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1770, 03, 04, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
MARS 1770 .
Mobilitate viget . VIRGILE .
Peugnce
8tr
1770
! 1.4
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port ,
les paquets& lettres , ainſi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
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JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in-12 , 14vol.
par an à Paris . 16 liv.
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L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
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&méchaniques , des Spectacles , de l'Induſtrie
&de la Littérature. L'abonnement , foit à Paris
,foit pourla Province , port franc parlápofte,
eſtde 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
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EPHEMERIDES DU CITOYEN Ou Bibliothéque raiſonnée
desSciences morales & politiques.in 12.
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JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , à Paris & en pro-
En Province ,
vince , port franc , 33 liv. 12 f.
JOURNAL POLITIQUE , port franc , 14 liv.
A ij
Nouveautés chez le même Libraire
LES Economiques ; par l'ami des hommes
, in-4°. rel . و
Idem . 2 vol. in - 12 . rel . sa
Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des ſciences , des arts & des idiomes anciens
& modernes , in - 8 ° . rel . 61.
Histoire d'Agathe de St Bohaire , 2 vol. in-
12. br. 3 1.
Le bon Fils ou les Mémoires du Comte de
Samarandes;par l'auteur des mémoires du
Marquis de Solanges , 4 part. in - 12 .
br. 41.161.
Confidérations fur les Causes physiques &
morales de la diverſité du génie , des moeurs
&du gouvernement des nations , in - 8 °.
broché.
Traité de l'Orthographe Françoise, en forme
41.
de dictionnaire , in - 8 ° . nouvelle édition ,
rel.
Nouvelle traduction des Métamorphofes d'O-
71.
vide ; par M. Fontanelle , 2 vol . in - 8 °.
br. avecfig. 101.
Parallele de la condition & des facultésde
l'homme avec celles des animaux , in - 8 ° br . 2
Premier &fecond Recueils philofophiques &
list. br. 21.101.
Le Temple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités ſur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch . 61.
Traité de Tactique des Turcs , in - 8°. br. 11. 10 f.
Traduction des Satyres de Juvénal 2 par
M. Duſaulx , in-8 ° . br. 61.
MERCURE
DE FRANCE.
MARS . 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE..
>
EPITRE à M. de M. .. officier
de Marine.
Viens apprendre à fouffrir en regardant Zamore.
D
VOLTAIRE .
Ans cet âge où tout ſe colore
Des vives couleurs du plaiſir ,
Où l'ame avide de jouir
Voudroit précipiter l'aurore
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
De ces beaux jours que le deſir .
Trouve à fon gré trop lents encore :
Alors la main de l'amitié
Forma les noeuds de notre chaîne ;
Aton coeur le mien fut lié.
Nos goûts , le tems qui nous entraîne ,
Nos intérêts , nos fentimens ,
Les erreurs même de notre âge
Ont refferré ces noeuds charmans :
Et fi pour ſuivre un dieu volage ,
Nous fumes volages amans ,
L'amitié ſolide & plus ſage
Nous retrouva toujours conftans.
Preffé d'un defir téméraire ,
Tel nous voyons un jeune oiſeau
S'échapper du ſein de ſa mere ,
Courir fur les bords d'un ruiſſeau
Pour careſſer la fleur champêtre ;
Mais , fatigué d'un vain plaiſir ,
Il s'empreſſe de revenir
Sous le berceau qui l'a vû naître .
Ainſi couloient nos jours heureux .
L'aimable enjouement , la ſaillie ,
Nos amours , la vive ironie
Ecartoient les ſoucis fâcheux ;
Nous philofophions ſans ſyſtême ;
Le ſeul instinct & le defir
MARS. 1770. 7
Etoient pour nous la loi ſuprême
Qui nous traçoit l'art de jouir.
L'ambition & la richeſſe ,
Ces vains fantômes du bonheur ,
N'infectoient pas notre jeuneſſe
De leur poiſon trop ſéducteur;
Et ſuivant lapente facile
De nos plaiſirs , de nos erreurs ,
Nous navigions , l'ame tranquille,
Sur des bords émaillés de fleurs .
Letems porté ſur des nuages
Eſt venu flétrir mon bonheur :
J'ai vu , ſous un ciel enchanteur ,
Monter la vapeur des orages.
Sans frémir déjàj'entendois
Le murmure de la tempête ;
Le ciel m'a lancé tous ſes traits ,
Etje n'ai point fléchi la tête.
Aces courans impétueux
Je n'oppoſai que mon courage :
Peut- on , lorſqu'on eſt vertueux ,
Craindre les ſuites d'un naufrage !
Enfin traîné ſur ce rivage ,
Sous un climat plus rigoureux ,
Je viens préſenter mon hommage
A la triſte divinité
Dont le culte lâche& frivole
Irritela cupidité.
Aiv
MERCURE DE FRANCE.
Mais épargne ma vanité !
Ne crois pas qu'aux pieds de l'idole
J'aille dégrader ma fierté.
Non ! mon ame ferme, ſtoïque ,
Sait , au ſein de l'adverſité ,
Se rappeler ſa dignité.
Le faſte , ce vernis magique ,
Qui faitd'un fot un important ,
N'a pour moi rien d'éblouiſſant ;
Etj'apperçois , comine Socrate ,
Atravers l'écorce d'un grand ,
Le fat qui vainement ſe flatte
D'échapper à l'oeil pénétrant.
Le voile à tes yeux ſe déchire ,
Aimable ami , lis dans mon coeur
Ni le dépit , ni la ſatyre
N'ont point altéré mon humeur ;
L'indulgente amitié m'inſpire ,
La vérité met les couleurs.
Je fais trop bien , ce ſont nos moeurs:
Que l'orgueil qui ſoutient mon ame
Va rencontrer bien des cenſeurs ;
Et que le monde aujourd'hui blâme
La vanité du malheureux.
Je fais encor que la fortune
Ne ſourit qu'à l'être mielleux
:
MARS. 1770. 9
Dont l'ame fordide & commune
Se courbe en replis tortueux.
Mais ici ma philoſophie
Va déployer ſa fermeté :
Si le deſtin qui m'humilie
Conſerve ſa malignité :
Fuyant l'éclat de la lumiere ,
J'irai chercher , loin des humains ,
Une retraite , une chaumiere
Inacceffible aux noirs chagrins.
Là , philoſophe ſolitaire ,
Mépriſant le vil intérêt ,
Abandonnant toute chimère ,
Je vivrai pauvre & fans regrer.
Et peut- être pourrai -je encore ,
Suivant les traces du plaifir ,
Aller cueillir aux champs de Flore
La fleur qui vient d'épanouir :
Peut- être une tendre bergere
Docile à la voix des amours ,
Malgré l'influence ſévère
Qui regne fur mes triſtes jours ,
Viendra partager ma retraite ,
Et daignera , ſans vain détour ,
Ornerdes myrthes de l'amour
Et ma cabane & ma houlette.
Qu'importe que le voyageur
ΑνV..
10 MERCURE DE FRANCE,
Traverſe une plaine fertile ,
Ou que la nature indocile
N'offre qu'un tableau ſans couleur ;
Si ſon ame eſt pure & tranquille ,
Ileſt toujours près du bonheur.
Mais ſoit que le deſtin m'apprête
Ou fes bienfaits ou ſes rigueurs ,
Je veux toujours chommer la fête
De l'amitié , de ſes douceurs ;
Et ſous un dôme de verdure ,
J'éleverai , chaque printems ,
Un autel où l'amitié pure
Viendra recevoir mon encens.
Par M. de L... Officier réformé.
REVEIL d'Iris , ou les dangers du point
dujour. Cantatille.
IRRIS , au lever de l'aurore ,
Qui vient éclairer ſon erreur ,
Du tendre berger qu'elle adore ,
Avoit l'image dans ſon coeur...
Son coeur en ſoupiroit encore.
Sombre nuit , reviens fur tes pas,
Et iappelle cet heureux ſonge.
S
II MARS. 1770.
Mon amant étoit dans mes bras ...
Ah! dieux ! ce n'étoit qu'un menſonge.
Dans le déſordre de ſes ſens
,
Ainſi parloit la jeune amante ;
Et le defir qui la tourmente
Promettoit à ſon coeur des plaiſirs raviſſans.
Mais déjà l'horiſon s'éclaire ,
Tout s'anime & ſe reproduit ;
Etdu flambeau du jour , la belle avantcouriere
Prefle vers l'Occident les ombres de la nuit .
Pourquoi faut- il que tout ce qui reſpire ,
Diſoit Iris dans ſa douleur ,
Des charmes du matin chante le doux empire ,
Quand je reproche au jour ma timide langueur ?
A l'Amour je rendois hommage ,
Dans le filence de la nuit ;
Et malgré moi des pleurs inondent mon viſage ,
Quandje perds une erreur ſi chere& qui s'enfuit.
Pourquoi répandez vous des larmes ?
Iris , voici l'Amour votre confolateur
Qui revient , par de nouveaux charmes,
Réaliſer votre bonheur ! ..
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
Ah! .. mais du ſein de ce plaiſir extrême ,
Dont le tendre Amour la combla ;
Elle perdit le plaiſir même ,
Avec l'Amour qui s'envola .
Confervons fans ceſſe l'attente
D'un bien que notre coeur pourſuit.
Souvent la vérité détruit
La douce erreur qui nous enchante.
Par M. le Comte de la T.
VERS à Mile Boyé , peintre en miniature
, dont le talent particulier eft
de flatter ses modèles fans bleſſer la
reffemblance.
ELEVEDO LEVE de Charlier dans l'art divin d'Appele ,
Jeune Boyé , dis - nous par quel charme flatteur
Tonpinceau ſéducteur ,
Sans changer à nos yeux les traits de ton modèle
Des graces de Cypris ſait parer la laideur ?
La jalouſie en vain à tes pieds en murmure ;
Un peintre doit ſavoir embellir la nature ,
Surlesridesdutems parſemer quelques fleurs ;
MARS. 1770 . 13
De tes rivaux dédaigne les clameurs .
Voled'un pas rapide où la gloire t'appelle ,
Qu'ils vieilliſſent Hébé ; toi , rajeunis Cibele.
Par Madame de Marcillac.
EPITRE à M. de Bordeu , Médecin.
DISCIPLE de la vérité ,
Savant profond , eſprit facile ,'
Toi , qui ſais mêler à l'utile
Les graces & l'aménité ;
Qui , dans les routes tortueuſes
D'un champ de ronces hériflé ,
Sais répandre , d'un air aiſfé ,
Les fleurs les plus délicieuſes ,
Bordeu , daigne agréer ces vers
Qu'un éleve de Polymnie ,
Ou plutôt le tien , te dédie ;
Car à tes ouvrages diſerts
Et marqués du ſceau du génie
Je dois la douceur infinie
D'avoir évité tout travers
Et toute fantarque manie
14 MERCURE DE FRANCE.
Dans tes écrits , où la raiſon
Epie& ſurprend la nature ,
Je ne vois jamais l'impoſture ,
L'ignorance & l'illufion
Ternir ſa clarté vive & pure ;
Et quand l'erreur de toutes parts ,
A la faveur de ſes menfonges ,
Raſſemble ſous ſes étendards ,
Les mortels ſéduits par ſes longes ,
Quand par de faux raiſonnemens ,
L'Amour entêté des ſyſtèmes ,
Accrédite fes argumens ,
Tu renverſes les fondemens,
De les puériles problêmes ;
Et ta main , ſur leurs débris mêmes ,
Rétablit les droits du bon ſens .
Que j'aime un eſprit aflez ſage
Pour abjurer un vain ſavoir
Enté fur un fot verbiage !
Aflez juſte pour entrevoir
Le vide de cet étalage
Par où l'orgueil ſe fait valoir ;
Et proſcrivant avec prudence
Les aveugles déciſions ,
Et les burleſques viſions
De la frivole extravagance ,
N'aſpirer qu'à cette ſcience
Qu'enfantent les réflexions
Dans le ſein de l'expérience !
MARS. 1770. 5
Tel fut Hyppocrate autrefois :
C'eſt ſur cettegrande maxime
Que ce philofophe ſublime
De notre art établit les loix ,
Et par ſa lumiere divine ,
Diſſipa le nuage épais ,
Qui , long-tems de la médecine ,
Avoit défiguré les traits :
Par- là , perçant dans le dédale
Et dans les replis de nos corps ,
Il trouva la ſource fatale
Des maux qui briſent leurs refforts :
C'eſt en ſoumettant la nature
Ades examens rigoureux ,
Qu'il dévoila , d'une main sûre ,
Ses fecrets les plus ténébreux .
De ſes décrets digne interpréte ,
Ce génie éxact , clairvoyant ,
De fon art encore naiffant
N'auroit jamais atteint le faîte ,
S'il eût ſuivi les pas errans
Des phantômes philoſophiques
Et de ces chimères claſſiques
Qui regnoient alors en tyrans .
Bordeu , tu marches ſur ſes traces ,
Dans tes écrits tu nous retraces
Son eſprit perçant , étendu
Son coeur ſimple , noble , ingénu.
Si ſes ſuccès &ſa ſageſſe
16 MERCURE DE FRANCE .
Lui méritèrent des autels ;
Si le fuffrage de la Gréce
L'admit au rang des immortels ,
L'admiration & l'eſtime
Rendront à tes travaux brillans ,
Un tribut auſſi légitime ,
Auſſi digne de tes talens .
Par M. Rouffel , Docteur en médeciné
de l'Univerſité de Montpellier.
LE BONHEUR IMPRÉVU.
Le feu Lord Talbot , chancelier d'Angleterre
, diſpoſoit d'un bénéfice qui vint
à vaquer ; Sir Robert Walpole profita
de la circonſtance pour lui recommander
un eccléſiaſtique auquel il s'intéreſſoit ;
& le chancelier qui n'avoit aucune objection
contre la perſonne dont on lui
parloit , promit volontiers de l'obliger.
Quelques jours après , mais avant qu'il
eût délivré les proviſions néceffaires , le
miniſtre d'une petite cure , dépendante
de ce bénéfice , ſe préſenta devant le lord
Talbot avec des lettres de recommandation
de toutes les perſonnes les plus notables
de fa paroiffe ; ayant appris la
MARS. 1770. 17
mort du poſſeſſeur du bénéfice dont ſa
cure dépendoit , il venoit ſupplier le
chancelier de vouloir bien le protéger auprès
du recteur , afin qu'il ne lui ôtât pas
ſa place ; fon ambition ne s'étendoit pas
plus loin ; il étoit attaché à ſa paroiſſe ,
dont les habitans l'aimoient ; il y avoit
d'ailleurs toute fa famille , & ce petit bénéfice
compoſoit toute ſa fortune . Le
chancelier le reçut avec ſa bonté ordinaire
; il fut touché du détail qu'il lui fit
de ſa ſituation , & remarqua avec plaifir
que cet eccléſiaſtique étoit inſtruit , &
méritoit qu'on s'intéreſſât à fon fort ;
ayant appris que ſa cure ne valoit que 40
livres ſterling , il lui promit que nonſeulement
il la lui conſerveroit , mais
qu'il en feroit augmenter le revenu.
Le lendemain , le protégé de Sir Robert
Walpole vint prier le chancelier de
vouloir bien lui faire expédier ſes provifions
, & le lord ſaiſit cette occaſion pour
lui parler du curé , & pour le prier de
porter ſes appointemens à 60 livres qui ,
jointes aux préſens que lui faisoient ſes
paroiſſiens , lui donneroient un peu plus
d'aiſance , & le mettroient en état d'élever
ſa famille. L'eccléſiaſtique , furpris de
cette demande inattendue ,garda le filen18
MERCURE DE FRANCE.
ce pendant quelques momens , & répondit
enfin : Je ſuis au déſeſpoir , Mylord ,
de ne pouvoir fatisfaire votre grandeur
fur ce ſujet ; j'ai déjà promis cette cure à
un de mes parens , & je ne puis dégager
ma parole avec honneur. Vous en avez
déjà diſpoſé , dit le chancelier , & vous
ne poſſédez pas encore le bénéfice ! en ce
cas , Monfieur , je vais vous fournir le
meilleur moyen poſſible pour retirer votre
parole ; je donnerai la place à un autre.
Il le renvoya fans vouloir l'écouter
davantage.
Le vieux curé vint quelques jours après
s'informer de ce qu'avoient produit les
bons offices du chancelier auprès du titulaire.
J'ai fait ce que j'ai pu , lui dit le
lord , mais je n'ai pu rien obtenir . Le bon
vieillard ne put entendre ces mots fans
laiffer couler quelques larmes ; je ſuis
bien malheureux , Mylord , s'écria - t- il !
Que vont devenir mes pauvres enfans ?
Leur pere ne pourra leur offrir que des
pleurs! Quel foulagement à leurs beſoins!
Je vois votre douleur , reprit le chancelier
; croyez que j'en ſuis pénétré ; je ne
puis pas vous donner la cure , inais je puis
vous donner le bénéfice ; il eſt à vous ;
écrivez par la prochaine poſte à votre fa
MARS.
1770. 19
mille & à vos amis que , quoique vous
n'ayez demandé que la conſervation d'une
ſimple cure , votre modeſtie & votre
mérite vous ont fait obtenir le rectorat.
Le miniſtre étonné tomba aux pieds
du chancelier qui le releva & l'embraſſa ;
il lui remit fur le champ les proviſions
qu'il avoit fait préparer , &le bon vieillard
partit en le béniſſant , & alla porter
ſajoie dans le ſein de ſa famille ; il eut la
confolation de voir tous les amis de la
vertu applaudir à ſon élévation.
VERS à Mile Mars , fille de l'Avocat
au confeil.
Du mois ou naît la violete
Abon droit vous portez le nom ,
Jeune beauté qui , déjà grandelete ,
Des doux plaiſirs annoncez la ſaiſon ;
C'eſt dans ce mois que la nature
Sort des bras d'un ſommeil tranfi ;
Il tient encore à la froidure ,
Craignez que votre cooeur ne la reſſente auſſi.
Prenez latendreſſe pour guide ,
Vous n'êtes pas le ſang de ceMarshomicide
20 MERCURE DE FRANCE.
Qui , ſur les monts de Thrace a fixé ſon ſéjour
Mars , ami de Thémis , vous a donné le jour;
Votre maman eut en partage
Les diversagrémens qui vous gagnent les coeurs ,
Vous êtes la vivante image ;
Périfle le dieu Mars & toutes ſes fureurs !
Vive Mars , qui fait l'art de parler & d'écrire !
Vive la jeune Mars dont le riant empire
Ne donne à ſes captifs que des chaines de fleurs.
A vos attraits naiſſans notre ame eſt aſſervie ;
Chasun de nous ſe range ſous vos loix ;
Voyez l'eſſain d'amours dont vous êtes ſuivie ,
Il dit , charmante Mars , que pour un ſi beau mois
On donneroit toute la vie.
Par M. de la Louptiere.
VERS à M. l'Abbé TERRAY ;
Contrôleur-Général.
Vous , de qui le mérite étoit déjà connu ,
Qui teniez de Thémis la ſévere balance ,
Par le choix d'un grand Roi vous voilà devenu
L'économe de ſa finance ;
MARS. 1770. 21
C'eſt pour vousune gloire & pour nous unbienfait
,
Il faut adreſſer à la France
Le compliment qu'elle vous fait.
Par le même.
A Mde de B...... , le jour des Rois ,
après avoir tiré un gâteau, dont la féve
m'est échue.
Si du halard j'avois été l'arbitre ,
Votre triomphe étoit certain ;
Et vous euſſiez , à meilleur titre ,
Eté la reine du feſtin .
Ainſi le hafard , la justice ,
Loin de la brigue &du caprice ,
Auroient été d'accord , pour vous ſeule , une fois.
Mais ce qu'ils euſſent fait , je dois ici le faire.
Sans nul fouci , quittant le rang des Rois ,
Je vous remets ma puiſſance éphémére.
Plaire & regner , voilà quels ſont vos droitss
Vous obéir ſera ma loi premiere.
Par M. Ch.....
22 MERCURE DE FRANCE.
A Mademoiselle du V * *.
SI , d'un peu de coquetterie ,
Vous nous laiſſez voir quelques traits ,
Si la légereté , ſi l'aimable folie
Rendent plus piquans les attraits ,
Ce rôle eft pour vous fait exprès ,
Car pour être coquette il faut être jolie ;
Le ſentiment peint ſouvent la triſteſſe ,
Vous devez rire en voyant des amans
Qui vivent pour eux ſeuls , font voeu d'être conftans;
Laiſſez les s'ennuier auprès de la tendreſſe ,
Elle ne doit jamais gouverner vos momens ;
Qu'un ton léger vous intéreſle ,
Préférez les airs ſémillans ,
C'eſt le plus ſouventaux dépens
Du repos que l'amour careſſe .
Par M. Leclerc de la Motte , Capitaine
au régiment d'Orléans infanterie .
MARS. 1770. 23
ODE ANACREONTIQUE.
MON bien- aimé , viens voir tabien- aimée ;
Elle t'attend au bord du petit bois
Où tu cueillis , pour la prémiere fois ,
Un doux baiſer ſur ſa bouche enflammée.
Alors l'hiver & le printems luttoient ;
Et le zéphir caché ſous la verdure
N'oſoit encore égaier la nature
Que ces rivaux le ſoir ſe diſputoient.
Mais aujourd'hui que l'été qui s'avance
De ſa beauté ranime les couleurs ,
L'arbrifleau vert , ſous la feuille & les fleurs ,
Cache le fruit que montre l'eſpérance.
Dans mon jardinje cultive en ſecret
Parmi des lys une roſe jolie
Qui , par toi ſeul voudroit être cueillie ,
Que n'a ſurpriſe aucun oeil indiſcret .
J'ai découvert un nid de tourterelles
Que tu verras auprès de mon enclos ;
J
24 MERCURE DE FRANCE.
Mais les petits , depuis long-tems éclos ,
Pour s'échapper battent déjà des aîles .
Hâte-toi donc , le moment eſt venu.
L'autre ſaiſon , ton coeur étoit plus tendre.
Monbien-aimé ne ſe fit pas attendre :
S'il fait plus chaud le bois eſt plus touffu .
Ma bien- aimée ainsi chantoit ſeulette
• En m'attendant , quand j'arrivai ſoudain
>> De ſa chanfon elle auroit dit la fin ,
■ Sans un baiſer qui la rendit muette. »
A
ZEM , ou l'Heureux foi - difant.
Conte moral.
ZEM , heureux par la victoire qu'il
avoit remportée ſur toutes les paffions
qui affiégent le coeur de l'homme , fortit
un matin de ſa folitaire cabane , le ſéjour
du contentement & de la paix. Il monta
fur un coteau , d'où il découvroit d'un
côté le Grand Caire , & de l'autre des
prairies émaillées de fleurs , des bois toufus
, des plaines immenfes , arrofées par
le Nil ; toutes les beautés de la nature
étoient
MARS. 1770 . 25
étoient , pour ainfi dire , raſſemblées fous
Yes yeux ; il les contemploit avec un ſecret
raviflement. Il regardoit le foleil qui,
defcendant du fominet des montagnes
éloignées , répandoit ſes rayons fur les
champs , les bocages d'alentour , & rappeloit
les hommes à leurs travaux , ou
plutôt à leurs folies. Il écoutoit les oiſeaux
, dont les chants mélodieux annoncoient
le lever de l'aſtre du jour. Chaque
ſon qu'il diftinguoit palloit juſqu'à fon
coeur. La campagne étoit humectée d'une
rofée bienfaiſante , & les fleurs , élevant
leurs tiges , exhaloient leurs plus doux
parfums.
Ce ſpectacle raviſſant exaltoit l'ame
d'Azem. « Azem , s'écria- t- il dans l'en-
>> thouſiaſme qu'il lui inſpiroit , cherche
>> quelqu'un qui ſoit plus heureux que
>> toi . Il y a déjà trois ans que tu habites
>> cette agreable ſolitude ; éloigné des
» mortels & des inſenſés , tu as appris
» que l'homme n'eſt heureux qu'autant
>> qu'il ſe ſuffit à lui - même. Quoique
>> jeune , tu fus affez ſage pour abandon-
>>ner le Caire , où la miſere ſe cache ſous
» des lambris dorés , où les richeſſes ré-
>> parent les défauts. La ſageſſe t'a con-
>> duit ici ; tu es délivré de toutes les paf-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
> ſions qui tout mentent le coeur humain ;
» tu es content du peu que tu poſſédes ,
>> ta pauvreté fait ta richeſſe. Les inſen-
» fés te mépriſent , que t'importe ? Ils
>> font incapables de ſentir ce que tu ſens,
» voilà le vrai bonheur; chaque jour ac-
>>croît le tien ,&chaque minute diminue
» leur félicité. Conſidére les malheu-
» reux mortels en proie aux paſſions les
>> plus violentes ; l'amour , le faux point
>> d'honneur , l'envie , la haine lestyran-
>> niſent tour-a-tour , & ſouvent ſe réu-
>> niſſent pour les faire périr. Compare
>> ton état au leur ; au flux & reflux des
>> defirs & des plaiſirs qui les excédent
» ſans les raſfaſier , oppoſe cette tranquil-
>> lité dont tu jouis , cette égalité qui eſt
>> ton partage... & prononce.
>>Vois- tu ce ſuperbe palais ? Eh ! bien,
» c'eſt là que repoſe le malheureux Baffa
• Ibrahim , couché ſur des couſlins ma-
>>gnifiques & voluptueux; le ſommeil lui
>> refuſe ſes douceurs ; & c'eſt à toi qu'il
les prodigue ; il répand ſes plus doux
>> pavots ſur ce lit de mouſſe où tu dé-
» laſſes tes membres fatigués. A peine y
>> a- t'il quelques minutesque ſes inquié-
>> tudes , cette foif infatiable de gran-
>> deurs , le tourment de l'envie , le defir
MARS. 1770 . 27
» de la vengeance ont cédé à un fom-
» meil inquiet. Dois - tu envier ſes richeſſes?...
Ah! ſi tulepouvois , tu méri-
>> terois d'être Ibrahim .
>>Cette maiſon ſi ſimple ,dans le quar-
>> tier le moins fréquenté , où une ſom-
>>bre lampe brûle encore , t'apprend le
>> triſte fort du divin Ali Aſſem , le vain .
» queur de l'Afrique. Il fut adoré de l'E-
>> gypte entiere ; que lui revient- il de tant
>>d'honneurs ? Oublié de ſes proches ,
» blâmé de ſes concitoyens , il ne reſte
>> de lui qu'une ombre , & qu'une mé-
>>moire équivoque qui ne peut lui apporfatisfaction
. Heureux Azem! ود ter aucune
>> qui fais conſiſter le bonheur à être ou-
>>blié du monde entier; jamais un futile
>> honneur n'a troubléta félicité . Meurs !
> homme fortuné , meurs fans avoir re-
>> cherché ni envié les louanges de tes
>> contemporains , ni celles de la poſté-
>>rité ; mais auſſi ſans craindre ſes injures
>>ni ſes mépris.
*
>>Ce fut ici ,Azem, que ton coeur triom.
>> pha de l'amour le plus tendre. Ce fut
» ici que la belle Sélima , oubliant ſa
" naiſſance , ſa fierté , cette foule d'amans
>> qui s'empreſſoient à lui plaire , tenta
>> tout pour ſoumettre ton coeur.
Tu
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
>> triomphas ; l'amour fut vaincu. Quelle
>>gloire pour toi , Azem ! tu as écarté ce
>dangereux ennemi , tu l'as foumis à la
> raifon . Maintenant dans les bras de Sé-
>> lima , tu jouirois de ce que les hommes
>>appellent bonheur; les careſſes les plus
>>tendres te feroient prodiguées; les plai-
ود fits naîtroient fous tes pas : mais auffi
» cette joie pure & délicieuſe , que le
>>fage reffent à l'aſpect de la ſimple na-
>>ture , te feroit inconnue. Ton bonheur
>> feroit ſemblable à celui du commun
» des hommes , & deviendroit un mal-
ود
-
heur réel. Ah ! les charmes de cette
>> belle folitude font bien au deſſus de
» ceux de Sélima ! Ici , la nature s'em-
>>preſſe à te fervir , ton coeur ne ſouhaite
>> rien au-delà des biens dont il jouit ; la
» liberté , les vrais biens y réſident ; c'eſt
>>le ſéjour de la félicité ; que ces lieux
>>foient le tien pendant ta vie; que tes
>>cendres y repoſent , & que cette épita-
>>phe ſoit gravée ſur ta tombe : Ci git ,
» Azem , qui fut toujours maître de fon
» coeur. Que ces mots enſeignent à la
>> foule des voyageurs égarés à trouver la
>>feule routequi conduit au bonheur. »
Plus fier qu'un monarque ſur ſon trône
, Azem defcendit du coteau , non fans
MARS. 1770 . 29
avoir jeté un regard complaifant fur fa
propre grandeur , fur cette félicité dont il
étoit le créateur , & avoir honoré le monde
d'un ſourire dédaigneux , & par conféquent
philofophique.
Azem avoit fait quelques pas dans un
bois qu'il falloit traverſer pour arriver à
ſa cabane , lorſqu'il vit une jeune perſonne
pourſuivie par un Arabe. La vertu
& le courage d'Azem ne le laiſſerent pas
incertain fur le parti qu'il devoit prendre;
il vola au fecours de l'inconnue ; il
étoit tems , car à peine l'eut - il atteint ,
qu'elle tomba à ſes pieds ſans aucun mouvement.
Le criminel ne put foutenir la
préſence de l'homme de bien ; l'Arabe
abandonna ſa proie & courut ſe cacher
dans l'épaifleur de la forêt.
Azem ſe mit en devoir de ſecourir cette
jeune perſonne , il s'approcha d'elle ;
un regard l'arrêta& le rendit immobile .
Il pâlit ; fon coeur treſſaillit. Son premier
mouvement fut pour la nature , & le ſecond
pour l'honneur de la philofophie. Il
rougit , recula quelques pas. Sélima! s'écria-
t- il , qui l'auroit cru.... Fuyons! ..
L'humanité ſervit de voile à l'amour ; ce
dieu , caché fous un dehors ſi ſéduifant ,
lui repréſenta qu'il ne pouvoit laiſſer Sé-
B iij
30
MERCURE DE FRANCE.
lima ſeule , privée de tout fecours , ſans
s'offenfer lui- même . Il céda , & l'amant,
à couvert ſous le manteau de la philofophie
, courut avec empreſſement à un
ruiſſeau voiſin. Il apporta de l'eau , en
jeta àcette belle , mais de loin : inquiet
de ce qu'elle ne reprenoit point ſes ſens ,
il s'approcha ; & unje ne faisquoi lui fit
coller ſes lévres ſur celles de cette jeune
beauté , pour tâcher de la ranimer ; que
ne fait pas la pitié !
Il étoit encore dans la même pofture
lorſque Sélima revintà elle. Comment ,
s'écria -t- elle , Azem ! le barbare Azem
eſt le défenſeur de Sélima. Ses yeux ſe
fermerent , elle retomba évanouie aux
pieds de fon amant. Revenue de cette
ſeconde foibleſſe , elle s'appuya fur le
bras du ſage. Il la foutint , ou plutôt la
porta juſqu'à ſa cabane. Quel écueil pour
la philoſophie ! Pendant le chemin ils
garderent un profond filence ; Sélima,les
yeux remplis d'une douce mélancolie
fixoit Azem ; & le philofophe , par modeſtie
fans doute , tenoit les ſiens attachés
à la terre. La foible Sélima ſe jeta fur le
lit d'Azem & s'endormit. Son fommeil
donna le loiſir au folitaire de raiſonner
avec lui -même.
MARS. 1770 . 31
Il ſortit de ſa cabane , s'aſſit ... Non ,
il ſe coucha fous un triſte cyprès. " Azem
>> ſe demanda-t-il , pourquoi ſoupires-tu?
>>Pourquoi ton coeur treſſaille-t-il ? Que
>> veulent dire ces larmes ? Cette ardeur
>> que tu reſſens ? Tremble ! malheureux !
>> tu aimes... Sois un héros , Azem ! rap-
>> pelle tes anciennes vertus. Doivent-
> elles être facrifiées à un inſtant de foi-
>> bleſſe. Fuis un danger inévitable ; fuis
>> cette folitude avant que le poiſon ait
>>gagné juſqu'à ton coeur; commande à
>> tes fens , triomphe ou meurs. Cepen-
>>dant, Azem, tu oublies que l'humanité
> doit être la premiere de tes vertus. Sé-
» lima , que tu veux abandonner , de-
>> meurera ici , ſans ſecours, expoſée à tou-
>> tes fortes de malheurs. Sois donc fon
>> ami & non ſon amant. Mais que dis-
>> je ! qu'est- ce que la ſageſſe ſaus la pru-
>> dence ? Une femine , un être foible ,
» doit- elle épouvanter la ſageſſe & la fer-
>> metéd'Azem? »
Les terreurs d'Azem s'évanouirent ; il
ſe ſouvint de ſa philofophie ; il rougit
de s'être défié de ſa raiſon , & le calme
rentra dans fon ame. Ses foupirs cellerent.
L'air d'indifférence qu'il affectoit
d'avoir pour le monde reptit fur lui plus
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
d'empire que jamais. Il revint dans ſa
cabane , bien afſuré de ne pas ſe laiffer .
vaincre par les attraits de Sélima. Elle
s'éveilla ; ſes yeux en s'ouvrant ſe fixerent
fur le philofophe. Qu'ils étoient
tendres ! mais qu'ils étoient dangereux ;
ils réuniffoient tout , une douce mélancolie
, une tendre inquiétude , une noble
pudeur ; il en falloit moins pour ſubjuguer
tous les ſages de l'Univers . Le pauvre
Azem en fit l'expérience ; un regard,
un feul regard le rendit auſſi tendre qu'il
l'étoit pen quelques minutes auparavant.
Il voulut parler à Sélima , mais la parole
expira fur ſes lévres ; un ſoupir annonça
ſadéfaite.
Approche , barbare ! lui dit- elle « con-
>> temple ta victime , & jouis des tour-
>> mens que , depuis deux ans , tu fais
>> fouffrir à la fille d'Ibrahim . Hélas !
» Azem, mon coeur ſe flattoit d'avoir fait
>>pafler dans le tien une partie du ſenti-
>> ment qui l'anime. Méritois-je la froi-
>>deur avec laquelle tu m'as quittée? Loin
>> d'en conſerver du reſſentiment , je ſuis
>> toujours la tendre Sélima . Depuis trois
>> ans que mon pere me tient captive, mes
>> foupirs n'ont eu que toi pour objet. L'a-
>> mour m'a fait entreprendre de me foufMARS.
1770 .
33
>>.traire à ſa vigilance ; la nuit derniere
>> a favorisé ma fuite. J'ai quitté les gran-
>>d>eurs , les plaiſirs , pour venir habiter
>> un déſert que ta fierté , ton amour-pro-
>> pre ont rendu ton féjour. Les horreurs
>> d'une nuit obfcure , les dangers pref-
>> qu'inévitables dans ces bois , rien n'a
>> pu m'effrayer; j'ai tout furmonté. Tu
>> m'as ſauvée des mains d'un cruel ravif
>>>ſeur , parle , Azem , n'eſt ce que pour
>> m'affafliner par ta coupable indiffé-
>> rence . »
Quelques larmes coulerent fur un ſein
d'albâtre que la déſolation de Sélima
laiſſoit à découvert. Azem fentit le pouvoir
des pleurs qu'on verſoit pour lui.
Déjà il ſe trouvoit coupable envers la
belle Sélima ; déjà il ſe diſoit qu'un amuſement
n'étoit aucunement incompatible
avec la ſageſſe . Il commença à philoſo .
pher fur la paffion qui faifoit agir ſa maîtreffe.
Tant fut moraliſé , tant fut philoliſé
, qu'il ſe jeta à ſes pieds , lui tendit
la main , ſe pencha vers elle & l'embraffa
en tremblant ; recommença & ne trembla
plus. Un reſte de honte lui fit monter
le rouge au viſage , il ſe cacha dans
les bras de Sélima. Aſyle ſacré, où la phi.
lofophie n'avoit garde de le venir relan-
Bv
34
MERCURE DE FRANCE.
cer. L'amour ſe vengea pleinement de la
fierté d'Azem . Azem devint ſemblable à
ces hommes qu'il avoit mépriſés ; il foupiroit
, il aimoit , il finit par imiter leurs
folies.
Sélima , fatisfaite de poſféder le coeur
d'Azem , ſembloit n'avoir plus rien à defirer
: le déſert où elle vivoit avec lui paroiffoit
préférable à la magnificence du
grand Caire. Elle oublia tout , & fans
l'amour , elle eût oublié juſqu'à fon exiftence
. Azem apprit à connoître, à apprécier
la ſageſſe. Plus heureux depuis qu'il
aimoit , il parcouroit les prairies , les bocages,
accompagné de Sélima; il les trouvoit
embellis , le murmure des ruiffeaux ,
le chant des oiſeaux lui ſembloient plus
agréables ; toute la nature reprenoit un
nouvel être à ſes yeux. Azem, ſe diſoitil
quelquefois ; car il n'avoit pas perdu
l'habitude de réfléchir : Azem , tu étois
>> dans l'erreur. La vraie félicité de l'hom-
>> me ne conſiſte pas dans l'anéantiffe-
>>ment des paſſions , mais ſeulement dans
>> la maniere de les conduire & de les
>>économiſer. Notre coeur eſt formé pour
» l'amour , pour l'amitié , & même pour
>> la gloire& la poſſeſſion de ce qui conf-
>> titue les biens de la vie. Le ſage eſt
MARS. 1770 .
35
> ſeul capable dejouirde ces biens qu'on
>> nomme bonheur; il en jouit fans fier-
>> té , & en fouffre la privation ſans mur-
>> mure. Aime Sélima , heureux Azem ;
>>> que l'amour faſſe ton bonheur ; mais
>>pour en jouir,de ce bonheur , imagine
>> qu'il n'exiſte déjà plus pour toi. »
C'eſt ainſi qu'Azem formoit le plan
d'une vie délicieuſe. C'est ainſi qu'il fuivoit
l'exemple de ceux qu'il dédaignoit
autrefois . Il ſe Aattoit de trouver dans
ſon propre coeur la ſource du contentement.
Pouffé par les inſtances de Sélima
, il abandonna ſon déſert , où fon
amante , qui n'étoit rien moins que philoſophe,
commençoit à ſe déplaire. La vie
ſtoïque & finguliere d'Azem lui avoit
fait une forte de réputation; il alloit la
perdre en vivant comme les autres hommes;
il ne quitta pas ſa folitude fans regrets;
mais Sélima le ſouhaitoit, il fallut
y foufcrire.
Ils s'établirent dans une province voifine
où ils étoient à l'abri des perſécutions
du pere de Sélima. Azem partageoit fon
tems entre ſa maîtreſſe & la philofophie.
La fortune le combla de ſes faveurs. Le
pays qu'habitoient nos fugitifs , avoit
un avantage particulier ; tous ceux qui
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
avoient de bonnes moeurs pouvoient atteindre
aux premiers emplois. Les amis
d'Azem lui obtinrent une place confidérable
, quoiqu'il fût étranger. Azem avoit
l'ame trop élevée pour être touché d'un
ſemblable bonheur ; l'amitié d'Agib , jeune
Turc , doué des plus belles qualités ,
lui parut beaucoup plus précieufe. Un
ami étoit la feule choſe qui manquoit à
ſa félicité . Qu'Azem étoit heureux ! il
poffédoit enfin une tendre amante , un
fidele ami , une place honorable , des ri-
-cheſſes immenfes ; toutes ces chofes devoient
fatisfaire un coeur qui n'avoit defiré
aucun de ces biens.
Malgré l'eſſain de flatteurs qui l'environnoient,
le ſage Azem n'oublia pas que
tous ces avantages n'étoient que paſſagers .
Souvent il ſe diſoit en lui - même : " Ne
>>t>'enorgueillis pas ,Azem, tous ces biens
>> qui te flattent ne font que momenta-
>> nés , peut - être touches - tu à l'inſtant
» qui doit te les ravir. Malheureux ! que
deviendrois tu fi tu fondois ton bon-
>>heur fur leur poffeffion ? Le fage fedif-
>>tingue par ſa fermeté dans les revers ;
>>l'infenſé ne peut foutenir l'idée même
>> du malheur. Imagine que Sélima t'eſt
ravie; qu'Agib te trahit ; que tes digni
MARS.
1770. 37
>> tés, tes tréſors ſont devenus la proie de
>> l'inconftante fortune. Qui te confole-
>> roit dans un tel déſaſtre ? Ton coeur ,
» qui a appris à ſouffrir. La ſageſſe eſt
>> conſtante , Azem ; & rend égaux les
>>Rois & les Bergers .>>>
Azem pafla une année dans la profpérité
la plus parfaite. L'attention à ſes devoirs
, l'amour de Sélima , l'amitié d'Agib
, rempliffoient fon coeur d'ine douce
volupté. La matinée étoit deftinée à foulager
la vertu malheureuſe ; & la foirée
étoit partagée entre l'amour & l'amitié.
Ses jours couloient dans l'innocence . Jamais
la trifteffe n'approchoit de fon coeur.
Sa fortune , & l'indifférence avec laquelle
il enjouiffoir , étoient l'objet de l'entretien
de toute la ville. L'envie erroit autour
de lui ; Azem ne l'ignoroit pas , il
n'en étoit pas plus chagrin. La calomnie
cherchoit à l'accabler ; Azem , impénétrable
à ſes coups , ſourioit de ſes vains
efforts.
Un petit nuage obfcurcit la férénité du
philofophe. Son ami tomba dans une
morne triſteſſe. It cherchoit la folitude ,
& Azem ne l'interrompoit jamais fans
lui cauſer une douleur viſible. Azem s'efforça
en vain de pénétrer la cauſe de fa
38 MERCURE DE FRANCE.
triſteſſe d'Agib; ſon ami , loin de ſe prêter
au deſir qu'il avoit de le foulager , mit
tout en uſage pour la lui cacher. Le coeur
d'Azem partageoit ſes ſouffrances , mais
fans rien dérober à ſa ſtoïcité naturelle.
Au bout de quelque tems le jeune Turc
reprit un air riant , ſa phyſionomie s'éclaircit
& fes foucis diſparurent. Azem ,
charmé du changement avantageux qui
s'étoit fait dans toute la perſonne d'Agib,
ſe réjouit comme il s'étoit affligé ; tout
cela ſans porter atteinte à la gravité philofophique
& fans s'inquiéter de cette
variation finguliere . Un reproche léger ,
fait du ton de l'intérêt & de l'amitié , fut
la ſeule vengeance qu'il voulut prendre
de cet ami ſi cher à ſon coeur. Agibzemploya
toute fon éloquence pour perfuader
Azem de ſa franchiſe , & pour lui faire
croire que le ſeul dérangement de la ma.
chine avoit cauſé cette humeur dont il ſe
plaignoit ſi tendrement.
Azem commençoit à peine à jouir des
douceurs réunies de l'amour & de l'amitié
, lorſque le premier lui fit ſentir quelques-
unes de ſes amertumes. Les yeux de
Sélima s'accoutumerent par degrés à le
regarder avec froideur à mesure qu'ils
s'attendriſſoient pour Agib. Azem , qui
MARS. 1770 . 39
l'aimoit tendrement , s'affligea de cette
indifférence. Son coeur ſembloit l'avertir
dequelque événement fâcheux. Il rougit
de ſa foibleſſe , & chercha à ſe raſſurer
en confiant ſes alarmes à celle qui les
avoit fait naître . Le maladroit ! mais il
faut lui pardonner ; il étoit philoſophe ,
&cette qualité eſt incompatibleavec l'adreſſe
, la diffimulationque le monde galant
&poli nomme ſens commun. Quoi
qu'il en foit , notre amant philoſophe fit
de tendres plaintes à ſa chere moitié , ſe
jeta à ſes genoux & n'oublia rien pour
rappeler ſes premiers ſentimens . Les larmes
qui coulerent en abondance des yeux
de Sélima , l'amour qu'elle lui dit avoir
pour lui , lui rendirent ſa tranquillité&
ne lui laifferent que le remords d'avoir ,
par des ſoupçons mal fondés , chagriné
une amante qui faisoit ſon bonheur. Cette
bouraſque paſſée , Azem ſe crut heureux
, & fe félicitoit d'un bonheur qui ,
ſemblable à un beau ſonge , n'eut qu'un
inſtant de durée...
Azem ſe rendit un matin àla cour ; ſa
charge l'obligeoit d'y paroître. On l'arrêta
, & on le conduifit devant le prince.
Surpris d'un ordre qu'il s'attendoit fi peu
à recevoir , il demeura un inſtant immo
40 MERCURE DE FRANCE .
bile; mais n'ayant rien à ſe reprocher , il
parut devant fſon ſouverain avec cet air
modefte & alſuré qui caractériſe l'honnête
homme & qui diſtingue l'innocent d'avec
le coupable. La cauſe de ſa diſgrace
étoit fue de toute la cour , lui ſeul l'ignoroit
. Il y avoit déjà quelque tems que le
prince lui avoit ordonné d'arrêter un de
ſes ſujets, dont il croyoit avoir à ſe plaindre
, & de le vendre comme un eſclave.
Azem , dont le coeur étoit noble , donna
les mains à l'évation de ce malheureux ,
& facilita même fa fuite par les préfens
qu'il lui fit avec le plus grand fecret . Agib
ſeul avoit été employé à cette bonne coeuvre.
Azem fat puni d'avoir été humain
& généreux ; il demeura long tems dans
les fers ; on lui rendit enfin la liberté ,
mais on lui annonça en même tems la
perte de fa place , de ſes dignités , de fes
biens , & ce qui fut le plus inſupportable
aupauvre Azem , on lui fignifia l'ordre
de ne plus ſe préſenterà la cour. L'ingratitude
du Roi fut la ſeule choſe qui
l'affligea. Lorſqu'on lui annonça la perte
de ſesbiens , il répondit : moinsj'aurai ,
moinsje perdrai.
Il retournoit dans ſon palais , ſe faifant
une agréable idée de triompher de fon
MARS. 1770. 41
malheur dans les bras de Sélima & d'A-
.gib , lorſqu'un vénérable vieillard , à qui
il avoit rendu ſervice , l'arrêta. Cet homme
étoit le feul , parmi la foule dont
Azem étoit entouré , qui le plaignoit vé.
ritablement. « Ecoute , lui dit- il à l'oreil-
» le , j'ai un fecret à te découvrir » Azem
le fuivit à fon logis. " Tu ne connois pas
>> encore tous tes malheurs , Azem ; la
» plus grande marque de reconnoiſſance
» que je puiſſe te donner eſt de démaf-
>> quer à tes yeux un ami qui, par fa fauf-
>> ſeté , ſe rend indigne d'un ſi beau nom,
» Agib , cet homme qui s'aſſied à ta ta-
>> ble , que tu combles de biens , ce mê-
>> me Agib eſt l'artiſan de ton malheur.
>> Il a découvert au prince ta compaffion
>> pour un malheureux eſclave ; & lui a
>> dit , qu'au mépris de ſes ordres , tu l'a-
> vois fait fauver.>>
Cette découverte étoit de trop grande
importance àAzem pour qu'il ne cherchat
pas à l'approfondir. L'amitié qu'il confervoit
pour Agib étoit fi forte , qu'il le
justifioit aux dépens de la vraiſemblance,
de la vérité même & du vieillard qui l'avoit
averti . Il retourna chez lui , certain
de l'innocence d'Agib ; néanmoins un inftant
de réflexion le rendit inquiet. Le
4.2 MERCURE DE FRANCE.
b:
Philofophe n'avoit pas encore perdu l'haitude
de mal penſer des homines en gé-
Déral . « Agib eſt homme ! s'écria -t-il ,
ود
pourquoi douterois- je qu'il fût infidéle.
" A- t il marqué le moindre chagrin pen-
> dant tout le tems de ma détention ?
" S'eſt- il acquitté envers moi des devoirs
>>de l'amitié ? Mais ſeroit- il poſſible qu'il
>> fût faux ? En tout cas qu'y perdrois je ?
>> un coeur indigne de moi & ſemblable
>> au commun des hommes . »
En raiſonnant de cette façon il rentra
dans ſon palais par une porte dérobée. II
ſe coula ſans être apperçu dans l'appartement
de Sélima. La crainte , l'eſpérance
partageoient ſon coeur , le faifoient treffaillir.
Fortuné Azem , tu vas revoir
» Sélima après trois mois d'abſence ! quel
>>bonheur pour toi , tu vas la trouver
>> fondante en pleurs ! quels tranſports ,
» quels raviſſemens d'eſſuyer les précieu-
» ſes larmes d'une épouſe chérie ! Agib ,
» qui eſt peut - être fidele, partagera tes
tranſports , & tu jouiras dans leurs bras
de la félicité , de la volupté la plus pu-
>> re ; heureux , trop heureux d'être con-
>> folé par l'amour & par l'amitié. »
>>
Il parloit encore lorſqu'il entendit du
bruit dans la chambre de Sélima : il reMARS.
1770. 43
connut la voix de ſon amante & celle de
fon ami. On le nommoit. Infailliblement
ils me plaignent , dit -il : rempli
d'une joie inquiéte , impatient de voler
dans les bras de ce qu'il a de plus cher , il
ouvre précipiramment la porte... Il voit
Sélima , il voit Agib ...
Immobile d'étonnement , ſaiſi de
douleur , ne fachant s'il exiſtoit , il lui
fut impoſſible d'articuler un mot. Le coupable
Agib , l'infidelle Sélima ne purent
foutenir lesregards de celui qu'ils avoient
offenſé : ils diſparurent tous deux. La confuſion
, l'anéantiſſement où étoit Azem ,
l'empêcherent de s'oppoſer à leur fuite.
Revenu de ſa ſurpriſe , il ſe plaignit de
fon malheur : ce fut en vain qu'il raffembla
toutes les forces de la philoſophie ;
l'homme l'emporta toujours. Son coeur ,
gros de ſoupirs , repouſſoit les conſeils
de la raiſon. Azem eſſaya de ſe venger ;
la protection que Sélima & Agib trouverent
dans le prince rendit ſa vengeance
impoſſible. Il eut encore la douleur de
recevoir une lettre de Sélima , où ce peu
de mots étoient tracés : Azem , Sélimaſe
venge. Conçois àprésent, reſſens quelle est
la douleur d'aimerſans espoir. Le malheureux
Azem eut encore le chagrin de
voir donner à Agib la place qu'il avoit oc44
MERCURE DE FRANCE.
cupée. Cet homme vil, qui avoit fi longa
tems encenfé , loué la grandeur d'ame de
notre philofophe , fon indifférence pour
lesbiens qu'il poffedoit , triomphoit baffement
& ſe vantoit d'avoir réduit Azem
à ſoupirer comme un autre homme.
re-
Azem retourna enfin dans ſa ſolitude,
il fuit la cour , la ville ; mais il ne put
fuir fa douleur. Elle l'accompagnoit fur
le bord des ruiſſeaux , dans le fond des
bocages , & la belle nature ne lui inſpiroitplus
ces ſentimens délicieux qui faifoient
autrefois fon bonheur. Le chant
du roffignol redoubloit ſa mélancolie ;
& l'image de Sélima infidele ſe
repréſentoit à lui juſques dans ſon fommeil.
La réflexion , la raiſon,& pour parler
plus juſte , la vanité lui firent renfermer
fon chagrin ,& fon déſert fut le ſeul
confident de ſes plaintes . Il reprit ſon
mépris pour le monde , & fut inſenſible
à la joie des humains comme à leur douleur.
Azem , le ſage Azem injuria tonte
la nature , & n'en fut pas plus fatisfair.
Son coeur ſembloit s'épanouir quand il
parloit des paffions inſenſées qui agitent
le coeur de l'homme. Il eut beau faire ,
fes efforts continuels ne purent tromper
ce monde qu'il mépriſoit; le voile de l'illufion
étoit déchiré , rien ne put rappeler
MARS. 1770 . 45
une réputation qu'il avoit perdue par fa
faute. Il monta ſur le coteau qui avoit été
le théâtre de fa fierté , & apprit que le
bonheur de l'homme n'est qu'idéal & ne
dure qu'autant qu'il n'eſt point attaqué
par le côté le plus ſenſible; que le philoſophe
qui s'érige en confolateur du prochain
fans pouvoir ſe conſoler lui même,
&qui ne triomphe de l'adverſité que lorfqu'il
l'apperçoit encore dans l'éloignement,
n'eſt aux yeux des gens ſenſés que
le plus petit des êtres créés. « Le fage&
>>l'infenfé , s'écria-t-il , font auſſi dépour-
» vus de bon ſens l'un que l'autre. Le
>> premier , par cette infoutenable fierté
» qui le fait croire invincible ;le fecond,
>>par le peu d'empire qu'il a ſur ſes paf-
>> ſions. Tous deux font malheureux ; le
>> ſecond l'eſt à la vérité moins que le
>> premier, par la ſeule raiſon qu'il ne fait
>> ce qu'il eſt. »
Au lieu de l'épitaphe : Ici repoſeAzem,
qui fut toujours maître de fon coeur , il
grava celle- ci : Ici repoſe Azem , le plus
infenfé deshumains , puiſqu'il voulut paffer
pour le plusfage& pour le plus heureux .
Traduit de l'allemand , par Mlle Matné
de Morville.
46
MERCURE DE FRANCE .
:
Q
STANCES.
UEL objet m'avoit aſſervie ?
De qui recevrai-je des loix :
Sentirai-je toute na vie
L'amertume d'un mauvais choix.
Se tromper eſt dans la nature.
Hélas ! qui peut s'en garantir !
Ne prenons donc point comme injure
Ce qui nous force au repentir.
Fille du Ciel , amitié pure .
Mon ame étoit faite pour vous ;
Qui s'avilit & le parjure
Eft indigne d'un noeud fi doux.
En vain un ingrat vous reclame
Quand , triomphant de mes douleurs ,
Il fait à l'objet de ſa flamme
Le ſacrifice de mes pleurs.
Sentimens vrais , pure tendreſſe ,
En moi vous êtes effacés ;
Les derniers traits de ma foiblefle
Sont ces vers à regret tracés.
MARS. 1770. 47
Je veux, ingrat , qu'ils vous parviennent,
Vous y connoîtrez ſans effort
L'ame de celle dont ils viennent
Qui méritoit un meilleur fort.
LE PAUVRE & LE DERVICHE.
Fable.
*PLEIN d'humeur &d'inquiétude ,
১১ Un Derviche en rêvant erroit
>> Dans un boſquet près de ſa ſolitude.
>> Un malheureux en paſſant l'apperçoit ,
* S'approche , & tout tremblant , d'une voix ſup-
>> pliante
>> Lui demande quelque ſecours. >>
-Retire-toi , va- t'en . On ne voit tous les jours
Que ces fortes de gens. Ils abuſent toujours
Delabonté compatiſſante.
Eh! n'as -tu pas deux bras pour travailler ?
Laiſſe , laiſſe ton vil mêtier.
-Cemétier-là m'a coûté bien des larmes !
Il a pour moi ſi peu de charmes ,
Graces à l'inhumanité ,
La cruauté , la barbatie ,
48 MERCURE DE FRANCE.
Que je l'aurois depuis long- tems quitté ;
Mais le puis-je? Voyez. Commentgagner mavie ?
Je le ferois , foyez en fûr...
-Finiffons. -Accordez . ---Non , reprend le
Derviche ,
-En ſeras - tu moins pauvre ? -En ſerez vous
moins riche ?
-Non , te dis- je. -Non eſt bien dur.
Mais votre coeur l'eſt-il donc plus encore
Voyez la faim qui me dévore .
Quel homme en cet inſtant ne voudroit ſecourir
Un malheureux prêt à mourir !
«Le Derviche , las de l'entendre ,
>> De ſa bourſe auſſi -tôt tirant un peu d'argent ,
>> Avec dédain , le jette à l'indigent
Qui , fur le champ , ne voulant plus le prendre,
>> Dit : >> tu devois conſtamment refuſer
Un ſecours dont ici je ſaurai me pafler.
Il faut bien donner quand on donne.
Je trouverai peut- être ailleurs
L'humanité ſenſible à mes malheurs ;
Mais quand je ſerois fûr de ne trouver perſonne ;
J'aimerois mieux périr que d'avoir accepté
Un don queje ne dois qu'à l'importunité.
L'AVARE
こ
MARS. 1770 . 49
L'AVARE ou le voeu mal-rémpli.
Fable .
GRARANNDD Jupiter , s'écrioit unavare ,
J'ai quelques biens , mais je voudrois encor
Avoirde cemétal ſi précieux , ſi rare ,
Sans lequel on n'a rien ; avoir enfin de l'or.
Ce n'eſt pas qu'enivré d'une folle manie
Je prétende aſpirer à l'éclat , aux honneurs :
Qui connoît mieux que moi le néant des grandeurs?
Le ſort même des Rois ne me fait point envie.
Unplus nobledeſſein eſt l'objetde mes voeux :
Je veux pouvoir traiter tous les pauvres en père ;
Et conſacrant ma bourſe au ſoin des malheureux ,
Adoucir leurs tourmens , foulager leur mifére.
Jupiter écouta ſa fervente priere ,
Et l'exauça fi bien que dans ſon coffre- fort
Il parut tout- à-coup un immenfe tréſor .
Notre homme à ſes tranſports donnoit libre carrière
,
Lorſque dehors il entendit gémir ,
Puis frapper , puis crier : daignez me ſecourir ,
Je ſuis un malheureux forcant de maladie ,
Qui cherchedu ſoutien pour un reſte de vie :
C
50 MERCURE DE FRANCE.
Hélas ! fans vos bontés je ſuis prêt à périr !
L'avare ouvre ſa porte & fon coeur ſe refferre ,
Lors oubliant le voeu qu'il vient de faire .
Il donne à ce pauvre tranſi
Quelques morceaux de pain moiſi .
Les tréſors ne font pas la premiere reſſource
Des coeurs ſenſibles , vertueux ;
Dans leurs mains tout eſt propre à faire des heus
reux;
Mais de cette vertu , digne préſent des Dieux ,
La ſource eſt dans le coeur , & non pas dans la
bourfe.
ParM. Mentelle , Inſpect. de MM. les Elèves
de l'Ecole R. M. , Membre de l'Ac. des
Sciences & belles-lettres de Rouen , &c .
LE LION & L'AN E. Fable.
DANS le logis ouvert d'un Lion ſon voiſin
Meffer Aliboron fixa fon domicile.
Tout fier d'y trouver ſon aſyle ,
Contre le bâton de Martin ,
Il ſe retrancha de maniere ,
Qu'il crut y pouvoir en repos
Du Roi même des animaux ,
Brayer la force & la colère,
2
٠٢٠
MARS. 1770. S
Grace au ciel , diſoit- il , je ſuis en ſûreté ,
Et je veux un peu , n'en déplaiſe ,
Humilier tout à mon aiſe
Du Lion la vaine fierté.
Mais le voici , parlons : Seigneur , en vérité
J'ai honte de l'affront fait à votre excellence ,
Er ſi pourtant modérez vous ,
Que ferviroit votre courroux ?
Vous n'êtes pas toujours ſi mauvais qu'on le
penſe ;
On s'eſt , de vos pareils , joué plus d'une fois ,
Et cela , s'il vous plaît , ſans autre conféquence
Que d'avoir excité leur petite arrogance,
Pour votre repos faites choix
D'une demeure moins voiſine ;
Vous étiez un peu trop ſous notre coulevrine,
Lâche , dit le Lion , qui crois impunément
Pouvoir inſulter à ma rage ,
Tu vas apprendre en ce moment
Si je ſuis en effet digne de ton courage ;
Prépare toi ſeulement au combat.
Sur la porte , à ces mots , auſſi-tôt il s'élance.
Il l'ébranle en courroux , la renverſe & l'abbat
Et dans ſon antre ouvert fiérement il s'avance
Vers le réduit où le baudet ,
Renfoncé dans un coin , en tremblant attendoit
La peine de ſon inſolence.
Cependant le Lion s'arrête à cet objet ;
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
こ
Et dédaignant enfin un ſi foible adverſaire :
Sors , dit- il , promptement , & fuis loin de mes
yeux.
A tes diſcours audacieux
Je t'avois cru d'abord digne de ma colere ;
Mais tu n'étois alors que ce que tu parois ,
Et je reconnois l'Ane à de ſemblables traits.
J'approuve du Lion la fierté généreuſe ;
Auſſi pour le dire en un mot ,
Cen'eſt pas pour le ſage une injure fâcheuſe
Que l'outrage d'un lâche ou le mépris d'un ſot.
D'A..... près Angers.
ر
LISE & LE PETIT OISEAU.
DaAnNsl'âge heureux où l'on ignore
L'amour & les brûlans defirs ,
Où fille ne fait point encore
D'où partent les légers ſoupirs ,
Life , la beauté du village ,
Conduiſant unjour ſon troupeau ,
Sur le bord du prochain bocage
Apperçut un petit oiſeau :
Elle court , va , vient& s'agite,
Guette , s'arrête , fait ſibien
Qu'elle l'attrape en moins de rien .
D'aiſe ſon jeune coeur palpite ;
MARS.
1770 . 53
Dans ces jours trop courts de bonheur
Un rien charme , un rien intéreſſe :
Life contemple avec ardeur
Cejeune oiſeau qu'elle careſſe.
Dieux ! dit- elle , qu'il eſt charmant !
Quej'aime fon joli plumage !
Il a fans doute un doux ramage ?
Tout eſt nouveau pour un enfant.
Mais ſi le petit infidéle
Venoit jamais à s'envoler ? ....
Zefte... elle commence à couper
Quelques plumes , enſuite une aîle ,
Puis bientôt , ſans autre façon ,
Le reflerre dans une cage ,
Et ne lui laifle pour partage
Qu'une étroite & triſte prifon.
L'oiſeau , las de cet eſclavage ,
Trouve un moment & prend l'effor ,
Et va chanter dans le bocage:
EnvainLife le guette encor.
Obelles , par qui tout reſpire ,
Croyez -moi , jamais ſur nos coeurs
Vous n'aurez un ſolide empire ,
Si vos chaînes ne font de fleurs.
Par H. D. S. R.
:
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
BOZALDAB , Conte oriental.
BOZALDAB , calife d'Egypte , avoit
tranquillement habité pendant pluſieurs
années ſous les pavillons du plaifir . Chaque
matin il parfumoit ſa tête avec l'hui.
le de la joie , quand ſon fils unique Aboram
, pour lequel il avoit rempli ſes tré.
fors , étendu ſes dominations par des
conquêtes , & aſſuré ſon empire par des
fortereſſes imprenables , fut bleſſé à la
chaffe par une fléche lancée d'une main
inconnue , & expira dans les champs.
Le calife , dans les premiers mouvemens
de fon déſeſpoir , ne voulut point
retourner à fon palais , & fe retira dans
la grotte la plus fombre de la montagne
voiſine. Il ſe roula dans la pouſſiére , ar
racha fa barbe blanchie par ſes années , &
jeta avec dédain la coupe de confolation
que la patience lui offroit. Il ne ſouffrit
point que ſes miniſtres approchaffent de
ſa perſonne ; il craignoit d'être confolé.
Il n'écoutoit que les cris funébres des
triſtes oiſeaux de la nuit qui agitent avec
bruit leurs aîles ſous les voûtes iſolées
MARS. 1770 . 55
des chambres pyramidales , habitées par
l'écho folitaire. Se peut-il que Dieu ſoit
bienveillant , s'écriat- il , lui qui ſemble
m'attendre dans une embûche pour bleffer
mon ame par des chagrins imprévus ,
&écrafer en un moment la créature ſous
le poids d'un malheur fans remede.
Qu'on ne nous parle plus de la justice &
de la bonté de cette Providence que l'on
dit veiller fans ceſſe ſur l'Univers . Si
l'Etre qui regne au Ciel poſledoit les artributs
qu'on lui ſuppoſe, ſans doute il
auroit la puiſſance & la volonté de bannir
les chagrins qui font de ce monde
un dongeon affreux , habité par le malheur
& une vallée remplie de vanités , &
fans ceſſe arroſée des larmes de la mifére
... Non , je ne veux point y demeurer
davantage.
Auſſi - tôt il leve avec fureur ſa main
que le déſeſpoir avoit armée d'un poignard.
Il alloit l'enfoncer dans ſon coeur ;
mais tout à - coup les flammes brillantes
d'un éclair percerentà travers la caverne.
Un Etre d'une beauté & d'une grandeur
furnaturelle , couvert d'une robe d'azur ,
couronné d'amarante , & agitant une
branche de palmier dans ſa main droite ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
arrêta le bras du calife étonné . Viens ,
lui dit-il , avec un ſourire majestueux . Je
fuis Caloé , l'ange de la paix ; ſuis - moi
fur le ſommet de cette montagne , & fais
defcendre tes yeux dans cette vallée.
Bozaldab regarde , & voit une ifle ſtérile
, brûlante & folitaire. Une figure
pâle , décharnée & mourante , ſe traînoit
à pas lents; c'étoit un marchand prêt
à périr de faim. Cette horrible folitude
ne lui offroit plus ni fruits fauvages pour
ſe nourrir , ni fontaine pour ſe défaltérer..
Il imploroit la protection du Ciel contre.
les tigres dont il alloit être la proie. II
avoit confumé les derniers feuillages qu'il
amaffoit & allumoit pendant la nuit pour
les effrayer. Il jeta avec dépit une cafſette
pleine d'inutiles pierreries , vil objet
de ſes dedains , & gravit avec peine
furun roc eſcarpé où il avoit coutume de
s'affeoir pour regarder le foleil couchant,
& donner un ſignal à quelque vaiſſeau
qui pourroit heureuſement approcher de
Pifle. Habitant du Ciel , s'écria le Ca-
>> life , ne ſouffres point que cet infortu.
>>>né foit la victime de ces animaux fu-
>> rieux . » Tais toi , lui dit l'Ange , &
obſerve.
MARS. 1770 . 57
Le Calife regarde encore & voit un
vaiſſeau qui abordoit cette iſle défolée :
quel difcours pourroit peindre le raviflement
& la ſurpriſe du marchand , quand
le capitaine lui offrit de le tranſporter
dans ſa patrie, s'il vouloit lui donner pour
récompenſe la moitié de ſes bijoux .
Le barbare commandant n'a pas plutôt
reçu le prix convenu , qu'il délibére avec
ſa troupe, ſe ſaiſit du reſte des pierreries,
& abandonne à fon fort ce malheureux
exilé : le marchand pleure , gémit , conjure
; le vaiſſeau s'éloigne , & ſes cris ſe
perdent dans les airs !
Le Ciel , s'écria Bozaldab , permettrat-
il une telle injustice ? Vois, lui dit l'ange
, homme téméraire & préſomptueux ;
vois le vaiſſeau , dans lequel tu voulois
que ce marchand s'embarquât, mis en
piéces contre un rocher. Entends tu les
cris plaintifs des matelots fubmergés ?
Foible mortel , prétends- tu diriger l'arbitre
de l'univers dans l'ordre des événemens
? L'homme dont tu as pitié fortira
de cet affreux déſert ; mais non par le
moyen que tu preſcris. Son vice fut l'avarice;
elle le rendit criminel , elle le
rendit malheureux. Il croyoit trouver des
C
58 MERCURE DE FRANCE.
:
charmes flatteurs dans la richelle qui ,
femblable à la baguette d'Abdiel , contenteroit
tous fes deſirs & préviendroit
toutes ſes craintes. Maintenant il méprife
, il abhorre fon opulence : il jette fes
tréfors fur le ſable & s'avoue leur inutilité
. Il en offre une partie à des matelots,
& s'apperçoit qu'ils lui font pernicieux.
Il vient d'apprendre que la richeſle ne devientbonne
ou mauvaiſe , utile ou nuiſible
que par la ſituation &le caractere de
celui qui la poſſéde. Heureux , heureux
P'homme que le malheur conduit à la fageffe
; mais , tourne les yeux ſur un ſpectacle
plus intéreſſant.
Auſſi tôt le Calife apperçoit un magnifique
palais orné des ſtatues de ſes ancêtres
, travaillées en jafpe ; des portes d'ivoire
, tournerent fur des gonds d'or de
Golconde. Il découvrit un trône de diamans
, environné d'eſclaves & des ambaffadeurs
de toutes les nations diverſement
habillés . Sur ce trône étoit affis
Aboram , ce fils tant pleuré de Bozaldab .
A fes côtés étoit une princeſſe d'une
beauté éblouiffante. Grands Dieux ! c'eſt
mon fils , s'écria le Calife , laiffe moi
le preffer contre mon coeur. Tu ne peux
MARS. 1770. 59
pas , répliqua l'Ange , embraſſer une ombre
fans ſubſtance. Je vais t'apprendre
qu'elle eut été la deſtinée de ton fils s'il
eût demeuré plus long-teins fur la terre...
Et pourquoi ne lui a - t- il pas été permis
d'y demeurer ? Pourquoi le Ciel m'a t- il
refuſé la douceur d'étre témoin d'une fi
grande félicité ? Vois la ſuite , ajouta
l'habitant de la cinquiéme région de l'air.
Bozaldab regarda du côté de l'Orient &
vit ſon fils ſur le front duquel il avoit
coutume d'admirer le ſourire calme de la
ſimplicité , & la rougeur vive & douce
de la ſanté , actuellement défiguré par la
rage& plongé dans l'inſenſibilité de l'ivrognerie.
Ses traits peignoient le défefpoir.
La crainte le faifoit pâlir , & l'intempérance
l'avoit abruti. Le ſang fumoit
encore ſur ſes mains dégoutantes.
Il palpitoit tour- à- tour de fureur & d'effroi.
Ce palais brillant de la pompe
orientale ſe changea tout- à-coup en une
affreuſe prifon . Aboram étoit étendu fur
la pierre , les mains liées & les yeux arrachés.
La ſultane favorite qui , auparavant
étoit aſſiſe à ſes côtés , entra avec
une coupe de poiſon dans la main , &
elle le força de le boire pour épouſer ſon
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fucceffeur au trône . Heureux , s'écria une
ſeconde fois Caloé , le mortel à qui l'Eternel
envoye l'Ange de la mort pour l'arracher
au crime. Ton fils , que le Ciel a
privé de ſon pouvoir , s'il l'eût poſſédé ,
eût accumulé ſur ſa têre plus de maux
qu'il n'en auroit fait éprouver aux au
tres.
C'eſt aſſez , s'écria Bozaldab . J'adore
les deſſeins impénétrables de l'Etre qui
dirige tout ce qu'il a prévu. De quels
malheurs mon fils a été délivré par une
mort que je pleurois indifcretement comme
cruelle & prématurée; une mort d'innocence
& de paix qui a fait bénir fa mémoire
fur la terre & tranſporté fon ame
dans les cieux.Renonce donc à tesdeffeins,
reprit le divin meſſager , jette le poignard
que tu avois préparé pour le plongerdans
ton ſein. Change tes plaintes en
filence , & tes doutes en adorations. Un
mortel peut-il conſidérer ſans ſurpriſe &
fansadmiration le vaſte abîme dela ſageſſe
éternelle ? Un eſprit , dont les vues font
infiniment bornées , peut - il atteindre à
l'immenfité des objets qui , tous , ont une
relation mutuelle ? Les canaux que tu fais
creuſer pour recevoir les inondations du
MARS. 1770. 61
Nil pourroient - ils contenir les eaux de
l'Océan ? Souviens toi que le parfait
bonheur ne peut être l'apanage d'une créature.
C'eſt un attribut auſſi incommunicable
que la puiſſance abfolue & l'éternité.
En achevant ces mots , l'Ange étendit
ſes aîles pour retourner à l'empyrée , &
le bruit de fon vol fut ſemblable à celui
de la nuée qui ſe diſſout & tombe avec
violence.
AMadame de P *** , en lui envoyant
l'almanach des Muses.
BELLE Sapho , toi qui t'amuſes
Acompoſer des vers , à charmer tour- à-tour ,
Fais , de cet almanach que l'on conſacre aux
Muſes ,
Le calendrier de l'Amour.
1
Par M. de St Just.
62
MERCURE DE FRANCE.
ADRIGAL .
Vous croyez vous venger dutour
Que vient de vous jouer l'amour ,
En vous en plaignant à ſa mere ;
D'un vain eſpoir votre eſprit eft flatté ;
N'en faites rien , belle Glycere ;
L'Amour est un enfant gâté.
Par M. G. J. C. Croiſzetiere , étudiant
enphilofophie au Col. r . de la Rochelle.
EPIGRAMME.
NICAISE étant à l'agonie ,
Liſon ne faiſoit que pleurer ;
Quelqu'un lui dit : Ma bonne amie ,
Vous devriez vous retirer .
Non , je reſte auprès de Nicaiſe ,
Dit -elle d'un air attendri .
Une femme eſt toujours bien aife
De voir expirer fon mari.
Par le même
MARS. 1770. 63
VERS à M. de Voltaire , à l'occafion
de la nouvelle année.
StI le dieu des ſouhaits eſt mort à l'hôpital ,
Il n'eſt point mon dieu tutélaire.
Voulez vous , de ſon tribunal ,
Quej'aille avec les ſots encenſer la chimère ?
Je n'entends rien à cette affaire ,
Et je complimente aſſez mal ;
Mais voir couronner votre vie
Par la gloire & par les ſuccès ,
Souvent faire pâlir l'envie
Qui ſe ronge lebout des doigts ;
Mais malgré le fourbe qui gronde,
Et le fanatique entêté ,
Entendre chanter à la ronde
Votre aimable célébrité,
Et vous voir des deux bouts du monde
Le ſceau de l'immortalité :
Voilà le plaiſir qui m'entraîne ,
En faiſant ma félicité ,
Et j'en ſuis ſi fort enchanté
Que je vous l'offre pour étrenne.
Par M. de la Touraille.
:
64 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Février 1770 , eft
Bibliothèque ; celle de la ſeconde eſt la
lettreP; celle de la troiſiéme eſt balance;
celle de la quatriéme eſt Laurier. Le mot
du premier logogryphe eſt Jourdain ,
dans lequel ſe trouventjour & dain : Celui
du ſecond eft courage , où l'on trouve
ver , gare , cage , arc , cor , rage , rave ,
courge , orage , or , car , ou , grave , age ,
cour , roue , cave , cure : Celui du troifiéme
eſt fier , où l'on trouve if, re & fer :
Celui du quatrième eſt porcelaine , où
l'on trouve porc , rien , role , Roi , Reine,
prone , or , pere , perle , peine , air , re , la ,
éperon , colere , lapin , Nil , crin , corné, orcin
, ronce , Pline , laine , Loir , lie , Noli ,
ane , roc , Nio , crayon , Elie , Ciel.
ÉNIGME
N compte parmi nous trois freres & deux
fooeurs ,
L'homme a ſouvent beſoin de notre miniſtere.
Bien plus : nos utiles faveurs ,
Pag. 64.
Mars,
1770 .
Le plus sage Emploi de la
vie Est de jou - ir , Se re:jou=
zir; Leplus sage Emploi de la vie, Est
dans la plus. dou =ce foli==
= e ,Estdans la plus douce fo-li
: e L'Italien toujours sou :pi :: re,
Le Castil:lan toujours, toujours s'ad =
:mure Langlois ne
vit que pour mourir;
Le François vit pour leplaisir.
MAI 1 ARS. 1770 . 65
1
A la ſociété , ſont un bien néceſſaire.
Nous naiſſons tous en même tems ,
Mais deſtinés par la nature
A des emplois bien différens,
Nous avons tous différente figure :
Nous ſuivons au combat le guerrier valeureux
Et nous fuyons avec le lâche.
L'unde nous plus actif les ſert bien tous les deuxi
Mais c'eſt ſans honneur & fans tache.
La calomnie , au front d'airain ,
Par deux de nous eſt confondue.
Le ſcélerat nous fuit , nous craint;
Mais rien n'échape à notre vue.
Sans nous que ſeroit le bon ſens ?
Nous lui donnons l'être & la vie .
En vain, à nous chercher, la raiſon perd ſon tems ,
De deviner , ſans nous , on la défie.
IL
AUTRE.
faut entendre avant de me connoître :
De la ſociété je ſuis le vrai lien :
L'air eſt mon élément , ſans lui je ne ſuis rien.
Lecteur , en ce moment peut- être ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Quoique je prenne un corps & j'exiſte à tes yeux ?
Sans y penſer tu me fais naître.
Avant l'auteur ingénieux
Qui dit la vérité ſous les traits de la fable ;
J'ai , dit- on , emprunté l'organe épouvantable
D'un animal mystérieux.
On m'admira jadis dans Athènes , dans Rome ;
Mon art fait au palais vivre les avocats .
Enfin , ſi tu ne me tiens pas ,
Lecteur , renonce au titre d'homme.
L. B. A.
J
AUTRE.
E fuis Roi ſans couronne ,
Sans-fceptre , ſans palais ;
Aucun garde jamais
N'eſcorte ma perfonne.
Je n'ai pour défenſeur ,
Quema valeur.
Je parcours mes états en maître formidable ,
Je fais fuir devant moi tous mes ſujets tremblans
Au fon majestueux de ma voix redoutable ;
MARS. 1770. 67
Plus vite que l'éclair je vole dans les champs ,
Entraîné par la foifdu ſang & du carnage ,
Dans les bois , ſur les monts je porte le ravage,
J'ai l'ame noble & le coeur généreux ;
J'aime les combats & la gloire ;
Je cherche nuit &jour une illuſtre victoire.
L'ennemi le plus belliqueux
Eſt toujours celui que j'attaque ,
En moi jamais on ne remarque
De fraude &de fubtilité ..
La nature en partage
M'a donné le courage ,
La force & la fierté ;
Mais à ce trait enfin on ne peut le méprendre ,
Souvent fous mon emblême on dépeint Alexan
dre.
Par M. des Vauroux.
AUTRE.
ENFANT infortuné ,
Peut-être hélas ſans pere !
Apeine ſuis -je né ,
Pour furcroît de miſére ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Je ſuis abandonné
Parma perfide mere .
L'aurois - je imaginé ?
Je ſuis tout fait pour plaire ;
Mon pourpoint contourné
Degentille maniere ,
Fait que je luis lorgné ,
Même de la plus fiére :
Mais ſouvent empoigné ,
D'une main meurtriere ,
Je ſuis aflaffiné
Parmon malheureux ftere.
Par M. F. de Breteuil en Picardie.
J
LOGOGRYPΗΕ.
E ſuis enmon entier morceau d'architecture ,
Avant de pafſler outre obſerve ma ſtructure.
Ma baſe eſt de ſept pieds, & dans ſes complémens,
Donne ce qu'avecjoie , après un long voyage ,
Découvre le nocher échapé du naufrage ;
La plante dont l'odeur déplaît à maintes gens :
Lecteur , pour deviner t'en faut- il davantage ?
Par l'inverſe opération ,
MARS. 1770. 69
Veux- tu la démonstration ?
Al'inſtant tu verras paroître
Un régulier qui n'eſt pas prêtre ,
Je ne peux t'offrir de ſa part
Que les trois cinquiémes d'un liard;
Je donnerois bien autre choſe;
Mais ſi je dis encore un mot
Je crains qu'il en réſulte trop .
Oui trop ... & puis vraimentje n'oſe
Me décéler plus amplement.
Quem'importe après tout ! pouſſons lethéorême.
Combine les moyens du plus grand complément ,
Tu verras , d'un vilain , l'attachement ſuprême ,
Lecteur , j'en ai trop dit , tu me tiens ſûrement.
Par M. Satis.
AUTRE.
RIVALE de la politique ,
Nous accorder eſt délicat .
Mon nom eſt ſaint & fans éclat ,
Mon culte n'eſt point fanatique.
Du mortel abuſé je deſtille les yeux ,
En vain à m'éclipſer mon ennemi s'efforce,
70 MERCURE DE FRANCE .
On reconnoît bientôt le faux de ſon amorce ;
Les Romains de mon nom ont augmenté leurs
dieux.
Je renferme en mon ſein cette ville fameuſe ,
Que protégea long tems l'épouſe de Jupin ;
Un animal rampant commun dans un jardin ;
Mais plus multiplié dans les plaines ſableuſes ;
Une cité normande ; un péché capital ;
Ce qui nous eft commun avec tout animal ;
Ce qui borde une plage , une ifle dans l'Afrique ;
Un grain que produit l'Amérique ,
Et qui poufle en d'autres endroits ;
Le ſynonyme de coutume ;
Plus , un de ces ſept tons qu'organiſe la voix ;
La cauſe de notre infortune ;
Car ſans elle , lecteur , que nous ſerions heureux !
Non , je n'offrirois pas aujourd'hui ſous tes
yeux ,
Sous un ſens trop énigmatique ,
Cette noble vertu que ton coeur chérit tant.
Tout eût été lavant ſans art ni rhétorique ;
Je t'offre encor ce qui vient en dormant ;
Le nom d'un ſaint ; une ſaiſon charmante ;
La façon d'exprimer une choſe exiſtante ;
L'homme dans un état honteux , aviliſſant.
Six pieds font mon enſemble , adieu , je me retire
Devine , ſi tu peux , je n'ai plus rien à dire .
Par M. D. L. R... à Lisieux .
MARS. 1770. 71
AUTRE.
PRIS , à l'endroit , pris à l'envers ;
J'offre toujours le nom d'unetrès-grande Reines
La premiere de l'Univers ;
Elle éprouvabiendes revers ,
Que l'on ſe retrace avec peine,
Au ſurplus pour me deviner ,
Onn'a guères à combiner ;
Et dans ma majeure partie ,
Je ne pourroisjamais donner
Qu'une ville de Picardie,
Par M. Mustel , étudiant du collège deRouen.
AUTRE.
Je ſuis une peſante bête ,
Que , ſans lunette , on voit de loin :
Mais , ſi l'on me coupe la tête ,
Je deviens moins gros que le poing:
ParM. Car
72 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Hamlet , tragédie imitée de l'anglois ;
par M. Ducis , &c. A Paris , chez
Gogué , libraire , quai des Auguſtins
près du pont St Michel..
Nous croyons faire honneur à M. Ducis
, & plaifir à nos lecteurs en tranfcrivant
quelques morceaux de fon ouvrage.
dont le plan eſt très - ſimple & le ſujet
très-connu. Claudius qui a engagé Gertrude
, mere du princeHamlet , à empoifonner
fon mari , & qui fe flatte de regner
avec elle en éloignant ce jeune prince
du trône qui lui eſt dû , répéte à fon
confident Polonius les diſcours qu'il a
tenus à ceux de ſon parti. Il leur a retracé
les prodiges qui ont ſuivi le trépas du
Roi.
Je leur peins l'Océan prêt à franchir ſes bords ,
Ses gouffres entr'ouverts juſqu'au ſéjour des
morts ,
Nos mers s'enveloppant de ténébres profondes ,
La foudre à longs fillons éclatant ſur les ondes ,
Dans
MARS. 1770 . 73
Dans le détroit du Sund nos vaiſſeaux ſubmergés
,
Nos villes entumulte &nos champs ravagés ,
Chezles Danois tremblans la terreur répandue.
Ceux- ci croyant , des dieux , voir la main ſuſpendue
,
Ceux-là s'imaginant voir l'ombre de leur Roi ,
Fuyant avec des cris , ou glacé par l'effroi ,
Comme fi des enfers forçant la voute obſcure
Ce ſpectre , à main armée , effrayoit la nature ;
Ou que les dieux pour lui troublant les élémens,
Dumonde épouvanté brifoient les fondemens.
Aces mots j'obſervois , empreintsfur leurs vifages,
it :
De leur fombre frayeur d'aſſurés témoignages ;
Tant ſur l'eſprit humain ont toujours de pouvoir
Les ſpectacles frappans qu'il ne peut concevoir.
20
1
Il y dans ce morceau des vers bien
faits , & les deux derniers ſont beaux.
Ils rendent très-bien cette idée de Lucain,
Tantum terroribus addiz
Quos timeant non noffedeas.
Nous avons marqué quelques incorrec
tions, des pleonasmes , des inverfions dures
, desparticipes accumuléss,,&fur tout
D
74 MERCURE DE FRANCE.
une faute grave , brifoient pour brifaffent.
La grammaire exige que l'on diſe , comme
fi ce spectre effrayoit la nature ou que
les dieux brifaffent , &c. ou bien il faut
répéter les deux particules , ou commefi
les dieux brifoient , &c. En général le
ſtyle de la piéce a beaucoup d'incorrections&
d'inégalités; mais la tournure en
eft facile , & on rencontre des morceaux
qui annoncent beaucoup de talens & qui
ont la couleur tragique. CependantClaudius
n'eſt point effrayé de ces prodiges ,
c'eſt Hamlet qui l'épouvante.
Pentes-tuque des dieux l'éternelle puiflance
Daigne aux jours d'un mortel mettretant d'importance
,
Et que leur paix profonde interrompeſa loi
Pour ladouleurdupeuple&letrépas d'un Roi ?
:
On ne peut pas dire qu'une paix interrompt
fa loi , & ces vers paroiffent un
peu foibles quand on ſe rappelle ceux-ci
de M. de Voltaire , qui contiennent àpeu
près la même idée.
Va, Célar n'est qu'un homme , &jenepenſe pas
Que leCiel de mon fort à cepoint s'inquiettes
Qu'il anime pour moi la nature muerte,
MARS. 1770. 75
:
Ni que les élémens paroiflent confondus
Pour qu'un mortel ici reſpire unjour de plus.
Il eſt toujours dangereux de redire ce
qu'on a bien dit.
Le portrait d'Hamlet eſt fortement tracé
, &bien colorié.
Ilcacheun coeurde feu ſous undehors paiſible .
Et tous les lentimens avec lenteur formés
S'ygravent en filence , à jamais imprimés.
Je l'ai vu quelquefois , dans ſa mélancolie ,
Fixer d'un oeil mourant la charmante Ophélie,
Ou tantôt vers leCiel , muet dans ſes douleurs ,
Lever delongs regards obſcurtis par ſes pleurs .
J'y remarquois empreint ſous leur fombre lumiere
Des grandes paſſions le frappant caractere,
Ne vous y trompez pas; ſes pareils outragés
Nes'appaiſentjamais que quandils ſont vengés.
La ſcène ſuivante entre Gertrude &
Claudius est précisément celle de Sémiramis
avec Alfur. Remords d'un côté ,
ſcélératelle de l'autre. On retrouve les
mêmes idées. On en trouve auſſi qui font
à l'auteur&qui ontde la vérité &de l'in
térêt, celle-ci par exemple.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Croyez moi , je ſuis femme & la plus intrépide
Héſiteroit long-tems avant ſon parricide ,
Si ſon coeur prévoyoit , prêt à l'exécuter ,
Cequ'un pareil forfait doit un jour lui coûter.
M. Ducis n'eſt pas auſſi heureux dans
ce vers , dont l'idée eſt empruntée de
M. de Voltaire.
Seul biendes criminels, le repentir nous reſte.)
M. de Voltaire avoit dit.
Les remordsàvosyeux mépriſables
Sont la ſeule vertu qui reſteàdes coupables.
L'idée est égalementjuſte & belle. Le
coupable ne peut plus tenir à la vertu que
par le regret de l'avoir perdue , & en ce
ſens les rémords ſont ſa vertu; mais ils
ne font pas fon bien. Au contraire les remords
font le plus ſouvent le ſeul mal
des criminels.
Le récit de l'empoisonnement du feu
Roi eſt ingénieux. C'eſt la Reine qui
parle.
Jentrai chezmon époux : étonnée à ſa vue ,
Je cachai quelquetems ma terreur imprévues
Mais ſoit qu'en le voyant pour la derniere fois ,
MARS. 1770. 77
Mon coeur de la pitié connût encor la voix ,
Soit que , prête à commettre un ſigrand parricide,
La nature en fecret malgré nous l'intimide ,
En vainje rappelaimon courage interdit ,
Tout mon ſang ſe glaça , ma raiſon ſe perdit.
Sans pouvoir accomplir ni déclarer mon crime ,
Je dépoſai la coupe auprès de ma victime ,
Je ſortis. Le remords tout-à-coup m'éclairant
Peignità mes eſprits mon époux expirant.
Ma cruelle raiſon dont je repris l'uſage ,
Demon forfait entier m'offrit l'affreuſe image.
Craignant alors , craignant que le Roi ſans ſoupçon
N'eutdéjàdans ſon ſein fait couler le poiſon ,
Je revolai vers lui ; je courois éperdue
Brifer la coupe impie à mes pieds répandue ,
Ou peut- être , d'un trait l'épuiſant à ſes yeux ,
Appaiſer par ma mort la nature& les dieux .
J'entrai: pour me punir , ce Ciel impitoyable
Avoit déjà rendu mon crime irréparable.
Trop jaloux de ravir à ce coeur déchiré
Le fruit du repentir qu'il m'avoit inſpiré.
!
Lorceſte , le meilleur ami d'Hamlet ,
arrive & peut ſeul lui arracher ſon ſecret.
Ce Prince le lui confie.
Deux fois dans ce palais , ami ,j'ai vumon pere
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Non point lebras levé , reſpirant la colere ,
Mais déſolé , mais pâle & dévorant des pleurs
Qu'arrachoient de ſes yeux de profondes dou
leurs.
O! mon fils m'a-t-ildit,jeviens enfin t'appren
dre
Quelſang tu dois verſer pour appaiſer ma cendre.
On croit qu'un mal cruel trancha foudain mes
jours;
Ainſi les noirs complots font voilés dans les
cours.
Ta mere , qui l'eût dit ? Oui , ta mere perfide
Oſamepréſenter un poiſon parricide.
L'infâme Claudius , du crime inſtigateur
Fut dema mortfur- tout le complice& l'auteur.
Venge , a- t- il ajouté , le ciel & mon injure .
Ne crains pointpar tes coups d'outrager la nature.
Répands ,fansdiftinguer, le fangdes inhumains.
C'eſemoi, ce ſont les dieux qui conduiront tes
mains.
Sans lui répondre alors , pleinde l'horreur profonde
Qu'inſpiroit à mon coeur l'effroi d'un autre mone
de:
Quel eſt ton ſort? lui dis-je ; apprends - moi quek
tableau
S'offre à l'homme étonné dans ce monde nonveau.
MARS. 1770. 79
Croirai-je de ces dieux que la main protectrice',
Par d'éternels tourmens ſur nous s'appeſantifle.
O! mon fils , m'a-t- il dit, ne m'interroge pas.
Ces leçons du cercueil , ces ſecrets du trépas
Aux profanes mortels doivent être inviſibles.
Quedu ciel fur les Rois les arrêts ſont terribles !
Ah ! s'il me permettoit cet Horrible entretien ,
La pâleur de nton front paſſeroit ſur le tien.
Nos mains ſe ſécheroient en touchant la couronne.
Si nous ſavions , mon fils , à queltitre illa donne.
Vivant, du rang ſuprême on fontient le fardeau;
Mais qu'un ſceptre eſt pefant , quand on entre au
tombeau.
On peut faire quelques obfervations
fur ce recit. Ily a des beautés ,& l'ombre
parle très bien ſur les devoirs des
Rois. Mais ne parle telle pas un peuv
longuement, lorſqu'elle demande vengeance?
Deux vers devoient ſuffire pour
apprendre le crime & exiger la punition
Nous ſommes un peu bavard dans ce bas
monde , & l'on y permet les paroles oifeuſes.
Mais on ſuppoſe toujours qu'une
ombre doit parler avec préciſion , ne fus
ceque pour la diftinguer des vivans . D'ur
autre côté eſt- il bien naturel que la premiere
penſée qui vient à latête de prince
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
1
Hamlet, à qui fon pere apprend qu'il a
été empoifonné par ſa femme , ſoit de lui
demander ce qui ſe paſſe dans l'autre
monde. Cette queſtion eſt bien importante
, mais ce ne devoit pas être la premiere.
Il ſemble que tout ce dialogue
pouvoit être mieux fait.
Ophélie , fille de Claudius , eſt aimée
d'Hamlet. Elle ſe perfuade que ſon chagrin
vient des obſtacles que met à leur
union une loi du feu Roi qui défend à
Ophélie de fe marier jamais. Elle va trouver
la Reine , à qui elle apprend les ſentimens
mutuels qu'elle & fon amant ont
l'un pour l'autre , & l'affure que l'unique
moyen de guérir la mélancoliedu prince
, c'eſt de les unir enſemble , & la Reine
y confent. Cette confidence n'eſt ni
adroite ni amenée d'une maniere théâ
trale. Il eſt peu modeſte & peu digne de
la tragédie qu'une jeune princeffe commence
fon rôle par venir dire à une Reine
que fon fils mourra de chagrin , ſi on ne
la marie avec lui. L'amour doit s'annoncer
autrement ſur la ſcène pour produire
de l'intérêt. Ophélie s'apperçoit bientôt
qu'elle s'eſt trompée,& qu'elle n'eſt point
l'objet de la douleurdu prince. Elle veut
abſolument lui arracher ſon ſecret,&les.
MARS. 1770 . 81
menaces qu'il fait devant elle à ſon pere
Claudius le lui font entrevoir. Elle défend
ſon pere contre fon amant , & cette
ſituation commence à être un peu ufée.
Il faut aujourd'hui des combinaiſons plus
neuves . Hamlet croit encore revoir l'ombre
de ſon père ; il l'entend, il lui répond
tandis que fa mere & fon amante
font à côté de lui. Ce n'eſt pas connoître
le coeur humain que de nous remettre
continuellement ſous les yeux le même
miracle. Il ceſſe bientôt d'en être un. Une
ombre qui paroît un inſtant & profére
quelques mots,fait trembler ; mais qu'elle
revienne & ſoit feulement un quart
d'heure avec nous, nous finirons , comme
Dom Juan , par l'inviter à ſouper..
Plus un reffort eſt merveilleux , plus il
faut le ménager .
Lorceſte a conſeillé au prince de tirer
du tombeau de fon pere l'urne qui contient
ſes cendres , & de la préſenter inopinément
à la Reine pour voir l'effet que
cet objet imprévû fera ſur elle. Cette idée
heureuſe & tragique , bien préférable à la
comédie que fait jouer Shakeſpéar , appartient
à M. Ducis , & mérite des éloges.
La ſcène qu'elle amene en mérite
encore plus. Cependant il nous ſemble
Dw
82 MERCURE DE FRANCE.
que cette idée auroit dû plutôt être le
fruit des réflexions douloureuſes d'Ham.
let que des conſeils de ſon ami. C'eût érá
une ſource de nouvelles beautés . Quos
qu'il en fait , voici la ſcène.
GERTRUDE
Alt ! mon fils ,quel eſt ce front terrible !
Ces regards menaçans , cet air farouche , hor
Mamere!.
rible?
Qui! moi !
HAMLET .
GERTRUDE
Explique- toi.
HAMDE T.
Tremblez de m'approchers .
GERTR. U. D.E..
HAMLET.
Ce n'eſt pas vous qui devez me chercher
GERTRUDE...
Quedis-tu
MARS. 1770. 83,
HAMLE T ..
Savez vous quel affreux ſacrifice
Preferit à mondevoir la céleste juſtice!
Dieuz!
GERTRUDE.
HAMEET.
Où mon pere eft-il ? D'où part la trahifon
Quiformale complot ? Qui verſa le poifon ?
GERTKUDE.
Mon fils....
HAMLET.
Vousavez cru qu'un éternel filence
Dans la nuit des tombeaux retiendroit la ven
geance...
Elle est forties
GERTRUDEL
O! Cielt:
HAMLET.
Jai vũ....
A
GERTRUDE.
Qui ?
Divj
$4 MERCURE DE FRANCE..
HAMLET.
Votre époux.
GERTRUDI.
Qu'exige-t- il ?
HAMLET..
Du ſang.
GERTRUDE.
Qui l'a fait périr?
HAMLET.
Vousi
Cedialogue eſt rapide & fublime. Ger
trude ſe trouble & Hamlet lui préſente
l'urne , en lui diſantde jurer par ce monument
qu'elle eſt innocente. La Reine
balbutie un faux ferment , & finit pars'évanouir.
Cette fin de la ſcène en affoiblit
l'effer.. Il falloit que le trouble de la
Reine fût porté à ſon comble lorſque
P'urne lui eſt offerte , & que cet objet lui
arrachât un cri d'effroi qui décidât l'aveu
de fon crime .
La piéce finit par la mort de Gertrude
que Claudius aſſaſſine , & par celle de
Claudius que poignarde le prince Hamlet..
MARS. 1770. 85
1
M. Ducis a ſimplifié l'ouvrage de Shakeſpéar
; l'a purgé de beaucoup de défauts
, & l'a orné en plus d'un endroit.
Mais ſa piéce manque d'action , & l'action
eſt eſſentielle à un drame. Hamlet
pleure trop & agit trop peu. Cependant
cet ouvrage ſuffit pour faire voir que M.
Ducis a fenti la tragédie , &peut en faire
de fort bonnes. Sa diction a du naturel
&de l'énergie : Spirat tragicum &feliciter
audet. Les critiques que nous avons mêlées
à nos éloges ſont même une preuve
de l'opinion favorable que nous croyons
voir dans le public à ſon égard. La critique
n'offenſe que ceux qui déſeſpérent
de faire mieux qu'ils n'ont fait , &certainement
M. Ducis peut eſpérer le contraire
& le Public avec lui .
OEuvres de feu M. le PrésidentJoly, doyers
de Langres , contenant un traité de la
religion , un traité des Anges &un traité
du mal. A Dijon , chez Edme Bidault
, libraire au Palais ; à Paris, chez
Saugrain le jeune , quai des Auguſtins ,
& àLyon , chez Regnault , grande rue
Merciere ; 9 vol. in - 12. Prix 22 liv.
10 f. reliés en veau .
Ces trois ouvrages de feu M. le Préfi
86. MERCURE DE FRANCE.
1
dent Joly intéreſſent tous les hommesde
quelque érat qu'ils foient ; les Ecclefiaftiques,
les peres de familles & les ſavans
ne les liront pas fans fruit. Dans le pre.
mier , l'auteur préſente la religion chrétienne
éclairée &prouvée. par les lumières
de l'intelligence , parle dogme & par
Ies prophéties . Ille diviſe en trois parties
dont l'une traite des perfectionsde la Divinité
, l'autre de la Trinité & répond
d'une maniere fatisfaiſante & claire aux
Sociniens & aux Antitrinitaires ; la derniere
montre ladignité dethomme faite
àl'image & à la reſſemblance deDieu.
Le ſecond ouvrage de M. le Préſident
Joly eſt un traité des Anges ;il s'étend fur
la création de toutes ces intelligences céleftes
, ſur la chûte de celles qui ſe laifferent
entraîner dans la révolte de Luci
fer ; il fait connoître enſuite la diſtince
tion des ordres angéliques , leur ſubordination
pour l'adminiſtration des oeuvres
de laPPrroovidence ,&le pouvoir des bons.
Anges pour réprimer les mauvais. Il termine
le traité par des détails approfondis
fur l'union& les rapports des bons&des
mauvais Anges avec les liommes , & fur
les avantages & les maux qui nous viennent
de fesrapports .
Le traité du mal eſt le dernier des ce
MARS. 1770. 87
recueil ; M. le Préſident Joly ne ſe jette
pas dans des diſcuſſions métaphysiques
fur l'origine du mal ; il examine la nature
du mal qui eſt péché , conſidéré dans.
Poutrage qu'il fait à Dieu,dans ce qu'il
a d'injuſte & d'odieux à l'égard de nos
ſemblables , c'eſt l'amour idolâtre de
nous-mêmes qui nous en rend coupables;
l'auteur termine ce traité par un autre
fur la réparation du péché par Jefuse
Chrift.
Ces ouvrages que nous nous contentons
d'annoncer,doivent être lus &médités
; ils raffemblent toutes les vérités de
la religion , & les lient par une ſuite de
principes & de conféquences propres à
inſtruire , à édifier & à défendre les fidè
les de l'impiété & de l'erreur ; quoique
chacune de ces productions forme un.
raité particulier , elles font cependant
encliaînées l'une à l'autre par leur objet
principal. Les libraires , pour la commo
dité, ſe ſont déterminés à les vendre fé
parément ; le traité de la religion contient
quatre volumes ; celui des Anges
trois , &celui du mal , deux.
Contes très-Mogols , enrichis de notes
avis , avertiſſemens curieux & inftrue
tits à Fafage des deux ſexes ; par ua
88 MERCURE DE FRANCE.
Vieillard quelquefois jeune; pour fervir
de ſuite ou de commencement à
l'hiſtoire des Empereurs Mogols. A
Geneve; & ſe trouve à Paris , chez
Valade , libraire , rue St Jacques , visà-
vis la rue de la Parcheminerie , & à
Lyon , chez Cellier , quai St Antoine ,
in- 12.
L'appetit vient en mangeant; les neuf
infortunes de Tourſa Noradin , grand barbier
de Calan Cala - Tzé ; à quelque chose
malheur est bon ; & Zirphis ou l'imagination
, voilà les titres des quatre contes
que renferme ce volume ; on a prétendu
faire une ſatyre des moeurs &des uſages
qui paſſent pour le bon ton dans un certain
monde. Nous avons déjà beaucoup
d'ouvrages qui ont eu le même objet
&qui ont mieux rempli ; on auroit dû
dans celui- ci ſaiſir de nouveaux ridicules,
& ne pas revenir ſur ceux qu'on a déjà
critiqués avec ſuccès ; on y trouve cependantde
l'imagination&dela gaïté; l'auteur
a fait un emploi quelquefois heureux
de la féerie ; nous n'entrerons dans aucun
détail ; ces contes doivent être regardés
comme une débauche d'eſprit ; le mérite
qu'ils peuvent avoir eſt plutôt dans l'expreſſionque
dans le ſujet , & ce n'est pas
MARS. 1770.
dans un extrait qu'il eſt poſſible de faire
fentir cetteeſpécede mérite.
Les Aventures merveilleuses de Don Sylvio
de Rofalva ; par l'auteur de l'hiſtoired'Agathon
,traduites de l'allemand.
ADreſde ; & ſe trouve à Paris , chez
Deſaint , libraire , tue du Foin , 2 vol.
in-12.
Le roman ingénieux de Michel Cervantes
a donné l'idée de celui- ci; lesdeux
héros font nés dans l'Eſpagne ; des livres
de chevalerie ont tourné la tête de Don
Quichotte ; Don Sylvio de Rofalva , à
peine forti de l'enfance , n'ayant lu
que des contes de fées , croit l'existence
de ces êtres imaginaires ; il brûle d'envie
d'être le héros d'un conte ; ſon imagination
s'échauffe à la pourſuite d'un papillon
bleu; il perd l'infecte , & trouve un petit
portrait enrichi de diamans qui repréfente
la plus belle perſonne du monde ; loin
de croire que quelqu'un a perdu le portrait
, il s'imagine que l'original eſt une
princeſſe que quelque fée jalouſe a métamorphofée
en papillon , que l'honneur
de lui rendre ſa premiere forme lui eſt
réſervé & que c'eſt le papillon lui-même
qui l'a conduit fur le lieu où il devoie
१०
MERCURE DE FRANCE.
trouver ce portrait ; il bâtit à cette occas
fion mille aventures,fingulieres ; il ſe .
preſſe de quitter la maiſon paternelle
pour aller à la recherche de ſa princelle
papillon ; il emmene avec lui un domeftique
de fon âge qui , dans la ſuite des
aventures de ce héros,tient la place deSancho
, mais ne la remplit pas avec aurant
de gaïté. Après avoir eſſuyé des malheurs
aflez ſemblables à ceux du héros de la
Manche , Don Sylvio trouve l'originał du
portrait; ce n'eſt pointune princeſſe; c'eft
une veuve très - aimable , très -jeune , trèsriche
; elle eſt touchée de la folie du jeune
homme , & fonge à la guérir au licu
de chercher à s'en amufer ; un ami de for
frere entreprend cette cure ; il fait un
beau conte àDon Sylvio , & il y entaſſe
toutes les folies qu'il peut imaginer ;lorf
que Sylvio l'a écouté avec autant de bonne
foi que d'attention , il lui apprend
que tout cela n'eſt qu'un jeu d'eſprit ; le
jeune homme revientde ſon égarement,
&les charmes de Félicia, c'eſt le nom de la
Dame , ne contribuent pas peu àle rame
ner à la raiſon. Il y a de l'eſprit dans ce
roman ; mais celui de Cervantes lui fait
Beaucoup de tort. L'auteur a voulu être
plaiſant , & a quelquefois réuffi à l'être.
MARS. 1770 25
Eloge de Pierre Terrail , dit le Chevalier
Bayard,fanspeur &fans reproche , qui
a remporté le prix de l'académie des
ſciences , arts & belles lettres de Dijon
, en 1769 ; par M. Combes. A Di.
jon , chez Cauſſe, imprimeur- libraire
du parlement & de l'académie , place
St Etienne; & àParis , chez Saillant&
Nyon , libraires , rue St Jean de Beauvais
, in 8°.
M. le Marquis du Terrail , maréchal
des camps & armées du Roi & fon lieurtenant
- général dans leVerdunois , qui
joint l'amour des lettres aux talens miliraires,
a fondé un prix à l'académie de
Dijondont il eſt membre; cette fondation
eſtdigne d'un deſcendant de la maifon
du vertueux Bayard ; l'académie en a
fait la premiere deſtination à l'éloge de
cet illuſtre chevalier; elle ne pouvoit
mieux marquer ſa reconnoiſſance ni choifir
unplus beau ſujet;l'ouvrage couronné
eſt rempli de chaleur & d'éloquence ;
nous en citerons quelques morceaux.
•Bayard honora ſon ſiècle,&vient con-
>> fondrele nôtre.Alahonte de nos moeurs,
>> faut - il que la patrie réveille les cendres
des morts & cherchedans les tom-
?
92 MERCURE DE FRANCE.
» beaux des exemples de vertu ? Faut- il
>> que notre âge, ſi jaloux de bien penfer,
>> apprenne des âges paſſés à bien faite.
» S'il eſt des hommes qui,deſtinés par leur
» naiſſance à défendre l'état , s'aviliffent
» dans la moleſſe ; ſi le noble métier des
>> armes eſt pour'eux le chemin de la for-
>> tune plus que la carriere de l'honneur;
>> s'ils vendent la patrie au lieu de mou-
>> rir pour elle ; fi même , fidèles à leur
» Roi , ils regardent comme une foibleſſe
> d'être fidèles à leur Dieu , il faut les
>> confondre en leur préſentant l'image
> de nos antiques chevaliers leurs ancê-
>> tres , & fur - tout d'un héros nommé ,
>> dans les ſiécles d'honneur , le Chevalier
>> fans peur & fans reproche ; qu'ils rou-
>>giffent à l'aſpect du tableau de ſa vie ;
>> Bayard fit de grandes chofes dans la
>> guerre& fut appelé le Chevalier fans
>> peur ; il eut de grandes vertus , & fut
>> furnommé le Chevalier fans repro-
» che.»
Telle eſt la diviſion de cet éloge; M.
Combes a raſſemblé avec art , dans ſes
deux parties , tous les traits les plus intéreſſans
de la vie de ſon héros ; ſes exploits
de guerre préſentent des détails brillans ;
après avoir rappelé les actions immottel.
les de Bayard , il s'écrie : « Mais deman
MARS. 1770.
93
>>dera lapostérité, pourquoi donc Bayard
>> qui vient de montrer tous les talens
» d'un général , n'eſt il pas à la tête des
>>armées ? Oſons le dire ; ces poſtes écla-
>>tans attachés preſque toujours aux noms
>> connus à la cour , ſouvent même & trop
>> ſouvent accordés à la faveur , ne vont
>> guères chercher le guerrier modeſte qui
>> borne ſon ambition à bien fervir l'état.
» Bayard ne veut qu'être utile ; il craint
>> de l'être moins en commandant ; il fait
» qu'un général, ſouvent gêné par des or-
>>dres , n'eſt par le maître de profiter du
» moment de vaincre ; que les intrigues
➤ d'une cour peuvent faire échouer les
>> projets les mieux concertés; qu'un Var-
> ron fuffit pour faire fuccomber un Paul
>> Emile; il ne veut point que ſon éléva-
>>tion puiſſe exciter de jaloufie funeſte à
>> la patrie ; mais il veut être le chefd'une
>> troupe qu'il s'eſt choiſie lui-même , la
>> mener au combat quand l'occaſion eſt
>>belle , former des entrepriſes hafardeu-
>> ſes dont le ſuccès ne dépendra que de
>> ſon épée ; être le premier à l'attaque ,
» & le dernier dans la retraite ; préparer
>> les victoires & réparer les défaites; être
> l'ame d'une armée par ſes conſeils , &
>> commander pour ainſi dire à fon général
par l'aſcendant de ſes lumieres ;
94
MERCURE DE FRANCE.
» voilà lagloire qui le flatte ; c'eſt par les
>> actions & non par ſes titres qu'il veut
n que la poſtérité le juge.>>
Letableau des vertus de Bayard eſt
l'objet de la ſeconde partie ; c'eſt un recueil
d'anecdotes intéreſſantes qui peignentlame
de ce héros. Sa morteft préſentée
d'une maniere également vive &
touchante. Bayard meurt au champ de
bataill'e; ſes ſentimens ſont ceux d'un
Chrétien & d'un guerrier; ils amenent
cette apostrophe qui forme la peroraifon
de ce difcours . " Guerriers , c'eſt ſur-tout
» vousque j'appelle à ce ſpectacle; je vous
>>demande ſi la religion dégrade ici le
>> courage. Voyez ce grand capitaine dont
» la viea été une ſuite de prodiges , qui
» a joué un rôle ſi éclatant fur la terre ,
>>qui , par ſes exploits , eſt parvenu à ce
>> haut point de réputation , au-delà du-
>>quel vous n'oſeriez prétendre; il ter-
>>mine fa carriere de gloire avec l'hé-
>> roïfme & la fimplicité de la vertu ; il
>>meurt ſans témoigner d'autre regret à
„ la vie que celui de ne pouvoir plus fer-
> vir fon Roi , fans murmurer contre le
>Ciel qui l'enleve avant le tems à la plus
>> brillante deſtinée , ſans étaler le faux
>> orgueil qui affecte de braver la mort
»pour en impofer aux hommes. Guer
MARS. 1770 . 35
»riers! oſez vivre comme Bayard , vous
trouverez beau de mourir comme lui.
Cours de Mathématiques , à l'uſage du
Corps Royal de l'Artillerie ; par M.
Bezout, de l'académie royale des ſciences
& de celle de Marine ; examina-
• teur des élèves& des afpirans du corps
royal de l'artillerie , & des gardes du
pavillon &dela marine; cenfeur royal.
• A Paris , de l'impr. royale, 2 vol . in-8 °.
avec fig. Prix 14 liv. br. chez Panckoucke,
rue des Poitevins ; Muſier , quai
desAuguſt. Lacombe , rue Chriſtine.
Ce coursde mathématiqueseſt undesplus
complets&despluseſtimesquenousayot.s;
Il eſt principalementdestiné au corpsroyal
del'artillerie,mais lesperſonnes étrangeres
àce corps n'en tireront pas moins d'avanrage;
l'auteur commence par expoſer les
élémensde l'arithmétique , de la géométrie
& de la trigonométrie rectiligne ; il
expoſe enfuite les principes da calculdes
quantités algébriques ; on fait que le but
de cette derniere ſcience eſt de donner
les moyens de ramenerà des regles géné
rales la réſolution de toutes les queſtions
qu'on peut propoſer ſur les quantités;
M. Bezout termine fon ouvrage par l'application
de l'algébre à l'arithmétique &
9 MERCURE DE FRANCE.
à la géométrie ; c'eſt aux mathématiciens
à apprécier cette production qui eſt nunie
d'une approbation flatteuſe de l'académie
royale des ſciences , qui l'a jugée
digne de l'impreſſion.
La Regle du troisième Ordre de St François
, appelé l'Ordre de la Pénitence ,
inſtitué par le St Patriarche , pour les
perſonnes féculiéres de l'un &de l'autre
fexe , avec une explication ſur la
regle ; par le P. Léonard , Capucin. A
l'uſage de ceux qui la profeſſent, fous
la jurifdiction des Seigneurs Evêques ,
& ſous la direction des PP. Capucins
de France. Nouvelle édition , revue &
augmentée par un religieux du même
ordre de la province de Normandie. A
Paris , chez Auguſtin - Martin Lottin
l'aîné , libraire& imprimeur ordinaire
de.Mgr le Dauphin, de la ville & des
trois Ordres de St François , rue Saint-
Jacques , au coq & au livre d'or , un
volume in 12.
Cet ouvrage eſt deſtiné aux perſonnes
de l'un & de l'autre ſexe qui ſe ſont ſoumiſesà
la Regle du Tiers Ordre , établi
par St François d'Affife ; la profeflion de
cette regle eſt une promeffe de garder
Lous les commandemens de Dieu & de
remplir
1
97
MARS. 1770 .
remplir les pénitences que le directeur
impoſe pour les fautes commiſes contre
les pratiques de cette regle ; on a mis à
la tête l'histoire du tiers ordre; on y a joint
pluſieurs prières qui font recommandées
par la règle.
1
Mémoires du Marquis de St Forlaix , recueillis
dans les lettres de fa famille
; par M. Framery , avec cette épigraphe
:
L'honneur de tous les biens eft le plus précieux .
Et par un vieil abus difficile à comprendre
Nous le pourrions ôter & ne ſaurions le rendre.
TH. CORNEILLE. Illustres ennemis ,
acte 1.Scène 3 .
A Paris , chez Fetil , libraire , rue des
Cordeliers , près celle de Condé , au
Parnaſſe italien ; 4 part. in 12 .
Le Marquis de St Forlaix , jeune hom.
me de grande eſpérance , vient à Paris
folliciter un régiment ; il y renouvelle
connoiſſance avec Mde d'Ornance , fa
fille& fon fils ; il ſe lie de la plus étroite
amitié avec ce fils dont le nom eſt Corfange
, & prend les ſentimens les plus
tendres pour l'aimable Julie , foeur de ce
E
98 MERCURE DE FRANCE.
dernier. La vertu raiſonnée , la décence
&la modeſtie ſouvent extrêmes , forment
le caractere de cette Julie , & l'auteur l'a
développé avec beaucoup d'art. Corfange
pofléde au même degré que ſa ſoeur , les
qualités extérieures; mais fon coeur eſt
bien loin de la même pureté ; ſa jeuneſle
fut tachée du plus vil penchant ; la crainte
de ſuites fâcheuſes le fit renfermer
dans une priſon dont la foibleſſe de ſa
mere le tira bientôt ; il reparut dans le
monde en couvrant ſes vices du manteau
de l'hypocrifie ; il ne ſe lie avec St Forlaix
que pour le trahir,
CeCorfange eſt ſoupçonné dès le commencement
d'avoir pris au marquis , une
montre de la perte de laquelle celui - ci
accuſe un domeſtique qu'il tient de ſon
oncle. Ce n'eſt pas un caractere indifférent
dans cet ouvrage que celui de cet oncle
, M. de Prêle ; quoique ce caractère
ne manque pas de modèles dans la ſociété
, il n'a pas encore été traité comme
il l'eſt ici . C'eſt un homme qui a paſſé
l'âge des paſſions ſans les reſſentir ; le
ſyſtême qu'il s'eſt formé de bonne heure
eſt que la ſenſibilité dans quelque genre
que ce foit , eſt nuiſible au repos ; il s'eft
toujours défendu d'aimer , & il lui eſt arMARS.
ود . 1770
८.
rivé plus d'une fois de rompre tout-àcoup
une haiſon parce qu'elle lui devenoit
trop chere.
L'auteur a eu l'adreſſe de donner à ce
caractere toutes les nuances dont il étoit
ſuſceptible , en jetant M. de Prêle à travers
un tourbillon de malheurs qui font
taire fes raiſonnemens pour ne toucher
que la compaffion .
Corfange eft obligé de ſe rendre auprès
de ſon pere qui gémit de lui voir
perdre ſon tems dans une molle oiſiveté.
M. d'Ornance eſt un homme d'une grande
naiſſance ; amoureux dans ſa jeunelle,
il ne s'attacha qu'à obtenir l'objet de ſes
voeux ; quand l'age eut mûri ſa raiſon , il
fentit la faute qu'il avoit faite'; il regretta
la gloire dont l'aiguillon le plus vif preffoit
alors fon coeur. Cette paffion , devenue
violente , donne à fon caractere une
fermeté quelquefois âpre , mais toujours
jointe à la plus grande droiture ; il s'oppoſe
de toute fa force à ce que fon filsl'imite
dans une conduite qu'il abhorre.
C'eſt cependant l'unique defir de Corfange
; il voit Henriette , foeur de St. Forlaix
; il l'aime , il en eſt adoré ; il eft capable
de tout, pourvu qu'il l'obtienne; cette
jeune infortunée , dont les paſſions font
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
violentes , céde à celle qu'elle a conçue
pourCorfange ; il abuſe de ſon penchant,
la ſéduit , obtient tout d'elle , & tandis
qu'il employe les moyens que fon vil
penchant lui inſpire pour enlever ſa maîtreffe
, il eſt arrêté , mis en prifon & condamné
à perdre la vie ſur un échafaud.
Tel eſt le fond de ce roman. Onjuge
detoutes les ſituations qui naiſſent de cet
incident , le mariage de St Forlaix rompu
, la mort de la mere de Corſange cauſée
par le déſeſpoir , les remords cruels
d'Henriette , épouſe d'un homme deshonoré
, &c. L'auteur difcute à fond&d'une
maniere ſentie & raiſonnée , le préjugé
qui note d'infamie les parens d'une perſonne
fuppliciée ; il faut voir tous ces
détails dans l'ouvrage même ; c'eſt priver
le lecteur d'une grande partie de l'intérêt
que de lui ôter celui de la curioſité. Nous
ajoutons ſeulement que l'auteur a mis en
action ce qu'il a établi d'abord en principe
, c'est-à-dire la réhabilitation des familles
pour une ſomme de gloire plus
grande que n'a été celle de la honte . M.
d'Ornance , inconnu à St Forlaix , & montant
par degrés ſous ſes yeux ,par ſa feule
valeur , durang de ſimple foldat au grade
le plus élevé , offre les ſituations les plus
MARS. 1770. 101
nobles & les plus intéreſſantes ; on trouve
outre celadans ce toman , une Madame
la Maréchale d'Eſſ... qui jouit d'un fort
grand crédit & d'une mauvaiſe réputation
, dont le caractere & le ton fournif.
ſent des détails agréables & piquans ; la
plupart des autres font neufs ; tous font
vrais , & cet ouvrage intéreſſant & motal
eſt écrit avec une facilité qui doit faire
eſpérerdes ſuccès à M. Framery qui en eſt
l'auteur.
La Banque rendue facile aux principales
nations de l'Europe. Troiſième édition ,
revue , corrigée & conſidérablement
augmentée ſur les mémoires & les avis
des plus fameux banquiers négocians ,
&c . à la ſuite de laquelle on trouve le
traité de l'achat des matieres & eſpéces
- d'argent , & la maniere de tenir
les livres en parties doudies , par
P. Girardeau l'aîné,négociant . A Lyon ,
chez Regnault ; & ſe vend à Paris ,
chez Saillant & Nyon , libraires , rue
St Jean de - Beauvais ; un vol.in-4°.
Prix 13 liv . relié.
La rapidité avec laquelle les deux premieres
éditions de cet ouvrage ont été
enlevées , en annonce allez le mérite ;
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
cette troifiéme eſt beaucoup plus correcte
que les précédentes ; elle eſt augmentée
d'un traité de l'achat des matieres , &
d'un autre ſur la maniere de tenir les livres
en parties doubles. L'auteur y fuit la
méthode qu'il a employée dans ſon ouvrage
; il ne s'attache pas à préfenter des
ſpéculations purement théoriques , & parlà
ſouvent inutiles ; il offre toujours une
pratique fûre. On pourroit appeler cette
collection utile le manuel détaillé du négociant
; cet ouvrage eſt trop connu pour
que nous entrions dans aucun détail ; il
eſt de l'eſpéce de ceux que l'on confulte
&dont les analyſes ne donnent qu'une
idée imparfaite. Les libraires qui le débitent
annoncent qu'il en paroît une édition
contrefaite à Gênes & remplie de
fautes ; ils avertiſſent les négocians de ne
Paite avec beaucoup de foin&qui , à tous
point la confondre avec
égards , mérite la préférence .
Histoire naturelle des glacieres de Suiffe ,
traduction libre de l'allemand de M.
Grouner ; par M. de Keralio , premier
capitaine aide - major à l'école royale
militaire , & chargé d'enſeigner la tactique
aux élèves de cette école. A Pa.
ris , chez Panckoucke , libraire , rue
MARS . 1770. 103
des Poitevins , à l'hôtel de Thou ; un
volume in 4° .
Pluſieurs écrivains ont parlé des gla
cleres de Suiſſe ; mais juſqu'à M. Hottingher
, aucun n'en avoit donné une defcription
fatisfaiſante ; celle qu'on a de lui
eſt très courte , écrite en latin , & inférée
dans les éphémérides de l'académie impériale
; elle eſt peu connue parce qu'elle
n'a jamais été publiée ſéparément ; M.
Grouner eſt le feul qui ſe foit propofé un
plan vaſte ; il a entrepris la deſcription
générale de ces monts de glace qu'on
trouve dans ce pays ; il a profité des recherches
de fes compatriotes à ce ſujet, &
a joint leurs obſervations à celles qu'il a
faites lui - même ; tous les cantons , excepté
ceux de Bunden & de Vallis , lui
ont fourni des ſecours , & l'ont mis en
état de rendre fon ouvrage auſſi complet
qu'il pouvoit l'être . Son hiſtoire naturelle
des glacieres helvétiques eſt diviſée en
trois parties ; les deux premieres offrent
la defcription hiftorique & géographique
de ces montagnes célèbres , l'énuméra
tion des foffiles , des fontaines remarquables
, des eaux minérales &des autres
productions naturelles qu'elles renfer
ment. L'auteur les termine par une com
E iv
10$ 4 MERCURE DE FRANCE.
paraiſon des monts de glace de Suiffe avec
ceux des pays ſeptentrionaux. Cette
partie de fon travail eſt très- intéreſſante
& très curieuſe ; elle préſente beaucoup
de recherches & annonce un naturaliſte
profond. L'explication de la maniere
dont fe forment ces fortes de montagnes ,
leurs changemens , leurs avantages &
leurs défavantages , rempliffent l'objet de
la derniere partie ; M. Grouner a joint à
fon ouvrage des cartes très bien faites fur
leſquelles il eſt facile de ſuivre l'enchaînement
des glacieres , & de prendre une
idée générale de leur ſituation&de l'emplacement
que chacune occupe .
M. de Keralio , en nous traduiſant cette
production , a fait un préſent à notre
littérature ; ce n'eſt pas le ſeul dont elle
lui eſt redevable; on connoît ſa traduction
du voyage de M. Gmelin en Sybérie
, qui a eu le plus grand ſuccès & qui
le méritoit ; il a traduit l'ouvrage de M.
Grouner avec la même liberté ; il en a
retranché tous les détails inutiles & ceux
qui ne pouvoient intéreſſer que les Cantons
dans leſquels ſe trouvent pluſieurs
monts de glace ; il a quelquefois combattu
ſon auteur dans des notes particulieres
, lorſqu'il a trouvé que ſes opinions
n'étoient pas appuyées ſur des fondemens
MARS. 1770. 105
bien ſolides ; il ne s'eſt pas contenté de
nous donner une verſion , il a corrigé , il a
enrichi l'écrivain qu'il a traduit.
Les Economiques ; par L. D. H. A Amfterdam
; & ſe trouvent à Paris,chez Lacombe
, libraire , rue Chriſtine ; in 4° .
& in- 12 . 2 vol .
Nous devons cet ouvrage au Philoſophe
économiste qui a publié des lettres
intéreſſantes fur la législation , dans les
Ephémérides du Citoyen. Il s'étoit engagé
à les terminer par un précis d'inſtruction
économique ; il ſe propoſoit d'abord de
donner une méthode , & une formule inftructive
, plutôt qu'une énonciation de la
ſcience ; mais plus il a réfléchi ſur cette
idée , plus il a fenti combien il étoit difficile
de la remplir ; les livres élémentaires
dont il a examiné les plans pour former
enſuite le ſien, lui ont paru donner
plus à la mémoire de l'élève qu'à fon intelligence
; c'eſt cette derniere qui doit
préſider à l'étude de la ſcience économique
; elle mérite d'être diſtinguée des autres
connoiſſances humaines. «Toutes
>>déclinent avec les moeurs ; mais les
>>moeurs déclinent avec les nations;mais
Ev
4
106 MERCURE DE FRANCE.
>> les nations déclinent avec leur puiffan
>> ce; mais la puiſſance des nations n'eſt
>> autre choſe que l'abondance dont elles
>> jouiffent ; mais cette abondance ne con-
>> ſiſte qu'en produits de la terre ; mais
>>>les produits de la terre n'abondent que
>> par le travail de l'homme ; mais le tra-
>> vail de l'homme ne fructifie qu'au
>> moyen d'un ordre de diſtribution des
>> produits de la terre , qui en opére la
>> consommation réguliere & la repro-
>> duction conſtante & avantageuſe ; mais
> cet ordre ſera toujours interverti , s'il
>> n'eſt reſpecté ; mais , comme s'oppo-
>> ſant à la cupidité , il ne ſera jamais
>> conftamment reſpecté, s'il n'eſt généra.
> lement connu ; mais il ne peut être gé-
>> néralement connu & perpétué que par
>> l'enſeignement général& perpétuel de
>> la ſcience économique , qui n'eſt autre
>> choſe qu'une doctrine. Cette doctrine
>> fixe l'oeil de l'homme ſur les ſourcesde
>> la vie humaine , arrête fon intelligence
>> à l'inſpection de l'ordre naturel , dont
>> les regles conſtantes opérent , dirigent ,
maintiennent & perpétuent cet ordre ſi
>> néceſſaire , cet ordre de diſtribution
>> de conſommation & de reproduction
>> des ſubſiſtances.
>>
,
MARS. 1770. 107
On ne peut expoſer d'une maniere plus
•préciſe l'importance & l'objet de la ſcience
économique ; il s'agit de préſerver
l'humanité entiere , préſente & future,de
la barbarie dont les effets aboutiflent tous
à ſa deſtruction ; pour y parvenir , il falloit
une inſtruction claire & préciſe; c'eſt
celle que nous annonçons ; l'auteur a préféré
la forme du dialogue à celle qu'on
fuit dans la plupart des livres élémentaires
qui ne préſentent leurs leçons que par
interrogatoire ; ici les deux interlocuteurs
cauſent enſemble ; celui qui cherche à
s'inſtruire réfléchit ſur les principes qu'on
lui développe , & trouve ſouvent l'occafion
de faire des queſtions intéreffantes
qui aident à jeter un plus grand jour fur la
ſcience qu'on lui enſeigne.
Cet ouvrage doit avoir quatre parties.
Lesdeux premieres contiennent des inftructions
pour la claſſe productive & pour
la claſſe propriétaire. Dans la premiere
partie , l'auteur s'entretient avec un enfant
âgé de quinze ans ; c'eſt le fils d'un
laboureur , qui n'a aucune idée de la fcien
ce économique ; il s'agit de lui faire comprendre
ce que c'eſt que cette ſcience
pour cela il a fallu que l'auteur ſoit entre
dans une multitude de détails prépara
Evj #
108 MERCURE DE FRANCE.
!
toires; il les préſente avec beaucoup d'art
&de clarté ; un lecteur peu inſtruit peut
fſuivre ces leçons ſimples & méthodiques,
où l'on raffemble ce vaſte développement
de conféquences toutes dérivées d'un ſeul
& même principe , & prendre une juſte
idée de cette ſcience négligée pendant
pant de fiécles , & qui n'a été connue &
approfondie que de nos jours.
Mémoires de l'Académie royale de Pruffe,
concernant l'anatomie , la phyſiologie,
la phyſique , l'hiſtoire naturelle , la
botanique , la minéralogie , &c. extraits
des ſeize volumes in - 4°. qui
compoſent les mémoires de ladite académie
; avec un choix des mémoires de
chymie & de philoſophie ſpéculative,
des diſcours préliminaires & des appendix
, où l'on indique les nouvelles
découvertes. Par M. Paul , correfpondantde
laſociété royale des ſciencesde
Montpellier , aſſocié à l'académie des
ſciences & belles-lettres de Marſeille .
A Paris , chez Panckoucke , libraire ,
rue des Poitevins , hôtel de Thou. Sept
volumes in 12 .
Rien n'a plus contribué à étendre les
connoiſſances & le goût des ſciences &
MARS. 1770. 109
des arts que l'établiſſement des académies
; c'eſt à elles que le Nord doit les
lumieres qui l'éclairent; les recueils qu'elles
ont publiés ſont des monumens précieux
que les ſavans confultent avec fruit.
Le célèbre Léibnitz , ce rival de Deſcartes
& de Newton , dont un philoſophe
couronné a dit qu'il ſembloit avoir plus
d'une ame , fut le premier préſident de
l'académie de Berlin; cette ſociété ſavante
embraſſe dans ſes recherches tout le
ſyſtême des connoiſſances humaines; elle
a établi une claſſe particuliere , de philoſophie
ſpéculative, conſacrée à la morale,
au droit naturel &à la plus fublime métaphyſique.
M. Paul a raſſemblé dans les
ſept volumes que nous annonçons tout
ce qu'elle a publié de plus intéreſſant pour
les médecins , les chirurgiens , les anatomiſtes
, les phyſiciens , les botaniſtes , les
naturaliſtes , &c. Il réunit les ſeize années
de travaux de l'académie depuis fon renouvellement
en 1745 juſqu'en 1760. Il
s'arrête à cette époque où la guerre diſperfant
les académiciens , ne leur permit pas
de pouffer leurs mémoires plus loin.
M. Paul a placé , à la tête de chaque
volume , un diſcours préliminaire dans
lequel il donne des analyſes très - bien
ITO MERCURE DE FRANCE.
faites de la plupart des mémoires qui fuivent;
c'eſt ainſi qu'il rend compte luimême
de cette partie de ſon travail.
«Nous nous ſommes preſque toujours
>> fait une loi , en rendant compte des
>> idées ou des découvertes des auteurs ,
>> d'uſer de leurs propres expreſſions ; &
>> pourquoi nous ferions- nous mis à la
>> torture pour leur donner un autre tour ,
» au riſque quelquefois de les déguifer?
>>Le Public n'y eût certainement rien
>>gagné , & ce travail nous auroit prisun
>> tems que nous croyons avoir été plus
>>utilement employé à corriger des fautes
>> contre la langue , & à faire quelques
>> remarques lorſque l'occaſion s'en eft
>>préſentée. Tout l'art dont nous avons
>> fair uſage dans nos analyſes , a été de
>>rapprocher les idées , les principes , les
>> faits répandus dans un mémoire ou
> dans un ouvrage , afin que l'eſprit pût
>> les faifir ou les embraſſer d'une ſeule
» vue, "
Quant aux mémoires ils ont auſſi exigédes
foins de la part de M. Paul ; il y
en a pluſieurs dont le ſtyle avoit beſoin
d'être retouché ; il les a corrigés; les aureurs
ne peuvent s'en plaindre ; le fond
de leurs ouvrages eſt conſervé , on en a
MARS. 1770. FIF
rendu la lecture plus facile ; on ſait aſſez
qu'il eſt difficile de bien écrire dans un
idiome étranger. « Il y a cependant plu-
>> ſieurs piéces de ce recueil , ajoute M.
>>>Paul , qu'on diroit avoir été écrites à
>> Paris , tant le ſtyle en eſt pur & correct;
>> il faut en louer les auteurs& ne pas bla-
>> mer les autres. L'honneur que l'acadé-
>> mie royale de Pruſſe a fait à notre lan-
» gue , en la préférant à la langue natio-
>> nale & au latin , eſt un hommage plus
>>glorieux à la France que des victoires
» & des conquêtes , & follicite notre in-
>> dulgence fur quelques fautes de langa-
» ge ſi ſupérieurement rachetées d'ail-
>> leurs par le mérite du fond. >>
Les Amoursde Lucile & de Doligny; par
M. de la Guerrie. A Paris, chez Lejay ,
libraire , rue St Jacques , au- deſſus de
la rue des Mathurins , au grand Corneille
, 2 part. in- 12 .
Lucile eſt la fille unique de M. & de
Mde de Menonville ; elle a puiſé dans
leurs leçons & dans leurs exemples des
principes de conduite & de vertu. Ses
premieres années s'écoulent dans une
heureuſe tranquillité ; l'âge des paſſions
arrive ; elle voit Doligny & ne tarde pas
12 MERCURE DE FRANCE .
à s'appercevoir des impreſſions qu'elle a
faites fur fon coeur ; elle ne peut ellemême
ſe défendre d'un certain trouble
qui devient bientôt de l'amour. Doligny
doit le jour au comte de Vaudreuil, homme
fier & févere , qui a des vues qui ne
s'accordent point avec les ſentimens de
fon fils . Il réſiſte à ce pere inflexible &
ſe voit menacé des traitemens les plus rigoureux
; il feint de ſe ſoumettre à ſes
volontés , pour avoir le tems de s'y ſouſtraire
; il va porter ſon déſeſpoir aux pieds
de Lucile ; elle s'attendrit , & Doligny
profite d'un inſtantde foibleſfe ; une nuit
il s'échappe de la maiſon de ſon pere pour
volerdans les bras de fon amante ; cette
même nuit , un ennemi ſecret attaque les
jours de M. de Vaudreuil , qui évite la
mort, ſe ſauve dans ſa maiſon , y demande
ſon fils qui ne s'y trouve point , & s'imagine
que c'eſt Doligny lui -même qui
a attenté à ſa vie ; il l'épie à ſon retour ;
les précautions avec leſquelles le jeune
homme eſſaye de rentrer dans ſon appartement
pour ne réveiller perſonne , paroiffent
aux yeux du veillard autant de
preuves qui confirment ſes ſoupçons ; il
fait plonger fon fils dans un cachot , & l'y
traite comme un ſcélérat .
L'abſence de Doligny porte la douleur
MARS. 1770. 113
dans le coeur de Lucile ; elle s'apperçoit
avec déſeſpoir qu'elle eſt mere ; elle ſe
détermine à révéler ce funeſte ſecret à ſon
pere ; mais comment lui découvrir ſa
honte , elle héſite long-tems & fait enfin
ce terrible aveu; nous connoiffons peu de
ſituations plus intéreſſantes & plus pathétiques
; elle a trop d'étendue pour être extraite
, & en retrancher le moindre détail
, ce feroit la gater ; nous invitons nos
lecteurs à la lire .
Lucile croit adoucir la priſon de fon
amant & peut- être l'ouvrir en renonçant
à lui ; elle écrit à Mde de Vaudreuil fon
hiſtoire& la réſolution qu'elle a priſe de
ſe renfermer dans un cloître ; on croit
qu'en portant cette nouvelle à Doligny ,
& annonçant le ſacrifice de ſon amante
comme une choſe faite , on le déterminera
facilement à obéir à fon pere , & on
lui porte le coup de la mort ; aucun lien
ne retient plus Lucile dans le monde ; les
larmes de ſon pere ne peuvent l'empêcher
de le quitter ; elle va pleurer dans un
couvent la perte de ſon amant & fa foibleffe.
Ce roman offre beaucoup d'intérêt &
de vérité ; les fituations en ſont quelquefois
neuves& toujours touchantes ; l'au
114 MERCURE DE FRANCE.
teur paroît avoir étudié la nature & le
coeur humain , & peut ſe promettre des
ſuccès dans ce genre de productions .
Morale de l'Histoire ; par M. de Mopinot
, lieutenant colonel de cavalerie ,
ingénieur à la ſuite des armées de S.
M. T. C. dédiée à S. A. R. Mgrie Duc
Charles de Lorraine & de Bar , &c . rédigée
& publiée par M. *** . A Bruxelles
, de l'imprimerie royale ;& ſe trouve
à Paris , chez Deialain , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe , in-12. tome
III .
En annonçant les deux premiers volumes
de cet ouvrage , nous avons dit qu'il
rempliſſoit une des parties eſſentielles du
plan d'études que le gouvernement deſiroit
avoir pour l'inſtruction publique. Le
troiſiéme volume qui vient de paroître
juftifie le jugement que nous en avons
porté; les traits hiſtoriques qu'il renferme
font pris dans le tems qui s'eſt écoulé
depuis l'an 215 juſqu'à l'an 42 avant l'Ere
Chrétienne ; ils font choiſis avec foin , &
accompagnés de réflexions propres à inftruire
les jeunes gens & à former des citoyens.
Nous en rapporterons quelquesuns.
« Après que Tibérius Gracchus eut
MARS. 1770. τις
» été tué dans une émeute , tous ceux qui
>>>avoient des liaiſons étroites avec le
>> tribun& qui pouvoient être complices
>> de ces deſſeins , furent recherchés &
» pourſuivis. Lælius , un des commiflai-
>> res , interrogeant Bloſius , l'ami intime
» & le principal confident deGracchus ,
>> lui demanda juſqu'où ſon attachement
>> pour Gracchus eût été capable de le por-
» ter ? tout entreprendre & à tout faire ,
..
>> répondit Bloſius . Eh quoi , répondit
» Lælius , s'il t'eût commandé de mettre
» le feu à nos temples . Il ne l'eûtja-
» mais commandé , répliqua Bloſius . Mais
» s'il te l'eût commandé , ajouta Lælius ?
» J'y euffe mis lefeu , dit Bloſius. »
Ce trait intéreſſant par ſa fingularité
doit naturellement frapper les jeunes
gens , toujours prêts à admirer ce qui les
111
d'y joindre
une réflexion ; voici celle de M. deMopinot.
« J'ai vu des gens d'eſprit réduire
>> cette réponſe en maxime . C'eſt desho-
>> norer l'amitié & lui donner un caractè-
>> re vicieux qu'elle ne ſauroit avoir. On
» ne doit de la confiance qu'à la vertu ;
»& les noeuds d'une amitié contraire à
>> l'ordre font tranchés par le crime dont
la ſociété ſe trouve menacée. Il faut
116 MERCURE DE FRANCE.
>> être fou ou ſcélerat pour ne pas ſuivre
>> ce principe , ou ne le pas admettre du
>> moins , quand il eſt établi ſur une ré-
>>ponſe pareille à celle de Blofius , qui
>> révolte & fait trembler la nature &
>> l'honneur. »
Ily a beaucoup de variété dans le recueil
de ces faits hiſtoriques. « Tibac.
>> Gracchus ayant inveſti les Portugais ,
>>ils lui dirent qu'ils avoient des vivres
>> pour dix années. Eh bien , leur répon-
» dit il , je vous prendrai à la onziéme.
>> Ils le crurent & ſe rendirent. De pa-
>>reilles réponſes , ajoute M. de Mopi-
>>not , valent des actions ; tout militaire
>> devroit ſe former à ce ſtyle foudroyant;
>> il eſt l'éloquence du héros , il peut s'ac-
>>quérir. >>
En parlant de Scipion qui , au fortir de
l'enfance dégager fon pere du milien
des ennemis à la bataille de Tefin , l'auteur
rapporte une anecdote qui le regarde
&qui mérite d'être connue. « Lorſque
>> je remonte à l'examen des actions de
>> ma vie , une de celles que je me rétrace
» avec plus de plaiſir , eſt celle qui fuit.
>> Je n'avois que onze ans &quatre mois,
» & déjà , à cauſe de la riviere qui borde
» le jardin de la maiſon que mes parens
MARS. 1770. 117
:
habitoient , j'étois affez habitué à l'eau;
» je m'étois baigné ſouvent , j'avois plu-
>> ſieurs fois eſſayé de nager , mais je n'a-
>> vois pu encore y réuffir. Etant dans une
>> petite barque ſur cette riviere avec ma
» mere , mon précepteur& deux domef-
>> tiques , nous nous amuſions du ſpecta-
>> cle de quelques ouvriers qu'on em-
>> ployoit à tirer un arbre tombé dans
» l'eau; ma mere croyant voir que ces
>> ouvriers manoeuvroient mal , fit avan-
>> cer ſa barque près de l'arbre , &vou-
>> lant leur montrer ce qu'ils avoient à
>> faire , elle fut renversée & précipitée
>> dans la riviere ; je jetai un cri ; je de-
» meurai quelques inftans à parcourir des
» yeux les perſonnes qui étoient dans la
>> barque & fur le rivage ; je ne crus voir
>> que des diſpoſitions à des ſecours trop
>>lents; & fur le champ je me jetai à
>> l'eau; j'y rencontrai ma mere , je la ſai-
>> ſis, je la foulevai ,&lui mis la tête &
» les mains hors de l'eau ; elle ſe ſaiſit
>> des branches , s'y affermit d'une main
>> & de l'autre me prit par les cheveux ,
* me mit la tête hors de l'eau & me ſauva
» lavie.»
M. de Mopinot jointà cette anecdote
des réflexions intéreſſantes fur les devoirs
110 MERCURE DE FRANCE.
Th
Cosmographie méthodique & élémentaire ;
par M. Buy de Mornas , géographe du
Roi & des Enfans de France ; un vol.
grand in- 8 °. A Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriſtine .
La coſmographie eſt la connoiſſancede
la ſphère , c'est-à-dire du globe céleste &
-terrestre . L'ouvrage que nous annonçons
donne une idée claire & préciſe de tout
ce qu'on peut ſavoir de mieux fur ce double
objet. M. Buy de Mornas y raſlemble
avec choix ce que différens auteurs
eſtimés ont écrit de plus certain fur cette
matiere . On peut même dire qu'il ſe l'approprie
par la maniere dont il affimile ces
différentes idées , & l'ordre qu'il donne
à leur marche. Il commence par traiter
duglobe céleste & des différens ſyſtemes
aſtronomiques . Il indique la nature &
le mouvement des étoiles fixes; les conftellations,
les planètes , leurs révolutions,
leurs aſpects ; ce qu'on doit penſer de fa
nature des comètes ; ladiviſion des tems;
les divers cycles inventés à ce ſujet chez
différens peuples anciens & modernes ;
tous ces objets ſont préſentés dans cet
ouvrage avec autant d'exactitude que de
préciſion & mis à la portée de toutes les
claſſes de lecteurs .
Vient
MARS. 1779. 121
Vient enfuite ce qui concerne les
points , les lignes , les cercles qui compoſent
la ſphère. On décrit leur ufage ;
la grandeur de la terre , ſa ſituation , fa
figure , ſes diviſions principales , leurs
rapports avec celles de la ſphère ; ce qui
concerne les climats tant ſeptentrionaux
que méridionaux , les cercles de longitude
& de latitude ; ce qui amene quelques
remarques ſur les différentes meſures itinéraires
tant anciennes que modernes ;
enfin une idée abregée de l'ancienne &
moderne géographie termine cet ouvrage
qui ſera ſuivi d'un traité complet de Géographie
historique. On fait que M. Buy
de Mornas eſt le premier qui ait imaginé
d'adapter la chronologie & l'histoire à la
géographie ; méthode qui éloigne tout
dégoût de cette derniere ſcience & qui
en facilite les progrès. La cofmographie
élémentaire dont il s'agit ici peut être enviſagée
comme une introduction à cet
ouvrage,& forme en même tems un traité
clafflique & complet ſur tous les objets
qu'elle embraſſe.
Fayel , tragédie ; par M. d'Arnaud. A
Paris , chez Lejai , libraire , au grand
Corneille , rue St Jacques .
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ce ſujet eſt le même que celui qu'a
traité M. de Belloi ſous le nom de Gabrielle
de Vergi. Il appartenoit à tout le
monde , puiſqu'il eſt conſigné dans des
monumens hiſtoriques & qu'il a été embelli
par l'art des romanciers & orné des
graces de la poësie.
Fayel a trouvé un billet ſans adreſſe , &
qui n'étoit ni ſigné ni achevé. Il foupçonne
qu'il eſt pour Gabrielle. Il ouvre
la ſcène par des tranſports de fureur. Ila
fait enfermer ſa femme dans une tour.
Le Preux de Vergi , pere de Gabrielle
demande à fon gendre les motifs de l'état
violent où il le voit. Fayel lui montre ce
billet. Vergi , qui n'a pas ignoré l'amour
de Couci pour ſa fille , reconnoît ſa main
& diffimule. Il fait rougir Fayel d'une
violence qui peut être injuſte. Il lui fait
obſerver que le billet peut n'être point
pourGabrielle. Fayel revient à lui ,& fort
pour aller ſe jetter aux pieds de ſa femme.
Elle paroît au ſecond acte dans ſa
priſon. Adéle , qui l'a élevée , cherche en
vain à la conſoler. Elle eſt dans l'accablement
le plus profond; elle ſe ranime
pourtant au nom de Couci , & développe
ſa paffion pour ce heros. Son pere vient
la viſiter. Il lui parle avec une ſévérité
MARS. 1770. 123
mêlée de tendreſſe . Il l'exhorte à dompter
un amour inutile & coupable . Tandis
qu'il s'entretient avec elle , on lui apporte
des lettres de l'armée des Croiſes ,
qui lui apprennent la priſe de Ptolemaïs
ou Acre , les différens exploits des plus
vaillans chevaliers . Gabrielle attend toujours
le nom de Couci ; on le prononce
enfin ; mais c'eſt pour lui apprendre qu'il
a été tué. Elle éclate en ſanglots. Fayel
arrive en ce moment , & la voyant en
larmes it ſe perfuade que Vergi a fu attendrir
le coeur de ſa fille en faveur d'un
époux cruel & malheureux . Les réponſes
entrecoupées de Gabrielle le confirment
dans fon erreur. Il tombe à ſes pieds, lui
demande grace , lui jure un amour éternel
. Raymond fon écuyer vient lui parler
tout bas . Il fort furieux en lançant des
regards terribles fur Gabrielle. Vergi tire
cette infortunée de ſa prifon& la ramene
dansle palais.
Couci ouvre le troifiéme acte , ſuivi de
fes écuyers & de quelques hommes d'arines.
On ſuppoſe aisément qu'il n'a été
que blelle dangereuſement , que le bruit
de ſa mort s'eſt répandu & qu'il a été guéri.
Il s'entretient de ſes amours. Il ignore
le mariage de Gabrielle. Il eſpére encore
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
obtenir ſa main, malgré la méſintelligence
qui regne entre le Preux de Vergi &
Enguerand de Couci. Cette converſation
ſe paſſe entre lui & fon écuyer Monlac
dans le parc du château de Fayel. L'épouſe
de ce ſeigneur approche d'un autre
côté, appuyée fur Adéle. C'eſt le moment
de la reconnoiſſance. Couci apprend tous
ſes malheurs. Il veut tantôt ſe percer &
tantôt aller poignarder Fayel. Gabrielle
s'oppoſe à ſes tranſports ; mais pendant
ce combat douloureux , les gens de Fayel
qui ont obſervé leur entretien , ſurprenment
Couci aux pieds de ſa maîtreffe , lui
ôtent ſon épée & l'emportent , tandis
qu'on emmene Gabrielle d'un autre côté.
Fayel , dans le plus horrible accès de
la rage , menace Couci , Raimond , tout
ce qui l'environne , interroge ſon écuyer ,
lui reproche d'avoir parlé&le fait parler
encore. Enfin Couci paroît devant lui ,
répond avec une fermeté noble , proteſte
de l'innocence de Gabrielle , avoue qu'il
l'aimoit. A ce mot Fayel paroît croire
qu'il eſt poſſible qu'on l'ait trompé fur la
mort de Couci ,& que ce ſoit lui qu'il
tient enchaîné. Couci ſe fait reconnoître.
Fayel s'écrie :
Frappez .
MARS. 1770. 125
F
COUĆI.
Toi , chevalier !
YEL , revenant à lui.
Je manquois à l'honneur.
Juge combien l'amour peut égarer un coeur.
Et tu viens d'empêcher que mon front ne rougille!
C'eſt un crime de plus qu'il faut que je puniſſe.
Non , non , ne prétends pas , Couci , m'humilier.
Tu vas voir ſi Fayel eſt digne chevalier.
La honte m'eût flétri ; ton attente eſt trompée.
Qu'on détache fes fers , rendez lui ſon épée.
Qu'on m'apporte la mienne. Allons , c'eſt dans ces
lieux
Qu'il faut qu'à l'inſtantmême expire un de nous
deux.
De ton fort &du mien que le glaive décide.
Puiffé-je dans ton ſang tremper ma main avide !
On apportefon épée &fon bouclier.
Non , point de bouclier. Rejetons loin de nous
Ce qui peut affoiblir ou détourner les coups .
Combattons pour mourir. C'eſt le prix quej'envie,
Pourvû que de ſa mort la mienne ſoit ſuivie.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Couci lui fait entendre qu'il s'arme à
regret contre l'époux de Gabrielle. Il lui
offre ſa vie .
FAYEL.
Ah ! barbare , c'eſt moi
Quidefirema fin & qui l'attends de toi.
C'eſt Fayel qui demande à ta main vengereffe
Un trépas qui le fuit & qu'il pourfuit fans ceſſe.
Non , je ne prétends pas combattre pour des
jours
Dont le courroux céleſte empoiſonne le cours ;
Je rejette une épée en mes mains inutiles ;
Couci , j'ouvre à ton fer un chemin plus facile.
Tiens , tiens , frappe , voilà ce coeur trifte & ja
loux
Qui brûle , qui s'élance au-devant de tes coups.
C'eſt là qu'il faut chercher , c'eſt- là qu'il faut détruire
Cet amour furieux qui toujours me déchire ,
Pour qui , juſqu'à préſent , j'ai tout ſacrifié.
Il tombe dans un fauteuil & regarde Couci
qui paroît s'attendrir.
Je ſuis bienmalheureux , j'excite ta pitié.
Il demande à Couci s'il ſe croit aimé.
Couci répond que ſi le pere de Gabrielle
eût voulu la lui donner , peut - être elle
!
MARS. 1770. 127
auroit obéi. Fayel reprend toute ſa fureur.
Le combat commence , & ils fortent de
la ſcène en ſe battant. Fayel , au cinquiéme
acte , revient bleſſé. Il a vu fon rival
tomber ſous ſes coups. Il médite la vengeance
la plus affreuſe. Il apperçoit Gabrielle.
Il fort pour faire préparer l'abominable
repas qu'il lui deſtine. Il revient.
Sa femme tombe à ſes pieds. Elle apperçoit
ſableſſure. Elle ſoupçonne la vérité,
& ſe dit à elle- même , il est mort ! Elle
avoue à Fayel l'amour qu'elle fentoit pour
Couci . Il réitere ſes ordres à Raimond,
ſon écuyer , & fait fortir Gabrielle. Elle
rentre un moment après. Elle a fait l'horrible
repas. Fayel lui montre le corps de
Couci , & lui apprend qu'elle vient de
dévorer le coeur qu'elle aimoit. Elle jette
un cri & fe précipite ſur le corps de fon
amant. Fayel leve le poignard ſur elle.
Vergi entre&le retient. Gabrielle expire
de douleur , & Fayel ſe perce de ſon poignard.
Nous allons voir comment M. de Belloi
a traité le même ſujet.
Gabrielle de Vergi , tragédie ; par M. de
Belloi, citoyen de Calais . AParis, chez
laVeuve Duchefne , rue StJacques.
Fiv
-
128 MERCURE DE FRANCE.
Fayel , dans ce drame , paroît inſtruie
dès la premiere ſcène de l'amour de Couci
pour Gabrielle. Il le regarde comme
un rival & comme un rival aimé. La douleur
fombre & continuelle où ſa femme
paroît enfevelie le confirme dans cette
opinion . Il eſt pourtant obligé de la mener
à la cour de Philippe- Auguſte , qui
revient triomphant de la Tetre Sainte &
qui s'est déclaré protecteur de Vergi ,
beau pere de Fayel, contre le duc de Bourgogne
, dans des querelles féodales . Il
charge Albéric, fon écuyer, de veiller fur
les démarches de Gabrielle. Il lui déclare
à elle-même qu'il faut ſe préparer à ſe
rendre à la cour. Un moment après on
lui apprend que Monlac , écuyer de Couci
, cherche à s'introduire dans le château
d'Autrey cù ſe paſſe la ſcène. Ses foupçons
commencent à éclater. Il ordonne
qu'on arrête Monlac ; mais Albéric vient
lui dire que Monlac ne doit point lui
être ſuſpect , qu'il demande l'hofpitalité
pour quelques heures , qu'il va dans le
Vernandois porter à Enguerrand de Couci
la nouvelle de la mort de fon fils. A ce
mot Gabrielle s'évanouit. Fayel,plus convaincu
que jamais de la paſſion de ſa femme
, n'en fent pas moins la joie d'être
MARS. 1770. 129
délivré d'un rival. Cependant il en doute
encore , parce que ſes lettres de l'armée
ne lui parlent pas de la mort de Couci .
Gabrielle , au ſecond acte, ſe livre à fos
regrets avec Iſaure ſon amie. Elle croit
avoir eu des préſages de la mort deCou--
ci. Dans les douleurs accablantes d'une
maladie dangereuſe , elle a cru voir fon
amant attacher ſa bouche ſur ſa main ;
elle a cru l'entendre dire , d'une voix oppreſſée
: c'est le dernier adieu. Elle ne
doute pas que ce ne fût un avertiſſement
de la mortde Raoul. Mais Ifaure la détrompe
, & lui apprend que ce qu'elle a
cru un fonge , une illuſion , eſt très - réel ;
que Couci , partant pour l'armée , avoit
trouvé le moment de la voir. Ce trait eſt
précisément le même que celui de Saint-
Preux dans le roman de Julie. Fayel a été
témoin de cette démarche de Couci , &
c'eſt ce qui a commencé ſa jalousie. Monlac
rend à Gabrielle un billet de Couci ,
que nous allons tranfcrire.
Je meurs , mon ame vit à jamais pour t'aimer:
J'arrache au ſein des morts ta dépouille mortelle..
Ce cooeur quepour toi ſeule elle dût animer ,
La moitié de ton coeur , ma chere Gabrielle ,
Autombeau loin de toi ne veut pas s'enfermer..
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Elle va te rejoindre .. Hélas ! quel triſte hom
mage!
Qu'il va t'épouvanter !. Non , c'eſt Raoul , c'eſt
moi ,
C'eſt ce fidèle amant qui compte ſur ta foi,
Adieu. Mon ame fuit emportant ton image.
Mon coeur eſt plus heureux ; il reſte auprès de toi.
D'après ce billet , Gabrielle s'attend
à voir le coeur de Couci , & déjà elle détourne
les yeux d'effroi ; mais Monlac la
raffure. Couci étoit bleſſé lorſqu'il écrivit
ce billet ; mais avant qu'il expirât , les
Arabes ſurprirent le camp des Chrériens.
Couci fut enveloppé dans la foule des
cadavres , & Monlac ne put exécuter fes
ordres. Il quitte Gabrielle , qui relit le
billet fatal. Fayel la ſurprend , ſaiſit la
lettre& la lit.
Un amant adoré fait ſeul de tels adieux,
dit-il à Gabrielle. Elle lui avoue tout l'amour
qu'elle a fenti & qu'elle fent encore
pour Couci . Elle rejette tout ſur ſon pere
qui a diſpoſé de ſa main malgré elle & a
faittrois malheureux. Cet aveu attendrit
Fayel. Il ſe jette à ſes pieds. Il conçoit
l'eſpérance d'être aimé un jour , puiſqu'il
m'a plus de rival. Il jure de changer de
conduite & de traiter avec douceur elle
MARS. 1770. 13
& fes vaſfaux. Il lui tient à-peu- près 1
même difcours qu'Hérode tient à Mariam
ne . On retrouve les idées du rôle d'Hérode
exprimées différemment .
C'en est fait ( dit Hérode ) je prétends , plus juſte
& moins févére ,
Par le bonheur public eſſayer de lui plaire.
L'état va reſpirer ſous un regne plus doux ;
Mariamne a changé le coeur de ſon époux .
Mes mains , loin de mon trône écartant les allarmes
,
Des peuples opprimés vont eſſuyer les farmes.
Je veux fur mes ſujets regner en citoyen ,
Et gagner tous les coeurs pour mériter le fien.
Fayel dit:
Arbitredemon fort, maîtreſle de ma vie ,
Tu vas de mes deſtins répondre à la patrie
Sur les pas des héros j'ai ſu me fignaler ,
Soutenu par ta voix , je veux les égaler.
Tu m'as fait imiter ta noble bienfaiſance .
Je vais la furpaſſer : ah ! vois pour l'indigence,
Pour mon peuple épuiſé tous mes tréſors s'ou
vrir.
Je ferai des heureux , ce ſera m'enrichir..
Cetteréconciliation paffagere finir auffi
comme celled'Hérode. Albéric tire Fayell
Fwij
132 MERCURE DE FRANCE .
à part , & lui apprend que Raoul n'eſt
point mort , qu'il eſt auprès de Philippe
dans le voifinage de Dijon . La fureur de
Fayel ſe rallume à cette nouvelle . Il fort ,
réſolu de ſe venger. Cependant il faut
qu'il aille d'abord rendre ſon hommage à
Philippe qui l'attend à Vergi. C'eſt le
moment de cette abſence que ſaiſit Raoul
pour s'introduire dans le château d'Au
trey , déguisé en écuyer. Il retrouve Monlac
, lui apprend que les Arabes ont guéri
ſa bleſſure , & que leur Soudan l'a renvoyé
libre . Gabrielle arrive. Elle nomme
Couci , elle le pleure. Il s'approche. Elle
croit voir fon ombre ; enfin il tombe à ſes
pieds& fe fait reconnoître. Pendant cette
fcène , Fayel eſt revenu en diligence . Il a
rencontré Monlac , qu'il a percé d'un coup
mortel . Au bruit qu'il fait, Raoul a le
tems de ſe ſauver d'un côté & fa maîtreffe
de l'autre. Monlac proteſte , en expirant
, de l'innocence de Gabrielle. Fayel
informé de l'entrevue de Couci avec elle,
perſiſte à la croire coupable. Il fait pourfuivre
Couci , & ordonne à Albéric d'amener
ſa femme , & ſe détermine à diffimuler
encore avec elle & à ne pas paroître
inſtruit de ce qui vient de ſe paffer.
Cette ſcène a beaucoup de reſſemblance
MARS. 1770 . 133
avec celle du 4º. acte de Zaïre , où Orofmane
tient le billet de Néreſtan dans ſa
main , & la fait venir devant lui . Fayel ,
attendant toujours qu'on lui amene Couci
, entretient ſa femme d'un ton froid&
contraint , & quelquefois ironique. On
vient lui dire que Couci ne ſe trouve pas
dans Autrey. Il fort pour l'aller chercher .
Gabrielle , qui a démélé ſur ſon vifage
les ſentimens qui l'agitoient , reſte dans
les plus vives alarmes. Elle revoit Couci
au 4. acte , & s'étonne avec quelque raifon
d'une témérité qui les expoſe tous
deux & qui compromet ſon honneur.
Mais c'eſt cet honneur même qu'il fonge
àconferver. Il ne vient que pour l'engager
à l'oublier , à renoncer à lui , que pour
jurer de ne la plus voir. Gabrielle entre
avec tranſport dans cette idée , & reconnoît
le héros. Tous deux , dans l'enthouſiaſme
de la vertu , font mille fermens
de ne plus s'aimer. Couci s'éloigne; mais
il reparoît bientôt affailli par les gardes
de Fayel qui le déſarment. Fayel , après
lui avoir reproché ſa perfidie , veut le
percer de fon poignard. Gabrielle ſe jette
entr'eux deux. Raoul atteſte ſon innocence
& rappelle à Fayel le devoir d'un
chevalier. L'époux furieux rentre en lui134
MERCURE DE FRANCE.
même & fort avec Couci pour le combattre.
Gabrielle , au cinquiéme acte , eſt dans.
un cachot. Albéric vient lui annoncer que
Fayel eſt mortellement bleffe , & que
Raoul eſt vainqueur. Ou Albéric a mal
vu , ou il a eu ordre de tromper Gabrielle,
c'eſt ce qui n'eſt pas expliqué. Elle ordonne
qu'on défende à Raoul d'approcher
du château. Fayel paroîtbleſfé & fait éloignerGabrielle.
Je déreſte la vie.
Il n'eſt plus au pouvoir de ce coeur en furie ,
Qui cherche le trépas mais qui veut le donner ,
De ſurvivre à l'ingrate ou de lui pardonner.
Si le trône du monde eût été mon partage ,
Je ne l'aurois aimé que pour t'en faire frommage.
Je tedonne en pleurant la mort queje te doi .
Que puis -je pour l'amour ? m'immoler après toi .
Albéric , quand l'amour s'empara de mon ame ,
Je prévis cette fin de ma funeſte flamme.
Je ne fais quel effroi , quelle ſombre douleur
Vint troubler les tranſports de ma naiſſante ardeur.
Un noir preſſentiment , une horreur inouie
M'annonça dans l'amour le malheurde ma vie
MARS. 1770. 139
Il fait poſer ſur une table de pierre le
coeur de Couci , dans un vaſe , & le billet
qu'il a écrit à Gabrielle & qu'elle avoit
remis à fon époux Elle revient dans le
cachot. Fayel lui laifle toujours croire
qu'il eſt mourant & que Raoul vainqueur
ſe prépare à la tirer de ſa prifon. Elle demande
la mort. Il lui montre le billet &
le vaſe.
Tiens , voilà ton arrêt & voici ma vengeance.
Il fort . Gabrielle croit que ce vaſe renferme
du poifon . Elle le découvre & voit
un coeur ſanglant. Elle s'écrie :
Ah! Raoul ! c'en eft fair.
Ifaure arrive & lui arrache , malgré
elle , cet objet épouvantable. Elle lui dit
quedans le moment même fon pere arrive
& demande à la voir. Gabrielle
dans l'égarement du déſeſpoir , croit voir
fon pere & lui adreſſe ſes plaintes. Fayel,
inftruit de fon innocence , revient déchiré
de remords . Il nomme Gabrielle.
Elle croit toujours que c'eſt ſon pere &
ſe jette dans ſes bras en le conjurant d'éloigner
Fayel . Fayel lui demande la mort.
Gabrielle le reconnoît & jerte un cri
d'horreur. Elle meurt déſeſpérée , & Fayel
Se tue d'un coup de poignard..
136 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut juger qu'au théâtre l'effet
de cet horrible cinquiéme acte. Ce n'eſt
point à nous à prononcer ni fur le ſujet
de ces deux tragédies en concurrence , ni
fur leurs mérites différens.
M. d'Arnaud prépare un poëme d'Eaftache
de Calais , en dix chants , & plufieurs
drames nationaux .
La tragédie de Gabrielle eſt dédiée à
M. de Couci , ſeul rejeton de cette illuſtre
famille , & précédée d'un diſcours
préliminaire où l'auteur expoſe les avanrages
de ſon ſujet , les difficultés vaincues
, l'étude approfondie qu'il a faite du
coeur humain & de l'art dramatique , &
répond , ainſi que dans la préface de
Bayard , à toutes les objections poſſibles.
Profpectus du Zenda - aveſta , ouvrage de
Zoroastre , contenant les idées théologiques
, phyſiques & morales de ce légiflateur
, les cérémonies du culte religieux
qu'il a établi, & pluſieurs traits
importans relatifs à l'ancienne hiſtoire
des Perſes : traduit en françois ſur l'original
zend , avec des remarques , précédé
de la vie de Zoroastre & fuivide
la coſmogonie des Parſes du Kirman
&de l'Inde , traduite de la langue pehl-
1
MARS. 1770 137
S
vie ; de l'expoſition de leurs uſages
actuels , tant civils que religieux ; &
de deux vocabulaires des langues dans
leſquelles font écrits leurs anciens livres
; le premier , zend , pelhvi & fran .
çois ; le ſecond , pehlvi , perſan &
françois . Par M. Anquetil Duperron ,
de l'académie royale des infcriptions
& belles- lettres , & interpréte du Roi
pour les langues orientales : 2 volumes
in - 4° . ornés de planches gravées en
taille-douce .
,
Cet ouvrage eſt celui que le ſavant
docteur Hyde avoit deſſein de donner
& pour lequel il imploroit le fecours des
protecteurs des lettres. L'Europe ſavante
l'attend depuis plus de 60 ans. Elle avoit
vu avec peine ſes eſpérances s'évanouir à
la mort de M. Hyde ; & les ſavans qui ,
depuis ce docteur , ont fait mention des
Perfes , n'ont pas manqué de témoigner
leurs regrets fur l'inexécution d'un projet
dont l'histoire de la religion des Perfes leur
avoit donné la plus grande idée. Les premiers
monumens d'un peuple ancien
puiſſant , nombreux & ſurvivant , pour
aing dire , à lui-même , plus de 1100 ans
après ſa deſtruction , font des objets dignes
de piquer la curioſité de ceux qui
>
1
138 MERCURE DE FRANCE.
cherchent à découvrir les archives des nations
, ou qui s'occupent de l'hiſtoire de
l'eſprit humain. M. Hyde n'étoit pas en
état de remplir leurs vues. Il auroit fallu
qu'il eût appris les langues zend & pehlvie.
Il meconnoiffoit ni le Vendidad Sádé,
qui n'a été apporté , pour la premiere fois
en Europe qu'en 1723 , niles leschts , que
l'Angleterre a reçus depuis des mains de
M. Frazer. Ainfi ce ſavant ne pouvoitdonner
un ouvrage auſſi complet que celui
qu'annonce M. Anquetil , ouvrage qui
renferme la traduction de tous les livres
zends connus en Perſe &dans l'Inde .
La France & l'Angleterre font les ſeuls
pays de l'Europe où l'on trouve des livres
zends , & il n'y a que la France qui
poffède des livres pehlvis. Les Anglois
font donc également intéreſſés à ſavoir ce
que renferment leurs livres zends , &
fur tout le Vendidad Sádé , que l'on ne
montre à Oxford qu'avec une forte de
reſpect , qui fait honneur au goût que
cette célèbre univerſité a toujours eu pour
la littérature Orientale.
On trouvera , à la tête de l'ouvrage, un
diſcours préliminaire qui renferme la relation
abrégée du voyage de M. Anquetil
dans l'Inde ; les raiſons qui l'ont engagé
MARS. 1770 139
à l'entreprendre , & les moyens qu'il a
employés pour acquérir les anciens livres
des Parſes & la connoiſſance des langues
dans leſquelles ils font écrits ; l'hiſtoire
de la retraite des Parſes dans l'Inde , &
les événemens les plus conſidérables qui
concernent ce peuple fugitif , juſqu'en
1760. Ce diſcours préliminaire eft terminé
par le plan de l'ouvrage , accompagné
de quelques réflexions qui développent
la nature des livres zends , & font
connoître les différens exemplaires fur
leſquels l'auteur les a traduits.
Cediſcours préliminaire eſt ſuivi de la
vie deZoroastre , tirée des livres zends &
pehlvis , du Zerduft- namah & du Tchengrégatch
namah , poëmes perſans , de pluſieurs
autres ouvrages orientaux , & comparée
avec ce que les Auteurs Grecs &
Latins nous apprennent de ce législateur.
A la ſuite de la traduction des livres
zends on trouve la Cosmogonie des Parfes
l'explication de leurs uſages civils & religieux.
Les deux vocabulaires annoncés
dans letitre pourront donner quelque idée
des anciennes langues de la Perſe.
Cet ouvrage eſt accompagné de douze
planches , dont trois préſentent une infcription
en ancien tamoul , quirenferme
140 MERCURE DE FRANCE.
les priviléges accordés, il y a environ mille
ans , aux Juifs de Cochin, par Scharan
Perounial , empereur de la côte Métafaire.
Les trois planches ſuivantes ont rapport
aux langues dans lesquelles font écrits fes
livres dont on donne la traduction . La
premiere de ces trois planches préſente
les alphabets zend , pehlvi & perfan , cal -
qués ſur les plus beaux manufcrits que
P'auteur ait vus ; la deuxième, le commencement
du Vendidad- Sadé , calqué fur
Poriginal zend , avec la lecture & la traduction
latine interlinéaire ;& la troifiéme,
le commencementdu Bound deheſch,
calqué fur l'original pehlvi , & pareillement
accompagné de la lecture & de la
traduction latine interlinéaire. Les fix
dernieres planches font relatives aux ufages
religieux des Parſes .
Cet ouvrage , qui s'imprime actuellement
en beaux caracteres & en beau papier
, formera deux volumes in- 4°, de
cinq à fix cens pages chacun , ornés de
douze planches gravées en taille - douce.
Il paroîtra en Avril 1770. On le trouvera
à Paris , chez N. M. Tilliard , libraire ,.
quai des Auguſtins , à St Benoît.
Réponse de M. de Saint - Foix au R. P.
MARS. 1770. 141
:
Griffet , & recueil de tout ce qui a été
écrit fur le prifonnier maſqué.
Nous rendrons compte dans le prochain
mercure de cetre réponſe intéreſlante par
la maniere dont elle eſt écrite, &les traits
finguliers qui y font raſſemblés.
SPECTACLES.
OPÉRA.
Description du Théâtre de l'Opéra.
LAnouvelle (alle de l'Opéra , dont on a fait
l'ouverture le 26 Janvier dernier , eſt conſtruite
aux frais de la ville ſur le terrein fourni par S. A.
S. Mgr le Duc d'Orléans. Ce Prince ayant confidéré
que la décoration de cet édifice devoit correfpondre
à celle de ſon palais , a choiſi , pour en
faire l'extérieur & la premiere cour , le Sr Moreau,
de l'académie d'architecture & maître général des
bâtimens de la ville ; c'eſt à cet artiſte , connu par
pluſieurs ſuccès , que nous devons le monument
dont nous allons rendre compte.
Le premier ordre eſt toſcan ; il regnedans tou
te l'étendue de la face du palais , & forme terraſſe
au-devant de la cour dans laquelle on entre par
trois portes également commodes & remplies par
des menuiseries enrichies de bronzes & d'orne
142 MERCURE DE FRANCE.
mens bien travaillés. Le ſecond ordre eſt ionique,
&les deux aîles préſentent deux avant corps ſurmontés
d'un fronton dont les timpans font remplis
par des écuilons foutenus de figures de la
main de M. Pajou ; l'avant corps du fond de la
cour eft couronné d'un attique dont le fronton
circulaire renferme le blaſon de la mailon d'Orléans
, foutenu par deux figures aîlées , de la main
du même ſculpteur. Cet édifice , d'un effet trèsnoble
, en produira plus encore lorſque la place ,
qui ſe trouve au devant, étant agrandie , le découvrira
tout entier ; le palais qui occupera le
milieu s'accordera mieux avec les façades qui ſeront
uniformes , & la fontaine qui décorera le
milieu de la place ne pourra manquer de contri
buer à la magnificence de cet enſemble.
La face de l'opéra , * parallele à la rue , eſt fimple
& laifle dominer le palais ; mais elle eſt recommandable
par fa diſpoſition, ſa ſymmétrie,&
fur- tout par les ornemens qui s'y trouvent exécutés
par M. Vaflé , ſculpteur du Roi. L'entrée de la
falledu ſpectacle eſt annoncée par une galerie extérieure
& publique qui enveloppe tout le pourtour
de la ſalle & fournit une quantité d'iſſues
très-commodes : on peuty entrer par ſept portiques
égaux. Trois portes qui ſe préſentent en face
conduiſent à un veſtibule intérieur, décoré de colonnes
doriques , de maniere grecque , canelées
dans leur fût , couronnées d'un entablement ar-
* Nous avons cru devoir entrer dans des détails
fuperflus pour les habitans de la capitale ,
mais néceſſaires à ceux des provinces & des pays
étrangers.
MARS. 1770 . 143
chitravé, dont les moulures ſont profilées avec
correction & taillées d'ornemens agréables. Une
voûte s'éleve au deflus formant des lunettes ; les
arcs doubleaux ſont auffi enrichis d'ornemens correfpondans
à ceux des colonnes & de la corniche:
les extrémités du veſtibule ſe terminent en cu -defour
,dont le fond eſt ouvert par une grande arcade
à laquelle la corniche de l'ordre ſert d'impoſte:
ces arcades conduiſent à deux grands efcaliers
qui ſe préſentent pour communiquer aux
loges , & deux autres conduiſent au parterre,d'ou
l'on découvre la belle forme de la falle.
L'ouverture de la ſcène eſt large de 36 pieds &
haute de 32. Cette diſpoſition avantageuſe rapproche
d'autant plus le fond de la falle de l'avantſcène
, & met plus d'égalité dans les différentes
ſituations de chaque ſpectateur ; la forme de ſon
plan eft arrondie & fournit au plafond un bel oval
rempli par un tableau allégorique , dont nous
parlerons à la finde cet article pour ne pas détourner
les yeux du lecteur de l'objet que nous lui pré-
Lentons.
,
L'avant- ſcène eſt décorée de quatre colonnes
d'une compofition riche & élégante , dont les canelures
font àjour, enforte que cette partie, pour
l'ordinaire confactée ſeulement à la décoration
fournit des places des plus commodes & des plus
recherchées . Leur fût eſt divisé par tamboursà la
haureur de l'appui des loges qui ſont pratiquées
dans leurs intervalles , ce qui nuit peut être à l'élégance
de l'ordre corynthien ; mais , d'un autre
côté, accorde mieux ces mêmes loges que l'architecte
n'eût point employées ſans doute , moins
encore celles qui ſont pratiquées dans leursfocles
, s'il n'eût été forcé de concilier les raiſons
144 MERCURE DE FRANCE.
d'intérêt avec les moyens d'embelliſſement. L'entablement
regne au-deſſus de l'avant - ſcène , &.
fon milieu eft interrompu par un grouppe de renommées
foutenant un globe ſemé de fleurs de
lis ; des enfans forment une chaîne avec des guirlandes.
Cette compoſition charmante , qui eſt due
àM. Vaflé , accompagne magnifiquement le plafond&
réunit tous les fuffrages ſur cette partie de
la décoration.
Les quatre rangs de loges qui ſont pratiqués ne
paroiſlent point former une trop grande hauteur,
& cette diſpoſition rend la ſalle ſuſceptible de contenir
2500 ſpectateurs , preſque tous également
bien placés : ces loges , conſtruites en fer & en
bois avec un artifice ingénieux , font très folides,
malgré la légereté qu'elles ſemblent préſenter à
l'oil; les ornemensen ſont ſimples , mais deſſinés
avec précifion & diftribués avec jugement. Les
poteaux qui diviſent ordinairement les loges font
fupprimés dans cette falle , & au lieu de paroître
autant de petites caſes ſéparées , elles forment un
feul balcon à chaque rang , ce qui donne beaucoup
plus d'élégance àl'enſemble ; l'entablement
de l'avant- ſcène regne au pourtour de la falle . Ses
ornemens (culptés & dorés forment un encadrement
très - riche au plafond , qui fe trouve d'autant
plus étendu que cet entablement eft porté ſur
la cloifon du fond des loges. On a peint dans la
vouffure pour en élever & augmenter l'effet
un ordre en arcades & portiques qui procure l'illufion
la plus complette & la plus capable de tromper
l'oeil le plus excercé.
,
Il eſt un nombre d'amateurs habituels de cha
que théâtre qui font moins ſouvent amenés par la
curiofité
MARS. 1770. 145
curiofité du ſpectacle que par le plaifir de ſe rafſembler
dans un cercle agréable auquel infenfiblement
on ſe trouve réuni ſans y être lié par aucun
de ces devoirs contraints , de ces égards gênans
qui font un martyre de la ſociété ; ceux - ci
auront tout lieu d'être fatisfaits de la commodité
du foyer de la nouvelle falle , c'eſt une belle galerie
de 60 pieds de longueur , éclairée par cinq
grandes croifées qui ont vue ſur la rue St Honore
par unbalcon de fer enrichi de bronzes, de près de
cent pieds de long , d'un deſſin très - élégant &
d'une exécution parfaite , de la main de M. Deumier.
Ce foyer , revêtu de menuiferie dans tout
fon pourtour avec une cheminée de marbre à chaque
bout , eſt orné d'une belle corniche , de glaces
, de ſculptures & de trois buſtes en marbre
repréſentans Quinault , Lulli & Rameau . Ces têtes
, traitées avec autant de nobleſſe que d'expreffion
, ſont dites au ciſeau de M. Caffieri , ſculpteur
du Roi : quatre autres niches attendent les portraits
des grands hommes dont les ſuccès auront
enrichi ce théâtre .
Les commodités publiques n'ont point été ou
bliées. Les iſſues pour les forties font multipliées
dans tout le pourtour de la galerie extérieure , enforte
que la facilité de déboucher par tel endroit
qu'on veut pour ſe rendreà les voitures, ſupplée à
la liberté de la circulation qui manque ſouvent
dans un quartier auſſi fréquenté que l'eſt celui du
palais royal .
La fûreré eft encore une des choſes à laquelle
on a apporté l'attention la plus ſcrupuleuſe. Trois
réſervoirs qui contiennent enſemble enviton 200
muids d'eau , ſont diſpoſes dans les endroits où
ils ſeroient les plus utiles en cas d'incendie ; les
G
146 MERCURE DE FRANCE.
loges des acteurs font toutes voûtées en brique ,
&pluſieurs des eſcaliers ſont en pierre.
M. Moreau a bien ſenti que le plaifir que l'on
va chercher dans un ſpectacle ne peut être goûté
parfaitement qu'autant qu'il eſt exempt d'inquiérude
& de gêne : tranquillité & commodité ſont
les deux points eſſentiels auxquels cet habile artiſte
s'eſt ſur - tout attaché , & dans lesquels il a
réuſſi au gré de tout le monde; les fuffrages qu'il
a réunis ſont mérités , & ſans doute il eûr encore
obtenu de plus grands éloges, fi mille petits intérêts
qu'il a fallu concilier , mille petites bienféances
auxquelles il a dû ſe ſoumettre , n'euffent mis
des entraves aux vrais talens dont cet artiſte diftingué
a déjà donné des preuves certaines. On ne
doit point , par exemple , lui împuter la contrainte
où le machiniſte ſe trouve de préſenter aux
yeux du ſpectateur les formes qu'il prépare pour
les changemens , ce qui détruit tout l'effet de la
ſurpriſe&nuit également à la décoration qui occupe
la ſcène& à celle qui va la remplacer : c'eſt
encore avec moins de fondement que l'on hafarde
le reproche de ſurdité. Les oreilles qui ne font
point exercées à la muſique n'ont pu s'apperçevoir
qu'on avoit été contraint de baifler confidérablement
le ton pour éviter de faire paroître
trop criardes les parties de haute - contre & de
deſſus qui montent très - haut dans cet opéra , ce
qui , néceſſairement, nuit à l'effet des baſſes : la
conſtruction d'une ſalle dans laquelle on n'a em
ployé que des bois légers , que des formes rondes
fans reſſauts&avec le moins d'angles qu'il a été
poſſible , la rendra auſſi ſonore qu'elle peut l'étre
lorſque les bois , les plâtres & les peintures auront
acquis le degré de ſécherefle convenable
MARS. 1770. 147
pour repercuter les fons; effet néceſſaire , mais
qu'on ne peut attendre que du tems. Nous defirerions
pouvoir nous flatter de ſemblables eſpérancesfur
leplafond de M. du Rameau ; mais les tons
jaunes & grisâtres qui dominent par- tout ne lui
donneront pas vraiſemblablement par la ſuite cette
couleur céleste & aërienne qu'on y auroit defiré.
Quelques figures d'ailleurs font pefantes & d'un
deflin lourd; telles que la Terpſicore fur - tout ,
dont le raccourci eſt penible àl'oeil , & dont les
formes font auſſi prononcées que celles du Gladiateur
ou de l'Hercule Farnese ; ce qui contribue
encore à la faire paroître ſi forte , c'eſt la figure
Iwelte&légere du petit Génie qui ſemble êtrepreſ
que ſur le mêmeplan:en général,ces défauts ſe font
peu fentir , & c'eſt ſur - tout le manque de dégradation
qui nuità l'effet de ce tableau dans lequel
il y a d'ailleurs beaucoup de choſes eſtimables. Le
ſujet en eſt ſimple&convenable , il offre les muſes&
les talens raſſemblés par le génie des arts
qui précéde le char d'Apollon qu'il annonce& qui
paroît arrivant ſur ſon char. Peur - être ce Dieu.
méritoit-il d'être employé d'une maniere plus capitale
&moins fubordonnée. Le peintre auroit- il
voulu indiquer que les lettres & les talens font
encore à leur aurore ? Quant à la muſique , cela
pourroit êtte ; mais pour les autres arts , il lui eût
étéplus facilede prouver qu'ils font à leur déclin;
l'épiſode de l'ignorance & de l'Envie n'eſt pas
beaucoup plus heureux. Ces deux figures coloffaldes
ne procurent point l'effet que l'artiſte s'en étoit
promis. Sans faire fuir ſon plafond, elles paroiffent
ſeulementprêtes à tomber dans le parterre. Ce n'eft
pas que cegrand ouvrage n'ait beaucoup de mérite
dansdifférentes parties. Les grouppes font bien a
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
gencés,& l'on retrouve dans la compoſition cet enchaînement
ingérieux qui a toujours caractérité
celles de M. Boucher . Nous ne prétendons point
donner notre ſentiment comme une décifion contraire
à M. du Rameau , dont nous eſtimons beaucoup
les talens ; mais nous avons cru que ces obſervations
lui feroient d'autant moins de peine
que perſonne n'eſt plus que lui en état de prendre
fa revanche quand il ſe ſera trompé dans quelques-
unes de les productions. On ne peut qu'applaudırà
celles de MM. Machy,Guillet &de Leuze
qui ont exécuté les décorations nouvelles d'après
les deffins de M. Moreau. Le palais fouterrain
mérite d'être diftingué par la maniere dont il a été
traité par le premier de ces artiſtes .
La ſalle qui eſt préparée pour le bal offrira un
octogone de 45 pieds de diametre décoré par des
colonnes , des ſtatues , des glaces & un plafond
qui rendront ce ſalon magnifique & analogue au
reſte de la falle. La deſcription détaillée que nous
venons d'en faire nous oblige de remettre au vol.
prochain la notice de Zoroaftre , tragédie lyrique
de Cahuſac & Rameau , par laquelle on en a fair
Fouverture On a remis pour les jeudis , Zaïre ,
balet héroïque des mêmes auteurs.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné
pluſieurs repréſentations de Cinna &
d'Héraclius. Mde Veſtris ajoué dans cet
MARS. 1770. 149
te derniere piéce le rôle de Pulchérie avec
autant de noblefle que d'intelligence , &
celui d'Aménaïde avec autant de fuccès
que dans ſon début. On fait avec quelle
ſupériorité celui de Tancréde eſt rempli
par M. Lekain , dont les talens tragiques
ſont parvenus au plus haut degré de perfection
. On a donné auſſi le Marchand de
Smyrne , comédie nouvelle en un acte de
M. de Champfort , qui a été très - bien
accueillie , & dont nous rendrons compte
dans le Mercure prochain .
COMÉDIE ITALIENNE.
1
LES Comédiens Italiens voyant avec re
gret qu'une de leurs pièces les plus agréables
, la nouvelle Ecole desfemmes , étoit
perdue pour eux & pour le public , par la
nouvelle forme que leur théâtre a priſe
depuis une année ; ils ont eſſayé de l'y
faire reparoître avec les agrémens de la
muſique : mais cetre tentative n'a pas
réuffi , fans toutefois qu'on puiſſe en rien
conclure de défavorable contre M. de
Moiſſy , qui avoit lui- même pris la peine
d'y mêler des ariettes , ni contre M.
Philidor qui en avoit fait la muſique :
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
les ſuccès mérités de ces deux auteurs les
mettent à l'abri de toute imputation défavantageuſe
;& cette expérience prouve
ſeulement que la muſique , même la
meilleure , ralentit une intrigue , affoiblit
les caractères , refroidit l'intérêt ,
éteint le comique de toute pièce faite
dans les proportions de la bonne comédie.
Quelques ſituations , de la variété
dans les airs , & fur - tout des tableaux ,
voilà les moyens dont on doit ſe ſervir ,
& qui ſuffiſent pour afforer le plus grand
ſuccès à l'opéra comique. On n'avoit
aucun reproche raisonnable à faire à
la nouvelle Ecole des femmes . On y
retrouvoit bien toutes les ſcènes qui
avoient fait tant de plaiſir autrefois ;
mais chacun s'écrioit avec M. Tue :
Qu'on me la rende telle qu'elle étoit.
Les mêmes comédiens, qui ne laiſſent
jamais languir leur théâtre faute de nouveautés
, en préparent une , qui ne peut
manquer d'être intéreſſante , puiſqu'elle
eſt des mêmes auteurs que le Huron &
Lucile ; au moins est- ce une préſomption
bien favorable pour le ſuccès.
Mde Roſembert a continué fon début
dans les Moiſſonneurs , dans le Bucheron,
MARS. 1770. 151
dans Tom Jones , avec applaudiſſemens ;
ſes talens pourront quelquefois la rendre
utile à ce théâtre .
ACADÉMIES.
1.
DIJON.
:
L'ACADÉMIE des ſciences , arts &belles
lettres de Dijon a tenu ſa ſéance publique
le 26 Novembre 1769. M. Maret,
ſecrétaire , adreſſant la parole a Mgr le
Prince de Condé , qui préſidoit à cette
ſéance , a annoncé le ſujet du prix que
l'académie diſtribuera en 1771. Il a dit
enfuite.
« Le prix de cette année avoit pour
>>ſujet l'éloge du chevalier Bayard. L'A-
>> cadémie avoit fait eſpérer au vainqueur •
» que V. A. S. auroit la bonté d'en faire
>> la diſtribution . L'honneur de recevoir
> la palme académique des mains auguf-
>> tes d'un héros,a porté un grand nombre
>> de gens de lettres à entrer dans la lice
>> qui leur étoit ouverte. Huit d'entr'eux
> y ont paru avec avantage ; mais trois
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
>> ont plus particulierement fixé l'atten-
>>>tion de l'académie , & deux ont balan-
>> cé les ſuffrages de façon que la com-
>> pagnie s'eſt vue ſur le point de partager
>> le prix entre les auteurs des diſcours
>> qui ont pour épigraphes, l'un cette pen-
>> ſée de Virgile :
Tempus eget.
Defenforibus iftis
» L'autre , cette exclamationde Séneque :
Ofelicem illum ! qui non adfpectus tantùm,
Sedetiam cogitatus emendat.
Pour caractériſer l'un & l'autre de ces
diftours , M. Maret a comparé le premier
à un morceau de Rubens , & le ſecond à
un tableau du Pouffin. « Mais , a- t- il ajou-
>> té , la route du coeur eſt la plus fûre
>> pour déraciner le vice & développer le
- >> germe des vertus , & l'académie a cru
>> que le dernier de ces ouvrages produi-
>> roit plus fûrement l'effet moral qu'on
>> doit attendre des éloges.
L'auteur qui a remporté le prix eſt M.
Combes ; celui qui a eu l'acceffit garde
l'anonyme.
M. Maret a dit encore que le diſcours
qui portoit pour épigraphe :
MARS.1770. 153
Quojuftior alter
Necpietate fuitt ,, nec bello major&armis.
a paru digne du ſecond acceffit , & que
l'auteur de cet ouvrage eſt M. Leboucq ,
profeſſeur d'éloquence au collège de
Chartres.
Après cette proclamation , S. A. S.
Mgr le Prince de Condé a donné la médaille
à M. Gauthey , porteur de la procuration
de M. Combes ; & M. Maret a
luun extraitdu diſcours couronné.
M. de Morveau a répété , ſous les yeux
de S. A. S. une expérience ſur une effervefcence
, froide qu'il avoit déjà faite à
l'académie , & qui prouve que le mêlange
des acides minéraux avec les alkalis fixes
ne produit pas toujours une augmentation
de chaleur , & que l'acide nitreux concentré
à un degré déſigné & mêlé avec
l'alkali minéral criſtallife produit une ef.
fervefcence froide qui fait baiffer la liqueur
du thermometre de fix degrés .
M. Hoin a dorné l'explication d'un
phénomène de la viſion fur lequel il avoit
déjà fait connoître ſa façonde penſer dans
les ſéances des 28 Avril & 9 Juin de cette
année.
Ce phénomène eſt que la flamme d'une
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
bougie qui , vue à travers un verre rouge,
paroît rouge , & bleue ſi on la regarde à
travers un verre bleu , devient purpurine
ou violette ſi les yeux ſont couverts
l'un d'un verre bleu & l'autre d'un verre
rouge .
M. Jeannin avoit cru qu'il étoit impoſſible
d'expliquer ce phénomène par le
ſyſtême admis pour rendre raiſon de la
viſion . M. Hoin a prouvé que ce ſyſtême
étoit ſuffisant pour donner l'explication
dece phénomène.
La féance a été terminée par M. Maret
qui , en l'absence de M. Legouz , a lu un
fragment d'un eſſai hiſtorique fur les premiers
Rois de Bourgogne , dont cet académicien
eſt auteur.
11.
ROUEN.
L'académie des ſciences , belles lettres
& arts de Rouen propoſe pour le ſujet du
prix qu'elle doit diftribuer cette année , la
queſtion fuivante : Déterminer dans les
principes du goût ce qui appartient à la
nature & ce qui appartient à l'opinion pour
en conclure jusques à quel point un homme
de génie doit s'accommoder au goût de
MARS. 1770. 155
Sonfiècle&defa nation . L'académie s'exprime
en termes généraux , parce qu'elle
entend que les ſolutions conviennent
également à tous les beaux arts qui , malgré
la diverſité de leurs procédés , ne
compoſent pas moins que les productions
de la nature une unité réelle. Les auteurs
font priés d'envoyer leurs ouvrages
francs de port & dans la forme ordinaire
, avant le premier Juillet prochain , à
M. Haillet de Couronne , fecrétaire perpétuel
de l'académie .
III.
CAEN.
L'académie de Caën propoſe , pour le
ſujet du prix qu'elle doit diſtribuer cette
année : Quelle est la différence du génie
national fous le regne de Louis XIV &
fous celui de Louis XV, & quelles enfont
les conféquences ? Ce prix qu'elle doit aux
libéralités de M. de Fontette , intendant ,
fon vice- protecteur , comme elle en doit
le ſujet à ſes lumieres , conſiſte en une
médaille d'or de la valeur de 300 livres .
Les ouvrages feront remis , francs de port ,
avant le premier Novembre prochain , à
M. Rouxellin, fecrétaire , ou à M. Leroy ,
imprimeur de l'académie.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
I V.
CLERMONT - FERRAND.
La Société des arts , ſciences & belleslettres
de Clermont Ferrand , a tenu , ſuivant
l'uſage , le 25 Août 1769 , fon afſemblée
publique dans la grande ſalle de
P'hôtel de ville .
,
M. de Vernines , avocat général a
fait l'ouverture de la féance par l'éloge de
feu M. l'abbé de Vienne , membre honoraire
de la fociété. Le diſcours , écrir
avec nobleffe & précifion , a paru aux
auditeurs digne dela mémoire d'un homme
que ſes talens & fes vertus rendoient
cher à leurs concitoyens.
M. le curé de Saint Genêt a fait enfuite
la lecture d'un ouvrage ſur la néceffité
de ſe borner aux devoirs de fon étar.
Quoique le ſujet ne préſentat rien de
neuf à traiter , l'auteur n'a pas laiffé
d'en tirer parti , en développant avec
énergie une vérité qu'il a cru devoir
rendre d'une manière d'autant plus fenfible
, qu'on affecte tous les jours de la
méconnoître.
M. Garmage , fecrétaire acontinué
la féance par une lecture de l'éloge de
feu M. Lemaffon , prieur des Prémontrés
&membre de la ſociété.
MARS.
1770. 157
Dom Deschamps , de la congrégation
de Saint Maur , a lu enfuite un mémoire
dans lequel il a examiné ti l'acte , rapporré
par Baluze , prev. de l'hiſt . , pag.
78 , par lequel Guy II , comte d'Auvergne
, donne ſa ville de Clermont en dépôt
à ſon frère Robert , évêque de cette
ville , eſt un acte véritable. Après avoir
ſcavamment difcuté les raiſons pour &
contre , par les regles de la diplomatique ,
& par l'hiſtoire , l'auteur a prétendu que
cet acte n'a été fabriqué qu'au feizième
fiécle , en faveur de Catherine de Médicis
, qui étoit aux droits des comtes
d'Auvergne , lorſqu'elle revendiqua , en
ISSt , la ville de Clermont , fous Guillaume
Duprat , qui en étoit évêque .
ÉCOLE VÉTÉRINAIRE.
I.
UNE maladie s'étoit déclarée dans la
paroitle d'Eſtreux , province du Hainaut ,
fur vingt & un chevaux appartenans au
Sr Antoine le Maire , nayeur d'Eſtreux ;
le Sr Girard , privilégié du Roi em l'art
vétérinaire, a requis un certificat des ſoins
I18 MERCURE DE FRANCE.
qu'il s'eſt donnés en cette occafion . Ce
certificat eſt conçu ainfi : " Nous ſouffi-
>> gnés Curé , Mayeur & gens de loi du
>> village d'Eſtreux,certifions que le SrGi-
>> rard, élève de l'école royale vétérinaire,
>> breveté & privilégié du Roi pour cette
>> province , s'eſt tranſporté ici par ordre
>> de M. l'Intendant, à l'effet de remédier
>>à une maladie dont les chevaux , au
>> nombre de vingt & un étoient atta-
>> qués , appartenans au nommé le Maire,
» Mayeur ; que douze en étoient déjà
>> morts avant ſon arrivée , &que par les
>> talens & foins aſſidus dudit Sr Girard ,
> les neuf autres deſd . chevaux ont été
» guéris radicalement .
,
>>Certifions de plus que ladite mala-
>> die , avant l'arrivée du Sr Girard , avoit
» été traitée ſans ſuccès par différens ma-
>>réchaux dont l'impéritie lesa portés à
>> croire , voyant l'inſuffiſance de leurs
>> moyens , que cette maladie étoit un
>> fort jeté par des voies inconnues fur
>> ces animaux. Ce 18 Novembre 1769 .
» Signé , LE MAIRE , THELLIER , Rou-
>> COUX , NONCLERIG & COCHE .
>>Vu par Nous maître des requêtes ,
> intendant du Hainaut.
» Signé , TABOUREAU.
MARS.
1770. 159
1 I.
Le Sr Girard , élève des Ecoles Royales
Vétérinaires , privilégié du Roi en cet art
pour la province de Hainaut , ſe tranfporta
dans la paroiſſe de Potelles le 12
Décembre dernier par ordre de M. Taboureau
, intendant à Valenciennes , chez
le nommé Roufſeau , fermier , à l'effet d'y
traiter un troupeau de deux cens foixantedix
moutons attaqués d'un claveau confluent
; il en étoit mort cinquante - cinq
avant fon arrivée , quinze font morts entre
ſes mains , & il en a guéri deux cens.
C'eſt ce qui eſt prouvé par le certificat
Signé , L'EMPEREUR , GLUSSEL , paſteur
à Villevaux & POTELLES , CARONDELETPOTELLES
, lequel a été viſé par M. l'intendant.
111.
Le ſamedi 20 Janvier ily eut une diftribution
de prix à l'Ecole royale vétérinaire
de Lyon. L'absence de M. de Flefſelles
, intendant de Lyon , la rigueur&
l'âpreté du tems rendirent cette féance
moins nombreuſe & moins brillante que
les précédentes ;mais pluſieurs des home
160 MERCURE DE FRANCE.
mes qui honorent la chirurgie dans cette
ville , & qui , comme citoyens , s'intéreſfent
à un établiſſement aufli utile , daignerent
facrifier des momens précieux & s'y
rendre.
De quatorze élèves admis au concours,
il y en a eu ſept qui ont été couronnés ,
tels font les nommés Dauris, qui n'eſt à
l'école que depuis un mois , & qui fait ,
fans aucun fecours de fa province , tous
les fraisde ſon inſtruction ; Vial , Roy ,
Charpy , Fou nier , Anetille , & Mongin
que le fort a favotifé.
Les nommés Mayeur , d'Hainy , Laurent
, David & Varenard ont obtenu
Facceffit.
Ondoir aux nommés Miane & Ménard
de Bordeaux , Jannin , de Lyon , Aubert,
de la Touraine , & Baſinet , de Franche-
Comté , la justice de ne pas les lauffer dans
Poubli ; s'ils ne ſe ſont pas montrés publiquement
, ce n'eſt point à raiſon de leur
incapacité , mais à cauſe d'une timidité
qu'ils n'ont pu vaincre , &de la difficulté
éronnante qu'ils ont à s'exprimer & à ſe
faire entendre , dont ils triompheront
peut- être avec le rems.
C'eſt au zèle des chefs des brigades
MARS. 1770. 161
feuls que font dûs les progrès auxquels le
Public a bien voulu applaudir.
LETTRE d'un Négociant de Bordeaux,
aux Amateurs du Mercure.
MESSIEURS ,
Perſonne n'a plaidé la cauſe du commerce
avec autant d'eloquence & d'intérêt
que les gens de lettres d'une claſſe diftinguée
, qui ſubſtituentde tems en tems
des idées grandes & folides aux opinions
frivoles & aux préjugés dangereux. Un
de mes confreres , pénétré de la reconnoiffance
que l'on doit aux lettres & que
l'on ſent davantage à mesure qu'on eſt
plus inſtruit , a voulu imiter ceux qui ont
donné à des vaiſſeaux qu'ils venoient d'armer
, les noms de M. de Voltaire & de
M. Thomas , & a cru honorer fon vaifſeau
en lui donnant le nom de M. d'Alembert
qui a porté dans la géométrie un
efprit de création , & qui est encore plus
généralement célèbre par ſes productions
littéraires , ſon génie philofophique &
162 MERCURE DE FRANCE.
l'immortelle préface de l'encyclopédie.
J'ai l'honneur d'être , &c .
VERS qui se trouvent au bas du maufolée
de Stanislas , Roi de Pologne , élevé
par les ordres de l'hôtel - de-ville de
Nançi , dans l'égliſe paroiſſiale de St
Roch pour la pompe funebre de co
Prince , & tranſporté depuis au même
hôtel-de- ville.
Iln'eſtpointde vertus que ſon nom nerappelle.
Philoſophe& guerrier , monarque & citoyen ,
Son génie étendit l'art de faire du bien ;
Charles fut fon ami , Trajan fut ſon modèle.
Ces vers qui , dans le genre de l'infcription
peuvent être regardés comme un
modèle pour la préciſion , l'élégance & la
plénitude des idées , font de M. l'abbé
Porquet , docteur de Sorbonne & académicien
de Nancy , qui a cru devoir cet
hommage à la mémoire d'un prince dont
il étoit l'aumônier,&qui l'honoroitd'une
protection ſpéciale &d'une bienveillance
diftinguée.
MARS. 1770. 163
VERS préſentés à Madame la Comteffe
DU BARRY , furfon portrait.
Pour peindre du Barry ,
l'art ,
ſans le ſecours de
Il faut le plus beau teint , un coloris ſans fard ;
Le maintien ſans apprêt , la taille fine& leſte;
L'air grand , majestueux , le ris noble & modefte ;
Des yeux dont la candeur annoncent la bonté ;
Le regard enchanteur fait pour la volupté :
Lesqualités du coeur que l'on admire en elle ,
Gages du ſentiment d'une vertu réelle ,
Et ſa bouche de roſe , où gît la vérité ,
Organe du bonheur & de l'humanité ;
Peintres audacieux , conſultez la nature ,
Loinde vous occuper à flatter l'impoſture.
Connoiſſez ce beau tout , cet enſemble parfait;
Admirez du Barry , fon ame eſt ſon portrait.
Par Mde de Servins du Mobert.
164 MERCURE DE FRANCE.
USAGES ANCIENS .
Cérémonie du Chana de la Voûte.
LES Officiers du Seigneur de St Ilpize en Auvergne
étoient dans l'uſage tous les ans d'aller
le 2 de Janvier , jour de la foire appellée de St
Ouzials , * de la ville de St Ilpize au bourg de
la Voûte avec des armes , précédés de jongleurs ,
de menetriers , des fergens du ſeigneur , qui
avoient leurs épées ceintes en bâton , & d'un valet
portant un pot vide, appelé chane ou chana
en vulgaire, contenant feize à dix- ſept pintes
de vin, meſure de Paris. Dans cet équipage ils
arrivoient au bout du pont de la Voûte , où ils
trouvoient les habitans du Mas des Traverſes ,
qui venoient tous les ans payer leur devoir en cet
endroit , qui rempliſſoient de vin la châne ou por.
Enſuite la bande paſſoit le pont & entroit dans le
bourg , où elle ſe promenoit juſqu'à ce qu'on lui
offrit une maifon convenable à fon choix , pour
aller boire ce vin ; après , ces gens s'en retour
noient comme ils étoient venus. L'an 1377 , le
feigneur de St Ilpize envoya à l'ordinaire ſes offi
ciers pour faire la cérémonie de la châne. Le
*St Odile , des Sires de Mercoeur . ( Seret fondateurdu
prieuré de la Voûte , abbé de Cluni. )
MARS. 1770 .
165
prieur de la Voûte , ordre de Cluni , ordonna à
fon bailli de troubler les gens du feigneur de St
Ilpize ; en conféquence il affembla du inonde&
vint à leur rencontre; on caíla le pot ou châne ,
plein de vin , qui fut répandu par terre , on briſa
les inftrumens des ménetriers , on s'empara des
épées des fergens ; enfin , on mit toute la troupe
en déroute en leur faiſant plusieurs autres
excès& v llenie.s Devineroit - on ce qui arriva
? Il y eut des requêtes préſentées à M. le Duc
de Berry & d'Auvergne , qui nomma pour commiflaire,
dans cette affaire , Guillaume de Villebeuf,
chevalier , ſon ſénéchal d'Auvergne , qui
ordonna une pourſuite très-rigoureuſe contre les
religieux , Prieur de la Voûte & leurs officiers ,
&on les condanna , comme de raiton , à l'amende
, aux dépens , dommages & intérêts , avec défenſe
de plus troubler le ſeigneur de Saint Ilpize
dans ſes droits. Cela dura ainſi julqu'au 23 Décembre
de l'an 1391. Ce jour-là Beraud Dauphin ,
ſeigneur de St Ilpize , défendit à ſes officiers de
continuer ce droit , ſous le prétexte des juremens ,
blafphemes , inconvéniens qu'il en réſultoit pour
la foire , & pour les moines qui , de leur côté , le
dédommagerent amplement , en changeant ce
droit pour une meile folemnelle & conventuelle
le 2.de Janvier, une autre , du St Eſprit , le 3 du
même mois , & douze meſſes des morts , le 2 de
chaque mois , tous les ans àperpétuité ; où les
parens , les amis & les fuccefcurs de ce ſeigneur
ont droit , comme bienfaiteurs anciens & nouveaux
de ce monastere , ce qui leur eſt infiniment
plus avantageux que de percevoir 2 fols de rente
que l'on portoit dans les comptes qui failoient
166 MERCURE DE FRANCE.
alors la valeur de 16 à 17 pintes de vin dupays ,
& qu'on n'y trouve plus depuis cette année - là.
N. G.
Rien de plus heureux dans le militaire
que la perfection & la fimplicité de la
tactique. On en eſt redevable à la fageſſe
des vues d'un miniſtre éclairé qui
a ſenti que tout ce qui étoit long & de
détail devant l'ennemi étoit dangereux.
Dès avant la derniere formation & les
dernieres ordonnances, M. le marquis de
Molac , maréchal des camps & armées
du Roi , & ci - devant colonel du régiment
de Périgord , avoit déjà accoutumé
ſa troupe à des mouvemens furs, prompts,
ſimples , faciles &utiles à la guerre : on
verra ſans doute avec plaisir , dans ce mémoire
curieux , l'eſprit obfervateur & le
génie d'un officier diftingué & connu par
ſes lumieres dans l'art militaire .
MÉMOIRE fur une mandeuvre & difpofition
particuliere d'attaque , proposée &
détaillée selon le plan ci - joint ; par
M. le Marquis de Molac , maréchal des
MARS.1770. 167
camps & armées du Roi , d'après l'exé.
cution qu'il en afaitfaire en petit au
régiment de Périgord en 1756 .
ES
in-
Les différentes commiſlions dont on peut le
trouver chargé à la guerre , l'uſage qui s'eft
troduit depuis la nouvelle ordonnance d'avoir , à
la fuite de chaque bataillon d'infanterie, une piécedecanon
à la fuédoiſe , ledefir de l'appliquer
utilement pour l'exécution de certaines manoeuvres
, ont fait naître à M. de Molac l'idée d'une
nouvelle diſpoſition d'attaque, fondée ſur la force
del'infanterie, ſur le bon emploi de l'artillerie , &
fur les principes de tactique les plus fûrs & les
plus généralement reçus par tous les militaires
éclairés.
Elle ſe forme par des mouvemens fimples qui
ne préſentent aucun inconvénient ni aucun de ces
détails qui , devant l'ennemi , ſont toujours dangereux.
M. de Molac , pour mieux juger d'une manærvre
dont l'application lui a paru dans beaucoup
decirconstances ſuſceptible de ſuccès , & pouvoir
s'exécuter en grand avec avantage , fur - tout ,
ayant un nombre de troupes fufhiant & proportionné
à l'objet qu'il s'agit de remplir , en a fait
un eſlai en petit. Ila combiné le ſuccès de l'impulfion
que procure une profondeur bien ménagée
, qui feroit protégée dans ſes flancs par un
feu de mouſquererie exécuté à propos & avec économie;
défendue à fon centre & aidée dans toute
ſamaſſe par une bonne artillerie bien conduite ,
168 MERCURE DE FRANCE.
&qui ſeroit d'autant plus ſurement ſervie , qu'elle
ſe trouveroit couverte & foutenue ; il a donc fait
exécuter au régiment qu'il commandoit cette difpofition
dans l'ordre , & telle qu'il l'a conçue dans
tous ſes avantages .
Avec un corps composé de pluſieurs compagnies
C, de grenadiers & piquets D & E , & de
deux brigades d'infanterie A & B , de quatre bataillons
chacune , 1 , 2 , 3 & 4 , chaque bataillon
ayant à ſa ſuite une pièce de canon à la luédoiſe ,
M. de Molac ſuppoſe être chargé de s'emparer du
poſte F , qui auroit un front d'une certaine étendue
, & qui , par conféquent , exigeroit pluſieurs
points d'attaque.
Dans l'intervalle LM , ménagé à cet effet entre
les deux colonnes de la droite & de la gauche , il
réunit les quatre piéces de canon de chaque brigade,
leſquelles rempliffent le vide & l'intervalle
d'une colonne à l'autre.
Il fait protéger le flanc extérieur de chaque colonne
, fuivant la poſition de l'ordre des bataillons
par deux compagnies de grenadiers C , ou par
deux compagnies de fufiliers qui , en ménageant
leur feu , tireront alternativement par pelotons de
droite& pelo.ons de gauche , ſans trop s'écarter
du flanc extérieur des colonnes que ces compagnies
de grenadiers & piquets font deſtinés a foutenir
& à proteger.
Par cette diſpoſition , les colonnes couvrent
L'artillerie ; artillerie placée entre les colonnes
en favorife l'action & le débouché ; les quatrecolonnes,
juſqu'au moment qu'ellesrecevront ordre
de
MARS. 1770 .
169
de ſe porter chacune ſur leur point d'attaque, doivent
toujours marcher ſur deux lignes paralleleiment
ſans ſe dépaſſer ni trop s'éloigner , enfia
toujours, autant que faire ſe peut, à la même hauteur.
L'artillerie , dans ſa manoeuvre , ne doit pas
trop dépaſſer la tête des colonnes afin de pouvoir
toujours , par fon feu , en favorifer l'impulfion &
le fuccès .
Derriere chaque colonne ſe placent en ferrefile
cent fufiliersE , pour être en état d'empêcher
que la queue& le derriere de la colonne ne puiffent
être furpris & entamés.
Détail & formation de toute cette
difpofition.
Les deux brigades A & B , formées & enbataille
fur fix homines de hauteur faiſant face à l'ennemi
à une portée , &dans une pofition où l'on
puiflemanoeuvrer ſans danger.
D'abord dans chaque brigade on fait marcher
en avant les deux bataillons 1 & 4, enfuite on
faitdoubler les deux bataillons du centre 2 & 3 ,
derriere les deux bataillons des aîles qui ont marché
en avant.
Les compagnies de grenadiers C, & les piquets
déſignés pour ſoutenir le flanc extérieur des colonnes
, s'ébranlent au pas ordinaire , & gagnent
enſuite au pas redoublé , chacun de leur côté, le
flanc extérieur de la colonne qu'ils doivent défendre.
Chaque peloton ferre-file E , gagne la queue&
le derriere de la colonne qu'il doit garder ;les mê-
H
170. MERCURE DE FRANCE.
mes mouvemens s'exécutent à la brigade de la
droite comme à la brigade de la gauche , dans le
même tems , dans la même forme & avec le même
ordre.
Ces mouvemens donnent quatre colonnesG ,
H, I , K , qui ont la même force , la même profondeur
, & qui ont , dans les différens points eflentiels
, exactement les mêmes défenſes .
Lorsdes mouvemens ordonnés pour toute cette
diſpoſition , les quatre piéces de canon de chaque
brigade pour ſe placer dans le centre vide & l'intervalle
L M, entre les colonnes G, H , I & Ky arrivent
d'abord précédées & maſquées par cent fufiliers
D. Ceux- ci qui font le centre des colonnes
& les lient enſemble , après avoir marché en front
de bandiere avec elles le tems néceſſaire pour dérober
à l'ennemi la connoiſlance de l'artillerie
qu'ils couvrent , & après avoir tiré une ſeule fois
par peloton de droite & peloton de gauche , rechargent
promptement leurs armes , démaſquent
les quatre piéces d'artillerie & viennent au pas redoublé
ſe poſter derriere elles. Ils y demeurent
pour les défendre & les protéger , marchent pour
ceteffetderriere & reſtent tour le tems du combat
les armes chargées , ne devant plus tirer que dans
la néceſſité , &le feu ne devant être produit & répéré
avec la plus grande vivacité ſur les différens
points d'attaque que par l'artillerie qui eſt au centre
& par la mouſquererie des compagnies de grenadiers
ou des piquets qui défendent & protégent
les flancs des colonnes .
Tous ces mouvemens ſimples & faciles, & toute
cette diſpoſition , doivent , ainſi qu'on l'a déjà
MARS. 1770 . 171
dit, s'exécuter dans le même tems , à la brigade
de la gauche comme à la brigade de la droite.
Dans le cas où l'ennemi voudroit attaquer les
flancs extérieurs des colonnes , les compagnies de
grenadiers C, ainſi que les piquets en ferre file E ,
pourroient ailément, par un quart de converfion,
ſe préſenter en front ; on pourroit auſſi diſpoſer
fur les flancs de cette manoeuvre , quelques eſcadrons
de cavalerie qui attendroient le moment de
s'ébranler à propos pour tomber, par un trot progreffif
, ſur l'ennemi déjà en déſordre , & achever
le ſuccès qu'auroient eu les colonnes d'infanterie.
En général à la guerre il n'y a point de règle fixe
pour les cas particuliers.
Le terrein , la poſition de la troupe à laquelle
on a affaire , ſon nombre , la nature & l'eſpéce
de celle que l'on commande , doivent décider
l'homme de guerre .
L'inſpection du plan peut faire juger de l'utilité
de cette manoeuvre dans bien des circonstances .
RENVOIS pour l'intelligence particuliere du
plan.
Formation des colonnes.
Premier mouvement :
1 & 4bataillons des aîles marchant en avant
pour former des colonnes.
Deuxiéme mouvement .
2& 3 bataillons du centre qui vont ſe réunir&
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ferrer derriere les bataillons des aîles , ce qui décide
la formation des colonnes .
A, brigade de la droite
B, brigadede la gauche
en bataille , chacune de4.
bataillons de 600 hommes
fur 6de hauteur.
C, Piquets de cent grenadiers fur trois de hauteur
, pour protéger les flancs extérieurs des colonnes
. i
D, Piquets de cent fuſiliers ſur trois de hauteur
pour former le centre entre les colonnes , les lier
enſemble , maſquer l'artillerie , & qui doivent ſe
porter derriere après leur premier feu.
E, Piquets de cent fufiliers ſur trois de hauteur,
en ferre-file , derriere chaque colonne , & deſtinés
à empêcher que leur queue ne ſoit ſurpriſe& entas
mée.
F, Poſte à attaquer.
G, H , I , K. Les quatre colonnes,
L. M. Leur centre,
N. Les canons & les canoniers de chaque bas
raillon,
O. Les canoniers réunis en un corps pour le ſers
wice de l'artillerie qu'ils ontdevanteux.
P. Mouvemens qu'on propoſe de faire faire aux
piquets de grenadiers, & auxpiquets de ferre-file,
il'ennemi vouloit attaquer les flancs extérieurs
des colonnes.
Q. Pofition des piquets de fufiliers , après qu'ils
ont démaſqué l'artillerie & exécuté un premier
feu pour l'ouverture de l'attaque,
MARS. 1770 . 173
La manoeuvre dont nous venons de donner le
détail , confirme , autant que nous pouvons en juger
, la capacité reconnue de M. le Marquis de
Molac , & fon application à ſon état. Depuis
long-tems ceux de ce nom ont produit des hommes
diftingués par leurs talens , leur paſſion pour
la gloire& leur attachement au ſervice du Roi.
L'hiſtoire nous apprend qu'à la bataille de Pavie ,
Jean le Sénéchal , gentilhomme de la chambre de
François Premier , & capitaine de cent hommes
d'armes , voyant un arquebufier prêt à tirer ſur le
Roi , ſe précipita au- devant du coup , & ſauva
ainſi la vie à ce prince par le ſacrificede la ſienne.
Én 1704 , Sébastien le Sénéchal, chevalier de
Carcado Molac , fut choisi pour commander en
chefà Naples , où il fut chargé d'affaires également
politiques & militaires , dont il s'aquitta à
la fatisfaction des deux Couronnes ; honneur qu'il
obtint n'étant que brigadier & à l'âge de 27 ans
en confidérationdes preuves qu'il avoit déjà données
de ſon intelligence. Il fut tué maréchal de
camp , d'un éclatde bombe au fiége de Turin en
1706.
Son coufin le Marquis de Carcado , colonel au
régiment DauphinEtranger cavalerie &brigadier
des armées du Roi , fut auſſi tué à ce fiége.
*Ala fameuſe fortie de Pragues, en 1742 , René-
Alexis le Sénéchal , marquis de Molac , périt à la
tête du régiment de Berry , infanterie, dont il étoit
colonel. Cebrave officier , bleſlé de ſept coups de
fufil , dont le moindre étoit mortel , dit , en tombant
, à fon aide - major : Menard , faites marcher
lesgrenadiers&tout mon détachement ſur la gauche,
les ennemis ſe portent de ce côté- là. C'étoit
Π
Hiij
1
174 MERCURE DE FRANCE.
le frere de M. le Marquis de Molac d'aujourd'hui .
Nous ſaiſiſſons avec plaifir l'occafion de rappelerdes
fairs intéreſſans pour une nation généreuſe,
glorieux pour une maiſon ancienne , & capables
d'exciter une heureuſe émulation.
ARTS.
SCULPTURE.
M. VASSE , ſculpteur du Roi , vient
de finir , pour le Roi de Pruſſe , une ftatue
de Diane, de fix pieds de proportion. Les
amateurs & tous ceux qui ont le ſentiment
du beau, ont vu avec la plus grande fatisfaction
, dans l'atelier de cet artiſte au
vieux louvre , cette nouvelle production
de ſon ciſeau. La déeſſe eſt repréſentée
dans le moment qu'elle part pour la chafſe.
Elle s'eſt ſaiſie de fon carquois , court
&tourne la tête comme pour adreſſer une
derniere parole à Apollon. Le moëlleux
des mouvemens , l'élégance des contours,
les beautés fublimes des formes ont fait
diſparoître le marbre; on n'apperçoit plus
que la déeſſe aux pieds légers. Elle a cette
taille ſvelte qui convient à une divinité
dont la chaſſe eſt l'exercice favori. Le filer
MARS . 1770. 175
placé fur le tronc d'arbre qui fert de ſupport
à la ſtatue , la courroie à laquelle eft
attaché le carquois , les fléches & les autres
acceſſoires préfentent des détails affaifonnés
de toutes les fineſſes d'un ciſeau
exercé & délicat. La ſtatue entiere offre
une heureuſe aſſociation des vérités de la
nature au caractère grand de l'antique.
Unmonument de la plus grande importance
que nous offre ce même atelier
fixe avec intérêt les regards ; c'eſt le maufolée
de Staniſlas le Bienfaifant , qui doit
être érigé dans l'égliſe de Notre - Dame
de Bon Secours , à Nanci. Ce monument
n'eſt pas fini ; mais il eſt aſſez avancépour
en pouvoir reconnoître toutes les beautés.
Le Roi , revêtu de l'habillement po-
Jonois , eſt placé ſur un piédeſtal engagé
dans une primimide , symbodimmortalité.
Ce piédeſtal eſt élevé fur trois fo
cles . Sur celui du milieu eſt poſé le globe
de la terre couvert d'un grand drap more
tuaire . A la droite du monument on voic
Ha Lorraine , & à la gauche une Charité.
Ces figures peuvent avoir ſept pieds de
proportion. Le monarque jette ſes regards
fur le médaillon de la Reine de France
dont le coeur eſt déposé, ſuivant les in
His
176 MERCURE DE FRANCE.
tentions de cette auguſte princeſſe , à coté
du tombeau du Roi fon pere. Ce médaillon
eſt foutenu par deux anges . Un
d'eux ſemble faire hommage du coeur de
la Princeſſe au Roi ſon pere ; ce qui jette
un intérêt touchant dans ces deux monumens
& en lie la compoſition . La Lorraine
, ſous la figure d'une femme de la
proportion la plus élégante , & qui a fur
la tête une couronne ducale , témoigne ,
par ſon attitude pleine de vie & de mouvement,
la fatisfaction qu'elle éprouve à
la vue de l'image de fon Prince & de fon
bienfaiteur. Elle tient des tables d'airaim
fur leſquelles font gravés les principaux
faits de la vie de ce monarque. La figure
quirepréſente la Charité , a cette douleur
accablante que l'on reffent lorſqu'on a
perdu ſon protecteur , ſon appui & tout
ce que l'on a au monde de plus cher. Le
ouble qu'éprouve cette femme , ſemble
ſe communiquer à l'enfant même attaché
à ſon ſein. Ces deux figures , ſoit pour les
formes , ſoit pour les attitudes & les expreſſions
, préſentent le contraſte le plus
heureux , le plus vrai & le plus frappant.
Les ornemens étrangers , tous ces petits
détails qui annoncent la ſtérilité, ſont ſage.
ment écartés de cette compoſition. On y
1
MARS. 1770% 177
apperçoit par- tout ce caractère de noblef.
ſe& de fimplicité que les grands artiſtes
ont toujours donné à ces fortes de monumens.
Unautre monument en marbre , érigé
àla mémoire de M. de Brou , garde des
ſceaux , nous offre encore dans ce même
atelier une belle image de la douleur ,
mais différente de celle que nous venons
de décrire. La figure qui la repréſente a
quatre pieds & demi de proportion. Sa
tête eſt penchée ſur ſon bras droit appuyé
fur un cube. Les traits de ſon viſage&
toute ſon attitude expriment cette douleur
douce & mélancolique qui s'exhale d'un
coeur ſenſible & reconnoiffant. Le cube
eſt ſurmonté d'une double urne. Il eſt
poſé ſur un retable dont la friſe contient
l'inſcription du monument. Sur une table
inférieure eſt placé le médaillon deM. de
Brou , accompagné des maſſes de garde
des ſceaux. Un linceul couvre une partie
de ces maſſes & forme autour du médaillon
une eſpéce de guirlande qui interrompt
la trop grande uniformité des
lignes droites. Ce monument doit être
placé dans la chapelle de la famille àSr
Meri..
178 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
I.
L'ENLEVEMENT des Sabines , eſtampe
de 25 pouces fur 20 de hauteur , eſt d'après
le fameux tableau de Rubens , fi
connu des amateurs , & que l'on voit a
Anvers dans le cabinet de Mde Borchaen .
La compoſition la plus riche y est enchaî
née de la maniere la plus étonnante ; les
grouppes y font ingénieuſement diſtribués
, celui fur-tout qui repréſente l'homme
à cheval , qu'un de ſes compagnons
aide à charger ſa proie, eſt de la plus
grande beauté; pluſieurs pages fuffiroient
à peine au détail des penſées ingénieuſes
&vraies dont ce ſujet eſt rempli . M.
Marteneſie , à qui nous devons ce chefd'oeuvre
de gravure , a ſu faire paffer fur
ſa planche toutes les beautés de fon original
; les caracteres de tête , les vérités
d'étoffe , l'illuſion de la perſpective , le
brillant même de la couleur , font rendus
par un burin libre & favant : peu d'eftampes
ont un effet plus piquant : celui
que celle - ci produit au premier coup
MAR S. 1770 .
179
d'oeil eſt dû à la profonde connoillance
que l'artiſte paroît avoir du clair- obfcur ,
à l'intelligence des clairs , des ombres ,
des demi-teintes , & fur-tout à la pureté
du trait ; car ce n'eſt point ſur le graveur
que doivent tomber toutes les obſervations
que l'on pourroit faire fur la correction
dudeſſin qui n'eſt pas toujours bien
exact dans le tableau , & fur lequel l'auteur
n'eſt pas toujours exempt de reproches
; mais ſi quelque choſe peut juſtifier
l'habitude qu'il avoit de faire des femmes
trop fortes , c'eſt ſans doute le ſujet qu'il
a choiſi dans cette occaſion ou la violen.
ce des mouvemens autoriſe des muſcles
plus fortement prononcés .
4
L'eſtampe ſe vend à Anvers , chez l'auteur
, place de mer; & ſe trouve à Paris ,
chez Aliamet , graveur , rue des Mathurins:
/
II.
7
Portrait de Moliere , méditant fur les
vices&les ridicules , gravé d'après Coypel
; par Ficquet, graveur de Leurs Majeftés
Impériales & Royales.
Les maſques de la comédie entaſſes &
répandus ſur la ſurface d'un globe , défi
H vj
180 MERCURE DE FRANCE .
gnent quelques uns des caracteres que.ce
grand homme a traités dans ſes pièces :
une guirlande de feuilles de lierre les lie
ensemble & fait l'ornement de la bordu .
re deſſinée de très bon goût , par. M. Choffar
, & gravée par M. de Launay. Cette
nouvelle production du burin de M. Ficquet
n'eſt pas moins précieuſe que celles
qu'il nous a déjà données , & mérite les
plus grands éloge. On trouve ce portrait,
ainſi que ceux de MM. de Voltaire , la
Fontaine , J. B. Rouſſeau , P. Corneille &
Deſcartes , chez tous les marchands d'eftampes
, chez M. Wille , graveur du Roi,
quai des Auguſtins , & chez la veuve
Duchefne , libraire , rue St Jacques. Prix.
3.liv. piéce.
III.
M. Monet , ancien directeur de l'opé
ra comique , & l'éditeur de l'anthologie
françoiſe , vient de donner au public un
projet de Wauxhall , conçu dès l'année
1.765 . Il devoit être placé dans le bois
de Boulogne , près la croix de Mortemart
: ce Wauxhall , qui paroit mériter
la préférence ſur tous ceux qu'on a vus
juſqu'à préſent , par ſa poſition , ſa belle
architecture , le goût & la variété re
MARS. 1770. 181
pandus dans les différens ſalons & les
jardins , eſt gravé en quatre planches ,
par nos meilleurs artiſtes , d'après les
deſſins de M. Louis , ancien penſionnaire
du Roi , & premier architecte du Roi de
Pologne , connu d'une manière ſi diſtinguée
par fa chapelle Ste Marguerite. La
première de ces planches contientle plan
du bois de Boulogne ; la ſeconde , celui
du Wauxhall ; la troiſième , la coupe ; &
la quatrième , l'élévation de cet édifice ,
qui n'eût pas manqué de faire les délices
de Paris . On trouve auffi à la tête de cette
collection un diſcours préliminaire : le
tout ſe vend 6 liv .
I V.
Lefoir & la nuit. Deux eſtampes en pendant
de 17 pouces de large ſur 13 de
haut , gravées d'après les tableaux originaux
de M.Vernet ; par M.J. Aliamet
, graveur du Roi & de l'académie
impériale& royale de Vienne. A Paris ,
chez l'auteur , rue des Mathurins , visà-
vis celle des Maçons. Prix 2 liv. 3 f.
chacune..
Le ſoir& la nuit forment avec lematin
& le midi , publiés précédemment les
1
182 MERCURE DE FRANCE.
quatre heures du jour. Cette ſuite des premieres
épreuves ſe vend 12 livres , chez
l'auteur. Les deux nouvelles eſtampes que
nous annonçons ne font pas moins intéreffantes
que les premieres. Dans celle
qui repréſente le ſoir , on voit une compagnie
de femmes qui ſe baignent. La
feconde offre un effet de clair de lune.
Une partie du ſite eſt encore éclairée par
le feud'un bucher. On reconnoît dans la
gravure le burin pur , agréable & varié
avec intelligence de M. Aliamet.
1
V.
Vénus & Paris fur le mont Ida , eſtampe
de 18 pouces de large ſur 15 de haut ,
gravée d'après Dietricy ; par Dupin ,
fils. A Paris , chez Deſclos , rue Poupée
, même maiſon de M. Remi ,
peintre.
Vénus eſt ici repréſentée à côté dubeau
berger Paris & environnée d'amours qui
s'empreſſent de la ſervir. Un d'eux lui
préſente un miroir. Cette compofition
nous rappelle le genre agréable de l'Albane.
Le Sieur Deſclos diſtribue chez lui une
autre eſtampe de 10 pouces de large fur
MARS. 1770 . 183
7de haut , d'après le tableau de M. Halé,
peintre du Roi. Elle repréſente une Savoyarde
qui a fur ſes genoux un enfant en
maillot . Un petit Savoyard cherche à l'amuſer
avec ſa vielle. Cette ſcène eſt d'une
vérité naïve.
VI.
Le choix du Poiſſon , eſtampe de 17 pouces
de large ſur 13 de haut , gravée
d'après le tableau de M. Vernet , peintre
du Roi ; par le Sr Legouaz . A Paris
, chez l'auteur , rue des Noyers , la
premiere porte cochere à droite en entrant
par la rue St Jacques.
Pluſieurs pêcheurs, hommes & femmes
s'occupent au bord de la mer à trier du
poiffon. On voit dans l'éloignement un
vaiſſeau avec toutes ſes voiles. Cette marine
eſt encore intéreſſante par le choix
du ſite , & la gravure en eſt très-foignée;
elle annonce avantageuſement le talent
du St Legouaz.
VII.
La bonne Amitié , eſtampe de 17 pouces
de haut fur 12 de large , gravée par
Chevillet d'après le tableau original de
184 MERCURE DE FRANCE.
M. Schenau , peintre de S. A. S. E. de
Saxe . A Paris , chez Chevillet , rue des
Maçons , maiſon de M. Freville .
La bonne Amitié eſt ici caractériſée
par deux jeunes Demoiselles qui confidérentdes
tourterelles qui ſe careffent. Les
différens ajuſtemens de ces jeunes perfonnes
& tous les acceſſoires du tableau of
frent de jolis détails qui ont été rendus
avecbeaucoup de netteté par le Sr Chevillet.
VIII
7
}
La Devideufe & la Cuisiniere italienne.
Deux eſtampes en pendant de 12 pouces
de haut fur 14 de large , gravées par
J. B. C. Chatelain, d'après des tableaux
originaux de L. Robert. A Paris , chez
Lempereur , graveur du Roi ,rue &
porte St Jacques , au - deſſus du petit
marché,
L'agrément du coftume & le pittorefque
du local rendent ces deux compoſi
Fions très-amuſantes . L'artiſte a rendu avec
intelligence l'effet du tableau.
M. Lempereur distribue auſſi chez lai
lavue d'un port de mer de 17 pouces, de
large fur 13 de haut , gravée d'après J..
MARS . 1770. 1.85
Vernet , peintre du Roi . On y voit plufleurs
vaiſſeaux en mer. Deux hommes &
deux femmes qui s'occupent à la pêchre à
la ligne ornent le devant de cette compofition
. M. Aveline , qui l'a gravée , lui a
donné de la couleur & de l'effer ..
Ι Χ.
Portrait de M. le Duc de Chevreuse , pair
de France, chevalier des ordres du Roi ,
lieutenant - général de ſes armées , colonel
général des dragons , gouverneur
& lieutenant - généré de la ville , prevôté
& vicomté de Paris , gravé par P.
C. Ingouf , d'après le deſſin de J. F.
Guiller . A Paris, chez l'auteur , rue des
Foſſés St Victor , maiſon de M. Giroux
, ſculpteur marbrier .
Ce portrait , renfermé dans un médaillon
, nous repréſente M. le duc de Chevreuſe
de profil & revêtu de l'uniforme
de dragon. Au bas du médaillon font placés
des trophées militaires. L'eſtampe a
12 pouces de haut fur 8 de large.
186 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
Second recueil de petits airs de chants
les plus à la mode , avec accompagnement
de Mandoline , & les folies d'Efpagne
avec des variantes faciles , dédié à
ſon alteſſe ſéréniſſime Madame la princeſſe
Caroline de Heffe-Philipſthal , par
M. Pietro Denis ; prix , 3 liv . 12 fols :
gravé par Madame Gérardin. A Paris ,
chez l'auteur , rue Montmartre , la porte
cochère en face de la rue Notre Dame
des Victoires , à côté du perruquier , &
aux adreſſes ordinaires de muſique.
Premier recueil de nouveaux duo de table
, par M. *** ; prix , 3 liv. A Paris ,
chez Feſſard , graveur ordinaire du cabinet
du Roi , rue Ste Anne , butte Saint
Roch , & aux adreſſes ordinaires de muſique.
Sixfimphonies à quatre parties obligées ,
les hautbois & cors ad libitum , dédiées à
MARS. 1770. 187
M. leducde Luynes , colonel général des
dragons , compoſées par J. B. Moulenghen
Dhalem , ordinaire de la comédie
italienne , exécutées au concert ſpirituel :
oeuvre premiere ; prix 12 liv. A Paris ,
chez l'auteur rue Verderet , chezun limonadier.
Bouin , marchand de muſique ,
rue St Honoré , au gagne- petit. A Lyon ,
chez Caſtaud , place de la comédie. A
Toulouſe , chez Bruner. Les parties de
haurbois peuvent être exécutées par deux
flûtes ou deux clarinettes .
, Quinze dno de violoncelle par M.
Schwachoffer ; prix 3 liv. 12 fols . A
Paris , au bureau d'abonnement de mufique
, cour de l'ancien grand cerf , rue St
Denis & des Deux Portes St Sauveur , &
aux adreſſes ordinaires .
Six fonates à violon seul & baſſe , par
M. Lolly ; prix 7 liv. 4 fols. Deuxième
recueil de chanſons pour la guittare , par
M. Félix ; prix 7 liv. 4 fols: chez Huberty
rue des Deux- Ecus , au pigeon
blanc.
د
188 MERCURE DE FRANCE.
Sonates en trio pour le clavecin , violon
&violoncelle , dédiées à Madame la ducheſſe
de Béthune , compoſées par M.
Couperin , organiſte de l'égliſe de Paris
& de St Gervais : oeuvre III ; prix 7 liv.
4 fols . A Paris , chez l'auteur attenant
l'égliſe St Gervais , & aux adreſſes ordinaires.
Troiſième recueil d'ariettes choiſſes & de
duo avec accompagnement de harpe , arrangé
par M. l'abbé Boilly , bénéficier de la
Ste Chapelle ; prix 8 liv. A Paris , chez
Coulineau , luthier & marchand de muſique
, rue des Poulies , & aux adreſſes
ordinaires.
4
MARS. 1770. 189
GÉOGRAPHIE.
I.
Quatrième & dernier volume de l'Atlas
méthodique & élémentaire de géographie
& d'histoire , dédié à M. le préſident
Hénault ; par M. Buy de Mornas ,
géographe du Roi & des Enfans de
France.
Ce quatrième volume eſt composé de
80 cartes , & termine la partiede la géo.
graphie & de l'hiſtoire ancienne ; il ne
céde en rien aux trois premiers , tant
pour le fond que pour l'exécution , &
renferme les plusbeaux traits de l'hiſtoire
tant facrée que profane. On y trouve ce
qui eſt arrivé de plus intéreſſant chez le
peuple Juif. On y fait obſerver que les
Juifs , après la mort du conquérant de
l'Afie , conſervèrent encore , pendant
176 ans , le privilège de ſe gouverner
fuivant leurs propres loix , l'obſervation
paiſible de leur religion , & l'uſage de
leurscérémonies. Ils ſe trouvèrent enfuite,
par la ſituation de leur pays , expoſés à
190 MERCURE DE FRANCE.
pluſieurs révolutions : ils furent conquis
par les Egyptiens, enſuite par les Syriens ,
& également opprimés par ces deux peuples.
Mais ils ſe délivrèrent de l'oppreffion
ſous la conduite des Machabées.Ce fut le
chefde la maiſon des Machabées,qui gouverna
la nation. Ils vécurent enfuite en république
ſous le pontificat d'Hircan , &furent
après foumis à Hérode ſous le regne
duquel naquit le Meſſie. Quant à l'hiftoire
profane , on y préſente les plus
beaux morceaux des différentes monarchies
. On y trouve l'hiſtoire des fuccefſeurs
d'Alexandre , des nouveaux royaumes
d'Egypte , de Syrie , des Parthes
d'Arménie , de Cappadoce , de Pont ,
de Bithynie , de Pergame , de Macédoine
, de Sparte , de Sicile , & des républiques
d'Heraclée , d'Athènes , d'Achaïe
, d'Etolie , de Carthage
Rome. Par le moyen de ce quatrième
volume, on a un cours complet d'hiſtoire
ancienne de géographie & de chronolo .
gie en 268 cartes , qui forment quatre
volumes.
&de
L'auteur invite MM. les ſouſcripteurs
à venir completer leur collection .
L'auteur demeure rue St Jacques , à
côté de St Yves.
د
:
MARS. 1770. 191
I I.
و
Cartes des troubles de l'eſt , contenant
l'empire Turc, la Volinie , la Podolie , la
Nouvelle Servie les Cataractes du
Nieper , le Kuban , la Circaffie, la Kabardie,
le plan d'Oczakow , la Dalmatie
Montenegrins , &c., par M. Lerouge .
,
Pour ſuivre les opérations de guerre ,
il faut joindreà ces cartes le théâtre de la
guerre des Turcs en deux feuilles , & la
carte de la Ruſſie méridionale en trois
feuilles , auſſi par M. Lerouge.
A Paris , chez l'auteur , rue des Grands
Auguſtins , 1770 .
TRAIT DE GÉNÉROSITÉ .
M. THOMSON , l'auteur du poëme des
Saiſons , ne jouit pas tout de ſuite d'une
fortune égale à fon mérite &àſa réputation.
Dans le tems même que ſes ouvrages
avoient la plus grande vogue , il étoit
réduit aux extrêmités les plus défagréables
; il avoit été forcé de faire beaucoup
de dettes ; un de ſes créanciers , immé-
-diatement après la publication du poëme
192 MERCURE DE FRANCE.
des ſaiſons , le fit arrêter dans l'eſpérance
d'être bientôt payé par l'imprimeur. M.
Quin , comédien , apprit le malheur de
Tomfon; il ne le connoiſſoitque par fon
poëme , &ne ſe bornant pas à le plaindre
comme une infinité de gens riches & en
état de le ſecourir, il ſe rendit chez le
bailli où Thomſon avoit été conduit ; il
obtint facilement la permiffion de le voir;
Monfieur, lui dit- il ,je ne crois pas avoir
l'honneur d'être connu de vous ; mais
mon nom est Quin. Thomfon lui répondit
que quoiqu'il ne le connût pas perſonnellement,
fon nom & fon mérite ne
lui étoient point étrangers. Quin le pria
de lui permettre de ſoupet avec lui & de
ne pas trouver mauvais qu'il eût fait apporter
quelques plats. Le repas fut gai ;
lorſque le deſſert fut arrivé , parlons d'affaires
à préſent , lui dit Quin , en voicile
moment : Vous êtes mon créancier , M.
Thomson ; je vous dois cent livresſterling
, & je viens vous les payer. Thomfon
prit un air grave , & fe plaignit de ce
qu'on abuſoit de fon infortune pour vewir
l'infulter. <«< Je veux être confondu ,
>>reprit. le comédien , ſi c'eſt là mon in-
>> tention ; voilà un billet de banque qui
> vous prouvera ma ſincérité. A l'égard
»de
MARS.
1770. 193
>> de la dette que j'acquitte , voici com-
>> ment elle a été contractée. J'ai lu lau-
>> tre jour votre pcëme des ſaiſons ; le
>> plaiſir qu'il m'a fait méritoit ma re-
>> connoiſſance; il m'eſt venu dans l'idée
>> que puisque j'avois quelques biens dans
>> le monde , je devois faire mon tefta-
>> ment & laiffer de petits legs à ceux à
» qui j'avois des obligations ; j'ai en con-
» ſéquence legué cent livres ſterling à l'au-
>> teur du poëme des ſaiſons ; ce matin
>> j'ai entendu dire que vous étiez dans
>> cette maiſon , & j'ai imaginé que je
>> pouvois auſſi-bien me donner le plaifir
» de vous payer mon legs pendant qu'il
» vous feroit utile , que de laiſſer ce foin
» à mon exécuteur teſtamentaire , qui
n'auroit peut- être l'occaſion de s'en ac-
» quitter que lorſque vous n'en auriez
>>plus beſoin. »
Un préſent fait de cette maniere &
dans une pareille circonſtance ne pouvoit
manquer d'être accepté ; & il le fut avec
beaucoup de reconnoiffance.
194 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Lorsque l'amiral Blacke commandoit
la flotte angloiſe , il obtint le commandement
d'un vaiſſeau de guerre pour un
de ſes freres , s'imaginant qu'il avoit autant
de courage que lui . Mais à la premiereaffaire,
le jeuneBlackele détrompa ;
il montra la plus grande lâcheté& ſe tint
toujours hors de la portée du canon. L'amiral
le renvoya auſſi - tôt en Angleterre .
« Je me fuis trompé , dit-il à ſes officiers ;
» mon frere n'eſt point appelé à la guer-
> re ; mais s'il ne peut faire face à l'en-
ود nemi ſur un vaiſſeau , il peutdumoins
>> être utile à ſon pays auprès d'une char-
>>>rue. » Il lui confia la culture de ſes terres
comme le ſeul emploi qui lui convint,
&les lui laiſſa quand il mourut.
I I.
Fanshaw , ſecrétaire du Roi Charles ,
fut fait prifonnier à la bataille d Edgehill
& enfermé dans la tour de Londres; il y
reſta pendant tout le tems que dura la
MARS.
1770. 195
guerre civile , & juſqu'à ce que Cromwel
eût été déclaré protecteur. Perſonne ne
follicitoit pour lui ; le gouverneur de la
tour , en parlant un jour d'affaires différentes
à Cromwel , prit occaſion de lui
dire quelques mots en faveur de Fanshaw
; il allura que ſa probité méritoit la
clémence du protecteur. Pour exciter fa
pitié , il ajouta qu'il étoit rongé de ſcorbut
& qu'il périroit infailliblement ſi on
ne lui rendoit pasbientôt laliberté. Cromwell
ordonna de le délivrer ſur le champ.
Bradshaw , qui étoit préſent , repréſenta
à fon maître qu'il étoit important avant
tout de prendre fon ferment. Cromwel ſe
tourna vers lui & lui dit froidement :
Croyez- vous que ceferment le guériſſe de
Scorbut.
III.
Le docteur South , ſur la fin de ſa vie ,
demeuroit à Caversham dans le comté
d'Oxford ; des affaires particulières
l'ayant obligé d'aller à Londres , il profita
de l'occaſion pour faire une viſite à
ſon ancien ami , le docteur Waterland;
c'étoit le matin ; celui- ci le preſſa ſi fort
de reſter à dîner qu'il y confentit. La
Ij
196 MERCURE DE FRANCE.
femme du docteur , qui étoit fort avare ,
trouva cette invitation déplacée ; elle appela
fon mari dans une chambre voiſine ,
où elle lui fit de violens reproches. Le
bon docteur s'excuſa ſur leur ancienne
amitié , & l'affura qu'il n'avoit fu faire
autrement ; ſa ſoumiſſion n'adoucit point
ſa femme ; elle cria plus haut , & la
querelle s'échauffa au point que le docteur
s'emporta juſqu'à lui dire qu'il la
battroit s'il n'y avoitpas un étranger dans
ſa maiſon, M. South , qui avoit tout
entendu , lui cria ſur le champ : Ne vous
génezpoint , mon cher docteur ; ne me regardez
pas comme un étranger; vous fça.
vez bien que je suis votre ami. La Dame
fut honteuſe d'avoir été entendue ; elle
s'appaifa , & fit préparer un joli dîner ;
mais elle n'oſa pas y paroître,
DECLARATIONS , ARRÊTS , &C,
I.
DÉCLARATION du Roi , donnée à Versailles
le premier Décembre 1769 , regiſtrée en parlement
le19Janvier 1779 ; concernant les unions de
bénéfices.
MARS.1770 197
r
I I.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de Décembre
1769 , regiſtré en parlement le 19 Janvier
1770 ; concernant les Maréchauflées des Duchés
de Lorraine &de Bar .
ΙΙΙ.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Décem
bre 1769 ; qui modère , à commencer du premier
Janvier 1770 , les droits de marc d'or , d'enregiftrement
chez les Gardes des rôles , ſceau , & autres
frais de proviſions des offices vacans & autres
réputés tels , qui ſeront levés aux revenus cafuels.
IV.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Janvier 1770 , regiſtré en parlement ; portant que
les quatorze deniers pour livre , qui ſe perçoivent
fur les bois du Roi , au profit des maîtriſes , feront
perçus à l'avenir au profit de Sa Majesté.
V.
Arrêt du conſeil d'état duRoi du 16Janv. 17705
portant réglement pour la perception des droits
des Quatre- membresde la Flandre maritime.
VI.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29 Janvier
1 770; qui ordonnequ'il ſera fait en ſus du dixième
ordinaire , différentes retenues graduelles ſur les
I iij
I198 MERCURE DE FRANCE.
penſions , gratifications ordinaires & extraordimaires
, qui ſe payent au tréfor royal.
VII.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 4 Février
1770 ; qui ordonne que les deux pour cent de la
finance des offices de gouverneurs & lieutenans
deRoi des villes cloſes du royaume , attribués
auxdits offices pour logement& uſtenfile , ne ſesont
plus employés dans l'état du Roi , des gages
defdits offices , à compterdu 1 Janvier 1770 .
VIII.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , du 4 Février
1770 ; qui ordonne la retenue de deux dixièmes,
en ſus de celui d'amortiflement , ſur les bénéfices
des fermes générales ; & d'un dixième aufi en fus,
far les intérêts des cautionnemens.
1 Χ.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de Février
1770 ; portant création d'un contrat de
douze cens mille livres de rente , au principal de
trente millions , au profit de la Compagnie des
Indes.
Χ.
Lettres-patentes du Roi , données à Verſailles
le 9 Février 1770 ; qui autoriſent les ſyndics &
directeurs de la Compagnie des Indes , à ouvrir
une loterie , dont le fonds ſera de douze millions.
MARS. 1770. 199
1
1
AVIS .
I.
LE Sr B. de Pont , graveur , a l'honneur de prévenir
MM. les Architectes & les autres Artiſtes
ainſi que les Libraires & les Imprimeurs , qu'il
grave l'architecture & tout ce qui peut être relatif
àcet art , comme hydraulique , méchanique , jardinage,
&c. Il leve auſſi les plans & fait tous les
deffins néceſſaires àcesdifférentesparties; il eſpère
mériter l'attention du Public par l'afiduiré de
ſes ſoins , la célérité de ſes opérations & la modicitédu
prix. Il lege au coin du cul de ſac de l'Oratoire
, dans la maiſon dubonnetier,
II.
Le Sr Maliverne , horloger , cour de l'abbaye
St Germain-des-Prez , entre les deux grilles, chez
le Sr Dufey, marchand , au 2º étage , a le ſecret
d'une pommade qui enleve en très- peude tems les
rougeursde lapetite vérole,&fait difparoitre toutes
lesmarque qu'elle laiſſe après elle; cettepommadeguérit
auffi toutes fortes de brûlures quelque
anciennes qu'elles foient. On s'en fert auſſi avec
ſuccès pour les gerſures des lévres & les petits
boutons. Ce ſecret eſt depuis long tems dans ſa
famille; il en a fait pluſieurs expériences qui, toures
, ont réuſſi , & il céde enfin aux follicitations
des perſonnes qui, en ayant reflenti lesbous effers,
defirent que d'autres en puiflent profiter . Ceux
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
qui voudront ſe procurer de cette pommade;le
trouveront tous les jours chez lui , & les fêtes &
dimanches juſqu'à dix heures du matin.
III.
Le Sr le Fort a trouvé le moyen d'augmenter
de beaucoup la portée des fufils en diminuant
même la charge ordinaire; il leur fait porter le
plomb nommé gros grain , à 200 pas & plus ; les
amateurs de la chaſſe lui ſauront certainement
gré de ſa découverte ; il fera , devant ceux qui le
defireront , toutes les expériences néceſſaires à cet
égard , dès qu'il aura trouvé un endroit convenable;
ils verront que les fufils ne repoufleront pas
d'avantage , ni ne feront pas plus ſujets à ſe crever.
Il demeure à Paris , rue des Marais , la 2º
porte cochere à gauche , en entrant par la rue des
petits Auguſtins ; il donnera toutes fortes d'é .
clairciffemens aux curieux qui iront le voir ; il
prie ceux qui lui écriront d'affranchir leurs lettres.
I V.
Le Sr Gaillard poſſede ſeul le ſecret de deux
huiles , dont les effets ſont abſolument contraires;
l'une eſt épilatoire ; l'autre fait croître &
épaiffir les cheveux ; elles n'ont aucune odeur &
ne peuvent occafionner aucun inconvénient; la
premiere ſe vend fix & douze livres la phiole ;&
la ſeconde fix livres . Le Sr Gaillard demeure chez
le marchand de vin , au coin des rues Merciere &
de Grenelle St Honoré.
MARS. 1770. 201-
V.
Le St Guy , premier médecin de Charles II ,
Roi d'Angleterre , avoit inventé le véritable fuc
de regliffe &de guimauve, & la pâte de guimauve
fans fucre. Le ſecret de ces compoſitions précieuſes
approuvées par la faculté de médecine de Paris
, &connues par les bons effets qu'elles produiſent
journellement , s'eſt toujours conſervé dans
ſa famille; la Dlle Guy eft la ſeule qui les diſtri
bue aujourd'hui , en vertu d'un privilége exclufif,
confirmé par des lettres-patentes enregiſtrées au
parlement. Pluſieurs perſonnes ont tenté de contrefaire
fes remèdes , &fur les plaintes de laDile
Guy, il fut rendu un arrêt du parlement du 4 Septembre
1747 , qui défendit aux nommés Tarben
&Defmoulinsddeevvendre ni diſtribuer,ſous lenom
de Guy, la pâte de guimauve de leur compoſition.
Un autre arrêt du 31 Août 1765 , la maintient
dans ſon privilége exclufif , & fait auſſi défenfe à
la nomméeDeſmoulins , veuve du Verger, de ven.
dre&débiter ſa compofition ſous le nom deGuy ,
&de faire mettre dans les journaux & autres écrits
publics qu'elle tient le ſecretde la Dlle Guy. Le
bureau de la Dlle Guy eſt toujours , depuis plus
de cinquante ans rue Saint Honoré , au ſecond,
chez un marchand miroitier. Il y a un
tableau en lettres d'or aux balcons de fon appartement.
On peut lui écrire directement de province
en affranchiſſant les lettres ,&elle fatisfera
ſur le champ aux demandes qu'on pourra lui faire.
Le prix de la livre de la pâte de guimauve blanche
eſt des livres , & celui du ſuc de regliſſede
guimauve fans lucre eſtde 6.
,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
VI.
LeSrle Brun,marchand épicier-droguiſte , aux
armes d'Angleterre , magaſin de Provence & de
Montpellier , hôtel de Mouy, rue Dauphine , continue
de vendre avec l'approbation de la faculté
de médecine de Paris , différens remèdes tirés des
Chymiſtes Anglois. Les plus confidérables ſont
les tablettes pectorales de beaume de Tolu, inventées
& préparées par Thomas Gréenough. Onn'a
point encordécouvert de remède auſſi agréable &
auſſi efficace contre la toux , l'enrouement , les
rhumes opiniâtres , les maux de gorge , les picotemens
de poitrine , & pour envelopper les humeurs
acres qui occaſionnent latoux. Ces tablettes
facilitent l'expectoration , remédient à l'extinction
de voix ,& font infaillibles dans la confomption
& la phtyſie commençante; le prix eſt
de 36 ſols la boëte. On n'en trouve à Paris que
chez le Sr le Brun. Pour faciliter les moyens de
s'en procurer dans les provinces , il a établi quelquesbureauxdans
différens endroits ; à Verſailles,
chez le Sr Deflaubaz , marchand épicier ſuivant
lacour , rue d'Anjou ; à Strasbourg , chez le Sieur
Labeaume , marchand de ſoie , rue des Hallebardes;
àDijon , chez le Sr Iſabet , marchandbijoutier
, rue du Coin du Miroir ; a Rouen , chez le Sr
Soyer , marchand épicier - confiſeur , rue des Carmes
; à Bordeaux , chez le Sieur Brandon , négociant,
ſous les piliers de la bourſe , & chez le Sr
Guilleminet , marchand épicier-droguiſte , rue des
Cordeliers , à Poitiers. Le Sr le Brun diftribue auffi
le véritable taffetas d'Angleterre du Sr Woodcock
dont la pièce de 7 pouces ſe vend 10 fols ; on
1
MARS. 1770 . 203
trouve auſſi chez lui l'eau de Cologne de J. Marie
Farina à 36 fols la bouteille; l'eau de perle pour
le teint , du Sr Dubois de Londres , à 40 fols la
bouteille ; les véritables emplâtres écofloiſes pour
la guériſon des cors des pieds ; deux teintures du
St Gréenough , l'une pour nettoyer , blanchir &
conſerver les dents , & l'autre pour guérir les
maux de dents ; le véritable élixir de Garrus; celui
du docteur John Weel Sthougthon; leruban de
ſanté pour purifier l'air des appartemens , &c.
Toutes ces compoſitions différentes lui viennent
directement de leurs auteurs & ſe vendent au même
prix qu'on les paye à Londres.
VII.
Ontrouve chez le Sr Martin le jeune , à la malle
royale , rue St Antoine , vis-à vis l'hôtel de Beauvais
, des tontiſſes portant une aune de large fans
couture. Chaque piéce , encadrée dans une bordurede
toute couleur , ſe vendà l'aune quarrée ;
il y a auſſi chez lui des toiles peintes en fleurs , en
fruits &en oiſeaux qui ont une aune de large &
qu'il vend auffi à l'aune quarrée; le tout eſt peint
al'huile &ſe lave faciletnent.
VIII.
Mademoiselle le Maire, demeurant à Paris ,
grand rue fauxbourg St Jacques , vis - à - vis les
Urfulines, continue toujours de tirer parfaitement
les copies des modèles gravés qu'on lui envoie ;
ſavoir , armes , cachets , bagues antiques , &c.
fur des pierres de compoſition , imitant toutes les
pierres fines , comme rubis , cornaline , émeraude,
J
(
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
criſtal de roche , &c. Le prix des pierres eſt depuis
6 liv. julqu'à 12. On trouve chez elle les
portraits du Roi & d'Henri IV , pour mettre en
bague. Elle a eu l'honneur de les préſenter aux
Dames de France & à toute la cour. Les perſonnes
qui deſireront avoir le relief de leurs bagues en
creux ſur des agathes de différentes couleurs les
enverront ſur de la cire d'Eſpagne bien tirés.
Ι Χ.
Le Sr Rouffel a trouvé un remède efficacepour
les corsdes pieds. Juſqu'ici ces maux avoient paru
ne pas devoir mériter une attention particuliere ,
& l'on s'étoit contenté de chercher dans le ſecret
douteux de quelques empyriques un ſoulagement
trop ſouvent inutilement attendu. Il ſuffiſoit , en
diminuant leur volume par l'amputation , d'en
rendre les douleurs un peu plus ſupportables.
Beaucoup de perſonnes , ou riſquoient les inconvéniensdangereux
qui réſultent tous les jours de
pareilles opérations , ou aimoient mieux ſouffrir
les maux que cauſent les cors plutôt que d'endurerla
compreffion ou l'introduction d'aucun corps
étranger. Aujourd'hui l'expérience a fait trouver
un topique auffi für contre ce mal , qu'il eſt ailé
àemployer. Un morceau de toile noire oude ſoie,
enduit du médicament dont il s'agit , a la vertu
d'ôter très - promptement la douleur des cors , de
les amollir & de les faire mourir par fucceffion de
tems. On en forme un emplâtre un peu plus large
que le mal,que l'on enveloppe d'une bandelette
après avoir coupé le cors . Au bout de huit jours
on peutlever ce premier appareil , & remettre une
autre emplâtre pour autant detems.
MARS. 1770. 205
Le prix des boëtes à 12mouches eſt de trois liv.
Le Sr Rouflel demeure à Paris , rue Jean de l'Epine
, chez le Sr Marin , grenetier , près de la Giêve.
On le trouve chez lui tous les jours , excepté
les fêtes & dimanches .
Χ.
Sapins du parc de Meudon ; ſavoir , mats depuis
so piedsde long juſqu'à 86, depuis 12 pouces
juſqu'à 24 dans le milieu de l'arbre , &depuis un
pied de largejuſqu'à 36 pouces par le gros bout :
des ſapines propres àdes échafauds & charpentes
depuis 30 piedsjuſqu'à 75 , de 8 pouces juſqu'à 1 s
dans le milieu , toutes écarries. Du bois de corde
à 14 livres ; des ſouches à 8 liv. la voie forte; des
copeaux à 4 liv. to f. la voie ; des fagots à 10 1.
le cent, on donne le 13e gratis ſur les fouches ,
cordes , copeaux , & les quatre au cent fur les fagots.
Ce bois reſineux brûle bien & n'incommode
point; c'eſt le chaufage ordinaire de tout le Nord
&dela Lorraine. Il y a deux chemins pavés dans
le parc qui aboutiſſent à la route de Verſailles &
de Paris. Il faut s'adreſſer à la Barraque de Chaville
, parc de Meudon. A Paris , à M. Guibert ,
ſculpteur des bâtimens du Roi , place St Sulpice ,
bâtiinent neuf.
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Warfovie , le 20 Janvier 1770 .
LE Prince Wolkonski , ambaſſadeur de Ruſſie,
areçu par un courier , un certain nombre de croix
dunouvel ordre militaire de StGeorge , qu'il eſt
chargé de diſtribuer aux officiers à qui elles ſont
deſtinées. On dit que le même courier a apporté
au lieutenant-général , le diplôme qui le rend général
en chef.
:
On mande de Lithuanie que le comte Oginski
, grand - général de cette province , a fait
conſtruire à ſes frais un canal de la longueur
de douze mille d'Allemagne pour la jonction des
deux rivieres de Jafiolda & de Szezava. La pre-
- miere de ces rivieres porte ſes eaux au Niemen. Le
diſtrict de Pinsko , qui n'avoit aucune communication
aiſée avec l'étranger , pourra, par le moyen
de ce canal , envoyerſes productions par eau julqu'à
Konigsberg.
Du 27 Janvier.
On parle tous les jours de projets d'accommodement
, & l'on ne cache plus que la cour de Petersbourg
n'eſt pas éloignée de les adopter ; mais
il ne paroît pas encore qu'on touche au moment
de voir finir les calamites de cette malheureuſe
nation.
Comme les deniers deſtinés au payement des
troupes ne rentrent plus , le régiment des gardes
MARS. 1770. 207
àcheval partira d'ici pourſe rendre dans le palatinat
de Cracovie , où l'on a permis , dit-on , aux
officiers & aux foldats de ſe faire payer eux- mêmes
leurs arrérages . On croit que ce régiment ſera
⚫⚫remplacé ici par quelques détachemens Ruſſes qui
viennent de Lithuanie , &que ceux- ci le feront par
quelques bataillons de réſerve qui étoient reſtés
dans la Finlande.
On voit avec ſurpriſe un très-grand nombre
d'officiers & même de généraux Rufles , donner
leurs démiſſions & quitter en foule les armées de
l'Impératrice. On fait monter à quatre cens le
nombre de ces démiſſions depuis la fin de la campagne.
Nous avons vu ici quelques - uns de ces
officiers retirés , leſquels ſont convenus que les
maladies épidémiques & le fer des Tartares faifoient
les plus grands ravages parmi les Ruffes ,
&qu'il falloit fonger à former de nouveau les régimensqui
font entrés dans la Moldavie.
Des frontieres de la Hongrie , le 20 Janvier
1770.
On nous mandede toutes parts que les Rufles
ont été obligés de lever le ſiége de Bender , après
y avoir fait des pertes immenfes , cauſées par le
feu des alliégés , par les maladies & par les combats
continuels que leur ont livrés les Tartares ;
qu'ils ont été attaqués dans leur retraite par ceuxci,
qui en ont défait ſucceſſivement pluſieurs corps;,
que le reſte eſt arrivé en très-mauvais état àBalta,
&que les Tartares ſe ſont partagés en deux corps.
dont l'un avoit déjà paſlé les lignes de la nouvelle
Servie quand ces nouvelles nous ſont parvenues ,
&que l'autre s'eſt coulé le long du Niefter en re208
MERCURE DE FRANCE.
montantjuſqu'à Kalas , d'où il infeſte les derrieres
du corps Ruſle qui eſt reſté en Moldavie. Enfin
on apprend que les Turès reparoiſſent en force audelà
du Danube , & l'on en conclud que leurs
mouvemens ſont concertés avec ceux des Tartares.
On ſe ſouvient que , dans la guerre de 1737 ,
les Turcs laiſſerent toujours le champ libre aux
Rufles pendant l'été , & que c'eſt l'hiver qu'ils
chorfirent pour harceler & pour attaquer l'armée
de leurs ennemis ; on appréhende fort que la même
manoeuvre ne leur réuſſiſſe encore aujourd'hui ,
&que les Rufles répartis dans la Moldavie ne deviennent
les victimes des derniers ſuccès qu'ils ont
eus&dont ils ont été étonnés eux-mêmes .
✓. De Rome , le 24 Janvier 1770.
Jeudi dernier , fête de la Chaire de St Pierre , le
ſouverain Pontife ſe rendit à la Baſilique de ce
Saint , & y aſſiſta avec le ſacré collége & les différens
ordres de la prélature romaine , à la grande
meſle à laquelle le cardinal Perelli officia. Après
lagrande meſſe , on chanta , conformément aux
ordres de Sa Saintété , un Te Deum en actions de
gracesde la confervation desjours du Roi de Pertugal.
De Livourne , le 24 Janvier 1770 .
On eſt informé, par des lettres particulieres ,
qu'il fe trouve actuellement à Mahon quatorze
vaiſleaux de guerre Ruffes , & que pluſieurs de ces
bâtimens étoient à Cadix où ils ont laiflé malades
unegrande partie des gens de leurs équipages pour
ſe rendreàGibraltar,
MARS. 1770 . 209
De Venise , le 9 Janvier 1770 .
On continue de travailler ſans relâche dans l'arſenal
à la conſtruction & à la réparation de plufieurs
bâtimens , pour mettre la république en état
d'avoir au printems prochain dix - ſept vaiſſeaux
ou frégates dans les Mers du Levant.
De Londres , le 30 Janvier 1770 .
Le Duc de Grafton vient de donner ſa démiſſion
de la place de premier lord de la tréſorerie , & le
Roi y a nommé le lord North , chancelier de l'échiquier.
Il y a toute apparence que cet événement
ſera ſuivi de très grands changemens dans
le miniftere , & que le lord North n'exercera la
place de premier lord de la tréſorerie qu'en attendant
l'arrangement qui doit ſe faire pour la formationd'un
nouveau miniftere.
On mande de Portsmouth que les hôpitaux y
font remplis de ſoldats Ruſſes malades , & qu'il en
eſt déjà mort un très grand nombre. On ajoute
que le contre - amiral Ruſle n'eſt pas en état de
mettre à la mer avec les vaiſſeaux de ſon eſcadre
qui ſont encore dans le port parce que les équipages
ne ſont pas aſſez nombreux pour faire la manoeuvre
.
Du 3 Février.
Tour eſtdans la plus grande agitation à la cour
&à la ville; le parti de l'oppoſition paroît triompher.
D'un autre côté les amis du miniſtere publient
que , malgré la démiſſion du duc de Grafton
, le ſyſtême de l'adminiſtration ne fera point
changé , & que les miniſtres actuels reſteront en
place & ſe conduiront d'après les mêmes principes.
210 MERCURE DE FRANCE.
Cependant ce n'eſt pas là l'opinion la plus générale;
on publie déjà différentes liſtes des changemens
qu'on ſuppoſe prêts à ſe faire dans le miniftere
; mais ce ne ſont que des conjectures qui ne
font appuyées que ſur les idées & les intérêts des
différentes factions .
La baiſſe des actions des Indes , ſans aucune
cauſe apparente , étonne fi fort tous les actionnaires
que plufieurs ont marqué le plus grand defir de
ſavoir ce qui peut l'occaſionner , & demandent
qu'il ſoit convoqué pour cela une affemblée générale
, s'imaginant qu'il doit y avoir quelque myſtèredont
il eſt de leur intérêt d'être éclaircis .
Du 6 Février .
Les Sieurs James, Grenville & le comtedeCornwallis
ſe ſont démis des places de vice - tréſoriers
d'Irlande. Lelord Howe s'eſt déamis auſſi de la place
de tréſorier de la marine , & le vicomte de Lifburne
de celle de lord commiſſaire du bureau du
commerce. Le Sr Welbore Ellis a fuccédé au Sr
Grenvilleen qualité de vice-tréſorier d'Irlande.
:
De Versailles , le 17 Février 1770.
Avant-hier, jour anniverſaire de la naiſſance du
Roi , on chanta à cette occafion un Te Deum dans
l'égliſe de Nôtre-Dame , paroifle du château. Le
comte de Noailles , gouverneur de cette ville , y
affliſta accompagné des officiers du baillage , &
alluma enfuite le feu qui avoit été préparé vis-àvis
du portail de l'égliſe ; la garde des invalides ,
qui s'y étoit rendue ,afait pluſieurs décharges de
moufqueterie.
MARS. 1770 211
De Paris , le 16 Février 1770.
On mande de Lyon que la nuit du sau 6 de ce
mois trois maiſons , ſituées au-deſſus du couvent
des Antiquailles , ſe ſont écroulées , & que tous
ceux qui les habitoient ont été enſevelis ſous les
ruines ; on a travaillé auffi - tôt à arracher de ces
décombres les corps de ces malheureux. Au départ
de la nouvellequi annonce cet accident , on avoit
déjà retiré trois hommes morts & pluſieurs mouzans
qui ont été fur le champ portés à l'hôpital .
M. le comte de la Gorce , baron des états du
pays de Vivarais , & capitaine de la cavalerje au
Commiflaire-Général , a épousé , le 4 du mois de
Décembre dernier dans ſa terre de Vallon , Mademoiſelle
d'Hautefort ſa coufine - germaine , avec
l'agrément de MM. les Marquis & Comte d'Haurefort
parens & chefs de la inaiſon de la Demoiſelle
, & qui , en cette qualité , ont donné leur
procuration pour ſigner au contrat de mariage ;
cesproculations ont été remplies par M. le comte
de Balafuc , dont la maiſon , qui étoit une des
plusgrandesde la province lors des Croiſades , a
donnédes filles aux maiſons de la Gorce & d'Hautefort
, &deſquelles M. le Comte & Mde la Comteffe
de la Gorce font iffus .
LOTERIES.
Le centneuviéme tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'est fait le 25 Janvier en la maniere accoutumée.
Le lot de cinquante mille livres eſt échu
au No. 22822. Celui de vingt mille livres , au
212 MERCURE DE FRANCE.
N°. 23815 , & les deux de dix mille livres aux
numéros 30828 & 38645 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'est fait le s Février. Les numéros fortis de
la rouede fortune font , 33 , 39,18,5,53 .
MORT S.
Louis le Pelletier , ancien premier préſident du
parlement de Paris , eſt mortle 20 Janvier , âgé
de 79 ans.
Dame Françoiſe de Rommecourt , veuve du
comte de Rommecourt, maréchal de camp &gouverneur
de la citadelle de Cambray , eſt morte à
Waflyen Champagne , âgée de 93 ans.
Le nommé Cauchet , laboureur de la paroiſſe
de St Caprais , frontiere de Saintonge , y est mort
au mois de Novembre dernier , âgé de 105 ans .
On mande du même pays que le nommé Gagnon,
vigneron de Rouſſignac , âgé de 107 ans , y est
mort le4 Janvier des ſuites d'une indigeftion.
Jean Roger Comte de la Guiche , lieutenantgénéral
des armées du Roi , & ci -devant commandant
de la province de Bourgogne , eft mort
àParis le 28 Janvier dans la cinquantiéme année
de fon âge.
Henri Camille , marquis de Beringhen , chevalier
des ordres du Roi & ſon premier écuyer,gouverneur
des ville & citadelle de Châlons-fur- Saône
, lieutenant - général pour Sa Majesté de la
province de Bourgogne & Châlonnois , gouver-
1
MARS.
1770 . 213
neur des châteaux de la Muette &de Madrid , capitainedes
chaſſes des parcs &bois de Boulogne ,
&c. eſt mort , âgé de 77 ans .
Genevieve-Nicole-Urſule de Turquentin , veuved'Adrien
Soyeu, ſeigneur d'Intraville, eſt morte
àDiépe , âgée de 105 ans.
:
Dame Marie - Claire d'Estaing , Dame du Terrail-
Bayard , baronne de la Motte - Saint - Jean ,
Martigni - le Comte , St Vallier & autres lieux ,
eſt morte le 10 Janvier , âgée de 85 ans. Elle étoit
veuve de Joſeph Durey , Teigneur de Sauroy , du
Terrail , baron de St André , ſeigneur du duché-
pairie de Damville & autres lieux , commandeur
de l'ordre royal & militaire de St Louis. Il
refte , de ſon mariage , le marquis du Terrail ,
maréchal de camp , lieutenant-général du Verdunois
, qui avoit épousé en premieres nôces Marie-
Roſalie deGoësbriand dont la mere étoit héritiere
de la ſecondę branche de Châtillon , dont il a
eu quatre enfans morts en bas âge ; il a épaulé
en ſecondes nôces , Marie- Charlotte de Cruffol
d'Ufez de Montaufier , fille du marquis de Monpaufier
& d'Elisabeth d'Aubuſlon la Feuillade.
Outre le marquis du Terrail , la Dame d'Estaing
de Sauroy avoit eu une fille qui étoit feue la ducheffe
de Briffac , épouse du maréchal de ce nom
&mere du duc de Coffe , brigadier des armées du
Roi , colonel du régiment de Bourgogne , capiraine-
commandant des cent fuitlesdela
Sa Majefté,
Garde de
214 MERCURE DE FRANCE
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , pages
Epître à M. de M.... officier de Marine ,
Reveil d'Iris ,
Vers à Mille Boyé ,
Epître à M. Bordeu , médecin ,
Le Bonheur imprévu ,
Vers à Mile Mars ,
Vers à M. l'Abbé Terray ,
A Mde de B.... le jour des Rois,
A Mlle du V *** ,
Ode anacreontique ,
Azem , ou l'Heureux ſoi-diſant ,
Stances ,
Le Pauvre & le Derviche , fable ,
L'Avare , ou le Voeu mal rempli ,
• Le Lion & l'Ane , fable ,
Life & le petit oiſeau ,
Bozaldar , conte oriental ,
▲Mde de P... en lui envoyant l'almanach
des Muſes ,
ibid.
10
12
13
16
19
20
21
22
23
24
46
47
49
so
52
54
61
Madrigal , 62
Epigramme ,
ibid.
AM. de Voltaire , ſur la nouvelle année , 63
Explication des Enigmes , 64
[ AR S. 1770 . 215
ibid.
68
72
ibid.
85-
87
91
95
96
97
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Hamlet , tragédie ,
OEuvres de M. le préſident Joly ,
Contesmogols ,
Aventures de D. Sylvio de Roſalva ,
Elogedu chevalier Bayard ,
Cours de mathématiques ,
LaRegle du tiers ordre de St François ,
Mémoires du marquis de St Forlaix ,
La Banque rendue facile aux nations de l'Europe
,
ΙΘΙ
Hiſtoire des glacieres de Suifle , 102
Les Economiques , 105
Mémoires de l'académie royale de Prufſe ,
Les amours de Lucile &de Doligny ,
108
III
Morale de l'hiſtoire , 114
Eſſai ſur le livre de Job , 118
Coſinographie méthodique & élémentaire , 120
Fayel , tragédie , 121
Gabrielle de Vergi , tragédie , 127
Proſpectus du Zend -aveſta , 136
Réponſe de M. de St Foix au P. Griffet ,
SPECTACLES ,
140
141
Deſcription du théâtre de l'Opéra , ibid.
Comédie françoiſe , 148
Comédie italienne , 149
216 MERCURE DE FRANCE.
:
ACADÉMIES ,
Ecole vétérinaire ,
Lettre d'un Négociant de Bordeaux , aux
Amateurs du Mercure ,
Vers pour le mauſolée de Staniflas , Roi de
ISI
157
161
Pologne , à Nancy , 162
Vers àMde la Comteſſe du Barry , fur fon
portrait , 163
Uſages anciens , Chana de la Voûte , 164
Mémoire ſur la Tactique ; par M. le Marquis
deMolac, 166
ARTS ; 174
Sculpture, ibid.
Gravure , 178
Muſique , 186
Géographie , 189
Trait de généroſité , 191
ANECDOTES , 194
Arrêts , Lettres- patentes , &c. 196
AVIS , 199
Loteries , 205
Nouvelles Politiques, 207
Morts, 212
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
AVRIL 1770 .
PREMIER VOLUME .
B
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Avec Approbation & Privilége du Roi.
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Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de porr,
les paquets&lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
événemens finguliers remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
, ,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
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Idem. 2 vol. in- 12. rel .
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in- 8 ", d'environ 600 pag . avec fig . rel. 61.
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hiſtoire portugaiſe , vol in-8°. br.
Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des ſciences , des arts &des idiomes anciens
& modernes , in- 8°. rel .
11. 161.
61.
Hiftoired'Agathe de St Bohaire , 2 vol. in-
12.br. 31.
Confidérations fur les Caufes phyſiques &
morales de la diverſité dugénie , des moeurs
&du gouvernement des nations, in - 8 °.
broché.
51
Traité de l'Orthographe Françoise, en forme
dedictionnaire , in- 8°. nouvelle édition ,
41.
rel. 71.
Nouvelle traduction desMétamorphofes d'Ovide;
par M. Fontanelle ,
br. avecfig.
2 vol . in- 8°.
101.
Parallele de la condition & des facultés de
l'homme avec celles des animaux , in 8º br. 2 1.
Premier &fecond Recueils philofophiques&
litt. br. 2 1. 10.1.
LeTemple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités fur le bonheur , 3 vol. in-
80. broch.
Traitéde Taftique des Turcs , in-89. br.
Traduction des Satyres de Juvenal ,
M.Duſaulx , in- 8 °, br.
61.
11. 101.
par
61.
1
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS au sujet de la nouvelle traduction
des Georgiques de Virgile , en vers
françois ; par M. de Delille , profeffeur
en l'univerſité de Paris.
L'AUTRE jourj'invoquois le ſublime Virgile
Pour obtenir le don d'entendre ſes écrits ,
Il me répond avec un doux ſouris :
La langue des Romains , pour vous , eſt inutile;
A iij
MER CURE DE FRANCE.
Mais lifez , lifez moi dans l'élégant Delille
Je n'ai rien perdu de mon prix.
Mlle Cofſon de la Crefſfoniere .
.... VERS à M. le Comte de en lui donnant
pour faire des jarretieres , des rubans
qui avoient fervi à deux jolies
femmes defa connoiſſance.
ENNTTRREE amis quelquefois on s'étrenne de riens ;
Prenez ces deux rubans , formez - en des liens :
Sureux il eſt certain myſtere
Qui , ſans doute , à vos yeux leur donnera du
prix :
L'un fut l'heureux bandeau de l'enfant de Cythère
,
L'autre a ſervi de ceinture à Cypris.
Par la même.
O VENUS Regina Gnidi ; Ode 30° du
premier livre d'Horace.
DESCENDEZ , puiſſante Vénus ,
Quittez Guide , quittez Cythere ,
Venez chez la belle Glicere
AVRIL. 1770. 7
Occuper un temple de plus.
Son encens , ſa voix vous appelle ,
Que l'ardent amour , ſur vos pas ,
Sans tarder ſe rende près d'elle.
Que les graces pleines d'appas
Ayant dénoué leur ceinture
Viennent dans toute leur parure ,
Et que l'on voie en ce beau jour
De Maja , le fils agréable ,
Rendre notre jeuneſſe aimable
En la formant à votre cour.
Par Madame ***
VERS à Mlle du Plant , jouant le róle
d'Erinice dans l'opéra de Zoroastre.
D
:
E tes rôles , du Plant , ê que tu fais bien
prendre
L'eſprit , le mouvement , le ton !
J'éprouve un grand plaiſir à te voir , à t'entendre,
Quoique le même ſexe , un peu jaloux , dit - on ,
Quoique le même emploi ſembleroit le défendre.
La vengeance n'a point l'oeil plus fier ni plus dux ,
Ta fureur plaît , ta haine engage !
L'empire des talens eſt infaillible & fûr...
Homme , j'en dirois davantage,
Mais l'éloge feroit moins pur.
Par une defes Camarades
A iv
8
(
MERCURE DE FRANCE.
VERS à M. de Belloy fur Gafton .&
Bañard ; par M. le Févre , anteurde la
tragedie de Cofroez, jouée avec ſuccès
en 1767 .
J''AAII lu dix fois Baïard&le relis encore.
Chantre heureux des grands noms dont la France
s'honore ,
Tes nobles chevaliers , tes auguſtes héros
Admiroient la vertu juſques dans leurs rivaux ;
(Le véritable honneurne connoît point l'envie. )
De la gloire , comme eux , amant ſans jalouſie ,
J'aime à voir tes lauriers : du coeur &de la voix
J'applaudis , ſans contrainte , à tes nouveaux exploits.
Que tes ſujets font grands ! que l'objet de tes
veilles
De l'art qui le remplit augmente les merveilles !
Ardent à rappeler par des accens vainqueurs
L'amour du nom François égarédans les coeurs ,
Poëte citoyen , ton ſolide génie
Avoué ſes talens au bien de ta patrie.
Au ſein majestueux des antiques tombeaux ,
Ton crayon va chercher l'ame de nos héros
Et nous montre , endes traits qu'on aime à reconnoître
,
Par cequenous étions ce que nous pouvons être,
:
AVRIL. 1770 .
Jepenſecomme toi: dès long-tems irrité
De l'oubli de lui-même au François imputé,
J'ai tremblé que l'effet ne ſuivît le préſage ;
On parvientà flétrir l'ame qu'on décourage;
L'aveugle défiance a ſouvent abattu
D'un coeur né généreux la timide vertu.
Mais tu lui rends ſa force & ces fameux exemples
De Français que la Gréce eût placés dans festemples,
Ces martyrs de Calais , ces illuſtres Baïards ,
Sous le jour le plus noble offerts à nos regards ,
De la valeur guerriere ont rallumé les flames ,
Ont prouvé que l'honneur vit encor dans nos
ames;
Et d'un ſouffle ont détruit ce phantôme odieux
Dont un reproche injuſte épouvantoit nos yeux.
Acheve , & fais ſentir aux enfansde la gloire
Cegénéreux élan , gage de la victoire.
Qu'ils puiſent dans tes vers. Plus d'un fameux
guerrier
Dût aux fameux auteurs l'éclat d'un beau laurier .
La foudre dans les mains , le fier vainqueur d'Arbèle
Payoit aux chants d'Homère un hommage fidèle ,
Tout plein de ſa lecture il voloit aux haſards ,
Ets'aidoitd'Apollon pour mieux ſervir fousMars.
Mais , hélas! Quel dégour , quelle injuſte manie
Veut encordenos jours décrier le génie !
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Ainſi que de l'honneur , j'entends de toutes parts
Reprocher aux François le déclin des beaux arts.
Quoi, nos grands écrivains , avares de leurgloire,
Nous auroient-ils fermé le temple de mémoire ?
Cenſeurs faftidieux , n'eſt- il plus de chemins
Que puiflent s'y percer d'infatigables mains ? ..
Marche au bruit des clameurs qu'envain poufle
l'envie ,
Importune ſes yeux de l'éclat de ta vie.
Pour moi qui, moins connu par de foibles eſlais,
Ama ſeulejeuneſſe ai dû quelque ſuccès ,
J'apprends du moins , j'apprends , ſous tes heureux
aufpices ,
Aporter un pas feune aux bords des précipices,
D'un cenſeur affligé dédaignant lecourroux ,
Ambitieux émule & non rival jaloux ,
Plus il croît en vertu , plus j'aime ton genie ;
Plusje relis tes vers , plusj'aime ma patrie .
L'HOMME SANS JUGEMENT.
Proverbe dramatique. *
*On dira dans le mercure prochain , le prewerbe
que l'auteur a eu en vue ; & nous donnerons
fuccellivement quelques - uns de ces petats-drames
qui fervent de délaſſement dans beaucoup de foAVRIL.
1770 . 11
ACTEURS :
LE MARQUIS DE BELMONT.
LA MARQUISE SA FEMME.
JUSTINE , femme de chambre de la
Marquife.
ST JEAN , laquais du Marquis.
BERGOGNON , cuiſinier du Marquis.
FLAMAND , cocher du Marquis.
UN HUISSIER .
La scène se paffe dans la chambre à
coucher du Marquis.
SCÈNE PREMIERE.
St Jean eft feul dans la chambre de fon
mattre , & y difpoſe tout ce qui est néseffaire
pour la toilette : comme il ne para
le point , il peut chanter ce qui lui viendra
dans la tête. Justine entre lorſque
cettescène muette a duré trois ou quatre
minutes.
JUSTINE , ST JEAN.
JUSTINE. St Jean... St Jean... Eh !
M. St Jean , ſi tu voulois bien répondre
quand on te fait l'honneur de r'appeler !
12 MERCURE DE FRANCE .
ST JEAN. L'honneur ! l'honneur ! Eh!
bien qu'eſt - ce que Mamfelle Juſtine me
fait l'honneur de me demander ?
JUSTINE. Où eſt ton maître ?
ST JEAN. Il n'eſt pas ici.
JUSTINE . Je le vois bien ; mais quand
il y fera, tu lui diras que ma maîtreffe le
priede paſſer chez elle.
ST JEAN . Il vaudroit mieux qu'elle ſe
donnât la peine de paſſer chez lui.
JUSTINE. Pour trouver ſa porte fermée;
car , les trois quarts du tems , ton maître
ſe fait cacher , & cela eſt indigne : voilà
quatre jours qu'il n'a vu ſa femme.
ST JEAN. Elle eſt pourtant jeune &
jolie.
JUSTINE . Malheureuſement elle aime
fon mari , & elle ſe déſole.
ST JEAN. Beaucoup ?
JUSTINE. Elle ne fait autre choſe que
de pleurer ,jamais devant lui au moins ,
mais quand nous ſommes ſeules : ça m'attendrit
, & je pleure aufli... Si je tenois
cette danſenſe , cette Mile Dupas , que
M. le Marquis entretient , je la dévifagerois.
• ST JEAN. Cette fille là nous coûte
cher.
AVRIL.
13 1770.
JUSTINE. Ton maître ſe ruine avec
..
elle , & fi l'on dépenſe un écu dans ſa
maiſon , il fait un train.. un train.
Femme , cuifinier , cocher , laquais ; perfonne
, à fon avis , n'entend le ménage :
oh! c'eſt une belle économie que la
fienne!
ST JEAN. Il donne cinquante louis pour
une fantaiſie , & s'il trouve fur mes mémoires
un fol de trop , il crie comme un
poffédé... J'entends du bruit... C'eſt
lui , fauve toi.
JUSTINE . Et Madame ! ..
ST JEAN. Dis lui de venir le ſurprendre.
Je laiſſerai la premiere porte ouverte.
dit.
JUSTINE. Mais s'il te ditde lafermer.
ST JEAN. J'oublierai qu'il me l'aura
JUSTINE . Mais . ..
ST JEAN. Mais ſauve toi. (Elle fort )
S'il la trouvoit ici , il me feroit plus de
queſtions , & moi plus de menſonges....
Chut,le voici.
14 MERCURE DE FRANCE.
1
SCÈNE ΙΙ .
LE MARQUIS , BERGOGNON , FLAMAND ,
ST JEAN.
LE MARQUIS. Voyons donc ces mémoires
. ( Le cocher & le cuisinier les lus
donnent) Je n'entre jamais chez moi que
l'on ne m'y demande de l'argent. ( Il lit
bas un des mémoires. ) Mons Bergognon ,
tout ceci commence à m'ennuyer, je vous
l'ai déjà dit , & je changerai , moi , ſi vous
ne changez pas.
BERGOGNON. Monfieur eſt le maître ,
mais je ne faurois ménager davantage , &
à moins que vous ne diminuiez le nombre
des plats que vous voulez avoir tous
les jours....
LE MARQUIS . Je ne veux rien diminuer
; mais vous , M. l'économe , ayez
plus de ſoin de vos proviſions ; vous en
perdez la moitié...
BERGOGNON . Comment voulez - vous
que j'en perde , Monfieur ? A peine en
ai-je affez.
LE MARQUIS. Et cesdeux citronsque
vous aviez oubliés la ſemaine paffée ſus
votrebuffer?
AVRIL 1770: IS
BERGOGNON. Oubliés , Monfieur ? j'en
ai mis le jus dans un ſalmi de bécaffes.
LE MARQUIS. Et cette livre de beurre
que je trouvai l'autre jour dans un coin
de votre cuiſine ?
BERGOGNON . Je l'ai fondue avec celui
dont je me fers pour faire mes fritures.
LE MARQUIS. Vous aurez toujours raifon
, mais , encore une fois , je veux que
vous ménagiez davantage : Salez moins
vos ragouts , on n'aura pas beſoin de ſel
fi ſouvent : n'y mettez pas tant de poivre ,
vos mémoires en font pleins ... Le vinaigre
, par exemple ! vous devriez rougir de
la conſommation que vous faites en vinaigre.
BERGOGNON. Mais, Monfieur...
LE MARQUIS. En voilà affez. ( à St
Jean ) Je ne m'habillerai point aujourd'hui
, ôtez moi tout cela. ( Il parcourt
L'autre mémoire. ) Et vous , M. Flamand,
je me fuis apperçu vingt fois que mes
chevaux ne mangent pas la moitié du foin
&de la paille que vous leur donnez , ils
les jettent ſous leurs pieds , & vous aurez
la bonté d'y faire attention .
FLAMAND. Je vous réponds,Monfieur.
LE MARQUIS. Je vous réponds, moi,
16 MERCURE DE FRANCE.
que vous ne me tromperez pas fur cet article
là : je veux , à dater d'aujourd'hui ,
que d'une botte de foin vous en faffiez
deux.
FLAMAND. Mais , Monfieur , il y a
confcience. ...
LE MARQUIS. Je veux auſſi que vous
foiez auprès d'eux , quand ils mangent
leur avoine , & que s'ils en laiſſent une
poignée , vous la ramaſſiez pour le lendemain.
FLAMAND. Oh ! bien , Monfieur , faites
les donc mener par un autre ; car
moi , je n'aurai pas ce coeur-la. Qu'est- ce
que vous voulez que je leur diſe quand
ils ont été depuis minuit juſqu'à cinq ou
fix heures du matin devant la porte de
Mamfelle Dupas ?
LE MARQUIS. Point de propos.
FLAMAND. C'eſt que cela crie vengeance
, & fi l'on vous coupoit vos morceaux
comme ça ...
LE MARQUIS. Paix & laiſſez - moi :
vous aurez votre argent ce foir. (Ils fortent.
)
SCÈNE III.
LE MARQUIS , ST JEAN.
LE MARQUIS. Une table... de l'en
AVRIL. 1770. 17
ere & du papier... vîte donc... on m'a
pris une de mes plumes , j'en avois fix
hier , &je n'en trouve que cinq... Jen'y
fuis pour perſonne.
ST JEAN. Et pour Madame?
LE MARQUIS. Pour perſonne , vous
dis-je .
ST JEAN. ( à part ) Madame entrera
pourtant , car je l'ai promis... Ma foi la
voici . (haut ) Madame la Marquiſe ,
Monfieur...
..
.. LE MARQUIS. Ma femme !. Je
t'avois dit , maraut... ( Il ſe leve & fait à
laMarquise despoliteſſesforcées.
SCÈNE IV.
LA MARQUISE , LE MARQUIS ,
ST JEAN .
LE MARQUIS. Madame...
LA MARQUISE. J'étois inquiéte de
votre ſanté , Monfieur , il y a ſi long tems
que je n'ai eu le plaiſir de vous voir...
LE MARQUIS. Madame , j'ai eu tant
d'affaires , depuis quelques jours , que ,
malgré moi , j'ai été contraint de vous
négliger.
LA MARQUISE. Ces négligences- là ſe
18 MERCURE DE FRANCE.
répétent ſouvent , Monfieur , & je ſuc
comberois au chagrin qu'elles me donnent
, fans la compagnie de vos enfans ,
avec lesquels je paſſe mes journées entieres...
Ah! mon cher Marquis ! que
votre indifférence eſt cruelle !
LE MARQUIS. Madame , vous avez
tort de me ſuppoſer de l'indifférence .. je
vous aime... & je voudrois ...
LA MARQUISE. Vous m'aimez &
vous m'abandonnez ... Mais pourquoi
me parler d'un ſentiment que vous ne
partagez point? Le bonheur de vos
jours m'intéreſſe uniquement , & j'ai les
raiſons les plus preffantes de vous en
parler ..
..
LE MARQUIS. Quelles sont-elles , s'il
vous plaît?
SCÈNE V.
Les mêmes , JUSTINE ...
JUSTINE . Madame , on vous demande.
LA MARQUISE. Qui donc ?
JUSTINE . Je n'en fais rien , Madame ,
mais il faut que ce ſoit quelque choſe de
bien intéreſſant , car on ne veut parler
qu'à vous.
LA MARQUISE , au Marquis. Je vous
:
AVRIL . 1770. 19
rejoins dans l'inſtant , Monfieur , & nous
acheverons notre converſation .
LE MARQUIS . Madame , ne vous gênez
pas... St Jean ...
SCÈNE VI .
LE MARQUIS , ST JEAN.
ST JEAN. Monfieur ...
LE MARQUIS , écrivant. Une bougie..
(Il lit bas) Ohn , ohn , ohn ... Je n'ai rien
oublié ? Vous êtes charmante , Mile Dupas
, & l'argent que vous me coûtez ne
peut être mieux employé.
St Jean apporte une bougie , & s'en va :
Son maître l'appelle.
LE MARQUIS . St Jean .
ST JEAN. Monfieur.
LE MARQUIS. Voici une lettre & cent
louis que vous porterez à Mile Dupas.
ST JEAN. Oui , Monfieur.
LE MARQUIS. Vous ne les remettrez
qu'à elle.
ST JEAN. Oui , Monfieur : ( à part)
cent louis par mois , çà en fait juſtement
douze cens par an.
20 MERCURE DE FRANCE.
LE MARQUIS , cachetantfa lettre. Que
dis tu?
ST JEAN. Rien , Monfieur... Je dis
ſeulement que ſi j'étois Mamfelle Dupas,
j'aurois douze cens louis au bout de l'an .
LE MARQUIS. Faites ce que je vous
ordonne , & taiſez vous .
ST JEAN . Oui , Monfieur.
LE MARQUIS. En fortant de chez elle,
vous irez au magaſin anglois , chez Granche.
z..
ST JEAN. Au bas du Pont- Neuf ?
LE MARQUIS. Oui : vous lui direz que
je veux avoir , pour demain , ce que je lui
ai commandé.
ST JEAN. Oui , Monfieur.
LE MARQUIS. Delà vous paſſerez chez
Poirier , rue St Honoré , & vous me ferez
apporter ces deux vaſes de porcelaine ,
qu'il m'a vendus hier.. tenez. ( Il lui
donne l'argent& la lettre. )
ST JEAN . Oui , Monfieur... Est- ce là
tout.
LE MARQUIS. Ah ! ah ! vous irez aufſi
chez M. Vernet, au louvre : vous lui ferez
mes complimens , & vous lui direz , qu'à
AVRIL. 1770. 21
quelque prix que ce ſoit, je le prie de me
garder fon dernier tableau .
ST JEAN. Oui , Monfieur. ( Ilfort , la
Marquise entre au même inſtant. )
SCÈNE VII.
LA MARQUISE , LE MARQUIS.
LA MARQUISE. ( d'un ton ému) Monfieur
, je viens de recevoir des lettres qui
vous regardent : je vous prie de les lire ,
&de dire à vos marchands que vous ne
m'avez pas chargée d'acquitter vos dettes.
(la Marquise prend une chaiſe. )
LE MARQUIS , jetant ces lettres fur la
table. Vous me paroiſſez bien émue ,
Madame! ..
LA MARQUISE. Eh! qui ne le ſeroit ,
Monfieur , en voyant le peude ſoin que
vous avez de vos affaires , & la tournure
qu'elles prennent ?
• LE MARQUIS. Le peu de ſoin, Madame
! je ne m'occupe d'autre choſe , & fi
vous vous en occupiez comme moi...
LA MARQUISE. Quel reproche avez
vous à me faire ?
LE MARQUIS. Mille , Madame : ayez
des robes de toute ſaiſon , des dentelles ,
22 MERCURE DE FRANCE .
des diamans , vous le devez , mais épargnez
ſur autre choſe .
LA MARQUISE. Sur quoi donc ?
LE MARQUIS. Sur quoi , Madame ? II
n'ya pas de ſemaine où votre femme-dechambre
ne faſſe pour vous des dépenſes
énormes : aujourd'hui c'eſt une aune de
ruban roſe , demain une aune de verd ...
Avant hier encore je la rencontrai qui
vous apportoit un pot de rouge & deux
paires de gands : mettez tout cela l'un au
bout de l'autre , & vous verrez ce que
vous me coûtez à la fin de l'année.
LA MARQUISE. Deux louis à-peu près
pour cet objet , Monfieur , je l'ai calculé.
Mais vous , qui , tous les jours , donnez
des foupers ici ,& ailleurs ; qui avez douze
chevaux dans votre écurie ; qui rempliffez
votre maiſon & celle des autres de tous
les bijoux inutiles qui paroiſſent ; qui
avez une loge à tous les ſpectacles ; qui
prodiguez des cent louis pour être bien
reçu ... quelque part... Mettez tout cela
l'un au bout de l'autre ,& vous verrez ce
qu'il vous en coûte à la fin de l'année.
LE MARQUIS . Pas tant que vous l'imaginez
, parce que je fais économiſer ſur
mille autres objets. Voyez - vous le foir
i
AVRIL. 1770 . 23
dix bougies dans mon appartement comme
dans le vôtre ? On n'y en brûle que
huit. Voyez vous quatre bûches dans ma
cheminée ? On n'y en metque trois . Voilà
comme l'on fait une bonne maiſon .
LA MARQUISE. Voilà comme on s'abufe
foi-même , vous ne vous en appercevrez
que trop tard.
SCÈNE VIII.
Les mêmes , ST JEAN.
ST JEAN. ( à part ) Madame y eft , je
vais tout dire ... ( haut) Mamfelle Dupas
a les cent louis , Monfieur.
LE MARQUIS , à St Jean. Le traître !
ST JEAN. Je ne ſavois pas que Madame
étoit là ; car fi je l'avois ſu , je n'aurois
point parlé deMamfelle Dupas.
LE MARQUIS. Sors .
ST JEAN. Ni des cent louis.
LA MARQUISE , à part. Que de chagrins
à dévorer !
ST JEAN. A propos , Monfieur , il y a
dans l'antichambre un homme qui a quelque
choſe à vous remettre .
LE MARQUIS , embarraffé. Faites - le
entrer.
24
MERCURE DE FRANCE .
!
ST JEAN. M. Granchez m'a dit que tout
ſeroit prêt pour demain .
LE MARQUIS. Eh ! c'eſt bon .
ST JEAN. Vos deux vaſes ſont apportés.
LE MARQUIS. Le bourreau ! ..
ST JEAN . Pour M. Vernet , il n'étoit
pas chez lui . ( Ilfort .)
LA MARQUISE. Ne vous déconcertez
pas , Monfieur , vous êtes le maître , &
je fermetai les yeux ſur toutes vos dépenfes.
SCÈNE ΙΧ.
Les mêmes , UN HUISSIER.
LE MARQUIS. Que demandez vous ?
L'HUISSIER. M. le Marquis , je viens ,
fous votre bon plaiſir , vous remettre une
affignation, pour comparoître à l'audience
dans la huitaine , aux fins de vousy ouïr
condamner à payer la ſomme de vingt
mille livres , ci- mentionnée ,&qui, commebienſavez,
eſt due depuis long tems.
LA MARQUISE , appuyant ſa têtefur
fa main. Une affignation !
LE MARQUIS , avec dépit. M. l'Huiffier!
..
L'HUISSIER .
AVRIL. 1770 .
25
L'HUISSIER. Ce font , M. le Marquis ,
les termes de l'exploit auquel vous aurez
pour agréable de répondre , ſi mieux n'aimez
efluïer un défaut que nous ne pourrions
nous empêcher d'obtenir.
د
LE MARQUIS . Vous êtes bien hardi .
L'HUISSIER mettant l'exploit fur la
table . Pas trop , M. le Marquis , & j'ai
l'honneur de vous faire ma révérence . (Il
Sefauve. )
SCÈNE V.
LA MARQUISE , LE MARQUIS .
LA MARQUISE , fortant de fon accablement.
Voilà le fruit de votre économie
, Monfieur ; vous voyez ce qu'elle
produit.
LE MARQUIS. Je viens de vous la démontrer
clairement , & cette affignation
ne prouve rien contre moi. Leshommes
les plus rangés ſont expoſés à en recevoir.
LA MARQUISE . On eſt bien loin de
réparer ſes torts lorſque l'on ne veut point
en convenir : je vous aime , je ne m'occupe
que de l'éducation de vos enfans , &
il eſt affreux , pour moi , de voir la con-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
duite que vous tenez. Quel fort ferezvous
à votre fille ? Que deviendra votre
fils ? La raiſon ne les éclaire point encore
fur les malheurs dont ils font menacés ...
Puiſſent ils les ignorer toujours ! Je
vous offenſe , Monfieur , mais mon ame
eſt déchirée , & fi je ſuis coupable , n'en
accuſez que ma tendreſſe.
•
..
LE MARQUIS . Mais , Madame....
LA MARQUISE. Je ne ſuis pas tranquille
ſur les ſuites que tout ceci doit
avoir ; je ne puis l'être ... Une affignation
, un décret de priſe de corps ... Ah !
Monfieur , cette image me fait frémir.
LE MARQUIS . Je payerai , Madame.
LA MARQUISE. Eh ! comment ,
Monfieur ?
LE MARQUIS. En banniſſant de ma
maiſon , comme je vous l'ai dit , le fuperflu
que j'y ai remarqué. En vous priant
vous même , Madame , de diminuer les
dépenſes dont je vous ai parlé tout-àl'heure.
LA MARQUISE. En vérité , Monfieur,
votre aveuglement me fait pitié. Eh !
bien , privez - moi de tout , j'y confens ;
mais vous , Monfieur , n'ayez plus la fureur
de ces bijoux de mode que le luxe
AVRIL. 1770. 27
n'a inventés que pour la ruine de ceux
qui les achettent; fupprimez de votre table
ces mets extraordinaires qui ne fervent
qu'à vous attirer une foule de parafites
&de faux amis ; défaites vous de
ces loges que vous avez au ſpectacle , où
mille autres plaiſirs vous empêchent d'aller
les trois quarts de l'année ; priez quel
qu'un de votre connoiſſance de ſe contenter
de vingt -cinq louis par mois :
après cela , brûlez dix bougies dans votre
appartement , faites mettre quatre buches
dans votre cheminée , laiſſez-moi acheterune
aune de ruban , un pot de rouge , une
paire de gands , lorſque j'en ai beſoin, &
vous ne recevrez pointd'affignation.
LE MARQUIS. Votre raiſonnement eft
fort beau , mais vous me permettrez de
ne pas l'adopter ; &, avant qu'il foit peu ,
je vous ferai voir la juſteſſe de mes principes.
LA MARQUISE , en s'en allant. Avant
qu'il foit peu , Monfieur , vous verrez
vous même qu'ils font faux , & vous fentirez
, mais trop tard , que vous êtes préciſément
ce que dit le proverbe... le ...
LE MARQUIS. Que ſuis-je, Madame ?
LA MARQUISE. Mlle Dupas vous l'ap
prendra. ( Ellefort. )
B- ij
28 MERCURE DE FRANCE.
LE MARQUIS . Cela pourroit être , car
elle a de l'eſprit... St Jean , St Jean.
ST JEAN . Monfieur ?
LE MARQUIS. Mon caroſſe . (Ilfort.)
VERS à la Rofiere de Salenci.
REÇOIS , jeune& belle Rofiere ,
Le tendre hommage de mon coeur.
Ainſi qu'à toi la ſageſſe m'eſt chere :
Tu portes le prix de l'honneur.
Combien en ce moment je t'aime& te révére !
Avec ce titre glorieux
La plus ſimple bergere eſt princeſſe à mes yeux.
En dépit des amours dont l'eſſain t'environne ,
Tu ſus conſerver ta vertu .
Ah ! pour obtenir la couronne
Tonjeune coeur ſans doute a combattu.
Avec certains amansd'humeur folle & légere ,
Dont notre eſprit eſt pen charmé ,
Il eſt aiſé d'être ſevere ;
Mais qu'il en coûte à l'être avec l'amant aimé !
Auſſi d'une brillante & douce récompenſe ,
Salenci ſait payer un triomphe ſi beau :
De roſes l'éclatant chapeau
Atteſtera toujours ta candeur , ta décence ,
Atous les habitans de cet heureux hameau,
AVRIL. 1770 . 29
Ah ! dans cette gloire immortelle
Il eſt encore un droit charmant ,
Au bonheur d'un époux fidèle
Tu peux appeler ton amant.
Je vois auſſi ſur ta victoire
S'exercer tour- à-tour les enfans d'Apollon ,
Etdans le temple de mémoire
Des écrits délicats * ont placé ron beau nom.
Aujourd'hui même encore une élégante muſe ,
Du prix de ta vertu nous offre le tableau :
Favart ſait nous inſtruire autant qu'il nous amule,
Voilà ce que j'admire en fon drame nouveau.
Puifle , pour couronner ſes travaux & fonzèle ,
Puiffe- tu, ma bergere, au temple heureux des ris ,
Des jeunes nymphes de Paris ,
Etre à jamais l'exemple & le modèle.
* M. l'abbé Coger , M. l'abbé de Maleſpine &
M. de Sauvigny ont compoſé des choles charmantesà
l'occaſion de la Rofiere de Salenci
Par Mlle Coffon de la Crefſfoniere.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
MADRIGAL impromptu adreffé à une
Dame d'une beauté rare , qui prétendoit
que l'amour aveugloit presque tous les
hommes.
IRIS , vous vous trompez , l'amour n'aveugle
pas,
Que de fois par les yeux j'admirai vos appas ;
Et s'il nous aveugloit , c'eſt choſe reconnue
Que tous en vous voyant , auroient perdu la ,
vue .
Par M. D. X. D. S. garde du corps du
Roi , compagnie de Noailles.
AUTRE à la même , ſur les vers faits
à ſa louange.
QUE de muſes , Cloris , te chantent dans leurs
vers ?
Quand on a , comme toi, tant d'agrémens divers
,
La raiſon n'en eſt pas difficile à connoître ;
Soi-même en te louant , on mérite de l'être .
Parlemêmes.
AVRIL. 1770. 31
LES quatre Saiſons , en ariettes , pour
mettre en musique ; par M. de la Richerie
, membre de la ſociété d'agricul
ture d'Angers.
LE PRINTEMS.
DE nos forêts l'ombrage &la fraîcheur ,
De ces ruifleaux le murmure enchanteur ,
De ces gafons la riante verdure
Tout nous annonce en cebrillant léjour)
Le reveil de la nature ,
Etdu printems l'agréable retour.
Ici , les roſſignols , ſous de naiſſans feuillages ,
Agités par les doux zéphirs ,
Font entendre aux échos leurs différens ramages.
Que de douceurs , que de plaiſirs ;
Une divine flamme
Pénétre au fonddes coeurs ,
Et nous ſentons que notre ame
S'épanouit avec les fleurs .
De nos forêts ,& c...
L'ÉTÉ.
De l'aſtre lumineux la brûlante chaleur,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
De Cérès annonce la préſence ;
Déjà les épis , enfans de l'abondance ,
Sont tranchés ſous la main de l'ardent moiflonneur.
Que vois -je , & quels nuages ſombres
Obſcurciflent les cieux ;
L'éclair brille au milieudes ombres ;
La foudre éclate en tous lieux ;
Maisbientôt le ſoleil , d'un éclat radieux ,
A diſſipé l'orage ,
Et les moiſſonneurs joyeux
Ont repris leur ouvrage.
De l'aſtre lumineux , &c..
L'AUTOMNE.
Sur ces riants côteaux que le pampre couronne ,
Ons'apprête à cueillir les raiſins précieux .
Doux préſens de l'automne ,
Vous faites le bonheur des mortels & des dieux!
Déjà la grappe entaflée ,
D'un pied leſte & vigoureux ,
Par le vendangeur est foulée ;
Auſſi-tôt le nectar , à nos yeux ,
AVRIL. 1770. 33.
Jaillit , écume , bouillonne ,
Et coule àgrands flots dans la tonne ;
Les vignerons , contens , célébrent par des jeux ,
Du charmant dieu du vin les dons délicieux.
Sur ces rians côteaux , &c..
L'HIVER.
Déjà du noir hiver on reſſent la froidure,
La neige a couvert nos guérets ;
Les arbres deſléchés ont quitté leur verdure ,
Tout n'offre à nos regards que de triſtes objets .
J'entends déjà mugir les vagues irritées
Par des vents impétueux ;
Des aquilons le ſifflement affreux
Porte l'effroi dans nos ames glacées ;
Le ſoleil darde envain ſes rayons lumineux ,
Et le dieu de Paphos a perdu tous ſes feux.
Déjà du noir hiver , &c.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
ORIGINE de bien des choses. Conte..
DIRIREE aux hommes vous êtes tous nés
pour être égaux , c'eſt leur dire vous êtes
tous nés pour être malheureux. Si j'avois
le pouvoir d'aplanir toutes les montagnes
& de combler tous les vallons , je me garderois
bien d'uſer de ce privilége . Ces
inégalités font utiles à la furface du globe
; elles en font l'ornement & peut- être
le foutien. C'eſt l'image de la ſociété. Il ya
moins de philofophie &de morale dans 20
gros volumes écrits contre la fubordination
que dans le petit apologue des membres
qui ſe révoltent contre l'eſtomac . Ce
fut l'orgueil qui enfanta les gros volumes,
& la raifon qui dicta le petit apologue ..
Voici une circonſtance où elle employa
des moyens preſque auffi fimples pour enchaîner
l'orgueil qui ſe révoltoit.
Il y eut jadis un peuple uniquement
compofé de ſages. C'étoient , fi l'on en
croit de graves auteurs, les Egyptiens. Ils
durent être bien préſomptueux & bien
raifonneurs . Un de ces prétendus ſages
perfuada aux autres qu'ils ne ſe devoient
rien entr'eux , qu'ils étoient nés libres , &
AVRIL.
1770. 35
que la liberté conſiſtoit dans une entiere
indépendance . Auſfi-tôt voilà l'Egypte
peuplée d'indépendans. Le cultivateur détela
deux de ſes charrues & dit : c'en eſt
affez d'une pour moi. Le guerrier dit : je
ne veux défendre que mon terrein : le
fabriquant , je ne veux travailler la laine
& le lin que pour me couvrir. Chaque
poffeffeur ceſſa de ſe rendre utile aux autres
, & chaque individu ne s'occupa que
de ſes propres beſoins. Il en réſulta une
anarchie complette , une foule de crimes,
&une difette univerfelle dans la plus fertile
de toutes les contrées .
Le Roi , qui n'avoit pu empêcher cette
révolution , ne ſavoit quel parti prendre
pour la réparer. Il confulta quelques ſages
qui trouverent que tout étoit bien.. Le
monarque mécontent & attriſté , ſe promenoit
, ſans ſuite, hors des murs de fa
capitale. Il apperçut un homme qu'il n'eût
pas daigné appercevoir dans tout autre
rems . Cet hommeavoit long-tems paffé
pour fou , parce qu'il faifoit peu de cas
des fages; & comme en Egypte chacun
avoit le droit de ſe choiſir un nom , luimême
s'étoit fait furnommer Badin. Il
s'occupoit alors à chanter quelques cou
plets ſur lahouvelle révolution Ils étoient
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
de lui , car il avoit réellement la folie
d'en faire. Le Roi , malgré fon chagrin ,
les trouva ingénieux & piquans. Comment
fais tu , demanda-t- il au chanteur
comment fais- tu pour être toujours gai ?
C'eſt , répondit Badin , que je fais m'amuferde
tout. Si vous m'en croyez,vous rirez
de même avec moi de tout ce qui ſe paſle
-Qui , moi rire ? -Sans doute ; c'eſt ce
qu'on peut faire de mieux en pareil cas.
Tune fais doncpoint que tout eſt perdu ?
que le laboureur refuſe de cultiver ; le
favant , d'écrire ; le.... ? Tant mieux !
s'écria le prétendu fou , voilà précisément
cequ'il nous faut. Raffurez vous,Seigneur;
vous allez être plus abſolu que ne le fut
jamais Séfoftris .
-Hélas ! Séſoſtris ne perdit que pour
untems fon état , &peut- être ai je perdu
pour toujours mon état& ma maîtreſſe.
Ingrate Azéma !-Elle vous a quitté dans
vos malheurs ? -Non ; j'étois encore
tout - puiſſant lorſqu'elle diſparut.-Ce
n'eſt rien : vous la recouvrerez avec le
reſte.-Eh ! quels moyens employer ? II
eneſtun fort ſimple , reprit le confident;
ce feroit d'attendre l'effet même de cette
abſurde révolution ; mais faiſons mouvoirun
autre reſſort. Eſt-ilbien puiſſant ,
AVRIL. 1770. 37
demanda le Roi ?-ll eſt des plus foibles ,.
tel, précisément qu'il le faut pour diriger
les hommes.
Il faut en effaïer , diſoit le monarque
enlui-même. Cet homme qu'on a cru fou
peut avoir une idée heureuſe. J'ai tant
confulté de ſages que je ſuis las d'être mal
conduit.
Dès le jour ſuivant Badin publia que
le Roi ſon maître alloit récompenfer magnifiquement
ceux qui lui reſteroient
fidèles. Sapor ( c'étoit le nom du monarque
délaiſſé ) comptoit peu ſur l'effet de
cette promeſſe , encore moins fur celui
des récompenfes qu'il pouvoit donner.
Cependant le palais fut bientôt affiégé
par une foule d'Egyptiens de tout état.
Les uns y furent conduits par l'intérêt ,
les autres par la curiofité. Le premier qui
parla futun de ces hommes qui ſauroient
tout s'ils favoient ſe faire entendre ; c'eſt
ce qu'on nommoit dès - lors un docteur.
Celui - ci avoit tellement commenté les
loix , qu'on ne les reconnoiſſoit plus...
N'étoit - cé pas lui qui ſavoit tout quand
le reſte de l'Egypte ne ſavoit rien ? Cependant,
pourſuivoit- il , moi & mes pareils
, s'il en exiſte , nous sommes encore
ſansrécompenfe . Un ignorant marche
8 MERCURE DE FRANCE.
fans reſpect à côté d'un docteur , ſans même
que rien l'avertiſſe de le reſpecter .
Voici qui l'en avertira , interrompit le
miniſtre , en lui offrant la dépouille d'un
rat du Nil.
O Roi d'Egypte ! s'écrioit un poëte ;
que feras - tu pour me récompenfer de
mes veilles ? Les ſçavans écrivent pour
n'ètre point lus: moi j'écris pour qu'on
me life. J'inſtruis ton peuple & j'étends
Ia gloire de ton nom. Le tour & l'harmonie
de mes vers font goûter la morale
qu'on rebuteroit ſous une autre enveloppe.
Je ſuis l'homme le plus utile aux
hommes. Je ſuis en même tems celui
qu'on néglige le plus. Tout travail exige
un ſalaire quel qu'il foit , & j'en veux un
qui me diſtingue de la foule que j'éclaire&
que je méprife. En ce moment paf
foit le chef des cuiſines du prince. Il por
toirdans ſa main une branche de laurier.
Badin en détacha une feuille & la donna
au poëte. Celui-ci la reçut avec tranf
port , & publia qu'il la tendit des mains
d'Apollon.
Les femmes avoient auffi leurs prétentions
& ne paroiffoient pas auffi faci
les à contenter que les hommes. Comment
ſe tirer delà , difoit le Roi ? Soyez
AVRIL. 1770. 39
!
tranquille , reprit le miniſtre. Celles qui
s'attribuoient la prééminence approcherent
les premieres. Leur harangue fur
vive & même un peu emportée. Badin ,
pour toute réponſe , leur barbouilla la
phyſionomie avec un rouge épais & foncé.
C'eſt le Roi , leur dit-il , qui vous dé.
core ainſi par mes mains. Il ne reſte plus
d'équivoque ſur votre rang ,& vous pourrez
même , en un beſoin , vous paffer de
beauté. A ces mots les cris des Dames
Egyptiennes redoublerent; mais c'étoient
des cris d'acclamation .
Courage , difoit le prince au diſtributeur
des graces ! voilà qui prend le tour
le plus heureux. J'apperçois encore bien
des mécontens , diſoit Badin; mais il me
reſte plus d'un moyen pour les réduire.
Alors il prit en main une feuille de peau
de crocodille , préparée de maniere qu'on
avoit pu y graver quelques caracteres hiéroglyphiques
. Citoyens, leur dit- il , voici
le plus merveilleux des taliſmans . Il donne
à celui qui le pofféde la plus haute eftime
de lui -même ; il paſſera à ſes defcendans
qui s'eſtimeront encore davanrage.
Il ſe fortifiera en vieilliffant , &
aura le fecret merveilleux de faire oublier
aux hommes leur commune origine. Cess
40 MERCURE DE FRANCE.
mots firent la plus vive impreſſion ſur un
grand nombre de ſages. Ils accoururent
en foule aux portes du palais. On leur
diftribua des taliſmans. L'effet en fut li
prompt qu'avant la fin du jour ils étaloient
déjà plus d'orgueil que n'en montre
aujourd'hui un baron Allemand après
avoir prouvé foixante & douze quartiers.
On vit s'approcher enfaite une foule
de gens qui , d'une main , tenoient des
tablettes de cire & de l'autre un ſtilet. A
quoi deſtinez-vous ces inſtrumens , leur
demanda le miniſtre ? A chiffrer , répondirent-
ils. Oh ! pour ceux - ci , diſoit le
monarque , le parchemin n'auroit aucune
vertu : c'eſt de l'argent qu'il faut à ces
chiffreurs. Non , Sire , interrompit Badin ,
laiſſez leur plutôt le ſoin de vous en procurer
; ils ne s'oublieront pas eux-mêmes.
Le Roi écrivit fur chaque tablette un mot
qui , à l'inſtant , combla de joie ces calculateurs
, & qui bientôt après les combla
dericheſſes .
Il reſtoit encore bien des ſpectateurs
indifférens , & d'autres qui ne daignoient
pas même être ſpectateurs. Ceux-là , difoit
le monarque , ſeront difficiles à ramener.
J'eſpére bien , reprit Badin , qu'ils
reviendront d'eux- mêmes. Nos reſſources
AVRIL. 1770. 41
ne font pas épuiſées. Il inſtitua des jeux
de différente eſpéce ; mais pour y être admis
il falloit porter une couleur preſcrite
par le monarque. On vit beaucoup de
graves perſonnages dédaigner d'abord ces
vains amuſemens. Ils ne concevoient pas
comment la ſageſſe égyptienne pouvoit
s'accommoderde ces folies; mais le nombre
des fous devint fi grand qu'il en impoſa
aux ſages . Le ſon des inſtrumens ,la
gaïeté qui regnoit dans ces aſſemblées ,
l'air de fatisfaction que montroient encore
ceux qui venoient d'y figurer , tout
cela donnoit beaucoup à penſer à nos philoſophes.
La plupart commencerent à
croire que la philofophie ne perdoit rien
à s'égaïer . On les vit donc ſe mêler aux
nouveaux divertiſſemens & fortir en rendant
graces aux dieux de leur avoir donné
un maître qui daignoit s'occuper de
leurs plaiſirs.
Le miniſtre étendit encore plus loin ſa
prévoyance. Il avoit vu combien le génie
& l'éloquence infuoient ſur l'eſprit univerſel
d'un peuple : il voulut que l'éloquence&
le génie ramenaſſent le reſte de
ces eſprits égarés. Appelons , diſoit- il au
monarque , appelons auprès de nous ces
hommes qui peuvent faire tant de mal
42
MERCURE DE FRANCE.
quand on les néglige , & tant de bien
quand on fait les employer. Ils ſe rendirent
facilement à l'invitation .
Les métaphyſiciens vantoient beaucoup
le mérite & l'importance de leurs
travaux . Je vous donne , difoit l'un , une
idée claire du principe de vos idées , &
certainement ce n'eſt pas une médiocre
découverte . Moi , diſoit l'autre , je prétends
que nos idées n'appartiennent pas
plusà notre entendement que l'arbre que
réfléchit le Nil n'appartient au Nil . Badin
trouva que cette affertion offroit plus
de hardieſſe que d'utilité. Les moraliſtes
foutinrent qu'ils étoient les vrais précepteurs
du genre humain. D'accord , leur
dit le miniſtre , quand vous rendrez la
morale utile aux hommes ; quand vous
leur ferez aimer leurs devoirs, leur patrie ,
leurs ſemblables & eux - mêmes. Pour
moi , difoit un conteur , je moraliſe comme
un autre. A la bonne heure , lui dit
le judicieux Badin ; mais qu'on s'apperçoive
à peine que vous moralifez . L'hiftorien
afſfura que la connoiſſance de l'hiftoire
étoit celle de l'homme. Oui , répliqua
le miniſtre , quand l'hiſtorien s'attache
à peindre ce qu'ont réellement dit &
fait les hommes dont il écrit l'hiſtoire .
1
AVRIL. 1770. 43
L'Egypte poſſédoit alors un grand nombre
de poëtes légers. Tous aſſurerent le
miniſtre que les neuf Muſes préſidoient
à leurs productions. J'y confens , répondit-
il , pourvû qu'elles y mettent plus de
goût que dans leur almanach *. Cette
réflexion n'empêcha point le miniſtre
d'exhorter les poëtes & les profateurs à ſe
montrer bons citoyens. Il yjoignitmême
certains encouragemens propres à fortifier
le zèle.
Quelques - uns firent voir au miniſtre
des eſſais de drames qui n'attendoient ,
pour être applaudis , que des acteurs & un
théâtre. Le théâtre ne ſe fit pas long tems
attendre : on fait que les Egyptiens ſe
plaifoient à conſtruire. Les acteurs furent
choiſis par les poëtes qui , depuis, ſe ſont
vus , à leur tour , choiſis par les acteurs .
Ce nouveau genre de ſpectacle enchanta
la nation ; elle apprit à rire & à
pleurer au gré de l'auteur dramatique ;
docilité qui ne s'eſt pas toujours foutenue
dans d'autres climats. Un ſpectacle où
*C'étoit une compilation de vers , ornée de
quelques remarques en proſe. L'éditeur y prononçoitdesjugemens
aufli brefs &auſſi vrais que les
oracles d'Ammon,
44 MERCURE DE FRANCE.
dominoient la muſique & la danſe acheva
de terraſſer la gravité égyptienne. Il n'y
eut pas de danſeuſe dont le joli pied ne
fit tourner vingt têtes des plus fages. Les
plaiſirs ſe ſuccédoient ; l'ennui diſparut :
on raiſonna moins , on jouit davantage ,
&tout n'en alla que mieux .
Frappons le dernier coup , diſoit le miniſtre
au monarque , toujours plus étonné
de ce qu'il voyoit. Le prince lui demanda
s'il reſtoit encore quelque choſe à faire.
Il nous en reſte une , répondit Badin ,
qui affermira pour toujours ce qui eſt fait.
La voici . Un vieux préjugé rend eſclave
parmi nous la plus belle moitié du genre
humain , celle qui , par nature , ſe croit la
moins faite pour l'esclavage. Brifons ſes
fers; elle nous en donnera de plus doux .
Ah ! diſoit Sapor , ſi je pouvois me
flatter que cette loi remît ſous les miennes
la belle Azéma ! N'en doutez point , répliqua
le miniſtre ; elle pourra vous aimer,
au lieu qu'elle devoit naturellement
vous craindre . On n'aime que par choix ,
& Azéma pourroit-elle manquer de vous
choiſir ? Laiſſez lui la liberté de vous
donner ſon coeur ; bientôt elle ambitionnera
le vôtre.
Sapor fit publier une loi qui déclaroit
AVRIL. 1770 .
45
1
libres toutes les femmes. Leurs prifons
s'ouvrirent. On leur affigna les premieres
places dans toutes les aſſemblées. Elles
devinrent les juges du courage , des talens
, des actions utiles & des travers
agréables. Elles protégerent les uns comme
les autres . Ce mêlange donna aux
moeurs de l'Egypte une bigarrure piquante&
originale. Par-tout la gaïtéremplaça
le ſombre pédantiſme. On ne s'eſtima
que ce que l'on valoit , & l'on en valut
beaucoup mieux. Il y eut quelques perfidiés
en amour comme en amitié ; mais il
y eut & de vrais amans &de vrais amis.
Les règles de la politeſſe furent érigées
en loix comme celles de la galanterie.
Ofoit- on les enfreindre ? On en étoit puni
par le ridicule , & ce châtiment parut
bientôt le plus terrible de tous. Il en réſulta
ce que n'avoient pu produire les au
tres loix ; de l'urbanité dans les moeurs ,
des égards dansle commerce ;la craintedu
mépris , qui permet rarement qu'on s'y
expoſe ; le deſir d'être eſtimé , qui produit
toujours les actions eſtimables : enfin ,
ce qu'on peut raiſonnablement attendre
de l'homme , à qui il faut donner des entraves
, mais en lui laiſſant croire qu'il eſt
libre.
46 MERCURE DE FRANCE.
: On chantoit par-tout les louanges du
monarque . Chacun étoit ſoumis & content
; lui ſeul n'étoit point fatisfait. Il ne
pouvoit l'être, éloigné d'Azéma , & Azéma
le fuyoit toujours. Il venoit même de
lui en fournir un nouveau moyen. Laloi
qui rendoit aux femmes une entiere liberté
ne lui permettoit point d'attenter à
celle d'Azéma . De plus , il vouloit ne
devoir ſa poffeffion qu'à elle- même. Cette
idée l'occupoit triſtement lorſqu'une
femme , qui ne ſe nomma point , lui fit
demander audience. Sapor ſe promenoit
ſeul alors dans les jardins de ſon palais.
Il permit à l'inconnue de s'approcher .
Elle étoit couverte d'un voile , felon l'ancien
uſage des Egyptiennes . Seigneur ,
dit-elle d'une voix mal aſſurée , je viens
réclamer en ma faveur la loi que vous
venez de rendre en faveur de tout mon
ſexe. J'étois eſclave d'un homme qui
vouloit que je l'aimaſſe , quoiqu'il fût
mon maître . L'amour veut être libre dans
fon choix comme dans ſa perſévérance.
Je briſai mes fers &je diſparus. Vous ne
l'aimiez donc pas , lui demanda triſtemer
.por ? Je l'euſſe aimé , reprit l'inconnue
, s'il n'eût pas voulu commander
àmes ſentimens : je leur fis même vio-
!
AVRIL. 1770. 47
lence en m'éloignant de lui. Enfin , il eût
pour jamais fixé mon coeur , s'il n'avoit
pas eu le droit de captiver ma perſonne .
Il ne l'a plus ce droit , ajouta le monarque,
vous pouvez lui rendre & votre coeur
& une félicité qu'il ne tiendra que de
vous ſeule. Ah ! ſi l'ingrate Azéma pouvoit
vous imiter , elle trouveroit l'amant
le plus tendre dans un Roi qu'elle regarda
injustement comme un maître impérieux
. -Quoi ! Azéma vous ſeroit encore
chere ? -Ah ! je l'adore malgré fon
ingratitude . Hé bien ! ajouta l'inconnue ,
en ôtant fon voile & ſe jetant aux genoux
du monarque , c'eſt Azéma , c'eſt
elle- même qui vous conſacre une liberté
que vous lui avez rendue. Mon coeur ne
fut jamais ingrat : il ne regretoit l'eſclavage
que pour ſe donner volontairement
àvous.
Leprince la releva avec tranſport. Il
connut bientôt que le véritable amour
naîtde la liberté du choix ; qu'il s'inſpire
&ne ſe commande pas . Le peuple connut
à ſon tour qu'une liberté ſans limites
le rendroit miférable . On laiſſa murmurer
quelques raiſonneurs chagrins , & l'on
grava ſur un obéliſque cette maxime dictée
par un ſage qui n'en prenoit point le
48 MERCURE DE FRANCE.
titre . Il vaut mieux être heureux parfenti.
ment que malheureux parsystéme.
Par M. de la Dixmerie.
La RoSE. Fable.
DANAnSs un jardin riant&chéri des zéphirs ,
Regnoit jadis une brillante Roſe ,
Dont l'air& la fraîcheur inſpiroient les plaiſirs ;
Car elle étoit nouvellement écloſe.
Son charmant incarnat , ſes tendres agrémens ,
Joints à ſa beauté naturelle ,
Lui donnerent d'abord une foule d'amans.
L'OEillet fut le premier qui ſoupira pour elle ,
Enſuite le Jaſmin , le Pavot , le Lylas ,
Le Chevrefeuil à long ramage ,
Le ſéduiſant Muguet , le tendre Seringas ,
La recherchoient en mariage;
Mais tant d'hommages différens
Rendirent la Roſe orgueilleuse ,
Et la firent prétendre à des partis plus grands.
Elle joua la précieuſe ;
Elle fut , pour ſes favoris ,
Haute ,
AVRIL. 1770 . 49
Haute , fiére , dédaigneuſe ,
Et paya tous leurs voeux de rigoureux mépris.
Un jour qu'ils eſſayoient de fléchir la cruelle ,
Et que tous employoient les propos les plus doux ;
Ce n'est qu'un Lys , leur dit-elle ,
Ou bien un Oranger que je veux pour époux ,
Ainſi , par cet aveu , ceſſez donc de prétendre
Au bonheur de me poſſéder ,
Je ſuis encor jeunette&j'ai le tems d'attendre
Qu'un d'eux vienne me demander.
Ce trait choqua fi fort la troupe ſoupirante
Que, ſans rien répliquer , chacun fuit à grands
pas ,
Et la belle en parut contente ;
Mais de s'en repentir elle ne tarda pas ,
Car elle futdès lors de tous abandonnée.
Le Lys & l'Oranger , malgré tous ſes appas ,
Ne vinrent point lui parler d'hymenée :
Si bien qu'ayant paſſé tout ſon printems ,
Et voyant de ſes traits la fraîcheur éclipſée ,
Après mille regrets touchans ,
L'ambitieuſe fut forcée
Deprendre pour mari le Pas-d'Ane des champs .
Par M. Cabot.
IVol. C
so
MERCURE DE FRANCE.
EPIGRAMME.
Un jour Lubin diſoit à Paul fon bon ami :
Je léche tout debout , je ne vis qu'à demi.
Ma femme toujours gronde & fait le diable à
quatre ;
J'ai beau la careſſer , la menacer , la battre ;
Elle ne ſe rend pas , toujours me contredit ,
Et je crois à la fin quej'en perdrai l'eſprit :
Hom , notre ami , dit Paul , tu n'es donc guere
habile?
Ho! vive moi , pour rendre une femme docile !
La mienne avec plaiſir fait tout ce queje veux ...
Ho ! mon cher , dit Lubin , que je te trouve heureux!
Ce que tu veux ! hélas ! Comment donc peux- tu
faire ?
C'eſt , dit Paul , en feignant de vouloir le con
traire.
Par M. Chevalier , officier d'infanterie , ingén.
geographe des camps &armées du Roi.
AVRIL. 1770.51
L'ANE & LE DINDON.
Fable imitée de l'Allemand de Lichtwer.
Un Ane , un jour qu'il ſe ſentoit en voix ,
Voulut donner concert à tout ſon voiſinage ;
C'étoit un bruità faire abîmer le village :
De ſes accens il ébranla les toits .
On ne prit pas plaiſir à cette ſérenade ;
Alors Martın- Bâton de roſſer le chanteur
Qui , tout ſurpris d'une telle boutade ,
Fut cacher dans un coin ſa honte & fa douleur.
Un gros Dindon , témoin de la ſcène cruelle ,
Pleura ſur les humains d'avoir ſi peu de goût ,
Et dans l'art de chanter , le prenant pour modèle ;
Tâcha de l'imiter & le prôna par- tout.
Quel fruit , me direz-vous , faudra-t'il que jetire,
De ce chantre honni , de ſon imitateur ?
Boileau va vous le dire , écoutez le , lecteur :
Un ſot trouve toujours un plus ſot qui l'admire.
Par M. Lau... de B...
-
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
A M. le Comte DE PUGET , furfon
mariage avec Mile DE BOURBONCHAROLOIS.
COMTE , dont les deſtins
res ,
ſont ſi beaux & fira-
Vousauriez en ce jour un compliment bien doux ,
Si lesmuſes pour moi n'étoient pas plus avares
Que les dieux le ſont envers vous.
Tout m'intéreſſe à vos hoiries ,
Aux honneurs de votre maiſon ;
Demes ayeux , les armoiries
**Ont furchargé votre écufſſon ;
Plus d'un monument fait connoître
Que nos blaſons furent unis ,
Mais devant la ſplendeur des lys
Tout autre objet doit diſparoître.
Ala gloire du plus grand nom
Le vôtre aujourd'hui s'aſſocie ,
Quand on épouſe une Bourbon,
C'eſt à l'Olympe qu'on s'allie :
N'allez pas trop tôt l'habiter ,
Lorſque l'on prend femme jolie ,
Sur la terre il fait bon reſter.
:
ParM. de Relongue-la- Louptiere , de l'acad.
desArcades de Rome , au château de la
Louptiere , en Champagne.
AVRIL. 1770. 53
STANCES adreſſées à Mile Henriette
C*** , de Marseille , par deux amis
rivaux.
Si c'eſt un crime que d'aimer ,
Qui , plus que nous , ſera coupable ?
Si c'en eſt un que d'être aimable ,
Qui , plus que vous , doit s'alarmer .
Depuis qu'au pouvoir de vos charmes
Le haſard a livré nos coeurs ,
Nous éprouvons les traits vainqueurs.
Dudieu dont nous bravions les armes .
Vos yeux ont fait en un inſtant
Ce que mille autres n'ont pu faire ;
Vous ſeule , ſans chercher à plaire ,
Avez fixé notre penchant.
Jamais beauté , dans aucune ame ,
N'alluma de fi tendres feux ;
Jamais amant , comme nous deux ,
N'ont ſçu ſi bien chérir leur flâme.
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Si cet aveu peut vous armer
Contre un amour ſi raiſonnable ,
Ceſſez vous-même d'être aimable ,
• Nous ceſſerons de vous aimer.
Mais quand , pour ceſſer de nous plaire,
Vous feriez les plus grands efforts ,
Vous ne pourriez de nos tranſports
Cacher la cauſe involontaire.
Vos yeux , où brille la vertu ,-
Vous trahiroient malgré vous- même ;
Il faut par force qu'on vous aime ,
Dès le moment qu'on vous a vû.
Recevez donc , belle inſenſible ,
L'hommage de nos tendres coeurs ;
Et loin d'augmenter vos rigueurs ,
Ceffez plutôt d'être inflexible.
Quel ſeroit notre enchantement ,
Si nos voeux & notre conſtance
Nous faifoient luire l'eſpérance ,
De vous toucher un ſeul moment.
Mais non : du dieu de la tendreſſe
Vous mépriſez les douces loix ;
AVRIL. 1770 . SS
Et vous n'écoutez que la voix
De la plus auſtere ſageſle.
Quoique, fons eſpoir de retour ,
Nos coeurs ſon at jaloux de leurs chaînes,
N'augmentez pas du moins nos peines
Par le mépris de notre amour.
Plaignez un couple miſérable
Réduit à ſe déſeſpérer ;
Etlaiſſez nous vous adorer.
Puiſque vous êtes adorable.
Par M. Fabre de Marseille , à Paris.
EPIGRAMME.
CLION de ſes nobles ayeux ,
Ne ceffe de vanter les exploits glorieux ,
Les droits de ſa maiſon , les honneurs de ſa place ,
Son château , ſon parc , ſa tertafle ,
Son cuisinier , ſatable , ſes cristaux ......
J'admire de Cléon la modeſtie extrême ,
Ilvantejuſqu'à ſes chevaux ,
Et ne dit pas un ſeul mot de lui-même.
Par M. D ** à Quimper.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
NAHAMIR ou LA PROVIDENCE
JUSTIFIÉE. Conte Arabe .
Un petit homme boſſu, borgne, boiteux
&manchor, demandoit l'aumône aux portes
de Bagdad : il ne pouvoit s'empêcher
d'éclater en marmures , & d'accuſer la fage
Providence . Quelqu'un d'une taille
avantageuſe paroiſſoit- ilélevé ſurun char,
le mendiant de mauvaiſe humeur s'écrioit
dans ſon ame : Pourquoi n'ai-je pas
ce port noble & majestueux ? Qu'a fait
cet être fi bien traité de la Sageſſe éternelle
pour avoir le corps droit & dominant
, tandis qu'une énorme bofle me
courbe vers la terre ? Une femme laiſſoitelle
entrevoir à travers ſon voile tranſparent
deux yeux plus brillans que les prunelles
reſplendiſſantes des Houris , il ne
manquoit pas de dire : voilà une femme
dont le fort me fait envie ; elle a deux
beaux yeux , & moi je ſuis borgne ; encore
l'oeil qui me reſte ne vaut-il pas la
peine d'en remercier le ciel. Avec quel
orgueil ce Satrape foule la terre à ſes
pieds ! il a l'uſage de ſes deux jambes pour
AVRIL. 1770. 57
1
promener ſon luxe infolent & la fatiété
de tous les plaiſirs ; & moi , miférable ,
qui aurois beſoin de me tranſporter dans
lesdivers quartiers de la ville pour folliciter
la compaſſion pareſſeuſe , je ſuis boiteux
& traîne avec difficulté mon indigence.
Cet individu créé tout exprès pour
le malheur de Bagdad a deux mains longues
& crochues qui ſavent glaner amplement
ſur les impôts qu'elles moiffonnent
au nomducommandeurdes croyans ;
& l'infortuné Nahamir n'a qu'une main
languiſſante que , ſouvent , il tend inutilement
à ce concours de ſcélérats qui na
gent dans l'abondance &dans la richeſſe.
Mon fort eſt bien affreux ; ya - t'il une
créature plus accablée d'infortune , plus
ſouffrante que moi ? Qu'on diſe encore
que la Providence a tout fait pour le
mieux : quand la mort viendra-t'elle détruire
ma déplorable exiſtence ?
Un vieillard , d'une figure noble & impoſante
, paffle auprès de Nahamir : il
avoit entendu quelques-unes de ſes plaintes
; il lui dit : Mon ami , ſuis - moi , tu
ne feras pas fâché de m'avoir obéi. Nahamir
, tout en boitant , marche ſur les
pas du vieillard , qui s'aſſied ſous un
platane& fait figne au pauvre de prendre
place à ſes côtés.
Cv
8 MERCURE DE FRANCE.
Tes murmures ne m'ont point échappé,
dit le vieillard , raconte moi un peu ton
hiſtoire ; li je ne puis te foulager , du
moins je me latte de te conſoler. On
goûte une eſpéce de fatisfaction à parler
de fes peines.
Nahamir faiſit l'occaſion,&commença
de cette forre le recit de ſes calamités.
Mon nom eſt Nahamir. Je ſuis l'uni-,
que & triſte reſte de vingt- cinq enfans
d'Abouffin , ce riche marchand de Damas
dont l'opulence avoit paffé en proverbe
; & je mendie aujourd'hui mon
pain aux portes de cette même ville , où
mes ayeux , dans une famine cruelle , répandirent
autrefois l'abondance. J'annonçois
, dans la fleur de ma jeuneſſe, une
taille élévée & élégante , des épaules bien
placées ; je marchois droit , mes jambes
étoient moulées ; j'avois deux yeux clairs
&perçans , &deux mains qui en valoient
trois pour l'adreſſe & la force : ajoutez à
ces avantages une opulence dont les fources
paroiſſoient ne devoir jamais tarir.
C'eſt ainſi que je ſuis entré dans le monde...
Monami , interrompit le vieillard,
J'attends de toi un fincere aveu ; n'éprouvois
tu pas un ſecret orgueil qui te faifoit
comparer avec les autres ? Et cette
AVRIL. 1770. 59
comparaiſon de ton fort fortuné avec leur
fort malheureux n'étoit - elle point une
eſpéce de reflet qui rejailliſſoit fur ton
bonheur & l'augmentoit? Ne difois - tu
point dans ton coeur ; je ſuis droit ; j'ai
de beaux yeux , &c... Il est vrai , reſpecrable
vieillard , je ne faurois vous le diſſimuler
; je nourriſſois un orgueil intérieur
qui , tous les jours , faiſoit de nouveaux
progrès ; mais cet orgueil n'alloit point
juſqu'à la dureté. J'époufai une femme
jeune&jolie qui m'apporta un bien conſidérable
; j'en eus fix enfans qui m'ont
été tous enlevés par une mort imprévue.
Hélas ! ſi quelques-uns , fi un ſeul m'étoit
reſté il me foulageroit dans la pauvreté ,
il eſſuyeroit mes larmes ; je lui ouvrirois
monſein , il entendroit mes plaintes, mes
gémiſſemens ; je ferois pere : c'eſt une
confolation , un plaiſir , que la fortune ,
quelque barbare qu'elle foit , ne diſpute
point aux plus malheureux des hommes.
Ma femme , que j'adorois , ſuivit mes enfans
dans le tombeau. Tous les noeuds qui
m'attachoient aux autres créatures devoient
être rompus ; il falloit que je fupportaſſe
ſeul le poids de mes maux : à la
fuited'une longue maladie une boſſe vint
me rendre difforme; pour avoir paſſé la
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
nuit fur ma terraſſe , je me relevai avec
un oeil de moins; je vois de ma fenêtre
deux hommes qui ſe battoient dans la rue,
je vole à leur ſecours , & je me caffe la
jambe ; mais ce qui va plus vous étonner,
jedonne un ſequin à un miférable qui me
demandoit la charité; il tire de deſſous ſa
robe un fabre , & m'abat le bras ; j'imaginois
avoit épuiſé toute la ſomme des
malheurs que le Ciel , dans ſa colere , répand
fur ce globe ; j'avois déjà eſſuyé pluſieurs
banqueroutes , j'allois cependant
me retirer , content d'un bien modique
que j'avois à la campagne , & fur lequel
j'aſſurois ma ſubſiſtance ; je me faifois un
tableau philofophique ; je me voyois vivantloindes
hommes , jouiſſant du ſpectacle
de mon jardin qui n'avoit qu'un demi
arpent , & où j'aurois renfermé tous
mes defirs : reſpirant le parfumdes fleurs,
livré enfin à l'occupation demoi-même ,
offrant mes derniers ſoupirs à ce Dieu
dont les décrets ſont enveloppés d'une
nuit impénétrable; it m'enleve cette triſte
&derniere planche de mon naufrage ; des
parens avides &dénaturés ont des protections
auprès du cadi ; il favorife leur injustice
& leur barbarie; ces foibles débris
de ma fortune paſſée me font arrachés...
AVRIL. 1770. 61
Je tombe dans toutesles horreurs de l'indigence
, accablé de vieilleſſe , d'infirmités
, & ne pouvant pardonner au Ciel de
m'avoir précipité dans un pareil abîme de
douleurs.
Voilà donc mon ami , dit tranquillement
le vieillard, le ſujetde tes murmures
?-Et, de par Mahomet , que voulez
vous d'avantage ? Vous me paroiffez
un étrange homme! vieux ,boſſu, borgne,
boiteux, manchot, mourant de faim , vous
ne trouvez pas cette ſituation affez cruelle
, affez horrible ? Ne faudra-t'il pas que
je me loue de la Providence ? -Affurement
tu lui dois des actions de grace ſans
nombre. Mais est- ce votre deſſein d'in .
ſulter à ma miſere ? Votre phyſionomie
me promettoit une ame ſenſible.-C'eſt
parce que je ſuis ſenſible que je veux te
confoler & te prouver ton bonheur. -
Mon bonheur ! ... Notre boiteux fut tellement
ému d'indignation , qu'il oublia
qu'il n'avoit qu'une jambe, & fit un ſaut
en arriere . -Oui, ton bonheur , inſenſé
mortel ! entends, connois la vérité &rends
juſtice à cette ſageſſe éternelle que ton
aveuglement& ta folie ofent accuſer.
Nahamir regarde attentivement le vieillard;
il lui trouve dans les traits quelque
64 MERCURE DE FRANCE.
tu regrettes : tu n'auras pas oubliéun certain
jour de la fête d'Huſſein , où l'on
t'inſulta ? -Je m'en souviens , que n'aije
pu m'en venger ? .. Eh bien ! ſi tu avois
eu l'uſage de ce bras qui te manque , tu
aurois tiré ton fabre ? En pouvez - vous
douter ? Et tu aurois été percé de mille
coups. -Vous êtes un homme bien fingulier
! bientôt vous m'allez faire croire
que je ſuis un des favoris de la Providence.
Je vous abandonne ma taille , mon
oeil , ma jambe , mon bras ; mais du moins
s'il m'étoit reſté ma femme ? -Elle auroit
trahi fon honneur , & tu fuſſes tombé
dans le déſeſpoir. -Et mes enfans ? -
Ils devoient entraîner la perte de l'empire.-
Et ma pauvreté ?-Ta deſtinée , ſi
tu fuſſes reſté opulent , étoit de faire un
déteſtable uſage de tes richeſſes , d'endurcir
ton coeur , de te livrer à tous les excès,
àtous les crimes , d'être en un mot en
horreur au genre humain . -Le Ciel m'a
tout ravi ; que in'a t'il laiffé ? -La vertu;
tu n'as rien à te reprocher ; tu n'as
point de remords , tu n'as que des malheurs
: quand tu rentres en toi-même , tu
n'as point à rougir; ta confcience te confole
: Que disje , elle t'éleve au deſſus
de ces mortels que tu as la foibleſſe d'en
AVRIL. 1776. 65
vier. Si tu ne manges qu'un morceau de
pain arroſé de tes larmes , il ne t'a point
coûté de crimes; peut- être il flatte ton
appetit plus que ces mets faſtueux qui ne
fauroient réveiller le palais émoullé de
tant de riches déchirés par un vautour
éternel & qui brûlent d'une foif inaltérable
que n'étanchent point les pleurs& le
fang des malheureux immolés à la fortune.
Mais je ne t'ai point montré l'immenſité
des voies de la Providence ; que
ta vue foit deſfillée , & d'un coup d'oeil
ſaiſis tout le ſpectacle de l'Univers ..
Le vieillard auſſi- tôt met la main fur
les yeux de Nahamir ; & il voit des rois ,
des fouverains légitimes renverſés du
trône& foulés aux pieds d'infames ufurpateurs
; des riches couverts d'opprobres ,
confumés d'ennui & affaffinés fur leurs
tréſors amoncelés ; des femmes fans pudeur
qui , peu contentes de fouiller le lit
de leurs époux , les égorgent ou les empoifonnent
fans pitié ; des enfans qui ,
fourds à la voix du fang , plongent le
couteau dans le ſein paternel ; des villes
déſolées par divers fléaux ; des empires entiers
abandonnés au génie de la deftruction
; tout l'Univers , theatre affreux du
crime & du malheur. Eh ! bien , oſe en
66 MERCURE DE FRANCE.
core te plaindre , s'écrie le vieillard ; &
foudain ſes rides s'effacent & diſparoifſent.
La majeſté d'un Dieu s'aſſied fur
fon front reſplendiſſant de lumiere ; fa
taille s'éleve comme un cédre ſuperbe ;
de ſes yeux ſortent des éclairs , un ange ,
en un mot , de la premiere hiérarchie ſe
fait voir dans toute ſa ſplendeur. Nahamir
ſe proſterne dans la pouſſiere. L'ange
lui dit : Souffre patiemment ; après ta
mort tu recommenceras une nouvelle car .
riere , où toutes les félicités t'attendent ;
tu auras une femme qui ſera un prodige
de beauté , & qui n'aimera que toi , des
enfans ſoumis , tendres &dignes de leur
pere ; des richeſſes immenfes qui ne corrompront
point ton coeur , & tu laifferas
une réputation immortelle. Nahamir
voulut encore répliquer : l'ange s'envola ,
&Nahamir , après avoir murmuré pour la
derniere fois , retourna aux portes deBagdad
, en demandant l'aumône , & remerciant
leCiel de tout ſon coeur d'être vieux,
boſſu , borgne , boiteux & manchot , &
le tout pour la plus grande gloirede Dieu
&de ſes dignes ferviteurs Mahomet &
Ali.
Par M. d'Arnaud.
ROMANCE
de
M.Gavinica.
Page
1770.9 $ 2
On craint un engagement
Tant qu'on estjeu -nette ;
On rebute
tendre amant Que le coeur re =grette
Mais on a beaufuir l'amour , Il sca
nous surprendre Ah! s'ilfaut ce-der
jour,Aquoi sert d'at = tendre ?
De Imprimeriede Récoquilliée, rue de laHuchette, auPanierflou
AVRIL. 1770. 67
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Mars 1770 , eſt
lesfens ; celle de la ſeconde eſt parole;
celle de la troiſiéme eſt le lion ; celle de
la quatriéme eſt l'oeuf. Le mot du premier
logogryphe eſt portail , où se trouvent
port , ail , Lai , moine ; lia , trop ,
Celui du ſecond eſt vérité , où l'on trouve
Tir , ver , Vire , ire , vie , rive , re , ri , rit,
re , Eve , rêve , Ive , été , étre , ivre : Celui
du troifiéme eſt Eve , où l'on trouve Eus
Celui du quatriéme eſt boeuf, d'où ôrant
le B , reſte oeuf.
ÉNIGME
or:
Des fecrets des mortels , victime infortunée ,
Apérir par le feu le ſort m'a deſtinée ;
Auſſi ſuis-je fidèle : on ne fait leur ſecret
Que quand la main m'a rompu tout-à-fait.
De moi ſe paſſe aisément un avare ;
Je ſuis d'ungrand uſage à la ville , à la cour ,
Et plus qu'aux champs , où je ſuis rare ;
J'y cours pourtant la nuit comme le jour ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Je ſuis même propice au commerce , à l'amour.
Que trouves- tu , lecteur , à ce portrait bizarre ?
ParM. de la Rozerie.
AUTRE.
ON me donne la queſtion
Avant que d'avoir pu mettre un pied dans le
monde;
J'exiſte à peine , &fans difcrétion
On m'attache à des fers qui , vingt pas à la ronde ,
D'un bruit aigu font gémir le quartier :
Depuis le Sénateur juſques au Savetier ,
Excepté moi , chacun en gronde :
Mon tourment fait celui du voisinage entier.
Et pourquoi tout ce tintamarre ?
Si pour moi l'on eſt dur , on n'eſt pas moins bizarre:
C'eſt pour me laiſſer imparfait ,
C'eſt pour me faire un corps ſans tête ,
Qu'avec tantde fracas chaque jour on s'apprête :
Quand on m'a fait le pied on croit m'avoir tout
fait.
De l'état abject où nous ſommes
Après tout pourquoi murmurer ?
Manquer de tête eſt commun chez les hommes ,
AVRI L. 1770. 69
Et les femmes , dit-on , devroient n'en point mon
trer.
Le plus fâcheux eſt que l'on n'eſt pas maître
De ſe placer comme il convient ;
De la perſonne à qui l'on appartient
•Ondépend trop ; pour bien paroître ,
Nous prenons ſes défauts, nous partageons ſes
torts ,
Par trop d'attachement notre gloire eſt ternie ;
Ainſi voit- on ſouvent que , malgré ses efforts ,
Le plus beau naturel ſe gâte en compagnie.
Du
AUTRE.
u bâtiment je ſuis la couverture ,
Ou , pour le moins , j'y bouche un trou ;
Et c'eſt précisément par où
Dans l'Univers , je fais figure..
Au ſexe je ne ſuis d'aucune utilité ;
Car je ne puis entrer dans ſa parure ,
Et dans le vrai je ſuis d'une nature
Contradictoire à la mondanité .
En conſervant mon nom
ſtructure,
, mais changeant de
Je protége l'humanité ,
Dans les combats & contre la froiduse.
Ace tableaujejoindrois bien des traits ,
70
MERCURE DE FRANCE .
- Mais je ſerois trop facile à connoître :
Il te ſuffit , lecteur , de ſavoir que , peut-être ,
Je pourrois te compter au rang de mes ſujets.
Par M. Parron , Capitaine d'infanterie.
AUTRE .
PLus d'un ſavant s'eſt occupé
A meſurer mon existence ;
Plus d'un nigaud s'eſt amuſé
Atracer ma circonférence ;
Rien n'eſt plus regulier que moi.
De plus , dans Paris , à la mode ,
Aux hommes j'enſeigne le code
Pour faire un fat de bon aloi .
1
LOGOGRYPΗ Ε.
Je n'ai qu'un nom , cependant ma figure ,
Ou mes différentes couleurs
Changent mon être , ma nature ,
Au point d'embarraſler un inſtant mes lecteurs :
Je ſuis de tout pays , je ſuis de tout étage ,
On me porte preſque en tout lieu ,
Au conclave , à la rote , en chaque aréopage ,
AVRIL . 1770 . 71
Sur mer, dansun collége , aux champs , à l'hôtel-
Dieu ,
Aux petites maiſons , en forbonne ,à l'égliſe ,
AMalthe , à Luque , à Gênes , dans Veniſe ,'
Dans les priſons , à la guerre , au comptoir ,
Al'écurie , à l'office , en voyage ,
Dans un bureau,dans preſque tout ouvroir ,
Aux forges , dans la rue , au lit , en cet ſtage
Dont on ne peut ſe ſauver qu'à la nage ,
Ala cuiſine , à la vigne , au preſſoir ,
Au jeude paume enfin , comme au jeu du batoir &
Je fus jadıs une arme défenſive :
La marque d'un infâme ou celle d'un Hébreu;
Et quand on le ſauvoit d'une peine afflictive ,
L'armure d'un Fefle-Mathieu :
Maintenant je ſuis unouvrage
Adeux angles rentrans , à trois angles ſaillans
Dont la défenſe ou l'abordage
Coûtent cher à maints combattans.
Par M. de Boufſanelle , Brigadier des armées
du Roi , ancien Capitaine au régiment du
Commiſſaire Général de la Cavalerie.
72 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
JE fuis cequ'on m'a fait ; car je ne ſuis point né
Tout comme l'on me voit : mais quand je ſuis
८
formé ,
1.
Onme trouve à la ville , ainſi qu'à la campagne.
Je ſuis cauſe ſouvent que l'on perd ou l'on gagne ;
Je ſuis utile aux rois, aux grands comme aux petits;
Je cours après la gloire & je crains les mépris ;
J'habiteles palais ainſi que les chaumieres ,
Pour m'éclairer fur- tout il faut bien des lumieres.
Si quelque fois j'ennuie , une autre fois je plais.
Je ſers à la diſcorde auſſi-bien qu'à la paix ;
Je produis très- ſouvent la joie & l'abondance ,
Mais je ſuis cauſe auſſi qu'on eſt dans l'indigence;
Je fais rire & pleurer , & dans le même inſtant
Je rends l'un ſatisfait & l'autre mécontent.
Souvent de ma fabrique il fort un équipage ;
Je loge quelquefois dans un premier étage ,
Etplus ſouvent encore on me trouve au grenier.
Tel a le premier rang , je le mets au dernier ;
Mais en me combinant , voici bien d'autres choſes:
Tranſpoſant mes fix pieds , que de métamorphoſes!
Si tu veux me trouver , lecteur , avec ſuccès ,
Cherche
AVRIL. 1770. 73
Cherche bien douze mots , neuf latins , trois françois
;
J'offre d'abord en cinq , une fille aviſée ,
Et perſonne expérimentée.
Quatre , forment le fonds de mille complimens ,
Ce qu'on fait quand on veut vivre dans les couvens
;
Autre quatre aflemblés font le nom d'une fille
Qui n'eſt pas fort ſouvent d'une grande famille ;
Plus , ceque fait chacun lorſqu'il va , qu'il agit ,
Et certain officier , quand pour nous il écrit ;
Deux déſignent le ton d'un maître à ſon eſclave ;
Une note , une clef, non celle de la cave.
Dans trois pieds , de mon tout , gît une qualité
Que donne un jeune enfant tout d'abord qu'il eſt
né.
Plus , une maladie aux brebis très- funeſte ,
Dont le ſon repété fait qu'on m'entend de reſte :
Plus , deux conjonctions , un verbe appellatif,
Un qui peint le loiſir , le même applicatif;
Enfin , me remettant dans ma premiere forme ,
Mon être indépendant dépend d'un droit énorme .
Faut- il, pour me trouver, parcourir tous les cieux;
Non , cher ami lecteur , carje ſuis ſous tes yeux.
I. Vol.
Par M Alleon des Gouftes ,
avocat au parlement.
D
74
MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Avec cinq pieds , je ſuis fragile ;
Réduit à trois , je ſuis rempant:
Pourpeu , mon cher lecteur , que vous ſoiez habile,
Vous trouverez en moi ce qu'on fait en dormant.
Par M. Cat. à Versailles.
AUTRE.
Avec fix piedsje ſuis utile au jardinage ;
Otez m'en la moitié , je le ſuis davantage.
Par un Abonné au Mercure.
AVRIL. 1770. 75
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Théâtre espagnol , avec cette épigraphe :
Cùm flueret lutulentus , erat quod tollere velles:
Par M. L **.
HORAT.
A Paris , chez de Hanſy , le jeune , libraire
, rue St Jacques ; 1770. Avec
approbation & privilége du Roi. 4vol.
in- 12 . chacun d'environ 500 pag.
La ſcène françoiſe doit ſon premier
éclat au Théâtre Espagnol : le grand Corneille
en emprunta le Cid , & le Cid a
produit Polieučte & Cinna. Thomas , fon
frere , ne fut , à proprement parler , que
le traducteur des Caſtillans. Moliere pui.
ſa dans la même ſource. Quoique la régénération
des lettres ſoit généralement
attribuée à l'Italie , il eſt certain que les
proſateurs & les poëtes François ſe ſont
bien plus formés à l'école des Eſpagnols
qu'à celle des Italiens. Benferade , Voiture&
les autres beaux efprits dont les
productions ont été comme l'aurore du
beau fiécle de Louis XIV , étoient , en
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
quelque forte , plus Eſpagnols que François.
La langue eſpagnole leur fut auffi
familiere que la langue françoiſe peut
l'être aux ſavans étrangers. On remarque
que les Nouvelles , genre auquel nous
avons ſubſtitué les Contes , preſque toutes
traduites ou imitées de l'eſpagnol , font
en général beaucoup mieux écrites que
les piéces de théâtre du même tems . Le
roman comique qui fait époque dans les
révolutions de notre langue eſt enrichi
de nouvelles eſpagnoles que le goût le
plus épuré ne défavoueroit pas. Le Sage
a fondu dans Gilblas pluſieurs drames
eſpagnols dont il n'a fait que mettre en
récit les ſcènes dialoguées. Les nouvelles ,
qui dans le ſiècle dernier eurent tant de
ſuccès , n'étoient auſſi que des drames
mis en narration .
Le traducteur de ce théâtre rend aux
Eſpagnols l'hommage qu'ils ont droit
d'attendre de notre reconnoiſſance. Il ouvre
à nos jeunes Auteurs un champ vaſte
dans lequel le génie trouvera de riches'
moiffons à recueillir. La fécondité des
Ecrivains Eſpagnols eſt connue. On prérend
que Lopez de Véga a laiſſé plus de
deux mille deux cens piéces de théâtre ,
& Calderon , plus de quinze cens . Dans
AVRIL. 1770. 77
:
preſque toutes ces productions , on voit
briller , à travers les bifarreries d'une
imagination extravagante , des étincelles
de génie. On y trouve des ſituations neuves;
mais des intrigues compliquées, des
événemens invraiſemblables , de grands
mouvemens , des coups de main, des
toursde force leur promettent aujourd'hui
encore plus de ſuccès.
Ce théâtre ne contient qu'un choix de
comédies eſpagnoles , dont trois font de
Lopez de Véga , fix de Calderon,& quelques
autres de différens auteurs moins
célèbres . La tragédie eſt preſqu'inconnue
aux Eſpagnols. Lorſqu'ils mettent ſur la
ſcène des rois , des princes , des miniftres
, ces perſonnages ne font pas ordinairement
plus graves que les payſans &
les bourgeois ; & l'on rit ſouvent avec
eux , tandis qu'on pleure avec ces derniers
. Il paroît qu'avant ce ſiècle , les termes
de tragédie & de comédie étoient indifféremment
employés l'un pour l'autre
en Caſtillan . Dom Montiano y Luyando
a donné en dernier lieu de vraies
tragédies ; ( Virginie &Ataulphe ) mais ,
quoiqu'on les life avec intérêt , les fuffrages
de la nation n'ont point conſacré ce
genre. La traduction d'une tragédie de
Métaſtaſe n'a pas mieux réuſſi .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Ces comédies font diviſées enjournées
&nonen actes . Cette méthode, en étendant
la ſcène au gré des ſpectateurs habitués à
parcourir un vaſte champ , justifie la complication
des événemens , les fréquens
changemens de lieux , &d'autres libertés
que notre regle étroite des vingt quatre
heures ne ſupporteroit pas. Aufli chaque
comédie forme -t'elle un véritable roman.
Les piéces de ce recueil retracent,prefque
toutes , les moeurs & l'eſprit de l'ancienne
chevalerie. Preſque par- tout des
combats finguliers , des enlevemens ou
des fuites , une galanterie reglee. Toutes
les intrigues nouées & dénouées avec des
efforts d'eſprit prodigieux tendent au
mariage ; & l'on ne voit guere fur la ſcène
que des filles dont les démarches ne
font pas toujours décentes , quoique leur
honneur reſte ordinairement intact. Les
freres y ont une très-grande autorité fur
les foeurs; & il ne faut pas oublier les
moeurs du pays , ſi l'on veut foutenir la
lecture de ces pièces. Le déncûment eft
auſſi bruſque que l'action eſt embrouillée .
Le rêve eſt toujours étrange , & toujours.
ilfinit par un coup de tonnerre.
Le premier volume du théâtre espagnol
contient quatre piéces ; la Constance à l'éAVRIL.
1770.
79
preuve de Lopez de Véga Carpio; le Précepteurfuppofé
, du même ; les Vapeurs ou
la Fille délicate , du même ; Il y a du
mieux , de Don Pedro Calderon de la
Barca. La premiere offre un beau caractere
dans Dona Helena , qui ſe fait eſclave
de Don Fernand , dans la vue de le
réconcilier avec DonJuan ſon fils , qu'elle
épouſe à la fin , après beaucoup de traverſes.
La ſeconde n'est qu'une mauvaiſe
parodie de la premiere ; la Fille délicate
formeroit un perſonnage d'un bon comique
, ſi ſa délicateſſe n'étoit d'abord poufſée
juſqu'à l'extravagance. Un homme de
goût pourroit temanier heureuſement
l'idée d'une Isabelle qui , après avoir refuſé
les partis les plus fortables , finit par
s'amouracher d'un eſclave. Le ſujet de la
piéce est vraiment théâtral. Le dernier
drame ett un tiſſu d'incidens que la fortune
rend toujours favorables aux perfonnages
qu'ils ſemblent devoir accabler .
C'eſt l'ouvrage d'une belle imagination.
La premiere piéce du ſecond volume
eſt intitulée le Violpuni. C'eſt un drame
fingulier dans lequel un capitaine enleve
&viole la fille d'un payſan ;& le payſan ,
nommé à la place d'Alcalde fait arrêter
&étrangler le capitaine. Le roi Philip
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
pe II arrive à la fin de la pièce , & approuve
la conduite de l'Alcalde. Des ſcè .
nes plaiſantes y amenent des ſcènes nobles&
pathétiques dans leſquelles le payſan
Creſpo joue , avec ſa famille, un rôle
admirable. Dans la Cloison, des ſituations
fingulieres , tantôt comiques , tantôt intéreſſantes
, excitent la plus vive curiofité.
La troifiéme piéce a pour titre , ſe dé.
fier des apparences . Elle eſt faire, ainſi que
la précédente , avec beaucoup d'art; mais
l'auteur a manqué les ſcènes attendriſſan.
res qu'il s'étoit adroitement ménagées .
La Journée difficile préſente , ſur une intrigue
fort compliquée , des beautés de
détails , fondées en partie ſur une mépriſe.
Dans tous ces drames de Calderon,
le génie offre de riches matériaux au
goût.
Dans le 3º volume , la piéce de Calderon
, intitulée : On ne badine point avec
l'amour , paroît avoir fourni à Moliere
l'idée des Femmesſavantes , & quelques
traits des Précieuses ridicules . La choſe
impoffible , par Don Augustin Moreto , a
pour but de prouver qu'il n'eſt pas poffible
de garder une femme. Don Pedro
prétend qu'on ne lui enlevera pas ſa ſoeur
Dona Inès ; Don Félix la lui enleve par
1
AVRIL. 81
1770 .
les intrigues de fon valet Tarugo. Il y a
dans cette piéce , quelques ſcènes affez
plaiſantes. Dans la Reſſemblance , par le
même , le bonhomme D. Pedro Lujan ,
trompé par une conformité de traits ,
prend D. Fernand de Ribera pour D. Lope
fon fils qui , depuis long-tems , eſt aux
Indes . D. Fernand , embarraflé dans une
mauvaiſe affaire , confent , quoiqu'avec
peine , à entrer chez D. Pedro comme
fon fils; & il y demeure parce qu'il y trouve
Dona Inès , beauté dont il étoit épris
fans la connoître. Le vrai D. Lope arrive
; le vieillard le renvoie ; D. Fernand
le reconnoît pour le cavalier qu'il croyoit
avoir tué chez ſa ſoeur Dona Juana. Celle-
ci éclaircit à la fin tout le myſtere , &
les deux amans épouſent leurs maîtreſſes .
L'occaſion fait le larron , par le même ,
eſt une des meilleures piéces de ce recueil
. D. Afanciel a pris le nom de D.
Pedro de Mendoça ; le haſard fait tomber
entre ſes mains les papiers de celuici
; & avec ces titres , il va époufer Dona
Séraphine , deſtinée à D. Pedro . D.Pedro
eſt traité d'impoſteur ; on le prend pour
Manuel , dont les papiers ſe trouvent chez
lui ; il eſt forcé de ſe battre , poursuivi ,
arrêté pour les affaires de D. Manuel.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Dona Violente , ſéduite par ce dernier ,
trouve le moyen de ſuſpendre ſon mariage
avec Séraphine , de démaſquer l'impoſture
& de réconcilier les eſprits . Elle
épouſe D. Manuel ; & Dona Séraphine ,
le vrai D. Pedro. On retrouve dans certe
comédie le fonds & quelques ſcènes des
Menechmes ; mais l'intrigue en eſt plus
vraiſemblable & plus intéreſſante.
4. vol . Le Sage dans fa retraite , par
D. Juan de Mathos Fragofo , paroît avoir
fervi de modèle à l'auteur Anglois que
M. Sedaine & M. Collé ont imité dans
le Roi & le Fermier , & la partie de chaffe
de Henri IV. La piéce eſpagnole adroit
fourni les ſcènes les plus intéreſſantes aux
auteurs François : les rôles du laboureur
Jean & du roi D. Alphonse font d'une
grande beauté. Dans la Fidélité difficile ,
Je déguiſement d'une femme en homme
produit des ſituations fingulieres. Le fou
incommode de D. Antonio de Solis eſt
dans le goût des comédies de Calderon .
Enfin ce recueil eſt terminé par des intermedes
comiques dans le genre des farces.
Ce théâtre espagnol fera plus favorablement
accueilli du public que ne le fur,
il y a trente ans , l'eſſai ſur le même théâtre
de M. du Perron de Caſtera , traducAVRIL.
1770 . 83
teur du Camoens. Il mérite d'être placé à
la ſuite du théâtre des Grecs du P. Brumoy
, & du théâtre anglois de M. de la
Place.
Dialogues ſur le commerce des bleds : In
vitium ducit culpæ fuga , fi caret arte.
HORAT. 1770. A Londres ; & à Paris,
chez Merlin , rue de la Harpe , brochure
in - 8°. de 314 pag. petit caractere
. Prix 3 liv .
Un ſuccès éclatant met cet ouvrage audeſſus
de nos éloges. Nous oferons à peine
dire que la facilité du ſtyle , le naturel
du dialogue , des paſſages éloquens ,
des hiſtoriettes aſſez plaiſantes , le ton le
plus léger ſur le ſujet le plus grave , l'air
impoſant qui captive la confiance , l'art
de faire valoir pour raiſons ces petits
mots qu'on appelle bons mots; enfin mille
traits ingénieux juſtifient les fuffrages
que ces dialogues ont obtenus. Mais ces
agrémens ne ſauroient paſſer dans un extrait
, & nous ne pouvons en dépouiller
les opinions fans faire beaucoup de tort
à l'ouvrage.
Quant à ce dernier objet , nous ne diffimulerons
pas qu'on reproche à l'auteur
(M. l'Abbé G... ) d'ignorer le ſyſtème
Dvj
S4 MERCURE DE FRANCE.
qu'il entreprend de réfuter. Mais M. le
chevalier Zanobi, qui le repréſente, a ſoin
d'annoncer qu'il arrive d'Italie & qu'il
n'a rien lu ; eſt- il obligé de ſavoir ſans
avoir lu & même pu lire ? Il conſulte le
marquis de Roquemaure & le préſident
de... qui ont eu le tems& les moyens de
s'inſtruire à fonds : mais malheureuſement
, s'il leur en souvient , il ne leur en
fouvient guere ; eſt-ce ſa faute ? on lui reproche
encore des contradictions fréquentes
: Qu'est - ce que cela prouve ? Qu'en
difcutant la matiere il a quelquefois
changé d'avis & rectifié ſes idées : c'eſt
un ſujet d'éloge. Enfin parce que l'auteur
a dit qu'il étoit inutile d'avertir que ces
entretiens n'étoient pas supposés ; on ne
veut pas ſe tenir pour averti qu'ils ne le
font pas . Cependant cet avertiſſement eſt
lapologie de l'ouvrage ; les défauts des
dialogues ne font plus que les fautes ordinaires
de la converſation , & l'équité
même exige de l'indulgence dans les jugemens
du public.
,
L'objet du premier dialogue eſt de
prouver 1. que l'adminiſtration d'un
état , par rapport au commerce des grains,
ne doit point ſervir de regle à un autre à
moins qu'ils ne foient parfaitement femAVRIL.
1770. 85
blables dans tous les points , ce qui eſt
impoffible. 2°. Que la plus légere variation
, telle que l'établiſſement d'une nouvelle
manufacture , ſuffit pour obliger à
changer le régime entier d'un empire par
rapport à ce commerce ; ce ne feroit pas
une petite affaire pour le gouvernement.
Mais l'auteur adoucit dans la ſuite la févérité
de ces regles , en donnant des loix
invariables , & les mêmes loix à des états
très différens les uns des autres .
Dans le ſecond dialogue , M. le chevalier
veut que le gouvernement ſoit ſeul
chargé de l'approviſionnement des petits
états tels que Genéve , afin que la ville ne
puiſſe pas être ſurpriſe , ſans pain , par
une attaque imprévue. Ces états font
d'ailleurs des efpéces de couvens de Capucins;
donc il ne doit point y avoir de commerce
de bled .
Les deux dialogues ſuivans roulent fur
les états qui n'ont point ou qui ont peu
de territoire , comme la Hollande . L'auteur
leur accorde la liberté du commerce
; mais avec défenſe aux états qui ont
un territoire comme la France , de ſuivre
cet exemple , parce qu'on ſent bien qu'il
ne ſeroit pas avantageux à ceux qui re- .
cueillent du grain comme il l'eſt à ceux
$6 MERCURE DE FRANCE.
quin'en recueillent pas , d'en vendre ; &
que ſi les premiers en vendoient comme
les autres , ils pourroient à la fin en manquer
; ce qui ne peut pas arriver à ceuxci
, car leurs manufactures ne les laiſſeront
jamais manquer de rien. L'auteur en
répond.
On apprend , dans le se dialogue , la
différence d'un peuple agricole avec un
peuple manufacturier & commerçant. Un
peuple agricole eſt un joueur ; un joueur
riſque , & à la fin il meurt à l'hôpital. II
n'en eſt pas de même d'un peuple manufacturier
; il ne riſque rien , & ſes richefſes
croiffent avec ſes manufactures à l'infini.
Les interlocuteurs du chevalier n'en
doutent pas.
Le ſixieme dialogue tend à prouver
que la France n'a&ne peut avoir que peu
ou point de fuperflu en grains. M. le
chevalier ne dit point ſur quoi il fonde
ſes calculs , & il affure qu'il ne connoît
la France que pour l'avoir traversée dans
fes grandes routes; mais on fait qu'il a la
vue perçante & l'eſprit fubtil .
Dans le 7. dialogue , l'auteur balance
les avantages& les déſavantages du commerce
des bleds. De l'extrême difficulté
de ce commerce , on conclud qu'il faut
AVRIL. 1770. 87
le défendre au- dehors. Cependant M. le
Chevalier le permet , afin , fur- tout, d'avoir
une marine floriſſante par l'exportation
d'un ſuperflu peut - être imaginaire
ou dumoins preſqu'inſenſible .
Le 8. dialogue couronne ce pénible
travail par deux impôts , l'un de so fols
fur chaque feptier de bled exporté, droit
deſtiné à repouffer le grain dans l'intérieur
, &dont l'effet naturel en ſera de le
faire tomber à vil prix ; l'autre , de 25 f.
fur chaque ſeptier de bled importé , droit
impoſé pour que le grain étranger ne
faſſe pas tomber à vil prix le grain du crû,
& dont l'effet néceſſaire fera de faire
payer les ſecours plus cher aux confommateurs
lorſqu'ils feront dans le beſoin .
Ileſt évident que l'auteur veut faire le
bien.
Nous n'avons expoſé que les réſultats
de chaque dialogue ; mais ils fuffiſent
pour faire fentir l'art prodigieux que M.
l'abbé G... doit avoir employé pour y
avoir tranquillement amené ſes lecteurs.
Eſſai fur les moyens d'améliorer les études
actuelles des colléges. A Paris , chez Fétil
, libraire , rue des Cordeliers , près
celle de Condé. Avec approb. & pri
88 MERCURE DE FRANCE.
vilége . broch . in- 12 . de 127 p. Prix
I liv. 4 f.
M. de la Galaiziere , intendant de Lorraine
, a excité , dans cette province , le
defir de contribuer à perfectionner l'éducation
& les études. M. Michel s'eſt efforcé
dans cette brochure de ſeconder les
vues de ce magiſtrat. Il expoſe d'abord
ce que doit être l'éducation. Son premier
devoir a pour baſe la vettu ou la pratique
des loix naturelles non écrites ; le ſecond,
la pratique des loix naturelles écrites, ou
la probité. Telle doit être l'éducation de
l'homme. Le citoyen eſt , de plus , redevable
à ſa patrie , de ſa vie , de ſes talens
&de la maniere de les employer : delà
les exercices du corps qui tendent à le
conſerver ; les exercices de l'eſprit , qui
ont pour objet d'étendre ſes facultés;l'emploi
des connoiffances, complément & fin
de l'éducation .
Mais l'ordre des ſociétés n'est pas partout
le même : les qualités conſtitutives
du françois ſe réduiſent 1º. à l'amour de
fon Roi , fondement de la valeur & du
courage de la nation ; 2°. Ala foumiffion
aux loix , bafe de l'ordre qui doit regner
dans l'état ; 3 °. Au reſpect pour les magiftrats
, hommage indiſpenſable du ciAVRIL.
1770. 89
toyen pour l'organe des loix. Il faut y
ajouter la religion .
Trois eſpéces d'auteurs occupent les enfans
; il faut les enviſager toutes relativement
aux moeurs. S'amuſer des imaginations
du poëte , s'inſtruire par les tableaux
de l'hiſtorien , ſe juger avec les regles du
philoſophe : cette école eſt complette .
Tels font les principes de l'auteur dont le
développement le conduit à des obfervations
ſur les châtimens , ſur la religion ,
fur la maniere dont les parens peuvent
contribuer à l'amélioration des études,fur
les moyens de faire concourir les études
des colléges au but d'une bonne éducation.
Ledernier chapitre préſente des mo.
dèles d'inſtruction aux profeſſeurs .
Cet ouvrage a été inſpiré par le zèle du
bien public.
Calendrier des réglemens ou notice des
édits , déclarations , lettres - patentes ,
ordonnances , réglemens & arrêts tant
du conſeil que des parlemens , cours
ſouveraines & autres jurifdictions du
royaume qui ont paru pendant l'année
1767 ; par A. Vallat- la-Chapelle. A
Paris , chez Vallat- la-Chapelle , libraire
au palais , ſur le perron de la ſainte
१०
MERCURE DE FRANCE.
Chapelle, au château de Champlâtreux;
1770. Avec privil. br. in- 16. de plus
de 600 p. en deux parties.
L'utilité de ce calendrier eſt généralement
reconnue : il formera , un jour , un
fondde matériaux précieux pour l'hiſtoire
. Le recueil eſt diviſe ſuivant l'ordre
alphabétique des matieres : Adminiftration
de la justice , amendes , apanage , artillerie
, arts & métiers bois à brûler , capitation
, clergé , commenfaux
nautés & octrois , compagnie des Indes ,& c .
Une table bien faite indique à chaque lec.
teur l'objet de ſes recherches .
commu-
Le rédateur l'a enrichi cette année, des
arrêts du parlement de Bretagne & de la
chambre des comptes de Provence , les
deux ſeules cours dont il ait pu ſe procurer
les réglemens. Il ne négligera rien pour
obtenir dans la ſuite la communication
des réglemens des autres tribunaux. Les
calendriers de 1763 & 1769 paroîtront
dans le courant de cette année ; & tous
les dix ans on publiera une table générale
des matieres renfermées dans les dix calendriers
précédens.
Eloge de Pierre du Terrail, appelé le chevalierBayardſans
peur &fans reproche.
AVRIL. 1770. I
Quis mortem tunicâ tectum adamantinâ dignè
Scripferit... aut Tydidem ſuperis parem.
HOR. Ode v.
AGenève ; & ſe trouve à Paris , chez
Valade , libraire , rue St Jacques , visà-
vis la rue de la parcheminerie , à St
Jacques , 1770 ; broch, in- 8 °. de 70 p .
avec le portrait de Bayard.
L'auteur conſidére Bayard comme mé
ritant par ſes exploits & par ſes verrus le
furnom de Chevalier fans peur &fans reproche.
La premiere partie eſt un récit ras
pide des hauts faits du héros détaillés
dans des notes inſtructives. Ses vertus
font retracées dans la ſeconde partie avec
la chaleur du fentiment. L'auteur a placé
à la fuite de ſon difcours le chap. LXVI .
de Théodore Godefroy , des vertus qui
estoient au bon chevalier fans peur &fans
reproche.
• Toute nobleſſe , dit cet Hiſtorien, ſe
>> debvoit bien veſtir de deuil , le jour du
>> treſpas du bon chevalier ſans peur &
>> fans reproche. Car je croy que depuis
>> la création du monde , tant en loi chref-
>> tienne que payenne , ne s'en est trouvé
>> un ſeul qui moins lui ait faict de des92
MERCURE DE FRANCE.
>>>honneur, ne plus d'honneur... Oncques
>> n'euſt un eſcu qui ne feut au comman-
>> dement du premier qui en avoit à be-
>> ſogner... Jamais foldat qu'il eut ſous
> ſa charge ne feut deſmonté qu'il ne re-
>> montaſt , bien ſouvent changeoit un
>> courſier ou cheval d'Eſpaigne qui val-
>> loit deux ou trois cens eſcus à unde fes
>> hommes d'armes contre un courtault de
>> fix eſcus , & donnoit à entendre au gen-
>> tilhomme que le cheval qu'il lui
>> bailloit lui étoit merveilleuſement
>> propre... Il n'eſt rien ſi certain qu'il a
>> marié en ſa vie, ſans en faire bruit , cent
131
و
pauvres filles orphelines , gentilsfem-
>> mes ouautres... Jamais ne fent en pays
>> de conqueſte , que s'il a été poſſible de
> trouver homme ou femme de la mai-
>> ſon où il logeoit , qu'il ne payât , ce
» qu'il penſoit avoir deſpendu. Et plu-
>> ſieurs fois lui a-t'on dit , Monseigneur,
>> c'eſt argent perdu que vous baillez ; car
>> au partir d'ici on mettra le feu céans ,
> & oftera-t'on ce que vous avez donné?
>> Il reſpondoit , Meſſeigneurs , je fais ce
» que je doibs... A quelque perſonne
>> que ce feuſt , grand prince , ou autre ,
>> ne fleſchiffoit jamais , pour dire autre
>>choſe que la raiſon. Des biens mon
AVRIL. 1770. 93
>> dains , il n'y penſa en ſa vie , & bien l'a
>> monſtré ; car à ſa mort , il n'eſtoit gue-
>> res plus riche que quand il feut né...
» Et fi a gaigné durant les guerres en ſa
>> vie cent mille francs en prifonniers ,
» qu'il a départis à tous ceulx qui en ont
>> eu beſoin... C'eſtoit le plus aſſeuré en
>> guerre qu'on ait jamais congneu , & à
> ſes paroles , eut faict combattre le plus
>> couard homme du monde ... Jamais
>> on ne lui ſçeut bailler commiſſion qu'il
>> refuſaft , & fi lui en a - t'on baille de
>> bien eſtranges. Mais pour ce que tou-
>> jours a eu Dieu devant les yeulx , luia
» aydé à maintenir ſon honneur ; & juf-
>> ques au jour de fon treſpas , on n'en
>>avoit pas ofté le fer d'une eſguillette...
» Et oncques ne feut veu qu'il ait voulu
>> ſouſtenir le plus grand ami qu'il euſt
>> au monde contre la raiſon , & toujours
>>diſoit le bon gentilhomme , que tous
>> empires , royaumes & provinces fans
justice, font foreſts pleines de brigands.
>> Es guerres a eu toujours trois excellen-
>> tes chofes , & qui bien affierent à par-
>> fait chevalier , affault de levrier , dé-
>>fenſe de ſanglier & fuite de loup- brict.
>>quitoutes ſes vertus vouldroit deſcrip-
>>re, il y conviendroitbien la vie d'un bon
>> orateur .
8
94
MERCURE DE FRANCE.
Diſcours fur cette queſtion , lequelde ces
quatreſujets ,le Commerçant , le Culrivateur
, le Militaire & le Sçavant ,fere
le plus effentiellement l'état , relativement
au degréde perfection où un prince
veut l'élever : fuivis de l'éloge du chevalier
Bayard ; par M. le Boucq , prêtre,
Chanoine de l'égliſe collegiale de St
André de Chartres , & profeſſeur de
rhétorique au collège de ladite ville.
A Paris , chez Fetil , libraire , rue des
Cordeliers , près de celle de Condé , au
parnaſle italien , in- 12 .
Les voyages que le Roi de Dannemarck
vient de faire ont fourni à M. le Boucq
l'idée des quatre difcours que nous annonçons.
Il ſuppoſe un jeune monarque
qui vient de rentrer dans ſes états , après
avoir parcouru différens royaumes de
l'Europe ; il a vu le commerce fleurir chez
un peuple , l'agriculture chez un autre ;
dans un troiſieme , l'art militaire & les
ſciences ,& les lettres dans un quatriéme.
Plein du defir de rendre ſon regne célèbre
, il demande lequel de ces quatre
objets eſt plus utile à un état; ſon premier
miniftre , chargé d'examiner cette queftion
, écoute les perſonnes qui font vaAVRIL.
1770.
95
loir devant lui les intérêts des quatre conditions
rivales. On parle d'abord en faveur
du Commerçant ; on enviſage ſa
profeſſion ſous un double point de vue ,
comme donnant tout à la fois à l'état une
grande richeffe & une grande puiſſance .
La défenſe de l'Agriculteur eſt pleine de
force & de vérité ; on préſente en lui le
citoyen le plus néceſſaire, le plus laborieux
, le moins à charge à l'état & le plus
vertueux. On fait valoir également l'art
militaire , qui défend le peuple entier ,
qui affure les paſſages au commerçant &
conſerve les récoltes du cultivateur. On
peint le ſavant éclairant les eſprits , &
donnant par- là un nouveau luſtre à l'état,
formant les hommes à la vertu & préparant
le bonheur des particuliers & la félicité
publique. Le jugement ſuit ces quatre
difcours ; on obſerve que la queſtion
eſt lequel des quatre concurrens eſt le
plus utile à l'état , relativement au degré de
perfection qu'un prince veut lui donner.
Cette queſtion n'eſt proposée qu'au moment
où les campagnes font cultivées par
de laborieux agriculteurs , où les frontieres
font bien défendues & où le commerce
& l'induſtrie font chaque jour des progrès.
La préférence eſtdonnée àla ſcience.
96 MERCURE DE FRANCE.
L'élogede Bayard,que l'on trouve à la
fin, a concouru pour le prix que l'académie
de Dijon a distribué l'année derniere
&a obtenu l'acceffit. Tous ces morceaux
font écrits avec chaleur & avec éloquence.
Piéces de théâtre , en vers & en profe ,
un volume in- 8 ° .
Les piéces contenues dans ce recueil
font connues ; leur réputation eſt faite
depuis long-tems ; elles paroiſſent aujourd'hui
avec des augmentations conſidérables;
elles font de l'écrivain célèbre à
qui nous devons le nouveau théâtre françois
ou François II . Ce tableau fublime
& vrai de l'ambition & de la politique
des courtiſans qui intriguoient à la cour
de ce jeune Roi , eſt un morceau tout- àfait
neuf,dont on ne trouve point d'exemples
chez les autres nations ; on y a joint
des notes précieuſes pour tous les amateurs
de l'hiſtoire . La premiere piéce de
ce recueil eſt Cornelie Veſtale , tragédie
repréſentée à Paris en 1713 , & imprimée
pour la premiere fois à Londres en 1718 .
C'est une production de la jeuneſſe de
l'auteur qui annonçoit le talent le plus
décidé , & qui fait regretter qu'il n'ait pas
continué
AVRIL. 1770. 97
continué cette carriere ; il a préſenté d'une
maniere intéreſſante le premier effor
d'une ame pure , étonnée des ſentimens
qu'elle éprouve : il a uſé de la liberté accordée
aux auteurs dramatiques de s'écarter
quelquefois de la vérité de l'hiſtoire ;
il ne s'eſt éloigné en quelques points de
celle des veſtales que pour donner plus
d'intérêt à ſon ouvrage ; au reſte , cette
tragédie , ſagement écrite , n'a aucun rapport
avec une autre qui a paru il y a quelque
tems , & dont on a auſſi placé l'action
dans le temple de Veſta. La petite Maifon
& le réveil d'Epimenide ſont deux
comédies fort agréables qui peignent avec
beaucoup d'eſprit & de gaïté l'inconféquence
& la légereté de nos moeurs. Le
jaloux de lui-même offre un caractere bizarre
affez commun dans tous les pays &
dans tous les tems ; cette piéce peut contribuer
à le corriger. Ce recueil eſt terminé
par le Temple des Chimeres , divertiſſement
lyrique en vers & en un acte;
c'eſt une allégorie charmante , qui nous
fait fentir combien l'illuſion eſt utile &
néceſſaire à notre bonheur ; nous rapporterons
les vers que M. de Voltaire adreſſa
dans le tems à l'auteur.
Votre amuſement lyrique
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
M'a paru du meilleur ton.
Si Linus fit la muſique ,
Les vers ſont d'Anacreon.
L'Anacréon de la Gréce
Vaut- il celui de Paris ?
Il chanta la double ivreſſe
De Syléne & de Cypris ;
Mais fit-il avec ſageſle
L'hiſtoire de ſon pays ?
Après des travaux auſteres ,
Dans vos doux délaſſemens ,
Vous célébrez les chymeres :
Elles ſont de tous les tems :
Elles nous ſont néceſſaires ;
Nous ſomines de vieux enfans ,
Les erreurs font nos lifiéres ,
Et les vanités légéres
Nous bercent en cheveux blancs.
Juftini Hiftoriarum ex Trogo Pompeio ,
libri XLIV. Parifiis , ex typographia
Joſephi Barbou , viâ Mathurinenfium .
Cette éditionde Juſtin eſt auſſi correcte
&auſſi ſoignée que toutes celles des autres
auteurs latins qui ſont ſorties fucceffivement
des preſſes de Barbou ; elle eſt
faite d'après celle que donna , en 1737 , à
Léipſick, J. Fréderick Fiſcher , quoiqu'el
le paſsât pour la meilleure , elle contenoit
AVRIL. 1770. ११
cependant pluſieurs fautes qu'on a corrigées
avec ſoin en confultant les manufcrits
conſervés dans la bibliothèque du
Roi. Tout le monde connoît l'ouvrage
de Juſtin ; il n'a pas peu contribué à faire
perdre l'hiſtoire univerſelle de Trogue-
Pompée dont il eſt l'abrégé ; c'eſt un écrivain
eſtimé , mais qui n'eſt pas toujours
un hiſtorien exact.
Quintilien , de l'inſtitution de l'orateur ,
traduit par M. l'abbé Gedoyn , de l'académie
françoiſe ; édition faite d'après
un exemplaire corrigé par l'auteur.
AParis , de l'imprimerie de J. Barbou ,
rue des Mathurins , 4 vol. in 12 .
C'eſt à la décadence de l'éloquence romaine
que nous devons cet ouvrage de
Quintilien; le mauvais goût , l'affectation
, l'obſcurité , l'enflure , les jeux de
mots avoient fait des progrès rapides ; de
fon tems on avoit abſolument perdu la
nobleſſe , la fimplicité & le goût du ſiécle
d'Auguſte ; Quintilien s'attacha à faire
revivre la véritable éloquence ; le vrai
mérite a ſes droits qui ſe font reconnoître
tôt ou tard; on applaudit à ſes efforts,
on l'admira. Les Romains l'engagerent à
enſeigner un art qu'il poſſédoit au plus
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
haut degré de perfection ; ils lui firent
même un honneur qu'ils n'avoient encore
fait à perfonne; ils lui affignerent desappointemens
fur le tréſor public. Quinti.
lien renonça au barreau , où il s'étoit acquis
beaucoup de gloire , & s'occupa à
former de jeunes orateurs ; après avoir
exercé cet emploi pendant vingt ans , il
obtint la permiſſion de le quitter ; il
compoſa alors les douze livres de l'inſtitution
de l'orateur pour fervir éternelle
ment de règle à ceux qui s'adonneroient
à l'éloquence , & de préſervatif contre le
mauvais goût qui eſt la ſource de tous les
vices qui l'empoiſonnent& qui entraînent
enfin ſa tuine.
L'abbé de Parc eſt le premier qui
ait entrepris de donner en France une
traduction de l'ouvrage de Quintilien ; fa
verſion a été oubliée en naillant ; & fon
nom feroit aufli peu connu , ſi Deſpréaux
ne l'avoit conſigné dans ſes ſatires; la
verſion de M. Gedoyn eſt la ſeule que
nous ayons ; elle lui ouvrit les portes de
l'académie , & le tems n'a fait que confirmer
ſon ſuccès,
με
Principes de l'art du Tapiffier ; ouvrage
utile aux gens de cette profeſſion & à
ceux qui les emploient ; par M. BiAVRIL.
1770. ΙΟΙ
mont , maître & marchand tapiſſier. A
Paris , de l'imprimerie de Lottin l'aîné,
imprimeur- libraire de Mgr le Dauphin
&de la ville , rue St Jacques , au Coq
&au livre d'or ; in- 12. Prix 2 liv.br.
Cet ouvrage a déjà paru ſous le titre
deManuel des Tapiſſiers ; l'auteur le préſente
aujourd'hui ſous une autre forme
& avec des augmentations confidérables ;
il eſt diviſé en deux parties ; l'une traite
de la qualité , de l'uſage & des façons
qu'on doit donner aux étoffes & aux autres
marchandiſes qui ſervent à meubler
les appartemens ; l'autre marque la quantité
& le prix des matieres , ainſi que celui
des façons . L'ouvrage peut être réellement
utile aux tapiſſiers & à leurs apprentifs
; les perſonnes qui les emploient
journellement feront auſſi bien aiſes de
prendre connoiffance de tous les objets
qui font relatifs aux meubles dont ils ont
beſoin.
Le Début ou les premieres aventures du
Chevalier de *** avec cette épigr.
د
Juvenilibus annis ,
Luxuriant animi , corporaque ipſa vigent.
OVID .
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
A L *** ; & ſe vend à Paris , chez
Rozet , libraire , rue St Severin , au
coin de la rue Zacharie ; in- 12 .
Le chevalier de * * * écrit lui - même
l'hiſtoire de ſes premieres années ; il la
commence au moment où il entre en rhétorique
; il s'étend plus ſur les plaiſirs
que ſur les progrès ; il peint les premiers
d'une maniere très- vive & très- enjouée ;
ils fourniffent une multitude de petites
aventures agréablement écrites & qui ne
font liées entr'elles que par celui qui en
eſt le héros. Après avoir pris long-tems
le plaifir pour de l'amour, il éprouve enfin
ce dernier ſentiment ; une perſonne refpectable
en eſt Fobjet ; il n'a point voulu
cacher l'hiſtoire de ſes égaremens à celle
qu'il aime ; c'eſt par l'expoſe ſincere de ſa
conduite qu'il prétend lui apprendre àjuger
de fon caractere. La derniere aventure
dont il lui rend compte eſt pleine
d'intérêt & en même tems très - finguliere.
Le chevalier alloit ſouvent chez Mlle
des Forts qui vivoit des bienfaits du duc
de... Unjour il trouve à ſa porte une jeune
enfant qui pleure parce qu'elle n'a pas de
pain , & parce que fa mere ne peut lui en
donner ; elle demeure dans la maiſon de
-
AVRIL. 1770 . 103
Mlle des Forts; mais le grenier qu'elle
habite eſt le théâtre de la plus affreuſe
mifére. Le chevalier y monte ; il confole
cette mere malheureuſe , & lui fait une
petite penſion. Il apprend d'elle qu'elle
n'a dû le titre de mere qu'à l'amour. Quelques
années s'écoulent ; cette femme vient
chez le chevalier & lui tient ce diſcours.
« Vous êtes mon appui , mon foutien , le
>>plus généreux des hommes ; daignez
» m'écouter . Les années s'amaſſent ſur
>> ma tête ; bientôtje ne ſerai plus en état
>> de m'aider. Je ne veux pas abufer de
>> vos bontés ; je vous dois tout , ma vie ,
» celle de ma fille... Ma fille ! Dieu
>>veuille qu'elle ſoit plus heureuſe que
>> ſa mere. Je l'ai élevée juſqu'ici dans
>> une entiere folitude; il y a trois jours
>> que je la conduiſis au palais royal ; on
>> nous ſuivit; le courier de l'envoyé de..
>> vint nous faire, de la part de ſon maî-
>> tre , les plus belles propoſitions ; je les
>> rejetai ; hier l'envoyé lui-même eſt ve .
» nu chez nous , les mains pleines d'or
» & de bijoux . Que vous dirai -je ? Je lui
>> demandai du tems & ne lui ôrai pas
>> toute eſpérance. O mon patron !je n'ai
>> que Dorothée , elle eſt jolie ; la mifére
>>> ne lui laiſſe pas la liberté d'être ver
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
>> tueuſe; il faut qu'elle m'acquitte, qu'el-
>> le s'acquitte envers vous , avant de paf-
>> fer en d'autres mains. »
Cette femme avoit amené Dorothée ;
le chevalier alloit abuſer de ſa reconnoiffance
, mais Dorothée pleure ; elle aime
un garçon du pays de ſa mere ; il étoit
venu à Paris pour paſſer le bail d'une ferme
; d'autres ont obtenu la préférence ; il
a regretté cette fortune parce qu'elle l'auroit
mis en état d'épouſer Dorothée. Ce
jeune homme a porté de l'eau pour vivre,
&tous les foirs il remettoit ſon gain à la
mere de Dorothée. Son pere eſt mort, ſa
mere lui a écrit de revenir au pays ; il eſt
parti . Le chevalier eſt touché de cette
confidence naïve ; il fait donner une ferme
à ce bon payſan par un de ſes amis
dont la terre eſt voiſine de ce village ; il
le marie avec Dorothée , & jouit de la
reconnoiffance de la mere , de la fille&
de l'époux .
Ce roman mérite d'être diftingué de la
foule des bagarelles qui paroiſſent dans
ce genre ; on y trouve de l'intérêt , de la
gaïté , & fur- tout beaucoup de légéreté.
Mémoires de l'Académie de Dijon. A
Dijon , chez Cauſſe , imprimeur - li-
)
AVRIL. 1770 . 105
braire du parlement & de l'académie ,
place St Etienne ; & ſe vend à Paris ,
chez Saillant & Nyon , rue St Jean de
Beauvais . Tome I. in- 8 ° .
Ily a longtems que l'académie de Dijon
defiroit donner ſes mémoires au public
; mais elle a éprouvé le fort de la
plupart des établiſſemens littéraires qui
n'ont acquis que lentement la conſiſtance
néceſſaire pour engager les aſſociés à faire
un fonds commun de connoiſſances ; ce
n'eſt que depuis 1761 que les portefeuilles
de l'académie ſe ſont remplis fucceſſivement
; avant cette époque les académiciens
ſe contentoient de venir lire
leurs ouvrages , & le ſecrétaire en retenoitſeulement
le titre avecla date des lectures.
Ce recueil eſt formé ſur le plan des
mémoires de l'académie royale des ſciences
; chaque volume ſera diviſé en deux
parties , l'une, ſous le titrede mémoires ,
contiendra les ouvrages imprimés en enrier
, l'autre , ſous celui d'hiſtoire , offrira
le recit exact de tout ce qui ſe ſera dit
dans les ſéances , un précis des obſervations
de différens genres qu'on y aura
lues , & l'extrait de pluſieurs ouvrages
qu'on n'imprimera point avec les mémoi-
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
res , parce que les auteurs auront voulu les
publier ſéparément , ou parce qu'ils auront
pour objets des matieres ſur leſquel.
les le goût du public eſt pour ainſi dire
raffafié ; on ne préſentera dans ces extraits
que les idées neuves &les détails qu'on
chercheroit inutilement ailleurs .
Le volume que nous annonçons offre
d'abord l'hiſtoire de l'académie depuis
fon établiſſement juſqu'à préſent , cette
hiſtoire eſt fort intéreſſante ; elle eſt ſuiviede
différens extraits qui ont pour objet
la phyſique , l'hiſtoire naturelle , les curiofués
naturelles , les belles - lettres , les
beaux arts , la deſcriptionde pluſieurs antiques
, des obſervations de médecine , &
les élogesdeM. Fromageot &de M. d'Aulezy.
Les mémoires offrent une grande
variété ; ce font des morceaux curieux de
ſciences , d'hiſtoire , de littérature profonde
& légere , où tous les lecteurs peuvent
trouver de quoi s'inſtruire & de quoi s'amufer
; ce premier volume ne peut que
faire deſirer avec empreſſement la ſuite de
cette collection; &les gens de lettres ſauront
toujours gré à l'académie de leur faire
part de ſes travaux .
AVRIL. 1770. 107
OEuvres choifies de Bernard de la Monnoye
, de l'académie françoiſe , en deux
vol . in- 4°.
Ingenium cui fit , cui mens divinior , atque os
Magna ſonaturum.
HOR. fat. 4, 1. 1 .
Tome II . A la Haye , chez Charles le
Vier , libraire , dans le Spuyſtract ; &
ſe trouve à Paris , chez Saugrain , libr.
ordinaire de Mgr le Comte d'Artois ,
quai des Auguſtins ; à Dijon , chez F.
Des Ventes , libraire de Mgr le Prince
de Condé , 1770 ; volume d'environ
500 pages .
Les libraires , chargés de la nouvelle &
riche collection des oeuvres de M. de la
Monnoye , in - 4°. & in . 8 °. , ont rempli
leurs engagemens avec exactitude , tant
par rapport à la propreté de l'édition que
par rapport au tems de la livraiſon des
volumes . Celui ci eſt diviſé en quatre livres
, formant les 6 , 7 , 8 & 9º livres
de l'ouvrage. Le ſixieme contient les fonnets
héroïques & autres ; le ſeptieme,des
piéces latines & grecques avec destraductions
; le huitieme , une ſuite ou mélange
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
de différentes piéces & traductions françoiſes
, latines&grecques , en profe & en
vers ; le neuvieme,des eſſais de critique &
de littérature , avis, &c. Nous tranfcrirons,
preſque ſans choix , quelques petites piéces
de vers de ce volume ; & nous y joindrons
quelques anecdotes tirées des lettres
& des differtations de ce ſavant littérateur.
M. de Monnoye rendoit compte de ſa
fituation , en 1670 , à un de ſes amis dans
ce fonner.
Ami , je ſuis mort , autant vaut ,
Ame déſoler tout conſpire.
Je joue & perds , c'eſt mon défaut ,
Etjoueur qui perd ne peut rire.
J'ai toujours trop froid ou trop chaud.
Sije choiſis je prends le pire.
J'ai moins de ſanté qu'il ne faut,
D'enfans , plus que je n'endefire.
Mes plus beaux jours s'en ſont paflés ;
Mes meilleurs contrats évincés;
Un cruel traitant me dévore ,
Cependant je ſuis amoureux ,
EtCélimene m'aime encore :
Je ne ſuis pastrop malheureux.
AVRIL. 1770. 109
M. de la M. avoit fait , ſur l'anti-Baillet
de Ménage , des remarques qu'il auroit
communiquées à l'auteur , s'il ſe fût
trouvé un ami commun pour les lui préſenter
de ſa part. Lorſqu'il vit M. Menagehors
d'état de ſe défendre , il ne voulut
point l'attaquer .
Laiſſons en paix Monfieur Ménage ,
C'étoitun trop bon perſonnage
Pour n'être pas de les amis .
Souffrez qu'à ſon tour il repoſe ,
Lui , de qui les vers & la proſe
Nous ont ſi ſouvent endormis.
M. de la M. a traduit en vers latins
fon beau poëme fur le duel , couronné par
l'académie françoiſe , quelques ſatires de
Defpréaux , le commencement du lutrin ,
&c. Deſpréaux ayant dit un jour qu'on
avoit traduit de ſes piéces en latin , en
eſpagnol , en portugais , en anglois & en
allemand , mais qu'on ne lui avoit pas fait
l'honneur de le traduire en grec , M. de
laM. pour lui procurer cette fatisfaction,
mit en vers grecs ſa ſatire fur Paris .
L'abbé Nicaiſe avoit un jour prodigué
les louanges à M. de la M. Ce franc &
TIO MERCURE DE FRANCE.
noble Bourguignon lui écrivit : « Il me
>> prend envie de vous refuſer les hym-
>>nes que vous ne demandez , pour vous
>> apprendre une autre fois à m'écrire .
» Où ... avez-vous pêché... ce que vous
>> me jetez à la tête ? Moi , ſavant ! moi ,
>> le premier homme du ſiécle ! Savant ,
>> VOUS - meme ; je n'y prétends rien : &
>> pour ce qui eſt de l'autre éloge , il eſt
>> vrai que quand je me regarde dans mon
>>miroir & que je vois grifonner ma bar-
>>be , il me ſemble bien , dont j'enrage ,
>> que je fuis , comme vous dites , un des
>> premiers hommes du ſiècle. Vous êtes
>>bien heureux de ce que mes vers ne
>> font pas bons. Allurez vous , s'ils l'é-
>> toient , que , dans la colere où je ſuis ,
>> je me garderois bien de vous les en-
» voyer. »
Ayant beaucoup perdu dans le tems du
ſyſtême , M. le duc de Villeroi lui fit une
penſion de 600 liv. Lorſqu'il voulut remercier
ſon bienfaiteur... Oubliez cela,
lui dit- il , c'est à moi de me ſouvenir que
jefuis votre débiteur.
La logique de Port Royal paſſa d'abord
pour être l'ouvrage de M. le Bon. M. de
la M. eſt comme perfuadé que Racine
dans le tems qu'il étoit brouillé avec
,
AVRIL. 1770. III
MM. de Port - Royal , affecta , pour les
mortifier , de donner le nom de le Bon au
fergent des Plaideurs .
Il rapporte que le grand Corneille ayant
publié des ſtances allez libres ſous le titre
de l'Occafion perdue & recouvrée , le
chancelier Seguier, après lui en avoir fait
une douce reprimande, voulut le mener
àconfeffe; &qu'en effet il le conduifit à
fon confeffeur qui lui ordonna , par forme
de pénitence , de mettre en vers françois
le premier livre de l'imitation de
Jeſus Chrift ; la Reine Anne d'Autriche
lui demanda le ſecond. Dans une dangereuſe
maladie , il promit de traduire le
troifiéme , ce qu'il fit après ſon rétabliſfement.
A la fin de ce volume , l'on trouve la
préface que M. de la M. compofa , il y a
environ 45 ans , pour être miſe à la tête
d'une nouvelle édition des bibliothèques
françoiſes de la Croix- du Maine & de du
Verdier. On foufcrira juſqu'au mois
d'Août prochain , à Paris, chez Des Ventes
de la Doué , rue St Jacques ; à Lyon ,
chez Jacquenot fils , rue Merciere ; A
Dijon, chez F. Des Ventes; pour l'édition
de ces bibliothèques , enrichie des remarques
de M. de la Monnoye , de M. le
112 MERCURE DE FRANCE.
préſident Bouhier , de M. Falconnet & de
pluſieurs autres ſavans. Les premiers volumes
en feront délivrés au mois d'Octobre.
Les payemens de la ſouſcription feront
toujours 1º. de 12 liv. en prenant fon
numéro ; 2 ° . De 21 liv. en prenant les
deux premiers tomes ; 3 °. De 12 liv. en
prenant les 3 & 4tomes d'environ 800 p.
chacun.
Traité historique , dogmatique & pratique
des indulgences & du jubilé , où l'on
réſoud les principales difficultés qui
regardent cette matiere pour ſervir de
fupplément aux conférences d'Angers;
par M. Collet , prêtre de la congrégagation
de la miffion , docteur en théologie
, derniere édition , revue & augmentée.
A Paris, chez N. M. Tilliard ,
libraire , quai des Auguſtins , à St Benoît
; & J. Th . Hériſſant , fils , libraire,
rue St Jacques , à St Paul & à St Hilaire ;
2 vol . in- 12.
L'auteur s'eſt attaché à préſenter des
notions préliminaires & des principes
généraux fur les indulgences ; il y a joint
un recueil de cas & de déciſions pour
le jubilé. Cet ouvrage a beaucoup acquis
AVRIL. 1770 .
113
dans cette nouvelle édition ; on a revu
avec ſoin les déciſions qu'on avoit déjà
données ; on en a rectifié pluſieurs qui
n'étoient pas juſtes ; en cherchant à en
fortifier d'autres par des piéces qu'on n'avoit
point connues auparavant , on en a
découvert quelques-unes qui forment des
augmentations conſidérables ; ce traité ,
destiné aux eccléſiaſtiques , ne peut manquer
de leur être très utile; il mérite
d'être préféré à la plupart de ceux que l'on
a déjà , & qui , avec beaucoup plus d'étendue
, offrent moins d'inſtruction.
Choix varié de poësies philofophiques &
agréables , traduites de l'anglois & de
l'allemand. A Avignon , chez la Veuve
Girard & Franç . Seguin , imprimeurslibraires
, près la place St Didier ; & à
Paris , chez Saillant & Nyon , rue St
Jean de Beauvais ; 2 vol. in- 12 .
La plupart des piéces qui compofent ce
recueil font déjà connues; elles ont paru
en différens tems , & fe trouvent répandues
dans un grand nombre de volumes
où elles ſont confondues avec beaucoup
de morceaux médiocres ; on s'eft attaché
à rendre ce choix agréable ; preſque toutes
ces poëfies ont été dictées par l'eſprit
114 MERCURE DE FRANCE.
e
philofophique qui en a banni les froides
plaifanteries& les idées infipides & galantes
qui déparent ſouvent les ouvrages
de cette eſpéce. Ily en a pluſieurs de M.
Zacharie , de M. Retz , de M. Haller, &c .
Ondiftingue parmi ces piéces les 5 & 6 °
épîtres morales dePope , traduites parM.
de St Lambert. La premiere eſt ſur l'homme
; nous en citerons un ou deux morceaux.
« Qui peut fonder notre profon-
>>deur , qui peut distinguer ce que nous
>> ſommes & ce que nous voulons être ?
>>La légere inconſtance , le flux & le re-
>> flux de nos idées ? Qui peut fixer l'hom-
>> me pour l'obſerver ? Il paffe&la route
>> n'eſt point tracée; en vain nous vou-
>> lons faire fur ce ſujet de ſérieuſes ré-
>> flexions , il nous échappe. Nous pou-
» vons , en raiſonnant fur les actions des
>> autres , faire un ouvrage très raifonna-
>>ble , mais néceſſairement le ſujet en ſera
> manqué ſi vous cherchez le principe de
>> ſes actions.Dansl'inſtantoù vous croyez
ود le ſaiſir, il varie&n'eſt plus le même;
>> & ſi vous vous laſſez de ſuivre cet objet
>> inconftant , le moment où vous le quit-
» tez eſt celui où vous l'auriez connu ...
>>En vain le ſage leve le voile de l'appa-
>>>rence & cherche la raiſon de tout ce
AVRIL. 1770 . 115
>> qu'il voit , en vain il diftingue ce que
>> le hafard nous a fait faire , & ce que
>> nous avons fait quand des motifs nous
>> ont déterminés ; des mêmes motifs
>> naiſſent des actions différentes . Mal-
» traité de la fortune &de ſa maîtreſſe ,
l'un ſe plonge dans les affaires , l'autre
>> ſe jettedansun cloître ; pour trouver le
" repos de l'ame , l'un ſe démet de l'em-
>> pire , l'autre bouleverſe l'univers; tous
>>deux également agités , Charles court à
>>St Ildegonde , & Philippe à de nouvel-
>>les conquêtes. »
:
L'homme céde toujours à ſa paſſion dominante
, les efforts qu'il fait pour la détruire
ne fervent qu'à la fortifier ; elle le
maîtriſe juſqu'au dernier moment ; l'un
conſerve juſqu'à la mort l'amour effrené
du plaifir. « Ce gourmand célébre , que
>> ſon intempérance réduit à l'extrêmité ,
>> fait appeler ſon médecin qui lui déclare
» qu'il faut mourir. Ah ! dit il , puiſqu'il
» n'eſt plus de remedes, qu'on m'apporte
>>vîte le reſte de mon poiffon . Dans quel
» état me vois-je , s'écrie ce Narciffe ex-
>>pirant , que le plus beau linge de Flan-
>> dre me pare encore ; qu'on releve l'é.
>> clat de ces joues , autrefois fi charman-
>> tes; que ne puis-je étendre les bornes
118 MERCURE DE FRANCE.
د
offroient les étrangers pour demeurer
dans ſa patrie. « Médiocres littérateurs
>> citoyens plus mauvais encore , vous qui
>>oſez calculer avec votre patrie, qui met-
>> tez vos petits talens à la plus haute en-
>> chere & qui ne ceſſez de crier à l'injuſ-
>> tice , apprenez que lorſque Dumoulin
>>faifoit à la France tant degénéreux fa-
» crifices , il y étoit pauvre , malheureux
» & persécuté. Il ſemble qu'après avoir
>> forméungrand homme , la nature fiere .
>>de ſon ouvrage , ſe plaiſe à accumuler
>> autour de lui les obſtacles de toute ef-
» péce , afin de montrer , ſous toutes ſes
>>faces , le ſpectacle utile de la vertu aux
> priſes avec l'infortune. Dumoulin eut
>> en effet des envieux &des perſécuteurs,
>> des hommes qui auroient dû l'honorer.
>>. comme leur maître & le ſuivre comme
>>leur guide , ſe crurent ſes rivaux , atta-
>> querent ſes écrits & ſouvent ſa per-
>> fonne.>>
Lettre écrite à Mde la Comteſſfe - Tation ;
par le Sr de Bois - flotté , étudiant en
droit- fil : ouvrage traduit de l'anglois ,
nouvelle édition , augmentée de plu..
ſieurs notes d'infamie. A Amſterdam,
aux dépens de la compagnie de Perdreaux.
AVRIL. 1770. 119
Le ſeul titre de cette brochure de 42
pages , avec la préface & les notes , doit
annoncer ſuffisamment le genre de plaifanterie
dont elle eſt . Le Bacha Bilboquet
ſembloit de nos jours l'avoir épuiſée ,
mais l'hiſtorien de l'Abbé Quille l'a portée
plusloin encore ,& fera problablement le
déſeſpoir de ceux qui voudroient après lui
ſejeter dans la brillante carriere des pointes
, des jeux de mots , des équivoques &
des turlupinades.
On aime à conjecturer que le jeune écrivain
de cette bagatelle , connu pour un
homme d'eſprit,a eu deſſein de ſe moquer
de ſes lecteurs & de guérir la ſociété d'une
contagion qui renaiſſoit parmi nous fous
le nomde Calembour & de Charade .
Cet écrivain , par la fatiété de fes nouveaux
rebus , produira peut- être l'effet heureux
du poëme de Dulot vaincu, auquel on
dut autrefois la défaire des Bouts rimés.
Il faut que le goût des pointes & des
équivoques foit bien naturel à notre nation.
Le 16. frécle les vit regner dans
tous les genres de l'eſprit. Le commencement
du 17. fiécle en fut infecté. Ce fut
en 1630 que parut l'original du Bacha
Bilboquet & de l'hiſtoire de l'Abbé Quille,
ſous le titre du Courtisan grotesque ,
par le Sr Devaux de Dos- Caros , p. 1412
1
120 MERCURE DE FRANCE.
des Jeux de l'Inconnu. Le courtiſan , dit
le Sr Devaux , prend le chemin de St Jac
ques où étoit ſa mie de Pain mollet , il la
trouva travaillant ſur la toile de Pénélope
avec l'aiguille d'un clocher , &c. En voilà
ſans doute affez de ces deux lignes , priſes
au hafard , pour aſſurer au Sieur de Dos-
Caros la gloire d'être l'inventeur de cette
eſpéce de production .
Etrennes du Parnaffe. AParis , chez Fetil
, libraire , rue des Cordeliers , près
de celle deCondé , au Parnaſſe italien.
Les Etrennes duParnaſſe n'avoient point
été données au public comme un ouvrage
deſtiné à être continué ; c'eſt le ſuccès qui
enaprouvé l'utilité. Pour le rendre encore
plus intéreſſant , on ſe propoſe d'en changer
la forme , d'y répandre plus de variétés
, de l'enrichir des plus belles piéces
qu'on pourra recueillir dans les porte- feuilles
des gens de goût , d'y ſeiner quelques
anecdotes littéraires , enfin de ſe rendre
difficile ſur le choix des morceaux qu'on y
inférera . On ne ſe permettra aucune critique.
L'éditeur de cet ouvrage invite les
poſſeſſeurs de piéces fugitives à les adreſſer
fous enveloppe à Fetil,libraire. Les lettres
feront envoyées franches de port avant le
premierNovembre.
La
AVRIL. 1770. 121
La Girouette ou Sanfrein , hiſtoire dont
le héros eſt l'inconféquence même ,
avec cette épigraphe :
Nitimur in vetitum ſemper , cupimuſque negata.
HOR.
AGenève ; & ſe trouve à Paris , chez
Humaire , libraire , rue du marché Palu
, vis-à vis la Vierge de l'Hôtel-Dieu ,
in- 12.
Sanfrein étoit né avec le défaut de
courir avec ardeur à tout ce qui lui étoit
défendu , & de s'éloigner de tout ce qui lui
étoit preſcrit. Son précepteur avoit pris le
parti de ſe prêter à ſon caractere , & San .
frein avoit appris quelque choſe. Entré
dans le monde , il ne trouva pas dans ſes
connoiſſances la complaiſance de ſon pré.
cepteur , & fit beaucoup de ſottiſes . II
étoit cadet & peu riche , parce que fon
Frere aîné l'étoit beaucoup ; il embraſſa
l'état eccléſiaſtique ,& obtint un bénéfice
qui le mit à fon aiſe; fon état exigeoit
qu'il eût de la prudence &de la ſageſſe ,
il n'eut ni l'une ni l'autre ; ſon frere mourut,
il devint riche; il rentra dans le mon-
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
de , & fut dévot ; il étoit généreux ; il
donnoit beaucoup aux pauvres. Son directeur
lui en fit une obligation , & Sanfrein
ceſſa d'être charitable. Il aimoit beaucouple
poiffon , mais les viandes les plus
groffieres le tentoient fortement lorſqu'il
en voyoit le vendredi , & toujours il cédoit.
Il va s'établir à la campagne ; il devient
amoureux de la fille d'un gentilhomme
voifin . Il la demande au pere qui
la lui accorde , l'amour de Sanfrein diminue
; il ſe ranime lorſqu'il apprend
que la mere de la Demoiselle n'eſt pas
de l'avis de ſon mari ; bientôt les obftacles
s'évanouiſſent; Sanfrein n'eſt plus
ſi preſſant ; un autre amant ſe préſente ,
il eſt aimé en ſecret de la Demoiſelle ;
Sanfrein l'ignore ; mais il craint de ſe
marier; il retire ſa parole , & n'a pas plutôt
perdu l'eſpoir de poſſéder ſa maîtreſſe
qu'il en eſt plus paſſionné que jamais . Il
tombe malade ; on le met au lait pour
toute nourriture ; c'eſt l'aliment qui le
flatre le plus ; mais l'obligation de s'en
tenir à celui-là l'en dégoûte , & il meurt .
Il y a de l'eſprit & de la gaïté dans ce
roman ; mais des digreſſions trop longues
, & trop de prétentions à la philofophie.
i
AVRIL. 1770. 123
OEuvres de Regnard , nouvelle édition ,
revue, exactement corrigée ,& conforme
à la repréſentation. AParis , chez
les libraires aſſociés ; 4vol. in 12 .
Cette nouvelle édition des oeuvres de
Regnard eſt , ſans contredit , la plus exacte
, la plus foignée & la plus complette
que nous ayons ; l'éditeur a examiné toutes
les éditions anciennes & modernes ,
& les a comparées avec les manufcrits
confervés dans le dépôt de la comédie ;
ce travail pénible l'a mis en état, de faire
des corrections importantes &des changemens
qui rendent cette édition bien
différente des précédentes. Nous n'entrerons
dans aucun détail ſur les pièces de
Regnard, elles font appréciées depuis
long-tems; la gaïté qui le diftingue , &
dont, perſonne n'a approché depuis , l'a
place immediatement après Moliere; &
fi ce pere de la comédie françoife n'a
point encore fon fuccefleur , Regnard at
tend auffi le ſien.
22
Les libraires afſociés ſe difpofent à don
her une magnifique édition in - 8°. des
oeuvres de Regnard; elles feront accompagnées
de notes hiſtoriques & critiques ,
auxquelles travaille un homme de lettres
Fij !
124 MERCURE DE FRANCE .
qui joint à des talens diftingués une connoillance
profonde du théâtre dont il a
faitune étude particuliere ; il prépare aufli
un commentaire pour une belle édition
des oeuvres de Crebillon .
La Pogonotomie ou l'art d'apprendre àſe
rafer foi même , avec la maniere de connoître
toutes fortes de pierres propres
à affiler tous les outils ou instrumens ,
& les moyens de préparer les cuirs pour
repaſſer les rafoirs , &la maniere d'en
faire de très-bons , ſuivi d'une obſer-
•vation importante ſur la ſaignée ; par
J. J. Perrel , maître & marchand coutelier
, ancien juré- garde. AParis,chez
Dufour , libraire , rue de la vieille Draperie
, vis -à - visl'égliſe Sainte-Croix ,
au bon Pasteur , in- 12 .
Le titre de cet ouvrage en indique
l'objet ; l'auteur , dans une préface de 24
pages , s'étend ſur ſon utilité; ce n'eſt
qu'en tremblant qu'il entre dans une carriere
où tant de ſavans ſe ſont diftingués ;
il n'aſpire pas à la gloire d'être auteur ; il
ſe borne à celle d'être utile à ſes concitoyens
; il s'attache à leur découvrir tout
ce que de longues expériences lui ont appris
dans l'art important de ſe raſer ſoiAVRIL.
1770. 125
même. Cette opération eſt devenue indiſpenſable
; toutes les nations ſe raſent
à l'exception de quelques-unes qui croiroient
ſe deshonorer en fe privant de leurs
barbes. « Il eſt ſurprenant , ajoute l'au-
» teurr , que parmi une foule innombra-
>>ble de volumes qui honorent notre lit-
>> térature , ainſi que dans toutes celles de
>> l'univers , on ne trouve pas une ſimple
>> brochure qui enſeigne à l'homme les
>>principes pour commencer dans ſa jeu-
>>neffe , une opération qu'il eſt obligé par
>>la ſuite de répéter pluſieurs fois la ſe-
>> maine. >> Graces à M. Perrel , cette furpriſe
va ceffer ; ſon livre eſt le premier
qui traite de cet art.
Traité de l'usure & des intérêts. A Cologne
; & ſe trouve à Paris , chez Valatla-
Chapelle , libraire , au palais ſur le
perronde la Ste Chapelle , in- 12 . Prix
2liv.broch.
On ne connoît point l'auteur de cet
ouvrage ; il eſt , dit-on , d'un eccléſiaſtique
très - inſtruit qui le confia à un négociant
à qui l'on avoit donné des ſcrupules
ſur la queſtion des intérêts ; à la mort
de ce négociant on a trouvé la copie de
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ce traité parmi ſes papiers; il eſtdiviſé en
trois parties , l'une traite du prêt & de
l'uſure , l'autre , des titres ſurajoutés au
prêt qui peuvent autorifer à retirer des
intérêts , & la derniere , des contrats différens
du prêt qui peuvent auſſi donner
lieu à des intérêts légitimes. L'auteur définit
l'uſure un intérêt exigé uniquement
par la force & en vertu du prêt ; mais il y
ades circonstances qui ſe joignent au prêt
&qui rendent les intérêts légitimes ; ce
font ces circonstances que l'on s'attache à
développer. L'auteur a montré d'une maniere
très - claire & très - fatisfaiſante le
point fixe où l'intérêt eſt ou n'eſt pas ufuraire.
Nouveau Traité des Vapeurs , ou Traité
des maladies des Nerfs, dans lequel on
développe les vrais principes des vapeurs
; par M. Preſſavin , gradué de
l'univerſité de Paris , membre du collége
royal de chirurgie de Lyon , &
démonstrateur en matiere medico chirurgicale.
A Lyon , chez la Veuve Reguilliat
, libraire , place de Louis- le-
Grand ; & à Paris , chez Des Ventes de
la Doué , rue St Jacques ; in 12.2 1. br.
Ce traité des maladies des nerfs eſt
AVRIL. 1770. 127
précédé de quelques recherches ſur les
vrais principes de l'animalité ; les principaux
organes ſont le coeur , le diaphragme
, le canal inteſtinal& le cerveau ; c'eſt
dans leur action réciproque que confifte
tout le jeu de la machine ; l'état parfait
de la ſanté réſide dans le juſte équilibre
de la réaction alternative de ces organes ;
dès que leur élaſticité eſt augmentée ou
diminuée , l'équilibre eſt rompu , & il
furvient néceſſairement un dérangement
dans l'économie animale proportionné à
l'intenſité de la cauſe ; M. Preſſavin entre
dans des détails intéreſſans & bien vus
fur ce ſujer , ils éclairciſſent ſes recherches
, & fervent de baſe à tout ce qu'il dit
de l'économie animale. Son traité lui
fournit l'occaſion de revenir ſouvent fur
fes principes &de multiplier les preuves
qui établiſſent ſon ſyſtème.
Recherches pratiques fur les différentes manieres
de traiter les maladies vénériennes;
par J. J. Gardane , docteur régent
de la faculté de médecine de Paris ,
médecin deMontpellier, cenſeur royal,
des ſociétés royales des ſciences de
Montpellier , de Nanci & de l'académie
de Marseille , avec cette épigra-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ےس
phe : Quoddamfecretumfibi venditant,
panaceis omnibus , omnibus balfamis
longè præftantiùs , addo unicum ,fingulare,
propè divinum , SILICET , CUM
RECTA RATIONE MEDERI , Naud.
de antiquit. & dignit. ſchol. med. Parifiens.
A Paris , chez Didot le jeune ,
quai des Auguſtins , in - 8° .
Cet ouvrage eſt le réſultat des obfervations
que M. Gardane a eu l'occaſion
de faire dans la pratique ; il a traité un
nombre conſidérable de perſonnes de tout
âge&de tout ſexe attaquées de cette maladie
dangereuſe , & malheureuſement
trop commune , qui eſt peut- être le déau
le plus funeſte à la population ; n'étant
prévenu pour aucun traitement particulier
, il a eu pluſieurs fois occaſion de les
employer ou de les voir employer tous .
La préparation du ſublimé corrofif lui a
paru procurer l'avantage pour lequel M.
Aftruc faifoitdes voeux ; c'eſt de trouver
un remede facile& fans frais qui foulageât
à coup fûr les gens du peuple hors
d'état de faire la dépenſe , & qui pût quelquefois
les guérir. Il faut lire l'ouvrage
de M. Gardane ; c'eſt celui d'un médecin
éclairé qui a beaucoup obſervé, & qui für
de ſes expériences , propoſe le moyen de
AVRIL. 1770. 129
les rendre utiles à ſes concitoyens en formant
un établiſſement qui ne coûtera rien
au gouvernement , & où le pauvre trouvera
au plus bas prix poſſible les ſecours
dont il aura beſoin .
Histoire moderne des Chinois , des Japonnois
, des Indiens , des Perfans , des
Turcs , des Ruffes , &c. pour fervir de
fuite à l'hiſtoire ancienne de M. Rollin
; continuée par M. Richer depuis
le 12 volume. A Paris , chez Saillant
&Nyon , libraires , rue Saint Jean de
Beauvais , vis à - vis le collége , & Defaint
, rue duFoin ; in- 12 . Tom XVII.
& XVIII . Prix 3 liv . reliés .
Ces deux volumes que nous annonçons
contiennent la ſuite de l'hiſtoire des Ruffes;
ils commencent aux voyages de Pierre
le Grand. Le législateur de la Ruffie
quitta ſon trône pour aller chercher dans
les différens royaumes de l'Europe les
ſciences& les arts qu'il vouloit tranſplanter
dans ſon pays ; il envoya pluſieurs ſeigneurs
ruſſes dans divers endroits,& leur
preſcrivit à chacun un genre d'étude ;
mais la plupart conſervant leurs anciens
préjugés qui leur faifoient regarder ces
Fv
30 MERCURE DE FRANCE.
voyages comme contraires aux loix & à
la religion , ne répondirent pas aux intentions
de.eur maître ; quelques - uns par
délicateſſe de conscience ne voulurent
rien apprendre ; il y en eut un qui , forcé
d'aller à Veniſe , n'eut rien de plus preffé
en arrivantdans cette ville que de louer
une chambre dans laquelle il s'enferma
pendant quatre années entieres ; de retour
àMofcou , il ſe fit une gloire de la conduite
qu'il avoit tenue.
Le Czar fut forcé d'interrompre fes
voyages & de revenir promptement dans
ſes états pour diffiper les troubles que ſa
foeury avoit excités ; il détruiſit la milice
redoutable des Strelitz qui ſouvent s'étoit
fait craindre des Czars , comme les
Janniſſaires des Sultans; il continua enfuite
ſes grands projets pour tirer ſon peuple
de la barbarie ; il attira les étrangers
en leur affurant des ſecours & la liberté
de leurs cultes ; le clergé ruſſe vit avec
douleur cette tolérance inconnue auparavant
dans la Ruſſie ; il voulut faire des
repréſentations à fon maître , & chargea
le prince Alexis de les porter à ſon pere.
Pierre leGrand crut que ſon fils confpiroit
contre ſa vie ; il ordonna à Menzikoff
de faire dreſſer un échaffaud ſur la
1
AVRIL. 1770. 131
place publique ,& qu'on y tranchât la tête
au jeune princeàl'entrée de la nuit. Quelque
ſecret qu'on apportât à l'exécution de
cet ordre , il tranſpira ; unjeune foldat ,
à peu près de l'âge &de la figure d'Alexis,
offrit de mourir à ſa place ; Menzikoff
conſentit à l'échange , &couvert des habits
du prince , le ſoldat fut exécuté ſous
les yeux du Czar même , qui regardoit ce
ſpectacle affreux d'une fenêtre de fon palais
, & qui ne doutoit point qu'il ne vit
tomber la tête de ſon fils; la nature ſe fit
enfin ſentir ; il gémit de ſa barbarie ; il
montra ſes regrets & ſes remords à Menzikoff
qui lui apprit alors ce qu'il avoit
fait , & qui reçut des récompenfes proportionnées
au ſervice qu'il avoit rendu
&à la reconnoiſſance du Czar.
Ce fut quelque tems après que Pierre
fit connoiffance avec la fameuſe Catherine;
elle avoit été élevée par M. Glack ,
miniſtre de la Livonie ; elle avoit paru
aimable aux yeux du fils de ſon bienfaiteur
, & n'avoit pas été inſenſible. Le
miniſtre qui s'apperçut de leur commerce,
la conduiſit à Marienbourg où elle
inſpira de l'amour à un foldat Suédois ,
qui l'épouſa ; trois jours après il la quitta
pour aller rejoindre l'armée de Suéde qui
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
paſſoit en Pologne. Marienbourg fur
bientôt affiégée par le général Baver ; M.
Glack alla dans fon camp pour faire la
capitulation ; il mena avec lui Catherine;
elle plut au général Ruſſe qui la retint.
Le prince Menzikoff qui , quelque tems
après , paſſa à Marienbourg , ne vit pas
Catherine ſans intérêt; il la demanda au
général Baver qui n'oſa pas la lui refuſer.
Pierre le Grand paſſant dans la Livonie
s'arrêta chez le prince Menzikoff ; Catherine
ne manqua pas de lui plaire auſſi.
« Charmé de la maniere dont elle répon-
>> dit à pluſieurs queſtions , il lui dit qu'il
>> falloit qu'elle portât le flambeau dans
>> ſa chambre lorſqu'il iroit ſe coucher ;
»elle exécuta ſes ordres & paffa la nuit
>> avec lui. Le lendemain , en partant , il
>> lui donna un ducat qui valoit 12 liv.
>> de France. Cette ſomme étoit modique
>>pour un fouverain ; mais il s'étoit fait
>> une loi de ne pas donner davantage à
» toutes les femmes qu'il voyoit en paf-
>> fant , & l'on affure que cette dépenſe
>> étoit conſidérable. »
<<Le Czar ne tarda pas àdemander Ca-
>> therine à Menzikoff; il l'épouſa dans
> la ſuite&la fit couronner impératrice;
•Catherine ſe montra digne du rang où
AVRIL. 1770. 133
>> lafortune l'avoitplacée; elle ſeconda fon
>> époux dans ſes projets , & remplit avec
>> grandeur le trône que Pierre le Grand
>> avoitoccupé.
Nous ne ſuivrons pas cette hiſtoire dans
tous ſes détails ; nous nous contenterons
de rapporter quelques traits ; on fait que
le Czar donnoit en tout l'exemple à ſes
ſujets; il vouloit que les grades & les
honneurs militaires ne s'obtinſſent que
par le ſervice; dans la ſeconde entrevue
qu'il eut avec Augufte il l'engagea à prendre
le commandement de fon armée &
de remplir deux places de colonel , qui
étoient vacantes ; Auguſte ſe fit nommer
les ſujets qu'on propoſoit ; c'étoient les
lieutenans- colonels Alexandre Menzikoff
& Pierre Alexiowitz ; Auguſte nomma
ſur le champ le premier , & dit qu'à l'égard
de l'autre , il n'étoit pas affez informé
de ſes ſervices ; il ſe fit ſolliciter pendant
cinq ou fix jours & le lieutenantcolonel
Pierre Alexiowitz fut enfin élevé
au grade ſupérieur. Si c'étoit là une comédie
, dit M. de Fontenelle , elle étoit
instructive , & méritoit d'êtrejouée devant
tous lesRois.
Cetrait en rappelle un autre : le prince
avoit fait conſtruire un vaiſſeau de so
134 MERCURE DE FRANCE.
piéces de canon; lorſqu'il fut achevé , il
endonna lecommandement à Mus , ha .
bile marin qu'il avoit amené de Sardam;
ce fut ſur ce vaiſſeau qu'il voulut paſſer
partous les emplois de la marine; ildemanda
à Mus quel étoit la derniere fonction
fur un vaiſſeau, il lui répondit que
c'étoit celle de mouſſe. Je t'en fervirai
donc aujourd'hui , s'écria Pierre. Ilmonta
auffi-tôt au haut du mât pour endétacher
une corde ; il alluma enſuite la pipe du
capitaine , & fit tout ce qu'on fait faire
ordinairement au dernier mouffe.
Catherine étoit faite pour les aventures
extraordinaires; en voici une dont l'hiftoire
n'offre point d'exemples ; le Czar
aimoit beaucoup Villebois ,gentilhomme
de la Baſſe Bretagne , qu'il avoit attaché
à ſon ſervice ; un jour que ce prince étoit
à Strelémoitz , maiſon de plaiſance fut la
baie de Petersbourg , il envoya Villebois -
à la Czarine qui étoit alors à Crouflor ; il
faiſoit un froid exceffif ; Villebois but
quelques verres d'eau de vie pour ſe rechauffer
pendant la route ; arrivé àCrouflot
il trouva tout le monde endormi. Il
paſſa dans une chambre où il y avoit un
poële &y reſta juſqu'à ce que la Czarine
fut éveillée. La chaleur jointe à l'eau de-
-
AVRIL. 1770. 135
vie qu'il avoit bue lui tourna la tête &
égara ſa raifon ; il aimoit aſſez à s'enivrer
, mais en faveur de ſes bonnes qualités
le Czar lui pardonnoit ce vice , & il
faiſoit auſſi tous ſes efforts pour s'en corriger
; il étoit dans cet état lorſque Catherine
ſe réveilla ; inſtruite que fon mari
lui envoyoit Villebois , elle le fit venir
dans ſa chambre ; ſes femmes ſe retirerent
; Villebois étoit trop troublé pour
ſe ſouvenir des ordres de ſon maître ;
il ne vit dans l'Impératrice qu'une belle
femme dans un lit; il la viola; l'effroi
faiſit cette princeſſe au point qu'elle
ne put crier ; revenue à elle - même ,
elle appela du ſecours , Villebois fut
arrêté &mis aux fers. Elle chargea un
officier d'aller annoncer au Czar cette
nouvelle & lui demander la punition du
coupable. Pierre aimoit la Czarine avec
paſſion ; il étoit même jaloux ; tout le
monde s'attendoit que Villebois périroit
dans les tourmens les plus affreux. Mais
l'eſtime& l'amitié que Pierre avoit conçues
pour lui firent taire tout autre ſentiment.
<<Au recir que lui fit l'officier des
>>gardes , il reſta d'abord interdit, ſe leva,
>> ſe promena quelques momens dans ſa
>> chambre en ſe frottant la tête ; ſe tour-
>> nant enſuite vers l'officier , il lui dit :
136 MERCURE DE FRANCE.
>> qu'eſt devenu Villebois ? On l'a lié ,
>> répondit l'officier , & on l'a mis en pri-
>> fon où il s'eſt endormi ſur le champ. Je
>> parie , reprit l'Empereur , qu'à fon re-
>> veil il ne faura pas pourquoi il eſt arrê-
>> té , & que quand on lui dira ce qu'il a
>> fait, il n'en voudra rien croire. Il garda
>> enſuite le filence , &continua à ſe pro-
» mener dans ſa chambre avec un air rê-
>>veur qui annonçoit plutôt le dépit que
>> la colere. Au bout de quelque tems il
>>dit : il faut cependant faire un exem-
>> ple , quoique cet animal foit innocent.
>> Qu'on le mette pour deux ans à la chaî
>> ne . » Villebois n'y reſta que ſix mois ,
l'Empereur le rappela auprès de lui &le
rétablit dans ſes dignités &dans ſa confiance.
Quelque tems après il le maria en
lui diſant : Jefais que vous avez besoin de
femme , & je vous en ai trouvé une qui
né vous déplaira pas .
M. Richer continue enfuite l'hiſtoire
des Ruſſes ſous les regnes de Pierre le
Grand , de Catherine , de Pierre II . Ce
fut fous ce prince que le célèbre Menzikoff
fut diſgracié; ſon ambition cauſa ſa
perte , & fes malheurs le rendirent philoſophe.
L'hiſtoire de ſon exil eſt trèsintéreſſante
; il fut reconnu à Tobolsk
par deux ſeigneurs Ruſſes qu'il y avoit
AVRIL. 1770. 137
fait exiler , & qui s'en vengerent en l'accablant
d'injures; il dit à l'un d'eux : « Tes
>>reproches font juſtes , je les ai mérités.
>>>Satisfais- toi , puiſque tu ne peux tirer
>> d'autre vengeance de moi dans l'état où
>>je ſuis. Je ne t'ai facrifié à ma politique
>> que parce que ta vertu& la roideur de
>> ton caractere me faiſoient ombrage. Se
>> tournant enſuite vers l'autre , il lui dit :
>> J'ignorois entierement que tu fuſſes en
>> ces lieux. Ne m'impute point ton mal-
>> heur; tu avois ſans doute quelques en-
» nemis auprèsde moi qui m'ont furpris,
» & ont obtenu l'ordre de ton exil. J'ai
>> ſouvent demandé pour quelle raiſon je
>> ne te voyois plus, on me faisoit des re-
>> ponſes vagues , & j'étois trop occupé
>> pour fonger aux affaires des particu-
» liers. Si tu crois cependant que les in-
>> jures puiſſent adoucir ton chagrin , tu
>> peux te fatisfaire.>>>
Cette hiſtoire des Ruſſes finità l'avenement
de Catherine II au trône. Nous en
connoiſſons peu de plus curieuſe &de plus
intéreſſante ; M. Richer a puiſé dans les
bonnes fources; il promet de donner enco.
re l'hiſtoire de l'Amérique qui formera
deux volumes ; on ne peut que l'exhorter
àne les pas faire attendre longtems.
I138 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE fur l'ouvrage de M. Baretti ,
inféré dans le ſecond volume du mois de
Janvier 1770 .
En rendant compte , Monfieur , dans le ſecond
volume du Mercure de Janvier de l'ouvrage de
M. Baretti ſur la naiſſance , les progrès & l'état
préſent du théâtre italien , vous avez très - bien
jugé la partie qui concerne M. Goldoni , en diſant
qu'il paroiſſoit qu'on devoit ſe défier des jugemens
de l'auteur , & qu'ils ſembloient dictés par
Thumeur plutôt que par la raifon. Je me flatte que
vousen ferez tout- à-fait convaincu par les éclairciſſemens
que je vais vous donner. L'eſtime & l'amitié
que j'ai vouées à M. Goldoni n'influeront
point fur mes réflexions ; je ne me permettrai que
celles que me fourniront naturellement les propres
paroles de M. Baretti & ſes déciſions ; je laifſerai
au lecteur le ſoin de les apprécier.
Ce fut en 1768 que l'original anglois me tomba
entre les mains; je me propoſai dès- lors ce que
j'exécute aujourd'hui. Depuis ce tems j'ai travaillé
àme procurer toutes les lumieres dont j'avois
beſoin. J'ai conſulté un homme auffi cèlèbre par
ſa profonde connoiſſance dans la littérature italienne
que ppaarr la riche bibliothèque qu'il poſléde
en ce genre , * & par l'affabilité avec laquelle il
* Cette précieuſe collection , qu'on pourroit
même dire unique, eſt compoſé d'environ 15 mille
volumes.
AVRIL. 1770. 139
offre les ſecours qu'on en peut tirer. A ce portrait
vous nommez M. Floncel ; fon nom fera le garant
des faits que j'avancerai . Mais avant que d'entrer
en matiere, il eſt à- propos de vous faire connoître
M. Baretti ; cette connoiſſance pourroit ſeule
fervir de réfutation .
M. Baretti * connu par ſon goût pour les voya
ges , après un premier léjour à Londres repafla en
Italie,& ſe fixa il y a cinq ou fix ans àVeniſe. Apeiney
fut-il arrivé qu'il y érigea un nouveau tribunal
, prit modeſtement le nom d'Aristarque ;
(étoit-ce là le mot ? ) & débuta par un ouvrage
périodique; intitulé : lafruſta letteraria ( le fouet
littéraire. ) Si vous étiez curieux de connoître ces
feuilles , vous les trouverez chez M. Floncel . Peutêtre
un'amuſerai -je quelque jour à vous en traduire
des extraits. Les meilleurs auteurs , anciens &
modernes , italiens & françois , tout a paflé par
ſes mains. Enfin la choſe alla ſi loin que le magiſtrat
de Veniſe crut devoir arrêter cette licence effrénée.
Lafruſta letteraria fut fupprimée , & l'auteur
retourna fans bruit à Londres pour y jouir
fans doute plus tranquillement de la liberté de la
preſſe , & pour ſe ſouſtraire prudemment à la
vengeance des fouettés. Ce ſimple expoſé me
paroîtroit plus que ſuffiſant pour décider le cas
qu'on doit faire des jugemens de M. Baretti ,
* Je ne ſais pourquoi , dans le nouveau voyage
d'Italie fait en 1765 & 1766 , M. Baretti eſt qualifiéde
comte JofephBaretti. Je nepense pas que
notreauteur ſe ſoit jamais arrogé ce titre,ou qu'on
le prodigue ainſi en Italie.
144 MERCURE DE FRANCE.
Voilà donc le principe de l'humeur & de l'acharnement
de M. Baretti contre M. Goldoni dé
couvert& bien établi : ſon goût décidé pour les
comédies de l'art , &ſon antipathie pour celles de
caractere écrites. Après tout il faut convenir qu'il
parle & qu'il agit conféquemment. Un homme
qui traite d'infipide la ſublime ſimplicité des anciens
tragiques , qui trouve ennuyeuse jusqu'au
dégoût la peinture fi noble & ſi variée des moeurs
grecques & romaines , qui ne reconnoît d'autres
chefs-d'oeuvre que les piéces où brillent les écarts
d'une imagination extravagante , la multiplicité
des incidens , la variété &la pompe des décorations
, qui n'aime enfin que les farces italiennes
doit être contre celui qui a eu la cruauté de l'en
priver ſi long-tems , & ſe croire tout permis pour
⚫s'envenger.
Cequ'il rapporte de la rencontre de MM. Goldoni
& Gozzi chez un libraire ,du défi qui a donné
l'être à la piéce des trois Oranges , eſt abſolument
faux. M. Goldoni a été très lié avec le
comteGalparo Gozzi * , il a toujours rendujultice
à fon mérite , & lui a même dédié une de ſes
pieces ; mais il connoît fort peu le comte Carlo
ſon frere , il ne lui a jamais parlé , ils ne ſe ſont
jamais rencontrés , en un mot il n'y a eu entr'eux
ni diſpure ni défi ; il en eſt de méme des aurres
anecdotes. Jugez quelle foi on peut ajouter à un
hommequi avance hardıment de pareilles fauffetés
,& fi ſa critique peut porter la moindre atteinte
àla réputation de M. Goldoni. Non fans doute,
endépit de tous les Baretti de l'univers , ſes com-
* Homme de lettres , auteur d'une tragédię
d'Electre.
patriotes
AVRIL. 1770 .
145
patriotes &les étrangers qui connoîtront ſes ouvrages
le regarderont toujours comme le reſtaurateur
de la bonne , de la vraie comédie en Italhe.
En effet ſans parler ici de ſa fécondité , de ſon
enjouement , de la force & de la vérité de ſes caracteres
, je ne crains point d'avancer qu'il eſt peu
d'auteurs à qui il le céde pour la facilité , l'agrément
, la fineffe , & fur- tout la préciſion du dialogue.
Que conclure donc , Monfieur , d'une critique
auſſi amere ? Qu'il y a par-tout des gens qui s'érigent
en Ariſtarques ; qui croient ne pouvoir ſe
faire un réputation qu'en déchirant celle des auteurs
les plus eſtimables ; qui , au lieu d'éclairer
les eſprits par une critique ſaine , impartiale &
honnête , & d'encourager les jeunes athletes qui
ſe préſentent ſur l'arêne , ne cherchent qu'à les
vexer , à les rebuter par leurs ſarcaſmes , & fe font
un mérite de les forcer à fortir de la lice.
Avant quede finir ma lettre , permettez - moi ,
Monfieur , quelques obſervations ſur les reproches
que vous faites à M. Goldoni ſur ſon ſtyle.
Vous lui reprochez d'abord d'avoir mêlé les dia- .
lectes. Le fait eſt vrai , mais est- ce un reproche à
faire à un italien ? Le Sr Baretti lui même ne nous
apprend il pas dans ſon ouvrage que Pantalon ,
Brighelle , doivent parler vénitien ; le Docteur
Bolonnois ; qu'il n'y a que les amoureux & les
ſoubrettes qui parlent toſcan ? Un auteur døit
écrire conformément au génie de ſa nation , &
pour en être entendu. Quoique le langage toſcan
ſoit ſans contredit le meilleur de l'Italie , il n'en
eſt pas moins vrai qu'il y a quantité de mots dont
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
on ſe lertà Florens , capitale de la Toſcane,que
lon n'entend pas dans le reſte de l'Italie. Une
preuvedecequej'avance , c'est que Faginoli , auteur
moderne qui a publié pluſieurs comédies eftimées
en langage purement Florentin , n'a été
goûté que dans laToſcane. Vous l'accuſez , en
ſecond lieu , d'avoir toscanisé des mots vénitiens.
Le reproche eſt plus grave , mais je ne fais ſi M.
Goldoni conviendra qu'il ſoit fondé. Cela me
paroît en effet affez difficile à croire. On voit que
M. Goldoni s'eſt nourri de la lecture des meilleurs
auteus ; il aen outre fait un ſéjour de cinq années
confécutives en Toſcane. Indépendamment
de ces avantages , il eſt certain que l'édition qu'il
a fait faire de ſes oeuvres à Florence en l'année
1753 , édition à laquelle toutes les autres ſe rapportent
, a été revue & corrigée par le docteur
Ricci , académicien de la Crufca , & l'un des plus
(çavans &des plus eſtimés de cette illuftre académie.
Eft- il probable que de pareils défauts ayent
échapé à la fagacité du réviſeur & d'un Florentin
encore , nation connue pour être ſi prévenue,
ajalouſe de la pureté &de la ſupériorité de ſon
.idôme? Pour moi , qui ne me pique point de poſféder
parfairement la langue italienne , tout ce
queje peux dire , c'eſt queje ne m'en fuis pas apperçu.
Il faut croire , s'il y en a , que le plaifir que
m'a donné la lecture des ouvrages de M. Goldoni ,
m'a fait paffer par- deffus.
AVRIL. 1770. 147
Abrégé chronologique de l'histoire de Fran.
ce , en vers techniques , avec leur explication
; à l'uſage des éléves de la penfion
de M. Bertaud , fauxb. St Honoré;
parM. Fortier . AParis, chez Moutard,
libraire , quai des Auguſtins ; & Barbou
, imprimeur-libraire , rue des Mathurins
, 1770 ; avec approb. & privil.
du Roi ; broch. in 8°. de 130 p. Prix ,
1 liv. 16 f.
L'auteur de cet ouvrage utile s'eſt propoſé
d'apprendre l'hiſtoire à la jeuneſſe,
en n'exigeant d'elle que de légers efforts
de mémoire , & de la fixer dans ſon efprit
, en y répandant l'agrément d'une
poëſie ſimple & facile. En 79 ſtrophes de
huit vers de ſept ſyllabes fur des airs
connus, il préſente les époques , les faits ,
les dates , les noms& les traits caractériſtiques
des perſonnages de l'hiſtoire de
France , depuis le commencement de la
monarchie juſqu'au regne de Louis XV.
Ces ſtrophes ſont ſuivies d'une explication
des faits que la préciſion de la poëſie
ne permettoit pas de développer. La bonté
de cette méthode a été conſtatée par
ſes ſuccès dans une des meilleures penſions
de Paris . On a composé à l'uſage de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
cette penſion divers autres ouvrages relatifs
à l'éducation de la jeuneſſe. S'ils répondent
à cet abrégé , ils ne pourront être
que très-agréables au public.
Traité de l'équilibré & du mouvement des
fluides ; par M. d'Alembert , de l'académie
françoiſe & de celle des ſciences
, &c. vol. in-4°. de près de 500 p .
nouvelle édition . AParis , chez Briaffon
, libraire , rue St Jacques .
L'auteur a fait quelques additions à cette
nouvelle édition ;& il a, de plus , indiqué
les endroits de ſes autres ouvrages où
il a traité des queſtions relatives à l'équilibre
& au mouvementdes fluides .
Eſſai mécanique , approuvé par l'académie
royale des ſciences , le 15 Mars
1769. Cet eſſai eſt accompagné d'un
Traité relatif à un mécanisme applicable
aux ouvrages de blafon ,
• lequel peut en faciliter , à peu de
frais , la réimpreſſion & le bon ordre ;
le tout compofé & exécuté par M. Montulay
de Bordeaux , graveur ſur tous
métaux , cour du Mai du Palais . A Paris
, de l'imprimerie de d'Houry , imprimeur-
libraire de Mgr le Duc d'Or-
1
AVRIL. 1770. 149
léans, rue de la Vieille Bouclerie, 1769;
avec approb . & privil . du Roi .
Cette méthode propoſée & exécutée
par M. Montulay , à l'uſage des graveurs
de blafon , conſiſte à compofer une
grande planche de cuivre de pluſieurs
planches plus petites , dont on peut changer
à volonté la diſpoſition. Ces tranſpofitions
exigent un chaſſis de cuivre dans
lequel les petites planches doivent être
exactement jointes & afſujetties , afin
qu'elles ne puiſſent avoir aucun mouvement
lorſqu'elles ſont en place ; c'eſt ce
queM. Montulay a exécuté d'une maniere
ſimple & ingénieuſe. Il eſt aiſé de fentir
que cette méthode peut être avantageule
aux graveurs de blafon , qui ſont
ſouvent dans le cas de tranſpoſer des armoiries
, ou même de les employer en
différentes fuites dans les nobiliaires généraux
ou particuliers. Cette mécanique
peut rendre la réimpreſſion de ces fortes
d'ouvrages plus facile & moins difpendieuſe.
Tel eſt le rapport de MM. les
Commiſſairesde l'académie qui peut ſeul
faire connoître ſuffisamment l'utilité de
cet eſſai mécanique.
Giij
15. MERCURE DE FRANCE.
Le Marchand de Smyrne , comédie en un
acte & en proſe ; par M. de Chamfort,
&c . A Paris , chez Delalain , libraire ,
rue & à côté de la comédie françoiſe .
Haſſan , jeune Turc, habitant de Smyrne,
ſe trouvant eſclave à Marſeille , a été
délivré par un Chrétien ,&depuis ce tems
il a épousé une femme qu'il adore & qui
ſe nomme Zaïde. En mémoire de ſa captivité&
de ſa délivrance il a fait voeu de
délivrer tous les ans un eſclave Chrétien .
Un Arménien fon voiſin en fait commerce.
Kaled , c'eſt le nom de ce marchand
, paroît avec ſes eſclaves. Nébi ,
qui lui a acheté un médecin Français ,
vient le ſommer de lui rendre ſon argent
oud'aller chez le cadi .
KALED.
« Comment ! qu'a- t'il donc fait ?
NÉBI.
>>Ce qu'il a fait. J'ai dans mon ferrail
>>une jeune Eſpagnole , actuellement ma
>> favorite; elle eſt incommodée. Savez-
>> vous ce qu'il lui a ordonné.
KALED .
» Ma foi , non .
AVRIL.
1770. 151
NÉBI.
>>>L'air natal. Cela ne m'arrange-t'il pas
>> bien , moi ?
Il ſe plaint d'avoir déjà été la dupe de
Kaled , qui lui a vendu un favant qui ne
ſavoit pas diſtinguer du maïs d'avec du
bled , &qui a fait perdre àNébi fix cens
ſequins en lui faiſant enſemencer ſa terre
ſuivant une nouvelle méthode d'Europe.
Il lui reproche encore de lui avoir
venduun généalogiſte. L'Arménien s'excuſe
ſur ce qu'il ne pouvoit pas deviner
que ceux qui coûtent le plus font les plus
inutiles. Excuſe de fripon , dit Nébi.
KALED .
>> Excuſe de fripon ! ne croit-il pas que
>> tout eſt profit ? Et les mauvais marchés
>> qui me ruinent ? N'ont-ils pas cent mé-
>>tiers où l'on ne comprend tien? Et quand
>>j'ai acheté ce baron Allemand , dont je
>> n'ai jamais pu me défaire, & qui eſt en-
>>core là dedans à manger mon pain ? Et
> ce riche Anglois qui voyageoit pour fon
>> ſplin , dontj'ai refuſé cinq censſequins
>> & qui s'eſt tué le lendemain àma vue &
>> m'a emporté mon argent ? cela ne fait-il
>>pas faigner le coeur ? Et ce docteur, com .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
>> me on l'appeloit , croyez vous qu'on
>>gagne là-deſſus ? &à la derniere foire
>> de Tunis n'ai-je pas eu la bêtiſe d'ache-
>> ter un procureur &trois abbés que je n'ai
>> pas ſeulementdaigné expoſer ſur la pla-
>> ce &qui font encore chez moi avec le
>> baron Allemand ? »
Enfin , il perſiſte à tenir le marché pour
bon , & Nébi le quitte pour aller chez le
cadi. Un vieil eſclave qui appartient à
Zaïde vient voir fi Kaled n'a pas de femmes
à vendre . C'eſt une ſurpriſe agréable
que Zaïde prépare à ſon mari , en délivrantde
ſon côté une eſclave chrétienne.
Le vieux Muſulman marchande Amélie,
que l'Arménien lui fait quatre cens ſequins.
C'est une Française , ça se vend
bien. Le marché ſe conclud. Dornal ,
jeune Français , amant d'Amélie & qui
devoit bientôt être ſon époux , ſe déſefpére
en ſe voyant enlever ce qu'il aime .
Il tente inutilement de fléchir le vieil efclave.
Il éclate en reproches contre la dureté
de Kaled qui trafique de ſes ſemblables.
KALED.
«Que veut - il donc dire ? Ne vendez-
>> vous pas des négres ? Eh ! bien , moi , je
AVRIL.
1770. 153
> vous vends. N'est- ce pas la même cho-
" ſe ? Il n'y a jamais que la différence du
>> blanc au noir. »
,
Haſſan arrive à ſon tour pour acquitter
fon voeu. Il interroge pluſieurs eſclaves
un gentilhomme Eſpagnol , un Jurifconfulte
de Padoue , un domeſtique Français
nommé André. Il ſe détermine en faveur
de ce dernier ; mais André le ſupplie de
réſerver plutôt ſes bienfaits pour Dornal
, fon maître & l'amant d'Amélie.
Dornal , accablé de ſa douleur,peut à peine
lever les yeux. Haffan le reconnoît.
C'eſt ſon libérateur. Ils volent dans les
bras l'un de l'autre . Haſſan lui fait ôter
fes fers & demande à Kaled à quel prix il
fixe la rançon de Dornal. A cinq cens fequins
, dit Kaled. Cinq cens ſequins ! re.
prend Haffan . Tenez , Kaled ; je ne marchande
point , mon ami ... Je vous dois
ma fortune ; car vous pouviez me la demander.
Que je fuis une grande bête ,
s'écrie l'Arménien ! Bonne leçon !
Hafſan délivre auſſi le généreux André.
Zaïde lui préſente l'eſclave chrétienne
qu'elle a achetée ; c'eſt Amélie qui retrouve
fon cher Dornal& qui lui eft rendue.
La piéce finit par une fête.
Il faut lire cette petite comédie , dont
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
un extrait ne fauroit donner une bien juſte
idée , parce qu'elle eſt ſemée de traits
heureux qui en rendent le dialogue trèsagréable
, & dont on ne peut rapporter
qu'un petit nombre . Le rôle de Kaled eſt
très - plaiſant , & a été fort bien joué par
M. Préville qui ſaiſit toujours avec beaucoup
de juſteſſe le caractere de tous ſes
rôles.
Almanach des Muſes. A Paris , chez Delalain
, rue & à côté de la comédie
françoiſe.
Cette collection ,qui devient auſſi utile
qu'agréable , a été commencée en 1765 .
On y trouve de très jolies piéces dans
tous les genres néceſſairement mêlées
avec d'autres fort médiocres . En voici
une de M. Dorat , qui a le mérite aſſez
rare de la préciſion &de la rapidité.
Oui , bien qu'au fiécle dix-huitiéme ,
J'ai des moeurs , j'oſe m'en vanter .
Je fais chérir & refpecter
La femme de l'ami qui m'aime.
Si ſa fille ade la beauté ,
C'eſt une roſe que j'envie ;
Mais la roſe eſt en ſûreté
Quand l'amitié me la confie.
AVRI L.
255 1770 .
: Après quelques foibles ſoupirs
Je me fais une jouiſlance
Du ſacrifice des defirs ,
Etne veux point que mes plaiſirs
Coûtentdes pleurs à l'innocence.
• :
M. le Prieur adreſſe à M. de Voltaire
des vers, dont pluſieurs font trop négligés&
dont les derniers font fort beaux.
De l'Homére françois reſpectons les vieux ans .
Auſſi fier , auſſi grand au boutde ſa carriere ,
Il fait entendre encor ſesfublimes accens
Qui , tant de fois , charmoient l'Europe entiere.
Fils des arts , ainſi qu'eux , il triomphe du tems.
Dévoré de chagrins , environné d'allarmes ,
Dela publique joie un critique attriſté
Vainement dans mes yeux voudroit tarir les larmes
,
Par un charme plus fort mon coeur eſt emporté.
Ces larmes ſontpour lui des larmes criminelles ;
Mes yeux pour le confondre en verſent de nouvelles.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
On admire en tout tems l'aſtre brillant des cieux .
On lebénit à fon aurore ;
Au milieu de ſon cours il marche égal aux dieux.
A fon coucher il nous étonne encore ,
Et fon dernier rayon nous fait baiſſer les yeux.
Aufſi fier , auſſi grand forme un ſens
fufpendu qui n'eſt point fini. Parler de
Jublimes accens après avoir parlé de carriere
, c'eft changer de métaphore. Environné
d'allarmes eſt une expreſſion beaucoup
trop grave pour un critique tel qu'il
eft ici dépeint. Afon déclin auroit été
plus noble & plus élégant qu'àfon coucher.
Voilà bien des fautes ; mais les derniers
vers réparent tout.
Un Abbé , auſſi aimable dans ſes ouvrages
que dans la ſociété , a fourni à ce
recueil une épître charmante contre la
raiſon & en faveur de la mode ; mais touves
deux ſe réuniront pour l'auteur.
Nous citerons encore ce couplet de M.
Dorat pour Mde. de Caffini .
Sur l'AIR : L'avez-vous vû mon bien-aimé ?
Tu veux des vers à l'amitié.
Enchanſon que lui dire ?
1
AVRIL. 1770. 157
C'eſt un ſentiment oublié
Dès qu'on te voit ſourire,
On n'a point d'amis à vingt ans .
Flore , Hébé , n'ont que des amans.
C'eſt aux zéphirs ,
C'eſt aux plaiſirs
A treffer ſa couronne.
Du printems goûtons les loisirs ,
Avant ceux de l'automne.
Un heureux haſard a fait tomber entre
nos mains la réponſe à ce coupler , faite
fur le champ & fur les mêmes rimes. Elle
eſt au moins auſſi jolie que les vers de
M. Dorat.
Je veux des vers pour l'amitié ,
L'Amour aura beau dire .
A ce ſentiment oublié
On me verra fourire .
Hélas ! j'ai bien plus de vingt ans ,
Je laiſſe à Flore les amans .
:
Que le zéphir ,
Queleplaifir
Lui treffe une couronne;
18 MERCURE DE FRANCE,
Dès mon printems , je veuxjouir
Des doux fruits de l'automne.
On a ſouvent célébré la beauté ; mais
il eſt rare qu'elle ait répondu avec autant
d'eſprit. き
Nous voudrions pouvoir faire mention
de tous les morceaux eſtimables ſemés
dans ce recueil ; mais celui qui nous a
paru le meilleur de tous , c'eſt une épître
adreſſée par un de nos plus éloquens écrivains
, à une femme diſtinguée par ſes
connoiſſances littéraires & fon amou
éclairé pour les arts autant que par ſes
graces perſonnelles , & qui étoit allée
prendre les eaux au Mont d'Or . Cette
piéce que les bornes d'un extrait ne nous
permettent pas de tranſcrire , a , par-deffus
preſque toutes les autres , l'avantage
d'être écrite également & foutenue d'un
bout à l'autre , qualité néceſſaireà ce genre
de poësie qui ne permet pas l'inégalité.
On excuſe des fautes dans un grand monument
d'architecture ; mais une boîte de
Germain ou d'Auguſte doit être finie.
Lucrèce , traduction nouvelle avec des notes
; par M. D. L. G. A Paris , chez
Bleuet , libraire , pont St Michel.
AVRIL. 1770. 159
Il manquoit à la littérature françoiſe
une bonne traduction de Lucréce. Nous
ne craignons point d'affirmerque celle que
nous annonçons ici , & qui parut il y a
environ un an , eſt reconnue , par les gens
de lettres , pour la meilleure qu'on ait
faite dans notre langue. Il eſt impoſſible
de ſe pénétrer davantage de la ſubſtance
de fon original que ne l'a fait le traducteur.
Il développe le ſyſtème de Lucréce
avec la plus grande clarté , & s'il reſte
quelque nuage , il ſe trouve diſſipé dans
des notes courtes & inftructives écrites
ſans verbiage & fans prétention , ce qui
n'eſt pas commun. Enun mot le traducteur
entend très bien le latin & s'exprime
en françois avec pureté , préciſion & élégance.
Nous ne citerons que l'invocation
pour en donner une idée; car il faut lire
l'ouvrage entier. Nous y joindrons une
partie de la traduction en vers de Hénaut,
qui eſtdevenue fort rare.
" Mere des Romains, charme des hom-
» mes & des dieux , ô Vénus ! O déeſſe
>> bienfaiſante !du haut de la voûte étoi-
>>lée tu répands la fécondité ſur les mers
>> qui portent les navires , ſur les terres
رد quidonnent les moiſſons. C'eſt par toi
>>que les animaux de toute eſpéce font
160 MERCURE DE FRANCE.
>> conçus & ouvrent leurs yeux à la lu-
>>miere. Tu parais & les vents s'enfuient;
>> les nuages font diffipés ; la terre dé-
>>ploie la varieté de fes tapis ; l'Océan
>> prend une face riante ; le ciel , devenu
>> ſerein , répand au loin la plus vive
>> ſplendeur.
» A peine le printems a ramené les
>>beaux jours , à peine le zéphir a re-
>> couvré fon haleine féconde , déjà les
>> habitans de l'air reffentent fon atteinte
> & ſe preſſent d'annoncer ton retour ;
>> auffi- tôt les troupeaux enflammés bon-
>> diſſent dans leurs pâturages & traver-
>> fent les fleuves rapides. Epris de tes
>> charmes , faifis de ton attrait , tous les
>> êtres vivans brûlent de te ſuivre par-
>> tout où tu les entraines. Enfin dans les
>> mers , fur les montagnes , au milieu des
>> fleuves impétueux , des bocages touffus,
>> des vertes campagnes , ta douce flamme
>> pénétre tous les coeurs , anime toutes
>> les eſpéces du defir de fe perpétuer.
>> Puiſque tu es l'unique fouveraine de la
>> nature , la créatrice des êtres , la ſource
>> des graces & du plaiſir , daigne , ô Vê-
>>>nus ! t'aſſocier à mon travail , &m'inf-
>> pirer ce poëme fur la nature. Je le con-
>> facre à ce Memmius que tu as orné en
.
AVRIL. 1770. 161
>> tout tems de tes dons les plus rares , &
>> qui nous eſt également cher à tous deux .
» C'eſt en ſa faveur que je te demande
>> pour mes vers un charme qui ne ſe fté-
>> triffe jamais .
> Cependant aſſoupis & fufpends ſur
>> la terre & l'onde les fureurs de la guer-
>> re. Toi ſeule peux faire goûter aux
>> mortels les douceurs de la paix . Du
>> ſein des allarmes , le dieu des batailles
" ſe rejette dans res bras . Là , retenu par
>> la bleſſure d'un amour éternel , les yeux
>>levés vers toi, la tête poſée ſur ton ſein,
" la bouche entr'ouverte , il repaît d'a-
>> mour ſes regards avides , & fon ame
>> reſte comme ſuſpendue à tes lévres .
> Dans ce moment d'ivreſſe où tes mem-
» bres ſacrés le ſoutiennent , ô déeſſe !
>> penchée tendrement ſur lui , abandon-
>> née à ſes embraſſemens , verſe dans ſon
>> ame la douce perfuafion & fois la puif-
>> ſante médiatrice de la paix. >>
Voici les vers de Hénaur .
Déeſſe , dont le ſang a formé nos ayeux ,
Toi , qui fais les plaiſirs des homines & des dieux ,
Qui , par un doux pouvoir regnant ſur tout le
monde ,
162 MERCURE DE FRANCE .
Rends & la mer peuplée & la terre féconde :
Je t'invoque , ô Vénus! ô mere de l'Amour !
C'eſt par toi qu'eſt conçu tout ce qui voit lejour.
Un ſeul de tes regards écarte les nuages ,
Chaſſe les aquilons , diſſipe les orages ,
Redonne un air riant àNeptune irrité,
Et répand dans les aits une vive clarté.
Dès le premier beau jour que ton aftre ramene ,
Les zéphirs font ſentir leur amoureuſe halcine ;
La terre orne ſon ſein de brillantes couleurs ,
Et l'air eſt parfumé du doux eſprit des fleurs.
On entend les oiſeaux frappés de ta puiſſance ,
Parmille fons laſcifs célébrer ta préſence .
Pour la belle génifle on voit les fiers taureaux
Oubondir dans laplaine ou traverſer les eaux.
Enfin les habitans des bois & des montagnes ,
Des fleuves& des mers & des vertes campagnes ,
Brûlant à ton aſpect d'amour &de defir ,
S'engagent à peupler par l'attrait du plaifir ;
Tant on aime à te ſuivre , & ce charmant empire
Qu'exerce la beauté ſur tour ce qui reſpire.
Donc puiſque la nature eſt toute ſous ta loi ,
Que riendans l'univers ne voit le jour ſans toi ,
Que fans toi rien n'eſt beau , rien n'aime& n'eſt
aimable ,
AVRIL. 17700 163
Vénus , deviens ma muſe & fois moi favorable ;
Je vais de l'univers étaler les fecrets ;
J'écris pour un héros comblé de tes bienfaits.
Memmius eut de toi les graces en partage .
Fais-les , en ſa faveur , briller dans cet ouvrage.
Cependant des mortels arrête les terreurs ;
Ecarte loinde nous la guerre & fes horreurs.
Tu peux tout mettre en paix & ſur mer & fur
terre;
Car , que no peux-tu point fur le dieu de la guerre?
Souvent ce dieu fi fier , vaincu par tes appas ,
Dépoſe ſa fierté pour languirdans tes bras.
Sa tête eſt ſur ton ſein nonchalamment penchée ,
Et l'amour tient ſon ame à ta bouche attachée.
Ses yeux étincelans errent ſur tonbeau corps ,
Et nourriſſent ſes feux en pillant tes tréſors .
Tant tu fais avec art bien placer tes careſſes ,
Allumer les deſirs , provoquer les tendreſſes .
Parle pour les Romains dans ces momens ſi doux ;
Nous demandons la paix , demande la pour nous .
&c. &c.
Anne Bell , hiſtoire anglaise ; par M. d'Arnaud.
A Paris , chez le Jai , libraire
د
164 MERCURE DE FRANCE.
rue St Jacques , au-deſſus de la rue des
Mathurins , au grand Corneille.
Cette hiſtoire , pleine de morale &
d'intérêt , & où l'auteur ſemble avoir accumulé
toutes les miſéres humaines
commence la ſeconde partie des Epreuves
du -Sentiment , que M. d'Arnaudfo
propoſe de completer bientôt. La beauté
des deſſins & des gravures répond aux talens
de l'écrivain & doit fatisfaire les
amateurs ..
LETTRE de M. Bret , du 1 Fev . 1770 .
UNE parité de nom m'expoſe , Monfieur, àdes
inconvéniens aflez conſidérables pour m'engager
à vous prier d'inférer cette lettre dans votre Journal.
:
Un jeune homme du Hainaut , qui s'appelle
Bret , comme moi , &dont je ne fuis ni le parent ,
ni l'allié , nile compatriote , ni l'ami , le fait un
jeu , dans la Champagne où il eſt actuellement relégué
par des ordres ſupérieurs , d'être né , comme
moi , dans la capitale de la Bourgogne , d'être le
fils de mon pere , d'être moi-même enfin. J'ai déjà
reçu pluſieurs avis de Reims & de Soiflons de cette
ſuppoſition peu permile.
Qu'il s'attribue tous mes foibles ouvrages , ce
n'eſt pas là ce qui doit m'inquiéter ; mais je le
AVRIL. 1770. 165
ſupplie du moins , s'il lit cette lettre ,de s'informer
quel étoit le pere qu'il ſe donne , en s'emparant
du mien ; & il apprendra que le fils d'un pareil
homme , conſidéré dans ſa province & par ſes
talens & par ſa probité , eſt fait pour defirer de
s'eſtimer lui- même & pour chercher ſon bonheur
dans l'eſtime de ſes amis .
Les auteursdu dernier nécrologe ont trouvé ſans
doute très- ingénieux & très -gai de citer dans l'éloge
de Mde Bontemps quelques vers du jeune
homme en queſtion ſans avertir qu'ils étoient d'un
autre que de moi . Il peut être humiliant d'avoir à
ſedéfendre de pareils vers ; mais j'avouerai que
je n'ai pas le courage de mon Menechme, qui s'approprie
mes minces productions , & qu'au contraire
je déſavoue toutes les ſiennes nées & à naître
; chacun a dans ce monde aſſez de ſes propres
iniquités . Je déclare donc que je n'ai ni fait , ni
lú , ni conmu Eliſe ou l'idée d'une honnête Femme;
les quatre Saifons , poëme en quatre chants ; l'Isle
des Fous , comédie lyrique ; les Bergers de Tivoli,
comédie que l'auteur affure en Champagne devoir
être jouée inceſſamment à Paris.
Si je n'avois eu à défendre que mon exiſtence
littéraire , Monfieur , je me ferois maintenu dans
la crainte que j'ai toujours eue de l'égoïſme ; mais
mon exiſtence civile a des droits plus facrés . C'eſt
elle que je cherche à protéger par la démarche
que je fais aujourd'hui. Que fais-je ſi le jeune poëte
de Maubeuge a , comme moi , dans la tête que
ce n'eſt pas tout de faire des vers , & qu'il faut encore
être honnête homme !
J'ai l'honneur d'être , &c .
BRET.
166 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT
En faveur de l'Ecole gratuite de Deffin ,
donné dans la galerie de la Reine aux
tuileries .
SII l'on peut dire avec raifon que les
muſes ſont ſoeurs & qu'elles ſe tiennent
par la main , c'eſt ſur- tout lorſqu'on les
voit s'empreffer à ſe donner des fecours
mutuels. Un établiſſement auſſi utile que
celui de l'école gratuite , ne pouvoit manquer
d'exciter les ſentimens les plus noblesdans
les coeurs qui en étoient ſuſceptibles
. Celui de M. Gaviniés fait éclater
dans cette circonſtance le zèle le plus généreux
, égalé par l'ardeur avec laquelle
les autres muſiciens répondent à ſes invitations
. Le mercredi , 14 Mars , ces artiftes
eſtimables ont employé pour la troifiéme
fois leurs talens au profit d'un art
qui leur eſt étranger.
Le concert a commencé par une ſymphonie
de M. Goffec. De grands effets
d'harmonie , une mélodie expreſſive &
AVRIL. 1770. 167
touchante , ont fait entendre avec un plai .
fir nouveau cette ouverture déjà exécutée
au dernier concert. Le Sr Himbault , jeune
élève de M. Gaviniés , a joué un concerto
de violon , dans lequel il a fait concevoir
les plus grandes eſpérances. M.
Janſſon a exécuté une fonate de violoncelle
, avez une perfection digne de la réputation
que ſes talens lui ont méritée.
M. Rault a fait entendre enfuite un concertode
flutte. Ses talens , dont ſa modeftie
ſeule peut ignorer la ſupériorité , doivent
le faire compter au nombre des plus
grands maîtres de cet inſtrument.
On a beaucoup applaudi M. Richer ,
fi univerſellement connu par le goût &
l'adreſle de fon chant; Mde Philidor dans
laquelle le public a découvert avec plaifir
des talens qu'il ignoroit. Une voix pleine
& fonore , & cependant intéreſſante, une
maniere de chanter légere & gracieuſe ,
une prononciation nette , articulée& fentie
, voilà ce que Mde Philidor a fait admirer
dans pluſieurs ariettes ; entr'autres
dans le ſuperbe monologue d'Ernelinde
qui , exécuté cette fois comme il a été
conçu , a paru mettre le ſceau du génie à
laréputation vainement conteſtée de fon
auteur. Le concert a fini par le même di-
1
168 MERCURE DE FRANCE.
夢
vertiſſement qui a été exécuté au dernier.
Les paroles & la muſique ſont de M. de
Chabanon , & répondent au zèle de cet
illuſtre amateur , qui conſacre ſes talens à
l'avancement& à l'intérêt des arts .
OPÉR A.
ON continue les repréſentations de
Zoroastre , tragédie importante par la
pompe & la variété du ſpectacle. On n'a
rien épargné pour le rendre magnifique
& pittoreſque. Le poëme , en général ,
pourroit être plus lyrique , plus intéreſſant
; mais la muſique du 4º acte ne peutêtre
plus fublime. C'eſt un des plus grands
efforts dugénie du célèbre Rameau. Chacundesprincipaux
acteurs s'efforceàl'envi
de faire valoirſon rôle. Celui d'Abramane
a été rendu avec énergie par M. Gélin ,
doublé avec ſuccès par M. Durand. M.
Muguet a auffi remplacé , avec applaudif.
fement , M. le Gros , toujours fûr luimême
d'être applaudi. Une indiſpoſition
avoit d'abord empêché Mlle Dubois de
chanter le rôle d'Erinice , qui fut parfaitement
bien rendu par Mile Duplan.
Mlle Dubois s'eſt depuis reſaiſie de ce
rôle ,
AVRIL. 1770. 169
rôle , & le public lui en a marqué fa fatisfaction.
Il n'en a pas moins témoigné
à Mlles Larrivée, Beaumenil & Rofalie ,
qui ont ſucceſſivement chanté le rôle de
la Princeſſe Amélite. Les balets forment
une partie conſidérable de cet opéra. On
fait que feuM. de Cahuſac avoit le talent
de bien amener les fêtes .
Chacun ſon lot ; nul n'a tout en partage.
Un pas de deux , danſé par Mlle Guimard
& M. Veſtris , contribue à faire
briller leurs talens . Celui de M. Gardel
ſe déploie avec éclat dans la chaconne du
dernier acte . Il ſuffit de citer les Diles
Heinel , Allard & Peflin ,MM. Lani &
Dauberval pour dire qu'ils ont réuni les
fuffrages du Public autant de fois qu'ils
ontparu.
Le balet des eſprits malfaifans , au 4 .
acte , a frappé par l'effet terribledes flambeaux
qui jettent des torrens de flamme ;
c'eſt une invention nouvelle que nous
croyons être du lycopodium ou fouffre
végétal , dont la pouſſiére s'embrâſe , s'éteint&
ſe rallume ſubitement en paſſant
par le feude l'eſpritde vin.
Parmilesriches décorations de cet opéra
, on a fur- tout admiré celle qui le ter
mine. Elle eſt de fer blanc peint & doré
IVol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
en partie ; mais où domine la couleur
d'argent. Elle repréſente un palais d'une
étendue immenfe , & dont la diſpoſition
eſtdu genre le plus noble& le plus neuf.
On a remis les jeudis , & quelquefois
les autres jours, le balet héroïque de Zais,
paroles & muſique des mêmes auteurs
que Zoroastre. Mlles Beaumefnil & Rofalie
ont chanté ſucceſſivement le rôle de
Zaïs avec le ſuccès qui réſulte du talent
animé par l'émulation. M. Tirot a rendu,
avec tout l'agrément & toute la ſenſibilité
de ſa voix , le rôle du Génie . On ne
ſe laſſe point de revoir le charmant pas
de deux tiré d'une ſcène de l'Oracle , &
exécuté par M. Gardel & Mlle Guimard.
Mlle Dervieux s'eſt eſſayée dans le genre
noble , & a été très-aplaudie dans un pas
danſé auparavant par Mlle Heinel . Mlle
Mion vient de reparoître fur ce théâtre ,
& a été accueillie d'une maniere à l'y
fixer.
C'eſt l'uſage, chaque année , de donner
trois repréſentations ſur ce théâtre en faveur
des acteurs . On vient de repréſenter
à ce ſujet l'opéra de Théſée , paroles de
Quinaut , muſique de Lully ; mais on y a
joint une foule d'airs de danſe pris dans
différens opéras & fupérieurement choifis
. La premiere repréſentation eut lieu
AVRIL. 1770. 171
le 10du mois dernier. Ce fut M. Larrivée
qui chanta le rôled'Egée. Celui de Théſée
fut exécuté par M.Pilotala place de M. Legros
, qui l'a chanté depuis. Le rôle d'Eglée
le fut par Mlle Arnoud , & celui de
Médée par Mlle Duplan. Les balets ont
été exécutés par les principaux danſeurs.
C'eſt dire , qu'à tous égards , ces trois repréſentations
ont été vues avec un grand
concours de ſpectateurs & avec beaucoup
d'applaudiſſement.
COMÉDIE FRANÇOISE.
On a fait reparoître fur cethéâtre les
Scythes , tragédie de M. de Voltaire.
Mde Veſtris a été juſtement applaudie
dans le rôle d'Obéïde , qu'elle a rendu
avec beaucoup d'énergie & de vérité. Elle
a fait ſentir fur- tout les beautés fortes du
5. acte . Les connoiffeurs ont retrouvé
avec plaiſir dans beaucoup d'endroits de
cet ouvrage , composé à ſoixante- quinze
ans , la maniere riche & brillante du fucceffeur&
du rival de Racine .
Ce n'eſt plus Obéïde , à la cour adorée ,
D'eſclaves couronnés à toute heure entourée.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Tous ces grands de la Perfe , àma porte rampans ,
Ne viennentplus flatter l'orgueil de mes beauxans.
D'un peuple induſtrieux les talens mercenaires ,
De mon goût dédaigneux ne ſont plus tributaires.
&c. &c.
De pareils vers , pleins d'harmonie ,
de naturel & d'élégance flattent les oreil
les exercées &délicates qui ne peuvent ſe
faire à la tournure pénible & forcée de
preſque toutes nos piéces modernes dont
le défaut le plus général & le plus inexcuſable
eſt une éternelle déclamation ,
qui eſt précisément l'opposé de la nature .
La rhétorique tue la tragédie , & l'on ne
peut trop répéter que le naturel eſt le plus
grand charme des beaux arts.
On a admiré ſur- tout le contraſte heureuſement
tracé dans la ſcène du 4. acte
entre Athamare & Indatire , & la confidence
des deux vieillards au premier.
Les comediens François ont encore
donné une repréſentation de Cinna. M.
Brizard a paru ſe ſurpaſſer dans le rôle
d'Auguſte , l'un de ceux qu'il joue ordinairement
avec le plus d'expreffion & de
nobleffe.
On revoit toujours avec plaiſir laGouvernante
que l'on joue très- ſouvent. M.
Molé a bien ſaiſi le caractere du jeune
AVRIL. 1770. 173
Sainville : & le rôle d'Angélique , l'un
des plus aimables qu'ait tracés la Chauf- .
ſée , s'embellit encore des graces naïves
de Mlle Doligni .
Parmi les nouveautés qu'on a revues fur
ce théâtre il faut compter Béverlei , qui a
été applaudi avec tranſport & redemandé
avec acclamation.
COMÉDIE ITALIENNE .
SILVAIN , comédie nouvelle en un acte ,
repréſentée , pour la premiere fois , le
lundi 19 Février 1770 .
SIILLVVAAIINN a renoncé à tous les avantages
qu'une naiſſance illuſtre , une fortune
conſidérable pouvoient lui procurer pour
s'unir à une femme dont l'état& les biens
ne répondoient point aux vues de fa famille
. Deshérité , banni par ſon pere , il
s'eſt retiré dans une chaumiere , & le travail
de ſes mains a nourri pendant 15
ans l'épouſe tendre & vertueuſe à laquelle
il a tout facrifié . Deux filles font les fruits
de cette union que les malheurs & l'indigence
n'ont pu troubler ; l'aînée ſe nomme
Pauline , & fon pere eſt prêt à l'unir
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
à Baſile,jeune homme digne de ſon choix .
Silvain fatisfait , par ce mariage , le penchant
de fa fille & la reconnoiffance qu'il
doit aux généreux parens de Bafile qui
l'ont aidé de leurs foins,lorſque ſes mains
n'étoient point encore endurcies au travail.
Il fort de chez lui pour aller chaffer
pour le repas ; mais ſa chere Helene, habituée
depuis long - tems à lire dans ſon
coeur , connoît aiſément qu'il eſt ſurchargé
de quelque peine qu'il veut lui cacher;
elle le preſſe, il ſe rend& lui apprend que
fon pere eſt celui qui vient d'acheter la
terre dans laquelle ils ſe font retirés . Le
jour même il doit venir en prendre pofſeſſion
avec ſon autre fils , jeune homme
arrogant& dont la jeuneſſe fougueuſe fait
le malheur des vieux ans de ce malheureux
pere. Cet événement imprévu obligera
Silvain d'abandonner ſa retraite &
de fuir ailleurs ; mais il engage ſa chere
Helene à renfermer ce ſecret dans ſon
coeur , afin de ne pas affliger leurs amisau
momentde la fête.
Lorſqu'il eſt parti , Helene donne à
Pauline les conſeils qu'une mere ſage doit
offrir à une fille prête à s'engager dans les
noeuds du mariage ; cette leçon eſt égaïée
par les naïvetés deLucette qui la rendent
AVRIL. 1770. 175
encore plus intéreſſante. Baſile arrive avec
toute la joie d'un amant qui va poſſéder
l'objet de ſes amours ; mais le retour fubit
de Silvain change les plaiſirs en allarmes.
Il eſt pourſuivi par les gardes du
ſeigneur qui a interdit la chaſſe qui étoit
permiſe par ſon prédéceſſeur. Ils veulent
déſarmer Silvain. Bafile ſe ſaiſit d'une
hache ; ils les contiennent , & les femmes
qui ſe jettent entr'eux ſont dans les tranfes
les plus terribles , lorſque le frere de
Silvain arrive & les congédie. Il traite
avec hauteur ſon frere,qu'ilne connoît pas
&qui lui répond avec fierté ſans ſe déceler
; mais le malheureux Silvain eſt accablé
de la menace que ſon frere lui fait
de le faire punir par ſon pere. Cette ſituation
eſt théâtrale. Le jeune homme fort .
Silvain éloigne Baſile & fes fils pour ſe
livrer avec ſa femme aux juſtes allarmes
que leur cauſe l'arrivée de ſon pere . Il
eſpére que les charmes & les vertus de
ſon épouſe pourront l'attendrir lorſque ſa
préſence ne feroit que l'irriter , & il fort :
nouvelles allarmes d'Helene en attendant
ce pere redoutable. Ses filles, que Silvain
envoie pour la feconder , arrivent & fe
difpofent , ainſi qu'elle , à ne rien oublier
pour adoucir le juge de leur pere ſans fa
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
voir que leur fort à elles -mêmes dépend
de ſa clémence. Il arrive : les premieres
paroles d'Helene lui font juger qu'elle
n'eſt point née ce qu'elle paroît. Elle en
convient & la colere de ce bon vieillard
faitbientôt place à la curioſité qu'il a d'apprendre
quels malheurs l'ont réduite en
cet état. Elle évite de les lui découvrir ;
mais elle lui fait une peinture ſi touchante
de leur ſituation préſente , qu'il ſe ſent
ému juſqu'au fond du coeur , & promet
de les aider de ſes ſecours . Helene & fes
filles tombent à ſes genoux ; il les releve
avec bonté & ordonne à la mere d'aller
chercher ſon époux. Elle y va en tremblant
, & laiſſe ſon beau - pere avec ſes
filles qui achevent de l'attendrir. Leurs
careſſes naïves& touchantes le pénétrent
du ſentiment le plus doux. Il les embraſſe
dans l'excès de ſenſibilité qu'elles lui font
éprouver. En ce moment Silvain tombe
à ſes genoux ; Helene s'y jette auſſi . Leur
repentir touche aisément un coeur ému
par tant de ſecouſſes douces & attendriffantes
. Il leur pardonne & conſent même
au mariage de ſa petite fille avec le jeune
Baſile qui , par ſes vertus & fa généroſité,
s'eſt rendu digne de cette alliance qui ne
bleſle que les préjugés & que d'Olman
justifie par cette maxime reſpectable .
AVRIL. 1770. 177
Il est bonde montrer quelquefois
Que la ſimple vertu tient lieu de la naiſſance.
Cette piéce , intéreſſante juſqu'aux larmes
, eſt de M. Marmontel , de l'académie
françoiſe . C'eſt un grand avantage
pour le théâtre italien qu'un auteur de
cette diſtinction veuille bien y conſacrer
ſes talens,fur-tout lorſqu'ils feront unis à
ceux de M. Grétry , dont la muſique toujours
noble , pathétique & théâtrale ne
manque jamais d'ajouter aux paroles qu'il
anime,& au ſens qu'elles renferment.C'eſt
ſouvent une grande affaire pour un artiſte
célèbre que de foutenir une réputation
brillante ; celui- ci ajoute chaque jour à la
ſienne par autant de ſuccès que de productions
.
Les acteurs n'ont pas moins contribué
à celuide cette comédie dont ils partagent
les applaudiſſemens. Mde Laruette &M.
Cailleau ont mis dans leurs rôles tout
l'intérêtdont ils ſont ſuſceptibles. M. Suin
a joué celui du vieillard d'une maniere à
prouver que ſes talens feront très - utiles
dans les rôles nobles & intéreſſans . Mde
Trial , ſi juſtement aimée du Public , a
reçu de nouveaux applaudiſſemens dans
le rôle d'Hélene. Mlle Beaupré ajoué ce-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
lui de Lucette avec une naïveté charmante
; & M. Clairval , cet acteur qui fait
embellir également les rôles les plus oppoſés
, a mis dans celui de Baſile beaucoup
plus d'intérêt qu'il ne paroiſſoit fufceptible
d'en procurer.
On a donné ſur le même théâtre , le
mardi 13 Mars , la premiere repréſentation
du Cabriolet volant , canevas en 4
actes , dont nous parlerons dans le volume
prochain , ainſi que des débuts de Mile
Reiter , qui les continue avec applaudiffement.
A Mde Rofambert , qui a débuté avec
fuccès à la comédie italienne , dans le
Peintre amoureux defon modèle.
DEPUIS long-tteemmss& l'art & la nature
Etoient l'un de l'autre ennemis ;
Les talens , les plaiſirs qui leur font réunis ,
Tout ſouffroit de cette rupture.
La nature accuſoit ſon rival orgueilleux
De trop de luxe & d'impoſture .
L'art vouloit à ſon tour que , pour nous plaire
mieux ,
:
AVRIL.
179 1770 .
La nature , moins ſimple , employant la parure ,
De Vénus même empruntât la ceinture ;
Sous des ornemens précieux
La beauté n'en est pas moins pure.
Duni * parut , ce moderne Linus ,
Qui prete aux paſſions les tons de l'harmonie ,
Et par une aimable magie
Tient à ſes doux accens tous les coeurs ſuſpendus ;
A la voix dépoſant leur haine ,
L'art & la nature à l'inſtant
Sont ferrés d'une étroite chaîne .
Les deux rivaux qu'enflamme un même ſentiment
Ne connoiſſent plus de partage ,
Et de l'accord de ce couple charmant ,
Roſambert fut l'heureux ouvrage.
* M. Duni a formé les talens de Mde Roſambert.
Par M. d'Arnaud.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Vers adreſſfés à M. de la Harpe , après
une lecture de Mélanie.
Pour la fixieme fois , en pleurant Mélanie ,
Mon admiration ſe mêle à ma douleur.
Ton drame ſi touchant , tes vers pleins d'harmonie
Retentiſlent encor dans le fonddemon coeur.
Pourſuis ta brillante carriere ;
Appelé par la gloire on t'y verra voler.
Tu nous conſoleras quelque jour de Voltaire ,
Si quelqu'un cependant nous en peut conſoler.
Par M. Saurin , de l'Acad. françoise.
RÉPONSE faite fur le champ.
Votre ſuffrage eſt cher à ma muſe , àmon coeur.
Plaire à Thémire * , à vous , eſt mon bonheur
(uprême ,
Et mon eſpoir le plus flatteur
Eſt de vous égaler vous-même.
*Mde Saurin.
AVRIL. 1770. 181
ACADÉMIES.
I.
Séance publique de l'Académie de Chalons-
fur- Marne.
L'ACADÉMIE de Châlons - fur - Marne
tint ſa féance publique , le 20 de Décembre
dernier , en préſence de M. l'Evêque
Comte de Châlons, pair de France .
M. Sabbathier , ſecrétaire perpétuel , fir
l'ouverture de la féance par la lecture de
l'éloge hiſtorique de M. Billet , écuyer ,
préſident tréſorier de France , ſeigneur de
la Pagerie , Moncets & autres lieux , mort
le 24 Mai 1768. Comme académicien
M. Billet avoit fourni un grand nombre
de mémoires qui ont tous pour objet l'agronomie.
La plupart de ces mémoires
font d'autant plus précieux , qu'ils font
fondés ſur dès expériences faites parM.
Billet même. On trouve une analyſe de
chaque mémoire dans la premiere partie
de fon éloge. Ses qualités patriotiques
font expoſées dans la ſeconde partie. Les
malheurs d'autrui , & furtout ceux des
habitans de Champagne, faifoient fur lui
182 MERCURE DE FRANCE.
Ia plus forte impreſſion. Il en donna de
grandes preuves en 1757 , au ſujet d'un
incendie arrivé dans un village à quelques
lieues de Châlons . Le miniſtere , informé
du zèle qu'il avoit montré dans
cette circonſtance , lui en fit des remercîmens.
M. Sabbathier lut encore un diſcours
qui doit ſervir de préface à un ouvrage
intitulé , les moeurs , coûtumes & usages
des anciens Peuples , pourfervir à l'éducation
de la jeuneſſe. Après avoir tracé un
portrait frappant des moeurs anciennes il
expoſe le plan de fon ouvrage , & la maniere
dont il l'a traité. Cet ouvrage ſera
bientôt rendu public.
M. Navier , docteur médecin , chancelier
de l'académie & correſpondant de
celle des ſciences , fit enſuite lecture d'un
mémoire fur les attentions qu'exige l'ufage
du petit lait , & fur les moyens d'en
rendre la préparation facile , utile & peu
coûteuſe pour les pauvres.
M. Navier ſe propoſe de ſuivre ſes recherches
ſur toutes les productions laiteufes
,&d'en faire un ouvrage ſuivi , auquel
il paroît avoir commencé de travailler il
yaquelque tems.
M. Rouffel , curé de la paroiſſe de St
AVRIL. 1770. 183
Germain de Châlons , lut auſſi un difcours
ſur l'amour de la patrie : il regarde
le vrai patriotifme comme un mouvement
inſpiré par la nature , reglé par la
raiſon , ennobli par la vertu , & par conſéquent
inféparable de l'amour du bien
public. C'eſt ſous ce point de vue qu'il
conſidére , dans la premiere partie de fon
diſcours , les avantages de l'amour de la
patrie , & qu'il eſſaie dans la ſeconde de
chercher les cauſes qui l'affoibliſſent parmi
nous. Il rapporte à l'amour de la patrie
la gloire des anciens Grecs & des anciens
Romains , la manutention des loix,
la perfection des arts & des ſciences, Il
attribue l'affoibliſſement de l'amour patriotique
à l'amour exceſſif des plaiſirs &
de la frivolité , & dans une monarchie
chrétienne au relâchement des liens de la
religion.
M. l'abbé de Malvaux , grand vicaire
&directeur de l'académie , lut enſuite un
mémoire fur les moyens de conduire à
Châlons la riviere de Moivre , qui ſe jette
dans la Marne , à quatre lieues au-defſus
de la ville. Les avantages qui en reſulteroient
pour les habitans ſont démontrés
dans ce mémoire .
M. Grignon , maître de forges & cor
184 MERCURE DE FRANCE.
reſpondant de l'académie des ſciences ;
termina la ſéance par la lecture d'un autre
mémoire fur la néceſſité & la facilité de
rétablir la navigation ſur la riviere de
Marne , depuis St Dizier , en remontant
vers ſa ſource , juſqu'à Joinville.
M.Grignon prouve que la riviere de
Marne a été déjà navigable depuis Joinville
, & au - deſſus , juſqu'à St Dizier ;
1 °. Par le témoignage d'hommes vivans
qui ont tranſporté les fers dans des batelets
, & c'étoit le ſeul moyen employé
pour conduire les fers de Joinville à St
Dizier avant que la route fût ouverte ;
2°. Par des monumens exiſtans conſtruits
pour la navigation ; 3°. Enfin , par des
traits d'hiſtoire authentiques. Il tire delà
des inductions pour montrer combien il
feroit facile de rétablir la navigation dans
cette partie de la Marne ;.& il fait voir
que la dépenſe des ouvrages néceffaires
pour cet effet n'excéderoit pas celle que
l'on fait en une année pour le charrois.
I I.
Ecole Vétérinaire.
१
Mardi , 13 Mars , il y eut à l'Ecole
royalé vétérinaire de Paris , un concours
AVRIL. 1770. 185
dontl'objet fut l'examen & la démonftration
des os du cheval , conſidérés en général
& en particulier.
M. Bertin , miniſtre & ſecrétaired'étar,
préſida à cette ſéance qui fut honorée de
la préſence d'un nombre confidérable de
perſonnes du premier rang.
Les élèves qui furent entendus , font ,
les Srs Rigogne , maréchal des logis du
régiment de Languedoc ; Lombard , de la
province de Champagne , entretenu par
M. le comte de Brienne ; Mangienne ,
dragon du régiment d'Orléans ; duTronc,
de la province de Normandie , entretenu
par M. de Meulan ; Drigon , maréchal
des logis du Colonel-Général Dragons ;
Barriere , de la province de Beauce , entretenu
par M. Thiroux, maître des requêtes
; Belval , cavalier du Colonel Général
; Lefévre Cadet , de la province de
Normandie , entretenu par M. de Brige ;
Taillard , cavalier du régiment Royal-
Lorraine ; Dufour , dragon du régiment
de Damas ; Hugé, carabinier du régiment
du Roi ; Villaut , carabinier du régiment
Royal ; Chardin , cavalier de Royal Etran
ger; Bravi cadet de la ville de Montargis
, entretenu par M. l'intendant d'Orléans
; Miquel , dragon de Beaufremont;
186 MERCURE DE FRANCE.
Vaugien , de la province de Lorraine, entretenu
par M. l'intendant de cette généralité
; Girardin , brigadier du Meſtre de
Camp-Général-Dragons ; Huſard, de Paris
, entretenu par ſon pere; Danin , cavalier
du régiment de Noailles ; Maranger
, de la province de Champagne , entretenu
par M. l'intendant ; du Cardonnel
, carabinier de Royal Rouffillon ; Cante
, de la province de Poitou , entretenu
par M. l'intendant ; Schmitz , huffard de
Bercheny ; Lafond,du Berry , entretenu à
fes frais.
Le Sr la Cueille , de la province de
Périgord , entretenu par M. l'abbé Bertin ,
& l'un des chefs de Brigade qui ont concouru
à l'inſtruction de tous ces élèves ,
eut l'honneur de les préſenter à l'affemblée&
de la prévenir ſur la néceſſité dans
laquelle on feroit d'indiquer un ſecond
concours ſur le même objet , attendu le
nombre conſidérable des élèves qui auroient
été en état de paroître dans celuici.
La capacité de tous ceux qui ſe ſont
montrés ne pouvoit que jeter dans le plus
grand embarras les perſonnes qui avoient
à prononcer fur le plus ou le moins de mé.
rite des uns &des autres.
AVRIL. 1770. 187
Deces vingt-quatre élèves , dix ont tiré
le prix au fort , & neuf ont eu l'acceffit.
Ceux qui ont tiré le prix , font , les Sieuts
Rigogne , Belval , Drigon , Bravi , Dufour
, Hugé , Villaut , Mangienne , Lombard&
Girardin; le fort afavoriſé cedernier.
L'acceffit a été donné aux Srs Huſard ,
Chardin , Vaugien , Miquel , Lafond ,
Danin, Taillard & Schmitz .
ARTS.
GRAVURE.
I.
:
L'Accordée de village , eſtampe d'environ
24 pouces de large ſur 20 de haut, gravéed'après
le tableau original de M.
Greuze , peintre du Roi ; par J. J. Flipart
, graveur du Roi. Elle ſera en vente
le 18 Avril , à Paris , chez J. B. Greuze,
rue Pavée, la premiere porte cochere en
entrant par la rue St André des Arts .
Prix 16 liv.
CETTE nouvelle estampe nous repréſente
un des quatre âges de la vie que
188 MERCURE DE FRANCE .
M. Greuze ſe propoſe de mettre en action.
La mere bien-aimée careffée par ſes
enfans , nous offrira l'image de l'enfance ,
ou du premier âge. Le ſecond âge eſt déſigné
par l'Accordée de village , ou le
pere de famille qui marie une de ſes filles;
c'eſt le ſujet de l'eſtampe que nous
annonçons. Le troifiéme âge qui a été publié
, il y a environ trois ans , nous repréſente
les infirmités de la vie ou le paralytique
ſervi par ſes enfans. La ſcène pathétique
de la mort du pere de famille ,
regretté par ſes enfans , formera le quatriéme
& dernier âge. Le tableau original
de l'Accordée de village , a été vu au falon
de 1761 , & l'on crut dès lors qu'il
n'étoit pas poſſible au pinceau de s'élever
à une expreſſion plus vraie , plus naïve &
plus fine du ſentiment &des caracteres ;
mais M. Greuze , par les ouvrages qu'il
a faits depuis & par ceux qu'il prépare ,
ſemble nous prouver qu'un peintre qui a
une connoiſſance profonde de ſon art &
fait interroger la nature , peut toujours ſe
furpaſſer. Cet artiſte , dans fon Accordée
de village , a choiſi le moment que le pe.
re de famille , aſſis au milieu de ſes en .
fans , délivre à ſon gendre l'argent de la
dot. Ce vieillard , dont l'air &la phyfio
AVRIL. 1770 . 189
nomie annoncent la franchiſe & inſpirent
la confiance , ſemble exhorter ſon futur
gendre à faire un emploi utile de cet argent.
Le prétendu , debout devant lui ,
l'écoute avec une attention reſpectueuſe .
L'Accordée a un bras entrelacé dans celui
du jeune homme; fon autre bras eſt embraflé
par la mere aſſiſe vis-à-vis le vieillard.
L'expreffion la plus vive de la tendreſſe
maternelle ſe fait remarquer dans
cette bonne femme. Elle craint le moment
qui va la ſéparer de ſa chere fille ;
une petite foeur , penchée ſur l'épaule de
l'accordée exprime encore par ſes pleurs
la douleur de cette ſéparation , tandis
qu'une foeur aînée , placée derriere le
vieillard , regarde avec des yeux intrigués
le prétendu & fon accordée que le jeune
homme a préférée. Dans un des coins de
la ſcène un petit frere s'éleve ſur la pointe
des pieds. Il voudroit bien voir une
cérémonie que la préſence du tabellion
lui fait juger très-curieuſe. Ce tabellion
a ce ton d'importance que les gens de
cette eſpéce affectent de donner à leur
•profeſſion . Après avoir examiné tous les
perſonnages de cette ſcène , on revient
encore à l'accordée qui , par l'élégance de
ſa taille , le charme de ſa phyſionomie ,
190 MERCURE DE FRANCE.
la modeſte contrainte avec laquelle elle
baiſſe les yeux vers ſa mere , nous rappelle
une de ces beautés naïves forties
des mains de la nature & qu'aucun artifice
n'a encore gâté. L'eſtampe eſt dédiée
à M. le marquis de Marigny. La gravure,
qui eſt de M. Flipart , annonce un artiſte
qui faitſurmonter les difficultés. Son burin
ade la couleur & de l'effet.
I I.
こ
Le Jugement de Paris , eſtampe d'environ
Is pouces de haut fur 20 de large ,
gravée d'après le tableau de Fr. Trevifani
. A Paris , chez Lacombe , libraire,
rue Chriftine ; & Vernet le jeune ,
marchand d'eſtampes , quai des Auguſtins
. Prix 3 liv.
Les Grecs , ſenſibles plus qu'aucun autre
peuple aux charmes de la beauté , lui
décernerent ſouvent des couronnes ; &
pour rendre ſon triomphe plus éclatant
fur le Mont Ida , lui donnerent pour rivales
la reine des dieux & la déeſſe des
ſciences & des arts .
Deformâ certant Venus , & cum Pallade Juno ;
Judicio Paridis vincit utramque Venus.
AVRI L. 1770.
191
>>>Sur Junon , ſur Pallas , Vénus a l'avantage.
•Quand la beauté ſourit , il faut lui rendre hom
>>mage. »
Treviſani , célèbre peintre de l'école de
Veniſe , n'ignoroit pas que ce ſujet , un
des plus rians de la mythologie , avoit
été traité en peinture bien des fois avant
lui. Il a cherché à le rendre neuf par les
attitudes variées & les expreſſions différentes
qu'il a données aux trois déeſſes.
Vénus laiſſe appercevoir ſur ſon viſage
cette douce fatisfaction qu'une beauté
éprouve en recevant l'hommage qui lui
eſt dû. La draperie légere qui couvre la
déeſſe laiſſe encore voir une partie des
charmes qui lui ont mérité le prix que lui
donne le berger Pâris. Pallas exprime le
dépit qu'elle a de cette préférence par un
ſigne menaçant ; & la ſuperbe Junon,déjà
montée ſur ſon char , cherche à ſe ſouftraire
aux yeux d'une rivale qui l'irrite.
On retrouve dans la gravure le pinceau
onctueux du peintre vénitien& la belle
harmonie qu'il ſçavoit donner à ſes tableaux.
La ſuite des eſtampesde la viede faint
Grégoire , dont nous avons déjà annoncé
les numéros 2 & 3 , eſt ſous preffe ; &
192 MERCURE DE FRANCE.
Lacombe , libraire , ſe propoſe d'ouvrir
une ſouſcription en faveur des amateurs.
qui defirent des épreuves choiſies .
III.
Troiſième & quatrième vues du Mein, deux
eſtampes en pendant d'environ 9 poucesde
haut fur 10 de large , gravées par
C. Guttemberg d'après les tableaux
originaux de F. E. Weiroter. A Paris ,
chez Wille , graveur du Roi , quai des
Auguſtins .
Cesjolies vues offrent des chaumieres,
pluſieurs barques ſur la riviere du Mein
&des lointains que M. Gottemberg a
rendus avec eſprit.
IV.
Maiſons de Pêcheurs à Saint Valery-fur-
Somme , & maiſons de Pécheurs à Abbeville
, deux eſtampes en pendant de
17 pouces de large ſur 12 de haut,gravées
parC. Levaſſeur , graveur du Roi,
d'après les tableaux de J. P. Hackert.
A Paris , chez l'auteur , rue des Mathurins
, vis- à- vis celle desMaçons.
Il y a une grande vérité de détails dans
ces
AVRII . 1770. 193
ces deux compoſitions , & la gravure en
eſt très-agréable & très-ſoignée.
M. Gautier Dagoty , fils deM. Gauthier
, anatomiſte penſionné du Roi , a
publié une eſtampe de ſa compoſition re .
préſentant Sa Majesté Louis XV qui , accompagné
de la Famille Royale , montre
à Mgr le Dauphin le médaillon de l'auguſte
Archiducheſſe ANTOINETTE. Се
médaillon eſt foutenu par l'Ambaſſadeur
de l'Empire. Cette compoſition , intéreſſante
par elle-même puiſqu'elle nous retrace
une union defirée , l'eſt encore par
les ſoins qu'a pris l'artiſte de tendre ſes
perſonnages reſſemblans. On lit au bas
ce vers latin:
Fædera , ſanguis , hymen nexu ſolidentur amori.
L'eſtampe a été gravée en maniere noire
par l'auteur lui - même , & a environ 30
poucesde long fur 24 de haut; prix 24liv .
On la diſtribue à Paris , chez l'auteur , rue
Ste Barbe ; Levie , marchand d'eſtampes,
rue St André des Arts ; Chevillon , rue
Croix des petits Champs; Chereau , aux
deux Piliers d'or , près la rue de Bourbon,
& à la boutique du Wauxhall , fauxbourg
St Germain.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
Six Sonates en trio pour deuxflûtes , ou
deux violons & violoncelle ; par Nicolas
Dothel , ordinaire de la chambre
de S. M. 1. OEuvre v1 .; prix 6 liv.
A Paris , chez M. Taillart l'aîné , rue
de la Monnoie , la premiere porte co-
⚫ chere à gauche en deſcendant du Pont
Neuf; chez M. Fabre , & aux adreſſes
ordinaires .
Ces fonates confirment la réputation
que M. Dothel s'eſt déjà faite par fes
précédentes compoſitions. Ses nouveaux
trio ſont dialogués avec goût. Ils ne peuvent
manquer de plaire à ceux qui préférent
aux difficultés d'une inuſique baroque
un chant agréable , varié & ſemé da
traits neufs . M. Taillart l'aîné , qui en eſt
l'éditeur , eſt un bon juge en cette partie,
&il profeffe lui - même la muſique inftrumentale
, la flûte traverſiere fur-tour ,
avec une ſupériorité qui , juſqu'ici , ne lui
a pas été conteſtée , & qui , vraiſemblablement
, ne le fera point.
:
AVRIL. 1770 . 195 I
Deux Concerto pour le clavecin ou le
Piano forte avec accompagnement ; le
premier de deux violons , deux hautbois,
alto &baffe continue , dédiés à Mde la
Vicomteſſe de Laval-Montmorency ; par
Mile Lechantre , oeuvre premier ; prix
9 liv. AParis, chez l'auteur , rue du Sé
pulcre , la porte cochere qui fait face à la
petite rue Taranne , & aux adreſſes ordinaires
de muſique.
Sixfonates pour le clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum ,
dédiéesà M. Ethis, commiſſaire des guerres
; par M. Tapray , maître de clavecin.
OEuvre premier; prix 9 livres. A Paris ,
chez l'auteur , rue Poiffonniere , dans la
maiſon du chandelier , & aux adreſſes ordinaires.
A Lyon , chez Caſtaut.
Ouvertures de Rofe & Colas , du Dé-
Jerteur, & ariette de la derniere piéce &
ſymphonie pour le clavecin ou le Fortepiano
, avec accompagnement de deux
violons & violoncelle , dédiées à Mde de
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Glatigny ; par M. Tapray. Prix 3 liv . aux
adreſſes ci -deſſus.
:
Airs détachés de Sylvain , mis en mufique
par M. Gretry ; prix 1 liv . 16f. A
Paris , au bureau d'abonnement de muſique
, cour de l'ancien grand Cerf , rue St
Denis & des Deux-Portes St Sauveur , &
aux adreſſes ordinaires. )
Six Quatuor pour deux violons , alto
&baffe qui peuvent être exécutés par un
grand orchestre , dédiés à M. de St Georges
, contrôleur des guerres ; par Carlo
Sramitz , fils du célèbre Stamitz , ordinaire
de la muſique de S. A. E. Palatine ;
oeuvre premier ; prix 9 liv. A Paris , au
bureaud'abonnement ci-deſſus indiqué.
1
197 AVRIL. 1770.
SALLE DE SPECTACLE.
:
ILL vient de me tomber ſous la main une petite
brochure qui a pour titre : Mémoirefur la conftruction
d'un théâtre pour la Comédie Françoise ,
avec un plan ; je l'ai lu avec plaiſir. Il est vraiſemblable
qu'un projet qui , en embelliffant une
ville, vivifie des quartiers peu fréquentés , doit
être accueilli , parce qu'il réunit l'utile à l'agréable;
on doit donc applaudir au choix de l'emplacement
de l'hôtel de Condé , par les avantages
qu'il procure , & que , par la ſuire , l'on pourroit
augmenter encore en traçant l'alignement de la
rue des Foflés de M. le Prince avec cellerde laComédie
, & celui qui prolongeroit le percé de la rue
Dauphine juſqu'à la rencontrede la rue de Tournon
; mais on doit , à plus juſte titre encore , des
éloges à l'architecte ſur la juſteſſe de ſon goût qui
lui a fait employer une diſpoſition heureuſe &
commode pour la comédie françoiſe. La principale
façade extérieure ſur un plan demi circulaire
annoncera à tout le monde le genre de l'édifice
quand même , dans les détails de la décoration ,
delaquelle il ne parle point dans ſon mémoire , il
auroit employé des arcades au rez de chauflée&
des croiſées dans la partie ſupérieure , ce qui ne
convient cependant qu'à une mailon d'habitation .
Les portiques ,qui l'environneront de toutes parts,
acheverontde le caractériſer ; enfin les deux paflages
pratiqués pour deſcendre à couvert des voitures
au pied des efcaliers , font réellement ane
,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
1
commodité néceflaire dans un climat tel que le
nôtre.
Je ſuis convaincu dès long- tems qu'il n'y a pas
d'autre parti à prendre dans la conſtruction de ces
édifices publics. J'ai entre les mains , depuis 9 ans ,
P'efquiffe d'un plan de théâtre deſtiné pour l'opéra
fur le terreinqui eft entre les galeries du louvre&
lecarouſel ; lamafle& les diſpoſitions extérieures
en fontprécisément les mêmes , les détails intérieurs
ne le font pass jen'en ferai point la comparaiſon
, parce que l'auteur du projet de théâtre
pour la comédie françoiſe eſt encore àportéede
fairedes changemens utiles ,&même néceflaires à
enjuger d'après ſes premieres indications.
M. Bugnietde Lyon , auteur du projet dontj'ai
l'eſquifle, eut l'honneur d'en préfenter , dans le
tems, les deffins àM. le Marquis de Marigny, avec
un exemplaire desgravures d'une priſonqu'ilavoit
précédemmentcompoſée. MM. Soufflot, Contant,
Luzzy, Rouflette , Boullée, & plufieurs autres
membres de l'académie d'architecture , ainſi qu'un
nombre d'élèves , connoiſſent ſon projet de théâtre.
Il ſeroit gravé fi des affaires de famille n'avoient
engagéM. Bugniet à quitter Paris pour retournerdans
ſa patrie. Deux planches commencées
ſont encore endépôt ici chez unde ſes amis ,
&ildevoityen avoir ſept. Je ne me diffimule pas
qu'il eſt poſſible que les idées d'un artiſte qui a fair
un long ſéjour à Rome , centre des grands monumens
, ſe rencontrent pour la compoſition d'un
théâtre avec celles deM. Bugniet , qui n'a pas encore
voyagé ; mais comme ce dernier n'eſt pas
inſtruitde la publicité du nouveau projet pour la
comédie françoiſe , voudriez vous bien, Monfieur,
inférer dans vos Journaux la réclamation que je
AVRIL. 1770. 199
vous adreſſe pour prendredate en ſon nom vis-àvis
du Public , au cas qu'il voulût faire achever les
gravures commencées.
SURBLED.
DeParis , le 20 Mars 1770 .
VERS adreffés à M. de Casanova ,
Peintre du Roi.
Le brûlant amour de lagloire
Aſouvent trop d'activité ;
S'il voit un libelle effronté ,
Soudain , de frayeur agité ,
Il lejuge diffamatoire.
Unjour on verra notre hiſtoire
Blâmer cette timidité
Dans ce vaſte génie , où la poſtérité
Trouvera tous les dons des filles de mémoire .
Il auroit dû rire avec nous
Des efforts d'un nain mercenaire-
Qui , n'atteignant que lesgenoux ,
Vouloit tous les dix jours le renverſer par terre.
Ceci ſoit dit auſſi pour vous ,
Beau Michel-Ange des batailles , *
*Ondonne ce nom à Cerquozzi , fameux basailliſte
, d'une figure & d'un eſprit aimables .
I iy
200 MERCURE DE FRANCE.
Laiflez tomber votre couroux ,
Et gardez vous des repréſailles .
Oui, je le ſais ; pour votre art délicat
La critique eſt un attentat ,
C'eſt le comble de l'injustice.
Qu'un pédant , triſte en ſes écrits ,
Diffâme Alzire& la noircifle ;
Alzire ira par- tout offrir aux yeux ſurpris
Ce qui la rend fi noble & fi touchante ,
Tandis que l'amateur jouit ſeul dans Patis
De votre tableau qui l'enchante :
N'importe. Il faut toujours ſe venger par des ris.
Pour les fleurs , dont votre parterre
Fait briller l'émail éclatant ,
Craignez vous l'inſecte ephemere
Qui naît & meurt dans un inſtant ?
Pourſuivez donc votre carriere ,
L'immortel Condé vous attend. ( 1 )
Condé , ce fier dieu de la guerre ,
Cegrand Condé qui , parmi nous,
(1) M. Caſanove eſt chargé parMgr le Prince
de Condé, de peindredeux des bataillesde fon
aïcul immortel .
AVRI L. 1770 . 201
Sous les traitsde fon fils reprend un nouvel être ,
Condé, que Friedberg a crû voir reparoître
En éprouvant la valeurde ſes coups.
Voilà pour vos talens ſans doute
Un aiguillon allez puiſſant. :
Du Bourguignon ( 1) ſuivez toujours la route ,
Et la critique en frémiſſant ,
Sera pour jamais en déroute.
L'Adage Eſpagnol l'a promis , (2)
* Fais bien , & compte fur l'envie ,
>> Fais mieux encore , &de ſes cris
>>Tu vaincras l'horrible furie. >>>
( 1 ) Jacques Courtois dit leBourguignon , fameux
peintre de bataille.
(2) Obra bieu , tendras embidiofos , obra mejor
yconfundir los as.
८
ない!
2
ParM. *
1
202 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas de l'estampe
de M. de Chevert.
IL ſçut , par ſes vaillans travaux ,
Devenir plus qu'un gentilhomme .
Son courage en fit un héros ,
Son coeur en fit un honnête homme.
Par M. de L. T. hôteldeCondé,
MORT de M. Macquer , Avocat.
Nous devons payer publiquement le triburde
nos regrets à la perte d'un homme de lettres avec
qui nous avons été long- tems unis par le rapport
délicieuxdes mêmes goûts , des mêmes ſentimens
&des mêmes occupations.
Philippe Macquer , avocat en parlement, étoit
néà Paris le 15 Février 1720. Il vécut toujours
avec Pierre - Joſeph Macquer ſon frere , ſavant
médecin & célèbre Chimiſte , de l'académie des
ſciences de Paris , de celles de Stockholm & de Turin
, &c. dans une intimité conftante , & telle
qu'il y en a peu d'exemple. Il étoit de même enzierement
dévoué à un très - petit nombre d'amis
avec leſquels ſeuls il aimoit à dépenser ſon tems.
Doué d'un eſprit actif & avide de connoiſſances
ayant un caractere patient , une ſenſibilité trèsAVRIL.
1770. 203
grande , beaucoup d'énergie dans l'ame , unedouceur
finguliere de moeurs , il y avoit toujours a
gagner pour l'eſprit& le coeur dans ſa ſociété. II
avoit le coup d'oeil de la ſagacité , la vivacité du
ſentiment , la délicateſſe du tact auxquels rien
n'échappe. Il faifiſſoit avec une promptitude& une
juſteſle fingulieres les queſtions les plus difficiles ;
il devinoit en quelque forte la ſolution des problêmes
les plus compliqués des ſciences mêmes
qu'il n'avoit pas cultivées ; il avoit la tête froide
&cettepatience de travail qui ne ſe fatiguepas de
l'étude & qui eft capable de pénétrer dans la profondeur
des connoiſſances les plus abſtraites.
L'habitude d'être avec un frere , habile Chimiſte
& excellent Phyſicien , l'avoit inſtruitde ces deux
ſciences;mais il s'eſt particulierement adonné à des
ouvrages propres à l'occuper , ſans trahir ſa modeſtie
naturelle. On lui doit l'abrégé chronologique
de l'hiſtoire eccléſiaſtique ,compoſé à l'imitationde
la méthode de M. le préſident Henault ,
qui a reçu tant d'éloges & si bien mérités , dont il
a le premier ſenti l'utilité & dont il a donné un
nouveau modèle à ſuivre . Ses annales romaines
faites fur ce plan , font rempliesde remarques &
de vues intéreſlantes ſur toutes les parties du gouvernement
, des moeurs & des lois des Romains ;
il a eu partà l'abrégé du même genre des hiſtoi .
res d'Elpagne & de Portugal , à une traduction en
françois du poëme latin de Fracaſtor ; il a revu ,
corrigé& perfectionné beaucoup d'ouvrages étendus
&importans auxqueis le public faitl'accueil
le plus favorable depuis qu'ils font imprimés &
dont pluſieurs ne le ſont pas encore. Il travailloit
àpluſieurs journaux , enrichis de ſes obſervations
&de les extraits faits avec beaucoup de goût&
de préciſion. Enfin il a conſacré ſa vie aux let
I vj
206 MERCURE DE FRANCE.
> punir mon neveu qui , ſe croyant fûr
>>de mon héritage , m'a manqué ſouvent
>>de la maniere la plus indigne. » Il avoit
donné fon argent comptant à ſa femme ,
& il ne laiſſoit à ſon héritier qu'un bien
à demi ruiné & preſqu'entierement engagé.
Une heure avant qu'il mourût , il
fir venir ſa jeune femme : Ma chere , lui
dit - il , accordez moi la demande que je
vais vousfaire , c'est la feule importunité
que vous recevrez de moi ; mais ne me refufezpas.
Safemme lui en donna fa parole
; il exigea un ferment , elle le fir. Je
veux , lui dit-il alors, que vous ne vous remariezpoint
à un vieillard après moi.
I V.
Charles Hulet , célèbre comédien Anglois
, avoit été mis en apprentiſſage chez
un libraire ; à force de lire des pièces de
théâtre , il prit du goût pour la comédie;
il apprenoit des rôles & les répétoit le
foir dans la boutique ; mais ces jeux alloient
toujours à la ruine de quelques
chaiſes qu'il mettoit à la place des perſonnages
des drames. Un foir il répétoit
le rôle d'Alexandre , il avoit pris une
grande chaiſe pour repréſenter Clytus ;
lorſqu'il en fut à l'endroit où le jeune
AVRI L. 1770. 207
monarque tue le vieux général , il frappa
un coup ſi violent fur cette chaiſe avec
un bâton qui lui ſervoitde javeline , que
le meuble qui repréſentoit Clytus , tomba
en piéces avec beaucoup de bruit ; le
libraire , ſa femme & ſes domeſtiques
étourdis du tapage , inquiets de ce qui
pouvoit l'avoir caufé , accoururent ; &
Hulet leur dit avec un grand ſens froid :
Ne vous effrayezpas ; ce n'est qu'Alexandre
qui vient de tuer Clytus.
V.
L'éducation angloiſe ſe trouve , pour
ainſi dire , noyée dans les auteurs claſſiques
; c'eſt un reproche qu'on lui fait depuis
long - tems ; le célèbre Bentley en
offre une preuve. Dans un voyage qu'il
fit en France , il alla voir la comteſſe de
Ferrers . Il trouva chez cette Dame une
compagnie très - nombreuſe , au milieu
de laquelle il fut ſi embarraſſe , qu'il ne
favoit quelle contenance tenir. Las de
cette fituation pénible , qu'il fentoit luimême,
il fe rerira ; dès qu'il fut forti , on
demanda à la comtefle ce que c'étoit que
cer homme qu'on trouvoit très-ridicule
& ſur lequel chacun diſoit fon mot. C'eft
208 MERCURE DE FRANCE.
un hommefi sçavant , répondit la comteffe
, qu'il peut vous dire en grec & en
hébreu ce que c'est qu'une chaise , mais qui
nefait pas s'enfervir.
DECLARATIONS , ARRÊTS , &c .
I.
DÉCLARATION du Roi , donnée à Versailles
le 9 Septembre 1769 , regiſtrée en la cour des
Monnoies. le 24 Janvier 1770 ; concernant le
commerce des ouvrages d'or & d'argent venant de
l'étranger.
I I.
T
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 13 Janvier
1770; qui proroge pour dix années , à compter
du premier Janvier 1768 , le payement des Quatre
ſous pour liv. en ſus du don gratuit ordinaire
du clergédu comté de Bourgogne.
III.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Janvier
1770; qui déclare héréditaires les maîtriſes ou
places de Barbiers- Perruquiers-Baigneurs & Etuviſtes
, établis dans les villes , bourgs & autres
lieux des duchés de Lorraine & de Bar , en payant
par ceux qui en ſont pourvus , la même finance
par doublement , que celle qu'ils peuvent avoir
payée.
AVRIL. 1770. 209
1
1
I V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Janvier
1770 ; qui ordonne la converfion des rentes de
tontines en rentes purement viageres.
V.
Arrêt du conſeil d'état duRoi, du 20 Janvier
1770; qui fixe la portion d'arrérages qui , quantà-
préſent &juſqu'à ce qu'il en ſoit autrement
ordonné , ſera employée dans les états du Roi ,
pour les rentes & effets qui ſe payent à la caifle des
arrérages par le Sr Blondel de Gagny.
VI.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Février
1770 ; qui ordonne la ſuſpenſion du payement
des reſcriptions ſur les recettes générales des finances
, & des affignations ſur les fermes généralesunies
, ferme des poſtes & autres revenus duRoi,
àcompter du premiers Mars 1770.
VII.
:
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Février
1770 ; qui ſuſpend le payement des billets des fermes
générales - unies , qui écheront , à compter
dumois deMars 1770.
:
VIII.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Février 1770 , regiſtré en parlement ; portant que
:
210 MERCURE DE FRANCE.
ledenierde laconſtitution ſera & demeurera fixé,
àraiſon du denier vingt du capital.
1 Χ.
Edit du Roi , donné à Verfailles au mois de Février
1770 , regiſtré en parlement ; portant augmentation
de finance &de gages pour les officiers
de chancellerie.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de révrier
1770 , regiſtré en parlement ; portant créationde
ax millions quatre cens mille livresd'augmentation
de gages au denier vingt, à répartir ſur
les différens offices y déſignés.
X I.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de
Février 1770, regiſtré en parlement;portant augmentation
de finance &de gages des conſeillersſecrétaires
du Roi de la grande chancelleric.....
ΧΙΙ.
Edit du Roi , donnéà Verſailles au mois de
Février 1770 , regiſtré en parlement ; portant
créationde fix millions quatre cents mille livres
de rentes à quatre pour cent ſur les aides & gabelles.
ΧΙΙΙ .
Lettres-patentes du Roi , données à Verſailles
Le 17 Février 1770 , regiftrées en parlement ;
AVRIL. 1770. 21г
concernant la vérification des coutumes locales
&particulieres du comtéde Ponthieu &de la ville
d'Abbeville.
XIV.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 19 Février
$770 ; qui ordonne que , fans s'arrêter à l'arrêt
du parlementde Bordeaux , du 17 Janvier 1770 ,
il ſera libre à toutes perſonnes de vendre leurs
grains dans les provinces du Limoſin &de Périgord,
tantdans les greniers que dans les marchés
, en exécution de la déclaration du 25 Mai
1763 , & de l'édit du mois de Juillet 1764.
X V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 25 Février
1770 ; qui ordonne que les payemens de tous les
contrats& effets au porteur,qui reſtentà rembourfer
à la caifle des amortiſſemens , ne feront effectués
que dans le quartier de Janvier 1771 ; & qui
accorde aux propriétaires ou porteurs , le même
intérêt que celui dont ilsjouiſſoient ci-devant.
212 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
}
١٠
Aux Soufcripteurs du Dictionnaire de
la Nobleſſe de France .
PAR le Profpectus de la ſeconde édition du
Dictionnaire de la Nobleſſe , publié au mois d'Avril
de l'année derniere , on avoit promisde donner
lesdeux premiers volumes au commencement
de cette année 1770 ; mais la quantité de mémoires
de différentes familles nobles , furvenus depuis
l'annonce de ce Profpectus , & qui arrivent
encore tous les jours , a fait ſuſpendre l'impreffion
de cet ouvrage , par la néceſſité où s'eſt nouvé
l'auteur de travailler à ces nouveaux mémoires
, pourles placer dans leur ordre alphabétique.
Aujourd'hui tout délai cefle , & l'on va mettre
fous preſſe l'ouvrage ; la diligence y fera portée
de maniere que dans fix mois on ſera en état de
répondre aux engagemens contractés avec le public.
La premiere édition de cet ouvrage qui a paru
ſous le titre de Dictionnaire généalogique , héraldique
, historique & chronologique , en ſept volumes
in- 8 ". néceſſaire à toute la noblefle du royaume
, & même à celle des pays étrangers , ne doit
être regardée que comme un eſſai en ce genre.
Depuis ſa publication il a pris une telle confiftanse
que nous le regardons aujourd'hui comme un
AVRIL. 1770. 213
ouvrage de bibliothèque , de maniere que , pour
répondre aux intentions de pluſieurs perſonnes de
la plus grande conſidération , nous avons jugé
convenable de lui donner la forme de l'in- 4 °. au
lieu de celle in- 8° . ſuivant le Prospectus.
Dans ce changement de format, le public ne
perdra rien , parce qu'un volume in- 4° . équivaur
àdeux volumes in- 8°. Ainfi on donnera d'abord
un volume in-4° . , & les autres ſuivront fucceffivement.
Il n'y a riem de changé à la ſouſcription , & on
ſera encore à tems de ſouſcrire pendant le cours de
l'impreſſion du premier volume.
Chez l'auteur , rue St André des Arts , au coin
de celle des grands Auguſtins , près l'hôtel d'Hollande;
& chez la Veuve Ducheſne , libraire , ruc
St Jacques , au Temple du Goût.
Lacombe , libraire , fournira les exemplaires à
ceux qui ont ſouſcrit chez lui .
Lepremiervolume , qui ſera environ de quatrevingt-
dix à cent feuilles d'impreſſion , paroîtra au
plus tard aucommencement du mois d'Octob , prochain.
I I.
Manufacture royale de vaiſſelle de cuivre
doublé d'argent fin , par adhéſion parfaite
& fans aucune foudure ; établie à
Paris , à l'hôtel de Fére , rue Beaubourg
au Marais , avec privilége du Roi,
registré au parlement & à la cour des
monnoies.
214 MERCURE DE FRANCE.
L'établiſſement qu'on annonce au public, mé
rite , à plus d'un titre , ſon attention , ſa confiance
, on ofe même dire ſa reconnoiflance. Il est
fondé ſur une découverte précieuſe , laquelle préſente
deux objets bien effentiels; l'un, de ſegarantir
des dangers du verd-de-gris , & l'autre , un
moyen d'économie.
D'après cette découverte , on peut doubler le
cuivre avec l'argent fin , ou l'argent avec le cuivre
, en telle proportion d'épaiſſeur & de poids
que l'on veut ; c'est-à- dire , au tiers , au quart,au
cinquiéme & au ſixiéme d'argent fin ; & ces métaux
ainſi doublés & adhérés , ſont ſuſceptibles de
preſque toutes les formes , & de tous les uſages
auxquels on les employoit ſéparément.
Maisl'uſage le plus eſſentiel eſtde procurer au
publicdes uſtenſiles de cuiſine.
Une caſſerole doublée d'argent fin ne laiſflera
aucune inquiétude ſur le verd-de-gtis. Cette cafſcrole
, doublée dans une proportion ſolide &
convenable , coûtera les deux tiers moins qu'une
en argent au titre , & coûtera moins en dix années
qu'une cafferole de cuivre du même volume ,
dont, à la vérité , le premier achat n'eſt pas fi conſidérable
, mais qu'il faut étamer & renouveler
très-ſouvent; dépenſes ſucceſſives & continues ,
dont le total , au bout d'un certain tems , monte
plushaut que la valeur primitive d'une caſſerole
doubléed'argent , achetée à la manufacture royale.
Enfin , les caſſeroles doublées d'argent fin of.
friront encore , lorſqu'elles feront hors de ſervice
, en valeur , la même proportion d'argent dont
elles auront été doublées , ſur le pied de 56 liv.
le marc , àl'exception du déchet , qui ſera léger ,
AVRIL. 1770. 215
fi on a l'attention de n'employer , pour nétoyer
les caſſeroles , que l'eau de ſavon , ou le blanc
d'eſpagne en poudre impalpable , & que l'on évite
toutes matieres graveleuſes , telles que le ſablon ,
le grès , &c.
La jonction des deux métaux n'apportant aucunobſtacle
à leur malléabilité, ni aux différentes
formes qu'on peut donner ſéparément à chacun
d'eux , en formera , en appliquant l'argent fur le
cuivre , toute forte de vaiſlelle , flambeaux de
table , cafferiéres , theyéres , chocolatiéres , terrines
, pots-à-oil , plats , affiettes , pots à bouillon ,
néceſſaires , chandeliers , lampes & bénitiers d'églife,
&c. Et pour joindre la propreté à l'utilité,
toutes les ſurfaces en cuivre , ſoit à l'extérieur ,
ſoit dans l'intérieur , feront recouvertes d'un verni
imitant l'émail , qui ſera de la plus grandebeauté
, &qui réſiſtera àl'action du feu.
Onpeut de même en former des boutons d'habits,
des garnitures de harnois &d'équipages ,
des bas-reliefs , enfin tout ce qui peut fervir , foit
au beſoin , ſoit au pur agrément; & tous ces ouvrages
en argent ou en or feront infiniment plus
beaux&plus ſolides que ceux qui ne feront qu'argentés
oudorés.
Lespoſſefleurs du ſecret , pour s'aſſurer la confiance
du public , ont ſoumis , àdeux repriſes différentes
, leurprocédé à l'examen de MM. de l'Académie
des Sciences , qui ont donné en conféquence
l'approbation la plus authentique.
216 MERCURE DE FRANCE.
III.
Penfionnat .
Le Sr Rolin , qui a acheté le fonds de la penfion
de M l'Abbé Choquart , vient de faire imprimer
un Profpectus , où il développe en abrégé les
idées du plan de ſon nouvel établiſſement : il a
ſemé en quelques endroits des réflexions intéreſfantes
ſur le choix des perſonnes qui préſident à
l'éducation & fur l'eſprit de nouveauté qui ſe gliſſe
ſouvent dans une tâche auſſi importante.
Uninconvénient dangereux, dit- il , eſt celuid'adopter
ſans réflexion les nouveaux ſyſtêmes d'éducation.
Paroîtil unlivre ? il trouve ſes partiſans,&
malheureuſement plus il eſt mauvais en ſoi, plus il
faitfortune; trop préoccupé de la beauté du ftyle,
on s'étourdit ſur les principes. L'eſprit des hommes
, porté à la nouveauté , ſe laiſſe éblouir par
de longs paralogiſmes artiſtement cachés ſous le
coloris de l'éloquence, & de là tous les maux dont
on cherche la ſource .
** Un autre inconvénient , dit-il encore , s'oppoſe
aux fruits qu'on recueille d'une bonne éducation :
aujourd'hui on abandonne , ſans choix , les enfans
à des maîtres fans talens , & les parens , à
l'ombre d'une tranquille confiance , voyent croître
ainſi ſous leurs yeux les triſtes victimes de leur
crédulité. Cependant le tems vient où il faut fonger
à occuper une place digne de fon rang , on
fait déjà jouer tous les reſſorts de la politique pour
y parvenir ; on obtient une parole , le ſujet eſt
préſenté, & pour confirmer ſa honte , celle de fa
famille
AVRIL. 1770. 217
famille& de ceux qui ont veillé à ſon éducation ,
il eſt proclamé incapable de remplir aucune place
, &c.
On peut voir , plus au long , le précis des idées
du Sr Rolin dans un Profpectus qu'on trouvera
chez lui ; ou chez Guefher , imprimeur , au bas de
la rue de la Harpe , à la Liberté.
I V.
Vinaigres.
Le Sr Maille , vinaigrier - diſtillateur ordinaire
du Roi , reçu , après la mort du Sr Lecomte, comme
le ſeulen état de le remplacer chez le Roi ,
vient de perfectionner deux nouveaux vinaigres
de rouge , l'un clair & l'autre foncé , dont la qualité
coſimétique conſerve la peau , & lui donne
les plus belles couleurs que le ſang puifle produire
à tromper la vue. Ce rouge eſt d'autant plus
agréable qu'il ne coule point malgré la chaleur ,
&qu'on peut s'efluyer ſans qu'il difparoiffe ; il
s'emploie également pour les lévres & empêche
qu'elles ne gercent ; l'on peut coucher avec , &
peur ſe tranſporter par - tout fans crainte que le
tems puifle en altérer la qualité . Lorſqu'on veut
ôter ce vinaigre de rouge , on ſe ſert du vinaigre
de millepertuis ; la qualité balfamique de cette
leur conſerve le teint.
Le vinaigre romain , pour la conſervation de
la bouche , fe diftribue toujours avec les plus heureux
ſuccès. Ce vinaigre eſt ſpiritueux , pénétrant
, balfamique & antiſcorbutique , blanchit
les dents , arrête le progrès de la carie , empêche
1. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
qu'elles ne ſe déchauſſent& les raffermit dans leurs
alvéoles ; ſon uſage est très- utile pour les perſonnes
qui voyagent fur mer. L'on trouve dans ſon
magaſin toutes fortes de vinaigres , au nombre
dedeux cens fortes , foit pour la table , les bains
& la toilette , qui ſont vinaigre de ſtorax , qui
blanchit la peau & empêche qu'elle ne ride ; le
vinaigre d'écailles , pour les dartres; defleurs de
citrons , pour ôter les boutons ; de racines , pour
les taches de roufleur & maſque de couche ; de
turbie , qui guérit radicalement le mal de dent ;
de Séville, pour mouiller le tabac ; de Vénus, pour
les vapeurs ; deſcellitique , pour la voix ; vinaigre
royal , pour la piqûure des couſins ; le véritable
vinaigre des quatre voleurs , préſervatif de tout
air contagieux ; de cyprès , pour noirchir les cheveux
& ſourcils blans ou roux , & le parfait firep
de vinaigre. Les moindres bouteilles de vinaigre
de rouge en premiere nuance font de trois livres ,
jointeàcelle de millepertuis , & de 4 liv. en ſeconde
nuance; toutes les autres ſortes de vinaigres
énoncés ci-deſſus ſont de 3 liv . les moindres
bouteilles , & 2 liv. celle de firop de vinaigre.
La demeure du Sr Maille eſt rue St André des
Arts , la troifiéme porte cochere en entrant à droite
par le pont St Michel. Les perſonnes de province
qui defireront faire uſage de ces vinaigres ,
en remettant l'argent à la poſte , franc de port
ainſi que la lettre ; on leur fera tenir exactement
avec la façon de s'en ſervir .
AVRIL. 1770. 219
V.
Bagues contre la Goutte.
Le Sr Rouffel , demeurant à Paris , rue Jean de
l'Epine , chez le Sr Marin , grenetier près la Grêve,
donne avis au public qu'il débite avec permiſſion
des bagues , dont la propriété eſt de guérir
la goutte. Ces bagues , qu'il faut porter au
doigt annullaire , guériſſent les perſonnes qui ont
la goutte aux pieds & aux mains , & en peu de
tems celles qui en font moyennement attaquées.
Quant à celles qui en ſont fort affligées , elles doivent
les porter avant ou après l'attaque de la goutte
, & pour lors elle ne revient plus . En les portant
toujours au doigt , elles préſervent d'apoplexie&
de paralyfie. Pluſieurs princes , ſeigneurs
& Dames ont éré guéris de ce imal , & l'on en
donnera les noms lorſqu'il ſera néceſſaire . Le prix
de cesbagues,montées en or, eſt de 36 liv. & celles
en argent , de 24 liv.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 3 Janvier 1770 .
Le Grand Seigneur a envoyé à Parmée , le 18
du mois dernier , ſon écuyer avec soo , 000 dahlers
au lion, pour être diftribués aux Janiſſaires ; il
a auſſi fait partir pour cette armée 200 canonniers
& 20 ingénieurs, leſquels feront inceſſamment
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
.
ſuivis de pluſieurs autres & d'une grande quantité
de munitions de guerre.
Abdi Pacha eſt en marche , à la tête d'un corps
de troupes conſidérable , pour aller ravager la
Modalvie , dont les habitans ont été déclarés
rebelles.
Ibrahim Pacha eft parti pour raſſembler , le
plutôt poſſible , une puiſlante armée en Romelie
&enBulgarie.
D'Erzerum , dans la Turquie Asiatique ,
le 19 Novembre 1769 .
Legénéral Ruffe , Tottleben , étant entré , ily
aenviron quatre mois dans laGéorgie avec un
corps de près de 4mille hommes , tant infanterie
que cavalerie reglée, ily fut joint par le prince
Héraclius , à la tête de 15 milleGéorgiens : la
Porte alloit recevoir un terrible échec , fi le géné
wal an 1:
fche five Tuohrmande , mais marche
puannger tama
leprince Salomon ne voulut point ſejoindre à lui ,
cequi le détermina à venir affiéger Erivan d'où il
fut vigoureuſement repouílé par les afſfiégés julques
dans les montagnes intérieures de la Géorgie.
De Dantrick , le 24 Février 1770 .
Il ya eu un combat très-vifentre les Confédérés
& les Rufſes aux environs de Blonic , ceux - ci ſe
font retirés & ont brûlé le village de Gnatowie
&pluſieurs autres en continuant leur retraitejufqu'à
Blonic où ils ont occupé l'égliſe & la maiſon
des chanoines réguliers ; les confédérés ont fait
avancer deux piéces de canon. Les Ruſſes ſont
fortis l'épée à la main , mais la plupart d'entr'eux
ont été maflacrés.
AVRIL. 1770. 221
Le général Romanzow a écrit que le général
Podhoroczani , à la tête de 600 huſſards , a difſipé
, le 3 , un corps de Turcs de deux mille hommes
de cavalerie &de cinq cens d'infanterie. Le
4, les Turcs perdirent encore deux mille hommes,
6 canons de fonte , 2 drapeaux , 2 chariots chargés
de poudre. Le 14 , un corps de troupes Ottomanes
, de 15 à 20 mille hommes , a été battu près
deBuckareft , & la perte eſt, dit- on, confidérable ;
les Rufles n'ont eu que deux grenadiers bleſſés &
untué.
Du 21 Février.
On mande , par une lettre particuliere , que le
général Steffel a pris d'aflaut la citadelle de Breflaw
que défendoient les Turcs ; que ceux-ci ont
eudans cette occafion deux mille hommes , tant
tués que bleflés ; que trois mille autres ſe ſont jetés
dans des bateaux pour paſſer le Danube , mais
que la plupart de ces petits bâtimens ont été
détruits par l'artillerie ennemic ; que les Rufles
ont trouvé dans cette forterefle 150 canons & un
magaſin conſidérable. On a déjà reçu d'autres avis
depuis qui confirment cette nouvelle.
De Vienne , le 10 Février 1770 .
Ontravaille avec beaucoup d'activité aux prée
paratifs des camps que la cour ſe propoſe de former
, &dont le plus conſidérable aura lieu le premier
Août prochain aux environs d'Olschau &
durera juſqu'à la fin du même mois .
Suivant lejournal du voyage de l'Archiducheſſe
future Dauphine , cette Princeſſe ſera rendue le 16
Mai à Verſailles.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Du14 Février.
Les dernieres lettres de Conſtantinople continuent
d'annoncer qu'il n'y a aucune eſpérance de
voir rétablir de fitôt la paix entre la Porte & les
Ruffes.
Du 17 Février.
On prépare , dans des fauxbourgs de cette capitale,
un logement pour un ambaſſadeur de la
Porte , attendu_dans le courant du mois de Mai
prochain. On ignore le motif de ſa miſſion.
De Rome , le 21 Février 1770 .
On apprend que les Jéſuires du ſéminaire & des
écoles de Freſcati ont été expulfés par le cardinal
d'Yorck , en vertu d'un bref qu'il a obtenu du
Pape , & par lequel S. S. fupprime tous les privilégesque
ſes prédéceſſeurs ont accordés au général
de la fociété à l'occaſion de l'érection de ce féminaire
&de ces écoles.
De Londres , le 9 Mars 1770 .
La chambre des Communes ayant délibéré le 6
en comité , arrêta qu'il ſeroit néceſſaire de permettre
l'exportation de l'orge en grain ou en farine.
Le7,. il fut ordonné de porter un bill pour
permettre cette exportation.
Les agens descolonies ont expédié des exprès à
leurs commettans pour les informer de la rétolution
quela chambre des Communes a prife , les ,
de révoquer toutes les taxes en Amérique , à l'exception
de celle qui eſt établie ſur le thé.
AVRIL. 1770 . 223
Le 13 Mars 1770.
Les ambafladeurs de France & d'Eſpagne ont
déclaré de nouveau à notre miniſtere que leurs
ſouverains étoient conſtamment déterminés à éviter
tout ce qui pourroit altérer la bonne intelligence
qui ſubſiſte entre les cours reſpectives .
De Paris , le 12 Mars 1770.
Les nouvelles de Genève nous apprennent que
les bruits d'un complot formé par les natifs n'avoient
aucun fondement , & ce qui paroît le prouver
, c'eſt que les violences que les bourgeois ſe
font permiſes contre pluſieurs natifs n'ont été ſuivies
d'aucun mouvement de la part de ceux - ci ;
mais le conſeil général n'ayant pas jugé à - propos
de leur accorder les priviléges qu'ils réclamoient ,
lesnatifs en ontconçu tant de mécontentement &
tant d'animolité contre les bourgeois , que la plûpart
d'entr'eux ne voulant pas prêter le nouveau
ferment qu'on exigeoir d'eux , ont pris la réſolution
d'abandonner la ville.
LOTERIES.
Le cent dixiéme tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eſt fait, le 23 du mois dernier , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au No. 45784. Celui de vingt mille
livres , au Nº . 44637 , & les deux de dix mille
aux numéros 54908 & 56017 .
Le tirage de la loterie de l'école royale mili .
taire s'est fait les Mars. Les numéros ſortis de
la rouede fortune font , 22 , 82 , 1 , 3 , 62 .
224 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Joſeph -Marie-Carmelin- Henri de Bacza y Erzentelo
, marquis de Caſtromonte , Montemayor
yel Aguila , comte de Cantillana , chevalier de
l'ordre royal de St Janvier , grand d'Eſpagne de
la premiere claſſe , grand chancelier perpétuel du
confeil d'Hazienda , gentilhomme en exercice de
la chambre de S. M. Catholique & ambaſladeur
extraordinaire de S. M. Sicilienne auprès du Roi,
eſt mort à Paris le 22 Février 1770 , âgé de 72 ans.
Claude - Gustave - Eleonord Palatin de Dio ,
marquis de Montperrous , mourut à Châlons- fur-
Saône , le 30 Janv. âgé de 56 ans .
Claude - Alexandre de Pons , comte de Rennepont
, eſt mort en fon château de Roche en Champagne
, le 20 Février 1770 , âgé de so ans .
Robert Jannel , chevalier de l'ordre du Roi ,
intendant général des poſtes , couriers & relais de
France , eſt mort à Paris les de Mars 1770 , dans
la 87e année de fon âge.
Louis - François marquis de Beauveau-Tigni ,
grand ſénéchal du Maine , eſt mort le premier de
Mars 1770 , dans ſon château de la Treille , en
Anjou , âgé de 68 ans. Il avoit épousé Louiſe-
Marguerite le Sénéchal Carcado - Molac , foeur
aînée du marquis de Molac , maréchal des camps
& armées du Roi , de laquelle il n'a eu qu'un fils .
Charles de Grimaldi d'Antibes , évêque de Rho
dès , né à Vence , eſt mort , dans le mois de Mars,
4
AVRIL. 1770. 225
dans une petite ville de Provence , âgé de 65 ans.
Il avoit été nommé à cet évêché en 1746.
Marie - Antoinette de Matignon , épouſe de
Claude - Conſtant Juvenal de Harville , marquis
deTraiſnel , grand ſénéchal d'Ofterwar & lieutenant
- général des armées du Roi , eſt morte à
Paris , le 8 Mars 1770 , âgée de 45 ans .
Dame Marie-Magdeleine Françoiſe de Fiennes
le Carlier est décédée à Homblieres près St Quentin
en Picardie , le 17 de ce mois , âgée de près de
75 ans ; elle étoit veuve de René- François de la
Noue Vieuxpont , comte de Vair , capitaine au
régiment des Dragons de la Reine.
Il reſte de leur mariage , 1 °. Gabriel - François
de la Noue Vieuxpont , comte de Vair , colonelinſpecteur
des milices Gardes-Côtes de Bretagne.
2°. Guillaume Alexandre , vicaire général du
DeMeauxx , aabbéde St Severin . dincère
3 °. Jean-Marie , lieutenant- colonel d'infanterie
, capitaine aux Grenadiers de France.
4°. René - Joſeph , auſſi capitaine aux Grenadiers
de France.
Et Anne Marie- Claude, Damoiſelle de la Noue.
Elle étoit mere du chevalier de la Noue , capitaine
aide- major au régiment de cavalerie de Marcieu ,
tuéà la bataille de Minden le premier Août 1759 ,
&du comte de Vair , lieutenant- colonel d'infanterie
, commandant les Volontaires de l'armée , tué
près Wolfagen ,en Westphalie le 25 Juillet
1760.
2
226 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
ibid.
6
ibid.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
Vers ſur la traduction des georgiques ,
Vers à M. le comte de ... fur des rubans ,
Traduction de l'ode d'Horace , O Vénus !
Vers à Mlle Duplant , ſur ſon rôle d'Erinice , 7
Vers à M. de Belloy , fur Gaston & Bayard ,
L'Homme ſans jugement , proverbedramatique,
Vers à la Roſiere de Salency ,
Madrigal à une Dame ,
Autre à la même , ſur des vers faits à fa
louange,
Les quatre Saiſons en ariettes ,
Origine de bien de choſes , conte ,
La Roſe , Fable ,
8
IO
28
30
ibid.
34
34
48
Epigramme , 50
L'Ane & le Dindon , Fable , SI
AM. le comte de Puget , ſur ſon mariage , 52
Stances à Mile Henriette C *** , 53
Epigramme , 55.
Nahamir , ou la Providencejuſtifiée , conte , 56
Explication des Enigmes , 67
ENIGMES , ibid.
LOGOGRYPHES , 70
NOUVELLES LITTÉRAIRES, 75
Théâtre Eſpagnol ,
ibid.
Dialogue ſur le commerce des bleds , 83
Efiai ſur les moyens d'améliorer les études , 87
AVRIL. 1770 . 227
Calendrier des réglemens ,
Eloge de Pierre du Terrail ,
Diſcours ſur la queſtion de ſavoir lequel des
quatre ſujets ; ſavoir , le Commerçant , le
Cultivateur , le Militaire & le Sçavant ,
eſt le plus utile à l'état ,
Piéces de théâtre en vers & en profe ,
Nouvelle édition de Juſtin ,
Quintilien de l'inſtitution de l'Orateur ,
Principes de l'art du Tapiflier ,
Le début du chevalier de *** ,
Mémoires de l'académie de Dijon ,
89
१०
94
96
98
99
100
101
104
OEuvres choiſies de M de la Monnoye , 107
Traité hiſtorique du Jubilé , 112
Choix de poësies philoſophiques , 113
Eloge de Dumoulin , 117
Lettre à Mde la comteſſe Tation , 118
Etrennes du Parnafle , 120
La Girouette ou Sansfrein , 121
La Pogonotomie , ou l'art de ſe rafer, 124
Traité de l'uſure , 125
Nouveau traité des vapeurs , 126
Recherches ſur les maladies vénériennes , 127
Hiſtoire moderne des Chinois , &c .
129
Lettre ſur l'ouvrage de M. Baretti , 138
Abrégé de l'hiſtoire de France , en vers techniques
, 147
Traité de l'équilibre , 148
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Marchand de Smyrne , comédie , 150
Almanach des Muſes , 154
Lucrece , traduction avec des notes , 158
AnneBell , hiſtoire angloiſe , 163
Lettre de M. Bret , 164
SPECTACLES , Concert , 166
Opéra ,
Comédie françoile ,
Comédie italienne ,
AMde Roſambert , ſur ſon début ,
Vers à M. de la Harpe , ſur Melanie ,
ACADÉMIES ,
ARTS , Gravure ,
Muſique,
Salle de Spectacle ,
168
171
173
178
180
181
187
194
197
Vers à M. Caſanova , peintre du Roi ,
Vers pour le portrait de M. de Chevert ,
199
202
Mort de M. Macquer , avocat, ibid.
ANECDOTES , 204
Déclarations , Arrêts ,&c. 208 €
AVIS , 212
Nouvelles Politiques , 219
Loteries, 223
Morts, 224
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MERCURE
DE FRANCE ,
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ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
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Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
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enverront au Libraire ; on les nommera quand
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rel. 71.
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br. avecfig. 10.1.
Parallele de la condition & des facultés de
l'homme avec celles des animaux , in- 8º br. 2 1.
21. 101.
Premier &fecond Recueils philofophiques &
litt. br.
Le Temple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités ſur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch .
T
τ
61.
Traité de Tactique des Turcs , in - 8 °. br. 11. 10f.
Traduction des Satyres de Juvenal , par
M.Duſaulx , in- 8° , br. 61.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL . 1770 .
PIÉCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EXTRAIT du Printems , chant premier
V
du poëme des Saiſons ; imitation libre
de l'anglois de Thompson.
Invocation.
IENS , doux printems , embellir les côteaux
Viens ranimer la nature épuiſée :
Deſcends auſſi , bienfaiſante roſée ,
Et de tes pleurs baigne les arbriſſeaux .
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Sur ces lilas , fur cesgrouppes de roſes
Sont aflemblés les habitans des bois ;
Ils font déjà , fous les feuilles écloſes ,
Retentir l'air des éclats de leur voix.
Dédicace.
Otoi , qui joins les qualité du ſage
Aux agrémens , aux graces deVénus ,
Daigne , B *** , agréer un hommage
Quedoit ma muſe à tes rares vertus :
Daigne fixer la naïve peinture
De ta faiſon, dont je chante la loi ;
Soutiens mon vol , je t'offre la nature
Simple,fleurie , & belle comme tei.
Retour & premiers effets du Printems.
Aufond du Nord l'hiver ſe précipite ,
Et les autans , entraînés dans fa fuite ,
Ceſſent enfin de ravager les champs.
Zéphir s'empreſſe à déployer ſes aîles ,
Flore renaît dans ſes embraſſemens !
La neige fond &s'écoule en torrens ;
Les prés , les bois brillent de fleurs nouvelles ,
Et Pan ſourit à l'aſpect du printems.
Mais la ſaiſon eſt encore incertaine :
Le ſombre hiver retourne ſur ſes pas ;
Il livre Flore aux rigueurs des frimats ,
*:
AVRIL. 1770 . 7
Et l'aquilon fait ſentir ſon haleine.
Un voile épais cache le Dieu du jour ;
Le roſſignol interrompt ſon ramage
EtProgné craint d'avancer ſon retour.
Mais le ſoleil perce enfin le nuage
Qui paroiſloit immobile dans l'air :
De ſes liens le printems ſe dégage ,
Et dans ſon antre il enchaîne l'hiver .
Sémences de Mars.
Le laboureur , que l'eſpoir encourage ,
Forçant au joug ſon robuſte attelage ,
Parcourt ſon champ qu'il couvre de fillons ,
Ses ſoins remplis , un ſemeur ſe promène
Jetant par-tout les germes des moiſlons ;
La herſe ſuit & termine la ſcène .
Fais , Dieu puiſſant ! éclater ta bonté :
L'homme attend tout de ton bras tutélaire !
Vents , précurſeurs de la fertilité,
Répandez-la dans le ſein de la terre !
Pere du jour , découvre tes rayons ;
Roule ton char dans des flots de lumiere ,
Etde tes feux échauffe les fillons ?
Vous , qui vivez dansla molle indolence ,
Vous , que maîtriſe & fubjugue l'orgueil ,
Qui , dansle luxe & l'altiere opulence ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ne rencontrez qu'un dangereux écueil ,
De vos regards ce détail n'eſt pas digne ;
Grands , vous croiriez vous abaiſſer trop bas :
Virgile , avant de chanter les combats ,
Acélébré les troupeaux &la vigne.
Jadis les grands , les héros & les rois
De la charrue alloient dicter des loix :
Rougifloient-ils de cultiver leurs terres ?
Et vous , & vous , orgueilleux éphémeres ,
Vous qu'un inftant & fait naître & détruit ,
Vous dédaignez de ruſtiques chaumieres ,
Et rejetez la main qui vous nourrit !
Ovous , chez qui fleurit l'agriculture ,
Heureux François , préparez vos côteaux
Arecevoir les biens que la nature ,
Pleine de ſoins , deſtine à vos travaux !
OFrance ! ô toi , dont la gloire m'eſt chere ,
Que dans tes ports , des bouts de l'univers ,
Soient raſſemblés tous les tributs des iners L
Diſpenſe , accorde aux peuples de la terre
Le ſuperflu de tes riches guérets :
Du monde entier qu'on t'appelle la mère,¹
Et dans tous lieux regne par tes bienfaits !
Par M. Willemain d'Abancourt.
AVRIL. 1770.
L'ABSENCE DE VENUS ,
Allégorie à Mde de T ***.
LORORSSQQUUEE l'immortelle Cypris ,
Quittant les boſquets d'Idalie
Pour habiter les céleſtes lambris ,
Emmene les plaiſirs , les amours & les ris,
Et va , des mains d'Hébé , recevoir l'ambroiſie ,
Ses berceaux enchanteurs perdent tous leurs attraits
:
Son iſle eſt un déſert immense ;
Tout ſe reffent de ſa fatale abſence,
Et les ſombres ennuis habitent ſon palais.
De l'amoureuſe tourterelle
Onn'entend plus les doux roucoulemens ;
Sur latige en naiſſant périt la fleur nouvelle ,
Et l'hiver ſemble , au milieu du printems ,
Déchaîner ſa rage cruelle.
Ainſi languit Paphos , ainfi languit Paris
Quand vous allez briller à la cour de Louis :
On ne peut vous blâmer de plaire ;
C'eſt le droit de Vénus , ce droit vous eſt acquis
:
Av
8 MERCURE DE FRANCE.
Ne rencontrez qu'un dangereux écueil,
De vos regards ce détail n'est pas digne ;
Grands , vous croiriez vous abaiſſer trop bas :
Virgile, avant de chanter les combats ,
Acélébré les troupeaux &la vigne.
Jadis les grands , les héros & les rois
Dela charrue alloient dicter des loix :
Rougifloient-ils de cultiver leurs terres ?
Et vous , & vous , orgueilleux éphémeres ,
Vous qu'un inſtant & fait naître & détruit ,
Vous dédaignez de ruſtiques chaumieres ,
Et rejetez la main qui vous nourrit !
Ovous, chez qui fleurit l'agriculture ,
Heureux François , préparez vos côteaux
Arecevoir les biens que la nature ,
Pleine de ſoins , deſtine à vos travaux !
O France ! ô toi , dont la gloire m'eſt chere,
Que dans tes ports , des bouts de l'univers ,
Soient raſſemblés tous les tributs des iners L
Diſpenſe , accorde aux peuplesde la terre
Le ſuperflu de tes riches guérets :
Du monde entier qu'on t'appelle la mère,
Etdans tous lieux regne par tes bienfaits !
Par M. Willemain d'Abancourt.
AVRIL. 1770.
:
L'ABSENCE DE VENUS ,
Allégorie à Mde de T *** .
LORSQUE l'immortelle Cypris ,
Quittant les boſquets d'Idalie
Pour habiter les céleſtes lambris ,
Emmene les plaiſirs , les amours & les ris ,
Et va , des mains d'Hébé , recevoir l'ambroiſie ,
Ses berceaux enchanteurs perdent tous leurs attraits
:
Son iſle eſt un déſert immense ;
Tout ſe reffent de ſa fatale abſence ,
Et les ſombres ennuis habitent ſon palais .
De l'anioureuſe tourterelle
Onn'entend plus les doux roucoulemens ;
Sur ſa tige en naiſſant périt la fleur nouvelle ,
Et l'hiver ſemble , au milieu du printems ,
Déchaîner ſa rage cruelle.
Ainſi languit Paphos , ainſi languit Paris
Quandvous allez briller à la cour de Louis :
On ne peut vous blâmer de plaire ;
C'eſt le droit de Vénus, ce droit vous eſt acquis
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais après une abſence à nos voeux trop contraire
,
Jugez , belle &jeune Doris ,
Si le retour est néceſſaire.
Par le même.
VERS à un ami , pour le jour desa fête.
Avecdes ſentimens peut-être moins finceres ,
D'autres , pour ton bouquet , feroient plus de
fracas :
Sije ne puis t'offrir que des fleurs paſſageres,
Mon amitié du moins ne leur reſſemblepas.
Parle même.
L'AMOUR & LA MORT. Fable.
L'Amourjadis s'égara dans un bois ,
Lorſquela nuit , endéploiant ſes voiles ,
De la finiftre Orfraye encourageoit la voix ,
Etqu'elle ouvroit fa carriere aux étoiles.
Toutdieu qu'il eſt , l'Amour est bientôt las,
Il l'étoit donc : il voit une caverne
AVRIL. 1770. 11
Propre à ſervir de retraite à Laverne. *
N'importe. Il y traîne ſes pas.
Et Laverne & l'amour ont des rapports enſemble,
Il craint peu de la rencontrer ;
Sidans ce lieu le haſard les raſſemble ,
Ils ont ànos dépens des tours à ſe montrer.
Il entre , mais dans la tanniere
Où ce dieu ſe couche & s'endort ,
Pour un inſtant dormoit auſſi la mort.
Bourreaux , aſlaſſins , gens de guerre
Et médecins dormoient ſans doute auſſi :
Quoi qu'il en ſoit , cette rencontre- ci
Fut hélas trop meurtriere.
De nos deux divinités ,
Les traits aux haſard jetés ,
Sontmêlés ſur la pouſſiére .
Or, tout-à-coup des vents fougueux ,
Dans les entrailles de la terre ,
Par leurs élans impétueux
Se faiſant une horrible guerre ,
Agitent notre globe & l'auroient renverſe;
*Déefle des Voleurs.
Avj 1
12 MERCURE DE FRANCE.
Si l'effort vigoureux d'un ſouffle trop preſlé
De leur priſon n'eût rompu la barriere.
Notre couple dormeur s'éveille avec effroi ,
Se leve , & fuit , en ramaſſant des armes
Que forgea le deſtin pour diverſes alarmes ,
Mais que chacun penſe être à ſoi :
Oh , de leurs traits mélange déplorable !
La mort en eutquelques-uns de l'amour ,
L'Amour, du monſtre impitoyable
En ſaiſit plus d'un à ſon tour :
Et c'eſt delà que, ſans être coupable ,
En bleſſant un jeune homme il lui ravit lejour,
Tandis qu'on voit la mort comme l'amour trom
pée ;
Dans le coeur glacéd'un vieillard
Imprudemment lancer un dard
Dont ſon ame autrefois pouvoit être frappée ,
Mais qui vient l'atteindre trop tard.
Sur ma tête qui grifonne
Je vois tomber mon automne.
mort !tu vasbientôt lever les yeux ſur moi,
Le ridicule eſt mon plus grand effroi ,
Ettes rigueurs n'ont rien dont je m'étonne
AVRIL.
1770. 13
Frappe, mais queton trait ſoit ſûrement à toi ,
C'eſt le ſeul que je te pardonne.
Par M. B...
STANCES à une Receveuſe des
Loteries.
FAVORITE du fort , prêtreſſe de ſon temple ,
Belle d'Hanonville , dis moi
De quel oeil ta raiſon contemple
Ceux que l'eſpoirdu gain fait accourir chez toi.
Tandis que de nos voeux la fortune ſe joue
Tu l'applaudis d'un air malin & fatisfait ,
Tu dors au branle de ſa roue ,
Tu ris des maux qu'elle nous fait.
Pour former l'heureux aſſemblage
Des.nombres proclamés par la voix du deſtin
Onte voit , la plume à la main ,
Aſſiſter à chaque tirage.
Tu peux , mieux que nos beaux eſprits,
Intéreſſer toute la ville
MERCURE DE FRANCE.
On faitdu moins que tes écrits
Ne contiennent riend'inutile.
Tu verras mon zèle empreſſé
Porter chez toi plus d'une miſe ,
Je veux prendre pour ma deviſe :
Vivent les traits qui m'ontbleſſé.
On en croit tes conſeils , & ſoudain on s'enivre
De ladouceurd'un fol eſpoir ,
Mais cequ'on peut perdre à les ſuivre ,
Vaut-il ce qu'ongagne à te voir ?
Tufais ſur le ſort même étendre ton empire ,
Ilmet toute ſa gloire à te faire du bien ,
Un dieu charmé de ton ſourire
Peut- il te refuſer le ſien ?
La chance à tes cliens devient- elle propice,
Lagaïté ſur ton front ſemble s'épanouïr
Tant de riches ducats n'ont rien qui t'éblouifle,
Tu les comptes ſans en jouïr.
Tes tréſors ſont d'une autre eſpéce ,
Mille charmes en toi ſont faits pour nous tenter ;
AVRIL. 1770. 15
Le tendre amour dans ſon ivreſſe
Enjouïroit ſans les compter.
De labeauté la plus exquiſe
Il a pris ſoinde te doter ,
Je connois plus d'une marquiſe
Qui , de ton lot, pourroit ſe contenter.
Sansdoute la fortune eſt belle ;
Maisde mille rivaux elle remplit lesvoeux,
Ne fois pas aveugle comme elle ,
Parmi les afpirans un ſeul doit être heureux.
Par M. de la Louptiere.
JE
ZAMAN. Hiſtoire orientale.
E ne fais rien de mon origine , &le
lecteur peut prendre àcet égard le parti
que j'ai toujours pris ; c'eſt de s'en peu
foucier . Souvent un eſclave (dit le poëte )
mérite plus d'eſtime que le noble qui n'a
pour lui que cetitre.
Peut- être ma naiſſance fut-elle le ſecret
du calender qui m'éleva dans les
16 MERCURE DE FRANCE.
plaines de Diarbek * . Abandonné fur les
bords du Tigre ** ; je dus la vie à ſon
humanité : voilà ſur ce point tout ce que
j'ai appris de Tachel , dont j'ai partagé la
retraite pendant ma premiere jeuneſſe.
Il chercha toujours à me perfuader
qu'une piété ſupérieure l'avoit ſeule conſacré
au genre de vie qu'il avoit embraffé :
mais fes diſcours fréquens ſur le menfonge
& fur la calomnie dont il ſe diſoit la
victime , m'ont fait ſoupçonner qu'un peu
d'humeur avoit auſſi quelque part à fa
vocation : d'ailleurs , il haïffoit les hommes
, & n'obſervoit pas le jeûne du Ramazan
, quoiqu'il fût par coeur tout le livre
faint.
Parmi les fingularités que j'obſervois
en lui , celle qui m'a conduit dans le cachot
où je languis , étoit la plus conſidérable
; mais elle a mérité long-tems mes
refpects .
Le mot de vérité ſe liſoit par-tout en
gros caracteres fur les murs de ſon habi-
(1 ) Ville de la Turquie Aſiatique , de la prov.
dumême nom , arroſée par le Tigre.
(2) Fleuve conſidérable d'Aſie , qui ſe jette avec
l'Euphrate dans le golfe de Baflora.
AVRIL. 1770. 17
:
tation . Ce mot étoit ſans celle dans ſa
bouche , & ce fut le premier qu'il m'apprit
à prononcer. Ses inſtructions ſe bornerent
preſque toutes à m'inſpiter la haine
la plus forte du menſonge & l'amour
le plus vifde la vertu qui lui eſt oppoſée .
Aucune conſidération , aucun intérêt
(me diſoit- il) ne doivent te porter à la
diffimulation . Il faut être vrai , mon cher
Zaman , dût- il t'en coûter la vie. J'imagine
depuis fort peu de jours que le chagrin
Calender , né foible & n'ofant dire
aux hommes les vérités qui ne leur auroient
pas plû , me deſtinoit à le venger
de ſa timidité & du mal qu'ils lui avoient
fait.
Il me conduiſoit ſouvent au haut des
lieux les plus élevés , pour y voir naître
cet aſtre ſi reſpecté du Parſis vagabond * ,
ceglobede lumiere qui paroît preſque tonjours
dans l'éclat le plus pur aux champs
de la Syrie. Mon fils (s'écrioit - il) leve
tes yeux éblouis , admire , & fais toi l'image
de l'ame d'un mortel à qui la vérité
eſt précieuſfe. Si la tienne abhorre
T (1) Les Parſis ou Guebres , ſans aucune habitation
fixe en Perſe , comme les Juifs parmi nous ,
adorent toujours le ſoleil.
18 MERCURE DE FRANCE.
l'impoſture , elle ſera brillante aux yeux
de l'Eternel comme ce centre de feux
dontildirige les mouvemens& la courſe;
&qu'il a revêtu de ſa ſplendeur.
La limpidité d'un ruiſſeau ſervoit une
autre fois d'emblême à ſes leçons . Ce duvet
précieux qui pare les dons de l'automne&
que le tact le plus léger peut détruire
, la fraîcheur ſi corruptible de la
roſe , tout étoit pour lui l'image de la
vérité.
Le dard vénimeux du reptile , l'haleine
empeſtée des vents deſtructeurs étoient au
contraire les figures ſous leſquelles il me
peignoit le menfonge ; & bientôr je
conçus pour ce vice une haine dont il fe
félicitoit de voir les progrès.
C'eſt ainſi (diſoit- il) que la ſemence
des végétaux parfumés d'Aden * , repandue
fur une terre féconde &préparée, les
rendra plus odorans encore. Trifte illufion
du Calender ! il ne recueillit de cette
ſemence que la mort , & moi que l'infortune
qui m'accable.
Je fortois àpeine de l'adoleſcence lorfqu'un
jour , dans un jardin où nous allions
chercher des fruits , nous nous en-
(1) Villeconfidérable de l'Arabic Heureufc.
AVRIL. 1770. 19
tretinmes dequelques nouvelles injuftices
du pacha du pays. Le zélé Tachel , onbliant
qu'on n'eſt jamais ſeul ſous la tyrannie
, élevoit les mains au Ciel & le
dévouoit faintement à la colere du Très-
Haut. Son enthouſiaſme palloit aifément
dans mon ame & j'eus grande part aux
malédictions dont nous chargeâmes Albuſſar,
c'étoit le nomdu gouverneur .
Le lendemain , tranquille au fond de la
paiſible demeure de Tachel , j'allujetiffois
le flexible ofier à des contours utiles ,
lorſque je vis entrer avec impétuofité le
barbare Albuſfar.
Les yeux fulminans & le cimeterre à la
main , il s'avance vers le Calender , & lui
dit qu'il fait qu'hier , dans tel enclos , à
telle heure , il s'eſt permis des imprécations
contre lui ,& qu'un paſteur l'a entendu
prononcer ces mots: Seigneur , obfeurcisfon
teint , quefa tigefoit coupée ,&
queson sangse répande comme un ruisfean.
Tachel , effraïé de l'air menaçant d'Al.
buſſar , perd de vue tout- à- couples grandes
leçons qu'il m'avoit données fur la
vérité;&craignant pour ſa vie,il répond ,
avec autant de lâcheté que d'adreſſe , que
ledélateur s'étoit mépris; que , ſe repo
20 MERCURE DE FRANCE.
fant ſous une treille où il conſidéroit avec
moi des grapes de raiſin , loin encore d'être
cueillies , il avoit ſouhaité qu'elles
devinſſent bientôt mûres , qu'on les coupât
& qu'on en fit du vin ; & que fans
doute les expreſſions métaphoriques dont
il s'étoit ſervi , avoient été mal-à propos
appliquées à ſa Grandeur.
Albuſſar , étonné de cette réponſe , me
voit fourire ; il me prend par la main,&
me demande s'il doit en croire le Calender.
Non , ( lui dis je avec fermeté ) non ,
Tachel te trompe , je fus témoin des imprécations
dont tu l'accuſes; c'eſt toi qui
en étois l'objet; c'eſt ſur toi que nous
voulions attirer les malédictions du Ciel.
Apeine avois-je articulé ces mots , la
main féroce d'Albuſſar avoit fait rouler la
tête de Tachel à mes pieds .
Moins effraïé qu'indigné de ce ſpectacle
, j'offrois la mienne aux fureurs du
tyran. Jeune homme, ( me dit il ) pourquoi
mépriſes - tu la mort ?-Parce que
je mépriſe encore plus le menfonge , je
ne puis t'abuſer ; Tachel m'apprit à te
haïr ainſi que l'impoſture : je fus auffi coupable
que lui dans le jardin où ton eſpion
nous entendit hier. -Et pourquoi me
hais- tu ? -Parce que ta cour eſt celle des
AVRIL. 1770. 2 1
mechans , & parce que tu es un méchant
toi-même.
Les gens de la ſuite du pacha alloient
fondre fur moi. Albuſſar les arrête. Refpectez
ſa vie ( dit- il. ) Le courage avec lequel
il confeſſe la vérité me le rend précieux.
Qu'il me ſuive à ma cour , je veux
m'en faire aimer. Quel eſt ton nom ? (me
dit- il) Zaman , ( répondis-je.) Viens Zaman
( ajouta - t'il. ) Albuſſar devient ton
protecteur ; mais fois toujours vrai , ſi tu
trahis la vérité , puiſſe ton fort être celui
deTachel !
Me voilà donc parmi des gens bien
éloignés de ma haine pour le menſonge , ..
au milieu des courtiſans & des flatteurs
d'Albuffar qui , lui-même n'en aimoit pas
mieux la vérité , malgré ce qu'il venoit de
faire en ma faveur .
Occupé du premier événement un peu
conſidérable de mon hiſtoire , je me difois
, il eſt fort bon de dire la vérité. Le
menſonge de Tachel lui a coûté la vie ;
mon courage a ſauvé la mienne. Ainſi je
m'affermiſfois dans les principes que m'avoit
inſpirés leCalender , & qu'il avoit &
mal ſuivis lui- même
Le pacha , toujours cruel , toujours injuſte
, s'amuſa de ma franchiſe &de ma
22 MERCURE DE FRANCE.
fincérité qu'il trouva inébranlable même
àſes propres dépens. La rareré de mon
caractere en étoit le ſeul mérite auprès de
lui ; c'eſt ainſi qu'un grand peut, dans ſa
ménagerie , entretenir avec foin un animal
étranger & redoutable , par la ſeule
raiſon qu'il n'eſt pasaiſé de s'en procurer
depareils.
,
Un jour que je m'étois expliqué avec
lui ſur le compte d'un de ſes flatteurs &
que je lui avois démontré que ce favori
ne confultoit que fon propre intérêt dans
toutes les chofes qu'il lui faisoit faire
j'allai me promener ſur le ſoir ſans me
faire accompagner. Apeine la nuit defcendoit-
elle ſur l'horifon, deux eunuques,
un bâton à leur main , m'environnent &
tombent ſur moi en me faluant de la part
du favori que j'avois peint le matin avec
tant de naïveté.
J'eus beaucoup de peine à regagner l'e
palais d'Albuſſar , à qui j'appris letraite
ment indigne qu'on m'avoit fait. Il jura
de me venger ; & en effet le cordon fatal
ayant terminé les jours du Satrape , j'appris
que mon protecteur me donneit ſes
places & qu'il partageoit avec moi la confiſcation
de ſa fortune.
Mes douleurs furent vives pendant plaAVRIL
. 1770. 23
heurs jours ; mais mon élévation & mes
richeſſes me les firent bientôt oublier ſans
qu'il me vint une ſeule fois dans la tête
que j'avois déjà coûté la vie , en très-peu
de tems , à deux perſonnes ; que la mienne
avoit deux fois couru de grands rifques
, &qu'en dernier lieu fur-tout j'avois
été fort heureux que le bras de deux
eunuques fût moins robuſte que celui de
tout autre eſclave qu'on auroit pu choifir
; enſorte que je continuai , ſous le
bon plaifir d'Albuſſar , à répandre la vérité
dans l'aſyle du menfonge.
L'orgueilleuſe inutilité des poëtes , la
dangereuſe charlatanerie des médecins ,
tout fourniſſoit une ample matiere à mes
obſervations. Albuſſar en rioit ſeul , mais
n'en profitoit pas.
,
De tous les ennemis que je me faifois
chaque jour , les poëtes me parurent les
plus incommodes. Les ténébres de ma
naiffance , ma taille qui étoit un peu au-
*deſſous du médiocre mon nez qui ne
deſſinoit pas fur mon viſage une ligne
exactement droite , & fur-tout ſes maudits
coups de bâton dont j'avois été regalé
ſur les bords du Tigre , étoient le
fonds inépuiſable de mauvaiſes plaiſanteries
rimées qui me ſuivoient par-tout.
24 MERCURE DE FRANCE .
Le retour périodique des gazels * infolens
me fatiguoit plus que je ne puis le
dire . Un voyageur , dans les ſables de la
Libye , eſt moins occupé du danger d'être
apperçu par quelque lion dévorant ou de
celui de tomber entre les mains d'une
troupe de brigands , que du ſoin continuel
de ſe défendre de la piqûre des inſectes
bourdonnans qui l'accompagnent.
Actuellement que le malheur me fait
réfléchir un peu plus ſenſément ſur le rôle
que je jouois à la cour d'Albuſſar , il me
paroît affez fingulier que je me fuſſe arrogé
le droit dedire des vérités dures aux
dépens de qui il appartiendroit , & que
jene puſſe pardonner aux gens qui remarquoient
que mon nez n'étoit pas auffi
droit que celui d'un autre , ce qui étoit
pourtant évidemment démontré.
J'en eus , je crois , un peu plus d'humeur
& mes vérités en devinrent un peu
plus acres. Je ne fis pas même grace à la
beauté quand elle eut à paſſer par macri.
tique.
Sélina m'avoit plu , &mon raviſſement
fut inexprimable lorſqu'elle daigna faire
tomber à mes yeux le voile qui me ca-
*Gazel , eſpéce de poëme arabe.
choit
AVRIL. 1770. 25
choit ſes charmes. Des treſſes argentées
qui ſe jouoient avec grace ſur ſon ſein ,
prêtoient le plus vif éclat aux lis & aux
roſes de ſa peau ; mais Sélina étoit unpeu
boiteuſe en dépit de toutes les peines
qu'elle prenoit pour ne le point paroître.
Je l'adorai en defirant quelquefois ,
pour la rendre parfaite , qu'elle n'eût pas
la jambe droite plus courte que l'autre : la
charmante Sélina m'eût alors paru digne
de marcher à la tête du choeur des houris
éternelles.
Malheureuſement pourmoi elle croyoit
en impoſer à tous les yeux , & bien loin
de ſoupçonnerque ſon défaut pût être apperçu
, elle ſe piquoit d'un vif amour
pour la danſe. J'oſai lui dire unjour que
cet exercice découvroit encore plus le tort
qu'avoit eu la nature avec elle: ſon indignation
fut la récompenſe d'un avis que
je croyois lui devoir pour ſon intérêt
même.
J'étois aimé , je l'euſſe aimée plus boiteuſe
encore ; je lui devins odieux. Que
d'efforts ne fis-je point pour me fairepardonner
mon crime ! elle fut inexorable ,
&m'accabla des mépris les plus forts. Vil
inſenſé ! ( m'écrivit elle , en mejurantque
ledernierde mes eſclaves lui plairoit plus
II Vol. B
•
26 MERCURE DE FRANCE.
que moi ) un instant de faveur i'éblouit
redoutes en le terme. Ignores-tu qu' Albuf
far ne te souffre àja cour que comme une
espèce de fou qui l'amuse , mais qu'il peut
abandonner bientôt à la vengeance publique?
Oh! oh ! ( me dis- je à la lecture de ce
billet) les femmes reçoivent allez malla
vérité ; ce n'eſt donc pas à elles qu'il faut
la dire ; Tachel auroit bien dû m'en avertir.
Je fouffris bien moins des invectives
de Sélina que de la perte de ſon coeur.
Long tems mon ame fut déchirée, &plus
d'une fois je me furpris à ſoupirer , en difant
que je ne l'aimois plus. Heureux , fi
la réflexion que j'avois faite ſur le peu de
goût des femmes pour la franchiſe , m'avoir
garanti du nouvel écueil où me fit
tomber le funeſte caractere que m'avoit
formé Tachel.
Albuſfar avoit , au nombre de ſes eſclaves
favorites , deux femmes qui ſe diſputoient,
non pas l'empire de la beauté, mais
celui de l'eſprir , parce que le gouverneur,
tout cruel qu'il étoit, avoit l'orgueil de
dédaigner une eſclave qui n'étoit que
belle. Son indéciſion, entre ſes favorites,
étoit une preuve qu'il ſe connoiſſoit peu
AVRIL. 1770. 27
an ſujet de la querelle , auſſi voulut- il que
mon jugement terminât leurs débats. Je
vis donc pluſieurs fois Zédine & Fakeric,
c'étoient les noms des deux eſclaves.
La derniere , avec aufli peu d'idées que
la plupart des poëtes du Diarbek , avoit ,
comme eux , l'incommode facilité d'arranger
des mots rimés à chaque déſinence.
Elleavoit,comme eux, le plusgrandreſpect
pour ce petit talent , &, comme eux , elle.
me parut peu foutenable lorſqu'elle ne
parloit pas d'elle - même , ou des quinze
différentes façons d'empriſonner la penſée
de Merlana Giami ( 1 ) oude Sawly(2).
Pour Zédine , je lui trouvai de plus hau
tes prétentions , mais bien autant deridicules
. Elle croyoit avec Jbn abbas ( 3 ) que
les fix jours de la création étoient chacun
de 1000 ans. Elle connoiſſoit la longueur
&la largeur des ſept paradisdu prophête ;
elle m'aſſura qu'elle étoit de 4383000
lieues. Elle me deſſina la figure du jeh-
:
(1) Poëte Perſan , auteur du Bahariſtan .
(2) Poëte Arabe fameux.
(3 ) Célèbre interprêre de l'alcoran , mort l'an
67 de l'hégire. C'eſt d'après fon idée qu'étoit ve
nue l'opinion que le monde ne dévoitdurer que fix
mille ans,
Bij )
28 MERCURE DE FRANCE.
mout , énorme poiſſon , ſoutien de l'eſcar
bot, qui porte le boeuf de 4000 pieds , fur
lequel eſt la pierre de ſaphir , qui ſert de
marchepied à l'ange qui ſupporte les cieux
& la terre. Haffan El Bafry ( 1 ) n'avoit
pas mieux ſu qu'elle le nom du génie qui
aſoin des nuages&des pluies. Il habite
(me diſoit - elle avec confiance ) le premier
ciel de la fumée ; car c'eſt de fumée
que l'Eternel compoſa les ſept étages des
ſept cieux ( 2) .
J'eus beaucoup de peine à ne pas éclater
lorſqu'elle m'étala ſa doctrine ſur les
Hirz, (3 ) dont elle ſavoit tous les ſecrets.
Enfin Zédine me parut avoir parcouru la
chaîne de toutes les rêveries humaines
pour s'en faire un étalage d'érudition faftidieuſe
& pédanteſque qui me ſembloit
détruire tout cequ'elle avoitde charmes.
Albuſſar, curieuxd'apprendre à laquelle
des deux j'avois donné la préférence , interrogea
bientôt ma ſincérité , &je n'héfitai
pas de lui dire que l'une & l'autre
(1) Haffan El-Bafry , premier ſcholaſtique des
Musulmans , allaité, pendant l'abſence de ſa mere,
par une des femmes du prophéte.
(2) Toutes ces rêveries ſe trouvent dans différens
ouvrages arabes.
(3) Les Hirz, les Amulettes.
AVRIL. 1770 . 29
étoient faites pour lui plaire par les graces
de la figure , mais que je n'avois point
remarqué d'eſprit à tout ce que j'avois entendu
, & qu'il devoit leur conſeiller
d'employer tantd'émulation àdevenir des
femmes aimables , au lieu d'être l'une un
rimeur infipide , & l'autre un ennuyeux
pédant.
Lemalin pacha ne laiſſa pas ignorer ma
déciſion aux deux rivales qui, réunies pour
ma perte , ſe vengerent de moi comme
on va le voir.
Arrêté par des hommes robuſtes qui me
fermerent la bouche , je me vis un jour
porré & attaché ſur le dos d'un chameau
d'où je ne pus defcendre qu'au bout de
deux jours aux conditions de ſuivre docilement
la caravane à laquelle j'avois été
livré , & qui faisoit route pour Bafra fur
le golphe Perſique.
J'avois tout promis,&quelques regrets
que je fentifle de perdre le poſte & la fortune
que je tenois d'Albuſſar , je parvins
àm'éloigner ſans peine d'un pays où j'avois
été en fort peu de tems chanſonné
cruellement , abandonné barbarement par
Sélina , hai univerſellement , bâtonné ,
comme le lecteur l'a vu , & toujours en
danger de perdre la vie auprès du plus ca-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pricieux & du plus inhumain des gouver
neurs qui , fans doute déjà las de moi, m'avoitlivré
au courrouxde ſes deux femmes.
Malheureuſement mes conducteurs n'ézoient
pas payés pour me mener juſqu'à
•Bafra; car m'ayant vuune nuitplongé dans
un fommeil profond , ils prirent ce moment
pour continuer ſans moi leur chemin
; enforte qu'à mon réveil je me trouvai
ſeuldans les horreurs d'une immenfe
forêt, avec des provifions très légeres que
j'apperçus à mes côtés & que je devois
bien plutôt à l'humanité de quelqu'un de
mes compagnons , qu'aux ordres de Fakeric
& de Zédine. Tant il eſt imprudent de
refuſer de l'eſprit aux jolies femmes .
Je voulus d'abord ſuivre la trace des
chameaux ; mais une riviere qui ſe préfeuta
devant moi & que je ne pus paller ,
me força de renoncer àl'eſpoir de rejoisdre
la caravanne.
Déjà pluſieurs jours s'étoient écoulés ,
& touchant au terme de mes ſubſiſtances ,
je me dévouois à la mort, lorſqu'un bruit
de chameaux & d'hommes me fit lever les
yeux que j'attachois triſtement à la terre .
Je ne me trompois point ; le Ciel qui
me deſtinoit à des peines plus longues ,
me fit appercevoir une troupe de gens vers
AVRIL. 1770.
leſquels je courus en leur demandant la
vie.
J'en fus aſſez bienreçu ,& commetous
les chemins m'étoient égaux , je confentis
volontiers à ſuivre la troupe qui alloit à la
capitale de la Syrie .
Mes nouveaux compagnons de voyage
étoient des pélerins qui revenoient de la
Mecque & qui devoient être reçus à Damas
avec le plus grand reſpect J'imagine
pourtantqueje fus fort heureux de n'avoir
rien qui tentât leut fainte avarice ; car je
m'apperçus , chemin faiſant, à la peurque
nous fîmes à quelques marchands qui
croifoient notre route , & qui ſe ſauverent
à l'aſpect de nos bourdons ; que la
pieuſe cohorte dontje ſuivoisles pas n'inf
piroit pas une grande confiance .
La façon dont nous nous emparâmes
quelques jours après au nom du prophête,
des troupeaux que nous rencontrâmes ,
confirma mes idées à cet égard , & la néceflité
de faire ſubſiſter des gens qui
avoient vu le tombeau , ne me parut pas
ſuffifante pour juſtifier un vol que chacun
des pélerins auroit pu ne pas commettre
en reſtant chez lui .
Apeine eus-je fait partde mesréflexions
far ce point , qu'il s'éleva un cri général
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
contre moi . Je fus traité de ſcélérat &&
d'impie : la caravane ſuſpendit ſa marche
&parla de me juger.
Les eſprits s'échauffent par mon obſtination
à foutenir ce que j'avois dit ; on
melie ; on prend les voix , &je ſuis condamné
preſque unanimement à être enterré
vif.
Déjà la folle s'avançoit lorſqu'un des
Arabes qui , après avoir vu la maiſon
quarrée , s'étoient privés de la vue pour ne
plus rien enviſager de terreſtre , vient auprès
de moi , promene ſes doigts ſur mes
traits , me ferre affectueuſement la main
&demande ma grace .
L'autorité de cette victimedu prophète
calma tout-à- coup l'indignation générale,
&il me fut permisde ſuivre mon libérateur
àDamas ſans rien appréhender de la
fureur que j'avois excitée.
Je m'impofai le plus rigoureux ſilence
juſqu'à notre arrivée dans cette grande
ville; carjene pus pas me diſſimuler après
ma derniere aventure , qu'il ne fût cent
fois plus dangereux de dire la vérité avec
de pareilles gens qu'avec les poëtes& les
belles du Diarbek .
La caravane avoit envoyé des députés
au gouverneur de Damas , afin de ſe faire
AVRIL. 1770. 33
rendre les hommages dûs en pareil cas ;
en effet notre entrée eut plus l'air d'un
triomphe que de l'arrivée d'une troupe de
pélerins. Les aveugles fur-tout , au nombrede
vingt , & que préſidoit mon défenfeur
, eurent à leurs pieds tous les grands ,
toutes les beautés de la ville , & le pacha
même , pour implorer leurs bénédictions .
Après toutes les vaines cérémonies de
cette entrée , je ſuivis mon aveugle & fes
compagnons dans la maiſon qui leur avoit
été préparéepar le gouvernement.
Il eſt aſſez fingulier de dire qu'on fuit
un aveugle , & cependant c'eſt ce qui
m'arriva. Quel est le vrai croyantqui doute
que les pas de ces gens qui ſe ſont volontairement
privé du plus utile de nos
ſens , après avoir fait ſept fois le tour de la
kaaba , ne foient guidés par une vertu ſecrete&
divine ?
Dès le lendemain Cobar ( c'étoit le
nom du chef des aveugles ) fut élu& proclamé
grand interprête de la lei ; & dès
lors le pacha Koutkou qui , d'ailleurs
étoitun homme ſimple&bon, ſe vit fous
ſa dépendance religieuſe .
On me croyoit fort heureux de lui être
attaché , &peu s'en falloit que je n'inſpirafle
moi - même quelque reſpect par
Bv
3.4 MERCURE DE FRANCE.
l'honneur que j'avois de ſervir le faint
interprête;mais ce prétendu bonheur dura
peu , parce que je perdis ma vénération
pour mon maître. J'avois quelquefois
Loupçonné qu'il étoit moins aveugle, qu'il
ne vouloit le faire croire , & différentes
épreuves réitérées toujours avec le même
ſuccès , ne me laifferent aucun doute ſur
la pieuſe fraude de Cobar & de quelquesuns
de ſes diſciples. D'ailleurs , il n'avoit
pas été longtems fans me faire redouter
des dangers dont je n'oſe ici déſigner l'ef-
-péce : je pris le parti de fuir & de chercher
un afyle chez le pacha , dont la foibleſſe
m'avoit intéreſſé ...
Je me crus obligé de lui révéler la charlatanerie
de Cobar ; mais loin de le perfuader
, je fus traité par le gouverneur de
téméraire & de fou , & le faux aveugle
m'ayant réclamé avec hauteur , Kourkou
me fit remettre entre ſes mains .
L'accueil careſſant qu'on me fit à mon
retour forcé dans la maiſon des aveugles,
ne me laiſſa rien entrevoir du traitement
qui m'y attendoit;Cobar lui-même étoit
venu à la porte me recevoir avec tous les
témoignages du plaifir & de la bonté ;.
mais à peine la nuit fut elle arrivée que
leplancherde la nouvelle chambre qu'on
AVRIL. 1770. 35
m'avoit fait prendre , s'écartant des deux
côtés avec précipitation , je tombai à plus
de so pieds de profondeur dans un filet
fuſpendu qui m'empêcha de me brifer
contre terre.
La trape ſe referma auſſi tot au- deſſus
de moi ,& je paſſai la nuit dans mon filet,
reſpirant une odeur inſupportable , & n'ofant
en fortir dans la crainte de tomber
dans un autre abîme.
Le retour du ſoleil ne s'annonça que
par une foible clarté qui pafſſoit à travers
la grille d'un cloaque qui étoit encore à
15 pieds au- deſſous.
Quelques heures après , je vis paroître
quatre hommes dans mon horrible cachot.
Quatre poulies fontdeſcendre juſqu'à eux
mon filet , & me livrent à leur barbarie.
On me dépouille ; on me déchire la peau
parmille coups de verge , & on me laiſſe
preſque expirant ſur quelques planches à
moitié pourries qui devoient me garantir
d'une plus grande humidité.
Ce fupplice dura quinze jours de fuite,
parce que je fus aflez lâche au ſecond jour
pour faire uſage du ris & de l'eau qu'on
avoitlaiſſés à mes côtés .
Ce terme révolu , je ne vis plus mes
bouremax ordinaires , & ma provifion
Pvj
36 MERCURE DE FRANCE.
defcendit de tems à autre par la trape
funeſte qui étoit ſi fort au-deſſus de ma
tête.
Enfin il y a quelque tems , un vieillard
parut à mes yeux. Ne t'effraïe point , Zaman,
(me dit- il) ton fort m'a fait pitié;
je viens , s'il ſe peut , en adoucir l'amertume.
Malheureux ! ( ajouta - t'il ) quel
démon te fuggéra le conſeil d'aller apprendre
au pacha que Cobar n'étoit pas
plus aveugle que toi !
Alors je lui fis part du penchant que
j'avois reçu par mon éducation à dire
toujours la vérité. Te la demandoit-on ?
(interrompit - il ) Inſenſé ! comment le
danger que tu as couru avant d'arriver à
Damas ne t'a- til pas corrigé ? Apprends
qu'il eſt des hommes implacables qu'il
ne faut jamais démaſquer ; tel eſt Cobar,
tel eſt ton ennemi. Adieu , je reviendrai
te voir , un événement peut te rendre la
liberté , crois que je veille à tes intérêts.
Il fortit en me laiſſant des ſachets d'une
odeur délicieuſe qui me rendit l'infection
de mon cachot plus foutenable , & un
vaſe d'une liqueur qui ranima mes efprits
, & qui me fit ſupporter ma fatale
existence .
Je revis bientôt mon ſecourable & ten
AVRIL. 1770. 37
dte vieillard , une lampe &des papiers à
la main. Tiens (dit- il ) tu vas apprendre
comment la vérité peut ſe préſenter à
ſes ennemis ; lis &médite , tu me verras
dans peu.
C'étoit l'ouvrage du ſage Lokman
qu'il m'avoit laiſſé , & qui me pénétra de
la néceſſité d'envelopper la vérité pour
ofer l'offrir aux hommes. Oui , me disje
, après avoir lu les paraboles du vertueux
Arabe dont le nom immortel fert
de titre au 31º chapitre de l'alcoran , oui
déſormais Lokman ſera mon guide &
mon modèle.
Je prononçois cet engagement lorſque
mon vieillard reparut & me dit : prends
courage , Zaman , une maladie cruelle
menace les jours de Cobar , il mourra
fans t'avoir pardonné ; mais à ſa mort
j'ouvrirai ta priſon , n'oublie jamais les
leçons de Lokman. En attendant ( ajouta-
t'il ) écris ton hiſtoire , c'eſt là ſeulement
qu'il ne faut jamais déguiſer la vérité.
J'écrivis en effet ce qu'on vient de lire
, & le tableau de mes malheurs fut
encore une leçon pour moi. J'attends le
moment d'en profiter. Oui , mortels ! fi
je revois la clarté du jour , ſi je revis
parmi vous , je continuerai à reſpecter la
38 MERCURE DE FRANCE.
vérité ; mais j'adoucirai pour vos foibles
yeux ſon image effraïante.
Par M. B **.
LES VOLCAN S.
Ode qui a remporté le prix de l'Académie
* de Marseille en 1769 ; par M. Gaillard,
de l'académie des inſcip. & belles- lettres.
Ingens terrarum portentum. PLIN.
PARTENOPE * regnoit ſur une mer tranquile
D'innombrables cités , dans ſa plaine fertile,
S'élevoient autour d'elle &compoſoient ſa cour..
Virgile avoit chanté ſur ces rives fleuries
Lavinie & Didon , les champs & les prairies
Les bergers & l'amour,
Le crime étoit puni ; la terre étoit vengée ,
Des Caïus , des Nérons heureuſement purgée ,
Rome voyoit les loix triompher àleur tour.
Titus, Titus regnoit ſur Rome& fur lui-même;
Titus , l'amour du ciet , dans la grandeur ſuprême
N'avoit perdu qu'unjour.
* Partenope ou Naples.
Illo Virgilium me tempore dulcis alebat Partenope
AVRIL. 1770. 39
Afluré des bienfaits d'un maître qu'il adore , :
Le laboureur joyeux a ſalué l'aurore ;
L'eſpérance & l'amour brilloient dans tous les
yeux.
Heureux qui ſervira le prince & la patrie !
Tout aimoit , tour chantoit; la nature attendrie
Remercioit les dieux.
Ciel ! ... ő Ciel ! quels torrens de sendre &de
fumée !
LeVéſuve en fureur , de la cime enflammée
Vomit des rocs brûlans & des métaux fondus :
La lave roule au loin juſqu'aux mers écumantes;
Herculane eſt couvert de ces maſſes fumantes;
Pompeia n'eſt plus.
Le ſoleil eſt éteint : les feux de ce tonnerre
Ont ſeuls droit d'éclairer & d'embrafer la terre .
Acette lueur ſombre , à ces longs tremblemens ,
Neptune avec effroi s'élançant du rivage ,
Court aux bords africains annoncer ce ravage
Pardes mugiſſemens.
Le choc des élémens a brifé ces montagnes,
La ſolfatare ardente a brûlé ces campagnes ;
Cespins font arrachés , ces murs ſont renverſés ;
Tous les vents échappés de leurs grottes profondes
40 MERCURE DE FRANCE.
De cent vaiſſeaux épars ont ſemé ſur les ondes
Les débris fracaffés .
Oterreur ! Ô vengeance ! ô dévorans abîmes !
Epargnez l'innocent , choiſiſſez vos victimes ,
Corrigez l'univers par ces calamités :
Ecraſez ce brigand qui défole la terre ;
Ce Sybarite affreux qui comnande la guerre
Du ſeindes voluptés.
Non : réſervez plutôt pour l'injuſte & l'impie ,
Le tourment de ſurvivre à leur triſte patrie ,
Aleur pere , à leur fille , à l'hymen , à l'amour ,
Atous ces noeuds charmans qui conſolent nos
ames.
Omort ! ô paix profonde ! heureux qui , dans ces
flames ,
N'a perdu que lejour !
L'une , auprès d'un fils mort , tombe déſeſpérée :
L'autre appelle, en tremblant , ſa famille égarée ;
Il héſite , il friſſonne , il veut fuir , il revient :
De la chaumiere à peine il reconnoît la place ;
De ces bords abîmés l'épouvante le chaſſe ,
Et l'amour l'y retient.
Lamort produit la mort. La famine& la peſte
Vontde ces malheureux confumer ce qui reſte :
Des cadavres preſſés l'horrible exhalaiſon ,
L'air infecté par-tour d'une vapeur mortelle ,
AVRIL.
1770 . 41
Unciel impitoyable , une terre infidèle
N'ont plus que du poiſon.
Dieux ! où fuir ? Tout éprouve ou tout craint ſa
ruine ;
Les gouffres ſont ouverts de Lisbonne à la Chine;
L'effroi , d'un vol affreux , parcourt tous les climats
La terrea ſes fléaux , la mer a ſes tempêtes ,
Ledanger eft par -tout ; lafoudre etsurnos têtes,
L'abîme eſt ſous nos pas.
Le midi trop ſouvent , de ces triſtes lumieres ,
Voit briller au Pérou le front des Cordilleres ,
Il vit le Callao tomber avec Lima ;
Etdes antres du Nord une flamme cruelle
Sillonne en mugiſſant cette glace éternelle
Qui couronne l'Hécla.
Si , ſous un ciel plus doux je cherche un bord tranquile
,
Théocrite me guide aux champs de la Sicile ,
Aux ſources d'Arethuſe , aux beaux vallons d'Enna
,
Tout rit à mes regards dans cet aſyle aimable ;
Mais Typhon y frémit , & ſa rage indomptable
Y ſouleve l'Etna .
Lanature en courroux n'étonne point le vice;
42 MERCURE DE FRANCE.
Voyez dans ces volcans l'intrépide avarice ,
D'uneļardeur téméraire , aller tenter le fort.
Des citoyens pilloient Lisbonne chancelante
L'intérêt demandoit à la terre tremblante ,
La fortune ou la mort.
ア
Que dis - je ? .... Ô guerre! ô honte ! ôbarbare
induſtrie!
Ces volcans ont ſervi d'exemple à ta furie.
La race humaine habite au milieu des horreurs ;
Elle a multiplié ſes malheurs par ſes crimes.
Tombez , monſtres , tombez , exécrables victi
mes
De vos propres fureurs .
Oh! nemaudiflons point nos amis & nos freres ;
Déplorons ces fureurs à leur ame étrangeres.
Non , malheureux humains ! je ne puis vous haïr :
Ceflez de vous détruire , & même de vous craindre
;
Laiſſez - moi vous aimer , vous confoler , vous
plaindre ;
Laiſſez- moi vous fervir.
Venez : que nosbeſoins , que nos maux nous unif
fent;
AVRI L. 1770. 43
Quede l'humanité tous les voeux s'accompliſſent ,
Que l'amour & la paix viennent tout ranimer :
Jurons par nos malheurs , par ces fléaux terribles
,
Jurons d'être à jamais bienfaiſans & paiſibles ,
Jurons de nous aimer.
D
:
CONTE.
Eux époux que l'amour avoit toujours unis ,
Filoient des jours heureux au ſein de l'innocence .
Ils vivoient chaque jour l'un par l'autre chéris,
Et ſe juroient tous deux la plus ferme conſtance.
Mais quel triſte revers ?Quel chagrin pour Thémire
?
La pâle maladie , ô triſte coup du fort !
S'empare de Lubin ; jugez de ſon martyre :
Elle voit ſon époux à deux doigts de la mort.
Son coeur eft agité , qui pourra l'arrêter ,
Elle veut au tombeau ſuivre ſon cher Lubin.
Son pere la voyant ainſi ſe lamenter ,
Et craignant de la voir achever ſon deſtin ;
Lui dit , en s'approchant , pourquoi te déſoler ?
MERCURE DE FRANCE.
Si la parque cruelle emporte ton mari ,
Laiſſe agir les deſtins , compte ſur un ami
Avec qui tu pourras dans peu te conſoler ;
Il eſt jeune & bien fait , ſa fortune & fon nom
Ne feront qu'aggrandir l'eſpoir de ta maiſon.
Un ſemblable propos ne ſert qu'à l'irriter.
Son ame ſans effroi ne peut le ſoutenir ,
Et ſes ſanglots enfin ne font que redoubler
Lorſque ce cherLubin rend le dernier ſoupir.
Thémire eſt aux abois ; elle ſe déſeſpére.
J'ai tout perdu , dit-elle , en perdant mon mari.
Hélas ! quedevenir ? Puis regardant ſon pere ,
L'ami dont vous parlez loge-t'il loin d'ici .
ParM. C.
LA NAISSANCE DE L'AMITIÉ .
DANS ſon temple la Sageffe
Etoit , dit-on , ſeule un jour ;
Pour le dieu de la Tendrefle
Chacundéſertoit ſa cour ;
Detout tems à la Sageſſe
L'Amour a fait plus d'un tour.
AVRIL. 1770 . 45-
*Quoi donc ! un enfant , dit-elle ,
>>> Contre moi viendra s'armer !
>>>Oſons , pour vaincre un rebelle ,
>>C>ommelui , plaire& charmer ;
>> Rendons la vertu plus belle ,
>>>Donnons- lui le don d'aimer.
>>Tendre amitié , viens ſourire
>>>A l'homme , àla terre , aux dieux !
>>Que les coeurs ſoient ton empire
>> Et tes temples tous les lieux !
>>Q>u'en toi l'univers admire
>>L>eplusbeau préſentdes cieux.>»>
Elle dit : A ſa parole
L'Amitié naît & fourit ;
Le Crime fuit & s'envole.
En choeur l'Olympe applaudit ,
Et de l'un à l'autre pôle
Tout le globe s'embellit.
Sa beauté touchante & fiere
Du méchant bleſſa les yeux ;
Sa voix , mieux que le tonnerre,
Fitdes mortels vertueux ;
48 MERCURE DE FRANCE.
ſes commencemens . La fortune médiocre
de Stanley ( c'eſt le nom du jeune hom
me ) ne lui permettoit pas d'eſpérer d'obtenir
la main de Sally , qui étoit regardée
comme un des meilleurs partis de Londres.
Malgré ces obſtacles , leur tendreſſe
ne fit que croître & ſe fortifier avec l'âge.
Sally avoit le caractere plus mélancolique
que ne l'ont ordinairement ſes compatriotes
: on doit donc s'attendre à toute la
violence de ſes tranſports. Elle aimoit
d'autant plus vivement qu'ayant reçu une
éducation cultivée , elle étoit contrainte
de ſe ſoumettre à toutes les obligations
de ſon ſexe. Il falloit que ſon extérieur
démentît ſans ceſſe le trouble de fon
ame.
Stanley donna à ſajeune maîtreſſe quel.
ques ſujets de jalouſie ; on ne fait s'ils
étoient fondés ; il n'eſt point de traits légers
pour un coeur ſenſible. Sally eut la
force de diffimuler quelque tems & de
dévorer ſes chagrins; elle ſe contentoit
de laiſſer tomber des pleurs dans ſon ſein:
•ſa douleur éclata ; elle ſe plaignit avec
douceur , & dit un jour à ſon amant dans
l'abondance des larmes : « Vous ſçavez ,
>> Stanley , que je vous aime , & que je
>> n'aime que vous; fi vous continuez à
>>voir
AVRIL. 1770 . 49
i
voir Miſs Jenny , vous ferez la caufe de
ma mort.>>>>
Stanley promit tout pour raffurer Sally;
mais foit qu'il eût moins de vivacité& de
tendreſſe , ſoit que les foupçons de ſa
maîtreſſe lui parullent entierement injuftes
, il ne tint point parole , & cette malheureuſe
fille n'en fut que trop informée .
Elle ne fit point entendre la moindre
plainte , & affecta une tranquillité dont
Stanley , s'il avoit aimé comme Sally ,
eût aisément pénétré la diffimulation; elle
nourrit dans ſon coeur un fombre déſeſ
poir; l'oeil de la nature fut plus clairvoyantque
celui de l'amour. Les parens
de Sally , à qui elle étoit chere, ſurprirent,
fi l'on peut le croire , l'agitation
fecrette qu'elle éprouvoit; ils lui en demanderent
la caute ; elle s'obſtina à garder
le filence. On obſerva ſeulement qu'elle
avoitles yeux égarés ,qu'il lui échapoit des
foupirs,& qu'elle cherchoitmêmeàrepoufſer
ſes larmes: elle vient un ſoir , ſelon
l'uſage , recevoir la bénédiction de fon
pere & de fa mere ; elle les embraſle , retourne
pluſieurs fois dans leurs bras , ne
fauroit s'en ſéparer qu'en gémiſſant , fa
mere allarmée lui fait de nouvelles queftions
: Sally ne répond que par des pleurs;
II. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE .
ſes parens perſiſtent à l'interroger ; elle ſe
rejette ſur une triſteſſe involontaire qu'elle
ne peut dompter , & les quitte enfin ,
comme accablée d'une profonde douleur.
La tendreffe maternelle eſt peut- être la
plus inquiete de toutes. Le mere de Sally
, tourmentée toute la nuit de l'état où
elle avoit laiſſe ſa fille , ne peut réſiſter à
l'impatience de la voir. Le jour avoit à
peine paru qu'elle ſe leve pour courir à
ſon appartement. Son mari s'efforce en
vain de la retenir , en lui diſant que ſes
craintes n'étoient point fondées. Vousne
favez pas , répliqua - t'elle , ce que c'eſt
qu'une mere ; &elle fort avec précipitation.
Quel affreux ſpectacle la frappe !
Elle trouve ſa fille étranglée à une des colonnes
de ſon litavec un papier ſur ſa poitrine
, où étoient écrits ces deux mors :
for love, pour l'amour.
La mere , toute effraïée, voleà ſa fille
dans l'eſpérance qu'elle pourroit encore
la ſecourir; elle appelle ſon mari, ſesdomeſtiques
: leurs foins furent inutiles : il
y avoit déjà cinq ou fix heures que cette
infortunée créature s'étoit détruite . Le
bruit de cette mort parvient bientôt aux
oreilles de Stanley ! Il s'élance vers la
chambre de Sally , en s'écriant : « C'eſt
AVRIL. 1770. SD
moi qui ſuis ſon aſſaſſin ! Il ſe jette
fur fon corps , l'arroſe de ſes larmes . Les
parens de Sally arrachent Stanley de defſus
le cadavre , & croyant en effet qu'il
étoit le meurtrier de leur fille , s'abandonnent
à la fureur , le pere fond l'épée à la
main fur Stanley , qui ne ſe met point en
défenſe &reçoit un coup mortel.
non ,
3
Oui , poursuit- il , c'eſt moi qui ſuis le
bourreau de Miſs Sally ,&je rends grace
au Ciel de la ſuivre dans le tombeau. Il
raconte alors ce que la famille avoit ignoréjuſqu'à
ce moment. Lorſqu'on vient à
ſavoir que Stanley n'a point porté la main
fur Sally , on veut lui donner du ſecours;
continue -'t'il , je n'abuſerai point
de votre humanité. Tout ce que j'attends
devos ames généreuſes , c'eſt de hâter
s'il ſe peut , l'inſtant de ma mort ; j'ai
cauſé celle de votre fille , de tout ce que
j'adorois ; c'eſt moi qui l'ai immolée, ne
l'aimant pas autant qu'elle le méritoit ;
mes imprudences ont excité ſa jaloufie ;
je meurs avec plaiſir de vos coups ; j'implore
une feule grace : qu'il me foit permis
de rendre mes derniers ſoupirs à côté
de Miſs Sally. Le pere & la mere en pleu .
rant traînent ce jeune homme auprès de
leur fille ; il prend une de ſes mains , la
Cij
5.2 MERCURE DE FRANCE.
porte à ſa bouche , & expire en diſant :
Oma chere Sally , eſt ce aſſez de mourir
pour toi ?
VERS au sujet du livre de la Théorie
des Sentimens agréables ; par feu M.
de Pouilly , inférés dans un recueil intitulé
: le Temple du Bonheur.
On met la théorie au temple du bonheur,
Humains , pénétrez en vos ames,
Et ſondez en l'utile profondeur ;
Là du génie elle montre les flammes;
Ici de la nature elle dicte les loix.
A l'eſtime publique elle eut toujours des droits,
Et ſa place eſt marquée au temple de mémoire;
Aux mânes de Pouilli ce nouveau jour eſt doux ,
Mais ils en rejettent la gloire ,
S'il n'eſt pas un bienfait pour vous.
ParM. d'Origny, conſeiller en le
cour des Monnoies.
AVRIL. 17.70. 53
VERS à Monfieur de *** .
VOTRE muſe vive & légère
Sait ſe plier à tous les tons ;
S'il eſt quelque fête à Cythère
L'on n'y chante que vos chanſons.
L'amour vous a remis la lyre
Des Chapelles & des Chaulieux ;
L'on voit chaque belle ſourire
A vos couplets ingénieux .
De vos vers admirant les graces ,
Surpris , & preſque un peu jaloux ,
Je veux en vain ſuivre vos traces ;
Je reſte loin derriere vous.
Ah ! vous ferez toujours mon maître !
Je me borne à vous imiter.
Ce n'eſt qu'en amitié peut-être
Quejepuis vous le diſputer. :
Par M. d'Azemar , lieutenant an
régiment de Touraine.
)
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE..
LE SOPHI & LE POTIER.
Au fils de Tamerlan , un vil Potier de terre
Adrefla ce propos :
L'alcoran eſt- il faux ,
Quand il dit que du riche un indigent eft frere,
Et que malgré l'orgueil & fa chimere
Tous les Muſulmans ſont égaux ?
Non , monami , c'eſt la vérité même ,
(Dit au manoeuvre le Sophi. )
Eh! bien , la choſe étant ainſi ,
(Reprendnotre Potier) ma ſurpriſe eſt extrême ,
Tandis que je fuis fansun fou
Que vous nagiez dans l'argent juſqu'au cow.
Je vois que vous êtes fincere ,
Vous convenez du principe avec moi ;
Soiez aufli de bonne foi ,
Et faites moi ma part de frere.
De huitaſpres * alors le Sophi lui faitdon.
Huit afpres ſeulement (dit l'ouvrier qu'étonne
* Monnoie qui revient à notre pièce de deuxx
Liards..
AVRIL. 1770. 55
Une fi mince portion ? )
Quoi! des tréſors de la couronne....
Paix , filence , interrompt Schahroch
Netevante de rien , ta part n'eſt que trop bonne ,
Jet'en ai fait le compte enbloc.
Sois bien certain qu'il faudroit rendre ;
Si , me faiſant la même loi ,
Chaque frere ici venoit prendre
Sa portion , ainſi que toi.
: ParM. Bres
VERS.
ELEVES, tendrement cheris
Du dieu qui préſide au Parnaſle ,
Dont les mélodieux écrits ,
Des vers de Tibulle & du Talle
Out le ſéduiſant coloris ,
Et qui n'eſluiez les mépris
Ni d'Aglaé ni de D *** ;
:
*C'eſt ainſi que ſe nommoit le fils de Tamer
lan. M, Galand a écrit fon hiſtoire.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
De rofes couronnez Cypris ,
Offrez des guirlandes aux Graces ,
Suivez inceſſamment leurs traces ,
Soiez fans cefle avez les ris.
Pour vous les nymphes font parées
De leurs plus aimables atours :
Pour vous le carquois des amours
Eſt rempli de fléches dorées.
Sur les bords mouffeux des ruiſſeaux
Folatrez avec les Nayades :
Les timides Hamadriades
Vous appellent ſous ces ormeaux.
Peignez , dans vos tableaux champêtre
Les bergers danſans ſous les hêtres ,
Animés par la volupté;
Chantez les beautés du village ,
;
Leur air riant , leur maintien ſage ,
১
Leurs moeurs & leur fimplicité ;
Ou bien prenez des panetieres ,
Et , ſur les verdoïans gafons ,
Faites redire vos chanſons
Aux plus jeunes de nos bergeres.
1
Fai célébré , tout comme vous
AVRIL. 1770 . 57
Et l'âge d'or& les prairies ,
Et les plaiſirs des bergeries ,
Plaiſirs ſi ſimples , mais ſi doux.
Les fleurs de la ſaiſon nouvelle ,
Des roſſignols les ſons touchans
Le pinceau magique d'Apelle ,
Et le ciſeau de Praxitelle
Ontfait les ſujets de mes chants,
Tant que Doris me fut fidelle;
Doris , l'objet de mes regrets ,
L'enchantement de la nature ,
Belle ſans art& fans parure ,
Etn'en ayant que plusd'attraits..
C'eſt Eglé , c'eſt Pſyché , c'eſt Flore::
Elle a la jeuneſſe d'Hébé,
Et la taille de Terpſicore ,
Ettous les charmes de Thisbé.
Qui la voit, la veut voir encore.
Elle parle ſi tendrement!
1
Elle fourit fi finement !
(
Qui la voit , pour toujours l'adoras
Sur vingt rivaux plus beaux que moi
J'obtins la douce préférence ;
Et j'eus pour gage de fa foi
MERCURE DE FRANCE..
Centbailers & ſon innocence.
Que j'ai paſſé de doux momens,
Am'entretenir avec elle !
Quede tendres embraſlemens !
Quelle ardeur vive&mutuelle !!
Senfible fans emportement ,
Etpourtant vivement charmée ,,
Elle ne ſembloit enflammée
Que desdefirs de ſon amant.
Un goût pareil d'indépendance ,
L'Amour , une aimable décence
Semblaient nous unit pour jamais ::
Tous deux remplis d'indifférence,
Pour tout ce qui trouble la paix ,
Tous deux riches ſans opulence ,
Nous étions dans cette indolence
Où l'on goûte les biens parfaits.
Aimant fans borne , aimés de même;
L'univers pour nous n'étoit rien:
Je faifois fon bonheur fuprême
Elle étoit auffi tout mon bien.
Ellea rompu notre lien ;
Daris ne veutplus que je l'aime::.
AVRIL. 1770. 59
Chênes touffus , jeunes tilleuls ,
Qui nous vîtes ſi ſouvent ſeuls
A Vénus rendre des hommages ;
Puiffiez -vous , des vents irrités ,
Et des frimats & des orages ,
Puiſſiez- vous être reſpectés.
Et vous , hôtes de ces bocages ,
Jen'entendrai plus vos ramages ,
Oiſeaux , je vais vous dire adieu .
Adieu, boſquets fleuris & fombres,
Oùj'allois rêver près des ombres
D'Anacreon & de Chaulieu ,
Vous ne m'offrirez plus l'image ,
De l'ingrate , de la volage
Qui dédaigne aujourd'huimon feu.
Et toi , château , qui m'as vu naîtrey
Tu ne me verras plus paraître
Au ſein de tes enchantemens...
Voirdes heureux&ne pasl'être ,
Geſt vivre au milieu des tourmens."
ParM.deSt Justi
60 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure d'Avril 1770 , eft
cire à cacheter; celle de la ſeconde eſt le
bas au métier; celle dela troiſiéme eſt calotte;
celle de la quatriéme eſt le cercle..
Le inot du premier logogryphe eſt bonnet,
dont la forme & les couleurs diftinguent
les cardinaux , l'auditeur de rote , & tous
les gens de juſtice, les matelots, habitans de
collège , les paysans , les malades, lesfols,
les docteurs , les prêtres , les bedeaux , &
enfans de choeur , le grand maître , le gonfalonier
les Doge de Génes & de Venise,
les prisonniers , les cavaliers , les grenadiers
, les dragons , les huffards , les marchands
, les palefreniers , les officiers de
maifon dans leur office , les couriers &
nombre de voyageurs , les Financiers , les
artifans , lesforgerons & maréchaux , les
mendians & les crieurs publics , les galé
riens , les cuifiniers , les vignerons , les
joueurs de paume & de batoir; casque ,falade,
morion , armet , heaume & autres
habilemens de tête; le bonnet verd du
banqueroutier , les bonnets orangés oujaus
nes des Juifs pour les faire connoître dans
les pays où ils ne portent point de bare
AVRIL. 1770: 66
Be; en Italie , par exemple , avant qu'on
pendît les ufuriers , on les montroit au
peuple avec un certain bonnet; bonnet à
prêtre , eſt une eſpèce de fortification à
deux angles rentrans&à trois angles faillans.
Le mot du ſecond logogryphe eſt
Avocat , dans lequel on trouve cauta , vota
, cato , acta , tu , ut , avo , tac , maladie
de brebis , tactac , aut , ou , vocat & vacat,
dans les deux ſens opposés : Celui
dutroiſieme eſt verre , dans lequel on trouve
ver & réve : Celui du quatrième eſt
rateau , d'où ôtant les trois premieres lettres
, reſte eau.
J
ÉNIGME
E ſuis du genre féminin
Laplus inconftante femelle,
Je change du ſoir au matin.
Douce aux uns , aux autres cruelle.:
On perd la tête en me voyant ,
On ſe la caſſeen me perdant.
Au philoſophe qui m'offenfe , L
En me montrant, je fais la loi;
Et quoiqu'aveugle de naiſſance,
/
64 MERCURE DE FRANCE.
T
AUTRE.
HEMIRE , ſous vos yeux , fous ceux d'une
créole,
Il exiſte deux ſoeurs qui rendent la parole:
L'humeur & la gaïté, ſur-tout le dieu d'amour,
Dans tous leurs mouvemens ſe peignent tour-àtour.
112
Lanature les fit , non debout , mais couchées ;
Etquoiqu'elle les ait l'une à l'autre attachées ,
Un fouffle néanmoins les diviſe ſouvent :
La même choſe arrive aux hommes fréquemment.
Lorſque la noire humeur s'empare de ces belles ,
Ondiroit qu'elle étend un crêpe affreux fur elles :
Le même inſtant les veit , en cent replis hideux ,
Sapprocher , s'élever , ſe froncertoures deux.
::
Mais , fi de l'enjouement elles offrent l'image ,
Leur brillant coloris tire un grand avantage
D'un charme intérieur qui , loinde l'affoiblir ,,
Par få blancheur alors ne peut que l'embellir..
AVRIL. 1770. 65
Tendre amour , c'eſt ſur-tout en elles que tu fiés
ges.
Leurs appas ſéducteurs ſont d'agréables piéges
Que tu tends au ſommet de l'arbre du plaiſir ,
Pouryprendre les coeurs au gré de ton deſir .
ParF.... Commis au greffe de-
P'hôtel-de-ville de Paris..
Je regle
AUTRE.
E les refforts de mon art infaillible;
Je concerte fi bien leur jeu für & terrible ,
Que l'un , en ſe rompant , par un effort ſecret,
De l'autre , tout- à- coup , précipite l'effer.
Et ce dédale , offrant des détours innombrables ,
Par-tout entrecoupés , par-tout impénétrables ,
Eſt plein de fils trompeurs,dont le ſombre embar
ras
Egare fans retour & conduit au trepas.
:
Par une ſociétédegens de lettres..
66 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPHΕ.
Je t'avouerai, lecteur , de bonne for ,
Que la raifon ne va guère avec moi ;
Je t'offre auſſi deux notes de muſique ,
Un Saint d'Octobre , un homme qu'au levant
L'on priſe fort ; mais allons plus avant.
J'ai quatre pieds ; veux-tu que je m'explique
D'une façon qui me déſigne mieux ?
J
Tiens , me voilà... Je ſuis devant tesyeux.
ParM. Poutharier
AUTRE.
E fuis toute de fer. On me troue , on me cou
pe
Chaque matin je trempe à moitié dans ton pot :
Dans ton poc ? Je m'entends , c'eſt celui de ta
foupe
Car pour l'autre , ma foi , je ne t'en dirai mot.
Ma premiere partie eſt faite à la monnoie ,
Ma ſeconde eſt , lecteur , une étoffe de ſoie.
Par le même..
AVRIL. 1770. 67
Í
AUTRE.
E marche , quoiqu'inanimée ,
Sous la crainte d'un raviſſeur
Mais fuis-je à mon but arrivée
Qu'à mon tour je cauſe ſa peur...
Lecteur , un moment de filence.
Il faut me placer prudemment ;
Je fais le gain du plus ſavant;
Reconnois en la conféquence ?
Otant mon chef, j'offre à tes yeux;
Parma prompte métamorphoſe ,
Un eſprit qui , chez toi , repoſe
Raisonnable & confcientieux.
Par M. W... à Versailles.
AUTRE.
LECTEUR , mon nombreeſt grand , je
point myſtere;
Tu m'as ſouvent devant les yeux ,
Je fais tout au gré de res veux .
n'en fais
68 MERCURE DE FRANCE.
Si tu n'es pas content , tu peux te fatisfaire.
Fais de mon tout un mot latin .
Mes ſept pieds te feront connoître ,
Un aiguiere , un pot , un être
Que je tiens ſouvent à la main ;
Je ne dis plus qu'un mot pour me faire comprendre
,
Peut- être quelque part ſuis -je las de t'attendre.
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Les Amoursde. Lucile & de Doligny; par
M. de Laguerrie.AParis , chez le Jay,
libraire , rue St Jacques ; 2 part. in. 12.
LUCILE & Doligny reſpirent la paſſion
la plus vive , la tendreſſe la plus pure ,le
ſentiment le plus délicat. Lucile rappelle
à fon amant , avec une douce fatisfaction,
le tems où ſes deſirs cherchoient un objer
dans toute la nature , & où elle le rencon
tra. « Je ne t'avois jamais vu ; & ce que je
>> ne conçois pas , je crus te reconnoître ..
>> Il faut pourtant que je l'oublie , me re-
>> pétois- je le ſoir en m'endormant........
AVRIL. 1770 . 69
» Tu étois mon premier ſentiment àmon
>> reveil. >>
L'amour a commencé , &la confiance
acheve l'union de leurs coeurs . Ce n'eſt
pas ſeulement une belle femme , c'eſt une
véritable amante qu'adore Doligny. Lucile
ne doute point que Doligny , pour
fon propre bonheur, ne laiſſe la pudeurfur
lefront defon amante. Cependant le pere
de ſon amant ſonge à le marier avec une
de ſes coufines , dans la vue de terminer
un long procès de famille. Lucile en eſt
alarmée ; Doligny la raſſure : il fent dans
fon coeur mille moyens de réſiſter à fon
perefans aliénersa tendreſſfe. Ils paſſent
enſemble des foirées délicieuses ; mais la
pudeur la couvre d'un voile ſacré, & le ref.
pect que l'on doit à la vertu l'environne &
la défend... La jalouſie pénètre dans le
coeur de Doligny ; Lucile le calme. Je
n'acquiers point , lui dit-elle , un ſentiment
, une idée , une habitude heureuſe
que je ne m'applaudiſſe d'avoir ajouté à
tonbonheur.
Dormond, ami de Doligny, tombedans
undangerpreſlant. Doligny accourtaumoment
où il attend ſon amante. Il vole ,
&il trouve , chez ſon ami , Lucile ellemême
dont le coeur pourroitſe paſſer d'a70
MERCURE DE FRANCE ,
...
mour, s'il étoit toujours occupé à quelque
bienfait. Ils font enſemble à la campagne,
heureux par le feul plaifir d'aimer.
Mais , une nuit , Doligny pénètre dans la
chambre de ſon amante... Quelle ſituation!..
La crainte de devenir coupable
l'emporte à la fin loin d'elle ; un feu dévorant
le deſſéche & le confume. Lucile
T'éloigne en lui ordonnant d'aller fervir
un malheureux. Elle lui preſcrit ou de la
reſpecter toujours ou de ne jamais la revoir
, en lui rappelant comme on ſeplatt
àfoi-même , quand on en a triomphé , &
comme on s'aime dans le bien qu'on a
fait.
Enfin , Doligny eft preſſé par fes parensd'épouſer
ſa couſine. Ses prieres ne
ſont point entendues. Ils ne parlent que
de reſpect&d'obéiflance.... Du respect &
de l'obéissance , & ils font fans amour &
fans entrailles ! ... Il propoſe à ſon amantede
fuir: elle s'en offenſe , mais elle ne
lehaitpoint affez, &fon indignation n'eft
pas tout àfait fincere... Doligny va être
jeré dans le fond d'une prifon ; il n'a que
le tems d'écrire cette terrible nouvelle...
Lucile pleure ſon amant dans les fers ...
Il eſt dans ſes bras : lajoie & la douleur
qui combattent dans fon ame , la livrent
AVRIL . 1770. 71
ensemble aux tranſports de Doligny; quand
ils n'auroient eu qu'un inſtant pourjouir ,
&que la mort les eût attendus enfuite ,
elle neseferoit pas plus abandonnée à fon
amant. Il tâche de la raſſurer ſur les ſuites
de ſa foibleſſe...Lesfemmes honnêtes
&fenfibles t'excuseroient ... C'estfur - toue
le vice qui est févère à la vertu... Le plaisir
deshonoreroit - il l'amour ? Avons - nous
moins de goût pour ce qui est honnête ? ...
Dolignyn'a ſuſpendu la cruauté de fon
pere qu'en lui demandant un délai . Ce
pere dénaturé l'enferme à la fin dans la
priſon de ſon château , avec deux affaffins
, en l'accuſant d'avoir attenté à fa
vie... Et où aurois-je fait l'apprentissage
du crime , s'écrie Doligny , je n'ai vécu
qu'avec lui ! On ne lui laiſſe que la vie
qu'on laiſſe à des afſfaſſins.
Lucile eſt mere; elle ſent ſa honte ſe
développer & croître dans ſon ſein. Le
tems de l'opprobre s'avance. Elle va demander
à fon pere ſenſible ſa pitié , &
implorerfon courroux. Il ne l'entend pas..
Il ſoupçonne enfin & l'accable de ſa malédiction
... Il ne reſte bientôt plus à ce
bon pere que fa douleur. Ilparle à Lucile
, & l'on diroit que c'est pour l'appeler
du nom defa fille; les mains voudroient
72 MERCURE DE FRANCE .
volontiers la careffer ; les yeux s'abaisſſent
fur ellefans colere... Elle le trouve dans
les larmes : elle ſe jette dans ſes bras, &
ſes bras ne la repouſſent point. O mon
pere , quandje ne compterois dans ma vie
que cet inſtant de tendreſſe ,jamaisje ne
pourrois m'acquitter envers toi!
Le pere de Doligny eſt inexorable.
Qu'il meure ou qu'il épouſe Mile de
Neumeſnil : c'eſt toute ſa réponſe. Son
fils eſt attaqué d'une fiévre violente. Lucile
, au déſeſpoir, forme le projet de le
mettre dans la néceſſité de ſe détacher
d'elle , pour qu'on le rende à la liberté
& à la vie. CependantDoligny a ſcié les
barreaux de ſa priſon; il s'échappe , on
l'apperçoit , on l'arrête ; en ſe débattant
il a le malheur de bleſſer légerement fon
pere qui oſe lui imputer un ſecond parricide.
Enfin Lucile ſe détermine à écrirę
à la mere de ſon amant une lettre dans
laquelle elle lui raconte tous ſes malheurs
&la réſolution qu'elle a priſe de s'enfermerdans
le cloître pour que Doligny, dégagé
de ſes promeſſes, tenonce enfin à fon
amour. Cette lettre eſt montrée à ce malheureux
amant. Il eſt ſaiſi d'une douleur
ſi violente que ſes entrailles ſe déchirent.
Il tombe dans des convulfions horribles;
elles
AVRIL. 1770. 73
elles ſont ſuivies d'un vomiſſement de
fang; il meurt en prononçant le nom de
Lucile. Lucile apprend cette funeſte nouvelle
par une femme dont il nourrifloit
les enfans : elle s'évanouit. Sa vie eſt
chancelante : fa raiſon eft aliénée . Quels
tourmens autour d'elle ! que de larmes !
ſes paroles , ſes geſtes, ſon filence arrachent
à ſes parens & à ſes amis ! .. Elle
vivra; mais demeurera- t'elle à Paris dans
le ſein de fa famille ? Hélas ! elle a pro
mis qu'elle n'habitera plus qu'un cloître...
Un tombeau : elle l'a promis , & à genoux
, elle demande au Ciel la grace de
mourir bientôt.
Cet extrait , en forme de conte , rend
affez fidèlement la maniere de l'auteur&
le caractere de l'ouvrage , pour que les
lecteurs jugent eux- mêmes du mérite de
ces lettres intéreſſantes .
Mémoire de Lucie d'Olbery , traduits de
l'anglois par Mde de B ... G... aureur
des lettres de Milady Bedford. AParis
, chez de Hanſy le jeune , libraire ,
rue St Jacques , 1770 ; 2 part. chacune
d'environ 300 pag.
Miſs Lucie eſt fille d'un François &
d'une Angloiſe . Elle a perdu ſon pere ;
II. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE.
2
& ſa mere qui ne l'aime pas , la laiſſe ,
pour ainſi dire , abandonnée en Angleterre
où elle eſt en priſon , dans un village ,
chez Mde Vilmor femme honnête.
Mde d'Olbe , qui lui tenoit lieu de mere,
meurt. Mylord Berch achette la terre de
ſa bienfaitrice. Epoux trop malheureux ,
il ſe retire dans cet aſyle. Bientôt la ſociété
de Lucie le confole ; Lucie voit en
lui le plus honnête & le plus parfait des
humains. Leur commerce vertueux eſt
aſſez tranquille juſqu'au moment où Milady
d'Elfied , aimable couſine du tendre
&généreux Berch , détermine Lucie à venir
habiter Londres avec elle .
L'action , un peu froide& languiſſante
juſqu'à ce moment, s'anime. Une foule
d'adorateurs rendent hommage aux charmes
& aux vertus de Lucie qui ne connoît
ni les ſentimens de Berch ni les ſiens .
Enfin ce lord , dans un accès de jalousie ,
lui déclare la paſſion qu'elle lui a infpirée.
Frappé d'une dangereuſe maladie, la
ſenſible Lucie lui laiſſe voir tout fon at
tachement . Le lord rétabli vient lui proreſter
qu'il veut être heureux ou mourir à
Sespieds. Luciedefire ſon bonheur. Berclı
enflammé par cette expreſſion innocente..
Mais elle ſe ſauve avec horreur , & il fort
déſeſpéré.
AVRIL. 1770. 75
Mylord Ofmond , frere de Mylady
Lorcet , amie de Milady d'Elfied , avoit
été frappé de la beauté de Lucie ; & fa
ſoeur l'avoit engagé à voyager en France
pour l'oublier. Certe Lady emploie toutes
fortes de voies pour déterminer Lucie
à époufer Sir Porteland ou le chevalier
d'Herric : Milady d'Elfied la ſeconde.
Lucie , pouſſée à l'extrêmité, ſe détermine
à fuir ; mais tandis qu'elle doit être dans
un aſyle inconnu qu'elle avoit chargé ſa
femme de chambre Doly de lui découvrir
, elle ſe trouve dans une maiſon de
Milord Ofmond qui a gagné cette fille ,
trompé par de faux rapports fur les fentimens
de ſa maîtreſſe à ſon égard. Lucie
, malgré les refpects d'Oſmond , ne
peut fupporter l'horreur de ſon état ; elle
tombe dangereuſement malade. Tous
ceux qui la connoiſſent s'empreſſent autour
d'elle : on s'attendrit ſur ſon fort ;
on admire la beauté de ſon ame. Son
amour pour Berch n'eſt plus un myſtere.
Ofmond repaſſe en France ; Porteland &
d'Herric ſont congédiés. Peu de tems
après ſon rétabliſſement , elle part , fuivant
les conſeils de Milady d'Elfied , avec
Milady d'Etfort pour la France où elle
trouve une mere toujours dure & un frère
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
bien tendre. Milady Berch meurt d'une
chûte de cheval ; mais Mylord Berch eft
aſſaffiné ... Il n'eſt pas mort... Il guérir.
Miſs Lucie repaſſe en Angleterre avec
ſa mere &fon frere. Elle épouſe le lord
Berch ; fon frere épouſe ſon amie Camille,
à qui ces lettres font écrites : amans,
amis , les principaux acteurs de ce roman
ſe trouvent réunis &heureux.
L'auteur de ces lettres écrit pour faire
voir que ſi la vertu ne peut pas toujours
détruire une paffion trop naturelle ,
ellegarantit du moins, quand elle tient la
premiere place dans un coeur , dans quelque
ſituation que l'on ſe trouve , des foibleſſes
qui aviliffent ce ſentiment & en
détruiſent l'intérêt.
Choix varié de poësies philofophiques &
agréables , traduites de l'anglois & de
l'allemand. AAvignon , chez la Veuve
Girard & Fr. Seguin , imprimeurs - libraires
, près la place St Didier , 1770;
avec permillion ; 2 vol. petit in - 12 .
chacun de 2 à 300 pag.
Les quatre Ages de la Femme, par M. Zacharie;
les quatre Saifons, par M. Kramer ;
les quatre Ages de la vie , l'Eſſaifur l'Art
AVRIL. 1770. 77
d'être heureux , de M. Utz , des épîtres
morales de MM. Haller , Schlegel , Kramer
, Withof , Hagedorn , Cronegk ,
Gellert , Pope , &c.; des paftorales de
MM. Kleiſt , Geffner , Roſt ; des odes ,
des fables , des chansons de MM. Kramer
, Hagedorn , Gellett , Lightwer ,
Gleim , Leffing , Zacharie , Pomfret, Cowelley
, &c. compoſent ce recueil choiſi
avec goût. Ces pièces font prefque toutes
connues ; on en a tiré une grande partie du
Journal étranger. C'eſt la philofophie qui
inftruit , en amusant , par l'organe de la
poësie . On y trouve un mêlange agréable
d'images fortes &douces , d'idées ſimples
& fublimes , de ſentimens analogues à
toutes les paffions; Non - ſeulenient les
moeurs y font par - tout reſpectées , mais
touty reſpire la vertu.
La nouvelle Lune ou hiſtoire de Pæquilon;
par M. le B ***. A Amſterdan ; & fe
trouve à Lille , chez J. B. Henry , imprimeur-
libraire , ſur la grand place
&à Paris , chez de Hanſy le jeune , libraire
, rue St Jacques , près les Mathurins
, &c. 1770 ; 2. part. d'environ
200 pag. chacune.
Selénos , génie tutélaire de la Lune, fe
Diij 4
78 MERCURE DE FRANCE.
trouve à la naiſſance de Pæquilon , & déclare
que les voeux de cet enfant feront
tous accomplis , lorſqu'il aura atteint fa
quatorziéme année , à condition qu'il ne
formerapas deuxfois le mêmeſouhait, qu'il
ne demanderajamais le bien d'autrui ; &
qu'il ne pourra paffer de ſes ſouhaits accomplis
à d'autres qu'après la révolution
de deux Soleils.
Pæquilon , à l'âge indiqué , demande
une montagne d'or & la mange , comme
le lecteur peut le prévoir. Il ſouhaite que
la pouſſiere de la planète foit pour lui
poudre de projection , & le voilà riche à
jamais. Cette pouſſiere qu'il jette aux yeux
de tout le monde lui attire une brillante
cour. Mais il vieillit ; la Fontaine de Jouvence
ſe découvre à ſes defirs. Rajeuni&
embelli , fes eſclaves le traitent d'impofteur
, il eſt deſtiné à la garde de fon propre
ferrail,& fes femmesle mettent dans
la confidence de leurs infidélités . Le mariage
ne lui réufſſit pas , on l'imagine. Il
demande une force extraordinaire dont il
abuſe , comme on le fait. Il ne ſe tiredes
mains de la justice qu'en demandant l'inviſibilité.
Dans cet état ſingulier , il s'unit
à Olympia . Après diverſes métamorphofes
, ſes débauches & ſes liaiſons avec une
AVRIL. 1770. 79
fille de théâtre le mettent dans la nécefſité
de former un voeu qui ne peut être
accompli que quand il ſera auſſi formé
par Olympia que Sélenos lui a enlevée
avec tous ſesenfans.
Pæquilon voyage pour retrouver ſa
femme. Dans l'eſpace de trois cens ans ,
il découvre que dans tel royaume , quelques
particuliers ſe tuent; que l'inquifition
eſt établie ailleurs , qu'un autre peuple
eſt avare , &c. Sélenos lui a rendu ſa
femme; il la perd encore par une forte
d'infidélité. Enfin il eſt tranſporté dans le
royaume d'Eutoquie ; Olympia y regne ;
il s'affied enſuite à côté d'elle fur le trône,
apparemment pour récompenſe de tant
de vertus. Dans ce royaume , on est heureux
, " parce que le trône eſt ſacré &
>>juſte ; l'autorité paternelle, innocente
» & pure ; & la religion inacceſſible aux
>> contradictions . » !
L'auteur a employé , avec plus de gaïté
&de ſaillies que de philofophie & de décence
, une bien grande & bien merveilleuſe
machine , pour opérer des chofes
bien petites &bien communes.
Les Préſages de la ſanté , des maladies &
dufort des malades ou Hiſtoire univer-
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Selle desfignespronostics , dans laquelle
on a raffemblé , rapproché& expoſé les
règles les plus conſtatées par l'obſervation
concernant la prévoyance des événemens
futurs , tant en ſanté qu'en maladie
, & où l'on a rapporté les fentences
les plus certaines&les plus intéreſſantes
des pronoſtics d'Hippocrate,
auxquels cet ouvrage peut fervir de
commentaire, conformément à la théorie
la plus accréditée chez les modernes
; par M. *** :
Eft enim vis & natura quædam quæ tum obfervatis
longo tempore fignificationibus , tùm alique
instinktu futura prænuntiat.
Cic, lib, t dedivinit.
2
A Paris , chez Briaffon , libraire , rue
St Jacques , à la Science , 1770 ; avec
approbation & priv. du Roi ; brochure
in 12. de 388 pag .
La ſcience des pronoſtics , unedes plus
brillantes &des plus utiles parties de la
médecine , nous paroît traitée , dans cer
ouvrage , avec beaucoup de clarté , de fageffe
& de méthode. L'art de pronoſtiquez
publié par Hippocrate étoit encore, qua
AVRIL. 1770: 81
tre cens ans après , dans le même état D'
vers le tems de Celſe. Quelques fiécles
plus tard , il fut prodigieuſement enrichi
par Galien. Les médecins Grecs & Arabes
n'y ajouterent pas beaucoup de découvertes
. Il avoit fait fi peu de progrès au
feiziéme fiécle que Louis Duret, qui traduifit
& commenta Hippocrate , &Profper
Alpin qui donna une collection com--
plette , méthodique & raiſonnée des pré--
ſages épars dans les écrits des anciens ,
tous les deux perſonnages très- ſavans qui
ont rendu de grands ſervices à la médecine
, n'offrent pas une collection confidérable
de nouveaux ſignes. La découverte
de la circulation du fang , l'introduction
d'une nouvelle phyſique , les
progrès de l'anatomie , l'obſervation des
rapports du pouls avec les criſes futures..
&c. ont étendu les connoiſſances ſemio--
logiques . M. Malvieu , un oeilfur les li
vres & l'autre fur la nature , a formé des
règles connues,& de ſes propres obſervations
un corps inſtructif & utile à toutes
fortesde perſonnes.
Son ouvrage eſt diviſé en trois livres..
Le premier réunit les ſignes de la ſanté
fignes phyſionomiques , humoraux vi
taux ,ſphychologiques, idiofynéraliques ,
D
82 MERCURE DE FRANCE.
commémoratifs , externes. Dans le ſecond
, l'auteur raſſemble les préſages des
maladies, par la nature des tempéramens,
l'état ou la profeſſion des hommes , la
comparaiſon des tempéramens avec les
cauſes externes , l'action de ces caufes par
les caufes internes , l'inſpectiondu corps
&de la face ; les qualités des excrémens ,
les veilles , le ſommeil& les fonges , les
modifications des idées &des ſenſations,
les mouvemens mufculaires & vitaux .
Le troifiéme livre contient les préſages
du fort des malades , préſages généraux
concernant la nature , la durée , la grandeur
& le danger des maladies , préfages
des divers événemens par différentes caufes
externes & internes , préfages de l'iffue
par les mouvemens du corps , le tact,
les humeurs , les ſenſations , les opérazions
de l'eſprit , l'état de l'ame , le caractere
même des maladies ; & ce livre
eſt terminé par les idées générales des
maladies d'un caractere bénigne , d'un
caractere dangereux , d'un caractere funeſte
, & par les préſages de l'iſſue des
maladies par l'obſervation des criſes .
Nous donnerons une idée de la manière
dont l'auteur expoſe dans le 2. chap.
du 2. livre , les préſages de maladie tirés
de la profeſſion que l'on exerce.
AVRIL. 1770. 83
« Les gens de lettres conſomment,pen-
>>dant leur application , une grand quan-
>> tité de fluide nerveux : leurs nerfs ſont
>>tendres & portés au - delà de leur ton
>> naturel ; les humeurs ont plus d'âcreté,
» & leur lymphe a plus d'épaiſſiſſement :
>> c'eſt pourquoi ils font très - ſujets aux
>>indigeſtions , aux coliques , aux infom-
>> nies , aux hémorroïdes , aux migraines,
>> aux douleurs goutteuſes &aux affections
>> hypocondriaques . »
» Les laboureurs livrés à des travaux
>> forcés & aux excès du chaud , du froid,
>> de l'humide & du ſec , & aux variations
>> de l'air , ſont ſujets aux maux dépen-
> dans de l'excès du mouvement muſcu-
>> laire & de la ſuppreſſion de la tranſpi-
>> ration : les pleuréſies , les péripneumo-
>> nies& les rhumatiſmes ſont ſur - tout
» leur partage.
>>Les intempéries de l'air , les marches
>>forcées , de longues privations de fom-
» meil & de repos , le mauvais air des
>>camps , le défaut , la mauvaiſe qualité,
>> la nouveauté & les fréquens change-
» mens des vivres & des boiſſons expo-
>> fent les foldats aux maladies aigues &
» inflammatoires , & aux fiévres tierces ,
>> quartes , continues , putrides&dyſſen.
>>tériques.
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
>> Les charrons , les charpentiers , rese
menuifiers font des efforts &des mou-
>> vemens continuels... Ils font ſujets aux
>>>hernies , aux tremblemens , aux varices,
>> aux panaris...
» Les maçons & les plâtriers font fu-
>>jets à l'asthme , à la phtiſie & aux trem-
» blemens , à cauſe des vapeurs de la
chaux & du plâtre qui agiſſent d'une
>> maniere fort nuiſible fur le poumon ,
>> foit en defféchant les fibres , foit en les
>>, irritant ou en ſe gonflant dans les véſi--
>>cutes pulmonaires.
>>Les émanations des cuirs & des peaux
que les cordonniers travaillent , leur
>> donnentdes étouffemens &des asthmes,
» & l'exercice particulier des mains leur
>> cauſe ſouvent des panaris..
99
>>L'intuſception de la vapeur du fang:
des animaux expoſe les bouchers aux
>> hémorragies , aux coups de ſang , aux
apoplexies , aux étouffemens ; & la va-
>>peur de l'air corrompu qu'ils reſpirent
>>>leur caufe des maux de coeur , des dé-
>>>goûts , des vomiſſemens , des maux de
tête & des maladies putrides &gangre
22neuſes....
Cet ouvrage eſt dédié à Mgr l'Archer
veque Duc de Cambrai , dont l'auteurs
AVRI Σ. 1770 .
peint , avec les traits du ſentiment , l'humanité
, la bienfaiſance , la générofité &
toutes les vertus afſforties à la dignité de
fon rang & aux glorieuses destinées defa
race.
Abrégé de l'histoire de Port - Royal; par
M. Racine , de l'académie françoiſe...
Ouvrage ſervant de ſupplément aux
trois volumes des oeuvresde cet auteur.
Nouvelle édition , imprimée à Vienne;
& ſe trouve à Paris , chez Lottin le jeune
, rue St Jacques , vis-à- vis celle de
la Parcheminerie , in 12 ...
Cet ouvrage de Racine, perdupendant:
pluſieurs années , n'a paru , pour la premiere
fois , qu'en 1742 , encore étoit - il
incomplet ; des raifons particulieres , de
petits ménagemens avoient engagé ceux
qui le poſſédoient de le laiffer dans l'oubli
; lorſqu'on ſe haſarda à le publier , on
n'en donna qu'une partie ; on regrettoit
la ſeconde ; elle étoit tombée entre les.
mains de M. l'abbé Racine , qui fe conrenta
d'en inférer quelques morceaux dans
fon abrégé de l'hiſtoire eccléſiaſtique ; on
Ya enfin imprimée en 1767 .
Ce morceau précieux de la main d'un
grand maître qui ſavoit donner de l'inté
86 MERCURE DE FRANCE.
rêt à tout ce qu'il touchoit , eſt connu&
apprécié depuis long-tems. Boileau le regardoit
comme le plus parfait que nous
euſſions en notre langue ; M. l'abbé d'Olivet
a dit qu'il doit donner à Racine,parmi
ceux de nos auteurs qui ont le mieux
écrit en proſe , le même rang qu'il tient
parmi nos poëtes. Le ſtyle en eſt ſimple ,
uni, pur, élégant,mais moins vif& moins
brillant que ſa poësie .
Nouveauftyle criminel , contenant 1º. une
inſtruction fur la procédure criminelle;
2°. les formules de tous les actes
qui ont lieu en cette matiere ; 3 °. des
procédures entieres ſur le petit & le
grand criminel , le faux principal , le
faux incident , la reconnoiſſance des
écritures & l'inſtruction conjointe ; par
M. Dumont , avocat . A Paris , chez la
Veuve Regnard , imprimeur de l'académie
françoiſe; & Demonville , libraire
, rue baſſe de l'hôtel des Urſins ;
2 vol . in- 12 .
Il y a long-tems qu'on ſe plaint qu'il
nous manque un ſtyle de procédures criminelles
; avant de décider ſi un accufé
eſt coupable , ſi on doit le renvoyer abfous
oule punir , il faut faire une inftruc
AVRIL. 1770. 87
tion ; pour bien faire cette inſtruction ,
il eſt important de ſçavoir les règles de la
procédure , & d'en poſſéder la forme. M.
Dumont a dreſſé des formules pour tous
les cas & pour tous les incidens qu'il a pu
prévoir. Son ouvrage eſt diviſé en trois
parties; dans la premiere il préſente fur
les ordonnances des obſervations claires
& d'une juſte érendue qui peuvent tenir
lieu de commentaires : dans la ſeconde il
a mis les formules de tous les actes qui
peuvent avoir rapport aux différens titres
des ordonnances , & dans la derniere il
donnedes procédures entieres , commencées,
ſuivies& finies ſur le petit& le grand
criminel .
Sommaire alphabétique des principales
queſtions de droit , de jurifprudence &
d'uſage des provinces du droit écrit du
reffort du parlement de Paris. Par M.
Mallebay de la Mothe, conſeiller du
Roi , ſon avocat &procureur au fiége
royal de Bellac; nouvelle édition. A
Paris , chez Valade , libraire , rue St
Jacques , vis à vis la rue de la Parcheminerie
, à l'image St Jacques , in- 12 .
Ondefire fouvent la paix avec ſes concitoyens
ſansavoir le bonheur de pouvoir
88 MERCURE DE FRANCE.
en jouir. La diſcorde triomphe ſouvent
des meilleures diſpoſitions ; c'eſt une vérité
prouvée par une trop grande multitude
de faits. Le mêlange du droit écrir
avec les différens uſages , fourniſſentbien
fouvent des moyens de divifions ; pour
prévenir un fi cruel inconvénient , M.
Mallebay de la Mothe a entrepris de déſigner
d'une maniere claire & préciſe les
bornes du droit écrit ,& les ufages pratiqués
dans les provinces régies par cette
loi dans le reſſort du parlement de Paris.
Il a voulu donner une connoiffance générale
de la loi , & apprendre à diftinguer
les cas où l'uſage l'emporte au préjudice:
du droit , & ceux où les loix font écoutées
au préjudice de l'uſage. Cet objet eft
très- intéreſſant ; l'auteur le remplit avec
fuccès , & on ne peut qu'applaudir à fon
travail & à fon zèles
Inftitutes de droit canonique , traduites en
françois , & adoptées aux uſages préfensde
l'Italie & de l'Eglife Gallicane,
par des explications qui mettent le texte
dans le plus grand jour & le lient
aux principes de la jurisprudence ecclés
faſtique actuelle, précédées de l'histoi
ze du droit canon,ouvrage élémentai re
AVRIL. 1770 . 89
re , utile à toutes fortes de perſonnes ,
mais indiſpenſable pour l'étude da
droit canonique ; par M. Durand de
Maillane avocat en parlement. A
Lyon , chez Jean- Marie Bruyſet , imprimeur-
libraire , rue S. Dominique ;
10 vol . in- 12 ..
,
Il y a peude ſciences dont les matieres
foient plus étendues & plus embarraffées
que celles du droit canonique ; la multitude
des livres qui en traitent en rend
l'étude difficile; & quand on auroit parcouru
tout , quand on auroit fu toutes les
loix , quel fruit en retireroit - on ſi l'on
n'avoit pas appris à les diftinguer entre
elles , à connoître l'origine de chacune ,
ſes cauſes , ſes motifs , pour en faire la
juſte application dans la pratique ? » Se-
>> roit-ce en effet le corps du droit canon
>> qui rendroit fon lecteur capable de ce
>> difcernement ? Tout y eft diffus & com-
>> me furanné ; nos recueils d'ordonnan-
>> ces dérogent à une partie des canons &
>>laiſſent ignorer ceux qu'elles admettent.
>>Les ouvrages modernes des auteurs
>> françois apprennent véritablement laju.
>> riſprudence nouvelle & les vraies maxi
>> mes de notre gouvernement , foit ecclés
9. MERCURE DE FRANCE.
>> ſiaſtique , foit politique, ſur ces matiè-
>> res ; mais c'eſt dans un ordre de com-
>> poſition qui ne convient pointà toutes
>> fortes de lecteurs. La plupart de ces au-
>> teurs n'ont pas fait attention que les
>> François ont , pour ainſi parler , deux
>> droits canoniques dans le ſens que nous
>> venons d'expliquer , une double légif-
>>lation qu'il eſt mal aiſé de ne pas con-
>> fondre quand on connoît l'une & l'au-
>> tre autrement que par les principes
>> qui font particuliers à chacune ; car ob-
>> ſervons que les grands ouvrages qui
>> traitent le droit en général dans l'uni-
>> verſité de ces déciſions , nuiſent plutôt
>> qu'ils ne profitent à ceux qui en igno-
>> rent les élémens par où nous voulons
>qu'ils commencent.>>>
Les inſtitutes de droit canon que nous
avons laiſſent beaucoup de choſes à deſirer
; on y a mêlé , d'une maniere trop confuſe
, les canons avec les ordonnances &
les arrêts ; on n'y a point ſaiſi ſur- tout ce
ſtyle élémentaire qui conſiſte à réduire les
matieres en principes fondamentaux d'où
les déciſions particulieres découlent comme
des conféquences. M. Durand de
Maillane n'a trouvé que les inſtitutions
de Lancela qui répondiſſent à l'idée qu'il
AVRIL. 1770.
1
s'étoit formée d'un ouvrage de cette efpéce;
il en préſente la traduction , à laquelle
il a joint un commentaire très bien
fait fans laiffer rien ignorer de ce qui s'eſt
pratiqué , il fait connoître ce qui ſe pratique
aujourd'hui ; il s'attache ſur tout à
fixer les idées du lecteur ſur l'origine des
canons , fur leurs progrès , leur deſtinée ,
&à le mettre en état d'en peſer la valeur
& d'en faire uſage avec certitude & connoiffancede
cauſe.
Ces inſtitutes ſont précédées d'une hiftoire
du droit canon qui forme un volumeà
part; c'eſt une introduction néceſſaire
à l'étude du droit canonique.
Mémoires d'un Citoyen ou le Code de l'humanité.
A Paris , chez Des Ventes de
la Doué , libraire , rue St Jacques , visà-
vis le collége de Louis le Grand ; 2
vol . in 12 .
Le héros de ce roman intéreſſant doit
le jour à un négociant très riche , qui l'envoie
à Smyrne pour y perfectionner ſes
connoiſſances dans le commerce. Le jeune
de Brieux eſt très - bien accueilli par
M. d'Ervan , conful françois; il devient
eperdument amoureux de Farmé , la fille
cadette du conful; il obtient ſa main , &
22 MERCURE DE FRANCE.
peu de tems après le confulat du Caire,
où il vit heureux de la poſſeſſion de Farmé
, ne s'occupant qu'à fe rendre digne
de ſa place , en ménageant les intérêts de
fa nation. H ſe rend fragréable aux Mufulmans
que les confuls des autres nations,
jaloux de ſes ſuccès , ne s'occupent que du
ſoin de le perdre ; ils ne peuventy parvenir.
De Brieux oppoſe la bonne foi &
Phonnêteré à toutes les intrigues ; les méchancetés
de ſes ennemis offrent pluſieurs
détails intéreſfans ; mais iſolés & qui perdroientà
être extraits .
Dans le tems où de Brieux eſt le plus
heureux , il apprend que M. d'Ervan eſt
très - malade , & qu'il a beaucoup à ſe
plaindre de ſon fils à qui il a cédé ſa place;
il nebalance point ; il volea Smyrne
pourconfoler fon beau-pere , &le rame.
ner avec lui ; ſes procédés , ſes difcours ,
attendriſſent le jeune d'Ervan , qui éprouve
des remords de la maniere odienfe
dont il en uſe avec un pere reſpectable ;
le jeune homme revenu à lui , frémit de
voir fon beau frere prêt à lui enlever fon
pere ; il veut réparer ſa conduite paffée ;
il demande en grace que l'éloignement
duvieux d'Ervan ne ſoit qu'un voyage ;
il obtient la permiffion de l'accompagner
AVRIL. 1770 . 93
pour le ramener enſuite à Smyrne; pendant
la route il eſt témoin de pluſieurs
événemens qui achevent de lui faire déteſter
ſa premiere conduite; un folitaire
Muſulman donne l'hoſpitalité aux voyageurs;
il a perdu un pere & une mere
qu'il adoroit ; il leur a creuſé un tombeau
dans une caverne au milieu d'un déſert ;
il y paſſe ſes jours à les pleurer , ®retter
dene pouvoir leur rendreles ſoins qu'il
leur a coûtés dans ſon enfance .
La nuit ſuivante les voyageurs font
reçus dans une métairie ; un vieillard leur
offre tous les fecours qui dépendent de
lui ; ce n'est qu'un laboureur ; l'envie de
donnerà fon fils un étatplus élevé que le
fien l'a porté à le faire inſtruire dans la
ſcience de la religion; ce fils eſt Iman ;
fier de lire l'alcoran dans une moſquée ,
il mépriſe ſon pere ; il rougit de lui devoir
le jour ; il ſouhaiteroit qu'il ne fût
plus , dans l'eſpoir de faire oublier dans
quel rang il eſt né, & de jouir de fon héritage.
Son avarice reproche au vieillard
l'emploi charitable qu'il fait de ſon ſuperflu;
cet indigne fils arrive un inſtant
après les voyageurs; il veut qu'on les renvoie;
il maltraite ſon pere; unde ſes oncles
vient heureuſement arrêter ſes vio94
MERCURE DE FRANCE.
崎
lences ; il porte des plaintes aux magiftrats&
le fait punir.
Ce tableau fi différent de celui qu'il a
vu la veille , acheve de changer le jeune
d'Ervan ; M. de Brieux , après avoir pofſédé
fon beau-pere pendant quelque tems,
le voit repartir ſans regret avec fon fils ;
it paſſe encore quelques années au Caire
& revient enfin en France ; il perd ſa
femme pendant le voyage , &s'établit à
Paris avec ſa belle - foeur qui a éprouvé
auſſi des aventures funeftes , & qui a été
réduite à la plus extrême miſere par un
mari que l'ambition plutôt que l'amour
lui avoit fait accepter .
Le fonds de ce roman eſt très - ſimple ;
les événemens ſont préſentés avec beaucoup
d'intérêt & de ſenſibilité ; mais ils
font trop peu liés les uns aux autres.
Effaifur neufmaladies également dangereuses
; l'apoplexie , la paralyfie, l'aſthme
, la pulmonie , la catharre , lerhumatiſme
, la vérole , la goutte & la
pierre , avec un préſervatif aſſuré des
maladies vénériennes ; par M. de
Malon : Mille maliſpecies , millefalutis
erunt. A Paris , chez Boudet , rue
St Jacques ; Valleyre l'aîné , rue de la
AVRIL. 1770 . 95
Vieille Bouclerie ; Deſaint , rue du
Foin ; Didot , quai des Auguſtins;Des
Ventes , rue St Jacques , 1770 ; avec
approbation & privil. du Roi ; broch.
in 12. de 376 pag. 4 liv .
M. de Malon s'applique , dans cet ouvrage
, à débrouiller les complications &
les traitemens différens exigés dans les
maladies qui ſemblent , au premier coup
d'oeil , être du même genre. Après avoir
diftingué les diverſes ſortes de maladies
de la même eſpéce , marqué leurs caractères
, expoſé leurs ſymptômes , il indique
des remedes différens , afin que le médecin
prudent faſſe choix de celui qui pourra
convenir non - ſeulement à l'âge , au
ſexe , au tempérament , mais encore au
goût de ſon malade. On fait que le philoſophe
péripatéticien, Brius,qui ne pouvoit
boire une cuillerée d'eau froide
fans éprouver un hocquet affreux, mourut
dans d'horribles convulfions pour en avoir
bu un verre , dans une fiévre violente,par
l'ordonnance de ſon médecin& à la follicitation
de ſa famille. Une médecine ordinaire
n'auroit pas purgé Mithridate.Un
auteur moderne cite un général d'armée
qui ſe trouvoit mal lorſqu'il voyoit fer-
,
96 MERCURE DE FRANCE.
1
vir à table un cochon de lait avec ſa tête.
Ces conſidérations montrent la néceſſité
de ſefaire un ami de ſon médecin.
Ala fuite des remedes , M. de M. donne
quelquefois des préſervatifs. Voici
celui qu'il annonce dans le titre de fon
livre .
Mettez quatre cuillerées de vinaigre
ordinaire dans un vaſe qui tienne pinte ;
verſez par-deſſus une pinted'eau ; lavezvous
de cette eau en vous levant & en
vous couchant ; & feringuez - en dans la
partie matin & foir. Il eſt prudent de ſe
gargariſer auffi le matin & le ſoir avec
cette liqueur.
Ou ( fi l'on craint que le vinaigre ne
ſoit falſifié ) mettez demi-once d'alunde
roche , calciné bien en poudre , dans un
vaſe de terre ; verſez deſſus une pinte
d'eau bouillante ; remuez bien tant que
l'alun foit fondu , & fervez - vous en comme
du précédent.
« Je rends , dit l'auteur , cette décou-
» verte publique par pure charité , pour
>> les innocentes victimes que fait l'im-
>> prudence d'un mari trop léger ou
» d'une femme coquette , qui peuvent
» avoir du mal fans le ſavoir & troubler
»ainfi
AVRIL. 1770. 97
*ainſi l'union du ménage , quelquefois
» pour jamais , ce qui devient la ſource
» des plus grands défordres . »
L'auteur , dans les traitemens qu'il indique
, ne conſeille jamais la ſaignée, jaloux
de ſe rendre de plus en plus digne du
glorieux titre de confervateur du sang humain
; * & avec un zèle vif & noble pour
la vérité & l'utilité publique , il invite
ceux qui ne le trouveroient pas affez clair
dans ſes raiſonnemens , à lui adreſſer leurs
objections , rue St Honoré , hôteld'Angleterre
, près la rue St Thomas du Louvre, en
face du palais royal.
A la tête de l'ouvrage eſt le portrait de
L'auteur , avec ces quatre vers :
Confervateur du ſang humain,
Tu ſuis pas à pas la nature ,
Tu la vois de nos maux entreprendre la cure ,
Toujours avec douceur , jamais le fer en main.
* Cet ouvrage ſe trouve chez Boudet , rue St
Jacques.
Eſſais fur différens points de phyfiologie ,
de pathologie & de thérapeutique ; par
M. Fabre , maître en chirurgie , prevêt
IL. Vol. E
MERCURE DE FRANCE.
du collége , & conſeillerdu comité de
l'académie royale de chirurgie. A Paris
, chez P. Fr. Didot le jeune , quai
des Auguſtins , 1770 ; avec privil . du
Roi ; 1 vol . in- 8 °. de plus de 400 p.
Il n'appartient qu'aux maîtres de l'art
de prononcer fur ce ſavant ouvrage dans
lequel l'auteur paroît s'être principalementpropofé
de développer& de confirmer
la nouvelle doctrine de la ſenſibilité
& de l'irritabilité. L'art de guérir a ſubi
les variations des ſyſtêmes. Hyppocrate
prit pour baſe de la médecine l'obſervarion.
Afclépiade de Laodicée dédaignant
l'expérience , fonda , ſur la raiſon, la ſecte
des méthodiques. Galien vengeaHippocrate
, mais fafciné de la philoſophied'Ariftote
, il établit un ſyſtème dogmatique
fur les quatre élémens , les quatre tempé .
ramens& les quatre humeurs. Van- Hel .
mont reconnut un principe vital d'où dépendent
les fonctions de la vie animale ,
&créa dans l'homme un être doué d'intelligence
qu'il appela archée , & qu'il
chargea de donner la vie , le ſentiment ,
le mouvement , la ſanté , la maladie & la
mort : il ne vouloit pas que l'on portât le
nom de médecin , ſi l'on ne ſavoit pas
AVRIL. 1770. 99
guérir une fiévre en quatre jours. Cette
opinion détruite par la découverte de la
circulation du ſang , Boerhaave transforma
le corps humain en une machine ſta .
to hidraulique ; & avec cette métamorphoſe
il donna le plan& les règles d'une
théorie &d'une pratique invariables. Des
médecins de Montpellier ne voyant que
de foibles rapports entre les phénomènes
de l'économie animale & les loix de Thidraulique&
de la méchanique , revinrent
au principe vital de Van-Helmont & de
Staal ; mais ils le rapporterent à l'irritabilité&
à la ſenſibilité , c'eſt à dire qu'ils
regarderent les nerfs comme les principes
de tout mouvement & d'une forte de ſentiment
néceſſaire à toutes les actions dela
vie.
Harvée avoit condéré les arteres & les
veines comme formant un cercle continu
que les fluides devoient néceſſairement
parcourir ſans s'arrêter ni rétrograder ;
mais on a reconnu à Montpellier qu'il y
avoit d'autres vaiſſeaux & un organe dans
leſquels les fluides peuvent fluer& refluer
contre les loix de la circulation générale,
& ſe porter dans toutes les parties du
corps fans paffer par le coeur : ce qui détruit
le ſyſteme mécanique de Boërhaave.
Eij
JO MERCURE DE FRANCE.
M. Fabre répond ici aux obſervations
dont M. de Haller concluoit que certaines
parties du corps étoient inſenſibles.
Il penſe que l'irritabilité ou la propriété
qu'a la fibre animale de fe contracter , a
fon principe dans le ſuc médullaire , ſéparé
dans le cerveau &diſtribué dans le
tiſſu intime , dans toutes les parties par la
voie des nerfs . Il préſume que le mécaniſme
de cette diſtribution dépend du
mouvement de la reſpiration &de l'action
du coeur , d'où il réſulte une preffion alternative
exercée par le ſang veineux &
attériel ſur le cerveau. Ainſi la circulation
du ſang , l'action des poumons& le mouvement
du cerveau feront les trois principaux
refforts de la vie animale. M.
Schlichting , médecin hollandois , a découvert
ce mouvement du cerveau qui
monte dans l'expiration & qui defcend
dans l'inſpiration .
Les loix particulieres de la circulation
des fluides dans les vaiſſeaux capillaires
&dans le tiſſu cellulaire font un autre
principe fondamental de la phyſique du
corps humain; tour organe , lorſqu'il exerce
ſes fonctions , eſt un centre vers lequel
les fluides font déterminés par l'action des
nerfs. Ainſi dans la maſtication , le ſang
ſe porte avec plús d'abondance , par la
AVRIL. 1770. IÓT
voie des vaiſſeaux capillaires , vers les
glandes ſalivaires , pour leur fournir une
plus grande quantité de ſalive. Les affections
de l'ame & les ftimules matériels
qui excitent l'irritabilité &la ſenſibilité
de nos organes dans l'état de ſanté , deviennent
des cauſes de maladies , lotfqu'ils
acquiérent les modifications telles
qu'ils excitent des mouvemens & des fenfations
extraordinaires qui dérangent les
fonctions & produiſent divers déſordres .
M. Fabre applique ſes principes aux
maladies aigues & enſuite aux maladies
chroniques , après avoir traité de l'inflammation,
de la fuppuration ,desplaies, des
amputations , de la cicatriſationdes plaies
&des ulcères , des luxations de la cuiſſe
&du bras. Tous ces chapitres ſont remplis
d'obſervations utiles & curieuſes. En
parlant des amputations , l'auteur approuve
la méthode d'étancher le ſang pratiquée
, au rapport de Ramper , au royaumed'Achindans
lesIndes Orientales. On
y punit les voleurs en leur coupant la main
droite , & quelquefois les deux mains &
même les pieds. L'opération faite , on
applique ſur la plaie une pièce de cuir ou
une veſſie qu'on lie ſi ferme que le fang
ne fauroit fortir. Le ſang bien étanché
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
on ôte la veſſie , le ſang caillé tombe de
lui- même & laiſſe la chair nette. Dampier
n'a point ouï dire que perſonne foit
mort de cette opération.
L'auteur défapprouve , avec M. Tiffot
&pluſieurs autres médecins , l'uſage des
bouillons de viande dans les maladies aigües.
Hippocrate n'ordonnoit que des ti-
Tannes ; il n'employoit la ſaignée que pour
modérer des accidens trop violens ; & il
abandonnoit la criſe à la nature. Il eſt
incontestable , ſuivant M. Bordeu , que
fur dix maladies , il yen a les deux tiers
au moins qui guériſſent d'elles - mêmes.
En parlant des maladies chroniques
l'auteur appuie ſur les inconvéniens qui
réſultent quelquefois de la guériſon de
certaines incommodités telles que les ulcères
, les fiſtules , le flux hémorroïdal ,
&c. Combien de malades feroient à l'abri
de l'apoplexie , du catharre fuffocant
de l'asthme , de la colique néphrétique ,.
&c. s'ils étoient ſujets à la goutte ? Le
flux hémorroïdal garantit , felon Hippocrate
, d'une infinité de maladies ; & f
on l'arrête mal à propos , cette guérifon
les fait naître.
M. F. penſe que la criſe artificielle que
le mercure cauſe,eſt le moyen unique par
:
AVRIL. 1770. 103.
lequel on puiſſe détruire le virus vénérien.
D'autres remedes ont quelquefois , dans
certains cas , des ſuccès éclatans ; mais ils
tombent bientôt , à ſon avis , parce qu'on
veut toujours en faire une métliode génerale.
Lorſqu'on diſoit à M. Dumoulin
qu'un nouveau remede anti-vénérien faifoit
des miracles : qu'on se hâte de s'en
fervir , réponduit- il , car bientôt il n'en
fera plus.
C'eſt un principe d'Hippocrate de ne
point contrarier juſqu'à un certain point
le goût des malades ; lorſque, par un fentiment
intérieur , ils appelent vivement
des alimens même qui paroiſſent contraires
à leur état. « Un habile médecin ,
>> établi dans une iſle de l'Amérique ,
>> avoit une hydropiſie afcite , qui avoit
>>ſuccédé à une maladie aigüe. Après
>> quatre ponctions &une infinité de re-
>> medes qu'on tenta vainement pour dé-
>terminer les eaux à s'évacuer par les
>> ſelles ou par les urines , il ſentit un goût
>> extraordinaire pour le ſucre ; il le dé-
>> voroit , pour ainſi dire , avec fureur ; il
» en mangea dans l'eſpace de vingt jours,
>> plus de cent livres , qui le rétablirent
dans la plus parfaite ſanté. >>
Cet ouvrage nous paroît curieux& fa-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
vant. Le célèbre M. Louis , qui en a été
cenſeur , l'a jugé utile aux progrès des
différentes parties de l'art de guérir ; &
MM. les commiffaires nommés par l'académie
de chirurgie pour l'examiner , en
ont faitun rapport très-avantageux.
L'Iliade d'Homère , traduite en vers avee
des remarques :
Vatemegregium.
Hunequalem nequea monftrare&fentiotantum
A Paris , chez Saillant , libraire , rue
St Jean-de-Beauvais , 4 part . in 8°.
Unebelletraduction de l'Iliade eſt ſans.
doute le plus bel éloge que le génie puifle
conſacrer à la gloire du prince des poëtes..
C'étoit la meilleure apologie que les défenſeurs
de l'antiquité qui , ſeuls étoient
capablesde la juger , euſſent à oppoſer à la
foule de ſes détracteurs , qui ne favoit
même pas lire dans ſes ouvrages . Racine
& Boileau tenterent cette grande entrepriſe;
mais en comparant leurs effais avec
leur modele , ils les jeterent au feu, comme
Platon avoit jeté au feu ſes poëties en
les conſidérant à côté des oeuvres du même
poëte. Ce facrifice doit exciter nos
AVRILL. 1770. 10-
regrets. A meſure que ces grands hom
mes auroient avancé dans leur travail, le
génie d'Homère leur feroit devenu plus
familier ; en s'élevant au- deſſus d'un obftacle
, ils auroient vu d'autres obſtacles
s'applanir d'eux- mêmes ; à force de voir ,
de penſer , de ſentir &de peindre d'après
cet homme divin , ils auroient vu, penfé,
fenti, peint comme lui ou d'une maniere
digne de lui ; & s'ils n'avoient pas réufli
à donner l'Iliade à la France , ils nous
auroient du moins laillé un magnifique
poëme.
9
M. de Rochefort a fourni la carriere
dans laquelle ils s'arrêterent au premier
pas. Au lieu de brûler ſes eſſais , il les a
préſentés au public : il lui a demandé des
conſeils , des avis , des encouragemens.
Hen a reçus& il en a profité. L'académie
royale des inſcriptions & belles- lettres
après lui avoir permis de lui dédier fon
premier eflai , lui a permis encore de publier
l'ouvrage entier ſous ſes aufpices.
C'eſt un augure bien favorable pour le
fuccès de cette traduction . Cependanc
M. de R. connoît trop bien l'iliade grecque
, pour ne pas s'appliquer volontiers
àl'égard de fon modèle , ce que Virgile
dit du jeune Afcagne , qui fuit fon pero:
Ey
106 MERCURE DE FRANCE.
Enée d'un pas inégal. « Ah ! s'écrie t'il ,
>> s'il paroiſſoit un homme de génie qui,
>> doué des talens uniquesde Racine & de
ود la Fontaine conſacrât ſon tems & fes
>> peines à reproduire Homère dans no-
>> tre langue , je brûlerois mon ouvrage
>> avec plaifir ! .. Pourrai-je , ajoute-t'il,
>>contribuer à foutenir l'honneur du prin-
>> ce des poëtes contre les cenſures de la
>> prévention & de la malignité ? Oui , fi
>> oubliant leurs traductions (de ſes prédé-
>> ceſſeurs ) & la mienne , ceux qui veu-
>> lent juger Homère ſe mettoient en état
>>de l'entendre parler lui- même. Voilà
>> mon ambition , & j'oſe avouer que
>>>mon intérêt propre ſe joint à mon zèle
>> pour ſa gloire. Plus on connoîtraHo-
>> mere , plus on ſentira la difficulté de
>> mon entrepriſe ; & ceux qui le poflé-
>> deront le mieux , ne feront peur - être
>> pas les plus ſéveres de ines cenſeurs. >>-
Le Discours , placé à la tête de cette
traduction fuffiroit ſeul à la gloiredu favant
académicien. L'eſprit , le goût ,l'érudition
, la critique , la poëfie y brillentégalement
. Ce morceau eſt digne du ſujet
&de toutes les diſſertations publiées fur
Homere ; nous n'en avons point lu dont
nous ayons été plus fatisfaits ; nous n'en :
AVRIL. 1770. 107
exceptons pas celles de Pope. M. de R.
confidere d'abord fon auteur comme poëte
, hiſtorien & philoſophe. Cet examen
eſt rempli d'excellentes obſervations fur
les moeurs , la langue & la Mythologie
desGrecs. En expoſant ſes idées ſur la
traduction , fur l'Epopée , &c. il releve
avec énergie les beautés de l'Iliade & repouſſe
avec force les critiques injuftes...
Souvent le génie d'Homère ſemble l'infpirer.
« Je ne connois , dit-il en parlant de
>> l'onomatopée , qu'une forte d'affecta-
>>tion dans Homere ; mais elle eſt de
» l'eſſence de la poësie , elle en fait toute
>> la magie & toute la beauté. Par elle on
>> entend le tonnerre qui gronde dans les
nues , les flots qui mugiſſent fur leur
>>rivage , les voiles déchirés par les vents,
>> la trompette fonnant dans les combats
>>les bleſſés qui tombent avec leurs ar-
» mes , la fléche qui ſiffle dans les airs ,
>>le feu qui tourbillonne , éclate & pé-
>> tille dans une forêt enflammée. L'orпо-
>> matopée ou l'imitation des chofes part
>> les mots , rend toute la nature préfente
>> à nos fens. Où trouver dans nos lan-
>> gues modernes cette abondancede fons
>> imitatifs , que nous trouverions à peine
> dans notre muſique même ? >
ود
;
Evji
108 MERCURE DE FRANCE.
On a reproché à Homere des comparai
ſons à longue queue. " Tandis que ces ef-
>>prits froids & méthodiques inſultent
>>par des railleries le prince des poëtes ,
>>je crois voir Homere fortir du tombeau
>> pour venir leur répondre. La flamme
>> du génie étincelle ſur fon front , ſa
>>grande ſtature s'éleve à l'égal d'an vieux
>> chêne dont la cime reçoit le foleil ,
>> long- tems avant le voyageur endormi
>> fous ſon ombre ; ſes yeux pénétrans&
>> rapides embraflent un horifon immen-.
>>ſe ; il parle à ſes critiques & leur dit :
>> Hommes amollis dans le fein de vos
>> villes , qui avez peu vu , peu connu
>> peu ſenti ; quand vos regards ſe fixene
>> fur un objet , vous ne voyez que lui ,
>> j'en vois cent autres à la fois ; vous ne
» le voyez que d'un côté , je le vois dans
>> toutes les parties ; votre réflexion froi-
>> de & lente compare cet objet avec un
» autre , & n'y apperçoit qu'un rapport ,
>> j'en découvre mille; une ſimple ſenſa-
>>>tion fuffit à votre ame , un torrent de
>> fentimens ne fauroit remplir la mien-
>> ne ; ceſſez donc de meſurer mon efpric
>> fur le vôtre. Les dieux , en trois pas ,
>>> arrivent au bout du monde.
: >>L'opinion , dit- il en parlantdes caracteres
, a répété depuis Horace juf
,
AVRIL. 1770 . 109
>>qu'à nous qu'Achille eſt bouillant....
>>Mais ceux- là ſeuls qui ont ſçu étudier
> Homere , favent combien la fouguede
>> ce guerrier devient intéreſſante & fu-
>> blime dans ſon amitié pour Patrocle.
" Ah ! que de larmes tu m'as fait verſer,
>> brave & malheureux jeune homme ,
>> quand je t'ai vu dompter ta colere par
>> complaifance pour ton ami ! toi , qui
avois refuſé à l'élite des héros Grecs ,
>> de marcher au ſecours de l'armée , tu
>>ne peux réſiſter aux prieres de Patrocle,
>> tu lui prêtes tes armes , il va combat-
>> tre , ton coeur eſt dévoré d'inquiétudes
وز pour ſes jours , on vient t'apprendre
>> qu'il n'eſt plus ! ... Les gémiſſemens
>> me déchirent le coeur , je ſens tous tes
>> regrets , je partage ta fureur. Dieux !
> quel excès de douleur, quand tu revois
>> cet ami , pâle , défiguré , couvert de
>> pouffiere & de fang ! tu l'inondes de
>> tes larmes , & tu compares à ce moment
>> horrible les jours brillans où la gloire
» vous couronnoit tous deux . Ames de
>> bronze , ſices traits fublimes vous ont
échappé , taiſez vous ſur le caractere
d'Achille , vous n'êtes pas dignes d'em,
» parler.
ودر
» Et toi , tendre & plaintive Helene ,
10 MERCURE DE FRANCE.
1
>> ils ſavent que tu es belle ; mais ils ne
>>ſavent pas que ton coeur eſt déchiré de
>>remords , qu'étant forcée de mépriſer
>> celui à qui l'amour t'a livrée , tu portes
>> dans ton ſein une punition terrible de
>> ta foibleſſe ; que tu reſſens dans ton
>> ame tous les maux que tu cauſes à
>>Troye ; que , timide & avilie , tu n'ofes
>> lever les yeux devant tes nouveaux pa---
>> rens , & que , proſternée aux pieds du
>> perede ton mari ,tune trouves quedans
>> la tendreſſe de ce vieillard & dans la
>> générosité d'Hector , la pitié que tour
>> le monde te refuſe. Que de nobleſle..
>>>dans Hector ! c'eſt le modele de l'hon-
>>-nête homme courageux. Qu'il me de-
>> vient intéreſſant , lorſque s'arrachant
>>des bras de ſa chere Andromaque , &
» lui recommandant ſon fils unique , il
>> va s'expoſer à la mort! Attendri par les
>> pleurs de cette malheureuſe princeſſe ,..
>> je me range avec les dieux du parti des -
>> Troyens , je frémis des dangers de leur
>> chef. Il périt : quede larmes il va coû
» ter , &c. »
Nous allons tranſcrire ici la traduction
des paſſages fur lesquels tombent les réflexions
précédentes.
25
درف
AVRIL. 1770.
Andromaque adreſſe ces mots à Hetor
qui va combattre.
Pourquoi chercher la mort dans des périls nouveaux?
Contemplez cet enfant , cher prince , & ma mi
fére ;
Regardez en pitié celle qui vous fut chere ,
Et qu'un veuvage affreux va bientôtdéſoler.
Mille Grecs conjurés voudront vous immoler....
S'il faut que mon époux tombe ſous leur furie ;
Grands dieux ! qu'en le perdant , je perde auſſi la
vie;
Tous mes jours ne ſeront que des jours de douleur
,
Etnul ſoulagementn'entrera dans mon coeur.
Ma mere ne vit plus , & le cruel Achille
Afait mourir ſon pere , a défoléja ville ,
Ce prince trop fameux dont le corps tout fan--
glant
Obtint d'Achille même un digne monument.
•
J'eus ſept freres , hélas ! dignes d'un meilleur
fort ;
Achille en un ſeul jour leur a donné la mort.
Des fiers Ciliciens la déplorable reine ,
Ma mere , du vainqueur porta l'horrible chaîne;.
Et quand ſes triftes yeux revirent ſon palais ,
Diane fans pitié la frappade ſes traits..
112 MERCURE DE FRANCE.
Hector , mon cher Hector , je leur ſurvis encore
C'eſt pour vous que je vis , vous que mon coeur
adore.
Pere , mere, parens , je trouve tout en vous ,
Vous êtes tout pour moi , vous êtes mon époux...
Unorphelin en pleurs , une veuve mourante
Ne pourront- ils toucher votre ame indifférente ?.
Pour veiller fur nos jours , demeurez dans nos
murs.
Trois fois Idoménée , Ajax & Ménélas ,
Dans ces lieux mal gardés ont porté le trépas.
Sans doute quelque dieu conduiſoit leur attaque;-
Hector , ils ont juré la perte d'Andromaque .
A la vue du cadavre d'Hector , fa dou
leur s'exhale en cés termes:
Cher époux , cher Hector , quelle eſt ma deſti--
née !
Dans la fleur de tes ans tu m'as abandonnée !
Et tu ne m'as laiſſé pour uniqueſoutien
Qu'un foible& tendre fruit d'un malheureux hymen
.
Encor , s'il me reſtoit quelque douce eſpérance
De voir un jour en paix croître ſa foible enfan--
ce!
Mais , hélas ! tu n'es plus ; Ilion va périr ,
AVRIL. 1770. 113
Tu n'es plus , toi qui,ſeul,pouvois nous ſecourir..
Monfils . • dans l'ignominie ,
Nous traînerons tous deux une mourante vic.
Tous deux , hélas ! peut- être un de nos ennemis
Qui perdit par Hector ou ſon pere ou ſon fils ,
Pour venger à fon gré leurs triſtes funérailles ,
Te précipiteront du haut de nos murailles .
Grands dieux !'que de vengeurs s'élevent contro
nous!
Hector , que de héros ont péri fous tes coups !
•
Detes derniers ſoupirs , celle qui te fut chere ,
Ton épouſe n'a point été dépoſitaire.
Quand tu fermois tes yeux ſous la nuit du trépas ,
Tu n'as point , cher époux , porté vers moi tes
bras;
Je n'ai point recueillli ſur sa bouche glacée
Quelquedouce parole à moi ſeule adreſſée ,
Quelques mots confolans dont j'aurois nuit &
jour
Entretenu ma peine& flatté inon amour.
Priam confole ainſi la belle Hélene.
Ma fille.. venez à mes côtés ; •
Raſſurez près de moi vos eſprits agités .
Du malheur des Troyens vous n'êtes point la
caufe..
1
114 MERCURE DE FRANCE..
La volonté des dieux de notre ſort difpoſe,
Seule elle a contre nous armé nos ennemis.
Venez voir votre époux , vos parens , vos amis...
Ah ! combien , dit Helene , à votre auguſte afpect
Mon coeur ſe ſent ému de honte &de reſpect !
Que n'ai -je ſcu mourir , quand loin de ma famille,
Laiſſant &mon époux & mon unique fille ,
Pour ſuivre votre fils ,je traverſai les mers.
J'ai vécu deſtinée aux maux les plus amers ;
Le remords me confume , & le cours de mes larsmes
Adefléché la fleurde mes coupables charmes.
Elle dit à Vénus , qui la preſſe d'épou
fer Pâris :..
Inhumaine déeffe ,
Vous plaiſez-vous... àtromper ma foibleſſe ?
En quels nouveaux climats voulez - vous m'ens
traîner ?
De quels nouveaux liens voulez-vous m'enchaî
ner ?
Sur les bords éloignés que regarde l'aurore ,
Aquel amant Vénus me promit-elle encore?
Pour un prix odieux s'expoſant à périr ,
LevaillantMénélas vient de me conquérir ;
Il veut dans ſes vaiſſeaux ramener ſon épouse;
AVRIL. 1770.115
Laiflez moi dans ſesbras ſans en être jalouſe.
Allez revoir Pâris , foulagez ſon ennui ,
Renoncez à l'Olympe & pleurez avec lui .
Dans les liens d'hymen ou d'un lâcheeſclavage,
Loin du ſéjour des dieux conſolez ſon veuvage.
Son lit m'eſt en horreur. Quel opprobre pour
moi ,
S'il poſlédoit encor mon amour & ma foi !
Quand je porte en mon coeur ſes fautes & les
miennes ,
Pourrois-je ſoutenir les regards des Troyennes ?
Livrée à mes douleurs , étrangere aux plaiſirs ,
Jedéteſte àjamais ſes amoureux defirs.
Ces vers donneront une idée juſte
de la traduction de M. de Rochefort..
Elle eſt, ornée de notes ſavantes & philofophiques...
Catalogue d'une collection de livres choifis
, provenans du cabinet de M... A
Paris , chez Guillaume de Bure , fils
aîné , libraire , quai des Auguſtins , à
StClaude & à labible d'or , in- 8 °. d'environ
200 pag. Prix 1 liv. 10 f.
Labibliographie eſt devenue une ſcien
116 MERCURE DE FRANCE.
ce fans bornes , & les catalogues ſont des
livres de bibliothéque. Celui que nous
annonçons eſt deſtiné à annoncer une
vente publique qui ſe fera en détail , au
plus offrant & dernier enchériſſeur , le
lundi II Juin 1770 & jours ſuivans ,depuis
deux heures de relevée juſqu'au foir,
en une maiſon ſiſe quai des Auguſtins ,
au coin de la rue Pavée. On vendra enſuite
des buſtes antiques &des vaſes de
porphyre. Les livres forment une collection
très- curieuſe & très-riche.
Le Nécrologe des hommes célèbresde Fran
ce ; par une ſociété de gens de lettres.
AParis , de l'imprimerie de G. Defprez
, imprimeur du Roi , 1770 ; avec
privilége du Roi ; brochure in- 12. de
415 pag.
Les gens de lettres , les artiſtes, les ac
teurs célèbres , tous ceux enfin qui , pendant
leur vie , auront mérité la reconnoiſſance
ou l'attention de leur fiécle, recevront
dans cet ouvrage , entrepris depuis
fix ans , un tribut d'éloges & de regrets.
On s'arrêtera moins aux anecdotes
communes de leur vie privée qu'à l'hiſtoire
de leur génie &de leurs talens. "La
>>vie d'un grand général eſt dans ſes cam
AVRIL. 1770. 117
pagnes ; celle d'un homme de lettres
>> ou d'un artiſte fameux eſt dans ſes ou-
» vrages. » Ce recueil pourroit contenir
les faſtes de la littérature &des arts, li les
perſonnes qui doivent s'intéreſſer à la
gloire des hommes célèbres , vouloient
bien concourir au but louable de noszélés
nécrologues , en leur procurant les mémoires
& les inſtructions qu'ils ne ceſſent
de folliciter..
Ce volume renferme vingt- quatre éloges.
Nous avons déjà jeté quelques fleurs
fur les tombeaux de pluſieurs écrivains
loués dans ce nécrologe d'une maniere
plus digne d'eux. Les noms des de l'Iſle,
des Sauvages, Ménard , d'Olivet , de Parcieux
, &c. feront encore conſacrés dans
l'hiſtoire des académies . Nous nous arrêterons
principalement aux éloges de deux
ſavans qui s'étoient retirés dans les pays
étrangers , MM. de Prémontval & Abauzit.
André-Pierre le Guay , de Prémontval,
né à Charenton en 1716 , donna un cours
gratuit de mathématiques à Paris vers
l'année 1740. Son mérite , ſon amour
propre & ſa hardieſſe lui attirerent des
ennemis. Il alla rechercherdes récompenſes
hors de ſa patrie , & après avoir erré
118 MERCURE DE FRANCE.
en Suifle & en Allemagne , il ſe fixa à
Berlin où il fut favorablement accueilli
par l'académie des ſciences , & honoré
des bienfaits du Roi de Pruffe. En 1751,
ilpublia un très-ſavant& très- fingulier
ouvrage , en 3 vol. in 8°. ſous le titre de
Monogamie ou l'unité dans le mariage.
Le mauvais ſuccès de ce livre l'engagea
à en brûler la fuite qu'il avoit annoncée
avec la plus douce confiance. Il nous apprendque
tel a été le ført de pluſieurs autres
productions de ſa plume. La fingu
larité eſt le caractere distinctif des ouvrages
de ce ſavant. " Je ne fais pourtant ,
>>dit l'auteur de ſon éloge , ſi l'on doit
>> appeler fingularité ce qui tend à être
>>bizarre. Ce petit mérite a été ſi fort re-
>> cherché de nos jours ; tant d'auteurs ,
>> ſinges les uns des autres , ont cru ſe
>> rendre originaux , en heurtant de front
>> les opinions générales , que ce n'eſt plus
»une fingularité, &que c'en ſera bientôt
>> une au contraire , que de vouloir ſerap-
>> procher des idées communes.>>
M. de Prémontval , né avec un caracteretrop
difficile & trop emporté , eut , à
Berlin , des procédés extraordinaires envers
M. Formey , fecrétaire perpétuel de
l'académie , qui ne les repouſſa jamais
AVRIL. 1770 . 119
qu'avec la douceur & la modération , &
qui a même conſacré la mémoire de M.
de P. par un éloge inſéré dans le 25º vol .
des mémoires de l'académie de Berlin .
Entr'autres livres de métaphyfique , il
publia la Théologie de l'Etre , eſpéce de
Lêverie philoſophique dans laquelle il rejette
les preuves ordinaires de l'existence
de Dieu , pour yſubſtituer des preuvesde
fon imagination . Vanini , accuſé d'athéif.
me , ſe baiſſa , ramaſſa un fétu , & dit :
Je n'ai besoin que de ce fétu pour me prouver
invinciblement ce qu'on m'accuse de
nier.
M. de P. eſt mort à Berlin en 1767 .
L'Allemagne lui doit un écrit très- utile:
ce ſont ſes préſervatifs contre la corruptionde
la langue françoiſe enAllemagne.
>> Si le mauvais goût , l'amour des folles
>> innovations & l'oubli dédaigneux de
>> tous les anciens principes , continuent
>> à s'accréditer parmi nous , on aura bien-
>> tôt beſoin d'un pareil ouvrage en Fran-
>> ce& au ſein même de la capitale.>>
Firmin Abauzit naquit à Uzès , ſur la
fin du ſiècle paſſé. Ses parens l'emmenerentdebonne
heure à Genève , où on lui
confia , dès ſa jeuneſſe , la bibliotheque
de la ville. Jouiſſant de l'état de citoyen,
420 MERCURE DE FRANCE.
il conſacra ſes travaux à ſa patrie nouvelle
: il donna , en 1730 , une édition de
l'hiſtoire de cetteVille &de l'Etat,que Jacob
Spon avoit publiée en 2 vol. in- 12 .
vers le dernier ſiècle. Dans des notes
pleines d'une érudition vaſte & choifie
il éclaircit , il développe , il rectifie le
texte : quelques differtations&des remarques
ſur l'hiſtoire naturelle des environs
de Genève , lui appartiennent en entier ;
on lit ces morceaux avec plaifir & avec
fruit. Les auteurs de fon éloge regrettent
que la modeftie de ce ſcavant nous aie
privés de les autres écrits : nous en jouirons
bientôt. Il s'en fait actuellement
deux éditions , l'une à Genève & l'autre
à Londres deſtinée pour Amſterdam ; la
premiere , ſur les manufcrits trouvés dans
les papiers de M. Abauzit par fon exécuteur
teftamentaire , & la ſeconde ſur des
copies que les libraires de Genève ſe ſont
procurées. M. Abauzit eſt mort en 1768
dans une petite folitude où il s'étoit retiré
près de Genève . Il étoit preſqu'inconnu
en France , avant que M. Rouffeau
eût publié ſa lettre ſur les ſpectacles, dans
laquelle le philoſophe ſenſible parle de
fon ancien concitoyen , avec une admiration
& une vénération dont on a été furpris
AVRIL. 1770. 121
pris , parce qu'on ne connoiſſoit point
M.Abauzit.
Mde Bontems , MM. Denelle , Malfilâtre
, de la Grange , Macquart , l'abbé
Roger , le Fort de la Moriniere , Léonard
desMalpeines , de Montdorge , Maucomble
, de la Marche , l'abbé Laugier, Poinfinet
, de Saint-Maur, font les autres gens
de lettres loués dans ce recueil. Avec
leurs éloges , font mêlés ceux de MM.
Fournier le jeune , Blavet & François.
L'ouvrage eſt terminé par des obſervations
, &c. fur les deuils.
Le mérite de ce recueil eſt connu. On
pourroit appeler ces éloges des morts la
cenſure des vivans.
,
Géographie familiere du tour du Monde ,
ou tableau précis & général du globe
terreftre , pour l'intelligence facile
prompte & durable de la géographie
moderne ; adaptée à l'atlas des colléges
&des penfions , & fuivi de celui de
l'Enfant géographe , ou nouvelle méthode
d'enſeigner cette ſcience;dédiée
à la jeuneſſe , broch . petit in. 12. de 225
pag. prix 1 liv . 10 fols. AParis , chez
Deſnos , ingénieur géographe pour les
globes & fphères ,& libraire de S. M.
IL Vol F
122 MERCURE DE FRANCE.
Danoiſe, rue St Jacques , au globe;avec
approbation & privilége du Roi .
La méthode nouvelle , ſuivie dans ce
petit livre , nous a paru très-propre à faciliter
aux jeunes gens l'étude de la géographie.
Des ſuccès rapides l'ont justifiée .
Unglobe , une mappemonde , les cartes
générales de l'Europe , de l'Aſie , de l'Afrique
& de l'Amérique ; les cartes de la
France &de quelques autres états , contenues
dans l'atlas des colléges du St Defnos
, fuffiſent avec cette géographie pour
bien faire connoître à des commençans
les ſituations relatives des lieux , deſquelles
ſeules réſulte le tableau général .
On trouve chez le St Deſnos toutes
fortes d'atlas , de cartes&de livres relatifs
à la géographie & à l'hiſtoire . Il procurera
aux amateurs qui s'adreſſferont à
lui , tout ce qui paroîtra de nouveau en.
géographie.
Fables allemandes & contes françois en
vers; avec un eſſai ſur la fable.
L'apologue eſt undon qui vient des immortels ,
Ou si c'eſt un préſent des hommes ,
Quiconque nous l'a fait , mérite des autels.
LAFONT.
1
AVRIL. 1770. 123
A Paris , chez Sébastien Jorry , imprimeur-
libraire , rue & vis- à- vis la Comédie
Françoiſe , au grand Monarque;
avec approb. & privil. du Roi.
L'Effai fur la fable eſt preſque tout
compoſé de citations. J'aime mieux , dit
l'auteur dans une note , rapporter des choſes
écrites ſupérieurement que de les narrer
mal . Il a raifon. Cependant il peint
le caractere des fabuliſtes à ſa maniere; il
parle de lui- même en ces termes : « Que
» dirai-je de moi ? de mes fables ? de mes
» contes ? Rien. Je laiſſe à mes ennemis;
> (qui n'en a pas! ) jaloux de magloire
>> à en dire tout le mal poſſible : & je
>> crains qu'ils n'en diſent point tout le
>> mal , à beaucoup près , qu'on pourroit
» en dire . » Nous ofons lui promettre
que l'envie ne flétrica point ſa gloire. Il
ne peut obtenir le laurier de poëte,
Pour mon amusement , (dit - il ,) je compoſe des
vers ;
Et tous ceux que j'ai faits , c'eſt afin de complaire
Acelle dont lesyeux plus que lejour m'éclaire.
Si l'on voit mes écrits , c'eſt ſon commandement.
La cruelle me fait ſouffrir très-conftamment.
11
Ce touchant aveu , ce defir de plaire ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
cette parfaite ſoumiſſion , ces vers fairs a
la lumiere des yeux de la cruelle ne l'attendriront
- ils pas ? Du reſte l'auteur ſe
contente , comme Horace , d'unpetit nombre
de lecteurs.
L'Homme de lettres; par le Pere Daniel
Bartoli : ouvrage traduit de l'italien ,
augmenté de notes hiſtoriques& critiques;
par le P. de Livoy , Barnabite.
AParis , chez Hériſſant fils , libraire ,
rue St Jacques , 1769 ; avec approbat.
& privil . du Roi ; 3 vol . in- 12 .
Le Pere Bartoli , Jéſuite , né à Ferrare
en 1608 , & morten 1685 , paffe pour un
des meilleurs écrivains que la ſociété ait
eus en italie. De ſes nombreux ouvrages,
l'Homme de lettres paroît être le plus eftimé.
Cet ouvrage eut un ſuccès prodigieux.
Dans l'eſpace d'une année , on en
fit huit éditions. Il a été , depuis,imprimé
pluſieurs fois , & on l'a traduit en différentes
langues. Ses compatriotes & fon
fiécle en admirerent les pointes , les comparaiſons
, les métaphores outrées , les citations
prodiguées & le ſtyle preſqu'oriental.
Par tout&dans tous les tems ,
on goûtera la faine critique , les ſages
leçons & la noble franchiſe de l'auteur;
AVRIL. 1776. 125
on ſera ſurpris de l'immenſe érudition
qu'il a fondue , ſouvent avec un art infini,
dans ſes préceptes. De la chaleur , de l'aménité
, de la force , de l'harmonie , des
images heureuſes , des tours vifs & piquans
rendront toujours la lecture de cer
ouvrage agréable ; it plaira par ſa ſingularité
même. L'auteur dit dans fon intro
duction , qu'il a compoſé fon livre dans
l'espace des deux mois les plus chauds d'un
été.
L'Homme de lettres eſt diviſé en deux
parties. La premiere préſente les avantages
de la ſcience & les défavantages de
Pignorance . La ſeconde eſt une forte cenfure
des vices des gens de lettres. Le deffein
de l'auteur eſt de venger la gloire des
lettres flétrie par les calomnies de ceux
qui les négligent&par les défauts de ceux
qui les cultivent. Il ſuffira d'en citer quel
ques traits pour que nos lecteurs ſaififfent
P'eſprit & la maniere duP. Bartoli .
L'auteur ſe plaint d'abord que les grands
de recherchent pas les gens de lettres; &
que ſi l'on rendencore hommage aux fimu
lacresdes divinités , on n'en dédaigne pas
moins les artiſtes . C'eſt la faute des
>> grands, ſi on ne voit point des hommes
>> qui, par l'étendue de leur ſçavoir,ayent
ود
Fiijs
126 MERCURE DE FRANCE.
>>une réputation éclatante & qui faſſent
>> l'étonnement de l'Univers . Que ne for-
>> ment-ils leurs théâtres ſur la regle de
>> Vitruve , de maniere que les falles ne
>> foient point fourdes pour les repréſen-
>> tations& les concerts,&que les acteurs
»& les muſiciens n'y perdent pas leur
>> peine & leur voix. >>
Il eſt , dit - il en parlant de l'ignorance
dans les dignités , des ſculpteurs imbécilles
au dernier degré qui ne ſavent donner
à une ſtatue de géant un air terrible, qu'en
le repréſentant furieux , étendant les bras
& écartant exceſſivement les jambes ,
comme ſi d'un ſeul pas ils euſſent dû lui
faire meſurer tout le monde. La même
choſe arrive , dit Plutarque , à ces princes
qui s'imaginent ſe donner un air de
majeſté à force d'en montrerun farouche
&terrible. Louis XI vouloit que ſon fils
Charles VIII fût uniquement inſtruit que
qui ne fait pas diſſimuler ne fait pas regner.
S'il mettoit le ſceptre à la main
du Roi , l'épée à ſon côté , il en faiſoit
>> en même tems un nouveau Midas , en
» lui donnant des oreilles d'âne . »
L'article de l'ignorance &des richeſſes
eft curieux & amufant. « Aujourd'hui
>>dans le monde , l'amour , l'honneur ,
AVRIL. 1770. 127
>> tout eſt à prix d'argent. Les lettres qui
» font la meilleure recommandation ſont
» les lettres de change , & la meilleure en-
» cre-eft celle des banquiers ... Les perles
>> bien rondes & bien groſſes , figures des
>> riches ignorans , ſont la choſedu mon-
» de la plus précieuſe & la plus eſtimée.
>> Faites moi tout d'or , quand je ſerois
>> un boeuf , on m'adoreroit comme un
>> dieu . On peut faire remonter juſqu'à
>>l'antiquité la plus reculée , aux Ifraëli-
>> tes dans le déſert , l'origine de cette
» apothéoſe qui ne ſe perdra jamais . »
L'auteur habille enſuite un riche ignorant
de la laine la plus fine teinte en pourpre,
pour lui dire avec Demonax , que cette
laine , une bête brute l'a portée avant lui,
&que comme la teinture ne l'a pas fait
ceſſer d'être laine , ſa figure humaine &
ſa pompe ne lui ôtent riende l'animal. II
le loge enſuitedansun ſuperbe hôtel pour
mettre ſur ſa porte , ci git Vatia.
Le P. B. ſouhaiteroit qu'il y eût un hiver
pour les livres comme pour les arbres
; & que comme dès l'automne les
arbres ſe dépouillent de leurs feuilles ,
les livres perdiſſent auſſi les leurs. Enſuite
il applique aux livres ornés de
Fiv
130 MERCURE DE FRANCE.
rent. Les plus grands génies ont honoré
ce grand art ; & l'on peut dire des lions
comme des fourmis , qu'ils aiment à ſe
nourrir de butin. On affure que les ouvrages
d'Ariftote ne font qu'une mofaïque
formée avec les écrits de Speufippe ,
de Démocrite , &c. Enforte que celui qui
paroiſſoit un phénix avec tout ce qu'il
avoit pris des autres , n'auroit plus été
qu'un corbeau avec le ſien. Platon fut taxé
deplagiaire (& non de plagiat. ) Timon
l'accuſa d'avoir dérobé les idées de fon
Timée à Philolais ... Que n'a t'on , s'écrie
l'auteur , un Archimede pour féparer
les idées comme les métaux ; unAriftophane
pour distinguer le langage des
morts dans la bouche des vivans; un Cratinus
pour mettre les livres à la queſtion
&leur faire leur procès fur ces larcins ,
comme il fit des poëſies de Ménandre ,
dont il tira fix livres de plagiats ? On verroit,
avec combien de raifon , Mercure eft
réputé tout à-la fois le dieu les littérateurs
&des voleurs !
و nous avons Dans les paſſages cités
preſque toujours confervé la traduction
du P. de Livoy , excepté dans ce dernier
extrait fur le plagiat , où il nous paroît
avoir entierement manqué le ſens de l'au
AVRI L. 1770.
131
reur en pluſieurs endroits. Le P. Bartoli
dit , en parlant d'Ariſtote : Si Speusippo ,
nella compra de' fui libri egliſpeſe trè talenti;
fe Democrito , ſe altri ... repigliaffero
ognuno deſſfi il loro ; c'eſt à dire , fi
Speuſippe dont il ( Ariftote) acheta les
livres trois talens ; ſi Démocrite& autres
avoient repris ce qui leur appartenoit , le
P. L. traduit : il n'importe que Speusippe
aitmis trois talens pourſe procurer les ouvrages
d'Ariftote ; ſi Démocrite , &c .
Au ſujet de Platon , l'auteur cite ces
deux vers d'Aulu- Gelle .
Exiguum redimis grandi ære libellum
Scribere per quem orſus perdoctus abinde fuiſti,
Le P. L. traduit qu'il vous coûte cher
cet ouvrage , le premier que vous ayezfait!
Nous croyons que per quemfcribere orſus
ſignifie d'après lequel , au moyen duquel
vous avez commencé à écrire , & qu'il
s'agit non du premier onvrage de Platon ,
mais du petit livre de Philolaüs que Platon
acheta fort cher.
Le P. B. defire un Cratinus qui mette
les livresà la torture , coméi fece dellepoëfie
di Menandro , de' cui ladronnecci ei
composefei libri. C'eſt Cratinus quiforma
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
fix livres des plagiats de Ménandre , &
non Menandre qui avoit compoféfix livres :
defes plagiats , comme le dit le traducteur
, &c.
On pourroit auffi relever beaucoup de.
négligences dans le ſtyle du P. L. En général
il affoiblit & refroidit ſon auteur ..
Cependant ce travailne lui fait pas moins
d'honneur que ſa traduction des Révolutions
de la littérature ancienne & moderne -
de M. Denina ; & nous devons faire obferver
l'extrême difficulté qu'il y avoita
rendre dans notre langue un poëte qui ne
refuſe aucune idée , aucune expreffion ,
aucun tableau , d'une imagination toujours
ardente & ſouvent déréglée . Le Pa
de Livoy a enrichi l'ouvrage de nores
utiles..
Les Sens , poëme en cinq parties. A Gee
nève ; & à Paris , chez le Jay , libraire,
broch . in-8°.
La nature , dit l'auteur dans ſa préface
, eſt une ancienne maîtreffe dont le
nom- feul , quelqu'engagement qu'on ait
contracté dans la ſuite des tems , excite
toujours une agréable ſenſation. C'eſt
fous la dictée des fens,qu'il dit avoir écrit
fon poëme diviſé en cinq chants. Le ſujer:
AVRIL. 1770 . 1.33
de chaque chant eſt expoſé dans ces vers
-auxquels le reſte de l'ouvrage eſt parfaite.
ment allorti .
Egle, tes yeux ont vu Pâris
A la beauté donner le prix;.
Zéphire , dans leſein de Flore;
S'emparer des douces faveurs
Que ſes ſoupirs ont fait éclorre.
Près de ſon Euridice en pleurs
Ils ont vú le chantre de Thrace :
Manier la lyre avec grace,
Etpar ſes accens enchanteurs
Rendre ſon épouſe à la vie.
Vers Ariane évanouie
Ils ont conduit le dieu du vin ,
Et l'ont vu verſer dansfonfein.
Ce nectar qui nous rend la vie...
Jupiter en Crète arrêté,
Du taureau laiflant l'effigie ,
Avec fon. Europe ravie..
Partage ſadivinité.
Les plaiſirs dont le dicu s'enivre
Nepeuvent pas être décrits ,
Qu'il nous fuffiſe de les ſuivre.c
134 MERCURE DE FRANCE.
Les poësies diverſes jointes à ce роёте
ſont dans le même goût. «Je me fuis
>>amuſé , dit l'auteur , à tracer quelques
>>figures ſur le ſable ; non but eſt rem-
>> pli , fi quelqu'un les regarde en paf-
>> fant. >>
Inſtitutiones philofophicæ ad usumseminarii
Tullenfis , illuftriff. ac reverendis.
in Chrifto Patris DD. Claudii Drouas ,
Episcopi & Comitis Tullenfis , S. R. I.
Principis, juffu & auctoritate editæ . Neocaftri,
ex typis Monnoyer , DD. Epifc.
Tullens. typogr. & Tulli Leucorum ,
apud J. Carez , DD. Epifc. Tull. Typogr.
cum privilegio Regis.
Inſtitutions philoſophiques à l'uſage du
féminaire de Toul , &c. A Neufchâteau
, de l'imprimerie de Monnoyer ;
& à Toul , chez Carez , 5 fort vol.
in- 12 .
C'eſt ici une ſeconde édition des Institutions
philoſophiques , compoſées par
l'ordre de Mgr l'Evêque de Toul , à l'ufage
de ſon ſéminaire. On y trouve des
changemens & des augmentations confidérables.
Ces leçons , dans la forme ſcholaſtique
, font recommandables par lamé
AVRIL. 1770 . 135
thode & la clarté. Il ſeroit à deſirer que
l'on ſuivît dans les autres diocèſes l'exemple
que l'on donne ici de faire imprimer
des cours de philofophie , pour épargner
untems précieux que la dictée des cahiers
emporte. Cette conſidération nous induiroit
à imaginer que l'éducation des ſéminaires
pourroit être perfectionnée comme
celle des colléges. Ce ſujet ſeroit bien
digne d'exercer laplume d'un philofophe
chrétien.
Traitéde la culture des péchers; nouvelle
édition revue , corrigée & augmentée .
A Paris , chez Delalain , libraire , rue
& à côté de la Comédie Françoiſe ;
1770 , avec privil. du Roi ; brochure
in- 12. de 200 pag .
L'auteur de ce petit traité a acquis par
une longue expérience & par de mûres
réflexions , en cultivant le jardin de ſa
maiſon de campagne ſituée aux portesde
Paris , les connoiffances qu'il publie fur
un des plus excellens fruits de l'Europe.
La pêche coûte plus de foins &demande
plus d'intelligence dans le cultivateur que
tout autre fruit. Cependant les plants de
pêchers font fi mal gouvernés , qu'on ne
tire pas de cent arbres ce qu'on pourroit
146 MERCURE DE FRANCE.
tirer de vingt qui ſeroient conduits avec
un certain art. On prétend que M. Girardot
, ancien mouſquetaire du Roi , s'étoit
fait, par la culture des pêches , juſqu'à
30000 liv. de rentes dans un fort petit
eſpace de terre qu'il avoit à Bagnolet. Le
village de Montreuil , qui n'a , dit - on ,
d'autre production que ce fruit & quelques
fruits rouges , paye au Roi , tous les.
ans , pour so mille liv. d'impoſitions ; &
l'arpent de terre s'y loue 200 & 300livres .
Il eſtvrai que ſes habitans , au nombre de
quatre mille,fe donnent , pour tirer parti
de leurs fruits , des peines inconcevables ;
&que la ſituation du lieu&la qualité ſont
très- favorables à ces eſpéces d'arbres.
L'auteur , en parlant des différentes efpéces
de pêches , met la violette au defſus
de toutes les autres , lorſqu'elle eſt
dans ſa perfection , quoique bien des gens
l'eſtiment peu. Vitry , Fontenay-aux-Rofes
, le Pré- Saint-Gervais offrent des pépinieres
abondantes ; il y a plus de choix
à Vitry. Les pêches tendres ne peuvent
réuſſir qu'en eſpalier ; &dans ce climat
le levant& le midi font les ſeules expofitions
qui leur conviennent. Le treillage
eft d'une indiſpenſable néceflitépouravoic
des fruits bien conditionnés & en abon
!
و
AVRIL. 1776. 137
dance : on préſente ici le moyen d'en faire
avec économie. L'auteur s'eleve contre
la méthode générale de tailler les pêchers
lorſqu'ils font en fleurs , ou même après
que le fruit eſt noué ;& il prouve par le
raiſonnement&par l'expérience , qu'il eſt
plus avantageux de faire cette opération
vers la fin de Janvier & au commencement
de Février. Il entre dans des détails
très - inſtructifs ſur l'ébourgeonnement,
les paliſſades , les labours , le fumage , les
maladies des pêchers , &c. Enfin fon ouvrage
eſt terminé par l'expoſition d'une
méthode particuliere pour une plantation
neuve : on ne la trouve pas dans la premiere
édition , & il faut la lire dans le
livre même . Ce traité fait avec clarté &
netteré ſera très-utile à ceux qui s'adonnent
à ce genre de culture. L'auteur a auſſi
publié l'Ecole du Jardin potager , en deux
volumes ; elle ſe vend chez le même li
braire..
Le nouveau Spectateur , ou examen des
nouvelles piéces de théâtre , tant françois
, italien, qu'opéra , dans lequel on
a ajouté les ariettes notées ; par M. le
Prevôt d'Exmes ; 3. cahier , prix 24 f.
AGenève ; & ſe trouve à Paris , chez
!
140 MERCURE DE FRANCE.
Les mêmes , renfermés en une édition
de Racine in 8 ° . avecfig. 7 vol. rel . 54 1.
br. 44 liv.
Elite de poësies fugitives , s vol . rel.
12 liv. 10-f. br. 9 liv . Les IVe & Ve vol. fe
vendent ſéparément 5 liv. rel . 4 liv. br .
Epoques élémentaires d'hiſtoire univerfelle
, in fol. 2 liv. 10 f.
Avis aux gens de lettres , in 8 °. 18 f.
Fanny , roman , in-12 . 1 liv. 4 f.
Soupirs du cloître; par M. Guymond
de la Touche , in - 80. gr. papier , 1 liv.
10 f.
L'inconnu , roman , in- 12. 11. 4 f.
Dictionnaire de la langue romane , in-
8°. rel . 5 liv. 10 fols. Il n'y en a plus de
brochés.
Tous ces livres font reliés en veau avec
filets en or fur la couverture .
On trouve chez le même libraire un
poëme françois du docteur Mathy , intis
rulé le Vaux. Hall de Londres , adreſſé à
M. de Fontenelle & fuivi d'une jolie pié
ce de vers de Mde Dubocage ſur leRe
nelagh, prix 15 1.
:
AVRIL. 1770. 141
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
LE concert du dimanche , It Avril , a
coinmencé par une ſymphonie. On a exécuté
enſuite Omnes gentes , motet à grand
choeur deM. Dauvergne , furintendant de
la muſique du Roi . M. Peré a chanté un
motet à voix ſeule de M. Botzon. M.
Leikhgeb , de la muſique de M. le prince
, évêque de Salkbourg , a reçu les applaudiſſemens
dusau talent ſupérieur avec
lequel ila donné un concerto de chaſſe de
ſa compoſition. On a entendu avec le plus
grand plaiſir Mlle Duplant , qui a chanté
Diligam te Domine , & c . motet à voix
ſeule de M. Dauvergne . M. Cramer , de
la muſique de M. l'Electeur Palatin , a
exécuté, unconcerto de violon de ſa compoſition,
dont la brillante exécution &
l'excellente muſique ont été également
applaudies. Le concert a été terminé par
Cantate Domino , motet à voix ſeule de
Lalande.
142 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIÉ FRANÇOISE.
COMPLIMENT de clôture prononcé par
M. d'Alainval.
MESSIEURS ,
Le théâtre françois touche enfin à l'é .
poque la plus flatteuſe qu'il pouvoit efpérer.
Le gouvernement daigne fixer un
moment fon attention fur lui & s'occuper
des moyens de faire élever un monument
digne des chefs- d'oeuvre des hommes de
génie qui vous ont fait l'hommage de
leurs veilles . La ſcène lyrique vient d'offrir
à vos yeux les reſſources de l'architecture
: vous avez rendu justice , Mefſieurs
, au travail de l'artiſte célèbre M.
Moreau , qui a eu le courage de s'écarter
des routes d'une imitation ſervile , & qui
a été affez heureux pour vous plaire , eu
oſant innover. Il eſt tems que le théâtre
national jouiſſe des mêmes avantages ; il
eſt tems que les mânes de Corneille , de
Racine &de Moliere viennent contempler
les changemens dont ce théâtre eſt
fufceptible , & nous dire : « Voilà le temAVRIL.
1770. 143
» ple où nous aimons à être honorés , »
Il eſt tems enfin de faire ceſſer les reproches
trop fondes des autres nations jalouſes
de la gloire de la nôtre .
Accoutumés depuis long tems , Meffieurs,
à votrebienveillance, nous ne cefferons
jamais de vous donner des preuves
de notre empreſſement à vous offrir des
productions dignesde vosfuffrages. Nous
defirons , avec tous les coeurs vraiment
patriotiques , qu'aux grands exemples
d'héroïſme & de vertu que les faſtes de
l'antiquité ont fournis aux auteurs tragiques
, fuccédent ceux qu'il eſt ſi aisé de
trouver dans nos annales & qui ne font
ni moins intéreſſans ni moins fublimes ;
genre neuf, fait pour être encouragé , &
dont un homme de génie a ouvert la carriere
avec le ſuccès le mieux mérité . *
C'eſt dans ces ſentimens , Meſſieurs ,
que nous quittons un théâtre où vous
avez tant de fois ſecondé nos efforts ; c'eſt,
pénétrés de la plus vive reconnoiſſance
pour les bontés dont vous daignez nous
honorer, que nous ofons vous en demander
la continuation fur la nouvelle ſcène
que nous allons occuper , heureux fi nous
* M. de Beloy.
144 MERCURE DE FRANCE.
les méritons de plus en plus par nos tra
vaux , notre reſpect & notre zèle.
COMÉDIE ITALIENNE.
On a donné fur le théâtre italien , le
1.3 Mars , la premiere repréſentation du
Cabriolet volant , ou Arlequin Mahomer.
Ce canevas , en trois actes , paroît
tiré d'un opéra comique de l'ancien théâtre
de la foire , portant auſſi le dernier de
ces deux titres , & donné par le Sage en
1714, avecle Tombeau de Nostradamus
qui lui fervoit de prologue .
Un magicien , protecteur d'Arlequin ,
le met à l'abri des pourſuites de ſes créanciers
, en lui donnant un cabriolet volant
dans lequel il fend les airs en leur préfence;
il s'en fert pour s'introduire dans
l'appartement de la fille du grand Seigneur
; trompe facilement ce pere des
Croyans , qui lui accorde la princeffe en
mariage. Nous ne donnerons pas un extrait
plus étendu de cette piéce dont le
mérite conſiſte dans le jeu d'Arlequin ,
dans celui de fon valet Pierrot , rôle trèsbien
rendu par le St Veroneſe , & dans
les détails critiques & plaifans dont plufieurs
AVRIL. 1770. 145
<
fleurs portent fur les ſituations outrées
que l'on répéte ſans ceffe dans nos drames
modernes , affectation blamable fur laquelle
on ne fauroit répandre trop de ridicule
; c'eſt le projet de l'auteur de ce
canevas , qui s'eſt diſtingué fur le théâtre
françois par des ſuccès imérités dans un
autre genre , & qui n'a voulu que s'égaïer
danscetteplaifanterie; mais ila faitplus,
il a beaucoup amusé ſes ſpectateurs . Il
prépare , dit- on , pour la rentrée du théâtre,
une ſuite de cette piéce qui a paru
faire beaucoup de plaiſir.
On a continué toujours avec le même
ſuccès les repréſentations de Sylvain jufqu'à
la clôture du théâtre , qui s'est faite
par le compliment ordinaire adreſſé au
Public par les acteurs du Tableau parlant.
Caffandre en charge fon neveu Léandre
qui , quoiqu'il ait voyage & qu'il foit
le marié , ne fait comment il faut s'y
prendre. Caflandre s'en acquitte par un
couplet où il met moins d'eſprit que de
ſentiment,
Tandis qu'il le chante , Pierrot a l'air
préoccupé de quelqu'un qui compofe ;
tout à coup il paroît accoucher de ſa
production , mais Colombine veut auffi
parler.
II Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE ,
COLOMBINE .
Cela m'eſt égal , il faut que je parle ;
c'eſt mondroit& je veux le ſoutenir.
PIERROT.
Ah! je t'en prie.
COLOMBINE .
Ah! je t'en prieaufli , mon cher Pierrot.
PIERROT.
Mon cher Amour... veux-tu bien me
laiffer.
COLOMBINE.
Mon cher Pierrot... veux - tu bien te
taire , Meſſieurs...
PIERRO т.
Meſdames ,
COLOMBINE. د
i
Ah! ... ce début m'en impoſe , je le
reſpecte infiniment.
PIERROT.
Vous permettez donc ? ...
,
AVRIL. 1770. 147
COLOMBINE .
Oui , dès que l'hommage que vous
rendiez s'adreſſe au beau ſexe , je vous
céde la préférence ; ces Meſſieurs ſont trop
galans pour me déſaprouver.
PIERROT .
Mesdames ... & Meffieurs .
COLOMBINE.
Ah! le méchant , c'étoit une ruſe pour
m'eſcamoter mon tour.
PIERROT , déclamant avec emphase.
Il eſt certains momens où l'ame embarafléc
Ne ſe peut à ſoi-même expliquer ſa penſée ;
De ſentimens divers ... le choc... impétueux
Fait douter ſi l'on doit être triſte ou joyeux ...
Et fur le même objet , ſelon qu'on l'enviſage ,
L'eſprit reſte indécis &le coeur ſe partage.
COLOMBINE. , ironiquement.
L'ame! le coeur ! l'eſprit !
PIERROT , embaraſſe.
Plaît- 11 ?
COLOMBINE.
Allonscourage.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
PIERROT , continuant .
Pourmoi...
COLOMBINE , l'interrompant ,
Dites pour nous ,
IERROT .
Pour nous dans ce grandjour.
De peine &de plaifir nous ſentons tour- à-tour
Une atteinte ſecrette ... un certain ...
COLOMBINE.
Quelque choſe.
PIERROT .
Desmouvemens confus que le devoir impoſe..
Mais lorſque nous penſons à vos bienfaits paffés
Qui, jamais , de nos coeurs ne feront effacés ,
Lorſque , dans le notifde la reconnoiſſance ,
Nous découvrons encor un ſujet d'eſpérance...
L'allégreſſe triomphe...
LÉANDRE , ISABELLE & CASSANDRE
applaudiſſent ; mais COLOMBINE défa
prouvant , elle s'ecrie :
Oh ! quelle maladreſſe ,
D'annoncer qu'en ce jour triomphe l'allégrefle;
Songez que les ennuis vont le ſuivre de près ,
Et qu'un jour de clôture eſt un jour de regrets.
AVRIL. 1770 . 149
Le reſte ſe continue de la part de Pier.
rot en chantant des vers très - empoulés
fur un grand air d'opéra que Colombine
interrompt à chaque inſtant par des airs
de vaudevilles qui le tranchent plaifam
ment , à peu - près comme dans la ſcène
de la nouvelle troupe , & le compliment
s'acheve par tous les acteurs ſur l'air du
quatuor charmant de Lucile .
M. Anféaume a mis beaucoup de gaïté
dans ce compliment ; & quand même il
auroit été moins applaudi , on devroit
toujours lui ſavoir gré de ſe charger d'une
befogne ſi ſtérile.
Mlle Ruiter , dont nous avons annoncé
les débuts , les a continués dans les rôles
de Jenny , dans le Roi & le Fermier ;
de Suſette , dans le Bucheron ,&de Julie,
dans l'Amant déguisé , qu'elle a joués plu
ſieurs fois. Le ſon de ſa voix a fait le plus
grand plaiſir ; mais ſa maniere de chanrer
, quelquefois inégale , ſe ſent encore
des mauvaiſes habitudes qu'elle a pu
prendre ſur un autre théâtre ; mais ces.
défauts qui lui font étrangers diſparoî-
Front fans doute bientôt , ſi l'on juge
des progrès qu'elle peut faire dans l'are du
chant , par ceux dont elle a donné des
preuves, qu'elle ne peut avoir acquiſes en
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
ſi peu de tems que par beaucoup de goût
naturel &de docilité pour les bons conſeils
&les leçons de M. Richer.
LETTRE de Rouen.
Vous êtes dans l'uſage , Monfieur , d'annoncer
au Public les talens & les ſuccès des acteurs & actrices
qui ſe diftinguent fur les théâtres de province
, lorſqu'on vous a mis à portée de les connoître.
C'eſt dans cette vue que j'ai cru pouvoir
vous adreſſfer cette lettre , & vous prier de la rendre
publique par la voie de votre Journal.
Mlle Fleury , qui a débuté à Paris l'année derniere
dans l'emploi des Reines , vient de ſe ſignaler
dans les mêmes rôles ſur notre théâtre. Cetre
actrice vraiment faite pour intéreſſer & qui n'a
encore joué que vingt fois , tant à Paris qu'en
province , nous a fait voir tout ce qu'on peut attendre
de pluſieurs années d'un travail aflidu . J'ai
vudans ſon jeu , de la nobleſle , de la force , de
Pintelligence , & le don fi rare & fi précieux de répandre
des larmes &d'en faire verſer.
C'eſt ſur tout dans le rôle d'Elifabeth que les
connoiffeurs ont pujuger de ce que j'avance ; car
vous ſavez que c'eſt de tous les rôles de cette efpéce,
celui qui exige le plus toutes ces qualités
qu'ona trouvéesréunies dans le jeude Mlle Fleury.
Dans Agrippine , j'ai reconnu l'art de parler en
abandonnant la déclamation. C'eſt là ſur - tour
qu'elle a le plus imité cette actrice célèbre , que
AVRIL. 1770. 151
nous admirons dans les rôles de ce genre. Mais
riende ſervile dans ſon imitation ; quoiqu'on ne
puifle jamais lui faire un crime d'imiter celle qui
doit ſervir de regle à l'art. Mlle Fleury a misdans
le rôle de Médée tout le înélange de fureur , de
tendreſſe , de cruauté , d'ironme &de douleur dont
il eſt fufceptible; en un mot la magie du rôle ,
qu'on ne joua jamais fans talent : elle a fait voir
dans Clitemneſtre la différence de l'amour d'une
mere à celui d'une amante , de ces paſſions également
vives & touchantes , mais qui exigent des
tons différens .
Je pourrois citer encore Mérope , Phédre , Sémiramis
& quelques autres pièces ; dans toutes
ellea montré , à leur place , les qualités particulieres
dont j'ai fait mention .
Il eſt à ſouhaiter que cette actrice qui n'a, commeje
l'ai dit,jamais joué que vingt- trois fois ,
foitencouragée& protégée. Il ne lui faut que l'habitude
du théâtre : la crainte bannie eſt l'époque
de la perfection. Alors elle échaufera plus la ſcène
, & donnera plus d'aſſurance à ſa marche. (Elle
a fait , à cet égard, des progrès ſenſibles à chaque
repréſentation. ) Alors elle hafardera les tons faillans
& hardis , fiaités lorſqu'on eſt fürde plaire,
& achevera de développer les dons de la nature
qui , chez elle, a laiſſe à l'art peu de travail à
faire.
Jeſuis , &c .
ARouen , ce 10 Mars 1779.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
21.00
DISTRIBUTION
DES jours de Fêtes & Spectacles pour te
MARIAGE de Mgrle DAUPHIN
Mercredi 16Mai 1770 .
JOUR DU MARIAGE.
GRAND APPARTEMENT.
JEU DANS LA GALERIE.
FEU D'ARTIFICE avant fouper.
FESTIN ROYAL.
ILLUMINATION après..
Le ROI voulant bien permettre aux Dames &
aux Hommes qui ſe trouveront àParis de voir les
différentes Fêtes du Mariage de Mgr le DAUPHINS
il ſera donné par M. le Duc d'Aumont , premier
Gentilhommede la Chambre en exercice , une cer
taine quantité de Billets pour les perſonnes qui ſe,
feront fait infcrite chez lui à Paris ou à Versailles
avant le 20 Avril .
Il ſera diftribué chez M. le Duc d'Aumontà
Verſailles , à commencer du premier Mai juſqu'au
12 des Billets d'Appartement pour la Cérémonie
dumatin.
On n'entrera que par la Galerie haute de la
Chapelle , & il n'y aura qu'aux barrières conduifant
à ladite Galerie haute , que l'on pourra faire.
AVRIL. 1770. 133
ufage de ces Billets : ils ne feront point reçus aux
autres barrières deſtinées uniquement aux perſon
nes de la Cour & au fervice....
Toutes les perſonnes qui auront ces Billets feront
placées dans les Appartemens , & verront
pafler le Roi & la Cour en allant & revenant de
laChapelle.
Uneheure avant la Cérémonie, ces Billets ne
ſeront plus d'aucun uſage. 2.
Les perſonnes qui garderont leurs carroffes ,.
pourront les faire placer où elles voudront , hors
les cours hautes de la Chapelle.
Il faut s'adreſſer chez M. Is Capitaine des Gar--
des pour les Billets de la Chapelle.
Auſſi tôt que le Roi & la FAMILLE ROYALE
feront rentrés , tout le monde ſe retirera des Appartemens
, pour laiſſer le tems aux préparatifs
du foir.
APRÈS - MIDI.
Il ſera diſtribué chez M. le Duc d'Aumontà
Verſailles , du premier Mai juſqu'au 12.des Billets
d'une autre forme pour voir le ſoir les grands
Appartemens , & le Jeu du Ror. On n'entrera ,
commele matin , que par la Galerie haute de la
Chapelle & le Sallon d'Hercule , depuis cinqheu
res juſqu'à ſept ſeulement. Tout le monde ſera
placé ſur des gradins & banquettes dans les différentes
piéces qui précédent la grande Galerie , od
ſera le Jeu du Roi , & l'on y fera-paller fuccelli--
vement de chacune deſdites piéces .
On-fortita par l'Appartement de Madame la
DAUPHINE au bout de la Galerie. Il n'y reſtera
pendant le Feu que les perſonnes de la Cour -
Gay
154 MERCURE DE FRANCE.
Iln'y aura ni Billets , ni places marquées pour
leFeu.
Il ſera donné chez M. le Duc d'Aumont à Verfailles
, dupremier Mai au 12des Billets particuliers
pour le Feſtin : ils indiqueront les places &
P'heure de l'entrée ; mais on prévient qu'il faudra
opter entre le Feu & le Feſtin , les mêmes perſonnes
ne pouvant voir les deux , attendu que l'heure
eſt à-peu-près la même.
Ce jour ſera terminé parune Illumination dans
les Jardins.
Jeudi 17 Mai.
SECONDE JOURNÉE.
OPÉRA.
Ce font MM. les Capitaines des Gardes qui dif
polent des Loges , de la Salle & des Billets.
Samedi 19.
TROISIEME JOURNÉE .
BAL PARÉ.
Il ſera diftribué chez M. le Duc d'Aumont ,
ainſi que pour le premierjour une certaine quantité
de Billets aux perſonnes qui ſe feront fait inf
crire chez lui avant le premier Mai.
Ces Billets indiqueront par où l'on entrera dans
la Salle , ainſi que l'heure . On obſervera les mêmes
arrangemens que le premier jour pour faire
placer tous les carroffes.
AVRIL. 1770. 155
Lundi 21 .
QUATRIÉME JOURNÉE .
BAL MASQUÉ.
On ne donnera pas de Billets. MM. les premiers
Gentilshommes de la Chambre ſferont aux
portes du Salon d'Hercule & de l'oeil de Boeuf.
Une perſonne de chaque compagnie ſe démafquera
, & dira fon nom pour être inſcrite ,&répondre
de ſa compagnie.
:
Mercredi 23 .
CINQUIEME JOURNÉE.
TRAGÉDIE .
MM. les Capitaines des Gardes diſpoſent des
Loges , de la Salle & des Billets .
Idem.
Idem.
Samedi 26.
SIXIEME JOURNÉE.
OPÉRA.
Mercredi 30.
SEPTIEME JOURNÉE.
OPÉRA.
Samedi 9 Juin.
HUITIEME JOURNÉE.
TRAGÉDIE & BALLET.
MM. les Capitaines des Gardes diſpoſent des
Loges , de la Salle & des Billets.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE..
1
Samedi 16.
NEUVIÉME JOURNÉE .
Idem..
OPÉRA. IES
N. B. Il est néceffaire que lesperfonnes qui defireront
des Billets , veuillent bien envoyer par écrit
Le nom de toutes celles pour lesquelles elles en demanderont
, &désigner l'espèce de Billets qu'elles.
fouhaiteront. Sçavoir,fi c'est pour Appartement
Le matin , pour Appartemenlt e foir , pour le
Feftin ou pour le Bal paré,
ACADÉMIES.
:
AVERTISSEMENT de l'Académie royale
dee Seiences aufujet du prix qu'ellea
,
proposé pour l'année 1771 .
110
L'ACADÉMMIIEE ,, en propoſant de nouvean
pour le prix de l'année 1771 , de déterminer
la meilleure maniere de mesurer le
tems à la mer, déclarampar fon programme
qu'elle exigeoit, comme une condision
effentielle , les montres , pendules ou inftru
mens qui lui feroient présentés pour cer:
AVRIL. 1770. 157
objet , euffent fubi à la mer des épreuves
Suffisantes & constatées par des témoignages
authentiques . Comme pluſieurs per-'
ſonnes , très- capables d'ailleurs de concourir
pour le prix qu'elle a propofé ,..
pourroient en être détournées par la difficulté
de fatisfaire à cette condition ; l'Académie
s'empreſſe de publier les ordres..
que le Roi a bien voulu donner à ce fujet,
&dontM. le duc de Praflin , miniſtre &
ſecrétaire d'état au départementde laMa.
rine , lui a fait part.
Sur le rapport que ce miniſtre a fait
au Roi des avantages qui réſulteroient
d'une épreuve générale & authentique
de tous les moyens propofés pour la détermination
des longitudes ; Sa Majesté,
toujours diſpoſée à favorifer les entreprifes
qui peuvent contribuer au progrès des
ſciences , & en particulier de l'aſtronomie
& de la navigation , a ordonné l'armement
d'une frégate , ſur laquelle on
éprouvera dans un voyage entrepris uniquement
à cet effet , non - ſeulement les
montres marines qui ont déjà été examinées
dans deux voyages précédens ; mais
encore les autres montres , pendules &
inſtrumens qui pourront être envoyés à
L'académie , pour le prix qu'elle a propolé..
1
158 MERCURE DE FRANCE.
En conféquence , l'académie avertit
tous les ſçavans & artiſtes de l'Europe ,
qui ont deſſein de concourir pour ce prix ,
que les montres ,pendules ou inſtrumens
qui lui feront préſentés à ce ſujet , devant
être éprouvés ſur la frégate armée par les
ordres du Roi , elle n'exige plus la condition
ſur laquelle elle avoit inſiſté dans
ſon programme ; il ſuffira que ces machines
ou instrumens foient remis avec les
mémoires , au ſecrétaire de l'académie ,
avant le premier Septembre 1770 , conformément
à l'uſage annoncé dans ce
programme.
I I.
Ecole Vétérinaire.
Vingt-un Eleves de l'école royale vérérinaire
de Paris ſe diftinguerent le Mardi
3e Avril dans un concours dont l'objet
fut la Conſidération des muſcles du cheval
en général , & la Démonstration de
ces mêmes muſcles en particutier .
Ces Eleves font les ſieurs Tribout , de
Metz , entretenu par les trois évêchés ;
Tilleuil , de la Province de Normandie ,
par M. le Prince de Monaco ; Ardouïn
par les états de provence ; Aubert , de
د
AVRIL.
1770. 159
Vitry- le-François , par la ville de Vitry ;
Gervi , Maillet , Barjon , du Bourbonnois
, par M. l'Intendant de Moulins ;
BraviCader , de Montargis , par M. l'Intendant
d'Orléans , Lombard , de la
Champagne , par M. le Comte de Brienne
; Vaugien , de la Lorraine , par M.
l'Intendant; Habert du Berry , par M.
l'Intendant de Bourges ; Guéand , de la
province d'Artois , par M. le Comte de
Neuville ; Huzard , par le ſieur Huzard
fon pere , Maréchal à Paris ; Baſin , de
la province de Champagne , par M. le
Marquis de Treſnel ; Auger , par les
états de Bourgogne ; Ceyrat , par M. le
Comte de Millet ; Thorel , Carabinier ;
Gauvilliers , Cavalier du Meſtre- de camp
général ; Dufour , Dragon de Damas ,
par M. le Comte de Damas ; Deguin &
Villaut , Carabiniers du Régiment Royal .
M. Bertin , Miniſtre & Sécrétaire
d'état , préſida à cette ſéance ; & elle fut
honorée de la préſence de pluſieurs perfonnes
de distinction .
Le ſieur Chauffour , de la province du
Limoufin , l'un des chefs de Brigade ,
eut l'honneur de les préſenter à l'affemblée
, qui parut très- fatisfaite de l'émulation&
de la capacité de chacun d'eux.
160 MERCURE DE FRANCE.
Le prix fut décerné au ſieur Villaut 27
au ſieur Huzard , âgé de 14 ans , & qui
avoit eu un acceffit dans le concours fur
P'hipoſtéologie , & aux fieurs Tilleuil ,
Gervi & Aubert; le fort le déféra à ce
dernier.
و
Les ſieurs Tribout , Dufour , Lom.
bard , Ardouïn , Vaugien , Bravi , Bafin
Auger & Maillet obtinrent l'acceffit , &
Je Miniſtre témoigna fon contentement
à tous les autres.
III.
Le 31 Mars, les Elevesde l'Ecole royale
vétérinaire de Lyon ſe diftinguerentdans
un concours , dans lequel ils démontre
rent les parties de la génération du che
val&de lajument , ainſi que les viſcères
deſtinés à la ſécrétion de l'urine , & ils
eurent foin d'établir les différences qui
exiſtent dans ces parties comparées avec
celles du boeuf , de la vache , du bé--
lier , de la brébis , du bouc & de la chevre
, &c.
Ces Eleves font les fieurs Millet &
Damalix , de la Franche -Comté ; Laborde
, de la généralité de Bordeaux ;
Péan. Cadet , de la généralité de Tours ;
&Armand,de celle de Lyon. Des fuf
AVRIL. 1770, 161
frages unanimes couronnerent les quatre
premiers : le fort déféra le prix au fieur
Millet.
:
;
Le ſieur Armand obtint des applau
diſſemens& l'acceffit .
1
ARTS.
GRAVURE.
1.
J
Le dédommagement de l'absence. Eſtampe
de 18 pouces de haut fur 13 de large ,
gravée d'après le tableau original du
freur Schenau , Peintre de S. A. E. de
Saxe , par G. Vidal. à Paris chez l'Auteur
, rue Ste . Hyacinthe , au-deſſus
de la place S. Michel , maiſon d'un
Foureur , & chez- Jean- François Chereau
, rue S. Jacques , aux deux Piliers
d'or. Prix 4 liv..
UNE femme de- chambre vient d'apporter
une lettre à ſa maîtreſſe . Cette
jeune perſonne embraſſe ce précieux
gage du ſouvenir d'un époux chéri . Elle
s'en occupe , & diffipe par ce moyen les
162 MERCURE DE FRANCE.
ennuis de l'abſence. Deux petits enfans ,
placés à côté de leur mere , ſemblent
prendre part à ſa ſatisfaction. Le Peintre
a enrichi ſon ſujet de pluſieurs détails
qui rendent cette compoſition très- amuſante.
La gravure en eſt ſoignée. Le
burin de M. Vidal nous rappelle le pinceau
gracieux du Peintre Saxon qu'il a
copié . On lit au bas de l'eſtampe quatre
vers françois qui en expliquent le ſujer.
I I.
On trouve chez de Marteau , rue de
la Pelleterie , à la Cloche , l'eſtampe du
Licurgue , d'après le deſſein de M. Cochin.
Ladite eſtampe a étégravée pour la réception
du ſieur de Marteau à l'académie.
Le prix eſt de douze liv .
III.
Scènes VI & XV de Silvain , déſſinées
par le ſieur Berteau , & gravées ſous
la direction de M. le Bas , Graveur du
Roi , prix 24 ſols chaque ſcène. A
Paris chez Mademoiselle Lemaire , rue
Ste. Hyacinthe , Porte S. Michel , &
AVRIL. 1770. 163
chez le Bas , Graveur du Roi , rue de
laHarpe.
Il ſera ſans doute agréable à ceux qui
fréquentent le ſpectacle de voir fixées ſur
le papier deux des plus jolies ſcènes qu'ils
ont applaudies dans Silvain , piece mêlée
d'ariettes de M. Marmontel , jouée
fur le théâtre de la Comédie Italienne
cet hiver dernier. M. Bertrand , qui a
deſſiné ces ſcènes , a copié , autant qu'il
a été poſſible de le faire en petit , jufqu'aux
traits caractériſtiques des Acteurs.
La gravure en eſt très propre , trèsſoignée
; elle a ce fini précieux que demandent
ces fortes d'eſtampes exécutées
pour être vues de très- près. On lit au bas
de chacune les vers de la piece , relatifs
aux ſituations répréſentées.
:
I V.
Premiere & feconde vue deTréport en
Normandie , gravées d'après les tableaux
originaux de Jacques-Philippe
Hackert par Nicolas Dufour. A Paris ,
chez l'auteur , rue des Maçons , maiſon
de M. Perdreaux , maître maçon ,
& chez François Chereau , rue S. Jac
ques , aux deux Piliers d'or.
:
164 MERCURE DE FRANCE.
Ces deux estampes ont chacune 17
pouces de long fur 13 de haut. Elles ont
Pavantage de nous remettre devant les
yeux deux des plus jolies vues d'un port
de mer , ſitué en Normandie dans le
pays de Caux. On y voit des lointains
agréables & des vaiſſeaux en mer. Des
figures répandues ſur le devant rendent
ces vues intéreſſantes . Le Graveur s'eſt
appliqué principalement à rendre l'effer
des tableaux , & on peut dire qu'il y a
réuffi.
V.
:
Portrait de M. le Duc de Choiſeul ,
Miniftre & Sécrétaire d'état , gravé
d'après le tableau de L. M. Vanlo,
par le fieut Feffard , Graveur Ordinaire
du cabinet du Roi. A Paris , chez
l'auteur , Bute S. Roch , & à la bibliotheque
du Roi , rue de Richelier .
La gravure s'applique toujours utilement
, en nous rappellant les traits d'un
Miniſtre aimé & eſtimé. M. le Duc de
Choiſeul eſt ici repréſenté tenant un
papier entre ſes mains , & affis devant
un bureau ſur lequel on apperçoit différens
plans de fortifications . L'eſtampe a
AVRIL. 1770. 165
environ 18 pouces de haut fur is de
large. Le burin de M. Feſſatd a de la
couleur & de l'effet , & les travaux en
font variés avec intelligence. Cet artiſte
a fait hommage de fon travail à Madame
la Ducheffe de Choiſeul.
:
PEINTURE.
ON doit des encouragemens aux jeunes
artiſtes qui ſe diſtinguent en entrant dans
la carriere des arts. M. Barthelemy , penſionnaire
du Roi , fait plus , il mérite
des éloges pour le plafond qu'il a exécuté
à l'hôtel S. Florentin. La penſée en eſt
fimple , & convenable à la demeure d'un
miniſtre ſage & éclairé ; la force , accompagnée
de la prudence,portent à l'immortalité
le globe de la France , dont la
renommée va publier la gloire par tout
l'univers. Cette allégorie claire & juſte
eſt rendue dans un ſtyle noble & dans
une maniere libre qui annoncent un pinceau
facile ; la couleur agréable&céleste,
produit la plus grande illuſion ,& la voute
paroît vraiment percée ; les figures
paroiffent peut- être un peu fortes , mais
164 MERCURE DE FRANCE.
Ces deux eſtampes ont chacune r7
pouces de long fur 13 de haut. Elles ont
Pavantage de nous remettre devant les
yeux deux des plus jolies vues d'un port
de mer , fitué en Normandie dans le
pays de Caux. On y voit des lointains
agréables & des vaiſſeaux en mer. Des
figures répandues fur le devant rendent
ces vues intéreſſantes . Le Graveur s'eſt
appliqué principalement à rendre l'effer
des tableaux , & on peut dire qu'il y a
réufſi.
V.
Portrait de M. le Duc de Choiſeul ,
Miniftre & Sécrétaire d'état , gravé
d'après le tableau de L. M. Vanlo ,
par le ſieur Feffard , Graveur Ordinaire
du cabinet du Roi. A Paris, chez
l'auteur , Bute S. Roch , & à la bibliotheque
du Roi , rue de Richelieu.
La gravure s'applique toujours utilement
, en nous rappellant les traits d'un
Miniſtre aimé & eſtimé. M. le Duc de
Choiſeul eft ici repréſenté tenant un
papier entre fes mains , & affis devant
un bureau fur lequel on apperçoit différens
plans de fortifications. L'eſtampe a
AVRIL. 1770. 165
environ 18 pouces de haut fur 15 de
large. Le burin de M. Feſſatd a de la
couleur & de l'effet , & les travaux en
font variés avec intelligence. Cet artiſte
a fait hommage de fon travail à Madame
la Ducheſſe de Choiſeul .
:
PEINTURE.
ON doit desencouragemens aux jeunes
artistes qui ſe diftinguent en entrant dans
la carriere des arts. M. Barthelemy , pen-
Gonnaire du Roi , fait plus , il mérite
des éloges pour le plafond qu'il a exécuté
à l'hôtel S. Florentin. La penſée en eſt
ſimple , & convenable à la demeure d'un
miniſtre ſage & éclairé ; la force , accompagnée
de la prudence,portent à l'immortalité
le globe de la France , dont la
renommée va publier la gloire par tour
l'univers . Cette allégorie claire & juſte
eſt rendue dans un ſtyle noble & dans
une maniere libre qui annoncent unpinceau
facile ; la couleur agréable & céleste,
produit la plus grande illuſion ,& la voute
paroît vraiment percée ; les figures
paroiffent peut- être un peu fortes , mais
168 MERCURE DE FRANCE.
TRAITS DE VALEUR
3
ET DE GÉNÉROSITÉ.
I.
UN cavalier du régiment de S. Aignan
venoit de recevoir un coup de ſabre fur la
nuque dans les plaines de Stadeck en
1735 ; il apperçut en même tems le
commandant du détachement qui étoit
démonté & expoſé à être pris. Il met
pied à terre& force cet officierde prendre
fon cheval ; des Huffards arrivent , le
foldat ſe défend de ſon mousqueton &
de ſon ſabre juſqu'à ce que le commandant
ſoit ſauvé ; il vaut mieux , dit - il ,
qu'un cavalier périſſe oufoitfait prisonnier
que celui qui peut rétablir le combat. Il fut
en effet prifonnier lui -même.
I I.
Aucombatde Minorque en 1756 , un
canonier ayant eu le bras droit emporté
dans le moment qu'il alloit faire feu ,
ramaſſe la mêche de la main gauche , le
reporté à fon ccaannoonn, &dit en faifant
feu:
AVRIL. 1770. 169
feu . Ces gens là croyoient donc queje n'avois
qu'un bras.
III.
M. de G *** maréchal des camps &
armées du Roi , commandant les carabiniers
, voit fon fils aîné tué à côté de lui à
la bataille de Fontenoi ; il le recommande
à quelques carabiniers ; il marche avec
ſes eſcadrons & fait des prodiges de valeur
; le Roi après la bataille lui témoigna
fon admiration & ſa ſenſibilité . Sire ,
répondit M. de G *** les larmes aux
yeux. J'ai été citoyen avant d'être pere.
ANECDOTES.
I.
Un homme en dignité , fort léger dans
fon attachement , faifoit peindre ſes
amis , & l'on s'appercevoit de la place
qu'ils avoient dans ſon coeur par celle
que leurs portraits occupoient dans ſa
chambre. Les tableaux de ceux qui étoient
en faveur , étoient d'abord au chevet de
fon lit ; mais peu- à-peu ils cédoient leurs
rangs à d'autres , reculoient juſqu'à la
II. Vol. H
t
170 MERCURE DE FRANCE.
porte , gagnoient l'antichambre , puis
le grenier , enfin il n'en étoit plus queftion.
I I.
Une dame , qui pargoût pour le vin &
les liqueurs , avoit le teintéchauffé & le
nez rouge , ſe conſidérant au miroir ,
difoit: Mais où donc ai-je pris ce nezlà?
quelqu'un lui dit , au buffer.
:
III.
Sir Richard Steel faiſoit bâtir fon
château ; il ne manqua pas de faire faire
une chapelle , & il voulut qu'elle fût
vaſte ; l'ouvrage avançoit lentement ,
parce qu'il ne payoit pas ſes ouvriers. Un
jour il alla les voir : ils le menerent dans
fa chapelle qu'ils venoient de finir. Sir
Richard ordonna à l'un d'eux de monter
en chaire , & de parler , afin qu'on pût
juger i la ſalle étoit fonore. L'ouvrier
monte , & demande ce qu'il doit dire , -
qu'on fait bien qu'il n'eſt pas orateur. Sir
Richardlui permet de dire ce qu'il voudra.
Eh bien, s'écria l'ouvrier : Il y a fix mois ,
Sir Richard , que nous travaillons pour
vous , nous n'avons point vu de votre
AVRIL. 1770. 171
argent , quand nous payerez -vous ? Très.
bien , très bien , dit Sir Richard , defcends
, deſcends, en voilà aſſez , tu parles
très -diſtinctement , mais je n'aime point
le ſujet que tu as choiſi .;
I V.
Sir Richard Stéel avoit été deux fois
député au Parlement par deux différentes
villes; en 117722 il eut envie de repréſenter
encore une fois ; mais ſes affaires étoient
dans le plus grand déſordre ; il ne pouvoit
faire autant de dépenſe que fon concurrent.
Il imagina un moyen qui pût y
ſuppléer & le ſervir. Au lieu de ſuivre
la méthode ordinaire , qui eſt de tenir
table ouverte dans toutes les tavernes ,
il fit préparer dans la principale auberge
du lieuun repas élégant , auquel il invita
tous les électeurs mariés avec leurs
femmes. Sir Richard , qui étoit trèsgalant
& très- amuſant , eut ſoin de les
traiter ſi bien , & de leur procurer tant
d'agrémens , qu'ils auroient tous paflé
le jour& la nuit aveclui . Lorſqu'il les vit
bien livrés à la joie , il éleva la voix
& s'adreſſant aux dames , il leur dit que
fi ce qu'il avoit à leur offrir leur étoit
,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
agréable , il eſpéroit qu'elles s'intéreſferoient
pour lui auprès de leurs maris ,
& qu'elles les engageroient à le choiſit
pour leur repréſentant. Toutes les femmes
montrerent beaucoup d'empreſſe .
ment de ſavoir ce que c'étoit que cette
offre. Sire Richard eut ſoin d'exciter leur
curiofité par de petits délais , & leur dit
enfin : Vous defirez toutes d'avoir un
fils ; vous ne négligez sûrement rien pour
en obtenir un ; mais pour vous encourager
à faire de nouveaux efforts , je vous promets
vingt guinées pour chaque enfant
mâle que vous aurez d'ici à dix mois.
La maniere dont il dit ces mots fit rire
toute la compagnie. Les dames devinrent
plus empreſſées auprès de leurs maris
qui parurent aufli plus tendres ; en reconnoiffance
elles parlerent vivement en
faveur de Sir Richard , qui fut élu , à la
pluralité d'un grand nombre de voix ,
malgré les efforts & les richeſſes de fon
curcurrent.
V.
Quelque tems après que le Lord Ch-
Id fut entrédans le conſeil privé , il vaqua
une place conſidérable à la diſpoſition du
confeil , & pour laquelle ſa majesté &
AVRIL. 1770 . 173
le Duc de D-T recommanderent deux
perſonnes différentes. Le Roi épouſa les
intérêts de fon protégé avec quelque chaleur
, & finit par dire qu'il vouloit être
obéi ; voyant cependant que le conſeil
n'étoit pas diſpoſé à le fatisfaire , il
quitta la ſalle du conſeil avec un air trèsmécontent.
Lorſqu'il fut éloigné , on
difcuta long tems ſi l'on devoit nommer
fon protégé ; on décida enfin que non ,
parce que s'il donnoit une fois une place ,
il voudroit les donner toutes. Le perfonnage
propoſé par le Duc de D-TT'emporta
; il s'agiſſoit de faire figner fa
commiffion au Roi ; ce meſſage étoit
délicat ; on en chargea le Lord Ch-ld.
Il alla trouver ſa majesté , & au lieu de
la prier tout de ſuite de ſigner , il lui
demanda ſi elle vouloit lui permettre de
remplir le nom qui étoit en blanc , & lui
dire celui qu'elle ſouhaiteroit qui y fût
mis . Le Roi irrité répondit : Peu m'importe,
mettez le diable , ſi vous voulez.
Volontiers , répondit le Lord ; mais vo.
tre majeſté veut-elle que l'on ſuive le
ſtyle ordinaire , & que j'écrive : Nommons
notre fidele & bien- aimé conſeiller le
diable, &c . Le Roi fourit , il oublia ſa colere
, & figna la commiffion avec beau
coupdebonté.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
REQUÊTE à M. le Duc d'Aumont.
VOUouSs ,, dont les goûts brillans , dignes de
confiance ,
Préparent des plaiſirs pour un auguſte hymen ,
Duc aimable , comblez les voeux d'uncitoyen .
Que fon zèle intéreſſe aux fêtes de la France.
Du ſuperbe palais des vertus & des arts
Vous pouvez m'aſſurer l'entrée ;
Jecontenterois mes regards
Par le touchant aſpect de la pompe ſacrée.
Je voudrois à loiſir contempler notre Roi.
Avec ſon petit-fils , avec ſa belle- fille ,
On ſent mieux la douceur de vivre ſous la loi
Quand on le voit dans ſa famille.
Lorſque la chance au jeu feroit de leur côté ,
J'admirerois du fort la conſtante équité ,
En voyant leur bonheurje fongerois au môtre ;;
Je ne formerois plus de voeux :
Enuniflant deux coeurs ſi dignes l'un de l'autre ,
La fortune a tout fait pour nous & nos neveux.
C'eſt pour l'éclat du bal que mon fuffrage incli
ne ,
Plus d'un objet , paré d'une illuftre origine ,
Aura des traits , des yeux dignes d'être vantés ,
La France ne verra , parmi tant de beaurés ,,
:
:
AVRIL. 1770 . 175
Rien deplus beau que la Dauphine ....
Que ne puis -je oiiir une fois
Des Filles de Sion les ſublimes cantiques !
Ce qui fut deſtiné pour l'oreille des Rois
Eft le digne ornement de leurs fêtes publiques...
Vos opéras ſont bien choiſis ,
Tout charmera nos fens , nos coeurs & nos efprits
;
L'Olympe raſſemblé ſur la ſcène lyrique ,
L'Olympe le plus magnifique ,
Brillera moins encor que la cour de Louis ;
Dans certe cour incomparable ,
On verra d'un oeil enchanté
Tout le merveilleux de la fable
Effacé par la vérité.
De l'allégreſſe la plus vive ,
La volante fulée est un gage certain ;
Mais , puiſqu'il faut opter, je ſuis pour le feftin;
Que l'on n'épargne pas l'olive.
De tant de ſpectacles divers ,
Le feſtin , à mon gré , n'est pas lemoins aimable ;
La paix regne dans l'Univers ,
Lorſque tous les dieux ſont àtable.
Le maſque prête au bal les plus piquans appas ,
On peut de Terpſicore animer le génie
2
Par quelques propos délicats ,
Dignes de l'enjoument d'une foule choifie;
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Les neufſoeurs y ſuivront mes pas ,
Je réponds de ma compagnie.
Par M. de la Louptiere.
A S. A. S. Mademoiselle d'ORLEANS ,
fur fon mariage avec Mgr le Prince
DE CONDE , en Avril 1770 .
LEs fêtes que nous attendons
D'une fi vive impatience ,
Ne pouvoient mieux s'ouvrir en France
Que par les noeuds de deux Bourbons .
Couple auguſte & charmant , agréez mon hommage
,
Que cejour ſoit un bail de jours longs & fereins.
Un politique mariage
N'aura point uni vos deſtins.
Souvent l'hymen des plus auguſtes têtes
Nous les ravit pour un lointain climat ;
Mais moi qui n'entens rien à la raiſon d'état ,
Des Bourbons , près de moi , j'aime mieux voir les
1
fêtes.
Par laMuse Limonadiere , rue Croix
desPetits-Champs.
AVRIL. 1770. 177
PROJET MORAL.
C'EST fans doute aux préceptes de la
morale que les hommes doivent leur fageffe
& leur bonheur. Cependant la plû.
part d'entr'eux n'eſt pas à portée de profiter
des excellentes leçons qu'ont données
en ce genre divers auteurs célèbres. Peu
d'hommes parmi le peuple lifent , & dans
ce petit nombre très peu ſont capables
d'extraire ces maximes précieuſes , de les
ſéparer des acceſſoires dont elles font fouvent
enveloppées. Il ſeroit donc bien intéreſſant
de les mettre ſous leurs yeux
iſolées , afin qu'elles puſſent faire fur
leurs eſprits de ces impreſſions profondes
ſeules capables de produire de grands effets.
Il en naîtroit certainement des avantages
pour la ſociété.
Un moyen , je crois , aſſez ſimple d'y
parvenir , feroitd'en orner nos édifices &
nos places publiques. Ces infcriptions
gravées en lettres d'or ſur le marbre noir
relevées de quelques ornemens analogues
deviendroient un objet , non ſeulement
de la plus grande utilité , mais même
d'agrément.
Hv
178 : MERCURE DE FRANCE.
Soit que les villes vouluſſent ou non
contribuer à cette dépenſe ; je ſouhaiterois
qu'il fût permis à tout citoyen de
faire dreffer à ſes frais une ou pluſieurs.
de ces inſcriptions ſous l'agrément du
corps municipal qui décideroit du mérite
de la maxime , de la place qu'elle doit
occuper , & dela forme décente , quoique
ſimple , qu'il conviendroitde donner
à ce monument public. Ne feroit - il pas
juſte que le citoyen pour laiſſer à la poftérité
la mémoire & l'exemple de ſa bienfaiſance
, eût auſſi la liberté d'y faire:
graver au bas en un cartouche ſéparé fon
nom & celui de l'année où il auroit étéérigé
; il n'est pas beſoin de faire fentirl'utilité
de ces fortes d'infcriptions. Un
grand poëte a dit bien ſagement que les
leçons qu'on expoſoit à nos yeux étoient
bien plus efficaces que celles qu'on faifoit
entendre à nos oreilles. Ainſi donc ces.
maximes offertes à nos regards auroient
peut- être plus de force ( fur-tout fur l'efprit
du Peuple ) que lorſqu'on nous les
préſente dans de longs diſcours dont la
mémoire ne peut ſe charger. D'ailleurs
l'un n'empêcheroit pas les fruits de l'autre ,,
Scontribueroit même à en augmenter
les effers..
(
1
AVRIL. 1770. 179
Pour appuyer ce que j'avance par des
faits , j'en vais citer un qui m'a été rapporté
par un homme digne de foi.
Dans une petite ville de France , un
homme riche , mais accablé d'un fatal
ennui de vivre, alloit terminer lui-même
fes malheureux jours , lorſque paffant
dans la place publique ſes yeux égarés ſe
fixerent par hafard vers une maiſon ſur
laquelle étoit une inſcription latine dont
voici le ſens . O toi pour qui la vie eft un
fardeau ! cherche àfaire du bien , la vertu
Sçaura te la faire aimer.
Il s'arrête un moment & fonge qu'il y
a dans ſon voiſinage un menuifier honnête
homme & pauvre , reſté veuf depuis
peu avec nombre d'enfans.
J'étois bien fou , dit-il , de livrer
ainſi ma ſucceſſion à des héritiers avides
qui auroient ri de ma fottiſe ; j'en veux
faire un plus digne emploi. Il retourne
aufi tot ſur ſes pas , envoye chercher les
menuifier & lui dit..
Je ſuis touché de votre état , voici une
ſomme de mille écus que je deſtine à vous
acheter du bois & des outils pour vous
mettre en état de travailler & d'élever
votre famille. Je me charge , juſqu'à cee
que vous foyez plusà votre aiſe , de l'en-
Hovj
150 MERCURE DE FRANCE.
tretiende vos enfans & veux placer votre
fille aînée qui me ſemble promettre. Je
vais la mettre en couvent , lui faire donner
toute l'éducation poſſible & je me
propoſe de la doter enfuite convenablement.
Je ferai du bien aux autres à leur
tour s'ils le méritent.Cette jeune perſonne
étoit comme un beau diamant brut qui
n'attend que la main du lapidaire pour
paroître dans tout fon éclar. Elle avoit
reçu de la nature les plus heureuſes difpoſitions
& les vit bientôt ſe développer
par l'éducation . Enfin elle devint une fille
charmante & mérita d'épouſer quatreans
après ſon bienfaiteur qui vécut long-tems
& fut toujours heureux .
Quelles leçons fublimes renfermoient
ces trois belles ſentences gravées en lettres
d'or au temple de Delphes !
Connois toi toi même. Ne defire rien de
trop. Evite les procès & les dettes.
Les amis de Socrate s'étonnoient de ce
qu'il ne cherchoit point à ſe vengerd'une
inſulte que lui avoit faite un jeune étourdi.
Eh quoi ! mes amis , leur dit ce ſage ?
ſi un cheval vous avoitdonné un coup de
pied , l'appeleriez- vous devant le Juge
pour en tirer raiſon ?Quoi de plus capable
d'inſpirer de l'amour & du reſpect pour
AVRIL. 1770. 181
la religion que ce paſſage de M. J. J.
Rouffeau .
De combien de douceurs n'eſt pas privé
celui à qui la religion manque ! Quel
ſentiment peut le conſoler dans ſes peines
! quel ſpectateur anime les bonnes
actions qu'il fait en ſecret ! quelle voix
peut parler au fond de fon ame ! quel prix
peut il attendre de ſa vertu ! Comment
doit- il enviſager la mort ? la félicité eſt
la fortune du ſage , & il n'y en a point
fans vertu . J. J. Rouffeau , NouvelleHéloïfe.
Quel homme , dit le philoſophe Saadi
, ofera s'oppoſer au bonheur des hommes
; quand tous les êtres font utiles l'un à
l'autre , quel homme ofera reſter inutile
à ſa patrie & au monde !
O arbitres des hommes ! craignez les
plaintes des malheureux ; elles parcourent
la terre , elles traverſent les mers ,
elles pénetrent les cieux , elles chargent
la face des empires ; il ne faut qu'un foupir
de l'innocent opprimé pour remuer le
monde?
Porte tes yeux autour de toi , vois ces
campagnes fertiles , ces cieux& ces mers ;
qu'est- ce que le monde ? l'ouvrage d'un
Dieu bon. Quel hommage exige de toi ſa
182 MERCURE DE FRANCE .
bonté ? ton plaifir & une action de grace.-
Quel devoir t'impoſe ſa bonté ? le plaifir
des autres. Jouis, voilà la ſageſſe , fais
jouir , voilà la vertu : Saadi.
Eſt-il une morale plus vraie , plus douce
, plus confolante ? Voici un eſſai ques
j'ai hafardé , du choix qu'on pourroit
faire des diverſes maximes&des traits de
vertu &de grandeur d'ame , &c . pour en
compofer ces inſcriptions publiques
dont tout bon citoyen verroit , j'eſpere ,
l'exécution avec joie.
G*** de Rouen .
,
1
LETTRE de M. Linguet , auteur du
Traité des Canaux navigables , à M..
de la Condamine .. /
AParis, ce 14 Février 1770..
N vient de me faire lire , Monfieur , leJournal
des Sçavans de Février. J'y trouve une lettre
de vous qui contient la critique d'un paſlage du
traité des Canaux navigables , dans lequel vous
êtes critiqué vous-même. Permettez moi de prendre
auſſi la voie des Journaux pour vous faire
parvenirma réponſe & mes remercîmens.
J'ai de la reconnoiffance en général pour quieAVRIL.
1770: 183
conque veut bien prendre la peine de me fai
re appercevoir des erreurs dans mes ouvrages ..
C'eſt m'offrir le moyen de les perfectionner ; c'eſt
donc me rendre un vrai ſervice : je croirois me
fouiller par l'ingratitude , fije balançois un moment
à placer ceux à qui je le dois, au nombre de
mes bienfaiteurs .
Cependant pour me décider à facrifier ainfi
mon amour- propre , à le faire fléchir fi entierement
devant la critique , j'exige qu'elle ſoit juſte
& honnête. Quand elle manque de ces deux qualités
, elle me révolte , parce qu'elle annonce du
mépris ou qu'elle le motive , parce qu'elle tombe
fur l'homme plus que ſur l'ouvrage , parce qu'elle
peut induire en erreur le Public , qui examine rarement
& qui croit toujours le mal avec la plus
inconcevable facilité , parce qu'une calomnie groffiere
, groffierement exprimée , peut faire un tort
itréparable à l'homme le plus innocent , parce
qu'enfin , pour un petit nombre de lecteurs qui
s'indignent contre le libelle , il y en a une foute
qui le regardent comme untitre irrécuſable , &
qui partent de ſes déciſions pour apprécier un écri
vain qu'ils ne connoiffent pas .
Voilà pourquoi j'ai cru devoir relever deux ou
trois fois avec vivacité des ſatires indécentes que
l'on s'étoit permiſes contre moi à mon entrée
dans la carriere des lettres, J'ai voulu montrer
que la méchanceté étoit un petit mérite , puifqu'il
éroit fi facile d'être méchant , & engager les
cenſeurs à être plus économes de leurs verges en
leur en donnant quelques coups Je ne ſuis d'aucune
ſecte , je ne tiens à aucun parti , je les mépriſe
tous & j'en fais profeffion : pour être ménagé
par les fanatiques de tous les partis & de toutes s
184 MERCURE DE FRANCE .
les ſectes , il faut leur prouver qu'on ades dents
&des ongles comme eux. Quand ils veulent
égratigner, il faut les mordre aſlez bien pour guérir
leurs pareils de l'envie de les imiter.
C'eſt ce que j'ai fait , mais par ſyſtême,& non
par caractere. Cette vivacité , à laquelle la réflexion
m'a conduit , ne m'empêchera jamais de
recevoir avec docilité les conſeils dont on voudra
bien m'honorer . Quand ils me viendront , Monſieur,
d'un homme tel que vous , que l'Europe
ſavante reſpecte avec tant de raiſon ; quand ils
feront, accompagnés de la politeſſe , des égards
auxquels vous avez bien voulu vous aftreindre
avec tant de prétextes pour vous en diſpenſer, c'eſtà-
diremalgré votre âge , votre réputation , votre
ſupériorité fur moi en tout genre , ils exciteront
toujours chez moi la plus vive reconnoiflance.
Quand ils ne convaincroient pas mon eſprit , ils
enchaîneroient mon coeur. En ſuppoſant qu'après
m'en être bien rempli , je ne puifle augmenter le
nombre des partiſans de mon critique , au moins
ſerai -je toujours für de groſſir celui de ſes admirateurs
, & digne peut - être d'accroître celui de ſes
amis.
C'eſt ce qui m'arrive ici . J'ai lu votre lettre
avec la plus grande attention. J'ai fait tout ce qui
adépendu de moi pour être de votre avis. Je n'ai
pu y réuffir ; mais pour me punir de cette opiniatreté
involontaire , je vais vous en expoſer les
raiſons & vous les ſoumettre .
• Je paſſe condamnation ſur l'article du fort de
Pauxis métamorphofé en riviere . J'ai là un peu
imité le finge de la Fontaine. J'ai pris le Pyrée
pour un homme j'ai tort.Ce mot ne me coûterien
àprononcer.Je n'en ſuis pas plus humilié queje ne
AVRIL. 1770. 185
ferois énorgueilli ſi j'avois raiſon ſur les trois articles
ſuivans.
1 °. J'ai dit que la Tamile & la Garonne étoient
les plus grands fleuves que l'Océan reçût en Enrope:
je vous avoue que je le penſe encore. Les
exemples que vous me citez ne me ſemblent pas
capables de détruire mon opinion. Je n'ai vu ni la
Duina ni l'Oby que vous appelez comme des témoins
qui dépoſent contre moi. Mais je vous prie
d'obſerver que l'Oby eſt un fleuve d'Afie , & que
la Duina ſe décharge dans la Mer Blanche : ainſi
ceci n'a rien de commun avec l'Europe , & l'autre
ne peut pas être nommé parmi les rivieres qui
ont leur embouchure dans l'Ocean , ſans quoi
il faudroit dire que le Danube & le Nieper ont la
leur dans la Méditeranée , puiſque la Mer Noire /
en eſt le prolongement , comme la Méditeranée
elle-même& la Mer Blanche ſont une portion de
l'Océan .
A l'égard de l'Elbe , je m'en rapporte au jugement
de tous les navigateurs qui l'ont vu ſous
Hambourg ; s'il eſt plus grand que la Tamiſe à
Douvres , & que la Gironde ſous la Tour de Cordouan
, j'ai tort encore , mais un tort qui tirera à
une bien petite conféquence , & qui dépendra de
quelques toiſes de plus ou de moins , fur leſquet
les mes yeux m'auront fait illuſion
2 ° . J'ai dit que la marée n'étoitſenſible dans la
Tamife & la Garonne qu'à 40 lieues de la mer au
plus , & que je ne croiois pas qu'ily eût dans le
monde aucun pays où ſon influence s'étendit plus
loin. Il eſt vrai , Monfieur , que je l'ai dit , & fi
vous le ſouhaitez , je vais vous prouver géométriquement
que cette affertion eſt un principe certain.
C'eſt un véritable axiome d'après lequel on
186 MERCURE DE FRANCE.
peut calculer dans cette matiere , comme on opé
re en trigonométrie , d'après le principe que les
côtés d'un triangle font entr'eux comme les finus
des angles opposés.
Le flux , dans les plus hautes marées , ne s'éleve
jamais plus de 25 à 30 pieds: la maſſe des eaux de
'Océanqui s'élancedans lesterres par l'embouchure
des fleuves , a à poufler devant elle le poids énorme
des eaux douces qui deſcendoient par cette embouchure.
Il faut que celles - ci foient perpétuellement
refoulées dans leur propre lit , qu'elles en ſoient
chaflées par une action toujours ſubſiſtante; mais
elles en diſputent la poſleſſion aux étrangeres qui
s'en emparent , & quoiqu'elles cédent à la force ,
ce combat diminue cependant prodigieuſement
de la vîteſſe de leurs ennemies : leur marche en
devient plus lente & l'incurfion moins rapide.
D'ailleurs l'inclinaiſon du lit de la riviere eſt un
obſtacle. La mer ne s'éleve que ſucceſſivement à
la hauteur de 25 pieds , & n'y reſte pas long- tems.
En lui ſuppoſant la même vîtefle qu'à une eau qui
tomberoit de dix pieds de haut uniformément , &
qui couleroit fans réſiſtance fur un plan parfaitementhorisontal,
on ne s'éloigneroit pas beaucoup
de la vérité.
Or , la marée à cette hauteur & avec viteſſe ne
parcourroit que 24 pieds & demi par ſeconde, ce qui
donneroit un chemin de 36à 40 lieues en fix henres
de tems. Pour qu'elle allât plus loin , il faudroit
que ſon élévation pût durer davantage; mais
dès que la nature en a fixé les limites , il eſt évidentqu'elle
ade même déterminé la meſure de fon
influence dans les rivieres .
Dans le pays le plus plat , avec l'embouchure
la plus vafte , ſur la riviere la plus large & la
AVRIL. 1770. 187
)
moins rapide , il n'eſt pas poſſible à la marée de
faire plus de 36 à 40 lieues : donc elle ne doit nulle
part être ſenſible au - delà de cet eſpace : donc la
regle que j'ai poſée eſt invariable & peut- être regardée
comme la baſe ſur laquelle il faudra éta
blir tous les calculs en ce genre . Si cette partie de
Thydroſtatique valoit pour le brillant Paſtronomie
, fielle pouvoit ſe comparer à cette ſcience
fublime qui dérobe à la nature le ſecret de la marche
des étoiles , je placerois ma loi des 36 lieues à
côté de celle de Kepler. J'aurois rendu aux lavans
lemême ſervice que lui ,& peut- être quelquejour
en connoîtra- t'on l'utilité.
Cela poſé , Monfieur , que la riviere des Amazones
foit lente ou rapide , qu'elle coule fur un
lit incliné ou horisontal , qu'elle ait peu ou beaucoup
d'eau , l'impulsion rétrograde que la mer luis
fera éprouver n'ira jamais au-delà du terme que
nous venons de découvrir ; par conféquent elle ne
s'étendra point à 200 lieues.
Au ſujet de l'inclinaiſon du lit de ce fleuve, permettez
moi de vous faire en paſſant une obfervation
. Vous avez dit dans votre relation que la
pente n'en étoitque de 10 pieds & demi ſur 200 ,
lieues de longueur depuis Pauxis juſqu'à la mer.
Mais obſervez donc , je vous prie , que cette pente
donne à peine 6 lignes par lieue : elle ne ſeroit
pas ſuffisante pour faire couler les eaux de la riviere.
Le moindre caillou ſuffiroit pour y occafionner
des cataractes . Ce ſeroit bien autre choſe
fiau lieu de votre meſure on adoptoit celle du
Pere d'Acugna , & qu'on ſupposât à cet eſpace une
longueur de 360 lieues . Vous n'avez point nivelé
cette pente. Vous l'avez eſtimée d'après les
ſpéculations uſitées ſur les effets de la marée , &
188 MERCURE DE FRANCE.
d'après les réſultats, très- incertains , très- ſuſpects
des expériences faites avec le mercure dans lebaromêtre.
Elles m'ont toujours paru fort douteuſes
, & cette épreuve me confirme dans ma défiance.
Il me reſte à examiner une 3 propoſition que
vous combattez . Vous avez vu l'eau s'élever dans
l'Amazone à 200 lieues de la mer , précisément
dans le même ordre auquel les marées font aflujeties.
Vous en avez conclu que le même effer provenoit
de la même cauſe , & que l'introduction
de l'eau falée dans l'embouchure du fleuve étoit la
ſeule raifon du gonflement des eaux douces près
du Pauxis ; mais comme vous ſaviez qu'il étoit
impoſſible que la mer parcourût dans une ſeule
ofcillation , fi l'on peut ainſi parler , ce prodigieux
chemio , vous avez fuppofé , & vous avez dit
qu'elle y employoit pluſieurs jours .
J'ai cru voir une impoſſibilité phyfique à ce
voyage. J'ai justifié mon incredulité par un raifonnement
bien ſimple. La mer montant & defcendant
deux fois en 24heures, la partie de la riviere
qui continueroit à reculer pendant pluſieurs
jours pour arriver au Pauxis, le flot conſacré à cet
étrange pélerinage ſe ſépareroit néceſſairement de
la partie que la mer ceflede preſſer & qui s'abandonne
à fon cours naturel , en recommençant à
couler vers l'embouchure. Il ſe feroit donc entre
les deux maſles , dont l'une monteroit tandis que
l'autre deſcend, une ſolution de continuité entiere,
& le fleuve reſteroit à ſec d'eſpace en eſpace .
Vous me répondez aujourd'hui que cela n'arriveroit
pas , mais qu'il y auroit ſeulement des
ondulations , que la ſuperficie de l'Amazone ſeroit
diviſée par des eſpèces de boſſes qui n'empêche
AVRIL. 1770. 189
roient pas l'eau d'en remplir les intervalles. Je
vous ſupplie , Monfieur , de vouloir bien confidérer
encore que cela eſt phyſiquement impoffible ,
commeje l'ai prétendu .
Quelle est la cauſe du gonflement des rivieres
dans le tems de la marée ? Quelle est la puiſlance
qui éleve leurs eaux au-deſſus de leur niveau ? Il
y en a deux , l'aſcenſion de la mer d'une part,
& la furvenance , ſi l'on peut haſarder ce mot ,
des eaux qui ſe précipitent de la ſource ; étant arrêtées
par la barriere impénétrable que leur oppoſe
le flux , elles s'amoncelent , elles s'élevent en
reculant de proche en proche , juſqu'à l'inſtant où
le vaſte baffin de l'Océan , rappelant cette eſpéce
de détachement qu'il a caché ſur les côtes , les
laiſle en liberté de reprendre leur marche ordinaire.
L'impulsion rétrograde à laquelle elles ont cédé
aduré fix heures . L'affranchiſſement qui les rend
àleur penchant naturel dure autant. Pour reculer
, tout diminue leur vîteſle ; pour couler en
avant , tout l'augmente. La premiere ligne d'eau
qui a ſenti l'impreſſion du flux , ce qu'on appelle ,
dans la langue des habitans voiſins des rivieres
ſujettes à la marée , le flot ou la barre, redeſcendra
donc beaucoup plus promptement qu'elle n'aura
monté Mais ſon mouvement influe de toute né
ceſſité ſur celui des eaux qui la précédent ou qui
la ſuivent : quand elle ſe lance vers la mer , c'eſt
que toute la maſſe qui la devance de ce côté là, a
déjà pris le même chemin. Et comme le reſte de
la riviere vers la ſource ne pouvoit avoir d'autre
raiſon pour ſuſpendre fon cours , que la force qui
la maîtriſoit , l'inſtant même où cette force ſe
relâche, eſt celui où la ſuſpenſion finit& où toutes
190 MERCURE DE FRANCE .
les eaux ſe précipitent vers l'Océan qui ceſſe de
les écarter de lui. En un mot, tout monte avec la
barre, tout deſcend avec elle. Il n'y a point d'impulſion
au-delà .
De tout ce que je viens de dire réſultent deux
conféquences , l'une qu'à une certaine diſtance de
lamer, l'aſcenſion doit durer beaucoup moins
que ſur la côte , parce qu'elle devient plus pénible
à meſure que la marée s'éloigne du centre , &
que la defcente eft plus facile & plus rapide dans
la même proportion ; c'eſt auſſi ce que l'expérience
confirme: l'autre , que tout ce qui a fenti l'impreffion
du flux , céde à celle du reflux fans exception
, & qu'ainſi rien ne peut reculer plus loin
que 36 lieues ni pendant plus de fix heures , ce que
j'ai avancé & ce qui détruit ſans reſſource les marées
ondulantes de l'Amazone.
Vous ajoutez ; Mais je les ai vues, c'eſt un fait
conftant. Les ondes que je ſuppoſe font une hy-
35 pothèſe qui , même, en la croyant peu fondée,
>> n'empêche pas que l'élévation fucceflive &
>> reglée des eaux dans cette riviere ne fort une
>> vérité avérée , puiſque j'en ai été le témoin ocu-
>>> laire. >> Je vous en crois , Monfieur , ſans peine;
j'ai la foi la plus aveugle pour ce que vous me
garantiflez fous une caution auffi reſpectable.
Mais permettez moi de vous faire remarquer d'abord
que cette élévation n'eſt que de quelques
pouces, Vous en convenez vous même dans votre
lettre. Eſt- il néceſſaire pour un gonflement fi
peu important , de recourir à la marée ? Le vent
Teul ne ſuffiroit- il pas pour le produire ? S'il enfiloit
directement le lit de l'Amazone , s'il étoit
fujet à des retours reglés& périodiques dans la
journée, comme cela peut être , c'en feroit aflez
AVRIL. 1770 اوا .
pour occafionner l'effet que l'on ne peut révoquer
en doute d'après votre parole.
En Eſpagne , & en général dans tous les pays
chauds,il y a le matin& le ſoir un vent très- fort
qui nemanque preſque jamais. L'ordre desMouffons
est très - rarement interverti. Il ſe pourroit
que l'influence journaliere de cette cauſe néceffitât
dans l'Amazone le phénomène dont vous avez
été le témoin .
Quel que foit au reſte le principe auquel il faut
l'attribuer , je crois avoir prouvé que la marée
n'y entre pour rien. Je vous fais le juge de ma démonstration
; je l'aurois raccourcie & miſe peutêtre
dans un jour plus favorable , ſi j'avois eu
plus de tems ; mais accablé comme je le ſuis par
les travaux d'une profeſſion laborieuſe , j'ai bien
rarement une minute àdonner aux ſciences qui
ont été l'objet de mes premieres études : ce ſont
des maîtreſſes que j'ai quittées pour une femme .
Celle- ci revendique avec empire tous mes inſtans :
elle ſe ſouleve deſpotiquement contre le moindre
regard adreſſé à de vieilles inclinations qui lui ſont
ſuſpectes.
Recevez , Monfieur , cette lettre comme un
hommage de mon reſpect & demon attachement,
J'ai vu , avec chagrin dans la vôtre , que vous
releviez ce que j'ai dit , qu'il n'a pas tenu à vous
que le mondese crût revenu au tems des Thalès
& des Platons : Vous ajoutez d'un air un peu faché
, que vous nesçavezpas ce quej'entends parlà,
ni ce que vous avezfait pour ramener ce tems.
Eh ! Monfieur , eſt-ce a moi a vous expliquer ce
que vous valez ? Thalès & Platon étoient des
hommes ſupérieurs comme vous . Ils avoient
beaucoup voyagécomme vous. Ils avoient ,com
192 MERCURE DE FRANCE.
mevous , rapporté de leurs courſes des connoifſances
utiles. Comme vous , ils vécurent honorés,
reſpectés dans leur patrie , &font devenus l'objet
de l'admiration de la poſtérité. C'eſt ce qui ne
peut vous manquer , & je ſerai toute ma vie le
premier à donner l'exemple de la vénération reconnoiflantequ'auront
pour vous les ſiécles à ve
nir.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LINGUET.
ARRÊTS , DÉCLARATIONS , & c.
I.
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du 23 Jan
vier 1770 ; qui condamne les prieur & religieux
de l'abbaye de Cherlieu , en cinq cents livres d'amende
, pour s'être pourvus en la chambre des
comptes deDôle , ſur la demande à eux faite d'un
droit d'amortiſſement , & au coût de l'arrêt liquidé
à cent vingt livres : caſſe l'arrêt rendu par ladite
chambre des comptes de Dôle , le 9 Août
1769 , comme incompétent ; & ordonne l'exécution
de celui du conſeil du 4 Novembre 1710.
I I.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , du 23 Janvier
1770 ; qui condamne au payement du droit de
franc-fief des biens nobles par lui poflédés , le Sr
Naulleau , qui prétendoit l'exemption de ce droit
en
AVRIL. 1770. 193
en la qualité de profeſſeur en droit de l'univerſité
de Poitiers : déboute de leur intervention , ſur la
demande dudit Sr Naulleau , les facultés de droit ,
tant de ladite univerſité que de cellesde Bordeaux
&deMontpellier.
III.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles , le ;
Février 1770 , regiſtrée en la chambre des Compres
le 9 Mars 1770 ; qui fixe les délais dans lefquels
les receveurs généraux des Finances & les
receveurs des tailles , compteront de leurs exercices
des années 1766 , 1767 , 1768 & 1769 .
:
1 V.
Γι
it
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du & Février
1770 , & lettres-patentes ſur icelui , regiſtrées en
la cour des monnoies le 7 Mars 1770 ; qui fixent
le prix des piaſtres aux deux globes , qui feront
apportées aux hôtels des monnoies.
V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 17 Février
1770; concernant la diftribution de l'aumône qui
ſe fait à l'abbaye du Bec , un jour de chaque fer
maine , depuis la fête de la Chandeleur leurjuſququ'à
celle de St Jean - Baptiste de chaque année.
**Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 2
Février 1770 , regiſtrée en parlement le 20Mars
1770 ; qui ordonne que , pendant quatre années,
II. Vol.
194 MERCURE DE FRANCE.
les rembourſemens àfaire des capitaux d'Emprunts
ſeront employés à rembourſer les reſcriptions &
aflignations ſuſpendues.
VII.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 27 Février
1770 , qui ordonne que , ſans avoir égard à l'oppoſitionformée
par les orfévres de la ville de Blois,
àl'arrêtduconſeil du 20 Juin 1769 , dont Sa Majeſté
les a déboutés , ni à la ſentence de l'élection
de ladite ville , du 2 Septembre ſuivant , qui ſera
annullée ; les articles VII & X du titre des droits
demarque ſur l'or &fur l'argent , de l'ordonnance
de 1681 ; enſemble la déclaration du 26 Janvier
1749 , & l'arrêt du conſeil du 20 juin 1769 ,
feront exécutés ſelon leur forme&teneur: condamne
leſdits orfévres en la confiſcation des ouvrages
faiſis les 28 Juillet , 1 & 2 Août dernier , ou à
la juſte valeur deſdits ouvrages , & en l'amende
portéepar l'article IX de ladite déclaration , laquelle
a été modérée par grace à cent livres , payable
par leídits orfévres : les condamne pareillement
à la reſtitution des ſommes que Julien Alazerre,
adjudicataire des fermes , auroit été contraint
de payer en exécution de ladite ſentence
ainſi qu'au coût de l'arrêt , liquidé à ſoixantequinze
livres.
VIII.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 20
Mars 1770 , regiſtrée en parlement ; qui fixe les
ſommes que les bureaux des finances & différens
officiers , feront obligés de payer pour les augmentations
de finance , conformément à l'édit du
mois de Février 1770.
AVRIL. 1770. 195
LETTRES de M. Perronet à M. Souflot.
L
Premiere Lettre , du 22 Janvier 1770.
, I m'eſt révenu , Monfieur & cher confrere
que l'on me taxoit auprès de vous de n'avoir
point voulu dire à M. Patte mon avis ſur la poſibilité
de l'exécution da dôme de l'égliſe de Ste
Genevieve, parce que, fur l'étiquete dufac, j'avois,
à ce que l'on prétend , jugé que je n'aurois pas eu
dubien à dire de cet ouvrage.
Il eſt bien! vrai que M. Patte a voulu me conſulter
à ce ſujet. Sa principale objection étoit
pour lors que ce dôme porteroit à faux fur les
voûtes; je luivai dit que l'on pouvoit l'établir auſſi
folidement ſur les arcs doubleaux des voûtes dont
la pouflee étoit bien retenue ( ainſi qu'elle doit
l'être à l'égliſe de Ste Genevieve ) que ſur les panaches
& les cintres des arcades de la croiſée de
l'égliſe qui doivent porter la plus grande partie du
dôme de Ste Genevieve , comme cela ſe pratique
aux autres égliſes ..
J'ajoutai que , pour être en état de bien juger
cette queftion , il faudroit avoir connoiflance.entiere
de votre projet&des moyens que vous comprez
employer pour la conſtruction du dôme. Je
couſeillai à M. Patte de vous faire part de fes ob
ſervations pour vous mettre à portée de lever ſes
doures; & lui ai dit que bien loin de me croireen
état de faire la critique de vos travaux , ſi j'avois
un dôme à faire , je m'adreſſerois à vous pour vous
confulter.
Voilà , Monfieur , en ſubſtance ce que je me
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
7
rappelle très -bien avoir dit à M. Patre , & cela eft
bien différent de la façon dont on me fait parler.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé, PERRONET.
Deuxième Lettre , du 26 Janvier 1770 .
Je m'acquitte , Monfieur & cher confrere , avec
grand plaisir de la promeſſe que je vous ai faite de
vous écrire ce que je penſe ſur la conſtruction du
dôme de l'égliſe de Ste Geneviève.
J'ai examiné avec attention les plans & profils
de cette égliſe , que vous m'avez fait l'amitié de
me communiquer , & j'ai réfléchi ſur les moyens
particuliers que vous m'avez dit avoir l'intention
d'employer à la conſtruction du dôme. J'ai comparé
le tout avec les deſleins de pareils monumens
qui ſont conftruits , ſoit dans le genre maſſif de
l'architecture antique , foit dans celui du plus léger
gothique. J'ai reconnu qu'en donnant à vos
points d'appuis verticaux , & aux buttées latérales
affez de force pour aflurer à votre dôme toute
la folidité convenable , vous avez pris un parti
moyen également ſage & économique entre les
deux genres de conſtruction dontje viens de parler.
Enforte que les perſonnes qui voudroient ne
comparer votre projet qu'avec ceux des premiers
édifices , le trouveroient autant foible qu'il paroura
l'être peu àdes gens qui choiſiroient pour
objet de leur comparaifón ceux du dernier genre
que l'on voit cependant , quoique ſouvent avec
étonnement, fubfifter depuis plus de cinq à fix
frécles...
AVRIL. 1770. 197
La magie de ces derniers édifices confifte principalementà
les avoir conſtruits en quelque forte
àl'imitation de la ſtructure des animaux. Les co-
Jonnes élevées & foibles , les nervures , arcs doubleaux
, les oghives & tiercerons pourroient être
comparés à leurs os , & les petites pierres & vouffoirs
de 4à 5 pouces ſeulement d'épaiffeur , & de
coupe à la chairdes mêmes animaux. Ces édifices
pourroient ſubſiſter comme un ſquelete ou la carcaffedes
navires qui paroît être conſtruite d'après
de pareils modèles:
En imitant ainſi la nature dans nos conftruction's,
onpeut, avecbeaucoup moins de matiere,
faire des ouvrages très- durables , des colonnes
ou des nervures foibles en apparence , fortifiées
pardes piliers buttansde même eſpéce , foutiennent
aifément des voûtes légeres & des dômes en
porte-à-faux qui ne font point ici vicieux comme
le feroient deux des piliers ou des murs iſolés que
l'on n'auroit pas élevés à plomb , en obſervant les
retraites& le fruit uſités.
Des architectes qui connoîtroient moins bien
les loix de l'équilibre & l'art des conſtructions légeres
que ceux qui ont fait de pareils édifices ,
pourroient croire qu'ils rendroient les leurs plus
folides , en augmentant le volume des matériaux;
mais fi les voûtes qui tiennent lieu de puiſſances
agiflantes & deftructives font fortifiées en plus
grande raiſon que les murs & les piliers buttans
qui doivent réſiſter à leur pouflée , l'édifice ſera
moins folide; c'eſt donc encore plus du rapport
des puiſſances agiſſantes à celles qui doivent leur
réſiſter que doit dépendre la ſolidité d'un édifice ,
quede la groffeur des piliers ou des murs , & de
l'épaiffeurdifproportionnée des voûtes qui tendent
àles renverfer.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons l'avantage de poſléder à l'académiedes
architectes inftruits de ces principes qui,
comme vous , Monfieur , laifleront des modèles
de conſtruction ſolide qui , ſans s'écarter des proportions
élégantes que nous donnent les monumens
antiques , approcheront de lahardieſle&de
la légereté des ouvrages gothiques fans montrer ,
commeeux,cette eſpèce de carcaffe ou de ſquelette
que j'ai voulu leur attribuer en les comparant
à la ſtructure des vaiſſeaux ou des animaux :
c'eſt d'après de pareilles réflexions que j'ai ofe
haſarder de faire des ponts d'une exécution plus
hardie ,& avec beaucoup moins de matiere qu'on
ne l'avoit fait ci-devant. Je m'attends bien qu'ils
n'obtiendront pas tous les ſuffrages , &qu'en les
comparant avec d'autres ponts,on les croira moins
durables , je n'en aurai pas plus d'inquiétude ſur
leur ſolidité que vous ne devez en avoir ,Monfieur,
ſur celle de votre beau & magnifique monument.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE de M. Antoine , architecte.
Je viens de lire dans l'inſtant , Monfieur , une
lettre inférée dans votre premier volume d'Avril,
en forme de réclamation de M. Surbled , au noma
de M. Buignet de Lyon , d'un projet de théâtre
pour la comédie françoile ; je n'ai point l'honneur
de connoître ces Meſſieurs , mais je remercie bien
fincerement le premier de ſes éloges , & je vais
démontrer que je ne me ſuispoint enrichi des productions
de l'autre .
AVRIL. 1770. 199
Il eſt très-poffible que M. Buignet ait fait , il y
a neuf ans , une elquifle &même un plan terminé
d'un théâtre à conſtruire ſur l'emplacement du
Carouſel , il eſt encore très - poſſible que ce plan
ait été donné à graver; qu'il dût compoſer ſept
planches ; qu'il y en ait deux de commencées , en
dépôt chez unde ſes amis ; que des affaires de famille
ayent empêché M. Buignet de mettre au
jour ſon projet. Je conviens de tout cela ; mais il
faudra auſſi que M. Surbled m'accorde que j'ai pu
faire le mien fans me fervir du ſecours qu'auroit
pu me fournir la connoiſſance de l'ouvrage de
M. Buignet , on va voit que cela ne peut pas trop
m'être conteſté; cette probabilité, ſije neme trompe,
peut en repoufler une autre ; car la lettre de
M. Surbled ne contient elle-même qu'une probabilité.
Mais je ferai plus , & je vais détruire l'effet de
la réclamation , en oppoſant un fait bien connu ,
bien appuyé , dont les témoins exiftent & font
gens de la plus grande conſidération ; heureuſe.
ment pour moi m'a date eſt antérieure à la fienne
, & c'eſt une date qui a acquis une publicité
ſuffifante, comme vous allez enjuger.
En 1760 , l'hôtel de Conti , dont l'emplacement
a été ſujetà plus d'une deſtination avant la conftruction
de l'édifice qu'on y éleve , préſentoit aux
amateurs des monumens , pluſieurs idées différentes
, à l'une deſquelles je m'attachai ; on parloit
d'y élever le théâtre de la nation. Ce projet
m'intéreſla ; je fis mes deſſins , & j'eus l'honneur
de les préſenter , au mois de Mars de la même
année , à M. le maréchal de Richelieu. Ce ſeigneur
eut la bonté de me marquer la plus grande
Latisfaction de mon travail , & de m'aſſurer de
liy
200 MERCURE DE FRANCE.
ſon ſouvenir au cas que cet édifice eût lieu fur
unterrein quelconque; l'exécution de cette entrepriſe
ayant été retardée juſqu'à ce jour , j'ai íçu ,
commetout le monde , que le terrein de l'hôtel de
Condé étoit ſubſtitué à celui de Conti. Mes plans
étoient dans mon porte- feuille , connus de beaucoup
de perſonnes dont je puis revendiquer le témoignage:
je les ai ajuſtés ſur l'emplacement qui
femble être aujourd'hui irrévocablement déſigné;
voilà tout ce que j'ai fait de nouveau depuis l'efquiffe
& les gravures commencées de M. Buignet,
donć je ne l'ai point imité ; je dirai même que je
ne connois pas plus fon ouvrage que je n'ai l'honneur
de connoître ſa perſonne.
Mon intention , relativement au théâtre de la
comédie françoiſe , n'a été que d'indiquer des
chofes extérieures , acceſſoires dans le fond , mais
qui feront beauté quand on voudra ou qu'on
pourra les exécuter. Je n'ai pas dit un mot des
détails de ce théâtre ; la forme circulaire que je
montre ne me trahit en aucune façon , & ne donne
point à M. Surbled mon fecret fur la maniere
de le décorer ; ce n'eſt ordinairement qu'après
l'exécution qu'on est autorisé à louer un attifte
ou à s'élever contre lui quand il a péché contre les
beautés des regles , ou négligé ce qui appartient
au goût & compté pour peu la commodité publique.
Je vous prie , Monfieur, de vouloir bien inférer
cette réponſe dans le prochain Mercure.
J'ai l'honneur , &c.
ANTOINE , Architecte.
Le 7 Avril 1770.
AVRIL. 1770. 1
201
AVIS.
I.
Médaillon de Mde la future Dauphine.
LAURAIRE , peintre & doreur de l'académie de
St Luc , rue des Prêtres St Germain- l'Auxerrois ,
publie le médaillon de Madame la future Dauphine
, ſur le modèle qui a été envoyé de Vienne
en Autriche; il a 22 lignes de largeur ſur 29 de
hauteur. Le prix eſt de 8 f. enblanc , de 12 f. en
rouge , de 2 liv. en bordure dorée , & de 3 liv.
dans une bordure de compofition .
Cet artiſte a très bien rendu les graces , & l'élégance
des traits de la Perſonne auguſte ſi attendue
&fi célébrée par les voeux de la France.
On trouve , chez le même , un aſſortiment de
toutes fortes de médaillons , & des cadres & bordures
pour les estampes,
I I.
Nouveau Thermometre.
Le thermometre royal à quatre tubes , marquant
les degrés un à un , & les minutes de cinq
en cinq, inventé par l'Abbé Soumille & approuvé
par l'académie royale des ſciences , commence de
ſe répandre dans cette ville. Ces quatre tubes ,
deſtinés pour ainſi dire aux quatre ſaiſons de
l'année , ne marquent jamais que l'un après l'au
Iv
ΣΟΣ MERCURE DE FRANCE.
tre : chacun commence précisément au même
point où ſon voiſin vient de finir. Les degrés ,
qui ont environ un pouce d'étendue , peuvent être .
apperçus de fort loin ; on y distingue ſenſiblement
le plus petit changement qui s'opère dans
l'air. Il a été préſenté au Roi , & S. M. en a paru
fatisfaite. On en trouvera quelques exemplaires ,
àjuſte prix , chez le Sr Dulac , marchand parfumeur
& bijoutier , rue St Honoré , au berceau d'or
près celle des Poulies.
11 1 .
Cabinet littéraire .
Après la faveur publique qu'a eu le bonheur
d'obtenir le magaſin littéraire du Sr Quillau , il
feroit ſuperflu d'en relever ici les avantages. Pouvoit-
on manquer de plaire , en formant un établiſſement
qui réunît l'agrément à l'utilité , qui
mit , pour ainſi dire , à la diſpoſition de chaque
particulier une bibliothèque nombreuſe & choifie
dont il jouit à peu de frais ; où l'homme de lettres
trouve à s'éclaircir de plus en plus , les gens
du monde de l'un&de l'autre ſexe à occuper leurs
loiſirs , les étrangers à prendre connoiſſance de
notre littérature &les amateurs de nouvelles
politiques , économiques ou littéraires , à fatisfaire
leur curiofité , par la lecture des journaux &
des papiers publics ?
a
Mais le ſuccès , loin de ralentir Je zèle du Sr
Quillau , n'a fait que l'encourager. Plus il voit la
bonne volonté du Public augmenter à ſon égard ,
plus il redouble d'efforts pour s'en rendre digne.
Le meilleur moyen d'y réuffir eft ſans doute d'enrichir
continuellement ſon fonds , ſoit d'ouvrages
!
AVRIL. 20. 1770 .
anciens & connus qui pouvoient lui manquer ,
foit de nouveautés de toute eſpéce , les plus capables
de piquer & d'intéreſſer les lecteurs ; enforte
que ſa collection de livres , quoiqu'il oſe dire
qu'elle eſtdéjà la plus confidérable qui exiſte dans
cegenre , devienne bientôt auffi complette qu'il
ſe puifle. C'eſt à quoi il emploie journellement
tous ſes foins. Les acquifitions ſucceſſives qu'il a
faites avoient donné lieu juſqu'aujourd'hui à deux
fupplémens dont il avoit accrû fon premier catalogue.
C'eſt ici le troifiéme qu'il offre à ſes abonnés
, & il ſe flatte qu'il ne leur fera pas moins
agréable que les précédens , par le nombre des articles
intéreſlans & nouveaux qu'il contient.
Les conditions de l'abonnement ſe trouvent expliquées
dans le premier avertiſſementdu catalogue.
MM. les abonnés ſont priés d'yrecourirpour
s'en inſtruire. On ſecontentera de renouveler
une autre priere qu'on leur a déjà faite , comme
très - eſſentielle à leurs propres intérêts ; c'eſt de
retenir les livres le moins de tems qu'il leur fora
poſſible , parceque l'exactitude du Sieur Quillau
àles fervir dépend fur-tout de la leur à obſerver
cepoint.
IV.
Magafin de papiers anglois , chez le Sr
Crepy l'ainé , rue St Jacques , la ze bour
tique au - deffus de la fontaine St Severin
, à St Louis .
Le Sr Crepy , l'aîné , donne avis qu'il tienten
magaſin des papiers anglois & tontilles d'ameublemens
dont la beauté des deſſins , la vivacité &
Ivj V
204 MERCURE DE FRANCE.
folidité des couleurs ſont ſupérieures & au même
prix de la fabrique : il eſt connu pour les petits
papiers à la main : il entreprend de raſſortir les
étoffes; fournit la toile convenable , & fait coller
ſes papiers en ville ; vend des paravens & écrans ,
&fournit les baguettes dorées : il'a une grande
quantité de différens deſſins variés pour fatisfaire
les goûts. Il yen a depuis 2 liv. juſqu'à 6 le rouleau
de 9 aunes , juſqu'à 24 liv. en remontant toujours
de 20 fols à 20 L..
V.
Cabinet généalogique compoſé d'un grand
nombre de cartons remplis tant de titres , que de
renſeignemens généalogiques de toutes les maifons
louveraines de l'Europe , principalement
celles de la France , ainſi que de manufcrits,divifés
par provinces : le tout mis en ordre par le feu
fieur Chevillard , généalogifte & hiſtoriographe
de France , & augmenté par le ſieur Dubuiffon ,
poſleſleur dudit cabinet.
Cette collection renferme auffi en cartes héraldiques
, les nobiliaires de Bretagne , en dix
feuilles , de Champagne en quatre feuilles , de
Picardie en deux feuilles , grand papier , de Normandie
en vingt- ſept feuilles grand in-fol. ainſi
que ceux des autres provinces ; en outre beaucoup
demanuscrits & recueils d'armoiries de toutes les
willes , bourgs , paroifles , couvens & communautés
de divers Royaumes.
S'addreſſer au fieur Dubuiſſon , rue S. Jacques
vis-à-vis la portede S. Benoît.
AVRIL. 1770. 201
VI.
Archives .
Comme le bon ordre , dans les archives des
Seigneurs , eſt d'une néceſſité pour le maintien de
leurs droits utiles & honoraires , & qu'au contraire
le déſordre entraîne infailliblement la perte de
quelques - uns de ces droits; le ſieur Bauchart
poſlédant à fond ce talent , tant par un travail de
pluſieurs années , que par ſon application & fes
recherches fructueuſes , offre ſes ſervices aux perſonnes
qui pourront en avoir beſoin , & de leur
démontrer que fa méthode d'opérer eſt ſi nette ,
que lestitresfe trouvent à l'abri de la confufion &
dubouleverſement que le laps de tems peut y occaſioner
, ou du moins en état de rentrer dans leur
ordre primitif , ſans peine , ſans dépente& fous
très-peu de tems.
Il demeure rueDauphine à l'hôtel deMouy, au
fond de la deuxieme cour : On le trouvera tous les
jours chez lui depuis deux heures de relevée jufqu'à
fix , excepté les fêtes & dimanches.
Il donnera toute fatisfaction à ceux qui , dei-*
sant de plus amples détails , lui feront l'honneur
de lui écrire.
VII.
Lithotome pour la taille.
Nous Antoine& Guillaume Combaldien , maltres
en chirurgie du lieu deGarganuilla , & Dominique
Delpech auſſi maître en chirurgie du lieu de
Larraſet enGuienne,dioceſe de Montauban , fousfignés
certifions avoir été préſens à uneopération
206 MERCURE DE FRANCE.
dela taille que le ſieur Lamarque cadet , maître
en chirurgie&lithotomiſte de la ville de Toulouſe
& penſionné , a faite le 29 Juillet dernier audit
lieu de Garganuilla , avec un inftrument qui
remplit trois objets , laquelle opération a été faite
avec toute la dextérité poſſible , &bien plus brie -
vement que celles que nous avons vu pratiquer
pard'autres lithotomiſtes , ledit malade a été parfaitement
guéri dans peu de jours , quoique la
pierre peſat trois onces deux dragmes : c'eſt pourquoi
nous donnons notre préſent certificat pour
lui fervir en tant que de beſoin& le certifions véritable
, à Garganuilla : ce 22 Août 1769 .
:
COMBALDIEU aîné , DELPECH ,
COMBALDIEU .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople, le 3 Février 1770.
ΟNaffure que le nouveau grand Viſir a fupplié
le Sultan de vouloir bien lui donner pour adjoints
huit perſonnes en état de le ſeconderdans les fonetionsde
fon miniftere. On apprend que fon prédécefleur
eſt arrivé à Gallipoli , & l'on continue d'alfurer
qu'il ſera envoyé en exil à Lemnos ou à
Rhodes.
De Petersbourg , le 6 Février 1770 .
Le comte dePanin , conſeiller privé & chef du
département des affaires étrangeres , a déclaré aux
miniftres étrangers qui réſident en cette Cour
AVRIL. 1770. 207
que les commandans de l'Eſcadre envoyée par
l'Impératrice dans la méditerranée , ont les ordres
les plus précis de ne faire aucun mal aux Chrétiens
dequelque nation qu'ils foient. On croit que cer
ordre s'étend aufli àtous les Francs qui ſe trouvent
répandus dans les Iſles & les provinces de l'empire
Ottoman.
De Stockholm , le 27 Février 1770.
L'académie royale des ſciences de cette ville a
fait frapper , à l'occaſion des mauſolées érigés par
ordre de la Reine , aux Geurs Dalin & Klingenftierna
, deux médailles repréſentant d'un côté
les buſtes de ces hommes de lettres & de l'autre la
ſtructure de leurs mauſolées .
Le 6 Mars.
En conféquence du ſyſtême des finances , approuvé
par la derniere diete , les directeurs de la
banque prennent des arrangemens propres à empêcher
que le cours du change ne monte jamais
au-deſſus de cinquante quatre marcs par rixdaler
de banque , & nebaile au-deſlous de quarantehuit.
De Warfovie , le 7 Mars 1770.
On vient de recevoir ici la nouvelle de la levée
du fiége de Braïlow par les Ruiles.
Le 17 Mars.
Suivant des nouvelles récentes publiées par les
Ruflcs , leurs troupes ſe font emparées de Cilianova
, place fituée à l'embouchure du Danube ,
& après avoir tranſporté à Yafli une partie des
munitions &des proviſions qu'elles y ont tronvées,
elles ont brûlé le reſte;on ajoute que la
208 MERCURE DE FRANCE .
garniſon Turque de Braïlow avoit abandonné
cette forterefle avec toute l'artillerie & les munitions.
Les mêmes avis portent que la Fortereſſe de
Bender eſt inveſtie , & que les Tartares Budziacs
ſe ſont retirés ſous le canon d'Oczakow .
De Coppenhague , le 17 Mars .
Le Roi a ordonné par un réglement du to de
ce mois que le college de l'amirauté & celui du
commiflariat n'en formeroient d'orénavant qu'un
feul ſous le nom de college royal de l'amirauté &
de commiſſariat général.
De Vienne , le 14 Mars 1770 .
On aſſure qu'immédiatement après le mariage
de la future Dauphine , l'Empereur ſe rendra en
Hongrie , pour y pafler en revue tous les Régimens
de cavalerie quiy font en quartier d'hiver.
De Naples,le 10 Mars 1770 .
Mardi au foir , don Juan Ciavaria , tréſorier
général de la maiſon du Roi , étant à ſon bureau
dans la grande cour du palais , a été aflafliné &
voléparun foldat des gardes italiennes.Ce ſcélérat
a été arrêté ſur le champ & conduit dans les
priſons militaires , d'où après avoir été dégradé
&dépouillé de ſes armes , il a été transféré dans
les prifons de la vicairerie . Sa Majesté a ordonné
qu'on en fît la plus prompte & laplus ſéverejuſtice.
De Rome , le 7 Mars 1770.
Sa Sainteté , dans la vue d'augmenter les revenus
de la chambre apoftolique ,a jugé à pro
AVRIL. 1770. 209
pos de réduire à la moitié les ſommes que le feu
Pape , Benoît XIV , avoit accordées à pluſieurs
communautés ſur le produit de la loterie établie
encette capitale.
Dans un couſiſtoire ſecret tenu le 12 du même
mois , on procéda à l'expédition des différens
Géges vacans.
,
De Londres , le 16 Mars 1770 .
Avant-hier le lord maire , les Shérifs & une
centaine demembres de la bourgeoiſie de la cité
ſe rendirent au Palais Saint James , & ayant été
admis dans la chambre du conſeil , où le Roi étoit
aflis ſur ſon trone , entouré de ſes grands officiers ,
on fit à Sa Majesté la lecture de la remontrance de
la cité de Londres. Après que le Roi y eutrépondu,
le lord maire, les Sherifs & les Bourgeois qui l'accompagnoient
eurent l'honneur de baifer la main
de Sa Majesté , & s'en retournerent an milicu des
acclamations du peuple.
Le 14 , on lut , dans la chambre des Pairs , le
bill pour fournir à la folde & aux uniformes de
lamilice ſur les fonds provenans de la taxe des
terres . Il fut propoſéde préſenter au Roi une adre
ſe pour ſupplier Sa Majesté de faire remettre à la
chambre un état des dépenfes de la liſte civile ,
contractées ou échuesdepuis le s Janvier 1769
juſqu'au s Janvier 1770 .
Le 20 Mars.
Le 16 de ce mois , la chambre des communes
délibéranten comité ſur le ſubſide , réſolut d'accorder
sooo liv . ſterl . pour les réparations & améliorations
du Havre de l'iſle de Barbade aux Indes
Occidentales .
2'0 MERCURE DE FRANCE.
On a pris connoiflance , dans la chambre des
communes , des lettres qui ont paru ſous le nom
de Junius , & d'une nouvelle feuille intitulée ,
Thowiſperer , & remplie des affertions & des rélexions
les plus hardies contre les perſonnes les
plus reſpectables , mais juſqu'à préſent on ne s'eſt
pasencore accordé ſur la maniere de procéder à la
recherche des auteurs de ces écrits .
De Versailles , le 28 Mars 1770 .
Le Sr de Maupeou , chancelier de France, ayant
été pourvu, ſur la démiſſion du comte de St Florentin
, de ſa charge de Chancelier commandeur
des ordres du Roi & furintendant des deniers deſd.
ordres , a prêté ferment , en cette qualité , entre
lesmainsde Sa Majefté.
La princeſſe de Rohan , fille du prince deGuémené
, cut avant hier l'honneur d'être préſentée
au Roi & à la Famille Royale par la princeſſe de
Rohan.
Dimanche dernier , la baronne de Cruflol &
la marquiſe deChamborant eurent l'honneur d'être
préſentées au Roi & à la Famille Royale , la
premiere par la ducheſſe d'Uſez , & la ſeconde par
la comteſſe de Morie.
Le 31 Mars.
Sa Majesté vient d'accorder les entrées de ſa
chambre au duc de Saint-Mégrin , colonel du régimentDauphin
.
Le4Avril.
Aujourd'hui le Roi a tenu ici la cour des Pairs .
Mlle de Condé , fille du prince de Condé , fut
AVRIL. -1770. 211
préſentéeavant-hier au Roi & à la Famille Royale,
parla princeflede Conti.
De Paris , le 26 Mars 1770 .
-Vendredi dernier , le comte de St Florentin s'étant
rendu àl'aflemblée générale du clergé , demanda
, au nom du Roi , un don gratuit de ſeize
millions , qui fut unanimement accordé; leclergé
prit en même tems une délibération pour autoriſer
l'emprunt de cette ſomme en conſtitution de
rente au denier vingt.
Le 6 Avril.
Ona publié la bulle du Pape , par laquelle Sa
Sainteté accorde un jubilé univerſel , &le mandement
de l'archevêque de cette capitale à ce ſujet.
LOTERIES.
Le cent onziéme tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eſt fait, le 30 du mois dernier , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au No. 65254. Celui de vingt mille
livres , au No. 65743 , & les deux de dix mille
aux numéros 63564 & 67028 .
Le tirage de la lorerie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de ce mois. Les numéros ſortis
de la roue de fortune font , 42 , 17,62 , 21 , 130
212 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Le Sr Guerin de Bruſlars , ancien lieutenantcolonel
du régiment de Lyonnois , & brigadier des.
armées du Roi , eſt mort à Troiſy en Champagne ,
les Mars , dans la 96e année de ſon âge.
Robert Dillon , comte de Roſcommon , pair du
royaume d'Irlande , maréchal des camps & armées
du Roi , eſt mort à Paris , le 25 Mars ,dans la soe
année de ſon âge.
Marie de Janſlen , veuve de Charles Caloert ,
comte de Baltimore , mourut , le 4 Mars , à Chaillot
, près de Paris , âgée de 65 ans.
Marie -Antoinette -Victoire de Gontaud , veuve
de Louis-Claude-Scipion de Beauvais deGrimoard,
comte du Roure, lieutenant- général des armées
du Roi , eſt morte à Paris , le 26 Mars , dans la sie
année de fon âge.
Nicolas-Charles- Joſeph Trublet , archidiacre
&chanoine de St Malo , l'un des Quarante de
l'académie françoiſe , eſt mort à St Malo , le 14
Mars.
Séraphine de Beauveau, religieuſe Viſirandine,
foeur du prince de Beauveau , eſt morte à Paris
dans le courant du mois de Mars .
Marie - Marguerite de Caſtellane , épouſe de
Charles - Emmanuel de Vintimille , marquis du
Luc , colonel du régiment Royal-Corſe , eſt morte
le 29 Mars , âgée de 23 ans .
Jean - François Marquis du Châtelet - d'Haraucourt
, lieutenant - Général des armées du Roi &
AVRIL.
213 1770.
grand'croixde l'ordre royal & militairede StLonis,
eſt mort , dans cette capitale , le 2 Avril , dans la
80e année de lon âge .
L'abbé Couturier , ſupérieur du ſéminaire de
St Sulpice , & abbé de l'abbaye de Chaumes, ordre
de St Benoît , eſt mort dans ce ſéminaire , le premier
Avril , âgé de 83 ans.
•Meflire Guillaume - Olympe-Rigoley de Puli.
gny , chevalier,conſeiller du Roi en ſes conſeils ,
premier préſident de la chambre des compres de
Bourgogne , Breſſe , Bugey , Valromey & Gex ,
reçu en cette charge le 13 Janvier 1770 , eſt mort
à Dijon le 16 Février ſuivant , âgé de 26 ans 7
mois& 10 jours .
Il avoit fuccédé audit office de premier préſident
de la chambre des Comptes à meſſire ClaudeDenis-
Marguerite Rigoley ſon frere aîné , mort à
Dijon le 2 Septembre 1769 , agé de 27 ans 3
mois & 26 jours ; n'ayant exercé cette charge que
3 mois 10 jours , quoiqu'il y eût été reçu dès le
mois de Janvier 1759 .
Ils étoient tous deux fils de feu Meſſire Jean
Rigoley , chevalier, conſeiller du Roi en ſes conſeils
, premier préſidentde la chambre des comptes
de Bourgogne , Brefle , &c. mort , le 8 Mai
1758 , lequel avoit également ſuccédé en la même
charge à Meffire Claude Rigoley ſon pere dès le
mois de Février 1716 , & de Mde Philiberte-Françoiſe
de Siry.
Il ne reſte , de cette branche de la famille de
Rigoley , que Dame Anne- Marie Françoife-Therefe
Rigoley , mariée le 29 du mois d'Octobre
1767 à Meffire Claude-Mars-Antoine de Pradier
Marquis d'Agrain.
214 MERCURE DE FRANCE .
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& enprofe, page
Extrait du printems , poëme des Saiſons , ibid.
L'absence de Vénus ,
Vers àun ami , lejour de ſa fête ,
L'Amour & la Mort , fable ,
Stance à une Receveuſe des loteries ,
Zaman , hiſtoire orientale ,
Les Volcans , ode ,
Conte ,
La naiſlance de l'Amitié,
Sally , ou l'Amour anglois ,
Vers fur le livre de la Théorie des fentimens
و
10
ibid.
13
15
38
43
44
47
Wagréables ,
Vers à M. de ***
,
Le Sophi & le Potier ,
1
Vers ,
Explication des Enigmes ,
ENIGMES
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
1
ver
106400
34
53
54
55
60
1
61
66
AVRIL. 1770 215 .
Les amours de Lucile &de Doligny ,
Mémoirede Lucied'Olbery ,
Choix varié de poësie ,
La nouvelle Lune ,
Les préſages de la ſante ,
Nouveau ſtyle criminel ,
ibid.
73
76
77
79
86
i
Sommaire des principales queſtious de
droit ,
Inſtitutes du droit canonique ,
Mémoires d'un citoyen , &c.
Eſſai ſur neuf inaladies dangereuſes ,
87
88
91
94
Eflai fur différens points de phyfiologie , &c. 97
L'Iliade d'Homère en vers ,
Catalogue de livres choiſis ,
LeNécrologe des hommes célèbres ,
Géographie du tour du monde ,
Fables allemandes & contes françois en
vers ,
L'homme de lettres ,
Les ſens , poëme en cinq parties ,
Inftitutions philoſophiques ,
Traité de la culture des péchers ,
104
115
116
121
3
1
122
124
132
:
134
135
4138
Le nouveau Spectateur,
147
Avis au Public
216 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES , Concert ſpirituel ,
Comédie françoife ,
Comédie italienne ,
Lettre de Rouen ,
141
142
144
I50
Diſtribution des fêtes pour le mariage de
Mgr le Dauphin , 152
ACADÉMIES , 156
ARTS , Gravure , f 161
Peinture , 165
Muſique , 166
Traits de valeur &de générosité , 168.
ANECDOTES , 169
Requête à M. le duc d'Aumont , 174
A'S. A. S. Mlle d'Orléans , ſur ſon mariage , 176
Projet moral , 177
Lettre de M. Linguet , &c. 182
Arrêts , Déclarations , &c . 194
Lettre de M. Perronet à M. Souflet , 195
Autre lettre, 196
Lettre deM. Antoine , architecte , 198
AVIS , 201
Nouvelles Politiques , 206
Loteries , 211
Morts, 212
:
:
१२
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
MARS 1770 .
Mobilitate viget . VIRGILE .
Peugnce
8tr
1770
! 1.4
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port ,
les paquets& lettres , ainſi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique .
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal, deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv .
que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
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On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
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par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire , à Paris , rue Christine.
On trouve auſſi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in-12 , 14vol.
par an à Paris . 16 liv.
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ANNÉE LITTÉRAIRE , compofée de quarante
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L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
desnouveautés des Sciences , des Arts libéraux
&méchaniques , des Spectacles , de l'Induſtrie
&de la Littérature. L'abonnement , foit à Paris
,foit pourla Province , port franc parlápofte,
eſtde 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
; de 14 vol. par an , à Paris , 9 liv. 16f.
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desSciences morales & politiques.in 12.
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JOURNAL POLITIQUE , port franc , 14 liv.
A ij
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LES Economiques ; par l'ami des hommes
, in-4°. rel . و
Idem . 2 vol. in - 12 . rel . sa
Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des ſciences , des arts & des idiomes anciens
& modernes , in - 8 ° . rel . 61.
Histoire d'Agathe de St Bohaire , 2 vol. in-
12. br. 3 1.
Le bon Fils ou les Mémoires du Comte de
Samarandes;par l'auteur des mémoires du
Marquis de Solanges , 4 part. in - 12 .
br. 41.161.
Confidérations fur les Causes physiques &
morales de la diverſité du génie , des moeurs
&du gouvernement des nations , in - 8 °.
broché.
Traité de l'Orthographe Françoise, en forme
41.
de dictionnaire , in - 8 ° . nouvelle édition ,
rel.
Nouvelle traduction des Métamorphofes d'O-
71.
vide ; par M. Fontanelle , 2 vol . in - 8 °.
br. avecfig. 101.
Parallele de la condition & des facultésde
l'homme avec celles des animaux , in - 8 ° br . 2
Premier &fecond Recueils philofophiques &
list. br. 21.101.
Le Temple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités ſur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch . 61.
Traité de Tactique des Turcs , in - 8°. br. 11. 10 f.
Traduction des Satyres de Juvénal 2 par
M. Duſaulx , in-8 ° . br. 61.
MERCURE
DE FRANCE.
MARS . 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE..
>
EPITRE à M. de M. .. officier
de Marine.
Viens apprendre à fouffrir en regardant Zamore.
D
VOLTAIRE .
Ans cet âge où tout ſe colore
Des vives couleurs du plaiſir ,
Où l'ame avide de jouir
Voudroit précipiter l'aurore
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
De ces beaux jours que le deſir .
Trouve à fon gré trop lents encore :
Alors la main de l'amitié
Forma les noeuds de notre chaîne ;
Aton coeur le mien fut lié.
Nos goûts , le tems qui nous entraîne ,
Nos intérêts , nos fentimens ,
Les erreurs même de notre âge
Ont refferré ces noeuds charmans :
Et fi pour ſuivre un dieu volage ,
Nous fumes volages amans ,
L'amitié ſolide & plus ſage
Nous retrouva toujours conftans.
Preffé d'un defir téméraire ,
Tel nous voyons un jeune oiſeau
S'échapper du ſein de ſa mere ,
Courir fur les bords d'un ruiſſeau
Pour careſſer la fleur champêtre ;
Mais , fatigué d'un vain plaiſir ,
Il s'empreſſe de revenir
Sous le berceau qui l'a vû naître .
Ainſi couloient nos jours heureux .
L'aimable enjouement , la ſaillie ,
Nos amours , la vive ironie
Ecartoient les ſoucis fâcheux ;
Nous philofophions ſans ſyſtême ;
Le ſeul instinct & le defir
MARS. 1770. 7
Etoient pour nous la loi ſuprême
Qui nous traçoit l'art de jouir.
L'ambition & la richeſſe ,
Ces vains fantômes du bonheur ,
N'infectoient pas notre jeuneſſe
De leur poiſon trop ſéducteur;
Et ſuivant lapente facile
De nos plaiſirs , de nos erreurs ,
Nous navigions , l'ame tranquille,
Sur des bords émaillés de fleurs .
Letems porté ſur des nuages
Eſt venu flétrir mon bonheur :
J'ai vu , ſous un ciel enchanteur ,
Monter la vapeur des orages.
Sans frémir déjàj'entendois
Le murmure de la tempête ;
Le ciel m'a lancé tous ſes traits ,
Etje n'ai point fléchi la tête.
Aces courans impétueux
Je n'oppoſai que mon courage :
Peut- on , lorſqu'on eſt vertueux ,
Craindre les ſuites d'un naufrage !
Enfin traîné ſur ce rivage ,
Sous un climat plus rigoureux ,
Je viens préſenter mon hommage
A la triſte divinité
Dont le culte lâche& frivole
Irritela cupidité.
Aiv
MERCURE DE FRANCE.
Mais épargne ma vanité !
Ne crois pas qu'aux pieds de l'idole
J'aille dégrader ma fierté.
Non ! mon ame ferme, ſtoïque ,
Sait , au ſein de l'adverſité ,
Se rappeler ſa dignité.
Le faſte , ce vernis magique ,
Qui faitd'un fot un important ,
N'a pour moi rien d'éblouiſſant ;
Etj'apperçois , comine Socrate ,
Atravers l'écorce d'un grand ,
Le fat qui vainement ſe flatte
D'échapper à l'oeil pénétrant.
Le voile à tes yeux ſe déchire ,
Aimable ami , lis dans mon coeur
Ni le dépit , ni la ſatyre
N'ont point altéré mon humeur ;
L'indulgente amitié m'inſpire ,
La vérité met les couleurs.
Je fais trop bien , ce ſont nos moeurs:
Que l'orgueil qui ſoutient mon ame
Va rencontrer bien des cenſeurs ;
Et que le monde aujourd'hui blâme
La vanité du malheureux.
Je fais encor que la fortune
Ne ſourit qu'à l'être mielleux
:
MARS. 1770. 9
Dont l'ame fordide & commune
Se courbe en replis tortueux.
Mais ici ma philoſophie
Va déployer ſa fermeté :
Si le deſtin qui m'humilie
Conſerve ſa malignité :
Fuyant l'éclat de la lumiere ,
J'irai chercher , loin des humains ,
Une retraite , une chaumiere
Inacceffible aux noirs chagrins.
Là , philoſophe ſolitaire ,
Mépriſant le vil intérêt ,
Abandonnant toute chimère ,
Je vivrai pauvre & fans regrer.
Et peut- être pourrai -je encore ,
Suivant les traces du plaifir ,
Aller cueillir aux champs de Flore
La fleur qui vient d'épanouir :
Peut- être une tendre bergere
Docile à la voix des amours ,
Malgré l'influence ſévère
Qui regne fur mes triſtes jours ,
Viendra partager ma retraite ,
Et daignera , ſans vain détour ,
Ornerdes myrthes de l'amour
Et ma cabane & ma houlette.
Qu'importe que le voyageur
ΑνV..
10 MERCURE DE FRANCE,
Traverſe une plaine fertile ,
Ou que la nature indocile
N'offre qu'un tableau ſans couleur ;
Si ſon ame eſt pure & tranquille ,
Ileſt toujours près du bonheur.
Mais ſoit que le deſtin m'apprête
Ou fes bienfaits ou ſes rigueurs ,
Je veux toujours chommer la fête
De l'amitié , de ſes douceurs ;
Et ſous un dôme de verdure ,
J'éleverai , chaque printems ,
Un autel où l'amitié pure
Viendra recevoir mon encens.
Par M. de L... Officier réformé.
REVEIL d'Iris , ou les dangers du point
dujour. Cantatille.
IRRIS , au lever de l'aurore ,
Qui vient éclairer ſon erreur ,
Du tendre berger qu'elle adore ,
Avoit l'image dans ſon coeur...
Son coeur en ſoupiroit encore.
Sombre nuit , reviens fur tes pas,
Et iappelle cet heureux ſonge.
S
II MARS. 1770.
Mon amant étoit dans mes bras ...
Ah! dieux ! ce n'étoit qu'un menſonge.
Dans le déſordre de ſes ſens
,
Ainſi parloit la jeune amante ;
Et le defir qui la tourmente
Promettoit à ſon coeur des plaiſirs raviſſans.
Mais déjà l'horiſon s'éclaire ,
Tout s'anime & ſe reproduit ;
Etdu flambeau du jour , la belle avantcouriere
Prefle vers l'Occident les ombres de la nuit .
Pourquoi faut- il que tout ce qui reſpire ,
Diſoit Iris dans ſa douleur ,
Des charmes du matin chante le doux empire ,
Quand je reproche au jour ma timide langueur ?
A l'Amour je rendois hommage ,
Dans le filence de la nuit ;
Et malgré moi des pleurs inondent mon viſage ,
Quandje perds une erreur ſi chere& qui s'enfuit.
Pourquoi répandez vous des larmes ?
Iris , voici l'Amour votre confolateur
Qui revient , par de nouveaux charmes,
Réaliſer votre bonheur ! ..
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
Ah! .. mais du ſein de ce plaiſir extrême ,
Dont le tendre Amour la combla ;
Elle perdit le plaiſir même ,
Avec l'Amour qui s'envola .
Confervons fans ceſſe l'attente
D'un bien que notre coeur pourſuit.
Souvent la vérité détruit
La douce erreur qui nous enchante.
Par M. le Comte de la T.
VERS à Mile Boyé , peintre en miniature
, dont le talent particulier eft
de flatter ses modèles fans bleſſer la
reffemblance.
ELEVEDO LEVE de Charlier dans l'art divin d'Appele ,
Jeune Boyé , dis - nous par quel charme flatteur
Tonpinceau ſéducteur ,
Sans changer à nos yeux les traits de ton modèle
Des graces de Cypris ſait parer la laideur ?
La jalouſie en vain à tes pieds en murmure ;
Un peintre doit ſavoir embellir la nature ,
Surlesridesdutems parſemer quelques fleurs ;
MARS. 1770 . 13
De tes rivaux dédaigne les clameurs .
Voled'un pas rapide où la gloire t'appelle ,
Qu'ils vieilliſſent Hébé ; toi , rajeunis Cibele.
Par Madame de Marcillac.
EPITRE à M. de Bordeu , Médecin.
DISCIPLE de la vérité ,
Savant profond , eſprit facile ,'
Toi , qui ſais mêler à l'utile
Les graces & l'aménité ;
Qui , dans les routes tortueuſes
D'un champ de ronces hériflé ,
Sais répandre , d'un air aiſfé ,
Les fleurs les plus délicieuſes ,
Bordeu , daigne agréer ces vers
Qu'un éleve de Polymnie ,
Ou plutôt le tien , te dédie ;
Car à tes ouvrages diſerts
Et marqués du ſceau du génie
Je dois la douceur infinie
D'avoir évité tout travers
Et toute fantarque manie
14 MERCURE DE FRANCE.
Dans tes écrits , où la raiſon
Epie& ſurprend la nature ,
Je ne vois jamais l'impoſture ,
L'ignorance & l'illufion
Ternir ſa clarté vive & pure ;
Et quand l'erreur de toutes parts ,
A la faveur de ſes menfonges ,
Raſſemble ſous ſes étendards ,
Les mortels ſéduits par ſes longes ,
Quand par de faux raiſonnemens ,
L'Amour entêté des ſyſtèmes ,
Accrédite fes argumens ,
Tu renverſes les fondemens,
De les puériles problêmes ;
Et ta main , ſur leurs débris mêmes ,
Rétablit les droits du bon ſens .
Que j'aime un eſprit aflez ſage
Pour abjurer un vain ſavoir
Enté fur un fot verbiage !
Aflez juſte pour entrevoir
Le vide de cet étalage
Par où l'orgueil ſe fait valoir ;
Et proſcrivant avec prudence
Les aveugles déciſions ,
Et les burleſques viſions
De la frivole extravagance ,
N'aſpirer qu'à cette ſcience
Qu'enfantent les réflexions
Dans le ſein de l'expérience !
MARS. 1770. 5
Tel fut Hyppocrate autrefois :
C'eſt ſur cettegrande maxime
Que ce philofophe ſublime
De notre art établit les loix ,
Et par ſa lumiere divine ,
Diſſipa le nuage épais ,
Qui , long-tems de la médecine ,
Avoit défiguré les traits :
Par- là , perçant dans le dédale
Et dans les replis de nos corps ,
Il trouva la ſource fatale
Des maux qui briſent leurs refforts :
C'eſt en ſoumettant la nature
Ades examens rigoureux ,
Qu'il dévoila , d'une main sûre ,
Ses fecrets les plus ténébreux .
De ſes décrets digne interpréte ,
Ce génie éxact , clairvoyant ,
De fon art encore naiffant
N'auroit jamais atteint le faîte ,
S'il eût ſuivi les pas errans
Des phantômes philoſophiques
Et de ces chimères claſſiques
Qui regnoient alors en tyrans .
Bordeu , tu marches ſur ſes traces ,
Dans tes écrits tu nous retraces
Son eſprit perçant , étendu
Son coeur ſimple , noble , ingénu.
Si ſes ſuccès &ſa ſageſſe
16 MERCURE DE FRANCE .
Lui méritèrent des autels ;
Si le fuffrage de la Gréce
L'admit au rang des immortels ,
L'admiration & l'eſtime
Rendront à tes travaux brillans ,
Un tribut auſſi légitime ,
Auſſi digne de tes talens .
Par M. Rouffel , Docteur en médeciné
de l'Univerſité de Montpellier.
LE BONHEUR IMPRÉVU.
Le feu Lord Talbot , chancelier d'Angleterre
, diſpoſoit d'un bénéfice qui vint
à vaquer ; Sir Robert Walpole profita
de la circonſtance pour lui recommander
un eccléſiaſtique auquel il s'intéreſſoit ;
& le chancelier qui n'avoit aucune objection
contre la perſonne dont on lui
parloit , promit volontiers de l'obliger.
Quelques jours après , mais avant qu'il
eût délivré les proviſions néceffaires , le
miniſtre d'une petite cure , dépendante
de ce bénéfice , ſe préſenta devant le lord
Talbot avec des lettres de recommandation
de toutes les perſonnes les plus notables
de fa paroiffe ; ayant appris la
MARS. 1770. 17
mort du poſſeſſeur du bénéfice dont ſa
cure dépendoit , il venoit ſupplier le
chancelier de vouloir bien le protéger auprès
du recteur , afin qu'il ne lui ôtât pas
ſa place ; fon ambition ne s'étendoit pas
plus loin ; il étoit attaché à ſa paroiſſe ,
dont les habitans l'aimoient ; il y avoit
d'ailleurs toute fa famille , & ce petit bénéfice
compoſoit toute ſa fortune . Le
chancelier le reçut avec ſa bonté ordinaire
; il fut touché du détail qu'il lui fit
de ſa ſituation , & remarqua avec plaifir
que cet eccléſiaſtique étoit inſtruit , &
méritoit qu'on s'intéreſſât à fon fort ;
ayant appris que ſa cure ne valoit que 40
livres ſterling , il lui promit que nonſeulement
il la lui conſerveroit , mais
qu'il en feroit augmenter le revenu.
Le lendemain , le protégé de Sir Robert
Walpole vint prier le chancelier de
vouloir bien lui faire expédier ſes provifions
, & le lord ſaiſit cette occaſion pour
lui parler du curé , & pour le prier de
porter ſes appointemens à 60 livres qui ,
jointes aux préſens que lui faisoient ſes
paroiſſiens , lui donneroient un peu plus
d'aiſance , & le mettroient en état d'élever
ſa famille. L'eccléſiaſtique , furpris de
cette demande inattendue ,garda le filen18
MERCURE DE FRANCE.
ce pendant quelques momens , & répondit
enfin : Je ſuis au déſeſpoir , Mylord ,
de ne pouvoir fatisfaire votre grandeur
fur ce ſujet ; j'ai déjà promis cette cure à
un de mes parens , & je ne puis dégager
ma parole avec honneur. Vous en avez
déjà diſpoſé , dit le chancelier , & vous
ne poſſédez pas encore le bénéfice ! en ce
cas , Monfieur , je vais vous fournir le
meilleur moyen poſſible pour retirer votre
parole ; je donnerai la place à un autre.
Il le renvoya fans vouloir l'écouter
davantage.
Le vieux curé vint quelques jours après
s'informer de ce qu'avoient produit les
bons offices du chancelier auprès du titulaire.
J'ai fait ce que j'ai pu , lui dit le
lord , mais je n'ai pu rien obtenir . Le bon
vieillard ne put entendre ces mots fans
laiffer couler quelques larmes ; je ſuis
bien malheureux , Mylord , s'écria - t- il !
Que vont devenir mes pauvres enfans ?
Leur pere ne pourra leur offrir que des
pleurs! Quel foulagement à leurs beſoins!
Je vois votre douleur , reprit le chancelier
; croyez que j'en ſuis pénétré ; je ne
puis pas vous donner la cure , inais je puis
vous donner le bénéfice ; il eſt à vous ;
écrivez par la prochaine poſte à votre fa
MARS.
1770. 19
mille & à vos amis que , quoique vous
n'ayez demandé que la conſervation d'une
ſimple cure , votre modeſtie & votre
mérite vous ont fait obtenir le rectorat.
Le miniſtre étonné tomba aux pieds
du chancelier qui le releva & l'embraſſa ;
il lui remit fur le champ les proviſions
qu'il avoit fait préparer , &le bon vieillard
partit en le béniſſant , & alla porter
ſajoie dans le ſein de ſa famille ; il eut la
confolation de voir tous les amis de la
vertu applaudir à ſon élévation.
VERS à Mile Mars , fille de l'Avocat
au confeil.
Du mois ou naît la violete
Abon droit vous portez le nom ,
Jeune beauté qui , déjà grandelete ,
Des doux plaiſirs annoncez la ſaiſon ;
C'eſt dans ce mois que la nature
Sort des bras d'un ſommeil tranfi ;
Il tient encore à la froidure ,
Craignez que votre cooeur ne la reſſente auſſi.
Prenez latendreſſe pour guide ,
Vous n'êtes pas le ſang de ceMarshomicide
20 MERCURE DE FRANCE.
Qui , ſur les monts de Thrace a fixé ſon ſéjour
Mars , ami de Thémis , vous a donné le jour;
Votre maman eut en partage
Les diversagrémens qui vous gagnent les coeurs ,
Vous êtes la vivante image ;
Périfle le dieu Mars & toutes ſes fureurs !
Vive Mars , qui fait l'art de parler & d'écrire !
Vive la jeune Mars dont le riant empire
Ne donne à ſes captifs que des chaines de fleurs.
A vos attraits naiſſans notre ame eſt aſſervie ;
Chasun de nous ſe range ſous vos loix ;
Voyez l'eſſain d'amours dont vous êtes ſuivie ,
Il dit , charmante Mars , que pour un ſi beau mois
On donneroit toute la vie.
Par M. de la Louptiere.
VERS à M. l'Abbé TERRAY ;
Contrôleur-Général.
Vous , de qui le mérite étoit déjà connu ,
Qui teniez de Thémis la ſévere balance ,
Par le choix d'un grand Roi vous voilà devenu
L'économe de ſa finance ;
MARS. 1770. 21
C'eſt pour vousune gloire & pour nous unbienfait
,
Il faut adreſſer à la France
Le compliment qu'elle vous fait.
Par le même.
A Mde de B...... , le jour des Rois ,
après avoir tiré un gâteau, dont la féve
m'est échue.
Si du halard j'avois été l'arbitre ,
Votre triomphe étoit certain ;
Et vous euſſiez , à meilleur titre ,
Eté la reine du feſtin .
Ainſi le hafard , la justice ,
Loin de la brigue &du caprice ,
Auroient été d'accord , pour vous ſeule , une fois.
Mais ce qu'ils euſſent fait , je dois ici le faire.
Sans nul fouci , quittant le rang des Rois ,
Je vous remets ma puiſſance éphémére.
Plaire & regner , voilà quels ſont vos droitss
Vous obéir ſera ma loi premiere.
Par M. Ch.....
22 MERCURE DE FRANCE.
A Mademoiselle du V * *.
SI , d'un peu de coquetterie ,
Vous nous laiſſez voir quelques traits ,
Si la légereté , ſi l'aimable folie
Rendent plus piquans les attraits ,
Ce rôle eft pour vous fait exprès ,
Car pour être coquette il faut être jolie ;
Le ſentiment peint ſouvent la triſteſſe ,
Vous devez rire en voyant des amans
Qui vivent pour eux ſeuls , font voeu d'être conftans;
Laiſſez les s'ennuier auprès de la tendreſſe ,
Elle ne doit jamais gouverner vos momens ;
Qu'un ton léger vous intéreſle ,
Préférez les airs ſémillans ,
C'eſt le plus ſouventaux dépens
Du repos que l'amour careſſe .
Par M. Leclerc de la Motte , Capitaine
au régiment d'Orléans infanterie .
MARS. 1770. 23
ODE ANACREONTIQUE.
MON bien- aimé , viens voir tabien- aimée ;
Elle t'attend au bord du petit bois
Où tu cueillis , pour la prémiere fois ,
Un doux baiſer ſur ſa bouche enflammée.
Alors l'hiver & le printems luttoient ;
Et le zéphir caché ſous la verdure
N'oſoit encore égaier la nature
Que ces rivaux le ſoir ſe diſputoient.
Mais aujourd'hui que l'été qui s'avance
De ſa beauté ranime les couleurs ,
L'arbrifleau vert , ſous la feuille & les fleurs ,
Cache le fruit que montre l'eſpérance.
Dans mon jardinje cultive en ſecret
Parmi des lys une roſe jolie
Qui , par toi ſeul voudroit être cueillie ,
Que n'a ſurpriſe aucun oeil indiſcret .
J'ai découvert un nid de tourterelles
Que tu verras auprès de mon enclos ;
J
24 MERCURE DE FRANCE.
Mais les petits , depuis long-tems éclos ,
Pour s'échapper battent déjà des aîles .
Hâte-toi donc , le moment eſt venu.
L'autre ſaiſon , ton coeur étoit plus tendre.
Monbien-aimé ne ſe fit pas attendre :
S'il fait plus chaud le bois eſt plus touffu .
Ma bien- aimée ainsi chantoit ſeulette
• En m'attendant , quand j'arrivai ſoudain
>> De ſa chanfon elle auroit dit la fin ,
■ Sans un baiſer qui la rendit muette. »
A
ZEM , ou l'Heureux foi - difant.
Conte moral.
ZEM , heureux par la victoire qu'il
avoit remportée ſur toutes les paffions
qui affiégent le coeur de l'homme , fortit
un matin de ſa folitaire cabane , le ſéjour
du contentement & de la paix. Il monta
fur un coteau , d'où il découvroit d'un
côté le Grand Caire , & de l'autre des
prairies émaillées de fleurs , des bois toufus
, des plaines immenfes , arrofées par
le Nil ; toutes les beautés de la nature
étoient
MARS. 1770 . 25
étoient , pour ainfi dire , raſſemblées fous
Yes yeux ; il les contemploit avec un ſecret
raviflement. Il regardoit le foleil qui,
defcendant du fominet des montagnes
éloignées , répandoit ſes rayons fur les
champs , les bocages d'alentour , & rappeloit
les hommes à leurs travaux , ou
plutôt à leurs folies. Il écoutoit les oiſeaux
, dont les chants mélodieux annoncoient
le lever de l'aſtre du jour. Chaque
ſon qu'il diftinguoit palloit juſqu'à fon
coeur. La campagne étoit humectée d'une
rofée bienfaiſante , & les fleurs , élevant
leurs tiges , exhaloient leurs plus doux
parfums.
Ce ſpectacle raviſſant exaltoit l'ame
d'Azem. « Azem , s'écria- t- il dans l'en-
>> thouſiaſme qu'il lui inſpiroit , cherche
>> quelqu'un qui ſoit plus heureux que
>> toi . Il y a déjà trois ans que tu habites
>> cette agreable ſolitude ; éloigné des
» mortels & des inſenſés , tu as appris
» que l'homme n'eſt heureux qu'autant
>> qu'il ſe ſuffit à lui - même. Quoique
>> jeune , tu fus affez ſage pour abandon-
>>ner le Caire , où la miſere ſe cache ſous
» des lambris dorés , où les richeſſes ré-
>> parent les défauts. La ſageſſe t'a con-
>> duit ici ; tu es délivré de toutes les paf-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
> ſions qui tout mentent le coeur humain ;
» tu es content du peu que tu poſſédes ,
>> ta pauvreté fait ta richeſſe. Les inſen-
» fés te mépriſent , que t'importe ? Ils
>> font incapables de ſentir ce que tu ſens,
» voilà le vrai bonheur; chaque jour ac-
>>croît le tien ,&chaque minute diminue
» leur félicité. Conſidére les malheu-
» reux mortels en proie aux paſſions les
>> plus violentes ; l'amour , le faux point
>> d'honneur , l'envie , la haine lestyran-
>> niſent tour-a-tour , & ſouvent ſe réu-
>> niſſent pour les faire périr. Compare
>> ton état au leur ; au flux & reflux des
>> defirs & des plaiſirs qui les excédent
» ſans les raſfaſier , oppoſe cette tranquil-
>> lité dont tu jouis , cette égalité qui eſt
>> ton partage... & prononce.
>>Vois- tu ce ſuperbe palais ? Eh ! bien,
» c'eſt là que repoſe le malheureux Baffa
• Ibrahim , couché ſur des couſlins ma-
>>gnifiques & voluptueux; le ſommeil lui
>> refuſe ſes douceurs ; & c'eſt à toi qu'il
les prodigue ; il répand ſes plus doux
>> pavots ſur ce lit de mouſſe où tu dé-
» laſſes tes membres fatigués. A peine y
>> a- t'il quelques minutesque ſes inquié-
>> tudes , cette foif infatiable de gran-
>> deurs , le tourment de l'envie , le defir
MARS. 1770 . 27
» de la vengeance ont cédé à un fom-
» meil inquiet. Dois - tu envier ſes richeſſes?...
Ah! ſi tulepouvois , tu méri-
>> terois d'être Ibrahim .
>>Cette maiſon ſi ſimple ,dans le quar-
>> tier le moins fréquenté , où une ſom-
>>bre lampe brûle encore , t'apprend le
>> triſte fort du divin Ali Aſſem , le vain .
» queur de l'Afrique. Il fut adoré de l'E-
>> gypte entiere ; que lui revient- il de tant
>>d'honneurs ? Oublié de ſes proches ,
» blâmé de ſes concitoyens , il ne reſte
>> de lui qu'une ombre , & qu'une mé-
>>moire équivoque qui ne peut lui apporfatisfaction
. Heureux Azem! ود ter aucune
>> qui fais conſiſter le bonheur à être ou-
>>blié du monde entier; jamais un futile
>> honneur n'a troubléta félicité . Meurs !
> homme fortuné , meurs fans avoir re-
>> cherché ni envié les louanges de tes
>> contemporains , ni celles de la poſté-
>>rité ; mais auſſi ſans craindre ſes injures
>>ni ſes mépris.
*
>>Ce fut ici ,Azem, que ton coeur triom.
>> pha de l'amour le plus tendre. Ce fut
» ici que la belle Sélima , oubliant ſa
" naiſſance , ſa fierté , cette foule d'amans
>> qui s'empreſſoient à lui plaire , tenta
>> tout pour ſoumettre ton coeur.
Tu
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
>> triomphas ; l'amour fut vaincu. Quelle
>>gloire pour toi , Azem ! tu as écarté ce
>dangereux ennemi , tu l'as foumis à la
> raifon . Maintenant dans les bras de Sé-
>> lima , tu jouirois de ce que les hommes
>>appellent bonheur; les careſſes les plus
>>tendres te feroient prodiguées; les plai-
ود fits naîtroient fous tes pas : mais auffi
» cette joie pure & délicieuſe , que le
>>fage reffent à l'aſpect de la ſimple na-
>>ture , te feroit inconnue. Ton bonheur
>> feroit ſemblable à celui du commun
» des hommes , & deviendroit un mal-
ود
-
heur réel. Ah ! les charmes de cette
>> belle folitude font bien au deſſus de
» ceux de Sélima ! Ici , la nature s'em-
>>preſſe à te fervir , ton coeur ne ſouhaite
>> rien au-delà des biens dont il jouit ; la
» liberté , les vrais biens y réſident ; c'eſt
>>le ſéjour de la félicité ; que ces lieux
>>foient le tien pendant ta vie; que tes
>>cendres y repoſent , & que cette épita-
>>phe ſoit gravée ſur ta tombe : Ci git ,
» Azem , qui fut toujours maître de fon
» coeur. Que ces mots enſeignent à la
>> foule des voyageurs égarés à trouver la
>>feule routequi conduit au bonheur. »
Plus fier qu'un monarque ſur ſon trône
, Azem defcendit du coteau , non fans
MARS. 1770 . 29
avoir jeté un regard complaifant fur fa
propre grandeur , fur cette félicité dont il
étoit le créateur , & avoir honoré le monde
d'un ſourire dédaigneux , & par conféquent
philofophique.
Azem avoit fait quelques pas dans un
bois qu'il falloit traverſer pour arriver à
ſa cabane , lorſqu'il vit une jeune perſonne
pourſuivie par un Arabe. La vertu
& le courage d'Azem ne le laiſſerent pas
incertain fur le parti qu'il devoit prendre;
il vola au fecours de l'inconnue ; il
étoit tems , car à peine l'eut - il atteint ,
qu'elle tomba à ſes pieds ſans aucun mouvement.
Le criminel ne put foutenir la
préſence de l'homme de bien ; l'Arabe
abandonna ſa proie & courut ſe cacher
dans l'épaifleur de la forêt.
Azem ſe mit en devoir de ſecourir cette
jeune perſonne , il s'approcha d'elle ;
un regard l'arrêta& le rendit immobile .
Il pâlit ; fon coeur treſſaillit. Son premier
mouvement fut pour la nature , & le ſecond
pour l'honneur de la philofophie. Il
rougit , recula quelques pas. Sélima! s'écria-
t- il , qui l'auroit cru.... Fuyons! ..
L'humanité ſervit de voile à l'amour ; ce
dieu , caché fous un dehors ſi ſéduifant ,
lui repréſenta qu'il ne pouvoit laiſſer Sé-
B iij
30
MERCURE DE FRANCE.
lima ſeule , privée de tout fecours , ſans
s'offenfer lui- même . Il céda , & l'amant,
à couvert ſous le manteau de la philofophie
, courut avec empreſſement à un
ruiſſeau voiſin. Il apporta de l'eau , en
jeta àcette belle , mais de loin : inquiet
de ce qu'elle ne reprenoit point ſes ſens ,
il s'approcha ; & unje ne faisquoi lui fit
coller ſes lévres ſur celles de cette jeune
beauté , pour tâcher de la ranimer ; que
ne fait pas la pitié !
Il étoit encore dans la même pofture
lorſque Sélima revintà elle. Comment ,
s'écria -t- elle , Azem ! le barbare Azem
eſt le défenſeur de Sélima. Ses yeux ſe
fermerent , elle retomba évanouie aux
pieds de fon amant. Revenue de cette
ſeconde foibleſſe , elle s'appuya fur le
bras du ſage. Il la foutint , ou plutôt la
porta juſqu'à ſa cabane. Quel écueil pour
la philoſophie ! Pendant le chemin ils
garderent un profond filence ; Sélima,les
yeux remplis d'une douce mélancolie
fixoit Azem ; & le philofophe , par modeſtie
fans doute , tenoit les ſiens attachés
à la terre. La foible Sélima ſe jeta fur le
lit d'Azem & s'endormit. Son fommeil
donna le loiſir au folitaire de raiſonner
avec lui -même.
MARS. 1770 . 31
Il ſortit de ſa cabane , s'aſſit ... Non ,
il ſe coucha fous un triſte cyprès. " Azem
>> ſe demanda-t-il , pourquoi ſoupires-tu?
>>Pourquoi ton coeur treſſaille-t-il ? Que
>> veulent dire ces larmes ? Cette ardeur
>> que tu reſſens ? Tremble ! malheureux !
>> tu aimes... Sois un héros , Azem ! rap-
>> pelle tes anciennes vertus. Doivent-
> elles être facrifiées à un inſtant de foi-
>> bleſſe. Fuis un danger inévitable ; fuis
>> cette folitude avant que le poiſon ait
>>gagné juſqu'à ton coeur; commande à
>> tes fens , triomphe ou meurs. Cepen-
>>dant, Azem, tu oublies que l'humanité
> doit être la premiere de tes vertus. Sé-
» lima , que tu veux abandonner , de-
>> meurera ici , ſans ſecours, expoſée à tou-
>> tes fortes de malheurs. Sois donc fon
>> ami & non ſon amant. Mais que dis-
>> je ! qu'est- ce que la ſageſſe ſaus la pru-
>> dence ? Une femine , un être foible ,
» doit- elle épouvanter la ſageſſe & la fer-
>> metéd'Azem? »
Les terreurs d'Azem s'évanouirent ; il
ſe ſouvint de ſa philofophie ; il rougit
de s'être défié de ſa raiſon , & le calme
rentra dans fon ame. Ses foupirs cellerent.
L'air d'indifférence qu'il affectoit
d'avoir pour le monde reptit fur lui plus
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
d'empire que jamais. Il revint dans ſa
cabane , bien afſuré de ne pas ſe laiffer .
vaincre par les attraits de Sélima. Elle
s'éveilla ; ſes yeux en s'ouvrant ſe fixerent
fur le philofophe. Qu'ils étoient
tendres ! mais qu'ils étoient dangereux ;
ils réuniffoient tout , une douce mélancolie
, une tendre inquiétude , une noble
pudeur ; il en falloit moins pour ſubjuguer
tous les ſages de l'Univers . Le pauvre
Azem en fit l'expérience ; un regard,
un feul regard le rendit auſſi tendre qu'il
l'étoit pen quelques minutes auparavant.
Il voulut parler à Sélima , mais la parole
expira fur ſes lévres ; un ſoupir annonça
ſadéfaite.
Approche , barbare ! lui dit- elle « con-
>> temple ta victime , & jouis des tour-
>> mens que , depuis deux ans , tu fais
>> fouffrir à la fille d'Ibrahim . Hélas !
» Azem, mon coeur ſe flattoit d'avoir fait
>>pafler dans le tien une partie du ſenti-
>> ment qui l'anime. Méritois-je la froi-
>>deur avec laquelle tu m'as quittée? Loin
>> d'en conſerver du reſſentiment , je ſuis
>> toujours la tendre Sélima . Depuis trois
>> ans que mon pere me tient captive, mes
>> foupirs n'ont eu que toi pour objet. L'a-
>> mour m'a fait entreprendre de me foufMARS.
1770 .
33
>>.traire à ſa vigilance ; la nuit derniere
>> a favorisé ma fuite. J'ai quitté les gran-
>>d>eurs , les plaiſirs , pour venir habiter
>> un déſert que ta fierté , ton amour-pro-
>> pre ont rendu ton féjour. Les horreurs
>> d'une nuit obfcure , les dangers pref-
>> qu'inévitables dans ces bois , rien n'a
>> pu m'effrayer; j'ai tout furmonté. Tu
>> m'as ſauvée des mains d'un cruel ravif
>>>ſeur , parle , Azem , n'eſt ce que pour
>> m'affafliner par ta coupable indiffé-
>> rence . »
Quelques larmes coulerent fur un ſein
d'albâtre que la déſolation de Sélima
laiſſoit à découvert. Azem fentit le pouvoir
des pleurs qu'on verſoit pour lui.
Déjà il ſe trouvoit coupable envers la
belle Sélima ; déjà il ſe diſoit qu'un amuſement
n'étoit aucunement incompatible
avec la ſageſſe . Il commença à philoſo .
pher fur la paffion qui faifoit agir ſa maîtreffe.
Tant fut moraliſé , tant fut philoliſé
, qu'il ſe jeta à ſes pieds , lui tendit
la main , ſe pencha vers elle & l'embraffa
en tremblant ; recommença & ne trembla
plus. Un reſte de honte lui fit monter
le rouge au viſage , il ſe cacha dans
les bras de Sélima. Aſyle ſacré, où la phi.
lofophie n'avoit garde de le venir relan-
Bv
34
MERCURE DE FRANCE.
cer. L'amour ſe vengea pleinement de la
fierté d'Azem . Azem devint ſemblable à
ces hommes qu'il avoit mépriſés ; il foupiroit
, il aimoit , il finit par imiter leurs
folies.
Sélima , fatisfaite de poſféder le coeur
d'Azem , ſembloit n'avoir plus rien à defirer
: le déſert où elle vivoit avec lui paroiffoit
préférable à la magnificence du
grand Caire. Elle oublia tout , & fans
l'amour , elle eût oublié juſqu'à fon exiftence
. Azem apprit à connoître, à apprécier
la ſageſſe. Plus heureux depuis qu'il
aimoit , il parcouroit les prairies , les bocages,
accompagné de Sélima; il les trouvoit
embellis , le murmure des ruiffeaux ,
le chant des oiſeaux lui ſembloient plus
agréables ; toute la nature reprenoit un
nouvel être à ſes yeux. Azem, ſe diſoitil
quelquefois ; car il n'avoit pas perdu
l'habitude de réfléchir : Azem , tu étois
>> dans l'erreur. La vraie félicité de l'hom-
>> me ne conſiſte pas dans l'anéantiffe-
>>ment des paſſions , mais ſeulement dans
>> la maniere de les conduire & de les
>>économiſer. Notre coeur eſt formé pour
» l'amour , pour l'amitié , & même pour
>> la gloire& la poſſeſſion de ce qui conf-
>> titue les biens de la vie. Le ſage eſt
MARS. 1770 .
35
> ſeul capable dejouirde ces biens qu'on
>> nomme bonheur; il en jouit fans fier-
>> té , & en fouffre la privation ſans mur-
>> mure. Aime Sélima , heureux Azem ;
>>> que l'amour faſſe ton bonheur ; mais
>>pour en jouir,de ce bonheur , imagine
>> qu'il n'exiſte déjà plus pour toi. »
C'eſt ainſi qu'Azem formoit le plan
d'une vie délicieuſe. C'est ainſi qu'il fuivoit
l'exemple de ceux qu'il dédaignoit
autrefois . Il ſe Aattoit de trouver dans
ſon propre coeur la ſource du contentement.
Pouffé par les inſtances de Sélima
, il abandonna ſon déſert , où fon
amante , qui n'étoit rien moins que philoſophe,
commençoit à ſe déplaire. La vie
ſtoïque & finguliere d'Azem lui avoit
fait une forte de réputation; il alloit la
perdre en vivant comme les autres hommes;
il ne quitta pas ſa folitude fans regrets;
mais Sélima le ſouhaitoit, il fallut
y foufcrire.
Ils s'établirent dans une province voifine
où ils étoient à l'abri des perſécutions
du pere de Sélima. Azem partageoit fon
tems entre ſa maîtreſſe & la philofophie.
La fortune le combla de ſes faveurs. Le
pays qu'habitoient nos fugitifs , avoit
un avantage particulier ; tous ceux qui
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
avoient de bonnes moeurs pouvoient atteindre
aux premiers emplois. Les amis
d'Azem lui obtinrent une place confidérable
, quoiqu'il fût étranger. Azem avoit
l'ame trop élevée pour être touché d'un
ſemblable bonheur ; l'amitié d'Agib , jeune
Turc , doué des plus belles qualités ,
lui parut beaucoup plus précieufe. Un
ami étoit la feule choſe qui manquoit à
ſa félicité . Qu'Azem étoit heureux ! il
poffédoit enfin une tendre amante , un
fidele ami , une place honorable , des ri-
-cheſſes immenfes ; toutes ces chofes devoient
fatisfaire un coeur qui n'avoit defiré
aucun de ces biens.
Malgré l'eſſain de flatteurs qui l'environnoient,
le ſage Azem n'oublia pas que
tous ces avantages n'étoient que paſſagers .
Souvent il ſe diſoit en lui - même : " Ne
>>t>'enorgueillis pas ,Azem, tous ces biens
>> qui te flattent ne font que momenta-
>> nés , peut - être touches - tu à l'inſtant
» qui doit te les ravir. Malheureux ! que
deviendrois tu fi tu fondois ton bon-
>>heur fur leur poffeffion ? Le fage fedif-
>>tingue par ſa fermeté dans les revers ;
>>l'infenſé ne peut foutenir l'idée même
>> du malheur. Imagine que Sélima t'eſt
ravie; qu'Agib te trahit ; que tes digni
MARS.
1770. 37
>> tés, tes tréſors ſont devenus la proie de
>> l'inconftante fortune. Qui te confole-
>> roit dans un tel déſaſtre ? Ton coeur ,
» qui a appris à ſouffrir. La ſageſſe eſt
>> conſtante , Azem ; & rend égaux les
>>Rois & les Bergers .>>>
Azem pafla une année dans la profpérité
la plus parfaite. L'attention à ſes devoirs
, l'amour de Sélima , l'amitié d'Agib
, rempliffoient fon coeur d'ine douce
volupté. La matinée étoit deftinée à foulager
la vertu malheureuſe ; & la foirée
étoit partagée entre l'amour & l'amitié.
Ses jours couloient dans l'innocence . Jamais
la trifteffe n'approchoit de fon coeur.
Sa fortune , & l'indifférence avec laquelle
il enjouiffoir , étoient l'objet de l'entretien
de toute la ville. L'envie erroit autour
de lui ; Azem ne l'ignoroit pas , il
n'en étoit pas plus chagrin. La calomnie
cherchoit à l'accabler ; Azem , impénétrable
à ſes coups , ſourioit de ſes vains
efforts.
Un petit nuage obfcurcit la férénité du
philofophe. Son ami tomba dans une
morne triſteſſe. It cherchoit la folitude ,
& Azem ne l'interrompoit jamais fans
lui cauſer une douleur viſible. Azem s'efforça
en vain de pénétrer la cauſe de fa
38 MERCURE DE FRANCE.
triſteſſe d'Agib; ſon ami , loin de ſe prêter
au deſir qu'il avoit de le foulager , mit
tout en uſage pour la lui cacher. Le coeur
d'Azem partageoit ſes ſouffrances , mais
fans rien dérober à ſa ſtoïcité naturelle.
Au bout de quelque tems le jeune Turc
reprit un air riant , ſa phyſionomie s'éclaircit
& fes foucis diſparurent. Azem ,
charmé du changement avantageux qui
s'étoit fait dans toute la perſonne d'Agib,
ſe réjouit comme il s'étoit affligé ; tout
cela ſans porter atteinte à la gravité philofophique
& fans s'inquiéter de cette
variation finguliere . Un reproche léger ,
fait du ton de l'intérêt & de l'amitié , fut
la ſeule vengeance qu'il voulut prendre
de cet ami ſi cher à ſon coeur. Agibzemploya
toute fon éloquence pour perfuader
Azem de ſa franchiſe , & pour lui faire
croire que le ſeul dérangement de la ma.
chine avoit cauſé cette humeur dont il ſe
plaignoit ſi tendrement.
Azem commençoit à peine à jouir des
douceurs réunies de l'amour & de l'amitié
, lorſque le premier lui fit ſentir quelques-
unes de ſes amertumes. Les yeux de
Sélima s'accoutumerent par degrés à le
regarder avec froideur à mesure qu'ils
s'attendriſſoient pour Agib. Azem , qui
MARS. 1770 . 39
l'aimoit tendrement , s'affligea de cette
indifférence. Son coeur ſembloit l'avertir
dequelque événement fâcheux. Il rougit
de ſa foibleſſe , & chercha à ſe raſſurer
en confiant ſes alarmes à celle qui les
avoit fait naître . Le maladroit ! mais il
faut lui pardonner ; il étoit philoſophe ,
&cette qualité eſt incompatibleavec l'adreſſe
, la diffimulationque le monde galant
&poli nomme ſens commun. Quoi
qu'il en foit , notre amant philoſophe fit
de tendres plaintes à ſa chere moitié , ſe
jeta à ſes genoux & n'oublia rien pour
rappeler ſes premiers ſentimens . Les larmes
qui coulerent en abondance des yeux
de Sélima , l'amour qu'elle lui dit avoir
pour lui , lui rendirent ſa tranquillité&
ne lui laifferent que le remords d'avoir ,
par des ſoupçons mal fondés , chagriné
une amante qui faisoit ſon bonheur. Cette
bouraſque paſſée , Azem ſe crut heureux
, & fe félicitoit d'un bonheur qui ,
ſemblable à un beau ſonge , n'eut qu'un
inſtant de durée...
Azem ſe rendit un matin àla cour ; ſa
charge l'obligeoit d'y paroître. On l'arrêta
, & on le conduifit devant le prince.
Surpris d'un ordre qu'il s'attendoit fi peu
à recevoir , il demeura un inſtant immo
40 MERCURE DE FRANCE .
bile; mais n'ayant rien à ſe reprocher , il
parut devant fſon ſouverain avec cet air
modefte & alſuré qui caractériſe l'honnête
homme & qui diſtingue l'innocent d'avec
le coupable. La cauſe de ſa diſgrace
étoit fue de toute la cour , lui ſeul l'ignoroit
. Il y avoit déjà quelque tems que le
prince lui avoit ordonné d'arrêter un de
ſes ſujets, dont il croyoit avoir à ſe plaindre
, & de le vendre comme un eſclave.
Azem , dont le coeur étoit noble , donna
les mains à l'évation de ce malheureux ,
& facilita même fa fuite par les préfens
qu'il lui fit avec le plus grand fecret . Agib
ſeul avoit été employé à cette bonne coeuvre.
Azem fat puni d'avoir été humain
& généreux ; il demeura long tems dans
les fers ; on lui rendit enfin la liberté ,
mais on lui annonça en même tems la
perte de fa place , de ſes dignités , de fes
biens , & ce qui fut le plus inſupportable
aupauvre Azem , on lui fignifia l'ordre
de ne plus ſe préſenterà la cour. L'ingratitude
du Roi fut la ſeule choſe qui
l'affligea. Lorſqu'on lui annonça la perte
de ſesbiens , il répondit : moinsj'aurai ,
moinsje perdrai.
Il retournoit dans ſon palais , ſe faifant
une agréable idée de triompher de fon
MARS. 1770. 41
malheur dans les bras de Sélima & d'A-
.gib , lorſqu'un vénérable vieillard , à qui
il avoit rendu ſervice , l'arrêta. Cet homme
étoit le feul , parmi la foule dont
Azem étoit entouré , qui le plaignoit vé.
ritablement. « Ecoute , lui dit- il à l'oreil-
» le , j'ai un fecret à te découvrir » Azem
le fuivit à fon logis. " Tu ne connois pas
>> encore tous tes malheurs , Azem ; la
» plus grande marque de reconnoiſſance
» que je puiſſe te donner eſt de démaf-
>> quer à tes yeux un ami qui, par fa fauf-
>> ſeté , ſe rend indigne d'un ſi beau nom,
» Agib , cet homme qui s'aſſied à ta ta-
>> ble , que tu combles de biens , ce mê-
>> me Agib eſt l'artiſan de ton malheur.
>> Il a découvert au prince ta compaffion
>> pour un malheureux eſclave ; & lui a
>> dit , qu'au mépris de ſes ordres , tu l'a-
> vois fait fauver.>>
Cette découverte étoit de trop grande
importance àAzem pour qu'il ne cherchat
pas à l'approfondir. L'amitié qu'il confervoit
pour Agib étoit fi forte , qu'il le
justifioit aux dépens de la vraiſemblance,
de la vérité même & du vieillard qui l'avoit
averti . Il retourna chez lui , certain
de l'innocence d'Agib ; néanmoins un inftant
de réflexion le rendit inquiet. Le
4.2 MERCURE DE FRANCE.
b:
Philofophe n'avoit pas encore perdu l'haitude
de mal penſer des homines en gé-
Déral . « Agib eſt homme ! s'écria -t-il ,
ود
pourquoi douterois- je qu'il fût infidéle.
" A- t il marqué le moindre chagrin pen-
> dant tout le tems de ma détention ?
" S'eſt- il acquitté envers moi des devoirs
>>de l'amitié ? Mais ſeroit- il poſſible qu'il
>> fût faux ? En tout cas qu'y perdrois je ?
>> un coeur indigne de moi & ſemblable
>> au commun des hommes . »
En raiſonnant de cette façon il rentra
dans ſon palais par une porte dérobée. II
ſe coula ſans être apperçu dans l'appartement
de Sélima. La crainte , l'eſpérance
partageoient ſon coeur , le faifoient treffaillir.
Fortuné Azem , tu vas revoir
» Sélima après trois mois d'abſence ! quel
>>bonheur pour toi , tu vas la trouver
>> fondante en pleurs ! quels tranſports ,
» quels raviſſemens d'eſſuyer les précieu-
» ſes larmes d'une épouſe chérie ! Agib ,
» qui eſt peut - être fidele, partagera tes
tranſports , & tu jouiras dans leurs bras
de la félicité , de la volupté la plus pu-
>> re ; heureux , trop heureux d'être con-
>> folé par l'amour & par l'amitié. »
>>
Il parloit encore lorſqu'il entendit du
bruit dans la chambre de Sélima : il reMARS.
1770. 43
connut la voix de ſon amante & celle de
fon ami. On le nommoit. Infailliblement
ils me plaignent , dit -il : rempli
d'une joie inquiéte , impatient de voler
dans les bras de ce qu'il a de plus cher , il
ouvre précipiramment la porte... Il voit
Sélima , il voit Agib ...
Immobile d'étonnement , ſaiſi de
douleur , ne fachant s'il exiſtoit , il lui
fut impoſſible d'articuler un mot. Le coupable
Agib , l'infidelle Sélima ne purent
foutenir lesregards de celui qu'ils avoient
offenſé : ils diſparurent tous deux. La confuſion
, l'anéantiſſement où étoit Azem ,
l'empêcherent de s'oppoſer à leur fuite.
Revenu de ſa ſurpriſe , il ſe plaignit de
fon malheur : ce fut en vain qu'il raffembla
toutes les forces de la philoſophie ;
l'homme l'emporta toujours. Son coeur ,
gros de ſoupirs , repouſſoit les conſeils
de la raiſon. Azem eſſaya de ſe venger ;
la protection que Sélima & Agib trouverent
dans le prince rendit ſa vengeance
impoſſible. Il eut encore la douleur de
recevoir une lettre de Sélima , où ce peu
de mots étoient tracés : Azem , Sélimaſe
venge. Conçois àprésent, reſſens quelle est
la douleur d'aimerſans espoir. Le malheureux
Azem eut encore le chagrin de
voir donner à Agib la place qu'il avoit oc44
MERCURE DE FRANCE.
cupée. Cet homme vil, qui avoit fi longa
tems encenfé , loué la grandeur d'ame de
notre philofophe , fon indifférence pour
lesbiens qu'il poffedoit , triomphoit baffement
& ſe vantoit d'avoir réduit Azem
à ſoupirer comme un autre homme.
re-
Azem retourna enfin dans ſa ſolitude,
il fuit la cour , la ville ; mais il ne put
fuir fa douleur. Elle l'accompagnoit fur
le bord des ruiſſeaux , dans le fond des
bocages , & la belle nature ne lui inſpiroitplus
ces ſentimens délicieux qui faifoient
autrefois fon bonheur. Le chant
du roffignol redoubloit ſa mélancolie ;
& l'image de Sélima infidele ſe
repréſentoit à lui juſques dans ſon fommeil.
La réflexion , la raiſon,& pour parler
plus juſte , la vanité lui firent renfermer
fon chagrin ,& fon déſert fut le ſeul
confident de ſes plaintes . Il reprit ſon
mépris pour le monde , & fut inſenſible
à la joie des humains comme à leur douleur.
Azem , le ſage Azem injuria tonte
la nature , & n'en fut pas plus fatisfair.
Son coeur ſembloit s'épanouir quand il
parloit des paffions inſenſées qui agitent
le coeur de l'homme. Il eut beau faire ,
fes efforts continuels ne purent tromper
ce monde qu'il mépriſoit; le voile de l'illufion
étoit déchiré , rien ne put rappeler
MARS. 1770 . 45
une réputation qu'il avoit perdue par fa
faute. Il monta ſur le coteau qui avoit été
le théâtre de fa fierté , & apprit que le
bonheur de l'homme n'est qu'idéal & ne
dure qu'autant qu'il n'eſt point attaqué
par le côté le plus ſenſible; que le philoſophe
qui s'érige en confolateur du prochain
fans pouvoir ſe conſoler lui même,
&qui ne triomphe de l'adverſité que lorfqu'il
l'apperçoit encore dans l'éloignement,
n'eſt aux yeux des gens ſenſés que
le plus petit des êtres créés. « Le fage&
>>l'infenfé , s'écria-t-il , font auſſi dépour-
» vus de bon ſens l'un que l'autre. Le
>> premier , par cette infoutenable fierté
» qui le fait croire invincible ;le fecond,
>>par le peu d'empire qu'il a ſur ſes paf-
>> ſions. Tous deux font malheureux ; le
>> ſecond l'eſt à la vérité moins que le
>> premier, par la ſeule raiſon qu'il ne fait
>> ce qu'il eſt. »
Au lieu de l'épitaphe : Ici repoſeAzem,
qui fut toujours maître de fon coeur , il
grava celle- ci : Ici repoſe Azem , le plus
infenfé deshumains , puiſqu'il voulut paffer
pour le plusfage& pour le plus heureux .
Traduit de l'allemand , par Mlle Matné
de Morville.
46
MERCURE DE FRANCE .
:
Q
STANCES.
UEL objet m'avoit aſſervie ?
De qui recevrai-je des loix :
Sentirai-je toute na vie
L'amertume d'un mauvais choix.
Se tromper eſt dans la nature.
Hélas ! qui peut s'en garantir !
Ne prenons donc point comme injure
Ce qui nous force au repentir.
Fille du Ciel , amitié pure .
Mon ame étoit faite pour vous ;
Qui s'avilit & le parjure
Eft indigne d'un noeud fi doux.
En vain un ingrat vous reclame
Quand , triomphant de mes douleurs ,
Il fait à l'objet de ſa flamme
Le ſacrifice de mes pleurs.
Sentimens vrais , pure tendreſſe ,
En moi vous êtes effacés ;
Les derniers traits de ma foiblefle
Sont ces vers à regret tracés.
MARS. 1770. 47
Je veux, ingrat , qu'ils vous parviennent,
Vous y connoîtrez ſans effort
L'ame de celle dont ils viennent
Qui méritoit un meilleur fort.
LE PAUVRE & LE DERVICHE.
Fable.
*PLEIN d'humeur &d'inquiétude ,
১১ Un Derviche en rêvant erroit
>> Dans un boſquet près de ſa ſolitude.
>> Un malheureux en paſſant l'apperçoit ,
* S'approche , & tout tremblant , d'une voix ſup-
>> pliante
>> Lui demande quelque ſecours. >>
-Retire-toi , va- t'en . On ne voit tous les jours
Que ces fortes de gens. Ils abuſent toujours
Delabonté compatiſſante.
Eh! n'as -tu pas deux bras pour travailler ?
Laiſſe , laiſſe ton vil mêtier.
-Cemétier-là m'a coûté bien des larmes !
Il a pour moi ſi peu de charmes ,
Graces à l'inhumanité ,
La cruauté , la barbatie ,
48 MERCURE DE FRANCE.
Que je l'aurois depuis long- tems quitté ;
Mais le puis-je? Voyez. Commentgagner mavie ?
Je le ferois , foyez en fûr...
-Finiffons. -Accordez . ---Non , reprend le
Derviche ,
-En ſeras - tu moins pauvre ? -En ſerez vous
moins riche ?
-Non , te dis- je. -Non eſt bien dur.
Mais votre coeur l'eſt-il donc plus encore
Voyez la faim qui me dévore .
Quel homme en cet inſtant ne voudroit ſecourir
Un malheureux prêt à mourir !
«Le Derviche , las de l'entendre ,
>> De ſa bourſe auſſi -tôt tirant un peu d'argent ,
>> Avec dédain , le jette à l'indigent
Qui , fur le champ , ne voulant plus le prendre,
>> Dit : >> tu devois conſtamment refuſer
Un ſecours dont ici je ſaurai me pafler.
Il faut bien donner quand on donne.
Je trouverai peut- être ailleurs
L'humanité ſenſible à mes malheurs ;
Mais quand je ſerois fûr de ne trouver perſonne ;
J'aimerois mieux périr que d'avoir accepté
Un don queje ne dois qu'à l'importunité.
L'AVARE
こ
MARS. 1770 . 49
L'AVARE ou le voeu mal-rémpli.
Fable .
GRARANNDD Jupiter , s'écrioit unavare ,
J'ai quelques biens , mais je voudrois encor
Avoirde cemétal ſi précieux , ſi rare ,
Sans lequel on n'a rien ; avoir enfin de l'or.
Ce n'eſt pas qu'enivré d'une folle manie
Je prétende aſpirer à l'éclat , aux honneurs :
Qui connoît mieux que moi le néant des grandeurs?
Le ſort même des Rois ne me fait point envie.
Unplus nobledeſſein eſt l'objetde mes voeux :
Je veux pouvoir traiter tous les pauvres en père ;
Et conſacrant ma bourſe au ſoin des malheureux ,
Adoucir leurs tourmens , foulager leur mifére.
Jupiter écouta ſa fervente priere ,
Et l'exauça fi bien que dans ſon coffre- fort
Il parut tout- à-coup un immenfe tréſor .
Notre homme à ſes tranſports donnoit libre carrière
,
Lorſque dehors il entendit gémir ,
Puis frapper , puis crier : daignez me ſecourir ,
Je ſuis un malheureux forcant de maladie ,
Qui cherchedu ſoutien pour un reſte de vie :
C
50 MERCURE DE FRANCE.
Hélas ! fans vos bontés je ſuis prêt à périr !
L'avare ouvre ſa porte & fon coeur ſe refferre ,
Lors oubliant le voeu qu'il vient de faire .
Il donne à ce pauvre tranſi
Quelques morceaux de pain moiſi .
Les tréſors ne font pas la premiere reſſource
Des coeurs ſenſibles , vertueux ;
Dans leurs mains tout eſt propre à faire des heus
reux;
Mais de cette vertu , digne préſent des Dieux ,
La ſource eſt dans le coeur , & non pas dans la
bourfe.
ParM. Mentelle , Inſpect. de MM. les Elèves
de l'Ecole R. M. , Membre de l'Ac. des
Sciences & belles-lettres de Rouen , &c .
LE LION & L'AN E. Fable.
DANS le logis ouvert d'un Lion ſon voiſin
Meffer Aliboron fixa fon domicile.
Tout fier d'y trouver ſon aſyle ,
Contre le bâton de Martin ,
Il ſe retrancha de maniere ,
Qu'il crut y pouvoir en repos
Du Roi même des animaux ,
Brayer la force & la colère,
2
٠٢٠
MARS. 1770. S
Grace au ciel , diſoit- il , je ſuis en ſûreté ,
Et je veux un peu , n'en déplaiſe ,
Humilier tout à mon aiſe
Du Lion la vaine fierté.
Mais le voici , parlons : Seigneur , en vérité
J'ai honte de l'affront fait à votre excellence ,
Er ſi pourtant modérez vous ,
Que ferviroit votre courroux ?
Vous n'êtes pas toujours ſi mauvais qu'on le
penſe ;
On s'eſt , de vos pareils , joué plus d'une fois ,
Et cela , s'il vous plaît , ſans autre conféquence
Que d'avoir excité leur petite arrogance,
Pour votre repos faites choix
D'une demeure moins voiſine ;
Vous étiez un peu trop ſous notre coulevrine,
Lâche , dit le Lion , qui crois impunément
Pouvoir inſulter à ma rage ,
Tu vas apprendre en ce moment
Si je ſuis en effet digne de ton courage ;
Prépare toi ſeulement au combat.
Sur la porte , à ces mots , auſſi-tôt il s'élance.
Il l'ébranle en courroux , la renverſe & l'abbat
Et dans ſon antre ouvert fiérement il s'avance
Vers le réduit où le baudet ,
Renfoncé dans un coin , en tremblant attendoit
La peine de ſon inſolence.
Cependant le Lion s'arrête à cet objet ;
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
こ
Et dédaignant enfin un ſi foible adverſaire :
Sors , dit- il , promptement , & fuis loin de mes
yeux.
A tes diſcours audacieux
Je t'avois cru d'abord digne de ma colere ;
Mais tu n'étois alors que ce que tu parois ,
Et je reconnois l'Ane à de ſemblables traits.
J'approuve du Lion la fierté généreuſe ;
Auſſi pour le dire en un mot ,
Cen'eſt pas pour le ſage une injure fâcheuſe
Que l'outrage d'un lâche ou le mépris d'un ſot.
D'A..... près Angers.
ر
LISE & LE PETIT OISEAU.
DaAnNsl'âge heureux où l'on ignore
L'amour & les brûlans defirs ,
Où fille ne fait point encore
D'où partent les légers ſoupirs ,
Life , la beauté du village ,
Conduiſant unjour ſon troupeau ,
Sur le bord du prochain bocage
Apperçut un petit oiſeau :
Elle court , va , vient& s'agite,
Guette , s'arrête , fait ſibien
Qu'elle l'attrape en moins de rien .
D'aiſe ſon jeune coeur palpite ;
MARS.
1770 . 53
Dans ces jours trop courts de bonheur
Un rien charme , un rien intéreſſe :
Life contemple avec ardeur
Cejeune oiſeau qu'elle careſſe.
Dieux ! dit- elle , qu'il eſt charmant !
Quej'aime fon joli plumage !
Il a fans doute un doux ramage ?
Tout eſt nouveau pour un enfant.
Mais ſi le petit infidéle
Venoit jamais à s'envoler ? ....
Zefte... elle commence à couper
Quelques plumes , enſuite une aîle ,
Puis bientôt , ſans autre façon ,
Le reflerre dans une cage ,
Et ne lui laifle pour partage
Qu'une étroite & triſte prifon.
L'oiſeau , las de cet eſclavage ,
Trouve un moment & prend l'effor ,
Et va chanter dans le bocage:
EnvainLife le guette encor.
Obelles , par qui tout reſpire ,
Croyez -moi , jamais ſur nos coeurs
Vous n'aurez un ſolide empire ,
Si vos chaînes ne font de fleurs.
Par H. D. S. R.
:
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
BOZALDAB , Conte oriental.
BOZALDAB , calife d'Egypte , avoit
tranquillement habité pendant pluſieurs
années ſous les pavillons du plaifir . Chaque
matin il parfumoit ſa tête avec l'hui.
le de la joie , quand ſon fils unique Aboram
, pour lequel il avoit rempli ſes tré.
fors , étendu ſes dominations par des
conquêtes , & aſſuré ſon empire par des
fortereſſes imprenables , fut bleſſé à la
chaffe par une fléche lancée d'une main
inconnue , & expira dans les champs.
Le calife , dans les premiers mouvemens
de fon déſeſpoir , ne voulut point
retourner à fon palais , & fe retira dans
la grotte la plus fombre de la montagne
voiſine. Il ſe roula dans la pouſſiére , ar
racha fa barbe blanchie par ſes années , &
jeta avec dédain la coupe de confolation
que la patience lui offroit. Il ne ſouffrit
point que ſes miniſtres approchaffent de
ſa perſonne ; il craignoit d'être confolé.
Il n'écoutoit que les cris funébres des
triſtes oiſeaux de la nuit qui agitent avec
bruit leurs aîles ſous les voûtes iſolées
MARS. 1770 . 55
des chambres pyramidales , habitées par
l'écho folitaire. Se peut-il que Dieu ſoit
bienveillant , s'écriat- il , lui qui ſemble
m'attendre dans une embûche pour bleffer
mon ame par des chagrins imprévus ,
&écrafer en un moment la créature ſous
le poids d'un malheur fans remede.
Qu'on ne nous parle plus de la justice &
de la bonté de cette Providence que l'on
dit veiller fans ceſſe ſur l'Univers . Si
l'Etre qui regne au Ciel poſledoit les artributs
qu'on lui ſuppoſe, ſans doute il
auroit la puiſſance & la volonté de bannir
les chagrins qui font de ce monde
un dongeon affreux , habité par le malheur
& une vallée remplie de vanités , &
fans ceſſe arroſée des larmes de la mifére
... Non , je ne veux point y demeurer
davantage.
Auſſi - tôt il leve avec fureur ſa main
que le déſeſpoir avoit armée d'un poignard.
Il alloit l'enfoncer dans ſon coeur ;
mais tout à - coup les flammes brillantes
d'un éclair percerentà travers la caverne.
Un Etre d'une beauté & d'une grandeur
furnaturelle , couvert d'une robe d'azur ,
couronné d'amarante , & agitant une
branche de palmier dans ſa main droite ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
arrêta le bras du calife étonné . Viens ,
lui dit-il , avec un ſourire majestueux . Je
fuis Caloé , l'ange de la paix ; ſuis - moi
fur le ſommet de cette montagne , & fais
defcendre tes yeux dans cette vallée.
Bozaldab regarde , & voit une ifle ſtérile
, brûlante & folitaire. Une figure
pâle , décharnée & mourante , ſe traînoit
à pas lents; c'étoit un marchand prêt
à périr de faim. Cette horrible folitude
ne lui offroit plus ni fruits fauvages pour
ſe nourrir , ni fontaine pour ſe défaltérer..
Il imploroit la protection du Ciel contre.
les tigres dont il alloit être la proie. II
avoit confumé les derniers feuillages qu'il
amaffoit & allumoit pendant la nuit pour
les effrayer. Il jeta avec dépit une cafſette
pleine d'inutiles pierreries , vil objet
de ſes dedains , & gravit avec peine
furun roc eſcarpé où il avoit coutume de
s'affeoir pour regarder le foleil couchant,
& donner un ſignal à quelque vaiſſeau
qui pourroit heureuſement approcher de
Pifle. Habitant du Ciel , s'écria le Ca-
>> life , ne ſouffres point que cet infortu.
>>>né foit la victime de ces animaux fu-
>> rieux . » Tais toi , lui dit l'Ange , &
obſerve.
MARS. 1770 . 57
Le Calife regarde encore & voit un
vaiſſeau qui abordoit cette iſle défolée :
quel difcours pourroit peindre le raviflement
& la ſurpriſe du marchand , quand
le capitaine lui offrit de le tranſporter
dans ſa patrie, s'il vouloit lui donner pour
récompenſe la moitié de ſes bijoux .
Le barbare commandant n'a pas plutôt
reçu le prix convenu , qu'il délibére avec
ſa troupe, ſe ſaiſit du reſte des pierreries,
& abandonne à fon fort ce malheureux
exilé : le marchand pleure , gémit , conjure
; le vaiſſeau s'éloigne , & ſes cris ſe
perdent dans les airs !
Le Ciel , s'écria Bozaldab , permettrat-
il une telle injustice ? Vois, lui dit l'ange
, homme téméraire & préſomptueux ;
vois le vaiſſeau , dans lequel tu voulois
que ce marchand s'embarquât, mis en
piéces contre un rocher. Entends tu les
cris plaintifs des matelots fubmergés ?
Foible mortel , prétends- tu diriger l'arbitre
de l'univers dans l'ordre des événemens
? L'homme dont tu as pitié fortira
de cet affreux déſert ; mais non par le
moyen que tu preſcris. Son vice fut l'avarice;
elle le rendit criminel , elle le
rendit malheureux. Il croyoit trouver des
C
58 MERCURE DE FRANCE.
:
charmes flatteurs dans la richelle qui ,
femblable à la baguette d'Abdiel , contenteroit
tous fes deſirs & préviendroit
toutes ſes craintes. Maintenant il méprife
, il abhorre fon opulence : il jette fes
tréfors fur le ſable & s'avoue leur inutilité
. Il en offre une partie à des matelots,
& s'apperçoit qu'ils lui font pernicieux.
Il vient d'apprendre que la richeſle ne devientbonne
ou mauvaiſe , utile ou nuiſible
que par la ſituation &le caractere de
celui qui la poſſéde. Heureux , heureux
P'homme que le malheur conduit à la fageffe
; mais , tourne les yeux ſur un ſpectacle
plus intéreſſant.
Auſſi tôt le Calife apperçoit un magnifique
palais orné des ſtatues de ſes ancêtres
, travaillées en jafpe ; des portes d'ivoire
, tournerent fur des gonds d'or de
Golconde. Il découvrit un trône de diamans
, environné d'eſclaves & des ambaffadeurs
de toutes les nations diverſement
habillés . Sur ce trône étoit affis
Aboram , ce fils tant pleuré de Bozaldab .
A fes côtés étoit une princeſſe d'une
beauté éblouiffante. Grands Dieux ! c'eſt
mon fils , s'écria le Calife , laiffe moi
le preffer contre mon coeur. Tu ne peux
MARS. 1770. 59
pas , répliqua l'Ange , embraſſer une ombre
fans ſubſtance. Je vais t'apprendre
qu'elle eut été la deſtinée de ton fils s'il
eût demeuré plus long-teins fur la terre...
Et pourquoi ne lui a - t- il pas été permis
d'y demeurer ? Pourquoi le Ciel m'a t- il
refuſé la douceur d'étre témoin d'une fi
grande félicité ? Vois la ſuite , ajouta
l'habitant de la cinquiéme région de l'air.
Bozaldab regarda du côté de l'Orient &
vit ſon fils ſur le front duquel il avoit
coutume d'admirer le ſourire calme de la
ſimplicité , & la rougeur vive & douce
de la ſanté , actuellement défiguré par la
rage& plongé dans l'inſenſibilité de l'ivrognerie.
Ses traits peignoient le défefpoir.
La crainte le faifoit pâlir , & l'intempérance
l'avoit abruti. Le ſang fumoit
encore ſur ſes mains dégoutantes.
Il palpitoit tour- à- tour de fureur & d'effroi.
Ce palais brillant de la pompe
orientale ſe changea tout- à-coup en une
affreuſe prifon . Aboram étoit étendu fur
la pierre , les mains liées & les yeux arrachés.
La ſultane favorite qui , auparavant
étoit aſſiſe à ſes côtés , entra avec
une coupe de poiſon dans la main , &
elle le força de le boire pour épouſer ſon
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fucceffeur au trône . Heureux , s'écria une
ſeconde fois Caloé , le mortel à qui l'Eternel
envoye l'Ange de la mort pour l'arracher
au crime. Ton fils , que le Ciel a
privé de ſon pouvoir , s'il l'eût poſſédé ,
eût accumulé ſur ſa têre plus de maux
qu'il n'en auroit fait éprouver aux au
tres.
C'eſt aſſez , s'écria Bozaldab . J'adore
les deſſeins impénétrables de l'Etre qui
dirige tout ce qu'il a prévu. De quels
malheurs mon fils a été délivré par une
mort que je pleurois indifcretement comme
cruelle & prématurée; une mort d'innocence
& de paix qui a fait bénir fa mémoire
fur la terre & tranſporté fon ame
dans les cieux.Renonce donc à tesdeffeins,
reprit le divin meſſager , jette le poignard
que tu avois préparé pour le plongerdans
ton ſein. Change tes plaintes en
filence , & tes doutes en adorations. Un
mortel peut-il conſidérer ſans ſurpriſe &
fansadmiration le vaſte abîme dela ſageſſe
éternelle ? Un eſprit , dont les vues font
infiniment bornées , peut - il atteindre à
l'immenfité des objets qui , tous , ont une
relation mutuelle ? Les canaux que tu fais
creuſer pour recevoir les inondations du
MARS. 1770. 61
Nil pourroient - ils contenir les eaux de
l'Océan ? Souviens toi que le parfait
bonheur ne peut être l'apanage d'une créature.
C'eſt un attribut auſſi incommunicable
que la puiſſance abfolue & l'éternité.
En achevant ces mots , l'Ange étendit
ſes aîles pour retourner à l'empyrée , &
le bruit de fon vol fut ſemblable à celui
de la nuée qui ſe diſſout & tombe avec
violence.
AMadame de P *** , en lui envoyant
l'almanach des Muses.
BELLE Sapho , toi qui t'amuſes
Acompoſer des vers , à charmer tour- à-tour ,
Fais , de cet almanach que l'on conſacre aux
Muſes ,
Le calendrier de l'Amour.
1
Par M. de St Just.
62
MERCURE DE FRANCE.
ADRIGAL .
Vous croyez vous venger dutour
Que vient de vous jouer l'amour ,
En vous en plaignant à ſa mere ;
D'un vain eſpoir votre eſprit eft flatté ;
N'en faites rien , belle Glycere ;
L'Amour est un enfant gâté.
Par M. G. J. C. Croiſzetiere , étudiant
enphilofophie au Col. r . de la Rochelle.
EPIGRAMME.
NICAISE étant à l'agonie ,
Liſon ne faiſoit que pleurer ;
Quelqu'un lui dit : Ma bonne amie ,
Vous devriez vous retirer .
Non , je reſte auprès de Nicaiſe ,
Dit -elle d'un air attendri .
Une femme eſt toujours bien aife
De voir expirer fon mari.
Par le même
MARS. 1770. 63
VERS à M. de Voltaire , à l'occafion
de la nouvelle année.
StI le dieu des ſouhaits eſt mort à l'hôpital ,
Il n'eſt point mon dieu tutélaire.
Voulez vous , de ſon tribunal ,
Quej'aille avec les ſots encenſer la chimère ?
Je n'entends rien à cette affaire ,
Et je complimente aſſez mal ;
Mais voir couronner votre vie
Par la gloire & par les ſuccès ,
Souvent faire pâlir l'envie
Qui ſe ronge lebout des doigts ;
Mais malgré le fourbe qui gronde,
Et le fanatique entêté ,
Entendre chanter à la ronde
Votre aimable célébrité,
Et vous voir des deux bouts du monde
Le ſceau de l'immortalité :
Voilà le plaiſir qui m'entraîne ,
En faiſant ma félicité ,
Et j'en ſuis ſi fort enchanté
Que je vous l'offre pour étrenne.
Par M. de la Touraille.
:
64 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Février 1770 , eft
Bibliothèque ; celle de la ſeconde eſt la
lettreP; celle de la troiſiéme eſt balance;
celle de la quatriéme eſt Laurier. Le mot
du premier logogryphe eſt Jourdain ,
dans lequel ſe trouventjour & dain : Celui
du ſecond eft courage , où l'on trouve
ver , gare , cage , arc , cor , rage , rave ,
courge , orage , or , car , ou , grave , age ,
cour , roue , cave , cure : Celui du troifiéme
eſt fier , où l'on trouve if, re & fer :
Celui du quatrième eſt porcelaine , où
l'on trouve porc , rien , role , Roi , Reine,
prone , or , pere , perle , peine , air , re , la ,
éperon , colere , lapin , Nil , crin , corné, orcin
, ronce , Pline , laine , Loir , lie , Noli ,
ane , roc , Nio , crayon , Elie , Ciel.
ÉNIGME
N compte parmi nous trois freres & deux
fooeurs ,
L'homme a ſouvent beſoin de notre miniſtere.
Bien plus : nos utiles faveurs ,
Pag. 64.
Mars,
1770 .
Le plus sage Emploi de la
vie Est de jou - ir , Se re:jou=
zir; Leplus sage Emploi de la vie, Est
dans la plus. dou =ce foli==
= e ,Estdans la plus douce fo-li
: e L'Italien toujours sou :pi :: re,
Le Castil:lan toujours, toujours s'ad =
:mure Langlois ne
vit que pour mourir;
Le François vit pour leplaisir.
MAI 1 ARS. 1770 . 65
1
A la ſociété , ſont un bien néceſſaire.
Nous naiſſons tous en même tems ,
Mais deſtinés par la nature
A des emplois bien différens,
Nous avons tous différente figure :
Nous ſuivons au combat le guerrier valeureux
Et nous fuyons avec le lâche.
L'unde nous plus actif les ſert bien tous les deuxi
Mais c'eſt ſans honneur & fans tache.
La calomnie , au front d'airain ,
Par deux de nous eſt confondue.
Le ſcélerat nous fuit , nous craint;
Mais rien n'échape à notre vue.
Sans nous que ſeroit le bon ſens ?
Nous lui donnons l'être & la vie .
En vain, à nous chercher, la raiſon perd ſon tems ,
De deviner , ſans nous , on la défie.
IL
AUTRE.
faut entendre avant de me connoître :
De la ſociété je ſuis le vrai lien :
L'air eſt mon élément , ſans lui je ne ſuis rien.
Lecteur , en ce moment peut- être ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Quoique je prenne un corps & j'exiſte à tes yeux ?
Sans y penſer tu me fais naître.
Avant l'auteur ingénieux
Qui dit la vérité ſous les traits de la fable ;
J'ai , dit- on , emprunté l'organe épouvantable
D'un animal mystérieux.
On m'admira jadis dans Athènes , dans Rome ;
Mon art fait au palais vivre les avocats .
Enfin , ſi tu ne me tiens pas ,
Lecteur , renonce au titre d'homme.
L. B. A.
J
AUTRE.
E fuis Roi ſans couronne ,
Sans-fceptre , ſans palais ;
Aucun garde jamais
N'eſcorte ma perfonne.
Je n'ai pour défenſeur ,
Quema valeur.
Je parcours mes états en maître formidable ,
Je fais fuir devant moi tous mes ſujets tremblans
Au fon majestueux de ma voix redoutable ;
MARS. 1770. 67
Plus vite que l'éclair je vole dans les champs ,
Entraîné par la foifdu ſang & du carnage ,
Dans les bois , ſur les monts je porte le ravage,
J'ai l'ame noble & le coeur généreux ;
J'aime les combats & la gloire ;
Je cherche nuit &jour une illuſtre victoire.
L'ennemi le plus belliqueux
Eſt toujours celui que j'attaque ,
En moi jamais on ne remarque
De fraude &de fubtilité ..
La nature en partage
M'a donné le courage ,
La force & la fierté ;
Mais à ce trait enfin on ne peut le méprendre ,
Souvent fous mon emblême on dépeint Alexan
dre.
Par M. des Vauroux.
AUTRE.
ENFANT infortuné ,
Peut-être hélas ſans pere !
Apeine ſuis -je né ,
Pour furcroît de miſére ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Je ſuis abandonné
Parma perfide mere .
L'aurois - je imaginé ?
Je ſuis tout fait pour plaire ;
Mon pourpoint contourné
Degentille maniere ,
Fait que je luis lorgné ,
Même de la plus fiére :
Mais ſouvent empoigné ,
D'une main meurtriere ,
Je ſuis aflaffiné
Parmon malheureux ftere.
Par M. F. de Breteuil en Picardie.
J
LOGOGRYPΗΕ.
E ſuis enmon entier morceau d'architecture ,
Avant de pafſler outre obſerve ma ſtructure.
Ma baſe eſt de ſept pieds, & dans ſes complémens,
Donne ce qu'avecjoie , après un long voyage ,
Découvre le nocher échapé du naufrage ;
La plante dont l'odeur déplaît à maintes gens :
Lecteur , pour deviner t'en faut- il davantage ?
Par l'inverſe opération ,
MARS. 1770. 69
Veux- tu la démonstration ?
Al'inſtant tu verras paroître
Un régulier qui n'eſt pas prêtre ,
Je ne peux t'offrir de ſa part
Que les trois cinquiémes d'un liard;
Je donnerois bien autre choſe;
Mais ſi je dis encore un mot
Je crains qu'il en réſulte trop .
Oui trop ... & puis vraimentje n'oſe
Me décéler plus amplement.
Quem'importe après tout ! pouſſons lethéorême.
Combine les moyens du plus grand complément ,
Tu verras , d'un vilain , l'attachement ſuprême ,
Lecteur , j'en ai trop dit , tu me tiens ſûrement.
Par M. Satis.
AUTRE.
RIVALE de la politique ,
Nous accorder eſt délicat .
Mon nom eſt ſaint & fans éclat ,
Mon culte n'eſt point fanatique.
Du mortel abuſé je deſtille les yeux ,
En vain à m'éclipſer mon ennemi s'efforce,
70 MERCURE DE FRANCE .
On reconnoît bientôt le faux de ſon amorce ;
Les Romains de mon nom ont augmenté leurs
dieux.
Je renferme en mon ſein cette ville fameuſe ,
Que protégea long tems l'épouſe de Jupin ;
Un animal rampant commun dans un jardin ;
Mais plus multiplié dans les plaines ſableuſes ;
Une cité normande ; un péché capital ;
Ce qui nous eft commun avec tout animal ;
Ce qui borde une plage , une ifle dans l'Afrique ;
Un grain que produit l'Amérique ,
Et qui poufle en d'autres endroits ;
Le ſynonyme de coutume ;
Plus , un de ces ſept tons qu'organiſe la voix ;
La cauſe de notre infortune ;
Car ſans elle , lecteur , que nous ſerions heureux !
Non , je n'offrirois pas aujourd'hui ſous tes
yeux ,
Sous un ſens trop énigmatique ,
Cette noble vertu que ton coeur chérit tant.
Tout eût été lavant ſans art ni rhétorique ;
Je t'offre encor ce qui vient en dormant ;
Le nom d'un ſaint ; une ſaiſon charmante ;
La façon d'exprimer une choſe exiſtante ;
L'homme dans un état honteux , aviliſſant.
Six pieds font mon enſemble , adieu , je me retire
Devine , ſi tu peux , je n'ai plus rien à dire .
Par M. D. L. R... à Lisieux .
MARS. 1770. 71
AUTRE.
PRIS , à l'endroit , pris à l'envers ;
J'offre toujours le nom d'unetrès-grande Reines
La premiere de l'Univers ;
Elle éprouvabiendes revers ,
Que l'on ſe retrace avec peine,
Au ſurplus pour me deviner ,
Onn'a guères à combiner ;
Et dans ma majeure partie ,
Je ne pourroisjamais donner
Qu'une ville de Picardie,
Par M. Mustel , étudiant du collège deRouen.
AUTRE.
Je ſuis une peſante bête ,
Que , ſans lunette , on voit de loin :
Mais , ſi l'on me coupe la tête ,
Je deviens moins gros que le poing:
ParM. Car
72 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Hamlet , tragédie imitée de l'anglois ;
par M. Ducis , &c. A Paris , chez
Gogué , libraire , quai des Auguſtins
près du pont St Michel..
Nous croyons faire honneur à M. Ducis
, & plaifir à nos lecteurs en tranfcrivant
quelques morceaux de fon ouvrage.
dont le plan eſt très - ſimple & le ſujet
très-connu. Claudius qui a engagé Gertrude
, mere du princeHamlet , à empoifonner
fon mari , & qui fe flatte de regner
avec elle en éloignant ce jeune prince
du trône qui lui eſt dû , répéte à fon
confident Polonius les diſcours qu'il a
tenus à ceux de ſon parti. Il leur a retracé
les prodiges qui ont ſuivi le trépas du
Roi.
Je leur peins l'Océan prêt à franchir ſes bords ,
Ses gouffres entr'ouverts juſqu'au ſéjour des
morts ,
Nos mers s'enveloppant de ténébres profondes ,
La foudre à longs fillons éclatant ſur les ondes ,
Dans
MARS. 1770 . 73
Dans le détroit du Sund nos vaiſſeaux ſubmergés
,
Nos villes entumulte &nos champs ravagés ,
Chezles Danois tremblans la terreur répandue.
Ceux- ci croyant , des dieux , voir la main ſuſpendue
,
Ceux-là s'imaginant voir l'ombre de leur Roi ,
Fuyant avec des cris , ou glacé par l'effroi ,
Comme fi des enfers forçant la voute obſcure
Ce ſpectre , à main armée , effrayoit la nature ;
Ou que les dieux pour lui troublant les élémens,
Dumonde épouvanté brifoient les fondemens.
Aces mots j'obſervois , empreintsfur leurs vifages,
it :
De leur fombre frayeur d'aſſurés témoignages ;
Tant ſur l'eſprit humain ont toujours de pouvoir
Les ſpectacles frappans qu'il ne peut concevoir.
20
1
Il y dans ce morceau des vers bien
faits , & les deux derniers ſont beaux.
Ils rendent très-bien cette idée de Lucain,
Tantum terroribus addiz
Quos timeant non noffedeas.
Nous avons marqué quelques incorrec
tions, des pleonasmes , des inverfions dures
, desparticipes accumuléss,,&fur tout
D
74 MERCURE DE FRANCE.
une faute grave , brifoient pour brifaffent.
La grammaire exige que l'on diſe , comme
fi ce spectre effrayoit la nature ou que
les dieux brifaffent , &c. ou bien il faut
répéter les deux particules , ou commefi
les dieux brifoient , &c. En général le
ſtyle de la piéce a beaucoup d'incorrections&
d'inégalités; mais la tournure en
eft facile , & on rencontre des morceaux
qui annoncent beaucoup de talens & qui
ont la couleur tragique. CependantClaudius
n'eſt point effrayé de ces prodiges ,
c'eſt Hamlet qui l'épouvante.
Pentes-tuque des dieux l'éternelle puiflance
Daigne aux jours d'un mortel mettretant d'importance
,
Et que leur paix profonde interrompeſa loi
Pour ladouleurdupeuple&letrépas d'un Roi ?
:
On ne peut pas dire qu'une paix interrompt
fa loi , & ces vers paroiffent un
peu foibles quand on ſe rappelle ceux-ci
de M. de Voltaire , qui contiennent àpeu
près la même idée.
Va, Célar n'est qu'un homme , &jenepenſe pas
Que leCiel de mon fort à cepoint s'inquiettes
Qu'il anime pour moi la nature muerte,
MARS. 1770. 75
:
Ni que les élémens paroiflent confondus
Pour qu'un mortel ici reſpire unjour de plus.
Il eſt toujours dangereux de redire ce
qu'on a bien dit.
Le portrait d'Hamlet eſt fortement tracé
, &bien colorié.
Ilcacheun coeurde feu ſous undehors paiſible .
Et tous les lentimens avec lenteur formés
S'ygravent en filence , à jamais imprimés.
Je l'ai vu quelquefois , dans ſa mélancolie ,
Fixer d'un oeil mourant la charmante Ophélie,
Ou tantôt vers leCiel , muet dans ſes douleurs ,
Lever delongs regards obſcurtis par ſes pleurs .
J'y remarquois empreint ſous leur fombre lumiere
Des grandes paſſions le frappant caractere,
Ne vous y trompez pas; ſes pareils outragés
Nes'appaiſentjamais que quandils ſont vengés.
La ſcène ſuivante entre Gertrude &
Claudius est précisément celle de Sémiramis
avec Alfur. Remords d'un côté ,
ſcélératelle de l'autre. On retrouve les
mêmes idées. On en trouve auſſi qui font
à l'auteur&qui ontde la vérité &de l'in
térêt, celle-ci par exemple.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Croyez moi , je ſuis femme & la plus intrépide
Héſiteroit long-tems avant ſon parricide ,
Si ſon coeur prévoyoit , prêt à l'exécuter ,
Cequ'un pareil forfait doit un jour lui coûter.
M. Ducis n'eſt pas auſſi heureux dans
ce vers , dont l'idée eſt empruntée de
M. de Voltaire.
Seul biendes criminels, le repentir nous reſte.)
M. de Voltaire avoit dit.
Les remordsàvosyeux mépriſables
Sont la ſeule vertu qui reſteàdes coupables.
L'idée est égalementjuſte & belle. Le
coupable ne peut plus tenir à la vertu que
par le regret de l'avoir perdue , & en ce
ſens les rémords ſont ſa vertu; mais ils
ne font pas fon bien. Au contraire les remords
font le plus ſouvent le ſeul mal
des criminels.
Le récit de l'empoisonnement du feu
Roi eſt ingénieux. C'eſt la Reine qui
parle.
Jentrai chezmon époux : étonnée à ſa vue ,
Je cachai quelquetems ma terreur imprévues
Mais ſoit qu'en le voyant pour la derniere fois ,
MARS. 1770. 77
Mon coeur de la pitié connût encor la voix ,
Soit que , prête à commettre un ſigrand parricide,
La nature en fecret malgré nous l'intimide ,
En vainje rappelaimon courage interdit ,
Tout mon ſang ſe glaça , ma raiſon ſe perdit.
Sans pouvoir accomplir ni déclarer mon crime ,
Je dépoſai la coupe auprès de ma victime ,
Je ſortis. Le remords tout-à-coup m'éclairant
Peignità mes eſprits mon époux expirant.
Ma cruelle raiſon dont je repris l'uſage ,
Demon forfait entier m'offrit l'affreuſe image.
Craignant alors , craignant que le Roi ſans ſoupçon
N'eutdéjàdans ſon ſein fait couler le poiſon ,
Je revolai vers lui ; je courois éperdue
Brifer la coupe impie à mes pieds répandue ,
Ou peut- être , d'un trait l'épuiſant à ſes yeux ,
Appaiſer par ma mort la nature& les dieux .
J'entrai: pour me punir , ce Ciel impitoyable
Avoit déjà rendu mon crime irréparable.
Trop jaloux de ravir à ce coeur déchiré
Le fruit du repentir qu'il m'avoit inſpiré.
!
Lorceſte , le meilleur ami d'Hamlet ,
arrive & peut ſeul lui arracher ſon ſecret.
Ce Prince le lui confie.
Deux fois dans ce palais , ami ,j'ai vumon pere
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Non point lebras levé , reſpirant la colere ,
Mais déſolé , mais pâle & dévorant des pleurs
Qu'arrachoient de ſes yeux de profondes dou
leurs.
O! mon fils m'a-t-ildit,jeviens enfin t'appren
dre
Quelſang tu dois verſer pour appaiſer ma cendre.
On croit qu'un mal cruel trancha foudain mes
jours;
Ainſi les noirs complots font voilés dans les
cours.
Ta mere , qui l'eût dit ? Oui , ta mere perfide
Oſamepréſenter un poiſon parricide.
L'infâme Claudius , du crime inſtigateur
Fut dema mortfur- tout le complice& l'auteur.
Venge , a- t- il ajouté , le ciel & mon injure .
Ne crains pointpar tes coups d'outrager la nature.
Répands ,fansdiftinguer, le fangdes inhumains.
C'eſemoi, ce ſont les dieux qui conduiront tes
mains.
Sans lui répondre alors , pleinde l'horreur profonde
Qu'inſpiroit à mon coeur l'effroi d'un autre mone
de:
Quel eſt ton ſort? lui dis-je ; apprends - moi quek
tableau
S'offre à l'homme étonné dans ce monde nonveau.
MARS. 1770. 79
Croirai-je de ces dieux que la main protectrice',
Par d'éternels tourmens ſur nous s'appeſantifle.
O! mon fils , m'a-t- il dit, ne m'interroge pas.
Ces leçons du cercueil , ces ſecrets du trépas
Aux profanes mortels doivent être inviſibles.
Quedu ciel fur les Rois les arrêts ſont terribles !
Ah ! s'il me permettoit cet Horrible entretien ,
La pâleur de nton front paſſeroit ſur le tien.
Nos mains ſe ſécheroient en touchant la couronne.
Si nous ſavions , mon fils , à queltitre illa donne.
Vivant, du rang ſuprême on fontient le fardeau;
Mais qu'un ſceptre eſt pefant , quand on entre au
tombeau.
On peut faire quelques obfervations
fur ce recit. Ily a des beautés ,& l'ombre
parle très bien ſur les devoirs des
Rois. Mais ne parle telle pas un peuv
longuement, lorſqu'elle demande vengeance?
Deux vers devoient ſuffire pour
apprendre le crime & exiger la punition
Nous ſommes un peu bavard dans ce bas
monde , & l'on y permet les paroles oifeuſes.
Mais on ſuppoſe toujours qu'une
ombre doit parler avec préciſion , ne fus
ceque pour la diftinguer des vivans . D'ur
autre côté eſt- il bien naturel que la premiere
penſée qui vient à latête de prince
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
1
Hamlet, à qui fon pere apprend qu'il a
été empoifonné par ſa femme , ſoit de lui
demander ce qui ſe paſſe dans l'autre
monde. Cette queſtion eſt bien importante
, mais ce ne devoit pas être la premiere.
Il ſemble que tout ce dialogue
pouvoit être mieux fait.
Ophélie , fille de Claudius , eſt aimée
d'Hamlet. Elle ſe perfuade que ſon chagrin
vient des obſtacles que met à leur
union une loi du feu Roi qui défend à
Ophélie de fe marier jamais. Elle va trouver
la Reine , à qui elle apprend les ſentimens
mutuels qu'elle & fon amant ont
l'un pour l'autre , & l'affure que l'unique
moyen de guérir la mélancoliedu prince
, c'eſt de les unir enſemble , & la Reine
y confent. Cette confidence n'eſt ni
adroite ni amenée d'une maniere théâ
trale. Il eſt peu modeſte & peu digne de
la tragédie qu'une jeune princeffe commence
fon rôle par venir dire à une Reine
que fon fils mourra de chagrin , ſi on ne
la marie avec lui. L'amour doit s'annoncer
autrement ſur la ſcène pour produire
de l'intérêt. Ophélie s'apperçoit bientôt
qu'elle s'eſt trompée,& qu'elle n'eſt point
l'objet de la douleurdu prince. Elle veut
abſolument lui arracher ſon ſecret,&les.
MARS. 1770 . 81
menaces qu'il fait devant elle à ſon pere
Claudius le lui font entrevoir. Elle défend
ſon pere contre fon amant , & cette
ſituation commence à être un peu ufée.
Il faut aujourd'hui des combinaiſons plus
neuves . Hamlet croit encore revoir l'ombre
de ſon père ; il l'entend, il lui répond
tandis que fa mere & fon amante
font à côté de lui. Ce n'eſt pas connoître
le coeur humain que de nous remettre
continuellement ſous les yeux le même
miracle. Il ceſſe bientôt d'en être un. Une
ombre qui paroît un inſtant & profére
quelques mots,fait trembler ; mais qu'elle
revienne & ſoit feulement un quart
d'heure avec nous, nous finirons , comme
Dom Juan , par l'inviter à ſouper..
Plus un reffort eſt merveilleux , plus il
faut le ménager .
Lorceſte a conſeillé au prince de tirer
du tombeau de fon pere l'urne qui contient
ſes cendres , & de la préſenter inopinément
à la Reine pour voir l'effet que
cet objet imprévû fera ſur elle. Cette idée
heureuſe & tragique , bien préférable à la
comédie que fait jouer Shakeſpéar , appartient
à M. Ducis , & mérite des éloges.
La ſcène qu'elle amene en mérite
encore plus. Cependant il nous ſemble
Dw
82 MERCURE DE FRANCE.
que cette idée auroit dû plutôt être le
fruit des réflexions douloureuſes d'Ham.
let que des conſeils de ſon ami. C'eût érá
une ſource de nouvelles beautés . Quos
qu'il en fait , voici la ſcène.
GERTRUDE
Alt ! mon fils ,quel eſt ce front terrible !
Ces regards menaçans , cet air farouche , hor
Mamere!.
rible?
Qui! moi !
HAMLET .
GERTRUDE
Explique- toi.
HAMDE T.
Tremblez de m'approchers .
GERTR. U. D.E..
HAMLET.
Ce n'eſt pas vous qui devez me chercher
GERTRUDE...
Quedis-tu
MARS. 1770. 83,
HAMLE T ..
Savez vous quel affreux ſacrifice
Preferit à mondevoir la céleste juſtice!
Dieuz!
GERTRUDE.
HAMEET.
Où mon pere eft-il ? D'où part la trahifon
Quiformale complot ? Qui verſa le poifon ?
GERTKUDE.
Mon fils....
HAMLET.
Vousavez cru qu'un éternel filence
Dans la nuit des tombeaux retiendroit la ven
geance...
Elle est forties
GERTRUDEL
O! Cielt:
HAMLET.
Jai vũ....
A
GERTRUDE.
Qui ?
Divj
$4 MERCURE DE FRANCE..
HAMLET.
Votre époux.
GERTRUDI.
Qu'exige-t- il ?
HAMLET..
Du ſang.
GERTRUDE.
Qui l'a fait périr?
HAMLET.
Vousi
Cedialogue eſt rapide & fublime. Ger
trude ſe trouble & Hamlet lui préſente
l'urne , en lui diſantde jurer par ce monument
qu'elle eſt innocente. La Reine
balbutie un faux ferment , & finit pars'évanouir.
Cette fin de la ſcène en affoiblit
l'effer.. Il falloit que le trouble de la
Reine fût porté à ſon comble lorſque
P'urne lui eſt offerte , & que cet objet lui
arrachât un cri d'effroi qui décidât l'aveu
de fon crime .
La piéce finit par la mort de Gertrude
que Claudius aſſaſſine , & par celle de
Claudius que poignarde le prince Hamlet..
MARS. 1770. 85
1
M. Ducis a ſimplifié l'ouvrage de Shakeſpéar
; l'a purgé de beaucoup de défauts
, & l'a orné en plus d'un endroit.
Mais ſa piéce manque d'action , & l'action
eſt eſſentielle à un drame. Hamlet
pleure trop & agit trop peu. Cependant
cet ouvrage ſuffit pour faire voir que M.
Ducis a fenti la tragédie , &peut en faire
de fort bonnes. Sa diction a du naturel
&de l'énergie : Spirat tragicum &feliciter
audet. Les critiques que nous avons mêlées
à nos éloges ſont même une preuve
de l'opinion favorable que nous croyons
voir dans le public à ſon égard. La critique
n'offenſe que ceux qui déſeſpérent
de faire mieux qu'ils n'ont fait , &certainement
M. Ducis peut eſpérer le contraire
& le Public avec lui .
OEuvres de feu M. le PrésidentJoly, doyers
de Langres , contenant un traité de la
religion , un traité des Anges &un traité
du mal. A Dijon , chez Edme Bidault
, libraire au Palais ; à Paris, chez
Saugrain le jeune , quai des Auguſtins ,
& àLyon , chez Regnault , grande rue
Merciere ; 9 vol. in - 12. Prix 22 liv.
10 f. reliés en veau .
Ces trois ouvrages de feu M. le Préfi
86. MERCURE DE FRANCE.
1
dent Joly intéreſſent tous les hommesde
quelque érat qu'ils foient ; les Ecclefiaftiques,
les peres de familles & les ſavans
ne les liront pas fans fruit. Dans le pre.
mier , l'auteur préſente la religion chrétienne
éclairée &prouvée. par les lumières
de l'intelligence , parle dogme & par
Ies prophéties . Ille diviſe en trois parties
dont l'une traite des perfectionsde la Divinité
, l'autre de la Trinité & répond
d'une maniere fatisfaiſante & claire aux
Sociniens & aux Antitrinitaires ; la derniere
montre ladignité dethomme faite
àl'image & à la reſſemblance deDieu.
Le ſecond ouvrage de M. le Préſident
Joly eſt un traité des Anges ;il s'étend fur
la création de toutes ces intelligences céleftes
, ſur la chûte de celles qui ſe laifferent
entraîner dans la révolte de Luci
fer ; il fait connoître enſuite la diſtince
tion des ordres angéliques , leur ſubordination
pour l'adminiſtration des oeuvres
de laPPrroovidence ,&le pouvoir des bons.
Anges pour réprimer les mauvais. Il termine
le traité par des détails approfondis
fur l'union& les rapports des bons&des
mauvais Anges avec les liommes , & fur
les avantages & les maux qui nous viennent
de fesrapports .
Le traité du mal eſt le dernier des ce
MARS. 1770. 87
recueil ; M. le Préſident Joly ne ſe jette
pas dans des diſcuſſions métaphysiques
fur l'origine du mal ; il examine la nature
du mal qui eſt péché , conſidéré dans.
Poutrage qu'il fait à Dieu,dans ce qu'il
a d'injuſte & d'odieux à l'égard de nos
ſemblables , c'eſt l'amour idolâtre de
nous-mêmes qui nous en rend coupables;
l'auteur termine ce traité par un autre
fur la réparation du péché par Jefuse
Chrift.
Ces ouvrages que nous nous contentons
d'annoncer,doivent être lus &médités
; ils raffemblent toutes les vérités de
la religion , & les lient par une ſuite de
principes & de conféquences propres à
inſtruire , à édifier & à défendre les fidè
les de l'impiété & de l'erreur ; quoique
chacune de ces productions forme un.
raité particulier , elles font cependant
encliaînées l'une à l'autre par leur objet
principal. Les libraires , pour la commo
dité, ſe ſont déterminés à les vendre fé
parément ; le traité de la religion contient
quatre volumes ; celui des Anges
trois , &celui du mal , deux.
Contes très-Mogols , enrichis de notes
avis , avertiſſemens curieux & inftrue
tits à Fafage des deux ſexes ; par ua
88 MERCURE DE FRANCE.
Vieillard quelquefois jeune; pour fervir
de ſuite ou de commencement à
l'hiſtoire des Empereurs Mogols. A
Geneve; & ſe trouve à Paris , chez
Valade , libraire , rue St Jacques , visà-
vis la rue de la Parcheminerie , & à
Lyon , chez Cellier , quai St Antoine ,
in- 12.
L'appetit vient en mangeant; les neuf
infortunes de Tourſa Noradin , grand barbier
de Calan Cala - Tzé ; à quelque chose
malheur est bon ; & Zirphis ou l'imagination
, voilà les titres des quatre contes
que renferme ce volume ; on a prétendu
faire une ſatyre des moeurs &des uſages
qui paſſent pour le bon ton dans un certain
monde. Nous avons déjà beaucoup
d'ouvrages qui ont eu le même objet
&qui ont mieux rempli ; on auroit dû
dans celui- ci ſaiſir de nouveaux ridicules,
& ne pas revenir ſur ceux qu'on a déjà
critiqués avec ſuccès ; on y trouve cependantde
l'imagination&dela gaïté; l'auteur
a fait un emploi quelquefois heureux
de la féerie ; nous n'entrerons dans aucun
détail ; ces contes doivent être regardés
comme une débauche d'eſprit ; le mérite
qu'ils peuvent avoir eſt plutôt dans l'expreſſionque
dans le ſujet , & ce n'est pas
MARS. 1770.
dans un extrait qu'il eſt poſſible de faire
fentir cetteeſpécede mérite.
Les Aventures merveilleuses de Don Sylvio
de Rofalva ; par l'auteur de l'hiſtoired'Agathon
,traduites de l'allemand.
ADreſde ; & ſe trouve à Paris , chez
Deſaint , libraire , tue du Foin , 2 vol.
in-12.
Le roman ingénieux de Michel Cervantes
a donné l'idée de celui- ci; lesdeux
héros font nés dans l'Eſpagne ; des livres
de chevalerie ont tourné la tête de Don
Quichotte ; Don Sylvio de Rofalva , à
peine forti de l'enfance , n'ayant lu
que des contes de fées , croit l'existence
de ces êtres imaginaires ; il brûle d'envie
d'être le héros d'un conte ; ſon imagination
s'échauffe à la pourſuite d'un papillon
bleu; il perd l'infecte , & trouve un petit
portrait enrichi de diamans qui repréfente
la plus belle perſonne du monde ; loin
de croire que quelqu'un a perdu le portrait
, il s'imagine que l'original eſt une
princeſſe que quelque fée jalouſe a métamorphofée
en papillon , que l'honneur
de lui rendre ſa premiere forme lui eſt
réſervé & que c'eſt le papillon lui-même
qui l'a conduit fur le lieu où il devoie
१०
MERCURE DE FRANCE.
trouver ce portrait ; il bâtit à cette occas
fion mille aventures,fingulieres ; il ſe .
preſſe de quitter la maiſon paternelle
pour aller à la recherche de ſa princelle
papillon ; il emmene avec lui un domeftique
de fon âge qui , dans la ſuite des
aventures de ce héros,tient la place deSancho
, mais ne la remplit pas avec aurant
de gaïté. Après avoir eſſuyé des malheurs
aflez ſemblables à ceux du héros de la
Manche , Don Sylvio trouve l'originał du
portrait; ce n'eſt pointune princeſſe; c'eft
une veuve très - aimable , très -jeune , trèsriche
; elle eſt touchée de la folie du jeune
homme , & fonge à la guérir au licu
de chercher à s'en amufer ; un ami de for
frere entreprend cette cure ; il fait un
beau conte àDon Sylvio , & il y entaſſe
toutes les folies qu'il peut imaginer ;lorf
que Sylvio l'a écouté avec autant de bonne
foi que d'attention , il lui apprend
que tout cela n'eſt qu'un jeu d'eſprit ; le
jeune homme revientde ſon égarement,
&les charmes de Félicia, c'eſt le nom de la
Dame , ne contribuent pas peu àle rame
ner à la raiſon. Il y a de l'eſprit dans ce
roman ; mais celui de Cervantes lui fait
Beaucoup de tort. L'auteur a voulu être
plaiſant , & a quelquefois réuffi à l'être.
MARS. 1770 25
Eloge de Pierre Terrail , dit le Chevalier
Bayard,fanspeur &fans reproche , qui
a remporté le prix de l'académie des
ſciences , arts & belles lettres de Dijon
, en 1769 ; par M. Combes. A Di.
jon , chez Cauſſe, imprimeur- libraire
du parlement & de l'académie , place
St Etienne; & àParis , chez Saillant&
Nyon , libraires , rue St Jean de Beauvais
, in 8°.
M. le Marquis du Terrail , maréchal
des camps & armées du Roi & fon lieurtenant
- général dans leVerdunois , qui
joint l'amour des lettres aux talens miliraires,
a fondé un prix à l'académie de
Dijondont il eſt membre; cette fondation
eſtdigne d'un deſcendant de la maifon
du vertueux Bayard ; l'académie en a
fait la premiere deſtination à l'éloge de
cet illuſtre chevalier; elle ne pouvoit
mieux marquer ſa reconnoiſſance ni choifir
unplus beau ſujet;l'ouvrage couronné
eſt rempli de chaleur & d'éloquence ;
nous en citerons quelques morceaux.
•Bayard honora ſon ſiècle,&vient con-
>> fondrele nôtre.Alahonte de nos moeurs,
>> faut - il que la patrie réveille les cendres
des morts & cherchedans les tom-
?
92 MERCURE DE FRANCE.
» beaux des exemples de vertu ? Faut- il
>> que notre âge, ſi jaloux de bien penfer,
>> apprenne des âges paſſés à bien faite.
» S'il eſt des hommes qui,deſtinés par leur
» naiſſance à défendre l'état , s'aviliffent
» dans la moleſſe ; ſi le noble métier des
>> armes eſt pour'eux le chemin de la for-
>> tune plus que la carriere de l'honneur;
>> s'ils vendent la patrie au lieu de mou-
>> rir pour elle ; fi même , fidèles à leur
» Roi , ils regardent comme une foibleſſe
> d'être fidèles à leur Dieu , il faut les
>> confondre en leur préſentant l'image
> de nos antiques chevaliers leurs ancê-
>> tres , & fur - tout d'un héros nommé ,
>> dans les ſiécles d'honneur , le Chevalier
>> fans peur & fans reproche ; qu'ils rou-
>>giffent à l'aſpect du tableau de ſa vie ;
>> Bayard fit de grandes chofes dans la
>> guerre& fut appelé le Chevalier fans
>> peur ; il eut de grandes vertus , & fut
>> furnommé le Chevalier fans repro-
» che.»
Telle eſt la diviſion de cet éloge; M.
Combes a raſſemblé avec art , dans ſes
deux parties , tous les traits les plus intéreſſans
de la vie de ſon héros ; ſes exploits
de guerre préſentent des détails brillans ;
après avoir rappelé les actions immottel.
les de Bayard , il s'écrie : « Mais deman
MARS. 1770.
93
>>dera lapostérité, pourquoi donc Bayard
>> qui vient de montrer tous les talens
» d'un général , n'eſt il pas à la tête des
>>armées ? Oſons le dire ; ces poſtes écla-
>>tans attachés preſque toujours aux noms
>> connus à la cour , ſouvent même & trop
>> ſouvent accordés à la faveur , ne vont
>> guères chercher le guerrier modeſte qui
>> borne ſon ambition à bien fervir l'état.
» Bayard ne veut qu'être utile ; il craint
>> de l'être moins en commandant ; il fait
» qu'un général, ſouvent gêné par des or-
>>dres , n'eſt par le maître de profiter du
» moment de vaincre ; que les intrigues
➤ d'une cour peuvent faire échouer les
>> projets les mieux concertés; qu'un Var-
> ron fuffit pour faire fuccomber un Paul
>> Emile; il ne veut point que ſon éléva-
>>tion puiſſe exciter de jaloufie funeſte à
>> la patrie ; mais il veut être le chefd'une
>> troupe qu'il s'eſt choiſie lui-même , la
>> mener au combat quand l'occaſion eſt
>>belle , former des entrepriſes hafardeu-
>> ſes dont le ſuccès ne dépendra que de
>> ſon épée ; être le premier à l'attaque ,
» & le dernier dans la retraite ; préparer
>> les victoires & réparer les défaites; être
> l'ame d'une armée par ſes conſeils , &
>> commander pour ainſi dire à fon général
par l'aſcendant de ſes lumieres ;
94
MERCURE DE FRANCE.
» voilà lagloire qui le flatte ; c'eſt par les
>> actions & non par ſes titres qu'il veut
n que la poſtérité le juge.>>
Letableau des vertus de Bayard eſt
l'objet de la ſeconde partie ; c'eſt un recueil
d'anecdotes intéreſſantes qui peignentlame
de ce héros. Sa morteft préſentée
d'une maniere également vive &
touchante. Bayard meurt au champ de
bataill'e; ſes ſentimens ſont ceux d'un
Chrétien & d'un guerrier; ils amenent
cette apostrophe qui forme la peroraifon
de ce difcours . " Guerriers , c'eſt ſur-tout
» vousque j'appelle à ce ſpectacle; je vous
>>demande ſi la religion dégrade ici le
>> courage. Voyez ce grand capitaine dont
» la viea été une ſuite de prodiges , qui
» a joué un rôle ſi éclatant fur la terre ,
>>qui , par ſes exploits , eſt parvenu à ce
>> haut point de réputation , au-delà du-
>>quel vous n'oſeriez prétendre; il ter-
>>mine fa carriere de gloire avec l'hé-
>> roïfme & la fimplicité de la vertu ; il
>>meurt ſans témoigner d'autre regret à
„ la vie que celui de ne pouvoir plus fer-
> vir fon Roi , fans murmurer contre le
>Ciel qui l'enleve avant le tems à la plus
>> brillante deſtinée , ſans étaler le faux
>> orgueil qui affecte de braver la mort
»pour en impofer aux hommes. Guer
MARS. 1770 . 35
»riers! oſez vivre comme Bayard , vous
trouverez beau de mourir comme lui.
Cours de Mathématiques , à l'uſage du
Corps Royal de l'Artillerie ; par M.
Bezout, de l'académie royale des ſciences
& de celle de Marine ; examina-
• teur des élèves& des afpirans du corps
royal de l'artillerie , & des gardes du
pavillon &dela marine; cenfeur royal.
• A Paris , de l'impr. royale, 2 vol . in-8 °.
avec fig. Prix 14 liv. br. chez Panckoucke,
rue des Poitevins ; Muſier , quai
desAuguſt. Lacombe , rue Chriſtine.
Ce coursde mathématiqueseſt undesplus
complets&despluseſtimesquenousayot.s;
Il eſt principalementdestiné au corpsroyal
del'artillerie,mais lesperſonnes étrangeres
àce corps n'en tireront pas moins d'avanrage;
l'auteur commence par expoſer les
élémensde l'arithmétique , de la géométrie
& de la trigonométrie rectiligne ; il
expoſe enfuite les principes da calculdes
quantités algébriques ; on fait que le but
de cette derniere ſcience eſt de donner
les moyens de ramenerà des regles géné
rales la réſolution de toutes les queſtions
qu'on peut propoſer ſur les quantités;
M. Bezout termine fon ouvrage par l'application
de l'algébre à l'arithmétique &
9 MERCURE DE FRANCE.
à la géométrie ; c'eſt aux mathématiciens
à apprécier cette production qui eſt nunie
d'une approbation flatteuſe de l'académie
royale des ſciences , qui l'a jugée
digne de l'impreſſion.
La Regle du troisième Ordre de St François
, appelé l'Ordre de la Pénitence ,
inſtitué par le St Patriarche , pour les
perſonnes féculiéres de l'un &de l'autre
fexe , avec une explication ſur la
regle ; par le P. Léonard , Capucin. A
l'uſage de ceux qui la profeſſent, fous
la jurifdiction des Seigneurs Evêques ,
& ſous la direction des PP. Capucins
de France. Nouvelle édition , revue &
augmentée par un religieux du même
ordre de la province de Normandie. A
Paris , chez Auguſtin - Martin Lottin
l'aîné , libraire& imprimeur ordinaire
de.Mgr le Dauphin, de la ville & des
trois Ordres de St François , rue Saint-
Jacques , au coq & au livre d'or , un
volume in 12.
Cet ouvrage eſt deſtiné aux perſonnes
de l'un & de l'autre ſexe qui ſe ſont ſoumiſesà
la Regle du Tiers Ordre , établi
par St François d'Affife ; la profeflion de
cette regle eſt une promeffe de garder
Lous les commandemens de Dieu & de
remplir
1
97
MARS. 1770 .
remplir les pénitences que le directeur
impoſe pour les fautes commiſes contre
les pratiques de cette regle ; on a mis à
la tête l'histoire du tiers ordre; on y a joint
pluſieurs prières qui font recommandées
par la règle.
1
Mémoires du Marquis de St Forlaix , recueillis
dans les lettres de fa famille
; par M. Framery , avec cette épigraphe
:
L'honneur de tous les biens eft le plus précieux .
Et par un vieil abus difficile à comprendre
Nous le pourrions ôter & ne ſaurions le rendre.
TH. CORNEILLE. Illustres ennemis ,
acte 1.Scène 3 .
A Paris , chez Fetil , libraire , rue des
Cordeliers , près celle de Condé , au
Parnaſſe italien ; 4 part. in 12 .
Le Marquis de St Forlaix , jeune hom.
me de grande eſpérance , vient à Paris
folliciter un régiment ; il y renouvelle
connoiſſance avec Mde d'Ornance , fa
fille& fon fils ; il ſe lie de la plus étroite
amitié avec ce fils dont le nom eſt Corfange
, & prend les ſentimens les plus
tendres pour l'aimable Julie , foeur de ce
E
98 MERCURE DE FRANCE.
dernier. La vertu raiſonnée , la décence
&la modeſtie ſouvent extrêmes , forment
le caractere de cette Julie , & l'auteur l'a
développé avec beaucoup d'art. Corfange
pofléde au même degré que ſa ſoeur , les
qualités extérieures; mais fon coeur eſt
bien loin de la même pureté ; ſa jeuneſle
fut tachée du plus vil penchant ; la crainte
de ſuites fâcheuſes le fit renfermer
dans une priſon dont la foibleſſe de ſa
mere le tira bientôt ; il reparut dans le
monde en couvrant ſes vices du manteau
de l'hypocrifie ; il ne ſe lie avec St Forlaix
que pour le trahir,
CeCorfange eſt ſoupçonné dès le commencement
d'avoir pris au marquis , une
montre de la perte de laquelle celui - ci
accuſe un domeſtique qu'il tient de ſon
oncle. Ce n'eſt pas un caractere indifférent
dans cet ouvrage que celui de cet oncle
, M. de Prêle ; quoique ce caractère
ne manque pas de modèles dans la ſociété
, il n'a pas encore été traité comme
il l'eſt ici . C'eſt un homme qui a paſſé
l'âge des paſſions ſans les reſſentir ; le
ſyſtême qu'il s'eſt formé de bonne heure
eſt que la ſenſibilité dans quelque genre
que ce foit , eſt nuiſible au repos ; il s'eft
toujours défendu d'aimer , & il lui eſt arMARS.
ود . 1770
८.
rivé plus d'une fois de rompre tout-àcoup
une haiſon parce qu'elle lui devenoit
trop chere.
L'auteur a eu l'adreſſe de donner à ce
caractere toutes les nuances dont il étoit
ſuſceptible , en jetant M. de Prêle à travers
un tourbillon de malheurs qui font
taire fes raiſonnemens pour ne toucher
que la compaffion .
Corfange eft obligé de ſe rendre auprès
de ſon pere qui gémit de lui voir
perdre ſon tems dans une molle oiſiveté.
M. d'Ornance eſt un homme d'une grande
naiſſance ; amoureux dans ſa jeunelle,
il ne s'attacha qu'à obtenir l'objet de ſes
voeux ; quand l'age eut mûri ſa raiſon , il
fentit la faute qu'il avoit faite'; il regretta
la gloire dont l'aiguillon le plus vif preffoit
alors fon coeur. Cette paffion , devenue
violente , donne à fon caractere une
fermeté quelquefois âpre , mais toujours
jointe à la plus grande droiture ; il s'oppoſe
de toute fa force à ce que fon filsl'imite
dans une conduite qu'il abhorre.
C'eſt cependant l'unique defir de Corfange
; il voit Henriette , foeur de St. Forlaix
; il l'aime , il en eſt adoré ; il eft capable
de tout, pourvu qu'il l'obtienne; cette
jeune infortunée , dont les paſſions font
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
violentes , céde à celle qu'elle a conçue
pourCorfange ; il abuſe de ſon penchant,
la ſéduit , obtient tout d'elle , & tandis
qu'il employe les moyens que fon vil
penchant lui inſpire pour enlever ſa maîtreffe
, il eſt arrêté , mis en prifon & condamné
à perdre la vie ſur un échafaud.
Tel eſt le fond de ce roman. Onjuge
detoutes les ſituations qui naiſſent de cet
incident , le mariage de St Forlaix rompu
, la mort de la mere de Corſange cauſée
par le déſeſpoir , les remords cruels
d'Henriette , épouſe d'un homme deshonoré
, &c. L'auteur difcute à fond&d'une
maniere ſentie & raiſonnée , le préjugé
qui note d'infamie les parens d'une perſonne
fuppliciée ; il faut voir tous ces
détails dans l'ouvrage même ; c'eſt priver
le lecteur d'une grande partie de l'intérêt
que de lui ôter celui de la curioſité. Nous
ajoutons ſeulement que l'auteur a mis en
action ce qu'il a établi d'abord en principe
, c'est-à-dire la réhabilitation des familles
pour une ſomme de gloire plus
grande que n'a été celle de la honte . M.
d'Ornance , inconnu à St Forlaix , & montant
par degrés ſous ſes yeux ,par ſa feule
valeur , durang de ſimple foldat au grade
le plus élevé , offre les ſituations les plus
MARS. 1770. 101
nobles & les plus intéreſſantes ; on trouve
outre celadans ce toman , une Madame
la Maréchale d'Eſſ... qui jouit d'un fort
grand crédit & d'une mauvaiſe réputation
, dont le caractere & le ton fournif.
ſent des détails agréables & piquans ; la
plupart des autres font neufs ; tous font
vrais , & cet ouvrage intéreſſant & motal
eſt écrit avec une facilité qui doit faire
eſpérerdes ſuccès à M. Framery qui en eſt
l'auteur.
La Banque rendue facile aux principales
nations de l'Europe. Troiſième édition ,
revue , corrigée & conſidérablement
augmentée ſur les mémoires & les avis
des plus fameux banquiers négocians ,
&c . à la ſuite de laquelle on trouve le
traité de l'achat des matieres & eſpéces
- d'argent , & la maniere de tenir
les livres en parties doudies , par
P. Girardeau l'aîné,négociant . A Lyon ,
chez Regnault ; & ſe vend à Paris ,
chez Saillant & Nyon , libraires , rue
St Jean de - Beauvais ; un vol.in-4°.
Prix 13 liv . relié.
La rapidité avec laquelle les deux premieres
éditions de cet ouvrage ont été
enlevées , en annonce allez le mérite ;
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
cette troifiéme eſt beaucoup plus correcte
que les précédentes ; elle eſt augmentée
d'un traité de l'achat des matieres , &
d'un autre ſur la maniere de tenir les livres
en parties doubles. L'auteur y fuit la
méthode qu'il a employée dans ſon ouvrage
; il ne s'attache pas à préfenter des
ſpéculations purement théoriques , & parlà
ſouvent inutiles ; il offre toujours une
pratique fûre. On pourroit appeler cette
collection utile le manuel détaillé du négociant
; cet ouvrage eſt trop connu pour
que nous entrions dans aucun détail ; il
eſt de l'eſpéce de ceux que l'on confulte
&dont les analyſes ne donnent qu'une
idée imparfaite. Les libraires qui le débitent
annoncent qu'il en paroît une édition
contrefaite à Gênes & remplie de
fautes ; ils avertiſſent les négocians de ne
Paite avec beaucoup de foin&qui , à tous
point la confondre avec
égards , mérite la préférence .
Histoire naturelle des glacieres de Suiffe ,
traduction libre de l'allemand de M.
Grouner ; par M. de Keralio , premier
capitaine aide - major à l'école royale
militaire , & chargé d'enſeigner la tactique
aux élèves de cette école. A Pa.
ris , chez Panckoucke , libraire , rue
MARS . 1770. 103
des Poitevins , à l'hôtel de Thou ; un
volume in 4° .
Pluſieurs écrivains ont parlé des gla
cleres de Suiſſe ; mais juſqu'à M. Hottingher
, aucun n'en avoit donné une defcription
fatisfaiſante ; celle qu'on a de lui
eſt très courte , écrite en latin , & inférée
dans les éphémérides de l'académie impériale
; elle eſt peu connue parce qu'elle
n'a jamais été publiée ſéparément ; M.
Grouner eſt le feul qui ſe foit propofé un
plan vaſte ; il a entrepris la deſcription
générale de ces monts de glace qu'on
trouve dans ce pays ; il a profité des recherches
de fes compatriotes à ce ſujet, &
a joint leurs obſervations à celles qu'il a
faites lui - même ; tous les cantons , excepté
ceux de Bunden & de Vallis , lui
ont fourni des ſecours , & l'ont mis en
état de rendre fon ouvrage auſſi complet
qu'il pouvoit l'être . Son hiſtoire naturelle
des glacieres helvétiques eſt diviſée en
trois parties ; les deux premieres offrent
la defcription hiftorique & géographique
de ces montagnes célèbres , l'énuméra
tion des foffiles , des fontaines remarquables
, des eaux minérales &des autres
productions naturelles qu'elles renfer
ment. L'auteur les termine par une com
E iv
10$ 4 MERCURE DE FRANCE.
paraiſon des monts de glace de Suiffe avec
ceux des pays ſeptentrionaux. Cette
partie de fon travail eſt très- intéreſſante
& très curieuſe ; elle préſente beaucoup
de recherches & annonce un naturaliſte
profond. L'explication de la maniere
dont fe forment ces fortes de montagnes ,
leurs changemens , leurs avantages &
leurs défavantages , rempliffent l'objet de
la derniere partie ; M. Grouner a joint à
fon ouvrage des cartes très bien faites fur
leſquelles il eſt facile de ſuivre l'enchaînement
des glacieres , & de prendre une
idée générale de leur ſituation&de l'emplacement
que chacune occupe .
M. de Keralio , en nous traduiſant cette
production , a fait un préſent à notre
littérature ; ce n'eſt pas le ſeul dont elle
lui eſt redevable; on connoît ſa traduction
du voyage de M. Gmelin en Sybérie
, qui a eu le plus grand ſuccès & qui
le méritoit ; il a traduit l'ouvrage de M.
Grouner avec la même liberté ; il en a
retranché tous les détails inutiles & ceux
qui ne pouvoient intéreſſer que les Cantons
dans leſquels ſe trouvent pluſieurs
monts de glace ; il a quelquefois combattu
ſon auteur dans des notes particulieres
, lorſqu'il a trouvé que ſes opinions
n'étoient pas appuyées ſur des fondemens
MARS. 1770. 105
bien ſolides ; il ne s'eſt pas contenté de
nous donner une verſion , il a corrigé , il a
enrichi l'écrivain qu'il a traduit.
Les Economiques ; par L. D. H. A Amfterdam
; & ſe trouvent à Paris,chez Lacombe
, libraire , rue Chriſtine ; in 4° .
& in- 12 . 2 vol .
Nous devons cet ouvrage au Philoſophe
économiste qui a publié des lettres
intéreſſantes fur la législation , dans les
Ephémérides du Citoyen. Il s'étoit engagé
à les terminer par un précis d'inſtruction
économique ; il ſe propoſoit d'abord de
donner une méthode , & une formule inftructive
, plutôt qu'une énonciation de la
ſcience ; mais plus il a réfléchi ſur cette
idée , plus il a fenti combien il étoit difficile
de la remplir ; les livres élémentaires
dont il a examiné les plans pour former
enſuite le ſien, lui ont paru donner
plus à la mémoire de l'élève qu'à fon intelligence
; c'eſt cette derniere qui doit
préſider à l'étude de la ſcience économique
; elle mérite d'être diſtinguée des autres
connoiſſances humaines. «Toutes
>>déclinent avec les moeurs ; mais les
>>moeurs déclinent avec les nations;mais
Ev
4
106 MERCURE DE FRANCE.
>> les nations déclinent avec leur puiffan
>> ce; mais la puiſſance des nations n'eſt
>> autre choſe que l'abondance dont elles
>> jouiffent ; mais cette abondance ne con-
>> ſiſte qu'en produits de la terre ; mais
>>>les produits de la terre n'abondent que
>> par le travail de l'homme ; mais le tra-
>> vail de l'homme ne fructifie qu'au
>> moyen d'un ordre de diſtribution des
>> produits de la terre , qui en opére la
>> consommation réguliere & la repro-
>> duction conſtante & avantageuſe ; mais
> cet ordre ſera toujours interverti , s'il
>> n'eſt reſpecté ; mais , comme s'oppo-
>> ſant à la cupidité , il ne ſera jamais
>> conftamment reſpecté, s'il n'eſt généra.
> lement connu ; mais il ne peut être gé-
>> néralement connu & perpétué que par
>> l'enſeignement général& perpétuel de
>> la ſcience économique , qui n'eſt autre
>> choſe qu'une doctrine. Cette doctrine
>> fixe l'oeil de l'homme ſur les ſourcesde
>> la vie humaine , arrête fon intelligence
>> à l'inſpection de l'ordre naturel , dont
>> les regles conſtantes opérent , dirigent ,
maintiennent & perpétuent cet ordre ſi
>> néceſſaire , cet ordre de diſtribution
>> de conſommation & de reproduction
>> des ſubſiſtances.
>>
,
MARS. 1770. 107
On ne peut expoſer d'une maniere plus
•préciſe l'importance & l'objet de la ſcience
économique ; il s'agit de préſerver
l'humanité entiere , préſente & future,de
la barbarie dont les effets aboutiflent tous
à ſa deſtruction ; pour y parvenir , il falloit
une inſtruction claire & préciſe; c'eſt
celle que nous annonçons ; l'auteur a préféré
la forme du dialogue à celle qu'on
fuit dans la plupart des livres élémentaires
qui ne préſentent leurs leçons que par
interrogatoire ; ici les deux interlocuteurs
cauſent enſemble ; celui qui cherche à
s'inſtruire réfléchit ſur les principes qu'on
lui développe , & trouve ſouvent l'occafion
de faire des queſtions intéreffantes
qui aident à jeter un plus grand jour fur la
ſcience qu'on lui enſeigne.
Cet ouvrage doit avoir quatre parties.
Lesdeux premieres contiennent des inftructions
pour la claſſe productive & pour
la claſſe propriétaire. Dans la premiere
partie , l'auteur s'entretient avec un enfant
âgé de quinze ans ; c'eſt le fils d'un
laboureur , qui n'a aucune idée de la fcien
ce économique ; il s'agit de lui faire comprendre
ce que c'eſt que cette ſcience
pour cela il a fallu que l'auteur ſoit entre
dans une multitude de détails prépara
Evj #
108 MERCURE DE FRANCE.
!
toires; il les préſente avec beaucoup d'art
&de clarté ; un lecteur peu inſtruit peut
fſuivre ces leçons ſimples & méthodiques,
où l'on raffemble ce vaſte développement
de conféquences toutes dérivées d'un ſeul
& même principe , & prendre une juſte
idée de cette ſcience négligée pendant
pant de fiécles , & qui n'a été connue &
approfondie que de nos jours.
Mémoires de l'Académie royale de Pruffe,
concernant l'anatomie , la phyſiologie,
la phyſique , l'hiſtoire naturelle , la
botanique , la minéralogie , &c. extraits
des ſeize volumes in - 4°. qui
compoſent les mémoires de ladite académie
; avec un choix des mémoires de
chymie & de philoſophie ſpéculative,
des diſcours préliminaires & des appendix
, où l'on indique les nouvelles
découvertes. Par M. Paul , correfpondantde
laſociété royale des ſciencesde
Montpellier , aſſocié à l'académie des
ſciences & belles-lettres de Marſeille .
A Paris , chez Panckoucke , libraire ,
rue des Poitevins , hôtel de Thou. Sept
volumes in 12 .
Rien n'a plus contribué à étendre les
connoiſſances & le goût des ſciences &
MARS. 1770. 109
des arts que l'établiſſement des académies
; c'eſt à elles que le Nord doit les
lumieres qui l'éclairent; les recueils qu'elles
ont publiés ſont des monumens précieux
que les ſavans confultent avec fruit.
Le célèbre Léibnitz , ce rival de Deſcartes
& de Newton , dont un philoſophe
couronné a dit qu'il ſembloit avoir plus
d'une ame , fut le premier préſident de
l'académie de Berlin; cette ſociété ſavante
embraſſe dans ſes recherches tout le
ſyſtême des connoiſſances humaines; elle
a établi une claſſe particuliere , de philoſophie
ſpéculative, conſacrée à la morale,
au droit naturel &à la plus fublime métaphyſique.
M. Paul a raſſemblé dans les
ſept volumes que nous annonçons tout
ce qu'elle a publié de plus intéreſſant pour
les médecins , les chirurgiens , les anatomiſtes
, les phyſiciens , les botaniſtes , les
naturaliſtes , &c. Il réunit les ſeize années
de travaux de l'académie depuis fon renouvellement
en 1745 juſqu'en 1760. Il
s'arrête à cette époque où la guerre diſperfant
les académiciens , ne leur permit pas
de pouffer leurs mémoires plus loin.
M. Paul a placé , à la tête de chaque
volume , un diſcours préliminaire dans
lequel il donne des analyſes très - bien
ITO MERCURE DE FRANCE.
faites de la plupart des mémoires qui fuivent;
c'eſt ainſi qu'il rend compte luimême
de cette partie de ſon travail.
«Nous nous ſommes preſque toujours
>> fait une loi , en rendant compte des
>> idées ou des découvertes des auteurs ,
>> d'uſer de leurs propres expreſſions ; &
>> pourquoi nous ferions- nous mis à la
>> torture pour leur donner un autre tour ,
» au riſque quelquefois de les déguifer?
>>Le Public n'y eût certainement rien
>>gagné , & ce travail nous auroit prisun
>> tems que nous croyons avoir été plus
>>utilement employé à corriger des fautes
>> contre la langue , & à faire quelques
>> remarques lorſque l'occaſion s'en eft
>>préſentée. Tout l'art dont nous avons
>> fair uſage dans nos analyſes , a été de
>>rapprocher les idées , les principes , les
>> faits répandus dans un mémoire ou
> dans un ouvrage , afin que l'eſprit pût
>> les faifir ou les embraſſer d'une ſeule
» vue, "
Quant aux mémoires ils ont auſſi exigédes
foins de la part de M. Paul ; il y
en a pluſieurs dont le ſtyle avoit beſoin
d'être retouché ; il les a corrigés; les aureurs
ne peuvent s'en plaindre ; le fond
de leurs ouvrages eſt conſervé , on en a
MARS. 1770. FIF
rendu la lecture plus facile ; on ſait aſſez
qu'il eſt difficile de bien écrire dans un
idiome étranger. « Il y a cependant plu-
>> ſieurs piéces de ce recueil , ajoute M.
>>>Paul , qu'on diroit avoir été écrites à
>> Paris , tant le ſtyle en eſt pur & correct;
>> il faut en louer les auteurs& ne pas bla-
>> mer les autres. L'honneur que l'acadé-
>> mie royale de Pruſſe a fait à notre lan-
» gue , en la préférant à la langue natio-
>> nale & au latin , eſt un hommage plus
>>glorieux à la France que des victoires
» & des conquêtes , & follicite notre in-
>> dulgence fur quelques fautes de langa-
» ge ſi ſupérieurement rachetées d'ail-
>> leurs par le mérite du fond. >>
Les Amoursde Lucile & de Doligny; par
M. de la Guerrie. A Paris, chez Lejay ,
libraire , rue St Jacques , au- deſſus de
la rue des Mathurins , au grand Corneille
, 2 part. in- 12 .
Lucile eſt la fille unique de M. & de
Mde de Menonville ; elle a puiſé dans
leurs leçons & dans leurs exemples des
principes de conduite & de vertu. Ses
premieres années s'écoulent dans une
heureuſe tranquillité ; l'âge des paſſions
arrive ; elle voit Doligny & ne tarde pas
12 MERCURE DE FRANCE .
à s'appercevoir des impreſſions qu'elle a
faites fur fon coeur ; elle ne peut ellemême
ſe défendre d'un certain trouble
qui devient bientôt de l'amour. Doligny
doit le jour au comte de Vaudreuil, homme
fier & févere , qui a des vues qui ne
s'accordent point avec les ſentimens de
fon fils . Il réſiſte à ce pere inflexible &
ſe voit menacé des traitemens les plus rigoureux
; il feint de ſe ſoumettre à ſes
volontés , pour avoir le tems de s'y ſouſtraire
; il va porter ſon déſeſpoir aux pieds
de Lucile ; elle s'attendrit , & Doligny
profite d'un inſtantde foibleſfe ; une nuit
il s'échappe de la maiſon de ſon pere pour
volerdans les bras de fon amante ; cette
même nuit , un ennemi ſecret attaque les
jours de M. de Vaudreuil , qui évite la
mort, ſe ſauve dans ſa maiſon , y demande
ſon fils qui ne s'y trouve point , & s'imagine
que c'eſt Doligny lui -même qui
a attenté à ſa vie ; il l'épie à ſon retour ;
les précautions avec leſquelles le jeune
homme eſſaye de rentrer dans ſon appartement
pour ne réveiller perſonne , paroiffent
aux yeux du veillard autant de
preuves qui confirment ſes ſoupçons ; il
fait plonger fon fils dans un cachot , & l'y
traite comme un ſcélérat .
L'abſence de Doligny porte la douleur
MARS. 1770. 113
dans le coeur de Lucile ; elle s'apperçoit
avec déſeſpoir qu'elle eſt mere ; elle ſe
détermine à révéler ce funeſte ſecret à ſon
pere ; mais comment lui découvrir ſa
honte , elle héſite long-tems & fait enfin
ce terrible aveu; nous connoiffons peu de
ſituations plus intéreſſantes & plus pathétiques
; elle a trop d'étendue pour être extraite
, & en retrancher le moindre détail
, ce feroit la gater ; nous invitons nos
lecteurs à la lire .
Lucile croit adoucir la priſon de fon
amant & peut- être l'ouvrir en renonçant
à lui ; elle écrit à Mde de Vaudreuil fon
hiſtoire& la réſolution qu'elle a priſe de
ſe renfermer dans un cloître ; on croit
qu'en portant cette nouvelle à Doligny ,
& annonçant le ſacrifice de ſon amante
comme une choſe faite , on le déterminera
facilement à obéir à fon pere , & on
lui porte le coup de la mort ; aucun lien
ne retient plus Lucile dans le monde ; les
larmes de ſon pere ne peuvent l'empêcher
de le quitter ; elle va pleurer dans un
couvent la perte de ſon amant & fa foibleffe.
Ce roman offre beaucoup d'intérêt &
de vérité ; les fituations en ſont quelquefois
neuves& toujours touchantes ; l'au
114 MERCURE DE FRANCE.
teur paroît avoir étudié la nature & le
coeur humain , & peut ſe promettre des
ſuccès dans ce genre de productions .
Morale de l'Histoire ; par M. de Mopinot
, lieutenant colonel de cavalerie ,
ingénieur à la ſuite des armées de S.
M. T. C. dédiée à S. A. R. Mgrie Duc
Charles de Lorraine & de Bar , &c . rédigée
& publiée par M. *** . A Bruxelles
, de l'imprimerie royale ;& ſe trouve
à Paris , chez Deialain , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe , in-12. tome
III .
En annonçant les deux premiers volumes
de cet ouvrage , nous avons dit qu'il
rempliſſoit une des parties eſſentielles du
plan d'études que le gouvernement deſiroit
avoir pour l'inſtruction publique. Le
troiſiéme volume qui vient de paroître
juftifie le jugement que nous en avons
porté; les traits hiſtoriques qu'il renferme
font pris dans le tems qui s'eſt écoulé
depuis l'an 215 juſqu'à l'an 42 avant l'Ere
Chrétienne ; ils font choiſis avec foin , &
accompagnés de réflexions propres à inftruire
les jeunes gens & à former des citoyens.
Nous en rapporterons quelquesuns.
« Après que Tibérius Gracchus eut
MARS. 1770. τις
» été tué dans une émeute , tous ceux qui
>>>avoient des liaiſons étroites avec le
>> tribun& qui pouvoient être complices
>> de ces deſſeins , furent recherchés &
» pourſuivis. Lælius , un des commiflai-
>> res , interrogeant Bloſius , l'ami intime
» & le principal confident deGracchus ,
>> lui demanda juſqu'où ſon attachement
>> pour Gracchus eût été capable de le por-
» ter ? tout entreprendre & à tout faire ,
..
>> répondit Bloſius . Eh quoi , répondit
» Lælius , s'il t'eût commandé de mettre
» le feu à nos temples . Il ne l'eûtja-
» mais commandé , répliqua Bloſius . Mais
» s'il te l'eût commandé , ajouta Lælius ?
» J'y euffe mis lefeu , dit Bloſius. »
Ce trait intéreſſant par ſa fingularité
doit naturellement frapper les jeunes
gens , toujours prêts à admirer ce qui les
111
d'y joindre
une réflexion ; voici celle de M. deMopinot.
« J'ai vu des gens d'eſprit réduire
>> cette réponſe en maxime . C'eſt desho-
>> norer l'amitié & lui donner un caractè-
>> re vicieux qu'elle ne ſauroit avoir. On
» ne doit de la confiance qu'à la vertu ;
»& les noeuds d'une amitié contraire à
>> l'ordre font tranchés par le crime dont
la ſociété ſe trouve menacée. Il faut
116 MERCURE DE FRANCE.
>> être fou ou ſcélerat pour ne pas ſuivre
>> ce principe , ou ne le pas admettre du
>> moins , quand il eſt établi ſur une ré-
>>ponſe pareille à celle de Blofius , qui
>> révolte & fait trembler la nature &
>> l'honneur. »
Ily a beaucoup de variété dans le recueil
de ces faits hiſtoriques. « Tibac.
>> Gracchus ayant inveſti les Portugais ,
>>ils lui dirent qu'ils avoient des vivres
>> pour dix années. Eh bien , leur répon-
» dit il , je vous prendrai à la onziéme.
>> Ils le crurent & ſe rendirent. De pa-
>>reilles réponſes , ajoute M. de Mopi-
>>not , valent des actions ; tout militaire
>> devroit ſe former à ce ſtyle foudroyant;
>> il eſt l'éloquence du héros , il peut s'ac-
>>quérir. >>
En parlant de Scipion qui , au fortir de
l'enfance dégager fon pere du milien
des ennemis à la bataille de Tefin , l'auteur
rapporte une anecdote qui le regarde
&qui mérite d'être connue. « Lorſque
>> je remonte à l'examen des actions de
>> ma vie , une de celles que je me rétrace
» avec plus de plaiſir , eſt celle qui fuit.
>> Je n'avois que onze ans &quatre mois,
» & déjà , à cauſe de la riviere qui borde
» le jardin de la maiſon que mes parens
MARS. 1770. 117
:
habitoient , j'étois affez habitué à l'eau;
» je m'étois baigné ſouvent , j'avois plu-
>> ſieurs fois eſſayé de nager , mais je n'a-
>> vois pu encore y réuffir. Etant dans une
>> petite barque ſur cette riviere avec ma
» mere , mon précepteur& deux domef-
>> tiques , nous nous amuſions du ſpecta-
>> cle de quelques ouvriers qu'on em-
>> ployoit à tirer un arbre tombé dans
» l'eau; ma mere croyant voir que ces
>> ouvriers manoeuvroient mal , fit avan-
>> cer ſa barque près de l'arbre , &vou-
>> lant leur montrer ce qu'ils avoient à
>> faire , elle fut renversée & précipitée
>> dans la riviere ; je jetai un cri ; je de-
» meurai quelques inftans à parcourir des
» yeux les perſonnes qui étoient dans la
>> barque & fur le rivage ; je ne crus voir
>> que des diſpoſitions à des ſecours trop
>>lents; & fur le champ je me jetai à
>> l'eau; j'y rencontrai ma mere , je la ſai-
>> ſis, je la foulevai ,&lui mis la tête &
» les mains hors de l'eau ; elle ſe ſaiſit
>> des branches , s'y affermit d'une main
>> & de l'autre me prit par les cheveux ,
* me mit la tête hors de l'eau & me ſauva
» lavie.»
M. de Mopinot jointà cette anecdote
des réflexions intéreſſantes fur les devoirs
110 MERCURE DE FRANCE.
Th
Cosmographie méthodique & élémentaire ;
par M. Buy de Mornas , géographe du
Roi & des Enfans de France ; un vol.
grand in- 8 °. A Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriſtine .
La coſmographie eſt la connoiſſancede
la ſphère , c'est-à-dire du globe céleste &
-terrestre . L'ouvrage que nous annonçons
donne une idée claire & préciſe de tout
ce qu'on peut ſavoir de mieux fur ce double
objet. M. Buy de Mornas y raſlemble
avec choix ce que différens auteurs
eſtimés ont écrit de plus certain fur cette
matiere . On peut même dire qu'il ſe l'approprie
par la maniere dont il affimile ces
différentes idées , & l'ordre qu'il donne
à leur marche. Il commence par traiter
duglobe céleste & des différens ſyſtemes
aſtronomiques . Il indique la nature &
le mouvement des étoiles fixes; les conftellations,
les planètes , leurs révolutions,
leurs aſpects ; ce qu'on doit penſer de fa
nature des comètes ; ladiviſion des tems;
les divers cycles inventés à ce ſujet chez
différens peuples anciens & modernes ;
tous ces objets ſont préſentés dans cet
ouvrage avec autant d'exactitude que de
préciſion & mis à la portée de toutes les
claſſes de lecteurs .
Vient
MARS. 1779. 121
Vient enfuite ce qui concerne les
points , les lignes , les cercles qui compoſent
la ſphère. On décrit leur ufage ;
la grandeur de la terre , ſa ſituation , fa
figure , ſes diviſions principales , leurs
rapports avec celles de la ſphère ; ce qui
concerne les climats tant ſeptentrionaux
que méridionaux , les cercles de longitude
& de latitude ; ce qui amene quelques
remarques ſur les différentes meſures itinéraires
tant anciennes que modernes ;
enfin une idée abregée de l'ancienne &
moderne géographie termine cet ouvrage
qui ſera ſuivi d'un traité complet de Géographie
historique. On fait que M. Buy
de Mornas eſt le premier qui ait imaginé
d'adapter la chronologie & l'histoire à la
géographie ; méthode qui éloigne tout
dégoût de cette derniere ſcience & qui
en facilite les progrès. La cofmographie
élémentaire dont il s'agit ici peut être enviſagée
comme une introduction à cet
ouvrage,& forme en même tems un traité
clafflique & complet ſur tous les objets
qu'elle embraſſe.
Fayel , tragédie ; par M. d'Arnaud. A
Paris , chez Lejai , libraire , au grand
Corneille , rue St Jacques .
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ce ſujet eſt le même que celui qu'a
traité M. de Belloi ſous le nom de Gabrielle
de Vergi. Il appartenoit à tout le
monde , puiſqu'il eſt conſigné dans des
monumens hiſtoriques & qu'il a été embelli
par l'art des romanciers & orné des
graces de la poësie.
Fayel a trouvé un billet ſans adreſſe , &
qui n'étoit ni ſigné ni achevé. Il foupçonne
qu'il eſt pour Gabrielle. Il ouvre
la ſcène par des tranſports de fureur. Ila
fait enfermer ſa femme dans une tour.
Le Preux de Vergi , pere de Gabrielle
demande à fon gendre les motifs de l'état
violent où il le voit. Fayel lui montre ce
billet. Vergi , qui n'a pas ignoré l'amour
de Couci pour ſa fille , reconnoît ſa main
& diffimule. Il fait rougir Fayel d'une
violence qui peut être injuſte. Il lui fait
obſerver que le billet peut n'être point
pourGabrielle. Fayel revient à lui ,& fort
pour aller ſe jetter aux pieds de ſa femme.
Elle paroît au ſecond acte dans ſa
priſon. Adéle , qui l'a élevée , cherche en
vain à la conſoler. Elle eſt dans l'accablement
le plus profond; elle ſe ranime
pourtant au nom de Couci , & développe
ſa paffion pour ce heros. Son pere vient
la viſiter. Il lui parle avec une ſévérité
MARS. 1770. 123
mêlée de tendreſſe . Il l'exhorte à dompter
un amour inutile & coupable . Tandis
qu'il s'entretient avec elle , on lui apporte
des lettres de l'armée des Croiſes ,
qui lui apprennent la priſe de Ptolemaïs
ou Acre , les différens exploits des plus
vaillans chevaliers . Gabrielle attend toujours
le nom de Couci ; on le prononce
enfin ; mais c'eſt pour lui apprendre qu'il
a été tué. Elle éclate en ſanglots. Fayel
arrive en ce moment , & la voyant en
larmes it ſe perfuade que Vergi a fu attendrir
le coeur de ſa fille en faveur d'un
époux cruel & malheureux . Les réponſes
entrecoupées de Gabrielle le confirment
dans fon erreur. Il tombe à ſes pieds, lui
demande grace , lui jure un amour éternel
. Raymond fon écuyer vient lui parler
tout bas . Il fort furieux en lançant des
regards terribles fur Gabrielle. Vergi tire
cette infortunée de ſa prifon& la ramene
dansle palais.
Couci ouvre le troifiéme acte , ſuivi de
fes écuyers & de quelques hommes d'arines.
On ſuppoſe aisément qu'il n'a été
que blelle dangereuſement , que le bruit
de ſa mort s'eſt répandu & qu'il a été guéri.
Il s'entretient de ſes amours. Il ignore
le mariage de Gabrielle. Il eſpére encore
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
obtenir ſa main, malgré la méſintelligence
qui regne entre le Preux de Vergi &
Enguerand de Couci. Cette converſation
ſe paſſe entre lui & fon écuyer Monlac
dans le parc du château de Fayel. L'épouſe
de ce ſeigneur approche d'un autre
côté, appuyée fur Adéle. C'eſt le moment
de la reconnoiſſance. Couci apprend tous
ſes malheurs. Il veut tantôt ſe percer &
tantôt aller poignarder Fayel. Gabrielle
s'oppoſe à ſes tranſports ; mais pendant
ce combat douloureux , les gens de Fayel
qui ont obſervé leur entretien , ſurprenment
Couci aux pieds de ſa maîtreffe , lui
ôtent ſon épée & l'emportent , tandis
qu'on emmene Gabrielle d'un autre côté.
Fayel , dans le plus horrible accès de
la rage , menace Couci , Raimond , tout
ce qui l'environne , interroge ſon écuyer ,
lui reproche d'avoir parlé&le fait parler
encore. Enfin Couci paroît devant lui ,
répond avec une fermeté noble , proteſte
de l'innocence de Gabrielle , avoue qu'il
l'aimoit. A ce mot Fayel paroît croire
qu'il eſt poſſible qu'on l'ait trompé fur la
mort de Couci ,& que ce ſoit lui qu'il
tient enchaîné. Couci ſe fait reconnoître.
Fayel s'écrie :
Frappez .
MARS. 1770. 125
F
COUĆI.
Toi , chevalier !
YEL , revenant à lui.
Je manquois à l'honneur.
Juge combien l'amour peut égarer un coeur.
Et tu viens d'empêcher que mon front ne rougille!
C'eſt un crime de plus qu'il faut que je puniſſe.
Non , non , ne prétends pas , Couci , m'humilier.
Tu vas voir ſi Fayel eſt digne chevalier.
La honte m'eût flétri ; ton attente eſt trompée.
Qu'on détache fes fers , rendez lui ſon épée.
Qu'on m'apporte la mienne. Allons , c'eſt dans ces
lieux
Qu'il faut qu'à l'inſtantmême expire un de nous
deux.
De ton fort &du mien que le glaive décide.
Puiffé-je dans ton ſang tremper ma main avide !
On apportefon épée &fon bouclier.
Non , point de bouclier. Rejetons loin de nous
Ce qui peut affoiblir ou détourner les coups .
Combattons pour mourir. C'eſt le prix quej'envie,
Pourvû que de ſa mort la mienne ſoit ſuivie.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Couci lui fait entendre qu'il s'arme à
regret contre l'époux de Gabrielle. Il lui
offre ſa vie .
FAYEL.
Ah ! barbare , c'eſt moi
Quidefirema fin & qui l'attends de toi.
C'eſt Fayel qui demande à ta main vengereffe
Un trépas qui le fuit & qu'il pourfuit fans ceſſe.
Non , je ne prétends pas combattre pour des
jours
Dont le courroux céleſte empoiſonne le cours ;
Je rejette une épée en mes mains inutiles ;
Couci , j'ouvre à ton fer un chemin plus facile.
Tiens , tiens , frappe , voilà ce coeur trifte & ja
loux
Qui brûle , qui s'élance au-devant de tes coups.
C'eſt là qu'il faut chercher , c'eſt- là qu'il faut détruire
Cet amour furieux qui toujours me déchire ,
Pour qui , juſqu'à préſent , j'ai tout ſacrifié.
Il tombe dans un fauteuil & regarde Couci
qui paroît s'attendrir.
Je ſuis bienmalheureux , j'excite ta pitié.
Il demande à Couci s'il ſe croit aimé.
Couci répond que ſi le pere de Gabrielle
eût voulu la lui donner , peut - être elle
!
MARS. 1770. 127
auroit obéi. Fayel reprend toute ſa fureur.
Le combat commence , & ils fortent de
la ſcène en ſe battant. Fayel , au cinquiéme
acte , revient bleſſé. Il a vu fon rival
tomber ſous ſes coups. Il médite la vengeance
la plus affreuſe. Il apperçoit Gabrielle.
Il fort pour faire préparer l'abominable
repas qu'il lui deſtine. Il revient.
Sa femme tombe à ſes pieds. Elle apperçoit
ſableſſure. Elle ſoupçonne la vérité,
& ſe dit à elle- même , il est mort ! Elle
avoue à Fayel l'amour qu'elle fentoit pour
Couci . Il réitere ſes ordres à Raimond,
ſon écuyer , & fait fortir Gabrielle. Elle
rentre un moment après. Elle a fait l'horrible
repas. Fayel lui montre le corps de
Couci , & lui apprend qu'elle vient de
dévorer le coeur qu'elle aimoit. Elle jette
un cri & fe précipite ſur le corps de fon
amant. Fayel leve le poignard ſur elle.
Vergi entre&le retient. Gabrielle expire
de douleur , & Fayel ſe perce de ſon poignard.
Nous allons voir comment M. de Belloi
a traité le même ſujet.
Gabrielle de Vergi , tragédie ; par M. de
Belloi, citoyen de Calais . AParis, chez
laVeuve Duchefne , rue StJacques.
Fiv
-
128 MERCURE DE FRANCE.
Fayel , dans ce drame , paroît inſtruie
dès la premiere ſcène de l'amour de Couci
pour Gabrielle. Il le regarde comme
un rival & comme un rival aimé. La douleur
fombre & continuelle où ſa femme
paroît enfevelie le confirme dans cette
opinion . Il eſt pourtant obligé de la mener
à la cour de Philippe- Auguſte , qui
revient triomphant de la Tetre Sainte &
qui s'est déclaré protecteur de Vergi ,
beau pere de Fayel, contre le duc de Bourgogne
, dans des querelles féodales . Il
charge Albéric, fon écuyer, de veiller fur
les démarches de Gabrielle. Il lui déclare
à elle-même qu'il faut ſe préparer à ſe
rendre à la cour. Un moment après on
lui apprend que Monlac , écuyer de Couci
, cherche à s'introduire dans le château
d'Autrey cù ſe paſſe la ſcène. Ses foupçons
commencent à éclater. Il ordonne
qu'on arrête Monlac ; mais Albéric vient
lui dire que Monlac ne doit point lui
être ſuſpect , qu'il demande l'hofpitalité
pour quelques heures , qu'il va dans le
Vernandois porter à Enguerrand de Couci
la nouvelle de la mort de fon fils. A ce
mot Gabrielle s'évanouit. Fayel,plus convaincu
que jamais de la paſſion de ſa femme
, n'en fent pas moins la joie d'être
MARS. 1770. 129
délivré d'un rival. Cependant il en doute
encore , parce que ſes lettres de l'armée
ne lui parlent pas de la mort de Couci .
Gabrielle , au ſecond acte, ſe livre à fos
regrets avec Iſaure ſon amie. Elle croit
avoir eu des préſages de la mort deCou--
ci. Dans les douleurs accablantes d'une
maladie dangereuſe , elle a cru voir fon
amant attacher ſa bouche ſur ſa main ;
elle a cru l'entendre dire , d'une voix oppreſſée
: c'est le dernier adieu. Elle ne
doute pas que ce ne fût un avertiſſement
de la mortde Raoul. Mais Ifaure la détrompe
, & lui apprend que ce qu'elle a
cru un fonge , une illuſion , eſt très - réel ;
que Couci , partant pour l'armée , avoit
trouvé le moment de la voir. Ce trait eſt
précisément le même que celui de Saint-
Preux dans le roman de Julie. Fayel a été
témoin de cette démarche de Couci , &
c'eſt ce qui a commencé ſa jalousie. Monlac
rend à Gabrielle un billet de Couci ,
que nous allons tranfcrire.
Je meurs , mon ame vit à jamais pour t'aimer:
J'arrache au ſein des morts ta dépouille mortelle..
Ce cooeur quepour toi ſeule elle dût animer ,
La moitié de ton coeur , ma chere Gabrielle ,
Autombeau loin de toi ne veut pas s'enfermer..
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Elle va te rejoindre .. Hélas ! quel triſte hom
mage!
Qu'il va t'épouvanter !. Non , c'eſt Raoul , c'eſt
moi ,
C'eſt ce fidèle amant qui compte ſur ta foi,
Adieu. Mon ame fuit emportant ton image.
Mon coeur eſt plus heureux ; il reſte auprès de toi.
D'après ce billet , Gabrielle s'attend
à voir le coeur de Couci , & déjà elle détourne
les yeux d'effroi ; mais Monlac la
raffure. Couci étoit bleſſé lorſqu'il écrivit
ce billet ; mais avant qu'il expirât , les
Arabes ſurprirent le camp des Chrériens.
Couci fut enveloppé dans la foule des
cadavres , & Monlac ne put exécuter fes
ordres. Il quitte Gabrielle , qui relit le
billet fatal. Fayel la ſurprend , ſaiſit la
lettre& la lit.
Un amant adoré fait ſeul de tels adieux,
dit-il à Gabrielle. Elle lui avoue tout l'amour
qu'elle a fenti & qu'elle fent encore
pour Couci . Elle rejette tout ſur ſon pere
qui a diſpoſé de ſa main malgré elle & a
faittrois malheureux. Cet aveu attendrit
Fayel. Il ſe jette à ſes pieds. Il conçoit
l'eſpérance d'être aimé un jour , puiſqu'il
m'a plus de rival. Il jure de changer de
conduite & de traiter avec douceur elle
MARS. 1770. 13
& fes vaſfaux. Il lui tient à-peu- près 1
même difcours qu'Hérode tient à Mariam
ne . On retrouve les idées du rôle d'Hérode
exprimées différemment .
C'en est fait ( dit Hérode ) je prétends , plus juſte
& moins févére ,
Par le bonheur public eſſayer de lui plaire.
L'état va reſpirer ſous un regne plus doux ;
Mariamne a changé le coeur de ſon époux .
Mes mains , loin de mon trône écartant les allarmes
,
Des peuples opprimés vont eſſuyer les farmes.
Je veux fur mes ſujets regner en citoyen ,
Et gagner tous les coeurs pour mériter le fien.
Fayel dit:
Arbitredemon fort, maîtreſle de ma vie ,
Tu vas de mes deſtins répondre à la patrie
Sur les pas des héros j'ai ſu me fignaler ,
Soutenu par ta voix , je veux les égaler.
Tu m'as fait imiter ta noble bienfaiſance .
Je vais la furpaſſer : ah ! vois pour l'indigence,
Pour mon peuple épuiſé tous mes tréſors s'ou
vrir.
Je ferai des heureux , ce ſera m'enrichir..
Cetteréconciliation paffagere finir auffi
comme celled'Hérode. Albéric tire Fayell
Fwij
132 MERCURE DE FRANCE .
à part , & lui apprend que Raoul n'eſt
point mort , qu'il eſt auprès de Philippe
dans le voifinage de Dijon . La fureur de
Fayel ſe rallume à cette nouvelle . Il fort ,
réſolu de ſe venger. Cependant il faut
qu'il aille d'abord rendre ſon hommage à
Philippe qui l'attend à Vergi. C'eſt le
moment de cette abſence que ſaiſit Raoul
pour s'introduire dans le château d'Au
trey , déguisé en écuyer. Il retrouve Monlac
, lui apprend que les Arabes ont guéri
ſa bleſſure , & que leur Soudan l'a renvoyé
libre . Gabrielle arrive. Elle nomme
Couci , elle le pleure. Il s'approche. Elle
croit voir fon ombre ; enfin il tombe à ſes
pieds& fe fait reconnoître. Pendant cette
fcène , Fayel eſt revenu en diligence . Il a
rencontré Monlac , qu'il a percé d'un coup
mortel . Au bruit qu'il fait, Raoul a le
tems de ſe ſauver d'un côté & fa maîtreffe
de l'autre. Monlac proteſte , en expirant
, de l'innocence de Gabrielle. Fayel
informé de l'entrevue de Couci avec elle,
perſiſte à la croire coupable. Il fait pourfuivre
Couci , & ordonne à Albéric d'amener
ſa femme , & ſe détermine à diffimuler
encore avec elle & à ne pas paroître
inſtruit de ce qui vient de ſe paffer.
Cette ſcène a beaucoup de reſſemblance
MARS. 1770 . 133
avec celle du 4º. acte de Zaïre , où Orofmane
tient le billet de Néreſtan dans ſa
main , & la fait venir devant lui . Fayel ,
attendant toujours qu'on lui amene Couci
, entretient ſa femme d'un ton froid&
contraint , & quelquefois ironique. On
vient lui dire que Couci ne ſe trouve pas
dans Autrey. Il fort pour l'aller chercher .
Gabrielle , qui a démélé ſur ſon vifage
les ſentimens qui l'agitoient , reſte dans
les plus vives alarmes. Elle revoit Couci
au 4. acte , & s'étonne avec quelque raifon
d'une témérité qui les expoſe tous
deux & qui compromet ſon honneur.
Mais c'eſt cet honneur même qu'il fonge
àconferver. Il ne vient que pour l'engager
à l'oublier , à renoncer à lui , que pour
jurer de ne la plus voir. Gabrielle entre
avec tranſport dans cette idée , & reconnoît
le héros. Tous deux , dans l'enthouſiaſme
de la vertu , font mille fermens
de ne plus s'aimer. Couci s'éloigne; mais
il reparoît bientôt affailli par les gardes
de Fayel qui le déſarment. Fayel , après
lui avoir reproché ſa perfidie , veut le
percer de fon poignard. Gabrielle ſe jette
entr'eux deux. Raoul atteſte ſon innocence
& rappelle à Fayel le devoir d'un
chevalier. L'époux furieux rentre en lui134
MERCURE DE FRANCE.
même & fort avec Couci pour le combattre.
Gabrielle , au cinquiéme acte , eſt dans.
un cachot. Albéric vient lui annoncer que
Fayel eſt mortellement bleffe , & que
Raoul eſt vainqueur. Ou Albéric a mal
vu , ou il a eu ordre de tromper Gabrielle,
c'eſt ce qui n'eſt pas expliqué. Elle ordonne
qu'on défende à Raoul d'approcher
du château. Fayel paroîtbleſfé & fait éloignerGabrielle.
Je déreſte la vie.
Il n'eſt plus au pouvoir de ce coeur en furie ,
Qui cherche le trépas mais qui veut le donner ,
De ſurvivre à l'ingrate ou de lui pardonner.
Si le trône du monde eût été mon partage ,
Je ne l'aurois aimé que pour t'en faire frommage.
Je tedonne en pleurant la mort queje te doi .
Que puis -je pour l'amour ? m'immoler après toi .
Albéric , quand l'amour s'empara de mon ame ,
Je prévis cette fin de ma funeſte flamme.
Je ne fais quel effroi , quelle ſombre douleur
Vint troubler les tranſports de ma naiſſante ardeur.
Un noir preſſentiment , une horreur inouie
M'annonça dans l'amour le malheurde ma vie
MARS. 1770. 139
Il fait poſer ſur une table de pierre le
coeur de Couci , dans un vaſe , & le billet
qu'il a écrit à Gabrielle & qu'elle avoit
remis à fon époux Elle revient dans le
cachot. Fayel lui laifle toujours croire
qu'il eſt mourant & que Raoul vainqueur
ſe prépare à la tirer de ſa prifon. Elle demande
la mort. Il lui montre le billet &
le vaſe.
Tiens , voilà ton arrêt & voici ma vengeance.
Il fort . Gabrielle croit que ce vaſe renferme
du poifon . Elle le découvre & voit
un coeur ſanglant. Elle s'écrie :
Ah! Raoul ! c'en eft fair.
Ifaure arrive & lui arrache , malgré
elle , cet objet épouvantable. Elle lui dit
quedans le moment même fon pere arrive
& demande à la voir. Gabrielle
dans l'égarement du déſeſpoir , croit voir
fon pere & lui adreſſe ſes plaintes. Fayel,
inftruit de fon innocence , revient déchiré
de remords . Il nomme Gabrielle.
Elle croit toujours que c'eſt ſon pere &
ſe jette dans ſes bras en le conjurant d'éloigner
Fayel . Fayel lui demande la mort.
Gabrielle le reconnoît & jerte un cri
d'horreur. Elle meurt déſeſpérée , & Fayel
Se tue d'un coup de poignard..
136 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut juger qu'au théâtre l'effet
de cet horrible cinquiéme acte. Ce n'eſt
point à nous à prononcer ni fur le ſujet
de ces deux tragédies en concurrence , ni
fur leurs mérites différens.
M. d'Arnaud prépare un poëme d'Eaftache
de Calais , en dix chants , & plufieurs
drames nationaux .
La tragédie de Gabrielle eſt dédiée à
M. de Couci , ſeul rejeton de cette illuſtre
famille , & précédée d'un diſcours
préliminaire où l'auteur expoſe les avanrages
de ſon ſujet , les difficultés vaincues
, l'étude approfondie qu'il a faite du
coeur humain & de l'art dramatique , &
répond , ainſi que dans la préface de
Bayard , à toutes les objections poſſibles.
Profpectus du Zenda - aveſta , ouvrage de
Zoroastre , contenant les idées théologiques
, phyſiques & morales de ce légiflateur
, les cérémonies du culte religieux
qu'il a établi, & pluſieurs traits
importans relatifs à l'ancienne hiſtoire
des Perſes : traduit en françois ſur l'original
zend , avec des remarques , précédé
de la vie de Zoroastre & fuivide
la coſmogonie des Parſes du Kirman
&de l'Inde , traduite de la langue pehl-
1
MARS. 1770 137
S
vie ; de l'expoſition de leurs uſages
actuels , tant civils que religieux ; &
de deux vocabulaires des langues dans
leſquelles font écrits leurs anciens livres
; le premier , zend , pelhvi & fran .
çois ; le ſecond , pehlvi , perſan &
françois . Par M. Anquetil Duperron ,
de l'académie royale des infcriptions
& belles- lettres , & interpréte du Roi
pour les langues orientales : 2 volumes
in - 4° . ornés de planches gravées en
taille-douce .
,
Cet ouvrage eſt celui que le ſavant
docteur Hyde avoit deſſein de donner
& pour lequel il imploroit le fecours des
protecteurs des lettres. L'Europe ſavante
l'attend depuis plus de 60 ans. Elle avoit
vu avec peine ſes eſpérances s'évanouir à
la mort de M. Hyde ; & les ſavans qui ,
depuis ce docteur , ont fait mention des
Perfes , n'ont pas manqué de témoigner
leurs regrets fur l'inexécution d'un projet
dont l'histoire de la religion des Perfes leur
avoit donné la plus grande idée. Les premiers
monumens d'un peuple ancien
puiſſant , nombreux & ſurvivant , pour
aing dire , à lui-même , plus de 1100 ans
après ſa deſtruction , font des objets dignes
de piquer la curioſité de ceux qui
>
1
138 MERCURE DE FRANCE.
cherchent à découvrir les archives des nations
, ou qui s'occupent de l'hiſtoire de
l'eſprit humain. M. Hyde n'étoit pas en
état de remplir leurs vues. Il auroit fallu
qu'il eût appris les langues zend & pehlvie.
Il meconnoiffoit ni le Vendidad Sádé,
qui n'a été apporté , pour la premiere fois
en Europe qu'en 1723 , niles leschts , que
l'Angleterre a reçus depuis des mains de
M. Frazer. Ainfi ce ſavant ne pouvoitdonner
un ouvrage auſſi complet que celui
qu'annonce M. Anquetil , ouvrage qui
renferme la traduction de tous les livres
zends connus en Perſe &dans l'Inde .
La France & l'Angleterre font les ſeuls
pays de l'Europe où l'on trouve des livres
zends , & il n'y a que la France qui
poffède des livres pehlvis. Les Anglois
font donc également intéreſſés à ſavoir ce
que renferment leurs livres zends , &
fur tout le Vendidad Sádé , que l'on ne
montre à Oxford qu'avec une forte de
reſpect , qui fait honneur au goût que
cette célèbre univerſité a toujours eu pour
la littérature Orientale.
On trouvera , à la tête de l'ouvrage, un
diſcours préliminaire qui renferme la relation
abrégée du voyage de M. Anquetil
dans l'Inde ; les raiſons qui l'ont engagé
MARS. 1770 139
à l'entreprendre , & les moyens qu'il a
employés pour acquérir les anciens livres
des Parſes & la connoiſſance des langues
dans leſquelles ils font écrits ; l'hiſtoire
de la retraite des Parſes dans l'Inde , &
les événemens les plus conſidérables qui
concernent ce peuple fugitif , juſqu'en
1760. Ce diſcours préliminaire eft terminé
par le plan de l'ouvrage , accompagné
de quelques réflexions qui développent
la nature des livres zends , & font
connoître les différens exemplaires fur
leſquels l'auteur les a traduits.
Cediſcours préliminaire eſt ſuivi de la
vie deZoroastre , tirée des livres zends &
pehlvis , du Zerduft- namah & du Tchengrégatch
namah , poëmes perſans , de pluſieurs
autres ouvrages orientaux , & comparée
avec ce que les Auteurs Grecs &
Latins nous apprennent de ce législateur.
A la ſuite de la traduction des livres
zends on trouve la Cosmogonie des Parfes
l'explication de leurs uſages civils & religieux.
Les deux vocabulaires annoncés
dans letitre pourront donner quelque idée
des anciennes langues de la Perſe.
Cet ouvrage eſt accompagné de douze
planches , dont trois préſentent une infcription
en ancien tamoul , quirenferme
140 MERCURE DE FRANCE.
les priviléges accordés, il y a environ mille
ans , aux Juifs de Cochin, par Scharan
Perounial , empereur de la côte Métafaire.
Les trois planches ſuivantes ont rapport
aux langues dans lesquelles font écrits fes
livres dont on donne la traduction . La
premiere de ces trois planches préſente
les alphabets zend , pehlvi & perfan , cal -
qués ſur les plus beaux manufcrits que
P'auteur ait vus ; la deuxième, le commencement
du Vendidad- Sadé , calqué fur
Poriginal zend , avec la lecture & la traduction
latine interlinéaire ;& la troifiéme,
le commencementdu Bound deheſch,
calqué fur l'original pehlvi , & pareillement
accompagné de la lecture & de la
traduction latine interlinéaire. Les fix
dernieres planches font relatives aux ufages
religieux des Parſes .
Cet ouvrage , qui s'imprime actuellement
en beaux caracteres & en beau papier
, formera deux volumes in- 4°, de
cinq à fix cens pages chacun , ornés de
douze planches gravées en taille - douce.
Il paroîtra en Avril 1770. On le trouvera
à Paris , chez N. M. Tilliard , libraire ,.
quai des Auguſtins , à St Benoît.
Réponse de M. de Saint - Foix au R. P.
MARS. 1770. 141
:
Griffet , & recueil de tout ce qui a été
écrit fur le prifonnier maſqué.
Nous rendrons compte dans le prochain
mercure de cetre réponſe intéreſlante par
la maniere dont elle eſt écrite, &les traits
finguliers qui y font raſſemblés.
SPECTACLES.
OPÉRA.
Description du Théâtre de l'Opéra.
LAnouvelle (alle de l'Opéra , dont on a fait
l'ouverture le 26 Janvier dernier , eſt conſtruite
aux frais de la ville ſur le terrein fourni par S. A.
S. Mgr le Duc d'Orléans. Ce Prince ayant confidéré
que la décoration de cet édifice devoit correfpondre
à celle de ſon palais , a choiſi , pour en
faire l'extérieur & la premiere cour , le Sr Moreau,
de l'académie d'architecture & maître général des
bâtimens de la ville ; c'eſt à cet artiſte , connu par
pluſieurs ſuccès , que nous devons le monument
dont nous allons rendre compte.
Le premier ordre eſt toſcan ; il regnedans tou
te l'étendue de la face du palais , & forme terraſſe
au-devant de la cour dans laquelle on entre par
trois portes également commodes & remplies par
des menuiseries enrichies de bronzes & d'orne
142 MERCURE DE FRANCE.
mens bien travaillés. Le ſecond ordre eſt ionique,
&les deux aîles préſentent deux avant corps ſurmontés
d'un fronton dont les timpans font remplis
par des écuilons foutenus de figures de la
main de M. Pajou ; l'avant corps du fond de la
cour eft couronné d'un attique dont le fronton
circulaire renferme le blaſon de la mailon d'Orléans
, foutenu par deux figures aîlées , de la main
du même ſculpteur. Cet édifice , d'un effet trèsnoble
, en produira plus encore lorſque la place ,
qui ſe trouve au devant, étant agrandie , le découvrira
tout entier ; le palais qui occupera le
milieu s'accordera mieux avec les façades qui ſeront
uniformes , & la fontaine qui décorera le
milieu de la place ne pourra manquer de contri
buer à la magnificence de cet enſemble.
La face de l'opéra , * parallele à la rue , eſt fimple
& laifle dominer le palais ; mais elle eſt recommandable
par fa diſpoſition, ſa ſymmétrie,&
fur- tout par les ornemens qui s'y trouvent exécutés
par M. Vaflé , ſculpteur du Roi. L'entrée de la
falledu ſpectacle eſt annoncée par une galerie extérieure
& publique qui enveloppe tout le pourtour
de la ſalle & fournit une quantité d'iſſues
très-commodes : on peuty entrer par ſept portiques
égaux. Trois portes qui ſe préſentent en face
conduiſent à un veſtibule intérieur, décoré de colonnes
doriques , de maniere grecque , canelées
dans leur fût , couronnées d'un entablement ar-
* Nous avons cru devoir entrer dans des détails
fuperflus pour les habitans de la capitale ,
mais néceſſaires à ceux des provinces & des pays
étrangers.
MARS. 1770 . 143
chitravé, dont les moulures ſont profilées avec
correction & taillées d'ornemens agréables. Une
voûte s'éleve au deflus formant des lunettes ; les
arcs doubleaux ſont auffi enrichis d'ornemens correfpondans
à ceux des colonnes & de la corniche:
les extrémités du veſtibule ſe terminent en cu -defour
,dont le fond eſt ouvert par une grande arcade
à laquelle la corniche de l'ordre ſert d'impoſte:
ces arcades conduiſent à deux grands efcaliers
qui ſe préſentent pour communiquer aux
loges , & deux autres conduiſent au parterre,d'ou
l'on découvre la belle forme de la falle.
L'ouverture de la ſcène eſt large de 36 pieds &
haute de 32. Cette diſpoſition avantageuſe rapproche
d'autant plus le fond de la falle de l'avantſcène
, & met plus d'égalité dans les différentes
ſituations de chaque ſpectateur ; la forme de ſon
plan eft arrondie & fournit au plafond un bel oval
rempli par un tableau allégorique , dont nous
parlerons à la finde cet article pour ne pas détourner
les yeux du lecteur de l'objet que nous lui pré-
Lentons.
,
L'avant- ſcène eſt décorée de quatre colonnes
d'une compofition riche & élégante , dont les canelures
font àjour, enforte que cette partie, pour
l'ordinaire confactée ſeulement à la décoration
fournit des places des plus commodes & des plus
recherchées . Leur fût eſt divisé par tamboursà la
haureur de l'appui des loges qui ſont pratiquées
dans leurs intervalles , ce qui nuit peut être à l'élégance
de l'ordre corynthien ; mais , d'un autre
côté, accorde mieux ces mêmes loges que l'architecte
n'eût point employées ſans doute , moins
encore celles qui ſont pratiquées dans leursfocles
, s'il n'eût été forcé de concilier les raiſons
144 MERCURE DE FRANCE.
d'intérêt avec les moyens d'embelliſſement. L'entablement
regne au-deſſus de l'avant - ſcène , &.
fon milieu eft interrompu par un grouppe de renommées
foutenant un globe ſemé de fleurs de
lis ; des enfans forment une chaîne avec des guirlandes.
Cette compoſition charmante , qui eſt due
àM. Vaflé , accompagne magnifiquement le plafond&
réunit tous les fuffrages ſur cette partie de
la décoration.
Les quatre rangs de loges qui ſont pratiqués ne
paroiſlent point former une trop grande hauteur,
& cette diſpoſition rend la ſalle ſuſceptible de contenir
2500 ſpectateurs , preſque tous également
bien placés : ces loges , conſtruites en fer & en
bois avec un artifice ingénieux , font très folides,
malgré la légereté qu'elles ſemblent préſenter à
l'oil; les ornemensen ſont ſimples , mais deſſinés
avec précifion & diftribués avec jugement. Les
poteaux qui diviſent ordinairement les loges font
fupprimés dans cette falle , & au lieu de paroître
autant de petites caſes ſéparées , elles forment un
feul balcon à chaque rang , ce qui donne beaucoup
plus d'élégance àl'enſemble ; l'entablement
de l'avant- ſcène regne au pourtour de la falle . Ses
ornemens (culptés & dorés forment un encadrement
très - riche au plafond , qui fe trouve d'autant
plus étendu que cet entablement eft porté ſur
la cloifon du fond des loges. On a peint dans la
vouffure pour en élever & augmenter l'effet
un ordre en arcades & portiques qui procure l'illufion
la plus complette & la plus capable de tromper
l'oeil le plus excercé.
,
Il eſt un nombre d'amateurs habituels de cha
que théâtre qui font moins ſouvent amenés par la
curiofité
MARS. 1770. 145
curiofité du ſpectacle que par le plaifir de ſe rafſembler
dans un cercle agréable auquel infenfiblement
on ſe trouve réuni ſans y être lié par aucun
de ces devoirs contraints , de ces égards gênans
qui font un martyre de la ſociété ; ceux - ci
auront tout lieu d'être fatisfaits de la commodité
du foyer de la nouvelle falle , c'eſt une belle galerie
de 60 pieds de longueur , éclairée par cinq
grandes croifées qui ont vue ſur la rue St Honore
par unbalcon de fer enrichi de bronzes, de près de
cent pieds de long , d'un deſſin très - élégant &
d'une exécution parfaite , de la main de M. Deumier.
Ce foyer , revêtu de menuiferie dans tout
fon pourtour avec une cheminée de marbre à chaque
bout , eſt orné d'une belle corniche , de glaces
, de ſculptures & de trois buſtes en marbre
repréſentans Quinault , Lulli & Rameau . Ces têtes
, traitées avec autant de nobleſſe que d'expreffion
, ſont dites au ciſeau de M. Caffieri , ſculpteur
du Roi : quatre autres niches attendent les portraits
des grands hommes dont les ſuccès auront
enrichi ce théâtre .
Les commodités publiques n'ont point été ou
bliées. Les iſſues pour les forties font multipliées
dans tout le pourtour de la galerie extérieure , enforte
que la facilité de déboucher par tel endroit
qu'on veut pour ſe rendreà les voitures, ſupplée à
la liberté de la circulation qui manque ſouvent
dans un quartier auſſi fréquenté que l'eſt celui du
palais royal .
La fûreré eft encore une des choſes à laquelle
on a apporté l'attention la plus ſcrupuleuſe. Trois
réſervoirs qui contiennent enſemble enviton 200
muids d'eau , ſont diſpoſes dans les endroits où
ils ſeroient les plus utiles en cas d'incendie ; les
G
146 MERCURE DE FRANCE.
loges des acteurs font toutes voûtées en brique ,
&pluſieurs des eſcaliers ſont en pierre.
M. Moreau a bien ſenti que le plaifir que l'on
va chercher dans un ſpectacle ne peut être goûté
parfaitement qu'autant qu'il eſt exempt d'inquiérude
& de gêne : tranquillité & commodité ſont
les deux points eſſentiels auxquels cet habile artiſte
s'eſt ſur - tout attaché , & dans lesquels il a
réuſſi au gré de tout le monde; les fuffrages qu'il
a réunis ſont mérités , & ſans doute il eûr encore
obtenu de plus grands éloges, fi mille petits intérêts
qu'il a fallu concilier , mille petites bienféances
auxquelles il a dû ſe ſoumettre , n'euffent mis
des entraves aux vrais talens dont cet artiſte diftingué
a déjà donné des preuves certaines. On ne
doit point , par exemple , lui împuter la contrainte
où le machiniſte ſe trouve de préſenter aux
yeux du ſpectateur les formes qu'il prépare pour
les changemens , ce qui détruit tout l'effet de la
ſurpriſe&nuit également à la décoration qui occupe
la ſcène& à celle qui va la remplacer : c'eſt
encore avec moins de fondement que l'on hafarde
le reproche de ſurdité. Les oreilles qui ne font
point exercées à la muſique n'ont pu s'apperçevoir
qu'on avoit été contraint de baifler confidérablement
le ton pour éviter de faire paroître
trop criardes les parties de haute - contre & de
deſſus qui montent très - haut dans cet opéra , ce
qui , néceſſairement, nuit à l'effet des baſſes : la
conſtruction d'une ſalle dans laquelle on n'a em
ployé que des bois légers , que des formes rondes
fans reſſauts&avec le moins d'angles qu'il a été
poſſible , la rendra auſſi ſonore qu'elle peut l'étre
lorſque les bois , les plâtres & les peintures auront
acquis le degré de ſécherefle convenable
MARS. 1770. 147
pour repercuter les fons; effet néceſſaire , mais
qu'on ne peut attendre que du tems. Nous defirerions
pouvoir nous flatter de ſemblables eſpérancesfur
leplafond de M. du Rameau ; mais les tons
jaunes & grisâtres qui dominent par- tout ne lui
donneront pas vraiſemblablement par la ſuite cette
couleur céleste & aërienne qu'on y auroit defiré.
Quelques figures d'ailleurs font pefantes & d'un
deflin lourd; telles que la Terpſicore fur - tout ,
dont le raccourci eſt penible àl'oeil , & dont les
formes font auſſi prononcées que celles du Gladiateur
ou de l'Hercule Farnese ; ce qui contribue
encore à la faire paroître ſi forte , c'eſt la figure
Iwelte&légere du petit Génie qui ſemble êtrepreſ
que ſur le mêmeplan:en général,ces défauts ſe font
peu fentir , & c'eſt ſur - tout le manque de dégradation
qui nuità l'effet de ce tableau dans lequel
il y a d'ailleurs beaucoup de choſes eſtimables. Le
ſujet en eſt ſimple&convenable , il offre les muſes&
les talens raſſemblés par le génie des arts
qui précéde le char d'Apollon qu'il annonce& qui
paroît arrivant ſur ſon char. Peur - être ce Dieu.
méritoit-il d'être employé d'une maniere plus capitale
&moins fubordonnée. Le peintre auroit- il
voulu indiquer que les lettres & les talens font
encore à leur aurore ? Quant à la muſique , cela
pourroit êtte ; mais pour les autres arts , il lui eût
étéplus facilede prouver qu'ils font à leur déclin;
l'épiſode de l'ignorance & de l'Envie n'eſt pas
beaucoup plus heureux. Ces deux figures coloffaldes
ne procurent point l'effet que l'artiſte s'en étoit
promis. Sans faire fuir ſon plafond, elles paroiffent
ſeulementprêtes à tomber dans le parterre. Ce n'eft
pas que cegrand ouvrage n'ait beaucoup de mérite
dansdifférentes parties. Les grouppes font bien a
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
gencés,& l'on retrouve dans la compoſition cet enchaînement
ingérieux qui a toujours caractérité
celles de M. Boucher . Nous ne prétendons point
donner notre ſentiment comme une décifion contraire
à M. du Rameau , dont nous eſtimons beaucoup
les talens ; mais nous avons cru que ces obſervations
lui feroient d'autant moins de peine
que perſonne n'eſt plus que lui en état de prendre
fa revanche quand il ſe ſera trompé dans quelques-
unes de les productions. On ne peut qu'applaudırà
celles de MM. Machy,Guillet &de Leuze
qui ont exécuté les décorations nouvelles d'après
les deffins de M. Moreau. Le palais fouterrain
mérite d'être diftingué par la maniere dont il a été
traité par le premier de ces artiſtes .
La ſalle qui eſt préparée pour le bal offrira un
octogone de 45 pieds de diametre décoré par des
colonnes , des ſtatues , des glaces & un plafond
qui rendront ce ſalon magnifique & analogue au
reſte de la falle. La deſcription détaillée que nous
venons d'en faire nous oblige de remettre au vol.
prochain la notice de Zoroaftre , tragédie lyrique
de Cahuſac & Rameau , par laquelle on en a fair
Fouverture On a remis pour les jeudis , Zaïre ,
balet héroïque des mêmes auteurs.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné
pluſieurs repréſentations de Cinna &
d'Héraclius. Mde Veſtris ajoué dans cet
MARS. 1770. 149
te derniere piéce le rôle de Pulchérie avec
autant de noblefle que d'intelligence , &
celui d'Aménaïde avec autant de fuccès
que dans ſon début. On fait avec quelle
ſupériorité celui de Tancréde eſt rempli
par M. Lekain , dont les talens tragiques
ſont parvenus au plus haut degré de perfection
. On a donné auſſi le Marchand de
Smyrne , comédie nouvelle en un acte de
M. de Champfort , qui a été très - bien
accueillie , & dont nous rendrons compte
dans le Mercure prochain .
COMÉDIE ITALIENNE.
1
LES Comédiens Italiens voyant avec re
gret qu'une de leurs pièces les plus agréables
, la nouvelle Ecole desfemmes , étoit
perdue pour eux & pour le public , par la
nouvelle forme que leur théâtre a priſe
depuis une année ; ils ont eſſayé de l'y
faire reparoître avec les agrémens de la
muſique : mais cetre tentative n'a pas
réuffi , fans toutefois qu'on puiſſe en rien
conclure de défavorable contre M. de
Moiſſy , qui avoit lui- même pris la peine
d'y mêler des ariettes , ni contre M.
Philidor qui en avoit fait la muſique :
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
les ſuccès mérités de ces deux auteurs les
mettent à l'abri de toute imputation défavantageuſe
;& cette expérience prouve
ſeulement que la muſique , même la
meilleure , ralentit une intrigue , affoiblit
les caractères , refroidit l'intérêt ,
éteint le comique de toute pièce faite
dans les proportions de la bonne comédie.
Quelques ſituations , de la variété
dans les airs , & fur - tout des tableaux ,
voilà les moyens dont on doit ſe ſervir ,
& qui ſuffiſent pour afforer le plus grand
ſuccès à l'opéra comique. On n'avoit
aucun reproche raisonnable à faire à
la nouvelle Ecole des femmes . On y
retrouvoit bien toutes les ſcènes qui
avoient fait tant de plaiſir autrefois ;
mais chacun s'écrioit avec M. Tue :
Qu'on me la rende telle qu'elle étoit.
Les mêmes comédiens, qui ne laiſſent
jamais languir leur théâtre faute de nouveautés
, en préparent une , qui ne peut
manquer d'être intéreſſante , puiſqu'elle
eſt des mêmes auteurs que le Huron &
Lucile ; au moins est- ce une préſomption
bien favorable pour le ſuccès.
Mde Roſembert a continué fon début
dans les Moiſſonneurs , dans le Bucheron,
MARS. 1770. 151
dans Tom Jones , avec applaudiſſemens ;
ſes talens pourront quelquefois la rendre
utile à ce théâtre .
ACADÉMIES.
1.
DIJON.
:
L'ACADÉMIE des ſciences , arts &belles
lettres de Dijon a tenu ſa ſéance publique
le 26 Novembre 1769. M. Maret,
ſecrétaire , adreſſant la parole a Mgr le
Prince de Condé , qui préſidoit à cette
ſéance , a annoncé le ſujet du prix que
l'académie diſtribuera en 1771. Il a dit
enfuite.
« Le prix de cette année avoit pour
>>ſujet l'éloge du chevalier Bayard. L'A-
>> cadémie avoit fait eſpérer au vainqueur •
» que V. A. S. auroit la bonté d'en faire
>> la diſtribution . L'honneur de recevoir
> la palme académique des mains auguf-
>> tes d'un héros,a porté un grand nombre
>> de gens de lettres à entrer dans la lice
>> qui leur étoit ouverte. Huit d'entr'eux
> y ont paru avec avantage ; mais trois
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
>> ont plus particulierement fixé l'atten-
>>>tion de l'académie , & deux ont balan-
>> cé les ſuffrages de façon que la com-
>> pagnie s'eſt vue ſur le point de partager
>> le prix entre les auteurs des diſcours
>> qui ont pour épigraphes, l'un cette pen-
>> ſée de Virgile :
Tempus eget.
Defenforibus iftis
» L'autre , cette exclamationde Séneque :
Ofelicem illum ! qui non adfpectus tantùm,
Sedetiam cogitatus emendat.
Pour caractériſer l'un & l'autre de ces
diftours , M. Maret a comparé le premier
à un morceau de Rubens , & le ſecond à
un tableau du Pouffin. « Mais , a- t- il ajou-
>> té , la route du coeur eſt la plus fûre
>> pour déraciner le vice & développer le
- >> germe des vertus , & l'académie a cru
>> que le dernier de ces ouvrages produi-
>> roit plus fûrement l'effet moral qu'on
>> doit attendre des éloges.
L'auteur qui a remporté le prix eſt M.
Combes ; celui qui a eu l'acceffit garde
l'anonyme.
M. Maret a dit encore que le diſcours
qui portoit pour épigraphe :
MARS.1770. 153
Quojuftior alter
Necpietate fuitt ,, nec bello major&armis.
a paru digne du ſecond acceffit , & que
l'auteur de cet ouvrage eſt M. Leboucq ,
profeſſeur d'éloquence au collège de
Chartres.
Après cette proclamation , S. A. S.
Mgr le Prince de Condé a donné la médaille
à M. Gauthey , porteur de la procuration
de M. Combes ; & M. Maret a
luun extraitdu diſcours couronné.
M. de Morveau a répété , ſous les yeux
de S. A. S. une expérience ſur une effervefcence
, froide qu'il avoit déjà faite à
l'académie , & qui prouve que le mêlange
des acides minéraux avec les alkalis fixes
ne produit pas toujours une augmentation
de chaleur , & que l'acide nitreux concentré
à un degré déſigné & mêlé avec
l'alkali minéral criſtallife produit une ef.
fervefcence froide qui fait baiffer la liqueur
du thermometre de fix degrés .
M. Hoin a dorné l'explication d'un
phénomène de la viſion fur lequel il avoit
déjà fait connoître ſa façonde penſer dans
les ſéances des 28 Avril & 9 Juin de cette
année.
Ce phénomène eſt que la flamme d'une
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
bougie qui , vue à travers un verre rouge,
paroît rouge , & bleue ſi on la regarde à
travers un verre bleu , devient purpurine
ou violette ſi les yeux ſont couverts
l'un d'un verre bleu & l'autre d'un verre
rouge .
M. Jeannin avoit cru qu'il étoit impoſſible
d'expliquer ce phénomène par le
ſyſtême admis pour rendre raiſon de la
viſion . M. Hoin a prouvé que ce ſyſtême
étoit ſuffisant pour donner l'explication
dece phénomène.
La féance a été terminée par M. Maret
qui , en l'absence de M. Legouz , a lu un
fragment d'un eſſai hiſtorique fur les premiers
Rois de Bourgogne , dont cet académicien
eſt auteur.
11.
ROUEN.
L'académie des ſciences , belles lettres
& arts de Rouen propoſe pour le ſujet du
prix qu'elle doit diftribuer cette année , la
queſtion fuivante : Déterminer dans les
principes du goût ce qui appartient à la
nature & ce qui appartient à l'opinion pour
en conclure jusques à quel point un homme
de génie doit s'accommoder au goût de
MARS. 1770. 155
Sonfiècle&defa nation . L'académie s'exprime
en termes généraux , parce qu'elle
entend que les ſolutions conviennent
également à tous les beaux arts qui , malgré
la diverſité de leurs procédés , ne
compoſent pas moins que les productions
de la nature une unité réelle. Les auteurs
font priés d'envoyer leurs ouvrages
francs de port & dans la forme ordinaire
, avant le premier Juillet prochain , à
M. Haillet de Couronne , fecrétaire perpétuel
de l'académie .
III.
CAEN.
L'académie de Caën propoſe , pour le
ſujet du prix qu'elle doit diſtribuer cette
année : Quelle est la différence du génie
national fous le regne de Louis XIV &
fous celui de Louis XV, & quelles enfont
les conféquences ? Ce prix qu'elle doit aux
libéralités de M. de Fontette , intendant ,
fon vice- protecteur , comme elle en doit
le ſujet à ſes lumieres , conſiſte en une
médaille d'or de la valeur de 300 livres .
Les ouvrages feront remis , francs de port ,
avant le premier Novembre prochain , à
M. Rouxellin, fecrétaire , ou à M. Leroy ,
imprimeur de l'académie.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
I V.
CLERMONT - FERRAND.
La Société des arts , ſciences & belleslettres
de Clermont Ferrand , a tenu , ſuivant
l'uſage , le 25 Août 1769 , fon afſemblée
publique dans la grande ſalle de
P'hôtel de ville .
,
M. de Vernines , avocat général a
fait l'ouverture de la féance par l'éloge de
feu M. l'abbé de Vienne , membre honoraire
de la fociété. Le diſcours , écrir
avec nobleffe & précifion , a paru aux
auditeurs digne dela mémoire d'un homme
que ſes talens & fes vertus rendoient
cher à leurs concitoyens.
M. le curé de Saint Genêt a fait enfuite
la lecture d'un ouvrage ſur la néceffité
de ſe borner aux devoirs de fon étar.
Quoique le ſujet ne préſentat rien de
neuf à traiter , l'auteur n'a pas laiffé
d'en tirer parti , en développant avec
énergie une vérité qu'il a cru devoir
rendre d'une manière d'autant plus fenfible
, qu'on affecte tous les jours de la
méconnoître.
M. Garmage , fecrétaire acontinué
la féance par une lecture de l'éloge de
feu M. Lemaffon , prieur des Prémontrés
&membre de la ſociété.
MARS.
1770. 157
Dom Deschamps , de la congrégation
de Saint Maur , a lu enfuite un mémoire
dans lequel il a examiné ti l'acte , rapporré
par Baluze , prev. de l'hiſt . , pag.
78 , par lequel Guy II , comte d'Auvergne
, donne ſa ville de Clermont en dépôt
à ſon frère Robert , évêque de cette
ville , eſt un acte véritable. Après avoir
ſcavamment difcuté les raiſons pour &
contre , par les regles de la diplomatique ,
& par l'hiſtoire , l'auteur a prétendu que
cet acte n'a été fabriqué qu'au feizième
fiécle , en faveur de Catherine de Médicis
, qui étoit aux droits des comtes
d'Auvergne , lorſqu'elle revendiqua , en
ISSt , la ville de Clermont , fous Guillaume
Duprat , qui en étoit évêque .
ÉCOLE VÉTÉRINAIRE.
I.
UNE maladie s'étoit déclarée dans la
paroitle d'Eſtreux , province du Hainaut ,
fur vingt & un chevaux appartenans au
Sr Antoine le Maire , nayeur d'Eſtreux ;
le Sr Girard , privilégié du Roi em l'art
vétérinaire, a requis un certificat des ſoins
I18 MERCURE DE FRANCE.
qu'il s'eſt donnés en cette occafion . Ce
certificat eſt conçu ainfi : " Nous ſouffi-
>> gnés Curé , Mayeur & gens de loi du
>> village d'Eſtreux,certifions que le SrGi-
>> rard, élève de l'école royale vétérinaire,
>> breveté & privilégié du Roi pour cette
>> province , s'eſt tranſporté ici par ordre
>> de M. l'Intendant, à l'effet de remédier
>>à une maladie dont les chevaux , au
>> nombre de vingt & un étoient atta-
>> qués , appartenans au nommé le Maire,
» Mayeur ; que douze en étoient déjà
>> morts avant ſon arrivée , &que par les
>> talens & foins aſſidus dudit Sr Girard ,
> les neuf autres deſd . chevaux ont été
» guéris radicalement .
,
>>Certifions de plus que ladite mala-
>> die , avant l'arrivée du Sr Girard , avoit
» été traitée ſans ſuccès par différens ma-
>>réchaux dont l'impéritie lesa portés à
>> croire , voyant l'inſuffiſance de leurs
>> moyens , que cette maladie étoit un
>> fort jeté par des voies inconnues fur
>> ces animaux. Ce 18 Novembre 1769 .
» Signé , LE MAIRE , THELLIER , Rou-
>> COUX , NONCLERIG & COCHE .
>>Vu par Nous maître des requêtes ,
> intendant du Hainaut.
» Signé , TABOUREAU.
MARS.
1770. 159
1 I.
Le Sr Girard , élève des Ecoles Royales
Vétérinaires , privilégié du Roi en cet art
pour la province de Hainaut , ſe tranfporta
dans la paroiſſe de Potelles le 12
Décembre dernier par ordre de M. Taboureau
, intendant à Valenciennes , chez
le nommé Roufſeau , fermier , à l'effet d'y
traiter un troupeau de deux cens foixantedix
moutons attaqués d'un claveau confluent
; il en étoit mort cinquante - cinq
avant fon arrivée , quinze font morts entre
ſes mains , & il en a guéri deux cens.
C'eſt ce qui eſt prouvé par le certificat
Signé , L'EMPEREUR , GLUSSEL , paſteur
à Villevaux & POTELLES , CARONDELETPOTELLES
, lequel a été viſé par M. l'intendant.
111.
Le ſamedi 20 Janvier ily eut une diftribution
de prix à l'Ecole royale vétérinaire
de Lyon. L'absence de M. de Flefſelles
, intendant de Lyon , la rigueur&
l'âpreté du tems rendirent cette féance
moins nombreuſe & moins brillante que
les précédentes ;mais pluſieurs des home
160 MERCURE DE FRANCE.
mes qui honorent la chirurgie dans cette
ville , & qui , comme citoyens , s'intéreſfent
à un établiſſement aufli utile , daignerent
facrifier des momens précieux & s'y
rendre.
De quatorze élèves admis au concours,
il y en a eu ſept qui ont été couronnés ,
tels font les nommés Dauris, qui n'eſt à
l'école que depuis un mois , & qui fait ,
fans aucun fecours de fa province , tous
les fraisde ſon inſtruction ; Vial , Roy ,
Charpy , Fou nier , Anetille , & Mongin
que le fort a favotifé.
Les nommés Mayeur , d'Hainy , Laurent
, David & Varenard ont obtenu
Facceffit.
Ondoir aux nommés Miane & Ménard
de Bordeaux , Jannin , de Lyon , Aubert,
de la Touraine , & Baſinet , de Franche-
Comté , la justice de ne pas les lauffer dans
Poubli ; s'ils ne ſe ſont pas montrés publiquement
, ce n'eſt point à raiſon de leur
incapacité , mais à cauſe d'une timidité
qu'ils n'ont pu vaincre , &de la difficulté
éronnante qu'ils ont à s'exprimer & à ſe
faire entendre , dont ils triompheront
peut- être avec le rems.
C'eſt au zèle des chefs des brigades
MARS. 1770. 161
feuls que font dûs les progrès auxquels le
Public a bien voulu applaudir.
LETTRE d'un Négociant de Bordeaux,
aux Amateurs du Mercure.
MESSIEURS ,
Perſonne n'a plaidé la cauſe du commerce
avec autant d'eloquence & d'intérêt
que les gens de lettres d'une claſſe diftinguée
, qui ſubſtituentde tems en tems
des idées grandes & folides aux opinions
frivoles & aux préjugés dangereux. Un
de mes confreres , pénétré de la reconnoiffance
que l'on doit aux lettres & que
l'on ſent davantage à mesure qu'on eſt
plus inſtruit , a voulu imiter ceux qui ont
donné à des vaiſſeaux qu'ils venoient d'armer
, les noms de M. de Voltaire & de
M. Thomas , & a cru honorer fon vaifſeau
en lui donnant le nom de M. d'Alembert
qui a porté dans la géométrie un
efprit de création , & qui est encore plus
généralement célèbre par ſes productions
littéraires , ſon génie philofophique &
162 MERCURE DE FRANCE.
l'immortelle préface de l'encyclopédie.
J'ai l'honneur d'être , &c .
VERS qui se trouvent au bas du maufolée
de Stanislas , Roi de Pologne , élevé
par les ordres de l'hôtel - de-ville de
Nançi , dans l'égliſe paroiſſiale de St
Roch pour la pompe funebre de co
Prince , & tranſporté depuis au même
hôtel-de- ville.
Iln'eſtpointde vertus que ſon nom nerappelle.
Philoſophe& guerrier , monarque & citoyen ,
Son génie étendit l'art de faire du bien ;
Charles fut fon ami , Trajan fut ſon modèle.
Ces vers qui , dans le genre de l'infcription
peuvent être regardés comme un
modèle pour la préciſion , l'élégance & la
plénitude des idées , font de M. l'abbé
Porquet , docteur de Sorbonne & académicien
de Nancy , qui a cru devoir cet
hommage à la mémoire d'un prince dont
il étoit l'aumônier,&qui l'honoroitd'une
protection ſpéciale &d'une bienveillance
diftinguée.
MARS. 1770. 163
VERS préſentés à Madame la Comteffe
DU BARRY , furfon portrait.
Pour peindre du Barry ,
l'art ,
ſans le ſecours de
Il faut le plus beau teint , un coloris ſans fard ;
Le maintien ſans apprêt , la taille fine& leſte;
L'air grand , majestueux , le ris noble & modefte ;
Des yeux dont la candeur annoncent la bonté ;
Le regard enchanteur fait pour la volupté :
Lesqualités du coeur que l'on admire en elle ,
Gages du ſentiment d'une vertu réelle ,
Et ſa bouche de roſe , où gît la vérité ,
Organe du bonheur & de l'humanité ;
Peintres audacieux , conſultez la nature ,
Loinde vous occuper à flatter l'impoſture.
Connoiſſez ce beau tout , cet enſemble parfait;
Admirez du Barry , fon ame eſt ſon portrait.
Par Mde de Servins du Mobert.
164 MERCURE DE FRANCE.
USAGES ANCIENS .
Cérémonie du Chana de la Voûte.
LES Officiers du Seigneur de St Ilpize en Auvergne
étoient dans l'uſage tous les ans d'aller
le 2 de Janvier , jour de la foire appellée de St
Ouzials , * de la ville de St Ilpize au bourg de
la Voûte avec des armes , précédés de jongleurs ,
de menetriers , des fergens du ſeigneur , qui
avoient leurs épées ceintes en bâton , & d'un valet
portant un pot vide, appelé chane ou chana
en vulgaire, contenant feize à dix- ſept pintes
de vin, meſure de Paris. Dans cet équipage ils
arrivoient au bout du pont de la Voûte , où ils
trouvoient les habitans du Mas des Traverſes ,
qui venoient tous les ans payer leur devoir en cet
endroit , qui rempliſſoient de vin la châne ou por.
Enſuite la bande paſſoit le pont & entroit dans le
bourg , où elle ſe promenoit juſqu'à ce qu'on lui
offrit une maifon convenable à fon choix , pour
aller boire ce vin ; après , ces gens s'en retour
noient comme ils étoient venus. L'an 1377 , le
feigneur de St Ilpize envoya à l'ordinaire ſes offi
ciers pour faire la cérémonie de la châne. Le
*St Odile , des Sires de Mercoeur . ( Seret fondateurdu
prieuré de la Voûte , abbé de Cluni. )
MARS. 1770 .
165
prieur de la Voûte , ordre de Cluni , ordonna à
fon bailli de troubler les gens du feigneur de St
Ilpize ; en conféquence il affembla du inonde&
vint à leur rencontre; on caíla le pot ou châne ,
plein de vin , qui fut répandu par terre , on briſa
les inftrumens des ménetriers , on s'empara des
épées des fergens ; enfin , on mit toute la troupe
en déroute en leur faiſant plusieurs autres
excès& v llenie.s Devineroit - on ce qui arriva
? Il y eut des requêtes préſentées à M. le Duc
de Berry & d'Auvergne , qui nomma pour commiflaire,
dans cette affaire , Guillaume de Villebeuf,
chevalier , ſon ſénéchal d'Auvergne , qui
ordonna une pourſuite très-rigoureuſe contre les
religieux , Prieur de la Voûte & leurs officiers ,
&on les condanna , comme de raiton , à l'amende
, aux dépens , dommages & intérêts , avec défenſe
de plus troubler le ſeigneur de Saint Ilpize
dans ſes droits. Cela dura ainſi julqu'au 23 Décembre
de l'an 1391. Ce jour-là Beraud Dauphin ,
ſeigneur de St Ilpize , défendit à ſes officiers de
continuer ce droit , ſous le prétexte des juremens ,
blafphemes , inconvéniens qu'il en réſultoit pour
la foire , & pour les moines qui , de leur côté , le
dédommagerent amplement , en changeant ce
droit pour une meile folemnelle & conventuelle
le 2.de Janvier, une autre , du St Eſprit , le 3 du
même mois , & douze meſſes des morts , le 2 de
chaque mois , tous les ans àperpétuité ; où les
parens , les amis & les fuccefcurs de ce ſeigneur
ont droit , comme bienfaiteurs anciens & nouveaux
de ce monastere , ce qui leur eſt infiniment
plus avantageux que de percevoir 2 fols de rente
que l'on portoit dans les comptes qui failoient
166 MERCURE DE FRANCE.
alors la valeur de 16 à 17 pintes de vin dupays ,
& qu'on n'y trouve plus depuis cette année - là.
N. G.
Rien de plus heureux dans le militaire
que la perfection & la fimplicité de la
tactique. On en eſt redevable à la fageſſe
des vues d'un miniſtre éclairé qui
a ſenti que tout ce qui étoit long & de
détail devant l'ennemi étoit dangereux.
Dès avant la derniere formation & les
dernieres ordonnances, M. le marquis de
Molac , maréchal des camps & armées
du Roi , & ci - devant colonel du régiment
de Périgord , avoit déjà accoutumé
ſa troupe à des mouvemens furs, prompts,
ſimples , faciles &utiles à la guerre : on
verra ſans doute avec plaisir , dans ce mémoire
curieux , l'eſprit obfervateur & le
génie d'un officier diftingué & connu par
ſes lumieres dans l'art militaire .
MÉMOIRE fur une mandeuvre & difpofition
particuliere d'attaque , proposée &
détaillée selon le plan ci - joint ; par
M. le Marquis de Molac , maréchal des
MARS.1770. 167
camps & armées du Roi , d'après l'exé.
cution qu'il en afaitfaire en petit au
régiment de Périgord en 1756 .
ES
in-
Les différentes commiſlions dont on peut le
trouver chargé à la guerre , l'uſage qui s'eft
troduit depuis la nouvelle ordonnance d'avoir , à
la fuite de chaque bataillon d'infanterie, une piécedecanon
à la fuédoiſe , ledefir de l'appliquer
utilement pour l'exécution de certaines manoeuvres
, ont fait naître à M. de Molac l'idée d'une
nouvelle diſpoſition d'attaque, fondée ſur la force
del'infanterie, ſur le bon emploi de l'artillerie , &
fur les principes de tactique les plus fûrs & les
plus généralement reçus par tous les militaires
éclairés.
Elle ſe forme par des mouvemens fimples qui
ne préſentent aucun inconvénient ni aucun de ces
détails qui , devant l'ennemi , ſont toujours dangereux.
M. de Molac , pour mieux juger d'une manærvre
dont l'application lui a paru dans beaucoup
decirconstances ſuſceptible de ſuccès , & pouvoir
s'exécuter en grand avec avantage , fur - tout ,
ayant un nombre de troupes fufhiant & proportionné
à l'objet qu'il s'agit de remplir , en a fait
un eſlai en petit. Ila combiné le ſuccès de l'impulfion
que procure une profondeur bien ménagée
, qui feroit protégée dans ſes flancs par un
feu de mouſquererie exécuté à propos & avec économie;
défendue à fon centre & aidée dans toute
ſamaſſe par une bonne artillerie bien conduite ,
168 MERCURE DE FRANCE.
&qui ſeroit d'autant plus ſurement ſervie , qu'elle
ſe trouveroit couverte & foutenue ; il a donc fait
exécuter au régiment qu'il commandoit cette difpofition
dans l'ordre , & telle qu'il l'a conçue dans
tous ſes avantages .
Avec un corps composé de pluſieurs compagnies
C, de grenadiers & piquets D & E , & de
deux brigades d'infanterie A & B , de quatre bataillons
chacune , 1 , 2 , 3 & 4 , chaque bataillon
ayant à ſa ſuite une pièce de canon à la luédoiſe ,
M. de Molac ſuppoſe être chargé de s'emparer du
poſte F , qui auroit un front d'une certaine étendue
, & qui , par conféquent , exigeroit pluſieurs
points d'attaque.
Dans l'intervalle LM , ménagé à cet effet entre
les deux colonnes de la droite & de la gauche , il
réunit les quatre piéces de canon de chaque brigade,
leſquelles rempliffent le vide & l'intervalle
d'une colonne à l'autre.
Il fait protéger le flanc extérieur de chaque colonne
, fuivant la poſition de l'ordre des bataillons
par deux compagnies de grenadiers C , ou par
deux compagnies de fufiliers qui , en ménageant
leur feu , tireront alternativement par pelotons de
droite& pelo.ons de gauche , ſans trop s'écarter
du flanc extérieur des colonnes que ces compagnies
de grenadiers & piquets font deſtinés a foutenir
& à proteger.
Par cette diſpoſition , les colonnes couvrent
L'artillerie ; artillerie placée entre les colonnes
en favorife l'action & le débouché ; les quatrecolonnes,
juſqu'au moment qu'ellesrecevront ordre
de
MARS. 1770 .
169
de ſe porter chacune ſur leur point d'attaque, doivent
toujours marcher ſur deux lignes paralleleiment
ſans ſe dépaſſer ni trop s'éloigner , enfia
toujours, autant que faire ſe peut, à la même hauteur.
L'artillerie , dans ſa manoeuvre , ne doit pas
trop dépaſſer la tête des colonnes afin de pouvoir
toujours , par fon feu , en favorifer l'impulfion &
le fuccès .
Derriere chaque colonne ſe placent en ferrefile
cent fufiliersE , pour être en état d'empêcher
que la queue& le derriere de la colonne ne puiffent
être furpris & entamés.
Détail & formation de toute cette
difpofition.
Les deux brigades A & B , formées & enbataille
fur fix homines de hauteur faiſant face à l'ennemi
à une portée , &dans une pofition où l'on
puiflemanoeuvrer ſans danger.
D'abord dans chaque brigade on fait marcher
en avant les deux bataillons 1 & 4, enfuite on
faitdoubler les deux bataillons du centre 2 & 3 ,
derriere les deux bataillons des aîles qui ont marché
en avant.
Les compagnies de grenadiers C, & les piquets
déſignés pour ſoutenir le flanc extérieur des colonnes
, s'ébranlent au pas ordinaire , & gagnent
enſuite au pas redoublé , chacun de leur côté, le
flanc extérieur de la colonne qu'ils doivent défendre.
Chaque peloton ferre-file E , gagne la queue&
le derriere de la colonne qu'il doit garder ;les mê-
H
170. MERCURE DE FRANCE.
mes mouvemens s'exécutent à la brigade de la
droite comme à la brigade de la gauche , dans le
même tems , dans la même forme & avec le même
ordre.
Ces mouvemens donnent quatre colonnesG ,
H, I , K , qui ont la même force , la même profondeur
, & qui ont , dans les différens points eflentiels
, exactement les mêmes défenſes .
Lorsdes mouvemens ordonnés pour toute cette
diſpoſition , les quatre piéces de canon de chaque
brigade pour ſe placer dans le centre vide & l'intervalle
L M, entre les colonnes G, H , I & Ky arrivent
d'abord précédées & maſquées par cent fufiliers
D. Ceux- ci qui font le centre des colonnes
& les lient enſemble , après avoir marché en front
de bandiere avec elles le tems néceſſaire pour dérober
à l'ennemi la connoiſlance de l'artillerie
qu'ils couvrent , & après avoir tiré une ſeule fois
par peloton de droite & peloton de gauche , rechargent
promptement leurs armes , démaſquent
les quatre piéces d'artillerie & viennent au pas redoublé
ſe poſter derriere elles. Ils y demeurent
pour les défendre & les protéger , marchent pour
ceteffetderriere & reſtent tour le tems du combat
les armes chargées , ne devant plus tirer que dans
la néceſſité , &le feu ne devant être produit & répéré
avec la plus grande vivacité ſur les différens
points d'attaque que par l'artillerie qui eſt au centre
& par la mouſquererie des compagnies de grenadiers
ou des piquets qui défendent & protégent
les flancs des colonnes .
Tous ces mouvemens ſimples & faciles, & toute
cette diſpoſition , doivent , ainſi qu'on l'a déjà
MARS. 1770 . 171
dit, s'exécuter dans le même tems , à la brigade
de la gauche comme à la brigade de la droite.
Dans le cas où l'ennemi voudroit attaquer les
flancs extérieurs des colonnes , les compagnies de
grenadiers C, ainſi que les piquets en ferre file E ,
pourroient ailément, par un quart de converfion,
ſe préſenter en front ; on pourroit auſſi diſpoſer
fur les flancs de cette manoeuvre , quelques eſcadrons
de cavalerie qui attendroient le moment de
s'ébranler à propos pour tomber, par un trot progreffif
, ſur l'ennemi déjà en déſordre , & achever
le ſuccès qu'auroient eu les colonnes d'infanterie.
En général à la guerre il n'y a point de règle fixe
pour les cas particuliers.
Le terrein , la poſition de la troupe à laquelle
on a affaire , ſon nombre , la nature & l'eſpéce
de celle que l'on commande , doivent décider
l'homme de guerre .
L'inſpection du plan peut faire juger de l'utilité
de cette manoeuvre dans bien des circonstances .
RENVOIS pour l'intelligence particuliere du
plan.
Formation des colonnes.
Premier mouvement :
1 & 4bataillons des aîles marchant en avant
pour former des colonnes.
Deuxiéme mouvement .
2& 3 bataillons du centre qui vont ſe réunir&
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ferrer derriere les bataillons des aîles , ce qui décide
la formation des colonnes .
A, brigade de la droite
B, brigadede la gauche
en bataille , chacune de4.
bataillons de 600 hommes
fur 6de hauteur.
C, Piquets de cent grenadiers fur trois de hauteur
, pour protéger les flancs extérieurs des colonnes
. i
D, Piquets de cent fuſiliers ſur trois de hauteur
pour former le centre entre les colonnes , les lier
enſemble , maſquer l'artillerie , & qui doivent ſe
porter derriere après leur premier feu.
E, Piquets de cent fufiliers ſur trois de hauteur,
en ferre-file , derriere chaque colonne , & deſtinés
à empêcher que leur queue ne ſoit ſurpriſe& entas
mée.
F, Poſte à attaquer.
G, H , I , K. Les quatre colonnes,
L. M. Leur centre,
N. Les canons & les canoniers de chaque bas
raillon,
O. Les canoniers réunis en un corps pour le ſers
wice de l'artillerie qu'ils ontdevanteux.
P. Mouvemens qu'on propoſe de faire faire aux
piquets de grenadiers, & auxpiquets de ferre-file,
il'ennemi vouloit attaquer les flancs extérieurs
des colonnes.
Q. Pofition des piquets de fufiliers , après qu'ils
ont démaſqué l'artillerie & exécuté un premier
feu pour l'ouverture de l'attaque,
MARS. 1770 . 173
La manoeuvre dont nous venons de donner le
détail , confirme , autant que nous pouvons en juger
, la capacité reconnue de M. le Marquis de
Molac , & fon application à ſon état. Depuis
long-tems ceux de ce nom ont produit des hommes
diftingués par leurs talens , leur paſſion pour
la gloire& leur attachement au ſervice du Roi.
L'hiſtoire nous apprend qu'à la bataille de Pavie ,
Jean le Sénéchal , gentilhomme de la chambre de
François Premier , & capitaine de cent hommes
d'armes , voyant un arquebufier prêt à tirer ſur le
Roi , ſe précipita au- devant du coup , & ſauva
ainſi la vie à ce prince par le ſacrificede la ſienne.
Én 1704 , Sébastien le Sénéchal, chevalier de
Carcado Molac , fut choisi pour commander en
chefà Naples , où il fut chargé d'affaires également
politiques & militaires , dont il s'aquitta à
la fatisfaction des deux Couronnes ; honneur qu'il
obtint n'étant que brigadier & à l'âge de 27 ans
en confidérationdes preuves qu'il avoit déjà données
de ſon intelligence. Il fut tué maréchal de
camp , d'un éclatde bombe au fiége de Turin en
1706.
Son coufin le Marquis de Carcado , colonel au
régiment DauphinEtranger cavalerie &brigadier
des armées du Roi , fut auſſi tué à ce fiége.
*Ala fameuſe fortie de Pragues, en 1742 , René-
Alexis le Sénéchal , marquis de Molac , périt à la
tête du régiment de Berry , infanterie, dont il étoit
colonel. Cebrave officier , bleſlé de ſept coups de
fufil , dont le moindre étoit mortel , dit , en tombant
, à fon aide - major : Menard , faites marcher
lesgrenadiers&tout mon détachement ſur la gauche,
les ennemis ſe portent de ce côté- là. C'étoit
Π
Hiij
1
174 MERCURE DE FRANCE.
le frere de M. le Marquis de Molac d'aujourd'hui .
Nous ſaiſiſſons avec plaifir l'occafion de rappelerdes
fairs intéreſſans pour une nation généreuſe,
glorieux pour une maiſon ancienne , & capables
d'exciter une heureuſe émulation.
ARTS.
SCULPTURE.
M. VASSE , ſculpteur du Roi , vient
de finir , pour le Roi de Pruſſe , une ftatue
de Diane, de fix pieds de proportion. Les
amateurs & tous ceux qui ont le ſentiment
du beau, ont vu avec la plus grande fatisfaction
, dans l'atelier de cet artiſte au
vieux louvre , cette nouvelle production
de ſon ciſeau. La déeſſe eſt repréſentée
dans le moment qu'elle part pour la chafſe.
Elle s'eſt ſaiſie de fon carquois , court
&tourne la tête comme pour adreſſer une
derniere parole à Apollon. Le moëlleux
des mouvemens , l'élégance des contours,
les beautés fublimes des formes ont fait
diſparoître le marbre; on n'apperçoit plus
que la déeſſe aux pieds légers. Elle a cette
taille ſvelte qui convient à une divinité
dont la chaſſe eſt l'exercice favori. Le filer
MARS . 1770. 175
placé fur le tronc d'arbre qui fert de ſupport
à la ſtatue , la courroie à laquelle eft
attaché le carquois , les fléches & les autres
acceſſoires préfentent des détails affaifonnés
de toutes les fineſſes d'un ciſeau
exercé & délicat. La ſtatue entiere offre
une heureuſe aſſociation des vérités de la
nature au caractère grand de l'antique.
Unmonument de la plus grande importance
que nous offre ce même atelier
fixe avec intérêt les regards ; c'eſt le maufolée
de Staniſlas le Bienfaifant , qui doit
être érigé dans l'égliſe de Notre - Dame
de Bon Secours , à Nanci. Ce monument
n'eſt pas fini ; mais il eſt aſſez avancépour
en pouvoir reconnoître toutes les beautés.
Le Roi , revêtu de l'habillement po-
Jonois , eſt placé ſur un piédeſtal engagé
dans une primimide , symbodimmortalité.
Ce piédeſtal eſt élevé fur trois fo
cles . Sur celui du milieu eſt poſé le globe
de la terre couvert d'un grand drap more
tuaire . A la droite du monument on voic
Ha Lorraine , & à la gauche une Charité.
Ces figures peuvent avoir ſept pieds de
proportion. Le monarque jette ſes regards
fur le médaillon de la Reine de France
dont le coeur eſt déposé, ſuivant les in
His
176 MERCURE DE FRANCE.
tentions de cette auguſte princeſſe , à coté
du tombeau du Roi fon pere. Ce médaillon
eſt foutenu par deux anges . Un
d'eux ſemble faire hommage du coeur de
la Princeſſe au Roi ſon pere ; ce qui jette
un intérêt touchant dans ces deux monumens
& en lie la compoſition . La Lorraine
, ſous la figure d'une femme de la
proportion la plus élégante , & qui a fur
la tête une couronne ducale , témoigne ,
par ſon attitude pleine de vie & de mouvement,
la fatisfaction qu'elle éprouve à
la vue de l'image de fon Prince & de fon
bienfaiteur. Elle tient des tables d'airaim
fur leſquelles font gravés les principaux
faits de la vie de ce monarque. La figure
quirepréſente la Charité , a cette douleur
accablante que l'on reffent lorſqu'on a
perdu ſon protecteur , ſon appui & tout
ce que l'on a au monde de plus cher. Le
ouble qu'éprouve cette femme , ſemble
ſe communiquer à l'enfant même attaché
à ſon ſein. Ces deux figures , ſoit pour les
formes , ſoit pour les attitudes & les expreſſions
, préſentent le contraſte le plus
heureux , le plus vrai & le plus frappant.
Les ornemens étrangers , tous ces petits
détails qui annoncent la ſtérilité, ſont ſage.
ment écartés de cette compoſition. On y
1
MARS. 1770% 177
apperçoit par- tout ce caractère de noblef.
ſe& de fimplicité que les grands artiſtes
ont toujours donné à ces fortes de monumens.
Unautre monument en marbre , érigé
àla mémoire de M. de Brou , garde des
ſceaux , nous offre encore dans ce même
atelier une belle image de la douleur ,
mais différente de celle que nous venons
de décrire. La figure qui la repréſente a
quatre pieds & demi de proportion. Sa
tête eſt penchée ſur ſon bras droit appuyé
fur un cube. Les traits de ſon viſage&
toute ſon attitude expriment cette douleur
douce & mélancolique qui s'exhale d'un
coeur ſenſible & reconnoiffant. Le cube
eſt ſurmonté d'une double urne. Il eſt
poſé ſur un retable dont la friſe contient
l'inſcription du monument. Sur une table
inférieure eſt placé le médaillon deM. de
Brou , accompagné des maſſes de garde
des ſceaux. Un linceul couvre une partie
de ces maſſes & forme autour du médaillon
une eſpéce de guirlande qui interrompt
la trop grande uniformité des
lignes droites. Ce monument doit être
placé dans la chapelle de la famille àSr
Meri..
178 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
I.
L'ENLEVEMENT des Sabines , eſtampe
de 25 pouces fur 20 de hauteur , eſt d'après
le fameux tableau de Rubens , fi
connu des amateurs , & que l'on voit a
Anvers dans le cabinet de Mde Borchaen .
La compoſition la plus riche y est enchaî
née de la maniere la plus étonnante ; les
grouppes y font ingénieuſement diſtribués
, celui fur-tout qui repréſente l'homme
à cheval , qu'un de ſes compagnons
aide à charger ſa proie, eſt de la plus
grande beauté; pluſieurs pages fuffiroient
à peine au détail des penſées ingénieuſes
&vraies dont ce ſujet eſt rempli . M.
Marteneſie , à qui nous devons ce chefd'oeuvre
de gravure , a ſu faire paffer fur
ſa planche toutes les beautés de fon original
; les caracteres de tête , les vérités
d'étoffe , l'illuſion de la perſpective , le
brillant même de la couleur , font rendus
par un burin libre & favant : peu d'eftampes
ont un effet plus piquant : celui
que celle - ci produit au premier coup
MAR S. 1770 .
179
d'oeil eſt dû à la profonde connoillance
que l'artiſte paroît avoir du clair- obfcur ,
à l'intelligence des clairs , des ombres ,
des demi-teintes , & fur-tout à la pureté
du trait ; car ce n'eſt point ſur le graveur
que doivent tomber toutes les obſervations
que l'on pourroit faire fur la correction
dudeſſin qui n'eſt pas toujours bien
exact dans le tableau , & fur lequel l'auteur
n'eſt pas toujours exempt de reproches
; mais ſi quelque choſe peut juſtifier
l'habitude qu'il avoit de faire des femmes
trop fortes , c'eſt ſans doute le ſujet qu'il
a choiſi dans cette occaſion ou la violen.
ce des mouvemens autoriſe des muſcles
plus fortement prononcés .
4
L'eſtampe ſe vend à Anvers , chez l'auteur
, place de mer; & ſe trouve à Paris ,
chez Aliamet , graveur , rue des Mathurins:
/
II.
7
Portrait de Moliere , méditant fur les
vices&les ridicules , gravé d'après Coypel
; par Ficquet, graveur de Leurs Majeftés
Impériales & Royales.
Les maſques de la comédie entaſſes &
répandus ſur la ſurface d'un globe , défi
H vj
180 MERCURE DE FRANCE .
gnent quelques uns des caracteres que.ce
grand homme a traités dans ſes pièces :
une guirlande de feuilles de lierre les lie
ensemble & fait l'ornement de la bordu .
re deſſinée de très bon goût , par. M. Choffar
, & gravée par M. de Launay. Cette
nouvelle production du burin de M. Ficquet
n'eſt pas moins précieuſe que celles
qu'il nous a déjà données , & mérite les
plus grands éloge. On trouve ce portrait,
ainſi que ceux de MM. de Voltaire , la
Fontaine , J. B. Rouſſeau , P. Corneille &
Deſcartes , chez tous les marchands d'eftampes
, chez M. Wille , graveur du Roi,
quai des Auguſtins , & chez la veuve
Duchefne , libraire , rue St Jacques. Prix.
3.liv. piéce.
III.
M. Monet , ancien directeur de l'opé
ra comique , & l'éditeur de l'anthologie
françoiſe , vient de donner au public un
projet de Wauxhall , conçu dès l'année
1.765 . Il devoit être placé dans le bois
de Boulogne , près la croix de Mortemart
: ce Wauxhall , qui paroit mériter
la préférence ſur tous ceux qu'on a vus
juſqu'à préſent , par ſa poſition , ſa belle
architecture , le goût & la variété re
MARS. 1770. 181
pandus dans les différens ſalons & les
jardins , eſt gravé en quatre planches ,
par nos meilleurs artiſtes , d'après les
deſſins de M. Louis , ancien penſionnaire
du Roi , & premier architecte du Roi de
Pologne , connu d'une manière ſi diſtinguée
par fa chapelle Ste Marguerite. La
première de ces planches contientle plan
du bois de Boulogne ; la ſeconde , celui
du Wauxhall ; la troiſième , la coupe ; &
la quatrième , l'élévation de cet édifice ,
qui n'eût pas manqué de faire les délices
de Paris . On trouve auffi à la tête de cette
collection un diſcours préliminaire : le
tout ſe vend 6 liv .
I V.
Lefoir & la nuit. Deux eſtampes en pendant
de 17 pouces de large ſur 13 de
haut , gravées d'après les tableaux originaux
de M.Vernet ; par M.J. Aliamet
, graveur du Roi & de l'académie
impériale& royale de Vienne. A Paris ,
chez l'auteur , rue des Mathurins , visà-
vis celle des Maçons. Prix 2 liv. 3 f.
chacune..
Le ſoir& la nuit forment avec lematin
& le midi , publiés précédemment les
1
182 MERCURE DE FRANCE.
quatre heures du jour. Cette ſuite des premieres
épreuves ſe vend 12 livres , chez
l'auteur. Les deux nouvelles eſtampes que
nous annonçons ne font pas moins intéreffantes
que les premieres. Dans celle
qui repréſente le ſoir , on voit une compagnie
de femmes qui ſe baignent. La
feconde offre un effet de clair de lune.
Une partie du ſite eſt encore éclairée par
le feud'un bucher. On reconnoît dans la
gravure le burin pur , agréable & varié
avec intelligence de M. Aliamet.
1
V.
Vénus & Paris fur le mont Ida , eſtampe
de 18 pouces de large ſur 15 de haut ,
gravée d'après Dietricy ; par Dupin ,
fils. A Paris , chez Deſclos , rue Poupée
, même maiſon de M. Remi ,
peintre.
Vénus eſt ici repréſentée à côté dubeau
berger Paris & environnée d'amours qui
s'empreſſent de la ſervir. Un d'eux lui
préſente un miroir. Cette compofition
nous rappelle le genre agréable de l'Albane.
Le Sieur Deſclos diſtribue chez lui une
autre eſtampe de 10 pouces de large fur
MARS. 1770 . 183
7de haut , d'après le tableau de M. Halé,
peintre du Roi. Elle repréſente une Savoyarde
qui a fur ſes genoux un enfant en
maillot . Un petit Savoyard cherche à l'amuſer
avec ſa vielle. Cette ſcène eſt d'une
vérité naïve.
VI.
Le choix du Poiſſon , eſtampe de 17 pouces
de large ſur 13 de haut , gravée
d'après le tableau de M. Vernet , peintre
du Roi ; par le Sr Legouaz . A Paris
, chez l'auteur , rue des Noyers , la
premiere porte cochere à droite en entrant
par la rue St Jacques.
Pluſieurs pêcheurs, hommes & femmes
s'occupent au bord de la mer à trier du
poiffon. On voit dans l'éloignement un
vaiſſeau avec toutes ſes voiles. Cette marine
eſt encore intéreſſante par le choix
du ſite , & la gravure en eſt très-foignée;
elle annonce avantageuſement le talent
du St Legouaz.
VII.
La bonne Amitié , eſtampe de 17 pouces
de haut fur 12 de large , gravée par
Chevillet d'après le tableau original de
184 MERCURE DE FRANCE.
M. Schenau , peintre de S. A. S. E. de
Saxe . A Paris , chez Chevillet , rue des
Maçons , maiſon de M. Freville .
La bonne Amitié eſt ici caractériſée
par deux jeunes Demoiselles qui confidérentdes
tourterelles qui ſe careffent. Les
différens ajuſtemens de ces jeunes perfonnes
& tous les acceſſoires du tableau of
frent de jolis détails qui ont été rendus
avecbeaucoup de netteté par le Sr Chevillet.
VIII
7
}
La Devideufe & la Cuisiniere italienne.
Deux eſtampes en pendant de 12 pouces
de haut fur 14 de large , gravées par
J. B. C. Chatelain, d'après des tableaux
originaux de L. Robert. A Paris , chez
Lempereur , graveur du Roi ,rue &
porte St Jacques , au - deſſus du petit
marché,
L'agrément du coftume & le pittorefque
du local rendent ces deux compoſi
Fions très-amuſantes . L'artiſte a rendu avec
intelligence l'effet du tableau.
M. Lempereur distribue auſſi chez lai
lavue d'un port de mer de 17 pouces, de
large fur 13 de haut , gravée d'après J..
MARS . 1770. 1.85
Vernet , peintre du Roi . On y voit plufleurs
vaiſſeaux en mer. Deux hommes &
deux femmes qui s'occupent à la pêchre à
la ligne ornent le devant de cette compofition
. M. Aveline , qui l'a gravée , lui a
donné de la couleur & de l'effer ..
Ι Χ.
Portrait de M. le Duc de Chevreuse , pair
de France, chevalier des ordres du Roi ,
lieutenant - général de ſes armées , colonel
général des dragons , gouverneur
& lieutenant - généré de la ville , prevôté
& vicomté de Paris , gravé par P.
C. Ingouf , d'après le deſſin de J. F.
Guiller . A Paris, chez l'auteur , rue des
Foſſés St Victor , maiſon de M. Giroux
, ſculpteur marbrier .
Ce portrait , renfermé dans un médaillon
, nous repréſente M. le duc de Chevreuſe
de profil & revêtu de l'uniforme
de dragon. Au bas du médaillon font placés
des trophées militaires. L'eſtampe a
12 pouces de haut fur 8 de large.
186 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
Second recueil de petits airs de chants
les plus à la mode , avec accompagnement
de Mandoline , & les folies d'Efpagne
avec des variantes faciles , dédié à
ſon alteſſe ſéréniſſime Madame la princeſſe
Caroline de Heffe-Philipſthal , par
M. Pietro Denis ; prix , 3 liv . 12 fols :
gravé par Madame Gérardin. A Paris ,
chez l'auteur , rue Montmartre , la porte
cochère en face de la rue Notre Dame
des Victoires , à côté du perruquier , &
aux adreſſes ordinaires de muſique.
Premier recueil de nouveaux duo de table
, par M. *** ; prix , 3 liv. A Paris ,
chez Feſſard , graveur ordinaire du cabinet
du Roi , rue Ste Anne , butte Saint
Roch , & aux adreſſes ordinaires de muſique.
Sixfimphonies à quatre parties obligées ,
les hautbois & cors ad libitum , dédiées à
MARS. 1770. 187
M. leducde Luynes , colonel général des
dragons , compoſées par J. B. Moulenghen
Dhalem , ordinaire de la comédie
italienne , exécutées au concert ſpirituel :
oeuvre premiere ; prix 12 liv. A Paris ,
chez l'auteur rue Verderet , chezun limonadier.
Bouin , marchand de muſique ,
rue St Honoré , au gagne- petit. A Lyon ,
chez Caſtaud , place de la comédie. A
Toulouſe , chez Bruner. Les parties de
haurbois peuvent être exécutées par deux
flûtes ou deux clarinettes .
, Quinze dno de violoncelle par M.
Schwachoffer ; prix 3 liv. 12 fols . A
Paris , au bureau d'abonnement de mufique
, cour de l'ancien grand cerf , rue St
Denis & des Deux Portes St Sauveur , &
aux adreſſes ordinaires .
Six fonates à violon seul & baſſe , par
M. Lolly ; prix 7 liv. 4 fols. Deuxième
recueil de chanſons pour la guittare , par
M. Félix ; prix 7 liv. 4 fols: chez Huberty
rue des Deux- Ecus , au pigeon
blanc.
د
188 MERCURE DE FRANCE.
Sonates en trio pour le clavecin , violon
&violoncelle , dédiées à Madame la ducheſſe
de Béthune , compoſées par M.
Couperin , organiſte de l'égliſe de Paris
& de St Gervais : oeuvre III ; prix 7 liv.
4 fols . A Paris , chez l'auteur attenant
l'égliſe St Gervais , & aux adreſſes ordinaires.
Troiſième recueil d'ariettes choiſſes & de
duo avec accompagnement de harpe , arrangé
par M. l'abbé Boilly , bénéficier de la
Ste Chapelle ; prix 8 liv. A Paris , chez
Coulineau , luthier & marchand de muſique
, rue des Poulies , & aux adreſſes
ordinaires.
4
MARS. 1770. 189
GÉOGRAPHIE.
I.
Quatrième & dernier volume de l'Atlas
méthodique & élémentaire de géographie
& d'histoire , dédié à M. le préſident
Hénault ; par M. Buy de Mornas ,
géographe du Roi & des Enfans de
France.
Ce quatrième volume eſt composé de
80 cartes , & termine la partiede la géo.
graphie & de l'hiſtoire ancienne ; il ne
céde en rien aux trois premiers , tant
pour le fond que pour l'exécution , &
renferme les plusbeaux traits de l'hiſtoire
tant facrée que profane. On y trouve ce
qui eſt arrivé de plus intéreſſant chez le
peuple Juif. On y fait obſerver que les
Juifs , après la mort du conquérant de
l'Afie , conſervèrent encore , pendant
176 ans , le privilège de ſe gouverner
fuivant leurs propres loix , l'obſervation
paiſible de leur religion , & l'uſage de
leurscérémonies. Ils ſe trouvèrent enfuite,
par la ſituation de leur pays , expoſés à
190 MERCURE DE FRANCE.
pluſieurs révolutions : ils furent conquis
par les Egyptiens, enſuite par les Syriens ,
& également opprimés par ces deux peuples.
Mais ils ſe délivrèrent de l'oppreffion
ſous la conduite des Machabées.Ce fut le
chefde la maiſon des Machabées,qui gouverna
la nation. Ils vécurent enfuite en république
ſous le pontificat d'Hircan , &furent
après foumis à Hérode ſous le regne
duquel naquit le Meſſie. Quant à l'hiftoire
profane , on y préſente les plus
beaux morceaux des différentes monarchies
. On y trouve l'hiſtoire des fuccefſeurs
d'Alexandre , des nouveaux royaumes
d'Egypte , de Syrie , des Parthes
d'Arménie , de Cappadoce , de Pont ,
de Bithynie , de Pergame , de Macédoine
, de Sparte , de Sicile , & des républiques
d'Heraclée , d'Athènes , d'Achaïe
, d'Etolie , de Carthage
Rome. Par le moyen de ce quatrième
volume, on a un cours complet d'hiſtoire
ancienne de géographie & de chronolo .
gie en 268 cartes , qui forment quatre
volumes.
&de
L'auteur invite MM. les ſouſcripteurs
à venir completer leur collection .
L'auteur demeure rue St Jacques , à
côté de St Yves.
د
:
MARS. 1770. 191
I I.
و
Cartes des troubles de l'eſt , contenant
l'empire Turc, la Volinie , la Podolie , la
Nouvelle Servie les Cataractes du
Nieper , le Kuban , la Circaffie, la Kabardie,
le plan d'Oczakow , la Dalmatie
Montenegrins , &c., par M. Lerouge .
,
Pour ſuivre les opérations de guerre ,
il faut joindreà ces cartes le théâtre de la
guerre des Turcs en deux feuilles , & la
carte de la Ruſſie méridionale en trois
feuilles , auſſi par M. Lerouge.
A Paris , chez l'auteur , rue des Grands
Auguſtins , 1770 .
TRAIT DE GÉNÉROSITÉ .
M. THOMSON , l'auteur du poëme des
Saiſons , ne jouit pas tout de ſuite d'une
fortune égale à fon mérite &àſa réputation.
Dans le tems même que ſes ouvrages
avoient la plus grande vogue , il étoit
réduit aux extrêmités les plus défagréables
; il avoit été forcé de faire beaucoup
de dettes ; un de ſes créanciers , immé-
-diatement après la publication du poëme
192 MERCURE DE FRANCE.
des ſaiſons , le fit arrêter dans l'eſpérance
d'être bientôt payé par l'imprimeur. M.
Quin , comédien , apprit le malheur de
Tomfon; il ne le connoiſſoitque par fon
poëme , &ne ſe bornant pas à le plaindre
comme une infinité de gens riches & en
état de le ſecourir, il ſe rendit chez le
bailli où Thomſon avoit été conduit ; il
obtint facilement la permiffion de le voir;
Monfieur, lui dit- il ,je ne crois pas avoir
l'honneur d'être connu de vous ; mais
mon nom est Quin. Thomfon lui répondit
que quoiqu'il ne le connût pas perſonnellement,
fon nom & fon mérite ne
lui étoient point étrangers. Quin le pria
de lui permettre de ſoupet avec lui & de
ne pas trouver mauvais qu'il eût fait apporter
quelques plats. Le repas fut gai ;
lorſque le deſſert fut arrivé , parlons d'affaires
à préſent , lui dit Quin , en voicile
moment : Vous êtes mon créancier , M.
Thomson ; je vous dois cent livresſterling
, & je viens vous les payer. Thomfon
prit un air grave , & fe plaignit de ce
qu'on abuſoit de fon infortune pour vewir
l'infulter. <«< Je veux être confondu ,
>>reprit. le comédien , ſi c'eſt là mon in-
>> tention ; voilà un billet de banque qui
> vous prouvera ma ſincérité. A l'égard
»de
MARS.
1770. 193
>> de la dette que j'acquitte , voici com-
>> ment elle a été contractée. J'ai lu lau-
>> tre jour votre pcëme des ſaiſons ; le
>> plaiſir qu'il m'a fait méritoit ma re-
>> connoiſſance; il m'eſt venu dans l'idée
>> que puisque j'avois quelques biens dans
>> le monde , je devois faire mon tefta-
>> ment & laiffer de petits legs à ceux à
» qui j'avois des obligations ; j'ai en con-
» ſéquence legué cent livres ſterling à l'au-
>> teur du poëme des ſaiſons ; ce matin
>> j'ai entendu dire que vous étiez dans
>> cette maiſon , & j'ai imaginé que je
>> pouvois auſſi-bien me donner le plaifir
» de vous payer mon legs pendant qu'il
» vous feroit utile , que de laiſſer ce foin
» à mon exécuteur teſtamentaire , qui
n'auroit peut- être l'occaſion de s'en ac-
» quitter que lorſque vous n'en auriez
>>plus beſoin. »
Un préſent fait de cette maniere &
dans une pareille circonſtance ne pouvoit
manquer d'être accepté ; & il le fut avec
beaucoup de reconnoiffance.
194 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Lorsque l'amiral Blacke commandoit
la flotte angloiſe , il obtint le commandement
d'un vaiſſeau de guerre pour un
de ſes freres , s'imaginant qu'il avoit autant
de courage que lui . Mais à la premiereaffaire,
le jeuneBlackele détrompa ;
il montra la plus grande lâcheté& ſe tint
toujours hors de la portée du canon. L'amiral
le renvoya auſſi - tôt en Angleterre .
« Je me fuis trompé , dit-il à ſes officiers ;
» mon frere n'eſt point appelé à la guer-
> re ; mais s'il ne peut faire face à l'en-
ود nemi ſur un vaiſſeau , il peutdumoins
>> être utile à ſon pays auprès d'une char-
>>>rue. » Il lui confia la culture de ſes terres
comme le ſeul emploi qui lui convint,
&les lui laiſſa quand il mourut.
I I.
Fanshaw , ſecrétaire du Roi Charles ,
fut fait prifonnier à la bataille d Edgehill
& enfermé dans la tour de Londres; il y
reſta pendant tout le tems que dura la
MARS.
1770. 195
guerre civile , & juſqu'à ce que Cromwel
eût été déclaré protecteur. Perſonne ne
follicitoit pour lui ; le gouverneur de la
tour , en parlant un jour d'affaires différentes
à Cromwel , prit occaſion de lui
dire quelques mots en faveur de Fanshaw
; il allura que ſa probité méritoit la
clémence du protecteur. Pour exciter fa
pitié , il ajouta qu'il étoit rongé de ſcorbut
& qu'il périroit infailliblement ſi on
ne lui rendoit pasbientôt laliberté. Cromwell
ordonna de le délivrer ſur le champ.
Bradshaw , qui étoit préſent , repréſenta
à fon maître qu'il étoit important avant
tout de prendre fon ferment. Cromwel ſe
tourna vers lui & lui dit froidement :
Croyez- vous que ceferment le guériſſe de
Scorbut.
III.
Le docteur South , ſur la fin de ſa vie ,
demeuroit à Caversham dans le comté
d'Oxford ; des affaires particulières
l'ayant obligé d'aller à Londres , il profita
de l'occaſion pour faire une viſite à
ſon ancien ami , le docteur Waterland;
c'étoit le matin ; celui- ci le preſſa ſi fort
de reſter à dîner qu'il y confentit. La
Ij
196 MERCURE DE FRANCE.
femme du docteur , qui étoit fort avare ,
trouva cette invitation déplacée ; elle appela
fon mari dans une chambre voiſine ,
où elle lui fit de violens reproches. Le
bon docteur s'excuſa ſur leur ancienne
amitié , & l'affura qu'il n'avoit fu faire
autrement ; ſa ſoumiſſion n'adoucit point
ſa femme ; elle cria plus haut , & la
querelle s'échauffa au point que le docteur
s'emporta juſqu'à lui dire qu'il la
battroit s'il n'y avoitpas un étranger dans
ſa maiſon, M. South , qui avoit tout
entendu , lui cria ſur le champ : Ne vous
génezpoint , mon cher docteur ; ne me regardez
pas comme un étranger; vous fça.
vez bien que je suis votre ami. La Dame
fut honteuſe d'avoir été entendue ; elle
s'appaifa , & fit préparer un joli dîner ;
mais elle n'oſa pas y paroître,
DECLARATIONS , ARRÊTS , &C,
I.
DÉCLARATION du Roi , donnée à Versailles
le premier Décembre 1769 , regiſtrée en parlement
le19Janvier 1779 ; concernant les unions de
bénéfices.
MARS.1770 197
r
I I.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de Décembre
1769 , regiſtré en parlement le 19 Janvier
1770 ; concernant les Maréchauflées des Duchés
de Lorraine &de Bar .
ΙΙΙ.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Décem
bre 1769 ; qui modère , à commencer du premier
Janvier 1770 , les droits de marc d'or , d'enregiftrement
chez les Gardes des rôles , ſceau , & autres
frais de proviſions des offices vacans & autres
réputés tels , qui ſeront levés aux revenus cafuels.
IV.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Janvier 1770 , regiſtré en parlement ; portant que
les quatorze deniers pour livre , qui ſe perçoivent
fur les bois du Roi , au profit des maîtriſes , feront
perçus à l'avenir au profit de Sa Majesté.
V.
Arrêt du conſeil d'état duRoi du 16Janv. 17705
portant réglement pour la perception des droits
des Quatre- membresde la Flandre maritime.
VI.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29 Janvier
1 770; qui ordonnequ'il ſera fait en ſus du dixième
ordinaire , différentes retenues graduelles ſur les
I iij
I198 MERCURE DE FRANCE.
penſions , gratifications ordinaires & extraordimaires
, qui ſe payent au tréfor royal.
VII.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 4 Février
1770 ; qui ordonne que les deux pour cent de la
finance des offices de gouverneurs & lieutenans
deRoi des villes cloſes du royaume , attribués
auxdits offices pour logement& uſtenfile , ne ſesont
plus employés dans l'état du Roi , des gages
defdits offices , à compterdu 1 Janvier 1770 .
VIII.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , du 4 Février
1770 ; qui ordonne la retenue de deux dixièmes,
en ſus de celui d'amortiflement , ſur les bénéfices
des fermes générales ; & d'un dixième aufi en fus,
far les intérêts des cautionnemens.
1 Χ.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de Février
1770 ; portant création d'un contrat de
douze cens mille livres de rente , au principal de
trente millions , au profit de la Compagnie des
Indes.
Χ.
Lettres-patentes du Roi , données à Verſailles
le 9 Février 1770 ; qui autoriſent les ſyndics &
directeurs de la Compagnie des Indes , à ouvrir
une loterie , dont le fonds ſera de douze millions.
MARS. 1770. 199
1
1
AVIS .
I.
LE Sr B. de Pont , graveur , a l'honneur de prévenir
MM. les Architectes & les autres Artiſtes
ainſi que les Libraires & les Imprimeurs , qu'il
grave l'architecture & tout ce qui peut être relatif
àcet art , comme hydraulique , méchanique , jardinage,
&c. Il leve auſſi les plans & fait tous les
deffins néceſſaires àcesdifférentesparties; il eſpère
mériter l'attention du Public par l'afiduiré de
ſes ſoins , la célérité de ſes opérations & la modicitédu
prix. Il lege au coin du cul de ſac de l'Oratoire
, dans la maiſon dubonnetier,
II.
Le Sr Maliverne , horloger , cour de l'abbaye
St Germain-des-Prez , entre les deux grilles, chez
le Sr Dufey, marchand , au 2º étage , a le ſecret
d'une pommade qui enleve en très- peude tems les
rougeursde lapetite vérole,&fait difparoitre toutes
lesmarque qu'elle laiſſe après elle; cettepommadeguérit
auffi toutes fortes de brûlures quelque
anciennes qu'elles foient. On s'en fert auſſi avec
ſuccès pour les gerſures des lévres & les petits
boutons. Ce ſecret eſt depuis long tems dans ſa
famille; il en a fait pluſieurs expériences qui, toures
, ont réuſſi , & il céde enfin aux follicitations
des perſonnes qui, en ayant reflenti lesbous effers,
defirent que d'autres en puiflent profiter . Ceux
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
qui voudront ſe procurer de cette pommade;le
trouveront tous les jours chez lui , & les fêtes &
dimanches juſqu'à dix heures du matin.
III.
Le Sr le Fort a trouvé le moyen d'augmenter
de beaucoup la portée des fufils en diminuant
même la charge ordinaire; il leur fait porter le
plomb nommé gros grain , à 200 pas & plus ; les
amateurs de la chaſſe lui ſauront certainement
gré de ſa découverte ; il fera , devant ceux qui le
defireront , toutes les expériences néceſſaires à cet
égard , dès qu'il aura trouvé un endroit convenable;
ils verront que les fufils ne repoufleront pas
d'avantage , ni ne feront pas plus ſujets à ſe crever.
Il demeure à Paris , rue des Marais , la 2º
porte cochere à gauche , en entrant par la rue des
petits Auguſtins ; il donnera toutes fortes d'é .
clairciffemens aux curieux qui iront le voir ; il
prie ceux qui lui écriront d'affranchir leurs lettres.
I V.
Le Sr Gaillard poſſede ſeul le ſecret de deux
huiles , dont les effets ſont abſolument contraires;
l'une eſt épilatoire ; l'autre fait croître &
épaiffir les cheveux ; elles n'ont aucune odeur &
ne peuvent occafionner aucun inconvénient; la
premiere ſe vend fix & douze livres la phiole ;&
la ſeconde fix livres . Le Sr Gaillard demeure chez
le marchand de vin , au coin des rues Merciere &
de Grenelle St Honoré.
MARS. 1770. 201-
V.
Le St Guy , premier médecin de Charles II ,
Roi d'Angleterre , avoit inventé le véritable fuc
de regliffe &de guimauve, & la pâte de guimauve
fans fucre. Le ſecret de ces compoſitions précieuſes
approuvées par la faculté de médecine de Paris
, &connues par les bons effets qu'elles produiſent
journellement , s'eſt toujours conſervé dans
ſa famille; la Dlle Guy eft la ſeule qui les diſtri
bue aujourd'hui , en vertu d'un privilége exclufif,
confirmé par des lettres-patentes enregiſtrées au
parlement. Pluſieurs perſonnes ont tenté de contrefaire
fes remèdes , &fur les plaintes de laDile
Guy, il fut rendu un arrêt du parlement du 4 Septembre
1747 , qui défendit aux nommés Tarben
&Defmoulinsddeevvendre ni diſtribuer,ſous lenom
de Guy, la pâte de guimauve de leur compoſition.
Un autre arrêt du 31 Août 1765 , la maintient
dans ſon privilége exclufif , & fait auſſi défenfe à
la nomméeDeſmoulins , veuve du Verger, de ven.
dre&débiter ſa compofition ſous le nom deGuy ,
&de faire mettre dans les journaux & autres écrits
publics qu'elle tient le ſecretde la Dlle Guy. Le
bureau de la Dlle Guy eſt toujours , depuis plus
de cinquante ans rue Saint Honoré , au ſecond,
chez un marchand miroitier. Il y a un
tableau en lettres d'or aux balcons de fon appartement.
On peut lui écrire directement de province
en affranchiſſant les lettres ,&elle fatisfera
ſur le champ aux demandes qu'on pourra lui faire.
Le prix de la livre de la pâte de guimauve blanche
eſt des livres , & celui du ſuc de regliſſede
guimauve fans lucre eſtde 6.
,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
VI.
LeSrle Brun,marchand épicier-droguiſte , aux
armes d'Angleterre , magaſin de Provence & de
Montpellier , hôtel de Mouy, rue Dauphine , continue
de vendre avec l'approbation de la faculté
de médecine de Paris , différens remèdes tirés des
Chymiſtes Anglois. Les plus confidérables ſont
les tablettes pectorales de beaume de Tolu, inventées
& préparées par Thomas Gréenough. Onn'a
point encordécouvert de remède auſſi agréable &
auſſi efficace contre la toux , l'enrouement , les
rhumes opiniâtres , les maux de gorge , les picotemens
de poitrine , & pour envelopper les humeurs
acres qui occaſionnent latoux. Ces tablettes
facilitent l'expectoration , remédient à l'extinction
de voix ,& font infaillibles dans la confomption
& la phtyſie commençante; le prix eſt
de 36 ſols la boëte. On n'en trouve à Paris que
chez le Sr le Brun. Pour faciliter les moyens de
s'en procurer dans les provinces , il a établi quelquesbureauxdans
différens endroits ; à Verſailles,
chez le Sr Deflaubaz , marchand épicier ſuivant
lacour , rue d'Anjou ; à Strasbourg , chez le Sieur
Labeaume , marchand de ſoie , rue des Hallebardes;
àDijon , chez le Sr Iſabet , marchandbijoutier
, rue du Coin du Miroir ; a Rouen , chez le Sr
Soyer , marchand épicier - confiſeur , rue des Carmes
; à Bordeaux , chez le Sieur Brandon , négociant,
ſous les piliers de la bourſe , & chez le Sr
Guilleminet , marchand épicier-droguiſte , rue des
Cordeliers , à Poitiers. Le Sr le Brun diftribue auffi
le véritable taffetas d'Angleterre du Sr Woodcock
dont la pièce de 7 pouces ſe vend 10 fols ; on
1
MARS. 1770 . 203
trouve auſſi chez lui l'eau de Cologne de J. Marie
Farina à 36 fols la bouteille; l'eau de perle pour
le teint , du Sr Dubois de Londres , à 40 fols la
bouteille ; les véritables emplâtres écofloiſes pour
la guériſon des cors des pieds ; deux teintures du
St Gréenough , l'une pour nettoyer , blanchir &
conſerver les dents , & l'autre pour guérir les
maux de dents ; le véritable élixir de Garrus; celui
du docteur John Weel Sthougthon; leruban de
ſanté pour purifier l'air des appartemens , &c.
Toutes ces compoſitions différentes lui viennent
directement de leurs auteurs & ſe vendent au même
prix qu'on les paye à Londres.
VII.
Ontrouve chez le Sr Martin le jeune , à la malle
royale , rue St Antoine , vis-à vis l'hôtel de Beauvais
, des tontiſſes portant une aune de large fans
couture. Chaque piéce , encadrée dans une bordurede
toute couleur , ſe vendà l'aune quarrée ;
il y a auſſi chez lui des toiles peintes en fleurs , en
fruits &en oiſeaux qui ont une aune de large &
qu'il vend auffi à l'aune quarrée; le tout eſt peint
al'huile &ſe lave faciletnent.
VIII.
Mademoiselle le Maire, demeurant à Paris ,
grand rue fauxbourg St Jacques , vis - à - vis les
Urfulines, continue toujours de tirer parfaitement
les copies des modèles gravés qu'on lui envoie ;
ſavoir , armes , cachets , bagues antiques , &c.
fur des pierres de compoſition , imitant toutes les
pierres fines , comme rubis , cornaline , émeraude,
J
(
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
criſtal de roche , &c. Le prix des pierres eſt depuis
6 liv. julqu'à 12. On trouve chez elle les
portraits du Roi & d'Henri IV , pour mettre en
bague. Elle a eu l'honneur de les préſenter aux
Dames de France & à toute la cour. Les perſonnes
qui deſireront avoir le relief de leurs bagues en
creux ſur des agathes de différentes couleurs les
enverront ſur de la cire d'Eſpagne bien tirés.
Ι Χ.
Le Sr Rouffel a trouvé un remède efficacepour
les corsdes pieds. Juſqu'ici ces maux avoient paru
ne pas devoir mériter une attention particuliere ,
& l'on s'étoit contenté de chercher dans le ſecret
douteux de quelques empyriques un ſoulagement
trop ſouvent inutilement attendu. Il ſuffiſoit , en
diminuant leur volume par l'amputation , d'en
rendre les douleurs un peu plus ſupportables.
Beaucoup de perſonnes , ou riſquoient les inconvéniensdangereux
qui réſultent tous les jours de
pareilles opérations , ou aimoient mieux ſouffrir
les maux que cauſent les cors plutôt que d'endurerla
compreffion ou l'introduction d'aucun corps
étranger. Aujourd'hui l'expérience a fait trouver
un topique auffi für contre ce mal , qu'il eſt ailé
àemployer. Un morceau de toile noire oude ſoie,
enduit du médicament dont il s'agit , a la vertu
d'ôter très - promptement la douleur des cors , de
les amollir & de les faire mourir par fucceffion de
tems. On en forme un emplâtre un peu plus large
que le mal,que l'on enveloppe d'une bandelette
après avoir coupé le cors . Au bout de huit jours
on peutlever ce premier appareil , & remettre une
autre emplâtre pour autant detems.
MARS. 1770. 205
Le prix des boëtes à 12mouches eſt de trois liv.
Le Sr Rouflel demeure à Paris , rue Jean de l'Epine
, chez le Sr Marin , grenetier , près de la Giêve.
On le trouve chez lui tous les jours , excepté
les fêtes & dimanches .
Χ.
Sapins du parc de Meudon ; ſavoir , mats depuis
so piedsde long juſqu'à 86, depuis 12 pouces
juſqu'à 24 dans le milieu de l'arbre , &depuis un
pied de largejuſqu'à 36 pouces par le gros bout :
des ſapines propres àdes échafauds & charpentes
depuis 30 piedsjuſqu'à 75 , de 8 pouces juſqu'à 1 s
dans le milieu , toutes écarries. Du bois de corde
à 14 livres ; des ſouches à 8 liv. la voie forte; des
copeaux à 4 liv. to f. la voie ; des fagots à 10 1.
le cent, on donne le 13e gratis ſur les fouches ,
cordes , copeaux , & les quatre au cent fur les fagots.
Ce bois reſineux brûle bien & n'incommode
point; c'eſt le chaufage ordinaire de tout le Nord
&dela Lorraine. Il y a deux chemins pavés dans
le parc qui aboutiſſent à la route de Verſailles &
de Paris. Il faut s'adreſſer à la Barraque de Chaville
, parc de Meudon. A Paris , à M. Guibert ,
ſculpteur des bâtimens du Roi , place St Sulpice ,
bâtiinent neuf.
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Warfovie , le 20 Janvier 1770 .
LE Prince Wolkonski , ambaſſadeur de Ruſſie,
areçu par un courier , un certain nombre de croix
dunouvel ordre militaire de StGeorge , qu'il eſt
chargé de diſtribuer aux officiers à qui elles ſont
deſtinées. On dit que le même courier a apporté
au lieutenant-général , le diplôme qui le rend général
en chef.
:
On mande de Lithuanie que le comte Oginski
, grand - général de cette province , a fait
conſtruire à ſes frais un canal de la longueur
de douze mille d'Allemagne pour la jonction des
deux rivieres de Jafiolda & de Szezava. La pre-
- miere de ces rivieres porte ſes eaux au Niemen. Le
diſtrict de Pinsko , qui n'avoit aucune communication
aiſée avec l'étranger , pourra, par le moyen
de ce canal , envoyerſes productions par eau julqu'à
Konigsberg.
Du 27 Janvier.
On parle tous les jours de projets d'accommodement
, & l'on ne cache plus que la cour de Petersbourg
n'eſt pas éloignée de les adopter ; mais
il ne paroît pas encore qu'on touche au moment
de voir finir les calamites de cette malheureuſe
nation.
Comme les deniers deſtinés au payement des
troupes ne rentrent plus , le régiment des gardes
MARS. 1770. 207
àcheval partira d'ici pourſe rendre dans le palatinat
de Cracovie , où l'on a permis , dit-on , aux
officiers & aux foldats de ſe faire payer eux- mêmes
leurs arrérages . On croit que ce régiment ſera
⚫⚫remplacé ici par quelques détachemens Ruſſes qui
viennent de Lithuanie , &que ceux- ci le feront par
quelques bataillons de réſerve qui étoient reſtés
dans la Finlande.
On voit avec ſurpriſe un très-grand nombre
d'officiers & même de généraux Rufles , donner
leurs démiſſions & quitter en foule les armées de
l'Impératrice. On fait monter à quatre cens le
nombre de ces démiſſions depuis la fin de la campagne.
Nous avons vu ici quelques - uns de ces
officiers retirés , leſquels ſont convenus que les
maladies épidémiques & le fer des Tartares faifoient
les plus grands ravages parmi les Ruffes ,
&qu'il falloit fonger à former de nouveau les régimensqui
font entrés dans la Moldavie.
Des frontieres de la Hongrie , le 20 Janvier
1770.
On nous mandede toutes parts que les Rufles
ont été obligés de lever le ſiége de Bender , après
y avoir fait des pertes immenfes , cauſées par le
feu des alliégés , par les maladies & par les combats
continuels que leur ont livrés les Tartares ;
qu'ils ont été attaqués dans leur retraite par ceuxci,
qui en ont défait ſucceſſivement pluſieurs corps;,
que le reſte eſt arrivé en très-mauvais état àBalta,
&que les Tartares ſe ſont partagés en deux corps.
dont l'un avoit déjà paſlé les lignes de la nouvelle
Servie quand ces nouvelles nous ſont parvenues ,
&que l'autre s'eſt coulé le long du Niefter en re208
MERCURE DE FRANCE.
montantjuſqu'à Kalas , d'où il infeſte les derrieres
du corps Ruſle qui eſt reſté en Moldavie. Enfin
on apprend que les Turès reparoiſſent en force audelà
du Danube , & l'on en conclud que leurs
mouvemens ſont concertés avec ceux des Tartares.
On ſe ſouvient que , dans la guerre de 1737 ,
les Turcs laiſſerent toujours le champ libre aux
Rufles pendant l'été , & que c'eſt l'hiver qu'ils
chorfirent pour harceler & pour attaquer l'armée
de leurs ennemis ; on appréhende fort que la même
manoeuvre ne leur réuſſiſſe encore aujourd'hui ,
&que les Rufles répartis dans la Moldavie ne deviennent
les victimes des derniers ſuccès qu'ils ont
eus&dont ils ont été étonnés eux-mêmes .
✓. De Rome , le 24 Janvier 1770.
Jeudi dernier , fête de la Chaire de St Pierre , le
ſouverain Pontife ſe rendit à la Baſilique de ce
Saint , & y aſſiſta avec le ſacré collége & les différens
ordres de la prélature romaine , à la grande
meſle à laquelle le cardinal Perelli officia. Après
lagrande meſſe , on chanta , conformément aux
ordres de Sa Saintété , un Te Deum en actions de
gracesde la confervation desjours du Roi de Pertugal.
De Livourne , le 24 Janvier 1770 .
On eſt informé, par des lettres particulieres ,
qu'il fe trouve actuellement à Mahon quatorze
vaiſleaux de guerre Ruffes , & que pluſieurs de ces
bâtimens étoient à Cadix où ils ont laiflé malades
unegrande partie des gens de leurs équipages pour
ſe rendreàGibraltar,
MARS. 1770 . 209
De Venise , le 9 Janvier 1770 .
On continue de travailler ſans relâche dans l'arſenal
à la conſtruction & à la réparation de plufieurs
bâtimens , pour mettre la république en état
d'avoir au printems prochain dix - ſept vaiſſeaux
ou frégates dans les Mers du Levant.
De Londres , le 30 Janvier 1770 .
Le Duc de Grafton vient de donner ſa démiſſion
de la place de premier lord de la tréſorerie , & le
Roi y a nommé le lord North , chancelier de l'échiquier.
Il y a toute apparence que cet événement
ſera ſuivi de très grands changemens dans
le miniftere , & que le lord North n'exercera la
place de premier lord de la tréſorerie qu'en attendant
l'arrangement qui doit ſe faire pour la formationd'un
nouveau miniftere.
On mande de Portsmouth que les hôpitaux y
font remplis de ſoldats Ruſſes malades , & qu'il en
eſt déjà mort un très grand nombre. On ajoute
que le contre - amiral Ruſle n'eſt pas en état de
mettre à la mer avec les vaiſſeaux de ſon eſcadre
qui ſont encore dans le port parce que les équipages
ne ſont pas aſſez nombreux pour faire la manoeuvre
.
Du 3 Février.
Tour eſtdans la plus grande agitation à la cour
&à la ville; le parti de l'oppoſition paroît triompher.
D'un autre côté les amis du miniſtere publient
que , malgré la démiſſion du duc de Grafton
, le ſyſtême de l'adminiſtration ne fera point
changé , & que les miniſtres actuels reſteront en
place & ſe conduiront d'après les mêmes principes.
210 MERCURE DE FRANCE.
Cependant ce n'eſt pas là l'opinion la plus générale;
on publie déjà différentes liſtes des changemens
qu'on ſuppoſe prêts à ſe faire dans le miniftere
; mais ce ne ſont que des conjectures qui ne
font appuyées que ſur les idées & les intérêts des
différentes factions .
La baiſſe des actions des Indes , ſans aucune
cauſe apparente , étonne fi fort tous les actionnaires
que plufieurs ont marqué le plus grand defir de
ſavoir ce qui peut l'occaſionner , & demandent
qu'il ſoit convoqué pour cela une affemblée générale
, s'imaginant qu'il doit y avoir quelque myſtèredont
il eſt de leur intérêt d'être éclaircis .
Du 6 Février .
Les Sieurs James, Grenville & le comtedeCornwallis
ſe ſont démis des places de vice - tréſoriers
d'Irlande. Lelord Howe s'eſt déamis auſſi de la place
de tréſorier de la marine , & le vicomte de Lifburne
de celle de lord commiſſaire du bureau du
commerce. Le Sr Welbore Ellis a fuccédé au Sr
Grenvilleen qualité de vice-tréſorier d'Irlande.
:
De Versailles , le 17 Février 1770.
Avant-hier, jour anniverſaire de la naiſſance du
Roi , on chanta à cette occafion un Te Deum dans
l'égliſe de Nôtre-Dame , paroifle du château. Le
comte de Noailles , gouverneur de cette ville , y
affliſta accompagné des officiers du baillage , &
alluma enfuite le feu qui avoit été préparé vis-àvis
du portail de l'égliſe ; la garde des invalides ,
qui s'y étoit rendue ,afait pluſieurs décharges de
moufqueterie.
MARS. 1770 211
De Paris , le 16 Février 1770.
On mande de Lyon que la nuit du sau 6 de ce
mois trois maiſons , ſituées au-deſſus du couvent
des Antiquailles , ſe ſont écroulées , & que tous
ceux qui les habitoient ont été enſevelis ſous les
ruines ; on a travaillé auffi - tôt à arracher de ces
décombres les corps de ces malheureux. Au départ
de la nouvellequi annonce cet accident , on avoit
déjà retiré trois hommes morts & pluſieurs mouzans
qui ont été fur le champ portés à l'hôpital .
M. le comte de la Gorce , baron des états du
pays de Vivarais , & capitaine de la cavalerje au
Commiflaire-Général , a épousé , le 4 du mois de
Décembre dernier dans ſa terre de Vallon , Mademoiſelle
d'Hautefort ſa coufine - germaine , avec
l'agrément de MM. les Marquis & Comte d'Haurefort
parens & chefs de la inaiſon de la Demoiſelle
, & qui , en cette qualité , ont donné leur
procuration pour ſigner au contrat de mariage ;
cesproculations ont été remplies par M. le comte
de Balafuc , dont la maiſon , qui étoit une des
plusgrandesde la province lors des Croiſades , a
donnédes filles aux maiſons de la Gorce & d'Hautefort
, &deſquelles M. le Comte & Mde la Comteffe
de la Gorce font iffus .
LOTERIES.
Le centneuviéme tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'est fait le 25 Janvier en la maniere accoutumée.
Le lot de cinquante mille livres eſt échu
au No. 22822. Celui de vingt mille livres , au
212 MERCURE DE FRANCE.
N°. 23815 , & les deux de dix mille livres aux
numéros 30828 & 38645 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'est fait le s Février. Les numéros fortis de
la rouede fortune font , 33 , 39,18,5,53 .
MORT S.
Louis le Pelletier , ancien premier préſident du
parlement de Paris , eſt mortle 20 Janvier , âgé
de 79 ans.
Dame Françoiſe de Rommecourt , veuve du
comte de Rommecourt, maréchal de camp &gouverneur
de la citadelle de Cambray , eſt morte à
Waflyen Champagne , âgée de 93 ans.
Le nommé Cauchet , laboureur de la paroiſſe
de St Caprais , frontiere de Saintonge , y est mort
au mois de Novembre dernier , âgé de 105 ans .
On mande du même pays que le nommé Gagnon,
vigneron de Rouſſignac , âgé de 107 ans , y est
mort le4 Janvier des ſuites d'une indigeftion.
Jean Roger Comte de la Guiche , lieutenantgénéral
des armées du Roi , & ci -devant commandant
de la province de Bourgogne , eft mort
àParis le 28 Janvier dans la cinquantiéme année
de fon âge.
Henri Camille , marquis de Beringhen , chevalier
des ordres du Roi & ſon premier écuyer,gouverneur
des ville & citadelle de Châlons-fur- Saône
, lieutenant - général pour Sa Majesté de la
province de Bourgogne & Châlonnois , gouver-
1
MARS.
1770 . 213
neur des châteaux de la Muette &de Madrid , capitainedes
chaſſes des parcs &bois de Boulogne ,
&c. eſt mort , âgé de 77 ans .
Genevieve-Nicole-Urſule de Turquentin , veuved'Adrien
Soyeu, ſeigneur d'Intraville, eſt morte
àDiépe , âgée de 105 ans.
:
Dame Marie - Claire d'Estaing , Dame du Terrail-
Bayard , baronne de la Motte - Saint - Jean ,
Martigni - le Comte , St Vallier & autres lieux ,
eſt morte le 10 Janvier , âgée de 85 ans. Elle étoit
veuve de Joſeph Durey , Teigneur de Sauroy , du
Terrail , baron de St André , ſeigneur du duché-
pairie de Damville & autres lieux , commandeur
de l'ordre royal & militaire de St Louis. Il
refte , de ſon mariage , le marquis du Terrail ,
maréchal de camp , lieutenant-général du Verdunois
, qui avoit épousé en premieres nôces Marie-
Roſalie deGoësbriand dont la mere étoit héritiere
de la ſecondę branche de Châtillon , dont il a
eu quatre enfans morts en bas âge ; il a épaulé
en ſecondes nôces , Marie- Charlotte de Cruffol
d'Ufez de Montaufier , fille du marquis de Monpaufier
& d'Elisabeth d'Aubuſlon la Feuillade.
Outre le marquis du Terrail , la Dame d'Estaing
de Sauroy avoit eu une fille qui étoit feue la ducheffe
de Briffac , épouse du maréchal de ce nom
&mere du duc de Coffe , brigadier des armées du
Roi , colonel du régiment de Bourgogne , capiraine-
commandant des cent fuitlesdela
Sa Majefté,
Garde de
214 MERCURE DE FRANCE
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , pages
Epître à M. de M.... officier de Marine ,
Reveil d'Iris ,
Vers à Mille Boyé ,
Epître à M. Bordeu , médecin ,
Le Bonheur imprévu ,
Vers à Mile Mars ,
Vers à M. l'Abbé Terray ,
A Mde de B.... le jour des Rois,
A Mlle du V *** ,
Ode anacreontique ,
Azem , ou l'Heureux ſoi-diſant ,
Stances ,
Le Pauvre & le Derviche , fable ,
L'Avare , ou le Voeu mal rempli ,
• Le Lion & l'Ane , fable ,
Life & le petit oiſeau ,
Bozaldar , conte oriental ,
▲Mde de P... en lui envoyant l'almanach
des Muſes ,
ibid.
10
12
13
16
19
20
21
22
23
24
46
47
49
so
52
54
61
Madrigal , 62
Epigramme ,
ibid.
AM. de Voltaire , ſur la nouvelle année , 63
Explication des Enigmes , 64
[ AR S. 1770 . 215
ibid.
68
72
ibid.
85-
87
91
95
96
97
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Hamlet , tragédie ,
OEuvres de M. le préſident Joly ,
Contesmogols ,
Aventures de D. Sylvio de Roſalva ,
Elogedu chevalier Bayard ,
Cours de mathématiques ,
LaRegle du tiers ordre de St François ,
Mémoires du marquis de St Forlaix ,
La Banque rendue facile aux nations de l'Europe
,
ΙΘΙ
Hiſtoire des glacieres de Suifle , 102
Les Economiques , 105
Mémoires de l'académie royale de Prufſe ,
Les amours de Lucile &de Doligny ,
108
III
Morale de l'hiſtoire , 114
Eſſai ſur le livre de Job , 118
Coſinographie méthodique & élémentaire , 120
Fayel , tragédie , 121
Gabrielle de Vergi , tragédie , 127
Proſpectus du Zend -aveſta , 136
Réponſe de M. de St Foix au P. Griffet ,
SPECTACLES ,
140
141
Deſcription du théâtre de l'Opéra , ibid.
Comédie françoiſe , 148
Comédie italienne , 149
216 MERCURE DE FRANCE.
:
ACADÉMIES ,
Ecole vétérinaire ,
Lettre d'un Négociant de Bordeaux , aux
Amateurs du Mercure ,
Vers pour le mauſolée de Staniflas , Roi de
ISI
157
161
Pologne , à Nancy , 162
Vers àMde la Comteſſe du Barry , fur fon
portrait , 163
Uſages anciens , Chana de la Voûte , 164
Mémoire ſur la Tactique ; par M. le Marquis
deMolac, 166
ARTS ; 174
Sculpture, ibid.
Gravure , 178
Muſique , 186
Géographie , 189
Trait de généroſité , 191
ANECDOTES , 194
Arrêts , Lettres- patentes , &c. 196
AVIS , 199
Loteries , 205
Nouvelles Politiques, 207
Morts, 212
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
AVRIL 1770 .
PREMIER VOLUME .
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Avec Approbation & Privilége du Roi.
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Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de porr,
les paquets&lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
événemens finguliers remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
, ,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
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que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
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Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des ſciences , des arts &des idiomes anciens
& modernes , in- 8°. rel .
11. 161.
61.
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12.br. 31.
Confidérations fur les Caufes phyſiques &
morales de la diverſité dugénie , des moeurs
&du gouvernement des nations, in - 8 °.
broché.
51
Traité de l'Orthographe Françoise, en forme
dedictionnaire , in- 8°. nouvelle édition ,
41.
rel. 71.
Nouvelle traduction desMétamorphofes d'Ovide;
par M. Fontanelle ,
br. avecfig.
2 vol . in- 8°.
101.
Parallele de la condition & des facultés de
l'homme avec celles des animaux , in 8º br. 2 1.
Premier &fecond Recueils philofophiques&
litt. br. 2 1. 10.1.
LeTemple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités fur le bonheur , 3 vol. in-
80. broch.
Traitéde Taftique des Turcs , in-89. br.
Traduction des Satyres de Juvenal ,
M.Duſaulx , in- 8 °, br.
61.
11. 101.
par
61.
1
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS au sujet de la nouvelle traduction
des Georgiques de Virgile , en vers
françois ; par M. de Delille , profeffeur
en l'univerſité de Paris.
L'AUTRE jourj'invoquois le ſublime Virgile
Pour obtenir le don d'entendre ſes écrits ,
Il me répond avec un doux ſouris :
La langue des Romains , pour vous , eſt inutile;
A iij
MER CURE DE FRANCE.
Mais lifez , lifez moi dans l'élégant Delille
Je n'ai rien perdu de mon prix.
Mlle Cofſon de la Crefſfoniere .
.... VERS à M. le Comte de en lui donnant
pour faire des jarretieres , des rubans
qui avoient fervi à deux jolies
femmes defa connoiſſance.
ENNTTRREE amis quelquefois on s'étrenne de riens ;
Prenez ces deux rubans , formez - en des liens :
Sureux il eſt certain myſtere
Qui , ſans doute , à vos yeux leur donnera du
prix :
L'un fut l'heureux bandeau de l'enfant de Cythère
,
L'autre a ſervi de ceinture à Cypris.
Par la même.
O VENUS Regina Gnidi ; Ode 30° du
premier livre d'Horace.
DESCENDEZ , puiſſante Vénus ,
Quittez Guide , quittez Cythere ,
Venez chez la belle Glicere
AVRIL. 1770. 7
Occuper un temple de plus.
Son encens , ſa voix vous appelle ,
Que l'ardent amour , ſur vos pas ,
Sans tarder ſe rende près d'elle.
Que les graces pleines d'appas
Ayant dénoué leur ceinture
Viennent dans toute leur parure ,
Et que l'on voie en ce beau jour
De Maja , le fils agréable ,
Rendre notre jeuneſſe aimable
En la formant à votre cour.
Par Madame ***
VERS à Mlle du Plant , jouant le róle
d'Erinice dans l'opéra de Zoroastre.
D
:
E tes rôles , du Plant , ê que tu fais bien
prendre
L'eſprit , le mouvement , le ton !
J'éprouve un grand plaiſir à te voir , à t'entendre,
Quoique le même ſexe , un peu jaloux , dit - on ,
Quoique le même emploi ſembleroit le défendre.
La vengeance n'a point l'oeil plus fier ni plus dux ,
Ta fureur plaît , ta haine engage !
L'empire des talens eſt infaillible & fûr...
Homme , j'en dirois davantage,
Mais l'éloge feroit moins pur.
Par une defes Camarades
A iv
8
(
MERCURE DE FRANCE.
VERS à M. de Belloy fur Gafton .&
Bañard ; par M. le Févre , anteurde la
tragedie de Cofroez, jouée avec ſuccès
en 1767 .
J''AAII lu dix fois Baïard&le relis encore.
Chantre heureux des grands noms dont la France
s'honore ,
Tes nobles chevaliers , tes auguſtes héros
Admiroient la vertu juſques dans leurs rivaux ;
(Le véritable honneurne connoît point l'envie. )
De la gloire , comme eux , amant ſans jalouſie ,
J'aime à voir tes lauriers : du coeur &de la voix
J'applaudis , ſans contrainte , à tes nouveaux exploits.
Que tes ſujets font grands ! que l'objet de tes
veilles
De l'art qui le remplit augmente les merveilles !
Ardent à rappeler par des accens vainqueurs
L'amour du nom François égarédans les coeurs ,
Poëte citoyen , ton ſolide génie
Avoué ſes talens au bien de ta patrie.
Au ſein majestueux des antiques tombeaux ,
Ton crayon va chercher l'ame de nos héros
Et nous montre , endes traits qu'on aime à reconnoître
,
Par cequenous étions ce que nous pouvons être,
:
AVRIL. 1770 .
Jepenſecomme toi: dès long-tems irrité
De l'oubli de lui-même au François imputé,
J'ai tremblé que l'effet ne ſuivît le préſage ;
On parvientà flétrir l'ame qu'on décourage;
L'aveugle défiance a ſouvent abattu
D'un coeur né généreux la timide vertu.
Mais tu lui rends ſa force & ces fameux exemples
De Français que la Gréce eût placés dans festemples,
Ces martyrs de Calais , ces illuſtres Baïards ,
Sous le jour le plus noble offerts à nos regards ,
De la valeur guerriere ont rallumé les flames ,
Ont prouvé que l'honneur vit encor dans nos
ames;
Et d'un ſouffle ont détruit ce phantôme odieux
Dont un reproche injuſte épouvantoit nos yeux.
Acheve , & fais ſentir aux enfansde la gloire
Cegénéreux élan , gage de la victoire.
Qu'ils puiſent dans tes vers. Plus d'un fameux
guerrier
Dût aux fameux auteurs l'éclat d'un beau laurier .
La foudre dans les mains , le fier vainqueur d'Arbèle
Payoit aux chants d'Homère un hommage fidèle ,
Tout plein de ſa lecture il voloit aux haſards ,
Ets'aidoitd'Apollon pour mieux ſervir fousMars.
Mais , hélas! Quel dégour , quelle injuſte manie
Veut encordenos jours décrier le génie !
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Ainſi que de l'honneur , j'entends de toutes parts
Reprocher aux François le déclin des beaux arts.
Quoi, nos grands écrivains , avares de leurgloire,
Nous auroient-ils fermé le temple de mémoire ?
Cenſeurs faftidieux , n'eſt- il plus de chemins
Que puiflent s'y percer d'infatigables mains ? ..
Marche au bruit des clameurs qu'envain poufle
l'envie ,
Importune ſes yeux de l'éclat de ta vie.
Pour moi qui, moins connu par de foibles eſlais,
Ama ſeulejeuneſſe ai dû quelque ſuccès ,
J'apprends du moins , j'apprends , ſous tes heureux
aufpices ,
Aporter un pas feune aux bords des précipices,
D'un cenſeur affligé dédaignant lecourroux ,
Ambitieux émule & non rival jaloux ,
Plus il croît en vertu , plus j'aime ton genie ;
Plusje relis tes vers , plusj'aime ma patrie .
L'HOMME SANS JUGEMENT.
Proverbe dramatique. *
*On dira dans le mercure prochain , le prewerbe
que l'auteur a eu en vue ; & nous donnerons
fuccellivement quelques - uns de ces petats-drames
qui fervent de délaſſement dans beaucoup de foAVRIL.
1770 . 11
ACTEURS :
LE MARQUIS DE BELMONT.
LA MARQUISE SA FEMME.
JUSTINE , femme de chambre de la
Marquife.
ST JEAN , laquais du Marquis.
BERGOGNON , cuiſinier du Marquis.
FLAMAND , cocher du Marquis.
UN HUISSIER .
La scène se paffe dans la chambre à
coucher du Marquis.
SCÈNE PREMIERE.
St Jean eft feul dans la chambre de fon
mattre , & y difpoſe tout ce qui est néseffaire
pour la toilette : comme il ne para
le point , il peut chanter ce qui lui viendra
dans la tête. Justine entre lorſque
cettescène muette a duré trois ou quatre
minutes.
JUSTINE , ST JEAN.
JUSTINE. St Jean... St Jean... Eh !
M. St Jean , ſi tu voulois bien répondre
quand on te fait l'honneur de r'appeler !
12 MERCURE DE FRANCE .
ST JEAN. L'honneur ! l'honneur ! Eh!
bien qu'eſt - ce que Mamfelle Juſtine me
fait l'honneur de me demander ?
JUSTINE. Où eſt ton maître ?
ST JEAN. Il n'eſt pas ici.
JUSTINE . Je le vois bien ; mais quand
il y fera, tu lui diras que ma maîtreffe le
priede paſſer chez elle.
ST JEAN . Il vaudroit mieux qu'elle ſe
donnât la peine de paſſer chez lui.
JUSTINE. Pour trouver ſa porte fermée;
car , les trois quarts du tems , ton maître
ſe fait cacher , & cela eſt indigne : voilà
quatre jours qu'il n'a vu ſa femme.
ST JEAN. Elle eſt pourtant jeune &
jolie.
JUSTINE . Malheureuſement elle aime
fon mari , & elle ſe déſole.
ST JEAN. Beaucoup ?
JUSTINE. Elle ne fait autre choſe que
de pleurer ,jamais devant lui au moins ,
mais quand nous ſommes ſeules : ça m'attendrit
, & je pleure aufli... Si je tenois
cette danſenſe , cette Mile Dupas , que
M. le Marquis entretient , je la dévifagerois.
• ST JEAN. Cette fille là nous coûte
cher.
AVRIL.
13 1770.
JUSTINE. Ton maître ſe ruine avec
..
elle , & fi l'on dépenſe un écu dans ſa
maiſon , il fait un train.. un train.
Femme , cuifinier , cocher , laquais ; perfonne
, à fon avis , n'entend le ménage :
oh! c'eſt une belle économie que la
fienne!
ST JEAN. Il donne cinquante louis pour
une fantaiſie , & s'il trouve fur mes mémoires
un fol de trop , il crie comme un
poffédé... J'entends du bruit... C'eſt
lui , fauve toi.
JUSTINE . Et Madame ! ..
ST JEAN. Dis lui de venir le ſurprendre.
Je laiſſerai la premiere porte ouverte.
dit.
JUSTINE. Mais s'il te ditde lafermer.
ST JEAN. J'oublierai qu'il me l'aura
JUSTINE . Mais . ..
ST JEAN. Mais ſauve toi. (Elle fort )
S'il la trouvoit ici , il me feroit plus de
queſtions , & moi plus de menſonges....
Chut,le voici.
14 MERCURE DE FRANCE.
1
SCÈNE ΙΙ .
LE MARQUIS , BERGOGNON , FLAMAND ,
ST JEAN.
LE MARQUIS. Voyons donc ces mémoires
. ( Le cocher & le cuisinier les lus
donnent) Je n'entre jamais chez moi que
l'on ne m'y demande de l'argent. ( Il lit
bas un des mémoires. ) Mons Bergognon ,
tout ceci commence à m'ennuyer, je vous
l'ai déjà dit , & je changerai , moi , ſi vous
ne changez pas.
BERGOGNON. Monfieur eſt le maître ,
mais je ne faurois ménager davantage , &
à moins que vous ne diminuiez le nombre
des plats que vous voulez avoir tous
les jours....
LE MARQUIS . Je ne veux rien diminuer
; mais vous , M. l'économe , ayez
plus de ſoin de vos proviſions ; vous en
perdez la moitié...
BERGOGNON . Comment voulez - vous
que j'en perde , Monfieur ? A peine en
ai-je affez.
LE MARQUIS. Et cesdeux citronsque
vous aviez oubliés la ſemaine paffée ſus
votrebuffer?
AVRIL 1770: IS
BERGOGNON. Oubliés , Monfieur ? j'en
ai mis le jus dans un ſalmi de bécaffes.
LE MARQUIS. Et cette livre de beurre
que je trouvai l'autre jour dans un coin
de votre cuiſine ?
BERGOGNON . Je l'ai fondue avec celui
dont je me fers pour faire mes fritures.
LE MARQUIS. Vous aurez toujours raifon
, mais , encore une fois , je veux que
vous ménagiez davantage : Salez moins
vos ragouts , on n'aura pas beſoin de ſel
fi ſouvent : n'y mettez pas tant de poivre ,
vos mémoires en font pleins ... Le vinaigre
, par exemple ! vous devriez rougir de
la conſommation que vous faites en vinaigre.
BERGOGNON. Mais, Monfieur...
LE MARQUIS. En voilà affez. ( à St
Jean ) Je ne m'habillerai point aujourd'hui
, ôtez moi tout cela. ( Il parcourt
L'autre mémoire. ) Et vous , M. Flamand,
je me fuis apperçu vingt fois que mes
chevaux ne mangent pas la moitié du foin
&de la paille que vous leur donnez , ils
les jettent ſous leurs pieds , & vous aurez
la bonté d'y faire attention .
FLAMAND. Je vous réponds,Monfieur.
LE MARQUIS. Je vous réponds, moi,
16 MERCURE DE FRANCE.
que vous ne me tromperez pas fur cet article
là : je veux , à dater d'aujourd'hui ,
que d'une botte de foin vous en faffiez
deux.
FLAMAND. Mais , Monfieur , il y a
confcience. ...
LE MARQUIS. Je veux auſſi que vous
foiez auprès d'eux , quand ils mangent
leur avoine , & que s'ils en laiſſent une
poignée , vous la ramaſſiez pour le lendemain.
FLAMAND. Oh ! bien , Monfieur , faites
les donc mener par un autre ; car
moi , je n'aurai pas ce coeur-la. Qu'est- ce
que vous voulez que je leur diſe quand
ils ont été depuis minuit juſqu'à cinq ou
fix heures du matin devant la porte de
Mamfelle Dupas ?
LE MARQUIS. Point de propos.
FLAMAND. C'eſt que cela crie vengeance
, & fi l'on vous coupoit vos morceaux
comme ça ...
LE MARQUIS. Paix & laiſſez - moi :
vous aurez votre argent ce foir. (Ils fortent.
)
SCÈNE III.
LE MARQUIS , ST JEAN.
LE MARQUIS. Une table... de l'en
AVRIL. 1770. 17
ere & du papier... vîte donc... on m'a
pris une de mes plumes , j'en avois fix
hier , &je n'en trouve que cinq... Jen'y
fuis pour perſonne.
ST JEAN. Et pour Madame?
LE MARQUIS. Pour perſonne , vous
dis-je .
ST JEAN. ( à part ) Madame entrera
pourtant , car je l'ai promis... Ma foi la
voici . (haut ) Madame la Marquiſe ,
Monfieur...
..
.. LE MARQUIS. Ma femme !. Je
t'avois dit , maraut... ( Il ſe leve & fait à
laMarquise despoliteſſesforcées.
SCÈNE IV.
LA MARQUISE , LE MARQUIS ,
ST JEAN .
LE MARQUIS. Madame...
LA MARQUISE. J'étois inquiéte de
votre ſanté , Monfieur , il y a ſi long tems
que je n'ai eu le plaiſir de vous voir...
LE MARQUIS. Madame , j'ai eu tant
d'affaires , depuis quelques jours , que ,
malgré moi , j'ai été contraint de vous
négliger.
LA MARQUISE. Ces négligences- là ſe
18 MERCURE DE FRANCE.
répétent ſouvent , Monfieur , & je ſuc
comberois au chagrin qu'elles me donnent
, fans la compagnie de vos enfans ,
avec lesquels je paſſe mes journées entieres...
Ah! mon cher Marquis ! que
votre indifférence eſt cruelle !
LE MARQUIS. Madame , vous avez
tort de me ſuppoſer de l'indifférence .. je
vous aime... & je voudrois ...
LA MARQUISE. Vous m'aimez &
vous m'abandonnez ... Mais pourquoi
me parler d'un ſentiment que vous ne
partagez point? Le bonheur de vos
jours m'intéreſſe uniquement , & j'ai les
raiſons les plus preffantes de vous en
parler ..
..
LE MARQUIS. Quelles sont-elles , s'il
vous plaît?
SCÈNE V.
Les mêmes , JUSTINE ...
JUSTINE . Madame , on vous demande.
LA MARQUISE. Qui donc ?
JUSTINE . Je n'en fais rien , Madame ,
mais il faut que ce ſoit quelque choſe de
bien intéreſſant , car on ne veut parler
qu'à vous.
LA MARQUISE , au Marquis. Je vous
:
AVRIL . 1770. 19
rejoins dans l'inſtant , Monfieur , & nous
acheverons notre converſation .
LE MARQUIS . Madame , ne vous gênez
pas... St Jean ...
SCÈNE VI .
LE MARQUIS , ST JEAN.
ST JEAN. Monfieur ...
LE MARQUIS , écrivant. Une bougie..
(Il lit bas) Ohn , ohn , ohn ... Je n'ai rien
oublié ? Vous êtes charmante , Mile Dupas
, & l'argent que vous me coûtez ne
peut être mieux employé.
St Jean apporte une bougie , & s'en va :
Son maître l'appelle.
LE MARQUIS . St Jean .
ST JEAN. Monfieur.
LE MARQUIS. Voici une lettre & cent
louis que vous porterez à Mile Dupas.
ST JEAN. Oui , Monfieur.
LE MARQUIS. Vous ne les remettrez
qu'à elle.
ST JEAN. Oui , Monfieur : ( à part)
cent louis par mois , çà en fait juſtement
douze cens par an.
20 MERCURE DE FRANCE.
LE MARQUIS , cachetantfa lettre. Que
dis tu?
ST JEAN. Rien , Monfieur... Je dis
ſeulement que ſi j'étois Mamfelle Dupas,
j'aurois douze cens louis au bout de l'an .
LE MARQUIS. Faites ce que je vous
ordonne , & taiſez vous .
ST JEAN . Oui , Monfieur.
LE MARQUIS. En fortant de chez elle,
vous irez au magaſin anglois , chez Granche.
z..
ST JEAN. Au bas du Pont- Neuf ?
LE MARQUIS. Oui : vous lui direz que
je veux avoir , pour demain , ce que je lui
ai commandé.
ST JEAN. Oui , Monfieur.
LE MARQUIS. Delà vous paſſerez chez
Poirier , rue St Honoré , & vous me ferez
apporter ces deux vaſes de porcelaine ,
qu'il m'a vendus hier.. tenez. ( Il lui
donne l'argent& la lettre. )
ST JEAN . Oui , Monfieur... Est- ce là
tout.
LE MARQUIS. Ah ! ah ! vous irez aufſi
chez M. Vernet, au louvre : vous lui ferez
mes complimens , & vous lui direz , qu'à
AVRIL. 1770. 21
quelque prix que ce ſoit, je le prie de me
garder fon dernier tableau .
ST JEAN. Oui , Monfieur. ( Ilfort , la
Marquise entre au même inſtant. )
SCÈNE VII.
LA MARQUISE , LE MARQUIS.
LA MARQUISE. ( d'un ton ému) Monfieur
, je viens de recevoir des lettres qui
vous regardent : je vous prie de les lire ,
&de dire à vos marchands que vous ne
m'avez pas chargée d'acquitter vos dettes.
(la Marquise prend une chaiſe. )
LE MARQUIS , jetant ces lettres fur la
table. Vous me paroiſſez bien émue ,
Madame! ..
LA MARQUISE. Eh! qui ne le ſeroit ,
Monfieur , en voyant le peude ſoin que
vous avez de vos affaires , & la tournure
qu'elles prennent ?
• LE MARQUIS. Le peu de ſoin, Madame
! je ne m'occupe d'autre choſe , & fi
vous vous en occupiez comme moi...
LA MARQUISE. Quel reproche avez
vous à me faire ?
LE MARQUIS. Mille , Madame : ayez
des robes de toute ſaiſon , des dentelles ,
22 MERCURE DE FRANCE .
des diamans , vous le devez , mais épargnez
ſur autre choſe .
LA MARQUISE. Sur quoi donc ?
LE MARQUIS. Sur quoi , Madame ? II
n'ya pas de ſemaine où votre femme-dechambre
ne faſſe pour vous des dépenſes
énormes : aujourd'hui c'eſt une aune de
ruban roſe , demain une aune de verd ...
Avant hier encore je la rencontrai qui
vous apportoit un pot de rouge & deux
paires de gands : mettez tout cela l'un au
bout de l'autre , & vous verrez ce que
vous me coûtez à la fin de l'année.
LA MARQUISE. Deux louis à-peu près
pour cet objet , Monfieur , je l'ai calculé.
Mais vous , qui , tous les jours , donnez
des foupers ici ,& ailleurs ; qui avez douze
chevaux dans votre écurie ; qui rempliffez
votre maiſon & celle des autres de tous
les bijoux inutiles qui paroiſſent ; qui
avez une loge à tous les ſpectacles ; qui
prodiguez des cent louis pour être bien
reçu ... quelque part... Mettez tout cela
l'un au bout de l'autre ,& vous verrez ce
qu'il vous en coûte à la fin de l'année.
LE MARQUIS . Pas tant que vous l'imaginez
, parce que je fais économiſer ſur
mille autres objets. Voyez - vous le foir
i
AVRIL. 1770 . 23
dix bougies dans mon appartement comme
dans le vôtre ? On n'y en brûle que
huit. Voyez vous quatre bûches dans ma
cheminée ? On n'y en metque trois . Voilà
comme l'on fait une bonne maiſon .
LA MARQUISE. Voilà comme on s'abufe
foi-même , vous ne vous en appercevrez
que trop tard.
SCÈNE VIII.
Les mêmes , ST JEAN.
ST JEAN. ( à part ) Madame y eft , je
vais tout dire ... ( haut) Mamfelle Dupas
a les cent louis , Monfieur.
LE MARQUIS , à St Jean. Le traître !
ST JEAN. Je ne ſavois pas que Madame
étoit là ; car fi je l'avois ſu , je n'aurois
point parlé deMamfelle Dupas.
LE MARQUIS. Sors .
ST JEAN. Ni des cent louis.
LA MARQUISE , à part. Que de chagrins
à dévorer !
ST JEAN. A propos , Monfieur , il y a
dans l'antichambre un homme qui a quelque
choſe à vous remettre .
LE MARQUIS , embarraffé. Faites - le
entrer.
24
MERCURE DE FRANCE .
!
ST JEAN. M. Granchez m'a dit que tout
ſeroit prêt pour demain .
LE MARQUIS. Eh ! c'eſt bon .
ST JEAN. Vos deux vaſes ſont apportés.
LE MARQUIS. Le bourreau ! ..
ST JEAN . Pour M. Vernet , il n'étoit
pas chez lui . ( Ilfort .)
LA MARQUISE. Ne vous déconcertez
pas , Monfieur , vous êtes le maître , &
je fermetai les yeux ſur toutes vos dépenfes.
SCÈNE ΙΧ.
Les mêmes , UN HUISSIER.
LE MARQUIS. Que demandez vous ?
L'HUISSIER. M. le Marquis , je viens ,
fous votre bon plaiſir , vous remettre une
affignation, pour comparoître à l'audience
dans la huitaine , aux fins de vousy ouïr
condamner à payer la ſomme de vingt
mille livres , ci- mentionnée ,&qui, commebienſavez,
eſt due depuis long tems.
LA MARQUISE , appuyant ſa têtefur
fa main. Une affignation !
LE MARQUIS , avec dépit. M. l'Huiffier!
..
L'HUISSIER .
AVRIL. 1770 .
25
L'HUISSIER. Ce font , M. le Marquis ,
les termes de l'exploit auquel vous aurez
pour agréable de répondre , ſi mieux n'aimez
efluïer un défaut que nous ne pourrions
nous empêcher d'obtenir.
د
LE MARQUIS . Vous êtes bien hardi .
L'HUISSIER mettant l'exploit fur la
table . Pas trop , M. le Marquis , & j'ai
l'honneur de vous faire ma révérence . (Il
Sefauve. )
SCÈNE V.
LA MARQUISE , LE MARQUIS .
LA MARQUISE , fortant de fon accablement.
Voilà le fruit de votre économie
, Monfieur ; vous voyez ce qu'elle
produit.
LE MARQUIS. Je viens de vous la démontrer
clairement , & cette affignation
ne prouve rien contre moi. Leshommes
les plus rangés ſont expoſés à en recevoir.
LA MARQUISE . On eſt bien loin de
réparer ſes torts lorſque l'on ne veut point
en convenir : je vous aime , je ne m'occupe
que de l'éducation de vos enfans , &
il eſt affreux , pour moi , de voir la con-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
duite que vous tenez. Quel fort ferezvous
à votre fille ? Que deviendra votre
fils ? La raiſon ne les éclaire point encore
fur les malheurs dont ils font menacés ...
Puiſſent ils les ignorer toujours ! Je
vous offenſe , Monfieur , mais mon ame
eſt déchirée , & fi je ſuis coupable , n'en
accuſez que ma tendreſſe.
•
..
LE MARQUIS . Mais , Madame....
LA MARQUISE. Je ne ſuis pas tranquille
ſur les ſuites que tout ceci doit
avoir ; je ne puis l'être ... Une affignation
, un décret de priſe de corps ... Ah !
Monfieur , cette image me fait frémir.
LE MARQUIS . Je payerai , Madame.
LA MARQUISE. Eh ! comment ,
Monfieur ?
LE MARQUIS. En banniſſant de ma
maiſon , comme je vous l'ai dit , le fuperflu
que j'y ai remarqué. En vous priant
vous même , Madame , de diminuer les
dépenſes dont je vous ai parlé tout-àl'heure.
LA MARQUISE. En vérité , Monfieur,
votre aveuglement me fait pitié. Eh !
bien , privez - moi de tout , j'y confens ;
mais vous , Monfieur , n'ayez plus la fureur
de ces bijoux de mode que le luxe
AVRIL. 1770. 27
n'a inventés que pour la ruine de ceux
qui les achettent; fupprimez de votre table
ces mets extraordinaires qui ne fervent
qu'à vous attirer une foule de parafites
&de faux amis ; défaites vous de
ces loges que vous avez au ſpectacle , où
mille autres plaiſirs vous empêchent d'aller
les trois quarts de l'année ; priez quel
qu'un de votre connoiſſance de ſe contenter
de vingt -cinq louis par mois :
après cela , brûlez dix bougies dans votre
appartement , faites mettre quatre buches
dans votre cheminée , laiſſez-moi acheterune
aune de ruban , un pot de rouge , une
paire de gands , lorſque j'en ai beſoin, &
vous ne recevrez pointd'affignation.
LE MARQUIS. Votre raiſonnement eft
fort beau , mais vous me permettrez de
ne pas l'adopter ; &, avant qu'il foit peu ,
je vous ferai voir la juſteſſe de mes principes.
LA MARQUISE , en s'en allant. Avant
qu'il foit peu , Monfieur , vous verrez
vous même qu'ils font faux , & vous fentirez
, mais trop tard , que vous êtes préciſément
ce que dit le proverbe... le ...
LE MARQUIS. Que ſuis-je, Madame ?
LA MARQUISE. Mlle Dupas vous l'ap
prendra. ( Ellefort. )
B- ij
28 MERCURE DE FRANCE.
LE MARQUIS . Cela pourroit être , car
elle a de l'eſprit... St Jean , St Jean.
ST JEAN . Monfieur ?
LE MARQUIS. Mon caroſſe . (Ilfort.)
VERS à la Rofiere de Salenci.
REÇOIS , jeune& belle Rofiere ,
Le tendre hommage de mon coeur.
Ainſi qu'à toi la ſageſſe m'eſt chere :
Tu portes le prix de l'honneur.
Combien en ce moment je t'aime& te révére !
Avec ce titre glorieux
La plus ſimple bergere eſt princeſſe à mes yeux.
En dépit des amours dont l'eſſain t'environne ,
Tu ſus conſerver ta vertu .
Ah ! pour obtenir la couronne
Tonjeune coeur ſans doute a combattu.
Avec certains amansd'humeur folle & légere ,
Dont notre eſprit eſt pen charmé ,
Il eſt aiſé d'être ſevere ;
Mais qu'il en coûte à l'être avec l'amant aimé !
Auſſi d'une brillante & douce récompenſe ,
Salenci ſait payer un triomphe ſi beau :
De roſes l'éclatant chapeau
Atteſtera toujours ta candeur , ta décence ,
Atous les habitans de cet heureux hameau,
AVRIL. 1770 . 29
Ah ! dans cette gloire immortelle
Il eſt encore un droit charmant ,
Au bonheur d'un époux fidèle
Tu peux appeler ton amant.
Je vois auſſi ſur ta victoire
S'exercer tour- à-tour les enfans d'Apollon ,
Etdans le temple de mémoire
Des écrits délicats * ont placé ron beau nom.
Aujourd'hui même encore une élégante muſe ,
Du prix de ta vertu nous offre le tableau :
Favart ſait nous inſtruire autant qu'il nous amule,
Voilà ce que j'admire en fon drame nouveau.
Puifle , pour couronner ſes travaux & fonzèle ,
Puiffe- tu, ma bergere, au temple heureux des ris ,
Des jeunes nymphes de Paris ,
Etre à jamais l'exemple & le modèle.
* M. l'abbé Coger , M. l'abbé de Maleſpine &
M. de Sauvigny ont compoſé des choles charmantesà
l'occaſion de la Rofiere de Salenci
Par Mlle Coffon de la Crefſfoniere.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
MADRIGAL impromptu adreffé à une
Dame d'une beauté rare , qui prétendoit
que l'amour aveugloit presque tous les
hommes.
IRIS , vous vous trompez , l'amour n'aveugle
pas,
Que de fois par les yeux j'admirai vos appas ;
Et s'il nous aveugloit , c'eſt choſe reconnue
Que tous en vous voyant , auroient perdu la ,
vue .
Par M. D. X. D. S. garde du corps du
Roi , compagnie de Noailles.
AUTRE à la même , ſur les vers faits
à ſa louange.
QUE de muſes , Cloris , te chantent dans leurs
vers ?
Quand on a , comme toi, tant d'agrémens divers
,
La raiſon n'en eſt pas difficile à connoître ;
Soi-même en te louant , on mérite de l'être .
Parlemêmes.
AVRIL. 1770. 31
LES quatre Saiſons , en ariettes , pour
mettre en musique ; par M. de la Richerie
, membre de la ſociété d'agricul
ture d'Angers.
LE PRINTEMS.
DE nos forêts l'ombrage &la fraîcheur ,
De ces ruifleaux le murmure enchanteur ,
De ces gafons la riante verdure
Tout nous annonce en cebrillant léjour)
Le reveil de la nature ,
Etdu printems l'agréable retour.
Ici , les roſſignols , ſous de naiſſans feuillages ,
Agités par les doux zéphirs ,
Font entendre aux échos leurs différens ramages.
Que de douceurs , que de plaiſirs ;
Une divine flamme
Pénétre au fonddes coeurs ,
Et nous ſentons que notre ame
S'épanouit avec les fleurs .
De nos forêts ,& c...
L'ÉTÉ.
De l'aſtre lumineux la brûlante chaleur,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
De Cérès annonce la préſence ;
Déjà les épis , enfans de l'abondance ,
Sont tranchés ſous la main de l'ardent moiflonneur.
Que vois -je , & quels nuages ſombres
Obſcurciflent les cieux ;
L'éclair brille au milieudes ombres ;
La foudre éclate en tous lieux ;
Maisbientôt le ſoleil , d'un éclat radieux ,
A diſſipé l'orage ,
Et les moiſſonneurs joyeux
Ont repris leur ouvrage.
De l'aſtre lumineux , &c..
L'AUTOMNE.
Sur ces riants côteaux que le pampre couronne ,
Ons'apprête à cueillir les raiſins précieux .
Doux préſens de l'automne ,
Vous faites le bonheur des mortels & des dieux!
Déjà la grappe entaflée ,
D'un pied leſte & vigoureux ,
Par le vendangeur est foulée ;
Auſſi-tôt le nectar , à nos yeux ,
AVRIL. 1770. 33.
Jaillit , écume , bouillonne ,
Et coule àgrands flots dans la tonne ;
Les vignerons , contens , célébrent par des jeux ,
Du charmant dieu du vin les dons délicieux.
Sur ces rians côteaux , &c..
L'HIVER.
Déjà du noir hiver on reſſent la froidure,
La neige a couvert nos guérets ;
Les arbres deſléchés ont quitté leur verdure ,
Tout n'offre à nos regards que de triſtes objets .
J'entends déjà mugir les vagues irritées
Par des vents impétueux ;
Des aquilons le ſifflement affreux
Porte l'effroi dans nos ames glacées ;
Le ſoleil darde envain ſes rayons lumineux ,
Et le dieu de Paphos a perdu tous ſes feux.
Déjà du noir hiver , &c.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
ORIGINE de bien des choses. Conte..
DIRIREE aux hommes vous êtes tous nés
pour être égaux , c'eſt leur dire vous êtes
tous nés pour être malheureux. Si j'avois
le pouvoir d'aplanir toutes les montagnes
& de combler tous les vallons , je me garderois
bien d'uſer de ce privilége . Ces
inégalités font utiles à la furface du globe
; elles en font l'ornement & peut- être
le foutien. C'eſt l'image de la ſociété. Il ya
moins de philofophie &de morale dans 20
gros volumes écrits contre la fubordination
que dans le petit apologue des membres
qui ſe révoltent contre l'eſtomac . Ce
fut l'orgueil qui enfanta les gros volumes,
& la raifon qui dicta le petit apologue ..
Voici une circonſtance où elle employa
des moyens preſque auffi fimples pour enchaîner
l'orgueil qui ſe révoltoit.
Il y eut jadis un peuple uniquement
compofé de ſages. C'étoient , fi l'on en
croit de graves auteurs, les Egyptiens. Ils
durent être bien préſomptueux & bien
raifonneurs . Un de ces prétendus ſages
perfuada aux autres qu'ils ne ſe devoient
rien entr'eux , qu'ils étoient nés libres , &
AVRIL.
1770. 35
que la liberté conſiſtoit dans une entiere
indépendance . Auſfi-tôt voilà l'Egypte
peuplée d'indépendans. Le cultivateur détela
deux de ſes charrues & dit : c'en eſt
affez d'une pour moi. Le guerrier dit : je
ne veux défendre que mon terrein : le
fabriquant , je ne veux travailler la laine
& le lin que pour me couvrir. Chaque
poffeffeur ceſſa de ſe rendre utile aux autres
, & chaque individu ne s'occupa que
de ſes propres beſoins. Il en réſulta une
anarchie complette , une foule de crimes,
&une difette univerfelle dans la plus fertile
de toutes les contrées .
Le Roi , qui n'avoit pu empêcher cette
révolution , ne ſavoit quel parti prendre
pour la réparer. Il confulta quelques ſages
qui trouverent que tout étoit bien.. Le
monarque mécontent & attriſté , ſe promenoit
, ſans ſuite, hors des murs de fa
capitale. Il apperçut un homme qu'il n'eût
pas daigné appercevoir dans tout autre
rems . Cet hommeavoit long-tems paffé
pour fou , parce qu'il faifoit peu de cas
des fages; & comme en Egypte chacun
avoit le droit de ſe choiſir un nom , luimême
s'étoit fait furnommer Badin. Il
s'occupoit alors à chanter quelques cou
plets ſur lahouvelle révolution Ils étoient
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
de lui , car il avoit réellement la folie
d'en faire. Le Roi , malgré fon chagrin ,
les trouva ingénieux & piquans. Comment
fais tu , demanda-t- il au chanteur
comment fais- tu pour être toujours gai ?
C'eſt , répondit Badin , que je fais m'amuferde
tout. Si vous m'en croyez,vous rirez
de même avec moi de tout ce qui ſe paſle
-Qui , moi rire ? -Sans doute ; c'eſt ce
qu'on peut faire de mieux en pareil cas.
Tune fais doncpoint que tout eſt perdu ?
que le laboureur refuſe de cultiver ; le
favant , d'écrire ; le.... ? Tant mieux !
s'écria le prétendu fou , voilà précisément
cequ'il nous faut. Raffurez vous,Seigneur;
vous allez être plus abſolu que ne le fut
jamais Séfoftris .
-Hélas ! Séſoſtris ne perdit que pour
untems fon état , &peut- être ai je perdu
pour toujours mon état& ma maîtreſſe.
Ingrate Azéma !-Elle vous a quitté dans
vos malheurs ? -Non ; j'étois encore
tout - puiſſant lorſqu'elle diſparut.-Ce
n'eſt rien : vous la recouvrerez avec le
reſte.-Eh ! quels moyens employer ? II
eneſtun fort ſimple , reprit le confident;
ce feroit d'attendre l'effet même de cette
abſurde révolution ; mais faiſons mouvoirun
autre reſſort. Eſt-ilbien puiſſant ,
AVRIL. 1770. 37
demanda le Roi ?-ll eſt des plus foibles ,.
tel, précisément qu'il le faut pour diriger
les hommes.
Il faut en effaïer , diſoit le monarque
enlui-même. Cet homme qu'on a cru fou
peut avoir une idée heureuſe. J'ai tant
confulté de ſages que je ſuis las d'être mal
conduit.
Dès le jour ſuivant Badin publia que
le Roi ſon maître alloit récompenfer magnifiquement
ceux qui lui reſteroient
fidèles. Sapor ( c'étoit le nom du monarque
délaiſſé ) comptoit peu ſur l'effet de
cette promeſſe , encore moins fur celui
des récompenfes qu'il pouvoit donner.
Cependant le palais fut bientôt affiégé
par une foule d'Egyptiens de tout état.
Les uns y furent conduits par l'intérêt ,
les autres par la curiofité. Le premier qui
parla futun de ces hommes qui ſauroient
tout s'ils favoient ſe faire entendre ; c'eſt
ce qu'on nommoit dès - lors un docteur.
Celui - ci avoit tellement commenté les
loix , qu'on ne les reconnoiſſoit plus...
N'étoit - cé pas lui qui ſavoit tout quand
le reſte de l'Egypte ne ſavoit rien ? Cependant,
pourſuivoit- il , moi & mes pareils
, s'il en exiſte , nous sommes encore
ſansrécompenfe . Un ignorant marche
8 MERCURE DE FRANCE.
fans reſpect à côté d'un docteur , ſans même
que rien l'avertiſſe de le reſpecter .
Voici qui l'en avertira , interrompit le
miniſtre , en lui offrant la dépouille d'un
rat du Nil.
O Roi d'Egypte ! s'écrioit un poëte ;
que feras - tu pour me récompenfer de
mes veilles ? Les ſçavans écrivent pour
n'ètre point lus: moi j'écris pour qu'on
me life. J'inſtruis ton peuple & j'étends
Ia gloire de ton nom. Le tour & l'harmonie
de mes vers font goûter la morale
qu'on rebuteroit ſous une autre enveloppe.
Je ſuis l'homme le plus utile aux
hommes. Je ſuis en même tems celui
qu'on néglige le plus. Tout travail exige
un ſalaire quel qu'il foit , & j'en veux un
qui me diſtingue de la foule que j'éclaire&
que je méprife. En ce moment paf
foit le chef des cuiſines du prince. Il por
toirdans ſa main une branche de laurier.
Badin en détacha une feuille & la donna
au poëte. Celui-ci la reçut avec tranf
port , & publia qu'il la tendit des mains
d'Apollon.
Les femmes avoient auffi leurs prétentions
& ne paroiffoient pas auffi faci
les à contenter que les hommes. Comment
ſe tirer delà , difoit le Roi ? Soyez
AVRIL. 1770. 39
!
tranquille , reprit le miniſtre. Celles qui
s'attribuoient la prééminence approcherent
les premieres. Leur harangue fur
vive & même un peu emportée. Badin ,
pour toute réponſe , leur barbouilla la
phyſionomie avec un rouge épais & foncé.
C'eſt le Roi , leur dit-il , qui vous dé.
core ainſi par mes mains. Il ne reſte plus
d'équivoque ſur votre rang ,& vous pourrez
même , en un beſoin , vous paffer de
beauté. A ces mots les cris des Dames
Egyptiennes redoublerent; mais c'étoient
des cris d'acclamation .
Courage , difoit le prince au diſtributeur
des graces ! voilà qui prend le tour
le plus heureux. J'apperçois encore bien
des mécontens , diſoit Badin; mais il me
reſte plus d'un moyen pour les réduire.
Alors il prit en main une feuille de peau
de crocodille , préparée de maniere qu'on
avoit pu y graver quelques caracteres hiéroglyphiques
. Citoyens, leur dit- il , voici
le plus merveilleux des taliſmans . Il donne
à celui qui le pofféde la plus haute eftime
de lui -même ; il paſſera à ſes defcendans
qui s'eſtimeront encore davanrage.
Il ſe fortifiera en vieilliffant , &
aura le fecret merveilleux de faire oublier
aux hommes leur commune origine. Cess
40 MERCURE DE FRANCE.
mots firent la plus vive impreſſion ſur un
grand nombre de ſages. Ils accoururent
en foule aux portes du palais. On leur
diftribua des taliſmans. L'effet en fut li
prompt qu'avant la fin du jour ils étaloient
déjà plus d'orgueil que n'en montre
aujourd'hui un baron Allemand après
avoir prouvé foixante & douze quartiers.
On vit s'approcher enfaite une foule
de gens qui , d'une main , tenoient des
tablettes de cire & de l'autre un ſtilet. A
quoi deſtinez-vous ces inſtrumens , leur
demanda le miniſtre ? A chiffrer , répondirent-
ils. Oh ! pour ceux - ci , diſoit le
monarque , le parchemin n'auroit aucune
vertu : c'eſt de l'argent qu'il faut à ces
chiffreurs. Non , Sire , interrompit Badin ,
laiſſez leur plutôt le ſoin de vous en procurer
; ils ne s'oublieront pas eux-mêmes.
Le Roi écrivit fur chaque tablette un mot
qui , à l'inſtant , combla de joie ces calculateurs
, & qui bientôt après les combla
dericheſſes .
Il reſtoit encore bien des ſpectateurs
indifférens , & d'autres qui ne daignoient
pas même être ſpectateurs. Ceux-là , difoit
le monarque , ſeront difficiles à ramener.
J'eſpére bien , reprit Badin , qu'ils
reviendront d'eux- mêmes. Nos reſſources
AVRIL. 1770. 41
ne font pas épuiſées. Il inſtitua des jeux
de différente eſpéce ; mais pour y être admis
il falloit porter une couleur preſcrite
par le monarque. On vit beaucoup de
graves perſonnages dédaigner d'abord ces
vains amuſemens. Ils ne concevoient pas
comment la ſageſſe égyptienne pouvoit
s'accommoderde ces folies; mais le nombre
des fous devint fi grand qu'il en impoſa
aux ſages . Le ſon des inſtrumens ,la
gaïeté qui regnoit dans ces aſſemblées ,
l'air de fatisfaction que montroient encore
ceux qui venoient d'y figurer , tout
cela donnoit beaucoup à penſer à nos philoſophes.
La plupart commencerent à
croire que la philofophie ne perdoit rien
à s'égaïer . On les vit donc ſe mêler aux
nouveaux divertiſſemens & fortir en rendant
graces aux dieux de leur avoir donné
un maître qui daignoit s'occuper de
leurs plaiſirs.
Le miniſtre étendit encore plus loin ſa
prévoyance. Il avoit vu combien le génie
& l'éloquence infuoient ſur l'eſprit univerſel
d'un peuple : il voulut que l'éloquence&
le génie ramenaſſent le reſte de
ces eſprits égarés. Appelons , diſoit- il au
monarque , appelons auprès de nous ces
hommes qui peuvent faire tant de mal
42
MERCURE DE FRANCE.
quand on les néglige , & tant de bien
quand on fait les employer. Ils ſe rendirent
facilement à l'invitation .
Les métaphyſiciens vantoient beaucoup
le mérite & l'importance de leurs
travaux . Je vous donne , difoit l'un , une
idée claire du principe de vos idées , &
certainement ce n'eſt pas une médiocre
découverte . Moi , diſoit l'autre , je prétends
que nos idées n'appartiennent pas
plusà notre entendement que l'arbre que
réfléchit le Nil n'appartient au Nil . Badin
trouva que cette affertion offroit plus
de hardieſſe que d'utilité. Les moraliſtes
foutinrent qu'ils étoient les vrais précepteurs
du genre humain. D'accord , leur
dit le miniſtre , quand vous rendrez la
morale utile aux hommes ; quand vous
leur ferez aimer leurs devoirs, leur patrie ,
leurs ſemblables & eux - mêmes. Pour
moi , difoit un conteur , je moraliſe comme
un autre. A la bonne heure , lui dit
le judicieux Badin ; mais qu'on s'apperçoive
à peine que vous moralifez . L'hiftorien
afſfura que la connoiſſance de l'hiftoire
étoit celle de l'homme. Oui , répliqua
le miniſtre , quand l'hiſtorien s'attache
à peindre ce qu'ont réellement dit &
fait les hommes dont il écrit l'hiſtoire .
1
AVRIL. 1770. 43
L'Egypte poſſédoit alors un grand nombre
de poëtes légers. Tous aſſurerent le
miniſtre que les neuf Muſes préſidoient
à leurs productions. J'y confens , répondit-
il , pourvû qu'elles y mettent plus de
goût que dans leur almanach *. Cette
réflexion n'empêcha point le miniſtre
d'exhorter les poëtes & les profateurs à ſe
montrer bons citoyens. Il yjoignitmême
certains encouragemens propres à fortifier
le zèle.
Quelques - uns firent voir au miniſtre
des eſſais de drames qui n'attendoient ,
pour être applaudis , que des acteurs & un
théâtre. Le théâtre ne ſe fit pas long tems
attendre : on fait que les Egyptiens ſe
plaifoient à conſtruire. Les acteurs furent
choiſis par les poëtes qui , depuis, ſe ſont
vus , à leur tour , choiſis par les acteurs .
Ce nouveau genre de ſpectacle enchanta
la nation ; elle apprit à rire & à
pleurer au gré de l'auteur dramatique ;
docilité qui ne s'eſt pas toujours foutenue
dans d'autres climats. Un ſpectacle où
*C'étoit une compilation de vers , ornée de
quelques remarques en proſe. L'éditeur y prononçoitdesjugemens
aufli brefs &auſſi vrais que les
oracles d'Ammon,
44 MERCURE DE FRANCE.
dominoient la muſique & la danſe acheva
de terraſſer la gravité égyptienne. Il n'y
eut pas de danſeuſe dont le joli pied ne
fit tourner vingt têtes des plus fages. Les
plaiſirs ſe ſuccédoient ; l'ennui diſparut :
on raiſonna moins , on jouit davantage ,
&tout n'en alla que mieux .
Frappons le dernier coup , diſoit le miniſtre
au monarque , toujours plus étonné
de ce qu'il voyoit. Le prince lui demanda
s'il reſtoit encore quelque choſe à faire.
Il nous en reſte une , répondit Badin ,
qui affermira pour toujours ce qui eſt fait.
La voici . Un vieux préjugé rend eſclave
parmi nous la plus belle moitié du genre
humain , celle qui , par nature , ſe croit la
moins faite pour l'esclavage. Brifons ſes
fers; elle nous en donnera de plus doux .
Ah ! diſoit Sapor , ſi je pouvois me
flatter que cette loi remît ſous les miennes
la belle Azéma ! N'en doutez point , répliqua
le miniſtre ; elle pourra vous aimer,
au lieu qu'elle devoit naturellement
vous craindre . On n'aime que par choix ,
& Azéma pourroit-elle manquer de vous
choiſir ? Laiſſez lui la liberté de vous
donner ſon coeur ; bientôt elle ambitionnera
le vôtre.
Sapor fit publier une loi qui déclaroit
AVRIL. 1770 .
45
1
libres toutes les femmes. Leurs prifons
s'ouvrirent. On leur affigna les premieres
places dans toutes les aſſemblées. Elles
devinrent les juges du courage , des talens
, des actions utiles & des travers
agréables. Elles protégerent les uns comme
les autres . Ce mêlange donna aux
moeurs de l'Egypte une bigarrure piquante&
originale. Par-tout la gaïtéremplaça
le ſombre pédantiſme. On ne s'eſtima
que ce que l'on valoit , & l'on en valut
beaucoup mieux. Il y eut quelques perfidiés
en amour comme en amitié ; mais il
y eut & de vrais amans &de vrais amis.
Les règles de la politeſſe furent érigées
en loix comme celles de la galanterie.
Ofoit- on les enfreindre ? On en étoit puni
par le ridicule , & ce châtiment parut
bientôt le plus terrible de tous. Il en réſulta
ce que n'avoient pu produire les au
tres loix ; de l'urbanité dans les moeurs ,
des égards dansle commerce ;la craintedu
mépris , qui permet rarement qu'on s'y
expoſe ; le deſir d'être eſtimé , qui produit
toujours les actions eſtimables : enfin ,
ce qu'on peut raiſonnablement attendre
de l'homme , à qui il faut donner des entraves
, mais en lui laiſſant croire qu'il eſt
libre.
46 MERCURE DE FRANCE.
: On chantoit par-tout les louanges du
monarque . Chacun étoit ſoumis & content
; lui ſeul n'étoit point fatisfait. Il ne
pouvoit l'être, éloigné d'Azéma , & Azéma
le fuyoit toujours. Il venoit même de
lui en fournir un nouveau moyen. Laloi
qui rendoit aux femmes une entiere liberté
ne lui permettoit point d'attenter à
celle d'Azéma . De plus , il vouloit ne
devoir ſa poffeffion qu'à elle- même. Cette
idée l'occupoit triſtement lorſqu'une
femme , qui ne ſe nomma point , lui fit
demander audience. Sapor ſe promenoit
ſeul alors dans les jardins de ſon palais.
Il permit à l'inconnue de s'approcher .
Elle étoit couverte d'un voile , felon l'ancien
uſage des Egyptiennes . Seigneur ,
dit-elle d'une voix mal aſſurée , je viens
réclamer en ma faveur la loi que vous
venez de rendre en faveur de tout mon
ſexe. J'étois eſclave d'un homme qui
vouloit que je l'aimaſſe , quoiqu'il fût
mon maître . L'amour veut être libre dans
fon choix comme dans ſa perſévérance.
Je briſai mes fers &je diſparus. Vous ne
l'aimiez donc pas , lui demanda triſtemer
.por ? Je l'euſſe aimé , reprit l'inconnue
, s'il n'eût pas voulu commander
àmes ſentimens : je leur fis même vio-
!
AVRIL. 1770. 47
lence en m'éloignant de lui. Enfin , il eût
pour jamais fixé mon coeur , s'il n'avoit
pas eu le droit de captiver ma perſonne .
Il ne l'a plus ce droit , ajouta le monarque,
vous pouvez lui rendre & votre coeur
& une félicité qu'il ne tiendra que de
vous ſeule. Ah ! ſi l'ingrate Azéma pouvoit
vous imiter , elle trouveroit l'amant
le plus tendre dans un Roi qu'elle regarda
injustement comme un maître impérieux
. -Quoi ! Azéma vous ſeroit encore
chere ? -Ah ! je l'adore malgré fon
ingratitude . Hé bien ! ajouta l'inconnue ,
en ôtant fon voile & ſe jetant aux genoux
du monarque , c'eſt Azéma , c'eſt
elle- même qui vous conſacre une liberté
que vous lui avez rendue. Mon coeur ne
fut jamais ingrat : il ne regretoit l'eſclavage
que pour ſe donner volontairement
àvous.
Leprince la releva avec tranſport. Il
connut bientôt que le véritable amour
naîtde la liberté du choix ; qu'il s'inſpire
&ne ſe commande pas . Le peuple connut
à ſon tour qu'une liberté ſans limites
le rendroit miférable . On laiſſa murmurer
quelques raiſonneurs chagrins , & l'on
grava ſur un obéliſque cette maxime dictée
par un ſage qui n'en prenoit point le
48 MERCURE DE FRANCE.
titre . Il vaut mieux être heureux parfenti.
ment que malheureux parsystéme.
Par M. de la Dixmerie.
La RoSE. Fable.
DANAnSs un jardin riant&chéri des zéphirs ,
Regnoit jadis une brillante Roſe ,
Dont l'air& la fraîcheur inſpiroient les plaiſirs ;
Car elle étoit nouvellement écloſe.
Son charmant incarnat , ſes tendres agrémens ,
Joints à ſa beauté naturelle ,
Lui donnerent d'abord une foule d'amans.
L'OEillet fut le premier qui ſoupira pour elle ,
Enſuite le Jaſmin , le Pavot , le Lylas ,
Le Chevrefeuil à long ramage ,
Le ſéduiſant Muguet , le tendre Seringas ,
La recherchoient en mariage;
Mais tant d'hommages différens
Rendirent la Roſe orgueilleuse ,
Et la firent prétendre à des partis plus grands.
Elle joua la précieuſe ;
Elle fut , pour ſes favoris ,
Haute ,
AVRIL. 1770 . 49
Haute , fiére , dédaigneuſe ,
Et paya tous leurs voeux de rigoureux mépris.
Un jour qu'ils eſſayoient de fléchir la cruelle ,
Et que tous employoient les propos les plus doux ;
Ce n'est qu'un Lys , leur dit-elle ,
Ou bien un Oranger que je veux pour époux ,
Ainſi , par cet aveu , ceſſez donc de prétendre
Au bonheur de me poſſéder ,
Je ſuis encor jeunette&j'ai le tems d'attendre
Qu'un d'eux vienne me demander.
Ce trait choqua fi fort la troupe ſoupirante
Que, ſans rien répliquer , chacun fuit à grands
pas ,
Et la belle en parut contente ;
Mais de s'en repentir elle ne tarda pas ,
Car elle futdès lors de tous abandonnée.
Le Lys & l'Oranger , malgré tous ſes appas ,
Ne vinrent point lui parler d'hymenée :
Si bien qu'ayant paſſé tout ſon printems ,
Et voyant de ſes traits la fraîcheur éclipſée ,
Après mille regrets touchans ,
L'ambitieuſe fut forcée
Deprendre pour mari le Pas-d'Ane des champs .
Par M. Cabot.
IVol. C
so
MERCURE DE FRANCE.
EPIGRAMME.
Un jour Lubin diſoit à Paul fon bon ami :
Je léche tout debout , je ne vis qu'à demi.
Ma femme toujours gronde & fait le diable à
quatre ;
J'ai beau la careſſer , la menacer , la battre ;
Elle ne ſe rend pas , toujours me contredit ,
Et je crois à la fin quej'en perdrai l'eſprit :
Hom , notre ami , dit Paul , tu n'es donc guere
habile?
Ho! vive moi , pour rendre une femme docile !
La mienne avec plaiſir fait tout ce queje veux ...
Ho ! mon cher , dit Lubin , que je te trouve heureux!
Ce que tu veux ! hélas ! Comment donc peux- tu
faire ?
C'eſt , dit Paul , en feignant de vouloir le con
traire.
Par M. Chevalier , officier d'infanterie , ingén.
geographe des camps &armées du Roi.
AVRIL. 1770.51
L'ANE & LE DINDON.
Fable imitée de l'Allemand de Lichtwer.
Un Ane , un jour qu'il ſe ſentoit en voix ,
Voulut donner concert à tout ſon voiſinage ;
C'étoit un bruità faire abîmer le village :
De ſes accens il ébranla les toits .
On ne prit pas plaiſir à cette ſérenade ;
Alors Martın- Bâton de roſſer le chanteur
Qui , tout ſurpris d'une telle boutade ,
Fut cacher dans un coin ſa honte & fa douleur.
Un gros Dindon , témoin de la ſcène cruelle ,
Pleura ſur les humains d'avoir ſi peu de goût ,
Et dans l'art de chanter , le prenant pour modèle ;
Tâcha de l'imiter & le prôna par- tout.
Quel fruit , me direz-vous , faudra-t'il que jetire,
De ce chantre honni , de ſon imitateur ?
Boileau va vous le dire , écoutez le , lecteur :
Un ſot trouve toujours un plus ſot qui l'admire.
Par M. Lau... de B...
-
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
A M. le Comte DE PUGET , furfon
mariage avec Mile DE BOURBONCHAROLOIS.
COMTE , dont les deſtins
res ,
ſont ſi beaux & fira-
Vousauriez en ce jour un compliment bien doux ,
Si lesmuſes pour moi n'étoient pas plus avares
Que les dieux le ſont envers vous.
Tout m'intéreſſe à vos hoiries ,
Aux honneurs de votre maiſon ;
Demes ayeux , les armoiries
**Ont furchargé votre écufſſon ;
Plus d'un monument fait connoître
Que nos blaſons furent unis ,
Mais devant la ſplendeur des lys
Tout autre objet doit diſparoître.
Ala gloire du plus grand nom
Le vôtre aujourd'hui s'aſſocie ,
Quand on épouſe une Bourbon,
C'eſt à l'Olympe qu'on s'allie :
N'allez pas trop tôt l'habiter ,
Lorſque l'on prend femme jolie ,
Sur la terre il fait bon reſter.
:
ParM. de Relongue-la- Louptiere , de l'acad.
desArcades de Rome , au château de la
Louptiere , en Champagne.
AVRIL. 1770. 53
STANCES adreſſées à Mile Henriette
C*** , de Marseille , par deux amis
rivaux.
Si c'eſt un crime que d'aimer ,
Qui , plus que nous , ſera coupable ?
Si c'en eſt un que d'être aimable ,
Qui , plus que vous , doit s'alarmer .
Depuis qu'au pouvoir de vos charmes
Le haſard a livré nos coeurs ,
Nous éprouvons les traits vainqueurs.
Dudieu dont nous bravions les armes .
Vos yeux ont fait en un inſtant
Ce que mille autres n'ont pu faire ;
Vous ſeule , ſans chercher à plaire ,
Avez fixé notre penchant.
Jamais beauté , dans aucune ame ,
N'alluma de fi tendres feux ;
Jamais amant , comme nous deux ,
N'ont ſçu ſi bien chérir leur flâme.
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Si cet aveu peut vous armer
Contre un amour ſi raiſonnable ,
Ceſſez vous-même d'être aimable ,
• Nous ceſſerons de vous aimer.
Mais quand , pour ceſſer de nous plaire,
Vous feriez les plus grands efforts ,
Vous ne pourriez de nos tranſports
Cacher la cauſe involontaire.
Vos yeux , où brille la vertu ,-
Vous trahiroient malgré vous- même ;
Il faut par force qu'on vous aime ,
Dès le moment qu'on vous a vû.
Recevez donc , belle inſenſible ,
L'hommage de nos tendres coeurs ;
Et loin d'augmenter vos rigueurs ,
Ceffez plutôt d'être inflexible.
Quel ſeroit notre enchantement ,
Si nos voeux & notre conſtance
Nous faifoient luire l'eſpérance ,
De vous toucher un ſeul moment.
Mais non : du dieu de la tendreſſe
Vous mépriſez les douces loix ;
AVRIL. 1770 . SS
Et vous n'écoutez que la voix
De la plus auſtere ſageſle.
Quoique, fons eſpoir de retour ,
Nos coeurs ſon at jaloux de leurs chaînes,
N'augmentez pas du moins nos peines
Par le mépris de notre amour.
Plaignez un couple miſérable
Réduit à ſe déſeſpérer ;
Etlaiſſez nous vous adorer.
Puiſque vous êtes adorable.
Par M. Fabre de Marseille , à Paris.
EPIGRAMME.
CLION de ſes nobles ayeux ,
Ne ceffe de vanter les exploits glorieux ,
Les droits de ſa maiſon , les honneurs de ſa place ,
Son château , ſon parc , ſa tertafle ,
Son cuisinier , ſatable , ſes cristaux ......
J'admire de Cléon la modeſtie extrême ,
Ilvantejuſqu'à ſes chevaux ,
Et ne dit pas un ſeul mot de lui-même.
Par M. D ** à Quimper.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
NAHAMIR ou LA PROVIDENCE
JUSTIFIÉE. Conte Arabe .
Un petit homme boſſu, borgne, boiteux
&manchor, demandoit l'aumône aux portes
de Bagdad : il ne pouvoit s'empêcher
d'éclater en marmures , & d'accuſer la fage
Providence . Quelqu'un d'une taille
avantageuſe paroiſſoit- ilélevé ſurun char,
le mendiant de mauvaiſe humeur s'écrioit
dans ſon ame : Pourquoi n'ai-je pas
ce port noble & majestueux ? Qu'a fait
cet être fi bien traité de la Sageſſe éternelle
pour avoir le corps droit & dominant
, tandis qu'une énorme bofle me
courbe vers la terre ? Une femme laiſſoitelle
entrevoir à travers ſon voile tranſparent
deux yeux plus brillans que les prunelles
reſplendiſſantes des Houris , il ne
manquoit pas de dire : voilà une femme
dont le fort me fait envie ; elle a deux
beaux yeux , & moi je ſuis borgne ; encore
l'oeil qui me reſte ne vaut-il pas la
peine d'en remercier le ciel. Avec quel
orgueil ce Satrape foule la terre à ſes
pieds ! il a l'uſage de ſes deux jambes pour
AVRIL. 1770. 57
1
promener ſon luxe infolent & la fatiété
de tous les plaiſirs ; & moi , miférable ,
qui aurois beſoin de me tranſporter dans
lesdivers quartiers de la ville pour folliciter
la compaſſion pareſſeuſe , je ſuis boiteux
& traîne avec difficulté mon indigence.
Cet individu créé tout exprès pour
le malheur de Bagdad a deux mains longues
& crochues qui ſavent glaner amplement
ſur les impôts qu'elles moiffonnent
au nomducommandeurdes croyans ;
& l'infortuné Nahamir n'a qu'une main
languiſſante que , ſouvent , il tend inutilement
à ce concours de ſcélérats qui na
gent dans l'abondance &dans la richeſſe.
Mon fort eſt bien affreux ; ya - t'il une
créature plus accablée d'infortune , plus
ſouffrante que moi ? Qu'on diſe encore
que la Providence a tout fait pour le
mieux : quand la mort viendra-t'elle détruire
ma déplorable exiſtence ?
Un vieillard , d'une figure noble & impoſante
, paffle auprès de Nahamir : il
avoit entendu quelques-unes de ſes plaintes
; il lui dit : Mon ami , ſuis - moi , tu
ne feras pas fâché de m'avoir obéi. Nahamir
, tout en boitant , marche ſur les
pas du vieillard , qui s'aſſied ſous un
platane& fait figne au pauvre de prendre
place à ſes côtés.
Cv
8 MERCURE DE FRANCE.
Tes murmures ne m'ont point échappé,
dit le vieillard , raconte moi un peu ton
hiſtoire ; li je ne puis te foulager , du
moins je me latte de te conſoler. On
goûte une eſpéce de fatisfaction à parler
de fes peines.
Nahamir faiſit l'occaſion,&commença
de cette forre le recit de ſes calamités.
Mon nom eſt Nahamir. Je ſuis l'uni-,
que & triſte reſte de vingt- cinq enfans
d'Abouffin , ce riche marchand de Damas
dont l'opulence avoit paffé en proverbe
; & je mendie aujourd'hui mon
pain aux portes de cette même ville , où
mes ayeux , dans une famine cruelle , répandirent
autrefois l'abondance. J'annonçois
, dans la fleur de ma jeuneſſe, une
taille élévée & élégante , des épaules bien
placées ; je marchois droit , mes jambes
étoient moulées ; j'avois deux yeux clairs
&perçans , &deux mains qui en valoient
trois pour l'adreſſe & la force : ajoutez à
ces avantages une opulence dont les fources
paroiſſoient ne devoir jamais tarir.
C'eſt ainſi que je ſuis entré dans le monde...
Monami , interrompit le vieillard,
J'attends de toi un fincere aveu ; n'éprouvois
tu pas un ſecret orgueil qui te faifoit
comparer avec les autres ? Et cette
AVRIL. 1770. 59
comparaiſon de ton fort fortuné avec leur
fort malheureux n'étoit - elle point une
eſpéce de reflet qui rejailliſſoit fur ton
bonheur & l'augmentoit? Ne difois - tu
point dans ton coeur ; je ſuis droit ; j'ai
de beaux yeux , &c... Il est vrai , reſpecrable
vieillard , je ne faurois vous le diſſimuler
; je nourriſſois un orgueil intérieur
qui , tous les jours , faiſoit de nouveaux
progrès ; mais cet orgueil n'alloit point
juſqu'à la dureté. J'époufai une femme
jeune&jolie qui m'apporta un bien conſidérable
; j'en eus fix enfans qui m'ont
été tous enlevés par une mort imprévue.
Hélas ! ſi quelques-uns , fi un ſeul m'étoit
reſté il me foulageroit dans la pauvreté ,
il eſſuyeroit mes larmes ; je lui ouvrirois
monſein , il entendroit mes plaintes, mes
gémiſſemens ; je ferois pere : c'eſt une
confolation , un plaiſir , que la fortune ,
quelque barbare qu'elle foit , ne diſpute
point aux plus malheureux des hommes.
Ma femme , que j'adorois , ſuivit mes enfans
dans le tombeau. Tous les noeuds qui
m'attachoient aux autres créatures devoient
être rompus ; il falloit que je fupportaſſe
ſeul le poids de mes maux : à la
fuited'une longue maladie une boſſe vint
me rendre difforme; pour avoir paſſé la
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
nuit fur ma terraſſe , je me relevai avec
un oeil de moins; je vois de ma fenêtre
deux hommes qui ſe battoient dans la rue,
je vole à leur ſecours , & je me caffe la
jambe ; mais ce qui va plus vous étonner,
jedonne un ſequin à un miférable qui me
demandoit la charité; il tire de deſſous ſa
robe un fabre , & m'abat le bras ; j'imaginois
avoit épuiſé toute la ſomme des
malheurs que le Ciel , dans ſa colere , répand
fur ce globe ; j'avois déjà eſſuyé pluſieurs
banqueroutes , j'allois cependant
me retirer , content d'un bien modique
que j'avois à la campagne , & fur lequel
j'aſſurois ma ſubſiſtance ; je me faifois un
tableau philofophique ; je me voyois vivantloindes
hommes , jouiſſant du ſpectacle
de mon jardin qui n'avoit qu'un demi
arpent , & où j'aurois renfermé tous
mes defirs : reſpirant le parfumdes fleurs,
livré enfin à l'occupation demoi-même ,
offrant mes derniers ſoupirs à ce Dieu
dont les décrets ſont enveloppés d'une
nuit impénétrable; it m'enleve cette triſte
&derniere planche de mon naufrage ; des
parens avides &dénaturés ont des protections
auprès du cadi ; il favorife leur injustice
& leur barbarie; ces foibles débris
de ma fortune paſſée me font arrachés...
AVRIL. 1770. 61
Je tombe dans toutesles horreurs de l'indigence
, accablé de vieilleſſe , d'infirmités
, & ne pouvant pardonner au Ciel de
m'avoir précipité dans un pareil abîme de
douleurs.
Voilà donc mon ami , dit tranquillement
le vieillard, le ſujetde tes murmures
?-Et, de par Mahomet , que voulez
vous d'avantage ? Vous me paroiffez
un étrange homme! vieux ,boſſu, borgne,
boiteux, manchot, mourant de faim , vous
ne trouvez pas cette ſituation affez cruelle
, affez horrible ? Ne faudra-t'il pas que
je me loue de la Providence ? -Affurement
tu lui dois des actions de grace ſans
nombre. Mais est- ce votre deſſein d'in .
ſulter à ma miſere ? Votre phyſionomie
me promettoit une ame ſenſible.-C'eſt
parce que je ſuis ſenſible que je veux te
confoler & te prouver ton bonheur. -
Mon bonheur ! ... Notre boiteux fut tellement
ému d'indignation , qu'il oublia
qu'il n'avoit qu'une jambe, & fit un ſaut
en arriere . -Oui, ton bonheur , inſenſé
mortel ! entends, connois la vérité &rends
juſtice à cette ſageſſe éternelle que ton
aveuglement& ta folie ofent accuſer.
Nahamir regarde attentivement le vieillard;
il lui trouve dans les traits quelque
64 MERCURE DE FRANCE.
tu regrettes : tu n'auras pas oubliéun certain
jour de la fête d'Huſſein , où l'on
t'inſulta ? -Je m'en souviens , que n'aije
pu m'en venger ? .. Eh bien ! ſi tu avois
eu l'uſage de ce bras qui te manque , tu
aurois tiré ton fabre ? En pouvez - vous
douter ? Et tu aurois été percé de mille
coups. -Vous êtes un homme bien fingulier
! bientôt vous m'allez faire croire
que je ſuis un des favoris de la Providence.
Je vous abandonne ma taille , mon
oeil , ma jambe , mon bras ; mais du moins
s'il m'étoit reſté ma femme ? -Elle auroit
trahi fon honneur , & tu fuſſes tombé
dans le déſeſpoir. -Et mes enfans ? -
Ils devoient entraîner la perte de l'empire.-
Et ma pauvreté ?-Ta deſtinée , ſi
tu fuſſes reſté opulent , étoit de faire un
déteſtable uſage de tes richeſſes , d'endurcir
ton coeur , de te livrer à tous les excès,
àtous les crimes , d'être en un mot en
horreur au genre humain . -Le Ciel m'a
tout ravi ; que in'a t'il laiffé ? -La vertu;
tu n'as rien à te reprocher ; tu n'as
point de remords , tu n'as que des malheurs
: quand tu rentres en toi-même , tu
n'as point à rougir; ta confcience te confole
: Que disje , elle t'éleve au deſſus
de ces mortels que tu as la foibleſſe d'en
AVRIL. 1776. 65
vier. Si tu ne manges qu'un morceau de
pain arroſé de tes larmes , il ne t'a point
coûté de crimes; peut- être il flatte ton
appetit plus que ces mets faſtueux qui ne
fauroient réveiller le palais émoullé de
tant de riches déchirés par un vautour
éternel & qui brûlent d'une foif inaltérable
que n'étanchent point les pleurs& le
fang des malheureux immolés à la fortune.
Mais je ne t'ai point montré l'immenſité
des voies de la Providence ; que
ta vue foit deſfillée , & d'un coup d'oeil
ſaiſis tout le ſpectacle de l'Univers ..
Le vieillard auſſi- tôt met la main fur
les yeux de Nahamir ; & il voit des rois ,
des fouverains légitimes renverſés du
trône& foulés aux pieds d'infames ufurpateurs
; des riches couverts d'opprobres ,
confumés d'ennui & affaffinés fur leurs
tréſors amoncelés ; des femmes fans pudeur
qui , peu contentes de fouiller le lit
de leurs époux , les égorgent ou les empoifonnent
fans pitié ; des enfans qui ,
fourds à la voix du fang , plongent le
couteau dans le ſein paternel ; des villes
déſolées par divers fléaux ; des empires entiers
abandonnés au génie de la deftruction
; tout l'Univers , theatre affreux du
crime & du malheur. Eh ! bien , oſe en
66 MERCURE DE FRANCE.
core te plaindre , s'écrie le vieillard ; &
foudain ſes rides s'effacent & diſparoifſent.
La majeſté d'un Dieu s'aſſied fur
fon front reſplendiſſant de lumiere ; fa
taille s'éleve comme un cédre ſuperbe ;
de ſes yeux ſortent des éclairs , un ange ,
en un mot , de la premiere hiérarchie ſe
fait voir dans toute ſa ſplendeur. Nahamir
ſe proſterne dans la pouſſiere. L'ange
lui dit : Souffre patiemment ; après ta
mort tu recommenceras une nouvelle car .
riere , où toutes les félicités t'attendent ;
tu auras une femme qui ſera un prodige
de beauté , & qui n'aimera que toi , des
enfans ſoumis , tendres &dignes de leur
pere ; des richeſſes immenfes qui ne corrompront
point ton coeur , & tu laifferas
une réputation immortelle. Nahamir
voulut encore répliquer : l'ange s'envola ,
&Nahamir , après avoir murmuré pour la
derniere fois , retourna aux portes deBagdad
, en demandant l'aumône , & remerciant
leCiel de tout ſon coeur d'être vieux,
boſſu , borgne , boiteux & manchot , &
le tout pour la plus grande gloirede Dieu
&de ſes dignes ferviteurs Mahomet &
Ali.
Par M. d'Arnaud.
ROMANCE
de
M.Gavinica.
Page
1770.9 $ 2
On craint un engagement
Tant qu'on estjeu -nette ;
On rebute
tendre amant Que le coeur re =grette
Mais on a beaufuir l'amour , Il sca
nous surprendre Ah! s'ilfaut ce-der
jour,Aquoi sert d'at = tendre ?
De Imprimeriede Récoquilliée, rue de laHuchette, auPanierflou
AVRIL. 1770. 67
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Mars 1770 , eſt
lesfens ; celle de la ſeconde eſt parole;
celle de la troiſiéme eſt le lion ; celle de
la quatriéme eſt l'oeuf. Le mot du premier
logogryphe eſt portail , où se trouvent
port , ail , Lai , moine ; lia , trop ,
Celui du ſecond eſt vérité , où l'on trouve
Tir , ver , Vire , ire , vie , rive , re , ri , rit,
re , Eve , rêve , Ive , été , étre , ivre : Celui
du troifiéme eſt Eve , où l'on trouve Eus
Celui du quatriéme eſt boeuf, d'où ôrant
le B , reſte oeuf.
ÉNIGME
or:
Des fecrets des mortels , victime infortunée ,
Apérir par le feu le ſort m'a deſtinée ;
Auſſi ſuis-je fidèle : on ne fait leur ſecret
Que quand la main m'a rompu tout-à-fait.
De moi ſe paſſe aisément un avare ;
Je ſuis d'ungrand uſage à la ville , à la cour ,
Et plus qu'aux champs , où je ſuis rare ;
J'y cours pourtant la nuit comme le jour ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Je ſuis même propice au commerce , à l'amour.
Que trouves- tu , lecteur , à ce portrait bizarre ?
ParM. de la Rozerie.
AUTRE.
ON me donne la queſtion
Avant que d'avoir pu mettre un pied dans le
monde;
J'exiſte à peine , &fans difcrétion
On m'attache à des fers qui , vingt pas à la ronde ,
D'un bruit aigu font gémir le quartier :
Depuis le Sénateur juſques au Savetier ,
Excepté moi , chacun en gronde :
Mon tourment fait celui du voisinage entier.
Et pourquoi tout ce tintamarre ?
Si pour moi l'on eſt dur , on n'eſt pas moins bizarre:
C'eſt pour me laiſſer imparfait ,
C'eſt pour me faire un corps ſans tête ,
Qu'avec tantde fracas chaque jour on s'apprête :
Quand on m'a fait le pied on croit m'avoir tout
fait.
De l'état abject où nous ſommes
Après tout pourquoi murmurer ?
Manquer de tête eſt commun chez les hommes ,
AVRI L. 1770. 69
Et les femmes , dit-on , devroient n'en point mon
trer.
Le plus fâcheux eſt que l'on n'eſt pas maître
De ſe placer comme il convient ;
De la perſonne à qui l'on appartient
•Ondépend trop ; pour bien paroître ,
Nous prenons ſes défauts, nous partageons ſes
torts ,
Par trop d'attachement notre gloire eſt ternie ;
Ainſi voit- on ſouvent que , malgré ses efforts ,
Le plus beau naturel ſe gâte en compagnie.
Du
AUTRE.
u bâtiment je ſuis la couverture ,
Ou , pour le moins , j'y bouche un trou ;
Et c'eſt précisément par où
Dans l'Univers , je fais figure..
Au ſexe je ne ſuis d'aucune utilité ;
Car je ne puis entrer dans ſa parure ,
Et dans le vrai je ſuis d'une nature
Contradictoire à la mondanité .
En conſervant mon nom
ſtructure,
, mais changeant de
Je protége l'humanité ,
Dans les combats & contre la froiduse.
Ace tableaujejoindrois bien des traits ,
70
MERCURE DE FRANCE .
- Mais je ſerois trop facile à connoître :
Il te ſuffit , lecteur , de ſavoir que , peut-être ,
Je pourrois te compter au rang de mes ſujets.
Par M. Parron , Capitaine d'infanterie.
AUTRE .
PLus d'un ſavant s'eſt occupé
A meſurer mon existence ;
Plus d'un nigaud s'eſt amuſé
Atracer ma circonférence ;
Rien n'eſt plus regulier que moi.
De plus , dans Paris , à la mode ,
Aux hommes j'enſeigne le code
Pour faire un fat de bon aloi .
1
LOGOGRYPΗ Ε.
Je n'ai qu'un nom , cependant ma figure ,
Ou mes différentes couleurs
Changent mon être , ma nature ,
Au point d'embarraſler un inſtant mes lecteurs :
Je ſuis de tout pays , je ſuis de tout étage ,
On me porte preſque en tout lieu ,
Au conclave , à la rote , en chaque aréopage ,
AVRIL . 1770 . 71
Sur mer, dansun collége , aux champs , à l'hôtel-
Dieu ,
Aux petites maiſons , en forbonne ,à l'égliſe ,
AMalthe , à Luque , à Gênes , dans Veniſe ,'
Dans les priſons , à la guerre , au comptoir ,
Al'écurie , à l'office , en voyage ,
Dans un bureau,dans preſque tout ouvroir ,
Aux forges , dans la rue , au lit , en cet ſtage
Dont on ne peut ſe ſauver qu'à la nage ,
Ala cuiſine , à la vigne , au preſſoir ,
Au jeude paume enfin , comme au jeu du batoir &
Je fus jadıs une arme défenſive :
La marque d'un infâme ou celle d'un Hébreu;
Et quand on le ſauvoit d'une peine afflictive ,
L'armure d'un Fefle-Mathieu :
Maintenant je ſuis unouvrage
Adeux angles rentrans , à trois angles ſaillans
Dont la défenſe ou l'abordage
Coûtent cher à maints combattans.
Par M. de Boufſanelle , Brigadier des armées
du Roi , ancien Capitaine au régiment du
Commiſſaire Général de la Cavalerie.
72 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
JE fuis cequ'on m'a fait ; car je ne ſuis point né
Tout comme l'on me voit : mais quand je ſuis
८
formé ,
1.
Onme trouve à la ville , ainſi qu'à la campagne.
Je ſuis cauſe ſouvent que l'on perd ou l'on gagne ;
Je ſuis utile aux rois, aux grands comme aux petits;
Je cours après la gloire & je crains les mépris ;
J'habiteles palais ainſi que les chaumieres ,
Pour m'éclairer fur- tout il faut bien des lumieres.
Si quelque fois j'ennuie , une autre fois je plais.
Je ſers à la diſcorde auſſi-bien qu'à la paix ;
Je produis très- ſouvent la joie & l'abondance ,
Mais je ſuis cauſe auſſi qu'on eſt dans l'indigence;
Je fais rire & pleurer , & dans le même inſtant
Je rends l'un ſatisfait & l'autre mécontent.
Souvent de ma fabrique il fort un équipage ;
Je loge quelquefois dans un premier étage ,
Etplus ſouvent encore on me trouve au grenier.
Tel a le premier rang , je le mets au dernier ;
Mais en me combinant , voici bien d'autres choſes:
Tranſpoſant mes fix pieds , que de métamorphoſes!
Si tu veux me trouver , lecteur , avec ſuccès ,
Cherche
AVRIL. 1770. 73
Cherche bien douze mots , neuf latins , trois françois
;
J'offre d'abord en cinq , une fille aviſée ,
Et perſonne expérimentée.
Quatre , forment le fonds de mille complimens ,
Ce qu'on fait quand on veut vivre dans les couvens
;
Autre quatre aflemblés font le nom d'une fille
Qui n'eſt pas fort ſouvent d'une grande famille ;
Plus , ceque fait chacun lorſqu'il va , qu'il agit ,
Et certain officier , quand pour nous il écrit ;
Deux déſignent le ton d'un maître à ſon eſclave ;
Une note , une clef, non celle de la cave.
Dans trois pieds , de mon tout , gît une qualité
Que donne un jeune enfant tout d'abord qu'il eſt
né.
Plus , une maladie aux brebis très- funeſte ,
Dont le ſon repété fait qu'on m'entend de reſte :
Plus , deux conjonctions , un verbe appellatif,
Un qui peint le loiſir , le même applicatif;
Enfin , me remettant dans ma premiere forme ,
Mon être indépendant dépend d'un droit énorme .
Faut- il, pour me trouver, parcourir tous les cieux;
Non , cher ami lecteur , carje ſuis ſous tes yeux.
I. Vol.
Par M Alleon des Gouftes ,
avocat au parlement.
D
74
MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Avec cinq pieds , je ſuis fragile ;
Réduit à trois , je ſuis rempant:
Pourpeu , mon cher lecteur , que vous ſoiez habile,
Vous trouverez en moi ce qu'on fait en dormant.
Par M. Cat. à Versailles.
AUTRE.
Avec fix piedsje ſuis utile au jardinage ;
Otez m'en la moitié , je le ſuis davantage.
Par un Abonné au Mercure.
AVRIL. 1770. 75
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Théâtre espagnol , avec cette épigraphe :
Cùm flueret lutulentus , erat quod tollere velles:
Par M. L **.
HORAT.
A Paris , chez de Hanſy , le jeune , libraire
, rue St Jacques ; 1770. Avec
approbation & privilége du Roi. 4vol.
in- 12 . chacun d'environ 500 pag.
La ſcène françoiſe doit ſon premier
éclat au Théâtre Espagnol : le grand Corneille
en emprunta le Cid , & le Cid a
produit Polieučte & Cinna. Thomas , fon
frere , ne fut , à proprement parler , que
le traducteur des Caſtillans. Moliere pui.
ſa dans la même ſource. Quoique la régénération
des lettres ſoit généralement
attribuée à l'Italie , il eſt certain que les
proſateurs & les poëtes François ſe ſont
bien plus formés à l'école des Eſpagnols
qu'à celle des Italiens. Benferade , Voiture&
les autres beaux efprits dont les
productions ont été comme l'aurore du
beau fiécle de Louis XIV , étoient , en
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
quelque forte , plus Eſpagnols que François.
La langue eſpagnole leur fut auffi
familiere que la langue françoiſe peut
l'être aux ſavans étrangers. On remarque
que les Nouvelles , genre auquel nous
avons ſubſtitué les Contes , preſque toutes
traduites ou imitées de l'eſpagnol , font
en général beaucoup mieux écrites que
les piéces de théâtre du même tems . Le
roman comique qui fait époque dans les
révolutions de notre langue eſt enrichi
de nouvelles eſpagnoles que le goût le
plus épuré ne défavoueroit pas. Le Sage
a fondu dans Gilblas pluſieurs drames
eſpagnols dont il n'a fait que mettre en
récit les ſcènes dialoguées. Les nouvelles ,
qui dans le ſiècle dernier eurent tant de
ſuccès , n'étoient auſſi que des drames
mis en narration .
Le traducteur de ce théâtre rend aux
Eſpagnols l'hommage qu'ils ont droit
d'attendre de notre reconnoiſſance. Il ouvre
à nos jeunes Auteurs un champ vaſte
dans lequel le génie trouvera de riches'
moiffons à recueillir. La fécondité des
Ecrivains Eſpagnols eſt connue. On prérend
que Lopez de Véga a laiſſé plus de
deux mille deux cens piéces de théâtre ,
& Calderon , plus de quinze cens . Dans
AVRIL. 1770. 77
:
preſque toutes ces productions , on voit
briller , à travers les bifarreries d'une
imagination extravagante , des étincelles
de génie. On y trouve des ſituations neuves;
mais des intrigues compliquées, des
événemens invraiſemblables , de grands
mouvemens , des coups de main, des
toursde force leur promettent aujourd'hui
encore plus de ſuccès.
Ce théâtre ne contient qu'un choix de
comédies eſpagnoles , dont trois font de
Lopez de Véga , fix de Calderon,& quelques
autres de différens auteurs moins
célèbres . La tragédie eſt preſqu'inconnue
aux Eſpagnols. Lorſqu'ils mettent ſur la
ſcène des rois , des princes , des miniftres
, ces perſonnages ne font pas ordinairement
plus graves que les payſans &
les bourgeois ; & l'on rit ſouvent avec
eux , tandis qu'on pleure avec ces derniers
. Il paroît qu'avant ce ſiècle , les termes
de tragédie & de comédie étoient indifféremment
employés l'un pour l'autre
en Caſtillan . Dom Montiano y Luyando
a donné en dernier lieu de vraies
tragédies ; ( Virginie &Ataulphe ) mais ,
quoiqu'on les life avec intérêt , les fuffrages
de la nation n'ont point conſacré ce
genre. La traduction d'une tragédie de
Métaſtaſe n'a pas mieux réuſſi .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Ces comédies font diviſées enjournées
&nonen actes . Cette méthode, en étendant
la ſcène au gré des ſpectateurs habitués à
parcourir un vaſte champ , justifie la complication
des événemens , les fréquens
changemens de lieux , &d'autres libertés
que notre regle étroite des vingt quatre
heures ne ſupporteroit pas. Aufli chaque
comédie forme -t'elle un véritable roman.
Les piéces de ce recueil retracent,prefque
toutes , les moeurs & l'eſprit de l'ancienne
chevalerie. Preſque par- tout des
combats finguliers , des enlevemens ou
des fuites , une galanterie reglee. Toutes
les intrigues nouées & dénouées avec des
efforts d'eſprit prodigieux tendent au
mariage ; & l'on ne voit guere fur la ſcène
que des filles dont les démarches ne
font pas toujours décentes , quoique leur
honneur reſte ordinairement intact. Les
freres y ont une très-grande autorité fur
les foeurs; & il ne faut pas oublier les
moeurs du pays , ſi l'on veut foutenir la
lecture de ces pièces. Le déncûment eft
auſſi bruſque que l'action eſt embrouillée .
Le rêve eſt toujours étrange , & toujours.
ilfinit par un coup de tonnerre.
Le premier volume du théâtre espagnol
contient quatre piéces ; la Constance à l'éAVRIL.
1770.
79
preuve de Lopez de Véga Carpio; le Précepteurfuppofé
, du même ; les Vapeurs ou
la Fille délicate , du même ; Il y a du
mieux , de Don Pedro Calderon de la
Barca. La premiere offre un beau caractere
dans Dona Helena , qui ſe fait eſclave
de Don Fernand , dans la vue de le
réconcilier avec DonJuan ſon fils , qu'elle
épouſe à la fin , après beaucoup de traverſes.
La ſeconde n'est qu'une mauvaiſe
parodie de la premiere ; la Fille délicate
formeroit un perſonnage d'un bon comique
, ſi ſa délicateſſe n'étoit d'abord poufſée
juſqu'à l'extravagance. Un homme de
goût pourroit temanier heureuſement
l'idée d'une Isabelle qui , après avoir refuſé
les partis les plus fortables , finit par
s'amouracher d'un eſclave. Le ſujet de la
piéce est vraiment théâtral. Le dernier
drame ett un tiſſu d'incidens que la fortune
rend toujours favorables aux perfonnages
qu'ils ſemblent devoir accabler .
C'eſt l'ouvrage d'une belle imagination.
La premiere piéce du ſecond volume
eſt intitulée le Violpuni. C'eſt un drame
fingulier dans lequel un capitaine enleve
&viole la fille d'un payſan ;& le payſan ,
nommé à la place d'Alcalde fait arrêter
&étrangler le capitaine. Le roi Philip
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
pe II arrive à la fin de la pièce , & approuve
la conduite de l'Alcalde. Des ſcè .
nes plaiſantes y amenent des ſcènes nobles&
pathétiques dans leſquelles le payſan
Creſpo joue , avec ſa famille, un rôle
admirable. Dans la Cloison, des ſituations
fingulieres , tantôt comiques , tantôt intéreſſantes
, excitent la plus vive curiofité.
La troifiéme piéce a pour titre , ſe dé.
fier des apparences . Elle eſt faire, ainſi que
la précédente , avec beaucoup d'art; mais
l'auteur a manqué les ſcènes attendriſſan.
res qu'il s'étoit adroitement ménagées .
La Journée difficile préſente , ſur une intrigue
fort compliquée , des beautés de
détails , fondées en partie ſur une mépriſe.
Dans tous ces drames de Calderon,
le génie offre de riches matériaux au
goût.
Dans le 3º volume , la piéce de Calderon
, intitulée : On ne badine point avec
l'amour , paroît avoir fourni à Moliere
l'idée des Femmesſavantes , & quelques
traits des Précieuses ridicules . La choſe
impoffible , par Don Augustin Moreto , a
pour but de prouver qu'il n'eſt pas poffible
de garder une femme. Don Pedro
prétend qu'on ne lui enlevera pas ſa ſoeur
Dona Inès ; Don Félix la lui enleve par
1
AVRIL. 81
1770 .
les intrigues de fon valet Tarugo. Il y a
dans cette piéce , quelques ſcènes affez
plaiſantes. Dans la Reſſemblance , par le
même , le bonhomme D. Pedro Lujan ,
trompé par une conformité de traits ,
prend D. Fernand de Ribera pour D. Lope
fon fils qui , depuis long-tems , eſt aux
Indes . D. Fernand , embarraflé dans une
mauvaiſe affaire , confent , quoiqu'avec
peine , à entrer chez D. Pedro comme
fon fils; & il y demeure parce qu'il y trouve
Dona Inès , beauté dont il étoit épris
fans la connoître. Le vrai D. Lope arrive
; le vieillard le renvoie ; D. Fernand
le reconnoît pour le cavalier qu'il croyoit
avoir tué chez ſa ſoeur Dona Juana. Celle-
ci éclaircit à la fin tout le myſtere , &
les deux amans épouſent leurs maîtreſſes .
L'occaſion fait le larron , par le même ,
eſt une des meilleures piéces de ce recueil
. D. Afanciel a pris le nom de D.
Pedro de Mendoça ; le haſard fait tomber
entre ſes mains les papiers de celuici
; & avec ces titres , il va époufer Dona
Séraphine , deſtinée à D. Pedro . D.Pedro
eſt traité d'impoſteur ; on le prend pour
Manuel , dont les papiers ſe trouvent chez
lui ; il eſt forcé de ſe battre , poursuivi ,
arrêté pour les affaires de D. Manuel.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Dona Violente , ſéduite par ce dernier ,
trouve le moyen de ſuſpendre ſon mariage
avec Séraphine , de démaſquer l'impoſture
& de réconcilier les eſprits . Elle
épouſe D. Manuel ; & Dona Séraphine ,
le vrai D. Pedro. On retrouve dans certe
comédie le fonds & quelques ſcènes des
Menechmes ; mais l'intrigue en eſt plus
vraiſemblable & plus intéreſſante.
4. vol . Le Sage dans fa retraite , par
D. Juan de Mathos Fragofo , paroît avoir
fervi de modèle à l'auteur Anglois que
M. Sedaine & M. Collé ont imité dans
le Roi & le Fermier , & la partie de chaffe
de Henri IV. La piéce eſpagnole adroit
fourni les ſcènes les plus intéreſſantes aux
auteurs François : les rôles du laboureur
Jean & du roi D. Alphonse font d'une
grande beauté. Dans la Fidélité difficile ,
Je déguiſement d'une femme en homme
produit des ſituations fingulieres. Le fou
incommode de D. Antonio de Solis eſt
dans le goût des comédies de Calderon .
Enfin ce recueil eſt terminé par des intermedes
comiques dans le genre des farces.
Ce théâtre espagnol fera plus favorablement
accueilli du public que ne le fur,
il y a trente ans , l'eſſai ſur le même théâtre
de M. du Perron de Caſtera , traducAVRIL.
1770 . 83
teur du Camoens. Il mérite d'être placé à
la ſuite du théâtre des Grecs du P. Brumoy
, & du théâtre anglois de M. de la
Place.
Dialogues ſur le commerce des bleds : In
vitium ducit culpæ fuga , fi caret arte.
HORAT. 1770. A Londres ; & à Paris,
chez Merlin , rue de la Harpe , brochure
in - 8°. de 314 pag. petit caractere
. Prix 3 liv .
Un ſuccès éclatant met cet ouvrage audeſſus
de nos éloges. Nous oferons à peine
dire que la facilité du ſtyle , le naturel
du dialogue , des paſſages éloquens ,
des hiſtoriettes aſſez plaiſantes , le ton le
plus léger ſur le ſujet le plus grave , l'air
impoſant qui captive la confiance , l'art
de faire valoir pour raiſons ces petits
mots qu'on appelle bons mots; enfin mille
traits ingénieux juſtifient les fuffrages
que ces dialogues ont obtenus. Mais ces
agrémens ne ſauroient paſſer dans un extrait
, & nous ne pouvons en dépouiller
les opinions fans faire beaucoup de tort
à l'ouvrage.
Quant à ce dernier objet , nous ne diffimulerons
pas qu'on reproche à l'auteur
(M. l'Abbé G... ) d'ignorer le ſyſtème
Dvj
S4 MERCURE DE FRANCE.
qu'il entreprend de réfuter. Mais M. le
chevalier Zanobi, qui le repréſente, a ſoin
d'annoncer qu'il arrive d'Italie & qu'il
n'a rien lu ; eſt- il obligé de ſavoir ſans
avoir lu & même pu lire ? Il conſulte le
marquis de Roquemaure & le préſident
de... qui ont eu le tems& les moyens de
s'inſtruire à fonds : mais malheureuſement
, s'il leur en souvient , il ne leur en
fouvient guere ; eſt-ce ſa faute ? on lui reproche
encore des contradictions fréquentes
: Qu'est - ce que cela prouve ? Qu'en
difcutant la matiere il a quelquefois
changé d'avis & rectifié ſes idées : c'eſt
un ſujet d'éloge. Enfin parce que l'auteur
a dit qu'il étoit inutile d'avertir que ces
entretiens n'étoient pas supposés ; on ne
veut pas ſe tenir pour averti qu'ils ne le
font pas . Cependant cet avertiſſement eſt
lapologie de l'ouvrage ; les défauts des
dialogues ne font plus que les fautes ordinaires
de la converſation , & l'équité
même exige de l'indulgence dans les jugemens
du public.
,
L'objet du premier dialogue eſt de
prouver 1. que l'adminiſtration d'un
état , par rapport au commerce des grains,
ne doit point ſervir de regle à un autre à
moins qu'ils ne foient parfaitement femAVRIL.
1770. 85
blables dans tous les points , ce qui eſt
impoffible. 2°. Que la plus légere variation
, telle que l'établiſſement d'une nouvelle
manufacture , ſuffit pour obliger à
changer le régime entier d'un empire par
rapport à ce commerce ; ce ne feroit pas
une petite affaire pour le gouvernement.
Mais l'auteur adoucit dans la ſuite la févérité
de ces regles , en donnant des loix
invariables , & les mêmes loix à des états
très différens les uns des autres .
Dans le ſecond dialogue , M. le chevalier
veut que le gouvernement ſoit ſeul
chargé de l'approviſionnement des petits
états tels que Genéve , afin que la ville ne
puiſſe pas être ſurpriſe , ſans pain , par
une attaque imprévue. Ces états font
d'ailleurs des efpéces de couvens de Capucins;
donc il ne doit point y avoir de commerce
de bled .
Les deux dialogues ſuivans roulent fur
les états qui n'ont point ou qui ont peu
de territoire , comme la Hollande . L'auteur
leur accorde la liberté du commerce
; mais avec défenſe aux états qui ont
un territoire comme la France , de ſuivre
cet exemple , parce qu'on ſent bien qu'il
ne ſeroit pas avantageux à ceux qui re- .
cueillent du grain comme il l'eſt à ceux
$6 MERCURE DE FRANCE.
quin'en recueillent pas , d'en vendre ; &
que ſi les premiers en vendoient comme
les autres , ils pourroient à la fin en manquer
; ce qui ne peut pas arriver à ceuxci
, car leurs manufactures ne les laiſſeront
jamais manquer de rien. L'auteur en
répond.
On apprend , dans le se dialogue , la
différence d'un peuple agricole avec un
peuple manufacturier & commerçant. Un
peuple agricole eſt un joueur ; un joueur
riſque , & à la fin il meurt à l'hôpital. II
n'en eſt pas de même d'un peuple manufacturier
; il ne riſque rien , & ſes richefſes
croiffent avec ſes manufactures à l'infini.
Les interlocuteurs du chevalier n'en
doutent pas.
Le ſixieme dialogue tend à prouver
que la France n'a&ne peut avoir que peu
ou point de fuperflu en grains. M. le
chevalier ne dit point ſur quoi il fonde
ſes calculs , & il affure qu'il ne connoît
la France que pour l'avoir traversée dans
fes grandes routes; mais on fait qu'il a la
vue perçante & l'eſprit fubtil .
Dans le 7. dialogue , l'auteur balance
les avantages& les déſavantages du commerce
des bleds. De l'extrême difficulté
de ce commerce , on conclud qu'il faut
AVRIL. 1770. 87
le défendre au- dehors. Cependant M. le
Chevalier le permet , afin , fur- tout, d'avoir
une marine floriſſante par l'exportation
d'un ſuperflu peut - être imaginaire
ou dumoins preſqu'inſenſible .
Le 8. dialogue couronne ce pénible
travail par deux impôts , l'un de so fols
fur chaque feptier de bled exporté, droit
deſtiné à repouffer le grain dans l'intérieur
, &dont l'effet naturel en ſera de le
faire tomber à vil prix ; l'autre , de 25 f.
fur chaque ſeptier de bled importé , droit
impoſé pour que le grain étranger ne
faſſe pas tomber à vil prix le grain du crû,
& dont l'effet néceſſaire fera de faire
payer les ſecours plus cher aux confommateurs
lorſqu'ils feront dans le beſoin .
Ileſt évident que l'auteur veut faire le
bien.
Nous n'avons expoſé que les réſultats
de chaque dialogue ; mais ils fuffiſent
pour faire fentir l'art prodigieux que M.
l'abbé G... doit avoir employé pour y
avoir tranquillement amené ſes lecteurs.
Eſſai fur les moyens d'améliorer les études
actuelles des colléges. A Paris , chez Fétil
, libraire , rue des Cordeliers , près
celle de Condé. Avec approb. & pri
88 MERCURE DE FRANCE.
vilége . broch . in- 12 . de 127 p. Prix
I liv. 4 f.
M. de la Galaiziere , intendant de Lorraine
, a excité , dans cette province , le
defir de contribuer à perfectionner l'éducation
& les études. M. Michel s'eſt efforcé
dans cette brochure de ſeconder les
vues de ce magiſtrat. Il expoſe d'abord
ce que doit être l'éducation. Son premier
devoir a pour baſe la vettu ou la pratique
des loix naturelles non écrites ; le ſecond,
la pratique des loix naturelles écrites, ou
la probité. Telle doit être l'éducation de
l'homme. Le citoyen eſt , de plus , redevable
à ſa patrie , de ſa vie , de ſes talens
&de la maniere de les employer : delà
les exercices du corps qui tendent à le
conſerver ; les exercices de l'eſprit , qui
ont pour objet d'étendre ſes facultés;l'emploi
des connoiffances, complément & fin
de l'éducation .
Mais l'ordre des ſociétés n'est pas partout
le même : les qualités conſtitutives
du françois ſe réduiſent 1º. à l'amour de
fon Roi , fondement de la valeur & du
courage de la nation ; 2°. Ala foumiffion
aux loix , bafe de l'ordre qui doit regner
dans l'état ; 3 °. Au reſpect pour les magiftrats
, hommage indiſpenſable du ciAVRIL.
1770. 89
toyen pour l'organe des loix. Il faut y
ajouter la religion .
Trois eſpéces d'auteurs occupent les enfans
; il faut les enviſager toutes relativement
aux moeurs. S'amuſer des imaginations
du poëte , s'inſtruire par les tableaux
de l'hiſtorien , ſe juger avec les regles du
philoſophe : cette école eſt complette .
Tels font les principes de l'auteur dont le
développement le conduit à des obfervations
ſur les châtimens , ſur la religion ,
fur la maniere dont les parens peuvent
contribuer à l'amélioration des études,fur
les moyens de faire concourir les études
des colléges au but d'une bonne éducation.
Ledernier chapitre préſente des mo.
dèles d'inſtruction aux profeſſeurs .
Cet ouvrage a été inſpiré par le zèle du
bien public.
Calendrier des réglemens ou notice des
édits , déclarations , lettres - patentes ,
ordonnances , réglemens & arrêts tant
du conſeil que des parlemens , cours
ſouveraines & autres jurifdictions du
royaume qui ont paru pendant l'année
1767 ; par A. Vallat- la-Chapelle. A
Paris , chez Vallat- la-Chapelle , libraire
au palais , ſur le perron de la ſainte
१०
MERCURE DE FRANCE.
Chapelle, au château de Champlâtreux;
1770. Avec privil. br. in- 16. de plus
de 600 p. en deux parties.
L'utilité de ce calendrier eſt généralement
reconnue : il formera , un jour , un
fondde matériaux précieux pour l'hiſtoire
. Le recueil eſt diviſe ſuivant l'ordre
alphabétique des matieres : Adminiftration
de la justice , amendes , apanage , artillerie
, arts & métiers bois à brûler , capitation
, clergé , commenfaux
nautés & octrois , compagnie des Indes ,& c .
Une table bien faite indique à chaque lec.
teur l'objet de ſes recherches .
commu-
Le rédateur l'a enrichi cette année, des
arrêts du parlement de Bretagne & de la
chambre des comptes de Provence , les
deux ſeules cours dont il ait pu ſe procurer
les réglemens. Il ne négligera rien pour
obtenir dans la ſuite la communication
des réglemens des autres tribunaux. Les
calendriers de 1763 & 1769 paroîtront
dans le courant de cette année ; & tous
les dix ans on publiera une table générale
des matieres renfermées dans les dix calendriers
précédens.
Eloge de Pierre du Terrail, appelé le chevalierBayardſans
peur &fans reproche.
AVRIL. 1770. I
Quis mortem tunicâ tectum adamantinâ dignè
Scripferit... aut Tydidem ſuperis parem.
HOR. Ode v.
AGenève ; & ſe trouve à Paris , chez
Valade , libraire , rue St Jacques , visà-
vis la rue de la parcheminerie , à St
Jacques , 1770 ; broch, in- 8 °. de 70 p .
avec le portrait de Bayard.
L'auteur conſidére Bayard comme mé
ritant par ſes exploits & par ſes verrus le
furnom de Chevalier fans peur &fans reproche.
La premiere partie eſt un récit ras
pide des hauts faits du héros détaillés
dans des notes inſtructives. Ses vertus
font retracées dans la ſeconde partie avec
la chaleur du fentiment. L'auteur a placé
à la fuite de ſon difcours le chap. LXVI .
de Théodore Godefroy , des vertus qui
estoient au bon chevalier fans peur &fans
reproche.
• Toute nobleſſe , dit cet Hiſtorien, ſe
>> debvoit bien veſtir de deuil , le jour du
>> treſpas du bon chevalier ſans peur &
>> fans reproche. Car je croy que depuis
>> la création du monde , tant en loi chref-
>> tienne que payenne , ne s'en est trouvé
>> un ſeul qui moins lui ait faict de des92
MERCURE DE FRANCE.
>>>honneur, ne plus d'honneur... Oncques
>> n'euſt un eſcu qui ne feut au comman-
>> dement du premier qui en avoit à be-
>> ſogner... Jamais foldat qu'il eut ſous
> ſa charge ne feut deſmonté qu'il ne re-
>> montaſt , bien ſouvent changeoit un
>> courſier ou cheval d'Eſpaigne qui val-
>> loit deux ou trois cens eſcus à unde fes
>> hommes d'armes contre un courtault de
>> fix eſcus , & donnoit à entendre au gen-
>> tilhomme que le cheval qu'il lui
>> bailloit lui étoit merveilleuſement
>> propre... Il n'eſt rien ſi certain qu'il a
>> marié en ſa vie, ſans en faire bruit , cent
131
و
pauvres filles orphelines , gentilsfem-
>> mes ouautres... Jamais ne fent en pays
>> de conqueſte , que s'il a été poſſible de
> trouver homme ou femme de la mai-
>> ſon où il logeoit , qu'il ne payât , ce
» qu'il penſoit avoir deſpendu. Et plu-
>> ſieurs fois lui a-t'on dit , Monseigneur,
>> c'eſt argent perdu que vous baillez ; car
>> au partir d'ici on mettra le feu céans ,
> & oftera-t'on ce que vous avez donné?
>> Il reſpondoit , Meſſeigneurs , je fais ce
» que je doibs... A quelque perſonne
>> que ce feuſt , grand prince , ou autre ,
>> ne fleſchiffoit jamais , pour dire autre
>>choſe que la raiſon. Des biens mon
AVRIL. 1770. 93
>> dains , il n'y penſa en ſa vie , & bien l'a
>> monſtré ; car à ſa mort , il n'eſtoit gue-
>> res plus riche que quand il feut né...
» Et fi a gaigné durant les guerres en ſa
>> vie cent mille francs en prifonniers ,
» qu'il a départis à tous ceulx qui en ont
>> eu beſoin... C'eſtoit le plus aſſeuré en
>> guerre qu'on ait jamais congneu , & à
> ſes paroles , eut faict combattre le plus
>> couard homme du monde ... Jamais
>> on ne lui ſçeut bailler commiſſion qu'il
>> refuſaft , & fi lui en a - t'on baille de
>> bien eſtranges. Mais pour ce que tou-
>> jours a eu Dieu devant les yeulx , luia
» aydé à maintenir ſon honneur ; & juf-
>> ques au jour de fon treſpas , on n'en
>>avoit pas ofté le fer d'une eſguillette...
» Et oncques ne feut veu qu'il ait voulu
>> ſouſtenir le plus grand ami qu'il euſt
>> au monde contre la raiſon , & toujours
>>diſoit le bon gentilhomme , que tous
>> empires , royaumes & provinces fans
justice, font foreſts pleines de brigands.
>> Es guerres a eu toujours trois excellen-
>> tes chofes , & qui bien affierent à par-
>> fait chevalier , affault de levrier , dé-
>>fenſe de ſanglier & fuite de loup- brict.
>>quitoutes ſes vertus vouldroit deſcrip-
>>re, il y conviendroitbien la vie d'un bon
>> orateur .
8
94
MERCURE DE FRANCE.
Diſcours fur cette queſtion , lequelde ces
quatreſujets ,le Commerçant , le Culrivateur
, le Militaire & le Sçavant ,fere
le plus effentiellement l'état , relativement
au degréde perfection où un prince
veut l'élever : fuivis de l'éloge du chevalier
Bayard ; par M. le Boucq , prêtre,
Chanoine de l'égliſe collegiale de St
André de Chartres , & profeſſeur de
rhétorique au collège de ladite ville.
A Paris , chez Fetil , libraire , rue des
Cordeliers , près de celle de Condé , au
parnaſle italien , in- 12 .
Les voyages que le Roi de Dannemarck
vient de faire ont fourni à M. le Boucq
l'idée des quatre difcours que nous annonçons.
Il ſuppoſe un jeune monarque
qui vient de rentrer dans ſes états , après
avoir parcouru différens royaumes de
l'Europe ; il a vu le commerce fleurir chez
un peuple , l'agriculture chez un autre ;
dans un troiſieme , l'art militaire & les
ſciences ,& les lettres dans un quatriéme.
Plein du defir de rendre ſon regne célèbre
, il demande lequel de ces quatre
objets eſt plus utile à un état; ſon premier
miniftre , chargé d'examiner cette queftion
, écoute les perſonnes qui font vaAVRIL.
1770.
95
loir devant lui les intérêts des quatre conditions
rivales. On parle d'abord en faveur
du Commerçant ; on enviſage ſa
profeſſion ſous un double point de vue ,
comme donnant tout à la fois à l'état une
grande richeffe & une grande puiſſance .
La défenſe de l'Agriculteur eſt pleine de
force & de vérité ; on préſente en lui le
citoyen le plus néceſſaire, le plus laborieux
, le moins à charge à l'état & le plus
vertueux. On fait valoir également l'art
militaire , qui défend le peuple entier ,
qui affure les paſſages au commerçant &
conſerve les récoltes du cultivateur. On
peint le ſavant éclairant les eſprits , &
donnant par- là un nouveau luſtre à l'état,
formant les hommes à la vertu & préparant
le bonheur des particuliers & la félicité
publique. Le jugement ſuit ces quatre
difcours ; on obſerve que la queſtion
eſt lequel des quatre concurrens eſt le
plus utile à l'état , relativement au degré de
perfection qu'un prince veut lui donner.
Cette queſtion n'eſt proposée qu'au moment
où les campagnes font cultivées par
de laborieux agriculteurs , où les frontieres
font bien défendues & où le commerce
& l'induſtrie font chaque jour des progrès.
La préférence eſtdonnée àla ſcience.
96 MERCURE DE FRANCE.
L'élogede Bayard,que l'on trouve à la
fin, a concouru pour le prix que l'académie
de Dijon a distribué l'année derniere
&a obtenu l'acceffit. Tous ces morceaux
font écrits avec chaleur & avec éloquence.
Piéces de théâtre , en vers & en profe ,
un volume in- 8 ° .
Les piéces contenues dans ce recueil
font connues ; leur réputation eſt faite
depuis long-tems ; elles paroiſſent aujourd'hui
avec des augmentations conſidérables;
elles font de l'écrivain célèbre à
qui nous devons le nouveau théâtre françois
ou François II . Ce tableau fublime
& vrai de l'ambition & de la politique
des courtiſans qui intriguoient à la cour
de ce jeune Roi , eſt un morceau tout- àfait
neuf,dont on ne trouve point d'exemples
chez les autres nations ; on y a joint
des notes précieuſes pour tous les amateurs
de l'hiſtoire . La premiere piéce de
ce recueil eſt Cornelie Veſtale , tragédie
repréſentée à Paris en 1713 , & imprimée
pour la premiere fois à Londres en 1718 .
C'est une production de la jeuneſſe de
l'auteur qui annonçoit le talent le plus
décidé , & qui fait regretter qu'il n'ait pas
continué
AVRIL. 1770. 97
continué cette carriere ; il a préſenté d'une
maniere intéreſſante le premier effor
d'une ame pure , étonnée des ſentimens
qu'elle éprouve : il a uſé de la liberté accordée
aux auteurs dramatiques de s'écarter
quelquefois de la vérité de l'hiſtoire ;
il ne s'eſt éloigné en quelques points de
celle des veſtales que pour donner plus
d'intérêt à ſon ouvrage ; au reſte , cette
tragédie , ſagement écrite , n'a aucun rapport
avec une autre qui a paru il y a quelque
tems , & dont on a auſſi placé l'action
dans le temple de Veſta. La petite Maifon
& le réveil d'Epimenide ſont deux
comédies fort agréables qui peignent avec
beaucoup d'eſprit & de gaïté l'inconféquence
& la légereté de nos moeurs. Le
jaloux de lui-même offre un caractere bizarre
affez commun dans tous les pays &
dans tous les tems ; cette piéce peut contribuer
à le corriger. Ce recueil eſt terminé
par le Temple des Chimeres , divertiſſement
lyrique en vers & en un acte;
c'eſt une allégorie charmante , qui nous
fait fentir combien l'illuſion eſt utile &
néceſſaire à notre bonheur ; nous rapporterons
les vers que M. de Voltaire adreſſa
dans le tems à l'auteur.
Votre amuſement lyrique
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
M'a paru du meilleur ton.
Si Linus fit la muſique ,
Les vers ſont d'Anacreon.
L'Anacréon de la Gréce
Vaut- il celui de Paris ?
Il chanta la double ivreſſe
De Syléne & de Cypris ;
Mais fit-il avec ſageſle
L'hiſtoire de ſon pays ?
Après des travaux auſteres ,
Dans vos doux délaſſemens ,
Vous célébrez les chymeres :
Elles ſont de tous les tems :
Elles nous ſont néceſſaires ;
Nous ſomines de vieux enfans ,
Les erreurs font nos lifiéres ,
Et les vanités légéres
Nous bercent en cheveux blancs.
Juftini Hiftoriarum ex Trogo Pompeio ,
libri XLIV. Parifiis , ex typographia
Joſephi Barbou , viâ Mathurinenfium .
Cette éditionde Juſtin eſt auſſi correcte
&auſſi ſoignée que toutes celles des autres
auteurs latins qui ſont ſorties fucceffivement
des preſſes de Barbou ; elle eſt
faite d'après celle que donna , en 1737 , à
Léipſick, J. Fréderick Fiſcher , quoiqu'el
le paſsât pour la meilleure , elle contenoit
AVRIL. 1770. ११
cependant pluſieurs fautes qu'on a corrigées
avec ſoin en confultant les manufcrits
conſervés dans la bibliothèque du
Roi. Tout le monde connoît l'ouvrage
de Juſtin ; il n'a pas peu contribué à faire
perdre l'hiſtoire univerſelle de Trogue-
Pompée dont il eſt l'abrégé ; c'eſt un écrivain
eſtimé , mais qui n'eſt pas toujours
un hiſtorien exact.
Quintilien , de l'inſtitution de l'orateur ,
traduit par M. l'abbé Gedoyn , de l'académie
françoiſe ; édition faite d'après
un exemplaire corrigé par l'auteur.
AParis , de l'imprimerie de J. Barbou ,
rue des Mathurins , 4 vol. in 12 .
C'eſt à la décadence de l'éloquence romaine
que nous devons cet ouvrage de
Quintilien; le mauvais goût , l'affectation
, l'obſcurité , l'enflure , les jeux de
mots avoient fait des progrès rapides ; de
fon tems on avoit abſolument perdu la
nobleſſe , la fimplicité & le goût du ſiécle
d'Auguſte ; Quintilien s'attacha à faire
revivre la véritable éloquence ; le vrai
mérite a ſes droits qui ſe font reconnoître
tôt ou tard; on applaudit à ſes efforts,
on l'admira. Les Romains l'engagerent à
enſeigner un art qu'il poſſédoit au plus
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
haut degré de perfection ; ils lui firent
même un honneur qu'ils n'avoient encore
fait à perfonne; ils lui affignerent desappointemens
fur le tréſor public. Quinti.
lien renonça au barreau , où il s'étoit acquis
beaucoup de gloire , & s'occupa à
former de jeunes orateurs ; après avoir
exercé cet emploi pendant vingt ans , il
obtint la permiſſion de le quitter ; il
compoſa alors les douze livres de l'inſtitution
de l'orateur pour fervir éternelle
ment de règle à ceux qui s'adonneroient
à l'éloquence , & de préſervatif contre le
mauvais goût qui eſt la ſource de tous les
vices qui l'empoiſonnent& qui entraînent
enfin ſa tuine.
L'abbé de Parc eſt le premier qui
ait entrepris de donner en France une
traduction de l'ouvrage de Quintilien ; fa
verſion a été oubliée en naillant ; & fon
nom feroit aufli peu connu , ſi Deſpréaux
ne l'avoit conſigné dans ſes ſatires; la
verſion de M. Gedoyn eſt la ſeule que
nous ayons ; elle lui ouvrit les portes de
l'académie , & le tems n'a fait que confirmer
ſon ſuccès,
με
Principes de l'art du Tapiffier ; ouvrage
utile aux gens de cette profeſſion & à
ceux qui les emploient ; par M. BiAVRIL.
1770. ΙΟΙ
mont , maître & marchand tapiſſier. A
Paris , de l'imprimerie de Lottin l'aîné,
imprimeur- libraire de Mgr le Dauphin
&de la ville , rue St Jacques , au Coq
&au livre d'or ; in- 12. Prix 2 liv.br.
Cet ouvrage a déjà paru ſous le titre
deManuel des Tapiſſiers ; l'auteur le préſente
aujourd'hui ſous une autre forme
& avec des augmentations confidérables ;
il eſt diviſé en deux parties ; l'une traite
de la qualité , de l'uſage & des façons
qu'on doit donner aux étoffes & aux autres
marchandiſes qui ſervent à meubler
les appartemens ; l'autre marque la quantité
& le prix des matieres , ainſi que celui
des façons . L'ouvrage peut être réellement
utile aux tapiſſiers & à leurs apprentifs
; les perſonnes qui les emploient
journellement feront auſſi bien aiſes de
prendre connoiffance de tous les objets
qui font relatifs aux meubles dont ils ont
beſoin.
Le Début ou les premieres aventures du
Chevalier de *** avec cette épigr.
د
Juvenilibus annis ,
Luxuriant animi , corporaque ipſa vigent.
OVID .
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
A L *** ; & ſe vend à Paris , chez
Rozet , libraire , rue St Severin , au
coin de la rue Zacharie ; in- 12 .
Le chevalier de * * * écrit lui - même
l'hiſtoire de ſes premieres années ; il la
commence au moment où il entre en rhétorique
; il s'étend plus ſur les plaiſirs
que ſur les progrès ; il peint les premiers
d'une maniere très- vive & très- enjouée ;
ils fourniffent une multitude de petites
aventures agréablement écrites & qui ne
font liées entr'elles que par celui qui en
eſt le héros. Après avoir pris long-tems
le plaifir pour de l'amour, il éprouve enfin
ce dernier ſentiment ; une perſonne refpectable
en eſt Fobjet ; il n'a point voulu
cacher l'hiſtoire de ſes égaremens à celle
qu'il aime ; c'eſt par l'expoſe ſincere de ſa
conduite qu'il prétend lui apprendre àjuger
de fon caractere. La derniere aventure
dont il lui rend compte eſt pleine
d'intérêt & en même tems très - finguliere.
Le chevalier alloit ſouvent chez Mlle
des Forts qui vivoit des bienfaits du duc
de... Unjour il trouve à ſa porte une jeune
enfant qui pleure parce qu'elle n'a pas de
pain , & parce que fa mere ne peut lui en
donner ; elle demeure dans la maiſon de
-
AVRIL. 1770 . 103
Mlle des Forts; mais le grenier qu'elle
habite eſt le théâtre de la plus affreuſe
mifére. Le chevalier y monte ; il confole
cette mere malheureuſe , & lui fait une
petite penſion. Il apprend d'elle qu'elle
n'a dû le titre de mere qu'à l'amour. Quelques
années s'écoulent ; cette femme vient
chez le chevalier & lui tient ce diſcours.
« Vous êtes mon appui , mon foutien , le
>>plus généreux des hommes ; daignez
» m'écouter . Les années s'amaſſent ſur
>> ma tête ; bientôtje ne ſerai plus en état
>> de m'aider. Je ne veux pas abufer de
>> vos bontés ; je vous dois tout , ma vie ,
» celle de ma fille... Ma fille ! Dieu
>>veuille qu'elle ſoit plus heureuſe que
>> ſa mere. Je l'ai élevée juſqu'ici dans
>> une entiere folitude; il y a trois jours
>> que je la conduiſis au palais royal ; on
>> nous ſuivit; le courier de l'envoyé de..
>> vint nous faire, de la part de ſon maî-
>> tre , les plus belles propoſitions ; je les
>> rejetai ; hier l'envoyé lui-même eſt ve .
» nu chez nous , les mains pleines d'or
» & de bijoux . Que vous dirai -je ? Je lui
>> demandai du tems & ne lui ôrai pas
>> toute eſpérance. O mon patron !je n'ai
>> que Dorothée , elle eſt jolie ; la mifére
>>> ne lui laiſſe pas la liberté d'être ver
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
>> tueuſe; il faut qu'elle m'acquitte, qu'el-
>> le s'acquitte envers vous , avant de paf-
>> fer en d'autres mains. »
Cette femme avoit amené Dorothée ;
le chevalier alloit abuſer de ſa reconnoiffance
, mais Dorothée pleure ; elle aime
un garçon du pays de ſa mere ; il étoit
venu à Paris pour paſſer le bail d'une ferme
; d'autres ont obtenu la préférence ; il
a regretté cette fortune parce qu'elle l'auroit
mis en état d'épouſer Dorothée. Ce
jeune homme a porté de l'eau pour vivre,
&tous les foirs il remettoit ſon gain à la
mere de Dorothée. Son pere eſt mort, ſa
mere lui a écrit de revenir au pays ; il eſt
parti . Le chevalier eſt touché de cette
confidence naïve ; il fait donner une ferme
à ce bon payſan par un de ſes amis
dont la terre eſt voiſine de ce village ; il
le marie avec Dorothée , & jouit de la
reconnoiffance de la mere , de la fille&
de l'époux .
Ce roman mérite d'être diftingué de la
foule des bagarelles qui paroiſſent dans
ce genre ; on y trouve de l'intérêt , de la
gaïté , & fur- tout beaucoup de légéreté.
Mémoires de l'Académie de Dijon. A
Dijon , chez Cauſſe , imprimeur - li-
)
AVRIL. 1770 . 105
braire du parlement & de l'académie ,
place St Etienne ; & ſe vend à Paris ,
chez Saillant & Nyon , rue St Jean de
Beauvais . Tome I. in- 8 ° .
Ily a longtems que l'académie de Dijon
defiroit donner ſes mémoires au public
; mais elle a éprouvé le fort de la
plupart des établiſſemens littéraires qui
n'ont acquis que lentement la conſiſtance
néceſſaire pour engager les aſſociés à faire
un fonds commun de connoiſſances ; ce
n'eſt que depuis 1761 que les portefeuilles
de l'académie ſe ſont remplis fucceſſivement
; avant cette époque les académiciens
ſe contentoient de venir lire
leurs ouvrages , & le ſecrétaire en retenoitſeulement
le titre avecla date des lectures.
Ce recueil eſt formé ſur le plan des
mémoires de l'académie royale des ſciences
; chaque volume ſera diviſé en deux
parties , l'une, ſous le titrede mémoires ,
contiendra les ouvrages imprimés en enrier
, l'autre , ſous celui d'hiſtoire , offrira
le recit exact de tout ce qui ſe ſera dit
dans les ſéances , un précis des obſervations
de différens genres qu'on y aura
lues , & l'extrait de pluſieurs ouvrages
qu'on n'imprimera point avec les mémoi-
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
res , parce que les auteurs auront voulu les
publier ſéparément , ou parce qu'ils auront
pour objets des matieres ſur leſquel.
les le goût du public eſt pour ainſi dire
raffafié ; on ne préſentera dans ces extraits
que les idées neuves &les détails qu'on
chercheroit inutilement ailleurs .
Le volume que nous annonçons offre
d'abord l'hiſtoire de l'académie depuis
fon établiſſement juſqu'à préſent , cette
hiſtoire eſt fort intéreſſante ; elle eſt ſuiviede
différens extraits qui ont pour objet
la phyſique , l'hiſtoire naturelle , les curiofués
naturelles , les belles - lettres , les
beaux arts , la deſcriptionde pluſieurs antiques
, des obſervations de médecine , &
les élogesdeM. Fromageot &de M. d'Aulezy.
Les mémoires offrent une grande
variété ; ce font des morceaux curieux de
ſciences , d'hiſtoire , de littérature profonde
& légere , où tous les lecteurs peuvent
trouver de quoi s'inſtruire & de quoi s'amufer
; ce premier volume ne peut que
faire deſirer avec empreſſement la ſuite de
cette collection; &les gens de lettres ſauront
toujours gré à l'académie de leur faire
part de ſes travaux .
AVRIL. 1770. 107
OEuvres choifies de Bernard de la Monnoye
, de l'académie françoiſe , en deux
vol . in- 4°.
Ingenium cui fit , cui mens divinior , atque os
Magna ſonaturum.
HOR. fat. 4, 1. 1 .
Tome II . A la Haye , chez Charles le
Vier , libraire , dans le Spuyſtract ; &
ſe trouve à Paris , chez Saugrain , libr.
ordinaire de Mgr le Comte d'Artois ,
quai des Auguſtins ; à Dijon , chez F.
Des Ventes , libraire de Mgr le Prince
de Condé , 1770 ; volume d'environ
500 pages .
Les libraires , chargés de la nouvelle &
riche collection des oeuvres de M. de la
Monnoye , in - 4°. & in . 8 °. , ont rempli
leurs engagemens avec exactitude , tant
par rapport à la propreté de l'édition que
par rapport au tems de la livraiſon des
volumes . Celui ci eſt diviſé en quatre livres
, formant les 6 , 7 , 8 & 9º livres
de l'ouvrage. Le ſixieme contient les fonnets
héroïques & autres ; le ſeptieme,des
piéces latines & grecques avec destraductions
; le huitieme , une ſuite ou mélange
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
de différentes piéces & traductions françoiſes
, latines&grecques , en profe & en
vers ; le neuvieme,des eſſais de critique &
de littérature , avis, &c. Nous tranfcrirons,
preſque ſans choix , quelques petites piéces
de vers de ce volume ; & nous y joindrons
quelques anecdotes tirées des lettres
& des differtations de ce ſavant littérateur.
M. de Monnoye rendoit compte de ſa
fituation , en 1670 , à un de ſes amis dans
ce fonner.
Ami , je ſuis mort , autant vaut ,
Ame déſoler tout conſpire.
Je joue & perds , c'eſt mon défaut ,
Etjoueur qui perd ne peut rire.
J'ai toujours trop froid ou trop chaud.
Sije choiſis je prends le pire.
J'ai moins de ſanté qu'il ne faut,
D'enfans , plus que je n'endefire.
Mes plus beaux jours s'en ſont paflés ;
Mes meilleurs contrats évincés;
Un cruel traitant me dévore ,
Cependant je ſuis amoureux ,
EtCélimene m'aime encore :
Je ne ſuis pastrop malheureux.
AVRIL. 1770. 109
M. de la M. avoit fait , ſur l'anti-Baillet
de Ménage , des remarques qu'il auroit
communiquées à l'auteur , s'il ſe fût
trouvé un ami commun pour les lui préſenter
de ſa part. Lorſqu'il vit M. Menagehors
d'état de ſe défendre , il ne voulut
point l'attaquer .
Laiſſons en paix Monfieur Ménage ,
C'étoitun trop bon perſonnage
Pour n'être pas de les amis .
Souffrez qu'à ſon tour il repoſe ,
Lui , de qui les vers & la proſe
Nous ont ſi ſouvent endormis.
M. de la M. a traduit en vers latins
fon beau poëme fur le duel , couronné par
l'académie françoiſe , quelques ſatires de
Defpréaux , le commencement du lutrin ,
&c. Deſpréaux ayant dit un jour qu'on
avoit traduit de ſes piéces en latin , en
eſpagnol , en portugais , en anglois & en
allemand , mais qu'on ne lui avoit pas fait
l'honneur de le traduire en grec , M. de
laM. pour lui procurer cette fatisfaction,
mit en vers grecs ſa ſatire fur Paris .
L'abbé Nicaiſe avoit un jour prodigué
les louanges à M. de la M. Ce franc &
TIO MERCURE DE FRANCE.
noble Bourguignon lui écrivit : « Il me
>> prend envie de vous refuſer les hym-
>>nes que vous ne demandez , pour vous
>> apprendre une autre fois à m'écrire .
» Où ... avez-vous pêché... ce que vous
>> me jetez à la tête ? Moi , ſavant ! moi ,
>> le premier homme du ſiécle ! Savant ,
>> VOUS - meme ; je n'y prétends rien : &
>> pour ce qui eſt de l'autre éloge , il eſt
>> vrai que quand je me regarde dans mon
>>miroir & que je vois grifonner ma bar-
>>be , il me ſemble bien , dont j'enrage ,
>> que je fuis , comme vous dites , un des
>> premiers hommes du ſiècle. Vous êtes
>>bien heureux de ce que mes vers ne
>> font pas bons. Allurez vous , s'ils l'é-
>> toient , que , dans la colere où je ſuis ,
>> je me garderois bien de vous les en-
» voyer. »
Ayant beaucoup perdu dans le tems du
ſyſtême , M. le duc de Villeroi lui fit une
penſion de 600 liv. Lorſqu'il voulut remercier
ſon bienfaiteur... Oubliez cela,
lui dit- il , c'est à moi de me ſouvenir que
jefuis votre débiteur.
La logique de Port Royal paſſa d'abord
pour être l'ouvrage de M. le Bon. M. de
la M. eſt comme perfuadé que Racine
dans le tems qu'il étoit brouillé avec
,
AVRIL. 1770. III
MM. de Port - Royal , affecta , pour les
mortifier , de donner le nom de le Bon au
fergent des Plaideurs .
Il rapporte que le grand Corneille ayant
publié des ſtances allez libres ſous le titre
de l'Occafion perdue & recouvrée , le
chancelier Seguier, après lui en avoir fait
une douce reprimande, voulut le mener
àconfeffe; &qu'en effet il le conduifit à
fon confeffeur qui lui ordonna , par forme
de pénitence , de mettre en vers françois
le premier livre de l'imitation de
Jeſus Chrift ; la Reine Anne d'Autriche
lui demanda le ſecond. Dans une dangereuſe
maladie , il promit de traduire le
troifiéme , ce qu'il fit après ſon rétabliſfement.
A la fin de ce volume , l'on trouve la
préface que M. de la M. compofa , il y a
environ 45 ans , pour être miſe à la tête
d'une nouvelle édition des bibliothèques
françoiſes de la Croix- du Maine & de du
Verdier. On foufcrira juſqu'au mois
d'Août prochain , à Paris, chez Des Ventes
de la Doué , rue St Jacques ; à Lyon ,
chez Jacquenot fils , rue Merciere ; A
Dijon, chez F. Des Ventes; pour l'édition
de ces bibliothèques , enrichie des remarques
de M. de la Monnoye , de M. le
112 MERCURE DE FRANCE.
préſident Bouhier , de M. Falconnet & de
pluſieurs autres ſavans. Les premiers volumes
en feront délivrés au mois d'Octobre.
Les payemens de la ſouſcription feront
toujours 1º. de 12 liv. en prenant fon
numéro ; 2 ° . De 21 liv. en prenant les
deux premiers tomes ; 3 °. De 12 liv. en
prenant les 3 & 4tomes d'environ 800 p.
chacun.
Traité historique , dogmatique & pratique
des indulgences & du jubilé , où l'on
réſoud les principales difficultés qui
regardent cette matiere pour ſervir de
fupplément aux conférences d'Angers;
par M. Collet , prêtre de la congrégagation
de la miffion , docteur en théologie
, derniere édition , revue & augmentée.
A Paris, chez N. M. Tilliard ,
libraire , quai des Auguſtins , à St Benoît
; & J. Th . Hériſſant , fils , libraire,
rue St Jacques , à St Paul & à St Hilaire ;
2 vol . in- 12.
L'auteur s'eſt attaché à préſenter des
notions préliminaires & des principes
généraux fur les indulgences ; il y a joint
un recueil de cas & de déciſions pour
le jubilé. Cet ouvrage a beaucoup acquis
AVRIL. 1770 .
113
dans cette nouvelle édition ; on a revu
avec ſoin les déciſions qu'on avoit déjà
données ; on en a rectifié pluſieurs qui
n'étoient pas juſtes ; en cherchant à en
fortifier d'autres par des piéces qu'on n'avoit
point connues auparavant , on en a
découvert quelques-unes qui forment des
augmentations conſidérables ; ce traité ,
destiné aux eccléſiaſtiques , ne peut manquer
de leur être très utile; il mérite
d'être préféré à la plupart de ceux que l'on
a déjà , & qui , avec beaucoup plus d'étendue
, offrent moins d'inſtruction.
Choix varié de poësies philofophiques &
agréables , traduites de l'anglois & de
l'allemand. A Avignon , chez la Veuve
Girard & Franç . Seguin , imprimeurslibraires
, près la place St Didier ; & à
Paris , chez Saillant & Nyon , rue St
Jean de Beauvais ; 2 vol. in- 12 .
La plupart des piéces qui compofent ce
recueil font déjà connues; elles ont paru
en différens tems , & fe trouvent répandues
dans un grand nombre de volumes
où elles ſont confondues avec beaucoup
de morceaux médiocres ; on s'eft attaché
à rendre ce choix agréable ; preſque toutes
ces poëfies ont été dictées par l'eſprit
114 MERCURE DE FRANCE.
e
philofophique qui en a banni les froides
plaifanteries& les idées infipides & galantes
qui déparent ſouvent les ouvrages
de cette eſpéce. Ily en a pluſieurs de M.
Zacharie , de M. Retz , de M. Haller, &c .
Ondiftingue parmi ces piéces les 5 & 6 °
épîtres morales dePope , traduites parM.
de St Lambert. La premiere eſt ſur l'homme
; nous en citerons un ou deux morceaux.
« Qui peut fonder notre profon-
>>deur , qui peut distinguer ce que nous
>> ſommes & ce que nous voulons être ?
>>La légere inconſtance , le flux & le re-
>> flux de nos idées ? Qui peut fixer l'hom-
>> me pour l'obſerver ? Il paffe&la route
>> n'eſt point tracée; en vain nous vou-
>> lons faire fur ce ſujet de ſérieuſes ré-
>> flexions , il nous échappe. Nous pou-
» vons , en raiſonnant fur les actions des
>> autres , faire un ouvrage très raifonna-
>>ble , mais néceſſairement le ſujet en ſera
> manqué ſi vous cherchez le principe de
>> ſes actions.Dansl'inſtantoù vous croyez
ود le ſaiſir, il varie&n'eſt plus le même;
>> & ſi vous vous laſſez de ſuivre cet objet
>> inconftant , le moment où vous le quit-
» tez eſt celui où vous l'auriez connu ...
>>En vain le ſage leve le voile de l'appa-
>>>rence & cherche la raiſon de tout ce
AVRIL. 1770 . 115
>> qu'il voit , en vain il diftingue ce que
>> le hafard nous a fait faire , & ce que
>> nous avons fait quand des motifs nous
>> ont déterminés ; des mêmes motifs
>> naiſſent des actions différentes . Mal-
» traité de la fortune &de ſa maîtreſſe ,
l'un ſe plonge dans les affaires , l'autre
>> ſe jettedansun cloître ; pour trouver le
" repos de l'ame , l'un ſe démet de l'em-
>> pire , l'autre bouleverſe l'univers; tous
>>deux également agités , Charles court à
>>St Ildegonde , & Philippe à de nouvel-
>>les conquêtes. »
:
L'homme céde toujours à ſa paſſion dominante
, les efforts qu'il fait pour la détruire
ne fervent qu'à la fortifier ; elle le
maîtriſe juſqu'au dernier moment ; l'un
conſerve juſqu'à la mort l'amour effrené
du plaifir. « Ce gourmand célébre , que
>> ſon intempérance réduit à l'extrêmité ,
>> fait appeler ſon médecin qui lui déclare
» qu'il faut mourir. Ah ! dit il , puiſqu'il
» n'eſt plus de remedes, qu'on m'apporte
>>vîte le reſte de mon poiffon . Dans quel
» état me vois-je , s'écrie ce Narciffe ex-
>>pirant , que le plus beau linge de Flan-
>> dre me pare encore ; qu'on releve l'é.
>> clat de ces joues , autrefois fi charman-
>> tes; que ne puis-je étendre les bornes
118 MERCURE DE FRANCE.
د
offroient les étrangers pour demeurer
dans ſa patrie. « Médiocres littérateurs
>> citoyens plus mauvais encore , vous qui
>>oſez calculer avec votre patrie, qui met-
>> tez vos petits talens à la plus haute en-
>> chere & qui ne ceſſez de crier à l'injuſ-
>> tice , apprenez que lorſque Dumoulin
>>faifoit à la France tant degénéreux fa-
» crifices , il y étoit pauvre , malheureux
» & persécuté. Il ſemble qu'après avoir
>> forméungrand homme , la nature fiere .
>>de ſon ouvrage , ſe plaiſe à accumuler
>> autour de lui les obſtacles de toute ef-
» péce , afin de montrer , ſous toutes ſes
>>faces , le ſpectacle utile de la vertu aux
> priſes avec l'infortune. Dumoulin eut
>> en effet des envieux &des perſécuteurs,
>> des hommes qui auroient dû l'honorer.
>>. comme leur maître & le ſuivre comme
>>leur guide , ſe crurent ſes rivaux , atta-
>> querent ſes écrits & ſouvent ſa per-
>> fonne.>>
Lettre écrite à Mde la Comteſſfe - Tation ;
par le Sr de Bois - flotté , étudiant en
droit- fil : ouvrage traduit de l'anglois ,
nouvelle édition , augmentée de plu..
ſieurs notes d'infamie. A Amſterdam,
aux dépens de la compagnie de Perdreaux.
AVRIL. 1770. 119
Le ſeul titre de cette brochure de 42
pages , avec la préface & les notes , doit
annoncer ſuffisamment le genre de plaifanterie
dont elle eſt . Le Bacha Bilboquet
ſembloit de nos jours l'avoir épuiſée ,
mais l'hiſtorien de l'Abbé Quille l'a portée
plusloin encore ,& fera problablement le
déſeſpoir de ceux qui voudroient après lui
ſejeter dans la brillante carriere des pointes
, des jeux de mots , des équivoques &
des turlupinades.
On aime à conjecturer que le jeune écrivain
de cette bagatelle , connu pour un
homme d'eſprit,a eu deſſein de ſe moquer
de ſes lecteurs & de guérir la ſociété d'une
contagion qui renaiſſoit parmi nous fous
le nomde Calembour & de Charade .
Cet écrivain , par la fatiété de fes nouveaux
rebus , produira peut- être l'effet heureux
du poëme de Dulot vaincu, auquel on
dut autrefois la défaire des Bouts rimés.
Il faut que le goût des pointes & des
équivoques foit bien naturel à notre nation.
Le 16. frécle les vit regner dans
tous les genres de l'eſprit. Le commencement
du 17. fiécle en fut infecté. Ce fut
en 1630 que parut l'original du Bacha
Bilboquet & de l'hiſtoire de l'Abbé Quille,
ſous le titre du Courtisan grotesque ,
par le Sr Devaux de Dos- Caros , p. 1412
1
120 MERCURE DE FRANCE.
des Jeux de l'Inconnu. Le courtiſan , dit
le Sr Devaux , prend le chemin de St Jac
ques où étoit ſa mie de Pain mollet , il la
trouva travaillant ſur la toile de Pénélope
avec l'aiguille d'un clocher , &c. En voilà
ſans doute affez de ces deux lignes , priſes
au hafard , pour aſſurer au Sieur de Dos-
Caros la gloire d'être l'inventeur de cette
eſpéce de production .
Etrennes du Parnaffe. AParis , chez Fetil
, libraire , rue des Cordeliers , près
de celle deCondé , au Parnaſſe italien.
Les Etrennes duParnaſſe n'avoient point
été données au public comme un ouvrage
deſtiné à être continué ; c'eſt le ſuccès qui
enaprouvé l'utilité. Pour le rendre encore
plus intéreſſant , on ſe propoſe d'en changer
la forme , d'y répandre plus de variétés
, de l'enrichir des plus belles piéces
qu'on pourra recueillir dans les porte- feuilles
des gens de goût , d'y ſeiner quelques
anecdotes littéraires , enfin de ſe rendre
difficile ſur le choix des morceaux qu'on y
inférera . On ne ſe permettra aucune critique.
L'éditeur de cet ouvrage invite les
poſſeſſeurs de piéces fugitives à les adreſſer
fous enveloppe à Fetil,libraire. Les lettres
feront envoyées franches de port avant le
premierNovembre.
La
AVRIL. 1770. 121
La Girouette ou Sanfrein , hiſtoire dont
le héros eſt l'inconféquence même ,
avec cette épigraphe :
Nitimur in vetitum ſemper , cupimuſque negata.
HOR.
AGenève ; & ſe trouve à Paris , chez
Humaire , libraire , rue du marché Palu
, vis-à vis la Vierge de l'Hôtel-Dieu ,
in- 12.
Sanfrein étoit né avec le défaut de
courir avec ardeur à tout ce qui lui étoit
défendu , & de s'éloigner de tout ce qui lui
étoit preſcrit. Son précepteur avoit pris le
parti de ſe prêter à ſon caractere , & San .
frein avoit appris quelque choſe. Entré
dans le monde , il ne trouva pas dans ſes
connoiſſances la complaiſance de ſon pré.
cepteur , & fit beaucoup de ſottiſes . II
étoit cadet & peu riche , parce que fon
Frere aîné l'étoit beaucoup ; il embraſſa
l'état eccléſiaſtique ,& obtint un bénéfice
qui le mit à fon aiſe; fon état exigeoit
qu'il eût de la prudence &de la ſageſſe ,
il n'eut ni l'une ni l'autre ; ſon frere mourut,
il devint riche; il rentra dans le mon-
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
de , & fut dévot ; il étoit généreux ; il
donnoit beaucoup aux pauvres. Son directeur
lui en fit une obligation , & Sanfrein
ceſſa d'être charitable. Il aimoit beaucouple
poiffon , mais les viandes les plus
groffieres le tentoient fortement lorſqu'il
en voyoit le vendredi , & toujours il cédoit.
Il va s'établir à la campagne ; il devient
amoureux de la fille d'un gentilhomme
voifin . Il la demande au pere qui
la lui accorde , l'amour de Sanfrein diminue
; il ſe ranime lorſqu'il apprend
que la mere de la Demoiselle n'eſt pas
de l'avis de ſon mari ; bientôt les obftacles
s'évanouiſſent; Sanfrein n'eſt plus
ſi preſſant ; un autre amant ſe préſente ,
il eſt aimé en ſecret de la Demoiſelle ;
Sanfrein l'ignore ; mais il craint de ſe
marier; il retire ſa parole , & n'a pas plutôt
perdu l'eſpoir de poſſéder ſa maîtreſſe
qu'il en eſt plus paſſionné que jamais . Il
tombe malade ; on le met au lait pour
toute nourriture ; c'eſt l'aliment qui le
flatre le plus ; mais l'obligation de s'en
tenir à celui-là l'en dégoûte , & il meurt .
Il y a de l'eſprit & de la gaïté dans ce
roman ; mais des digreſſions trop longues
, & trop de prétentions à la philofophie.
i
AVRIL. 1770. 123
OEuvres de Regnard , nouvelle édition ,
revue, exactement corrigée ,& conforme
à la repréſentation. AParis , chez
les libraires aſſociés ; 4vol. in 12 .
Cette nouvelle édition des oeuvres de
Regnard eſt , ſans contredit , la plus exacte
, la plus foignée & la plus complette
que nous ayons ; l'éditeur a examiné toutes
les éditions anciennes & modernes ,
& les a comparées avec les manufcrits
confervés dans le dépôt de la comédie ;
ce travail pénible l'a mis en état, de faire
des corrections importantes &des changemens
qui rendent cette édition bien
différente des précédentes. Nous n'entrerons
dans aucun détail ſur les pièces de
Regnard, elles font appréciées depuis
long-tems; la gaïté qui le diftingue , &
dont, perſonne n'a approché depuis , l'a
place immediatement après Moliere; &
fi ce pere de la comédie françoife n'a
point encore fon fuccefleur , Regnard at
tend auffi le ſien.
22
Les libraires afſociés ſe difpofent à don
her une magnifique édition in - 8°. des
oeuvres de Regnard; elles feront accompagnées
de notes hiſtoriques & critiques ,
auxquelles travaille un homme de lettres
Fij !
124 MERCURE DE FRANCE .
qui joint à des talens diftingués une connoillance
profonde du théâtre dont il a
faitune étude particuliere ; il prépare aufli
un commentaire pour une belle édition
des oeuvres de Crebillon .
La Pogonotomie ou l'art d'apprendre àſe
rafer foi même , avec la maniere de connoître
toutes fortes de pierres propres
à affiler tous les outils ou instrumens ,
& les moyens de préparer les cuirs pour
repaſſer les rafoirs , &la maniere d'en
faire de très-bons , ſuivi d'une obſer-
•vation importante ſur la ſaignée ; par
J. J. Perrel , maître & marchand coutelier
, ancien juré- garde. AParis,chez
Dufour , libraire , rue de la vieille Draperie
, vis -à - visl'égliſe Sainte-Croix ,
au bon Pasteur , in- 12 .
Le titre de cet ouvrage en indique
l'objet ; l'auteur , dans une préface de 24
pages , s'étend ſur ſon utilité; ce n'eſt
qu'en tremblant qu'il entre dans une carriere
où tant de ſavans ſe ſont diftingués ;
il n'aſpire pas à la gloire d'être auteur ; il
ſe borne à celle d'être utile à ſes concitoyens
; il s'attache à leur découvrir tout
ce que de longues expériences lui ont appris
dans l'art important de ſe raſer ſoiAVRIL.
1770. 125
même. Cette opération eſt devenue indiſpenſable
; toutes les nations ſe raſent
à l'exception de quelques-unes qui croiroient
ſe deshonorer en fe privant de leurs
barbes. « Il eſt ſurprenant , ajoute l'au-
» teurr , que parmi une foule innombra-
>>ble de volumes qui honorent notre lit-
>> térature , ainſi que dans toutes celles de
>> l'univers , on ne trouve pas une ſimple
>> brochure qui enſeigne à l'homme les
>>principes pour commencer dans ſa jeu-
>>neffe , une opération qu'il eſt obligé par
>>la ſuite de répéter pluſieurs fois la ſe-
>> maine. >> Graces à M. Perrel , cette furpriſe
va ceffer ; ſon livre eſt le premier
qui traite de cet art.
Traité de l'usure & des intérêts. A Cologne
; & ſe trouve à Paris , chez Valatla-
Chapelle , libraire , au palais ſur le
perronde la Ste Chapelle , in- 12 . Prix
2liv.broch.
On ne connoît point l'auteur de cet
ouvrage ; il eſt , dit-on , d'un eccléſiaſtique
très - inſtruit qui le confia à un négociant
à qui l'on avoit donné des ſcrupules
ſur la queſtion des intérêts ; à la mort
de ce négociant on a trouvé la copie de
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ce traité parmi ſes papiers; il eſtdiviſé en
trois parties , l'une traite du prêt & de
l'uſure , l'autre , des titres ſurajoutés au
prêt qui peuvent autorifer à retirer des
intérêts , & la derniere , des contrats différens
du prêt qui peuvent auſſi donner
lieu à des intérêts légitimes. L'auteur définit
l'uſure un intérêt exigé uniquement
par la force & en vertu du prêt ; mais il y
ades circonstances qui ſe joignent au prêt
&qui rendent les intérêts légitimes ; ce
font ces circonstances que l'on s'attache à
développer. L'auteur a montré d'une maniere
très - claire & très - fatisfaiſante le
point fixe où l'intérêt eſt ou n'eſt pas ufuraire.
Nouveau Traité des Vapeurs , ou Traité
des maladies des Nerfs, dans lequel on
développe les vrais principes des vapeurs
; par M. Preſſavin , gradué de
l'univerſité de Paris , membre du collége
royal de chirurgie de Lyon , &
démonstrateur en matiere medico chirurgicale.
A Lyon , chez la Veuve Reguilliat
, libraire , place de Louis- le-
Grand ; & à Paris , chez Des Ventes de
la Doué , rue St Jacques ; in 12.2 1. br.
Ce traité des maladies des nerfs eſt
AVRIL. 1770. 127
précédé de quelques recherches ſur les
vrais principes de l'animalité ; les principaux
organes ſont le coeur , le diaphragme
, le canal inteſtinal& le cerveau ; c'eſt
dans leur action réciproque que confifte
tout le jeu de la machine ; l'état parfait
de la ſanté réſide dans le juſte équilibre
de la réaction alternative de ces organes ;
dès que leur élaſticité eſt augmentée ou
diminuée , l'équilibre eſt rompu , & il
furvient néceſſairement un dérangement
dans l'économie animale proportionné à
l'intenſité de la cauſe ; M. Preſſavin entre
dans des détails intéreſſans & bien vus
fur ce ſujer , ils éclairciſſent ſes recherches
, & fervent de baſe à tout ce qu'il dit
de l'économie animale. Son traité lui
fournit l'occaſion de revenir ſouvent fur
fes principes &de multiplier les preuves
qui établiſſent ſon ſyſtème.
Recherches pratiques fur les différentes manieres
de traiter les maladies vénériennes;
par J. J. Gardane , docteur régent
de la faculté de médecine de Paris ,
médecin deMontpellier, cenſeur royal,
des ſociétés royales des ſciences de
Montpellier , de Nanci & de l'académie
de Marseille , avec cette épigra-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ےس
phe : Quoddamfecretumfibi venditant,
panaceis omnibus , omnibus balfamis
longè præftantiùs , addo unicum ,fingulare,
propè divinum , SILICET , CUM
RECTA RATIONE MEDERI , Naud.
de antiquit. & dignit. ſchol. med. Parifiens.
A Paris , chez Didot le jeune ,
quai des Auguſtins , in - 8° .
Cet ouvrage eſt le réſultat des obfervations
que M. Gardane a eu l'occaſion
de faire dans la pratique ; il a traité un
nombre conſidérable de perſonnes de tout
âge&de tout ſexe attaquées de cette maladie
dangereuſe , & malheureuſement
trop commune , qui eſt peut- être le déau
le plus funeſte à la population ; n'étant
prévenu pour aucun traitement particulier
, il a eu pluſieurs fois occaſion de les
employer ou de les voir employer tous .
La préparation du ſublimé corrofif lui a
paru procurer l'avantage pour lequel M.
Aftruc faifoitdes voeux ; c'eſt de trouver
un remede facile& fans frais qui foulageât
à coup fûr les gens du peuple hors
d'état de faire la dépenſe , & qui pût quelquefois
les guérir. Il faut lire l'ouvrage
de M. Gardane ; c'eſt celui d'un médecin
éclairé qui a beaucoup obſervé, & qui für
de ſes expériences , propoſe le moyen de
AVRIL. 1770. 129
les rendre utiles à ſes concitoyens en formant
un établiſſement qui ne coûtera rien
au gouvernement , & où le pauvre trouvera
au plus bas prix poſſible les ſecours
dont il aura beſoin .
Histoire moderne des Chinois , des Japonnois
, des Indiens , des Perfans , des
Turcs , des Ruffes , &c. pour fervir de
fuite à l'hiſtoire ancienne de M. Rollin
; continuée par M. Richer depuis
le 12 volume. A Paris , chez Saillant
&Nyon , libraires , rue Saint Jean de
Beauvais , vis à - vis le collége , & Defaint
, rue duFoin ; in- 12 . Tom XVII.
& XVIII . Prix 3 liv . reliés .
Ces deux volumes que nous annonçons
contiennent la ſuite de l'hiſtoire des Ruffes;
ils commencent aux voyages de Pierre
le Grand. Le législateur de la Ruffie
quitta ſon trône pour aller chercher dans
les différens royaumes de l'Europe les
ſciences& les arts qu'il vouloit tranſplanter
dans ſon pays ; il envoya pluſieurs ſeigneurs
ruſſes dans divers endroits,& leur
preſcrivit à chacun un genre d'étude ;
mais la plupart conſervant leurs anciens
préjugés qui leur faifoient regarder ces
Fv
30 MERCURE DE FRANCE.
voyages comme contraires aux loix & à
la religion , ne répondirent pas aux intentions
de.eur maître ; quelques - uns par
délicateſſe de conscience ne voulurent
rien apprendre ; il y en eut un qui , forcé
d'aller à Veniſe , n'eut rien de plus preffé
en arrivantdans cette ville que de louer
une chambre dans laquelle il s'enferma
pendant quatre années entieres ; de retour
àMofcou , il ſe fit une gloire de la conduite
qu'il avoit tenue.
Le Czar fut forcé d'interrompre fes
voyages & de revenir promptement dans
ſes états pour diffiper les troubles que ſa
foeury avoit excités ; il détruiſit la milice
redoutable des Strelitz qui ſouvent s'étoit
fait craindre des Czars , comme les
Janniſſaires des Sultans; il continua enfuite
ſes grands projets pour tirer ſon peuple
de la barbarie ; il attira les étrangers
en leur affurant des ſecours & la liberté
de leurs cultes ; le clergé ruſſe vit avec
douleur cette tolérance inconnue auparavant
dans la Ruſſie ; il voulut faire des
repréſentations à fon maître , & chargea
le prince Alexis de les porter à ſon pere.
Pierre leGrand crut que ſon fils confpiroit
contre ſa vie ; il ordonna à Menzikoff
de faire dreſſer un échaffaud ſur la
1
AVRIL. 1770. 131
place publique ,& qu'on y tranchât la tête
au jeune princeàl'entrée de la nuit. Quelque
ſecret qu'on apportât à l'exécution de
cet ordre , il tranſpira ; unjeune foldat ,
à peu près de l'âge &de la figure d'Alexis,
offrit de mourir à ſa place ; Menzikoff
conſentit à l'échange , &couvert des habits
du prince , le ſoldat fut exécuté ſous
les yeux du Czar même , qui regardoit ce
ſpectacle affreux d'une fenêtre de fon palais
, & qui ne doutoit point qu'il ne vit
tomber la tête de ſon fils; la nature ſe fit
enfin ſentir ; il gémit de ſa barbarie ; il
montra ſes regrets & ſes remords à Menzikoff
qui lui apprit alors ce qu'il avoit
fait , & qui reçut des récompenfes proportionnées
au ſervice qu'il avoit rendu
&à la reconnoiſſance du Czar.
Ce fut quelque tems après que Pierre
fit connoiffance avec la fameuſe Catherine;
elle avoit été élevée par M. Glack ,
miniſtre de la Livonie ; elle avoit paru
aimable aux yeux du fils de ſon bienfaiteur
, & n'avoit pas été inſenſible. Le
miniſtre qui s'apperçut de leur commerce,
la conduiſit à Marienbourg où elle
inſpira de l'amour à un foldat Suédois ,
qui l'épouſa ; trois jours après il la quitta
pour aller rejoindre l'armée de Suéde qui
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
paſſoit en Pologne. Marienbourg fur
bientôt affiégée par le général Baver ; M.
Glack alla dans fon camp pour faire la
capitulation ; il mena avec lui Catherine;
elle plut au général Ruſſe qui la retint.
Le prince Menzikoff qui , quelque tems
après , paſſa à Marienbourg , ne vit pas
Catherine ſans intérêt; il la demanda au
général Baver qui n'oſa pas la lui refuſer.
Pierre le Grand paſſant dans la Livonie
s'arrêta chez le prince Menzikoff ; Catherine
ne manqua pas de lui plaire auſſi.
« Charmé de la maniere dont elle répon-
>> dit à pluſieurs queſtions , il lui dit qu'il
>> falloit qu'elle portât le flambeau dans
>> ſa chambre lorſqu'il iroit ſe coucher ;
»elle exécuta ſes ordres & paffa la nuit
>> avec lui. Le lendemain , en partant , il
>> lui donna un ducat qui valoit 12 liv.
>> de France. Cette ſomme étoit modique
>>pour un fouverain ; mais il s'étoit fait
>> une loi de ne pas donner davantage à
» toutes les femmes qu'il voyoit en paf-
>> fant , & l'on affure que cette dépenſe
>> étoit conſidérable. »
<<Le Czar ne tarda pas àdemander Ca-
>> therine à Menzikoff; il l'épouſa dans
> la ſuite&la fit couronner impératrice;
•Catherine ſe montra digne du rang où
AVRIL. 1770. 133
>> lafortune l'avoitplacée; elle ſeconda fon
>> époux dans ſes projets , & remplit avec
>> grandeur le trône que Pierre le Grand
>> avoitoccupé.
Nous ne ſuivrons pas cette hiſtoire dans
tous ſes détails ; nous nous contenterons
de rapporter quelques traits ; on fait que
le Czar donnoit en tout l'exemple à ſes
ſujets; il vouloit que les grades & les
honneurs militaires ne s'obtinſſent que
par le ſervice; dans la ſeconde entrevue
qu'il eut avec Augufte il l'engagea à prendre
le commandement de fon armée &
de remplir deux places de colonel , qui
étoient vacantes ; Auguſte ſe fit nommer
les ſujets qu'on propoſoit ; c'étoient les
lieutenans- colonels Alexandre Menzikoff
& Pierre Alexiowitz ; Auguſte nomma
ſur le champ le premier , & dit qu'à l'égard
de l'autre , il n'étoit pas affez informé
de ſes ſervices ; il ſe fit ſolliciter pendant
cinq ou fix jours & le lieutenantcolonel
Pierre Alexiowitz fut enfin élevé
au grade ſupérieur. Si c'étoit là une comédie
, dit M. de Fontenelle , elle étoit
instructive , & méritoit d'êtrejouée devant
tous lesRois.
Cetrait en rappelle un autre : le prince
avoit fait conſtruire un vaiſſeau de so
134 MERCURE DE FRANCE.
piéces de canon; lorſqu'il fut achevé , il
endonna lecommandement à Mus , ha .
bile marin qu'il avoit amené de Sardam;
ce fut ſur ce vaiſſeau qu'il voulut paſſer
partous les emplois de la marine; ildemanda
à Mus quel étoit la derniere fonction
fur un vaiſſeau, il lui répondit que
c'étoit celle de mouſſe. Je t'en fervirai
donc aujourd'hui , s'écria Pierre. Ilmonta
auffi-tôt au haut du mât pour endétacher
une corde ; il alluma enſuite la pipe du
capitaine , & fit tout ce qu'on fait faire
ordinairement au dernier mouffe.
Catherine étoit faite pour les aventures
extraordinaires; en voici une dont l'hiftoire
n'offre point d'exemples ; le Czar
aimoit beaucoup Villebois ,gentilhomme
de la Baſſe Bretagne , qu'il avoit attaché
à ſon ſervice ; un jour que ce prince étoit
à Strelémoitz , maiſon de plaiſance fut la
baie de Petersbourg , il envoya Villebois -
à la Czarine qui étoit alors à Crouflor ; il
faiſoit un froid exceffif ; Villebois but
quelques verres d'eau de vie pour ſe rechauffer
pendant la route ; arrivé àCrouflot
il trouva tout le monde endormi. Il
paſſa dans une chambre où il y avoit un
poële &y reſta juſqu'à ce que la Czarine
fut éveillée. La chaleur jointe à l'eau de-
-
AVRIL. 1770. 135
vie qu'il avoit bue lui tourna la tête &
égara ſa raifon ; il aimoit aſſez à s'enivrer
, mais en faveur de ſes bonnes qualités
le Czar lui pardonnoit ce vice , & il
faiſoit auſſi tous ſes efforts pour s'en corriger
; il étoit dans cet état lorſque Catherine
ſe réveilla ; inſtruite que fon mari
lui envoyoit Villebois , elle le fit venir
dans ſa chambre ; ſes femmes ſe retirerent
; Villebois étoit trop troublé pour
ſe ſouvenir des ordres de ſon maître ;
il ne vit dans l'Impératrice qu'une belle
femme dans un lit; il la viola; l'effroi
faiſit cette princeſſe au point qu'elle
ne put crier ; revenue à elle - même ,
elle appela du ſecours , Villebois fut
arrêté &mis aux fers. Elle chargea un
officier d'aller annoncer au Czar cette
nouvelle & lui demander la punition du
coupable. Pierre aimoit la Czarine avec
paſſion ; il étoit même jaloux ; tout le
monde s'attendoit que Villebois périroit
dans les tourmens les plus affreux. Mais
l'eſtime& l'amitié que Pierre avoit conçues
pour lui firent taire tout autre ſentiment.
<<Au recir que lui fit l'officier des
>>gardes , il reſta d'abord interdit, ſe leva,
>> ſe promena quelques momens dans ſa
>> chambre en ſe frottant la tête ; ſe tour-
>> nant enſuite vers l'officier , il lui dit :
136 MERCURE DE FRANCE.
>> qu'eſt devenu Villebois ? On l'a lié ,
>> répondit l'officier , & on l'a mis en pri-
>> fon où il s'eſt endormi ſur le champ. Je
>> parie , reprit l'Empereur , qu'à fon re-
>> veil il ne faura pas pourquoi il eſt arrê-
>> té , & que quand on lui dira ce qu'il a
>> fait, il n'en voudra rien croire. Il garda
>> enſuite le filence , &continua à ſe pro-
» mener dans ſa chambre avec un air rê-
>>veur qui annonçoit plutôt le dépit que
>> la colere. Au bout de quelque tems il
>>dit : il faut cependant faire un exem-
>> ple , quoique cet animal foit innocent.
>> Qu'on le mette pour deux ans à la chaî
>> ne . » Villebois n'y reſta que ſix mois ,
l'Empereur le rappela auprès de lui &le
rétablit dans ſes dignités &dans ſa confiance.
Quelque tems après il le maria en
lui diſant : Jefais que vous avez besoin de
femme , & je vous en ai trouvé une qui
né vous déplaira pas .
M. Richer continue enfuite l'hiſtoire
des Ruſſes ſous les regnes de Pierre le
Grand , de Catherine , de Pierre II . Ce
fut fous ce prince que le célèbre Menzikoff
fut diſgracié; ſon ambition cauſa ſa
perte , & fes malheurs le rendirent philoſophe.
L'hiſtoire de ſon exil eſt trèsintéreſſante
; il fut reconnu à Tobolsk
par deux ſeigneurs Ruſſes qu'il y avoit
AVRIL. 1770. 137
fait exiler , & qui s'en vengerent en l'accablant
d'injures; il dit à l'un d'eux : « Tes
>>reproches font juſtes , je les ai mérités.
>>>Satisfais- toi , puiſque tu ne peux tirer
>> d'autre vengeance de moi dans l'état où
>>je ſuis. Je ne t'ai facrifié à ma politique
>> que parce que ta vertu& la roideur de
>> ton caractere me faiſoient ombrage. Se
>> tournant enſuite vers l'autre , il lui dit :
>> J'ignorois entierement que tu fuſſes en
>> ces lieux. Ne m'impute point ton mal-
>> heur; tu avois ſans doute quelques en-
» nemis auprèsde moi qui m'ont furpris,
» & ont obtenu l'ordre de ton exil. J'ai
>> ſouvent demandé pour quelle raiſon je
>> ne te voyois plus, on me faisoit des re-
>> ponſes vagues , & j'étois trop occupé
>> pour fonger aux affaires des particu-
» liers. Si tu crois cependant que les in-
>> jures puiſſent adoucir ton chagrin , tu
>> peux te fatisfaire.>>>
Cette hiſtoire des Ruſſes finità l'avenement
de Catherine II au trône. Nous en
connoiſſons peu de plus curieuſe &de plus
intéreſſante ; M. Richer a puiſé dans les
bonnes fources; il promet de donner enco.
re l'hiſtoire de l'Amérique qui formera
deux volumes ; on ne peut que l'exhorter
àne les pas faire attendre longtems.
I138 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE fur l'ouvrage de M. Baretti ,
inféré dans le ſecond volume du mois de
Janvier 1770 .
En rendant compte , Monfieur , dans le ſecond
volume du Mercure de Janvier de l'ouvrage de
M. Baretti ſur la naiſſance , les progrès & l'état
préſent du théâtre italien , vous avez très - bien
jugé la partie qui concerne M. Goldoni , en diſant
qu'il paroiſſoit qu'on devoit ſe défier des jugemens
de l'auteur , & qu'ils ſembloient dictés par
Thumeur plutôt que par la raifon. Je me flatte que
vousen ferez tout- à-fait convaincu par les éclairciſſemens
que je vais vous donner. L'eſtime & l'amitié
que j'ai vouées à M. Goldoni n'influeront
point fur mes réflexions ; je ne me permettrai que
celles que me fourniront naturellement les propres
paroles de M. Baretti & ſes déciſions ; je laifſerai
au lecteur le ſoin de les apprécier.
Ce fut en 1768 que l'original anglois me tomba
entre les mains; je me propoſai dès- lors ce que
j'exécute aujourd'hui. Depuis ce tems j'ai travaillé
àme procurer toutes les lumieres dont j'avois
beſoin. J'ai conſulté un homme auffi cèlèbre par
ſa profonde connoiſſance dans la littérature italienne
que ppaarr la riche bibliothèque qu'il poſléde
en ce genre , * & par l'affabilité avec laquelle il
* Cette précieuſe collection , qu'on pourroit
même dire unique, eſt compoſé d'environ 15 mille
volumes.
AVRIL. 1770. 139
offre les ſecours qu'on en peut tirer. A ce portrait
vous nommez M. Floncel ; fon nom fera le garant
des faits que j'avancerai . Mais avant que d'entrer
en matiere, il eſt à- propos de vous faire connoître
M. Baretti ; cette connoiſſance pourroit ſeule
fervir de réfutation .
M. Baretti * connu par ſon goût pour les voya
ges , après un premier léjour à Londres repafla en
Italie,& ſe fixa il y a cinq ou fix ans àVeniſe. Apeiney
fut-il arrivé qu'il y érigea un nouveau tribunal
, prit modeſtement le nom d'Aristarque ;
(étoit-ce là le mot ? ) & débuta par un ouvrage
périodique; intitulé : lafruſta letteraria ( le fouet
littéraire. ) Si vous étiez curieux de connoître ces
feuilles , vous les trouverez chez M. Floncel . Peutêtre
un'amuſerai -je quelque jour à vous en traduire
des extraits. Les meilleurs auteurs , anciens &
modernes , italiens & françois , tout a paflé par
ſes mains. Enfin la choſe alla ſi loin que le magiſtrat
de Veniſe crut devoir arrêter cette licence effrénée.
Lafruſta letteraria fut fupprimée , & l'auteur
retourna fans bruit à Londres pour y jouir
fans doute plus tranquillement de la liberté de la
preſſe , & pour ſe ſouſtraire prudemment à la
vengeance des fouettés. Ce ſimple expoſé me
paroîtroit plus que ſuffiſant pour décider le cas
qu'on doit faire des jugemens de M. Baretti ,
* Je ne ſais pourquoi , dans le nouveau voyage
d'Italie fait en 1765 & 1766 , M. Baretti eſt qualifiéde
comte JofephBaretti. Je nepense pas que
notreauteur ſe ſoit jamais arrogé ce titre,ou qu'on
le prodigue ainſi en Italie.
144 MERCURE DE FRANCE.
Voilà donc le principe de l'humeur & de l'acharnement
de M. Baretti contre M. Goldoni dé
couvert& bien établi : ſon goût décidé pour les
comédies de l'art , &ſon antipathie pour celles de
caractere écrites. Après tout il faut convenir qu'il
parle & qu'il agit conféquemment. Un homme
qui traite d'infipide la ſublime ſimplicité des anciens
tragiques , qui trouve ennuyeuse jusqu'au
dégoût la peinture fi noble & ſi variée des moeurs
grecques & romaines , qui ne reconnoît d'autres
chefs-d'oeuvre que les piéces où brillent les écarts
d'une imagination extravagante , la multiplicité
des incidens , la variété &la pompe des décorations
, qui n'aime enfin que les farces italiennes
doit être contre celui qui a eu la cruauté de l'en
priver ſi long-tems , & ſe croire tout permis pour
⚫s'envenger.
Cequ'il rapporte de la rencontre de MM. Goldoni
& Gozzi chez un libraire ,du défi qui a donné
l'être à la piéce des trois Oranges , eſt abſolument
faux. M. Goldoni a été très lié avec le
comteGalparo Gozzi * , il a toujours rendujultice
à fon mérite , & lui a même dédié une de ſes
pieces ; mais il connoît fort peu le comte Carlo
ſon frere , il ne lui a jamais parlé , ils ne ſe ſont
jamais rencontrés , en un mot il n'y a eu entr'eux
ni diſpure ni défi ; il en eſt de méme des aurres
anecdotes. Jugez quelle foi on peut ajouter à un
hommequi avance hardıment de pareilles fauffetés
,& fi ſa critique peut porter la moindre atteinte
àla réputation de M. Goldoni. Non fans doute,
endépit de tous les Baretti de l'univers , ſes com-
* Homme de lettres , auteur d'une tragédię
d'Electre.
patriotes
AVRIL. 1770 .
145
patriotes &les étrangers qui connoîtront ſes ouvrages
le regarderont toujours comme le reſtaurateur
de la bonne , de la vraie comédie en Italhe.
En effet ſans parler ici de ſa fécondité , de ſon
enjouement , de la force & de la vérité de ſes caracteres
, je ne crains point d'avancer qu'il eſt peu
d'auteurs à qui il le céde pour la facilité , l'agrément
, la fineffe , & fur- tout la préciſion du dialogue.
Que conclure donc , Monfieur , d'une critique
auſſi amere ? Qu'il y a par-tout des gens qui s'érigent
en Ariſtarques ; qui croient ne pouvoir ſe
faire un réputation qu'en déchirant celle des auteurs
les plus eſtimables ; qui , au lieu d'éclairer
les eſprits par une critique ſaine , impartiale &
honnête , & d'encourager les jeunes athletes qui
ſe préſentent ſur l'arêne , ne cherchent qu'à les
vexer , à les rebuter par leurs ſarcaſmes , & fe font
un mérite de les forcer à fortir de la lice.
Avant quede finir ma lettre , permettez - moi ,
Monfieur , quelques obſervations ſur les reproches
que vous faites à M. Goldoni ſur ſon ſtyle.
Vous lui reprochez d'abord d'avoir mêlé les dia- .
lectes. Le fait eſt vrai , mais est- ce un reproche à
faire à un italien ? Le Sr Baretti lui même ne nous
apprend il pas dans ſon ouvrage que Pantalon ,
Brighelle , doivent parler vénitien ; le Docteur
Bolonnois ; qu'il n'y a que les amoureux & les
ſoubrettes qui parlent toſcan ? Un auteur døit
écrire conformément au génie de ſa nation , &
pour en être entendu. Quoique le langage toſcan
ſoit ſans contredit le meilleur de l'Italie , il n'en
eſt pas moins vrai qu'il y a quantité de mots dont
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
on ſe lertà Florens , capitale de la Toſcane,que
lon n'entend pas dans le reſte de l'Italie. Une
preuvedecequej'avance , c'est que Faginoli , auteur
moderne qui a publié pluſieurs comédies eftimées
en langage purement Florentin , n'a été
goûté que dans laToſcane. Vous l'accuſez , en
ſecond lieu , d'avoir toscanisé des mots vénitiens.
Le reproche eſt plus grave , mais je ne fais ſi M.
Goldoni conviendra qu'il ſoit fondé. Cela me
paroît en effet affez difficile à croire. On voit que
M. Goldoni s'eſt nourri de la lecture des meilleurs
auteus ; il aen outre fait un ſéjour de cinq années
confécutives en Toſcane. Indépendamment
de ces avantages , il eſt certain que l'édition qu'il
a fait faire de ſes oeuvres à Florence en l'année
1753 , édition à laquelle toutes les autres ſe rapportent
, a été revue & corrigée par le docteur
Ricci , académicien de la Crufca , & l'un des plus
(çavans &des plus eſtimés de cette illuftre académie.
Eft- il probable que de pareils défauts ayent
échapé à la fagacité du réviſeur & d'un Florentin
encore , nation connue pour être ſi prévenue,
ajalouſe de la pureté &de la ſupériorité de ſon
.idôme? Pour moi , qui ne me pique point de poſféder
parfairement la langue italienne , tout ce
queje peux dire , c'eſt queje ne m'en fuis pas apperçu.
Il faut croire , s'il y en a , que le plaifir que
m'a donné la lecture des ouvrages de M. Goldoni ,
m'a fait paffer par- deffus.
AVRIL. 1770. 147
Abrégé chronologique de l'histoire de Fran.
ce , en vers techniques , avec leur explication
; à l'uſage des éléves de la penfion
de M. Bertaud , fauxb. St Honoré;
parM. Fortier . AParis, chez Moutard,
libraire , quai des Auguſtins ; & Barbou
, imprimeur-libraire , rue des Mathurins
, 1770 ; avec approb. & privil.
du Roi ; broch. in 8°. de 130 p. Prix ,
1 liv. 16 f.
L'auteur de cet ouvrage utile s'eſt propoſé
d'apprendre l'hiſtoire à la jeuneſſe,
en n'exigeant d'elle que de légers efforts
de mémoire , & de la fixer dans ſon efprit
, en y répandant l'agrément d'une
poëſie ſimple & facile. En 79 ſtrophes de
huit vers de ſept ſyllabes fur des airs
connus, il préſente les époques , les faits ,
les dates , les noms& les traits caractériſtiques
des perſonnages de l'hiſtoire de
France , depuis le commencement de la
monarchie juſqu'au regne de Louis XV.
Ces ſtrophes ſont ſuivies d'une explication
des faits que la préciſion de la poëſie
ne permettoit pas de développer. La bonté
de cette méthode a été conſtatée par
ſes ſuccès dans une des meilleures penſions
de Paris . On a composé à l'uſage de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
cette penſion divers autres ouvrages relatifs
à l'éducation de la jeuneſſe. S'ils répondent
à cet abrégé , ils ne pourront être
que très-agréables au public.
Traité de l'équilibré & du mouvement des
fluides ; par M. d'Alembert , de l'académie
françoiſe & de celle des ſciences
, &c. vol. in-4°. de près de 500 p .
nouvelle édition . AParis , chez Briaffon
, libraire , rue St Jacques .
L'auteur a fait quelques additions à cette
nouvelle édition ;& il a, de plus , indiqué
les endroits de ſes autres ouvrages où
il a traité des queſtions relatives à l'équilibre
& au mouvementdes fluides .
Eſſai mécanique , approuvé par l'académie
royale des ſciences , le 15 Mars
1769. Cet eſſai eſt accompagné d'un
Traité relatif à un mécanisme applicable
aux ouvrages de blafon ,
• lequel peut en faciliter , à peu de
frais , la réimpreſſion & le bon ordre ;
le tout compofé & exécuté par M. Montulay
de Bordeaux , graveur ſur tous
métaux , cour du Mai du Palais . A Paris
, de l'imprimerie de d'Houry , imprimeur-
libraire de Mgr le Duc d'Or-
1
AVRIL. 1770. 149
léans, rue de la Vieille Bouclerie, 1769;
avec approb . & privil . du Roi .
Cette méthode propoſée & exécutée
par M. Montulay , à l'uſage des graveurs
de blafon , conſiſte à compofer une
grande planche de cuivre de pluſieurs
planches plus petites , dont on peut changer
à volonté la diſpoſition. Ces tranſpofitions
exigent un chaſſis de cuivre dans
lequel les petites planches doivent être
exactement jointes & afſujetties , afin
qu'elles ne puiſſent avoir aucun mouvement
lorſqu'elles ſont en place ; c'eſt ce
queM. Montulay a exécuté d'une maniere
ſimple & ingénieuſe. Il eſt aiſé de fentir
que cette méthode peut être avantageule
aux graveurs de blafon , qui ſont
ſouvent dans le cas de tranſpoſer des armoiries
, ou même de les employer en
différentes fuites dans les nobiliaires généraux
ou particuliers. Cette mécanique
peut rendre la réimpreſſion de ces fortes
d'ouvrages plus facile & moins difpendieuſe.
Tel eſt le rapport de MM. les
Commiſſairesde l'académie qui peut ſeul
faire connoître ſuffisamment l'utilité de
cet eſſai mécanique.
Giij
15. MERCURE DE FRANCE.
Le Marchand de Smyrne , comédie en un
acte & en proſe ; par M. de Chamfort,
&c . A Paris , chez Delalain , libraire ,
rue & à côté de la comédie françoiſe .
Haſſan , jeune Turc, habitant de Smyrne,
ſe trouvant eſclave à Marſeille , a été
délivré par un Chrétien ,&depuis ce tems
il a épousé une femme qu'il adore & qui
ſe nomme Zaïde. En mémoire de ſa captivité&
de ſa délivrance il a fait voeu de
délivrer tous les ans un eſclave Chrétien .
Un Arménien fon voiſin en fait commerce.
Kaled , c'eſt le nom de ce marchand
, paroît avec ſes eſclaves. Nébi ,
qui lui a acheté un médecin Français ,
vient le ſommer de lui rendre ſon argent
oud'aller chez le cadi .
KALED.
« Comment ! qu'a- t'il donc fait ?
NÉBI.
>>Ce qu'il a fait. J'ai dans mon ferrail
>>une jeune Eſpagnole , actuellement ma
>> favorite; elle eſt incommodée. Savez-
>> vous ce qu'il lui a ordonné.
KALED .
» Ma foi , non .
AVRIL.
1770. 151
NÉBI.
>>>L'air natal. Cela ne m'arrange-t'il pas
>> bien , moi ?
Il ſe plaint d'avoir déjà été la dupe de
Kaled , qui lui a vendu un favant qui ne
ſavoit pas diſtinguer du maïs d'avec du
bled , &qui a fait perdre àNébi fix cens
ſequins en lui faiſant enſemencer ſa terre
ſuivant une nouvelle méthode d'Europe.
Il lui reproche encore de lui avoir
venduun généalogiſte. L'Arménien s'excuſe
ſur ce qu'il ne pouvoit pas deviner
que ceux qui coûtent le plus font les plus
inutiles. Excuſe de fripon , dit Nébi.
KALED .
>> Excuſe de fripon ! ne croit-il pas que
>> tout eſt profit ? Et les mauvais marchés
>> qui me ruinent ? N'ont-ils pas cent mé-
>>tiers où l'on ne comprend tien? Et quand
>>j'ai acheté ce baron Allemand , dont je
>> n'ai jamais pu me défaire, & qui eſt en-
>>core là dedans à manger mon pain ? Et
> ce riche Anglois qui voyageoit pour fon
>> ſplin , dontj'ai refuſé cinq censſequins
>> & qui s'eſt tué le lendemain àma vue &
>> m'a emporté mon argent ? cela ne fait-il
>>pas faigner le coeur ? Et ce docteur, com .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
>> me on l'appeloit , croyez vous qu'on
>>gagne là-deſſus ? &à la derniere foire
>> de Tunis n'ai-je pas eu la bêtiſe d'ache-
>> ter un procureur &trois abbés que je n'ai
>> pas ſeulementdaigné expoſer ſur la pla-
>> ce &qui font encore chez moi avec le
>> baron Allemand ? »
Enfin , il perſiſte à tenir le marché pour
bon , & Nébi le quitte pour aller chez le
cadi. Un vieil eſclave qui appartient à
Zaïde vient voir fi Kaled n'a pas de femmes
à vendre . C'eſt une ſurpriſe agréable
que Zaïde prépare à ſon mari , en délivrantde
ſon côté une eſclave chrétienne.
Le vieux Muſulman marchande Amélie,
que l'Arménien lui fait quatre cens ſequins.
C'est une Française , ça se vend
bien. Le marché ſe conclud. Dornal ,
jeune Français , amant d'Amélie & qui
devoit bientôt être ſon époux , ſe déſefpére
en ſe voyant enlever ce qu'il aime .
Il tente inutilement de fléchir le vieil efclave.
Il éclate en reproches contre la dureté
de Kaled qui trafique de ſes ſemblables.
KALED.
«Que veut - il donc dire ? Ne vendez-
>> vous pas des négres ? Eh ! bien , moi , je
AVRIL.
1770. 153
> vous vends. N'est- ce pas la même cho-
" ſe ? Il n'y a jamais que la différence du
>> blanc au noir. »
,
Haſſan arrive à ſon tour pour acquitter
fon voeu. Il interroge pluſieurs eſclaves
un gentilhomme Eſpagnol , un Jurifconfulte
de Padoue , un domeſtique Français
nommé André. Il ſe détermine en faveur
de ce dernier ; mais André le ſupplie de
réſerver plutôt ſes bienfaits pour Dornal
, fon maître & l'amant d'Amélie.
Dornal , accablé de ſa douleur,peut à peine
lever les yeux. Haffan le reconnoît.
C'eſt ſon libérateur. Ils volent dans les
bras l'un de l'autre . Haſſan lui fait ôter
fes fers & demande à Kaled à quel prix il
fixe la rançon de Dornal. A cinq cens fequins
, dit Kaled. Cinq cens ſequins ! re.
prend Haffan . Tenez , Kaled ; je ne marchande
point , mon ami ... Je vous dois
ma fortune ; car vous pouviez me la demander.
Que je fuis une grande bête ,
s'écrie l'Arménien ! Bonne leçon !
Hafſan délivre auſſi le généreux André.
Zaïde lui préſente l'eſclave chrétienne
qu'elle a achetée ; c'eſt Amélie qui retrouve
fon cher Dornal& qui lui eft rendue.
La piéce finit par une fête.
Il faut lire cette petite comédie , dont
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
un extrait ne fauroit donner une bien juſte
idée , parce qu'elle eſt ſemée de traits
heureux qui en rendent le dialogue trèsagréable
, & dont on ne peut rapporter
qu'un petit nombre . Le rôle de Kaled eſt
très - plaiſant , & a été fort bien joué par
M. Préville qui ſaiſit toujours avec beaucoup
de juſteſſe le caractere de tous ſes
rôles.
Almanach des Muſes. A Paris , chez Delalain
, rue & à côté de la comédie
françoiſe.
Cette collection ,qui devient auſſi utile
qu'agréable , a été commencée en 1765 .
On y trouve de très jolies piéces dans
tous les genres néceſſairement mêlées
avec d'autres fort médiocres . En voici
une de M. Dorat , qui a le mérite aſſez
rare de la préciſion &de la rapidité.
Oui , bien qu'au fiécle dix-huitiéme ,
J'ai des moeurs , j'oſe m'en vanter .
Je fais chérir & refpecter
La femme de l'ami qui m'aime.
Si ſa fille ade la beauté ,
C'eſt une roſe que j'envie ;
Mais la roſe eſt en ſûreté
Quand l'amitié me la confie.
AVRI L.
255 1770 .
: Après quelques foibles ſoupirs
Je me fais une jouiſlance
Du ſacrifice des defirs ,
Etne veux point que mes plaiſirs
Coûtentdes pleurs à l'innocence.
• :
M. le Prieur adreſſe à M. de Voltaire
des vers, dont pluſieurs font trop négligés&
dont les derniers font fort beaux.
De l'Homére françois reſpectons les vieux ans .
Auſſi fier , auſſi grand au boutde ſa carriere ,
Il fait entendre encor ſesfublimes accens
Qui , tant de fois , charmoient l'Europe entiere.
Fils des arts , ainſi qu'eux , il triomphe du tems.
Dévoré de chagrins , environné d'allarmes ,
Dela publique joie un critique attriſté
Vainement dans mes yeux voudroit tarir les larmes
,
Par un charme plus fort mon coeur eſt emporté.
Ces larmes ſontpour lui des larmes criminelles ;
Mes yeux pour le confondre en verſent de nouvelles.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
On admire en tout tems l'aſtre brillant des cieux .
On lebénit à fon aurore ;
Au milieu de ſon cours il marche égal aux dieux.
A fon coucher il nous étonne encore ,
Et fon dernier rayon nous fait baiſſer les yeux.
Aufſi fier , auſſi grand forme un ſens
fufpendu qui n'eſt point fini. Parler de
Jublimes accens après avoir parlé de carriere
, c'eft changer de métaphore. Environné
d'allarmes eſt une expreſſion beaucoup
trop grave pour un critique tel qu'il
eft ici dépeint. Afon déclin auroit été
plus noble & plus élégant qu'àfon coucher.
Voilà bien des fautes ; mais les derniers
vers réparent tout.
Un Abbé , auſſi aimable dans ſes ouvrages
que dans la ſociété , a fourni à ce
recueil une épître charmante contre la
raiſon & en faveur de la mode ; mais touves
deux ſe réuniront pour l'auteur.
Nous citerons encore ce couplet de M.
Dorat pour Mde. de Caffini .
Sur l'AIR : L'avez-vous vû mon bien-aimé ?
Tu veux des vers à l'amitié.
Enchanſon que lui dire ?
1
AVRIL. 1770. 157
C'eſt un ſentiment oublié
Dès qu'on te voit ſourire,
On n'a point d'amis à vingt ans .
Flore , Hébé , n'ont que des amans.
C'eſt aux zéphirs ,
C'eſt aux plaiſirs
A treffer ſa couronne.
Du printems goûtons les loisirs ,
Avant ceux de l'automne.
Un heureux haſard a fait tomber entre
nos mains la réponſe à ce coupler , faite
fur le champ & fur les mêmes rimes. Elle
eſt au moins auſſi jolie que les vers de
M. Dorat.
Je veux des vers pour l'amitié ,
L'Amour aura beau dire .
A ce ſentiment oublié
On me verra fourire .
Hélas ! j'ai bien plus de vingt ans ,
Je laiſſe à Flore les amans .
:
Que le zéphir ,
Queleplaifir
Lui treffe une couronne;
18 MERCURE DE FRANCE,
Dès mon printems , je veuxjouir
Des doux fruits de l'automne.
On a ſouvent célébré la beauté ; mais
il eſt rare qu'elle ait répondu avec autant
d'eſprit. き
Nous voudrions pouvoir faire mention
de tous les morceaux eſtimables ſemés
dans ce recueil ; mais celui qui nous a
paru le meilleur de tous , c'eſt une épître
adreſſée par un de nos plus éloquens écrivains
, à une femme diſtinguée par ſes
connoiſſances littéraires & fon amou
éclairé pour les arts autant que par ſes
graces perſonnelles , & qui étoit allée
prendre les eaux au Mont d'Or . Cette
piéce que les bornes d'un extrait ne nous
permettent pas de tranſcrire , a , par-deffus
preſque toutes les autres , l'avantage
d'être écrite également & foutenue d'un
bout à l'autre , qualité néceſſaireà ce genre
de poësie qui ne permet pas l'inégalité.
On excuſe des fautes dans un grand monument
d'architecture ; mais une boîte de
Germain ou d'Auguſte doit être finie.
Lucrèce , traduction nouvelle avec des notes
; par M. D. L. G. A Paris , chez
Bleuet , libraire , pont St Michel.
AVRIL. 1770. 159
Il manquoit à la littérature françoiſe
une bonne traduction de Lucréce. Nous
ne craignons point d'affirmerque celle que
nous annonçons ici , & qui parut il y a
environ un an , eſt reconnue , par les gens
de lettres , pour la meilleure qu'on ait
faite dans notre langue. Il eſt impoſſible
de ſe pénétrer davantage de la ſubſtance
de fon original que ne l'a fait le traducteur.
Il développe le ſyſtème de Lucréce
avec la plus grande clarté , & s'il reſte
quelque nuage , il ſe trouve diſſipé dans
des notes courtes & inftructives écrites
ſans verbiage & fans prétention , ce qui
n'eſt pas commun. Enun mot le traducteur
entend très bien le latin & s'exprime
en françois avec pureté , préciſion & élégance.
Nous ne citerons que l'invocation
pour en donner une idée; car il faut lire
l'ouvrage entier. Nous y joindrons une
partie de la traduction en vers de Hénaut,
qui eſtdevenue fort rare.
" Mere des Romains, charme des hom-
» mes & des dieux , ô Vénus ! O déeſſe
>> bienfaiſante !du haut de la voûte étoi-
>>lée tu répands la fécondité ſur les mers
>> qui portent les navires , ſur les terres
رد quidonnent les moiſſons. C'eſt par toi
>>que les animaux de toute eſpéce font
160 MERCURE DE FRANCE.
>> conçus & ouvrent leurs yeux à la lu-
>>miere. Tu parais & les vents s'enfuient;
>> les nuages font diffipés ; la terre dé-
>>ploie la varieté de fes tapis ; l'Océan
>> prend une face riante ; le ciel , devenu
>> ſerein , répand au loin la plus vive
>> ſplendeur.
» A peine le printems a ramené les
>>beaux jours , à peine le zéphir a re-
>> couvré fon haleine féconde , déjà les
>> habitans de l'air reffentent fon atteinte
> & ſe preſſent d'annoncer ton retour ;
>> auffi- tôt les troupeaux enflammés bon-
>> diſſent dans leurs pâturages & traver-
>> fent les fleuves rapides. Epris de tes
>> charmes , faifis de ton attrait , tous les
>> êtres vivans brûlent de te ſuivre par-
>> tout où tu les entraines. Enfin dans les
>> mers , fur les montagnes , au milieu des
>> fleuves impétueux , des bocages touffus,
>> des vertes campagnes , ta douce flamme
>> pénétre tous les coeurs , anime toutes
>> les eſpéces du defir de fe perpétuer.
>> Puiſque tu es l'unique fouveraine de la
>> nature , la créatrice des êtres , la ſource
>> des graces & du plaiſir , daigne , ô Vê-
>>>nus ! t'aſſocier à mon travail , &m'inf-
>> pirer ce poëme fur la nature. Je le con-
>> facre à ce Memmius que tu as orné en
.
AVRIL. 1770. 161
>> tout tems de tes dons les plus rares , &
>> qui nous eſt également cher à tous deux .
» C'eſt en ſa faveur que je te demande
>> pour mes vers un charme qui ne ſe fté-
>> triffe jamais .
> Cependant aſſoupis & fufpends ſur
>> la terre & l'onde les fureurs de la guer-
>> re. Toi ſeule peux faire goûter aux
>> mortels les douceurs de la paix . Du
>> ſein des allarmes , le dieu des batailles
" ſe rejette dans res bras . Là , retenu par
>> la bleſſure d'un amour éternel , les yeux
>>levés vers toi, la tête poſée ſur ton ſein,
" la bouche entr'ouverte , il repaît d'a-
>> mour ſes regards avides , & fon ame
>> reſte comme ſuſpendue à tes lévres .
> Dans ce moment d'ivreſſe où tes mem-
» bres ſacrés le ſoutiennent , ô déeſſe !
>> penchée tendrement ſur lui , abandon-
>> née à ſes embraſſemens , verſe dans ſon
>> ame la douce perfuafion & fois la puif-
>> ſante médiatrice de la paix. >>
Voici les vers de Hénaur .
Déeſſe , dont le ſang a formé nos ayeux ,
Toi , qui fais les plaiſirs des homines & des dieux ,
Qui , par un doux pouvoir regnant ſur tout le
monde ,
162 MERCURE DE FRANCE .
Rends & la mer peuplée & la terre féconde :
Je t'invoque , ô Vénus! ô mere de l'Amour !
C'eſt par toi qu'eſt conçu tout ce qui voit lejour.
Un ſeul de tes regards écarte les nuages ,
Chaſſe les aquilons , diſſipe les orages ,
Redonne un air riant àNeptune irrité,
Et répand dans les aits une vive clarté.
Dès le premier beau jour que ton aftre ramene ,
Les zéphirs font ſentir leur amoureuſe halcine ;
La terre orne ſon ſein de brillantes couleurs ,
Et l'air eſt parfumé du doux eſprit des fleurs.
On entend les oiſeaux frappés de ta puiſſance ,
Parmille fons laſcifs célébrer ta préſence .
Pour la belle génifle on voit les fiers taureaux
Oubondir dans laplaine ou traverſer les eaux.
Enfin les habitans des bois & des montagnes ,
Des fleuves& des mers & des vertes campagnes ,
Brûlant à ton aſpect d'amour &de defir ,
S'engagent à peupler par l'attrait du plaifir ;
Tant on aime à te ſuivre , & ce charmant empire
Qu'exerce la beauté ſur tour ce qui reſpire.
Donc puiſque la nature eſt toute ſous ta loi ,
Que riendans l'univers ne voit le jour ſans toi ,
Que fans toi rien n'eſt beau , rien n'aime& n'eſt
aimable ,
AVRIL. 17700 163
Vénus , deviens ma muſe & fois moi favorable ;
Je vais de l'univers étaler les fecrets ;
J'écris pour un héros comblé de tes bienfaits.
Memmius eut de toi les graces en partage .
Fais-les , en ſa faveur , briller dans cet ouvrage.
Cependant des mortels arrête les terreurs ;
Ecarte loinde nous la guerre & fes horreurs.
Tu peux tout mettre en paix & ſur mer & fur
terre;
Car , que no peux-tu point fur le dieu de la guerre?
Souvent ce dieu fi fier , vaincu par tes appas ,
Dépoſe ſa fierté pour languirdans tes bras.
Sa tête eſt ſur ton ſein nonchalamment penchée ,
Et l'amour tient ſon ame à ta bouche attachée.
Ses yeux étincelans errent ſur tonbeau corps ,
Et nourriſſent ſes feux en pillant tes tréſors .
Tant tu fais avec art bien placer tes careſſes ,
Allumer les deſirs , provoquer les tendreſſes .
Parle pour les Romains dans ces momens ſi doux ;
Nous demandons la paix , demande la pour nous .
&c. &c.
Anne Bell , hiſtoire anglaise ; par M. d'Arnaud.
A Paris , chez le Jai , libraire
د
164 MERCURE DE FRANCE.
rue St Jacques , au-deſſus de la rue des
Mathurins , au grand Corneille.
Cette hiſtoire , pleine de morale &
d'intérêt , & où l'auteur ſemble avoir accumulé
toutes les miſéres humaines
commence la ſeconde partie des Epreuves
du -Sentiment , que M. d'Arnaudfo
propoſe de completer bientôt. La beauté
des deſſins & des gravures répond aux talens
de l'écrivain & doit fatisfaire les
amateurs ..
LETTRE de M. Bret , du 1 Fev . 1770 .
UNE parité de nom m'expoſe , Monfieur, àdes
inconvéniens aflez conſidérables pour m'engager
à vous prier d'inférer cette lettre dans votre Journal.
:
Un jeune homme du Hainaut , qui s'appelle
Bret , comme moi , &dont je ne fuis ni le parent ,
ni l'allié , nile compatriote , ni l'ami , le fait un
jeu , dans la Champagne où il eſt actuellement relégué
par des ordres ſupérieurs , d'être né , comme
moi , dans la capitale de la Bourgogne , d'être le
fils de mon pere , d'être moi-même enfin. J'ai déjà
reçu pluſieurs avis de Reims & de Soiflons de cette
ſuppoſition peu permile.
Qu'il s'attribue tous mes foibles ouvrages , ce
n'eſt pas là ce qui doit m'inquiéter ; mais je le
AVRIL. 1770. 165
ſupplie du moins , s'il lit cette lettre ,de s'informer
quel étoit le pere qu'il ſe donne , en s'emparant
du mien ; & il apprendra que le fils d'un pareil
homme , conſidéré dans ſa province & par ſes
talens & par ſa probité , eſt fait pour defirer de
s'eſtimer lui- même & pour chercher ſon bonheur
dans l'eſtime de ſes amis .
Les auteursdu dernier nécrologe ont trouvé ſans
doute très- ingénieux & très -gai de citer dans l'éloge
de Mde Bontemps quelques vers du jeune
homme en queſtion ſans avertir qu'ils étoient d'un
autre que de moi . Il peut être humiliant d'avoir à
ſedéfendre de pareils vers ; mais j'avouerai que
je n'ai pas le courage de mon Menechme, qui s'approprie
mes minces productions , & qu'au contraire
je déſavoue toutes les ſiennes nées & à naître
; chacun a dans ce monde aſſez de ſes propres
iniquités . Je déclare donc que je n'ai ni fait , ni
lú , ni conmu Eliſe ou l'idée d'une honnête Femme;
les quatre Saifons , poëme en quatre chants ; l'Isle
des Fous , comédie lyrique ; les Bergers de Tivoli,
comédie que l'auteur affure en Champagne devoir
être jouée inceſſamment à Paris.
Si je n'avois eu à défendre que mon exiſtence
littéraire , Monfieur , je me ferois maintenu dans
la crainte que j'ai toujours eue de l'égoïſme ; mais
mon exiſtence civile a des droits plus facrés . C'eſt
elle que je cherche à protéger par la démarche
que je fais aujourd'hui. Que fais-je ſi le jeune poëte
de Maubeuge a , comme moi , dans la tête que
ce n'eſt pas tout de faire des vers , & qu'il faut encore
être honnête homme !
J'ai l'honneur d'être , &c .
BRET.
166 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT
En faveur de l'Ecole gratuite de Deffin ,
donné dans la galerie de la Reine aux
tuileries .
SII l'on peut dire avec raifon que les
muſes ſont ſoeurs & qu'elles ſe tiennent
par la main , c'eſt ſur- tout lorſqu'on les
voit s'empreffer à ſe donner des fecours
mutuels. Un établiſſement auſſi utile que
celui de l'école gratuite , ne pouvoit manquer
d'exciter les ſentimens les plus noblesdans
les coeurs qui en étoient ſuſceptibles
. Celui de M. Gaviniés fait éclater
dans cette circonſtance le zèle le plus généreux
, égalé par l'ardeur avec laquelle
les autres muſiciens répondent à ſes invitations
. Le mercredi , 14 Mars , ces artiftes
eſtimables ont employé pour la troifiéme
fois leurs talens au profit d'un art
qui leur eſt étranger.
Le concert a commencé par une ſymphonie
de M. Goffec. De grands effets
d'harmonie , une mélodie expreſſive &
AVRIL. 1770. 167
touchante , ont fait entendre avec un plai .
fir nouveau cette ouverture déjà exécutée
au dernier concert. Le Sr Himbault , jeune
élève de M. Gaviniés , a joué un concerto
de violon , dans lequel il a fait concevoir
les plus grandes eſpérances. M.
Janſſon a exécuté une fonate de violoncelle
, avez une perfection digne de la réputation
que ſes talens lui ont méritée.
M. Rault a fait entendre enfuite un concertode
flutte. Ses talens , dont ſa modeftie
ſeule peut ignorer la ſupériorité , doivent
le faire compter au nombre des plus
grands maîtres de cet inſtrument.
On a beaucoup applaudi M. Richer ,
fi univerſellement connu par le goût &
l'adreſle de fon chant; Mde Philidor dans
laquelle le public a découvert avec plaifir
des talens qu'il ignoroit. Une voix pleine
& fonore , & cependant intéreſſante, une
maniere de chanter légere & gracieuſe ,
une prononciation nette , articulée& fentie
, voilà ce que Mde Philidor a fait admirer
dans pluſieurs ariettes ; entr'autres
dans le ſuperbe monologue d'Ernelinde
qui , exécuté cette fois comme il a été
conçu , a paru mettre le ſceau du génie à
laréputation vainement conteſtée de fon
auteur. Le concert a fini par le même di-
1
168 MERCURE DE FRANCE.
夢
vertiſſement qui a été exécuté au dernier.
Les paroles & la muſique ſont de M. de
Chabanon , & répondent au zèle de cet
illuſtre amateur , qui conſacre ſes talens à
l'avancement& à l'intérêt des arts .
OPÉR A.
ON continue les repréſentations de
Zoroastre , tragédie importante par la
pompe & la variété du ſpectacle. On n'a
rien épargné pour le rendre magnifique
& pittoreſque. Le poëme , en général ,
pourroit être plus lyrique , plus intéreſſant
; mais la muſique du 4º acte ne peutêtre
plus fublime. C'eſt un des plus grands
efforts dugénie du célèbre Rameau. Chacundesprincipaux
acteurs s'efforceàl'envi
de faire valoirſon rôle. Celui d'Abramane
a été rendu avec énergie par M. Gélin ,
doublé avec ſuccès par M. Durand. M.
Muguet a auffi remplacé , avec applaudif.
fement , M. le Gros , toujours fûr luimême
d'être applaudi. Une indiſpoſition
avoit d'abord empêché Mlle Dubois de
chanter le rôle d'Erinice , qui fut parfaitement
bien rendu par Mile Duplan.
Mlle Dubois s'eſt depuis reſaiſie de ce
rôle ,
AVRIL. 1770. 169
rôle , & le public lui en a marqué fa fatisfaction.
Il n'en a pas moins témoigné
à Mlles Larrivée, Beaumenil & Rofalie ,
qui ont ſucceſſivement chanté le rôle de
la Princeſſe Amélite. Les balets forment
une partie conſidérable de cet opéra. On
fait que feuM. de Cahuſac avoit le talent
de bien amener les fêtes .
Chacun ſon lot ; nul n'a tout en partage.
Un pas de deux , danſé par Mlle Guimard
& M. Veſtris , contribue à faire
briller leurs talens . Celui de M. Gardel
ſe déploie avec éclat dans la chaconne du
dernier acte . Il ſuffit de citer les Diles
Heinel , Allard & Peflin ,MM. Lani &
Dauberval pour dire qu'ils ont réuni les
fuffrages du Public autant de fois qu'ils
ontparu.
Le balet des eſprits malfaifans , au 4 .
acte , a frappé par l'effet terribledes flambeaux
qui jettent des torrens de flamme ;
c'eſt une invention nouvelle que nous
croyons être du lycopodium ou fouffre
végétal , dont la pouſſiére s'embrâſe , s'éteint&
ſe rallume ſubitement en paſſant
par le feude l'eſpritde vin.
Parmilesriches décorations de cet opéra
, on a fur- tout admiré celle qui le ter
mine. Elle eſt de fer blanc peint & doré
IVol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
en partie ; mais où domine la couleur
d'argent. Elle repréſente un palais d'une
étendue immenfe , & dont la diſpoſition
eſtdu genre le plus noble& le plus neuf.
On a remis les jeudis , & quelquefois
les autres jours, le balet héroïque de Zais,
paroles & muſique des mêmes auteurs
que Zoroastre. Mlles Beaumefnil & Rofalie
ont chanté ſucceſſivement le rôle de
Zaïs avec le ſuccès qui réſulte du talent
animé par l'émulation. M. Tirot a rendu,
avec tout l'agrément & toute la ſenſibilité
de ſa voix , le rôle du Génie . On ne
ſe laſſe point de revoir le charmant pas
de deux tiré d'une ſcène de l'Oracle , &
exécuté par M. Gardel & Mlle Guimard.
Mlle Dervieux s'eſt eſſayée dans le genre
noble , & a été très-aplaudie dans un pas
danſé auparavant par Mlle Heinel . Mlle
Mion vient de reparoître fur ce théâtre ,
& a été accueillie d'une maniere à l'y
fixer.
C'eſt l'uſage, chaque année , de donner
trois repréſentations ſur ce théâtre en faveur
des acteurs . On vient de repréſenter
à ce ſujet l'opéra de Théſée , paroles de
Quinaut , muſique de Lully ; mais on y a
joint une foule d'airs de danſe pris dans
différens opéras & fupérieurement choifis
. La premiere repréſentation eut lieu
AVRIL. 1770. 171
le 10du mois dernier. Ce fut M. Larrivée
qui chanta le rôled'Egée. Celui de Théſée
fut exécuté par M.Pilotala place de M. Legros
, qui l'a chanté depuis. Le rôle d'Eglée
le fut par Mlle Arnoud , & celui de
Médée par Mlle Duplan. Les balets ont
été exécutés par les principaux danſeurs.
C'eſt dire , qu'à tous égards , ces trois repréſentations
ont été vues avec un grand
concours de ſpectateurs & avec beaucoup
d'applaudiſſement.
COMÉDIE FRANÇOISE.
On a fait reparoître fur cethéâtre les
Scythes , tragédie de M. de Voltaire.
Mde Veſtris a été juſtement applaudie
dans le rôle d'Obéïde , qu'elle a rendu
avec beaucoup d'énergie & de vérité. Elle
a fait ſentir fur- tout les beautés fortes du
5. acte . Les connoiffeurs ont retrouvé
avec plaiſir dans beaucoup d'endroits de
cet ouvrage , composé à ſoixante- quinze
ans , la maniere riche & brillante du fucceffeur&
du rival de Racine .
Ce n'eſt plus Obéïde , à la cour adorée ,
D'eſclaves couronnés à toute heure entourée.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Tous ces grands de la Perfe , àma porte rampans ,
Ne viennentplus flatter l'orgueil de mes beauxans.
D'un peuple induſtrieux les talens mercenaires ,
De mon goût dédaigneux ne ſont plus tributaires.
&c. &c.
De pareils vers , pleins d'harmonie ,
de naturel & d'élégance flattent les oreil
les exercées &délicates qui ne peuvent ſe
faire à la tournure pénible & forcée de
preſque toutes nos piéces modernes dont
le défaut le plus général & le plus inexcuſable
eſt une éternelle déclamation ,
qui eſt précisément l'opposé de la nature .
La rhétorique tue la tragédie , & l'on ne
peut trop répéter que le naturel eſt le plus
grand charme des beaux arts.
On a admiré ſur- tout le contraſte heureuſement
tracé dans la ſcène du 4. acte
entre Athamare & Indatire , & la confidence
des deux vieillards au premier.
Les comediens François ont encore
donné une repréſentation de Cinna. M.
Brizard a paru ſe ſurpaſſer dans le rôle
d'Auguſte , l'un de ceux qu'il joue ordinairement
avec le plus d'expreffion & de
nobleffe.
On revoit toujours avec plaiſir laGouvernante
que l'on joue très- ſouvent. M.
Molé a bien ſaiſi le caractere du jeune
AVRIL. 1770. 173
Sainville : & le rôle d'Angélique , l'un
des plus aimables qu'ait tracés la Chauf- .
ſée , s'embellit encore des graces naïves
de Mlle Doligni .
Parmi les nouveautés qu'on a revues fur
ce théâtre il faut compter Béverlei , qui a
été applaudi avec tranſport & redemandé
avec acclamation.
COMÉDIE ITALIENNE .
SILVAIN , comédie nouvelle en un acte ,
repréſentée , pour la premiere fois , le
lundi 19 Février 1770 .
SIILLVVAAIINN a renoncé à tous les avantages
qu'une naiſſance illuſtre , une fortune
conſidérable pouvoient lui procurer pour
s'unir à une femme dont l'état& les biens
ne répondoient point aux vues de fa famille
. Deshérité , banni par ſon pere , il
s'eſt retiré dans une chaumiere , & le travail
de ſes mains a nourri pendant 15
ans l'épouſe tendre & vertueuſe à laquelle
il a tout facrifié . Deux filles font les fruits
de cette union que les malheurs & l'indigence
n'ont pu troubler ; l'aînée ſe nomme
Pauline , & fon pere eſt prêt à l'unir
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
à Baſile,jeune homme digne de ſon choix .
Silvain fatisfait , par ce mariage , le penchant
de fa fille & la reconnoiffance qu'il
doit aux généreux parens de Bafile qui
l'ont aidé de leurs foins,lorſque ſes mains
n'étoient point encore endurcies au travail.
Il fort de chez lui pour aller chaffer
pour le repas ; mais ſa chere Helene, habituée
depuis long - tems à lire dans ſon
coeur , connoît aiſément qu'il eſt ſurchargé
de quelque peine qu'il veut lui cacher;
elle le preſſe, il ſe rend& lui apprend que
fon pere eſt celui qui vient d'acheter la
terre dans laquelle ils ſe font retirés . Le
jour même il doit venir en prendre pofſeſſion
avec ſon autre fils , jeune homme
arrogant& dont la jeuneſſe fougueuſe fait
le malheur des vieux ans de ce malheureux
pere. Cet événement imprévu obligera
Silvain d'abandonner ſa retraite &
de fuir ailleurs ; mais il engage ſa chere
Helene à renfermer ce ſecret dans ſon
coeur , afin de ne pas affliger leurs amisau
momentde la fête.
Lorſqu'il eſt parti , Helene donne à
Pauline les conſeils qu'une mere ſage doit
offrir à une fille prête à s'engager dans les
noeuds du mariage ; cette leçon eſt égaïée
par les naïvetés deLucette qui la rendent
AVRIL. 1770. 175
encore plus intéreſſante. Baſile arrive avec
toute la joie d'un amant qui va poſſéder
l'objet de ſes amours ; mais le retour fubit
de Silvain change les plaiſirs en allarmes.
Il eſt pourſuivi par les gardes du
ſeigneur qui a interdit la chaſſe qui étoit
permiſe par ſon prédéceſſeur. Ils veulent
déſarmer Silvain. Bafile ſe ſaiſit d'une
hache ; ils les contiennent , & les femmes
qui ſe jettent entr'eux ſont dans les tranfes
les plus terribles , lorſque le frere de
Silvain arrive & les congédie. Il traite
avec hauteur ſon frere,qu'ilne connoît pas
&qui lui répond avec fierté ſans ſe déceler
; mais le malheureux Silvain eſt accablé
de la menace que ſon frere lui fait
de le faire punir par ſon pere. Cette ſituation
eſt théâtrale. Le jeune homme fort .
Silvain éloigne Baſile & fes fils pour ſe
livrer avec ſa femme aux juſtes allarmes
que leur cauſe l'arrivée de ſon pere . Il
eſpére que les charmes & les vertus de
ſon épouſe pourront l'attendrir lorſque ſa
préſence ne feroit que l'irriter , & il fort :
nouvelles allarmes d'Helene en attendant
ce pere redoutable. Ses filles, que Silvain
envoie pour la feconder , arrivent & fe
difpofent , ainſi qu'elle , à ne rien oublier
pour adoucir le juge de leur pere ſans fa
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
voir que leur fort à elles -mêmes dépend
de ſa clémence. Il arrive : les premieres
paroles d'Helene lui font juger qu'elle
n'eſt point née ce qu'elle paroît. Elle en
convient & la colere de ce bon vieillard
faitbientôt place à la curioſité qu'il a d'apprendre
quels malheurs l'ont réduite en
cet état. Elle évite de les lui découvrir ;
mais elle lui fait une peinture ſi touchante
de leur ſituation préſente , qu'il ſe ſent
ému juſqu'au fond du coeur , & promet
de les aider de ſes ſecours . Helene & fes
filles tombent à ſes genoux ; il les releve
avec bonté & ordonne à la mere d'aller
chercher ſon époux. Elle y va en tremblant
, & laiſſe ſon beau - pere avec ſes
filles qui achevent de l'attendrir. Leurs
careſſes naïves& touchantes le pénétrent
du ſentiment le plus doux. Il les embraſſe
dans l'excès de ſenſibilité qu'elles lui font
éprouver. En ce moment Silvain tombe
à ſes genoux ; Helene s'y jette auſſi . Leur
repentir touche aisément un coeur ému
par tant de ſecouſſes douces & attendriffantes
. Il leur pardonne & conſent même
au mariage de ſa petite fille avec le jeune
Baſile qui , par ſes vertus & fa généroſité,
s'eſt rendu digne de cette alliance qui ne
bleſle que les préjugés & que d'Olman
justifie par cette maxime reſpectable .
AVRIL. 1770. 177
Il est bonde montrer quelquefois
Que la ſimple vertu tient lieu de la naiſſance.
Cette piéce , intéreſſante juſqu'aux larmes
, eſt de M. Marmontel , de l'académie
françoiſe . C'eſt un grand avantage
pour le théâtre italien qu'un auteur de
cette diſtinction veuille bien y conſacrer
ſes talens,fur-tout lorſqu'ils feront unis à
ceux de M. Grétry , dont la muſique toujours
noble , pathétique & théâtrale ne
manque jamais d'ajouter aux paroles qu'il
anime,& au ſens qu'elles renferment.C'eſt
ſouvent une grande affaire pour un artiſte
célèbre que de foutenir une réputation
brillante ; celui- ci ajoute chaque jour à la
ſienne par autant de ſuccès que de productions
.
Les acteurs n'ont pas moins contribué
à celuide cette comédie dont ils partagent
les applaudiſſemens. Mde Laruette &M.
Cailleau ont mis dans leurs rôles tout
l'intérêtdont ils ſont ſuſceptibles. M. Suin
a joué celui du vieillard d'une maniere à
prouver que ſes talens feront très - utiles
dans les rôles nobles & intéreſſans . Mde
Trial , ſi juſtement aimée du Public , a
reçu de nouveaux applaudiſſemens dans
le rôle d'Hélene. Mlle Beaupré ajoué ce-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
lui de Lucette avec une naïveté charmante
; & M. Clairval , cet acteur qui fait
embellir également les rôles les plus oppoſés
, a mis dans celui de Baſile beaucoup
plus d'intérêt qu'il ne paroiſſoit fufceptible
d'en procurer.
On a donné ſur le même théâtre , le
mardi 13 Mars , la premiere repréſentation
du Cabriolet volant , canevas en 4
actes , dont nous parlerons dans le volume
prochain , ainſi que des débuts de Mile
Reiter , qui les continue avec applaudiffement.
A Mde Rofambert , qui a débuté avec
fuccès à la comédie italienne , dans le
Peintre amoureux defon modèle.
DEPUIS long-tteemmss& l'art & la nature
Etoient l'un de l'autre ennemis ;
Les talens , les plaiſirs qui leur font réunis ,
Tout ſouffroit de cette rupture.
La nature accuſoit ſon rival orgueilleux
De trop de luxe & d'impoſture .
L'art vouloit à ſon tour que , pour nous plaire
mieux ,
:
AVRIL.
179 1770 .
La nature , moins ſimple , employant la parure ,
De Vénus même empruntât la ceinture ;
Sous des ornemens précieux
La beauté n'en est pas moins pure.
Duni * parut , ce moderne Linus ,
Qui prete aux paſſions les tons de l'harmonie ,
Et par une aimable magie
Tient à ſes doux accens tous les coeurs ſuſpendus ;
A la voix dépoſant leur haine ,
L'art & la nature à l'inſtant
Sont ferrés d'une étroite chaîne .
Les deux rivaux qu'enflamme un même ſentiment
Ne connoiſſent plus de partage ,
Et de l'accord de ce couple charmant ,
Roſambert fut l'heureux ouvrage.
* M. Duni a formé les talens de Mde Roſambert.
Par M. d'Arnaud.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Vers adreſſfés à M. de la Harpe , après
une lecture de Mélanie.
Pour la fixieme fois , en pleurant Mélanie ,
Mon admiration ſe mêle à ma douleur.
Ton drame ſi touchant , tes vers pleins d'harmonie
Retentiſlent encor dans le fonddemon coeur.
Pourſuis ta brillante carriere ;
Appelé par la gloire on t'y verra voler.
Tu nous conſoleras quelque jour de Voltaire ,
Si quelqu'un cependant nous en peut conſoler.
Par M. Saurin , de l'Acad. françoise.
RÉPONSE faite fur le champ.
Votre ſuffrage eſt cher à ma muſe , àmon coeur.
Plaire à Thémire * , à vous , eſt mon bonheur
(uprême ,
Et mon eſpoir le plus flatteur
Eſt de vous égaler vous-même.
*Mde Saurin.
AVRIL. 1770. 181
ACADÉMIES.
I.
Séance publique de l'Académie de Chalons-
fur- Marne.
L'ACADÉMIE de Châlons - fur - Marne
tint ſa féance publique , le 20 de Décembre
dernier , en préſence de M. l'Evêque
Comte de Châlons, pair de France .
M. Sabbathier , ſecrétaire perpétuel , fir
l'ouverture de la féance par la lecture de
l'éloge hiſtorique de M. Billet , écuyer ,
préſident tréſorier de France , ſeigneur de
la Pagerie , Moncets & autres lieux , mort
le 24 Mai 1768. Comme académicien
M. Billet avoit fourni un grand nombre
de mémoires qui ont tous pour objet l'agronomie.
La plupart de ces mémoires
font d'autant plus précieux , qu'ils font
fondés ſur dès expériences faites parM.
Billet même. On trouve une analyſe de
chaque mémoire dans la premiere partie
de fon éloge. Ses qualités patriotiques
font expoſées dans la ſeconde partie. Les
malheurs d'autrui , & furtout ceux des
habitans de Champagne, faifoient fur lui
182 MERCURE DE FRANCE.
Ia plus forte impreſſion. Il en donna de
grandes preuves en 1757 , au ſujet d'un
incendie arrivé dans un village à quelques
lieues de Châlons . Le miniſtere , informé
du zèle qu'il avoit montré dans
cette circonſtance , lui en fit des remercîmens.
M. Sabbathier lut encore un diſcours
qui doit ſervir de préface à un ouvrage
intitulé , les moeurs , coûtumes & usages
des anciens Peuples , pourfervir à l'éducation
de la jeuneſſe. Après avoir tracé un
portrait frappant des moeurs anciennes il
expoſe le plan de fon ouvrage , & la maniere
dont il l'a traité. Cet ouvrage ſera
bientôt rendu public.
M. Navier , docteur médecin , chancelier
de l'académie & correſpondant de
celle des ſciences , fit enſuite lecture d'un
mémoire fur les attentions qu'exige l'ufage
du petit lait , & fur les moyens d'en
rendre la préparation facile , utile & peu
coûteuſe pour les pauvres.
M. Navier ſe propoſe de ſuivre ſes recherches
ſur toutes les productions laiteufes
,&d'en faire un ouvrage ſuivi , auquel
il paroît avoir commencé de travailler il
yaquelque tems.
M. Rouffel , curé de la paroiſſe de St
AVRIL. 1770. 183
Germain de Châlons , lut auſſi un difcours
ſur l'amour de la patrie : il regarde
le vrai patriotifme comme un mouvement
inſpiré par la nature , reglé par la
raiſon , ennobli par la vertu , & par conſéquent
inféparable de l'amour du bien
public. C'eſt ſous ce point de vue qu'il
conſidére , dans la premiere partie de fon
diſcours , les avantages de l'amour de la
patrie , & qu'il eſſaie dans la ſeconde de
chercher les cauſes qui l'affoibliſſent parmi
nous. Il rapporte à l'amour de la patrie
la gloire des anciens Grecs & des anciens
Romains , la manutention des loix,
la perfection des arts & des ſciences, Il
attribue l'affoibliſſement de l'amour patriotique
à l'amour exceſſif des plaiſirs &
de la frivolité , & dans une monarchie
chrétienne au relâchement des liens de la
religion.
M. l'abbé de Malvaux , grand vicaire
&directeur de l'académie , lut enſuite un
mémoire fur les moyens de conduire à
Châlons la riviere de Moivre , qui ſe jette
dans la Marne , à quatre lieues au-defſus
de la ville. Les avantages qui en reſulteroient
pour les habitans ſont démontrés
dans ce mémoire .
M. Grignon , maître de forges & cor
184 MERCURE DE FRANCE.
reſpondant de l'académie des ſciences ;
termina la ſéance par la lecture d'un autre
mémoire fur la néceſſité & la facilité de
rétablir la navigation ſur la riviere de
Marne , depuis St Dizier , en remontant
vers ſa ſource , juſqu'à Joinville.
M.Grignon prouve que la riviere de
Marne a été déjà navigable depuis Joinville
, & au - deſſus , juſqu'à St Dizier ;
1 °. Par le témoignage d'hommes vivans
qui ont tranſporté les fers dans des batelets
, & c'étoit le ſeul moyen employé
pour conduire les fers de Joinville à St
Dizier avant que la route fût ouverte ;
2°. Par des monumens exiſtans conſtruits
pour la navigation ; 3°. Enfin , par des
traits d'hiſtoire authentiques. Il tire delà
des inductions pour montrer combien il
feroit facile de rétablir la navigation dans
cette partie de la Marne ;.& il fait voir
que la dépenſe des ouvrages néceffaires
pour cet effet n'excéderoit pas celle que
l'on fait en une année pour le charrois.
I I.
Ecole Vétérinaire.
१
Mardi , 13 Mars , il y eut à l'Ecole
royalé vétérinaire de Paris , un concours
AVRIL. 1770. 185
dontl'objet fut l'examen & la démonftration
des os du cheval , conſidérés en général
& en particulier.
M. Bertin , miniſtre & ſecrétaired'étar,
préſida à cette ſéance qui fut honorée de
la préſence d'un nombre confidérable de
perſonnes du premier rang.
Les élèves qui furent entendus , font ,
les Srs Rigogne , maréchal des logis du
régiment de Languedoc ; Lombard , de la
province de Champagne , entretenu par
M. le comte de Brienne ; Mangienne ,
dragon du régiment d'Orléans ; duTronc,
de la province de Normandie , entretenu
par M. de Meulan ; Drigon , maréchal
des logis du Colonel-Général Dragons ;
Barriere , de la province de Beauce , entretenu
par M. Thiroux, maître des requêtes
; Belval , cavalier du Colonel Général
; Lefévre Cadet , de la province de
Normandie , entretenu par M. de Brige ;
Taillard , cavalier du régiment Royal-
Lorraine ; Dufour , dragon du régiment
de Damas ; Hugé, carabinier du régiment
du Roi ; Villaut , carabinier du régiment
Royal ; Chardin , cavalier de Royal Etran
ger; Bravi cadet de la ville de Montargis
, entretenu par M. l'intendant d'Orléans
; Miquel , dragon de Beaufremont;
186 MERCURE DE FRANCE.
Vaugien , de la province de Lorraine, entretenu
par M. l'intendant de cette généralité
; Girardin , brigadier du Meſtre de
Camp-Général-Dragons ; Huſard, de Paris
, entretenu par ſon pere; Danin , cavalier
du régiment de Noailles ; Maranger
, de la province de Champagne , entretenu
par M. l'intendant ; du Cardonnel
, carabinier de Royal Rouffillon ; Cante
, de la province de Poitou , entretenu
par M. l'intendant ; Schmitz , huffard de
Bercheny ; Lafond,du Berry , entretenu à
fes frais.
Le Sr la Cueille , de la province de
Périgord , entretenu par M. l'abbé Bertin ,
& l'un des chefs de Brigade qui ont concouru
à l'inſtruction de tous ces élèves ,
eut l'honneur de les préſenter à l'affemblée&
de la prévenir ſur la néceſſité dans
laquelle on feroit d'indiquer un ſecond
concours ſur le même objet , attendu le
nombre conſidérable des élèves qui auroient
été en état de paroître dans celuici.
La capacité de tous ceux qui ſe ſont
montrés ne pouvoit que jeter dans le plus
grand embarras les perſonnes qui avoient
à prononcer fur le plus ou le moins de mé.
rite des uns &des autres.
AVRIL. 1770. 187
Deces vingt-quatre élèves , dix ont tiré
le prix au fort , & neuf ont eu l'acceffit.
Ceux qui ont tiré le prix , font , les Sieuts
Rigogne , Belval , Drigon , Bravi , Dufour
, Hugé , Villaut , Mangienne , Lombard&
Girardin; le fort afavoriſé cedernier.
L'acceffit a été donné aux Srs Huſard ,
Chardin , Vaugien , Miquel , Lafond ,
Danin, Taillard & Schmitz .
ARTS.
GRAVURE.
I.
:
L'Accordée de village , eſtampe d'environ
24 pouces de large ſur 20 de haut, gravéed'après
le tableau original de M.
Greuze , peintre du Roi ; par J. J. Flipart
, graveur du Roi. Elle ſera en vente
le 18 Avril , à Paris , chez J. B. Greuze,
rue Pavée, la premiere porte cochere en
entrant par la rue St André des Arts .
Prix 16 liv.
CETTE nouvelle estampe nous repréſente
un des quatre âges de la vie que
188 MERCURE DE FRANCE .
M. Greuze ſe propoſe de mettre en action.
La mere bien-aimée careffée par ſes
enfans , nous offrira l'image de l'enfance ,
ou du premier âge. Le ſecond âge eſt déſigné
par l'Accordée de village , ou le
pere de famille qui marie une de ſes filles;
c'eſt le ſujet de l'eſtampe que nous
annonçons. Le troifiéme âge qui a été publié
, il y a environ trois ans , nous repréſente
les infirmités de la vie ou le paralytique
ſervi par ſes enfans. La ſcène pathétique
de la mort du pere de famille ,
regretté par ſes enfans , formera le quatriéme
& dernier âge. Le tableau original
de l'Accordée de village , a été vu au falon
de 1761 , & l'on crut dès lors qu'il
n'étoit pas poſſible au pinceau de s'élever
à une expreſſion plus vraie , plus naïve &
plus fine du ſentiment &des caracteres ;
mais M. Greuze , par les ouvrages qu'il
a faits depuis & par ceux qu'il prépare ,
ſemble nous prouver qu'un peintre qui a
une connoiſſance profonde de ſon art &
fait interroger la nature , peut toujours ſe
furpaſſer. Cet artiſte , dans fon Accordée
de village , a choiſi le moment que le pe.
re de famille , aſſis au milieu de ſes en .
fans , délivre à ſon gendre l'argent de la
dot. Ce vieillard , dont l'air &la phyfio
AVRIL. 1770 . 189
nomie annoncent la franchiſe & inſpirent
la confiance , ſemble exhorter ſon futur
gendre à faire un emploi utile de cet argent.
Le prétendu , debout devant lui ,
l'écoute avec une attention reſpectueuſe .
L'Accordée a un bras entrelacé dans celui
du jeune homme; fon autre bras eſt embraflé
par la mere aſſiſe vis-à-vis le vieillard.
L'expreffion la plus vive de la tendreſſe
maternelle ſe fait remarquer dans
cette bonne femme. Elle craint le moment
qui va la ſéparer de ſa chere fille ;
une petite foeur , penchée ſur l'épaule de
l'accordée exprime encore par ſes pleurs
la douleur de cette ſéparation , tandis
qu'une foeur aînée , placée derriere le
vieillard , regarde avec des yeux intrigués
le prétendu & fon accordée que le jeune
homme a préférée. Dans un des coins de
la ſcène un petit frere s'éleve ſur la pointe
des pieds. Il voudroit bien voir une
cérémonie que la préſence du tabellion
lui fait juger très-curieuſe. Ce tabellion
a ce ton d'importance que les gens de
cette eſpéce affectent de donner à leur
•profeſſion . Après avoir examiné tous les
perſonnages de cette ſcène , on revient
encore à l'accordée qui , par l'élégance de
ſa taille , le charme de ſa phyſionomie ,
190 MERCURE DE FRANCE.
la modeſte contrainte avec laquelle elle
baiſſe les yeux vers ſa mere , nous rappelle
une de ces beautés naïves forties
des mains de la nature & qu'aucun artifice
n'a encore gâté. L'eſtampe eſt dédiée
à M. le marquis de Marigny. La gravure,
qui eſt de M. Flipart , annonce un artiſte
qui faitſurmonter les difficultés. Son burin
ade la couleur & de l'effet.
I I.
こ
Le Jugement de Paris , eſtampe d'environ
Is pouces de haut fur 20 de large ,
gravée d'après le tableau de Fr. Trevifani
. A Paris , chez Lacombe , libraire,
rue Chriftine ; & Vernet le jeune ,
marchand d'eſtampes , quai des Auguſtins
. Prix 3 liv.
Les Grecs , ſenſibles plus qu'aucun autre
peuple aux charmes de la beauté , lui
décernerent ſouvent des couronnes ; &
pour rendre ſon triomphe plus éclatant
fur le Mont Ida , lui donnerent pour rivales
la reine des dieux & la déeſſe des
ſciences & des arts .
Deformâ certant Venus , & cum Pallade Juno ;
Judicio Paridis vincit utramque Venus.
AVRI L. 1770.
191
>>>Sur Junon , ſur Pallas , Vénus a l'avantage.
•Quand la beauté ſourit , il faut lui rendre hom
>>mage. »
Treviſani , célèbre peintre de l'école de
Veniſe , n'ignoroit pas que ce ſujet , un
des plus rians de la mythologie , avoit
été traité en peinture bien des fois avant
lui. Il a cherché à le rendre neuf par les
attitudes variées & les expreſſions différentes
qu'il a données aux trois déeſſes.
Vénus laiſſe appercevoir ſur ſon viſage
cette douce fatisfaction qu'une beauté
éprouve en recevant l'hommage qui lui
eſt dû. La draperie légere qui couvre la
déeſſe laiſſe encore voir une partie des
charmes qui lui ont mérité le prix que lui
donne le berger Pâris. Pallas exprime le
dépit qu'elle a de cette préférence par un
ſigne menaçant ; & la ſuperbe Junon,déjà
montée ſur ſon char , cherche à ſe ſouftraire
aux yeux d'une rivale qui l'irrite.
On retrouve dans la gravure le pinceau
onctueux du peintre vénitien& la belle
harmonie qu'il ſçavoit donner à ſes tableaux.
La ſuite des eſtampesde la viede faint
Grégoire , dont nous avons déjà annoncé
les numéros 2 & 3 , eſt ſous preffe ; &
192 MERCURE DE FRANCE.
Lacombe , libraire , ſe propoſe d'ouvrir
une ſouſcription en faveur des amateurs.
qui defirent des épreuves choiſies .
III.
Troiſième & quatrième vues du Mein, deux
eſtampes en pendant d'environ 9 poucesde
haut fur 10 de large , gravées par
C. Guttemberg d'après les tableaux
originaux de F. E. Weiroter. A Paris ,
chez Wille , graveur du Roi , quai des
Auguſtins .
Cesjolies vues offrent des chaumieres,
pluſieurs barques ſur la riviere du Mein
&des lointains que M. Gottemberg a
rendus avec eſprit.
IV.
Maiſons de Pêcheurs à Saint Valery-fur-
Somme , & maiſons de Pécheurs à Abbeville
, deux eſtampes en pendant de
17 pouces de large ſur 12 de haut,gravées
parC. Levaſſeur , graveur du Roi,
d'après les tableaux de J. P. Hackert.
A Paris , chez l'auteur , rue des Mathurins
, vis- à- vis celle desMaçons.
Il y a une grande vérité de détails dans
ces
AVRII . 1770. 193
ces deux compoſitions , & la gravure en
eſt très-agréable & très-ſoignée.
M. Gautier Dagoty , fils deM. Gauthier
, anatomiſte penſionné du Roi , a
publié une eſtampe de ſa compoſition re .
préſentant Sa Majesté Louis XV qui , accompagné
de la Famille Royale , montre
à Mgr le Dauphin le médaillon de l'auguſte
Archiducheſſe ANTOINETTE. Се
médaillon eſt foutenu par l'Ambaſſadeur
de l'Empire. Cette compoſition , intéreſſante
par elle-même puiſqu'elle nous retrace
une union defirée , l'eſt encore par
les ſoins qu'a pris l'artiſte de tendre ſes
perſonnages reſſemblans. On lit au bas
ce vers latin:
Fædera , ſanguis , hymen nexu ſolidentur amori.
L'eſtampe a été gravée en maniere noire
par l'auteur lui - même , & a environ 30
poucesde long fur 24 de haut; prix 24liv .
On la diſtribue à Paris , chez l'auteur , rue
Ste Barbe ; Levie , marchand d'eſtampes,
rue St André des Arts ; Chevillon , rue
Croix des petits Champs; Chereau , aux
deux Piliers d'or , près la rue de Bourbon,
& à la boutique du Wauxhall , fauxbourg
St Germain.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
Six Sonates en trio pour deuxflûtes , ou
deux violons & violoncelle ; par Nicolas
Dothel , ordinaire de la chambre
de S. M. 1. OEuvre v1 .; prix 6 liv.
A Paris , chez M. Taillart l'aîné , rue
de la Monnoie , la premiere porte co-
⚫ chere à gauche en deſcendant du Pont
Neuf; chez M. Fabre , & aux adreſſes
ordinaires .
Ces fonates confirment la réputation
que M. Dothel s'eſt déjà faite par fes
précédentes compoſitions. Ses nouveaux
trio ſont dialogués avec goût. Ils ne peuvent
manquer de plaire à ceux qui préférent
aux difficultés d'une inuſique baroque
un chant agréable , varié & ſemé da
traits neufs . M. Taillart l'aîné , qui en eſt
l'éditeur , eſt un bon juge en cette partie,
&il profeffe lui - même la muſique inftrumentale
, la flûte traverſiere fur-tour ,
avec une ſupériorité qui , juſqu'ici , ne lui
a pas été conteſtée , & qui , vraiſemblablement
, ne le fera point.
:
AVRIL. 1770 . 195 I
Deux Concerto pour le clavecin ou le
Piano forte avec accompagnement ; le
premier de deux violons , deux hautbois,
alto &baffe continue , dédiés à Mde la
Vicomteſſe de Laval-Montmorency ; par
Mile Lechantre , oeuvre premier ; prix
9 liv. AParis, chez l'auteur , rue du Sé
pulcre , la porte cochere qui fait face à la
petite rue Taranne , & aux adreſſes ordinaires
de muſique.
Sixfonates pour le clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum ,
dédiéesà M. Ethis, commiſſaire des guerres
; par M. Tapray , maître de clavecin.
OEuvre premier; prix 9 livres. A Paris ,
chez l'auteur , rue Poiffonniere , dans la
maiſon du chandelier , & aux adreſſes ordinaires.
A Lyon , chez Caſtaut.
Ouvertures de Rofe & Colas , du Dé-
Jerteur, & ariette de la derniere piéce &
ſymphonie pour le clavecin ou le Fortepiano
, avec accompagnement de deux
violons & violoncelle , dédiées à Mde de
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Glatigny ; par M. Tapray. Prix 3 liv . aux
adreſſes ci -deſſus.
:
Airs détachés de Sylvain , mis en mufique
par M. Gretry ; prix 1 liv . 16f. A
Paris , au bureau d'abonnement de muſique
, cour de l'ancien grand Cerf , rue St
Denis & des Deux-Portes St Sauveur , &
aux adreſſes ordinaires. )
Six Quatuor pour deux violons , alto
&baffe qui peuvent être exécutés par un
grand orchestre , dédiés à M. de St Georges
, contrôleur des guerres ; par Carlo
Sramitz , fils du célèbre Stamitz , ordinaire
de la muſique de S. A. E. Palatine ;
oeuvre premier ; prix 9 liv. A Paris , au
bureaud'abonnement ci-deſſus indiqué.
1
197 AVRIL. 1770.
SALLE DE SPECTACLE.
:
ILL vient de me tomber ſous la main une petite
brochure qui a pour titre : Mémoirefur la conftruction
d'un théâtre pour la Comédie Françoise ,
avec un plan ; je l'ai lu avec plaiſir. Il est vraiſemblable
qu'un projet qui , en embelliffant une
ville, vivifie des quartiers peu fréquentés , doit
être accueilli , parce qu'il réunit l'utile à l'agréable;
on doit donc applaudir au choix de l'emplacement
de l'hôtel de Condé , par les avantages
qu'il procure , & que , par la ſuire , l'on pourroit
augmenter encore en traçant l'alignement de la
rue des Foflés de M. le Prince avec cellerde laComédie
, & celui qui prolongeroit le percé de la rue
Dauphine juſqu'à la rencontrede la rue de Tournon
; mais on doit , à plus juſte titre encore , des
éloges à l'architecte ſur la juſteſſe de ſon goût qui
lui a fait employer une diſpoſition heureuſe &
commode pour la comédie françoiſe. La principale
façade extérieure ſur un plan demi circulaire
annoncera à tout le monde le genre de l'édifice
quand même , dans les détails de la décoration ,
delaquelle il ne parle point dans ſon mémoire , il
auroit employé des arcades au rez de chauflée&
des croiſées dans la partie ſupérieure , ce qui ne
convient cependant qu'à une mailon d'habitation .
Les portiques ,qui l'environneront de toutes parts,
acheverontde le caractériſer ; enfin les deux paflages
pratiqués pour deſcendre à couvert des voitures
au pied des efcaliers , font réellement ane
,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
1
commodité néceflaire dans un climat tel que le
nôtre.
Je ſuis convaincu dès long- tems qu'il n'y a pas
d'autre parti à prendre dans la conſtruction de ces
édifices publics. J'ai entre les mains , depuis 9 ans ,
P'efquiffe d'un plan de théâtre deſtiné pour l'opéra
fur le terreinqui eft entre les galeries du louvre&
lecarouſel ; lamafle& les diſpoſitions extérieures
en fontprécisément les mêmes , les détails intérieurs
ne le font pass jen'en ferai point la comparaiſon
, parce que l'auteur du projet de théâtre
pour la comédie françoiſe eſt encore àportéede
fairedes changemens utiles ,&même néceflaires à
enjuger d'après ſes premieres indications.
M. Bugnietde Lyon , auteur du projet dontj'ai
l'eſquifle, eut l'honneur d'en préfenter , dans le
tems, les deffins àM. le Marquis de Marigny, avec
un exemplaire desgravures d'une priſonqu'ilavoit
précédemmentcompoſée. MM. Soufflot, Contant,
Luzzy, Rouflette , Boullée, & plufieurs autres
membres de l'académie d'architecture , ainſi qu'un
nombre d'élèves , connoiſſent ſon projet de théâtre.
Il ſeroit gravé fi des affaires de famille n'avoient
engagéM. Bugniet à quitter Paris pour retournerdans
ſa patrie. Deux planches commencées
ſont encore endépôt ici chez unde ſes amis ,
&ildevoityen avoir ſept. Je ne me diffimule pas
qu'il eſt poſſible que les idées d'un artiſte qui a fair
un long ſéjour à Rome , centre des grands monumens
, ſe rencontrent pour la compoſition d'un
théâtre avec celles deM. Bugniet , qui n'a pas encore
voyagé ; mais comme ce dernier n'eſt pas
inſtruitde la publicité du nouveau projet pour la
comédie françoiſe , voudriez vous bien, Monfieur,
inférer dans vos Journaux la réclamation que je
AVRIL. 1770. 199
vous adreſſe pour prendredate en ſon nom vis-àvis
du Public , au cas qu'il voulût faire achever les
gravures commencées.
SURBLED.
DeParis , le 20 Mars 1770 .
VERS adreffés à M. de Casanova ,
Peintre du Roi.
Le brûlant amour de lagloire
Aſouvent trop d'activité ;
S'il voit un libelle effronté ,
Soudain , de frayeur agité ,
Il lejuge diffamatoire.
Unjour on verra notre hiſtoire
Blâmer cette timidité
Dans ce vaſte génie , où la poſtérité
Trouvera tous les dons des filles de mémoire .
Il auroit dû rire avec nous
Des efforts d'un nain mercenaire-
Qui , n'atteignant que lesgenoux ,
Vouloit tous les dix jours le renverſer par terre.
Ceci ſoit dit auſſi pour vous ,
Beau Michel-Ange des batailles , *
*Ondonne ce nom à Cerquozzi , fameux basailliſte
, d'une figure & d'un eſprit aimables .
I iy
200 MERCURE DE FRANCE.
Laiflez tomber votre couroux ,
Et gardez vous des repréſailles .
Oui, je le ſais ; pour votre art délicat
La critique eſt un attentat ,
C'eſt le comble de l'injustice.
Qu'un pédant , triſte en ſes écrits ,
Diffâme Alzire& la noircifle ;
Alzire ira par- tout offrir aux yeux ſurpris
Ce qui la rend fi noble & fi touchante ,
Tandis que l'amateur jouit ſeul dans Patis
De votre tableau qui l'enchante :
N'importe. Il faut toujours ſe venger par des ris.
Pour les fleurs , dont votre parterre
Fait briller l'émail éclatant ,
Craignez vous l'inſecte ephemere
Qui naît & meurt dans un inſtant ?
Pourſuivez donc votre carriere ,
L'immortel Condé vous attend. ( 1 )
Condé , ce fier dieu de la guerre ,
Cegrand Condé qui , parmi nous,
(1) M. Caſanove eſt chargé parMgr le Prince
de Condé, de peindredeux des bataillesde fon
aïcul immortel .
AVRI L. 1770 . 201
Sous les traitsde fon fils reprend un nouvel être ,
Condé, que Friedberg a crû voir reparoître
En éprouvant la valeurde ſes coups.
Voilà pour vos talens ſans doute
Un aiguillon allez puiſſant. :
Du Bourguignon ( 1) ſuivez toujours la route ,
Et la critique en frémiſſant ,
Sera pour jamais en déroute.
L'Adage Eſpagnol l'a promis , (2)
* Fais bien , & compte fur l'envie ,
>> Fais mieux encore , &de ſes cris
>>Tu vaincras l'horrible furie. >>>
( 1 ) Jacques Courtois dit leBourguignon , fameux
peintre de bataille.
(2) Obra bieu , tendras embidiofos , obra mejor
yconfundir los as.
८
ない!
2
ParM. *
1
202 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas de l'estampe
de M. de Chevert.
IL ſçut , par ſes vaillans travaux ,
Devenir plus qu'un gentilhomme .
Son courage en fit un héros ,
Son coeur en fit un honnête homme.
Par M. de L. T. hôteldeCondé,
MORT de M. Macquer , Avocat.
Nous devons payer publiquement le triburde
nos regrets à la perte d'un homme de lettres avec
qui nous avons été long- tems unis par le rapport
délicieuxdes mêmes goûts , des mêmes ſentimens
&des mêmes occupations.
Philippe Macquer , avocat en parlement, étoit
néà Paris le 15 Février 1720. Il vécut toujours
avec Pierre - Joſeph Macquer ſon frere , ſavant
médecin & célèbre Chimiſte , de l'académie des
ſciences de Paris , de celles de Stockholm & de Turin
, &c. dans une intimité conftante , & telle
qu'il y en a peu d'exemple. Il étoit de même enzierement
dévoué à un très - petit nombre d'amis
avec leſquels ſeuls il aimoit à dépenser ſon tems.
Doué d'un eſprit actif & avide de connoiſſances
ayant un caractere patient , une ſenſibilité trèsAVRIL.
1770. 203
grande , beaucoup d'énergie dans l'ame , unedouceur
finguliere de moeurs , il y avoit toujours a
gagner pour l'eſprit& le coeur dans ſa ſociété. II
avoit le coup d'oeil de la ſagacité , la vivacité du
ſentiment , la délicateſſe du tact auxquels rien
n'échappe. Il faifiſſoit avec une promptitude& une
juſteſle fingulieres les queſtions les plus difficiles ;
il devinoit en quelque forte la ſolution des problêmes
les plus compliqués des ſciences mêmes
qu'il n'avoit pas cultivées ; il avoit la tête froide
&cettepatience de travail qui ne ſe fatiguepas de
l'étude & qui eft capable de pénétrer dans la profondeur
des connoiſſances les plus abſtraites.
L'habitude d'être avec un frere , habile Chimiſte
& excellent Phyſicien , l'avoit inſtruitde ces deux
ſciences;mais il s'eſt particulierement adonné à des
ouvrages propres à l'occuper , ſans trahir ſa modeſtie
naturelle. On lui doit l'abrégé chronologique
de l'hiſtoire eccléſiaſtique ,compoſé à l'imitationde
la méthode de M. le préſident Henault ,
qui a reçu tant d'éloges & si bien mérités , dont il
a le premier ſenti l'utilité & dont il a donné un
nouveau modèle à ſuivre . Ses annales romaines
faites fur ce plan , font rempliesde remarques &
de vues intéreſlantes ſur toutes les parties du gouvernement
, des moeurs & des lois des Romains ;
il a eu partà l'abrégé du même genre des hiſtoi .
res d'Elpagne & de Portugal , à une traduction en
françois du poëme latin de Fracaſtor ; il a revu ,
corrigé& perfectionné beaucoup d'ouvrages étendus
&importans auxqueis le public faitl'accueil
le plus favorable depuis qu'ils font imprimés &
dont pluſieurs ne le ſont pas encore. Il travailloit
àpluſieurs journaux , enrichis de ſes obſervations
&de les extraits faits avec beaucoup de goût&
de préciſion. Enfin il a conſacré ſa vie aux let
I vj
206 MERCURE DE FRANCE.
> punir mon neveu qui , ſe croyant fûr
>>de mon héritage , m'a manqué ſouvent
>>de la maniere la plus indigne. » Il avoit
donné fon argent comptant à ſa femme ,
& il ne laiſſoit à ſon héritier qu'un bien
à demi ruiné & preſqu'entierement engagé.
Une heure avant qu'il mourût , il
fir venir ſa jeune femme : Ma chere , lui
dit - il , accordez moi la demande que je
vais vousfaire , c'est la feule importunité
que vous recevrez de moi ; mais ne me refufezpas.
Safemme lui en donna fa parole
; il exigea un ferment , elle le fir. Je
veux , lui dit-il alors, que vous ne vous remariezpoint
à un vieillard après moi.
I V.
Charles Hulet , célèbre comédien Anglois
, avoit été mis en apprentiſſage chez
un libraire ; à force de lire des pièces de
théâtre , il prit du goût pour la comédie;
il apprenoit des rôles & les répétoit le
foir dans la boutique ; mais ces jeux alloient
toujours à la ruine de quelques
chaiſes qu'il mettoit à la place des perſonnages
des drames. Un foir il répétoit
le rôle d'Alexandre , il avoit pris une
grande chaiſe pour repréſenter Clytus ;
lorſqu'il en fut à l'endroit où le jeune
AVRI L. 1770. 207
monarque tue le vieux général , il frappa
un coup ſi violent fur cette chaiſe avec
un bâton qui lui ſervoitde javeline , que
le meuble qui repréſentoit Clytus , tomba
en piéces avec beaucoup de bruit ; le
libraire , ſa femme & ſes domeſtiques
étourdis du tapage , inquiets de ce qui
pouvoit l'avoir caufé , accoururent ; &
Hulet leur dit avec un grand ſens froid :
Ne vous effrayezpas ; ce n'est qu'Alexandre
qui vient de tuer Clytus.
V.
L'éducation angloiſe ſe trouve , pour
ainſi dire , noyée dans les auteurs claſſiques
; c'eſt un reproche qu'on lui fait depuis
long - tems ; le célèbre Bentley en
offre une preuve. Dans un voyage qu'il
fit en France , il alla voir la comteſſe de
Ferrers . Il trouva chez cette Dame une
compagnie très - nombreuſe , au milieu
de laquelle il fut ſi embarraſſe , qu'il ne
favoit quelle contenance tenir. Las de
cette fituation pénible , qu'il fentoit luimême,
il fe rerira ; dès qu'il fut forti , on
demanda à la comtefle ce que c'étoit que
cer homme qu'on trouvoit très-ridicule
& ſur lequel chacun diſoit fon mot. C'eft
208 MERCURE DE FRANCE.
un hommefi sçavant , répondit la comteffe
, qu'il peut vous dire en grec & en
hébreu ce que c'est qu'une chaise , mais qui
nefait pas s'enfervir.
DECLARATIONS , ARRÊTS , &c .
I.
DÉCLARATION du Roi , donnée à Versailles
le 9 Septembre 1769 , regiſtrée en la cour des
Monnoies. le 24 Janvier 1770 ; concernant le
commerce des ouvrages d'or & d'argent venant de
l'étranger.
I I.
T
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 13 Janvier
1770; qui proroge pour dix années , à compter
du premier Janvier 1768 , le payement des Quatre
ſous pour liv. en ſus du don gratuit ordinaire
du clergédu comté de Bourgogne.
III.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Janvier
1770; qui déclare héréditaires les maîtriſes ou
places de Barbiers- Perruquiers-Baigneurs & Etuviſtes
, établis dans les villes , bourgs & autres
lieux des duchés de Lorraine & de Bar , en payant
par ceux qui en ſont pourvus , la même finance
par doublement , que celle qu'ils peuvent avoir
payée.
AVRIL. 1770. 209
1
1
I V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Janvier
1770 ; qui ordonne la converfion des rentes de
tontines en rentes purement viageres.
V.
Arrêt du conſeil d'état duRoi, du 20 Janvier
1770; qui fixe la portion d'arrérages qui , quantà-
préſent &juſqu'à ce qu'il en ſoit autrement
ordonné , ſera employée dans les états du Roi ,
pour les rentes & effets qui ſe payent à la caifle des
arrérages par le Sr Blondel de Gagny.
VI.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Février
1770 ; qui ordonne la ſuſpenſion du payement
des reſcriptions ſur les recettes générales des finances
, & des affignations ſur les fermes généralesunies
, ferme des poſtes & autres revenus duRoi,
àcompter du premiers Mars 1770.
VII.
:
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 18 Février
1770 ; qui ſuſpend le payement des billets des fermes
générales - unies , qui écheront , à compter
dumois deMars 1770.
:
VIII.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Février 1770 , regiſtré en parlement ; portant que
:
210 MERCURE DE FRANCE.
ledenierde laconſtitution ſera & demeurera fixé,
àraiſon du denier vingt du capital.
1 Χ.
Edit du Roi , donné à Verfailles au mois de Février
1770 , regiſtré en parlement ; portant augmentation
de finance &de gages pour les officiers
de chancellerie.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de révrier
1770 , regiſtré en parlement ; portant créationde
ax millions quatre cens mille livresd'augmentation
de gages au denier vingt, à répartir ſur
les différens offices y déſignés.
X I.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de
Février 1770, regiſtré en parlement;portant augmentation
de finance &de gages des conſeillersſecrétaires
du Roi de la grande chancelleric.....
ΧΙΙ.
Edit du Roi , donnéà Verſailles au mois de
Février 1770 , regiſtré en parlement ; portant
créationde fix millions quatre cents mille livres
de rentes à quatre pour cent ſur les aides & gabelles.
ΧΙΙΙ .
Lettres-patentes du Roi , données à Verſailles
Le 17 Février 1770 , regiftrées en parlement ;
AVRIL. 1770. 21г
concernant la vérification des coutumes locales
&particulieres du comtéde Ponthieu &de la ville
d'Abbeville.
XIV.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 19 Février
$770 ; qui ordonne que , fans s'arrêter à l'arrêt
du parlementde Bordeaux , du 17 Janvier 1770 ,
il ſera libre à toutes perſonnes de vendre leurs
grains dans les provinces du Limoſin &de Périgord,
tantdans les greniers que dans les marchés
, en exécution de la déclaration du 25 Mai
1763 , & de l'édit du mois de Juillet 1764.
X V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 25 Février
1770 ; qui ordonne que les payemens de tous les
contrats& effets au porteur,qui reſtentà rembourfer
à la caifle des amortiſſemens , ne feront effectués
que dans le quartier de Janvier 1771 ; & qui
accorde aux propriétaires ou porteurs , le même
intérêt que celui dont ilsjouiſſoient ci-devant.
212 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
}
١٠
Aux Soufcripteurs du Dictionnaire de
la Nobleſſe de France .
PAR le Profpectus de la ſeconde édition du
Dictionnaire de la Nobleſſe , publié au mois d'Avril
de l'année derniere , on avoit promisde donner
lesdeux premiers volumes au commencement
de cette année 1770 ; mais la quantité de mémoires
de différentes familles nobles , furvenus depuis
l'annonce de ce Profpectus , & qui arrivent
encore tous les jours , a fait ſuſpendre l'impreffion
de cet ouvrage , par la néceſſité où s'eſt nouvé
l'auteur de travailler à ces nouveaux mémoires
, pourles placer dans leur ordre alphabétique.
Aujourd'hui tout délai cefle , & l'on va mettre
fous preſſe l'ouvrage ; la diligence y fera portée
de maniere que dans fix mois on ſera en état de
répondre aux engagemens contractés avec le public.
La premiere édition de cet ouvrage qui a paru
ſous le titre de Dictionnaire généalogique , héraldique
, historique & chronologique , en ſept volumes
in- 8 ". néceſſaire à toute la noblefle du royaume
, & même à celle des pays étrangers , ne doit
être regardée que comme un eſſai en ce genre.
Depuis ſa publication il a pris une telle confiftanse
que nous le regardons aujourd'hui comme un
AVRIL. 1770. 213
ouvrage de bibliothèque , de maniere que , pour
répondre aux intentions de pluſieurs perſonnes de
la plus grande conſidération , nous avons jugé
convenable de lui donner la forme de l'in- 4 °. au
lieu de celle in- 8° . ſuivant le Prospectus.
Dans ce changement de format, le public ne
perdra rien , parce qu'un volume in- 4° . équivaur
àdeux volumes in- 8°. Ainfi on donnera d'abord
un volume in-4° . , & les autres ſuivront fucceffivement.
Il n'y a riem de changé à la ſouſcription , & on
ſera encore à tems de ſouſcrire pendant le cours de
l'impreſſion du premier volume.
Chez l'auteur , rue St André des Arts , au coin
de celle des grands Auguſtins , près l'hôtel d'Hollande;
& chez la Veuve Ducheſne , libraire , ruc
St Jacques , au Temple du Goût.
Lacombe , libraire , fournira les exemplaires à
ceux qui ont ſouſcrit chez lui .
Lepremiervolume , qui ſera environ de quatrevingt-
dix à cent feuilles d'impreſſion , paroîtra au
plus tard aucommencement du mois d'Octob , prochain.
I I.
Manufacture royale de vaiſſelle de cuivre
doublé d'argent fin , par adhéſion parfaite
& fans aucune foudure ; établie à
Paris , à l'hôtel de Fére , rue Beaubourg
au Marais , avec privilége du Roi,
registré au parlement & à la cour des
monnoies.
214 MERCURE DE FRANCE.
L'établiſſement qu'on annonce au public, mé
rite , à plus d'un titre , ſon attention , ſa confiance
, on ofe même dire ſa reconnoiflance. Il est
fondé ſur une découverte précieuſe , laquelle préſente
deux objets bien effentiels; l'un, de ſegarantir
des dangers du verd-de-gris , & l'autre , un
moyen d'économie.
D'après cette découverte , on peut doubler le
cuivre avec l'argent fin , ou l'argent avec le cuivre
, en telle proportion d'épaiſſeur & de poids
que l'on veut ; c'est-à- dire , au tiers , au quart,au
cinquiéme & au ſixiéme d'argent fin ; & ces métaux
ainſi doublés & adhérés , ſont ſuſceptibles de
preſque toutes les formes , & de tous les uſages
auxquels on les employoit ſéparément.
Maisl'uſage le plus eſſentiel eſtde procurer au
publicdes uſtenſiles de cuiſine.
Une caſſerole doublée d'argent fin ne laiſflera
aucune inquiétude ſur le verd-de-gtis. Cette cafſcrole
, doublée dans une proportion ſolide &
convenable , coûtera les deux tiers moins qu'une
en argent au titre , & coûtera moins en dix années
qu'une cafferole de cuivre du même volume ,
dont, à la vérité , le premier achat n'eſt pas fi conſidérable
, mais qu'il faut étamer & renouveler
très-ſouvent; dépenſes ſucceſſives & continues ,
dont le total , au bout d'un certain tems , monte
plushaut que la valeur primitive d'une caſſerole
doubléed'argent , achetée à la manufacture royale.
Enfin , les caſſeroles doublées d'argent fin of.
friront encore , lorſqu'elles feront hors de ſervice
, en valeur , la même proportion d'argent dont
elles auront été doublées , ſur le pied de 56 liv.
le marc , àl'exception du déchet , qui ſera léger ,
AVRIL. 1770. 215
fi on a l'attention de n'employer , pour nétoyer
les caſſeroles , que l'eau de ſavon , ou le blanc
d'eſpagne en poudre impalpable , & que l'on évite
toutes matieres graveleuſes , telles que le ſablon ,
le grès , &c.
La jonction des deux métaux n'apportant aucunobſtacle
à leur malléabilité, ni aux différentes
formes qu'on peut donner ſéparément à chacun
d'eux , en formera , en appliquant l'argent fur le
cuivre , toute forte de vaiſlelle , flambeaux de
table , cafferiéres , theyéres , chocolatiéres , terrines
, pots-à-oil , plats , affiettes , pots à bouillon ,
néceſſaires , chandeliers , lampes & bénitiers d'églife,
&c. Et pour joindre la propreté à l'utilité,
toutes les ſurfaces en cuivre , ſoit à l'extérieur ,
ſoit dans l'intérieur , feront recouvertes d'un verni
imitant l'émail , qui ſera de la plus grandebeauté
, &qui réſiſtera àl'action du feu.
Onpeut de même en former des boutons d'habits,
des garnitures de harnois &d'équipages ,
des bas-reliefs , enfin tout ce qui peut fervir , foit
au beſoin , ſoit au pur agrément; & tous ces ouvrages
en argent ou en or feront infiniment plus
beaux&plus ſolides que ceux qui ne feront qu'argentés
oudorés.
Lespoſſefleurs du ſecret , pour s'aſſurer la confiance
du public , ont ſoumis , àdeux repriſes différentes
, leurprocédé à l'examen de MM. de l'Académie
des Sciences , qui ont donné en conféquence
l'approbation la plus authentique.
216 MERCURE DE FRANCE.
III.
Penfionnat .
Le Sr Rolin , qui a acheté le fonds de la penfion
de M l'Abbé Choquart , vient de faire imprimer
un Profpectus , où il développe en abrégé les
idées du plan de ſon nouvel établiſſement : il a
ſemé en quelques endroits des réflexions intéreſfantes
ſur le choix des perſonnes qui préſident à
l'éducation & fur l'eſprit de nouveauté qui ſe gliſſe
ſouvent dans une tâche auſſi importante.
Uninconvénient dangereux, dit- il , eſt celuid'adopter
ſans réflexion les nouveaux ſyſtêmes d'éducation.
Paroîtil unlivre ? il trouve ſes partiſans,&
malheureuſement plus il eſt mauvais en ſoi, plus il
faitfortune; trop préoccupé de la beauté du ftyle,
on s'étourdit ſur les principes. L'eſprit des hommes
, porté à la nouveauté , ſe laiſſe éblouir par
de longs paralogiſmes artiſtement cachés ſous le
coloris de l'éloquence, & de là tous les maux dont
on cherche la ſource .
** Un autre inconvénient , dit-il encore , s'oppoſe
aux fruits qu'on recueille d'une bonne éducation :
aujourd'hui on abandonne , ſans choix , les enfans
à des maîtres fans talens , & les parens , à
l'ombre d'une tranquille confiance , voyent croître
ainſi ſous leurs yeux les triſtes victimes de leur
crédulité. Cependant le tems vient où il faut fonger
à occuper une place digne de fon rang , on
fait déjà jouer tous les reſſorts de la politique pour
y parvenir ; on obtient une parole , le ſujet eſt
préſenté, & pour confirmer ſa honte , celle de fa
famille
AVRIL. 1770. 217
famille& de ceux qui ont veillé à ſon éducation ,
il eſt proclamé incapable de remplir aucune place
, &c.
On peut voir , plus au long , le précis des idées
du Sr Rolin dans un Profpectus qu'on trouvera
chez lui ; ou chez Guefher , imprimeur , au bas de
la rue de la Harpe , à la Liberté.
I V.
Vinaigres.
Le Sr Maille , vinaigrier - diſtillateur ordinaire
du Roi , reçu , après la mort du Sr Lecomte, comme
le ſeulen état de le remplacer chez le Roi ,
vient de perfectionner deux nouveaux vinaigres
de rouge , l'un clair & l'autre foncé , dont la qualité
coſimétique conſerve la peau , & lui donne
les plus belles couleurs que le ſang puifle produire
à tromper la vue. Ce rouge eſt d'autant plus
agréable qu'il ne coule point malgré la chaleur ,
&qu'on peut s'efluyer ſans qu'il difparoiffe ; il
s'emploie également pour les lévres & empêche
qu'elles ne gercent ; l'on peut coucher avec , &
peur ſe tranſporter par - tout fans crainte que le
tems puifle en altérer la qualité . Lorſqu'on veut
ôter ce vinaigre de rouge , on ſe ſert du vinaigre
de millepertuis ; la qualité balfamique de cette
leur conſerve le teint.
Le vinaigre romain , pour la conſervation de
la bouche , fe diftribue toujours avec les plus heureux
ſuccès. Ce vinaigre eſt ſpiritueux , pénétrant
, balfamique & antiſcorbutique , blanchit
les dents , arrête le progrès de la carie , empêche
1. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
qu'elles ne ſe déchauſſent& les raffermit dans leurs
alvéoles ; ſon uſage est très- utile pour les perſonnes
qui voyagent fur mer. L'on trouve dans ſon
magaſin toutes fortes de vinaigres , au nombre
dedeux cens fortes , foit pour la table , les bains
& la toilette , qui ſont vinaigre de ſtorax , qui
blanchit la peau & empêche qu'elle ne ride ; le
vinaigre d'écailles , pour les dartres; defleurs de
citrons , pour ôter les boutons ; de racines , pour
les taches de roufleur & maſque de couche ; de
turbie , qui guérit radicalement le mal de dent ;
de Séville, pour mouiller le tabac ; de Vénus, pour
les vapeurs ; deſcellitique , pour la voix ; vinaigre
royal , pour la piqûure des couſins ; le véritable
vinaigre des quatre voleurs , préſervatif de tout
air contagieux ; de cyprès , pour noirchir les cheveux
& ſourcils blans ou roux , & le parfait firep
de vinaigre. Les moindres bouteilles de vinaigre
de rouge en premiere nuance font de trois livres ,
jointeàcelle de millepertuis , & de 4 liv. en ſeconde
nuance; toutes les autres ſortes de vinaigres
énoncés ci-deſſus ſont de 3 liv . les moindres
bouteilles , & 2 liv. celle de firop de vinaigre.
La demeure du Sr Maille eſt rue St André des
Arts , la troifiéme porte cochere en entrant à droite
par le pont St Michel. Les perſonnes de province
qui defireront faire uſage de ces vinaigres ,
en remettant l'argent à la poſte , franc de port
ainſi que la lettre ; on leur fera tenir exactement
avec la façon de s'en ſervir .
AVRIL. 1770. 219
V.
Bagues contre la Goutte.
Le Sr Rouffel , demeurant à Paris , rue Jean de
l'Epine , chez le Sr Marin , grenetier près la Grêve,
donne avis au public qu'il débite avec permiſſion
des bagues , dont la propriété eſt de guérir
la goutte. Ces bagues , qu'il faut porter au
doigt annullaire , guériſſent les perſonnes qui ont
la goutte aux pieds & aux mains , & en peu de
tems celles qui en font moyennement attaquées.
Quant à celles qui en ſont fort affligées , elles doivent
les porter avant ou après l'attaque de la goutte
, & pour lors elle ne revient plus . En les portant
toujours au doigt , elles préſervent d'apoplexie&
de paralyfie. Pluſieurs princes , ſeigneurs
& Dames ont éré guéris de ce imal , & l'on en
donnera les noms lorſqu'il ſera néceſſaire . Le prix
de cesbagues,montées en or, eſt de 36 liv. & celles
en argent , de 24 liv.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 3 Janvier 1770 .
Le Grand Seigneur a envoyé à Parmée , le 18
du mois dernier , ſon écuyer avec soo , 000 dahlers
au lion, pour être diftribués aux Janiſſaires ; il
a auſſi fait partir pour cette armée 200 canonniers
& 20 ingénieurs, leſquels feront inceſſamment
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
.
ſuivis de pluſieurs autres & d'une grande quantité
de munitions de guerre.
Abdi Pacha eſt en marche , à la tête d'un corps
de troupes conſidérable , pour aller ravager la
Modalvie , dont les habitans ont été déclarés
rebelles.
Ibrahim Pacha eft parti pour raſſembler , le
plutôt poſſible , une puiſlante armée en Romelie
&enBulgarie.
D'Erzerum , dans la Turquie Asiatique ,
le 19 Novembre 1769 .
Legénéral Ruffe , Tottleben , étant entré , ily
aenviron quatre mois dans laGéorgie avec un
corps de près de 4mille hommes , tant infanterie
que cavalerie reglée, ily fut joint par le prince
Héraclius , à la tête de 15 milleGéorgiens : la
Porte alloit recevoir un terrible échec , fi le géné
wal an 1:
fche five Tuohrmande , mais marche
puannger tama
leprince Salomon ne voulut point ſejoindre à lui ,
cequi le détermina à venir affiéger Erivan d'où il
fut vigoureuſement repouílé par les afſfiégés julques
dans les montagnes intérieures de la Géorgie.
De Dantrick , le 24 Février 1770 .
Il ya eu un combat très-vifentre les Confédérés
& les Rufſes aux environs de Blonic , ceux - ci ſe
font retirés & ont brûlé le village de Gnatowie
&pluſieurs autres en continuant leur retraitejufqu'à
Blonic où ils ont occupé l'égliſe & la maiſon
des chanoines réguliers ; les confédérés ont fait
avancer deux piéces de canon. Les Ruſſes ſont
fortis l'épée à la main , mais la plupart d'entr'eux
ont été maflacrés.
AVRIL. 1770. 221
Le général Romanzow a écrit que le général
Podhoroczani , à la tête de 600 huſſards , a difſipé
, le 3 , un corps de Turcs de deux mille hommes
de cavalerie &de cinq cens d'infanterie. Le
4, les Turcs perdirent encore deux mille hommes,
6 canons de fonte , 2 drapeaux , 2 chariots chargés
de poudre. Le 14 , un corps de troupes Ottomanes
, de 15 à 20 mille hommes , a été battu près
deBuckareft , & la perte eſt, dit- on, confidérable ;
les Rufles n'ont eu que deux grenadiers bleſſés &
untué.
Du 21 Février.
On mande , par une lettre particuliere , que le
général Steffel a pris d'aflaut la citadelle de Breflaw
que défendoient les Turcs ; que ceux-ci ont
eudans cette occafion deux mille hommes , tant
tués que bleflés ; que trois mille autres ſe ſont jetés
dans des bateaux pour paſſer le Danube , mais
que la plupart de ces petits bâtimens ont été
détruits par l'artillerie ennemic ; que les Rufles
ont trouvé dans cette forterefle 150 canons & un
magaſin conſidérable. On a déjà reçu d'autres avis
depuis qui confirment cette nouvelle.
De Vienne , le 10 Février 1770 .
Ontravaille avec beaucoup d'activité aux prée
paratifs des camps que la cour ſe propoſe de former
, &dont le plus conſidérable aura lieu le premier
Août prochain aux environs d'Olschau &
durera juſqu'à la fin du même mois .
Suivant lejournal du voyage de l'Archiducheſſe
future Dauphine , cette Princeſſe ſera rendue le 16
Mai à Verſailles.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Du14 Février.
Les dernieres lettres de Conſtantinople continuent
d'annoncer qu'il n'y a aucune eſpérance de
voir rétablir de fitôt la paix entre la Porte & les
Ruffes.
Du 17 Février.
On prépare , dans des fauxbourgs de cette capitale,
un logement pour un ambaſſadeur de la
Porte , attendu_dans le courant du mois de Mai
prochain. On ignore le motif de ſa miſſion.
De Rome , le 21 Février 1770 .
On apprend que les Jéſuires du ſéminaire & des
écoles de Freſcati ont été expulfés par le cardinal
d'Yorck , en vertu d'un bref qu'il a obtenu du
Pape , & par lequel S. S. fupprime tous les privilégesque
ſes prédéceſſeurs ont accordés au général
de la fociété à l'occaſion de l'érection de ce féminaire
&de ces écoles.
De Londres , le 9 Mars 1770 .
La chambre des Communes ayant délibéré le 6
en comité , arrêta qu'il ſeroit néceſſaire de permettre
l'exportation de l'orge en grain ou en farine.
Le7,. il fut ordonné de porter un bill pour
permettre cette exportation.
Les agens descolonies ont expédié des exprès à
leurs commettans pour les informer de la rétolution
quela chambre des Communes a prife , les ,
de révoquer toutes les taxes en Amérique , à l'exception
de celle qui eſt établie ſur le thé.
AVRIL. 1770 . 223
Le 13 Mars 1770.
Les ambafladeurs de France & d'Eſpagne ont
déclaré de nouveau à notre miniſtere que leurs
ſouverains étoient conſtamment déterminés à éviter
tout ce qui pourroit altérer la bonne intelligence
qui ſubſiſte entre les cours reſpectives .
De Paris , le 12 Mars 1770.
Les nouvelles de Genève nous apprennent que
les bruits d'un complot formé par les natifs n'avoient
aucun fondement , & ce qui paroît le prouver
, c'eſt que les violences que les bourgeois ſe
font permiſes contre pluſieurs natifs n'ont été ſuivies
d'aucun mouvement de la part de ceux - ci ;
mais le conſeil général n'ayant pas jugé à - propos
de leur accorder les priviléges qu'ils réclamoient ,
lesnatifs en ontconçu tant de mécontentement &
tant d'animolité contre les bourgeois , que la plûpart
d'entr'eux ne voulant pas prêter le nouveau
ferment qu'on exigeoir d'eux , ont pris la réſolution
d'abandonner la ville.
LOTERIES.
Le cent dixiéme tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eſt fait, le 23 du mois dernier , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au No. 45784. Celui de vingt mille
livres , au Nº . 44637 , & les deux de dix mille
aux numéros 54908 & 56017 .
Le tirage de la loterie de l'école royale mili .
taire s'est fait les Mars. Les numéros ſortis de
la rouede fortune font , 22 , 82 , 1 , 3 , 62 .
224 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Joſeph -Marie-Carmelin- Henri de Bacza y Erzentelo
, marquis de Caſtromonte , Montemayor
yel Aguila , comte de Cantillana , chevalier de
l'ordre royal de St Janvier , grand d'Eſpagne de
la premiere claſſe , grand chancelier perpétuel du
confeil d'Hazienda , gentilhomme en exercice de
la chambre de S. M. Catholique & ambaſladeur
extraordinaire de S. M. Sicilienne auprès du Roi,
eſt mort à Paris le 22 Février 1770 , âgé de 72 ans.
Claude - Gustave - Eleonord Palatin de Dio ,
marquis de Montperrous , mourut à Châlons- fur-
Saône , le 30 Janv. âgé de 56 ans .
Claude - Alexandre de Pons , comte de Rennepont
, eſt mort en fon château de Roche en Champagne
, le 20 Février 1770 , âgé de so ans .
Robert Jannel , chevalier de l'ordre du Roi ,
intendant général des poſtes , couriers & relais de
France , eſt mort à Paris les de Mars 1770 , dans
la 87e année de fon âge.
Louis - François marquis de Beauveau-Tigni ,
grand ſénéchal du Maine , eſt mort le premier de
Mars 1770 , dans ſon château de la Treille , en
Anjou , âgé de 68 ans. Il avoit épousé Louiſe-
Marguerite le Sénéchal Carcado - Molac , foeur
aînée du marquis de Molac , maréchal des camps
& armées du Roi , de laquelle il n'a eu qu'un fils .
Charles de Grimaldi d'Antibes , évêque de Rho
dès , né à Vence , eſt mort , dans le mois de Mars,
4
AVRIL. 1770. 225
dans une petite ville de Provence , âgé de 65 ans.
Il avoit été nommé à cet évêché en 1746.
Marie - Antoinette de Matignon , épouſe de
Claude - Conſtant Juvenal de Harville , marquis
deTraiſnel , grand ſénéchal d'Ofterwar & lieutenant
- général des armées du Roi , eſt morte à
Paris , le 8 Mars 1770 , âgée de 45 ans .
Dame Marie-Magdeleine Françoiſe de Fiennes
le Carlier est décédée à Homblieres près St Quentin
en Picardie , le 17 de ce mois , âgée de près de
75 ans ; elle étoit veuve de René- François de la
Noue Vieuxpont , comte de Vair , capitaine au
régiment des Dragons de la Reine.
Il reſte de leur mariage , 1 °. Gabriel - François
de la Noue Vieuxpont , comte de Vair , colonelinſpecteur
des milices Gardes-Côtes de Bretagne.
2°. Guillaume Alexandre , vicaire général du
DeMeauxx , aabbéde St Severin . dincère
3 °. Jean-Marie , lieutenant- colonel d'infanterie
, capitaine aux Grenadiers de France.
4°. René - Joſeph , auſſi capitaine aux Grenadiers
de France.
Et Anne Marie- Claude, Damoiſelle de la Noue.
Elle étoit mere du chevalier de la Noue , capitaine
aide- major au régiment de cavalerie de Marcieu ,
tuéà la bataille de Minden le premier Août 1759 ,
&du comte de Vair , lieutenant- colonel d'infanterie
, commandant les Volontaires de l'armée , tué
près Wolfagen ,en Westphalie le 25 Juillet
1760.
2
226 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
ibid.
6
ibid.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
Vers ſur la traduction des georgiques ,
Vers à M. le comte de ... fur des rubans ,
Traduction de l'ode d'Horace , O Vénus !
Vers à Mlle Duplant , ſur ſon rôle d'Erinice , 7
Vers à M. de Belloy , fur Gaston & Bayard ,
L'Homme ſans jugement , proverbedramatique,
Vers à la Roſiere de Salency ,
Madrigal à une Dame ,
Autre à la même , ſur des vers faits à fa
louange,
Les quatre Saiſons en ariettes ,
Origine de bien de choſes , conte ,
La Roſe , Fable ,
8
IO
28
30
ibid.
34
34
48
Epigramme , 50
L'Ane & le Dindon , Fable , SI
AM. le comte de Puget , ſur ſon mariage , 52
Stances à Mile Henriette C *** , 53
Epigramme , 55.
Nahamir , ou la Providencejuſtifiée , conte , 56
Explication des Enigmes , 67
ENIGMES , ibid.
LOGOGRYPHES , 70
NOUVELLES LITTÉRAIRES, 75
Théâtre Eſpagnol ,
ibid.
Dialogue ſur le commerce des bleds , 83
Efiai ſur les moyens d'améliorer les études , 87
AVRIL. 1770 . 227
Calendrier des réglemens ,
Eloge de Pierre du Terrail ,
Diſcours ſur la queſtion de ſavoir lequel des
quatre ſujets ; ſavoir , le Commerçant , le
Cultivateur , le Militaire & le Sçavant ,
eſt le plus utile à l'état ,
Piéces de théâtre en vers & en profe ,
Nouvelle édition de Juſtin ,
Quintilien de l'inſtitution de l'Orateur ,
Principes de l'art du Tapiflier ,
Le début du chevalier de *** ,
Mémoires de l'académie de Dijon ,
89
१०
94
96
98
99
100
101
104
OEuvres choiſies de M de la Monnoye , 107
Traité hiſtorique du Jubilé , 112
Choix de poësies philoſophiques , 113
Eloge de Dumoulin , 117
Lettre à Mde la comteſſe Tation , 118
Etrennes du Parnafle , 120
La Girouette ou Sansfrein , 121
La Pogonotomie , ou l'art de ſe rafer, 124
Traité de l'uſure , 125
Nouveau traité des vapeurs , 126
Recherches ſur les maladies vénériennes , 127
Hiſtoire moderne des Chinois , &c .
129
Lettre ſur l'ouvrage de M. Baretti , 138
Abrégé de l'hiſtoire de France , en vers techniques
, 147
Traité de l'équilibre , 148
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Marchand de Smyrne , comédie , 150
Almanach des Muſes , 154
Lucrece , traduction avec des notes , 158
AnneBell , hiſtoire angloiſe , 163
Lettre de M. Bret , 164
SPECTACLES , Concert , 166
Opéra ,
Comédie françoile ,
Comédie italienne ,
AMde Roſambert , ſur ſon début ,
Vers à M. de la Harpe , ſur Melanie ,
ACADÉMIES ,
ARTS , Gravure ,
Muſique,
Salle de Spectacle ,
168
171
173
178
180
181
187
194
197
Vers à M. Caſanova , peintre du Roi ,
Vers pour le portrait de M. de Chevert ,
199
202
Mort de M. Macquer , avocat, ibid.
ANECDOTES , 204
Déclarations , Arrêts ,&c. 208 €
AVIS , 212
Nouvelles Politiques , 219
Loteries, 223
Morts, 224
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MERCURE
DE FRANCE ,
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ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
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Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
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Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
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enverront au Libraire ; on les nommera quand
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br. avecfig. 10.1.
Parallele de la condition & des facultés de
l'homme avec celles des animaux , in- 8º br. 2 1.
21. 101.
Premier &fecond Recueils philofophiques &
litt. br.
Le Temple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités ſur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch .
T
τ
61.
Traité de Tactique des Turcs , in - 8 °. br. 11. 10f.
Traduction des Satyres de Juvenal , par
M.Duſaulx , in- 8° , br. 61.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL . 1770 .
PIÉCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EXTRAIT du Printems , chant premier
V
du poëme des Saiſons ; imitation libre
de l'anglois de Thompson.
Invocation.
IENS , doux printems , embellir les côteaux
Viens ranimer la nature épuiſée :
Deſcends auſſi , bienfaiſante roſée ,
Et de tes pleurs baigne les arbriſſeaux .
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Sur ces lilas , fur cesgrouppes de roſes
Sont aflemblés les habitans des bois ;
Ils font déjà , fous les feuilles écloſes ,
Retentir l'air des éclats de leur voix.
Dédicace.
Otoi , qui joins les qualité du ſage
Aux agrémens , aux graces deVénus ,
Daigne , B *** , agréer un hommage
Quedoit ma muſe à tes rares vertus :
Daigne fixer la naïve peinture
De ta faiſon, dont je chante la loi ;
Soutiens mon vol , je t'offre la nature
Simple,fleurie , & belle comme tei.
Retour & premiers effets du Printems.
Aufond du Nord l'hiver ſe précipite ,
Et les autans , entraînés dans fa fuite ,
Ceſſent enfin de ravager les champs.
Zéphir s'empreſſe à déployer ſes aîles ,
Flore renaît dans ſes embraſſemens !
La neige fond &s'écoule en torrens ;
Les prés , les bois brillent de fleurs nouvelles ,
Et Pan ſourit à l'aſpect du printems.
Mais la ſaiſon eſt encore incertaine :
Le ſombre hiver retourne ſur ſes pas ;
Il livre Flore aux rigueurs des frimats ,
*:
AVRIL. 1770 . 7
Et l'aquilon fait ſentir ſon haleine.
Un voile épais cache le Dieu du jour ;
Le roſſignol interrompt ſon ramage
EtProgné craint d'avancer ſon retour.
Mais le ſoleil perce enfin le nuage
Qui paroiſloit immobile dans l'air :
De ſes liens le printems ſe dégage ,
Et dans ſon antre il enchaîne l'hiver .
Sémences de Mars.
Le laboureur , que l'eſpoir encourage ,
Forçant au joug ſon robuſte attelage ,
Parcourt ſon champ qu'il couvre de fillons ,
Ses ſoins remplis , un ſemeur ſe promène
Jetant par-tout les germes des moiſlons ;
La herſe ſuit & termine la ſcène .
Fais , Dieu puiſſant ! éclater ta bonté :
L'homme attend tout de ton bras tutélaire !
Vents , précurſeurs de la fertilité,
Répandez-la dans le ſein de la terre !
Pere du jour , découvre tes rayons ;
Roule ton char dans des flots de lumiere ,
Etde tes feux échauffe les fillons ?
Vous , qui vivez dansla molle indolence ,
Vous , que maîtriſe & fubjugue l'orgueil ,
Qui , dansle luxe & l'altiere opulence ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ne rencontrez qu'un dangereux écueil ,
De vos regards ce détail n'eſt pas digne ;
Grands , vous croiriez vous abaiſſer trop bas :
Virgile , avant de chanter les combats ,
Acélébré les troupeaux &la vigne.
Jadis les grands , les héros & les rois
De la charrue alloient dicter des loix :
Rougifloient-ils de cultiver leurs terres ?
Et vous , & vous , orgueilleux éphémeres ,
Vous qu'un inftant & fait naître & détruit ,
Vous dédaignez de ruſtiques chaumieres ,
Et rejetez la main qui vous nourrit !
Ovous , chez qui fleurit l'agriculture ,
Heureux François , préparez vos côteaux
Arecevoir les biens que la nature ,
Pleine de ſoins , deſtine à vos travaux !
OFrance ! ô toi , dont la gloire m'eſt chere ,
Que dans tes ports , des bouts de l'univers ,
Soient raſſemblés tous les tributs des iners L
Diſpenſe , accorde aux peuples de la terre
Le ſuperflu de tes riches guérets :
Du monde entier qu'on t'appelle la mère,¹
Et dans tous lieux regne par tes bienfaits !
Par M. Willemain d'Abancourt.
AVRIL. 1770.
L'ABSENCE DE VENUS ,
Allégorie à Mde de T ***.
LORORSSQQUUEE l'immortelle Cypris ,
Quittant les boſquets d'Idalie
Pour habiter les céleſtes lambris ,
Emmene les plaiſirs , les amours & les ris,
Et va , des mains d'Hébé , recevoir l'ambroiſie ,
Ses berceaux enchanteurs perdent tous leurs attraits
:
Son iſle eſt un déſert immense ;
Tout ſe reffent de ſa fatale abſence,
Et les ſombres ennuis habitent ſon palais.
De l'amoureuſe tourterelle
Onn'entend plus les doux roucoulemens ;
Sur latige en naiſſant périt la fleur nouvelle ,
Et l'hiver ſemble , au milieu du printems ,
Déchaîner ſa rage cruelle.
Ainſi languit Paphos , ainfi languit Paris
Quand vous allez briller à la cour de Louis :
On ne peut vous blâmer de plaire ;
C'eſt le droit de Vénus , ce droit vous eſt acquis
:
Av
8 MERCURE DE FRANCE.
Ne rencontrez qu'un dangereux écueil,
De vos regards ce détail n'est pas digne ;
Grands , vous croiriez vous abaiſſer trop bas :
Virgile, avant de chanter les combats ,
Acélébré les troupeaux &la vigne.
Jadis les grands , les héros & les rois
Dela charrue alloient dicter des loix :
Rougifloient-ils de cultiver leurs terres ?
Et vous , & vous , orgueilleux éphémeres ,
Vous qu'un inſtant & fait naître & détruit ,
Vous dédaignez de ruſtiques chaumieres ,
Et rejetez la main qui vous nourrit !
Ovous, chez qui fleurit l'agriculture ,
Heureux François , préparez vos côteaux
Arecevoir les biens que la nature ,
Pleine de ſoins , deſtine à vos travaux !
O France ! ô toi , dont la gloire m'eſt chere,
Que dans tes ports , des bouts de l'univers ,
Soient raſſemblés tous les tributs des iners L
Diſpenſe , accorde aux peuplesde la terre
Le ſuperflu de tes riches guérets :
Du monde entier qu'on t'appelle la mère,
Etdans tous lieux regne par tes bienfaits !
Par M. Willemain d'Abancourt.
AVRIL. 1770.
:
L'ABSENCE DE VENUS ,
Allégorie à Mde de T *** .
LORSQUE l'immortelle Cypris ,
Quittant les boſquets d'Idalie
Pour habiter les céleſtes lambris ,
Emmene les plaiſirs , les amours & les ris ,
Et va , des mains d'Hébé , recevoir l'ambroiſie ,
Ses berceaux enchanteurs perdent tous leurs attraits
:
Son iſle eſt un déſert immense ;
Tout ſe reffent de ſa fatale abſence ,
Et les ſombres ennuis habitent ſon palais .
De l'anioureuſe tourterelle
Onn'entend plus les doux roucoulemens ;
Sur ſa tige en naiſſant périt la fleur nouvelle ,
Et l'hiver ſemble , au milieu du printems ,
Déchaîner ſa rage cruelle.
Ainſi languit Paphos , ainſi languit Paris
Quandvous allez briller à la cour de Louis :
On ne peut vous blâmer de plaire ;
C'eſt le droit de Vénus, ce droit vous eſt acquis
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais après une abſence à nos voeux trop contraire
,
Jugez , belle &jeune Doris ,
Si le retour est néceſſaire.
Par le même.
VERS à un ami , pour le jour desa fête.
Avecdes ſentimens peut-être moins finceres ,
D'autres , pour ton bouquet , feroient plus de
fracas :
Sije ne puis t'offrir que des fleurs paſſageres,
Mon amitié du moins ne leur reſſemblepas.
Parle même.
L'AMOUR & LA MORT. Fable.
L'Amourjadis s'égara dans un bois ,
Lorſquela nuit , endéploiant ſes voiles ,
De la finiftre Orfraye encourageoit la voix ,
Etqu'elle ouvroit fa carriere aux étoiles.
Toutdieu qu'il eſt , l'Amour est bientôt las,
Il l'étoit donc : il voit une caverne
AVRIL. 1770. 11
Propre à ſervir de retraite à Laverne. *
N'importe. Il y traîne ſes pas.
Et Laverne & l'amour ont des rapports enſemble,
Il craint peu de la rencontrer ;
Sidans ce lieu le haſard les raſſemble ,
Ils ont ànos dépens des tours à ſe montrer.
Il entre , mais dans la tanniere
Où ce dieu ſe couche & s'endort ,
Pour un inſtant dormoit auſſi la mort.
Bourreaux , aſlaſſins , gens de guerre
Et médecins dormoient ſans doute auſſi :
Quoi qu'il en ſoit , cette rencontre- ci
Fut hélas trop meurtriere.
De nos deux divinités ,
Les traits aux haſard jetés ,
Sontmêlés ſur la pouſſiére .
Or, tout-à-coup des vents fougueux ,
Dans les entrailles de la terre ,
Par leurs élans impétueux
Se faiſant une horrible guerre ,
Agitent notre globe & l'auroient renverſe;
*Déefle des Voleurs.
Avj 1
12 MERCURE DE FRANCE.
Si l'effort vigoureux d'un ſouffle trop preſlé
De leur priſon n'eût rompu la barriere.
Notre couple dormeur s'éveille avec effroi ,
Se leve , & fuit , en ramaſſant des armes
Que forgea le deſtin pour diverſes alarmes ,
Mais que chacun penſe être à ſoi :
Oh , de leurs traits mélange déplorable !
La mort en eutquelques-uns de l'amour ,
L'Amour, du monſtre impitoyable
En ſaiſit plus d'un à ſon tour :
Et c'eſt delà que, ſans être coupable ,
En bleſſant un jeune homme il lui ravit lejour,
Tandis qu'on voit la mort comme l'amour trom
pée ;
Dans le coeur glacéd'un vieillard
Imprudemment lancer un dard
Dont ſon ame autrefois pouvoit être frappée ,
Mais qui vient l'atteindre trop tard.
Sur ma tête qui grifonne
Je vois tomber mon automne.
mort !tu vasbientôt lever les yeux ſur moi,
Le ridicule eſt mon plus grand effroi ,
Ettes rigueurs n'ont rien dont je m'étonne
AVRIL.
1770. 13
Frappe, mais queton trait ſoit ſûrement à toi ,
C'eſt le ſeul que je te pardonne.
Par M. B...
STANCES à une Receveuſe des
Loteries.
FAVORITE du fort , prêtreſſe de ſon temple ,
Belle d'Hanonville , dis moi
De quel oeil ta raiſon contemple
Ceux que l'eſpoirdu gain fait accourir chez toi.
Tandis que de nos voeux la fortune ſe joue
Tu l'applaudis d'un air malin & fatisfait ,
Tu dors au branle de ſa roue ,
Tu ris des maux qu'elle nous fait.
Pour former l'heureux aſſemblage
Des.nombres proclamés par la voix du deſtin
Onte voit , la plume à la main ,
Aſſiſter à chaque tirage.
Tu peux , mieux que nos beaux eſprits,
Intéreſſer toute la ville
MERCURE DE FRANCE.
On faitdu moins que tes écrits
Ne contiennent riend'inutile.
Tu verras mon zèle empreſſé
Porter chez toi plus d'une miſe ,
Je veux prendre pour ma deviſe :
Vivent les traits qui m'ontbleſſé.
On en croit tes conſeils , & ſoudain on s'enivre
De ladouceurd'un fol eſpoir ,
Mais cequ'on peut perdre à les ſuivre ,
Vaut-il ce qu'ongagne à te voir ?
Tufais ſur le ſort même étendre ton empire ,
Ilmet toute ſa gloire à te faire du bien ,
Un dieu charmé de ton ſourire
Peut- il te refuſer le ſien ?
La chance à tes cliens devient- elle propice,
Lagaïté ſur ton front ſemble s'épanouïr
Tant de riches ducats n'ont rien qui t'éblouifle,
Tu les comptes ſans en jouïr.
Tes tréſors ſont d'une autre eſpéce ,
Mille charmes en toi ſont faits pour nous tenter ;
AVRIL. 1770. 15
Le tendre amour dans ſon ivreſſe
Enjouïroit ſans les compter.
De labeauté la plus exquiſe
Il a pris ſoinde te doter ,
Je connois plus d'une marquiſe
Qui , de ton lot, pourroit ſe contenter.
Sansdoute la fortune eſt belle ;
Maisde mille rivaux elle remplit lesvoeux,
Ne fois pas aveugle comme elle ,
Parmi les afpirans un ſeul doit être heureux.
Par M. de la Louptiere.
JE
ZAMAN. Hiſtoire orientale.
E ne fais rien de mon origine , &le
lecteur peut prendre àcet égard le parti
que j'ai toujours pris ; c'eſt de s'en peu
foucier . Souvent un eſclave (dit le poëte )
mérite plus d'eſtime que le noble qui n'a
pour lui que cetitre.
Peut- être ma naiſſance fut-elle le ſecret
du calender qui m'éleva dans les
16 MERCURE DE FRANCE.
plaines de Diarbek * . Abandonné fur les
bords du Tigre ** ; je dus la vie à ſon
humanité : voilà ſur ce point tout ce que
j'ai appris de Tachel , dont j'ai partagé la
retraite pendant ma premiere jeuneſſe.
Il chercha toujours à me perfuader
qu'une piété ſupérieure l'avoit ſeule conſacré
au genre de vie qu'il avoit embraffé :
mais fes diſcours fréquens ſur le menfonge
& fur la calomnie dont il ſe diſoit la
victime , m'ont fait ſoupçonner qu'un peu
d'humeur avoit auſſi quelque part à fa
vocation : d'ailleurs , il haïffoit les hommes
, & n'obſervoit pas le jeûne du Ramazan
, quoiqu'il fût par coeur tout le livre
faint.
Parmi les fingularités que j'obſervois
en lui , celle qui m'a conduit dans le cachot
où je languis , étoit la plus conſidérable
; mais elle a mérité long-tems mes
refpects .
Le mot de vérité ſe liſoit par-tout en
gros caracteres fur les murs de ſon habi-
(1 ) Ville de la Turquie Aſiatique , de la prov.
dumême nom , arroſée par le Tigre.
(2) Fleuve conſidérable d'Aſie , qui ſe jette avec
l'Euphrate dans le golfe de Baflora.
AVRIL. 1770. 17
:
tation . Ce mot étoit ſans celle dans ſa
bouche , & ce fut le premier qu'il m'apprit
à prononcer. Ses inſtructions ſe bornerent
preſque toutes à m'inſpiter la haine
la plus forte du menſonge & l'amour
le plus vifde la vertu qui lui eſt oppoſée .
Aucune conſidération , aucun intérêt
(me diſoit- il) ne doivent te porter à la
diffimulation . Il faut être vrai , mon cher
Zaman , dût- il t'en coûter la vie. J'imagine
depuis fort peu de jours que le chagrin
Calender , né foible & n'ofant dire
aux hommes les vérités qui ne leur auroient
pas plû , me deſtinoit à le venger
de ſa timidité & du mal qu'ils lui avoient
fait.
Il me conduiſoit ſouvent au haut des
lieux les plus élevés , pour y voir naître
cet aſtre ſi reſpecté du Parſis vagabond * ,
ceglobede lumiere qui paroît preſque tonjours
dans l'éclat le plus pur aux champs
de la Syrie. Mon fils (s'écrioit - il) leve
tes yeux éblouis , admire , & fais toi l'image
de l'ame d'un mortel à qui la vérité
eſt précieuſfe. Si la tienne abhorre
T (1) Les Parſis ou Guebres , ſans aucune habitation
fixe en Perſe , comme les Juifs parmi nous ,
adorent toujours le ſoleil.
18 MERCURE DE FRANCE.
l'impoſture , elle ſera brillante aux yeux
de l'Eternel comme ce centre de feux
dontildirige les mouvemens& la courſe;
&qu'il a revêtu de ſa ſplendeur.
La limpidité d'un ruiſſeau ſervoit une
autre fois d'emblême à ſes leçons . Ce duvet
précieux qui pare les dons de l'automne&
que le tact le plus léger peut détruire
, la fraîcheur ſi corruptible de la
roſe , tout étoit pour lui l'image de la
vérité.
Le dard vénimeux du reptile , l'haleine
empeſtée des vents deſtructeurs étoient au
contraire les figures ſous leſquelles il me
peignoit le menfonge ; & bientôr je
conçus pour ce vice une haine dont il fe
félicitoit de voir les progrès.
C'eſt ainſi (diſoit- il) que la ſemence
des végétaux parfumés d'Aden * , repandue
fur une terre féconde &préparée, les
rendra plus odorans encore. Trifte illufion
du Calender ! il ne recueillit de cette
ſemence que la mort , & moi que l'infortune
qui m'accable.
Je fortois àpeine de l'adoleſcence lorfqu'un
jour , dans un jardin où nous allions
chercher des fruits , nous nous en-
(1) Villeconfidérable de l'Arabic Heureufc.
AVRIL. 1770. 19
tretinmes dequelques nouvelles injuftices
du pacha du pays. Le zélé Tachel , onbliant
qu'on n'eſt jamais ſeul ſous la tyrannie
, élevoit les mains au Ciel & le
dévouoit faintement à la colere du Très-
Haut. Son enthouſiaſme palloit aifément
dans mon ame & j'eus grande part aux
malédictions dont nous chargeâmes Albuſſar,
c'étoit le nomdu gouverneur .
Le lendemain , tranquille au fond de la
paiſible demeure de Tachel , j'allujetiffois
le flexible ofier à des contours utiles ,
lorſque je vis entrer avec impétuofité le
barbare Albuſfar.
Les yeux fulminans & le cimeterre à la
main , il s'avance vers le Calender , & lui
dit qu'il fait qu'hier , dans tel enclos , à
telle heure , il s'eſt permis des imprécations
contre lui ,& qu'un paſteur l'a entendu
prononcer ces mots: Seigneur , obfeurcisfon
teint , quefa tigefoit coupée ,&
queson sangse répande comme un ruisfean.
Tachel , effraïé de l'air menaçant d'Al.
buſſar , perd de vue tout- à- couples grandes
leçons qu'il m'avoit données fur la
vérité;&craignant pour ſa vie,il répond ,
avec autant de lâcheté que d'adreſſe , que
ledélateur s'étoit mépris; que , ſe repo
20 MERCURE DE FRANCE.
fant ſous une treille où il conſidéroit avec
moi des grapes de raiſin , loin encore d'être
cueillies , il avoit ſouhaité qu'elles
devinſſent bientôt mûres , qu'on les coupât
& qu'on en fit du vin ; & que fans
doute les expreſſions métaphoriques dont
il s'étoit ſervi , avoient été mal-à propos
appliquées à ſa Grandeur.
Albuſſar , étonné de cette réponſe , me
voit fourire ; il me prend par la main,&
me demande s'il doit en croire le Calender.
Non , ( lui dis je avec fermeté ) non ,
Tachel te trompe , je fus témoin des imprécations
dont tu l'accuſes; c'eſt toi qui
en étois l'objet; c'eſt ſur toi que nous
voulions attirer les malédictions du Ciel.
Apeine avois-je articulé ces mots , la
main féroce d'Albuſſar avoit fait rouler la
tête de Tachel à mes pieds .
Moins effraïé qu'indigné de ce ſpectacle
, j'offrois la mienne aux fureurs du
tyran. Jeune homme, ( me dit il ) pourquoi
mépriſes - tu la mort ?-Parce que
je mépriſe encore plus le menfonge , je
ne puis t'abuſer ; Tachel m'apprit à te
haïr ainſi que l'impoſture : je fus auffi coupable
que lui dans le jardin où ton eſpion
nous entendit hier. -Et pourquoi me
hais- tu ? -Parce que ta cour eſt celle des
AVRIL. 1770. 2 1
mechans , & parce que tu es un méchant
toi-même.
Les gens de la ſuite du pacha alloient
fondre fur moi. Albuſſar les arrête. Refpectez
ſa vie ( dit- il. ) Le courage avec lequel
il confeſſe la vérité me le rend précieux.
Qu'il me ſuive à ma cour , je veux
m'en faire aimer. Quel eſt ton nom ? (me
dit- il) Zaman , ( répondis-je.) Viens Zaman
( ajouta - t'il. ) Albuſſar devient ton
protecteur ; mais fois toujours vrai , ſi tu
trahis la vérité , puiſſe ton fort être celui
deTachel !
Me voilà donc parmi des gens bien
éloignés de ma haine pour le menſonge , ..
au milieu des courtiſans & des flatteurs
d'Albuffar qui , lui-même n'en aimoit pas
mieux la vérité , malgré ce qu'il venoit de
faire en ma faveur .
Occupé du premier événement un peu
conſidérable de mon hiſtoire , je me difois
, il eſt fort bon de dire la vérité. Le
menſonge de Tachel lui a coûté la vie ;
mon courage a ſauvé la mienne. Ainſi je
m'affermiſfois dans les principes que m'avoit
inſpirés leCalender , & qu'il avoit &
mal ſuivis lui- même
Le pacha , toujours cruel , toujours injuſte
, s'amuſa de ma franchiſe &de ma
22 MERCURE DE FRANCE.
fincérité qu'il trouva inébranlable même
àſes propres dépens. La rareré de mon
caractere en étoit le ſeul mérite auprès de
lui ; c'eſt ainſi qu'un grand peut, dans ſa
ménagerie , entretenir avec foin un animal
étranger & redoutable , par la ſeule
raiſon qu'il n'eſt pasaiſé de s'en procurer
depareils.
,
Un jour que je m'étois expliqué avec
lui ſur le compte d'un de ſes flatteurs &
que je lui avois démontré que ce favori
ne confultoit que fon propre intérêt dans
toutes les chofes qu'il lui faisoit faire
j'allai me promener ſur le ſoir ſans me
faire accompagner. Apeine la nuit defcendoit-
elle ſur l'horifon, deux eunuques,
un bâton à leur main , m'environnent &
tombent ſur moi en me faluant de la part
du favori que j'avois peint le matin avec
tant de naïveté.
J'eus beaucoup de peine à regagner l'e
palais d'Albuſſar , à qui j'appris letraite
ment indigne qu'on m'avoit fait. Il jura
de me venger ; & en effet le cordon fatal
ayant terminé les jours du Satrape , j'appris
que mon protecteur me donneit ſes
places & qu'il partageoit avec moi la confiſcation
de ſa fortune.
Mes douleurs furent vives pendant plaAVRIL
. 1770. 23
heurs jours ; mais mon élévation & mes
richeſſes me les firent bientôt oublier ſans
qu'il me vint une ſeule fois dans la tête
que j'avois déjà coûté la vie , en très-peu
de tems , à deux perſonnes ; que la mienne
avoit deux fois couru de grands rifques
, &qu'en dernier lieu fur-tout j'avois
été fort heureux que le bras de deux
eunuques fût moins robuſte que celui de
tout autre eſclave qu'on auroit pu choifir
; enſorte que je continuai , ſous le
bon plaifir d'Albuſſar , à répandre la vérité
dans l'aſyle du menfonge.
L'orgueilleuſe inutilité des poëtes , la
dangereuſe charlatanerie des médecins ,
tout fourniſſoit une ample matiere à mes
obſervations. Albuſſar en rioit ſeul , mais
n'en profitoit pas.
,
De tous les ennemis que je me faifois
chaque jour , les poëtes me parurent les
plus incommodes. Les ténébres de ma
naiffance , ma taille qui étoit un peu au-
*deſſous du médiocre mon nez qui ne
deſſinoit pas fur mon viſage une ligne
exactement droite , & fur-tout ſes maudits
coups de bâton dont j'avois été regalé
ſur les bords du Tigre , étoient le
fonds inépuiſable de mauvaiſes plaiſanteries
rimées qui me ſuivoient par-tout.
24 MERCURE DE FRANCE .
Le retour périodique des gazels * infolens
me fatiguoit plus que je ne puis le
dire . Un voyageur , dans les ſables de la
Libye , eſt moins occupé du danger d'être
apperçu par quelque lion dévorant ou de
celui de tomber entre les mains d'une
troupe de brigands , que du ſoin continuel
de ſe défendre de la piqûre des inſectes
bourdonnans qui l'accompagnent.
Actuellement que le malheur me fait
réfléchir un peu plus ſenſément ſur le rôle
que je jouois à la cour d'Albuſſar , il me
paroît affez fingulier que je me fuſſe arrogé
le droit dedire des vérités dures aux
dépens de qui il appartiendroit , & que
jene puſſe pardonner aux gens qui remarquoient
que mon nez n'étoit pas auffi
droit que celui d'un autre , ce qui étoit
pourtant évidemment démontré.
J'en eus , je crois , un peu plus d'humeur
& mes vérités en devinrent un peu
plus acres. Je ne fis pas même grace à la
beauté quand elle eut à paſſer par macri.
tique.
Sélina m'avoit plu , &mon raviſſement
fut inexprimable lorſqu'elle daigna faire
tomber à mes yeux le voile qui me ca-
*Gazel , eſpéce de poëme arabe.
choit
AVRIL. 1770. 25
choit ſes charmes. Des treſſes argentées
qui ſe jouoient avec grace ſur ſon ſein ,
prêtoient le plus vif éclat aux lis & aux
roſes de ſa peau ; mais Sélina étoit unpeu
boiteuſe en dépit de toutes les peines
qu'elle prenoit pour ne le point paroître.
Je l'adorai en defirant quelquefois ,
pour la rendre parfaite , qu'elle n'eût pas
la jambe droite plus courte que l'autre : la
charmante Sélina m'eût alors paru digne
de marcher à la tête du choeur des houris
éternelles.
Malheureuſement pourmoi elle croyoit
en impoſer à tous les yeux , & bien loin
de ſoupçonnerque ſon défaut pût être apperçu
, elle ſe piquoit d'un vif amour
pour la danſe. J'oſai lui dire unjour que
cet exercice découvroit encore plus le tort
qu'avoit eu la nature avec elle: ſon indignation
fut la récompenſe d'un avis que
je croyois lui devoir pour ſon intérêt
même.
J'étois aimé , je l'euſſe aimée plus boiteuſe
encore ; je lui devins odieux. Que
d'efforts ne fis-je point pour me fairepardonner
mon crime ! elle fut inexorable ,
&m'accabla des mépris les plus forts. Vil
inſenſé ! ( m'écrivit elle , en mejurantque
ledernierde mes eſclaves lui plairoit plus
II Vol. B
•
26 MERCURE DE FRANCE.
que moi ) un instant de faveur i'éblouit
redoutes en le terme. Ignores-tu qu' Albuf
far ne te souffre àja cour que comme une
espèce de fou qui l'amuse , mais qu'il peut
abandonner bientôt à la vengeance publique?
Oh! oh ! ( me dis- je à la lecture de ce
billet) les femmes reçoivent allez malla
vérité ; ce n'eſt donc pas à elles qu'il faut
la dire ; Tachel auroit bien dû m'en avertir.
Je fouffris bien moins des invectives
de Sélina que de la perte de ſon coeur.
Long tems mon ame fut déchirée, &plus
d'une fois je me furpris à ſoupirer , en difant
que je ne l'aimois plus. Heureux , fi
la réflexion que j'avois faite ſur le peu de
goût des femmes pour la franchiſe , m'avoir
garanti du nouvel écueil où me fit
tomber le funeſte caractere que m'avoit
formé Tachel.
Albuſfar avoit , au nombre de ſes eſclaves
favorites , deux femmes qui ſe diſputoient,
non pas l'empire de la beauté, mais
celui de l'eſprir , parce que le gouverneur,
tout cruel qu'il étoit, avoit l'orgueil de
dédaigner une eſclave qui n'étoit que
belle. Son indéciſion, entre ſes favorites,
étoit une preuve qu'il ſe connoiſſoit peu
AVRIL. 1770. 27
an ſujet de la querelle , auſſi voulut- il que
mon jugement terminât leurs débats. Je
vis donc pluſieurs fois Zédine & Fakeric,
c'étoient les noms des deux eſclaves.
La derniere , avec aufli peu d'idées que
la plupart des poëtes du Diarbek , avoit ,
comme eux , l'incommode facilité d'arranger
des mots rimés à chaque déſinence.
Elleavoit,comme eux, le plusgrandreſpect
pour ce petit talent , &, comme eux , elle.
me parut peu foutenable lorſqu'elle ne
parloit pas d'elle - même , ou des quinze
différentes façons d'empriſonner la penſée
de Merlana Giami ( 1 ) oude Sawly(2).
Pour Zédine , je lui trouvai de plus hau
tes prétentions , mais bien autant deridicules
. Elle croyoit avec Jbn abbas ( 3 ) que
les fix jours de la création étoient chacun
de 1000 ans. Elle connoiſſoit la longueur
&la largeur des ſept paradisdu prophête ;
elle m'aſſura qu'elle étoit de 4383000
lieues. Elle me deſſina la figure du jeh-
:
(1) Poëte Perſan , auteur du Bahariſtan .
(2) Poëte Arabe fameux.
(3 ) Célèbre interprêre de l'alcoran , mort l'an
67 de l'hégire. C'eſt d'après fon idée qu'étoit ve
nue l'opinion que le monde ne dévoitdurer que fix
mille ans,
Bij )
28 MERCURE DE FRANCE.
mout , énorme poiſſon , ſoutien de l'eſcar
bot, qui porte le boeuf de 4000 pieds , fur
lequel eſt la pierre de ſaphir , qui ſert de
marchepied à l'ange qui ſupporte les cieux
& la terre. Haffan El Bafry ( 1 ) n'avoit
pas mieux ſu qu'elle le nom du génie qui
aſoin des nuages&des pluies. Il habite
(me diſoit - elle avec confiance ) le premier
ciel de la fumée ; car c'eſt de fumée
que l'Eternel compoſa les ſept étages des
ſept cieux ( 2) .
J'eus beaucoup de peine à ne pas éclater
lorſqu'elle m'étala ſa doctrine ſur les
Hirz, (3 ) dont elle ſavoit tous les ſecrets.
Enfin Zédine me parut avoir parcouru la
chaîne de toutes les rêveries humaines
pour s'en faire un étalage d'érudition faftidieuſe
& pédanteſque qui me ſembloit
détruire tout cequ'elle avoitde charmes.
Albuſſar, curieuxd'apprendre à laquelle
des deux j'avois donné la préférence , interrogea
bientôt ma ſincérité , &je n'héfitai
pas de lui dire que l'une & l'autre
(1) Haffan El-Bafry , premier ſcholaſtique des
Musulmans , allaité, pendant l'abſence de ſa mere,
par une des femmes du prophéte.
(2) Toutes ces rêveries ſe trouvent dans différens
ouvrages arabes.
(3) Les Hirz, les Amulettes.
AVRIL. 1770 . 29
étoient faites pour lui plaire par les graces
de la figure , mais que je n'avois point
remarqué d'eſprit à tout ce que j'avois entendu
, & qu'il devoit leur conſeiller
d'employer tantd'émulation àdevenir des
femmes aimables , au lieu d'être l'une un
rimeur infipide , & l'autre un ennuyeux
pédant.
Lemalin pacha ne laiſſa pas ignorer ma
déciſion aux deux rivales qui, réunies pour
ma perte , ſe vengerent de moi comme
on va le voir.
Arrêté par des hommes robuſtes qui me
fermerent la bouche , je me vis un jour
porré & attaché ſur le dos d'un chameau
d'où je ne pus defcendre qu'au bout de
deux jours aux conditions de ſuivre docilement
la caravane à laquelle j'avois été
livré , & qui faisoit route pour Bafra fur
le golphe Perſique.
J'avois tout promis,&quelques regrets
que je fentifle de perdre le poſte & la fortune
que je tenois d'Albuſſar , je parvins
àm'éloigner ſans peine d'un pays où j'avois
été en fort peu de tems chanſonné
cruellement , abandonné barbarement par
Sélina , hai univerſellement , bâtonné ,
comme le lecteur l'a vu , & toujours en
danger de perdre la vie auprès du plus ca-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pricieux & du plus inhumain des gouver
neurs qui , fans doute déjà las de moi, m'avoitlivré
au courrouxde ſes deux femmes.
Malheureuſement mes conducteurs n'ézoient
pas payés pour me mener juſqu'à
•Bafra; car m'ayant vuune nuitplongé dans
un fommeil profond , ils prirent ce moment
pour continuer ſans moi leur chemin
; enforte qu'à mon réveil je me trouvai
ſeuldans les horreurs d'une immenfe
forêt, avec des provifions très légeres que
j'apperçus à mes côtés & que je devois
bien plutôt à l'humanité de quelqu'un de
mes compagnons , qu'aux ordres de Fakeric
& de Zédine. Tant il eſt imprudent de
refuſer de l'eſprit aux jolies femmes .
Je voulus d'abord ſuivre la trace des
chameaux ; mais une riviere qui ſe préfeuta
devant moi & que je ne pus paller ,
me força de renoncer àl'eſpoir de rejoisdre
la caravanne.
Déjà pluſieurs jours s'étoient écoulés ,
& touchant au terme de mes ſubſiſtances ,
je me dévouois à la mort, lorſqu'un bruit
de chameaux & d'hommes me fit lever les
yeux que j'attachois triſtement à la terre .
Je ne me trompois point ; le Ciel qui
me deſtinoit à des peines plus longues ,
me fit appercevoir une troupe de gens vers
AVRIL. 1770.
leſquels je courus en leur demandant la
vie.
J'en fus aſſez bienreçu ,& commetous
les chemins m'étoient égaux , je confentis
volontiers à ſuivre la troupe qui alloit à la
capitale de la Syrie .
Mes nouveaux compagnons de voyage
étoient des pélerins qui revenoient de la
Mecque & qui devoient être reçus à Damas
avec le plus grand reſpect J'imagine
pourtantqueje fus fort heureux de n'avoir
rien qui tentât leut fainte avarice ; car je
m'apperçus , chemin faiſant, à la peurque
nous fîmes à quelques marchands qui
croifoient notre route , & qui ſe ſauverent
à l'aſpect de nos bourdons ; que la
pieuſe cohorte dontje ſuivoisles pas n'inf
piroit pas une grande confiance .
La façon dont nous nous emparâmes
quelques jours après au nom du prophête,
des troupeaux que nous rencontrâmes ,
confirma mes idées à cet égard , & la néceflité
de faire ſubſiſter des gens qui
avoient vu le tombeau , ne me parut pas
ſuffifante pour juſtifier un vol que chacun
des pélerins auroit pu ne pas commettre
en reſtant chez lui .
Apeine eus-je fait partde mesréflexions
far ce point , qu'il s'éleva un cri général
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
contre moi . Je fus traité de ſcélérat &&
d'impie : la caravane ſuſpendit ſa marche
&parla de me juger.
Les eſprits s'échauffent par mon obſtination
à foutenir ce que j'avois dit ; on
melie ; on prend les voix , &je ſuis condamné
preſque unanimement à être enterré
vif.
Déjà la folle s'avançoit lorſqu'un des
Arabes qui , après avoir vu la maiſon
quarrée , s'étoient privés de la vue pour ne
plus rien enviſager de terreſtre , vient auprès
de moi , promene ſes doigts ſur mes
traits , me ferre affectueuſement la main
&demande ma grace .
L'autorité de cette victimedu prophète
calma tout-à- coup l'indignation générale,
&il me fut permisde ſuivre mon libérateur
àDamas ſans rien appréhender de la
fureur que j'avois excitée.
Je m'impofai le plus rigoureux ſilence
juſqu'à notre arrivée dans cette grande
ville; carjene pus pas me diſſimuler après
ma derniere aventure , qu'il ne fût cent
fois plus dangereux de dire la vérité avec
de pareilles gens qu'avec les poëtes& les
belles du Diarbek .
La caravane avoit envoyé des députés
au gouverneur de Damas , afin de ſe faire
AVRIL. 1770. 33
rendre les hommages dûs en pareil cas ;
en effet notre entrée eut plus l'air d'un
triomphe que de l'arrivée d'une troupe de
pélerins. Les aveugles fur-tout , au nombrede
vingt , & que préſidoit mon défenfeur
, eurent à leurs pieds tous les grands ,
toutes les beautés de la ville , & le pacha
même , pour implorer leurs bénédictions .
Après toutes les vaines cérémonies de
cette entrée , je ſuivis mon aveugle & fes
compagnons dans la maiſon qui leur avoit
été préparéepar le gouvernement.
Il eſt aſſez fingulier de dire qu'on fuit
un aveugle , & cependant c'eſt ce qui
m'arriva. Quel est le vrai croyantqui doute
que les pas de ces gens qui ſe ſont volontairement
privé du plus utile de nos
ſens , après avoir fait ſept fois le tour de la
kaaba , ne foient guidés par une vertu ſecrete&
divine ?
Dès le lendemain Cobar ( c'étoit le
nom du chef des aveugles ) fut élu& proclamé
grand interprête de la lei ; & dès
lors le pacha Koutkou qui , d'ailleurs
étoitun homme ſimple&bon, ſe vit fous
ſa dépendance religieuſe .
On me croyoit fort heureux de lui être
attaché , &peu s'en falloit que je n'inſpirafle
moi - même quelque reſpect par
Bv
3.4 MERCURE DE FRANCE.
l'honneur que j'avois de ſervir le faint
interprête;mais ce prétendu bonheur dura
peu , parce que je perdis ma vénération
pour mon maître. J'avois quelquefois
Loupçonné qu'il étoit moins aveugle, qu'il
ne vouloit le faire croire , & différentes
épreuves réitérées toujours avec le même
ſuccès , ne me laifferent aucun doute ſur
la pieuſe fraude de Cobar & de quelquesuns
de ſes diſciples. D'ailleurs , il n'avoit
pas été longtems fans me faire redouter
des dangers dont je n'oſe ici déſigner l'ef-
-péce : je pris le parti de fuir & de chercher
un afyle chez le pacha , dont la foibleſſe
m'avoit intéreſſé ...
Je me crus obligé de lui révéler la charlatanerie
de Cobar ; mais loin de le perfuader
, je fus traité par le gouverneur de
téméraire & de fou , & le faux aveugle
m'ayant réclamé avec hauteur , Kourkou
me fit remettre entre ſes mains .
L'accueil careſſant qu'on me fit à mon
retour forcé dans la maiſon des aveugles,
ne me laiſſa rien entrevoir du traitement
qui m'y attendoit;Cobar lui-même étoit
venu à la porte me recevoir avec tous les
témoignages du plaifir & de la bonté ;.
mais à peine la nuit fut elle arrivée que
leplancherde la nouvelle chambre qu'on
AVRIL. 1770. 35
m'avoit fait prendre , s'écartant des deux
côtés avec précipitation , je tombai à plus
de so pieds de profondeur dans un filet
fuſpendu qui m'empêcha de me brifer
contre terre.
La trape ſe referma auſſi tot au- deſſus
de moi ,& je paſſai la nuit dans mon filet,
reſpirant une odeur inſupportable , & n'ofant
en fortir dans la crainte de tomber
dans un autre abîme.
Le retour du ſoleil ne s'annonça que
par une foible clarté qui pafſſoit à travers
la grille d'un cloaque qui étoit encore à
15 pieds au- deſſous.
Quelques heures après , je vis paroître
quatre hommes dans mon horrible cachot.
Quatre poulies fontdeſcendre juſqu'à eux
mon filet , & me livrent à leur barbarie.
On me dépouille ; on me déchire la peau
parmille coups de verge , & on me laiſſe
preſque expirant ſur quelques planches à
moitié pourries qui devoient me garantir
d'une plus grande humidité.
Ce fupplice dura quinze jours de fuite,
parce que je fus aflez lâche au ſecond jour
pour faire uſage du ris & de l'eau qu'on
avoitlaiſſés à mes côtés .
Ce terme révolu , je ne vis plus mes
bouremax ordinaires , & ma provifion
Pvj
36 MERCURE DE FRANCE.
defcendit de tems à autre par la trape
funeſte qui étoit ſi fort au-deſſus de ma
tête.
Enfin il y a quelque tems , un vieillard
parut à mes yeux. Ne t'effraïe point , Zaman,
(me dit- il) ton fort m'a fait pitié;
je viens , s'il ſe peut , en adoucir l'amertume.
Malheureux ! ( ajouta - t'il ) quel
démon te fuggéra le conſeil d'aller apprendre
au pacha que Cobar n'étoit pas
plus aveugle que toi !
Alors je lui fis part du penchant que
j'avois reçu par mon éducation à dire
toujours la vérité. Te la demandoit-on ?
(interrompit - il ) Inſenſé ! comment le
danger que tu as couru avant d'arriver à
Damas ne t'a- til pas corrigé ? Apprends
qu'il eſt des hommes implacables qu'il
ne faut jamais démaſquer ; tel eſt Cobar,
tel eſt ton ennemi. Adieu , je reviendrai
te voir , un événement peut te rendre la
liberté , crois que je veille à tes intérêts.
Il fortit en me laiſſant des ſachets d'une
odeur délicieuſe qui me rendit l'infection
de mon cachot plus foutenable , & un
vaſe d'une liqueur qui ranima mes efprits
, & qui me fit ſupporter ma fatale
existence .
Je revis bientôt mon ſecourable & ten
AVRIL. 1770. 37
dte vieillard , une lampe &des papiers à
la main. Tiens (dit- il ) tu vas apprendre
comment la vérité peut ſe préſenter à
ſes ennemis ; lis &médite , tu me verras
dans peu.
C'étoit l'ouvrage du ſage Lokman
qu'il m'avoit laiſſé , & qui me pénétra de
la néceſſité d'envelopper la vérité pour
ofer l'offrir aux hommes. Oui , me disje
, après avoir lu les paraboles du vertueux
Arabe dont le nom immortel fert
de titre au 31º chapitre de l'alcoran , oui
déſormais Lokman ſera mon guide &
mon modèle.
Je prononçois cet engagement lorſque
mon vieillard reparut & me dit : prends
courage , Zaman , une maladie cruelle
menace les jours de Cobar , il mourra
fans t'avoir pardonné ; mais à ſa mort
j'ouvrirai ta priſon , n'oublie jamais les
leçons de Lokman. En attendant ( ajouta-
t'il ) écris ton hiſtoire , c'eſt là ſeulement
qu'il ne faut jamais déguiſer la vérité.
J'écrivis en effet ce qu'on vient de lire
, & le tableau de mes malheurs fut
encore une leçon pour moi. J'attends le
moment d'en profiter. Oui , mortels ! fi
je revois la clarté du jour , ſi je revis
parmi vous , je continuerai à reſpecter la
38 MERCURE DE FRANCE.
vérité ; mais j'adoucirai pour vos foibles
yeux ſon image effraïante.
Par M. B **.
LES VOLCAN S.
Ode qui a remporté le prix de l'Académie
* de Marseille en 1769 ; par M. Gaillard,
de l'académie des inſcip. & belles- lettres.
Ingens terrarum portentum. PLIN.
PARTENOPE * regnoit ſur une mer tranquile
D'innombrables cités , dans ſa plaine fertile,
S'élevoient autour d'elle &compoſoient ſa cour..
Virgile avoit chanté ſur ces rives fleuries
Lavinie & Didon , les champs & les prairies
Les bergers & l'amour,
Le crime étoit puni ; la terre étoit vengée ,
Des Caïus , des Nérons heureuſement purgée ,
Rome voyoit les loix triompher àleur tour.
Titus, Titus regnoit ſur Rome& fur lui-même;
Titus , l'amour du ciet , dans la grandeur ſuprême
N'avoit perdu qu'unjour.
* Partenope ou Naples.
Illo Virgilium me tempore dulcis alebat Partenope
AVRIL. 1770. 39
Afluré des bienfaits d'un maître qu'il adore , :
Le laboureur joyeux a ſalué l'aurore ;
L'eſpérance & l'amour brilloient dans tous les
yeux.
Heureux qui ſervira le prince & la patrie !
Tout aimoit , tour chantoit; la nature attendrie
Remercioit les dieux.
Ciel ! ... ő Ciel ! quels torrens de sendre &de
fumée !
LeVéſuve en fureur , de la cime enflammée
Vomit des rocs brûlans & des métaux fondus :
La lave roule au loin juſqu'aux mers écumantes;
Herculane eſt couvert de ces maſſes fumantes;
Pompeia n'eſt plus.
Le ſoleil eſt éteint : les feux de ce tonnerre
Ont ſeuls droit d'éclairer & d'embrafer la terre .
Acette lueur ſombre , à ces longs tremblemens ,
Neptune avec effroi s'élançant du rivage ,
Court aux bords africains annoncer ce ravage
Pardes mugiſſemens.
Le choc des élémens a brifé ces montagnes,
La ſolfatare ardente a brûlé ces campagnes ;
Cespins font arrachés , ces murs ſont renverſés ;
Tous les vents échappés de leurs grottes profondes
40 MERCURE DE FRANCE.
De cent vaiſſeaux épars ont ſemé ſur les ondes
Les débris fracaffés .
Oterreur ! Ô vengeance ! ô dévorans abîmes !
Epargnez l'innocent , choiſiſſez vos victimes ,
Corrigez l'univers par ces calamités :
Ecraſez ce brigand qui défole la terre ;
Ce Sybarite affreux qui comnande la guerre
Du ſeindes voluptés.
Non : réſervez plutôt pour l'injuſte & l'impie ,
Le tourment de ſurvivre à leur triſte patrie ,
Aleur pere , à leur fille , à l'hymen , à l'amour ,
Atous ces noeuds charmans qui conſolent nos
ames.
Omort ! ô paix profonde ! heureux qui , dans ces
flames ,
N'a perdu que lejour !
L'une , auprès d'un fils mort , tombe déſeſpérée :
L'autre appelle, en tremblant , ſa famille égarée ;
Il héſite , il friſſonne , il veut fuir , il revient :
De la chaumiere à peine il reconnoît la place ;
De ces bords abîmés l'épouvante le chaſſe ,
Et l'amour l'y retient.
Lamort produit la mort. La famine& la peſte
Vontde ces malheureux confumer ce qui reſte :
Des cadavres preſſés l'horrible exhalaiſon ,
L'air infecté par-tour d'une vapeur mortelle ,
AVRIL.
1770 . 41
Unciel impitoyable , une terre infidèle
N'ont plus que du poiſon.
Dieux ! où fuir ? Tout éprouve ou tout craint ſa
ruine ;
Les gouffres ſont ouverts de Lisbonne à la Chine;
L'effroi , d'un vol affreux , parcourt tous les climats
La terrea ſes fléaux , la mer a ſes tempêtes ,
Ledanger eft par -tout ; lafoudre etsurnos têtes,
L'abîme eſt ſous nos pas.
Le midi trop ſouvent , de ces triſtes lumieres ,
Voit briller au Pérou le front des Cordilleres ,
Il vit le Callao tomber avec Lima ;
Etdes antres du Nord une flamme cruelle
Sillonne en mugiſſant cette glace éternelle
Qui couronne l'Hécla.
Si , ſous un ciel plus doux je cherche un bord tranquile
,
Théocrite me guide aux champs de la Sicile ,
Aux ſources d'Arethuſe , aux beaux vallons d'Enna
,
Tout rit à mes regards dans cet aſyle aimable ;
Mais Typhon y frémit , & ſa rage indomptable
Y ſouleve l'Etna .
Lanature en courroux n'étonne point le vice;
42 MERCURE DE FRANCE.
Voyez dans ces volcans l'intrépide avarice ,
D'uneļardeur téméraire , aller tenter le fort.
Des citoyens pilloient Lisbonne chancelante
L'intérêt demandoit à la terre tremblante ,
La fortune ou la mort.
ア
Que dis - je ? .... Ô guerre! ô honte ! ôbarbare
induſtrie!
Ces volcans ont ſervi d'exemple à ta furie.
La race humaine habite au milieu des horreurs ;
Elle a multiplié ſes malheurs par ſes crimes.
Tombez , monſtres , tombez , exécrables victi
mes
De vos propres fureurs .
Oh! nemaudiflons point nos amis & nos freres ;
Déplorons ces fureurs à leur ame étrangeres.
Non , malheureux humains ! je ne puis vous haïr :
Ceflez de vous détruire , & même de vous craindre
;
Laiſſez - moi vous aimer , vous confoler , vous
plaindre ;
Laiſſez- moi vous fervir.
Venez : que nosbeſoins , que nos maux nous unif
fent;
AVRI L. 1770. 43
Quede l'humanité tous les voeux s'accompliſſent ,
Que l'amour & la paix viennent tout ranimer :
Jurons par nos malheurs , par ces fléaux terribles
,
Jurons d'être à jamais bienfaiſans & paiſibles ,
Jurons de nous aimer.
D
:
CONTE.
Eux époux que l'amour avoit toujours unis ,
Filoient des jours heureux au ſein de l'innocence .
Ils vivoient chaque jour l'un par l'autre chéris,
Et ſe juroient tous deux la plus ferme conſtance.
Mais quel triſte revers ?Quel chagrin pour Thémire
?
La pâle maladie , ô triſte coup du fort !
S'empare de Lubin ; jugez de ſon martyre :
Elle voit ſon époux à deux doigts de la mort.
Son coeur eft agité , qui pourra l'arrêter ,
Elle veut au tombeau ſuivre ſon cher Lubin.
Son pere la voyant ainſi ſe lamenter ,
Et craignant de la voir achever ſon deſtin ;
Lui dit , en s'approchant , pourquoi te déſoler ?
MERCURE DE FRANCE.
Si la parque cruelle emporte ton mari ,
Laiſſe agir les deſtins , compte ſur un ami
Avec qui tu pourras dans peu te conſoler ;
Il eſt jeune & bien fait , ſa fortune & fon nom
Ne feront qu'aggrandir l'eſpoir de ta maiſon.
Un ſemblable propos ne ſert qu'à l'irriter.
Son ame ſans effroi ne peut le ſoutenir ,
Et ſes ſanglots enfin ne font que redoubler
Lorſque ce cherLubin rend le dernier ſoupir.
Thémire eſt aux abois ; elle ſe déſeſpére.
J'ai tout perdu , dit-elle , en perdant mon mari.
Hélas ! quedevenir ? Puis regardant ſon pere ,
L'ami dont vous parlez loge-t'il loin d'ici .
ParM. C.
LA NAISSANCE DE L'AMITIÉ .
DANS ſon temple la Sageffe
Etoit , dit-on , ſeule un jour ;
Pour le dieu de la Tendrefle
Chacundéſertoit ſa cour ;
Detout tems à la Sageſſe
L'Amour a fait plus d'un tour.
AVRIL. 1770 . 45-
*Quoi donc ! un enfant , dit-elle ,
>>> Contre moi viendra s'armer !
>>>Oſons , pour vaincre un rebelle ,
>>C>ommelui , plaire& charmer ;
>> Rendons la vertu plus belle ,
>>>Donnons- lui le don d'aimer.
>>Tendre amitié , viens ſourire
>>>A l'homme , àla terre , aux dieux !
>>Que les coeurs ſoient ton empire
>> Et tes temples tous les lieux !
>>Q>u'en toi l'univers admire
>>L>eplusbeau préſentdes cieux.>»>
Elle dit : A ſa parole
L'Amitié naît & fourit ;
Le Crime fuit & s'envole.
En choeur l'Olympe applaudit ,
Et de l'un à l'autre pôle
Tout le globe s'embellit.
Sa beauté touchante & fiere
Du méchant bleſſa les yeux ;
Sa voix , mieux que le tonnerre,
Fitdes mortels vertueux ;
48 MERCURE DE FRANCE.
ſes commencemens . La fortune médiocre
de Stanley ( c'eſt le nom du jeune hom
me ) ne lui permettoit pas d'eſpérer d'obtenir
la main de Sally , qui étoit regardée
comme un des meilleurs partis de Londres.
Malgré ces obſtacles , leur tendreſſe
ne fit que croître & ſe fortifier avec l'âge.
Sally avoit le caractere plus mélancolique
que ne l'ont ordinairement ſes compatriotes
: on doit donc s'attendre à toute la
violence de ſes tranſports. Elle aimoit
d'autant plus vivement qu'ayant reçu une
éducation cultivée , elle étoit contrainte
de ſe ſoumettre à toutes les obligations
de ſon ſexe. Il falloit que ſon extérieur
démentît ſans ceſſe le trouble de fon
ame.
Stanley donna à ſajeune maîtreſſe quel.
ques ſujets de jalouſie ; on ne fait s'ils
étoient fondés ; il n'eſt point de traits légers
pour un coeur ſenſible. Sally eut la
force de diffimuler quelque tems & de
dévorer ſes chagrins; elle ſe contentoit
de laiſſer tomber des pleurs dans ſon ſein:
•ſa douleur éclata ; elle ſe plaignit avec
douceur , & dit un jour à ſon amant dans
l'abondance des larmes : « Vous ſçavez ,
>> Stanley , que je vous aime , & que je
>> n'aime que vous; fi vous continuez à
>>voir
AVRIL. 1770 . 49
i
voir Miſs Jenny , vous ferez la caufe de
ma mort.>>>>
Stanley promit tout pour raffurer Sally;
mais foit qu'il eût moins de vivacité& de
tendreſſe , ſoit que les foupçons de ſa
maîtreſſe lui parullent entierement injuftes
, il ne tint point parole , & cette malheureuſe
fille n'en fut que trop informée .
Elle ne fit point entendre la moindre
plainte , & affecta une tranquillité dont
Stanley , s'il avoit aimé comme Sally ,
eût aisément pénétré la diffimulation; elle
nourrit dans ſon coeur un fombre déſeſ
poir; l'oeil de la nature fut plus clairvoyantque
celui de l'amour. Les parens
de Sally , à qui elle étoit chere, ſurprirent,
fi l'on peut le croire , l'agitation
fecrette qu'elle éprouvoit; ils lui en demanderent
la caute ; elle s'obſtina à garder
le filence. On obſerva ſeulement qu'elle
avoitles yeux égarés ,qu'il lui échapoit des
foupirs,& qu'elle cherchoitmêmeàrepoufſer
ſes larmes: elle vient un ſoir , ſelon
l'uſage , recevoir la bénédiction de fon
pere & de fa mere ; elle les embraſle , retourne
pluſieurs fois dans leurs bras , ne
fauroit s'en ſéparer qu'en gémiſſant , fa
mere allarmée lui fait de nouvelles queftions
: Sally ne répond que par des pleurs;
II. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE .
ſes parens perſiſtent à l'interroger ; elle ſe
rejette ſur une triſteſſe involontaire qu'elle
ne peut dompter , & les quitte enfin ,
comme accablée d'une profonde douleur.
La tendreffe maternelle eſt peut- être la
plus inquiete de toutes. Le mere de Sally
, tourmentée toute la nuit de l'état où
elle avoit laiſſe ſa fille , ne peut réſiſter à
l'impatience de la voir. Le jour avoit à
peine paru qu'elle ſe leve pour courir à
ſon appartement. Son mari s'efforce en
vain de la retenir , en lui diſant que ſes
craintes n'étoient point fondées. Vousne
favez pas , répliqua - t'elle , ce que c'eſt
qu'une mere ; &elle fort avec précipitation.
Quel affreux ſpectacle la frappe !
Elle trouve ſa fille étranglée à une des colonnes
de ſon litavec un papier ſur ſa poitrine
, où étoient écrits ces deux mors :
for love, pour l'amour.
La mere , toute effraïée, voleà ſa fille
dans l'eſpérance qu'elle pourroit encore
la ſecourir; elle appelle ſon mari, ſesdomeſtiques
: leurs foins furent inutiles : il
y avoit déjà cinq ou fix heures que cette
infortunée créature s'étoit détruite . Le
bruit de cette mort parvient bientôt aux
oreilles de Stanley ! Il s'élance vers la
chambre de Sally , en s'écriant : « C'eſt
AVRIL. 1770. SD
moi qui ſuis ſon aſſaſſin ! Il ſe jette
fur fon corps , l'arroſe de ſes larmes . Les
parens de Sally arrachent Stanley de defſus
le cadavre , & croyant en effet qu'il
étoit le meurtrier de leur fille , s'abandonnent
à la fureur , le pere fond l'épée à la
main fur Stanley , qui ne ſe met point en
défenſe &reçoit un coup mortel.
non ,
3
Oui , poursuit- il , c'eſt moi qui ſuis le
bourreau de Miſs Sally ,&je rends grace
au Ciel de la ſuivre dans le tombeau. Il
raconte alors ce que la famille avoit ignoréjuſqu'à
ce moment. Lorſqu'on vient à
ſavoir que Stanley n'a point porté la main
fur Sally , on veut lui donner du ſecours;
continue -'t'il , je n'abuſerai point
de votre humanité. Tout ce que j'attends
devos ames généreuſes , c'eſt de hâter
s'il ſe peut , l'inſtant de ma mort ; j'ai
cauſé celle de votre fille , de tout ce que
j'adorois ; c'eſt moi qui l'ai immolée, ne
l'aimant pas autant qu'elle le méritoit ;
mes imprudences ont excité ſa jaloufie ;
je meurs avec plaiſir de vos coups ; j'implore
une feule grace : qu'il me foit permis
de rendre mes derniers ſoupirs à côté
de Miſs Sally. Le pere & la mere en pleu .
rant traînent ce jeune homme auprès de
leur fille ; il prend une de ſes mains , la
Cij
5.2 MERCURE DE FRANCE.
porte à ſa bouche , & expire en diſant :
Oma chere Sally , eſt ce aſſez de mourir
pour toi ?
VERS au sujet du livre de la Théorie
des Sentimens agréables ; par feu M.
de Pouilly , inférés dans un recueil intitulé
: le Temple du Bonheur.
On met la théorie au temple du bonheur,
Humains , pénétrez en vos ames,
Et ſondez en l'utile profondeur ;
Là du génie elle montre les flammes;
Ici de la nature elle dicte les loix.
A l'eſtime publique elle eut toujours des droits,
Et ſa place eſt marquée au temple de mémoire;
Aux mânes de Pouilli ce nouveau jour eſt doux ,
Mais ils en rejettent la gloire ,
S'il n'eſt pas un bienfait pour vous.
ParM. d'Origny, conſeiller en le
cour des Monnoies.
AVRIL. 17.70. 53
VERS à Monfieur de *** .
VOTRE muſe vive & légère
Sait ſe plier à tous les tons ;
S'il eſt quelque fête à Cythère
L'on n'y chante que vos chanſons.
L'amour vous a remis la lyre
Des Chapelles & des Chaulieux ;
L'on voit chaque belle ſourire
A vos couplets ingénieux .
De vos vers admirant les graces ,
Surpris , & preſque un peu jaloux ,
Je veux en vain ſuivre vos traces ;
Je reſte loin derriere vous.
Ah ! vous ferez toujours mon maître !
Je me borne à vous imiter.
Ce n'eſt qu'en amitié peut-être
Quejepuis vous le diſputer. :
Par M. d'Azemar , lieutenant an
régiment de Touraine.
)
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE..
LE SOPHI & LE POTIER.
Au fils de Tamerlan , un vil Potier de terre
Adrefla ce propos :
L'alcoran eſt- il faux ,
Quand il dit que du riche un indigent eft frere,
Et que malgré l'orgueil & fa chimere
Tous les Muſulmans ſont égaux ?
Non , monami , c'eſt la vérité même ,
(Dit au manoeuvre le Sophi. )
Eh! bien , la choſe étant ainſi ,
(Reprendnotre Potier) ma ſurpriſe eſt extrême ,
Tandis que je fuis fansun fou
Que vous nagiez dans l'argent juſqu'au cow.
Je vois que vous êtes fincere ,
Vous convenez du principe avec moi ;
Soiez aufli de bonne foi ,
Et faites moi ma part de frere.
De huitaſpres * alors le Sophi lui faitdon.
Huit afpres ſeulement (dit l'ouvrier qu'étonne
* Monnoie qui revient à notre pièce de deuxx
Liards..
AVRIL. 1770. 55
Une fi mince portion ? )
Quoi! des tréſors de la couronne....
Paix , filence , interrompt Schahroch
Netevante de rien , ta part n'eſt que trop bonne ,
Jet'en ai fait le compte enbloc.
Sois bien certain qu'il faudroit rendre ;
Si , me faiſant la même loi ,
Chaque frere ici venoit prendre
Sa portion , ainſi que toi.
: ParM. Bres
VERS.
ELEVES, tendrement cheris
Du dieu qui préſide au Parnaſle ,
Dont les mélodieux écrits ,
Des vers de Tibulle & du Talle
Out le ſéduiſant coloris ,
Et qui n'eſluiez les mépris
Ni d'Aglaé ni de D *** ;
:
*C'eſt ainſi que ſe nommoit le fils de Tamer
lan. M, Galand a écrit fon hiſtoire.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
De rofes couronnez Cypris ,
Offrez des guirlandes aux Graces ,
Suivez inceſſamment leurs traces ,
Soiez fans cefle avez les ris.
Pour vous les nymphes font parées
De leurs plus aimables atours :
Pour vous le carquois des amours
Eſt rempli de fléches dorées.
Sur les bords mouffeux des ruiſſeaux
Folatrez avec les Nayades :
Les timides Hamadriades
Vous appellent ſous ces ormeaux.
Peignez , dans vos tableaux champêtre
Les bergers danſans ſous les hêtres ,
Animés par la volupté;
Chantez les beautés du village ,
;
Leur air riant , leur maintien ſage ,
১
Leurs moeurs & leur fimplicité ;
Ou bien prenez des panetieres ,
Et , ſur les verdoïans gafons ,
Faites redire vos chanſons
Aux plus jeunes de nos bergeres.
1
Fai célébré , tout comme vous
AVRIL. 1770 . 57
Et l'âge d'or& les prairies ,
Et les plaiſirs des bergeries ,
Plaiſirs ſi ſimples , mais ſi doux.
Les fleurs de la ſaiſon nouvelle ,
Des roſſignols les ſons touchans
Le pinceau magique d'Apelle ,
Et le ciſeau de Praxitelle
Ontfait les ſujets de mes chants,
Tant que Doris me fut fidelle;
Doris , l'objet de mes regrets ,
L'enchantement de la nature ,
Belle ſans art& fans parure ,
Etn'en ayant que plusd'attraits..
C'eſt Eglé , c'eſt Pſyché , c'eſt Flore::
Elle a la jeuneſſe d'Hébé,
Et la taille de Terpſicore ,
Ettous les charmes de Thisbé.
Qui la voit, la veut voir encore.
Elle parle ſi tendrement!
1
Elle fourit fi finement !
(
Qui la voit , pour toujours l'adoras
Sur vingt rivaux plus beaux que moi
J'obtins la douce préférence ;
Et j'eus pour gage de fa foi
MERCURE DE FRANCE..
Centbailers & ſon innocence.
Que j'ai paſſé de doux momens,
Am'entretenir avec elle !
Quede tendres embraſlemens !
Quelle ardeur vive&mutuelle !!
Senfible fans emportement ,
Etpourtant vivement charmée ,,
Elle ne ſembloit enflammée
Que desdefirs de ſon amant.
Un goût pareil d'indépendance ,
L'Amour , une aimable décence
Semblaient nous unit pour jamais ::
Tous deux remplis d'indifférence,
Pour tout ce qui trouble la paix ,
Tous deux riches ſans opulence ,
Nous étions dans cette indolence
Où l'on goûte les biens parfaits.
Aimant fans borne , aimés de même;
L'univers pour nous n'étoit rien:
Je faifois fon bonheur fuprême
Elle étoit auffi tout mon bien.
Ellea rompu notre lien ;
Daris ne veutplus que je l'aime::.
AVRIL. 1770. 59
Chênes touffus , jeunes tilleuls ,
Qui nous vîtes ſi ſouvent ſeuls
A Vénus rendre des hommages ;
Puiffiez -vous , des vents irrités ,
Et des frimats & des orages ,
Puiſſiez- vous être reſpectés.
Et vous , hôtes de ces bocages ,
Jen'entendrai plus vos ramages ,
Oiſeaux , je vais vous dire adieu .
Adieu, boſquets fleuris & fombres,
Oùj'allois rêver près des ombres
D'Anacreon & de Chaulieu ,
Vous ne m'offrirez plus l'image ,
De l'ingrate , de la volage
Qui dédaigne aujourd'huimon feu.
Et toi , château , qui m'as vu naîtrey
Tu ne me verras plus paraître
Au ſein de tes enchantemens...
Voirdes heureux&ne pasl'être ,
Geſt vivre au milieu des tourmens."
ParM.deSt Justi
60 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure d'Avril 1770 , eft
cire à cacheter; celle de la ſeconde eſt le
bas au métier; celle dela troiſiéme eſt calotte;
celle de la quatriéme eſt le cercle..
Le inot du premier logogryphe eſt bonnet,
dont la forme & les couleurs diftinguent
les cardinaux , l'auditeur de rote , & tous
les gens de juſtice, les matelots, habitans de
collège , les paysans , les malades, lesfols,
les docteurs , les prêtres , les bedeaux , &
enfans de choeur , le grand maître , le gonfalonier
les Doge de Génes & de Venise,
les prisonniers , les cavaliers , les grenadiers
, les dragons , les huffards , les marchands
, les palefreniers , les officiers de
maifon dans leur office , les couriers &
nombre de voyageurs , les Financiers , les
artifans , lesforgerons & maréchaux , les
mendians & les crieurs publics , les galé
riens , les cuifiniers , les vignerons , les
joueurs de paume & de batoir; casque ,falade,
morion , armet , heaume & autres
habilemens de tête; le bonnet verd du
banqueroutier , les bonnets orangés oujaus
nes des Juifs pour les faire connoître dans
les pays où ils ne portent point de bare
AVRIL. 1770: 66
Be; en Italie , par exemple , avant qu'on
pendît les ufuriers , on les montroit au
peuple avec un certain bonnet; bonnet à
prêtre , eſt une eſpèce de fortification à
deux angles rentrans&à trois angles faillans.
Le mot du ſecond logogryphe eſt
Avocat , dans lequel on trouve cauta , vota
, cato , acta , tu , ut , avo , tac , maladie
de brebis , tactac , aut , ou , vocat & vacat,
dans les deux ſens opposés : Celui
dutroiſieme eſt verre , dans lequel on trouve
ver & réve : Celui du quatrième eſt
rateau , d'où ôtant les trois premieres lettres
, reſte eau.
J
ÉNIGME
E ſuis du genre féminin
Laplus inconftante femelle,
Je change du ſoir au matin.
Douce aux uns , aux autres cruelle.:
On perd la tête en me voyant ,
On ſe la caſſeen me perdant.
Au philoſophe qui m'offenfe , L
En me montrant, je fais la loi;
Et quoiqu'aveugle de naiſſance,
/
64 MERCURE DE FRANCE.
T
AUTRE.
HEMIRE , ſous vos yeux , fous ceux d'une
créole,
Il exiſte deux ſoeurs qui rendent la parole:
L'humeur & la gaïté, ſur-tout le dieu d'amour,
Dans tous leurs mouvemens ſe peignent tour-àtour.
112
Lanature les fit , non debout , mais couchées ;
Etquoiqu'elle les ait l'une à l'autre attachées ,
Un fouffle néanmoins les diviſe ſouvent :
La même choſe arrive aux hommes fréquemment.
Lorſque la noire humeur s'empare de ces belles ,
Ondiroit qu'elle étend un crêpe affreux fur elles :
Le même inſtant les veit , en cent replis hideux ,
Sapprocher , s'élever , ſe froncertoures deux.
::
Mais , fi de l'enjouement elles offrent l'image ,
Leur brillant coloris tire un grand avantage
D'un charme intérieur qui , loinde l'affoiblir ,,
Par få blancheur alors ne peut que l'embellir..
AVRIL. 1770. 65
Tendre amour , c'eſt ſur-tout en elles que tu fiés
ges.
Leurs appas ſéducteurs ſont d'agréables piéges
Que tu tends au ſommet de l'arbre du plaiſir ,
Pouryprendre les coeurs au gré de ton deſir .
ParF.... Commis au greffe de-
P'hôtel-de-ville de Paris..
Je regle
AUTRE.
E les refforts de mon art infaillible;
Je concerte fi bien leur jeu für & terrible ,
Que l'un , en ſe rompant , par un effort ſecret,
De l'autre , tout- à- coup , précipite l'effer.
Et ce dédale , offrant des détours innombrables ,
Par-tout entrecoupés , par-tout impénétrables ,
Eſt plein de fils trompeurs,dont le ſombre embar
ras
Egare fans retour & conduit au trepas.
:
Par une ſociétédegens de lettres..
66 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPHΕ.
Je t'avouerai, lecteur , de bonne for ,
Que la raifon ne va guère avec moi ;
Je t'offre auſſi deux notes de muſique ,
Un Saint d'Octobre , un homme qu'au levant
L'on priſe fort ; mais allons plus avant.
J'ai quatre pieds ; veux-tu que je m'explique
D'une façon qui me déſigne mieux ?
J
Tiens , me voilà... Je ſuis devant tesyeux.
ParM. Poutharier
AUTRE.
E fuis toute de fer. On me troue , on me cou
pe
Chaque matin je trempe à moitié dans ton pot :
Dans ton poc ? Je m'entends , c'eſt celui de ta
foupe
Car pour l'autre , ma foi , je ne t'en dirai mot.
Ma premiere partie eſt faite à la monnoie ,
Ma ſeconde eſt , lecteur , une étoffe de ſoie.
Par le même..
AVRIL. 1770. 67
Í
AUTRE.
E marche , quoiqu'inanimée ,
Sous la crainte d'un raviſſeur
Mais fuis-je à mon but arrivée
Qu'à mon tour je cauſe ſa peur...
Lecteur , un moment de filence.
Il faut me placer prudemment ;
Je fais le gain du plus ſavant;
Reconnois en la conféquence ?
Otant mon chef, j'offre à tes yeux;
Parma prompte métamorphoſe ,
Un eſprit qui , chez toi , repoſe
Raisonnable & confcientieux.
Par M. W... à Versailles.
AUTRE.
LECTEUR , mon nombreeſt grand , je
point myſtere;
Tu m'as ſouvent devant les yeux ,
Je fais tout au gré de res veux .
n'en fais
68 MERCURE DE FRANCE.
Si tu n'es pas content , tu peux te fatisfaire.
Fais de mon tout un mot latin .
Mes ſept pieds te feront connoître ,
Un aiguiere , un pot , un être
Que je tiens ſouvent à la main ;
Je ne dis plus qu'un mot pour me faire comprendre
,
Peut- être quelque part ſuis -je las de t'attendre.
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Les Amoursde. Lucile & de Doligny; par
M. de Laguerrie.AParis , chez le Jay,
libraire , rue St Jacques ; 2 part. in. 12.
LUCILE & Doligny reſpirent la paſſion
la plus vive , la tendreſſe la plus pure ,le
ſentiment le plus délicat. Lucile rappelle
à fon amant , avec une douce fatisfaction,
le tems où ſes deſirs cherchoient un objer
dans toute la nature , & où elle le rencon
tra. « Je ne t'avois jamais vu ; & ce que je
>> ne conçois pas , je crus te reconnoître ..
>> Il faut pourtant que je l'oublie , me re-
>> pétois- je le ſoir en m'endormant........
AVRIL. 1770 . 69
» Tu étois mon premier ſentiment àmon
>> reveil. >>
L'amour a commencé , &la confiance
acheve l'union de leurs coeurs . Ce n'eſt
pas ſeulement une belle femme , c'eſt une
véritable amante qu'adore Doligny. Lucile
ne doute point que Doligny , pour
fon propre bonheur, ne laiſſe la pudeurfur
lefront defon amante. Cependant le pere
de ſon amant ſonge à le marier avec une
de ſes coufines , dans la vue de terminer
un long procès de famille. Lucile en eſt
alarmée ; Doligny la raſſure : il fent dans
fon coeur mille moyens de réſiſter à fon
perefans aliénersa tendreſſfe. Ils paſſent
enſemble des foirées délicieuses ; mais la
pudeur la couvre d'un voile ſacré, & le ref.
pect que l'on doit à la vertu l'environne &
la défend... La jalouſie pénètre dans le
coeur de Doligny ; Lucile le calme. Je
n'acquiers point , lui dit-elle , un ſentiment
, une idée , une habitude heureuſe
que je ne m'applaudiſſe d'avoir ajouté à
tonbonheur.
Dormond, ami de Doligny, tombedans
undangerpreſlant. Doligny accourtaumoment
où il attend ſon amante. Il vole ,
&il trouve , chez ſon ami , Lucile ellemême
dont le coeur pourroitſe paſſer d'a70
MERCURE DE FRANCE ,
...
mour, s'il étoit toujours occupé à quelque
bienfait. Ils font enſemble à la campagne,
heureux par le feul plaifir d'aimer.
Mais , une nuit , Doligny pénètre dans la
chambre de ſon amante... Quelle ſituation!..
La crainte de devenir coupable
l'emporte à la fin loin d'elle ; un feu dévorant
le deſſéche & le confume. Lucile
T'éloigne en lui ordonnant d'aller fervir
un malheureux. Elle lui preſcrit ou de la
reſpecter toujours ou de ne jamais la revoir
, en lui rappelant comme on ſeplatt
àfoi-même , quand on en a triomphé , &
comme on s'aime dans le bien qu'on a
fait.
Enfin , Doligny eft preſſé par fes parensd'épouſer
ſa couſine. Ses prieres ne
ſont point entendues. Ils ne parlent que
de reſpect&d'obéiflance.... Du respect &
de l'obéissance , & ils font fans amour &
fans entrailles ! ... Il propoſe à ſon amantede
fuir: elle s'en offenſe , mais elle ne
lehaitpoint affez, &fon indignation n'eft
pas tout àfait fincere... Doligny va être
jeré dans le fond d'une prifon ; il n'a que
le tems d'écrire cette terrible nouvelle...
Lucile pleure ſon amant dans les fers ...
Il eſt dans ſes bras : lajoie & la douleur
qui combattent dans fon ame , la livrent
AVRIL . 1770. 71
ensemble aux tranſports de Doligny; quand
ils n'auroient eu qu'un inſtant pourjouir ,
&que la mort les eût attendus enfuite ,
elle neseferoit pas plus abandonnée à fon
amant. Il tâche de la raſſurer ſur les ſuites
de ſa foibleſſe...Lesfemmes honnêtes
&fenfibles t'excuseroient ... C'estfur - toue
le vice qui est févère à la vertu... Le plaisir
deshonoreroit - il l'amour ? Avons - nous
moins de goût pour ce qui est honnête ? ...
Dolignyn'a ſuſpendu la cruauté de fon
pere qu'en lui demandant un délai . Ce
pere dénaturé l'enferme à la fin dans la
priſon de ſon château , avec deux affaffins
, en l'accuſant d'avoir attenté à fa
vie... Et où aurois-je fait l'apprentissage
du crime , s'écrie Doligny , je n'ai vécu
qu'avec lui ! On ne lui laiſſe que la vie
qu'on laiſſe à des afſfaſſins.
Lucile eſt mere; elle ſent ſa honte ſe
développer & croître dans ſon ſein. Le
tems de l'opprobre s'avance. Elle va demander
à fon pere ſenſible ſa pitié , &
implorerfon courroux. Il ne l'entend pas..
Il ſoupçonne enfin & l'accable de ſa malédiction
... Il ne reſte bientôt plus à ce
bon pere que fa douleur. Ilparle à Lucile
, & l'on diroit que c'est pour l'appeler
du nom defa fille; les mains voudroient
72 MERCURE DE FRANCE .
volontiers la careffer ; les yeux s'abaisſſent
fur ellefans colere... Elle le trouve dans
les larmes : elle ſe jette dans ſes bras, &
ſes bras ne la repouſſent point. O mon
pere , quandje ne compterois dans ma vie
que cet inſtant de tendreſſe ,jamaisje ne
pourrois m'acquitter envers toi!
Le pere de Doligny eſt inexorable.
Qu'il meure ou qu'il épouſe Mile de
Neumeſnil : c'eſt toute ſa réponſe. Son
fils eſt attaqué d'une fiévre violente. Lucile
, au déſeſpoir, forme le projet de le
mettre dans la néceſſité de ſe détacher
d'elle , pour qu'on le rende à la liberté
& à la vie. CependantDoligny a ſcié les
barreaux de ſa priſon; il s'échappe , on
l'apperçoit , on l'arrête ; en ſe débattant
il a le malheur de bleſſer légerement fon
pere qui oſe lui imputer un ſecond parricide.
Enfin Lucile ſe détermine à écrirę
à la mere de ſon amant une lettre dans
laquelle elle lui raconte tous ſes malheurs
&la réſolution qu'elle a priſe de s'enfermerdans
le cloître pour que Doligny, dégagé
de ſes promeſſes, tenonce enfin à fon
amour. Cette lettre eſt montrée à ce malheureux
amant. Il eſt ſaiſi d'une douleur
ſi violente que ſes entrailles ſe déchirent.
Il tombe dans des convulfions horribles;
elles
AVRIL. 1770. 73
elles ſont ſuivies d'un vomiſſement de
fang; il meurt en prononçant le nom de
Lucile. Lucile apprend cette funeſte nouvelle
par une femme dont il nourrifloit
les enfans : elle s'évanouit. Sa vie eſt
chancelante : fa raiſon eft aliénée . Quels
tourmens autour d'elle ! que de larmes !
ſes paroles , ſes geſtes, ſon filence arrachent
à ſes parens & à ſes amis ! .. Elle
vivra; mais demeurera- t'elle à Paris dans
le ſein de fa famille ? Hélas ! elle a pro
mis qu'elle n'habitera plus qu'un cloître...
Un tombeau : elle l'a promis , & à genoux
, elle demande au Ciel la grace de
mourir bientôt.
Cet extrait , en forme de conte , rend
affez fidèlement la maniere de l'auteur&
le caractere de l'ouvrage , pour que les
lecteurs jugent eux- mêmes du mérite de
ces lettres intéreſſantes .
Mémoire de Lucie d'Olbery , traduits de
l'anglois par Mde de B ... G... aureur
des lettres de Milady Bedford. AParis
, chez de Hanſy le jeune , libraire ,
rue St Jacques , 1770 ; 2 part. chacune
d'environ 300 pag.
Miſs Lucie eſt fille d'un François &
d'une Angloiſe . Elle a perdu ſon pere ;
II. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE.
2
& ſa mere qui ne l'aime pas , la laiſſe ,
pour ainſi dire , abandonnée en Angleterre
où elle eſt en priſon , dans un village ,
chez Mde Vilmor femme honnête.
Mde d'Olbe , qui lui tenoit lieu de mere,
meurt. Mylord Berch achette la terre de
ſa bienfaitrice. Epoux trop malheureux ,
il ſe retire dans cet aſyle. Bientôt la ſociété
de Lucie le confole ; Lucie voit en
lui le plus honnête & le plus parfait des
humains. Leur commerce vertueux eſt
aſſez tranquille juſqu'au moment où Milady
d'Elfied , aimable couſine du tendre
&généreux Berch , détermine Lucie à venir
habiter Londres avec elle .
L'action , un peu froide& languiſſante
juſqu'à ce moment, s'anime. Une foule
d'adorateurs rendent hommage aux charmes
& aux vertus de Lucie qui ne connoît
ni les ſentimens de Berch ni les ſiens .
Enfin ce lord , dans un accès de jalousie ,
lui déclare la paſſion qu'elle lui a infpirée.
Frappé d'une dangereuſe maladie, la
ſenſible Lucie lui laiſſe voir tout fon at
tachement . Le lord rétabli vient lui proreſter
qu'il veut être heureux ou mourir à
Sespieds. Luciedefire ſon bonheur. Berclı
enflammé par cette expreſſion innocente..
Mais elle ſe ſauve avec horreur , & il fort
déſeſpéré.
AVRIL. 1770. 75
Mylord Ofmond , frere de Mylady
Lorcet , amie de Milady d'Elfied , avoit
été frappé de la beauté de Lucie ; & fa
ſoeur l'avoit engagé à voyager en France
pour l'oublier. Certe Lady emploie toutes
fortes de voies pour déterminer Lucie
à époufer Sir Porteland ou le chevalier
d'Herric : Milady d'Elfied la ſeconde.
Lucie , pouſſée à l'extrêmité, ſe détermine
à fuir ; mais tandis qu'elle doit être dans
un aſyle inconnu qu'elle avoit chargé ſa
femme de chambre Doly de lui découvrir
, elle ſe trouve dans une maiſon de
Milord Ofmond qui a gagné cette fille ,
trompé par de faux rapports fur les fentimens
de ſa maîtreſſe à ſon égard. Lucie
, malgré les refpects d'Oſmond , ne
peut fupporter l'horreur de ſon état ; elle
tombe dangereuſement malade. Tous
ceux qui la connoiſſent s'empreſſent autour
d'elle : on s'attendrit ſur ſon fort ;
on admire la beauté de ſon ame. Son
amour pour Berch n'eſt plus un myſtere.
Ofmond repaſſe en France ; Porteland &
d'Herric ſont congédiés. Peu de tems
après ſon rétabliſſement , elle part , fuivant
les conſeils de Milady d'Elfied , avec
Milady d'Etfort pour la France où elle
trouve une mere toujours dure & un frère
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
bien tendre. Milady Berch meurt d'une
chûte de cheval ; mais Mylord Berch eft
aſſaffiné ... Il n'eſt pas mort... Il guérir.
Miſs Lucie repaſſe en Angleterre avec
ſa mere &fon frere. Elle épouſe le lord
Berch ; fon frere épouſe ſon amie Camille,
à qui ces lettres font écrites : amans,
amis , les principaux acteurs de ce roman
ſe trouvent réunis &heureux.
L'auteur de ces lettres écrit pour faire
voir que ſi la vertu ne peut pas toujours
détruire une paffion trop naturelle ,
ellegarantit du moins, quand elle tient la
premiere place dans un coeur , dans quelque
ſituation que l'on ſe trouve , des foibleſſes
qui aviliffent ce ſentiment & en
détruiſent l'intérêt.
Choix varié de poësies philofophiques &
agréables , traduites de l'anglois & de
l'allemand. AAvignon , chez la Veuve
Girard & Fr. Seguin , imprimeurs - libraires
, près la place St Didier , 1770;
avec permillion ; 2 vol. petit in - 12 .
chacun de 2 à 300 pag.
Les quatre Ages de la Femme, par M. Zacharie;
les quatre Saifons, par M. Kramer ;
les quatre Ages de la vie , l'Eſſaifur l'Art
AVRIL. 1770. 77
d'être heureux , de M. Utz , des épîtres
morales de MM. Haller , Schlegel , Kramer
, Withof , Hagedorn , Cronegk ,
Gellert , Pope , &c.; des paftorales de
MM. Kleiſt , Geffner , Roſt ; des odes ,
des fables , des chansons de MM. Kramer
, Hagedorn , Gellett , Lightwer ,
Gleim , Leffing , Zacharie , Pomfret, Cowelley
, &c. compoſent ce recueil choiſi
avec goût. Ces pièces font prefque toutes
connues ; on en a tiré une grande partie du
Journal étranger. C'eſt la philofophie qui
inftruit , en amusant , par l'organe de la
poësie . On y trouve un mêlange agréable
d'images fortes &douces , d'idées ſimples
& fublimes , de ſentimens analogues à
toutes les paffions; Non - ſeulenient les
moeurs y font par - tout reſpectées , mais
touty reſpire la vertu.
La nouvelle Lune ou hiſtoire de Pæquilon;
par M. le B ***. A Amſterdan ; & fe
trouve à Lille , chez J. B. Henry , imprimeur-
libraire , ſur la grand place
&à Paris , chez de Hanſy le jeune , libraire
, rue St Jacques , près les Mathurins
, &c. 1770 ; 2. part. d'environ
200 pag. chacune.
Selénos , génie tutélaire de la Lune, fe
Diij 4
78 MERCURE DE FRANCE.
trouve à la naiſſance de Pæquilon , & déclare
que les voeux de cet enfant feront
tous accomplis , lorſqu'il aura atteint fa
quatorziéme année , à condition qu'il ne
formerapas deuxfois le mêmeſouhait, qu'il
ne demanderajamais le bien d'autrui ; &
qu'il ne pourra paffer de ſes ſouhaits accomplis
à d'autres qu'après la révolution
de deux Soleils.
Pæquilon , à l'âge indiqué , demande
une montagne d'or & la mange , comme
le lecteur peut le prévoir. Il ſouhaite que
la pouſſiere de la planète foit pour lui
poudre de projection , & le voilà riche à
jamais. Cette pouſſiere qu'il jette aux yeux
de tout le monde lui attire une brillante
cour. Mais il vieillit ; la Fontaine de Jouvence
ſe découvre à ſes defirs. Rajeuni&
embelli , fes eſclaves le traitent d'impofteur
, il eſt deſtiné à la garde de fon propre
ferrail,& fes femmesle mettent dans
la confidence de leurs infidélités . Le mariage
ne lui réufſſit pas , on l'imagine. Il
demande une force extraordinaire dont il
abuſe , comme on le fait. Il ne ſe tiredes
mains de la justice qu'en demandant l'inviſibilité.
Dans cet état ſingulier , il s'unit
à Olympia . Après diverſes métamorphofes
, ſes débauches & ſes liaiſons avec une
AVRIL. 1770. 79
fille de théâtre le mettent dans la nécefſité
de former un voeu qui ne peut être
accompli que quand il ſera auſſi formé
par Olympia que Sélenos lui a enlevée
avec tous ſesenfans.
Pæquilon voyage pour retrouver ſa
femme. Dans l'eſpace de trois cens ans ,
il découvre que dans tel royaume , quelques
particuliers ſe tuent; que l'inquifition
eſt établie ailleurs , qu'un autre peuple
eſt avare , &c. Sélenos lui a rendu ſa
femme; il la perd encore par une forte
d'infidélité. Enfin il eſt tranſporté dans le
royaume d'Eutoquie ; Olympia y regne ;
il s'affied enſuite à côté d'elle fur le trône,
apparemment pour récompenſe de tant
de vertus. Dans ce royaume , on est heureux
, " parce que le trône eſt ſacré &
>>juſte ; l'autorité paternelle, innocente
» & pure ; & la religion inacceſſible aux
>> contradictions . » !
L'auteur a employé , avec plus de gaïté
&de ſaillies que de philofophie & de décence
, une bien grande & bien merveilleuſe
machine , pour opérer des chofes
bien petites &bien communes.
Les Préſages de la ſanté , des maladies &
dufort des malades ou Hiſtoire univer-
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Selle desfignespronostics , dans laquelle
on a raffemblé , rapproché& expoſé les
règles les plus conſtatées par l'obſervation
concernant la prévoyance des événemens
futurs , tant en ſanté qu'en maladie
, & où l'on a rapporté les fentences
les plus certaines&les plus intéreſſantes
des pronoſtics d'Hippocrate,
auxquels cet ouvrage peut fervir de
commentaire, conformément à la théorie
la plus accréditée chez les modernes
; par M. *** :
Eft enim vis & natura quædam quæ tum obfervatis
longo tempore fignificationibus , tùm alique
instinktu futura prænuntiat.
Cic, lib, t dedivinit.
2
A Paris , chez Briaffon , libraire , rue
St Jacques , à la Science , 1770 ; avec
approbation & priv. du Roi ; brochure
in 12. de 388 pag .
La ſcience des pronoſtics , unedes plus
brillantes &des plus utiles parties de la
médecine , nous paroît traitée , dans cer
ouvrage , avec beaucoup de clarté , de fageffe
& de méthode. L'art de pronoſtiquez
publié par Hippocrate étoit encore, qua
AVRIL. 1770: 81
tre cens ans après , dans le même état D'
vers le tems de Celſe. Quelques fiécles
plus tard , il fut prodigieuſement enrichi
par Galien. Les médecins Grecs & Arabes
n'y ajouterent pas beaucoup de découvertes
. Il avoit fait fi peu de progrès au
feiziéme fiécle que Louis Duret, qui traduifit
& commenta Hippocrate , &Profper
Alpin qui donna une collection com--
plette , méthodique & raiſonnée des pré--
ſages épars dans les écrits des anciens ,
tous les deux perſonnages très- ſavans qui
ont rendu de grands ſervices à la médecine
, n'offrent pas une collection confidérable
de nouveaux ſignes. La découverte
de la circulation du fang , l'introduction
d'une nouvelle phyſique , les
progrès de l'anatomie , l'obſervation des
rapports du pouls avec les criſes futures..
&c. ont étendu les connoiſſances ſemio--
logiques . M. Malvieu , un oeilfur les li
vres & l'autre fur la nature , a formé des
règles connues,& de ſes propres obſervations
un corps inſtructif & utile à toutes
fortesde perſonnes.
Son ouvrage eſt diviſé en trois livres..
Le premier réunit les ſignes de la ſanté
fignes phyſionomiques , humoraux vi
taux ,ſphychologiques, idiofynéraliques ,
D
82 MERCURE DE FRANCE.
commémoratifs , externes. Dans le ſecond
, l'auteur raſſemble les préſages des
maladies, par la nature des tempéramens,
l'état ou la profeſſion des hommes , la
comparaiſon des tempéramens avec les
cauſes externes , l'action de ces caufes par
les caufes internes , l'inſpectiondu corps
&de la face ; les qualités des excrémens ,
les veilles , le ſommeil& les fonges , les
modifications des idées &des ſenſations,
les mouvemens mufculaires & vitaux .
Le troifiéme livre contient les préſages
du fort des malades , préſages généraux
concernant la nature , la durée , la grandeur
& le danger des maladies , préfages
des divers événemens par différentes caufes
externes & internes , préfages de l'iffue
par les mouvemens du corps , le tact,
les humeurs , les ſenſations , les opérazions
de l'eſprit , l'état de l'ame , le caractere
même des maladies ; & ce livre
eſt terminé par les idées générales des
maladies d'un caractere bénigne , d'un
caractere dangereux , d'un caractere funeſte
, & par les préſages de l'iſſue des
maladies par l'obſervation des criſes .
Nous donnerons une idée de la manière
dont l'auteur expoſe dans le 2. chap.
du 2. livre , les préſages de maladie tirés
de la profeſſion que l'on exerce.
AVRIL. 1770. 83
« Les gens de lettres conſomment,pen-
>>dant leur application , une grand quan-
>> tité de fluide nerveux : leurs nerfs ſont
>>tendres & portés au - delà de leur ton
>> naturel ; les humeurs ont plus d'âcreté,
» & leur lymphe a plus d'épaiſſiſſement :
>> c'eſt pourquoi ils font très - ſujets aux
>>indigeſtions , aux coliques , aux infom-
>> nies , aux hémorroïdes , aux migraines,
>> aux douleurs goutteuſes &aux affections
>> hypocondriaques . »
» Les laboureurs livrés à des travaux
>> forcés & aux excès du chaud , du froid,
>> de l'humide & du ſec , & aux variations
>> de l'air , ſont ſujets aux maux dépen-
> dans de l'excès du mouvement muſcu-
>> laire & de la ſuppreſſion de la tranſpi-
>> ration : les pleuréſies , les péripneumo-
>> nies& les rhumatiſmes ſont ſur - tout
» leur partage.
>>Les intempéries de l'air , les marches
>>forcées , de longues privations de fom-
» meil & de repos , le mauvais air des
>>camps , le défaut , la mauvaiſe qualité,
>> la nouveauté & les fréquens change-
» mens des vivres & des boiſſons expo-
>> fent les foldats aux maladies aigues &
» inflammatoires , & aux fiévres tierces ,
>> quartes , continues , putrides&dyſſen.
>>tériques.
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
>> Les charrons , les charpentiers , rese
menuifiers font des efforts &des mou-
>> vemens continuels... Ils font ſujets aux
>>>hernies , aux tremblemens , aux varices,
>> aux panaris...
» Les maçons & les plâtriers font fu-
>>jets à l'asthme , à la phtiſie & aux trem-
» blemens , à cauſe des vapeurs de la
chaux & du plâtre qui agiſſent d'une
>> maniere fort nuiſible fur le poumon ,
>> foit en defféchant les fibres , foit en les
>>, irritant ou en ſe gonflant dans les véſi--
>>cutes pulmonaires.
>>Les émanations des cuirs & des peaux
que les cordonniers travaillent , leur
>> donnentdes étouffemens &des asthmes,
» & l'exercice particulier des mains leur
>> cauſe ſouvent des panaris..
99
>>L'intuſception de la vapeur du fang:
des animaux expoſe les bouchers aux
>> hémorragies , aux coups de ſang , aux
apoplexies , aux étouffemens ; & la va-
>>peur de l'air corrompu qu'ils reſpirent
>>>leur caufe des maux de coeur , des dé-
>>>goûts , des vomiſſemens , des maux de
tête & des maladies putrides &gangre
22neuſes....
Cet ouvrage eſt dédié à Mgr l'Archer
veque Duc de Cambrai , dont l'auteurs
AVRI Σ. 1770 .
peint , avec les traits du ſentiment , l'humanité
, la bienfaiſance , la générofité &
toutes les vertus afſforties à la dignité de
fon rang & aux glorieuses destinées defa
race.
Abrégé de l'histoire de Port - Royal; par
M. Racine , de l'académie françoiſe...
Ouvrage ſervant de ſupplément aux
trois volumes des oeuvresde cet auteur.
Nouvelle édition , imprimée à Vienne;
& ſe trouve à Paris , chez Lottin le jeune
, rue St Jacques , vis-à- vis celle de
la Parcheminerie , in 12 ...
Cet ouvrage de Racine, perdupendant:
pluſieurs années , n'a paru , pour la premiere
fois , qu'en 1742 , encore étoit - il
incomplet ; des raifons particulieres , de
petits ménagemens avoient engagé ceux
qui le poſſédoient de le laiffer dans l'oubli
; lorſqu'on ſe haſarda à le publier , on
n'en donna qu'une partie ; on regrettoit
la ſeconde ; elle étoit tombée entre les.
mains de M. l'abbé Racine , qui fe conrenta
d'en inférer quelques morceaux dans
fon abrégé de l'hiſtoire eccléſiaſtique ; on
Ya enfin imprimée en 1767 .
Ce morceau précieux de la main d'un
grand maître qui ſavoit donner de l'inté
86 MERCURE DE FRANCE.
rêt à tout ce qu'il touchoit , eſt connu&
apprécié depuis long-tems. Boileau le regardoit
comme le plus parfait que nous
euſſions en notre langue ; M. l'abbé d'Olivet
a dit qu'il doit donner à Racine,parmi
ceux de nos auteurs qui ont le mieux
écrit en proſe , le même rang qu'il tient
parmi nos poëtes. Le ſtyle en eſt ſimple ,
uni, pur, élégant,mais moins vif& moins
brillant que ſa poësie .
Nouveauftyle criminel , contenant 1º. une
inſtruction fur la procédure criminelle;
2°. les formules de tous les actes
qui ont lieu en cette matiere ; 3 °. des
procédures entieres ſur le petit & le
grand criminel , le faux principal , le
faux incident , la reconnoiſſance des
écritures & l'inſtruction conjointe ; par
M. Dumont , avocat . A Paris , chez la
Veuve Regnard , imprimeur de l'académie
françoiſe; & Demonville , libraire
, rue baſſe de l'hôtel des Urſins ;
2 vol . in- 12 .
Il y a long-tems qu'on ſe plaint qu'il
nous manque un ſtyle de procédures criminelles
; avant de décider ſi un accufé
eſt coupable , ſi on doit le renvoyer abfous
oule punir , il faut faire une inftruc
AVRIL. 1770. 87
tion ; pour bien faire cette inſtruction ,
il eſt important de ſçavoir les règles de la
procédure , & d'en poſſéder la forme. M.
Dumont a dreſſé des formules pour tous
les cas & pour tous les incidens qu'il a pu
prévoir. Son ouvrage eſt diviſé en trois
parties; dans la premiere il préſente fur
les ordonnances des obſervations claires
& d'une juſte érendue qui peuvent tenir
lieu de commentaires : dans la ſeconde il
a mis les formules de tous les actes qui
peuvent avoir rapport aux différens titres
des ordonnances , & dans la derniere il
donnedes procédures entieres , commencées,
ſuivies& finies ſur le petit& le grand
criminel .
Sommaire alphabétique des principales
queſtions de droit , de jurifprudence &
d'uſage des provinces du droit écrit du
reffort du parlement de Paris. Par M.
Mallebay de la Mothe, conſeiller du
Roi , ſon avocat &procureur au fiége
royal de Bellac; nouvelle édition. A
Paris , chez Valade , libraire , rue St
Jacques , vis à vis la rue de la Parcheminerie
, à l'image St Jacques , in- 12 .
Ondefire fouvent la paix avec ſes concitoyens
ſansavoir le bonheur de pouvoir
88 MERCURE DE FRANCE.
en jouir. La diſcorde triomphe ſouvent
des meilleures diſpoſitions ; c'eſt une vérité
prouvée par une trop grande multitude
de faits. Le mêlange du droit écrir
avec les différens uſages , fourniſſentbien
fouvent des moyens de divifions ; pour
prévenir un fi cruel inconvénient , M.
Mallebay de la Mothe a entrepris de déſigner
d'une maniere claire & préciſe les
bornes du droit écrit ,& les ufages pratiqués
dans les provinces régies par cette
loi dans le reſſort du parlement de Paris.
Il a voulu donner une connoiffance générale
de la loi , & apprendre à diftinguer
les cas où l'uſage l'emporte au préjudice:
du droit , & ceux où les loix font écoutées
au préjudice de l'uſage. Cet objet eft
très- intéreſſant ; l'auteur le remplit avec
fuccès , & on ne peut qu'applaudir à fon
travail & à fon zèles
Inftitutes de droit canonique , traduites en
françois , & adoptées aux uſages préfensde
l'Italie & de l'Eglife Gallicane,
par des explications qui mettent le texte
dans le plus grand jour & le lient
aux principes de la jurisprudence ecclés
faſtique actuelle, précédées de l'histoi
ze du droit canon,ouvrage élémentai re
AVRIL. 1770 . 89
re , utile à toutes fortes de perſonnes ,
mais indiſpenſable pour l'étude da
droit canonique ; par M. Durand de
Maillane avocat en parlement. A
Lyon , chez Jean- Marie Bruyſet , imprimeur-
libraire , rue S. Dominique ;
10 vol . in- 12 ..
,
Il y a peude ſciences dont les matieres
foient plus étendues & plus embarraffées
que celles du droit canonique ; la multitude
des livres qui en traitent en rend
l'étude difficile; & quand on auroit parcouru
tout , quand on auroit fu toutes les
loix , quel fruit en retireroit - on ſi l'on
n'avoit pas appris à les diftinguer entre
elles , à connoître l'origine de chacune ,
ſes cauſes , ſes motifs , pour en faire la
juſte application dans la pratique ? » Se-
>> roit-ce en effet le corps du droit canon
>> qui rendroit fon lecteur capable de ce
>> difcernement ? Tout y eft diffus & com-
>> me furanné ; nos recueils d'ordonnan-
>> ces dérogent à une partie des canons &
>>laiſſent ignorer ceux qu'elles admettent.
>>Les ouvrages modernes des auteurs
>> françois apprennent véritablement laju.
>> riſprudence nouvelle & les vraies maxi
>> mes de notre gouvernement , foit ecclés
9. MERCURE DE FRANCE.
>> ſiaſtique , foit politique, ſur ces matiè-
>> res ; mais c'eſt dans un ordre de com-
>> poſition qui ne convient pointà toutes
>> fortes de lecteurs. La plupart de ces au-
>> teurs n'ont pas fait attention que les
>> François ont , pour ainſi parler , deux
>> droits canoniques dans le ſens que nous
>> venons d'expliquer , une double légif-
>>lation qu'il eſt mal aiſé de ne pas con-
>> fondre quand on connoît l'une & l'au-
>> tre autrement que par les principes
>> qui font particuliers à chacune ; car ob-
>> ſervons que les grands ouvrages qui
>> traitent le droit en général dans l'uni-
>> verſité de ces déciſions , nuiſent plutôt
>> qu'ils ne profitent à ceux qui en igno-
>> rent les élémens par où nous voulons
>qu'ils commencent.>>>
Les inſtitutes de droit canon que nous
avons laiſſent beaucoup de choſes à deſirer
; on y a mêlé , d'une maniere trop confuſe
, les canons avec les ordonnances &
les arrêts ; on n'y a point ſaiſi ſur- tout ce
ſtyle élémentaire qui conſiſte à réduire les
matieres en principes fondamentaux d'où
les déciſions particulieres découlent comme
des conféquences. M. Durand de
Maillane n'a trouvé que les inſtitutions
de Lancela qui répondiſſent à l'idée qu'il
AVRIL. 1770.
1
s'étoit formée d'un ouvrage de cette efpéce;
il en préſente la traduction , à laquelle
il a joint un commentaire très bien
fait fans laiffer rien ignorer de ce qui s'eſt
pratiqué , il fait connoître ce qui ſe pratique
aujourd'hui ; il s'attache ſur tout à
fixer les idées du lecteur ſur l'origine des
canons , fur leurs progrès , leur deſtinée ,
&à le mettre en état d'en peſer la valeur
& d'en faire uſage avec certitude & connoiffancede
cauſe.
Ces inſtitutes ſont précédées d'une hiftoire
du droit canon qui forme un volumeà
part; c'eſt une introduction néceſſaire
à l'étude du droit canonique.
Mémoires d'un Citoyen ou le Code de l'humanité.
A Paris , chez Des Ventes de
la Doué , libraire , rue St Jacques , visà-
vis le collége de Louis le Grand ; 2
vol . in 12 .
Le héros de ce roman intéreſſant doit
le jour à un négociant très riche , qui l'envoie
à Smyrne pour y perfectionner ſes
connoiſſances dans le commerce. Le jeune
de Brieux eſt très - bien accueilli par
M. d'Ervan , conful françois; il devient
eperdument amoureux de Farmé , la fille
cadette du conful; il obtient ſa main , &
22 MERCURE DE FRANCE.
peu de tems après le confulat du Caire,
où il vit heureux de la poſſeſſion de Farmé
, ne s'occupant qu'à fe rendre digne
de ſa place , en ménageant les intérêts de
fa nation. H ſe rend fragréable aux Mufulmans
que les confuls des autres nations,
jaloux de ſes ſuccès , ne s'occupent que du
ſoin de le perdre ; ils ne peuventy parvenir.
De Brieux oppoſe la bonne foi &
Phonnêteré à toutes les intrigues ; les méchancetés
de ſes ennemis offrent pluſieurs
détails intéreſfans ; mais iſolés & qui perdroientà
être extraits .
Dans le tems où de Brieux eſt le plus
heureux , il apprend que M. d'Ervan eſt
très - malade , & qu'il a beaucoup à ſe
plaindre de ſon fils à qui il a cédé ſa place;
il nebalance point ; il volea Smyrne
pourconfoler fon beau-pere , &le rame.
ner avec lui ; ſes procédés , ſes difcours ,
attendriſſent le jeune d'Ervan , qui éprouve
des remords de la maniere odienfe
dont il en uſe avec un pere reſpectable ;
le jeune homme revenu à lui , frémit de
voir fon beau frere prêt à lui enlever fon
pere ; il veut réparer ſa conduite paffée ;
il demande en grace que l'éloignement
duvieux d'Ervan ne ſoit qu'un voyage ;
il obtient la permiffion de l'accompagner
AVRIL. 1770 . 93
pour le ramener enſuite à Smyrne; pendant
la route il eſt témoin de pluſieurs
événemens qui achevent de lui faire déteſter
ſa premiere conduite; un folitaire
Muſulman donne l'hoſpitalité aux voyageurs;
il a perdu un pere & une mere
qu'il adoroit ; il leur a creuſé un tombeau
dans une caverne au milieu d'un déſert ;
il y paſſe ſes jours à les pleurer , ®retter
dene pouvoir leur rendreles ſoins qu'il
leur a coûtés dans ſon enfance .
La nuit ſuivante les voyageurs font
reçus dans une métairie ; un vieillard leur
offre tous les fecours qui dépendent de
lui ; ce n'est qu'un laboureur ; l'envie de
donnerà fon fils un étatplus élevé que le
fien l'a porté à le faire inſtruire dans la
ſcience de la religion; ce fils eſt Iman ;
fier de lire l'alcoran dans une moſquée ,
il mépriſe ſon pere ; il rougit de lui devoir
le jour ; il ſouhaiteroit qu'il ne fût
plus , dans l'eſpoir de faire oublier dans
quel rang il eſt né, & de jouir de fon héritage.
Son avarice reproche au vieillard
l'emploi charitable qu'il fait de ſon ſuperflu;
cet indigne fils arrive un inſtant
après les voyageurs; il veut qu'on les renvoie;
il maltraite ſon pere; unde ſes oncles
vient heureuſement arrêter ſes vio94
MERCURE DE FRANCE.
崎
lences ; il porte des plaintes aux magiftrats&
le fait punir.
Ce tableau fi différent de celui qu'il a
vu la veille , acheve de changer le jeune
d'Ervan ; M. de Brieux , après avoir pofſédé
fon beau-pere pendant quelque tems,
le voit repartir ſans regret avec fon fils ;
it paſſe encore quelques années au Caire
& revient enfin en France ; il perd ſa
femme pendant le voyage , &s'établit à
Paris avec ſa belle - foeur qui a éprouvé
auſſi des aventures funeftes , & qui a été
réduite à la plus extrême miſere par un
mari que l'ambition plutôt que l'amour
lui avoit fait accepter .
Le fonds de ce roman eſt très - ſimple ;
les événemens ſont préſentés avec beaucoup
d'intérêt & de ſenſibilité ; mais ils
font trop peu liés les uns aux autres.
Effaifur neufmaladies également dangereuses
; l'apoplexie , la paralyfie, l'aſthme
, la pulmonie , la catharre , lerhumatiſme
, la vérole , la goutte & la
pierre , avec un préſervatif aſſuré des
maladies vénériennes ; par M. de
Malon : Mille maliſpecies , millefalutis
erunt. A Paris , chez Boudet , rue
St Jacques ; Valleyre l'aîné , rue de la
AVRIL. 1770 . 95
Vieille Bouclerie ; Deſaint , rue du
Foin ; Didot , quai des Auguſtins;Des
Ventes , rue St Jacques , 1770 ; avec
approbation & privil. du Roi ; broch.
in 12. de 376 pag. 4 liv .
M. de Malon s'applique , dans cet ouvrage
, à débrouiller les complications &
les traitemens différens exigés dans les
maladies qui ſemblent , au premier coup
d'oeil , être du même genre. Après avoir
diftingué les diverſes ſortes de maladies
de la même eſpéce , marqué leurs caractères
, expoſé leurs ſymptômes , il indique
des remedes différens , afin que le médecin
prudent faſſe choix de celui qui pourra
convenir non - ſeulement à l'âge , au
ſexe , au tempérament , mais encore au
goût de ſon malade. On fait que le philoſophe
péripatéticien, Brius,qui ne pouvoit
boire une cuillerée d'eau froide
fans éprouver un hocquet affreux, mourut
dans d'horribles convulfions pour en avoir
bu un verre , dans une fiévre violente,par
l'ordonnance de ſon médecin& à la follicitation
de ſa famille. Une médecine ordinaire
n'auroit pas purgé Mithridate.Un
auteur moderne cite un général d'armée
qui ſe trouvoit mal lorſqu'il voyoit fer-
,
96 MERCURE DE FRANCE.
1
vir à table un cochon de lait avec ſa tête.
Ces conſidérations montrent la néceſſité
de ſefaire un ami de ſon médecin.
Ala fuite des remedes , M. de M. donne
quelquefois des préſervatifs. Voici
celui qu'il annonce dans le titre de fon
livre .
Mettez quatre cuillerées de vinaigre
ordinaire dans un vaſe qui tienne pinte ;
verſez par-deſſus une pinted'eau ; lavezvous
de cette eau en vous levant & en
vous couchant ; & feringuez - en dans la
partie matin & foir. Il eſt prudent de ſe
gargariſer auffi le matin & le ſoir avec
cette liqueur.
Ou ( fi l'on craint que le vinaigre ne
ſoit falſifié ) mettez demi-once d'alunde
roche , calciné bien en poudre , dans un
vaſe de terre ; verſez deſſus une pinte
d'eau bouillante ; remuez bien tant que
l'alun foit fondu , & fervez - vous en comme
du précédent.
« Je rends , dit l'auteur , cette décou-
» verte publique par pure charité , pour
>> les innocentes victimes que fait l'im-
>> prudence d'un mari trop léger ou
» d'une femme coquette , qui peuvent
» avoir du mal fans le ſavoir & troubler
»ainfi
AVRIL. 1770. 97
*ainſi l'union du ménage , quelquefois
» pour jamais , ce qui devient la ſource
» des plus grands défordres . »
L'auteur , dans les traitemens qu'il indique
, ne conſeille jamais la ſaignée, jaloux
de ſe rendre de plus en plus digne du
glorieux titre de confervateur du sang humain
; * & avec un zèle vif & noble pour
la vérité & l'utilité publique , il invite
ceux qui ne le trouveroient pas affez clair
dans ſes raiſonnemens , à lui adreſſer leurs
objections , rue St Honoré , hôteld'Angleterre
, près la rue St Thomas du Louvre, en
face du palais royal.
A la tête de l'ouvrage eſt le portrait de
L'auteur , avec ces quatre vers :
Confervateur du ſang humain,
Tu ſuis pas à pas la nature ,
Tu la vois de nos maux entreprendre la cure ,
Toujours avec douceur , jamais le fer en main.
* Cet ouvrage ſe trouve chez Boudet , rue St
Jacques.
Eſſais fur différens points de phyfiologie ,
de pathologie & de thérapeutique ; par
M. Fabre , maître en chirurgie , prevêt
IL. Vol. E
MERCURE DE FRANCE.
du collége , & conſeillerdu comité de
l'académie royale de chirurgie. A Paris
, chez P. Fr. Didot le jeune , quai
des Auguſtins , 1770 ; avec privil . du
Roi ; 1 vol . in- 8 °. de plus de 400 p.
Il n'appartient qu'aux maîtres de l'art
de prononcer fur ce ſavant ouvrage dans
lequel l'auteur paroît s'être principalementpropofé
de développer& de confirmer
la nouvelle doctrine de la ſenſibilité
& de l'irritabilité. L'art de guérir a ſubi
les variations des ſyſtêmes. Hyppocrate
prit pour baſe de la médecine l'obſervarion.
Afclépiade de Laodicée dédaignant
l'expérience , fonda , ſur la raiſon, la ſecte
des méthodiques. Galien vengeaHippocrate
, mais fafciné de la philoſophied'Ariftote
, il établit un ſyſtème dogmatique
fur les quatre élémens , les quatre tempé .
ramens& les quatre humeurs. Van- Hel .
mont reconnut un principe vital d'où dépendent
les fonctions de la vie animale ,
&créa dans l'homme un être doué d'intelligence
qu'il appela archée , & qu'il
chargea de donner la vie , le ſentiment ,
le mouvement , la ſanté , la maladie & la
mort : il ne vouloit pas que l'on portât le
nom de médecin , ſi l'on ne ſavoit pas
AVRIL. 1770. 99
guérir une fiévre en quatre jours. Cette
opinion détruite par la découverte de la
circulation du ſang , Boerhaave transforma
le corps humain en une machine ſta .
to hidraulique ; & avec cette métamorphoſe
il donna le plan& les règles d'une
théorie &d'une pratique invariables. Des
médecins de Montpellier ne voyant que
de foibles rapports entre les phénomènes
de l'économie animale & les loix de Thidraulique&
de la méchanique , revinrent
au principe vital de Van-Helmont & de
Staal ; mais ils le rapporterent à l'irritabilité&
à la ſenſibilité , c'eſt à dire qu'ils
regarderent les nerfs comme les principes
de tout mouvement & d'une forte de ſentiment
néceſſaire à toutes les actions dela
vie.
Harvée avoit condéré les arteres & les
veines comme formant un cercle continu
que les fluides devoient néceſſairement
parcourir ſans s'arrêter ni rétrograder ;
mais on a reconnu à Montpellier qu'il y
avoit d'autres vaiſſeaux & un organe dans
leſquels les fluides peuvent fluer& refluer
contre les loix de la circulation générale,
& ſe porter dans toutes les parties du
corps fans paffer par le coeur : ce qui détruit
le ſyſteme mécanique de Boërhaave.
Eij
JO MERCURE DE FRANCE.
M. Fabre répond ici aux obſervations
dont M. de Haller concluoit que certaines
parties du corps étoient inſenſibles.
Il penſe que l'irritabilité ou la propriété
qu'a la fibre animale de fe contracter , a
fon principe dans le ſuc médullaire , ſéparé
dans le cerveau &diſtribué dans le
tiſſu intime , dans toutes les parties par la
voie des nerfs . Il préſume que le mécaniſme
de cette diſtribution dépend du
mouvement de la reſpiration &de l'action
du coeur , d'où il réſulte une preffion alternative
exercée par le ſang veineux &
attériel ſur le cerveau. Ainſi la circulation
du ſang , l'action des poumons& le mouvement
du cerveau feront les trois principaux
refforts de la vie animale. M.
Schlichting , médecin hollandois , a découvert
ce mouvement du cerveau qui
monte dans l'expiration & qui defcend
dans l'inſpiration .
Les loix particulieres de la circulation
des fluides dans les vaiſſeaux capillaires
&dans le tiſſu cellulaire font un autre
principe fondamental de la phyſique du
corps humain; tour organe , lorſqu'il exerce
ſes fonctions , eſt un centre vers lequel
les fluides font déterminés par l'action des
nerfs. Ainſi dans la maſtication , le ſang
ſe porte avec plús d'abondance , par la
AVRIL. 1770. IÓT
voie des vaiſſeaux capillaires , vers les
glandes ſalivaires , pour leur fournir une
plus grande quantité de ſalive. Les affections
de l'ame & les ftimules matériels
qui excitent l'irritabilité &la ſenſibilité
de nos organes dans l'état de ſanté , deviennent
des cauſes de maladies , lotfqu'ils
acquiérent les modifications telles
qu'ils excitent des mouvemens & des fenfations
extraordinaires qui dérangent les
fonctions & produiſent divers déſordres .
M. Fabre applique ſes principes aux
maladies aigues & enſuite aux maladies
chroniques , après avoir traité de l'inflammation,
de la fuppuration ,desplaies, des
amputations , de la cicatriſationdes plaies
&des ulcères , des luxations de la cuiſſe
&du bras. Tous ces chapitres ſont remplis
d'obſervations utiles & curieuſes. En
parlant des amputations , l'auteur approuve
la méthode d'étancher le ſang pratiquée
, au rapport de Ramper , au royaumed'Achindans
lesIndes Orientales. On
y punit les voleurs en leur coupant la main
droite , & quelquefois les deux mains &
même les pieds. L'opération faite , on
applique ſur la plaie une pièce de cuir ou
une veſſie qu'on lie ſi ferme que le fang
ne fauroit fortir. Le ſang bien étanché
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
on ôte la veſſie , le ſang caillé tombe de
lui- même & laiſſe la chair nette. Dampier
n'a point ouï dire que perſonne foit
mort de cette opération.
L'auteur défapprouve , avec M. Tiffot
&pluſieurs autres médecins , l'uſage des
bouillons de viande dans les maladies aigües.
Hippocrate n'ordonnoit que des ti-
Tannes ; il n'employoit la ſaignée que pour
modérer des accidens trop violens ; & il
abandonnoit la criſe à la nature. Il eſt
incontestable , ſuivant M. Bordeu , que
fur dix maladies , il yen a les deux tiers
au moins qui guériſſent d'elles - mêmes.
En parlant des maladies chroniques
l'auteur appuie ſur les inconvéniens qui
réſultent quelquefois de la guériſon de
certaines incommodités telles que les ulcères
, les fiſtules , le flux hémorroïdal ,
&c. Combien de malades feroient à l'abri
de l'apoplexie , du catharre fuffocant
de l'asthme , de la colique néphrétique ,.
&c. s'ils étoient ſujets à la goutte ? Le
flux hémorroïdal garantit , felon Hippocrate
, d'une infinité de maladies ; & f
on l'arrête mal à propos , cette guérifon
les fait naître.
M. F. penſe que la criſe artificielle que
le mercure cauſe,eſt le moyen unique par
:
AVRIL. 1770. 103.
lequel on puiſſe détruire le virus vénérien.
D'autres remedes ont quelquefois , dans
certains cas , des ſuccès éclatans ; mais ils
tombent bientôt , à ſon avis , parce qu'on
veut toujours en faire une métliode génerale.
Lorſqu'on diſoit à M. Dumoulin
qu'un nouveau remede anti-vénérien faifoit
des miracles : qu'on se hâte de s'en
fervir , réponduit- il , car bientôt il n'en
fera plus.
C'eſt un principe d'Hippocrate de ne
point contrarier juſqu'à un certain point
le goût des malades ; lorſque, par un fentiment
intérieur , ils appelent vivement
des alimens même qui paroiſſent contraires
à leur état. « Un habile médecin ,
>> établi dans une iſle de l'Amérique ,
>> avoit une hydropiſie afcite , qui avoit
>>ſuccédé à une maladie aigüe. Après
>> quatre ponctions &une infinité de re-
>> medes qu'on tenta vainement pour dé-
>terminer les eaux à s'évacuer par les
>> ſelles ou par les urines , il ſentit un goût
>> extraordinaire pour le ſucre ; il le dé-
>> voroit , pour ainſi dire , avec fureur ; il
» en mangea dans l'eſpace de vingt jours,
>> plus de cent livres , qui le rétablirent
dans la plus parfaite ſanté. >>
Cet ouvrage nous paroît curieux& fa-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
vant. Le célèbre M. Louis , qui en a été
cenſeur , l'a jugé utile aux progrès des
différentes parties de l'art de guérir ; &
MM. les commiffaires nommés par l'académie
de chirurgie pour l'examiner , en
ont faitun rapport très-avantageux.
L'Iliade d'Homère , traduite en vers avee
des remarques :
Vatemegregium.
Hunequalem nequea monftrare&fentiotantum
A Paris , chez Saillant , libraire , rue
St Jean-de-Beauvais , 4 part . in 8°.
Unebelletraduction de l'Iliade eſt ſans.
doute le plus bel éloge que le génie puifle
conſacrer à la gloire du prince des poëtes..
C'étoit la meilleure apologie que les défenſeurs
de l'antiquité qui , ſeuls étoient
capablesde la juger , euſſent à oppoſer à la
foule de ſes détracteurs , qui ne favoit
même pas lire dans ſes ouvrages . Racine
& Boileau tenterent cette grande entrepriſe;
mais en comparant leurs effais avec
leur modele , ils les jeterent au feu, comme
Platon avoit jeté au feu ſes poëties en
les conſidérant à côté des oeuvres du même
poëte. Ce facrifice doit exciter nos
AVRILL. 1770. 10-
regrets. A meſure que ces grands hom
mes auroient avancé dans leur travail, le
génie d'Homère leur feroit devenu plus
familier ; en s'élevant au- deſſus d'un obftacle
, ils auroient vu d'autres obſtacles
s'applanir d'eux- mêmes ; à force de voir ,
de penſer , de ſentir &de peindre d'après
cet homme divin , ils auroient vu, penfé,
fenti, peint comme lui ou d'une maniere
digne de lui ; & s'ils n'avoient pas réufli
à donner l'Iliade à la France , ils nous
auroient du moins laillé un magnifique
poëme.
9
M. de Rochefort a fourni la carriere
dans laquelle ils s'arrêterent au premier
pas. Au lieu de brûler ſes eſſais , il les a
préſentés au public : il lui a demandé des
conſeils , des avis , des encouragemens.
Hen a reçus& il en a profité. L'académie
royale des inſcriptions & belles- lettres
après lui avoir permis de lui dédier fon
premier eflai , lui a permis encore de publier
l'ouvrage entier ſous ſes aufpices.
C'eſt un augure bien favorable pour le
fuccès de cette traduction . Cependanc
M. de R. connoît trop bien l'iliade grecque
, pour ne pas s'appliquer volontiers
àl'égard de fon modèle , ce que Virgile
dit du jeune Afcagne , qui fuit fon pero:
Ey
106 MERCURE DE FRANCE.
Enée d'un pas inégal. « Ah ! s'écrie t'il ,
>> s'il paroiſſoit un homme de génie qui,
>> doué des talens uniquesde Racine & de
ود la Fontaine conſacrât ſon tems & fes
>> peines à reproduire Homère dans no-
>> tre langue , je brûlerois mon ouvrage
>> avec plaifir ! .. Pourrai-je , ajoute-t'il,
>>contribuer à foutenir l'honneur du prin-
>> ce des poëtes contre les cenſures de la
>> prévention & de la malignité ? Oui , fi
>> oubliant leurs traductions (de ſes prédé-
>> ceſſeurs ) & la mienne , ceux qui veu-
>> lent juger Homère ſe mettoient en état
>>de l'entendre parler lui- même. Voilà
>> mon ambition , & j'oſe avouer que
>>>mon intérêt propre ſe joint à mon zèle
>> pour ſa gloire. Plus on connoîtraHo-
>> mere , plus on ſentira la difficulté de
>> mon entrepriſe ; & ceux qui le poflé-
>> deront le mieux , ne feront peur - être
>> pas les plus ſéveres de ines cenſeurs. >>-
Le Discours , placé à la tête de cette
traduction fuffiroit ſeul à la gloiredu favant
académicien. L'eſprit , le goût ,l'érudition
, la critique , la poëfie y brillentégalement
. Ce morceau eſt digne du ſujet
&de toutes les diſſertations publiées fur
Homere ; nous n'en avons point lu dont
nous ayons été plus fatisfaits ; nous n'en :
AVRIL. 1770. 107
exceptons pas celles de Pope. M. de R.
confidere d'abord fon auteur comme poëte
, hiſtorien & philoſophe. Cet examen
eſt rempli d'excellentes obſervations fur
les moeurs , la langue & la Mythologie
desGrecs. En expoſant ſes idées ſur la
traduction , fur l'Epopée , &c. il releve
avec énergie les beautés de l'Iliade & repouſſe
avec force les critiques injuftes...
Souvent le génie d'Homère ſemble l'infpirer.
« Je ne connois , dit-il en parlant de
>> l'onomatopée , qu'une forte d'affecta-
>>tion dans Homere ; mais elle eſt de
» l'eſſence de la poësie , elle en fait toute
>> la magie & toute la beauté. Par elle on
>> entend le tonnerre qui gronde dans les
nues , les flots qui mugiſſent fur leur
>>rivage , les voiles déchirés par les vents,
>> la trompette fonnant dans les combats
>>les bleſſés qui tombent avec leurs ar-
» mes , la fléche qui ſiffle dans les airs ,
>>le feu qui tourbillonne , éclate & pé-
>> tille dans une forêt enflammée. L'orпо-
>> matopée ou l'imitation des chofes part
>> les mots , rend toute la nature préfente
>> à nos fens. Où trouver dans nos lan-
>> gues modernes cette abondancede fons
>> imitatifs , que nous trouverions à peine
> dans notre muſique même ? >
ود
;
Evji
108 MERCURE DE FRANCE.
On a reproché à Homere des comparai
ſons à longue queue. " Tandis que ces ef-
>>prits froids & méthodiques inſultent
>>par des railleries le prince des poëtes ,
>>je crois voir Homere fortir du tombeau
>> pour venir leur répondre. La flamme
>> du génie étincelle ſur fon front , ſa
>>grande ſtature s'éleve à l'égal d'an vieux
>> chêne dont la cime reçoit le foleil ,
>> long- tems avant le voyageur endormi
>> fous ſon ombre ; ſes yeux pénétrans&
>> rapides embraflent un horifon immen-.
>>ſe ; il parle à ſes critiques & leur dit :
>> Hommes amollis dans le fein de vos
>> villes , qui avez peu vu , peu connu
>> peu ſenti ; quand vos regards ſe fixene
>> fur un objet , vous ne voyez que lui ,
>> j'en vois cent autres à la fois ; vous ne
» le voyez que d'un côté , je le vois dans
>> toutes les parties ; votre réflexion froi-
>> de & lente compare cet objet avec un
» autre , & n'y apperçoit qu'un rapport ,
>> j'en découvre mille; une ſimple ſenſa-
>>>tion fuffit à votre ame , un torrent de
>> fentimens ne fauroit remplir la mien-
>> ne ; ceſſez donc de meſurer mon efpric
>> fur le vôtre. Les dieux , en trois pas ,
>>> arrivent au bout du monde.
: >>L'opinion , dit- il en parlantdes caracteres
, a répété depuis Horace juf
,
AVRIL. 1770 . 109
>>qu'à nous qu'Achille eſt bouillant....
>>Mais ceux- là ſeuls qui ont ſçu étudier
> Homere , favent combien la fouguede
>> ce guerrier devient intéreſſante & fu-
>> blime dans ſon amitié pour Patrocle.
" Ah ! que de larmes tu m'as fait verſer,
>> brave & malheureux jeune homme ,
>> quand je t'ai vu dompter ta colere par
>> complaifance pour ton ami ! toi , qui
avois refuſé à l'élite des héros Grecs ,
>> de marcher au ſecours de l'armée , tu
>>ne peux réſiſter aux prieres de Patrocle,
>> tu lui prêtes tes armes , il va combat-
>> tre , ton coeur eſt dévoré d'inquiétudes
وز pour ſes jours , on vient t'apprendre
>> qu'il n'eſt plus ! ... Les gémiſſemens
>> me déchirent le coeur , je ſens tous tes
>> regrets , je partage ta fureur. Dieux !
> quel excès de douleur, quand tu revois
>> cet ami , pâle , défiguré , couvert de
>> pouffiere & de fang ! tu l'inondes de
>> tes larmes , & tu compares à ce moment
>> horrible les jours brillans où la gloire
» vous couronnoit tous deux . Ames de
>> bronze , ſices traits fublimes vous ont
échappé , taiſez vous ſur le caractere
d'Achille , vous n'êtes pas dignes d'em,
» parler.
ودر
» Et toi , tendre & plaintive Helene ,
10 MERCURE DE FRANCE.
1
>> ils ſavent que tu es belle ; mais ils ne
>>ſavent pas que ton coeur eſt déchiré de
>>remords , qu'étant forcée de mépriſer
>> celui à qui l'amour t'a livrée , tu portes
>> dans ton ſein une punition terrible de
>> ta foibleſſe ; que tu reſſens dans ton
>> ame tous les maux que tu cauſes à
>>Troye ; que , timide & avilie , tu n'ofes
>> lever les yeux devant tes nouveaux pa---
>> rens , & que , proſternée aux pieds du
>> perede ton mari ,tune trouves quedans
>> la tendreſſe de ce vieillard & dans la
>> générosité d'Hector , la pitié que tour
>> le monde te refuſe. Que de nobleſle..
>>>dans Hector ! c'eſt le modele de l'hon-
>>-nête homme courageux. Qu'il me de-
>> vient intéreſſant , lorſque s'arrachant
>>des bras de ſa chere Andromaque , &
» lui recommandant ſon fils unique , il
>> va s'expoſer à la mort! Attendri par les
>> pleurs de cette malheureuſe princeſſe ,..
>> je me range avec les dieux du parti des -
>> Troyens , je frémis des dangers de leur
>> chef. Il périt : quede larmes il va coû
» ter , &c. »
Nous allons tranſcrire ici la traduction
des paſſages fur lesquels tombent les réflexions
précédentes.
25
درف
AVRIL. 1770.
Andromaque adreſſe ces mots à Hetor
qui va combattre.
Pourquoi chercher la mort dans des périls nouveaux?
Contemplez cet enfant , cher prince , & ma mi
fére ;
Regardez en pitié celle qui vous fut chere ,
Et qu'un veuvage affreux va bientôtdéſoler.
Mille Grecs conjurés voudront vous immoler....
S'il faut que mon époux tombe ſous leur furie ;
Grands dieux ! qu'en le perdant , je perde auſſi la
vie;
Tous mes jours ne ſeront que des jours de douleur
,
Etnul ſoulagementn'entrera dans mon coeur.
Ma mere ne vit plus , & le cruel Achille
Afait mourir ſon pere , a défoléja ville ,
Ce prince trop fameux dont le corps tout fan--
glant
Obtint d'Achille même un digne monument.
•
J'eus ſept freres , hélas ! dignes d'un meilleur
fort ;
Achille en un ſeul jour leur a donné la mort.
Des fiers Ciliciens la déplorable reine ,
Ma mere , du vainqueur porta l'horrible chaîne;.
Et quand ſes triftes yeux revirent ſon palais ,
Diane fans pitié la frappade ſes traits..
112 MERCURE DE FRANCE.
Hector , mon cher Hector , je leur ſurvis encore
C'eſt pour vous que je vis , vous que mon coeur
adore.
Pere , mere, parens , je trouve tout en vous ,
Vous êtes tout pour moi , vous êtes mon époux...
Unorphelin en pleurs , une veuve mourante
Ne pourront- ils toucher votre ame indifférente ?.
Pour veiller fur nos jours , demeurez dans nos
murs.
Trois fois Idoménée , Ajax & Ménélas ,
Dans ces lieux mal gardés ont porté le trépas.
Sans doute quelque dieu conduiſoit leur attaque;-
Hector , ils ont juré la perte d'Andromaque .
A la vue du cadavre d'Hector , fa dou
leur s'exhale en cés termes:
Cher époux , cher Hector , quelle eſt ma deſti--
née !
Dans la fleur de tes ans tu m'as abandonnée !
Et tu ne m'as laiſſé pour uniqueſoutien
Qu'un foible& tendre fruit d'un malheureux hymen
.
Encor , s'il me reſtoit quelque douce eſpérance
De voir un jour en paix croître ſa foible enfan--
ce!
Mais , hélas ! tu n'es plus ; Ilion va périr ,
AVRIL. 1770. 113
Tu n'es plus , toi qui,ſeul,pouvois nous ſecourir..
Monfils . • dans l'ignominie ,
Nous traînerons tous deux une mourante vic.
Tous deux , hélas ! peut- être un de nos ennemis
Qui perdit par Hector ou ſon pere ou ſon fils ,
Pour venger à fon gré leurs triſtes funérailles ,
Te précipiteront du haut de nos murailles .
Grands dieux !'que de vengeurs s'élevent contro
nous!
Hector , que de héros ont péri fous tes coups !
•
Detes derniers ſoupirs , celle qui te fut chere ,
Ton épouſe n'a point été dépoſitaire.
Quand tu fermois tes yeux ſous la nuit du trépas ,
Tu n'as point , cher époux , porté vers moi tes
bras;
Je n'ai point recueillli ſur sa bouche glacée
Quelquedouce parole à moi ſeule adreſſée ,
Quelques mots confolans dont j'aurois nuit &
jour
Entretenu ma peine& flatté inon amour.
Priam confole ainſi la belle Hélene.
Ma fille.. venez à mes côtés ; •
Raſſurez près de moi vos eſprits agités .
Du malheur des Troyens vous n'êtes point la
caufe..
1
114 MERCURE DE FRANCE..
La volonté des dieux de notre ſort difpoſe,
Seule elle a contre nous armé nos ennemis.
Venez voir votre époux , vos parens , vos amis...
Ah ! combien , dit Helene , à votre auguſte afpect
Mon coeur ſe ſent ému de honte &de reſpect !
Que n'ai -je ſcu mourir , quand loin de ma famille,
Laiſſant &mon époux & mon unique fille ,
Pour ſuivre votre fils ,je traverſai les mers.
J'ai vécu deſtinée aux maux les plus amers ;
Le remords me confume , & le cours de mes larsmes
Adefléché la fleurde mes coupables charmes.
Elle dit à Vénus , qui la preſſe d'épou
fer Pâris :..
Inhumaine déeffe ,
Vous plaiſez-vous... àtromper ma foibleſſe ?
En quels nouveaux climats voulez - vous m'ens
traîner ?
De quels nouveaux liens voulez-vous m'enchaî
ner ?
Sur les bords éloignés que regarde l'aurore ,
Aquel amant Vénus me promit-elle encore?
Pour un prix odieux s'expoſant à périr ,
LevaillantMénélas vient de me conquérir ;
Il veut dans ſes vaiſſeaux ramener ſon épouse;
AVRIL. 1770.115
Laiflez moi dans ſesbras ſans en être jalouſe.
Allez revoir Pâris , foulagez ſon ennui ,
Renoncez à l'Olympe & pleurez avec lui .
Dans les liens d'hymen ou d'un lâcheeſclavage,
Loin du ſéjour des dieux conſolez ſon veuvage.
Son lit m'eſt en horreur. Quel opprobre pour
moi ,
S'il poſlédoit encor mon amour & ma foi !
Quand je porte en mon coeur ſes fautes & les
miennes ,
Pourrois-je ſoutenir les regards des Troyennes ?
Livrée à mes douleurs , étrangere aux plaiſirs ,
Jedéteſte àjamais ſes amoureux defirs.
Ces vers donneront une idée juſte
de la traduction de M. de Rochefort..
Elle eſt, ornée de notes ſavantes & philofophiques...
Catalogue d'une collection de livres choifis
, provenans du cabinet de M... A
Paris , chez Guillaume de Bure , fils
aîné , libraire , quai des Auguſtins , à
StClaude & à labible d'or , in- 8 °. d'environ
200 pag. Prix 1 liv. 10 f.
Labibliographie eſt devenue une ſcien
116 MERCURE DE FRANCE.
ce fans bornes , & les catalogues ſont des
livres de bibliothéque. Celui que nous
annonçons eſt deſtiné à annoncer une
vente publique qui ſe fera en détail , au
plus offrant & dernier enchériſſeur , le
lundi II Juin 1770 & jours ſuivans ,depuis
deux heures de relevée juſqu'au foir,
en une maiſon ſiſe quai des Auguſtins ,
au coin de la rue Pavée. On vendra enſuite
des buſtes antiques &des vaſes de
porphyre. Les livres forment une collection
très- curieuſe & très-riche.
Le Nécrologe des hommes célèbresde Fran
ce ; par une ſociété de gens de lettres.
AParis , de l'imprimerie de G. Defprez
, imprimeur du Roi , 1770 ; avec
privilége du Roi ; brochure in- 12. de
415 pag.
Les gens de lettres , les artiſtes, les ac
teurs célèbres , tous ceux enfin qui , pendant
leur vie , auront mérité la reconnoiſſance
ou l'attention de leur fiécle, recevront
dans cet ouvrage , entrepris depuis
fix ans , un tribut d'éloges & de regrets.
On s'arrêtera moins aux anecdotes
communes de leur vie privée qu'à l'hiſtoire
de leur génie &de leurs talens. "La
>>vie d'un grand général eſt dans ſes cam
AVRIL. 1770. 117
pagnes ; celle d'un homme de lettres
>> ou d'un artiſte fameux eſt dans ſes ou-
» vrages. » Ce recueil pourroit contenir
les faſtes de la littérature &des arts, li les
perſonnes qui doivent s'intéreſſer à la
gloire des hommes célèbres , vouloient
bien concourir au but louable de noszélés
nécrologues , en leur procurant les mémoires
& les inſtructions qu'ils ne ceſſent
de folliciter..
Ce volume renferme vingt- quatre éloges.
Nous avons déjà jeté quelques fleurs
fur les tombeaux de pluſieurs écrivains
loués dans ce nécrologe d'une maniere
plus digne d'eux. Les noms des de l'Iſle,
des Sauvages, Ménard , d'Olivet , de Parcieux
, &c. feront encore conſacrés dans
l'hiſtoire des académies . Nous nous arrêterons
principalement aux éloges de deux
ſavans qui s'étoient retirés dans les pays
étrangers , MM. de Prémontval & Abauzit.
André-Pierre le Guay , de Prémontval,
né à Charenton en 1716 , donna un cours
gratuit de mathématiques à Paris vers
l'année 1740. Son mérite , ſon amour
propre & ſa hardieſſe lui attirerent des
ennemis. Il alla rechercherdes récompenſes
hors de ſa patrie , & après avoir erré
118 MERCURE DE FRANCE.
en Suifle & en Allemagne , il ſe fixa à
Berlin où il fut favorablement accueilli
par l'académie des ſciences , & honoré
des bienfaits du Roi de Pruffe. En 1751,
ilpublia un très-ſavant& très- fingulier
ouvrage , en 3 vol. in 8°. ſous le titre de
Monogamie ou l'unité dans le mariage.
Le mauvais ſuccès de ce livre l'engagea
à en brûler la fuite qu'il avoit annoncée
avec la plus douce confiance. Il nous apprendque
tel a été le ført de pluſieurs autres
productions de ſa plume. La fingu
larité eſt le caractere distinctif des ouvrages
de ce ſavant. " Je ne fais pourtant ,
>>dit l'auteur de ſon éloge , ſi l'on doit
>> appeler fingularité ce qui tend à être
>>bizarre. Ce petit mérite a été ſi fort re-
>> cherché de nos jours ; tant d'auteurs ,
>> ſinges les uns des autres , ont cru ſe
>> rendre originaux , en heurtant de front
>> les opinions générales , que ce n'eſt plus
»une fingularité, &que c'en ſera bientôt
>> une au contraire , que de vouloir ſerap-
>> procher des idées communes.>>
M. de Prémontval , né avec un caracteretrop
difficile & trop emporté , eut , à
Berlin , des procédés extraordinaires envers
M. Formey , fecrétaire perpétuel de
l'académie , qui ne les repouſſa jamais
AVRIL. 1770 . 119
qu'avec la douceur & la modération , &
qui a même conſacré la mémoire de M.
de P. par un éloge inſéré dans le 25º vol .
des mémoires de l'académie de Berlin .
Entr'autres livres de métaphyfique , il
publia la Théologie de l'Etre , eſpéce de
Lêverie philoſophique dans laquelle il rejette
les preuves ordinaires de l'existence
de Dieu , pour yſubſtituer des preuvesde
fon imagination . Vanini , accuſé d'athéif.
me , ſe baiſſa , ramaſſa un fétu , & dit :
Je n'ai besoin que de ce fétu pour me prouver
invinciblement ce qu'on m'accuse de
nier.
M. de P. eſt mort à Berlin en 1767 .
L'Allemagne lui doit un écrit très- utile:
ce ſont ſes préſervatifs contre la corruptionde
la langue françoiſe enAllemagne.
>> Si le mauvais goût , l'amour des folles
>> innovations & l'oubli dédaigneux de
>> tous les anciens principes , continuent
>> à s'accréditer parmi nous , on aura bien-
>> tôt beſoin d'un pareil ouvrage en Fran-
>> ce& au ſein même de la capitale.>>
Firmin Abauzit naquit à Uzès , ſur la
fin du ſiècle paſſé. Ses parens l'emmenerentdebonne
heure à Genève , où on lui
confia , dès ſa jeuneſſe , la bibliotheque
de la ville. Jouiſſant de l'état de citoyen,
420 MERCURE DE FRANCE.
il conſacra ſes travaux à ſa patrie nouvelle
: il donna , en 1730 , une édition de
l'hiſtoire de cetteVille &de l'Etat,que Jacob
Spon avoit publiée en 2 vol. in- 12 .
vers le dernier ſiècle. Dans des notes
pleines d'une érudition vaſte & choifie
il éclaircit , il développe , il rectifie le
texte : quelques differtations&des remarques
ſur l'hiſtoire naturelle des environs
de Genève , lui appartiennent en entier ;
on lit ces morceaux avec plaifir & avec
fruit. Les auteurs de fon éloge regrettent
que la modeftie de ce ſcavant nous aie
privés de les autres écrits : nous en jouirons
bientôt. Il s'en fait actuellement
deux éditions , l'une à Genève & l'autre
à Londres deſtinée pour Amſterdam ; la
premiere , ſur les manufcrits trouvés dans
les papiers de M. Abauzit par fon exécuteur
teftamentaire , & la ſeconde ſur des
copies que les libraires de Genève ſe ſont
procurées. M. Abauzit eſt mort en 1768
dans une petite folitude où il s'étoit retiré
près de Genève . Il étoit preſqu'inconnu
en France , avant que M. Rouffeau
eût publié ſa lettre ſur les ſpectacles, dans
laquelle le philoſophe ſenſible parle de
fon ancien concitoyen , avec une admiration
& une vénération dont on a été furpris
AVRIL. 1770. 121
pris , parce qu'on ne connoiſſoit point
M.Abauzit.
Mde Bontems , MM. Denelle , Malfilâtre
, de la Grange , Macquart , l'abbé
Roger , le Fort de la Moriniere , Léonard
desMalpeines , de Montdorge , Maucomble
, de la Marche , l'abbé Laugier, Poinfinet
, de Saint-Maur, font les autres gens
de lettres loués dans ce recueil. Avec
leurs éloges , font mêlés ceux de MM.
Fournier le jeune , Blavet & François.
L'ouvrage eſt terminé par des obſervations
, &c. fur les deuils.
Le mérite de ce recueil eſt connu. On
pourroit appeler ces éloges des morts la
cenſure des vivans.
,
Géographie familiere du tour du Monde ,
ou tableau précis & général du globe
terreftre , pour l'intelligence facile
prompte & durable de la géographie
moderne ; adaptée à l'atlas des colléges
&des penfions , & fuivi de celui de
l'Enfant géographe , ou nouvelle méthode
d'enſeigner cette ſcience;dédiée
à la jeuneſſe , broch . petit in. 12. de 225
pag. prix 1 liv . 10 fols. AParis , chez
Deſnos , ingénieur géographe pour les
globes & fphères ,& libraire de S. M.
IL Vol F
122 MERCURE DE FRANCE.
Danoiſe, rue St Jacques , au globe;avec
approbation & privilége du Roi .
La méthode nouvelle , ſuivie dans ce
petit livre , nous a paru très-propre à faciliter
aux jeunes gens l'étude de la géographie.
Des ſuccès rapides l'ont justifiée .
Unglobe , une mappemonde , les cartes
générales de l'Europe , de l'Aſie , de l'Afrique
& de l'Amérique ; les cartes de la
France &de quelques autres états , contenues
dans l'atlas des colléges du St Defnos
, fuffiſent avec cette géographie pour
bien faire connoître à des commençans
les ſituations relatives des lieux , deſquelles
ſeules réſulte le tableau général .
On trouve chez le St Deſnos toutes
fortes d'atlas , de cartes&de livres relatifs
à la géographie & à l'hiſtoire . Il procurera
aux amateurs qui s'adreſſferont à
lui , tout ce qui paroîtra de nouveau en.
géographie.
Fables allemandes & contes françois en
vers; avec un eſſai ſur la fable.
L'apologue eſt undon qui vient des immortels ,
Ou si c'eſt un préſent des hommes ,
Quiconque nous l'a fait , mérite des autels.
LAFONT.
1
AVRIL. 1770. 123
A Paris , chez Sébastien Jorry , imprimeur-
libraire , rue & vis- à- vis la Comédie
Françoiſe , au grand Monarque;
avec approb. & privil. du Roi.
L'Effai fur la fable eſt preſque tout
compoſé de citations. J'aime mieux , dit
l'auteur dans une note , rapporter des choſes
écrites ſupérieurement que de les narrer
mal . Il a raifon. Cependant il peint
le caractere des fabuliſtes à ſa maniere; il
parle de lui- même en ces termes : « Que
» dirai-je de moi ? de mes fables ? de mes
» contes ? Rien. Je laiſſe à mes ennemis;
> (qui n'en a pas! ) jaloux de magloire
>> à en dire tout le mal poſſible : & je
>> crains qu'ils n'en diſent point tout le
>> mal , à beaucoup près , qu'on pourroit
» en dire . » Nous ofons lui promettre
que l'envie ne flétrica point ſa gloire. Il
ne peut obtenir le laurier de poëte,
Pour mon amusement , (dit - il ,) je compoſe des
vers ;
Et tous ceux que j'ai faits , c'eſt afin de complaire
Acelle dont lesyeux plus que lejour m'éclaire.
Si l'on voit mes écrits , c'eſt ſon commandement.
La cruelle me fait ſouffrir très-conftamment.
11
Ce touchant aveu , ce defir de plaire ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
cette parfaite ſoumiſſion , ces vers fairs a
la lumiere des yeux de la cruelle ne l'attendriront
- ils pas ? Du reſte l'auteur ſe
contente , comme Horace , d'unpetit nombre
de lecteurs.
L'Homme de lettres; par le Pere Daniel
Bartoli : ouvrage traduit de l'italien ,
augmenté de notes hiſtoriques& critiques;
par le P. de Livoy , Barnabite.
AParis , chez Hériſſant fils , libraire ,
rue St Jacques , 1769 ; avec approbat.
& privil . du Roi ; 3 vol . in- 12 .
Le Pere Bartoli , Jéſuite , né à Ferrare
en 1608 , & morten 1685 , paffe pour un
des meilleurs écrivains que la ſociété ait
eus en italie. De ſes nombreux ouvrages,
l'Homme de lettres paroît être le plus eftimé.
Cet ouvrage eut un ſuccès prodigieux.
Dans l'eſpace d'une année , on en
fit huit éditions. Il a été , depuis,imprimé
pluſieurs fois , & on l'a traduit en différentes
langues. Ses compatriotes & fon
fiécle en admirerent les pointes , les comparaiſons
, les métaphores outrées , les citations
prodiguées & le ſtyle preſqu'oriental.
Par tout&dans tous les tems ,
on goûtera la faine critique , les ſages
leçons & la noble franchiſe de l'auteur;
AVRIL. 1776. 125
on ſera ſurpris de l'immenſe érudition
qu'il a fondue , ſouvent avec un art infini,
dans ſes préceptes. De la chaleur , de l'aménité
, de la force , de l'harmonie , des
images heureuſes , des tours vifs & piquans
rendront toujours la lecture de cer
ouvrage agréable ; it plaira par ſa ſingularité
même. L'auteur dit dans fon intro
duction , qu'il a compoſé fon livre dans
l'espace des deux mois les plus chauds d'un
été.
L'Homme de lettres eſt diviſé en deux
parties. La premiere préſente les avantages
de la ſcience & les défavantages de
Pignorance . La ſeconde eſt une forte cenfure
des vices des gens de lettres. Le deffein
de l'auteur eſt de venger la gloire des
lettres flétrie par les calomnies de ceux
qui les négligent&par les défauts de ceux
qui les cultivent. Il ſuffira d'en citer quel
ques traits pour que nos lecteurs ſaififfent
P'eſprit & la maniere duP. Bartoli .
L'auteur ſe plaint d'abord que les grands
de recherchent pas les gens de lettres; &
que ſi l'on rendencore hommage aux fimu
lacresdes divinités , on n'en dédaigne pas
moins les artiſtes . C'eſt la faute des
>> grands, ſi on ne voit point des hommes
>> qui, par l'étendue de leur ſçavoir,ayent
ود
Fiijs
126 MERCURE DE FRANCE.
>>une réputation éclatante & qui faſſent
>> l'étonnement de l'Univers . Que ne for-
>> ment-ils leurs théâtres ſur la regle de
>> Vitruve , de maniere que les falles ne
>> foient point fourdes pour les repréſen-
>> tations& les concerts,&que les acteurs
»& les muſiciens n'y perdent pas leur
>> peine & leur voix. >>
Il eſt , dit - il en parlant de l'ignorance
dans les dignités , des ſculpteurs imbécilles
au dernier degré qui ne ſavent donner
à une ſtatue de géant un air terrible, qu'en
le repréſentant furieux , étendant les bras
& écartant exceſſivement les jambes ,
comme ſi d'un ſeul pas ils euſſent dû lui
faire meſurer tout le monde. La même
choſe arrive , dit Plutarque , à ces princes
qui s'imaginent ſe donner un air de
majeſté à force d'en montrerun farouche
&terrible. Louis XI vouloit que ſon fils
Charles VIII fût uniquement inſtruit que
qui ne fait pas diſſimuler ne fait pas regner.
S'il mettoit le ſceptre à la main
du Roi , l'épée à ſon côté , il en faiſoit
>> en même tems un nouveau Midas , en
» lui donnant des oreilles d'âne . »
L'article de l'ignorance &des richeſſes
eft curieux & amufant. « Aujourd'hui
>>dans le monde , l'amour , l'honneur ,
AVRIL. 1770. 127
>> tout eſt à prix d'argent. Les lettres qui
» font la meilleure recommandation ſont
» les lettres de change , & la meilleure en-
» cre-eft celle des banquiers ... Les perles
>> bien rondes & bien groſſes , figures des
>> riches ignorans , ſont la choſedu mon-
» de la plus précieuſe & la plus eſtimée.
>> Faites moi tout d'or , quand je ſerois
>> un boeuf , on m'adoreroit comme un
>> dieu . On peut faire remonter juſqu'à
>>l'antiquité la plus reculée , aux Ifraëli-
>> tes dans le déſert , l'origine de cette
» apothéoſe qui ne ſe perdra jamais . »
L'auteur habille enſuite un riche ignorant
de la laine la plus fine teinte en pourpre,
pour lui dire avec Demonax , que cette
laine , une bête brute l'a portée avant lui,
&que comme la teinture ne l'a pas fait
ceſſer d'être laine , ſa figure humaine &
ſa pompe ne lui ôtent riende l'animal. II
le loge enſuitedansun ſuperbe hôtel pour
mettre ſur ſa porte , ci git Vatia.
Le P. B. ſouhaiteroit qu'il y eût un hiver
pour les livres comme pour les arbres
; & que comme dès l'automne les
arbres ſe dépouillent de leurs feuilles ,
les livres perdiſſent auſſi les leurs. Enſuite
il applique aux livres ornés de
Fiv
130 MERCURE DE FRANCE.
rent. Les plus grands génies ont honoré
ce grand art ; & l'on peut dire des lions
comme des fourmis , qu'ils aiment à ſe
nourrir de butin. On affure que les ouvrages
d'Ariftote ne font qu'une mofaïque
formée avec les écrits de Speufippe ,
de Démocrite , &c. Enforte que celui qui
paroiſſoit un phénix avec tout ce qu'il
avoit pris des autres , n'auroit plus été
qu'un corbeau avec le ſien. Platon fut taxé
deplagiaire (& non de plagiat. ) Timon
l'accuſa d'avoir dérobé les idées de fon
Timée à Philolais ... Que n'a t'on , s'écrie
l'auteur , un Archimede pour féparer
les idées comme les métaux ; unAriftophane
pour distinguer le langage des
morts dans la bouche des vivans; un Cratinus
pour mettre les livres à la queſtion
&leur faire leur procès fur ces larcins ,
comme il fit des poëſies de Ménandre ,
dont il tira fix livres de plagiats ? On verroit,
avec combien de raifon , Mercure eft
réputé tout à-la fois le dieu les littérateurs
&des voleurs !
و nous avons Dans les paſſages cités
preſque toujours confervé la traduction
du P. de Livoy , excepté dans ce dernier
extrait fur le plagiat , où il nous paroît
avoir entierement manqué le ſens de l'au
AVRI L. 1770.
131
reur en pluſieurs endroits. Le P. Bartoli
dit , en parlant d'Ariſtote : Si Speusippo ,
nella compra de' fui libri egliſpeſe trè talenti;
fe Democrito , ſe altri ... repigliaffero
ognuno deſſfi il loro ; c'eſt à dire , fi
Speuſippe dont il ( Ariftote) acheta les
livres trois talens ; ſi Démocrite& autres
avoient repris ce qui leur appartenoit , le
P. L. traduit : il n'importe que Speusippe
aitmis trois talens pourſe procurer les ouvrages
d'Ariftote ; ſi Démocrite , &c .
Au ſujet de Platon , l'auteur cite ces
deux vers d'Aulu- Gelle .
Exiguum redimis grandi ære libellum
Scribere per quem orſus perdoctus abinde fuiſti,
Le P. L. traduit qu'il vous coûte cher
cet ouvrage , le premier que vous ayezfait!
Nous croyons que per quemfcribere orſus
ſignifie d'après lequel , au moyen duquel
vous avez commencé à écrire , & qu'il
s'agit non du premier onvrage de Platon ,
mais du petit livre de Philolaüs que Platon
acheta fort cher.
Le P. B. defire un Cratinus qui mette
les livresà la torture , coméi fece dellepoëfie
di Menandro , de' cui ladronnecci ei
composefei libri. C'eſt Cratinus quiforma
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
fix livres des plagiats de Ménandre , &
non Menandre qui avoit compoféfix livres :
defes plagiats , comme le dit le traducteur
, &c.
On pourroit auffi relever beaucoup de.
négligences dans le ſtyle du P. L. En général
il affoiblit & refroidit ſon auteur ..
Cependant ce travailne lui fait pas moins
d'honneur que ſa traduction des Révolutions
de la littérature ancienne & moderne -
de M. Denina ; & nous devons faire obferver
l'extrême difficulté qu'il y avoita
rendre dans notre langue un poëte qui ne
refuſe aucune idée , aucune expreffion ,
aucun tableau , d'une imagination toujours
ardente & ſouvent déréglée . Le Pa
de Livoy a enrichi l'ouvrage de nores
utiles..
Les Sens , poëme en cinq parties. A Gee
nève ; & à Paris , chez le Jay , libraire,
broch . in-8°.
La nature , dit l'auteur dans ſa préface
, eſt une ancienne maîtreffe dont le
nom- feul , quelqu'engagement qu'on ait
contracté dans la ſuite des tems , excite
toujours une agréable ſenſation. C'eſt
fous la dictée des fens,qu'il dit avoir écrit
fon poëme diviſé en cinq chants. Le ſujer:
AVRIL. 1770 . 1.33
de chaque chant eſt expoſé dans ces vers
-auxquels le reſte de l'ouvrage eſt parfaite.
ment allorti .
Egle, tes yeux ont vu Pâris
A la beauté donner le prix;.
Zéphire , dans leſein de Flore;
S'emparer des douces faveurs
Que ſes ſoupirs ont fait éclorre.
Près de ſon Euridice en pleurs
Ils ont vú le chantre de Thrace :
Manier la lyre avec grace,
Etpar ſes accens enchanteurs
Rendre ſon épouſe à la vie.
Vers Ariane évanouie
Ils ont conduit le dieu du vin ,
Et l'ont vu verſer dansfonfein.
Ce nectar qui nous rend la vie...
Jupiter en Crète arrêté,
Du taureau laiflant l'effigie ,
Avec fon. Europe ravie..
Partage ſadivinité.
Les plaiſirs dont le dicu s'enivre
Nepeuvent pas être décrits ,
Qu'il nous fuffiſe de les ſuivre.c
134 MERCURE DE FRANCE.
Les poësies diverſes jointes à ce роёте
ſont dans le même goût. «Je me fuis
>>amuſé , dit l'auteur , à tracer quelques
>>figures ſur le ſable ; non but eſt rem-
>> pli , fi quelqu'un les regarde en paf-
>> fant. >>
Inſtitutiones philofophicæ ad usumseminarii
Tullenfis , illuftriff. ac reverendis.
in Chrifto Patris DD. Claudii Drouas ,
Episcopi & Comitis Tullenfis , S. R. I.
Principis, juffu & auctoritate editæ . Neocaftri,
ex typis Monnoyer , DD. Epifc.
Tullens. typogr. & Tulli Leucorum ,
apud J. Carez , DD. Epifc. Tull. Typogr.
cum privilegio Regis.
Inſtitutions philoſophiques à l'uſage du
féminaire de Toul , &c. A Neufchâteau
, de l'imprimerie de Monnoyer ;
& à Toul , chez Carez , 5 fort vol.
in- 12 .
C'eſt ici une ſeconde édition des Institutions
philoſophiques , compoſées par
l'ordre de Mgr l'Evêque de Toul , à l'ufage
de ſon ſéminaire. On y trouve des
changemens & des augmentations confidérables.
Ces leçons , dans la forme ſcholaſtique
, font recommandables par lamé
AVRIL. 1770 . 135
thode & la clarté. Il ſeroit à deſirer que
l'on ſuivît dans les autres diocèſes l'exemple
que l'on donne ici de faire imprimer
des cours de philofophie , pour épargner
untems précieux que la dictée des cahiers
emporte. Cette conſidération nous induiroit
à imaginer que l'éducation des ſéminaires
pourroit être perfectionnée comme
celle des colléges. Ce ſujet ſeroit bien
digne d'exercer laplume d'un philofophe
chrétien.
Traitéde la culture des péchers; nouvelle
édition revue , corrigée & augmentée .
A Paris , chez Delalain , libraire , rue
& à côté de la Comédie Françoiſe ;
1770 , avec privil. du Roi ; brochure
in- 12. de 200 pag .
L'auteur de ce petit traité a acquis par
une longue expérience & par de mûres
réflexions , en cultivant le jardin de ſa
maiſon de campagne ſituée aux portesde
Paris , les connoiffances qu'il publie fur
un des plus excellens fruits de l'Europe.
La pêche coûte plus de foins &demande
plus d'intelligence dans le cultivateur que
tout autre fruit. Cependant les plants de
pêchers font fi mal gouvernés , qu'on ne
tire pas de cent arbres ce qu'on pourroit
146 MERCURE DE FRANCE.
tirer de vingt qui ſeroient conduits avec
un certain art. On prétend que M. Girardot
, ancien mouſquetaire du Roi , s'étoit
fait, par la culture des pêches , juſqu'à
30000 liv. de rentes dans un fort petit
eſpace de terre qu'il avoit à Bagnolet. Le
village de Montreuil , qui n'a , dit - on ,
d'autre production que ce fruit & quelques
fruits rouges , paye au Roi , tous les.
ans , pour so mille liv. d'impoſitions ; &
l'arpent de terre s'y loue 200 & 300livres .
Il eſtvrai que ſes habitans , au nombre de
quatre mille,fe donnent , pour tirer parti
de leurs fruits , des peines inconcevables ;
&que la ſituation du lieu&la qualité ſont
très- favorables à ces eſpéces d'arbres.
L'auteur , en parlant des différentes efpéces
de pêches , met la violette au defſus
de toutes les autres , lorſqu'elle eſt
dans ſa perfection , quoique bien des gens
l'eſtiment peu. Vitry , Fontenay-aux-Rofes
, le Pré- Saint-Gervais offrent des pépinieres
abondantes ; il y a plus de choix
à Vitry. Les pêches tendres ne peuvent
réuſſir qu'en eſpalier ; &dans ce climat
le levant& le midi font les ſeules expofitions
qui leur conviennent. Le treillage
eft d'une indiſpenſable néceflitépouravoic
des fruits bien conditionnés & en abon
!
و
AVRIL. 1776. 137
dance : on préſente ici le moyen d'en faire
avec économie. L'auteur s'eleve contre
la méthode générale de tailler les pêchers
lorſqu'ils font en fleurs , ou même après
que le fruit eſt noué ;& il prouve par le
raiſonnement&par l'expérience , qu'il eſt
plus avantageux de faire cette opération
vers la fin de Janvier & au commencement
de Février. Il entre dans des détails
très - inſtructifs ſur l'ébourgeonnement,
les paliſſades , les labours , le fumage , les
maladies des pêchers , &c. Enfin fon ouvrage
eſt terminé par l'expoſition d'une
méthode particuliere pour une plantation
neuve : on ne la trouve pas dans la premiere
édition , & il faut la lire dans le
livre même . Ce traité fait avec clarté &
netteré ſera très-utile à ceux qui s'adonnent
à ce genre de culture. L'auteur a auſſi
publié l'Ecole du Jardin potager , en deux
volumes ; elle ſe vend chez le même li
braire..
Le nouveau Spectateur , ou examen des
nouvelles piéces de théâtre , tant françois
, italien, qu'opéra , dans lequel on
a ajouté les ariettes notées ; par M. le
Prevôt d'Exmes ; 3. cahier , prix 24 f.
AGenève ; & ſe trouve à Paris , chez
!
140 MERCURE DE FRANCE.
Les mêmes , renfermés en une édition
de Racine in 8 ° . avecfig. 7 vol. rel . 54 1.
br. 44 liv.
Elite de poësies fugitives , s vol . rel.
12 liv. 10-f. br. 9 liv . Les IVe & Ve vol. fe
vendent ſéparément 5 liv. rel . 4 liv. br .
Epoques élémentaires d'hiſtoire univerfelle
, in fol. 2 liv. 10 f.
Avis aux gens de lettres , in 8 °. 18 f.
Fanny , roman , in-12 . 1 liv. 4 f.
Soupirs du cloître; par M. Guymond
de la Touche , in - 80. gr. papier , 1 liv.
10 f.
L'inconnu , roman , in- 12. 11. 4 f.
Dictionnaire de la langue romane , in-
8°. rel . 5 liv. 10 fols. Il n'y en a plus de
brochés.
Tous ces livres font reliés en veau avec
filets en or fur la couverture .
On trouve chez le même libraire un
poëme françois du docteur Mathy , intis
rulé le Vaux. Hall de Londres , adreſſé à
M. de Fontenelle & fuivi d'une jolie pié
ce de vers de Mde Dubocage ſur leRe
nelagh, prix 15 1.
:
AVRIL. 1770. 141
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
LE concert du dimanche , It Avril , a
coinmencé par une ſymphonie. On a exécuté
enſuite Omnes gentes , motet à grand
choeur deM. Dauvergne , furintendant de
la muſique du Roi . M. Peré a chanté un
motet à voix ſeule de M. Botzon. M.
Leikhgeb , de la muſique de M. le prince
, évêque de Salkbourg , a reçu les applaudiſſemens
dusau talent ſupérieur avec
lequel ila donné un concerto de chaſſe de
ſa compoſition. On a entendu avec le plus
grand plaiſir Mlle Duplant , qui a chanté
Diligam te Domine , & c . motet à voix
ſeule de M. Dauvergne . M. Cramer , de
la muſique de M. l'Electeur Palatin , a
exécuté, unconcerto de violon de ſa compoſition,
dont la brillante exécution &
l'excellente muſique ont été également
applaudies. Le concert a été terminé par
Cantate Domino , motet à voix ſeule de
Lalande.
142 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIÉ FRANÇOISE.
COMPLIMENT de clôture prononcé par
M. d'Alainval.
MESSIEURS ,
Le théâtre françois touche enfin à l'é .
poque la plus flatteuſe qu'il pouvoit efpérer.
Le gouvernement daigne fixer un
moment fon attention fur lui & s'occuper
des moyens de faire élever un monument
digne des chefs- d'oeuvre des hommes de
génie qui vous ont fait l'hommage de
leurs veilles . La ſcène lyrique vient d'offrir
à vos yeux les reſſources de l'architecture
: vous avez rendu justice , Mefſieurs
, au travail de l'artiſte célèbre M.
Moreau , qui a eu le courage de s'écarter
des routes d'une imitation ſervile , & qui
a été affez heureux pour vous plaire , eu
oſant innover. Il eſt tems que le théâtre
national jouiſſe des mêmes avantages ; il
eſt tems que les mânes de Corneille , de
Racine &de Moliere viennent contempler
les changemens dont ce théâtre eſt
fufceptible , & nous dire : « Voilà le temAVRIL.
1770. 143
» ple où nous aimons à être honorés , »
Il eſt tems enfin de faire ceſſer les reproches
trop fondes des autres nations jalouſes
de la gloire de la nôtre .
Accoutumés depuis long tems , Meffieurs,
à votrebienveillance, nous ne cefferons
jamais de vous donner des preuves
de notre empreſſement à vous offrir des
productions dignesde vosfuffrages. Nous
defirons , avec tous les coeurs vraiment
patriotiques , qu'aux grands exemples
d'héroïſme & de vertu que les faſtes de
l'antiquité ont fournis aux auteurs tragiques
, fuccédent ceux qu'il eſt ſi aisé de
trouver dans nos annales & qui ne font
ni moins intéreſſans ni moins fublimes ;
genre neuf, fait pour être encouragé , &
dont un homme de génie a ouvert la carriere
avec le ſuccès le mieux mérité . *
C'eſt dans ces ſentimens , Meſſieurs ,
que nous quittons un théâtre où vous
avez tant de fois ſecondé nos efforts ; c'eſt,
pénétrés de la plus vive reconnoiſſance
pour les bontés dont vous daignez nous
honorer, que nous ofons vous en demander
la continuation fur la nouvelle ſcène
que nous allons occuper , heureux fi nous
* M. de Beloy.
144 MERCURE DE FRANCE.
les méritons de plus en plus par nos tra
vaux , notre reſpect & notre zèle.
COMÉDIE ITALIENNE.
On a donné fur le théâtre italien , le
1.3 Mars , la premiere repréſentation du
Cabriolet volant , ou Arlequin Mahomer.
Ce canevas , en trois actes , paroît
tiré d'un opéra comique de l'ancien théâtre
de la foire , portant auſſi le dernier de
ces deux titres , & donné par le Sage en
1714, avecle Tombeau de Nostradamus
qui lui fervoit de prologue .
Un magicien , protecteur d'Arlequin ,
le met à l'abri des pourſuites de ſes créanciers
, en lui donnant un cabriolet volant
dans lequel il fend les airs en leur préfence;
il s'en fert pour s'introduire dans
l'appartement de la fille du grand Seigneur
; trompe facilement ce pere des
Croyans , qui lui accorde la princeffe en
mariage. Nous ne donnerons pas un extrait
plus étendu de cette piéce dont le
mérite conſiſte dans le jeu d'Arlequin ,
dans celui de fon valet Pierrot , rôle trèsbien
rendu par le St Veroneſe , & dans
les détails critiques & plaifans dont plufieurs
AVRIL. 1770. 145
<
fleurs portent fur les ſituations outrées
que l'on répéte ſans ceffe dans nos drames
modernes , affectation blamable fur laquelle
on ne fauroit répandre trop de ridicule
; c'eſt le projet de l'auteur de ce
canevas , qui s'eſt diſtingué fur le théâtre
françois par des ſuccès imérités dans un
autre genre , & qui n'a voulu que s'égaïer
danscetteplaifanterie; mais ila faitplus,
il a beaucoup amusé ſes ſpectateurs . Il
prépare , dit- on , pour la rentrée du théâtre,
une ſuite de cette piéce qui a paru
faire beaucoup de plaiſir.
On a continué toujours avec le même
ſuccès les repréſentations de Sylvain jufqu'à
la clôture du théâtre , qui s'est faite
par le compliment ordinaire adreſſé au
Public par les acteurs du Tableau parlant.
Caffandre en charge fon neveu Léandre
qui , quoiqu'il ait voyage & qu'il foit
le marié , ne fait comment il faut s'y
prendre. Caflandre s'en acquitte par un
couplet où il met moins d'eſprit que de
ſentiment,
Tandis qu'il le chante , Pierrot a l'air
préoccupé de quelqu'un qui compofe ;
tout à coup il paroît accoucher de ſa
production , mais Colombine veut auffi
parler.
II Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE ,
COLOMBINE .
Cela m'eſt égal , il faut que je parle ;
c'eſt mondroit& je veux le ſoutenir.
PIERROT.
Ah! je t'en prie.
COLOMBINE .
Ah! je t'en prieaufli , mon cher Pierrot.
PIERROT.
Mon cher Amour... veux-tu bien me
laiffer.
COLOMBINE.
Mon cher Pierrot... veux - tu bien te
taire , Meſſieurs...
PIERRO т.
Meſdames ,
COLOMBINE. د
i
Ah! ... ce début m'en impoſe , je le
reſpecte infiniment.
PIERROT.
Vous permettez donc ? ...
,
AVRIL. 1770. 147
COLOMBINE .
Oui , dès que l'hommage que vous
rendiez s'adreſſe au beau ſexe , je vous
céde la préférence ; ces Meſſieurs ſont trop
galans pour me déſaprouver.
PIERROT .
Mesdames ... & Meffieurs .
COLOMBINE.
Ah! le méchant , c'étoit une ruſe pour
m'eſcamoter mon tour.
PIERROT , déclamant avec emphase.
Il eſt certains momens où l'ame embarafléc
Ne ſe peut à ſoi-même expliquer ſa penſée ;
De ſentimens divers ... le choc... impétueux
Fait douter ſi l'on doit être triſte ou joyeux ...
Et fur le même objet , ſelon qu'on l'enviſage ,
L'eſprit reſte indécis &le coeur ſe partage.
COLOMBINE. , ironiquement.
L'ame! le coeur ! l'eſprit !
PIERROT , embaraſſe.
Plaît- 11 ?
COLOMBINE.
Allonscourage.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
PIERROT , continuant .
Pourmoi...
COLOMBINE , l'interrompant ,
Dites pour nous ,
IERROT .
Pour nous dans ce grandjour.
De peine &de plaifir nous ſentons tour- à-tour
Une atteinte ſecrette ... un certain ...
COLOMBINE.
Quelque choſe.
PIERROT .
Desmouvemens confus que le devoir impoſe..
Mais lorſque nous penſons à vos bienfaits paffés
Qui, jamais , de nos coeurs ne feront effacés ,
Lorſque , dans le notifde la reconnoiſſance ,
Nous découvrons encor un ſujet d'eſpérance...
L'allégreſſe triomphe...
LÉANDRE , ISABELLE & CASSANDRE
applaudiſſent ; mais COLOMBINE défa
prouvant , elle s'ecrie :
Oh ! quelle maladreſſe ,
D'annoncer qu'en ce jour triomphe l'allégrefle;
Songez que les ennuis vont le ſuivre de près ,
Et qu'un jour de clôture eſt un jour de regrets.
AVRIL. 1770 . 149
Le reſte ſe continue de la part de Pier.
rot en chantant des vers très - empoulés
fur un grand air d'opéra que Colombine
interrompt à chaque inſtant par des airs
de vaudevilles qui le tranchent plaifam
ment , à peu - près comme dans la ſcène
de la nouvelle troupe , & le compliment
s'acheve par tous les acteurs ſur l'air du
quatuor charmant de Lucile .
M. Anféaume a mis beaucoup de gaïté
dans ce compliment ; & quand même il
auroit été moins applaudi , on devroit
toujours lui ſavoir gré de ſe charger d'une
befogne ſi ſtérile.
Mlle Ruiter , dont nous avons annoncé
les débuts , les a continués dans les rôles
de Jenny , dans le Roi & le Fermier ;
de Suſette , dans le Bucheron ,&de Julie,
dans l'Amant déguisé , qu'elle a joués plu
ſieurs fois. Le ſon de ſa voix a fait le plus
grand plaiſir ; mais ſa maniere de chanrer
, quelquefois inégale , ſe ſent encore
des mauvaiſes habitudes qu'elle a pu
prendre ſur un autre théâtre ; mais ces.
défauts qui lui font étrangers diſparoî-
Front fans doute bientôt , ſi l'on juge
des progrès qu'elle peut faire dans l'are du
chant , par ceux dont elle a donné des
preuves, qu'elle ne peut avoir acquiſes en
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
ſi peu de tems que par beaucoup de goût
naturel &de docilité pour les bons conſeils
&les leçons de M. Richer.
LETTRE de Rouen.
Vous êtes dans l'uſage , Monfieur , d'annoncer
au Public les talens & les ſuccès des acteurs & actrices
qui ſe diftinguent fur les théâtres de province
, lorſqu'on vous a mis à portée de les connoître.
C'eſt dans cette vue que j'ai cru pouvoir
vous adreſſfer cette lettre , & vous prier de la rendre
publique par la voie de votre Journal.
Mlle Fleury , qui a débuté à Paris l'année derniere
dans l'emploi des Reines , vient de ſe ſignaler
dans les mêmes rôles ſur notre théâtre. Cetre
actrice vraiment faite pour intéreſſer & qui n'a
encore joué que vingt fois , tant à Paris qu'en
province , nous a fait voir tout ce qu'on peut attendre
de pluſieurs années d'un travail aflidu . J'ai
vudans ſon jeu , de la nobleſle , de la force , de
Pintelligence , & le don fi rare & fi précieux de répandre
des larmes &d'en faire verſer.
C'eſt ſur tout dans le rôle d'Elifabeth que les
connoiffeurs ont pujuger de ce que j'avance ; car
vous ſavez que c'eſt de tous les rôles de cette efpéce,
celui qui exige le plus toutes ces qualités
qu'ona trouvéesréunies dans le jeude Mlle Fleury.
Dans Agrippine , j'ai reconnu l'art de parler en
abandonnant la déclamation. C'eſt là ſur - tour
qu'elle a le plus imité cette actrice célèbre , que
AVRIL. 1770. 151
nous admirons dans les rôles de ce genre. Mais
riende ſervile dans ſon imitation ; quoiqu'on ne
puifle jamais lui faire un crime d'imiter celle qui
doit ſervir de regle à l'art. Mlle Fleury a misdans
le rôle de Médée tout le înélange de fureur , de
tendreſſe , de cruauté , d'ironme &de douleur dont
il eſt fufceptible; en un mot la magie du rôle ,
qu'on ne joua jamais fans talent : elle a fait voir
dans Clitemneſtre la différence de l'amour d'une
mere à celui d'une amante , de ces paſſions également
vives & touchantes , mais qui exigent des
tons différens .
Je pourrois citer encore Mérope , Phédre , Sémiramis
& quelques autres pièces ; dans toutes
ellea montré , à leur place , les qualités particulieres
dont j'ai fait mention .
Il eſt à ſouhaiter que cette actrice qui n'a, commeje
l'ai dit,jamais joué que vingt- trois fois ,
foitencouragée& protégée. Il ne lui faut que l'habitude
du théâtre : la crainte bannie eſt l'époque
de la perfection. Alors elle échaufera plus la ſcène
, & donnera plus d'aſſurance à ſa marche. (Elle
a fait , à cet égard, des progrès ſenſibles à chaque
repréſentation. ) Alors elle hafardera les tons faillans
& hardis , fiaités lorſqu'on eſt fürde plaire,
& achevera de développer les dons de la nature
qui , chez elle, a laiſſe à l'art peu de travail à
faire.
Jeſuis , &c .
ARouen , ce 10 Mars 1779.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
21.00
DISTRIBUTION
DES jours de Fêtes & Spectacles pour te
MARIAGE de Mgrle DAUPHIN
Mercredi 16Mai 1770 .
JOUR DU MARIAGE.
GRAND APPARTEMENT.
JEU DANS LA GALERIE.
FEU D'ARTIFICE avant fouper.
FESTIN ROYAL.
ILLUMINATION après..
Le ROI voulant bien permettre aux Dames &
aux Hommes qui ſe trouveront àParis de voir les
différentes Fêtes du Mariage de Mgr le DAUPHINS
il ſera donné par M. le Duc d'Aumont , premier
Gentilhommede la Chambre en exercice , une cer
taine quantité de Billets pour les perſonnes qui ſe,
feront fait infcrite chez lui à Paris ou à Versailles
avant le 20 Avril .
Il ſera diftribué chez M. le Duc d'Aumontà
Verſailles , à commencer du premier Mai juſqu'au
12 des Billets d'Appartement pour la Cérémonie
dumatin.
On n'entrera que par la Galerie haute de la
Chapelle , & il n'y aura qu'aux barrières conduifant
à ladite Galerie haute , que l'on pourra faire.
AVRIL. 1770. 133
ufage de ces Billets : ils ne feront point reçus aux
autres barrières deſtinées uniquement aux perſon
nes de la Cour & au fervice....
Toutes les perſonnes qui auront ces Billets feront
placées dans les Appartemens , & verront
pafler le Roi & la Cour en allant & revenant de
laChapelle.
Uneheure avant la Cérémonie, ces Billets ne
ſeront plus d'aucun uſage. 2.
Les perſonnes qui garderont leurs carroffes ,.
pourront les faire placer où elles voudront , hors
les cours hautes de la Chapelle.
Il faut s'adreſſer chez M. Is Capitaine des Gar--
des pour les Billets de la Chapelle.
Auſſi tôt que le Roi & la FAMILLE ROYALE
feront rentrés , tout le monde ſe retirera des Appartemens
, pour laiſſer le tems aux préparatifs
du foir.
APRÈS - MIDI.
Il ſera diſtribué chez M. le Duc d'Aumontà
Verſailles , du premier Mai juſqu'au 12.des Billets
d'une autre forme pour voir le ſoir les grands
Appartemens , & le Jeu du Ror. On n'entrera ,
commele matin , que par la Galerie haute de la
Chapelle & le Sallon d'Hercule , depuis cinqheu
res juſqu'à ſept ſeulement. Tout le monde ſera
placé ſur des gradins & banquettes dans les différentes
piéces qui précédent la grande Galerie , od
ſera le Jeu du Roi , & l'on y fera-paller fuccelli--
vement de chacune deſdites piéces .
On-fortita par l'Appartement de Madame la
DAUPHINE au bout de la Galerie. Il n'y reſtera
pendant le Feu que les perſonnes de la Cour -
Gay
154 MERCURE DE FRANCE.
Iln'y aura ni Billets , ni places marquées pour
leFeu.
Il ſera donné chez M. le Duc d'Aumont à Verfailles
, dupremier Mai au 12des Billets particuliers
pour le Feſtin : ils indiqueront les places &
P'heure de l'entrée ; mais on prévient qu'il faudra
opter entre le Feu & le Feſtin , les mêmes perſonnes
ne pouvant voir les deux , attendu que l'heure
eſt à-peu-près la même.
Ce jour ſera terminé parune Illumination dans
les Jardins.
Jeudi 17 Mai.
SECONDE JOURNÉE.
OPÉRA.
Ce font MM. les Capitaines des Gardes qui dif
polent des Loges , de la Salle & des Billets.
Samedi 19.
TROISIEME JOURNÉE .
BAL PARÉ.
Il ſera diftribué chez M. le Duc d'Aumont ,
ainſi que pour le premierjour une certaine quantité
de Billets aux perſonnes qui ſe feront fait inf
crire chez lui avant le premier Mai.
Ces Billets indiqueront par où l'on entrera dans
la Salle , ainſi que l'heure . On obſervera les mêmes
arrangemens que le premier jour pour faire
placer tous les carroffes.
AVRIL. 1770. 155
Lundi 21 .
QUATRIÉME JOURNÉE .
BAL MASQUÉ.
On ne donnera pas de Billets. MM. les premiers
Gentilshommes de la Chambre ſferont aux
portes du Salon d'Hercule & de l'oeil de Boeuf.
Une perſonne de chaque compagnie ſe démafquera
, & dira fon nom pour être inſcrite ,&répondre
de ſa compagnie.
:
Mercredi 23 .
CINQUIEME JOURNÉE.
TRAGÉDIE .
MM. les Capitaines des Gardes diſpoſent des
Loges , de la Salle & des Billets .
Idem.
Idem.
Samedi 26.
SIXIEME JOURNÉE.
OPÉRA.
Mercredi 30.
SEPTIEME JOURNÉE.
OPÉRA.
Samedi 9 Juin.
HUITIEME JOURNÉE.
TRAGÉDIE & BALLET.
MM. les Capitaines des Gardes diſpoſent des
Loges , de la Salle & des Billets.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE..
1
Samedi 16.
NEUVIÉME JOURNÉE .
Idem..
OPÉRA. IES
N. B. Il est néceffaire que lesperfonnes qui defireront
des Billets , veuillent bien envoyer par écrit
Le nom de toutes celles pour lesquelles elles en demanderont
, &désigner l'espèce de Billets qu'elles.
fouhaiteront. Sçavoir,fi c'est pour Appartement
Le matin , pour Appartemenlt e foir , pour le
Feftin ou pour le Bal paré,
ACADÉMIES.
:
AVERTISSEMENT de l'Académie royale
dee Seiences aufujet du prix qu'ellea
,
proposé pour l'année 1771 .
110
L'ACADÉMMIIEE ,, en propoſant de nouvean
pour le prix de l'année 1771 , de déterminer
la meilleure maniere de mesurer le
tems à la mer, déclarampar fon programme
qu'elle exigeoit, comme une condision
effentielle , les montres , pendules ou inftru
mens qui lui feroient présentés pour cer:
AVRIL. 1770. 157
objet , euffent fubi à la mer des épreuves
Suffisantes & constatées par des témoignages
authentiques . Comme pluſieurs per-'
ſonnes , très- capables d'ailleurs de concourir
pour le prix qu'elle a propofé ,..
pourroient en être détournées par la difficulté
de fatisfaire à cette condition ; l'Académie
s'empreſſe de publier les ordres..
que le Roi a bien voulu donner à ce fujet,
&dontM. le duc de Praflin , miniſtre &
ſecrétaire d'état au départementde laMa.
rine , lui a fait part.
Sur le rapport que ce miniſtre a fait
au Roi des avantages qui réſulteroient
d'une épreuve générale & authentique
de tous les moyens propofés pour la détermination
des longitudes ; Sa Majesté,
toujours diſpoſée à favorifer les entreprifes
qui peuvent contribuer au progrès des
ſciences , & en particulier de l'aſtronomie
& de la navigation , a ordonné l'armement
d'une frégate , ſur laquelle on
éprouvera dans un voyage entrepris uniquement
à cet effet , non - ſeulement les
montres marines qui ont déjà été examinées
dans deux voyages précédens ; mais
encore les autres montres , pendules &
inſtrumens qui pourront être envoyés à
L'académie , pour le prix qu'elle a propolé..
1
158 MERCURE DE FRANCE.
En conféquence , l'académie avertit
tous les ſçavans & artiſtes de l'Europe ,
qui ont deſſein de concourir pour ce prix ,
que les montres ,pendules ou inſtrumens
qui lui feront préſentés à ce ſujet , devant
être éprouvés ſur la frégate armée par les
ordres du Roi , elle n'exige plus la condition
ſur laquelle elle avoit inſiſté dans
ſon programme ; il ſuffira que ces machines
ou instrumens foient remis avec les
mémoires , au ſecrétaire de l'académie ,
avant le premier Septembre 1770 , conformément
à l'uſage annoncé dans ce
programme.
I I.
Ecole Vétérinaire.
Vingt-un Eleves de l'école royale vérérinaire
de Paris ſe diftinguerent le Mardi
3e Avril dans un concours dont l'objet
fut la Conſidération des muſcles du cheval
en général , & la Démonstration de
ces mêmes muſcles en particutier .
Ces Eleves font les ſieurs Tribout , de
Metz , entretenu par les trois évêchés ;
Tilleuil , de la Province de Normandie ,
par M. le Prince de Monaco ; Ardouïn
par les états de provence ; Aubert , de
د
AVRIL.
1770. 159
Vitry- le-François , par la ville de Vitry ;
Gervi , Maillet , Barjon , du Bourbonnois
, par M. l'Intendant de Moulins ;
BraviCader , de Montargis , par M. l'Intendant
d'Orléans , Lombard , de la
Champagne , par M. le Comte de Brienne
; Vaugien , de la Lorraine , par M.
l'Intendant; Habert du Berry , par M.
l'Intendant de Bourges ; Guéand , de la
province d'Artois , par M. le Comte de
Neuville ; Huzard , par le ſieur Huzard
fon pere , Maréchal à Paris ; Baſin , de
la province de Champagne , par M. le
Marquis de Treſnel ; Auger , par les
états de Bourgogne ; Ceyrat , par M. le
Comte de Millet ; Thorel , Carabinier ;
Gauvilliers , Cavalier du Meſtre- de camp
général ; Dufour , Dragon de Damas ,
par M. le Comte de Damas ; Deguin &
Villaut , Carabiniers du Régiment Royal .
M. Bertin , Miniſtre & Sécrétaire
d'état , préſida à cette ſéance ; & elle fut
honorée de la préſence de pluſieurs perfonnes
de distinction .
Le ſieur Chauffour , de la province du
Limoufin , l'un des chefs de Brigade ,
eut l'honneur de les préſenter à l'affemblée
, qui parut très- fatisfaite de l'émulation&
de la capacité de chacun d'eux.
160 MERCURE DE FRANCE.
Le prix fut décerné au ſieur Villaut 27
au ſieur Huzard , âgé de 14 ans , & qui
avoit eu un acceffit dans le concours fur
P'hipoſtéologie , & aux fieurs Tilleuil ,
Gervi & Aubert; le fort le déféra à ce
dernier.
و
Les ſieurs Tribout , Dufour , Lom.
bard , Ardouïn , Vaugien , Bravi , Bafin
Auger & Maillet obtinrent l'acceffit , &
Je Miniſtre témoigna fon contentement
à tous les autres.
III.
Le 31 Mars, les Elevesde l'Ecole royale
vétérinaire de Lyon ſe diftinguerentdans
un concours , dans lequel ils démontre
rent les parties de la génération du che
val&de lajument , ainſi que les viſcères
deſtinés à la ſécrétion de l'urine , & ils
eurent foin d'établir les différences qui
exiſtent dans ces parties comparées avec
celles du boeuf , de la vache , du bé--
lier , de la brébis , du bouc & de la chevre
, &c.
Ces Eleves font les fieurs Millet &
Damalix , de la Franche -Comté ; Laborde
, de la généralité de Bordeaux ;
Péan. Cadet , de la généralité de Tours ;
&Armand,de celle de Lyon. Des fuf
AVRIL. 1770, 161
frages unanimes couronnerent les quatre
premiers : le fort déféra le prix au fieur
Millet.
:
;
Le ſieur Armand obtint des applau
diſſemens& l'acceffit .
1
ARTS.
GRAVURE.
1.
J
Le dédommagement de l'absence. Eſtampe
de 18 pouces de haut fur 13 de large ,
gravée d'après le tableau original du
freur Schenau , Peintre de S. A. E. de
Saxe , par G. Vidal. à Paris chez l'Auteur
, rue Ste . Hyacinthe , au-deſſus
de la place S. Michel , maiſon d'un
Foureur , & chez- Jean- François Chereau
, rue S. Jacques , aux deux Piliers
d'or. Prix 4 liv..
UNE femme de- chambre vient d'apporter
une lettre à ſa maîtreſſe . Cette
jeune perſonne embraſſe ce précieux
gage du ſouvenir d'un époux chéri . Elle
s'en occupe , & diffipe par ce moyen les
162 MERCURE DE FRANCE.
ennuis de l'abſence. Deux petits enfans ,
placés à côté de leur mere , ſemblent
prendre part à ſa ſatisfaction. Le Peintre
a enrichi ſon ſujet de pluſieurs détails
qui rendent cette compoſition très- amuſante.
La gravure en eſt ſoignée. Le
burin de M. Vidal nous rappelle le pinceau
gracieux du Peintre Saxon qu'il a
copié . On lit au bas de l'eſtampe quatre
vers françois qui en expliquent le ſujer.
I I.
On trouve chez de Marteau , rue de
la Pelleterie , à la Cloche , l'eſtampe du
Licurgue , d'après le deſſein de M. Cochin.
Ladite eſtampe a étégravée pour la réception
du ſieur de Marteau à l'académie.
Le prix eſt de douze liv .
III.
Scènes VI & XV de Silvain , déſſinées
par le ſieur Berteau , & gravées ſous
la direction de M. le Bas , Graveur du
Roi , prix 24 ſols chaque ſcène. A
Paris chez Mademoiselle Lemaire , rue
Ste. Hyacinthe , Porte S. Michel , &
AVRIL. 1770. 163
chez le Bas , Graveur du Roi , rue de
laHarpe.
Il ſera ſans doute agréable à ceux qui
fréquentent le ſpectacle de voir fixées ſur
le papier deux des plus jolies ſcènes qu'ils
ont applaudies dans Silvain , piece mêlée
d'ariettes de M. Marmontel , jouée
fur le théâtre de la Comédie Italienne
cet hiver dernier. M. Bertrand , qui a
deſſiné ces ſcènes , a copié , autant qu'il
a été poſſible de le faire en petit , jufqu'aux
traits caractériſtiques des Acteurs.
La gravure en eſt très propre , trèsſoignée
; elle a ce fini précieux que demandent
ces fortes d'eſtampes exécutées
pour être vues de très- près. On lit au bas
de chacune les vers de la piece , relatifs
aux ſituations répréſentées.
:
I V.
Premiere & feconde vue deTréport en
Normandie , gravées d'après les tableaux
originaux de Jacques-Philippe
Hackert par Nicolas Dufour. A Paris ,
chez l'auteur , rue des Maçons , maiſon
de M. Perdreaux , maître maçon ,
& chez François Chereau , rue S. Jac
ques , aux deux Piliers d'or.
:
164 MERCURE DE FRANCE.
Ces deux estampes ont chacune 17
pouces de long fur 13 de haut. Elles ont
Pavantage de nous remettre devant les
yeux deux des plus jolies vues d'un port
de mer , ſitué en Normandie dans le
pays de Caux. On y voit des lointains
agréables & des vaiſſeaux en mer. Des
figures répandues ſur le devant rendent
ces vues intéreſſantes . Le Graveur s'eſt
appliqué principalement à rendre l'effer
des tableaux , & on peut dire qu'il y a
réuffi.
V.
:
Portrait de M. le Duc de Choiſeul ,
Miniftre & Sécrétaire d'état , gravé
d'après le tableau de L. M. Vanlo,
par le fieut Feffard , Graveur Ordinaire
du cabinet du Roi. A Paris , chez
l'auteur , Bute S. Roch , & à la bibliotheque
du Roi , rue de Richelier .
La gravure s'applique toujours utilement
, en nous rappellant les traits d'un
Miniſtre aimé & eſtimé. M. le Duc de
Choiſeul eſt ici repréſenté tenant un
papier entre ſes mains , & affis devant
un bureau ſur lequel on apperçoit différens
plans de fortifications . L'eſtampe a
AVRIL. 1770. 165
environ 18 pouces de haut fur is de
large. Le burin de M. Feſſatd a de la
couleur & de l'effet , & les travaux en
font variés avec intelligence. Cet artiſte
a fait hommage de fon travail à Madame
la Ducheffe de Choiſeul.
:
PEINTURE.
ON doit des encouragemens aux jeunes
artiſtes qui ſe diſtinguent en entrant dans
la carriere des arts. M. Barthelemy , penſionnaire
du Roi , fait plus , il mérite
des éloges pour le plafond qu'il a exécuté
à l'hôtel S. Florentin. La penſée en eſt
fimple , & convenable à la demeure d'un
miniſtre ſage & éclairé ; la force , accompagnée
de la prudence,portent à l'immortalité
le globe de la France , dont la
renommée va publier la gloire par tout
l'univers. Cette allégorie claire & juſte
eſt rendue dans un ſtyle noble & dans
une maniere libre qui annoncent un pinceau
facile ; la couleur agréable&céleste,
produit la plus grande illuſion ,& la voute
paroît vraiment percée ; les figures
paroiffent peut- être un peu fortes , mais
164 MERCURE DE FRANCE.
Ces deux eſtampes ont chacune r7
pouces de long fur 13 de haut. Elles ont
Pavantage de nous remettre devant les
yeux deux des plus jolies vues d'un port
de mer , fitué en Normandie dans le
pays de Caux. On y voit des lointains
agréables & des vaiſſeaux en mer. Des
figures répandues fur le devant rendent
ces vues intéreſſantes . Le Graveur s'eſt
appliqué principalement à rendre l'effer
des tableaux , & on peut dire qu'il y a
réufſi.
V.
Portrait de M. le Duc de Choiſeul ,
Miniftre & Sécrétaire d'état , gravé
d'après le tableau de L. M. Vanlo ,
par le ſieur Feffard , Graveur Ordinaire
du cabinet du Roi. A Paris, chez
l'auteur , Bute S. Roch , & à la bibliotheque
du Roi , rue de Richelieu.
La gravure s'applique toujours utilement
, en nous rappellant les traits d'un
Miniſtre aimé & eſtimé. M. le Duc de
Choiſeul eft ici repréſenté tenant un
papier entre fes mains , & affis devant
un bureau fur lequel on apperçoit différens
plans de fortifications. L'eſtampe a
AVRIL. 1770. 165
environ 18 pouces de haut fur 15 de
large. Le burin de M. Feſſatd a de la
couleur & de l'effet , & les travaux en
font variés avec intelligence. Cet artiſte
a fait hommage de fon travail à Madame
la Ducheſſe de Choiſeul .
:
PEINTURE.
ON doit desencouragemens aux jeunes
artistes qui ſe diftinguent en entrant dans
la carriere des arts. M. Barthelemy , pen-
Gonnaire du Roi , fait plus , il mérite
des éloges pour le plafond qu'il a exécuté
à l'hôtel S. Florentin. La penſée en eſt
ſimple , & convenable à la demeure d'un
miniſtre ſage & éclairé ; la force , accompagnée
de la prudence,portent à l'immortalité
le globe de la France , dont la
renommée va publier la gloire par tour
l'univers . Cette allégorie claire & juſte
eſt rendue dans un ſtyle noble & dans
une maniere libre qui annoncent unpinceau
facile ; la couleur agréable & céleste,
produit la plus grande illuſion ,& la voute
paroît vraiment percée ; les figures
paroiffent peut- être un peu fortes , mais
168 MERCURE DE FRANCE.
TRAITS DE VALEUR
3
ET DE GÉNÉROSITÉ.
I.
UN cavalier du régiment de S. Aignan
venoit de recevoir un coup de ſabre fur la
nuque dans les plaines de Stadeck en
1735 ; il apperçut en même tems le
commandant du détachement qui étoit
démonté & expoſé à être pris. Il met
pied à terre& force cet officierde prendre
fon cheval ; des Huffards arrivent , le
foldat ſe défend de ſon mousqueton &
de ſon ſabre juſqu'à ce que le commandant
ſoit ſauvé ; il vaut mieux , dit - il ,
qu'un cavalier périſſe oufoitfait prisonnier
que celui qui peut rétablir le combat. Il fut
en effet prifonnier lui -même.
I I.
Aucombatde Minorque en 1756 , un
canonier ayant eu le bras droit emporté
dans le moment qu'il alloit faire feu ,
ramaſſe la mêche de la main gauche , le
reporté à fon ccaannoonn, &dit en faifant
feu:
AVRIL. 1770. 169
feu . Ces gens là croyoient donc queje n'avois
qu'un bras.
III.
M. de G *** maréchal des camps &
armées du Roi , commandant les carabiniers
, voit fon fils aîné tué à côté de lui à
la bataille de Fontenoi ; il le recommande
à quelques carabiniers ; il marche avec
ſes eſcadrons & fait des prodiges de valeur
; le Roi après la bataille lui témoigna
fon admiration & ſa ſenſibilité . Sire ,
répondit M. de G *** les larmes aux
yeux. J'ai été citoyen avant d'être pere.
ANECDOTES.
I.
Un homme en dignité , fort léger dans
fon attachement , faifoit peindre ſes
amis , & l'on s'appercevoit de la place
qu'ils avoient dans ſon coeur par celle
que leurs portraits occupoient dans ſa
chambre. Les tableaux de ceux qui étoient
en faveur , étoient d'abord au chevet de
fon lit ; mais peu- à-peu ils cédoient leurs
rangs à d'autres , reculoient juſqu'à la
II. Vol. H
t
170 MERCURE DE FRANCE.
porte , gagnoient l'antichambre , puis
le grenier , enfin il n'en étoit plus queftion.
I I.
Une dame , qui pargoût pour le vin &
les liqueurs , avoit le teintéchauffé & le
nez rouge , ſe conſidérant au miroir ,
difoit: Mais où donc ai-je pris ce nezlà?
quelqu'un lui dit , au buffer.
:
III.
Sir Richard Steel faiſoit bâtir fon
château ; il ne manqua pas de faire faire
une chapelle , & il voulut qu'elle fût
vaſte ; l'ouvrage avançoit lentement ,
parce qu'il ne payoit pas ſes ouvriers. Un
jour il alla les voir : ils le menerent dans
fa chapelle qu'ils venoient de finir. Sir
Richard ordonna à l'un d'eux de monter
en chaire , & de parler , afin qu'on pût
juger i la ſalle étoit fonore. L'ouvrier
monte , & demande ce qu'il doit dire , -
qu'on fait bien qu'il n'eſt pas orateur. Sir
Richardlui permet de dire ce qu'il voudra.
Eh bien, s'écria l'ouvrier : Il y a fix mois ,
Sir Richard , que nous travaillons pour
vous , nous n'avons point vu de votre
AVRIL. 1770. 171
argent , quand nous payerez -vous ? Très.
bien , très bien , dit Sir Richard , defcends
, deſcends, en voilà aſſez , tu parles
très -diſtinctement , mais je n'aime point
le ſujet que tu as choiſi .;
I V.
Sir Richard Stéel avoit été deux fois
député au Parlement par deux différentes
villes; en 117722 il eut envie de repréſenter
encore une fois ; mais ſes affaires étoient
dans le plus grand déſordre ; il ne pouvoit
faire autant de dépenſe que fon concurrent.
Il imagina un moyen qui pût y
ſuppléer & le ſervir. Au lieu de ſuivre
la méthode ordinaire , qui eſt de tenir
table ouverte dans toutes les tavernes ,
il fit préparer dans la principale auberge
du lieuun repas élégant , auquel il invita
tous les électeurs mariés avec leurs
femmes. Sir Richard , qui étoit trèsgalant
& très- amuſant , eut ſoin de les
traiter ſi bien , & de leur procurer tant
d'agrémens , qu'ils auroient tous paflé
le jour& la nuit aveclui . Lorſqu'il les vit
bien livrés à la joie , il éleva la voix
& s'adreſſant aux dames , il leur dit que
fi ce qu'il avoit à leur offrir leur étoit
,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
agréable , il eſpéroit qu'elles s'intéreſferoient
pour lui auprès de leurs maris ,
& qu'elles les engageroient à le choiſit
pour leur repréſentant. Toutes les femmes
montrerent beaucoup d'empreſſe .
ment de ſavoir ce que c'étoit que cette
offre. Sire Richard eut ſoin d'exciter leur
curiofité par de petits délais , & leur dit
enfin : Vous defirez toutes d'avoir un
fils ; vous ne négligez sûrement rien pour
en obtenir un ; mais pour vous encourager
à faire de nouveaux efforts , je vous promets
vingt guinées pour chaque enfant
mâle que vous aurez d'ici à dix mois.
La maniere dont il dit ces mots fit rire
toute la compagnie. Les dames devinrent
plus empreſſées auprès de leurs maris
qui parurent aufli plus tendres ; en reconnoiffance
elles parlerent vivement en
faveur de Sir Richard , qui fut élu , à la
pluralité d'un grand nombre de voix ,
malgré les efforts & les richeſſes de fon
curcurrent.
V.
Quelque tems après que le Lord Ch-
Id fut entrédans le conſeil privé , il vaqua
une place conſidérable à la diſpoſition du
confeil , & pour laquelle ſa majesté &
AVRIL. 1770 . 173
le Duc de D-T recommanderent deux
perſonnes différentes. Le Roi épouſa les
intérêts de fon protégé avec quelque chaleur
, & finit par dire qu'il vouloit être
obéi ; voyant cependant que le conſeil
n'étoit pas diſpoſé à le fatisfaire , il
quitta la ſalle du conſeil avec un air trèsmécontent.
Lorſqu'il fut éloigné , on
difcuta long tems ſi l'on devoit nommer
fon protégé ; on décida enfin que non ,
parce que s'il donnoit une fois une place ,
il voudroit les donner toutes. Le perfonnage
propoſé par le Duc de D-TT'emporta
; il s'agiſſoit de faire figner fa
commiffion au Roi ; ce meſſage étoit
délicat ; on en chargea le Lord Ch-ld.
Il alla trouver ſa majesté , & au lieu de
la prier tout de ſuite de ſigner , il lui
demanda ſi elle vouloit lui permettre de
remplir le nom qui étoit en blanc , & lui
dire celui qu'elle ſouhaiteroit qui y fût
mis . Le Roi irrité répondit : Peu m'importe,
mettez le diable , ſi vous voulez.
Volontiers , répondit le Lord ; mais vo.
tre majeſté veut-elle que l'on ſuive le
ſtyle ordinaire , & que j'écrive : Nommons
notre fidele & bien- aimé conſeiller le
diable, &c . Le Roi fourit , il oublia ſa colere
, & figna la commiffion avec beau
coupdebonté.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
REQUÊTE à M. le Duc d'Aumont.
VOUouSs ,, dont les goûts brillans , dignes de
confiance ,
Préparent des plaiſirs pour un auguſte hymen ,
Duc aimable , comblez les voeux d'uncitoyen .
Que fon zèle intéreſſe aux fêtes de la France.
Du ſuperbe palais des vertus & des arts
Vous pouvez m'aſſurer l'entrée ;
Jecontenterois mes regards
Par le touchant aſpect de la pompe ſacrée.
Je voudrois à loiſir contempler notre Roi.
Avec ſon petit-fils , avec ſa belle- fille ,
On ſent mieux la douceur de vivre ſous la loi
Quand on le voit dans ſa famille.
Lorſque la chance au jeu feroit de leur côté ,
J'admirerois du fort la conſtante équité ,
En voyant leur bonheurje fongerois au môtre ;;
Je ne formerois plus de voeux :
Enuniflant deux coeurs ſi dignes l'un de l'autre ,
La fortune a tout fait pour nous & nos neveux.
C'eſt pour l'éclat du bal que mon fuffrage incli
ne ,
Plus d'un objet , paré d'une illuftre origine ,
Aura des traits , des yeux dignes d'être vantés ,
La France ne verra , parmi tant de beaurés ,,
:
:
AVRIL. 1770 . 175
Rien deplus beau que la Dauphine ....
Que ne puis -je oiiir une fois
Des Filles de Sion les ſublimes cantiques !
Ce qui fut deſtiné pour l'oreille des Rois
Eft le digne ornement de leurs fêtes publiques...
Vos opéras ſont bien choiſis ,
Tout charmera nos fens , nos coeurs & nos efprits
;
L'Olympe raſſemblé ſur la ſcène lyrique ,
L'Olympe le plus magnifique ,
Brillera moins encor que la cour de Louis ;
Dans certe cour incomparable ,
On verra d'un oeil enchanté
Tout le merveilleux de la fable
Effacé par la vérité.
De l'allégreſſe la plus vive ,
La volante fulée est un gage certain ;
Mais , puiſqu'il faut opter, je ſuis pour le feftin;
Que l'on n'épargne pas l'olive.
De tant de ſpectacles divers ,
Le feſtin , à mon gré , n'est pas lemoins aimable ;
La paix regne dans l'Univers ,
Lorſque tous les dieux ſont àtable.
Le maſque prête au bal les plus piquans appas ,
On peut de Terpſicore animer le génie
2
Par quelques propos délicats ,
Dignes de l'enjoument d'une foule choifie;
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Les neufſoeurs y ſuivront mes pas ,
Je réponds de ma compagnie.
Par M. de la Louptiere.
A S. A. S. Mademoiselle d'ORLEANS ,
fur fon mariage avec Mgr le Prince
DE CONDE , en Avril 1770 .
LEs fêtes que nous attendons
D'une fi vive impatience ,
Ne pouvoient mieux s'ouvrir en France
Que par les noeuds de deux Bourbons .
Couple auguſte & charmant , agréez mon hommage
,
Que cejour ſoit un bail de jours longs & fereins.
Un politique mariage
N'aura point uni vos deſtins.
Souvent l'hymen des plus auguſtes têtes
Nous les ravit pour un lointain climat ;
Mais moi qui n'entens rien à la raiſon d'état ,
Des Bourbons , près de moi , j'aime mieux voir les
1
fêtes.
Par laMuse Limonadiere , rue Croix
desPetits-Champs.
AVRIL. 1770. 177
PROJET MORAL.
C'EST fans doute aux préceptes de la
morale que les hommes doivent leur fageffe
& leur bonheur. Cependant la plû.
part d'entr'eux n'eſt pas à portée de profiter
des excellentes leçons qu'ont données
en ce genre divers auteurs célèbres. Peu
d'hommes parmi le peuple lifent , & dans
ce petit nombre très peu ſont capables
d'extraire ces maximes précieuſes , de les
ſéparer des acceſſoires dont elles font fouvent
enveloppées. Il ſeroit donc bien intéreſſant
de les mettre ſous leurs yeux
iſolées , afin qu'elles puſſent faire fur
leurs eſprits de ces impreſſions profondes
ſeules capables de produire de grands effets.
Il en naîtroit certainement des avantages
pour la ſociété.
Un moyen , je crois , aſſez ſimple d'y
parvenir , feroitd'en orner nos édifices &
nos places publiques. Ces infcriptions
gravées en lettres d'or ſur le marbre noir
relevées de quelques ornemens analogues
deviendroient un objet , non ſeulement
de la plus grande utilité , mais même
d'agrément.
Hv
178 : MERCURE DE FRANCE.
Soit que les villes vouluſſent ou non
contribuer à cette dépenſe ; je ſouhaiterois
qu'il fût permis à tout citoyen de
faire dreffer à ſes frais une ou pluſieurs.
de ces inſcriptions ſous l'agrément du
corps municipal qui décideroit du mérite
de la maxime , de la place qu'elle doit
occuper , & dela forme décente , quoique
ſimple , qu'il conviendroitde donner
à ce monument public. Ne feroit - il pas
juſte que le citoyen pour laiſſer à la poftérité
la mémoire & l'exemple de ſa bienfaiſance
, eût auſſi la liberté d'y faire:
graver au bas en un cartouche ſéparé fon
nom & celui de l'année où il auroit étéérigé
; il n'est pas beſoin de faire fentirl'utilité
de ces fortes d'infcriptions. Un
grand poëte a dit bien ſagement que les
leçons qu'on expoſoit à nos yeux étoient
bien plus efficaces que celles qu'on faifoit
entendre à nos oreilles. Ainſi donc ces.
maximes offertes à nos regards auroient
peut- être plus de force ( fur-tout fur l'efprit
du Peuple ) que lorſqu'on nous les
préſente dans de longs diſcours dont la
mémoire ne peut ſe charger. D'ailleurs
l'un n'empêcheroit pas les fruits de l'autre ,,
Scontribueroit même à en augmenter
les effers..
(
1
AVRIL. 1770. 179
Pour appuyer ce que j'avance par des
faits , j'en vais citer un qui m'a été rapporté
par un homme digne de foi.
Dans une petite ville de France , un
homme riche , mais accablé d'un fatal
ennui de vivre, alloit terminer lui-même
fes malheureux jours , lorſque paffant
dans la place publique ſes yeux égarés ſe
fixerent par hafard vers une maiſon ſur
laquelle étoit une inſcription latine dont
voici le ſens . O toi pour qui la vie eft un
fardeau ! cherche àfaire du bien , la vertu
Sçaura te la faire aimer.
Il s'arrête un moment & fonge qu'il y
a dans ſon voiſinage un menuifier honnête
homme & pauvre , reſté veuf depuis
peu avec nombre d'enfans.
J'étois bien fou , dit-il , de livrer
ainſi ma ſucceſſion à des héritiers avides
qui auroient ri de ma fottiſe ; j'en veux
faire un plus digne emploi. Il retourne
aufi tot ſur ſes pas , envoye chercher les
menuifier & lui dit..
Je ſuis touché de votre état , voici une
ſomme de mille écus que je deſtine à vous
acheter du bois & des outils pour vous
mettre en état de travailler & d'élever
votre famille. Je me charge , juſqu'à cee
que vous foyez plusà votre aiſe , de l'en-
Hovj
150 MERCURE DE FRANCE.
tretiende vos enfans & veux placer votre
fille aînée qui me ſemble promettre. Je
vais la mettre en couvent , lui faire donner
toute l'éducation poſſible & je me
propoſe de la doter enfuite convenablement.
Je ferai du bien aux autres à leur
tour s'ils le méritent.Cette jeune perſonne
étoit comme un beau diamant brut qui
n'attend que la main du lapidaire pour
paroître dans tout fon éclar. Elle avoit
reçu de la nature les plus heureuſes difpoſitions
& les vit bientôt ſe développer
par l'éducation . Enfin elle devint une fille
charmante & mérita d'épouſer quatreans
après ſon bienfaiteur qui vécut long-tems
& fut toujours heureux .
Quelles leçons fublimes renfermoient
ces trois belles ſentences gravées en lettres
d'or au temple de Delphes !
Connois toi toi même. Ne defire rien de
trop. Evite les procès & les dettes.
Les amis de Socrate s'étonnoient de ce
qu'il ne cherchoit point à ſe vengerd'une
inſulte que lui avoit faite un jeune étourdi.
Eh quoi ! mes amis , leur dit ce ſage ?
ſi un cheval vous avoitdonné un coup de
pied , l'appeleriez- vous devant le Juge
pour en tirer raiſon ?Quoi de plus capable
d'inſpirer de l'amour & du reſpect pour
AVRIL. 1770. 181
la religion que ce paſſage de M. J. J.
Rouffeau .
De combien de douceurs n'eſt pas privé
celui à qui la religion manque ! Quel
ſentiment peut le conſoler dans ſes peines
! quel ſpectateur anime les bonnes
actions qu'il fait en ſecret ! quelle voix
peut parler au fond de fon ame ! quel prix
peut il attendre de ſa vertu ! Comment
doit- il enviſager la mort ? la félicité eſt
la fortune du ſage , & il n'y en a point
fans vertu . J. J. Rouffeau , NouvelleHéloïfe.
Quel homme , dit le philoſophe Saadi
, ofera s'oppoſer au bonheur des hommes
; quand tous les êtres font utiles l'un à
l'autre , quel homme ofera reſter inutile
à ſa patrie & au monde !
O arbitres des hommes ! craignez les
plaintes des malheureux ; elles parcourent
la terre , elles traverſent les mers ,
elles pénetrent les cieux , elles chargent
la face des empires ; il ne faut qu'un foupir
de l'innocent opprimé pour remuer le
monde?
Porte tes yeux autour de toi , vois ces
campagnes fertiles , ces cieux& ces mers ;
qu'est- ce que le monde ? l'ouvrage d'un
Dieu bon. Quel hommage exige de toi ſa
182 MERCURE DE FRANCE .
bonté ? ton plaifir & une action de grace.-
Quel devoir t'impoſe ſa bonté ? le plaifir
des autres. Jouis, voilà la ſageſſe , fais
jouir , voilà la vertu : Saadi.
Eſt-il une morale plus vraie , plus douce
, plus confolante ? Voici un eſſai ques
j'ai hafardé , du choix qu'on pourroit
faire des diverſes maximes&des traits de
vertu &de grandeur d'ame , &c . pour en
compofer ces inſcriptions publiques
dont tout bon citoyen verroit , j'eſpere ,
l'exécution avec joie.
G*** de Rouen .
,
1
LETTRE de M. Linguet , auteur du
Traité des Canaux navigables , à M..
de la Condamine .. /
AParis, ce 14 Février 1770..
N vient de me faire lire , Monfieur , leJournal
des Sçavans de Février. J'y trouve une lettre
de vous qui contient la critique d'un paſlage du
traité des Canaux navigables , dans lequel vous
êtes critiqué vous-même. Permettez moi de prendre
auſſi la voie des Journaux pour vous faire
parvenirma réponſe & mes remercîmens.
J'ai de la reconnoiffance en général pour quieAVRIL.
1770: 183
conque veut bien prendre la peine de me fai
re appercevoir des erreurs dans mes ouvrages ..
C'eſt m'offrir le moyen de les perfectionner ; c'eſt
donc me rendre un vrai ſervice : je croirois me
fouiller par l'ingratitude , fije balançois un moment
à placer ceux à qui je le dois, au nombre de
mes bienfaiteurs .
Cependant pour me décider à facrifier ainfi
mon amour- propre , à le faire fléchir fi entierement
devant la critique , j'exige qu'elle ſoit juſte
& honnête. Quand elle manque de ces deux qualités
, elle me révolte , parce qu'elle annonce du
mépris ou qu'elle le motive , parce qu'elle tombe
fur l'homme plus que ſur l'ouvrage , parce qu'elle
peut induire en erreur le Public , qui examine rarement
& qui croit toujours le mal avec la plus
inconcevable facilité , parce qu'une calomnie groffiere
, groffierement exprimée , peut faire un tort
itréparable à l'homme le plus innocent , parce
qu'enfin , pour un petit nombre de lecteurs qui
s'indignent contre le libelle , il y en a une foute
qui le regardent comme untitre irrécuſable , &
qui partent de ſes déciſions pour apprécier un écri
vain qu'ils ne connoiffent pas .
Voilà pourquoi j'ai cru devoir relever deux ou
trois fois avec vivacité des ſatires indécentes que
l'on s'étoit permiſes contre moi à mon entrée
dans la carriere des lettres, J'ai voulu montrer
que la méchanceté étoit un petit mérite , puifqu'il
éroit fi facile d'être méchant , & engager les
cenſeurs à être plus économes de leurs verges en
leur en donnant quelques coups Je ne ſuis d'aucune
ſecte , je ne tiens à aucun parti , je les mépriſe
tous & j'en fais profeffion : pour être ménagé
par les fanatiques de tous les partis & de toutes s
184 MERCURE DE FRANCE .
les ſectes , il faut leur prouver qu'on ades dents
&des ongles comme eux. Quand ils veulent
égratigner, il faut les mordre aſlez bien pour guérir
leurs pareils de l'envie de les imiter.
C'eſt ce que j'ai fait , mais par ſyſtême,& non
par caractere. Cette vivacité , à laquelle la réflexion
m'a conduit , ne m'empêchera jamais de
recevoir avec docilité les conſeils dont on voudra
bien m'honorer . Quand ils me viendront , Monſieur,
d'un homme tel que vous , que l'Europe
ſavante reſpecte avec tant de raiſon ; quand ils
feront, accompagnés de la politeſſe , des égards
auxquels vous avez bien voulu vous aftreindre
avec tant de prétextes pour vous en diſpenſer, c'eſtà-
diremalgré votre âge , votre réputation , votre
ſupériorité fur moi en tout genre , ils exciteront
toujours chez moi la plus vive reconnoiflance.
Quand ils ne convaincroient pas mon eſprit , ils
enchaîneroient mon coeur. En ſuppoſant qu'après
m'en être bien rempli , je ne puifle augmenter le
nombre des partiſans de mon critique , au moins
ſerai -je toujours für de groſſir celui de ſes admirateurs
, & digne peut - être d'accroître celui de ſes
amis.
C'eſt ce qui m'arrive ici . J'ai lu votre lettre
avec la plus grande attention. J'ai fait tout ce qui
adépendu de moi pour être de votre avis. Je n'ai
pu y réuffir ; mais pour me punir de cette opiniatreté
involontaire , je vais vous en expoſer les
raiſons & vous les ſoumettre .
• Je paſſe condamnation ſur l'article du fort de
Pauxis métamorphofé en riviere . J'ai là un peu
imité le finge de la Fontaine. J'ai pris le Pyrée
pour un homme j'ai tort.Ce mot ne me coûterien
àprononcer.Je n'en ſuis pas plus humilié queje ne
AVRIL. 1770. 185
ferois énorgueilli ſi j'avois raiſon ſur les trois articles
ſuivans.
1 °. J'ai dit que la Tamile & la Garonne étoient
les plus grands fleuves que l'Océan reçût en Enrope:
je vous avoue que je le penſe encore. Les
exemples que vous me citez ne me ſemblent pas
capables de détruire mon opinion. Je n'ai vu ni la
Duina ni l'Oby que vous appelez comme des témoins
qui dépoſent contre moi. Mais je vous prie
d'obſerver que l'Oby eſt un fleuve d'Afie , & que
la Duina ſe décharge dans la Mer Blanche : ainſi
ceci n'a rien de commun avec l'Europe , & l'autre
ne peut pas être nommé parmi les rivieres qui
ont leur embouchure dans l'Ocean , ſans quoi
il faudroit dire que le Danube & le Nieper ont la
leur dans la Méditeranée , puiſque la Mer Noire /
en eſt le prolongement , comme la Méditeranée
elle-même& la Mer Blanche ſont une portion de
l'Océan .
A l'égard de l'Elbe , je m'en rapporte au jugement
de tous les navigateurs qui l'ont vu ſous
Hambourg ; s'il eſt plus grand que la Tamiſe à
Douvres , & que la Gironde ſous la Tour de Cordouan
, j'ai tort encore , mais un tort qui tirera à
une bien petite conféquence , & qui dépendra de
quelques toiſes de plus ou de moins , fur leſquet
les mes yeux m'auront fait illuſion
2 ° . J'ai dit que la marée n'étoitſenſible dans la
Tamife & la Garonne qu'à 40 lieues de la mer au
plus , & que je ne croiois pas qu'ily eût dans le
monde aucun pays où ſon influence s'étendit plus
loin. Il eſt vrai , Monfieur , que je l'ai dit , & fi
vous le ſouhaitez , je vais vous prouver géométriquement
que cette affertion eſt un principe certain.
C'eſt un véritable axiome d'après lequel on
186 MERCURE DE FRANCE.
peut calculer dans cette matiere , comme on opé
re en trigonométrie , d'après le principe que les
côtés d'un triangle font entr'eux comme les finus
des angles opposés.
Le flux , dans les plus hautes marées , ne s'éleve
jamais plus de 25 à 30 pieds: la maſſe des eaux de
'Océanqui s'élancedans lesterres par l'embouchure
des fleuves , a à poufler devant elle le poids énorme
des eaux douces qui deſcendoient par cette embouchure.
Il faut que celles - ci foient perpétuellement
refoulées dans leur propre lit , qu'elles en ſoient
chaflées par une action toujours ſubſiſtante; mais
elles en diſputent la poſleſſion aux étrangeres qui
s'en emparent , & quoiqu'elles cédent à la force ,
ce combat diminue cependant prodigieuſement
de la vîteſſe de leurs ennemies : leur marche en
devient plus lente & l'incurfion moins rapide.
D'ailleurs l'inclinaiſon du lit de la riviere eſt un
obſtacle. La mer ne s'éleve que ſucceſſivement à
la hauteur de 25 pieds , & n'y reſte pas long- tems.
En lui ſuppoſant la même vîtefle qu'à une eau qui
tomberoit de dix pieds de haut uniformément , &
qui couleroit fans réſiſtance fur un plan parfaitementhorisontal,
on ne s'éloigneroit pas beaucoup
de la vérité.
Or , la marée à cette hauteur & avec viteſſe ne
parcourroit que 24 pieds & demi par ſeconde, ce qui
donneroit un chemin de 36à 40 lieues en fix henres
de tems. Pour qu'elle allât plus loin , il faudroit
que ſon élévation pût durer davantage; mais
dès que la nature en a fixé les limites , il eſt évidentqu'elle
ade même déterminé la meſure de fon
influence dans les rivieres .
Dans le pays le plus plat , avec l'embouchure
la plus vafte , ſur la riviere la plus large & la
AVRIL. 1770. 187
)
moins rapide , il n'eſt pas poſſible à la marée de
faire plus de 36 à 40 lieues : donc elle ne doit nulle
part être ſenſible au - delà de cet eſpace : donc la
regle que j'ai poſée eſt invariable & peut- être regardée
comme la baſe ſur laquelle il faudra éta
blir tous les calculs en ce genre . Si cette partie de
Thydroſtatique valoit pour le brillant Paſtronomie
, fielle pouvoit ſe comparer à cette ſcience
fublime qui dérobe à la nature le ſecret de la marche
des étoiles , je placerois ma loi des 36 lieues à
côté de celle de Kepler. J'aurois rendu aux lavans
lemême ſervice que lui ,& peut- être quelquejour
en connoîtra- t'on l'utilité.
Cela poſé , Monfieur , que la riviere des Amazones
foit lente ou rapide , qu'elle coule fur un
lit incliné ou horisontal , qu'elle ait peu ou beaucoup
d'eau , l'impulsion rétrograde que la mer luis
fera éprouver n'ira jamais au-delà du terme que
nous venons de découvrir ; par conféquent elle ne
s'étendra point à 200 lieues.
Au ſujet de l'inclinaiſon du lit de ce fleuve, permettez
moi de vous faire en paſſant une obfervation
. Vous avez dit dans votre relation que la
pente n'en étoitque de 10 pieds & demi ſur 200 ,
lieues de longueur depuis Pauxis juſqu'à la mer.
Mais obſervez donc , je vous prie , que cette pente
donne à peine 6 lignes par lieue : elle ne ſeroit
pas ſuffisante pour faire couler les eaux de la riviere.
Le moindre caillou ſuffiroit pour y occafionner
des cataractes . Ce ſeroit bien autre choſe
fiau lieu de votre meſure on adoptoit celle du
Pere d'Acugna , & qu'on ſupposât à cet eſpace une
longueur de 360 lieues . Vous n'avez point nivelé
cette pente. Vous l'avez eſtimée d'après les
ſpéculations uſitées ſur les effets de la marée , &
188 MERCURE DE FRANCE.
d'après les réſultats, très- incertains , très- ſuſpects
des expériences faites avec le mercure dans lebaromêtre.
Elles m'ont toujours paru fort douteuſes
, & cette épreuve me confirme dans ma défiance.
Il me reſte à examiner une 3 propoſition que
vous combattez . Vous avez vu l'eau s'élever dans
l'Amazone à 200 lieues de la mer , précisément
dans le même ordre auquel les marées font aflujeties.
Vous en avez conclu que le même effer provenoit
de la même cauſe , & que l'introduction
de l'eau falée dans l'embouchure du fleuve étoit la
ſeule raifon du gonflement des eaux douces près
du Pauxis ; mais comme vous ſaviez qu'il étoit
impoſſible que la mer parcourût dans une ſeule
ofcillation , fi l'on peut ainſi parler , ce prodigieux
chemio , vous avez fuppofé , & vous avez dit
qu'elle y employoit pluſieurs jours .
J'ai cru voir une impoſſibilité phyfique à ce
voyage. J'ai justifié mon incredulité par un raifonnement
bien ſimple. La mer montant & defcendant
deux fois en 24heures, la partie de la riviere
qui continueroit à reculer pendant pluſieurs
jours pour arriver au Pauxis, le flot conſacré à cet
étrange pélerinage ſe ſépareroit néceſſairement de
la partie que la mer ceflede preſſer & qui s'abandonne
à fon cours naturel , en recommençant à
couler vers l'embouchure. Il ſe feroit donc entre
les deux maſles , dont l'une monteroit tandis que
l'autre deſcend, une ſolution de continuité entiere,
& le fleuve reſteroit à ſec d'eſpace en eſpace .
Vous me répondez aujourd'hui que cela n'arriveroit
pas , mais qu'il y auroit ſeulement des
ondulations , que la ſuperficie de l'Amazone ſeroit
diviſée par des eſpèces de boſſes qui n'empêche
AVRIL. 1770. 189
roient pas l'eau d'en remplir les intervalles. Je
vous ſupplie , Monfieur , de vouloir bien confidérer
encore que cela eſt phyſiquement impoffible ,
commeje l'ai prétendu .
Quelle est la cauſe du gonflement des rivieres
dans le tems de la marée ? Quelle est la puiſlance
qui éleve leurs eaux au-deſſus de leur niveau ? Il
y en a deux , l'aſcenſion de la mer d'une part,
& la furvenance , ſi l'on peut haſarder ce mot ,
des eaux qui ſe précipitent de la ſource ; étant arrêtées
par la barriere impénétrable que leur oppoſe
le flux , elles s'amoncelent , elles s'élevent en
reculant de proche en proche , juſqu'à l'inſtant où
le vaſte baffin de l'Océan , rappelant cette eſpéce
de détachement qu'il a caché ſur les côtes , les
laiſle en liberté de reprendre leur marche ordinaire.
L'impulsion rétrograde à laquelle elles ont cédé
aduré fix heures . L'affranchiſſement qui les rend
àleur penchant naturel dure autant. Pour reculer
, tout diminue leur vîteſle ; pour couler en
avant , tout l'augmente. La premiere ligne d'eau
qui a ſenti l'impreſſion du flux , ce qu'on appelle ,
dans la langue des habitans voiſins des rivieres
ſujettes à la marée , le flot ou la barre, redeſcendra
donc beaucoup plus promptement qu'elle n'aura
monté Mais ſon mouvement influe de toute né
ceſſité ſur celui des eaux qui la précédent ou qui
la ſuivent : quand elle ſe lance vers la mer , c'eſt
que toute la maſſe qui la devance de ce côté là, a
déjà pris le même chemin. Et comme le reſte de
la riviere vers la ſource ne pouvoit avoir d'autre
raiſon pour ſuſpendre fon cours , que la force qui
la maîtriſoit , l'inſtant même où cette force ſe
relâche, eſt celui où la ſuſpenſion finit& où toutes
190 MERCURE DE FRANCE .
les eaux ſe précipitent vers l'Océan qui ceſſe de
les écarter de lui. En un mot, tout monte avec la
barre, tout deſcend avec elle. Il n'y a point d'impulſion
au-delà .
De tout ce que je viens de dire réſultent deux
conféquences , l'une qu'à une certaine diſtance de
lamer, l'aſcenſion doit durer beaucoup moins
que ſur la côte , parce qu'elle devient plus pénible
à meſure que la marée s'éloigne du centre , &
que la defcente eft plus facile & plus rapide dans
la même proportion ; c'eſt auſſi ce que l'expérience
confirme: l'autre , que tout ce qui a fenti l'impreffion
du flux , céde à celle du reflux fans exception
, & qu'ainſi rien ne peut reculer plus loin
que 36 lieues ni pendant plus de fix heures , ce que
j'ai avancé & ce qui détruit ſans reſſource les marées
ondulantes de l'Amazone.
Vous ajoutez ; Mais je les ai vues, c'eſt un fait
conftant. Les ondes que je ſuppoſe font une hy-
35 pothèſe qui , même, en la croyant peu fondée,
>> n'empêche pas que l'élévation fucceflive &
>> reglée des eaux dans cette riviere ne fort une
>> vérité avérée , puiſque j'en ai été le témoin ocu-
>>> laire. >> Je vous en crois , Monfieur , ſans peine;
j'ai la foi la plus aveugle pour ce que vous me
garantiflez fous une caution auffi reſpectable.
Mais permettez moi de vous faire remarquer d'abord
que cette élévation n'eſt que de quelques
pouces, Vous en convenez vous même dans votre
lettre. Eſt- il néceſſaire pour un gonflement fi
peu important , de recourir à la marée ? Le vent
Teul ne ſuffiroit- il pas pour le produire ? S'il enfiloit
directement le lit de l'Amazone , s'il étoit
fujet à des retours reglés& périodiques dans la
journée, comme cela peut être , c'en feroit aflez
AVRIL. 1770 اوا .
pour occafionner l'effet que l'on ne peut révoquer
en doute d'après votre parole.
En Eſpagne , & en général dans tous les pays
chauds,il y a le matin& le ſoir un vent très- fort
qui nemanque preſque jamais. L'ordre desMouffons
est très - rarement interverti. Il ſe pourroit
que l'influence journaliere de cette cauſe néceffitât
dans l'Amazone le phénomène dont vous avez
été le témoin .
Quel que foit au reſte le principe auquel il faut
l'attribuer , je crois avoir prouvé que la marée
n'y entre pour rien. Je vous fais le juge de ma démonstration
; je l'aurois raccourcie & miſe peutêtre
dans un jour plus favorable , ſi j'avois eu
plus de tems ; mais accablé comme je le ſuis par
les travaux d'une profeſſion laborieuſe , j'ai bien
rarement une minute àdonner aux ſciences qui
ont été l'objet de mes premieres études : ce ſont
des maîtreſſes que j'ai quittées pour une femme .
Celle- ci revendique avec empire tous mes inſtans :
elle ſe ſouleve deſpotiquement contre le moindre
regard adreſſé à de vieilles inclinations qui lui ſont
ſuſpectes.
Recevez , Monfieur , cette lettre comme un
hommage de mon reſpect & demon attachement,
J'ai vu , avec chagrin dans la vôtre , que vous
releviez ce que j'ai dit , qu'il n'a pas tenu à vous
que le mondese crût revenu au tems des Thalès
& des Platons : Vous ajoutez d'un air un peu faché
, que vous nesçavezpas ce quej'entends parlà,
ni ce que vous avezfait pour ramener ce tems.
Eh ! Monfieur , eſt-ce a moi a vous expliquer ce
que vous valez ? Thalès & Platon étoient des
hommes ſupérieurs comme vous . Ils avoient
beaucoup voyagécomme vous. Ils avoient ,com
192 MERCURE DE FRANCE.
mevous , rapporté de leurs courſes des connoifſances
utiles. Comme vous , ils vécurent honorés,
reſpectés dans leur patrie , &font devenus l'objet
de l'admiration de la poſtérité. C'eſt ce qui ne
peut vous manquer , & je ſerai toute ma vie le
premier à donner l'exemple de la vénération reconnoiflantequ'auront
pour vous les ſiécles à ve
nir.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LINGUET.
ARRÊTS , DÉCLARATIONS , & c.
I.
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du 23 Jan
vier 1770 ; qui condamne les prieur & religieux
de l'abbaye de Cherlieu , en cinq cents livres d'amende
, pour s'être pourvus en la chambre des
comptes deDôle , ſur la demande à eux faite d'un
droit d'amortiſſement , & au coût de l'arrêt liquidé
à cent vingt livres : caſſe l'arrêt rendu par ladite
chambre des comptes de Dôle , le 9 Août
1769 , comme incompétent ; & ordonne l'exécution
de celui du conſeil du 4 Novembre 1710.
I I.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , du 23 Janvier
1770 ; qui condamne au payement du droit de
franc-fief des biens nobles par lui poflédés , le Sr
Naulleau , qui prétendoit l'exemption de ce droit
en
AVRIL. 1770. 193
en la qualité de profeſſeur en droit de l'univerſité
de Poitiers : déboute de leur intervention , ſur la
demande dudit Sr Naulleau , les facultés de droit ,
tant de ladite univerſité que de cellesde Bordeaux
&deMontpellier.
III.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles , le ;
Février 1770 , regiſtrée en la chambre des Compres
le 9 Mars 1770 ; qui fixe les délais dans lefquels
les receveurs généraux des Finances & les
receveurs des tailles , compteront de leurs exercices
des années 1766 , 1767 , 1768 & 1769 .
:
1 V.
Γι
it
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du & Février
1770 , & lettres-patentes ſur icelui , regiſtrées en
la cour des monnoies le 7 Mars 1770 ; qui fixent
le prix des piaſtres aux deux globes , qui feront
apportées aux hôtels des monnoies.
V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 17 Février
1770; concernant la diftribution de l'aumône qui
ſe fait à l'abbaye du Bec , un jour de chaque fer
maine , depuis la fête de la Chandeleur leurjuſququ'à
celle de St Jean - Baptiste de chaque année.
**Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 2
Février 1770 , regiſtrée en parlement le 20Mars
1770 ; qui ordonne que , pendant quatre années,
II. Vol.
194 MERCURE DE FRANCE.
les rembourſemens àfaire des capitaux d'Emprunts
ſeront employés à rembourſer les reſcriptions &
aflignations ſuſpendues.
VII.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 27 Février
1770 , qui ordonne que , ſans avoir égard à l'oppoſitionformée
par les orfévres de la ville de Blois,
àl'arrêtduconſeil du 20 Juin 1769 , dont Sa Majeſté
les a déboutés , ni à la ſentence de l'élection
de ladite ville , du 2 Septembre ſuivant , qui ſera
annullée ; les articles VII & X du titre des droits
demarque ſur l'or &fur l'argent , de l'ordonnance
de 1681 ; enſemble la déclaration du 26 Janvier
1749 , & l'arrêt du conſeil du 20 juin 1769 ,
feront exécutés ſelon leur forme&teneur: condamne
leſdits orfévres en la confiſcation des ouvrages
faiſis les 28 Juillet , 1 & 2 Août dernier , ou à
la juſte valeur deſdits ouvrages , & en l'amende
portéepar l'article IX de ladite déclaration , laquelle
a été modérée par grace à cent livres , payable
par leídits orfévres : les condamne pareillement
à la reſtitution des ſommes que Julien Alazerre,
adjudicataire des fermes , auroit été contraint
de payer en exécution de ladite ſentence
ainſi qu'au coût de l'arrêt , liquidé à ſoixantequinze
livres.
VIII.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 20
Mars 1770 , regiſtrée en parlement ; qui fixe les
ſommes que les bureaux des finances & différens
officiers , feront obligés de payer pour les augmentations
de finance , conformément à l'édit du
mois de Février 1770.
AVRIL. 1770. 195
LETTRES de M. Perronet à M. Souflot.
L
Premiere Lettre , du 22 Janvier 1770.
, I m'eſt révenu , Monfieur & cher confrere
que l'on me taxoit auprès de vous de n'avoir
point voulu dire à M. Patte mon avis ſur la poſibilité
de l'exécution da dôme de l'égliſe de Ste
Genevieve, parce que, fur l'étiquete dufac, j'avois,
à ce que l'on prétend , jugé que je n'aurois pas eu
dubien à dire de cet ouvrage.
Il eſt bien! vrai que M. Patte a voulu me conſulter
à ce ſujet. Sa principale objection étoit
pour lors que ce dôme porteroit à faux fur les
voûtes; je luivai dit que l'on pouvoit l'établir auſſi
folidement ſur les arcs doubleaux des voûtes dont
la pouflee étoit bien retenue ( ainſi qu'elle doit
l'être à l'égliſe de Ste Genevieve ) que ſur les panaches
& les cintres des arcades de la croiſée de
l'égliſe qui doivent porter la plus grande partie du
dôme de Ste Genevieve , comme cela ſe pratique
aux autres égliſes ..
J'ajoutai que , pour être en état de bien juger
cette queftion , il faudroit avoir connoiflance.entiere
de votre projet&des moyens que vous comprez
employer pour la conſtruction du dôme. Je
couſeillai à M. Patte de vous faire part de fes ob
ſervations pour vous mettre à portée de lever ſes
doures; & lui ai dit que bien loin de me croireen
état de faire la critique de vos travaux , ſi j'avois
un dôme à faire , je m'adreſſerois à vous pour vous
confulter.
Voilà , Monfieur , en ſubſtance ce que je me
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
7
rappelle très -bien avoir dit à M. Patre , & cela eft
bien différent de la façon dont on me fait parler.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé, PERRONET.
Deuxième Lettre , du 26 Janvier 1770 .
Je m'acquitte , Monfieur & cher confrere , avec
grand plaisir de la promeſſe que je vous ai faite de
vous écrire ce que je penſe ſur la conſtruction du
dôme de l'égliſe de Ste Geneviève.
J'ai examiné avec attention les plans & profils
de cette égliſe , que vous m'avez fait l'amitié de
me communiquer , & j'ai réfléchi ſur les moyens
particuliers que vous m'avez dit avoir l'intention
d'employer à la conſtruction du dôme. J'ai comparé
le tout avec les deſleins de pareils monumens
qui ſont conftruits , ſoit dans le genre maſſif de
l'architecture antique , foit dans celui du plus léger
gothique. J'ai reconnu qu'en donnant à vos
points d'appuis verticaux , & aux buttées latérales
affez de force pour aflurer à votre dôme toute
la folidité convenable , vous avez pris un parti
moyen également ſage & économique entre les
deux genres de conſtruction dontje viens de parler.
Enforte que les perſonnes qui voudroient ne
comparer votre projet qu'avec ceux des premiers
édifices , le trouveroient autant foible qu'il paroura
l'être peu àdes gens qui choiſiroient pour
objet de leur comparaifón ceux du dernier genre
que l'on voit cependant , quoique ſouvent avec
étonnement, fubfifter depuis plus de cinq à fix
frécles...
AVRIL. 1770. 197
La magie de ces derniers édifices confifte principalementà
les avoir conſtruits en quelque forte
àl'imitation de la ſtructure des animaux. Les co-
Jonnes élevées & foibles , les nervures , arcs doubleaux
, les oghives & tiercerons pourroient être
comparés à leurs os , & les petites pierres & vouffoirs
de 4à 5 pouces ſeulement d'épaiffeur , & de
coupe à la chairdes mêmes animaux. Ces édifices
pourroient ſubſiſter comme un ſquelete ou la carcaffedes
navires qui paroît être conſtruite d'après
de pareils modèles:
En imitant ainſi la nature dans nos conftruction's,
onpeut, avecbeaucoup moins de matiere,
faire des ouvrages très- durables , des colonnes
ou des nervures foibles en apparence , fortifiées
pardes piliers buttansde même eſpéce , foutiennent
aifément des voûtes légeres & des dômes en
porte-à-faux qui ne font point ici vicieux comme
le feroient deux des piliers ou des murs iſolés que
l'on n'auroit pas élevés à plomb , en obſervant les
retraites& le fruit uſités.
Des architectes qui connoîtroient moins bien
les loix de l'équilibre & l'art des conſtructions légeres
que ceux qui ont fait de pareils édifices ,
pourroient croire qu'ils rendroient les leurs plus
folides , en augmentant le volume des matériaux;
mais fi les voûtes qui tiennent lieu de puiſſances
agiflantes & deftructives font fortifiées en plus
grande raiſon que les murs & les piliers buttans
qui doivent réſiſter à leur pouflée , l'édifice ſera
moins folide; c'eſt donc encore plus du rapport
des puiſſances agiſſantes à celles qui doivent leur
réſiſter que doit dépendre la ſolidité d'un édifice ,
quede la groffeur des piliers ou des murs , & de
l'épaiffeurdifproportionnée des voûtes qui tendent
àles renverfer.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons l'avantage de poſléder à l'académiedes
architectes inftruits de ces principes qui,
comme vous , Monfieur , laifleront des modèles
de conſtruction ſolide qui , ſans s'écarter des proportions
élégantes que nous donnent les monumens
antiques , approcheront de lahardieſle&de
la légereté des ouvrages gothiques fans montrer ,
commeeux,cette eſpèce de carcaffe ou de ſquelette
que j'ai voulu leur attribuer en les comparant
à la ſtructure des vaiſſeaux ou des animaux :
c'eſt d'après de pareilles réflexions que j'ai ofe
haſarder de faire des ponts d'une exécution plus
hardie ,& avec beaucoup moins de matiere qu'on
ne l'avoit fait ci-devant. Je m'attends bien qu'ils
n'obtiendront pas tous les ſuffrages , &qu'en les
comparant avec d'autres ponts,on les croira moins
durables , je n'en aurai pas plus d'inquiétude ſur
leur ſolidité que vous ne devez en avoir ,Monfieur,
ſur celle de votre beau & magnifique monument.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE de M. Antoine , architecte.
Je viens de lire dans l'inſtant , Monfieur , une
lettre inférée dans votre premier volume d'Avril,
en forme de réclamation de M. Surbled , au noma
de M. Buignet de Lyon , d'un projet de théâtre
pour la comédie françoile ; je n'ai point l'honneur
de connoître ces Meſſieurs , mais je remercie bien
fincerement le premier de ſes éloges , & je vais
démontrer que je ne me ſuispoint enrichi des productions
de l'autre .
AVRIL. 1770. 199
Il eſt très-poffible que M. Buignet ait fait , il y
a neuf ans , une elquifle &même un plan terminé
d'un théâtre à conſtruire ſur l'emplacement du
Carouſel , il eſt encore très - poſſible que ce plan
ait été donné à graver; qu'il dût compoſer ſept
planches ; qu'il y en ait deux de commencées , en
dépôt chez unde ſes amis ; que des affaires de famille
ayent empêché M. Buignet de mettre au
jour ſon projet. Je conviens de tout cela ; mais il
faudra auſſi que M. Surbled m'accorde que j'ai pu
faire le mien fans me fervir du ſecours qu'auroit
pu me fournir la connoiſſance de l'ouvrage de
M. Buignet , on va voit que cela ne peut pas trop
m'être conteſté; cette probabilité, ſije neme trompe,
peut en repoufler une autre ; car la lettre de
M. Surbled ne contient elle-même qu'une probabilité.
Mais je ferai plus , & je vais détruire l'effet de
la réclamation , en oppoſant un fait bien connu ,
bien appuyé , dont les témoins exiftent & font
gens de la plus grande conſidération ; heureuſe.
ment pour moi m'a date eſt antérieure à la fienne
, & c'eſt une date qui a acquis une publicité
ſuffifante, comme vous allez enjuger.
En 1760 , l'hôtel de Conti , dont l'emplacement
a été ſujetà plus d'une deſtination avant la conftruction
de l'édifice qu'on y éleve , préſentoit aux
amateurs des monumens , pluſieurs idées différentes
, à l'une deſquelles je m'attachai ; on parloit
d'y élever le théâtre de la nation. Ce projet
m'intéreſla ; je fis mes deſſins , & j'eus l'honneur
de les préſenter , au mois de Mars de la même
année , à M. le maréchal de Richelieu. Ce ſeigneur
eut la bonté de me marquer la plus grande
Latisfaction de mon travail , & de m'aſſurer de
liy
200 MERCURE DE FRANCE.
ſon ſouvenir au cas que cet édifice eût lieu fur
unterrein quelconque; l'exécution de cette entrepriſe
ayant été retardée juſqu'à ce jour , j'ai íçu ,
commetout le monde , que le terrein de l'hôtel de
Condé étoit ſubſtitué à celui de Conti. Mes plans
étoient dans mon porte- feuille , connus de beaucoup
de perſonnes dont je puis revendiquer le témoignage:
je les ai ajuſtés ſur l'emplacement qui
femble être aujourd'hui irrévocablement déſigné;
voilà tout ce que j'ai fait de nouveau depuis l'efquiffe
& les gravures commencées de M. Buignet,
donć je ne l'ai point imité ; je dirai même que je
ne connois pas plus fon ouvrage que je n'ai l'honneur
de connoître ſa perſonne.
Mon intention , relativement au théâtre de la
comédie françoiſe , n'a été que d'indiquer des
chofes extérieures , acceſſoires dans le fond , mais
qui feront beauté quand on voudra ou qu'on
pourra les exécuter. Je n'ai pas dit un mot des
détails de ce théâtre ; la forme circulaire que je
montre ne me trahit en aucune façon , & ne donne
point à M. Surbled mon fecret fur la maniere
de le décorer ; ce n'eſt ordinairement qu'après
l'exécution qu'on est autorisé à louer un attifte
ou à s'élever contre lui quand il a péché contre les
beautés des regles , ou négligé ce qui appartient
au goût & compté pour peu la commodité publique.
Je vous prie , Monfieur, de vouloir bien inférer
cette réponſe dans le prochain Mercure.
J'ai l'honneur , &c.
ANTOINE , Architecte.
Le 7 Avril 1770.
AVRIL. 1770. 1
201
AVIS.
I.
Médaillon de Mde la future Dauphine.
LAURAIRE , peintre & doreur de l'académie de
St Luc , rue des Prêtres St Germain- l'Auxerrois ,
publie le médaillon de Madame la future Dauphine
, ſur le modèle qui a été envoyé de Vienne
en Autriche; il a 22 lignes de largeur ſur 29 de
hauteur. Le prix eſt de 8 f. enblanc , de 12 f. en
rouge , de 2 liv. en bordure dorée , & de 3 liv.
dans une bordure de compofition .
Cet artiſte a très bien rendu les graces , & l'élégance
des traits de la Perſonne auguſte ſi attendue
&fi célébrée par les voeux de la France.
On trouve , chez le même , un aſſortiment de
toutes fortes de médaillons , & des cadres & bordures
pour les estampes,
I I.
Nouveau Thermometre.
Le thermometre royal à quatre tubes , marquant
les degrés un à un , & les minutes de cinq
en cinq, inventé par l'Abbé Soumille & approuvé
par l'académie royale des ſciences , commence de
ſe répandre dans cette ville. Ces quatre tubes ,
deſtinés pour ainſi dire aux quatre ſaiſons de
l'année , ne marquent jamais que l'un après l'au
Iv
ΣΟΣ MERCURE DE FRANCE.
tre : chacun commence précisément au même
point où ſon voiſin vient de finir. Les degrés ,
qui ont environ un pouce d'étendue , peuvent être .
apperçus de fort loin ; on y distingue ſenſiblement
le plus petit changement qui s'opère dans
l'air. Il a été préſenté au Roi , & S. M. en a paru
fatisfaite. On en trouvera quelques exemplaires ,
àjuſte prix , chez le Sr Dulac , marchand parfumeur
& bijoutier , rue St Honoré , au berceau d'or
près celle des Poulies.
11 1 .
Cabinet littéraire .
Après la faveur publique qu'a eu le bonheur
d'obtenir le magaſin littéraire du Sr Quillau , il
feroit ſuperflu d'en relever ici les avantages. Pouvoit-
on manquer de plaire , en formant un établiſſement
qui réunît l'agrément à l'utilité , qui
mit , pour ainſi dire , à la diſpoſition de chaque
particulier une bibliothèque nombreuſe & choifie
dont il jouit à peu de frais ; où l'homme de lettres
trouve à s'éclaircir de plus en plus , les gens
du monde de l'un&de l'autre ſexe à occuper leurs
loiſirs , les étrangers à prendre connoiſſance de
notre littérature &les amateurs de nouvelles
politiques , économiques ou littéraires , à fatisfaire
leur curiofité , par la lecture des journaux &
des papiers publics ?
a
Mais le ſuccès , loin de ralentir Je zèle du Sr
Quillau , n'a fait que l'encourager. Plus il voit la
bonne volonté du Public augmenter à ſon égard ,
plus il redouble d'efforts pour s'en rendre digne.
Le meilleur moyen d'y réuffir eft ſans doute d'enrichir
continuellement ſon fonds , ſoit d'ouvrages
!
AVRIL. 20. 1770 .
anciens & connus qui pouvoient lui manquer ,
foit de nouveautés de toute eſpéce , les plus capables
de piquer & d'intéreſſer les lecteurs ; enforte
que ſa collection de livres , quoiqu'il oſe dire
qu'elle eſtdéjà la plus confidérable qui exiſte dans
cegenre , devienne bientôt auffi complette qu'il
ſe puifle. C'eſt à quoi il emploie journellement
tous ſes foins. Les acquifitions ſucceſſives qu'il a
faites avoient donné lieu juſqu'aujourd'hui à deux
fupplémens dont il avoit accrû fon premier catalogue.
C'eſt ici le troifiéme qu'il offre à ſes abonnés
, & il ſe flatte qu'il ne leur fera pas moins
agréable que les précédens , par le nombre des articles
intéreſlans & nouveaux qu'il contient.
Les conditions de l'abonnement ſe trouvent expliquées
dans le premier avertiſſementdu catalogue.
MM. les abonnés ſont priés d'yrecourirpour
s'en inſtruire. On ſecontentera de renouveler
une autre priere qu'on leur a déjà faite , comme
très - eſſentielle à leurs propres intérêts ; c'eſt de
retenir les livres le moins de tems qu'il leur fora
poſſible , parceque l'exactitude du Sieur Quillau
àles fervir dépend fur-tout de la leur à obſerver
cepoint.
IV.
Magafin de papiers anglois , chez le Sr
Crepy l'ainé , rue St Jacques , la ze bour
tique au - deffus de la fontaine St Severin
, à St Louis .
Le Sr Crepy , l'aîné , donne avis qu'il tienten
magaſin des papiers anglois & tontilles d'ameublemens
dont la beauté des deſſins , la vivacité &
Ivj V
204 MERCURE DE FRANCE.
folidité des couleurs ſont ſupérieures & au même
prix de la fabrique : il eſt connu pour les petits
papiers à la main : il entreprend de raſſortir les
étoffes; fournit la toile convenable , & fait coller
ſes papiers en ville ; vend des paravens & écrans ,
&fournit les baguettes dorées : il'a une grande
quantité de différens deſſins variés pour fatisfaire
les goûts. Il yen a depuis 2 liv. juſqu'à 6 le rouleau
de 9 aunes , juſqu'à 24 liv. en remontant toujours
de 20 fols à 20 L..
V.
Cabinet généalogique compoſé d'un grand
nombre de cartons remplis tant de titres , que de
renſeignemens généalogiques de toutes les maifons
louveraines de l'Europe , principalement
celles de la France , ainſi que de manufcrits,divifés
par provinces : le tout mis en ordre par le feu
fieur Chevillard , généalogifte & hiſtoriographe
de France , & augmenté par le ſieur Dubuiffon ,
poſleſleur dudit cabinet.
Cette collection renferme auffi en cartes héraldiques
, les nobiliaires de Bretagne , en dix
feuilles , de Champagne en quatre feuilles , de
Picardie en deux feuilles , grand papier , de Normandie
en vingt- ſept feuilles grand in-fol. ainſi
que ceux des autres provinces ; en outre beaucoup
demanuscrits & recueils d'armoiries de toutes les
willes , bourgs , paroifles , couvens & communautés
de divers Royaumes.
S'addreſſer au fieur Dubuiſſon , rue S. Jacques
vis-à-vis la portede S. Benoît.
AVRIL. 1770. 201
VI.
Archives .
Comme le bon ordre , dans les archives des
Seigneurs , eſt d'une néceſſité pour le maintien de
leurs droits utiles & honoraires , & qu'au contraire
le déſordre entraîne infailliblement la perte de
quelques - uns de ces droits; le ſieur Bauchart
poſlédant à fond ce talent , tant par un travail de
pluſieurs années , que par ſon application & fes
recherches fructueuſes , offre ſes ſervices aux perſonnes
qui pourront en avoir beſoin , & de leur
démontrer que fa méthode d'opérer eſt ſi nette ,
que lestitresfe trouvent à l'abri de la confufion &
dubouleverſement que le laps de tems peut y occaſioner
, ou du moins en état de rentrer dans leur
ordre primitif , ſans peine , ſans dépente& fous
très-peu de tems.
Il demeure rueDauphine à l'hôtel deMouy, au
fond de la deuxieme cour : On le trouvera tous les
jours chez lui depuis deux heures de relevée jufqu'à
fix , excepté les fêtes & dimanches.
Il donnera toute fatisfaction à ceux qui , dei-*
sant de plus amples détails , lui feront l'honneur
de lui écrire.
VII.
Lithotome pour la taille.
Nous Antoine& Guillaume Combaldien , maltres
en chirurgie du lieu deGarganuilla , & Dominique
Delpech auſſi maître en chirurgie du lieu de
Larraſet enGuienne,dioceſe de Montauban , fousfignés
certifions avoir été préſens à uneopération
206 MERCURE DE FRANCE.
dela taille que le ſieur Lamarque cadet , maître
en chirurgie&lithotomiſte de la ville de Toulouſe
& penſionné , a faite le 29 Juillet dernier audit
lieu de Garganuilla , avec un inftrument qui
remplit trois objets , laquelle opération a été faite
avec toute la dextérité poſſible , &bien plus brie -
vement que celles que nous avons vu pratiquer
pard'autres lithotomiſtes , ledit malade a été parfaitement
guéri dans peu de jours , quoique la
pierre peſat trois onces deux dragmes : c'eſt pourquoi
nous donnons notre préſent certificat pour
lui fervir en tant que de beſoin& le certifions véritable
, à Garganuilla : ce 22 Août 1769 .
:
COMBALDIEU aîné , DELPECH ,
COMBALDIEU .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople, le 3 Février 1770.
ΟNaffure que le nouveau grand Viſir a fupplié
le Sultan de vouloir bien lui donner pour adjoints
huit perſonnes en état de le ſeconderdans les fonetionsde
fon miniftere. On apprend que fon prédécefleur
eſt arrivé à Gallipoli , & l'on continue d'alfurer
qu'il ſera envoyé en exil à Lemnos ou à
Rhodes.
De Petersbourg , le 6 Février 1770 .
Le comte dePanin , conſeiller privé & chef du
département des affaires étrangeres , a déclaré aux
miniftres étrangers qui réſident en cette Cour
AVRIL. 1770. 207
que les commandans de l'Eſcadre envoyée par
l'Impératrice dans la méditerranée , ont les ordres
les plus précis de ne faire aucun mal aux Chrétiens
dequelque nation qu'ils foient. On croit que cer
ordre s'étend aufli àtous les Francs qui ſe trouvent
répandus dans les Iſles & les provinces de l'empire
Ottoman.
De Stockholm , le 27 Février 1770.
L'académie royale des ſciences de cette ville a
fait frapper , à l'occaſion des mauſolées érigés par
ordre de la Reine , aux Geurs Dalin & Klingenftierna
, deux médailles repréſentant d'un côté
les buſtes de ces hommes de lettres & de l'autre la
ſtructure de leurs mauſolées .
Le 6 Mars.
En conféquence du ſyſtême des finances , approuvé
par la derniere diete , les directeurs de la
banque prennent des arrangemens propres à empêcher
que le cours du change ne monte jamais
au-deſſus de cinquante quatre marcs par rixdaler
de banque , & nebaile au-deſlous de quarantehuit.
De Warfovie , le 7 Mars 1770.
On vient de recevoir ici la nouvelle de la levée
du fiége de Braïlow par les Ruiles.
Le 17 Mars.
Suivant des nouvelles récentes publiées par les
Ruflcs , leurs troupes ſe font emparées de Cilianova
, place fituée à l'embouchure du Danube ,
& après avoir tranſporté à Yafli une partie des
munitions &des proviſions qu'elles y ont tronvées,
elles ont brûlé le reſte;on ajoute que la
208 MERCURE DE FRANCE .
garniſon Turque de Braïlow avoit abandonné
cette forterefle avec toute l'artillerie & les munitions.
Les mêmes avis portent que la Fortereſſe de
Bender eſt inveſtie , & que les Tartares Budziacs
ſe ſont retirés ſous le canon d'Oczakow .
De Coppenhague , le 17 Mars .
Le Roi a ordonné par un réglement du to de
ce mois que le college de l'amirauté & celui du
commiflariat n'en formeroient d'orénavant qu'un
feul ſous le nom de college royal de l'amirauté &
de commiſſariat général.
De Vienne , le 14 Mars 1770 .
On aſſure qu'immédiatement après le mariage
de la future Dauphine , l'Empereur ſe rendra en
Hongrie , pour y pafler en revue tous les Régimens
de cavalerie quiy font en quartier d'hiver.
De Naples,le 10 Mars 1770 .
Mardi au foir , don Juan Ciavaria , tréſorier
général de la maiſon du Roi , étant à ſon bureau
dans la grande cour du palais , a été aflafliné &
voléparun foldat des gardes italiennes.Ce ſcélérat
a été arrêté ſur le champ & conduit dans les
priſons militaires , d'où après avoir été dégradé
&dépouillé de ſes armes , il a été transféré dans
les prifons de la vicairerie . Sa Majesté a ordonné
qu'on en fît la plus prompte & laplus ſéverejuſtice.
De Rome , le 7 Mars 1770.
Sa Sainteté , dans la vue d'augmenter les revenus
de la chambre apoftolique ,a jugé à pro
AVRIL. 1770. 209
pos de réduire à la moitié les ſommes que le feu
Pape , Benoît XIV , avoit accordées à pluſieurs
communautés ſur le produit de la loterie établie
encette capitale.
Dans un couſiſtoire ſecret tenu le 12 du même
mois , on procéda à l'expédition des différens
Géges vacans.
,
De Londres , le 16 Mars 1770 .
Avant-hier le lord maire , les Shérifs & une
centaine demembres de la bourgeoiſie de la cité
ſe rendirent au Palais Saint James , & ayant été
admis dans la chambre du conſeil , où le Roi étoit
aflis ſur ſon trone , entouré de ſes grands officiers ,
on fit à Sa Majesté la lecture de la remontrance de
la cité de Londres. Après que le Roi y eutrépondu,
le lord maire, les Sherifs & les Bourgeois qui l'accompagnoient
eurent l'honneur de baifer la main
de Sa Majesté , & s'en retournerent an milicu des
acclamations du peuple.
Le 14 , on lut , dans la chambre des Pairs , le
bill pour fournir à la folde & aux uniformes de
lamilice ſur les fonds provenans de la taxe des
terres . Il fut propoſéde préſenter au Roi une adre
ſe pour ſupplier Sa Majesté de faire remettre à la
chambre un état des dépenfes de la liſte civile ,
contractées ou échuesdepuis le s Janvier 1769
juſqu'au s Janvier 1770 .
Le 20 Mars.
Le 16 de ce mois , la chambre des communes
délibéranten comité ſur le ſubſide , réſolut d'accorder
sooo liv . ſterl . pour les réparations & améliorations
du Havre de l'iſle de Barbade aux Indes
Occidentales .
2'0 MERCURE DE FRANCE.
On a pris connoiflance , dans la chambre des
communes , des lettres qui ont paru ſous le nom
de Junius , & d'une nouvelle feuille intitulée ,
Thowiſperer , & remplie des affertions & des rélexions
les plus hardies contre les perſonnes les
plus reſpectables , mais juſqu'à préſent on ne s'eſt
pasencore accordé ſur la maniere de procéder à la
recherche des auteurs de ces écrits .
De Versailles , le 28 Mars 1770 .
Le Sr de Maupeou , chancelier de France, ayant
été pourvu, ſur la démiſſion du comte de St Florentin
, de ſa charge de Chancelier commandeur
des ordres du Roi & furintendant des deniers deſd.
ordres , a prêté ferment , en cette qualité , entre
lesmainsde Sa Majefté.
La princeſſe de Rohan , fille du prince deGuémené
, cut avant hier l'honneur d'être préſentée
au Roi & à la Famille Royale par la princeſſe de
Rohan.
Dimanche dernier , la baronne de Cruflol &
la marquiſe deChamborant eurent l'honneur d'être
préſentées au Roi & à la Famille Royale , la
premiere par la ducheſſe d'Uſez , & la ſeconde par
la comteſſe de Morie.
Le 31 Mars.
Sa Majesté vient d'accorder les entrées de ſa
chambre au duc de Saint-Mégrin , colonel du régimentDauphin
.
Le4Avril.
Aujourd'hui le Roi a tenu ici la cour des Pairs .
Mlle de Condé , fille du prince de Condé , fut
AVRIL. -1770. 211
préſentéeavant-hier au Roi & à la Famille Royale,
parla princeflede Conti.
De Paris , le 26 Mars 1770 .
-Vendredi dernier , le comte de St Florentin s'étant
rendu àl'aflemblée générale du clergé , demanda
, au nom du Roi , un don gratuit de ſeize
millions , qui fut unanimement accordé; leclergé
prit en même tems une délibération pour autoriſer
l'emprunt de cette ſomme en conſtitution de
rente au denier vingt.
Le 6 Avril.
Ona publié la bulle du Pape , par laquelle Sa
Sainteté accorde un jubilé univerſel , &le mandement
de l'archevêque de cette capitale à ce ſujet.
LOTERIES.
Le cent onziéme tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eſt fait, le 30 du mois dernier , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au No. 65254. Celui de vingt mille
livres , au No. 65743 , & les deux de dix mille
aux numéros 63564 & 67028 .
Le tirage de la lorerie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de ce mois. Les numéros ſortis
de la roue de fortune font , 42 , 17,62 , 21 , 130
212 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Le Sr Guerin de Bruſlars , ancien lieutenantcolonel
du régiment de Lyonnois , & brigadier des.
armées du Roi , eſt mort à Troiſy en Champagne ,
les Mars , dans la 96e année de ſon âge.
Robert Dillon , comte de Roſcommon , pair du
royaume d'Irlande , maréchal des camps & armées
du Roi , eſt mort à Paris , le 25 Mars ,dans la soe
année de ſon âge.
Marie de Janſlen , veuve de Charles Caloert ,
comte de Baltimore , mourut , le 4 Mars , à Chaillot
, près de Paris , âgée de 65 ans.
Marie -Antoinette -Victoire de Gontaud , veuve
de Louis-Claude-Scipion de Beauvais deGrimoard,
comte du Roure, lieutenant- général des armées
du Roi , eſt morte à Paris , le 26 Mars , dans la sie
année de fon âge.
Nicolas-Charles- Joſeph Trublet , archidiacre
&chanoine de St Malo , l'un des Quarante de
l'académie françoiſe , eſt mort à St Malo , le 14
Mars.
Séraphine de Beauveau, religieuſe Viſirandine,
foeur du prince de Beauveau , eſt morte à Paris
dans le courant du mois de Mars .
Marie - Marguerite de Caſtellane , épouſe de
Charles - Emmanuel de Vintimille , marquis du
Luc , colonel du régiment Royal-Corſe , eſt morte
le 29 Mars , âgée de 23 ans .
Jean - François Marquis du Châtelet - d'Haraucourt
, lieutenant - Général des armées du Roi &
AVRIL.
213 1770.
grand'croixde l'ordre royal & militairede StLonis,
eſt mort , dans cette capitale , le 2 Avril , dans la
80e année de lon âge .
L'abbé Couturier , ſupérieur du ſéminaire de
St Sulpice , & abbé de l'abbaye de Chaumes, ordre
de St Benoît , eſt mort dans ce ſéminaire , le premier
Avril , âgé de 83 ans.
•Meflire Guillaume - Olympe-Rigoley de Puli.
gny , chevalier,conſeiller du Roi en ſes conſeils ,
premier préſident de la chambre des compres de
Bourgogne , Breſſe , Bugey , Valromey & Gex ,
reçu en cette charge le 13 Janvier 1770 , eſt mort
à Dijon le 16 Février ſuivant , âgé de 26 ans 7
mois& 10 jours .
Il avoit fuccédé audit office de premier préſident
de la chambre des Comptes à meſſire ClaudeDenis-
Marguerite Rigoley ſon frere aîné , mort à
Dijon le 2 Septembre 1769 , agé de 27 ans 3
mois & 26 jours ; n'ayant exercé cette charge que
3 mois 10 jours , quoiqu'il y eût été reçu dès le
mois de Janvier 1759 .
Ils étoient tous deux fils de feu Meſſire Jean
Rigoley , chevalier, conſeiller du Roi en ſes conſeils
, premier préſidentde la chambre des comptes
de Bourgogne , Brefle , &c. mort , le 8 Mai
1758 , lequel avoit également ſuccédé en la même
charge à Meffire Claude Rigoley ſon pere dès le
mois de Février 1716 , & de Mde Philiberte-Françoiſe
de Siry.
Il ne reſte , de cette branche de la famille de
Rigoley , que Dame Anne- Marie Françoife-Therefe
Rigoley , mariée le 29 du mois d'Octobre
1767 à Meffire Claude-Mars-Antoine de Pradier
Marquis d'Agrain.
214 MERCURE DE FRANCE .
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& enprofe, page
Extrait du printems , poëme des Saiſons , ibid.
L'absence de Vénus ,
Vers àun ami , lejour de ſa fête ,
L'Amour & la Mort , fable ,
Stance à une Receveuſe des loteries ,
Zaman , hiſtoire orientale ,
Les Volcans , ode ,
Conte ,
La naiſlance de l'Amitié,
Sally , ou l'Amour anglois ,
Vers fur le livre de la Théorie des fentimens
و
10
ibid.
13
15
38
43
44
47
Wagréables ,
Vers à M. de ***
,
Le Sophi & le Potier ,
1
Vers ,
Explication des Enigmes ,
ENIGMES
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
1
ver
106400
34
53
54
55
60
1
61
66
AVRIL. 1770 215 .
Les amours de Lucile &de Doligny ,
Mémoirede Lucied'Olbery ,
Choix varié de poësie ,
La nouvelle Lune ,
Les préſages de la ſante ,
Nouveau ſtyle criminel ,
ibid.
73
76
77
79
86
i
Sommaire des principales queſtious de
droit ,
Inſtitutes du droit canonique ,
Mémoires d'un citoyen , &c.
Eſſai ſur neuf inaladies dangereuſes ,
87
88
91
94
Eflai fur différens points de phyfiologie , &c. 97
L'Iliade d'Homère en vers ,
Catalogue de livres choiſis ,
LeNécrologe des hommes célèbres ,
Géographie du tour du monde ,
Fables allemandes & contes françois en
vers ,
L'homme de lettres ,
Les ſens , poëme en cinq parties ,
Inftitutions philoſophiques ,
Traité de la culture des péchers ,
104
115
116
121
3
1
122
124
132
:
134
135
4138
Le nouveau Spectateur,
147
Avis au Public
216 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES , Concert ſpirituel ,
Comédie françoife ,
Comédie italienne ,
Lettre de Rouen ,
141
142
144
I50
Diſtribution des fêtes pour le mariage de
Mgr le Dauphin , 152
ACADÉMIES , 156
ARTS , Gravure , f 161
Peinture , 165
Muſique , 166
Traits de valeur &de générosité , 168.
ANECDOTES , 169
Requête à M. le duc d'Aumont , 174
A'S. A. S. Mlle d'Orléans , ſur ſon mariage , 176
Projet moral , 177
Lettre de M. Linguet , &c. 182
Arrêts , Déclarations , &c . 194
Lettre de M. Perronet à M. Souflet , 195
Autre lettre, 196
Lettre deM. Antoine , architecte , 198
AVIS , 201
Nouvelles Politiques , 206
Loteries , 211
Morts, 212
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१२
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
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