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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I.
MAI 1765..
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis -à- vis la Comédie Françoife .
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
BLIOTECA
REGIA
WRACENSIS .
F
AVERTISSEMENT.
,
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte-
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
au
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols :
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes,
à raifon de 30 fols piece.
on
Les perfonnes de province auxquelles
enverra le Mercure par la Pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'est- à-dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci-deffus.
On Jupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix .
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. De
LA PLACE , fe trouve aufli au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
fera terminé , les Journaux ne fourniffant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer.
MERCURE
DE FRANCE.
MAI 1765 .
ARTICLE PREMIER,
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
FRAGMENS d'une épître adreffée en 1747
au C. DE C.... M. du Régiment de R...
de la Société Littéraire d' Arras , &c. par
M. DE GR... , Confeiller au Confeil
Supérieur d'Artois , de la même Société.
Q
UE de vertus différentes
Tu fais briller aux champs de Mars !
On t'a vu , franchiflant les plus fameux remparts *,
-Malgré cent foudres mugigantes ,
* A l'affaut de Bergopfoom .
A j
6 MERCURE DE FRANCE.
Pourfuivre dans leurs murs nos ennemis épars »
'
Et jufques fur leurs boulevards
Porter le fer vengeur , les flames dévorantes
Et de l'affreufe mort mille formes fanglantes ;
Entaffer des monceaux de victimes mourantes
Et parmi les débris croulans de toutes parts ,
Planter enfin nos étendarts
Sur les amas confus des ruines fumantes.
Dans ces mêmes momens , guerrier tranquille
& doux ,
On t'a vu du foldat enchaîner le courroux ,
: Et tendre une main bienfaifante
Au refte des vaincus rangés à tes genoux ;
Hélas ! ils s'attendoient à périr fous res coups.
Mais que ta gloire auffi me paroît plus brillante ,
Lorfque des bras fanglans du vainqueur furieux.
Ton zèle ferme , audacieux ,
Arrache une beauté tremblante ,
Et d'un attentat odieux ,
Sauve , au prix de tes jours , fa pudeur expirante..
La valeur la plus triomphante ,
Malgré tout fon éclat , t'égale moins aux Dieux .
MAI 1769. my
REPONSE envoyée à M. DE GR ...
QU
UE de talens ta modeftie
Dérobe aux yeux de l'univers !
Ta mufe enfante de beaux vers
Dont la gloire eft anéantie.
Eh ! pourquoi , redoutant l'hommage qui t'eft dû,
Ami , fi digne de paroître ,
Demeurer quinze ans méconnu ?
Un tel exemple de vertu
Etoit fans doute encore à naître :
C'est la première fois qu'un Poëte s'eft tu.
Je perce enfin le voile fombre
Du filence qui m'a trompé ;
Le foleil eft forti de l'ombre :
GR... Comment ton nom m'étoit-il échappé ?
Dans tes vers pleins de goût , de force & d'harmonie
,
Je reconnois les traits du coeur le plus humain ,
Les caractères de ta main ,2
Et l'empreinte de ton génie.
Ahi ton amitié , trop aveugle pour moi ,
Ne m'eût peint fous les traits d'un héros & d'un
fage ;
Cent fois plus fatisfait de toi ,
Je t'admirerois davantage.
一
A iv
MERCURE DE FRANCE .
SUR une très- aimable Demoiſelle quêtant
dans une Collégiale pour la Confrairie
de la Sainte Vierge.
Ces ftances peuvent fe chanter fur l'air De tous
les Capucins du monde.
J E vous ai vu , aimable Orphife ,
Quêter Dimanche en notre Eglife ;
Par les traits les plus gracieux ,
Par le maintien le plus honnête ,
Vous retraçâtes à nos yeux
L'augufte objet de votre quête * .
Je vis , à l'aspect de vos charmes ,
Tous les coeurs vous rendre les armes "
Saifis d'un doux raviffement ;
Et je fuis für e le plus fage
Oublia la Vierge un moment ,
Et ne penfa qu'à fon image.
* La Vierge.
Par un Enfant de Choeur.
MAI 1765.
CONSEIL D'AM I.
A M. DE VOLTAIRE , de l'Académie
Françoife , à l'occafion de fes vers à
L'IMPERATRICE DE RUSSIE ; par
M. le Préfident LEFEVRE , ancien Confeiller
de la Cour des Aydes de Paris.
N.SEST - CE donc pas affez que T'heureuſe
Henriade
Surpaffe les beautés dont brille l'Iliade ,
Sans vouloir imiter trop fcrupuleufement
Son admirable Auteur dans fon aveuglement ?
Confervez mieux les dons de la bonté divine ;
Songez que tous vos fens font chers à l'univers ,
Et ne foyez aveugle & fourd que dans les vers
Que votre beau génie adreſſe à CATHERINE.
A v
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à ma maîtreffe , par M. DE
Officier d'Artillerie à Besançon.
H
***
EUREUX enfans de mon yvreſſe ,
Aimables fruits du fentiment ,
Vous qui dans ma douce pareſſe
M'occupez agréablement ;
Parés de cet air négligent ,
Qui plus que l'art nous intéreffe ,
Volez , mes vers , chez ma maîtreſſe }
Peignez à cet objet charmant
Ce que le dieu de la tendreſſe
Sait infpirer de plus touchant.
Peignez lui cet heureux inftant ·
Où , dans des tranfports d'allégreffe ,
Mon coeur , plein de defirs brûlans ,
Expire au fein de la moleffe ,
Et dans la coupe enchantereffe ,.
Des plaifirs toujours renaiffans
Se replongeant avec vîteſſe ,
Puiſe dans les yeux languiffans
De quoi fe ranimer fans ceffe ,
Et charmer de nouveau nos fens.
Chère F *** , quelles images
S'offrent à mon coeur agité !
Laillons , laiffons à de faux fages :
MAI 1765 .
II
Goûter leur fade liberté :
D'un coeur oifif , repos vanté ,
Balances -tu les avantages
De ma douce captivité ?.
Et vous , efclaves des ufages ,
Que je vois briguans les fuffrages
D'une vaine & froide beauté ,
Dont l'efprit , fait aux perfiflages ,
Par d'infipides badinages ,
Déchire la fociété ,
Et croit s'attirer nos hommages
Par un ridicule affecté ;
Pouvez - vous dire en vérité
Avoir jamais reçu des gages
De l'attrayante volupté ?
Elevés dans les bagatelles ,
Vous fouriez à vos dentelles :
Aux yeux de toutes les femelles
Vous croyez être fans défaut ;
Bien perfuadés qu'il ne faut ,
Pour fubjuguer les plus rebelles ,
Que faire jouer vos prunelles
Ou careffer votre jabot.
Allez , qui veut être un vrai fot ,
N'a qu'à vous prendre pour modeles.
Vos plus faftueules conquêtes
Sont à mes yeux fans nuls attraits ;
Ce n'est pas au coeur des coquêtes
Que le mien afpira jamais.
A vj
X 2 MERCURE
DE FRANCE .
Je fuis loin ces beautés factices
Qui couvrent leur route de fleurs
Pour mieux cacher les précipices
Où tombent leurs adorateurs :
L'orgueil a feul leurs facrifices ;
Jamais de fes flammes propices
L'amour ne fit brûler leurs coeurs.
Je détefte leurs artifices ,
Et je méprife leurs faveurs .
Chère F *** , tes yeux novices
Lancent des traits bien plus flatteurs ;
De l'art ils ignorent les vices :
Dans ces yeux je vis les indices
De ton amour de mon bonheur ; ›
Par eux je goûtai les prémices
De ces ineffables délices
Dont tu couronnes mon ardeur.
Jamais la fombre défiance
N'empoifonna nos jours heureux ;
Et malgré ta condeſcendance
A favorifer tous mes voeux ,
Jamais le dégoût dangereux
Sur nous n'exerça fa puiffance .
Si l'on expiroit de plaifir ,
Nous ne verrions plus la lumière ;
Il faut pourtant en convenir ,
Chère F *** , fi pour me plaire
Tu n'avois eu que ta beauté ,
Et que , mon defir contenté
MAI 1765 . IJ
Par fa vivacité légère
Ton efprit ne m'eût pas flatté ,
Ah ! bientôt , amant dégoûté ,
J'aurois à quelqu'autre Bergère
Offert mon encens & mes voeux ;
Car , près d'une beauté ftupide ,
Brûler toujours des mêmes feux ,
Eft -il rien de plus infipide ?
Si lorfque Flore dans fes bras
De Zéphir reçoit les careffes ,
Et qu'il lui fait mille promeffes ,
D'adorer toujours fes appas ,
Elle favoit , par un langage
Semé de tendreffe & d'efprit ,
Ou , par quelque fin badinage ,
Amufer fon amant féduit ,
Ou lui faire une vive image
De fon chagrin , de fon dépit
Lorſqu'il lui caufe de l'ombrage ,
Zéphir ne feroit plus volage ,
Et , malgré lui , feroit réduit.
A rendre un éternel hommage
A la beauté qui l'aſſervit .
Sufette , à la fleur de fon âge
Au teint de rofes & de lis ,
Un jour chez un de mes amis ,
Après quelques mois de veuvage ,
Vient s'offrir, à nos yeux ravis
Ma liberté , quand je la vis ,
14 MERCURE DE FRANCE.
Contre fes charmes fit naufrage ,
Et pendant huit jours je fouffris
Ses fiers dédains avec courage.
Mais las d'un fi pénible ouvrage ,
Fallois la quitter , quand j'appris
La caufe d'un fi noir orage ;
Mon coeur aimoit comme au village ,
Et la Belle , à qui je l'offris ,
Vouloit aimer comme à Paris.
Soudain , inftruit du verbiage
Qui près du beau féxe eft admis
Selon fon goût je la ſervis :
Je parlai de papillonnage ;
De fat je fis le perfonnage ;
Je murmurai , je me plaignis ;
Je n'eus que des airs étourdis ;
Je troublai tout dans fon ménage ,
Et de fes rigueurs je punis
Sa chate , fon chien & fon page ;´
Son ferin je tue en fa cage ,
Et je promets de faire pis
Si fa froideur long-temps m'outrage.
Le croira -t-on ? je réuffis ;
Ces traits lui plurent davantage
Que les tranfports d'un coeur foumis.
Mais d'un auffi foible avantage ,
Mes yeux ceffant d'être éblouis ,
Je vis que d'un fombre nuage
MAI 1765:
L'ennui me couvroit : je m'enfuis ,
Et je crois qu'en cela j'agis
moins en ingrat qu'en homme fage.
Mais quand on fert une maîtreffe
Dont les grâces fuivent les pas ,
Dont le coeur brûle de tendreſſe ,
Dont l'efprit , rempli de fineffe ,
Charme encor plus que les appas ;
Comment peut - on ne l'aimer pas ?
C'eſt toi , mon aimahle Bergère ,
Que j'ai peinte en ce dernier trait.
Quand Nanine occupoit Voltaire ,
Il croyoit tracer un portrait ,
Dont le modèle imaginaire
Jamais nos yeux ne fraperoit :
Chère F *** , s'il te voyoit,
Charmé de ta voix enfantine
De ta beauté , de ta candeur ;
Voltaire croiroit voir Nanine
Dans la maîtreffe de mon coeur..
"
16 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE de M. DE GRACE , à Mlle CH ....
fur l'origine de la Monarchie Françoiſe .
MADEM
ADEMOISELLE ,
LES différens fentimens des Auteurs fur
l'origine de la Monarchie Françoife , vous
ont fait penfer avec raifon qu'on ne pouvoit
venir à bout de diffiper tant de ténèbres
qu'en examinant avec attention fur
quel fondement chaque Ecrivain appuyoit
fon fyftême. Un travail de cette efpèce
n'eft pas ordinairement du reffort des perfonnes
de votre âge , & , par cette raifon ,
vous m'avez chargé de l'entreprendre . C'eſt
doncpour obéir à vos ordres que j'ai l'honneur
de vous envoyer cette petite differtation
que je divife en cinq articles , favoir :
I. Origine des Francs .
II. Etymologie de leur nom .
III. Leurs différentes expéditions jufqu'à
Clodion .
IV. Leur établiſſement dans les Gaules .
V..Difcuffion fur Pharamond.
MAI 1765.
17
1. Origine des Francs .
Je ne rapporterai point les différentes
fables imaginées fur l'origine des Francs ,
& je ne m'amuferai point à les réfuter .
Elles ont eu le fort qu'elles méritoient.
Laiffons- les donc dans le profond oubli
où elles font tombées , & ne nous attachons
qu'aux chofes qui font dignes de
notre attention .
La Germanie ( aujourd'hui l'Allemagne
) renfermoit une infinité de petits peuples
, dont les moeurs & les ufages avoient
quelque chofe de différent , comme on
peut le voir dans l'ouvrage de Tacite ,
intitulé Moeurs des Germains ; mais l'amour
de la gloire & un courage à toute
épreuve étoient communs à toute la nation .
Ces peuples , connus d'abord fous le nom
de Teutons , fe joignirent aux Cimbres ,
(peuples du Jutland ) & entreprirent de
former des établiffemens dans les Gaules
& en Italie . Leur valeur ne pouvant tenir
contre l'habileté des Romains dans l'art
militaire , ils furent entièrement détruits.
par Marius. Depuis cet événement Rome
n'eut aucun démêlé avec les Germains ;
mais Jules Céfar , vainqueur des Gaulois ,
paffa le Rhin & entra dans la Germanie
18 MERCURE DE FRANCE.
où il eut quelque fuccès. Augufte & fes
fucceffeurs firent d'inutiles efforts pour fe
rendre maîtres du pays , & ils ne purent
s'établir que fur les frontières . Les Germains
rompirent enfin ces barrieres , fe
jetterent fur l'Empire Romain & le tenverferent
entiérement. Comme chaque
peuple n'étoit pas capable , ou de fe défendre
, ou de faire par foi- même aucune entreprife
, on vit paroître diverfes lignes ,
dont les principales furent celle des Francs
& celle des Suèves.
La ligue des Francs s'étoit formée le
long du Bas - Rhin & à l'occident de
Mayence , pour fe défendre contre les Romains.
Elle étoit compofée des Bructères ,
des Chamaves , des Ampfivariens , des
Cattes , des Angrivariens , des Attuariens ,
des Saliens , des Chérufques , des Sicambres
& des peuples qui habitoient de l'un
& l'autre côté de l'Elbe.
Il ne faut donc point regarder les Francs
comme un peuple , maiscomme un affemblage
de différens peuples de la Germanie ,
& non pas de la Pannonie ( la Hongrie ) ,
comme quelques - uns le penfoient du temps
de Grégoire de Tours
II. Etymologie du mot Franc.
Prefque tous les Ecrivains ont prétendu
MAI 1765. 19
que
le nom de Franc avoit été donné à
cette ligue à caufe de la franchiſe ou liberté
dont elle jouiffoit ; mais ce nom n'auroit
pas plus appartenu aux Francs qu'aux autres
figues germaniques , puifque tous ces peuples
étoient libres & avoient le même
amour de la liberté . D'ailleurs , quoique
le mot frey en allemand fignifie libre , il
ne s'enfuit pas que le mot frank en foit
dérivé ; & l'on ne trouve dans aucun des
anciens monumens de la langue du nord ,
que ce dernier mot ait été employé dans
ce fens. Pour trouver l'étymologie probable
de ce nom , il faut donc avoir recours
aux Ecrivains qui ont vécu dans un temps.
où l'ancienne langue des peuples de la
Germanie étoit encore en ufage.
pour
Le prologue de la loi falique ne donne
aux Francs aucun titre relatifà leur amour
la liberté. Ils y font appellés gens
inclita , audax , velax & afpera : c'est - àdire
, nation célèbre , capable des plus
grandes entrepriſes , prompte à les exécuter ,
& terrible dans les combats . Cette dernière
expreffion a un grand rapport avec l'origine
qu'Ifidore donne au nom des Francs ,
car il penfe qu'il vient de la férocité de
leurs moeurs , à feritate morum. C'eſt ainſi
qu'il s'exprime. L'Auteur des Geftes François
, & plufieurs autres Ecrivains anciens
20 MERCURE DE FRANCE.
font du même fentiment , qui ſe trouve
fortifié par un grand nombre de paffages
qu'on lit dans les panégyriques des Empereurs
, & fur - tout dans celui de Julien.
Libanias , auteur du panégyrique de ce
Prince , en le louant fur quelques avantages
qu'il avoit remportés fur les Francs ,
dit que le nom qu'ils portoient leur avoit
été donné à caufe de leur humeur guerrière .
Du temps des enfans de Louis le Débonnaire
on difoit encore Frenk aufli bien
que Frank pour défigner les François .
Toutes ces preuves feroient fuffifantes
pour renverfer le fentiment que je combats
; mais puifque j'ai d'autres moyens ,
permettez- moi , Mademoiſelle , de les em
ployer. Ils feront tirés des monumens qui
fubfiftent encore de l'ancienne langue germanique.
Ne vous effrayez pas des noms
barbates que je ferai obligé d'employer.
Dans le gloffaire joint par Stiernhelmius
à l'édition de l'Evangile en langue
gothique , on trouve les mots frakan , méprifer
, outrager ; frackiman , détruire .
Dans l'ancienne langue Danoife ou Cimbrique
on lit les mots de fracker & de
frochne traduits par celui de terrible on
redoutable. Vindelin cite d'anciens vocabulaires
flamans, dans lefquels le motfrenghen
ou vrenghen eft interprêté par celui de
MAI 1765 .
2. 1
hair , & frangh ou vrangh par ceux de
ferocité , cruauté , vengeance . On trouve
fouvent dans les anciennes Poéfies Runiques
des Scaldes , ou Poëtes Suédois , le
titre de frenk , donné à des guerriers pour
marquer leur valeur ; & les mots gend,
frenk dans le Gloffaire Runique , font rendus
par ceux d'âme courageufe. Il paroît
naturel de conclure que c'eft la valeur &
l'intrépidité qui ont fait donner le nom de
Francs à cette ligue de peuples Germains
que nous allons voir s'établir dans les
Gaules. Ce pays , comme on fait , étoit
alors fous la domination Romaine, & avoit
été conquis par Jules Céfar quarante- huit
ans avant l'ère chrétienne .
III. Différentes expéditions des Francs
jufqu'au règne de Clodion .
POUR l'intelligence de ces événemens ,
il paroît à propos de donner la divifion
géographique des Gaules , telle qu'on la
trouve dans la notice de l'empire qui parut
dans le quatriéme fiécle. On y voit que
les Gaules étoient alors partagées en cinq
grandes provinces , favoir , la Lyonoife ,
la Belgique , la Germanique , la Vienoife
& l'Aquitanique
.
La Lyonoife fe divifoit en cinq parties ,
22 MERCURE DE FRANCE .
c'eft-à-dire , en cinq Lyonoifes. La premiere
contenoit Lyon , Autun , Langres ,
Mâcon , Châlons-fur- Saône. La feconde ,
Rouen , Bayeux , Evreux , Avranches ,
Séez , Lifieux & Coutance. La troifieme ,
la Tourraine , le Maine , Rennes , Saint-
Brieux , Saint- Malo , Dol , Nantes , l'Anjou
, Cornouailles , Saint- Paul - de - Léɔn &
Tréguier. La quatrieme, Sens, le pays Chartrain
, Auxerre , Troyes , l'Orléanois ,
Paris & Maux. La cinquieme , Befançon ,
Nyon en Suiffe , Avenches , les environs.
de Bâle , Vindiſch , Yverdun , Colmar.
La Belgique formoit deux provinces.
La premiere comprenoit Trèves , Metz ,
Toul & Verdun. La feconde Rheims-
Soiffons , Châlons - fur - Marne , Noyon ,
l'Artois , Cambrai , Tournay , Senlis ,
Beauvais , Amiens & le Boulonois.
La Germanique fe divifoit également
en deux parties. La premiere , nommée
fupérieure , comprenoit Mayence , Strafbourg
, Spire & Worms. La feconde , qu'on
appelloit inférieure , contenoit Cologne
& le pays de Liége.
La Viennoife fe partageoit en cinq autres.
La premiere comprenoit Vienne ,
Genève , Grenoble , Viviers , Die , Valence
, Saint-Paul - trois -Châteaux , Vaiſon,
Orange , Carpentras , Cavaillon , Avignon
MAI 1765. 23
& Arles. Dans la feconde , qu'on appelloit
auffi la premiere Narbonnoife, étoient Narbonne
, Toulouſe , Agde , Alet , Befiers ,
Montpellier , Nifmes Lodève & Usès. La
troifieme comprenoit Aix , Riez , Apt ,
Fréjus , Gap , Sifteron & Graffe. La quatrieme
, à qui on donnoit auffi le nom
d'Alpes maritimes , contenoit Enıbrun
Digne , le Marquifat de Saluffes , Senez ,
Glandeves , Vence & le Comté de Nice.
La cinquieme, Mouftier & Saint- Maurice.
>
?
L'Aquitaine fe divifoit en trois parties.
La premiere ou fixieme Viennoife comprenoit
Bourges , Clermont , Rhodez
Albi , Cahors , le Limoufin , le Gevaudan
& le pays de Velai. La feconde Aquitaine,
ou feptieme Viennoife , contenoit Bourdeaux
, Agen , Angoulême , la Saintonge ,
le Poitou & le Périgord. La troifieme
Aquitaine , ou huitieme Viennoife , qu'on
nommoit auffi la Novempopulanie , renfermoit
Auſch , Dax , Lectoure , Cominges,
Couferans , Lefcar , Aire , Bažas , Tarbes ,
Olérons , & le rerritoire d'Euze en Gafcogne.
Je ne parlerai pas des autres divifions
des Gaules , parce qu'elles n'ont aucun
rapport avec les expéditions des peuples
germaniques.
Ce fut fous le tribunat d'Aurelien & le
24 MERCURE DE FRANCE.
les folrègne
de Gordien III , Empereur d'Occident
, que les Francs firent pour
la premiere
fois une irruption dans les Gaules.
Un petit avantage qu'Aurelien remporta
fur eux parut fi confidérable
dats compoferent une efpèce de chanfon
pour célébrer une telle victoire ( 1 ) . Cet
événement eft de l'année 240 depuis J. C.
& précéde d'un an la guerre que Gordien
commença contre Sapor , Roi de Perfe.
, que
Cette premiere courſe des Francs ne fut
que les préliminaires de celles qu'ils firent
bientôt après. Ils attaquerent la Gaule Belgique
, où ils firent de grands ravages ;
mais ils furent repouffés par Gallien , allocié
à l'Empire. Ces défavantages ne furent
pas capables de les arrêter , & Poflume ,
qui avoit pris la pourpre dans les Gaules ,
fut contraint de faire alliance avec eux.
C'est le premier traité que les Empereurs
firent avec les Francs . Ceux- ci joignirent
alors leurs forces à celles de Poftume ,
pour lui aider à réprimer la fureur des
autres nations germaniques qui s'étoient
jettées fur les provinces de l'Empire par
le Haut- Rhin & le Danube.
La mort de ce Prince , arrivée en 267 ,
mit fin au traité qu'il avoit fait avec les
( 1 ) Mille Francos , mille Sarmatas occidimus.
Mille , mille , mille Perfas , mille Perfas petimus..
Francs.
MAI 1765 . 25
Francs. Ces barbares ne fe trouvant plus
retenus par aucune confidération , raferent
les forts qui étoient conftruits fur le Rhin ,
pafferent ce fleuve , inondèrent les Gaules
& pénétrèrent jufqu'en Espagne , où ils
s'emparèrent de Tarragone. Animés par
tant de fuccès , ils continuerent à parcourir
les provinces de l'Empire , mais la fortune
ne feconda pas toujours leurs entreprifes.
Les titres de Francicus & de Germanicus
, donnés à l'Empereur Probus ,
font des témoignages authentiques de la
défaite des Francs & des Germains par
l'armée Romaine. Les prifonniers qu'on
fit en cette occafion furent envoyés fur les
bords du Pont- Euxin ( la mer noire ) . Ils
ne refterent pas long- temps dans l'inaction ;
car ayant trouvé moyen de s'emparer des
vaiffeaux qui étoient dans le port de
Conftantinople , ils s'y embarquerent , &
rangeant la côté de la Grèce ( Turquie
d'Europe ) , ils y firent des defcentes , &
en emporterent un butin confidérable.
Delà ils fe rendirent en Sicile , où ils
firent les mêmes ravages ; mais ils ne furent
pas fi heureux en Afrique. Repouffés par
les garnifonsromaines, ils furent contraints
de regagner leurs vaiffeaux , & de retourner
en Germanie par le golfe de Venife.
Cette expédition des Francs & leurs diffé .
B
26
MERCURE
DE FRANCE
.
rentes pirateries prouvent qu'ils connoiffoient
la navigation , & que leur ligue
s'étendoit le long du Rhin , depuis Mayence
jufqu'à la mer d'Allemagne.
Les grands avantages que Probus avoit
remportés fur eux avoient ralenti leur
ardeur ; mais auffi - tôt que ce Prince fut
mort , ils rentrerent dans les Gaules & y
commirent d'horribles excès. L'Empereur
Dioclétien marcha à leur rencontre & les
força de refter quelque temps tranquilles .
Caraufius , qu'il avoit chargé de continuer
la guerre contre les nations germaniques ,
fe révolta & mit les Francs dans fon parti.
Il leur permit alors de traverfer le Rhin &
de s'établir dans le pays des Bataves ( les
Provinces Unies ) & dans la Toxandrie
( le pays de Tongres ) . Il paffa enfuite dans
la Grande - Bretagne ( l'Angleterre ) avec
une armée de Francs qui avoient confenti
à marcher fous fes étendards. Cependant
Maximien , affocié à l'Empire , attaqua les
Francs , maîtres du pays des Bataves , &
qui delà s'étoient avancés dans le Boulonois.
Après une vigoureufe réfiftance de
leur part , il les tailla en pieces , fit un
grand nombre de prifonniers , qu'il diftribua
dans les Gaules , & leur donna des
terres à cultiver. Il ne paroît pas qu'il leur
ait impofé aucun tribut , mais il les obligea
1
MAI 1765. 27
de fervir dans les armées romaines. Les
Francs , que Caraufius avoit emmenés avec
lui dans l'ifle de la Grande- Bretagne , furent
maffacrés par les Romains ( 2 ) , & aucun
d'eux n'échappa au fer du vainqueur.
Tant de pertes réitérées les obligèrent
de demeurer dans l'inaction pendant quelque
temps , c'eſt- à - dire , juſqu'à la mort
de l'Empereur Conftantius Chlorus , arrivée
l'an' 306. Alors les Bructeres , les Chamaves
& les autres Francs orientaux pénétrèrent
dans les Gaules & y firent de grands dégâts.
Conftantin le Grand , qui avoit fuccédé à
Conftantius , fon père , remporta fur eux
une victoire complette , & fit prifonniers
deux de leurs Rois, Afcaric & Ragaife. Ces
mauvais fuccès ne rebuterent pas les Francs,
& ils ne cefferent de faire tous les ans de
nouvelles tentatives pour s'établir dans les
Gaules. Les Francs occidentaux n'avoient
cependant aucune part à ces expéditions ,
ils fourniffoient au contraire des troupes
aux Romains , & leur étoient fort attachés.
Conflantin le jeune , devenu maître des
Gaules en 337 , après la mort de fon père ,
fit alliance avec les Francs , & les engagea
à prendre fes intérêts contre fon frere Conf
tans. Ce Prince ayant fait affaffiner Conf
( 2 ) On fait que cette Ifle étoit alors ſous la
domination romaine.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tantin , fe vit attaqué de tous côtés par les
Francs, qui , profitant de cette circonſtance,
cherchoient à s'emparer de quelques provinces
dans les Gaules . Conftans , trop foible
pour leur réfifter , fit avec eux un traité
dont ils parurent fatisfaits , puifqu'ils fe
retirerent dans leur pays. Mais en 342 ,
fous le règne de Conftans , ils reparurent
dans les Gaules & les ravagèrent juſqu'à
Autun. Julien , neveu de l'Empereur , marcha
en diligence au fecours de cette ville ,
& termina la guerre , en faifant avec les
Francs un traite par lequel ils s'obligèrent
à rendre aux Romains la ville de Cologne.
Comme ce traité n'avoit été conclu qu'avec
les Francs , voifins de Cologne , ou feulement
avec les Bructeres , les autres , qui
n'y avoient aucune part , continuèrent
leurs ravages ; mais ils furent battus près
de Juliers , & les prifonniers qu'on fit en
cette occafion furent envoyés à Rome. Julien
, après avoir paffé à Paris l'hiver de
l'année 356 , prit la réfolution d'attaquer
les Francs , établis en-deçà & au- delà du
Rhin. Il paroît que les premiers étoient
maîtres de la feconde Germanie , c'eſt- àdire
, depuis le Rhin jufqu'à l'Efcaut, La
preuve qu'on pourroit en donner , c'eſt
que Julien voulant foulager les peuples qui
avoient été les plus maltraités par les frais
MAI 1765. 29
que les gens de juftice leur faifoient ,
demanda à l'Empereur la permiflion de
percevoir par lui- même les droits que les
provinces devoient lui payer. Il ufa de
fon autorité dans la Belgique , mais il ne
leva aucun impôt dans la feconde Germanie
; ce qui donne lieu de conjecturer
qu'elle étoit alors au pouvoir des Francs .
Julien , après les préparatifs néceffaires
pour la guerre qu'il méditoit contre les
Francs , parut tout - d'un - coup dans les
environs de Tongres. Les Saliens furpris ,
confentirent à tout ce qu'on exigea d'eux ,
& Julien , fatisfait de leur foumiſſion , leur
confirma la poffeffion du pays qu'ils occupoient
fur les deux bords du Rhin , &
particulierement dans la Toxandrie ( 3 ) .
En 360 Julien paffa le Rhin vers l'embouchure
de la Lippe , au - deffus de Cologne :
& ravagea les terres des Francs Attuariens ,
qui avoient continué de faire des courfes
fur celles de l'Empire. Les Barbares , hors
d'état de réfifter , fubirent la loi du vainqueur.
Je paffe fous filence les autres actions
des Francs depuis le règne de Julien juf
qu'à celui de Valentinien III. Elles n'of-
( 3 ) Cette conceffion peut être regardée comme
l'époque de la Monarchie Françoife dans les Gau
les ,quoiqu'on pourroit la dater de plus haut.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
frent aucune circonftance remarquable , &
elles fe bornent feulement à quelques hoftilités.
Il fuffit d'obferver que les Empereurs
, qui redoutoient les Francs , avoient
foin de renouveller avec eux les anciens
traités , & par ce moyen ils les obligeoient
à refter tranquilles. Ces peuples étoient en
effet fi religieux obfervateurs de leur parole,
qu'ils livrèrent à l'Empereur Honorius
Marcomer , un de leurs chefs qui avoit
pris les armes contre lui , & firent en même
temps périr Sunnon fon frere. Terminons.
cet article par une réflexion fur les différentes
expéditions des Francs que nous
venons de voir.
Il y a lieu de penfer que cette ligue ,
compofée de différens peuples , gouvernés
chacun par un Chef ou Roi particulier ,
n'avoit pas le même but de conquête ,
puifqu'une partie fe portoit d'un côté
pendant qu'une autre cherchoit à s'établir
ailleurs. Un corps de Francs fervoit dans
les armées romaines , & en même temps
un autre corps attaquoit les provinces de
l'Empire. Nous en avons vu s'établir dans
le pays des Bataves ; d'autres paffer en
Angleterre avec Caraufius ; plufieurs d'entre
eux exercer la pyraterie ; d'autres pouffer
leurs courfes jufqu'à la ville d'Autun ;
un grand nombre enfin refter dans la Ger
MA I 1765.
31
manie au- delà du Rhin . On pourroit donc
foupçonner avec vraisemblance que les
Francs n'étoient pas bien unis entre eux ,
& que chaque peuple de cette ligue avoit
des intérêts particuliers qui l'engageoient
ou à fe réunir au corps général ou à s'en
féparer , fuivant les circonstances .
IV. Origine de la Monarchie Françoife.
Les Francs établis dans la feconde Germanie
doivent être regardés comme les
feuls fondateurs de la Monarchie Françoife
dans les Gaules , puifque ceux -ci étoient -
commandés par Clodion ; enfuite parMeroué
, pere de Childeric , pere de Clovis.
Plufieurs Ecrivains modernes ont avancé
que Clovis forma le premier des établiſſemens
dans les Gaules , & que jufqu'à ce
Prince les Francs s'étoient contentés de
faire des courſes , après lefquelles ils fe
retiroient au- delà du Rhin. Je vais entreprendre
de réfuter cette erreur , & de démontrer
que les Francs étoient établis dans
les Gaules même avant Clodion . Ainfi la
Monarchie Françoife eftbeaucoup plus ancienne
qu'ils ne l'ont prétendu .
Nous avons vu qu'en 358 Julien confirma
aux Francs la poffeffion de la Toxandrie
, & qu'il ne put lever d'impôts dans
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
la feconde Germanie , parce qu'elle étoit
occupée par ces mêmes peuples ; d'où il
eft aifé de conclure que les Francs y étoient
établis avant cette époque. Le régne de
Clodion nous en fournira de nouvelles
preuves.
Grégoire de Tours , premier hiftorien
de France , & qui vivoit fous les fils de
Clovis nous apprend que Clodion ou
Cloïon , Roi des Francs fous le regne de
l'Empereur Valentinien III , faifoit fa réfidence
à Difpargum fur la frontiere de la
Thoringie ou Thongringie , comme portent
quelques manufcrits. Quelques Auteurs
ont cru reconnoître la Thuringé dans la
Thoringie de Grégoire de Tours ; mais ils
n'ont pas fait réflexion au paffage de l'hiftorien
françois , qui dit : que les Francs
établis d'abordfur les rives du Rhin , trayerferent
ce fleuve & s'arrêtèrent dans la
Thoringie. Ce pays ne peut être la Thuringe
, puifqu'en paffant le Rhin ils la
laiffoient bien loin derriere eux dans la
Germanie , & qu'elle eft même très- éloignée
du Rhin . Une nouvelle preuve qu'il
faut chercher la Thoringie de Grégoire de
Tours dans les Gaules , c'eft qu'il ajoute :
dans le même pays les Romains occupoient
tout ce qui s'étend au midi jufqu'à la Loire.
Au-delà de ce fleuve étoient les Goths, Les
MAI 1765. 33
Bourguignons occupoient les terres fituées
vers le Rhône & la ville de Lyon.
Quelque fuccinte & quelque peu exacte
que foir cette divifion , il eft clair que
c'eft de la Gaule qu'il veut parler & non
de la Germanie : c'eft donc en- deçà du
Rhin qu'il faut chercher le Difpargum.
Il ne peut être ni Doësbourg fur le
confluent du vieux & du nouvel Iffel , ni
Duisbourg fur le confluent du Roër & du
Rhin ; l'un & l'autre font dans la Germanie
au-delà du Rhin . Il y a plus d'apparence
que c'eft ou Dieft fur le Demer ,
dont un fauxbourg fe nomme Duisbourg ,
& qui eft près de Teffenderloo , ou bien
Duisberch fur la Tille , entre Louvain &
Bruxelles.
Le refte du paffage de Grégoire de Tours
fournira une nouvelle preuve que le Dif
pargum & la Thoringie étoient en- deçà
du Rhin. Clodion , continue- t-il , ayant
donc envoyé reconnoître le pays jufqu'à
Cambrai , marcha contre les Romains , les
battit , s'empara de la ville , & après y avoir
demeuré quelque temps , il fe rendit maître
de tout le pays jufqu'à la Somme.
Cambrai eft à plus de foixante lienes du
Rhin , des villes de Doësbourg fur l'Iffel
& de Duisbourg fur le Roër. Suppoſerat-
on que Grégoire de Tours ait fait traver-
By
34
MERCURE DE FRANCE .
fer à Clodion foixante lieues dans un pays
ennemi , fans faire aucune remarque fur cet
événement ? D'ailleurs , croira- t- on que
ce Prince eût paffé par un pays coupé
de bois & de rivières fans trouver aucun
obſtacle , fi le pays eût encore été au pouvoir
des Romains ? Il eft donc plus naturel
de penfer que Difpargum étoit à- peuprès
dans l'endroit où eft aujourd'hui Duisberch
fur la Tille. Remarquons que les
Francs n'ayant que de l'infanterie , ne fe
feroient point engagés jufqu'à foixante
lieues dans un pays ennemi , où les Romains
auroient pu les envelopper & les
couper de tous côtés.
La fituation dans laquelle Aëtius , Général
Romain , trouva les Francs dans les
plaines d'Arras , eft encore une preuve de
leur établiſſement réel en-deçà du Rhin.
Ils avoient conftruit un fort pour défendre
le paffage d'un défilé & d'une rivière : de
plus , ils étoient occupés à célébrer le mariage
d'un Seigneur. Sidonius dans le
panégyrique de Majorien , s'exprime ainſi
au fujet de cette fête : le côteau voifin de la
rivière retentiffoit des chants d'un hymenée
dont les barbares célébroient la fête , & au
milieu d'une danfe fcytique on unifoit la
nouvelle mariée à un époux blond comme
elle. Ces danfes , ces chants , les apprêts ,
و
MAI 1765. 35
d'un grand feftin , un mariage , toutes ces
chofes en un mot paroiffent contraires à
l'idée d'une expédition militaire & d'une
courfe faite par des aventuriers dans un
pays ennemi & à plus de foixante lieues de
leur contrée. Il faut donc en conclure que
les Francs occupoient alors un pays dont ils
étoient devenus les maîtres.
Ajoutons encore qu'il y avoit plus de
trente ans qu'Arras étoit la frontiere des
Romains entre l'Efcaut & l'Océan , On
voit dans la notice de l'Empire, que c'étoit
la place la plus avancée de ce côté- là où
les Romains euffent une garniſon . Lens ,
ou Vicus-Helena, faifoit fans doute la frontière
des Francs , & ils étoient maîtres de
tout le pays qui eft au nord du Souchet . II
y a tout lieu de penfer que ce fut de ce canton
que Clodion s'avança pour furprendre
Cambrai , où il demeura quelque temps ,
& d'où il étendit fes conquêtes jufqu'à la
Somme.
Hincmar nous apprend que les Francs ,
maîtres de Cambrai & de la partie de la
Belgique qui s'étend jufqu'à la Somme ,
s'y étoient établis fous les Rois Clodion &.
Mérouée. Tous les anciens Ecrivains font
d'accord fur cet article avec Grégoire de
Tours , & il n'eft pas facile de concevoir
B vj
36
MERCURE
DE
FRANCE
. ce qu'on peut oppofer à leur confentement
unanime.
Il réfulte donc de ces différentes preuves
que l'établiffement de la Monarchie
Françoife dans les Gaules eft au moins du
régne de Clodion . Aëtius , occupé à défendre
les Gaules contre les irruptions de
plufieurs nations barbares , laiffa aux Francs
les pays qu'ils occupoint , fit un traité avec
eux , & les engagea à fe joindre à lui pour
chaffer des Gaules d'autres peuples Germains
qui y étoient entrés.
A la mort de Clodion les Gaules étoient
fous cinq dominations , fçavoir , celle des
Romains , celle des François , celle des
Vifigots , celle des Bourguignons & celle
des Bretons.
Merouée , fucceffeur de Clodion , étendit
fa domination , & fe vit maître de
Châlons-fur-Marne , du Vermandois , de
l'Artois , du Cambréfis , de Tournai , de
Senlis , du Beauvoifis , de l'Amiennois , de
Boulogne , d'une partie de l'Ile- de-France
& de la province qu'on a appellée depuis
Normandie. Chilpéric pouffa fes conquêtes
au- delà de la Loire , & Clovis éteignit
enfin le nom & la puiffance romaine dans
les Gaules. Il devint alors maître de tout
le pays , à l'exception de ce que les BourMAI
1765. 37
guignons occupoient entre le Rhône & les
Alpes , & de ce que les Vifigoths poffédoient
en Provence & dans le Languedoc.
Il faut remarquer que fon royaume s'étendoit
auffi au-delà du Rhin , où il y
avoir plufieurs corps de Francs , qu'il réduifit
fous fa domination .
Ce fut de cette maniere que les Francs
s'établirent dans les Gaules & y fondèrent
un puiffant Empire.
V. Difcuffion fur Pharamond.
Plufieurs hiftoriens modernes ont regardé
Pharamond comme le premier Roi des
Francs établis dans les Gaules , & ils fe
font fondés fur un paffage de Tiro-Prof
per , qui dans fa chronique s'exprime
ainfi : PHARAMUNDUS REGNAT IN FRANCIA.
Pharamond régne en France.
Remarquons d'abord que le nom de
Francia fut donné à tout le pays occupé
par les Francs en - deçà & au- delà du Rhin.
2 °. Que les Francs ne formèrent que des
établiffemens dans les Gaules , & que plu- .
' fieurs m' me reftèrent au- delà du Rhin .
3 ° . Enfin que les Francs étoient divifés en
puffeurs corps qui avoient chacun leur
Roi , comme on le voit par l'hiftoire de
Clovis. Ce Prince fit périr tous les différens
38 MERCURE DE FRANCE.
Rois des Francs & s'empara de leurs Etats.
Ces remarques ne fuffiroient pas pour
détruire l'exiſtence de Pharamond dans les
Gaules , fi nous n'en avions point d'autres.
Mais nous obferverons d'abord que la
chronique de Tiro- Profper eft très -peu
exacte , & en ſecond lieu que Grégoire de
Tours , Frédégaire & les hiftoriens antérieurs
à Tiro-Profper ne font nulle mention
de ce Prince. Il faut donc en conclure
que fi Pharamond a exitté , il n'a régné que
fur les Francs qui étoient reftés de l'autre
côté du Rhin , & que Grégoire de Tours
s'eft contenté de rapporter les noms & les
actions des Rois du corps des Francs qui
ont fondé la Monarchie Françoife dans les
Gaules. Clodion eft le premier qu'il nomme,
& je penfe qu'il eft plus raifonnable
de s'en rapporter à cet hiftorien , qui écrivoit
fous les fils de Clovis , qu'à ceux qui
font venus depuis , & qui ont imaginé un
Pharamond connu par la feule chronique
de Tiro- Profper.
Telles font les matieres fur lefquelles il
étoit important de faire quelques difcuffions.
Je ferai très- flatté fi ce foible effai
peut
mériter votre attention & réfoudre
vos difficultés. Je fuis avec un très - profond
refpect , Mademoiſelle , votre , & c.
DE GRACE.
MAI 1765 . 39
TRADUCTION de l'Ode XIII , du 11 liv.
D
D'HORACE .
ONNEZ- MOI le repos , grands dieux , dit
le nocher ,
>
Qui furpris , au milieu de la plaine liquide .
Voit un nuage épais foudain lui dérober
De l'aftre de la nuit le flambeau qui le guide.
Donnez- moi le rèpos , grands dieux ,
S'écrie , en frémiſſant , & le Thrace barbare ,
Et le Mède orgueilleux du carquois qui le pare.
Mais ce repos , ami , ce fuprêmè tréfor ,
N'eft pas le prix des rubis ni de l'or .
Non , ce n'eft pas la pourpre qui le donne.
A travers les foldats , dont la garde environne
Les Monarques impérieux ,
Les foucis dévorans pénètrent jufqu'au trône :
Leur effain voltige & bourdonne
Autour des lambris faftueux.
Qu'un état médiocre eft un état heureux !
Celui dont le repas , dreffé fur la fougere ,
Offre pour ornement la coupe héréditaire
Où bûrent fes fimples ayeux ,
Coule des jours fereins , fans defir , fans contrainte
,
Exempt de la fervile crainte
40 MERCURE
DE FRANCE
.
Qui réveille en furfaut l'avare ambitieux .
Eh ! pourquoi refferré dans ton étroite ſphère ;
Mortel , porter fi loin tes avides projets ,
Et de l'un à l'autre hémisphère
Promener res voeux inquiets ?
Tu peus fuir ton pays , peus- tu te fuir toi - même ?
Dans ton palais flottant le remord, au teint blême ,
Monte & s'affied à tes côtés.
Plus léger que les feux timides ,
Plus léger que les vents rapides ,
Il fuit de ton courfier les pas précipités .
Sous les aîles des ris fi le deftin nous range
Gardons-nous de porter nos yeux fur l'avenir ,
Et fachons à la peine allier le plaifir ;
Il n'eft point ici bas de bonheur fans mêlange.
Achille eft couronné de lauriers triomphans ;
Mais l'inéxorable déeſſe
Le moillonne dans fan printemps.
Titon marche à pas lents vers la froide vieilleffe ;
Mais de fon corps ufé la tremblante foiblelle
Succombe fous le poids des ans.
Peut-être la Parque bizarre
Comblera mes defirs , lorfque pour vous , avare ,
Sa main ne filera que peines , que tourmens.
Vous avez cent troupeaux paiffans dans vos campagnes
;
Yous avez des courfiers dont les henniffemens
Font retentir l'écho de vos montagnes.
3
MAI 1769. 41
Vous brillez de l'éclat des plus riches métaux.
Je n'ai qu'un petit champ ; mais un Dieu juſte
Et fage
D'un fouffle poétique y joignit l'apanage
Et le don précieux de méprifer les fots .
Par M. DE GUILHERMIER , abonné au Mercure
A Bolene , dans le Comté Venaiffin.
VERS à Mlle MAZARELLI fur cette réfle
xion qu'on lit dans CAMÉDRIS , « une
»femme a toujours le coeur froid quand
» elle a beaucoup d'efprit ».
و د
LA maxime n'eft point certaine ,
Docte & belle Mazarelli ,
Et la mufe de Mytilène ( 1 ) .
Sera du moins de mon parti.
Si l'on en croit la renommée ,
Et de beaux vers de fa façon ,
Des feux d'amour & d'Apollon
En même temps elle fut animée .
D'un petit maître Leſbien ( 2 )
( Comme chez - nous on vit dans la Grèce )
Sapho , trop amoureuſe , expire de tendreſſe :
( 1 ) Sapho.
( 2 ) Phaon.
42 MERCURE
DE
FRANCE
.
En cela fon efprit ne la fervit pas bien.
Mais ce fait au moins nous prouve
Que dans un féxe vainqueur ,
Souvent le plus tendre coeur
Chez un bel efprit ſe trouve.
Pour appuyer votre avis ,
Si vous vous citez vous-même ;
Heureux qui lit vos écrits ,
Et malheureux qui vous aime !
R. D. L. C.
LE Lion malade , fable .
SIXIRE lion
Un jour , dit- on ,
Tomba malade.
Bientôt le bruit
S'en répandit
Dans la bourgade.
Lors fes amis ,
Loin d'aller vîte
A fon logis
Faire vilite ,
Dirent entr'eux ,
De fes neveux
Grande eft la foule ,
Il en a tant !
Chacun attend
MAI
1765. 43
Quelle s'écoule.
De son côté ,
La parenté
Craignant la preſſe ,
Vous le délaiffe ,
Et fans fecours
Finit fes jours
Sa trifte majefté lionne.
Il ne faut compter ſur perſonne .
Par M. l'Abbé D. FR.
SUR un fouper.
SOUPER OUPER charmant
Dont Euphrofine
Fait l'ornement ,
Où décemment
L'efprit badine !
Où tour à tour
La gaîté libre
Tient l'équilibre
Avec l'amour.
O douce orgye !
Où la faillie ,
Les vrais bons mots ,
Fléaux des vices ,
Effroi des fots ,
44 MERCURE DE FRANCE.
Font nos délices :
Des doux inftans
De ta durée ,
་
J'ai pour long -temps
L'âme enyvrée .
Que d'agrémens !
Quelle foirée !
Ici je crois
Ouir la voix
De Cythérée :
Ce font fes traits ;
Voilà la grâce
Et fes attraits.
Des airs d'Horace ,
Bientôt épris ,
Là nos esprits
Semblent conduits
Sur le Parnaſſe.
C'eft toi , Bernard ,
Qui par ton art
Ravis notre âme !
Nous éprouvons
Ta vive flâme ,
Et l'on s'enflamme
A tes chanfons.
Ta voix divine
Peint le plaifir ,
Comme
Euphrofine
Le fait fentir.
Par M. BRET,
MAI 176si 45
EPIGRAM M E.
LORSQU'AU ORSQU'AU bas du Pinde on apprit
Que Desfontaine avoit ceffé de vivre :
Dieu merci , dit un bel efprit !
Je vais faire imprimer mon livre.
Autre.
UN vieux Druide , entiché de fa race ;
Pour s'attirer les refpects d'un quidam ,
Dit qu'à la terre il n'étoit habitant ,
Qui jamais s'arrogeât l'audace
De fe couvrir ou s'alleoir lui préſent.
Le quidam , qui n'étoit brin bête :
«<< Monfieur , dit- il , fe couvrant , s'afféyant ;
Ces gens n'ont donc ni cul , ni tête » ?
Par le même.
46 MERCURE
DE
FRANCE
.
LA VESTALE ,
HISTOIRE tirée d'un manufcrit latin trouvé
dans la bibliothèque d'un Couvent en
Italie ( 1 ) .
Le vraisemblable n'eft E vraisemblable n'eſt pas un acceffoire
fi néceffaire à la vérité qu'elle ne puiffe
quelquefois s'en écarter. C'eft M. l'Abbé
Prévôt qui fait cette réflexion dans la Préface
de Cléveland , & il ne fera pas inutile
de la faire avec lui avant que de commencer
à lire cette anecdote. Je pourrois citer
plufieurs exemples à l'appui de cette vérité
; mais elle fe prouvera d'elle -même à
la fin de cette hiftoire. On conviendra
fans difficulté que ffii eellllee nn''eefftt.pas véritable
, au moins elle ne renferme que des
événemens qui peuvent arriver fréquemment
, quelque peu vraisemblables qu'ils
paroiffent d'abord.
Tout le monde fait que les Veſtales
étoient des vierges confacrées au culte de
la Déeffe Vefta , & chargées particuliere-
( 1) Ces Religieux croient l'original de Troge-
Pompée. Je laiffe aux Lecteurs à juger fi ces conjectures
font fondées .
MAI 1765 . 47
ment du foin d'entretenir le feu facré qui
brûloit devant fes autels : ellessyy veilloient
nuit & jour. Le falut de Rome dépendoit
de la durée ou de l'extinction de ce feu.
Les Veftales étoient punies févèrement
pour les moindres fautes , & l'hiftoire fournit
nombre d'exemples de ces vierges enterrées
vivantes : mais le plus grand crime
auroit été de laiffer éteindre le feu facré.
Il n'y en avoit jamais qu'une dans le
temple pendant la nuit.
la
C'est ici que commence le manufcrit :
Enfin le tour de Pompeia arriva ; c'étoit
le même jour où l'on avoit appris à Rome
perte
de la bataille de Cannes & la mort
de l'un des Confuls. Le peuple croyoit déja
voir Annibal & fes Carthaginois fur les
remparts , & cet effroi avoit pénétré juſ
ques dans le temple.
Le Pontife y conduifit la Veftale fur le
foir , & après avoir fermé toutes les portes
extérieures , il prit les clefs & fe retira.
Pompeia fit une courte priere aux pieds de
la ftatue de Vefta , puis elle s'affit dans le
fanctuaire fur un carreau de pourpre qui
lui étoit deftiné à quelques pas du feu facré.
Toute fon attention fe porta d'abord fur
l'objet dont le foin lui étoit confié ; mais la
folitude où elle fe trouvoit le filence
morne qui régnoit dans le temple , & le
>
48 MERCURE DE FRANCE .
peu de lumière que procuroit une lampe
fufpendue à la voûte , commencerent à
l'affoupir. Elle s'endormit enfin profondément.
Son fommeil dura long-temps. Cependant
le feu facré commença à diminuer
infenfiblement , & au bout d'un certain
temps il ne fubfiftoit déja prefque plus.
Heureufement elle s'en apperçut : elle
fe leva précipitamment , & courut toute
effrayée vers une porté qui fermoit l'endroit
où étoient renfermées les matieres
qui fervoient d'aliment à ce feu . Mais à
peine y fut- elle arrivée, que la porte difparut
tout-à-coup : elle ne vit plus qu'un mur
totalement femblable à ceux qui entouroient
le temple. Elle fut fort furpriſe de
cet événement ; mais bientôt croyant s'être
trompée , elle tourna la tête & apperçut
en effet la porte de l'autre côté. Elle courut
auffi-tôt pour l'ouvrir , mais en vain ;
le même prodige frappa encore fes yeux.
Elle devint alors pâle , comme fi elle eût
été prête à expirer ; une fueur froide s'empara
de fes membres : elle fe jetta aux pieds
de la Déeffe , & lui dit dans le fond de fon
coeur « ô puiffante Déeffe ! ô mère des
و ر
Dieux , fauvez ma patrie ! fauvez - moi !
» fans vous , c'eft fait de Rome ! fauvez-la
» & puniffez-moi ! que ces voutes m'écra-
,, fent à l'inftant ». Elle crut fes voeux exau- "
cés ;
MAI 1765 . 49
cés ; les voûtes s'ébranlerent , & un bruit
confus s'éleva derriere elle : mais ce n'étoit
qu'une nouvelle furpriſe qui lui étoit préparée.
On avoit placé dans le temple , de diftance
en diſtance , les ſtatues de quelques Veſtales
qui étoient d'une naiffance plus diftinguée ,
ou qui avoient témoigné plus d'attachement
au culte de la Déeffe. Ces ftatues
étoient de marbre blanc & rangées dans un
ordre égal entre les colonnes qui foutenoient
l'édifice. Elles s'animerent toutes
enfemble , fe couvrirent de longs voiles
noirs : quelques-unes même étoient teintes
de fang ; enfuite elles s'avancerent lentement
, & l'une après l'autre , jufqu'aux
pieds du fanctuaire , fe profternerent , &
percerent le mur fans laiffer aucune trace
de leur fortie.
Malgré l'horreur de ce fpectacle laVeftale
eut encore affez de force pour s'approcher
du vafe facré : elle remua la cendre pour
découvrir quelques veftiges de feu qui
n'étoient pas encore éteints. Elle effaya de
le rallumer en déchirant fes vêtemens ,
dont elle mit plufieurs morceaux dans le
vafe mais les foins qu'elle y employa , &
plus encore l'humidité de la laine , ne fervirent
qu'à l'éteindre plus promptement.
Ce fut alors ques privée de toute ref-
C
59 MERCURE DE FRANCE.
fource , & livrée à elle - même , Pompeia
s'abandonna toute entiere au défefpoir .
Elle erroit dans le temple les mains élevées
vers les cieux ; enfin accablée de douleur ,
elle fe retira vers l'endroit le plus écarté
de l'édifice , où elle verfa un torrent de
larmes. Ce fut dans cette fituation qu'elle
attendit le jour.
A peine il commençoit à paroître , que
le Pontife fe fit entendre dans le veftibule.
Il entra dans le temple , & fut d'abord
furpris de ne pas voir la Veftale : mais lorfque
s'étant approché du vafe facré il trouva
que le feu étoit éteint , la pâleur fe répandit
fur fon vifage. Il leva les mains
jointes au ciel fans rien dire , fortit précipitamment
& ferma la porte par- deffus lui
avec grand foin. Je n'entreprendrai pas de
décrire ce qui fe paffoit en ce moment
dans le coeur de la Veftale. Elle ne fut pas
long - temps dans l'attente ; les portes s'étant
ouvertes toutes enfemble , le temple
fe remplit en un moment d'une foule de
peuple des deux fèxes qui fe précipitoient
les uns fur les autres . Pompeia fe préfenta
d'elle -même avec une fermeté furprenante.
On la prit par les bras & on la traîna hors
du temple pour la conduire au lieu de fon
fupplice. Elle traverfa plufieurs rues avant
que d'y arriver , & par-tout elle yit le fpecMAI
1765 .
>
tacle le plus affreux. Les femmes , les enfans
, les vieillards , couroient par la ville
fans favoir où ils alloient : ils ne s'arrêtoient
que pour la contempler ; enfin elle
parvint au pied du Capitole.
Il y avoit en cet endroit un fouterrein
vafte & profond , dont une large pierre
couvroit l'entrée , & cette pierre étoit ellemême
couverte de vingt pieds de terre ;
c'étoit le lieu du fupplice des Veftales que
l'on enterroit vivantes. Il étoit déja découvert
quand Pompeia y arriva. Le Pontife
étoit affis à quelque diftance dans
une chaife d'ivoire & revêtu de fes habits
pontificaux. Le peuple étoit rangé autour
de lui. Jufques- là Pompeia n'avoit proféré
aucun mot : mais quand elle apperçut le
lieu de fon fupplice , les cordages , la
cruche & le pain qui devoient être renfermés
avec elle , elle pouffa des cris affreux ,
& fe jettant aux pieds du Pontife , elle les.
embraffa avec tranfport & les trempa de
fes larmes. Cette action fubite fembla
émouvoir le Miniftre des autels : mais reprenant
tout-à- coup fes premiers fentimens
, il maudit la Veftale au nom de Jupiter
Capitolin & des autres Dieux de
Rome. On la dépouilla d'une partie de fes
vêtemens ; & malgré les vains efforts de
fa foibleffe , on la defcendit dans le fou-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
*
terrein , qui fut recouvert de terre , & le
peuple fe retira dans le temple .
Pompeia refta quelque temps dans le
caveau fans s'appercevoir de fa fituation ;
car auffi-tôt qu'elle en avoit vu boucher
l'ouverture elle étoit tombée dans un
profond évanouiflement. Enfin elle en fortit
, & fon premier foin fut de chercher
un genre de mort capable de terminer
promptement tous fes maux. Elle prit la
lampe qu'on avoit auffi defcendue avec
elle par un fentiment de cruauté plutôt
que de compaffion , & s'approcha du mur.
Mais le défaut d'air avoit déja affeibli la
lumière de cette lampe , & les mouvemens
que la Veftale lui fit faire acheverent de
l'éteindre , de façon qu'elle fe trouva dans
la plus profonde obfcurité.
:
Un bruit fourd & éloigné fe fit alors
entendre ; une pierre vint à tomber & en
fit ébranler plufieurs autres. La Veftale fex
leva , & elle apperçut à la lueur d'un flambeau
qui perçoit à travers de deux ais pourris
& mal joints , une grande femme
vêtue de blanc , & la tête couverte d'un
double voile . Son corps étoit courbé : elle
ténoit dans la main gauche un flambeau
& fa démarche lente & peu füre annonçoit
une perfonne très - âgée. Cette femme
la prit par la main fans lui dire un feul
,
*
J
MAI 1765 . -53
mot & la conduifit en la faiſant monter
fur les décombres par l'endroit d'où elle
étoit defcendue. Elles marcherent l'espace
de cent pas dans une allée étroite & fi baffe
que , quoique Pompeia ne fût pas abfolument
grande , il falloit qu'elle fe baiffât
jufqu'à la moitié du corps pour pouvoir
avancer. Ne craignez rien , dit alors la
vieille à Pompeia : vous êtes fauvée. Après
avoir marché long-temps, l'une & l'autre fe
trouverent dans une forêt , où Vefta parut
à leurs yeux telle à- peu-près que fa ftatue
la repréfentoit dans fon temple. Elle étoit
accompagnée de deux femmes horribles ,
qui avoient les cheveux entortillés de ferpens
& les mains armées de fouets telles
que l'on nous dépeint les Furies. Infenfée !
dit la Déeffe , as-tu cru pouvoir m'échapper
? Auffi- tôt une des femmes s'étant approchée
de la vieille , la faifit par le bras ,
arracha le voile qui lui couvroit la tête , &
laiffa voir à Pompeia fa mère Plautia. La
Veftale voulut ſe jetter dans fes bras ; mais
dans l'inftant une muraille épaiffe environna
Plautia & les deux Furies ; la terre les
engloutit : tout diſparut.
Pompeia refta feule. Après avoir marché
long- temps , elle crut reconnoître à travers
les ténèbres le temple de Vefla , ce
même temple , la caufe de fon malheur.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Ah Dieux ! s'écria- t- elle , quoi , faut- il encore
me préparer à un nouveau fupplice ?...
Dans ce moment la lampe qui fervoit à
éclairer le temple tombe & réveille la Veftale
, qui voit les ftatues à l'endroit où elles
devoient être , le feu facré dans une activité
qui ne laiffoit rien à craindre , & fe
trouve convaincue que tout ce qu'elle avoit
fouffert n'étoit en effet qu'un fonge. Elle
fe profterna aux pieds de la Déeffe , la
Lemercia de l'avis mystérieux qu'elle venoit
de lui donner , & lui promit bien fincèrement
de ne plus s'endormir dans fon
emple.
SUITE d'HERACLITE & DÉMOCRITE
Voyageurs , Conte.
J₂E
vifitai , ajouta Démocrite , plufieurs
autres villes de la Grèce italique. Nulle ne
reffembloit à Sibaris ; mais toutes fe reffembloient.
Toutes louoient l'ordre &
manquoient d'ordre : les fottifes s'y commettoient
plus gravement ; mais c'étoient
toujours des fottifes , & qui pis eft , des
fottifes uniformes , telles que je les avois
remarquées dans la ville qui fut mon berceau.
Je m'arrêtai à Syracufe. Les chants
J
MAI 1765. 35
de victoire s'y faifoient ouir de toutes
parts. On y célébroit la défaite des Carthaginois
, ennemis dangereux de cette république.
Le hazard me fit aboucher avec
un des principaux perfonnages de cette
ville ; c'étoit un Sénateur , un Noble . Que
Mars & Neptune en foient loués , s'écriat-
il , je ne ferai point confondu parmi la
vile populace ; je ferai toujours un des
maîtres de ce peuple qui croira toujours
être libre. Entre-nous eft- il fait pour l'être ?
ajoutoit le Sénateur. Eft- ce au pied fervile
à marcher fans que l'oeil le dirige ?
Mais , lui difois- je , le Général qui vient
de battre vos ennemis n'eft- il pas ně parmi
le peuple ? Oui , répondit le Noble ; mais
dès l'inftant qu'il ne nous fera plus néceffaire
, nous faurons bien le remettre à fa
place.
Comme il parloit ainfi , on publia que
ce Général vouloir être Roi , & qu'il
feroit tomber toutes les têtes qui refuſeroient
de fe courber devant lui. Comment
donc , interrompit le Sénateur , ma tête
elle -même n'en feroit pas exempte ? Oh !
je vais y mettre bon ordre. Sans doute , lui
dis-je , que vous allez remettre le fils du
Potier à fa place . Il m'avoua naturellement
qu'il y appercevoit quelques difficultés.
Avouez de plus , ajoutai-je , que vous
Civ
: 56
MERCURE
DE
FRANCE
.
en trouveriez moins à devenir Potier vousmême
s'il l'exigeoit ? ... Mon ami , interrompit
le Noble , il faut que je vous quitte ;
je ne veux pas être des derniers à le féliciter
; je vais préparer ma harangue .
Durant ce difcours Héraclite verfoit
beaucoup de larmes . Sans doute , lui dit
Démocrite , que tu gémis de la foibleffe du
Sénateur & de l'orgueil de l'artifan : pour
moi je ris de l'un & de l'autre . Et moi ,
reprit Héraclite, je pleure fur vous trois :
mais écoute un récit non moins lamentable.
Fatigué de n'avoir vu dans les villes
que luxe , oifiveté , jaloufie , oppreffion ,
cabale , fureurs , je réfolus de m'arrêter
dans un fimple village. Là , me difois -je ,
habite au moins le repos . L'homme y
traîne avec moins de fracas le poids de fon
inutilité . Rien n'y peut tenter l'ambition ,
& dès - lors nulle jaloufie , nulle intrigue ,
nulle haine , encore moins d'orgueil ; en
un mot , l'homme eft ici moins à plaindre
qu'ailleurs , & pourra donner trève à ma
compaffion. Hélas ! pourfuivit Héraclite ,
peine j'arrivois dans ce village , que je
fus bien détrompé ! Tout y étoit en rumeur.
Les habitans formoient deux partis
oppofés l'un à l'autre. On crioit , on fe
menaçoit on eût dit qu'il s'agiffoit de
:
·
MAI 1755. 57
choifir le principal Magiftrat d'une puiffante
République. Le croirez-vous ? il
s'agiffoit de nommer l'Edile de ce chétif
féjour ! La plus nombreuſe cabale eut l'avantage
, fon protégé fut élu. Je voulus
queftionner celui qui n'avoit pu l'être . Il
s'éloignoit d'un air trifte & penfif. Quel
peut être , lui dis - je , le motif de vos
regrets ? que venez - vous de perdre ? qu'efpériez
vous acquérir ? J'efpérois , me dit- il,
fortir de la dépendance & avoir des dépendans.
Depuis bien des années je cultive
la terre , & je me conforme aux ufages
du lieu que j'habite : j'ai acquis de l'aifance
par mes travaux , & de l'eftime par
cette aifance. On me confulte , & mes
confeils font prefque toujours fuivis . Enfin
, j'ai une famille nombreufe & qui
m'eft foumife ; une femme que j'aime &
qui me fut toujours fidelle.... Et avec
tout cela vous n'êtes pas heureux, interrompis-
je ? Non , reprit le Villageois ; j'avois
befoin pour l'être de ce que je n'ai pu obtenir
; mais je ne puis oublier cet affront : je
vais habiter le village le plus voifin. La ,
j'efpere , avec de l'intrigue & quelques
libéralités , réuffir à m'emparer de la premiere
place.
Vous fentez bien , ajouta Héraclite ,
qu'un tel difcours dut me coûter des lar-
Civ
58 MERCURE
DE
FRANCE
.
mes? Le Villageois m'en fçut gré : il allois
m'en remercier. Vos remercimens font
fuperflus , lui dis-je , je pleurerois fur vous
bien davantage fi vos projets euffent réuffi .
J'avoue , difoit Démocrite , que le trait
eft rifible ; mais , après tout , chacun n'a - t- il
pas fa petite ambition ? Celle du Citadin
qui veut affervir trente mille Citadins ,
n'eft autre chofe que celle du villageois
qui veut dominer fur une centaine de fes
pareils. Tout deux font bien à plaindre ,
difoit Héraclite en foupirant. Dis plutôt
que tous deux font bien ridicules , reprenoit
l'Abdéritain : mais ce ridicule fe
retrouve à chaque pas que nous faifons
fur l'affemblage d'atômes qui nous fupporte.
Plus on parcourt notre foible planette
, & moins on trouve de différence
entre les hommes. Crois- moi , cette ville
immenfe eft une eſpèce de monde en raccourci
: bornons toutes nos recherches à la
bién étudier. Si , après cet examen , tu
pleures & je ris encore , il faudra nous
réfoudre à finir comme nous avons commencé.
Non loin de là ils apperçurent le prin
cipal temple de Perfépolis. A n'en juger
que par
fon extérieur , il étoit peu digne
de ce titre : c'étoit un monument de l'ignorance
& de la piété des anciens PerMAI
1765 . 59
fans. Quel ridicule affemblage d'ornemens
groffiers ! difoit Héraclite..... Eh , mon
ami , interrompit fon compagnon , qu'importe
à la gloire des dieux la mal- adreffe
des hommes ? Les premiers feront toujours
grands , les feconds toujours petits. Ce
temple , il eft vrai , honore peu cette capitale
; mais fût-il fupérieur à celui d'Ephèfe ,
crois - tu qu'Oromafe s'en trouvât plus honoré
? ( .)
( Ilfe trouve ici une grande lacune dans le
manufcrit ).
Après quelques autres obfervations de
cette nature , nos voyageurs fe fouvinrent
qu'ils cherchoient plutôt des hommes que
des édifices. Ils jugèrent que les lieux les
plus fréquentés étoient les plus propres à
feconder leurs vues. Cette réflexion les
conduifit à une promenade qui étoit le
rendez - vous de la plus brillante partie des
citoyens. Prefque tous ne s'y montroient
que dans des chars , & les plus bifarres pour
la forme étoient les plus admirés. Nos
voyageurs en virent un qu'on admiroit
pour fa magnificence. L'or , les pierreries ,
les peintures les plus voluptueufes contribuoient
à le décorer. Une jeune Perfane
le décoroit encore davantage par l'élégance
de fa perfonne , de fa parure & de fon
maintien. Elle attiroit les regards de tous
C vj
Go MERCURE DE FRANCE .
les hommes , elle attiroit même ceux de
toutes les femmes : il eft vrai que l'intention
différoit dans les deux féxes. Les
hommes approuvoient , les femmes cenfuroient.
Héraclite , qui étoit de l'avis des
dernières , s'informa des qualités de celle
qui attiroit ce concours. Son rang n'eft
rien , lui répondit-on , mais vous voyez
que fa perfonne eft quelque chofe. Elle
a déja eu l'honneur de ruiner quelques
grands , & même quelques petits plus riches
que ces grands. C'eft - là , je crois , vous
inftruire à fond du titre qu'on peut lui
donner. Mais , dit alors Démocrite , fans
doute qu'elle eft feule ici de fa profeſſion ;
je vois prefque toutes les femmes la regarder
de mauvais oeil. Je crois bien , reprit
le Perfan , que plufieurs défapprouvent la
fource de tant de luxe , mais beaucoup
d'autres le lui envient : elles oublieroient
facilement l'irrégularité de fa conduite , fi
fa parure étoit moins régulière.
Et cet autre char fi brillant , ajouta
Démocrite , qu'un tel difcours ne rendoit
pas férieux , quel eft le perfonnage qui le
remplit ? c'eft , fans doute , un de vos
Satrapes?J'admire l'élégance de fon cocher.
Avec quelle adreffe il dirige les rênes ! avec
quelle grâce il fait jouer fon fouet ! ....
Apprenez , reprit le Perfan , que c'eſt un
MAI 1765 .
GI
Satrape qui conduit fon cocher , & qu'il
eft en effet le plus habile cocher d'entre
tous nos Satrapes. On dit que chez vous
autres Grecs il eft un jour dans l'année où
les efclaves fent fervis par leurs maîtres :
ici tous les jours de l'année un maître a
l'humanité de promener fes efclaves..
Après tout , difoit Héraclite , peu importe
lequel des deux conduife l'autre : je
n'y vois d'autre abus que celui d'un homme
fervi par un homme. Pour Démocrite , il
trouvoit fort plaifant qu'un maître n'eût
un cocher que pour avoir l'avantage de le
devenir lui- même. Il vit que ces métamorphofes
étoient des plus à la mode : il
vit
que la mode en produifoit beaucoup
d'autres. On lui fit voir un jeune élève de
Thémis , qui eût pu égaler Caflor à la
courſe du char , & un diſciple d'Eſculape
qui fe connoiffoit mieux en chevaux que
le centaure Neffus.
Hé bien ! dit en pleurant Héraclite à
fon affocié , qui rioit à peu -près comme
Homère fait rire les dieux , qu'attendonsnous
de plus ici ? De nouveaux ridicules ,
répondit ce dernier , mais cherchons un
autre point de vue. Ce lieu n'eft pas le
feul où les Perfépolitains s'affemblent :
viens pleurer fur d'autres genres de travers.
-
Ils arriverent dans une rue étroite où
62 MERCURE DE FRANCE .
beaucoup de chars & un plus grand nom
bre de gens de pied fe difputoient le paffage.
Ils pénétrèrent , non fans quelque
péril , jufqu'au lieu où toute cette multitude
vouloit fe rendre. C'étoit une falle
de fpectacle. Nos deux philofophes parurent
étonnés de l'affluence qu'elle raffembloit.
Nous allons , difoit le Cinique , entendre
des chofes bien fublimes ou bien
abfurdes ; il n'y a que ces deux extrêmes
qui puiffent faire ainfi courir les hommes.
A l'égard du fublime , j'y crois fort peu ...
J'y crois encore moins , reprenoit Héraclite
, mais n'importe , attendons. Ils attendirent
en effet plus qu'ils n'avoient prévu ;
ce qui attrifta l'un & divertit l'autre. Enfin
la piéce commença & fut très - applaudie.
Comment l'avez-vous trouvée , demanda
un Perfan à Démocrite? Je n'en ai pas compris
un feul mot , répondit le philofophe.
Ni moi non plus , ajouta le Perfan : vous
l'avez cependant bien applaudie , répliqua
l'Abdéritain.... Eh ! qu'est - ce que cela
prouve ? eft- il befoin d'entendre une piéce
pour l'applaudir ? Voyez toute cette affemblée
; elle n'y a pas plus compris que vous
& moi : a- t-elle pour cela négligé de battre
des mains ? Ce difcours fit plus que fourire
Démocrite. Au moins , pourfuivit- il , apprenez-
moi quelle langue on vient de nous
MAI 1765- 65
parler? C'eft de l'Egyptien, reprit l'habitant
de Perfépolis depuis un fiècle & plus il
eft d'ufage parmi nous d'avoir une comédie
Egyptienne & de l'applaudir fans l'entendre.
A ces mots Héraclite foupira douloureufement.
Confolez-vous , lui dit le
Perfépolitain , on va vous donner une
piéce dons vous entendrez les paroles &
une mufique dont vous faifirez les images.
Tout y eft peint , & ce que vous enter→
drez vous croirez le voir.
Après une bruyante ouverture où les
deux philofophes n'apperçurent aucune
image , ils prêterent l'oreille & crurent
qu'on leur parloit encore Egyptien. Le
Perfan les détrompa . C'est donc quelque
autre langue étrangère , lui dit l'Abdéritain
, car je l'entends auffi peu que celle
d'Egypte. Je ne l'entends guères davantage
, reprit celui qu'il interrogeoit , mais
je vous certifie que nos villageois & nos
pâtres la trouveroient fort intelligible....
C'est dommage , reprit Démocrite , que
vos pâtres & vos villageois ne compofent
pas la moitié de cet auditoire , ils expliqueroient
les paroles à l'autre moitié ; par
ce moyen la piéce feroit entendue de tout
le monde. Ecoutez , lui dit le Perfan , cette
ariette à grande fymphonie. En effet , toute
la fymphonie fe fit entendre pour accom-
1
64 MERCURE DE FRANCE.
pagner un payfan qui étoit fuppofé chanter
feul à l'écart. L'Abdéritain demanda fi les
payfans de la Perfe ne chantoient jamais
qu'avec l'attirail de tous ces inftrumens.
Son officieux voifin lui répondit que c'étoit
à deffein de produire de l'effet , des
tableaux. Je n'y vois rien de tout cela ,
reprit Démocrite , mais j'y vois que vous
êtes conféquens : vous tranfportez au village
une mufique de cour, & à la cour le jargon
du village : il faut avouer que la compenfation
eft exacte. J'approuve beaucoup auffi
qu'il ait parlé quand il ſe portoit bien , &
qu'il chante maintenant qu'il fe croit malade.
Il eft fuperflu d'avertir que Démocrite
rioit en parlant ainsi . Le Perfan voulut en
faire honneur aux bonnes plaifanteries de
la piéce. Le Cynique , pour toute réponſe ,
lui montra fon compagnon qui pleuroit à
chaudes larmes.
l'on
On leur parla d'un autre fpectacle'nommé
, par excellence , le fpectacle de la
nation. Démocrite s'informa fi on y parloit
la langue nationale. Du mieux que
peut , lui répondit quelqu'un : elle y
eft bien quelquefois mife à la torture ;
mais ce Théâtre offre une foule de chefsd'oeuvtes
auffi purement qu'éloquemment
écrits. Nos deux voyageurs s'y rendirent
le jour fuivant. L'affluence y étoit prodiMAI
1765 . 65
gieufe . On alloit repréfenter une tragédie
nouvelle , & chacun vouloit contribuer à
fon fuccès ou à fa chûte. Prefque tous ,
même fans connoître l'ouvrage , prenoient
d'avance parti pour ou contre . Que je vais
fiffler ! difoit un jeune homme en fe frottant
les mains , je veux que cette miſérable
piéce ne foit pas achevée. La connoiffez
-vous ? lui demanda un autre jeune
Perfan. Point du tout , reprit le premier ,
mais qu'eft- ce que cela fait ? Je fuis venu
précisément ici pour la trouver mauvaiſe.
Je ne la connois pas plus que vous , répliqua
l'autre , mais je prétends , moi , qu'elle
réuffiffe on m'a prié de la protéger , &
je me fuis arrangé en conféquence ; nous
fommes ici une petite armée diftribuée par
pelotons.... Fort bien ! mais vous verrez
votre petite armée battue par une plus
grande , je vous en avertis .... C'eſt ce
qu'il faudra voir . En tout cas , les frais de
guerre ne retomberont que fur l'Auteur.
Démocrite écoutoit en riant ce dialogue .
Il voulut favoir d'un troifieme fpectateur
s'il étoit de l'un ou de l'autre parti. Je ne
fuis d'aucun , répondit ce dernier ; je fuis
du nombre des fpectateurs indifférens ,
j'efpére néanmoins que la piéce tombera ,
ce qui eft toujours très-amufant pour quiconque
ne l'a point faite. Le philofophe
la
66 MERCURE
DE FRANCE
.
eut lieu de juger que tous ceux qu'on
nommoit fpectateurs indifférens penfoient
à-peu-près comme celui -là. Il n'étoit pas
d'humeur à les blâmer , mais il en conclut
qu'un Auteur qui entreprenoit de faire
pleurer tant de gens malgré eux méritoit
bien qu'on rît à fes dépens.
La piéce commença . Elle péchoit par
le tiffu , par l'intérêt , & en général , par
le ftyle. Chacun des deux partis , c'eſt - àdire
les protecteurs & les oppofans , s'examinoient
de leur mieux. Les premiers bartoient
des mains à chaque vers un peu bril-
Lanté , les feconds crioient : paix la cabale !
Quant au troifieme parti , il reftoit encore
dans le filence & l'inaction , mais avant
la fin du troifieme acte il s'étoit joint aux
oppofans , & avant la fin du quatrieme
les protecteurs n'ofoient plus fe montrer.
Démocrite rioit de tout ce qu'il voyoit , &
entendoit Héraclite pleurer amérement .
Quoi , vous avez le front de trouver cela
beau ? lui dit un des oppofans. Point du
tour , répondit le philofophe ; je pleure
fur vous , fur l'Auteur , fur la pièce , &
même fur la meſquinerie de votre falle.
Tout cela n'eft-il pas en effet digne de
pitié ?
A cette malheureufe piéce on fit fucséder
une petite comédie agréable & piMAI
1765 .
67
quante. On lui rendit juftice ; on l'applandiffoit
généralement parce que fon Auteur
ne vivoit plus . Ce fut du moins la réponſe
qu'on fit à Démocrite lorfqu'il demanda la
caufe de cette unanimité de fuffrages .
Quoi s'écria le Cynique , un Auteur n'a
pour objet que la vaine gloire , & ce n'eſt
que dans la tombe qu'il peut recueillir
cette fumée ! Avouez que la manie d'écrire
eft bien rifible ? En même temps Démocrite
apperçut un jeune homme des plus élégans
qui applaudiffoit beaucoup à une
tirade contre la fatuité. Il s'informa qui il
étoit. C'eft , lui répondit-on , le plus grand
fat que Perfépolis renferme , & certainement
elle en récelle un grand nombre...
Mais pourquoi donc applandit - il à la cenfure
de ce travers ? ... Dites plutôt , reprit
le Perfan , qu'il brave cette cenfure , qu'il
veut qu'on la lui applique , & qu'il feroit
fâché qu'on ne l'en crût pas l'objet . D'ail
leurs , il a des vues fur l'actrice qui vient
de parler ; il eſpére , en Fapplaudiffant ,
être admis au bonheur de fe ruiner
elle .
pour
Ils vifiterent auffi quelques artiſtes , &
s'apperçurent que rarement la culture des
beaux arts infpiroit la modeftie. N'eſt - il
pas bien rifible , difoit Héraclite , qa’un
homme , pour avoir imité fur la toile ou
68 MERCURE DE FRANCE.
fur le marbre la reffemblance d'un perfonnage
qui n'aura fouvent été qu'un fot ,
fe croie lui-même un être fupérieur aux
autres hommes ? Héraclite alloit répondre
quand ils furent abordés par un homme
qui s'annonça pour un Sculpteur célèbre.
Meffieurs , leur dit-il , ma fortune eft en
affez bon train , mais il dépend de vous de
la rendre encore plus prompte. Volontiers ,
répondit Démocrite , que le mot feul de
fortune faifoit rire : parlez, de quoi s'agit-
il ? Vous faurez , reprit l'Artiſte , que
je me fuis fait un genre à part , & qui
plaît beaucoup à mes compatriotes. Ils fe
ruinoient pour des magots qu'on faifoit
venir à grands frais de l'extrémité des
Indes. J'ai trouvé l'art d'imiter ces ma
gots ; j'ai même fçu copier des objets
encore plus grotefques , & j'ai la confolation
de voir mes ouvrages faire les délices
de cette capitale ; mais je pourrois d'après
vous enfanter deux chefs- d'oeuvres bien
fupérieurs à tous ceux-là. Daignez donc ,
ajouta humblement l'Artiſte , fouffrir que
je vous modèle ou que je vous croque , &
je promets d'avance à vos deux copies le
haut bout fur toutes les cheminées de Per-
Spolis.
-
Une propofition fi ridicule fit pleurer
abondamment Héraclite, & jetter de grands
MAI 1755. 69 .
éclats de rire à fon compagnon de voyage .
Ils n'en parurent que plus pittorefques aux
yeux du Sculpteur. Bon ! s'écria - t - il , à
merveille ! Vous voilà précisément comme
je le defire : vous formerez deux pendans.
admirables ! Il redoubla fes follicitations ,
& promit d'être reconnoiffant . Mes confrères
, difoit - il , ont pour modèles de
jeunes beautés qu'ils paient affez mal :
moi , au contraire , je ne copie que ce que
l'efpèce humaine offre de plus bifarre , &
je récompenfe largement mes originaux.
Il eft bien jufte , après tout , qu'ils aient
part au gain que me fait faire le débit de
leur figure . Tous ces détails ne fervoient
qu'à redoubler les ris & les pleurs de nos
deux philofophes. L'Artifte reconnut qu'il
n'obtiendroit
rien , & s'éloigna non moins
affligé qu'Héraclite lui avoit paru l'être.
Nos deux voyageurs firent d'autres recherches
auffi infructueufes que les premières.
Ils ne virent que des maris prefque
ignorés de leurs femmes , des femmes qui
n'avoient confervé que le nom de leurs
maris ; de jeunes beautés qu'on trahiffoit
& qui prenoient bien leur revanche ; des
rivaux qui s'embraffoient ; des amis qui
fe déchiroient ; de l'indulgence & nulle
bonté ; des égards & point d'eftime ; plus
d'amuſemens que de plaifirs ; plus d'in-
7
70 MERCURE DE FRANCE .
conftance que de variété . Celle de la mode ,
je veux dire fon inconftance , les furprit
beaucoup. Ils fe crurent un jour dans une
autre ville fans avoir quitté les murs de
Perfépolis. Tous fes habitans avoient
changé de coftume , & fembloient former
une autre nation. Quelques - uns trouverent
même fort mauvais que les deux
philofophes ne fuiviffent pas l'étiquette.
On fçut bien comment l'un & l'autre répondirent
à ce reproche. L'un rioit &
l'autre pleuroit encore quand un Perfépolitain
, qui ſuivoit la nouvelle mode , s'approcha
d'eux & voulut favoir ce qui les
affectoit fi différemment. Ce font vos ridicules
, répondirent nos voyageurs : ils en
vinrent même jufqu'à lui détailler les
motifs de leur voyage. Le Perfan , trèsfurpris
de ce qu'il venoit d'entendre , ne
fçut d'abord s'il devoit rire ou pleurer de
la folie de ces deux hommes. Il aima
mieux effayer de la guérir. Daignez , leur
dit- il , me fuivre , & peut- être vous avouerez
que tout n'eft pas folie dans ce monde.
Ils le fuivirent fans beaucoup efpérer qu'il
les détrompât. Ils arrivèrent dans une
maifon d'apparence modefte , mais intérieurement
propre , décente & comode.
Vous voyez , leur dit - il , ma demeure :
je ne la veux , ni plus vaſte , ni plus
MAI 1765. 71'
ornée , mais je regretterois qu'elle le fût
moins. J'ai une table affez bien fervie ,
mais où l'intempérance ne s'affied jamais :
j'ai quelques notions de certains arts , &
je les cultive par délaffement. Voilà
pourfuivit-il , douze tableaux regardés
comme excellens , car je n'en veux point
de médiocres : voilà une bibliothéque peu
nombreuſe , mais choifie , & de laquelle
je fais ufage : voilà quelques inftrumens
d'aftronomie , fcience à laquelle je ne me
livre qu'avec précaution. Regardez ce jardin
; il réunit l'agrément à la fertilité :
un de mes plaifirs eft de le cultiver en
partie moi-même , d'arrofer ces fleurs &
de les voir éclore , délaguer le fuperflu de
ces arbres & d'en recueillir les fruits ,
Voici un arbriffeau que je plantai moimême
pour confacrer un fouvenir qui
m'eft bien cher. Cet arbufte croît , il acquiert
chaque jour plus de confiſtance ,
plus de folidité : il eft en tout point l'image
de mon bonheur !
Voyez , ajouta le jeune Perfan qui s'étoit
ému en prononçant ces dernieres paroles
, voyez le fallon qui termine ce jardin
; j'y raffemble auffi fouvent qu'il m'eft
poffible quelques amis fincères & mes
égaux ...
Des amis ! s'écria le Cynique avec un
72 MERCURE DE FRANCE.
y
rire amer. Des amis ! répétoit Héraclite ,
enfoupirant. Oui , des amis , reprit le Perfépolitain
, avec une forte d'indignation :
avez- vous auffi le malheur de ne pas croire
à l'amitié? Ni l'un , ni l'autre philofophe ne
répondit à cette queftion ; mais l'un rioit
& l'autre pleuroit. C'en eft trop ! s'écrie à
fon tour le fage Perfan , il faut vous convaincre
qu'il exifte un fentiment fupérieur
encore à l'amitié ; mais que des mifantropes
tels que vous croyent fans doute encore
plus rare. A ces mots , il leur fait figne de
le fuivre , & les conduit dans un appartement
un peu féparé du refte. A peine il
parut , que deux tendres enfans accoururent
à fa rencontre , en l'appellant du doux
nom de père : une femme d'une rare beauté
le regardoit fans rien dire ; mais ce regard
difoit tout : c'étoit l'expreffion de l'amour
même , & jamais deux yeux ne parurent
plus dignes de l'infpirer. Le croiras- tu , ma
chere Fatmé , lui difoit fon époux ? Ces
deux étrangers doutent que l'amour ait jamais
habité dans nos murs ; ils doutent que
lui & le bonheur exiftent même dans l'Univers.
C'est qu'ils n'ont pas nos coeurs
lai répondit Fatmé , autrement ils croiroient
au bonheur & à l'amour.
Approchez , dit l'heureux Perfan , aux
denx philofophes incrédules ; jugez vousmême
MAI 1765. すず
même fi mon bonheur eft une chimère.
Fatmé cut le premier hommage de mon
coeur, & cet hommage la rendit fenfible.
pour la première fois. Son amour égala
bientôt le mien ; nous n'éprouvâmes que
les obftacles propres à augmenter les defirs
& non à détruire l'efpérance : rien n'a depuis
traversé notre union , & tout contribue
à la refferrer. L'eftime entre nous produit
la confiance : j'aime fans être jaloux ,
& Fatmé, d'ailleurs , fuit toutes les occafions
de plaire à d'autres. Je voudrois que
tout l'univers connût ce qu'elle vaut ; elle
voudroit être ignorée de tout l'univers.
Enfin , ces enfans , ces tendres fruits d'un
hymen fortuné en multiplient les noeuds ;
ils nous font éprouver le fentiment de la
nature , auffi doux que celui de l'amour.
même , & qu'il augmenteroit encore fi
rien pouvoit l'augmenter en nous.
Durant ce difcours Fatmé verfoit des
larmes de tendreffe , & Héraclite des pleurs.
de compaffion. Hélas ! difoit- il , voilà bien
le plus malheureux couple qui exiſte ici
bas. Si tout cer amour eft vrai , comment
l'un foutiendra-t-il la perte de l'autre ? &
cependant cette perte peut arriver dès demain
! Dès demain un de ces enfans peut
tomber du haut de ce perron , peut être
écrafé par la chûte de ce mur ! Je fors ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
pourfuivit- il , car les fanglots font prêts à
me fuffoquer. Il fortit en effet. Pour
Démocrite , il avoit d'abord ceffé de rire
à l'afpect de Fatmé : il ne trouvoit pas
qu'il fût ridicule à fon époux de la croire
belle mais la confiance du Perfépolitain
lui rendit toute fa gaîté. Quoi , difoit-il
à voix baffe , parce qu'un arbre a évité
durant cinq ans d'être frappé de la grêle ,
il s'en croit exempt pour toujours ? Il ne
faut qu'un moment pour lui apprendre que
fa tête n'eft pas plus facrée que celle d'un
:
autre. En achevant ces mots il fortit avec
précipitation , & alla rire à fon aife auprès
d'Héraclite , qui achevoit de pleurer.
Le Perfan refta convaincu pour jamais
qu'on ne perfuadoit rien à des philofophes.
La belle Fatmé n'entendit point le propos
du Cynique. L'augure d'Héraclite l'avoit
effrayée , mais elle fe raffura : il n'arriva
nul malheur à fes enfans ; il ne grêla point
fur l'arbre. Les deux époux vécurent longtemps
, & ne changerent point de conduite.
Les deux philofophes mirent fin à leurs
épreuves , & ne changèrent point de ſyſ
tême.
Par l'Auteur des Contes Philofophiques.
AVRIL 1765 . 75
LETTRE de M. PIRON à M. DE LA
PLACE , auteur du Mercure.
VorOILA , Monfieur , le dernier enfant
de ma mufe , & plût à Dieu que fon Prémier
né eût reffemblé à celui-là ! S'il a le
bonheur de mériter votre atache , & l'aprobation
du Cenfeur , vous m'obligerez
de l'honorer d'une place dans votre Mercure
, & de l'annoncer fous mon nom
dans la Table qu'on parcourt d'abord
pour y choifir les morceaux qui affectent.
Ce n'eft pas que ce nom de fi petit bruit
fur notre Parnaffe , me femble capable d'intéreffer
beaucoup par lui feul ; mais on aime
les Contraftes ; & prévenu comme on eftffur
le caractère de mon âme , depuis le malheureux
égarement de mon efprit , d'il
y a plus de cinquante ans ; je m'imagine
que les Vrais dévots , les Faux & Ceux qui
ne font ni l'un ni l'autre , ne feront
pas
fâchés de voir où cette Ame en eſt dans
fes derniers fentimens , & comment cet
efprit vielli s'y fera pris pour les exprimer.
L'orgueil poétique au refte , comme vous
concevez bien , Monfieur , n'a point ici de
prétention. C'eſt à l'humiliation , plutôt
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
que je cours viſiblement. Je m'attends
bien à la mauvaiſe pitié & aux plaifanteries
de nos Mondains ; or parmi vos Lec- .
teurs , il y a cent de ces Meffieurs , contre
une Bonne ame qui m'aprouvera , fans
fonger même fi les vers font bien ou mal
faits. On dira ce qu'on voudra. J'aurai fait
ce qui m'aura plû ; j'aurai un peu pacifié
ma confcience , en attendant la rémiffion
d'En-haût. J'aurai peut-être édifié : bien
tard , à la vérité , pour qui eut le malheur
de fcandalifer fitôt ; mais encore vaut- il
mieux pour une Mufe chrétienne, & péchereffe
, prêcher fur l'échèle que jamais .
C'eſt à vous , Monfieur , guidé par vos
lumières , de me feconder ou de me laiffer
là. Tout ce que vous ferez fera bien fait ,
tout ce que vous penfez eft bien penfé ,
à moins que vous ne penfiez que quelqu'un
puiffe être avec une plus fincère
eftime & plus de confidération que moi ,
MONSIEUR ,
Le 16 Avril 176 5i
Votre , & c,
PIRON
MAI 1765. 77.
PARAPHRASE du Pfeaume Cxxix. De
profundis clamavi , &c.
C'EST
EST du fond de mon coeur , grand Dieu ,
que je t'implore !
Du fond d'un coeur frappé d'un falutaire effroi ,
Que le remords pourfuit , que le regret dévore ,
Mais qui toujours eſpère en Toi.
Exaûce un Moribond qui t'invoque & t'apelle !
Des Humains , n'ês -tu pas le Père , en les créant à
Pour n'être qu'un Objet de l'Ire paternelle ,
M'aurois- tu tiré du néant ?
Remets - moi fous ton aîle , & deviens mon
Refuge !
J'ai fuivi le torrent du Siécle vicieux :
Eh qui de nous , hélas , fi tu n'ês que fon Juge ,
Sera pardonable à tes yeux ?
Dieu pardonne , dit l'Homme : il connoît ma
foibleffe :
Puis-je tant en avoir , qu'il n'ait plus de bonté ?
Sur ce principe , il s'ouvre & s'élargit fans celle
Les roûtes de l'Iniquité.
Bientôt devoirs , falut , tout fort de fa mémoire
De la Grâce il oublie & le prix & le don ,
La part qu'il put avoir à l'éternelle gloire
Et la refource du pardon.
Dii j
78 MERCURE
DE FRANCE.
De l'infernal Abîme il voit enfin la flâme ;
Il la voit quand il touche à fon dernier moment :
Contrit, moins qu'effrayé , pour lors il te réclâme,
Et te réclâme vainement.
Comme il l'a pourfuivie , achevant fa carrière ,
Sans efpoir , fans amour , il n'a que des remords.
Ta clémence long- temps attendit fa prière ,
Et ta juftice eft fourde alors .
Tel eft le jour affreux dont la nuit eft fuivie :
Sur moi - même tel eft le retour acablant ;
Ainfi , fur le tableau de ma coupable vie ,
Je jette les yeux en tremblant.
Croirai - je que déja mon âme eft réprouvée ?
Perdrai-je , en la rendant , l'efpérance & la foi?
Non , Seigneur , ta parole eſt trop avant gravée
Et trop vivifiante en moi.
« Tu l'as dit : Qu'Ifraël en repos vive & meure ;
Mes bras lui font ouverts en tout temps , en
>> tout lieu ;
›› Du premier de ſes jours , jufqu'à la dernière
>> heure ,
و د
Qu'il ait confiance en fon Dieu !
» S'il a prévariqué , qu'il fe repente , m'aime ,
>> Me remontre un conr pur , tel que je lui
>> donnai ;
>>Qu'à tous les ennemis il pardonne lui-même ,
>> Et tout lui fera pardonné ».
MAI 1765. 79.
Mourant dans cet efprit , & plein de confiance »
Quand donc au Tribunal je ferai préſenté ,
Que ta Miféricorde y tenant la balance ,
Défarme ta Sévérité.
PIRO N.
LETTRE de M. le Prince DE CROY & DE
SOLRE , Prince du Saint Empire , Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant-
Général des Armées de SA MAJESTÉ ,
Commandant-Général en Picardie , &c.
datée de Paris le 20 Mars 1765 , à
MM. les Maire & Echevins de CALAIS .
JE reconnois , Meffieurs , votre attachement
pour le Roi dans tout ce que vous
avez fait. Je n'en fuis pas étonné . Je dois
y joindre mes foibles louanges ; partager
votre joie en qualité d'un de ceux qui vous
eft le plus attaché , & qui fe fera gloire de
publier qu'il vous a toujours trouvé dignes
de vos ayeux.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Signé , LE PRINCE DE CROY,
Div
Το
MERCURE
DE
FRANCE
.
LETTRE de M. le Duc DE CHAROST
Pair de France , Lieutenant- Général de
Picardie & Boulonnois , Meftre de Camp
du Régiment du Roi , Gouverneur des
Ville , Citadelle , Forts de Calais &
Pays reconquis , &c. &c. datée de Paris
le 18 Mars 1765 , à MM. tes Maire
& Echevins de CALAIS.
M.ESSIEURS ,
J'AI reçu il y a quelques jours une
lettre où vous m'envoyez votre délibération
du 6 de ce mois . Vous ne deviez pas
douter que je n'approuvaffe les témoignages
de votre reconnoiffance envers M. de
Belloy & la jufte fenfibilité que vous a
caufée le fuccès qui , en couronnant fa
Piéce , a fait admirer à la France , dans les
anciens Citoyens de Calais , ces mêmes.
fentimens de patriotifme , d'amour , d'attachement
& de fidélité au Roi , dont je
fus le témoin & le dépofitaire lorfque ,
comblé des bontés du Prince , qui venoit
de me nommer Gouverneur de votre Ville
MAI 1765 .
81
Jeus la fatisfaction de voir tous les habitans
du pays Reconquis regarder fa gloire
comme la leur propre , & le chérir comme
un père bien aimé. Ce font ces fentimens
qui m'ont infpiré pour eux une eftime &
un attachement fincère & inviolable : c'eſt
avec ces mêmes fentimens que je fuis en
particulier ,"
MESSIEURS ,
Votre , &c. Signé LE DUC DE CHAROST.
FRAGMENT d'une lettre écrite de Calais
à M. DE LA PLACE.
ILL ne me refte , Monfieur , qu'un mot
à vous dire , au fujet des deux couplets de
la Romance que vous vous êtes rappellé:
'avoir entendu chanter au peuple de Calais
dans votre enfance , en mémoire de la retraite
forcée des Efpagnols en 1657, journéefi
glorieuse pour nos ancêtrés , qu'ils la
célébrent encore annuellement ( le 2 Juillet
) par une procellion folemnelle ......
Vous auriez pu , je crois , ajouter à la note ,,
concernant M. le Comte de Saint - Martin
VICTOR DE SAINT- MARTIN de Tou-
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
REMPRE , ( 1 ) fuivit les ennemis de fi près
dans leur retraite , après la levée du fiége
qu'il prit d'affaut , l'épée à la main , le Fort
SAINT - PHILIPPE , proche Gravelines ,
fit le Gouverneur prifonnier de fa main ,
& en fit encore nombre d'autres en continuant
de poursuivre leur arrière-garde.
Vous fentez mieux qu'un autre , Monfieur,
qu'un trait hiftorique , auffi honorable
pour le pays que pour les defcendans
de Victor de Saint - Martin - Tourempré,
mérité d'être rappellé & confervé dans' un
Journal que nous regardons comme celui
de la nation.
J'ai l'honneur , & c .
De Calais le 18 Avril 1765.
B.. ::
LE mot de la première énigme du
fecond Mercure d'Avril eft le pied. Celui
de la feconde eft la rape à tabac. Celui
du premier logogryphe eft la chatte. Celui
du fecond eft la peau , & celui du troifieme
eft joie , lequel l'j ôté , il reſte oie .
( 1 ) Il étoit ancien Capitaine au Régiment de
Mazarin , Infanterie , aujourd'hui Bretagne , &
commandoit la milice du pays.
ΜΑΙ 1765.
83
JE
ENIGM E.
E fuis de tout temps , quoiqu'enfant ;
Mon père vit dans le carnage ,
Ma mère a fait jafer fouvent ;
Ma foeur honnête , douce & fage ;
Vaut mille fois mieux que nous trois ,
Et n'a perfonne fous fes loix.
De l'Olympe à l'humble chaumière ,
J'embraffe la nature entière .
Je vifte peu les palais ;
Je fuis la grandeur , l'opulence ,
C'eſt dans les champs que je me plais.
Je fuis colère , un rien m'offenſe ;
Je fuis bon , facile , indulgent .
Je fuis léger comme le vent ,
Et je me pique de conftance .
Je fuis timide , circonfpect ,
Hardi , violent , plein d'audace .
Je pefte , je gronde & menace
En parlant toujours de reſpect.
Je fuis gai jufqu'à la folie ,
Et fouvent des plus grands plaifirs
Je paffe à la mélancolie.
Impétueux dans mes defirs ,
Quelquefois , fuivant l'occurrence ,
Je fais m'armer de patience.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE
}
-Je fuis aveugle clair - voyant ;
Je ne vois rien , rien ne m'échappe..
Je fuis crédule , défiant ;
Tout m'eft fufpect & tout m'attrape
J'éclate & parle ſans raiſon :
Je cherche l'ombre , le mystère
Je fuis un baume falutaire 3
Je fais un dangereux poifon :
Je fais le père de la vie ,
J'enfante de mortels combats .
J'aime la paix & l'harmonie ,
Et je trouble tout ici bas.
Je fuis trompeur plein d'artifice ,.
Et cependant fimple , ingénu .
Penflamme l'honneur , la vertu ;
Je,fouffle le crime & le vice.
De tous les biens , de tous les maux
Je fuis , ce bizarre affemblage.
Je fuis , pour finir en deux mots ,
Sans vous amufer davantage ,
Le fujet de tous les difcours ,
Et le vrai phénix de nos jours .
Do
MAI 1765:
ENVOIà Mďè DE LA V. B. .
Q
VAND Vous lirez , Eglé , ce badinage ,
N'eifayez pas d'en trouver le fecret ;
L'objet des vers dont je vous fais hommage
A votre esprit jamais ne s'offriroit.
Il vit pourtant avec vous & fans ceffe ;
Mais l'hypocrite a fçu jouer d'adreſſe ,,
Du bon côté feulement s'eft montré.
11 a chez vous l'habit , le caractère ,
Tout , jufqu'au nom de l'ennemi juré
Avec lequel il est toujours en guerre..
D
AUTRE
AN sun cachot obfcur je paſſe , cher Leeteur
,
A peu de chofes près les deux tiers de ma vie ;.
Mais , loin que ma prifon me fâche & m'humilie,
Elle produit ma joie & mon bonheur.
Que l'on m'ôte mes fers , au fein de la moleffe ,
Tranquillement je coulerai mes ans ,
Quoique j'aie la clef des champs ,
Loriqu'on les met ou qu'on les laiffe
$ 6 MERCURE DE FRANCE .
Q.
AUTRE.
UI , fans rire , pourroit ouir mon avend
ture ?
Une barbare main me tranche infolemment ,
Pour me remettre où la nature
Avoit fixé mon logement.
LOGO GRYPHE.
DE
A Madame DE...
E ma foeur & de moi je tais ici l'hiftoire
Faite pour émouvoir la fenfibilité :
Banniffons-la de la mémoire
Sans en rien dire à la postérité.
...Chez les paisibles Cafaniers ,
Quel que foit le lieu que j'habite ,
Je fais ma première vifite
En arrivant dans leurs foyers .
En me décompofant on verra par avance
Chez nos derniers rivaux une grande cités
Une ville en Franche-Comté
1
1
MAI 1765.
87
:
Deux fleuves connus dans la France ;
Le chef-lieu d'an Royaume où régna Tamerlan 3
Et de Syracufe un Tyran ;
4
Le roi des animaux ; deux Papes ; un Prophète ;
D'un Etat policé le frein qui nous arrête ;
Celui qui le premier a connu le raifin ;
Un des points cardinaux ; une couleur funèbre
L'amante d'un Chantre romain ;
En Angleterre un titre fort célèbre ;
Un animal dormeur ; un cruel élément ;
Certain emploi jadis connu dans Rome ;
Ce qui diftingue un des cinq fens de l'homme ;
N'oublions pas Chloüs , le Dieu du vent ;
J'amuferois encor votre manie :
Mais je vous cite enfin une Univerſité
Chez le froid Hollandois ; & je fuis arrêté
Par la naiffance du Meffie .
Par M. DE BESS ANCOURT ,
en garnifon à Amiens.
Qu
AUTRE.
UOI ! vous voulez , Hortenfe , un logogryphe
!
Quai - je donc fait pour ainfi me punir ?
J'aimerois mieux grimper au pic de Ténériffe ;
Mais làs vous êtes femme , il faut vous obéir
35 MERCURE DE FRANCE.
A
Allons , montons fur l'Hippogrife ,
Four dépêcher ma tâche , & plutôt la finir.
Quoi vous voulez encór tel mot , & de trois
lettres ,
En trois fois vingt - cinq vers , avec deux pardeffus
?
Quel caprice étonnant trois lettres rien de
plus !
Et tant de vers ! ... Le dieu même des jeux cham
pêtres
Feroit , pour réuffir , des efforts fuperflus ,
Car en peu de momens fix termes font connus ( 1).
Il eſt vrai que ce mot offre mille modèles :
Mais pour en retracer des images fidèles ,
Il faudroit le pinceau de l'ami ( 2 ) de Morus.
N'importe ... cependant jurez , que de la vie:
Vous ne m'ordonnerez une telle folie .
1
Un logogryphe ! ...Hortenfe ! ah ! je ne reviens
poin ..
: Commençons donc c'eft là le point.
Orfus je fuis d'une grande famille ,
C'est- à- dire , que j'ai des parens à foifon ,
De tout rang , tout éclat , dont le centre eſt
Lille (3 ).
( 1 ) Trois lettres ne s'arrangent que de fix façons
quatre de vingt- quatre.
( 2 ) Erafine.
(3 ) ( en Flandres ) Ceci eft relatif à un vieux quoliber
du pays.
MAI 1765. 189
Trois fignes , comme on fait , compoſent tour
mon nom ..
On a déja prévu que leur combinaiſon
Ne fçauroit être difficile .
Soit mais je crois qu'au premier coup
Un fot n'en viendra pas à bout.
On me trouve aux champs , à la ville ,
Aux cloîtres , aux palais , même aux conſeils des
Cours ;
Quelquefois au lycée , & toujours au collége
Bref , pour remplir ce futile difcours ,
Tel eft enfin mon privilége ,
Qu'en tous lieux , en tout temps je parois tous
les jours .
La fortune à mon char aſſez fouvent s'attache ;
A mon efpect le mérite fe cache :
C'est bien en vain qu'il me lance des traits
C'est plus vainement qu'il fe fâche :
Tels font du fort les différens décrets ;
Je triomphe , il gémit & je régne à jamais.
Tu crois déja m'avoir , Lecteur , mais je t'échappe .
Tranfpofe feulement les membres de mon corps ;
Sépare les , joins - les , penſe à ce qui te frappe
Et fans t'arrêter aux dehors ,
Calcule , & crains qu'ici je ne t'attrape ..
Premierement j'offre un vieux mot ,
Mais françois , & peignant l'image
D'un goût purement hottentot ,
Dont plus d'un peuple , qu'on dit fage
MERUCRA DE FRANCE.
Et que je crois être encore Ostrogot
Ofe fe vanter d'âge en âge :
>
Mot enfin qui défigne un nombreux affemblage
De fors , de foux , de furieux ,
Qui trouvent admirable , & fur- tout glorieux ,
De porter avec art , par- tout fur leur paffage ,
Le fer , le feu , la mort & le pillage.
Tu trouveras enfuite une exclamation
Qui nous conviendroit fort en y joignant Bara
bares !
Un verbe italien , & d'affirmation ;
Un latín , décrivant une pofition ;
Un terme grec; deux noms Celtiques & Bulgares;
Dont incertaine eft l'explication.
Un fon du doux appeau de nos filles de joie ,
Auquel an provincial ſe prend ainſi qu'une oie
Le fynoyme d'un pédant ;
Celui d'un pauvre Auteur de triftes logogryphes ;
It dont je fais ici fans doute le pendant.
Le contraire des efcogriffes ;
Le vrai portrait du Pigmée impudent ,
Dont la grotesque voix , ſemblable au cri du zèbre,
Veut difputer la palme à l'Ecrivain célèbre
Qui fait couler nos pleurs au Siége de Calais ,
Et dont la nation couronne les fuccès.
Je refpire à la fin ; car ma tâche cruelle
Pour s'achever , n'a befoin que d'un mot,
SA
1
Gai
En vain une co quette Projette
Flute ou Violon.
ma
defaite;
tour à tour avec artsonregardLanguiteipé.
zal le: SonregardAvee artSonregardLanguit elpé:
-til - le:Maisdans ses brasMalgréson art etses ap
=pas, Amourtonflabeau brille etne brulepas .A-
= mour tonflambeau brille et ne brule pas.
MAT 1765.
Ce qu'on cherche eft fouvent fous l'or & la dentelle
:
J'en ai trop dit , & je ferois un for
De perdre plus de temps à cette bagatelle .
Par M. TALOT , de Lille en Flandres.
CHANSON.
La Coquette.
ENVAIN NVAIN une coquette
Projette
Ma défaite.
Tour à tour , avec art
Son regard
Languit & pétille .
Mais dans fes bras ,
Malgré fon art & fes appas ,
Amour , ton flambeau brille ,
Et ne brûle pas.
La mufique eft de M. DARD , Ordinaire de la
Mufique du Roi & de l'Académie . Les paroles
de M. FORESTIER.
2 MERCURE DE FRANCE.
1
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un
ouvrage intitulé , l'Homme éclairé par
fes befoins.
MONSIEUR ,
JE vous prie de vouloir bien inférer
'dans votre Journal des obfervations que
j'ai faites fur le plan de l'Homme éclairé
par fes befoins , ouvrage à qui vous avez
donné de juftes éloges , & à qui le Public
a fait l'accueil le plus favorable.
Il me paroît que l'Auteur s'eft propofe
de confidérer l'homme focial , civil &
politique par fes rapports avec les fciences
& les arts : il ne faut donc point regarder
fon livre comme un tableau qui préfente
la chronologie des temps , l'ordre & les.
dates des faits , máis comme un fyftêmeingénieux
& profond dont l'entendement
feul doit fuivre le fil.
MAI 1765 :
Quoique l'objet de l'Homme éclairé par
fes befoins paroiffe au premier abord le
même que celui de l'hypothèſe du Chancelier
Balon & des recherches de Goguet
il en différe néanmoins infiniment.
L'Auteur Anglois n'a pas prétendu donner
la génération des connoiffances humaines
, il la fuppofe , & il ſe borne à examiner.
leurs degrés d'analogie . En les enchaînant
aux diverfes facultés de l'âme , il a créé
un ſyſtême fublime , très -propre à établir
la nomenclature des arts & des fciences ,
mais idéal ; il n'en a pas fait porter les
fondemens fur la bafe des faits , & il a
bâti plus en hauteur qu'en profondeur.
Goguet n'a écrit qu'une hiftoire. Auffi
n'y trouve - t-on pas cette progreffion graduée
, fi intéreſſante aux yeux du philoſophe
; on n'y apperçoit que quelques monumens
difperfés , comme au hafard , fur
la vafte étendue des fiécles & de l'univers,
Et puis il n'a obfervé la marche de l'efprit
humain que fur un point de la terre , je
veux dire, chez les Babyloniens , les Egyptiens
& les Grecs . On ne doit point routefois
lui en faire un crime ; on fait que les
premiers pas des fciences & des arts fe font
perdus dans les ténèbres des fiécles d'ignorance
, long -temps avant la découverte de
l'écriture & de l'Imprimerie , & que les
94 MERCURE
DE FRANCE
.
guerres & les révolutions dont le monde
fut toujours le théâtre , dûrent renverfer
prefque tous les monumens & effacer juf
qu'aux traces de la tradition .
Le grand principe de l'ouvrage dont il
s'agit , nos befoins , a d'une part fes racines
dans la conftitution phyfique & morale de
l'homme , & de l'autre dans l'hiftoire. Le
peu de monumens des arts qui fe font confervés
dans une forte de fuite , font rangés
exactement dans l'ordre , & d'après la progreffion
de nos befoins & l'analogie des
objets. L'Auteur a été fondé à conclure du
préfent au paffé , & du réel au poffible . Les
befoins peuvent être immédiats ou éloignés
: les premiers font des befoins de néceffité
ou de nature ; les feconds font des
befoins faftices ou de luxe. Les uns & les
autres ont varié , felon la différence des
climats , des gouvernemens , des religions ,
de l'éducation , felon les diverfes fituations
des états & leurs rapports avec les peuples
Voifins & l'univers tous les détails fe
plient naturellement , & comme d'euxmêmes
, à cette idée fyftématique.
On en fait l'application aux arts utiles ,
aux paffions ou à la morale politique , aux
loix , aux fciences & aux arts agréables.
Comme après la dégradation de la nature
l'homme a eu dans lui le germe de
tous les befoins qui ne tarderent pas à l'enMAI
1765 .
vironner , les connoiffances humaines ont
à-peu -près vraisemblablement marché de
front fur la terre. Il femble d'abord que
c'eût été l'ordre naturel qu'eût dû fuivre
l'Auteur. On revient de ce préjugé pour
peu qu'on réfléchiffe. °. On peut. bien
peindre l'homme phyfique de face ou de
trois quarts ; mais bien loin de pouvoir
embraffer à la fois l'homme métaphyfique
par toutes fes dimenfions , il n'eft guères
poffible de l'envifager & de le préfenter
que par des profils. 2 ° . Les befoins des
hommes n'ont pu fe développer qu'à raifon
des circonstances où ils fe font trouvés
: or , l'hiftoire ne nous apprend rien à
ce fujet ; les développemens fimultanés
des fciences & des arts ne fçauroient donc
être qu'hypothétiques. 3 ° . Comme l'Auteur
l'a fort bien dit , en fuivant cette
méthode , il n'eût point donné à fes idées
l'étendue néceffaire ; il auroit été réduit
à des tranfitions fréquentes qui n'auroient
pu que jetter de la lenteur dans le ſtyle &
dans les chofes. 5 °. Son ouvrage eft celui
d'un philofophe & non d'un hiftorien , &
l'on a bien plus prétendu donner la métaphyfique
des connoiffances humaines que
leur hiftoire.
Ce dernier trait explique tout le plan
de l'Homme éclairé par fes befoins. Quoi
MERCURE DE FRANCE .
3
*
en effet de plus capable de fixer toute l'attention
de la philofophie, que la génération
progreffive de chaque art & de chaque
fcience ? Il falloit donc ranger nos con--
noiffances fous différentes claffes , eu égard
à leur genre , leur efpéce , & au degré de
perfection où elles font parvenues , afin
de pouvoir défigner leurs progrès fucceffifs.
Un philofophe , dans le cahos des
temps & des faits , ne faifit que la chaîne
infinie des rapports.
Quoique les paffions foient entrées avec
l'homme dans le monde , elles n'ont pu
s'élever à leur comble qu'après que les arts
utiles ont eu fait de grands pas vers leur
perfection : auffi n'en a - t- on traité qu'après
ces derniers. Les progrès de la légiflation
ont dû fuivre ceux des paffions. Les fciences
ayant pour baſe les expériences & l'obfervation
, l'antiquité du monde eft le thermomètre
de leurs développemens. Les
principes des arts agréables allant fe réunir
dans les mains de la métaphyfique , du
calcul , de la géométrie & de la morale ,
ils ont eu befoin d'être éclairés par le flambeau
des fciences .
L'ordre des befoins a dû fur- tour guider
l'Auteur dans le plan de chaque fection.
Dans la troifieme qui a pour objet les arts
aitiles, avant d'entrer en matiere, on donne
la
MAI 1765 . 97
la génération de la fociété des divers
gouvernements & des langues. L'homme
par fa nature eft fait pour la fociété : celleci
ne fauroit fubfifter fans une forte de gouvernement
: les avantages de la fociété &
des gouvernemens feroient nuls fans l'exiftence
des langues : par- là même elles tiennent
aux premiers befoins de l'homme. Vu
la fenfibilité de nos organes , l'intempérie
de l'air & des faifons , on a dû , dès le
commencement , s'avifer de l'art de ſe vêtir.
Le creux des arbres & des rochers offrant
des afyles aux divers individus , ils
n'ont pu que long- temps après s'occuper de
l'architecture ruftique . Ils n'ont probablement
tourné leur attention vers l'agriculture
qu'après avoir épuifé le gibier des forêts.
Les infirmités & les maladies ont dû
guider les obfervations de la médecine &
de la phyfique. Quand les progrès de la population
ont forcé le genre humain à habiter
des régions qui ne fourniffent point
aux néceflités & aux délices de la vie , on
a eu recours au commerce d'échange. Les
différences de la température des climats
& de la fertilité du fol , ont donné lieu à
l'invafion : d'où la guerre. L'écriture &
l'imprimerie étant une forte de langue pour
les yeux & pour les abfens , elle tient à
nos premiers befoins. Sans le long inter-
E
98
MERCURE
DE
FRANCE
. valle de temps qui fépare l'invention
des
langues ordinaires
de la découverte
de ces
derniers arts , l'Auteur auroit vraisemblablement
rapproché
des objets auffi analogues.
Dans la quatrieme fection il traite des
paffions , ou de la morale politique. La
Rochefoucaud
& bien d'autres philofophes
moraliſtes avoient regardé l'amour propre
comme une paffion mère , d'où naiffent
toutes les autres ; mais ils n'en avoient pas
établi les filiations , & ils ne les avoient pas
confiderées
comme reffort de politique.
L'amour propre eſt un befoin univerfel, dont tous les autres ne font des éma- que
nations . L'économie
pouvant contribuer
infiniment
à la confervation
de notre exiftence
, on peut dire qu'elle eſt un de nos
premiers befoins. L'orgueil tient à la confcience
que nous avons de la fupériorité
de notre êrre fur toutes les créatures d'un autre
genre de-là le defir d'être eftimé de
nos femblables
, ou l'amour de la gloire,
La vanité eft l'orgueil des petites ames. L'amour eft un befoin des fens , du coeur &
de l'imagination
. Il ne germe que longtemps
après la paffion dont je viens de parler.
L'amitié eft un befoin de l'ame . L'averfion
, la haine , la vengeance , la colère ne
font qu'un amour propre indiſcret,
MAI 1765. 99
Dans la fection cinquieme l'Auteur entre
en matiere par une idée fyftématique ;
il dérive toutes les loix de la loi de Nature.
La cité une fois fondée , les légiflateurs ont
dû pourvoir par leurs inftitutions aux befoins
des citoyens : d'où les loix civiles . Les
befoins intérieurs des états & ceux du
gouvernement
ont auffi éclairé la légiflation.
Qu'on life les obfervations fur l'histoire
de France par M. l'abbé de Mably , on verra
comment les befoins de la Monarchie Françoiſe
l'ont guidée fucceffivement à travers
les ténèbres de l'ignorance & de la barbarie
, dans la fanction des loix , & l'ont élevée
par degrés à ce point de gloire & de
grandeur qui affure le bonheur du Prince
& des fujets. Les annales du monde pour
des gens de génie ne font que l'hiftoire des
caufes & de leur influence fur les événe
mens. Je reviens à mon fujet.
Comme un citoyen eft lié aux autres citoyens
pår fes beſoins , un état l'eſt aufli
aux états de la même contrée & à tous les
peuples d'où la politique extérieure , le
droit public de certaines régions & le droit
des gens. La patrie eft la premiere famille
dont les citoyens font membres ; ils font
encore unis , quoique par des liens moins
immédiats , aux nations ou aux familles
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
voifines , & par des noeuds plus éloignés ,
à la famille univerfelle ou au Monde.
par-
La fection fixieme renferme la génération
des ſciences exactes. La logique étant
très-propre de fa nature à corriger les erreurs
, & à étendre la fphère de l'entendement
, elle tient aux premiers befoins de
cette faculté de l'ame ; d'ailleurs c'eſt une
fcience mère , innée , qui a comme conduit
par la main toutes les autres. L'homme
étant tout enveloppé de la main de la divinité
, & celle- ci étant le centre d'où
tent & où vont fe réunir tous les rapports
poffibles , il fuit que la fcience de la reli -
gion eft enchaînée à nos plus intimes befoins.
Le calcul & la géométrie ont leur
fource dans l'efprit de propriété , befoin
qui dut s'accroître quand l'agriculture fut
connue. L'Auteur , toujours d'après nos befoins
& l'analogie , fait fortir de ces fciences
fécondes les principales branches des
mathématiques. C'eſt la métaphyfique , ou
la fcience des caufes , qui a éclairé la phyfique
, lorfqu'elle a imaginé des fyftêmes
fur le monde : la métaphyfique tient à une
paffion inquiette , la curiofité , qui eſt un
befoin de l'entendement.
Le fujet de la feptieme fection , c'eſt la
Poéfie , ou les arts agréables , qu'il faut rapMAI
1765 .
101
porter aux befoins des fens , de l'imagina
tion & du coeur. On avoit dit que la poéfie
n'eftqu'une imitation de la nature ; mais
perfonne n'avoit étendu l'application de ce
principe auffi loin que l'Auteur.
On doit confidérer la poéfie proprement
dite comme un befoin de l'imagination :
elle exiftoit dès le commencement dans le
cerveau de l'homme. La fculpture a fes racines
dans le même befoin : l'oeil aime à
contempler l'image des objets qui l'ont vivement
frappé. Il en eft de même pour la
peinture qui n'a pu que fuivre la premiere :
le favant emploi des jours & des ombres
demandoit bien des connoiffances en fait
d'optique. La mufique ou la poéfie des
oreilles, eft propre par les proportions & l'analogie
des fons à entretenir l'activité de
l'organe de l'ouïe , & à le flatter : elle rend
avec une vérité finguliere les mouvemens
phyfiques , les fentimens & les paffions : elle
reffemble , à bien des égards , à la danſe
qui eft la poéfie ou la mufique des yeux.
Comme cette derniere eft affujettie à la
mefure , fes progrès ont dû être fubordonnés
à la mufique.
Vous voyez , Monfieur , que cet ouvrage
eft prefque tout de création , & qu'il eft ,
à proprement parler , la métaphyfique univerfelle
des fciences & des arts. Le laconif-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
me de l'Auteur annonce qu'il s'eft propofé
de dire peu pour laiffer beaucoup à deviner.
Il fe contente de marquer de loin en
loin la chaîne de fes principes : on pourroit.
lui reprocher d'avoir plutôt écrit pour des
philofophes que pour le commun des lecteurs.
Il auroit dû néanmoins fè fouvenir
que quoique le fiécle foit philofophe , la.
philofophie eft rare. Au refte , l'art fe cache
avec tant d'adreffe dans fon livre , que.
res analyfes les plus abftraites n'y font préfentées
que comme une fuite intéreffante
de faits , enforte qu'on croit lire l'hiſtoire.
rapide de l'efprit humain & les méditations .
d'un philofophe.
Un ouvrage qui contient une infinité de
principes & de vues , un ouvrage où l'unité
de fyftême , comme je l'aiprouvé , eft fi bien
gardée, où l'on manie fi habilement la fyn--
thefe & l'analyfe , où l'on parcourt la sphère :
des connoiffances humaines dans leurs progreffions
& leurs principaux rapports , ne.
peut qu'être auffi utile que profond.
Je fuis , & c.
L'Homme éclairépar fes befoins, fe trouve
chez Durand, le neveu , Libraire , rue Saint
Jacques , à la fageffe.
MAI 1765. 103
LETTRE de M. BLIN DE SAINTMORE à
Je
l'Auteur du Mercure.
E commence , Monfieur , par vous rémercier
de l'annonce avantageufe que vous
avez bien voulu faire de mon Héroïde de
Calas ; mais permettez que je me juſtifie
fur le fens que quelques perfonnes ont donné
à l'épigraphe que j'ai miſe en tête . J'ai
pour la Religion tout le refpect qu'on doit
avoir , & je ne crois pas m'en être jamais
écarté dans aucun de mes ouvrages. Par le
mot de relligio je n'ai prétendu défigner autre
chofe que le fanatifme & lafuperftition.
Lucrece lui-même l'a entendu ainfi dans le
commencement de fon poëme , où après
avoir déploré les malheurs de la famille
d'Agamemnon , qui fe vit forcé d'immoler
Iphigénie fa fille , il dit ce vers dont je me
fuis fervi :
Tantum Relligio potuit fuadere malorum .
Vous voyez , Monfieur , qu'on s'eft
trompé en traduifant cette épigraphe : je
ferois très fâché qu'on m'attribuât des fentimens
que je ne dois point avoir.
Comme j'efpere que vous voudrez bien
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
rendre ma lettre publique , je faifis cette
occafion pour détromper le public qui ne
ceffe de mettre fur mon compte des ouvrages
auxquels je n'ai aucune part. Les feuls
écrits qui foient de moi , font , Sapho a
Phaon , Biblis à Caunusfonfrère , Gabrielle
d'Etrées à Henri IV , & Jean Calas à Ja
femme & àfes enfans. Ces quatre Héroïdes
que j'ai corrigées avec beaucoup de foins ,
vont paroître inceffamment décorées d'eftampes
& de vignettes deffinées & gravées
par les plus habiles artiſtes , & fe débiteront
chez Sebaftien Jorry , rue & vis - à - vis la
Comédie Françoife , au grand Monarqne,
J'ai l'honneur d'être avec l'attachement
le plus fincere & l'eftime la plus diftinguée,
Monfieur , & c.
Ce 11 Avril 1765 .
BLIN DE SAINMORE.
MAI ∙1765.
105
MEMOIRES fecrets , tirés des archives des
Souverains de l'Europe , depuis le règne
-
de Henri IV. Ouvrage traduit de l'italien.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris,
chez Saillant deux parties in-12 .
Nous avons déja annoncé l'objet de cet
ouvrage qui renferme ce qui s'eft paffé de .
plus mémorable dans les différentes Cou : s
de l'Europe. Les cabinets des Rois & des
Républiques font le tréfor ordinaire où
l'Auteur a puifé ; & les dépêches de ceux
qui tiennent les rênes des états , ainfi que
celles de leurs Miniftres , lui fourniffent les
matériaux dont il forme fon édifice.
Teleft en fubftance l'avertiffement concis
du traducteur , qui donne une idée bien
jufte de ces mémoires fi célèbres dans la
république des Lettres. Ce traducteur qui
garde l'incognito , mais qu'on reconnoît
fans peine , s'étonne , avec raiſon , de la
beauté foutenue de l'ouvrage , & de ce que
perfonne , jufqu'à ce jour , n'a entrepris de
faire paffer dans notre langue les richeſſes
qu'il renferme : elles font , à la vérité , du
plus grand prix .
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
On trouve d'abord , dans une introduction
magnifique , un tableau de l'Europe
fait en grand , où les intérêts des Puiffances
font développés avec une noble liberté.
Le corps de l'ouvrage commence par le
portrait des deux principaux perfonnages
qui paroiffent fur la fcène , favoir, Henri IV
& Charles-Emmanuel , Duc de Savoie , qui
font comme les deux champions. Le contrafte
étonnant de leur conduite , la grandeur
d'ame & la franchiſe du premier , les
foupleffes & les artifices continuels du fecond
; la part effentielle qu'ils ont à l'intérêt
principal , font qu'on les apperçoit
toujours , même lorfque l'Auteur paffe à
d'autres. La fource & la fuite de leurs querelles
, leur accommodement , leurs ombrages
& leurs nouvelles plaintes , conduifent
le lecteur de furprife en furprife.
La conjuration du fameux Maréchal
de Biron occupe une bonne partie de ce
premier volume . Nos Hiftoriens , nulleinent
inftruits du fecret de cette affaire ,
difent vaguement que Biron , de concert
avec le Roi d'Efpagne & le Duc de Savoie
, avoit formé le projet de détrôner
Henri IV , & qu'il devoit avoir pour récompenfe
une fille du fecond , & la Bourgogne
érigée en fouveraineté . On trouve
dans le Livre que nous annonçons tout le
MAI 1765.. 107
tiffu de ce terrible complot : les rendezvous
, les pourpalers , les lettres , les réponfes
, les répliques , les inquiétudes , les
méfiances , les trahifons , la façon dont le
Maréchal eft attiré aux piéges , celle dont la
Cour & le Parlement procèdent , deux interrogatoires
, le coupable repréfenté visà-
vis de fes Juges & fur l'échaffaud.
On s'intéreffe à fa perfonne malgré fon
crime : on voit avec peine périrpar la main
d'un bourreau , un Seigneur qui avoit tant
contribué à affermir la couronne fur la tête
d'Henri IV. Il y a d'ailleurs dans lui un caractère
de franchiſe , qui joint à l'amour
des peuples & des foldats , le fait regretter.
Les remords qu'il éprouve en différentes
occafions , montrent une ame moins
corrompue , que féduite par une aveugle:
ambition : vice qui pervertit les meilleurs
naturels. Son crime eft moins le fien que
celui de Laffin qui l'y avoit apprivoisé par
degrés : Laffin , homme à jamais exécrable :
aux yeux de la poſtérité , & l'un des traîtres ·
les plus habiles dont il foit parlé dans aucune
hiſtoire.
L'Angleterre & la Hollande jouent un
grand rôle dans ces Mémoires. Elles fourniffent
mille beaux traits & quantité d'anec--
doctes curieufes. Parmi celles- ci on trouve
Evj .
108 MERCURE DE FRANCE.
les regrets & les larmes d'Elizabeth fur la
mort du Comte d'Effex.
La Hollande , encore dans fon berceau ,
eft repréſentée faiſant tête toute feule à la
Maifon d'Autriche , qui avoit effrayé l'Europe
& marché à grands pas vers la monarchie
univerfelle. Les efforts qu'Elizabeth
fait ouvertement pour la foutenir , les fecours
fecrets de Henri IV , la négociation
fimulée entr'elle & lui , pour une ligue
offenfive & défenfive contre l'Efpagne en
faveur de cette même Hollande , font autant
de modèles de gouvernemens pleins de
vigueur à la fois & de fineffe .
L'habileté des Miniftres de France &
'd'Angleterre , celle d'Elizabeth & de Henri,
de beaucoup fupérieure à la leur , font
faire au lecteur habile des parallèles délicieux.
Elles l'invitent à fuivre la liaifon
des affaires , & à chercher le véritable noeud
du fecret d'Etat.
Enfin , ces Mémoires , qu'il faut lire en
entier , font fi diftingués par l'importance
des matieres , l'élégance du ftyle & l'intérêt
foutenu qui y règne , qu'il n'eft guère
poffible de propofer au lecteur , dans le
genre hiftorique , un plus magnifique ouvrage.
L'Auteur François qui l'a rendu
dans notre langue , eft connu par plufieurs
MAI 1765 . 089
productions de ce genre qui lui ont acquis,
à jufte titre , la réputation d'un excellent
traducteur. Ce dernier écrit confirmera cet
éloge.
MARIA , ou les véritables Mémoires d'une
Dame illuftre par fon mérite , fon rang
&fa fortune ; traduits de l'anglois. A
Londres , & fe trouve à Paris , chez
Bauche , quai & auprès des Auguſtins ,
& chez L. Cellot , grand'falle du Palais ,
& rue Dauphine ; 1765 : deux volumes
in- 12 . Prix 3 liv. 12 fols broché.
ExN annonçant ce Roman , nous avons
déja dit , d'après l'Auteur lui-même , qu'on
n'y trouve que des événemens fimples &
vraisemblables , expofés dans le ſtyle le plus
clair & le plus naturel . On ne doit donc
pas s'attendre à des faits extraordinaires &
à des incidens merveilleux ; rien ne choque
ici la vraisemblance. L'hiftoire de l'héroïne
n'eft point hors du cours de la vie
commune. Sa conduite ne refpire que la
vertu & l'humanité. Les autres caractères
font foutenus , ils fervent tous à faire briller
celui de Maria , & fa douceur & fa fermeté
Tro MERCURE DE FRANCE.
dans les difgraces inévitables qui lui furviennent
, & auxquelles elle échappe par fa
prudence , la fageffe de fes difcours , la
pureté de fes intentions .
"
Nous allons actuellement entrer dans
quelques détails , & donner une idée de ce
Roman. Un foir que l'honnête , le bienfaifant
M. Worthy revenoit chez lui à pied ,
précédé d'un feul domeftique qui portoit
une lanterne , une pluie orageufe , furvenue
tout-à- coup , le força de fe mettre à
couvert fous une efpèce de hangard. Il entend
autour de cet afyle la voix d'une
femme qui fe plaint dans des termes capables
d'affecter vivement un coeur auffi bon
que le fien. Il lui offre des fecours qu'elle:
auroit fürement refufés , fi elle n'eût dé-
.couvert dans les traits de fon nouveau protecteur
autant d'ingénuité que de bienfaifance.
M. Worthy conduit lui-même chez
Miftrifs Coufens , femme de fon domeſtique,
l'infortunée Maria : la jaloufie de Madame
worthy fut la feule raifon qui empêcha
fon mari d'emmener chez lui cette
belle affligée. Madame worthy, raifonnable
fur tous les autres articles , avoit pris
un travers qui troubloit fouvent la tranquillité
de fon mari , & celle de toute fa maion,
Si M, Worthy regardoit une femme
MAI 1765. III
elle ne vouloit plus le voir: s'il jettoit un
fimple regard fur la moindre de fes domeftiques
, elle la chaffoit à l'inftant de fa
maifon . Son amour pour M. Worthy luis
faifoit regarder leur faute comme un effet
inévitable des charmes de fon mari , auxquels
, dans fon opinion , perfonne ne pouvoit
réfifter ; & elle fe difoit à elle -même ,
qu'à leur place elle eût été également cou--
pable. M. Worthy fe garda bien de faire
confidence à fa femme de la rencontre :
qu'il avoit faite ; il ne s'en ouvrit qu'à Mifs
Henriette fa fille , qui poffédoit toutes les.
bonnes qualités de fa mere , fans en avoir
le défaut. Mifs Henriette va trouver Maria
de la part de fon pere ; elle entre à peine
en converfation , que Madame worthy
ouvre brufquement la porte. Dans fon
tranfport elle accable fa fille de reproches ,
& l'accufe d'être la confidente des déréglemens
de fon pere , & de l'aider à la trahir.
Henriette & Maria pat viennent à la calmer;
& Madame worthy perfuadée de leur innocence
, fait conduire Maria chez elle
& la loge dans fon appartement. Mifs
Henriette & Maria deviennent amics intimes
. Sally Price , une des femmes de Madame
Worthy , étoit celle qui l'avoit inf
truite de la rencontre que fon mari avoit
faite de Maria ; elle étoit venue chez la
>
MERCURE DE FRANCE .
>
Coufens pour y voir un jeune homme nommé
Cafvvall , avec lequel elle avoit formé
une liaiſon criminelle : craignant que Maria
ne mît un obftacle à fon commerce fecret
, elle s'informa de la Coufens ce que
c'étoit que cette jeune fille , & pour la
faire fortir de cette maifon , elle donna fur
le champ avis à fa maîtreffe du peu qu'elle
favoit de cette aventure. La méchanceté de
Sally Price ayant échoué par la fageffe avec
laquelle Maria répondit à Madame worthy
, elle chercha de nouveaux moyens d'éloigner
Maria de la maiſon de fes maîtres
; elle fait entrer fon amant dans ce
complot , & tandis qu'elle dégoûte Maria
d'y demeurer plus long-temps , Cafvvall
forme l'indigne projet de la livrer au Lord
Belvidere , fils du Lord Beaumont , qui en
étoit paffionnément amoureux. La Price
réveille la jaloufie de Madame Worthy ,
& en même temps offre fon fecours à Maria
pour fe fauver de la maifon. Maria
croyant que fa préfence troubleroit toute
la famille , prend la réfolution d'aller demeurer
à la campagne chez un prétendu
parent de Sally Price , & d'y vivre du travail
de fes mains jufqu'à ce qu'elle puiffe
trouver une place auprès d'une femme de
qualité. Cafvvall fe faifant paffer pour le
fermier
parent de Sally Price , l'emmene
MA I 1765. 113
de Londres , & la remet entre les mains
d'un des fermiers du Lord Beaumont , qui
l'envoie le lendemain chez M. Holmes ,
fermier de fir Thomas Jones , infigne libertin
& ami du Lord Belvidere. Celui- ci
fait croire au fermier de fon ami que Maria
eft fa femme , & que par une fauſſe dévotion
, elle refufe de le laiffer approcher
de lui , & il le conjure de lui laiffer paffer
la nuit dans fa chambre , eſpérant la ramener
par toutes fortes de moyens . Le fermier
à qui fon maître avoit attefté la même
chofe , & donné des ordres pofitifs à ce fujer,
confent à tout ce qu'on exige de lui.
Lucie, la fille du fermier qui avoit tenu
compagnie le foir à Maria , s'apperçoit
qu'elle n'eft rien moins qu'une femme a
qui la dévotion avoit tourné la tête. Elle
s'explique affez pour que Maria ſe tienne
fur fes gardes , & paffe la nuit fans fe déshabiller.
Le Lord Belvidere entre au milieu
de la nuit dans la chambre de Maria ;
elle fe défend & pouffe de grands cris.
Roger , fils de M. Holmes , accourt armé
d'un bâton , dont il fait une large bleffure
à la tête de Belvidere , ce qui délivre
Maria de ce danger. Elle paffe le reſte de
la nuit en fûreté . On enleve le bleffé . Lucie
le lendemain de grand matin va conter
cette aventure à un Miniftre du voiſi114
MERCURE DE FRANCE .
nage , nommé M. Burnet , qui confent de
recevoir Maria chez lui , jufqu'à ce qu'elle
puifle être placée. Roger , frere de Lucie, la
conduit le même jour chez le Miniftre.
Quelques heures après arrive chez M. Burnet
, le Chanoine Hovvard , qui avoit été
Aumônier du Lord Beaumont , & quireconnoît
Maria. Les deux eccléfialtiques
conviennent de la préfenter à Lady Latimer
qui demeuroit dans leur voifinage : c'étoit
une veuve fans enfans , d'une piété profonde
, & qui n'ufoit de fes grands biens ,
qu'à faire une infinité de bonnes oeuvres ,
& à tirer les malheureux de la mifere &
de l'oppreffion . Lady Latimer eft charmée
de trouver cette occafion d'exercer ſon humeur
bienfaifante , & reçoit chez elle Maria.
L'excellente éducation , le mérite &
les vertus qu'elle découvre dans cette fille
l'attachent à elle. Maria lui raconte fon
hiftoire ; elle ignore le nom de fes parens ,
elle fait feulement qu'elle a été laiffée par
eux à Edimbourg en bas âge chez une feinme
catholique , nommée Madame Blair
qui , dans le deffein de l'élever dans fa religion
, l'a transférée à Besançon , & de- là
à Douai , où elle la remit à fa mort entre
les mains d'une de fes amies avec une fomme
d'argent affez confidérable pour la mettre
à l'abri de la néceffité. Cette Dame ayant
>
>
MAI 1765: 115
des affaires en Angleterre , l'avoit emmenée
à Londres , où étant morte , elle l'avoitlaiffée
avec une affez grande augmentation
de fortune , entre les mains d'une
autre amie , qui , par excès de zèle , fe retire
dans un couvent de Flandres , où elle
meurt peu de temps après. Cette Dame l'a
laiffée fous la conduite de Lady Filz Gerald
, catholique comme elle , à l'extérieur
mais qui n'avoit que les dehors de la religion.
Lady Filz Gerald s'étant remariée
& voulant fe retirer en Irlande , l'a , pour
ainfi dire , vendue à Mylord Beaumont qui
s'étoit donné d'abord auprès de Maria pour
fon pere , & l'avoit fait paffer pour fa fille
dans fa maifon , & auprès de quelques uns
de fes amis. Le vieux Beaumont ne pouvant
plus fe contraindre , & craignant que
fon fils, qui étoit auffi devenu amoureux de
Maria , ne le prévînt & ne lui enlevât
l'objet de fon amour , la preffe ou de confentir
à fes defirs , ou de fortir à l'inſtant
même de fa maifon. Maria ne balance pas
d'abandonner cette famille à l'entrée de la
nuit , & c'eft alors qu'elle fait la rencontre
de M. Worthy. Elle raconte ce qui s'eft
paffé depuis ce moment jufqu'au temps où
elle a le bonheur de faire la connoiffance
de Lady Latimer. Cette Dame frappée de:
quelques traits de conformité qu'elle trouz
116 MERCURE DE FRANCE.
ve entre l'enlèvement de Maria , & l'hif
toire d'une de ses amies qui avoit perdu
fa fille à - peu-près dans le temps , & avec
des circonftances affez femblables à celles
où fa jeune protégée avoit été ravie à ſes
parens , écrit fur le champ à fon amie
de venir la trouver inceffamment. Cependant
M. Worthy , Mifs Henriette & fa
mere avoient fait des recherches infructueufes
pour en apprendre des nouvelles.
Mifs Henriette revenant vers le midi , fans
équipage , de faire une vifite , rencontre
dans la rue un jeune homme de bonne
mine & bien vêtu , qui l'arrête & lui dit
qu'une jeune fille appellée Maria eft mourante
dans une maifon voifine ; qu'elle la
demande , & qu'il n'y a pas un moment à.
perdre , fi elle veut la voir & lui parler
pour la derniere fois . Henriette fe laiffe
conduire dans une maifon d'affez belle
apparence. Au lieu de la mener dans la
chambre d'une malade , on l'enferme feule
avec le jeune homme qui fe jette à fes
pieds , & lui déclare que c'eft une fupercherie
dont l'amour feul eft la caufe ; que
fa naiffance eft proportionnée à la fienne ,
& fes efpérances égales à la fortune de
M. Worthy; qu'il a un Miniftre prêt à les
marier , & qu'il ne lui donne qu'un moment
pour confentir à fa propofition ;
MAI 1765 . 117
qu'elle ne peut lui échapper , & que dans
un inftant il obtiendra ce qu'il demande de
force ou de gré.
Mifs Henriette , qu'il quitte & qu'il enferme
, n'a que le temps de crier au fecours
par une fenêtre : on l'entend d'une maifon
voifine ; un jeune homme lui promet de
la fecourir ou de perdre la vie . Le raviffeur
rentre en même temps , & veut exécuter
fon lâche projet ; mais tandis qu'elle fe
défend , on enfonce la porte de la chambre
; le jeune homme paroît l'épée à la
main. Henriette épuifée , tombe évanouie ;
le raviffeur tire un coup de piftolet à fon
adverfaire , & le manque. Celui - ci lui
plonge fon épée dans le fein ; on porte
Henriette dans une chambre voifine . Son
défenfeur rentre dans celle du bleffé , qui
lui pardonne fa mort , & déclare qu'il s'appelle
Cafvvall; que c'eft lui qui a enlevé
Mariaà l'inftigation d'une femme de chambre
de la mere de Mifs Henriette; que voulant
rétablir fes affaires par un bon mariage
, il s'eft fervi du nom de Maria pour
attirer fon amie dans cette maifon de débauche
, dont la maîtreffe lui étoit dévouée
; que le ciel n'a pas permis qu'il mît
le comble à ce crime. Quant à Maria
ajoute-t-il , en faifant un dernier effort
pour parler , elle eft au pouvoir de lord....
718 MERCURE DE FRANCE.
il ne peut achever ; la mort lui ferme la
bouche pour toujours. Le défenſeur de
Mifs Worthy revient la trouver & la reconduit
chez fon pere ; ils trouvent toute
la maifon au défeſpoir de l'abfence de Mifs
Henriette. On reconnoît dans fon défenfeur
le Colonel Beaumont , frere du Lord
Belvidere , mais bien différent de fon
pere
& de fon frere. On le retient à fouper ; il
devient amoureux de Mifs Henriette , qui
n'eſt point inſenſible à ſa tendreffe ; & M.
Worthy , auquel il la demande en mariage
, la lui promet , & l'emmène dans fes
terres avec fa femme & fa fille.
Le Colonel preffe mifs Henriette & fon
pere d'achever fon bonheur. M. Worthy
veut avoir le confentement de Mylord
Beaumont , & part avec le jeune homme
pour cet effet. Ils apprennent en arrivant
que Mylord Beaumont fe meurt de la goutte.
Le Colonel court chez fon pere , & le
trouve dans l'état le plus fâcheux . Le vieux
Mylord , rentré en lui - même , fe réconcilie
avec fon fils , auquel il n'avoit fait jufqu'alors
que de très- mauvais traitemens . Il
accepte avec joie la propofition de fon mariage
, demande à voir M. Worthy , lui
avoue tous fes torts , & lui remet une caffette
remplie d'effets que la mere de Maria
avoit laiffés en Ecoffe avec fa fille, &
Il ›
MAI 1765: IIN
I
qui peuvent fervir , dit- il , à la faire reconnoître.
Il laiffe à Maria cinq mille livres
fterlingpour l'indemnifer de la moitié
de fon bien qu'il avoit diffipé , tandis que
fa connivence avec Lady Filz-Gerald lui a
fait perdre l'autre. Il expire après cette
converfation.
Cependant le Lord Belvidere étoit refté
dans le voifinage du château de Latimer ,
où il favoit que Maria étoit à l'abri de fes
pourfuites. Il ne laiffa pas de faire une derniere
tentative qui penfa réuffir , & le mettre
de nouveau en poffeffion de cette fille.
Un jour Lady Latimer fortit pour fe promener
avec elle & Lucie qu'elle lui avoit donnée
pour la fervir ; en paffant à côté d'un
bois , elles entendent des plaintes. Lady
Latimer fait arrêter fon carroffe , & fuivant
la direction de la voix , elle s'enfonce avec
fes deux compagnes dans le bois . Elles trouvent
un homme vêtu très-pauvrement , qui
leur dit qu'ayant voulu monter au haut
d'un arbre , il étoit tombé fi rudement ;
qu'il avoit la cuiffe caffée. Lady Latimer
envoie chercher fès gens par Lucie ; mais à
l'inftant l'eftropié fe relève légèrement ,
fiffle dans fes doigts , & auffi- tôt trois hommes
mafqués fe préfentent. Lady Latimer
trouve le moyen d'arracher le mafque d'un
d'eux , & Maria s'écrie : ah ! Madame , c'eſt
120 MERCURE DE FRANCE.
Belvidere! Les domestiques arrivent en mê
me temps armés de bâtons ; mais ce fecours
auroit été inutile : déja Maria étoit
entraînée par deux de ces fcélérats , lorfqu'un
jeune homme bien monté arrive , &
indigné de cette violence , bleffe Belvidere
, & pouffe fon cheval fur les autres.
Les gens de Lady Latimer fondent fur ces
fcélérats ; deux échappent par la fuite , on
ramène les bleffés à Latimer . On croit d'abord
que le Lord Belvidere va expirer ; mais
la bleffure n'étoit pas mortelle ; l'étranger
reconduit les Dames au château. Une nièce
de Lady Latimer refte auprès du bleffé , &
l'on retient l'étranger à fouper. On le prie
de fe nommer , & l'on apprend que fon
nom eft Worthy , qu'il arrive d'un lọng
voyage , & qu'il a envoyé fes gens au château
de fon pere. Le jeune homme refte
quelques jours avec Maria , en devient
amoureux , & lui déclare fa paffion . Maria
lui avoue qu'il eft le premier qui ait fait
impreffion fur fon coeur ; mais qu'elle n'a
ni naiſſance , ni fortune . Cette découverte
ne fait qu'irriter les feux du jeuneWorthy.
Cependant Lady Latimer reçoit une lettre
d'une de fes amies , nommée Madame
Welldone , qui lui marque qu'elle fe rendra
à Latimer , & amenera avec elle toute
la famille des worthy & le Colonel Beaumont
1
MAI 1765. 120
mont qui va époufer Mifs Henriette. Lady
Latimer fait lire cette lettre par Maria , en
préſence de fon nouvel amant. Ce jeune.
homme prend cette occafion de déclarer à
la Dame , qu'il aime fa fille adoptive ; &
Lady Latimer approuve cette paffion. Lord
Belvidere demande à voir les deux Dames :
elles montent à fon appartement. Il demande
grace à Maria avec tant de marques de ,
douleur & de fincérité , que cette généreuſe
fille lui pardonne ; & Lady Latimer veut
bien oublier , à fon exemple , le dernier.
attentat du jeune Lord , qu'elle étoit en
droit de faire punir fuivant toute la rigueur
des loix.
Le jeune worthy part en même temps ,
& apprend à fa famille le fort actuel de
Maria, & du nouveau Lord de Beaumont,
Il leur déclare en même temps fes fentimens
pour cette aimable fille. M. worthy
ne rejette point la priere de fon fils . On
preffe le départ pour Latimer ; un jour
fuffit à M. worthy pour aller chercher à
Londres la caffette que Mylord Beaumont
lui a remiſe en mourant . Enfin , Madame
welldone , M. worthy & toute la famille ,
& le Colonel arrivent à Latimer. Joie exceffive
des deux amies de fe retrouver. M.
worthy & Lady Latimer ne perdent rien.
de ces tendres mouvemens. On va trouver
F
122 MERCURE DE FRANCE.
qu
le Lord Beaumont qui réitère ſes excufes à
Lady Latimer , à fon frere , au jeune#orthy,
& fur-tout à Maria. Quelques jours
après toute la compagnie fe trouvant raffemblée
, M. Worthy prie Maria de reprendre
fon hiftoire d'auffi loin qu'elle
pourroit fe rappeller les événemens . Elle
obéit ; mais quand elle eft venue à la
circonftance de fon départ de Befançon
pour Douai , & à la defcription des effets
' elle tenoit de fa mere , Madame Welldone
, toute éperdue , s'avançe vers elle ,
les bras ouverts , s'écrie : « ô Être infinimentbon
! Ma fille .... elle n'en put dire
davantage , & tomba fans connoiffance à
fes pieds. Auffi-tôt la confufion fe répand
» dans l'affemblée ; chacun s'empreffe au-
» tour de Madame Welldone. Maria , avec
» un trouble inexprimable , fe jette à genoux
devant elle , lui mouille le vifage
» de fes larmes , & la ferre étroitement
» dans fes bras . O ciel ! qu'ai-je entendu
» s'écria-t- elle ! Ma mere ! feroit-il poffi-
» ble ! .... une fi violente agitation devint
au-deffus de fes forces ; fes efprits pui-
» fés l'abandonnerent ; & elle refta quelques
minutes fans connoiffance. Chacun
» étonné & en fufpens , fe regardoit l'un
» l'autre , fouhaitoit & doutoit en même
temps que ce qu'ils venoient de voir &
ود
93
»
MAI 1765 .
123
» d'entendre fût une réalité ». Peu de gens
liront cette fcène vive & attendriffante',
fans être touchés ; & il eft für que les coeurs
fenfibles ne pourront l'achever fans verfer
des larmes . Madame Welldone , revenue
à elle , reconnoît Maria à la figure d'une
fraife qu'elle avoit au- deffus de la gorge.
Ma chere , mon infortunée Fanni ! ô Dieu !
c'eſt elle ; c'eſt elle -même ! .. . s'écria
Madame Welldone , avec une vivacité
inexprimable. M. Worthy achève la reconnoiffance
, en préfentant à Madame
Welldone les effets renfermés dans la caffette
que Lord Beaumont lui avoit remife
peu de temps avant fa mort. Oui , je les
reconnois , s'écria Madame Welldone ; ce
font les mêmes que j'ai donnés à M. Blair ;
c'est l'ouvrage de mes mains..... Ce jour fe
paffa dans les plus vifs accès de la tendreffe
maternelle & filiale , & de l'amitié . Peu de
jours après le jeune Worthy épouſe Maria,
& le Colonel , fa chere Henriette . Le nouveau
Lord Beaumont époufe auffi la nièce
de Lady Latimer , qui goûtoit la joie la plus
pure , & jouiffoit du bonheur de tous les
autres. Les mariages furent célébrés dans
fon château.
Il vient de paroître en Hollande une
traduction de ce même livre , fous le titre
de Marianne ou la nouvelle Pamela ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
hiftoire véritable , en 2 vol. in 12. Le
ftyle en eft très - différent de celui de la traduction
dont nous venons de rendre
compte. On n'y fait grace au lecteur d'au-.
cune des longueurs & des raifonnemens
théologiques , des réflexions & des tournures
angloifes de l'original. On y en a même
quelquefois ajouté. Le feul fait que le
traducteur de Paris a fupprimé , c'eft la
converfion de Maria au Proteftantifme
par les raifonnemens du Docteur Hovvard ,
& beaucoup d'invectives contre la Religion
Catholique. Cette omiffion , qui ne
fait rien au fond de l'hiftoire de Maria ,
ne fera pas reprochée à notre traducteur
ç'eût peut-être été une faute à Rotterdam ,
& ce n'en eft pas une à Paris ( 1 ) .
;
Les détails & les événemens de ce roman
font d'ailleurs intéreffans & honnêtes ,
les caractères en font bien foutenus : il eft
plein d'une faine morale & de fages préceptes
amenés par les faits , & nous fommes
perfuadés qu'il fera bien accueilli
puifqu'il peut être lu par tout le monde ,
& attacher par des fituations touchantes
& inftructives.
(1 ) Ceux qui defireront en faire la comparaison,
en trouveront des exemplaires chez Cellot , Imprimeur
, rue Dauphine.
MAI 1765: 12f
LE VOYAGEUR FRANÇOIS , ou la Connoiffance
de l'ancien & du nouveau monde
à Paris , chez Vincent , Libraire , rue
Saint Severin ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi deux vol. in- 12.
N
:
ous avons annoncé cet ouvrage dans
le Mercure précédent , & nous en avons
promis un extrait dans celui- ci . Ce que
nous en avons dit fuffit pour en faire
connoître le plan , l'objet & l'utilité ; ce
que nous allons en rapporter donnera une
idée de la manière dont l'Auteur a exécuté
fon projet. Voici comme il débute.
و ر
" Nos adieux font faits , Madame , &
» vous ignorez où je vais , quelle diftance
» doit nous féparer , quel temps doit nous
» réunir. Je n'ai pas cru devoir vous l'apprendre
plutôt ; vous euffiez condamné
» mon projet & j'y tiens. Né , comme
» vous , à Marſeille , inftruit de bonne
» heure dans la connoiffance des langues
» orientales , j'ai eu fouvent occafion de
» m'entretenir de ces étrangers que le com
» merce attire de toutes parts dans notre
» ville. Delà , Madame , ce defir extrême
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» de connoître les différens climats qu'ils.
» habitent , d'étudier leur efprit , leurs
ود
ود
ور
>>
celui du
ufages , leurs loix , leurs arts , leurs
» moeurs , leur religion , leur commerce ,
fpectacle beaucoup plus intéreffant que
port le plus fréquenté . Voilà ,
Madame , le plan que je me fuis tracé ,
» & que je prétends fuivre. Nul obſtacle
» ne croife mon projet , & tout le favorife.
» C'eft à vous que je deftine le fruit de
» mes remarques. Au lieu de quelques let-
» tres dictées par l'ennui de la folitude ,
» vous aurez des obfervations dignes d'ê-
» tre lues , de quelque manière qu'elles
» foient écrites » .
La première ftation où arrive notre
voyageur est l'ifle de Chypre ; nom qui
retrace des idées voluptueufes ; mais cette
ifle eft beaucoup moins féduifante qu'autrefois.
Ici l'Auteur fait en raccourci le tableau
des révolutions arrivées dans ce pays , depuis
la naiſſance de Vénus , jufqu'au temps
où Chypre paffa fous la domination des
Turcs qui la poffédent actuellement . Parmi
les fingularités de l'ifle , « peut-être , dit- il ,
» avez-vous ouï parler de la fameufe fon-
» taine d'amour. Je n'y arrivai qu'après
» avoir côtoyé des montagnes environnées
» de précipices. Cette fontaine eft un ruif-
» feau qui coule près d'Acamas . Il rend ,
MAI 1765. -127
dit-on , à ceux qui boivent de fes eaux ,
» la vigueur qu'ils ont perdue , ou il aug-
» mente celle qu'ils ont. Ceci reffemble
» beaucoup à la fontaine de Jouvence ;
» mais j'eus affez de vertu , ou peut- être
» d'amour - propre , pour ne pas y aller
boire .
"
"
Nicofie eft la capitale de cette contrée.
C'eft la demeure du Gouverneur Turc ;
c'étoit autrefois celle de toute la Nobleffe
Vénitienne qui vivoit dans l'ifle . A en
juger par fes ruines , elle a dû être magnifique
; & fa défenfe contre les Turcs prouve
qu'elle étoit affez bien fortifiée. « Ces
barbares s'en étant rendus maîtres , y
pafsèrent au fil de l'épée plus de vingt
» mille habitans. Les femmes laides & les
» enfans furent brûlés fur le même bûcher.
» On réferva les belles femmes pour le fer
» rail du Grand Seigneur , & les principaux
citoyens pour orner le triomphe du
» Général. Il y eut plus de vingt- cinq mille
» hommes du pays réduits en captivité &
vendus comme efclaves ; mais aucune
des femmes réſervées pour le ferrail n'y
» arriva. Une d'entre elles qui s'étoit fait
» donner fecrettement une mêche allumée ,
» fit fauter le vaiffeau qui la portoit ; & le
» même accident fit périr le vaiffeau qui
portoit le Général Turc. Voilà un déſeſ-
"
ود
"
ود
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» poir qui tient de l'héroïſme ; refte à favoir
» fi , pour s'exempter de l'efclavage , il eſt
» permis de noyer tant de gens avec foi.
» Peut - être quelques - unes de ces belles
» captives euffent - elles préféré le ferrail à
» la mort ».
L'ancienne ville de Chypre n'eft plus .
aujourd'hui qu'un chétif village environné
d'un grand nombre d'édifices ruinés. Ce
lieu , autrefois fi renommé par fes belles
' femmes , à dégénéré fur ce point comme
fur le refte. « En général cependant les
» femmes de cette ifle font belles ; & toutes,
jufqu'aux plus laides , font portées à la
" galanterie , on peut ajouter à la débau-
» che. On voit néanmoins ici quelques
» maris jaloux de leurs femmes ; ils ne
» leur permettent de fortir que pour aller
» à l'églife ; mais on choifit fouvent l'églife
même pour décider du fort des
ود
>> maris »>>.
La ville d'Alep & fes environs font la
matière de la feconde lettre ; la fuivante
traite de Damas & du Mont Liban.
Rien de plus délicieux que les environs.
» de Damas. Mahomet les ayant apperçus
» du haut d'une montagne , ne voulut point
» y defcendre. Il s'en éloigna en difant :
il n'y a qu'un feul paradis deftiné pour
» l'homme ; le mien ne fera pas de ce
و د
39
MAI 1765 . 129
>>
"2
monde. On vifite fur- tout avec une forte
» de vénération le champ de Damas. C'eſt
» une belle & vafte plaine , où l'on pré-
» tend que le premier homme fut créé.
» Vous ne doutez pas , Madame , que je
» n'aie voulu la parcourir à mon tour. Je
» comparois le nouvel Eden avec l'idée
qu'on nous a laiffée de l'ancien . Je don-
" nois libre carrière à mon imagination :
peut- être , difois- je , eft- ce là que le fer-
» pent fit fa harangue ; peut- être eft- ce ici
» qu'Adam fut féduit par Eve. J'aurois
voulu appercevoir quelques rejettons de
l'arbre dont le fruit a caufé tant de
» maux. Je cherchois de l'oeil les berceaux
où le premier homme & la première
» femme parloient d'amour fi tendrement,
» fi on en croit Milton ; enfin je voyois
» mal ce qui ſe trouvoit réellement fous
» mes yeux, pour m'occuper de ce qui n'y
étoit
pas ».
و د
>>
و ر
"
Les cédres du Mont Liban , ces arbres
fi fameux dans l'Ecriture , & qui ont fourni
de fréquentes allufions aux prophêtes , ne
pouvoient manquer d'exciter la curiofité
de notre voyageur. « Ils fleuriffent dans la
neige , & occupent une partie très élevée
de la montagne du Liban. La groffeur
» des plus anciens eft prodigieufe ; mais
» leur tronc principal à peu de hauteur
Fy
و د
"3
130 MERCURE DE FRANCE.
و د »àcinqoufixpiedsdeterreilfedivife
» en cinq ou fix autres troncs qui , pris à
» part , formeroient chacun un gros &
و د
و د
>>
ز و
39
grand arbre. Leur feuillage reffemble à
» celui du genièvre , qui eft , dit- on , le
cédre de France. Il a donc bien dégénéré
dans nos climats . Les plus gros cédres
du Mont Liban font au nombre de
vingt. Nous en vîmes une plus grande
quantité de moindres , & encore plus de
fort petits. La cime de ces derniers s'é-
» lève en pyramide comme le cyprès. Au
» contraire , celle des grands cédres s'élar-
» git & forme un rond parfait. . . . Je ne
» dois pas oublier un fait qui m'a été cer-
»tifié c'eft que les rameaux des plus
» grands de ces arbres qui , dans la belle
» faifon , forment une efpèce de roue ou
» de parafol , fe refferrent à la chûte des
» neiges , dreffent leur pointe vers le ciel ,
» & prennent enfemble la figure d'une
pyramide. On ajoute que la nature leur
infpire ce mouvement pour les mettre
à portée de réſiſter au poids de la neige
qui autrement les accableroit . Je ne vous
garantis point cette efpèce de prodige ;
» mais on ne paroît pas en douter fur les
ود
و د
"
و د
و د
و د
و د
ود
lieux
:
33.
Ceux qui aiment les defcriptions des
monumens antiques liront avec plaifir ce
MAI 1765 . 13-1
و د
»
que l'Auteur rapporte des fuperbes ruines
de Balbec. Il entre dans des détails curieux
& qu'il faut bien lire dans l'ouvrage même.
» On difoit autrefois que Vénus avoir éta-
» bli fa cour dans cette ville ; qu'elle y
diftribuoit les grâces & la beauté. Les
femmes de Balbec paffoient en effet
» pour les plus belles de toute l'Afie ; elles
étoient en même temps les plus galantes.
» Ce n'eft pas la même chofe aujourd'hui.
» Leur vertu femble s'être accrue aux dé-
» pens de leurs charmes ; elles font deve-
» nues & plus fages & moins belles . On
n'y trouve pas non plus ce grand nombre
» d'excellens muficiens qui , dit- on , s'y
voyoient autrefois. Tous les talens ont
difparu avec la beauté des femmes ».
»
و د
ود
>>
""
و د
Nous en fommes à la quatrieme lettre ,
uniquement deftinée à faire connoître la
ville de Palmyre . « Je continue , Madame,
» dit notre voyageur , à vous promener
parmi des ruines. Daignez cependant ne
point vous rebuter. Ces débris font à-peu-
" près les feules richeffes de ces contrées ,
» mais les poffeffeurs de ces tréfors n'en
» font ni moins miférables , ni moins éton-
» nés du prix que nous y attachons. A
peine ont - ils jamais bien enviſagé ces
précieux reftes qui nous attirent de
33
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
loin , qui nous expofent , pour les voir,
» à tant de fatigues & de périls
-"
" Ces anciens monumens fuffifent feuls
pour nous donner une très-haute idée de
l'antique opulence de la ville de Palmyre..
Quel magnifique amas de bafes , de colonnes
, de chapitaux , les uns renversés &
accumulés , les autres debout ! Tous ces
riches débris font de marbre blanc , & les.
colonnes d'ordre corinthien . Elles forment
le coup d'oeil le plus impofant , le plus
extraordinaire qu'il foit poffible d'imaginer.
« Les miférables cabanes qui fervent
» d'afyle aux modernes habitans de Palmyreachevent
de relever la magnificence
de ces ruines anciennes. Jamais il n'y
»-eur de contrafte plus frappant & plus
» bifarre pour vous en former une idée ,
rappellez - vous , Madame , les chétives
maiſons qui mafquent honteufement à
» Paris le fuperbe périftile du Louvre ».
L'Editeur a placé ici la note fuivante : dans
le temps où écrivoit notre voyageur on n'avoitpas
encoredégagé cette magnifique colon
nade , des voiles honteux qui la déroboient
à lavue. C'est à M. le Marquis DE MARIGNY
que le Public doit le plaifir de contem
plerfans obftacle les beautés de cet admirable
édifice. On prétend que la difpofition
""
MAI 1765. 135
"
des colonnes du temple du Soleil , qui fe
voient encore à Palmyre , a été la fource
où Pérault a puifé l'idée de ce périftile.
Je n'en fais rien , dit notre Auteur , non
" plus que ceux qui ont hafardé ce fait ;
» il ne paroît même y avoir nul rapport
» direct entre aucun monument de Pal-
» myre & cette façade admirable . Les an-
» ciens n'ont jamais employé la double
» colonne qui produit un fi bel effet aut
Louvre. Peut-être même n'ont- ils jamais.
» connu les voûtes plates , dont la forme
eft fi agréable , & la conftruction fi ingé-
"
» nieufe ».
L'Auteur, felon fa méthode , commence
par une narration fuccinte & rapide des
diverfes révolutions arrivées à Palmyre depuis
Salomon , à qui on attribue la fondation
de cette ville , jufqu'au tems préfent.
L'hiftoire de Zénobie embellit cette narration
. Delà on paffe à la defcription de ce
qui refte des anciens monumens. Ce qui
étonne , c'eft de n'y trouver aucun veftige,
foit d'un théâtre , foit d'un cirque , ou de
quelqu'autre endroit deftiné aux jeux publics.
« On fait , dit l'Auteur , quel étoit
» le goût des Grecs & des Romains pour
» ces fortes de fpectacles. On ne peut
guère douter qu'il n'ait eu lieu à Palmyre
; pourquoi donc ne refte-t- il aucune
و و
134 MERCURE DE FRANCE.
» trace des monumens qui leur furent confacrés
? Sans doute , Madame , qu'il en
» étoit dans cette ville comme dans notre
capitale. Suppofez - la quelques inftans
» réduite au même état que Palmyre ; on
» y verroit des ruines qui immortaliferoient
& notre architecture , & la ma-
ود
30
"3
gnificence de nos Souverains ; mais quels
» veftiges pourroient faire fouvenir qu'on
» eût jamais repréfenté à Paris Cinna ,
Armide , le Mifantrope ? Ne croiroit- on
pas plutôt que cette ville , qui entretient
régulierement trois grands fpectacles
» n'auroit jamais eu que des jeux de
paulme » ?
"">
ود
C'eft ainfi que le Voyageur François
faifit toutes les occafions de faire quelque
comparaifon de fon pays avec ceux qu'il
parcourt ; & il nous paroît que la lecture
de ce livre en devient par-là plus intéreffante.
Les infcriptions font très - communes à
Palmyre ; & elles font pour l'ordinaire accompagnées
d'une traduction grecque , ce
qui en facilite l'explication ; « car il ne
» reſte ici , dit l'Auteur , aucune tradition
» du langage Palmyrénien . Les habitans
» actuels ne connoiffent que l'arabe. Il
» feroit donc à fouhaiter que quelque fça-
» vant parvînt à découvrir au moins les
33
MAI 1765. 135
premiers principes de cette langue , au-
» jourd'hui entiérement oubliée ». Il y a
encore ici une note de l'éditeur , conçue en
ces termes : M. l'Abbé BARTHELEMY
n'avoit pas encore publié cette découverte
fameufe , qui lui a procuré , à fijufte titre ,
l'eftime de tous les fçavans de l'Europe. Il
la méritoit déja par fes connoiffances profondes
de l'antiquité.
"
ود
L'Egypte a fourni à notre voyageur la
matière de trois lettres , dont la première
commence ainfi : « enfin , Madame , nous
» voici en Egypte , dans ce pays autrefois
» fi fertile en petites idoles & en grands.
» édifices , en prétendus fages & en foi-
» difans magiciens. J'avois lu toutes les
» merveilles que M. Boffuet , M. Rollin ,
» M. de Maillet & tant d'autres ont publiées
fur cette contrée & fes anciens
» habitans ; j'efpérois vérifier une partie
de ces éloges. Mais , quel changement !
quelle étrange métamorphofe ! En par-
» courant le bord du Nil , on eft fans ceffe
prêt à demander : où font les Egyptiens ?
» où eft l'Egypte » ? Après la defcription
de la capitale & de l'ancienne Memphis ,
l'Auteur entre dans des détails fort curieux
fur les pyramides , où il y a différentes
chambres qui fervoient autrefois de
tombeau . « L'ufage eft d'y defcendre &
ود
ر و
و د
136 MERCURE DE FRANCE.
ود
"9
"
d'y monter comme font les Savoyards
dans nos cheminées... J'admirois la
fingularité du goût qui me faifoit venir
» de fi loin m'ehfevelir pour quelques
» momens dans cette vafte fépulture ; &
» paròdiant la réflexion d'un certain Doge
» de Gennes à Verfailles , ce qui m'éton-
» noit le plus ,dans les pyramides , c'étoit
» de m'y voir ".
و ر
La fameufe ftatue du Sphinx , le lac
Maris, l'obélifque de Cléopatre, la colonne
de Pompée , les momies , les cataractes du
Nil , &c. &c. font des monumens qui n'excitent
pas moins d'admiration que les pyramides
, & qu'il faut voir , comme l'Auteur
, avec les yeux de la philofophie. Il
a réfervé pour la troifieme lettre ce qui
regarde les moeurs & les ufages des Egyptiens
; ces objets méritent bien fans doute,
autant d'attention que des palais en ruine ,
& des coloffes mutilés.
x
Il y a en Egypte un grand nombre de
femmes publiques ; & ce qui les fait connoître
principalement , c'eft l'ufage où
elles font d'aller fans voile dans les rues
chantant & jouant quelquefois de certains
inftrumens de mufique. « Le plus fouvent,
» dit l'Auteur , elles vont fe placer & s'af-
>> feoir fur le bord d'un grand chemin. Il
» faut , continue - t-il , que cet ufage ſoit
ל כ
"
MAI 1765 . 137
་
1
» bien ancien dans plus d'un pays . Vous
» avez lu , Madame , dans l'Ecriture , que
» Thamar voulant habiter avec fon beau-
و د
و د
frère Juda , parvint àfon but , en l'atten-
» dant au bord du grand chemin ſous
» l'extérieur d'une courtifanne. Mais il
paroît qu'alors ces fortes de femmes fe
» voiloient le vifage ; autrement la méprife
de Juda eût été bien volontaire » .
Le voifinage de l'Egypte & des états
barbarefques , détermine l'Auteur à faire
le voyage de Tripoly , de Maroc , d'Alger
, &c ; & dans deux lettres , il rapporte
tout ce que ces différens pays offrent de plus
curieux. De-là il paffe dans la Grece , &
vifite toutes les ifles de l'Archipel. Après
plufieurs courfes , il débarque dans l'ifle
de Corfou, « C'est ici , dit- il en y abordant
, qu'Uliffe fut jetté par la tempête
» que Neptune excita pour plaire à Calipfo
, dont ce Roi d'Itaque avoit méprifé
les faveurs , & qu'il fut fi bien reçu
» par Arfinous... Près de là eft une petite
plaine riante & fertile , entrecoupée de
plufieurs ruiffeaux. Un Caloyer , ou
Moine grec , qui , contre la coutume de
» ces fortes de Religieux , étoit paffable-
» ment inftruit , me dit qu'il croyoit que
» les fameux jardins d'Arfinous , fi vantés
» dans Homère, étoient dans ce lieu. Cette
23
و د
2
و ر
138 MERCURE DE FRANCE.
و د
"3
conjecture , peut- être bien fondée , me
rappella l'aventure de Nauficaë , fille de
» ce Prince , qui en allant au bain avec
» fes fuivantes , rencontra l'infortuné Roi
d'Itaque , nouvellement échappé du
naufrage " .
Qui croiroit que l'ifle , ou plutôt le rocher
appellé val du compère , entre Sainte
Maure & Céphalonie , étoit cette célèbre
Itaque où regna le fage Uliffe ? «Il ne fal-
» loit rien moins , dit l'Auteur , que les
reffources d'un Prince auffi adroit, pour
» faire fubfifter des hommes dans un lieu
» à peine aujourd'hui capable de nourrir
» les chèvres qui l'habitent ».
و ر
En paffant le long des ifles Strhophades ,
l'Auteur interrogea quelques Turcs de
l'équipage qui avoient été dans ces iſles ,
pour favoir ce qu'on difoit des Harpies :
« mais , continue-t- il , je n'en pus tirer
» aucun éclairciffement. L'un d'eux me
» dit que je voulois peut-être parler des
» Moines Grecs qui en font les feuls ha-
» bitans. Je fouris de ſa bonne foi , & ne
pris point la peine de vifiter ces ifles ».
و د
Le lendemain notre voyageur laiffa à
gauche le promontoire du Ténare , où
font plufieurs gouffres que les Poëtes prenoient
pour les portes de l'enfer. C'eſt parlà
qu'ils firent defcendre Hercule pour en
MAI 1765. 139
12
Ο
tirer le chien Cerbère. « La vue de Cérigo,
» ou l'ifle de Cythère , cet agréable pays
» de Venus , diffipa les idées fombres que
nous avoit données le Ténare. Helène ,
» cette beauté qui mit en feu une partie de
» l'Aſie , nâquit auffi dans cette ifle . Vous
» vous attendez fans doute , Madame
de voir ici quelque riante defcription
» d'un pays que vous vous figurez le plus
» beau de la terre ; j'ai cru , comme vous ,
» que la nature l'avoit enrichi de fes dons
» les plus rares. Cependant Cythère n'eft
qu'un amas de montagnes ftériles & dé-
» fertes. La terre n'y produit aucun fruit ;
» & , à l'exception de quelques tourte-
» relles , les animaux même y font en pe-
» tit nombre ».
"3
Mifitra occupe aujourd'hui la place de
l'ancienne Lacédémone. On trouve ici la
defcription des ruines de Sparte. " Le
» Dromos étoit un cirque où la jeuneffe
» s'exerçoit à la courfe & à manier les
» chevaux . C'étoit peut- être là auffi , que
» les jeunes filles danfoient nûes , & s'exerçoient
à la lutte en préſence des jeunes
93
» garçons ».
L'Auteur ne laiffe échapper aucune occafion
de citer des traits de l'hiftoire ou de
la fable , dans fes trois lettres fur la Grèce.
Elles pourront encore fournir , ainſi que
140 MERCURE DE FRANCE .
les fuivantes , des morceaux agréables dams
nos Mercures.
ANNONCES DE LIVRES.
HISTOIRE de la maifon de Plantagenet
fur le trône d'Angleterre , depuis l'invafion
de Jules- Céfar , jufqu'à l'avénement
de Henry VII , par David Hume , traduite
de l'anglois par Madame B. à
Amfterdam , & fe trouve à Paris chez
Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Beauvais , & Delormel , rue du Foin ,
1765 , 2 vol . in- 4°.
M. Hume a compofé une hiftoire générale
d'Angleterre , depuis Céfar jufqu'en
l'année 1688. Cette hiftoire eft divifée en
trois parties.L'une eft intitulée hiftoire de la
maifon de Stuart fur le trône d'Angleterre ,
& contient trois volumes in 4 ° . traduits
en notre langue par feu M. l'Abbé Prévot.
Une autre partie , favoir : l'hiftoire de la
maifon de Tudor , ne renferme que deux
volumes du même format , & de la traduction
de Madame Belot. Nous l'avons
annoncée dans le temps , ainfi ainfi que la précédente.
Quant à l'hiftoire de la maifon de
Plantagenet , qui fait le commencement
de l'hiftoire générale de M. Hume , nous
MAI 1765: 141
T
{
ا ن
croyons devoir en réferver l'extrait pour
i un autre Mercure , en affurant d'avance
qu'elle mérite l'accueil le plus favorable.
MONUMENS érigés en France à la gloire
de Louis XV , volume in -folio , chez Def
faint & Saillant , rue Saint Jean de Beau
vais.
Nous ne rapportons qu'une partie du
titre de cet ouvrage de M. Patte , déja
annoncé dans le Mercure de Mars , page
115. Nous ne l'avions point vu alors ; &
nous n'en parlâmes que fur la foi d'un
imprimé qui fervoit de Profpectus.
Nous avons actuellement ce grand ouvrage
fous les yeux ; & nous fommes en
état d'entrer dans quelques détails . Nonfeulement
M. Patte a compris fous le terme
de Monument , toutes les ftatues qui
ont été élevées à Louis XV , tant à Paris
que dans les Provinces , mais encore tout
ce qui eft capable de faire paffer à la poftérité
le fouvenir de fon règne. Confidéré
fous ce double afpect , aucun ouvrage ne
fauroit autant intéreffer la nation . Ce font
les merveilles d'un fiècle heureux , que
M. Patte a entrepris de décrire ; c'eſt la
véritable gloire de la France qu'il a voulu
expofer dans tout fon jour. Enfin , c'eſt le
plus beau recueil qu'il ait été poffible de
faire en l'honneur d'aucun Souverain, Ce
142 MERCURE DE FRANCE.
livre eſt diviſé en deux parties. A la tête
de la première , eft un tableau des accroiffemens
que les Arts , les Sciences , & la
Littérature ont reçus de nos jours. Leurs
progrès font autant de traits de lumière ,
qui réfléchiffent de toutes parts fur notre
augufte Monarque . Enfuite vient une introduction
fur la manière d'honorer les
grands hommes , tant chez les anciens que
chez les modernes , avec une defcription
des trophées qu'on leur a érigés dans tous
les temps. On trouve après cette introduction
, l'hiftoire détaillée & particulière
de chacun des Monumens érigés en France
à la gloire du Roi , à Paris , à Bordeaux ,
à Valenciennes , à Rennes , à Nancy , à
Rheims & à Rouen . Cette hiftoire eft
terminée par une énumération des médailles
frappées à l'occafion des événemens
mémorables qui illuftrent ce règne. La
feconde partie de l'ouvrage de M. Patte ,
contient les projets & les efforts de génie
de plufieurs de nos principaux Artiſtes
pour l'embelliffement de Paris , & pour
placer dignement la ſtatie de Sa Majeſté
dans les différens quartiers de cette capitale.
L'Auteur n'a rien négligé pour donner
à ce livre la magnificence & la perfection
dont il pouvoit être fufceptible , &
en faire un monument digne à la fois &
du Monarque & de la Nation.
MAI 1765. 143
1
•
PRONES fur le facrifice de la Meffe , ou
introductions dogmatiques , hiftoriques &
morales fur cet augufte mystère ; par M.
Pierre Badoire , Prêtre , Docteur en Théc
logie de la Faculté de Paris , Curé de l'Eglife
& Paroiffe de Saint Roch à Paris ,
mort le 21 Mars 1749 ; à Paris , chez
Deffaint & Saillant , Libraire rue Saint
Jean de Beauvais , 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi , 3 vol. in 12.
Les Prônes que nous annonçons , ont
fait pendant plufieurs années , l'édification
non-feulement d'une grande Paroiffe,
mais encore d'un peuple nombreux "qui
s'empreffoit de venir en partager les inftructions.
On n'a pas encore oublié les talens
de M. Badoire pour ce genre de travail
; & parmi les différentes matières que
ce Paſteur a traitées fucceffivement , il n'en
eft point qui lui ait paru plus digne de fon
zèle , que le facrifice de la Meffe. Nous
n'avions jufqu'ici fur ce fujet que des difcours
trop bornés pour renfermer tous les
détails , pour defcendre à toutes les conféquences.
Sans s'écarter du ftyle fimple &
familier qu'exigent les Prônes, M. Badoire
a fçu conferver la dignité convenable à ces
vérités fublimes. Ses premières inftructions
développent avec autant d'ordre que de
lumière , le dogme de l'Eglife fur cer au
144 MERCURE DE FRANCE .
gufte myſtère ; la nature du facrifice , fon
excellence , fes différens caractères , toutes
les vérités générales y font rapprochées . Un
Prône eft toujours la fuite d'un autre , &
fert d'éclairciffement & de preuve à celui
qui l'a précedé . A la fuite de ces principes
généraux, il entre dans des détails de morale,
& en fait des applications auffi juftes que
lumineufes. Ces inftructions préliminaires
fervent comme d'introduction à l'explication
fuivie & détaillée de toutes les
parties de la Meſſe. Il fuit le Prêtre fans
jamais le perdre de vue , depuis le moment
où il arrive à l'autel , jufqu'à celui
où il en fort ; & il fait fortit un fonds
d'inftructions de fes moindres mouvemens
, de fes moindres démarches . L'arrangement
que l'on a fuivi dans ce recueil
, eft celui que l'Auteur y a mis luimême
; l'ordre des Prônes fuit celui des
Dimanches ; & le commencement de celui
qui vient après , eſt toujours une récapitulation
abrégée de celui qui l'a précédé.
NOUVELLE édition du drame du Comte
de Comminge , par M. d'Arnaud , Confeiller
d'Ambaffade de la Cour de Saxe ,
de l'Académie des Sciences & Belles Lettres
de Pruffe ; à Amfterdam , & fe trouve
à Paris , chez l'Efclapart , Libraire au
quai
MAI 1765. 145
quai de Gêvres , & Bauche, quai des Auguftins
; 1765 ; vol. in- 8° de 2 20 p. Prix 3 1.bro.
Nous nous contentons d'annoncer cette
nouvelle édition , en attendant que nous
en parlions plus au long dans le prochain
Mercure. Elle eft confidérablement corrigée
& augmentée , & plus digne que jamais
du fuccés qui lui eft affuré . On y
trouve un fecond difcours préliminaire
qui renferme des vues étendues fur l'art
de la Tragédie , une imitation en vers de
la fameufe fcène de Richard III , Tragédie
de Shakespear ; un précis de l'hiftoire
de la Trappe ; la dernière fcène avec
des changemens qui l'ont rendue encore
plus belle & plus pathétique . Pour que le
public ne foit point trompé par les contrefactions
de Rouen & de Lyon , qui font
répandues ici depuis quelques jours , on
fera obferver qu'on trouve au bas de l'eftampe
de la vraie édition , les noms du
Deffinateur & du Graveur , Marillier &
Maffard. On diftribue auffi un fupplément
de la première édition , pour la commodité
des perfonnes qui en ont fait l'acquifition.
D'ailleurs , les Libraires de Province
peuvent s'adreffer en toute fûreté à
Bauche & l'Esclapart , Libraires , chez qui
fe débite la véritable édition .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE fur la monnoie fictive , & fur
fon ufage dans le commerce , fuivie de la
differtation fur le commerce ; par le Marquis
Jérôme Belloni , Banquier de Rome ;
traduit de l'italien ; à la Haye , aux dépens
de la Compagnie , & fe trouve à
Paris , chez Briaffon , rue Saint Jacques ,
à la Science , 1765 ; brochure in-12 . de
130 pages,
M. Belloni ayant publié d'abord ſa differtation
fur le commerce en latin & en
italien , a continué fes recherches fur le
même fujet , & a trouvé matière àun nouvel
ouvrage , qui eft une fuite du premier.
Ce font des inftructions importantes
fur la monnie fictive , lefquelles feront
très-propres à éclaircir plufieurs points elfentiels
concernant la monnoie réelle & le
change.
yot
,
LETTRES de Mentor à un jeune Seigneur;
traduites de l'anglois par M. l'Abbé Préà
Londres , chez Paul Vaillant ,
1765 ; & l'on en trouve des exemplaires
à Paris , chez Defaint & Saillant , rue
Saint Jean de Beauvais ; & Delormel , rue
du Foin , volume in 12.
Ces lettres ont eu le plus grand fuccès
en Angleterre , & c'est ce qui a porté feu
MAI 1765. 147
M. l'Abbé Prévot à en entreprendre la
traduction . Ce travail étoit fini plus de
deux mois avant fa mort ; & nous en
avons vu le manufcrit écrit de fa main.
Ce n'est donc point ici une fupercherie
femblable à celle qui fait fouvent attribuer
à un Ecrivain mort des ouvrages dont
il n'a jamais eu connoiffance. Le but de
l'Auteur Anglois eft d'inftruire un jeune
homme de tout ce qui peut perfectionner
fon éducation . Les principes renfermés
dans fes lettres , font en général , folides ,
profonds , lumineux , fupérieurement déve
loppés & dignes de toute l'attention des lecteurs.
L'auteur ſembleavoir écrit particulièrement
pour les Anglois,& même pour les
Anglois qualifiés.Mais fon ouvrage renferme
des traits , des maximes , des détails ,
dont tout homme ſtudieux fera fon profit
, de quelque rang & de quelque nation
5 qu'il puiffe être . Ce livre peut faire le pendant
d'un autre ouvrage que nous avons
annoncé il y a quelques temps fous le titre
de Penfées de M. l'Abbé Prévôt , & qui
fe trouve chez les mêmes Libraires.
LETTRES d'un Particulier à un Seigneur
de la Cour , brochure in - 12. d'environ
100 pages ; à Avignon , & fe trouve à
Paris , chez Pankouke , rue & à côté de
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
la Comédie Françoife , 1765 ; prix , 24
fols.
Les trois lettres qui compofent ce recueil
, préfentent des vues judicieuſes au
fujet des infcription & des médailles . Elles
portent pour fecond titre : Obfervations
Irénaïques fur la Science métallique & le
Style lapidaire , & en particulier fur les
deux infcriptions propofées & actuellement
tracées fur le plâtre , à la Place de Louis
LE BIEN - AIMÉ. Ces deux infcriptions
font très - rigoureufement examinées &
critiquées,
VOYAGES de Mylord Céton , dans les
fept Planetes , ou le nouveau Mentor ;
traduit par Madame R. R. à la Haye , &
fe trouve à Paris , chez Defpilly , rue St.
Jacques ; Duchefne , rue Saint Jacques ;
Cellot , Imprimeur , rue Dauphine ; Panckoucke
,
rue de la Comédie Françoife ,
in- 12. petit
1765 ; tome 3 & tome 4 ,
format,
Nous avons annoncé les deux premiers
tomes de cet ouvrage agréable , ingénieux
& inftructif ; & nous en avons promis un
extrait lorfque le livre feroit achevé . Nous
ne tarderons pas à nous acquitter de notre
promeffe ; car on nous affure que les trois
derniers volumes s'impriment actuelleMAI
1765. 149
ment. Il y aura donc fept parties comme
il y a fept planetes ; & chaque partie of
frira des détails variés & pleins d'agréa
bles fictions .
OBSERVATIONS fommaires , lues le zr
Novembre 1763 , dans l'affemblée des
Commiffaires nommés par la Faculté de
Médecine de Paris , au fujet de l'inoculation
de la petite vérole ; à Paris , chez
F. A. Quillau , Imprimeur de la Faculté
de Médecine , rue du Fouarre , près la
Place Maubert , 1765 ; in-4 ° . de vingt
pages.
M. Cochu , Auteur de ces obfervations,
a été un des Commiffaires nommés par la
Faculté , pour examiner fi l'inoculation
devoit être permife ou rejettée. Il a donné
tous fes foins pour répondre à la confiance:
de fon Corps ; & après bien des recherches
, il a fait part à fes confrères de fes
obfervations dont le réfultat eft , qu'on
peut tolérer cette méthode , mais qu'elle
doit être refferrée dans de juftes limites.
DE l'Imprimerie , poëme , par M. S. B.
G. Gillet. A Paris , de l'Imprimerie de
P. G. Lemercier , rue Saint Jacques , au
livre d'or ; 1765 ; avec approbation & per-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
miflion : in 4° , petit format , de quarante
pages .
L'Imprimerie a déja été le fujet de deux
petits poëmes latins , l'un par feu M. Thibouft
, Imprimeur , l'autre par M. Hériffant.
La lecture de ces deux poëmes , qui
ont chacun des objets différens , a fait
naître l'idée à M. Gillet de les raffembler
en un feul , mais de traiter fon fujer en
vers françois. Il eft glorieux pour lui d'avoir
fçu rendre , dans une poéfie harmonieufe
, les principaux traits de l'art qu'il
chante , & de préſenter en même
en même temps à
ceux qui l'exercent les modèles fur lefquels
ils doivent diriger leurs travaux .
RÉFUTATION d'un ouvrage de M. Rizzi-
Zannoni, intitulé : differtationfur différens
points de géographie , & d'un autre qui a
pour titre : éclairciffement hiftorique fur un
fait littéraire ; par M. Bonne , Maître de
Mathématiques , Ingénieur-Géographe ; à
Padoue , chez M. Rixa , à l'enveloppe
cylindrique ; 1765 ; brochure in - 12 de 80
pages.
Nous avons déja parlé autrefois de cette
querelle littéraire : M. Bonne a raffemblé
contre fon adverfaire fes raiſons principales
; & c'eft ce qu'il préfente de nouveau au
Public dans la brochure que nous annonçons.
•
MAI 1765.. 151
;
LETTRES & obfervations à une Dame
de province fur le Siége de Calais , ornée
d'une carte géographique de cette ville
M. DE ***: à Paris , chez l'Esclapard,
Libraire , quai de Gêvres ; 1765 ; avec
permiffion. Brochure in- 8° , de 96 pages.
par
Tout ce qui a paru imprimé fur le Siége
de la ville de Calais , fait par Edouard ,
Roi d'Angleterre , & même ce qui n'eſt pas
encore imprimé, tel qu'un poëme que compoſe
M. d'Arnaud fur cette matière , fait
l'objet de l'ouvrage que nous annonçons.
On conçoit aifément que la Tragédie de
M. de Belloy eft ce qui occupe principalement
l'Auteur de cette brochure. Il fait fur
cette piéce des obfervations critiques fans
bleffer les égards dus au mérite du Poëte
tragique. Il traite avec peu de ménagement
M. de Rofoy , qui a fait auffi une
tragédie fur le Siége de Calais. On parle
dans cette même brochure , du roman qui
a paru autrefois fous ce titre , & de l'hiftoire
du même Siége , par Madame de
Gomez. Nous croyons que , dans les circonftances
préfentes , ces lettres & obfervations
feront bien reçues du Public.
LUCETTE , ou les progrès du libertinage ;
par
M. N *** : à Londres , & fe trouve à
Paris , chez Vente , Libraire , au bas de la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
montagne Sainte Genevieve , près les RR .
PP. Carmes ; 1765 ; deux parties in 12 ,
petit format , faifant enſemble environ
300 pages.
Cette Lucette eft une jeune & jolie payfanne
qui vient mener à Paris la vie d'une
fille de débauche . Ses aventures fcandaleufes
font la matière de cette double brochure
.
LE Temple de la piété , & recueil d'ouvres
diverfes , par M. Compan , auteur de
Efprit de la Religion Chrétienne ; à Avignon
, & fe trouve à Paris , chez Claude
Hériffant , rue Neuve - Notre - Dame , à la
croix d'or ; 1765 : brochure in- 12 , petit
format ; 200 pages.
C'eft ici une efpèce de roman pieux , où
l'Auteur tâche d'établir le triomphe de la
vertu fur le vice, afin d'encourager les âmes
foibles ; & foutenir les chancelantes. Les
perfonnes pieufes peuvent , fans héfiter ,
en faire la lecture ; elles ne condamneront
pas une fiction innocente , qui ne préfente
pas un mot dont la plus exacte bienféance
puiffe s'offenfer. A la fuite de ce voyage
au temple de piété , font une paraphraſe en
vers du pfeaume vi , une ode morale , la
traduction d'une ode d'Horace , & deux
petites fictions en profe , dont l'une eſt
و
MAI 1765 . 153
intitulée le Soir , l'autre le Provincial.
LETTRE d'un Mendiant au Public , contenant
quelques - unes de fes aventures &
fes réflexions morales . Nouvelle édition ;
à Paris , aux dépens du Public , & fe vend
chez la veuve Valeyre , Libraire , quai de
Gêvres , à l'entrée par le pont - au- change ,
à la Nouveauté ; 1765 ; brochure in- 12 ,
40 pages.
, de:
Sous le nom d'un mendiant , l'Auteur
de cet écrit donne à fa plume une libre:
carrière. Il parle de littérature , de mu--
fique , de philofophie , &c. mais le fond
de l'ouvrage a pour objet de décrire la vie
des mendians.
DISCOURS , ou hiſtoire abrégée de l'an--
timoine , & particulièrement de fa prépa--
ration ; par
; par M. Jacquet , ci- devant Chirur
gien de S. A. S. le Prince Louis de Wir--
temberg à Paris , de l'Imprimerie de Sébaftien
Jorry , rue & vis - à-vis de la Comédie
Françoife ; 1765 ; avec approbation &
permiffion : in-12 , de 48 pages.
L'objet que fe propofe M. Jacquet eft
de prouver à la Faculté de Médecine der
Paris, que de l'antimoine feul on retire un
reméde fupérieur à tout ce qui a été connu
jufqu'ici pour guérir les maladies de la
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
limphe , celles de la peau , & la v.... même.
Il ne fait point de mystère fur fa préparation
; fi la Faculté juge à propos de lui
nommer fix ou huit Commiffaires , il le
préparera en leur préfence ; bien perfuadé
néanmoins qu'ils lui garderont un fecret
inviolable , afin que lui feul refte pendant
fa vie l'unique poffeffeur & compofiteur
de fon remède.
,
LETTRES de Mlle de Juffy , à Mlle
DE *** , contenant fon hiftoire. Nouvelle
édition , où l'on a joint un effai fur la
jaloufie . A Amfterdam , & fe trouve à
Paris , chez Bauche , quai & attenant les
Auguftins : in- 12.Prix 1 liv . 10 fols broché.
Cet ouvrage eft réellement d'une femme
, & a été affez bien accueilli à la
première édition , pour efpérer que celle- ci
ne le fera pas moins favorablement. Le
roman de Maria , dont nous avons donné
l'extrait dans ce Mercure , a été traduit par
le même Auteur ; & nous défirerions que
fa modeftie voulût nous permettre de le
nommer.
HISTOIRE univerfelle , facrée & profane
, compofée par ordre de Mesdames
de France: tomes dix - fept & dix-huitieme.
Par M. Hardion , de l'Académie Françoife;
MA I 1765. 155
à Paris , de l'Imprimerie de L. Cellot , rue
Dauphine ; 1765 ; avec approbation &
privilége du Roi .
Nous avons déja parlé plufieurs fois de
cet ouvrage eftimable , qui eft actuellement
très- connu .
LE Sage , ode , par M. Chauvet ; à Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez la veuve
Valeyre , Libraire , quai de Gêvres ; 1765 ;
in- 8° , de 24 pages .
Cette ode contient vingt- deux ftrophes ,
parmi lesquelles il y en a plufieurs qui font
honneur à la mufe de M. Chauvet..
; Le Printems , poëme allégorique à
Paris , chez Berthier , Libraire , quai des
Auguftins ; 1765 ; approbation . Feuille
in- 8 ° , petit format .
Ily a dans ce poëme fur le printems des
idées agréables & des images variées.
L'OMBRE de Calas ce fuicide , à fa famille
& à fon ami dans les enfers ; précédée
d'une lettre à M. de Voltaire ; à
Amfterdam , & fe vend à Paris , chez
Cailleau , Libraire , rue du Foin Saint
Jacques , à Saint André ; 1765 ; feuille
in-8°.
Ces écrits fur les Calas deviennent fi
nombreux , & préfentent des objets fi peu
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
variés , que nous croyons qu'il fuffira déformais
de les indiquer.
•
POESIES diverfes du fieur François ,
penfionnaire au Collége de Neufchâteau ;
avec cette épigraphe : & fi defint vires ,
audacia certe laus erit ; à Neufchâteau
chez Monnoyer , Imprimeur de la Ville.
& du Collège ; avec permiffion , 1765 ;
brochure in- 12 . de 42 pages.
Le jeune M. François , penfionnaire
au Collège de Neufchâteau en Lorraine ,
n'eft âgé que de treize ans & demi , & a
cependant fait des pièces de poëfies qui
ont été jugées dignes d'être imprimées.
Quoiqu'à fon âge on n'ambitionne que de
l'indulgence , ce n'eft cependant point à
ce titre que nous les annonçons dans le
Mercure.
the
NUMOPHYLACIUM Mansbergianum,
quod collegit Anthon . Adam à Manfberg ,
Regis magna Britannia , & Electoris Brunfv.
Luneb. Capitaneus , præfectura Grondenfis :
vir rei litterariae & numaria amantiffimus &
peritiffimus : in ordinem & claffes redactum
abJoh. Erid. Borchmann , Commiſſario regio
: auctionis more vendendum. Cellis ,
1763 ; Typis Joh . Dieter Schulzianis ,
Aula Regis Typographi; vol. in-12. de plus
de mille pages
.
MAI 1765.. 157
Ce catalogue de médailles ne fe vend
point à Paris ; mais nous l'annonçons pour
apprendre aux curieux , que le premier de
ce mois on doit avoir commencé la ventes
de ce riche & fuperbe médailler à Zell
dans le Duché de Lunebourg. Ceux qui
ne feront point à portée d'affifter à cette
vente , pourront charger de leur procuration
M. Roques , Miniftre du Saint Evan--
gile dans l'Eglife Françoife reformée
de Zell , & M. le Commiffaire Borche
mann , qui eft l'auteur de ce catalogue ,
où l'on fait mention de plus de fix mille
médailles.
LETTRES fur l'état préfent de nos fpec--
tacles , avec des vues nouvelles fur chacun
d'eux ; particulièrement fur la Comédie
Françoife & l'Opéra ; à Amſterdam , & ſe
vend à Paris , chez Duchefne , rue Saint
Jacques , au temple du goût , 1765 ;. brochute
in-12 . de 84 pages.
On trouve dans ces lettres d'heureux détails
, des obfervations ingénieufes , des
vues toutes neuves , & dont l'exécution
feroit fort utile à nos différens fpectacles ,
fur- tout aux deux principaux. Elles font
d'ailleurs écrites avec autant de légereté
que d'agrément. On y reconnoît une plume
brillante , & qui a déja fait fes preuyes,
"
158 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
DISCOURS prononcé à l'ouverture de la
féance publique de l'Académie Royale de
Chirurgie , le Jeudi 18 Avril 1765 , par
M. Louis , Secrétaire Perpétuel .
L'ACADÉMIE Royale de Chirurgie avoit
propofé pour le prix de cette année le fujet
fuivant Déterminer le caractère effentiel
des tumeurs connues fous le nom de loupes ,
expofer leurs différences , & quels font les
moyens que la Chirurgie doit employer de
préférence dans chaque efpèce , & relativement
à la partie qu'elles occupent .
De dix -huit Mémoires que l'Académie
a reçus le N°. 1o qui a pour épigraphe ces
mots : Si labor terret , merces invitet ; &
pour devife : meliores meliora dicant , eſt
le feul qui ait été admis à une feconde
lecture.
MAI 1765. 159
L'Auteur de cette Differtation eft de
tous les concurrens celui qui a le mieux
fenti la néceffité d'un traitement varié fuivant
la différence des circonftances ; mais
fes vues de pratique , quoique judicieuſes ,
ont paru trop vagues. Il a profité des bons
principes qui font la bafe d'un Mémoire
que l'Académie a préféré en 1733 , fur la
queftion : Pourquoi certaines tumeurs doivent
être extirpées , d'autres fimplement ouvertes
; & dans quels cas , foit pour ouvrir ,
foit pour extirper les tumeurs , on doit préférer
le cautère ou l'inftrument tranchant.
Cette matiere préfentoit un champ bien
vafte , & fi elle n'avoit pas alors été traitée
d'une maniere trop générale , l'on ne
feroit pas dans le cas de s'occuper aujourd'hui
fpécialement des tumeurs connues
fous le nom de loupes. Ce point à approfondir
exigeoit qu'on defcendît dans beaucoup
de détails qui auroient fait connoître
l'infuffifance des préceptes généraux & indéterminés
.
Le traitement des loupes ne peut être
vraiment méthodique que d'après des indications
raifonnées , déduites d'une parfaite
connoiffance de la nature du mal &
de fes différences. Les Mémoires qui ont
été préfentés font fort en défaut fur ce
point capital. L'Auteur du No. 10 met,
160 MERCURE DE FRANCE.
par fa définition , les loupes dans la claffe
des tumeurs fquirrheufes : or , il eft certain
que par- là il en a méconnu le caractère
effentiel ; fon Mémoire même auroit dû
lui faire appercevoir l'inconféquence de
fon principe , puifqu'aucune des maladies
qu'il a regardées comme des efpèces de loupes
, n'a de rapport avec le fquirrhe . Si une
loupe eft fquirrheufe , ce n'eft que par une
complication accidentelle , & c'étoit peutêtre
une des différences qu'il étoit le plus
important de bien diftinguer. En effet , les
cauftiques , auxquels la timidité des malades
fait fi fouvent donner la préférence fur
l'inftrument tranchant , appliqués fur une
loupe fquirrheufe , produiroient des accidens
funeftes , en faifant dégénérer la tumeur
en cancer. On ne l'a que trop fouvent
obfervé fous la direction de certaines
gens à qui on fe livre avec une forte de
confiance , parce qu'on les croit d'autant
plus habiles , qu'ils fe font fait une occupation
particulière du traitement des loupes.
Ils les foignent toutes de la même maniere
; ils n'ont qu'un remède & qu'un
procédé à l'ombre de quelques fuccès ,
dans des cas où le choix de tous les moyens
connus d'emporter une tumeur pouvoit être
arbitraire fans la moindre conféquence ,
l'on commet des fautes irréparables en preMAI
1765 .
161
nant une voie qu'avec plus de lumières on
fe garderoit bien de fuivre indiftinctement.
Le Public qui fe laiffe féduire par
des promeffes fpécieufes & par des exemples
certains de guérifon , ne voit pas qu'on
lui fait préférer une pratique aveugle , incertaine
& quelquefois meurtrière , fous
le nom d'expérience , nom toujours impofant
mais la raiſon ne confond point l'expérience
avec la routine , elle rejette l'une
avec dédain , & ne doit jamais ceſſer de
diriger l'autre.
暴
:
L'Auteur du Mémoire No. 14 , dont la
devife eft und eademque manus vulnus
opemque feret , a donné une meilleure defcription
des loupes , qu'il met au nombre
des tumeurs enkyftées , c'eft -à- dire , qui
font produites par une matiere contenue
dans un ou plufieurs facs , ou follicules .
membraneux. Il a fait voir par fes recherches
qu'avec de l'efprit , des connoiffances.
& de bonnes vues fur le fujet qu'on a entrepris
de traiter , on peut manquer fon
but. Il s'eft laiffé égarer par des guides infidèles
, à qui les loupes ont paru un genre
de tumeurs , dont toutes celles qui font enkyftées
feroient des efpèces. D'après cette
fauffe fpéculation , les ganglions , la gre .
nouillette , le goëtre , l'hydrocèle , l'hydropifie
même des ovaires , & jufqu'à la cu
162 MERCURE DE FRANCE .
meur qu'on voit ordinairement au dos des
enfans qui naiffent avec lefpina bifida ,
font mis au rang des loupes . Les idées les
mieux établies en pathologie font renverfées
par cette divifion : ces nouvelles claffes
de maladies , loin de foulager l'efprit qui
retient plus facilement ce qui lui eft préfenté
avec méthode , troublent néceffairement
toute eſpèce d'ordre , lorfqu'elles admettent
comme identiques des affections
contre nature , dont le caractère , les caufes ,
le fiége , les indications , le prognoftic & les
moyens de guérifon font fi différens. L'art
ne peutfaire des progrès , fi l'on ne prend la
peine d'ifoler , pour ainfi dire , les objets
de fes connoiffances : il faut les confidérer
féparément fous toutes les faces poffibles ,
afin d'en prendre les idées les plus nettes &
les plus préciſes . Croit- on y parvenir en
bouleverfant tout , par un prétendu arrangement
dicté fur des principes erronés
dont les conféquences mettroient la plus
grande confufion dans la théorie & dans la
pratique ?
Le mot de loupe eft affez nouveau dans
le langage de l'art , & les Anciens ont certainement
connu les maladies auxquelles
on a donné ce nom. Lorfque M. Littre
introduifit en 1709 dans les Mémoires de
l'Académie Royale des Sciences , le terme
MAI 1765 . 163
lipome , pour fignifier une loupe graiffeufe
, il croyoit enrichir l'hiftoire des mifères
humaines par la defcription de cette
efpèce de tumeur ; mais M. Morgagni a
fait voir depuis peu , dans fon grand ouvrage
defedibus & caufis morborum per anatomen
indagatis , que cette maladie a été
connue de Saltzman , de Valfalva , & que
c'eft le Stéatome des Anciens , fi diſtinctement
décrit en 1666 par Elsholz. Il me paroît
que celui qui en a parlé avec le plus de
clarté & de préciſion , eft Peccetti , célèbre
Chirurgien de Cortone , au commencement
du fiècle précédent. On ne peut douter
, par la lecture de fes oeuvres , que le
Stéatome ne foit une vraie loupegraiffeufe ,
& il a très- exactement diftingué cette tumeur
, d'avec l'Atherome & le Meliceris ,
par un caractère effentiel , autre que la
différence qui fe tireroit du degré de confiftance
de la matiere . Les Auteurs modernes
qui nous font le plus familiers , n'ont
pas connu ce caractère , & l'erreur s'eft perpétuée
fucceffivement , parce qu'ils fe font
copiés les uns les autres. L'on veut écrire
pour fe faire un nom, & il eft certainement
plus commode de prendre les idées d'autrui
telles qu'elles font , & de les transférer
des livres faits dans ceux qu'on croit
compofer , que d'approfondir les queſtions,
164 MERCURE DE FRANCE.
& de s'éclairer du flambeau d'une faine
critique.
Pour déterminer le vrai caractère des
loupes , fuivant la demande préciſe que
l'Académie en avoit faite , il falloit moins
s'occuper de la fauffe érudition qui confifteroit
à expofer fimplement la contrariété
des Auteurs fur les diverfes acceptions de
ce terme , qu'à fixer fon vrai ſens , pour
éviter à l'avenir toute équivoque à cet
égard. L'anatomie ou diffection de ces tumeurs
féparées du corps , démontreroit intuitivement
de quelle nature elles font ;
on en connoîtroit par-là les caufes matérielles
, on fauroit comment les folides &
les fluides font vicieufement difpofés pour
leur formation , & l'on en détermineroit le
fiége : ces connoiffances pofitives feroient
la fource des meilleurs préceptes ; par elles
on apprécieroit ce que les Auteurs ont dit
avec ou fans fondement fur la poffibilité
de la réfolution des loupes , fur leur fuppuration
, & fur les différens moyens de
fuppléer à ces deux terminaifons. L'amputation
& l'extirpation font des reffources
préférables en certains cas , dont la variété
preferira différentes méthodes de procéder
aux opérations indiquées. Quelquefois
la ligature peut être faite , & ce moyen
Gimple , qui ne paroît applicable que dans
MAI 1765. so
une feule circonſtance , fi facile en apparence
à déterminer , donnera le fujet d'une
favante controverfe , dont la pratique peut
feule fournir les argumens & la folution .
Enfin , le choix & l'ufage des cauftiques ,
dans les cas où il paroîtroit le plus convenable
de les employer , ne pourront être
établis que d'après des expériences parti- .
culieres que nous croyons n'avoir pas encore
été faites fur leurs diverfes manieres
d'agir . Et comme leur action fera toujours
relative , aucun , peut-être , ne fera dans
le cas d'une exclufion abfolue ; il faudra
doncbeaucoup de lumieres & d'expérience
pour les admettre par préférence dans les
diverfes occafions ; & leur adminiftration ,
pour être méthodique , fera foumifeà d'autres
règles de prudence appropriées aux
différentes occurrences.
Toutes ces connoiffances font , comme
on le voit , beaucoup plus étendues que
celles qu'on trouveroit éparfes dans les livres
, & dont la réunion en un corps de doctrine
fuppoferoit déja bien de l'intelligence
& du difcernement pour diftinguer la vérité
d'avec l'erreur , dans tout ce qui a été
dit à ce fujet.Il restera encore à faire une judicieufe
application des règles générales
aux cas particuliers , relativement au volume
, à la figure , à la poſition des loupes
166 MERCURE DE FRANCE.
aux parties voifines dont elles gênent l'action
, & qui pourroient être intéreffées avec
plus ou moins d'inconvénient ou de danger
, par la méthode qu'on fuivroit pour
enlever ces tumeurs .
Au défaut d'une expérience perfonnelle,
toujours trop bornée , les Auteurs fourniront
des faits dont la difcuffion fera la pierre
de touche du favoir de celui qui en fera,
ufage. Leurs fuccès ne feront pas des garants
fûrs de la folidité des motifs qui les
auront déterminés dans le choix des
moyens leurs écrits offrent le tableau
d'une pratique fort variée ; mais ils ne
peuvent être utiles , qu'en examinant la
conformité de leur conduite aux grandes
règles de l'art ; & dans les cas où les
praticiens paroîtroient ne les avoir pas fuivies
, il faut chercher s'il n'y a pas eu des
raifons fuffifantes pour s'en écarter. Par ce
travail on doit parvenir , autant qu'il eft
poffible, à connoître les principaux écueils ,
& à découvrir les routes les plus fûres.
On conçoit que faute de détails bien circonftanciés
, fondés fur des principes lumineux
, & autorifés d'une pratique raiſonnée
, on ne pouvoit pas mériter le prix ; en
conféquence il fera double fur le même
fujet pour l'année 1767.
Celui d'émulation a été adjugé à M.
MAI 1755 . 167
Trecourt , Chirurgien Major de l'Hôpital
Royal & Militaire de Rocroi , Correfpondant
de l'Académie , & Docteur en Médecine.
Depuis plufieurs années M. Trecourt
remplit avec zèle l'obligation honorable
que l'on contracte par le titre de Correfpondant.
Il a concouru plufieurs fois au
prix d'émulation ; & l'Académie , en le lui
acordant cette année , lui donne avec plaifir
des marques publiques de, fon eftime.
Les cinq petites médailles auxquelles les
Membres de l'Académie , qui ne font pas
du comité perpétuel , peuvent prétendre
concurremment avec tous les Chirurgiens
régnicoles , pour avoir donné un mémoire ,
ou au moins trois obfervations intéreffantes
, ont été adjugées à MM. Valentin &
Ferrand , Académiciens libres ; à M.
Robin , Maître en Chirurgie à Reims ;
à M. Piefich , ancien Chirurgien d'armée
dans les troupes Autrichiennes , &
Démonftrateur d'Anatomie à Altkirch en
haute Alface ; & à M. Dolhagaraye , étu
diant en Chirurgie , & Élève de l'Hôtel-
Dieu de Paris.
Ce jeune homme paroît réunir à une
grande vivacité qui le porte à faifir avidement
les objets dignes de remarque , l'attention
réfléchie qui empêche l'imagination
de s'égarer dans l'expofition des faits ,
168 MERCURE DE FRANCE.
ou plutôt dans les raifonnemens qu'on y
joint pour les faire valoir. Il a recueilli
quelques obfervations fingulieres qui peutêtre
auroient été perdues fans fon application
& fon activité. Les talens naiffans doivent
être encouragés ; M. Dolhagaraye ,
couronné au commencement de la carrière ,
eft encouragé dès le premier pas qu'il y
fait , à mériter par la fuite de plus grandes
diftinctions. Cet exemple excitera , fans
doute , l'émulation des jeunes gens qui
font comme lui au milieu des grandes occafions
d'obferver , & qui ne peuvent que
tirer beaucoup de fruit , & mériter des
louanges , même par les premiers efforts
qui n'auroient pas un pareil fuccès.
L'Académie a annoncé pour l'année
prochaine un prix double , c'eſt - à - dire ,
deux médailles de 500 liv. chacune , fondé
par M. de la Peyronie , ou une médaille
& la valeur de l'autre pour celui qui établira
le mieux la Théorie des contre- coups
dans les léfions de la tête , & les conféquen-
Les pratiques qu'on peut en tirer.
TRAITÉ
MAI 1765. 169
ASTRONOMI E.
THÉORIE de la Lune , déduite dufeulprin.
cipe de l'attraction , réciproquement proportionnelle
aux quarrés des diftances ,
par M. CLAIRAUT , des Académies des
Sciences de France , d'Angleterre , de
Pruffe , de Ruffie , de Bologne & d'Upfat
, piéce qui a remporté le prix propoſe
en 1750 par l'Académie de Pétersbourg ,
feconde édition , à Paris , chez DESAINT
& SAILLANT.
LA théorie de la Lune a fait long- temps
le défefpoir des Aftronomes. Ils avoient
découvert , d'une manière fatisfaifante
les loix du mouvement des autres aftres
celui- ci feul échappoit à leurs recherches.
Soumis aux mêmes inégalités que toutes,
les autres planetes de notre fyftêine , il en
reftoit encore un grand nombre dont l'obfervation
affidue avoit eu beaucoup de
peine à fixer à-peu- près la quantité & la
période.
Nevyton , qui enfeigna la loi fimple du
H
170 MERCURE DE FRANCE.
:
mouvement des corps célestes , en déduifit
les inégalités du mouvement de la Lune ,
mais il cacha l'analyfe qui l'y avoit conduit
les Géomètres de ce fiècle , en cherchant
à remplir les vuides qui féparent les
vérités qu'il a découvertes , entreprirent
la folution du problême des trois corps ,
fondement de toutes les découvertes de ce
genre. Celle de M. Clairaut fut lue à l'Académie
des Sciences en 1747. Tous les
efprits étant tournés vers cet objet , l'Académie
Impériale de Pétersbourg propofa ,
pour fujet du prix en 1750 , la queſtion
fuivante : favoir , fi l'on pouvoit expliquer
par la théorie Nevvtonienne les inégalités
du mouvement de la Lune , & fi cela étoit ,
quelle feroit la vraie théorie par laquelle on
pourroit calculer le lieu de cette planete
pour un temps donné . Le Mémoire de M.
Clairaut remporta le prix. Il démontre que
la théorie de Nevyton donne feule la clef
de ce labyrinthe , où tant de grands hommes
avoient erré , & qu'on en déduit des
tables beaucoup plus exactes que celles
dont on s'étoit fervi jufqu'alors. Ce Mémoire
fut imprimé à Pétersbourg ; mais
l'édition , qui ne put être faite fous les
yeux de l'Auteur , eft très-fautive. Celle- ci
a fur elle l'avantage d'être plus correcte,
Le première partie eſt le Mémoire même
MAI 1765. 171
qui a été couronné à Pétersbourg , revu
avec foin pour en éclaircir la diction &
pour rendre plus faciles & plus élégantes
les folutions , fans cependant en altérer
rien d'effentiel quand`au fonds. L'addition
qui fuivoit le Mémoire a été fupprimée
, parce qu'elle ne contenoit que
la
réviſion des calculs faits dès 1751 ; réviſion
à laquelle M. Clairaut fubftitue celle qu'il
vient d'achever , le détail des changemens
faits aux équations , & de tous les moyens
qu'il a cru propres à fimplifier l'ufage des
tables. Ces moyens confiftent 1 °. Aavoir :
fupprimé deux des vingt- deux équations .
qui donnoient le vrai lieu de la Lune.
2º.A avoir rendu toutes les équations pofitives.
3 °. A rendre le calcul des argumens
des petites équations plus expéditif & plus
facile . 4° . A avoir introduit un artifice de
calcul qui rend le calcul de la latitude plus
court fans le rendre moins exact. Nous
paffons légérement fur ces chofes , qui doivent
être lues dans l'ouvrage même , &
dont l'objet n'eft pas celui de notre Journal.
M. Clairaut avoit entrepris la réviſion
de fes calculs , dans la vue de rendre plus
exacts les coëfficiens de toutes les équations.
Le fuccès a fi bien répondu à fon
efpérance , que de plus de 200 pofitions de
la lune , calculées fur ces nouvelles tables ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
il n'y en a aucune dont l'erreur fur la longitude
excéde une minute & demie , &
P'erreur fur la latitude , une minute & un
quart. Cette précifion fingulière fait l'éloge
du génie qui a fi bien embraffé & fi
bien réuni toutes les parties de ce vaſte
problême, & prouve en même tems l'identité
de la loi de la gravitation avec celle:
de la nature . Il réfulte de là qu'en employant
à la recherche des longitudes en
mer , la méthode fur laquelle le célèbre
abbé de la Caille à tant infifté , qui confifte
à mefurer la diftance du bord éclairé de la
lune à une étoile connue , les tables de
M. Clairaut n'introduiront dans le calcul
pour les cas les plus favorables , qu'une
incertitude de trois quarts de degré . Il eſt
vrai que nous fuppofons l'obfervation
exacte, mais il dépend des marins d'en
faire un nombre fuffifant pour que cette
incertitude ne furpaffe jamais un degré.
Les gens inftruits des périls de la navigation
fentiront combien il feroit précieux d'être
affuré du lieu où on eft fur la iner , à
vingt-cinq lieues près : de plus les méthodes
d'approximation qui ont fervi à réfoudre
ce problême , laiffent toujours eſpérer
une plus grande exactitude. M. Clair aut
fe propofe de recommencer des calculs pénibles
, effrayans par la longueur & par le
A
MAI 1765 . 173
détail : nous fouhaitons que les applaudiffemens
du monde favant lui donnent
le courage néceffaire , & fe joignent pour
l'y engager au defir du bien public dont
il eft animé ; & nous ofons dire qu'il n'y a
que cet effort généreux qui puiſſe ajouter
à fa gloire.
t
MÉDECINE.
HYDROPISIE de poitrine guérie par les
pilules toniques ( 1 ) du Docteur BACher,
Médecin à Thann en Alface .
UNE femme ( 2 ) âgée de cinquante ans ,
d'un tempérament fanguin , avoit il y a
deux ans des obftructions confidérables au
foie. Après avoir pris différens remèdes ,
elle parut fe porter affez bien pendant dixhuit
mois ; mais le mal qui n'avoit été que
pallié , fe montra bientôt avec tous fes
fymptomes. Elle fut foulagée une feconde
fois par des remèdes convenables ; mais
cinq mois après un chagrin furvenu la
( 1 ) Voyez le Mercure de Novembre 17643
page 102 , & le fecond Mercure de Janvier 1765,
page 154.
(2 ) Mde Bonne , rue Jean Saint Denis , vis
à-vis un Perruquier , quartier Saint Honoré.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
plongea dans une grande trifteffe . A une
refpiration pénible fe joignirent des étouffemens
très -fréquens . Il s'amaffoit une tumeur
aux chevilles des pieds . Malgré plufieurs
remèdes dont elle fit ufage , fou mal
augmentoit chaque jour.
L'enflure des jambes & du ventre étoit
confidérable, & elle gagnoit déja les avantbras
& les mains ; le vifage étoit bouffi
l'urine rouge & briquetée couloit en trèspetite
quantité. La foif étoit grande , le
pouls enfoncé & irrégulier , & l'appétic
étoit tombé la gêne de la refpiration ,
qui devenoit plus laborieufe vers la nuit ,
ne lui permettoit de dormir , que comme
affife dans fon lit. Tel étoit l'état de la
malade le 21 de Mai 1764. Elle fut guérie
par la méthode fuivante.
Elle prit pendant trois jours de fuite ,
chaque jour quarante- cinq pilules toniques
; c'eft-à- dire , quinze à fix heures ,
quinze à huit heures , & quinze à dix heures
du matin. Sur chaque prife de pilules
elle avala ou du bouillon ou de la tifanne
faite avec du chiendent , du raifin de corinthe
& de la canelle . Le quatrième jour
elle interrompit les pilules , mais elle prit
le matin un lavement fait avec deux verres
d'eau chaude , auxquelles on ajoutoit
un verre de vin : on faifoit fondre un gros
MAI 1765 . 179
de fel ammoniac dans celavement , qu'elle
gardoit le plus long- temps poffible.
Le cinquième jour elle reprit les pilules
toniques pendant trois jours ; elle les
interrompit au quatrième , & ainfi de
fuite .
Elle prit en même temps tous les jours
le matin , une heure après la première prife
de pilules , & le foir quatre heures après
le dîner , ce bouillon médical ( 3 ).
Le cinquième jour de la cure , les urines
couloient déja plus librement ; la refpiration
étoit moins gênée & la foif moins
preffante. Le quinzième jour elle crachoit
une matière épaiffe , vifqueufe & l'enflure
étoit confidérablement diminuée; l'appétit
étoit affez irrégulier pendanttoute la cure.
Versla fin de la quatrième femaine , il ne lui
reftoit prefque plus d'enflure qu'aux jambes
; le fommeil étoit bon , le pouls fe
développoit & devenoit plus régulier. Erfin
, au bout de deux mois l'enflure étoit
abfolument diffipée ; & la malade , pour
fe préferver de rechûte & détruire le refte
( 3 ) Prenez une demi-livre de veau , faites-en
un bouillon , avec deux chopines d'eau , ajoutez-y
fur la fin de la cuiffon une poignée d'ozeille &
une poignée de laitue ; paflez le tout pour deux
bouillons ; faites fondre dans chaque bouillon
trente-fix grains de fel ammoniac.
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
des obftructions , continue de prendre tous
les mois , pendant trois jours , les pilules
toniques de la même manière que nous
l'avons dit ci- deffus. Ce régime lui procure
une fanté parfaite
Nous fouffignés , Ecuyer , Docteur en
Médecine , & Médecin ordinaire defon Alteffe
Sereniffime Monfeigneur le Duc
D'ORLEANS , certifions avoir été témoin
des bons effets des pilules toniques du Docteur
Bacher , dont a fait ufage la malade
dont il a fait mention ci-deffus . En foi de
quoi , nous avons donné le préſent certificat
pour valoir ce que de raifon.
A Paris , ce 12. Mars 1765..
PETIT , D. M.
3.
MAI 1765 . 177
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
OBSERVATIONS fur les progrès de l'Agri--
culture & des Manufactures.
MONSIEUR,
J'AI lu avec un fenfible plaifir , dans
notre Journal de Février , des obfervations
fur une queftion très-intéreffante ,
propofée par l'Académie de Caen , fur
les moyens de multiplier les manufactu--
res fans nuir à la culture des terres . Les
obfervations de ces Meffieurs font trèsfenfées
mais elles ne me paroiffent pas
avoir épuifé la matière. Les amis des hom--
mes ne feront peut-être pas fâchés de trouver
, dans votre Journal prochain , les
réflexions qu'a faites à ce fujet un étran→
ger , dont la famille eſt l'humanité , dont :
la patrie eft le monde , que la naiffance &
le goût ont mis à portée d'approfondier
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
cette reffource précieufe du gouvernement.
Je comparerai les progrès qu'ont faits l'agriculture
& les arts dans la Grande-Bretagne
à ceux que le fol) des autres nations
paroît leur refufer : je montrerai que les
avantages qu'a l'Angleterre en cette partie
, peuvent être communs à tous les
pays. S'il m'échappe quelque intérêt de
préférence pour ma Patrie , qu'on le pardonne
à ma gratitude : quoique citoyen de
la terre , je dois quelque chofe de plus au
ciel qui m'a vu naître. Un homme qui
parcoureroit l'Angleterre avec la moindre
attention , feroit affurément flatté par le
tableau que préfente la campagne . Un
nombre infini d'enclos , deftinés à la nourxiture
des troupeaux , occupent un terrein
immenfe : les haies & les arbres qui les
féparent paroiffent couvrir la terre : on
croiroit voir une vafte forêt , ou quelque
verger d'une étendue démefurée. Si cet
homme entroit dans le détail , il trouveroit
que l'agriculture & les arts mé haniques
, fur- tout les manufactures de laine-
& d'acier , font portées à un dégré de
perfection plus recherché qu'en aucun
autre endroit du monde. Les Auteurs
qui ont pu traiter cette matière , n'étant
point venus à ma connoiffance , j'expliquerai
ce phénomène d'une façon toute
MAI 1765. 179
nouvelle ; je communiquerai une conjecture
qui me paroît probable , & que
j'abandonne au jugement des connoiffeurs.
Il eſt évident que la fupériorité dont l'Angleterre
jouit en Europe , en fait de culture
des champs & de manufactures , ne
doit point être attribuée à fon gouvernement
, puifqu'il y a d'autres nations qui
jouiffent comme elle des douceurs de la
liberté , fans néanmoins fe diftinguer dans
l'un ni dans l'autre genre. Perfonne ne
s'eft jamais imaginé qu'il fallût aller à
Genève pour apprendre l'agriculture , ni
qu'il fallut faire venir les ouvrages d'acier
de Hollande. L'Angleterre jouit- elle
de ces prérogatives parce qu'elle eſt
exempte d'impôts ? Non. Les taxes généralement
parlant , & fur- tout celles qui
tombent fur les terres , font plus hautes
dans ce Royaume qu'en d'autres pays qui
doivent fe plaindre du peu de progrès
qu'ils ont faits dans les arts en queftion . Les
fociétés & les prix pour encouragerl'agriculture&
les arts méchaniques y font très-rares?
Ce n'est donc point là qu'il faut chercher
lafource de leurs perfection.Ces inftitutions
font plus fréquentes dans les pays qui la
recherchent encore. Que ne lui ajouteroient-
ils point ? Je fuis vraiment flatté de
la jufteffe des obfervations élégantes &
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
judicieufes de M. Rouxelin ; je crois que
la certitude de difpofer du fruit de fes
» fueurs , eft le feul moyen de faire aimer
» le travail à l'homme ». Et je fuis perfuadé
que l'Anglois jouit de cette certitude
, même dans le plus haut degré : mais
je ne puis me réfoudre à donner cette confidération
pour caufe principale des progrès
qu'a fait l'Angleterre : premièrement ,
parce que , quelque effet qu'elle ait für
Fagriculture , elle ne fauroit difpofer les
hommes à s'appliquer aux manufactures
préférablement à la culture des terres ; &
fecondement , parce qu'étant un avantage
dont quelques autres nations jouiffent auffi
bien qu'elle , elle n'a pas encore produit
chez elles ce fruit qu'on croit devoir lui
attribuer,
Il reste donc , que j'explique ce qui me
paroît être la caufe la plus confidérable de
ce degré de perfection où les autres nations
n'ont pas encore pu atteindre . Le
voici l'Anglois confume dans fes vivres
plus de chair qu'aucune autre nation. L'affertion
paroîtra fingulière au premier coup
d'oeil ; mais fi l'on convient du fait , & je
n'appréhende pas qu'il foit contefté , je
me flatte que de cette feule fource , je
pourrai déduire évidemment le riche fpec
acle qu'offrent les campagnes Angloifes ,
MAI 1765:
181
les fuccès de l'agriculture , la perfection des
arts , & prefque tous les avantages qui
diftinguent la nation . Premièrement , le
tableau que préfente le payfage Anglois ,
n'eſt qu'un réſultat de ma propofition. Une
nation qui ne fe nourrit que de viande
doit néceffairement élever un nombre infini
de beftiaux, & par conféquent avoir des
pâturages immenfes ; & ceux qui ont quelque
connoiffance dans les affaires ruftiques
m'accorderont volontiers que les enclos
font très- commodes & même néceffaires
à cet objet : il ne faut que faire la
comparaifon des troupeaux qui ont été
nourris en clôture avec ceux qui l'ont été
en pleine campagne , pour en être convaincu.
2. Par-tout où l'on emploie une
grande quantité du fol en pâturages , ib
refte peu de terres à labourer. De-là , que
de mains libres & capables de s'occuper à
d'utiles travaux ! Les enclos , d'ailleurs ,
tiennent lieu d'un grand nombre de bergers
, de vachers , & c. dont la néceffité eft
Indifpenfable dans la plaine. Il eft donc
évident , qu'une perfonne qui poffede une
terre de cent arpens , & qui n'en laboure
que la cinquième partie , peut employer
un plus grand nombre d'hommes & de
chevaux ; peut donner une attention plus.
particulière , à labourer , fumer , marner
182 MERCURE DE FRANCE.
& c. & fi l'on veut avoir égard à l'incertitude
des faifons & à l'effet prodigieux qu'elles
ont fur l'agriculture plus que fur les
autres arts ; à l'attention avec laquelle on
doit faifir le moment critique du labourage
, des femailles , de la moiffon & toutes
les autres branches de cette poffeffion trop
fouvent ingrate ; à la quantité des mauvai-
3
fes herbes qui naiffent dans chaque fol , &
rendent les travaux & les foins fréquens
& fucceffifs abfolument néceſſaires ; fi
l'on y joint l'infécondité naturelle de prefque
tous les terreins qui refufent les particules
végétatives propres pour la procréa
tion de plufieurs moiflons de fuite , s'ils
ne font fumés fouvent : on ne fauroit difconvenir
que l'ufage de borner les travaux
du laboureur , par la grande quantité de
terres qui font employées aux pâturages ,
& le nombre des pâtres par le foin que
l'on a d'y renfermer les troupeaux , ne
puiffent infiniment contribuer à la perfection
de l'agriculture. 3.De - là une multitude
d'ouvriers, inutiles ailleurs, n'ont point
d'autres partis à prendre que de chercher
leur fubfiftance & celle de leur famille , dans
les manufactures de toute efpèce . Devons.
nous donc être étonnés , de trouver les arts
méchaniques dans un état de plus haute
perfection dans un telpays que dans toutau
MAI 1765 . 175
tre ? Quelque autre nation peut- elle produire
un nombre fuffifant de travailleurs
pour fon labour & pour toutes les manufac
tares qu'elle pourroit établir ? De- là vient
qu'on ne peut concevoir que l'on faffe des
progrès confidérables dans l'un fans nuire
aux autres. Les Anglois feuls ont trouvé
cet heureux milieu . Je préviens une objection
que l'on pourra me faire. Il eft
vrai , me dira- t-on , qu'il s'enfuit de vos
principes qu'un plus grand nombre d'hommes
s'appliqueront aux manufactures :
c'eft un avantage auffi rare qu'il eft important.
Il en résultera beaucoup plus d'ouvrages
; mais en feront- ils beaucoup plus
parfaits ?
Pour montrer combien cette objection '
eft peu fondée , & que la perfection des
manufactures croît toujours à proportion
du nombre des mains qui y font employées
, le raifonnement fuivant fuffira.
On a remarqué qu'un homme qui feroit
feul fur la terre , & qui , pour fe procurer
le néceffaire , feroit obligé d'appli
quer à tout fon induftrie & fon adreffe
ne feroit rien de bon ; mais que fi l'on faifoit
monter le nombre des habitans jufqu'à
dix , & que chacun s'appliquât felon ce
que le goût ou l'inclination lui infpire--
roit ; l'un à travailler en bois , l'autre en
184 MERCURE DE FRANCE.
fer , un troisième en pierre , chacun dans
fon genre , atteindroit un atteindroit un plus haut degré
de perfection que celui qui feroit obligé
de tout entreprendre. Quand le nombre
d'hommes eft plus grand , & la fociété dans
un état plus parfait , le nombre d'artifans
qui s'adonnent à ces parties différentes , eſt
proportionnellement augmenté. Elles font
donc divifées & fubdivifées en une infinité
de branches ; & l'effet de cette diftribution
, eft de perfectionner les ouvrages de
plus en plus... Ainfi dans un petit village
, les artifans font un Charpentier , l'un
Serrurier-Maréchal , & l'autre Maçon : les
abjets de leur attention font le bois , le fer ,
la pierre... Dans une grande ville chacun
de ces métiers eft divifé en une variété de
branches , chacune d'une moindre éten
due . Celui du Charpentier , par exemple
comprend un Ménuifier , un Ebéniſte
un Tourneur , un Charron , un Faifeur de
roues, un Charpentier de moulin , un Charpentier
de navire , un Ménuifier en caroffes
, &c. Chaque maître dans un de ces
genres , quand il a beaucoup d'ouvriers
fous lui , ne manque pas d'en fubdivifer
encore entre cux les différentes parties..
Un Carroffier , par exemple , forme différentes
branches des ouvriers qu'il emploie
au travail des roues , du train , de la caifle,
MAI 1765.
189
& c. d'un carroffe. Et ceci a lieu , non-feulement
dans ce métier- ci , mais dans prefque
tous les autres , même les plus bas , & ,
felon l'apparence , les moins capables de
fubdivifion. Dans les villages , l'ouvrage
eft très-groffier ; dans les villes il eft plus
parfait. En effet , il eft univerſellement
vrai , qu'en proportion du nombre des ouvriers
employés dans un manufacture, les
ouvrages font divifés & perfectionnés en
raifon de cette divifion même. Donc ,
puifque la perfection des manufactures.
fuit le nombre des mains qui y font
employées ; puifque ce nombre même
fe déduit de l'étendue des pâturages
qui doit orginairement fe rapporter
la plus grande confommation des boeufs
& des moutons ; il faut conclure que la
perfection des manufactures, comme nous
l'avons déja prouvé de la culture des terres
, fe doit à ( la culture ) ce goût national.
Les parties feptentrionales de la Grande-
Bretagne , paroiffent me fournir un exemple
pour confirmner mon fyftême. Les Ecoffois
, avant que ce Royaume fût réuni à
l'Angleterre , ne mangeoient prefque pas
de viande ; ils n'avoient conféquemment,
ni riches pâturages , ni riches récoltes
; peu de manufactures , peu d'opulence,
Depuis cette époque , ils ont changé
186 MERCURE DE FRANCE.
leur manière de vivre ; ils commencent à
imiter les Anglois on en voit déja les
effets dans les revenus & l'étendue de
leurs pâturages , & dans les progrès rapides
qu'ont fait chez eux l'agriculture & les arts
méchaniques. Et l'on peut augurer , que
toute nation qui prendra à tâche fon exemple
, deviendra , par fon opulence , l'objet
de l'émulation de tous les voiſins.
Je fuis , &c.
ROBERT LISTON.
ACADÉMIE de Peinture, & de Sculpture.
MÉDAILLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
C'EST avec regret que j'annonce auſſi
tard un fait intéreffant pour les arts , &
faifant même une époque flatteufe pour
l'Académie royale de peinture & de ſculpture
la modeftie de ceux qui y ont eu
part a fans doute empêché qu'il ne foit
parvenu plutôt à ma connoiffance.
A la dernière affemblée de 1764 , de
PAREN
QUAMVIS
ACAD.ROYALE DE
EINTETDE SCULPE
MAI 1765. 187
l'Académie royale de peinture &fculpture,
on fit la première diftribution de jettons
fondés peu de temps avant par M. de Jullienne
, l'un de fes membres , Chevalier de
l'Ordre de Saint Michel , & l'un de fes
amateurs ordinaires .
Son projet avoit été approuvé dès le
premier moment par Sa Majefté ; & M. le
Marquis de Marigny , dont on connoît
l'amour pour les arts , avoit joint à cette
approbation les termes les plus flatteurs
pour l'Académie , & pour M. de Jullienne,
dont le goût & la collection font connus
depuis long-temps de toute l'Europe .
J'ai penté que le Public verroit avec fatisfaction
la gravure de cette médaille ,
dont le coin a été donné à l'Académie par
M. Rottiers fils , qui l'avoit prié de vou
loir bien l'accepter , fans qu'il fe crut difpenfé
par -là de fon morceau de reception.
,
La devife & le fujet avoient été propo
fés par M. de Montullé , à qui cette Académie
s'eft empreffée d'offrir une place
d'amateur comme une juftice rendue à
fon goût pour les arts , & comme une
marque de fa reconnoiffance des foins qu'il
s'étoit donné pour l'exécution de ce projet ,
dont la conduite lui avoit été confiée par
M. de Jullienne , fon parent & fon ami.
188 MERCURE DE FRANCE. ·
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
MÉLANGE d'airs , avec accompagnement
de guitarre , par M. Morbé ; XI• . livre
de guitarre , oeuvre XIV. prix 6 liv. à
Paris , chez l'Auteur , rue Saint Thomas
du Louvre , du côté du Château d'eau ,
chez un Ménuifier , le fecond efcalier
après la cour , & aux adreffes ordinaires
de mufique.
-SIX SONATES à violon & baffe , dédiées à
S. A. S. Monfeigneur le Comte de Clermont
; par M. Jannfon , de la mufique de
S. A. S. Monfeigneur le Prince de Conti ,
oeuvre I. à Paris , chez Moria , rue de la
Comédie Françoife ; & chez l'Auteur ,
rue Sainte Marguerite , à l'hôtel des Romains
, fauxbourg Saint Germain , & aux
adreffes ordinaires de mufique ; prix , 7
livres.
Ces fonates peuvent fe jouer également
fur le violon. L'Auteur qui s'eft fait une
réputation fi brillante fur le violoncelle
a exécuté au Concert fpirituel une grande
partie de ces morceaux. On fait qu'il y a
MAI 1765.- 189
-
réuni tous les fuffrages , tant par fon exécution
fupérieure , que par les beautés de
fa mufique.
SONATES en pièces de clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum ; dédiées
à Mademoiſelle de Beauvau , par M.
Couperin , organiſte de l'Eglife de Paris ,
de Saint Gervais , & c. oeuvre II. prix , 12
livres , à Paris , chez l'Auteur , attenant
l'Egliſe de Saint Gervais , & aux adreſſes
ordinaires.
L'auteur de ces fonates eft neveu de
l'ancien & célébre Couperin , dont les productions
musicales font entre les mains de
tous les vrais amateurs : mais la célébrité
de l'oncle ne peut nuire à celle du neveu .
Ce dernier ne doit qu'à lui- même la haute
réputation dont il jouit , & que ce dernier
ouvrage doit encore accroître.
M
GRAVURE.
GÉOGRAPHIE.
APPE-MONDE , adaptée au précis hiftorique
de M. Maclot , & dans laquelle
font figurées les nouvelles découvertes de
l'Amiral de Fuentes , au nord de l'Amé- '
rique , mifes en parallele avec d'autres dé190
MERCURE DE FRANCE.
couvertes publiées poftérieurement aux
premières , dans une carte de l'Académie
de Petersbourg, en 1754 ; par M. Brion ,
Ingénieur Géographe du Roi ; à Paris ,
chez le fieur Defnos , Ingénieur Géographe
pour les globes & fphères ; rue Saint
Jacques , au globe , 1765.
Le fieur de Beaurain fils , Géographe , a
eul'honneur de préfenter au Roi le 25 du
mois de Mars 1765 , un ouvrage qui a
pour titre , Carte d'Allemagne , pour fervir
à l'intelligence de l'hiftoire de la guerre
entre les Rois de France & d'Angleterre ;
entre le Roi de Pruffe & l'Impératrice
Reine , l'Electeur de Saxe , l'Empire , la
Suede , & la Ruffie ; dans laquelle il a
marqué les batailles , combats , prifes de.
villes & camps qu'il a pu y faire entrer.
Il a tracé les routes publiques & joint
une hiftoire abrégée des principaux faits
militaires arrivés tant fur terre que fur mer,
jufqu'aux traités de paix ; il l'a enrichie &
entourée de 74 plans très détaillés , repréfentant
les événemens les plus mémorables
arrivés pendant le cours de la guerre ,
commencée en 1755 & finie en 1763. Cette
carte eft dédiée au ROI, par le fils du Chevalier
de Beaurain , Géographe ordinaire
de Sa Majefté, & ci- devant de l'éducaMAI
1765. for
tion de Monfeigneur le DAUPHIN . Le
ROI a reçu cet ouvrage avec fatisfaction ,
ainfi que la famille Royale & les Miniftres.
L'Auteur avertit le Public , qu'il eft
aujour préfentement : il demeure rue Gilcoeur
, la première porte - cochère à droite
en entrant par le quai des Auguftins. Cet
ouvrage fe vendra auffi chez le fieur Charpentier
, Libraire à Saint Chrifoftôme , fur
le même quai , du côté de la rue du Hurpoix
, à Paris,
イ
192 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V. 、
SPECTACLES.
SUITE des Concerts Spirituels .
LE Mardi , feconde fête de Pâques , on donna
pour premier Motet à grand choeur Domine
audivi , de la compofition de M. DAUVERGNE .
M. SEJAN exécuta un Concert d'orgues de fa compofition
. M. RODOLPHE donna un Concerto de
cors de fa compofition . Mlle AVENEAU chanta
Conferva me , nouveau Motet à voix feule de
M. BILLON. Mlle FL chanta un autre petit Motet.
Ce Concert fut terminé par Judica me , trèsbon
Motet à grand choeur de feu M. FANTON ,
dont on n'entend jamais les ouvrages au Concert
fans éprouver de nouveaux regrets de la perte d'un
tel Compofiteur.
Le Vendredi 12 Avril , Miferere , Moter à
grand choeur de M. DAUVERGNE, MM JANNSON
& KOHAUT exécutèrent des Duos de violoncelle
& de luth. Ils charmerent encore les auditeurs ,
& furent comblés d'applaudiffemens , ainfi que le
jeune M. BERTHEAUME , dans le Concerto de
violon qu'il exécuta. M. RICHER chanta Cantate
Domino , &c. petit Motet fort agréable & tresbien
composé de M. KOHAUT. Mile AVENEAU &
M. DURAND chantèrent Cantemus , Motet à deux
voix de feu M. MOURET, Le Concert finit par le
Stabat
ΜΑΙ 1765 . 193
Stabat Mater , exécuté comme il l'avoit été dans
la Semaine Sainte.
Le Dimanche de la Quafimodo , pour premier
Moret , on donna le Regina cali de M. Dau-
VERGNE. M. BALBATRE exécuta un Concerto d'or
gues de fa compofition. MM . JANNSON & KOHAUT
des duos de violoncelle & du luth. Mlle FEL chanta
un Motet à voix feule. Mlle AVENEAU & M. Du-
RAND le même Motet à deux voix du Vendredi
précédent. Le beau Motet de feu M. FANTON
Deus venerunt gentes , termina le Concert.
MM. LE GROS , GELIN , DURAND , L'ECUYER
MUGUET & RICHER ont chanté des récits dans les
grands Motets pendant les Concerts du temps de
Pâques , ainfi que Mlles FEL , ROZET , AVENEAU ,
DUBRIEULE & BERNARD..
M. JANNSON s'eft particuliérement diftingué
dans ces Concerts , tant par fon
exécution que par le genre agréable de là
mufique qu'il a jouée ; ce qui lui a fait
adreffer les vers fuivans , par l'Auteur ingénieux
de la plus grande partie des contes
qu'on a lus dans nos Journaux .
A M. JANNSON , de la Mufique de
S. A. S. M. LE PRINCE DE CONTI.
TES
fons ES fons rapides & flateurs
น
» D'Orphée & d'Amphion retracent les merveilles :
و د
هد
C'eſt d'étonner les oreilles ,
peu
Jannfon , tu maîtriſes les coeurs ».
Par M. DE LA DIXMERIE,
Ι
194 MERCURE DE FRANCE.
N. B. Ces témoignages flateurs , & confirmés
par la voix publique , du plaifir que
fait un grand talent , ne feront jamais
accordés , encore moins dus à ceux qui
fur quelqu'inftrument que ce foit , femblent
ne s'attacher qu'à défigurer l'effet
qui lui eft propre , non pour plaire ni pour
toucher , mais uniquement pour étonner
par l'affectation des difficultés réunies &
multipliées dans des fuites de préludes qui
ne forment aucun fujet diſtinct. Plus les
foins & l'attention des Directeurs actuels du
Concert Spirituel ontrendu ce fpectacle intéreffant
au Public , plus il eft attentif à tout
ce qui contribue à la durée de fes fuccès.
C'eft en conféquence de cela que nous ne
pouvons nous refufer aux preffantes &
nombreuſes follicitations qui nous ont été
faites de les avertir de ne pas permettre ,
fous quelque prétexte de réputation que
ce puiffe être , à ces artiſtes de musique
bifarre & fans chant, de rendre les auditeurs
du Concert perpétuellement confidens des
exercices favans & adroits qu'on ne doit
pratiquer que dans le fecret de l'étude.
OPERA.
LE Mardi , 16 Avril, l'Académie Royale
de Mufique a repris les repréſentations de
MAI 1765. 195
Caftor & Pollux , interrompues par les trois
femaines de Pâques. L'interruption , fi
funefte quelquefois aux fuccès les plus décidés
, femble n'avoir fervi qu'à ranimer
le goût & l'empreffement du Public pour
cet Opéra. L'affluence & le concours font
au moins tels qu'ils étoient avant Pâques ,
& l'on ne voit pas même quand cela ſe
rallentira , chaque repréfentation donnant
plus d'ardeur pour en voir d'autres. On a
ajouté quelques acceſſoirs dans la fête infernale
, qui font encore un nouvel effet ,
& qui donnent une nouvelle perfection à
l'exécution du choeur que le feu des enfers ,
&c. & au ballet des démons .
On continue jufqu'à l'Afcenfion , les
Jeudis , le Balet des Talens Lyriques.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ONNa joué le Mercredi 17 Avril le
Chevalier à la Mode & le Babillard , Comédies.
On a continué les jours fuivans de donner
différentes Comédies du Répertoire ,
des circonstances particulières ayant empê
ché de repréfenter des tragédies.
I ij
} 196 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a repris alternativement fur ce
Théâtre après Pâques les mêmes Comédies
à ariettes que l'on donnoit auparavant.
DESCRIPTION de la nouvelle falle des
Comédiens Italiens ordinaires du Roi.
L Es Comédiens Italiens viennent de faire pen.
dant la vacance de leur fpectacle une augmentation
de loges & un nouvel embelliſſement à leur
falle . Comme dans le Mercure de Novembre
1760 il n'a été fait aucun détail de la réparation
qui y a été faite , nous faififfons cette occafion
pour en donner la defcription .
En 1760 leur falle exigeant une grande réparation
, tant pour ce qui concernoit la folidité du
bâtiment , que pour la décoration , M. LE DUC
D'AUMONT , premier Gentilhomme de la Chambre
, ordonna cet ouvrage , qui devint confidérable
, & par le travail & par la manière dont il
a été traité . L'artifte , fuivant les ordres qui lai
avoient été donnés , avoit confervé tous les planchers
& tous les potaux , qu'il ne pouvoit fuppri-
*mer fans un renverfement total de la conftruction
primitive. Il n'a donc rien changé à l'ancienne
-difpofition , mais il a tellement ménagé la décoration
, qu'il femble que la falle foit conftruite à
neuf par le grand nombre de commodités qui s'y
trouvent actuellement,
MA I 1765 . 197
L'avant fcène étoit décorée par deux colonnes
accouplées d'ordre corinthien , de toute la hauteur
de la falle , & furmontées d'une architrave en relief
qui fe lioit avec la frife & la corniche , peinte fur
le plafond. Le fofite de ces colonnes étoit orné
de rinceaux d'un goût antique , avec de belles
rofettes dans les milieux. Le focle régnoit avec le
deffous des balcons . Toute cette avant- fcène étoit
peinte en marbre blanc veiné , & tous les chapiteaux
, bafes & ornemens dorés ; dans l'épaiffeur
de cette avant-fcène étoient pratiqués deux efcaliers
conduifans à tous les balcons & aux loges
grillées placées fous le théâtre.
Les balcons, de niveau avec les premières loges ,
font d'une très belle compofition , ils ont été principalement
remarqués , & les Artiftes en font cas .
Les grilles des petites loges qui font dellous font
de bon goût , & s'accordent bien avec l'enſemble
général. 2
Toute cette falle eft peinte en marbre blanc
veiné , & tous les ornemens font en or. Les poteaux
des premières loges font décorés par des
têtes de lions en confoles , tenant un fefton de
laurier. Les devantures font ornées de feuilles de
refend & de canaux ; le deffous de ces devantures
eft foutenu par des confcles très -mâles . Le deffous
des plate bandes eft orné de roſettes qui s'entrelaffent,
& de poftes courantes .
Les appuis des fecondes loges font ornés fucceffivement
de lyres avec des branches de laurier &
une guirlande de chêne , & de médaillons pareillement
ornés de guirlandes. Les platebandes de
ces fecondes loges font les mêmes que celles des
premières .
Ceux des troifiemes loges font embellis par des
têtes d'Apollon & des rinceaux d'ornemens. Des
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
confoles d'un bon genre ornent les poteaux des
fecondes & des troifiemes. Autour de celle - ci regnent
les deux premières moulures de l'architrave
de l'avant -fcène , lefquelles fervent de tailloir aux
confoles , & fuppléent l'architrave de la corniche ,
qui eft mâle , & dont tous les ornemens font bien
entendus. Dans la frife regnent au pourtour des
feftons de fruits . Le plafond eft peint en ciel , des
génies artiftement grouppés foutiennent les luftres
qui femblent attachés aux guirlandes avec lefquelles
les génies fe jouent.
L'efcalier qui conduifoit aux premières & fecondes
loges a été totalement changé , & on en a
fubftitué un nouveau beaucoup plus large & plus
commode. On a ménagé à l'entrée un beau veftibule
qui communique au parterre & à l'escalier
des troisiemes , dont cependant la communication
eft interrompue pendant le fpectacle par une grille
de fer qu'on ouvre à la fin , & qui laiffe au Public
ungrand efpace pour fortir. Telle étoit la difpotion
de la Salle , lorfque vivement follicités par
des perfonnes de la plus grande diftinction , de
faire conftruire des loges dans l'avant -ſcène , pour
être louées à l'année , les Comédiens Italiens fe
déterminèrent à en fupprimer les colomnes pour
fatisfaire à l'empreffement du Public , d'une part,
& d'autre côté pour ne point empiéter fur les fecondes
&troifièmes loges , tant la fureur des petites
loges eft devenue à la mode.
En conféquence , pendant les trois semaines de
vacances , les colonnes ont été jettées bas , &
ont été remplacées par trois loges de chaque
côté , contenant chacune fix places , & deux loges
de foubaffement pareilles à celles qui font fous les
balcons. Ces loges font en faillie de fept à huit
pouces fur le poteau où fe termine le balcon , dont
MAI 1765 . 199
les places deviennent meilleures qu'elles n'étoient
auparavant , & fe terminent en plan circulaire du
côté du théâtre. Leur décoration eft la même que
celle qui regne dans toute la Salle. Derrière ces
nouvelles loges , font adroitement pratiqués des
efcaliers qui y conduifent , & qui deſcendent ſous
le théâtre, ce qui rend la communication plus facile
qu'elle n'étoit auparavant,parce que l'escalier du
côté de la reine defcendoit feulement jufqu'en bas.
Ce changement en a occafionné un général dans
la Salle , qui a été repeinte & dorée de nouveau
en entier. Elle eſt préfentement dans l'état le
plus brillant. Tous les fonds des loges qui étoient
en marbre de bréche violette , ont été peints en
damas jaune , ce qui fait un meilleur effet & eft
plus avantageux aux femmes . Il n'eſt reſté du
plafond que la corniche , le reste a été peint & .
changé.
Quand les colonnes étoient en place , un fimple
fofite orné de rinceaux dans le goût antique
qu'elles portoient , terminoit la Salle . En y fuppléant
des loges , il a fallu changer la forme du
plafond vers le théâtre ; il ſe termine préfentement
en une vouſſure , au milieu de laquelle font les
armes du Roi , foutenues par quatre vertus , la
force , la juftice , la prudence & la tempérance.
Sur le plafond dans l'angle du côté de la Reine ,
eft le temple du goût , où des petits génies attachent
des médaillons des Auteurs qui ont travaillé
pour ce théâtre de l'autre côté font des génies
tenant le haut d'une grande & vafte draperie qui
forme le rideau , & qui lorsqu'il eft levé ſe joint
aux pentes qui defcendent le long des loges jufques
fur le théâtre : au-deffous des armes fur le
rideau eft Thalie , tenant la diviſe caftigat ridendo
mores de la main droite , de l'autre un mafque ac
Liv
(200 MERCURE DE FRANCE.
compagné de plufieurs petitsgénies , dont un regarde
à travers un mafque, & lance un trait ( enibleme
qui paroît très -propre à cette Mufe , qui fous le
mafque lance des traits piquans ) & les autres levent
le rideau qui mafquent l'entrée du palais de
cette Mufe. Le public , quoique regrettant l'ancienne
avant-fcène , qui étoit le feul cadre que
nous euffions à Paris dans nos Salles de fpectacle ,
a paru très fatisfait du nouvel arrangement qui
n'a rien gâté à cette Salle.
Toutes les peintures & dorures ont été faites
avec le plus grand foin. Le plafond & le rideau,
qui font à préfent les morceaux les plus intéreffans
, font très-bien imaginés. La draperie eft
d'une très- grande vérité , l'étoffe , dont le deflits
eft une grande broderie d'or , & le deffous un velours
cramoifi , eft parfaitement exécutée. L'entrée
du temple de Thalie , à moitié découverte ,
-dans le périftile duquel eft une caffolette jettant
des parfums , foutenue par trois figures de femmes
, fait un très-bon effet , parce qu'elle fe lie
avec la richeffe de la draperie.
M. Girault , Architecte & Ingénieur - Machinifte
des fpectacles du Roi , en furvivance , qui
fut chargé par M. le Duc d'AUMONT en 1760 ,
.de la reftauration & de l'embelliffement de cette
Salle , a fait en dernier ces changemens. M.
-Canot a peint & exécuté le plafond & le rideau
qu'il a imaginé , de concert avec M. Girault.
On a garni les premières loges de banquettes à
doffier, oùles femmes feront plus commodément.
La vérité exige de faire mention du zèle des
Comédiens à fervir le Public de la promptitude
savec laquelle cet ouvrage a été fait , & de la part
qu'y a eue M. Debeffe , lequel pendant trois fenaines
, n'a point quitté les ouvriers depuis fept heurres
du matin jufqu'au ſoir.
MAI 1765 .
201
OEUVRES DE THÉATRE
NOUVELLEMENT IMPRIMÉES.
DEPUIS quelques temps des nouveautés
ont néceffairement étendu l'article des
fpectacles. Il ne nous a pas été poffible
jufqu'à préfent de fatisfaire à l'engagement
pris dans l'article des annonces de livres
fur plufieurs piéces de Théâtre imprimées
dont on a promis des notices. Nous commencerons
par un recueil , eftimable en
beaucoup de parties , intitulé :
PIECES DE THÉATRE ,
PAR M. MARIN , de l'Académie de Mar.
feille , &c. &c. qui fe trouvent à Paris ,
chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
On a déja rendu compte dans un de
nos Journaux précédens de la préface &
de quelques obfervations contenues dans
ce recueil ; il ne nous refte qu'à parcourir
les piéces qu'il renferme : la premiere eft
intitulée : Julie, ou le Triomphe de l'Amitié,
Comédie en profe & en trois actes.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Le fujet de cette piéce eft intéreffant.
DORVAL avoit époufé à Touloufe JULIE ,
jeune orpheline , élevée dans fa maiſon.
Ce mariage , fait contre le gré du père de
DORVAL , l'a fait deshériter & lui a attiré
toute fa colère. Les deux jeunes époux
ont fui à Paris , ils fe font logés dans un
hôtel garni , lieu de la fcène de ce Drame.
DORVAL ayant diffipé la fucceffion de fa
mère , eft réduit à la dernière extrêmité .
Sa fituation a aigri fon âme. Un feul ami
lui refte , cet ami eft ERASTE , & c'est lui
contre lequel il conçoit des foupçons injurieux
à fa probité & à l'inviolable fidélité
de fa vertueufe époufe. Les foins généreux
& prudens que cet ami fe donne pour
fecourir DORVAL deviennent les motifs de
fes injuftes conjectures. Le mal entendu
d'une lettre interceptée , & plus encore ,
l'imagination empoifonnée de DoRVAL
réalife tellement fes erreurs , qu'il fait
mettre l'épée à la main à fon ami. Ils
font féparés par D'OUTREMER riche
négociant , d'un caractère franc , qui loge
dans le même hôtel , & qui eſt ami
de LISIMON , vieillard affligé de la perte
d'un fils unique , qu'il cherche & qu'il
fait chercher en tous lieux , & dont chaque
infortuné qu'il rencontre , lui rappelle le
fort qu'il peut éprouver. Ce même Lısı-
>
AVRIL 1765. 203
MON rencontre ERASTE qui cherche DORVAL
: on croit que c'eſt pour fe venger.
Non , c'eft pour trouver les moyens , ou
de dérober fon ami aux rigueurs d'une
fentence qui va le renfermer dans une
prifon , ou d'appaifer fes créanciers & de
le délivrer de captivité , s'il n'a pas été
averti affez promptement . Toujours fenfible
aux malheurs , LISIMON remet à
ERASTE la fomme néceffaire pour cette
action généreufe : il fe trouve enfuite avec
JULIE . Il apprend d'elle- même , dans une
fcène fort intéreffante , que c'eft for propre
fils qu'il vient de fecourir par l'interceffion
d'ERASTE . Elle lui confeffe en
même temps que c'eft elle qui eft la caufe
occafionelle de tous fes malheurs , puifqu'elle
eft l'époufe infortunée de fon fils.
LLSIMON à cet aveu reprend toute fa colère ,
mais les larmes de JULIE , celles de fon
fils , celles qu'y vient joindre le généreux
ERASTE , fléchiffent enfin ce vieillard irrité,
qui leur rend fa tendreffe en leur pardonnant.
De fon côté DORVAL , éclairé par
les actions d'ERASTE , lui rend tous les
fentimens dus à un fi rare ami . C'eſt avec
raifon que l'Auteur compte fur les fuffrages
des âmes honnêtes & fenfibles dans les
détails de cette piéce. Il apprend lui- même
aux Lecteurs qu'elle n'avoit pas eu un
I vj
204 MERCURE DE FRANCE,
heureux fuccès à la repréfentation ; qu'il a
changé beaucoup de chofes dans les deux
premiers actes , & que le troiſieme eſt
totalement différent. Pour ne laiffer aucun
doute à cet égard , il a fait imprimer ce
qu'il a cru devoir fupprimer ou changer.
Nous avons lieu de préfumer que ceux
qui liront cet ouvrage penferont , comme
nous , qu'il auroit un fort tout différent
au Théâtre , s'il y paroiffoit tel qu'il eſt
dans ce recueil .
Quoique le fond de cette piéce , fon
action , fon objet & les principaux caractères
femblent n'annoncer que des chofes
touchantes dans les détails , elle n'eft pas
dénuée de gaîté. Mde LA ROCHE , hôtelfe ,
& M. D'OUTREMER , caractères naïfs &
un peu groffiers , liés à l'action principale ,
y jettent un comique de bon genre , affez
rempli de morale naturelle. On en jugera
par ce feul trait de M. D'OUTREMER fur
la nobleffe indigente à l'occafion de DoRVAL.
C'eft à Mde LA ROCHE qu'il répond
Ceux qui fachant que la nature a
placé leur fubfiftance à quatre pouces dans
terre , mettent de la dignité à mourir
» de faim plutôt que de fe baiffer & la
cueillir , font des infenfés qu'il faudroit
» mettre aux petites maifons ».
و ر
و ر
la
Coi
?
Les bornes de cette notice ne nous permettent
pas d'en dire davantage fur cette
MAI 1765 . 205
-piéce , que l'on lira avec plaifir , & que
nous croyons que l'on verroit favorablement
au Théâtre .
La Fleur d'Agathon , Comédie en un
acte en profe , eft une imitation d'une pièce
intitulée : Fior d'Agatone de Martello. Un
goût extrême pour les fleurs , une fuperftitieufe
crédulité dans une jeune Bergere
Grecque qui répugnoit à tout engagement ,
donnent les moyens , par un ftratagême que
fon caractère favorife , de la faire déclarer
pour un des Bergers dont elle étoit aimée ,
& de le lui faire époufer . L'ingénuité de
la Bergere , & le ftratagême employé pour
vaincre fes refus , fourniffent une petite
intrigue délicatement traitée dans la fimplicité
agréable du goût grec . Cette piéce
a été reçue par les Comédiens ; il y a lieu
de préfumer qu'elle fera repréfentée &
qu'elle fera plaifir. L'Auteur a joint dans
ce recueil l'extrait de l'ouvrage italien qui
lui en fournit le fujet.
Féderic eft une Comédie héroïque en
cinq actes & en vers, que l'Auteur annonce
avoir compofée pour renouveller un genre
qu'il croit qu'on a eu tort d'abandonner.
La fcène eft dans une Ifle habitée. par des
Sauvages. Un vieillard y avoit été jetté par
une tempête. Il y a vécu long- temps pleurant
la perte de fes enfans qu'il croyoit
206 MERCURE DE FRANCE.
péris. Deux jeunes Sauvages fe font attachés
à ce vieillard , le fervent & l'aiment
comme leur père , titre que leur tendreffe
lui a donné. De fon côté il les a inftruits
comme fes enfans . Un vaiffeau Européen
aborde fur cette côte. Quelques paffagers
defcendent à terre . Les Sauvages s'arment
pour les chercher & les immoler à leur
férocité. Ils accufent le Vieillard d'être
d'intelligence . Ils le menacent. Ses deux
fils adoptifs le gardent pour le défendre.
Il fe fert d'eux auffi pour dérober , s'il eft
poffible , à la fureur des Sauvages , les
Européens defcendus dans l'Ifle , d'où il
efpere fortir par leur fecours . Un des jeunes
Sauvages va voir fi le vaiffeau eft encore fur
la côte. Il ne l'a point apperçu . Le vieillard
croit fa délivrance défefpérée pour
jamais. Il fait creufer fon tombeau dans
la terre par fes deux jeunes élèves Sauvages.
Sur la foi d'une voix qu'il a entendue en
fonge , & qui lui annonçoit fa délivrance
dans ce jour , il avoit appliqué cet oracle
au vaiffeau. Sachant qu'il a difparu, il interprête
la prédiction au moment de fa mort ;
il s'y prépare. Il exhorte fes jeunes pupiles ,
qui fondent en pleurs. Il s'approche du
tombeau ; il croit toucher au terme de fa
vie, lorfque fon fils & fa fille , qui étoient
defcendus dans l'Ile pour y chercher ce
père déſolé , entendent ce vieillard qui
MAI 1765 . 207
les nomme. Ils s'approchent , ils fe reconnoiffent
; ils l'emmènent avec eux en
France. Les deux jeunes Sauvages reviennent
en tremblant. Ils le croyoient , ce vieillard
ft cher , déja dans les bras de la mort.
Ils le trouvent , au contraire , dans ceux
de fes enfans. Ils implorent fa tendreffe &
fa bonté pour les emmener en France pour
ne point fe féparer de lui ; ce qui leur est
accordé.
Il y a dans cette piéce des fituations &
des détails d'un grand pathétique , dont
nous regrettons de ne pouvoir rendre un
compte plus étendu.
L'Amante Ingénue. Cette pièce , la
quatrieme de ce recueil , a été compofée
, dit l'Auteur dans un avertiffement ,
pendant le début de Mlle DOLIGNI, Une
copie de la piéce donnée à un des admirateurs
de cette jeune actrice , qui peut
compter dans ce nombre tous ceux qui
vont à la Comédie , paffa de main en
main fans favoir ce qu'elle étoit devenue.
Ayant appris qu'un Auteur , qui s'eft acquis
une réputation juftement méritée dans le
genre dramatique , M. MARIN a préféré
de prendre date & de prouver qu'il n'étoit
pas copifte , au foin d'en folliciter la repréfentation.
On y trouve des caractères ingénieufement
contraftés & ces détails qui ,
208 MERCURE DE FRANCE.
en effet , conviendroient beaucoup aux
grâces de l'ingénuité qu'on admire , qu'on
aime avec tant de raifon dans l'actrice ,
qui a fait naître l'idée de cette Comédie .
Nous regardons comme une double perte
pour le théâtre , la repréfentation de plufieurs
fcènes de cette Comédie , & l'occafion
qu'elle auroit procurée au Public d'y
voir Mile DOLIGNY , dans un rôle d'une
certaine étendue occafion que le Public
defire toujours plus fouvent qu'il n'en
jouit.
:
L'amant heureux par un mensonge. Cette
dernière pièce de recueil , intitulée Farce
n'en est une qu'en partic ; c'eft-à- dire ,
qu'en refondant ce drame , & fupprimant
telles ou telles fcènes , on en feroit une
comédie honnête ou une farce affez plaifante
, fuivant les fcènes que l'on conferveroit
de préférence ; elle fera plaifir à lire
aux amateurs de l'ancienne comédie , où
l'on trouvoit la gayeté que l'on cherche en
vain aujourd'hui fur la fcène comique.
Nous n'en fommes pas moins de l'avis de
l'Auteur , qui , dans fes obfervations , déclare
ingénuement qu'il doute que ce mêlange
eût du fuccès au théâtre.
En général , nous ne pouvons qu'applaudir
au ftyle de toutes ces pièces , qui
nous a paru vraiement dramatique , aux
MAI 1765.. 209
fentimens honnêtes , & à la morale répan
due dans les détails & puifée dans le fond
même des fujets. Les Auteurs ne font ordinairement
des préfaces ou des obfervarions
fur les pièces , que pour y faire remarquer
plus de beauté qu'il y en a ; celuici
au contraire , n'a fait les fiennes que
pour exagerer le nombre des défauts qu'il
trouve dans fes ouvrages . Cette feule fingularité
fuffiroit pour en rendre la lecture
curieufe & intéreffante. La critique judicieufe
& la modeftie de M. Marin , peu-
-vent être bien plus utiles que
l'amour propre
des autres , foit pour juger , foit pour
compofer des ouvrages de théâtre.
OEUVRES de Théâtre de M. DE LA NOUE;
Paris , Duchefne , rue Saint Jacques ,
au temple du goût.
LA première pièce de ce théâtre , eſt
MAHOMETfecond , tragédie , repréfentée
avec fuccès pour la première fois , en 1739 .
Le développement du coeur de Mahomet ,
le péril & la mort d'Irene , voilà ce qui
forme tout le fujet & l'action fimple de
cette Tragédie , dont toutes les fituations
& tous les événemens font renfermés dans
cette unité. C'eft cette même unité & cette
fimplicité d'action , dont on avoit encore
210 MERUCRA DE FRANCE.
alors quelque idée , qui fait le mérite de
cette Tragédie : mérite peut-être éclipfé
depuis par des drames monftrueufement
brillans de détails & d'actions compliquées
, ou de ce qu'on a nommé coups de
théâtre. Charlatanifme heureufement inventé
de nos jours par les Auteurs qui
n'ont pas la force ou le génie de travailler
des fujets fimples. Cette pièce porte beaucoup
d'intérêt . Le caractère de Mahomet
& celui d'Irène , font des objets qui faififfent
l'attention avec plaifir. Il y a dans
les caractères fubordonnés des traits remarquables.
On fe fouvient encore de la force
& de l'effet de la ſcène de l'Aga & de Mahomet.
Elle eſt en général écrite dramatiquement
& fouvent avec la force qu'exigent
les fituations. C'eft une lecture qui
ne peut être qu'agréable aux amateurs de
notre théâtre.
La feconde eft le RETOUR DE MARS ,
Comédie en un acte & en vers , repréfentée
pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , en 1735.
On retrouve avec grand plaifir dans ce
recueil , cet ingénieux vaudeville du
emps , s'il eft permis de s'exprimer
ainfi , dont le bruit du fuccès fubfifte encore.
La troisième eft ZELISCA , Comédie-
Ballet , en profe , partagée par trois interMAI
1765 .
211
>
mèdes. Cette pièce avoit été compofée &
fut repréfentée , par ordre du ROI , fur
le grand théâtre de Verſailles , en 1746
à l'occafion du premier mariage de Monfeigneur
le DAUPHIN. Le célèbre M. Jeliote
avoit compofé la muſique des intermèdes.
La fable de cette pièce eft galante , agréable
& comportant tout l'intérêt de ce genre.
Elle eſt écrite avec cette élégance , cette
délicateffe , & ces traits d'efprit , qui ont
donné tant de cours à quelques contes de
Fées modernes. On ne doute pas que l'on
ne foit fort fatisfait de retrouver ici cette
ingénieufe fête , qui exigeant une réunion
de talens pour les acceffoirs , qu'on ne
peut trouver qu'aux fpectacles de la Cour ,
n'a paru qu'en cette occafion,
La quatrième , la COQUETTE CORRIGÉE,
Comédie en vers , en cinq actes. Cette
pièce eft la dernière qui ait été repréſentée
& la dernière qu'ait finie l'Auteur. On
fçait qu'elle eut du fuccès dans le temps de
fes repréſentations. Elle est bien écrite ;
le caractère de la Coquette traité avec fineffe
, l'intrigue fimple & claire. En un
mot , nous croyons qu'il n'eft aucun lecteur
qui , en revoyant cette Comédie,
ainfi que la Tragédie de Mahomet II , ne
foit étonné que l'on ne remette pas ces
deux pièces plus fouvent fur la fcène.
212 MERCURE DE FRANCE.
On a joint aux pièces précédentes ;
POBSTINE , Comédie en un acte & en
vers , & les DEUX BALS , amusement comique
, orné de chants & de danfes. Ces deux
ouvrages ne paroiffent dignes de l'Auteur
des précédens , ni par la conftitution des
drames , ni par le ftyle. Mais on lira avec
plus de plaifir les fragmens de quelques
Tragédies commencées par l'Auteur &
trouvées dans fes papiers , ainfi que quelques
pièces fugitives , par lefquelles eft
•
terminé ce recueil.
REGULUS , Tragédie en trois actes & en
vers ; précédée d'une lettre au Solitaire de
Guelaguet , in- 8 ° . à Paris , chez Sebaftien
Jorry , rue & vis- à-vis la Comédie Françoife.
Cette édition eft enrichie d'une belle
eftampe , de vignettes , & c.
On a déja rendu compte dans l'article
de la littérature de la lettre qui précéde
cette Tragédie. Quoique nous ne penfions
pas qu'on doive adopter , fans réſerve ,
tous les principes que l'Auteur voudroit
établir fur la Tragédie , nous n'en convenons
pas moins que cette lettre très - bien
écrite , ne contienne des réflexions fort
judicieuſes, & des obfervations bien vues &
rendues avec autant d'élégance que declarté.
Nous aurions fort defiré donner un éxtrait
étendu de cet e pièce , quoi qu'elle
*
MAI 1765. 213
n'ait
pas été reptéfentée. Le talent aimable
de fon Auteur , le mérite même de l'ouvrage
, tout nous y engageroit fi nous n'étions
obligés de renfermer cet article dans
de juftes bornes , dans la crainte de fatiguer
les lecteurs de ce Journal, qui n'y cherchent
& ni prifent fouvent que la variété
& la multitude des matières. Nous nous
bornerons donc à dire que Regulus , ce célèbre
martyr du patroitifme , eft expofé par
ce drame dans fon plus beau jour , & que
les traits les plus fermes & les mieux prononcés
, rendent aux lecteurs , avec la
force convenable , l'idée que ll''oonn a généralement
de ce grand homme. Il arrive à
Rome avec les Ambaffadeurs de Carthage.
Le premier objet qui fe préfente à lui eft
Marcie. C'est donc contre cette tendre &
vertueufe époufe qu'il a d'abord à combattre
, pour l'exécution de fon projet , qui
eft de retourner à Carthage chercher la
mort & les plus cruels tourmens qui l'attendent
, fi Rome n'accepte pas les propofitions
de l'Ambaffadeur Africain. C'eft
de tout le Sénat , c'eft de l'amitié de Licinus
, c'elt de l'émotion même du Conful
Manlius , du plus ferme des Romains ,
c'eft de tout le peuple entier , enfin c'eſt
de la nature gémiffante & des pleurs d'un
fils dans les bras de fa mère , que Regulus
triomphe , & s'échappe avec violence pour
214 MERCURE DE FRANCE.
remonter fur les vaiffeaux Africains ,
après avoir déterminé le Sénat à préférer
les intérêts de Rome à la confervation de
fes jours. Voilà ce qui forme l'action de
ce drame , & ce qui remplit les trois actes
dont il eft compofé . On connoît & l'on
aime trop la verfification de M. DORAT ,
Auteur de cette Tragédie , pour qu'il foit
néceffaire d'inviter à la lire. On y trou
vera en plufieurs endroits & fur- tout dans
le troifiéme acte des vers analogues à la
grandeur & à la force du fujet.
J'AI
AP PROBATION.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois de Mai 1765 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'inpreffion. A Paris , ce premier Mai 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER .
F RAGMENS d'une épître adreffée en 1747
au C. de C.... & c. Page s
RÉPONSE anonyme envoyée à M. de Gr...
SUR une très -aimable Demoiſelle quêtant dans
une Collégiale.
CONSEIL d'ami. A M. de Voltaire , de l'Acadé-
7
MAI 1765 . 215
mie Françoiſe , à l'occafion de fes vers à
l'Impératrice de Ruffie.
EPITRE à ma maîtreffe , par M. de *** , Officier
d'Artillerie à Belançon.
LETTRE de M. de Grace , à Mlle Ch... fur l'origine
de la Monarchie Françoiſe.
II
10
16
TRADUCTION de l'Ode x111, du 11 liv. d'Horace. 39.
VERS à Mile Mazarelli , &c.
LE Lion malade , fable,
SUR un fouper.
EPIGRAMME .
LA Veftale , hiftoire , &c.
41
42
43
45
46
SUITE d'Héraclite & Démocrite , voyageurs, $4
LETTRE de M. Piron à M. de la Place.
PARAPHRASE du Pleaume cxxix . De Profundis.
PAR le même.
LETTRE de M. le Prince de Croy & de Solre ,
à MM. les Maire & Echevins de Calais.
LETTRE de M. le Duc de Charoft , à MM. les
Maire & Echevins de Calais.
FRAGMENT d'une lettre écrite de Calais à M. de
la Place.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
60
62
79
81
83
86
CHANSON. La Coquette,
ART, II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un ouvrage
intitulé , l'Homme éclairé par fes befoins.
LETTRE de M. Blin de Sainmore à l'Auteur du
Mercure.
MÉMOIRES fecrets , tirés des archives des Souverains
de l'Europe , &c.
98
103.
105,
MARIA , ou les véritables Mémoires d'une
Dame illuftre par fon mérite , fon rang, &c. 109,
Le Voyageur François , ou Connoiffance de
l'ancien & du nouveau monde , &C. 125
216 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES de livres.
ART. III. SCIENCES ET BELLES- LETtres .
ACADÉMIE S.
140
DISCOURS prononcé à l'ouverture de la féance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie
, par M. Louis , Secrétaire Perpétuel. 158,
ASTRONOM I E.
THÉORIE de la Lune , déduite du feul principe
de l'attraction , par M. Clairaut , &c.
MÉDECIN E.
HYDROPISIE de poitrine guérie par les pilules
toniques du Docteur Bacher , Médecin à
Thann en Alface .
ART. IV. BEAUX ARTS.
ARTS ÚTILE S..
OBSERVATIONS fur les progrès de l'Agriculture
& des Manufactures.
ACADÉMIE de Peinture & de Sculpture. Mé-
169
173
177
€ daille. Lettre à l'Auteur du Mercure.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
1186
188
GRAVURE. Geographie. 189
ARTICLE V. SPECTACLES.
SUITE des Concerts Spirituels. 192
A M. Jannfon , de la Mufique de S. A. S. M.
le Prince de Conti. 193
OPÉRA. 194
COMÉDIE Françoiſe.
195
COMÉDIE Italienne. 195
DESCRIPTION de la nouvelle falle des Comédiens
Italiens ordinaires du Roi. ibid.
OEUVRES deThéâtre nouvellement imprimées. 201
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue
Dauphine.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I.
MAI 1765..
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis -à- vis la Comédie Françoife .
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
BLIOTECA
REGIA
WRACENSIS .
F
AVERTISSEMENT.
,
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte-
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
au
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols :
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes,
à raifon de 30 fols piece.
on
Les perfonnes de province auxquelles
enverra le Mercure par la Pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'est- à-dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci-deffus.
On Jupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix .
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. De
LA PLACE , fe trouve aufli au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
fera terminé , les Journaux ne fourniffant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer.
MERCURE
DE FRANCE.
MAI 1765 .
ARTICLE PREMIER,
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
FRAGMENS d'une épître adreffée en 1747
au C. DE C.... M. du Régiment de R...
de la Société Littéraire d' Arras , &c. par
M. DE GR... , Confeiller au Confeil
Supérieur d'Artois , de la même Société.
Q
UE de vertus différentes
Tu fais briller aux champs de Mars !
On t'a vu , franchiflant les plus fameux remparts *,
-Malgré cent foudres mugigantes ,
* A l'affaut de Bergopfoom .
A j
6 MERCURE DE FRANCE.
Pourfuivre dans leurs murs nos ennemis épars »
'
Et jufques fur leurs boulevards
Porter le fer vengeur , les flames dévorantes
Et de l'affreufe mort mille formes fanglantes ;
Entaffer des monceaux de victimes mourantes
Et parmi les débris croulans de toutes parts ,
Planter enfin nos étendarts
Sur les amas confus des ruines fumantes.
Dans ces mêmes momens , guerrier tranquille
& doux ,
On t'a vu du foldat enchaîner le courroux ,
: Et tendre une main bienfaifante
Au refte des vaincus rangés à tes genoux ;
Hélas ! ils s'attendoient à périr fous res coups.
Mais que ta gloire auffi me paroît plus brillante ,
Lorfque des bras fanglans du vainqueur furieux.
Ton zèle ferme , audacieux ,
Arrache une beauté tremblante ,
Et d'un attentat odieux ,
Sauve , au prix de tes jours , fa pudeur expirante..
La valeur la plus triomphante ,
Malgré tout fon éclat , t'égale moins aux Dieux .
MAI 1769. my
REPONSE envoyée à M. DE GR ...
QU
UE de talens ta modeftie
Dérobe aux yeux de l'univers !
Ta mufe enfante de beaux vers
Dont la gloire eft anéantie.
Eh ! pourquoi , redoutant l'hommage qui t'eft dû,
Ami , fi digne de paroître ,
Demeurer quinze ans méconnu ?
Un tel exemple de vertu
Etoit fans doute encore à naître :
C'est la première fois qu'un Poëte s'eft tu.
Je perce enfin le voile fombre
Du filence qui m'a trompé ;
Le foleil eft forti de l'ombre :
GR... Comment ton nom m'étoit-il échappé ?
Dans tes vers pleins de goût , de force & d'harmonie
,
Je reconnois les traits du coeur le plus humain ,
Les caractères de ta main ,2
Et l'empreinte de ton génie.
Ahi ton amitié , trop aveugle pour moi ,
Ne m'eût peint fous les traits d'un héros & d'un
fage ;
Cent fois plus fatisfait de toi ,
Je t'admirerois davantage.
一
A iv
MERCURE DE FRANCE .
SUR une très- aimable Demoiſelle quêtant
dans une Collégiale pour la Confrairie
de la Sainte Vierge.
Ces ftances peuvent fe chanter fur l'air De tous
les Capucins du monde.
J E vous ai vu , aimable Orphife ,
Quêter Dimanche en notre Eglife ;
Par les traits les plus gracieux ,
Par le maintien le plus honnête ,
Vous retraçâtes à nos yeux
L'augufte objet de votre quête * .
Je vis , à l'aspect de vos charmes ,
Tous les coeurs vous rendre les armes "
Saifis d'un doux raviffement ;
Et je fuis für e le plus fage
Oublia la Vierge un moment ,
Et ne penfa qu'à fon image.
* La Vierge.
Par un Enfant de Choeur.
MAI 1765.
CONSEIL D'AM I.
A M. DE VOLTAIRE , de l'Académie
Françoife , à l'occafion de fes vers à
L'IMPERATRICE DE RUSSIE ; par
M. le Préfident LEFEVRE , ancien Confeiller
de la Cour des Aydes de Paris.
N.SEST - CE donc pas affez que T'heureuſe
Henriade
Surpaffe les beautés dont brille l'Iliade ,
Sans vouloir imiter trop fcrupuleufement
Son admirable Auteur dans fon aveuglement ?
Confervez mieux les dons de la bonté divine ;
Songez que tous vos fens font chers à l'univers ,
Et ne foyez aveugle & fourd que dans les vers
Que votre beau génie adreſſe à CATHERINE.
A v
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à ma maîtreffe , par M. DE
Officier d'Artillerie à Besançon.
H
***
EUREUX enfans de mon yvreſſe ,
Aimables fruits du fentiment ,
Vous qui dans ma douce pareſſe
M'occupez agréablement ;
Parés de cet air négligent ,
Qui plus que l'art nous intéreffe ,
Volez , mes vers , chez ma maîtreſſe }
Peignez à cet objet charmant
Ce que le dieu de la tendreſſe
Sait infpirer de plus touchant.
Peignez lui cet heureux inftant ·
Où , dans des tranfports d'allégreffe ,
Mon coeur , plein de defirs brûlans ,
Expire au fein de la moleffe ,
Et dans la coupe enchantereffe ,.
Des plaifirs toujours renaiffans
Se replongeant avec vîteſſe ,
Puiſe dans les yeux languiffans
De quoi fe ranimer fans ceffe ,
Et charmer de nouveau nos fens.
Chère F *** , quelles images
S'offrent à mon coeur agité !
Laillons , laiffons à de faux fages :
MAI 1765 .
II
Goûter leur fade liberté :
D'un coeur oifif , repos vanté ,
Balances -tu les avantages
De ma douce captivité ?.
Et vous , efclaves des ufages ,
Que je vois briguans les fuffrages
D'une vaine & froide beauté ,
Dont l'efprit , fait aux perfiflages ,
Par d'infipides badinages ,
Déchire la fociété ,
Et croit s'attirer nos hommages
Par un ridicule affecté ;
Pouvez - vous dire en vérité
Avoir jamais reçu des gages
De l'attrayante volupté ?
Elevés dans les bagatelles ,
Vous fouriez à vos dentelles :
Aux yeux de toutes les femelles
Vous croyez être fans défaut ;
Bien perfuadés qu'il ne faut ,
Pour fubjuguer les plus rebelles ,
Que faire jouer vos prunelles
Ou careffer votre jabot.
Allez , qui veut être un vrai fot ,
N'a qu'à vous prendre pour modeles.
Vos plus faftueules conquêtes
Sont à mes yeux fans nuls attraits ;
Ce n'est pas au coeur des coquêtes
Que le mien afpira jamais.
A vj
X 2 MERCURE
DE FRANCE .
Je fuis loin ces beautés factices
Qui couvrent leur route de fleurs
Pour mieux cacher les précipices
Où tombent leurs adorateurs :
L'orgueil a feul leurs facrifices ;
Jamais de fes flammes propices
L'amour ne fit brûler leurs coeurs.
Je détefte leurs artifices ,
Et je méprife leurs faveurs .
Chère F *** , tes yeux novices
Lancent des traits bien plus flatteurs ;
De l'art ils ignorent les vices :
Dans ces yeux je vis les indices
De ton amour de mon bonheur ; ›
Par eux je goûtai les prémices
De ces ineffables délices
Dont tu couronnes mon ardeur.
Jamais la fombre défiance
N'empoifonna nos jours heureux ;
Et malgré ta condeſcendance
A favorifer tous mes voeux ,
Jamais le dégoût dangereux
Sur nous n'exerça fa puiffance .
Si l'on expiroit de plaifir ,
Nous ne verrions plus la lumière ;
Il faut pourtant en convenir ,
Chère F *** , fi pour me plaire
Tu n'avois eu que ta beauté ,
Et que , mon defir contenté
MAI 1765 . IJ
Par fa vivacité légère
Ton efprit ne m'eût pas flatté ,
Ah ! bientôt , amant dégoûté ,
J'aurois à quelqu'autre Bergère
Offert mon encens & mes voeux ;
Car , près d'une beauté ftupide ,
Brûler toujours des mêmes feux ,
Eft -il rien de plus infipide ?
Si lorfque Flore dans fes bras
De Zéphir reçoit les careffes ,
Et qu'il lui fait mille promeffes ,
D'adorer toujours fes appas ,
Elle favoit , par un langage
Semé de tendreffe & d'efprit ,
Ou , par quelque fin badinage ,
Amufer fon amant féduit ,
Ou lui faire une vive image
De fon chagrin , de fon dépit
Lorſqu'il lui caufe de l'ombrage ,
Zéphir ne feroit plus volage ,
Et , malgré lui , feroit réduit.
A rendre un éternel hommage
A la beauté qui l'aſſervit .
Sufette , à la fleur de fon âge
Au teint de rofes & de lis ,
Un jour chez un de mes amis ,
Après quelques mois de veuvage ,
Vient s'offrir, à nos yeux ravis
Ma liberté , quand je la vis ,
14 MERCURE DE FRANCE.
Contre fes charmes fit naufrage ,
Et pendant huit jours je fouffris
Ses fiers dédains avec courage.
Mais las d'un fi pénible ouvrage ,
Fallois la quitter , quand j'appris
La caufe d'un fi noir orage ;
Mon coeur aimoit comme au village ,
Et la Belle , à qui je l'offris ,
Vouloit aimer comme à Paris.
Soudain , inftruit du verbiage
Qui près du beau féxe eft admis
Selon fon goût je la ſervis :
Je parlai de papillonnage ;
De fat je fis le perfonnage ;
Je murmurai , je me plaignis ;
Je n'eus que des airs étourdis ;
Je troublai tout dans fon ménage ,
Et de fes rigueurs je punis
Sa chate , fon chien & fon page ;´
Son ferin je tue en fa cage ,
Et je promets de faire pis
Si fa froideur long-temps m'outrage.
Le croira -t-on ? je réuffis ;
Ces traits lui plurent davantage
Que les tranfports d'un coeur foumis.
Mais d'un auffi foible avantage ,
Mes yeux ceffant d'être éblouis ,
Je vis que d'un fombre nuage
MAI 1765:
L'ennui me couvroit : je m'enfuis ,
Et je crois qu'en cela j'agis
moins en ingrat qu'en homme fage.
Mais quand on fert une maîtreffe
Dont les grâces fuivent les pas ,
Dont le coeur brûle de tendreſſe ,
Dont l'efprit , rempli de fineffe ,
Charme encor plus que les appas ;
Comment peut - on ne l'aimer pas ?
C'eſt toi , mon aimahle Bergère ,
Que j'ai peinte en ce dernier trait.
Quand Nanine occupoit Voltaire ,
Il croyoit tracer un portrait ,
Dont le modèle imaginaire
Jamais nos yeux ne fraperoit :
Chère F *** , s'il te voyoit,
Charmé de ta voix enfantine
De ta beauté , de ta candeur ;
Voltaire croiroit voir Nanine
Dans la maîtreffe de mon coeur..
"
16 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE de M. DE GRACE , à Mlle CH ....
fur l'origine de la Monarchie Françoiſe .
MADEM
ADEMOISELLE ,
LES différens fentimens des Auteurs fur
l'origine de la Monarchie Françoife , vous
ont fait penfer avec raifon qu'on ne pouvoit
venir à bout de diffiper tant de ténèbres
qu'en examinant avec attention fur
quel fondement chaque Ecrivain appuyoit
fon fyftême. Un travail de cette efpèce
n'eft pas ordinairement du reffort des perfonnes
de votre âge , & , par cette raifon ,
vous m'avez chargé de l'entreprendre . C'eſt
doncpour obéir à vos ordres que j'ai l'honneur
de vous envoyer cette petite differtation
que je divife en cinq articles , favoir :
I. Origine des Francs .
II. Etymologie de leur nom .
III. Leurs différentes expéditions jufqu'à
Clodion .
IV. Leur établiſſement dans les Gaules .
V..Difcuffion fur Pharamond.
MAI 1765.
17
1. Origine des Francs .
Je ne rapporterai point les différentes
fables imaginées fur l'origine des Francs ,
& je ne m'amuferai point à les réfuter .
Elles ont eu le fort qu'elles méritoient.
Laiffons- les donc dans le profond oubli
où elles font tombées , & ne nous attachons
qu'aux chofes qui font dignes de
notre attention .
La Germanie ( aujourd'hui l'Allemagne
) renfermoit une infinité de petits peuples
, dont les moeurs & les ufages avoient
quelque chofe de différent , comme on
peut le voir dans l'ouvrage de Tacite ,
intitulé Moeurs des Germains ; mais l'amour
de la gloire & un courage à toute
épreuve étoient communs à toute la nation .
Ces peuples , connus d'abord fous le nom
de Teutons , fe joignirent aux Cimbres ,
(peuples du Jutland ) & entreprirent de
former des établiffemens dans les Gaules
& en Italie . Leur valeur ne pouvant tenir
contre l'habileté des Romains dans l'art
militaire , ils furent entièrement détruits.
par Marius. Depuis cet événement Rome
n'eut aucun démêlé avec les Germains ;
mais Jules Céfar , vainqueur des Gaulois ,
paffa le Rhin & entra dans la Germanie
18 MERCURE DE FRANCE.
où il eut quelque fuccès. Augufte & fes
fucceffeurs firent d'inutiles efforts pour fe
rendre maîtres du pays , & ils ne purent
s'établir que fur les frontières . Les Germains
rompirent enfin ces barrieres , fe
jetterent fur l'Empire Romain & le tenverferent
entiérement. Comme chaque
peuple n'étoit pas capable , ou de fe défendre
, ou de faire par foi- même aucune entreprife
, on vit paroître diverfes lignes ,
dont les principales furent celle des Francs
& celle des Suèves.
La ligue des Francs s'étoit formée le
long du Bas - Rhin & à l'occident de
Mayence , pour fe défendre contre les Romains.
Elle étoit compofée des Bructères ,
des Chamaves , des Ampfivariens , des
Cattes , des Angrivariens , des Attuariens ,
des Saliens , des Chérufques , des Sicambres
& des peuples qui habitoient de l'un
& l'autre côté de l'Elbe.
Il ne faut donc point regarder les Francs
comme un peuple , maiscomme un affemblage
de différens peuples de la Germanie ,
& non pas de la Pannonie ( la Hongrie ) ,
comme quelques - uns le penfoient du temps
de Grégoire de Tours
II. Etymologie du mot Franc.
Prefque tous les Ecrivains ont prétendu
MAI 1765. 19
que
le nom de Franc avoit été donné à
cette ligue à caufe de la franchiſe ou liberté
dont elle jouiffoit ; mais ce nom n'auroit
pas plus appartenu aux Francs qu'aux autres
figues germaniques , puifque tous ces peuples
étoient libres & avoient le même
amour de la liberté . D'ailleurs , quoique
le mot frey en allemand fignifie libre , il
ne s'enfuit pas que le mot frank en foit
dérivé ; & l'on ne trouve dans aucun des
anciens monumens de la langue du nord ,
que ce dernier mot ait été employé dans
ce fens. Pour trouver l'étymologie probable
de ce nom , il faut donc avoir recours
aux Ecrivains qui ont vécu dans un temps.
où l'ancienne langue des peuples de la
Germanie étoit encore en ufage.
pour
Le prologue de la loi falique ne donne
aux Francs aucun titre relatifà leur amour
la liberté. Ils y font appellés gens
inclita , audax , velax & afpera : c'est - àdire
, nation célèbre , capable des plus
grandes entrepriſes , prompte à les exécuter ,
& terrible dans les combats . Cette dernière
expreffion a un grand rapport avec l'origine
qu'Ifidore donne au nom des Francs ,
car il penfe qu'il vient de la férocité de
leurs moeurs , à feritate morum. C'eſt ainſi
qu'il s'exprime. L'Auteur des Geftes François
, & plufieurs autres Ecrivains anciens
20 MERCURE DE FRANCE.
font du même fentiment , qui ſe trouve
fortifié par un grand nombre de paffages
qu'on lit dans les panégyriques des Empereurs
, & fur - tout dans celui de Julien.
Libanias , auteur du panégyrique de ce
Prince , en le louant fur quelques avantages
qu'il avoit remportés fur les Francs ,
dit que le nom qu'ils portoient leur avoit
été donné à caufe de leur humeur guerrière .
Du temps des enfans de Louis le Débonnaire
on difoit encore Frenk aufli bien
que Frank pour défigner les François .
Toutes ces preuves feroient fuffifantes
pour renverfer le fentiment que je combats
; mais puifque j'ai d'autres moyens ,
permettez- moi , Mademoiſelle , de les em
ployer. Ils feront tirés des monumens qui
fubfiftent encore de l'ancienne langue germanique.
Ne vous effrayez pas des noms
barbates que je ferai obligé d'employer.
Dans le gloffaire joint par Stiernhelmius
à l'édition de l'Evangile en langue
gothique , on trouve les mots frakan , méprifer
, outrager ; frackiman , détruire .
Dans l'ancienne langue Danoife ou Cimbrique
on lit les mots de fracker & de
frochne traduits par celui de terrible on
redoutable. Vindelin cite d'anciens vocabulaires
flamans, dans lefquels le motfrenghen
ou vrenghen eft interprêté par celui de
MAI 1765 .
2. 1
hair , & frangh ou vrangh par ceux de
ferocité , cruauté , vengeance . On trouve
fouvent dans les anciennes Poéfies Runiques
des Scaldes , ou Poëtes Suédois , le
titre de frenk , donné à des guerriers pour
marquer leur valeur ; & les mots gend,
frenk dans le Gloffaire Runique , font rendus
par ceux d'âme courageufe. Il paroît
naturel de conclure que c'eft la valeur &
l'intrépidité qui ont fait donner le nom de
Francs à cette ligue de peuples Germains
que nous allons voir s'établir dans les
Gaules. Ce pays , comme on fait , étoit
alors fous la domination Romaine, & avoit
été conquis par Jules Céfar quarante- huit
ans avant l'ère chrétienne .
III. Différentes expéditions des Francs
jufqu'au règne de Clodion .
POUR l'intelligence de ces événemens ,
il paroît à propos de donner la divifion
géographique des Gaules , telle qu'on la
trouve dans la notice de l'empire qui parut
dans le quatriéme fiécle. On y voit que
les Gaules étoient alors partagées en cinq
grandes provinces , favoir , la Lyonoife ,
la Belgique , la Germanique , la Vienoife
& l'Aquitanique
.
La Lyonoife fe divifoit en cinq parties ,
22 MERCURE DE FRANCE .
c'eft-à-dire , en cinq Lyonoifes. La premiere
contenoit Lyon , Autun , Langres ,
Mâcon , Châlons-fur- Saône. La feconde ,
Rouen , Bayeux , Evreux , Avranches ,
Séez , Lifieux & Coutance. La troifieme ,
la Tourraine , le Maine , Rennes , Saint-
Brieux , Saint- Malo , Dol , Nantes , l'Anjou
, Cornouailles , Saint- Paul - de - Léɔn &
Tréguier. La quatrieme, Sens, le pays Chartrain
, Auxerre , Troyes , l'Orléanois ,
Paris & Maux. La cinquieme , Befançon ,
Nyon en Suiffe , Avenches , les environs.
de Bâle , Vindiſch , Yverdun , Colmar.
La Belgique formoit deux provinces.
La premiere comprenoit Trèves , Metz ,
Toul & Verdun. La feconde Rheims-
Soiffons , Châlons - fur - Marne , Noyon ,
l'Artois , Cambrai , Tournay , Senlis ,
Beauvais , Amiens & le Boulonois.
La Germanique fe divifoit également
en deux parties. La premiere , nommée
fupérieure , comprenoit Mayence , Strafbourg
, Spire & Worms. La feconde , qu'on
appelloit inférieure , contenoit Cologne
& le pays de Liége.
La Viennoife fe partageoit en cinq autres.
La premiere comprenoit Vienne ,
Genève , Grenoble , Viviers , Die , Valence
, Saint-Paul - trois -Châteaux , Vaiſon,
Orange , Carpentras , Cavaillon , Avignon
MAI 1765. 23
& Arles. Dans la feconde , qu'on appelloit
auffi la premiere Narbonnoife, étoient Narbonne
, Toulouſe , Agde , Alet , Befiers ,
Montpellier , Nifmes Lodève & Usès. La
troifieme comprenoit Aix , Riez , Apt ,
Fréjus , Gap , Sifteron & Graffe. La quatrieme
, à qui on donnoit auffi le nom
d'Alpes maritimes , contenoit Enıbrun
Digne , le Marquifat de Saluffes , Senez ,
Glandeves , Vence & le Comté de Nice.
La cinquieme, Mouftier & Saint- Maurice.
>
?
L'Aquitaine fe divifoit en trois parties.
La premiere ou fixieme Viennoife comprenoit
Bourges , Clermont , Rhodez
Albi , Cahors , le Limoufin , le Gevaudan
& le pays de Velai. La feconde Aquitaine,
ou feptieme Viennoife , contenoit Bourdeaux
, Agen , Angoulême , la Saintonge ,
le Poitou & le Périgord. La troifieme
Aquitaine , ou huitieme Viennoife , qu'on
nommoit auffi la Novempopulanie , renfermoit
Auſch , Dax , Lectoure , Cominges,
Couferans , Lefcar , Aire , Bažas , Tarbes ,
Olérons , & le rerritoire d'Euze en Gafcogne.
Je ne parlerai pas des autres divifions
des Gaules , parce qu'elles n'ont aucun
rapport avec les expéditions des peuples
germaniques.
Ce fut fous le tribunat d'Aurelien & le
24 MERCURE DE FRANCE.
les folrègne
de Gordien III , Empereur d'Occident
, que les Francs firent pour
la premiere
fois une irruption dans les Gaules.
Un petit avantage qu'Aurelien remporta
fur eux parut fi confidérable
dats compoferent une efpèce de chanfon
pour célébrer une telle victoire ( 1 ) . Cet
événement eft de l'année 240 depuis J. C.
& précéde d'un an la guerre que Gordien
commença contre Sapor , Roi de Perfe.
, que
Cette premiere courſe des Francs ne fut
que les préliminaires de celles qu'ils firent
bientôt après. Ils attaquerent la Gaule Belgique
, où ils firent de grands ravages ;
mais ils furent repouffés par Gallien , allocié
à l'Empire. Ces défavantages ne furent
pas capables de les arrêter , & Poflume ,
qui avoit pris la pourpre dans les Gaules ,
fut contraint de faire alliance avec eux.
C'est le premier traité que les Empereurs
firent avec les Francs . Ceux- ci joignirent
alors leurs forces à celles de Poftume ,
pour lui aider à réprimer la fureur des
autres nations germaniques qui s'étoient
jettées fur les provinces de l'Empire par
le Haut- Rhin & le Danube.
La mort de ce Prince , arrivée en 267 ,
mit fin au traité qu'il avoit fait avec les
( 1 ) Mille Francos , mille Sarmatas occidimus.
Mille , mille , mille Perfas , mille Perfas petimus..
Francs.
MAI 1765 . 25
Francs. Ces barbares ne fe trouvant plus
retenus par aucune confidération , raferent
les forts qui étoient conftruits fur le Rhin ,
pafferent ce fleuve , inondèrent les Gaules
& pénétrèrent jufqu'en Espagne , où ils
s'emparèrent de Tarragone. Animés par
tant de fuccès , ils continuerent à parcourir
les provinces de l'Empire , mais la fortune
ne feconda pas toujours leurs entreprifes.
Les titres de Francicus & de Germanicus
, donnés à l'Empereur Probus ,
font des témoignages authentiques de la
défaite des Francs & des Germains par
l'armée Romaine. Les prifonniers qu'on
fit en cette occafion furent envoyés fur les
bords du Pont- Euxin ( la mer noire ) . Ils
ne refterent pas long- temps dans l'inaction ;
car ayant trouvé moyen de s'emparer des
vaiffeaux qui étoient dans le port de
Conftantinople , ils s'y embarquerent , &
rangeant la côté de la Grèce ( Turquie
d'Europe ) , ils y firent des defcentes , &
en emporterent un butin confidérable.
Delà ils fe rendirent en Sicile , où ils
firent les mêmes ravages ; mais ils ne furent
pas fi heureux en Afrique. Repouffés par
les garnifonsromaines, ils furent contraints
de regagner leurs vaiffeaux , & de retourner
en Germanie par le golfe de Venife.
Cette expédition des Francs & leurs diffé .
B
26
MERCURE
DE FRANCE
.
rentes pirateries prouvent qu'ils connoiffoient
la navigation , & que leur ligue
s'étendoit le long du Rhin , depuis Mayence
jufqu'à la mer d'Allemagne.
Les grands avantages que Probus avoit
remportés fur eux avoient ralenti leur
ardeur ; mais auffi - tôt que ce Prince fut
mort , ils rentrerent dans les Gaules & y
commirent d'horribles excès. L'Empereur
Dioclétien marcha à leur rencontre & les
força de refter quelque temps tranquilles .
Caraufius , qu'il avoit chargé de continuer
la guerre contre les nations germaniques ,
fe révolta & mit les Francs dans fon parti.
Il leur permit alors de traverfer le Rhin &
de s'établir dans le pays des Bataves ( les
Provinces Unies ) & dans la Toxandrie
( le pays de Tongres ) . Il paffa enfuite dans
la Grande - Bretagne ( l'Angleterre ) avec
une armée de Francs qui avoient confenti
à marcher fous fes étendards. Cependant
Maximien , affocié à l'Empire , attaqua les
Francs , maîtres du pays des Bataves , &
qui delà s'étoient avancés dans le Boulonois.
Après une vigoureufe réfiftance de
leur part , il les tailla en pieces , fit un
grand nombre de prifonniers , qu'il diftribua
dans les Gaules , & leur donna des
terres à cultiver. Il ne paroît pas qu'il leur
ait impofé aucun tribut , mais il les obligea
1
MAI 1765. 27
de fervir dans les armées romaines. Les
Francs , que Caraufius avoit emmenés avec
lui dans l'ifle de la Grande- Bretagne , furent
maffacrés par les Romains ( 2 ) , & aucun
d'eux n'échappa au fer du vainqueur.
Tant de pertes réitérées les obligèrent
de demeurer dans l'inaction pendant quelque
temps , c'eſt- à - dire , juſqu'à la mort
de l'Empereur Conftantius Chlorus , arrivée
l'an' 306. Alors les Bructeres , les Chamaves
& les autres Francs orientaux pénétrèrent
dans les Gaules & y firent de grands dégâts.
Conftantin le Grand , qui avoit fuccédé à
Conftantius , fon père , remporta fur eux
une victoire complette , & fit prifonniers
deux de leurs Rois, Afcaric & Ragaife. Ces
mauvais fuccès ne rebuterent pas les Francs,
& ils ne cefferent de faire tous les ans de
nouvelles tentatives pour s'établir dans les
Gaules. Les Francs occidentaux n'avoient
cependant aucune part à ces expéditions ,
ils fourniffoient au contraire des troupes
aux Romains , & leur étoient fort attachés.
Conflantin le jeune , devenu maître des
Gaules en 337 , après la mort de fon père ,
fit alliance avec les Francs , & les engagea
à prendre fes intérêts contre fon frere Conf
tans. Ce Prince ayant fait affaffiner Conf
( 2 ) On fait que cette Ifle étoit alors ſous la
domination romaine.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tantin , fe vit attaqué de tous côtés par les
Francs, qui , profitant de cette circonſtance,
cherchoient à s'emparer de quelques provinces
dans les Gaules . Conftans , trop foible
pour leur réfifter , fit avec eux un traité
dont ils parurent fatisfaits , puifqu'ils fe
retirerent dans leur pays. Mais en 342 ,
fous le règne de Conftans , ils reparurent
dans les Gaules & les ravagèrent juſqu'à
Autun. Julien , neveu de l'Empereur , marcha
en diligence au fecours de cette ville ,
& termina la guerre , en faifant avec les
Francs un traite par lequel ils s'obligèrent
à rendre aux Romains la ville de Cologne.
Comme ce traité n'avoit été conclu qu'avec
les Francs , voifins de Cologne , ou feulement
avec les Bructeres , les autres , qui
n'y avoient aucune part , continuèrent
leurs ravages ; mais ils furent battus près
de Juliers , & les prifonniers qu'on fit en
cette occafion furent envoyés à Rome. Julien
, après avoir paffé à Paris l'hiver de
l'année 356 , prit la réfolution d'attaquer
les Francs , établis en-deçà & au- delà du
Rhin. Il paroît que les premiers étoient
maîtres de la feconde Germanie , c'eſt- àdire
, depuis le Rhin jufqu'à l'Efcaut, La
preuve qu'on pourroit en donner , c'eſt
que Julien voulant foulager les peuples qui
avoient été les plus maltraités par les frais
MAI 1765. 29
que les gens de juftice leur faifoient ,
demanda à l'Empereur la permiflion de
percevoir par lui- même les droits que les
provinces devoient lui payer. Il ufa de
fon autorité dans la Belgique , mais il ne
leva aucun impôt dans la feconde Germanie
; ce qui donne lieu de conjecturer
qu'elle étoit alors au pouvoir des Francs .
Julien , après les préparatifs néceffaires
pour la guerre qu'il méditoit contre les
Francs , parut tout - d'un - coup dans les
environs de Tongres. Les Saliens furpris ,
confentirent à tout ce qu'on exigea d'eux ,
& Julien , fatisfait de leur foumiſſion , leur
confirma la poffeffion du pays qu'ils occupoient
fur les deux bords du Rhin , &
particulierement dans la Toxandrie ( 3 ) .
En 360 Julien paffa le Rhin vers l'embouchure
de la Lippe , au - deffus de Cologne :
& ravagea les terres des Francs Attuariens ,
qui avoient continué de faire des courfes
fur celles de l'Empire. Les Barbares , hors
d'état de réfifter , fubirent la loi du vainqueur.
Je paffe fous filence les autres actions
des Francs depuis le règne de Julien juf
qu'à celui de Valentinien III. Elles n'of-
( 3 ) Cette conceffion peut être regardée comme
l'époque de la Monarchie Françoife dans les Gau
les ,quoiqu'on pourroit la dater de plus haut.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
frent aucune circonftance remarquable , &
elles fe bornent feulement à quelques hoftilités.
Il fuffit d'obferver que les Empereurs
, qui redoutoient les Francs , avoient
foin de renouveller avec eux les anciens
traités , & par ce moyen ils les obligeoient
à refter tranquilles. Ces peuples étoient en
effet fi religieux obfervateurs de leur parole,
qu'ils livrèrent à l'Empereur Honorius
Marcomer , un de leurs chefs qui avoit
pris les armes contre lui , & firent en même
temps périr Sunnon fon frere. Terminons.
cet article par une réflexion fur les différentes
expéditions des Francs que nous
venons de voir.
Il y a lieu de penfer que cette ligue ,
compofée de différens peuples , gouvernés
chacun par un Chef ou Roi particulier ,
n'avoit pas le même but de conquête ,
puifqu'une partie fe portoit d'un côté
pendant qu'une autre cherchoit à s'établir
ailleurs. Un corps de Francs fervoit dans
les armées romaines , & en même temps
un autre corps attaquoit les provinces de
l'Empire. Nous en avons vu s'établir dans
le pays des Bataves ; d'autres paffer en
Angleterre avec Caraufius ; plufieurs d'entre
eux exercer la pyraterie ; d'autres pouffer
leurs courfes jufqu'à la ville d'Autun ;
un grand nombre enfin refter dans la Ger
MA I 1765.
31
manie au- delà du Rhin . On pourroit donc
foupçonner avec vraisemblance que les
Francs n'étoient pas bien unis entre eux ,
& que chaque peuple de cette ligue avoit
des intérêts particuliers qui l'engageoient
ou à fe réunir au corps général ou à s'en
féparer , fuivant les circonstances .
IV. Origine de la Monarchie Françoife.
Les Francs établis dans la feconde Germanie
doivent être regardés comme les
feuls fondateurs de la Monarchie Françoife
dans les Gaules , puifque ceux -ci étoient -
commandés par Clodion ; enfuite parMeroué
, pere de Childeric , pere de Clovis.
Plufieurs Ecrivains modernes ont avancé
que Clovis forma le premier des établiſſemens
dans les Gaules , & que jufqu'à ce
Prince les Francs s'étoient contentés de
faire des courſes , après lefquelles ils fe
retiroient au- delà du Rhin. Je vais entreprendre
de réfuter cette erreur , & de démontrer
que les Francs étoient établis dans
les Gaules même avant Clodion . Ainfi la
Monarchie Françoife eftbeaucoup plus ancienne
qu'ils ne l'ont prétendu .
Nous avons vu qu'en 358 Julien confirma
aux Francs la poffeffion de la Toxandrie
, & qu'il ne put lever d'impôts dans
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
la feconde Germanie , parce qu'elle étoit
occupée par ces mêmes peuples ; d'où il
eft aifé de conclure que les Francs y étoient
établis avant cette époque. Le régne de
Clodion nous en fournira de nouvelles
preuves.
Grégoire de Tours , premier hiftorien
de France , & qui vivoit fous les fils de
Clovis nous apprend que Clodion ou
Cloïon , Roi des Francs fous le regne de
l'Empereur Valentinien III , faifoit fa réfidence
à Difpargum fur la frontiere de la
Thoringie ou Thongringie , comme portent
quelques manufcrits. Quelques Auteurs
ont cru reconnoître la Thuringé dans la
Thoringie de Grégoire de Tours ; mais ils
n'ont pas fait réflexion au paffage de l'hiftorien
françois , qui dit : que les Francs
établis d'abordfur les rives du Rhin , trayerferent
ce fleuve & s'arrêtèrent dans la
Thoringie. Ce pays ne peut être la Thuringe
, puifqu'en paffant le Rhin ils la
laiffoient bien loin derriere eux dans la
Germanie , & qu'elle eft même très- éloignée
du Rhin . Une nouvelle preuve qu'il
faut chercher la Thoringie de Grégoire de
Tours dans les Gaules , c'eft qu'il ajoute :
dans le même pays les Romains occupoient
tout ce qui s'étend au midi jufqu'à la Loire.
Au-delà de ce fleuve étoient les Goths, Les
MAI 1765. 33
Bourguignons occupoient les terres fituées
vers le Rhône & la ville de Lyon.
Quelque fuccinte & quelque peu exacte
que foir cette divifion , il eft clair que
c'eft de la Gaule qu'il veut parler & non
de la Germanie : c'eft donc en- deçà du
Rhin qu'il faut chercher le Difpargum.
Il ne peut être ni Doësbourg fur le
confluent du vieux & du nouvel Iffel , ni
Duisbourg fur le confluent du Roër & du
Rhin ; l'un & l'autre font dans la Germanie
au-delà du Rhin . Il y a plus d'apparence
que c'eft ou Dieft fur le Demer ,
dont un fauxbourg fe nomme Duisbourg ,
& qui eft près de Teffenderloo , ou bien
Duisberch fur la Tille , entre Louvain &
Bruxelles.
Le refte du paffage de Grégoire de Tours
fournira une nouvelle preuve que le Dif
pargum & la Thoringie étoient en- deçà
du Rhin. Clodion , continue- t-il , ayant
donc envoyé reconnoître le pays jufqu'à
Cambrai , marcha contre les Romains , les
battit , s'empara de la ville , & après y avoir
demeuré quelque temps , il fe rendit maître
de tout le pays jufqu'à la Somme.
Cambrai eft à plus de foixante lienes du
Rhin , des villes de Doësbourg fur l'Iffel
& de Duisbourg fur le Roër. Suppoſerat-
on que Grégoire de Tours ait fait traver-
By
34
MERCURE DE FRANCE .
fer à Clodion foixante lieues dans un pays
ennemi , fans faire aucune remarque fur cet
événement ? D'ailleurs , croira- t- on que
ce Prince eût paffé par un pays coupé
de bois & de rivières fans trouver aucun
obſtacle , fi le pays eût encore été au pouvoir
des Romains ? Il eft donc plus naturel
de penfer que Difpargum étoit à- peuprès
dans l'endroit où eft aujourd'hui Duisberch
fur la Tille. Remarquons que les
Francs n'ayant que de l'infanterie , ne fe
feroient point engagés jufqu'à foixante
lieues dans un pays ennemi , où les Romains
auroient pu les envelopper & les
couper de tous côtés.
La fituation dans laquelle Aëtius , Général
Romain , trouva les Francs dans les
plaines d'Arras , eft encore une preuve de
leur établiſſement réel en-deçà du Rhin.
Ils avoient conftruit un fort pour défendre
le paffage d'un défilé & d'une rivière : de
plus , ils étoient occupés à célébrer le mariage
d'un Seigneur. Sidonius dans le
panégyrique de Majorien , s'exprime ainſi
au fujet de cette fête : le côteau voifin de la
rivière retentiffoit des chants d'un hymenée
dont les barbares célébroient la fête , & au
milieu d'une danfe fcytique on unifoit la
nouvelle mariée à un époux blond comme
elle. Ces danfes , ces chants , les apprêts ,
و
MAI 1765. 35
d'un grand feftin , un mariage , toutes ces
chofes en un mot paroiffent contraires à
l'idée d'une expédition militaire & d'une
courfe faite par des aventuriers dans un
pays ennemi & à plus de foixante lieues de
leur contrée. Il faut donc en conclure que
les Francs occupoient alors un pays dont ils
étoient devenus les maîtres.
Ajoutons encore qu'il y avoit plus de
trente ans qu'Arras étoit la frontiere des
Romains entre l'Efcaut & l'Océan , On
voit dans la notice de l'Empire, que c'étoit
la place la plus avancée de ce côté- là où
les Romains euffent une garniſon . Lens ,
ou Vicus-Helena, faifoit fans doute la frontière
des Francs , & ils étoient maîtres de
tout le pays qui eft au nord du Souchet . II
y a tout lieu de penfer que ce fut de ce canton
que Clodion s'avança pour furprendre
Cambrai , où il demeura quelque temps ,
& d'où il étendit fes conquêtes jufqu'à la
Somme.
Hincmar nous apprend que les Francs ,
maîtres de Cambrai & de la partie de la
Belgique qui s'étend jufqu'à la Somme ,
s'y étoient établis fous les Rois Clodion &.
Mérouée. Tous les anciens Ecrivains font
d'accord fur cet article avec Grégoire de
Tours , & il n'eft pas facile de concevoir
B vj
36
MERCURE
DE
FRANCE
. ce qu'on peut oppofer à leur confentement
unanime.
Il réfulte donc de ces différentes preuves
que l'établiffement de la Monarchie
Françoife dans les Gaules eft au moins du
régne de Clodion . Aëtius , occupé à défendre
les Gaules contre les irruptions de
plufieurs nations barbares , laiffa aux Francs
les pays qu'ils occupoint , fit un traité avec
eux , & les engagea à fe joindre à lui pour
chaffer des Gaules d'autres peuples Germains
qui y étoient entrés.
A la mort de Clodion les Gaules étoient
fous cinq dominations , fçavoir , celle des
Romains , celle des François , celle des
Vifigots , celle des Bourguignons & celle
des Bretons.
Merouée , fucceffeur de Clodion , étendit
fa domination , & fe vit maître de
Châlons-fur-Marne , du Vermandois , de
l'Artois , du Cambréfis , de Tournai , de
Senlis , du Beauvoifis , de l'Amiennois , de
Boulogne , d'une partie de l'Ile- de-France
& de la province qu'on a appellée depuis
Normandie. Chilpéric pouffa fes conquêtes
au- delà de la Loire , & Clovis éteignit
enfin le nom & la puiffance romaine dans
les Gaules. Il devint alors maître de tout
le pays , à l'exception de ce que les BourMAI
1765. 37
guignons occupoient entre le Rhône & les
Alpes , & de ce que les Vifigoths poffédoient
en Provence & dans le Languedoc.
Il faut remarquer que fon royaume s'étendoit
auffi au-delà du Rhin , où il y
avoir plufieurs corps de Francs , qu'il réduifit
fous fa domination .
Ce fut de cette maniere que les Francs
s'établirent dans les Gaules & y fondèrent
un puiffant Empire.
V. Difcuffion fur Pharamond.
Plufieurs hiftoriens modernes ont regardé
Pharamond comme le premier Roi des
Francs établis dans les Gaules , & ils fe
font fondés fur un paffage de Tiro-Prof
per , qui dans fa chronique s'exprime
ainfi : PHARAMUNDUS REGNAT IN FRANCIA.
Pharamond régne en France.
Remarquons d'abord que le nom de
Francia fut donné à tout le pays occupé
par les Francs en - deçà & au- delà du Rhin.
2 °. Que les Francs ne formèrent que des
établiffemens dans les Gaules , & que plu- .
' fieurs m' me reftèrent au- delà du Rhin .
3 ° . Enfin que les Francs étoient divifés en
puffeurs corps qui avoient chacun leur
Roi , comme on le voit par l'hiftoire de
Clovis. Ce Prince fit périr tous les différens
38 MERCURE DE FRANCE.
Rois des Francs & s'empara de leurs Etats.
Ces remarques ne fuffiroient pas pour
détruire l'exiſtence de Pharamond dans les
Gaules , fi nous n'en avions point d'autres.
Mais nous obferverons d'abord que la
chronique de Tiro- Profper eft très -peu
exacte , & en ſecond lieu que Grégoire de
Tours , Frédégaire & les hiftoriens antérieurs
à Tiro-Profper ne font nulle mention
de ce Prince. Il faut donc en conclure
que fi Pharamond a exitté , il n'a régné que
fur les Francs qui étoient reftés de l'autre
côté du Rhin , & que Grégoire de Tours
s'eft contenté de rapporter les noms & les
actions des Rois du corps des Francs qui
ont fondé la Monarchie Françoife dans les
Gaules. Clodion eft le premier qu'il nomme,
& je penfe qu'il eft plus raifonnable
de s'en rapporter à cet hiftorien , qui écrivoit
fous les fils de Clovis , qu'à ceux qui
font venus depuis , & qui ont imaginé un
Pharamond connu par la feule chronique
de Tiro- Profper.
Telles font les matieres fur lefquelles il
étoit important de faire quelques difcuffions.
Je ferai très- flatté fi ce foible effai
peut
mériter votre attention & réfoudre
vos difficultés. Je fuis avec un très - profond
refpect , Mademoiſelle , votre , & c.
DE GRACE.
MAI 1765 . 39
TRADUCTION de l'Ode XIII , du 11 liv.
D
D'HORACE .
ONNEZ- MOI le repos , grands dieux , dit
le nocher ,
>
Qui furpris , au milieu de la plaine liquide .
Voit un nuage épais foudain lui dérober
De l'aftre de la nuit le flambeau qui le guide.
Donnez- moi le rèpos , grands dieux ,
S'écrie , en frémiſſant , & le Thrace barbare ,
Et le Mède orgueilleux du carquois qui le pare.
Mais ce repos , ami , ce fuprêmè tréfor ,
N'eft pas le prix des rubis ni de l'or .
Non , ce n'eft pas la pourpre qui le donne.
A travers les foldats , dont la garde environne
Les Monarques impérieux ,
Les foucis dévorans pénètrent jufqu'au trône :
Leur effain voltige & bourdonne
Autour des lambris faftueux.
Qu'un état médiocre eft un état heureux !
Celui dont le repas , dreffé fur la fougere ,
Offre pour ornement la coupe héréditaire
Où bûrent fes fimples ayeux ,
Coule des jours fereins , fans defir , fans contrainte
,
Exempt de la fervile crainte
40 MERCURE
DE FRANCE
.
Qui réveille en furfaut l'avare ambitieux .
Eh ! pourquoi refferré dans ton étroite ſphère ;
Mortel , porter fi loin tes avides projets ,
Et de l'un à l'autre hémisphère
Promener res voeux inquiets ?
Tu peus fuir ton pays , peus- tu te fuir toi - même ?
Dans ton palais flottant le remord, au teint blême ,
Monte & s'affied à tes côtés.
Plus léger que les feux timides ,
Plus léger que les vents rapides ,
Il fuit de ton courfier les pas précipités .
Sous les aîles des ris fi le deftin nous range
Gardons-nous de porter nos yeux fur l'avenir ,
Et fachons à la peine allier le plaifir ;
Il n'eft point ici bas de bonheur fans mêlange.
Achille eft couronné de lauriers triomphans ;
Mais l'inéxorable déeſſe
Le moillonne dans fan printemps.
Titon marche à pas lents vers la froide vieilleffe ;
Mais de fon corps ufé la tremblante foiblelle
Succombe fous le poids des ans.
Peut-être la Parque bizarre
Comblera mes defirs , lorfque pour vous , avare ,
Sa main ne filera que peines , que tourmens.
Vous avez cent troupeaux paiffans dans vos campagnes
;
Yous avez des courfiers dont les henniffemens
Font retentir l'écho de vos montagnes.
3
MAI 1769. 41
Vous brillez de l'éclat des plus riches métaux.
Je n'ai qu'un petit champ ; mais un Dieu juſte
Et fage
D'un fouffle poétique y joignit l'apanage
Et le don précieux de méprifer les fots .
Par M. DE GUILHERMIER , abonné au Mercure
A Bolene , dans le Comté Venaiffin.
VERS à Mlle MAZARELLI fur cette réfle
xion qu'on lit dans CAMÉDRIS , « une
»femme a toujours le coeur froid quand
» elle a beaucoup d'efprit ».
و د
LA maxime n'eft point certaine ,
Docte & belle Mazarelli ,
Et la mufe de Mytilène ( 1 ) .
Sera du moins de mon parti.
Si l'on en croit la renommée ,
Et de beaux vers de fa façon ,
Des feux d'amour & d'Apollon
En même temps elle fut animée .
D'un petit maître Leſbien ( 2 )
( Comme chez - nous on vit dans la Grèce )
Sapho , trop amoureuſe , expire de tendreſſe :
( 1 ) Sapho.
( 2 ) Phaon.
42 MERCURE
DE
FRANCE
.
En cela fon efprit ne la fervit pas bien.
Mais ce fait au moins nous prouve
Que dans un féxe vainqueur ,
Souvent le plus tendre coeur
Chez un bel efprit ſe trouve.
Pour appuyer votre avis ,
Si vous vous citez vous-même ;
Heureux qui lit vos écrits ,
Et malheureux qui vous aime !
R. D. L. C.
LE Lion malade , fable .
SIXIRE lion
Un jour , dit- on ,
Tomba malade.
Bientôt le bruit
S'en répandit
Dans la bourgade.
Lors fes amis ,
Loin d'aller vîte
A fon logis
Faire vilite ,
Dirent entr'eux ,
De fes neveux
Grande eft la foule ,
Il en a tant !
Chacun attend
MAI
1765. 43
Quelle s'écoule.
De son côté ,
La parenté
Craignant la preſſe ,
Vous le délaiffe ,
Et fans fecours
Finit fes jours
Sa trifte majefté lionne.
Il ne faut compter ſur perſonne .
Par M. l'Abbé D. FR.
SUR un fouper.
SOUPER OUPER charmant
Dont Euphrofine
Fait l'ornement ,
Où décemment
L'efprit badine !
Où tour à tour
La gaîté libre
Tient l'équilibre
Avec l'amour.
O douce orgye !
Où la faillie ,
Les vrais bons mots ,
Fléaux des vices ,
Effroi des fots ,
44 MERCURE DE FRANCE.
Font nos délices :
Des doux inftans
De ta durée ,
་
J'ai pour long -temps
L'âme enyvrée .
Que d'agrémens !
Quelle foirée !
Ici je crois
Ouir la voix
De Cythérée :
Ce font fes traits ;
Voilà la grâce
Et fes attraits.
Des airs d'Horace ,
Bientôt épris ,
Là nos esprits
Semblent conduits
Sur le Parnaſſe.
C'eft toi , Bernard ,
Qui par ton art
Ravis notre âme !
Nous éprouvons
Ta vive flâme ,
Et l'on s'enflamme
A tes chanfons.
Ta voix divine
Peint le plaifir ,
Comme
Euphrofine
Le fait fentir.
Par M. BRET,
MAI 176si 45
EPIGRAM M E.
LORSQU'AU ORSQU'AU bas du Pinde on apprit
Que Desfontaine avoit ceffé de vivre :
Dieu merci , dit un bel efprit !
Je vais faire imprimer mon livre.
Autre.
UN vieux Druide , entiché de fa race ;
Pour s'attirer les refpects d'un quidam ,
Dit qu'à la terre il n'étoit habitant ,
Qui jamais s'arrogeât l'audace
De fe couvrir ou s'alleoir lui préſent.
Le quidam , qui n'étoit brin bête :
«<< Monfieur , dit- il , fe couvrant , s'afféyant ;
Ces gens n'ont donc ni cul , ni tête » ?
Par le même.
46 MERCURE
DE
FRANCE
.
LA VESTALE ,
HISTOIRE tirée d'un manufcrit latin trouvé
dans la bibliothèque d'un Couvent en
Italie ( 1 ) .
Le vraisemblable n'eft E vraisemblable n'eſt pas un acceffoire
fi néceffaire à la vérité qu'elle ne puiffe
quelquefois s'en écarter. C'eft M. l'Abbé
Prévôt qui fait cette réflexion dans la Préface
de Cléveland , & il ne fera pas inutile
de la faire avec lui avant que de commencer
à lire cette anecdote. Je pourrois citer
plufieurs exemples à l'appui de cette vérité
; mais elle fe prouvera d'elle -même à
la fin de cette hiftoire. On conviendra
fans difficulté que ffii eellllee nn''eefftt.pas véritable
, au moins elle ne renferme que des
événemens qui peuvent arriver fréquemment
, quelque peu vraisemblables qu'ils
paroiffent d'abord.
Tout le monde fait que les Veſtales
étoient des vierges confacrées au culte de
la Déeffe Vefta , & chargées particuliere-
( 1) Ces Religieux croient l'original de Troge-
Pompée. Je laiffe aux Lecteurs à juger fi ces conjectures
font fondées .
MAI 1765 . 47
ment du foin d'entretenir le feu facré qui
brûloit devant fes autels : ellessyy veilloient
nuit & jour. Le falut de Rome dépendoit
de la durée ou de l'extinction de ce feu.
Les Veftales étoient punies févèrement
pour les moindres fautes , & l'hiftoire fournit
nombre d'exemples de ces vierges enterrées
vivantes : mais le plus grand crime
auroit été de laiffer éteindre le feu facré.
Il n'y en avoit jamais qu'une dans le
temple pendant la nuit.
la
C'est ici que commence le manufcrit :
Enfin le tour de Pompeia arriva ; c'étoit
le même jour où l'on avoit appris à Rome
perte
de la bataille de Cannes & la mort
de l'un des Confuls. Le peuple croyoit déja
voir Annibal & fes Carthaginois fur les
remparts , & cet effroi avoit pénétré juſ
ques dans le temple.
Le Pontife y conduifit la Veftale fur le
foir , & après avoir fermé toutes les portes
extérieures , il prit les clefs & fe retira.
Pompeia fit une courte priere aux pieds de
la ftatue de Vefta , puis elle s'affit dans le
fanctuaire fur un carreau de pourpre qui
lui étoit deftiné à quelques pas du feu facré.
Toute fon attention fe porta d'abord fur
l'objet dont le foin lui étoit confié ; mais la
folitude où elle fe trouvoit le filence
morne qui régnoit dans le temple , & le
>
48 MERCURE DE FRANCE .
peu de lumière que procuroit une lampe
fufpendue à la voûte , commencerent à
l'affoupir. Elle s'endormit enfin profondément.
Son fommeil dura long-temps. Cependant
le feu facré commença à diminuer
infenfiblement , & au bout d'un certain
temps il ne fubfiftoit déja prefque plus.
Heureufement elle s'en apperçut : elle
fe leva précipitamment , & courut toute
effrayée vers une porté qui fermoit l'endroit
où étoient renfermées les matieres
qui fervoient d'aliment à ce feu . Mais à
peine y fut- elle arrivée, que la porte difparut
tout-à-coup : elle ne vit plus qu'un mur
totalement femblable à ceux qui entouroient
le temple. Elle fut fort furpriſe de
cet événement ; mais bientôt croyant s'être
trompée , elle tourna la tête & apperçut
en effet la porte de l'autre côté. Elle courut
auffi-tôt pour l'ouvrir , mais en vain ;
le même prodige frappa encore fes yeux.
Elle devint alors pâle , comme fi elle eût
été prête à expirer ; une fueur froide s'empara
de fes membres : elle fe jetta aux pieds
de la Déeffe , & lui dit dans le fond de fon
coeur « ô puiffante Déeffe ! ô mère des
و ر
Dieux , fauvez ma patrie ! fauvez - moi !
» fans vous , c'eft fait de Rome ! fauvez-la
» & puniffez-moi ! que ces voutes m'écra-
,, fent à l'inftant ». Elle crut fes voeux exau- "
cés ;
MAI 1765 . 49
cés ; les voûtes s'ébranlerent , & un bruit
confus s'éleva derriere elle : mais ce n'étoit
qu'une nouvelle furpriſe qui lui étoit préparée.
On avoit placé dans le temple , de diftance
en diſtance , les ſtatues de quelques Veſtales
qui étoient d'une naiffance plus diftinguée ,
ou qui avoient témoigné plus d'attachement
au culte de la Déeffe. Ces ftatues
étoient de marbre blanc & rangées dans un
ordre égal entre les colonnes qui foutenoient
l'édifice. Elles s'animerent toutes
enfemble , fe couvrirent de longs voiles
noirs : quelques-unes même étoient teintes
de fang ; enfuite elles s'avancerent lentement
, & l'une après l'autre , jufqu'aux
pieds du fanctuaire , fe profternerent , &
percerent le mur fans laiffer aucune trace
de leur fortie.
Malgré l'horreur de ce fpectacle laVeftale
eut encore affez de force pour s'approcher
du vafe facré : elle remua la cendre pour
découvrir quelques veftiges de feu qui
n'étoient pas encore éteints. Elle effaya de
le rallumer en déchirant fes vêtemens ,
dont elle mit plufieurs morceaux dans le
vafe mais les foins qu'elle y employa , &
plus encore l'humidité de la laine , ne fervirent
qu'à l'éteindre plus promptement.
Ce fut alors ques privée de toute ref-
C
59 MERCURE DE FRANCE.
fource , & livrée à elle - même , Pompeia
s'abandonna toute entiere au défefpoir .
Elle erroit dans le temple les mains élevées
vers les cieux ; enfin accablée de douleur ,
elle fe retira vers l'endroit le plus écarté
de l'édifice , où elle verfa un torrent de
larmes. Ce fut dans cette fituation qu'elle
attendit le jour.
A peine il commençoit à paroître , que
le Pontife fe fit entendre dans le veftibule.
Il entra dans le temple , & fut d'abord
furpris de ne pas voir la Veftale : mais lorfque
s'étant approché du vafe facré il trouva
que le feu étoit éteint , la pâleur fe répandit
fur fon vifage. Il leva les mains
jointes au ciel fans rien dire , fortit précipitamment
& ferma la porte par- deffus lui
avec grand foin. Je n'entreprendrai pas de
décrire ce qui fe paffoit en ce moment
dans le coeur de la Veftale. Elle ne fut pas
long - temps dans l'attente ; les portes s'étant
ouvertes toutes enfemble , le temple
fe remplit en un moment d'une foule de
peuple des deux fèxes qui fe précipitoient
les uns fur les autres . Pompeia fe préfenta
d'elle -même avec une fermeté furprenante.
On la prit par les bras & on la traîna hors
du temple pour la conduire au lieu de fon
fupplice. Elle traverfa plufieurs rues avant
que d'y arriver , & par-tout elle yit le fpecMAI
1765 .
>
tacle le plus affreux. Les femmes , les enfans
, les vieillards , couroient par la ville
fans favoir où ils alloient : ils ne s'arrêtoient
que pour la contempler ; enfin elle
parvint au pied du Capitole.
Il y avoit en cet endroit un fouterrein
vafte & profond , dont une large pierre
couvroit l'entrée , & cette pierre étoit ellemême
couverte de vingt pieds de terre ;
c'étoit le lieu du fupplice des Veftales que
l'on enterroit vivantes. Il étoit déja découvert
quand Pompeia y arriva. Le Pontife
étoit affis à quelque diftance dans
une chaife d'ivoire & revêtu de fes habits
pontificaux. Le peuple étoit rangé autour
de lui. Jufques- là Pompeia n'avoit proféré
aucun mot : mais quand elle apperçut le
lieu de fon fupplice , les cordages , la
cruche & le pain qui devoient être renfermés
avec elle , elle pouffa des cris affreux ,
& fe jettant aux pieds du Pontife , elle les.
embraffa avec tranfport & les trempa de
fes larmes. Cette action fubite fembla
émouvoir le Miniftre des autels : mais reprenant
tout-à- coup fes premiers fentimens
, il maudit la Veftale au nom de Jupiter
Capitolin & des autres Dieux de
Rome. On la dépouilla d'une partie de fes
vêtemens ; & malgré les vains efforts de
fa foibleffe , on la defcendit dans le fou-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
*
terrein , qui fut recouvert de terre , & le
peuple fe retira dans le temple .
Pompeia refta quelque temps dans le
caveau fans s'appercevoir de fa fituation ;
car auffi-tôt qu'elle en avoit vu boucher
l'ouverture elle étoit tombée dans un
profond évanouiflement. Enfin elle en fortit
, & fon premier foin fut de chercher
un genre de mort capable de terminer
promptement tous fes maux. Elle prit la
lampe qu'on avoit auffi defcendue avec
elle par un fentiment de cruauté plutôt
que de compaffion , & s'approcha du mur.
Mais le défaut d'air avoit déja affeibli la
lumière de cette lampe , & les mouvemens
que la Veftale lui fit faire acheverent de
l'éteindre , de façon qu'elle fe trouva dans
la plus profonde obfcurité.
:
Un bruit fourd & éloigné fe fit alors
entendre ; une pierre vint à tomber & en
fit ébranler plufieurs autres. La Veftale fex
leva , & elle apperçut à la lueur d'un flambeau
qui perçoit à travers de deux ais pourris
& mal joints , une grande femme
vêtue de blanc , & la tête couverte d'un
double voile . Son corps étoit courbé : elle
ténoit dans la main gauche un flambeau
& fa démarche lente & peu füre annonçoit
une perfonne très - âgée. Cette femme
la prit par la main fans lui dire un feul
,
*
J
MAI 1765 . -53
mot & la conduifit en la faiſant monter
fur les décombres par l'endroit d'où elle
étoit defcendue. Elles marcherent l'espace
de cent pas dans une allée étroite & fi baffe
que , quoique Pompeia ne fût pas abfolument
grande , il falloit qu'elle fe baiffât
jufqu'à la moitié du corps pour pouvoir
avancer. Ne craignez rien , dit alors la
vieille à Pompeia : vous êtes fauvée. Après
avoir marché long-temps, l'une & l'autre fe
trouverent dans une forêt , où Vefta parut
à leurs yeux telle à- peu-près que fa ftatue
la repréfentoit dans fon temple. Elle étoit
accompagnée de deux femmes horribles ,
qui avoient les cheveux entortillés de ferpens
& les mains armées de fouets telles
que l'on nous dépeint les Furies. Infenfée !
dit la Déeffe , as-tu cru pouvoir m'échapper
? Auffi- tôt une des femmes s'étant approchée
de la vieille , la faifit par le bras ,
arracha le voile qui lui couvroit la tête , &
laiffa voir à Pompeia fa mère Plautia. La
Veftale voulut ſe jetter dans fes bras ; mais
dans l'inftant une muraille épaiffe environna
Plautia & les deux Furies ; la terre les
engloutit : tout diſparut.
Pompeia refta feule. Après avoir marché
long- temps , elle crut reconnoître à travers
les ténèbres le temple de Vefla , ce
même temple , la caufe de fon malheur.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Ah Dieux ! s'écria- t- elle , quoi , faut- il encore
me préparer à un nouveau fupplice ?...
Dans ce moment la lampe qui fervoit à
éclairer le temple tombe & réveille la Veftale
, qui voit les ftatues à l'endroit où elles
devoient être , le feu facré dans une activité
qui ne laiffoit rien à craindre , & fe
trouve convaincue que tout ce qu'elle avoit
fouffert n'étoit en effet qu'un fonge. Elle
fe profterna aux pieds de la Déeffe , la
Lemercia de l'avis mystérieux qu'elle venoit
de lui donner , & lui promit bien fincèrement
de ne plus s'endormir dans fon
emple.
SUITE d'HERACLITE & DÉMOCRITE
Voyageurs , Conte.
J₂E
vifitai , ajouta Démocrite , plufieurs
autres villes de la Grèce italique. Nulle ne
reffembloit à Sibaris ; mais toutes fe reffembloient.
Toutes louoient l'ordre &
manquoient d'ordre : les fottifes s'y commettoient
plus gravement ; mais c'étoient
toujours des fottifes , & qui pis eft , des
fottifes uniformes , telles que je les avois
remarquées dans la ville qui fut mon berceau.
Je m'arrêtai à Syracufe. Les chants
J
MAI 1765. 35
de victoire s'y faifoient ouir de toutes
parts. On y célébroit la défaite des Carthaginois
, ennemis dangereux de cette république.
Le hazard me fit aboucher avec
un des principaux perfonnages de cette
ville ; c'étoit un Sénateur , un Noble . Que
Mars & Neptune en foient loués , s'écriat-
il , je ne ferai point confondu parmi la
vile populace ; je ferai toujours un des
maîtres de ce peuple qui croira toujours
être libre. Entre-nous eft- il fait pour l'être ?
ajoutoit le Sénateur. Eft- ce au pied fervile
à marcher fans que l'oeil le dirige ?
Mais , lui difois- je , le Général qui vient
de battre vos ennemis n'eft- il pas ně parmi
le peuple ? Oui , répondit le Noble ; mais
dès l'inftant qu'il ne nous fera plus néceffaire
, nous faurons bien le remettre à fa
place.
Comme il parloit ainfi , on publia que
ce Général vouloir être Roi , & qu'il
feroit tomber toutes les têtes qui refuſeroient
de fe courber devant lui. Comment
donc , interrompit le Sénateur , ma tête
elle -même n'en feroit pas exempte ? Oh !
je vais y mettre bon ordre. Sans doute , lui
dis-je , que vous allez remettre le fils du
Potier à fa place . Il m'avoua naturellement
qu'il y appercevoit quelques difficultés.
Avouez de plus , ajoutai-je , que vous
Civ
: 56
MERCURE
DE
FRANCE
.
en trouveriez moins à devenir Potier vousmême
s'il l'exigeoit ? ... Mon ami , interrompit
le Noble , il faut que je vous quitte ;
je ne veux pas être des derniers à le féliciter
; je vais préparer ma harangue .
Durant ce difcours Héraclite verfoit
beaucoup de larmes . Sans doute , lui dit
Démocrite , que tu gémis de la foibleffe du
Sénateur & de l'orgueil de l'artifan : pour
moi je ris de l'un & de l'autre . Et moi ,
reprit Héraclite, je pleure fur vous trois :
mais écoute un récit non moins lamentable.
Fatigué de n'avoir vu dans les villes
que luxe , oifiveté , jaloufie , oppreffion ,
cabale , fureurs , je réfolus de m'arrêter
dans un fimple village. Là , me difois -je ,
habite au moins le repos . L'homme y
traîne avec moins de fracas le poids de fon
inutilité . Rien n'y peut tenter l'ambition ,
& dès - lors nulle jaloufie , nulle intrigue ,
nulle haine , encore moins d'orgueil ; en
un mot , l'homme eft ici moins à plaindre
qu'ailleurs , & pourra donner trève à ma
compaffion. Hélas ! pourfuivit Héraclite ,
peine j'arrivois dans ce village , que je
fus bien détrompé ! Tout y étoit en rumeur.
Les habitans formoient deux partis
oppofés l'un à l'autre. On crioit , on fe
menaçoit on eût dit qu'il s'agiffoit de
:
·
MAI 1755. 57
choifir le principal Magiftrat d'une puiffante
République. Le croirez-vous ? il
s'agiffoit de nommer l'Edile de ce chétif
féjour ! La plus nombreuſe cabale eut l'avantage
, fon protégé fut élu. Je voulus
queftionner celui qui n'avoit pu l'être . Il
s'éloignoit d'un air trifte & penfif. Quel
peut être , lui dis - je , le motif de vos
regrets ? que venez - vous de perdre ? qu'efpériez
vous acquérir ? J'efpérois , me dit- il,
fortir de la dépendance & avoir des dépendans.
Depuis bien des années je cultive
la terre , & je me conforme aux ufages
du lieu que j'habite : j'ai acquis de l'aifance
par mes travaux , & de l'eftime par
cette aifance. On me confulte , & mes
confeils font prefque toujours fuivis . Enfin
, j'ai une famille nombreufe & qui
m'eft foumife ; une femme que j'aime &
qui me fut toujours fidelle.... Et avec
tout cela vous n'êtes pas heureux, interrompis-
je ? Non , reprit le Villageois ; j'avois
befoin pour l'être de ce que je n'ai pu obtenir
; mais je ne puis oublier cet affront : je
vais habiter le village le plus voifin. La ,
j'efpere , avec de l'intrigue & quelques
libéralités , réuffir à m'emparer de la premiere
place.
Vous fentez bien , ajouta Héraclite ,
qu'un tel difcours dut me coûter des lar-
Civ
58 MERCURE
DE
FRANCE
.
mes? Le Villageois m'en fçut gré : il allois
m'en remercier. Vos remercimens font
fuperflus , lui dis-je , je pleurerois fur vous
bien davantage fi vos projets euffent réuffi .
J'avoue , difoit Démocrite , que le trait
eft rifible ; mais , après tout , chacun n'a - t- il
pas fa petite ambition ? Celle du Citadin
qui veut affervir trente mille Citadins ,
n'eft autre chofe que celle du villageois
qui veut dominer fur une centaine de fes
pareils. Tout deux font bien à plaindre ,
difoit Héraclite en foupirant. Dis plutôt
que tous deux font bien ridicules , reprenoit
l'Abdéritain : mais ce ridicule fe
retrouve à chaque pas que nous faifons
fur l'affemblage d'atômes qui nous fupporte.
Plus on parcourt notre foible planette
, & moins on trouve de différence
entre les hommes. Crois- moi , cette ville
immenfe eft une eſpèce de monde en raccourci
: bornons toutes nos recherches à la
bién étudier. Si , après cet examen , tu
pleures & je ris encore , il faudra nous
réfoudre à finir comme nous avons commencé.
Non loin de là ils apperçurent le prin
cipal temple de Perfépolis. A n'en juger
que par
fon extérieur , il étoit peu digne
de ce titre : c'étoit un monument de l'ignorance
& de la piété des anciens PerMAI
1765 . 59
fans. Quel ridicule affemblage d'ornemens
groffiers ! difoit Héraclite..... Eh , mon
ami , interrompit fon compagnon , qu'importe
à la gloire des dieux la mal- adreffe
des hommes ? Les premiers feront toujours
grands , les feconds toujours petits. Ce
temple , il eft vrai , honore peu cette capitale
; mais fût-il fupérieur à celui d'Ephèfe ,
crois - tu qu'Oromafe s'en trouvât plus honoré
? ( .)
( Ilfe trouve ici une grande lacune dans le
manufcrit ).
Après quelques autres obfervations de
cette nature , nos voyageurs fe fouvinrent
qu'ils cherchoient plutôt des hommes que
des édifices. Ils jugèrent que les lieux les
plus fréquentés étoient les plus propres à
feconder leurs vues. Cette réflexion les
conduifit à une promenade qui étoit le
rendez - vous de la plus brillante partie des
citoyens. Prefque tous ne s'y montroient
que dans des chars , & les plus bifarres pour
la forme étoient les plus admirés. Nos
voyageurs en virent un qu'on admiroit
pour fa magnificence. L'or , les pierreries ,
les peintures les plus voluptueufes contribuoient
à le décorer. Une jeune Perfane
le décoroit encore davantage par l'élégance
de fa perfonne , de fa parure & de fon
maintien. Elle attiroit les regards de tous
C vj
Go MERCURE DE FRANCE .
les hommes , elle attiroit même ceux de
toutes les femmes : il eft vrai que l'intention
différoit dans les deux féxes. Les
hommes approuvoient , les femmes cenfuroient.
Héraclite , qui étoit de l'avis des
dernières , s'informa des qualités de celle
qui attiroit ce concours. Son rang n'eft
rien , lui répondit-on , mais vous voyez
que fa perfonne eft quelque chofe. Elle
a déja eu l'honneur de ruiner quelques
grands , & même quelques petits plus riches
que ces grands. C'eft - là , je crois , vous
inftruire à fond du titre qu'on peut lui
donner. Mais , dit alors Démocrite , fans
doute qu'elle eft feule ici de fa profeſſion ;
je vois prefque toutes les femmes la regarder
de mauvais oeil. Je crois bien , reprit
le Perfan , que plufieurs défapprouvent la
fource de tant de luxe , mais beaucoup
d'autres le lui envient : elles oublieroient
facilement l'irrégularité de fa conduite , fi
fa parure étoit moins régulière.
Et cet autre char fi brillant , ajouta
Démocrite , qu'un tel difcours ne rendoit
pas férieux , quel eft le perfonnage qui le
remplit ? c'eft , fans doute , un de vos
Satrapes?J'admire l'élégance de fon cocher.
Avec quelle adreffe il dirige les rênes ! avec
quelle grâce il fait jouer fon fouet ! ....
Apprenez , reprit le Perfan , que c'eſt un
MAI 1765 .
GI
Satrape qui conduit fon cocher , & qu'il
eft en effet le plus habile cocher d'entre
tous nos Satrapes. On dit que chez vous
autres Grecs il eft un jour dans l'année où
les efclaves fent fervis par leurs maîtres :
ici tous les jours de l'année un maître a
l'humanité de promener fes efclaves..
Après tout , difoit Héraclite , peu importe
lequel des deux conduife l'autre : je
n'y vois d'autre abus que celui d'un homme
fervi par un homme. Pour Démocrite , il
trouvoit fort plaifant qu'un maître n'eût
un cocher que pour avoir l'avantage de le
devenir lui- même. Il vit que ces métamorphofes
étoient des plus à la mode : il
vit
que la mode en produifoit beaucoup
d'autres. On lui fit voir un jeune élève de
Thémis , qui eût pu égaler Caflor à la
courſe du char , & un diſciple d'Eſculape
qui fe connoiffoit mieux en chevaux que
le centaure Neffus.
Hé bien ! dit en pleurant Héraclite à
fon affocié , qui rioit à peu -près comme
Homère fait rire les dieux , qu'attendonsnous
de plus ici ? De nouveaux ridicules ,
répondit ce dernier , mais cherchons un
autre point de vue. Ce lieu n'eft pas le
feul où les Perfépolitains s'affemblent :
viens pleurer fur d'autres genres de travers.
-
Ils arriverent dans une rue étroite où
62 MERCURE DE FRANCE .
beaucoup de chars & un plus grand nom
bre de gens de pied fe difputoient le paffage.
Ils pénétrèrent , non fans quelque
péril , jufqu'au lieu où toute cette multitude
vouloit fe rendre. C'étoit une falle
de fpectacle. Nos deux philofophes parurent
étonnés de l'affluence qu'elle raffembloit.
Nous allons , difoit le Cinique , entendre
des chofes bien fublimes ou bien
abfurdes ; il n'y a que ces deux extrêmes
qui puiffent faire ainfi courir les hommes.
A l'égard du fublime , j'y crois fort peu ...
J'y crois encore moins , reprenoit Héraclite
, mais n'importe , attendons. Ils attendirent
en effet plus qu'ils n'avoient prévu ;
ce qui attrifta l'un & divertit l'autre. Enfin
la piéce commença & fut très - applaudie.
Comment l'avez-vous trouvée , demanda
un Perfan à Démocrite? Je n'en ai pas compris
un feul mot , répondit le philofophe.
Ni moi non plus , ajouta le Perfan : vous
l'avez cependant bien applaudie , répliqua
l'Abdéritain.... Eh ! qu'est - ce que cela
prouve ? eft- il befoin d'entendre une piéce
pour l'applaudir ? Voyez toute cette affemblée
; elle n'y a pas plus compris que vous
& moi : a- t-elle pour cela négligé de battre
des mains ? Ce difcours fit plus que fourire
Démocrite. Au moins , pourfuivit- il , apprenez-
moi quelle langue on vient de nous
MAI 1765- 65
parler? C'eft de l'Egyptien, reprit l'habitant
de Perfépolis depuis un fiècle & plus il
eft d'ufage parmi nous d'avoir une comédie
Egyptienne & de l'applaudir fans l'entendre.
A ces mots Héraclite foupira douloureufement.
Confolez-vous , lui dit le
Perfépolitain , on va vous donner une
piéce dons vous entendrez les paroles &
une mufique dont vous faifirez les images.
Tout y eft peint , & ce que vous enter→
drez vous croirez le voir.
Après une bruyante ouverture où les
deux philofophes n'apperçurent aucune
image , ils prêterent l'oreille & crurent
qu'on leur parloit encore Egyptien. Le
Perfan les détrompa . C'est donc quelque
autre langue étrangère , lui dit l'Abdéritain
, car je l'entends auffi peu que celle
d'Egypte. Je ne l'entends guères davantage
, reprit celui qu'il interrogeoit , mais
je vous certifie que nos villageois & nos
pâtres la trouveroient fort intelligible....
C'est dommage , reprit Démocrite , que
vos pâtres & vos villageois ne compofent
pas la moitié de cet auditoire , ils expliqueroient
les paroles à l'autre moitié ; par
ce moyen la piéce feroit entendue de tout
le monde. Ecoutez , lui dit le Perfan , cette
ariette à grande fymphonie. En effet , toute
la fymphonie fe fit entendre pour accom-
1
64 MERCURE DE FRANCE.
pagner un payfan qui étoit fuppofé chanter
feul à l'écart. L'Abdéritain demanda fi les
payfans de la Perfe ne chantoient jamais
qu'avec l'attirail de tous ces inftrumens.
Son officieux voifin lui répondit que c'étoit
à deffein de produire de l'effet , des
tableaux. Je n'y vois rien de tout cela ,
reprit Démocrite , mais j'y vois que vous
êtes conféquens : vous tranfportez au village
une mufique de cour, & à la cour le jargon
du village : il faut avouer que la compenfation
eft exacte. J'approuve beaucoup auffi
qu'il ait parlé quand il ſe portoit bien , &
qu'il chante maintenant qu'il fe croit malade.
Il eft fuperflu d'avertir que Démocrite
rioit en parlant ainsi . Le Perfan voulut en
faire honneur aux bonnes plaifanteries de
la piéce. Le Cynique , pour toute réponſe ,
lui montra fon compagnon qui pleuroit à
chaudes larmes.
l'on
On leur parla d'un autre fpectacle'nommé
, par excellence , le fpectacle de la
nation. Démocrite s'informa fi on y parloit
la langue nationale. Du mieux que
peut , lui répondit quelqu'un : elle y
eft bien quelquefois mife à la torture ;
mais ce Théâtre offre une foule de chefsd'oeuvtes
auffi purement qu'éloquemment
écrits. Nos deux voyageurs s'y rendirent
le jour fuivant. L'affluence y étoit prodiMAI
1765 . 65
gieufe . On alloit repréfenter une tragédie
nouvelle , & chacun vouloit contribuer à
fon fuccès ou à fa chûte. Prefque tous ,
même fans connoître l'ouvrage , prenoient
d'avance parti pour ou contre . Que je vais
fiffler ! difoit un jeune homme en fe frottant
les mains , je veux que cette miſérable
piéce ne foit pas achevée. La connoiffez
-vous ? lui demanda un autre jeune
Perfan. Point du tout , reprit le premier ,
mais qu'eft- ce que cela fait ? Je fuis venu
précisément ici pour la trouver mauvaiſe.
Je ne la connois pas plus que vous , répliqua
l'autre , mais je prétends , moi , qu'elle
réuffiffe on m'a prié de la protéger , &
je me fuis arrangé en conféquence ; nous
fommes ici une petite armée diftribuée par
pelotons.... Fort bien ! mais vous verrez
votre petite armée battue par une plus
grande , je vous en avertis .... C'eſt ce
qu'il faudra voir . En tout cas , les frais de
guerre ne retomberont que fur l'Auteur.
Démocrite écoutoit en riant ce dialogue .
Il voulut favoir d'un troifieme fpectateur
s'il étoit de l'un ou de l'autre parti. Je ne
fuis d'aucun , répondit ce dernier ; je fuis
du nombre des fpectateurs indifférens ,
j'efpére néanmoins que la piéce tombera ,
ce qui eft toujours très-amufant pour quiconque
ne l'a point faite. Le philofophe
la
66 MERCURE
DE FRANCE
.
eut lieu de juger que tous ceux qu'on
nommoit fpectateurs indifférens penfoient
à-peu-près comme celui -là. Il n'étoit pas
d'humeur à les blâmer , mais il en conclut
qu'un Auteur qui entreprenoit de faire
pleurer tant de gens malgré eux méritoit
bien qu'on rît à fes dépens.
La piéce commença . Elle péchoit par
le tiffu , par l'intérêt , & en général , par
le ftyle. Chacun des deux partis , c'eſt - àdire
les protecteurs & les oppofans , s'examinoient
de leur mieux. Les premiers bartoient
des mains à chaque vers un peu bril-
Lanté , les feconds crioient : paix la cabale !
Quant au troifieme parti , il reftoit encore
dans le filence & l'inaction , mais avant
la fin du troifieme acte il s'étoit joint aux
oppofans , & avant la fin du quatrieme
les protecteurs n'ofoient plus fe montrer.
Démocrite rioit de tout ce qu'il voyoit , &
entendoit Héraclite pleurer amérement .
Quoi , vous avez le front de trouver cela
beau ? lui dit un des oppofans. Point du
tour , répondit le philofophe ; je pleure
fur vous , fur l'Auteur , fur la pièce , &
même fur la meſquinerie de votre falle.
Tout cela n'eft-il pas en effet digne de
pitié ?
A cette malheureufe piéce on fit fucséder
une petite comédie agréable & piMAI
1765 .
67
quante. On lui rendit juftice ; on l'applandiffoit
généralement parce que fon Auteur
ne vivoit plus . Ce fut du moins la réponſe
qu'on fit à Démocrite lorfqu'il demanda la
caufe de cette unanimité de fuffrages .
Quoi s'écria le Cynique , un Auteur n'a
pour objet que la vaine gloire , & ce n'eſt
que dans la tombe qu'il peut recueillir
cette fumée ! Avouez que la manie d'écrire
eft bien rifible ? En même temps Démocrite
apperçut un jeune homme des plus élégans
qui applaudiffoit beaucoup à une
tirade contre la fatuité. Il s'informa qui il
étoit. C'eft , lui répondit-on , le plus grand
fat que Perfépolis renferme , & certainement
elle en récelle un grand nombre...
Mais pourquoi donc applandit - il à la cenfure
de ce travers ? ... Dites plutôt , reprit
le Perfan , qu'il brave cette cenfure , qu'il
veut qu'on la lui applique , & qu'il feroit
fâché qu'on ne l'en crût pas l'objet . D'ail
leurs , il a des vues fur l'actrice qui vient
de parler ; il eſpére , en Fapplaudiffant ,
être admis au bonheur de fe ruiner
elle .
pour
Ils vifiterent auffi quelques artiſtes , &
s'apperçurent que rarement la culture des
beaux arts infpiroit la modeftie. N'eſt - il
pas bien rifible , difoit Héraclite , qa’un
homme , pour avoir imité fur la toile ou
68 MERCURE DE FRANCE.
fur le marbre la reffemblance d'un perfonnage
qui n'aura fouvent été qu'un fot ,
fe croie lui-même un être fupérieur aux
autres hommes ? Héraclite alloit répondre
quand ils furent abordés par un homme
qui s'annonça pour un Sculpteur célèbre.
Meffieurs , leur dit-il , ma fortune eft en
affez bon train , mais il dépend de vous de
la rendre encore plus prompte. Volontiers ,
répondit Démocrite , que le mot feul de
fortune faifoit rire : parlez, de quoi s'agit-
il ? Vous faurez , reprit l'Artiſte , que
je me fuis fait un genre à part , & qui
plaît beaucoup à mes compatriotes. Ils fe
ruinoient pour des magots qu'on faifoit
venir à grands frais de l'extrémité des
Indes. J'ai trouvé l'art d'imiter ces ma
gots ; j'ai même fçu copier des objets
encore plus grotefques , & j'ai la confolation
de voir mes ouvrages faire les délices
de cette capitale ; mais je pourrois d'après
vous enfanter deux chefs- d'oeuvres bien
fupérieurs à tous ceux-là. Daignez donc ,
ajouta humblement l'Artiſte , fouffrir que
je vous modèle ou que je vous croque , &
je promets d'avance à vos deux copies le
haut bout fur toutes les cheminées de Per-
Spolis.
-
Une propofition fi ridicule fit pleurer
abondamment Héraclite, & jetter de grands
MAI 1755. 69 .
éclats de rire à fon compagnon de voyage .
Ils n'en parurent que plus pittorefques aux
yeux du Sculpteur. Bon ! s'écria - t - il , à
merveille ! Vous voilà précisément comme
je le defire : vous formerez deux pendans.
admirables ! Il redoubla fes follicitations ,
& promit d'être reconnoiffant . Mes confrères
, difoit - il , ont pour modèles de
jeunes beautés qu'ils paient affez mal :
moi , au contraire , je ne copie que ce que
l'efpèce humaine offre de plus bifarre , &
je récompenfe largement mes originaux.
Il eft bien jufte , après tout , qu'ils aient
part au gain que me fait faire le débit de
leur figure . Tous ces détails ne fervoient
qu'à redoubler les ris & les pleurs de nos
deux philofophes. L'Artifte reconnut qu'il
n'obtiendroit
rien , & s'éloigna non moins
affligé qu'Héraclite lui avoit paru l'être.
Nos deux voyageurs firent d'autres recherches
auffi infructueufes que les premières.
Ils ne virent que des maris prefque
ignorés de leurs femmes , des femmes qui
n'avoient confervé que le nom de leurs
maris ; de jeunes beautés qu'on trahiffoit
& qui prenoient bien leur revanche ; des
rivaux qui s'embraffoient ; des amis qui
fe déchiroient ; de l'indulgence & nulle
bonté ; des égards & point d'eftime ; plus
d'amuſemens que de plaifirs ; plus d'in-
7
70 MERCURE DE FRANCE .
conftance que de variété . Celle de la mode ,
je veux dire fon inconftance , les furprit
beaucoup. Ils fe crurent un jour dans une
autre ville fans avoir quitté les murs de
Perfépolis. Tous fes habitans avoient
changé de coftume , & fembloient former
une autre nation. Quelques - uns trouverent
même fort mauvais que les deux
philofophes ne fuiviffent pas l'étiquette.
On fçut bien comment l'un & l'autre répondirent
à ce reproche. L'un rioit &
l'autre pleuroit encore quand un Perfépolitain
, qui ſuivoit la nouvelle mode , s'approcha
d'eux & voulut favoir ce qui les
affectoit fi différemment. Ce font vos ridicules
, répondirent nos voyageurs : ils en
vinrent même jufqu'à lui détailler les
motifs de leur voyage. Le Perfan , trèsfurpris
de ce qu'il venoit d'entendre , ne
fçut d'abord s'il devoit rire ou pleurer de
la folie de ces deux hommes. Il aima
mieux effayer de la guérir. Daignez , leur
dit- il , me fuivre , & peut- être vous avouerez
que tout n'eft pas folie dans ce monde.
Ils le fuivirent fans beaucoup efpérer qu'il
les détrompât. Ils arrivèrent dans une
maifon d'apparence modefte , mais intérieurement
propre , décente & comode.
Vous voyez , leur dit - il , ma demeure :
je ne la veux , ni plus vaſte , ni plus
MAI 1765. 71'
ornée , mais je regretterois qu'elle le fût
moins. J'ai une table affez bien fervie ,
mais où l'intempérance ne s'affied jamais :
j'ai quelques notions de certains arts , &
je les cultive par délaffement. Voilà
pourfuivit-il , douze tableaux regardés
comme excellens , car je n'en veux point
de médiocres : voilà une bibliothéque peu
nombreuſe , mais choifie , & de laquelle
je fais ufage : voilà quelques inftrumens
d'aftronomie , fcience à laquelle je ne me
livre qu'avec précaution. Regardez ce jardin
; il réunit l'agrément à la fertilité :
un de mes plaifirs eft de le cultiver en
partie moi-même , d'arrofer ces fleurs &
de les voir éclore , délaguer le fuperflu de
ces arbres & d'en recueillir les fruits ,
Voici un arbriffeau que je plantai moimême
pour confacrer un fouvenir qui
m'eft bien cher. Cet arbufte croît , il acquiert
chaque jour plus de confiſtance ,
plus de folidité : il eft en tout point l'image
de mon bonheur !
Voyez , ajouta le jeune Perfan qui s'étoit
ému en prononçant ces dernieres paroles
, voyez le fallon qui termine ce jardin
; j'y raffemble auffi fouvent qu'il m'eft
poffible quelques amis fincères & mes
égaux ...
Des amis ! s'écria le Cynique avec un
72 MERCURE DE FRANCE.
y
rire amer. Des amis ! répétoit Héraclite ,
enfoupirant. Oui , des amis , reprit le Perfépolitain
, avec une forte d'indignation :
avez- vous auffi le malheur de ne pas croire
à l'amitié? Ni l'un , ni l'autre philofophe ne
répondit à cette queftion ; mais l'un rioit
& l'autre pleuroit. C'en eft trop ! s'écrie à
fon tour le fage Perfan , il faut vous convaincre
qu'il exifte un fentiment fupérieur
encore à l'amitié ; mais que des mifantropes
tels que vous croyent fans doute encore
plus rare. A ces mots , il leur fait figne de
le fuivre , & les conduit dans un appartement
un peu féparé du refte. A peine il
parut , que deux tendres enfans accoururent
à fa rencontre , en l'appellant du doux
nom de père : une femme d'une rare beauté
le regardoit fans rien dire ; mais ce regard
difoit tout : c'étoit l'expreffion de l'amour
même , & jamais deux yeux ne parurent
plus dignes de l'infpirer. Le croiras- tu , ma
chere Fatmé , lui difoit fon époux ? Ces
deux étrangers doutent que l'amour ait jamais
habité dans nos murs ; ils doutent que
lui & le bonheur exiftent même dans l'Univers.
C'est qu'ils n'ont pas nos coeurs
lai répondit Fatmé , autrement ils croiroient
au bonheur & à l'amour.
Approchez , dit l'heureux Perfan , aux
denx philofophes incrédules ; jugez vousmême
MAI 1765. すず
même fi mon bonheur eft une chimère.
Fatmé cut le premier hommage de mon
coeur, & cet hommage la rendit fenfible.
pour la première fois. Son amour égala
bientôt le mien ; nous n'éprouvâmes que
les obftacles propres à augmenter les defirs
& non à détruire l'efpérance : rien n'a depuis
traversé notre union , & tout contribue
à la refferrer. L'eftime entre nous produit
la confiance : j'aime fans être jaloux ,
& Fatmé, d'ailleurs , fuit toutes les occafions
de plaire à d'autres. Je voudrois que
tout l'univers connût ce qu'elle vaut ; elle
voudroit être ignorée de tout l'univers.
Enfin , ces enfans , ces tendres fruits d'un
hymen fortuné en multiplient les noeuds ;
ils nous font éprouver le fentiment de la
nature , auffi doux que celui de l'amour.
même , & qu'il augmenteroit encore fi
rien pouvoit l'augmenter en nous.
Durant ce difcours Fatmé verfoit des
larmes de tendreffe , & Héraclite des pleurs.
de compaffion. Hélas ! difoit- il , voilà bien
le plus malheureux couple qui exiſte ici
bas. Si tout cer amour eft vrai , comment
l'un foutiendra-t-il la perte de l'autre ? &
cependant cette perte peut arriver dès demain
! Dès demain un de ces enfans peut
tomber du haut de ce perron , peut être
écrafé par la chûte de ce mur ! Je fors ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
pourfuivit- il , car les fanglots font prêts à
me fuffoquer. Il fortit en effet. Pour
Démocrite , il avoit d'abord ceffé de rire
à l'afpect de Fatmé : il ne trouvoit pas
qu'il fût ridicule à fon époux de la croire
belle mais la confiance du Perfépolitain
lui rendit toute fa gaîté. Quoi , difoit-il
à voix baffe , parce qu'un arbre a évité
durant cinq ans d'être frappé de la grêle ,
il s'en croit exempt pour toujours ? Il ne
faut qu'un moment pour lui apprendre que
fa tête n'eft pas plus facrée que celle d'un
:
autre. En achevant ces mots il fortit avec
précipitation , & alla rire à fon aife auprès
d'Héraclite , qui achevoit de pleurer.
Le Perfan refta convaincu pour jamais
qu'on ne perfuadoit rien à des philofophes.
La belle Fatmé n'entendit point le propos
du Cynique. L'augure d'Héraclite l'avoit
effrayée , mais elle fe raffura : il n'arriva
nul malheur à fes enfans ; il ne grêla point
fur l'arbre. Les deux époux vécurent longtemps
, & ne changerent point de conduite.
Les deux philofophes mirent fin à leurs
épreuves , & ne changèrent point de ſyſ
tême.
Par l'Auteur des Contes Philofophiques.
AVRIL 1765 . 75
LETTRE de M. PIRON à M. DE LA
PLACE , auteur du Mercure.
VorOILA , Monfieur , le dernier enfant
de ma mufe , & plût à Dieu que fon Prémier
né eût reffemblé à celui-là ! S'il a le
bonheur de mériter votre atache , & l'aprobation
du Cenfeur , vous m'obligerez
de l'honorer d'une place dans votre Mercure
, & de l'annoncer fous mon nom
dans la Table qu'on parcourt d'abord
pour y choifir les morceaux qui affectent.
Ce n'eft pas que ce nom de fi petit bruit
fur notre Parnaffe , me femble capable d'intéreffer
beaucoup par lui feul ; mais on aime
les Contraftes ; & prévenu comme on eftffur
le caractère de mon âme , depuis le malheureux
égarement de mon efprit , d'il
y a plus de cinquante ans ; je m'imagine
que les Vrais dévots , les Faux & Ceux qui
ne font ni l'un ni l'autre , ne feront
pas
fâchés de voir où cette Ame en eſt dans
fes derniers fentimens , & comment cet
efprit vielli s'y fera pris pour les exprimer.
L'orgueil poétique au refte , comme vous
concevez bien , Monfieur , n'a point ici de
prétention. C'eſt à l'humiliation , plutôt
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
que je cours viſiblement. Je m'attends
bien à la mauvaiſe pitié & aux plaifanteries
de nos Mondains ; or parmi vos Lec- .
teurs , il y a cent de ces Meffieurs , contre
une Bonne ame qui m'aprouvera , fans
fonger même fi les vers font bien ou mal
faits. On dira ce qu'on voudra. J'aurai fait
ce qui m'aura plû ; j'aurai un peu pacifié
ma confcience , en attendant la rémiffion
d'En-haût. J'aurai peut-être édifié : bien
tard , à la vérité , pour qui eut le malheur
de fcandalifer fitôt ; mais encore vaut- il
mieux pour une Mufe chrétienne, & péchereffe
, prêcher fur l'échèle que jamais .
C'eſt à vous , Monfieur , guidé par vos
lumières , de me feconder ou de me laiffer
là. Tout ce que vous ferez fera bien fait ,
tout ce que vous penfez eft bien penfé ,
à moins que vous ne penfiez que quelqu'un
puiffe être avec une plus fincère
eftime & plus de confidération que moi ,
MONSIEUR ,
Le 16 Avril 176 5i
Votre , & c,
PIRON
MAI 1765. 77.
PARAPHRASE du Pfeaume Cxxix. De
profundis clamavi , &c.
C'EST
EST du fond de mon coeur , grand Dieu ,
que je t'implore !
Du fond d'un coeur frappé d'un falutaire effroi ,
Que le remords pourfuit , que le regret dévore ,
Mais qui toujours eſpère en Toi.
Exaûce un Moribond qui t'invoque & t'apelle !
Des Humains , n'ês -tu pas le Père , en les créant à
Pour n'être qu'un Objet de l'Ire paternelle ,
M'aurois- tu tiré du néant ?
Remets - moi fous ton aîle , & deviens mon
Refuge !
J'ai fuivi le torrent du Siécle vicieux :
Eh qui de nous , hélas , fi tu n'ês que fon Juge ,
Sera pardonable à tes yeux ?
Dieu pardonne , dit l'Homme : il connoît ma
foibleffe :
Puis-je tant en avoir , qu'il n'ait plus de bonté ?
Sur ce principe , il s'ouvre & s'élargit fans celle
Les roûtes de l'Iniquité.
Bientôt devoirs , falut , tout fort de fa mémoire
De la Grâce il oublie & le prix & le don ,
La part qu'il put avoir à l'éternelle gloire
Et la refource du pardon.
Dii j
78 MERCURE
DE FRANCE.
De l'infernal Abîme il voit enfin la flâme ;
Il la voit quand il touche à fon dernier moment :
Contrit, moins qu'effrayé , pour lors il te réclâme,
Et te réclâme vainement.
Comme il l'a pourfuivie , achevant fa carrière ,
Sans efpoir , fans amour , il n'a que des remords.
Ta clémence long- temps attendit fa prière ,
Et ta juftice eft fourde alors .
Tel eft le jour affreux dont la nuit eft fuivie :
Sur moi - même tel eft le retour acablant ;
Ainfi , fur le tableau de ma coupable vie ,
Je jette les yeux en tremblant.
Croirai - je que déja mon âme eft réprouvée ?
Perdrai-je , en la rendant , l'efpérance & la foi?
Non , Seigneur , ta parole eſt trop avant gravée
Et trop vivifiante en moi.
« Tu l'as dit : Qu'Ifraël en repos vive & meure ;
Mes bras lui font ouverts en tout temps , en
>> tout lieu ;
›› Du premier de ſes jours , jufqu'à la dernière
>> heure ,
و د
Qu'il ait confiance en fon Dieu !
» S'il a prévariqué , qu'il fe repente , m'aime ,
>> Me remontre un conr pur , tel que je lui
>> donnai ;
>>Qu'à tous les ennemis il pardonne lui-même ,
>> Et tout lui fera pardonné ».
MAI 1765. 79.
Mourant dans cet efprit , & plein de confiance »
Quand donc au Tribunal je ferai préſenté ,
Que ta Miféricorde y tenant la balance ,
Défarme ta Sévérité.
PIRO N.
LETTRE de M. le Prince DE CROY & DE
SOLRE , Prince du Saint Empire , Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant-
Général des Armées de SA MAJESTÉ ,
Commandant-Général en Picardie , &c.
datée de Paris le 20 Mars 1765 , à
MM. les Maire & Echevins de CALAIS .
JE reconnois , Meffieurs , votre attachement
pour le Roi dans tout ce que vous
avez fait. Je n'en fuis pas étonné . Je dois
y joindre mes foibles louanges ; partager
votre joie en qualité d'un de ceux qui vous
eft le plus attaché , & qui fe fera gloire de
publier qu'il vous a toujours trouvé dignes
de vos ayeux.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Signé , LE PRINCE DE CROY,
Div
Το
MERCURE
DE
FRANCE
.
LETTRE de M. le Duc DE CHAROST
Pair de France , Lieutenant- Général de
Picardie & Boulonnois , Meftre de Camp
du Régiment du Roi , Gouverneur des
Ville , Citadelle , Forts de Calais &
Pays reconquis , &c. &c. datée de Paris
le 18 Mars 1765 , à MM. tes Maire
& Echevins de CALAIS.
M.ESSIEURS ,
J'AI reçu il y a quelques jours une
lettre où vous m'envoyez votre délibération
du 6 de ce mois . Vous ne deviez pas
douter que je n'approuvaffe les témoignages
de votre reconnoiffance envers M. de
Belloy & la jufte fenfibilité que vous a
caufée le fuccès qui , en couronnant fa
Piéce , a fait admirer à la France , dans les
anciens Citoyens de Calais , ces mêmes.
fentimens de patriotifme , d'amour , d'attachement
& de fidélité au Roi , dont je
fus le témoin & le dépofitaire lorfque ,
comblé des bontés du Prince , qui venoit
de me nommer Gouverneur de votre Ville
MAI 1765 .
81
Jeus la fatisfaction de voir tous les habitans
du pays Reconquis regarder fa gloire
comme la leur propre , & le chérir comme
un père bien aimé. Ce font ces fentimens
qui m'ont infpiré pour eux une eftime &
un attachement fincère & inviolable : c'eſt
avec ces mêmes fentimens que je fuis en
particulier ,"
MESSIEURS ,
Votre , &c. Signé LE DUC DE CHAROST.
FRAGMENT d'une lettre écrite de Calais
à M. DE LA PLACE.
ILL ne me refte , Monfieur , qu'un mot
à vous dire , au fujet des deux couplets de
la Romance que vous vous êtes rappellé:
'avoir entendu chanter au peuple de Calais
dans votre enfance , en mémoire de la retraite
forcée des Efpagnols en 1657, journéefi
glorieuse pour nos ancêtrés , qu'ils la
célébrent encore annuellement ( le 2 Juillet
) par une procellion folemnelle ......
Vous auriez pu , je crois , ajouter à la note ,,
concernant M. le Comte de Saint - Martin
VICTOR DE SAINT- MARTIN de Tou-
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
REMPRE , ( 1 ) fuivit les ennemis de fi près
dans leur retraite , après la levée du fiége
qu'il prit d'affaut , l'épée à la main , le Fort
SAINT - PHILIPPE , proche Gravelines ,
fit le Gouverneur prifonnier de fa main ,
& en fit encore nombre d'autres en continuant
de poursuivre leur arrière-garde.
Vous fentez mieux qu'un autre , Monfieur,
qu'un trait hiftorique , auffi honorable
pour le pays que pour les defcendans
de Victor de Saint - Martin - Tourempré,
mérité d'être rappellé & confervé dans' un
Journal que nous regardons comme celui
de la nation.
J'ai l'honneur , & c .
De Calais le 18 Avril 1765.
B.. ::
LE mot de la première énigme du
fecond Mercure d'Avril eft le pied. Celui
de la feconde eft la rape à tabac. Celui
du premier logogryphe eft la chatte. Celui
du fecond eft la peau , & celui du troifieme
eft joie , lequel l'j ôté , il reſte oie .
( 1 ) Il étoit ancien Capitaine au Régiment de
Mazarin , Infanterie , aujourd'hui Bretagne , &
commandoit la milice du pays.
ΜΑΙ 1765.
83
JE
ENIGM E.
E fuis de tout temps , quoiqu'enfant ;
Mon père vit dans le carnage ,
Ma mère a fait jafer fouvent ;
Ma foeur honnête , douce & fage ;
Vaut mille fois mieux que nous trois ,
Et n'a perfonne fous fes loix.
De l'Olympe à l'humble chaumière ,
J'embraffe la nature entière .
Je vifte peu les palais ;
Je fuis la grandeur , l'opulence ,
C'eſt dans les champs que je me plais.
Je fuis colère , un rien m'offenſe ;
Je fuis bon , facile , indulgent .
Je fuis léger comme le vent ,
Et je me pique de conftance .
Je fuis timide , circonfpect ,
Hardi , violent , plein d'audace .
Je pefte , je gronde & menace
En parlant toujours de reſpect.
Je fuis gai jufqu'à la folie ,
Et fouvent des plus grands plaifirs
Je paffe à la mélancolie.
Impétueux dans mes defirs ,
Quelquefois , fuivant l'occurrence ,
Je fais m'armer de patience.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE
}
-Je fuis aveugle clair - voyant ;
Je ne vois rien , rien ne m'échappe..
Je fuis crédule , défiant ;
Tout m'eft fufpect & tout m'attrape
J'éclate & parle ſans raiſon :
Je cherche l'ombre , le mystère
Je fuis un baume falutaire 3
Je fais un dangereux poifon :
Je fais le père de la vie ,
J'enfante de mortels combats .
J'aime la paix & l'harmonie ,
Et je trouble tout ici bas.
Je fuis trompeur plein d'artifice ,.
Et cependant fimple , ingénu .
Penflamme l'honneur , la vertu ;
Je,fouffle le crime & le vice.
De tous les biens , de tous les maux
Je fuis , ce bizarre affemblage.
Je fuis , pour finir en deux mots ,
Sans vous amufer davantage ,
Le fujet de tous les difcours ,
Et le vrai phénix de nos jours .
Do
MAI 1765:
ENVOIà Mďè DE LA V. B. .
Q
VAND Vous lirez , Eglé , ce badinage ,
N'eifayez pas d'en trouver le fecret ;
L'objet des vers dont je vous fais hommage
A votre esprit jamais ne s'offriroit.
Il vit pourtant avec vous & fans ceffe ;
Mais l'hypocrite a fçu jouer d'adreſſe ,,
Du bon côté feulement s'eft montré.
11 a chez vous l'habit , le caractère ,
Tout , jufqu'au nom de l'ennemi juré
Avec lequel il est toujours en guerre..
D
AUTRE
AN sun cachot obfcur je paſſe , cher Leeteur
,
A peu de chofes près les deux tiers de ma vie ;.
Mais , loin que ma prifon me fâche & m'humilie,
Elle produit ma joie & mon bonheur.
Que l'on m'ôte mes fers , au fein de la moleffe ,
Tranquillement je coulerai mes ans ,
Quoique j'aie la clef des champs ,
Loriqu'on les met ou qu'on les laiffe
$ 6 MERCURE DE FRANCE .
Q.
AUTRE.
UI , fans rire , pourroit ouir mon avend
ture ?
Une barbare main me tranche infolemment ,
Pour me remettre où la nature
Avoit fixé mon logement.
LOGO GRYPHE.
DE
A Madame DE...
E ma foeur & de moi je tais ici l'hiftoire
Faite pour émouvoir la fenfibilité :
Banniffons-la de la mémoire
Sans en rien dire à la postérité.
...Chez les paisibles Cafaniers ,
Quel que foit le lieu que j'habite ,
Je fais ma première vifite
En arrivant dans leurs foyers .
En me décompofant on verra par avance
Chez nos derniers rivaux une grande cités
Une ville en Franche-Comté
1
1
MAI 1765.
87
:
Deux fleuves connus dans la France ;
Le chef-lieu d'an Royaume où régna Tamerlan 3
Et de Syracufe un Tyran ;
4
Le roi des animaux ; deux Papes ; un Prophète ;
D'un Etat policé le frein qui nous arrête ;
Celui qui le premier a connu le raifin ;
Un des points cardinaux ; une couleur funèbre
L'amante d'un Chantre romain ;
En Angleterre un titre fort célèbre ;
Un animal dormeur ; un cruel élément ;
Certain emploi jadis connu dans Rome ;
Ce qui diftingue un des cinq fens de l'homme ;
N'oublions pas Chloüs , le Dieu du vent ;
J'amuferois encor votre manie :
Mais je vous cite enfin une Univerſité
Chez le froid Hollandois ; & je fuis arrêté
Par la naiffance du Meffie .
Par M. DE BESS ANCOURT ,
en garnifon à Amiens.
Qu
AUTRE.
UOI ! vous voulez , Hortenfe , un logogryphe
!
Quai - je donc fait pour ainfi me punir ?
J'aimerois mieux grimper au pic de Ténériffe ;
Mais làs vous êtes femme , il faut vous obéir
35 MERCURE DE FRANCE.
A
Allons , montons fur l'Hippogrife ,
Four dépêcher ma tâche , & plutôt la finir.
Quoi vous voulez encór tel mot , & de trois
lettres ,
En trois fois vingt - cinq vers , avec deux pardeffus
?
Quel caprice étonnant trois lettres rien de
plus !
Et tant de vers ! ... Le dieu même des jeux cham
pêtres
Feroit , pour réuffir , des efforts fuperflus ,
Car en peu de momens fix termes font connus ( 1).
Il eſt vrai que ce mot offre mille modèles :
Mais pour en retracer des images fidèles ,
Il faudroit le pinceau de l'ami ( 2 ) de Morus.
N'importe ... cependant jurez , que de la vie:
Vous ne m'ordonnerez une telle folie .
1
Un logogryphe ! ...Hortenfe ! ah ! je ne reviens
poin ..
: Commençons donc c'eft là le point.
Orfus je fuis d'une grande famille ,
C'est- à- dire , que j'ai des parens à foifon ,
De tout rang , tout éclat , dont le centre eſt
Lille (3 ).
( 1 ) Trois lettres ne s'arrangent que de fix façons
quatre de vingt- quatre.
( 2 ) Erafine.
(3 ) ( en Flandres ) Ceci eft relatif à un vieux quoliber
du pays.
MAI 1765. 189
Trois fignes , comme on fait , compoſent tour
mon nom ..
On a déja prévu que leur combinaiſon
Ne fçauroit être difficile .
Soit mais je crois qu'au premier coup
Un fot n'en viendra pas à bout.
On me trouve aux champs , à la ville ,
Aux cloîtres , aux palais , même aux conſeils des
Cours ;
Quelquefois au lycée , & toujours au collége
Bref , pour remplir ce futile difcours ,
Tel eft enfin mon privilége ,
Qu'en tous lieux , en tout temps je parois tous
les jours .
La fortune à mon char aſſez fouvent s'attache ;
A mon efpect le mérite fe cache :
C'est bien en vain qu'il me lance des traits
C'est plus vainement qu'il fe fâche :
Tels font du fort les différens décrets ;
Je triomphe , il gémit & je régne à jamais.
Tu crois déja m'avoir , Lecteur , mais je t'échappe .
Tranfpofe feulement les membres de mon corps ;
Sépare les , joins - les , penſe à ce qui te frappe
Et fans t'arrêter aux dehors ,
Calcule , & crains qu'ici je ne t'attrape ..
Premierement j'offre un vieux mot ,
Mais françois , & peignant l'image
D'un goût purement hottentot ,
Dont plus d'un peuple , qu'on dit fage
MERUCRA DE FRANCE.
Et que je crois être encore Ostrogot
Ofe fe vanter d'âge en âge :
>
Mot enfin qui défigne un nombreux affemblage
De fors , de foux , de furieux ,
Qui trouvent admirable , & fur- tout glorieux ,
De porter avec art , par- tout fur leur paffage ,
Le fer , le feu , la mort & le pillage.
Tu trouveras enfuite une exclamation
Qui nous conviendroit fort en y joignant Bara
bares !
Un verbe italien , & d'affirmation ;
Un latín , décrivant une pofition ;
Un terme grec; deux noms Celtiques & Bulgares;
Dont incertaine eft l'explication.
Un fon du doux appeau de nos filles de joie ,
Auquel an provincial ſe prend ainſi qu'une oie
Le fynoyme d'un pédant ;
Celui d'un pauvre Auteur de triftes logogryphes ;
It dont je fais ici fans doute le pendant.
Le contraire des efcogriffes ;
Le vrai portrait du Pigmée impudent ,
Dont la grotesque voix , ſemblable au cri du zèbre,
Veut difputer la palme à l'Ecrivain célèbre
Qui fait couler nos pleurs au Siége de Calais ,
Et dont la nation couronne les fuccès.
Je refpire à la fin ; car ma tâche cruelle
Pour s'achever , n'a befoin que d'un mot,
SA
1
Gai
En vain une co quette Projette
Flute ou Violon.
ma
defaite;
tour à tour avec artsonregardLanguiteipé.
zal le: SonregardAvee artSonregardLanguit elpé:
-til - le:Maisdans ses brasMalgréson art etses ap
=pas, Amourtonflabeau brille etne brulepas .A-
= mour tonflambeau brille et ne brule pas.
MAT 1765.
Ce qu'on cherche eft fouvent fous l'or & la dentelle
:
J'en ai trop dit , & je ferois un for
De perdre plus de temps à cette bagatelle .
Par M. TALOT , de Lille en Flandres.
CHANSON.
La Coquette.
ENVAIN NVAIN une coquette
Projette
Ma défaite.
Tour à tour , avec art
Son regard
Languit & pétille .
Mais dans fes bras ,
Malgré fon art & fes appas ,
Amour , ton flambeau brille ,
Et ne brûle pas.
La mufique eft de M. DARD , Ordinaire de la
Mufique du Roi & de l'Académie . Les paroles
de M. FORESTIER.
2 MERCURE DE FRANCE.
1
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un
ouvrage intitulé , l'Homme éclairé par
fes befoins.
MONSIEUR ,
JE vous prie de vouloir bien inférer
'dans votre Journal des obfervations que
j'ai faites fur le plan de l'Homme éclairé
par fes befoins , ouvrage à qui vous avez
donné de juftes éloges , & à qui le Public
a fait l'accueil le plus favorable.
Il me paroît que l'Auteur s'eft propofe
de confidérer l'homme focial , civil &
politique par fes rapports avec les fciences
& les arts : il ne faut donc point regarder
fon livre comme un tableau qui préfente
la chronologie des temps , l'ordre & les.
dates des faits , máis comme un fyftêmeingénieux
& profond dont l'entendement
feul doit fuivre le fil.
MAI 1765 :
Quoique l'objet de l'Homme éclairé par
fes befoins paroiffe au premier abord le
même que celui de l'hypothèſe du Chancelier
Balon & des recherches de Goguet
il en différe néanmoins infiniment.
L'Auteur Anglois n'a pas prétendu donner
la génération des connoiffances humaines
, il la fuppofe , & il ſe borne à examiner.
leurs degrés d'analogie . En les enchaînant
aux diverfes facultés de l'âme , il a créé
un ſyſtême fublime , très -propre à établir
la nomenclature des arts & des fciences ,
mais idéal ; il n'en a pas fait porter les
fondemens fur la bafe des faits , & il a
bâti plus en hauteur qu'en profondeur.
Goguet n'a écrit qu'une hiftoire. Auffi
n'y trouve - t-on pas cette progreffion graduée
, fi intéreſſante aux yeux du philoſophe
; on n'y apperçoit que quelques monumens
difperfés , comme au hafard , fur
la vafte étendue des fiécles & de l'univers,
Et puis il n'a obfervé la marche de l'efprit
humain que fur un point de la terre , je
veux dire, chez les Babyloniens , les Egyptiens
& les Grecs . On ne doit point routefois
lui en faire un crime ; on fait que les
premiers pas des fciences & des arts fe font
perdus dans les ténèbres des fiécles d'ignorance
, long -temps avant la découverte de
l'écriture & de l'Imprimerie , & que les
94 MERCURE
DE FRANCE
.
guerres & les révolutions dont le monde
fut toujours le théâtre , dûrent renverfer
prefque tous les monumens & effacer juf
qu'aux traces de la tradition .
Le grand principe de l'ouvrage dont il
s'agit , nos befoins , a d'une part fes racines
dans la conftitution phyfique & morale de
l'homme , & de l'autre dans l'hiftoire. Le
peu de monumens des arts qui fe font confervés
dans une forte de fuite , font rangés
exactement dans l'ordre , & d'après la progreffion
de nos befoins & l'analogie des
objets. L'Auteur a été fondé à conclure du
préfent au paffé , & du réel au poffible . Les
befoins peuvent être immédiats ou éloignés
: les premiers font des befoins de néceffité
ou de nature ; les feconds font des
befoins faftices ou de luxe. Les uns & les
autres ont varié , felon la différence des
climats , des gouvernemens , des religions ,
de l'éducation , felon les diverfes fituations
des états & leurs rapports avec les peuples
Voifins & l'univers tous les détails fe
plient naturellement , & comme d'euxmêmes
, à cette idée fyftématique.
On en fait l'application aux arts utiles ,
aux paffions ou à la morale politique , aux
loix , aux fciences & aux arts agréables.
Comme après la dégradation de la nature
l'homme a eu dans lui le germe de
tous les befoins qui ne tarderent pas à l'enMAI
1765 .
vironner , les connoiffances humaines ont
à-peu -près vraisemblablement marché de
front fur la terre. Il femble d'abord que
c'eût été l'ordre naturel qu'eût dû fuivre
l'Auteur. On revient de ce préjugé pour
peu qu'on réfléchiffe. °. On peut. bien
peindre l'homme phyfique de face ou de
trois quarts ; mais bien loin de pouvoir
embraffer à la fois l'homme métaphyfique
par toutes fes dimenfions , il n'eft guères
poffible de l'envifager & de le préfenter
que par des profils. 2 ° . Les befoins des
hommes n'ont pu fe développer qu'à raifon
des circonstances où ils fe font trouvés
: or , l'hiftoire ne nous apprend rien à
ce fujet ; les développemens fimultanés
des fciences & des arts ne fçauroient donc
être qu'hypothétiques. 3 ° . Comme l'Auteur
l'a fort bien dit , en fuivant cette
méthode , il n'eût point donné à fes idées
l'étendue néceffaire ; il auroit été réduit
à des tranfitions fréquentes qui n'auroient
pu que jetter de la lenteur dans le ſtyle &
dans les chofes. 5 °. Son ouvrage eft celui
d'un philofophe & non d'un hiftorien , &
l'on a bien plus prétendu donner la métaphyfique
des connoiffances humaines que
leur hiftoire.
Ce dernier trait explique tout le plan
de l'Homme éclairé par fes befoins. Quoi
MERCURE DE FRANCE .
3
*
en effet de plus capable de fixer toute l'attention
de la philofophie, que la génération
progreffive de chaque art & de chaque
fcience ? Il falloit donc ranger nos con--
noiffances fous différentes claffes , eu égard
à leur genre , leur efpéce , & au degré de
perfection où elles font parvenues , afin
de pouvoir défigner leurs progrès fucceffifs.
Un philofophe , dans le cahos des
temps & des faits , ne faifit que la chaîne
infinie des rapports.
Quoique les paffions foient entrées avec
l'homme dans le monde , elles n'ont pu
s'élever à leur comble qu'après que les arts
utiles ont eu fait de grands pas vers leur
perfection : auffi n'en a - t- on traité qu'après
ces derniers. Les progrès de la légiflation
ont dû fuivre ceux des paffions. Les fciences
ayant pour baſe les expériences & l'obfervation
, l'antiquité du monde eft le thermomètre
de leurs développemens. Les
principes des arts agréables allant fe réunir
dans les mains de la métaphyfique , du
calcul , de la géométrie & de la morale ,
ils ont eu befoin d'être éclairés par le flambeau
des fciences .
L'ordre des befoins a dû fur- tour guider
l'Auteur dans le plan de chaque fection.
Dans la troifieme qui a pour objet les arts
aitiles, avant d'entrer en matiere, on donne
la
MAI 1765 . 97
la génération de la fociété des divers
gouvernements & des langues. L'homme
par fa nature eft fait pour la fociété : celleci
ne fauroit fubfifter fans une forte de gouvernement
: les avantages de la fociété &
des gouvernemens feroient nuls fans l'exiftence
des langues : par- là même elles tiennent
aux premiers befoins de l'homme. Vu
la fenfibilité de nos organes , l'intempérie
de l'air & des faifons , on a dû , dès le
commencement , s'avifer de l'art de ſe vêtir.
Le creux des arbres & des rochers offrant
des afyles aux divers individus , ils
n'ont pu que long- temps après s'occuper de
l'architecture ruftique . Ils n'ont probablement
tourné leur attention vers l'agriculture
qu'après avoir épuifé le gibier des forêts.
Les infirmités & les maladies ont dû
guider les obfervations de la médecine &
de la phyfique. Quand les progrès de la population
ont forcé le genre humain à habiter
des régions qui ne fourniffent point
aux néceflités & aux délices de la vie , on
a eu recours au commerce d'échange. Les
différences de la température des climats
& de la fertilité du fol , ont donné lieu à
l'invafion : d'où la guerre. L'écriture &
l'imprimerie étant une forte de langue pour
les yeux & pour les abfens , elle tient à
nos premiers befoins. Sans le long inter-
E
98
MERCURE
DE
FRANCE
. valle de temps qui fépare l'invention
des
langues ordinaires
de la découverte
de ces
derniers arts , l'Auteur auroit vraisemblablement
rapproché
des objets auffi analogues.
Dans la quatrieme fection il traite des
paffions , ou de la morale politique. La
Rochefoucaud
& bien d'autres philofophes
moraliſtes avoient regardé l'amour propre
comme une paffion mère , d'où naiffent
toutes les autres ; mais ils n'en avoient pas
établi les filiations , & ils ne les avoient pas
confiderées
comme reffort de politique.
L'amour propre eſt un befoin univerfel, dont tous les autres ne font des éma- que
nations . L'économie
pouvant contribuer
infiniment
à la confervation
de notre exiftence
, on peut dire qu'elle eſt un de nos
premiers befoins. L'orgueil tient à la confcience
que nous avons de la fupériorité
de notre êrre fur toutes les créatures d'un autre
genre de-là le defir d'être eftimé de
nos femblables
, ou l'amour de la gloire,
La vanité eft l'orgueil des petites ames. L'amour eft un befoin des fens , du coeur &
de l'imagination
. Il ne germe que longtemps
après la paffion dont je viens de parler.
L'amitié eft un befoin de l'ame . L'averfion
, la haine , la vengeance , la colère ne
font qu'un amour propre indiſcret,
MAI 1765. 99
Dans la fection cinquieme l'Auteur entre
en matiere par une idée fyftématique ;
il dérive toutes les loix de la loi de Nature.
La cité une fois fondée , les légiflateurs ont
dû pourvoir par leurs inftitutions aux befoins
des citoyens : d'où les loix civiles . Les
befoins intérieurs des états & ceux du
gouvernement
ont auffi éclairé la légiflation.
Qu'on life les obfervations fur l'histoire
de France par M. l'abbé de Mably , on verra
comment les befoins de la Monarchie Françoiſe
l'ont guidée fucceffivement à travers
les ténèbres de l'ignorance & de la barbarie
, dans la fanction des loix , & l'ont élevée
par degrés à ce point de gloire & de
grandeur qui affure le bonheur du Prince
& des fujets. Les annales du monde pour
des gens de génie ne font que l'hiftoire des
caufes & de leur influence fur les événe
mens. Je reviens à mon fujet.
Comme un citoyen eft lié aux autres citoyens
pår fes beſoins , un état l'eſt aufli
aux états de la même contrée & à tous les
peuples d'où la politique extérieure , le
droit public de certaines régions & le droit
des gens. La patrie eft la premiere famille
dont les citoyens font membres ; ils font
encore unis , quoique par des liens moins
immédiats , aux nations ou aux familles
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
voifines , & par des noeuds plus éloignés ,
à la famille univerfelle ou au Monde.
par-
La fection fixieme renferme la génération
des ſciences exactes. La logique étant
très-propre de fa nature à corriger les erreurs
, & à étendre la fphère de l'entendement
, elle tient aux premiers befoins de
cette faculté de l'ame ; d'ailleurs c'eſt une
fcience mère , innée , qui a comme conduit
par la main toutes les autres. L'homme
étant tout enveloppé de la main de la divinité
, & celle- ci étant le centre d'où
tent & où vont fe réunir tous les rapports
poffibles , il fuit que la fcience de la reli -
gion eft enchaînée à nos plus intimes befoins.
Le calcul & la géométrie ont leur
fource dans l'efprit de propriété , befoin
qui dut s'accroître quand l'agriculture fut
connue. L'Auteur , toujours d'après nos befoins
& l'analogie , fait fortir de ces fciences
fécondes les principales branches des
mathématiques. C'eſt la métaphyfique , ou
la fcience des caufes , qui a éclairé la phyfique
, lorfqu'elle a imaginé des fyftêmes
fur le monde : la métaphyfique tient à une
paffion inquiette , la curiofité , qui eſt un
befoin de l'entendement.
Le fujet de la feptieme fection , c'eſt la
Poéfie , ou les arts agréables , qu'il faut rapMAI
1765 .
101
porter aux befoins des fens , de l'imagina
tion & du coeur. On avoit dit que la poéfie
n'eftqu'une imitation de la nature ; mais
perfonne n'avoit étendu l'application de ce
principe auffi loin que l'Auteur.
On doit confidérer la poéfie proprement
dite comme un befoin de l'imagination :
elle exiftoit dès le commencement dans le
cerveau de l'homme. La fculpture a fes racines
dans le même befoin : l'oeil aime à
contempler l'image des objets qui l'ont vivement
frappé. Il en eft de même pour la
peinture qui n'a pu que fuivre la premiere :
le favant emploi des jours & des ombres
demandoit bien des connoiffances en fait
d'optique. La mufique ou la poéfie des
oreilles, eft propre par les proportions & l'analogie
des fons à entretenir l'activité de
l'organe de l'ouïe , & à le flatter : elle rend
avec une vérité finguliere les mouvemens
phyfiques , les fentimens & les paffions : elle
reffemble , à bien des égards , à la danſe
qui eft la poéfie ou la mufique des yeux.
Comme cette derniere eft affujettie à la
mefure , fes progrès ont dû être fubordonnés
à la mufique.
Vous voyez , Monfieur , que cet ouvrage
eft prefque tout de création , & qu'il eft ,
à proprement parler , la métaphyfique univerfelle
des fciences & des arts. Le laconif-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
me de l'Auteur annonce qu'il s'eft propofé
de dire peu pour laiffer beaucoup à deviner.
Il fe contente de marquer de loin en
loin la chaîne de fes principes : on pourroit.
lui reprocher d'avoir plutôt écrit pour des
philofophes que pour le commun des lecteurs.
Il auroit dû néanmoins fè fouvenir
que quoique le fiécle foit philofophe , la.
philofophie eft rare. Au refte , l'art fe cache
avec tant d'adreffe dans fon livre , que.
res analyfes les plus abftraites n'y font préfentées
que comme une fuite intéreffante
de faits , enforte qu'on croit lire l'hiſtoire.
rapide de l'efprit humain & les méditations .
d'un philofophe.
Un ouvrage qui contient une infinité de
principes & de vues , un ouvrage où l'unité
de fyftême , comme je l'aiprouvé , eft fi bien
gardée, où l'on manie fi habilement la fyn--
thefe & l'analyfe , où l'on parcourt la sphère :
des connoiffances humaines dans leurs progreffions
& leurs principaux rapports , ne.
peut qu'être auffi utile que profond.
Je fuis , & c.
L'Homme éclairépar fes befoins, fe trouve
chez Durand, le neveu , Libraire , rue Saint
Jacques , à la fageffe.
MAI 1765. 103
LETTRE de M. BLIN DE SAINTMORE à
Je
l'Auteur du Mercure.
E commence , Monfieur , par vous rémercier
de l'annonce avantageufe que vous
avez bien voulu faire de mon Héroïde de
Calas ; mais permettez que je me juſtifie
fur le fens que quelques perfonnes ont donné
à l'épigraphe que j'ai miſe en tête . J'ai
pour la Religion tout le refpect qu'on doit
avoir , & je ne crois pas m'en être jamais
écarté dans aucun de mes ouvrages. Par le
mot de relligio je n'ai prétendu défigner autre
chofe que le fanatifme & lafuperftition.
Lucrece lui-même l'a entendu ainfi dans le
commencement de fon poëme , où après
avoir déploré les malheurs de la famille
d'Agamemnon , qui fe vit forcé d'immoler
Iphigénie fa fille , il dit ce vers dont je me
fuis fervi :
Tantum Relligio potuit fuadere malorum .
Vous voyez , Monfieur , qu'on s'eft
trompé en traduifant cette épigraphe : je
ferois très fâché qu'on m'attribuât des fentimens
que je ne dois point avoir.
Comme j'efpere que vous voudrez bien
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
rendre ma lettre publique , je faifis cette
occafion pour détromper le public qui ne
ceffe de mettre fur mon compte des ouvrages
auxquels je n'ai aucune part. Les feuls
écrits qui foient de moi , font , Sapho a
Phaon , Biblis à Caunusfonfrère , Gabrielle
d'Etrées à Henri IV , & Jean Calas à Ja
femme & àfes enfans. Ces quatre Héroïdes
que j'ai corrigées avec beaucoup de foins ,
vont paroître inceffamment décorées d'eftampes
& de vignettes deffinées & gravées
par les plus habiles artiſtes , & fe débiteront
chez Sebaftien Jorry , rue & vis - à - vis la
Comédie Françoife , au grand Monarqne,
J'ai l'honneur d'être avec l'attachement
le plus fincere & l'eftime la plus diftinguée,
Monfieur , & c.
Ce 11 Avril 1765 .
BLIN DE SAINMORE.
MAI ∙1765.
105
MEMOIRES fecrets , tirés des archives des
Souverains de l'Europe , depuis le règne
-
de Henri IV. Ouvrage traduit de l'italien.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris,
chez Saillant deux parties in-12 .
Nous avons déja annoncé l'objet de cet
ouvrage qui renferme ce qui s'eft paffé de .
plus mémorable dans les différentes Cou : s
de l'Europe. Les cabinets des Rois & des
Républiques font le tréfor ordinaire où
l'Auteur a puifé ; & les dépêches de ceux
qui tiennent les rênes des états , ainfi que
celles de leurs Miniftres , lui fourniffent les
matériaux dont il forme fon édifice.
Teleft en fubftance l'avertiffement concis
du traducteur , qui donne une idée bien
jufte de ces mémoires fi célèbres dans la
république des Lettres. Ce traducteur qui
garde l'incognito , mais qu'on reconnoît
fans peine , s'étonne , avec raiſon , de la
beauté foutenue de l'ouvrage , & de ce que
perfonne , jufqu'à ce jour , n'a entrepris de
faire paffer dans notre langue les richeſſes
qu'il renferme : elles font , à la vérité , du
plus grand prix .
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
On trouve d'abord , dans une introduction
magnifique , un tableau de l'Europe
fait en grand , où les intérêts des Puiffances
font développés avec une noble liberté.
Le corps de l'ouvrage commence par le
portrait des deux principaux perfonnages
qui paroiffent fur la fcène , favoir, Henri IV
& Charles-Emmanuel , Duc de Savoie , qui
font comme les deux champions. Le contrafte
étonnant de leur conduite , la grandeur
d'ame & la franchiſe du premier , les
foupleffes & les artifices continuels du fecond
; la part effentielle qu'ils ont à l'intérêt
principal , font qu'on les apperçoit
toujours , même lorfque l'Auteur paffe à
d'autres. La fource & la fuite de leurs querelles
, leur accommodement , leurs ombrages
& leurs nouvelles plaintes , conduifent
le lecteur de furprife en furprife.
La conjuration du fameux Maréchal
de Biron occupe une bonne partie de ce
premier volume . Nos Hiftoriens , nulleinent
inftruits du fecret de cette affaire ,
difent vaguement que Biron , de concert
avec le Roi d'Efpagne & le Duc de Savoie
, avoit formé le projet de détrôner
Henri IV , & qu'il devoit avoir pour récompenfe
une fille du fecond , & la Bourgogne
érigée en fouveraineté . On trouve
dans le Livre que nous annonçons tout le
MAI 1765.. 107
tiffu de ce terrible complot : les rendezvous
, les pourpalers , les lettres , les réponfes
, les répliques , les inquiétudes , les
méfiances , les trahifons , la façon dont le
Maréchal eft attiré aux piéges , celle dont la
Cour & le Parlement procèdent , deux interrogatoires
, le coupable repréfenté visà-
vis de fes Juges & fur l'échaffaud.
On s'intéreffe à fa perfonne malgré fon
crime : on voit avec peine périrpar la main
d'un bourreau , un Seigneur qui avoit tant
contribué à affermir la couronne fur la tête
d'Henri IV. Il y a d'ailleurs dans lui un caractère
de franchiſe , qui joint à l'amour
des peuples & des foldats , le fait regretter.
Les remords qu'il éprouve en différentes
occafions , montrent une ame moins
corrompue , que féduite par une aveugle:
ambition : vice qui pervertit les meilleurs
naturels. Son crime eft moins le fien que
celui de Laffin qui l'y avoit apprivoisé par
degrés : Laffin , homme à jamais exécrable :
aux yeux de la poſtérité , & l'un des traîtres ·
les plus habiles dont il foit parlé dans aucune
hiſtoire.
L'Angleterre & la Hollande jouent un
grand rôle dans ces Mémoires. Elles fourniffent
mille beaux traits & quantité d'anec--
doctes curieufes. Parmi celles- ci on trouve
Evj .
108 MERCURE DE FRANCE.
les regrets & les larmes d'Elizabeth fur la
mort du Comte d'Effex.
La Hollande , encore dans fon berceau ,
eft repréſentée faiſant tête toute feule à la
Maifon d'Autriche , qui avoit effrayé l'Europe
& marché à grands pas vers la monarchie
univerfelle. Les efforts qu'Elizabeth
fait ouvertement pour la foutenir , les fecours
fecrets de Henri IV , la négociation
fimulée entr'elle & lui , pour une ligue
offenfive & défenfive contre l'Efpagne en
faveur de cette même Hollande , font autant
de modèles de gouvernemens pleins de
vigueur à la fois & de fineffe .
L'habileté des Miniftres de France &
'd'Angleterre , celle d'Elizabeth & de Henri,
de beaucoup fupérieure à la leur , font
faire au lecteur habile des parallèles délicieux.
Elles l'invitent à fuivre la liaifon
des affaires , & à chercher le véritable noeud
du fecret d'Etat.
Enfin , ces Mémoires , qu'il faut lire en
entier , font fi diftingués par l'importance
des matieres , l'élégance du ftyle & l'intérêt
foutenu qui y règne , qu'il n'eft guère
poffible de propofer au lecteur , dans le
genre hiftorique , un plus magnifique ouvrage.
L'Auteur François qui l'a rendu
dans notre langue , eft connu par plufieurs
MAI 1765 . 089
productions de ce genre qui lui ont acquis,
à jufte titre , la réputation d'un excellent
traducteur. Ce dernier écrit confirmera cet
éloge.
MARIA , ou les véritables Mémoires d'une
Dame illuftre par fon mérite , fon rang
&fa fortune ; traduits de l'anglois. A
Londres , & fe trouve à Paris , chez
Bauche , quai & auprès des Auguſtins ,
& chez L. Cellot , grand'falle du Palais ,
& rue Dauphine ; 1765 : deux volumes
in- 12 . Prix 3 liv. 12 fols broché.
ExN annonçant ce Roman , nous avons
déja dit , d'après l'Auteur lui-même , qu'on
n'y trouve que des événemens fimples &
vraisemblables , expofés dans le ſtyle le plus
clair & le plus naturel . On ne doit donc
pas s'attendre à des faits extraordinaires &
à des incidens merveilleux ; rien ne choque
ici la vraisemblance. L'hiftoire de l'héroïne
n'eft point hors du cours de la vie
commune. Sa conduite ne refpire que la
vertu & l'humanité. Les autres caractères
font foutenus , ils fervent tous à faire briller
celui de Maria , & fa douceur & fa fermeté
Tro MERCURE DE FRANCE.
dans les difgraces inévitables qui lui furviennent
, & auxquelles elle échappe par fa
prudence , la fageffe de fes difcours , la
pureté de fes intentions .
"
Nous allons actuellement entrer dans
quelques détails , & donner une idée de ce
Roman. Un foir que l'honnête , le bienfaifant
M. Worthy revenoit chez lui à pied ,
précédé d'un feul domeftique qui portoit
une lanterne , une pluie orageufe , furvenue
tout-à- coup , le força de fe mettre à
couvert fous une efpèce de hangard. Il entend
autour de cet afyle la voix d'une
femme qui fe plaint dans des termes capables
d'affecter vivement un coeur auffi bon
que le fien. Il lui offre des fecours qu'elle:
auroit fürement refufés , fi elle n'eût dé-
.couvert dans les traits de fon nouveau protecteur
autant d'ingénuité que de bienfaifance.
M. Worthy conduit lui-même chez
Miftrifs Coufens , femme de fon domeſtique,
l'infortunée Maria : la jaloufie de Madame
worthy fut la feule raifon qui empêcha
fon mari d'emmener chez lui cette
belle affligée. Madame worthy, raifonnable
fur tous les autres articles , avoit pris
un travers qui troubloit fouvent la tranquillité
de fon mari , & celle de toute fa maion,
Si M, Worthy regardoit une femme
MAI 1765. III
elle ne vouloit plus le voir: s'il jettoit un
fimple regard fur la moindre de fes domeftiques
, elle la chaffoit à l'inftant de fa
maifon . Son amour pour M. Worthy luis
faifoit regarder leur faute comme un effet
inévitable des charmes de fon mari , auxquels
, dans fon opinion , perfonne ne pouvoit
réfifter ; & elle fe difoit à elle -même ,
qu'à leur place elle eût été également cou--
pable. M. Worthy fe garda bien de faire
confidence à fa femme de la rencontre :
qu'il avoit faite ; il ne s'en ouvrit qu'à Mifs
Henriette fa fille , qui poffédoit toutes les.
bonnes qualités de fa mere , fans en avoir
le défaut. Mifs Henriette va trouver Maria
de la part de fon pere ; elle entre à peine
en converfation , que Madame worthy
ouvre brufquement la porte. Dans fon
tranfport elle accable fa fille de reproches ,
& l'accufe d'être la confidente des déréglemens
de fon pere , & de l'aider à la trahir.
Henriette & Maria pat viennent à la calmer;
& Madame worthy perfuadée de leur innocence
, fait conduire Maria chez elle
& la loge dans fon appartement. Mifs
Henriette & Maria deviennent amics intimes
. Sally Price , une des femmes de Madame
Worthy , étoit celle qui l'avoit inf
truite de la rencontre que fon mari avoit
faite de Maria ; elle étoit venue chez la
>
MERCURE DE FRANCE .
>
Coufens pour y voir un jeune homme nommé
Cafvvall , avec lequel elle avoit formé
une liaiſon criminelle : craignant que Maria
ne mît un obftacle à fon commerce fecret
, elle s'informa de la Coufens ce que
c'étoit que cette jeune fille , & pour la
faire fortir de cette maifon , elle donna fur
le champ avis à fa maîtreffe du peu qu'elle
favoit de cette aventure. La méchanceté de
Sally Price ayant échoué par la fageffe avec
laquelle Maria répondit à Madame worthy
, elle chercha de nouveaux moyens d'éloigner
Maria de la maiſon de fes maîtres
; elle fait entrer fon amant dans ce
complot , & tandis qu'elle dégoûte Maria
d'y demeurer plus long-temps , Cafvvall
forme l'indigne projet de la livrer au Lord
Belvidere , fils du Lord Beaumont , qui en
étoit paffionnément amoureux. La Price
réveille la jaloufie de Madame Worthy ,
& en même temps offre fon fecours à Maria
pour fe fauver de la maifon. Maria
croyant que fa préfence troubleroit toute
la famille , prend la réfolution d'aller demeurer
à la campagne chez un prétendu
parent de Sally Price , & d'y vivre du travail
de fes mains jufqu'à ce qu'elle puiffe
trouver une place auprès d'une femme de
qualité. Cafvvall fe faifant paffer pour le
fermier
parent de Sally Price , l'emmene
MA I 1765. 113
de Londres , & la remet entre les mains
d'un des fermiers du Lord Beaumont , qui
l'envoie le lendemain chez M. Holmes ,
fermier de fir Thomas Jones , infigne libertin
& ami du Lord Belvidere. Celui- ci
fait croire au fermier de fon ami que Maria
eft fa femme , & que par une fauſſe dévotion
, elle refufe de le laiffer approcher
de lui , & il le conjure de lui laiffer paffer
la nuit dans fa chambre , eſpérant la ramener
par toutes fortes de moyens . Le fermier
à qui fon maître avoit attefté la même
chofe , & donné des ordres pofitifs à ce fujer,
confent à tout ce qu'on exige de lui.
Lucie, la fille du fermier qui avoit tenu
compagnie le foir à Maria , s'apperçoit
qu'elle n'eft rien moins qu'une femme a
qui la dévotion avoit tourné la tête. Elle
s'explique affez pour que Maria ſe tienne
fur fes gardes , & paffe la nuit fans fe déshabiller.
Le Lord Belvidere entre au milieu
de la nuit dans la chambre de Maria ;
elle fe défend & pouffe de grands cris.
Roger , fils de M. Holmes , accourt armé
d'un bâton , dont il fait une large bleffure
à la tête de Belvidere , ce qui délivre
Maria de ce danger. Elle paffe le reſte de
la nuit en fûreté . On enleve le bleffé . Lucie
le lendemain de grand matin va conter
cette aventure à un Miniftre du voiſi114
MERCURE DE FRANCE .
nage , nommé M. Burnet , qui confent de
recevoir Maria chez lui , jufqu'à ce qu'elle
puifle être placée. Roger , frere de Lucie, la
conduit le même jour chez le Miniftre.
Quelques heures après arrive chez M. Burnet
, le Chanoine Hovvard , qui avoit été
Aumônier du Lord Beaumont , & quireconnoît
Maria. Les deux eccléfialtiques
conviennent de la préfenter à Lady Latimer
qui demeuroit dans leur voifinage : c'étoit
une veuve fans enfans , d'une piété profonde
, & qui n'ufoit de fes grands biens ,
qu'à faire une infinité de bonnes oeuvres ,
& à tirer les malheureux de la mifere &
de l'oppreffion . Lady Latimer eft charmée
de trouver cette occafion d'exercer ſon humeur
bienfaifante , & reçoit chez elle Maria.
L'excellente éducation , le mérite &
les vertus qu'elle découvre dans cette fille
l'attachent à elle. Maria lui raconte fon
hiftoire ; elle ignore le nom de fes parens ,
elle fait feulement qu'elle a été laiffée par
eux à Edimbourg en bas âge chez une feinme
catholique , nommée Madame Blair
qui , dans le deffein de l'élever dans fa religion
, l'a transférée à Besançon , & de- là
à Douai , où elle la remit à fa mort entre
les mains d'une de fes amies avec une fomme
d'argent affez confidérable pour la mettre
à l'abri de la néceffité. Cette Dame ayant
>
>
MAI 1765: 115
des affaires en Angleterre , l'avoit emmenée
à Londres , où étant morte , elle l'avoitlaiffée
avec une affez grande augmentation
de fortune , entre les mains d'une
autre amie , qui , par excès de zèle , fe retire
dans un couvent de Flandres , où elle
meurt peu de temps après. Cette Dame l'a
laiffée fous la conduite de Lady Filz Gerald
, catholique comme elle , à l'extérieur
mais qui n'avoit que les dehors de la religion.
Lady Filz Gerald s'étant remariée
& voulant fe retirer en Irlande , l'a , pour
ainfi dire , vendue à Mylord Beaumont qui
s'étoit donné d'abord auprès de Maria pour
fon pere , & l'avoit fait paffer pour fa fille
dans fa maifon , & auprès de quelques uns
de fes amis. Le vieux Beaumont ne pouvant
plus fe contraindre , & craignant que
fon fils, qui étoit auffi devenu amoureux de
Maria , ne le prévînt & ne lui enlevât
l'objet de fon amour , la preffe ou de confentir
à fes defirs , ou de fortir à l'inſtant
même de fa maifon. Maria ne balance pas
d'abandonner cette famille à l'entrée de la
nuit , & c'eft alors qu'elle fait la rencontre
de M. Worthy. Elle raconte ce qui s'eft
paffé depuis ce moment jufqu'au temps où
elle a le bonheur de faire la connoiffance
de Lady Latimer. Cette Dame frappée de:
quelques traits de conformité qu'elle trouz
116 MERCURE DE FRANCE.
ve entre l'enlèvement de Maria , & l'hif
toire d'une de ses amies qui avoit perdu
fa fille à - peu-près dans le temps , & avec
des circonftances affez femblables à celles
où fa jeune protégée avoit été ravie à ſes
parens , écrit fur le champ à fon amie
de venir la trouver inceffamment. Cependant
M. Worthy , Mifs Henriette & fa
mere avoient fait des recherches infructueufes
pour en apprendre des nouvelles.
Mifs Henriette revenant vers le midi , fans
équipage , de faire une vifite , rencontre
dans la rue un jeune homme de bonne
mine & bien vêtu , qui l'arrête & lui dit
qu'une jeune fille appellée Maria eft mourante
dans une maifon voifine ; qu'elle la
demande , & qu'il n'y a pas un moment à.
perdre , fi elle veut la voir & lui parler
pour la derniere fois . Henriette fe laiffe
conduire dans une maifon d'affez belle
apparence. Au lieu de la mener dans la
chambre d'une malade , on l'enferme feule
avec le jeune homme qui fe jette à fes
pieds , & lui déclare que c'eft une fupercherie
dont l'amour feul eft la caufe ; que
fa naiffance eft proportionnée à la fienne ,
& fes efpérances égales à la fortune de
M. Worthy; qu'il a un Miniftre prêt à les
marier , & qu'il ne lui donne qu'un moment
pour confentir à fa propofition ;
MAI 1765 . 117
qu'elle ne peut lui échapper , & que dans
un inftant il obtiendra ce qu'il demande de
force ou de gré.
Mifs Henriette , qu'il quitte & qu'il enferme
, n'a que le temps de crier au fecours
par une fenêtre : on l'entend d'une maifon
voifine ; un jeune homme lui promet de
la fecourir ou de perdre la vie . Le raviffeur
rentre en même temps , & veut exécuter
fon lâche projet ; mais tandis qu'elle fe
défend , on enfonce la porte de la chambre
; le jeune homme paroît l'épée à la
main. Henriette épuifée , tombe évanouie ;
le raviffeur tire un coup de piftolet à fon
adverfaire , & le manque. Celui - ci lui
plonge fon épée dans le fein ; on porte
Henriette dans une chambre voifine . Son
défenfeur rentre dans celle du bleffé , qui
lui pardonne fa mort , & déclare qu'il s'appelle
Cafvvall; que c'eft lui qui a enlevé
Mariaà l'inftigation d'une femme de chambre
de la mere de Mifs Henriette; que voulant
rétablir fes affaires par un bon mariage
, il s'eft fervi du nom de Maria pour
attirer fon amie dans cette maifon de débauche
, dont la maîtreffe lui étoit dévouée
; que le ciel n'a pas permis qu'il mît
le comble à ce crime. Quant à Maria
ajoute-t-il , en faifant un dernier effort
pour parler , elle eft au pouvoir de lord....
718 MERCURE DE FRANCE.
il ne peut achever ; la mort lui ferme la
bouche pour toujours. Le défenſeur de
Mifs Worthy revient la trouver & la reconduit
chez fon pere ; ils trouvent toute
la maifon au défeſpoir de l'abfence de Mifs
Henriette. On reconnoît dans fon défenfeur
le Colonel Beaumont , frere du Lord
Belvidere , mais bien différent de fon
pere
& de fon frere. On le retient à fouper ; il
devient amoureux de Mifs Henriette , qui
n'eſt point inſenſible à ſa tendreffe ; & M.
Worthy , auquel il la demande en mariage
, la lui promet , & l'emmène dans fes
terres avec fa femme & fa fille.
Le Colonel preffe mifs Henriette & fon
pere d'achever fon bonheur. M. Worthy
veut avoir le confentement de Mylord
Beaumont , & part avec le jeune homme
pour cet effet. Ils apprennent en arrivant
que Mylord Beaumont fe meurt de la goutte.
Le Colonel court chez fon pere , & le
trouve dans l'état le plus fâcheux . Le vieux
Mylord , rentré en lui - même , fe réconcilie
avec fon fils , auquel il n'avoit fait jufqu'alors
que de très- mauvais traitemens . Il
accepte avec joie la propofition de fon mariage
, demande à voir M. Worthy , lui
avoue tous fes torts , & lui remet une caffette
remplie d'effets que la mere de Maria
avoit laiffés en Ecoffe avec fa fille, &
Il ›
MAI 1765: IIN
I
qui peuvent fervir , dit- il , à la faire reconnoître.
Il laiffe à Maria cinq mille livres
fterlingpour l'indemnifer de la moitié
de fon bien qu'il avoit diffipé , tandis que
fa connivence avec Lady Filz-Gerald lui a
fait perdre l'autre. Il expire après cette
converfation.
Cependant le Lord Belvidere étoit refté
dans le voifinage du château de Latimer ,
où il favoit que Maria étoit à l'abri de fes
pourfuites. Il ne laiffa pas de faire une derniere
tentative qui penfa réuffir , & le mettre
de nouveau en poffeffion de cette fille.
Un jour Lady Latimer fortit pour fe promener
avec elle & Lucie qu'elle lui avoit donnée
pour la fervir ; en paffant à côté d'un
bois , elles entendent des plaintes. Lady
Latimer fait arrêter fon carroffe , & fuivant
la direction de la voix , elle s'enfonce avec
fes deux compagnes dans le bois . Elles trouvent
un homme vêtu très-pauvrement , qui
leur dit qu'ayant voulu monter au haut
d'un arbre , il étoit tombé fi rudement ;
qu'il avoit la cuiffe caffée. Lady Latimer
envoie chercher fès gens par Lucie ; mais à
l'inftant l'eftropié fe relève légèrement ,
fiffle dans fes doigts , & auffi- tôt trois hommes
mafqués fe préfentent. Lady Latimer
trouve le moyen d'arracher le mafque d'un
d'eux , & Maria s'écrie : ah ! Madame , c'eſt
120 MERCURE DE FRANCE.
Belvidere! Les domestiques arrivent en mê
me temps armés de bâtons ; mais ce fecours
auroit été inutile : déja Maria étoit
entraînée par deux de ces fcélérats , lorfqu'un
jeune homme bien monté arrive , &
indigné de cette violence , bleffe Belvidere
, & pouffe fon cheval fur les autres.
Les gens de Lady Latimer fondent fur ces
fcélérats ; deux échappent par la fuite , on
ramène les bleffés à Latimer . On croit d'abord
que le Lord Belvidere va expirer ; mais
la bleffure n'étoit pas mortelle ; l'étranger
reconduit les Dames au château. Une nièce
de Lady Latimer refte auprès du bleffé , &
l'on retient l'étranger à fouper. On le prie
de fe nommer , & l'on apprend que fon
nom eft Worthy , qu'il arrive d'un lọng
voyage , & qu'il a envoyé fes gens au château
de fon pere. Le jeune homme refte
quelques jours avec Maria , en devient
amoureux , & lui déclare fa paffion . Maria
lui avoue qu'il eft le premier qui ait fait
impreffion fur fon coeur ; mais qu'elle n'a
ni naiſſance , ni fortune . Cette découverte
ne fait qu'irriter les feux du jeuneWorthy.
Cependant Lady Latimer reçoit une lettre
d'une de fes amies , nommée Madame
Welldone , qui lui marque qu'elle fe rendra
à Latimer , & amenera avec elle toute
la famille des worthy & le Colonel Beaumont
1
MAI 1765. 120
mont qui va époufer Mifs Henriette. Lady
Latimer fait lire cette lettre par Maria , en
préſence de fon nouvel amant. Ce jeune.
homme prend cette occafion de déclarer à
la Dame , qu'il aime fa fille adoptive ; &
Lady Latimer approuve cette paffion. Lord
Belvidere demande à voir les deux Dames :
elles montent à fon appartement. Il demande
grace à Maria avec tant de marques de ,
douleur & de fincérité , que cette généreuſe
fille lui pardonne ; & Lady Latimer veut
bien oublier , à fon exemple , le dernier.
attentat du jeune Lord , qu'elle étoit en
droit de faire punir fuivant toute la rigueur
des loix.
Le jeune worthy part en même temps ,
& apprend à fa famille le fort actuel de
Maria, & du nouveau Lord de Beaumont,
Il leur déclare en même temps fes fentimens
pour cette aimable fille. M. worthy
ne rejette point la priere de fon fils . On
preffe le départ pour Latimer ; un jour
fuffit à M. worthy pour aller chercher à
Londres la caffette que Mylord Beaumont
lui a remiſe en mourant . Enfin , Madame
welldone , M. worthy & toute la famille ,
& le Colonel arrivent à Latimer. Joie exceffive
des deux amies de fe retrouver. M.
worthy & Lady Latimer ne perdent rien.
de ces tendres mouvemens. On va trouver
F
122 MERCURE DE FRANCE.
qu
le Lord Beaumont qui réitère ſes excufes à
Lady Latimer , à fon frere , au jeune#orthy,
& fur-tout à Maria. Quelques jours
après toute la compagnie fe trouvant raffemblée
, M. Worthy prie Maria de reprendre
fon hiftoire d'auffi loin qu'elle
pourroit fe rappeller les événemens . Elle
obéit ; mais quand elle eft venue à la
circonftance de fon départ de Befançon
pour Douai , & à la defcription des effets
' elle tenoit de fa mere , Madame Welldone
, toute éperdue , s'avançe vers elle ,
les bras ouverts , s'écrie : « ô Être infinimentbon
! Ma fille .... elle n'en put dire
davantage , & tomba fans connoiffance à
fes pieds. Auffi-tôt la confufion fe répand
» dans l'affemblée ; chacun s'empreffe au-
» tour de Madame Welldone. Maria , avec
» un trouble inexprimable , fe jette à genoux
devant elle , lui mouille le vifage
» de fes larmes , & la ferre étroitement
» dans fes bras . O ciel ! qu'ai-je entendu
» s'écria-t- elle ! Ma mere ! feroit-il poffi-
» ble ! .... une fi violente agitation devint
au-deffus de fes forces ; fes efprits pui-
» fés l'abandonnerent ; & elle refta quelques
minutes fans connoiffance. Chacun
» étonné & en fufpens , fe regardoit l'un
» l'autre , fouhaitoit & doutoit en même
temps que ce qu'ils venoient de voir &
ود
93
»
MAI 1765 .
123
» d'entendre fût une réalité ». Peu de gens
liront cette fcène vive & attendriffante',
fans être touchés ; & il eft für que les coeurs
fenfibles ne pourront l'achever fans verfer
des larmes . Madame Welldone , revenue
à elle , reconnoît Maria à la figure d'une
fraife qu'elle avoit au- deffus de la gorge.
Ma chere , mon infortunée Fanni ! ô Dieu !
c'eſt elle ; c'eſt elle -même ! .. . s'écria
Madame Welldone , avec une vivacité
inexprimable. M. Worthy achève la reconnoiffance
, en préfentant à Madame
Welldone les effets renfermés dans la caffette
que Lord Beaumont lui avoit remife
peu de temps avant fa mort. Oui , je les
reconnois , s'écria Madame Welldone ; ce
font les mêmes que j'ai donnés à M. Blair ;
c'est l'ouvrage de mes mains..... Ce jour fe
paffa dans les plus vifs accès de la tendreffe
maternelle & filiale , & de l'amitié . Peu de
jours après le jeune Worthy épouſe Maria,
& le Colonel , fa chere Henriette . Le nouveau
Lord Beaumont époufe auffi la nièce
de Lady Latimer , qui goûtoit la joie la plus
pure , & jouiffoit du bonheur de tous les
autres. Les mariages furent célébrés dans
fon château.
Il vient de paroître en Hollande une
traduction de ce même livre , fous le titre
de Marianne ou la nouvelle Pamela ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
hiftoire véritable , en 2 vol. in 12. Le
ftyle en eft très - différent de celui de la traduction
dont nous venons de rendre
compte. On n'y fait grace au lecteur d'au-.
cune des longueurs & des raifonnemens
théologiques , des réflexions & des tournures
angloifes de l'original. On y en a même
quelquefois ajouté. Le feul fait que le
traducteur de Paris a fupprimé , c'eft la
converfion de Maria au Proteftantifme
par les raifonnemens du Docteur Hovvard ,
& beaucoup d'invectives contre la Religion
Catholique. Cette omiffion , qui ne
fait rien au fond de l'hiftoire de Maria ,
ne fera pas reprochée à notre traducteur
ç'eût peut-être été une faute à Rotterdam ,
& ce n'en eft pas une à Paris ( 1 ) .
;
Les détails & les événemens de ce roman
font d'ailleurs intéreffans & honnêtes ,
les caractères en font bien foutenus : il eft
plein d'une faine morale & de fages préceptes
amenés par les faits , & nous fommes
perfuadés qu'il fera bien accueilli
puifqu'il peut être lu par tout le monde ,
& attacher par des fituations touchantes
& inftructives.
(1 ) Ceux qui defireront en faire la comparaison,
en trouveront des exemplaires chez Cellot , Imprimeur
, rue Dauphine.
MAI 1765: 12f
LE VOYAGEUR FRANÇOIS , ou la Connoiffance
de l'ancien & du nouveau monde
à Paris , chez Vincent , Libraire , rue
Saint Severin ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi deux vol. in- 12.
N
:
ous avons annoncé cet ouvrage dans
le Mercure précédent , & nous en avons
promis un extrait dans celui- ci . Ce que
nous en avons dit fuffit pour en faire
connoître le plan , l'objet & l'utilité ; ce
que nous allons en rapporter donnera une
idée de la manière dont l'Auteur a exécuté
fon projet. Voici comme il débute.
و ر
" Nos adieux font faits , Madame , &
» vous ignorez où je vais , quelle diftance
» doit nous féparer , quel temps doit nous
» réunir. Je n'ai pas cru devoir vous l'apprendre
plutôt ; vous euffiez condamné
» mon projet & j'y tiens. Né , comme
» vous , à Marſeille , inftruit de bonne
» heure dans la connoiffance des langues
» orientales , j'ai eu fouvent occafion de
» m'entretenir de ces étrangers que le com
» merce attire de toutes parts dans notre
» ville. Delà , Madame , ce defir extrême
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» de connoître les différens climats qu'ils.
» habitent , d'étudier leur efprit , leurs
ود
ود
ور
>>
celui du
ufages , leurs loix , leurs arts , leurs
» moeurs , leur religion , leur commerce ,
fpectacle beaucoup plus intéreffant que
port le plus fréquenté . Voilà ,
Madame , le plan que je me fuis tracé ,
» & que je prétends fuivre. Nul obſtacle
» ne croife mon projet , & tout le favorife.
» C'eft à vous que je deftine le fruit de
» mes remarques. Au lieu de quelques let-
» tres dictées par l'ennui de la folitude ,
» vous aurez des obfervations dignes d'ê-
» tre lues , de quelque manière qu'elles
» foient écrites » .
La première ftation où arrive notre
voyageur est l'ifle de Chypre ; nom qui
retrace des idées voluptueufes ; mais cette
ifle eft beaucoup moins féduifante qu'autrefois.
Ici l'Auteur fait en raccourci le tableau
des révolutions arrivées dans ce pays , depuis
la naiſſance de Vénus , jufqu'au temps
où Chypre paffa fous la domination des
Turcs qui la poffédent actuellement . Parmi
les fingularités de l'ifle , « peut-être , dit- il ,
» avez-vous ouï parler de la fameufe fon-
» taine d'amour. Je n'y arrivai qu'après
» avoir côtoyé des montagnes environnées
» de précipices. Cette fontaine eft un ruif-
» feau qui coule près d'Acamas . Il rend ,
MAI 1765. -127
dit-on , à ceux qui boivent de fes eaux ,
» la vigueur qu'ils ont perdue , ou il aug-
» mente celle qu'ils ont. Ceci reffemble
» beaucoup à la fontaine de Jouvence ;
» mais j'eus affez de vertu , ou peut- être
» d'amour - propre , pour ne pas y aller
boire .
"
"
Nicofie eft la capitale de cette contrée.
C'eft la demeure du Gouverneur Turc ;
c'étoit autrefois celle de toute la Nobleffe
Vénitienne qui vivoit dans l'ifle . A en
juger par fes ruines , elle a dû être magnifique
; & fa défenfe contre les Turcs prouve
qu'elle étoit affez bien fortifiée. « Ces
barbares s'en étant rendus maîtres , y
pafsèrent au fil de l'épée plus de vingt
» mille habitans. Les femmes laides & les
» enfans furent brûlés fur le même bûcher.
» On réferva les belles femmes pour le fer
» rail du Grand Seigneur , & les principaux
citoyens pour orner le triomphe du
» Général. Il y eut plus de vingt- cinq mille
» hommes du pays réduits en captivité &
vendus comme efclaves ; mais aucune
des femmes réſervées pour le ferrail n'y
» arriva. Une d'entre elles qui s'étoit fait
» donner fecrettement une mêche allumée ,
» fit fauter le vaiffeau qui la portoit ; & le
» même accident fit périr le vaiffeau qui
portoit le Général Turc. Voilà un déſeſ-
"
ود
"
ود
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» poir qui tient de l'héroïſme ; refte à favoir
» fi , pour s'exempter de l'efclavage , il eſt
» permis de noyer tant de gens avec foi.
» Peut - être quelques - unes de ces belles
» captives euffent - elles préféré le ferrail à
» la mort ».
L'ancienne ville de Chypre n'eft plus .
aujourd'hui qu'un chétif village environné
d'un grand nombre d'édifices ruinés. Ce
lieu , autrefois fi renommé par fes belles
' femmes , à dégénéré fur ce point comme
fur le refte. « En général cependant les
» femmes de cette ifle font belles ; & toutes,
jufqu'aux plus laides , font portées à la
" galanterie , on peut ajouter à la débau-
» che. On voit néanmoins ici quelques
» maris jaloux de leurs femmes ; ils ne
» leur permettent de fortir que pour aller
» à l'églife ; mais on choifit fouvent l'églife
même pour décider du fort des
ود
>> maris »>>.
La ville d'Alep & fes environs font la
matière de la feconde lettre ; la fuivante
traite de Damas & du Mont Liban.
Rien de plus délicieux que les environs.
» de Damas. Mahomet les ayant apperçus
» du haut d'une montagne , ne voulut point
» y defcendre. Il s'en éloigna en difant :
il n'y a qu'un feul paradis deftiné pour
» l'homme ; le mien ne fera pas de ce
و د
39
MAI 1765 . 129
>>
"2
monde. On vifite fur- tout avec une forte
» de vénération le champ de Damas. C'eſt
» une belle & vafte plaine , où l'on pré-
» tend que le premier homme fut créé.
» Vous ne doutez pas , Madame , que je
» n'aie voulu la parcourir à mon tour. Je
» comparois le nouvel Eden avec l'idée
qu'on nous a laiffée de l'ancien . Je don-
" nois libre carrière à mon imagination :
peut- être , difois- je , eft- ce là que le fer-
» pent fit fa harangue ; peut- être eft- ce ici
» qu'Adam fut féduit par Eve. J'aurois
voulu appercevoir quelques rejettons de
l'arbre dont le fruit a caufé tant de
» maux. Je cherchois de l'oeil les berceaux
où le premier homme & la première
» femme parloient d'amour fi tendrement,
» fi on en croit Milton ; enfin je voyois
» mal ce qui ſe trouvoit réellement fous
» mes yeux, pour m'occuper de ce qui n'y
étoit
pas ».
و د
>>
و ر
"
Les cédres du Mont Liban , ces arbres
fi fameux dans l'Ecriture , & qui ont fourni
de fréquentes allufions aux prophêtes , ne
pouvoient manquer d'exciter la curiofité
de notre voyageur. « Ils fleuriffent dans la
neige , & occupent une partie très élevée
de la montagne du Liban. La groffeur
» des plus anciens eft prodigieufe ; mais
» leur tronc principal à peu de hauteur
Fy
و د
"3
130 MERCURE DE FRANCE.
و د »àcinqoufixpiedsdeterreilfedivife
» en cinq ou fix autres troncs qui , pris à
» part , formeroient chacun un gros &
و د
و د
>>
ز و
39
grand arbre. Leur feuillage reffemble à
» celui du genièvre , qui eft , dit- on , le
cédre de France. Il a donc bien dégénéré
dans nos climats . Les plus gros cédres
du Mont Liban font au nombre de
vingt. Nous en vîmes une plus grande
quantité de moindres , & encore plus de
fort petits. La cime de ces derniers s'é-
» lève en pyramide comme le cyprès. Au
» contraire , celle des grands cédres s'élar-
» git & forme un rond parfait. . . . Je ne
» dois pas oublier un fait qui m'a été cer-
»tifié c'eft que les rameaux des plus
» grands de ces arbres qui , dans la belle
» faifon , forment une efpèce de roue ou
» de parafol , fe refferrent à la chûte des
» neiges , dreffent leur pointe vers le ciel ,
» & prennent enfemble la figure d'une
pyramide. On ajoute que la nature leur
infpire ce mouvement pour les mettre
à portée de réſiſter au poids de la neige
qui autrement les accableroit . Je ne vous
garantis point cette efpèce de prodige ;
» mais on ne paroît pas en douter fur les
ود
و د
"
و د
و د
و د
و د
ود
lieux
:
33.
Ceux qui aiment les defcriptions des
monumens antiques liront avec plaifir ce
MAI 1765 . 13-1
و د
»
que l'Auteur rapporte des fuperbes ruines
de Balbec. Il entre dans des détails curieux
& qu'il faut bien lire dans l'ouvrage même.
» On difoit autrefois que Vénus avoir éta-
» bli fa cour dans cette ville ; qu'elle y
diftribuoit les grâces & la beauté. Les
femmes de Balbec paffoient en effet
» pour les plus belles de toute l'Afie ; elles
étoient en même temps les plus galantes.
» Ce n'eft pas la même chofe aujourd'hui.
» Leur vertu femble s'être accrue aux dé-
» pens de leurs charmes ; elles font deve-
» nues & plus fages & moins belles . On
n'y trouve pas non plus ce grand nombre
» d'excellens muficiens qui , dit- on , s'y
voyoient autrefois. Tous les talens ont
difparu avec la beauté des femmes ».
»
و د
ود
>>
""
و د
Nous en fommes à la quatrieme lettre ,
uniquement deftinée à faire connoître la
ville de Palmyre . « Je continue , Madame,
» dit notre voyageur , à vous promener
parmi des ruines. Daignez cependant ne
point vous rebuter. Ces débris font à-peu-
" près les feules richeffes de ces contrées ,
» mais les poffeffeurs de ces tréfors n'en
» font ni moins miférables , ni moins éton-
» nés du prix que nous y attachons. A
peine ont - ils jamais bien enviſagé ces
précieux reftes qui nous attirent de
33
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
loin , qui nous expofent , pour les voir,
» à tant de fatigues & de périls
-"
" Ces anciens monumens fuffifent feuls
pour nous donner une très-haute idée de
l'antique opulence de la ville de Palmyre..
Quel magnifique amas de bafes , de colonnes
, de chapitaux , les uns renversés &
accumulés , les autres debout ! Tous ces
riches débris font de marbre blanc , & les.
colonnes d'ordre corinthien . Elles forment
le coup d'oeil le plus impofant , le plus
extraordinaire qu'il foit poffible d'imaginer.
« Les miférables cabanes qui fervent
» d'afyle aux modernes habitans de Palmyreachevent
de relever la magnificence
de ces ruines anciennes. Jamais il n'y
»-eur de contrafte plus frappant & plus
» bifarre pour vous en former une idée ,
rappellez - vous , Madame , les chétives
maiſons qui mafquent honteufement à
» Paris le fuperbe périftile du Louvre ».
L'Editeur a placé ici la note fuivante : dans
le temps où écrivoit notre voyageur on n'avoitpas
encoredégagé cette magnifique colon
nade , des voiles honteux qui la déroboient
à lavue. C'est à M. le Marquis DE MARIGNY
que le Public doit le plaifir de contem
plerfans obftacle les beautés de cet admirable
édifice. On prétend que la difpofition
""
MAI 1765. 135
"
des colonnes du temple du Soleil , qui fe
voient encore à Palmyre , a été la fource
où Pérault a puifé l'idée de ce périftile.
Je n'en fais rien , dit notre Auteur , non
" plus que ceux qui ont hafardé ce fait ;
» il ne paroît même y avoir nul rapport
» direct entre aucun monument de Pal-
» myre & cette façade admirable . Les an-
» ciens n'ont jamais employé la double
» colonne qui produit un fi bel effet aut
Louvre. Peut-être même n'ont- ils jamais.
» connu les voûtes plates , dont la forme
eft fi agréable , & la conftruction fi ingé-
"
» nieufe ».
L'Auteur, felon fa méthode , commence
par une narration fuccinte & rapide des
diverfes révolutions arrivées à Palmyre depuis
Salomon , à qui on attribue la fondation
de cette ville , jufqu'au tems préfent.
L'hiftoire de Zénobie embellit cette narration
. Delà on paffe à la defcription de ce
qui refte des anciens monumens. Ce qui
étonne , c'eft de n'y trouver aucun veftige,
foit d'un théâtre , foit d'un cirque , ou de
quelqu'autre endroit deftiné aux jeux publics.
« On fait , dit l'Auteur , quel étoit
» le goût des Grecs & des Romains pour
» ces fortes de fpectacles. On ne peut
guère douter qu'il n'ait eu lieu à Palmyre
; pourquoi donc ne refte-t- il aucune
و و
134 MERCURE DE FRANCE.
» trace des monumens qui leur furent confacrés
? Sans doute , Madame , qu'il en
» étoit dans cette ville comme dans notre
capitale. Suppofez - la quelques inftans
» réduite au même état que Palmyre ; on
» y verroit des ruines qui immortaliferoient
& notre architecture , & la ma-
ود
30
"3
gnificence de nos Souverains ; mais quels
» veftiges pourroient faire fouvenir qu'on
» eût jamais repréfenté à Paris Cinna ,
Armide , le Mifantrope ? Ne croiroit- on
pas plutôt que cette ville , qui entretient
régulierement trois grands fpectacles
» n'auroit jamais eu que des jeux de
paulme » ?
"">
ود
C'eft ainfi que le Voyageur François
faifit toutes les occafions de faire quelque
comparaifon de fon pays avec ceux qu'il
parcourt ; & il nous paroît que la lecture
de ce livre en devient par-là plus intéreffante.
Les infcriptions font très - communes à
Palmyre ; & elles font pour l'ordinaire accompagnées
d'une traduction grecque , ce
qui en facilite l'explication ; « car il ne
» reſte ici , dit l'Auteur , aucune tradition
» du langage Palmyrénien . Les habitans
» actuels ne connoiffent que l'arabe. Il
» feroit donc à fouhaiter que quelque fça-
» vant parvînt à découvrir au moins les
33
MAI 1765. 135
premiers principes de cette langue , au-
» jourd'hui entiérement oubliée ». Il y a
encore ici une note de l'éditeur , conçue en
ces termes : M. l'Abbé BARTHELEMY
n'avoit pas encore publié cette découverte
fameufe , qui lui a procuré , à fijufte titre ,
l'eftime de tous les fçavans de l'Europe. Il
la méritoit déja par fes connoiffances profondes
de l'antiquité.
"
ود
L'Egypte a fourni à notre voyageur la
matière de trois lettres , dont la première
commence ainfi : « enfin , Madame , nous
» voici en Egypte , dans ce pays autrefois
» fi fertile en petites idoles & en grands.
» édifices , en prétendus fages & en foi-
» difans magiciens. J'avois lu toutes les
» merveilles que M. Boffuet , M. Rollin ,
» M. de Maillet & tant d'autres ont publiées
fur cette contrée & fes anciens
» habitans ; j'efpérois vérifier une partie
de ces éloges. Mais , quel changement !
quelle étrange métamorphofe ! En par-
» courant le bord du Nil , on eft fans ceffe
prêt à demander : où font les Egyptiens ?
» où eft l'Egypte » ? Après la defcription
de la capitale & de l'ancienne Memphis ,
l'Auteur entre dans des détails fort curieux
fur les pyramides , où il y a différentes
chambres qui fervoient autrefois de
tombeau . « L'ufage eft d'y defcendre &
ود
ر و
و د
136 MERCURE DE FRANCE.
ود
"9
"
d'y monter comme font les Savoyards
dans nos cheminées... J'admirois la
fingularité du goût qui me faifoit venir
» de fi loin m'ehfevelir pour quelques
» momens dans cette vafte fépulture ; &
» paròdiant la réflexion d'un certain Doge
» de Gennes à Verfailles , ce qui m'éton-
» noit le plus ,dans les pyramides , c'étoit
» de m'y voir ".
و ر
La fameufe ftatue du Sphinx , le lac
Maris, l'obélifque de Cléopatre, la colonne
de Pompée , les momies , les cataractes du
Nil , &c. &c. font des monumens qui n'excitent
pas moins d'admiration que les pyramides
, & qu'il faut voir , comme l'Auteur
, avec les yeux de la philofophie. Il
a réfervé pour la troifieme lettre ce qui
regarde les moeurs & les ufages des Egyptiens
; ces objets méritent bien fans doute,
autant d'attention que des palais en ruine ,
& des coloffes mutilés.
x
Il y a en Egypte un grand nombre de
femmes publiques ; & ce qui les fait connoître
principalement , c'eft l'ufage où
elles font d'aller fans voile dans les rues
chantant & jouant quelquefois de certains
inftrumens de mufique. « Le plus fouvent,
» dit l'Auteur , elles vont fe placer & s'af-
>> feoir fur le bord d'un grand chemin. Il
» faut , continue - t-il , que cet ufage ſoit
ל כ
"
MAI 1765 . 137
་
1
» bien ancien dans plus d'un pays . Vous
» avez lu , Madame , dans l'Ecriture , que
» Thamar voulant habiter avec fon beau-
و د
و د
frère Juda , parvint àfon but , en l'atten-
» dant au bord du grand chemin ſous
» l'extérieur d'une courtifanne. Mais il
paroît qu'alors ces fortes de femmes fe
» voiloient le vifage ; autrement la méprife
de Juda eût été bien volontaire » .
Le voifinage de l'Egypte & des états
barbarefques , détermine l'Auteur à faire
le voyage de Tripoly , de Maroc , d'Alger
, &c ; & dans deux lettres , il rapporte
tout ce que ces différens pays offrent de plus
curieux. De-là il paffe dans la Grece , &
vifite toutes les ifles de l'Archipel. Après
plufieurs courfes , il débarque dans l'ifle
de Corfou, « C'est ici , dit- il en y abordant
, qu'Uliffe fut jetté par la tempête
» que Neptune excita pour plaire à Calipfo
, dont ce Roi d'Itaque avoit méprifé
les faveurs , & qu'il fut fi bien reçu
» par Arfinous... Près de là eft une petite
plaine riante & fertile , entrecoupée de
plufieurs ruiffeaux. Un Caloyer , ou
Moine grec , qui , contre la coutume de
» ces fortes de Religieux , étoit paffable-
» ment inftruit , me dit qu'il croyoit que
» les fameux jardins d'Arfinous , fi vantés
» dans Homère, étoient dans ce lieu. Cette
23
و د
2
و ر
138 MERCURE DE FRANCE.
و د
"3
conjecture , peut- être bien fondée , me
rappella l'aventure de Nauficaë , fille de
» ce Prince , qui en allant au bain avec
» fes fuivantes , rencontra l'infortuné Roi
d'Itaque , nouvellement échappé du
naufrage " .
Qui croiroit que l'ifle , ou plutôt le rocher
appellé val du compère , entre Sainte
Maure & Céphalonie , étoit cette célèbre
Itaque où regna le fage Uliffe ? «Il ne fal-
» loit rien moins , dit l'Auteur , que les
reffources d'un Prince auffi adroit, pour
» faire fubfifter des hommes dans un lieu
» à peine aujourd'hui capable de nourrir
» les chèvres qui l'habitent ».
و ر
En paffant le long des ifles Strhophades ,
l'Auteur interrogea quelques Turcs de
l'équipage qui avoient été dans ces iſles ,
pour favoir ce qu'on difoit des Harpies :
« mais , continue-t- il , je n'en pus tirer
» aucun éclairciffement. L'un d'eux me
» dit que je voulois peut-être parler des
» Moines Grecs qui en font les feuls ha-
» bitans. Je fouris de ſa bonne foi , & ne
pris point la peine de vifiter ces ifles ».
و د
Le lendemain notre voyageur laiffa à
gauche le promontoire du Ténare , où
font plufieurs gouffres que les Poëtes prenoient
pour les portes de l'enfer. C'eſt parlà
qu'ils firent defcendre Hercule pour en
MAI 1765. 139
12
Ο
tirer le chien Cerbère. « La vue de Cérigo,
» ou l'ifle de Cythère , cet agréable pays
» de Venus , diffipa les idées fombres que
nous avoit données le Ténare. Helène ,
» cette beauté qui mit en feu une partie de
» l'Aſie , nâquit auffi dans cette ifle . Vous
» vous attendez fans doute , Madame
de voir ici quelque riante defcription
» d'un pays que vous vous figurez le plus
» beau de la terre ; j'ai cru , comme vous ,
» que la nature l'avoit enrichi de fes dons
» les plus rares. Cependant Cythère n'eft
qu'un amas de montagnes ftériles & dé-
» fertes. La terre n'y produit aucun fruit ;
» & , à l'exception de quelques tourte-
» relles , les animaux même y font en pe-
» tit nombre ».
"3
Mifitra occupe aujourd'hui la place de
l'ancienne Lacédémone. On trouve ici la
defcription des ruines de Sparte. " Le
» Dromos étoit un cirque où la jeuneffe
» s'exerçoit à la courfe & à manier les
» chevaux . C'étoit peut- être là auffi , que
» les jeunes filles danfoient nûes , & s'exerçoient
à la lutte en préſence des jeunes
93
» garçons ».
L'Auteur ne laiffe échapper aucune occafion
de citer des traits de l'hiftoire ou de
la fable , dans fes trois lettres fur la Grèce.
Elles pourront encore fournir , ainſi que
140 MERCURE DE FRANCE .
les fuivantes , des morceaux agréables dams
nos Mercures.
ANNONCES DE LIVRES.
HISTOIRE de la maifon de Plantagenet
fur le trône d'Angleterre , depuis l'invafion
de Jules- Céfar , jufqu'à l'avénement
de Henry VII , par David Hume , traduite
de l'anglois par Madame B. à
Amfterdam , & fe trouve à Paris chez
Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Beauvais , & Delormel , rue du Foin ,
1765 , 2 vol . in- 4°.
M. Hume a compofé une hiftoire générale
d'Angleterre , depuis Céfar jufqu'en
l'année 1688. Cette hiftoire eft divifée en
trois parties.L'une eft intitulée hiftoire de la
maifon de Stuart fur le trône d'Angleterre ,
& contient trois volumes in 4 ° . traduits
en notre langue par feu M. l'Abbé Prévot.
Une autre partie , favoir : l'hiftoire de la
maifon de Tudor , ne renferme que deux
volumes du même format , & de la traduction
de Madame Belot. Nous l'avons
annoncée dans le temps , ainfi ainfi que la précédente.
Quant à l'hiftoire de la maifon de
Plantagenet , qui fait le commencement
de l'hiftoire générale de M. Hume , nous
MAI 1765: 141
T
{
ا ن
croyons devoir en réferver l'extrait pour
i un autre Mercure , en affurant d'avance
qu'elle mérite l'accueil le plus favorable.
MONUMENS érigés en France à la gloire
de Louis XV , volume in -folio , chez Def
faint & Saillant , rue Saint Jean de Beau
vais.
Nous ne rapportons qu'une partie du
titre de cet ouvrage de M. Patte , déja
annoncé dans le Mercure de Mars , page
115. Nous ne l'avions point vu alors ; &
nous n'en parlâmes que fur la foi d'un
imprimé qui fervoit de Profpectus.
Nous avons actuellement ce grand ouvrage
fous les yeux ; & nous fommes en
état d'entrer dans quelques détails . Nonfeulement
M. Patte a compris fous le terme
de Monument , toutes les ftatues qui
ont été élevées à Louis XV , tant à Paris
que dans les Provinces , mais encore tout
ce qui eft capable de faire paffer à la poftérité
le fouvenir de fon règne. Confidéré
fous ce double afpect , aucun ouvrage ne
fauroit autant intéreffer la nation . Ce font
les merveilles d'un fiècle heureux , que
M. Patte a entrepris de décrire ; c'eſt la
véritable gloire de la France qu'il a voulu
expofer dans tout fon jour. Enfin , c'eſt le
plus beau recueil qu'il ait été poffible de
faire en l'honneur d'aucun Souverain, Ce
142 MERCURE DE FRANCE.
livre eſt diviſé en deux parties. A la tête
de la première , eft un tableau des accroiffemens
que les Arts , les Sciences , & la
Littérature ont reçus de nos jours. Leurs
progrès font autant de traits de lumière ,
qui réfléchiffent de toutes parts fur notre
augufte Monarque . Enfuite vient une introduction
fur la manière d'honorer les
grands hommes , tant chez les anciens que
chez les modernes , avec une defcription
des trophées qu'on leur a érigés dans tous
les temps. On trouve après cette introduction
, l'hiftoire détaillée & particulière
de chacun des Monumens érigés en France
à la gloire du Roi , à Paris , à Bordeaux ,
à Valenciennes , à Rennes , à Nancy , à
Rheims & à Rouen . Cette hiftoire eft
terminée par une énumération des médailles
frappées à l'occafion des événemens
mémorables qui illuftrent ce règne. La
feconde partie de l'ouvrage de M. Patte ,
contient les projets & les efforts de génie
de plufieurs de nos principaux Artiſtes
pour l'embelliffement de Paris , & pour
placer dignement la ſtatie de Sa Majeſté
dans les différens quartiers de cette capitale.
L'Auteur n'a rien négligé pour donner
à ce livre la magnificence & la perfection
dont il pouvoit être fufceptible , &
en faire un monument digne à la fois &
du Monarque & de la Nation.
MAI 1765. 143
1
•
PRONES fur le facrifice de la Meffe , ou
introductions dogmatiques , hiftoriques &
morales fur cet augufte mystère ; par M.
Pierre Badoire , Prêtre , Docteur en Théc
logie de la Faculté de Paris , Curé de l'Eglife
& Paroiffe de Saint Roch à Paris ,
mort le 21 Mars 1749 ; à Paris , chez
Deffaint & Saillant , Libraire rue Saint
Jean de Beauvais , 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi , 3 vol. in 12.
Les Prônes que nous annonçons , ont
fait pendant plufieurs années , l'édification
non-feulement d'une grande Paroiffe,
mais encore d'un peuple nombreux "qui
s'empreffoit de venir en partager les inftructions.
On n'a pas encore oublié les talens
de M. Badoire pour ce genre de travail
; & parmi les différentes matières que
ce Paſteur a traitées fucceffivement , il n'en
eft point qui lui ait paru plus digne de fon
zèle , que le facrifice de la Meffe. Nous
n'avions jufqu'ici fur ce fujet que des difcours
trop bornés pour renfermer tous les
détails , pour defcendre à toutes les conféquences.
Sans s'écarter du ftyle fimple &
familier qu'exigent les Prônes, M. Badoire
a fçu conferver la dignité convenable à ces
vérités fublimes. Ses premières inftructions
développent avec autant d'ordre que de
lumière , le dogme de l'Eglife fur cer au
144 MERCURE DE FRANCE .
gufte myſtère ; la nature du facrifice , fon
excellence , fes différens caractères , toutes
les vérités générales y font rapprochées . Un
Prône eft toujours la fuite d'un autre , &
fert d'éclairciffement & de preuve à celui
qui l'a précedé . A la fuite de ces principes
généraux, il entre dans des détails de morale,
& en fait des applications auffi juftes que
lumineufes. Ces inftructions préliminaires
fervent comme d'introduction à l'explication
fuivie & détaillée de toutes les
parties de la Meſſe. Il fuit le Prêtre fans
jamais le perdre de vue , depuis le moment
où il arrive à l'autel , jufqu'à celui
où il en fort ; & il fait fortit un fonds
d'inftructions de fes moindres mouvemens
, de fes moindres démarches . L'arrangement
que l'on a fuivi dans ce recueil
, eft celui que l'Auteur y a mis luimême
; l'ordre des Prônes fuit celui des
Dimanches ; & le commencement de celui
qui vient après , eſt toujours une récapitulation
abrégée de celui qui l'a précédé.
NOUVELLE édition du drame du Comte
de Comminge , par M. d'Arnaud , Confeiller
d'Ambaffade de la Cour de Saxe ,
de l'Académie des Sciences & Belles Lettres
de Pruffe ; à Amfterdam , & fe trouve
à Paris , chez l'Efclapart , Libraire au
quai
MAI 1765. 145
quai de Gêvres , & Bauche, quai des Auguftins
; 1765 ; vol. in- 8° de 2 20 p. Prix 3 1.bro.
Nous nous contentons d'annoncer cette
nouvelle édition , en attendant que nous
en parlions plus au long dans le prochain
Mercure. Elle eft confidérablement corrigée
& augmentée , & plus digne que jamais
du fuccés qui lui eft affuré . On y
trouve un fecond difcours préliminaire
qui renferme des vues étendues fur l'art
de la Tragédie , une imitation en vers de
la fameufe fcène de Richard III , Tragédie
de Shakespear ; un précis de l'hiftoire
de la Trappe ; la dernière fcène avec
des changemens qui l'ont rendue encore
plus belle & plus pathétique . Pour que le
public ne foit point trompé par les contrefactions
de Rouen & de Lyon , qui font
répandues ici depuis quelques jours , on
fera obferver qu'on trouve au bas de l'eftampe
de la vraie édition , les noms du
Deffinateur & du Graveur , Marillier &
Maffard. On diftribue auffi un fupplément
de la première édition , pour la commodité
des perfonnes qui en ont fait l'acquifition.
D'ailleurs , les Libraires de Province
peuvent s'adreffer en toute fûreté à
Bauche & l'Esclapart , Libraires , chez qui
fe débite la véritable édition .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE fur la monnoie fictive , & fur
fon ufage dans le commerce , fuivie de la
differtation fur le commerce ; par le Marquis
Jérôme Belloni , Banquier de Rome ;
traduit de l'italien ; à la Haye , aux dépens
de la Compagnie , & fe trouve à
Paris , chez Briaffon , rue Saint Jacques ,
à la Science , 1765 ; brochure in-12 . de
130 pages,
M. Belloni ayant publié d'abord ſa differtation
fur le commerce en latin & en
italien , a continué fes recherches fur le
même fujet , & a trouvé matière àun nouvel
ouvrage , qui eft une fuite du premier.
Ce font des inftructions importantes
fur la monnie fictive , lefquelles feront
très-propres à éclaircir plufieurs points elfentiels
concernant la monnoie réelle & le
change.
yot
,
LETTRES de Mentor à un jeune Seigneur;
traduites de l'anglois par M. l'Abbé Préà
Londres , chez Paul Vaillant ,
1765 ; & l'on en trouve des exemplaires
à Paris , chez Defaint & Saillant , rue
Saint Jean de Beauvais ; & Delormel , rue
du Foin , volume in 12.
Ces lettres ont eu le plus grand fuccès
en Angleterre , & c'est ce qui a porté feu
MAI 1765. 147
M. l'Abbé Prévot à en entreprendre la
traduction . Ce travail étoit fini plus de
deux mois avant fa mort ; & nous en
avons vu le manufcrit écrit de fa main.
Ce n'est donc point ici une fupercherie
femblable à celle qui fait fouvent attribuer
à un Ecrivain mort des ouvrages dont
il n'a jamais eu connoiffance. Le but de
l'Auteur Anglois eft d'inftruire un jeune
homme de tout ce qui peut perfectionner
fon éducation . Les principes renfermés
dans fes lettres , font en général , folides ,
profonds , lumineux , fupérieurement déve
loppés & dignes de toute l'attention des lecteurs.
L'auteur ſembleavoir écrit particulièrement
pour les Anglois,& même pour les
Anglois qualifiés.Mais fon ouvrage renferme
des traits , des maximes , des détails ,
dont tout homme ſtudieux fera fon profit
, de quelque rang & de quelque nation
5 qu'il puiffe être . Ce livre peut faire le pendant
d'un autre ouvrage que nous avons
annoncé il y a quelques temps fous le titre
de Penfées de M. l'Abbé Prévôt , & qui
fe trouve chez les mêmes Libraires.
LETTRES d'un Particulier à un Seigneur
de la Cour , brochure in - 12. d'environ
100 pages ; à Avignon , & fe trouve à
Paris , chez Pankouke , rue & à côté de
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
la Comédie Françoife , 1765 ; prix , 24
fols.
Les trois lettres qui compofent ce recueil
, préfentent des vues judicieuſes au
fujet des infcription & des médailles . Elles
portent pour fecond titre : Obfervations
Irénaïques fur la Science métallique & le
Style lapidaire , & en particulier fur les
deux infcriptions propofées & actuellement
tracées fur le plâtre , à la Place de Louis
LE BIEN - AIMÉ. Ces deux infcriptions
font très - rigoureufement examinées &
critiquées,
VOYAGES de Mylord Céton , dans les
fept Planetes , ou le nouveau Mentor ;
traduit par Madame R. R. à la Haye , &
fe trouve à Paris , chez Defpilly , rue St.
Jacques ; Duchefne , rue Saint Jacques ;
Cellot , Imprimeur , rue Dauphine ; Panckoucke
,
rue de la Comédie Françoife ,
in- 12. petit
1765 ; tome 3 & tome 4 ,
format,
Nous avons annoncé les deux premiers
tomes de cet ouvrage agréable , ingénieux
& inftructif ; & nous en avons promis un
extrait lorfque le livre feroit achevé . Nous
ne tarderons pas à nous acquitter de notre
promeffe ; car on nous affure que les trois
derniers volumes s'impriment actuelleMAI
1765. 149
ment. Il y aura donc fept parties comme
il y a fept planetes ; & chaque partie of
frira des détails variés & pleins d'agréa
bles fictions .
OBSERVATIONS fommaires , lues le zr
Novembre 1763 , dans l'affemblée des
Commiffaires nommés par la Faculté de
Médecine de Paris , au fujet de l'inoculation
de la petite vérole ; à Paris , chez
F. A. Quillau , Imprimeur de la Faculté
de Médecine , rue du Fouarre , près la
Place Maubert , 1765 ; in-4 ° . de vingt
pages.
M. Cochu , Auteur de ces obfervations,
a été un des Commiffaires nommés par la
Faculté , pour examiner fi l'inoculation
devoit être permife ou rejettée. Il a donné
tous fes foins pour répondre à la confiance:
de fon Corps ; & après bien des recherches
, il a fait part à fes confrères de fes
obfervations dont le réfultat eft , qu'on
peut tolérer cette méthode , mais qu'elle
doit être refferrée dans de juftes limites.
DE l'Imprimerie , poëme , par M. S. B.
G. Gillet. A Paris , de l'Imprimerie de
P. G. Lemercier , rue Saint Jacques , au
livre d'or ; 1765 ; avec approbation & per-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
miflion : in 4° , petit format , de quarante
pages .
L'Imprimerie a déja été le fujet de deux
petits poëmes latins , l'un par feu M. Thibouft
, Imprimeur , l'autre par M. Hériffant.
La lecture de ces deux poëmes , qui
ont chacun des objets différens , a fait
naître l'idée à M. Gillet de les raffembler
en un feul , mais de traiter fon fujer en
vers françois. Il eft glorieux pour lui d'avoir
fçu rendre , dans une poéfie harmonieufe
, les principaux traits de l'art qu'il
chante , & de préſenter en même
en même temps à
ceux qui l'exercent les modèles fur lefquels
ils doivent diriger leurs travaux .
RÉFUTATION d'un ouvrage de M. Rizzi-
Zannoni, intitulé : differtationfur différens
points de géographie , & d'un autre qui a
pour titre : éclairciffement hiftorique fur un
fait littéraire ; par M. Bonne , Maître de
Mathématiques , Ingénieur-Géographe ; à
Padoue , chez M. Rixa , à l'enveloppe
cylindrique ; 1765 ; brochure in - 12 de 80
pages.
Nous avons déja parlé autrefois de cette
querelle littéraire : M. Bonne a raffemblé
contre fon adverfaire fes raiſons principales
; & c'eft ce qu'il préfente de nouveau au
Public dans la brochure que nous annonçons.
•
MAI 1765.. 151
;
LETTRES & obfervations à une Dame
de province fur le Siége de Calais , ornée
d'une carte géographique de cette ville
M. DE ***: à Paris , chez l'Esclapard,
Libraire , quai de Gêvres ; 1765 ; avec
permiffion. Brochure in- 8° , de 96 pages.
par
Tout ce qui a paru imprimé fur le Siége
de la ville de Calais , fait par Edouard ,
Roi d'Angleterre , & même ce qui n'eſt pas
encore imprimé, tel qu'un poëme que compoſe
M. d'Arnaud fur cette matière , fait
l'objet de l'ouvrage que nous annonçons.
On conçoit aifément que la Tragédie de
M. de Belloy eft ce qui occupe principalement
l'Auteur de cette brochure. Il fait fur
cette piéce des obfervations critiques fans
bleffer les égards dus au mérite du Poëte
tragique. Il traite avec peu de ménagement
M. de Rofoy , qui a fait auffi une
tragédie fur le Siége de Calais. On parle
dans cette même brochure , du roman qui
a paru autrefois fous ce titre , & de l'hiftoire
du même Siége , par Madame de
Gomez. Nous croyons que , dans les circonftances
préfentes , ces lettres & obfervations
feront bien reçues du Public.
LUCETTE , ou les progrès du libertinage ;
par
M. N *** : à Londres , & fe trouve à
Paris , chez Vente , Libraire , au bas de la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
montagne Sainte Genevieve , près les RR .
PP. Carmes ; 1765 ; deux parties in 12 ,
petit format , faifant enſemble environ
300 pages.
Cette Lucette eft une jeune & jolie payfanne
qui vient mener à Paris la vie d'une
fille de débauche . Ses aventures fcandaleufes
font la matière de cette double brochure
.
LE Temple de la piété , & recueil d'ouvres
diverfes , par M. Compan , auteur de
Efprit de la Religion Chrétienne ; à Avignon
, & fe trouve à Paris , chez Claude
Hériffant , rue Neuve - Notre - Dame , à la
croix d'or ; 1765 : brochure in- 12 , petit
format ; 200 pages.
C'eft ici une efpèce de roman pieux , où
l'Auteur tâche d'établir le triomphe de la
vertu fur le vice, afin d'encourager les âmes
foibles ; & foutenir les chancelantes. Les
perfonnes pieufes peuvent , fans héfiter ,
en faire la lecture ; elles ne condamneront
pas une fiction innocente , qui ne préfente
pas un mot dont la plus exacte bienféance
puiffe s'offenfer. A la fuite de ce voyage
au temple de piété , font une paraphraſe en
vers du pfeaume vi , une ode morale , la
traduction d'une ode d'Horace , & deux
petites fictions en profe , dont l'une eſt
و
MAI 1765 . 153
intitulée le Soir , l'autre le Provincial.
LETTRE d'un Mendiant au Public , contenant
quelques - unes de fes aventures &
fes réflexions morales . Nouvelle édition ;
à Paris , aux dépens du Public , & fe vend
chez la veuve Valeyre , Libraire , quai de
Gêvres , à l'entrée par le pont - au- change ,
à la Nouveauté ; 1765 ; brochure in- 12 ,
40 pages.
, de:
Sous le nom d'un mendiant , l'Auteur
de cet écrit donne à fa plume une libre:
carrière. Il parle de littérature , de mu--
fique , de philofophie , &c. mais le fond
de l'ouvrage a pour objet de décrire la vie
des mendians.
DISCOURS , ou hiſtoire abrégée de l'an--
timoine , & particulièrement de fa prépa--
ration ; par
; par M. Jacquet , ci- devant Chirur
gien de S. A. S. le Prince Louis de Wir--
temberg à Paris , de l'Imprimerie de Sébaftien
Jorry , rue & vis - à-vis de la Comédie
Françoife ; 1765 ; avec approbation &
permiffion : in-12 , de 48 pages.
L'objet que fe propofe M. Jacquet eft
de prouver à la Faculté de Médecine der
Paris, que de l'antimoine feul on retire un
reméde fupérieur à tout ce qui a été connu
jufqu'ici pour guérir les maladies de la
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
limphe , celles de la peau , & la v.... même.
Il ne fait point de mystère fur fa préparation
; fi la Faculté juge à propos de lui
nommer fix ou huit Commiffaires , il le
préparera en leur préfence ; bien perfuadé
néanmoins qu'ils lui garderont un fecret
inviolable , afin que lui feul refte pendant
fa vie l'unique poffeffeur & compofiteur
de fon remède.
,
LETTRES de Mlle de Juffy , à Mlle
DE *** , contenant fon hiftoire. Nouvelle
édition , où l'on a joint un effai fur la
jaloufie . A Amfterdam , & fe trouve à
Paris , chez Bauche , quai & attenant les
Auguftins : in- 12.Prix 1 liv . 10 fols broché.
Cet ouvrage eft réellement d'une femme
, & a été affez bien accueilli à la
première édition , pour efpérer que celle- ci
ne le fera pas moins favorablement. Le
roman de Maria , dont nous avons donné
l'extrait dans ce Mercure , a été traduit par
le même Auteur ; & nous défirerions que
fa modeftie voulût nous permettre de le
nommer.
HISTOIRE univerfelle , facrée & profane
, compofée par ordre de Mesdames
de France: tomes dix - fept & dix-huitieme.
Par M. Hardion , de l'Académie Françoife;
MA I 1765. 155
à Paris , de l'Imprimerie de L. Cellot , rue
Dauphine ; 1765 ; avec approbation &
privilége du Roi .
Nous avons déja parlé plufieurs fois de
cet ouvrage eftimable , qui eft actuellement
très- connu .
LE Sage , ode , par M. Chauvet ; à Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez la veuve
Valeyre , Libraire , quai de Gêvres ; 1765 ;
in- 8° , de 24 pages .
Cette ode contient vingt- deux ftrophes ,
parmi lesquelles il y en a plufieurs qui font
honneur à la mufe de M. Chauvet..
; Le Printems , poëme allégorique à
Paris , chez Berthier , Libraire , quai des
Auguftins ; 1765 ; approbation . Feuille
in- 8 ° , petit format .
Ily a dans ce poëme fur le printems des
idées agréables & des images variées.
L'OMBRE de Calas ce fuicide , à fa famille
& à fon ami dans les enfers ; précédée
d'une lettre à M. de Voltaire ; à
Amfterdam , & fe vend à Paris , chez
Cailleau , Libraire , rue du Foin Saint
Jacques , à Saint André ; 1765 ; feuille
in-8°.
Ces écrits fur les Calas deviennent fi
nombreux , & préfentent des objets fi peu
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
variés , que nous croyons qu'il fuffira déformais
de les indiquer.
•
POESIES diverfes du fieur François ,
penfionnaire au Collége de Neufchâteau ;
avec cette épigraphe : & fi defint vires ,
audacia certe laus erit ; à Neufchâteau
chez Monnoyer , Imprimeur de la Ville.
& du Collège ; avec permiffion , 1765 ;
brochure in- 12 . de 42 pages.
Le jeune M. François , penfionnaire
au Collège de Neufchâteau en Lorraine ,
n'eft âgé que de treize ans & demi , & a
cependant fait des pièces de poëfies qui
ont été jugées dignes d'être imprimées.
Quoiqu'à fon âge on n'ambitionne que de
l'indulgence , ce n'eft cependant point à
ce titre que nous les annonçons dans le
Mercure.
the
NUMOPHYLACIUM Mansbergianum,
quod collegit Anthon . Adam à Manfberg ,
Regis magna Britannia , & Electoris Brunfv.
Luneb. Capitaneus , præfectura Grondenfis :
vir rei litterariae & numaria amantiffimus &
peritiffimus : in ordinem & claffes redactum
abJoh. Erid. Borchmann , Commiſſario regio
: auctionis more vendendum. Cellis ,
1763 ; Typis Joh . Dieter Schulzianis ,
Aula Regis Typographi; vol. in-12. de plus
de mille pages
.
MAI 1765.. 157
Ce catalogue de médailles ne fe vend
point à Paris ; mais nous l'annonçons pour
apprendre aux curieux , que le premier de
ce mois on doit avoir commencé la ventes
de ce riche & fuperbe médailler à Zell
dans le Duché de Lunebourg. Ceux qui
ne feront point à portée d'affifter à cette
vente , pourront charger de leur procuration
M. Roques , Miniftre du Saint Evan--
gile dans l'Eglife Françoife reformée
de Zell , & M. le Commiffaire Borche
mann , qui eft l'auteur de ce catalogue ,
où l'on fait mention de plus de fix mille
médailles.
LETTRES fur l'état préfent de nos fpec--
tacles , avec des vues nouvelles fur chacun
d'eux ; particulièrement fur la Comédie
Françoife & l'Opéra ; à Amſterdam , & ſe
vend à Paris , chez Duchefne , rue Saint
Jacques , au temple du goût , 1765 ;. brochute
in-12 . de 84 pages.
On trouve dans ces lettres d'heureux détails
, des obfervations ingénieufes , des
vues toutes neuves , & dont l'exécution
feroit fort utile à nos différens fpectacles ,
fur- tout aux deux principaux. Elles font
d'ailleurs écrites avec autant de légereté
que d'agrément. On y reconnoît une plume
brillante , & qui a déja fait fes preuyes,
"
158 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
DISCOURS prononcé à l'ouverture de la
féance publique de l'Académie Royale de
Chirurgie , le Jeudi 18 Avril 1765 , par
M. Louis , Secrétaire Perpétuel .
L'ACADÉMIE Royale de Chirurgie avoit
propofé pour le prix de cette année le fujet
fuivant Déterminer le caractère effentiel
des tumeurs connues fous le nom de loupes ,
expofer leurs différences , & quels font les
moyens que la Chirurgie doit employer de
préférence dans chaque efpèce , & relativement
à la partie qu'elles occupent .
De dix -huit Mémoires que l'Académie
a reçus le N°. 1o qui a pour épigraphe ces
mots : Si labor terret , merces invitet ; &
pour devife : meliores meliora dicant , eſt
le feul qui ait été admis à une feconde
lecture.
MAI 1765. 159
L'Auteur de cette Differtation eft de
tous les concurrens celui qui a le mieux
fenti la néceffité d'un traitement varié fuivant
la différence des circonftances ; mais
fes vues de pratique , quoique judicieuſes ,
ont paru trop vagues. Il a profité des bons
principes qui font la bafe d'un Mémoire
que l'Académie a préféré en 1733 , fur la
queftion : Pourquoi certaines tumeurs doivent
être extirpées , d'autres fimplement ouvertes
; & dans quels cas , foit pour ouvrir ,
foit pour extirper les tumeurs , on doit préférer
le cautère ou l'inftrument tranchant.
Cette matiere préfentoit un champ bien
vafte , & fi elle n'avoit pas alors été traitée
d'une maniere trop générale , l'on ne
feroit pas dans le cas de s'occuper aujourd'hui
fpécialement des tumeurs connues
fous le nom de loupes. Ce point à approfondir
exigeoit qu'on defcendît dans beaucoup
de détails qui auroient fait connoître
l'infuffifance des préceptes généraux & indéterminés
.
Le traitement des loupes ne peut être
vraiment méthodique que d'après des indications
raifonnées , déduites d'une parfaite
connoiffance de la nature du mal &
de fes différences. Les Mémoires qui ont
été préfentés font fort en défaut fur ce
point capital. L'Auteur du No. 10 met,
160 MERCURE DE FRANCE.
par fa définition , les loupes dans la claffe
des tumeurs fquirrheufes : or , il eft certain
que par- là il en a méconnu le caractère
effentiel ; fon Mémoire même auroit dû
lui faire appercevoir l'inconféquence de
fon principe , puifqu'aucune des maladies
qu'il a regardées comme des efpèces de loupes
, n'a de rapport avec le fquirrhe . Si une
loupe eft fquirrheufe , ce n'eft que par une
complication accidentelle , & c'étoit peutêtre
une des différences qu'il étoit le plus
important de bien diftinguer. En effet , les
cauftiques , auxquels la timidité des malades
fait fi fouvent donner la préférence fur
l'inftrument tranchant , appliqués fur une
loupe fquirrheufe , produiroient des accidens
funeftes , en faifant dégénérer la tumeur
en cancer. On ne l'a que trop fouvent
obfervé fous la direction de certaines
gens à qui on fe livre avec une forte de
confiance , parce qu'on les croit d'autant
plus habiles , qu'ils fe font fait une occupation
particulière du traitement des loupes.
Ils les foignent toutes de la même maniere
; ils n'ont qu'un remède & qu'un
procédé à l'ombre de quelques fuccès ,
dans des cas où le choix de tous les moyens
connus d'emporter une tumeur pouvoit être
arbitraire fans la moindre conféquence ,
l'on commet des fautes irréparables en preMAI
1765 .
161
nant une voie qu'avec plus de lumières on
fe garderoit bien de fuivre indiftinctement.
Le Public qui fe laiffe féduire par
des promeffes fpécieufes & par des exemples
certains de guérifon , ne voit pas qu'on
lui fait préférer une pratique aveugle , incertaine
& quelquefois meurtrière , fous
le nom d'expérience , nom toujours impofant
mais la raiſon ne confond point l'expérience
avec la routine , elle rejette l'une
avec dédain , & ne doit jamais ceſſer de
diriger l'autre.
暴
:
L'Auteur du Mémoire No. 14 , dont la
devife eft und eademque manus vulnus
opemque feret , a donné une meilleure defcription
des loupes , qu'il met au nombre
des tumeurs enkyftées , c'eft -à- dire , qui
font produites par une matiere contenue
dans un ou plufieurs facs , ou follicules .
membraneux. Il a fait voir par fes recherches
qu'avec de l'efprit , des connoiffances.
& de bonnes vues fur le fujet qu'on a entrepris
de traiter , on peut manquer fon
but. Il s'eft laiffé égarer par des guides infidèles
, à qui les loupes ont paru un genre
de tumeurs , dont toutes celles qui font enkyftées
feroient des efpèces. D'après cette
fauffe fpéculation , les ganglions , la gre .
nouillette , le goëtre , l'hydrocèle , l'hydropifie
même des ovaires , & jufqu'à la cu
162 MERCURE DE FRANCE .
meur qu'on voit ordinairement au dos des
enfans qui naiffent avec lefpina bifida ,
font mis au rang des loupes . Les idées les
mieux établies en pathologie font renverfées
par cette divifion : ces nouvelles claffes
de maladies , loin de foulager l'efprit qui
retient plus facilement ce qui lui eft préfenté
avec méthode , troublent néceffairement
toute eſpèce d'ordre , lorfqu'elles admettent
comme identiques des affections
contre nature , dont le caractère , les caufes ,
le fiége , les indications , le prognoftic & les
moyens de guérifon font fi différens. L'art
ne peutfaire des progrès , fi l'on ne prend la
peine d'ifoler , pour ainfi dire , les objets
de fes connoiffances : il faut les confidérer
féparément fous toutes les faces poffibles ,
afin d'en prendre les idées les plus nettes &
les plus préciſes . Croit- on y parvenir en
bouleverfant tout , par un prétendu arrangement
dicté fur des principes erronés
dont les conféquences mettroient la plus
grande confufion dans la théorie & dans la
pratique ?
Le mot de loupe eft affez nouveau dans
le langage de l'art , & les Anciens ont certainement
connu les maladies auxquelles
on a donné ce nom. Lorfque M. Littre
introduifit en 1709 dans les Mémoires de
l'Académie Royale des Sciences , le terme
MAI 1765 . 163
lipome , pour fignifier une loupe graiffeufe
, il croyoit enrichir l'hiftoire des mifères
humaines par la defcription de cette
efpèce de tumeur ; mais M. Morgagni a
fait voir depuis peu , dans fon grand ouvrage
defedibus & caufis morborum per anatomen
indagatis , que cette maladie a été
connue de Saltzman , de Valfalva , & que
c'eft le Stéatome des Anciens , fi diſtinctement
décrit en 1666 par Elsholz. Il me paroît
que celui qui en a parlé avec le plus de
clarté & de préciſion , eft Peccetti , célèbre
Chirurgien de Cortone , au commencement
du fiècle précédent. On ne peut douter
, par la lecture de fes oeuvres , que le
Stéatome ne foit une vraie loupegraiffeufe ,
& il a très- exactement diftingué cette tumeur
, d'avec l'Atherome & le Meliceris ,
par un caractère effentiel , autre que la
différence qui fe tireroit du degré de confiftance
de la matiere . Les Auteurs modernes
qui nous font le plus familiers , n'ont
pas connu ce caractère , & l'erreur s'eft perpétuée
fucceffivement , parce qu'ils fe font
copiés les uns les autres. L'on veut écrire
pour fe faire un nom, & il eft certainement
plus commode de prendre les idées d'autrui
telles qu'elles font , & de les transférer
des livres faits dans ceux qu'on croit
compofer , que d'approfondir les queſtions,
164 MERCURE DE FRANCE.
& de s'éclairer du flambeau d'une faine
critique.
Pour déterminer le vrai caractère des
loupes , fuivant la demande préciſe que
l'Académie en avoit faite , il falloit moins
s'occuper de la fauffe érudition qui confifteroit
à expofer fimplement la contrariété
des Auteurs fur les diverfes acceptions de
ce terme , qu'à fixer fon vrai ſens , pour
éviter à l'avenir toute équivoque à cet
égard. L'anatomie ou diffection de ces tumeurs
féparées du corps , démontreroit intuitivement
de quelle nature elles font ;
on en connoîtroit par-là les caufes matérielles
, on fauroit comment les folides &
les fluides font vicieufement difpofés pour
leur formation , & l'on en détermineroit le
fiége : ces connoiffances pofitives feroient
la fource des meilleurs préceptes ; par elles
on apprécieroit ce que les Auteurs ont dit
avec ou fans fondement fur la poffibilité
de la réfolution des loupes , fur leur fuppuration
, & fur les différens moyens de
fuppléer à ces deux terminaifons. L'amputation
& l'extirpation font des reffources
préférables en certains cas , dont la variété
preferira différentes méthodes de procéder
aux opérations indiquées. Quelquefois
la ligature peut être faite , & ce moyen
Gimple , qui ne paroît applicable que dans
MAI 1765. so
une feule circonſtance , fi facile en apparence
à déterminer , donnera le fujet d'une
favante controverfe , dont la pratique peut
feule fournir les argumens & la folution .
Enfin , le choix & l'ufage des cauftiques ,
dans les cas où il paroîtroit le plus convenable
de les employer , ne pourront être
établis que d'après des expériences parti- .
culieres que nous croyons n'avoir pas encore
été faites fur leurs diverfes manieres
d'agir . Et comme leur action fera toujours
relative , aucun , peut-être , ne fera dans
le cas d'une exclufion abfolue ; il faudra
doncbeaucoup de lumieres & d'expérience
pour les admettre par préférence dans les
diverfes occafions ; & leur adminiftration ,
pour être méthodique , fera foumifeà d'autres
règles de prudence appropriées aux
différentes occurrences.
Toutes ces connoiffances font , comme
on le voit , beaucoup plus étendues que
celles qu'on trouveroit éparfes dans les livres
, & dont la réunion en un corps de doctrine
fuppoferoit déja bien de l'intelligence
& du difcernement pour diftinguer la vérité
d'avec l'erreur , dans tout ce qui a été
dit à ce fujet.Il restera encore à faire une judicieufe
application des règles générales
aux cas particuliers , relativement au volume
, à la figure , à la poſition des loupes
166 MERCURE DE FRANCE.
aux parties voifines dont elles gênent l'action
, & qui pourroient être intéreffées avec
plus ou moins d'inconvénient ou de danger
, par la méthode qu'on fuivroit pour
enlever ces tumeurs .
Au défaut d'une expérience perfonnelle,
toujours trop bornée , les Auteurs fourniront
des faits dont la difcuffion fera la pierre
de touche du favoir de celui qui en fera,
ufage. Leurs fuccès ne feront pas des garants
fûrs de la folidité des motifs qui les
auront déterminés dans le choix des
moyens leurs écrits offrent le tableau
d'une pratique fort variée ; mais ils ne
peuvent être utiles , qu'en examinant la
conformité de leur conduite aux grandes
règles de l'art ; & dans les cas où les
praticiens paroîtroient ne les avoir pas fuivies
, il faut chercher s'il n'y a pas eu des
raifons fuffifantes pour s'en écarter. Par ce
travail on doit parvenir , autant qu'il eft
poffible, à connoître les principaux écueils ,
& à découvrir les routes les plus fûres.
On conçoit que faute de détails bien circonftanciés
, fondés fur des principes lumineux
, & autorifés d'une pratique raiſonnée
, on ne pouvoit pas mériter le prix ; en
conféquence il fera double fur le même
fujet pour l'année 1767.
Celui d'émulation a été adjugé à M.
MAI 1755 . 167
Trecourt , Chirurgien Major de l'Hôpital
Royal & Militaire de Rocroi , Correfpondant
de l'Académie , & Docteur en Médecine.
Depuis plufieurs années M. Trecourt
remplit avec zèle l'obligation honorable
que l'on contracte par le titre de Correfpondant.
Il a concouru plufieurs fois au
prix d'émulation ; & l'Académie , en le lui
acordant cette année , lui donne avec plaifir
des marques publiques de, fon eftime.
Les cinq petites médailles auxquelles les
Membres de l'Académie , qui ne font pas
du comité perpétuel , peuvent prétendre
concurremment avec tous les Chirurgiens
régnicoles , pour avoir donné un mémoire ,
ou au moins trois obfervations intéreffantes
, ont été adjugées à MM. Valentin &
Ferrand , Académiciens libres ; à M.
Robin , Maître en Chirurgie à Reims ;
à M. Piefich , ancien Chirurgien d'armée
dans les troupes Autrichiennes , &
Démonftrateur d'Anatomie à Altkirch en
haute Alface ; & à M. Dolhagaraye , étu
diant en Chirurgie , & Élève de l'Hôtel-
Dieu de Paris.
Ce jeune homme paroît réunir à une
grande vivacité qui le porte à faifir avidement
les objets dignes de remarque , l'attention
réfléchie qui empêche l'imagination
de s'égarer dans l'expofition des faits ,
168 MERCURE DE FRANCE.
ou plutôt dans les raifonnemens qu'on y
joint pour les faire valoir. Il a recueilli
quelques obfervations fingulieres qui peutêtre
auroient été perdues fans fon application
& fon activité. Les talens naiffans doivent
être encouragés ; M. Dolhagaraye ,
couronné au commencement de la carrière ,
eft encouragé dès le premier pas qu'il y
fait , à mériter par la fuite de plus grandes
diftinctions. Cet exemple excitera , fans
doute , l'émulation des jeunes gens qui
font comme lui au milieu des grandes occafions
d'obferver , & qui ne peuvent que
tirer beaucoup de fruit , & mériter des
louanges , même par les premiers efforts
qui n'auroient pas un pareil fuccès.
L'Académie a annoncé pour l'année
prochaine un prix double , c'eſt - à - dire ,
deux médailles de 500 liv. chacune , fondé
par M. de la Peyronie , ou une médaille
& la valeur de l'autre pour celui qui établira
le mieux la Théorie des contre- coups
dans les léfions de la tête , & les conféquen-
Les pratiques qu'on peut en tirer.
TRAITÉ
MAI 1765. 169
ASTRONOMI E.
THÉORIE de la Lune , déduite dufeulprin.
cipe de l'attraction , réciproquement proportionnelle
aux quarrés des diftances ,
par M. CLAIRAUT , des Académies des
Sciences de France , d'Angleterre , de
Pruffe , de Ruffie , de Bologne & d'Upfat
, piéce qui a remporté le prix propoſe
en 1750 par l'Académie de Pétersbourg ,
feconde édition , à Paris , chez DESAINT
& SAILLANT.
LA théorie de la Lune a fait long- temps
le défefpoir des Aftronomes. Ils avoient
découvert , d'une manière fatisfaifante
les loix du mouvement des autres aftres
celui- ci feul échappoit à leurs recherches.
Soumis aux mêmes inégalités que toutes,
les autres planetes de notre fyftêine , il en
reftoit encore un grand nombre dont l'obfervation
affidue avoit eu beaucoup de
peine à fixer à-peu- près la quantité & la
période.
Nevyton , qui enfeigna la loi fimple du
H
170 MERCURE DE FRANCE.
:
mouvement des corps célestes , en déduifit
les inégalités du mouvement de la Lune ,
mais il cacha l'analyfe qui l'y avoit conduit
les Géomètres de ce fiècle , en cherchant
à remplir les vuides qui féparent les
vérités qu'il a découvertes , entreprirent
la folution du problême des trois corps ,
fondement de toutes les découvertes de ce
genre. Celle de M. Clairaut fut lue à l'Académie
des Sciences en 1747. Tous les
efprits étant tournés vers cet objet , l'Académie
Impériale de Pétersbourg propofa ,
pour fujet du prix en 1750 , la queſtion
fuivante : favoir , fi l'on pouvoit expliquer
par la théorie Nevvtonienne les inégalités
du mouvement de la Lune , & fi cela étoit ,
quelle feroit la vraie théorie par laquelle on
pourroit calculer le lieu de cette planete
pour un temps donné . Le Mémoire de M.
Clairaut remporta le prix. Il démontre que
la théorie de Nevyton donne feule la clef
de ce labyrinthe , où tant de grands hommes
avoient erré , & qu'on en déduit des
tables beaucoup plus exactes que celles
dont on s'étoit fervi jufqu'alors. Ce Mémoire
fut imprimé à Pétersbourg ; mais
l'édition , qui ne put être faite fous les
yeux de l'Auteur , eft très-fautive. Celle- ci
a fur elle l'avantage d'être plus correcte,
Le première partie eſt le Mémoire même
MAI 1765. 171
qui a été couronné à Pétersbourg , revu
avec foin pour en éclaircir la diction &
pour rendre plus faciles & plus élégantes
les folutions , fans cependant en altérer
rien d'effentiel quand`au fonds. L'addition
qui fuivoit le Mémoire a été fupprimée
, parce qu'elle ne contenoit que
la
réviſion des calculs faits dès 1751 ; réviſion
à laquelle M. Clairaut fubftitue celle qu'il
vient d'achever , le détail des changemens
faits aux équations , & de tous les moyens
qu'il a cru propres à fimplifier l'ufage des
tables. Ces moyens confiftent 1 °. Aavoir :
fupprimé deux des vingt- deux équations .
qui donnoient le vrai lieu de la Lune.
2º.A avoir rendu toutes les équations pofitives.
3 °. A rendre le calcul des argumens
des petites équations plus expéditif & plus
facile . 4° . A avoir introduit un artifice de
calcul qui rend le calcul de la latitude plus
court fans le rendre moins exact. Nous
paffons légérement fur ces chofes , qui doivent
être lues dans l'ouvrage même , &
dont l'objet n'eft pas celui de notre Journal.
M. Clairaut avoit entrepris la réviſion
de fes calculs , dans la vue de rendre plus
exacts les coëfficiens de toutes les équations.
Le fuccès a fi bien répondu à fon
efpérance , que de plus de 200 pofitions de
la lune , calculées fur ces nouvelles tables ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
il n'y en a aucune dont l'erreur fur la longitude
excéde une minute & demie , &
P'erreur fur la latitude , une minute & un
quart. Cette précifion fingulière fait l'éloge
du génie qui a fi bien embraffé & fi
bien réuni toutes les parties de ce vaſte
problême, & prouve en même tems l'identité
de la loi de la gravitation avec celle:
de la nature . Il réfulte de là qu'en employant
à la recherche des longitudes en
mer , la méthode fur laquelle le célèbre
abbé de la Caille à tant infifté , qui confifte
à mefurer la diftance du bord éclairé de la
lune à une étoile connue , les tables de
M. Clairaut n'introduiront dans le calcul
pour les cas les plus favorables , qu'une
incertitude de trois quarts de degré . Il eſt
vrai que nous fuppofons l'obfervation
exacte, mais il dépend des marins d'en
faire un nombre fuffifant pour que cette
incertitude ne furpaffe jamais un degré.
Les gens inftruits des périls de la navigation
fentiront combien il feroit précieux d'être
affuré du lieu où on eft fur la iner , à
vingt-cinq lieues près : de plus les méthodes
d'approximation qui ont fervi à réfoudre
ce problême , laiffent toujours eſpérer
une plus grande exactitude. M. Clair aut
fe propofe de recommencer des calculs pénibles
, effrayans par la longueur & par le
A
MAI 1765 . 173
détail : nous fouhaitons que les applaudiffemens
du monde favant lui donnent
le courage néceffaire , & fe joignent pour
l'y engager au defir du bien public dont
il eft animé ; & nous ofons dire qu'il n'y a
que cet effort généreux qui puiſſe ajouter
à fa gloire.
t
MÉDECINE.
HYDROPISIE de poitrine guérie par les
pilules toniques ( 1 ) du Docteur BACher,
Médecin à Thann en Alface .
UNE femme ( 2 ) âgée de cinquante ans ,
d'un tempérament fanguin , avoit il y a
deux ans des obftructions confidérables au
foie. Après avoir pris différens remèdes ,
elle parut fe porter affez bien pendant dixhuit
mois ; mais le mal qui n'avoit été que
pallié , fe montra bientôt avec tous fes
fymptomes. Elle fut foulagée une feconde
fois par des remèdes convenables ; mais
cinq mois après un chagrin furvenu la
( 1 ) Voyez le Mercure de Novembre 17643
page 102 , & le fecond Mercure de Janvier 1765,
page 154.
(2 ) Mde Bonne , rue Jean Saint Denis , vis
à-vis un Perruquier , quartier Saint Honoré.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
plongea dans une grande trifteffe . A une
refpiration pénible fe joignirent des étouffemens
très -fréquens . Il s'amaffoit une tumeur
aux chevilles des pieds . Malgré plufieurs
remèdes dont elle fit ufage , fou mal
augmentoit chaque jour.
L'enflure des jambes & du ventre étoit
confidérable, & elle gagnoit déja les avantbras
& les mains ; le vifage étoit bouffi
l'urine rouge & briquetée couloit en trèspetite
quantité. La foif étoit grande , le
pouls enfoncé & irrégulier , & l'appétic
étoit tombé la gêne de la refpiration ,
qui devenoit plus laborieufe vers la nuit ,
ne lui permettoit de dormir , que comme
affife dans fon lit. Tel étoit l'état de la
malade le 21 de Mai 1764. Elle fut guérie
par la méthode fuivante.
Elle prit pendant trois jours de fuite ,
chaque jour quarante- cinq pilules toniques
; c'eft-à- dire , quinze à fix heures ,
quinze à huit heures , & quinze à dix heures
du matin. Sur chaque prife de pilules
elle avala ou du bouillon ou de la tifanne
faite avec du chiendent , du raifin de corinthe
& de la canelle . Le quatrième jour
elle interrompit les pilules , mais elle prit
le matin un lavement fait avec deux verres
d'eau chaude , auxquelles on ajoutoit
un verre de vin : on faifoit fondre un gros
MAI 1765 . 179
de fel ammoniac dans celavement , qu'elle
gardoit le plus long- temps poffible.
Le cinquième jour elle reprit les pilules
toniques pendant trois jours ; elle les
interrompit au quatrième , & ainfi de
fuite .
Elle prit en même temps tous les jours
le matin , une heure après la première prife
de pilules , & le foir quatre heures après
le dîner , ce bouillon médical ( 3 ).
Le cinquième jour de la cure , les urines
couloient déja plus librement ; la refpiration
étoit moins gênée & la foif moins
preffante. Le quinzième jour elle crachoit
une matière épaiffe , vifqueufe & l'enflure
étoit confidérablement diminuée; l'appétit
étoit affez irrégulier pendanttoute la cure.
Versla fin de la quatrième femaine , il ne lui
reftoit prefque plus d'enflure qu'aux jambes
; le fommeil étoit bon , le pouls fe
développoit & devenoit plus régulier. Erfin
, au bout de deux mois l'enflure étoit
abfolument diffipée ; & la malade , pour
fe préferver de rechûte & détruire le refte
( 3 ) Prenez une demi-livre de veau , faites-en
un bouillon , avec deux chopines d'eau , ajoutez-y
fur la fin de la cuiffon une poignée d'ozeille &
une poignée de laitue ; paflez le tout pour deux
bouillons ; faites fondre dans chaque bouillon
trente-fix grains de fel ammoniac.
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
des obftructions , continue de prendre tous
les mois , pendant trois jours , les pilules
toniques de la même manière que nous
l'avons dit ci- deffus. Ce régime lui procure
une fanté parfaite
Nous fouffignés , Ecuyer , Docteur en
Médecine , & Médecin ordinaire defon Alteffe
Sereniffime Monfeigneur le Duc
D'ORLEANS , certifions avoir été témoin
des bons effets des pilules toniques du Docteur
Bacher , dont a fait ufage la malade
dont il a fait mention ci-deffus . En foi de
quoi , nous avons donné le préſent certificat
pour valoir ce que de raifon.
A Paris , ce 12. Mars 1765..
PETIT , D. M.
3.
MAI 1765 . 177
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
OBSERVATIONS fur les progrès de l'Agri--
culture & des Manufactures.
MONSIEUR,
J'AI lu avec un fenfible plaifir , dans
notre Journal de Février , des obfervations
fur une queftion très-intéreffante ,
propofée par l'Académie de Caen , fur
les moyens de multiplier les manufactu--
res fans nuir à la culture des terres . Les
obfervations de ces Meffieurs font trèsfenfées
mais elles ne me paroiffent pas
avoir épuifé la matière. Les amis des hom--
mes ne feront peut-être pas fâchés de trouver
, dans votre Journal prochain , les
réflexions qu'a faites à ce fujet un étran→
ger , dont la famille eſt l'humanité , dont :
la patrie eft le monde , que la naiffance &
le goût ont mis à portée d'approfondier
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
cette reffource précieufe du gouvernement.
Je comparerai les progrès qu'ont faits l'agriculture
& les arts dans la Grande-Bretagne
à ceux que le fol) des autres nations
paroît leur refufer : je montrerai que les
avantages qu'a l'Angleterre en cette partie
, peuvent être communs à tous les
pays. S'il m'échappe quelque intérêt de
préférence pour ma Patrie , qu'on le pardonne
à ma gratitude : quoique citoyen de
la terre , je dois quelque chofe de plus au
ciel qui m'a vu naître. Un homme qui
parcoureroit l'Angleterre avec la moindre
attention , feroit affurément flatté par le
tableau que préfente la campagne . Un
nombre infini d'enclos , deftinés à la nourxiture
des troupeaux , occupent un terrein
immenfe : les haies & les arbres qui les
féparent paroiffent couvrir la terre : on
croiroit voir une vafte forêt , ou quelque
verger d'une étendue démefurée. Si cet
homme entroit dans le détail , il trouveroit
que l'agriculture & les arts mé haniques
, fur- tout les manufactures de laine-
& d'acier , font portées à un dégré de
perfection plus recherché qu'en aucun
autre endroit du monde. Les Auteurs
qui ont pu traiter cette matière , n'étant
point venus à ma connoiffance , j'expliquerai
ce phénomène d'une façon toute
MAI 1765. 179
nouvelle ; je communiquerai une conjecture
qui me paroît probable , & que
j'abandonne au jugement des connoiffeurs.
Il eſt évident que la fupériorité dont l'Angleterre
jouit en Europe , en fait de culture
des champs & de manufactures , ne
doit point être attribuée à fon gouvernement
, puifqu'il y a d'autres nations qui
jouiffent comme elle des douceurs de la
liberté , fans néanmoins fe diftinguer dans
l'un ni dans l'autre genre. Perfonne ne
s'eft jamais imaginé qu'il fallût aller à
Genève pour apprendre l'agriculture , ni
qu'il fallut faire venir les ouvrages d'acier
de Hollande. L'Angleterre jouit- elle
de ces prérogatives parce qu'elle eſt
exempte d'impôts ? Non. Les taxes généralement
parlant , & fur- tout celles qui
tombent fur les terres , font plus hautes
dans ce Royaume qu'en d'autres pays qui
doivent fe plaindre du peu de progrès
qu'ils ont faits dans les arts en queftion . Les
fociétés & les prix pour encouragerl'agriculture&
les arts méchaniques y font très-rares?
Ce n'est donc point là qu'il faut chercher
lafource de leurs perfection.Ces inftitutions
font plus fréquentes dans les pays qui la
recherchent encore. Que ne lui ajouteroient-
ils point ? Je fuis vraiment flatté de
la jufteffe des obfervations élégantes &
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
judicieufes de M. Rouxelin ; je crois que
la certitude de difpofer du fruit de fes
» fueurs , eft le feul moyen de faire aimer
» le travail à l'homme ». Et je fuis perfuadé
que l'Anglois jouit de cette certitude
, même dans le plus haut degré : mais
je ne puis me réfoudre à donner cette confidération
pour caufe principale des progrès
qu'a fait l'Angleterre : premièrement ,
parce que , quelque effet qu'elle ait für
Fagriculture , elle ne fauroit difpofer les
hommes à s'appliquer aux manufactures
préférablement à la culture des terres ; &
fecondement , parce qu'étant un avantage
dont quelques autres nations jouiffent auffi
bien qu'elle , elle n'a pas encore produit
chez elles ce fruit qu'on croit devoir lui
attribuer,
Il reste donc , que j'explique ce qui me
paroît être la caufe la plus confidérable de
ce degré de perfection où les autres nations
n'ont pas encore pu atteindre . Le
voici l'Anglois confume dans fes vivres
plus de chair qu'aucune autre nation. L'affertion
paroîtra fingulière au premier coup
d'oeil ; mais fi l'on convient du fait , & je
n'appréhende pas qu'il foit contefté , je
me flatte que de cette feule fource , je
pourrai déduire évidemment le riche fpec
acle qu'offrent les campagnes Angloifes ,
MAI 1765:
181
les fuccès de l'agriculture , la perfection des
arts , & prefque tous les avantages qui
diftinguent la nation . Premièrement , le
tableau que préfente le payfage Anglois ,
n'eſt qu'un réſultat de ma propofition. Une
nation qui ne fe nourrit que de viande
doit néceffairement élever un nombre infini
de beftiaux, & par conféquent avoir des
pâturages immenfes ; & ceux qui ont quelque
connoiffance dans les affaires ruftiques
m'accorderont volontiers que les enclos
font très- commodes & même néceffaires
à cet objet : il ne faut que faire la
comparaifon des troupeaux qui ont été
nourris en clôture avec ceux qui l'ont été
en pleine campagne , pour en être convaincu.
2. Par-tout où l'on emploie une
grande quantité du fol en pâturages , ib
refte peu de terres à labourer. De-là , que
de mains libres & capables de s'occuper à
d'utiles travaux ! Les enclos , d'ailleurs ,
tiennent lieu d'un grand nombre de bergers
, de vachers , & c. dont la néceffité eft
Indifpenfable dans la plaine. Il eft donc
évident , qu'une perfonne qui poffede une
terre de cent arpens , & qui n'en laboure
que la cinquième partie , peut employer
un plus grand nombre d'hommes & de
chevaux ; peut donner une attention plus.
particulière , à labourer , fumer , marner
182 MERCURE DE FRANCE.
& c. & fi l'on veut avoir égard à l'incertitude
des faifons & à l'effet prodigieux qu'elles
ont fur l'agriculture plus que fur les
autres arts ; à l'attention avec laquelle on
doit faifir le moment critique du labourage
, des femailles , de la moiffon & toutes
les autres branches de cette poffeffion trop
fouvent ingrate ; à la quantité des mauvai-
3
fes herbes qui naiffent dans chaque fol , &
rendent les travaux & les foins fréquens
& fucceffifs abfolument néceſſaires ; fi
l'on y joint l'infécondité naturelle de prefque
tous les terreins qui refufent les particules
végétatives propres pour la procréa
tion de plufieurs moiflons de fuite , s'ils
ne font fumés fouvent : on ne fauroit difconvenir
que l'ufage de borner les travaux
du laboureur , par la grande quantité de
terres qui font employées aux pâturages ,
& le nombre des pâtres par le foin que
l'on a d'y renfermer les troupeaux , ne
puiffent infiniment contribuer à la perfection
de l'agriculture. 3.De - là une multitude
d'ouvriers, inutiles ailleurs, n'ont point
d'autres partis à prendre que de chercher
leur fubfiftance & celle de leur famille , dans
les manufactures de toute efpèce . Devons.
nous donc être étonnés , de trouver les arts
méchaniques dans un état de plus haute
perfection dans un telpays que dans toutau
MAI 1765 . 175
tre ? Quelque autre nation peut- elle produire
un nombre fuffifant de travailleurs
pour fon labour & pour toutes les manufac
tares qu'elle pourroit établir ? De- là vient
qu'on ne peut concevoir que l'on faffe des
progrès confidérables dans l'un fans nuire
aux autres. Les Anglois feuls ont trouvé
cet heureux milieu . Je préviens une objection
que l'on pourra me faire. Il eft
vrai , me dira- t-on , qu'il s'enfuit de vos
principes qu'un plus grand nombre d'hommes
s'appliqueront aux manufactures :
c'eft un avantage auffi rare qu'il eft important.
Il en résultera beaucoup plus d'ouvrages
; mais en feront- ils beaucoup plus
parfaits ?
Pour montrer combien cette objection '
eft peu fondée , & que la perfection des
manufactures croît toujours à proportion
du nombre des mains qui y font employées
, le raifonnement fuivant fuffira.
On a remarqué qu'un homme qui feroit
feul fur la terre , & qui , pour fe procurer
le néceffaire , feroit obligé d'appli
quer à tout fon induftrie & fon adreffe
ne feroit rien de bon ; mais que fi l'on faifoit
monter le nombre des habitans jufqu'à
dix , & que chacun s'appliquât felon ce
que le goût ou l'inclination lui infpire--
roit ; l'un à travailler en bois , l'autre en
184 MERCURE DE FRANCE.
fer , un troisième en pierre , chacun dans
fon genre , atteindroit un atteindroit un plus haut degré
de perfection que celui qui feroit obligé
de tout entreprendre. Quand le nombre
d'hommes eft plus grand , & la fociété dans
un état plus parfait , le nombre d'artifans
qui s'adonnent à ces parties différentes , eſt
proportionnellement augmenté. Elles font
donc divifées & fubdivifées en une infinité
de branches ; & l'effet de cette diftribution
, eft de perfectionner les ouvrages de
plus en plus... Ainfi dans un petit village
, les artifans font un Charpentier , l'un
Serrurier-Maréchal , & l'autre Maçon : les
abjets de leur attention font le bois , le fer ,
la pierre... Dans une grande ville chacun
de ces métiers eft divifé en une variété de
branches , chacune d'une moindre éten
due . Celui du Charpentier , par exemple
comprend un Ménuifier , un Ebéniſte
un Tourneur , un Charron , un Faifeur de
roues, un Charpentier de moulin , un Charpentier
de navire , un Ménuifier en caroffes
, &c. Chaque maître dans un de ces
genres , quand il a beaucoup d'ouvriers
fous lui , ne manque pas d'en fubdivifer
encore entre cux les différentes parties..
Un Carroffier , par exemple , forme différentes
branches des ouvriers qu'il emploie
au travail des roues , du train , de la caifle,
MAI 1765.
189
& c. d'un carroffe. Et ceci a lieu , non-feulement
dans ce métier- ci , mais dans prefque
tous les autres , même les plus bas , & ,
felon l'apparence , les moins capables de
fubdivifion. Dans les villages , l'ouvrage
eft très-groffier ; dans les villes il eft plus
parfait. En effet , il eft univerſellement
vrai , qu'en proportion du nombre des ouvriers
employés dans un manufacture, les
ouvrages font divifés & perfectionnés en
raifon de cette divifion même. Donc ,
puifque la perfection des manufactures.
fuit le nombre des mains qui y font
employées ; puifque ce nombre même
fe déduit de l'étendue des pâturages
qui doit orginairement fe rapporter
la plus grande confommation des boeufs
& des moutons ; il faut conclure que la
perfection des manufactures, comme nous
l'avons déja prouvé de la culture des terres
, fe doit à ( la culture ) ce goût national.
Les parties feptentrionales de la Grande-
Bretagne , paroiffent me fournir un exemple
pour confirmner mon fyftême. Les Ecoffois
, avant que ce Royaume fût réuni à
l'Angleterre , ne mangeoient prefque pas
de viande ; ils n'avoient conféquemment,
ni riches pâturages , ni riches récoltes
; peu de manufactures , peu d'opulence,
Depuis cette époque , ils ont changé
186 MERCURE DE FRANCE.
leur manière de vivre ; ils commencent à
imiter les Anglois on en voit déja les
effets dans les revenus & l'étendue de
leurs pâturages , & dans les progrès rapides
qu'ont fait chez eux l'agriculture & les arts
méchaniques. Et l'on peut augurer , que
toute nation qui prendra à tâche fon exemple
, deviendra , par fon opulence , l'objet
de l'émulation de tous les voiſins.
Je fuis , &c.
ROBERT LISTON.
ACADÉMIE de Peinture, & de Sculpture.
MÉDAILLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
C'EST avec regret que j'annonce auſſi
tard un fait intéreffant pour les arts , &
faifant même une époque flatteufe pour
l'Académie royale de peinture & de ſculpture
la modeftie de ceux qui y ont eu
part a fans doute empêché qu'il ne foit
parvenu plutôt à ma connoiffance.
A la dernière affemblée de 1764 , de
PAREN
QUAMVIS
ACAD.ROYALE DE
EINTETDE SCULPE
MAI 1765. 187
l'Académie royale de peinture &fculpture,
on fit la première diftribution de jettons
fondés peu de temps avant par M. de Jullienne
, l'un de fes membres , Chevalier de
l'Ordre de Saint Michel , & l'un de fes
amateurs ordinaires .
Son projet avoit été approuvé dès le
premier moment par Sa Majefté ; & M. le
Marquis de Marigny , dont on connoît
l'amour pour les arts , avoit joint à cette
approbation les termes les plus flatteurs
pour l'Académie , & pour M. de Jullienne,
dont le goût & la collection font connus
depuis long-temps de toute l'Europe .
J'ai penté que le Public verroit avec fatisfaction
la gravure de cette médaille ,
dont le coin a été donné à l'Académie par
M. Rottiers fils , qui l'avoit prié de vou
loir bien l'accepter , fans qu'il fe crut difpenfé
par -là de fon morceau de reception.
,
La devife & le fujet avoient été propo
fés par M. de Montullé , à qui cette Académie
s'eft empreffée d'offrir une place
d'amateur comme une juftice rendue à
fon goût pour les arts , & comme une
marque de fa reconnoiffance des foins qu'il
s'étoit donné pour l'exécution de ce projet ,
dont la conduite lui avoit été confiée par
M. de Jullienne , fon parent & fon ami.
188 MERCURE DE FRANCE. ·
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
MÉLANGE d'airs , avec accompagnement
de guitarre , par M. Morbé ; XI• . livre
de guitarre , oeuvre XIV. prix 6 liv. à
Paris , chez l'Auteur , rue Saint Thomas
du Louvre , du côté du Château d'eau ,
chez un Ménuifier , le fecond efcalier
après la cour , & aux adreffes ordinaires
de mufique.
-SIX SONATES à violon & baffe , dédiées à
S. A. S. Monfeigneur le Comte de Clermont
; par M. Jannfon , de la mufique de
S. A. S. Monfeigneur le Prince de Conti ,
oeuvre I. à Paris , chez Moria , rue de la
Comédie Françoife ; & chez l'Auteur ,
rue Sainte Marguerite , à l'hôtel des Romains
, fauxbourg Saint Germain , & aux
adreffes ordinaires de mufique ; prix , 7
livres.
Ces fonates peuvent fe jouer également
fur le violon. L'Auteur qui s'eft fait une
réputation fi brillante fur le violoncelle
a exécuté au Concert fpirituel une grande
partie de ces morceaux. On fait qu'il y a
MAI 1765.- 189
-
réuni tous les fuffrages , tant par fon exécution
fupérieure , que par les beautés de
fa mufique.
SONATES en pièces de clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum ; dédiées
à Mademoiſelle de Beauvau , par M.
Couperin , organiſte de l'Eglife de Paris ,
de Saint Gervais , & c. oeuvre II. prix , 12
livres , à Paris , chez l'Auteur , attenant
l'Egliſe de Saint Gervais , & aux adreſſes
ordinaires.
L'auteur de ces fonates eft neveu de
l'ancien & célébre Couperin , dont les productions
musicales font entre les mains de
tous les vrais amateurs : mais la célébrité
de l'oncle ne peut nuire à celle du neveu .
Ce dernier ne doit qu'à lui- même la haute
réputation dont il jouit , & que ce dernier
ouvrage doit encore accroître.
M
GRAVURE.
GÉOGRAPHIE.
APPE-MONDE , adaptée au précis hiftorique
de M. Maclot , & dans laquelle
font figurées les nouvelles découvertes de
l'Amiral de Fuentes , au nord de l'Amé- '
rique , mifes en parallele avec d'autres dé190
MERCURE DE FRANCE.
couvertes publiées poftérieurement aux
premières , dans une carte de l'Académie
de Petersbourg, en 1754 ; par M. Brion ,
Ingénieur Géographe du Roi ; à Paris ,
chez le fieur Defnos , Ingénieur Géographe
pour les globes & fphères ; rue Saint
Jacques , au globe , 1765.
Le fieur de Beaurain fils , Géographe , a
eul'honneur de préfenter au Roi le 25 du
mois de Mars 1765 , un ouvrage qui a
pour titre , Carte d'Allemagne , pour fervir
à l'intelligence de l'hiftoire de la guerre
entre les Rois de France & d'Angleterre ;
entre le Roi de Pruffe & l'Impératrice
Reine , l'Electeur de Saxe , l'Empire , la
Suede , & la Ruffie ; dans laquelle il a
marqué les batailles , combats , prifes de.
villes & camps qu'il a pu y faire entrer.
Il a tracé les routes publiques & joint
une hiftoire abrégée des principaux faits
militaires arrivés tant fur terre que fur mer,
jufqu'aux traités de paix ; il l'a enrichie &
entourée de 74 plans très détaillés , repréfentant
les événemens les plus mémorables
arrivés pendant le cours de la guerre ,
commencée en 1755 & finie en 1763. Cette
carte eft dédiée au ROI, par le fils du Chevalier
de Beaurain , Géographe ordinaire
de Sa Majefté, & ci- devant de l'éducaMAI
1765. for
tion de Monfeigneur le DAUPHIN . Le
ROI a reçu cet ouvrage avec fatisfaction ,
ainfi que la famille Royale & les Miniftres.
L'Auteur avertit le Public , qu'il eft
aujour préfentement : il demeure rue Gilcoeur
, la première porte - cochère à droite
en entrant par le quai des Auguftins. Cet
ouvrage fe vendra auffi chez le fieur Charpentier
, Libraire à Saint Chrifoftôme , fur
le même quai , du côté de la rue du Hurpoix
, à Paris,
イ
192 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V. 、
SPECTACLES.
SUITE des Concerts Spirituels .
LE Mardi , feconde fête de Pâques , on donna
pour premier Motet à grand choeur Domine
audivi , de la compofition de M. DAUVERGNE .
M. SEJAN exécuta un Concert d'orgues de fa compofition
. M. RODOLPHE donna un Concerto de
cors de fa compofition . Mlle AVENEAU chanta
Conferva me , nouveau Motet à voix feule de
M. BILLON. Mlle FL chanta un autre petit Motet.
Ce Concert fut terminé par Judica me , trèsbon
Motet à grand choeur de feu M. FANTON ,
dont on n'entend jamais les ouvrages au Concert
fans éprouver de nouveaux regrets de la perte d'un
tel Compofiteur.
Le Vendredi 12 Avril , Miferere , Moter à
grand choeur de M. DAUVERGNE, MM JANNSON
& KOHAUT exécutèrent des Duos de violoncelle
& de luth. Ils charmerent encore les auditeurs ,
& furent comblés d'applaudiffemens , ainfi que le
jeune M. BERTHEAUME , dans le Concerto de
violon qu'il exécuta. M. RICHER chanta Cantate
Domino , &c. petit Motet fort agréable & tresbien
composé de M. KOHAUT. Mile AVENEAU &
M. DURAND chantèrent Cantemus , Motet à deux
voix de feu M. MOURET, Le Concert finit par le
Stabat
ΜΑΙ 1765 . 193
Stabat Mater , exécuté comme il l'avoit été dans
la Semaine Sainte.
Le Dimanche de la Quafimodo , pour premier
Moret , on donna le Regina cali de M. Dau-
VERGNE. M. BALBATRE exécuta un Concerto d'or
gues de fa compofition. MM . JANNSON & KOHAUT
des duos de violoncelle & du luth. Mlle FEL chanta
un Motet à voix feule. Mlle AVENEAU & M. Du-
RAND le même Motet à deux voix du Vendredi
précédent. Le beau Motet de feu M. FANTON
Deus venerunt gentes , termina le Concert.
MM. LE GROS , GELIN , DURAND , L'ECUYER
MUGUET & RICHER ont chanté des récits dans les
grands Motets pendant les Concerts du temps de
Pâques , ainfi que Mlles FEL , ROZET , AVENEAU ,
DUBRIEULE & BERNARD..
M. JANNSON s'eft particuliérement diftingué
dans ces Concerts , tant par fon
exécution que par le genre agréable de là
mufique qu'il a jouée ; ce qui lui a fait
adreffer les vers fuivans , par l'Auteur ingénieux
de la plus grande partie des contes
qu'on a lus dans nos Journaux .
A M. JANNSON , de la Mufique de
S. A. S. M. LE PRINCE DE CONTI.
TES
fons ES fons rapides & flateurs
น
» D'Orphée & d'Amphion retracent les merveilles :
و د
هد
C'eſt d'étonner les oreilles ,
peu
Jannfon , tu maîtriſes les coeurs ».
Par M. DE LA DIXMERIE,
Ι
194 MERCURE DE FRANCE.
N. B. Ces témoignages flateurs , & confirmés
par la voix publique , du plaifir que
fait un grand talent , ne feront jamais
accordés , encore moins dus à ceux qui
fur quelqu'inftrument que ce foit , femblent
ne s'attacher qu'à défigurer l'effet
qui lui eft propre , non pour plaire ni pour
toucher , mais uniquement pour étonner
par l'affectation des difficultés réunies &
multipliées dans des fuites de préludes qui
ne forment aucun fujet diſtinct. Plus les
foins & l'attention des Directeurs actuels du
Concert Spirituel ontrendu ce fpectacle intéreffant
au Public , plus il eft attentif à tout
ce qui contribue à la durée de fes fuccès.
C'eft en conféquence de cela que nous ne
pouvons nous refufer aux preffantes &
nombreuſes follicitations qui nous ont été
faites de les avertir de ne pas permettre ,
fous quelque prétexte de réputation que
ce puiffe être , à ces artiſtes de musique
bifarre & fans chant, de rendre les auditeurs
du Concert perpétuellement confidens des
exercices favans & adroits qu'on ne doit
pratiquer que dans le fecret de l'étude.
OPERA.
LE Mardi , 16 Avril, l'Académie Royale
de Mufique a repris les repréſentations de
MAI 1765. 195
Caftor & Pollux , interrompues par les trois
femaines de Pâques. L'interruption , fi
funefte quelquefois aux fuccès les plus décidés
, femble n'avoir fervi qu'à ranimer
le goût & l'empreffement du Public pour
cet Opéra. L'affluence & le concours font
au moins tels qu'ils étoient avant Pâques ,
& l'on ne voit pas même quand cela ſe
rallentira , chaque repréfentation donnant
plus d'ardeur pour en voir d'autres. On a
ajouté quelques acceſſoirs dans la fête infernale
, qui font encore un nouvel effet ,
& qui donnent une nouvelle perfection à
l'exécution du choeur que le feu des enfers ,
&c. & au ballet des démons .
On continue jufqu'à l'Afcenfion , les
Jeudis , le Balet des Talens Lyriques.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ONNa joué le Mercredi 17 Avril le
Chevalier à la Mode & le Babillard , Comédies.
On a continué les jours fuivans de donner
différentes Comédies du Répertoire ,
des circonstances particulières ayant empê
ché de repréfenter des tragédies.
I ij
} 196 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a repris alternativement fur ce
Théâtre après Pâques les mêmes Comédies
à ariettes que l'on donnoit auparavant.
DESCRIPTION de la nouvelle falle des
Comédiens Italiens ordinaires du Roi.
L Es Comédiens Italiens viennent de faire pen.
dant la vacance de leur fpectacle une augmentation
de loges & un nouvel embelliſſement à leur
falle . Comme dans le Mercure de Novembre
1760 il n'a été fait aucun détail de la réparation
qui y a été faite , nous faififfons cette occafion
pour en donner la defcription .
En 1760 leur falle exigeant une grande réparation
, tant pour ce qui concernoit la folidité du
bâtiment , que pour la décoration , M. LE DUC
D'AUMONT , premier Gentilhomme de la Chambre
, ordonna cet ouvrage , qui devint confidérable
, & par le travail & par la manière dont il
a été traité . L'artifte , fuivant les ordres qui lai
avoient été donnés , avoit confervé tous les planchers
& tous les potaux , qu'il ne pouvoit fuppri-
*mer fans un renverfement total de la conftruction
primitive. Il n'a donc rien changé à l'ancienne
-difpofition , mais il a tellement ménagé la décoration
, qu'il femble que la falle foit conftruite à
neuf par le grand nombre de commodités qui s'y
trouvent actuellement,
MA I 1765 . 197
L'avant fcène étoit décorée par deux colonnes
accouplées d'ordre corinthien , de toute la hauteur
de la falle , & furmontées d'une architrave en relief
qui fe lioit avec la frife & la corniche , peinte fur
le plafond. Le fofite de ces colonnes étoit orné
de rinceaux d'un goût antique , avec de belles
rofettes dans les milieux. Le focle régnoit avec le
deffous des balcons . Toute cette avant- fcène étoit
peinte en marbre blanc veiné , & tous les chapiteaux
, bafes & ornemens dorés ; dans l'épaiffeur
de cette avant-fcène étoient pratiqués deux efcaliers
conduifans à tous les balcons & aux loges
grillées placées fous le théâtre.
Les balcons, de niveau avec les premières loges ,
font d'une très belle compofition , ils ont été principalement
remarqués , & les Artiftes en font cas .
Les grilles des petites loges qui font dellous font
de bon goût , & s'accordent bien avec l'enſemble
général. 2
Toute cette falle eft peinte en marbre blanc
veiné , & tous les ornemens font en or. Les poteaux
des premières loges font décorés par des
têtes de lions en confoles , tenant un fefton de
laurier. Les devantures font ornées de feuilles de
refend & de canaux ; le deffous de ces devantures
eft foutenu par des confcles très -mâles . Le deffous
des plate bandes eft orné de roſettes qui s'entrelaffent,
& de poftes courantes .
Les appuis des fecondes loges font ornés fucceffivement
de lyres avec des branches de laurier &
une guirlande de chêne , & de médaillons pareillement
ornés de guirlandes. Les platebandes de
ces fecondes loges font les mêmes que celles des
premières .
Ceux des troifiemes loges font embellis par des
têtes d'Apollon & des rinceaux d'ornemens. Des
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
confoles d'un bon genre ornent les poteaux des
fecondes & des troifiemes. Autour de celle - ci regnent
les deux premières moulures de l'architrave
de l'avant -fcène , lefquelles fervent de tailloir aux
confoles , & fuppléent l'architrave de la corniche ,
qui eft mâle , & dont tous les ornemens font bien
entendus. Dans la frife regnent au pourtour des
feftons de fruits . Le plafond eft peint en ciel , des
génies artiftement grouppés foutiennent les luftres
qui femblent attachés aux guirlandes avec lefquelles
les génies fe jouent.
L'efcalier qui conduifoit aux premières & fecondes
loges a été totalement changé , & on en a
fubftitué un nouveau beaucoup plus large & plus
commode. On a ménagé à l'entrée un beau veftibule
qui communique au parterre & à l'escalier
des troisiemes , dont cependant la communication
eft interrompue pendant le fpectacle par une grille
de fer qu'on ouvre à la fin , & qui laiffe au Public
ungrand efpace pour fortir. Telle étoit la difpotion
de la Salle , lorfque vivement follicités par
des perfonnes de la plus grande diftinction , de
faire conftruire des loges dans l'avant -ſcène , pour
être louées à l'année , les Comédiens Italiens fe
déterminèrent à en fupprimer les colomnes pour
fatisfaire à l'empreffement du Public , d'une part,
& d'autre côté pour ne point empiéter fur les fecondes
&troifièmes loges , tant la fureur des petites
loges eft devenue à la mode.
En conféquence , pendant les trois semaines de
vacances , les colonnes ont été jettées bas , &
ont été remplacées par trois loges de chaque
côté , contenant chacune fix places , & deux loges
de foubaffement pareilles à celles qui font fous les
balcons. Ces loges font en faillie de fept à huit
pouces fur le poteau où fe termine le balcon , dont
MAI 1765 . 199
les places deviennent meilleures qu'elles n'étoient
auparavant , & fe terminent en plan circulaire du
côté du théâtre. Leur décoration eft la même que
celle qui regne dans toute la Salle. Derrière ces
nouvelles loges , font adroitement pratiqués des
efcaliers qui y conduifent , & qui deſcendent ſous
le théâtre, ce qui rend la communication plus facile
qu'elle n'étoit auparavant,parce que l'escalier du
côté de la reine defcendoit feulement jufqu'en bas.
Ce changement en a occafionné un général dans
la Salle , qui a été repeinte & dorée de nouveau
en entier. Elle eſt préfentement dans l'état le
plus brillant. Tous les fonds des loges qui étoient
en marbre de bréche violette , ont été peints en
damas jaune , ce qui fait un meilleur effet & eft
plus avantageux aux femmes . Il n'eſt reſté du
plafond que la corniche , le reste a été peint & .
changé.
Quand les colonnes étoient en place , un fimple
fofite orné de rinceaux dans le goût antique
qu'elles portoient , terminoit la Salle . En y fuppléant
des loges , il a fallu changer la forme du
plafond vers le théâtre ; il ſe termine préfentement
en une vouſſure , au milieu de laquelle font les
armes du Roi , foutenues par quatre vertus , la
force , la juftice , la prudence & la tempérance.
Sur le plafond dans l'angle du côté de la Reine ,
eft le temple du goût , où des petits génies attachent
des médaillons des Auteurs qui ont travaillé
pour ce théâtre de l'autre côté font des génies
tenant le haut d'une grande & vafte draperie qui
forme le rideau , & qui lorsqu'il eft levé ſe joint
aux pentes qui defcendent le long des loges jufques
fur le théâtre : au-deffous des armes fur le
rideau eft Thalie , tenant la diviſe caftigat ridendo
mores de la main droite , de l'autre un mafque ac
Liv
(200 MERCURE DE FRANCE.
compagné de plufieurs petitsgénies , dont un regarde
à travers un mafque, & lance un trait ( enibleme
qui paroît très -propre à cette Mufe , qui fous le
mafque lance des traits piquans ) & les autres levent
le rideau qui mafquent l'entrée du palais de
cette Mufe. Le public , quoique regrettant l'ancienne
avant-fcène , qui étoit le feul cadre que
nous euffions à Paris dans nos Salles de fpectacle ,
a paru très fatisfait du nouvel arrangement qui
n'a rien gâté à cette Salle.
Toutes les peintures & dorures ont été faites
avec le plus grand foin. Le plafond & le rideau,
qui font à préfent les morceaux les plus intéreffans
, font très-bien imaginés. La draperie eft
d'une très- grande vérité , l'étoffe , dont le deflits
eft une grande broderie d'or , & le deffous un velours
cramoifi , eft parfaitement exécutée. L'entrée
du temple de Thalie , à moitié découverte ,
-dans le périftile duquel eft une caffolette jettant
des parfums , foutenue par trois figures de femmes
, fait un très-bon effet , parce qu'elle fe lie
avec la richeffe de la draperie.
M. Girault , Architecte & Ingénieur - Machinifte
des fpectacles du Roi , en furvivance , qui
fut chargé par M. le Duc d'AUMONT en 1760 ,
.de la reftauration & de l'embelliffement de cette
Salle , a fait en dernier ces changemens. M.
-Canot a peint & exécuté le plafond & le rideau
qu'il a imaginé , de concert avec M. Girault.
On a garni les premières loges de banquettes à
doffier, oùles femmes feront plus commodément.
La vérité exige de faire mention du zèle des
Comédiens à fervir le Public de la promptitude
savec laquelle cet ouvrage a été fait , & de la part
qu'y a eue M. Debeffe , lequel pendant trois fenaines
, n'a point quitté les ouvriers depuis fept heurres
du matin jufqu'au ſoir.
MAI 1765 .
201
OEUVRES DE THÉATRE
NOUVELLEMENT IMPRIMÉES.
DEPUIS quelques temps des nouveautés
ont néceffairement étendu l'article des
fpectacles. Il ne nous a pas été poffible
jufqu'à préfent de fatisfaire à l'engagement
pris dans l'article des annonces de livres
fur plufieurs piéces de Théâtre imprimées
dont on a promis des notices. Nous commencerons
par un recueil , eftimable en
beaucoup de parties , intitulé :
PIECES DE THÉATRE ,
PAR M. MARIN , de l'Académie de Mar.
feille , &c. &c. qui fe trouvent à Paris ,
chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
On a déja rendu compte dans un de
nos Journaux précédens de la préface &
de quelques obfervations contenues dans
ce recueil ; il ne nous refte qu'à parcourir
les piéces qu'il renferme : la premiere eft
intitulée : Julie, ou le Triomphe de l'Amitié,
Comédie en profe & en trois actes.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Le fujet de cette piéce eft intéreffant.
DORVAL avoit époufé à Touloufe JULIE ,
jeune orpheline , élevée dans fa maiſon.
Ce mariage , fait contre le gré du père de
DORVAL , l'a fait deshériter & lui a attiré
toute fa colère. Les deux jeunes époux
ont fui à Paris , ils fe font logés dans un
hôtel garni , lieu de la fcène de ce Drame.
DORVAL ayant diffipé la fucceffion de fa
mère , eft réduit à la dernière extrêmité .
Sa fituation a aigri fon âme. Un feul ami
lui refte , cet ami eft ERASTE , & c'est lui
contre lequel il conçoit des foupçons injurieux
à fa probité & à l'inviolable fidélité
de fa vertueufe époufe. Les foins généreux
& prudens que cet ami fe donne pour
fecourir DORVAL deviennent les motifs de
fes injuftes conjectures. Le mal entendu
d'une lettre interceptée , & plus encore ,
l'imagination empoifonnée de DoRVAL
réalife tellement fes erreurs , qu'il fait
mettre l'épée à la main à fon ami. Ils
font féparés par D'OUTREMER riche
négociant , d'un caractère franc , qui loge
dans le même hôtel , & qui eſt ami
de LISIMON , vieillard affligé de la perte
d'un fils unique , qu'il cherche & qu'il
fait chercher en tous lieux , & dont chaque
infortuné qu'il rencontre , lui rappelle le
fort qu'il peut éprouver. Ce même Lısı-
>
AVRIL 1765. 203
MON rencontre ERASTE qui cherche DORVAL
: on croit que c'eſt pour fe venger.
Non , c'eft pour trouver les moyens , ou
de dérober fon ami aux rigueurs d'une
fentence qui va le renfermer dans une
prifon , ou d'appaifer fes créanciers & de
le délivrer de captivité , s'il n'a pas été
averti affez promptement . Toujours fenfible
aux malheurs , LISIMON remet à
ERASTE la fomme néceffaire pour cette
action généreufe : il fe trouve enfuite avec
JULIE . Il apprend d'elle- même , dans une
fcène fort intéreffante , que c'eft for propre
fils qu'il vient de fecourir par l'interceffion
d'ERASTE . Elle lui confeffe en
même temps que c'eft elle qui eft la caufe
occafionelle de tous fes malheurs , puifqu'elle
eft l'époufe infortunée de fon fils.
LLSIMON à cet aveu reprend toute fa colère ,
mais les larmes de JULIE , celles de fon
fils , celles qu'y vient joindre le généreux
ERASTE , fléchiffent enfin ce vieillard irrité,
qui leur rend fa tendreffe en leur pardonnant.
De fon côté DORVAL , éclairé par
les actions d'ERASTE , lui rend tous les
fentimens dus à un fi rare ami . C'eſt avec
raifon que l'Auteur compte fur les fuffrages
des âmes honnêtes & fenfibles dans les
détails de cette piéce. Il apprend lui- même
aux Lecteurs qu'elle n'avoit pas eu un
I vj
204 MERCURE DE FRANCE,
heureux fuccès à la repréfentation ; qu'il a
changé beaucoup de chofes dans les deux
premiers actes , & que le troiſieme eſt
totalement différent. Pour ne laiffer aucun
doute à cet égard , il a fait imprimer ce
qu'il a cru devoir fupprimer ou changer.
Nous avons lieu de préfumer que ceux
qui liront cet ouvrage penferont , comme
nous , qu'il auroit un fort tout différent
au Théâtre , s'il y paroiffoit tel qu'il eſt
dans ce recueil .
Quoique le fond de cette piéce , fon
action , fon objet & les principaux caractères
femblent n'annoncer que des chofes
touchantes dans les détails , elle n'eft pas
dénuée de gaîté. Mde LA ROCHE , hôtelfe ,
& M. D'OUTREMER , caractères naïfs &
un peu groffiers , liés à l'action principale ,
y jettent un comique de bon genre , affez
rempli de morale naturelle. On en jugera
par ce feul trait de M. D'OUTREMER fur
la nobleffe indigente à l'occafion de DoRVAL.
C'eft à Mde LA ROCHE qu'il répond
Ceux qui fachant que la nature a
placé leur fubfiftance à quatre pouces dans
terre , mettent de la dignité à mourir
» de faim plutôt que de fe baiffer & la
cueillir , font des infenfés qu'il faudroit
» mettre aux petites maifons ».
و ر
و ر
la
Coi
?
Les bornes de cette notice ne nous permettent
pas d'en dire davantage fur cette
MAI 1765 . 205
-piéce , que l'on lira avec plaifir , & que
nous croyons que l'on verroit favorablement
au Théâtre .
La Fleur d'Agathon , Comédie en un
acte en profe , eft une imitation d'une pièce
intitulée : Fior d'Agatone de Martello. Un
goût extrême pour les fleurs , une fuperftitieufe
crédulité dans une jeune Bergere
Grecque qui répugnoit à tout engagement ,
donnent les moyens , par un ftratagême que
fon caractère favorife , de la faire déclarer
pour un des Bergers dont elle étoit aimée ,
& de le lui faire époufer . L'ingénuité de
la Bergere , & le ftratagême employé pour
vaincre fes refus , fourniffent une petite
intrigue délicatement traitée dans la fimplicité
agréable du goût grec . Cette piéce
a été reçue par les Comédiens ; il y a lieu
de préfumer qu'elle fera repréfentée &
qu'elle fera plaifir. L'Auteur a joint dans
ce recueil l'extrait de l'ouvrage italien qui
lui en fournit le fujet.
Féderic eft une Comédie héroïque en
cinq actes & en vers, que l'Auteur annonce
avoir compofée pour renouveller un genre
qu'il croit qu'on a eu tort d'abandonner.
La fcène eft dans une Ifle habitée. par des
Sauvages. Un vieillard y avoit été jetté par
une tempête. Il y a vécu long- temps pleurant
la perte de fes enfans qu'il croyoit
206 MERCURE DE FRANCE.
péris. Deux jeunes Sauvages fe font attachés
à ce vieillard , le fervent & l'aiment
comme leur père , titre que leur tendreffe
lui a donné. De fon côté il les a inftruits
comme fes enfans . Un vaiffeau Européen
aborde fur cette côte. Quelques paffagers
defcendent à terre . Les Sauvages s'arment
pour les chercher & les immoler à leur
férocité. Ils accufent le Vieillard d'être
d'intelligence . Ils le menacent. Ses deux
fils adoptifs le gardent pour le défendre.
Il fe fert d'eux auffi pour dérober , s'il eft
poffible , à la fureur des Sauvages , les
Européens defcendus dans l'Ifle , d'où il
efpere fortir par leur fecours . Un des jeunes
Sauvages va voir fi le vaiffeau eft encore fur
la côte. Il ne l'a point apperçu . Le vieillard
croit fa délivrance défefpérée pour
jamais. Il fait creufer fon tombeau dans
la terre par fes deux jeunes élèves Sauvages.
Sur la foi d'une voix qu'il a entendue en
fonge , & qui lui annonçoit fa délivrance
dans ce jour , il avoit appliqué cet oracle
au vaiffeau. Sachant qu'il a difparu, il interprête
la prédiction au moment de fa mort ;
il s'y prépare. Il exhorte fes jeunes pupiles ,
qui fondent en pleurs. Il s'approche du
tombeau ; il croit toucher au terme de fa
vie, lorfque fon fils & fa fille , qui étoient
defcendus dans l'Ile pour y chercher ce
père déſolé , entendent ce vieillard qui
MAI 1765 . 207
les nomme. Ils s'approchent , ils fe reconnoiffent
; ils l'emmènent avec eux en
France. Les deux jeunes Sauvages reviennent
en tremblant. Ils le croyoient , ce vieillard
ft cher , déja dans les bras de la mort.
Ils le trouvent , au contraire , dans ceux
de fes enfans. Ils implorent fa tendreffe &
fa bonté pour les emmener en France pour
ne point fe féparer de lui ; ce qui leur est
accordé.
Il y a dans cette piéce des fituations &
des détails d'un grand pathétique , dont
nous regrettons de ne pouvoir rendre un
compte plus étendu.
L'Amante Ingénue. Cette pièce , la
quatrieme de ce recueil , a été compofée
, dit l'Auteur dans un avertiffement ,
pendant le début de Mlle DOLIGNI, Une
copie de la piéce donnée à un des admirateurs
de cette jeune actrice , qui peut
compter dans ce nombre tous ceux qui
vont à la Comédie , paffa de main en
main fans favoir ce qu'elle étoit devenue.
Ayant appris qu'un Auteur , qui s'eft acquis
une réputation juftement méritée dans le
genre dramatique , M. MARIN a préféré
de prendre date & de prouver qu'il n'étoit
pas copifte , au foin d'en folliciter la repréfentation.
On y trouve des caractères ingénieufement
contraftés & ces détails qui ,
208 MERCURE DE FRANCE.
en effet , conviendroient beaucoup aux
grâces de l'ingénuité qu'on admire , qu'on
aime avec tant de raifon dans l'actrice ,
qui a fait naître l'idée de cette Comédie .
Nous regardons comme une double perte
pour le théâtre , la repréfentation de plufieurs
fcènes de cette Comédie , & l'occafion
qu'elle auroit procurée au Public d'y
voir Mile DOLIGNY , dans un rôle d'une
certaine étendue occafion que le Public
defire toujours plus fouvent qu'il n'en
jouit.
:
L'amant heureux par un mensonge. Cette
dernière pièce de recueil , intitulée Farce
n'en est une qu'en partic ; c'eft-à- dire ,
qu'en refondant ce drame , & fupprimant
telles ou telles fcènes , on en feroit une
comédie honnête ou une farce affez plaifante
, fuivant les fcènes que l'on conferveroit
de préférence ; elle fera plaifir à lire
aux amateurs de l'ancienne comédie , où
l'on trouvoit la gayeté que l'on cherche en
vain aujourd'hui fur la fcène comique.
Nous n'en fommes pas moins de l'avis de
l'Auteur , qui , dans fes obfervations , déclare
ingénuement qu'il doute que ce mêlange
eût du fuccès au théâtre.
En général , nous ne pouvons qu'applaudir
au ftyle de toutes ces pièces , qui
nous a paru vraiement dramatique , aux
MAI 1765.. 209
fentimens honnêtes , & à la morale répan
due dans les détails & puifée dans le fond
même des fujets. Les Auteurs ne font ordinairement
des préfaces ou des obfervarions
fur les pièces , que pour y faire remarquer
plus de beauté qu'il y en a ; celuici
au contraire , n'a fait les fiennes que
pour exagerer le nombre des défauts qu'il
trouve dans fes ouvrages . Cette feule fingularité
fuffiroit pour en rendre la lecture
curieufe & intéreffante. La critique judicieufe
& la modeftie de M. Marin , peu-
-vent être bien plus utiles que
l'amour propre
des autres , foit pour juger , foit pour
compofer des ouvrages de théâtre.
OEUVRES de Théâtre de M. DE LA NOUE;
Paris , Duchefne , rue Saint Jacques ,
au temple du goût.
LA première pièce de ce théâtre , eſt
MAHOMETfecond , tragédie , repréfentée
avec fuccès pour la première fois , en 1739 .
Le développement du coeur de Mahomet ,
le péril & la mort d'Irene , voilà ce qui
forme tout le fujet & l'action fimple de
cette Tragédie , dont toutes les fituations
& tous les événemens font renfermés dans
cette unité. C'eft cette même unité & cette
fimplicité d'action , dont on avoit encore
210 MERUCRA DE FRANCE.
alors quelque idée , qui fait le mérite de
cette Tragédie : mérite peut-être éclipfé
depuis par des drames monftrueufement
brillans de détails & d'actions compliquées
, ou de ce qu'on a nommé coups de
théâtre. Charlatanifme heureufement inventé
de nos jours par les Auteurs qui
n'ont pas la force ou le génie de travailler
des fujets fimples. Cette pièce porte beaucoup
d'intérêt . Le caractère de Mahomet
& celui d'Irène , font des objets qui faififfent
l'attention avec plaifir. Il y a dans
les caractères fubordonnés des traits remarquables.
On fe fouvient encore de la force
& de l'effet de la ſcène de l'Aga & de Mahomet.
Elle eſt en général écrite dramatiquement
& fouvent avec la force qu'exigent
les fituations. C'eft une lecture qui
ne peut être qu'agréable aux amateurs de
notre théâtre.
La feconde eft le RETOUR DE MARS ,
Comédie en un acte & en vers , repréfentée
pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , en 1735.
On retrouve avec grand plaifir dans ce
recueil , cet ingénieux vaudeville du
emps , s'il eft permis de s'exprimer
ainfi , dont le bruit du fuccès fubfifte encore.
La troisième eft ZELISCA , Comédie-
Ballet , en profe , partagée par trois interMAI
1765 .
211
>
mèdes. Cette pièce avoit été compofée &
fut repréfentée , par ordre du ROI , fur
le grand théâtre de Verſailles , en 1746
à l'occafion du premier mariage de Monfeigneur
le DAUPHIN. Le célèbre M. Jeliote
avoit compofé la muſique des intermèdes.
La fable de cette pièce eft galante , agréable
& comportant tout l'intérêt de ce genre.
Elle eſt écrite avec cette élégance , cette
délicateffe , & ces traits d'efprit , qui ont
donné tant de cours à quelques contes de
Fées modernes. On ne doute pas que l'on
ne foit fort fatisfait de retrouver ici cette
ingénieufe fête , qui exigeant une réunion
de talens pour les acceffoirs , qu'on ne
peut trouver qu'aux fpectacles de la Cour ,
n'a paru qu'en cette occafion,
La quatrième , la COQUETTE CORRIGÉE,
Comédie en vers , en cinq actes. Cette
pièce eft la dernière qui ait été repréſentée
& la dernière qu'ait finie l'Auteur. On
fçait qu'elle eut du fuccès dans le temps de
fes repréſentations. Elle est bien écrite ;
le caractère de la Coquette traité avec fineffe
, l'intrigue fimple & claire. En un
mot , nous croyons qu'il n'eft aucun lecteur
qui , en revoyant cette Comédie,
ainfi que la Tragédie de Mahomet II , ne
foit étonné que l'on ne remette pas ces
deux pièces plus fouvent fur la fcène.
212 MERCURE DE FRANCE.
On a joint aux pièces précédentes ;
POBSTINE , Comédie en un acte & en
vers , & les DEUX BALS , amusement comique
, orné de chants & de danfes. Ces deux
ouvrages ne paroiffent dignes de l'Auteur
des précédens , ni par la conftitution des
drames , ni par le ftyle. Mais on lira avec
plus de plaifir les fragmens de quelques
Tragédies commencées par l'Auteur &
trouvées dans fes papiers , ainfi que quelques
pièces fugitives , par lefquelles eft
•
terminé ce recueil.
REGULUS , Tragédie en trois actes & en
vers ; précédée d'une lettre au Solitaire de
Guelaguet , in- 8 ° . à Paris , chez Sebaftien
Jorry , rue & vis- à-vis la Comédie Françoife.
Cette édition eft enrichie d'une belle
eftampe , de vignettes , & c.
On a déja rendu compte dans l'article
de la littérature de la lettre qui précéde
cette Tragédie. Quoique nous ne penfions
pas qu'on doive adopter , fans réſerve ,
tous les principes que l'Auteur voudroit
établir fur la Tragédie , nous n'en convenons
pas moins que cette lettre très - bien
écrite , ne contienne des réflexions fort
judicieuſes, & des obfervations bien vues &
rendues avec autant d'élégance que declarté.
Nous aurions fort defiré donner un éxtrait
étendu de cet e pièce , quoi qu'elle
*
MAI 1765. 213
n'ait
pas été reptéfentée. Le talent aimable
de fon Auteur , le mérite même de l'ouvrage
, tout nous y engageroit fi nous n'étions
obligés de renfermer cet article dans
de juftes bornes , dans la crainte de fatiguer
les lecteurs de ce Journal, qui n'y cherchent
& ni prifent fouvent que la variété
& la multitude des matières. Nous nous
bornerons donc à dire que Regulus , ce célèbre
martyr du patroitifme , eft expofé par
ce drame dans fon plus beau jour , & que
les traits les plus fermes & les mieux prononcés
, rendent aux lecteurs , avec la
force convenable , l'idée que ll''oonn a généralement
de ce grand homme. Il arrive à
Rome avec les Ambaffadeurs de Carthage.
Le premier objet qui fe préfente à lui eft
Marcie. C'est donc contre cette tendre &
vertueufe époufe qu'il a d'abord à combattre
, pour l'exécution de fon projet , qui
eft de retourner à Carthage chercher la
mort & les plus cruels tourmens qui l'attendent
, fi Rome n'accepte pas les propofitions
de l'Ambaffadeur Africain. C'eft
de tout le Sénat , c'eft de l'amitié de Licinus
, c'elt de l'émotion même du Conful
Manlius , du plus ferme des Romains ,
c'eft de tout le peuple entier , enfin c'eſt
de la nature gémiffante & des pleurs d'un
fils dans les bras de fa mère , que Regulus
triomphe , & s'échappe avec violence pour
214 MERCURE DE FRANCE.
remonter fur les vaiffeaux Africains ,
après avoir déterminé le Sénat à préférer
les intérêts de Rome à la confervation de
fes jours. Voilà ce qui forme l'action de
ce drame , & ce qui remplit les trois actes
dont il eft compofé . On connoît & l'on
aime trop la verfification de M. DORAT ,
Auteur de cette Tragédie , pour qu'il foit
néceffaire d'inviter à la lire. On y trou
vera en plufieurs endroits & fur- tout dans
le troifiéme acte des vers analogues à la
grandeur & à la force du fujet.
J'AI
AP PROBATION.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois de Mai 1765 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'inpreffion. A Paris , ce premier Mai 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER .
F RAGMENS d'une épître adreffée en 1747
au C. de C.... & c. Page s
RÉPONSE anonyme envoyée à M. de Gr...
SUR une très -aimable Demoiſelle quêtant dans
une Collégiale.
CONSEIL d'ami. A M. de Voltaire , de l'Acadé-
7
MAI 1765 . 215
mie Françoiſe , à l'occafion de fes vers à
l'Impératrice de Ruffie.
EPITRE à ma maîtreffe , par M. de *** , Officier
d'Artillerie à Belançon.
LETTRE de M. de Grace , à Mlle Ch... fur l'origine
de la Monarchie Françoiſe.
II
10
16
TRADUCTION de l'Ode x111, du 11 liv. d'Horace. 39.
VERS à Mile Mazarelli , &c.
LE Lion malade , fable,
SUR un fouper.
EPIGRAMME .
LA Veftale , hiftoire , &c.
41
42
43
45
46
SUITE d'Héraclite & Démocrite , voyageurs, $4
LETTRE de M. Piron à M. de la Place.
PARAPHRASE du Pleaume cxxix . De Profundis.
PAR le même.
LETTRE de M. le Prince de Croy & de Solre ,
à MM. les Maire & Echevins de Calais.
LETTRE de M. le Duc de Charoft , à MM. les
Maire & Echevins de Calais.
FRAGMENT d'une lettre écrite de Calais à M. de
la Place.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
60
62
79
81
83
86
CHANSON. La Coquette,
ART, II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un ouvrage
intitulé , l'Homme éclairé par fes befoins.
LETTRE de M. Blin de Sainmore à l'Auteur du
Mercure.
MÉMOIRES fecrets , tirés des archives des Souverains
de l'Europe , &c.
98
103.
105,
MARIA , ou les véritables Mémoires d'une
Dame illuftre par fon mérite , fon rang, &c. 109,
Le Voyageur François , ou Connoiffance de
l'ancien & du nouveau monde , &C. 125
216 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES de livres.
ART. III. SCIENCES ET BELLES- LETtres .
ACADÉMIE S.
140
DISCOURS prononcé à l'ouverture de la féance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie
, par M. Louis , Secrétaire Perpétuel. 158,
ASTRONOM I E.
THÉORIE de la Lune , déduite du feul principe
de l'attraction , par M. Clairaut , &c.
MÉDECIN E.
HYDROPISIE de poitrine guérie par les pilules
toniques du Docteur Bacher , Médecin à
Thann en Alface .
ART. IV. BEAUX ARTS.
ARTS ÚTILE S..
OBSERVATIONS fur les progrès de l'Agriculture
& des Manufactures.
ACADÉMIE de Peinture & de Sculpture. Mé-
169
173
177
€ daille. Lettre à l'Auteur du Mercure.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
1186
188
GRAVURE. Geographie. 189
ARTICLE V. SPECTACLES.
SUITE des Concerts Spirituels. 192
A M. Jannfon , de la Mufique de S. A. S. M.
le Prince de Conti. 193
OPÉRA. 194
COMÉDIE Françoiſe.
195
COMÉDIE Italienne. 195
DESCRIPTION de la nouvelle falle des Comédiens
Italiens ordinaires du Roi. ibid.
OEUVRES deThéâtre nouvellement imprimées. 201
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue
Dauphine.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères