit être notre
répuration »...
On ne doit pas perdre de vue que
c'eft ici un Religieux éclairé qui tient
ce langage , & qui doit être regardé
comme juge compétent fur la matières
il y a toujours de la force d'efprit à ne
fe point laiffer maîtrifer par les préjugés
de fon état. Au refte , Ganganelli n'en
avoue pas moins que des Religieux li
yzés aux études utiles , ont fait la gloire
du Saint- Siége & des différentes Eglifes
MAR S. 1776. 35
pendant des fiècles entiers. Il y a toujours
eu dans le Chriftianifme des hommes
eftimables qui , à l'obfervation des préceptes
, ont ajouté l'accompliffement des
confeils évangéliques.
Ganganelli réunifloit à toutes les qua
lités d'un Pafteur éclairé , la fcience d'un
Théologien profond . Qu'on life fa belle
& fublime lettre adreffée au Cardinal
Quirini ( Tome I. page 318 ) & l'on
fe convaincra que ce Pontife pouvoit
mieux qu'aucun autre , tétablir les bonnes
études de la théologie , & les épurer de
rout ce qui s'y eft mêlé d'étranger &
d'inutile . On ne peut pas fe diffimules
que les Ecoles ont eu , au moins pour
la plupart , le malheur de commences
dans un temps où le goût des bonnes
études étoit couvert de ténèbres
pro
fondes que les Barbares du Nord , qui
inondèrent l'Europe , répandirent fus
les beaux - arts & fur les fciences. It
eft vrai que depuis le milieu du quinzième
fiècle on environ , les fciences
ont commencé à fe relever ; on a banni
des Ecoles , cette ancienne barbarie
qui les faifoit regarder , avec fondemènt
, comme un pays affreux , comme
une terre qui dévoroit les habitans & les
1
85 MERCURE DE FRANCE.
confumoit par fes épines. Mais fi l'ouvrage
du rétabliffement des études eft
heureuſement commencé , il n'a pas encore
été conduit à la perfection . Ganganelli
étoit perfuadé , & il le prouve avec
éloquence , que nous ne lommes pas
encore rentrés dans la voie que nos pères
Dous ont tracée , quoique nous en loyons
moins éloignés que les Théologiens da
douzième & du treizième fiècle. Il fe
plaint , avec raifou , des écarts de l'ancienne
fcolattique , qui ne roule que trop
fouvent fur des diftinctions frivoles ,
& fur des queſtions de mots qui n'intéreffent
en rien , lurs même qu'on eft par,
venu à y entendre quelque chofe . L'étude
de la théologie n'eft , felon lui , qu'une
lecture affidue & réfléchie des Livres
Saints , une application férieufe à connoître
la doctrine des Pères , les décifions
des Conciles & tous les monumens de
la tradition , afin de puifer dans ces divi
nes fources la connoiflance des dogmes
& les règles de la morale ; & la ſcolaſ
tique avoit perdu de vue cette fublime
deftination de la Théologie , & en avoit
fait, fe on M. Fleury , un exercice de dif
puter fans fin & de fubtilifer à l'infini, Or
peut-on dire que ce défordre a entière-
4
MARS. 1776. 87
ment difparu? Qu'on entre dans certaines
Ecoles (car il en eft plufieurs où l'enfeignement
eft auffi pur que la méthode eft
lumineufe. Voyez les excellens Traités
de MM. Hook & Legrand fur la Religion
& fur l'incarnation ) & l'on verra
fi cette fcience , fi élevée au- deflus des
fciences humaines , s'y montre avec tout
l'éclat & la majefté qui l'environnent ,
lorfqu'elle n'eft pas obfcurcie par les
ténèbres des raifonnemens humains , ni
défigurée par le mêlange des erreurs , des
opinions incertaines ou des queſtion's frivoles.
Ganganelli , attaché intimement à la
doctrine de Saint Auguftin , pouvoit- il
ne pas reprocher aux anciens Scolaſtiques
d'avoir répandu des doutes fur tout ,
d'avoir converti en opinions & en problêmes
les vérités les plus indubitables ?
Ce défordre prenoit fa fource dans un
autre abus auffi intolérable , qui étoit da
ne confulter que les modernes , & de
négliger l'étude des Livres Saints & des
écrits des Pères. On ne puifoit toute la
théologie que dans le Maître des fentences
, tout le droit canonique dans Gratjen
, toute l'intelligence des Ecritures
dans la Glofe ordinaire ; & parce que
$3 MERCURE DE FRANCE.
l'efprit n'avoit point de principe évident
par la lumière naturelle , ou fondé for
une autorité infaillible , qui pût fixer fa
légéreté & fon inconftance , on fe livroit
uniquement à des fubtilités & à des raifonnemens
philofophiques. Auffi la plupart
des Ouvrages de ces anciens Scolaftiques
ne font remplis que d'obfcurités
de doutes & d'incertitudes ; mais la
théologie dont Ganganelli nous donne
une idée fi noble dans fa lettre au Cardinal
Quirini , ne puife au contraire les
vérités de la Religion que dans la pure
fource des Ecritures & de la tradition ,
& n'employe , pour nous les faire connoître
qu'une méthode lumineufe , qui
opère la conviction . Voici ce qu'il die
de ce Docteur que l'Eglife Romaine a
toujours regardé comme le meilleur guide
& le dépofitaire le plus fidèle de la tradition
.
« Je vous avoue que fi je fais quelque
» chofe , mon cher Abbé , je le dois à la
lecture des Pères & fur-tout à celle des
Ouvrages de St Auguftin : rien n'échappe
à fa fagacité ; rien n'eft au - deffus de fa
» profondeur ; rien n'eft au deffus de fa
» fublimité : il fe refferre , il s'étend , il
» s'ifole, il fe multiplie felon les fujets
MARS. 1776. 89
" qu'il traite , & toujours avec le même
» intérêt & en élevant l'âme juſques dans
» le fein de Dieu : c'eft un fanctuaire
» dont il paroît avoir la clef , & où il
» introduit infenfiblement ceux qui fe
nourriflent de fes magnifiques idées . Je
» l'admire fur-tout dans les matières de
la grâce . Eh ! plût au ciel que fa doc-
» trine fur ce point eût fixé toutes les
» Ecoles & tous les efprits ! Des Ecri-
» vains audacieux n'auroient pas voula
» fonder des abyfmes impénétrables , &
» la grâce de Jésus- Chrift eût confervé
tous fes droits , & l'homme , fa liberté
.
"
Dans une autre lettre , il dit :
" Le Pape ne fait que ce qu'il doit faire
» en vengeant la mémoire du Cardinal
» Noris . Il feroit cruel qu'on fût héréti-
» que , parce qu'on eft Auguftinien ou
» Thomifte , c'eft - à- dire d'une doctrine
» folennellement approuvée par l'Eglife.
» Mais quand on eft pouffé par le fana-
» tifme , on ne raifonne plas & l'on ne
» voit rien 13.
Le Cardinal Ganganelli rappelle ici
un événement qui s'eft paffé à Rome , il
y a près de trente ans . Des hommes envieux
de la haute réputation du Cardinal
90 MERCURE DE FRANCE.
Noris , obtinrent , par leurs intrigues ,
que fes Ouvrages feroient mis , par l'Inquifition
d'Espagne , au rang des livres
prohibés. Le Pape Benoît XIV réprima
cette entreprife , & ne put fouffrir qu'on
fit une telle injure à la mémoire de ce
favant Cardinal . Il écrivit un Bref an
Grand Inquifiteur d'Efpagne , dans lequel
il lui dit que les accufations contre le
Cardinal Noris n'étoient pas nouvelles ;
qu'il en avoit été pleinement & folen
nellement juftifié ; qu'il n'étoit pas per .
mis d'y revenir , ni encore moins de
mettre les Ouvrages de ce grand homme
au nombre des livres défendus .
En applaudiffant à la démarche de
Benoît XIV , le Cardinal Ganganelli
juftifie de plus en plus les regrets que Ca
mort prématurée a caufés à toute l'Eglife .
Que ne pouvoit- elle pas attendre d'un
Pape qui avoit porté fur le Saint Siége
cet efprit de paix & de modération dont
on voit par tout les traces dans fes lettres
qui réſervoit fon zèle & fon indignation
contre le fanatifme cruel &
perfécuteur. A l'exemple de fes Prédéceffeurs
, il reconnoifloit que la doctrine
de Saint Auguftin & de Saint Thomas
eft folennellement approuvée par l'EgliMARS.
1776. 91
fe ; que la foi de leurs Difciples , les
Auguftiniens & les Thomiftes , eft pure
& irreprochable ; qu'il y auroit de l'injuftice
& de l'inhumanité à calomnier
leur orthodoxie. Admirons également
la fagefle & la modération avec laquelle
il parle des communions féparées .
"
Co
L'Eglife Romaine , dit - il , con-
» noît fi parfaitement le mérite de la
plupart des Miniftres des Communions
proteftantes , qu'elle fe félicite-
» roit à jamais de les voir dans fon fein.
» Il ne s'agiroit plus de rappeler les que-
» relles paffées ; de reproduire ces temps
» orageux , où chacun , emporté, par la
» vivacité , fortit des règles de la modé-
» ration chrétienne : mais il feroit quef
"
tion de fe réunir dans une même
» croyance , fondée fur l'Ecriture & fut
» la tradition , telle qu'on la trouve dans
les Apôtres , les Conciles & les Pères.
» Perfonne ne gémit plus que moi du
» mal qu'on vous fit dans le fiècle dernier .
L'efprit de perfécution m'elt tout à- fait
» odieux .
ود
» Combien les Peuples ne gagneroient
» ils pas à une heureufe réunion ? C'eft
» alors que , s'il le falloit , je dirois à
"
mon fang de couler jufqu'à la dernière
92 MERCURE DE FRANCE .
» goutte , fâché de n'avoir pas mille vies
» à donner , pour mourir témoin d'un fi
» merveilleux événement ».
و د
Peut -on lire ces paroles , animées par
la charité apoftolique , fans être intimement
perfuadé que ce Pafteur éclairé
n'auroit pas manqué d'adopter tout plan
de pacification qui eût rapproché du bercail
ces brebis égarées , fans compromettre
en rien les droits de la Catholicité
? Théologien , philofophe & patriote
, il auroit toujours fu concilier ce
que la Religion exige & ce que le bonheur
de la fociété demande .
»
Nous reprochons à M. Fleury , écrir-
" il au Père Orfi , Dominiquain , de ce
qu'il eft trop zélé pour les libertés de
l'Eglife Gallicane , & les François vous
accuferont , M. R. P. de foutenir avec
» trop d'ardeur les opinions ultramon-
" taines .
» Voilà comment il eft difficile d'écrire
» au gré de tous les Gouvernemens : mais
" les hommes judicieux palfent aux François
& aux Romains leurs différentes
prétentions , attendu que cela ne touche
point à la foi . Chaque Nation a
» fa manie , comme chaque individu a
» fon opinion » .
MAR S. 1776 . 93
Un bon François doit plus qu'un autre
foutenir que ce ne feroit pas rendre aux
vérités qui fervent de bafe à nos faintes
libertés , ce qui leur eft dû , que de les
reléguer parmi les opinions ou incertaines
ou indifférentes , qui font abandonnées
aux difputes des hommes . Ces vérités
, auffi néceffaires à la Religion qu'à
la fociété , font certainement parties du
dépôt de la révélation ; on auroit beau
chercher à les affoiblir , elles ne peuvent
rien perdre ni de leur prix , ni de leur
certitude. Tant de favans Théologiens
& d'illuftres Magiftrats ont démontré
que de la confervation de ces précieufes
libertés dépendoient les moyens les plus
fürs de conferver la pureté de la foi , la
fainteté de la morale , la vigueur de la
difcipline , la paix de l'Eglife , la liberté
des Ecoles catholiques , l'honneur de
l'Epifcopat , la dignité même du Saint-
Siége , auffi bien que l'affermiffement
de la Couronne & la fidélité des Sujers
.
La manière de penfer de Ganganelli
fur les prétentions Ultramontaines , laquelle
ne pouvoit être que très modérée ,
ne diminuoit en rien fon amour pour la
paix & pour l'unité, « Rien n'eft plus ter94
MERCURE DE FRANCE.
"
» rible , dit il * , que de divifer le corps
» de Jéfus . Chrift... Rome eft le centre
» d'unité ; & elle ne doit pas , pour des
» articles qui ne touchent ni la morale
» ni le dogme , expofer ceux qui vivent
» dans fon fein , à s'en féparer... Tout
» zèle impétueux qui veut faire defcen-
» dre le feu du ciel , n'excite que de la
haine... Ce n'eft ni en difant des in-
» vectives , ni en s'emportant que l'on
» convertit... Il y a des inconvaincus
qui méritent de la commifération
parce qu'au bout du compte , la foi eft
"
» un don de Dieu » .
Ce favant Pontife favoit que les difputes
font inévitables fur la terre , &
qu'on pouvoit combattre de bonne foi ,
fans cefer d'être enfant de l'Eglife , une
vérité qui s'étoit obfcurcie ; mais il exigeoit
auffi comme un devoir effentiel
d'attendre en paix la décision folennelle
du corps des Pafteurs , qui diffipe tous
les nuages & peut feule concilier tous
les efprits . Ceux qui avoient le bonheur
de défendre la bonne caufe , ils les regardoit
comme chargés d'une manière
plus fpéciale , de tous les devoirs de la
* Tome II , p. 265. Tome I , 108 , 111 .
2
MARS. 1776. 95
charité. Tout zèle qui ne couloit pas de
cette fource divine , n'étoit à fes yeux
qu'une faillie dangereufe de l'amourpropre
ou un emportement humain ; &
ce Pontife , ami de la paix , n'avoit jamais
oublié ces belles paroles de Saint
Auguftin. « Nous fommes hommes , &
» l'effet de la foibleffe humaine eft de fe
tromper quelquefois . Mais aimer fes
propres penfées jufqu'à rompre l'unité
& fe féparer d'avec ceux qui ne pen-
» fent pas comme nous , c'eſt une préfomption
diabolique * ».
Toutes ces règles fi néceffaires au bonheur
de l'homme & à l'ordre des fociétés
, Ganganelli les avoit puifées dans
cette Religion dont il nous fait fi bien
connoître les beaux caractères . Il nous
la dépeint dans fes lettres comme la
feule digne de l'Être Souverain , par la
fublimité de fes dogmes ; la feule confo
lante pour chaque homme , par les motifs
qu'elle propofe ; la feule falutaire ,
par les moyens qu'elle fournit. En effet ,
une Religion qui éclaire l'efprit , & lui
donne de Dieu les idées les plus grandes
& les plus juftes ; qui anime le coeur &
* De Bapt. 1. 2 , ch . s.
96 MERCURE
DE FRANCE.
lui infpire les fentimens les plus géné
reux & les plus élevés ; qui règle juſqu'à
nos penfées & nos defirs ; qui fixe tous.
les devoirs , qui fanctifie toutes les conditions
; une Religion qui commande
l'humilité aux Grands , le détachement
aux riches , la modération aux heureux ,
la patience & la résignation aux pauvres
& aux affligés ; une Religion qui preferit
l'amour de l'ordre , qui refferre les liens,
de la fubordination , qui a apporté au
genre humain la doctrine la plus analogue
au bien général des Etats & des Em-.
pires , la mieux affortie au defir inné du
bonheur & aux voeux de tous les hom-`
mes pour l'immortalité ; enfin une Religion
fi fublime , qui ne peut avoir d'autres
ennemis que les vices & les paffions.
Elle préfente à l'homme , comme on
vient de le voir , & comme le dit fi bien
Ganganelli dans fa lettre ( 119 ) une luinière
& des reffources qu'il chercheroit
vainement en lui - même ou dans ce qui
l'environne . Elle lui fait connoître la
nobleffe de fon origine , l'excellence de
fa nature , la grandeur & la fainteté de
fa deſtination ; elle le délivre de la fervitude
& de l'aviliffement où fes fens
l'auroient réduit ; elle lui dit fans cele
*
at
MAR S. 1776. 97
au fond du coeur , d'une voix forte &
touchante , qu'il n'eft pas fait pour la
terre ; qu'il eft plus grand que tout ce
qui paffe ; qu'un feul bien eft digne de
fon élévation. Enfin elle le conduit à
travers les écueils , les périls & les obfcurités
de cette vie , dans une nouvelle
région où la juftice eft parfaite , où la
vertu n'a plus d'ennemis , où le fpectacle
de la vérité , clairement dévoilée , lui
'caufera un éternel raviffement.
On ne doit donc être nullement furpris
que les lettres de Clément XIV ,
qui ne refpirent que paix & charité , &
où la Religion eft repréſentée telle qu'elle
eft en elle - même , fous de fi belles couleurs
, ayent réuni les fuffrages de tous
les Lecteurs. Je les ai dévorées ( écrit
» un Magiftrat éloquent à un de fes
» Confrères , & qui a eu le bonheur de
"
voir de près Ganganelli , & qui , par
» fes rares qualités , avoit mérité l'eftime
» & l'amitié de ce grand Pape ) quelle
plume ! quelle tête ! quel homme !
»Parle-t- il de Religion ? on croiroit en-
» tendre un Père de l'Eglife ; d'éloquence,
» Démosthène , Ciceron ; de philofophie,
" Platon des beautés de la nature , Buf-
}
» fon ; de politique , notre Montefquieu ;
E
MERCURE DE FRANCE.
» ou plutôt , il eft lui- même dans tous
» les genres , tour-à- tour & fuivant le
fujer , grave , enjoué , nerveux , pro-
» fond , fublime , fimple , & toujours
indulgent & toujours miféricordieux ;
fa lettre fur l'Italie eft une carte enlu-
39
39
"
ן כ
"
"
»
minée ; celle fur l'éducation , eſt un
» catéchisme pour les bons pères ; fes,
» lettres fur les Jéfuites font des modèles
de charité & de prudence. Avec
quelle douceur il ramène au bercail ce
» jeune Comte qui s'égaroit ! Avec quelle
» fineffe , & toutefois avec quelle onc-
» tion , il reprend l'implacable dévote :
mais c'eft en vain ! Avec quelle force
évangélique il combat ce Milord pré-
» venu. Sa lettre au Miniftre Proteftant
» devroit réunir les deux communions. Il
faudroit louer toutes ces lettres ; pas une ,
» à mon avis , n'eft indifférente ni médiocre
; c'eft une collection de chefs-
» d'oeuvre. Son génie étoit propre à tou
» tes les fciences , fa plume à tous les
fujets , fon ame à toutes les entrepriſes
bonnes , courageufes , pacifiques , divines
N,
ود
"
"
"
Petit Gloffaire , ou Manuel inftructif
pour faciliter l'intelligence de quelMARS.
1776. 99
ques termes de la Coutume de Bretagne
, contenant leurs définitions
exactes , leurs fignifications & étymologies.
A Breft , chez Malaffis , Impr.
du Roi & de la Marine.
L'art étymologique ne doit point paſfer
pour un objet frivole , ni pour une
entrepriſe vaine & infructueufe. Quelque
incertain qu'on fuppofe cet art , il
a , comme les autres , fes principes & fes
règles. Il fait une partie de la littérature ,
dont l'étude peut être quelquefois un
fecours pour éclaircir l'origine des loix ,
celle des Nations , & d'autres points éga
lement obfcurs par leur antiquité ; mais
il n'en eft pas moins vrai que les chan
gemens & les altérations que les mots
ont foufferts , font fi fouvent arrivés par
caprice ou par hafard , qu'il eft aiſé de
prendre une conjecture bizarre pour une
analogie régulière . D'ailleurs il eft difficile
de retourner dans les fiècles paffés
pour fuivre les variations & les viciffitudes
des langues. Voilà à quoi fe réduit
ce qu'on a dit fur la fcience des étymo
logies.
Le Gloffaire que nous annonçons n'a
pour objet qu'un petit nombre de termes
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
de la Coutume de Bretagne ; l'Auteur fe
fert principalement de la langue Celtique
pour expliquer leur origine. On
convient avec l'Auteur qu'il eft défagréable
d'être arrêté , quand on lit , par un
mot dont on ne peut découvrir le fens ;
que rien n'est plus commode que d'avoir
fous la main un Dictionnaire portatif où
l'on puiffe trouver , à point nommé
tout ce que l'on defire. Tout le monde
ne peut pas acquérir les grands Gloffateurs
, ni les vaftes Ouvrages de nos
Commentateurs . Ils font d'ailleurs coûteux
& difficiles à remuer. Mais n'aurat-
on pas droit d'objecter que moins un
Dictionnaire eft volumineux , moins on
doit y trouver l'explication de tous les
mots que l'on eft dans le cas d'y chercher
? Cette affertion eft inattaquable.
L'Auteur de notre Manuel pourra répondre
à fon tour qu'un Gloffaire où il n'eſt
queftion que d'une feule Coutume , në
peut pas être auffi long que celui qui
contiendra l'explication de tous les mots
difficiles qui fe trouvent dans toutes les
Coutumes du Royaume , dont le nombre
n'eft pas petit ; ces deux affertions nous
paroiffent également évidentes. Au reſte
on doit juger du Gloffaire , non par la
MARS. 1776 . 101
\
grandeur du volume , mais par la juftelle
des explications étymologiques qu'il
contient. C'eft aux Jurifconfultes verfés
dans la connoiffance des langues , à ap.
précier le mérite de ce Manuel portatif.
Théorie de l'Education , Ouvrage utile
aux Pères de famille & aux Inftituteurs
; par M. Grivel : 3 vol . in - 12 .
A Paris , chez Moutard , Libr. de la
Reine , quai des Auguftins .
On s'eft plaint dans tous les fiècles
qu'on avoit trop négligé les reffources
que la nature préfente , pour perfectionner
les hommes , en leur faifant connoître
l'unique route qui conduit au
bonheur. Ce n'eft pas fans raifon qu'an
Philofophe a foutenu que fi l'efpèce humaine
nous fembloit fi imparfaite & fi
défectueuse , c'eft que , femblable à l'Artifte
médiocre & négligent , content
d'avoir groffièrement ébauché un bloc de
marbre , qui feroit devenu un chef- d'oeuvre
fous le cifeau créateur de Phidias
óu de Praxitèle , nous avions toujours été
indolens fur un objet qui devroit le plus
nous enflammer de zèle .
L'ame a mille côtés fufceptibles de par .
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
tialité , & nous ne voulons pas prendre la
peine de les chercher. De combien de ver.
tus & de talens l'homme ne feroit-il pas
doué , fi les yeux perçans & les mains
habiles du génie , s'appliquoient à connoître
& à mettre à profit les heureuſes
difpofitions que l'on reçoit de la nature !
Par quelle fatalité la plus néceffaire des
fciences , celle de rendre l'homme fage
& heureux , a- t- elle toujours été li ſtupidement
négligée ? Combien d'hommes
n'at on pas vu , dans tous les temps ,
ramper dans la médiocrité , qui fe feroient
immortalifés par leurs talens &
leurs grandes actions , fi leurs difpofitions
, apperçues & aidées de bonne
heure , euffent été appliquées aux objets
qui leur convenoient ? Mais les petites
paffions & les intérêts futiles nous ont
toujours diftraits . Notre inapplication &
notre légèreté ne nous ont point permis
de faire mouvoir les puiffans refforts
feuls capables de nous tirer de la sphère
étroite où nous reftons concentrés . Voilà
les plaintes que l'on réperte d'âge en âge.
Il feroit temps de les faire cefler & de
raffembler les excellentes obfervations .
que différens Auteurs nous ont laiffées fur
cet objet fi important. En effet eft-il rien
MARS. 1776. 103
de plus effentiel au bonheur d'un Etat ,
qu'un plan de bonne éducation , où l'on
apprendroit à chaque Citoyen à concourir
au bien commun , en faifant valoir.
le talent qu'il a reçu en venant au monde
; où l'on prépareroit chaque génération
naiffante à remplir avec fuccès les différentes
profeffions qui partagent la ſociété
.
"
*
« Il eft certain , dit un Magiftrat pa-
» triote , que dans l'état où eft l'Europe,
n'ayant point à redouter les invafions
» des Barbares , le Peuple qui fera le plus
éclairé (toutes chofes étant égales d'ail-
» leurs , ou même ne l'étant pas ) aura
toujours de l'avantage fur ceux qui le
» feront moins ; il les furpaffera par fon
» induftrie , il les fubjuguera peut - être
» par fes armes. Toutes les profeffions
» étant mieux remplies , les emplois
» mieux exercés , les efprits plus cultivés
» & plus folides , les opérations publi-
» ques & particulières mieux concertées
» & mieux exécutées ; la difcipline en
» tout genre fera meilleure & mieux ob-
» fervée , l'adminiſtration intérieure &
extérieure plus fage , les abus feront
» moindres & plutôt réprimés
"
"" .
D'après tous ces avantages , ne de-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
vroit-on pas redoubler tous fes efforts
pour diriger les études publiques vers
la plus grande utilité publique , & rap
porter à la conftitution & aux loix
de l'Etat l'éducation qui eft destinée à
former des Citoyens. N'eft il pas conftant
que chaque famille particulière doit
être réglée fur le plan de la grande famille
qui les comprend toutes ? Tel eft
le but que s'eft propofé l'Auteur de la
Théorie de l'Education ; ce n'eft pas à la
jeuneffe , mais à fes guides qu'il s'adreffe.
Ceux- ci doivent connoître parfaitement
le but où ils veulent mener leurs difciples
, ainfi que la manière de les conduire :
" Il faut donc infpirer aux Maîtres , dit
cet Auteur , l'unité d'intention nécef-
» faire pour arriver à ce but , afin que
» l'éducation , même particulière , por-
» tant fur une baſe commune & unifor-
» me , on tende vers le même point , le
» bien de la fociété . Il eft indifpenfable
» qu'un père , qu'un gouverneur voye la
» néceffité de conduire fes élèves vers
» ce terme unique , & qu'il employe ,
» pour les y pouffer , tous les refforts de
leur intérêt perfonnel , qu'il connoifle
» les devoirs qui nous lient dans la fo
» ciété , & les droits qu'on y porte ».
MARS. 1776.
105
Après avoir bien développé tout ce qui
a rapport à l'obfervation des devoirs &
à la jouiffance des droits , l'Auteur démontre
dans fa théorie l'infuffifance de
nos inftitutions pour faire des fujets capables
de les obferver , & l'on paffe enfuite
aux moyens de les y former . Tout
ce qu'il dit fur la manière de cultiver le
corps, le coeur & l'efprit de l'homme ;
eſt très-judicieux , & fert à bien diriger
les pères & les inftituteurs dans le grand
ouvrage de l'éducation . La méthode
qu'on prefcrit pour fortifier là jeuneſſe ,
& la rendre propre à fupporter les plus
longues fatigues , eft fondée fur l'expérience
des Anciens & des Modernes.
Quant à la partie morale , après avoir
apprécié ce que peut l'éducation fur le
caractère , l'Ouvrage , en fourniffant les
moyens de le connoître & d'en tirer
parti , indique en même temps & le
meilleur préfervatif pour les différens
défauts auxquels on peut être fujet dans
la jeuneffe , & la méthode la plus propre
à infpirer l'amour de toutes les vertus
fociales. Enfin , dans la partie de l'inftruction
, laillant au loin toutes les mié
thodes ferviles d'inftruire un jeune hom
me, l'Auteur en propofe de nouvelles
i
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
dont il démontre la bonté , & fait voir
jufqu'à quel point l'inftruction peut être
commune aux enfans de tous les états ,
& où elle devient différente & particulière
. On annonce un livre d'une invention
nouvelle & très ingénieufe , qui
réunit plufieurs avantages & doit être
de la plus grande utilité pour les premiers
momens , d'après la defcription détaillée
qu'on en fait dans l'Ouvrage. Le grand
fecret de l'art d'enfeigner , c'eft d'être en
état de démêler la fubordination des connoillances
& d'en ôter les épines ; &
c'eft le but dont l'Auteur ne s'écarte jamais.
Il fuffira d'indiquer les principales
matières qui font traités dans la théorie ,
pour prouver qu'on n'a rien omis , &
pour faire defirer que l'Auteur conduife
à la perfection un plan fi utile à la fociété.
Droits & devoirs de l'homme envers
Dieu , envers la fociété , les parens ,
les hommes , foi - même ; défauts de
l'éducation ordinaire , qualités d'un bon
Inftituteur , Colléges , éducation publique
& particulière , éducation phyfique ,
gymnastique ; maladies des enfans , inoculation
de la petite vérole , habitudes
, caractères , l'étude de la Religion ,
l'exemple , la douceur , l'opiniâtreté , le
MARS. 1776. 107
menfonge , la franchife , le courage ,
l'émulation , les châtimens , les récompenfes;
nouveaux élémens d'inftruction ,
utilité du livre figuré ; commerce , arts ,
fable , hiftoire , chronologie , géogra
phie , hiftoire du ciel , langues , mémoire
, philofophie , grammaire , élo
quence , littérature , morale , droit naturel
de l'homme , voyage : la manière
dont tous ces points font traités , eſt intéreffante
& fouvent neuve . Tout y refpire
la vertu , & tout eft propre à conduire
l'homme à la perfection & au
bonheur.
Réflexions morales d'un Solitaire , Ouvrage
utile aux gens du monde & aux
perfonnes confacrées à Dieu ; par le
P. Conftance Miet , Récollet. A Paris ,
chez la veuve Defaint , Libr . rue du
Foin St Jacques .
Cet Ouvrage convient également aux
perfonnes qui vivent dans le monde &
à celles qui fe font confacrés à la pratique
des confeils évangeliques , d'après
l'ordre donné au premier père des
- croyans , de marcher en la présence du
Seigneur & d'être parfait; depuis cette
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
divine parole fortie de la bouche de
l'Inftituteur du Chriftianifine , foyez par
faits comme votre Père célefte eft parfait ,
il n'eft permis à qui que ce foit de s'ar
rêter dans le chemin de la vertu . Comme
il faut s'éloigner du mal le plus qu'il eft
poffible , il ne faut point mettre de bornes
à la pratique de la vertu . En effet ,
la vertu confiftant dans l'union avec
Dieu, & Dieu étant un bien fans mefure
& infini , les defirs de la vertu
doivent tendre à l'infini ; la meſure d'aimer
Dieu eft de l'aimer fans mefure ; &
c'eft indiftinctement à tous les Chrétiens
qu'il a été dit , que celui qui eft jufte , le
devienne davantage ; que celui qui eft
faint , fe fanctifie de plus en plus ; enfin
c'eft une maxime qui eft devenue populaire
, ne point avancer , c'eft reculer.
Auffi a -t- on dit qu'il n'y a pas loin entre
la vertu qui fe repofe & la verta qui
s'égare. D'après ces vérités , on ne doit
pas négliger la lecture des livres cù l'excellence
de la morale évangelique eft
préfentée d'une manière noble & fimple ,
où l'on inculque la néceffité de tendre fans
relâche à la perfection. « Celle ci ſe for-
» me , comme le dit fi bien notre refpec-
» table Solitaire , de l'union de toutes
MARS, 1776. 109
* ces vertus , fans laquelle il n'y a point
» de falut. Les vertus ont une alliance fi
» étroite entre elles , que l'on ne peut
les féparer fans tout perdre , & néan-
» moins il eft difficile de les unir toutes.
» On fent naturellement du penchant
» pour quelques- unes , & on a moins
» d'inclination pour d'autres . Dieu a jeté
» dans le fond de l'ame une femence de
» vertu qui nous porte au bien ; mais il
nous laiffe des défauts qu'il faut com-
» battre , & ce font ces défauts qui font
» attachés au fond de notre être , qu'il
» faut vaincre. On les furmonte en réfif-
» tant ; mais cette réfiftance doit durer
ود
jufqu'à la mort ; fi on fe laffe dans
» ce combat , on perd tout le fruit
» de fes victoires . On eft criminel en
nailfant , il faut être faint en mou-
» rant, & cette fainteté ne s'établit que
fur la ruine entière du vice . Tout
le monde fait que notre vie est un
combat ; on ne trouve la paix que dans
» le tombeau ; & fi on demande à l'hom
"
me pourquoi il fe fait toujours la
» guerre , il répondra qu'il travaille à fe
» rendre parfait , & qu'il ne peut l'être
qu'en acquérant toutes les vertus & en
» détruifant tous fes vices.
"
110 MERCURE DE FRANCE.
» Overtu ! a dit un Philofophe auffi
» chrétien que notre Solitaire , tu n'es
» pas un vain nom ; tu dois faire effen-
» tiellement le bonheur de ceux qui t'ai-
❤ment : tout ce qu'il y a de félicité , de
perfection & de gloire eft compris dans
» ta nature ; en toi fe trouve la plénitude
»des êtres. Qu'importe fi ton triomphe
» eft retardé fur la terre ? Le temps n'eft
" pas digne de toi ; l'éternité t'appar-
» tient comme à fon Auteur. C'eft ainfi
» que j'embraffe le fyftême le plus con-
» folant , le plus vrai , le plus digne da
» Créateur & de fon ouvrage ; c'eft ainfi
que j'oferai m'avouer Chrétien jufques
» dans ce fiècle ; & la folie de l'Evangile
fera plus précieufe pour moi que toute
»la fageffe humaine ».
"
Extrait du Plan d'Education , publié par
M. le Baron de Salis , Seigneur de
Marfchlins , & Envoyé de France en
Grifons. Brochure Allemande .
: Monfieur L'intérêt fenfible que vous
prenez au bien de la fociété , me fait
prendre la liberté de vous communiquer
une légère idée d'un nouveau plan d'éducation
. Je pense que vous ferez d'autant
plus flatté d'inférer cet avis dans votre
MARS 1776.
Journal , que l'on a évité dans ce plan
tout les défauts qui fe trouvent dans
nombre d'autres . Aucun fiècle n'a plus
enfanté de fyftêmes que le nôtre , for
l'éducation phyfique & morale de la jeuneffe
mais malheureufement , il femble
que dans tous ces fyftêmes on fe foit
plus occupé de faire des hommes artificiels
, que d'interroger la nature , pour
favoir quel homme elle pouvoit produire
de nos jours . J'ofe même avancer
que la bafe de tous ces fyftêmes a été
l'intérêt particulier des inventeurs ; & je
n'appréhende pas d'être démenti.
Le projet dont il s'agit n'eft pas de ce
genre. Ce n'eft pas un cerveau creux
qui l'a enfanté d'après la fpéculation mal
réfléchie de rapports encore plus mal
apperçus , ou même faux pour la plûpart.
L'Auteur y a envifagé l'homme tel
qu'il pouvoit être avec nos loix & nos
ufages : mais en fubordonnant ces loix
à l'impreffion de la nature , & aux lumières
de la Religion. Il ne s'eft pas fait
des paffions autant d'hydres qu'il falloit
étouffer : au contraire , il les a confidérées
comme la fource de toutes les vertus ,
& la bafe la plus folide du bonheur de
la fociété. C'eft auffi là l'idée qu'on avoit
112 MERCURE DE FRANCE .
(
des paffions dans la célèbre Ecole de
Pythagore .
Le plan de tous les autres fyftêmes ,
fait voir évidemment qu'on y a fuppofé
l'homme méchant : on lui dit même prefque
par -tout , qu'il eft pervers dès ſa
naiffance ; & l'on oublie que nos anciens
Gaulois étoient des gens fi droits , fi honnêtes
que leurs maifons n'étoient jamais
fermées , ni jour , ni nuit . Si cet honnê
teté étoit dans leur coeur , d'où la tenoientils
, que de la Nature feule ? Eft - il donc
étonnant , de voir l'homme méchant ,
quand onlui dit qu'il eft capable de tous
les forfaits pour lui faire aimer la vertu
? Doit-on lui peindre , même fans
délicateffe , des vices qu'il ne commence
à connoître que par les inftructions qu'on
- lui donne ? Après des pareilles leçons ,
que faut- il à la jeuneffe , que des fouets ,
des châtimens , au moment où elle ne refpire
qu'une liberté légitime , mais dont
on ne lui a montré que les abus , loin.
de lui en expliquer le véritable ufage ?
C'est pour aller entendre de femblables
inftructions , qu'un enfant enlevé des bras
de fa mère paffe dans ces vaſtes bâtimens
confacrés à la routine . Là , il doit gémir
pleurer , fouffrir les peines , les moqueMARS
. 1776. 113
ries , les outrages que lui font les mercenaires
qui l'élévent . Ses fentimens continuellement
captivés fe rabaiffent avec la
foule humiliée de fes condifciples. Il étoit
né libre & droit ; il n'en fort qu'en efclave
, & très-fouvent qu'en libertin incorrigible
. On n'en a peut être pas
fait un
ftupide femblable à cet Irlandois , à qui il
fallut défendre , fous peine afflictive ,
de brider un cheval par la queue ; mais
il est plus fourbe que le Catalan , &
affez communément l'un & l'autre.
lly a long tems qu'on gémit de ces abus .
Il falloit un vrai Amateur de l'humanité
pour commencer la réforme . M. le Baron
de Salis , Seigneur de Marfchlins &
Miniftre de France en Grifons , a eu la
gloire de cette tentative . Loin de le faire
illufion fur les difficultés de l'entreprife ,
il s'eft placé au centre & au premier mo
bile des refforts qu'il vouloit faire agir ,
& s'eft mis par-là en état de vaincre les
obftacles qu'il alloit rencontrer . Trop délicat
, pour donner fur fa conduite aucun
foupçon d'intérêt , il n'a eu d'efpoir
que dans la propre fortune . Pour cet effet
il a facrifié un très beau château & plus
de cent mille livres : il a confulté les
gens les plus éclairés ; foins , veilles ,
114 MERCURE DE FRANCE .
travaux , follicitations , il n'a rien épargné.
Comme fon but dans l'inſtruction
étoit de parler aux fens avant de rie.n
dire à l'efprit , il a dépensé une ſomme
confidérable pour acquérir les modèles ,
gravures , plans , cartes , inftrumens de
toute elpèce néceſſaires à fes vues .
Cet établiffement n'eft pas borné au
feul avantage de fes compatriotes ; les
enfans y font reçus de quelque Nation
qu'ils foient , moyennant une penfion
alfez modique dans ces temps- ci . Je
crois done , Monfieur , rendre un vrai
fervice au Public en lui faifant connoître
cet établiſſement ; peut être que nos Fran.
çois , toujours les derniers à adopter ce
qu'il y a de bon chez l'Etranger , s'empreferont
cette fois de s'approprier unbien
que l'inftituteur n'envie à perfonne .
En effet , il a propofé , moyennant une
foufcription de 4 l . 16 f. un exemplaire
in- 12 de 400 pages , du plan de fon éta
bliſſement , en françois , allemand ou
italien , felon le defir des acquéreurs ;
mais je vais le faire parler lui - même
d'après la brochure allemande que m'a
remife M. fon Frère . J'abrége.
« C'eft , dit- il , à Bafedow que nous
fommes redevables d'idées plus directes,
MARS. 1776. 115
fur les moyens de perfectionner l'efpèce
humaine , & c'eft à Marfchlins où ces
idées fe font d'abord réalifées .Nous avons
envifagé l'éducation des enfans fous trois
rapports effentiels , le coeur , l'efprit & le
corps ; & notre but , fous chacun de ces
rapports , a été de perfectionner les facultés
naturelles , de leur donner de l'élévation
, de leur faire prendre la direction
la plus avantageufe , & d'en aflurer
aux individus la jouiffance la plus durable.
Quant au premier rapport , un caractère
enjoué , aifé , complaifant , de la
foumiffion aux fupérieurs , aux loix civiles
, de la déférence pour les ufages de
la fociété , de l'habitude au travail , de la
fermeté , de la conftance dans les revers ,
un éloignement habituel du vice , de la
tendre le pour l'homme , & même un
coeur compâtiffant envers l'animal , legrand
fentiment de la Divinité , un refpect
fans réferve pour la Religion , font les
principaux points que nous exigeons pour
faire ce qu'on appelle un honnête homme.
Nos fuccès ont juftifié la marche que nous
avons prife , fur- tout depuis la réforme
du plan que nous avions publié en 1772 .
Ces fuccès dépendoient fur tout de
l'infpection à laquelle ces enfans font
-
116 MERCURE DE FRANCE.
foumis . Le nouveau Directeur dont nous
avons fait choix , & le premier inspecteur
de la Maiſon , ne nous laiffe rien à defirér .
Tous deux inftraits de ce qui caractériſe
les vertus vraiment fociales , fe font connoître
aux enfans plutôt par les preuves
de l'amitié la plus douce , que par les
menaces de la crainte. Cependant les
châtimens ne font pas exclus de nos vues ;
il est des caractères plus ou moins heureux
: mais c'eſt avec une extrême réſerve`
qu'on a recours à ce moyen.
Voyons ce qui regarde le corps ou
l'homme phyfique. Un corps ferme &
robufte doit être regardé comme le plus
précieux avantage de la vie , après la
gaieté & la paix de la confcience . Nous
avons penfé aux moyens préfervatifs ,
thérapeutiques , gymnaftiques , néceffaires
au maintien de la fanté des enfans . Perfuadés
que les forces font fufceptibles
d'un accroiffement étonnant dans les
fujets même les plus foibles , fi l'on
fait fuivre la nature pas à pas ; nous
avons donc pris de la gymnaftique des
anciens Grecs & Romains , tout ce dont
les enfans devoient fe promettre quelque
avantage , tant pour la force que pour
l'adreffe & l'agilité , fans bleffer nos
MARS. 1776 . 117
moeurs. Tous les exercices fixés & retenus
dans de juftes bornes par ceux qui ont
continuellement des enfans fous les yeux ,
nous ont affurés de la bonté de nos vues.
Auffi les enfans fortent ils de ce Collége
très-forts , très agiles & très adroits , foit
pour attaquer un ennemi , ſoit
défendre dans le befoin.
pour
fe
Paffons à ce qui regarde l'inftruction.
Nous avons fait deux claffes d'enfans .
La première eft celle des enfans qui entrent
au Collége , âgés de dix ans ou
plus. Le cours des études eft de trois
ans pour eux. La feconde eft celle des enfans
, âgés de fix ans ou quelque choſe
de plus. Ces enfans , affez forts pour
quitter les femmes , n'exigent plus les
foins multipliés des premières années ;
& nous fouhaiterions qu'on n'envoyât
à ce Collége que des enfans de cet âge :
les fuccès feroient alors infaillibles ; mais
leur cours d'études eft de plus de trois
ans.
Pour n'avancer dans l'inſtruction qu'à
proportion du développement des facultés
intellectuelles toujours fubordonnées
à celui des facultés corporelles
nous avons lié la connoiffance des mots
à celle des chofes , parce qu'il faut
118 MERCURÉ DE FRANCE.
parler aux fens avant d'intéreffer la
penfée , & qu'il eft impoffible de rien
faire retenir avec fuccès aux enfans fi
les fens & l'imagination n'ont pas été
occupés avant la mémoire. Ce n'est que
de la préſence des objets qu'on doit attendre
l'impreffion des idées primordiales
qui fervent toujours de termes de
comparaifon aux enfans . Nous ne leur
fuppofons aucun raifonnement , loin de
leur préfenter des idées abftraites , ou
qu'ils ne peuvent faifir fans abftraire :
ce qui eft impoffible à leur âge. Au lieu
de leur écrafer la mémoire par des vocabulaires
, des règles , des exemples , des
phrafes , des maximes , des apophthegmes
, nous n'offrons à leur efprit que ce
qui frappe immédiatement & feulement
leur imagination. Nous voulons d'abord
piquer leur curiofité après cela nous
fuivons cette curiofité fi naturelle à cet
âge . On les voit auffi- tôt faire les demandes
dont ils font fufceptibles . Au lieu
de dire d'un ton de maître à un enfant ,
taifez- vous ; on lui expofe ce qu'il peut
entendre , mais toujours dans le fens
direct de fa demande . C'eſt ainſi qu'on
leur donne de juftes idées , ou des idées
qu'une autre circonftance donne occafion
>
MARS. 1776.
119
de rectifier ou d'étendre ; par- là il leur
eft facile d'apprendre à penfer . La comparaifon
qu'ils font eux- mêmes ou qu'on
leur fait faire des rapports qu'ils connoiffent
dans les objets qui ont frappé leurs
fens , fournit les matériaux de leurs preiniers
raifonnemens ; & c'est toujours
d'après l'idée primordiale qu'on les met
à même de fentir leur erreur & de rectifier
un jugement précipité , non en les
grondant de s'être trompés .
On voit par- là que nous ne faifons
chez nous rien de ce qui fe fait ailleurs .
Les enfans n'y apprennent ni mots , ni
grammaire dans les livres , & cependant
ils s'enrichiffent tous les ans la mémoire
de plus de fix mille mots des différentes
langues qu'ils apprennent , favent les lier
fuivant les règles les plus exactes , & fe
trouvent , à la fin de leur cours , en état
de bien parler le latin , le françois , l'allemand
, l'anglois , l'italien , & avoir
acquis nombre de connoiffances dont
on ne donne pas la moindre notion ailleurs.
Outre les langues mentionnées dont
on ne leur explique les règles qu'après
l'ufage qu'ils en ont déjà acquis , ils
apprennent les élémens de l'hiftoire , de
420 MERCURE DE FRANCE .
la géographie , de la géométrie , de la
phyfique , de l'hiftoire naturelle , de la
logique , de la thérorique. Les inftructions
fe donnent dans chacunes des langues
que les enfans apprennent , & chaque
langue a fon jour fixe dans la femaine
: de forte qu'une même langue fe
parle par toute la maiſon , à l'étude , au
jeu , à table , dans les converſations . C'eſt
d'après cet ulage que la jeuneffe apprend
fans peine & fans fe rebuter les langues
dont on lui fait alors fentir les règles
qu'elle pratique déjà . Les enfans connoiffent
auffi par- là tous les termes d'arts
particuliers à chaque langue. Quel temps
ne leur gagnons-nous pas ! que de dépen-
Les de moins pour les familles !
Il y a encore une autre claffe d'érndians
, admis pour l'avantage des penfionnaires
; nous les avons nommés Servans.
Ce font des jeunes gens qui font
les mêmes études que les autres , pour
une penfion très- modique , mais deft inés
au fervice de la maiſon , & aftreints aux
mêmes loix que les autres , ce qui facilite
aux enfans l'acquifition des langues . Nous
ne prenons qu'un petit nombre fixe de
ces fetvans.
Outre ces études , on occupe la jeunelle
MARS. 1775. 121
neffe aux arts méchaniques les plus utiles
dans la fociété civile . Les enfans appren
nent auffi à deffiner , lever & laver des
plans , à danfer , à faire des armés ,
les parens le veulent ; cela fe paye à
part.
*
•
fi
Voilà , Monfieur , une idée générale
de l'établiflement de M. de Salis . Il
n'est pas d'objection contre un projet
dont l'heureufe exécution a prouvé la
poffibilité & les avantages depuis plufieurs
années . L'Inftituteur n'avoit d'abord
fongé qu'aux Proteftans il a cru devoir
fe rendre plus utile & admettre dans ce
Collège les Catholiques & ceux des autres
communions , avec les fages précautions
qu'on a prifes pour inftruire les
enfans dans la Religion qu'il plaît aux
parens d'adopter. Le Directeur de la
Maiſon , homme droit , eft chargé de
donner les premières notions relatives
au culte de l'Etre Suprême , enfuite d'expofer
les articles fur lefquels toutes les
communions s'accordent , fans dire le
moindre mot controverfible ; après cela
les enfans paffent , fans prévention contre
aucun patti , aux inftructions des
Maîtres , qui leur enfeignent purement
& fimplement les dogmes & les articles
F
122 MERCURE DE FRANCE.
de foi de la communion que les parens
adoptent. L'infpe&tion vigilante ôre toute
occafion de difcuffion de la part des enfans
; d'ailleurs on leur en évite toutes
les caufes poffibles dans l'inftruction &
la pratique , & les enfans fongent peu
à ces fortes de débats , lorfqu'ils font
occupés de leurs jeux . Ainfi l'Inftituteur ,
les Directeurs & les Inspecteurs de la
Maiſon répondent , fur leur honneur ,
que les intentions des familles font rem .
plies avec la plus fcrupuleuſe exactitude .
Le point a paru trop délicat pour ne pas
avoir pris toutes les précautions les plus
fages .
Ceux à qui ce détail très- abrégé paroîtra
infuffifant , fe procureront le grand
ouvrage dont j'ai parlé . Il y fera amplement
traité des opérations littéraires ,
morales & économiques de ce fage établiffement,
Si l'on y prend donc quelque
intérêt , on écrira :
A M. le Baron de Salis , Seigneur de
Marfchlins & Miniftre de France ,
Marfchlins , en Grifons ; ou à M. le
Directeur de l'Académie d'Education de
Marfchlins , à Marſchlins , en Grifons.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LE FEBVRE DE VILLEBRUNI .
MARS. 1776 . 129
Effai théorique &pratique fur les batailles;
par M. le Chevalier de Grimoard.
Volume in-4°. de 208 pages , avec 36
planches. A Paris , chez la veuve De
faint , Libraire , rue du Foin Sains
Jacques.
.
De toutes les opérations de la guerre ,
nous dit l'Auteur dans fa Préface , les
batailles font celles qui peuvent avoir
les fuites les plus heureufes ou les plus
funeftes. La recherche des principes pro
pres à en affurer le fuccès , eft donc de
la dernière importance. Il n'y a cependant
, pour l'ordinaire , dans les ouvrages
fur la fcience militaire , qu'un petit nom
bre de pages confacrées à traiter des batailles
; de forte que tout Officier qui
defire de s'inftruire à fond fur cette matière
, manque de moyens , quant aux
livres. M. le Chevalier de Grimoard a
penfé qu'un ouvrage où l'on trouveroit
les principes des batailles , developpés
avec l'étendue néceffaire , feroit utile :
c'est ce qui l'a engagé à compofer celuici
. L'Aureur avoue qu'il avoit commencé
par vouloir raffembler les maximeş
fur les batailles , répandues dans les
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
meilleurs Auteurs ; mais n'y ayant guère
trouvé que des préceptes très généraux ,
& même en petit nombre , il lui a fallu
changer de méthode. Il a penfé que la
meilleure de toutes étoit de méditer attentivement
plufieurs batailles livrées
par les plus habiles Généraux , & .de
réduire en principes les motifs de leur
conduite . Ce travail a été la bafe de la
théorie donnée dans cet effai . Comme
on doit toujours foumettre la pratique
des opérations militaires aux règles de
la théorie , & que le fuccès des armes.
dépend d'un rapport exact entre ces deux
parties , l'Auteur a fait enforte d'établir
les principes des batailles fur des exemples
frappans. Les Anciens & les Modernes
ont été mis à contribution . M. le
Chevalier de Grimoard a cru devoir
puifer chez les Anciens , parce qu'on y
trouve des reffources infinies ; & quoique
l'invention des armes à feu ait fait changer
la conftitution & les manoeuvres
particulières des troupes , les principes
généraux de la tactique font toujours les
mêmes. Aux difpofitions qui ont été
faites pour les batailles , l'Auteur en a
joint d'hypothétiques ; elles répandent
beaucoup de clarté fur les préceptes , en
MARS. 1776. 125
ce qu'elles s'y rapportent parfaitement.
Quoique le hafard ne falfe peut être jamais
rencontrer les diverfes circonftances
fuppofées , il eft des cas où elles fe trouvent
à peu près femblables ; d'ailleurs ,
il est toujours avantageux de faire voir
les mêmes chofes fous des afpects différens.
Les difpofitions idéales donnent
aux Militaires cet efprit de combinaiſon
fi utile à la guerre , avec la facilité d'appliquer
promptement les principes aux
circonftances . Cette aptitude ne peut
s'acquérir que par un travail long & affidu
. Il n'eft cependant pas rare , fuivane
la réflexion qu'en fait ici M. le Chevalier
de Grimoard , d'entendre même
d'anciens Officiers ( imbus de faux préjugés
& remplis d'averfion pour les livrés )
alfarer que la feule pratique de la guerre
fuffit pour apprendre cette fcience ; ce
qui eft une erreur groffière & dangereufe
qu'il importe de démafquer. Un grand
Prince , auquel la Pruffe doit une Inf-
/ truction militaire , dit , Article XXVIII
de cette Inftruction : « que l'expérience
qu'il a acquife dans la guerre lui a
appris qu'on ne peut approfondir cet
» art qu'en l'étudiant avec application .
:: L'Effai théorique & pratique . fur les
$
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
batailles , que nous venons d'annoncer ,
eft divifé en trois parties. La première
renferme les principes généraux des batailles
, & fert d'introduction aux deux
autres. La feconde partie , qui doit être
confidérée comme le corps de l'Ouvrage,
traite des difpofitions. L'Auteur les a
réduites à deux génériques ou principales
, favoir l'ordre direct ou parallèle &
l'oblique. On trouve enfuite les principes
de leur formation & ceux d'après lefquels
on peut les varier felon les circonftances.
Pour faciliter l'intelligence de
cette feconde partie , l'Auteur y a joint
un grand nombre de plans. Dans les
Ouvrages de la nature de celui ci , il eft
également néceffaire de parler à l'eſprit
& aux yeux. La troisième partie traite de
l'action.
Les inftructions répandues dans les
différens chapitres de cet Effai , font
expofées avec beaucoup de clarté. L'Auteur
n'eft point affez prévenu en faveur
de fes réflexions pour les donner comme
des principes de théorie . S'il a pris quelquefois
le ton dogmatique , c'eft pour
donner à fon Ouvrage plus de préciſion .
Mais fes remarques annoncent un Militaire
attentif & ftudieux , & qui n'écrit
MARS. 1776. 127
que pour contribuer en quelque chofe
aux progrès d'une fcience qu'il cultive
par état & par goût.
Mémoires fecrets , tirés des archives des
Souverains de l'Europe , contenant le
règne de Louis XIII ; Ouvrage traduit
de l'Italien. Vingt unième & vingtdeuxième
partie in- 12 . A Amfterdam ;
& fe trouve à Paris , chez Nyon aîné ,
Libr . rue St Jean de Beauvais.
Ces deux nouveaux volumes , qui
comprennent les événemens arrivés en
1614 & 1615 , donnent , ainfi que les
précédens , bien des éclairciffemens fur
les troubles qui agitèrent la Régence de
Marie de Médicis , & fur les vues politiques
des Puiffances alliées ou ennemies
de la France.
On trouve chez le même Libraire les
vingt parties précédentes , dont les quatorze
premières contiennent le règne de
Henri IV , & les feize autres , le commencement
de celui de Louis XIII .
Le Médecin miniftre de la Nature , ou
recherches & obfervations fur le pépaſme
, ou coction pathologique ; par
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M. Jofeph - François Carrere , Cenfeur
Royal, Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Montpellier , de la Société
Royale des Sciences de la même Ville ,
de l'Académie Royale des Sciences ,
Infcriptions & Belles Lettres de Tou
loufe , ancien Infpecteur- Général des
Eaux minérales de la Province de
Rouffillon & du Comté de Foix , cidevant
Directeur du Cabinet d'Hiftoire
Naturelle de l'Univerfité de Perpignan
, Profeffeur Royal Emérite en
Médecine dans la même Univerſité .
Repugnante naturâ , nihil medicina profuit.
Celfe.
Volume in- 12 . A Amſterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Ruault , Lib . rue
de la Harpe.
Les remèdes évacuans font les médicamens
les plus ordinaires , les plus employés
, ceux dont on fe fert plus volontiers
& avec le moins de précautions.
Il n'y a prefque pas de maladie où on
ne les mette en ufage. Ils font entre les
mains de tout le monde ; on s'en fert
indifféremment dans tous les cas & dans
MAR S. 1776. 129
tous les temps ; mais la manière de les employer
& le temps le plus propre à leur
ufage , font l'objet d'une vraie ſcience
peu connue & généralement négligée . Ce
s'eft, comme le remarque M. Carrere
dans fon avant- propos , que d'après une
connoiffance profonde des vues , des
loix , de la marche de la nature , &
d'après une notion de la crudité morbifique
& de la coction pathologique ,
qu'on peut diriger l'emploi de ces remèdes
; c'eſt auffi ce que l'Auteur entreprend
de développer dans fon Ouvrage.
Il fait d'abord connoître le caractère , les
différences , les conditions , les caufes ,
le méchanifme , les effets & les loix de
la coction pathologique , appelée pepafmos
par les Anciens. Ils avoient pris
l'étymologie de ce mot de la maturation
des fruits , qu'ils regardoient comme la
coction de leur partie alimenteuſe , &
qu'ils appeloient pepanfis. M. Carrere
défigne les temps & les moyens propres
à favorifer le pépafme ou la coction pathologique.
Il indique les fignes qui
peuvent le faire connoître & le diftin .
guer d'un état oppofé. Il démontre les
avantages qu'on peut en retirer dans la
pratique ; il explique en même temps le
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
vrai fens du mot turgefcence ou orgaſme ,
employé par Hippocrate ; il fait voir
l'erreur de ceux qui rapportent l'état de
turgefcence à l'impétuofité des fluides
ou à la cacochylie des premières voies ;
il établit fon vrai caractère , d'après les
notions que nous en a données Hippocrate,
& qui font confirmées par l'obfervation
de plufieurs fiècles ; il indique les fignes
propres à le faire connoître , il démontre
Pucilité & même la néceffité des évacuans
dans cet état ; il développe enſuite
les loix que la nature fuit dans fes opérations
; il fait voir combien elle influe
dans la guérifon des maladies ; il prouve
qu'elle l'opère fouvent fans le fecours de
Fart , qu'elle indique prefque toujours la
voie que nous devons tenir , que ce n'eft
qu'en la fuivant de près , qu'en l'imi .
tant , qu'en la fecondant , que nous pou
vons parvenir à des guérifons heureufes ,
enfin qu'une fage inaction eft fouvent
préférable à l'emploi des remèdes , même
les plus légers . L'Auteur établit enfin les
règles qu'on doit fuivre dans l'emploi
des remèdes évacuans ; il indique les cas
où ils peuvent convenir , & ceux où ils
feroient nuifibles ; il démontre l'abus
trop fréquent qu'on fait des médicamens ,
MARS. 1776. 131
fur-tout des purgatifs , & réduit leur ufage
à de juftes bornes.
Ce bon Ouvrage , fuivant le jugement
même qu'en ont porté les Commiffaires
nommés par la Société Royale des Scien
ces de Montpellier pour l'examiner , fera
d'une utilité marquée pour les Médecins .
L'Auteur y développe avec art le vrai
fentiment d'Hippocrate fur la coction des
humeurs , & celui des bons Auteurs qui
ont fuivi la même doctrine propre à
diriger les Médecins dans l'emploi des
remèdes évacuans & l'art de connoître
les crifes .
Inftruction fur la nouvelle méthode de préparer
le mortier- Loriot, Brochure in 8°.
prix 8 fols. A Paris , chez J. Barbou ,
Imp. Lib. rue & vis - à - vis la grille des
Mathurins.
M. de Morveau a fait voir dans un
Mémoire inféré dans le Journal d'obfervations
fur la phyfique & l'hiftoire naturelle
, par M. l'Abbé Rozier , Tome
IV , Novembre 1774 , page 416 , qu'il
étoit poffible de remplacer la pulvérifation
& le blutage de la chaux vive , deux
opérations tout à la fois très - difpendieu-
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE .
fes & funeftes aux Ouvriers , par une
pratique plus économique , exempte de
tout danger , & même plus fûre pour la
folidité des conftructions . Plufieurs expé
riences en grand en ont déjà vérifié les
avantages , & quelques perfonnes ont
paru defirer une inftruction , qui , dégagée
de toutes differtations phyfiques &
chimiques , pût être mife à la main des
Ouvriers pour les conduire pas à pas
dans l'exécution de ce nouveau procédé ;
on n'a pas cru pouvoir mieux remplir
cet objet qu'en imprimant l'extrait d'une
lettre adreffée par l'Auteur lui - même à
quelqu'un qui lui avoit demandé un avis
detaillé fur cette préparation . Cet extrait
, contenant une inftruction trèsclaire
& très précife , eft accompagné
d'une planche gravée , qui préfente les
différens deflins du four à recalciner la
chaux éteinte à l'air & réduite en poudre
pour fervir au mortier- Loriot.
Leçons de Géométrie , pour fervir d'introduction
à l'étude de la fphère & de la
géographie Ouvrage utile aux perfonnes
qui , n'ayant pas le loifir de fe
livrer à une étude profonde de la
géométrie , defirent néanmoins en
MARS. 1776. 133
avoir une connoiffance fuffifante pour
apprendre la sphère & la géographie ;
avec 14 planches en taille -douce , vol .
in- 8 °. Prix 4 liv. br . A Paris , chez
Saillant & Nyon , Libraires , rue St
Jean de Beauvais ; veuve Defaint ,
Libr. rue du Foin ; veuve Savoye &
Ph. D. Pierres , Libraires , rue Saint
Jacques .
La géographie qui nous donne la defeription
de la furface de la terre , eft une
fcience qui intéreffe par elle - même ;
c'est encore un guide néceffaire pour
ceux qui s'adonnent à l'étude de l'hif
toire : mais on avouera , avec l'Auteur de
l'Ouvrage que nous venons d'annoncer ,
que l'on fe flatteroit en vain de pofféder
cette fcience , fi l'on fe bornoit à ne
confidérer fur le globe que les fituations
des îles , des royaumes , des villes , des
rivières , & c. & les détails que l'on en
pourroit donner . Il faut encore connoître
les propriétés de certains cercles , qui ont
été imaginés pour expliquer les rapports
de la terre avec les cieux , ce qu'on
appelle l'éude de la sphère. En effet ,
comment pénétrer les caufes de plufieurs
phénomènes qui paroiffent en différentes
134 MERCURE DE FRANCE .
contrées , tels que l'inégalité des jours: &
des nuits , la variété des faifons , la différence
des heures du jour ou de la nnit
au même inftant en oifférens lieux de
la terre , & beaucoup d'autres effets de
cette nature ? Comment fentir l'utilité
qu'on peut retirer des latitudes . & des
longitudes ? Comment ſe perfuader qu'on
eft parvenu à mefurer la terre , fi l'on n'a
pas quelques idées de ces cercles ? L'étude
de la fphère ( on entend ici celle qui ne
fuppofe qu'une légère connoiffance de la
géométrie ) eft donc abfolument néceffaire
; mais lorsqu'on veut s'y appliquer,
on eft preſque toujours rebuté par les
termes de géométrie , dont il faut indif
penfablement fe fervir pour l'enfeigner ,
qui , fouvent , pour n'être pas fuffifamment
expliqués , donnent du dégoût pour
cette fcience : au contraire , fi l'on eft
aidé de quelques principes proportionnés
au befoin de cette étude , on trouve
bientôt de la clarté dans les choſes qui
d'abord paroiffoient obfcures. Que de difficultés
ne lève- t - on pas par le inoyen des
lignes , des angles , des plans , des proportions,
&c. difficultés qu'on ne pourroit
applanir fans le fecours de ces principes ?
C'eſt dans la vue de les rendre familiers
MARS. 1776. 135
ceux qui defirent apprendre la fphère &
la géographie , que ces leçons de géométrie
ont été publiées . L'Auteur les a
divifées en quatre parties. Il a expofé
dans la première , en vingt leçons , les
principes de géométrie qu'il a crus convenables
à fon objet ; & dans la ſeconde ,
il a donné en douze leçons des combi.
naifons & des applications de ces principes.
La troisième partie comprend , en
quatre leçons , l'abrégé du fyftême de
Prolomée , & quelques rapports de la
terre avec les cieux , appliqués à la géographie.
La quatrième enfin contient ,
en une leçon , l'abrégé du fyftême de
Copernic , & quelques particulatités relatives
à ce fyftême . L'Auteur de ces
leçons a parlé du fyftême de Prolomée ,
non-feulement parce qu'il lui a para plus
commode pour l'explication de ce qui
regarde la fphère , & que les Géographes
s'en fervent ordinairement daas leurs
Ouvrages , mais encore parce qu'il peut
fervir d'introduction au fyftême de Copernic.
L'Auteur , pour rendre fes leçons auffi
fimples & auffi faciles à faifir qu'il eft
poffible , y a joint beaucoup de figures
qui parlent aux yeux , & fixent plus par
136 MERCURE DE FRANCE.
trculièrement dans la mémoire les explications
données par écrit.
Journal d'Education , préſenté au Roi ,
par M. le Roux , Maître- ès - Arts & de
Penfion au Collège de Bonnecourt , à
Paris . Ouvrage également utile aux
Parens , aux Maîtres , aux Elèves , &.
à l'ufage des Colléges , des Penfions
& de toutes les Maifons deſtinées à
l'intruction de la jeuneffe.
*
Indè tibi tuæque reipublicæ , quod imitere ,
capias : indè fadum inceptu , fædum exitu ,
quod vites.
Tit. Liv . in Præf.
Volume in 12. A Paris , chez Coururier
père , Imprim.- Libr . aux Galeries
du Louvre Couturier fils , Libraire ,
quai des Auguftins , près le Pont-
Neuf.
Ce n'est point un nouvel écrit périodique
que nous annonçons ; il a
exifté près de deux ans. Il a été fufpendu
pendant quelques années , pour
des raifons qui ne peuvent plus avoir
lieu maintenant. Ce Journal compren
MARS. 1776. 137
dra tout ce qui concerne l'éducation
morale , & par conféquent la Religion ,
qui en doit être la bafe . Toutes les matières
qui ont rapport à l'éducation littéraire
y feront auffi traitées. Ain ce
Journal embraffera trois objets principaux
, la Religion , les moeurs & les
fciences. C'eft à ces trois chefs que fe
réduit route éducation , puifqu'elle doit
avoir pour but de rendre les jeunes gens
vertueux , citoyens , inftruits. Quelques
pages de chaque volume feront auffi
deftinées à contenir les annonces , avis
ou demandes que le Public voudra faire
inférer dans ce Journal , dont on vient
de publier un nouveau Profpectus . L'Inf
tituteur y expofe le plan de fon Ouvrage,
qui a mérité l'approbation de ceux qui
s'intéreflent fincèrement aux progrès de
l'art fi difficile de gouverner & de bien
élever la jeuneffe .
L'abonnement pour ce Journal eft de
12 liv. pour Paris & de IS liv . pour la
Province. On recevra , franc de port ,
chaque mois , par la pofte , un volume
de 96 pages , dans lequel on inférera différentes
cartes relatives à l'éducation .
On fouferit à Paris chez les Libraires cideffus
nommés. On aura foin d'affranchir
138 MERCURE DE FRANCE:
le port de l'argent , des lettres d'avis &
des pièces qu'on voudra faire inférer dans
ce Journal.
Légiflation du flottage des bois. Brochure
in- 12 de 79 pages. A Londres ; & ſe
trouve à Paris , chez Cloufier , Impr.-
Lib. rue St Jacques.
Cet écrit contient des réflexions fut
l'utilité du fortage des bois , & fur la
néceffité de corriger & de perfectionner
l'Ordonnance de 1666 qui l'autorife . Ces
réflexions font le fruit de recherches
longues & pénibles. L'Auteur les pré
fente au Gouvernement comme un
moyen certain de procurer fans frais &
fans foins , par une augmentation de
travail , des reffources aux Journaliers ,
claffe la plus indigente des confommateurs.
Les Propriétaires des forêts font
auffi invités à prendre ces réflexions en
confidération. Ils y trouveront un moyen
de mettre en valeur , à peu de frais les
forêts qu'ils font forcés d'abandonner au
pâturage & aux déprédations , parce que
l'exportation par terre feroit trop difpendieufe
ou parce qu'ils font trop gênés par
la réfiſtance des riverains , & par les for
MARS. 1776 . 139
malités auxquelles eft affujeti le flottage
des bois. L'Auteur de l'écrit que nous
annonçons , pour procurer ces avantages
au Gouvernement & aux Propriétaires ,
donne le projet d'une loi claire & précife
, qui rend libre & facilite le flottage
fur toutes les rivières & ruiffeaux du
Royaume .
Réflexions critiques fur la Muriométrie ,
par M. Dubet; Ouvrage dans lequel
on démontre évidemment combien
l'Auteur connoiffoit peu la matière
qu'il a traitée , & combien elle mérite
l'attention du Gouvernement. Par M.
Buffel , Infpecteur des Manufactures
du Languedoc , pour la Province ; vol.
in-8 °. de 197 pages ; prix 2 liv. 8 f.
A Paris , chez Monory , Libe. rue &
vis-à- vis de l'ancienne Comédie Françoife
; & fe trouve à Lyon ; chez
Roffer ; à Tours , chez Billaut ; a
Montpellier , chez Rigaud ; à Nîmes ,
chez Bucher.
·
Nous ne pouvons mieux faire connoître
ce bon écrit qu'en tranfcrivant let
jugement qu'en a porté M. Adanfon
Cenfeur Royal « Ces réflexions judi140
MERCURE DE FRANCE.
» cieuſes & vraies , dit M. Adanſon' , font
» d'autant plus folides , qu'elles font le
fruit de plus de cinquante années d'ob
» fervations & d'expériences authenti-
» ques & reconnues , faires au milieu
» des éducations les plus floriffantes des
» vers à foie , & des meilleures manu-
» factures de foieries de la France . Elles
» font accompagnées de plufieurs vues
» nouvelles & utiles, 1 °. fur la néceffité
» d'arrêter les abus des grandes planta-
» tions de mûriers , projetées dans nos
» Provinces feptentrionales , où elles font
» moins avantageufes & préjudiciables
» aux cultures des grains , & d'encoura
» ger leur augmentation dans les terres
maigres ou trop médiocres de nos Pro-
» vinces méridionales ; 2 ° . fur les moyens
d'empêcher qu'il ne forte tous les ans
» du Royaume , des fommes confidéra-
» bles d'argent , pour quatre mille quintaux
de foie des plus hauts prix qu'on
» achette en Piémont , qu'on pourroit ,
fabriquer en France avec les cocons du
» crû du Royaume , en augmentant les
» droits des foies moulinées étrangères ,
» & en diminuant au contraire ceux des
»foies grifes non travaillées dont l'im-
ود
"
portation eft plus avantageufe ; 3 °.
MAR S. 1776 . 141
"
"3
و د
» enfin fur l'utilité qui réfulteroit de la
» multiplication des établiffemens des
filatures & moulinages en grand , en
organcins des premières qualités , fui-
» vant la méthode de M. de Vaucanfon ,
pratiquée à Aubenas dans le Vivarais.
Ces diverfes vues d'améliorations &
» de réformes à faire , tant dans nos
» Manufactures de foies en France , que
» dans nos plantations abufives de mû
» riers , dont la trop grande quantité ,
» dans les meilleures terres , feroit une
» fouftraction à la culture des denrées de
première néceffité , me paroiffent de
» la plus grande importance , & mériter
» une attention particulière de la part
» du Gouvernement ; & je crois que le
» Public éclairé lira avec plaisir & avec
» fruit cette production d'un homme
» auffi inftruit fur cette matière , que
» véridique & bon citoyen » .
"
?
ود
Traité des Eaux minérales du Rouffillon ;
par M. Carrere , Docteur en Médecine
à Perpignan ; 1 vol . in- 8 ° . A
Paris , chez Ruault , Librare , rue de
la Harpe.
Ce Traité est un des plus exacts de
142 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui paroiffent fur les eaux minérales
de la France , l'Auteur y traite de toutes
celles de fa Province : il en donne l'analyfe
chimique , & fait voir leur utilité
pour l'afage de la médecine ; il y a joint
plufieurs obfervations de pratique. Il
feroit bien à defirer qu'on eût pour cha
que contrée un Traité auffi complet fur
les eaux minérales qui s'y trouvent. M.
Buc'hoz en a fait grand ufage dans fon
Dictionnaire minéralogique & hydrologique
de la France , dont le quatrième volume
paroît actuellement & dont nous
donnerons inceffamment l'extrait.
Le Jardinier prévoyant , contenant , en
plufieurs tableaux , le rapport des opérations
journalières , avec le temps
des recoltes fucceffives qu'elles préparent
, & c. I volume in-3 2. A Paris ,
chez Didot le jeune , Libr . quai des
Auguftins.
Ce petit Almanach a un degré d'utilité
qu'on a de la peine de trouver dans
la plupart de ceux qu'on publie : il mérite
d'être entre les mains de tout Cultivateur;
les confidérations fur le jardi
MARS. 1776. 143
nage qui s'y trouvent jointes , & les obfervations
fur les nouvelles races , le
rendent encore plus intéreflant.
Plans de deux contributions volontaires &
confidérables , fans charges & fans in.
convéniens pour l'Etat ni pour le Public
; in- 4° . prix 48 fols . A Paris , de
l'Imprimerie de Ph . D. Pierres , rue
St Jacques. Avec privilége du Roi ,
1776.
Ce plan propofé eft une loterie dont
on fait voir dans l'Ouvrage les avantages
& les combinaiſons. L'Auteur prétend
avoir ouvert à l'Etat une fource de richefles
inépuifable , & au Public , une
forte d'agrément à y contribuer , qui ne
lui a jamais été indifférente. On a fait
de ce Mémoire une critique que l'Auteur
rapporte , & à laquelle il répond d'une
manière fatisfaifante .
Nouveau Palais de la Juftice , d'après les
plans de M. Perrard de Montreuil ,
Cenfeur Royal , Architecte de Monfeigneur
le Comte d'Artois ; in-4° .
A Paris , chez P. G. Simon , Impri144
MERCURE DE FRANCE.
meur du Parlement , rue Mignon St
André- des- Arts , 1776.
L'origine des bâtimens du Palais eft
prefque auffi ancienne que celle de la
Monarchie . Cet édifice a été fucceffivement
bâti & réparé fous les Rois de la
première & feconde race , par les Maires
ou Ducs , qui s'emparèrent de l'autorité
du Gouvernement . Les Rois de la troifième
race , qui en ont fait leur demeure ,
l'ont confidérablement augmenté . Saint
Louis , qui a eu de commun avec les
grands hommes de tous les fiècles ,
d'élever beaucoup de grands monumens
, y a fait entre autres chofes bâtir
la Sainte Chapelle , qui reçut le dépôt
de la fainte couronne . Elle reçut auffi celui
du tréfor des chartres & diplômes de
la couronne. Philippe le Bel , qui rendit
le Parlement fédentaire en 1302 , le
plaça au Palais , & Louis XIIle deftina
entièrement pour l'adminiftration, de la
juſtice.
Il n'eft pas étonnant que ces anciennes
conftructions , faites fucceffivement &
dans des temps où les Arts étoient plongés
dans la plus profonde ignorance , ne
préfentent que des maffes monftrueufes ,
fans
MARS. 1776. 145
fans aucunes liaifons , fans aucuns rapé
ports , ni commodités locales ou particulières
. Ces bâtimens ont éprouvé auffi
de fréquens incendies ; les derniers font
ceux de la Sainte Chapelle , dont le com
ble brûla ainfi que le clocher , l'an 1630.
On éleva à fa place la flèche que l'on voit
aujourd'hui .
La grande falle fut entièrement détruite
la nuit du au 6 Mars 1618 , par
le feu qui s'y communiqua des maifons
voifines . Elle fut rebâtie & finie en 1624.
Ces deux événemens & l'incendie de Janvier
1776 , le réuniffent en faveur du
plan que l'on propofe aujourd'hui , &
qui , en ifolant le Palais , le met à l'abri
des dangers du feu . Ce plan eft très bien
développé d'après une gravure qui en
donne l'intelligence.
Au milieu de la grande cour du Palais ,
décrite dans cet imprimé , s'élevera un
monument à la gloire du Roi , & dont
on donne la defcription . Le Roi , revêtu
de fes habits royaux , fera repréſenté
tenant d'une main le livre des Loix qu'il
remet à Thémis , & de l'autre lui montrant
le Temple qui vient de lui être
élevé , des bas- reliefs allégoriques confacreront
l'amour de notre Monarque
G
146 MERCURE DE FRANCE.
pour la justice. Cette idée appartient à
M. Beauvais , Sculpteur , ancien Penfionnaire
du Roi en fes Académies de
Paris & de Rome.
Euvres de M. Rochon de Chabannes , nouvelle
édition , revue & corrigée ; vol .
in- 8°. A Paris , chez la veuve Du
chefne, Lib. rue St Jacques, au- deſſous
de la fontaine St Benoît , 1776.
Le Théâtre de M. Rochon eft.com .
pofé de quatre Comédies & d'une Paftorale
, qui toutes ont réuffi , que les
Acteurs aiment à jouer , parce qu'il y a
dans chacune des rôles propres à faire
reffortir leurs talens , & que le Public
aime à voir par l'intérêt & la gaieté fi
rare qui les animent. Ces Pièces font
Heureufement , comédie en un acte & en
vers ; la Manie des Arts ou la Matinée
à la mode , comédie en un acte & en
profe ; les Valets Maîtres de la maison
comédie en un acte , en profe ; Hylas &
Silvie , paftorale en un acte , en vers ,
avec des divertiffemens ; les Amans géné
reux , comédie en cinq actes & en proſe.
I fuffit de nommer ces Comédies pour
sappeler le plaifir qu'elles ont fait à la
MARS. 1776. 147
repréfentation , & celui qu'elles doivent
faire à la lecture .
La Vérité renaiffante , Comédie - ballet
en un acte , par M. Martin ; repréſentée
fur plusieurs Théâtres de Société ;
in- 8°. de 52 pages . A Paris , chez la
veuve Duchefne , Lib. rue St Jacques ,
au-deffous de la fontaine St Benoît.
Les Acteurs de cette Pièce font la Vérité
, Momus , Arlequin , un Petit Maitre
Gafcon , Pierrot , une petitefille , un Ja
loux père de la petite fille , la Femme du
Jaloux ,l'Amour.
Momus annonce à la Vérité qui
s'éveille , & qui eft étonnée de ne plus
voir fon puits , que le Confeil des Dieux
a décidé que
Jamais la Vérité ne fe fera connoître
Que Momus en tous lieux ne la fafle paroître.
La Vérité obéit à fon nouveau deftin ;
& ne fe fait voir que dans un miroir ou
fous les dehors de l'a nufement. L'Auteur
fait paroître dans des fcènes épifodiques
plufieurs perfonnages , dont la
Vérité découvre les vices & les ridicules ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
en leur donnant un avis & leur enfei-
Ignant les moyens de fe corriger . Cette
Pièce auroit pu amufer fur, l'ancien
Théâtre de l'Opéra -comique , avec le
fecours du vaudeville . Elle eft beaucoup
imitée du Miroir magique , Opéra - comique
de le Sage & d'Orneval.
Réponse à l'Auteur de la Lettre fur les
Drames Opéra. A Londres ; & à Paris
chez les Libraires au Palais Royal ,
& c.
Cette réponſe eft faite avec une gaîté
aimable , & l'Auteur y réfute les principes
hafardés de la Lettre fur les Drames
, par la manière de les préfenter &
par des traits qui en font voir le faux ou
le ridicule .
Le Spectateur François ou Journal des
Maurs.
L'étude propre de l'homme eft l'homme même.
Pope.
Année 1776. Tome Ier.
Ce Journal , auffi amuſant qu'intéreſ,
1
w
MARS. 1776. 149
fant , fe continue avec fuccès. Il eft
compofé par an de 15 cahiers , chacun
de trois feuilles , dont le prix , franc de
port , eft à Paris de 9 liv. & par la pofte
en Province , 12 liv . chez Lacombe ,
Libr. rue Chriftine , à Paris .
Le premier cahier de cette année offre
dans une Epître dédicatoire , une critique
ingénieufe des moeurs , des vices & des
ridicules de ce fiècle. C'eft un tableau
peint à grands traits , mais fort reflemblant.
Suit la vifion du premier jour de
l'an , où le Spectateur rappelle le charme
du fauteuil merveilleux , qui force quiconque
s'y aflied de mettre au jour les
plus fecrettes penfées , d'avouer fes vices
les plus cachés , fans feinte & fans déguifement
, & de fe faire connoître tel qu'il
eft : mais qui ne corrige pas les habitudes
invétérées des paffions . On lit enfuite une
lettre où l'on trace plufieurs caractères de
comédie , qui n'ont pas été mis au Théâ •
tre , & qui pourroient y être traités avec
fuccès , avec l'analyfe de l'Avare de M.
Goldoni .
L'entretien entre Floridor & le Spectateur
, a des détails de moeurs très piquans.
On y trace , d'une touche légère
& agréable, les extravagances de la mode.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
»
Heft affez plaifant d'entendre une petite
Maîtreffe dire à un jeune homme : « Il
» faut convenir , Chevalier , que vous
» n'êtes guères au fait du bon ton , ou
» que vous êtes bien diftrait . Vous ne
vous êtes pas feulement apperçu que
» votre Valet de chambre vous avoit
» donné des manchettes qui doivent vous
» affommer. Des dentelles d'hiver dans
» l'été! comment ofez vous paroître en
» Public ? Ah! Madame , répondis - je
» en touffant deux ou trois fois , c'eft
» bien malgré moi que j'ai pris ces den-
"
telles ; mais vous voyez que j'ai un
» rhume affreux . La Marquife prit cette
» excufe pour argent comptant , & m'ap-
» prouva ». On affure que cette anecdote
eft vraie. Ce premier cahier finit par une
Réclamation du Corps des Ufuriers , qui
fait voir combien cette efpèce de fangfues
cachées eft nombreufe , combien
leur avidité eft monstrueufe , & combien
il feroit néceffaire qu'il y eut une caiffe
publique qui prêtât fur des garans , mais
à un taux honnête .
La Nature confidérée fous fes différens afpects
, ou Journal des trois règnes de
de la Nature , contenant tout ce qui a
MARS. 1776 . 1st
1
rapport à la fcience phyfique de l'hom
me , à l'art vétérinaire , à l'hiſtoire des
différens animaux ; au règne végétal ,
à la connoiffance des plantes , à l'agriculture
, au jardinage , aux arts ; au
règne minéral , à l'exploitation des
mines , aux fingularités & à l'ufage
des différens foffiles.
Ce Journal eft compofé de 52 feuilles
par an ; le prix pour Paris & la Province ,
eft de 12 liv.
On foufcrit en tout temps & à tel
mois que l'on veut , chez Lacombe , Lib.
à Paris , rue Chriftine .
Ce Journal eft fur tout très utile aux
perfonnes qui habitent la campagne . Il
renferme une multitude de procédés
éprouvés pour tous les befoins de l'hom
me & de tout ce qui l'environne .
Penfées & réflexions diverfes fur les hom
mes; par M. de la Taille de Gaubertin .
A Amfterdam ; & à Paris , chez Valade
, Lib. rue St Jacques.
J'ai étudié les hommes , dit l'Auteur :
les réflexions que j'offre ici en font le
fruit ; il m'a été utile de le faire ; j'ai
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
penfé qu'il pourroit l'être à d'autres de
les lire , & c'est ce qui m'engage à les
publier.
L'avantage de ces penfées détachées
eft de faire réfléchir le Lecteur . Il cherche
naturellement à en - découvrir le vrai
ou le faux ; & c'eft par un retour fur luimême
qu'il peut juger de leur mérite .
Cet exercice de l'efprit lui eft infiniment
utile ; il lui donne de la force , de la
pénétration , de l'activité. C'est donc
rendre fervice aux hommes que de les
faire penfer. On trouvera dans l'Ouvrage
que nous annonçons beaucoup de maximes
qui font les réfultats d'un grand
nombre d'obſervations , & qui peuvent
fervir de principes pour fe conduire , &
de règles pour juger fainement des hommes
& des chofes .
Voici quelques-unes de ces penfées.
« Le bon fens fait fouvent manquer à
» un homme d'efprit des occafions de
briller , qu'une heureufe indifcrétion
» feroit faifir à un fot.
و د
» On a plutôt fait de croire qu'un
» homme qui réuffit eſt un malhonnête
» homme , que de fe perfuader qu'il a
plus d'efprit & d'habilité qu'on n'en a .
"
Il eft difficile d'atteindre à la vertu ;
MARS . 1776. 153
» mais il y a des occafions où c'eft s'éle-
>> ver jufqu'à elle que de n'en pas def-
» cendre .
» Il est une flatterie honnête & délicate
, qui ne confifte pas à louer le
» mérite mais à lui fournir les occafions,
» de paroître.
:
» Nous ne pouvons fupporter qu'on
» fe rende juftice à foi même , & il eft
» rare que nous ayons aflez d'équité pour
» la rendre à ceux qui l'attendent de nous .
» & c. & c. »
"
Indications politiques , revues & augmentées
. A Stockholm , de l'Imprim .
des deux Frères.
L'Auteur fe propofe de relever le crédit
de l'Etat , de faire ceffer fes beſoins ,
d'augmenter fes revenus , d'accroître fa
puiffance & d'en affurer efficacement les
progrès. Son projet , pour parvenir à de
fi grands avantages , eft de convertir en
billets au denier vingt-cinq , payables aux
porteurs , tous les titres de créance fur
l'Etat ( autres que les contrats de rente fur
l'Hôtel de Ville) ; d'affigner pour leur extinction
, par l'Edit de leur converſion ,
un fond annuel fur fes revenus courans ;
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
& de pourvoir , par le même Edit , à ce
que leur payement fucceflif & celui de
leurs coupons foient faits par un Tréfo
rier à Paris , & par fes Commis dans les
Ports & les principales Villes du Royaume.
Il développe ce plan & en fait voir
toutes les fuites, qu'il faut confulter dans
l'Ouvrage même.
Les Enfans du pauvre Diable , ou mes
échantillons ; par M. de l'Empirée
Concurrent des Places & des prix de
toutes les Académies , & Secrétaire
perpétuel de la Société littéraire de
fes Euvres. Première édition ; prix
24 fols . A Burgos ; & fe trouve à
Paris , chez Valade , Libr . rue Saint
Jacques.
Ce recueil eft compofé de pièces fugidives
en vers & en profe , très - variées ,
écrites avec efprit & facilité . On peut en
joger par les pièces fuivantes :
La fidèle
inconftante.
Jadis volige & gentille ouvrière ,
N'ayant qu'unjufte & de pauvres amours ,
Madame Orgon, aujourd'hui Financière,
MARS. 1776. 155
A bien changé de Galans & d'atours ;
Mais non d'humeur : elle eſt toujours légère ,
Toujours changeante ainſi qu'auparavant ,
Parle auffi mal , ne fait pas mieux fe taire ,
Trompe un Epoux auffi bien qu'un Amant :
Elle n'a pas ( voyez l'aimable enfant )
Changeant d'état , changé de caractère .
Difique.
On peut aimer , mais non plaire en tout temps
L'amour , comme les fleurs , n'a d'attraits qu'au
printemps.
A une Adolefcente.
De l'enfance fais- tu quel eft le dernier jour ?
C'eſt , jeune Hébé , le premier de l'amour.
Sur une rofe jumelle.
Voyez cette rofe jumelle ,
Quel attrait unit ces deux fleurs !
Tel eft l'ornement d'une Belle;
Tel eft la chaîne de deux coeurs.
Effaifur les phénomènes relatifs aux dif
paritions périodiques de l'Anneau de
Saturne; par M. Dionis du Séjour ,
de l'Académie Royale des Sciences ,
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE ,
de la Société Royale de Londres , &
Confeiller au Parlement . A Paris
chez Valade , Libraire , rue Saint
Jacques , vis-à - vis celle des Mathurins
, 1776 .
Cet effai eft un Ouvrage très-profond
fur un des phénomènes les plus importans
& les plus étonnans de l'aftronomie.
Nous ferons connoître plus particulièrement
ce favant Traité , d'après le rapport
des Commiffaires de l'Académie des
Sciences .
Journal des caufes célèbres , curieufes , intéreffantes
de toutes les Cours Souverai .
nes du Royaume , avec les jugemens qui
les ont décidées .
Nous avons annoncé, dans le temps, les
différens volumes qui ont paru de ce
Journal. La collection de l'année dernière
renferme plufieurs caufes célèbres , & une
foule de caufes intéreffantes , qui méritent
d'occuper une place dans les recueils
de Jurifprudence . On y trouve l'affaire
de la machine infernale de Lyon , celle
de la dame Delaunay contre les Bernardins
, du Marquis des Broffes fur une
MAR S. 1776 . 157
accufation d'impuiffance , & le fameux
procès des Calas , & c.
Les volumes qui ont paru cette année
contiennent l'affaire du fieur Barbier ,
celle de Saluces , du fieur Alliot , Fermier-
Général , contre fon fils , & plufieurs autres
caufes curieufes & intérellantes .
Cette collection , vraiment piquante ,
doit également plaire aux Jurifconfultes
& à toutes les autres claffes de Lecteurs .
Les premiers y trouvent le développement
des queftions de droit , & l'effèce
des arrêts qui les ont décidées ; & les
feconds , l'hiftoire de ce qui fe paffe de
remarquable dans les Tribunaux .
Ce Journal eft compofé de 12 volumes
par an. Il en paroît un exactement tous
les premiers de chaque mois . Le prix de
la foufcription pour Paris eft de 18 liv .
& pour la Province de 24 liv . Il faut
affranchir le port de la lettre d'avis & de
l'argent.
Ön foufcrit chez le fieur Lacombe ,
Libraire , rue Chriftine ; & chez M. Défeffarts
, Avocat au Parlement , rue de
Verneuil , la troisième
la troisième porte cochère
avant la rue de Poitiers .
On foufcrit en tout temps , & on délivre
encore la collection des années précédentes
.
158 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
EXTRAIT du Journal de mes Voyages,
ou Hiftoire d'un jeune homme , pour
fervir d'école aux pères & mères ; par M.
Pahin de la Blancherie ; 2 vol . in- 12 ; en
papier ordinaire rel . 6 liv . En papier
d'Hollande , 12 1. avec figures. A Paris ,
chez les Frères Debure , Libr. quai des
Auguftins ; à Orléans , chez la veuve
Rouzeau -Montaur.
L'eftampe fe trouve féparément fous
ce titre : Le Cri de la Nature , chez Romanet
, Graveur , rue de la Harpe , & le
vend 24 f.
Les Afluces de Paris , Anecdotes Parifiennes
, dans lefquelles on voit les rufes
que les intriguans & certaines jolies femmes
mettent communément en ufage
pour tromper les gens fimples & les
étrangers. Par M. N **. 2 parties in- 12 .
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Cailleau ,Imprimeur - Libraire , rue Saint
Severin .
L'amour vainqueur du vice , ou Lettres
MARS. 1776 . 159
du Marquis de Coufanges ; 2 v . in - 12 br.
A Amfterdam ; & à Paris , chez Mérigot
jeune , Lib . quai des Auguftins , au coin
de la rue Pavée .
Célide , ou Hiftoire de la Marquife
de Bliville ; par Mademoiſelle M ***;
2 vol . in- 12 . A la Haye ; & fe trouve à
Paris , chez la veuve Duchesne , Libr.
rue St Jacques ; Moutard & Mérigot ,
Lib. quai des Auguftins ; Delalain , Lib .
rue de la Comédie Françoife ; l'Efprit ,
Lib. au Palais Royal.
Les Economies Royales de Sully , nouvelle
édition , par M. l'Abbé Baudeau ;
contenant le texte original , avec des dif
cours préliminaires à chaque Tome , des
fommaires généraux à tous les chapitres ,
& des fommaires particuliers aux paragraphes
, des obfervations critiques , hiſtoriques
& politiques , des tables particu
lières & une table générale . Tome 1 , Ire
Partie. A Amfterdam ; & fe trouve chez
tous les Lib. de Paris & du Royaume .
Differtations fur l'Apocalypfe , où l'on
examine : 1. en quel temps elle a été
écrite , 20. quel en eft l'objet 5 3 ° . fi elle
160 MERCURE DE FRANCE.
a été écrite en grec , en hébreu ou en
fyriaque , ou obfervations fur ces trois
points , à l'occafion du Profpectus de M.
des Hauterayes fur ce divin livre. Broch.
de o pages in - 12 . Par M. Laurent-
Erienne Rondet , Editeur de la Bible
d'Avignon. Patmos... Prophetia.. Omega..
A Paris , chez Aug. M. Lottin l'aîné ,
Impr. rue St Jacques .
La Réduction de Paris , Drame lyrique
en trois actes ; par M. de Rozoi , Citoyen
de Toulouſe ; avec des notes &
une Differtation fur le Drame lyrique :
in - 8 ° . d'environ 130 pages . A Paris ,
chez la veuve Ducheſne , Libr . rue Saint
Jacques.
Les Souliers mors- dorés , ou la Cordonnière
Allemande , Comédie lyrique
en deux actes , repréſentée , pour la première
fois , fur le Théâtre des Comédiens
Italiens du Roi , le jeudi 1 Janvier
1776. A Paris , chez Ventes , Lib . au bas
de la montagne Ste Geneviève .
Petit guide des Lettres , pour l'année
1776 ; contenant les jours & heures du
départ & de l'arrivée des Couriers au
MARS . 1776. IGI
Bureau des Poftes de Paris , le prix de
l'affranchiffement & le temps qu'elles
font en route. Nouvelle édition . Par M ..
Guyot , Directeur au Bureau général des
Poftes. Prix liv. 4 f. en blanc . A Paris ,
chez Saugrain , Libraire , quai des Auguftins.
ACADÉMIES.
1.
AMIEN S.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles-
Lettres & Arts d'Amiens célébra , le 25
Août , la fête de Saint Louis , dont le
panégyrique fut prononcé par M. l'Abbé
Bertin.
M. d'Agay , Maître des Requêtes ,
Honoraire de l'Académie , en ouvrit la
féance par un difcours fur l'Amour du
bien public .
Les autres Ouvrages qui remplirent
la féance furent les Eloges de M. le Marquis
de Chauvelin & de M. Capperonier
Garde de la Bibliothèque du Roi , Ho162
MERCURE DE FRANCE.
noraire de l'Académie , par M. Baron ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie .
-Un difcours fur le bonheur des Gens de
Lettres ; par M. d'Eſmery , Avocar.
Un mémoire fur les Loupes , par M.
Bourgeois , Lieutenant du Premier Chirurgien
du Roi.
Une traduction en vers du Pervigilium
veneris , précédée d'une differtation fur
le véritable Auteur de cet Ouvrage , par
M. de Wailly.
Le prix proposé pour l'Eloge de Dom
Luc d'Achery , a été adjugé au difcours
n °. 2 , ayant pour épigraphe : Fuit vir
talis , qualis verè fapiens appellari poffit.
QUINT. dont l'Auteur eft M. Maugendre ,
Etudiant en Philofophie , âgé de dix -fept
ans.
Le prix de l'Ecole de Botanique a été
donné à M. Macquer , Elève en Chirurgie.
L'Académie propofe pour le fujet du
prix d'Eloquence qu'elle doit donner en
1776 , l'Eloge du Maréchal de Créqui ,
mort en 1687.
Et pour le prix de Poëfie , l'hommage
fait à Philippe de Valois par Edouard III,
dans l'Eglife Cathédrale d'Amiens. Le
MARS. 1776. 163
Poëme fera de 300 vers au moins & de
soo vers au plus .
4 Chacun des prix eft une médaille d'or
de la valeur de 300 liv .
Les Ouvrages feront adreftés , francs
de port , avant le premier Juillet , à M.
Baron , Secrétaire perpétuel de l'Académie
, à Amiens .
Extrait d'un Difcours fur l'amour du bien
public , lu dans l'affemblée publique de
l'Académie d'Amiens le 25 Août 17-55
par M. d'Agay fils , Maître des Requêtes.
Ce difcours , qui eft le développement
d'une vertu néceffaire à tous les états ,
& particulièrement à la Magiftrature ,
mérite une place dans la littérature , liée
fous tant de rapports , avec le bien public
qui en eſt le fujet.
" Qu'est-ce que les talens les plus
» précieux , lorfqu'au lieu de les rendre
utiles à fa patrie , on les fait fervir de
» titres à fa vanité ou d'appui à fon am-
» bition ? Où aboutiffent les efforts du
génie le plus élevé , lorfqu'il fe dé-
» tourne des vues que l'utilité publique
99
164 MERCURE DE FRANCE .
පා
*
» lui preferit ? Séduit par les confeils in-
» téreffés de l'amour propre , que devien
» nent les qualités les plus brillantes ,
» les femences de vertus les plus heu-
» reufes , fi l'amour du bien public , qui
» forme le caractère des grandes ames ,
» ne les développe avec éclat , & ne leur
ajoute leur véritable luftre ? Il n'appar-
» tient qu'à l'amour du bien public
d'infpirer ces fentimens , & d'unir les
Magiftrats aux Peuples par des liens
» auffi purs qu'ils font inviolables ; d'ap-
» prendre aux uns l'ufage & l'emploi de
» l'autorité , & de faire goûter aux autres
les avantages de l'obéiffance . C'est dans
» l'amour du bien public que le Magiſtrat
» doit chercher la fource & la récompenfe
de fes vertus ; la règle de fes
>>
»
"
"
"
"
» devoirs & la fatisfaction de les remplir
; l'honneur de plaire au Souverain ,
» & la gloire de contribuer à la félicité
publique en affermiffant la fienne » .
Voilà les grands objets difcurés , éloquemment
développés par M. d'Agay.
Qui du concours heureux de toutes les
les vertus accompagnant celle qui s'oc
» cupe principalement du bien public ,
» fait renaître des jours purs & fereins ,
qui éclairent une Nation entière & ata
MARS. 1776.
165
» tachent à fon nom un éclat que les
» fiècles ne peuvent effacer .
99
ود
"
»Telle fut la célèbre Sparte , lorfqu'un
Sage rectifia fes loix , perfectionna fes
Citoyens , & fonda folidement la gran-
» deur de l'Etat , en leur imprimant
» l'amour du bien public , dont il étoit
épris. Rivale d'Athênes , elle balança
» dès- lors fa puiflance , la foumit quelquefois
à fon empire , & la furpaffa
» toujours en vertu. Sparte honora la
» Grèce , la patrie des Sages , par la ré-
>> putation de fa fageffe : Athènes la
» rendit floriffante par fes progrès & fon
>> amour pour les fciences . L'une formoit
principalement fes Citoyens dans l'art
» de vaincre leurs paffions & d'obéir aux
loix ; l'autre cultivoit davantage l'ef-
» prit des fiens , & s'appliquoit plus à
» perfectionner leurs talens qu'à régler
» leurs inclinations . Sparte fe rendit vé-
» nérable à toutes les Nations de la terre
» par l'austérité de fa morale , par l'inté
grité de fes moeurs , & l'on vit un Peuple
illuftre lui demander des leçons de
fageffe ; Athènes fut admirée par fa fupériorité
dans les fciences , & traça le
» modèle du bon goût que les plus beaux
génies ont puifé à fon école, Sparte
"
39
و د
"
99
??
166 MERCURE DE FRANCE.
» foutint la Grèce chancelante , contre la
» Puiffance la plus formidable , par des
prodiges de vertu ; Athènes défendit
long - temps la liberté de la Grèce ,
» contre un Roi redoutable , par l'éloquence
victorieufe de fes Orateurs . En
» un mot , Sparte ſi vertueuſe , Athènes
» fi éclairée , furent également redeva-
» bles de leurs fuccès & de leur gloire
à l'amour du bien public qui enflammoit
leur Citoyens & les formoit à
» l'héroïfme . L'une & l'autre déchurent
» également de leur fplendeur , lorfque
l'intérêt perfonnel éteignit en eux une
» paſſion fi noble , & avilit cette force
» de fentiment , qui eft le principe des
grandes actions
Nous n'avons pas befoin de faire remarquer
la vigueur de pinceau qui a
fait ces deux tableaux contraftans , ou la
grande éloquence de ce parallèle de Sparte
& d'Athènes .
. Nous n'avons pas moins admiré l'art
avec lequel l'Orateur paffe de la Grèce
Rome , où l'amour du bien public donna
à l'Univers des Maîtres dignes de lui
commander,
C'est avec le même art & la même
éloquence que M. d'Agay , après avoir
MARS . 1776. 157
prouvé combien les Peuples font heureux
, quand ceux qui font chargés de les
conduire aiment le bien public , prouve
combien ceux- ci font heureux eux mêmes
en cultivant une vertu fi néceſſaire à leur
propre perfection.
Nous regrettons de ne pouvoir fuivre
le Magiftrat Académicien , dans le bel
éloge qu'il continue de faire de cette
vertu , qui les raffemble toutes. « Telle
eft la paffion fertile en prodiges qui a
fufcité & formé dans tous les Empires
» & dans tous les fiècles tant de grands
» hommes qui ont immortalifé leur nom
» en fervant utilement leur patrie . Tel
» eft le germe précieux qui a fait naître
» & porter à leur plus haut degré les
» vertus fublimes qui ont illuftré la Ma-
"
giftrature dans les différens âges de la
» Monarchie , & lui ont concilié la con-
» fiance des Souverains & la vénération
» des Peuples. Tels font les titres qui
a lui ont mérité la bienveillance d'un
jeune Monarque , père du Peuple , qui
» veut régner fur les coeurs , & faire ré-
» gner fur lui même la juftice & les loix .
Quel préfage plus certain d'une félicité
» durable pour les Peuples , d'un Empire
glorieux pour la juſtice & pour toute
"
168 MERCURE DE FRANCE.
» les vertus ? Puiffe- t il ce jeune Monar-
» que , fi digne d'être protégé du Ciel &
» chéri des mortels , faire jouir cette
» Nation fidèle , dans un avenir reculé ,
» du bonheur que nous annoncent fes
premiers bienfaits & fa tendreffe active
pour les Sujets »> !
"
"
On ne pouvoit mieux finir un aufi
beau difcours , duquel on peut augurer ,
& avec certitude , que les grands principes
du bien public , fi éloquemment
développés par l'Auteur , feront pratiqués
par lui & prouvés par des faits plus éloquens
encore quand il remplira ſa deftinée
, qui l'appelle aux fonctions importantes
de l'adminiftration qui veille au
bonheur des Peuples. Il a puifé , fans
doute , ces grandes leçons , qu'il a fi bien
tracées , dans les exemples & les écrits
éloquens de M. le Comte d'Agay , fon
père , Intendant de la Province , qui a
fucceffivement rempli les places importantes
de la Magiftrature & de l'adminiftration
dans plufieurs Provinces , dont
il a fait le bonheur par fes vertus & ſes
talens.
II.
MAR S. 1776. 169
II.
MONTA U BAN.
L'Académie des Belles - Lettres de
Montauban a célébré , ſuivant fon uſage ,
la fête de Saint Louis , le 25 Août dernier.
Après avoir afifté le matin à une
meffe , fuivie de l'Exaudiat pour le Roi
& du Panégyrique du Saint , prononcé
par le R. P. Sapein , Prieur des Doini
nicains de Caftrés , elle a tenu une affemblée
publique à l'Hôtel de - Ville , où
elle a été reçue , conformément au cérémonial
preferit par le Roi.
M. le Préfident Savignac , Directeur ,
a ouvert la féance par un difcours , où ,
en confidérant l'objet préfenté à l'Académie
Françoife par un illuftre Acadédémicien
, que fon mérite autant que
fon nom , a fait paffer d'un des plus refpectables
fanctuaires de la Juftice aux
fublimes fonctions du Ministère , il a
affigné les divers degrés de la révolution
faite dans nos moeurs , fuivant les progrès
& l'influence des Lettres ; & ayant obfervé
que le dépôt du goût a été confié
aux Corps littéraires , il a appuyé far
H
170 MERCURE DE FRANCE.
l'obligation où ils font d'en prévenir la
décadence , en s'oppofant au torrent des
innovations qui nous menacent d'en banit
& d'y étouffer en tant de manières
l'amour du fimple , du vrai & du natarel.
Comme l'Académie avoit renvoyé à
la folennité de ce jour la réception de
M. Lade , Avocat , élu pour remplacer
feu M. Carrere fils ; M. l'Abbé Beller ,
Secrétaire perpétuel , a lu l'éloge de M.
Carrere , Académicien eftimable par les
qualités de l'efprit & du coeur.
M. Lade , fon fuccefleur , a prononcé
enfuite fon difcours de remerciement ,
où il a payé fon tribut à l'Académie
avec beaucoup de modeftie , d'élégance
& de politeffe. Mais pour traiter un fuje t
afforti à fon double état de Jurifconfulte
& d'Académicien , il a faifi & développé
les rapports conftans & fuivis du règne
des loix & de l'empire des lettres , en
obfervant que les unes & les autres ont
marché d'un pas égal chez tous les Peuples
; qu'elles s'y font perpétuellement
données la main pour contribuer au bonheur
de la fociété ; & que l'accroiffement
des lumières a par tout fécondé le champ
de la légiflation comme celui de la lit
MARS. 1776. 171
térature. Et c'eft- là que d'un pinceau mâle
& rapide , il a tracé le portrait des Légiflateurs
, des Poëtes , des Sages , des
Rois & des grands Hommes , qui dans
la Grèce , à Rome & en France , fourniffent
la preuve éclatante d'une vérité
destinée à mesurer les progrès de l'efprit
humain.
M. le Directeur , en répondant au
nouvel Académicien , lui a noblement
expofé les vues , les intentions & les
loix de l'Académie , qui n'ambitionne
que de fe rendre utile à la fociété , en
cultivant les lettres , propres à former les
bons Citoyens , & en donnant l'exemple
de l'union & de l'harmonie néceflaire au
foutien & à la gloire des Corps comme
à la profpérité des Etats ; objet qui fixe
l'attention du Souverain pour améliorer
les moeurs & le fort de fes Sujets .
Et M. le Secrétaire perpétuel a prononcé
un difcours & un poëme fur le
facre & couronnement de Louis XVI ,
conformément à l'ufage où eft l'Acadé
mie de célébrer toutes les époques auxquelles
la gloire du Roi eft attachée .
Ces lectures ont été fuivies de celle
d'une Epître à un Ami fur le Bonheur ,
par M. le Baron Dupuy Montbrun , qui
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE:
l'a peint tel qu'on peut & qu'on doit le
puifer dans le fein d'une aimable philofophie.
M. Theulieres a fait part à la Compagnie
d'une defcription gracieuſe du repos,
de la liberté & de l'innocence de la campagne
, par M. de Malartic de la Deveze ,
Académicien abfent.
M. le Baron Dupuy Montbrun , reprenant
la parole , a lu une Epitre à Thémire
furfon mariage , où , pour terminer
les difpures de l'Amour & de l'Hymen ,
zu fujet de leurs prétentions réciproques ,
Vénus imagine de les unir déformais par
des noeuds que la vertu feule ait droit
de former ce qui a préfenté à tous les
efprits l'image d'une augufte alliance conclue
alors à Versailles.
Et M. Theulieres a lu encore des
Stancesfur l'amour divin , de la compofition
de M. l'Abbé de la Tour .
M. de Broca fils , Confeiller à la Cour
des Aides , s'eft déclaré l'Auteur du difcours
auquel le prix a été adjugé . Il a
été admis à en faire lui - même la lecture ;
& on a vu que fuivant la divifion générale
que préfentoit fon fujet , il a prouvé
que , de l'aveu des Philofophes &felon
l'hiftoire de tous les Peuples , c'eft aux
MARS. 1776. 173
moeurs que tient & qu'à toujours tenu le
fort des Empires , & qu'elles en ont été
dans tous les pays & dans tous les fiècles
le foutien & la gloire ; le foutien , parce
que c'est à elles qu'il eft réfervé d'y rendre
communes les vertus qui affermiffent
les Etats , & d'en banir les vices , qui en
ébranlent la conftitution ; la gloire , parce
qu'elles apprennent aux Peuples à la
placer , non dans l'éclat d'un fafte qui
n'éblouit que les yeux , ni dans la pompe
orgueilleufe des victoires , qui n'inſpirent
que la terreur : mais dans l'eftime ,
l'amour & le refpect qu'elles leur affurent
de la part de leurs voifins , & dans la
vénération même qu'elles leur promet
tent de la part de la poſtérité ..
M. l'Abbé Taverne , Maître des Jeux
Floraux , à Toulouſe , s'eſt déclaré l'Auteur
du poëme couronné.
La féance a été terminée par la lecture
du programme fuivant.
· L'Académie des Belles Lettres de
Montauban diftribuera le 25 Août prochain
, fête de Saint Louis , un prix d'élo
quence , fondé par M. de la Tour , Doyen
du Chapitre de Montauban , l'un des
trente de l'Académie , qu'elle a deſtiné à
un difcours dont le fujet fera pour l'année
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
1776 : la corruption du coeur eft la pre
mièrefource des égaremens de l'efprit , con :
formément à ces paroles de l'Ecriture ,
de corde enim exeunt cogitationes male.
Math. 51. 19.
Ce prix confifte en cent jetons d'argent
de la valeur de 250 liv. portant d'un
côté les armes de l'Académie , avec ces
paroles dans l'exergue : Academia Montalbanenfisfundata
aufpice Ludovico XV,
P. P. P. F. A. imperii anno XXIX. Eţ
fur le revers , ces mots renfermés dans
une couronne de laurier : Ex munificen
tia viri Academici D. D. Bertrandi de
la Tour Decani Ecclef. Montalb . M.
DCC. LXXIII.
Les Auteurs font avertis de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui leur
eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan
& d'en remplir toutes les parties avec
jufteffe & avec précision .
Les difcours ne feront tout au plus que
de demi- heure de lecture , & finiront par
une courte prière à Jéfus Chrift .
On n'en admettra aucun à l'examen
qui n'ait une approbation fignée de deux
Docteurs en Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur
MARS. 1776. 175
nom à leur Ouvrage ; mais feulement
une marque ou paraphe , avec un paffage
de l'Ecriture Sainte ou d'un Père de
l'Eglife , qu'on écrira auffi fur le regiſtre
du Secrétaire de l'Académie .
Ils feront remettre leurs Ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , à M.
l'Abbé Bellet , Secrétaire perpétuel de
l'Académie , en fa maiſon , rue Cour- de-
Toulouſe .
Le prix ne fera délivré à aucun qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne ou par procureur pour le recevoir
& figner le difcours .
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien lisibles de
leurs Ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui feront envoyés par la pofte .
Le prix d'éloquence de cette année a
été adjugé au difcours qui a pour fentence
: Virfapiens fortis eft. Prov . XXIV .
S.
Et le prix réservé a été adjugé au pɔëme
qui a pour ſentence : Les plaifirs fans
remords peuventfeuls rendre heureux.
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
III.
LIMOGES.
La Société Royale d'Agriculture de
Limoges a remis au mois de Janvier
1777 l'adjudication qu'elle devoit faire
en Janvier dernier du prix annoncé en
faveur du meilleur Mémoire fur l'appré
ciation des fonds.
Elle recevra jufqu'au premier Octobre
prochain les Mémoires que l'on voudra
lui adreffer, & renverra les Mémoires
qu'elle a reçus à ceux qui voudront y
faire quelque changement ou quelques
corrections
I V.
Académie Royale des Sciences de Paris.
L'Académie Royale des Sciences de
Paris a élu , dans fa féance du 10 Février ,
M. le Comte de Milly , Colonel de
Dragons , pour remplir la place d'Affocié
libre , vacante par le décès de M. de
Valliere , Lieutenant Général des Armées
du Roi , & Directeur Général d'Artil
lerie.
MAR S. 1776. 177
SPECTACLES.
MESSIEURS
OPÉRA.
ESSIEURS le Prévôt des Marchands
& les Echevins de l'Hôtel de Ville de
Paris , ayant defiré de fe débarraffer de
l'adminiftration de l'Opéra , dont les foins
s'accordoient peu avec les importantes occupations
dont ils font d'ailleurs chargés ;
le Roi a nommé MM. de la Ferté , de
la Touche , Bourboulon , Defentelles ,
Hébert , Intendants & Tréforier des Menus
, & Buffault , Receveur général de la
Ville , pour gouverner ce Spectacle pen .
dant un temps , en qualité de Commiffaires
prépofés pour y établir l'ordre , &
chercher les moyens propres à en relever
l'éclat & le fuccés. M. le Berton continuera
de confacrer fes talens & fon expérience à
toute la partie de la mufique. Les nouveaux
Adminiſtrateurs , qui ont donné
tant de fois des preuves de leur goût , de
leurs reffources & de leurs lumières dans
les fêtes & les fpectacles de la Cour ,
doivent entrer en poffeffion à l'ouverture
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de ce Théâtre après Pâques . Ils veulent
bien s'employer , avec un délintérellement
généreux & patriotique , à affermir
dans la Capitale le Théâtre des Arts ,
favorifer & à intéreffer l'émulation des
Poëtes & des Muficiens , à encourager &
récompenfer les talens , à confulter les
defirs des Amateurs , à varier leurs plaifirs
, & à donner à cette grande & fuperbe
machine tous les reflorts & toute
la pompe dont elle peut être enrichie.
C'eft alors que l'on dira dans toutes
les parties de l'Europe , avec un de nos
plus grands Poëtes :
Il faut fe rendre à ce palais magique ,
Où les beaux vers , la danſe , la mufique ,
L'artde tromper les yeux par les couleurs ,
L'art plus heureux de féduire les coeurs ,
De cent plaifirs font un plaifir unique.
Les repréſentations d'Adèle de Ponthieu
, feront continuées juſqu'à la clôture
du Théâtre ; elles attirent toujours beaucoup
de Spectateurs.
La Salle ne peut contenir l'affluence
de ceux qui viennent applaudir au magnifique
Ballet de Médée & Jafon, au
MAR S. 1776 . 179
triomphe de Mlle Heynel , dont la dante
& le jeu pantomime font fi admirables ,
& aux talens rares de Mlle Guimard , &
MM , Veftris & Gardel , Danfeurs &
Acteurs excellens .
On a remis pour les jeudis , les Fragmens
nouveaux , compofés des actes de
la Sybille , de Vertumne & Pomone , & de
celui de la Provençale .
COMÉDIE FRANÇOISE .
LES Comédiens François ont repréſenté
le jeudi 19 Février , Lorédan , Tragédie
en quatre actes de M. F ***•
Ottobon , noble Vénitien , excité par
la fureur de la jalousie , a empoisonné fa
femme , dont il a foupçonné légèrement
la fidélité fur des lettres qu'Almerini , fon
rival , a fait artificieufement tomber dans
fes mains . Cet époux coupable cherche
à juftifier fa rage par la feature de ces
lettres ; il les referme en appercevant.
Léonore Priuli , que Lorédan , fou fils ,
doit époufer. Cette fille vertueufe vient
faire éclater fes regrets ; elle annonce le
retour de Lorédan & fes douleurs . Otto
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
bon nomme Almerini l'auteur de fes
maux , & l'accufe . Léonore frémit des
forfaits qu'elle entrevoit. Lorédan eſt
accablé de trifteffe : chargé d'une commillion
honorable par la République , il
n'a pu voir fa mère dans les derniers momens
de fa vie ; il s'étonne de la
prompitude
de fa maladie & de fa mort.
Ottobon dit à Léonore de fortir ; il veut
fans témoins dévoiler à fon fils fes foupçons
& fa vengeance. Lorédan juftifie
fa mère. Un domeftique corrompu par
Almerini , a fervi fa haine , & a porté
Ottobon au meurtre ; ce mystère affreux
eft découvert. Lorédan , furieux , va fe
venger d'Almerini . Lorédan , couvert du
fang de fon ennemi , eft enchaîné & précipité
dans un cachot . Ottobon vient le
trouver ; il espère qu'Almerini eft encore
vivant , & que fa famille ne pourfuivra
point ce meurtre ; mais Lorédan lui ôte
tout efpoir en lui difant :
Tremblant que mon bras égaré
N'eût atteint le cruel d'un coup mal affuré ,
Craignant que s'il refpire il ne vous déshonore,
Je retire le fer & le replonge encore ;
Je le frappois fans cefle , & ma jufte fureur
S'appliquoit àtrouver la place de fon coeur,
MARS. 1776.
Fe ce coeur odieux qui , brûlant pour ma mère ,
Vous ravit votre épouse , & vos vertus , mon
père.
Cependant on apprend qu'Almerini refpire
, & que l'on pourfuit la punition de
fon affalinat. On interroge le criminel ;
il eft amené dans le Confeil des Dix , ou
il occupoit autrefois une place honorable
; il fe laiffe condamner , & évite de
faire connoître le crime de fon père,
Contarini , Préfident du Confeil , fon
juge & fon ami , l'avertit qu'il ne peut
le fouftraire que par une mort prompte
à la bonte de l'échafaud . Ottobon eft
réfolu de fauver fon fils , en s'avouant
coupable ; mais Lorédan l'arrête en lui
difant : Si vous dites un mot , je n'écoute
plus qu'un tranfport furieux ,'
Vous ne me fauvez point : je m'immole à vos yeux.
Ottobon ne voit plus d'autre reffource
pour fauver fon fils de l'infamie du fupplice
, que de prévenir le glaive de la
Juftice. Il lui porte du poifon qu'il a
déjà pris lui même. Léonore vient dans
ces triftes momens , & veut auffi mourir
avec Lorédan . Il oblige fon Amante de
182 MERCURE DE FRANCE.
renoncer à cet horrible projet & de
s'éloigner; il porte déjà la main fur le
vale , lorfque Contarini l'arrête & lui
apprend que le Confeil inftruit , par Almerini
même expirant , de fon complot
& de fon crime , a juſtifié & abſous Lorédan
, & l'a rétabli dans fes honneurs .
Ottobon meurt , mais fatisfait d'être le
feul puni. Il dit à les enfans :
Soyez toujours unis ; que les jaloux foupçons
Dans vos ames jamais ne verfent leurs poifons ;
Vous voyez quels effets leur fureur peut produire ,
L'exemple eft ſous vos yeux , qu'il ſerve à vous
inftruire.
Ce Drame a été retiré après la première
repréſentation . Il préfentoit des
tableaux d'une couleur trop fombre pour
que la vue pût les foutenir , malgré les
talens de M. le Kain , de M. Brifart &
Madame Veftris , qui ont rempli les principaux
rôles.
On a donné plufieurs repréſentations
'des Amans généreux , pièce intéreflante
de M. Rochon de Chabannes , & les
Valets maîtres dans la maiſon , comédie
MAR S. 1776. 183
·
ou farce très gaie du même Auteur.
On répète Abdolonyme , Drame nouveau
.
DÉBUT.
Mademoiſelle Comtat a débuté dans
les mois de Janvier & Février fur le
Théâtre de la Comédie Françoife . Elle a
joué avec beaucoup d'intelligence les
feconds rôles de la Tragédie & les premiers
de la Comédie. De la jeunefle
une figure aimable , de l'intelligence , de
J'habitude du Théâtre , un jeu vif & fpirituel
, font beaucoup efpérer de fes talens
& des foins qu'elle prendra de les
perfectionner.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné , le
jeudi 22 Février la première repréfentation
du Lord fuppofe , Comédie nouvelle
en trois actes , en vers , mêlée d'ariettes ;
paroles de M. d'o *** *, mulique de
M. Chartrin.
Juliette plaifante fa foeur Emilie far
184 MERCURE DE FRANCE.
les craintes qu'elle a du mariage ; elle
promet bien d'être plus intrépide lorfqu'il
lui fera permis de prendre un
époux. Le père d'Emilie la deftine à
Terville , jeune Officier , qu'elle aime ,
& dont elle eft aimée : mais il eft un
peu piqué de ce que ce jeune homme në
lui a point fait part de fon choix ; &
avant de faire fon bonheur , il veut lui
caufer quelqu'inquiétude. Il eft même
d'intelligence avec le père de Terville,
Une certaine Hortenfe , coufine d'Emilie
, qui eft déguifée en Officier Anglois ,
fe propole de feconder leur projet . Elle
paffe pour le rival de Terville & pour
l'Amant préféré . Emilie elle - même fe
fait un jeu de défoler fon Amant , qui
n'a pourtant point mérité ce cruel perfifflige.
Il y a querelle entre les deux
prétendus rivaux . Ils fe donnent rendezvous.
Hortenfe croit avoir choifi tous les
moyens néceffaires pour avoir l'avantage
du combat. Elle a , dit- elle , fait fceller
l'épée de Terville , & elle a mis du
monde en embufcade pour les féparer.
Elle le préfente fièrement l'épée à la
main ; mais elle eft bien furprife lorfque
Terville tenant deux piftolets , lui dit
d'en choisir un. Elle s'en tient à l'épée ;
MARS. 1776. 185
Terville veut alors qu'elle fe déshabille
comme lui , pour ôter tout foupçon de
lâcheté. Hortenfe eft dans le plus grand
embarras ; heureufement que l'on vient
féparer les deux champions . Alors toute
la famille des jeunes gens arrive ; on fe
moque de Terville ; Hortenfe fait ceffer
ce badinage , en ne cachant plus fon
nom. Le père d'Emilie accorde fa fille à
Terville , dont il a voulu feulement
punir la trop grande difcrétion .
Le plan de cette pièce eft ingrat ; il
fe prête difficilement à l'action , au comique
& à l'intérêt . Tout eft prévu dès
F'expofition ; & tout ce perfifflage , qui
dure pendant les trois actes fur un jeune
Militaire aimable , auquel le Poëte ne
donne d'ailleurs aucun ridicule, ne produit
que très peu d'effet. Il y a dans la pièce
deux perfonnages épifodiques , un vieux
Factotum de maifon & un Bailli bavard
qui produifent deux fcènes comiques.
Cette Comédie eft écrite avec facilité
& elle annonce du talent ; mais il fauc
que ce talent foit employé fur un meilleur
fond.
On a applaudi plufieurs morceaux de la
mufique , qui eft d'un Compofiteur déjà
186 MERCURE DE FRANCE:
connu par de bonnes fymphonies & par
fon talent pour le violon.
Les principaux rôles ont éré bien joués
par MM. Clairval , Nainville , la Ruette ,
Trial ; & par Mefdames Trial , Billioni ,
Beaupré.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Collection précieufe & enluminée des fleurs
les plus belles & les plus curieufes qui
Je cultivent tant dans les jardins de la
Chine que dans ceux de l'Europe. Ile
Décade ; prix 24 liv. A Paris , chez
Lacombe Libraire , rue Chriftine ; &
chez M. Buc'hoz , Médecin , directeur ,
de cet Ouvrage , rue des Saints Pères ,
vis a vis la Charité.
CETTE feconde Décade eſt encore exécutée
avec plus de foins que la première ,
quoique celle- ci ait obtenu le fuffrage
MARS. 1776. 187
général de tous les Amateurs ; la Collection
entière eft une des plus intéreſfantes
& des plus précieufes du fiècle ,
par fa nouveauté & par fa belle exécu
tion ; chaque planche fait tableau , &
pourroit fervir d'ornement dans les plus
beaux cabinets , tant montée fous verre,
que réunie en collection .
I I.
Les reftes du Palais du Pape Jules , eftam
pe d'environ 11 pouces de haut for 9
de large , gravée d'après le tableau de
H. Robert , Peintre du Roi , par F.
Janinet ; prix 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue St Jacques , près celle
de la Parcheminerie , à la Providence ;
& chez le Père & Avaulez , Marchands
d'eftampes , même rue , à la ville de
Rouen.
genre Cette eftampe eft gravée dans le
de gravure que M. Janinet a adopté , &
qui confifte à faire ufage de plufieurs
planches , pour faire paffer fur le papier
les différentes couleurs du tableau ou du
deffin , fi c'est un deffin colorié. La nouvelle
eftampe peut faire illufion , & an188
MERCURE DE FRANCE.
nonce les nouveaux progrès que M. Ja
ninet a faits dans ce genre de gravure ,
qui exige beaucoup de foin & d'intelligence
.
III.
Les écarts de la Nature , ou Recueil des
principales monftruofités que la Nature
produit dans le règne animal ,
peintes d'après nature , gravées &
mifes au jour par les fieur & dame
Regnault , Auteurs de la Botanique
miſe à la portée de tout le monde
&c. IV . Cahier. A Paris , chez l'Auteur
, rue Croix des Petit -Champs ,
vis -à-vis l'Hôtel de Luflan .
Les Auteurs de cer Ouvrage ayant
reconnu , après diverfes obfervations ,
que la Nature , dans fes écarts , femble
s'être preferit un certain nombre de rou
tes dans lefquelles elle rentre prefque
toujours du plus au moins , ils ont borné
le recueil des écarts de la Nature aux
principales monftruofités. S'il fe ren
contre dorénavant des phénomènes affez
remarquables pour mériter l'attention des
Curieux , ils les graveront à mesure qu'ils
paroîtront , & auront foin d'en avertir
MARS. 1776. 189
les perfonnes qui leur ont fait l'honneur
de foufcrire. Les eftampes feront continuées
dans le même format, & formeront
fa fuite du recueil ; elles feront annon .
cées à fur & mefure dans les Journaux.
Ces Auteurs ont entrepris les quadru
pèdes de l'oeuvre de M. de Buffon , en
couleurs naturelles ; le premier cahier ,
compofé de douze planches , vient d'être
mis au jour ; le fecond paroîtra dans le
courant de Février , & ainfi de fuite :
prix 7 liv . 4 f. On les trouve à Paris chez
l'Auteur , rue Croix des Petits Champs ,
& à l'Hôtel de Thou , rue des Poitevins.
I V.
Le Naufrage , eſtampe d'environ 24 pouces
de largeur & 15 de hauteur ,
gravée par M. Avril , d'après un tableau
de M. Vernet , Peintre du Roi.
Prix 6 liv . A Paris , chez M. Avril ,
rue de la Huchette , en face de la rue
Zacharie.
Cette eftampe eft d'un travail trèsvarié
, gravée avec beaucoup de talent &
d'un bon effet de couleur.
190 MERCURE DE FRANCE.
V.
L'Agréable Défordre & la Promeffe du
retour , deux fujets galans , gravés avec
foin par A. F. David , d'après les ta
bleaux de Tifchebin . Ces deux eſtampes
en médaillon ont environ 14 pouces de
hauteur fur 10 de largeur. A Paris , chez
David , rue des Noyers , au coin de celle
des Anglois .
GÉOGRAPHIE.
I.
CARTE de l'Amérique ſeptentrionale ,
en huit grandes feuilles , par le Docteur
Mitchel , contenant les détails des Colonies
Angloifes , corrigée en 1776 , traduite
par le Rouge , Géographe du Roi ,
rue des Grands Auguftins . Prix 9 liv , en
feuilles ; collée fur toile , 24 liv.; brochée
en carton , 15 liv. Plus un Recueil
in 4° . broché , contenant 10 plans , ſavoir
: Vue & plan de Québec , plan de
Boſton , port de Plaifance & d'Anapolis ,
MARS. 1776. 191
Sault de Niagara , Ville de Kingſton
Port-Royal , Charles- Town , & c. Prix
I liv. 16 f. br . chez le même.
I I.
Nouvelle Carte détaillée des environs de
Compiègne , du même format & même
point que celle des environs de Fontainebleau.
Prix 25 f. A Paris , chez Aldring ,
Graveur , rue des Foffés M. le Prince ,
chez le fieur Canaple , Sellier , près la
rue de Vaugirard.
MUSIQUE,
I.
TROIS Sonates pour le piano forte ou
le clavecin , avec accompagnement d'un
violon & violoncelle , compofées par
C. Brunings , Infpecteur général des rivières
de Hollande & de Weftfrife , & c.
OEuvre ler. Prix fl . 3 10 f. A Bruxelles ,
chez Vanypen & Pris , Graveurs ; à la
Haye , chez Detune , Libr ; à Amfterdam
, chez Ulam , Lib.; à Paris , chez
192 MERCURE DE FRANCE.
Coulineau , Luthier , rue des Poulies ; à
Lyon , chez Caftaud , place de la Comédie.
On trouve aux mêmes adreffes fix
Sonates à deux violons , compofées par
J. F. Redein.
I I.
XXX . Livre de Guittarre , contenant
des airs d'Opéra comique & autres , avec
accompagnemens d'un nouveau goût , des
préludes & des ritournelles ; par M. Merchi.
OEuvre XXXIV . Prix 7 liv. 4 f. A
Paris , chez l'Auteur , rue St Thomas du
Louvre , à côté de M. Godin ; & aux
adrelles ordinaires de mufique.
I I I.
Le Plaifir de la Campagne , ariette
nouvelle , à corno principale violino
primo è fecundo baffe ( oboe & cors ) ad
libitum ; dédiée à Madame la Comteffe
de la Marck; mife en mufique par M.
Pételard le jeune , Maître de chant. Prix
2 1.8f. A Valenciennes , chez l'Auteur ;
à Paris , aux adreffes ordinaires.
IV .
MARS. 1776. 193
I V.
VIe Livre , contenant douze Ariettes
choifies avec accompagnement de harpe ,
fuivies de deux Divertiffemens pour la
harpe & un violon , par J. G. Bürcshoffer.
OEuvre XIIIe . Prix , 9 liv. A Paris .
chez l'Auteur , rue de Clery , vis- à - vis
celle du Gros- chênet , & aux Adreſſes ordinaires
de Mufique.
V.
Sei Quartetti per il obod , o violino prime
violino fecondo , alto viola , è fagotto
o violoncello , par M. le Baron de
S ***. OEuvre IV . Prix , 9 liv.
Ces Quatuors , pleins d'expreffion &
de chant , annoncent la plus grande facilité
dans l'Auteur , qui eft déjà connu
avantageufement du Public par plufieurs
ouvrages.
On les trouve chez le fieur Moria qui
en eſt l'éditeur , rue de Seine , hôtel de
Chaumont ; aux Adrefles ordinaires de
Mufique , à Paris ; & chez le Sr Caſtaud,
Me de Mufique , à Lyon.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
V I.
La Gamme du Haut - bois & du Baffon ,
avec les plus belles Marches militaires
, arrangées par M. Corrette. Prix ,
liv. 16 fols. A Paris , chez les Marchands
afortis.
-
Cet ouvrage contient fes principes de
deux inftrumens très agréables ; & le
choix des marches qui les accompagnent
ne peut que faire le plus grand plaisir aux
Muficiens & aux Amateurs .
VII.
Sei Sonate cantati per camera a violino
e baſſa ofia mandolino & viola , dedicate
al Signor Vaflai de St Hubert
compofte d'al Signor Giuliano di Napoli
virtuofo di mandoline ; miſes au jour par
M. Raymond , maître de mandoline .
Op. I. Prix , 7 liv. 4 fols. A Paris , chez
l'Editeur ; rue Bergère , la première porte
cochère à droite , en entrant par la rue
Poiflonnière ; & au Bureau d'Abonnement
mufical , rue du Hafard - Richelieu .
MARS. 1776. 195.
VIII .
Recueil de fix Ariettes avec accompagnement
pour la harpe qui peuvent
s'exécuter fur le clavecin , par G. Navoigille
l'aîné. Euvre VI , gravé par Mile
de Silly. A Paris , chez M. Sieber , rue St
Honoré , à l'hôtel d'Aligre , & lad. Dile
de Silly , rue de Montmorency , près celle
du Temple.
COURS DE LANGUE ITALIENNE,
M. l'Abbé Fontana , Italien , reprendra
fon Cours de Langue Italienne , mardi 12
Mars 1776 ; & il fuivra tous les mardi
& vendredi depuis huit heures du matin
jufqu'à dix. Dans ce Cours on apprend à
bien parler & compofer en Italien , & à
comprendre tous les meilleurs Auteurs.
Il donne des leçons particulières chez lui
& en ville.
Il demeure rue Montorgueil , la porte
cochère à côté de la rue Pavée , vis - à- vis
l'hôtel des trois Rois , au fecond fur le
devant.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE:
COURS DE PHYSIQUE .
M. BRISSON , de l'Académie royale
des Sciences , Maître de Phyfique &
d'Hiftoire Naturelle des Enfans de France
, & Profeffeur royal de Phyfique expérimentale
au Collège de Navarre , commencera
le lundi 4 Mars , à onze heures
du matin , un Cours de Phyfique expérimentale
, dans fon cabinet de machines ,
à l'ancien hôtel de Conti , rue des Poulies
. Il traitera dans ce Cours de toutes
les parties de la Phyfique , Les perfonnes
qui voudront le fuivre fe feront infcrire
chez lui avant ce terme ,
Conjectures fur la maladie épizootique
qui règne dans les Provinces méridionales
du Royaume , par M. Brafdor,
Profeffeur Royal in Chirurgie , &c.
PERSONNE ERSONNE n'ignore qu'une irritation méchanique
exercée fur des furfaces fenfibles , peut
produire dans l'économie animale les plus grands
MAR S. 197 1776.
défordres ; la présence des vers dans l'eftomach,
les inteftins , & c donne lieu à des fymptômes
dont on ne foupçonneroit pas la relation avec
leur caufe , fi l'obſervation répétée n'avoit apptis
que la perte de la vue , de la voix , la paralyſie ,
la pleuréfie , peuvent en dépendre .
Fernel rapporte l'hiftoire d'un foldat qui mou→
rut le vingtième jour de fa maladie , après êrre
devenu furieux , & dans le nez duquel on trouva
deux vers velus.
Les, vers cauſent ou compliquent ſouvent des
fièvres fâcheules qui ont des caractères de malignité.
Que l'on faffe l'une ou l'autre ſuppoſition ,
leur influence est toujours dangereuse ; on en
trouvera aifément la raifon dans les différentes
manières dont ces infectes nuilent : mais il eſt à´
remarquer que l'exercice trop long ou trop violent
del'action mufculaire peut produire dans les
liqueurs des perverfions femblables à celles qui
réfulteroient de l'action des miafmes putrides . On
lit dans l'hiftoire de l'Académie Royale des Sciences
année 1766 , l'obfervation communiquée
par M. Morand , de deux bouchers attaqués d'antrax
& autres accidens , après avoir tué chacun
un boeuf, qui avoient été tous les deux examinés
& trouvés fains. On ne put tien inférer des recherches
qui fuient faites , finon que ces animaux
avoient été vraisemblablement furmenés , enlorte
que dans ce cas le feul excès de mouvement avoit
donné lieu à des phénomènes de malignité. Il
peur donc y avoir des maladies putrides dont la
caufe n'eft point dans des miafmes pernicieux ,
dans l'intempérie de l'air , des faifons , & c . vérité
connue , mais que je devois rappeler.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Quoi qu'il en puiffe être , j'ai cru devoir expofer
les idées que m'ont fait naître les écrits fur la
maladie épizootique qui ravage les Provinces méridionales
du Royaume . Je trouve , à quelque
différence près cependant , beaucoup de conformité
entre cette maladie & celle qui attaqua
l'espèce des chiens en 1763 ; la vacillation de la
tête , les convulfion , la foibleſſe des extrémités
poftérieures , l'abattement , la triftefle , l'abaifle .
ment des oreilles , les cris plaintifs , & ce qui eft
plus remarquable , le gonflem ent des yeux , l'écou
lement de la morve par les nazeaux , la quantité
de morve ſouvent ichorreute mêlée d'un fang
noir , trouvée à l'ouverture des cadavres dans les
anfractuolités du nez , & s'étendant dans la trachée
artère , me paroillent établir entre les deux
cas une analogie frappante.
Je fis dans le temps des recherches fur la maladie
des chiens ; j'en ouvris plufieurs : je trouvai
à preíque tous dans le labyrinthe des narines , un
ver , à la plupart deux , d'une espèce inconnue.
La réferve néceffaire ne me fit propofer que comme
hypothèſe , dans mon Mémoire *, l'opinion
qui auroit fait dépendre de ces infectes la maladie
& les fymptômes , qu'il étoit poffible d'expliquer
en général par cette fuppofition. Ce qu'il y a de
très - certain , on voit fouvent des maladies graves
cefler par l'évacuation des vers.
Je ne puis dire s'il y en a dans le nez des boeufs
Il eft inféré dans le Tome VI des Mémoires de
mathématiques & de phyfique , préfentés à l'Académie
des Sciences.
MARS.
199 #
1776 .
ainfique j'en ai trouvé dans le nez des chiens ; la
fimilitude des fymptômes , & fur- tout l'état du
nez obfervé dans les vivans & les cadavres , autoriferoient
à le foupçonner. On n'en a , à la vérité ,
point trouvé dans les animaux qui ont été ouverts
: mais on ne peut rigoureuſement conclure
qu'il n'y en a pas , à moins que les recherches
n'ayent été dirigées expreflément vers cet objet 3
& il me femble que dans une aufli grande calamité
, il feroit permis à un Citoyen de former des
voeux pour que ce foupçon fût vérifié ; car enfin
fi cela étoit , fi des vers en irritant , de différentes
manières , la membrane pituitaire , qui eft d'un
fentiment fi exquis , produifent les fymptômes
auxquels le bétail eft en proie , que de corollaires
naîtroiènt de cette fuppofition admife comme
vraie !
On pourroit rendre raifon de la plupart des
phénomènes de la maladie , de la qualité conta
gieufe , & peut- être du peu d'utilité qu'on retire.
des précautions prifes contre la contagion , les
oeufs de ces infectes pouvant être portés par les
vents à de grandes diſtances .
On verroit pourquoi julqu'ici toutes les tentavives
de curation ont été infructueules ; ce
feroit le ver qu'il faudroit détruire : or les faignées
& les autres évacuans , les cautères , les ferons ,
&c, ne peuvent abſolument remplir cette indi
cation.
la
Quand , par des recherches ultérienres ,
fuppofition feroit vérifiée pour réelle , on reconnoîtroit
, à la vérité , la voie qu'il faudroit
tenir pour parvenir à la cure , ce qui feroit beaucoup
; mais il refteroit à trouver les moyens
de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
détruire ou d'évacuer la vermine de l'étaire ; ce
feroit l'objet de nouvelles expériences , & il faut
efpérer qu'avec des tentatives on parviendroit à
faire des découvertes utiles , &c.
Il eft prefcrit dans l'inftruction publiée par
ordre du Roi , de lavér les nazeaux , la langue
& le palais avec du vinaigre , dans lequel on aura
fait infufer de l'ail . On ne peut fe flatter que des
vers qui feroient logés dans les cavités du nez des
boeufs , puflent être atteints d'une manière fuffifante
par une femblable losion , parce que on
n'a pas la reflource de la leur faire attirer ; l'air
feroit plus propre , en parcourant ces anfractnofités
dans le mouvement d'infpiration , à porter
par toute leur étendue , les fubftances dans lef
quelles on auroit reconnu les propriétés defirées :
on pourroit au refte combiner les deux procédés.
Boerhaave rapporte l'exemple qu'il caractérise
de terrible , d'une jeune fille de Rotterdam dont
les fix finus pituitaites étoient pleins de vers qui
croifloient d'heure en heure ; il la guérit par une
légère fumigation de cinabre & une décoction de
tabac dans l'eau qu'elle attiroit dans les narines ,
dont l'ufage continuel fit fortir les vers.
Roterodami terribile in puellâ exemplum extitit
cui omnes fex finus pituitarii vermibus pleni fuerunt
qui de hora in horam increfcebant Hanc fanavi
fumo leviori cinabarino & tabaci cum aquâ
decolto per nares attracto quo cont nuo coegi animalia
ut de naribus defilirent * .
Ma fpéculation peut n'être qu'un rêve , mais
* Hermanni Boherhaave Prælect. Academ. 792.
MARS. 201 1776 .
c'eft le rêve d un Citoyen ; la grandeur du fléau
l'inutilité de tout ce qui a été fait jufqu'ici , me
ferviront d'excufe . Dans le cas extrême qui réduit
à facrifier les bêtes malades & celles qui fe por
tent bien , j'ai cru pouvoir hafarder des conjectures
, d'après ce que j'ai obfervé dans un cas
analogue. Si elles peuvent donner lieu à des
idées plus lumineuses , mes voeux feront comblés
; fi elles ne fervent à rien , on ne peut me
blâmer d'avoir eflayé d'être utile.
REMERCIEMENT de Madame la
Ducheffe de L. V... à une Perfonne qui
qui fe cache , de qui elle reçoit tous les
ans des chats de parfilage aux étrennes.
Demeschats
L'auteur fecret & magnifique ,
Par une maligne rubrique ,
Depuis plus de trois ans s'applique
A me mettre de la fabrique
Des ingrats.
Ce défaut m'agite & me pique ,
Puifqu il arme ma poë ique ;
Et in fur l'autu ne m'indique
Qu'un nuage amphibologique.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Pour finir , fans autre replique ,
Nos débats ,
Je rends ( avec plaifir ) publique
Ma reconnoiffance authentique
De mes chats.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , &c.
I.
La fieur François Bouquet , ferrurier à
Abbeville , arrivé à Paris le premier du
mois dernier , ayant exécuté une machine
propre à faire marcher fans béquilles des
perfonnes privées de l'ufage de leurs jambes
, a préſenté, le 25 du même mois ,
l'Académie royale de Chirurgie une perfonne
qui, depuis plus de trente ans, avoit
une ankilofe dans une hanche , & qui , à
l'aide de fa machine , a marché devant
toute l'Académie , fans foutien . Cette invention
a été reconnue ingénieuſe & utile
par le Corps académique qui lui en a fait
délivrer un certificat en forme. Le heur
Bouquet fe propoſe d'ajouter à fa machiMARS.
1776. 203
ne de faire monter à cheval ceux qui au
ront recours à lui . Sa demeure eft rue des
Deux Portes- Saint- Sauveur , à l'hôtel de
Hollande .
I I.
EXTRAIT d'une Lettre de M. de Forbonnois
, datée de Forbonnois dans le
Maine , le 16 Août 1775 , contenant
l'épreuve d'un remède contre la pourriture
du bétail.
Je crois , Monfieur , devoir vous faire
part du fuccès d'une expérience trèsimportante
que je viens de faire , & qu'il
feroit à defirer qu'on fît réitérer en divers
endroits.
-
le mouton
Mes terres font très froides , & il n'y
a point de marne : j'ai cru que
étoit néceffaire pour les réchauffer, quoiqu'on
ne foit pas en ce pays dans l'ufage
d'en avoir dans la proportion des terres ,
à caufe de la pourriture que ces animaux
contractent très - promptement , & furtout
les brebis. J'ai formé un troupeau
de belles brebis Poitevines avec un bélier
de grande eſpèce : j'ai eu de trèsbeaux
agneaux depuis deux ans. Mais j'ai
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
perdu un fi grand nombre de mères que
j'ai été forcé , pour ne pas perdre tout, de
vendre tous les ans à perte de plus de
moitié une partie des mères pourties.
Enfin la perte , au bout de deux ans , excédoit
de beaucoup le bénéfice des accroîts ,
& mon fumier me coûtoit plus qu'il ne
me rendoit.
J'ai cherché un remède & je l'ai éprouvé
fur quelques- unes des plus malades ,
toutes bêtes que le berger & les bouchers
difoient ne pas durer la femaine , dont
on n'avoit voulu pour aucun prix , lorfque
j'avois vendu les autres , & qui me
coûtoient 7 liv . pièce.
Leur état ainfi bien conftaté , je leur ai
fait prendre à chacune , pendant quinze
jours tous les matins , une cuillerée de
goudron ; elles ont beaucoup uriné , elles
ont commencé à manger , à être plus gaies.
J'ai réduit enfuite la portion à demi cuillerée
tous les jours ; non feulement en
fix femaines elles ont repris chair , mais
les veines de l'oeil , qui étoient totalement
éclipfées , ont reparu & font aufli vives
que dans une agnelle bien faine.
•
J'en avois acheté plein une cruche à
Paris avant mon départ , dans l'intention
de faire un effai , perfuadé que tout le mal
MARS. 1776. 205
procédant de la nourriture aqueufe , les
réfineux defléchans devoient produire un
bon effet. Je favois aut que dans les
pays de fapins , le mouton ne pourrit pas .
& qu'il aime la feuille . Cependant je t
l'ai ofé effayer que fur quatre , de quoi je
fuis bien fâché aujourd'hui.
I I I.
Le fieur Mefmer , Docteur en Médecine
, originaire de Suabe , guérit de l'épilepfe
par la vertu de l'aimant , qu'il applique
avec fuccès à quelques autres maladies
, fans faire mystère à perfonne de
Les procédés.
Le 25 Novembre dernier , il affembla
dans une grande falle , à Munich , où il
eft arrivé depuis quelque temps , plufieurs
perfonnes attaquées du mal - caduc ; & en
préfence des Médecins & Chirurgiens les
plus habiles de la ville , en toucha quel
ques- uns de fa main imprégnée de la vertu
magnétique. Au bout de cinq à fix minutes
, l'accès les prit au plus haut degré
avec de très fortes convulfions . Ils revinrent
à eux ; le Médecin affura que l'accès
les reprendroit encore ; ce qui eut lieu peu
de minutes après : mais le mal n'eft plus
206 MERCURE DE FRANCE.
revenu depuis. S. A. S. l'Electeur de Bavière
fut préfent à cette opération , qui
réuffit parfaitement. Le Docteur Meſmer
guérit toutes fortes de maladies de nerfs
d'un manière auffi fimple.
I V.
Nouvelle Eau-de- vie très -fpiritueufe .
Un Gentilhomme de la ville d'Yorck
en Angleterre , a extrait des carottes une
très - grande quantité d'eau - de- vie , incomparablement
fupérieure à celle qu'en
Suède on tire des pommes de terre. Vingt
boiffeaux feulement de carottes lui ont
rendu trois gallons , ou un peu plus de
douze pintes d'eau - de- vie . Cette liqueur
eft très- facile à faire ; on lave bien les carottes
, on les échaude dans un grand vafe,
on les foumet à une preffure commune ,
on fait bouillir modérément le jus qui en
eft découlé , on le laiffe fermenter quelque
temps , enfuite on le diftille .
MARS. 1776. 207
BIENFAISANCE.
I.
SA Majefté Pruffienne vient de faire un
établiſſement bien utile pour fes fujets . Il
a affigné un fonds de cent mille écus ,
deſtiné à entretenir dans les villages de
bons Maîtres d'école , qui jouiront chacun
de cent-vingt écus par an. Par cette fondation
les payfans , fe trouvant déchargés
du payement des mois d'école , n'auront
plus à alléguer le défaut des moyens d'y
envoyer leurs enfans. Les maîtres d'école
feront examinés par le Confiftoire Suprê
me , qui leur donnera des inftructions ,
& leur prefcrita l'efpèce de livres qu'ils
doivent mettre entre les mains de leurs
élèves.
I I.
M. le Comte de Schavembourg a établi
, dans le pays de ce nom , une eſpèce
d'Ordre agricole. Il fuffic , pour y être admis
, de contribuer aux progrès de l'agriculture
, ou de fe diftinguer dans cet art .
La marque de cet Ordre eft une médaille
208 MERCURE DE FRANCE.
1
d'argent qu'en porte à la boutonnière , &
qui vient d'être frappée ; fur laquelle on
lit les devifes & infcriptions fuivantes :
4º . Dieu t'ouvrira le trèfor de fes bénédic
tions ; il bénira les campagnes , & couronnera
par le fuccès toutes les entrepriſes :
2º. Au - deffous : Médaille pour fervir de
prix dans le pays de Schavembourg. Lippe ,
1775 ; 3 ° . Sur le revers : Sème , & ne te
repofe pas que tu n'ayes auffi femé pour
l'indigent ; cette fentence , dictée par
l'humanité , eft entourée d'épis de bled
fur lefquels un foleil darde fes rayons ;
4°. Au bas : Pour l'encouragement de l'agriculture.
FEU
ANECDOTES.
I.
EU M. le Maréchal de Noailles , paffant
un jour dans les galeries du château
de Fontainebleau , s'arrêta chez fon Libraire
pour lui demander certains livres
qu'il defiroit ; il apperçut dans cette même
boutique une Dame qui parcouroit
MARS. 1776. 209
une brochure nouvelle ; il s'en approcha
& lui dit : Que lifez vous là , ma belle
Dame ? Monfeigneur , je lis de vos coups ,
répondit elle. L'ouvrage étoit intitulé :
Coups d'état par les Généraux. Ce compliment
impromptu , plus flatteur qu'une
harangue bien préméditée plut au Maréchal
; il s'informa de tout ce qui pouvoit
intéreffer la Dame , & lui fit promptement
obtenir , par fon crédit , le fuccès
d'une affaire qu'elle follicitoit à la Cour
depuis long temps.
I I.
Le fameux poëte Milton , dans la Aeur
de fa première jeunele , étoit extrêmement
beau. Il étudioit à l'Univerfité de
Cambridge. Un jour d'été , s'étant égaré
à la campagne , accablé de chaleur & de
fatigue , il s'endormit au pied d'un arbre .
Pendant fon fommeil, deux Dames étrangères
pafsèrent en voiture dans le même
endroit. La beauté du jeune écolier les
frappe ; elles mettent pied à terre , &
l'ayant confidéré quelque temps fans l'éveiller
, la plus jeune , très jolie , tire un
crayon de fa poche , écrit quelques lignes
fur un papier qu'elle gliffe en tremblant
-
210 MERCURE DE FRANCE.
dans fa main . Les deux Dames remontent
en voiture , & s'éloignent. Les camarades
de Milton , qui le cherchoient ,
avoient vu de loin cette fcène muette fans
diftinguer les traits du jeune homme endormi
; mais s'étant approchés , & ayant
reconnu leur ami , ils l'éveillèrent en lui
racontant ce qui venoit de ſe paſſer . Il
ouvrit le billet qu'il tenoit , & y lut avec
furprife ces vers de Guarini :
Occhi , ftelle mortali ,
Miniftri de' mici mali ,
Se chiufi m'uccidete ,
Aperti che farete ?
сс
C'est -à- dire , « Beaux yeux , aftres mor-
» tels , auteurs de tous mes maux ! fi vous
» me bleflez étant fermés , que ferez-
» vous ouverts. Cette aventure étrange
rendit Milton fenfible. Rempli dès ce
moment du defir de connoître cette belle
inconnue , il la chercha , quelques années
après , dans toute l'Italie , fans jamais la
trouver. Son idée enflamma fans ceffe
l'imagination du poëte , & c'eſt en partie
à elle que l'Angleterre doit le poëme dont
elle fe glorifie .
MARS . 1776. 211
I I I.
Un jour on conduifoit un déferteur à
l'endroit où il devoit être fufillé ; dans le
même moment , le Maréchal de Villars
vint à paffer en chaife . Le malheureux
foldat demande , pour dernière faveur , à
parler à fon Général . M. de Villars en eft
inftruit & le fait approcher : Mon Général,
lui dit le foldat en fanglottant, vous allez
à Versailles , je vous fupplie de dire au Roi
l'embarras dans lequel je me trouve. Le
Maréchal trouva cette naïveté fi plaifante
qu'il fit fufpendre l'exécution , & n'eut
rien de plus preffé que de la rendre au
Roi . Sa Majesté en rit beaucoup & fit grâce
au déferteur.
I V.
Les Députés de la Ville d'Orléans
avoient joui de temps immémorial , par
une prérogative fort ancienne , du droit
de ne boire qu'affis , à quelque fête qu'ils
fe trouvaffent , fût - ce même devant le
Roi. Henri IV , informé de ce privilége
qui lui paroiffoit ridicule , imagina, pour
le faire ceffer , de faire ôter tous les fiéges
212 MERCURE DE FRANCE.
de la falle d'audience où il devoit recevoir
ces Députés , qu'il fit appeler enfuite ;
ils le haranguèrent fort long - temps , &
s'interrompant par intervalles , regardoient
de tous côtés . Le Roi n'ignoroit point la
caufe de leur étonnement ; il ordonna ,
fuivant l'ufage , qu'on leur versâr à boire .
Les Députés , fcandalifés de l'infraction ,
voulurent refufer ; le Roi leur dit qu'il
prétendoit être obéi . Les Députés s'affirent
alors à terre & burent. « Ventre-
» faint gris ! dit Henri IV , ils font plus
" fins que moi ; répondez à ma bonne
» Ville d'Orléans que je n'entends point
» enfreindre le privilége de fes Députés ;
» auffi- bien n'eft -il pas en ma puiffance
» de faire ôter ces fiéges là . »
3
-
V.
Piron , avant de donner au Théâtre
François les pièces qui ont fait fa réputation
, travailloit pour la Foire , où il fourniffoit
tous les quinze jours une pièce qui
n'étoit pas bien merveilleufe , mais qui
lui rapportoir de l'argent . A la repréfentation
des Chimères , il fe trouva à côté
d'un homme qui fe récrioit contre cette
farce , en difant : « Que cela eft mauvais!
MARS. 1776. 213
Que cela eft pitoyable ! Qui eft ce qui
peut faire des fottifes pareilles ? C'eft
» moi , Monfieur , lui répondit Piron ;
» mais ne criez pas fi haut , parce qu'il y
» a beaucoup de gens ici qui trouvent cela
bon pour eux. »
.
V I.
Un Seigneur très - emprunteur & trèsconnu
pour ne jamais.rendre , alla voir
un jour le fameux Samuel Bernard qu'il
né connoilloit que de vûe. Après les premières
civilités , il lui dit : « Je vais vous
éronner , Monfieur , je m'appelle le
Marquis de .... ,, je ne vous connois
point , & je viens vous emprunter cinq
» cents louis, Je vais vous étonner bien
» davantage , Monfieur , répondit Samuel
» Bernard; je vous connois , & je vais
» vous les prêter, »
"
>>
-
VII.
Un malade étoit obligé de fe tenir fans
ceffe penché du même côté dans fon fauteuil.
Un de fes amis vint le voir , & par
un mouvement d'intérêt , lui demanda
affectueuſement la raison pour laquelle il
214 MERCURE
DE FRANCE .
33
gardoit toujours la même fituation . « Pour
quelle raifon ? lui répondit le malade
» avec beaucoup de fang froid : c'eft que
» je ne vivrois pas un inftant fi j'en prenois
» une autre ; vous allez voir fi j'ai tort ».
Il fe retourne alors de l'autre côté , &
meurt fur le champ , comme il l'avoit
prévu.
LES
AVIS.
Moutarde pour les engelures.
ES engelures forment une incommodité d'autant
plus fâcheuſe qu'elle attaque la plus nombreufe
claffe de la fociété , celle que les facultés
mettent le moins en état de la prévenir , celle ,
enfin , à qui un travail journalier & foutenu eft
le plus néceflaire . Les engelures fe fixent ordinai
rement aux pieds & aux mains . On fent dès - lors
combien l'ouvrier qui en eft atteint fe trouve
gêné dans fon travail, fi ce travail n'eſt pas même
entièrement fufpenda Ceft ce qui a déterminé
le fieur Maille , Vinaigrier du Roi & de Leurs
Majeftés Impériales , à diftribuer gratuitement ,
depuis quelques années , aux performes nécefli
teufes , une moutarde propre à guérir l'incommodité
dont il s'agit. Il a établi , pour cette diſtribution
, un bureau chez lui en fon magafin général
de les vinaigres , rue St- André - des- Arcs. Elle a
MARS . 213 1776.
commencé le premier Dimanche de Novembre
dernier, & continuera tous les Dimanches jufqu'à
la fin de Mars prochain , depuis huit heures jufqu'à
midi , & pour la garde de Paris tous les jours.
MM. les Curés de toutes les provinces du royaume
jouiront du même avantage pour leurs paroif
fiens. On les prie feulement d'avoir un Corref
pondant à Paris qui fe charge de venir au bureau
& qui fe munifle d'un pot ou autre vale propre à
contenir la moutarde qui lui fera délivrée. Îl eſt
également néceflaire que MM . les Curés indiquent
le nombre des perfonnes qui réclament ce
fecours , afin qu'on puifle déterminer la quantité
de l'envoi d'après ce nombre. Quant aux perfonnes
qui font en état de payer , le prix du pot de
certe moutarde fera pour elles de 1 liv . 10 f . Cette
moutarde a de plus la qualité de blanchir les mains
& de les rendre douces .
Les perfonnes opulentes ou aifées retrouveront
fans doute ici avec plaifir l'indication des principaux
vinaigres qui compofent le magafin du Sr
Maille. Il en eft feul l'inventeur & le fabricateur.
On doit citer d'abord le Vinaigre Romain , ſi accrédité
par fes fuccès , & le vinaigre de rouge ,
dont le beau fexe éprouve des effets fi avantageux .
Le premier blanchit les dents , en prévient & en
arrête la carie , les raffermit dans leurs avéoles ,
guérit les petits chancres de la bouche & ulcères ,
& prévient l'haleine forte. Le fecond , qui fe fub- .
divife en trois claffes , a pour objet de conſerver
à la peau toute la fraîcheur en même- temps qu'il
l'embellit & qu'il prévient les inconvéniens qui
réfaltent pour nos Dames de l'ufage du carmin.
1. Ce vinaigre de rouge imite les plus belles cou216
MERCURE DE FRANCE .
leurs au point qu'on les prend pour des couleurs
naturelles , fur- tout lorfque la peau eft naturellement
blanche. 2º. Les fimples dont il eft compofé
rafraîchiffent la peau & l'empêchent de fe
rider. 3. On peut augmenter & diminuer la vivacité
de fa couleur à tel degré qu'on le juge
convenable , fans que la chaleur puifle caufer la
moindre altération , & fans craindre de le faire
difparoître en s'efluyant , ce qui eft très- agréable
pour les perfonnes qui vont au bal , & ayant
beaucoup d'éclat à la lumière. 4 ° . On peut appliquer
ce vinaigre en fe couchant , il n'en imitera
que mieux les couleurs naturelles. 5 ° . Son effet
dure très -long - temps , & empêche que le rouge
en poudre ne coule. On ne peut même effacer ce
rouge qu'en fe fervant d'un linge qui aura été
trempé dans du vinaigre de fleurs de millepertuis
, avec lequel on frotte les endroits où le rouge
a été appliqué ; ce qui le fait difparoître auffitôt.
Ce même vinaigre entretient la couleur ver
meille des lèvres & les empêche de le gerfer dans
les plus grands froids.
Les autres vinaigres que diftribue & compofe
eet habile diſtillateur font : le vinaigre de fleurs
de citron , pour les boutons ; le ftorax , qui blanchit
la peau & empêche qu'elle ne ride ; le vinaigre
de racines , pour les taches de roufleur ; le
vinaigre d'écaille , pour les dartres ; le vinaigre
de Venus , pour les vapeurs ; le vinaigre de turbie,
qui guérit radicalement le mal de dents ; un vinaigre
admirable &fans pareil , (pécifique à l'uſage
des perfonnes qui viennent d'avoir la petite
vérole ; le vrai vinaigre des quatre voleurs , excellent
préfervatif contre tout air contagieux ; le
vinaigre fcellitique , pour la voix ; vinaigre rafraichiffant
,
MARS. 1776. 217
Fraichiffant , à l'ufage de la garderobe , excellent
pour les perfonnes fujertes aux hémorroides
, vinaigre digeftif ; vinaigre royal , qui
adoucit à luitant la piquûre des coufins ; vinaigre
rafraichiffant pour le teint , & pour ôter le feu
du rafoir aux perfonnes qui font fenfibles ; fyrop
de vinaigre , commode à tranfporter même fur
mer. On trouve aufli chez le fieur Maille toutes
les espèces de vinaigre pour la table au nombre.
de plus de 200 fortes . Et différentes moutardes ,
comme aux truffes , au jus de citron , aux capres
& aux anchors par extrait d'herbes fines , & différentes
auires elpèces qui ont toutes la qualité
de fe conferver un an & plus avec la même bonté.
La moindre bouteille de tous les vinaigres qu'on
vient de détailler eft du prix de 3 liv ; mais celle
de vinaigre de rouge , feconde nuance , eft de
4 liv . ; celle de troisième nuance , des livres ; &
celle du vinaigre admirable & fans pareil pour la
petite vérole , eft de 4 liv . 10 fols . Les perfonnes
des provinces de France & des royaumes étrangers
qui defireront le procurer ces différens vinaigres
en écrivant une lettre d'avis par la pofte , & remettant
l'argent , le tout franc de port , les recevront
exactement , avec la façon d'en faire uſage.
La demeure du fieur Maille eft rue St André- des-
Arcs , la porte cochère vis à vis la rue Hautefeuille.
·
L'on prévient que toutes les bouteilles & pots
font revêtus d'une étiquette au milieu de laquelle
font gravées les armes du Roi , & de chaque côté
celles de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de
Hongrie , pour éviter que l'on ne foit trompé
par des perfonnes qui fouvent , fous prétexte d'acheter
du vinaigre , viennent demander un impri-
K
218 MERCURE DE FRANCE .
mé qu'elles envoient pour mieux cacher leurs
contrefactious.
•
On prévient le Public que toutes les bouteilles
où il y a des étiquettes écrites à la main ou im- -
primées , au lieu d'être gravées , ne viennent point
du magafin du fieur Maille , quoique ce fuflent
des bouteilles de la même forme , ainfi que les
pors.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Scio , le 4 Décembre 1775.
LA caravelle du Grand- Seigneur qui éroit à
Alexandrie , eft arrivée depuis huit jours à Boudron
(dans la Natolie) ayant (ous fon eſcorte divers
bâtimens Turcs & Grecs , qui avoient char.
gé des marchandifes d'Egypte pour cette contrée.
La même caravelle retournera à Alexandrie lorſqu'Iled
Mehemet Pacha , ancien Grand Vifit , qui
a été nommé au Pachaliat du Caire , ſe ſera embarqué
à bord de ce bâtiment .
De Conftantinople , le 18 Décembre 1775.
Dewlet Gueray Kan a dépêché un courier ,
arrivé en 25 jours , pour annoncer la nouvelle que
Kan Gueray , qui avoit fait une nouvelle levée de
bouclier en Crimée , avoit été attaqué , battu
bleflé & pris dans le Couban par deux Sultans
Séraskiers en cette contrée, & qu'on l'avoit conduit
à Baletchi Sarai.
MARS. 1776. 219
Nous apprenons par des lettres de Bagdad que
l'Iman de Mafcat ayant équipé une flotte pour
aller au fecours de Baflora , les Perfans avoient
formé une chaîne foutenue de deux fortins & de
quatre bâtimens pour intercepter l'entrée du ports
mais qu'à la faveur d'un vent dont la violence
fervoit fon deflein , l'Iman avoit forcé l'obftacle
, s'étoit emparé des fortins & des bâtimens ,
& avoit porté dans la ville des troupes & des mu
nitions de toute eſpèce , ce qui avoit contraint les
Perfans de fe retiter.
De Pétersbourg , le 13 Décembre 1775.
L'Impératrice s'eft rendue de Mofcou à Péterfbourg
en quatre jours , au moyen des traîneaux ,
& en le détournant même pour voir à Tulle une
de les fabriques d'armes . Ce trajet eft l'intervalle
de Marfeille à la Haye . On prétend que Pierre le
Grand , dans cette voiture fermée & tirée par
vingt-quatre chevaux , avec des relais fur toute
la route éclairée la nuit , a fait ce voyage en 46
heures.
De Vienne , le 17 Janvier 1776.
L'Impératrice - Reine voulant donner une nouvelle
preuve de fa bienfaifance , vient de pronon
cer l'abolition du fupplice de la queſtion , tourment
préparatoire contre lequel le cri de l'humanité
s'eft toujours élevé .
On affure qu'on doit conftruire une nouvelle
forterefle dans la Gallicie , & que l'Impératrice
ne voulant pas nuire aux travaux de la campa-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
que
gne , a ordonné
gés de ces travaux
.
les foldats feuls fuffent char-
On parle ici d'un voyage que l'Impératrice-
Reine doit faire , au printemps prochain , à Gorice,
où toute la Famille Impériale , placée dans diffé
rens Etats de l'Italie , doic fe railembler pour
donner à cette augufte Mère des preuves de leur
tendrefle filiale & de leurs fentimens refpectueux.
De Stockholm , le 15 Décembre 1775 .
On écrit de Marstrand que , par une ordonnance
, il eft enjoint à tous propriétaires & particuliers
de cette ville , de déclarer aux Officiers publics
les voyageurs qui y arriveront , font pour
affaires particulières ,foit pour s'y établir,afin d'en
inftruire le Gouvernement fous peine d'une
amende de 10 dahlers d'argent ( 54 liv . 14, f. 2 d.
de France ) On ne connoît encore que deux Suédois
qui s'y foient déjà établis comme propriétaires
.
De Berlin, les Février 1776.
Une nouvelle ordonnance du Roi , composée
de XI articles , tend à abréger la durée des procès,
à laquelle le premier code fi connu de Sa Majefté
paroifloit avoir déjà futhlamment pourvu , mais
on voit par le préambule de cette derniere ordonnance
que les réglemens du code étoient infenfiblement
tombés en défuétude , que l'hydre renaiffoit,
& qu'il falloit porter de nouveaux coups
à cemonftre par tout fi difficile à détruire .
MARS .
221
1776 .
De Caferte , le 8 Janvier 1776.
Depuis le 3 de ce mois il s'écoule du Véfuve
une grande lave qui fe prolonge dans le vallon
par lequel cette montagne eft réparée de celle de
Somma. La crevafle qui s'eft faite pour le paffage
de cette lave eft à peu près au même endroit & à
la même hauteur que celle de 1772. Le cours
qu'elle a pris ne donne aucune crainte pour Por
tici , & on a lieu d'eſpérer qu'elle ne caulera aucun
dommage.
De Leyde , le 20 Janvier 1776.
C'eſt dans quatre mois que le prix de trente
ducats propofé par un Citoyen de cette ville , doit
être délivré à celui qui établira le plus foiidement.
J'opinion répandue qu'on peut appailer en mer
l'agitation des flots autour d'un vaiſleau , en verfant
de l'huile fur fon fillage .
De Milan ,le 26 Décembre 1775.
L'Impératrice Reine , notre Souveraine , vient
d'ordonner , comme Elle le l'étoit proposé plufieurs
fois , l'érection d'une Académie de peinture ,
(culpture & architecture . Sa Majefté Impériale &
Royale a fait venir pour cela des plâtres de Rome
& les autres chofes néceflaires à cet établiflement.
Les Directeurs & Profefleurs ont été nommés
, & la jeunefle qui voudra s'inftruire dans les
arts , trouvera dans cette nouvelle Académie tous
les fecours relatifs dont elle aura befoin . Sa Majefté
Impériale & Royale a encore le projet d'éta
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
blir dans cette ville une Ecole pour le deffin des
étoffes de foie.
#
De la Haye , le 16 Février 1776.
Les Etats de Zélande ont ordonné depuis peu ,
dans leur province , la publication du Traité conclu
Compiègne le 23 juillet 1773 , pour abolir
le droit d'aubaine entre la France & les Provinces-
Unies Ce n'eft pas que ce Traité connu antérieurement
, n'eût dans la République l'effet entier
qu'il doit avoir entre les deux Nations contractantes
; mais les Etats de Zélande ont cru que
c'étoit une de ces loix utiles qu'on ne peut trop
remettre devant les yeux des Juges.
De Turin , le 14 Janvier 1776..
Madame la princeffe de Piémont , qui a été
incommodée pendant quelques jours , eft parfaitement
rétablie . Son Alteffe Royale parut au cercle
vendredi , & a depuis affifté tous les jours à
l'Opéra. Il y a ce foir à la Cour un bal auquel ,
fuivant l'ufage , les Miniftres étrangers font invités.
Sa Majesté Très Chrétienne a envoyé à la Princefle
, fa foeur , une toilette de la plus grande
beauté. Le fieur de Fontanicu , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , intendant & contrôleur
général des meubles de la couronne de
France , a été chargé d'apporter ce préfent à Son
Altefle Royale. Il a eu à cette occafion l'honneur
de faire fa révérence à Leurs Majeſtés & à toute la
Famille royale.
MAR S. 1776. 223
De Londres, le 19 Janvier 1776,
On dit , relativement aux affaires du Canada
que nos troupes réglées qui occupoient les forts
fur le lac Ontario , & auxquelles s'eft joint un
grand nombre de Sauvages armés , marchoient le
long de la rive occidentale du fleuve Saint Laurent
pour reprendre Montréal , St Jean , Chamblé , &
pour fecourir Québec.
Suivant des lettres de Boſton , aucun des vaiffeaux
de tranfport partis d'Angleterre en août &
feptembre , n'étoit arrivé dans cette rade ni
dans aucune autre de l'Amérique feptentrionale ;
ce qui fait préfumer qu'ils auront gagné les Ifles
où ils font obligés de s'arrêter & de féjourner
jufqu'au printemps .
Le capitaine Cook , dans le voyage qu'il va entreprendre
& où le capitaine Clarke commandera
le fecond vailleau , reconduira Omiah à Otahiti
& partira delà pour faire la découverte du paffage
du nord- oueft au nord de la Californie. Le Parlement
vient d'offrir 2 5000 l . fterl . de récompenfe
pour cet objeton en donnera 20000 à ceux
qui découvriront le paffage , & 5000 à ceux qui
approcheront d'un degré du pôle ; mais ils n'embarqueront
ni botaniftes , ni deffinateurs , & c.
Une lettre de Boſton porte que , par la vigilance
des frégates du Roi fous le commandement
de l'amiral Greaves , on a pris & conduit dans ce
port fept corfaires Américains de douze à vingt
canons.
Selon des nouvelles de Boſton , du 28 décem-
K iv
224
MERCURE
DE FRANCE.
bre , la cherté exceffive & la rareté des vivres de
toute eſpèce , ont enfin déterminé le Commandant
à laifler fortir de la ville tous ceux qui le
demanderoient , & l'on a vuen un jour trois cents
perfonnes profiter de cette permiffion , long - temps
follicitée en vain.
30
De l'Isle de Ré , le 4 Février 1776.
Extrait d'une lettre de Saint Martin de Ré.
ce Ayant lu...dans votre gazette du 22 janvier
» dernier à l'article de Londres , du 9 du même
» mois , que le C... de T... étoit chargé de diftri-
»buer une fomme de 1oco liv . fterl à ceux qui
» ont contribué à fauver les Troupes Hano-
» vriennes échouées dans cette Ifle , & principalement
entre les foldats du régiment Royal-
» Corfe ; je ne puis vous laifler ignorer qu'on a
offert aux grenadiers de ce régiment quinze
» louis qu'ils ont refufés , en difant qu'ils étoient
payés par leur Maître , & qu'ils n'étoient pas.
dans le cas d'accepter de récompenfe pour avoir
» exercé les devoirs de l'humanité & prêté à des
>>malheureux les fecours qui dépendoient d'eux.
»Cette action noble , qui eft ici à la connoiffance
» de tout le monde , fair trop d'honneur à la
» façon de penfer des Troupes de Sa Majeſté pour
n'être pas rendue publique : c'eft pourquoi je
vous prie d'en faire mention , & c. »
30
On apprend de la même ville que le fieur Aldenfleben
, miniftre chargé du département d'Ha
novre , en faisant de la part de fon Maître l'éloge
de la Nation Françoife , dans une lettre au comte
"
MARS. 1776 . 225
de Guynes , a aflocié aux foldats du régiment
Royal Corfe les habitans de l'Ile de Ré qui ,
comme les premiers , concoururent à fauver le
vaiſleau Hanovrien naufragé fur leur côte .
De Paris , le 19 Février 1776.
Dans le cours de l'année dernière il eft né en
cette ville 10247 garçons & 9403 filles ; en tout
19650. Le nombre des mariages a été de 5016 ;
celui des morts de 9683 hommes & de 8807 femmes
: en tout 18490. On a porté à l'hôpital des
Enfans-Trouvés 3379 garçons & 3126 filles : en
tout 6505. Il y a eu dans l'année derniere 297
baptêmes de plus qu'en 1774 ; 2601 morts de
plus ; 98 mariages de moins , & 178 Enfans-
Trouvés de plus.
ご
LETTRE à l'Auteur du Mercure de
France.
J'ai vu avec la plus grande furpriſe , Monfieur ,
que vous aviez annoncé dans le Mercure de Février
de cette année , page 212 , comme un fait pofitif,
que Meffire Louis George de Pechpeyrou
étoit la dernière tête de la Maifon de Pechpeyrou
. Sans entrer dans des détails inutiles à l'objet
préfent, je vous prierai , Monfieur, d'obſerver que
Henri de Pechpeyrou , dixième de ce nom , mort
en 1569, eut,quatre enfans , fçavoir : Bernard tige
de la branche desSeigneurs de Beaucaire; Pons,tige
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
de la branche des Seigneurs de Guitaud , & deux
autres enfans . Pons de Pechpeyrou épousa Françoile
de Commeuge , fille unique & héritière de
François de Commeuge, Seigneur de Guitaud, avec
difpenfe de parenté, parce que ce François de Commeuge
étoit coufin-germain de Henri de Pechpeyrou
.
Les conditions du mariage furent, que celui des
enfans qui jouiroit des biens de ladite de Commeuge
réuniroit le nom & les armes de Commeuge
au nom & aux armes de Pechpeyrou ; mais il fut
ftipulé que cette claufe cefferoit d'avoir lieu fijamais
la branche cadette devenoit la branche aînée.
Depuis ce temps la branche des Pons de Pech .
peyrou eft venue comme celle des Bernard de Beaucaire
de mâle en mâle fans interruption jusqu'à
Charles - Guillaume- Jean - Baptifte - Louis de Pechpeyrou
Commeuge de Guitaud mon fils , mineur
actuellement vivant. L'aieul de M. le Marquis de
Beaucaire qui vient de mourir eut trois enfans mâles
, Jean- Antoine père de M. de Beaucaire , & deux
autres enfans , dont l'un eut pour fils Charles de
Pechpeyrou père de Louis - George, que vous annoncez
pour le dernier de la famille & du nom .
Jean Antoine , par fon teftament olographe de
1718 , fubftitua à défaut d'héritier dans la branche
aînée , tous les biens préfens & à venir à M. le
Comte de Guitaud & à fes defcendans mâles , l'ordre
de progéniture gardé , ne regardant point
la famille de Guitaud comme différente de la
fienne . En conféquence M. de Beaucaire fon fils fe
mit en règle après la mort de fon père , en 173 1 .
Delà il s'enfuit , Monfieur , que Louis George de
Pechpeyrou peut être le dernier de la branche atMARS.
1776. 227
née ; mais il ne s'enfuit nullement qu'il foit le der
nier de la Maifon de Pechpeyrou , puifque la branche
cadette fubfiſte & ſubſiſte dans un ordre auffi
vigoureux que la branche aînée .
J'ai l'honneur d'être , & c.
MEINIERES DE PECHPEYROU COMMEUGE
DE GUITAUD.
Ce 12 Février 1776.
PRESENTATIONS .
Le Bailli de Saint - Simon , ambaſladeur de Malte
, cut , le 30 janvier , l'honneur de préfenter au
Roi les faucons que le Grand-Maître de la Religion
eft dans l'ufage d'envoyer tous les ans à Sa
Majefté , & que le chevalier de Terney , colonel
d'infanterie , avoit été chargé d'offrir. Ce préfent
fut reçu par le marquis d'Entragues , grand Fauconnier
de France , en furvivance du duc de la
Valliere
Le prince Doria Pamphili , nonce ordinaire du
Pape , eut le même jour une audience particuliere
du Roi , à laquelle il fur conduit par le fieur la
Live de la Briche , introducteur des Ambasadeurs ..
Le fieur de Sequeville , fecrétaire ordinaire du
Roi à la conduite des Ambaffadeurs , précédoit.
Le 4 février , la comtefle de Briqueville a eu
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeſtés & à´
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
la Famille royale , par la marquile de Briqueville.
Le 17 du même mois , les Maire & Echevins ,
députés par la ville de Troyes , ayant à leur tête
le fieur Rouillé d'Orfeuil , intendant de Champagne
, ont eu l'honneur d'être préſentés au Roi
par le fieur Bertin , miniftre & fecrétaire d'état ,
ayant le département de cette province , & de remettre
à Sa Majesté une médaille en or , frappéeà
l'occafion du titre de capitale de la province de
Champagne , dans lequel cette ville a été confir
mée par une décifion de Sa Majeſté. La médaille
porte l'empreinte du Roi , & au revers l'infcrip.
tion fuivante : Urbis primaria decus firmatum ,
Trecis à Ludovico XVI ; fignante Deo Chriftum
fuum , ovante Galliâ . MCC. LXXV.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 15 janvier , le fieur Eynard , ingénieur , a
eu l'honneur de préfenter au Roi un Plan topographique
de Paris , tracé de fa main.
Le 28 du même mois le fieur Sabbathier , fecrétaire-
perpétuel de l'académie de Châlons- fur-
Marne , & profeffeur au collège de Versailles , a
eu l'honneur de préfenter au Roi la fuite de fon
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs claffiques
; il a également eu l'honneur d'offrir à Sa
Majefté quatorze volumes de diſcours & huit livraifons
de planches.
Le chevalier de la Salle Rochemaure , capitaine
MAR S. 1776. 229
·
au régiment Royal Comtois , a eu l'honneur
de préfenter à Monfeigneur le comte d'Artois le
modèle d'une frégate de quarante pièces de canon
, exécutée parlui - même , avec la plus grande
juftefle dans les proportions de trois lignes pour
pied. Cette frégate eft repréfentée dans un port de
mer , ayant tout fon équipage , & difpolée pour
toutes les manoeuvres. Monfeigneur le come
d'Artois a vu ce modèle exact avec beaucoup de
fatisfaction.
dre
NOMINATIONS.
Le 2 février , fête de la Purification de la Vierge
, les chevaliers , commandeurs & officiers de
Fordre du Saint- Elprit s'étant aflemblés dans le
cabinet du Roi , vers les onze heures du matin ,
Sa Majefté tint un chapitre & nomma chevaliers
de cet ordre le duc d'Uzès , le plus ancien pair
de France , maréchal de camp ; le duc de Coflé ,
brigadier , nommé maréchal de camp pour pren
rang dans la premiere promotion , gouver .
neur de Paris & capitaine des Cent- Suifles de la
garde du Roi , en furvivance ; le comte de Teflé ,
maréchal de camp & premier écuyer de la Reine 3:
le comte de Mailly , lieutenant général , inſpecteur
& commandant du Rouffillon ; le comte de
Montboiffier , lieutenant général , ci - devant
capitaine - lieutenant de la feconde compagnie des
Moufquetaires ; le marquis de Levis , lieutenantgénéral
, capitaine des gardes de Monfieur , &
gouverneur de la province d'Artois ; le marquis
230 MERCURE DE FRANCE.
de Beuvron , maréchal de camp , commiflairegénéral
de la cavaleric ; le baron de Breteuil , brigadier
de cavalerie , ambaſladeur à Vienne ; & le
duc de Civrac , ci devant ambaſſadeur à Vienne.
Après le chapitre , le Roi fe rendit à la chapelle ,
précédé de Monfieur , de Monfeigneur le comte
d'Artois du duc d'Orléans , du duc de Chartres ,
du prince de Condé , du duc de Bourbon , du
comte de la Marche , du duc de Penthievre , &
des chevaliers , commandeurs & officiers de l'org
dre.
Le 17 du même mois , le vicomte de Noailles
fecond fils du maréchal duc de Mouchy , a prêté
ferment entre les mains du Roi pour la furvivance
de la lieutenance- générale de la baffe Guyenne ,
que le feu Roi avoit bien voulu lui accorder en
1773.
que
Le Roi a accordé l'archevêché d'Auch à l'évêde
Dijon ; l'abbaye d'Arles , ordre de Saint
Benoît , diocèle de Perpignan , à l'abbé de Caux ,
vicaire-général de Carcaflonne ; celle de Rofieres
, ordre de Citeaux diocèfe de Besançon
à l'abbé de Jouffroy d'Abbans , chanoine de St-
Claude ; celle de Vigeois , ordre de St Benoît ,
diocèfe de Limoges , à l'abbé de Valory , aumô
nier ordinaire de Madame la comtefle d'Artois ,
fur la nomination & préfentation de Monſeigneur
le comte d'Artois , en vertu de fon apanage
; celle de Blefle , ordre de Clugoy , diocèſe
de Saint Flour , à la dame de Molen de St Poncy,
religieufe profefle de ladite abbaye , für la nomination
& préfentation de Monfeigneur le comte
d'Artois , en vertu de fon apanage ; celle de
Crifenon, ordre de St Benoît , diocèſe d'Auxerre,
MAR S. 1776 . 231
à la dame de Mouchet , Prieure de Largentieres ;
le prieuré des Hofpitalieres de Château- Thierry,
ordre de Saint Auguftin , diocèle de Soiflons , à
la dame de la Garde , religieufe dudit prieuré.
MARIAGES.
Le 28 janvier , Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du mar
quis de Balincourt , capitaine au régiment de
Condé , cavalerie , avec demoiſelle de Polignac ; &
celui du fieur Berthelot de la Villeurnoy , maître
des requêtes , avec demoiſelle de Vaudeuil .
Le 4 février , Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du
marquis de Bartillat , colonel d'infanterie , avec
demoiſelle de Maiſtre.
Leurs Majeftés , ainfi que la Famille Royale ,
ont figné , le 4 février , le contrat de mariage
du marquis de la Pallu , capitaine de dragons au
régiment de la Reine , avec demoiſelle de Ville-
Savin ; & celui du comte de Teflon , avec demoifelle
Dufour , petite- fille de la Nourrice de feu
Monseigneur le Dauphin .
NAISSANCE.
Le 18 février , Monfieur , frère du Roi , &
232 MERCURE DE FRANCE.
Madame Sophie de France , firent l'honneur au
baron d'Harambure , meftre de camp de cavalerie
, chevalier de l'ordre royal & militaire de St
Louis & major du régiment Royal - Rouffillon ,
cavalerie , de tenir fon fils fur les fonts de baptême
; les cérémonies de ce facrement lui furent
fuppléées par l'évêque de Séez , premier aumônier
de Monfieur , en ſurvivance .
MORTS.
On mande d'Uzès que le fieur Antoine d'Augere
, ancien marchand drapier , y eft mort le 7
décembre dernier , âgé de 100 ans , n'ayant eu
dans tout le cours de fa vie aucune incommodité .
Jean Charbonnel , habitant du hameau de Guibertes
, paroifle (du Moneftier , à deux lieues de
Briançon , y eft mort dans le même mois & au
même âge que le précédent. Guillaume le Comte ,
berger de profeffion , eft mort fubitement le 17
janvier dernier , en la paroifle de Theuville- aux-
Maillots , dans le pays de Caux , âgé de 1 10 ans :
il s'étoit marié en fecondes noces à 80 ans.
Paul Gallucio , marquis de l'Hofpital , lieute
nant-général des armées du Roi , chevalier de fes
ordres & de celui de Saint Janvier , ci - devant Am.
baffadeur de Sa Majesté auprès du Roi des Deux-
Siciles & de l'Impératrice de Ruffie , gouverneur
des ville & citadelle de Saint Malo , infpecteurgénéral
de cavalerie , premier écuyer de Madame
Adélaïde , eft mort le 30 janvier dernier , en fon
MARS. 233 1776 .
château de Châteauneuf , dans la 80° année de
fon âge.
Jofeph de Mégy, ancien habitant de Marfeille ,
eft mort le 20 janvier dernier , à la terre des Pillons
, en Provence , après avoir déclaré qu'il étoit
de l'illuftre mailon Napolitaine de ce nom , & que
le fieur de Mégy , fon ayeul , officier au fervice de
France , a fait enregistrer les noms & armes à la
chancellerie du Parlement d'Aix . Il a laiffé plu
fieurs filles & deux fils , Pierre de Mégy des Pillons
, huiffier de la chambre de Monfieur , & Jofeph
Pierre de Saint-Maurin , ancien officier d'infanterie.
Marie-Gabrielle Benigne d'Affignées d'Oify, eft
morte à Paris le 29 janvier dernier , âgée de 36
ans. Elle étoit veuve depuis 1767 de Théodore-
Jofeph de Plotho , baron du Saint - Empire &
d'Ingel- Munster.
Madeleine Charlotte de Fontenay- Survie eſt
morte à Séez en Normandie , le 28 janvier 1776 ,
âgée de 86 ans. Elle étoit veuve de J. Jérôme du
Signet de Beaumont , & petite- fille d'Henriette
Salcy de Survie , époufe du fieur Alexandre de la
Mondiere , gouverneur des tours de la Rochelle
& du pays d'Aunis.
Le fieur Iftwan Horwath , chevalier de l'ordre
royal & militaire de Saint Louis , ancien capitaine
de huffards au fervice de France , eft mort à Sar-
Albe en Lorraine le 4 décembre dernier , âgé de
112 ans 10 mois & 2 6 jours. Il étoit né à Raab
en Hongrie le 8 janvier 1663 , & avoit paffé en
France en 1712 avec le régiment de Bercheny ; il
fe retira du fervice en 1756. Il a joui juſqu'à la
234 MERCURE DE FRANCE.
fin de fa carriere de la fanté la plus robufte , que
l'ufage peu modéré des liqueurs fortes n'a pu altérer.
Les exercices du corps & fur- tour la chaffe ,
dont il le délafloit par l'ufage des bains , étoient
pour lui des plaifirs vifs ; quelque temps avant fa
mort il entreprit un voyage très -long , & il le fit
à cheval .
Jean -François de Montillet de Grenaud , archevêque
d'Auch , primat de la Novempopulanie
& du royaume de Navarre , l'un des préfidens du
clergé de France , eft mort à Paris le 7 février , âgé
74 ans. de
Françoife - Adélaïde de Noailles , princeffe
d'Armagnac , veuve du prince Charles de Lorrai
ne , pair & grand écuyer de France , cft morte le
24 janvier , âgée de 71 ans.
Louife - Joséphine . Auguftine - Charlotte , baronne
de Bombel - Valle : oy , chanoinefle réguliere
, eft morte le 26 du même mois , âgée de 24
ans , mois 8 jours.
Claude François Boizot , docteur de la maison
& fociété de Sorbonne , ancien vicaire-général du
diocèle d'Arras , abbé commendataire des abbayes
royales de Rozieres , ordre de Cîteaux , diocèfe
de Besançon , & de Notre Dame d'Herivaux ,
ordre de St Auguftin , diocèle de Senlis , eft mort
à Paris le 3 février , âgé de 82 ans .
Le 4 du même mois , Genevieve Charlotte
d'Argouges , veuve du fieur de la Baronnie , eft
morte à l'abbaye aux Bois dans fa 96 ° année .
Lucie Dezés ayant confervé le fens & la raifon
juſqu'à 106 ans , eft morte à la métairie de Long,
MARS. 1776. 235
paroiffe de Gamarde , diocèle d'Acqs , fur la fin
du mois de décembre dernier, après avoir déclaré
hautement qu'elle n'avoit eu dans toute la vie
qu'une maladie , une vivacité & une foiblefle . La
maladie fut la petite vérole la plus dangereufe
lors des froids de 1709 ; la vivacité , deux foufflets
qu'elle donna à la petite - fille pour la faire,
rentrer & lui faire fentir le danger de s'arrêter
auprès des foldats , au paflage des troupes pour
Fontarabie ; à l'égard de la foibleffe , c'étoit celle.
d'avoir été tentée plus vivement qu'il ne convenoit
à fon âge , de le remarier vers la fin de fes
jours.
•
Michel comte d'Eſparbès Luſſan , eft mort dans
fes terres le 7 février , dans fa 94° année . Il
étoit frère aîné du comte d'Elparbès , mort à 90
ans , & du bailli de Luffan , mort à 88 ans. Il ne
refte plus de cette branche que le comte d'Efparbès
- Luffan , commandant à Montauban , & le
marquis d'Efparbès , colonel d'infanterie .
N. de Périé , baron d'Uflau , eft mort le 14 du
même mois en fon château d'Uflau en Béarn ,
âgé de 68 ans.
Dame Anne de Mailly , comtefle du Châtelet ,
eft morte à Paris âgée de 84 ans. Elle avoit été
mariée en premières noces à Alexandre Pajot ,
marquis de Villers & avoit épousé en 1749
?
Antoine Bernardin comte du Châtelet , dernier
mâle de la branche de Clefmont . La maifon du
Châtelet , qui ne fubfifte plus depuis long- temps
qu'en France , ne peut prouver d'autre origine que
celle qui lui eft commune avec la maison de Lorraine
; elle remonte , au rapport de Dom Calmer ,
236 MERCURE DE FRANCE.
auteur de l'hiftoire généalogique de la maiſon de
Lorraine , jufquà Féri du Châtelet , fils de Thiery
d'Enfer , qui époula vers l'an 1250 Ifabelle de
Joinville , qui n'eut que trois enfans , Erard du
Châtelet mort fans avoir été marié , Jean du Châ
telet qui continua la ligne , & Iſabelle du Châtelet
qui époufa en 1272 Franchon de Longwick. Depuis
quelques années une autre maiſon , connue
fous le nom de Chafteler dans les pays bas -Autrichiens
, a imprimé une généalogie qui en fait
remonter l'origine jufqu'à Thiery du Châtelet ,
fils puiné de Féri du Châtelet ; mais 1 °. il eft
prouvé par l'hiftoire généalogique de la maifont
du Châtelet , publiée en 1741 par Dom Calmer ,
que Féri du Châtelet n'a jamais eu d'autres enfans
mâles que Erard & Jean du Châtelet , & que
Thiery eft tout à fait inconnu 2º. On ne trouve
aucune trace ni dans cet auteur, ni dans tous ceux
qui , comme lui , ont fait des recherches foit fur la
maifon de Lorraine , foit fur celle du Châtelet ,
qui puiffe autorifer l'identité prétendue du nom
de Chafteler avec celui du Châtelet ; d'où l'on peut
conclure que la maison de Chafteler , qui eft trèsanciennement
connue dans les Pays - Bas , ainfi
qu'elle l'a établi par la généalogie qu'elle a fait -
paroître en 1768 , n'a rien de commun avec la
maifon du Châtelet établie depuis plufieurs fiècles
en Lorraine. Il en eft de même des autres familles
connues en France fous le nom du Châtelet ; celle
dont il vient d'être fait mention ne fubfifte plus
que dans la perfonne du comte du Châtelet , dernier
mâle de la branche de Clefmont , qui a donné
lieu à cet article , & dans celle du chevalier & du
.comte du Châtelet , derniers defcendans de celle
de Lofmont .
MARS. 1776. 237
LOTER I E.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait les Février. Les numéros fortis de
la roue de fortune font 57 , 37 , 10 , 70, 45. Le
prochain tirage le fera les Mars.
Lecent quatre-vingt deuxième tirage de laLoterie
de l'Hôtel- de - Ville s'eft fait , le 26 du mois de
Février , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv . eft échu au Nº . 80976. Celui
de vingt mille livres au N ° . 91123 , & les deux
de dix mille , aux numéros 85542 & 87546.
TABL E.
PIECES IECES FUGITIVES en vers & en profe , page ,
Lettre de la marquife de Ganges à la mere , ibid.
Les deux Cerfs & le Renard ,
L'Infomnie ,
Epître au R. P. de P.
L'Aveugle volontaire ,
Les trois Sages,
Les Fous de Bafra ,
Les trois Damis ,
La timidité récompenfée ,
18
20
21
27
28
29
30
55
1
238 MERCURE DE FRANCE.
Vers à l'occafion de l'éloge de Catinat ,
à M. Worlok ,
-à Mlle G
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
62
63
64
66
LOGOGRYPHES
Le Printemps ,
>
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Principes du Droit civil Romain ,
Le Philofophe fans prétention ,
Lettres intéreflantes du Pape Clé nent XIV ,
Petit Gloflaire ,
Théorie de l'éducation ,
Réflexions morales d'un Solitaire ,
67
69
70
73
ibid.
79
82
98
ΙΘΙ
107
Extrait du plan d'éducation publié par le comte
de Salis , 110
Effai théorique & pratique fur les batailles , 123
Mémoires fecrets ,
Le Médecin miniftre de la nature ,
Inftruction fur la nouvelle méthode de prépa-
127
ibid.
rer le mortier- Loriot , 131
Leçons de Géométrie , 132
Journal d'éducation , `
136
Legiflation du flottage des bois , 138
Réflexions critiques fur la muriométrie , 139
Traité des eaux minérales du Rouffillon , 141
Le Jardinier prévoyant ,
142
Plans de deux contributions volontaires &
confidérables , 143
Nouveau palais de la Juſtice , ibid.
MARS. 1776. 239
Euvres de M. Rochon de Chabannes , 146
mes- Opéra ,
La Nature confidérée ,
La Vérité renaiſſante ,
Réponse à l'Auteur de la Lettre fur les Dra-
Le Spectateur François ,
Penfées & réflexions diverfes fur les hommes, 15 I
147
148
ibid.
150
Indications politiques,
253
Les Enfans du pauvre Diable ,
154
Eflai fur les phénomenes relatifs aux diſparitions
de l'anneau de Saturne , 155
Journal des caufes célebres ,
156
Annonces littéraires ,
ACADÉMIE.
Amiens ,
158
161
ibid.
Montauban , 169
Limoges , 176
Académie Royale des Sciences ,
ibid.
SPECTACLES.
177
Opéra ,
ibid.
Comédie Françoife ,
179
Comédie Italienne 183
ARTS.
Gravures
Géographie ,
Mufique.
Cours de langue Italienne ,
--Phyfique ,
Conjectures fur la maladie épizootique ,
Remerciement de Mde la Duchefle de L. V.
Variétés , inventions , & c.
Bienfaiſance.
186
ibid.
190
191
195
196
ibid.
201
202
207
240 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes. 208
Avis ,
214
Nouvelles politiques ,
218
Lettre à l'Auteur du Mercure , 225
Préſentations , 227
Nominations ,
229
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries ,
231
ibid.
232
273
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de Mars 1776. Je n'y
ai rien trouvé qui doive en empêcher l'impreffion
.
A Paris , ce 3 Mars 1776 .
DE SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
FEVRIER, 1776.
Mobilitate viget. VIRGIL
WTU
CHATEA!
D
A PARIS,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chrifti
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi
ASTOR
LIBR
NEW
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris , rue
Chriftine, que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à la perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nominera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendusfrancs
de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fals
ceux qui font abonnés ..
pour
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sicur Lacombe,
libraire , à Paris , rue Chriftine.
On trouve auffi chez le même Libraire les Journaux
Juivans , port franc par la Pofte.
JOURNAL DES SAVANS , in - 4 ° . ou in- 12 , 14
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JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in - 12 par an ,
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ET NON ENLUMINÉES , des trois règnes de l'Hiftoire
Naturelle , avec l'explication , chaque cahier broché ,
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par an , pour Paris ,
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L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , 24 Cahiers par an, à Paris ,
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Morale, 12 parties in 12. dans l'espace de fix mois ,
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15 liv.
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Dictionnaire hiſtorique & géographique d'Italie , 2 vol .
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fes rapports , 2 vol . in- 8 ° . rel . 12 1.
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Dict . Diplomatique , in- 8 °. 2 vol.avec fig. br. 12 1.
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Révolutions de Ruffie , in-8° . rel. ,
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Spectacle des Beaux - Arts , rel . 2 1. rof.
31.
9 1.
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Diction . Iconologique , in - 8 ° . rel.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in - 8 ° . rel .
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Théâtre de M. de Saint Foix , nouvelle édition ,
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Bibliothèque Grammat . in-8° . br.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné , in-12 br.
Les mêmes , pet. format,
Poëme fur l'Inoculation , vol . in-8 ° . br.
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3 vol.
61.
21.
21. 10 f.
21. 10f
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31. Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8° . br. avec fig, 41.
Eloge de la Fontaine , par M. de la, Harpe , in-8 ° . br.
Les Mules Grecques , in-8 °.br ,.
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br .
1 l. 4f,
1. 16 ft
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Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , &c.
in-fol, avec planches br. en carton , 241.:
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4° , avec fig . br. en carton , 12 1.
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
Mémoire fur la Mufique dos Anciens , nouvelle édition ,
in-4 . br.
3 1.
Journal dePierre le Grand, in- 8° . br.
L'agriculture réduite à fes vrais principes , vol, in-12 .
broché ,
7 1.
$1.
2
MERCURE
DE FRANCE.
FÉVRIER , 1776.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA VERTU FAIT LE GRAND HOMME.
Ode qui a remporté le prix , aujugement
de l'Académie des Jeux Floraux
t'année
1775.
MORTEL enorgueilli des dons de la Nature ,
Un beau defir t'anime , & , dans la foule obfcure ,
Tu frémis indigné de te voir confondu :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
As tu fondé ton âme ? Et connois - tu la gloire ?
Si tu veux parvenir au temple de mémoire ,
Suis le fentier de la vertu.
Aux mortels étonnés donne un exemple augufte ,
Jufqu'au dernier foupir fois bienfaiſant & juſte :
Sers les infortunés & l'Etat & ton Roi :
Qu'embelli par Phon neur , ur , le tableau de ta vie
Excite nos tranfports , & donne à la patrie
Des citoyens plus grands que toi.
Le Héros ne meurt point : le temps détruit l'argile;
Il abandonne au temps fa dépouille fragile ,
Er vit dans les vertus qu'il attache à fon nom .
Sur l'autel de la gloire il reçoit notre hommage.
La terre à cet aurel , élevé pour le Sage ,
A placé Socrate & Caton .
Tout fléchit fous les loix du Defpote farouches
Tout tremble à lon afpect ; un feul mot de fa
bouche ,
En cent climats divers fait flotter les drapeaux :
Qu'importe à la vertu la puiflance fuprême ?
Forfenna , vil guerrier , eft ceint du diadême ;
Mais Mutius eft un héros .
Quand la mort a frappé l'orgueilleule victime ,
Son éternelle chûte entraîne dans l'abyfme
FÉVRIER . 1776.
Les débris confondus de fa vaine grandeur.
Un inftant a détruit le colofle éphémere :
Il ne reſte que l'homme ; & l'avenir févere
Juge cet homme fur fon coeur.
Mon eil vous cherche en vain fur la feène du
monde ;
Votre pouffiere , ô Rois ! dans une nuit profonde ,
Gît , au lein de l'oubli , fous de froids monumens.
Le foc a fillonné vos pompeux édifices ;
Vos plaifirs font paflés ; vos vertus ou vos
Echappent feuls aux coups du temps.
Tous les crimes affreux fignalent ta furie ;
Tu déchires le fein où tu reçus la vie ,
vices
Monftre , que les enfers ... C'en eft fait , to n'es
plus ;
D'alegrefle & d'horreur à la fois agitée ,
Rome libre a foulé ta cendre détestée ,
Et vengé Séneque & Burrhus.
Mais quel tableau divin féduit mon coeur fenfible!
Titus ! Henti ! Trajan ! l'humanité paifible
Sourit entre vos bras & vous offre nos voeux :
Les peuples attendris embrafient vos images ;
Ils demandent au ciel , après de longs orages ,
Les jours où vous régniez fur eux .
Jours degloire & de paix que la vertu nous donne !
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Yous charmez les humains & décorez le trône :
Le feu de vos rayons eft bienfaifant & pur ;
Il ranime les arts , il produit l'abondance ,
Et dérobe à nos yeux les horreurs de Mézepce
Et les ravages de Timur.
¡Enflammé des tranfports d'une valeur atroce ,
Dans des ruifleaux de lang le conquérant féroce
Plonge & baigne à loifir fon homicide -bras :
Croit il-qu'en fa fureur l'humanité l'honore ?
Et peut-elle encenfer un guerrier qu'elle abhorre',
Et qui l'écrafe fous les pas ?
i
Octave étouffe enfin la vengeance & la haine.
La vertu qui le fuit , fous les traits de Mécène ,
Au temple de Janus a changé les deſtins .
Letyran difparoît ; il fait place au grand homme ;
Et l'objet odieux de la terreur de Rome ,
Devient l'Idole des Romains.
Mécène ? .... O doux refpect où mon coeur siabandonne
! ....
Mais vous qui foutenez le poids de la couronne ,
Vous , que l'orgueil enchaîne aux plus nobles
emplois ;
Ofez fixer Mécène à fon heure derniere , *
* Mécène mourut épuisé par les travaux . du ›Ministère.
Pendant les trois dernières années de fa vie , il ne
dormoit presque point pour donner plus de temps aux
affaires de l'Etat.
FÉVRIER. 1776 .
Et d'un regard jaloux obfervant fa carriere ,
Apprenez à fervir les Rois .
Je l'ai vu ce Miniftre , inexorable , avare ,
Al'indigence en pleurs fermer (on coeur baibare ,
Et des travaux du peuple enrichir les trésors .
Elclave du plaifir , repouflant l'infortune ,
Il a vieilli , courbé fous la haine commune ,
Sans poufler le cri du remords.
ப
Ehtoi , Sulli ? ... tu fuis le féjour de l'envie ?
Son fouffle empoisonné s'exhale fur ta vie ,
Et le grand homme échappe à l'Etat abattu ....
Le jaloux Courtifan eft paffé comme l'ombre ,
Et le temps l'a couvert du voile horrible & fombre
Qu'il crut jeter fur la vertu.
Des malheurs de Thémis , victime illuftre &
chère ,*
O toi , dont le grand nom pare fon fanctuaire ,"
Magiftrat éloquent & juge vertueux !
Que les fiécles futurs , en t'offrant leur hommage,
Apprennent que ton fiécle a reconnu le fage ,
Et qu'il fut l'honorer comme eux.
* M. de Lamoignon de Malesherbes étoit encore
Premier Préfident de la Cour des Aides.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Tel que l'aftre du jour , dans fa courfe féconde,
L'oeil pénétrant du fage , en éclairant le monde ,
Fait germer le bonheur , & veille autour de nous :
Auteurs licencieux qui fouillez l'art d'écrire ,
Cet encens des humains , que la vertu refpire ,
Ne brûlera jamais pour vous.
Eft- ce à vous de prétendre à ce tribut infigne ?
L'efpoir d'un nom fameux , quand on n'en eft pas
digne ,
Infulte , avec mépris , à la poſtérité-
La gloire des talens eft dans leur noble uſage ,
Et la feule vertu peut frapper fon ouvrage
Au coin de l'immortalité .
Defcends , fille du ciel , & transformé mon être ;
Imprime lui ces traits qui le font reconnoître ;
Donne moi le courage embrafé de tes feux
Qui pardonne à Cinna , perce le coeur d'Arie
Fait déchirer Caton , immole Virginie ,
C
Et place l'homme au rang des Dieux .
Par M. Pilhes , de Tarafcon , en Foix ;
Avocat au Parlement.
FÉVRIER. 1776. II
LA NOUVELLE PANDORE.
Etrennes à Madame la Comteffe de R*** .
Ce n'eft point à cette Pandore
Chefd'oeuvre de Vulcain , & que les Immortels
De tous les dons embellirent encore
Que ma main drefle des autels .
Elle ne doit fon exiſtence
Qu'à la brillante fiction ;
Mais tout Paris connoît Hortenfe ,
Comme Cythère Cupidon.
Belle de fes attraits elle feule l'ignore ;
Qui la voit en fecret l'adore ,
Et s'apperçoit du trouble de fes (ens ;
Plus d'un Titon la prendroit pour l'Aurore ,
Lorfque fortant des bras des fonges careflans ,
Le carmin de l'amour l'anime & la colore.
Du Dieu du Pinde elle a tous les talens :
Euterpe envieroit les accens :
Zéphit pour elle oubliant Flore
Voleroit àles pieds foupirer les tourmens.
De la nature elle eſt l'ouvrage :
Sur fon front brille l'aflemblage
De la décence & de la dignité ;
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Quelle douceur dans fon langage !
Et dans fon coeur que de bonté !
Loin qu'elle tire vanité
Du rare & fublime avantage
Que donnent refprit , la beauté ;
Toujours fimple , toujours modefte ,
Elle cache une âme célefte
Sous les traits de la volupté.
La Pandore que l'on nous vante ,
Répandit tous les maux fur les triftes humains ;
Mais la Pandore que je chante ,
Verſe les biens à pleines mains.
Quels voeux je formerois pour elle
S'ils pouvoient ajouter à la félicié !
Ah ! pour donner quelque eflor à mon zèle
La fortune & les Dieux ont trop bien concerté ?”
Puiffent du moins les deſtinées
En un feul point feconder mon defir !
Ceft de prendre fur mes années
Celles dont ma Pandore a befoin pour jouir.
ParM. l'Abbé Dourneau , Ch du S. S.
FEVRIER. 1776. 13
LES RESSOURCES DE L'ÉQUIVOQUE.
Epigramme.
Vosreproches , Cléon , ſont injuftes , & vains ;
Je ne diffipe point mes petites finances :
Appelez vous folles dépenses
Ce queje donne aux Quinze- Vingts ? *
Par le même.
VERS de Madame de... à M. le Préfidens
d'Alco.
On dit que la mélancolie N
Etend fon voile ténébreux
Sur le matin de votre vie ,
Et que votre brillant génie
Déjà le cache à tous les yeux.
Je ne crois pas que la fageffe
Nous fafle un devoir du chagrin :
Je vois d'un regard plus ferein
Les fottifes de potre espece ;
* La Fortune & l'Amour .
14
MERCURE DE FRANCE:
Il faut traiter le genre humain
Comme une coquette maîtreЯe
Qu'on aime un jour avec tendrefle
Et que l'on fuit le lendemain ,
Qu'on querelle & qu'on fuit fans cefle
Si vous avez des ennemis ,
Croyez- moi , c'eft un bien fuprême ;
La bouche qui vous dit : Je t'aime ,
En eft pour vous d'un plus grand prix.
LES SEURS DE LAIT.
Drame de Société.
PERSONNAGES .
Madame BEAUPRÉ , veuve .
JULIE , filles de Mde Beaupré ,
HENRIETTE
, âgées de 12 à 14 ans.
MATHURINE
, Nourrice
des filles de
Mde Beaupré.
filles de Mathutine & foeurs
MADELON Sde lait des filles de Mada-
BABET ,
Sme Beaupré .
La Scène eft chez Madame Beaupré.
Le Théâtre repréfente une Salle baffe de la
Maifon de Madame Beaupré.
FÉVRIER. 1776.
SCÈNE I.
Madame BEAUPRÉ , HENRIETTE.
Madame BEAUPRÉ traverse le Théâtre
pourfortir: dans le même inftant Henriette
le traverfe du côté oppofé ; fa mère
l'arrête.
V ENEZ ici , Henriette; où eft votre foeur ?
HENRIETTE . Elle eft dans le jardin ,
où je crois qu'elle s'amufe à courir après
des papillons.
Mde BEAUPRÉ. La belle occupation !
Votre foeur est bien folle , bien légère ;
elle n'eft cependant plus une enfant , & il
me déplaît fort de la voir ainfi courir de minucies
en minucies , avec autant d'ardeut
que l'on en auroit pour les chofes les plus
férieufes . Pour vous , Henriette , je fuis
plus contente de vous ; quoique vous ne
foyez que la cadette , vous montrez plus
de raifon , & vous êtes moins évaporée.
Que faifiez- vous là haut ?
HENRIETTE . Ma chère mère , je repaffois
ma leçon de clavecin d'hier , parce
16
MERCURE
DE FRANCE
.
que mon maître m'a dit qu'il ne pouvoit
pas venir aujourd'hui .
Mde BEAUPRÉ. C'eſt bien fait . Je
fors pour quelques affaires ; lorfque votre
foeur fera rentrée , je vous charge de lui
témoigner mon mécontentement. Je veux
que vous lui donniez des leçons ; & , comme
vous avez plus de raifon qu'elle , j'entends
qu'elle ait des égards pour vous ,
qu'elle vous écoute avec docilité . Diteslui
cela de ma part ; entendez- vous ?
HENRIETTE. Oui , ma chère mère . ( Mde
Beaupréfort ).
SCÈNE I I.
HENRIETTE feule.
( Mde Beaupré eft à peine fortie , qu’Henriette
fe redreffe & fe regarde dans les
glaces enfe donnant des airs ) .
Pour cela , Mademoiſelle Julie , je vais
bien rabattre votre caquet. Quoique vous
foyez mon aînée , il faudra que vous m'obéiffiez
actuellement ; oui , que vous m'obéiffiez
; car c'est sûrement ce que ma mère
a voulu dire. Auffi n'eft- il pas étrangè
FÉVRIER. 1776.
que ce foit l'âge qui établiffe la fubordination
? comme fi , quoique plus jeune ,
on ne pouvoit pas être plus raifonnable.
Moi , par exemple , ne fuis- je pas faire
pour commander à cette folle- là , qui n'a
non plus d'intelligence .... qui , au lieu
d'étudier fes leçons de clavecin , s'amule
à caufer avec le Jardinier & à lui voir
planter les choux ; qui eft affez fimple
pour lui donner tout fon argent , placôt
que d'en acheter des bijoux qui li feroient
honneur,
SCÈNE 111.
HENRIETTE , JULIE.
JULIE entre d'un air d'empreffement :
elle tient une boîte fermée . Ma foeur , ma
foeur , wiens voir les beaux papillons que
j'ai attrapés .
HENRIETTE d'un air dédaigneur . Oui ,
cela eft bien beau vraiment.
JULIE . Ils font charmans , te dis - je , je
n'en ai point encore vu de plus brillans .
HENRIETTE. Oui , en vérité , voilà
une occupation bien digne d'une fille de
votre âge.
18 MERCURE DE FRANCE,
JULIE . Tu te trompes , ma foeur , ce
n'eſt qu'un amuſement .
HENRIETTE. Eh bien , foit : voilà un
amufement d'une belle eſpèce , & qui te
fera bien de l'honneur dans le monde.
Au lieu de t'appliquer à ton clavecin que
tu négliges entièrement.
JULIE . Oh ! mon clavecin m'ennuie
& je ne veux d'amufemens que ceux qui
me plaifent.
HENRIELTE . Tu as un goût vraiment
diftingué.
JULIB . Comme tu voudras ; mais veuxtu
que je te le dife : j'aime la liberté, moi
fur- tout dans mes divertiffemens . Qu'ai - je
affaire de cet homme au ton rogue &
dur , qui vient , d'un air de pédant , m'apprendre
à me divertir , & qui ne parvient
qu'à m'ennuyer autant que je le vois trèsfouvent
s'ennuyer lui - même .
HENRIETTE pliant les épaules . Quelle
petiteffe d'idées !
JULIE. Que veux-tu ? je penſe comme
cela . Je me plais fingulièrement dans
notre jardin; j'y refpire un air de liberté
qui m'enchante . La fleur que j'ai vue naître
eft celle que je préfère pour me parer ;
je trouve , ce me femble , un meilleur
goût au fruit que j'ai vu croître & mûrir,
FÉVRIER. 1776. 19
& que je cueille de ma main. Ces amufemens
, s'ils n'ont pas le brillant des
tiens , font au moins fort innocens .
HENRIETTE . C'eſt fort bien dit ; mais
ma mère , qui n'a pas le goût ruftique
comme toi , eft fort mécontente , & tu
devrois pour la fatisfaite....
JULIE légèrement . Oui , je voudrois de
tout mon coeur , pour lui plaire , que le
clavecin fût plus de mon goût A
propos , que je t'apprenne une nouvelle .
HENRIETTE. Comment donc ?
JULIE . Mais une nouvelle qui te fera
sûrement bien du plaifir .
HENRIETTE . Eh quoi encore ! dis donc
vîte.
JULIE . Devine .
HENRIETTE . Ohje ne fais pas deviner ;
tu m'impatientes.
JULIE. Notre maman nourrice eft ici.
HENRIETTE avec un grand éclat de rire.
Ah mon Dieu , voilà ta nouvelle !
JULIE . Mais , oui.
HENRIETTE. C'eft- là cette bonne nouvelle
, cette grande nouvelle ; mais je
n'en reviens pas.
JULIE . Et ce qu'elle ne te fait pas
plaifir ?
HENRIETTE, Mais ni plaifir ni peine ;
20 MERCURE DE FRANCE.
je crois que je ne fuis pas
faire pour
m'occuper beaucoup de ces gens - là .
JULIE. Elle est pourtant ta nourrice ,
auffi bien que la mienne.
HENRIETTE. A la bonne heure.
JULIE. Elle a amené nos deux foeurs
de lait , Madelon & Babet.
HENRIETTE. Que m'importe ?
JULIE. Tu es bien froide , il me femble
que la reconnoiflance ....
HENRIETTEpiquée & avec hauteur: Point
de leçons , s'il vous plait , Mademoiſelle ,
c'eft à moi de vous en donner . Songez
feulement à vous comporter avec plus
de retenue qu'à votre ordinaire.
JULIE. Eh mais ; mais tu badines , 'je
crois.
HENRIETTE . Point du tout.'Demandez
à ma mère ; elle fait combien j'ai plus
de raifon que vous , & elle m'a chargé
de vous commander ; entendez - vous
Mademoiſelle ? Ainfi prenez garde de
vous compromettre dans l'accueil que
vous ferez à votre nourrice.
JULIE . Bien . Comme je me moqué
de tes ordres. ( Elle fort en fautant & en
chantant ).
FEVRIE R. 1776 . 20:
SCÈNE I V.
HENRIETTE feule .
Eh bien , voyez donc cette extravagante ,,
comme elle eft rétive , opiniâtre. Oh pour
cela , j'en aurai raifon. Mais bon , voici
la nourrice ; elle ne l'aura sûrement pas
rencontrée. Auffi - tôt qu'elle apperçoit
entrer Mathurine , elle va s'affeoir dans un
coin du Théâtre , tire de fon fac une pièce
de broderie & travaille ) .
SCÈNE V.
HENRIETTE , MATHURINE , MADELON ,
BABET.
MATHURINE entre d'un air épanoui ,
fes filles lafuivent d'un air honteux & décontenance.
Eh bon jour m'n'enfant , mon
Henriette ; Jéfus ! comme la v'là brave &
grandelette !
HENRIETTEfans la regarder. Bon jour ,
ma Bonne,
MATHURINE. Comme ça eft devenu
22 MERCURE
DE FRANCE
.
grand & gentil ! Moi qui ai vu ça fi
petit . Mon Dieu ! ça me confond . Embraffe
moi donc , ma pauvre enfant ; je
pleure de joie.
HENRIETTE déconcertée fe laiffe embraffer.
Plus doucement , ma Bonne , vous
me faites mal.
MATHURINE . Mon Dieu comme t'es .
devenue délicate , indifférente dès depuis
qu'tu n'es plus au village . Dame c'eſt
que je t'aimons toujours bian tretous.
HENRIETTE toujours travaillant . C'eſt
bien fait , ma Bonne.
MATHURINE prend Madelon par le bras
& la préfente à Henriette. Tians v'là ta
four Madelon , qui eft fi contente de te
voir : elle eft auffi grande que toi ; mais
tredame alle n'eft ni auffi gente ni auffi
brave . Approche , Madelon .
MADELON . Ma mère , je ſons honteufe.
HENRIETTE . Elle a raiſon , nourrice ;
vous êtes trop familière .
MATHURINE . Comment , eft- ce que
tu ne la reconnois plus ; c'eft ta font
Madelon je vous baillais mon lait dans
le même temps . Auffi vous vous aimiez ,
vous vous embraffiaint ( à Madelon ) .
Allons, nigaude, approche, approche donc.
FÉVRIER. 1776. 23
MADELON s'avance pour embraffer Henriette
. Si vous vouliais parmettre ...
HENRIETTE la repouffe durement . Doucement
doucement donc , vous allez
gâter mes habits.
MADELON pleurant . Ah ma mère ! ce
n'eft sûrement pas là ma foeur Henriette
qui m'aimois tant .
MATHURINE. Si fait , fi fait , c'eft alle
même ; mais c'est qu'alle n'est plus au
village : fes biaux habits ly faifons torner
la tête , vois-tu ; not' pauvreté ly fait
konte, & not' amiquié ly fait déshonneur .
MADELON . Eft- ce que je n'avons pas
de l'honneur itou nous autres , quoique
je foyons pauvres ?
BABET. Oh pour ma foeur Julie , alle
a un meilleur ceeur que ça , je gage.
MATHURINE. Et tu patdras, m'n'enfan;
va je parierois moi qu'c'eft la même
chofe . Eft- ce que ftelle - ci ne nous baillait
pas affez de fignifiance d'amiquié ? Tant
que je les avons au village , vois-cu
alles font douces , accortes , alles nousfont
des amiquiés , des careffes ; maman
nourrice par ci , ma foeur Madelon par là;
Oh je vous aimons tant , j'aurons tant de
foin de vous ; vous ne manquerais jamais .
I
FÉVRIER. 1776. 23
MADELON s'avance pour embraffer Henriette
. Si vous vouliais parmettre ...
HENRIETTE la repouffe durement . Doucement
, doucement donc , vous allez
gâter mes habits .
MADELON pleurant . Ah ma mère ! ce
n'est sûrement pas là ma foeur Henriette
qui m'aimois tant.
t
MATHURINE. Si fait , fi fait , c'eft alle
même ; mais c'est qu'alle n'est plus au
village : fes biaux habits ly faifons torner
la tête , vois - tu ; not' pauvreté ly fait
konte, & not' amiquié ly fait déshonneur.
MADELON . Eft- ce que je n'avons pas
de l'honneur itou nous autres , quoique
je foyons pauvres ?
BABET. Oh pour ma four Julie , alle
a un meilleur coeur que ça , je gage.
>
MATHURINE. Et tu patdras, m'n'enfan ;
va je parierois moi qu'c'eft la même
chofe. Eft- ce que ftelle - ci ne nous baillait
pas affez de fignifiance d'amiquié ? Tant
que je les avons au village , vois-tu
alles font douces , accortes , alles nous
font des amiquiés , des careffes ; maman
nourrice par ci , ma foeur Madelon par là ;
Oh je vous aimons tant , j'aurons tant de
foin de vous ; vous ne manquerais jamais .
24 MERCURE DE FRANCE.
Mais , à la ville , ils nous les gâtons ,
alles devenont fiares , ingrates . , ..
HENRIETTE avec aigreur. Ma Bonne
finillez vos propos , s'il vous plaît . Sia
j'ai été nourrie chez vous , on vous a bien
payée fans doute , & vous n'avez . rien
à dire .
1
MATHURINE. Oh Madame vot' mère
m'a toujours bian aidée , bian reconnue ;
& j'autions tort de nous plaindre d'elle ;
mais vous que j'ont nourrie , que j'ont
foignée comme not' enfant , à qui j'avons .
bouté not' affection , tout ainfi comme...!
nous voir ainſi rebutée ... ( Elle pleure )
Ça
Ca eft bian rude .
HENRIETTE. Mais vous êtes folle , ma
Bonne .
SCENE VI.
JULIE ET LES PERSONNAGES PRÉCÉDENS .
JULIE entre en accourant & faute au
cou de Mathurine. Eh vous voilà , maman
nourrice ; il y a une heure que je vous ,
cherche.
MATHURINE s'effuyant les yeux. Bon
jour ; Mamefelle Julie .
LIS .
FÉVRIER. 1776. 25
JULIE . Ah ! & voici m'amie Baber.
Comment te portes- tu ?
BABET s'effuyant les yeux & faifant la
révérence. Bien de l'honneur à nous , Mamelelle
Julie.
JULIE . Eh bien ! pourquoi ne m'appelles
-tu pas ta four ? Eft-ce que je ne
fuis plus ta bonne amie ? Mais tu pleures ,
je crois ; qu'as tu donc ?
BABET. C'eft ma mère qui a du chagrin .
JULIE . Mais , oui ; vous pleurez auffi ,
maman nourrice ; & toi auffi , Madelon .
Qu'est-ce que tout cela fignifie donc ? Le
papa nourricier feroit- il malade ?
MATHURINE. Non , Dieu merci ! Mamefelle
Julie .
JULIE . Oh! pour le coup , vous m'impatientez
avec vos tévérences & vos Mamefelle
Julie. Maman nourrice , je me
rappelle toujours , avec reconno flance , les
foins que vous avez eus de moi .
BABET à Mathurine. Quand je vous le
difois , ma mère , qu'alle avoit bon coeur
celle-là .
JULIE . Et toi , ma petite Babet , je
t'aime toujours de tout mon coeur .
BABET faisant la révérence. Bian obli .
gée , ma foeur ... Mamefeile Julie .
B
16 MERCURE DE FRANCE.
JULIE avec impatience . Finirez - vous ,
ou bien je vais me fâcher tout- à - fait.
MATHURINE . Tredame , je parlons
comme on nous l'a commandé . Aç 'heure
qu'ous êtes grand'Dames , je ne fons pas
daignes de vot' amiquié.
JULIE. Voilà de bien fots propos ; ce
n'eft pas moi qui les tiens , maman nourrice
: allez , je vous ferai attachée toute
ma vie ; je n'oublierai jamais que je dois
à vos foins ce qui en fait le bonheur.
MATHURINE . La daigne enfant ! v'là·
parler ça ; v'là qu'eft d'un bel exemple.
pour les enfaus fiats & ingrats qui nous
méconnoiffons .
HENRIETTE , qui , pendant toute cette
Scène, eft restée àfon ouvrage en l'interrompant
de différens geftes d'impatience , fe
lève &fort brufquement. Oh ! je n'y tiens
plus .
SCENE VII.
JULIE , MATHURINE , MADELON ,
ВАВЕ Т.
JULIE . Bon , la voilà partie ; maman
FÉVRIER. 1776. 27
nourrice , je vous attendois avec impatience.
( Elle va prendre un petit coffret
qu'elle ouvre ) Tenez , voilà une coëffure
& un mouchoir de cou que je vous garde
depuis long-temps.
MATHURINE Confidérant ce que
Julie. La brave enfant !
lui donne
JULIE . Et toi , Babet , voilà un petit
coeur d'or que je veux que tu portes toujours
pour te reffouvenir de moi .
BABET. Oh ! je n'ont pas befoin de ça
pour vous aimer de tout not' coeur , Mamefelle
Julie.
JULIE . Encore Mamefelle Julie. Ch
bien , tu n'auras pas le coeur d'or & tu ne
feras plus ma bonne amie , fi tu ne m'appelles
pas ta foeur.
BABET honteuse. Dame , je n'ofe.
JULIE. Je le veux , je le veux .
BABET. Eh bian ! ma foeur , je vous
remarcie.
JULIE . Allons , embraſſe - moi . ( Elles
s'embraffent ) Ertoi , ma pauvre Madelon ,
il faut que je te trouve auffi quelque chofe.
Ah! tiens , voilà une petite croix d'argent.
Dame , je ne peux pas te donner davantage
actuellement.
MADELON faifant des révérences. Oh !
Bij
26 MERCURE DE FRANCE.
JULIE avec impatience. Finirez - vous ,
ou bien je vais me fâcher tout à- fait .
MATHURINE. Tredame , je parlons
comme on nous l'a commandé. Aç ' heure
qu'ous êtes grand'Dames , je ne fons pas
daignes de vot' amiquié .
JULIE. Voilà de bien fots propos ; ce
n'eft pas moi qui les tiens , maman nourrice
: allez , je vous ferai attachée toute
ma vie ; je n'oublierai jamais que je dois
à vos foins ce qui en fait le bonheur.
MATHURINE . La daigne enfant ! v'là
parler ça ; v'là qu'eft d'un bel exemple
pour les enfaus fiars & ingrats qui nous
méconnoiffons.
HENRIETTE , qui , pendant toute cette
fcène, eft restée àfon ouvrage en l'interrompant
de différens geftes d'impatience , fe
lève & fort brufquement . Oh ! je n'y tiens
plus.
SCÈNE VII.
JULIE , MATHURINE , MADELON
BABET.
JULIE . Bon , la voilà partie ; maman
FÉVRIER . 1776.
27
nourrice , je vous attendois avec impatience.
( Elle va prendre un petit coffret
qu'elle ouvre ) Tenez , voilà une coëffure
& un mouchoir de cou que je vous garde
depuis long-temps.
MATHURINE Confidérant ce que lui donne
Julie. La brave enfant !
JULIE . Et toi , Babet , voilà un petit
coeur d'or que je veux que tu portes toujours
pour te reffouvenir de moi .
ça
BABET. Oh ! je n'ont pas befoin de
pour vous aimer de tout not ' coeur , Mamefelle
Julie.
JULIE . Encore Mamefelle Julie. Oh
bien , tu n'auras pas le coeur d'or & tu ne
feras plus ma bonne amie , fi tu ne m'appelles
pas ta foeur.
BABET honteuse. Dame , je n'ofe.
JULIE . Je le veux , je le veux .
BABET. Eh bian ! ma foeur , je vous
remarcie.
JULIE . Allons , embraffe-moi . ( Elles
s'embraffent ) Ertoi , ma pauvre Madelon.
il faut que je te trouve auffi quelque chofe.
Ah! tiens ,voilà une petite croix d'argent .
Dame , je ne peux pas te donner davantage
actuellement.
MADELON faifant des révérences . Oh !
Bij
-2.8 MERCURE DE FRANCE.
Mamelelle .... C'eſt toujours plus ....
Je ne méritons pas ....
JULIE . Allons , prends , & ne fais pas
la forte.
MADELON . Grand merci ! Mamefelle
Julie.
MATHURINE . Pour le coup , je n'y
tenons plus ; v'là un coeur ça auprès de
l'autre je fommes bian confolées du chagrin
qu'alle m'a donné.
:
JULIE. Comment donc ?
MATHURINE. Ta foeur , m'n'enfant ,
faut voir ,
qui ne te vaut pas ,
fitu favois
comme alle nous a reçues en faiſant la
Madame ; comme alle nous a rebutées
quand j'avons voulu l'y faire amiquié.
Tians , j'en is encore toute je ne lais
comment : & ç'te pauvre Madelon alle
ne peut pas s'en remettre .
JULIE . Allez , allez , maman nourrice ,
il ne faut pas prendre garde à cela . Est- ce
que je ne vous refte pas , moi ? Ne vous
inquiétez pas , je vous aimerai pour deux ;
je ferai auffi la foeur de Madelon , ainfi
vous ne perdrez rien .
FÉVRIER. 1776. 29
SCÈNE VIII.
Mde BEAUPRÉ , JULIE , MATHURINE ,
ВАВЕТ , MADELON.
Mle BEAUPRÉ à Julie févérement. Eh
bien ! Mademoifelle , avez - vous allez
couru , aflez folâtré toute la journée ? Fi ,
n'avez vous pas honte ; un petit garçon
eft moins diffipé que vous. ( appercevant
Mathurine ) Ah ! ah ! vous voilà Mathurine
, bon jour.
MATHURINE faifant la révérence . Je
fis vot' fervante , Madame Beaupré.
Mde BEAUPRÉ. Voilà , je crois , vos
filles , les foeurs de mes enfans ; comme
elles font grandes & fortes ! cela doit
vous faire plair à voir , nourrice ?
MATHURINE . Dame , Madaine , ça
m'eft itou bian agréable.
Mde BEAUPRÉ . Ont - elles vu leurs
fours ? car c'eft ainfi que je veux qu'elles
appellent mes filles : fans doute qu'Henriette
a été bien contente de vous voir.
MATHURINE avec un foupir. Ah ! not
Dame , vous avais toujours eu plus de
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
bontés pour nous que je n'en fommes
daignes.
Mde BEAUPRÉ . Qu'est ce à dire , nourrice
? vous n'avez point l'air contente.
Vous auroit- on mal reçue ? Je voudrois
bien favoir cela , par exemple. Mademoifelle
Julie , vos folies me préparent
elles quelque nouveau chagrin .
JULIE . Moi , ma chère mère ! Oh , maman
nourrice vous dira fi je ne l'ai pas
reçue avec plaifir.
Mde BEAUPRÉ . Je le crois ; mais cela
ne fuffit pas . Peut être lui aurez - vous dit
quelque chofe de défagréable ; car vous
êtes fi folle , fi inconféquente ....
MATHURINE. Oh Madame ! ben du
contraire.
Mde BEAUPRÉ . Mais encore : je veux
favoir ce qui vous chagrine , nourrice.
Peut- être n'aura-t- elle pas fait d'amitiés
à fa foeur.... Oui , c'eft cela sûrement :
ces petits airs là ne me conviennent point
da tout , Mademoifelle . Imitez votre
foeur Henriette : elle eft douce , fage ,
pofée ; elle a l'ame fenfible , reconnoiffante
, généreufe ; je fuis sûre qu'elle aura
accablé fa foeur de careffes.
FÉVRIER. 1775. 3x
SCÈNE IX & dernière.
HENRIETTE ET LES PERSONNAGES
PRÉCÉDENS.
Mde BEAUPRÉ continue. Eh bien ,
Henriette , n'êtes - vous pas bien contente
de voir votre four & votre nourrice ?
HENRIETTE d'un air contraint. Mais ,
oui ; ma chère mère .
Mde BEAUPRÉ avec joie. Je le difois
bien qu'elle eft fenfible & bien née , ma
fille Henriette . Mais qu'est - ce que je
vois entre vos mains , nourrice ? Je gage
que ce font des préfens de ma fille Hentiette.
Ah ! que je fuis contente de cette
marque de fon attention & de fa reconnoiffance
; les larmes m'eu viennent aux yeux
de fatisfaction . ( Elle embraffe Henriette)
Ah ! ma chère Henriette , tu feras la confolation
de mes vieux jours : & vous ,
Mademoiselle , profitez d'un & bel exemple
, fi votre légèreté vous le permet.
MATHURINE faifant la révérence. Je
vous fais excufe , not' Dame ; c'eſt Ma-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
mefelle Julie qui m'a baillé ça : v'là itou
ce qu'alle a donné à mes filles .
Mde BEAUPRÉ avec furprife. Quoi ,
e'eft vous Julie ! Vous ne m'en difiez rien .
JULIE . Ma chère mère , je ne croyois
pas que cela en valût la peine.
•
Mde BEAUPRÉ . Et Henriette ?
MATHURINE. Oh ! Madame , je ne
fommes pas daignes de l'approcher ni de
by parler ; alle eft trop grand' Dame.
Mde BEAUPRÉ mécontente. Oui dà !
HENRIETTE Confufe. Ma chère mère ,
Vous ne croyez pas...
Mde BEAUPRÉ févérement . Rentrez ,
Mademoiselle . ( à part après un inftant
de filence ) Je vois que j'ai été la dupe de
leurs caractères ; & cela arrivera toujours
à ceux , qui , au lieu d'approfondir les
coeurs , ne s'arrêteront qu'à la fuperficie.
Par Mademoiſelle Raigner de Malfontaine.
FÉVRIER. 1776. 33
En l'honneur de l'Immaculée Conception
de la Sainte Vierge.
La naiffance de Monfeigneur le Duc
D'ANGOULEME.
SONNET qui a été couronné à Caën le 3
ENSEVEL
Décembre 1775 •
8
NSEVELIS , grand Dieu , dans la nuit éternelle
Ces Tyrans furieux qui portent la terreur :
Ereins dès le berceau leur race criminelle :
Que leurs nouns déformais n'infpirent plus d'hor
reur ......
Mais que le fils des Rois , en croiflant fous ton aile,
Comme un autre Louis ( 1 ) fafle notre bonheur :
Que fon front foit couvert d'une gloire immortelle
Et que fa bienfaifance ajoute à la grandeur !
Pourroit- il démentir fon illuftre naiflance ?
Un Prince (2 ) vertueux éclaire fon enfance ,
Et la main des Bourbons va diriger les pas .
( 1 ) Louis XVI.
(2) Monfeigneur le Comte d'Argois.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
Pallas ( 1 ) fème de fleurs la trame de fa vie ,
En écartant de lui la bafle flatterie :
ALLUSION .
Ainfi , Vierge, Dien fçut te ſouſtraire au trépas.
En l'honneur de l'Immaculée Conception
de la Sainte Vierge .
LE RETOUR DE L'ÂGE D'OR .
A Monfieur TURGOT , Contrôleur-Général
des Finances .
·SONNET qui a été couronné à Caën le 8
Décembre 1774.
DES Sully , des Colbert toi qui cours la carriere,
Ton nom vole avec eux à l'immortalité ;
Sur la nuit des calculs tu répands la lumiere ,
Et rien ne fe dérobe à ton activité.
Limoges t'a donné le tendre nom de pere :
La France avec tranſport la déjà répété :
(1) Madame la Comteffe d'Artois.
FÉVRIER . 1776. 35
Vas , portant dans les Cours le flambeau qui t'é-
Aux
claire ,
yeux des Souverains offrir la vérité .
Des dons de ton génie enrichis nos Provinces ,
En couronnant les arts faïs - les aimer des Princes :
Louis a par fon choix honoré ta vertu.
Ecrafe fous tes pieds les ferpens de l'envie ,
Suis tes nobles projets... Ainfi chafte Maric
Le Tyran des enfers par toi fut confondu .
L'HOMME CONSOLÉ PAR LA RELIGION.
ODE couronnée par l'Académie de la Conception
de Rouen , au mois de Décembre
1775 .
CIEL! nene m'as tu donné ma fatale exiſtence ,
Que pour boire à longs traits le fiel de ta vengeance
?
L'homme libre à la fois , elclave , infortuné ,
Gémit fous le fardeau d'une accablante vie ,
Par de longues douleurs on croiroit qu'il expie
Le crime d'être né.
Mon coeur s'égare en vain dans ſa pénible courſe
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
Pour trouver de la paix la véritable fource ;
Elle échappe à mes voeux ; un frivole de fir
A trompé de mes fens l'ivrefle paflagere ,
J'ai vu fuir à mes yeux comme une ombre légere ,
L'image du plaifir.
Que dis je ? Autour de moi le démon de la guerre ,
De les feux deftructeurs vient embrafer la terre ;
L'enfer a fecondé fon barbare tranſport ,
Par tout il fait régner le crime & l'imposture ,
Sa main enlanglantée a couvert la nature
Du voile de la mort.
Ce brigand contonné qu'enhardit l'opulence ,
Vole de crime en crime , & fa fiere infolence
A force d'attentars a fçu trouver la paix ;
Tous les jours font fereins , fon bonheur eft
extrême ,
Et puiflant par le vice , il s'adore lui- même
A l'ombre des forfaits.
Tout fatte ſon penchant , tout cherche à le diftraire
,
Le fort à fes defirs fut - il jamais contraire ?
Son paisible pouvoir ignore les revers :
L'innocence gémit fous la main qui l'opprimes
Quand l'aveugle fortune a couronné le crime ,
Le juíte eft dans les fers.
FEVRIER . 1776. 37
Quoi ! la vie , ô douleur ! fous les loix d'un Dieu
fage ,
Des tourmens à la mort eft le trifte paſſage ?
Qui voit du fcélérat les defirs triomphans ,
Accufe la rigueur d'un defpote févere ,
Et ne découvre plus la main d'un tendre pere
Qui chérit fes enfans .
Des folles paffions l'homme eft donc la victime ;
Comme fon coeur , la terre eft l'empire du crime ?
Non , il n'eft point ce Dieu , j'ignore (on appui ;
S'il eft vrai qu'il exifte , armé de ſon tonnerre ,
Qu'il venge l'innocent , qu'il le montre à la terre ,
Et mon coeur croit en lui.
Téméraire mortel , ton aveugle caprice
Blefle aina de ton Dieu la fuprême juſtice !
Fais defcendre la paix dans ton coeur abattu ,
Que l'orgueil de ton être & t'anime & t'enflamme ,
Abjure ton erreur , reconnois dans ton âme
Le prix de la vertu .
Dans l'abyfme des maux dont le poids nous ac
cable ,
Defirer un bonheur conftant , inaltérable ,
Je l'avone avec toi , c'eſt un frivole eſpoir ;
Si la longue douleur , que l'on nomme la vie ,
D'un état plus heureux ne doit être fuivie ,
Je frémis de me voir.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mon âme périroit ! A ces mots je friffonne ,
Le trouble me faifit , & l'horreur m'environne :
Quoi ! ce maîtreinflexible , & fi jufte & fi grand ,
M'accable fous le poids de fon fceptre barbare ,
Et du fein de mes maux fa fureur me prépare ,
L'abyfme du néant ?
O de l'éternité féduifante espérance ,
Du plus parfait bonheur chere & douce affurance !
Ton avenir réfout l'énigme du préfent ;
L'homme oublie à ta voix les tourmens qu'il
endure ;
Et fier de fes vertus , il fouffre fans murmure
Lejoug le plus pefant.
I goûte fous les loix du Maître qu'il adore
Un plaifir auffi doux que les feux de l'aurore :
L'innocence eft fon bien , la vertu fes trésors ,
La gloire qu'il envie , en lui-même il la trouve ,
Un Dieu vit dans fon fein ; jamais fon coeur
n'éprouve
Les tourmens du remords.
Toi qui vantes les droits de la raiſon altiere ,
Son flambeau vit en vain pour ta foible paupiere ;
Si dans ce lieu d'exil nos jours tant combattus ,
Devoient être fixés à l'éclair de la vie ,
Nous euffions vu du moins , dans notre rêverie ,
Le fonge des vercus .
FÉVRIE R. 1776. 39
Néron cût expiré , quand la main languinaire
Ola plonger la mort dans le fein de fa mere ;
Mais il peut fans ebſtacle enfanter les forfaits.
Si le Très-Haut voit tout des yeux de ſa puiſlance
Il doit punir le crime & venger l'innocence
Par d'éternels bienfaits.
Philofophe ſi vain dans ton incertitude ,
Montre moi l'heureux fruit de ta pénible étude.
Quelfuccès ton efprit ofe- t- il me vanter ?
Ses efforts impuiflans irritent fon audace ,
Tandis qu'en fes defirs il n'eft rien qu'il n'embraffe,
Tu n'apprends qu'à douter.
Ainfi les Nautonniers , dans l'ardeur qui les guide ,
Affrontent les hafards d'un élément perfide ,
Au vafte fein de l'onde ils tombent renfermés :
Sous un ciel étranger , privés de fépulture ,
Leurs cadavres langlans deviennent la pâture
Des monftres affamés.
L'homme n'a pu former qu'un ténébreux lyftême :
En voulant fe connoître , il fe perd en lui - même ;
L'erreur a vu brifer fon fceptre criminel :
O confolant espoir ! ( ur des ailes de flamme ,
Ravie au haut des cieux , s'élancera mon ame
Au fein de l'Eternel.
Le ciel a conirmé ce qu'efpere le Sage ;
40 MERCURE DE FRANCE.
Il a parlé la terre atrefte fon langage ;
Les ombres ont fait place à l'éclat d'un beaujour ;
Le Très Haut , pour fixer la foi de fes oracles ,
Fait entendre à nos coeurs , par la voix des miracles
,
Les loix de fon amour.
De fes defleins cachés , d'éloquens interprêtes
Levent le voile obfcur fufpendu fur nos têtes ;
Les temps font accomplis , l'Univers eſt changé ;
Le colofle orgueilleux de la raifon hautaine
Tombe dans la pouffiere à leur voix fouveraine ,
Et le ciel eft vengé .
Pour obscurcir l'éclat de leur gloire naiſlante ,
L'enfer a déployé fa fureur impuiflante ;
Ils ont tout immolé , la vie & le repos ;
De la mort, des tourmens, victimes triomphantes,
Pour les fuivre il renaît de leur cendres fumantes
Un Peuple de Héros .
Oui , je crois , ô mon Dieu ! ta parole éternelle :
Toujours à tes fermens tu te montras fidele ;
A régner avec toi le jufte deſtiné ,
Enivré de bonheur , beureux comme toi - même ,
Des rayons immortels de ta grandeur fuprême
Doit être couronné.
Que les vents déchaînés raflemblant les nuages ,
FÉVRIER . 1776 . 41
Dans leurs flancs ténébreux enfantent les orages ,
Que la foudre brûlante éclate dans les airs ,
Que les champs , fous mes pas , foient hérités
d'épines ,
Je verrois , fans pâlir , les immenfes ruines
De ce vafte Univers .
Qui fe fent immortel , fur les pas de la gloire
Arrache les lauriers des mains de la victoire ;
Armé d'un noble orgueil , il court , vole à la mort :
Qui peut croire au néant meurt comme un vil
elclave ;
Sur l'aile de la foi l'homme vertueux brave
Rien ne
Les outrages du fort.
peut ébranler mon tranquille courage :
Un jour , une heure encor , j'ai fini mon voyage ;
La vie eft un éclair , un zéphir inconftant ;
Les attraits du plaifir ne font qu'un beau fantôme ,
La grandeur un vain nom , l'Univers un atôme ,
Les fiecles un inftant.
Du cercle de nos jours la grandeur eft décrite ,
Dujeune homme au vieillard la diftance eft petite;
Au moment où le ciel par la nuit eſt voilé ,
Du foleil qui s'échappe on apperçoit l'image ;
C'eſt le jour de la vie : avant d'en faire ulage
On le voit écoulé.
42 MERCURE DE FRANCE .
Dunis *, ô mon ami ! toi que la mortjaloufe
Vint arracher des bras de la plus tendre époule ;
Pardonne fiton nom réveillant ma douleur ,
De mes yeux attendris a fait couler des larmes ,
Que ne puis je te fuivre & m'enivrer des charmes
D'un éternel bonheur !
Tu rougis de mes pleurs , ton âme toute entiere
Nage dans des torrens d'une pure lumiere ,
Tut'affieds triomphant fur la fphère des cieux ,
Tu contemples le monde avec l'oeil de fon maître,
Et ton coeur goûte en paix , du Dieu qui t'a fait
naître ,
L'empire glorieux .
Apprends-moi l'art heureux de mourir & de vivre:
Des horreurs du trépas la vertu nous délivre ,
Du chemin de la vie abiége la longueur ,
Soutient les durs combats que le ciel nous ordonne
,
Des mains de l'Éternel fait ravit la couronne
Qu'il deftine au vainqueur.
Toi , qui verfant fur lui les flots de ton ivreffe ,
Des fruits del'âge mûr couronnas fajeuneffe ,
Sainte Religion, viens , defcends dans mon coeur ;
Que ma fiere raifon s'accoutume à t'entendre :
* L'Auteur vient de perdre le plus cher de fes amis.
FÉVRIER . 1776 . 43
C'eft en fuivant tes loix que l'homme doit ap .
prendre
La leçon du bonheur.
PRIÈRE A LA SAINTE VIERGE.
Vierge (ainte , en ces vers reçois un pur hommage ,
De la Religion tu couronnas l'ouvrage ,
L'erreur a vu paffer fon regne audacieux :
Tu vois à ton amour la Nature affervie ,
Ton Dicu naît de ton fein , il meurt , reprend la
vie ,
Et nous ouvre les cieux .
O Mere ! c'eft ton fils qu'on choifit pour victime !
Es- tu coupable , hélas ! pour expier le crime ?
Non , lorfque les mortels dévoués au tombeau ,
D:s vices en naiflant recueilloient l'héritage ,
De l'Univers entier l'effroyable naufrage
Refpecta ton berceau.
Daigne du haut des cieux conferver à la France
Un Prince quin'eft Roi que par la bienfailance ;
Il voit fleurir les lis à l'ombre de tes loix * .
Henri , le bon Henri deviendra fon modele ;
Déjà par les vertus Augufte nous rappelle
Le plus grand de nos Rois.
* Louis XIII a mis la France fous la protection de
la Sainte Vierge.
Par M.l'Abbé de Calignon , Chanoine.
44
MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre LE TEMPS & LA BEAUTÉ.
L A BEAUTÉ .
ARRÊTE ICI , Vieillard chagrin ,
Tu nous menes un peu trop vîte.
L E TEMPS.
C'est le pas qu'autrefois m'a preferir le Deftin .
Rien ne peut l'arrêter : rien ne le précipite.
L A BEAUTÉ .
Je découvre un vallon charmant :
La Nature s'y plaît ; un ruiffeau le partage.
Cueillons des fleurs fur cet heureux rivage ,
Mais cucillons- les avec difcernement.
Le choix en tout doît précéder l'uſage .
LE TEMPS.
Vous le pouvez , mais en paſſant :
Rien ne doit ralentir mon éternel voyage .
LA BEAUTÉ .
Vieillard , tu n'es pas fort galant.
FÉVRIER. 1776. 45
LE TEMPS .
On ne l'eft plus guere à mon âge.
L A
+
BEAUTÉ.
On peut , du moins fe montrer complaifant.
Je fuis belle , dit - on.
LE
L A
TEMPS.
Oh ! j'en ai bien vu d'autres !
BEAUTÉ.
Chacune a les attraits.
Mais ,
LE TEMPS.
Confervez bien les vôtres ;
, pourtant , avançons .
L A BEAUTÉ.
On m'a dit qu'autrefois
Une Belle plus tard fut ſoumiſe à tes loix.
La beauté n'étoit pas le fruit d'une journée :
L'Hellefpont vit combattre & périr trente Rois
Pour une Hélene furannée.
LE TEMPS.
Il m'en fouvient fort peu,
1
46 MERCURE
DE FRANCE
.
LA BEAUTÉ .
Diane à foixante ans
Eut encor de l'amour , cut encor des Amans .
Elle fut réunir la tendrelle à la brigue .
Tes yeux en furent les témoins.
LE
TEMPS.
Elle avançoit toujours , n'en fatiguoit pas moins ;
Mais elle fut long- temps déguifer la fatigue.
LA BEAUTÉ .
Ninon , plus vieille encore , enchaîna bien des
coeurs ,
Et les appas octogénaires
Trouverent des adorateurs.
LE TEMPS.
On a plus d'une fois adoré des chimeres .
Mais que m'importe enfin cette burlesque erreur ?
La beauté n'eft pour moi qu'une fragile fleur
Qu'en pallant je détruis , qu'en paffant je fais
naître.
La rofe unjour entier conferve fa fraîcheur.
Un autre luit & la fait difparoître.
* Diane de Poitiers . Elle fut d'abord aimée de
François I , & enfuite de Henri II , qui l'aima toute
fa vie. Elle avoit plus de foixante ans lorsqu'il porta
fes couleurs dans ce fameux tournoi où il fut bleffé
mortellement.
FÉVRIER . 1776. 47
LA BEAUTÉ.
T'entends ; tu fais détruire & non pas conferver.
L E TEMPS.
*
Mon foible eft , j'en conviens , d'abattre ou
d'élever.
Quelquefois d'un vallon je fais une montagne ,
Et d'une montagne un vallon ;
Des eaux de l'Océan je couvre la campagne :
Plus loin , du fein des flots fort une autre Albion .
LeMonde enfin varie au gréde mon caprice ;
Mais à travers ces changemens ,
On reconnoît encor le premier édifice :
Il est toujours le Monde , & moi je fuis le Temps,
LA BE A U TÍ ,
Ton meflage eft bien trifte.
L E TEMPS.
Il a les agrémens.
Ce globe qu'à mes foins foumet la deſtinée ,
Eft un char ambulant , d'originaux rempli.
Leur comique affemblage égaie une tournée
Qui pourroit à la fuite entraîner trop d'ennui.
L'un gémit , l'autre chante ; un troifieme , plus
fage ,
Obferve les objets qui bordent fon paffage :
48 MERCURE
DE FRANCE..
L'autre dort , c'eft mieux fait ; il ne s'apperçoit
pas
Si la route à franchir offre quelque embarras .
Suivons la nôtre... Allons...
L A BEAUTÉ.
Qui ? moi ?.. Rien ne me preſſe :
Accorde- moi plutôt un fiecle de jeuneЛle .
Ce Monde , qui t'amufe , eft affez bien mon fait.
Je fais lui plaire , & dès lors il me plaît .
Là, dans chaque regard je découvre un hommage ,
On m'entoure , on me fuit : mon plus léger coup
d'oeil ,
Au plus foible , comme au plus fage ,
Infpire ou l'amour ou l'orgueil.
J'ai ce foir à foupé l'Amant que je préfere:.
Demain nouveaux plaifirs , que nul dégoût n'altere .
La toilette , les jeux , les propos médifans ,
Des jours , quelquefois longs , abrégent les inftans
.
J'ai le goût des beaux - arts , & trois fois la femaine
,
Mes charmes de Paris ornent la triple ſcene.
Je chante , & de Gréiri les fons harmonicux
Ne perdent rien quand ma voix les répette.
Mes traits font achevés & ma taille eft parfaite .
Ainfi donc , Vieiliard dangereux ,
Garde toi de troubler un fort digne d'envie :
Aflez d'autres fans moi végetent fous les cieux ;
Va
FÉVRIER. 1776 . 49
Va les débarrafler du fardeau de la vie.
Tu pourras t'offrir à mes yeux
Lorfqu'ils auront perda leur éclat ordinaire :
Je ne me plairai dans ces lieux
Qu'autant que j'aurai droit d'y plaire.
LE TEMPS.
Adieu... Mais , non ; jufqu'au revoir :
Je vous laifle vieillir ; c'eft une foible grâce.
Aux yeuxdu Temps , ce court efpace
N'eft que du matinjufqu'au foir.
Par M. de la Dixmerie.
A
LA FOURMI BIENFAISANTE,
Fable.
IDE - MOI , tant loit peu , diſoit à la voiſine
Une Fourmi qui voituroit du grain ;
Et fois lûre , en cas de famine ,
Que tu pourras toujours chez moi trouver du
pain.
Je le fais avec complaiſance ,
Lui répondit l'autre Fourmi :
C'eft dégrader un fervice d'ami
Que d'en exiger récompenſe.
C
50 MERCURE
DE FRANCE
:
Auffi-tôt dit , auffi tôt fait ,
Avec ardeur elle travaille .
La famine vint en effet ,
Et la pauvrette alors ſe vit fans pain pi maille ;
Chez la voiſine elle courut
Pour y trouver quelque affiftance ;
Le bienfait oublié dans cette circonftance ,
Fut remplacé par le rebut.
C'eft un fardeau bien lourd que la reconnoiflance.
Par M. le Clerc de la Mothe , Chev.de
Saint Louis , Membre de la Société
littéraire de Metz.
RÉPONSE à la Chanfon fur les plumes
que portent aujourd'hui nos Dames ,
imprimée aupremier volume du Mercure
de Janvier de cette année.
AIR : Réveillez-vous , belle endormie.
POURQUOI TAI tant reprocher aux Dames
Les plumes qu'on leur voit porter ?
Si l'inconftance eft dans leurs âmes
Les hommes doivent l'en ôter.
D'un grand Roi c'étoit la coutume ,
En tout temps l'on voyoit flotter
FÉVRIER . 1776.
Sur fon chapeau panache ou plume ;
En tout il faudroit l'imiter.
Sous fon regne on vir chaque Belle
Porter des plumes à la Cour ,
Et la plume de Gabrielle
Fut prife aux ailes de l'Amour.
Mais fi la plume eft très légere ,
Le coeur de l'homme eſt bien léger';
La femme n'eft pas la premiere
Qui foit toujours prête à changer.
Falloit-il chercher dans la mule
Une dure comparaiſon ?
Le mulet eft bien fon émule ,
Plus qu'elle a-t-il de la raiſon ?
Aux amours on rend des hommages
Ici mieux que chez les Incas ;
Chez eux les amours font fauvages ,
Chez nous légers , mais délicats .
Ainfi , laiflons- là tout emblêmes
Laiflons les plumes voltiger.
Le fexe eft bien fait pour qu'on l'aime ;
Et s'il change , on peut s'en venger.
Par le même.
Cij
32 MERCURE
DE FRANCE .
Madame la Princeffe DE PIEMONT
relève & embraffe deux jeunes Mariées
qui luipréfentent à genoux des corbeilles
de fleurs & de fruits , le jour de fon
paffage à Roanne.
LORSQUE de fleurs fe couronnant la tête ,
Et par de chaftes noeuds s'uniflant à jamais ,
Dans les champs de Sion jadis le Roi Prophete
Vit s'embrailer la Juftice & la Paix :
Ne fut-ce que l'eflor d'une pieuſe ivrefle ,
Le fonge fugitif d'un bonheur médité ?
Dans ce tableau , quoique Alatté ,
Du regne des vertus j'entrevois la promeffe ;
A fon récit mon âme s'intérefle ,
Et d'un fi doux elpoir , comme lui tranſporté ,
J'adore , en le chantant , l'efprit qui l'a dicté ;
Mais fur les pas de la fagefle *,
Dans tout l'éclat de la beauté ,
Loríque je vois une augufte Princeffe ,
D'un trait fublime de bonté ,
Faire oublier les grâces , fa jeuneffe ,
Et fon tang & lá dignité ,
* Madame la Comteſſe de Marfan.
FEVRIER. 1776. 3: གྲུ
Quand de l'air de l'égalité ,
Parmi la foule qui s'empreffe ,
Et que l'orgueil & la détrefle
Placent au dernier rang de la fociété ,
Une Fille des Rois embrafle avec tendrefle ,
Encourage , foutient , releve la foiblefle
De l'innocence & de la pauvreté ;
Quand fur fon fein je la vois qui les prefle ,
Et que la main qui les careſſe
Devient l'appui de leur timidité :
Mes yeux alors ont percé le nuage
Dont la profonde obſcurité
Enveloppoit ce fortuné préſage ,
Et le fonge devient une réalité.
Mais que ce tendre & généreux hommage ,
Offert par la grandeur à l'humble humanité ,
Parleencore à mon coeur un plus touchant langage:
Sous les traits de l'humilité ,
C'eft la gloire & la majeſté
Qui réverent leur propre image,
Et rendant à la vérité
Le plus éclatant témoignage ,
Jufques dans fon dernier ouvrage
Reconnoiffent le fceau de la Divinité.
Par M. Pouchon , Docteur en Médecine.
Ciij
54 MERCURE
DE FRANCE.
VERS fur l'Election du nouveau Grand
Maître de Malte , par un Chevalier de
cet Ordre.
Qu UEL eft donc ce Mortel qui marchant vers le
Trône ,
Conferve un air paifible à travers mille cris
L'eftime le conduit , la vertu le couronne :
Pour luites coeurs font réunis .
Je reconnois Rohan ; Caton dès ſa jeuneſſe ,
Simple avec un grand nom , vertueux fans rudeffe;
Puifle- t- il , rappelant l'âge d'or en ces lieux ,
Surpaffer les Héros qui furent les aïeux ,
Et les ans de Neftor dont il a la fagefle !
Le mot de la première Enigme du
volume précédent eft les Cartes du Piquet
; celui de la feconde eft Epingle ;
celui de la troisième eft Puce ( dont la
couleur est aujourd'hui à la mode ) .
Le mot du premier Logogryphe eft Angleterre
, dans lequel fe trouvent angle
& terre ; celui du fecond eft Lame , où fe
trouve ame; celui du troisième eft Rofier
atbufte , où le trouve ofter arbriffeau .
FÉVRIER . 1776. 55
ENIGM E.
Du bâtiment je fuis la couverture ,
Ou , pour le moins j'y bouche un trou ;
Et c'eft précisément par où
Dans l'Univers je fais figure.
Au fexe je ne fuis d'aucune utilité ,
Car je ne puis entrer dans fa parure ,
Et dans le vrai , je fuis d'une nature
Contradictoire à la mondanité.
En confervant mon nom ,
ftructure ,
Je protége l'humanité
mais changeant de
Dans les combats & contre la froidure.
A ce tableau je joindrois bien des traits ;
Mais je ferois trop facile à connoître ;
Il fuffit , Lecteur , de favoir que , peut-être ,
Je pourrois te compter au rang de mes fujets.
Par M. Parron , Capit. d'Infanterie,
Chevalier de Saint Louis.
Civ
16 MERCURE
DE FRANCE
.
SUR
AUTR E.
UR un lit à trois pieds , giflantes fur le dos ,
Sans ſoins & fans emplois nous goûtons le repos ,
Tandis que de Phébus le flambeau nous éclaire ;
Mais dès que terminant fa courſe circulaire ,
Ce Dieu va chez Thétis & fait place à la nuit ,
Nous fortons de notre réduit.
Alors notre double mâchoire
S'exerce à dévorer & la flamme & le feu ;
Et tout Lecteur qui veut favoir l'hiſtoire ,
Quand il voit mal nous occupe à ce jeu.
Par M. Dracolff, à Strasbourg.
AUTRE.
Nous fommes quatre , iffus de même pere ,
Et toutefois aflez peu reffemblans
De vifage & de caractere .
Soumis aux mêmes mouvemens ,
Nous parcourons une égale carriere ;
Mais nonjamais en même temps.
N'a guère , hélas ! j'ai fait périr mon frere :
Un autre frere plus méchant ,
Quad vous lirez ces vers m'en aura fait autant .
Par un Curé de Baſſe -B¡etagne.
FÉVRIER. 1776. $7
LOGO GRY PH E.
AMMI Lecteur , pour me connoître ,
Imaginez un gîte , où , quelquefois fans bruit ,
Et malgré- nous , le diable s'introduit.
Vous préferve le ciel de loger un tel maître !
Si ce début ne décele mon être ,
Des divers membres de mon corps
Décompolez avec moi les rèflorts.
Avos regards tour-à- tourje préfente
Ce dangereux métal , idole des mortels ,
Qui ne corrompt que trop leurvertu chancelante ;
Un lit de mort pour les grands criminels ;
Un chemin ; un reptile ; une étoffe groffiere ;
Dans les forêts du Nord un monftre redouté ;
Dans le ciel un char de lumiere ;
Un vêtement que vous avez porté ,
Que vous portez peut - être encore ;
L'un des plus beaux préfens de Flore ;
Un ton dans la mufique ; un oileau dont le nom
Se dit d'un homme auffi fot qu'un oifon ;
L'un des moyens qu'en un jour de bataille
Un Général habile appelle à ſon ſecours ;
Ce que je fais ici , vaille que vaille ;
Un fynonyme à nos froids calembours ;
Une ville de la Neuftrie ;
Cv
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
D'une livre tournois la vingtieme partie ;
Celle qui doit la vie aux auteurs de vos jours ;
Au corps de l'animal la chole la plus dure ;
Une conjonction ; une matiere impure.
Me retournant d'autre façon ,
. Je pourrois bien de ma fubftance ,
Extraire encor mainte combinaiſon :
Mais je craindrois , Lecteur , avec raiſon ,
De laffer votre patience.
Je ne dis plus qu'un mot , & je finis :
C'eft en m'ouvrant le coeur qu'on fe fait des amis.
Par le même.
AUTRE.
SANS moi , Lecteur, tu n'aurois point depain,
Coupe mon chef, je luis route ou chemin .
ParM. de la Perche , à Sens.
LON
AUTRE.
ne me voit jamais qu'au milieu des
.: foldats;
Je vais à l'exercice , aux fiéges , aux combats ;
La moitié de mon corps , cher Lecteur , vous habille
,
Et l'autre de poiflons fourmille.
Par M. Bouchet , à Paris.
FÉVRIER. 1776. 59
Pour la Fête de Madame P....
Vous connoiffez , mes a- mis ,
2
43
6
Celle qui m'inf- pi- re ;
3 6 4 3
65
Vous fa- vez qu'elle eft fans prix ,
5
*6 8
Et n'o- fez lui di- re :
6 6
4 * 3
*Paroles de M, Marf.Mufique de M. Grétry.
Cvj
62 MERCURE DE FRANCE.
Répette qu'on l'adore ,
Qu'elle fait naître & l'eftime & l'amour,
tout dit encore.
Tu n'auras pas
Mes vers foyez glorieux ,
Mon but vous décore ;
Tout ce qui touche les Dieux
S'épure & s'honore :
Un petit préfent comme un grand ,
Mérite leur clémence ,
Et je dirai : le jour du fentiment
Le fut auffi de l'indulgence."
Nature , Hymen , de moitié ,
T'offrent pour exemple ;
Dans notre coeur l'amitié
A placé ton temple ;
La raifon t'offre en ton printemps ,
Les fruits mûrs de l'automne ,
L'Hymen fourit , & les pleurs des Amansi
Ne font qu'embellir fa couronne.
Finiflons notre bouquet ,
Le fujet m'entraîne ,
Avec plaifir il fut fait ,
Reçois- le fans peine ; .
A tant de voeux je n'en joins plus
Qu'un fur les deftinées ...
Puifle le ciel régler fur tes vertus
La mesure de tes années !
FÉVRIER. 1776. 63
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Ermance , anecdote Françoife ; par M.
d'Arnaud. Vol . in- 8 °. avec figures.
A Paris , chez Delalain , Libraire , rue
de la Comédie Françoife.
ERMANCE , fortie de parens diftingués
dans la Province , & qui , indépendamment
des places & des biens , jouiffoient
de la confidération
perfonnelle , réuniffoit
peut-être tous les avantages. S'atta-
» choit on à la beauté , il n'étoit pas poffible
que rien de plus beau s'offrît aux
» yeux . Les grâces étoient elles préférées ,
» c'étoient les grâces mêmes qui fe multiplioient
à l'infini dans cette jeune perfonne
; elle poffédoit tous les genres de
» féduction : une brillante éducation étoit
» venue ajouter aux riches préfens de la
"
nature ; les arts d'agrément , les con-
» noiffances même utiles & profondes ,
» un goût auffi folide que délicat , la rai-
» fon cachée fous la magie de l'efprit ,
» fur- tour une élévation d'âme à laquelle
fa vertu eûr tout 39 facrifié.: telle eft ,
64 MERCURE
DE FRANCE
.
ajoute l'Auteur de cette anecdote , l'idée
» qu'on peut concevoir d'une eſpèce
» d'héroïne dont fon fexe doit s'énorgueillir
».
n
Ermance , feule héritière d'un bien
aflez confidérable , étoit en droit de prétendre
aux partis les plus élevés ; mais
fur le portrait qui nous en eft ici tracé ,
on doit croire que ni le rang , ni la fortune
ne pouvoient toucher un coeur éclairé
par le fentiment : & qui nous fait mieux
connoître & aimer la vérité ? Rarement ,
c'eft la réflexion de l'Ecrivain , la voix du
fentiment nous trompe : mais la fociété a
prononcé qu'il feroit l'efclave des conventions
, & de là ces malheurs , ces
foibleffes , ces égaremens , cet enchaînement
de revers , fuite prefque inféparable
d'une fenfibilité qui fe révolte contre
le joug qu'on lui veut impofer. Ermance
étoit déterminée à s'y foumettre : cette
jeune perfonne avoit éprouvé tous les
charmes du fentiment ; elle voyoit dans
le Chevalier de Lorménil , doué des
plus excellentes qualités , un amant , qui ,
par le don de fa foi , pouvoir la rendre
heureufe ; elle fçut néanmoins facrifier
fesplus flatteufes efpérances à fes devoirs.
Elle ne fe cachoit point que l'obligation
FÉVRIER . 1776. 65
filiale l'enchaînoit fans réſerve à l'autorité
paternelle , & que la moindre réfiftence
à cette autorité étoit une faute très - grave ,
qu'une fille , nourrie au fein de la fageffe ,
ne pouvoit fe pardonner. Conduite par.
ces principes , elle n'oppofa que fes prières
& fes larmes aux ordres impérieux d'un
père qui vouloit être obéi , & croyoit tout
faire pour fa fille en lui choififlant un
époux opulent. « Daramant , c'eſt le nom
» de cet époux , joignoit à une fortune
» éclatante quelques qualités qui lui auroient
prêté de l'agrément : il avoit en
» effet un extérieur prévenant , un efprit
» cultivé , de la vivacité dans l'imagina.
» tion , de la dignité dans le caractère ;
mais fon penchant à la jaloufie le por-
» toit à des excès dont il avoit déjà eu
» lieu de fe repentir : plufieurs Demoi-
» felles de la ville qu'il avoit recherchées
» en mariage , s'étoient apperçues de ce
» défaut que les femmes ne pardonnent
guères : elles le fuyoient...» Quand le
père d'Ermance le préfenta à fa fille , fes
compignes même la plaignirent , loin de
lui porter envie .
"
M. d'A. a voulu nous peindre , dans .
cette jeune perfonne , le triomphe de
l'obéiflance filiale & de la vertu . Mais .
66 MERCURE DE FRANCE.
comme il n'y a point de vertu fans combat
, il nous repréfente Ermance ayant à
fe défendre contre fon propre coeur & les,
veux d'un amant qui lui étoit toujours
cher . Cet amant , défefpéré de perdre fa
maîtreffe , vouloit mourir à fes yeux . Elle
s'arme alors d'une fermeté furnaturelle ,
& lui rappelle ce que le devoir & l'honneur
prefcrivent. « J'avois , lui avoue t-
» elle , un coeur capable de s'attacher par
» des noeuds durables : mais je vais for-
» mer d'autres liens que ceux dont la
» nature fembloit nous avoir enchaînés .
» Je me foumers au joug qui m'attend
» le devoir me l'ordonne ; oui , je dois
ne point vous voir , vous refuſer la
» moindre penſée , vous oublier . Je vous
» dirai plus : mon père a été inſtruit , par
» ma propre bouche , d'un penchant que
l'un & l'autre nous fommes obligés
» d'étouffer. Je ne vous nierai point que
j'euffe cru trouver mon bonheur dans
» notre union : la volonté paternelle n'a,
point été d'accord avec mes voeux ; il
» faut céder : je porterai ma chaîne ; il
ne s'agit point ici de vous montrer
» mon ame , mes combats , les chagrins.
qui me font préparés : imitez - moi ;
ayez ma fermeté , & en nous plaignant
"
"
萨
FÉVRIER. 1776. 67
tous deux , ne nous voyons jamais ».
Le caractère intraitable de Daramant
que cette victime du devoir filial ne tarda
point d'époufer , lui préparoit bien d'autres
ennuis. Cet homme jaloux faififfoir
les moindres apparences pour adopter des
foupçons injurieux à fon époufe & à luimême.
Il s'abandonnoit alors à l'impétuofité
de fes tranſports. Plus d'une fois
il accabla de les menaces cette vertueuſe
époufe à laquelle il faifoit un crime des
larmes mêmes qu'elle verfoit dans le fein
d'une amie . Tout , jufqu'à Eugénie , c'eſt
le nom de cette amie , lui caufoit de l'inquiétude
. Il obfervoit les regards d'Ermance;
il interprêtoit fes penfées. Cetre
femme mouroit de fa douleur , & prenoit
cependant toutes les précautions imaginables
pour la dérober aux yeux de fon père :
j'y fuccomberai , difoit elle , à fon amie ;ej .
» mais de quel fecours me feroient des
plaintes indifcrettes ? Mon deftin eſt
irrévoquable ; quand l'auteur de mes
» maux , quand mon père envifageroit
l'abyfme où il m'a précipitée ... peut-il
» m'en retirer ? Il faut m'y perdre , m'y
» anéantir » . La vertu avoit tant d'empire
fur cette ame fi noble & fi pure , qu'elle
fe défendoit en quelque forte de penfer :
H
"
68 MERCURE DE FRANCE.
à Lorménil : cette femme eſtimable fe
redouroit plus encore qu'elle n'appréhen
doit Daramant , & elle fuyoit jufqu'à
l'ombre du reproche. On avouera ici
avec l'Auteur de cette anecdote , que peu
de coeurs portent l'amour de la vertu à
cette délicateffe ; & il ne faut pas fe le
diffimuler, une malheureuſe créature , fou
mife involontairement à un joug auffi
rigoureux que celui d'Ermance , faifit
tout ce qui peut la confoler ; elle goûte
une espèce de dédommagement à s'occuper
en fecret de l'objet qu'elle a lieu
de regretter.
Un feul enfant étoit le fruit de ce mariage
, formé fous de fi cruels aufpices :
il réunifloit tous les fentimens de fa mère ,
qui éprouvoit chaque jour de nouveaux
emportemens de la part de fon époux .
Ermance dévoroit en fecret fes ennuis
& craignoit d'en faire la confidence à fon
amie la plus intime . Elle étoit perfuadée
que le premier devoir d'une femme eſt
de tenir le voile abaiffé fur les erreurs
de fon mari . Cet homme devenoit de
jour en jour plus fombre & plus emporté.
On nous le repréfente ici pallant avec la
même vivacité de la tendre fe à la fureur.
Il accabloit Ermance de reproches , d'ouFÉVRIER.
1776 . 69
trages , fe précipitoit enfuite à fes genoux ,
& imploroit un pardon que bientôt il
celloit de mériter. Il étoit devenu l'ami
d'un Officier , diftingué par fa nailfance
& par fon mérite perfonnel : cet Officier
étoit Anglois d'origine , & avoit pris parti
dans le fervice de France. Blinford , c'eft
fon nom , étoit d'autant plus aimable ,
qu'il réunifloit à une belle phyfionomie ,
un coeur fufceptible du fentiment le plus
profond & le plus délicat ; d'ailleurs d'une
pureté de moeurs peu commune , & qu'il
portoit à un degré rarement connu de
notre jeunefle Françoife : fon âge étoit
de vingt- huit à trente ans. La mort d'une
jeune perfonne qu'il devoit époufer , lui
avoit laiflé une mélancolie qui augmentoit
l'intérêt que fon abord faifoit naître :
il avoit renoncé à l'amour ; & pour fe
confoler , il recherchoit les douceurs de
l'amitié. Daramant , enchanté de cette
nouvelle connoiffance , préfente Blinford
à fa femme , qui lui marque une forte
de froideur , dont fon mari s'apperçoir.
La compagnie retirée , il demande à fon
épouſe la raison de cet accueil fi peu
prévenant qu'elle a fait à fon ami. « Vous
le favez , Monfieur , répond Ermance
en jetantun profond foupir : vous n'igno
70 MERCURE DE FRANCE.
»
» rez point votre malheureux penchant
» à recevoir & à nourrir des foupçons
indignes de nous deux . Eh ! pourquoi
» chercher les occafions d'enflammer vo-
» tre caractère ? Laiffez- moi fuir la fociété :
» le monde n'eft fait ni pour vous , ni
» pour moi ». Daramant chercha à raffurerfa
femme par des fermens qu'il accompagnoit
des careffes les plus touchantes.
Mais cette femme infortunée ne pouvoit
fe diffimuler qu'il n'étoit point au pouvoir
de fon mari de réformer jamais fon
caractère jaloux . Cet homme fi eſtimable
qu'il avoit appelé dans fa maiſon , Blinford
lui- même , n'étoit point à l'abri de
fes foupçons ombrageux . La trifte Ermance
s'en étoit apperçue plus d'une fois ,
& c'est ce qui augmentoit le chagrin qui
ne ceffoit de la confumer . Elle croyoit à
la probité de Blinford . Elle crut donc
pouvoir lui faire une confidence toujours
défagréable pour une époufe qui connoît
toute l'étendue de fes devoirs , & n'en
veut bleſſer aucun . Elle lui laiſſa entrevoir
à travers tous les ménagemens d'une
femme circonfpecte , ce qu'elle auroit
voulu fe cacher à elle- même . Blinford a
foupçonné que Daramant étoit jaloux.
Ermance pria l'Anglois de venir moins
FÉVRIE R. 1776. 71
fouvent , de faifir enfin quelque prétexte
qui l'éloignât de la maiſon de Daramant ,
fans que cet homme inquiet puiffe foupçonner
que fon ami a été prévenu fur
ce fujer. L'Anglois témoigna tous fes
regrets d'être privé de la fociété de Daramant
: il redit combien il lui étoit cher ;
& en même temps , quelque chagrin que
cette féparation lui faffe reffentir , il renouvelle
à l'épouſe de fon ami la promeffe
de ne plus fe remontrer à fes yeux,
Ermance traînoit depuis long- temps
une fanté languiffante . Les combats éternels
qu'elle avoit à foutenir pour dompter
la profonde langueur qui la confumoit ,
peut être la néceffité cruelle d'inftruire un
étranger de ces fecrets qui doivent refter
enfevelis entre un mari & une femme :
ces affauts multipliés , déterminent l'effet
d'une révolution violente ; elle fe lève
tout à coup , & fe précipite vers fa cheminée
, comme pour tirer fa fonnette..
Blinford s'apperçoit qu'elle fe trouve mal :
elle eft prête à tomber ; il vole vers elle ,
la foutient dans fes bras , & cherche à la
rappeler au jour : la porte s'ouvre ; Daramant
entre enflammé de fureur , l'épée à
la main , & court la plonger dans le fein
de fon ami , en s'écriant : «traître ! reçois
72 MERCURE DE FRANCE.
» le prix de ton infidélité ». Ermance
avoit perdu l'ufage de fes fens . Elle r'ouvre
les yeux quel fpectacle l'a frappée !
Blinford étendu fur la terre , & baigné
dans les flots de fon fang. Daramant refte
immobile ; il recule de terreur , quand il
voit l'Anglois expirant s'efforcer de fe
traîner à fes pieds ; quand il l'entend lui
dire d'une voix lamentable & touchante :
" que viens tu de faire , Daramant ? ...
» Tu as tué ton ami. Mon ami ! mon
"
-
ami qui ne refpiroit que mon déshon-
» neur !.. - Je vais rendre le dernier foupir
le Ciel m'eft témoin que je ne t'ai
jamais offenfé, que je te chériffois comme
mon frère ... Puiffes - tu vivre heu-
» reux après un meurtre auffi injuſte ! ..
» Daramant , ... mon ami , je te par-
» donne ... accours m'embrasfer
» meurs ».
...· je
Ermance étoit retombée évanouie ; elle
entend les derniers accens de Blinford ;
elle fe relève avec vivacité de fon accablement
: « malheureux , quel crime
» as tu commis ? Oui , cruel ! Blinford eft
» innocent ; oui , tu es l'affaffin de ton
ami , de l'ami le plus tendre ; hélas !
» en ce moment , il me parloit de fon
attachement pour roi ! il en étoit rem-
» pli !
39
»
FÉVRIER. 1776. 73
"" ---- pli ! Tu étois dans fes bras ! -II
» voloit à mon fecours ; je fuccombois à
» une défaillance , la fuite des maux que
» tu me caufes ... Toi , fouillé du fang
» d'un homme qui n'eft point coupable ,
qui t'aimoit ! Ah ! joins ta femme , à
» cet infortuné , le meurtre ne doit plus
» t'effrayer : après de pareils malheurs ,
» il ne m'eft plus poffible de vivre » .
La nouvelle de cette affreufe cataſtro
phe étoit déjà femée ; les domestiques
étoient accourus. La Juftice s'empare du
criminel , & donne des ordres pour qu'on
tranfporte le corps de Blinford à fa demeure
: Daramant eft enfin plongé dans
une prifon , tandis que fa femme reſte
anéantie fous des coups auffi imprévus
qu'accablans.
Cependant les parens , informés de
cette espèce d'affaffinat , accourent du
fond de l'Angleterre , & demandent à
grands cris la punition de Daramant : le
délit étoit prefque prouvé ; il n'y avoit
point d'apparence que le coupable pût
efpérer d'obtenir fa grâce. Ermance revoyoit
la lumière : tout fon malheur s'offroit
à fes regards ; eh ! quelle vafte infortune
elle avoit à envifager ; le paffé , le
préfent , l'avenir ! Mais c'étoit fur ce der-
D
74 MERCURE DE FRANCE .
nier tableau que s'arrêtoit fa vue : elle
contemploit fon mari enfermé dans un
cachot ; quelquefois même elle s'alarmoit
pour fa vie . La pitié dans les ames fenfibles
, touche de près à l'amour : Ermance
ne fe reffouvenoit plus du jaloux , du
barbare Daramant , de l'auteur de fes
difgrâces les plus cruelles ; fon coeur ne
s'ouvroit qu'à l'image d'un époux , &
toute la compaffion , on pourroit même
dire toute fa tendreife , s'attachoit à cet
objet. S'il eût été nécellaire qu'Ermance
donnât fa vie pour dérober fon époux au
fupplice infame qui l'attendoir , elle
n'auroit pas hélité un moment de faire ce
facrifice ; mais on exigeoit de fon courage
un effort beaucoup plus grand . Le
père de Daramant ne propofa même qu'en
frémillant à fa bru l'expédient qu'il avoit
imaginé pour fauver de l'échafaud (fon
malheureux époux. « Conviens , lui dit- il
» d'une voix baffe & in urticulée , lorfque
» les Juges t'appelleront en témoignage... "
ofe dépofer ... que ton époux ... le
» dirai -je , Ermance ? n'a fait que venger
» fon injure , qu'il t'a furprife . . . tu
m'entends , ton déshonneur ... A ce
» prix , ton époux , le père de ton enfant
, ton enfant , font fauvés de l'igno-
"
39
FÉVRIER. 1776. 75
minie la prifon eft ouverte à Da-
» ramant ; je te laille réfléchir fur le
parti que tu veux prendre ; fonge à ce
» cher enfant qui nous furvivra » .
ود
M. d'A. n'a peut - être point encore eu
de fituation plus intéreflante à peindre ,
plus capable de faire voir jufqu'où peut
aller l'effort d'un coeur vertueux , & qui ,
uniquement jaloux de fa propre eftine ,
fait le mettre au - deffus de l'opinion des
hommes. On nous préfente tous les jours ,
dit l'eftimable Ecrivain au commencement
de cette anecdote , comme un des objets
les plus impofans du grand tableau de
l'antiquité , cette efpèce de dévouement
généreux qui confiftoit à donner la vie ,
foit pour fon pays , foit pour le falut d'autrui
affurément ces fortes de facrifices
méritent les éloges que leur prodigue
l'hiftoire , & il y auroit autant de bizarrerie
que d'injuftice à leur refufer le tribut
d'admiration qui leur eft dû . Tout ce
qui nous fait voir la nature s'élevant audeffus
d'elle- même , a droit de frapper nos
regards . Mais immoler plus que l'exiftence
, abandonner fon honneur , lorfqu'on
en fent tout le prix , à la honte de la diffamation
publique , le couvrir , en un mot ,
de la fange de l'opprobre , quand on porte
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
le coeur le plus fenfible & le plus irréprochable
, & être convaincu en même
temps que cet effort inoui de grandeur
d'âme reftera enfeveli dans une éternelle
obfcurité ; n'avoir enfin pour tout dédommagement
du blâme & du mépris du
monde entier que l'aveu de fon propre
coeur : voilà de ces actes de magnanimité
qu'un jufte enthouſiaſme ne fauroit trop
admirer ni trop célébrer , dont nous ne
parlons point , & qui appartiennent pour-
-tant à notre fiècle . M. d'A. nous en offre
un exemple non moins pathétique que
fublime dans l'infortunée & vertueufe
Ermance .
Cette dernière anecdote ouvre le qua.
trième volume in- 8 ° . & le cinquième
volume in 12 des épreuves du fentiment.
Elle fera fuivie de quatre autres anecdotes
qui formeront ce quatrième volume
in- 8 ° . & fe fuccéderont rapidement.
Le Comte d'Umby , anecdote hiſtorique .
Brochure in 8 °. de 39 pages. A Paris ,
chez Coftard , Libraire , rue Saint-
Jean- de- Beauvais.
Le Comte d'Alifax , connu depuis fous
le nom du Comte d'Umby , parce qu'il
FÉVRIER . 1776. 77
avoit hérite des titres & des biens de
Milord , Comte d'Umby fon oncle
avoit la plus grande partie de fa fortune
en Amérique . Sa préfence y étoit néceffaire.
La Comtelfe d'Alifax , fa femme ,
qui aimoit tendrement fon mari , voulut
l'accompagner. Ils emmenèrent avec eux
Mil Fiore leur fille . Cet enfant , encore
en bas âgé , étoit trop chère à fes père &
mère pour qu'is confentiflent à s'en féparer
pendant leur féjour à la Caroline.
Tout étant difpofé , ils s'embarquèrent.
Leur navigation fut fort heureuſe juſqu'à
l'embouchure du Fleuve Saint- Laurent :
ce n'étoit pas directement leur chemin ;
mais le Comte d'Alifax avoit pris la
route du Canada pour terminer une diſcuffion
immenſe avec un vieux Négociant
qui venoit de fe retirer à Québec : ce détail
demandoit abfolument les foins & la
préfence du Comte. En entrant dans le
fleuve , ils avoient obfervé , avec leurs
téleſcopes , une multitude de canots raf
femblés , qui formoient comme une petite
flotte : ils reconnurent depuis que
c'étoit une armée d'Iroquois , qui fe tenoit
fur la défenfive contre les forces du Gouverneur
de Canada , avec qui ils étoient
en guerre. La crainte de tomber entre
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
les mains de ces barbares , eût peut- être
troublé nos Voyageurs , fi la préfence d'un
péril plus éminent ne les eût occupés.
Dans le même inftant , un matelot cria
qu'il voyoit une épaiffe fumée fortir
d'une des écoutilles . Alifax commandoit
le vaiffeau , & ne perdit point la tête :
il employa toutes les refources humaines ;
mais malgré les foins , le feu éclata . Son
époufe , pénétrée à ce terrible afpect de
mille frayeurs , fe jera à fon col , en tenant
fa fille par la main . Elle perdit bientôt
toute connoiffance ; & , revenue à ellemême
, elle fe trouva fur le rivage , environnée
de Miff Flore , des trois femmes
qui la fervoient & du Chevalier de Sommurs
, dont les foins généreux la fauve-
Fent da trépas. C'étoit à la pruden 、e de
cer ami
que le Comte d'Alifax avoit confié
fa femme & fa fille , qu'une chaloupe
venoit de tranfporter fur le rivage. Pendant
ce temps , Alifax donnoit tous fes
foins à fon vaiffeau ; mais fon activité fuc
inutile , le bâtiment fauta avec fracas.
Dans cette extrémité , par le hafard le
plus heureux , une partie confidérable du
grand mât fe préfenta au Comte ; il eut
la force de l'embraffer & de monter deffus.
Aidé alors d'un courant & avec des efforts
FÉVRIER. 1776. 79
incroyables , il gagna les bords d'une le
inhabitée. Cependant la Comtelle , qui
favoit le danger éminent auquel fon époux
avoit été expoſé , déſeſpéroit de le revoir
jamais . L'âge & la foiblelle de Mill Flore
fa fille , & la crainte de fe trouver bientôt
à la merci d'un peuple féroce & barbare ,
ou de moutir de faim & de misère , tendoient
fa fituation encore plus cruelle ,
fituation que l'on jugera bien au- dellus
du courage d'une femme de vingt & un
ans . Le Chevalier de Sommers cherchoit
à calmer les craintes de la Cointelle , dont
les alarmes fe réalisèrent bientôt à la vue
d'une troupe d'Iroquois qui venoit du
milieu d'un bois épais . Cette troupe fondit
fur eux. Une telle capture à laquelle
ils ne s'attendoient pas , les charma . Ils
forcèrent le Chevalier de Sommers & fa
fuite de les fuivre. La Comteffe , fa fille
& les femmes qui la fervoient , furent
conduites dans une plaine où il y avoit
une multitude de cabanes faites de branches
d'arbres , doublées de peaux féchées
au foleil. On les établit dans la plus
grande fous la garde de deux femmes
Iroquoifes , en leur recommandant de
veiller exactement fur eux , mais de les
traiter avec douceur. La Comteffe , cap-
›
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
tive de ces barbares , eut encore la douleur
de fe voir féparée du Chevalier de
Sommers. Ce Chevalier , qui n'avoit pû
avoir la permillion de lui offrir fes fervi
ces , obtint du moins que fon domestique
reftât auprès d'elle . Ce domeftique , nom .
mé Morback , étoit un jeune Iroquois ,
que la reconnoiffance tenoit depuis quelques
années attaché au Chevalier de
Sommers , ancien Officier de Marine.
Morback avoit fuivi fon bienfaiteur en
Angleterre ; actuellement dans fon propre
pays , dont il déteftoit les cruels ufages
, & vêtu à l'Angloife . , il ne fut point
reconnu par fes compatriotes. Mais le gé
néreux Chevalier avoit engagé fon fidele
efclave à fe découvrir , pour obtenir la
permiflion de fervir la Comtefle dans fa
captivité. Morback obéit aux ordres de
fon maître , & obtint le foin de garder
la Comteffe . Il avoit tremblé plufieurs
fois fur fon fort , dont alors elle n'envifageoit
pas toute l'horreur. « Voici , s'étoit
» écrié le chef des Iroquois , en regardant
» ces femmes , voici des morceaux bien
friands ; nous en ferons plus d'un repas ,
quand elles feront répofées ». C'étoit
en effet ce barbare motif qui caufoir pour
lors les ménagemens qu'elles éprouvoient.
99
FÉVRIER. 1776. 81
Le lendemain, la Comteffe enfermée dans
fa cabane , déploroit fa deftinée , & ie
confumoit d'inquiétude fur le fort de fon
époux & fur celui de fa fille ; lorfque
Morback , qui avoit été fort accueilli de
fes compatriotes en Alattant leur goût ,
fe préſenta devant l'infortunée Lady :
« belle Dame , lui dit il , ( c'étoit ainfi
» qu'il l'appeloit dans le vaiffeau ) je
» t'apporte de bonnes nouvelles , tous
» les périls font paffés ». La Comtelle
l'écoutoit avec une émotion extrême ,
fans pouvoir imaginer le danger auquel
elle avoit été expofée . Morback lui
répéta enfuite le propos terrible qu'il
avoit entendu la veille . Apprenez ,
19
6
ajouta Morback , apprenez que vous
» êtes fous la puitfance d'un peuple antropophage
, & qu'ici on trafique la
chair humaine comme le maGuron à
"
"
Londres ; déjà , continua til , l'un des
» nôtres fe difpofoit à venir découper vos
» membres délicats & ceux de Mil Flore
» pour les chefs ; vos trois femmes étoient
» deſtinées à régaler le reſte de la tronpè :
quand , avec beaucoup de ménagement ,
» je leur ai repréfenté un point d'honneur
» facré entre nous .
Abandonnerons nous ,
» leur ai - je dit , entre les mains de nos
»
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
» ennemis , des prifonniers de notre Na-
» tion ? Les François tiennent captifs un
grand nombre des nôtres ; confervons
» ces femmes pour faire un échange avan-
» tageux , nous en gagnerons vingt pour
un ; le François refpecte & adore ce
» fexe . Le Ciel , je crois , agit alors fur
» mes compatriotes ; mon avis a été généralement
adopté ; l'exécution vient
» d'en être jurée à haute voix , & les
clameurs que vous avez dû entendre ,
vous en affurent : je fuis chargé , ajouta-
» til , de vous garder avec les deux fem-
» mes Iroquoifes , & de prendre foin de
» votre sûreté » . Cette relation avoit
faili la Comteffe d'horreur ; mais la naiveté
de Morback , en lui faifant cet affreux
récit avec une froideur étonnante , me
put , ainfi qu'elle l'avoue elle -même dans
la fuite de cette hiftoire , s'effacer de fon
efprit . Après un an de craintes & de louffrances
, la guerre qui continuoit procura
enfin à la Comteffe la douceur de voir
deux Officiers de fa Nation . Son premier
foin fat de leur demander des nouvelles
de fon malheureux époux . Mais le récit
qu'ils lui firent de l'incendie de fon vaiffeau
, ne fervit qu'à confirmer les craintes
de cette femme infortunée . Souftermond,
FÉVRIER. 1776. $3
c'eft le nom d'un de ces Officiers , étoit
un homme d'une probité reconnue ; il
entendoit la langué des Iroquois , &
s'étoit acquis de la confidération parmi
les chefs , en leur promettant de les aider
dans leur querelle auprès du Gouverneur
du Canada. Ce fut à fes foins généreux
que la Comteffe d'Alifax dut fa liberté.
Le Gouverneur du Canada les recueillit
l'un & l'autre dans fon Palais . Le caractère
de Souftermond plut infiniment à ce
Gouverneur ; & pour ſe l'attacher & le
tirer de la misère où les malheurs l'avoient
réduit , il lui confia un emploi honorable
& très - avantageux , qui le mit au bout
de deux ans fort à fon aife. Ce Gouverneur
bienfaifant défrayoit libéralement
la Comtefle , tandis qu'elle écrivoit lettres
fur lettres en Angleterre , fans recevoir
aucunes réponſes : elle ignoroit
que le fort obftiné à la perfécuter l'avoit
encore privée de fon père & de fon oncle ,
& qu'un Intendant infidèle s'étoit emparé
de tous leurs effets , fous prétexte d'attendre
des éclairciffemens fur fa deftinée .
Ses biens dans la Caroline lui demeuroient
; mais ils exigeoient des foins dont
elle n'étoit point capable. Cette détreffe ,
dont le Gouverneur fut touché , lui fit
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
imaginer un expedient qu'il lui propofa
avec toute forte de ménagement : un jour
fe trouvant feul avec elle , il lui demanda
quels étoient fes projets pour la fuite de
la vie: « je n'en puis former , lui répondit
» la Comtelfe ; abandonnée de ma pro-
» pre famille , privée d'un époux que
» j'adorois , je n'ai plus qu'à traîner ici
» une mourante vie ; hélas ! je la perdrois
fans regret, Gi Mi Flore pouvoit fe paf-
» fer de mon fecours ; elle me perce
» l'ame ... Eh bien ! reprit le Général ,
» il faut faire un effort pour elle ; Souftermond
eft d'une noble origine , &
» le plus galant homme que j'aie jamais
» connu , fon refpect eft tel qu'il n'a
» jamais ofé vous déclarer la paffion qu'il
» reflent pour vous donnez un appui à
» votre fille & à vous même en l'épou
» fant ...— Ah ciel ! s'écria la Comteffe ,
» que me propofez vous ? Serois je capa-
» ble de faire cette injure à la mémoire
» de mon cher Alifax , dont l'image eft
» pour toujours gravée dans mon coeur » .
Le Général ne la preffa point davantage
alors ; mais il revint tant de fois à la
charge, lui alléguant fans ceffe les intérêts
de MilfFore & la néceffité d'être accom
pagnée à la Caroline , qu'elle fe rendit &
FÉVRIER. 1776. 35
>
époufa Souftermond . La Comteffe eftimoit
fincèrement ce nouvel époux qui
ne fongeoit qu'à lui plaire , & donnoit
à Mill Fiore les foins du père le plus tendre
: cependant elle ne pouvoit lui accorder
de l'amour . Ils fe difpofoient ferieufement
à leur voyage de la Caroline
lorfque dans une promenade un rayon de
foleil frappa fi vivement la Comteile à la
tête , que non feulement il changea pour
toujours la couleur de fon teint , mais
qu'il la réduific à l'extrémité par une
fièvre violente , dont elle fut attaquée à
l'heure même . Ce contre- temps , qui für
fuivi d'une déclaration de guerre entre
les François & les Anglois , ne leur permit
plus de fonger à leur voyage . Le temps
s'écouloit en Canada , & le trifte coeur
de la Comteffe fentoit toujours la priva
tion de ce qui lui avoit été fi cher ; mais
les tendres fentimens de Souftermond allégeant
fes peines , elle lui favoit gré de
J'entretenir fouvent de fon ami Alifax.
Ce fut dans cette trifte occurrence qu'une
maladie aiguë emporta Souftermond en
trois jours , & lailla la Comteffe privée
de toute confolation . Elle éprouva alors ,
ainfi qu'elle l'avoue dans le récit qu'elle
fait de fes malheurs , que fans amour
86 MERCURE DE FRANCE.
on peut être vivement attaché. Lorfque
Milady Soutermond faifoit ce récit , elle
vivoit alors retirée depuis plufieurs années
dans une folitude fituée en Ecoffe fur les
bords de la mer. Et à qui racontoit - elle
fes infortunes ? Au Comte d'Umby , à
Milord Alifax lui- même , à cet époux
qu'elle ne ceffoit de regretter , & qu'elle
venoit de recevoir chez elle comme un
fimple étranger qui lui demandoit l'hofpitalité
. Alifax , héritier du Comte
d'Umby fon oncle , avoir pris fon nom´,
fes armes & jufqu'à fes livrées . Le Lecteur
fera un peu furpris que ces deux
époux , quoique féparés depuis plus de
neuf ans , ne fe foient pas d'abord reconnus.
Mais l'Hiftorien de cette anecdote
a eu foin de nous prévenir que les
infortunes , les fatigues , les maladies
avoient beaucoup altéré leurs phyfionomies.
La certitude où ces époux penfoient
être que chacun d'eux avoit été la victime
de fon malheureux fort , ' pouvoit encore
les empêcher de fe reconnoître. Ces citconftances
produifent ici une fituation
qui n'eft cependant point fans exemple ,
& dont l'Auteur de cette nouvelle a fçu
tirer parti. La reconnoiffance qui la termine
, intéreffe particulièrement le LecFÉVRIER
. 1776. 87
reur. Il partage en quelque forte la joie
que reffent le Comte d'Umby de retrouver
dans Milady Souftermond une épouſe
fage , vertueufe , & qui , malgré fon fecond
mariage , n'avoit jamais ceffé de
lui être fidèle ; & dans Miff Flore , une
fille charmante qui n'apprit fon bonheur
qu'en répandant des larmes de joie dans
le fein de fon père .
Difcours prononcé aux Ecoles de Médecine
pour l'ouverture folemnelle des Ecoles
de Chirurgie , le 26 Novembre 1775 ;
par Me Claude Lafiffe , Docteur Régent
de la Faculté de Médecine en
l'Univerfité de Paris , & Profeffeur de
Chirurgie en langue Françoife ; fur le
fujet : Eft-il néceffaire au Chirurgien
d'être fenfible? A Paris , de Imprimerie
de Quillau.
:
Nous ne pouvons mieux faire connoître
ce Difcours qu'en rapportant ici l'extrait
de la Faculté de Médecine à fon
fujet le Vendredi , premier Décembre
» de l'année 1775 , la Faculté de Méde-
» cine étant affemblée dans les Ecoles
fupérieures , fur la repréfentation de Me
» le Thieullier , ancien Doyen & Cen-
""
88 MERCURE DE FRANCE.
»
» feur des Ecoles , le Difcours prononcé
» le Dimanche précédent par M. Lafiffe ,
» Profeffeur de Chirurgie en langue Françoife
, eft devenu l'objet d'une délibération
particulière . La queſtion inté-
» retfante qui fait le fujet de ce Difcours ,
» la manière plus intéreffante encore dont
elle eft traitée , l'adreffe avec laquelle
» l'Orateur à fçu l'orner des grâces du
» fentiment & du charme de l'éloquence ,
"auront également enlevé les applaudiffe-
» mens du public & fixé les fuffrages des
gens de l'art. En conféquence du confentement
unanime de tous les Docteurs
» préſens , il a été décidé que ce Difcours
» feroit imprimé aux frais de la Faculté ,
pour être diftribué à fes Membres , &
qu'il en feroit remis à l'Auteur un
» nombre fuffifant d'exemplaires , comme
» une marque de fatisfaction & de l'ef-
» time fingulière de la compagnie ; &
c'est ainsi que j'ai conclu . Signé , J. L.
» Alleaume , Doyen » .
"
"
Lettres & obfervations anatomiques , phyfiologiques
& phyfiques fur la vue des
enfans naifans , avec un Mémoire fur
l'établitfe nent d'un prix m'd.illique ;
M. l'Abbé Deſmonceaux .
par
FÉVRIER. 1776. 89
Lux à luce pendet.
Brochure in- 8 °. De l'Imprimerie de
Michel Nicolas.
M. l'Abbé Defmonceaux nous avoir
déjà donné , fur les maladies des yeux , des
obfervations , fruit de fon expérience &
d'une compaffion tendre pour fes Temblables.
Ces obfervations ont été publiées
en 1772. On doit y joindre l'écrit que
nous venons d'annoncer , dans lequel on
trouvera de nouvelles obfervations trèsintéreffantes
, & de plus, le précis des
recherches que l'Auteur vient de faire
fur la nature de la vue des enfans nailfans
, & fur les caufes qui retardent plus
ou moins les rayons vifuels de fe peindre
dans l'oeil. Ce point de phyfiologie ,
"
»
C₁
dit il dans une lettre qu'il écrit à D
» Binet , Religieux , Oculifte de l'Abbaye
de Marmoutier , m'a paru inté
» reffant , & m'a décidé à fcruter le jeu
» de nature fur la nature même . Après
» différentes ouvertures de cerveau , après
» dix à douze diffections anatomiques
» des branches du nerf optique & du
compofé membraneux du globe de
» l'oeil , j'ai reconnu , en préfentant cet
"
"
90 MERCURE DE FRANCE.
»
" organe entier aux bougies , du côté
» du nerf optique , & regardant par le
» trou de la pupille : j'ai reconnu , dis je ,
que les rayons vifuels n'étoient pas fufceptibles
d'être abforbés par la cho-
» roïde ; mais que cette membrane étoit
» d'une tranfparence , d'un rouge plus
» ou moins foncé , fuivant la forte ou
» délicate conftitution du fujet . Cette
» obfervation attira toute mon attention
$3
93
» & me porta à prendre le fcapel , pour
incifer l'oeil dans toute fa profondeur :
» en fcrutant ainfi la nature , j'ai trouvé ,
» à la vérité , la cornée tranfparente
» moins diaphane , les humeurs aqueufes
» & cryftallines moins abondantes que
dans l'état de fanté & de conforma
tion parfaite , mais pas affez dé-
» pourvues pour nuire aux rayons vi-
» fuels ; j'ai reconnu la lentille cryftal
» line & le corps vitré dans un état à
» peu près femblable , ainfi que le tiffu
» de la rétine , qui s'eft trouvé d'une
» tranfparence mixte , ce qui eft ordi-
» naire après la mort , & en ce cas à
» tous les corps de l'oeil ; enfin je fuis
parvenu à la choroïde , où , avec l'aide
» de la loupe , j'ai obfervé que les deux.
» lames de cette membrane paroiffent
FÉVRIER. 1776.
و د
و د
»
» formées à l'ordinaire par un lacis de
» fibres , de filets nerveux , de vailleaux
lymphatiques , de vailleaux fanguins ;
» mais que le méconium , cette belle
encre noire qui tapifle cette membrane
, n'étoit autre chofe qu'un alfemblage
de petits globules touges ,
incapables d'arrêter les rayons vifuels ,
» ce qui rendait le fond de l'oeil d'un
rouge tranfparent. D'après cette oblet-
» vation , il me femble , Monfieur , qu'on
peut réunir le fentiment de la plupart
» des Anciens avec celui des Modernes :
» car vous favez que dans le nombre des
Phyfiologiftes , MM. Mariotte , Mery
» & le Cat indiquoient la choroïde pour
» l'organe immédiat de la vue , au lieu
» que Defcartes & fes Sectateurs réfutoient
cette opinion pour en donner le
pouvoir à la rétine feule ; ce qui paroît
» aujourd'hui , parmi les Gens de l'art ,
» une décifion invariable . Pour moi ,
3
"
99
و د
"
99
d'après une répétition de plufieurs obfervations
, je crois pouvoir allier le
» fentiment des uns avec celui des au-
» tres , & dire avec quelque confiance ,
la rétine & la choroïde concourent
abforber les rayons de
» que
33 enfemble pour
» lumière , qui fe réfléchiffent de l'objet
92 MERCURE DE FRANCE.
»
» à l'oeil , qui y tranfmettent la figure
» la grandeur , les proportions , enfin les
» couleurs qui fe trouvent à la ſurface du
même objet ; prodige qui s'opère à
» l'aide de la rétine , qui , par fon tilfu
» lâche & baveux , modère les impref
» fions de lumière qui fe portent fur la
» choroïde , qui forment for cette membrane
le tableau des différentes peinrures
qui fe repréfentent , & delà ſe
» fe rendent fenfibles au fenforium com-
&
mune , partie merveilleufe de notre
» existence , que l'on ne peut fcruter fans
» s'écrit: O altitudo ! La preuve que je
donne de cette réunion néceflaire , fe
trouve dans le jeu de nature ,
» peut être comparé , dans le physique ,
» à une glace , qui , privée de fon tain ,
» ne peut rendre aucuns points de vue :
» d'où il réfulte que la glace & le tain
"font néceffaires pour la vifion ; que l'un
» ne peut rien fans l'autre ; & qu'il en
» eft de même de la rétine fans la cho-
» roïde , & vice verfâ , de la choroïde
» fans la rétine . Je fuis d'autant plus por-
" té à adopter ce fyftême , que j'ai re
» connu qu'il eft des enfans qui voyent
les objets , les uns à un mois , les autres
à cinq femaines , d'autres à fix
FÉVRIER. 1776. 93
femaines & au- delà , & qu'il dépend
» du plus ou du moins d'activité de la
» nature à perfectionner fon ouvrage » .
L'Auteur répond à quelques objections
que l'on pourroit faire contre fon
fyftême , & termine cet écrit par former
des voeux pour la fondation d'une Ecole
en faveur des Elèves de la Médecine qui
voudroient étudier les maladies des yeux ;
& pour qu'il y ait un prix démulation ,
auquel tous les hommes éclairés pourroient
concourir par leurs obfervations.
ou leurs découvertes anatomiques & phyfiologiques.
Elémens de fortification , contenant la
conftruction raifonnée des ouvrages
de fortification , les fyftêmes des Ingénieurs
les plus célèbres , la fortification
irrégulière , le tracé des redoutes , forts
de campagne , & c. avec un plan des
principales inftructions pour former
les jeunes Officiers dans la fcience
militaire . Par M. le Blond , Maître de
Mathématiques des Enfans de France ,
des Pages de la grande Ecurie , Cenfeur
Royal. Septième édition in - 8 ° .
avec beaucoup de planches. A Paris ,
chez Jombert , Lib, rue Dauphine .
94 .
MERCURE DE FRANCE .
Cette nouvelle édition beaucoup
plus correcte que les précédentes , eft
augmentée d'un difcours fur l'utilité des
places fortes ; de nouvelles notes & d'obfervations
particulières fur différens objets
de fortification .
Traité de la petite vérole , tité des Commentaires
de G. Van Swieten , fur les
Aphorifmes de Boerrhave , avec la
Méthode curative de M. de Haen
Premier Profefleur de Médecine pratique
à Vienne en Autriche . A Paris ,
chez d'Houry , Imprim .- Lib. de Mgr
le Duc d'Orléans , rue de la vieille
Bouclerie ; 1 vol . in - 12 . 1776. Avec
approb. & priv. du Roi .
L'Aureur donne dans cet Ouvrage le
Traité le plus compler qui ait paru fur
le traitement de la petite vérole . Il a
puifé dans les bonnes fources ; Boerrhave
, Sydenham , Van Swieten , de Haen ,
font les Auteurs dont il a mis les Ou• ™
vrages à contribution ; il a réuni fous
un même point de vue toute leur doctrine
, & il a concilié les fentimens des
uns & des autres ; il décrit donc dans ce
Traité les différentes efpèces de petites
FÉVRIER. 1776.
25
véroles , leurs périodes , leurs diagnoſtics ,
leurs prognoſtics , ſymptômes & accidens
gul furviennent , felon les differens indi-
-vidus & les diverſes fufons , il en donne
enfuite le traitement , & toujours d'après
les Auteurs cités . Un jeune Médecin qui
fe dévoue à la pratique , trouvera d'excellentes
vues dans cet Ouvrage .
Cours élémentaire des accouchemens , dif
tribué en quarante leçons ; avec l'expofition
fommaire de la matière qu'on
doit expliquer dans chacune d'elles
rédigé pour l'inftruction des élèves
par ordre des Etats du pays & Comté
d'Hainault. A Mons, chez Henri Hoyois ,
Imprimeur Libraire ; & à Paris , chez
Didot le jeune , quai des Auguftins ;
prix , 2 liv. broché.
Depuis quelque temps le Gouvernement
a jeté les vues fur l'art des accouchemens
on fait combien il périt journellement
de mères & d'enfans par l'impéritie
des fages- femmes de la campagne
; ce qui prive l'état d'une infinité
de fujers. On ne peut donc aflez publier
d'inftructions fur un objet de cette importance
; mais les inftructions doivent en
96 MERCURE DE FRANCE.
même temps être rédigées de façon qu'elles
' puiffent être entendues des efprits même
les plus bouchés : c'est uniquement le but
que l'Auteur anonyme de cet Ouvrage
s'eft propofé en le publiant. Tout ce qui
concerne l'art des accouchemens y eft
détaillé avec jufteffe , précifion & clarté ;
il mérite de figurer à côté des excellens
Ouvrages manuels qui ont paru en France
depuis quelque temps.
Article fur l'Opéra . Extrait du 17. Vol.
du Journal Littéraire de Berlin , à Berlin;
& à Paris, chez Lacombe , Librai
re , rue Chriftine, 6 Volumes in- 12 par
année.
Nous tranferivons d'autant plus volon⚫
tiers cet article en particulier , qu'en faifant
connoître de plus en plus le mérite
du Journal d'après lequel nous le copions ,
il nous paroît très - propre à donner au
Public les idées les plus juftes fur un
Spectacle dont il a la gloire & le fuccès
à coeur. Il s'agit de l'Opéra ; mais les
Auteurs du Journal de Berlin , on traduit
eux-mêmes cet article , de la Théorie des
Beaux Arts , du célèbre M. de Sulzer.
» Il ne règne dans ce Spectacle extraordinaire
FÉVRIER . 1776. 97
dinaire , auquel les Italiens ont donné
le nom d'Opéra , un tel mélange de
grandeur & de petiteffe , de beauté & de
fadeur, que je ne fais ni comment en par
ler , ni ce que j'en dois dire. On voit &
on entend dans le meilleur Opéra , tant
de chofes infipides & puériles , qu'on diroit
qu'elles n'y font placées que pour
amufer des enfans , ou pour étonner une
populace frivole ; cependant, au milieu de
ces mifères , qui par toutes fortes d'endroits
révoltent le bon goût , fe trouvent
des chofes qui pénètrent le coeur , font
goûter à l'efprit les charmes de la volupté
la plus delicioufe , le comblent de la compaffion
la pas tendre , ou le rempliffent
de terreur & d'étonnement . Une fcène
qui nous ravit & qui nous intéreffe trèsvivement
, eft fouvent fuivie d'une autre
où les mêmes perfonnages ne nous paroiffent
plus que de vils Jongleurs , qui
abufent de la magnificence du Spectacle.
D'un côté , choqué de ces abfurdi : és
* Le vrai nom en Italien eft Operaper muſica,
Ouvrage pour être mis en mulique ; enfuite ,
pour abréger , on a dit Opera tout court , & ce
nom eft paflé aux Etrangers. (Note du Journa ;
lifte).
E
1
MERCURE DE FRANCE.
qui fe rencontrent fi fouvent dans l'Opéra
, on perd le courage d'approfondir ce
fujet d'un autre côté , fe rappelant ces
fcènes raviffantes , qui nous affectent fi
vivement , on voudroit voir toutes les
perfonnes de goût fe réunir pour donner
à ce grand Spectacle le degré de perfection
, dont il eft fufceptible. Il faut que
je répette ici ce que j'ai dit ailleurs . *
و د
»
» De tous les beaux Arts , l'Art Dra
matique eft le plus important ; il n'y a
» aucune eſpèce d'énergie qui n'ait lieu
» dans l'exécution d'une pièce Dramati-
» que fa compofition renferme tout ce
que la Poëfie a de plus féduifant , & la
bonne exécution y ajoute ce qu'il y a
» de plus fort dans les geftes , dans les
» mouvemens , dans les caractères &
» les tons de voix . Aucune autre production
de l'Art ne réunit tant d'avantages
. Parmi les différentes efpèces d'ou-
›› vrages Dramatiques , celui qu'on
» nomme l'Opéra eft très fupérieur aux
» autres , vu que tous les beaux Arts fans
exception , s'y trouvent réunis . Si tous
* Dans le Traitéfur l'énergie , contenu dans les
Mém. de l'Acad. Royale des Sciences & Belles
Lettres de Berlin. Année 1765.
FÉVRIER . 1776. 99
» ceux qui concourent à rendre ce Spec-
» tacle brillant , Poëtes , Muficiens . Ac-
» teurs , Danfeurs Décorateurs , joi-
» gnoient au caractère de grands Antiftes
» les lumières de la Philofophie , & qu'ils
» fuffent bien unis dans leurs vues ; ce
Spectacle entre les mains d'un Légifla-
» teur Philofophe , deviendroit infiniment
important mais ce même Spectacle
»prouve, de la manière la plus frappante ,
» combien les modernes font éloignés
» d'en avoir la moindre idée . Telie eft
» la frivolité de notre fiècle , qu'on a fçu
» avilir tous les Arts dans un genre , qui
» feul pouvoit les anoblir tous » .
"
Mais comme je ne peux me réfoudre à
paffer l'Opéra tout-à fait fous filence , il
me paroît que ce que je puis faire de
mieux , c'eft d'indiquer d'abor d ce qu'à
mes yeux ce Spectacle renferme de contrai
re au bon goût , & d'expofer enfuite mes
idées , fur le moyen de le perfectionner.
La Poëfie , la Mufique , la Danſe , la
peinture , l'Architecture fe réuniflent pour
former l'Opéra. Afin d'éviter la confufion,
confidérons féparément le rôle qu'y joue
chacun de ces Arts.
La Poëfie eft le fondement de l'Ouvrage
, c'est elle qui fournit le Drame:
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
En Italie , où l'Opéra a pris naiffance ,
on en puifoit anciennement les fujets dans
le monde fabuleux. L'ancienne Mythologie
, l'Empire des Fées & des enchantemens,
& enfuite les tems fabuleux de la chevalerie
, fourniffoient le fond & les per
fonnages de l'Opéra . De nos jours les
Amateurs d'Opéra n'ont pas entièrement
rejeté ces fujets , cependant ils en pren
nentfouvent dans l'hiftoire de femblables à
ceux de la Tragédie : ainfi les uns & les
autres travaillent fur le même fondles
uns & les autres nous mettent devant
les yeux une grande action de courte
durée , remarquable par le choc des paffions
& par la péripétie : mais dans la
façon dont ils manient leur fujet , on diroit
que les Poëtes Lyriques fe font fait
une loi d'abandonner tout- à- fait le chemin
de la Nature. Leur maxime eft de
faire enforte , que par les fréquens changemens
de fcène , par la magnificence des
décorations , par la variété & la force des
objets , l'oeil foit dans une furprife
continuelle. N'importe que cela foit aufli
peu naturel , qu'il eft poffible , pourvu
que le Spectateur foit conftamment frappar
des objets nouveaux & éblouiffans.
Il faut , de quelque manière que cela foir
pé
FEVRIER . 1776.
amené , qu'il ait toujours devant lui dés
combats , des triomphes , des orages , des
naufrages , des fantômes , des bêtes féroces
, & d'autres objets de cette nature,
On peut facilement fe faire une idée
de la peine & des efforts qu'il en doit
coûter au Poëte , pour plier fon fujet à
cet ufage. Combien de fois n'eft - il pas
obligé de facrifier à la fatisfaction de l'oeil ,
le principe de l'action tragique , le déve
loppement des grands caractères & des
paffions ? C'eft pourquoi l'on rencontre fi
fouvent dans le plan du meilleur Opéra ,
des chofes contre nature , forcées & ridicules
. C'eft là le premier inconvénient
auquel la coutume affujettit les meilleurs
Poëtes en ce genre : encore fi c'étoit le
féu!!
Viennent enfuite les prétentions des
Chanteurs. Dans chaque Opéra le meilleur
Chanteur doit chanter le plus fouvent
qu'il eft poffible ; mais il faut auffi
que les médiocres & les plus mauvais
inême, qui font attachés à ce Spectacle
& payés , chantent au moins un grand air.
Les deux premières voix & notamment
le premier Chanteur & la première Chanteufe
, doivent néceffairement chanter enfemble
une ou plufieurs fois. Il faut par-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
conféquent que le Poëte place dans fon
Poëme des duo , fouvent des trio , des
quatuor , ainfi du refte . Outre cela les premiers
Chanteurs veulent montrer en particulier
tout leur talent , dans le genre où
ils réuffiffent le mieux ; celui- ci dans un
tendre adagio , celui - là dans un allegro
plein de feu : ainfi , il faut que le Poëte
falle fes airs de façon que chaque Ac-,
teur puiffe briller dans fon genre.
Onpeut à peine concevoir les différen
tes abfurdités qui en réfuttent . Que la
nature de la Pièce le permette ou non , il
faut nécellairement qu'une ou deux Chanteufes
ayent les principaux rôles. Si le Poëte
ne peut trouver d'autre expédient , il a
recours aux intrigues amoureufes , lors
même que fon fujet les exclut tout à fait.
Pour que deux Chanteufes euffent occafion
de fe faire entendre , il a fallu , dans
un Opéra dont la fcène eft à Utique , &
qui aboutit à la mort de Caton , qu'en.
dépit de la nature & du bon fens , le
meilleur Poëte Lyrique Metaftafio , introduisît
deux femmes , la veuve de Pompée ,
& Marcie , fille de Caton ; il a fallu que
celle ci fût amante de Céfar , & aimée
d'un Prince Numide. Il n'eft pas néceffaire
d'être accoutumé à réfléchir , pour
FÉVRIER. 1776. 103
il
fentir qu'une intrigue amoureufe eft révoltante
dans un fujet auffi lugubre.
De plus , pour que tous les Chanteurs
puiffent faire parade de leurs talents ,
faut fouvent leur faire chanter des chofes
que nul être raiſonnable ne s'aviferoit de
chanter , même en rêve ; de froides , ou
de graves réflexions , par exemple , ou
des maximes communes . Et quel feroit
l'homme fenfé , qui fongeroit à mettre
en chant une maxime comme celle- ci : un
vieux Militaire expérimenté , ne combat
pas en aveugle , mais réprime fon courage
jufqu'à ce qu'il trouve l'occafion favorable
; ou cette froide allégorie fur
les vertus que produit le malheur : c'eft
que le fep pouffe mieux lorfqu'il a été
taillé , & que les gommes les plus parfaites
fortent des arbres bleffés? On trouve
des détails auffi puériles dans prefque
tous les Opéra. Il y en a peu , où un perfonnage
fort preffé ne s'arrête ridiculement
pendant qu'on joue une ritournelle
traînante & grave , & après avoir touffé ,
* Voyez l'Adrien de Métaſtaſe , acte 2 , ſc. 5 ,
Saggioguerriero antico , &c
Adrien , acte 3 , fc . 2 , Piu bella al tempo ufate.
( Ces deux notes font de l'Auteur ) .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
pe chante un air dont il répette chaque
mot jufqu'à fix fois , & même davantage ;
air , qui fait entièrement oublier la fitua
tion du perfonnage . Pourroit- on jamais
s'écrier , à plus jufte titre , avec Horace ;
Spectatum admiffi rifum teneatis amici !
Ajoutez à cela qu'on ramène conftamment
les mêmes fujets . Celui qui a vu un ou
deux Opéra , a vu plufieurs fcènes de cent
auttes. Deux tendres Amants dont l'un
fera prifonnier & en danger de perdre
a vie , gémiffent enfemble ; & leurs trif
tes adieux fe font par un duo , ou par
quelque chofe de femblable , dans prefque
tous les Opéra.
Les abfurdités qui réfultent de la Mufique
ne font pas moindres . La Mufique
par fa nature eft & ne peut être que l'expreffion
des paffions , ou la peinture des
fentimens. Mais ni les Compofiteurs , niles
Chanteurs , ni l'Orcheſtre ne feroient
fatisfaits , fi l'on donnoit à cet Art , dans
l'Opéra , des limites fi étroites , & fi on
le bornoit à fon unique but. Ils font comme
les Bateleurs qui , pour étonner le
Peuple , fe fervent des mains pour marcher,
& des pieds pour porter des épées . Il
y a peu d'Opéra , où le Compofiteur ne
faffe fon poffible pour fe plier au goût du
FÉVRIER . 1776 , 105
Décorateur. Sa Mufique imite tantôt le
tonnerre & l'éclair , tantôt le bruit des
vents , tantôt le murmure des ruiffeaux , le
cliquetis des armes , le vol des oifeaux ,
ou d'autres chofes feniblables , qui n'one
aucun rapport avec les fenfations que le
cour devroit éprouver . C'eft fans doute ,
ce goût corrompu des Compofiteurs ,
qui a engagé les Poëtes à adopter la
coutame ridicule de remplir leurs aits de
comparaifons tirées de vaiffeaux , de lions ,
de tigres , & d'autres belles idées femblables,
Outre cela , le Compofiteur , l'Actear
& l'Orchestre , ont toujours le defir
puérile d'exécuter avec art des chofes
difficiles. L'Acteur voudroit faire parade
de la faculté qu'il a de chanter longtems
fans reprendre haleine , d'élever ou
de baiffer fa voix juſqu'à un point furprenant
; il voudroit faire admirer la flexi
bilité & l'agilité incompréhensible de
fon gofier , dans un paffage brillant , ou
dans un faut plein de force : il faut que
le Compofiteur lui en fourniffe les occafions.
De -là cette foule de paffages , de
roulades , de cadences , qui , fouvent dans
les airs les plus intéreflans , étouffent
entièrement toutes les fenfations que nous
devrions éprouver ; c'eft comme fi l'on
E v
105 MERCURE DE FRANCE.
>
verfoit de l'eau fur des charbons ardens :
deli , ces infoutenables ornemens , par
lefquels le ton le plus propre à faire
impresion fe trouve fi fort enveloppé
dans une foule d'autres tons plus recherch's
, qu'à peine on peut le démêler .
Celui qui n'a que du goût & du fentiment
, eft ouré d'entendre un Chanteur
, qui ayant commencé à exprimer fur
le ton le plus touchant une fituation
trifte & douleureufe , fe donne tout d'un
coup l'effor, & exécute des chofes extraor
dinaires. On fe fent d'abord pénétrer
d'une tendre pitié pour fa fituation ; mais
à peine on commence à partager avec
lui ce doux fentiment , qu'on voit ce
Chanteur changé en Charlatan , qui ne
fent point ce qu'il nous infinuoit , & qui
n'eft occupé qu'à faire parade de la foupletfe
de fon gofier ; on feroit tenté de le
chafer à coups de pierres , pour le punir
de penfer que nous avons le goût affez
dépravé pour prendre plaifir à de pareilles
pauvretés.
Entin , dans plufieurs Opéra , il faut la
plupart du tems effuyer l'ennui d'entendre
des airs qui n'ont pas l'ombre du
fentiment , & dont le texte ne fignifie
rien , car dans chaque , ou peu s'en faut ,
FÉVRIE R. 1776. 107
il doit y avoir un air. Si le Drame ne
contenoit abfolument rien qui fût propre
à nous émouvoir , il faudroit que le
Poëte pour fujet des airs prêt des ordres ,
des projets , des obfervations , ou des juftifications
, & le Compofiteur feroit forcé
à faire fur fes paroles une Mufique qui
ne pourroit que procurer aux Auditeurs
un ennui infupportable ; ou ce qui pis eft
encore , une Mufique qui rappelleroit
l'idée d'une danfe badine , au milieu d'une
Pièce férieufe. Car la Mufique faite fur
des paroles qui ne fignifient rien , eſt aſſez
généralement fur le ton & la mefure du
Menuet des Polonoifes , ou de quelqu'autre
danſe.
A tous ces inconvéniens fe joint encore
l'uniformité fomnifère de la conftruction
des airs : c'eft d'abord la ritournelle ;
enfuite le Chanteur exécute une partie
de l'air ; après il s'arrête pour que les
inftrumeus puiffent faire entendre leur
vacarme ; il recommence à nouveaux frais
& nous répette la même chofe fur un
ron diffèrent ; c'est alors qu'il nous étale
fes talens pour les paffages , les roulades
& les cadences. On croiroit la dignité
d'un Opéra bleffée , fi la même , où la
fituation rendroit la chofe très naturelle .
Evi
108 , MERCURE DE FRANCE.
on admettoit un air touchant ou gai
fans divifions , fans répétitions , & fans
la broderie de l'Art. Indubitablement le
Chanteur qu'on en chargeroit fe croireit
avili ; & l'infenfé ne penferoit pas , que
le plus grand mérite de fon Art eſt de
pouvoir faire une vive impreffion avec
l'air le plus fimple.....
20
Pour que peifonne , continue M. de
Sulzer , ne m'accufe de dire tant de mal
de l'Opéra par humeur , & d'exagérer les
chofes , je rapporterai ici le jugement
d'un homme , à coup fur impartial fur cet
article ; c'eſt le Comte Algarotti, il commence
fon Effai Jur l'Opéra par ces réflexions
: De tous les Spectacles inven-
» tés pour l'amufement des honnêtesgens
, il n'en eft peut être point de plus
» ingénieux , ni de plus parfait que l'O-
» péra , rien de ce qui pouvoit mener à
» la fin qu'on fe propofoit en l'imaginant,,
» n'y a été oublié . Tout ce que la Poë-
» fie , la Mufione , la Déclamation , la
» Danfe , la Peinture , ont de plus at-
" trayant , s'y réuniflent pour flatter les
fens , pour charmer le coeur , & pour
enchanter l'efprit par de douces illufions.
Mais par malheur, il en eſt de
P'Opéra , comme des inftrumens de
"
FÉVRIER. 1776. 109
"
n
"
méchanique , qui à mesure qu'ils font ,
plus compofés , font aufli plus fujets à.
fe détraquer ; & il n'y auroit pas de
quoi s'étonner qu'une machine aufli
» ingénieufe & auffi compliquée , man-,
quât quelquefois fon effet , quand mê-
» me ceux qui la dirigent mettroient tous
» leurs fons & toute leur étude à en
» lier , & en combiner exactement les
» differentes parties . Mais ces arbitres
» de nos plaifirs font aujourd hui bien
""
éloignés de prendre les peines qu'exige
» l'arrangement d'un bon Opéra . Ils ne
» font qu'une attention très - médiocre au
» choix du fujet . Ils en font encore moins
» à l'accord de la Mufique avec les pa-
» roles , & aucune à la vérité du chant &
» du récit , à la liaifon des danfes avec
"
l'action , à la convenance des décora-
» tions. Ceci confidéré , & en y ajoutant
≫.combien nos Théatres pèchent par la
» construction , il ne fera pas difficile de.
comprendre pourquoi un Spectacle , qui
», devroit naturellement être le plus agréa
ble de tous , devient fi infipide & fien-
» nuyeux. Il ne faut l'attribuer qu'au peu
» d'union qui règne entre les différen-
» Les parties qui le compofent ; par- là
il ne tefte aucune ombre d'imitation;
»
+
110 MERCURE DE FRANCE.
l'illufion , qui ne peut naître que de
» l'accord parfait de ces mêmes parties ,
» s'évanouit. L'Opéra , ce chef d'oeuvre
» de l'efrit humain , fe change en une
19
compofition languiffante , découfue ,
» fans vraiſemblance , monftrueule , grotefque
, digne en un mot des épithetes
injurieufes qu'on lui donne , & de la
» cenfure de ceux , qui , avec raifon ,
regardent le plaifir comme une choſe
très importante » .
מ
C'est ainsi qu'un Italien , qui a fort à
coeur l'honneur de fa Patrie , jage d'une
invention due à l'Italie , qui en a retiré
beaucoup de gloire .
Voilà , continuent les Auteurs du Journal
de Berlin , les défauts que notre judicieux
Auteur trouve à l'Opéra , tel qu'il
eft ; & les moyens d'y remédier , il ne les
oublie pas . Les Auteurs les rapportent dans
le volume fuivant de leur Journal,
*
Obfervations fur les pertes de fang des
femmes en couches , & fur les moyens
de les guérir ; par M. le Roux , Maître
en Chirurgie de l'Hôpital G néral de
la même ville ; 1 vol . in 8° A Dijon ,
chez Frantin; & à Paris , chez Didot
FEVRIER. 1776.
le jeune , Libr. quai des Auguftins ,
1776.
le
La
perte de fang
exceffive
qui arrive
aux femmes
, immédiatement
après
l'accouchement
à terme
, eft un accident
d'autant
plus tertible
& effrayant
, que
quelquefois
l'Accoucheur
ne peut le prévoir
; les Auteurs
ont propofé
différens
moyens
pour remédier
à ce fâcheux
accident
; mais
tous ces moyens
n'ont
n'ont pas
même
degré
d'efficacité
. Il en propofe
dans
cet Ouvrage
un autre
qui eft fort
fimple
, qui a été employé
autrefois
par
les Anciens
pour
les hémorrhagies
uté
rines
, & qui , fuivant
M. le Roux
, a
été prefque
abandonné
par les Modernes
:
il confifte
à oppofer
une digue
à l'écoulement
du fang , par le fecours
de plufieurs
lambeaux
de linges
ou d'étoupes
imbibés
de
vinaigre
pur ,
dont on
remplit
le vagin
, & qu'on
introduit
même
quelquefois
jufqu'à
la matrice
,
lorfque
la circonftance
l'exige
; un pareil
remède
n'exige
pas une longue
préparation
: il fe trouve
fans
peine
dans
la
cabane
du pauvre
, comme
dans le palais
des Grands
; mais il n'eft pas à beaucoup
près.fi
négligé
que l'Auteur
le prétend
,
1,12 MERCURE DE FRANCE.
ن ا
Y a même des Provinces où an est
dans l'ufage de fe fervir par préférence
de linges teints en bieu , ou de la mouffe
de Chine ; cependant on doit toujours
favoir gré à M. le Roux d'étendre la
connoiffance d'un remède aufli efficace .
Les obfervations qu'il rapporte dans fon
Ouvrage , & qui font au nombre de plus,
decent , font très - bien rédigées , avec clarté
& précision elles méritent d'être confultées.
Inftitutions desfourds & muets par la voie
des fignes méthodiques ; Ouvrage qui
contient le projet d'une langue univerfelle
par Ventremife des fignes naturels
affujettis à une méthode . A Paris
, chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
Saint-Jean de Beauvais ; i vol . in 12.
prix 2 1. 10 f. rel.
·
L'Auteur de cet Ouvrage eft M. l'Abbé
Lépée , connu par fon cours gratuit d'inf
titutions des fourds & muets , ouver
toute l'année à deux jours de leçons par
femaine . Sa méthode eft fimple , ingé
nieufe , & les effets qui en ont réfuité
ont paru i prodigieux , que plufieurs,
Souverains étrangers ne croyant pas pou
FÉVRIER. 1776. 117
voir s'en rapporter à la voix publique
n'ont pas dédaigné d'affifter à fes leçons.
On trouve dans l'Ouvrage que nous an
nonçons le précis de cette méthode ; l'Au
teur la compare à celle de M. Peyrere ,
Portugais , le plus célèbre de tous ceux
qui ayent entrepris d'apprendre aux fourds,
& aux muets à converfer par écrit &
même à parler ; il fe fervoit d'un alphabet
manuel , ou, pour mieux dire , de
fignes qu'il faifoit avec la main , & dont
il compofoit un alphabet , Pour pouvoir
bien juger de la méthode de M. Lépée ,
il faut la lire dans le Traité même : nous
invitons nos Lecteurs à y recourir.
Mémoire pour fervir au traitement d'une
fièvre épidémique , fait & imprimé par
ordre du Gouvernement ; par M. Ma
ret , Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Montpellier , Aggrégé an
Collége des Médecins de Dijon , Aggrégé
honoraire du Collège Royal de
Médecine de Nancy , &c A Dijon ,
chez Frantin , Imprimeur du Roi ; &
à Paris , chez Didot le jeune , qual des
Auguftios .
La fièvre épidémique que M. Maret
114 MERCURE DE FRANCE.
a obfervée à Dijon en 1761 , fait le fujer
de ce Mémoire . Comme cette maladie
paroît avoir beaucoup de reffemblance
avec celles qui dévaftent depuis longtemps
plufieurs Provinces , le Gouver
nement a penfé qu'un précis méthodique
de cette obfervation pourroit rendre plus
fûr le traitement des maladies de cette
efpèce c'est donc par fes ordres que
M. Maret le publie aujourd'hui .
Toutes celles qui règnent épidémi
quement ne fe reffemblent point , & il
en eft dont le caractère eft fi oppofé
qu'elles exigent un traitement abfolument
différent ; elles font ou inflammatoires
ou putrides ; la combinaifon de
ces deux caractères génériques & l'inten
fité du caractère dominant , diftinguent
les espèces : mais la plupart de celles qui
règnent dans les campagnes , appartiennent
au fecond genre ; elles reconnoiffent
presque toujours pour caufes prochaines
la putridité des premières voies ,
à laquelle fuccède une putridité de la
male humorale plus ou moins exaltée ,
faivant les circonftances & les difpofitions
des fujets. L'hiftoire de celles dont
il eft fair mention dans ce Mémoire , &
l'expofition du traitement qui lui conFÉVRIER.
1776. 115
vient , pourront diriger dans celui des
épidémies putrides ; M. Buc'hoz , dans
fon Mauuel médical & ufuel des plantes ,
Tome II , article fièvre putride , rapporte
plufieurs obfervations qu'il a faites , de
même que celles de M. Marquet , Médecin
Lorrain , fur ces fortes de fièvres
putrides , qui font fi communes dans la
Lorraine ; le traitement qui y eft indiqué
a toujours eu des fuccès dans cette Province
; il eft à peu près le même que
celui de M. Maret . Les uns & les autres
recommandent prefque toujours un vomitif
au commencement de ces fortes
de maladies ; au furplus , rien n'eſt plus
méthodique que le traitement de M.
Maret. L'hiftoire qu'il donne de la maladie
, eft très - détaillée : il en décrit avec
exactitude la marche dans chacun des
périodes que cette maladie parcourt , &
ce qui facilitera d'autant plus un jeune
Praticien , c'est que cette hiftoire fel
trouve écrite fur une colonne , & l'expofition
du traitement fur une autre colonne
parallèle ; par ce moyen , le traitement
qui convient à chaque période fe
trouve rapproché des accidens qui le
rendent néceffaire . On ne peut affez
louer M. Maret , dont le zèle patriotique
116 MERCURE DE FRANCE.
& fon amour pour les femblables font
univerfellement connus ; il feroit à defi-,
rer qu'il fe trouvât dans chaque Province
des Médecins auffi éclairés , qui vouluſ
fent fe donner la peine de décrire les
épidémies qui y règnent ; on parvien
droit un jour à pouvoir publier l'hiſtoire,
des différentes épidémies de la France ;
c'est le projet de M. Buc'hoz , dont nous
avons déjà fait mention l'année der
nière.
Second Mémoire.inftructif fur l'exécution,
du plan adopté par le Roi pour parvenir
à détruire entièrement la maladie,
qui s'eft répandue fur les beftiaux dans
les Provinces méridionales de la France
, publié en Novembre 1775. A
Paris , de l'Imprimerie Royale.
Sa Majefté , toujours occupée du bien
de fes Peuples & à les foulager , tolère
pendant cet hiver , dans l'intérieur du
pays dévasté par la maladie épizootique ,
le traitement des animaux attaqués. Elle
veut & entend qu'on ne néglige rien pour;
perfectionner les méthodes curatives &
pour fauver le plus grand nombre des animaux
poffibles , puifque la circonstance
FÉVRIER. 1776 117
le permer ; elle indique en conféquence
toutes les précautions qu'il conviendra
de prendre dans ce cas .
Réflexionsfur les dangers des exhumations
précipitées , &fur les abus des inhumations
dans les Eglifes , fuivies d'obfer.
vations fur les plantations d'arbres da s
les cimetières ; par M. Pierre Toufla
Navier , Docteur en Médecine , Confeiller
Médecin du Roi pour les ma
ladies épidémiques dans la Province
de Champagne. A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez B. Morin , Imprimeur
Libraire , rue Saint-Jacques ,
à la Vérité. 1775.
L'Auteur de ces réflexions n'a pû voir
fans frayeur les dangers auxquels le font
trouvés expolés les Concitoyens dans des
exhumations précipitées , & par la multiplicité
des inhumations dans les Eglifes.
14 s'eft appliqué à démontrer l'abus de
ces ufages , & à donner les moyens d'en
prévenir les fuites & d'en corriger les
foneftes effets. Les accidens fâcheux &
fans nombre qui fe font paffés fous fes
yeux , joints à ceux dont les écrits publics
ont fait mention dans différens temps ,
118 MERCURE DE FRANCE.
ont fait accélérer à l'Auteur un travail
auli important : il étoit de la dernière
importance de remonter à l'origine & aux
époques des inhumations dans les Eglifes ,
de démontrer qu'elles s'étoient établies
par l'ambition & accréditées par la cupidité
, de préfenter un tableau des malheurs
qu'elles enfantent tous les jours ;
enfin d'indiquer des moyens de remédier
à la contagion inévitable qui en réfulte :
ce font autant d'objets que l'Auteur a
développés avec foin , en appuyant ferupuleufement
fes raifonnemens de preuves
démonftratives. Cette brochure eft une
nouvelle preuve que M. Navier donne
de fon zèle & de fon attachement pour
fes compatriotes .
Defcription & ufage d'un cabinet de phyfique
expérimentale; par M. Sigaud de
la Fond , de plufieurs Académies . A
Paris chez Gueffier , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe . Deux volumes
in-8°.
C'eft à la phyfique expérimentale que
les différentes fciences naturelles doivent
aujourd'hui une grande partie de l'éclat
qui les diftingue. L'étude de cette partie
FÉVRIER . 1776. 119
de la philofophie la plus intéreffante &
la plus utile , entre aujourd'hui dans l'ordre
des connoiffances qui font renfermées
dans tout plan de bonne éducation . Les
richeffes de la création forment le plus
beau de tous les fpectacles. Quelle magnificence
, quelle profufion le Maître de
l'univers n'a-t -il pas répandues dans tous
fes Ouvrages ! Quelle eft l'ame affez infenfible
pour n'être pas tranfportée d'admiration
à la vue de toutes les merveilles
dont nous fommes inveftis de toutes parts?
Mais doit- on fe borner à les contempler
fans chercher à les approfondir pour en
mieux connoître la deftination & l'uſage ?
Ce feroic en quelque forte avilir l'efprit
humain & méconnoître les bienfaits du
Créateur que de réduire tous fes devoirs
à une admiration muette & ftupide.
L'étude des ouvrages de la nature a le
double avantage de nous conduire à Dieu,
de nous pénétrer d'amour & de reconnoitfance
pour l'auteur de tant de merveilles ,
& d'orner notre efprit des connoiffances
les plus fatisfaifantes & les plus utiles .
Cette étude roule fur deux points qu'il
ne faut pas confondre , l'expérience proprement
dite & l'obfervation : celle- ci
difent les Philofophes , moins recherchée
120 MERCURE DE FRANCE .
& moins fubtile , fe borne aux faits qu'elle
a fous les yeux , ne cherche qu'à bien voit
& à détailler les phénomènes de toute
efpèce que le fpectacle de la nature préfente.
Celle- là , au contraire , employe
tous les moyens pour dérober à la nature
ce qu'elle cache , à créer , en quelque manière
, par la différente combinaiſon des
corps , de nouveaux phénomènes pour
les détruire : enfin elle ne fe borne pas à
l'écouter , mais elle l'interroge & la preffe.
C'eft ainfi qu'on cherche à la forcer jufques
dans fes derniers retranchemens.
Mais il faut pour cela renoncer à toutè ,
prévention particulière & abjurer cet efprit
de fyftêmé qui ne nous fait voit les chofes
que d'un certain biais , & nous empêche
de les voir de tout autre . Se livrer à cet
efprit qui a fi long- temps retardé le progrès
des fciences , c'eft , comme le dit
bien l'Auteur de l'Ouvrage que nous
annonçons , fe mettre fur les yeux ná
verre teint d'une couleur particulière ,
fans s'embarraffer fi ce verre altérera ces
objets , ou s'il les ternira . Un Auteur fyftématique
ne voit plus la nature , ne voit
que fon Ouvrage propre. Tout ce qui n'eft
pas abfolument contraire à fon fyftême le
confirme. Les phénomènes qui lui font le
plus
FÉVRIE R. 1776. 121
plus oppofés, ne font que quelques excep
tions. Ceux qui le lifent , font enchantés
d'acquérir tant de fcience à fi peu de frais ,
& joignent leur intérêt au fien . Auffi tout
efprit fyftématique refufe-t-il d'entendre
tout argument contraire à fon opinion .
Or , rien n'eft plus néceffaire au progrès
des fciences que d'abjurer cet efprit ,
& de fecouer le joug de toute autorité.
Ce font ces deux écueils qu'il faut néceſfairement
franchir , avant d'entreprendre
de bien faire des expériences fans lefquelles
on ne fait nul progrès dans l'étude de
la nature.
on
L'Ouvrage que nous annonçons , en
mettant de côté toutes les théories phyfiques
, ne préfente à fes Lecteurs que des
inftrumens & des expériences . Mais pour
leur rendre en même temps le fervice do
ces inftrumens commode & familier ,
leur indique la manière de s'en fervir
les précautions qu'il convient de prendre
en quantité de circonftances , pour que
le fuccès foit affuré & conftant . On les
metfur la voie des travaux qu'ils peuvent
fuivre , en leur indiquant ce qui a déjà
été fait & ce qui reste encore à faire ,
pour hâter le progrès des fciences. L'Aubeur
, déjà connu par plufieurs bone
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrages n'a rien omis dans celui-ci ,
Il expofe avec foin , dans chaque branche
de divifion , l'état de la queftion qui
eft propofée , les difficultés qu'elle préfente
, les appareils dont on peut faire
ufage pour remplir cet objet . La defcription
de chaque appareil eft roujours
fuivie de la manière d'en faire
ufage , ou de la manière de faire l'expérience
; vient enfuite la conclufion qui
fuit naturellement de cette expérience.
Les obfervations judicieufes de l'Auteur
font le fruit de la grande habitude qu'il a
acquife à manier des machines & à étudier
les inftrumens qu'on rencontre dans
le fervice de plufieurs . On trouve dans
cet Ouvrage un article intéreffant fur l'air
fixe & fur l'air principe . Cette matière
encore neuve en phyfique , exigeoit en
effet une expofition qui pût mettre le
Phyficien au fait de la queftion , & fur la
voie des recherches qu'il doit faire à ce
fujer. On y a joint tout ce qui concerne
l'air , relativement à la refpiration des
animaux , & tout ce qui a rapport à la
théorie du feu qu'on a abandonnée jufqu'ici
aux recherches & aux ſpéculations
des Chymiftes. Enfin on doit regarder
acet Ouvrage comme neuf en fon genre,
FÉVRIER . 1776 .
123
& comme abfolument néceffaire à tous
ceux qui veulent connoître un peu en détail
la phyfique expérimentale & les procédés
qu'elle employe.
Les vues fimples d'un bon homme . A Paris ,
chez Baftien , Libraire , rue du Petit-
Lyon.
La première vue a pour objet la marière
importante de l'adminiſtration des
blés. Le bon homme qui prétend n'être
ni publicifte , ni economifte , ni fullifte ,
ni colbertiſte , n'en fait pas moins l'analyfe
des caufes auxquelles on attribue le
furhauffement des blés. La première
felon lui , provient de la diminution de
l'efpèce opérée depuis quelques années
par l'inclémence des faifons . On s'eft
plaint affez généralement dans le Royaume
de n'avoir eu que des récoltes médiocres
. Or , quelque habile que foit un Gouvernement
, il ne peut ni difpofer des
faifons , ni changer la nature des terres.
Les approvifionnemens auxquels on a eu
recours , ont été auffi onéreux à l'Etat ,
qu'avantageux aux prépofés qui ont été
les feuls gagnans . Pour corriger cette
inclémence des faifons , les hommes ne
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
viennent qu'en fous ordre , & ne peuvent
qu'invoquer les bienfaits de la nature &
réunir les lumières des plus habiles politiques
& des meilleurs Commerçans ,
pour difcerner le plan d'adminiftration
qui fera fujet à moins d'inconvéniens.
La feconde caufe efficiente de la cherté
de l'espèce , eft l'augmentation du prix des .
baux qui ont prefque doublé depuis 1720.
Un Fermier qui a un furcroît d'impofitions
en tout genre, &(qui achette au double
ce qui lui eft néceffaire pour faire
valoir fa terre, peut- il vendre le blé à bon
marché , lorfque le prix eft confidérablement
augmenté? La chofe eft impoffible.
Le Fermier eft forcé de vendre fon blé à
proportion du prix du bail. Voilà une feconde
caufe du furhauffement du prix des
denrées que les propriétaires cherchent en
vain à diffimuler . Le bon homme affigne
pour troisième caufe , l'augmentation dans
le rombre des Confommateurs . Il affirme
qu'il eft né dans le Royaume , depuis la
dernière paix , plus d'un million de Sujets
qui fe nourriffent journellement de pain
& qui diminuent l'efpèce . D'après cette
fuppofition , la dépenfe a augmenté d'un
vingtième , & conféquemment le prix a
dû s'élever en proportion . Ceux qui fouFEVRIER
. 1776. 125
tiennent qu'il y a un dépériffement dans
l'efpèce humaine , en comparant le nombre
des anciens habitans de notre globe ,
avec la quantité de ceux qu'il porte au
jourd'hui , n'admettront pas aifément ce
nouveau calcul . Le furhauffement du blé
a encore trouvé une caufe dans l'aifance
de tous les Fermiers qui récoltent le grain
des Provinces les plus productives , telles .
que l'Ile de France , la Brie , & c . La liberté
qu'ils ont eue d'acheter , d'exploiter
& de vendre à leur volonté , a fait refluer
dans leurs mains un argent comptant immenfe.
Cet argent eft enlevé à la circulation
, & n'eft jamais employé en effets
royaux. Enfin ce qui contribue à maintenir
la cherté des grains , c'eft le prix exceffit
des autres comeftibles , prix occafionné
par celui du blé ; car tout eft dans
une correfpondance relative. L'Auteur
des vues , après avoir infifté fur les différentes
caufes du furhauffement du prix
conclut qu'il eft auffi néceffaire de faciliter
en France une fubfiftance aifée &
abondante , qu'il eft dangereux de l'accumuler
au point de la rendre exceffive.
Il en résulteroit un grand dommage pour
le Seigneur Foncier , le Cultivateur &
l'Etat. En effet le Maître ne feroit pas
2
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
payé de fes fermages , le Fermier mourroit
de faim vis à vis des tas de blé , & le Roi
ne récolteroit pas les impofitions néceffaires
au foutien de fa dignité & au bonheur
de fes peuples. Mais la grande difficulté
eft le jufte emploi de la balance
entre les amas onéreux & le tranfport
immodéré des fubfiftances que fait faire,
à l'étranger l'avidité indiferète du vendeur
, qui , ne fongeant qu'à fon intérêt.
perfonnel , court à l'argent compiant &
fe dépouille totalement de fes grains
fans s'embarraßer de faire chèrement
remplacer aux autres le vuide qu'ilʊpère.
dans la fociété . Il est trèsaifé d'appercevoir
les difficultés & les inconvéniens fur
cette matière. Mais on ne découvre pas
faifément le jufte milieu qu'on doit
garder. Ni les réglemens , ni les fyftêmes
de liberté indéfinie , femblent n'avoir pas
encore fourni les moyens efficaces d'arrê
ter les entreprises de la cupidité toujours
agiflante & induftrieufe. L'Auteur des
vues prétend qu'il faut abandonner l'efprit
de fyftême , & s'en tenir févèrement
à une exacte furveillance dirigée par les
événemens & fubordonnée aux variations
des années plus ou moins abondantes.
Cet Ouvrage , dirigé par un efprit patrio
FÉVRIER . 1776. 127
tique , mérite d'être bien accueilli . On
y trouve des réflexions judicieufes fur la
liberté fans licence , qu'une fage adminiftration
doit protéger. Les Directeurs
des différens fpectacles ne choifiront pas
pour leur Avocat , le bon homme , qui
déploye toute fon éloquence contre les
abus des petites loges , comme s'il n'étoit
pas commode pour les perfonnes fort
Occupées , d'arriver à coup sûr au fpectaele
à l'heure où il commence .
Analyfe des Traités des bienfaits & de la
clémence de Seneque , précédée d'une
vie de ce Philofophe , plus ample que
toutes celles qui ont paru. Volume
in- 12 ; prix , 4 liv . relié en veau &
doré fur tranche. A Paris , chez J.
Barbou , Imprimeur- Libraire , rue des
Mathurins 1776 Ce volume fait le
einquante- neuvième de la collection
des Auteurs Latins , parmi lefquels on
trouve un autre extrait de Seneque ,
intitulé : Selecta Seneca opera.
•
Les recherches que l'Editeur a faites
pour compofer la vie de Seneque , lui
ont prouvé que l'envie , qui eft le fléau
érernet des hommes d'une vertu émi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
nente , a poursuivi conftamment ce Philofophe
depuis fon fiècle jufqu'au nôtre :
il a reconnu que les accufations dont
on l'a chargé , font pour la plupart fauffes ,
injuftes & ridicules. Cet Ouvrage lui
tiendra lieu d'apologie , & fervira à détruire
un préjugé qui ne peut qu'être funefte
à ceux qui en font atteints , en
les privant d'un précieux tréfor d'excellente
morale . L'hiftoire de la vie de Se-.
neque le Philofophe , eft précédée de celle
de Seneque le Rheteur fon père. L'Editeur
s'est étendu fur les Ouvrages de ce
dernier , parce qu'il eft moins connu &
qu'il eft affez ordinaire de le confondre
fouvent avec fon fils.
Les préfens , dit Seneque , me feront
pas fans mérite , quand ils feront faits exclufivement
& pat préférence à tout autre.
Lorfqu'Alexandre , Roi de Macédoine
vainqueur de l'Orient , formoit des projets
plus qu'humains , les Corinthiens lui
envoyèrent des Ambaffadeurs pour le
féliciter de fes conquêtes , & pour lui
offrir le droit de bourgeoisie dans leur
ville. Alexandre ne put s'empêcher de
rire de cet hommage fingulier , lorfqu'un
des Ambaffadeurs lui dit : Prince , nous
n'avonsjamais accordé cet honneur à d'au
FEVRIER. 1776. 129
tres qu'à vous & à Hercule. Alors le conquérant
accepta leur offre & les remercia
affectueufement , en confidérant , non ceux
qui lui offroient cet honneur , mais celui
à qui il avoit déjà été offert.
Il ne faut pas aigrir les bienfaits en y
mêlant du noir & de l'amertume. Quand
même vous auriez quelqu'avis à donner ,
choififlez un moment plus favorable. Fabius
Verrucofus appeloit pain de pierre un
bienfait accordé durement par un homme
rebarbatif.
Alexandre , qui n'avoit que des idées
gigantefques , donna une ville à un particulier.
Celui - ci affez modefte pour refufer
un préfent fi confidérable , remercia
ce Prince , en lui difant qu'un fi beau don
ne convenoit point à un homme comme
lui ; Je ne te demande pas , lui repartie
Alexandre , ce qu'il te convient de recevoir;
mais je confidère ce qu'il me fied de te
donner.
Profpectus d'un Traitéfur la Cavalerie;
L'ouvrage que ce Profpectus annonce
au Militaire , pour le courant du mois de
Mai 1776 , eft un Traité fur la Cavalerie ,
qui réunit tout ce qu'un homme attaché à
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
cefervice , à commencer depuis le fimple
Cavalier , jufqu'au Lieutenant Général ,
doit indifpenfablement favoir , pour être
en état de s'y diftinguer.
C'eft aux grands Capitaines que nous
fommes redevables des progrès fucceffifs
que l'on a faits dans la fcience de la guerre:
conféquemment tout homme qui fe fent
animé du defir de mériter un jour la
confiance du Souverain , qui veut fe rendre
utile à fa Patrie , qui n'eſt pas arrêté
par les difficultés , & qui , après avoir
approfondi une partie de cet art , entrevoit
que c'eft fervir l'Etat , que d'en tranfmettre
la connoiffance à fes concitoyens , ne
doit , pour remplir un objet auffi fatisfai
fant , épargner , ni foins , ni veilles , nj
recherches.
न
Ce font ces confidérations qui ont
engagé M. le Comte de Melfort , Maréchal
de Camp des Armées du Roi , &
Infpecteur Général des Troupes- Légères,
à donner au Public ce que l'expérience &
fes réflexions lui ont fuggéré de plus utile
pour perfectionner la Cavalerie .
Quoique nous ayons fur la Guerre de
très- bons Ouvrages des Anciens , ils ne
peuvent cependant fervir , tout au plus ,
maintenant , qu'à nous faire connoître le
FÉVRIER. 1776. 131
plus ou le moins d'avantages qu'on pour
roit retirer des camps fortifiés , d'une
pofition plus ou moins refpectable , ou
d'un mouvement d'armée fait à propos ,
& dirigé avec plus ou moins d'habilitá
de la part des Généraux.
Mais depuis que l'artillerie s'eft mul
tipliée au point où elle l'eft aujourd'hui ,
depuis que l'Infanterie a quitté la pique
pour prendre le fufil & la baïonnette , &
que la Cavalerie a abandonné la lance &
la hache d'armes pour fe fervir unique
ment de fon fabre ; la manière de faire la
guerre étant totalement changée , les
Ouvrages dont on vient de parler , quoique
excellents pour les temps où ils ont été
faits , ne peuvent plus être confidérés
comme la fource où nous devions aller
puifer les préceptes qui font propres aux
armes dont nous nous fervons aujourd'hui .
Ce feroit n'avoir aucune notion des
propriétés des différentes Troupes qui
compofent une armée , que d'attribuer
à la Cavalerie feule le mérite de décider
du fuccès des batailles. Mais quoique
l'Infanterie foit la pierre fondamentale
des armées , & qu'avec le fecours d'une
artillerie formidable il fût poffible de
remporter une victoire fans le fecours de
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
la Cavalerie ; il n'en eft pas moins recom
nu , que tant par la légèreté de fes monvemens
que par l'étendue de terrein qu'elle
peut embraffer , c'eft celle qui , commuaément
, contribue le plus , fi ce n'eft précifément
à décider la victoire , du moins
à la rendre plus complette.
1
Depuis le milieu du fiècle de Louis
XIV jufqu'aujourd'hui , les Généraux
François ont donné de très bons Ouvrages
fur la Guerre , dans lefquels ile
fe font occupés avec fruit de tout ce qui
pouvoit être avantageux au bien du fervice
du Roi , & glorieux à la nation :
mais le peu d'harmonie qui exifte parmi
les hommes , n'a pas permis qu'il y eûc
plus d'accord dans leurs principes ; ce
qui eft caufe que la plupart des Officiers
de Cavalerie ne font pas plus rapprochés
entr'eux , fur les objets qui font relatifs
à l'inſtruction de ce Corps , que ne le font
les autres gens de guerre fur les différentes
parties qui les concernent .
C'eft fans doute cette diverfité d'opi-
Bions qui exifte même parmi les Officiers
les plus inftruits , qui , les ayant tenus
long- temps indécis fur les principes , a
retardé jufqu'ici les progrès de la Cava
lerie, & qui l'a empêchée d'arriver au
FÉVRIER. ' 1776. 133
•
degré de perfection dont elle eft fufcep
tible.
.
Les deux dernières guerres , pendant
lefquelles M. le Comte de Melfort a
toujours commandé de la Cavalerie , lui
ont donné plus d'une occafion de comparer
, d'approfondir & de balancer les
avantages ou les inconvéniens qui fuivent
ordinairement les différentes manières
de diriger fon inftruction pendant la paix
& de l'employer pendant la guerre ; connoiffances
qui lui ont également procuré
les moyens d'apprécier à fa jufte valeur ,
le travail qu'il avoit commencé fur le
ſervice de cette armée , dès l'année 1748 ,
époque où il étoit paffé à la tête d'un Régiment
de Cavalerie , après avoir été
pourvu d'un Régiment d'Infanterie trois
ans auparavant.
1
Ce premier travail , de même que
ceux qu'on y a ajoutés depuis , eft enrichi
de Planches deffinées fous les yeux & fous
la dictée de M. le Comte de Melfort, par
le fieur Van-Blarembergh , Peintre du
Roi , attaché au Département de la Marine
. Lefdites Planches forment autant
de Tableaux que l'on peut dire précieux,
puifque , indépendamment de la manière
dont les deffins en font traités, des objets
miles qu'ils renferment , ils font voir
134 MERCURE DE FRANCE.
par- tout , les hommes & les chevaux ,
dans l'action naturelle où ils doivent être
dans la réalité de l'exécution des principes
, des mouvemens , ou des mancu÷
vres qu'ils repréfentent .
Toute l'Ecole du Manége , divifée en
deux claffes , l'une d'Equitation purement
militaire , & l'autre d'Equitation , quoi
que limitée , cependant pouffée plus loin
que la première , y eft auffi repréfentée
au naturel , ainsi que tout ce qui peut
avoir quelque rapport à l'inftruction des
hommes & des chevaux de la Cavalerie.
Il embraffe également toutes les con
noiffances qui peuvent être utiles au
fervice journalier des Cavaliers en temps
de paix & en temps de guerre , ainfi qu'à
celui des Officiers fupérieurs & autres .
Il comprend en outre des détails fuc
la compofition qu'on juge la plus folide
à donner à un Efcadron ainfi qu'à un
Régiment : après quoi l'on traite , dans
le plus grand détail , tous les principes
fur lefquels la plupart des Officiers de
Cavalerie diffèrent d'opinions ; & cela
d'une manière d'autant plus fatisfailante
que, pour rendre les chofes plus frap
pantes , les Planches dont on a parlé
plus haut , au moyen des hommes à
cheval qui y font vus en action , reprá
FÉVRIER. 1776. 135
fentent d'un côté un Efcadron agiffant
d'après l'un des principes qui font en
difcuffion ; & vis - à-vis en oppofition ,
un autre Elcadron manoeuvrant fur les
principes que l'on préfère , & de la fupériorité
defquels on donne la preuve dans
le difcours ; ce qui joint à la démonftration
dont le tableau fournit l'exemple ,
met ce travail à la portée de tout homme ,
non-feulement du métier , mais de ceux
mêmes qui n'auroient que du bon fens &
des yeux.
Après avoir difcuté tous les objets fur
lefquels le fentiment des Officiers de
Cavalerie eft partagé , on approfondit
également tous les principes des mancuvres
de détail pour un ou plufieurs Eſcadrons
, auxquels on juge que la Cavalerie
ne peut mieux faire que de s'exercer
pendant la paix .
De ces détails , qui font la feconde
partie du travail annoncé , & qui ne font
que la théorie du métier , on paffe dans la
troisième & dernière à ceux des opérations
de la guerre , tels que font les
Camps , les grandes- Gardes , les convois
défendus ou attaqués , les difpofitions
d'arrières- Gardes compofées de Troupes
mêlées , les détachements , les embufca136
MERCURE DE FRANCE,
des , les découvertes , les déploiemens
de colonnes , les reploiemens de lignes ,
les marches en bataille , les combats
enfin d'une aile entière de Cavalerie ;
tous fujets appuyés de principes & des
exemples qu'offrent les différens ta
bleaux où ils font traités , & dans le
deffin defquels on a mis affez de correc
tion & d'exactitude pour qu'on puiffe
dire que ce font autant de démonftrations.
Enfin pour fe réfumer , on peut ajouter
que ce travail eft le fruit de quinze
campagnes de guerre , faites fans négligence,
& le réſultat d'une étude fuivie
de plus de trente années , de la part d'un
Officier qui , pendant tout ce laps de
temps n'a pas ceffé d'avoir de la Cavalerie
à exercer pendant la paix , & d'en
avoir de toutes les espèces à conduire à
la guerre.
Les planches , dont il a été queftion
plus d'une fois dans ce Profpectus , feront
gravées fur du papier grand-aigle , de
trois 'pieds de long fur deux pieds de
large . Tous ceux qui en ont vu les deffins
font convenus qu'ils n'avoient rien
vu jufqu'ici , en fait d'Ouvrages militaires
, qui pût approcher de la netteté &
de la clarté dont elles font.
FÉVRIER . 1776. 137
Elles démontrent d'abord l'Ecole du
manége , où, chaque homme eft deffiné à
cheval , dans une attitude auffi exacte
qu'elle eft analogue à ce qu'on lui enfeigne.
Elles embraffent l'inftruction & fourniffent
l'exemple de toutes les mancuvres
qu'il eft avantageux à la cavalerie
d'apprendre dans les temps de repos .
Enfin elles repréfentent une infinité
d'actions des plus importantes de la
guerre , & dont la vue feule , qui feroit
jointe à une beaucoup plus courte explication
que celles dans lefquelles on eft
entré , fuffiroit pour inftruire en très peu
de temps la plupart des Officiers de Cavalerie
, qui n'auroient pas eu la poffibilité
de joindre la pratique à la théorie
du métier .
Elles feront au nombre de trente- deux,
dont plufieurs renferment chacune quatre
tableaux , & elles feront gravées par les
plus célèbres Artiftes en ce genre qu'on
ait pu trouver à Paris .
La totalité de l'Ouvrage confifte en
deux volumes le premier, grand in- fol.
imprimé en très- beaux caractères , fur du
papier grand-raifin double ; le fecond
contiendra trente- deux planches qui ont
138 MERCURE DE FRANCE.
ainſi qu'il a déjà été dit , plus de trois
pieds de long fur deux pieds deux pouces
de large. Le prix en fera de 120 livres ;
mais ceux qui foufcriront auront les deux
volumes pour 96 liv. dont on payera 63
liv. en foufcrivant , & 33 liv. en faifant
retirer l'Ouvrage.
La foufcription eft ouverte depuis le
ro Août 1775 , chez Me Gibert , Noraire
à Paris , cloître Ste Opportune.
L'Ouvrage paroîtra dans le courant du
mois de Mai 1776 , & fe délivrera chez
G. Defprez , Imprimeur ordinaire d'a.
Roi & du Clergé de France , rue Saint
Jacques , près la rue des Noyers.
Auilie , Tragédie nouvellement impri•
mée. Elle ne fe vend point.
Cette Tragédie , dont M. de la Croix
eft éditeur, nous a paru vraiment digne de
fortir de l'obfcurité dans laquelle la modeftie
de fon Auteur vouloit la fixer.
La poéfie en eft noble & fouvent fublime
dans les endroits qui demandent
de la chaleur & de l'élévation . Les caractères
en font bien deffinés . On fent
en la lifant un intérêt qui attache , ce
qui fait regretter qu'elle n'appartienne
FÉVRIER. 1776. 139
pas à notre Théâtre. Nous en ferons l'extrait
dans notre premier Mercure .
Lettre fur les Drames - Opéra ; Brochure
dess pages in- 8°. A Amfterdam ; &
à Paris , chez Efprit , Libr . au Palais
Royal .
L'Auteur dit que certainement de tous
les Ouvrages dramatiques le plus difficile
à compofer , c'eft un bon Opéra ; & vrai
femblablement cette affertion vient de
quelqu'un qui fait des Opéra , & qui ne
fait point des Tragédies ni des Comédies.
Il n'admet avec les Italiens que trois
genres ou trois ftyles diftincts & féparés
de poëmes lyriques , le Tragique , le
Paftoral ou galant , & le bouffon . Mais
cette diftinction eſt- elle bien juſte ? N'ya-
til pas autant de genres qu'il y a de
poëmes , & le même poëme n'admet - t- il
pas des nuances très différentes ? Il entre
enfuite dans l'examen des différentes par
ties qui compofent un poëme lyrique ,
ce qui lui donne lieu de faire de bonnes
obfervations. Nous ne fommes pas de
fon avis quand il avoue que le genre
tragique et le premier & le feul où le
Poëte & le Muficien peuvent , fans con140
MERCURE DE FRANCE.
trainte , développer toute la magié de
leur art. En effet , fi le tragique ne demande
, felon lui , qu'un ftyle , le Poëte
& le Muficien ne pourront également
développer qu'une partie de leur art .
L'Auteur avance que le charme de la
verfification de Quinault , le choix & la
douceur de fes expreffions , leur molle
élégance , fa facilité à tout peindre , la
douce & tendre harmonie de fon ftyle ,
tour , dans ce Poëte enchanteur , eft fait
pour plaire à l'oreille & pour la féduire ;
mais que toutes les perfections qui diftinguent
& caractérisent ce Poëte , ne
peuvent fervir de modèle du ftyle qui
doit être employé dans la Tragédie lyrique.
Il prétend que l'élégance & l'harmonie
de la poëfie contrarient fouvent
l'expreffion musicale , & qu'un vers dont
la dureté choque l'oreille , produit fouvent
un grand effet avec le chant. L'Auteur
finir par l'examen d'Armide , cité
comme le chef- d'oeuvre des Opéra de
Quinault, & il en fait la critique; il donne
en exemple Iphigénie en Aulide , comme
la Tragédie lyrique la moins défectueufe
qui ait encore paru fur notre Théâtre ;
mais cette Tragédie lyrique , qui n'eſt
qu'une imitation fervile & dégradée de
FÉVRIER. 1776. 141
la belle Tragédie de Racine , n'eft - elle
point déplacée fur le Théâtre de l'Opéra ,
pour lequel ce poëme n'a pas été compofé
? Armide , Dardanus , Caftor & Pollux,
Thétis & Pelée , & d'autres , font
affurément d'un genre de beautés plus
convenable à la fcène lyrique , & font
un fpectacle plus grand , plus varié , plus
intéreffant.
Anti - Dictionnaire philofophique pour
fervir de commentaire & de correctif
au Dictionnaire philofophique & autres
Livres qui ont paru de nos jours
contre le Chriftianifme : Ouvrage dans
lequel on donne en abrégé les preuves
de la Religion , & la réponfe aux
objections de fes adverfaires ; avec la
notice des principaux Auteurs qui l'ont
attaquée , & l'apologie des grands
hommes qui l'ont défendue. Quatriè
me édition corrigée , confidérablement
augmentée & entièrement refondue
fur les Mémoires de divers
Théologiens. Deux volumes grand
in-8°. broch. chez Niel & Aubanel ,
Libraires à Avignon ; & à Paris , chez
Durand , Lib. rue Galande , Hôtel de
Leffeville ; & Nyon , Libr. rue Saint
Jean de Beauvais.
142 MERCURE DE FRANCE.
les
Quatre éditions confécutives prouvent
le fuccès & l'utilité de ce Dictionnaire .
On a eu foin dans cette dernière que
controverfes agitées par les Incrédules y
fuffent dépouillées de l'appareil fcolaftique
, & que les preuves de la Religion ,
quoiqu'abrégées, y fuffent préfentées avec
autant de force qu'elles peuvent l'être
dans un court efpace. Des Théologiens
favans font entrés dans les vues des Editeurs
, & leur ont fourni ou indiqué des
armes contre les efforts de l'incrédulité.
ANNONCES LITTÉRAIRES .
ETAT TAT de la marine , année biffextile
1776. A Paris , chez le Breton , premier
Imprimeur ordinaire du Roi , rue Haute-
Feuille ; & chez Nyon , Libraire , rue
Saint -Jean- de- Beauvais ; prix , 1 livre
broché .
Etat actuel de la mufique du Roi , &
'des trois Spectacles de Paris. Chez Vente ,
Libraire des menus plaifirs du Roi , au
bas de la Montagne Sainte - Geneviève
1776 .
FEVRIER. 1776. 143
Petit Calendrier perpétuel. Broché , 15
fols ; relié, 24 fols. A Paris , chez Mérigot
père , quai des Auguftins ; & Sau
grain , Libraire , quai des Auguftins.
Hiftoire du facre & du couronnement de
Louis XVI , Roi de France & de Navar ,
précédée de recherches hiftoriques fur le facre
des Rois de France depuis Clovis juſqu'à
Louis XV, & fuivi du Journal de ce qui
s'eft paffé à cette augufte cérémonie. Le tout
en un volume in 4°. de 400 pages , orné
de neuf grands tableaux gravés en tailledouce
, repréfentant les différentes fituations
de cette pompeufe cérémonie , de
quatorze vignettes allégoriques au facre
de Sa Majefté , & de quarante figures
gravées d'après nature , repréfentant le
Roi dans les trois habillemens de fon
facre , les Pairs Laïcs & Eccléfiaftiques ,
-Cardinaux , Connétable , Chancelier
Grands -Officiers de la Couronne , Maréchaux
de France , Chevaliers des Ordres du
Roi, Capitaines desGardesduCorps, Secré
taires & Confeillers d'Etat , Maîtres des córémonies
, Héraults- d'Armes de France ,
Pages & Huiffiers de la Chambre , Gardes
Ecoffois , Cent Suiffes & Gardes de
.
144 MERCURE DE FRANCE.
la Prévôté de l'Hôtel , &c. & c. tous
dans leurs habits de cérémonie , & avec
leurs noms & qualités. Prix , 36 liv.
broché , 24 liv . relié en veau , & 48 liv.
relié en maroquin . Le même Livre in 8°.
24 liv. en maroquin , 21 liv . en veau , &
18 liv. broché. A Paris , chez Vente ,
Libraire des menus - plaifirs du Roi , au
bas de la rue Montagne Sainte Geneviève.
ACADÉMIE.
Prix extraordinaireproposépar l'Académie
Royale des Sciences , pour l'année 1778 .
SUR le compte qui a été rendu au Roi , par
M. le Contrôleur général des Finances , de l'état
actuel de la fabrication du Salpêtre en France ,
& de la diminution fenfible qu'elle a éprouvée ;
Sa Majeſté , après avoir reconnu que cet inconvénient
provenoit des défautsdu fiftême ci - devant
adopté fur cette branche d'adminiſtration , &
y avoir fait les réformes & les changemens qui
lui ont paru néceflaires , a jugé qu'il feroit encore
avantageux à fes Sujets , de faire rechercher tous
les moyens d'augmenter le produit du falpêtre
dans fon Royaume , fur- tout pour les délivrer ,
le plutôt qu'il fera poffible , de la gêne & des
torts que leur occafionnent les perquifitions , les
fouilles
FÉVRIER. 1776. 145
fouilles & démolitions que les falpêtriers ont
le droit de faire dans les habitations des particuliers
, & des abus qui en peuvent résulter.
Aucun moyen n'a paru plus propre à Sa
Majefté pour remplir les vues , que de propofer
Lur cet objet un prix au jugement de l'Académie ,
& elle l'a chargée d'en publier un programme
affez d'étaillé & aflez inftructif
pour faciliter ,
le plus qu'il fera poffible , les recherches de
ceux qui voudront concourir .
L'Académie , pour fe conformer aux intentions
du Roi, croit donc devoir faire les obfervations
fuivantes , en indiquant le fujet & les
conditions de ce prix.
Nos connoiffances actuelles fur l'origine & la
génération du falpêtre , fe réduifent à plufieurs
faits certains fur lefquels on a établi quelques
théories affez incertaines.
Il eft conftant , par l'obfervation journalière
des Chimiſtes & de tous ceux qui travaillent à
l'extraction & à la fabrication du falpêtre , que ce
fel ne fe forme ou ne fe dépofe habituellement
que dans des murs , des terres & des pierres
tendres & poreufes , qui peuvent être imprégnées
des fucs des fubftances végétales ou animales , &
fufceptibles de putréfaction ; que le falpêtre ne
commence à devenir fenfible , dans ces terres
& pierres, qu'au bout d'un certain temps , tout- àfait
indéterminé , & qu'il eft pourtant très effentiel
de connoître & d'abréger s'il eft poffible : ce
remps varie fans doute , fuivant les circonftances,
& c'eft problablement celui où la décompofition
des végétaux & des animaux a été portée
àfon. plus haut point.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On fait encore que les endroits les plus favorables
à la production du nitre , font les lieux
bas qui ne font pas trop expofés à l'action du
grand air , dans lefquels , cependant l'air a un
affez libre accès , qui font a l'ombre , à l'abri
du foleil & de la pluie , & où il règne habituellement
un peu d'humidité ; tels que font les
caves , les cuifines , les latrines , les celliers , les
granges , écuries , étables ; en un mot , tous les
endroits , toutes les pièces habitées par les hommes
& les animaux .
On s'eft affuré par l'expérience , qu'en mêlant
les fumiers , les litières des animaux , les plantes ,
même toutes feules , de quelqu'efpèce qu'elles
foient , avec des terres , fur- tout calcaires , marneufes
& limonneufes , on peut conſtruire des
murs ou des monceaux de fept à huit pieds
' d'élévation , qui , lorfqu'ils font placés dans des
lieux , tels que ceux qu'on vient d'indiquer , &
arrofés de temps en temps avec de l'urine , commencent
à fournir une quantité fenfible de falpêtre
quelque temps après leur conftruction ; que
ce falpêtre qui eft à bafe d'alkali fixe , quand il
vient des plantes, fe cryftallife à la ſurface ; qu'on
peut l'enlever par le houflage ; que fa quantité
augmente jufqu'à un certain termes qu'on peut en
retirer de cette manière , & fans lefliver les mélanges
, pendant fept ou huit ans ; & qu'enfin
on les leffive pour achever de retirer tout le
-falpêtre qui s'y eft formé ou raffemblé . C'eft de
cette manière que fe conftruifent & s'exploitent,
à ce qu'on allure , les couches ou nitriaires arti
ficielles en Suède , dans plufieurs autres pays , &
peut- être même aux Indes , dont on apporte
FÉVRIER. 1776. 147
en Europe une énorme quantité de falpêtre ,
lequel , malgré les frais du tranfport & le bénéfice
du commerce , n'eft point ici d'un plus haut
prix que celui du pays.
Au rapport des falpêtriers , les terres qu'ils
ont épuifées de nitre par les leffives , en fourniflent
une nouvelle quantité , après qu'elles ont
féjourné fous les hangards où ils les confervent
pour cet ufage ; il eft vrai qu'ils répandent fur
ces mêmes terres , les eaux- mères qu'ils obtiennent
de leurs cuites , & que ces eaux contenant
ordinairement encore une portion de falpêtre ,
& toujours du nitre à bafe terreufe , cette circonftance
répand de l'incertitude fur la production
du falpêtre dans ces terres , quoiqu'elle foit
bien d'accord, d'ailleurs, avec la génération de ce
: fel dans les couches Suédoifes . *
* Nota. Le peu de temps que l'Académie a eu pour
dreffer & publier ce Programme , ne lui a pas permis
de fe procurer , par le moyen de fes Correfpondans ,
tous les éclairciffemens qu'elle auroit defiré d'inférer
ici , fur ce qui fe pratique dans les Pays étrangers
au fujet des couches à falpêtre ou nitriaires artificielles ;
mais voici ce qu'un Citoyen ( M. de Chaumont ) qui
s'occupe avec zèle depuis un certain temps de cer objet ,
sa bien voulu lui communiquer. : *
» Les couches à falpêtre établies près de Stockholm ,
font faites en pyramides triangulaires , avec du chau-
» me , de la chaux , des cendres & des terres de pré ;
» leur bafe eft conftruite en briques pofées de champ ;
»fur cette bate eft un lit de chaume de neufpouces
» de hauteur , & fur ce chaume et pofé un lit de
» mortier fait avec de la terre de pré , de la cendre ,
de la chaux , & fuffifante quantité d'eau- mere de
falpêtre ou d'urine : les lits de chaume & de mor
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
Enfin , les analyfes des Chimiftes ont prouvé
que beaucoup de plantes, telles que la bourache,
la parrétaire , & fur-tout le grand foleil , contiennent,
fans aucune putréfaction préalable, une
quantité fouvent confidérable de falpêtre à bafe
d'alkali fixe ; on a obfervé que celles qui croiffent
tier fe fuccèdent ainfi alternativement jufqu'au fom-
>> met de la couche.
« Pour couvrir ces monceaux & les garantir de la
» pluie , on pique en terre autour d'eux des perches ,
» qu'on lie par leur extrémité fupérieure , & le rout
» eſt couvert avec de la bruyère ; on obſerve qu'il y ait
entre le monceau & fa couverture un efpace affez
grand pour qu'on puiffe les arrofer quand il convient
, & recueillir le falpêtre qui fe cryftallife à leur
furface ; l'arro fement fe fait avec des urines & des
> matières fécales , que des femmes de mauvaife viefont
» forcées d'y tranſporter.
>> Ces couches font en rapport au bout d'un an , ^&
» durent dix ans. On en détache le nitre avec des
» balais tous les huit jours , & on les arrofe , dès
» qu'elles font balayées , avec des eaux-mères étendues
» d'eau pure, quand on n'a pas affez d'eau-mère pour
arrofer complertement la couche.
» Le réfidu de ces couches au bout de dix ans
» eft un excellent engrais & très- recherché pour la cul-
» ture du chanvre & du lin.
" On conftruit auffi en Pruffe des murs de terre
» mêlée avec la vidange des latrines , & quand ils font
»falpêtres , on en retire le nître par les fexiviations &
» les cuites ordinaires, »>
Le Citoyen qui a bien voulu communiquer ces
détails à l'Académie , dit qu'il les tient du fieur Berthelin
, François , qui a conduit en Suède une Manufacture
de porcelaine , & qui eft actuellement à fa
terre pour y diriger une nitriaire à peu-près fur les
mêmes principes , mais avec quelques changemens dont
efpère de l'avantage.
FÉVRIE R. 1776. 149
au pied des murs, ou dans des terreins remplis
de fumier , en contiennent beaucoup plus que.
leurs analogues , qui ont végété dans des terres
moins nitreufes , ou contenant beaucoup
moins de matériaux du falpêtre , ce qui peutfaire
préfumer , avec beaucoup de vraisemblance ,
qu'il fe forme habituellement une grande quantité
de falpêtre fur toute la furface de la terre , par la
putréfaction des herbes , feuilles & racines qui
y reftent ensevelies , chaque année ; mais que
ce falpêtre étant emporté & difperfé par l'eau
des pluies , ne fe trouve nulle part en quantité
fenfible dans les endroits découverts , à moins
qu'il ne foit recueilli & raffemblé par des plantes
qui ont en quelque forte la vertu de le pomper.
On reconnoît que les terres & pierres font
bien falpêtrées , à leur faveur qui a quelque cho
fe de falin & de piquant : de plus , ces matières
quand le falpêtre y eft abondant , n'ont plus leur
confiftence naturelle ; elles font plus friables ,
ordinairement leur furface fe couvre d'une efflorefcence
qui fe réduit en pouffière dès qu'on y
touche , & dans certaines circonftances on y
obferve même un vrai falpêtre de houffage .
Les faits qui viennent d'être expofés , réunis
avec les procédés connus , ou faciles à connoî
tre , de l'extraction & de la purification du falpêtre
, compofent toutes nos connoiffances certaines
fur la production& l'extraction de ce fel ;
car comme on l'a déjà fait obferver , les Chimiftes
n'ont encore établi aucune théorie entièrement
fatisfaifante fur les principes de l'acide
nitreux , fur fa véritable origine & la manière
dont il fe forme.
Giij
16 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qui a été dit fur cet objet , peut fe
réduire à trois fentimens principaux.
Le premier eft celui des anciens Chimiftes :
ils penfoient que l'air de l'atmosphère, étoit le
lieu natal & le grand magazin de l'acide nitreux;
fuivant cette opinion qui a même encore des
partifans , cet acide nitreux de l'air fe dépofe
dans les terres calcaires & autres matières alkalines
, qu'il trouve à fa portée , & forme avec
elles les différentes efpèces de nitre qui fe manifeftent
dans ces matières après qu'elles ont été
expofées à l'air pendant un temps convenable.
Ceux qui adoptent ce fentiment, fe fondent principalement
fur ce qu'on ne trouve point de falpêtre
dans les terres & pierres , à moins qu'elles
n'aient éprouvé pendant long-temps l'action & .
le contact d'un air tranquille ; mais outre que
ce fait n'eft pas bien avéré , & qu'il eft un de
ceux qui demandent à être vérifiés , il eſt combattu
par un autre fait indubitable , favoir , que
les mêmes terres & pierres qui fe falpêtrent abondamment
dans les habitations des hommes &
des animaux , ne produifent point du tout de falpêtre
dans leur carrière lors même qu'elles s'y
trouvent placées de manière qu'elles foient acceffibles
à l'air , précisément comme dans les
maifons & autres lieux habités .
Le fecond fentiment eft celui de Stahl , qui
n'admettant avec Bécher qu'un feul acide primitif
, principe & origine de tous les autres , favoir
l'acide vitriolique , croit que l'acide nitreux n'eft
que cet acide univerfel , tranfmué par fon
union intime avec un principe inflammable qui fe
fépare des fubftances végétales & animales , &
FÉVRIER. 1776.
151
même de l'alkali volatil , dans la décompofition
que la putréfaction fait éprouver à toutes ces
matières. Il y a beaucoup de faits chimiques.
qui dépofent en faveur de cette opinion , comme
on peut le voir dans les ouvrages de Stahl , &
particulièrement dans les Fundamenta Chimic
dogmatico-rationalis , dans le Specimen Becherianum
, & dans le Confpectus Chimia de Jemker
, Tab. de nitro , & de acido nitri. Cependant
on ne peut pas regarder cette théorie comme
fuffifamment prouvée , parce qu'elle exigeront
un travail expérimental , fuivi d'après ces vues ,
& plus complet que tout ce qu'on a entrepris
jufqu'à préfent. On n'a fur cet objet que la differtation
du docteur Pietch , imprimée à Berlin en
1750 , & qui a remporté le prix que l'Académic
de Pruffe avoit propofé fur l'origine & la formation
du nitre. Les expériences de ce Chimifte ,.
qui font toutes en faveur du fentiment de Stahl ,
demandent néanmoins à être vérifiées , & fur - tout +
variées & multipliées.
On croit devoir ajouter ici , que Stahl avance
encore dans plufieurs endroits de fes ouvrages ,
que l'acide du fel commun peut auffi ſe tranſmuer
en acide nitreux dans certaines circonftances ; &
il eft certain qu'en différens temps plufieurs
gens à fecrets ont prétendu pofséder celui de
cette tranfmutation , & ont offert de la réaliſer ;
mais foit qu'on n'ait pas accepté leurs offres ,
foit que leurs expériences n'aient point réuffi ,
leurs propofitions ne paroiffent avoir eu aucune
fuite.
Le troifième fentiment fur l'origine du nitre , eft
eelui de M. Lémnery le fils ; il l'a expofé dans deux
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
mémoires imprimés dans le recueil de ceux de l'Académie
, pour l'année 1717. Ce Chimiſte entreprend
de prouver dans ces mémoires , que le
nitre eft un produit de la végétation ; qu'il fe
forme habituellement dans les plantes vivantes ,
d'où il paffe dans les animaux ; & que fi ce
nitre ne fe manifefte point , finon en très- petite
quantité , dans les analyfes ordinaires des fubf
tances végétales & animales , c'eft parce qu'il
cЯ embarraffé & mafqué par les autres principes
de ces mixtes , ou détruit par l'action du feu ;
mais que la putréfaction eft le moyen que la
nature emploie pour le développer & le féparer.
On peut voir les preuves que M. Lémery apporte
de fon opinion dans ces mémoires , qui méritent
d'être lûs à caufe des réflexions qu'il contiennent,
& des vues qu'il peuvent fournir : au furplus il
en eft de cette théorie , comme de celle de Stahl ,
elle demande à être confirmée par des expériences
beaucoup plus variées & plus multipliées que
celles de l'auteur .
Les trois fentimens qui viennent d'être expofés
en abrégé , renferment , comme on l'a dit , toutes
les idées théoriques que les Chimiftes on eues jufqu'à
préfent fur l'origine & la production du falpêtre.
Quoiqu'aucune d'elles ne foit affez bienétablie
pour n'être pas fujette à de grandes difficultés
, elles peuvent fervir néanmoins à fuggérer
des plans d'expérience , & à empêcher qu'on ne
travaille en quelque forte au hasard . D'ailleurs
il est très-probable , que les fuites d'expériences
dirigées d'après chacune de ces théories & tendantes
à découvrir fi elles foat bien ou mal fondées ,
répandront beaucoup de lumières fur le point de
FÉVRIER. 1776. 153
phyfique qu'il s'agit d'approfondir , quand même
ilen réfulteroit que ces théories font toutes fauffes
ou incomplettes.
Il eſt facile de connoître fi l'acide vitriolique
ou l'acide marin fe tranfmue en acide nitreux ,
par le concours des matières en putréfaction ,
fuivant l'opinion de Stahl : il ne s'agit pour cela
que de mêler avec des matières végétales & animales
, fufceptibles de putréfaction , l'un & l'autres
de ces acides féparément , foit libres , foit
engagés dans différentes bafes, en obfervant néanmoins
de les proportionner ou de les combiner de
manière qu'ils ne puiffent retarder fenfiblement
la fermentation putride . Il fera à propos de
laifler ces mélanges en expérience dans un lieu
tel que ceux que l'obfervation a fait reconnoître
comme les plus favorables à la génération du
falpêtre , & de mettre de plus dans le même lieu
d'autres mélanges qui ne différeront des premiers
, qu'en ce qu'on n'y aura ajouté ni acide
vitriolique , ni acide matin , ces derniers devant
fervir de comparaison.
Și l'on a fait entrer en même temps dans plufieurs
de ces mélanges une affez grande quantité
de terres calcaires ou marneufes , bien exemptes
de falpêtre , comme cela paroît affez convenable
en ce que ces terres accélèrent la putréfaction ;
il est bien certain qu'avec le temps , il fe fera
formé du falpêtre dans tous ces mélanges : mais
s'il y a eu en effet tranfmutation des acides
vitriolique ou marin en acide nitreux , cela
fera démontré par la quantité de falpêtre qu'on
obtiendra de chacune des matières mifes en
expérience , & qui , dans ce cas , doit être plus
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
grande dans celle où ces acides auront été
ajoutés , & ne doit pas être plus contidérable
dans les autres.
Des expériences de ce genre , faites comme
il convient , feront d'anrant plus avantageufes ,'
qu'elles pourront fervir en même temps à fe
décider fur le fentiment de Lémery' , qui adinet
la préexiſtence du falpêtre dans les végétaux
& les animaux , & fon dégagement par la putréfaction
. Mais comme il eft de la plus grande importance
de prévoir tout ce qui pourroit induire
en erreur fur le réſultat des expériences , c'eftà
- dire fur les quantités de falpêtre qu'on pourra
obtenir dans ces procédés ; il fera abſolument
néceffaire de garantir les mélanges , ou du
moins une portion notable de chacun d'eux ,
du
contact immédiat des murs , & même du fol du
lieu où il feront placés : fans quoi le falpêtre qui
doit naturellement le former dans ces mêmes
endroits , indépendamment de toute addition ,
répandroit immanquablement beaucoup d'incer
titude fur le produit réel de celui qui pourroit
s'être formé dans les mélanges mis en expérience
.
A l'égard de l'influence de l'air dans la production
du falpêtre , c'eft encore un objet ellentiel
, & auquel on ne peut fe difpenfer de donner
la plus grande attention . Il paroît démontré , à
la vérité , contre le fentiment des Anciens , que
l'air n'eft point le réceptacle ni le véhicule de
l'acide nitreux tout formé ; mais il eft vraiſemblable
qu'il contribue directement ou indireetement
à la production de cet acide. On fair
que le concours de l'air favorife & accélère la
FÉVRIER. 1776. 155
putréfaction ; & quand il n'y auroit que cette
circonftance , il en réſulteroit que fon influence
n'eſt point indifférente pour la production de
l'acide nitreux : mais , indépendamment de cette
circonstance , il est très- poffible que l'air entre
lui-même comme partie conftituante dans la
compofition de cet acide , ou qu'il fourniffe
quelque fubftance gazeuse , ou autre , qui , fans
être de l'acide nitreux , fe trouveroir cependant
un des ingrédiens néceffaires à fa mixtion .
Ces confidérations fuffifent pour faire fentir
combien il importe de déterminer fi l'air contribue
ou ne contribue point à la génération du falpêtre
; & , en cas qu'il y influe , en quoi , & jufqu'à
quel point fon concours eft néceffaite à certe
opération. Cette circonftance introduit dans les
recherches qu'il convient de faire , une nouvelle
fuite d'expériences toutes dirigées vers l'action
de l'air. On ne les indique ici qu'en général ,
parce qu'elles font faciles à imaginer , & qu'elles
ne peuvent manquer de fe préfenter d'ellesmêmes
à ceux qui voudront s'occuper de ces travaux.
Après cet expofé des connoiffances actuelles
fur l'origine & la production du falpêtre , l'Académie
annonce que le fujet du prix qu'elle propofe
eft de trouver les moyens les plus prompts & les
"plus économiques de procurer en France une production
& une récolte de falpêtre plus abondantes
que celles qu'on obtient préfentement , &fur- tout
qui puiffent difpenfer des recherches que les falpêtriers
ont le droit de faire dans les maifons des
particuliers.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Elle exige que ceux qui enverront des mémoires
expofent leurs procédés avec toute la
clarté & tous les détails néceffaires , pour qu'on
puiffe les vérifier fans aucune incertitude
comme l'Académie fe propoſe de le faire : elle
déclare que le prix fera adjugé à celui qui aura
indiqué le procédé le plus avantageux pour la
promptitude , l'économie & l'abondance du produit
, indépendamment de toute autre confidération
; & quand même ce procédé réſulteroit
uniquement d'une application heureuſe des ob-
Tervations & des pratiques déjà connues , il fera
préféré aux plus belles découvertes dont on ne
pourroit pas tirer auffi promptement la même
utilité.
Ce prix fera de 4000 livres , & fera proclamé
à l'Affemblée publique de Pâques 1778. Les
mémoires ne feront admis pour le concours que
jufqu'au 1er. Avril 1777 , inclufivement ; mais
l'Académie recevra jufqu'au dernier Décembre de
la même année les fupplémens & les éclairciſſemens
que voudrout envoyer les Auteurs des
mémoires qui lui feront parvenus dans le temps
prefcrit.
Outre le prix de 4000 livres , il Y aura auffi
deux Acceffit , le premier de 1200 livres , & le
fecond de 800 livres .
Les Savans & les Artistes de toutes les Nations
font invités à concourir au prix , & même les
Affociers - Etrangers de l'Académie ; les feuls Académiciens
régnicoles en font exclus.
Les mémoires feront écrits fiblement en
François ou en latin,
FÉVRIER. 1776. 125
Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs
ouvrages , mais feulement une fentence ou
devife; ils pourront , s'ils le veulent , attacher à
leur mémoire un billet féparé & cacheté par eux,
qui contiendra avec la même ſentence ou deviſe
leurs noms , leurs qualités & leur adreffe : ce
billet ne fera ouvert fans le confentement de
l'Auteur qu'au cas que la pièce ait remporté le
prix , ou un des deux Acceffit.
Les
ouvrages deftinés pour le concours feront
adreflés à Paris au Secrétaire
perpétuel de l'Académie
, ou bien les Auteurs les feront remettre
entre fes mains . Dans ce fecond cas le Secrétaire
en donnera en même-temps , à celui qui les lui
aura remis , fon récépiflé , où feront marqués
la fentence de l'ouvrage & fon numero , felon
l'ordre ou le temps dans lequel il aura été reçu.
S'il y aun récépiffé du Secrétaire pour la pièce
qui aura remporté le prix , le Tréforier de
l'Académie délivrera la femme du Prix à celui
qui rapportera ce récépiffé ; il n'y aura à cela
-mulle autre formalité.
S'il n'y a pas de récépiffé du Secrétaire , le
Tréforier ne délivrera le prix qu'à l'Auteur
même qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part .
158 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
continue les repréfentations d'Adèle de
Ponthieu , Tragédie lyrique en cinq
actes.
On a remis le vendredi 26 Janvier ,
au Théâtre , le Ballet de Médée & Jaſon .
Ce Ballet Dramatique , de la compofition
de M. Veftris , a eu le plus grand
fuccès . L'inconftance de Jafon qui abandonne
Médée pour époufer Créufe , fes
nouvelles amours , le dépit de Médée ,
les efforts qu'elle fait pour réveiller la tendreffe
de fon époux infidèle , en lui préfentant
les enfans ; les fureurs de cette
femme jaloufe , fes enchantemens , les
fêtes du mariage de Créufe , la réconciliation
infidieufe que Médée paroît
faire avec fa rivale , les préfens empoiſonnés
qu'elle lui donne ; les tourmens & la
mort de Créufe , le défefpoir de Jafon ,
les furies qui l'agitent , la rage infultante
de Médée enlevée dans un char traîFEVRIER
. 1776. 159.
né par des dragons ; le meurtre de fes
enfans qu'elle poignarde à la vue de leur
père ; une pluie de feu & l'embrafement
du Palais ; toute cette action & ce fpectacle
produifent le plus grand effet . Mais
ce qui eft plus admirable , c'eſt le talent
de Mademoiſelle Heynel , pour exprimer
l'énergie des paffions & des fentimens
les plus contraires ; fa danfe , fes geſtes ,
fes attitudes , les traits de fon viſage
font un tableau rapide & impofant , dont
les Spectateurs font émus & tranfportés ,
tant et puiffant l'art de la pantomime ,
quand l'exécution en eft précife & naturelle.
Mademoiſelle Heynel eft parfai
tement fecondée dans ce Ballet par M :
Veftris , qui repréfente avec force le
rôle de Jafon , par Mademoiſelle Guimard
jouant avec beaucoup de fenfibilité
le rôle de Créufe , par M. Gardel , & par
d'autres , qui font non - feulement excellens
Danfeurs , mais encore Acteurs &
pantomimes admirables.
L'Académie doit encore reprendre inceffamment
Iphigénie en Aulide , Tragé
die lyrique de M. le Chevalier Gluck.
160 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LES Comédiens François doivent jouer,
inceflamment Lorédan , Tragédie en
quatre actes de M. de Fontanelle .
COMÉDIE ITALIENNE.
Олаa donné à ce Théâtre quelques
repréſentations de la repriſe de l'Amitié
à l'épreuve , Comédie réduite en un acte ;
paroles de M. Favart , mufique de M.
Grétry .
Cette Comédie , dont nous avons
rendu compte dans fa nouveauté , a paru
bien écrite & très - intéreflante. La mufique
a fait le plus grand plaifir ; l'hymne
en trio à l'amitié eft de l'expreffion la
plustouchante . Madame Trial , Madame
Billionni , M. Clairval , en rempliffeot
les. rôles à certe repriſe avec beaucoup
d'intelligence & de fenfibilité.
On doit aufli remettre à ce Théâtre
La Faule Magie, Comédie en deux actes ,
.
FEVRIER. 1776. 160
avec quelques changemens dans les paroles
, & une augmentation dans la mufique.
Les Comédiens fe difpofent à donner
le Faux Lord , Comédie mêlée d'ariettes.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Coftumes des anciens peuples ; par M.
d'André Bardon , Profeffeur de l'Académie
Royale de peinture & de fculpture.
Vingt feptième & vingt- huitième
cahiers de la feconde Partie in 4° . A
Paris , chez Cellot , Imprimeur ; &
Jombert , Libraire , rue Dauphine.
CES derniers cahiers , compofés chacun
de douze planches comme les précédens ,
nous préfentent les ufages civils & militaires
des Scythes , des Amazones , des
Parthes , Daces , Sarmates & autres penples
, tant Orientaux qu'Occidentaux.
•
162 MERCURE DE FRANCE.
Comme ces différens peuples ont été
très nombreux , & qu'ils ont été vêtus.
& armés à peu près de la même manière
, le favant Profeffeur ne fait mention
que des plus renommés , dont les
armures & les accoutremens préfentent
quelques fingularités diftinctives . On obfervera
encore que plufieurs de ces Nations
n'étant parvenues à notre connoiffance
que par les guerres qu'elles ont
faires ou effuyées , il n'a pas été poffible
de préfenter dans la gravure différens
monumens de leurs ufages religieux ou
domeftiques. M. d'A. cependant a fuppléé
autant qu'il lui a été poffible , à ces
monumens par les récits de quelques
Hiftoriens , qui pouvoient être relatifs
à ces ufages .
I I.
Agar préfentée à Abraham par Sara ;
eftampe d'environ dix - huit pouces de
large , fur quinze de haut , gravée
par J. G. Wille , Graveur du Roi ,
de S. M. Impériale & Royale , & de .
S. M. le Roi du Dannemarck , d'après
le tableau original de C, W. E. Die-..
tricy , Peintre de la Cour Electorale
FÉVRIER. 1776. 1776. 163 L
de Saxe ; prix , 16 liv. A Paris , chez
l'Auteur , quai des Auguftins .
-
Cette eftampe très intéreffante par
l'agréable difpofition du fujet , la beauté
des expreffions & la richeffe des acceffoires
, l'eft encore par la fupériorité de
l'exécution . Où trouver un burin plus
pur , plus fouple & dont les travaux
foient variés avec plus d'harmonie &
d'intelligence On peut même regarder
cette nouvelle gravure comme le chefd'oeuvre
du burin de M. Wille , dont les
différentes productions ne font pas moins
d'honneur à l'art même qu'à l'Artiste.
II I.
La Mère Indulgente. Cette eftampe
environ feize pouces de hauteur & douze
de largeur ; elle eft gravée avec beaucoup
de foin & de talent , par l'Empereur
d'après un tableau de Wille. Elle
eft dédiée à M. le Comte de la Billatderie
d'Angiviler ; & elle fe trouve chez
l'Empereur , Graveur du Roi & de LL..
MM . Impériales & Royale , rue & porte
Saint Jacques , au- deffus du Petit ,
Marché.
164 MERCURE DE FRANCE.
f
I V.
Portrait en médaillon de Madame Louife-
Marie de France , Prieure des Religieufes
Carmelites de Saint Denis , deffiné par
C. Monnet d'après le bufte , fait par J.
B. Lemoine , Sculpteur du Roi , & gravé
pår J. B. Bradel. Ce Portrait eft dédié
& a été préſenté à Madame Victoire de
France. A Paris , chez Bradel , rue des
Sept-Voies , au Collège de Forter.
V.
M. David , Graveur , rue des Noyers ,
au coin de celle des Anglois , à Paris ,
annonce qu'il termine chez M. le Duc
de Praflin , la gravure du fuperbe tableau
peint par M. Leprince , Peintre du Roi ,
faifant partie de la précieufe collection
du cabinet de M. le Duc de Praflin.
Le fujet repréfente une mère , qui ,
n'étant point la confidente de fa fille ,
la croit malade , parce qu'elle ignore
qu'elle a de l'amour. On a fait venir un
Empirique pour le confulter; pendant qu'il
examine avec gravité l'arine , & que la
mère le regarde avec une attention mêlée
FÉVRIER. 1776. 165
d'inquiétude , la feinte malade faifit cet
inftant pour donner fa main à baifer à
fon amant , qu'une fervante a fait cacher
dans la ruelle. Cette fervante qui connoît
toute l'intrigue , rit de l'ignorante
fécurité du Charlatan.
Les amateurs fe rappelleront d'avoir
vu au falon du Louvre , en 1771 , ce
tableau qui réuniffoit dans toutes les parties
, tout ce que l'on avoit droit d'auten
dre de ce célèbre Artifte .
L'on doit à la protection que M. le
Duc de Praflin accorde aux arrs , l'eftampe
qui va paroître : le jeune Artiſte ,
qui en eft honoré , eft déjà connu par
plufieurs Ouvrages , & réunit en ſa faveur
les fuffrages , lorfque le Marché aux herbes
-d'Amfterdam fut mis au jour , quoique
giavé d'après une copie ; & l'on a tout
lieu d'efpérer que la gravure qu'il annonce
, faite d'après le tableau original ,
feta une eftampe précieule dans tous les
-détails. Gette eftampe a vingt deux pou-
-ces de largeur , fur dix fept de hauteur ,
-& fera délivrée , le premier Avril , au
prix de 16 liv. Chez l'Auteur , rue des
Noyers , au coin de celle des Anglois .
M. David avertit que s'il y a quel-
-qu'un de MM. les Amateurs qui deſi166
MERCURE DE FRANCE.
re avoir des premières épreuves avant
la lettre , on lui écrive franc de port
avant le 15 Mars , afin qu'il puiffe faire
imprimer le nombre jufte des épreuves
retenues. Ses intentions étant de n'en point
faire , ces premières épreuves feront délivrées
le 20 Mars.
L'on trouve chez l'Auteur l'agréable
Défordre , & la Promeffe du retour , deux
eftampes faifant pendant ; prix chacune ,
2 liv. 8 fols.
V I.
Le fieur Feffard , Graveur du Roi ,
de fa bibliothèque ordinaire , de fon
cabinet & de l'Académie Royale de Parme
, prie les perfonnes qui ont les premiers
volumes des Fables de la Fontaine ,
de vouloir bien faire retirer chez lui , ou
aux adreffes ci -deffous , les volumes de
la fuite ; parce qu'il ne lui feroit pas pof-
-fible , pallé les fix mois de cet avertiflement
, de leur fournir les épreuves comme
il le defiteroit. Ceux qui fe preſenteront
après le temps , n'auront rien à
lui reprocher , s'il ne les fournit pas comme
-il l'auroit fouhaité , la Province & le
pays étranger lui ea confommant beauFÉVRIER
. 1776. 167
coup depuis la confection des fix volumes.
Il avertit aufli que des Marchands ont
annoncé une édition en fix vol , en papier
de France des mêmes Fables de la
Fontaine au prix de 48 liv. les fix volumes.
Ils auroient dû dire , pour ne pas
tromper le public , que c'étoit un nombre
d'exemplaires effectivement en papier
de France , qu'ils ne tenoient pas du fieur
Fellart qui ne s'en eft défait qu'à des
perfonnes qui ne font nullement dans la
Librairie , ces exemplaires n'étant bons
que pour des écoliers : enfin plufieurs perfonnes
font venues chez le Geur Feflard
pour approfondir le fait , & ils ont vu
la vérité que ledit fieur Feffard a grand
intérêt de faire connoître au public. Les
fix volumes fe vendent toujours 108 liv.
fur le plus beau papier d'Hollande .
1 profite de cet avis pour dire qu'il
travaille à la Pfyché , à une Henriade
& à faire un volume de choix des Contes
de la Fontaine qui fera précédé de l'éloge
qu'en a fait M. de Champfort : il va
fuivre ces Ouvrages avec tout le foin
poffible , n'étant pas pourfuivi par aucun
engagement de foufcription : par ce
moyen , il fe trouvera le maître de faire
tous les efforts pour porter ces Ouvrages
168 MERCURE DE FRANCE.
au degré le plus haut qu'un Artiſte puiſſe
atteindre. Si pourtant les perfonnes qui
veulent avoir les premières épreuves
fouhaitent de fe faire infcrite , elles le
pourront , ainfi que pour les exemplaires
des Fables : chez Fellard , rue Saint-
Honoré ; chez M. Rougeot , Fermier-
Général , près Saint Roch ; Durand
neveu , Libraire , rue Galande Place
Maubert ; Coftard , Libraire , rue Saint-
Jean de - Beauvais ; Brunet , Libraire &
Marchand de papier , rue des Ecrivains,
Cloître Saint Jacques de la Boucherie.
LE
·
MUSIQUE.
I.
>
E Plaifir de la Campagne , Ariette
nouvelle , a corno principale, violino primo
è fecondo , baffe , oboe & cors ad libitum
, dédiée à Madame la Comtefle
Augufte de la Marck , mife en Mufique
par M. Pérelard le jeune , Maître de
chant , prix 2 liv . 8 fols ; à Valenciennes,
chez l'Auteur , à Paris , aux adreſſes ordinaires.
Cette
FEVRIER. 1776. 169
Cette Ariette eft d'un chant agréable
& d'une exécution facile.
I I.
Ter. Recueil de petits Airs pour le Clavecin
ou Piano - Forté , compofé par M.
N. J. Hullmandel , OEuvre 2º. A Paris
chez l'Auteur , rue Baffe > porte faint
Denis , au coin du cul de fac faint I aurent;
& aux ad effes ordinaires de Mufique
, où l'on trouve aufli un premier
Euvre de fix fonates avec accompagnement
de violon , ad libitum , du même
Auteur.
I I I.
XXXe. Livre de Guitarre , contenant
des Airs d'Opéra comiques & autres ,
avec des accompagnemens d'un nouveau
goût , des préludes & des ritournelles ,
par M. Merchi , OEuvre XXXIV , prix
7 liv . 4 fols . A Paris chez l'Auteur , rue
Saint Thomas du Louvre , en entrant
du côté du Château d'Eau , à côté de
M. Godin , & aux adreffes ordinaires de
Mufique ; à Lyon chez Caftaud , Place
de la Comédie .
H
170 MERCURE DE FRANCE.
1 V.
Profpectus.
On propofe à Meffieurs les Amateurs ,
un Abonnement de vingt Simphonies
concertantes , de la compofition de del
Seig. CAMBINI. L'avantage qu'on en retirera
, joint à la bonté des Ouvrages de
cet Auteur, engagera fans peine Meffieurs
les Amateurs à y foufcrire. La Soufcrip
tion fera ouverte jufqu'au premier Mars
1776 , tems auquel on délivrera la première
Simphonie ; les autres fuivront fuc
ceffivement de mois en mois ; elle fera
marquée du n° . 5 ; les quatre premières
étant déjà gravées , elles ne feront point
compriſes.
Le prix de l'Abonnement eft de 60
liv. pour
les vingt Simphonies . Les perfonnes
qui ne feront point abonnées
payeront féparément chaque Simphonie
liv. 4 fols. 4
L'on ne fouferit que chez Madame
BERAULT , Marchande de Muſique , à
Paris , rue de la Comédie Françoiſe , au
Dieu de l'Harmonie,
FÉVRIER. 1776. 177
GNOMONIQUE.
CADRANS folaires verticaux , tranſparens
fur les glaces & verres de Bohême , conftraits
fur des piédeftaux portatifs , avec
des bouffoles pour les placer à la Méridienne
, ou fans bouffole , en marquant
une fois leur place.
D'autres pour pofer aux carreaux de
vitre des appartemens , fuivant toutes les
pofitions , déclinaifons & latitudes.
• Par cette nouvelle & charmante invention
, on peut , fans fortir de fa chambre ,
voir à quelque heure du jour que ce foit ,
l'heure qu'il eft au foleil , & régler fa
montre & fa pendule avec toute la précifion
requife. C'eft ce qui rend ces Cadrans
extrêmement utiles , commodes &
agréables pour la Ville & pour la campagne.
Ils fervent auffi d'ornement fur
une cheminée , ou fur une commode &
à la croifée .
L'Auteur en trace fur tous les plans ,
tant en peinture fur les murs , que fur
le marbre , le cuivre , & de toutes manières
& grandeurs différentes , & dans
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
toute forte d'élégance , d'agrément & de
boo goût.
Le fieur Rouffeau , Auteur de ces nouveaux
Cadrans , demeure rue faint Victor
, vis à vis le Cardinal le Moine , à
éôté du Serrurier , au premier , au fond de
la Cour.
On peut voir quelques - uns de fes
Cadrans chez Monfieur & Mademoiſelle
de Saint Marcel , au jour & heure de
leur Concert , du mardi de chaque femaine
, dans le Cloître faint Benoît , la
deuxième porte cochère à gauche . Les
Connoiffeurs , & toutes Perfonnes honnêtes
& de bon goût y feront bien reçus.
Prospectus du nouveau Cabeſtan , approuvé
avec éloge par l'Académie Royale des
Sciences qui l'a reconnu fupérieur à ceux
qui ont remporté le Prix en 1739 & em
1741 , dansfon Certificat dont la teneur
fuit.
Extrait des registres de l'Académie des Sciences
du 24 Avril 1771.
Nous ous avons examiné , par ordre de
l'Académie , diverfes Machines où InFÉVRIER.
1776. 173
>
ventions préfentées par M. JEAN
ARNOUX , Méchanicien du Dauphiné ;
entre autres , un Cabeftan deſtiné à empêcher
que la corde ou le cable ne chevauche
, & qu'on ne foit obliger de choquer.
( Suit la defcription des pièces qui le com
pofent. )
Dans les huit pièces qui furent préfentées
à l'Académie pour le prix de
1739 & 1741 , il n'y en a aucune où
l'on ait employé cette méthode , quoique
naturelle & utile . Les Cabeftans à fufée
de M. de Pontis n'avoient pas le même
avantage , & c.
Nous croyons donc que ces différentes
inventions de M. Ainoux annoncent
du talent ; qu'elles font utiles & qu'elles
méritent l'approbation de l'Académie
Royale des Sciences. Le 24 Avril 1771 .
Signé , DE LA LANDE & DE FOUCHY.
Et plus bas : je certifie l'extrait ci - deffus
conforme à l'original & au jugement de
P'Académie. A Paris , les jour & an que
deffus. Signé , GRANDJEAN DE FOUCHY ,
Secrétaire perpétuel , & c.
Le Cabeftan eft une machine d'une
utilité fi commuue & fi univerfellement
reconnue , même dans l'état d'imperfecation
où il est resté jufqu'à préfent , que
Hiij
374 MERCURE DE FRANCE .
T'annonce de fa plus grande perfection
poffible ne fauroit manquer d'être accueil
lie le plus favorablement par le Public,
Sans le Cabeftan comment mouvois
ces fardeaux énormes fur lefquels la force
des hommes & des chevaux n'a pas la
commodité d'agir ? Faciliter fon opération
, la rendre non feulement plus sûre ,
mais conftamment infaillible ? C'étoit
donc rendre à la Méchanique le plus im
portant fervice. M. Arnoux en a reçu la
premiere récompenfe de l'Académie
dans l'approbation qu'on vient de lire.
Le Souverain l'a gratifié de la feconde
en lui accordant à cet effet un Privilége
exclufif pendant quinze années , duement
enregistré au Parlement de Paris . Ce Privilége
fait défenfes à toutes perfonnes ,
de quelque qualité & condition qu'elles
foient , de contrefaire , vendre , ni débiter
le Cabeftan de M. Arnoux , à peine
de dix mille livres d'amende , applicables
un tiers au Roi , un tiers à l'Hôpital
le plus voifin du lieu du délit , &
un tiers à lui ou à fes repréfentans , avec
confifcation des outils & matériaux.
L'Auteur fe propofe ici de donner une
idée fommaire , mais claire & exacte des
principaux avantages de fon Cabeſtan. ,
FÉVRIE R. 1776. 175
19. La conftruction en eft auffi fimple
que facile.
29. Son ufage eft auffi commode de
loin que de près ; il ne choque point &
ne s'engorge jamais : deux inconvéniens
confidérables des anciens Cabeftans , dont
celui-ci eft abfolument préfervé dans
tous les cas , avec une force moindre
ou plus confidérable , & à des diftances
plus ou moins grandes.
Pour obtenir un effet égal , on y
employera moitié moins d'hommes & de
cordages .
4. Sa force furpaflera , fans aucune
comparaifon , celle des anciens Cabef
tans .
5º. On pourra multiplies cette force
aurant qu'il fera néceffaire , en augmentant
le nombre des Cabeftans & des
hommes. Ces différens Cabeftans employés
en même tems ne fe nuiront jamais
entre eux , & leur effet réuni fe
siendra toujours dans le plus parfait
accord .
6º. On transportera le Cabeftan partout
aifément , & on le placera où l'on
voudra avec la même facilité , fans rien
diminuer de fon action.
7. Employé au lieu de crie , machine
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE,
› or linaire très - connue fon opération
fera auffi prompte & auffi sûre que celle
du cric eft lente & dangereufe pour:
agens.
2
fes
8. A quelque diftance du fardeau
que le Cabeftan fe trouve placé , fa force
fera toujours la même , à la feule déduc
tion du poids de la corde ou cable.
9°. Que le Cabeftan foit placé en bas
ou en haut , fur on plan horizontal ou
incliné , il tire également le fardeau , &
avec la même force ; ce qui le rend prodigieufement
utile pour tous les travaux des
Digues , Jetées , Fortifications , & c. & c.
& généralement pour toutes les conftructions
ou démolitions poffibles .
10°. On peut dans tous les cas laiffer
couler le fardeau jufqu'au point de fon
repos , fans craindre fa chûte & fans le
moindre danger pour les hommes .
A l'égard de l'utilité de fon ufage,
elle embrafle tant d'objets , qu'il fuffit
d'en fixer ici les principaux en général ,
tant fur terre que fur mer.
Avantages fur Terre.
1 °. Le nouveau Cabeftan facilitera
fingulièrement l'exploitation des forêts.
FÉVRIER. 1776. 177
L'impoffibilité de pratiquer des chemins ,
l'ingratitude de la fituation entre des
rochers ou dans des abîmes , ne feront
plus un obftacle à l'extraction des arbres
les plus précieux pour la Marine &
pour toute autre conſtruction.
2º. Dans toute conftruction ou démolition
poffible d'édifices & fortifications ,
de digues & de jetées , les plus groffes
pièces de charpente , des pierres , des arbres
énormes pourront être placés ou enlevés
aifément & fans aucuns rifques à
quelque hauteur ou profondeur que ce.
puifle être.
3º. On tirera le plus facilement des
carrières & des mines les plus profondes
toutes les matières , les eaux , les blocs
de marbre , les meules , les pierres de
taille , &c. & c . Le chargement & le
tranfport de tous ces objets en fera par
conféquent d'autant plus facile.
4. Enfin on tranfportera les plus
groffes pièces d'artillerie dans les endroits
les plus difficiles & l'on pourra les
placer par - tout où elles feront jugées
néceffaires.
Avantages particuliers pour la Marine.
1º. Dans la conftruction des vailleaux
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
il fervira à placer facilement les plus
groffes pièces.
2. A charger ou décharger avec la
même facilité les fardeaux les plus con-
Adérables.
3 °. Pour tendre ou lâcher les voiles
felon le befoin , avec autant de promptitude
que de sûreté .
4. Pour empêcher les vaiffeaux , en
cas de tempête , de fe brifer contre le
rocher ou d'échouer à terre.
5°. Pour les tirer , ainfi que les ancres
, ou toute autre chofe , du fond de
la mer.
6°. Il facilitera la manoeuvre néceffaire
pour visiter les vaiffeaux jufqu'à la quille,
les calfater & regaudronner.
Les perfonnes qui defireront faire l'acquifition
du nouveau Cabeftan , & d'une
portion du Privilége , pour s'en fervir avec
les mêmes droits & prérogatives pendant
fa durée , dans tout Port de mer ou
autre endroit du Royaume à leur convenance,
s'adrefferont , ainfi que les étrangers
, à Paris , à M Arnoux , Ingénieur-
Méchanicien , Privilégié du Roi , & Com
pagnie , ou à la Manufacture Royale à la
Râpée ; on leur donnera tous les éclaireiffemens
& inftructions néceffaires pour
FÉVRIER. 1776. x177%2
faire produire à fon Cabeſtan tous les
effets annoncés ; elles pafferont enfuite
avec lui & fa Compagnie devant Notaires
tous traités & conventions relatifs à
Fobjet précis qu'elles fe propoferont d'ac
quérir , fuivant Fétendue on arrondiffement
du territoire qu'elles voudront
choifir.
Les Etrangers qui auront deffein da
fe procurer le Cabeftan , n'auront pas
befoin de paffer d'actes ; ils le feront
acheter parleurs Banquiers ou Correfpondans
, qui le payeront en argent ou en
effets de commerce.
Miner
CHIRURGIE.
LA mort de M. Gendron , Chirurgien-
Oculifte , nous donne occafion d'annoncer
au Public que M. Deshaies Gendron ,
Médecin du Grand Confeil , demeurant
àl'Hôtel de la Vallière , rue du Bacg ,
eſt le feul dépofitaire de tous les Ouvrages
manufcrits de feu fon Oncle Gendron
, Médecin de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , & de l'Abbé Gendron ; qu'il
a puifé les principes de fon Art fous les
H vj
a8o MERCURE DE FRANCE.
yeux d'auffi habiles Maîtres , ce qui lui
a accordé de la part du feu Roi , la permiffion
de joindre à fon nom de Deshaies:
le nom de Gendron , par Lettres : Patentes
enregistrées au Parlement le 5 Décembre
775 en conféquence , il s'empreffera
de procurer fes fecours aux perfonnes
affectées de maladies des yeux qui voudront
bien lui donner leur confiance.
COURS DE LANGUE ALLEMANDE.
Le fieur Friedel , qui a commencé l'année
paffée à enfeigner avec fuccès la Langue
Allemande , qui devient de jour en
jour plus utile & néceffaire à la Nation
Françoife, continuera , non -feulement fes
Leçons en Ville , mais il commencera
auffi au mois de Février un Cours de
Langue Allemande. Les perfonnes qui
voudront prendre des arrangemens avec
lui , le trouveront tous les jours , de midi :
à deux heures , chez lui , rue Dauphine
près celle de faint André des Arts , au
Café de Butli , chez Mde Monmayeux .
FÉVRIER. 1776 . 18 i
REPONSE de M. de Voltaire à l'Auteur
du Philofophe fans prétention , qui
lui a envoyéfon Ouvrage.
29 Décembre 1775, au Château de Ferney.
Le Malade de Ferney , qui n'a d'autre prétention
, à l'âge de quatre - vingt deux ans , que celle
de mourir en paix , remercie très - fenfiblement le
Philofophe fans prétention , qui lui a fait l'honneur
de lui envoyer fon livre. Si l'Auteur n'a pas
eu la prétention de plaire , il a été directement
contre fon bur. Le vieux Malade eft pénétré de
reconnaiflance pour le Philofophe qui lui a fait
un préfent fi agréable . Il a l'honneur d'être , avec
tous les fentimens qu'il lui doit , fon très-humble
& très - obéiffant ferviteur.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , &c.
I.
A
UN Artifte Saxon , nommé Dubin , a
inventé une machine propre à rafraîchir
les appartemens pendant les grandes cha182
MERCURE DE FRANCE.
leurs de l'été ; l'effet de cette machine
eft beaucoup plus sûr & plus prompt
que celui de toute autre machine myentée
pour le même ufage..
Į L.
M. Farrel a conftruit une machine ,
dont l'ufage eft de fauver les perfonnes
furpriſes dans les maifons par des incendies
. Par ce fecours , on monte &
l'on defcend avec autant de célérité que
de facilité. La machine peut contenir
plufieurs enfans,
IIL
On a effayé , fur la route d'Ipfwich
en Angleterre , un inftrument qui applanit
& baille les bords des chemins , de
manière à faire bomber le milieu . Le
fuccès a furpallé toute attente. Cette
machine fait plus d'ouvrage que n'en
feroient cinquante hommes .
I V.
M. Hide , Anglois , établi à la Cha
rité fur- Loire , vient de conftruire dans
cette ville , pne forge , où il fait du fer
FÉVRIER. 1776. 183
parfaitement rond de toutes grolleurs ,
depuis cinq lignes . Ce fer elt de la plus
grande beauté , & tel que la ligne me
peut en procurer de femblable . Il eft
poli & bronzé de manière qu'on le
croiroit verni . Ce fer eft bon pour efpagnolettes
, tringles de lit & de croiſée ,
&c. qui fe trouvent ainfi toutes faites ,
en fortant de la forge, Comme ces dernières
font percées à froid & pour toute
forte de croifées , iill eenn résulte que les
boats n'augmentent point de grofleur ,
comme les bouts de celles qui font percées
à chaud ; & qu'en s'allontiffans d'anneaux
de rideaux , proportionnés aux
tringles , & juftes , les rideaux ferment
exactement & ne laiffent point de paffage
au foleil ; inconvénient très - fréquent
lorfqu'on fe fert de teingles ordinaires
avec lesquelles il faut employer des.
anneaux proportionnés à la groffeur des
bouts de ces tringles , & qui par - là ont,
trop de jeu lorfqu'ils les parcourent.
V.
Le fieur Bouffey , Docteur en Médecine
à Argentan , annonce un moyen
sûr , facile & peu coûteux , de conferver
184 MERCURE DE FRANCE.
le poiffon frais , & d'en faciliter l'exportation
loin de la mer ; mais il attend ,
dit-il , pour rendre fa méthode publique
, le réſultat de quelques expériences
qui lui ont encore paru néceffaires , afin
de ne rien lailler à defirer fur cet objet
important pour le commerce.
V I.
à
On fe fert depuis quelque temps
Liége , & dans plufieurs autres endroits ,
d'une nouvelle méthode économique &
durable de dorer , fans or , lés fambris ,
cadres de tableaux , bordures d'eftampes ,"
voitures , & c. en employant du cuivre.
Il est vrai que cette dorure , beaucoup
plus durable que celle dont on s'étoit fervi
jufqu'à préfent , eft moins brillante en fortant
des mains de l'Ouvrier ; mais au bout
d'un an tout au plus , on n'y remarque
aucune différence d'avec celle dans laquelle
on a employé de l'or.
FÉVRIER. 1776. 185
BIENFAISANCE.
I.
UN Prêtre refpectable , qui , pendant
une longue fuite d'années a été à la
tête d'une Paroifle , a donné l'exemple
de toutes les vertus aux ouailles qui
lui étoient confiées , & un grand modèle
à fuivre aux Eccléfiaftiques qui remplif
fent de pareilles places . Le fieur Mongodin
, né de parens pauvres , mais d'une
condition honnête , embraffa l'état Eccléfiaftique
, & y porta les lumières & les
vertus convenables . Après s'être diftingué
pendant fon Vicariar par des actes de
bienfaifance & un zèle infatigable , it
fut , à la demande , & au voeu unanime
de toute la Paroiffe , nommé Recteur ,
ou Curé de Saint Aubin , dans la ville
de Rennes . Il trouva un écu de rente
fondée pour les pauvres ; & à fa mort ,
arrivée vingt ans après , il en a laiflé une
d'environ 700 liv . , conftituée en leur
faveur. La bienfaifance , l'aumône & la
concorde , étoient le texte ordinaire de
186 MERCURE DE FRANCE.
fes fermons : c'eft en chaire feulement
qu'il recommandoit la chatité , & qu'il
intéreffoit en faveur des malheureux : hors
de là , il ne réclamoit point. Il ne permit
jamais qu'on fît des quêtes dans fa Paroifle
pour les pauvres ; & lorfque. Le
Parlement permit à celles de Rennes de
faire des emprunts , il ne confentia point
que la Genne en fit : il pourvut lui même
à fes befoins ; fes dixmes y furent em
ployées . « Mon revenu , difoit il , appartient
aux malheureux , je fuis leur
» caiffier ; qu'ils viennent chez moi re-
» tirer ce qui leur eft dû » . Jamais il
n'en renvoya fans fecours : il fe trouva
quelquefois dans des momens de difette ,
partagea avec eux fon repas . Ses parens
p'eurent jamais exclufivement part à les
dons quelques - uns , réduits à la misère ,
recevoient feulement le pain de l'aumône ;
lui-même s'en pourriffoit : il cultiva les
patates , & en fit un très- ben pain . A fa
mort , on n'a trouvé que quarante écus
à lui ; il a difpofé , en faveur des pauvres ,
par un teftament olographe , de ce que
la communauté pouvoit lui devair. Plas
de deux cents Artifans lui doivent leur
état : il a laiffé en mourant foixante enfans
en apprentiffage ; c'étoit fon oeuvre
FÉVRIER . 1776. 187
favorite. Son dernier acte a été un acte
de bienfaisance : le jour de fa mort , il
venoit , à fix heures du matin , de donner
vingt écus à fon Vicaire , pour procurer
une fituation & un lieu commode à une
malheureuſe domestique trompée & aban
donnée par fon maître. Les vertus du
fieur Mongadin font un fpectacle tou
chant & rare pour l'humanité : la reli
gion & la piété doivent le réunir pour
les célébrer. Sa Paroiffe lui a érigé un
monument : la reconnoiffance qui l'a
élevé , l'a décoré d'une infcription fimple
, mais qui rappelle les vertus du refpectable
Recteur.
I I.
Un Seigneur qui pofsède des terres
confidérables vers le nord de l'Angleterre ,
vient d'y inftituer des fêtes appelées
Céréales , qui fe célébreront tous les cinq
ans pendant la moillon. Durant le temps
de ces fêtes , le Seigneur , confondu avec
Les Valfaux , habillé comme eux , &
travaillant avec eux , redeviendra ce
qu'étoit l'homme dans le premier âge ,
Au retour des champs , tous ces Labou
reurs , égaux par la nature , prendront
188 MERCURE DE FRANCE.
leur repas au Château avec le Seigneur
& toute fa famille. Les Céréales dureront
huit jours , & fe termineront par le mariage
des douze jeunes filles les plus fages ,
avec les douze jeunes Laboureurs les plus
laborieux. Le Seigneur en fera les frais ,
donnera à chaque nouveau ménage vingt
guinées , avec tous les outils d'agriculture
, & les exemptera de toute réde
vance pour les deux premières années.
I I I.
M. Garrick , touché de l'infortune
de plufieurs particuliers , dont les maifons
ont été confumées dans le dernier incendie
arrivé à Londres , leur a cédé gratuitement
les logemens dépendans de fon
théâtre, pour tout le temps qui leur fera
néceflaire.
I V.
>
Le Comte de P .... qui pofsède des
terres confidérables dans le Béarn a
donné ordre à fes gens d'affaires de diftribuer
les fecours les plus abondans à
tous ceux de fes Vaffaux que la maladie
épizootique des bêtes à cornes a laiffés
FÉVRIER . 1776. 189
dans l'indigence. Il n'a mis aucune borne
à fa bienfaifance. Il a exigé qu'on tirât
fur lui pour toutes les fommes néceffaires
aufoutien des pauvres familles , auxquelles
il veut fervir de père.
ANECDOTES.
I.
Un jour Henri IV ayant été furpris
d'une réponſe fière & hardie que lui faifoit
M. de Villeroy , un de fes Secrétaires
d'Etat, lui dit avec vivacité : ventre faintgris
, parle t on ainfi à ſon maître ? M.
de Villeroy voyant le Roi en colère ſe
retira par refpect . Mais Henri IV le
fuivit , & l'atteignit à la porte de fon
anti -chambre : M. de Villeroy , lui dit le
Rai , faut-il que deux vieux amis fe quit
tent pourfi peu de chofe ?
I I.
que
Comme on repréfentoit à Boileau
s'il s'attachoit à la fatire , il fe feroit des
190 MERCURE DE FRANCE.
ennemis qui auroient toujours les yeux
fur lui , & ne chercheroient qu'à le décrier ;
il répondit : Eh bien ! je ferai honnête
homme , & je ne les craindrai point.
I I I.
On parloit de lavarice dont le Duc
de Malbouroug avoit été accufé , & l'on
citoit des traits fur lefquels on appeloit
au témoignage de Milord Bolinbroock ,
qui avoit été l'ennemi déclaré du Duc.
C'étoit unfi grand homme , tépondit Bo
linbroock , quej'ai oublié fes vices.
I V.
Charlemagne vouloit qu'on eût un fein
extrême des pauvres. On vint un jour,
annoncer á ce Prince la mort d'un Evêque
, & il demanda combien ce Prélac
avoit légué aux pauvres en mourant. On
lui répondit qu'il n'avoit donné que deux
livres d'argent. Un jeune Clerc , qui étoit
préfent , s'écria : c'eft un bien petit viatique
pour un fi grand voyage ! Charlemagne
fut fi fatisfait de cette réponse , que
fur le champ il donna l'Evêché à celui
qui l'avoit faite , & fai dit n'oubliezjaTEVRIE
R. 1776 . 141
mais ce
que vous venez
de dire , & donnez
aux pauvres plus que ne faifoit celui dont
vous venez de blamer la conduite.
V.
Ben Johnfon , célèbre Poëte Dramatique
Anglois , étoit en prifon pour s'être
battu en duel . Il étoit grand buveur , &
cherchoit à fe dédommager des ennuis de
fa captivité , en fatisfaifant amplement
à ce goût. Un jour il lui prit fantaisie
d'appeler le Geolier dans la chambre à
l'heure du dîner ; il le fait mettre à table ,
& lui dit fort férieufement qu'il veur
faire de lui un Poëte. Le Geolier en rit
beaucoup , & accepte fa part du repas.
Johnfon lui verfe à boire ; le Geolier
refufe , & lui protefte qu'il n'a jamais bu
de vin de fa vie, Johnfon fe met en co
Tère , & le Geolier boir. Le premier jour
il fut malade , le fecond il le fut moins ;
le troifième il y étoit accoutumé. Au
bout de huit jours , il favoit très-bien
boire , & ne favoit pas encore faire un
vers. Les amis de Johnſon , inftruits de
cette aventure , lui demandèrent , en raillant
, à voir les oeuvres de fon nouveau
Difciple. Vous vous moquez , leur dit- il ,
W
192 MERCURE DE FRANCE.
en montrant un buffet rempli de bouteilles
vuides : il eft déjà Poëte à demi ,
puifqu'il a bu de l'hippocrène.
V I.
Un particulier affez bien mis , fur
attaqué la nuit , près de Londres , par
un voleur qui lui demanda la bourfe .
Sij'avois de l'argent , tépondit le Citoyen ,
ce n'eft pas vous que auriez la peine de me
L'enlever. Mes Créanciers me font pourfuivre
pour 20 liv. fierlings : je n'ai pas
un fol ; je cherche un afyle , mais je fuis
bien sûr de n'en point trouver. Vous vous
trompez , repliqua f : oidement le voleur.
Trouvez vous ici demain à neuf heures da
matin , ajouta t- il , en lui monɛrant une
maiton peu éloignée , vous verrez qu'ily
a encore en Angleterre des ames honnêtes
& des coeurs fenfibles. Tous deux furent
exacts à l'heure durendez- vous . Le voleur
donna au débiteur infolvable 50 livres
fterlings , en l'ex hortant à aller payer fa
dette & les frais de juftice , & le déroba
fur le champ aux témoignages de fa reconnoiffance.
VII.
FÉVRIER. 1776. 193.
VII.
Fletcher , Poëte Dramatique Anglois ,
ayant été deftiné au Barreau par fon père ,
étudia quelque temps en droit ; mais il
y fit fi peu de progrès , qu'il ne put jamais
bien apprendre une feule définition . Le
jour de l'examen étant arrivé au bout de
quelques mois , il s'y laiffa entraîner par
fes camarades. Son tour d'être queſtionné
étant venu , on lui demanda : quid eft Jurifprudentia
? Le jeune Fletcher , plein de
dépit , & tout à fait dégoûté de cette
étude , répondit : mafoi , je n'en fais rien ;
mais je fais bien qu'elle eft la plus ennuyeufe
créature que je connoiffe.
VIII.
Spencer , fameux Poëte Anglois , s'introduifit
un jour dans la maifon du Lord
Sidney , dont il n'étoit point connu , tenant
à la main une copie du neuvième
chant du premier livre de fon Poëme
intitulé : la Nymphe Reine . On porte fa
copie au Lord. Il la prend , la lit ; & ,
frappé de la defcription du défefpoir dans
ce chant , fait paroître le tranfport le plus
194 MERCURE DE FRANCE.
vif à la découverte d'un génie fi neuf &
fi rare. Il lit paffionnément quelques ftances
; & fe tournant vers fon Intendant :
donnez , lui dit- il , so liv. ( fterlings ) à
l'Auteur de ces vers ... Il pourfuit la lecture
; & plus frappé encore d'une nouvelle
ftance , s'écrie : doublez , doublez la
fomme.... L'Intendant étonné , différoit
d'exécuter l'ordre de fon maître . Sidney
continue de lire ; la libéralité s'accroît
avec fon admiration : je donne , dit- il ,
200 livres ; & pouffant fon Intendant par
l'épaule víte , vite , & fur le champ ; car
fije lis davantage , jeferai tenté de donner
tout mon bien .
NOUVELLES POLITIQUES .
De Conftantinople , le 4 Décembre 1775 .
SA Hautefle a fait au Grand - Vifir l'honneur de
venir dîner chez lui le feptieme jour du Ramazan .
C'eft une faveur diftinguée dont les Souverains
Ottomans ne font pas dans l'ufage d'honorer
leurs Sujets , & que le Sultan Muftapha n'avoit
accordée que deux fois dans le cours de fon regne.
On a déjà dieffé au Sérail les pavillons pour
'
FÉVRIER. 1776.
195
l'accouchement d'une des femmes du Grand- Seigneur
, & tout eft difpolé pour les réjouiffances
relatives a cet événement prochain .
Le Capitan - Pacha cft arrivé avant hier dans
le port de cette Ville , avec la Flotte & de nouvelles
dépouilles du Chéïk- Daher , renfermées
dans un coffre de fer , dont l'énorme pefanteur
annonce la richefle , & que ce Chéik , en partant
pour fon expédition d'Egypte , dans laquelle il
a perdu la vie , avoit laiflé dans un Hoſpice
de la Terre Sainte à Acre. Ibrahim Sebak eft enchaîné
ſur cette Flotte , & ne tardera
doute à recevoir le châtiment dû au Miniftre.
fans pas
d'un Rebelle. L'aîné des fils du Chéik Daher
paroît s'être foumis à la Porte ; mais les deux
cadets , dont l'aîné fe nomme Ali , tiennent la
campagne contre les Arabes. Gezar Bey ,
commande actuellement dans Acre pour le Grand
qui
Seigneur , redoute peu cette cfpèce de troupes qui
ne peut rien contre des villes fermées. Ce Commandant
eft le même qui a défendu Baruth contre
les Rufles. Il vient de recevoir de Sa Hauteffe les
deux queues.
Du Caire , le 16 Octobre 1775.
Le 16 du mois dernier , les Crieurs publics ,
accompagnés de tambours & de trompettes , annoncerent
, dans la ville , que les eaux du Nil
étoient parvenues jufqu'au pied des montagnes
qui bordent l'Egypte , ce fleuve a continué de
croître encore jufqu'à la fin de Septembre ; mais
il s'en faut
d'enviroane coudée ( un pied & demi)
qu'il ne fe foit élevé à la hauteur de l'année der-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
miere , enforte qu'on ne peut eſpérer qu'une récolte
médiocre .
De Mofcou , le 7 Décembre 1775 .
Le nouveau Réglement pour l'adminiſtration
intérieure eft imprimé en langue Rufle , & les
premiers exemplaires viennent d'être diftribués .
Il n'aura lieu d'abord que dans les Gouvernemens
de Twer & Smolensko , tant pour juger
de fon utilité pratique , que parce qu'il feroît
trop difficile de le faire exécuter en même
temps dans toute l'étendue de l'Empire . On
prétend qu'il occafionnera des changemens effentiels
dans la forme de l'adminiſtration actuelle.
De Copenhague , le 26 Décembre 1775 .
Les Seigneurs & les Propriétaires des terres.
fituées fur les bords de la mer , par un abus
contraire aux loix du Royaume , & particulie
ment à l'ordonnance du 21 mars 1705 , s'étoient
infenfiblement arrogé le droit exclusif d'acheter
les marchandiles échouées ou avariées des bâtimens
naufragés fur les côtes , ce qui forçoit
les Négocians de les céder , faute de concurrence
, à un prix infiniment au deffous de leur
valeur. Il vient de paroître fur cet objet une
ordonnance par laquelle Sa Majesté abolit ce
prétendu droit exclufif , & permet à tous les fujets
indiftinctement d'acheter ces marchandifes &
d'enchérir fur les offres des acheteurs qui fe
croyoient mal - à- propos privilégiés .
FÉVRIER . 1776. 197
De Gibraltar , le Décembre 1775.
Il est arrivé à Salé quelques Artiftes François
venant de la côte de Maroc , où ils étoient pallés
de Londres & de Livourne , dans l'espoir d'y être
employés utilement ; mais comme les arts ne
trouvent aucun encouragement dans ce Gouvernement
rigoureux , ces Artiftes fe feroient
trouvés très - embarraflés , fi le fieur Chenier ,
chargé des affaires du Roi de France dans ce département
, n'eût obtenu l'agrément du Roi de
Maroc pour leur départ.
De Veftphalie , le 26 Décembre 1775.
Un Fermier des environs du bourg de Linnick
, voyant périr chaque jour fes beftiaux par
l'épizootic , imagina de conduire une de les
vaches malades à la petite riviere de fon village
& de l'y laiffer plufieurs jours. Le quatrieme , la
bête , preflée par la farm , vint d'elle même à
la ferme , mangea & fur guérie. Encouragé par le
fuccès de ce bain , il y fit traîner cous les autres
animaux qui languifloient fur les fumiers de fa
Cour , & il les a fauvés par ce même remede qu'il
n'a dû qu'au hafard.
•
De la Baffe Allemagne , le 3 Janvier 1776.
Le Roi de Prufle fe propofe de fonder une Uni
verfité Catholique à B eslau. Cet établiſlement
utile dans fes Etats au progrès des Sciences & des
Arts , peut encore , en artirant les Polonois , que
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
le manque de Colléges Nationaux oblige de
chercher une éducation étrangère , les habituer
aux moeurs Allemandes & les attacher par la
reconnoillance au Prince qui aura pris foin de
pourvoir à leur inftruction.
De la Haye, le 12 Janvier 1776.
entre L'état de guerre qui continue de fubfifter
les Etats Généraux & le Roi de Maroc , ne permet
pas à Leurs Hautes Puiflances de fufpendre les
convois. Le Gouvernement vient d'accorder encore
aux navires marchands deſtinés pour la Méditerranée
, l'efcorte de deux vaifleaux de guerre
qui ont mis en mer dès le 6 de ce mois , au Texel,
(avoir , la Bellone , aux ordres du Comte de
Byland , & leZephire , Capitaine Guillaume May.
Les Capitaines marchands ont été avertis dès le
mois de Décembre , s'ils vouloient profiter de ce
convoi , de fe rendre aux Greffes de l'Amirauté ,
pour prendre communication des fignaux de ces
deux bâtimens.
De Warfovie, le 19 Décembre 1775.
La Cour de Vienne a envoyé nouvellement à
fon Miniftre dans cette Cour , un ordre précis
de reprendre l'affaire de la démarcation des nouvelles
frontieres . On prétend que le Roi de Prufle
eft dans l'intention de procéder au même ouvrage.
La Ruffie vient de remettre un impôt de 400 ,
soo roubles ( deux millions de France ) par an
FÉVRIER . 1776. 199
aux Provinces qu'elle occupe en Lithuanie , & ce
foulagement doit leur être continué pendant trois
années confécutives .
De Naples , le 19 Décembre 1775 .
On affure que leVéfuve commence ,depuis quel
ques jours , à jeter du feu , ce qui menace d'une
éruption prochaine . Le Margrave de Bareuth &
quantité d'étrangers font partis , d'après cette
nouvelle , pour être témoins & obfervateurs
fideles de tout ce qui fe paflera ; mais on n'a
point parlé de tremblemens de tesre antérieurs ,
& ce font là ordinairement les précurseurs des
éruptions de ce volcan. On fait que la derniere
de 1767 avoit été annoncée dès 1760 par une
effervefcence & des convulfions prefque continuelles
.
De Rome, le 3 Janvier 1776.
Le Duc de Glo efter fe rendit , jeudi dernier
auprès du Souverain Pontife qui lui fit l'accuei
le plus diftingué.
La mort du Cardinal de Vecchis fait vaquer
dans le Sacré College le dix huitième Chapeau.
L'Ouverture des Théâtres de cette Ville s'eſt
faite hier: on repréſenta fur celui d'Argentina Vologefe
, Drame d'Apoftolo Zeno , mis en Mufique
par Mafi , Compofiteur Napolitain ; il y a Opéra.
Comique au Théâtre d'Aliberti & divers autres
Spectacles inférieurs.
On a découvert , dans une des vignes aux en-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
virons de cette Ville dix- fept Statues antiques &
sinq Têtes , dont une repréfentant Apollon , eft.
d'une beauté rare. Elles appartiennent au fieur .
Jenkin , Anglois , aux frais de qui fe font ces
fouilles .
Le Tibre a été gelé à Perouſe d'un bord à l'ausre
, ce qui arrive très rarement . Les beftiaux expofés
à l'air , & particulierement les moutons
ont beaucoup fouffert du froid exceffif qu'on vient
d'éprouver.
De Londres, le 30 Décembre 1775 .
>
Le Boyne , arrivé le 26de Bofton à Portsmouth,
a , dit on , apporté des nouvelles très - facheuíes .
Il avoit à bord plufieurs Officiers qui ont déclaré
ne vouloir retourner en Amérique . On a lçu par
ce Vaifleau que différens bâtimens de tranfport
parris de Londres avec des proviſions n'étoient
point arrivés , & il eft à préfumer qu'ils feront
tombés entre les mains des Provinciaux .
On a reçu la nouvelle qu'une de nos frégates de
guerre , ayant à bord plufieurs Officiers & Soldats
, avoit été prife par trois Vaiffeaux Américains
armés en guerre près de Nantuker , après un
combat opiniâtre , dans lequel elle a été abordée
fept fois . L'équipage a été fait prifonnier de
guerre .
Le Comte de Taube , que le Roi a envoyé ea
France , eft chargé de remercier Sa Majesté Très-
Chrétienne , du fecours que la Garniſon de l'Isle
de Rhé a donné aux troupes Hanovriennes qui
ent échoué fur cette côte , & de diftribuer une
FÉVRIER . 1776. 201
fomme de 1000 liv . fterl. entre ceux qui y ont comtribué
, & particulierement entre les Soldats du
Régiment de Royal- Corfe , qui , animés par
leur Commandant & les autres Officiers ,
oublié leur propre danger pour fauver les naufragés
.
ont
Le Duc de Grafton , occupé d'un projet de réconciliation
avec l'Amérique , attend que le Par--
lement fe foit raflemblé , pour y propofer fon
plan à la Chambre des Pairs ; mais les derniers
fuccès des Infurgens dans le Canada peuvent avoir
éloigné les difpofitions qu'on leur fuppofoit à
l'efprit de paix .
Il paroît conftant que leChevalier Peter Parker,
paflera à Bofton pour y prendre le commandement
de l'Elcadre , & que l'Amiral Greaves a ordre de
revenir ici.
La nouvelle de la prise du Nancy vient d'être
confirmée par un Bâtiment arrivé de Boſton à Douvres
; il a donné de cette prife les détails fuivans.
Ce bâtiment ayant demandé un Pilote , fut abordé
par un bateau portant huit hommes qui lui offrirent
leurs fervices ; mais à peine furent - ils dans
le vavire , qu'ils parurent armés de fabres & de
piftolets , & que bientôt maîtres de l'équipage
ils conduifirent à Portsmouth ce bâtiment chargé
d'un grand nombre de fufils & d'armes blanches,
ainfi que d'un mortier de fonte d'une nouvelle
conftruction .
Le Capitaine d'un des bâtimens partis de Corke
pour Boſton avec des provifions & des munitions
deftinées aux troupes de Sa Majefté en Amérique
a conduit fon bâtiment à Philadelphie , & l'a re-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
mis , ainfi que toute fa cargaifon , au Congrès qui
s'eft emparé des lettres qui étoient à bord de ce
bâtiment & dout il a été fait une lecture publique ;
enforte qu'on ne doit ignorer dans cette Colonie
aucune des melures que prend le Gouvernement
contre les Américains .
De Paris , le 19 Janvier 1776.
La nuit du 10 au 11 de ce mois , le feu prit au
Palais , dans la falle appelée la galerie des Prifonniers.
Comme ce lieu eft entouré de bâtimens ,
dans la plus grande partie defquels il ne fe trouve
perfonne pendant la nuit ; tout porte à croire que
le feu y eft demeuré long- tems caché , puifqu'au
moment où l'on s'en eft apperçu au- dehors , les
fla mmes occupoient déjà certe galerie en entier ,
la premiere Antichambre de la Chancellerie , la
Chapelle & le Greffe des Bureaux qui étoit à côté ,
le grand efcalier des Requêtes du Palais , le cabinet
, l'antichambre jufqu'à la falle d'Audience , let
logement du Buvetier de cette chambre , les galeries
qui communiquent à leur dépôt donnant fur
la cour des cuifines du premier Préfident , les cuifines
, offices & autres bâtimens attenant à l'Hòtel
de la Première Préfidence , la feconde & troifième
chambres , & le Greffe des Dépôts de la Cour
des Aides, l'escalier donnant dans la grande falle
du Palais , où étoit la bibliotheque du Grand Confeil
, toutes les parties avoifinant la tour de Montgommeri
dans la Conciergerie , plufieurs petits
bâtimens du Maître de Mufique de la Sainte Chapelle
, partie du logement du Concierge & le
Greffe des Eaux & Forêts.
FEVRIER. 1776. 203
Ce fut environ à une heure du matin qu'on
donna l'alarme. Le fieur Morat , Directeur des
Pompes , & le fieur Dubois , Commandant de la
Garde de Paris , avertis promptement , fe trouvèrent
au Palais à une heure un quart. Les pompes
que le fieur Morat eft chargé de diriger , & qui
le fuivent toujours de près , arrivèrent auffitôt a
la difficulté des iffues , l'immensité du terrein à
parcourir , l'abſence de la plûpart de ceux qui
avoient les clefs , tous ces obftacles n'empêchèrent
pas que bientôt le fieur Morat ne circonfcrivit
le foyer principal , de manière à concentrer les
flammes dans le lieu qu'elles occupoient , lors de
fon arrivée. C'eſt par cette manoeuvre qu'à l'extrémité
occidentale de la galerie des prifonniers
on fauva celles des Greffes , conftruite en bois
que les flammes attaquoient déjà . Les mêmes mefures
garantirent la première chambre de la Cour
des Aides , qui forme un pavillon adhérant aux
autres chambres de cette Cour , déjà enflammées;
mais où le fervice des pompes multipliées diminua
tellement l'action du feu , qu'on ceffa de craindre
pour la chambre des Comptes , pour la Sainte
Chapelle , & pour le dépôt des chartres qu'il avoi➡
fine.
"
Le fervice des pompes , fait avec autant d'intelligence
que d'activité , le zèle & le travail de tous
les ouvriers répartis de tous côtés , & parmi lefquels
on a vu des Religieux de plufieurs Ordres ,
confervèrent le bâtiment neuf des Parquets , où le
feu entroit par plufieurs endroits . Ils garantirent de
même les combles de la grande falle , plus combuftibles
encore que tout le refte de cet ancien
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
édifice , par l'immensité des bois qu'ils renferment
, & qui tenoient à ceux de la Cour des
Aides entièrement enflammés .
L'écroulement de la galerie des prifonniers
dans le préan de la Conciergerie ayant formé un
monceau de ruines , plus vivement embrasé par
le mouvement de la chûte , on vit la galerie des
Greffes une feconde fois menacée , & fauvée une
feconde fois par les prompts fecours qu'on y apporta
, & qui , donnés partout , confervèrent encore
les bâtimens de la cour des cuifines de la
première Préfidence , quoique la galerie des Dépôts
fut entièrement en feu , & de niveau avec
les combles de ces mêmes bâtimens .
A 9 heures du matin , le Directeur des pompes
calma les vives alarmes des Magistrats , en les
affurant que le feu ne s'étendroit pas plus loin ,
& fes promeffes fe font en effet réalifées . Il fut
appuyé dans fon travail par le Régiment des
Gardes- Françoifes & Suiffes , & il ne dut pas
moins à la facilité que la Ville lui procura
d'avoir de l'eau , ainfi qu'aux foins de la Garde
de Paris , qui maintint l'ordre fi néceffaire aux
différens travaux de tous ceux qui étoient occupés
à éteindre ce feu violent.
Le local incendié ne contient que 320 toiles
de fuperficie ; mais comme la plus grande partie
des bâtimens étoit fort élevée , on peut juger
de ce qu'on avoit à redouter d'un incendie qui
trouvoit autant d'aliment.
Le Duc de Coffé , Gouverneur de Faris , le Pre
mier Préfident & le Procureur- Général du Par
FÉVRIER. 1776. 205
lement , le Premier Président de la Cour des
Aydes , le Lieutenant de Police , le Prévôt des
Marchands , l'Intendant de Paris , & un grand
nombre d'autres Magiftrats du Parlement & de
la Cour des Aydes y ont affifté la nuit & les jours
fuivans , occupés à donner les ordres néceffaires ;
la Garde de Paris , dès le premier inftant , y avoit
heureufement établi le meilleur ordre . Le Maréchal
de Biron , ainfi que le Comte d'Affry , s'y
sont rendus pour commander en perfonne les
fecours donnés avec le plus grand zèle par leurs
Régimens . On a vu le public , au milieu de ce
défaltre affligeant, applaudir avec reconnoiffance
aux foins éclairés & au courage du ſieur Morat ,
Directeur des pompes .
Le Roi & la Reine ont envoyé , dès le lendemain
, des fecours en argent , pour être diftribués
à ceux qui ont le plus fouffert des ravages
de cet incendie .
L'Académie Royale des Sciences ayant reconnu
par une longue expérience qu'il ne réfultoit des
Ouvrages qui lui font fouvent préfentés fur la
quadrature du cercle , le mouvement perpétuel ,
la trifection de l'angle , la duplication du cube &
autre eſpèce , aucun avantage pour le progrès des
Sciences , mais feulement une perte de tems confidérable
pour les Académiciens qui fe trouvent
chargés de l'examen de ces Ouvrages , elle déclare
qu'à l'avenir , elle ne recevra ni n'examinera
aucun Mémoire fur de pareils objets , & que ceux
qui lui feront envoyés feront mis au rebut & demeu
reront fans réponſe.
On écrit de Soujé dans le Maine , qu'un des
206 MERCURE DE FRANCE.
effets du dernier tremblement de terre avoit été
d'y faire bouillonner l'eau dans les ruiffeaux qui
couloient du Sud Oueft; ce qu'on ne remarqua pas
dans les ruifleaux dont le cours avoit la même direction
que le tremblement , c'eft - à- dire , du Nord-
Eft au Sud -Eft. Un pauvre , qui fe trouvoit en ce
moment- là au fommet de Rochart , à deux lieues
de Connée vers le couchant , une des plus hautes
montagnes de la Province , a rappotté qu'il avoit
vu le rocher fe fendre & des pieries s'en détacher.
Les Villages enfoncés dans les vallons & qui
n'étoient pas commandés pas des montagnes au
Sud Eft , le font à peine apperçus de ce tremblement.
PRESENTATIONS .
Le 31 décembre , le fieur Godefroy de Boisjugan
, gentilhomme d'une ancienne famille de
bafle Normandie , près Saint Lo , eut l'honneur
d'être préfenté avec la plus grande partie de fa
famille , au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale . Les enfans de ce Gentilhomme font au
nombre de quatorze , vivans , douze garçons ,
dont dix préfens , preſque en état de fervir , &
deux filles religieufes depuis quelques années à
l'abbaye royale de la Sainte- Trinité à Caen ; tous
ces enfans , excepté un feul qui eft prêtre & licencié
de Sorbonne , fe deftinent à l'état militaire.
Le 14 janvier , le premier Préfident du ParleFÉVRIER.
1776. 207
ment de Paris , ainfi que le Procureur - général du
même Parlement , ont eu l'honneur de faire leurs
remerciemens au Roi des fecours que Sa Majeſté
a bien voulu envoyer à l'occafion de l'incendie
arrivé au Palais la nuit du 10 au 11 du même
même mois ; ils ont auffi eu l'honneur de faire
leurs remerciemens à la Reine qui avoit envoyé
une fomme d'argent à l'occafion de ce fâcheux
événement.
1: Ce jour , la comtefle Jules de Rochechouart a
eu l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeftés &
à la Famille Royale , par la comieſe Louiſe de
Rochechouart.
Le 21 du même mois , la maréchale de Nico❤
łai & la marquife de la Vaupaliere ont eu Thoaneur
d'être préfentées à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale , la premiere par la comtefle le
Veneur , & la feconde par la marquife de Rochechouart.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 16 janvier, le fieur Déformeaux , de l'académie
royale des infcriptions & belles- lettres , ent
l'honneur de préfenter à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale le fecond Tome de l'Hiftoire de
la Maifon de Bourbon.
Le 17 du même mois , l'abbé de la Sauvagere
a eu l'honneur de préfenter à Monfieur un Ou208
MERCURE DE FRANCE.
vrage du fieur de la Sauvagere , fon pere , dont
ce Prince avoit bien voulu agréer la dédicace , &
intitulé : Recueil de Differtations fur la Lorraine
&fur l'Anjou .
Le 18 , le fieur Moreau , hiftoriographe de
France , a eu l'honneur de remettre au Roi le ma
nufcrit de fon dix- neuvieme & de fon vingtieme
difcours fur l'Hiftoire de la Monarchie Francoife.
Le 31 décembre , le chevalier d'Oify, capitaine
de valeaux , inspecteur du dépôt des cartes ,
plans & journaux de la marine , a eu l'honneur
de préfenter à Sa Majesté le projet d'une nouvelle
édition du Neptune François , corrigée fur toutes
les obfervations aftronomiques & autres qui ont
été faites depuis la premiere édition de cet Ou
vrage , exécuté lous le regue & par les ordres de
Louis XIV.
NOMINATIONS.
Le 11 janvier , le duc de Bouillon , grandchambellan
du Roi en furvivance , a prêté ferment
entre les mains de Sa Majesté , en qualité de
gouverneur & lieutenant- général de la province
d'Auvergne.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre à
l'Archevêque de Cambray.
Sa Majesté vient d'accorder l'abbaye de Cham ;
FÉVRIER. 1776. 209
bon , diocèſe de Vivier , à l'abbé de Raze , miniftre
du Prince - Evêque de Bafle , à la Cour.
Le Roi a nommé le fieur de Chaumont de la
Galaifiere , confeiller d'état ordinaire , ancien
chancelier de Lorraine , à la place de confeiller au
confeil royal des Finances , vacante par la mort .
du fieur d'Ormellon . Sa Majefté lui a accordé en
même temps les entrées de la chambre .
L'abbé de Vienne , nommé à l'évêché in partibus
de Sarepre (on Phénicie a été facré le 14 du
même mois, dans l'églite de l'abbaye royale de
Saint Victor , par l'archevêque de Lyon , affifté
des évêques de Toul & de Séez.
Il a été enfuite nommé par le Roi , fuffragant
de diocèfe de Lyon , à la requête de l'archevêque
de cette ville .
Le Roi a accordé l'abbaye de Saint- Michel de ,
Dourlens , ordre de Saint Benoît , diocèfe
d'Amiens , à la dame Defpiés , religieufe de l'abbaye
Saint Paul , diocèfe de Beauvais ; & l'abbaye
de Billon , ordre de Citeaux , diocèfe de Befançon
, à l'abbé Moly de Brézolz . , ancien vicaire
général de Langres .
MARIAGES.
Le 7 janvier , Leurs Majeftés & la Famille
210 MERCURE DE FRANCE.
Royale fignerent le contrat de mariage du fieur
le Boulanger , préfident de la chambre des comptes
, avec demoifelle Moreau de Plancy.
Le 14 , Leuis Majeſtés , ainfi que la Famille
Royale , ont figné le contrat de mariage du
vicomte de Sade avec la demoiſelle de Caufans.
NAISSANCE S.
Dans la paroiffe de Luc , à trois lieues de Caen
la femme d'un laboureur , nommé Geoffroi , eft
accouchée , le 2 Novembre dernier , de trois en⚫
fans , deux filles & un garçon ; les premieres ont
vécu cinq jours , & le garçon eft mort le dixieme.
L'année précédente , la même femme étoit pareillement
accouchée du même nombre d'enfans ,
morts auffi au bout de dix -huit à vingt jours . On
obferve , relativement à la population de ce vilage
, compofé de fept à huit cents habitans
qu'elle eft augmentée , depuis douze ans , de
deux cents cinquante . L'accroiffement de cette
année eft de vingt -fix , le nombre des morts étant
de vingt- huit & celui des baptêmes de cinquantequatre.
MORTS.
Armand Henri de Clermont , comte de ClerFÉVRIER.
1776 . 217
mont Gallerande , ancien colonel d'infanterie ,
eft mort à Paris le 5 janvier , dans la 91 ° année
de fon âge.
y eft
Louis Laurent , piêtre du diocefe de Toul ,
mort âgé de 100 ans. Il avoit été élu doyen rural
des curés de fon canton dit de Reynel , fous le
de Louis XIV .
regne
Françoife Saintours eft morte à Sciffiner , près
de Grenoble , âgée de toz ams , ayant confervé
toute la connoiffance . Elle étoit au fervice de la
famille du fieur de Montal , major de Grenoble
depuis 83 ans.
F Renée le Grand , femme d'un Laboureur , eft
morte à St Lo , âgée de 109 ans , n'ayant éprouvé
que la feule incommodité de la furdité .
La dame Louiſe Magdeleine Grimod de la Reyniere
, épouse du fieur Marc - Antoine comte de
Levis , baron de Lugny , colonel du régiment de
Picardie , eft morte à Paris le 11 janvier , âgée de
39 ans.
Le nommé Antoine Royer , laboureur , né à
Vignory en Champagne , près de Chaumont en
Baffigny, eft mort , le 21 décembre dernier , âgé
de 102 ans , quoique depuis 30 ans il cût une
hernie confidérable.
Le fieur Bernard -Bonaventure de Clerel , comte
de Tocqueville , meftre de camp de cavalerie ,
chevalier de l'ordre royal & militaire de St Louis ,
eft mort à Paris le 18 janvier , dans fa 46 ° année.
Jean-Florent , marquis de Valliere , lieutenant212
MERCURE DE FRANCE.
général des armées du Roi , ancien directeur- général
du génie & directeur -général de l'artillerie ,
eft mort à Paris le ro de ce mois , digne du nom
célèbre qu'il portoit.
Paul Hippolite de Beauvillier , duc de Saint-
Aignan , Pair de France , chevalier des ordres
du Roi , lieutenant- général de les armées , gouverneur
& lieutenant général pour le Roi des
ville & citadelle du Havre - de Grace , & c . l'un des
Quarante de l'Académie Françoife , & honoraire
de celle des Infcriptions & Belles Lettres , eft
mort à Paris , le 22 janvier , âgé de 91 ans , un
mois , 29 jours , également diftingué par les
vertus , les talens politiques & fon goût pour les
lettres & les arts , qu'il a confervé jufqu'au dernier
inftant de fa vie.
Gilles Gervais de Pechpeyrou , marquis de
Beaucayre , chevalier de l'ordre royal & militaire
de Saint Louis , maréchal de camp des armées du
Roi , meftre de camp du régiment de cavalerie
de fon nom , baron de Blanquefort & de Montbarla
, Seigneur de Lavalade - Pechpeyrou , eft
mort, à la faite d une attaque d'apoplexie , le premierjour
de l'an , dans la 70 année de fon âge ,
dans la ville de Moiflac en Quercy . Son héritier
du nom & armes eft Meffire Louis Georges de
Pechpeyrou , feigneur de l'Aboiffiere , réfidant à
Lauferte en Quercy , fils de Charles de Pechpeyrou
, décédé capitaine de cavalerie .
Louis Georges eft la derniere tête qui reste de
la maifon de Pechpeyrou , l'une des plus anciennes
de la province & des plus illuftres , puifqu'on a
les titres depuis 1200 , & les époques des grades
les plus honorables avec les plus belles alliances .
FÉVRIER. 1776. 213
LOTER I E.
Lecent quatre-vingt- unième tirage de la Loterie
de l'Hôtel- de -Ville s'eft fait , le 25 du mois de
Janvier , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv. eſt échu au Nº . 60994. Celui
de vingt mille livres au Nº . 73954, & les deux
de dix mille , aux numéros 67989 × 73156.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe ,page s
La vertu fait le grand homme ,
La nouvelle Pandore ,
Les reflources de l'équivoque ,
Vers de Madame de .... à M. le Préfident
d'Alco ,
Les Soeurs de lait ,
ibid.
Sonnet fur la naiſlance de Mgr le Duc d'Angoulême
,
Sonnet à M. Turgot , contrôleur - général des
Finances ,
L'homme confolé par la Religion ,
Dialogue entre le Temps & la Beauté ,
La Fourmi bienfailante ,
II
13
ibid.
14
33
34
35
44
49
214 MERCURE DE FRANCE.
Réponse à la chanfon fur les plumes que por.
tent aujourd'hui nos Dames ,
Vers à Madame la Princefle de Piémont ,
Vers fur l'élection du nouveau Grand- Maître
de Malte ,
ر م
$2
54
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Pour la fête de Mde P ..
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Ermance ,
Le Comte d'Umby ,
55
5.7
59
63
ibid.
76
Difcours prononcé aux Ecoles de Médecine , 87
Lettres & obfervations fur la vue des enfans
naiffans ,
Elémens de fortification ,
Traité de la petite vérole ,
Cours élémentaire des accouchemens ,
Article fur l'Opéra ,
Obfervations fur les pertes de fang des femmes
en couches ,
Inftitutions des fourds & des muers par la voie
des fignes méthodiques ,
Mém .pour fervir au traitement d'une fievre
épidémique ,
Second mémoire pour parvenir à détruire la
maladie fur les beftiaux ,
Réflexions fur les dangers des exhumations
précipitées ,
88
93
94
95
96
110
I 12
113
116
117
FÉVRIER . 1776. 215
Deſcription d'un cabinet de phyfique expérimentale
,
Les vues fimples d'un bon homme ,
Analyle des traités des bienfaits de la clémence
de Séneque ,
Prospectus d'un traité fur la cavalerie ,
118
123
129
129
Attilie ,
Lettres fur les Drames -Opéra ,
Anti-Dictionnaire philofophique ,
Annonces littéraires ,
138
139
141
142
ACADÉMIE..
Prix extraordinaire propofé par l'Acad . Roy.
144
1
des Sciences , ibid.
SPECTACLES . 158
Opéra ,
ibid.
Comédie Françoiſe, 160
Comédie Italienne ibid. •
ARTS . 161
Gravures ibid.
Mufique . 168
Gnomonique , } 173
Profpectus d'un nouveau cabeſtan , 173
Chirurgie ,
179
Cours de langue Allemande , 180
Réponse de M. de Voltaire à l'Auteur du Philofophe
fans prétention ,
Variétés , inventions , & c.
Bienfaifance.
181
ibid.
185
16 ME RCURE DE FRANCE.
Anecdotes.
Nouvelles politiques ;
Préſentations ,
Nominations ,
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries ,
189
194
206
208
209
210
ibid.
213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des ΑΙ
Sceaux , le Mercure de Février 1776. Je n'y
ai rien trouvé qui doive en empêcher l'im
preffion.
A Paris , ces Eévrier 1776.
DE SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
MARS, 1776.
Mobilitate viget. VIRGILE.
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A
PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriftine ,
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , oblervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique .
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols
ceux qui font abonnés.
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On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
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14 1.
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JOURNAL DES CAUSES CÉLEBRES , 12 vol in - 12 par an
à Paris 18 1.
241 .
18
121.
Et pour la Province ,
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE DE GENÉVE , 36
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LE SPECTATEUR FRANÇOIS , 15 cah . par an , à Paris , 9l.
Et pour la Province ,
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province ,
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ET NON ENLUMINEES des trois règnes de l'Hiftoire
Naturelle , avec l'explication , chaque calier broché ,
prix , 30 1.
JOURNAL DES DAMES , 12 cahiers , de chacun 5 feuilles ,
par an , pour Paris ,
>
12 1
121 .
15 i. Et pour la Province ,
L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , 24 cahiers par an, à Paris , 181 .
En Province ,
JOURNAL LITTÉRAIRE de Berlin , 6 vol . in- 12. par an ;
241.
à Paris ,
15 1
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A ij
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Dictionnaire hiftorique & géographique d'Italie , 2 vol ,
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naturelles , in 8 ° . rel . 5 liv.
liv. Preceptes fur la fanté des gens de guerre , in- 8° . rel .
De la Connoiffance de l'Homme , dans fon être & dans
rapports , 2 vol . in - 8 ° . rel . fes
Traité économique & physique des Oifeaux
cour , in- 12 br.
Dict . Diplomatique , in - 8° . 2 vol. avec fig . br.
12 1.
de baffe-
2 1.
Dia. Héraldique , fig. in 8 ° . br.
Révolutions de Rufie , in-8 ° . rel.
Spectacle des Beaux - Arts , rel .
Diction . Iconologique , in 8 ° . rel.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol. in-8 . rel .
Dict . des Beaux-Arts , in-82 . rel .
12 1,
1. 15 f.
21. 10 f,
3
2 l. 10 f
31.
9 l.
4 1. 10f.
12 1 .
18 1 .
in-8 °.
12 1.
Abrégé chronol . de l'Hift du Nord , 2 vol in-8 ° . rel .
de l'Hift. Eccléfiaftique , 3 vol. in-8 °. rel .
de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol .
rel.
de l'Hift. Romaine , in-8° . rel.
Théâtre de M. de Saint- Foix , nouvelle édition ,
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in-8° . br.
Bibliothèque Grammat. in-8 °. br.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné , in 12 br.
Les mêmes, pet. format ,
Poëme fur l'Inoculation , vol . in- 89 . br.
61.
3 vol.
6 1.
21.
21. 10 f.
2 1. 10 f
1 1. 16 f
31.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in-8° . br. avec fig. 41.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe , in-8 ° . br.
Les Mules Grecques , in- 8 °.br ,
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br.
11.41 .
1. 16 f
51.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV ,
in-fol. avec planches br. en carton ,
&c.
241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4°. avec fig, br. en carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br .
12 1,
3 1.
Mémoire fur la Mufique des Anciens , nouvelle édition
in-4°. br.
Journal de Pierre le Grand , in- 8 ° . br.
L'Agriculture réduite à fes vrais principes, vol. in-12 .
broché ,
2
MERCURE
DE FRANCE.
MARS , 1776.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE de Marie de Roffan , Marquife
de Ganges , à fa Mère.
MARIE DE ROSSAN , la plus vertueuse &
la plus malheureufe des femmes , naquit en
1637 du fieur de Roffan , & de la fille du
fieur de Nochères : elle n'étoit pas d'une
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
naiffance fort illuftre ; mais fa grande beauté
& fes richeffes confidérables la firent rechercher
des Partis les plus avantageux . Elle
époufa en fecondes noces le Marquis de
Ganges , Gouverneur de Saint - André ;
c'étoit un homme qui cachoit fon caractère
avec un foin extrême , qui avoit tous les
vices & paroiffoit avoir toutes les vertus.
Les premières années de fon mariage , il fit
le bonheur de fon épouſe : mais il en devint
dans la fuite jaloux au point qu'il fut caufe
de fa mort ; voici comment. Il avoit deux
frères auffi méchans que lui , qui tâchèrent ,
mais en vain , de fe faire aimer de leur bellefoeur.
Leur amour fe tourna en fureur. Ils
remplirent l'efprit du Marquis de foupçons
fi terribles , qu'il leur abandonna ſon épouſe
pour en tirer vengeance. Ils réfolurent donc
de l'émpoifonner , & le firent ; mais la Marquife
s'étant échappée de leurs mains , après
avoir pris le breuvage dont ellë jeta la moitié
, & s'étant fauvée dans une maiſon voifine
, un de fes frères la fuivit , & lui donna
fept coups d'épée . Elle furvécut dix-fept
jours à tous ces affauts , après lefquels elle
mourut , à l'âge de trente- un ans . C'eſt
dans l'efpace qui fe trouve de fon malheur
à fa mort , qu'on la fuppofe écrire à fa Mère
MARS.
7
1776 .
& lui faire le récit de fes infortunes. On
a été obligé de faire quelques changemens ,
dont il est inutile d'avertir le Lecteur. Ceux
qui feront curieux de lire l'Hiftoire de
Marie de Roffan , pourront confulter les
Femmes Illuftres de la France , Tome III ,
page première.
Ce n'est plus , ô ma mere , une épouſe adorée ,
Mais une malheureuſe à fes bourreaux livrée ,
Qui , prête de pafler de la vie à la mort ,
Dans ce terrible inftant va te tracer fon fort.
Cher & cruel époux ! frere injufte & barbare!
C'est donc vous qui portez le coup qui nous fépare !
Vos coeurs , vos lâches coeurs , nourtis dans les
forfairs ,
Doivent de mon trépas le trouver fatisfaits !
Vos voeux font accomplis ; je meurs votre victime
:
Mais mon fort eft trop beau , puifque je meurs
fans crime ,
Et que le coup fatal , porté par vos fureurs ,
Me fait appercevoir la fin de mes malheurs .
Oui , ce temps n'eft pas loin . O douce ! ô tendre
mere !
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Devois- je craindre tout d'une main auffi chere ?
Eft-ce à ceux qui nous font attachés de plus près
A trahir les premiers les fermens qu'ils ont faits 2
Malheur à vous , mortels , dont l'ame fiere & dure
Rejette avec horreur les droits de la nature ,
Ec qui , dans les forfaits , étroitement unis ,
Olez , fans nuls remords.... Mais , écoute , &
frémis...
Frémis... Je vais te faire un récit effroyable :
Puifle ma mort toucher un frere trop coupable !
Puifle- t- il à ce prix détefter les forfaits !
Souvent le repentir fuit les plus grands excès !
Dans les commencemens d'un nouvel hyménée ,
La trame de mes jours étoit trop fortunée ,
Et le bonheur conftant à s'attacher à moi
Me failoit de l'amour goûter l'aimable loi :
Mon époux m'adoroit , je l'adorois de même ;
Notre félicité pour lors étoit fuprême .
Je jouiflois , hélas ! du deftin le plus doux...
Bientôt je vis changer le coeur de mon époux .
La pâle jaloufie , au front morne & févere ,
Ce monftre que l'enfer a vomi fur la terre
Pour déchirer le coeur des malheureux mortels ,
Et les faire fouvent devenir criminels ;
Ce monftre , effroi de l'ame , ami de l'injustice ,
MARS. 9 1776.
Qui fuit , fans volonté , les traces du caprice ,
Et qui , loin d'appailer les maux des malheureux ,
Ne fait que les aigrir , les rendre plus affreux ;
Ce monftre enfin , l'auteur du deftin qui me reſte ,
Infecta mon époux de fon poiſon funeſte.
Son coeur de noirs foupçons eft bientôt déchiré :
Le doux repos le fuit , furieux , égaré ,
Ne le poffédant plus , tout l'offufque & l'irrite ,
Et rien ne peut calmer le courroux qui l'agite.
Depuis fix mois , qu'en proie aux plus vives douleurs
,
Je ne vois point tarit la fource de mes pleurs ,1
Espérant le retour dans une ame parjure ,
Je t'ai toujours caché les tourmens que j'endure .
Le devoir d'une époufe ( & tu le dois favoir )
Eft de ne point marquer jamais ſon déſeſpoir ,
De cacher les erreurs de l'ingrat qui l'opprime ,
Et d'attendre du ciel la vengeance du crime.
Ce motif(eul m'a fait différer tous les jours
De t'écrire ... De toi j'aurois eu des fecours ,
Et j'aurois épargné ce forfait à mon frere.
Maintenant que je touche à mon heure derniere ,
J'ai cru que je pouvois , fans manquer à l'hon
neur ,
Dévoiler à tes yeux fon crime & mon malheur.
Je t'inftruis de mon fort à regret , je l'attefte ...
· Av
JO MERCURE DE FRANCE.
•
Sur- tout ne montre point cette preuve funefte :
Tout malheureux qu'il eft , je foulcris à mon fort ;
Ma mere , garde- toi de venger cette moit .
Je pardonne à l'ingrat dont la main meurtriere ,
En me perçant le fein , me ravit la lumiere ;
Qu'il jouille à jamais de ce forfait affreux !
Ne le fais point punir , c'est tour ce que je veux .
Ce n'eft point aux humains qu'appartient la vengeance
;
Mais c'eft à l'Eternel à venger l'innocence.
Hélas ! que les mortels favent bien l'art affreux
De voiler leurs dehors & d'échapper aux yeux !
Jeune encore , ô ma mere ! & fans expérience ,
Je jugeois par moi feule & croyois l'apparence .
Ils fembloient fortement attachés à l'honneur ,
Je les crus vertueux ... Quelle étoit mon erreur !
Bientôt .. bientôt .. grand Dieu ! je vis qu'à l'arti
fice ,
A la brigue , à l'orgueil , à la mollefle , au vice ,
Ils drefloient feulement de coupables autels :
Trop tard , pour mon malheur , je connus ces
mortels ;
Trop tard je m'apperçus de leur vertu trompeule ;
Leur aveuglement feul m'a rendu malheureufe :
Il en eft , j'en frémis ! ... que , loin d'épouvanter ,
Le crime dans fes fers femble encor arrêter :
Et... Mais c'eft trop long-temps demeurer fur
l'abyfime :
MAR S. 1776 .
II
Tu connois le coupable , apprends quel eft le
crime.
Mon frere , ce cruel , auteur de tous mes maux
S'étoit fait un devoir de troubler mon repos.
D'abord , pour mieux cacher la noire perfidie ,
Il a de mon époux calmé la jaloufie :
Je vis renaître alors des jours purs & fereins ;
Je crus jouir encor de profperes deftins ;
Mais ce temps n'étoit plus , & j'étois destinée
A fervir de jouet à fa rage effrénée.
Grand Dieu ! ce fcélérat , haïflant la vertu ,
Sous un mafque trompeur portoit un coeur perdu :
Sa vie eft de forfaits un horrible aflemblage ;
Meurtre , attentat , voilà les objets de fa rage.
C'est un de ces mortels au crime abandonnés ,
Qui de mort & de fang ne font point étonnés ;
Qui paroiflent toujours , tant ils ont d'artifice ,
Pratiquer la vertu , quand ils fuivent le vice ;
Et qui , ne craignant point un Dieu jufte & vengeur
,
Se livrent fans réſerve à toute leur fureur.
Ce traître a de fa mort payé mon innocence.
Ma vertu m'a rendu l'objet de ſa vengeance.
Trop de vertu fouvent nous caule un fort affreux :
Peut être... Mais , que dis-je ? il eft plus glorieux
De mourir innocente & nullement Aétrie,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Que de vivre coupable avec l'ignominie :
Pour un coeur vertueux la mort a des appas ;
L'innocence a des droits que l'on ne connoît pas .
Qui l'eût dit ? il brûloit pour moi d'un feu cou
pable ,
Et fon coeur adultere étoit impitoyable.
Il voulut m'engager à flatter fon amour ;
Il voulut de mon coeur exiger le retour.
Je rejetai bientôt fa flamme criminelle :
Sa paffion trompée en devint plus cruelle.
J'ofai le menacer d'avertir mon époux ;
Mais lui , craignant l'effet d'un trop jufte courroux
,
Meprévint... A ces mots fi ma douleur augmente ,
Oma mere ! pardonne à ta fille expirante :
Pardonne ... Je ne puis arrêter mes langlots ,
Ni retenir mes pleurs au récit de mes maux.
Ce malheureux , voyant fa flamme méprifée ,
Fit retomber fur moi la fureur infenſes ;
Il m'accufa , le coeur rempli de déſeſpoir ,
D'avoir voulu trahit mon époux , mon devoir ,
De m'être , fans pudeur , abandonnée aux crimes ,
D'avoir conçu pour lui des feux illégitimes....
Ce trait , de mon époux ranima la fureur :
Toute la jaloufie a rentré dans fon coeur.
Juge de quel effroi mon ame fut faiGe
MAR S. , 1776. 13
Quand je me vis ainfi couverte d'infamie !
Quatre fois , pour calmer ces injuftes foupçons ,
J'ai voulu m'efforcer d'articuler des (ons ;
Et quatre fois ma voix , & foible & languiflante ,
Sans effet fur ma bouche eft restée expirante ;
Toujours & vainement j'ai voulu lui parler :
Mon filence n'a fait encor que m'accabler :
Mon frere a perfifté dans la rage égarée ,
Et mon époux , giand Dieu ! m'a cru déshonorée.
Enfuite me laillant dévorer ma douleur ,
Il eft forti , les yeux enflammés de fureur ,
Pour tramer un complot dont l'auteur eft mon
frere ,
Complot digne en effet d'une ame meurtriere ,
D'un tigre furieux ... Mortels dénatutés ,
Le crime n'est- il rien pour vos coeurs ulcérés ?
Le titre refpeétable & de foeur & d'époule
N'a- t-il donc aucuns droits fur votre ame jaloufe?
Enfin , pour t'éclaircir tout-à- fait fur mon fort ,
Ces cruels aflaffins ont réfolu ma mort...
Je le foupçonne au moins ... Dès cet inftant ter
rible ,
Mon époux m'a livrée à ce frere inflexibler :
Craignant de fe trouver témoin de mon trépas ,
Il a loin de ces lieux précipité les pas.
De cet affreux forfait l'inquiétante image ,
Sans doute dans fon coeur entretenoit la rage :
14
MERCURE
DE FRANCE
.
Pour s'en débarrailer , il part ... il fuit ces bords...
Un refte de vertu lui caufoit des remords.
La veille cependant de l'horrible journée
Oùje devois fubir ma triſte deſtinée ,
J'avois de mon malheur quelques preſſentimens :
Une frayeur fecrette alarmoit tous mes (ens ;
La nature à mes yeux paroifloit moins brillante :
Son afpect me donnoit une idée affligeante.
Les ombres de la mort erroient autour de moi ;
Dans mon coeur confterné tout apportoit l'effroi :
La nuit,un fonge affreux , vive & frappante image,
Augmenta ma frayeur , abattit mon courage ..
J'ignorois mon malheur ... ciel ! ... je n'y penſvis
pas ;
Et ne me croyois point fi proche du trépas .
A peine le foleil commençoit la carriere
Et répandoit (ur nous la brillante lumiere ,
Que ma porte s'ouvrit , & j'apperçus .. ah ! Dieux ! ...
Quelle horreur ?.. Je frémis à ce fpectacle affreux..
Qui n'eût point éprouvé cette frayeur extrême ?...
Ma mere... au récit feul tu frémiras toi même !...
Mon frere , furieux , une coupe à la main ,
Et de l'autre portant unpoignard inhumain ;
Se préfente à mes yeux , me remplit d'épouvante ,
Et fait paffer vers moi cette voix menaçante ;
MARS. 1776. 15
« Il faut mourir ; choifis » . A ces mots effrayans
Mon coeur fe confterna ; je perdis tous mes fens ;
Mais bientôt de la mort la redoutable image
Se préfentant à moi , m'en a rendu l'uſage :
En vain je m'efforçai d'appaifer la fureur ;
La pitié n'entre point dans un barbare coeur .
« C'eft aflez , m'écriai - je , & puifqu'à ta furie
Il faut , fans balancer , que j'immole ma vie :
» Donne .. donne la coupe , & repais -toi , cruel ,
» En me voyant faifir ce breuvage mortel .
» Donne .. il mefaut mourir... ne me fais point
>> attendre ».
ဘ
Je la prends ... Un bruit fourd qui vient le faire
entendre ,
L'agite ... Un fcélérat n'eft jamais fans frayeur !
Il veut voir d'où provient ce bruit vain & trompeur
;
Il détourne de moi fon regard effroyable ...
Je le vois ... Je faifis cet inftant favorable :
Je jette le poifon , & je crois le tromper ;
Mais d'un plus grand malheur Dieu me vouloit
frapper.
Ce monftre , fe doutant de cette tromperie ,
Ne veut plus que le fer pour m'arracher la vie :
Le poifon n'eft plus rien... il n'en veut qu'à mon
fang...
De fept coups de poignard il m'a percé le flanc ;
Puis , craignant de fubir la peine qu'il mérite
16 MERCURE DE FRANCE.
Il a 3 me croyant morte , eut recours à la fuite,
Cependant , ô ma mere ! ou foit que le courroux
Ait aveuglé les yeux en me portant ces coups ,
Ou plutôt que de Dieu la volonté p : opice
Ait reculé la fin de ce dur facrifice ,
Afin de m'accorder le bonheur & le temps
D'adorer à ma more fes décrets tout- puiflans ;
Aucun coup n'eft mortel. Dans peu de jours
guérie ,
J'aurois pu m'arracher à toute leur furie ,
Mais ce malheureux fer , à ma mort deſtiné ,
Ce fer , vil inftrument , étoit empoisonné .
Un funefte venin , qui coule dans mes veines ,
A rendu tout-à-coup mes efpérances vaines :
Tous les jours dans mon fein il fait quelques
progrès ;
Rien ne peut arrêter les barbares fuccès :
Je me vois dépérir , & la mort inflexible
Me fait fentir déjà ſon approche terrible.
De ta fille voilà , voilà l'état affreux :
Peut-il être , ô ma mere ! un fort plus rigoureux ?
Grand Dieu ! toi , qui d'un mot as créé cette terre,
Et cet aftre brillant qui tous les jours l'éclaire ,
Toi , que j'adore ; toi , l'objet de tous mes voeux ;
Reçois , reçois mon ame en ton fein bienheureux.
MARS. 1776. 17
Dans ces derniers momens dont je jouis encore ,
Pour un frere , un époux , ma foible voix t'implore.
Pardonne leur les maux qu'ils m'ont fait reflentir;
Grand Dieu ! pénetre -les d'un jufte repentir ;
Touche leur coeur coupable & grave dans leur
ame
L'amour de la vertu ; fais - y paffer ta flamme ,
Compagne du bonheur & fource de tout bien.
Qu'ils jouiffent d'un fort plus heureux que le
mien ;
Que les revers jamais ne traverfent leur vie ;
Puifle-t -elle de biens être toujours remplie !
Puiffe le repentir dans leur ame refter !
La vengeance à ce prix eft bien donce à goûter.
Toi , ma mere , prends íoin de ma trifte famille :
Inſpire tes vertus à mon fils , à ma fille ;
Qu'inftruits par ton exemple à vivre avec honneur
,
Pour le crime toujours ils foient faifis d'horreur !
Parle-leur quelquefois du trépas de leur mere;
De ce forfait fur-tout n'accule pas leur pere.
pere... Il étoit né pour être vertueux !
Quand Dieu nous abandonne , ah ! qu'on est malheureux
!
Leur
O ma mere ! voilà ma volonté derniere ;
18 MERCURE DE FRANCE.
S'il eft en ton pouvoir , viens fermer ma paupierė
Viens... le ciel peut encor reculer mon trépas ...
Je mourrai trop heureufe en mourant dans tes
bras.
Par M. W.. d'A *** .
LES DEUX CERFS & LE RENARD .
Fable.
L'AVIDITÉ , défaut de bien des gens ,
Futde tout temps dangereufe & nuifible :
J'en vais donner une preuve fenfible.
Un jour deux Cerfs fe battoient dans les champs:
Pour quelque Biche ils avoient pris querelle ;
Peut-être bien pour quelque bagatelle
S'étoit ému ce mortel différend :
Je n'en fais rien . Nos champions cependant ,
Piqués tous deux , acharnés à leur perte ,
Avec leurs bois fe portoient mille coups ;
Et chacun d'eux tâchoir , d'un air alerte ,
Afon rival de donner le deffous .
Le fang couloit. D'une hauteur voifine,
Maître Renard vit ces fiers combatrans :
« Oh ! oh ! dit-il , vivons à leurs dépens ;
A leurs dépens fondons notre cuifine »
MARS . 1776 . 19
Auffi - tôt dit , notre drôle de fcend
Fort promptement & va tefter la panfe :
Avec ardeur il leche , il boit le fang ,
Et s'en repaît tant & plus , comme on penfe ,
Bref ſe ſoula . Mais fon avidité
d'envie.
L'inftant d'après lui fit perdre la vie :
Il veut encor , plein de témérité ,
Tâter d'un mets qui lui fait trop
Bientôt des Cerfs il brave la furie ,
Se met entre eux & boit fur nouveaux frais.
Qu'arrive-t- il bien peu de temps après ,
Les Cerfs toujours animés , en colere ,
Foibles pourtant & réduits aux abois ,
L'un , furieux , le frappe de fon bois ,
Luifend le ventre & le jette par terre .
Ceci s'adreffe à vous , ames infatiables ,
Voyez dans ce Renard un fidele tableau :
Vous voulez trop de bien , vous mourrez milérables
,
Et votre avidité fera votre tombeau.
Par le même.
20 MERCURE DE FRANCE.
L'INSOMNIE.
Sonnet.
QUE l'Infomnie eft un tourment affreux !
Fut-il jamais de plus cruel fupplice !
Si c'eft ainfi que le vengent les Dieux ,
Malheur à ceux qui bleflent leur juſtice !
O doux fommeil ! feul bien des malheureux
Viens , je t'implore ; à ma voix fois propice :
Fuiflant Morphée , ah ! couronnes mes voeux ,
Et je te fais demain un facrifice.
Mais , quoi ? .. déjà mon oeil s'appefantit...
Je n'y fuis plus... tout mon corps s'engourdit...
Je fens venir l'effet de mes promeffes...
Grands de la terre... hommes puiflans ... héros...
Oui, .. vos honneurs... vos grandeurs ... vos richeffes...
Ne valent.. pas... un... inſtant... de….. re…..pos…..
Par le même.
MARS. 1776. 21
EPITRE au R. P. DE P ***
Tor qui , dès ma plus tendre enfance ,
ΟΙ
Par un choix qui me fut flatteur ,
En m'accordant ta bienveillance ,
Pris plaifir à former mon coeur ;
Qui , te fiant fur ma candeur ,
Malgré mon peu d'expérience ,
Me choifis , avec complaifance ,
Pour confident de ce malheur ,
Que tufus foutenir en fage ;
Toi , le premier de mes amis ,
Cher P*** reçois l'hommage
Qu'en te quittant je te promis.
Le temps , en rapprochant notre âge
A décidé nos fentimens ;
Pourroient- ils n'être pas conftans
Rien de futil , rien de volage
Ne forma nos engagemens,
Tous les hommes ont leur manic :
C'est un axiôme conuu ;
De tout préjugé revenu ,
Je veux à la philofophic
Donner le refle de ma vie ;
Quoique jeune encor , j'ai vécu.
22 MERCURE
DE FRANCE.
De la fortune trop frivole
J'ai long - temps brigué la faveur ,
Je croyois la trompeufe idole
L'uniqué fource du bonheur ;
Enfin je fois de mon erreur ;
De fes mépris je me conſole :
Tout l'or que roule le Pactole
Ne fauroit féduire mon coeur.
Des Grands j'ai connu les caprices :
Faufles pro mefles , injuftices ,
Rien n'échappe à leur coeur gâté ;
Ennemis de la vérité ,
Le vil flatteur , qui de leurs vices
Déguife la difformité ,
Obtient tout dès qu'il follicite ,
Tandis que l'homme de mérite
Loin d'eux eft toujours rejeté.
De la Cour , des Grands dégoûté
J'imaginai que la tendrefle-
Pouvoit , par une douce ivrefle ,
Conduire à la félicité.
J'aurois voulu dans ma Maîtrefle
Trouver les grâces , la beauté ,
De la décence fans fierté ,
Elprit , candeur , délicatefle ,
Dans l'humeur de l'égalité ;
MARS. 1776. 23
Je n'ai trouvé que faufleté,
Jargon , vapeurs , minauderie ,
Beauté d'emprunt , coquetterie ,
Et beaucoup de méchanceté.
Fatigué d'avoir tout tenté
Sans avoir pu me fatisfaire ,
Dans ce monde l'homme a beau faire ,
Ai je dit , tout eft vanité.
Savoir le fuffire à foi même
Eft le feul moyen d'être heureux ;
Il n'eft point de meilleur fytême.
Tous les jours je rends grace aux Dieux ,
Dont l'immuable providence
M'a placé loin de l'opulence ,
Qni trop fouvent corrompt les moeurs ,
Mais aufli loin de l'indigence ,
Qui ne peut qu'avilir les coeurs.
Satisfait de mon toît ruftique ,
Des lots méprisant la critique ,
Je veux jouir de tous mes jours :
Je ferai mon unique étude
De bien profiter de leur cours.
Tranquille dans ma folitude,
J'aurai pour guide ma raison ,
Locke , Defcartes , la Bruyere ,
Pafcal , Mallebranche , Newton
par fois leur fublime ton
M'oblige à refter en arriere
Si
24
MERCURE DE FRANCE.
Avec l'aimable Deshouliere ,
La Fare , Chaulieu , Pavillon ,
Egayant mon foible génie ,
J'aurai peut- être la manie
De les fuivre fur l'Hélicon .
Le goût de la littérature
Ne prendra pas tous mes inftans ,
Je laurai partager mon temps
Entre l'étude & la nature.
Lorfque les fougueux aquilons ,
Ceflant de nous faire la guerre ,
N'épouvanteront
plus la terre
Par l'effort de leur tourbillons
,
Je verrai l'empire de Flore ,
Par les pleurs de la jeune Aurore ,
Renouvelé
chaque matin ,
Embellir mon petit jardin .
Je me dirai , voyant éclore
Le lis , l'oeillet & le jaſmin ,
Je les ai plantés de ma main.
Cette rofe qui fe colore
N'eft pas aflez ouverte encore ,
Confervons
-la jufqu'à demain.
De la plaintive Philomele ,
Qui déplore encor fes malheurs ,
J'entendrai
les chants (éducteurs ;
Loin des villes ,je fuis comme elle
Da
MARS. 1776. 25
Du monde les appas trompeurs .
Les deux gémaux ayant fait place
A l'écrevifle au pas tardif ,
D'un oeil vigilant , attentif,
Des moiflonneurs fuivant la trace ,
J'irai , foigneux de l'avenir ,
M'occuper à voir recueillir
Les préfens que Cérès difpenfe :
Non que je veuille m'enrichir ;
Contept d'une honnête abondance .
Je ne demande qu'à jouir.
Si le lion , dans fa furie ,
Me fait reflentir la chaleur ;
Je refpirerai la fraîcheur ,
A l'ombre , aflis dans la prairie ;
Quelquefois je prendrai le bain
Dans un canal dont l'onde pure
Semble inviter par fon murmure
A fe rafraîchir dans fon fein.
Mais déjà l'aimable Pomone
Habite mon giant verger ,
Et m'invite à le décharger
Des fruits dont elle le couronne.
Cependant , le thyrfe à la main ,
Le vieux Silène fur fon âne
Précédant l'époux d'Ariane ,
B
26 MERCURE
DE FRANCE .
Viendra s'enivrer de mon vin.
Je ne fuivrai point des Bacchantes
Les tranſports trop tumultueux :
Le coeur feul rend grâces aux Dieux
De leurs largeffes bienfaifantes
Quand l'hiver , au ſouffle glacé ,
Aura dépouillé la nature
De la fraîcheur, de fa parure ;
Alors qu'Eole courroucé ,
A tous les vents lâchant les rènes ,
Se plaît à redoubler les peines
Du Nautonnier embar flé :
Auprès de mes Lares tranquille ,
Je ferai quelque ouvrage utile ,
Gardant le coin de mon foyer ;
Quelquefois d'un chevreuil leger ,
Ou d'un cerf, je fuivrai la trace ;
Plus fouvent , fans quitter ma place ,
Avec trébuchet & gluaux ,
Je ferai la guerre aux oileaux.
Ainfi , loin de toute contrainte ,
Mes jours le trouveront remplis
Et j'envilagerai fans crainte ,
Aux décrets du deftin foumis .
L'inftant où la parque inflexible ,
Cellant de tourner lon fuſeau ,
MARS. 1776. 27
S'armera du fatal cifeau..
Qu'a donc la mort de fi terrible ?
Au refte , crois -moi , cher ami ,
Le projet que je trace ici
N'eft pas un fimple badinage ;
Enfanté pendant mon fommeil ,
C'est plutôt l'inftant du réveil
Dont je veux faire un bon uſage:
Semblable à ce pilote fage
Qui vit, fatisfait de fon fort ,
Et qui tranquille dans le port ,
Ne va plus affronter l'orage
L'AVEUGLE VOLONTAIRE .
En fes vieux jours , Razis * perdit la vae ; N
Un Empirique auffi -tôt s'évertue ,
Veut le traiter : une minute ou deux
Vont lui donner l'ufage de les yeux.
Dans les promeffes magnifiques ,
Razis l'arrête , & lui dit : Cher Docteur ,
Combien l'oeil a - t-il de tuniques ?
Je n'en fais rien , répond l'opérateur;
* Fameux Médecin Arabe , ainfi nommé du nɔm
appellatif de la ville de Reï , dans la Perse.
Bij
28
MERCURE
DE FRANCE
.
Mais laiflez faire , & comptez fur le refte :
Non pas ( dit Razis ) s'il vous plaît ,
Un ignorant n'eft pas mon fait ,
Sa main pourroit m'être funefte ;
Qui ne fait pas compter les tuniques de l'oeil ,
Neme touchera point , malgré cout fon orgucil.
Parens , amis , alors le réunirent
Pour l'engager à le faire opérer :
No Charlatans quelquefois réuffiffent
(Lui difent- ils) à quoi bon différer ?
En pareil cas , le refus n'eft pas fage.
Si les efforts font impuiflans ,
Vous refterez fans voir : voilà tout le dommage .
Non (dit Razis ) j'ai vu le monde allez long temps,
J'aurois regret de le voir davantage.
Par M. B***.
LES TROIS SAGES.
TROIS Sages , le premier Perſan ,
L'autre Indien , le troisieme de Grece ,
Difcouroient devant Nouskirvan
Du plus fâcheux état de notre humaine eſpece :
Le Grec ne trouva rien de pis
Que l'indigence & l'infime vieilleffe ;
L'Indien appuya fur les maux inouïs
MARS. 1776 . 29
Que dans un grabat de fouffrance
Enduroit un malade avec impatience ;
Que reftoit-il au Perſan à trouver ?
Le plus cruel des maux que l'on puifle éprouver ,
L'affreux remords & fes couleuvres ,
L'inftant où finit notre fort ,
Où l'on voit approcher. la mort
Sans l'eſcorte des bonnes oeuvres .
Par le même.
LES FOUS DE BASRA * .
HAROUND
2
AROUND ' chargea Behloul d'infcrire dans
Bafra
Tous les fous de fa connoiflance .
Ma foi , dit le Plaifant , les compte qui pourra :
Je ne faurois , la liſte en eft immenſe.
Les vrais (avans ne font pas fi nombreux :
S'il veut favoir leurs noms , on peut le fatisfaire ;
Deux ou trois en feront l'affaire ,
Encor m'en pourra- t-on difputer un ou deux.
Par le méme.
* C'eft , suivant nos Géographes , la ville de Balsora
sur le golfe Perfique .
¹ Haroun Erreschid , célèbre Calife.
2 Savant de la Courdu Calife.
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE
.
LES TROIS DAMIS.
Comédie - Proverbe.
PERSONNAGES.
M. I UCIDOR.
CLARICE , fille de Lucidor.
ERASTE , Amant de Clarice ,
ISABELLE .
DAMIS , Amant d'lfabelle.
PICARD , Laquais.
La Scène eft à Paris dans la Maiſon de
Lucidor.
SCÈNE I.
ERASTE , CLARICE. ( Ils entrent fur la
Scène en converfant).
ERAST E.
Que m'apprenez- vous !
CLARICE . Rien que de véritable .
ERASTE . Je fuis bien malheureux ! le
MARS. 1776 . 3.1
comprois me préfenter aujourd'hui à
votre père.
CLARICE , Hélas ! mon cher Erafte !
ERASTE . E , il a été accepté far le
champ .
pas .
CLARICE . Sur le champ.
ERASTE . Mais , vous ne le connoiſſez
CLARICE. Mon Dieu , non , je ne l'ai
jamais vu.
ERASTE . EC M. Lucidor ne le connoît
pas non plus.
CLARICE . Pas plus que moi : il ne l'a
jamais vu ; mais c'eft le fils de fon meilleur
ami.
ERASTE . Quelle bizarrerie ! S'il étoit
fot & mal bâti.
CLARICE. Ah! Erafte ! ne pouvant être
à vous , les autres hommes me feront
également indifférens .
ERASTE lui baifant la main . Adorable
Clarice ! que nous fommes à plaindre !
CLARICE. Que voulez - vous ?
ERASTE . Au moins devoit on vous
confulter.
CLARICE. Vous ne connoiffez pas mon
père il eft maître abfolu dans fa famille.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
ERASTE. Mais , encore pouvoit - il
vous en toucher quelque chofe.
CLARICE. Oh ! oui ; auffi m'a - t- il prévenue
de fon arrivée , en m'ordonnant de`
le bien recevoir.
ERASTE. Et quand arrive til ?
CLARICE. Inceffamment , peut - être
aujourd'hui .
ERASTE . Aujourd'hui ! mon fort est -il
affez cruel ?
CLARICE. Hélas ! je fuis auffi à plaindre
que vous.
ERASTE, Si j'avois plus de temps , peutêtre
qu'à l'aide de quelques amis communs
, j'aurois pu faire changer les choſes .
CLARICE . Vaine efpérance , Erafte !
ERASTE . Comment ?
CLARICE. Mon père a donné fa parole ,
rien ne l'en fera départir.
ERASTE. Je fais le plus malheureux
des hommes.
CLARICE. Hélas !
ERASTE Et le nom de cet heureux rival?
CLARICE. Je ne fais trop fi je m'en
fouviendrai ... Da... Dam...
ERASTE. Damis ?
CLARICE. Damis , juſtement.
ERASTE . Damis !
CLARICE. Qui , Damis,
MARS. 33 1776 .
ERASTE. N'eft il pas de Pontoife ?
CLARICE . Précisément.
ERASTE. Eft il poffible ?
CLARICE. C'eft lui- même : vous le
connoiffez ?
ERASTE. Beaucoup ; vous ne vous
trompez point?
CLARICE . Non , certainement . D'où
vient cette furpriſe ?
ERASTE . Ce Damis là eft le dernier
des hommes ; & lorfque M. Lucidor le
connoîtra , je ne doute point qu'il ne
retire fa parole.
CLARICE . Il faudroit de puiffans motifs.
ERASTE . Auffi s'en trouveroit- il.
CLARICE. Mais , encore , expliquez-
.moi...
ERASTE . C'eft un homme fans moeurs
& fans foi , qui s'eft plu à mettre le défordre
dans plufieurs familles honnêtes , en
féduifant des filles qui avoient été jufqu'alors
fans reproches .
là ?
CLARICE. Ah ciel ! que me dites-vous
ERASTE. La vérité. Il y a quelques
mois , il paroiffoit fincèrement attaché
à Ifabelle , une des plus aimables filles de
Pontoife ; on s'imaginoit qu'elle fauroit
Bv
34
MERCURE DE FRANCE.
fixer enfin fon inconftance : mais il paroît
qu'elle a été trompée comme toutes les
autres.
CLARICE. L'abominable homme !
ERASTE . Et vous ne penfez pas que de
pareilles raifons foient affez fortes pour
rompre un engagement qui ne peut que
-vous être funefte ?
CLARICE. Hélas ! je crains bien que
nor.
ERASTE. Vous m'étonnez .
CLARICE . Non , mon cher Eraſte ,
tout cela ne fera que pures bagatelles
aux yeux de mon père .
ERASTE. Quelles bagatelles !
CLARICE . Oui , de pures bagatelles ;
mon père a là -deffus des façons de penfer
qui me paroiffent bien étranges ; il ne
fait point de différence d'une débauchée
qui a dépouillé toute honte , d'avec une
perfonne vertueufe , mais foible , qui a
eu le malheur de tomber dans les piéges
d'un féducteur adroit. D'ailleurs il ne
connoît pas d'autres vertus dans les perfonnes
de votre fexe , que cette probité
que l'on doit apporter dans le commerce
des affaires ; mais il en difpenfe abfolument
avec nous.
ERASTE. Oh bien ! Damis eft véritaMARS.
1.776. 35
blement fon homme ; il devroit l'époufer:
mais vous le donner à vous , rien
n'eſt plus injufte ; vos principes méritent
au moins d'être reſpectés.
CLARICE. Hélas ! il ne fait état que
des fiens . Mais , retirez- vous ; je crains
qu'il ne rentre.
ERASTE. Eh mais ! je fais venu dans
le deffein de lui parler.
CLARICE. C'est une démarche inutile ,
& qui ne fera que l'aigrir.
ERASTE . Il faut en courir l'événement ;
je l'attendrai.
CLARICE . Non , je vous prie ; revenez
plutôt.
ERASTE. Et pourquoi ?
CLARICE . Al ! s'il me voyoit avec
vous , tout feroit perdu .
ERASTE. Quoi ! dans fa propre maifon
! dans un endroit ouvert à tout le
monde !
CLARICE. N'importe ; il eft tellement
indifpofé contre notre fexe , qu'il
nous croit toujours coupables , lors même
qu'il n'y a pas lieu à un foupçon
fondé.
ERASTE , Voilà une étrange tyrannie.
CLARICE. Mon père m'aime beaucoup :
mais je fuis la victime de fes faux prin-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
A
cipes. Le malheur qu'il a eu de ne fréquenter
que des femmes vicieufes dans
fa jeuneffe , lui a donné pour le fexe une
forte de mépris général duquel , je ne
fuis point exceptée . Mais ... qu'entendsje?
Ciel ! c'eft lui-même... Ah! comment
faire ?..
ERASTE . Laiffez ; ne craignez rien .
SCÈNE I I.
LUCIDOR , ERASTE , CLARICE .
LUCIDOR falue Erafte d'un air mécontent
& embarraffé . Monfieur , je fuis votre
ferviteur. (à Clarice , d'un air courroucé)
Que faites- vous ici , Mademoiſelle ?
CLARICE . Mon père , je ne fais que
d'entrer pour recevoir Monfieur , qui demandoit
à vous parler.
LUCIDOR. Eh bien ! Monfieur ; que
voulez vous de moi ?
ERASTE. C'eft M. Lucidor , fans doute?
LUCIDOR . Oui , c'eft moi - même . A
quoi puis-je vous être utile ?
ERASTE . Ah ! Monfieur , permettez
que cet embraffement ... (Il l'embrasse ) .
LUCIDOR avec embarras. Monfieur...
MARS. 1776. 37
ERASTE . Vous exprime la joie que j'ai
de vous voir. Vous ne me connoiffez
pas.
LUCIDOR. Non , en vérité .
ERASTE. Je fuis de Pontoife , & je
m'appelle Damis.
CLARICE à part . Que va-t- il lui conter
?
LUCIDOR , d'un air épanoui. Eh quoi !
c'est vous , mon ami ? Ventrebleu , qu'il
eft bien planté ! On ne m'avoit pas trompé
en me difant que vous étiez un joli homme.
(à Clarice qui veut fortir ) Ici , petite
fille ; un moment .
ERASTE. Monfieur , vous me flattez.
LUCIDOR . Ah ! de la modeftie ! Bien ,
bien , j'aime affez cela ; mais , avec votre
figure , on peut s'en paffer , mon gendre
.
ERASTE. Monfieur , j'ai toujours
compté pour peu les avantages de la
figure , & je commencerois aujour l'hui
à faire cas de la mienne , fi elle plaifoit à
la charmante Clarice.
LUCIDOR . Oui , oui , cui ; elle lui
plaira , je vous en réponds , moi ; elle
feroit parbleu bien difficile ; vous pouvez
compter fur ma parole. Ecoute , Clarice ,
38
MERCURE
DE
FRANCE
.
voilà le mari que je te donne ; n'en es-tu
pas contente ?
CLARICE. Je fuis diſpoſée à obéir en
tout à mon père.
LUCIDOR , avec fatisfaction. Je m'en
doutois bien ; ce que c'eft que la bonne
éducation ! (Il fait un figne defatisfaction
à Clarice & la congédie ) .
SCÈNE I I I,
LUCIDOR , ERASTE.
LUCIDOR . Eh bien ! mon gendre ,
qu'en dites- vous ? Elle n'eft pas mal au
moins, ma Clarice , & vous ne devez pas
être fâché de l'emplette.
ERASTE. Ah ! Monfieur , je ferai le
plus heureux des hommes!
LUCIDOR. J'ai pris tous les foins ima
ginables pour la bien élever : je n'en garantis
pas abfolument le fuccès : car vous
favez ce que c'eft que les femmes
, auffi
bien que moi ; mais fi l'on peut répondre
de quelqu'une
, tenez , c'eft de ma Cla-
-rice.
ERASTE,Monfieur, vous pouvez en réMARS.
1776. 39
pondre hardiment : la réputation de Mademoiſelle...
LUCIDOR. Eh ! mon Dieu , mon gen
dre , ne nous faifons point d'illufions ;
ma fille eft bien née , je la crois fage
vous le croyez auffi , voilà tout ce qu'il
faut, Tâchons de demeurer l'un & l'autre
dans cette perfuafion le plus long - temps
que nous pourrons , & nous ferons heureux.
Oh çà ! depuis quand êtes - vous
arrivé de Pontoife ?
ERASTE. A l'inftant ; j'ai pris à peine
le temps de me débarraffer de mes habits
de voyage.
LUCIDOR. Vous avez bien fait ; mais
il falloit defcendre chez moi , & y faire
conduire tout votre bagage : au point
où nous en fommes , vous devez regarder
ma maifon comme la vôtre. Et le
papa Géronte , comment fe porte-t il?
ERASTE. Tout doucement , autant que
le comporte fon grand âge.
LUCIDOR . Hon ! hon! mais il n'eft pas
fi vieux .
ERASTE. Non pas abfolument , fi vous
voulez ; mais fes infirmités le vieilliffent
un peu.
LUCIDOR , Ses infirmités ! je ne lui en
connois pas d'autres que fa goutte.
40 MERCURE DE FRANCE.
ERASTE . C'eft cela même ; c'est que
c'eſt une terrible infirmité que celle - là ,
convenez qu'elle en vaut bien d'autres.
LUCIDOR . Je vous en réponds , je le
fais par expérience. Il fouffre donc beaucoup
le bonhomme.
ERASTE. Exceffivement.
LUCIDOR. J'en fuis vraiment fâché.
Ce font des fruits de la vieille guerre ;
nous étions deux égrillards. Mais , ditesmoi
, devient-il un peu plus raifonnable ;
je le fermone actuellement , moi . Tenez ,
mon gendre , il eft un temps pour tout ;
on m'a dit de vos nouvelles , je ne vous
en fais pas de reproches ; à votre âge ,
rien n'eft plus naturel .
ERASTE . Moi ! Monfieur.
LUCIDOR . Oui , vous ; il eft inutile de
faire ici le mystérieux ; d'ailleurs il fuffic
de vous voir mon gendre ; où eft le joli
homme qui n'ait eu des aventures galan
: es ?
ERASTE. Monfieur , ce font des bagatelles
que je tâche d'oublier.
LUCIDOR riant . Eh ! oui , oui , tâchez ;
tâchez toujours : les nouvelles font oublier
les vieilles ; mais , pour notre ami ,
franchement , je le défapprouve . ( à demi
bas ) Dites un peu , qu'eft devenue la
MARS. 1776. 41
petite Manon, cette brune , là , qui déplaît
tant à Madame Géronte ?
ERASTE. Monfieur , je ne fais ce que
vous voulez dire .
LUCIDOR . Allons donc , quelle enfance
! vous ne me perfuaderez pas que
yous ignorez ces chofes - là .
ERASTE . Monfieur , en tout cas je
mets tout en oeuvre pour les oublier bien
vite , & j'y réuffis.
LUCIDOR. Bien , bien ; j'aime votre
difcrétion , mon gendre : je ne puis vous
en favoir mauvais gré ; mais apprenez
donc que je fuis l'intime de votre père ,
& quoique je ne l'aye pas vu depuis près
de vingt ans , il n'a pas d'ami plus chaud
que moi je m'intérelle vivement à tout
ce qui le concerne , & j'ai foin de le tancer
, comme il le mérite , de fes folies :
ainfi vous ne rifquez rien de vous ouvrir
à moi .
ERASTE . J'y ferois très - difpofé , Mon.
fieur ; mais , à vous parler franchement ,
je m'occupe peu de la conduite de mon
père , pour jouir de mon côté d'une liberté
plus entière : ce font nos conventions.
LUCIDOR riant. Eh ! eh! eh ! l'habile
garçon ! Oh çà , brifons là- deffus , Mon42
MERCURE DE FRANCE.
fieur le difcret , nous n'en ferons pas
moins bons amis . Dites un peu , il ne
viendra pas , fuivant toute apparence ,
le
pauvre cher homme ? ( à Erafte qui a l'air
inquiet) Vous avez l'air inquiet , mon
gendre , qu'avez - vous ?
ERASTE . Je vous demande pardon ,
Monfieur... j'ai donné à mon valet ...
quelques ordres...
LUCIDOR. Liberté entière , mon gen.
dre , liberté entière . ( Eraftefort ).
SCÈNE I V.
LUCIDOR feul.
Il n'eft ma foi pas mal , ce garçon - là ,
pas mal du tout. J'avois quelque inquiétude
fur la parole que j'ai donnée à mon
vieil ami , fans connoître fon fils ; mais
heureuſement je n'ai point à me repen .
tir , & la petite fille doit être fort contente.
MARS. 1776. 43
SCÈNE V.
LUCIDOR , PICARD.
PICARD annonçant, Monfieur Damis.
LUCIDOR . Comment dis-tu ?
PICARB . M. Damis , Monfieur.
LUCIDOR . Mon gendre ? Eh parbleu ,
il fort d'ici. ( Picard fort ).
SCÈNE VI .
LUCIDOR , ISABELLE en homme.
(Ifabelle , traveftie en homme , entre une
lettre à la main , &falue Lucidorfans rien
dire).
LUCIDOR. Qui demandez vous , Monfieur?
ISABELLE . M. Lucidor : je viens lui
préfenter mes très - humbles refpects.
LUCIDOR. De quelle part ? qui êtesvous
? voilà bien des révérences.
ISABELLE . Je fuis Damis , de Pon
toife.
44 MERCURE DE FRANCE.
LUCIDOR avec la plus grande furpriſe.
Qui? vous!
ISABELLE . Voici une lettre de mon
père qui vous expliquera le fujet de ma
vifite.
LUCIDOR la prend avec empressement .
Voyons . C'eſt pa bleu fon écriture. ( Il
lit bas) Je fuis confondu : voilà une
étrange effionterie .
ISABELLE , qui a entendu les derniers
mots , inquiète & déconcertée ) . Ah ciel !
tout est découvert , je fuis perdue . (haut)
Cet accueil me furprend , Monfieur , &
la lettre de mon père fembloit me promettre
...
LUCIDOR. Ce n'eft pas pour vous que
je parle , mon cher ami ; mais il vient
de m'arriver une fingulière aventure.
ISABELLE. Comment donc ?
LUCIDOR . Un maître fourbe fort d'ici ,
qui s'eft annoncé fous votre nom .
ISABELLE intriguée , à part . Damis
m'auroit-il prévenue ? ( haut , riant fortement)
Le tour eft vraiment original .
LUCIDOR Jérieufement. Dites que le
tour cft pendable , mon ami , dites que
le tour eft pendable. Comment , morbleu
! m'affronter ainfi ... Ah ! je lui apprendrai
à qui il fe joue.
MARS. 1776 . 45
ISABELLE , d'un ton mal affuré. Monfieur
, je me flatte que vous ne doutez
pas....
LUCIDOR . Eh non , vous dis - je , la
chofe eft claire maintenant . Vous avez
l'air d'un honnête homme , vous ; d'ailleurs
la lettre de votre père ne me laiffe
aucun doute... Ce drôle- là eft un hardi
coquin.
ISABELLE . Je vous affure .
LUCIDOR. Mais je le tiens , & il fera
la dupe de fa propre rufe.
ISABELLE . Comment ferez vous ?
: LUCIDOR. Il doit revenir , & comme
il ne fast point votre arrivée , je me propofe
de le confondre & de le mettre entre
les mains de la Juftice.
ISABELLE intriguée & alarmée. Ah !"
gardez vous en bien .
LUCIDOR . Et pourquoi ?
ISABELLE avec embarras.Peut être eft ce
un jeune fou fans expérience.
LUCIDOR. Tant pis pour lui .
ISABELLE. Qui ne fentoit pas la conféquence
d'une pareille démarche .
LUCIDOR. Il l'apprendra.
ISABELLE . Voudriez - vous caufer la
perte de ce malheureux?
LUCIDOR . C'eit fa faute .
46 MERCURE
DE FRANCE
.
ISABELLE . Jeter la défolation dans une
famille honnête & la couvrir de honte ?
LUCIDOR . J'en fuis fâché. Mais fi vous
fuffiez arrivé plus tard de quelques jours ,
il épouloit ma fille . Hein ? l'hiftoire auroit-
elle été gentille ? Un malheureux
aventurier , que fais - je , moi ? Je m'en
rapporte à vous .
ISABELLE. Votre colère eft jufte ; mais,
permettez-moi auffi quelques réflexions :
fi c'étoit quelqu'amant fecret de votre
fille car elle ne m'a jamais vụ , & fi
elle a le coeur prévenu pour quelque
autre , ils ont pu concerter enſemble le
traveftiffement qui vous chagrine. Songez-
y.
LUCIDOR . Effectivement , ce que vous
me dites là peut fort bien être vrai ,
ISABELLE . Faites y attention : il feroit
fâcheux de prendre un parti qui compro.
mettroit l'honneur de votre fille & le
vôtre.
LUCIDOR. J'ai peine à croire que ma
fille ait ofé fe prêter à une pareille action
; mais ce maudit fexe - là eft fi trompeur
, que franchement je ne pourrois en
répondre.
ISABELLE . C'eſt pour cela que je vous
confeille de demeurer en repos , & de
MARS. 47 1776.
vous contenter de faire défendre votre
porte à l'impofteur .
LUCIDOR . Non ferai , de pardieu ; je
vais commencer par interroger Clarice ,
& fi je la trouve coupable , un bon Couvent
m'en fera raifon.
ISABELLE . Comment y. parviendrez.
vous ? elle ne l'avouera pas.
LUCIDOR. Je l'y forcerai . bien..
ISABELLE. Le fexe eft fi diffimulé :
vous le favez.
LUCIDOR. Oh! s'il eft diffimulé , je
fuis fin , moi ; & l'on ne me trompe pas
aifément .
ISABELLE . A votre place , ce ne feroit
point le parti que je prendrois. "
LUCIDOR. Et que feriez vous ?
ISABELLE. Sans revenir fur ce qui s'eſt
paffé , je banirois le faux Damis , & je
faivrois mon premier deflein.
(
LUCIDOR . Eh quoi ! mon ami , êtesvous
toujours dans la réfolution d'épouſer
ma fille?
ISABELLE . De tout mon coeur.
LUCIDOR. Que je vous embraffe , vous
penfez en brave garçon.
ISABELLE. Bon , ne fais je pas que ces
petites fantaisies là paffent chez les filles
48
MERCURE
DE
FRANCE
.
en aufli peu de temps qu'elles leur viennent.
LUCIDOR. Vous avez raifon : touchezlà
, mon gendre ; ma foi vous penfez
fenfément ; à votre âge , c'eft vraiment
extraordinaire. Quel âge avez - vous ?
vous me paroiffez bien jeune.
ISABELLE. Mais , quelques vingt - cinq
ans.
LUCIDOR. Parbleu , on ne s'en douteroit
pas , à peine vous donnerois- je dixhuit
ans. Morbleu le bel âge ! & qu'il
palle vite . Mon gendre , vous vous ên
appercevez .
ISABELLE . Oh , Monfieur , je vois mes
belles années s'écouler fans peine .
LUCIDOR . Et Vous ne les employez
pas mal; je fais de vos nouvelles . Eh ,
eh , eh , vous connoiffez à Pontoise une
certaine Iſabelle , n'eft- ce pas ? Eh , eh ,
eh .
ISABELLE déconcertée , Moi , Monfieur ?
LUCIDOR . Vous , oui , vous . Allez y
allez , mon garçon , raffurez vous ; ce
n'eft pas que je vous en falfe des reproches.
ISABELLE. Mais encor un coup , Monheur
, que vous a t-on dit de cette Ifa .
belle?
LUCIDOR .
MARS. 1776. 49
LUCIDOR. Bon , ce que l'on en devoit
dire ; c'eft quelque petite coquette là ,
comme on en trouve tant à votre âge
qui vous a fait paffer agréablement quelques
mois.
ISABELLE . Monfieur , vous vous trompez
, & vous êtes mal informé ; je ne
connois point cette Ifabelle , dont j'ai
feulement entendu parler comme d'une
très-honnête fille.
LUCIDOR . Encore une fois , mon gendre
, je ne vous en veux pas de mal . Lorfque
j'étois jeune , je faifois comme vous ;
& je ne fuis pas affez injufte pour blâmer
dans les autres ce dont je n'ai pu me
garantir moi- même . Mais je vous amufe
ici vous voudriez voir votre future
n'est - ce pas ? Entrez , je vous fuis à
l'inftant. (Ifabelle fort) .
SCÈNE VII .
LUCIDOR feul.
Parbleu , l'aventure eft comique , &
le véritable Damis a fuivi de près l'impofteur.
Un petit moment plutôt ils ſe
rencontroient , &...
C
MERCURE DE FRANCE.
SCENE VIII
LUCIDOR , PICARD .
PICARE. Il y a encore là bas un Monfieur
qui dit s'appeler M. Damis , & qui
demande à vous parler .
LUCIDOR. Encore un Damis ? je crois
qu'il en pleut.
PICARD. Ferai -je entrer , Monfieur ?
LUCIDOR à part. Oh ! parbleu , je tiens
celui ci. ( haut à Picard) Oui , & dis à
mon gendre que je l'attends ici .
SCÈNE IX,
LUCIDOR , DAMIS .
DAMIS . M. Lucidor.
LUCIDOR. Entrez , Monfieur , entrez ;
vous êtes M. Damis de Pontoife , n'eft ce
pas ?
DAMIS faluant. A vous fervir , Monfieur.
LUCIDOR à part , examinant la contenance
de Damis. Voilà , fur ma parole ,
MARS.. 1776 . St
un des plus hardis frippons que je connoille.
DAMIS . Permettez que cet embraffement...
LUCIDOR , lui tournant le dos . Doucement,
Monfieur , doucement ; c'eft pouffer
un peu trop loin l'effronterie .
DAMIS . Cet accueil a lieu de me furprendre
, & dans les termes où mon père
m'a dit que nous en étions , je n'avois
pas lieu de m'y attendre..
LUCIDOR . Dans un inftant vous aurez
l'explication de tout ceci , Monteur le
fourbe .
DAMIS. Monfieur , voilà des épithètes
qui ne me conviennent point du tout.
1
SCÈNE X.
LUCIDOR , DAMIS , ISABELLE .
DAMIS
Ciel!
appercevant Ifabelle , à part.
que vois je?
ISABELLE à part. Voilà mon perfide ;
armons nous de courage.
LUCIDOR examinant la confufion de
Damis. Le voilà pris . ( haut) Eh bien !
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
M. l'affronteur , connoiffez vous ce Cava
lier là
DAMIS déconcerté , à part. C'eſt Ifabelle
! quel étrange événement ! haut à
Lucidor) Je ne puis vous diffimuler ma
furprife ; mais ...
LUCIDOR furieux . Mais , mais ; vous
ofez ainfi vous jouer à moi ?
DAMIS. J'avoue ma faute , Monfieur ,
&...
LUCIDOR . Il est parbleu bien temps ,
& je trouve l'aveu plaifant. Holà ! ho !
qu'on m'aille chercher un Commiffaire.
ISABELLE. Eh ! Monfieur , laiffez ; fa
confufion nous venge affez.
LUCIDOR. Je fuis votre ferviteur.
DAMIS. L'arrivée de votre Commiffaire
fera fort inutile , Monfieur ; c'eft
de Mademoiſelle feule que j'attends ma
grâce ou ma punition ; je fuis depuislong-
temps en proie à un remords qui me
déchire.
LUCIDOR . Mademoiſelle ! il extravague.
DAMIS fe jetant aux pieds d'Ifabelle.
Charmante Ifabelle , aurez- vous l'indulgence
de pardonner à un perfide , qui ne
mérite que votre colère ? Me permettrez
vous de vous offrir un coeur que l'ambiMARS.
1776 . 53
tion vous enlevoit , mais que l'amour
vous ramène.
ISABELLE attendrie. Ah Damis !
LUCIDOR à Ifabelle. Mon gendre , que
veut dire tout ceci ?
SCÈNE XI & dernière.
LUCIDOR , DAMIS , ISABELLE , ERASTE .
ERASTE à Lucidor. Je viens , Monfieur
, vous demander pardon d'une fupercherie
qui a dû vous offenfer , quoique
la circonftance pût la rendre excufable
: je me préfente fous mon vrai
nom ...
LUCIDOR . A l'autre ; je crois que j'en
deviendrai fou . Oh çà ! Meffieurs , puifque
vous voilà raffemblés , dites- moi de
grâce qui de vous trois s'appelle Damis .
DAMIS. Il ne faut pas vous abufer plus
long -temps , Monfieur ; c'eft moi qui
m'appelle Damis , & qui devois époufer
votre fille mais j'ai donné ma foi à Ifabelle
, & rien au monde ne pourra déformais
rompre nos engagemens.
LUCIDOR . Voilà un fort for compli-
M. Damis , & vous pourriez vous
ment ,
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE.
épargner la peine de venir me le faire
ici .
DAMIS Je ne vous diffimule pas que
j'étois venu dans un autre deffein : honteux
de ma perfidie , je n'ofois me préfenter
devant celle qui en étoit l'objet :
L'intérêt m'amenoit aux pieds de Mademoiſelle
votre fille , je rencontre l'adorable
labelle : l'amour & la vertu remportent
la victoire , & je lui rends un
coeur que j'ai le bonheur de voir bien
reçu , quoiqu'il foit fi peu digne d'elle .
LUCIDOR , avec le plus grand étonnement.
Ifabelle !
ISABELLE . Vous la voyez devant vous ,
Monfieur , confufe de la tromperie
qu'elle vous a faite ; elle vous croit trop
généreux pour troubler le bonheur de
deux Amans auffi tendrement Onis.
LUCIDOR An diable les Amans ! j'avois
bien befoin d'être mêlé dans toutes ces
tracalleries - là , mới ?
ERASTE . Vous pouvez aifément réparer
tout ceci : vous m'avez accepté tantôt
fous le nom de Damis : oferois- je
me flatter que vous ne me rejeterez pas
lorfque vous faurez mon vrai nom ? Je
m'appelle Erafte , & je fuis fils de Lyfimon..
MARS. ss 1776 .
LUCIDOR . Lyfimon ?
ERASTE. Oui , Monfieur ; connoîtriezvous
mon père ?
LUCIDOR. Oui , un peu ; j'ai fait avec
lui un voyage en Italie , il y a bien long⚫
temps ; c'eft un très brave homme.
ERASTE . Je m'eftimerai fort heureux
fi cette ancienne connoiffance vous prévient
favorablement pour moi.
LUCIDOR. Oui - dà , nous verrons çà ;
j'écrirai au bonhomme ; vous pouvez efpérer
cependant.
ERASTE Ah ! Monfieur , vous me rendez
le plus heureux de tous les hommes.
Ce coup inopiné du fort juftifie le proverbe
.
Par Mademoiſelle Raigner de Malfontaine.
LE
LA TIMIDITÉ RÉCOMPENSÉE.
Idylle.
PALÉMON & DORIS.
‚¤ Berger Palémon , dès fa plus tendre enfance ;
Perdit tous les parens , demeura fans appui.
Le vieux pafteur Egon , dur , plein de défiance ,
Civ
5.6 MERCURE
DE FRANCE:
Pour garder les troupeaux le retira chez lui.
Si la fortune contraire ,
Au jeune Palémon n'accorda pas de bien ,
La Nature , en bonne mere ,
Prodigue à fon égard , ne lui refufa rien .
Une fuperbe chevelure
A replis ondoyans tomboit fur fa ceinture ;
L'air le plus doux , les plus beaux yeux ,
Déceloient , malgré lui , fon caractere heureux.
Tout ce qu'il voyoit faire étoit pour lui facile ,
Il favoit le faifir dès la premiere fois ;
Il n'apprit jamais le hautbois ,
Et de tous les bergers c'étoit le plus habile;
Un autre eût été vain de ces dons étonnans ,
Mais Palémon , naïf , bon , timide à l'extrême,
Paroilloit ignorer lui- même
Qu'il poflédât tant de talens.
Content de fon état , (ans regrets , fans envie ,
A tout plaifir bruïant préférant fon repos ,
Lefpectacle des champs , le foin de festroupeaux
Faifoient le charme de la vie.
Dejour en jour plus matineux ,
Il étoit exact à le rendre
Sur un côteau délicieux
D'où l'oeil pouvoit au loin s'étendre,
Aflez près de ce lieu , la bergere Doris
Menoit auffi fes moutons paître.
Tousdeux fur le gazon , nonchalamment affis ,
MAR S. 1776. 57
Prenoient fouvent plaifir à voir l'aurore naître.
On eût dit deux ainans , mais il n'étoient qu'amis
De ce fertile & beau pays ,
Doris étoit la plus riche bergere ,
Et Palémon , toujours humble & foumis ,
Renfermoit fes defirs , n'ofoit vouloir lui plaire
La bergere en effet , par un certain maintien ,
Tout à la fois engageante & ſévere ,
En impofoit , paroifloit froide & fiere ;
Mais , dans le fond , l'amour n'y perdoit rien.
On fongeoit au berger ; le coeur , en fon abfence ,
De fon image étoit doucement tourmenté ;
On auroit même fouhaité
Qu'un heureux halard fit naître une circonſtance ,
Où ce penchant fecret fe fût manifeſté.
Ce hafard vint enfin. Un beau matin d'été ,
Doris manqua l'heure de l'entrevue,
Du plaifir qu'il avoit goûté ,
Palémon encor transporté ,
Auffi tôt qu'il l'eut apperçue :
Ah Doris pourquoi tardois-tu a
Combien tesyeux ont aujourd'hui perdu!
Tu ne verras jamais une plus belle aurore ...
. L'air étoit fi frais & fi pur...
Le foleil s'eft levé dans un fi bel azur....
Mon ame étoit comblée : elle en treflaille encore
Plus nombreux que jamais , les oiſeaux d'alentour
Sembloient le difputer , par leur bruïant ramage,
Cy
58
MERCURE
DE
FRANCE
.
A qui fauroit au Dieu du jour ,
Rendre le plus brillant hommage.
Comme je te souhaitois_là !
Combien ta joie cût redoublé la mienne !
Qui peut, difois- je, empêcher qu'elle vienne ?...
Tu m'as inquiété... Mais enfin , te voilà.
DORIS .
Il eſt vrai , j'ai tardé . Je fuis vraiment fâchée
Du trouble où je t'ai mis : mais j'étois empêchée...
PALÉM O N.
Quelque agacau nouveau né...
DORIS.
Non, ce n'eft pas cela ;
Une occupation plus chere
Me retenoit...
PALÉM O N.
Plus chere ! Eh quot !
Peut-il être un fein ? ...
DORIS.
Oui . Je travaillois pour toi .
PALÉM O N.
Pour moi !
MARS. 1776 . 59
DORIS.
Découvre -la .
Vois dans ma panetiere...
PALÉM O N.
C'est un chapeau .
Ciel ! qu'il eft galant ! qu'il eſt beau !
DORIS.
Que je le voye fur ta tête.
PALÉM O N,
Parles- tu tout de bon ?
DORIS.
Quelle crainte t'arrête è
PALÉM O N.
Tu n'as donc pas prévu , fi j'ole m'en parer ;
Que chacun en va murmurer.
DORIS .
Du hameau n'est- ce pas après demain la fête ?
Cette raifon t'excufera .
PALÉM O N.
C'eft Egon que je crains ; ce vieux Pâtre dira
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Que j'aurai vendus en cachette
Ou fes fruits ou fon lait ... Tu fais comme il me
traite .
DORIS.
Eh bien ! prends un parti : mes troupeaux font à
moi ,
Ils croiflent tous les jours , je n'y peux plus fuffire :
J'ai besoin de quelqu'un qui m'aide à les conduire ;
Dès demain , fi tu veux , je t'en donne l'emploi.
PALÉMON .
Si je veux !... Dès demain tu feras obéie.
Servir une maîtrefle auffi douce que toi, .
Eft le plus grand bonheur que j'aurai de ma vie..
DORIS.
Maîtreffe , moi ! ce n'eft point-là mon nom ;
Je fuis toujouis Doris , toi toujours Palémon.
De vrais bergers ne doivent reconnoître
Entre eux aucune primauté .
Ces oileaux que tu vois rampent- ils fous un
maître?
Non leur plus grand bonheur naît de l'égalité.. -
Regarde cette panetiere ;
Qu'il te fouvienne , en la voyant ,
Que Doris fut ton écoliere ,
Qu'elle te doit plus d'un talent....
MARS. 1776. 61
N'est- il pas jufte enfin qu'avec toi je m'acquitte.
PALÉM O N.
Dès long-temps tu dois être quitre.
Tu me fais chaque jour quelque nouveau préfent ;
Tantôt c'eft un bouquet , tantôt c'est un ruban.
Que de fois ta main libérale
A , d'une adrefle fans égale ,
Gliflé dans ma corbeille , au moment des repas
Mille fruits fucculens que je n'attendois pas ?
DORIS.
Combien de fois auffi , jufqu'à perte d'haleine ,
N'avois- tu pas chanté pour charmer mon loifir 2
PALÉM O N.
Eh bien ! chanter eft- ce une peine ?
On chante tous les jours pour fon propre plaifir.
DORIS.
Tu te défends en vain ; je ne puis être ingrate 3.
De tes égards pour moi le fouvenir me flatte,,
Et dès ce jour , fans différer ,
Je veux...
PALÉM O N.
A te lervir je vais paffer ma vie ;
Nos Pafteurs à mon fort vont tous porter envies
Que pourrois je encor defirer-t
62 MERCURE DE FRANCE.
DORIS.
Ce que tu méritas , en n'ofant l'efpérer :
Le coeur de ta Doris , la main de ta bergere ;
Je te les donne , ils font à toi.
PALÉM o N.
Eft-il bien vrai ? ton coeur & ta main font à moi !
J'ofe à peine t'en croire... Ah Doris ! quel falaire !
DORIS
.
J'en partage le prix ; je t'aimois , & mon coeur ,
En affurant le tien garantit fon bonheur.
Par M. Delautel.
VERS à l'occafion de l'Eloge de Catinat ,
par M. de la Harpe , couronné par
l'AcadémieFrançoife.
L'AMOUR même forma les traits de Mélanie;
Le goût & la vertu chanterent Fénélon.
L'éloge du Bonhomme eſt au lacré vallon ,
Juftement couronné des palmes du génie ;
L'Elope des Français & l'Auteur d'Athalie
Conduisirent la main qui finit leurs portraits.
Leurs talens réunis , leurs pinceaux & leurs traits ,
MARS. 1776 .
163
*
D'un Guerrier généreux nous tracerent la vie
A la gloire des lys , à la gloire des arts .
Ce tableau raviflant fixa tous les regards
Au Temple de l'Académie.
Préparez vos poifons , noirs ferpens de l'envie ,
Le Dieu du Pinde a chanté le Dieu Mars.
Par M. Aude.
VERS à M. WORLOK ™ fur la guérifon
de Mademoiselle d'Ormoy.
Q
VEL miracle, Docteur ,tu viens de faire encore !
La charmante Félicité
Alloit périr dès fon aurore
Et tu la rends à l'amitié ,
SOVS ZUJ
Nous te devons l'agréable efpérance
De revoir l'enjouement , les grâces , les amours
Orner la nouvelle existence ;
Ah ! reçois le tribut de la reconnoiffance !
Tu nous donnes la vie en affu ant les jours,
PurM.LV ) .
* Catinat.
¹ Inoculateur ¹Anglois , célèbre furtout par nn
Spécifique dont il poffède feul le fecret , & qui eft
infaillible pour la guérison de la petite vérole natu
zelle.
64
MERCURE
DE FRANCE
.
VERS à Mademoiselle G... fur une Fête
que , pour bouquet , elle a donnée à M.
fon Père , le 8 du mois de Janvier , &
pour laquelle on a repréſenté les deux
Opéra comiques intitulés , la Servante
Maîtreffe , & Annette & Lubin, pécédés
d'un Prologue de la compofition de cette
Demoiselle.
Aux plus riches préfens que fafle la nature
Vous avez ajouté tous les tréfors de l'art ;
Aux attraits , lestalens ; à l'efprit , la culture :
Et vous avez un coeur incapable de fard.
N
Comment , avec tant de droiture ,
Sans avoir du théâtre acquis nulle teinture,
Jeune & furprenante G...
D'une touche légere &fûre
Pouvez-vous nous tracer la fidelle peinture
Des rôles qu'à jouer on vous donne au haſard ?
Vous fembiez de la fépulture .
Retirer les talens de l'aimable Favart.
Quede latendre & fimple Annette
On reconnoifle en vous une image parfaite ,
Jenefuis nullement furpris. ·
MARS. 1776. 65
C'eft la candeur , c'est l'innocence ,
C'eſt la tendrefle & la conftance ;
De mille & mille foins dignes d'être chéris ,
C'eft la vive reconnoiffance ,
Ou celle d'un bienfait dont on ſent tout le prix.
Ces fentimens par excellence ,
Dans votre coeur font tous écrits ;
Et , pour les rendre avec aifance ,
Vous n'avez pas befoin de les avoir appris :
Vous n'avez, pour cela , confulté que vous même.
Mais un point qui me caufe une furpriſe extrême ,
Et , plus que tout le refte , enchante mes efprits ,
C'est la facilité du jeu plein de fineffe
Dont vous avez rendu la Servante Maîtreſſe ;
Ce font vos tons plaiſans & vos malins fouris ;
De vos humbles adieux c'eft la touchante adreſſe ;
De tous vos mouvemens , c'eſt l'extrême juſteſſe.
D'où vous vient ce talent ? Où donc l'avez -vous
pris ?
Dans un âge encore fi tend e ,
L'art le plus accompli n'auroit pu vous l'appren
dre.
Ovous qui me tenez dans un enchantement
Qu'augmente la beauté de votre caractere !
Vous qui favez fi bien peindre le fentiment ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Qu'infpirent les bontés d'un pere & d'une mere ,
Qui les chantez fi tendrement ,
Et d'une voix fi douce ensemble & fi légere ;
Vous qui favez payer fi délicatement
Le retour que mérite une amitié fincere ;
Vous enfin qui favez , & fi parfaitement ,
Mainte chole peu néceflaire ,
Jeune G... objet charmant ,
Ne faurez-vous jamais comme on aime un amant ?
LE
mot de la première Enigme du
volume précédent eft la Calone ; celui
de la feconde eft les Mouchettes ; celui
de la troisième et les quatre Saifons.
Le mot du premier Logogrypheeft Bour
fe , dans lequel fe trouvent or , roue ,
rue , ver , bure , ours , ourfe (conftellation),
robe , rofe , re , bufe , rufe , vers , rebus, eu ,
fou , foeur , os , ou , boue ; celui du fecond
eft Croûte , où fe trouve route ; celui du
troisième est Drapeau , où l'on trouve drap
& eau.
MARS. 1776. 67
ENIGM E.
Je vais , Lecteur , pour un moment ,
Te donner du fil à retordre ;
Tu me nommeras ailément ,
Il eft très-facile d'y mordre ;
Je fuis de toutes les couleurs
Et de différentes grolleurs ;
Mais plus utile auprès des Dames ,
Sans être jamais amoureux,
Je puis former les plus beaux noeuds ,
Sans reflentir aucunes flammes .
Mon nom fe joint avec de l'eau ,
Les Parques , le diſcours , & même ton couteau,
Par M le Clerc de la Mothe , Chev de
Saint Louis , Membre de la Société
littéraire de Meiz
JB
A UTR E.
3
E fuis mere des élémens ,
A tour je donnai l'exiſtence ;.
C'est par moi qu'un Amant exprime ce gil
penfe ;
68 MERCURE DE FRANCE:
Du commerce je fuis un des premiers agens ;
Organe de la peine ainfi que de la joie ,
Je fuis caufe du bien , je fuis cauſe du mal :
Mon fecours eft , Lecteur , ou propice ou fatal ,
Selon que l'on m'emploie ;
Ne me cherches pas loin , mon fort dépend de toi ,
Tu ne peux me nommer fans te fervir de moi .
Par M. L ***.
AUTR E.
MALGRÉ mon obfcure naiſſance ,
Je contracts fouvent une haute alliance ,
Et de roturieres mains
M'élevent au- dellus du commun des humains.
Un trait eft en mon coeur , qui feul foutient ma
vie ,
Sans lui je périrois , fur lui feul je m'appuie
Peut - être on me mettra de pair avec un fol
Si je dis que la corde au col ,
Dans les fers , même à la potence ,
Loin de fentir quelque fouffrance ,
Loin de me plaindre d'un tel fort ,
Qui femble précéder de peu d'inftans la mort ,
Plus heureuſe ainſi qu'on ne penſe ,
Je gazonille , je joue , & quelquefois je danfe.
?
MARS. 1776. 69
Je ne parle jamais , & c'eft , fans contredit ,
Ce que l'on fait de mieux quand on n'a pas d'efprit :
La raison de cela n'eft pas que je fois bête ,
Mais c'eft que je n'ai point de tête ,
Féminine pourtant , ce qui te furprendra ,
Lecteur , & bien t'étonnera ;
Sans être de chancellerie ,
Tu peux me voir fort près des ( ceaux ;
Et pour mes foins & mes travaux ,
Tu peux me voir encor pendue en effigie
Au milieu des eaux.
Par M. Gazil , fils.
LOGO GRYPH E.
RIVAL de Jupiter , je fais trembler la terre :
Je porte dans mes flancs l'épouvante & la mort.
Mon chef à bas , plaignez mon fort :
Vivant, beaucoup de peine , un fort mince (alaire ,
Je devrois , en mourant , jouir de ce repos
Que tout mortel attend après tant de mifere ;
Alcide eft dans les cieux pour prix de ſes travaux.
Suis -je mort ? Un vil mercenaire
De cent coups redoublés fait retentir mon dos.
ParM. deW... Capit. de Cavalerie.
70 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
LECTEUR , en campagne , à la ville ,
Il est peu de logis où je ne fois utile :
De mon tout fais deux parts , réfléchis un moment ;
De
Eh bien ? ne vois - tu pas fouvent
Gens qui , fans avoir ma premiere ,
Portent fierement ma derniere !
A Nantes. Par M. Onfroy de Breville.
LE PRINTEMPS. Arience. *
Amorofo.
**
D'E nos fo- rêts , l'om-brage & ·
la frai- cheur ; De ces ruiffeaux ,'
le mur-mure en- chan- teur ; De
131 V A
Paroles de M. la Richerie, mufique de M.
l'Abbé de Malidor.
MARS. 1776 . 71
番
ces ga- fons , la ri- an- te verdu-
re : Tout nous an - nonce , en
Ꮎ
ce bril- lant fé- jour , Le réveil
de la Na- tu- re , Et du Prin-
+
tems l'a gré- a- ble retour.
I- ci les Rof- fi- gnols , fous
de naiffans feuil- la- ges , Agi- tés
M
par les doux Zé- phirs , Font entendre
aux échos leur diffé- rens ra72
MERCURE DE FRANCE.
mages
:
Que de dou- ceurs ! que de plaifirs
! U ne di- vi- ne
flamme Pé- netre au fond des
coeurs , Et nous fen- tons que notre
a- me S'é- panou- it a
vec les fleurs .. DE nos forêts , & c.
NOUVELLES
MARS. 1776 . 73
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Principes du Droit civil Romain ; par
M. Olivier D. ès D. A Paris , chez ,
Mérigot l'aîné , Libraire , quai des
Auguftins , près la rue Dauphine ; 2
vol. in 8°.
Na fait dans tous les temps l'éloge
des Loix Romaines , collection précieufe
où l'on trouve le développement de ces
loix primitives , qui ne font autres que
Pexpreffion de l'équité la plus pure , ap
pliquée aux différens intérêts des hom
mes dans la fociété civile . On diroit
que
la raifon a réfléchi fur elle- même pour
fe réduire en règles . Auffices loix immor
telles tiennent elles encore , malgré leur
ancienneté , malgré la mobilité des chofes
humaines , toutes les Nations policées
comme affujetties: à leur empire.
Tout y manifefte cette profondeur de bon
fens , cet efprit de légiflation qui a été
le caractère propre & fingulier des Maîtres
du monde . Il femble que la juftice
n'a dévoilé pleinement fes mystères
D
74 MERCURE DE FRANCE.
qu'aux Jurifconfultes Romains . La fageffe
avec laquelle ils découvrent équité
au milieu de tout ce qui femble l'enve
lopper de voiles épais , frappa d'admiration
nos Ancêtres ; & cette admiration
a été la même dans tous les fiècles. Le
droit Romain fut toujours refpecté parmi
nous , & plufieurs grands hommes
ont confacré ledrs talens & leurs veilles
à lui rendre fon éclat ; mais on doit con.
venir qu'on n'a pas encore ôté toutes les
épines qui rendent rebutante l'étude des
textés que les Pandectes & le Code renferment.
L'Auteur des Principes du droit
civil Romain a cherché, à applanir lest
difficultés , en fourniſſant les idées- principales
fur toutes les matières du droit ,
en préfentant un point de vue exact ſous
lequel ces matières doivent être envifagées
, & en renfermant dans le plus court
efpace toutes les maximes élémentaires
du droit Romain .
C'eſt une bizarrerie , nous ofons le
dire , de faire entrer dans un cours complet
d'éducation une foule d'objets , fans
faire aucune mention de l'étude des loix
auxquelles tant de Peuples de l'Europe
font foumis. On n'a pas befoin de fe
deftiner à l'étude de la Jurifpradence
C
MARS. 1776 .
759
pour le déterminer à acquérir des notions,
exactes du droit Romain , qui eft appelé
à juste titre la raifon écrite , & qui eit le,
droit commun de piafieurs Provinces du
Royaume.
Cicéron nous apprend que les enfans
mâles , dans l'âge d'adolefcence , étoient
obligés d'apprendre par coeur les douze
tables de la loi . C'étoit une leçon indifpenfable
pour imprimer de bonne heure
dans leur mémoire la connoiffance des
loix de leur pays . Il ne fera pas hors de
propos de rappeler ici un trait de l'Hiftoire
Romaine . Servius Sulpicius , de,
l'ordre des Patriciens & Orateur célèbre ,
fut un jour dans le cas de prendre l'opi
nion de Quintus Mutius Scevola , l'oracle,
des loix Romaines ; mais , par le défaut
de connoiffance de cette fcience , il ne
put pas même entendre les termes tecniques
dont fon ami fit ufage pour lui
expliquer fon fentiment; fur quoi Marius:
Scevola ne put s'empêcher de lui faire ce
reproche mémorable : « N'eft il pas hon.
» teux , lui dit- il , pour un Patricien de
» ne point comprendre une loi qui le
concerne fi particulièrement? Et ce
reproche fit une fi profonde impreffion
fur Sulpicius , qu'il s'appliqua depuis à
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
cette étude , & qu'il y fit de fi_grands
progrès , qu'il a laiffé à fa mort environ
180 volumes de fa compofition fur cette
matière , & que , fuivant Cicéron , il
paffe pour avoir été depuis plus favant
Jurifconfulte que n'étoit Scevola même.
L'Auteur des principes du Droit civil
Romain nous fournit , par fon Ouvrage ,
les moyens d'éviter les reproches que
l'on fit à Sulpicius. On n'a pas befoin de
fouiller cette multitude de Commentateurs
qui ont inondé la Jurifprudence ,
& l'ont rendue bien plus douteufe qu'elle
' étoit , lorſqu'on n'avoit que les loix à
confulter. Ces loix doivent être regardées
comme un fyftême lié & fuivi , où l'on
ne voit aucunes de ces contrariétés & de
ces décifions difparates , formées au hafard
, que l'on rencontre fi fouvent dans
lés Loix barbares & même dans nos Coutumės.
La fcience du Droit Romain ,
que nous devons à de profonds Jurifconfultes
, nourris dans la dialectique des
Stoïciens , eft fondée fur des définitions
claires , des règles préciſes & des conféquences
certaines ; & les Ouvrages trop
multipliés des Commentateurs n'ont fait
que répandre de l'obſcuritéſur cette étude .
Le célèbre Montagne nous apprend que
MARS. 1776. 77
plus on fème les questions & les opinions
, plus on fait naître d'incertitudes
& de querelles. Les Rédacteurs des Loix
Romaines avoient bien prévu cet inconvénient
, en faifant défendre , par une
loi expreffe , qu'aucun Jurifconfulte ne fît
à l'avenir des glofes fur le Digefte ou
fur le Code. L'obfervation de cette loi
fi fage n'auroit pu produire que d'heureux
effers .
On n'a point fuivi dans cet Ouvrage
le plan de Domat , ni d'aucuns des Jurifconfultes
qui ont pris des points de
vue différens de ceux qui nous font in
diqués par les textes des Loix . L'Ouvrage
des Loix Civiles ne nous difpenfe point
de lire & d'étudier les textes . L'Auteur
a feulement rangé les matières du Droit
dans un certain ordre , & n'a point prétendu
donner une introduction à l'étude
du Droit civil Romain . Ainfi le dernier
Ouvrage ne reflemble en rien au premier
ce font deux marches différentes
qui n'ôtent rien au mérite de chaque Auteur.
:
Tous ceux qui voudront avoir de juftes
notions des élémens de la Jurifprudence
Romaine , n'auront befoin que de lite
l'Ouvrage que nous annonçons. Comme
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
des Loix Romaines , loin d'être l'ouvrage
d'un feul homme & d'un feul âge , font
au contraire le réfultat des réflexions
d'un grand nombre de Sages , inftruits
par l'expérience de pluſieurs fiècles ; pour
en connoître l'origine & les progrès , on
eft obligé de confulter les monumens
antiques & d'étudier l'Hiftoire des anciens
Peuples , fur tour celle des Egyptiens
, fi célèbres par l'étendue de leurs
connoillances ; c'eft par cette étude qu'on
peut découvrir les principes de ces loix ,
que les premiers Philofophes de la Grèce
avoient rapportées dans leur patrie . Ces
loix elles mêmes , après avoir acquis un
nouveau degré de perfection entre les
mains des Magiftrats des différentes Républiques
Grecques , devinrent le germe
de celles des douze Tables que Tacite
regardoit comme la fin des bonnes loix.
On convient que le Droit Romain eft
un peu défiguré dans la compilation de
Juftinien , parce que le Rédacteur a mutilé
plufieurs conftitutions des Empereurs
& les fragmens des anciens Jurifconfultes
; auffi devient il néceffaire d'approfondir
l'hiftoire , les moeurs , la langue
& les anciennes loix des Romains , &
de recueillir avec foin les précieux débris
MARS. 1776 .. 79
du Droit qu'on fuivoit avant Juftinien.
Toutes ces idées fe trouvent développées
dans le difcours préliminaire qui eft á la
tête des principes du Droit civil Romain.
Le Philofophefans prétention ou l'Homme
rare ; Ouvrage phyâque , chimique ,
politique & moral ; par M. D. L. F.
A Paris , chez Cloufier , Impr . Libr.
rue St Jacques; & Lacombe , Lib. rue
Chriftine ; in- 8° . br. 41.
L'Auteur de cet Ouvrage a craint que
la forme purement didactique , ne muisît
aux explications neuves & ingénieufes
qu'il nous donne de plufieurs phénomè
nes ; il a mieux aimé envelopper les differtations
dans un Roman , où la variété
des épifodes amufe le Lecteur , que de
donner une fuite de leçons qui amènent
fouvent l'ennui & le dégoût. Voici fes
raifons. Une belle femme , fimplement
vêtue , excite rarement la curiofué de
ceux qui en font éloignés ; mais cette
femme annonce elle l'éclat d'une toilette
intéreſſante , on accourt vers elle ,
on reconnoît fes charmes , l'on s'en occupe.
Telle eft la fcience. Combien de
jolis efprits s'y feroient attachés & au-
Div
82 MERCURE DE FRANCE.
difpofition des terres par couches , les
tremblemens de terre , la formation des
métaux , les pétrifications d'animaux ou
végétaux , &c. L'Auteur , par les charmes
de fon ftyle , rend agréables &
intérefans tous ces différens objets de la
phyfique , qui fembloient les moins ſuſceptibles
d'ornemens .
Lettres intérefantes du Pape Clément XIV
( Ganganelli ) traduites de l'Italien &
duLatin . AParis , chez Lottin le jeune ,
rue St Jacques . A Lyon , chez Bruyfet.
Ponthus , Libraire. A Rouen , chez
Benitier , Libraire ; en 2 vol . in - 12.
Cette édition eft ornée d'une planche
en taille douce , & fignée au dos du'
frontifpifce par le Libraire de Paris ,
Lottin le jeune , pour reconnoître les
contre factions.
ļ
Ne jugeons les hommes que fur leursfaits
&fur leurs lettres , difoit le Cardinal
Bentivoglio ; car ce n'eft fouvent que l'adu.
lation ou la malignité qui les peint à nos
yeux. D'après cette règle , quiconque
lita les lettres de Ganganelli , le regardera
, à jufte titre , comme un des plus
grands Pontifes de l'Eglife Romaine. Il
MARS. 1776 . 83
fuffit de comparer ces lettres éloquentes ,
dans tous les genres , & utiles à toutes
les conditions , avec les bulles & les
brefs de Clément XIV , pour reconnoî,
tre que c'est le même génie qui les a
dictées *, le même efprit de fagelle & de
modération qui en fait la ſubſtance , &
le prix.
Parmi tant de beautés qui brillent dans
ces lettres , nous nous bornerons à préfenter
quelques uns des traits qui nous
ont le plus frappés , & qui font propres
à fixer le jugement du public fur le mérite
*
Og faifoit
dans
un
cercle
, compofé
de pers
fonnes
diftinguées
, l'éloge
des
lettres
de Clément
XIV
; on admiroit
fur
tout
cette
tolérance
, évángélique
, cet
efprit
de paix
& de charité
qui
y
règne
& qui
conviennent
fi bien
aux
Miniftres
d'une
Religion
fainte
Quelqu'un
foutint
qu'aucunes
de ces
letries
n'avoit
été
écrite
par
Ganganelli
, ce qui
fit naître
une
difcuffion
qui
commençoit
à s'échauffer
, lorfqu'une
Dame
, également
diftinguée
par
fon
efprit
& par
la paillance
,
termina
la querelle
en difant
d'un
art
de dignité
qui
lui
eft naturel
: Que
les maximes
répandues
dans
ces
lettres
, quel
qu'en
pût
être
l'Auteur
,
n'en
étoient
pas
moins
vraie
, moins
importantes
& moins
dignes
de l'illufire
Pontife
; & qu'il
étoit
plus
effentiel
de
chercher
à les mettre
en pratique
,
que
dedifputer
vainement
fur
leur
origine
,
D
vj
84 MERCURE DE FRANCE .
་
de cet illuftre Pontife . Eatendons - le
d'abord s'expliquer lui - mêine , avec autant
de fageffe que d'impartialité , fur
l'état qu'il avoit choifi . Quand on em
» brate la vie cénobitique , on doit
» craindre que ce ne foit une illufion ....
» Je n'aime pas qu'on fe furcharge
d'obligations ..... La deftination de
» l'homme eft de travailler. Il n'y a qu'un
» pas de la vie fpéculative à la vie parelfeufe
... Il eft difficile de trouver un
grand nombre de Religieux fervens
» on doit appréhender d'appauvrir l'Etat ,
» en fe rendant inutile à la fociété.....
» Je ne vous confeille nullement de
"
donner aux Communautés . Il n'eft pas
jufte d'appauvrir les familles pour les
» enrichir. Notre richelle doit être notre
répuration »...
On ne doit pas perdre de vue que
c'eft ici un Religieux éclairé qui tient
ce langage , & qui doit être regardé
comme juge compétent fur la matières
il y a toujours de la force d'efprit à ne
fe point laiffer maîtrifer par les préjugés
de fon état. Au refte , Ganganelli n'en
avoue pas moins que des Religieux li
yzés aux études utiles , ont fait la gloire
du Saint- Siége & des différentes Eglifes
MAR S. 1776. 35
pendant des fiècles entiers. Il y a toujours
eu dans le Chriftianifme des hommes
eftimables qui , à l'obfervation des préceptes
, ont ajouté l'accompliffement des
confeils évangéliques.
Ganganelli réunifloit à toutes les qua
lités d'un Pafteur éclairé , la fcience d'un
Théologien profond . Qu'on life fa belle
& fublime lettre adreffée au Cardinal
Quirini ( Tome I. page 318 ) & l'on
fe convaincra que ce Pontife pouvoit
mieux qu'aucun autre , tétablir les bonnes
études de la théologie , & les épurer de
rout ce qui s'y eft mêlé d'étranger &
d'inutile . On ne peut pas fe diffimules
que les Ecoles ont eu , au moins pour
la plupart , le malheur de commences
dans un temps où le goût des bonnes
études étoit couvert de ténèbres
pro
fondes que les Barbares du Nord , qui
inondèrent l'Europe , répandirent fus
les beaux - arts & fur les fciences. It
eft vrai que depuis le milieu du quinzième
fiècle on environ , les fciences
ont commencé à fe relever ; on a banni
des Ecoles , cette ancienne barbarie
qui les faifoit regarder , avec fondemènt
, comme un pays affreux , comme
une terre qui dévoroit les habitans & les
1
85 MERCURE DE FRANCE.
confumoit par fes épines. Mais fi l'ouvrage
du rétabliffement des études eft
heureuſement commencé , il n'a pas encore
été conduit à la perfection . Ganganelli
étoit perfuadé , & il le prouve avec
éloquence , que nous ne lommes pas
encore rentrés dans la voie que nos pères
Dous ont tracée , quoique nous en loyons
moins éloignés que les Théologiens da
douzième & du treizième fiècle. Il fe
plaint , avec raifou , des écarts de l'ancienne
fcolattique , qui ne roule que trop
fouvent fur des diftinctions frivoles ,
& fur des queſtions de mots qui n'intéreffent
en rien , lurs même qu'on eft par,
venu à y entendre quelque chofe . L'étude
de la théologie n'eft , felon lui , qu'une
lecture affidue & réfléchie des Livres
Saints , une application férieufe à connoître
la doctrine des Pères , les décifions
des Conciles & tous les monumens de
la tradition , afin de puifer dans ces divi
nes fources la connoiflance des dogmes
& les règles de la morale ; & la ſcolaſ
tique avoit perdu de vue cette fublime
deftination de la Théologie , & en avoit
fait, fe on M. Fleury , un exercice de dif
puter fans fin & de fubtilifer à l'infini, Or
peut-on dire que ce défordre a entière-
4
MARS. 1776. 87
ment difparu? Qu'on entre dans certaines
Ecoles (car il en eft plufieurs où l'enfeignement
eft auffi pur que la méthode eft
lumineufe. Voyez les excellens Traités
de MM. Hook & Legrand fur la Religion
& fur l'incarnation ) & l'on verra
fi cette fcience , fi élevée au- deflus des
fciences humaines , s'y montre avec tout
l'éclat & la majefté qui l'environnent ,
lorfqu'elle n'eft pas obfcurcie par les
ténèbres des raifonnemens humains , ni
défigurée par le mêlange des erreurs , des
opinions incertaines ou des queſtion's frivoles.
Ganganelli , attaché intimement à la
doctrine de Saint Auguftin , pouvoit- il
ne pas reprocher aux anciens Scolaſtiques
d'avoir répandu des doutes fur tout ,
d'avoir converti en opinions & en problêmes
les vérités les plus indubitables ?
Ce défordre prenoit fa fource dans un
autre abus auffi intolérable , qui étoit da
ne confulter que les modernes , & de
négliger l'étude des Livres Saints & des
écrits des Pères. On ne puifoit toute la
théologie que dans le Maître des fentences
, tout le droit canonique dans Gratjen
, toute l'intelligence des Ecritures
dans la Glofe ordinaire ; & parce que
$3 MERCURE DE FRANCE.
l'efprit n'avoit point de principe évident
par la lumière naturelle , ou fondé for
une autorité infaillible , qui pût fixer fa
légéreté & fon inconftance , on fe livroit
uniquement à des fubtilités & à des raifonnemens
philofophiques. Auffi la plupart
des Ouvrages de ces anciens Scolaftiques
ne font remplis que d'obfcurités
de doutes & d'incertitudes ; mais la
théologie dont Ganganelli nous donne
une idée fi noble dans fa lettre au Cardinal
Quirini , ne puife au contraire les
vérités de la Religion que dans la pure
fource des Ecritures & de la tradition ,
& n'employe , pour nous les faire connoître
qu'une méthode lumineufe , qui
opère la conviction . Voici ce qu'il die
de ce Docteur que l'Eglife Romaine a
toujours regardé comme le meilleur guide
& le dépofitaire le plus fidèle de la tradition
.
« Je vous avoue que fi je fais quelque
» chofe , mon cher Abbé , je le dois à la
lecture des Pères & fur-tout à celle des
Ouvrages de St Auguftin : rien n'échappe
à fa fagacité ; rien n'eft au - deffus de fa
» profondeur ; rien n'eft au deffus de fa
» fublimité : il fe refferre , il s'étend , il
» s'ifole, il fe multiplie felon les fujets
MARS. 1776. 89
" qu'il traite , & toujours avec le même
» intérêt & en élevant l'âme juſques dans
» le fein de Dieu : c'eft un fanctuaire
» dont il paroît avoir la clef , & où il
» introduit infenfiblement ceux qui fe
nourriflent de fes magnifiques idées . Je
» l'admire fur-tout dans les matières de
la grâce . Eh ! plût au ciel que fa doc-
» trine fur ce point eût fixé toutes les
» Ecoles & tous les efprits ! Des Ecri-
» vains audacieux n'auroient pas voula
» fonder des abyfmes impénétrables , &
» la grâce de Jésus- Chrift eût confervé
tous fes droits , & l'homme , fa liberté
.
"
Dans une autre lettre , il dit :
" Le Pape ne fait que ce qu'il doit faire
» en vengeant la mémoire du Cardinal
» Noris . Il feroit cruel qu'on fût héréti-
» que , parce qu'on eft Auguftinien ou
» Thomifte , c'eft - à- dire d'une doctrine
» folennellement approuvée par l'Eglife.
» Mais quand on eft pouffé par le fana-
» tifme , on ne raifonne plas & l'on ne
» voit rien 13.
Le Cardinal Ganganelli rappelle ici
un événement qui s'eft paffé à Rome , il
y a près de trente ans . Des hommes envieux
de la haute réputation du Cardinal
90 MERCURE DE FRANCE.
Noris , obtinrent , par leurs intrigues ,
que fes Ouvrages feroient mis , par l'Inquifition
d'Espagne , au rang des livres
prohibés. Le Pape Benoît XIV réprima
cette entreprife , & ne put fouffrir qu'on
fit une telle injure à la mémoire de ce
favant Cardinal . Il écrivit un Bref an
Grand Inquifiteur d'Efpagne , dans lequel
il lui dit que les accufations contre le
Cardinal Noris n'étoient pas nouvelles ;
qu'il en avoit été pleinement & folen
nellement juftifié ; qu'il n'étoit pas per .
mis d'y revenir , ni encore moins de
mettre les Ouvrages de ce grand homme
au nombre des livres défendus .
En applaudiffant à la démarche de
Benoît XIV , le Cardinal Ganganelli
juftifie de plus en plus les regrets que Ca
mort prématurée a caufés à toute l'Eglife .
Que ne pouvoit- elle pas attendre d'un
Pape qui avoit porté fur le Saint Siége
cet efprit de paix & de modération dont
on voit par tout les traces dans fes lettres
qui réſervoit fon zèle & fon indignation
contre le fanatifme cruel &
perfécuteur. A l'exemple de fes Prédéceffeurs
, il reconnoifloit que la doctrine
de Saint Auguftin & de Saint Thomas
eft folennellement approuvée par l'EgliMARS.
1776. 91
fe ; que la foi de leurs Difciples , les
Auguftiniens & les Thomiftes , eft pure
& irreprochable ; qu'il y auroit de l'injuftice
& de l'inhumanité à calomnier
leur orthodoxie. Admirons également
la fagefle & la modération avec laquelle
il parle des communions féparées .
"
Co
L'Eglife Romaine , dit - il , con-
» noît fi parfaitement le mérite de la
plupart des Miniftres des Communions
proteftantes , qu'elle fe félicite-
» roit à jamais de les voir dans fon fein.
» Il ne s'agiroit plus de rappeler les que-
» relles paffées ; de reproduire ces temps
» orageux , où chacun , emporté, par la
» vivacité , fortit des règles de la modé-
» ration chrétienne : mais il feroit quef
"
tion de fe réunir dans une même
» croyance , fondée fur l'Ecriture & fut
» la tradition , telle qu'on la trouve dans
les Apôtres , les Conciles & les Pères.
» Perfonne ne gémit plus que moi du
» mal qu'on vous fit dans le fiècle dernier .
L'efprit de perfécution m'elt tout à- fait
» odieux .
ود
» Combien les Peuples ne gagneroient
» ils pas à une heureufe réunion ? C'eft
» alors que , s'il le falloit , je dirois à
"
mon fang de couler jufqu'à la dernière
92 MERCURE DE FRANCE .
» goutte , fâché de n'avoir pas mille vies
» à donner , pour mourir témoin d'un fi
» merveilleux événement ».
و د
Peut -on lire ces paroles , animées par
la charité apoftolique , fans être intimement
perfuadé que ce Pafteur éclairé
n'auroit pas manqué d'adopter tout plan
de pacification qui eût rapproché du bercail
ces brebis égarées , fans compromettre
en rien les droits de la Catholicité
? Théologien , philofophe & patriote
, il auroit toujours fu concilier ce
que la Religion exige & ce que le bonheur
de la fociété demande .
»
Nous reprochons à M. Fleury , écrir-
" il au Père Orfi , Dominiquain , de ce
qu'il eft trop zélé pour les libertés de
l'Eglife Gallicane , & les François vous
accuferont , M. R. P. de foutenir avec
» trop d'ardeur les opinions ultramon-
" taines .
» Voilà comment il eft difficile d'écrire
» au gré de tous les Gouvernemens : mais
" les hommes judicieux palfent aux François
& aux Romains leurs différentes
prétentions , attendu que cela ne touche
point à la foi . Chaque Nation a
» fa manie , comme chaque individu a
» fon opinion » .
MAR S. 1776 . 93
Un bon François doit plus qu'un autre
foutenir que ce ne feroit pas rendre aux
vérités qui fervent de bafe à nos faintes
libertés , ce qui leur eft dû , que de les
reléguer parmi les opinions ou incertaines
ou indifférentes , qui font abandonnées
aux difputes des hommes . Ces vérités
, auffi néceffaires à la Religion qu'à
la fociété , font certainement parties du
dépôt de la révélation ; on auroit beau
chercher à les affoiblir , elles ne peuvent
rien perdre ni de leur prix , ni de leur
certitude. Tant de favans Théologiens
& d'illuftres Magiftrats ont démontré
que de la confervation de ces précieufes
libertés dépendoient les moyens les plus
fürs de conferver la pureté de la foi , la
fainteté de la morale , la vigueur de la
difcipline , la paix de l'Eglife , la liberté
des Ecoles catholiques , l'honneur de
l'Epifcopat , la dignité même du Saint-
Siége , auffi bien que l'affermiffement
de la Couronne & la fidélité des Sujers
.
La manière de penfer de Ganganelli
fur les prétentions Ultramontaines , laquelle
ne pouvoit être que très modérée ,
ne diminuoit en rien fon amour pour la
paix & pour l'unité, « Rien n'eft plus ter94
MERCURE DE FRANCE.
"
» rible , dit il * , que de divifer le corps
» de Jéfus . Chrift... Rome eft le centre
» d'unité ; & elle ne doit pas , pour des
» articles qui ne touchent ni la morale
» ni le dogme , expofer ceux qui vivent
» dans fon fein , à s'en féparer... Tout
» zèle impétueux qui veut faire defcen-
» dre le feu du ciel , n'excite que de la
haine... Ce n'eft ni en difant des in-
» vectives , ni en s'emportant que l'on
» convertit... Il y a des inconvaincus
qui méritent de la commifération
parce qu'au bout du compte , la foi eft
"
» un don de Dieu » .
Ce favant Pontife favoit que les difputes
font inévitables fur la terre , &
qu'on pouvoit combattre de bonne foi ,
fans cefer d'être enfant de l'Eglife , une
vérité qui s'étoit obfcurcie ; mais il exigeoit
auffi comme un devoir effentiel
d'attendre en paix la décision folennelle
du corps des Pafteurs , qui diffipe tous
les nuages & peut feule concilier tous
les efprits . Ceux qui avoient le bonheur
de défendre la bonne caufe , ils les regardoit
comme chargés d'une manière
plus fpéciale , de tous les devoirs de la
* Tome II , p. 265. Tome I , 108 , 111 .
2
MARS. 1776. 95
charité. Tout zèle qui ne couloit pas de
cette fource divine , n'étoit à fes yeux
qu'une faillie dangereufe de l'amourpropre
ou un emportement humain ; &
ce Pontife , ami de la paix , n'avoit jamais
oublié ces belles paroles de Saint
Auguftin. « Nous fommes hommes , &
» l'effet de la foibleffe humaine eft de fe
tromper quelquefois . Mais aimer fes
propres penfées jufqu'à rompre l'unité
& fe féparer d'avec ceux qui ne pen-
» fent pas comme nous , c'eſt une préfomption
diabolique * ».
Toutes ces règles fi néceffaires au bonheur
de l'homme & à l'ordre des fociétés
, Ganganelli les avoit puifées dans
cette Religion dont il nous fait fi bien
connoître les beaux caractères . Il nous
la dépeint dans fes lettres comme la
feule digne de l'Être Souverain , par la
fublimité de fes dogmes ; la feule confo
lante pour chaque homme , par les motifs
qu'elle propofe ; la feule falutaire ,
par les moyens qu'elle fournit. En effet ,
une Religion qui éclaire l'efprit , & lui
donne de Dieu les idées les plus grandes
& les plus juftes ; qui anime le coeur &
* De Bapt. 1. 2 , ch . s.
96 MERCURE
DE FRANCE.
lui infpire les fentimens les plus géné
reux & les plus élevés ; qui règle juſqu'à
nos penfées & nos defirs ; qui fixe tous.
les devoirs , qui fanctifie toutes les conditions
; une Religion qui commande
l'humilité aux Grands , le détachement
aux riches , la modération aux heureux ,
la patience & la résignation aux pauvres
& aux affligés ; une Religion qui preferit
l'amour de l'ordre , qui refferre les liens,
de la fubordination , qui a apporté au
genre humain la doctrine la plus analogue
au bien général des Etats & des Em-.
pires , la mieux affortie au defir inné du
bonheur & aux voeux de tous les hom-`
mes pour l'immortalité ; enfin une Religion
fi fublime , qui ne peut avoir d'autres
ennemis que les vices & les paffions.
Elle préfente à l'homme , comme on
vient de le voir , & comme le dit fi bien
Ganganelli dans fa lettre ( 119 ) une luinière
& des reffources qu'il chercheroit
vainement en lui - même ou dans ce qui
l'environne . Elle lui fait connoître la
nobleffe de fon origine , l'excellence de
fa nature , la grandeur & la fainteté de
fa deſtination ; elle le délivre de la fervitude
& de l'aviliffement où fes fens
l'auroient réduit ; elle lui dit fans cele
*
at
MAR S. 1776. 97
au fond du coeur , d'une voix forte &
touchante , qu'il n'eft pas fait pour la
terre ; qu'il eft plus grand que tout ce
qui paffe ; qu'un feul bien eft digne de
fon élévation. Enfin elle le conduit à
travers les écueils , les périls & les obfcurités
de cette vie , dans une nouvelle
région où la juftice eft parfaite , où la
vertu n'a plus d'ennemis , où le fpectacle
de la vérité , clairement dévoilée , lui
'caufera un éternel raviffement.
On ne doit donc être nullement furpris
que les lettres de Clément XIV ,
qui ne refpirent que paix & charité , &
où la Religion eft repréſentée telle qu'elle
eft en elle - même , fous de fi belles couleurs
, ayent réuni les fuffrages de tous
les Lecteurs. Je les ai dévorées ( écrit
» un Magiftrat éloquent à un de fes
» Confrères , & qui a eu le bonheur de
"
voir de près Ganganelli , & qui , par
» fes rares qualités , avoit mérité l'eftime
» & l'amitié de ce grand Pape ) quelle
plume ! quelle tête ! quel homme !
»Parle-t- il de Religion ? on croiroit en-
» tendre un Père de l'Eglife ; d'éloquence,
» Démosthène , Ciceron ; de philofophie,
" Platon des beautés de la nature , Buf-
}
» fon ; de politique , notre Montefquieu ;
E
MERCURE DE FRANCE.
» ou plutôt , il eft lui- même dans tous
» les genres , tour-à- tour & fuivant le
fujer , grave , enjoué , nerveux , pro-
» fond , fublime , fimple , & toujours
indulgent & toujours miféricordieux ;
fa lettre fur l'Italie eft une carte enlu-
39
39
"
ן כ
"
"
»
minée ; celle fur l'éducation , eſt un
» catéchisme pour les bons pères ; fes,
» lettres fur les Jéfuites font des modèles
de charité & de prudence. Avec
quelle douceur il ramène au bercail ce
» jeune Comte qui s'égaroit ! Avec quelle
» fineffe , & toutefois avec quelle onc-
» tion , il reprend l'implacable dévote :
mais c'eft en vain ! Avec quelle force
évangélique il combat ce Milord pré-
» venu. Sa lettre au Miniftre Proteftant
» devroit réunir les deux communions. Il
faudroit louer toutes ces lettres ; pas une ,
» à mon avis , n'eft indifférente ni médiocre
; c'eft une collection de chefs-
» d'oeuvre. Son génie étoit propre à tou
» tes les fciences , fa plume à tous les
fujets , fon ame à toutes les entrepriſes
bonnes , courageufes , pacifiques , divines
N,
ود
"
"
"
Petit Gloffaire , ou Manuel inftructif
pour faciliter l'intelligence de quelMARS.
1776. 99
ques termes de la Coutume de Bretagne
, contenant leurs définitions
exactes , leurs fignifications & étymologies.
A Breft , chez Malaffis , Impr.
du Roi & de la Marine.
L'art étymologique ne doit point paſfer
pour un objet frivole , ni pour une
entrepriſe vaine & infructueufe. Quelque
incertain qu'on fuppofe cet art , il
a , comme les autres , fes principes & fes
règles. Il fait une partie de la littérature ,
dont l'étude peut être quelquefois un
fecours pour éclaircir l'origine des loix ,
celle des Nations , & d'autres points éga
lement obfcurs par leur antiquité ; mais
il n'en eft pas moins vrai que les chan
gemens & les altérations que les mots
ont foufferts , font fi fouvent arrivés par
caprice ou par hafard , qu'il eft aiſé de
prendre une conjecture bizarre pour une
analogie régulière . D'ailleurs il eft difficile
de retourner dans les fiècles paffés
pour fuivre les variations & les viciffitudes
des langues. Voilà à quoi fe réduit
ce qu'on a dit fur la fcience des étymo
logies.
Le Gloffaire que nous annonçons n'a
pour objet qu'un petit nombre de termes
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
de la Coutume de Bretagne ; l'Auteur fe
fert principalement de la langue Celtique
pour expliquer leur origine. On
convient avec l'Auteur qu'il eft défagréable
d'être arrêté , quand on lit , par un
mot dont on ne peut découvrir le fens ;
que rien n'est plus commode que d'avoir
fous la main un Dictionnaire portatif où
l'on puiffe trouver , à point nommé
tout ce que l'on defire. Tout le monde
ne peut pas acquérir les grands Gloffateurs
, ni les vaftes Ouvrages de nos
Commentateurs . Ils font d'ailleurs coûteux
& difficiles à remuer. Mais n'aurat-
on pas droit d'objecter que moins un
Dictionnaire eft volumineux , moins on
doit y trouver l'explication de tous les
mots que l'on eft dans le cas d'y chercher
? Cette affertion eft inattaquable.
L'Auteur de notre Manuel pourra répondre
à fon tour qu'un Gloffaire où il n'eſt
queftion que d'une feule Coutume , në
peut pas être auffi long que celui qui
contiendra l'explication de tous les mots
difficiles qui fe trouvent dans toutes les
Coutumes du Royaume , dont le nombre
n'eft pas petit ; ces deux affertions nous
paroiffent également évidentes. Au reſte
on doit juger du Gloffaire , non par la
MARS. 1776 . 101
\
grandeur du volume , mais par la juftelle
des explications étymologiques qu'il
contient. C'eft aux Jurifconfultes verfés
dans la connoiffance des langues , à ap.
précier le mérite de ce Manuel portatif.
Théorie de l'Education , Ouvrage utile
aux Pères de famille & aux Inftituteurs
; par M. Grivel : 3 vol . in - 12 .
A Paris , chez Moutard , Libr. de la
Reine , quai des Auguftins .
On s'eft plaint dans tous les fiècles
qu'on avoit trop négligé les reffources
que la nature préfente , pour perfectionner
les hommes , en leur faifant connoître
l'unique route qui conduit au
bonheur. Ce n'eft pas fans raifon qu'an
Philofophe a foutenu que fi l'efpèce humaine
nous fembloit fi imparfaite & fi
défectueuse , c'eft que , femblable à l'Artifte
médiocre & négligent , content
d'avoir groffièrement ébauché un bloc de
marbre , qui feroit devenu un chef- d'oeuvre
fous le cifeau créateur de Phidias
óu de Praxitèle , nous avions toujours été
indolens fur un objet qui devroit le plus
nous enflammer de zèle .
L'ame a mille côtés fufceptibles de par .
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
tialité , & nous ne voulons pas prendre la
peine de les chercher. De combien de ver.
tus & de talens l'homme ne feroit-il pas
doué , fi les yeux perçans & les mains
habiles du génie , s'appliquoient à connoître
& à mettre à profit les heureuſes
difpofitions que l'on reçoit de la nature !
Par quelle fatalité la plus néceffaire des
fciences , celle de rendre l'homme fage
& heureux , a- t- elle toujours été li ſtupidement
négligée ? Combien d'hommes
n'at on pas vu , dans tous les temps ,
ramper dans la médiocrité , qui fe feroient
immortalifés par leurs talens &
leurs grandes actions , fi leurs difpofitions
, apperçues & aidées de bonne
heure , euffent été appliquées aux objets
qui leur convenoient ? Mais les petites
paffions & les intérêts futiles nous ont
toujours diftraits . Notre inapplication &
notre légèreté ne nous ont point permis
de faire mouvoir les puiffans refforts
feuls capables de nous tirer de la sphère
étroite où nous reftons concentrés . Voilà
les plaintes que l'on réperte d'âge en âge.
Il feroit temps de les faire cefler & de
raffembler les excellentes obfervations .
que différens Auteurs nous ont laiffées fur
cet objet fi important. En effet eft-il rien
MARS. 1776. 103
de plus effentiel au bonheur d'un Etat ,
qu'un plan de bonne éducation , où l'on
apprendroit à chaque Citoyen à concourir
au bien commun , en faifant valoir.
le talent qu'il a reçu en venant au monde
; où l'on prépareroit chaque génération
naiffante à remplir avec fuccès les différentes
profeffions qui partagent la ſociété
.
"
*
« Il eft certain , dit un Magiftrat pa-
» triote , que dans l'état où eft l'Europe,
n'ayant point à redouter les invafions
» des Barbares , le Peuple qui fera le plus
éclairé (toutes chofes étant égales d'ail-
» leurs , ou même ne l'étant pas ) aura
toujours de l'avantage fur ceux qui le
» feront moins ; il les furpaffera par fon
» induftrie , il les fubjuguera peut - être
» par fes armes. Toutes les profeffions
» étant mieux remplies , les emplois
» mieux exercés , les efprits plus cultivés
» & plus folides , les opérations publi-
» ques & particulières mieux concertées
» & mieux exécutées ; la difcipline en
» tout genre fera meilleure & mieux ob-
» fervée , l'adminiſtration intérieure &
extérieure plus fage , les abus feront
» moindres & plutôt réprimés
"
"" .
D'après tous ces avantages , ne de-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
vroit-on pas redoubler tous fes efforts
pour diriger les études publiques vers
la plus grande utilité publique , & rap
porter à la conftitution & aux loix
de l'Etat l'éducation qui eft destinée à
former des Citoyens. N'eft il pas conftant
que chaque famille particulière doit
être réglée fur le plan de la grande famille
qui les comprend toutes ? Tel eft
le but que s'eft propofé l'Auteur de la
Théorie de l'Education ; ce n'eft pas à la
jeuneffe , mais à fes guides qu'il s'adreffe.
Ceux- ci doivent connoître parfaitement
le but où ils veulent mener leurs difciples
, ainfi que la manière de les conduire :
" Il faut donc infpirer aux Maîtres , dit
cet Auteur , l'unité d'intention nécef-
» faire pour arriver à ce but , afin que
» l'éducation , même particulière , por-
» tant fur une baſe commune & unifor-
» me , on tende vers le même point , le
» bien de la fociété . Il eft indifpenfable
» qu'un père , qu'un gouverneur voye la
» néceffité de conduire fes élèves vers
» ce terme unique , & qu'il employe ,
» pour les y pouffer , tous les refforts de
leur intérêt perfonnel , qu'il connoifle
» les devoirs qui nous lient dans la fo
» ciété , & les droits qu'on y porte ».
MARS. 1776.
105
Après avoir bien développé tout ce qui
a rapport à l'obfervation des devoirs &
à la jouiffance des droits , l'Auteur démontre
dans fa théorie l'infuffifance de
nos inftitutions pour faire des fujets capables
de les obferver , & l'on paffe enfuite
aux moyens de les y former . Tout
ce qu'il dit fur la manière de cultiver le
corps, le coeur & l'efprit de l'homme ;
eſt très-judicieux , & fert à bien diriger
les pères & les inftituteurs dans le grand
ouvrage de l'éducation . La méthode
qu'on prefcrit pour fortifier là jeuneſſe ,
& la rendre propre à fupporter les plus
longues fatigues , eft fondée fur l'expérience
des Anciens & des Modernes.
Quant à la partie morale , après avoir
apprécié ce que peut l'éducation fur le
caractère , l'Ouvrage , en fourniffant les
moyens de le connoître & d'en tirer
parti , indique en même temps & le
meilleur préfervatif pour les différens
défauts auxquels on peut être fujet dans
la jeuneffe , & la méthode la plus propre
à infpirer l'amour de toutes les vertus
fociales. Enfin , dans la partie de l'inftruction
, laillant au loin toutes les mié
thodes ferviles d'inftruire un jeune hom
me, l'Auteur en propofe de nouvelles
i
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
dont il démontre la bonté , & fait voir
jufqu'à quel point l'inftruction peut être
commune aux enfans de tous les états ,
& où elle devient différente & particulière
. On annonce un livre d'une invention
nouvelle & très ingénieufe , qui
réunit plufieurs avantages & doit être
de la plus grande utilité pour les premiers
momens , d'après la defcription détaillée
qu'on en fait dans l'Ouvrage. Le grand
fecret de l'art d'enfeigner , c'eft d'être en
état de démêler la fubordination des connoillances
& d'en ôter les épines ; &
c'eft le but dont l'Auteur ne s'écarte jamais.
Il fuffira d'indiquer les principales
matières qui font traités dans la théorie ,
pour prouver qu'on n'a rien omis , &
pour faire defirer que l'Auteur conduife
à la perfection un plan fi utile à la fociété.
Droits & devoirs de l'homme envers
Dieu , envers la fociété , les parens ,
les hommes , foi - même ; défauts de
l'éducation ordinaire , qualités d'un bon
Inftituteur , Colléges , éducation publique
& particulière , éducation phyfique ,
gymnastique ; maladies des enfans , inoculation
de la petite vérole , habitudes
, caractères , l'étude de la Religion ,
l'exemple , la douceur , l'opiniâtreté , le
MARS. 1776. 107
menfonge , la franchife , le courage ,
l'émulation , les châtimens , les récompenfes;
nouveaux élémens d'inftruction ,
utilité du livre figuré ; commerce , arts ,
fable , hiftoire , chronologie , géogra
phie , hiftoire du ciel , langues , mémoire
, philofophie , grammaire , élo
quence , littérature , morale , droit naturel
de l'homme , voyage : la manière
dont tous ces points font traités , eſt intéreffante
& fouvent neuve . Tout y refpire
la vertu , & tout eft propre à conduire
l'homme à la perfection & au
bonheur.
Réflexions morales d'un Solitaire , Ouvrage
utile aux gens du monde & aux
perfonnes confacrées à Dieu ; par le
P. Conftance Miet , Récollet. A Paris ,
chez la veuve Defaint , Libr . rue du
Foin St Jacques .
Cet Ouvrage convient également aux
perfonnes qui vivent dans le monde &
à celles qui fe font confacrés à la pratique
des confeils évangeliques , d'après
l'ordre donné au premier père des
- croyans , de marcher en la présence du
Seigneur & d'être parfait; depuis cette
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
divine parole fortie de la bouche de
l'Inftituteur du Chriftianifine , foyez par
faits comme votre Père célefte eft parfait ,
il n'eft permis à qui que ce foit de s'ar
rêter dans le chemin de la vertu . Comme
il faut s'éloigner du mal le plus qu'il eft
poffible , il ne faut point mettre de bornes
à la pratique de la vertu . En effet ,
la vertu confiftant dans l'union avec
Dieu, & Dieu étant un bien fans mefure
& infini , les defirs de la vertu
doivent tendre à l'infini ; la meſure d'aimer
Dieu eft de l'aimer fans mefure ; &
c'eft indiftinctement à tous les Chrétiens
qu'il a été dit , que celui qui eft jufte , le
devienne davantage ; que celui qui eft
faint , fe fanctifie de plus en plus ; enfin
c'eft une maxime qui eft devenue populaire
, ne point avancer , c'eft reculer.
Auffi a -t- on dit qu'il n'y a pas loin entre
la vertu qui fe repofe & la verta qui
s'égare. D'après ces vérités , on ne doit
pas négliger la lecture des livres cù l'excellence
de la morale évangelique eft
préfentée d'une manière noble & fimple ,
où l'on inculque la néceffité de tendre fans
relâche à la perfection. « Celle ci ſe for-
» me , comme le dit fi bien notre refpec-
» table Solitaire , de l'union de toutes
MARS, 1776. 109
* ces vertus , fans laquelle il n'y a point
» de falut. Les vertus ont une alliance fi
» étroite entre elles , que l'on ne peut
les féparer fans tout perdre , & néan-
» moins il eft difficile de les unir toutes.
» On fent naturellement du penchant
» pour quelques- unes , & on a moins
» d'inclination pour d'autres . Dieu a jeté
» dans le fond de l'ame une femence de
» vertu qui nous porte au bien ; mais il
nous laiffe des défauts qu'il faut com-
» battre , & ce font ces défauts qui font
» attachés au fond de notre être , qu'il
» faut vaincre. On les furmonte en réfif-
» tant ; mais cette réfiftance doit durer
ود
jufqu'à la mort ; fi on fe laffe dans
» ce combat , on perd tout le fruit
» de fes victoires . On eft criminel en
nailfant , il faut être faint en mou-
» rant, & cette fainteté ne s'établit que
fur la ruine entière du vice . Tout
le monde fait que notre vie est un
combat ; on ne trouve la paix que dans
» le tombeau ; & fi on demande à l'hom
"
me pourquoi il fe fait toujours la
» guerre , il répondra qu'il travaille à fe
» rendre parfait , & qu'il ne peut l'être
qu'en acquérant toutes les vertus & en
» détruifant tous fes vices.
"
110 MERCURE DE FRANCE.
» Overtu ! a dit un Philofophe auffi
» chrétien que notre Solitaire , tu n'es
» pas un vain nom ; tu dois faire effen-
» tiellement le bonheur de ceux qui t'ai-
❤ment : tout ce qu'il y a de félicité , de
perfection & de gloire eft compris dans
» ta nature ; en toi fe trouve la plénitude
»des êtres. Qu'importe fi ton triomphe
» eft retardé fur la terre ? Le temps n'eft
" pas digne de toi ; l'éternité t'appar-
» tient comme à fon Auteur. C'eft ainfi
» que j'embraffe le fyftême le plus con-
» folant , le plus vrai , le plus digne da
» Créateur & de fon ouvrage ; c'eft ainfi
que j'oferai m'avouer Chrétien jufques
» dans ce fiècle ; & la folie de l'Evangile
fera plus précieufe pour moi que toute
»la fageffe humaine ».
"
Extrait du Plan d'Education , publié par
M. le Baron de Salis , Seigneur de
Marfchlins , & Envoyé de France en
Grifons. Brochure Allemande .
: Monfieur L'intérêt fenfible que vous
prenez au bien de la fociété , me fait
prendre la liberté de vous communiquer
une légère idée d'un nouveau plan d'éducation
. Je pense que vous ferez d'autant
plus flatté d'inférer cet avis dans votre
MARS 1776.
Journal , que l'on a évité dans ce plan
tout les défauts qui fe trouvent dans
nombre d'autres . Aucun fiècle n'a plus
enfanté de fyftêmes que le nôtre , for
l'éducation phyfique & morale de la jeuneffe
mais malheureufement , il femble
que dans tous ces fyftêmes on fe foit
plus occupé de faire des hommes artificiels
, que d'interroger la nature , pour
favoir quel homme elle pouvoit produire
de nos jours . J'ofe même avancer
que la bafe de tous ces fyftêmes a été
l'intérêt particulier des inventeurs ; & je
n'appréhende pas d'être démenti.
Le projet dont il s'agit n'eft pas de ce
genre. Ce n'eft pas un cerveau creux
qui l'a enfanté d'après la fpéculation mal
réfléchie de rapports encore plus mal
apperçus , ou même faux pour la plûpart.
L'Auteur y a envifagé l'homme tel
qu'il pouvoit être avec nos loix & nos
ufages : mais en fubordonnant ces loix
à l'impreffion de la nature , & aux lumières
de la Religion. Il ne s'eft pas fait
des paffions autant d'hydres qu'il falloit
étouffer : au contraire , il les a confidérées
comme la fource de toutes les vertus ,
& la bafe la plus folide du bonheur de
la fociété. C'eft auffi là l'idée qu'on avoit
112 MERCURE DE FRANCE .
(
des paffions dans la célèbre Ecole de
Pythagore .
Le plan de tous les autres fyftêmes ,
fait voir évidemment qu'on y a fuppofé
l'homme méchant : on lui dit même prefque
par -tout , qu'il eft pervers dès ſa
naiffance ; & l'on oublie que nos anciens
Gaulois étoient des gens fi droits , fi honnêtes
que leurs maifons n'étoient jamais
fermées , ni jour , ni nuit . Si cet honnê
teté étoit dans leur coeur , d'où la tenoientils
, que de la Nature feule ? Eft - il donc
étonnant , de voir l'homme méchant ,
quand onlui dit qu'il eft capable de tous
les forfaits pour lui faire aimer la vertu
? Doit-on lui peindre , même fans
délicateffe , des vices qu'il ne commence
à connoître que par les inftructions qu'on
- lui donne ? Après des pareilles leçons ,
que faut- il à la jeuneffe , que des fouets ,
des châtimens , au moment où elle ne refpire
qu'une liberté légitime , mais dont
on ne lui a montré que les abus , loin.
de lui en expliquer le véritable ufage ?
C'est pour aller entendre de femblables
inftructions , qu'un enfant enlevé des bras
de fa mère paffe dans ces vaſtes bâtimens
confacrés à la routine . Là , il doit gémir
pleurer , fouffrir les peines , les moqueMARS
. 1776. 113
ries , les outrages que lui font les mercenaires
qui l'élévent . Ses fentimens continuellement
captivés fe rabaiffent avec la
foule humiliée de fes condifciples. Il étoit
né libre & droit ; il n'en fort qu'en efclave
, & très-fouvent qu'en libertin incorrigible
. On n'en a peut être pas
fait un
ftupide femblable à cet Irlandois , à qui il
fallut défendre , fous peine afflictive ,
de brider un cheval par la queue ; mais
il est plus fourbe que le Catalan , &
affez communément l'un & l'autre.
lly a long tems qu'on gémit de ces abus .
Il falloit un vrai Amateur de l'humanité
pour commencer la réforme . M. le Baron
de Salis , Seigneur de Marfchlins &
Miniftre de France en Grifons , a eu la
gloire de cette tentative . Loin de le faire
illufion fur les difficultés de l'entreprife ,
il s'eft placé au centre & au premier mo
bile des refforts qu'il vouloit faire agir ,
& s'eft mis par-là en état de vaincre les
obftacles qu'il alloit rencontrer . Trop délicat
, pour donner fur fa conduite aucun
foupçon d'intérêt , il n'a eu d'efpoir
que dans la propre fortune . Pour cet effet
il a facrifié un très beau château & plus
de cent mille livres : il a confulté les
gens les plus éclairés ; foins , veilles ,
114 MERCURE DE FRANCE .
travaux , follicitations , il n'a rien épargné.
Comme fon but dans l'inſtruction
étoit de parler aux fens avant de rie.n
dire à l'efprit , il a dépensé une ſomme
confidérable pour acquérir les modèles ,
gravures , plans , cartes , inftrumens de
toute elpèce néceſſaires à fes vues .
Cet établiffement n'eft pas borné au
feul avantage de fes compatriotes ; les
enfans y font reçus de quelque Nation
qu'ils foient , moyennant une penfion
alfez modique dans ces temps- ci . Je
crois done , Monfieur , rendre un vrai
fervice au Public en lui faifant connoître
cet établiſſement ; peut être que nos Fran.
çois , toujours les derniers à adopter ce
qu'il y a de bon chez l'Etranger , s'empreferont
cette fois de s'approprier unbien
que l'inftituteur n'envie à perfonne .
En effet , il a propofé , moyennant une
foufcription de 4 l . 16 f. un exemplaire
in- 12 de 400 pages , du plan de fon éta
bliſſement , en françois , allemand ou
italien , felon le defir des acquéreurs ;
mais je vais le faire parler lui - même
d'après la brochure allemande que m'a
remife M. fon Frère . J'abrége.
« C'eft , dit- il , à Bafedow que nous
fommes redevables d'idées plus directes,
MARS. 1776. 115
fur les moyens de perfectionner l'efpèce
humaine , & c'eft à Marfchlins où ces
idées fe font d'abord réalifées .Nous avons
envifagé l'éducation des enfans fous trois
rapports effentiels , le coeur , l'efprit & le
corps ; & notre but , fous chacun de ces
rapports , a été de perfectionner les facultés
naturelles , de leur donner de l'élévation
, de leur faire prendre la direction
la plus avantageufe , & d'en aflurer
aux individus la jouiffance la plus durable.
Quant au premier rapport , un caractère
enjoué , aifé , complaifant , de la
foumiffion aux fupérieurs , aux loix civiles
, de la déférence pour les ufages de
la fociété , de l'habitude au travail , de la
fermeté , de la conftance dans les revers ,
un éloignement habituel du vice , de la
tendre le pour l'homme , & même un
coeur compâtiffant envers l'animal , legrand
fentiment de la Divinité , un refpect
fans réferve pour la Religion , font les
principaux points que nous exigeons pour
faire ce qu'on appelle un honnête homme.
Nos fuccès ont juftifié la marche que nous
avons prife , fur- tout depuis la réforme
du plan que nous avions publié en 1772 .
Ces fuccès dépendoient fur tout de
l'infpection à laquelle ces enfans font
-
116 MERCURE DE FRANCE.
foumis . Le nouveau Directeur dont nous
avons fait choix , & le premier inspecteur
de la Maiſon , ne nous laiffe rien à defirér .
Tous deux inftraits de ce qui caractériſe
les vertus vraiment fociales , fe font connoître
aux enfans plutôt par les preuves
de l'amitié la plus douce , que par les
menaces de la crainte. Cependant les
châtimens ne font pas exclus de nos vues ;
il est des caractères plus ou moins heureux
: mais c'eſt avec une extrême réſerve`
qu'on a recours à ce moyen.
Voyons ce qui regarde le corps ou
l'homme phyfique. Un corps ferme &
robufte doit être regardé comme le plus
précieux avantage de la vie , après la
gaieté & la paix de la confcience . Nous
avons penfé aux moyens préfervatifs ,
thérapeutiques , gymnaftiques , néceffaires
au maintien de la fanté des enfans . Perfuadés
que les forces font fufceptibles
d'un accroiffement étonnant dans les
fujets même les plus foibles , fi l'on
fait fuivre la nature pas à pas ; nous
avons donc pris de la gymnaftique des
anciens Grecs & Romains , tout ce dont
les enfans devoient fe promettre quelque
avantage , tant pour la force que pour
l'adreffe & l'agilité , fans bleffer nos
MARS. 1776 . 117
moeurs. Tous les exercices fixés & retenus
dans de juftes bornes par ceux qui ont
continuellement des enfans fous les yeux ,
nous ont affurés de la bonté de nos vues.
Auffi les enfans fortent ils de ce Collége
très-forts , très agiles & très adroits , foit
pour attaquer un ennemi , ſoit
défendre dans le befoin.
pour
fe
Paffons à ce qui regarde l'inftruction.
Nous avons fait deux claffes d'enfans .
La première eft celle des enfans qui entrent
au Collége , âgés de dix ans ou
plus. Le cours des études eft de trois
ans pour eux. La feconde eft celle des enfans
, âgés de fix ans ou quelque choſe
de plus. Ces enfans , affez forts pour
quitter les femmes , n'exigent plus les
foins multipliés des premières années ;
& nous fouhaiterions qu'on n'envoyât
à ce Collége que des enfans de cet âge :
les fuccès feroient alors infaillibles ; mais
leur cours d'études eft de plus de trois
ans.
Pour n'avancer dans l'inſtruction qu'à
proportion du développement des facultés
intellectuelles toujours fubordonnées
à celui des facultés corporelles
nous avons lié la connoiffance des mots
à celle des chofes , parce qu'il faut
118 MERCURÉ DE FRANCE.
parler aux fens avant d'intéreffer la
penfée , & qu'il eft impoffible de rien
faire retenir avec fuccès aux enfans fi
les fens & l'imagination n'ont pas été
occupés avant la mémoire. Ce n'est que
de la préſence des objets qu'on doit attendre
l'impreffion des idées primordiales
qui fervent toujours de termes de
comparaifon aux enfans . Nous ne leur
fuppofons aucun raifonnement , loin de
leur préfenter des idées abftraites , ou
qu'ils ne peuvent faifir fans abftraire :
ce qui eft impoffible à leur âge. Au lieu
de leur écrafer la mémoire par des vocabulaires
, des règles , des exemples , des
phrafes , des maximes , des apophthegmes
, nous n'offrons à leur efprit que ce
qui frappe immédiatement & feulement
leur imagination. Nous voulons d'abord
piquer leur curiofité après cela nous
fuivons cette curiofité fi naturelle à cet
âge . On les voit auffi- tôt faire les demandes
dont ils font fufceptibles . Au lieu
de dire d'un ton de maître à un enfant ,
taifez- vous ; on lui expofe ce qu'il peut
entendre , mais toujours dans le fens
direct de fa demande . C'eſt ainſi qu'on
leur donne de juftes idées , ou des idées
qu'une autre circonftance donne occafion
>
MARS. 1776.
119
de rectifier ou d'étendre ; par- là il leur
eft facile d'apprendre à penfer . La comparaifon
qu'ils font eux- mêmes ou qu'on
leur fait faire des rapports qu'ils connoiffent
dans les objets qui ont frappé leurs
fens , fournit les matériaux de leurs preiniers
raifonnemens ; & c'est toujours
d'après l'idée primordiale qu'on les met
à même de fentir leur erreur & de rectifier
un jugement précipité , non en les
grondant de s'être trompés .
On voit par- là que nous ne faifons
chez nous rien de ce qui fe fait ailleurs .
Les enfans n'y apprennent ni mots , ni
grammaire dans les livres , & cependant
ils s'enrichiffent tous les ans la mémoire
de plus de fix mille mots des différentes
langues qu'ils apprennent , favent les lier
fuivant les règles les plus exactes , & fe
trouvent , à la fin de leur cours , en état
de bien parler le latin , le françois , l'allemand
, l'anglois , l'italien , & avoir
acquis nombre de connoiffances dont
on ne donne pas la moindre notion ailleurs.
Outre les langues mentionnées dont
on ne leur explique les règles qu'après
l'ufage qu'ils en ont déjà acquis , ils
apprennent les élémens de l'hiftoire , de
420 MERCURE DE FRANCE .
la géographie , de la géométrie , de la
phyfique , de l'hiftoire naturelle , de la
logique , de la thérorique. Les inftructions
fe donnent dans chacunes des langues
que les enfans apprennent , & chaque
langue a fon jour fixe dans la femaine
: de forte qu'une même langue fe
parle par toute la maiſon , à l'étude , au
jeu , à table , dans les converſations . C'eſt
d'après cet ulage que la jeuneffe apprend
fans peine & fans fe rebuter les langues
dont on lui fait alors fentir les règles
qu'elle pratique déjà . Les enfans connoiffent
auffi par- là tous les termes d'arts
particuliers à chaque langue. Quel temps
ne leur gagnons-nous pas ! que de dépen-
Les de moins pour les familles !
Il y a encore une autre claffe d'érndians
, admis pour l'avantage des penfionnaires
; nous les avons nommés Servans.
Ce font des jeunes gens qui font
les mêmes études que les autres , pour
une penfion très- modique , mais deft inés
au fervice de la maiſon , & aftreints aux
mêmes loix que les autres , ce qui facilite
aux enfans l'acquifition des langues . Nous
ne prenons qu'un petit nombre fixe de
ces fetvans.
Outre ces études , on occupe la jeunelle
MARS. 1775. 121
neffe aux arts méchaniques les plus utiles
dans la fociété civile . Les enfans appren
nent auffi à deffiner , lever & laver des
plans , à danfer , à faire des armés ,
les parens le veulent ; cela fe paye à
part.
*
•
fi
Voilà , Monfieur , une idée générale
de l'établiflement de M. de Salis . Il
n'est pas d'objection contre un projet
dont l'heureufe exécution a prouvé la
poffibilité & les avantages depuis plufieurs
années . L'Inftituteur n'avoit d'abord
fongé qu'aux Proteftans il a cru devoir
fe rendre plus utile & admettre dans ce
Collège les Catholiques & ceux des autres
communions , avec les fages précautions
qu'on a prifes pour inftruire les
enfans dans la Religion qu'il plaît aux
parens d'adopter. Le Directeur de la
Maiſon , homme droit , eft chargé de
donner les premières notions relatives
au culte de l'Etre Suprême , enfuite d'expofer
les articles fur lefquels toutes les
communions s'accordent , fans dire le
moindre mot controverfible ; après cela
les enfans paffent , fans prévention contre
aucun patti , aux inftructions des
Maîtres , qui leur enfeignent purement
& fimplement les dogmes & les articles
F
122 MERCURE DE FRANCE.
de foi de la communion que les parens
adoptent. L'infpe&tion vigilante ôre toute
occafion de difcuffion de la part des enfans
; d'ailleurs on leur en évite toutes
les caufes poffibles dans l'inftruction &
la pratique , & les enfans fongent peu
à ces fortes de débats , lorfqu'ils font
occupés de leurs jeux . Ainfi l'Inftituteur ,
les Directeurs & les Inspecteurs de la
Maiſon répondent , fur leur honneur ,
que les intentions des familles font rem .
plies avec la plus fcrupuleuſe exactitude .
Le point a paru trop délicat pour ne pas
avoir pris toutes les précautions les plus
fages .
Ceux à qui ce détail très- abrégé paroîtra
infuffifant , fe procureront le grand
ouvrage dont j'ai parlé . Il y fera amplement
traité des opérations littéraires ,
morales & économiques de ce fage établiffement,
Si l'on y prend donc quelque
intérêt , on écrira :
A M. le Baron de Salis , Seigneur de
Marfchlins & Miniftre de France ,
Marfchlins , en Grifons ; ou à M. le
Directeur de l'Académie d'Education de
Marfchlins , à Marſchlins , en Grifons.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LE FEBVRE DE VILLEBRUNI .
MARS. 1776 . 129
Effai théorique &pratique fur les batailles;
par M. le Chevalier de Grimoard.
Volume in-4°. de 208 pages , avec 36
planches. A Paris , chez la veuve De
faint , Libraire , rue du Foin Sains
Jacques.
.
De toutes les opérations de la guerre ,
nous dit l'Auteur dans fa Préface , les
batailles font celles qui peuvent avoir
les fuites les plus heureufes ou les plus
funeftes. La recherche des principes pro
pres à en affurer le fuccès , eft donc de
la dernière importance. Il n'y a cependant
, pour l'ordinaire , dans les ouvrages
fur la fcience militaire , qu'un petit nom
bre de pages confacrées à traiter des batailles
; de forte que tout Officier qui
defire de s'inftruire à fond fur cette matière
, manque de moyens , quant aux
livres. M. le Chevalier de Grimoard a
penfé qu'un ouvrage où l'on trouveroit
les principes des batailles , developpés
avec l'étendue néceffaire , feroit utile :
c'est ce qui l'a engagé à compofer celuici
. L'Aureur avoue qu'il avoit commencé
par vouloir raffembler les maximeş
fur les batailles , répandues dans les
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
meilleurs Auteurs ; mais n'y ayant guère
trouvé que des préceptes très généraux ,
& même en petit nombre , il lui a fallu
changer de méthode. Il a penfé que la
meilleure de toutes étoit de méditer attentivement
plufieurs batailles livrées
par les plus habiles Généraux , & .de
réduire en principes les motifs de leur
conduite . Ce travail a été la bafe de la
théorie donnée dans cet effai . Comme
on doit toujours foumettre la pratique
des opérations militaires aux règles de
la théorie , & que le fuccès des armes.
dépend d'un rapport exact entre ces deux
parties , l'Auteur a fait enforte d'établir
les principes des batailles fur des exemples
frappans. Les Anciens & les Modernes
ont été mis à contribution . M. le
Chevalier de Grimoard a cru devoir
puifer chez les Anciens , parce qu'on y
trouve des reffources infinies ; & quoique
l'invention des armes à feu ait fait changer
la conftitution & les manoeuvres
particulières des troupes , les principes
généraux de la tactique font toujours les
mêmes. Aux difpofitions qui ont été
faites pour les batailles , l'Auteur en a
joint d'hypothétiques ; elles répandent
beaucoup de clarté fur les préceptes , en
MARS. 1776. 125
ce qu'elles s'y rapportent parfaitement.
Quoique le hafard ne falfe peut être jamais
rencontrer les diverfes circonftances
fuppofées , il eft des cas où elles fe trouvent
à peu près femblables ; d'ailleurs ,
il est toujours avantageux de faire voir
les mêmes chofes fous des afpects différens.
Les difpofitions idéales donnent
aux Militaires cet efprit de combinaiſon
fi utile à la guerre , avec la facilité d'appliquer
promptement les principes aux
circonftances . Cette aptitude ne peut
s'acquérir que par un travail long & affidu
. Il n'eft cependant pas rare , fuivane
la réflexion qu'en fait ici M. le Chevalier
de Grimoard , d'entendre même
d'anciens Officiers ( imbus de faux préjugés
& remplis d'averfion pour les livrés )
alfarer que la feule pratique de la guerre
fuffit pour apprendre cette fcience ; ce
qui eft une erreur groffière & dangereufe
qu'il importe de démafquer. Un grand
Prince , auquel la Pruffe doit une Inf-
/ truction militaire , dit , Article XXVIII
de cette Inftruction : « que l'expérience
qu'il a acquife dans la guerre lui a
appris qu'on ne peut approfondir cet
» art qu'en l'étudiant avec application .
:: L'Effai théorique & pratique . fur les
$
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
batailles , que nous venons d'annoncer ,
eft divifé en trois parties. La première
renferme les principes généraux des batailles
, & fert d'introduction aux deux
autres. La feconde partie , qui doit être
confidérée comme le corps de l'Ouvrage,
traite des difpofitions. L'Auteur les a
réduites à deux génériques ou principales
, favoir l'ordre direct ou parallèle &
l'oblique. On trouve enfuite les principes
de leur formation & ceux d'après lefquels
on peut les varier felon les circonftances.
Pour faciliter l'intelligence de
cette feconde partie , l'Auteur y a joint
un grand nombre de plans. Dans les
Ouvrages de la nature de celui ci , il eft
également néceffaire de parler à l'eſprit
& aux yeux. La troisième partie traite de
l'action.
Les inftructions répandues dans les
différens chapitres de cet Effai , font
expofées avec beaucoup de clarté. L'Auteur
n'eft point affez prévenu en faveur
de fes réflexions pour les donner comme
des principes de théorie . S'il a pris quelquefois
le ton dogmatique , c'eft pour
donner à fon Ouvrage plus de préciſion .
Mais fes remarques annoncent un Militaire
attentif & ftudieux , & qui n'écrit
MARS. 1776. 127
que pour contribuer en quelque chofe
aux progrès d'une fcience qu'il cultive
par état & par goût.
Mémoires fecrets , tirés des archives des
Souverains de l'Europe , contenant le
règne de Louis XIII ; Ouvrage traduit
de l'Italien. Vingt unième & vingtdeuxième
partie in- 12 . A Amfterdam ;
& fe trouve à Paris , chez Nyon aîné ,
Libr . rue St Jean de Beauvais.
Ces deux nouveaux volumes , qui
comprennent les événemens arrivés en
1614 & 1615 , donnent , ainfi que les
précédens , bien des éclairciffemens fur
les troubles qui agitèrent la Régence de
Marie de Médicis , & fur les vues politiques
des Puiffances alliées ou ennemies
de la France.
On trouve chez le même Libraire les
vingt parties précédentes , dont les quatorze
premières contiennent le règne de
Henri IV , & les feize autres , le commencement
de celui de Louis XIII .
Le Médecin miniftre de la Nature , ou
recherches & obfervations fur le pépaſme
, ou coction pathologique ; par
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M. Jofeph - François Carrere , Cenfeur
Royal, Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Montpellier , de la Société
Royale des Sciences de la même Ville ,
de l'Académie Royale des Sciences ,
Infcriptions & Belles Lettres de Tou
loufe , ancien Infpecteur- Général des
Eaux minérales de la Province de
Rouffillon & du Comté de Foix , cidevant
Directeur du Cabinet d'Hiftoire
Naturelle de l'Univerfité de Perpignan
, Profeffeur Royal Emérite en
Médecine dans la même Univerſité .
Repugnante naturâ , nihil medicina profuit.
Celfe.
Volume in- 12 . A Amſterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Ruault , Lib . rue
de la Harpe.
Les remèdes évacuans font les médicamens
les plus ordinaires , les plus employés
, ceux dont on fe fert plus volontiers
& avec le moins de précautions.
Il n'y a prefque pas de maladie où on
ne les mette en ufage. Ils font entre les
mains de tout le monde ; on s'en fert
indifféremment dans tous les cas & dans
MAR S. 1776. 129
tous les temps ; mais la manière de les employer
& le temps le plus propre à leur
ufage , font l'objet d'une vraie ſcience
peu connue & généralement négligée . Ce
s'eft, comme le remarque M. Carrere
dans fon avant- propos , que d'après une
connoiffance profonde des vues , des
loix , de la marche de la nature , &
d'après une notion de la crudité morbifique
& de la coction pathologique ,
qu'on peut diriger l'emploi de ces remèdes
; c'eſt auffi ce que l'Auteur entreprend
de développer dans fon Ouvrage.
Il fait d'abord connoître le caractère , les
différences , les conditions , les caufes ,
le méchanifme , les effets & les loix de
la coction pathologique , appelée pepafmos
par les Anciens. Ils avoient pris
l'étymologie de ce mot de la maturation
des fruits , qu'ils regardoient comme la
coction de leur partie alimenteuſe , &
qu'ils appeloient pepanfis. M. Carrere
défigne les temps & les moyens propres
à favorifer le pépafme ou la coction pathologique.
Il indique les fignes qui
peuvent le faire connoître & le diftin .
guer d'un état oppofé. Il démontre les
avantages qu'on peut en retirer dans la
pratique ; il explique en même temps le
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
vrai fens du mot turgefcence ou orgaſme ,
employé par Hippocrate ; il fait voir
l'erreur de ceux qui rapportent l'état de
turgefcence à l'impétuofité des fluides
ou à la cacochylie des premières voies ;
il établit fon vrai caractère , d'après les
notions que nous en a données Hippocrate,
& qui font confirmées par l'obfervation
de plufieurs fiècles ; il indique les fignes
propres à le faire connoître , il démontre
Pucilité & même la néceffité des évacuans
dans cet état ; il développe enſuite
les loix que la nature fuit dans fes opérations
; il fait voir combien elle influe
dans la guérifon des maladies ; il prouve
qu'elle l'opère fouvent fans le fecours de
Fart , qu'elle indique prefque toujours la
voie que nous devons tenir , que ce n'eft
qu'en la fuivant de près , qu'en l'imi .
tant , qu'en la fecondant , que nous pou
vons parvenir à des guérifons heureufes ,
enfin qu'une fage inaction eft fouvent
préférable à l'emploi des remèdes , même
les plus légers . L'Auteur établit enfin les
règles qu'on doit fuivre dans l'emploi
des remèdes évacuans ; il indique les cas
où ils peuvent convenir , & ceux où ils
feroient nuifibles ; il démontre l'abus
trop fréquent qu'on fait des médicamens ,
MARS. 1776. 131
fur-tout des purgatifs , & réduit leur ufage
à de juftes bornes.
Ce bon Ouvrage , fuivant le jugement
même qu'en ont porté les Commiffaires
nommés par la Société Royale des Scien
ces de Montpellier pour l'examiner , fera
d'une utilité marquée pour les Médecins .
L'Auteur y développe avec art le vrai
fentiment d'Hippocrate fur la coction des
humeurs , & celui des bons Auteurs qui
ont fuivi la même doctrine propre à
diriger les Médecins dans l'emploi des
remèdes évacuans & l'art de connoître
les crifes .
Inftruction fur la nouvelle méthode de préparer
le mortier- Loriot, Brochure in 8°.
prix 8 fols. A Paris , chez J. Barbou ,
Imp. Lib. rue & vis - à - vis la grille des
Mathurins.
M. de Morveau a fait voir dans un
Mémoire inféré dans le Journal d'obfervations
fur la phyfique & l'hiftoire naturelle
, par M. l'Abbé Rozier , Tome
IV , Novembre 1774 , page 416 , qu'il
étoit poffible de remplacer la pulvérifation
& le blutage de la chaux vive , deux
opérations tout à la fois très - difpendieu-
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE .
fes & funeftes aux Ouvriers , par une
pratique plus économique , exempte de
tout danger , & même plus fûre pour la
folidité des conftructions . Plufieurs expé
riences en grand en ont déjà vérifié les
avantages , & quelques perfonnes ont
paru defirer une inftruction , qui , dégagée
de toutes differtations phyfiques &
chimiques , pût être mife à la main des
Ouvriers pour les conduire pas à pas
dans l'exécution de ce nouveau procédé ;
on n'a pas cru pouvoir mieux remplir
cet objet qu'en imprimant l'extrait d'une
lettre adreffée par l'Auteur lui - même à
quelqu'un qui lui avoit demandé un avis
detaillé fur cette préparation . Cet extrait
, contenant une inftruction trèsclaire
& très précife , eft accompagné
d'une planche gravée , qui préfente les
différens deflins du four à recalciner la
chaux éteinte à l'air & réduite en poudre
pour fervir au mortier- Loriot.
Leçons de Géométrie , pour fervir d'introduction
à l'étude de la fphère & de la
géographie Ouvrage utile aux perfonnes
qui , n'ayant pas le loifir de fe
livrer à une étude profonde de la
géométrie , defirent néanmoins en
MARS. 1776. 133
avoir une connoiffance fuffifante pour
apprendre la sphère & la géographie ;
avec 14 planches en taille -douce , vol .
in- 8 °. Prix 4 liv. br . A Paris , chez
Saillant & Nyon , Libraires , rue St
Jean de Beauvais ; veuve Defaint ,
Libr. rue du Foin ; veuve Savoye &
Ph. D. Pierres , Libraires , rue Saint
Jacques .
La géographie qui nous donne la defeription
de la furface de la terre , eft une
fcience qui intéreffe par elle - même ;
c'est encore un guide néceffaire pour
ceux qui s'adonnent à l'étude de l'hif
toire : mais on avouera , avec l'Auteur de
l'Ouvrage que nous venons d'annoncer ,
que l'on fe flatteroit en vain de pofféder
cette fcience , fi l'on fe bornoit à ne
confidérer fur le globe que les fituations
des îles , des royaumes , des villes , des
rivières , & c. & les détails que l'on en
pourroit donner . Il faut encore connoître
les propriétés de certains cercles , qui ont
été imaginés pour expliquer les rapports
de la terre avec les cieux , ce qu'on
appelle l'éude de la sphère. En effet ,
comment pénétrer les caufes de plufieurs
phénomènes qui paroiffent en différentes
134 MERCURE DE FRANCE .
contrées , tels que l'inégalité des jours: &
des nuits , la variété des faifons , la différence
des heures du jour ou de la nnit
au même inftant en oifférens lieux de
la terre , & beaucoup d'autres effets de
cette nature ? Comment fentir l'utilité
qu'on peut retirer des latitudes . & des
longitudes ? Comment ſe perfuader qu'on
eft parvenu à mefurer la terre , fi l'on n'a
pas quelques idées de ces cercles ? L'étude
de la fphère ( on entend ici celle qui ne
fuppofe qu'une légère connoiffance de la
géométrie ) eft donc abfolument néceffaire
; mais lorsqu'on veut s'y appliquer,
on eft preſque toujours rebuté par les
termes de géométrie , dont il faut indif
penfablement fe fervir pour l'enfeigner ,
qui , fouvent , pour n'être pas fuffifamment
expliqués , donnent du dégoût pour
cette fcience : au contraire , fi l'on eft
aidé de quelques principes proportionnés
au befoin de cette étude , on trouve
bientôt de la clarté dans les choſes qui
d'abord paroiffoient obfcures. Que de difficultés
ne lève- t - on pas par le inoyen des
lignes , des angles , des plans , des proportions,
&c. difficultés qu'on ne pourroit
applanir fans le fecours de ces principes ?
C'eſt dans la vue de les rendre familiers
MARS. 1776. 135
ceux qui defirent apprendre la fphère &
la géographie , que ces leçons de géométrie
ont été publiées . L'Auteur les a
divifées en quatre parties. Il a expofé
dans la première , en vingt leçons , les
principes de géométrie qu'il a crus convenables
à fon objet ; & dans la ſeconde ,
il a donné en douze leçons des combi.
naifons & des applications de ces principes.
La troisième partie comprend , en
quatre leçons , l'abrégé du fyftême de
Prolomée , & quelques rapports de la
terre avec les cieux , appliqués à la géographie.
La quatrième enfin contient ,
en une leçon , l'abrégé du fyftême de
Copernic , & quelques particulatités relatives
à ce fyftême . L'Auteur de ces
leçons a parlé du fyftême de Prolomée ,
non-feulement parce qu'il lui a para plus
commode pour l'explication de ce qui
regarde la fphère , & que les Géographes
s'en fervent ordinairement daas leurs
Ouvrages , mais encore parce qu'il peut
fervir d'introduction au fyftême de Copernic.
L'Auteur , pour rendre fes leçons auffi
fimples & auffi faciles à faifir qu'il eft
poffible , y a joint beaucoup de figures
qui parlent aux yeux , & fixent plus par
136 MERCURE DE FRANCE.
trculièrement dans la mémoire les explications
données par écrit.
Journal d'Education , préſenté au Roi ,
par M. le Roux , Maître- ès - Arts & de
Penfion au Collège de Bonnecourt , à
Paris . Ouvrage également utile aux
Parens , aux Maîtres , aux Elèves , &.
à l'ufage des Colléges , des Penfions
& de toutes les Maifons deſtinées à
l'intruction de la jeuneffe.
*
Indè tibi tuæque reipublicæ , quod imitere ,
capias : indè fadum inceptu , fædum exitu ,
quod vites.
Tit. Liv . in Præf.
Volume in 12. A Paris , chez Coururier
père , Imprim.- Libr . aux Galeries
du Louvre Couturier fils , Libraire ,
quai des Auguftins , près le Pont-
Neuf.
Ce n'est point un nouvel écrit périodique
que nous annonçons ; il a
exifté près de deux ans. Il a été fufpendu
pendant quelques années , pour
des raifons qui ne peuvent plus avoir
lieu maintenant. Ce Journal compren
MARS. 1776. 137
dra tout ce qui concerne l'éducation
morale , & par conféquent la Religion ,
qui en doit être la bafe . Toutes les matières
qui ont rapport à l'éducation littéraire
y feront auffi traitées. Ain ce
Journal embraffera trois objets principaux
, la Religion , les moeurs & les
fciences. C'eft à ces trois chefs que fe
réduit route éducation , puifqu'elle doit
avoir pour but de rendre les jeunes gens
vertueux , citoyens , inftruits. Quelques
pages de chaque volume feront auffi
deftinées à contenir les annonces , avis
ou demandes que le Public voudra faire
inférer dans ce Journal , dont on vient
de publier un nouveau Profpectus . L'Inf
tituteur y expofe le plan de fon Ouvrage,
qui a mérité l'approbation de ceux qui
s'intéreflent fincèrement aux progrès de
l'art fi difficile de gouverner & de bien
élever la jeuneffe .
L'abonnement pour ce Journal eft de
12 liv. pour Paris & de IS liv . pour la
Province. On recevra , franc de port ,
chaque mois , par la pofte , un volume
de 96 pages , dans lequel on inférera différentes
cartes relatives à l'éducation .
On fouferit à Paris chez les Libraires cideffus
nommés. On aura foin d'affranchir
138 MERCURE DE FRANCE:
le port de l'argent , des lettres d'avis &
des pièces qu'on voudra faire inférer dans
ce Journal.
Légiflation du flottage des bois. Brochure
in- 12 de 79 pages. A Londres ; & ſe
trouve à Paris , chez Cloufier , Impr.-
Lib. rue St Jacques.
Cet écrit contient des réflexions fut
l'utilité du fortage des bois , & fur la
néceffité de corriger & de perfectionner
l'Ordonnance de 1666 qui l'autorife . Ces
réflexions font le fruit de recherches
longues & pénibles. L'Auteur les pré
fente au Gouvernement comme un
moyen certain de procurer fans frais &
fans foins , par une augmentation de
travail , des reffources aux Journaliers ,
claffe la plus indigente des confommateurs.
Les Propriétaires des forêts font
auffi invités à prendre ces réflexions en
confidération. Ils y trouveront un moyen
de mettre en valeur , à peu de frais les
forêts qu'ils font forcés d'abandonner au
pâturage & aux déprédations , parce que
l'exportation par terre feroit trop difpendieufe
ou parce qu'ils font trop gênés par
la réfiſtance des riverains , & par les for
MARS. 1776 . 139
malités auxquelles eft affujeti le flottage
des bois. L'Auteur de l'écrit que nous
annonçons , pour procurer ces avantages
au Gouvernement & aux Propriétaires ,
donne le projet d'une loi claire & précife
, qui rend libre & facilite le flottage
fur toutes les rivières & ruiffeaux du
Royaume .
Réflexions critiques fur la Muriométrie ,
par M. Dubet; Ouvrage dans lequel
on démontre évidemment combien
l'Auteur connoiffoit peu la matière
qu'il a traitée , & combien elle mérite
l'attention du Gouvernement. Par M.
Buffel , Infpecteur des Manufactures
du Languedoc , pour la Province ; vol.
in-8 °. de 197 pages ; prix 2 liv. 8 f.
A Paris , chez Monory , Libe. rue &
vis-à- vis de l'ancienne Comédie Françoife
; & fe trouve à Lyon ; chez
Roffer ; à Tours , chez Billaut ; a
Montpellier , chez Rigaud ; à Nîmes ,
chez Bucher.
·
Nous ne pouvons mieux faire connoître
ce bon écrit qu'en tranfcrivant let
jugement qu'en a porté M. Adanfon
Cenfeur Royal « Ces réflexions judi140
MERCURE DE FRANCE.
» cieuſes & vraies , dit M. Adanſon' , font
» d'autant plus folides , qu'elles font le
fruit de plus de cinquante années d'ob
» fervations & d'expériences authenti-
» ques & reconnues , faires au milieu
» des éducations les plus floriffantes des
» vers à foie , & des meilleures manu-
» factures de foieries de la France . Elles
» font accompagnées de plufieurs vues
» nouvelles & utiles, 1 °. fur la néceffité
» d'arrêter les abus des grandes planta-
» tions de mûriers , projetées dans nos
» Provinces feptentrionales , où elles font
» moins avantageufes & préjudiciables
» aux cultures des grains , & d'encoura
» ger leur augmentation dans les terres
maigres ou trop médiocres de nos Pro-
» vinces méridionales ; 2 ° . fur les moyens
d'empêcher qu'il ne forte tous les ans
» du Royaume , des fommes confidéra-
» bles d'argent , pour quatre mille quintaux
de foie des plus hauts prix qu'on
» achette en Piémont , qu'on pourroit ,
fabriquer en France avec les cocons du
» crû du Royaume , en augmentant les
» droits des foies moulinées étrangères ,
» & en diminuant au contraire ceux des
»foies grifes non travaillées dont l'im-
ود
"
portation eft plus avantageufe ; 3 °.
MAR S. 1776 . 141
"
"3
و د
» enfin fur l'utilité qui réfulteroit de la
» multiplication des établiffemens des
filatures & moulinages en grand , en
organcins des premières qualités , fui-
» vant la méthode de M. de Vaucanfon ,
pratiquée à Aubenas dans le Vivarais.
Ces diverfes vues d'améliorations &
» de réformes à faire , tant dans nos
» Manufactures de foies en France , que
» dans nos plantations abufives de mû
» riers , dont la trop grande quantité ,
» dans les meilleures terres , feroit une
» fouftraction à la culture des denrées de
première néceffité , me paroiffent de
» la plus grande importance , & mériter
» une attention particulière de la part
» du Gouvernement ; & je crois que le
» Public éclairé lira avec plaisir & avec
» fruit cette production d'un homme
» auffi inftruit fur cette matière , que
» véridique & bon citoyen » .
"
?
ود
Traité des Eaux minérales du Rouffillon ;
par M. Carrere , Docteur en Médecine
à Perpignan ; 1 vol . in- 8 ° . A
Paris , chez Ruault , Librare , rue de
la Harpe.
Ce Traité est un des plus exacts de
142 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui paroiffent fur les eaux minérales
de la France , l'Auteur y traite de toutes
celles de fa Province : il en donne l'analyfe
chimique , & fait voir leur utilité
pour l'afage de la médecine ; il y a joint
plufieurs obfervations de pratique. Il
feroit bien à defirer qu'on eût pour cha
que contrée un Traité auffi complet fur
les eaux minérales qui s'y trouvent. M.
Buc'hoz en a fait grand ufage dans fon
Dictionnaire minéralogique & hydrologique
de la France , dont le quatrième volume
paroît actuellement & dont nous
donnerons inceffamment l'extrait.
Le Jardinier prévoyant , contenant , en
plufieurs tableaux , le rapport des opérations
journalières , avec le temps
des recoltes fucceffives qu'elles préparent
, & c. I volume in-3 2. A Paris ,
chez Didot le jeune , Libr . quai des
Auguftins.
Ce petit Almanach a un degré d'utilité
qu'on a de la peine de trouver dans
la plupart de ceux qu'on publie : il mérite
d'être entre les mains de tout Cultivateur;
les confidérations fur le jardi
MARS. 1776. 143
nage qui s'y trouvent jointes , & les obfervations
fur les nouvelles races , le
rendent encore plus intéreflant.
Plans de deux contributions volontaires &
confidérables , fans charges & fans in.
convéniens pour l'Etat ni pour le Public
; in- 4° . prix 48 fols . A Paris , de
l'Imprimerie de Ph . D. Pierres , rue
St Jacques. Avec privilége du Roi ,
1776.
Ce plan propofé eft une loterie dont
on fait voir dans l'Ouvrage les avantages
& les combinaiſons. L'Auteur prétend
avoir ouvert à l'Etat une fource de richefles
inépuifable , & au Public , une
forte d'agrément à y contribuer , qui ne
lui a jamais été indifférente. On a fait
de ce Mémoire une critique que l'Auteur
rapporte , & à laquelle il répond d'une
manière fatisfaifante .
Nouveau Palais de la Juftice , d'après les
plans de M. Perrard de Montreuil ,
Cenfeur Royal , Architecte de Monfeigneur
le Comte d'Artois ; in-4° .
A Paris , chez P. G. Simon , Impri144
MERCURE DE FRANCE.
meur du Parlement , rue Mignon St
André- des- Arts , 1776.
L'origine des bâtimens du Palais eft
prefque auffi ancienne que celle de la
Monarchie . Cet édifice a été fucceffivement
bâti & réparé fous les Rois de la
première & feconde race , par les Maires
ou Ducs , qui s'emparèrent de l'autorité
du Gouvernement . Les Rois de la troifième
race , qui en ont fait leur demeure ,
l'ont confidérablement augmenté . Saint
Louis , qui a eu de commun avec les
grands hommes de tous les fiècles ,
d'élever beaucoup de grands monumens
, y a fait entre autres chofes bâtir
la Sainte Chapelle , qui reçut le dépôt
de la fainte couronne . Elle reçut auffi celui
du tréfor des chartres & diplômes de
la couronne. Philippe le Bel , qui rendit
le Parlement fédentaire en 1302 , le
plaça au Palais , & Louis XIIle deftina
entièrement pour l'adminiftration, de la
juſtice.
Il n'eft pas étonnant que ces anciennes
conftructions , faites fucceffivement &
dans des temps où les Arts étoient plongés
dans la plus profonde ignorance , ne
préfentent que des maffes monftrueufes ,
fans
MARS. 1776. 145
fans aucunes liaifons , fans aucuns rapé
ports , ni commodités locales ou particulières
. Ces bâtimens ont éprouvé auffi
de fréquens incendies ; les derniers font
ceux de la Sainte Chapelle , dont le com
ble brûla ainfi que le clocher , l'an 1630.
On éleva à fa place la flèche que l'on voit
aujourd'hui .
La grande falle fut entièrement détruite
la nuit du au 6 Mars 1618 , par
le feu qui s'y communiqua des maifons
voifines . Elle fut rebâtie & finie en 1624.
Ces deux événemens & l'incendie de Janvier
1776 , le réuniffent en faveur du
plan que l'on propofe aujourd'hui , &
qui , en ifolant le Palais , le met à l'abri
des dangers du feu . Ce plan eft très bien
développé d'après une gravure qui en
donne l'intelligence.
Au milieu de la grande cour du Palais ,
décrite dans cet imprimé , s'élevera un
monument à la gloire du Roi , & dont
on donne la defcription . Le Roi , revêtu
de fes habits royaux , fera repréſenté
tenant d'une main le livre des Loix qu'il
remet à Thémis , & de l'autre lui montrant
le Temple qui vient de lui être
élevé , des bas- reliefs allégoriques confacreront
l'amour de notre Monarque
G
146 MERCURE DE FRANCE.
pour la justice. Cette idée appartient à
M. Beauvais , Sculpteur , ancien Penfionnaire
du Roi en fes Académies de
Paris & de Rome.
Euvres de M. Rochon de Chabannes , nouvelle
édition , revue & corrigée ; vol .
in- 8°. A Paris , chez la veuve Du
chefne, Lib. rue St Jacques, au- deſſous
de la fontaine St Benoît , 1776.
Le Théâtre de M. Rochon eft.com .
pofé de quatre Comédies & d'une Paftorale
, qui toutes ont réuffi , que les
Acteurs aiment à jouer , parce qu'il y a
dans chacune des rôles propres à faire
reffortir leurs talens , & que le Public
aime à voir par l'intérêt & la gaieté fi
rare qui les animent. Ces Pièces font
Heureufement , comédie en un acte & en
vers ; la Manie des Arts ou la Matinée
à la mode , comédie en un acte & en
profe ; les Valets Maîtres de la maison
comédie en un acte , en profe ; Hylas &
Silvie , paftorale en un acte , en vers ,
avec des divertiffemens ; les Amans géné
reux , comédie en cinq actes & en proſe.
I fuffit de nommer ces Comédies pour
sappeler le plaifir qu'elles ont fait à la
MARS. 1776. 147
repréfentation , & celui qu'elles doivent
faire à la lecture .
La Vérité renaiffante , Comédie - ballet
en un acte , par M. Martin ; repréſentée
fur plusieurs Théâtres de Société ;
in- 8°. de 52 pages . A Paris , chez la
veuve Duchefne , Lib. rue St Jacques ,
au-deffous de la fontaine St Benoît.
Les Acteurs de cette Pièce font la Vérité
, Momus , Arlequin , un Petit Maitre
Gafcon , Pierrot , une petitefille , un Ja
loux père de la petite fille , la Femme du
Jaloux ,l'Amour.
Momus annonce à la Vérité qui
s'éveille , & qui eft étonnée de ne plus
voir fon puits , que le Confeil des Dieux
a décidé que
Jamais la Vérité ne fe fera connoître
Que Momus en tous lieux ne la fafle paroître.
La Vérité obéit à fon nouveau deftin ;
& ne fe fait voir que dans un miroir ou
fous les dehors de l'a nufement. L'Auteur
fait paroître dans des fcènes épifodiques
plufieurs perfonnages , dont la
Vérité découvre les vices & les ridicules ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
en leur donnant un avis & leur enfei-
Ignant les moyens de fe corriger . Cette
Pièce auroit pu amufer fur, l'ancien
Théâtre de l'Opéra -comique , avec le
fecours du vaudeville . Elle eft beaucoup
imitée du Miroir magique , Opéra - comique
de le Sage & d'Orneval.
Réponse à l'Auteur de la Lettre fur les
Drames Opéra. A Londres ; & à Paris
chez les Libraires au Palais Royal ,
& c.
Cette réponſe eft faite avec une gaîté
aimable , & l'Auteur y réfute les principes
hafardés de la Lettre fur les Drames
, par la manière de les préfenter &
par des traits qui en font voir le faux ou
le ridicule .
Le Spectateur François ou Journal des
Maurs.
L'étude propre de l'homme eft l'homme même.
Pope.
Année 1776. Tome Ier.
Ce Journal , auffi amuſant qu'intéreſ,
1
w
MARS. 1776. 149
fant , fe continue avec fuccès. Il eft
compofé par an de 15 cahiers , chacun
de trois feuilles , dont le prix , franc de
port , eft à Paris de 9 liv. & par la pofte
en Province , 12 liv . chez Lacombe ,
Libr. rue Chriftine , à Paris .
Le premier cahier de cette année offre
dans une Epître dédicatoire , une critique
ingénieufe des moeurs , des vices & des
ridicules de ce fiècle. C'eft un tableau
peint à grands traits , mais fort reflemblant.
Suit la vifion du premier jour de
l'an , où le Spectateur rappelle le charme
du fauteuil merveilleux , qui force quiconque
s'y aflied de mettre au jour les
plus fecrettes penfées , d'avouer fes vices
les plus cachés , fans feinte & fans déguifement
, & de fe faire connoître tel qu'il
eft : mais qui ne corrige pas les habitudes
invétérées des paffions . On lit enfuite une
lettre où l'on trace plufieurs caractères de
comédie , qui n'ont pas été mis au Théâ •
tre , & qui pourroient y être traités avec
fuccès , avec l'analyfe de l'Avare de M.
Goldoni .
L'entretien entre Floridor & le Spectateur
, a des détails de moeurs très piquans.
On y trace , d'une touche légère
& agréable, les extravagances de la mode.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
»
Heft affez plaifant d'entendre une petite
Maîtreffe dire à un jeune homme : « Il
» faut convenir , Chevalier , que vous
» n'êtes guères au fait du bon ton , ou
» que vous êtes bien diftrait . Vous ne
vous êtes pas feulement apperçu que
» votre Valet de chambre vous avoit
» donné des manchettes qui doivent vous
» affommer. Des dentelles d'hiver dans
» l'été! comment ofez vous paroître en
» Public ? Ah! Madame , répondis - je
» en touffant deux ou trois fois , c'eft
» bien malgré moi que j'ai pris ces den-
"
telles ; mais vous voyez que j'ai un
» rhume affreux . La Marquife prit cette
» excufe pour argent comptant , & m'ap-
» prouva ». On affure que cette anecdote
eft vraie. Ce premier cahier finit par une
Réclamation du Corps des Ufuriers , qui
fait voir combien cette efpèce de fangfues
cachées eft nombreufe , combien
leur avidité eft monstrueufe , & combien
il feroit néceffaire qu'il y eut une caiffe
publique qui prêtât fur des garans , mais
à un taux honnête .
La Nature confidérée fous fes différens afpects
, ou Journal des trois règnes de
de la Nature , contenant tout ce qui a
MARS. 1776 . 1st
1
rapport à la fcience phyfique de l'hom
me , à l'art vétérinaire , à l'hiſtoire des
différens animaux ; au règne végétal ,
à la connoiffance des plantes , à l'agriculture
, au jardinage , aux arts ; au
règne minéral , à l'exploitation des
mines , aux fingularités & à l'ufage
des différens foffiles.
Ce Journal eft compofé de 52 feuilles
par an ; le prix pour Paris & la Province ,
eft de 12 liv.
On foufcrit en tout temps & à tel
mois que l'on veut , chez Lacombe , Lib.
à Paris , rue Chriftine .
Ce Journal eft fur tout très utile aux
perfonnes qui habitent la campagne . Il
renferme une multitude de procédés
éprouvés pour tous les befoins de l'hom
me & de tout ce qui l'environne .
Penfées & réflexions diverfes fur les hom
mes; par M. de la Taille de Gaubertin .
A Amfterdam ; & à Paris , chez Valade
, Lib. rue St Jacques.
J'ai étudié les hommes , dit l'Auteur :
les réflexions que j'offre ici en font le
fruit ; il m'a été utile de le faire ; j'ai
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
penfé qu'il pourroit l'être à d'autres de
les lire , & c'est ce qui m'engage à les
publier.
L'avantage de ces penfées détachées
eft de faire réfléchir le Lecteur . Il cherche
naturellement à en - découvrir le vrai
ou le faux ; & c'eft par un retour fur luimême
qu'il peut juger de leur mérite .
Cet exercice de l'efprit lui eft infiniment
utile ; il lui donne de la force , de la
pénétration , de l'activité. C'est donc
rendre fervice aux hommes que de les
faire penfer. On trouvera dans l'Ouvrage
que nous annonçons beaucoup de maximes
qui font les réfultats d'un grand
nombre d'obſervations , & qui peuvent
fervir de principes pour fe conduire , &
de règles pour juger fainement des hommes
& des chofes .
Voici quelques-unes de ces penfées.
« Le bon fens fait fouvent manquer à
» un homme d'efprit des occafions de
briller , qu'une heureufe indifcrétion
» feroit faifir à un fot.
و د
» On a plutôt fait de croire qu'un
» homme qui réuffit eſt un malhonnête
» homme , que de fe perfuader qu'il a
plus d'efprit & d'habilité qu'on n'en a .
"
Il eft difficile d'atteindre à la vertu ;
MARS . 1776. 153
» mais il y a des occafions où c'eft s'éle-
>> ver jufqu'à elle que de n'en pas def-
» cendre .
» Il est une flatterie honnête & délicate
, qui ne confifte pas à louer le
» mérite mais à lui fournir les occafions,
» de paroître.
:
» Nous ne pouvons fupporter qu'on
» fe rende juftice à foi même , & il eft
» rare que nous ayons aflez d'équité pour
» la rendre à ceux qui l'attendent de nous .
» & c. & c. »
"
Indications politiques , revues & augmentées
. A Stockholm , de l'Imprim .
des deux Frères.
L'Auteur fe propofe de relever le crédit
de l'Etat , de faire ceffer fes beſoins ,
d'augmenter fes revenus , d'accroître fa
puiffance & d'en affurer efficacement les
progrès. Son projet , pour parvenir à de
fi grands avantages , eft de convertir en
billets au denier vingt-cinq , payables aux
porteurs , tous les titres de créance fur
l'Etat ( autres que les contrats de rente fur
l'Hôtel de Ville) ; d'affigner pour leur extinction
, par l'Edit de leur converſion ,
un fond annuel fur fes revenus courans ;
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
& de pourvoir , par le même Edit , à ce
que leur payement fucceflif & celui de
leurs coupons foient faits par un Tréfo
rier à Paris , & par fes Commis dans les
Ports & les principales Villes du Royaume.
Il développe ce plan & en fait voir
toutes les fuites, qu'il faut confulter dans
l'Ouvrage même.
Les Enfans du pauvre Diable , ou mes
échantillons ; par M. de l'Empirée
Concurrent des Places & des prix de
toutes les Académies , & Secrétaire
perpétuel de la Société littéraire de
fes Euvres. Première édition ; prix
24 fols . A Burgos ; & fe trouve à
Paris , chez Valade , Libr . rue Saint
Jacques.
Ce recueil eft compofé de pièces fugidives
en vers & en profe , très - variées ,
écrites avec efprit & facilité . On peut en
joger par les pièces fuivantes :
La fidèle
inconftante.
Jadis volige & gentille ouvrière ,
N'ayant qu'unjufte & de pauvres amours ,
Madame Orgon, aujourd'hui Financière,
MARS. 1776. 155
A bien changé de Galans & d'atours ;
Mais non d'humeur : elle eſt toujours légère ,
Toujours changeante ainſi qu'auparavant ,
Parle auffi mal , ne fait pas mieux fe taire ,
Trompe un Epoux auffi bien qu'un Amant :
Elle n'a pas ( voyez l'aimable enfant )
Changeant d'état , changé de caractère .
Difique.
On peut aimer , mais non plaire en tout temps
L'amour , comme les fleurs , n'a d'attraits qu'au
printemps.
A une Adolefcente.
De l'enfance fais- tu quel eft le dernier jour ?
C'eſt , jeune Hébé , le premier de l'amour.
Sur une rofe jumelle.
Voyez cette rofe jumelle ,
Quel attrait unit ces deux fleurs !
Tel eft l'ornement d'une Belle;
Tel eft la chaîne de deux coeurs.
Effaifur les phénomènes relatifs aux dif
paritions périodiques de l'Anneau de
Saturne; par M. Dionis du Séjour ,
de l'Académie Royale des Sciences ,
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE ,
de la Société Royale de Londres , &
Confeiller au Parlement . A Paris
chez Valade , Libraire , rue Saint
Jacques , vis-à - vis celle des Mathurins
, 1776 .
Cet effai eft un Ouvrage très-profond
fur un des phénomènes les plus importans
& les plus étonnans de l'aftronomie.
Nous ferons connoître plus particulièrement
ce favant Traité , d'après le rapport
des Commiffaires de l'Académie des
Sciences .
Journal des caufes célèbres , curieufes , intéreffantes
de toutes les Cours Souverai .
nes du Royaume , avec les jugemens qui
les ont décidées .
Nous avons annoncé, dans le temps, les
différens volumes qui ont paru de ce
Journal. La collection de l'année dernière
renferme plufieurs caufes célèbres , & une
foule de caufes intéreffantes , qui méritent
d'occuper une place dans les recueils
de Jurifprudence . On y trouve l'affaire
de la machine infernale de Lyon , celle
de la dame Delaunay contre les Bernardins
, du Marquis des Broffes fur une
MAR S. 1776 . 157
accufation d'impuiffance , & le fameux
procès des Calas , & c.
Les volumes qui ont paru cette année
contiennent l'affaire du fieur Barbier ,
celle de Saluces , du fieur Alliot , Fermier-
Général , contre fon fils , & plufieurs autres
caufes curieufes & intérellantes .
Cette collection , vraiment piquante ,
doit également plaire aux Jurifconfultes
& à toutes les autres claffes de Lecteurs .
Les premiers y trouvent le développement
des queftions de droit , & l'effèce
des arrêts qui les ont décidées ; & les
feconds , l'hiftoire de ce qui fe paffe de
remarquable dans les Tribunaux .
Ce Journal eft compofé de 12 volumes
par an. Il en paroît un exactement tous
les premiers de chaque mois . Le prix de
la foufcription pour Paris eft de 18 liv .
& pour la Province de 24 liv . Il faut
affranchir le port de la lettre d'avis & de
l'argent.
Ön foufcrit chez le fieur Lacombe ,
Libraire , rue Chriftine ; & chez M. Défeffarts
, Avocat au Parlement , rue de
Verneuil , la troisième
la troisième porte cochère
avant la rue de Poitiers .
On foufcrit en tout temps , & on délivre
encore la collection des années précédentes
.
158 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
EXTRAIT du Journal de mes Voyages,
ou Hiftoire d'un jeune homme , pour
fervir d'école aux pères & mères ; par M.
Pahin de la Blancherie ; 2 vol . in- 12 ; en
papier ordinaire rel . 6 liv . En papier
d'Hollande , 12 1. avec figures. A Paris ,
chez les Frères Debure , Libr. quai des
Auguftins ; à Orléans , chez la veuve
Rouzeau -Montaur.
L'eftampe fe trouve féparément fous
ce titre : Le Cri de la Nature , chez Romanet
, Graveur , rue de la Harpe , & le
vend 24 f.
Les Afluces de Paris , Anecdotes Parifiennes
, dans lefquelles on voit les rufes
que les intriguans & certaines jolies femmes
mettent communément en ufage
pour tromper les gens fimples & les
étrangers. Par M. N **. 2 parties in- 12 .
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Cailleau ,Imprimeur - Libraire , rue Saint
Severin .
L'amour vainqueur du vice , ou Lettres
MARS. 1776 . 159
du Marquis de Coufanges ; 2 v . in - 12 br.
A Amfterdam ; & à Paris , chez Mérigot
jeune , Lib . quai des Auguftins , au coin
de la rue Pavée .
Célide , ou Hiftoire de la Marquife
de Bliville ; par Mademoiſelle M ***;
2 vol . in- 12 . A la Haye ; & fe trouve à
Paris , chez la veuve Duchesne , Libr.
rue St Jacques ; Moutard & Mérigot ,
Lib. quai des Auguftins ; Delalain , Lib .
rue de la Comédie Françoife ; l'Efprit ,
Lib. au Palais Royal.
Les Economies Royales de Sully , nouvelle
édition , par M. l'Abbé Baudeau ;
contenant le texte original , avec des dif
cours préliminaires à chaque Tome , des
fommaires généraux à tous les chapitres ,
& des fommaires particuliers aux paragraphes
, des obfervations critiques , hiſtoriques
& politiques , des tables particu
lières & une table générale . Tome 1 , Ire
Partie. A Amfterdam ; & fe trouve chez
tous les Lib. de Paris & du Royaume .
Differtations fur l'Apocalypfe , où l'on
examine : 1. en quel temps elle a été
écrite , 20. quel en eft l'objet 5 3 ° . fi elle
160 MERCURE DE FRANCE.
a été écrite en grec , en hébreu ou en
fyriaque , ou obfervations fur ces trois
points , à l'occafion du Profpectus de M.
des Hauterayes fur ce divin livre. Broch.
de o pages in - 12 . Par M. Laurent-
Erienne Rondet , Editeur de la Bible
d'Avignon. Patmos... Prophetia.. Omega..
A Paris , chez Aug. M. Lottin l'aîné ,
Impr. rue St Jacques .
La Réduction de Paris , Drame lyrique
en trois actes ; par M. de Rozoi , Citoyen
de Toulouſe ; avec des notes &
une Differtation fur le Drame lyrique :
in - 8 ° . d'environ 130 pages . A Paris ,
chez la veuve Ducheſne , Libr . rue Saint
Jacques.
Les Souliers mors- dorés , ou la Cordonnière
Allemande , Comédie lyrique
en deux actes , repréſentée , pour la première
fois , fur le Théâtre des Comédiens
Italiens du Roi , le jeudi 1 Janvier
1776. A Paris , chez Ventes , Lib . au bas
de la montagne Ste Geneviève .
Petit guide des Lettres , pour l'année
1776 ; contenant les jours & heures du
départ & de l'arrivée des Couriers au
MARS . 1776. IGI
Bureau des Poftes de Paris , le prix de
l'affranchiffement & le temps qu'elles
font en route. Nouvelle édition . Par M ..
Guyot , Directeur au Bureau général des
Poftes. Prix liv. 4 f. en blanc . A Paris ,
chez Saugrain , Libraire , quai des Auguftins.
ACADÉMIES.
1.
AMIEN S.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles-
Lettres & Arts d'Amiens célébra , le 25
Août , la fête de Saint Louis , dont le
panégyrique fut prononcé par M. l'Abbé
Bertin.
M. d'Agay , Maître des Requêtes ,
Honoraire de l'Académie , en ouvrit la
féance par un difcours fur l'Amour du
bien public .
Les autres Ouvrages qui remplirent
la féance furent les Eloges de M. le Marquis
de Chauvelin & de M. Capperonier
Garde de la Bibliothèque du Roi , Ho162
MERCURE DE FRANCE.
noraire de l'Académie , par M. Baron ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie .
-Un difcours fur le bonheur des Gens de
Lettres ; par M. d'Eſmery , Avocar.
Un mémoire fur les Loupes , par M.
Bourgeois , Lieutenant du Premier Chirurgien
du Roi.
Une traduction en vers du Pervigilium
veneris , précédée d'une differtation fur
le véritable Auteur de cet Ouvrage , par
M. de Wailly.
Le prix proposé pour l'Eloge de Dom
Luc d'Achery , a été adjugé au difcours
n °. 2 , ayant pour épigraphe : Fuit vir
talis , qualis verè fapiens appellari poffit.
QUINT. dont l'Auteur eft M. Maugendre ,
Etudiant en Philofophie , âgé de dix -fept
ans.
Le prix de l'Ecole de Botanique a été
donné à M. Macquer , Elève en Chirurgie.
L'Académie propofe pour le fujet du
prix d'Eloquence qu'elle doit donner en
1776 , l'Eloge du Maréchal de Créqui ,
mort en 1687.
Et pour le prix de Poëfie , l'hommage
fait à Philippe de Valois par Edouard III,
dans l'Eglife Cathédrale d'Amiens. Le
MARS. 1776. 163
Poëme fera de 300 vers au moins & de
soo vers au plus .
4 Chacun des prix eft une médaille d'or
de la valeur de 300 liv .
Les Ouvrages feront adreftés , francs
de port , avant le premier Juillet , à M.
Baron , Secrétaire perpétuel de l'Académie
, à Amiens .
Extrait d'un Difcours fur l'amour du bien
public , lu dans l'affemblée publique de
l'Académie d'Amiens le 25 Août 17-55
par M. d'Agay fils , Maître des Requêtes.
Ce difcours , qui eft le développement
d'une vertu néceffaire à tous les états ,
& particulièrement à la Magiftrature ,
mérite une place dans la littérature , liée
fous tant de rapports , avec le bien public
qui en eſt le fujet.
" Qu'est-ce que les talens les plus
» précieux , lorfqu'au lieu de les rendre
utiles à fa patrie , on les fait fervir de
» titres à fa vanité ou d'appui à fon am-
» bition ? Où aboutiffent les efforts du
génie le plus élevé , lorfqu'il fe dé-
» tourne des vues que l'utilité publique
99
164 MERCURE DE FRANCE .
පා
*
» lui preferit ? Séduit par les confeils in-
» téreffés de l'amour propre , que devien
» nent les qualités les plus brillantes ,
» les femences de vertus les plus heu-
» reufes , fi l'amour du bien public , qui
» forme le caractère des grandes ames ,
» ne les développe avec éclat , & ne leur
ajoute leur véritable luftre ? Il n'appar-
» tient qu'à l'amour du bien public
d'infpirer ces fentimens , & d'unir les
Magiftrats aux Peuples par des liens
» auffi purs qu'ils font inviolables ; d'ap-
» prendre aux uns l'ufage & l'emploi de
» l'autorité , & de faire goûter aux autres
les avantages de l'obéiffance . C'est dans
» l'amour du bien public que le Magiſtrat
» doit chercher la fource & la récompenfe
de fes vertus ; la règle de fes
>>
»
"
"
"
"
» devoirs & la fatisfaction de les remplir
; l'honneur de plaire au Souverain ,
» & la gloire de contribuer à la félicité
publique en affermiffant la fienne » .
Voilà les grands objets difcurés , éloquemment
développés par M. d'Agay.
Qui du concours heureux de toutes les
les vertus accompagnant celle qui s'oc
» cupe principalement du bien public ,
» fait renaître des jours purs & fereins ,
qui éclairent une Nation entière & ata
MARS. 1776.
165
» tachent à fon nom un éclat que les
» fiècles ne peuvent effacer .
99
ود
"
»Telle fut la célèbre Sparte , lorfqu'un
Sage rectifia fes loix , perfectionna fes
Citoyens , & fonda folidement la gran-
» deur de l'Etat , en leur imprimant
» l'amour du bien public , dont il étoit
épris. Rivale d'Athênes , elle balança
» dès- lors fa puiflance , la foumit quelquefois
à fon empire , & la furpaffa
» toujours en vertu. Sparte honora la
» Grèce , la patrie des Sages , par la ré-
>> putation de fa fageffe : Athènes la
» rendit floriffante par fes progrès & fon
>> amour pour les fciences . L'une formoit
principalement fes Citoyens dans l'art
» de vaincre leurs paffions & d'obéir aux
loix ; l'autre cultivoit davantage l'ef-
» prit des fiens , & s'appliquoit plus à
» perfectionner leurs talens qu'à régler
» leurs inclinations . Sparte fe rendit vé-
» nérable à toutes les Nations de la terre
» par l'austérité de fa morale , par l'inté
grité de fes moeurs , & l'on vit un Peuple
illuftre lui demander des leçons de
fageffe ; Athènes fut admirée par fa fupériorité
dans les fciences , & traça le
» modèle du bon goût que les plus beaux
génies ont puifé à fon école, Sparte
"
39
و د
"
99
??
166 MERCURE DE FRANCE.
» foutint la Grèce chancelante , contre la
» Puiffance la plus formidable , par des
prodiges de vertu ; Athènes défendit
long - temps la liberté de la Grèce ,
» contre un Roi redoutable , par l'éloquence
victorieufe de fes Orateurs . En
» un mot , Sparte ſi vertueuſe , Athènes
» fi éclairée , furent également redeva-
» bles de leurs fuccès & de leur gloire
à l'amour du bien public qui enflammoit
leur Citoyens & les formoit à
» l'héroïfme . L'une & l'autre déchurent
» également de leur fplendeur , lorfque
l'intérêt perfonnel éteignit en eux une
» paſſion fi noble , & avilit cette force
» de fentiment , qui eft le principe des
grandes actions
Nous n'avons pas befoin de faire remarquer
la vigueur de pinceau qui a
fait ces deux tableaux contraftans , ou la
grande éloquence de ce parallèle de Sparte
& d'Athènes .
. Nous n'avons pas moins admiré l'art
avec lequel l'Orateur paffe de la Grèce
Rome , où l'amour du bien public donna
à l'Univers des Maîtres dignes de lui
commander,
C'est avec le même art & la même
éloquence que M. d'Agay , après avoir
MARS . 1776. 157
prouvé combien les Peuples font heureux
, quand ceux qui font chargés de les
conduire aiment le bien public , prouve
combien ceux- ci font heureux eux mêmes
en cultivant une vertu fi néceſſaire à leur
propre perfection.
Nous regrettons de ne pouvoir fuivre
le Magiftrat Académicien , dans le bel
éloge qu'il continue de faire de cette
vertu , qui les raffemble toutes. « Telle
eft la paffion fertile en prodiges qui a
fufcité & formé dans tous les Empires
» & dans tous les fiècles tant de grands
» hommes qui ont immortalifé leur nom
» en fervant utilement leur patrie . Tel
» eft le germe précieux qui a fait naître
» & porter à leur plus haut degré les
» vertus fublimes qui ont illuftré la Ma-
"
giftrature dans les différens âges de la
» Monarchie , & lui ont concilié la con-
» fiance des Souverains & la vénération
» des Peuples. Tels font les titres qui
a lui ont mérité la bienveillance d'un
jeune Monarque , père du Peuple , qui
» veut régner fur les coeurs , & faire ré-
» gner fur lui même la juftice & les loix .
Quel préfage plus certain d'une félicité
» durable pour les Peuples , d'un Empire
glorieux pour la juſtice & pour toute
"
168 MERCURE DE FRANCE.
» les vertus ? Puiffe- t il ce jeune Monar-
» que , fi digne d'être protégé du Ciel &
» chéri des mortels , faire jouir cette
» Nation fidèle , dans un avenir reculé ,
» du bonheur que nous annoncent fes
premiers bienfaits & fa tendreffe active
pour les Sujets »> !
"
"
On ne pouvoit mieux finir un aufi
beau difcours , duquel on peut augurer ,
& avec certitude , que les grands principes
du bien public , fi éloquemment
développés par l'Auteur , feront pratiqués
par lui & prouvés par des faits plus éloquens
encore quand il remplira ſa deftinée
, qui l'appelle aux fonctions importantes
de l'adminiftration qui veille au
bonheur des Peuples. Il a puifé , fans
doute , ces grandes leçons , qu'il a fi bien
tracées , dans les exemples & les écrits
éloquens de M. le Comte d'Agay , fon
père , Intendant de la Province , qui a
fucceffivement rempli les places importantes
de la Magiftrature & de l'adminiftration
dans plufieurs Provinces , dont
il a fait le bonheur par fes vertus & ſes
talens.
II.
MAR S. 1776. 169
II.
MONTA U BAN.
L'Académie des Belles - Lettres de
Montauban a célébré , ſuivant fon uſage ,
la fête de Saint Louis , le 25 Août dernier.
Après avoir afifté le matin à une
meffe , fuivie de l'Exaudiat pour le Roi
& du Panégyrique du Saint , prononcé
par le R. P. Sapein , Prieur des Doini
nicains de Caftrés , elle a tenu une affemblée
publique à l'Hôtel de - Ville , où
elle a été reçue , conformément au cérémonial
preferit par le Roi.
M. le Préfident Savignac , Directeur ,
a ouvert la féance par un difcours , où ,
en confidérant l'objet préfenté à l'Académie
Françoife par un illuftre Acadédémicien
, que fon mérite autant que
fon nom , a fait paffer d'un des plus refpectables
fanctuaires de la Juftice aux
fublimes fonctions du Ministère , il a
affigné les divers degrés de la révolution
faite dans nos moeurs , fuivant les progrès
& l'influence des Lettres ; & ayant obfervé
que le dépôt du goût a été confié
aux Corps littéraires , il a appuyé far
H
170 MERCURE DE FRANCE.
l'obligation où ils font d'en prévenir la
décadence , en s'oppofant au torrent des
innovations qui nous menacent d'en banit
& d'y étouffer en tant de manières
l'amour du fimple , du vrai & du natarel.
Comme l'Académie avoit renvoyé à
la folennité de ce jour la réception de
M. Lade , Avocat , élu pour remplacer
feu M. Carrere fils ; M. l'Abbé Beller ,
Secrétaire perpétuel , a lu l'éloge de M.
Carrere , Académicien eftimable par les
qualités de l'efprit & du coeur.
M. Lade , fon fuccefleur , a prononcé
enfuite fon difcours de remerciement ,
où il a payé fon tribut à l'Académie
avec beaucoup de modeftie , d'élégance
& de politeffe. Mais pour traiter un fuje t
afforti à fon double état de Jurifconfulte
& d'Académicien , il a faifi & développé
les rapports conftans & fuivis du règne
des loix & de l'empire des lettres , en
obfervant que les unes & les autres ont
marché d'un pas égal chez tous les Peuples
; qu'elles s'y font perpétuellement
données la main pour contribuer au bonheur
de la fociété ; & que l'accroiffement
des lumières a par tout fécondé le champ
de la légiflation comme celui de la lit
MARS. 1776. 171
térature. Et c'eft- là que d'un pinceau mâle
& rapide , il a tracé le portrait des Légiflateurs
, des Poëtes , des Sages , des
Rois & des grands Hommes , qui dans
la Grèce , à Rome & en France , fourniffent
la preuve éclatante d'une vérité
destinée à mesurer les progrès de l'efprit
humain.
M. le Directeur , en répondant au
nouvel Académicien , lui a noblement
expofé les vues , les intentions & les
loix de l'Académie , qui n'ambitionne
que de fe rendre utile à la fociété , en
cultivant les lettres , propres à former les
bons Citoyens , & en donnant l'exemple
de l'union & de l'harmonie néceflaire au
foutien & à la gloire des Corps comme
à la profpérité des Etats ; objet qui fixe
l'attention du Souverain pour améliorer
les moeurs & le fort de fes Sujets .
Et M. le Secrétaire perpétuel a prononcé
un difcours & un poëme fur le
facre & couronnement de Louis XVI ,
conformément à l'ufage où eft l'Acadé
mie de célébrer toutes les époques auxquelles
la gloire du Roi eft attachée .
Ces lectures ont été fuivies de celle
d'une Epître à un Ami fur le Bonheur ,
par M. le Baron Dupuy Montbrun , qui
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE:
l'a peint tel qu'on peut & qu'on doit le
puifer dans le fein d'une aimable philofophie.
M. Theulieres a fait part à la Compagnie
d'une defcription gracieuſe du repos,
de la liberté & de l'innocence de la campagne
, par M. de Malartic de la Deveze ,
Académicien abfent.
M. le Baron Dupuy Montbrun , reprenant
la parole , a lu une Epitre à Thémire
furfon mariage , où , pour terminer
les difpures de l'Amour & de l'Hymen ,
zu fujet de leurs prétentions réciproques ,
Vénus imagine de les unir déformais par
des noeuds que la vertu feule ait droit
de former ce qui a préfenté à tous les
efprits l'image d'une augufte alliance conclue
alors à Versailles.
Et M. Theulieres a lu encore des
Stancesfur l'amour divin , de la compofition
de M. l'Abbé de la Tour .
M. de Broca fils , Confeiller à la Cour
des Aides , s'eft déclaré l'Auteur du difcours
auquel le prix a été adjugé . Il a
été admis à en faire lui - même la lecture ;
& on a vu que fuivant la divifion générale
que préfentoit fon fujet , il a prouvé
que , de l'aveu des Philofophes &felon
l'hiftoire de tous les Peuples , c'eft aux
MARS. 1776. 173
moeurs que tient & qu'à toujours tenu le
fort des Empires , & qu'elles en ont été
dans tous les pays & dans tous les fiècles
le foutien & la gloire ; le foutien , parce
que c'est à elles qu'il eft réfervé d'y rendre
communes les vertus qui affermiffent
les Etats , & d'en banir les vices , qui en
ébranlent la conftitution ; la gloire , parce
qu'elles apprennent aux Peuples à la
placer , non dans l'éclat d'un fafte qui
n'éblouit que les yeux , ni dans la pompe
orgueilleufe des victoires , qui n'inſpirent
que la terreur : mais dans l'eftime ,
l'amour & le refpect qu'elles leur affurent
de la part de leurs voifins , & dans la
vénération même qu'elles leur promet
tent de la part de la poſtérité ..
M. l'Abbé Taverne , Maître des Jeux
Floraux , à Toulouſe , s'eſt déclaré l'Auteur
du poëme couronné.
La féance a été terminée par la lecture
du programme fuivant.
· L'Académie des Belles Lettres de
Montauban diftribuera le 25 Août prochain
, fête de Saint Louis , un prix d'élo
quence , fondé par M. de la Tour , Doyen
du Chapitre de Montauban , l'un des
trente de l'Académie , qu'elle a deſtiné à
un difcours dont le fujet fera pour l'année
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
1776 : la corruption du coeur eft la pre
mièrefource des égaremens de l'efprit , con :
formément à ces paroles de l'Ecriture ,
de corde enim exeunt cogitationes male.
Math. 51. 19.
Ce prix confifte en cent jetons d'argent
de la valeur de 250 liv. portant d'un
côté les armes de l'Académie , avec ces
paroles dans l'exergue : Academia Montalbanenfisfundata
aufpice Ludovico XV,
P. P. P. F. A. imperii anno XXIX. Eţ
fur le revers , ces mots renfermés dans
une couronne de laurier : Ex munificen
tia viri Academici D. D. Bertrandi de
la Tour Decani Ecclef. Montalb . M.
DCC. LXXIII.
Les Auteurs font avertis de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui leur
eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan
& d'en remplir toutes les parties avec
jufteffe & avec précision .
Les difcours ne feront tout au plus que
de demi- heure de lecture , & finiront par
une courte prière à Jéfus Chrift .
On n'en admettra aucun à l'examen
qui n'ait une approbation fignée de deux
Docteurs en Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur
MARS. 1776. 175
nom à leur Ouvrage ; mais feulement
une marque ou paraphe , avec un paffage
de l'Ecriture Sainte ou d'un Père de
l'Eglife , qu'on écrira auffi fur le regiſtre
du Secrétaire de l'Académie .
Ils feront remettre leurs Ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , à M.
l'Abbé Bellet , Secrétaire perpétuel de
l'Académie , en fa maiſon , rue Cour- de-
Toulouſe .
Le prix ne fera délivré à aucun qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne ou par procureur pour le recevoir
& figner le difcours .
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien lisibles de
leurs Ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui feront envoyés par la pofte .
Le prix d'éloquence de cette année a
été adjugé au difcours qui a pour fentence
: Virfapiens fortis eft. Prov . XXIV .
S.
Et le prix réservé a été adjugé au pɔëme
qui a pour ſentence : Les plaifirs fans
remords peuventfeuls rendre heureux.
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
III.
LIMOGES.
La Société Royale d'Agriculture de
Limoges a remis au mois de Janvier
1777 l'adjudication qu'elle devoit faire
en Janvier dernier du prix annoncé en
faveur du meilleur Mémoire fur l'appré
ciation des fonds.
Elle recevra jufqu'au premier Octobre
prochain les Mémoires que l'on voudra
lui adreffer, & renverra les Mémoires
qu'elle a reçus à ceux qui voudront y
faire quelque changement ou quelques
corrections
I V.
Académie Royale des Sciences de Paris.
L'Académie Royale des Sciences de
Paris a élu , dans fa féance du 10 Février ,
M. le Comte de Milly , Colonel de
Dragons , pour remplir la place d'Affocié
libre , vacante par le décès de M. de
Valliere , Lieutenant Général des Armées
du Roi , & Directeur Général d'Artil
lerie.
MAR S. 1776. 177
SPECTACLES.
MESSIEURS
OPÉRA.
ESSIEURS le Prévôt des Marchands
& les Echevins de l'Hôtel de Ville de
Paris , ayant defiré de fe débarraffer de
l'adminiftration de l'Opéra , dont les foins
s'accordoient peu avec les importantes occupations
dont ils font d'ailleurs chargés ;
le Roi a nommé MM. de la Ferté , de
la Touche , Bourboulon , Defentelles ,
Hébert , Intendants & Tréforier des Menus
, & Buffault , Receveur général de la
Ville , pour gouverner ce Spectacle pen .
dant un temps , en qualité de Commiffaires
prépofés pour y établir l'ordre , &
chercher les moyens propres à en relever
l'éclat & le fuccés. M. le Berton continuera
de confacrer fes talens & fon expérience à
toute la partie de la mufique. Les nouveaux
Adminiſtrateurs , qui ont donné
tant de fois des preuves de leur goût , de
leurs reffources & de leurs lumières dans
les fêtes & les fpectacles de la Cour ,
doivent entrer en poffeffion à l'ouverture
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de ce Théâtre après Pâques . Ils veulent
bien s'employer , avec un délintérellement
généreux & patriotique , à affermir
dans la Capitale le Théâtre des Arts ,
favorifer & à intéreffer l'émulation des
Poëtes & des Muficiens , à encourager &
récompenfer les talens , à confulter les
defirs des Amateurs , à varier leurs plaifirs
, & à donner à cette grande & fuperbe
machine tous les reflorts & toute
la pompe dont elle peut être enrichie.
C'eft alors que l'on dira dans toutes
les parties de l'Europe , avec un de nos
plus grands Poëtes :
Il faut fe rendre à ce palais magique ,
Où les beaux vers , la danſe , la mufique ,
L'artde tromper les yeux par les couleurs ,
L'art plus heureux de féduire les coeurs ,
De cent plaifirs font un plaifir unique.
Les repréſentations d'Adèle de Ponthieu
, feront continuées juſqu'à la clôture
du Théâtre ; elles attirent toujours beaucoup
de Spectateurs.
La Salle ne peut contenir l'affluence
de ceux qui viennent applaudir au magnifique
Ballet de Médée & Jafon, au
MAR S. 1776 . 179
triomphe de Mlle Heynel , dont la dante
& le jeu pantomime font fi admirables ,
& aux talens rares de Mlle Guimard , &
MM , Veftris & Gardel , Danfeurs &
Acteurs excellens .
On a remis pour les jeudis , les Fragmens
nouveaux , compofés des actes de
la Sybille , de Vertumne & Pomone , & de
celui de la Provençale .
COMÉDIE FRANÇOISE .
LES Comédiens François ont repréſenté
le jeudi 19 Février , Lorédan , Tragédie
en quatre actes de M. F ***•
Ottobon , noble Vénitien , excité par
la fureur de la jalousie , a empoisonné fa
femme , dont il a foupçonné légèrement
la fidélité fur des lettres qu'Almerini , fon
rival , a fait artificieufement tomber dans
fes mains . Cet époux coupable cherche
à juftifier fa rage par la feature de ces
lettres ; il les referme en appercevant.
Léonore Priuli , que Lorédan , fou fils ,
doit époufer. Cette fille vertueufe vient
faire éclater fes regrets ; elle annonce le
retour de Lorédan & fes douleurs . Otto
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
bon nomme Almerini l'auteur de fes
maux , & l'accufe . Léonore frémit des
forfaits qu'elle entrevoit. Lorédan eſt
accablé de trifteffe : chargé d'une commillion
honorable par la République , il
n'a pu voir fa mère dans les derniers momens
de fa vie ; il s'étonne de la
prompitude
de fa maladie & de fa mort.
Ottobon dit à Léonore de fortir ; il veut
fans témoins dévoiler à fon fils fes foupçons
& fa vengeance. Lorédan juftifie
fa mère. Un domeftique corrompu par
Almerini , a fervi fa haine , & a porté
Ottobon au meurtre ; ce mystère affreux
eft découvert. Lorédan , furieux , va fe
venger d'Almerini . Lorédan , couvert du
fang de fon ennemi , eft enchaîné & précipité
dans un cachot . Ottobon vient le
trouver ; il espère qu'Almerini eft encore
vivant , & que fa famille ne pourfuivra
point ce meurtre ; mais Lorédan lui ôte
tout efpoir en lui difant :
Tremblant que mon bras égaré
N'eût atteint le cruel d'un coup mal affuré ,
Craignant que s'il refpire il ne vous déshonore,
Je retire le fer & le replonge encore ;
Je le frappois fans cefle , & ma jufte fureur
S'appliquoit àtrouver la place de fon coeur,
MARS. 1776.
Fe ce coeur odieux qui , brûlant pour ma mère ,
Vous ravit votre épouse , & vos vertus , mon
père.
Cependant on apprend qu'Almerini refpire
, & que l'on pourfuit la punition de
fon affalinat. On interroge le criminel ;
il eft amené dans le Confeil des Dix , ou
il occupoit autrefois une place honorable
; il fe laiffe condamner , & évite de
faire connoître le crime de fon père,
Contarini , Préfident du Confeil , fon
juge & fon ami , l'avertit qu'il ne peut
le fouftraire que par une mort prompte
à la bonte de l'échafaud . Ottobon eft
réfolu de fauver fon fils , en s'avouant
coupable ; mais Lorédan l'arrête en lui
difant : Si vous dites un mot , je n'écoute
plus qu'un tranfport furieux ,'
Vous ne me fauvez point : je m'immole à vos yeux.
Ottobon ne voit plus d'autre reffource
pour fauver fon fils de l'infamie du fupplice
, que de prévenir le glaive de la
Juftice. Il lui porte du poifon qu'il a
déjà pris lui même. Léonore vient dans
ces triftes momens , & veut auffi mourir
avec Lorédan . Il oblige fon Amante de
182 MERCURE DE FRANCE.
renoncer à cet horrible projet & de
s'éloigner; il porte déjà la main fur le
vale , lorfque Contarini l'arrête & lui
apprend que le Confeil inftruit , par Almerini
même expirant , de fon complot
& de fon crime , a juſtifié & abſous Lorédan
, & l'a rétabli dans fes honneurs .
Ottobon meurt , mais fatisfait d'être le
feul puni. Il dit à les enfans :
Soyez toujours unis ; que les jaloux foupçons
Dans vos ames jamais ne verfent leurs poifons ;
Vous voyez quels effets leur fureur peut produire ,
L'exemple eft ſous vos yeux , qu'il ſerve à vous
inftruire.
Ce Drame a été retiré après la première
repréſentation . Il préfentoit des
tableaux d'une couleur trop fombre pour
que la vue pût les foutenir , malgré les
talens de M. le Kain , de M. Brifart &
Madame Veftris , qui ont rempli les principaux
rôles.
On a donné plufieurs repréſentations
'des Amans généreux , pièce intéreflante
de M. Rochon de Chabannes , & les
Valets maîtres dans la maiſon , comédie
MAR S. 1776. 183
·
ou farce très gaie du même Auteur.
On répète Abdolonyme , Drame nouveau
.
DÉBUT.
Mademoiſelle Comtat a débuté dans
les mois de Janvier & Février fur le
Théâtre de la Comédie Françoife . Elle a
joué avec beaucoup d'intelligence les
feconds rôles de la Tragédie & les premiers
de la Comédie. De la jeunefle
une figure aimable , de l'intelligence , de
J'habitude du Théâtre , un jeu vif & fpirituel
, font beaucoup efpérer de fes talens
& des foins qu'elle prendra de les
perfectionner.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné , le
jeudi 22 Février la première repréfentation
du Lord fuppofe , Comédie nouvelle
en trois actes , en vers , mêlée d'ariettes ;
paroles de M. d'o *** *, mulique de
M. Chartrin.
Juliette plaifante fa foeur Emilie far
184 MERCURE DE FRANCE.
les craintes qu'elle a du mariage ; elle
promet bien d'être plus intrépide lorfqu'il
lui fera permis de prendre un
époux. Le père d'Emilie la deftine à
Terville , jeune Officier , qu'elle aime ,
& dont elle eft aimée : mais il eft un
peu piqué de ce que ce jeune homme në
lui a point fait part de fon choix ; &
avant de faire fon bonheur , il veut lui
caufer quelqu'inquiétude. Il eft même
d'intelligence avec le père de Terville,
Une certaine Hortenfe , coufine d'Emilie
, qui eft déguifée en Officier Anglois ,
fe propole de feconder leur projet . Elle
paffe pour le rival de Terville & pour
l'Amant préféré . Emilie elle - même fe
fait un jeu de défoler fon Amant , qui
n'a pourtant point mérité ce cruel perfifflige.
Il y a querelle entre les deux
prétendus rivaux . Ils fe donnent rendezvous.
Hortenfe croit avoir choifi tous les
moyens néceffaires pour avoir l'avantage
du combat. Elle a , dit- elle , fait fceller
l'épée de Terville , & elle a mis du
monde en embufcade pour les féparer.
Elle le préfente fièrement l'épée à la
main ; mais elle eft bien furprife lorfque
Terville tenant deux piftolets , lui dit
d'en choisir un. Elle s'en tient à l'épée ;
MARS. 1776. 185
Terville veut alors qu'elle fe déshabille
comme lui , pour ôter tout foupçon de
lâcheté. Hortenfe eft dans le plus grand
embarras ; heureufement que l'on vient
féparer les deux champions . Alors toute
la famille des jeunes gens arrive ; on fe
moque de Terville ; Hortenfe fait ceffer
ce badinage , en ne cachant plus fon
nom. Le père d'Emilie accorde fa fille à
Terville , dont il a voulu feulement
punir la trop grande difcrétion .
Le plan de cette pièce eft ingrat ; il
fe prête difficilement à l'action , au comique
& à l'intérêt . Tout eft prévu dès
F'expofition ; & tout ce perfifflage , qui
dure pendant les trois actes fur un jeune
Militaire aimable , auquel le Poëte ne
donne d'ailleurs aucun ridicule, ne produit
que très peu d'effet. Il y a dans la pièce
deux perfonnages épifodiques , un vieux
Factotum de maifon & un Bailli bavard
qui produifent deux fcènes comiques.
Cette Comédie eft écrite avec facilité
& elle annonce du talent ; mais il fauc
que ce talent foit employé fur un meilleur
fond.
On a applaudi plufieurs morceaux de la
mufique , qui eft d'un Compofiteur déjà
186 MERCURE DE FRANCE:
connu par de bonnes fymphonies & par
fon talent pour le violon.
Les principaux rôles ont éré bien joués
par MM. Clairval , Nainville , la Ruette ,
Trial ; & par Mefdames Trial , Billioni ,
Beaupré.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Collection précieufe & enluminée des fleurs
les plus belles & les plus curieufes qui
Je cultivent tant dans les jardins de la
Chine que dans ceux de l'Europe. Ile
Décade ; prix 24 liv. A Paris , chez
Lacombe Libraire , rue Chriftine ; &
chez M. Buc'hoz , Médecin , directeur ,
de cet Ouvrage , rue des Saints Pères ,
vis a vis la Charité.
CETTE feconde Décade eſt encore exécutée
avec plus de foins que la première ,
quoique celle- ci ait obtenu le fuffrage
MARS. 1776. 187
général de tous les Amateurs ; la Collection
entière eft une des plus intéreſfantes
& des plus précieufes du fiècle ,
par fa nouveauté & par fa belle exécu
tion ; chaque planche fait tableau , &
pourroit fervir d'ornement dans les plus
beaux cabinets , tant montée fous verre,
que réunie en collection .
I I.
Les reftes du Palais du Pape Jules , eftam
pe d'environ 11 pouces de haut for 9
de large , gravée d'après le tableau de
H. Robert , Peintre du Roi , par F.
Janinet ; prix 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue St Jacques , près celle
de la Parcheminerie , à la Providence ;
& chez le Père & Avaulez , Marchands
d'eftampes , même rue , à la ville de
Rouen.
genre Cette eftampe eft gravée dans le
de gravure que M. Janinet a adopté , &
qui confifte à faire ufage de plufieurs
planches , pour faire paffer fur le papier
les différentes couleurs du tableau ou du
deffin , fi c'est un deffin colorié. La nouvelle
eftampe peut faire illufion , & an188
MERCURE DE FRANCE.
nonce les nouveaux progrès que M. Ja
ninet a faits dans ce genre de gravure ,
qui exige beaucoup de foin & d'intelligence
.
III.
Les écarts de la Nature , ou Recueil des
principales monftruofités que la Nature
produit dans le règne animal ,
peintes d'après nature , gravées &
mifes au jour par les fieur & dame
Regnault , Auteurs de la Botanique
miſe à la portée de tout le monde
&c. IV . Cahier. A Paris , chez l'Auteur
, rue Croix des Petit -Champs ,
vis -à-vis l'Hôtel de Luflan .
Les Auteurs de cer Ouvrage ayant
reconnu , après diverfes obfervations ,
que la Nature , dans fes écarts , femble
s'être preferit un certain nombre de rou
tes dans lefquelles elle rentre prefque
toujours du plus au moins , ils ont borné
le recueil des écarts de la Nature aux
principales monftruofités. S'il fe ren
contre dorénavant des phénomènes affez
remarquables pour mériter l'attention des
Curieux , ils les graveront à mesure qu'ils
paroîtront , & auront foin d'en avertir
MARS. 1776. 189
les perfonnes qui leur ont fait l'honneur
de foufcrire. Les eftampes feront continuées
dans le même format, & formeront
fa fuite du recueil ; elles feront annon .
cées à fur & mefure dans les Journaux.
Ces Auteurs ont entrepris les quadru
pèdes de l'oeuvre de M. de Buffon , en
couleurs naturelles ; le premier cahier ,
compofé de douze planches , vient d'être
mis au jour ; le fecond paroîtra dans le
courant de Février , & ainfi de fuite :
prix 7 liv . 4 f. On les trouve à Paris chez
l'Auteur , rue Croix des Petits Champs ,
& à l'Hôtel de Thou , rue des Poitevins.
I V.
Le Naufrage , eſtampe d'environ 24 pouces
de largeur & 15 de hauteur ,
gravée par M. Avril , d'après un tableau
de M. Vernet , Peintre du Roi.
Prix 6 liv . A Paris , chez M. Avril ,
rue de la Huchette , en face de la rue
Zacharie.
Cette eftampe eft d'un travail trèsvarié
, gravée avec beaucoup de talent &
d'un bon effet de couleur.
190 MERCURE DE FRANCE.
V.
L'Agréable Défordre & la Promeffe du
retour , deux fujets galans , gravés avec
foin par A. F. David , d'après les ta
bleaux de Tifchebin . Ces deux eſtampes
en médaillon ont environ 14 pouces de
hauteur fur 10 de largeur. A Paris , chez
David , rue des Noyers , au coin de celle
des Anglois .
GÉOGRAPHIE.
I.
CARTE de l'Amérique ſeptentrionale ,
en huit grandes feuilles , par le Docteur
Mitchel , contenant les détails des Colonies
Angloifes , corrigée en 1776 , traduite
par le Rouge , Géographe du Roi ,
rue des Grands Auguftins . Prix 9 liv , en
feuilles ; collée fur toile , 24 liv.; brochée
en carton , 15 liv. Plus un Recueil
in 4° . broché , contenant 10 plans , ſavoir
: Vue & plan de Québec , plan de
Boſton , port de Plaifance & d'Anapolis ,
MARS. 1776. 191
Sault de Niagara , Ville de Kingſton
Port-Royal , Charles- Town , & c. Prix
I liv. 16 f. br . chez le même.
I I.
Nouvelle Carte détaillée des environs de
Compiègne , du même format & même
point que celle des environs de Fontainebleau.
Prix 25 f. A Paris , chez Aldring ,
Graveur , rue des Foffés M. le Prince ,
chez le fieur Canaple , Sellier , près la
rue de Vaugirard.
MUSIQUE,
I.
TROIS Sonates pour le piano forte ou
le clavecin , avec accompagnement d'un
violon & violoncelle , compofées par
C. Brunings , Infpecteur général des rivières
de Hollande & de Weftfrife , & c.
OEuvre ler. Prix fl . 3 10 f. A Bruxelles ,
chez Vanypen & Pris , Graveurs ; à la
Haye , chez Detune , Libr ; à Amfterdam
, chez Ulam , Lib.; à Paris , chez
192 MERCURE DE FRANCE.
Coulineau , Luthier , rue des Poulies ; à
Lyon , chez Caftaud , place de la Comédie.
On trouve aux mêmes adreffes fix
Sonates à deux violons , compofées par
J. F. Redein.
I I.
XXX . Livre de Guittarre , contenant
des airs d'Opéra comique & autres , avec
accompagnemens d'un nouveau goût , des
préludes & des ritournelles ; par M. Merchi.
OEuvre XXXIV . Prix 7 liv. 4 f. A
Paris , chez l'Auteur , rue St Thomas du
Louvre , à côté de M. Godin ; & aux
adrelles ordinaires de mufique.
I I I.
Le Plaifir de la Campagne , ariette
nouvelle , à corno principale violino
primo è fecundo baffe ( oboe & cors ) ad
libitum ; dédiée à Madame la Comteffe
de la Marck; mife en mufique par M.
Pételard le jeune , Maître de chant. Prix
2 1.8f. A Valenciennes , chez l'Auteur ;
à Paris , aux adreffes ordinaires.
IV .
MARS. 1776. 193
I V.
VIe Livre , contenant douze Ariettes
choifies avec accompagnement de harpe ,
fuivies de deux Divertiffemens pour la
harpe & un violon , par J. G. Bürcshoffer.
OEuvre XIIIe . Prix , 9 liv. A Paris .
chez l'Auteur , rue de Clery , vis- à - vis
celle du Gros- chênet , & aux Adreſſes ordinaires
de Mufique.
V.
Sei Quartetti per il obod , o violino prime
violino fecondo , alto viola , è fagotto
o violoncello , par M. le Baron de
S ***. OEuvre IV . Prix , 9 liv.
Ces Quatuors , pleins d'expreffion &
de chant , annoncent la plus grande facilité
dans l'Auteur , qui eft déjà connu
avantageufement du Public par plufieurs
ouvrages.
On les trouve chez le fieur Moria qui
en eſt l'éditeur , rue de Seine , hôtel de
Chaumont ; aux Adrefles ordinaires de
Mufique , à Paris ; & chez le Sr Caſtaud,
Me de Mufique , à Lyon.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
V I.
La Gamme du Haut - bois & du Baffon ,
avec les plus belles Marches militaires
, arrangées par M. Corrette. Prix ,
liv. 16 fols. A Paris , chez les Marchands
afortis.
-
Cet ouvrage contient fes principes de
deux inftrumens très agréables ; & le
choix des marches qui les accompagnent
ne peut que faire le plus grand plaisir aux
Muficiens & aux Amateurs .
VII.
Sei Sonate cantati per camera a violino
e baſſa ofia mandolino & viola , dedicate
al Signor Vaflai de St Hubert
compofte d'al Signor Giuliano di Napoli
virtuofo di mandoline ; miſes au jour par
M. Raymond , maître de mandoline .
Op. I. Prix , 7 liv. 4 fols. A Paris , chez
l'Editeur ; rue Bergère , la première porte
cochère à droite , en entrant par la rue
Poiflonnière ; & au Bureau d'Abonnement
mufical , rue du Hafard - Richelieu .
MARS. 1776. 195.
VIII .
Recueil de fix Ariettes avec accompagnement
pour la harpe qui peuvent
s'exécuter fur le clavecin , par G. Navoigille
l'aîné. Euvre VI , gravé par Mile
de Silly. A Paris , chez M. Sieber , rue St
Honoré , à l'hôtel d'Aligre , & lad. Dile
de Silly , rue de Montmorency , près celle
du Temple.
COURS DE LANGUE ITALIENNE,
M. l'Abbé Fontana , Italien , reprendra
fon Cours de Langue Italienne , mardi 12
Mars 1776 ; & il fuivra tous les mardi
& vendredi depuis huit heures du matin
jufqu'à dix. Dans ce Cours on apprend à
bien parler & compofer en Italien , & à
comprendre tous les meilleurs Auteurs.
Il donne des leçons particulières chez lui
& en ville.
Il demeure rue Montorgueil , la porte
cochère à côté de la rue Pavée , vis - à- vis
l'hôtel des trois Rois , au fecond fur le
devant.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE:
COURS DE PHYSIQUE .
M. BRISSON , de l'Académie royale
des Sciences , Maître de Phyfique &
d'Hiftoire Naturelle des Enfans de France
, & Profeffeur royal de Phyfique expérimentale
au Collège de Navarre , commencera
le lundi 4 Mars , à onze heures
du matin , un Cours de Phyfique expérimentale
, dans fon cabinet de machines ,
à l'ancien hôtel de Conti , rue des Poulies
. Il traitera dans ce Cours de toutes
les parties de la Phyfique , Les perfonnes
qui voudront le fuivre fe feront infcrire
chez lui avant ce terme ,
Conjectures fur la maladie épizootique
qui règne dans les Provinces méridionales
du Royaume , par M. Brafdor,
Profeffeur Royal in Chirurgie , &c.
PERSONNE ERSONNE n'ignore qu'une irritation méchanique
exercée fur des furfaces fenfibles , peut
produire dans l'économie animale les plus grands
MAR S. 197 1776.
défordres ; la présence des vers dans l'eftomach,
les inteftins , & c donne lieu à des fymptômes
dont on ne foupçonneroit pas la relation avec
leur caufe , fi l'obſervation répétée n'avoit apptis
que la perte de la vue , de la voix , la paralyſie ,
la pleuréfie , peuvent en dépendre .
Fernel rapporte l'hiftoire d'un foldat qui mou→
rut le vingtième jour de fa maladie , après êrre
devenu furieux , & dans le nez duquel on trouva
deux vers velus.
Les, vers cauſent ou compliquent ſouvent des
fièvres fâcheules qui ont des caractères de malignité.
Que l'on faffe l'une ou l'autre ſuppoſition ,
leur influence est toujours dangereuse ; on en
trouvera aifément la raifon dans les différentes
manières dont ces infectes nuilent : mais il eſt à´
remarquer que l'exercice trop long ou trop violent
del'action mufculaire peut produire dans les
liqueurs des perverfions femblables à celles qui
réfulteroient de l'action des miafmes putrides . On
lit dans l'hiftoire de l'Académie Royale des Sciences
année 1766 , l'obfervation communiquée
par M. Morand , de deux bouchers attaqués d'antrax
& autres accidens , après avoir tué chacun
un boeuf, qui avoient été tous les deux examinés
& trouvés fains. On ne put tien inférer des recherches
qui fuient faites , finon que ces animaux
avoient été vraisemblablement furmenés , enlorte
que dans ce cas le feul excès de mouvement avoit
donné lieu à des phénomènes de malignité. Il
peur donc y avoir des maladies putrides dont la
caufe n'eft point dans des miafmes pernicieux ,
dans l'intempérie de l'air , des faifons , & c . vérité
connue , mais que je devois rappeler.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Quoi qu'il en puiffe être , j'ai cru devoir expofer
les idées que m'ont fait naître les écrits fur la
maladie épizootique qui ravage les Provinces méridionales
du Royaume . Je trouve , à quelque
différence près cependant , beaucoup de conformité
entre cette maladie & celle qui attaqua
l'espèce des chiens en 1763 ; la vacillation de la
tête , les convulfion , la foibleſſe des extrémités
poftérieures , l'abattement , la triftefle , l'abaifle .
ment des oreilles , les cris plaintifs , & ce qui eft
plus remarquable , le gonflem ent des yeux , l'écou
lement de la morve par les nazeaux , la quantité
de morve ſouvent ichorreute mêlée d'un fang
noir , trouvée à l'ouverture des cadavres dans les
anfractuolités du nez , & s'étendant dans la trachée
artère , me paroillent établir entre les deux
cas une analogie frappante.
Je fis dans le temps des recherches fur la maladie
des chiens ; j'en ouvris plufieurs : je trouvai
à preíque tous dans le labyrinthe des narines , un
ver , à la plupart deux , d'une espèce inconnue.
La réferve néceffaire ne me fit propofer que comme
hypothèſe , dans mon Mémoire *, l'opinion
qui auroit fait dépendre de ces infectes la maladie
& les fymptômes , qu'il étoit poffible d'expliquer
en général par cette fuppofition. Ce qu'il y a de
très - certain , on voit fouvent des maladies graves
cefler par l'évacuation des vers.
Je ne puis dire s'il y en a dans le nez des boeufs
Il eft inféré dans le Tome VI des Mémoires de
mathématiques & de phyfique , préfentés à l'Académie
des Sciences.
MARS.
199 #
1776 .
ainfique j'en ai trouvé dans le nez des chiens ; la
fimilitude des fymptômes , & fur- tout l'état du
nez obfervé dans les vivans & les cadavres , autoriferoient
à le foupçonner. On n'en a , à la vérité ,
point trouvé dans les animaux qui ont été ouverts
: mais on ne peut rigoureuſement conclure
qu'il n'y en a pas , à moins que les recherches
n'ayent été dirigées expreflément vers cet objet 3
& il me femble que dans une aufli grande calamité
, il feroit permis à un Citoyen de former des
voeux pour que ce foupçon fût vérifié ; car enfin
fi cela étoit , fi des vers en irritant , de différentes
manières , la membrane pituitaire , qui eft d'un
fentiment fi exquis , produifent les fymptômes
auxquels le bétail eft en proie , que de corollaires
naîtroiènt de cette fuppofition admife comme
vraie !
On pourroit rendre raifon de la plupart des
phénomènes de la maladie , de la qualité conta
gieufe , & peut- être du peu d'utilité qu'on retire.
des précautions prifes contre la contagion , les
oeufs de ces infectes pouvant être portés par les
vents à de grandes diſtances .
On verroit pourquoi julqu'ici toutes les tentavives
de curation ont été infructueules ; ce
feroit le ver qu'il faudroit détruire : or les faignées
& les autres évacuans , les cautères , les ferons ,
&c, ne peuvent abſolument remplir cette indi
cation.
la
Quand , par des recherches ultérienres ,
fuppofition feroit vérifiée pour réelle , on reconnoîtroit
, à la vérité , la voie qu'il faudroit
tenir pour parvenir à la cure , ce qui feroit beaucoup
; mais il refteroit à trouver les moyens
de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
détruire ou d'évacuer la vermine de l'étaire ; ce
feroit l'objet de nouvelles expériences , & il faut
efpérer qu'avec des tentatives on parviendroit à
faire des découvertes utiles , &c.
Il eft prefcrit dans l'inftruction publiée par
ordre du Roi , de lavér les nazeaux , la langue
& le palais avec du vinaigre , dans lequel on aura
fait infufer de l'ail . On ne peut fe flatter que des
vers qui feroient logés dans les cavités du nez des
boeufs , puflent être atteints d'une manière fuffifante
par une femblable losion , parce que on
n'a pas la reflource de la leur faire attirer ; l'air
feroit plus propre , en parcourant ces anfractnofités
dans le mouvement d'infpiration , à porter
par toute leur étendue , les fubftances dans lef
quelles on auroit reconnu les propriétés defirées :
on pourroit au refte combiner les deux procédés.
Boerhaave rapporte l'exemple qu'il caractérise
de terrible , d'une jeune fille de Rotterdam dont
les fix finus pituitaites étoient pleins de vers qui
croifloient d'heure en heure ; il la guérit par une
légère fumigation de cinabre & une décoction de
tabac dans l'eau qu'elle attiroit dans les narines ,
dont l'ufage continuel fit fortir les vers.
Roterodami terribile in puellâ exemplum extitit
cui omnes fex finus pituitarii vermibus pleni fuerunt
qui de hora in horam increfcebant Hanc fanavi
fumo leviori cinabarino & tabaci cum aquâ
decolto per nares attracto quo cont nuo coegi animalia
ut de naribus defilirent * .
Ma fpéculation peut n'être qu'un rêve , mais
* Hermanni Boherhaave Prælect. Academ. 792.
MARS. 201 1776 .
c'eft le rêve d un Citoyen ; la grandeur du fléau
l'inutilité de tout ce qui a été fait jufqu'ici , me
ferviront d'excufe . Dans le cas extrême qui réduit
à facrifier les bêtes malades & celles qui fe por
tent bien , j'ai cru pouvoir hafarder des conjectures
, d'après ce que j'ai obfervé dans un cas
analogue. Si elles peuvent donner lieu à des
idées plus lumineuses , mes voeux feront comblés
; fi elles ne fervent à rien , on ne peut me
blâmer d'avoir eflayé d'être utile.
REMERCIEMENT de Madame la
Ducheffe de L. V... à une Perfonne qui
qui fe cache , de qui elle reçoit tous les
ans des chats de parfilage aux étrennes.
Demeschats
L'auteur fecret & magnifique ,
Par une maligne rubrique ,
Depuis plus de trois ans s'applique
A me mettre de la fabrique
Des ingrats.
Ce défaut m'agite & me pique ,
Puifqu il arme ma poë ique ;
Et in fur l'autu ne m'indique
Qu'un nuage amphibologique.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Pour finir , fans autre replique ,
Nos débats ,
Je rends ( avec plaifir ) publique
Ma reconnoiffance authentique
De mes chats.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , &c.
I.
La fieur François Bouquet , ferrurier à
Abbeville , arrivé à Paris le premier du
mois dernier , ayant exécuté une machine
propre à faire marcher fans béquilles des
perfonnes privées de l'ufage de leurs jambes
, a préſenté, le 25 du même mois ,
l'Académie royale de Chirurgie une perfonne
qui, depuis plus de trente ans, avoit
une ankilofe dans une hanche , & qui , à
l'aide de fa machine , a marché devant
toute l'Académie , fans foutien . Cette invention
a été reconnue ingénieuſe & utile
par le Corps académique qui lui en a fait
délivrer un certificat en forme. Le heur
Bouquet fe propoſe d'ajouter à fa machiMARS.
1776. 203
ne de faire monter à cheval ceux qui au
ront recours à lui . Sa demeure eft rue des
Deux Portes- Saint- Sauveur , à l'hôtel de
Hollande .
I I.
EXTRAIT d'une Lettre de M. de Forbonnois
, datée de Forbonnois dans le
Maine , le 16 Août 1775 , contenant
l'épreuve d'un remède contre la pourriture
du bétail.
Je crois , Monfieur , devoir vous faire
part du fuccès d'une expérience trèsimportante
que je viens de faire , & qu'il
feroit à defirer qu'on fît réitérer en divers
endroits.
-
le mouton
Mes terres font très froides , & il n'y
a point de marne : j'ai cru que
étoit néceffaire pour les réchauffer, quoiqu'on
ne foit pas en ce pays dans l'ufage
d'en avoir dans la proportion des terres ,
à caufe de la pourriture que ces animaux
contractent très - promptement , & furtout
les brebis. J'ai formé un troupeau
de belles brebis Poitevines avec un bélier
de grande eſpèce : j'ai eu de trèsbeaux
agneaux depuis deux ans. Mais j'ai
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
perdu un fi grand nombre de mères que
j'ai été forcé , pour ne pas perdre tout, de
vendre tous les ans à perte de plus de
moitié une partie des mères pourties.
Enfin la perte , au bout de deux ans , excédoit
de beaucoup le bénéfice des accroîts ,
& mon fumier me coûtoit plus qu'il ne
me rendoit.
J'ai cherché un remède & je l'ai éprouvé
fur quelques- unes des plus malades ,
toutes bêtes que le berger & les bouchers
difoient ne pas durer la femaine , dont
on n'avoit voulu pour aucun prix , lorfque
j'avois vendu les autres , & qui me
coûtoient 7 liv . pièce.
Leur état ainfi bien conftaté , je leur ai
fait prendre à chacune , pendant quinze
jours tous les matins , une cuillerée de
goudron ; elles ont beaucoup uriné , elles
ont commencé à manger , à être plus gaies.
J'ai réduit enfuite la portion à demi cuillerée
tous les jours ; non feulement en
fix femaines elles ont repris chair , mais
les veines de l'oeil , qui étoient totalement
éclipfées , ont reparu & font aufli vives
que dans une agnelle bien faine.
•
J'en avois acheté plein une cruche à
Paris avant mon départ , dans l'intention
de faire un effai , perfuadé que tout le mal
MARS. 1776. 205
procédant de la nourriture aqueufe , les
réfineux defléchans devoient produire un
bon effet. Je favois aut que dans les
pays de fapins , le mouton ne pourrit pas .
& qu'il aime la feuille . Cependant je t
l'ai ofé effayer que fur quatre , de quoi je
fuis bien fâché aujourd'hui.
I I I.
Le fieur Mefmer , Docteur en Médecine
, originaire de Suabe , guérit de l'épilepfe
par la vertu de l'aimant , qu'il applique
avec fuccès à quelques autres maladies
, fans faire mystère à perfonne de
Les procédés.
Le 25 Novembre dernier , il affembla
dans une grande falle , à Munich , où il
eft arrivé depuis quelque temps , plufieurs
perfonnes attaquées du mal - caduc ; & en
préfence des Médecins & Chirurgiens les
plus habiles de la ville , en toucha quel
ques- uns de fa main imprégnée de la vertu
magnétique. Au bout de cinq à fix minutes
, l'accès les prit au plus haut degré
avec de très fortes convulfions . Ils revinrent
à eux ; le Médecin affura que l'accès
les reprendroit encore ; ce qui eut lieu peu
de minutes après : mais le mal n'eft plus
206 MERCURE DE FRANCE.
revenu depuis. S. A. S. l'Electeur de Bavière
fut préfent à cette opération , qui
réuffit parfaitement. Le Docteur Meſmer
guérit toutes fortes de maladies de nerfs
d'un manière auffi fimple.
I V.
Nouvelle Eau-de- vie très -fpiritueufe .
Un Gentilhomme de la ville d'Yorck
en Angleterre , a extrait des carottes une
très - grande quantité d'eau - de- vie , incomparablement
fupérieure à celle qu'en
Suède on tire des pommes de terre. Vingt
boiffeaux feulement de carottes lui ont
rendu trois gallons , ou un peu plus de
douze pintes d'eau - de- vie . Cette liqueur
eft très- facile à faire ; on lave bien les carottes
, on les échaude dans un grand vafe,
on les foumet à une preffure commune ,
on fait bouillir modérément le jus qui en
eft découlé , on le laiffe fermenter quelque
temps , enfuite on le diftille .
MARS. 1776. 207
BIENFAISANCE.
I.
SA Majefté Pruffienne vient de faire un
établiſſement bien utile pour fes fujets . Il
a affigné un fonds de cent mille écus ,
deſtiné à entretenir dans les villages de
bons Maîtres d'école , qui jouiront chacun
de cent-vingt écus par an. Par cette fondation
les payfans , fe trouvant déchargés
du payement des mois d'école , n'auront
plus à alléguer le défaut des moyens d'y
envoyer leurs enfans. Les maîtres d'école
feront examinés par le Confiftoire Suprê
me , qui leur donnera des inftructions ,
& leur prefcrita l'efpèce de livres qu'ils
doivent mettre entre les mains de leurs
élèves.
I I.
M. le Comte de Schavembourg a établi
, dans le pays de ce nom , une eſpèce
d'Ordre agricole. Il fuffic , pour y être admis
, de contribuer aux progrès de l'agriculture
, ou de fe diftinguer dans cet art .
La marque de cet Ordre eft une médaille
208 MERCURE DE FRANCE.
1
d'argent qu'en porte à la boutonnière , &
qui vient d'être frappée ; fur laquelle on
lit les devifes & infcriptions fuivantes :
4º . Dieu t'ouvrira le trèfor de fes bénédic
tions ; il bénira les campagnes , & couronnera
par le fuccès toutes les entrepriſes :
2º. Au - deffous : Médaille pour fervir de
prix dans le pays de Schavembourg. Lippe ,
1775 ; 3 ° . Sur le revers : Sème , & ne te
repofe pas que tu n'ayes auffi femé pour
l'indigent ; cette fentence , dictée par
l'humanité , eft entourée d'épis de bled
fur lefquels un foleil darde fes rayons ;
4°. Au bas : Pour l'encouragement de l'agriculture.
FEU
ANECDOTES.
I.
EU M. le Maréchal de Noailles , paffant
un jour dans les galeries du château
de Fontainebleau , s'arrêta chez fon Libraire
pour lui demander certains livres
qu'il defiroit ; il apperçut dans cette même
boutique une Dame qui parcouroit
MARS. 1776. 209
une brochure nouvelle ; il s'en approcha
& lui dit : Que lifez vous là , ma belle
Dame ? Monfeigneur , je lis de vos coups ,
répondit elle. L'ouvrage étoit intitulé :
Coups d'état par les Généraux. Ce compliment
impromptu , plus flatteur qu'une
harangue bien préméditée plut au Maréchal
; il s'informa de tout ce qui pouvoit
intéreffer la Dame , & lui fit promptement
obtenir , par fon crédit , le fuccès
d'une affaire qu'elle follicitoit à la Cour
depuis long temps.
I I.
Le fameux poëte Milton , dans la Aeur
de fa première jeunele , étoit extrêmement
beau. Il étudioit à l'Univerfité de
Cambridge. Un jour d'été , s'étant égaré
à la campagne , accablé de chaleur & de
fatigue , il s'endormit au pied d'un arbre .
Pendant fon fommeil, deux Dames étrangères
pafsèrent en voiture dans le même
endroit. La beauté du jeune écolier les
frappe ; elles mettent pied à terre , &
l'ayant confidéré quelque temps fans l'éveiller
, la plus jeune , très jolie , tire un
crayon de fa poche , écrit quelques lignes
fur un papier qu'elle gliffe en tremblant
-
210 MERCURE DE FRANCE.
dans fa main . Les deux Dames remontent
en voiture , & s'éloignent. Les camarades
de Milton , qui le cherchoient ,
avoient vu de loin cette fcène muette fans
diftinguer les traits du jeune homme endormi
; mais s'étant approchés , & ayant
reconnu leur ami , ils l'éveillèrent en lui
racontant ce qui venoit de ſe paſſer . Il
ouvrit le billet qu'il tenoit , & y lut avec
furprife ces vers de Guarini :
Occhi , ftelle mortali ,
Miniftri de' mici mali ,
Se chiufi m'uccidete ,
Aperti che farete ?
сс
C'est -à- dire , « Beaux yeux , aftres mor-
» tels , auteurs de tous mes maux ! fi vous
» me bleflez étant fermés , que ferez-
» vous ouverts. Cette aventure étrange
rendit Milton fenfible. Rempli dès ce
moment du defir de connoître cette belle
inconnue , il la chercha , quelques années
après , dans toute l'Italie , fans jamais la
trouver. Son idée enflamma fans ceffe
l'imagination du poëte , & c'eſt en partie
à elle que l'Angleterre doit le poëme dont
elle fe glorifie .
MARS . 1776. 211
I I I.
Un jour on conduifoit un déferteur à
l'endroit où il devoit être fufillé ; dans le
même moment , le Maréchal de Villars
vint à paffer en chaife . Le malheureux
foldat demande , pour dernière faveur , à
parler à fon Général . M. de Villars en eft
inftruit & le fait approcher : Mon Général,
lui dit le foldat en fanglottant, vous allez
à Versailles , je vous fupplie de dire au Roi
l'embarras dans lequel je me trouve. Le
Maréchal trouva cette naïveté fi plaifante
qu'il fit fufpendre l'exécution , & n'eut
rien de plus preffé que de la rendre au
Roi . Sa Majesté en rit beaucoup & fit grâce
au déferteur.
I V.
Les Députés de la Ville d'Orléans
avoient joui de temps immémorial , par
une prérogative fort ancienne , du droit
de ne boire qu'affis , à quelque fête qu'ils
fe trouvaffent , fût - ce même devant le
Roi. Henri IV , informé de ce privilége
qui lui paroiffoit ridicule , imagina, pour
le faire ceffer , de faire ôter tous les fiéges
212 MERCURE DE FRANCE.
de la falle d'audience où il devoit recevoir
ces Députés , qu'il fit appeler enfuite ;
ils le haranguèrent fort long - temps , &
s'interrompant par intervalles , regardoient
de tous côtés . Le Roi n'ignoroit point la
caufe de leur étonnement ; il ordonna ,
fuivant l'ufage , qu'on leur versâr à boire .
Les Députés , fcandalifés de l'infraction ,
voulurent refufer ; le Roi leur dit qu'il
prétendoit être obéi . Les Députés s'affirent
alors à terre & burent. « Ventre-
» faint gris ! dit Henri IV , ils font plus
" fins que moi ; répondez à ma bonne
» Ville d'Orléans que je n'entends point
» enfreindre le privilége de fes Députés ;
» auffi- bien n'eft -il pas en ma puiffance
» de faire ôter ces fiéges là . »
3
-
V.
Piron , avant de donner au Théâtre
François les pièces qui ont fait fa réputation
, travailloit pour la Foire , où il fourniffoit
tous les quinze jours une pièce qui
n'étoit pas bien merveilleufe , mais qui
lui rapportoir de l'argent . A la repréfentation
des Chimères , il fe trouva à côté
d'un homme qui fe récrioit contre cette
farce , en difant : « Que cela eft mauvais!
MARS. 1776. 213
Que cela eft pitoyable ! Qui eft ce qui
peut faire des fottifes pareilles ? C'eft
» moi , Monfieur , lui répondit Piron ;
» mais ne criez pas fi haut , parce qu'il y
» a beaucoup de gens ici qui trouvent cela
bon pour eux. »
.
V I.
Un Seigneur très - emprunteur & trèsconnu
pour ne jamais.rendre , alla voir
un jour le fameux Samuel Bernard qu'il
né connoilloit que de vûe. Après les premières
civilités , il lui dit : « Je vais vous
éronner , Monfieur , je m'appelle le
Marquis de .... ,, je ne vous connois
point , & je viens vous emprunter cinq
» cents louis, Je vais vous étonner bien
» davantage , Monfieur , répondit Samuel
» Bernard; je vous connois , & je vais
» vous les prêter, »
"
>>
-
VII.
Un malade étoit obligé de fe tenir fans
ceffe penché du même côté dans fon fauteuil.
Un de fes amis vint le voir , & par
un mouvement d'intérêt , lui demanda
affectueuſement la raison pour laquelle il
214 MERCURE
DE FRANCE .
33
gardoit toujours la même fituation . « Pour
quelle raifon ? lui répondit le malade
» avec beaucoup de fang froid : c'eft que
» je ne vivrois pas un inftant fi j'en prenois
» une autre ; vous allez voir fi j'ai tort ».
Il fe retourne alors de l'autre côté , &
meurt fur le champ , comme il l'avoit
prévu.
LES
AVIS.
Moutarde pour les engelures.
ES engelures forment une incommodité d'autant
plus fâcheuſe qu'elle attaque la plus nombreufe
claffe de la fociété , celle que les facultés
mettent le moins en état de la prévenir , celle ,
enfin , à qui un travail journalier & foutenu eft
le plus néceflaire . Les engelures fe fixent ordinai
rement aux pieds & aux mains . On fent dès - lors
combien l'ouvrier qui en eft atteint fe trouve
gêné dans fon travail, fi ce travail n'eſt pas même
entièrement fufpenda Ceft ce qui a déterminé
le fieur Maille , Vinaigrier du Roi & de Leurs
Majeftés Impériales , à diftribuer gratuitement ,
depuis quelques années , aux performes nécefli
teufes , une moutarde propre à guérir l'incommodité
dont il s'agit. Il a établi , pour cette diſtribution
, un bureau chez lui en fon magafin général
de les vinaigres , rue St- André - des- Arcs. Elle a
MARS . 213 1776.
commencé le premier Dimanche de Novembre
dernier, & continuera tous les Dimanches jufqu'à
la fin de Mars prochain , depuis huit heures jufqu'à
midi , & pour la garde de Paris tous les jours.
MM. les Curés de toutes les provinces du royaume
jouiront du même avantage pour leurs paroif
fiens. On les prie feulement d'avoir un Corref
pondant à Paris qui fe charge de venir au bureau
& qui fe munifle d'un pot ou autre vale propre à
contenir la moutarde qui lui fera délivrée. Îl eſt
également néceflaire que MM . les Curés indiquent
le nombre des perfonnes qui réclament ce
fecours , afin qu'on puifle déterminer la quantité
de l'envoi d'après ce nombre. Quant aux perfonnes
qui font en état de payer , le prix du pot de
certe moutarde fera pour elles de 1 liv . 10 f . Cette
moutarde a de plus la qualité de blanchir les mains
& de les rendre douces .
Les perfonnes opulentes ou aifées retrouveront
fans doute ici avec plaifir l'indication des principaux
vinaigres qui compofent le magafin du Sr
Maille. Il en eft feul l'inventeur & le fabricateur.
On doit citer d'abord le Vinaigre Romain , ſi accrédité
par fes fuccès , & le vinaigre de rouge ,
dont le beau fexe éprouve des effets fi avantageux .
Le premier blanchit les dents , en prévient & en
arrête la carie , les raffermit dans leurs avéoles ,
guérit les petits chancres de la bouche & ulcères ,
& prévient l'haleine forte. Le fecond , qui fe fub- .
divife en trois claffes , a pour objet de conſerver
à la peau toute la fraîcheur en même- temps qu'il
l'embellit & qu'il prévient les inconvéniens qui
réfaltent pour nos Dames de l'ufage du carmin.
1. Ce vinaigre de rouge imite les plus belles cou216
MERCURE DE FRANCE .
leurs au point qu'on les prend pour des couleurs
naturelles , fur- tout lorfque la peau eft naturellement
blanche. 2º. Les fimples dont il eft compofé
rafraîchiffent la peau & l'empêchent de fe
rider. 3. On peut augmenter & diminuer la vivacité
de fa couleur à tel degré qu'on le juge
convenable , fans que la chaleur puifle caufer la
moindre altération , & fans craindre de le faire
difparoître en s'efluyant , ce qui eft très- agréable
pour les perfonnes qui vont au bal , & ayant
beaucoup d'éclat à la lumière. 4 ° . On peut appliquer
ce vinaigre en fe couchant , il n'en imitera
que mieux les couleurs naturelles. 5 ° . Son effet
dure très -long - temps , & empêche que le rouge
en poudre ne coule. On ne peut même effacer ce
rouge qu'en fe fervant d'un linge qui aura été
trempé dans du vinaigre de fleurs de millepertuis
, avec lequel on frotte les endroits où le rouge
a été appliqué ; ce qui le fait difparoître auffitôt.
Ce même vinaigre entretient la couleur ver
meille des lèvres & les empêche de le gerfer dans
les plus grands froids.
Les autres vinaigres que diftribue & compofe
eet habile diſtillateur font : le vinaigre de fleurs
de citron , pour les boutons ; le ftorax , qui blanchit
la peau & empêche qu'elle ne ride ; le vinaigre
de racines , pour les taches de roufleur ; le
vinaigre d'écaille , pour les dartres ; le vinaigre
de Venus , pour les vapeurs ; le vinaigre de turbie,
qui guérit radicalement le mal de dents ; un vinaigre
admirable &fans pareil , (pécifique à l'uſage
des perfonnes qui viennent d'avoir la petite
vérole ; le vrai vinaigre des quatre voleurs , excellent
préfervatif contre tout air contagieux ; le
vinaigre fcellitique , pour la voix ; vinaigre rafraichiffant
,
MARS. 1776. 217
Fraichiffant , à l'ufage de la garderobe , excellent
pour les perfonnes fujertes aux hémorroides
, vinaigre digeftif ; vinaigre royal , qui
adoucit à luitant la piquûre des coufins ; vinaigre
rafraichiffant pour le teint , & pour ôter le feu
du rafoir aux perfonnes qui font fenfibles ; fyrop
de vinaigre , commode à tranfporter même fur
mer. On trouve aufli chez le fieur Maille toutes
les espèces de vinaigre pour la table au nombre.
de plus de 200 fortes . Et différentes moutardes ,
comme aux truffes , au jus de citron , aux capres
& aux anchors par extrait d'herbes fines , & différentes
auires elpèces qui ont toutes la qualité
de fe conferver un an & plus avec la même bonté.
La moindre bouteille de tous les vinaigres qu'on
vient de détailler eft du prix de 3 liv ; mais celle
de vinaigre de rouge , feconde nuance , eft de
4 liv . ; celle de troisième nuance , des livres ; &
celle du vinaigre admirable & fans pareil pour la
petite vérole , eft de 4 liv . 10 fols . Les perfonnes
des provinces de France & des royaumes étrangers
qui defireront le procurer ces différens vinaigres
en écrivant une lettre d'avis par la pofte , & remettant
l'argent , le tout franc de port , les recevront
exactement , avec la façon d'en faire uſage.
La demeure du fieur Maille eft rue St André- des-
Arcs , la porte cochère vis à vis la rue Hautefeuille.
·
L'on prévient que toutes les bouteilles & pots
font revêtus d'une étiquette au milieu de laquelle
font gravées les armes du Roi , & de chaque côté
celles de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de
Hongrie , pour éviter que l'on ne foit trompé
par des perfonnes qui fouvent , fous prétexte d'acheter
du vinaigre , viennent demander un impri-
K
218 MERCURE DE FRANCE .
mé qu'elles envoient pour mieux cacher leurs
contrefactious.
•
On prévient le Public que toutes les bouteilles
où il y a des étiquettes écrites à la main ou im- -
primées , au lieu d'être gravées , ne viennent point
du magafin du fieur Maille , quoique ce fuflent
des bouteilles de la même forme , ainfi que les
pors.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Scio , le 4 Décembre 1775.
LA caravelle du Grand- Seigneur qui éroit à
Alexandrie , eft arrivée depuis huit jours à Boudron
(dans la Natolie) ayant (ous fon eſcorte divers
bâtimens Turcs & Grecs , qui avoient char.
gé des marchandifes d'Egypte pour cette contrée.
La même caravelle retournera à Alexandrie lorſqu'Iled
Mehemet Pacha , ancien Grand Vifit , qui
a été nommé au Pachaliat du Caire , ſe ſera embarqué
à bord de ce bâtiment .
De Conftantinople , le 18 Décembre 1775.
Dewlet Gueray Kan a dépêché un courier ,
arrivé en 25 jours , pour annoncer la nouvelle que
Kan Gueray , qui avoit fait une nouvelle levée de
bouclier en Crimée , avoit été attaqué , battu
bleflé & pris dans le Couban par deux Sultans
Séraskiers en cette contrée, & qu'on l'avoit conduit
à Baletchi Sarai.
MARS. 1776. 219
Nous apprenons par des lettres de Bagdad que
l'Iman de Mafcat ayant équipé une flotte pour
aller au fecours de Baflora , les Perfans avoient
formé une chaîne foutenue de deux fortins & de
quatre bâtimens pour intercepter l'entrée du ports
mais qu'à la faveur d'un vent dont la violence
fervoit fon deflein , l'Iman avoit forcé l'obftacle
, s'étoit emparé des fortins & des bâtimens ,
& avoit porté dans la ville des troupes & des mu
nitions de toute eſpèce , ce qui avoit contraint les
Perfans de fe retiter.
De Pétersbourg , le 13 Décembre 1775.
L'Impératrice s'eft rendue de Mofcou à Péterfbourg
en quatre jours , au moyen des traîneaux ,
& en le détournant même pour voir à Tulle une
de les fabriques d'armes . Ce trajet eft l'intervalle
de Marfeille à la Haye . On prétend que Pierre le
Grand , dans cette voiture fermée & tirée par
vingt-quatre chevaux , avec des relais fur toute
la route éclairée la nuit , a fait ce voyage en 46
heures.
De Vienne , le 17 Janvier 1776.
L'Impératrice - Reine voulant donner une nouvelle
preuve de fa bienfaifance , vient de pronon
cer l'abolition du fupplice de la queſtion , tourment
préparatoire contre lequel le cri de l'humanité
s'eft toujours élevé .
On affure qu'on doit conftruire une nouvelle
forterefle dans la Gallicie , & que l'Impératrice
ne voulant pas nuire aux travaux de la campa-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
que
gne , a ordonné
gés de ces travaux
.
les foldats feuls fuffent char-
On parle ici d'un voyage que l'Impératrice-
Reine doit faire , au printemps prochain , à Gorice,
où toute la Famille Impériale , placée dans diffé
rens Etats de l'Italie , doic fe railembler pour
donner à cette augufte Mère des preuves de leur
tendrefle filiale & de leurs fentimens refpectueux.
De Stockholm , le 15 Décembre 1775 .
On écrit de Marstrand que , par une ordonnance
, il eft enjoint à tous propriétaires & particuliers
de cette ville , de déclarer aux Officiers publics
les voyageurs qui y arriveront , font pour
affaires particulières ,foit pour s'y établir,afin d'en
inftruire le Gouvernement fous peine d'une
amende de 10 dahlers d'argent ( 54 liv . 14, f. 2 d.
de France ) On ne connoît encore que deux Suédois
qui s'y foient déjà établis comme propriétaires
.
De Berlin, les Février 1776.
Une nouvelle ordonnance du Roi , composée
de XI articles , tend à abréger la durée des procès,
à laquelle le premier code fi connu de Sa Majefté
paroifloit avoir déjà futhlamment pourvu , mais
on voit par le préambule de cette derniere ordonnance
que les réglemens du code étoient infenfiblement
tombés en défuétude , que l'hydre renaiffoit,
& qu'il falloit porter de nouveaux coups
à cemonftre par tout fi difficile à détruire .
MARS .
221
1776 .
De Caferte , le 8 Janvier 1776.
Depuis le 3 de ce mois il s'écoule du Véfuve
une grande lave qui fe prolonge dans le vallon
par lequel cette montagne eft réparée de celle de
Somma. La crevafle qui s'eft faite pour le paffage
de cette lave eft à peu près au même endroit & à
la même hauteur que celle de 1772. Le cours
qu'elle a pris ne donne aucune crainte pour Por
tici , & on a lieu d'eſpérer qu'elle ne caulera aucun
dommage.
De Leyde , le 20 Janvier 1776.
C'eſt dans quatre mois que le prix de trente
ducats propofé par un Citoyen de cette ville , doit
être délivré à celui qui établira le plus foiidement.
J'opinion répandue qu'on peut appailer en mer
l'agitation des flots autour d'un vaiſleau , en verfant
de l'huile fur fon fillage .
De Milan ,le 26 Décembre 1775.
L'Impératrice Reine , notre Souveraine , vient
d'ordonner , comme Elle le l'étoit proposé plufieurs
fois , l'érection d'une Académie de peinture ,
(culpture & architecture . Sa Majefté Impériale &
Royale a fait venir pour cela des plâtres de Rome
& les autres chofes néceflaires à cet établiflement.
Les Directeurs & Profefleurs ont été nommés
, & la jeunefle qui voudra s'inftruire dans les
arts , trouvera dans cette nouvelle Académie tous
les fecours relatifs dont elle aura befoin . Sa Majefté
Impériale & Royale a encore le projet d'éta
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
blir dans cette ville une Ecole pour le deffin des
étoffes de foie.
#
De la Haye , le 16 Février 1776.
Les Etats de Zélande ont ordonné depuis peu ,
dans leur province , la publication du Traité conclu
Compiègne le 23 juillet 1773 , pour abolir
le droit d'aubaine entre la France & les Provinces-
Unies Ce n'eft pas que ce Traité connu antérieurement
, n'eût dans la République l'effet entier
qu'il doit avoir entre les deux Nations contractantes
; mais les Etats de Zélande ont cru que
c'étoit une de ces loix utiles qu'on ne peut trop
remettre devant les yeux des Juges.
De Turin , le 14 Janvier 1776..
Madame la princeffe de Piémont , qui a été
incommodée pendant quelques jours , eft parfaitement
rétablie . Son Alteffe Royale parut au cercle
vendredi , & a depuis affifté tous les jours à
l'Opéra. Il y a ce foir à la Cour un bal auquel ,
fuivant l'ufage , les Miniftres étrangers font invités.
Sa Majesté Très Chrétienne a envoyé à la Princefle
, fa foeur , une toilette de la plus grande
beauté. Le fieur de Fontanicu , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , intendant & contrôleur
général des meubles de la couronne de
France , a été chargé d'apporter ce préfent à Son
Altefle Royale. Il a eu à cette occafion l'honneur
de faire fa révérence à Leurs Majeſtés & à toute la
Famille royale.
MAR S. 1776. 223
De Londres, le 19 Janvier 1776,
On dit , relativement aux affaires du Canada
que nos troupes réglées qui occupoient les forts
fur le lac Ontario , & auxquelles s'eft joint un
grand nombre de Sauvages armés , marchoient le
long de la rive occidentale du fleuve Saint Laurent
pour reprendre Montréal , St Jean , Chamblé , &
pour fecourir Québec.
Suivant des lettres de Boſton , aucun des vaiffeaux
de tranfport partis d'Angleterre en août &
feptembre , n'étoit arrivé dans cette rade ni
dans aucune autre de l'Amérique feptentrionale ;
ce qui fait préfumer qu'ils auront gagné les Ifles
où ils font obligés de s'arrêter & de féjourner
jufqu'au printemps .
Le capitaine Cook , dans le voyage qu'il va entreprendre
& où le capitaine Clarke commandera
le fecond vailleau , reconduira Omiah à Otahiti
& partira delà pour faire la découverte du paffage
du nord- oueft au nord de la Californie. Le Parlement
vient d'offrir 2 5000 l . fterl . de récompenfe
pour cet objeton en donnera 20000 à ceux
qui découvriront le paffage , & 5000 à ceux qui
approcheront d'un degré du pôle ; mais ils n'embarqueront
ni botaniftes , ni deffinateurs , & c.
Une lettre de Boſton porte que , par la vigilance
des frégates du Roi fous le commandement
de l'amiral Greaves , on a pris & conduit dans ce
port fept corfaires Américains de douze à vingt
canons.
Selon des nouvelles de Boſton , du 28 décem-
K iv
224
MERCURE
DE FRANCE.
bre , la cherté exceffive & la rareté des vivres de
toute eſpèce , ont enfin déterminé le Commandant
à laifler fortir de la ville tous ceux qui le
demanderoient , & l'on a vuen un jour trois cents
perfonnes profiter de cette permiffion , long - temps
follicitée en vain.
30
De l'Isle de Ré , le 4 Février 1776.
Extrait d'une lettre de Saint Martin de Ré.
ce Ayant lu...dans votre gazette du 22 janvier
» dernier à l'article de Londres , du 9 du même
» mois , que le C... de T... étoit chargé de diftri-
»buer une fomme de 1oco liv . fterl à ceux qui
» ont contribué à fauver les Troupes Hano-
» vriennes échouées dans cette Ifle , & principalement
entre les foldats du régiment Royal-
» Corfe ; je ne puis vous laifler ignorer qu'on a
offert aux grenadiers de ce régiment quinze
» louis qu'ils ont refufés , en difant qu'ils étoient
payés par leur Maître , & qu'ils n'étoient pas.
dans le cas d'accepter de récompenfe pour avoir
» exercé les devoirs de l'humanité & prêté à des
>>malheureux les fecours qui dépendoient d'eux.
»Cette action noble , qui eft ici à la connoiffance
» de tout le monde , fair trop d'honneur à la
» façon de penfer des Troupes de Sa Majeſté pour
n'être pas rendue publique : c'eft pourquoi je
vous prie d'en faire mention , & c. »
30
On apprend de la même ville que le fieur Aldenfleben
, miniftre chargé du département d'Ha
novre , en faisant de la part de fon Maître l'éloge
de la Nation Françoife , dans une lettre au comte
"
MARS. 1776 . 225
de Guynes , a aflocié aux foldats du régiment
Royal Corfe les habitans de l'Ile de Ré qui ,
comme les premiers , concoururent à fauver le
vaiſleau Hanovrien naufragé fur leur côte .
De Paris , le 19 Février 1776.
Dans le cours de l'année dernière il eft né en
cette ville 10247 garçons & 9403 filles ; en tout
19650. Le nombre des mariages a été de 5016 ;
celui des morts de 9683 hommes & de 8807 femmes
: en tout 18490. On a porté à l'hôpital des
Enfans-Trouvés 3379 garçons & 3126 filles : en
tout 6505. Il y a eu dans l'année derniere 297
baptêmes de plus qu'en 1774 ; 2601 morts de
plus ; 98 mariages de moins , & 178 Enfans-
Trouvés de plus.
ご
LETTRE à l'Auteur du Mercure de
France.
J'ai vu avec la plus grande furpriſe , Monfieur ,
que vous aviez annoncé dans le Mercure de Février
de cette année , page 212 , comme un fait pofitif,
que Meffire Louis George de Pechpeyrou
étoit la dernière tête de la Maifon de Pechpeyrou
. Sans entrer dans des détails inutiles à l'objet
préfent, je vous prierai , Monfieur, d'obſerver que
Henri de Pechpeyrou , dixième de ce nom , mort
en 1569, eut,quatre enfans , fçavoir : Bernard tige
de la branche desSeigneurs de Beaucaire; Pons,tige
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
de la branche des Seigneurs de Guitaud , & deux
autres enfans . Pons de Pechpeyrou épousa Françoile
de Commeuge , fille unique & héritière de
François de Commeuge, Seigneur de Guitaud, avec
difpenfe de parenté, parce que ce François de Commeuge
étoit coufin-germain de Henri de Pechpeyrou
.
Les conditions du mariage furent, que celui des
enfans qui jouiroit des biens de ladite de Commeuge
réuniroit le nom & les armes de Commeuge
au nom & aux armes de Pechpeyrou ; mais il fut
ftipulé que cette claufe cefferoit d'avoir lieu fijamais
la branche cadette devenoit la branche aînée.
Depuis ce temps la branche des Pons de Pech .
peyrou eft venue comme celle des Bernard de Beaucaire
de mâle en mâle fans interruption jusqu'à
Charles - Guillaume- Jean - Baptifte - Louis de Pechpeyrou
Commeuge de Guitaud mon fils , mineur
actuellement vivant. L'aieul de M. le Marquis de
Beaucaire qui vient de mourir eut trois enfans mâles
, Jean- Antoine père de M. de Beaucaire , & deux
autres enfans , dont l'un eut pour fils Charles de
Pechpeyrou père de Louis - George, que vous annoncez
pour le dernier de la famille & du nom .
Jean Antoine , par fon teftament olographe de
1718 , fubftitua à défaut d'héritier dans la branche
aînée , tous les biens préfens & à venir à M. le
Comte de Guitaud & à fes defcendans mâles , l'ordre
de progéniture gardé , ne regardant point
la famille de Guitaud comme différente de la
fienne . En conféquence M. de Beaucaire fon fils fe
mit en règle après la mort de fon père , en 173 1 .
Delà il s'enfuit , Monfieur , que Louis George de
Pechpeyrou peut être le dernier de la branche atMARS.
1776. 227
née ; mais il ne s'enfuit nullement qu'il foit le der
nier de la Maifon de Pechpeyrou , puifque la branche
cadette fubfiſte & ſubſiſte dans un ordre auffi
vigoureux que la branche aînée .
J'ai l'honneur d'être , & c.
MEINIERES DE PECHPEYROU COMMEUGE
DE GUITAUD.
Ce 12 Février 1776.
PRESENTATIONS .
Le Bailli de Saint - Simon , ambaſladeur de Malte
, cut , le 30 janvier , l'honneur de préfenter au
Roi les faucons que le Grand-Maître de la Religion
eft dans l'ufage d'envoyer tous les ans à Sa
Majefté , & que le chevalier de Terney , colonel
d'infanterie , avoit été chargé d'offrir. Ce préfent
fut reçu par le marquis d'Entragues , grand Fauconnier
de France , en furvivance du duc de la
Valliere
Le prince Doria Pamphili , nonce ordinaire du
Pape , eut le même jour une audience particuliere
du Roi , à laquelle il fur conduit par le fieur la
Live de la Briche , introducteur des Ambasadeurs ..
Le fieur de Sequeville , fecrétaire ordinaire du
Roi à la conduite des Ambaffadeurs , précédoit.
Le 4 février , la comtefle de Briqueville a eu
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeſtés & à´
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
la Famille royale , par la marquile de Briqueville.
Le 17 du même mois , les Maire & Echevins ,
députés par la ville de Troyes , ayant à leur tête
le fieur Rouillé d'Orfeuil , intendant de Champagne
, ont eu l'honneur d'être préſentés au Roi
par le fieur Bertin , miniftre & fecrétaire d'état ,
ayant le département de cette province , & de remettre
à Sa Majesté une médaille en or , frappéeà
l'occafion du titre de capitale de la province de
Champagne , dans lequel cette ville a été confir
mée par une décifion de Sa Majeſté. La médaille
porte l'empreinte du Roi , & au revers l'infcrip.
tion fuivante : Urbis primaria decus firmatum ,
Trecis à Ludovico XVI ; fignante Deo Chriftum
fuum , ovante Galliâ . MCC. LXXV.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 15 janvier , le fieur Eynard , ingénieur , a
eu l'honneur de préfenter au Roi un Plan topographique
de Paris , tracé de fa main.
Le 28 du même mois le fieur Sabbathier , fecrétaire-
perpétuel de l'académie de Châlons- fur-
Marne , & profeffeur au collège de Versailles , a
eu l'honneur de préfenter au Roi la fuite de fon
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs claffiques
; il a également eu l'honneur d'offrir à Sa
Majefté quatorze volumes de diſcours & huit livraifons
de planches.
Le chevalier de la Salle Rochemaure , capitaine
MAR S. 1776. 229
·
au régiment Royal Comtois , a eu l'honneur
de préfenter à Monfeigneur le comte d'Artois le
modèle d'une frégate de quarante pièces de canon
, exécutée parlui - même , avec la plus grande
juftefle dans les proportions de trois lignes pour
pied. Cette frégate eft repréfentée dans un port de
mer , ayant tout fon équipage , & difpolée pour
toutes les manoeuvres. Monfeigneur le come
d'Artois a vu ce modèle exact avec beaucoup de
fatisfaction.
dre
NOMINATIONS.
Le 2 février , fête de la Purification de la Vierge
, les chevaliers , commandeurs & officiers de
Fordre du Saint- Elprit s'étant aflemblés dans le
cabinet du Roi , vers les onze heures du matin ,
Sa Majefté tint un chapitre & nomma chevaliers
de cet ordre le duc d'Uzès , le plus ancien pair
de France , maréchal de camp ; le duc de Coflé ,
brigadier , nommé maréchal de camp pour pren
rang dans la premiere promotion , gouver .
neur de Paris & capitaine des Cent- Suifles de la
garde du Roi , en furvivance ; le comte de Teflé ,
maréchal de camp & premier écuyer de la Reine 3:
le comte de Mailly , lieutenant général , inſpecteur
& commandant du Rouffillon ; le comte de
Montboiffier , lieutenant général , ci - devant
capitaine - lieutenant de la feconde compagnie des
Moufquetaires ; le marquis de Levis , lieutenantgénéral
, capitaine des gardes de Monfieur , &
gouverneur de la province d'Artois ; le marquis
230 MERCURE DE FRANCE.
de Beuvron , maréchal de camp , commiflairegénéral
de la cavaleric ; le baron de Breteuil , brigadier
de cavalerie , ambaſladeur à Vienne ; & le
duc de Civrac , ci devant ambaſſadeur à Vienne.
Après le chapitre , le Roi fe rendit à la chapelle ,
précédé de Monfieur , de Monfeigneur le comte
d'Artois du duc d'Orléans , du duc de Chartres ,
du prince de Condé , du duc de Bourbon , du
comte de la Marche , du duc de Penthievre , &
des chevaliers , commandeurs & officiers de l'org
dre.
Le 17 du même mois , le vicomte de Noailles
fecond fils du maréchal duc de Mouchy , a prêté
ferment entre les mains du Roi pour la furvivance
de la lieutenance- générale de la baffe Guyenne ,
que le feu Roi avoit bien voulu lui accorder en
1773.
que
Le Roi a accordé l'archevêché d'Auch à l'évêde
Dijon ; l'abbaye d'Arles , ordre de Saint
Benoît , diocèle de Perpignan , à l'abbé de Caux ,
vicaire-général de Carcaflonne ; celle de Rofieres
, ordre de Citeaux diocèfe de Besançon
à l'abbé de Jouffroy d'Abbans , chanoine de St-
Claude ; celle de Vigeois , ordre de St Benoît ,
diocèfe de Limoges , à l'abbé de Valory , aumô
nier ordinaire de Madame la comtefle d'Artois ,
fur la nomination & préfentation de Monſeigneur
le comte d'Artois , en vertu de fon apanage
; celle de Blefle , ordre de Clugoy , diocèſe
de Saint Flour , à la dame de Molen de St Poncy,
religieufe profefle de ladite abbaye , für la nomination
& préfentation de Monfeigneur le comte
d'Artois , en vertu de fon apanage ; celle de
Crifenon, ordre de St Benoît , diocèſe d'Auxerre,
MAR S. 1776 . 231
à la dame de Mouchet , Prieure de Largentieres ;
le prieuré des Hofpitalieres de Château- Thierry,
ordre de Saint Auguftin , diocèle de Soiflons , à
la dame de la Garde , religieufe dudit prieuré.
MARIAGES.
Le 28 janvier , Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du mar
quis de Balincourt , capitaine au régiment de
Condé , cavalerie , avec demoiſelle de Polignac ; &
celui du fieur Berthelot de la Villeurnoy , maître
des requêtes , avec demoiſelle de Vaudeuil .
Le 4 février , Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du
marquis de Bartillat , colonel d'infanterie , avec
demoiſelle de Maiſtre.
Leurs Majeftés , ainfi que la Famille Royale ,
ont figné , le 4 février , le contrat de mariage
du marquis de la Pallu , capitaine de dragons au
régiment de la Reine , avec demoiſelle de Ville-
Savin ; & celui du comte de Teflon , avec demoifelle
Dufour , petite- fille de la Nourrice de feu
Monseigneur le Dauphin .
NAISSANCE.
Le 18 février , Monfieur , frère du Roi , &
232 MERCURE DE FRANCE.
Madame Sophie de France , firent l'honneur au
baron d'Harambure , meftre de camp de cavalerie
, chevalier de l'ordre royal & militaire de St
Louis & major du régiment Royal - Rouffillon ,
cavalerie , de tenir fon fils fur les fonts de baptême
; les cérémonies de ce facrement lui furent
fuppléées par l'évêque de Séez , premier aumônier
de Monfieur , en ſurvivance .
MORTS.
On mande d'Uzès que le fieur Antoine d'Augere
, ancien marchand drapier , y eft mort le 7
décembre dernier , âgé de 100 ans , n'ayant eu
dans tout le cours de fa vie aucune incommodité .
Jean Charbonnel , habitant du hameau de Guibertes
, paroifle (du Moneftier , à deux lieues de
Briançon , y eft mort dans le même mois & au
même âge que le précédent. Guillaume le Comte ,
berger de profeffion , eft mort fubitement le 17
janvier dernier , en la paroifle de Theuville- aux-
Maillots , dans le pays de Caux , âgé de 1 10 ans :
il s'étoit marié en fecondes noces à 80 ans.
Paul Gallucio , marquis de l'Hofpital , lieute
nant-général des armées du Roi , chevalier de fes
ordres & de celui de Saint Janvier , ci - devant Am.
baffadeur de Sa Majesté auprès du Roi des Deux-
Siciles & de l'Impératrice de Ruffie , gouverneur
des ville & citadelle de Saint Malo , infpecteurgénéral
de cavalerie , premier écuyer de Madame
Adélaïde , eft mort le 30 janvier dernier , en fon
MARS. 233 1776 .
château de Châteauneuf , dans la 80° année de
fon âge.
Jofeph de Mégy, ancien habitant de Marfeille ,
eft mort le 20 janvier dernier , à la terre des Pillons
, en Provence , après avoir déclaré qu'il étoit
de l'illuftre mailon Napolitaine de ce nom , & que
le fieur de Mégy , fon ayeul , officier au fervice de
France , a fait enregistrer les noms & armes à la
chancellerie du Parlement d'Aix . Il a laiffé plu
fieurs filles & deux fils , Pierre de Mégy des Pillons
, huiffier de la chambre de Monfieur , & Jofeph
Pierre de Saint-Maurin , ancien officier d'infanterie.
Marie-Gabrielle Benigne d'Affignées d'Oify, eft
morte à Paris le 29 janvier dernier , âgée de 36
ans. Elle étoit veuve depuis 1767 de Théodore-
Jofeph de Plotho , baron du Saint - Empire &
d'Ingel- Munster.
Madeleine Charlotte de Fontenay- Survie eſt
morte à Séez en Normandie , le 28 janvier 1776 ,
âgée de 86 ans. Elle étoit veuve de J. Jérôme du
Signet de Beaumont , & petite- fille d'Henriette
Salcy de Survie , époufe du fieur Alexandre de la
Mondiere , gouverneur des tours de la Rochelle
& du pays d'Aunis.
Le fieur Iftwan Horwath , chevalier de l'ordre
royal & militaire de Saint Louis , ancien capitaine
de huffards au fervice de France , eft mort à Sar-
Albe en Lorraine le 4 décembre dernier , âgé de
112 ans 10 mois & 2 6 jours. Il étoit né à Raab
en Hongrie le 8 janvier 1663 , & avoit paffé en
France en 1712 avec le régiment de Bercheny ; il
fe retira du fervice en 1756. Il a joui juſqu'à la
234 MERCURE DE FRANCE.
fin de fa carriere de la fanté la plus robufte , que
l'ufage peu modéré des liqueurs fortes n'a pu altérer.
Les exercices du corps & fur- tour la chaffe ,
dont il le délafloit par l'ufage des bains , étoient
pour lui des plaifirs vifs ; quelque temps avant fa
mort il entreprit un voyage très -long , & il le fit
à cheval .
Jean -François de Montillet de Grenaud , archevêque
d'Auch , primat de la Novempopulanie
& du royaume de Navarre , l'un des préfidens du
clergé de France , eft mort à Paris le 7 février , âgé
74 ans. de
Françoife - Adélaïde de Noailles , princeffe
d'Armagnac , veuve du prince Charles de Lorrai
ne , pair & grand écuyer de France , cft morte le
24 janvier , âgée de 71 ans.
Louife - Joséphine . Auguftine - Charlotte , baronne
de Bombel - Valle : oy , chanoinefle réguliere
, eft morte le 26 du même mois , âgée de 24
ans , mois 8 jours.
Claude François Boizot , docteur de la maison
& fociété de Sorbonne , ancien vicaire-général du
diocèle d'Arras , abbé commendataire des abbayes
royales de Rozieres , ordre de Cîteaux , diocèfe
de Besançon , & de Notre Dame d'Herivaux ,
ordre de St Auguftin , diocèle de Senlis , eft mort
à Paris le 3 février , âgé de 82 ans .
Le 4 du même mois , Genevieve Charlotte
d'Argouges , veuve du fieur de la Baronnie , eft
morte à l'abbaye aux Bois dans fa 96 ° année .
Lucie Dezés ayant confervé le fens & la raifon
juſqu'à 106 ans , eft morte à la métairie de Long,
MARS. 1776. 235
paroiffe de Gamarde , diocèle d'Acqs , fur la fin
du mois de décembre dernier, après avoir déclaré
hautement qu'elle n'avoit eu dans toute la vie
qu'une maladie , une vivacité & une foiblefle . La
maladie fut la petite vérole la plus dangereufe
lors des froids de 1709 ; la vivacité , deux foufflets
qu'elle donna à la petite - fille pour la faire,
rentrer & lui faire fentir le danger de s'arrêter
auprès des foldats , au paflage des troupes pour
Fontarabie ; à l'égard de la foibleffe , c'étoit celle.
d'avoir été tentée plus vivement qu'il ne convenoit
à fon âge , de le remarier vers la fin de fes
jours.
•
Michel comte d'Eſparbès Luſſan , eft mort dans
fes terres le 7 février , dans fa 94° année . Il
étoit frère aîné du comte d'Elparbès , mort à 90
ans , & du bailli de Luffan , mort à 88 ans. Il ne
refte plus de cette branche que le comte d'Efparbès
- Luffan , commandant à Montauban , & le
marquis d'Efparbès , colonel d'infanterie .
N. de Périé , baron d'Uflau , eft mort le 14 du
même mois en fon château d'Uflau en Béarn ,
âgé de 68 ans.
Dame Anne de Mailly , comtefle du Châtelet ,
eft morte à Paris âgée de 84 ans. Elle avoit été
mariée en premières noces à Alexandre Pajot ,
marquis de Villers & avoit épousé en 1749
?
Antoine Bernardin comte du Châtelet , dernier
mâle de la branche de Clefmont . La maifon du
Châtelet , qui ne fubfifte plus depuis long- temps
qu'en France , ne peut prouver d'autre origine que
celle qui lui eft commune avec la maison de Lorraine
; elle remonte , au rapport de Dom Calmer ,
236 MERCURE DE FRANCE.
auteur de l'hiftoire généalogique de la maiſon de
Lorraine , jufquà Féri du Châtelet , fils de Thiery
d'Enfer , qui époula vers l'an 1250 Ifabelle de
Joinville , qui n'eut que trois enfans , Erard du
Châtelet mort fans avoir été marié , Jean du Châ
telet qui continua la ligne , & Iſabelle du Châtelet
qui époufa en 1272 Franchon de Longwick. Depuis
quelques années une autre maiſon , connue
fous le nom de Chafteler dans les pays bas -Autrichiens
, a imprimé une généalogie qui en fait
remonter l'origine jufqu'à Thiery du Châtelet ,
fils puiné de Féri du Châtelet ; mais 1 °. il eft
prouvé par l'hiftoire généalogique de la maifont
du Châtelet , publiée en 1741 par Dom Calmer ,
que Féri du Châtelet n'a jamais eu d'autres enfans
mâles que Erard & Jean du Châtelet , & que
Thiery eft tout à fait inconnu 2º. On ne trouve
aucune trace ni dans cet auteur, ni dans tous ceux
qui , comme lui , ont fait des recherches foit fur la
maifon de Lorraine , foit fur celle du Châtelet ,
qui puiffe autorifer l'identité prétendue du nom
de Chafteler avec celui du Châtelet ; d'où l'on peut
conclure que la maison de Chafteler , qui eft trèsanciennement
connue dans les Pays - Bas , ainfi
qu'elle l'a établi par la généalogie qu'elle a fait -
paroître en 1768 , n'a rien de commun avec la
maifon du Châtelet établie depuis plufieurs fiècles
en Lorraine. Il en eft de même des autres familles
connues en France fous le nom du Châtelet ; celle
dont il vient d'être fait mention ne fubfifte plus
que dans la perfonne du comte du Châtelet , dernier
mâle de la branche de Clefmont , qui a donné
lieu à cet article , & dans celle du chevalier & du
.comte du Châtelet , derniers defcendans de celle
de Lofmont .
MARS. 1776. 237
LOTER I E.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait les Février. Les numéros fortis de
la roue de fortune font 57 , 37 , 10 , 70, 45. Le
prochain tirage le fera les Mars.
Lecent quatre-vingt deuxième tirage de laLoterie
de l'Hôtel- de - Ville s'eft fait , le 26 du mois de
Février , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv . eft échu au Nº . 80976. Celui
de vingt mille livres au N ° . 91123 , & les deux
de dix mille , aux numéros 85542 & 87546.
TABL E.
PIECES IECES FUGITIVES en vers & en profe , page ,
Lettre de la marquife de Ganges à la mere , ibid.
Les deux Cerfs & le Renard ,
L'Infomnie ,
Epître au R. P. de P.
L'Aveugle volontaire ,
Les trois Sages,
Les Fous de Bafra ,
Les trois Damis ,
La timidité récompenfée ,
18
20
21
27
28
29
30
55
1
238 MERCURE DE FRANCE.
Vers à l'occafion de l'éloge de Catinat ,
à M. Worlok ,
-à Mlle G
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
62
63
64
66
LOGOGRYPHES
Le Printemps ,
>
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Principes du Droit civil Romain ,
Le Philofophe fans prétention ,
Lettres intéreflantes du Pape Clé nent XIV ,
Petit Gloflaire ,
Théorie de l'éducation ,
Réflexions morales d'un Solitaire ,
67
69
70
73
ibid.
79
82
98
ΙΘΙ
107
Extrait du plan d'éducation publié par le comte
de Salis , 110
Effai théorique & pratique fur les batailles , 123
Mémoires fecrets ,
Le Médecin miniftre de la nature ,
Inftruction fur la nouvelle méthode de prépa-
127
ibid.
rer le mortier- Loriot , 131
Leçons de Géométrie , 132
Journal d'éducation , `
136
Legiflation du flottage des bois , 138
Réflexions critiques fur la muriométrie , 139
Traité des eaux minérales du Rouffillon , 141
Le Jardinier prévoyant ,
142
Plans de deux contributions volontaires &
confidérables , 143
Nouveau palais de la Juſtice , ibid.
MARS. 1776. 239
Euvres de M. Rochon de Chabannes , 146
mes- Opéra ,
La Nature confidérée ,
La Vérité renaiſſante ,
Réponse à l'Auteur de la Lettre fur les Dra-
Le Spectateur François ,
Penfées & réflexions diverfes fur les hommes, 15 I
147
148
ibid.
150
Indications politiques,
253
Les Enfans du pauvre Diable ,
154
Eflai fur les phénomenes relatifs aux diſparitions
de l'anneau de Saturne , 155
Journal des caufes célebres ,
156
Annonces littéraires ,
ACADÉMIE.
Amiens ,
158
161
ibid.
Montauban , 169
Limoges , 176
Académie Royale des Sciences ,
ibid.
SPECTACLES.
177
Opéra ,
ibid.
Comédie Françoife ,
179
Comédie Italienne 183
ARTS.
Gravures
Géographie ,
Mufique.
Cours de langue Italienne ,
--Phyfique ,
Conjectures fur la maladie épizootique ,
Remerciement de Mde la Duchefle de L. V.
Variétés , inventions , & c.
Bienfaiſance.
186
ibid.
190
191
195
196
ibid.
201
202
207
240 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes. 208
Avis ,
214
Nouvelles politiques ,
218
Lettre à l'Auteur du Mercure , 225
Préſentations , 227
Nominations ,
229
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries ,
231
ibid.
232
273
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de Mars 1776. Je n'y
ai rien trouvé qui doive en empêcher l'impreffion
.
A Paris , ce 3 Mars 1776 .
DE SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères