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1763, 07, vol. 1-2, 08-09
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1763.
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cechijn
Fius in
PapillonScalp.
A PARIS,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis - à-vis la Comédie Françoife,
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue SaintJacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THE NEWYORK
PUBLIC LIBRARY
335320
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier di Roi..
,
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36·
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance.
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure écriront à l'adreſſe cideffus.
>
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
enfoit fait d'avance au Bureau.
Les paquets quineferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix..
Le Nouveau Choix de Pieces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure . Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt-treize volu
mes. Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douzième.
AVERTISSEMENT.
Nous publierons dans un des Volumes prochains
, le nombre & les noms de nos Soufcripteurs
, pour nous acquitter , autant qu'il eft en
notre pouvoir de la reconnoiffance due aux perfonnes
affez attachées à la gloire de la Nation ,
pour diriger l'objet de leur amuſement vers l'uti
lité des Gens de Lettres , en contribuant au fuccès
du Mercure de France , devenu leur patrimoine par
les graces qu'il a plu à Sa Majefté de leur affigner
fur fon produit.
S'il y avoit quelqu'un des Soufcripteurs qui par
des raifons particulieres , dont nous refpecterons le
fecret ne voulût pas être compris dans cette Lifte ,
ils font priés d'en donner avis inceffamment au
Bureau. Ils peuvent être affurés que leur volonté
fera fidélement éxécutée.
N. B. On fe plaint quelquefois du défaut d'exactitude
, dans la délivrance des Volumes du Mercure
aux termes défignés par l'ufage . Rien n'eft fi jufte
engénéral que cette plainte à l'égard des Ouvrages
Périodiques lorfque l'on tombe dans le cas de la
mériter. Mais à l'égard de celui-ci , onfupplie les
Abonnés & autres Lecteurs de confidérer fans humeur
deux chofes . 1 ° . Que dans un Ouvrage de
feize Volumes par an , dont chacun eft affez confidérable
, il eft impoffible qu'il n'arrive des obftacles
quelquefois par rapport à la célérité de l'impreffion
& des brochures , foit par des fêtes publiques , telque
celles qui viennent d'avoir lieu . 2 ° . Que
uelquefois on eft obligé de retarder la confection
bomplette du Volume pour y inferer des chofes du
moment qui deviendroient furannées un mois après.
En un mot , on doit être perfuadé qu'on ne néglige
Tienpourfatisfaire le Public.
Des
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERSET EN PROSE.
L'HUMEUR ,
ODE.
SUR le haut ton monte ta lyre ,
O Mufe , avec des traits divins
Je peindrai , fi Phoebus m'inſpire ,
Le défaut de tous les humains ,
L'humeur, fi féconde en caprices ,
Mère & fille de tant de vices ,
Lue dans l'Aemblée publique de l'Académie
de Soiffons , le 29 Décembre 1762.
I. Vol.
1
I
a
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui ternit l'éclat des vertus ,
Brave la raifon impuiffante ,
Et dans les monftres qu'elle enfante ,
Fait un Tibère d'un Titus.
L'humeur , maîtreffe impérieufe ,
Brouille amis , citoyens , parens,
Les rend dans fa fougue odieufe
Les uns des autres les tyrans ;
Fléau d'une âme pacifique ,
Toujours ce démon domestique
Querelle , ou crie hors de faifon ;
Et , quand il obfède une prude ,
Le trifte époux en fervitude
Trouve l'enfer dans fa maiſon.
Des Sçavans T'humeur orgueilleufe
Eclipfe les plus grands talens ,
Dégrade une âme généreufe ,
Avilit les plus beaux préfens.
Pourquoi des maîtres & des pères
Les leçons d'ailleurs falutaires
Sont-elles fouvent fans fuccès ?
C'eſt qu'à la jeuneffe indocile ,
Une humeur qu'enflamme la bile
Les donne au gré de ſes accès.
Ici, c'eſt l'humeur pointilleuſe
Qui fait cent procès fur un rien ;
Là , domine l'humeur fâcheuſe
•
7.
JUILLET. 1763.
4
A fon gré jamais rien n'eft bien :
Ailleurs on rencontre humeur fombre ,
Humeur jaloufe de fon, ombre ,,
Humeur grondeufe fans raifon ,
Maligne humeur plus redoutable ;
A fes yeux rien n'eſt reſpectable ,
Tout fe reffent de fon poifon.
Parmi tous ceux qu'elle domine ;
Craignons furtout les faux dévots ,
De tout temps leur humeur chagrine
Du monde a troublé le repos.
Dans une âme de fiel pétrie ,
Le zéle devient phrénéfie ,
La charité n'eft plus qu'aigreur.
Nuit & jour ſa ſainte colère
Au péché déclare la guerre
HPour perfécuter le pécheur.
Lorfque l'humeur atrabilaire.
Fermente dans une Beauté ,
Partout , comme un Docteur en chaire ,
Elle prêche la chaſteté.
Elle a beau faire la févère ,
Dans fon coeur fouvent l'humeur fière
Plus que l'honneur a combattu ;
Telle , que pour un exemple on cite ,
Doit à ce lutin qui l'agite
Plus des trois quarts de fa vertu .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Paffion , incompréhensible
Dans tes égaremens divers ,
Quelle eft donc la caufe invifible
De tant d'écarts & de travers ?
Foujours, inquiéte , inégale ,
Toujours ennemie ou rivale ,
A troubler l'ordre tu te plais
A toi , comme aux autres , contraire ,
Tu parles quand il faut fe taire ,
Quand il faut parler tu te tais.
D'un grand à fes pareils affable
Tu fais un Maître redouté ,
D'un Juge au Palais eſtimable
Un père chez lui détefté ;
Et d'une Belle acariâtre
Au bon mari qui l'idolâtre
Tu vends cherement les appas ;
Jouet de ton caprice extrême
L'homme infenfé fuit ce qu'il aime ,
Et pourfuit ce qu'il n'aime pas.
?
Répondez -moi , troupe cynique ,
Cenfeurs chagrins , malins Auteurs
Par des traits d'humeur fatyrique
Penfez-vous réformer les moeurs ?
Ah ce n'eft point ce qui vous touche ;
Et votre morale farouche
D'un beau motif fe mafque en vain ;
JUILLET. 1763 :
L'humeur qui produit la fatyre
De la Raiſon eft le délire ,
Et la honte du coeur humain .
Mortels aveugles , dans Cythère
Vous vous promettez d'heureux jours,
Mais tôt ou tard l'humeur altière
Empoifonnera vos amours :
En vain votre main généreuſe
Flatant une amante ombrageuſe
Sacrifiera tout à la paix ;
Malgré l'amour & l'hyménée ,
Contre vous l'ingrate obſtinée
Armera vos propres bienfaits.
Belles , à qui tout rend hommage ,
A qui l'amour prête les traits ,
Avez-vous l'humeur en partage ?
Je ne vous connois plus d'attraits :
Sans un aimable caractère
La beauté n'a nul droit de plaire ,
Elle perd tous les agrémens ;
Dès que l'humeur s'en rend maîtreffe ,
Plus elle inſpire de tendreſſe ,
Plus elle caufe de tourmens.
Mais finiffez , Mufe caufeufe ,
Continuant à caqueter
Vous deviendriez
ennuyeuſe ,
Bien loin de vous faire goûter.
AN
L
10 MERCURE DE FRANCE .
› Oui , vous détruiriez votre ouvrage
En invectivant davantage
Contre l'humeur & fes travers ;
Vous voulez en guérir les âmes ,
Et vous en donneriez aux Dames
Qui déja bâillent fur vos vers .
' Par M. L'A. D. R. S.
INSCRIPTION ,
POUR mettre au bas de la Statue
du Roi.
LUDOVICO ,FRANCORUM TITO,
PIETATIS PUBLICÆ DONUM :
POSTERITATI SERIUS VENTURÆ ,
DESIDERII SOLATIUM .
ANNO M. DCC. LXIII.
B.... à Chartres.
JUILLET. 1763.
QUATRAIN
.
SUR la Statue équestre de LOUIS XV.
AUGUSTE Monument , qu'éléve à la grandeur
Du meilleur de nos Rois , le plus fincère hom
mage ;
Tu n'offres rien auxyeux , qui ne fût en mon
coeur :
1
La Nature avant l'Art ,y grava fon image.
ParM. MAZERAT , fils . De NONTRON.
A MADAME DE ***
Vous voilà dans le plus bel âge ,
Profitez de vos agrémens ;
Que lesjeux & le badinage
Rempliffent vos heureux momens.
*Croyez- moi , paffez votre vie
Dans les bras de la liberté ;
Des prudes fuyez la manie ,
Leur humeur & l'air apprêté
Que leur donne la vanité.
La vertu n'a point d'étalage ;
La douceur & l'aménité
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Furent toujours fon appanage ;
On blâme toute extrémité ,
On eft fou lorsqu'on eſt trop fage.
Que les ris foient votre partage,
Qu'ils embelliffent votre cour ;
On ne craint point la médifance
Lorfque l'on fçair couvrir l'amour
Avec l'habit de la décence.
Par Mde, de C***
É PIGRA M M E.
L'AUTRE
L'AUTRE jour , certain bel - eſprit ,
Nous récitoit pour ſe mettre en crédit ,
D'affez bons vers (graces à fa mémoire.)
Et dont il fe difoit l'Auteur .
Mais il arriva , par malheur ,
Ce qui ternit un peu fa gloire ,
Qu'on les fçavoit déja par coeur.
DeBordeaux... BETX .
JUILLET. 1763 . 13
DIALOGUE
ENTRE PERICLÉS , un GREC moderne
& un RUSSE.
PERICLÉ S.
J'AI quélque envie de queftionner un
Grec moderne , & Minos m'a dit qu'un
de nous deux l'étoit .
LE GRE C.
Minos a dit vrai , je fus le très -humbie
Efclave de la fublime Port
PERICLÉ S.
Qu'entends-je ? Efclave ! Un Grec
peut - il jamais l'être?
LE GRE C.
Un Grec peut- il être libre?
LE RUSSE .
Il a raifon : Grec & Efclave fignifient
aujourd'hui la même chofe.
PERICLÉ S.
Ah ciel ! que je plains mes malheureux
Compatriotes .
LE GRE C.
'C'est à tort. Je fus affez content de
mon état : je cultivois le coin de terre
que le Bacha de Romélie avoit la
**4 MERCURE DE FRANCE.
générofité de me laiffer ; je payois le
tribut à fa Hauteffe....
3
PERICLÉS .
Le tribut ? Quel mot dans la bouche
d'un Grec ! Mais parle ; en quoi confiftoit
cette humiliante preuve de fervitude?
LE GREC.
A donner une partie du fruit de mon
travail , l'aîné de mes fils & toutes mes
filles , quand elles étoient jolies.
PERICLÉS.
Quoi lâche ? Tu livrois toi - même
tes enfans à l'efclavage ? Eft- ce ainfi
qu'en ufoient les Contemporains de
Miltiade , d'Ariftide , de Themifto-
*cle...
LE GRE C.
Voilà des noms que je n'ai jamais
entendu citer. Ces gens - là étoient- ils
Boftangis , Capigi - Bachis , Bachas à
trois queües , ou Chefs des Eunuques ?
PERICLES ( au Ruffe. )
De quels noms barbares & ridicu
les cet homme ofe - t - il affliger mes
oreilles ? Je parle , fans doute , à quelque
ftupide Béotien , ou à quelque
ignorant Spartiate . ( Au Grec. ) Sans
doute que le nom de Periclès ne vous
eft pas mieux connu ?
JUILLET. 1763.
t
LE GREC.
Pericles ? ... Non ... Il me femble ,
pourtant , qu'un de nos plus célébres
Caloyers s'appelloit ainfi .
PERICL É S.
Qu'est-ce qu'un Caloyer? C'eft apparamment
, parmi vous , la premiere
perfonne de l'Etat.
LE GRE C.
Un Caloyer n'eft rien pour l'Etat ,
comme l'Etat n'eft rien pour lui.
PERICLES.
Eh par quels moyens celui-là s'eft- il
rendu fi célébre ? A-t-il comme moi
combattu & vaincu pour fa Patrie ?
L'a-t-il ornée de monumens confacrés
aux Dieux , aux beaux Arts , à l'utilité
publique , & jufqu'aux amuſemens des
Citoyens ? A-t-il encouragé les talens ,
protégé , enrichi les Artiftes & les Auteurs
, apprécié des Chefs- d'oeuvres ? ...
LE GRE C.
no
'Non , le Caloyer dont je parle , ne
fçavoit même pas lire , n'habitoit qu'u
ne Cabane , cultivoit lui- même fon
champ , fe froiffoit journellement les
épaules , ne vivoit que de racines , &
offroit au Ciel fes flagellations , fes
travaux , fon abftinence & fon ignorance.
To MERCURE DE FRANCE.
PERICLÉS.
Et la renommée de cet homme l'emporte_
fur la mienne ?
LE GRE C.
Affurément. Tous nos Grecs le révérent
, & tous vous ignorent.
PERICLÉ S.
O deftinée ! ... Mais , du moins , fuisje
toujours en vénération dans Athènes
, dans cette Ville , où j'introduifis
la magnificence & le goût des belles
chofes,
LE GRE C.
Je n'en fçais rien . Pour moi , j'habite
Sétine , bourg affez chétif , qui
l'étoit , dit-on , moins autrefois , & qui
le fera beaucoup plus encore par la
fuite.
PERICLÉS.
Quoi l'illuftre , l'opulente ville d'Athènes
vous feroit auffi peu connue
que Themistocle & Pericles ? Il faut
que vous ayez vécu enterré dans quelque
coin de la Grece ?
LE RUSSE.
Point du tout , il vivoit dans 'Athènes
même.
PERICLES .
Dans Athènes ! & il m'ignore ? & il
ignore jufqu'au nom de cette Ville fameufe
?
JUILLET. 1763. 17
LE RUSS E.
Bien d'autres que lui pourroient s'y
méprendre . Athènes , autrefois fi fuperbe
, n'eft plus aujourd'hui que le
chétif bourg de Sétine.
PERICLÉ S.
Ah ! que m'apprenez-vous ?
LE RUSSE .
Tel eft le fruit des ravages du temps ,
& des inondations de Barbares . , plus
deftructives que le temps même.
PERICLÉ S.
J'ai bien fçu que les fucceffeurs d'Alexandre
fubjuguerent la Grece ; mais
Rome ne lui rendit- elle pas la liberté ?
La crainte d'apprendre qu'elle l'eût de
nouveau perdue , m'interdit depuis toute
recherche à cet égard.
LE RUSSE.
Vous l'euffiez vu changer bien des
fois de Maître. Elle parut , néanmoins ,
durant quelque temps , partager l'Empire
du monde avec les Romains ; Empire
que nulle des deux Puiffances -ne
feut conferver. Mais pour ne parler ici
que de la Grece , vous l'euffiez vu , disje
, fubir le joug tantôt des François ,
tantôt des Vénitiens , tantôt des Turcs .
PERICLÉS.
Je n'ai jamais connu ces trois Nations
barbares.
18 MERCURE DE FRANCE.
LE RUSSE .
Pour moi , je reconnoîs un ancien
Grec à ce langage. Tout Peuple étranger
étoit barbare à vos yeux . Vous
n'en exceptiez pas même les Égypdé
tiens , à qui vous deviez le germe
toutes vos connoiffances
. J'avoue que
les Turcs n'ont guères connu autrefois
que l'Art de conquérir , & ne connoiffent
guères maintenant que l'Art de
bien garder leurs conquêtes. Mais les
Vénitiens , mais fur - tout les François
>ont égalé vos Grecs dans plus d'un genre
, & les ont furpaffé dans quelques
autres.
PERICLES
.
Voilà un beau Portrait ; mais je le
foupçonne un peu flaté. N'êtes - vous
pas né François ?
LE RUSS E.
Il s'en faut de beaucoup ; je fuis
Ruffe.
PERICLÉS
.
Ruffe ... Il faut que tous les Peuples
de la terre ayent changé de nom
depuis que j'habite l'Elifée. Je vous avoue
que je n'ai jamais entendu nommer les
Ruffes. Vos connoiffances
me font
cependant juger votre nation très-ancienne.
Seroit-elle un rejetton des EgypJUILLET.
1763. 19
tiens , dont vous preniez tout à l'heure
la défenſe ?
LE RUSS E.
Non. Je n'ai connu ces Peuples que
par vos Hiftoriens. Quant à ma Nation
, elle defcend des Scythes & des
Sarmutes.
PERICLÉ S.
Seroit-il bien poffible qu'un héritier
des Sarmates & des Scythes connût
mieux qu'un Grec moderne l'ancien
état de la Grece?
LE RUSSE.
Il y a,au plus, quarante ans que nous
ne connoillions ni les Egyptiens , ni
les Grecs , ni même les Sarmates , de
qui nous defcendons . Mais un de nos
Souverains nâquit avec du génie. Il
entreprit de profcrire l'ignorance de fes
Etats ; & bien -tôt on y vit éclore les
Arts , les Sciences , les Académies , les
Spectacles : nous apprîmes l'Hiftoire de
tous les Peuples , & nous méritâmes
que d'autres Peuples appriffent la nôtre
.
PERICLE S.
Il eft vrai que pour opérer ces fortes
de métamorphofes , un Prince n'a qu'à
vouloir ; mais il eft encore plus vrai
que j'ai perdu bien du temps : j'efpé20
MERCURE DE FRANCE.
rois m'immortalifer , & on m'ignore
jufques dans ma Patrie !
LE RUS SE.
En revanche , on vous connoît dans
a mienne ; ce que vous n'efpériez peutêtre
pas.
PERICLÉS.
Je l'avoue. Cependant , je regrette ,
malgré moi , qu'Athènes ait mis en oubli
ce que j'ai fait pour elle . Je vais m'en
confoler avec Ofiris , avec Minos , avec
Lycurgue , avec Solon , avec une foule
de Fondateurs d'Empires , & de Légiflateurs
, dont on a oublié les actions &
les préceptes. Les connoiffances humaines
font un Aftre qui ne peut éclairer
qu'une partie du Globe à la fois ,
& qui les éclaire toutes fucceffivement :
le jour commence chez telle Nation ,
lorfqu'il eft prêt à finir chez telle autre
.
JUILLET. 1763.- 2T
Aune Dame qui accuföit l'Auteur de
rêver à quelque Piéce nouvelle.
On ne fçauroit fonger près de vous , qu'à vousmême.
Or , d'après cet aveu bien plus vrai que flateur ,
O Beauté que tout le monde aime !
Ce n'eft pas mon efprit qui rêve , c'eft mon coeur.
Par M. GUICHARDS
MADRIGAL.
St Cloris eft charmante, Iris n'eft pas moins
belle;
Entre ces deux objets mon coeur refte flottant:
Ne m'en offrez qu'un feul , je vais être fidéle ;
Offrez-les-moi tous deux , je vais être inconftanti
V
EPITRE
A Mademoiselle D ...
ous dont les traits chaque jour embellis
De mille Amans , vous attirent l'hommage ;
Lifez des Vers que l'Amour a polis ,
Souvent fon Temple eft dans le coeur d'un
Sage :
22. MERCURE DE FRANCE.
Long-temps ce Dieu fut celui de mes chants,
Et j'aime encore à parer fon image.
Vous me l'offrez : vous avez fon bel âge ,
Ses yeux fi doux , fes organes touchans:
Ainfi que lui vous ferez du ravage.
Il eſt orné des Rofes du Printemps ,
Il a pour lui la grace & la fineffe ;
Mais pardeſſus vous avez les talens :
Vous régnerez encor par la fageffe.
OD ....! Bientôt la Volupté
Viendra femer dés Rofes fur vos traces :
En les cueillant , fongez que la beauté
N'eft pas un titre à l'immortalité ;-
Les talens feuls éternifent les graces.
Laiffez le myrthe aux Enfans de l'Amour:
Des Arts brillans , méritez la Couronne ;
Et prenez- la des mains de P......
Elle la porte , & fa faveur la donne..
Déja Paris vous voit prendre l'eſſor ,
Et du Public foutenir l'oeil févère :
Tel un Aiglon élancé de fon aire ,
Pour éffayer fon vol timide encor
Fixe déja l'Aftre qui nous éclaire.
Dites- moi donc , par quel enchantement
Vous favez peindre avec tant d'énergie ,
De naturel , de force & de magie ,
Ce qu'à votre âge on a fi rarement ?
Ah ! que Nanine étoit touchante & belle !
JUILLET. 1763 . 23.
Pour pofféder & fon coeur & fa main ,
Da préjugé qui n'eût briſé le frein ?
Tout le Public étoit d'Olbans pour elle
J'ai vu Clairon , la Reine du Théâtre ,
De fa Couronne arracher quelques fleurs ,
Pour embellir de leurs vives couleurs-
Ce front riant que l'amour idolâtre.
De les beaux yeux j'ai vû couler des pleurs
Le vrai talent ne connoît point l'ènvie ;
La laideur feule outrage la beauté ;
Et par Tef.. , Br .... eft applaudie ::
Un Sot infulte aux hommes de génie :
Par Diderot , Voltaire eſt reſpecté.
Avez- vous vâ deux Courfiers d'Angleterre
Lever un front noble & majestueux ,
Et fiérement du pied frapper la Terre?™
Bouillans , légers , ardens , impétueux,
Ils font formés pour les jeux & la guerre :
Tous deux brillans , ils ne font point rivaux.-
Mais auprès d'eux peſant , lâche , indocile ,
L'âne fuivant la nature imbécile ,
Meurt du regret de les trouver fi beaux.
Ainfi , marchant parmi des routes fûres
Dans la carrière où s'illuftra Gauffin
Vous éclipfez vos rivales obfcures,
Telle l'on voit l'étoile du matin,
Ou du Soleil la blonde Avantcourière
24 MERCURE DE FRANCE.
Chaffer la nuit , ramener la lumière ,
Et rendre au monde un jour pur & ferem.
Par M. LEGIER.
STANCES IRRÉGULIÈRES ,
Adreffées par Madame P .... agée de
70 ans , au Chevalier de M*** fon.
ami qui en avoit 80 ..
IL eft temps M*** de couronner res feux ; ::
Uniffons nos deftins , l'Amour nous y convie
Puiffe de fon flambeau la lumière cherie
Eclairer dans Paris un hymen vertueux,
Erde l'Automne de ma vie ,
Faire un Printemps délicieux !
D'un moment ou d'un jour , mon choix n'eft pas
l'ouvrage
ATAR
Je fuis dans l'heureufe faifon >
Où le coeur plus libre & plus fage ,
Ne fe livre que par raiſon ,
Erne craint point , lorsqu'il s'engage,
Ni changement , ni trahifon .
D
Sous la neige des cheveux blancs V
Il refte de l'amour encor quelqu'étincelle
A foixante & dix ans rarement on eit belle;
Mais
JUILLET. 1763. 24
Mais on peut aimer à cent ans.
Philemon adoroit dans une paix profonde
Les charmes furannés de la tendre Baucis ;
Et la mère des Dieux, plus vieille que le monde,
Soupiroit encor pour Atis.
Plus tendre que Baucis , moins vieille que Cibelej
Ancien & cher amant , je t'engage ma foi :
Tu feras le bonheur d'une époufe fidelle ;
Et fi le tien dépend de moi ,
Jamais l'époux d'une immortelle
Ne fera plus heureux que toi.
On ne me verra point inconftante ou perfide ,
De tes jeunes rivaux écouter les foupirs ;
La pâle jaloufie au regard homicide ,
Jamais ne troublera ma paix , ni tes plaifirs.
De ta fidélité ton épouſe aſſurée
Bannira les foupçons & les lâches foucis ,
Sans craindre de ta part les fureurs de Teric ,
Ni le trait malheureux de l'amant de Procis,
Ainfi filés d'or & de foie ,
Puiffent couler nos jours dans le fein du repos ;
Puiffions-nous de l'hymen ne goûter que la joie ,
Sans éprouver jamais les dégouts & fes maux.
Et dans cette heureuſe contrée ,
Puiffe notre union faire revivre encor
I. Vol B
7
26 MERCURE DE FRANCE .
Et les amans du temps d'Aftrée ,
Et les époux de l'âge d'or ?
EPITRE
A Mademoiselle A *** .
JEEUUNNEE Lycoris,
Pourquoi de Cypris
Méprifer fans ceffe
Les mythes fleuris ?
Un coeur fans tendreffe ,
Bornant fes defirs ,
Ignore l'ivreffe
Des parfaits plaifirs.
Quoi ! toujours rêveuſe ,
Trifte , férieuſe ,
Faudra-t-il vous voir
D'une humeur févère
Du fils de Cythère
Braver le pouvoir.
Il faut de fes charmes
Goûter la douceur ,
Ou craindre les armes
De ce Dieu vengeur.
Quand pour nous ſurprendre
11 fixe le jour ,
Aucun vain détour
JUILLET. 1763 . 27
Ne peut nous défendre :
Le devoir fe taît ,
La raifon s'égare ,
Et d'un feu fecret
Notre âme s'empare ;
Bientôt nos regards
Timides , épars ,
Pour cacher leur flâme
Dévoilent de l'âme
Les troubles naiffans
Qui flatent nos fens.
Tôt ou tard fenfible
Aux foins amoureux ,
Un coeur infléxible
Doit former des voeux.
Par force , ou par crainte ,
Si pendant le cours
De vos plus beaux jours ,
Sans efpoir ni crainte
Vousfuyez toujours
La légère atteinte
Du Dieu des Amours :
Sans inquiétude
Dans la folitude
De vos jeunes ans ,
L'ennuyeux Printemps-
Finira fa courfe.
Alors fans refſource
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
1
༄
De pouvoir charmer ,
De la fleur de l'âge
Vous peignant l'image
Vous voudrez aimer .
Ah ! puifque vos charmes
Régnent en ces lieux ,
Et que vos beaux yeux
Font rendre les armes
A tous nos bergers ;
D'un retour funeſte
Craignez les dangers.
Oui ,je vous proteſte
Que fi votre coeur
D'une tendre ardeur
Suit la douce pente ,
Vous éprouverez ,
Et vous fentirez
Contre votre attente ,
Que fi les defirs
Que l'Amour infpire
Content des foupirs ,
Son charmant délire
Fait tous nos plaifirs
Par M. L. P. MOLINE
JUILLET. 1763 . 2.9
VERS de D.... à fa Maîtreffe.
To crains que le deftin , ô ma Divinité ! Ꭲ
Ne t'enlève un amant que tu rendis fidéle ?
Et tu lui refuſes , cruelle ,
De jouir avec toi de l'immortalité !
BELGE ABEUNTIS LUTETIA
HENDECASYLLABĮ .
DULCES Parifii , beata tempe ,
Nunquam non hilari petita vultu ,
Nunquam non lachrymis relicta fufis,'
Et vos adfita rura , vos amoeni
Seceffus nemora , & domus Dianæ ;
Quæ nunc Clodiolam meam videtis ;
Servetis memorem mihi puellam ,
Servetis Dominam mihi benignam ,
Nefi quos gerat intimis medullis ,
Elabi fineret meos amores )
Quærens de fuperis , lacer dolore,
Vates ad tumuli feratur umbras.
Vivat fequanicis amicus aris ,
Et dulcis Domine Comes perennis ,
Canat decrepito folutus ævo :
Servaftis mihi qui meos amores
Dulces Parifi beata tempe.
ン
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
AZAKIA ,
ANECDOTE HURONNE.
LEES anciens habitans du Canada furent
tous Sauvages , & l'étoient dans
toute la rigueur du terme. Rien ne le
prouve mieux que la deftinée de certains
François , qui aborderent les premiers
dans cette partie du nouveau monde.
Ils furent mangés par ces hommes
qu'ils prétendoient humanifer & polir.
De nouvelles tentatives eurent un fuccès
plus heureux . On fepouffa les Sauvages
dans l'intérieur du continent : on
conclut avec eux des traités de paix, toujours
mal obfervés : on fit naître chez
eux des befoins qui leur rendirent notre
joug néceffaire. Notre eau -de - vie , notre
tabac firent fans peine , ce que nos
armes euffent opéré plus difficilement.
Bien-tôt la confiance devint réciproque
, & les forêts du Canada furent auffi
librement frequentées par leurs nouveaux
hôtes , que par ceux qu'elles avoient
vû naître .
Elles l'étoient fouvent auffi par des
femmes & des filles Sauvages à qui la
rencontre d'un François ne caufoit nulle
JUILLET. 1763. 31
frayeur. Prèfque toutes ces femmes font
belles , & certainement leur beauté ne
doit rien aux preftiges de l'art . Il n'influe
guères davantage fur leur conduite.
Leur caractère eft naturellement
doux , leur humeur gaie ; elles rient de
la maniere la plus agréable & la plus
attrayante. Elles ont un penchant décidé
pour l'amour , penchant qu'une fille
dans ces Contrées peut fuivre , & fuit
toujours fans fcrupule , fans craindre nul
reproche. Il n'en eft pas ainfi d'une femme
: elle fe doit toute entière à celui
qu'elle a époufé ; & ce qui n'eft . pas
moins digne de remarque , elle remplit
exactement ce devoir,
Une héroïne de cette claffe , & qui
étoit née parmi les Hurons , s'égara un
jour dans une forêt voifine des terres
qu'ils habitent. Elle fut furprife par un
-Soldat François , qui ne daigna point
s'informer fi elle étoit fille ou femme.
Il fe fentoit d'ailleurs , peu difpofé à refpecter
les droits d'un époux Huron . Les
cris que pouffoit la jeune Sauvage , en
fe défendant , attirerent vers cet endroit
le Baron de Saint- Caftins , Officier dans
les troupes du Canada . Il n'eut
pas de
peine à obliger le Soldat de s'éloigner.
Mais celle qu'il venoit de fecourir avoit
Biy
32 MERCURE DE FRANCE.
tant de charmes que cet homme lui parut
excufable . Il fut lui-même tenté d'exiger
le falaire de fa démarche . Il s'y prit
d'une maniere glus engageante que fon
devancier , & ne réuffit pas mieux. L'ami
qui eft devant mes yeux m'empêche de
te voir lui dit la Huronne. C'eft la
phrafe fauvage , pour s'exprimer qu'on
a un mari , & qu'on ne veut abfolument
point lui manquer. Cette phraſe
n'eft pas un vain formulaire ; elle renferme
un refus décifif, & eft commune à
toutes les femmes de ces Nations Barbares
, que notre voifinage & nos
exemples n'ont jamais pu civilifer.
Saint-Caftins , à qui la langue & les
ufages des Hurons étoient familiers , vit
d'abord qu'il n'avoit plus rien à prétendre
, & cette perfuafion rapella toute fa
générofité. Il fe borne donc à accompagner
la belle Sauvage , qui n'étoit venue
que par cas fortuit dans ce bois , &
qui craignoit de nouvelles rencontres .
Chemin faifantil en reçut toutes les marques
de reconnoiffance poffibles , fi on
en excepte celle qu'il avoit d'abord voulu
éxiger.
Au bout de quelque tems Saint- Caf
tins eft infulté par un de fes Confrères,
lui fait un appel , & le tue. L'Officier
JUILLET. 1763. 33
mort étoit neveu du Gouverneur Général
de la Colonie , & ce Gouverneur
étoit auffi abfolu que vindicatif. S .... .
C. ... n'eut d'autre parti à prendre que
la fuite. On préfuma qu'il s'étoit retiré
chez les Anglois de la nouvelle Yorck ,
chofe effectivement très - vraisemblable.
Cependant il n'en fit rien . Perfuadé qu'il
trouveroit un afyle également für parmi
les Hurons , ce fut à eux qu'il donna
la préférence.
Le defir de revoir. Azakia , ( c'eft le
nom de la Sauvage qu'il avoit fecourue ).
entra pour beaucoup dans ce choix . Elle
reconnut d'abord fon libérateur. Sa joie
fut extrême de le retrouver , & elle la lui
témoigna auffi naïvement qu'elle avoit
réfifté à fes attaques. Le Sauvage dont
elle étoit la femme , & qui fe nommoit
Ouabi , fit le même accueil à Saint-Caf
tins. Ce dernier l'inftruifit du motif de
fa fuite . Le Grand- Efprit foit loué , de
t'avoir conduit parmi nous , reprit le
Huron ! Ce corps , ajoûta-t-il , en portant
la main fur fon eftomach , ce corps
te fervira de barrière , & ce cafle - tête
écartera , ou térraffera tes ennemis . Ma'
cabannefera la tienne : tu verras journellement
le grand Aftre reparoître & nous
quitter , fans que rien te manque , ni
puiffe te nuire.
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Saint- Caftins lui déclara qu'il vouloit
abfolument vivre comme eux
c'eft- à-dire partager leurs travaux ,
leurs
guerres , leurs ufages ; en un mot devenir
Huron : aveu qui redoubla la joie
d'Ouabi. Ce Sauvage tenoit le premier
rang parmi fes femblables ; il étoit leur
Grand Chef , dignité qu'il ne devoit
qu'à fon courage & à fes fervices. If
avcit d'autres Chefs fous lui & offrit
une de ces Places à Saint- Caftins qui
n'accepta que le rang. de fimple guerrier.
LesHurons étoient alors en guerre avec
les Iroquois. Il fut queftion de tenter
une entreprife contre ces derniers . Saint-
Caftins voulut être de cette expédition
& y combattit en Huron déclaré . Mais
il fut bleffé dangereufement. On le
porta , non fans peine , jufques dans la
maifon d'Ouabi fur une efpéce de brancard.
A cette vue Azakia parut accablée
de douleur. Mais elle ne ſe borna
point à le plaindre ; elle fongea à lui
prodiguer les foins & les fecours. Elle
avoit plufieurs Efclaves à fes ordres &
ne fe repofoit que fur elle - même de
ce qui pouvoit tendre au foulagement
de fon hôte. Son activité égaloit fes inquiétudes.
On eût dit que c'étoit une
Amante qui veilloit fur les jours de fon
rapJUILLET.
1763. 35
Amant. Un François ne pouvoit manquer
d'en tirer les conféquences les plus
flateufes , & c'eft ce que fit d'abord
Saint-Caftins. Ses defirs & fes efpérances
renaiffoient avec fes forces . Un feul
point dérangeoit un peu fes vues : c'étoient
les fervices & les attentions d'Ouabi.
Pouvoit-il le tromper fans joindre
l'ingratitude à la perfidie ? Mais, reprenoit
Saint- Caftins , le bon Ouabi n'eft qu'un
Sauvage feroit- il plus vétillard fur cet
article que beaucoup d'honnêtes gens de
notre Europe ? Cette raifon , qui n'en
étoit pas une , parut très-folide à l'amoureux
François. Il renouvella fes
tendres avances , & fut furpris d'éffuyer
de nouveaux refus. Arrête ! Celario
( c'eſt le nom fauvage qu'on avoit donné
à Saint- Caftins ) arrête , lui dit Azakia
: les tronçons de la baguette que
j'ai rompu avec Ouabi n'ont pas encore
été réduits en cendres. Une partie reſte
encore en fon pouvoir & l'autre au
mien. Tant qu'ils fubfifteront , je ſuis à
Jui & ne puis être à toi. Ce difcours prononcé
d'un ton ferme , déconcerta un
peu Saint- Caftins. Il n'ofoit prèſque
plus infifter & tomba dans une trifte
rêverie. Azakia en fut touchée. Que
faire? lui dit- elle ; je ne puis devenir ta
B
vj
36 MERCURE DE FRANCE.
compagne qu'en ceffant d'être celle
d'Ouabi ; & je ne puis quitter Ouabi
fans lui caufer la trifteffe que tu éprouves
toi- même . Réponds - moi , l'a-t-il mérité
? Non ! s'écria vivement Célario
non! il mérite fur moi toute préférence
; mais il faut que j'abandonne & fa
demeure & même cette habitation . Ce
n'eft qu'en ceffant de voir Azakia que
je puis ceffer d'être ingrat envers Ouabi.
Ces mots firent palir la jeune fauvage.
Ses larmes coulerent prèſque
auffi -tôt , & elle ne chercha point à
les cacher. Ah ! ingrat Célario , s'écriat-
elle , en fanglottant & lui preffant les
mains entre les fiennes , ingrat Célario !
eft-il bien vrai que tu veuilles quitter
ceux à qui tu es plus cher que la lumière
du grand Aftre ? Que t'avonsnous
fait pour nous abandonner ? Te
manque - t - il quelque chofe ? Ne me
vois-tu pas fans ceffe à tes côtés comme
l'Efclave qui n'attend que le fignal
pour obéir ? Pourquoi veux-tu qu'Azakia
meure de triftefle ? Tu ne peux
la quitter fans emporter fon âme elle
eft à toi , comme fon corps à Ouabi....
L'arrivée de ce dernier empêcha Saint-
Caftins de répondre . Pour Azakia , elle
" Continuoit à pleurer fans fe contrain-
"
JUILLET. 1763 . 37
dre , fans même en cacher un inftant
la caufe. Ami , dit-elle , au Huron , tu
vois encore Célario , tu le vois , tu peux
lui parler & l'entendre : mais bien-tôt
il va difparoître à nos yeux , il va chercher
d'autres amis.... D'autres amis !
s'écria le Sauvage , prèſque auffi allarmé
qu'Azakia même ; eh quoi ? mon
cher Célario , quelle raifon te porte à
t'arracher toi-même de nos bras ? Astu
reçu ici quelque injure , quelque
dommage ? Réponds- moi ; tu fçais que
j'ai de l'autorité dans ces lieux. Je te
jure , par le grand Efprit , que tu feras
fatisfait & vengé.
Cette queftion devenoit embarraffante
pour Saint- Caftins. Il n'avoit nul
fujet raisonnable de fe plaindre , & le
vrai motif de fa réfolution devoit être
abfolument ignoré d'Ouabi. Il lui fallut
fe rejetter fur quelques raifons bannales
, & que le bon Ouabi trouva
très - ridicules . Parlons d'autre chofe ,
ajouta-t-il ; demain je pars pour une expédition
contre les Iroquois ; & ce foir
je donne à nos Guerriers le repas d'ufage.
Prends part à cet amufement ,
mon cher Célario ; .... j'en veux prendre
également à vos périls & à vos travaux
, interrompit Saint - Caftins ; je
a
38 MERCURE DE FRANCE.
fuis de cette nouvelle expédition. Tes
forces trahiroient ton courage , repliqua
le Chef des Hurons : c'eft peu de
fçavoir affronter la mort ; il faut pouvoir
le donner à l'ennemi ; il faut
pouvoir le pourfuivre , s'il prend la fuite
, & même pouvoir l'éviter , s'il eft
trop fupérieur. Telles furent , dans tous
les temps , nos maximes guerrieres . Ne
fonge donc , pour le moment , qu'à te
guérir , & à veiller fur cette habitation
durant mon abfence . Je t'en confie le
foin & la charge. Il eût été fuperflu
que le François repliquât. Bientôt les
Guerriers s'affemblent & le feftin commence.
A peine eft - il fini , que la troupe
fe met en marche , & que Saint- Caf
tins refte plus que jamais expofé aux
charmes d'Azakia.
Il eft certain que cette jeune Sauvage
aimoit fon Hôte , & l'aimoit d'un
amour purement métaphyfique , fans ,
pourtant , fe douter de ce que c'étoit
qu'un pareil amor . Elle prit même une
réfolution que nos Métaphyficiennes ,
dans ce genre , ne prendroient certainement
pas ; ce fut de procurer à
Saint- Caftins , l'occafion d'obtenir d'u
ne autre , ce qu'elle-même s'obtinoit
à lui refufer. La rivale qu'elle fe donna
JUILLET . 1763. 39
lire
étoit des plus propres à opérer cette
éfpèce de diverfion . Elle n'avoit que
dit-huit ans , étoit très- belle , & ce qui
ne devenoit pas moins néceffaire , étoit
encore fille. J'ai déja dit que chez ces
Nations une fille jouit de la plus grande
liberté. Saint-Caftins , excité par Azakia
, eut divers entretiens avec Zifma ,
c'eſt le nom de cette jeune Huronne.
Au bout de quelques jours , il put
dans fes yeux qu'elle feroit moins févère
que fon amie. On ne dit point
s'il profita de la découverte du moins
ne lui fit-elle point oublier Azakia ,
qui de fon côté , fans doute , ne vouloit
point être oubliée. Saint Caftins
fe fentoit , malgré lui , ramené vers
elle. Un incident , qui par- tout ailleurs
eût contribué à les unir , fut prêt à les
Téparer pour jamais.
:
On apprit par quelques fuyards , plus
diligens que les autres , qu'Ouabi avoit
donné dans une embuscade d'Iroquois ,
qu'il avoit perdu une partie de fa troupe
, & étoit lui-même refté fur le champ
de bataille. Cette nouvelle caufa de
juftes regrets à Saint- Caftins . Sa générofité
lui fit mettre à l'écart toute
vue d'intérêt. Il oublioit qu'en perdang
un ami , il fe trouvoit défait d'un R
40 MERCURE DE FRANCE .
val. D'ailleurs , la mort de ce Rival
pouvoit entraîner celle d'Afakia même.
Ses jours , dès ce moment , dépendoient
du caprice d'un fonge. Ainfi
le vouloit un ufage fuperftitieux , confacré
de tous temps parmi ces Peuples.
Si dans l'espace de quarante jours , une
Veuve , qui vient de perdre fon époux
le voit & lui parle en fonge deux fois
de fuite , elle en infére qu'il a beſoin
d'elle dans le pays des âmes , & rien
ne peut la difpenfer de fe donner la
mort.
Azakia étoit d'avance réfolue d'obéir
à cet ufage , fi le double fonge
avoit lieu. Elle regrettoit fincérement
Quabi , & quoique Saint - Caftins lui
fournît matiere à d'autres regrets en
mourant , le préjugé l'emportoit fur
l'inclination. Il n'eft pas facile d'exprimer
les inquiétudes , les terreurs qui
tourmentoient l'Amant de cette belle
& crédule Huronne . Chaque nuit il fè
la figuroit en proie à ces vifions finiftres
; il ne l'abordoit chaque matin
qu'en frémiffant. Un jour , enfin , il la
trouva qui préparoit un breuvage mortel.
C'étoit le fuc d'une racine de Citronnier
, poifon , qui dans cette Contrée,
ne manque jamais fon coup. Tu
JUILLET. 1763 . 41
vois , mon cher Célario , lui dit Azakia,
tu vois les apprêts du long voyage
qu'Ouabi m'ordonne de faire.... Ciel !
interrompit Saint - Caftins , pouvez-vous
en croire un fonge qui vous abuſe ?
une illufion frivole & trompeufe ? Arrête
, Célario , reprit la Huronne , tu
t'abufes toi-même . Ouabi s'eft montré
à moi la nuit dernière ; il m'a pris la
main en m'ordonnant de le fuivre . La
pefanteur de mon corps s'y oppofoit.
Ouabi s'eft éloigné d'un air trifte. Je
l'appellois. Pour toute réponſe , il m'a
tendu les bras , & enfuite a difparu . Il
reviendra , fans doute , mon cher Célario
: il faudra lui obéir ; & après t'avoir
pleuré , j'avalerai ce breuvage qui doit
affoupir mon corps ; j'irai rejoindre
Quabi dans le féjour des âmes.
Ce difcours mit Saint- Caftins hors
de lui-même. Il y oppofa tout ce que
la raifon , la douleur & l'amour pûrent
lui fuggérer de plus convaincant ; rien
ne parut l'être à la jeune Sauvage . Elle
pleuroit , mais perfévéroit dans fon deffein.
Tout ce que le défolé François
put obtenir d'elle , fut qu'en fuppofant
même qu'Ouabi lui apparût une feconde
fois en fonge , elle attendroit pour
fe donner la mort , qu'elle fût un peu
42 MERCURE DE FRANCE .
mieux affurée de la fienne : chofe que
Saint-Caftins fe propofoit de vérifier
au plutôt.
Les Sauvages n'échangent ni ne tachetent
point leurs prifonniers. Ils fe bornent
à les arracher des mains de l'ennemi
quand ils le peuvent. Quelquefois
le Vainqueur deftine fes Captifs à l'efclavage
; le plus fouvent il les fait mou
rir. Telle eft furtout la maxime des
Iroquois . Il y avoit donc à préfumer
qu'Ouabi étoit mort de fes bleffures ,
ou avoit été brulé par cette Nation barbare.
Azakia le croyoit encore plus que
tout autre . Mais Saint - Caftins vouloit
qu'au moins elle en doutât. De fon
côté il ranime le courage des Hurons
& propofe une nouvelle entreprife contre
l'Ennemi. Elle eft approuvée . Il
s'agiffoit d'élire un Chef. Toutes les
voix fe réuniffent en faveur de Saint-
Caftins qui avoit déja donné des preuves
de fa valeur & de fa conduite . Il
part avec fa troupe ; mais il ne part
qu'après avoir de nouveau tiré parole
d'Azakia qu'en dépit de tous les fonges
qu'elle pourroit faire , elle différera
au moins jufqu'à fon retour , le triſte
Voyage qu'elle médite.
Celui des guerriers Hurons fut des
JUILLET. 1763 . 43
plus heureux. Les Iroquois les croyoient
trop affoiblis , ou trop découragés pour
ofer rien entreprendre Eux- mêmes s'étoient
mis en marche pour venir les attaquer
, & marchoient fans précaution.
Il n'en étoit pas ainfi de la troupe de
Saint- Caftins. Celui- ci avoit envoyé
quelques-uns de fes gens à la découverte.
Ils apperçurent l'Ennemi fans en être
vus , & revinrent en donner avis à leur
Chef. Le terrain fe trouvoit des plus
propres à dreffer une embufcade . Les
Hurons en profiterent fi bien , que les
Iroquois fe virent enfermés lorfqu'ils
croyoient n'avoir aucun rifque à courir.
On les chargea avec une furie qui ne
leur laiffa point le temps de fe reconnoître.
Le plus grand nombre eft tué
fur la place ; le furplus eft eftropié ou
garroté. On marche fur le champ au
plus prochain village . On y furprend
les Iroquois affemblés. Ils alloient jouir
du fpectacle de voir brûler un Huron .
Déja ce dernier chantoit fa chanfon de
mort. C'eft à quoi ne manque jamais
tout Sauvage que l'Ennemi eft prêt à
faire périr . De grands cris & une grêle
de coups de fufil eurent bientôt di perfé
la foule des curieux . On tue & les
fuyards , & ceux qui veulent réſiſter.
44 MERCURE DE FRANCE.
Toute la férocité fauvage fe déploie .
Vainement Saint - Caftins s'efforçoit
d'a rêter le carnage . Il ne fauva qu'avec
peine un petit nombre de femmes
& d'enfans. Il craignoit furtout qu'au
milieu de ce tumulte horrible , Ouabi
ne fût maffacré lui-même , fuppofé qu'il
vécût encore & fe trouvât dans cette
habitation . Occupé de cette idée , il
accouroit fans relâche d'un endroit à
un autre. Il apperçoit dans une place
où l'on combattoit encore un Prifonnier
attaché à un poteau , & ayant à
fes côtés les apprêts de fa mort ; c'eſtà-
dire de quoi le brûler à petit feu . Le
Chef des Hurons vole vers ce malheureux
captif, rompt fes liens , le reconnoît
, l'embraffe avec des tranfports de
joie. C'étoit Ouabi!
Ce brave Sauvage avoit préféré la
perte de fes jours à celle de fa liberté.
A peine guéri de fes bleffures , on lui
avoit offert la vie fous condition de
refter Efclave . Il avoit choisi la mort
déterminé à fe la donner lui - même fi
elle lui étoit refufée. Mais les Iroquois
étoient gens à lui épargner cette peine.
Un inftant plus tard fes compagnons
n'euffent plus été à temps de le fauver.
Après avoir difperfé ou fait efclave
JUILLET. 1763 . 45
te qui reftoit d'Iroquois dans ce canton
, l'Armée Huronne reprit le chemin
de fes terres . Saint - Caftins voulut remettre
le commandement à Ouabi qui
le refufa . Il l'inftruifit , chemin faifant ,
du deffein où étoit Azakia de mourir
perfuadée que lui-même ne vivoit plus,
& qu'il exigeoit qu'elle le fuivît ; du
poifon qu'elle avoit préparé à ce fujet ,
& du délai qu'il n'avoit obtenu d'elle
qu'avec peine. Il parloit avec une véhémence
& un attendriffement qui
frapperent le bon Ouabi. Il fe rappella
quelques traits qui l'avoient peu frappé
dans le temps. Mais dans ce dernier
inftant même il ne témoigna rien de ce
qu'il projettoit. On arrive. Azakia ,
qui avoit fait un fecond rêve , regardoit
ce retour comme le fignal de fon
trépas. Quelle eft fa furpriſe de voir
au nombre des vivans l'époux qu'elle
croyoit aller rejoindre au féjour des
efprits ! D'abord elle refta immobile &
muette ; mais bientôt fa joie alloit s'exprimer
par de vives careffes & de longs
difcours. Ouabi reçut les unes , & interrompit
les autres. Enfuite s'adreffant
à Saint- Caftins : Célario , lui dit - il , tu
m'as fauvé la vie , & ce qui m'eft plus
cher encore , tu m'as deux fois confervé.
46 MERCURE DE FRANCE.
Azakia. Elle t'appartient donc plus qu'à
moi. Je t'appartiens moi- même. Vois
fi elle fuffit pour nous acquitter tous les
deux. Je te la céde par reconnoiffance ,
& je ne l'euffe pas cédée pour me tirer
des feux allumés par les Iroquois.
Ce que ce difcours fit éprouver à
Saint- Caftins eft difficile à exprimer,
non qu'il lui parût auffi ridicule , auffi
bifarre qu'il pourra le fembler à certains
Lecteurs. Il fçavoit que le divorce
eft très-fréquent chez les Sauvages. Ils
fe féparent auffi facilement qu'ils s'uniffent.
Mais perfuadé qu'on ne pou
voit céder Azakia fans un effort furnaturel
, il fe croyoit obligé à un effort
équivalent. Il refufa ce qu'il defiroit le
plus , & le refufa en vain il lui fallut
céder à la perfévérance d'Ouabi. Pour
la fidelle Azakia qu'on a vu réſiſter à
toutes les attaques de Saint- Caftins ,
& refufer de furvivre à l'époux qu'elle.
croyoit mort , on s'attend peut - être
qu'elle difputera longtemps fur la féparation
que cet époux lui propofe . Point
du tout. Elle n'avoit jufqu'alors écouté
que le devoir : elle crut qu'il lui étoit
libre enfin d'écouter fon inclination
puifqu'Ouabi l'exigeo it . Les morceaux
de la baguette d'union furent apportés ,
JUILLET. 1763. 47°
réunis & brûlés : Ouabi & Azakia
s'embrafferent pour la dernière fois
& dès ce moment cette jeune & belle
Huronne rentra dans tous fes droits de
fille. On dit même qu'aidé de quelques
Miffionnaires , Saint - Caftins la mit en
état de devenir fa femme dans toutes les
régles . Ouabi , de fon côté , rompit la
baguette avec la jeune Zifma ; & ces.
deux mariages , fi différens par la forme
, furent au fonds également heureux.
Chaque époux , bien affuré de
n'avoir point de concurrens oublia
s'il avoit eu des prédéceffeurs .
>
VERS fur la convalefcence de Madame
la Comteffe de BRIONNE.
L'AMOUR fe plaignoit l'autre jour ,
Il trembloit , dit -on , pour ſa mère.
Les ris , les graces à leur tour
Avoient déja drapé Cythère :
Le deuil régnoit en ce féjour.
La crainte qui les déſeſpére ,
Ne partoit que du Sentiment ;
Et la douleur la plus amére
Annonçoit leur difcernement.
Une illuftre & jeune Princeffe ,
MERCURE DE FRANCE.
Objet de leurs juftes regrets ,
Par les vertus , par fes bienfaits ,
De tous les coeurs captivoit la tendreſſe.
Déja l'infléxible Atropos
Sur elle ofoit lever fes criminels ciſeaux....
Arrête , cruelle ! s'écrie
Un Dieu qui commande à la mort :
Garde-toi de trancher une fi belle vie ;
C'eſt au Ciel à régler ſon ſort,
De fon fiécle qu'elle décore
Refpecte l'amour & l'honneur ;
Qu'elle le foit longtemps encore.
Rentre aux Enfers , & calme la terreur
D'un Peuple entier qui pour elle m'implore
#
Par M. M. ci-devant Officier au Régiment
Etranger de Dunkerque .
LE JUGEMENT DE PARIS ,
PAR Mlle A....âgée de 17 ans .
Tor ,dont le pouvoir agréable
Enchante le coeur & les yeux ;
Toi , que l'on adore en tous lieux ,
Auffi dangereufe qu'aimable ;
Partage frivole & charmant ,
Beauté , que notre aveuglement
Partout a rendu Souveraine !
Faur-il
JUILLET. 1763 . 49
Faut-il que pour de vains defirs ,
L'on ait vu du fein des plaifirs ,
Naître la difcorde & la haine ?
L'éclat de tes appas trompeurs ,
Produifit ce défordre extrême ;
Et dans l'Olympe , les Dieux même
Se difputerent tes faveurs.
Ce jour , où l'amoureux Pelée ;
Vit l'hymen couronnerles voeux ,
Où la fierté fut immolée ,
Aux plaifir de l'Amour heureux ;
Des Dieux l'immortelle affemblée ,
Célébroit de fi tendres noeuds .
Dans leurs jeux , la ſagelle auſtère ,
Dépofoit fa févérité ;
Tout y cédoit au foin de plaire .
La troupe aimable de Cythère ,
Y conduifoit la Volupté ;
Jupiter , ce Dieu redoutable ,
Jupiter même alors aimable ,
Ne refpiroit que la gaîté.
Tu vins troubler , Beauté fatale ;
Ces inftans remplis de douceurs !
Par toi , la Déeſſe infernale ,
Fit régner de noires fureurs.
A peine la troupe céleſte ,
Eut vu cette pomme funefte ,
Prix des plus aimables attraits ;
I. Vol C
50 MERCURE DE FRANCE.
Qu'une jalousie implacable ,
Vint par la fureur redoutable ,
Bannir les amours & la paix .
L'intérêt le plus cher aux Belles ,
Et l'intérêt de leurs appas :
L'on vit parmi les Immortelles,
Naître mille & mille combats.
Minerve , malgré fa fageffe ,
Et Juhon , malgré la fierté ,
De la mère de la tendreffe ,
Veulent éffacer la beauté.
En vain , l'une a pour fon
partage ,
Et la prudence & le courage ;
En vain , l'autre commande aux Dieux ';
Le pouvoir , la gloire , les armes ,
Flatent moins leurs coeurs envieux ,
Que le prix qu'on offre à leurs charmes.
Mais , comment calmer leur courroux ?
Quel Juge équitable & fincère ,
Prononcera l'arrêt févère ,
Où rendent leurs voeux les plus doux ?
En vain de la voûte brillante ,
Leur voix irritée & preffante ,
Implore tous les habitans :
Inutiles empreffemens !
Aucun n'accepte le partage
D'un auffi dangereux emploi ;
Heureux mortel , ce n'est qu'à toi ,
JUILLET. 1763 .
51
Qu'en eſt réſervé l'avantage !
O toi , que par de fages Loix ,
Le fort retient au fonds des bois ,
Berger & Prince tout enſemble ,
C'eſt pourle plaifir de tes yeux ,
Qu'aujourd'hui la Beauté raſſemble
Ses tréfors les plus précieux.
Sur les bords fleuris que le Xanthe ,
Arrofe dans fon heureux cours ,
Páris voyoit couler fes jours.
Le coeur libre , l'âme contente ,>
Il goûtoit un charmant repos ;
Il n'avoit dans cette retraite ,
D'autre fceptre que fa houlette ,
D'autres Sujets que les troupeaux.
O Berger , quelle gloire extrême ,
Se joint à ta félicité !
De Jupiter l'arrêt ſuprême ,
Te rend Juge de la Beauté !
Mais calme un tranfporte qui t'enchante ;
Souvent le plus triſte revers ,
Suit une fortune brillante;
Et le chemin qu'elle préfente ,
Cache mille perils divers.
L'on cherche en vain à le connoître ;
Il est trop aifé d'y gliffer :
Ton bonheur finira peut- être ,
Où ta gloire va commencer,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Le moment funeſte s'avance ;
Et les trois célestes objets ,
Viennent chercher la récompenſe ;
Que l'on deftine à leurs attraits :
Paris , que de juftes allarmes ,
Vont en foule agiter ton coeur !
Comment , en voyant tant de charmes ,
Pourras -tu choisir un vainqueur ?
Vois de l'illuftre Souveraine ,
La nobleffe & la majesté ;
Ce front où régne la fierté ,
Et fixe ton ame incertaine,
Mille tréfors te font ouverts ;
Les biens , la fuprême puiffance ;
Les richelles de l'Univers ,
Seront ta jufte récompenfe.
Que pour un deftin fi brillant ,
Le fils de Priam fe décide.....
Mais non ; un objet plus puiffant
Va frapper fon efprit timide.
Viens , augufte Divinité ,
Minerve , à ton Juge enchanté ,
Viens montrer ton air intrépide ,
Ta candeur , ta fimplicité .
Toi feule , aux amans de la gloire ,
1
JUILLET. 1763 .
52
Tu difpenfes du haut des Cieux ,
Et les lauriers , & la victoire ;
La vertu brille dans tes yeux.
Non , ta beauté n'a point d'égales ,
Et Pallas , fans le moindre effort ,
Doit l'emporter für fes rivales ,
Dans l'âme du frère d'Hector.
Mais , quel attrait inévitable
De Paris vient charmer le coeur ?
Vénus , cette Déeffe aimable ,
S'avance d'un air air enchanteur ,
Le fouris tendre & féducteur,
Anime fa bouche agréable ;
D'un air innocent & badin ,
L'Amour qui vole devant elle ,
Aux vives couleurs de fon tein ,
Ajoute une fraîcheur nouvelle .
Quoi ! dit- elle au Berger furpris ,
Devrois-tu balancer encore ?
Se peut-il que Pâris ignore ,
Qui de nous mérite le prix ?
De ces deux fuperbe : Die Tes ,
Lep ouvoir éblouit tes yeux :
Je vois que leurs vaines promeffes ,
Flatent ton coeur ambitieux ;
Mais que tu connois peu les charmes
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
Dont elles t'offrent les douceurs !
Par trop de fang , par trop d'allarmes ,
Elles font payer leurs faveurs.
Fuis des épines fi cruelles ;
Le plaifir t'attend en ce jour :
Viens dans l'Empire de l'Amour ,
Cueillir des fleurs toujours nouvelles.
Par tous les attraits de ma Cour ,
Tu verras ta flamme fervie.
Aime jouis d'un doux retour,
Voilà le plaifir de la vie.
D'un difcours auffi féduisant ,
Pâris ne fçauroit ſe défendre.
Un pouvoir funefte & charmant ,
Malgré lui le force à fe rendre.
Ecoute un peu moins tes defirs ;
Lâche Berger , que vas-tu faire?
Souffre que la Raifon t'éclaire ,
Sur de fi frivoles plaiſirs .
D'un aveugle & fatal caprice ,
Crains plutôt les douces erreurs ;
Vénus lous d'agréables fleurs ,
Cache un funefte précipice ..
Vains éfforts , difcoursfuperflus !
Les honneurs , la brillante gloire ,
Cédent une injufte victoire ,
Aux charmes trompeurs de Vénus .
JUILLET. 1763 .
55
Quel deſtin cet arrêt t'apprête !
Qu'as- tu fait , malheureux Berger ? ]
Hélas , qu'un plaifir paffager
Raffemble de maux fur ta tête !
Ah ! que tes appas font cruels ,
Vénus , inhumaine Déeſſe ! ....
Des pleurs , des regrets éternels ,
Voilà ce que ta main nous laiſſe.
Cependant , que de coeurs furpris ,
T'encenfent au fiécle où nous fommes ;
Et combien de nouveaux Pâris ,
Se trouveroient parmi les hommes !
EXTRAIT de quelques Lettres de
Madame la Comteſſe de GRIGNAN ,
du Chevalier de GRIGN AN , du Marquis
de SEVIGNÉ , & de M. de Bus-
SY-RABUTIN , Evêque de Luçon .
De Madame de GRIGNAN à fon mari.
*
SII ce Major s'en retourne , je le
chargerai d'une petite lettre de douceur;
* Nous tenons ces Extraits de M l'Abbé Tr2-
blet , de l'Académie Françoife , & il les tenoit de
feu M. le Chevalier de Perrin , Editeur des Lettres
de Mde de Sévigné. Il a bien voulu y joindre
quelques notes.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE:
j'y joindrai les nouvelles que je pourrai
attraper ; elles font rares & les plus
confidérables font légères , quand on en
retranche les médifances qui égayent
la converfation.
Mde de Monaco fe meurt : M. Brayer
( fon Médecin , ) lui annonça il y a
deux jours que le temps de la vie étoit
court ; qu'il étoit obligé de l'en avertir ,
afin d'en difpofer pour l'éternité , & c.
Elle envoya querir le P. Céfar , & fe
confeffa fort longtemps ; elle reçut N. S.
fit fon teftament , & avec une fermeté
admirable ; ne parla plus de la mort ,
&c. Elle eft encore au même état , &
fe verra mourir toute en vie , fans perdre
un moment la connoiffance. Il
faut bien de la conftance pour foutenir
longtemps une fi pénible vue ; les feuls
Pères de la Trappe me paroiffent la pouvoir
regarder de fang froid.
A Madame de SIMIANE , fa fille.
Je ne fais d'attrait nouveau à Marfeille
, que la préfence de M. de Ventadour
, qui a choifi ce domicile pour cet
hyver ; cette compagnie me gâte fort
le foleil de Provence. M. de Ventadour
me paroît une violente éclipfe.
JUILLET. 1763. 57
Je m'afflige de l'anéantiffement des
grandes Maifons , c'eſt une parure de
moins au monde.
Sa jeuneffe furannée ( de la bellemère
de Madame de Simiane ) me fait
aimer votre jeuneffe prématurée.
J'ai fort regretté notre Soeur du Janet;
mais pourquoi ? C'eft une Sainte
& elle étoit martyre.
Quoique nous n'ayons pas gran1.
chofe à nous dire , cela ne vous difpenfe
pas de m'inftruire de ce qui vous regarde
, puifque votre filence ne me
difpenfe pas de fentir pour vous bien
de l'amitié ,
Les circonftances de la mort fubite
de Monfieur , ( le 9 Juin 1701. ) font
dignes de grandes réflexions , mais d'ordinaire
les réflexions n'agiffent que
fur les perfonnes qui en ont le moins
de befoin , & qui font déja bien diſpofées.
A la même fur la couche d'une fille.
Je fais peu d'attention à l'efpéce ; il
n'y en a que de deux façons ; ce qui
ne fe fait pas une fois fe répare l'autre.
Cv
58
MERCURE
DE
FRANCE
. Vous avez trouvé le fecret de me
rendre attentive en me parlant de votre
coeur & de votre amitié ; j'ai peſé
vos expreffions ; j'y aurois cru de l'éxagération
, fi je ne vous croyois affez
exacte fur la vérité , pour ne pas dire
une parole qui ne ferve à l'exprimer.
Je fuis très - touchée de vos fentimens
& de pouvoir faire votre joie ou votre
peine , par la manière dont je vivrai
avec vous ; je n'en fçaurois changer ,
quand votre coeur fera fon devoir ; c'eſt
lui qui eft ma régle & qui détermine
mes démonftrations. Vous êtes devenue
fi raiſonnable , fi dégagée des fentimens
qui font les conduites bifarres & capricieufes
, que je puis vous répondre
de moi , parce que je me réponds de
vous. J'ai fort envie que nous éprouvions
l'une & l'autre l'égalité & la
douceur d'un commerce aimable &
tendre. J'ai fort envie de vous avoir
auprès de moi , mais je me pique d'amour
pur & défintéreffé ; vous fçavez
que je connois la richeffe des privations
; le bonheur de s'y accoutumer
eft le plus réel de la vie.
Le Roi d'Espagne ( Philippe V. )
a rempli toutes les lettres comme il remJUILLET
. 1763 . 59
pliffoit tous les efprits & toutes les converfations.
Ne feriez - vous point curieufe
de voir en ce pays Mrs les Princes ?
C'est une belle occafion de leur en
faire les honneurs. Mais il ne faut point
tenter le jeune Télémaque de s'arrêter
dans le cours de fes voyages , ni lui préfenter
quelqu'un de plus aimable qu'Eu
charis & qu'il auroit peut-être plus de
peine à quitter. Cette raifon vous retiendra.
Je fuis peu furpriſe de vos profpérités
chez M. & Mde de Chamillard. Ce
n'eft pas à leur bonté & à leur égalité
que vous devez leur conftance , c'eft
à vous & à leur bon goût. Je ne vous
parle point de mon retour , parce que
ce difcours eft inutile , à vous qui favez
mes fentimens , & au monde qui ne
s'en foucie point.
Le fimple récit de l'accident du Chevalier
de Grignan fuffit pour vous faire
faire toutes les réfléxions au grand mépris
de la prévoyance de la prudence
humaine ; il vient ici pour éviter les
douleurs , & il y trouve des accidens
qui lui font fouffrir des douleurs infupportables.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut mander une maladie
d'une manière plus propre à raffurer
que vous me mandez celle de mon frère
( le Marquis de Sévigné) ; cela s'appelle
une maladie digne d'envie : c'eft la
peur d'avoir la migraine qui le retient
dans ſa chambre , qui raffemble le monde
chez lui , qui vous amufe tous .
En vérité je le plaindrai quand il jugera
à propos de fe guérir.
J'ai fçu votre voyage de Champlatreux;
je me fuis repréfenté vos plaifirs ; ils
auroient été plus parfaits,fi le malheur au
jeu ne les avoit troublés. Je fuis dans
l'épreuve de cette forte de tribulation ;
la Cométe déconcerte ma tranquillité ,
comme les As rouges démontent M.
de Grignan. Mde de Rochebonne fait
avec moi la récolte de ce qui manque à
la médiocrité de fes revenus , & je fuis
fa dupe , fans pouvoir me corriger de
mal jouer ni de jouer.
Il faut faire un éffort pour tirer M.
de Simiane d'une charge de fubalterne ;
bonne pour y paffer , & humiliante
quand on y féjourne trop long-temps .
J'ai eu ici Mde de Simiane , elle eft
JUILLET. 1763.
61
cent fois plus jeune que vous ; mais
toujours utile à fa famille par fon attention
habile. Elle eft inquiéte de ces
mouvemens de Troupes qui préfagent
la guerre. Je ne fçais fi elle fera auffi
effective qu'elle eft apparente ; mais il y
a bien affez de l'apparence pour éffrayer.
On m'a dit que le P. le Rat * avoit
fuccédé au P. Malinco ; cela fera des
Rates , ou des Eratées , ou bien des
Ratières ; la terminaiſon n'empêche pas
que la conduite ne foit folide .
On n'obtiendra jamais ma compaffion
par quelque chofe d'auffi defirable
à mes yeux que la fécondité.
Du Chevalier de Grignan , à Mde de
Grignan , fa belle-foeur.
Tous vos parens vous embraffent .
Moi qui fuis parent , je vous embraffe
auffi ma chère Soeur. Nous fommes
ici dans la lecture des Ouvrages de ma
Soeur qui ont pour titre : Abrégé des
vertus de notre Soeur une telle ; elle y
rapporte qu'une béate avoit tant de
faim après une maladie, qu'elle mangeoit
De l'Oratoire , Confeffeur de Mlle de Grie
gnan & de Mde de Sévigné la Bru,
62 MERCURE DE FRANCE.
du bois ; enfin le Diable la tenta , elle
mangea du pain bis ; le Confeffeur
fçachant que c'étoit par une faim qui
fuivoit une maladie , au lieu de lui ordonner
une pénitence , lui dit d'en manger
tous les matins autant.
De Mde de Grignan à Mde de
Simiane.
*
J'ai été incommodée & me fuis guérie
fans reméde ; je fuis perfuadée de
votre inquiétude , & que vous voulez
que je dure autant que l'Univers . Ne
manquez pas à m'envoyer l'Opéra de
Télémaque ; je le lirai avec grand plaifir
, en attendant celui que j'aurai de le
voir ; car je furmonterai l'ennui qui
m'empêche d'aller aux autres Opéra ,
pour voir celui-là . Je crois que M. de
Cambrai fera obligé d'en faire les vers
s'il faut que ce foit un bel - efprit &
un grand Archevêque qui les faffe ;
mais ce n'eft point un Archevêque qui
a fait l'Ile de Calipfo ni Télémaque ;
c'eft le Précepteur d'un grand Prince.
>
* C'eft celui que Danchet & Campra mirent au
Théâtre en 1704.& qu'ils avoient compofé de divers
Fragmens d'autres Opéra . Mde de Grignan
croyoit que cette Tragédie étoit entiérement
nouvelle.
JUILLET. 1763. 63
qui devoit à fon difciple l'inftruction
néceffaire pour éviter tous les écueils
de la vie humaine , dont le plus grand
eft celui des paffions. Il vouloit lui donner
de fortes impreffions des défordres
que caufe ce qui paroît le plus agréable
, & lui apprendre que le grand reméde
eft la fuite du péril. Voilà de
grandes & d'utiles inftructions , fans
compter toutes celles qui fe trouvent
dans ce livre , capable de former un
honnête homme & un grand Prince . Si
dans cet Opéra qu'on fait , on conſerve
cet efprit & ce caractère , il fera plus
de fruit que les Sermons du P. Maffillon.
Vous n'avez pas pris chez lui &
chez fes Confrères le ridicule que vous
voulez donner à Télémaque ; les Pères
de l'Oratoire fçavent trop que l'ufage
eft de faire lire les Poëtes aux jeunes
gens. Les Poëtes font pleins d'une peinture
terrible des paffions , il n'y en a
aucune de cette nature dans Télémaque ;
tout y eft délicat , pur , modefte , & le;
reméde eft toujours prêt & toujours
prompt. Les Poëtes anciens n'ont pas eu
ces précautions , & font pourtant admis
dans les Colléges par les Docteurs les plus
févères ; le Port-Royal a traduit Terence
, Plaute , Petrone. M. d'Andilly
64 MERCURE DE FRANCE.
( Arnauld ) a traduit le 4 & le 6º L. de
l'Eneide ; perfonne ne l'obligeoit à mettre
en langue vulgaire & dans les mains
de tout le monde la peinture de la paffion
la plus forte & la plus funefte qui
ait jamais été ; il le faifoit pour aider
quelque Précepteur de fes amis a inftruire
quelque Difciple de Port-Roval.
Vous voyez donc que ces Meffieurs ne
vous avoueroient pas , s'ils fçavoient
que vous tournez en ridicule un Précepteur
qui apprend les Poëtes à fon
Difciple d'une manière pure , délicate ,
& capable de rectifier les autres Poëtes.
qu'il ne peut éviter de lire dans le
cours de fes humanités . Je vous réponds
bien férieufement , ma fille , j'en fuis
honteufe ; car tant que tu parleras en
enfant , je ne dois pas prodiguer la Raifon
& le Raifonnement .
Adieu , ma fille : le Soleil dore nos
montagnes ; les troupeaux bondiffent
dans nos champs ; la joie & la vigilance
animent tous les Acteurs.
La jeuneffe a fes peines comme les
autres âges , & plus rudes à proportion
de fes plaifirs ; c'eft une compenfation
que la Juftice Divine obferve pour la
confolation & humiliation de tous les
JUILLET. 1763.6 65
Mortels , afin qu'ils foient tous égaux
& n'ayent rien à fe reprocher.
Je trouve mon fils ( le Marquis de
Grignan ) d'un efprit fi ferme , fi raifonnable
& fi augmenté en mérite , que je
fuis ravie d'avoir le loifir de le connoître
à fond ; car à Paris ce ne font que
des momens , on ne fait ce qu'on voit.
L'efprit de Madame de Fortia eft vif,
& la charité n'a point encore diminué
l'agrément de fa converſation .
Le mot d'Adieu eft bon à retrancher
à deux coeurs fenfibles & à deux fantés
délicates ; je me fuis donc dérobée & à
vous ce cruel moment.
L'Abbé de Buffy * m'a fait confidence
qu'il n'a point vu de Dévote qu'on
ait tant d'envie de revoir que vous.
* L'Abbé de Buffy étoit le fils du Comte de
Buffy Rabutin ; il fut depuis Evêque de Luçon.
Il fut auffi de l'Académie Françoiſe , & y fuccéda
à M. de la Motte , au commencement de 1732.
M. de Fontenelle répondit fon Difcours de réception
. On peut voir l'éloge de ce Prélat dans le
Temple du Goût par M. de Voltaire , T 2. de fes
Euvres , p. 327 Edition de 1756. Il y parle
comme Mde de Grignan , de l'agrément de fa
converfation .
1
66 MERCURE DE FRANCE .
difficilement trouverez - vous meilleure
compagnie & plus au goût que je vous
ai vu d'un badinage aifé & gai . Je vous
devois l'un à l'autre .
LETTRE du Marquis de SÉVIGNÉ
à fa Mère , 1684.
J'ARRIVE RRIVE tout préfentement de mon
dernier voyage , ma très- chère Madame
; il a été fort heureux , & toutes les
efpérances que l'on pouvoit avoir , ou
pour mieux dire que M. le Comte de
Mauron pouvoit avoir en lui - même
que je me romprois le cou , font diff
pées ; il faut enfin qu'il fe réfolve à me
onner fa fille. Le même Dieu qui m'a
confervé dans quelques occafions affez
chaudes , m'a confervé auffi dans celle
que je viens d'effuyer , qui étoit en vérité
toute des plus froides. J'ai reçu
vos deux lettres ; vous voulez donc caufer
encore à coeur ouvert ? Eh bien
caufons , ma très- chère Madame ; il y a
encore quelque chofe à fortir ; allons ,
foulageons-nous. Premierement , vous
vous trompez toujours quand vous pre-
*
* Il avoit fait un voyage en Baffe - Bretagne ,
pendant un hyver très- rigoureux .
JUILLET. 1763 . 67
nez ce que dit M. de Mauron , comme
fi je le diſois moi-même . Je vous mande
que M. de Mauron dit que ma four le
méprife, & qu'il femble que cette alliance
lui faffe tort ; moi , je vous le mande
pour vous faire voir qu'il faut que ma
foeur (Mde , de Grignan ) écrive ; vous
me répondez pour me montrer que c'eft
le procédé de M. de Mauron qui eft
plein d'incivilité pour vous. Eh ! vraiment
je le fçais bien ; je le trouve
tout comme vous ; ce n'eft pas moi qu'il
faut perfuader ; mais ce n'eft pas moi
auffi qu'il en faut punir ; & c'est ce que
faifoit ma four avant qu'elle eût écrit.
Elle eft mal contente de M. de Mauron
; elle ne fçait pas bonnement pourquoi
; & là -deffus elle ne veut poi ..
écrire deux lettres qui me font trèsnéceffaires
& qui me caufent des dèfagrémens
infinis dans une famille où
je fuis trop heureux d'entrer. Je trouve
ce raifonnement un peu gauche ,
n'en déplaiſe à la Logique de M. Def
cartes. Remettez-vous done dans l'efprit
, ma très-chere Madame , que je ne
vous ai jamais parlé de moi- même, quand
je vous ai parlé des mépris dont M. de
Mauron fe plaignoit. Je fens fon procédé
pour vous & pour moi comme il le faut
63 MERCURE DE FRANCE.
fentir ; mais enfin , comme vous le difiez
vous-même , le beau de ce jeu-là eft
d'époufer. Il faut donc époufer; ceux qui
prennent intérêt à moi , le doivent faciliter
& vous imiter vous , ma trèschère
Madame, qui m'avez regardé uniquement
dans tout ceci , qui avez écrit
quand je vous l'ai mandé , qui n'avez
point pris à gauche un mauvais point
d'honneur , qui ne me puniffez point
des travers de M. de Mauron , & qui
regardez comme une chofe indifférente
ce que fait M. de Mauron , pourvu qu'il
me donne deux cent mille francs & fa
fille.
Vous dites encore que M. de Mauron
a outragé ma foeur ; c'eft fur cela , ma
très-chère Madame , que je fuis trèsperfuadé
que c'est pour rire que vous
parlez ainfi. Pour vous le faire comprendre
, reprenons un peu vos paroles.
Ma foeur eft outragée. Que lui a-t-on
fait ? On lui a propofé de prendre pour
cent mille francs une Terre qui eft eftimée
par vous-même quarante mille
écus ; voilà un furieux outrage . Quoi !
dans le temps que tout mon bien eft.
eftimé le denier trente , que nous faifons
nos partages fur ce pied-là , que
je n'ai pas un fou marqué de bien que
JUILLET. 1763. 69
fur ce pied -là , ma foeur eft outragée
de ce qu'on lui propofe de prendre une
Terre qui ne fait que le tiers de fon
bien , au denier vingt - cinq ? Trouvezvous
en votre confcience que M. de
Mauron eût grand tort , quand il mandoit
à Mde de Tifé , deux jours avant
que je partiffe pour aller à Vannes , afin
de la difpofer à cette rupture qu'il méditoit
, fi la procuration eût encore tardé
; qu'il étoit tout- à- fait furpris de la
difficulté qu'on faifoit fur l'Article de
Bourbilly ; qu'en faveur de la naiffance
& du mérite de M. de Sévigné ( ce
font fes propres termes ) il vouloit bien
eftimer fes terres le denier trente , comme
il étoit porté par le grand du bien ;
& que cependant , quand on venoit au
fait & au prendre , on n'eftimoit ce qui
devoit revenir à ma foeur, que le denier
quinze. Mde de Coiflin lui avoit demandé
dix mille écus de retour , &
voilà fur quoi étoient fondés ces difcours
de prédilection , dont vous avez
été choquée avec raifon , mais qui n'étoient
point hors de propos dans la
bouche d'un Etranger qui ne fçait pas
le détail de votre conduite , qui n'a nul
égard à la différence de l'année 69 à
l'année 83 , & qui regarde fimplement
70 MERCURE DE FRANCE.
les chofes comme elles font dans le
temps préfent. Faites Juges qui il vous
plaira de ce raifonnement ; & s'il fe
trouve quelqu'un qui vous dife que ma
four y foit outragée , je veux qu'on me
coupe les deux oreilles. Ne parlons
donc plus d'outrages , & confidérez ,
s'il vous plaît que moi , par un trèsprofond
refpe&t que j'ai & que je dois
avoir pour vos volontés , qui connois
la droiture de vos fentimens , la bonté
de votre coeur , la jufteffe de vos raiſonnemens
, quand vous mariâtes ma foeur ;
qui fuis d'ailleurs pénétré de reconnoiffance
de ce que vous faites pour moi
dans cette occafion , qui eft beaucoup
plus que ce que vous avez fait pour ma
foeur , vû la différence des temps & les
angoiffes cù vous êtes , j'ai toujours ôté
à ma foeur tout ce qu'il pouvoit y avoir
d'amer dans la propofition toute jufte &
toute raisonnable que lui faifoit M. de
Mauron. Vous m'allez dire qu'elle n'eft
ni jufte ni raifonnable ; mais mettezvous
à la place de M. de Mauron ; donnez
deux cent mille francs à votre fille ;
voyez venir M. de Sévigné à vous avec
tous fes papiers bien trouffés , & voyez
fi vous ne voudriez pas au moins lui
voir treize mille livres de rente ; &
JUILLET. 1763. 71
puis vous me direz s'il a grand tort. Au
furplus , je finis en vous difant encore
que puifque j'ai toujours ôté à ma Soeur
ce qui pouvoit lui déplaire dans la propofition
de M. de Mauron , il n'étoit
pas jufte qu'elle m'en punît , & qu'elle
me fit fouffrir des défagrémens qu'elle
pouvoit m'ôter à bien meilleur marché ,
que je ne lui ôte ceux de la propofition
de M. de Mauron. Enfin elle a écrit ;
je lui en ai promis de la reconnoiſſance ;
je la lui témoignerai le prochain Ordinaire
, & écrirai à M. l'Archevêque
d'Arles , & à M. de la Garde ; je n'ai
pas le temps , la pofte va partir.
J'ai le coeur fort ferré de ce que vous
appellez votre chambre des Rochers ,
votre défunte chambre. Y avez -vous
donc renoncé , ma très- chère Madame ?
Voulez-vous donc rompre tout commerce
avec votre fils , après avoir tant
fait pour lui ? Voulez - vous vous ôter
à lui , & le punir comme s'il avoit manqué
à tout ce qu'il vous doit ? Mon
mariage ne répareroit pas un tel malheur
, & je vous aime mille fois mieux
que tout ce qu'il y a dans le monde .
Mandez -moi , je vous fupplie , quelque
chofe là- deffus ; car j'ai , en vérité , le
72 MERCURE DE FRANCE.
coeur fi gros , que s'il n'y avoit du monde
dans ma chambre
à l'heure qu'il eſt ,
je ne pourrois
m'empêcher
de pleurer. Adieu , ma très- chère Madame
; ne renoncez
point à votre fils ; il vous adore , & vous fouhaite
toute forte de bonheur
avec autant de vérité & d'ardeur
qu'il fouhaite
fon propre
falut.
Apoftille pour M. **.
Toutes vos hardes font enchantées ;
mais vous m'avez oublié des bas de
foie. Envoyez- m'en par la Pofte au plutôt
, de la même couleur que l'habit.
N'oubliez pas , s'il vous plaît , des
bas de foye verts & des garnitures de
rubans pour la Future.
Adieu , mon très- cher ; me renoncezvous
auffi ? ma foi je ne payerai point
M. d'Harouis * fi vous voulez tous
m'abandonner.
* Tréforier- Général des Etats de Bretagne ,
EXTRAITS
JUILLET. 1763. 73
EXTRAITS de Lettres de M. l'Evêque
de LU ÇON , ( Buffy Rabutin ) à Madame
de GRIGNAN. 1701 & fuivant.
JE
E voudrois être avec vous dans ce
bois de S. Andiol , à vous dire au pied
d'un ormeau , ce qui ne s'y eft jamais
dit , qu'on ne peut être avec plus de
refpect , & c .
Je le crois , Madame ; la régle eſt
d'un grand prix pour le bon goût ; mais
la régle naturelle , quand on l'a , n'a
pas befoin de l'art , & ne peut être que
dangereufe avec lui ; elle rend trop
fcrupuleux ; elle éteint le feu de l'imagination
; on eft toujours le compas à
la main ; rien n'échappe & on ne laiſſe
plus rien échapper. Que deviendront
tous ces endroits vifs des Italiens devant
votre critique ?
Je crois que c'eft un des plus grands
charmes de l'Amour , de paffer pour cequ'on
vaut auprès de ce qu'on aime. La
vanité cherche fon compte dans cette
paffion prèfqu'autant que la volupté.
L'amitié qui eft plus raifonnable , &
I. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
par conféquent plus clair-voyante ,
manque de ce charme.
La fantaifie de faire mon devoir m'a
pris comme une autre .
Pour être cru de vous , Madame , vous
me faites toujours retrancher de la vérité.
Je m'apperçois toujours , Madame, que
votre vue porte mille fois plus loin que
la mienne ; vous voyez diftin &tement
des objets que je ne me doute pas qui
foient au monde , & peut-être cela vous
fait- il négliger ceux qui font groffiers
& palpables , & qui , pour parler vulgairement
, crévent les yeux.
J'en fuis avec la fortune à vouloir feulement
me prouver que j'ai fait toutes
mes diligences envers elle ; & , comme
ceux qui bâtiffent , je m'occupe
moins de voir ma maiſon faite , que
de la faire .
Le fiécle s'eft tourné à ne recevoir
de fainteté que dans une vie privée &
tout-à- fait fimple , c'eft - à - dire dans
des gens fi obfcurs qu'on ne les ait point
vus.
Madame votre fille aime auffi peu de
JUILLET. 1763. 75
gens que fi elle étoit dans le plus grand
monde ; mais elle les aime autant
qu'une Religieufe fçait aimer.
Le Miniftre d'aujourd'hui * ne gagne
pas moins qu'un autre à la mort du
Prince d'Orange ; quelle épine hors du
pied de tout le monde ! car je trouve
que les ennemis gagnent autant que
nous à la mort d'un perturbateur du
repos public. J'admire fa vie ; mais je
fuis bien-aife qu'elle foit finie , nonfeulement
comme François
comme homme.
mais
Il est plus ordinaire & plus facile à
l'homme d'avoir de fauffes vertus , que
de produire des actions contre nature ;
ainfi permettez- nous de douter de la
fincérité des regrets de M. de Cambrai,
( fur la mort de M. de Meaux. )
Il n'eft pas en moi , Madame , de refufer
une occafion de vous écrire ; je
crois toujours avoir mille chofes à vous
dire ; & à bien démêler ce fentiment -là ,
fens qu'il me vient du plaifir que j'aurois
de vous parler fur la plupart des
chofes qui fe préfentent à mon efprit.
* M. de Chamillard qui fuccéda à M. de Barbezieux.
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
Je prends même fouvent la liberté de
vous parler , ou de parler de vous tout
feul ; à la vérité , cela n'a pas l'air d'un
homme trop fage ; mais en lifant furtout
, je penfe : Voilà qui lui plairoit ,
voilà ce qu'elle croit , voilà ce qu'elle ne
croit pas, & ainfi du refte. Pardonnezmoi
, Madame , de vous placer ainfi
par toutes mes penfées ; mais je tâche
à ne vous y placer pas indignement ,
& je vous affure que je fuis bien éloigné
des fentimens que le Roi foupçonnoit
dans Madame de Longueville , il y a
aveu & àveu , comme fagots & fagots.
il ne faut pas ôter aux pénitens la douceur
d'avouer & d'exagérer leurs fautes ,
& à Dieu la gloire qu'il en tire ; je n'oferois
plus , fans frifer l'impiété , venir
à l'application .
LEE mot de la premiere Enigme du
mois de Juin eft les Lettres de l'Alphabet
, par l'énumération
defquelles dans
un on trouve deux lettres , dans deux ,
quatre , dans dix trois & dans vingt
cinq. Celui de la feconde eft la Perruque.
Celui du premier Logogryphe eft
Croc , où en ôtant la premiere lettre ,
on trouve roc , qui renverfé fait cor ,
JUILLET. 1763 . 77
& en retranchant le C de ce dernier , il
refte or . Celui du fecond eft Boeuf, où
l'on trouve feu , & en ôtant le B , il
reſte oeuf. Celui du troiſième eſt Peau,
où en fupprimant la première lettre
on a Eau , ce qui eft encore exprimé
par ces deux vers latins :
deux
Quem natura dedit tibi præbet corpus amiétum :
At capite ablato , lector habebis aquam.
Τουτ
ENIGM E.
OUT Etre , & tout poffible, en tous cas ,
lieu ,
en tout
Me doit , ou me devra ſon ſexe & ſa ſubſtance.
La Terre , les Enfers , le Ciel , même les Dieux,
Connoiffent mon Empire & ma vafte puiflance.
Admire , cher Lecteur , mes contraſtes divers ;
En voici quelques- uns : je fuis Hermaphrodite,
Un & plufieurs , une Actrice , un Hermite ,
Le Pape , le Muphti , le Néant , l'Univers &c.
Par M. Da... D. C... Abonné au Mercure,
JE
AUTR E.
E fupplée au défaut de l'ingrate Nature ,
Je porte & fuis porté , je pare & défigure ;
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis fans crime & l'on me pend .
Ma tête eft fans cervelle , & non fans agrément.
Souvent je n'ai point d'yeux , & fouvent j'en ai
quatre ;
Sans vigueur & fans bras , j'ai du talent pour
battre.
J'allume le courage , & j'infpire la peur.
Je fers fans injuftice , une injufte fureur.
Je fuis dur & poli , chéri de tous les âges.
Sans voir aucun pays , je fais de longs voyages,
Du fard affez fouvent , j'emprunte les appas..
Je fais appercevoir ce que je ne vois pas.
Grand batteur de pavé , toujours prêt à l'eſcrime,
Je fais également , & je punis le crime.
J'attaque , je défends , j'arrête & je pourfuis ,
Tu me vois tous les jours , devine qui je ſuis.
Par J. D. ou l'Inconnu de Dampierre.
LOGO GRYPH E.
Ce n'eft point un feul mot qu'à votre ſeigneurie
Je propoſe ici , cher Lecteur : -
C'en font trois , tous d'une égale grandeur.
L'un contient amplement du terrein en Afies
Le fecond , en un fens , eft une eſpiéglerie ,
Dans l'autre c'eſt un lieu qu'occupent certains
morts
Dont la mémoire eſt révérée ;
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
Gratieusem
ta
Mon tendre coeur vient d'éclore à la flame,
qne aux Cieux sij'aipu te
+
mer,jere gneaux Cieux
pu te charmer mer Ahje connois tout leprix de
a-me Par le plaisir que je sens à t'aime
W
Ah! Ahje connois tout leprix de mon
par
தீப
plai-- sir queje sens
W.
W
XO
a -n
à t'ai--m
+
Par le plaisir que je sens à t'aimer.
JUILLET . 1763 . 79
Le troifiéme , lorſque tu fors ,
De ton logis doit défendre l'entrée.
Par M. V.
DANS
A UTR E.
ANS mon tout , cher Lecteur , font renfermés
trois mots.
Dès qu'il aura fixé mon deſtin & le vôtre ,
Nous ne dirons plus l'un , nous ne ferons plus
l'autre ;
Le dernier nous viendroit alors mal- à- propos.
Par le même.
CHANSON.
MON tendre coeur vient d'éclorre à ta flâme ,
Je regne aux Cieux , fi je puis te charmer.
Ah ! je connois tout le prix de mon âme,
Par le plaifir que je fens à t'aimer.
Par M. Fa ...
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. MARMONTEL
à M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure.
TOUTES OUTES les fois , Monfieur , que je
parle de Lucain avec un peu de vivacité
, j'entens dire , c'eft fa folie : il adore
Corneille ; Corneille aimoit Lucain ; &
fa vénération pour l'un , fait qu'il s'eft
pris d'amour pour l'autre. Je m'examine
encore , & pour me confulter , je relis
quelque chant de la Pharfale. Qu'arrivet-
il ? J'y trouve les mêmes beautés , je
m'afflige qu'elles ne foient pas connues ,
& d'impatience , je prens la plume , pour
tâcher de les rendre comme je les fens.
C'eft ainfi Monfieur , que j'ai traduit
une bonne partie de ce Poëme. Vous
avez bien voulu inférer un chant de ma
Traduction , dansle Merc . d'Avril 1761 .
II vol . & il m'a femblé , qu'on étoit furpris
d'y trouver parmi tant de belles chofes
, fi peu de cette enflure & de cette déJUILLET.
1763 .
81
clamation , que l'on reproche à Lucain :"
il m'a femblé qu'on me favoit gré , d'avoir
rendu fimplement des beautés frappantes
par elles -mêmes ; & fi j'en croyois
ce qu'on a bien voulu me dire de cette
premiere tentative , je n'aurois pas befoin
pour achever , d'un nouvel encouragement.
Mais comme je ne me diffimule
, ni ce que mon Auteur a de
défectueux , ni l'impoffibilité ou je fuis
de l'égaler dans ce qu'il a de grand &
de fublime , je ne veux me hafarder
que pas à pas , & d'effai en effai. J'ai
eu l'honneur de vous propofer un fecond
chant , vous l'avez accepté avec
une politeffe à laquelle je fuis très - ſenfible
; le voici . Je vous ferai bien obligé ,
fi vous voulez mettre à la tête , ce précis
du premier chant , pour le rappeller aux
Lecteurs.
J'ai l'honneur d'être , & c.
PRECIS du premier Chant
de la PHARSALE .
Caufes de la guèrre civile : l'exceffive
grandeur de Rome , la jaloufie &
la rivalité de Pompée & de Céfar , la
corruption des moeurs & le mépris des
Loix . Cefarde retour des Gaules , contre
Jes défenfes du Sénat , paffe le Rubicon
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
à la tête de fon armée. Il marche à
Rome. Il s'empare d'Ariminum. Les
Tribuns chaffés de Rome par le Sénat ,
fe réfugient fous les drapeaux de Céfar;
Curion les accompagne. Il annonce à
Céfar, qu'on eft réfolu à lui refufer le
Triomphe , & que l'on arme contre
lui. Harangue de Céfar à fes troupes ,
pour les engager à la révolte. Les
troupes balancent à fe déclarer ; le Centurion
Lélius prend la parole , & les
détermine . César raffemble autour de
lui les cohortes qu'il a laiffées dans la
Gaule. A fon approche , la terreur fe
répand dans Rome . Pompée & le Sénat
prennent la fuite ; le Peuple épouvanté
les fuit. Des prodiges effrayans redoublent
encore l'allarme publique . Les
Devins d'Hétrurie font confultés . Arons
le plus vieux de ces Devins , ordonne
des facrifices , des expiations , & prédit
vaguement des malheurs fans nombre.
Figulus, homme verfé dans l'Aftrologie
, confirme les préfages du Devin ,
& annonce la guèrre Civile .
LIVRE SECOND .
Déja la colère des Dieux s'eft manifeftée
la nature a donné le fignal de la
difcorde ; elle a interrompu fon cours ;
JUILLET. 1763. 83
& par un preffentiment de l'avenir , elle
s'eft plongée elle- même dans ce tumulte
qui engendre les monftres. C'eſt le préfage
de nos forfaits. Pourquoi donc
ô Souverain des Dieux , avoir ajoûté
aux malheurs des hommes , cette prévoyance
accablante ? Soit que dans le
développement du Cahos , ta main féconde
ait lié les caufes par des noeuds
indiffolubles , que tu te fois impofé à
toi-même une première loi , & que
tout foit foumis à cet ordre immuable ;
foit qu'il n'y ait rien de prefcrit , &
qu'un hafard aveugle & vagabond
opére feul dans la nature , ce flux &
ce reflux d'événemens , qui changent
la face du monde ; fais que nos maux
arrivent foudain ; que l'avenir foit
inconnu à l'homme ; qu'il puiffe du
moins , eſpérer en tremblant.
9
Dès qu'on fut averti par ces prodiges
, des malheurs dont Rome étoit
menacée , le ministère de la Juſtice fut
fufpendu ; les Loix gardérent un lugubre
filence ; les dignités fe cachérent fous
le plus humble vêtement ; on ne vit
plus la pourpre entourée de faiſceaux ;
les citoyens étoufférent leurs plaintes ;
la douleur morne & fans voix , erra
dans cette Ville immenfe.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi dans le moment qu'un jeune
homme , l'efpoir d'une famille , expire ;
avant que les premiers accens de la défolation
ayent éclaté ; avant qu'une Mère
les cheveux épars , jette de lamentables
cris , dans les bras de ce fils que la chaleur
de la vie abandonne ; tandis qu'elle
baife cette face livide , & ces yeux plongés
dans le fommeil de la mort ; ce n'eft
pas encore de la douleur , c'eft de l'effroi :
attachée à ce corps expirant , interdite
& comme infenfible , elle contemple ,
dans un étonnement ftupide , toute
l'étendue de fon malheur.
Telle eft dans les premiers inftans ,
la confternation répandue dans Rome..
Les femmes ont dépouillé leur parure ;
leur foule éplorée affiége les Temples
ce n'eft plus par des voeux timides , c'eft
par des longs heurlemens qu'elles invoquent
le Ciel. Le Temple de Jupiter
n'eft pas le feul qu'elles rempliffent ; elles
fe partagent les Dieux.
C'eſt à préfent ( s'écria l'une d'entre
elles , en fe déchirant le vifage baigné
de pleurs ) c'eſt à préfent , ô miférables
Mères ! qu'il eft permis de fe frapper le
fein & de s'arracher les cheveux n'attendez
pas pour vous défoler , que nos
malheurs foient à leur comble ; pleurez
:
JUILLET. 1763. 85
tandis que la fortune eft encore incertaine
entre nos deux Tyrans. Dès que
l'un d'eux fera vainqueur , il faudra
marquer de la joie.
,
Les hommes eux-mêmes , en allant fe
ranger fous les Drapeaux des deux partis
, accufoient les Dieux de les forcer
au crime. Malheureux ( difoient- ils )
que n'avons- nous plûtôt vécu dans les
tems de Cannes & de Trébie ! Dieux ,
ce n'eſt point la Paix que nous vous
demandons ; foulevez contre nous les
Nations barbares ; que le monde conjuré
fe réuniffe ; que les peuples de
l'Orient & du Nord , les Médes , les
Scythes , les Germains fondent fur nous;
que Rome n'ait pas un feul bras qui ne
combatte : rendez - nous , grands Dieux,
tous nos ennemis à la fois , & fauveznous
de la guerre civile . Ou fi vous
avez réfolu d'anéantir le nom Romain ,
faites tomber en pluye de feu , les airs
embrafés par la foudré ; frappez en même
temps & les deux Chefs & les deux
Partis ; n'attendez pas qu'ils méritent
vos coups. Eft-ce pour décider lequel
des deux nous opprimera , qu'il en doit
coûter tant de crimes ? A peine hélas !
eût-il fallu s'y réfoudre pour nous affranchir
de tous les deux. C'eft ainfi
86 MERCURE DE FRANCE.
que leur piété fe répandoit en inutiles
plaintes. Les Vieillards accablés de douleur
fe plaignoient d'avoir trop vécu.
L'un d'eux pour donner un exemple
récent des maux que l'on avoit à craindre.
O mes Amis ( dit-il à fes compagnons
) l'orage qui nous menace , eft
le même qui s'éleva fur Rome , lorfque
Marius , Vainqueur des Teutons & des
Numides , fe réfugia dans des Marais ,
que
les rofeaux de Minturne couvrirent
fa tête triomphante , cette tête , dont
la fortune leur confioit le dépôt fatal.
Découvert & chargé de chaînes , il
gémit longtems enfeveli dans les horreurs
d'un noir cachot . Deſtiné à mou--
rir Conful , à mourir tranquille au milieu
des ruines de fa Patrie , il porto t
d'avance la peine de fes crimes ; mais la
mort fembloit l'éviter. En vain fes ennemis
tiennent fa vie en leur pouvoir ;
le premier qui veut le frapper , recule
faifi de frayeur. Sa main tremblante
laiffe tomber le glaive . Il a vu à travers
les ténébres de la Prifon , une lumière
refplendiffante: il a vu les Dieux vengeurs
le menacer ; il a vu Marius dans tout
l'éclat de fa grandeur future ; il l'a entendu
, & il a tremblé . Retire - toi , lâche
ennemi : ce n'eft pas à toi de frapper
JUILLET. 1763. 87.
cette tête le cruel doit au deftin , des
morts fans nombre avant la fienne. Cimbres,
confervez avec foin les jours de ce
Vieillard, fi vous voulez être vengés . Ce
n'eft point la faveur des Dieux , c'eft
leur colère qui veille fur lui. Marius
fuffit au deffein qu'ils ont formé de per-,
dre Rome. En vain l'océan furieux le
jette fur une plage ennemie ; errant
fut les bords inhabités de ces Numides
qu'il a vaincus , des cabanes défertes lui
fervent d'afyle. Carthage & Marius , fe
confolent mutuellement à la vue de
leur ruine , & couchés fur le même
fable , tous les deux pardonnent aux
Dieux. Mais au premier retour de la
fortune , il rallume la haine des Afriquains
; il affemble des armées d'efcla
ves , & brife les fers dont ils font chargés
aucun n'eft admis fous fes Drapeaux
qui n'ait fait l'apprentiffage du
crime , & qui n'apporte dans fon Camp
l'exemple de quelques forfaits.
O Deftin ! quel jour , quel horrible
jour , que celui où Marius entra victorieux
dans Rome ! avec quelle rapidité
la mort étendit fon ravage ! la nobleffe
tombe confondue axec le peuple ; le
glaive deftructeur vole au hazard , &
frappe fans choix : le fang ruiffelle dans
88 MERCURE DE FRANCE.
les Temples , les pavés des voies pu
bliques en font inondés & gliffans. Nulle
pitié , nul égard pour l'âge : on n'a
pas honte de hater la mort des vieillards
courbés fous le poids des ans , ni de
trancher la vie des enfans qui viennent
d'ouvrir les yeux à la lumière . Hélas !
& par quel crime ont - ils mérité de
mourir ? ils font mortels ; c'en eft affez :
l'impétueufe fureur les rencontre & les
moiffonne fur fon paffage . Sans perdre
le tems à chercher les criminels , on
égorge en foule tout ce qui fe préfente.
La main du meurtrier , plutôt que de
refter oifive , fait tomber des têtes ,
dont les traits mêmes lui font inconnus,
Il n'eft qu'un espoir de falut : c'eſt d'attacher
fes lévres tremblantes , à cette
main prête à frapper. Ah ! Peuple indigne
de tes Ancêtres , devrois - tu , même
à l'aspect de ces mille glaives qui s'avancent
fous les étendarts de la mort ,
devrois -tu confentir à racheter des fiécles
de vie à ce prix ? & tu fubis cette
indigne loi , pour traîner dans l'opprobre
le peu de jours que Marius te laiffe
, & que Svlla vient t'arracher !
Dans le maffacre d'un Peuple innombrable
, comment donner des larmes à
chaques Citoyens ? reçois mes regrets
JUILLET. 1763 . 89
Bébius ! ô toi,dont une foule d'affaffins
déchirent les entrailles , & fe difputent
les membres fumans : & toi , l'augure
éloquent de nos malheurs , Antoine
dont la tête ruiffelante encore , & couverte
de cheveux blancs , eft apportée
dans un feftin , fur la table de Marius.
Les deux Craffus font égorgés ; Licinius
périt dans la tribune ; le Vieillard Scévola
, que le facerdoce auroit dû rendre
inviolable , tombe au pied des Autels
de Vefta : fon fang rejaillit fur le
feu facré ; mais, fes veines épuifées par
l'âge n'en rendent pas affez pour l'éteirdre.
A tant d'horreurs , fuccéda le feptiéme
confulat de Marius, & par là finit
cet homme , accablé de toutes les rigueurs
de la mauvaiſe fortune , comblé
de toutes les faveurs de la bonne , &
qui avoit mefuré dans l'une & dans
l'autre , jufqu'où peut aller le fort d'un
Mortel.
Sylla qui voulut nous vanger , mit
le comble à nos pertes immenfes : il
épuifa le peu de fang qui reftoit à la
patrie en coupant des membres corrompus
, il fuivit trop loin les progrès
du mal il ne périt que des coupables
, mais dans un tems où il n'y avoit
plus que des coupables à fauver.
90 MERCURE DE FRANCE
Sous lui les haines font déchaînées ; la
colère fe livre à fes emportemens , dégagée
du frein des loix . On ne facrifioit pas
tout à Sylla : chacun s'immoloit fes
victimes. Un mot du vainqueur , avoit
ouvert la barrière à tous les forfaits ; on
vit l'efclave affaffiner le Maître , le frère
vendre le fang du frère , les fils degoutans
du meurtre de leur Père , fe difputer
fa tête qu'ils venoient de trancher.
Les tombeaux font remplis de fugitifs ;
les vivans y font confondus avec les
morts les repaires des bêtes féroces
ne peuvent contenir la foule des tranffuges
; les uns , pour dérober leur mort
au vainqueur , ont recours au lien fatal ;
les autres fe précipitent du haut d'un
rocher ; celui-ci éléve fon bucher luimême
, il fe donne le coup mortel , &
fe jette dans les flames , avant que la
force l'ait abandonné. Rome confternée
& tremblante , reconnoît les têtes
de fes plus illuftres Citoyens , portées
au bout des lances , & entaffées dans
la Place publique : là fe révélent tous
les crimes cachés .
Les Pères vont dérober d'une main
tremblante , les corps livides & fanglans
de leurs fils , que leurs yeux feuls reconnoiffent
encore . Moi-même il me
JUILLET. 1763. 91
fouvient , qu'impatient de rendre aux
mânes de mon frère , les devoirs de la
fépulture dont le Tyran nous faifoit un
crime , il me fouvient , qu'avant de porter
fa tête fur le bucher , je parcourus
ce champ de carnage , digne monument
de la paix de Sylla , pour tâcher de découvrir
parmi tant de corps mutilés
celui auquel s'adapteroit cette tête défigurée.
O Dieux par quelles cruautés
la mort de Catulus fut vengée fur le
frère de Marius ; & quels maux fouffrit
avant d'expirer , cette malheureufe victime
? Mânes qu'on voulut appaifer ,
vous en futes effrayés vous-mêmes. Nous
l'avons vu , ce corps déchiré , dont chaque
membre étoit une playe : percé de
coups, dépouillé par lambeaux, il n'avoit
pas encore reçu le coup mortel , & par
un excès inoui de cruauté , l'on prenoit
foin de ménager fa vie. Ses mains tombant
fous le tranchantdu glaive,fa langue
arrâchée , palpite encore , il ne refpire ,
il n'entend plus que par des organes inutiles
.Un ongle meurtrier extirpe fes yeux
qui ont vu difperfer tous fes membres.
On ne croira jamais , qu'une feule tête
ait pu fuffire à tant de tourmens. Les
débris de ce cadavre ne forment plus
qu'un horrible monceau de chair &
92 MERCURE DE FRANCE.
d'offemens écrafés fous leur chûte : les
corps des malheureux qui ont péri dans
un naufrage , & que la vague a brifés
contre les écueils , arrivent moins défigurés
fur le fable. Et quel foin prenezvous
, cruels , de rendre Marius méconnoiffable
aux yeux de Sylla ? pour fe
repaître de Yon fupplice , il eût fallu ,
qu'il reconnût fes traits . Prénefte voit
tous fes habitans moiffonnés par le glaive
, tout un peuple tombe comme d'un
feul coup . Alors , la fleur de l'Italie , la
feule jeuneffe qui lui reftoit , fut maffacrée
dans le champ de Mars , au fein
de cette malheureufe Rome , qu'elle
inonda de fon fang. Que tant de victimes
périffent à la fois par la famine ,
par un naufrage , fous les ruines d'une
Ville fubitement écrafée , dans les horreurs
de la pefte ou de la guèrre , il y
en eut des exemples ; mais d'une exécution
auffi fanglante , il n'en fut jamais. A
peine àtravers les flotsde ce peuple qu'on
égorge , les mains parricides peuvent fe
mouvoir; à peine ceux qui reçoivent le
coup mortel peuvent tomber leurs
corps preffés fe foutiennent l'un l'autre ,
& dans leur chûte , ils deviennent euxmêmes
les inftrumens du carnage : les
morts étouffent les vivans.
JUILLET. 1763 . 93
Sylla du haut du Capitole , tranquille
fpectateur de cette fanglante fcène
n'a pas même le remors d'avoir profcrit
tant de milliers de Citoyens. Cependant
le lit du Tybre ne peut contenir
les cadavres qu'on y entaffe . Les
premiers tombent dans le fleuve , les
derniers s'élevent au- deffus des eaux :
les barques rapides s'y arrêtent ; le fleuve
coupé par cette digue fanglante ,
d'un côté s'écoule dans la mer , de l'autre
il s'enfle & refte fufpendu. Les flots
de fang que l'on verfe de toutes parts ,
fe font un paffage à travers la campagne
, & viennent en Iongs ruiffeaux
groffir les ondes amoncelées. Déja
le fleuve furmonte fes bords & y
rejette les cadavres . Enfin fe précipitant
avec violence dans la mer de Tirrhêne
, il fend les eaux par un torrent
de fang .
C'est ainsi que Sylla a merité d'être
appellé le falut de la patrie , l'heureux
Sylla ; c'eft ainfi qu'il s'eft fait élever
un tombeau dans Rome. Voilà , mes
amis , ce qui nous refte à éprouver une
feconde fois : tel fera le cours de cette
guerre & tel en fera le fuccès. Que disje
? & plût aux Dieux n'avoir que de
tels maux à craindre. Hélas ! il y va de
94 MERCURE DE FRANCE .
bien plus & pour Rome & pour l'Univers,
Marius & les fiens éxilés de leur
patrie ne demandoient que leur retour.
Svlla ne vouloit qu'anéantir les factions.
Céfar & Pompée ont d'autres deffeins.
Non contens d'un pouvoir partagé , ils
combattent pour le rang fuprême ; aucun
d'eux ne daigneroit fufciter la guerre
civile , pour être ce qu'a été Sylla.
Ainfi la vieilleffe confternée pleuroit
fur le paffé & trembloit pour l'avenir .
Mais cette frayeur n'eut point d'accès
dans la grande âme de Brutus , Bru
tus au milieu de la défolation publique
ne mêla point fes larmes aux larmes du
Peuple. Dans le filence de la nuit , il va
frapper au feuil de l'humble demeure
de Caton ; il le trouve veillant & l'âme
agitée des dangers de Rome & du fort
du monde . Brutus l'aborde & lui dit :
» vous l'unique refuge de la vertu
» dès longtemps banic de la terre , vous
» fon ami , vous que le tourbillon de la
» fortune ne peut détacher de fon parti ,
" fage Caton , foyez mon guide , affer-
» miffez mon efprit chancelant ; donnez
» votre force à mon âme. Que d'autres
» fervent Pompée ou Céfar ; Caton eft
» le Chef que Brutus veut fuivre . Ref-
» terez-vous au ſein de la paix , feul im-
1
JUILLET. 1763. 95
29
» mobile au milieu des fecouffes qui
» ébranlent le monde ? ou voulez- vous
» abfoudre la guerre en vous affociant
» aux forfaits & aux malheurs qu'elle
» produira Chacun dans cette guerre
» fatale ne prend les armes que pourfoi ;
» l'un pour éviter la peine due à fes
» crimes , & fe fouftraire aux loix re-
» doutables pendant la paix ; l'autre
» pour écarter le fer à la main , l'indi-
» gence qui le preffe , & s'enrichir
» des dépouilles du monde lorfque tout
» fera confondu . Vous feul aimerez -vous
la guerre pour elle - même ? & que
» vous fervira d'avoir été fi longtemps
» incorruptible au milieu d'un monde
» corrompu ? Est - ce là le prix de tant
» de conftance ? Dans l'un & l'autre
» camp tout ce Peuple arrivera coupa-
" ble ; Caton lui feul va le devenir.
» Dieux,ne permettez pas que des armes
» parricides fouillent ces mains pures ,
» & qu'une fi haute vertu jafques-là fe
» dégrade & fe déshonore . Sur vous ,
» ſeul ami , n'en doutez pas , retom-
» beroient la honte & le crime de cette
» guerre & qui ne fe vanteroit de
» mourir de la main de Caton , quoi-
» que frappé d'une autre main ? qui ne
» fe croiroit pas vengé en vous laiſſant
"
96 MERCURE DE FRANCE.
»le reproche de fa mort ? Non , le calme
" eft votre partage comme il eft le par-
» tage des Aftres : inébranlables dans
» leurs cours ils rempliffent leur vafte
» carrière , tandis que les régions de
» l'air font embrafés par la foudre. La
» terre eft en bute au choc des tempê-
» tes , l'Olympe repofe au-deffus des
» nuages. Te!
"
» régne au plus bas
degré ; mais la paix occupe la cime.
» Quelle joie pour Céfar d'apprendre
» qu'un Citoyen tel que vous auroit
» pris les armes ? rangez-vous du parti
» de fon rival ; peu lui importe. Caton
» fe déclare affez pour lui s'il fe déclare
»pour la guerre civile. Déja une partie
» du Sénat , les Patriciens , les Confuls
» eux-mêmes demandent à fervir fous
Pompée. Qu'on voye Caton fubir le
» même joug , il n'y a plus au monde
que Céfar qui foit libre. Ah ! fi c'eft
" pour les loix, pour la patrie que vous
» voulez combattre , difpofez de moi ;
» mais il n'eft pas temps. Vous voyez
» dans Brutus , non l'ennemi de Céfar,
» non l'ennemi de Pompée ; mais après
» la guerre , l'ennemi déclaré de celui
» des deux qui fera vainqueur. Il dit ,
» & du fein de Caton comme du fond
chofes : le tro.. ordre
immuable des
"
"
"
» d'un
JUILLET. 1763. 97
d'un Sanctuaire fe firent entendre ces
paroles facrées.
"
» Oui , Brutus , la guerre civile eſt
» le plus grand des maux ; mais ma ver-
» tu fuit d'un pas afſuré la fatalité qui
» m'entraîne . Si les Dieux me rendent
» coupable ce fera le crime des Dieux.
» Et qui peut voir , exempt de péril , la
» ruine de fa patrie ? Quoi des Nations
» inconnues s'engagent dans nos querel-
» les ; des Rois , nés fous d'autres étoi-
» les , féparés de nous par de vaftes mers
» fuivent l'aigle romaine aux combats ;
& moi Romain , je refterois feul
plongé dans un honteux repos ! Loin
» de moi,grands Dieux, cette cruelle in-
» différence : ne fouffrez pas que Ro-
» me , dont la chute ébranlera le Dace
» & le Gête , que Rome tombe fans
» m'écrafer. Un père , à qui la mort
» vient d'enlever fes enfans , les accom-
» pagne jufqu'à la fépulture. Sa dou-
» leur même fe plaît à fe nourrir du
long appareil de leur pompe funébre ;
» fes mains portent les noirs flambeaux
» qui vont embrafer leur bucher , &
» l'on voit fes bras paternels s'étendre
» encore à travers les flammes. Non
» Rome je ne me détacherai de toi
» qu'après t'avoir embraffée mourante ,
I. Vol.
"
,
E
98 MERCURE
DE FRANCE .
» & avoir reçu ton dernier foupir : li-
» berté , je fuivrai ton nom , quand
» tu ne feras plus qu'un ombre. Sou-
» mettons- nous : les Dieux inexorables
» demandent Rome entière en facrifice ;
» qu'ils foient contens : ne leur dérobons
" pas une feule de leurs victimes. Ah !
» que ne puis-je offrir au Ciel & aux
» Enfers cette tête chargée de tous les
» crimes de ma patrie , & condamnée à
» les expier ! Décius fe dévoua & périt
» au milieu d'une armée ennemie ; que
» ces deux armées de Romains me per-
» cent de même ; qu'elles épuifent fur
» moi leurs traits. J'irai le fein décou-
» vert , au devant de toutes les lances
» & au milieu du champ de bataille
» je recevrai feul tous les coups de la
» guerre ; heureux fi mon fang eft la
» rançon du monde & fi mon trépas appaife
les Dieux ! Eh pourquoi feroit-on
périr des Peuples dociles au joug &
» difpofés à fléchir fous un Maître ?
» C'est moi qu'il faut perdre , moi qui
» m'obftine feul à défendre inutilement
" nos Loix & notre liberté. Mon fang
» verfé rendra la paix & le repos à l'Ita-
» lie. Après moi, qui voudra régner n'au-
" ra pas befoin de recourir aux armes .
» Mais je fais là d'inutiles voeux al-
»
»
·
JUILLET. 1763. 99
» lons , Brutus , rangeons - nous du-
» moins du parti que Rome autorife .
» Si la fortune feconde Pompée , il n'eft
» pas sûr qu'il en abuſe pour ufurper
» l'Empire du monde. Combattons fous
» lui , de peur qu'il n'ofe croire que c'eft
» pour lui que l'on va combattre . Caton,
» foldat dans fon armée lui apprendra
» s'il eft vainqueur , que c'est pour
» Rome qu'il aura vaincu .
33
Telle fut la réponſe de Caton , &
l'âme du jeune Brutus embrâfée d'un
feu nouveau , ne refpira plus que la
guerre civile,
Alors , comme le foleil chaffoit les ténébres
, on entendit frapper à la porte :
c'étoit la pieufe Marcie qui venoit de
rendre à Hortentius fon époux les devoirs
de la fépulture . Dans la fleur de
l'âge & de la beauté un lien plus cher
l'avoit unie au vertueux Caton ; &
Caton après avoir eu d'elle trois gages
d'un faint hyménée , l'avoit cédée à fon
ami , afin qu'elle ornât une maiſon nouvelle
des fruits de fa fécondité , & que
fon fang maternel fût le lien des deux
familles. Mais à peine a-t-elle recueilli
les cendres d'Hortentius , qu'elle revient,
la pâleur fur le vifage , les cheveux épars
& fouillés de fang , le fein meurtri
E ij
336320
100 MERCURE DE FRANCE.
la tête couverte de la pouffière du tombeau
. Elle eût vainement employé d'autres
charmes pour plaire aux yeux du
févère Caton ; elle fe préfente & dans
fa douleur elle lui parle en ces mots .
"
» Tant que mon âge & mes forces
» m'ont fait un devoit d'être mè
» re , ô Caton , j'ai fait ce que vous avez
» voulu ; j'ai fubi la Loi d'un fecond
» hyménée. A préfent que mes en-
» trailles font épuifées , que la nature &
la patrie n'ont plus rien à exiger de
» moi , je reviens à vous dans l'eſpoir
» de n'être plus livrée à perfonne. Ren-
» dez-moi les chaftes noeuds de mon
» premier hymen ; rendez- moi le nom ,
» le feul nom de votre époufe : qu'on
puiffe écrire fur mon tombeau Marcie
femme de Caton , & que l'avenir n'ait
» pas lieu de douter fi vous m'aviez cé-
» dée ou bannie. Ce n'eft point à vos
» profpérités que je viens m'affocier ;
» c'eft de vos peines , de vos travaux
» que je veux être la compagne . Laiffez-
» moi vous fuivre dans les camps , par-
» tager , adoucir vos fatigues. Eh pour-
» quoi refterois -je en fûreté au fein de
la paix ? Pourquoi Cornélie verroit-
» elle de plus près que moi les dangers
» de la guerre civile ?
>>
JUILLET. 1763. ΙΟΙ
Ces paroles fléchirent Caton ; &
quoique le moment de courir aux
armes fût peu favorable aux voeux de
fon époufe, il confentit à renouveller
avec elle la fainteté de leurs premiers:
fermens , mais feulement à la face du
Ciel , & fans l'appareil d'une pompe
vaine.
Le veftibule de fa maifon n'eft point
couronné de guirlandes , ni éclairé des
flambeaux de l'Hymen : le lit nuptial
n'eft point élevé fur des marches d'y
voire ; une trame d'or ne brille pas dans
les tapis dont il eft couvert : on ne voit
point Marcie dans la parure d'une nouvelle
époufe , relever par le feu des
diamans les riches couleurs d'une robe
éclatante , & foutenue par fes compagnes
, franchir , fans y toucher , le
feuil de la porte confacré à Vefta : la
tête n'eft point ornée de ce tiffu de
pourpre qui tombe fur les yeux timides
d'une jeune vierge dévouée à l'hymen
& qui fert de voile à la tendre pudeur.
Mais telle qu'elle eft , & fans dépofer
le deuil lugubre qui la couvre , elle embraffe
fon époux , comme elle embrafferoit
les enfans . Les jeux profanes , la
folle ivreffe ne font point appellés à ce
grave hyménée : Marcie & Caton
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
.
fe réuniffent dans le filence & fous l'aufpice
de Brutus.
Caton , dès le premier fignal de la
guerre avoit laiffé croître fa barbe touffue,
& fes cheveux blancs ombrageoient
fon front. Ce front févère n'admit point
la joie Caton ne daigna pas même écarter
fes longs cheveux de fon vifage auftère
& vénérable. Egalement infenfible
à l'amour & à la haine , tout occupé à
gémir fur les malheurs de l'humanité, il
s'interdit le lit nuptial & la févérité de fa
vertu réfifta même aux plaifirs légitimes.
Telles furent les moeurs de Caton,telle
fut fa Secte rigide : fuivre les loix de la
nature ; vivre & mourir pour fon
pays ;
fe croire fait , non pour foi-même , mais
pour le bien du monde entier ; n'avoir ,
au lieu de feftins, que l'aliment néceffaire
à la vie , au lieu de palais , qu'un abri
contre les hyvers , au lieu de riches vêtemens
que l'étoffe groffiere dont fe couvroit
le Peuple borner l'ufage de l'amour
aufoin de perpétuer fon efpéce ; être à la
fois le père & l'époux de fa patrie ; fe faire
un culte de la juftice , de l'honnêteté
une infléxible loi , du bien général un intérêt
unique ; tel fut , dis- je , cet homme
auftère ; & dans tout le cours de fa vie
jamais la volupté , cette idole d'elleJUILLET.
1763.
103
même , ne furprit un feul mouvement
de fon âme , n'eur part dans aucune de
fes actions.
Le refté au Mercure prochain.
DICTIONNAIRE portatif hiftorique
& Littéraire des Théâtres ; contenant
l'origine des différens Théâtres de Paris
; leur état actuel ; le nom de toutes
les Piéces qui y ont été repréſentées
depuis leur établiſſement , & celui des
Piéces jouées en Province , ou qui ont
fimplement paru par la voie de l'impreffion
depuis plus de trois fiécles ;
avec des anecdotes & des remarques
fur la plupart : le nom & les particularités
intéreffantes de la vie des Auteurs
, Muficiens & Acteurs ; avec le
catalogue de leurs ouvrages & l'expofé
de leurs talens ; une chronologie des
Auteurs & des Muficiens ; avec une
Table chronologique de tous les Opéra
& des Piéces qui ont paru depuis
trente - trois ans ; par M. de Léris .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Seconde édition revue, corrigée & confidérablement
augmentée . A Paris, chez
C. A. Jombert , rue Dauphine , &
chez Bauche , quai & auprès des Auguftins
; 1763. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Un vol. in-8 ° .Prix,
5 liv. 10 f. broché.
NOUouSs nous contenterons aujourd'hui
de donner le titre de cet Ouvrage utile ,
curieux & agréable. Nous le ferons
mieux connoître dans le volume du 15
de ce mois , où nous marquerons d'une
manière détaillée le plan , l'ordre , &
l'objet de cette nouvelle édition , avec
les augmentations & les corrections qui
la rendent fupérieure à tous les ouvrages
que nous avons en ce genre. Nous dirons
feulement aujourd'hui , que le titre
ne promet rien qui ne foit parfaitement
exécuté dans le corps du Livre .
ANNONCES DE LIVRES.
BIBLIOGRAPHIE inftructive ; ou
Traité de la connoiffance des Livres rares
& finguliers , contenant un Catalogue
raiſonné de la plus grande partie de
JUILLET. 1763. 109
ces Livres précieux qui ont paru fucceffivement
dans la République des Lettres
depuis l'invention de l'Imprimerie ,
jufques à nos jours ; avec des notes fur
la différence & la rareté de leurs éditions
& des remarques fur l'origine de
cette rareté actuelle , & fon degré plus
ou moins confidérable : la manière de
diftinguer les Editions originales , d'avec
les contrefaites , avec une defcription
typographique particulière du compofé
de ces rares volumes , au moyen
de laquelle il fera aifé de reconnoître
facilement les exemplaires , ou mutilés
en partie , ou abfolument imparfaits ,
qui fe rencontrent journellement dans
le Commerce , & de les diftinguer für
rement de ceux qui feront exactement
complets dans toutes leurs parties. Dif
pofé par ordre de matières & de facul
tés , fuivant le fyftême bibliographique
généralement adopté ; avec une Table
générale des Auteurs , & un fyftême
complet de Bibliographie choifie. Par
Guillaume- François Debure le jeune ,
Libraire de Paris. Volume de Théologie.
In-8°. Paris , 1763. Chez l'Auteur ,
quai des Auguftins. Prix , cinq liv. en
feuilles , & 6 liv . relié.
I
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
1
2
FRINCIPES généraux & raifonnés
de la Grammaire Françoife , avec des
obfervations fur l'Ortographe , les accens
, la ponctuation , & la prononciation
; & un Abrégé des régles de la Verfification
Françoife , dédiés à Mgr le
Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
Par M. Reftaut , Avocat au Parlement ,
& aux Confeils du Roi. Neuviéme Edition
,
revue & corrigée par l'Auteur.
In-8°. Paris , 1763. Chez Defaint &
Saillant, Libraires , rue S. Jean de Beauvais
, & Butard , rue S. Jacques , à la
Vérité.
N. B. En annonçant de nouveau cet
Ouvrage auffi utile que connu , nous
nous contenterons d'obferver qu'il y a
eu plufieurs Editions contrefaites , mal
exécutées & pleines de fautes ; & que
pour diftinguer celle de Paris d'avec les
autres , on y a mis un paraphe derrière
le feuillet du frontifpice . Cette Edition
fe trouve non feulement chez les Libraires
de Paris , mais encoré chez J. Félix
Faucon , Imprimeur du Clergé à
Poitiers.
ABREGE de la Grammaire Françoi
fe. Par M. de Wailly. Nouvelle Edition
in- 12 . Prix , 1 liv. 4 f. On trouve chez
JUILLET. 1763. 107
les mêmes Libraires la Grammaire Françoiſe
, in- 12 du même Auteur , dont le
Prix eft de 2 liv. 10 f. Paris , 1763.
Chez J. Barbou , Libraire- Imprimeur ,
rue S. Jacques , aux Cigognes. Cet Ouvrage
, ainfi que le précédent , eft eftimé
des Grammairiens connus.
par
L'ESPRIT de la Mothe le Vayer , par
M. de M. C. D. S. P. D. L. in - 8°.
1763. On en trouve des Exemplaires
chez Pankouke , rue & à côté de la
Comédie Françoife.
HISTOIRE des Drufes , Peuples du
Liban , formé par une Colonie de François
, avec des Notes Politiques & Géographiques
. Par M. Puget de S. Pierre,
avec figures. In- 12. Paris , 1763. Chez
Cailleau , Libraire , rue S. Jacques, près
les Mathurins , à S. André.
Nous nous propofons de rendre com
pte de cet Ouvrage .
ÉSSAI de Poëfies diverfes
M. V ***
, par
Carmina quæ vultis , cognofcite : carmina vobis
Huic aliud mercedis erit. ·
Virgil. Egl . VI.
1
In-8°. Genêve , 1763. Et fe vend à Pa-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
ris , chez Charpentier , Libraire , quai
des Auguftins , à l'entrée de la rue du
Hurpoix , à S. Chryfoftôme.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles-Lettres
de Nancy , Par M. l'Abbé Coyer ,
à fa réception , le Dimanche 8 Mai
1763. A Ñancy , chez Barbin , Imprimeur-
Libraire . Et fe trouve à Paris ,
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
, au Temple du Goût.
Ce difcours ne fait qu'ajouter à la réputation
juftement acquife de fonAuteur.
> LA NOUVELLE SUIVANTE Comédie
en deux Actes & en Vers. Par
M. Beliard. La Haye , 1763. Et fe
trouve à Paris , chez Mérigot , Père ,
quai des Auguftins , près la rue Gît - lecoeur.
La Manie dES ARTS , ou la Matinée
à la mode , Comédie en un Acte
& en Profe ; par M. Rochon de Chabannes.
Paris , 1763. Chez Sébastien
Jorry , rue & vis - à - vis la Comédie
Françoife , au Grand Monarque & aux
Cigognes.
Nous donnerons dans l'Aricle des
JUILLET. 1763. 109
Spectacles , l'Extrait de cette Piéce , digne
du fuccès qu'elle a eu au Théâtre
François.
› THÉATRE de M. Favart ou Recueil
des Comédies , Parodies , & Opéra-
comiques qu'il a données jufqu'à ce
jour , 8 volumes in- 8°. Paris 1763 .
Chez Duchefne , Libraire rue S. Jacques
, au Temple du Goût.
>
L'abondance des matières nous force
à regret de remettre à parler plus au
long de cette Edition foigneufement
exécutée , ornée des portraits de M. & de
Mde Favart, avec des frontifpices & des
vignettes très-bien gravés.
,
N. B. Nous avons annoncé dans le
Mercure de Mai , un Ouvrage intitulé
le Jardinier d'Artois ou Elémens de
la culture des Jardins potagers & fruitiers.
Nombre de perfonnes fe font
adreffées au fieur le Clerc , Libraire
quai des Auguftins , pour s'en procurer
des Exemplaires , qui ne lui étoient
point encore parvenus. Il nous prie
d'informer le Public qu'il vient d'en recevoir
une caiffe qu'il débitera au prix
ci-devant indiqué.
M. DOUCHET , Avocat en Parlement
110 MERCURE DE FRANCE
,
& ancien Profeffeur Royal en Langue
Latine , a propofé par foufcription des
Conférences fur la Langue & fur la
Littérature Françoife . Ces Conférences
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi
de chaque femaine , depuis trois
heures & demie de l'après- midijufqu'à
cinq heures du foir , rue de Condé,dans
le paffage du riche Laboureur. chez
M. l'Abbé de la Pouyade fon Collégue.
Le cours entier fera de fix mois.
Il a dû ouvrir le 31 Mai , & continuera
jufqu'au premier Septembre. La feconde
partie du cours commencera le premier
Décembre , & s'étendra jufqu'au
premier Mars de l'année prochaine. La
foufcription fera de 36 liv. pour chaque
demi-cours , à raifon de 12 liv . par
mois. Ceux qui ne voudront pas foufcrire
, payeront 18 liv. au commencement
de chaque mois.
,
ZELIS au bain Poëme en quatre
Chants. Geneve , 1763. Et fe trouve à
Paris , chez Jorry , rue & vis- à -vis la
Comédie Françoife .
Nous rendrons compte avec plaifir
de cet agréable Ouvrage.
JUILLET. 1763 .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADÉMIE S.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras , tenue le 26 Mars 1763 .
MRR l'Abbé de Lys , Directeur en
Exercice , ouvrit cette Séance par une
Differtation hiftorique fur l'époque de
la converfion des Atrébates , ou anciens
Habitans d'Arras au Chriftianifme.
Il traita d'abord de leur Religion
primitive , qui devoit être celle des autres
Gaulois , laquelle n'admettoit originairement
qu'un feul Dieu , qu'il falfoit
adorer par un refpectueux filence
plus que par la prière & les facrifices ;
mais les Gaulois , obligés de fe foumettre
aux loix des Romains , en adopterent
auffi peu-à-peules Divinités. M. l'A. D.L.
conjecture que ces innovations furent
plus tardives chez les Atrébates qu'en
plufieurs autres Contrées de la Gaule.
Quoi qu'il en foit , on ne fçauroit dou112
MERCURE DE FRANCE.
ter qu'ils n'aient tôt ou tard invoqué ,
non feulement Mercure , dont le culte
exiſtoit déja parmi eux du temps de
Céfar , mais encore Diane , Pollux &c ;
ce qui eft prouvé par les noms latins
de quelques villages voifins d'Arras ,
tels qu'on les voit dans les ancienstitres.
Beaucoup d'Hiftoriens croient que
l'Evangile n'avoit pas été annoncé aux
Atrébates avant la miffion de de S. Vaaft,
que S.Remi Archevêque de Rheims
confacra Evêque d'Arras & de Cambrai
; mais ils ne s'accordent point fur
le temps de cette miffion , que les uns
placent en 530 , & les autres vers l'an
500. M. l'A . D. L. préfére le fentiment
des derniers ; & il établit d'ailleurs que
la Religion chrétienne avoit été prêchée
avant S. Vaaft , dans le Pays des
Atrébates . De vieux Manufcrits portent
que cet Apôtre y trouva à fon arrivée
les débris d'une Eglife détruite par les
Vandales , & que S. Diogène , Grec de
nation , étoit Évêque d'Arras durant la
perfécution de ces Barbares , qui pénétrerent
dans les Gaules en 407 ou 4c8.
M. l'A . D. L. va plus loin , & remonte
jufqu'en 367 , temps où il tomba miraculeufement
fur le territoire d'Arras
JUILLET. 1763. 113
affligé de la plus grande féchereffe , une
laine mêlée de pluie , qui rendit aux
campagnes leur première fertilité , &
dont une portion fe conferve encore
aujourd'hui , fous le nom de Manne
parmi les Reliques de la Cathédrale .
Ce prodige , attefté par S. Jérôme &
par Paul Orofe , Auteurs Contemporains
, perfuade à M. l'A. D. L. que
le Chriftianifme étoit dès-lors connu au
Peuple d'Arras. » On oppofera peut- être,
» dit il , que le miracle de la Manne
» n'eft point incompatible avec l'état
» d'un Peuple idolâtre . Il eft vrai que
» Dieu peut faire des miracles en faveur
» des Infidèles ; mais ce n'eft que pour
>> les faire entrer dans le fein de l'Églife
» & pour approuver & confirmer la mif-
» fion de ceux qui travaillent à les con-
» vertir. On doit donc au moins con-
» clure que quelque Ouvrier Évangé-
» lique s'employoit à la converfion des
» Atrébates .
M. de Ruzé , Avocat - Général du
Confeil d'Artois , Chancelier de la Société
, lut un Difcours , dans lequel il
expofa combien l'Agriculture contribue
à la pureté des moeurs . Il y dépeignit
en ces termes la vie ordinaire du Laboureur.
» Quelle est encore la partie la plus
114 MERCURE DE FRANCE .
» faine de la Société ? C'eſt celle qui eſt
» déftinée aux travaux des champs. Elle
» feule fournit un refuge à l'innocence
» exilée des Villes. Le foleil paroît ne
» fe lever que pour elle . Le caprice &
» le hazard ne réglent point dans les
» campagnes les heures du repos nécef-
" faire à l'homme. On y refpecte le fi-
» lence de la Nature ; & l'on s'envelop-
" pe avec elle des ténébres de la nuit.
"
Lorfque l'Aftre du jour vient en diffi-
» per les ombres , on fe hâte de chaf-
» fer le fommeil , qui ne s'opiniâtre pas
» à retenir le cultivateur dans les bras de
» la moleffe . Il ouvre les yeux dans cet
» heureux moment où le foleil craint
» de les offenfer par une lumière trop
» vive. La fimplicité fait l'ornement de
» fon habitation ; la frugalité celui de
» fes repas. Il ne permet point à l'art
» d'altérer chez lui les productions de
» la nature , & c .
"
ود
""
Augmenter le nombre des Cultivateurs
, ajoute M. de Ruzé , c'eft refferrer
la fphere de la corruption . » Si l'Agriculture
étoit en honneur , les gens
» de la campagne ne quitteroient plus le
lieu de leur naiffance pour habiter
» les Villes , qui ne feroient déformais
» que l'afyle des Arts ou des Manufactures
JUILLET. 1763. 115
»
» néceffaires, que la demeure de ces Ci-
» toyens chargés de faire obferver la
police , de maintenir les loix , de ré-
» gler les intérêts des Particuliers , de
» veiller au bien général de la Société ,
» & de réprimer les abus qui pourroient
» s'y introduire. Les Artifans , réduits
» à un petit nombre , ne s'étudie : oient
" plus à multiplier les befoins de l'hom-
» me , pour multiplier les moyens de
» s'enrichir. Le luxe diminueroit par degrés
. Le Seigneur d'un riche domaine
n'iroit plus facrifier à la magnificence
» le tribut que fes Vaffaux lui payent.
» Occupé à faire rentrer dans leurs vei-
» nes le fang qu'il en tire , il ne confie-
» roit plus fes intérêts à ces hommes avi-
» des & mercénaires , qui regardent les
» habitans de la campagne comme des
» efclaves , ou comme des victimes . Les
»Loix deviendroient plus fimples , par-
» ce que les intérêts feroient moins compliqués.
La fincérité & la franchiſe
» feroient la Loi fuprême.... Les devoirs
» de chaque état feroient moins difficiles
à remplir. Les droits du fang &
» de la nature feroient plus refpeciés ,
» parce qu'il y auroit moins d'occaſions
» d'y donner atteinte . Les enfans ne fe-
» coueroient point le joug , pour s'en-
"
116 MERCURE DE FRANCE
» rôler fous l'étendard des plaifirs : ils .
» n'épuiferoient point leurs forces enco-
» re naiffantes à trainer le char de la.
» volupté.
A la fuite des deux Ouvrages dont on
vient de tracer une idée , M. Dubois de
Foffeux , Ecuyer de main du Roi , M.
le Mercier , ancien Capitaine au Régiment
de Champagne , Chevalier de
l'Ordre de S Louis , & M. l'Abbé Pauchet
, Profeffeurs de Tróifiéme au Collége
d'Arras , prononcerent , comme
nouveaux Affociés , leurs Difcours de
remercîmens , auxquels M. l'Abbé de
Lys répondit féparément en qualité de
Directeur.
M. de Foffeur , après avoir témoigné
fa reconnoiffance à la Compagnie , s'attacha
à faire voir de quel fecours eft la
Littérature contre l'ennui , foit dans la
folitude , foit dans la Société ; & il divifa
fon Difcours en deux parties relatives
à ces différens états. On fe bornera
à rapporter ici quelques morceaux de la
feconde.
» Les perfonnes qui ne voyent le
» monde que dans l'éloignement , s'en
» font une idée bien peu conforme à la vé-
» rité . Quelle différence de le connoître
» dans la fpéculation , ou dans la pratiJUILLET.
1763 . 117
:
» que ! Le fort de ceux que la naiffance
» & la fortune ont placés aux premiers
" rangs , paroît digne d'envie . Les fef-
» tins , les fpectacles , & mille autres fê-
» tes fe fuccédent pour eux prèfque
» fans intervalle leur vie n'est qu'un
» enchaînement de plaifirs..... Mais
» ceux d'entre eux qui voudront être
» de bonne foi conviendront que fou-
» vent dans les lieux qui leur promet-
» toient le plus d'amuſement , ils n'ont
» trouvé qu'un ennui infupportable.
» L'idée charmante que l'on fe fait par
» avance d'une partie de plaifirs , ne
» contribue que trop à la rendre infi-
» pide. La réalité eſt toujours au-deffous
» de ce que l'imagination faifoit eſpé-
» rer ; & le coeur préparé pour quelque
» chofe de plus piquant , dédaigne &
» méprife le peu qui lui eft offert . Mais
» quand on pourroit fuppofer que l'en-
» nui fût exclus des affemblées du grand
» monde , n'eſt-il point de momens vui-
» des pour ceux mêmes qui font empor-
" tés le tourbillon le plus vif? Si pour
» remplir ces inftans d'inaction , on ne
» trouve point de reffources. dans fon
» efprit , à quoi aura-t -on recours ?....
» D'ailleurs combien de circonftances
» où des ufages fondés , foit fur la Raipar
118 MERCURE DE FRANCE.
" fon , foit fur le préjugé , ordonnent
» de faire trêve avec le monde ! Le
» goût de la Littérature aideroit à fup-
»porter le poids de ces devoirs , en
» écartant l'ennui inféparable de l'oi-
» fiveté.... Il arrive fréquemment que
» le hazard , ou quelqu'autre occafion ,
» raffemble des gens qui fe connoiffent
» peu. Alors l'ignorance & l'ignorant
» fe caufent une gêne réciproque : leurs
» efprits , s'aidant peu l'un l'autre , re-
» tombent fans ceffe dans l'engourdiffe-
» ment. Le fçavant & l'ignorant peu-
» vent s'entretenir fans ennui : celui- ci ,
» quelque foibles que foient fes lumiè
» res , aime à jouir de la converſation
» du premier , qui fans affecter de fupériorité
, fe fait un plaifir de l'éclai-
≫rer. Le Savant & le Savant , lorfqu'ils
» ont le bonheur de fe rencontrer, jouif-
»fent d'un agrément au- deffus de toute
» expreffion.
"
M. l'Abbé Pauchet , dans fon difcours
de réception , entreprit de prouver
qu'on ne peut être heureux fans la
vertu , & qu'on ne peut être vraiment
vertueux fans la fcience.
Il récita de plus une Ode fur la Poëfie
, dont l'origine eft ainfi décrite dans
les trois premieres ftrophes.
JUILLET. 1763. 119
Après que le Dieu du Tonnerre
Eut des fombres flancs du Cahos
Fait fortir les Cieux & la Terre ,
Et la plaine immenfe des Eaux ,
Ces monumens de fa puiffance
Furent trop peu pour l'excellence
De fes magnifiques dell'eins :
Formant un plus fublime ouvrage ,
Il voulut voir la propre image
Dans le chef- d'oeuvre de fes mains .
L'homme eft créé ; fon ceil contemple
Des miracles de toutes parts :
Il voit , il admire ce Temple
D'un Etre qui fait les regards.
Brillante autant que libérale ,
Pour lui feul la Nature étale
Mille & mille tréfors divers :
Frappé de fon bonheur extrême ,
Il voit , il fent qu'après Dieu même
Il eft le Roi de l'Univers.
Dèja l'humble reconnoiffance
Au fond de fon coeur a parlé :
Déja jufques dans fon filence
Le fentiment s'eft dévoilé .
Bientôt fa voix innocente , par
D'un coeur que fon bonheur enchante
Eclatent les heureux tranfports.
Poësie , immortelle flâme ,
120 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt à ces mouvemens de l'âme
Que tu dûs tes premiers accords.
M. Harduin , Secrétaire perpétuel
lut des obfervations fur l'Article de la
Langue Françoife , où il examina la
nature de cette partie d'Oraifon , & entra
dans plufieurs difcuffions touchant
les mots que d'habiles Grammairiens
ont voulu faire paffer pour Articles indéfinis
& partitifs.
On lut enfuite la feconde partie d'un
Mémoire fur les coquillages foffiles d'Artois
envoyé par M. Wartel, Chanoine
Régulier de l'Abbayé de Mont - Saint-
Eloy , Affocié honnoraire. Il y parle ,
entre autres chofes , des Echinites , que
les Naturaliſtes défignent fous les noms
de Boutons , d'Ourfins , de Hériffons ,
de Chataignes de mer & c ; & qui ſe
rencontrent fort communément en
Artois.
» On remarque , dit- il , dans nos
pierres quatre espéces d'Echinites. La
" premiere , qui eft la moins rare , eſt
» l'Echinite en coeur , nommée autre-
» ment pas de Poulain. Sa partie fupé-
» rieure eft empreinte d'une étoile à
» cinq rayons. Le refte de la coquille
» eft chagriné & chargé de petites
» boules
JUILLET . 1763 .
121
boules , dont le plus grand nombre
» eft ufé. Dans ces boules ou ma-
» melons , font emboitées , lorfque
» l'animal eft vivant , des pointes entie
» lefquelles il pouffe fes cornes , qui font
» rouler toute la coquille en différens
» feus. On voit de ces foffiles plus pe-
» tits qu'une noiſette , & d'autres auffi
" gros que le poing.
"
" La feconde efpéce eft l'Echinite en
bonnet. Celle- ci eft d'une forme tout-
" à- fait différente de l'autre . Sa coquille
» est bombée & prèfque ovale : fon étoi-
» le , qui a auffi cinq rayons , eft moins
» apparente , mais plus étendue que cel-
» le de la précédente : elle fuit tout le
» contour de la coquille jufqu'à fon
» deffous , qui eft applati. Cette Echini-
» te paroît compofée de petites mailles
» quarrées , qui forment des bandes con-
» tigues les unes aux autres. Les plus
» grands de ces coquillages ont deux
pouces de longueur fur un pouce de
» hauteur ; & les plus petites , que je
» n'ai trouvées que dans les marnes des
" monts de Rebreuve * , ne font pas plus
» groffes que la tête d'une épingle . Ces
» petits foffiles , qu'on y rencontre
Village fitué près le Bourg d'Houdain
cinq ou fix lieues d'Arras .
I. Vol. F
à
122 MERCURE DE FRANCE.
و ر
par
» abondamment , font très-entiers, bien
» chagrinés , & tout couverts de boules
; ce qui peut engager
à croire que
» fi l'on n'en voit point de pareilles
» fur les plus gros foffiles de cette efpéce
, c'eft qu'elles ont été ufées
quelque frottement. Les Echinites en
» bonnet & en coeurs ont également
» deux ouvertures , l'une dans le haut ,
l'autre prèfqu'au bout du deffous de
» la coquille ; & ces ouvertures feroient
» percées à jour , fi la coquille n'avoit
" pas un noyau de matière folide .
"
"
» La troifiéme efpéce , moins commune
que les foffiles précédens , eft
» l'Echinite en cône. Il y en a de deux
» fortes , dont la première porte une
» étoile à cinq rayons , qui partent du
» fommet , fuivent régulièrement le
» contour de la coquille , & vont
» aboutir à une feule ouverture , dans
» le milieu de la baſe ou partie inférieure
» de ce foffile . La feconde forte d'E-
», chinités en cône , infiniment plus rare
» que l'autre , eft l'Echinite à gros tu-
» bercules. On voit bien des fragmens
de ce coquillage dans les pierres blan-
» ches ; mais il eft fort difficile de le
» trouver entier , tel que M. de GranJUILLET.
1763. 123
» val , le pofféde dans fa collection.
» Ce morceau eft l'Ourfin foffile le plus
» curieux qu'on puiffe voir : il eft garni
» de gros mammelons en comparti-
» mens , qui vont toujours en dimi-
» nuant jufqu'au fommet. La coquille
"
marine qui lui eft analogue , eſt le
» plus bel Ourfin de la mer rouge , dont
» la figure eft gravée dans la Conchyliologie
de M. d'Argenville , planche
» 25 , lettre E. Ce font les carrières
» d'Arras qui ont produit ce foffile .
23
» Enfin la quatriéme efpéce eft celle
» de l'Echinite en bouton . Elle eft ron-
» de & plate , trouée de part en part
dans le milieu : elle porte fon étoile
» ornée de petits tubercules fur tout le
» contour de la coquille , depuis le cen-
» tre fupérieur jufqu'au centre inférieur.
» On en trouve en Artois de la première
» grandeur , qui n'excéde pas douze li-
» gnes de diamétre. J'en conferve trois ,
» qui ne font pas plus grandes qu'un
" pois applati , lefquelles ont un oper-
» cule qui couvre l'ouverture fupérieu-
» re. Au refte ce foffile eft moins rare
» dans les pierres blanches que l'Echini-
» te en cône de la première forte ; mais
E
Confeiller au Confeil d'Artois , Membre de
la Société Littéraire.
F ij
124 MERCURE DE FRANCE .
» il eft plus rare dans les pierres à fufil.
M. Harduin termina la Séance dont
nous rendons compte , par la lecture des
vers fuivans.
INSCRIPTIONS
Pour douze Empereurs Romains , traduites
du Père VANIERE. *
AUGUSTUS.
Romulea foret ut gentis fors optima , nunquam
Vivere , vel nunquam debuit ille mori .
Pour que d'un for heureur , Rome pût s'ap
plaudir ,
Il dut néjamais vivre , ou ne jamais mourir,
TIBERIUS .
Dum juvenem vitiis infignem Auguftus adoptat ;
Fit Pater ; ac Roma definit effe parens .
Augufte acquit un fils , en adoptant Tibère ;
Mais des Romains alors il ceffa d'être Père .
* Il eft fingulier que le P. Vanière, au lieu de
commencer , ainfi que Suétone , le nombre de
fes douze Cefars , par le célébre Jule , qui lui of
froit une fi riche matière , en ait retranché ce
grand homme , pour y faire entrer l'Empereur
Nerva, qui n'eft guères connu des perfonnes peu
verfées dans l'Hiftoire , & dont la vie ne pouvoit
prèfque rien fournir au Poëte.
R
JUILLET. 1763. 125
CALIGULA.
Cæde furens , Romæfibi vult altaria poni ;
Quodque hominem exuerit ,fe putat effe Deum .
Il veut , ce monftre infâme , être adoré dans
Rome ;
Et penfe qu'il eft Dieu , parce qu'il n'eft plus
homme.
CLAUDIUS.
Imperiumjam fraude tibi furata , veneno
Eripuit Conjux infidiofa diem. *
La fraude & le poifon , employés tour- à tour ,
Lui ravirent bientôt & l'Empire & le jour.
NERO.
Infua convertitferrun præcordio , poftquìm
Vix alium , tollat quemferus enfis habet.
*
Pen-
Agrippinafuafit Claudio at præterito Britan
nicofilio , Succefforem Imperii defignaret Neronem ,
quem illa ex altero maritofufceperat. Ne pænitendi
locus effet , Claudium boleto venenato mox fuftulit.
Agrippine , dernière femme de Claude ,
gagea 2. déshériter fon fils Britannicus , & à ſe
nommer pour fuccefleur Néron , qu'elle avoit eu
d'un autre mari . Pour ôter à l'Empereur le temps
du repentir , elle fe hâta de le faire mourir par le
moyen d'un champignon empoifonné.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
Lui même il ſe frappa , lorfqu'il reftoit à peine
Quelque tête échappée à ſa rage inhumaine.
GALBA.
Imperium meruit Miles moderamine reram
Amifit Princeps quod decus arma dabant. ༣
Soldat il mérita le beau rang d'Empereur :
De fes exploits fon régne anéantit l'honneur.
ОТНО.
Maluit interitu pulchro decedere vita,
Quàmfceptrum populi clade tenerefui.
Il aima mieux périr , par un noble trépas ,
Que de devoir le fceptre au fang de fes Soldats
VITELLIUS.
Hunc epulo pifces uno bis mille , volucrumque
Appofuiffe fibi millia quinque ferunt .
Ne Calum foret alitibus , mare pifcibus orbum ,
Claufit inextinétam mors properatagulam.:
De deux mille poiffons & de cinq milles oiſeaux
On dit qu'en un repas il fit couvrir la table.
Pour qu'il ne dépeuplât & les airs & les eaux ,
La mort ferma foudain fa bouche infatiable. *
* Ce fut , felon Suétone , le frère de Vitellius
qui lui donna ce feftin ; & les oifeaux qu'on y
fervit étoient au nombre de fept mille ; mais le
Traducteur n'a pas cru devoir changer le fens
de fon Original.
JUILLET. 1763. 127
VESPASIANUS
.
Indignata truces jam dudum Roma Tyrannos
Hoc duce Cafareum denique nomen amat .
"
L'Empire des Céfars aux Romains odieux ,
Sous ce bon Maître enfin leur devint précieux.
TITUS.
Orbis amor Princeps , fi quâfortè nil dediſſet ,
Hancfibi dicebat deperiiffe diem.
Il croyoit perdre un jour , ce Prince généreux ,
Quand un jour s'écouloit, fans qu'il fit des heureux
DOMITIANUS
.
Ambierat frater donis fibi eondere faftos :
Ille fuos voluit cæde notare dies .
Du regne de Titus les dons traçoient le cours :
Son frère en traits de fang voulut marquer les
jours.
NERVA.
Dignior imperio fuit & ftudiofior Urbis ,
Cùmfua Trajano fceptra regenda dedit.
Il fe rendit plus cher , lorfque fes foibles mains
S'aiderent de Trajan , pour régir les Romains .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
SUJETS propofés par l'Acad. Royale
des Sciences & Beaux - Arts , établie
à PAU , pour deux Prix , qui feront
diftribués le premier Jeudi du mois de
Février 1764.
L'ACADÉMIE a réservé un des deux
Prix qu'elle avoit à diftribuer cette année
; celui de la Poëfie a été remporté
par M. Lemefle de l'Académie des Scien
Belles-Lettres & Arts de Rouen :
Elle en donnera deux en 1764. Le premier
à un Ouvrage de Profe , qui aura
pour Sujet ,
ces ,
L'Éloge de feu M. le Maréchal de
GASSION.
Le fecond à un Ouvrage de Poeſie ,
qui aura pour Sujet ,
Les Avantages de la Navigation..
Les Ouvrages de Poëfie feront au plus
de cent Vers , & ceux de Profe d'une
demi heure de lecture , il en fera adreffé
deux exemplaires à M. de Faget de
Poms , Secrétaire de l'Académie on
n'en recevra aucun après le mois de Novembre
, & s'ils ne font affranchis.
JUILLET. 1763. 129
Chaque Auteur mettra à la fin de fon
Ouvrage une Sentence , & la répétera
au-deffus du Billet cacheté , où il écrira
fon nom .
SÉANCE publique de la Société
Litteraire de CHAALONSSUR-
MARNE.
Cette Séance s'eſt tenue le 23 Février 1763 .
M DE VELYE y a fait lecture
d'un Mémoire au fujet des Grands-
Hommes de la Ville & du Païs de Vertus.
Ils font en petit nombre ; mais la
gloire qu'ils ont acquife , eft d'autant
mieux mérit qu'ils n'ont point trouvé
dans leur Patrie ces Maîtres habiles , ces
Ecoles célèbres , & cesexemples fi conmuns
dans les grandes Villes, & fi capables
d'exciter l'émulation.
Nicolas furnommé de Clamange du
lieu de fa naiffance , fe préfente le premier
dans l'ordre chronologique c'eft
auffi le plus diftingué des Sçavans du
Pais de Vertus ; il étoit regardé comme
le Cicéron de fon fiécle. L'illuftre Maifon
de Conflans tire fon origine du mê-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
* me Pays. Vertus compte au nombre de
fes Baillifs , François Lalouette , auquel
on donne auffile titre de Préfident de
Sédan , & qui a été Maître des Requêtes
de l'Hôtel du Roi ; on trouve dans
la Croix du Maine une énumération de
fes écrits , dont plufieurs ont été imprimés.
Comme M. de Velye ne donne
qu'une notice des Grands-Hommes
qui font l'objet de fon Mémoire , il n'eſt
pas poffiblé d'en faire une analyſe fuivie
.
>
Il a étélu enfuite pour M. Defmareft
Affocié externe & abfent , un Mémoire
fur la culture des Raves & des Navets
dans la Guyenne . Il y a cinq variétés
différentes de chaque genre , dont
la diſtinction ne paroît pas fondée fur
des caractères de Botanique aifés à faifir
. On féme les raves & les navets en
deux faifons , la premiere en Avril &
Mai , la feconde depuis le 29 Juillet
jufqu'au 20 Août après la moiffon des
fromens , & dans les terres où la récolte
aura été faite. On commence par donner
deux labours à ces terrés ; on leur
en donne un troifiéme après la femence
, & on paffe le rateau qui tient lieu
de herfe ; on les farcle quand ils font levés
pour, détruire les plantes parafites ,
JUILLET. 1763. 131
arracher les raves ou navets fuperflus ,
& laiffer un intervalle de quatre ou fix
poulces entre chaque pied . Le navet oblong
à racines blanches , & le navet à
racines vertes , ainfi que la rave ronde à
racines blanches , & la rave ronde à racines
rouges , femés dans des terres légéres
, fablonneufes & un peu fubftantieufes
, produifent quelquefois des raves
& des navets du poids de feize &
même de dix-huit livres ; mais ils font
infipides & peu remplis. Ils viennent
d'une faveur fucculente , & d'un volume
raifonnable dans les terres profondes
, légères & meubles dont le fable
fait la bafe , ou dans des terres calcaires
bien divifées , & qui font en proportion
dominante, avec l'argile ; ils réuffiffent
mal dans les terres purement argileufes.
& compactes.
Quoique l'on arrache les navets à
mefure du befoin qu'on en a , la grande
récolte fe fait en nombre ; on les
met alors dans les caves où on les encaiffe
dans du fable ; ils s'y confervent
longtems . Ils fe confervent encore plus
longtems fans altération , fi on les laifſe
en pleine terre , pourvû qu'on ait attention
à en éloigner les Beftiaux , &
que les pluies de l'hyver n'y faffent pas
un trop long séjour. F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
Les navets & les raves font d'une
grande reffource pour les gens de la
Campagne , ils leur fervent d'aliment
pendant une partie de l'année . C'est même
un reméde contre les fiévres lentes
accompagnées de bouffiffures, dont font
attaqués dans certains tems les Habitans
de quelques Cantons marécageux . Auffitôt
qu'ils ont commencé à faire ufage.
des navets , la fiévre difparoît, & ceux
qui en mangent de bonne heure , font
préfervés de la fiévre. Les navets & les
raves fervent auffi à engraiffer les Moutons
, les Boeufs & les Cochons ; cette:
nourriture rétablit les boeufs épuifés par
le travail de l'Eté ; elle leur procure une
tranfpiration abondante , qui leur rend.
le poil uni & libre , & leur chair eft plus
tendre & plus fucculente .
Quoique ce Mémoire paroiffe ne concerner
que la Guyenne , l'intention de
M. Defmareft eft d'engager à étendre la
culture des raves & des navets dans toutes
les parties du Royaume où elle peut
réuffir ; on les cultive déja avec fuccès
dans quelques Paroiffes de l'Election de
Langres , on peut également les culti-.
ver dans les terres de la Province de
Champagne voifines des rivieres , & M.
Defmareft invite les Cultivateurs ChamJUILLET.
1763. 133
penois à ne pas négliger cette branche
d'agriculture.
M. de Chalette ayant envoyé la Préface
d'un Ouvrage qu'il fe propofe de
faire imprimer , intitulé : la Médecine
des Chevaux à l'ufage des Laboureurs
tirée des meilleurs Auteurs , & confirmée
par l'expérience : la Société a eftimé
qu'il convenoit d'en faire patt d'avanee
au Public.
De tous les animaux domeftiques , le
Cheval eft fans contredit celui dont l'utilité
eft la plus étendue. En Angleterre
les plus fameux Médecins , & les plus
habiles Chirurgiens ne dédaignent point
d'en faire l'objet de leurs foins , & de
leur étude. Il eft furprenant qu'en France
la confervation de cet animal précieux
foit abandonnée à des perfonnes
qui pour la plupart , n'ont pas la moindre
connoiffance des maladies qui l'at
taquent , ni des remédes qui leur con
viennent. Les Maréchaux de Village
étant d'une ignorance profonde, ou remplis
de préjugés , M. de Chalette croit
rendre fervice à ceux qui font forcés
d'y avoir recours en les mettant en
état de s'en paffer , ou du moins de les
diriger. Son Ouvrage préfente done
deux avantages , l'un de décrier une foule
134 MERCURE DE FRANCE .
de remédes & de recettes prèfque toujours
inutiles , très - fouvent dangereufes
, & quelquefois pernicieuſes ; l'autre,
en rendant le Laboureur capable de traiter
par lui-même les maladies de fes chevaux,
de lui épargner la dépenfe des foins
d'un Maréchal , & du prix exhorbitant
des drogues que celui- ci lui furvend.
Cette lecture a été fuivie de celle
d'une Differtation fur le préjugé littéraire.
M. Rouffel, qui en eft Auteur , donne
d'abord un précis de tous les objets
qui peuvent occuper l'efprit humain ;
il fait voir qu'il n'a à redouter que
le préjugé peu raifonnable , qui rend
fouvent fes recherches inutiles, le raiſonnement
faux , le littérateur eſclave , ou
capable de franchir les bornes de la
vraie fageffe. Il trace enfuite le tableau
des différentes efpéces de préjugés , &
il combat ceux qui font contraires à la
faine Raifon avec autant d'éloquence
que de force , & en même-temps avec
cette aménité & cette politeffe qui conftituent
le caractère de fes Ouvrages.
L'Affemblée en a paru très-fatisfaite.
On a lu auffi un Effai fur la critique
par M. Formey
Affocié externe &
Secrétaire de l'Académie de Berlin . M.
Formey après avoir défini la critique ,
JUILLET. 1763. 135
>
l'art d'analyfer les Ouvrages pour en
faire connoîrre les beautés & les défauts
conformement aux régles qui ont
été fuivies , ou qui auroient dû l'être
ajoute qu'il ne fe propofe d'en parler
qu'autant qu'elle eft fpécialement deftinée
à montrer les taches qui peuvent
défigurer un Ouvrage. Il paffe enfuite
en revue les différentes efpéces de critiques
qui fe répandent aujourd'hui
- dans la République des Lettres , ce
font les brochures & les journaux , &
il éxamine s'ils rempliffent bien leur
objet .
Les brochures font fouvent le fruit
d'un demi fçavoir , du défoeuvrement ,
du prurit d'écrire , de la jaloufie , ou
de la haine. On y prend le ton des perfonnalités
& de la querelle , & il eft
rare d'en trouver qui foient marquées
au bon coin.
M. Formey n'admet guères dans cette
claffe que les Obfervations de l'Académie
fur le Cid , & les fentimens de Cléante
fur les entretiens d'Arifte & d'Eugène.
Le Public ne peut tirer aucun avantage
de ces brochures , & les Auteurs ne
les regardent fouvent que comme un
motif de triomphe. Les Journaux ne
produisent pas un meilleur effet ; ils ne
136 MERCURE DE FRANCE.
peuvent réuffir qu'entre les mains d'une
Compagnie bien choisie & bien aflortie:
c'ell cette prérogative qui maintient
le Journal des Sçavans dans ce degré
de primauté qu'il s'eft acquis. Les affections
& les paffions font fouvent fi
évidentes dans beaucoup d'autres , qu'il
feroit à fouhaiter qu'ils fuflent moins
multipliés , & la plupart font incapables
d'empêcher les abus que les Auteurs font
de leurs talens .
Le Gouvernement & les Magiftrats
veillent bien à la confervation des fondemens
de la fociété , qui font le refpect
dû à l'Etre fuprême , les droits des Souverains
& les bonnes moeurs : ils flétrif
fent les productions qui attaquent ces
principes ; mais ces flétriffures ne fervent
ordinairement qu'à donner du crédit aux
ouvrages , & à piquer la curiofité.
M. Formey demande enfuite fi on ne
pourroit pas établir un autre genre de
police qui influât plus immédiatement
fur le bon ordre : il y a bien des Cenfeurs
établis par le Gouvernement ; mais
ils s'acquittent fouvent mal des fonctions
qui leur font confiées ; d'ailleurs on impime
beaucoup de Livres qui n'ont pas
été foumis à la cenfure ,.
De-là M. Formey paffe à fon projet
JUILLET. 1763. 137
de police , aux rifques d'effuyer quelque
raillerie ; le voici Il voudroit que le
Souverain confidérant la Littérature de
fes Etats comme un objet qui peur influer
fur le bonheur de fes peuples ,
établît un Corps de gens de Lettres de
différentes facultés & profeffions , au
nombre de douze , tous d'un âge mûr
& non décrépit , fages, ayant des moeurs,
auxquels il feroit affigné des penfionspour
les mettre en état d'être plus actifs & plus
attentifs. Tous les ouvrages fercient remis
à leur Secrétaire , & diftribués à chacun
fuivant fes talens , pour être examinés
& en être fait rapport dans les féances réglées
qui fe tiendroient une ou plufieurs
fois chaque femaine , afin d'accorder où
refufer la permiffion d'imprimer.
Tout ce qui fe trouveroit contraire à
la Réligion , à la conftitution politique
& à la vertu , feroit rejetté , fous quelque
forme qu'il fût préfenté. A l'égard
de ce qui n'eft mauvais que par un défut
de génie , de connoiffances , de
ſtyle , &c, on ufercit d'un ménagement
judicieux ; le Commiſfaire examinateur
donneroit des avis aux Auteurs ; & quand
ceux-ci ne s'y rendroient pas , on les
laifferoit aller avec leur imprimatur.
Il feroit à propos de mettre les Li138
MERCURE DE FRANCE.
braires fous la dépendance abfolue du
Tribunal , fans cela il feroit inutile de
faire des difficultés à un Auteur , qui ,
pour les lever , n'auroit qu'à aller trouver
un Libraire avec lequel il feroit un
marché d'autant plus avantageux que
le Livre feroit digne d'être fupprimé.
Il faudroit auffi que les Examinateurs
exerçaffent une févérité particulière fur
les écrits polémiques , qu'ils en rettanchaffent
tous les termes marqués au coin
de la paffion , & capables d'aliéner les
efprits qu'on fe propofe de convaincre.
Il feroit même convenable de ne pas
fouffrir ces airs de fupériorité & de hauteur
que les critiques prennent fi volontiers
, & fur - tout ces ironies dont la
plaie eft encore plus cuifante que celle
des injures.
Telles font les réfléxions qu'une affez
longue expérience dans ce genre a fuggérées
à M. Formey; & quand il n'auroit
pas indiqué des règles affez certaines
pour remplir fon objet , il feroit toujours
louable de les avoir propofées.
La féance a été terminée par la lecture
de quelques Stances fur l'homme , par
M. France; & de Réfléxions en vers fur
la cérémonie du jour des Cendres , par
M. l'Abbé de Saulx, Chanoine de l'Eglife
JUILLET. 1763. 139.
de Rheims , & Chancelier de l'Univerfité
de la même Ville.
MÉDECINE.
EXTRAIT du Recueil des Lettres de
Milady MARY WORTHLEY MONTAGUTE
, nouvellement imprimée à
Londres.
J
De CONSTANTINOPLE , le....
E crois ma chère S. ... qu'au lieu de
vous faire des excufes de ne vous avoir
pas écrit jufqu'à préfent , c'eft plûtôt à
moi à me plaindre de ce que vous n'avez
pas encore répondu à la lettre que
que je vous écrivis à Nimegue au mois
d'Août dernier ; il me femble que je
puis aifément juftifier mon filence par
les longs & pénibles voyages que je
viens de faire , je fuis pourtant obligée
d'avouer qu'ils ne fe font point terminés
auffi triftement que vous vous le figurez.
Je me trouve affez bien ici , & je n'y
fuis pas auffi ifolée que vous le penfez :
une multitude de Grecs , de François ,
d'Anglois & d'Italiens qui font fous notre
protection , nous fait la cour depuis
le matin jufqu'au foir. Il fe trouve parmi
eux des femmes très - aimables ;tous ces
140 MERCURE DE FRANCE.
Etrangers , ne peuvent être en fureté ici
que fous la protection d'un Ambaffadeur,
& plus ils font riches , plus ils courent
de rifque
.
:
Au refte , toutes ces hiftoires effrayantes
qu'on vous a faites des ravages que
fait ici la pefte , font très-peu fondées
en raifon je dois convenir cependant
que j'ai eu de la peine à m'accoutumer
à ce mot qui a toûjours réveillé en moi
les plus terribles idées. Mais je fuis convaincue
que dans le fond , cette maladie
n'eft guères plus fâcheufe qu'une fiévre
maligne; je vous en donnerai une preuve
en vous difant que j'ai paffé dans deux
ou trois Villes , ou la contagion étoit trèsconfidérable.
Dans une maifon à côté
de celle où je logeois , deux perfonnes
en moururent : heureufement que je fus
reçue & traitée avec tant d'attention
qu'on me tint la chofe cachée ; on me
dit feulement que mon fecond Cuifinier
avoit un gros rhume & je laiffai mon
Médecin pour prendre foin de lui. Hier
je les vis arriver tous les deux en bonne
fanté , & on m'avoua que c'étoit la pefte
que mon Cuifinier avoit eué. Il y a beaucoup
de gens qui réchappent de cette
maladie , & la contagion ne régne pas
continuellement. Je fuis perfuadée qu'il
JUILLET . 1763. 141
feroit aisé d'en extirper ici le principe
comme on a fait en Italie & en France ;
mais elle fait fi peu de ravage , qu'on ne
s'en inquiéte guéres & qu'on ne fe
trouve pas fort à plaindre , d'être exposé
à cette funefte mais unique maladie , qui
leur tient lieu de toutes celles qui nous
affiégent , & dont ils font totalement
exempts.
*
萝
Mais à propos de maladie , je veux
vous apprendre une chofe qui vous fera,
regretter de n'être pas ici. La petite vérole
, cette contagion fi générale & fi
cruelle parmi nous , ne fait aucun mal
ici , grace à la découverte de l'Infertion.
Il y a plufieurs vieilles femmes
dont le métier eft de faire cette opération
; elles choififfent pour cet effet le
mois de Septembre , parce qu'alors les
grandes chaleurs font paffées. C'eſt la
coutume d'envoyer chez les gens de fa
connoiffance , pour demander s'il n'y a
perfonne qui veuille avoir la petite vérole.
On fe raffemble ordinairement au
nombre de quinze ou feize ; la vieille
vient avec une coquille de noix , pleine
de la matière de la petite vérole qu'elle
a eu foin de choifir de la meilleure éfpéce,
& elle vous demande quelle veine
*
་ ་
ingrafting qui veut dire proprement greffe .
142 MERCURE DE FRANCE.
vous voulez qu'elle vous ouvre. Lorfque
vous avez fait votre choix , elle ouvre le
vaiffeau avec une groffe aiguille , ce qui
ne vous fait pas plus de mal qu'une
fimple égratignure , & elle introduit autant
de matière qu'il en peut tenir fur
la pointe de l'aiguille ; cela fait , elle bande
cette petite playe , qu'elle recouvre
avec un petit fragment de coquille , &
elle réïtére l'opération fur quatre ou cinq
veines. Les Grecs ont communément la
fuperftition de fe faire faire une des infertions
au milieu du front , une dans
chacun des bras & l'autre dans la poi
trine , afin de donner à cette opération
la forme du figne de la Croix . Mais
cette manière a des inconvéniens , en
ce que les playes laiffent des traces qui
marquent auffi ceux qui ne font point
fuperftitieux , aiment mieux que cette
opération foit faite aux jambes ou aux
bras , ou dans quelque partie qui foit
cachée. Les enfans & les jeunes gens
qui ont fubi l'opération , jouent enfemble
& fe divertiffent , continuant d'être
en parfaite fantéjufqu'au huitiéme jour ;
alors la fiévre les prend , & ils gardent
le lit pendant deux jours , & rarement
pendant trois. Il n'arrive guères qu'ils
ayent plus de 20 ou 30 boutons fur
JUILLET. 1763. 143
le vifage , lefquels ne laiffent jamais aucune
trace , & au bout de huit jours
le malade eft abfolument rétabli. Aux
endroits ou l'infertion a été faite , s'établit
une fupuration qui continue pendant
la maladie , & qui paroît devoir
contribuer beaucoup à la rendre bénigne.
On voit ici tous les ans plus de
mille perfonnes fe foumettre à cette
opération ; & l'Ambaffadeur de France
dit plaifament qu'on fe donne ici la petite
vérole par partie de plaifirs , comme
on va prendre les eaux dans d'autres
pays. Il n'y a pas d'exemple qu'une
feule perfonne en foit morte. Enfin vous
ne douterez pas de la perfuafion où je
fuis de la certitude de cette méthode ,
puifque je compte l'éprouver fur mon
cher petit enfant. J'ai l'efprit affez patriotique
, pour vouloir la mettre à la
mode en Angleterre , & je ne manque
rai pas d'en écrire un grand . détail à quelques-
uns de nos Médecins, fi j'en trouve
d'affez vertueux pour facrifier ainfi à l'avantage
de l'humanité, une branche auffi
confidérable de leurs revenus. En effet ,
cette maladie leur eft trop profitable, pour
ne pas expofer à leur reffentiment le
premier téméraire qui entreprendroit de
la détruire. Peut-être cependant , qu'à
144 MERCURE DE FRANCE .
mon retour j'aurai le courage d'entrer
en guerre avec eux . Admirez l'héroifme
de votre Amie , qui eft & c.
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
DISSERTATION fur le Lithotome
caché.
L'OPÉRATION de la Lithotomie
a étéde tous temps , à jufte titre , l'objet
des recherches de ceux qui fe font intéreffés
au bien de l'humanité. On a
adopté fucceffivement diverfes méthodes
, & différens inftrumens : mais les
inconvéniens inféparables de tous ces
moyens , ant toujours laiffé quelque
chofe à defirer fur ce point effentiel à
la Chirurgie. Les expériences multipliées
que j'ai faites pendant dix ans fur des
cadavres de tous les moyens propofés
jufqu'à préfent , m'ont déterminé à donner
la préférence au Biftouri caché ; &
j'ai
JUILLET. 1763 . 145
j'ai été convaincu par mes fuccès , que
cet inftrument conduit par d'habiles
mains , rend cette opération auffi füre
qu'aifée à pratiquer . Je pourrois citer
pour preuve plufieurs opérations que j'ai
faites , & qui m'ont réuffi ; mais de
crainte de rendre trop longue cette differtation
, j'en choifis une que j'ai pratiquée
en préſence de plufieurs perfonqui
ont applaudi à ma manoeuvre.
Le 15 Décembre 1762 , le Sr. Miferé
natif de St. André de la Marche , Diocéfe
d'Evreux , âgé de 64 ans , Cuifinier
de fon métier , eft entré chez moi , pour
y être délivré d'une pierre , qui depuis
12 ans lui caufoit d'exceffives douleurs.
Je lui fis pendant trois jours les préparations
ordinaires , & le 18 je l'opérai
fur les dix heures du matin , en préfence
de plufieurs de mes Confrères ; je lui
tirai une pierre pefant deux onces , de
la figure à-peu-près d'un coeur applati ;
l'inftant après l'opération , je vis avec
une furpriſe agréable couler un peu
d'urine par la voie ordinaire , qui le plus
fouvent ne reprend fon cours qu'après
quinze jours. J'abandonnai au foin de
la nature la guérifon de la plaie ; en me
contentant , de tenir comme il eft d'ufage
, les genoux du malade approchés
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
l'un de l'autre . J'ai ménagé les alimens
de peur que le Sujet étant replet, il ne fe
fit une trop grande fuppuration qui auroit
troublé le progrès de l'incarnation
& de la réunion, & je les lui ai augmenté
par degrés ; je lui ai toujours permis l'ufage
d'un peu de vin , à caufe de l'habitude
où il étoit d'en boire . Il n'a pas
eu un accès de fiévre ni le moindre accident
, & a été guéri en quatre femaines.
Il eft forti de mon infirmerie le 4 Février
bien portant & ayant recouvré toutes fes
forces. Il demeure actuellement rue S.
Honoré, chez un Marchand de vin , visà
- vis la rue dela Lingerie , & a repris les
fonctions de fon état.
On obtiendra toujours le même fuccès
dans cette opération , quand il n'y aura
à la veffie aucune complication dangereufe
, comme fuppuration , fongus
&c, ni maladie aux reins , aux uretéres ,
ni cacochimie dans le fujet , ni maladie
d'efprit ; & je fuis perfuadé que fi l'opération
faite avec l'inftrument que j'ai
adopté , a quelquefois été fuivie de fatalité
, c'eft à la feule manière d'opérer
qu'elle a dû être imputée : on peut en
effet en opérant tomber dans des fautes
légéres en apparence , & dont les conféquences
font très-graves. Si l'OpéraJUILLET.
1763. 147
teur par un défaut d'expérience où de
juſteffe , a donné trop d'étendue au tranchant
de fon inftrument ; ou fi en faifant
la fection , il donne à cet inftrument
une inclination trop oblique en baiſſant
trop le poignet , il peut ouvrir de gros
vaiffeaux dans le baffin , & donner lieu
à une hémorragie très-fouvent mortelle.
Si au contraire il lui donne une direction
trop droite , il intéreffera l'inteftin rectum
, dont la fection fera un grand inconvénient
pour la cure. Il y a plus , il
peut arriver , & peut être n'ai- je que
trop raifon de le foupçonner , que l'Opérateur
après fa première incifion faite ,
n'ait pas porté fon inftrument dans la
veffie : & par conféquent n'en ait point
dilaté le Sphincter : cette dilatation ayant
été manquée , on n'a pû y fuppléer qu'en
fe frayant de force avec le doigt une route
dans ce vifcère , en dilatant où déchirant
ce Sphincter. La veffe & les
parties environnantes ont été infailliblement
contufes par cette manovre . D'ailleurs
, cette route mal frayée n'a point
laiffé un efpace affez libre pour l'intraduction
des tenettes , qui pour y entrer
ont encore ajoûté à la contufion . Si
enfin on les y a fait entrer , elles ont
produit en fortant les mêmes effets ;
G ij
148 MERCURE
DE FRANCE .
,
& peut - être même a - t - on été obligé
de débrider la plaie fur la pierre , pour
en faciliter l'extraction
pour peu
qu'elle ait eu de volume . Il eſt aiſé de
fentir combien cette méprife peut occafionner
d'accidens , & jetter de trouble
dans l'économie animale ; ou le malade
périt ; ou , fi la bonté de fon tempérament
le fait furvivre à l'opération , il peut
lui refter fiftule au périnée ou incontinence
d'urine.
Il eft des règles fùres pour employer
fructueufement le lithotome caché, auxquelles
il faut bien fcrupuleufement s'affervir.
Le malade étant fitué , comme il
eft d'uſage , on introduira la fonde , &
on lui donnera une direction un peu
oblique du côté gauche ; il ne faudra
pas , pour fe donner plus d'aifance ,
apporter fur fa crénelure l'inftrument
qui doit faire la première incifion ; il
ne faudra pas , dis - je , en faire trop
bomber le dos en dehors vers le périnée ,
de crainte qu'il n'arrive ce que j'ai éprouvé
dans mes premières expériences.
Il y a douze à quatorze ans , qu'après
avoir fait l'opération fur un cadavre ,
j'ouvris le baffin pour me rendre compte
de ma manoeuvre ; je trouvai bien la
veffie ouverte , mais la feconde incifion
JUILLET. 1763. 149
étoit par- deffous le col , & ce col étoit
dans fon entier. Je foupçonnai qu'en
portant trop en dehors la courbure de
ma fonde , j'avois fait fortir de la veffie
ſon extrémité , & qu'enfuite ayant gliffé
le lithotome fur fa crénelure, j'avois pouf
fé l'un & l'autre avec force en baiffant le
poignet , & que j'avois crevé la veffie
au-deffous de fon col . Je fus convaincu
du fait par plufieurs expériences qui fuivirent
de près celle - ci , dans lefquelles
ayant eu l'attention de tenir ma fonde
bien ferme fans la déplacer , ce même
accident ne m'arriva plus.
On placera donc la fonde , comme
je l'ai dit ci -deffus , & on la maintiendra
ftable' , fans la déranger , pendant tout
le temps de l'opération ; on incifera enfuite
fur la crénelure , & on commencera
cette première incifion vis - à-vis
l'arcade du pubis , en la terminant obliquement
vers l'os if hium , en tenant
toujours la fonde ferme de la main
gauche. Il est très - effentiel , pour fe
donner plus d'aifance , & introduire.
l'inftrument caché dans la veffie , de
découvrir dans la première incifion la
crénelure de la fonde , d'un pouce , &
même quelquefois plus , à proportion
de la grandeur des fujets ; on portera
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
enfuite l'extrémité de cet inftrument
fur la crénelure de la fonde , & lorfqu'on
fera parvenu à l'avoir fait paffer
par-deffous l'arcade du pubis , on bailfera
un peu les deux mains pour faire
entrer l'inftrument & la fonde profon
dément dans la veffie ; on baiffera la
fonde du côté droit du ventre pour la
débarraffer d'avec l'inftrument , & on la
retirera la facilité qu'on aura alors à
le mouvoir , affurera qu'il eft bien dans
la veffie ; on appuiera ferme le dos de
cet inftrument fous l'arcade qui doit
fervir de point d'appui pour faire la
feconde incifion , que l'on fera exactement
parallèle à la première , en écartant
la lame de cet inftrument , fuivant
l'étendue qu'on aura jugé à propos de
lui donner , & le retirant fans quitter la
voûte de l'os pubis , qui doit toujours
fervir de bouffole . Si on a donné au
tranchant une étendue bien proportionnée
à la grandeur du fujet , & au volume
de la pierre , fon action fe paffera feulement
fur le col de la veffie & le muſcle
tranfverfe ; les gros vaiffeaux du baſſin
& le rectum feront épargnés, & l'extraction
de la pierre fera facile.
Je penfe que la defcription que je
viens de faire de la manoeuvre qu'il faut
I
151
JUILLET
. 1763 .
tenir en faisant l'opération avec le litho
tome caché , perfuadera que cette méhode
est très-füre & en même temps
fort aifée , pourvû qu'on foit attentifà
n'en rien omettre , parce que je fuis
perfuadé que l'inftrument le mieux raifonné
exige encore dans l'application
une conduite exacte , pouvant avoir des
fuites très - fàcheufes fi on s'écarte du
point de préciſion recommandé. Je n'ai
en vue , en rendant compte des raifons
qui m'ont déterminé à donner la préférence
à cet inftrument , que le bien public
, qui a toujours été le but & le feul
objet de mes travaux ; & je protefte qu'il
n'eft entré dans mon projet ni prétention
, ni adulation , ni envie de choquer
perfonne , mais fimplement , je le
répété , le bien public , & le progrès
de la Chirurgie..
Par DEJEAN , Maître en Chirurgie de Paris .
1
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ARTS AGRÉABLE S.
1
PEINTURE.
LETTRE d'une nouvelle Société , à
M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure de France.
MONSIEUR ,
Nous fommes fept qui cultivons
chacun par goût ou par état , une fcience
particulière nous nous réuniffons une
fois la femaine , autant par amitié que
pour notre inftruction mutuelle . Si l'un
de nous a fait quelque obfervation qu'il
eftime digne d'être communiquée aux
autres , elle eft foumife à un examen
rigoureux : il eft dans nos conventions
que nos jugemens feront auffi févères
qu'il fe pourra , & le premier article de
nos Statuts volontaires , eft de ne nous
faire aucune grace ; la vérité qui dicte
nos décifions fur notre manière réciproque
de penfer , refferre les liens de
l'amitié qui nous lie . Pleins d'eftime
pour tout le monde , nous ne fommes
retenus que fur le compte d'autrui .
JUILLET. 1763. 153
Nous nous appliquons particulièrement,
Monfieur , à comparer les opinions contraires
qui s'élèvent fur certains objets.
Votre Journal eft le théâtre de plufieurs
controverfes dans les Sciences & dans
les Arts , & nous tâchons d'en profiter.
Nous pefons les raifons avancées
de part & d'autre ; autant que nos connoiffances
le permettent , nous apprécions
les chofes , & cherchons à les
réduire à leur jufte valeur nous ne
précipitons pas nos jugemens : on agite
long - temps les réflexions ; on change
d'avis autant qu'on le juge à propos.
Nous ne mettons aucune forte d'amourpropre
à perfifter dans une première
opinion , & jamais nous ne croyons
qu'aucune difficulté foit réfoute , que
l'Auteur qui l'avoit fait naître , n'avoue
pofitivement & nettement qu'il eft revenu
au fentiment de fon adverfaire.
S'il ne l'adopte qu'avec quelques modifications,
il faut que celles - ci fubiffent
un nouvel examen , & qu'il ne refte
aucun partage d'avis ; l'unanimité eſt le
but auquel nous afpirons. Nous croyons
avoir travaillé affez utilement en ce
genre fur diverfes matières , pour prétendre
à une qualification ; en conféquence
, nous nous fommes donné le
7
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
titre de Société des Conciliateurs. Nous
n'offrons notre médiation à perfonne ;
car nous n'avons aucune autorité dans
la république des Lettres , pour qu'on
défére à notre fentiment . Les écrits qui
fe produisent dans les démêlés qui furviennent
entre, gens qui penfent différemment
, nous ont toûjours paru un
peu femblables aux Mémoires refpectifs
des Parties adverfes dans une affaire de
procédure ; ils couvrent fouvent l'état de
la queftion , & fervent à perpétuer les
conteftations jufqu'au jugement du procès
, dont quelquefois aucun des Plaideurs
n'eft content. Loin d'approuver
les querelles littéraires , nous cherchons
quels font les moyens qui auroient pû
les prévenir, ou les abréger, notre principale
etude eft de prononcer fur les
voies d'accommodement. Jufqu'à préfent
nos travaux ont été concentrés dans
la Société particulière ; nous rifquons de
vous en préfenter un effai. Si vous
croyez , Monfieur , qu'il n'y ait aucun
inconvénient à le rendre public , nous
vous prions de lui donner une place dans
un de vos prochains Mercures , & nous
nous ferons une loi de ne rien publier
que par votre entremife & fous vos
aufpices.
JUILLET. 1763 . 155
REMARQUES de la Société des CONCILIATEURS
, fur les Tableaux en
jeu d'Optique.
Il a paru dans un des premiers Mercures
de cette année une explication du
Tableau allégorique des Vertus, formant
le portrait du Roi , peint par M. Amédée
Vanloo : on eft redevable de cette defcription
à M. de la Lande, Membre de
l'Académie Royale des Sciences dans la
Claffe d'Aftronomie. Son jugement fur
la difficulté de repréfenter différentes
figures , de manière qu'en les regardant
par le moyen d'un verre , on voie une
feule & unique figure , qui n'a aucun
rapport avec celles qu'on voit à l'oeil
nud fur le tableau ; fon jugement , dis-je,
fur cette magie naturelle , n'a pas été
adoptée par un Anonyme , dans une
Lettre adreffée à MM. de la Société
des Amateurs , & inférée dans le Mercure
d'Avril , premier volume, page 157 .
Nous avons pefé les raifons de ce dernier
écrit , & elles nous ont paru trèsfolides.
Sur cela , l'un de nous a affuré
que le phénomène d'optique qui a fait
l'admiration des perfonnes qui ne font
point verfées dans ces fortes de matières
, eft décrit dans la phyfique de
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
S'gravefande un autre a dit qu'il exiſtoit
à Paris plufieurs tableaux de ce genre ;
qu'on en voyoit un dans la Bibliothéque
de MM. de l'Oratoire , qui repréfentoit
les douze Apôtres ; & qu'en le regar
dant avec la lunette garnie du verre à
facettes , tous ces objets difparoiffoient
pour laiffer voir la feule figure de
Jefus - Chrift , qui n'eft pas dans le tableau
.
A l'affemblée fuivante , un de nos
Collégues a rapporté qu'il avoit été la
furveille à la Bibliotheque de Sainte
Géneviéve , & qu'on lui avoit fait voir
dans un des Cabinets adjacens , trois
tableaux affez anciens , & qui ont toujours
été connus dans ce riche Cabinet
fous le nom de Jeux d'optique. L'un
eft formé de plufieurs petits portraits
en médaillons , repréfentans diverfes
dignités par les attributs convenables ;
on y voit un Pape , un Empereur, un
Cardinal , un Evêque , un Moine , un
Prêtre , un Magiftrat , un Guerrier , des
femmes de différens ordres , avec cette
légende latine ... Statutum eft omnibus
hominibus femel mori. On fent affez ce
que cette infcription annonce : en regardant
par la lunette , on n'aperçoit qu'une
tête de mort. Dans l'examen de cette
JUILLET. 1763. 157
efpéce de preſtige , on voit que ce font
différentes parties de tête de mort difperfées
dans les intervalles des portraits,
qui font réunies par les différentes facettes
du verre en un feul point , &
que toutes les têtes vivantes n'entrent
pour rien dans la tête décharnée . Le
même verre fert à un fecond tableau
dont le centre eft comme un foleil lumineux
, & fur les nuages qui l'entourent
font portés des Anges vêtus comme
l'on a coutume de les peindre , & qui
font tous occupés à jouer de quelque
inftrument : l'un tient une lyre , l'autre
un violon , l'autre une guitarre , & c.
Tout cela difparoît en regardant par le
verre à facettes , & l'on voit au centre
un Enfant Jéfus affis , femblable à ces
Anges , mais qui n'eft point aîlé , & qui
ne tient aucun inftrument.
Un autre tableau du même Cabinet
eft chargé de différens portraits connus ;
celui du grand Roi Henri IV, celui de
Louis XIII , de plufieurs Reines &
Princeffes , & de différens Saints , forment
un affemblage confus & affez mal
difpofé. On regarde par le verre approprié
à ce tableau , on voit une Sainte-
Vierge qui tient entre fes bras l'Enfant
Jéfus. On anatomife , s'il eft permis de
158 MERCURE DE FRANCE.
s'exprimer ainfi , cette figure illufoire ;
car on voit que c'eft la tête d'une Reine
qui eft rapportée toute entiere par une
des facettes du verre , pour être apperçue
au haut de la repréfentation magique
; que fon bras eft pris d'une autre
figure , & l'Enfant Jéfus , d'une figure
d'enfant qui eft dans un point du tableau
fort éloigné de celles qui concourrent
à former la Sainte Vierge tout le
reſte du tableau ne fert point à l'effet ;
& il eft auffi indifférent que le portrait
d'Henri IV foit dans un des coins du
tableau que toute autre chofe. Les
points néceffaires étant donnés , tout
le refte n'eft que rempliffage. Il eft donc
évident , comme l'a dit l'Anonyme , que
le tableau allégorique des vertus formant
le portrait du Roi , a été fait fuivant
des régles certaines , & que fa difpofition
avoit été mefurée à la régle & au
compas. L'Auteur n'avoit fait que prèffentir
la maniere dont le tableau allégorique
avoit été compofé , & nous en
donnons des preuves de fait qui n'ôtent
rien à M. Vanloo du mérite de fon
heureufe idée , & de fon habileté dans
l'exécution de ce tableau. On ne s'eft mépris
que fur l'explication phyfique du
phénomène , opéré par un art qu'on a
JUILLET. 1763 . 159
cru nouveau , & qui ne l'eft pas. Nos
recherches concilient donc toutes les
idées avec les faits qui les confirment.
GRAVURE.
Avis fur le Recueil d'Eftampes gravées
d'après les plus beaux Tableaux
& Deffeins des principaux Peintres
des Ecoles Romaine & Vénitienne
qui font en France , dans le Cabinet
du ROI; dans celui de Mgr le Duc
d'Orléans , & dans d'autres Cabinets ,
par les foins de M. Crozat ; avec un
abrégé de la Vie des Peintres , & une
Defcription hiftorique de chaque Tableau.
En deux grands volumes in-fol.
forme d'Atlas.
LESES Connoiffeurs de l'Art de la Gravure
fçavent affez les dépenfes immenfes
qu'a faites M. Crozat , pour former
& faire graver cet Ouvrage , que
tout autre que lui n'auroit ofé entreprendre
; c'eft pourquoi on fe difpenfera
d'en faire ici l'éloge , & d'entrer dans
aucun détail relatif à l'objet,
160 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur Bafan , Graveur à Paris ;
aujourd'hui poffeffeur des Planches qui
compofent ledit Recueil , donne avis
que dans quelques mois il pourra livrer
au-Public des Exemplaires de ce Recueil
qui depuis plufieurs années étoit devenu
fort rare : il met tous fes foins , & ne
ménage rien , tant pour la beauté du
papier , que pour l'impreffion ; auffi
efpére-t-il que fon Edition fera recherchée
des Curieux .
Dans le nombre des grands Cabinets
qui font en Europe , on ne craint point
d'affurer que celui du Roi mérite à cet
égard une forte de préférence. François
I. en eft regardé comme le Fondateur.
Ce Prince magnifique enrichit la France
de quantité de Tableaux du premier
ordre ; ce fut lui qui fit faire à Raphaël
ces deux Tableaux inimitables , le Saint
Michel & la Sainte Famille , que l'on
voit à Versailles. Ce Cabinet étoit déja
devenu l'objet de l'admiration générale ,
lorfque M. Colbert qui ne refpiroit que
la gloire de fon Prince & l'utilité publique
, entreprit de le faire connoître par
le moyen des Eftampes. Il fit diftribuer
des Tableaux aux plus excellens Graveurs
; mais la mort de ce Miniftre interrompit
ce beau projet ; il ne parut
JUILLET. 1763 . 161
alors que trente-fix Eftampes , lefquelles
forment le volume des Tableaux gravés
dont les planches font dans le Cabinet
du Roi ; il y avoit lieu de craindre qu'on
n'en demeurât là fi M. Crozat animé
du même zéle , n'avoit repris la même.
idée .
,
Son premier volume commence par
deux Eftampes fingulières , ce font deux
Peintures antiques que M. Crozat fit
deffiner dans Rome , afin qu'on pût
avoir une idée de la façon dont les Anciens
ordonnoient leurs Tableaux ; on
trouve enfuite tous les Tableaux de Raphaël
qu'on conferve en France , & qui
font en affez grand nombre ; ceux- ci
font fuivis des productions de Jules Romain
, & des autres Elèves de Raphaël ;
& faifant ainfi paffer en revue tous les
Peintres qui ont illuftré l'Ecole Romaine
, le Recueil eft terminé par les Ouvrages
de Carle Maratte , & par ceux des
Artiftes qui dans ces derniers temps ont
occupé dans Rome les premières places.
Toutes ces Eftampes font précédées
par des Deſcriptions , & par un Abrégé
de la vie des Maîtres , éxact & fouvent
accompagné d'Anecdotes curieufes
qu'on ne rencontre point dans les autres
Livres qui traitent de la Peinture .
162 MERCURE DE FRANCE .
- Le fecond volume contient les Ef
tampes gravées d'après les Tableaux ou
les Deffeins des Peintres de l'Ecole Vénitienne
ou de Lombardie , comme le
Georgion , le Titien , P. Veronèse , &
autres Maîtres auffi illuftres , dont les
compofitions font riches & agréables ,
& qui jufqu'alors n'avoient point encore
été gravées.
Le premier volume , ( c'est-à- dire , la
partie des Estampes , qui commence
avec l'Ecole Romaine jufqu'au Mucian, )
eft compofé de quatre- vingt- dix Piéces ;
le refte de cette Ecole & de l'Ecole Vénitienne
confiſtant en quatre-vingt-douze
Piéces , forme le fecond volume.
Le fieur Bafan vient auffi d'acquérir
toures les Planches qui compofent le volume
connu fous le nom duCabinet d'Aguilles
, compofé de cent dix-huit Eftampes
gravées par Coelmans & autres , d'après
les Tableaux des plus célébres Peintres
Italiens , Flamands & François ,
qui compofoient le Cabinet de M. Boyer
d'Aguilles , Confeiller au Parlement de
Provence ; il fait auffi imprimer , avec
tout le foin poffible , ce Recueil , & il
efpére dans quelques mois pouvoir procurer
au Public des Exemplaires de ce
volume qui , depuis plufieurs années ,
étoit auffi devenu rare.
JUILLET. 1763. 163
Comme depuis plufieurs années ledit
fieur Bafan a gravé ou fait graver beaucoup
de Planches , il vient d'en former
deux volumes qu'il a fait imprimer
avec beaucoup de foin , fur le papier
de grand Aigle fin .
Le premier volume contient cent Eftampes
gravées d'après des Tableaux des
meilleurs Maîtres Flamands & François,
tirés des plus cèlebres Cabinets de Paris ,
& qui repréfentent tous des Sujets &
des Payfages fort agréables .
Le fecond volume compofé de cent
cinquante autres Eftampes , n'eft pas
moins intéreffant. On y voit , comme
dans le premier , divers morceaux agréa
bles , pris d'après les Ouvrages des plus
excellens Peintres des Ecoles Flamande
& Françoife, & quelques Sujets auffi qu'à
fourni l'Ecole Italienne , & qui par la
compofition font d'un goût exquis.
A la tête de chaque volume , il y a
une Deſcription de chacun des Sujets
qui le compofe ; les deux volumes fe
vendent féparément l'un de l'autre , au
gré des Amateurs.
PRIX des Volumes annoncés ci -deus .
Les deux volumes du Crozat , compofés
de cent quatre-vingt deux Eftam164
MERCURE DE FRANCE .
pes , imprimées fur le papier fin de Co.
lombier , fe vendent en feuilles , dans
deux Porte-feuilles fait exprès , la fomme
de cent quarante livres.
Les mêmes Eftampes imprimées fur
le papier de grand Aigle , dans deux
Porte-feuilles faits exprès , fe vendront
cent foixante - dix livres .
Les cent dix- huit Eftampes qui compofent
le Cabinet d'Aguilles , ſe vendront
en feuilles , dans un Porte -feuille
fait exprès , foixante- douze livres
& quatre-vingt-dix livres imprimées fur
le grand Aigle fin .
Les deux volumes qui compofent
l'Euvre du fieur Bafan , fe vendront ,
en feuilles , cent vingt livres chacun .
>
On trouvera chez le fieur Bafan
Graveur à Paris , demeurant dans le
quartier S. Jacques , des Exemplaires
defdits volumes reliés ou brochés ;
Ainfi que chez les principaux Libraires
& Marchands d'Eftampes de toutes
les grandes Villes de l'Europe.
On trouve auffi chez ledit fieurBafan
un affortiment général de toutes fortes
d'Estampes Etrangères & Françoifes ,
tant anciennes que modernes , & des
Deffeins de tous les Maîtres.
JUILLET. 1763. 165
7.ON TROUVE chez le fieur Ouvrier,
Graveur d'Estampes intitulées l'une l'EcolHollandoife,
l'autre l'Ecole Flamande,
d'après les Tableaux originaux de M.
T. Eiſen le Père. Ces deux morceaux
qui nous paroiffent auffi agréables que
bien exécutés , fe vendent chez l'Auteur
, Place Maubert , maifon du fieur
Bellot , Bonnetier , au Soleil d'or. Chaque
Eftampe fe vend 3 liv.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SPECTACLES DE LA COUR .
A CHOISY.
ONNa donné dans la Salle du Château
de Choify , divers Spectacles , en
préſence de Leurs Majeftés . Le premier
( le 13 Juin ) étoit Ifmene & Ifménias
ou la Fête de Jupiter , Opéra en trois
Actes , compofé exprès pour fervir aux
Divertiffemens de la Cour. Le fujet de
cet Opéra eft tiré des Amours d'Ifmene
& d'Ifménias . Ce qu'on a emprunté
de ce Roman , fe réduit à l'é166
MERCURE DE FRANCE.
poque de la Fête de Jupiter célébrée
par les Peuples d'Euricome. Ils affembloient
tous les ans dans le Temple de
ce Dieu tous les jeunes Garçons de
leur Ville , qui n'avoient point encore aimé
; on en choififfoit au fort parmi eux
pour aller annoncer le jour de la Fête
aux villes voilines. Le fort étoit regardé
comme la voix du Ciel , c'eft ce
qui fait nommer dans l'Opéra Ifménias,
l'Envoyé des Dieux. Il falloit que ces
Envoyés revinffent indifférens comme
ils étoient partis ;, fi quelqu'un manquoit
à ce devoir éffentiel de fon emploi , un
châtiment févère attendoit le Prévaricateur
à fon retour. Ifmènias choifi pour
célébrer cette fête Ifméne chargée
de le recevoir & de lui rendre les honneurs
au nom du Peuple & l'amour
mutuel de l'un & de l'autre , font les
incidens que le Poëte a faifis comme les
plus propres à conferver l'unité de lieu.
dans fon Sujet.
,
La Scène eft à Euricome.
JUILLET. 1763. 167
ANALYSE d'IS MENE &
d'ISMENIAS , Opéra.
PERSONNAGES.
(a ) AZARIS , Roi d'Euricome ,
ACTEURS.
le Sr Gelin.
ISMÉNIAS , Envoyé des Dieux , le Sr Jéliote.
THEMISTHÉE , Père d'Ifménias
& grand Sacrificateur , le Sr Larrivée.
ISMENE , Princeffe d'Euricome, la Dlle Arnoud.
La PRETRESSE du Temple
de l'Indifférence ,
L'AMOUR ,
UN BERGER ,
}
la Dlle Dubois L.
Le Sr Dubut.
CHOEURS de divers Peuples , de Sacrificateurs ,
de Prêtres , de Prêtreffes , de Nymphes , ' de
Plaifirs , d'Ombres , &c .
Dans le premier Acte le Théâtre repréfente
le Palais des Miniftres de Jupiter
à Euricome.
•
(a )Pour refferrer l'action dans les bornes de la
Fête de Jupiter & mettre Ifménias dans la néceffité
de perdre Ifméne ou de lui faire ſon aveu
l'Auteur lui a donné ce Roi pour rival , quoiqu'il
n'en foit pas mention dans le Roman. Il a
penfé auffi devoir fubftituer au Perfonnage de
Crathiftène ami d'Ifménias celui de fon Père
Themifthée , comme plus intérellé à veiller fur
la gloire de fon fils & pluséclairé fur les périls.
168 MERCURE DE FRANCE.
SMÉNIAS promet à Thémifthée fon
père , qui le félicite fur les honneurs.
qu'il va recevòir , d'être fidéle à fes
fermens & de triompher quoiqu'en gémiffant,
des efforts de l'amour. Themifthée
apprend à fon fils qu'Azaris , Roi d'Euricome
, va nommer une Reine , &
que cette cérémonie l'appelle au Temple.
Ifménias refté feul , fe rappelle
l'amour qu'Ifmène lui avoit infpiré ; il
fent que fon retour rallume en lui des
feux que l'abfence , plutôt que le devoir
, avoit affoupis . Il attend Ifmène ,
il s'excite à retenir au moins dans le
fecret de fon coeur un amour que les
circonftances rendroient criminel. Ifmène
vient à la tête de la jeuneffe d'Euricome
rendre hommage à Ifménias .
La fuite d'Ifmène étant retirée , vous,
femblez, dit - elle alors à Ifménias , peu
fenfible aux honneurs que vous rend un
Peuple qui vous aime. Ifménias commence
à s'expliquer ainfi fur fa fituation
avec Ifmène.
» Rien n'eft égal à ma gloire fuprême :
›› Couronné dans ce jour des mains de la Beauté ,
» L'excès de ma félicité
» Séduiroit Jupiter lui-même.
» Mais
JUILLET. 1763 .
169
» Mais quand il faut toujours longer
A ſe garder , à fe défendre
Du plaifir trop fateur que le coeur peut y
» prendre ,
» La gloire cft bien près du danger.
Ifmène feint de croire que l'amour
voudroit en vain foumettre Ifménias ,
celui-ci craignant de la laiffer dans cette
erreur , & craignant en même -temps
de fe trop déclarer , répond :
Epris d'un zéle téméraire ,
Je jurai d'échapper à fon enchantement.
>> Le croiriez-vous ? chaque moment m'éclairè
» Sur l'imprudence du ferment.
7
Cette Scène eft interrompue par les
Peuples qui viennent annoncer à Ifmène
qu'elle eft choifie pour Reine. Elle fe
défend de répondre à d'autres qu'au Roi
fur cette proclamation , & pendant cette
fête , plongée dans une profonde rêverie
ainfi qu'Ifménias , l'un & l'autre
s'obfervent mutuellement. Azaris ( le
Roi ) arrive. Lui-même invite fes Peuples
à reconnoître Ifmène pour leur Souveraine
, en faisant l'éloge de la Beauté
qu'il termine par ces jolis vers.
I.
Voi
H
170 MERCURE DE FRANCE.
» De l'Univers quand on fit le partage
» L'Amour n'eut point d'Empire limité
» Il ne voulut pour appanage
» Que la Beauté .
Ifmène rejette modeftement l'offre
du Trône & demande qu'il lui foit permis
de fe confacrer à l'Indifférence .Azaris
la fuit en fe promettant de perfifter
dans fes tendres projets. Ifménias inquiet
, interroge fon père fur le fuccès
de cet événement ; la gloire de préfider
à l'union du Roi avec Ifmène loin de
flater fon coeur le déchire,& lui arrache
l'aveu de fon amour c'eft-à-dire en
ce moment , d'un crime que lui-même
regarde avec éffroi. Il implore la fagefle
& les confeils de fon père , qui de fon
côté fait tous fes éfforts pour ranimer
fon courage. Ce qui donne lieu à des
Duo croifés qui terminent cet A&te.
Au 2 Ace , le Théâtre repréſente
des bois confaerés à Diane fous le titre
de Déeffe de l'Indifférence . On voit
dans le fond le Temple de cette Déeffe .
Les Prêtreffes chantent les avantages
de l'Indifférence. Ifmène vient pour
entrer dans ce Temple , la grande Prêtreffe
l'exhorte à mériter par un prompt
facrifice les . faveurs , de la Déeffe &
JUILLET. 1763. 171
l'introduit dans le Temple. Ifménias
vient auffi de fon côté chercher la paix
du coeur dans cet afyle. Le Temple
s'ouvre & lui laiffe voir Ifmène prête à
y prononcer fes voeux , au milieu des
Prêtreffes qui tiennent le voile qu'elles
lui deftinent . Ifménias & elle font troublés.
La Prêtreffe cherche à raffurer
Ifmène fur le fecours que celle - ci n'efpére
& même ne defire déja plus . Elle
évoque les ombres des Amans malheureux
pour retracer les images des maux
que produit l'Amour ; ce qui donne
lieu à un très-beau Ballet figuré , pour
lequel le Théâtre change & repréfente
une Place publique de la Ville de Corinthe.
Ce Ballet peint la cataſtrophe
tragique des nôces de l'infortunée Créi
fe avec Jafon ; la Jaloufie , le Défefpoir
& la Vengeance y font perfonifiés
& conduifent toute l'action par laquelle
Médée empoifonne le don fatal qui doit
donner la mort à Créife ; après quoi
elle vient fur fon char jouir de fa vengeance
, & pour la combler , jette à Jafon
le poignard dont elle vient d'égorger
fes enfans. Le Défefpoir s'empare de
ce malheureux Prince , tandis que les
Miniftres infernaux des fureurs de Médée
enflamment & détruifent le Palais
de Créon. Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
Dans ce Ballet , qui doit être regardé
comme une épiſode Pantomime liée au
Sujet , Médée étoit repréſentée par la
Dlle LYONOIS ; Jafon par le fieur
VESTRIS ; Créüfe par la Dlle VEStris ;
la Jaloufie par la Dlle ALLAR D ; la
Vengeance par- la Dlle PESLIN ; le Défefpoir
par le Sr LAVAL . Les autres
Perfonnages des Entrées générales par
les Danfeurs & Danfeufes du Corps de
Ballets du Roi & de l'Académie Royale
de Mufique. Après que le Choeur des
Ombres malheureufes a exhorté les mortels
à brifer les chaînes de l'Amour ,
tous ces objets funeftes difparoiffent ,
& l'on fe retrouve devant le Temple de
Diane , dont la Prêtreffe , infpirée, rend
un double Oracle qui met Ifmène &
Ifménias dans une fituation encore plus
embarraffante qu'auparavant. S'adreffant
à Ifménias.
•
- Ifménias , à l'amour le plus tendre
» Vainement dans ces lieux on voudroit t'arra-
>> cher ;
» Ifmène feule peut te rendre , .
» Le calme heureux que tú viens y chercher.
à Ifmène.
»De ce coeur agité combattez la tendreſſe ;
JUILLET. 1763. 173
Peignez-lui lestourmens de l'empire amoureux,
» C'eft l'épreuve que la Déeſſe
»Attend pour recevoir vos voeux.
Après cet Oracle prononcé , la Prêtreffe
fe retire dans le Temple. Ifméne
& Ifménias étonnés de cet Oracle en fe
confultant l'un l'autre , fe déclarent involontairement
leurs feux.-
"
>>Qui croiroit ( dit Ifménias à Ifmène ) que le Ciel
→ yous choiſit en ce jour ,
» Pour m'inſpirer de l'indifférence !
Eh qui choifiroit-il pour fervir fa puiſſance
» S'il vouloit m'inſpirer l'amour !
Cet aveu entraîne celui d'Ifmène ;
mais Ifménias apprend d'elle en mêmetemps
, que preffée par les pourfuites
du Roi, Ifmene va fe confacrer à Diane ;
& pour arrêter fes progrès dangereux
& faire rentrer Ifménias dans le devoir
en lui ôtant tout efpoir , elle commence
le ferment.
›› Je jure. …………
>
Elle eft interrompue par l'arrivée du
Roi qui , par les invitations les plus ten-
H üj
174 MERCURE DE FRANCE.
dres cherche à l'arracher des Autels
de Diane. Ifmene n'en paroît que plus
affermie dans fa réfolution . Ifménias annonce
au Roi que dans ce moment les
Prétreffes vont déclarer fi Diane veut
recevoir les voeux d'Ifmène . Azaris jure
de s'immoler fur l'Autel où fe confacreroir
Ifmene. Le Temple s'ouvre. La
Prêtreffe en écarte les Prophanes , & s'adreffant
à Ifmène lui dit de la part de
la Déeffe .
» Et toi , dont l'amour eſt vainqueur ,
» Porte loin de ces lieux ton ardeur criminelle ,
» Cours au Temple où l'hymen t'appelle ;
» Dans les noeuds que tu fais va chercher ton
» bonheur.
Le Roi , trompé par cet Oracle dont
il s'applique le fens , croit être l'objet
de cet amour fecret d'Ifmène . Sans
lui donner le temps de s'expliquer il
la preffe de venir aux Autels célébrer
l'hymen qu'il propofe , & charge Ifménias
d'en recevoir le ferment. Ifménias
termine cet Acte par la prière qu'il
adreffe à Jupiter.
Epargne-moi , Maître des Immortels ,
La foudre gronde fur ma tête.
JUILLET 1763.
175
Le troifiéme A&te fe paffe dans le Temple
de Jupiter. Ifmène y vient déplorer le
fort qui menace Ifménias & l'horreur
de leur mutuelle fituation . Themiftée
veut en vain faire croire à Ifménias que
la Princeffe le facrifie volontairement à
l'éclat du Thrône , il eft perfuadé qu'elle
ne fe facrifie qu'à la confervation de fes
jours , mais fa tendreffe s'en irrite ...
"
>> C'eft une barbarie ( dit-il )
» Que de vouloir me fecourir.
>> Par une telle perfidie ,
Il falloit oublier les dangers de ma vie ,
M'aimer, me leprouver en me laiffant mourir.
Tout le Peuple fe raffemble pour la
fête ; Azaris & Ifméne y paroiffent , chacun
préfente fes offrandes & fes voeux
aux Autels de Jupiter ; c'eft Ifmènias
qui préfide à cette religieufe cérémonie ;
c'eſt lui qui invite à chanter ce Dieu ,
relativement aux divers fujets repréfentés
dans de grands tableaux dont le
Temple eft orné. Après les hommages
& les prières adreffées au Dieu , le Roi
preffe Ifmène de venir ferrer les noeuds
de l'union dont il fait fon bonheur.
Ifmène , fans ofer lever les yeux fur
Ifménias , le prie d'implorer pour elle
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
les bontés du Ciel. Les Peuples lui demandent
en choeur d'achever la cérémonie
: mais Ifmène interdite , n'ofe
approcher de l'Autel ; elle y eft prefqu'entraînée
par le Roi. Dans l'inftant
qu'avec lui elle dit » fur ces Autels je
jure Ifménias ne pouvant achever
& tombant dans les bras de Thémistée
interrompt le ferment par ces vers.
» Ofez -vous bien , cruelle
» Pour former ces coupables noeuds ;
» Choifir l'Amant le plus fidéle ?
Azaris , Themifthée & Ifmène s'écrient
chacun en même-temps.
Qu'entends- je , ô Ciel !
Ifménias ne ménage plus rien , &
répond dans fon défeſpoir.
» L'aveu d'une ardeur criminelle .
ISMENEà Ifménias.
» Cruel , tu veux mourir !
ISMÉNIAS.
» Et pour une infidelle.
ISMEN E vivement.
» Je ne l'étois fauver ces jours.
que pour
AZARISà Ifmène.
» Perfide , vous ofez répondre à fes amours ?
C'est l'arrêt de fa mort.
1
JUILLET. 1763. 177
ISMENE en l'arrêtant.
» C'eſt l'arrêt de la mienne.
Malgré les inftances d'Ifmène , malgré
les prieres de Themiftée , des Sacrificateurs
enchaînent Ifménias à l'Autel ;
mais au moment qu'ils vont l'immoler
l'Amour paroît dans un nuage qui s'entrouve
& arrête la fureur des Peuples &
de's Sacrificateurs. Jupiter n'eft armé ,
leur dit- il , que pour venger l'outrage
qu'on fait à l'Amour...
.
Servir l'Amour , c'eft imiter les Dieux.
Ce Dieu unit lui - même Ifmène &
Ifménias ; & pour ne pas laiffer Azaris
malheureux , il éteint dans fon coeur la
flâme dont il brûloit , & le rend tout
entier à la gloire . Azaris invite fes Peuples
à rendre hommage à l'Amour par
leurs plaifirs. Ainfi naît la fête qui termine
cet Opéra d'une façon auffi brillante
qu'agréable.
REMARQUES.
Le Poëme eft da Sr Laujon , Secrétaire des
Commandemens de S. A. S. Mgr. le Comte de
Clermont. Nous prions cet Auteur de pardonner
à la néceffité de nous reftreindre , le tort que nous
luja faifons en fupprimant beaucoup de détails
1
་
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
heureux , répandus dans cet Ouvrage & qui
foutiennent avantageufement la réputation qu'il
s'eft déja acquife dans ce genre.
La Mufique eft d'un Anonyme , qui avoit prouvé
déja par d'autres Ouvrages qu'il eft poffible
d'atteindre à des fuccès flateurs dans un Art qu'on
n'exerce que par goût & pour fon amuſement.
Dans la mufique de cet Opéra , remplie de chofes
fçavantes & agréables , l'Auteur a fait entendre
ce que peut ajoûter au talent naturel le defir de
plaire à un Maître pour lequel le zéle redouble
à mesure qu'on a l'honneur de le fervir de plus
près.
Nous avons nommé les principaux Danfeurs qui
éxécutoient le Ballet du zme Acte , Pantomime
du grand genre , de la plus belle compoſition &
peint avec toute la vérité & l'énergie dont l'art
eft capable. Dans les autres Actes les pas diftingués
étoient éxécutés par les mêmes Danfeurs
& par les Srs Lani , Gardel , & la Dlle Guimard,
Le
lendemain 14 , les Comédiens
François repréſenterent
fur le même
Theatre le Tartuffe , Comédie en cinq
Actes & enVers de MOLIERE
. Les rôles
étoient diftribués comme elle avoit été
donnée à Paris quelques jours auparavant.
(a ) Le fieur Laujon eft Auteur de plufieur Poëmes
lyriques qui ont été repréſentés devant le
Roi, en diverfes occafions & toujours avec fuccès .
JUILLET. 1763. T 179
PERSONNAGES.
ORGON ,
DAMIS ,
ACTEURS. [
le fieur Bonneval.
le fieur Molé.
CLEANTHE , Beau-frère
d'Orgon ,
-VALERE ,
TARTUFFE ,
L'EXEMPT
LOYAL Sergent .
Le St Blainville.
Le St Bellecour,
… ་
Le Sr Auger ( alors débutant
à la Cour.
Mde PERNELLE , mèreosc
d'Orgón ,
ELMIRE , femme d'Orgon ,
MARIANE , fille d'Orgon ,
DORINE , Soubrette ,
Les Srs Dauberval &
Bouret.
La Dlle Drouin.
La Dile Préville.
La Dile Boligni,
( débutante à la
Cour.
La Dlle Luzzi, débutante.
CETTE Piécè, fut
généralement trèsbien
jouée. On ne rifque point d'éxagérer
en donnant entr'autres les plus grands
éloges à la maniere dont le rôle d'Elmire
fut rendu par la Demoifelle PREVILLE.
On connoît l'extrême délicateffe
dont eft ce rôle , furtout dans le
moment critique où le mari eft fous le
tapis. Il eft impoffible d'imaginer l'ac-
H vj
480 MERCURE DE FRANCE.
cord que cette A&trice conferve entre
la décence la plus régulière , & tout ce
qui rend cette fituation piquante à l'imagination
du Spectateur. Un naturel vrai
& toujours conforme au fens des rôles
eft à préfent le caractère diftinctif du jeu
de la Demoifelle PRÉVILLE . Dans
tout ce qu'elle repréfente , la Comédienne
s'éclipfe totalement , dn ne
voit , on n'entend plus que le perfonnage
même.
La Demoiſelle DROUIN , qui n'avoit
pas eu encore occafion de paroître à la
Cour dans des rôles importans de caractères
, a reçu des témoignages très- flateurs
fur celui de Madame Pernelle ,
qu'elle vient d'y jouer.
Le fieur AUGER , déja admis à l'effai
avec appointemens , a été aggrégé entierement
au , nombre des Comédiens
ordinafres du Roi , après fon début à
Ja Cour. Les talens & les difpofitions de
la Demoiſelle LUZZI y ont été fort goûtés
, & elle a été reçue aux appointemens
de 2000 liv. Nous aurons occafion
de parler plus amplement , dans l'ar
ticle des Spectacles de Paris , de ce qui
concerne cette jeune Débutante .
Le Tartuffe fut fuivi d'une repréfentation
de l'Oracle , Comédie en un A&te
JUILLET. 1763. 181
& en Profe du fieur SAINT- FOIX . Cette
Piéce fi connue & toujours fi juftement
applaudie fit un très- grand plaifir , & le
fuccès de la Demoifelle DOLIGNI y fut
au moins égal à celui qu'elle avoit eu
dans fon début à Paris. Nous en avons
rendu compte dans le Mercure précédent
; qu'il nous foit permis d'y renvoyer
nos Lecteurs , & de nous applaudir en
même tems des éloges que nous avons
donnés à ce jeune Sujet , puifque nous
avons eu la fatisfaction de les voir confirmer
par toute la Cour , avec autant
d'étendue qu'ils l'avoient déja été par le
Public de la Ville. Dans cette feconde
Piéce le rôle d'Alcindor ou Charmant
étoit joué par le fieur Molé , &
celui de la Fée par la Dlle DROUIN.
Le lendemain 15 , on repréſenta
Manco Tragédie , par le fieur le
.Blanc , dont la premiere repréſentation
venoit d'être donnée à Paris deux
jours auparavant. Les Acteurs qui repréfenterent
dans cette Tragédie , étoient
les fieurs BRISART , leKAIN , MOLÉ ,
BELCOUR , BLAINVILLE , PAULIN
D'AUBERVAL , DU BOIS , les Demoifelles
DU BOIS & D'ESPINAY . On
parlera de cette Piéce dans l'Article de
2
Paris.
182 MERCURE DE FRANCE .
Après la Tragédie , on donna l'Anglois
à Bordeaux , Comédie en un
Acte , en Vers libres , du fieur FAVART.
Piéce compofée à l'occafion de
la Paix , dont on avoit donné quelques
repréſentations à Paris au mois de
Mars dernier (a). Les mêmes Acteurs , y
compris la Demoiſelle Dangeville , retirée
de la Comédie , jouoient dans cette
Piéce les rôles qu'ils avoient remplis
lors de fa premiere repréſentation . Ils
ont été tous admirablement éxécutés .
Il eft inutile de dire les graces , le naturel
& la fineffe que la Demoifelle DANGEVILLE
met dans celui de la Comteffe
, & le plaifir qu'elle a fait à la Cour ,
ainfi que le fieur PREVILLE , qui fembloit
avoir encore ajouté de nouveaux
agrémens au talent avec lequel on l'avoit
vu rendre le rôle de Sud-mer à Paris.
Cette Comédie a fait autant d'honneur
à fon Auteur par les fuffrages unanimes
de la Cour , & le plaifir qu'elle y
a procuré , que par les applaudiffemens
( a ) Voyez l'Extrait de cette Piéce dans le ze
volume d'Avril & le compte que l'on y rend des
applaudiffemens avec lefquels elle fut reçue.
L'Edition de l'Anglois à Bordeaux , dédiée à
M. le Duc de Praflin , le trouve à Paris chez Duchefne
, rue S. Jacques.
JUILLET. 1763. 183
•
& l'affluence qu'elle attire au Théâtre
de Paris.
Rien ne doit auffi contribuer davantage
à l'encouragement du Théâtre
François , que la bonté avec laquelle le
Roi a daigné s'expliquer , pendant ce
voyage , fur les talens de fes Comédiens
actuels & fur la fatisfaction qu'ils
avoient eu l'honneur de lui procurer.
,
Le Jeudi 16 , il devoit y avoir une
feconde repréſentation de l'Opéra d'Ifmène
& d'Ifménias , qui avoit été redemandé
; mais l'indifpofition de la Demoiſelle
ARNOULD qui y chantoit le
principal rôle , mit obftacle à fon éxécution.
On choifit pour fuppléer à ce Spectacle
l'Acte de Vertumne & de Pomone
& celui du Devin du Village , qui
avoient été donnés cet hyver à la Cour
fur le Théâtre de Verfailles . le Ballet
Pantomime de Médée & Jafon ( b ) du
fecond Acte d'Ifmène & Ifménias fut
danfé entre ces deux Actes ; & l'on
ajouta l'Ariette du troifiéme Acte de
cet Opéra au divertiffement du Devin
du Village.
( b ) Ce Ballet ( ainfi que tous ceux des Opéra
qui s'exécutent à la Cour , eft de la compofition
des Srs Laval , père & fils , Maîtres des Ballets
de S. M.
184 MERCURE DE FRANCE.
Le zéle de chacun des Sujets qui compofoient
ce Spectacle , & qui concouroient
à toutes les parties de fon éxécution
, fuppléa au peu de temps qu'on
avoit eu pour le préparer ; & cette éxécution
, qui fut très- belle, parut fatisfaire
tous les fpectateurs .
M. le Dauphin , Madame la Dauphine,
ainfi que Meſdames de France , étoient
à Choify.
Dans l'Acte de Vertumne & Pomone ,
le fieur JELIOTE éxécutoit le rôle de
Vertumne , le fieur GELIN celui de
Pan , & la Demoiſelle le MIERRE
(épouse dufieur Larrivée ) celui de Pòmone..
Tous ces Spectacles ont été donnés
( ainfi que tous ceux de la Cour ) fous
les ordres de M. le Duc de DURAS ,
premier Gentilhomme de la Chambre
en éxercice , & conduits par M. Papillon
de la Ferté , Intendant des menus ,
plaifirs & affaires de la Chambre , & c.
L'éxécution de tout ce qui concerne
la Mufique dirigée par le fieur Rebel ,
Surintendant de la Mufique du Roi
de femeftre .
N. B. La Salle du Théâtre de Choify
a été dorée depuis l'année derniere , &
eft actuellement décorée- avec autant de
goût que de magnificence.
JUILLET. 1763. 184
SPECTACLES DE PARIS.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
CONCERTS FRANÇOIS .
O
Na repris le Vendredi 3 Juin , ! e Concert
, commençant
par l'ouverture
de Pigmalion
, & c. donné pour la premiere
fois le 6 Mai.
Le 10 , on a repris un Concert donné
le 27 Mai , commençant par l'ouverture
des Talens Lyriques , &c.
Le 10 , reprife du Concert commençant
par le Prologue de Tarfis & Zélie ,
& c. donné le 20 Mai .
Le Vendredi 24 , on a donné un Concert
nouveau qui méritoit le fuccès brillant
qu'il a eu. Il a commencé par l'Accord
des Dieux , PROLOGUE de NAïs
à l'occafion de la Paix ; différens morceaux
d'Opéra plus agréables lés uns
que les autres fuivirent ce début. Le
Concert fut terminé par des fragmens ,
dans lesquels on chanta partie du divertiffement
du troifiéme Acte d'Iffé.
Mademoiſelle CHEVALIER Y chanta
avec beaucoup de diſtinction , ainſi que
186 MERCURE DE FRANCE.
Mademoiſelle ARNOULD qui porte partout
jufques au Concert le charme du
fentiment qu'elle exprime. Mademoifelle
LARRIVÉE fit très-grand plaifir ,
dans un Roffignol , morceau du genre
qui lui eft fpécialement propre , & dans
lequel cette Cantatrice peut toujours
compter fur les fuffrages du Public .
Meffieurs GELIN , LARRIVÉE & DURAND
, chanterent auffi dans le même
Concert avec le fuccès que méritent
proportionellement leurs talens & leurs
voix .
Le zéle des Directeurs pour le choix ,
l'arrangement & l'éxécution de ces Concerts
ne s'étant point démenti juſqu'à
préfent , l'empreffement du Public a
toujours été le même ; enforte que neuf
Concerts , depuis deux mois ont produit
de recette la fomme de 28392 liv .
L'Académie - Royale de Mufique
n'ayant point actuellement de Théâtre ,
& n'ayant pû conféquemment donner ',
fuivant l'ufage,des marques de fon zéle
dans les réjouiffances publiques , par la
repréſentation gratis de fon Spectacle ;
on y a fuppléé par un très- grand concert
de fymphonie , éxécuté le 20 , ( jour de
l'inauguration de la Statue du Roi ) dans
Te jardin du Palais des Thuilleries, fur un
JUILLET. 1763 . 187
Amphithéâtre illuminé , conftruit contre
la façade du Palais.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LE Mercredi premier Juin , on a donné
la premiere repréſentation de la Manie
des Arts , ou la Matinée à la Mode ;
Comédie en un Acte en Profe , par
M. ROCHON DE CHABANNES . Cette
Piéce fut reçue avec beaucoup d'applaudiffemens
, & fon fuccès s'eft conftament
foutenu pendant dix repréſentations
, nombre auquel il a été reſtraint ,
non par la fatiété du Public , mais par les
circonftances qui ont exigé , comme on
le verra ci-après , la remife d'un Ouvrage
confacré à la réjouiffance publique.
Cette agréable Nouveauté eft un enfemble
de Scènes pittorefques fur une
manie dans nos moeurs actuelles , & qui
par conféquent ne doit pas être jugée d'après
les loix des Drames réguliers . Nous
allons tâcher d'en donner une idée aux
Lecteurs par l'analyſe ſuivante.
188 MERCURE DE FRANCE.
UNE COMTESSE Bel-efprit ,
PERSONNAGES.
FORLISE ;
Mde FORLISE , mère de
Forlife .
ACTEURS.
M. Bellecour.
Mlle Huff
Mile Dumefnit.
UN PHILOSOPHE, M. Brifat.
DU COLORIS , Peintre , - M. d'Aubeval
ALLEGRO , Muficien M. Bouret.
M. Molé
M. Auger.
DORILAS , Poëte ,
UN GASCON ,
DUMONT , Valet de Chambre
de M. Forlife
LAQUAIS , Perſonnages muets.
M. Préville,
Là Scène eft dans un Salon de M. Forlife.
MR de Forlife eft un homme de condition
, Amateur & Artiſte qui fe pique
de tout , & ne fe doute de rien . Ila un
Poëte qui fait des Vers pour lui , un Muficien
qui compofe la Mufique , un Peintre
qui barbouille en fon nom. Le fond
de cette Piéce n'eft qu'une audience du
marin . Un homme fenfé ouvre la Scène.
Ila rencontré M. Forlife dans une mai-
( a ) Cette Piéce imprimée fe vend chez Sébaftien
Jorry , Imprimeur , rue & vis - à-vis la
Comédie Françoiſe. Le prix eft de 24 fols.
JUILLET. 1763 . 189
fon , on lui a annoncé un Protecteur
des Arts , il s'eft prévenu en fa faveur ,
M. Forlife s'eft paffionné pour lui, & ces
difpofitions favorables leur ont fait fouhaiter
de lier connoiffance enſemble.
L'homme fenfé vient voir & admirer
M. de Forlife. Tout ce qu'il apperçoit
en entrant chez notre Protecteur diminue
bien de l'eftime qu'il avoit conçue
pour
lui. C'est un Protecteur Artifte . Il
voit de mauvaife Mufique fur le bureau ,
un Tableau déteftable fur le chevalet ,
des inftrumens répandus çà & là dans le
Salon , tout cela lui annonce la manie
de M. Forlife , & le caractère de fes
Protegés ; il prend le parti de les attendre
, de les examiner & d'en rire .
-
Un Peintre & un Muficien entrent.
Notre homme s'écarte & les écoute. Ils
débutent par dire du mal de M. de Forlife.
Le Philofophe s'en amufe. Ils lui
font aujourd'hui baffement leur cour
fe, difent ils entr'eux , mais patience ,
quand ils auront fait leur chemin , ils lejmeneront
comme un petit Monfieur. Le Philofophe
les interrompt pour les encourager
, ils font un peu étourdis de fon aparation
, mais il les raffure en leur difant
qu'il ne veut pas leur nuire. Il les perfifle
cruellement , il voudroit bien voir
190 MERCURE DE FRANCE.
entrer M. de Forlife , ils feroient une
bonne fcène enfemble , à ce qu'il s'imagine
, On ouvre , c'eft M. Dumont , le
Valet-de- chambre de M. de Forlife , ils
s'en étoient plaints , & ils volent au-devant
de lui . Notre homme fenfé qui ne.
croit pas cette Scène moins curieuſe à
voir que celle du Maître , s'affeoit à l'écart
& laiffe agir nos lâches. M. Dumont
les reçoit avec morgue & impudence ,
ils l'accablent de complimens , de politeffes
, de fadeurs , ils le font affeoir , &
fe tiennent debout devant lui. M. Dumont
les entretient leftement. Cependant
il est démonté par l'afpect du Philofophe
qui tranquillement affis , l'obferve & fe
moque de lui . Il veut l'entreprendre
mais il ne s'en trouve pas bien. L'homme
fenfé le fait rentrer en terre & fe
retire fans vouloir voir fon Maître .
Cette Scène déconcerte un peu M.
Dumont , qui tâche à fe remettre de fon
trouble vis - a-vis de fes Protégés : fon
Maître arrive & le tire d'embarras.
M. de Forlife entre en robe de chambre
fuivi d'un nombreux domestique .
C'est une Scène d'impertinences. Il fe
fait habiller , parle à Dumont , à fes
Protégés , fait des queftions , n'attend
pas les réponſes, joue la diftraction , l'inJUILLET.
1763. 191
folence , la fottife , & renvoie le Pein-
& le Muficien. M. Allegro lui laiffe fon
Opéra , & ille charge en s'en allant d'en
remettre les parties copiées à fes Muficiens,
il en exécutera quelque chofe s'il
a un moment à lui .
Forlife refté feul avec Dumont , ordonne
qu'on faffe entrer Dorilas s'il
fe préfente , c'eft fon Poëte. Il veut lui
montrer une Tragédie qu'il vient de
faire ; il en eft enthouſiaſmé. Il ordonne
à Dumont de le laiffer tranquille ;
fon démon le faifit , il entre en verve
il va mettre la derniere main à ce chefd'oeuvre.
Dumont lui obéït & s'amufe
à faire de petits vers.
L'arrivée de Dorilas les tire de cette
occupation . Forlife congédie Dumont
charge Dorilas du foin de corriger fa
Piéce , & vole à fon tableau qu'il veut
finir. Dorilas qui trouve la Piéce déteftable
, & qui ne veut pas fe donner la
peine de la corriger en dégoûte affez
adroitement le Marquis , en lui perfuadant
qu'il y a des idées trop fortes dans
fon ouvrage , que jamais cela ne paffera.
Forlife le croit , le remercie de la
fageffe de fes confeils , & renonce à fa
Tragédie. Il lui propofe de s'attacher à
lui , d'accepter fon Secrétariat , qui eſt
192 MERCURE DE FRANCE ,
vacant. Ils feront les plus belles chofes
du monde enfemble. M. Dorilas accepte
la propofition du Marquis qui lui
demande s'il eft Muficien , & tout de
fuite lui racle un mauvais air fur le
violon.
Une femme de qualité de fes amies
arrive fur ces entrefaites , défend à Dumont
de l'annoncer , & furprend M. le
Marquis faifant de la Mufique . Elle veut
voir ce que c'eft. Le Marquis lui dit
qu'il éxécute un air d'un Opéra de fa
façon ; la Comteffe examine , parcourt
l'Opéra , trouve une Arriette de fon
goût ; on l'engage à la chanter , elle y
confent. M. le Marquis veut l'accompagner
, mais il a une paralyfie dans fes
doigts , il n'eft pas en train , il fait entrer
fes Muficiens & la Comteffe
chante avec eux. Dumont vient annoncer
ici Madame Forlife la mère. C'eſt
une femme ſenſée & raiſonnable , tous
les vifages fe refrognent ; cependant on
fait bonne contenance . Elle entre
vient parler à fon fils en faveur d'un
homme d'un vrai mérite , l'engage à le
préfenter au Miniftre. M. de Forlife ne
lui prête qu'une légère attention , il n'a
point de crédit , il n'importune guères
le Miniftre. La Comteffe confirme le
difcours
JUILLET. 1763. 193
7
difcours de M. de Forlife ; il y a fix mois
qu'elle perfécute M. le Marquis pour
préfenter un de fes protégés qui a fait
les Vers charmans pour fa Chienne , &
M. le Marquis eft encore à faire un pas.
Madame Forlife hauffe les épaules ,
prie fon fils d'avoir égard à fa recommandation
& fort. Entre alors un Gafcon
impudent qui vient fe préfenter
pour Secrétaire ; il fait les honneurs de
fa perfonne , & détaille tout fon petit
mérite dans un petit Placet qu'il a fait
en petits Vers ; on l'écoute : il le chante
, on eft enchanté , il le danſe , on n'y
peut plus tenir ; on oublie Dorilas , &
on lui donne fa place. Cependant Dumont
entre avec une lettre de Valere ;
c'eſt un Auteur comique de fa connoiffance
qui lui a lu , pour fe moquer de
lui fans doute , quelques Scènes épifodiques
d'une Comédie intitulée la Matinée
à la mode , & qui lui envoye demander
un dénouement. M. Dumont
toujours habilè en expédiens , dit que
l'Auteur n'a qu'à envoyer dîner fes
Acteurs , que c'eſt là le dénouement
d'une matinée. On convient qu'il a raifon
, M. de Forlife le prie de les envoyer
auffi dîner , il dit qu'on a ſervi ;
le Marquis donne la main à la Com-.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
teffe , engage Dorilas & le Gafcon à
diner . Le Gafcon accepte , & Dorilas
fe retire en renoncant pour jamais aux
Grands & à leur matinée.
Nous voudrions , pour le plaifir des
Lecteurs & pour rendre juftice aux talens
de l'Auteur , que les bornes de nos
Extraits nous permiffent de rapporter
ici tous les détails fpirituels , philofophiques
& agréablement écrits
dont cette Piéce eft remplie . Nous nous
contenterons de tranfcrire , trois Scènes
priſes indiftin&tement , pour donner une
idée du Dialogue de la Piéce à ceux qui
ne pourroient s'en procurer la lecture.
Scènes pour donner une idée du
Dialogue.
L'Auteur introduit fur la Scène deux protégés
de M. For life , qui difcourent enfemble , pendant
qu'un homme raifonnable & tiré dans un coin ,
les obferve & les écoute .
UN PHILOSOPHE. Mrs DU COLORIS
& ALLEGRO .
ALLEGRO .
Si c'eft du bel air que de fe faire attendre ,
il faut convenir que M. Forlife attrape mieux
cer air- là que perſonne.
DU COLORIS .
Il ne fait pas apparemment , que le temps
JUILLET. 1763. 195
qu'un Grand fait perdre à l'attendre , eft toujours
employé à parler mal de lui ,
Bon.
LE PHILOSOPHE à part.
D. C ,
Je ne connois rien de plus ridicule que ce perfonnage.
A. L.
D. C.
Dites de plus impudent.
Il a la manie de tout fçavoir , & ne fçait -
rien .
A L.
Il veut être Artifte , Muficien , & nous le fommes
pour lui..
LE PHIL. à part.
Voilà deux Lâches qui font le portrait d'un Sot .
A L.
Et avec tout cela il ne nous ménage pas.
D. C.
Il nous traite avec orgueil , avec mépris .
Patience que j'aie fait mon chemin .
AL.
Que je me voye au- deſſus de mes affaires
D. C.
Comme je vous le méne ce petit Monfieur .
196 MERCURE DE FRANCE .
A L.
Comme je lui fais changer de ton. Je ne veux
plus qu'on me parle Mufique.
D. C.
Ni moi , Peinture.
A L.
Je me refufe aux empreffemens des Sots.
D. C.
On me retient à dîner trois mois d'avance ,
& je manque.
A L.
Moi j'y vais ; mais c'eft pour boire , manger ,
& ne dire mot ; fi je chante , ce n'eft que par
contradiction .
LE PHILOSOPHE les abordant.
bravo ! mes bons amis, bravo , rampans d'abord,
impertinens après ; c'eft dans l'ordre , voilà le
caractère des gens médiocres.
Scène du Protecteur. Son entrée.
FORLISE fuivi d'un nombreux Domestique .
ALLEGRO, DUCOLORIS. DUMONT ,
fon Valet de chambre.
FORLISE.
lui donnant un rouleau
de papier.
Mille pardons , Meffieurs , mille pardons, ..
tenez M. Dumont.
DUMONT.
Malpefte ! c'eft la Tragédie.
JUILLET. 1763. 197
FORLISE.
Point de curiofité M. Dumont ; mettez tout
cela fur mon bureau qu'on m'habille ....
à Dumont.
Vous permettez ....
à propos , as- tu porté ce
Livre chez la Ducheffe ?
DUMONT.
Oui. Je lui ai dit qu'il étoit d'un de vos Amis ,
qu'il falloit qu'elle le trouvât bon.
A merveille .
FORLISE.
DUMONT.
Elle m'a remis celui- ci , qu'il faut que vous
trouviez mauvais.
FORLISE.
C'eft jufte...eh bien, mon cher M. Ducoloris ,
que dites-vous de notre Tableau ?
remarqué ? ...
D. C.
Des changemens confidérables .
FORLISE.
... avez-vous
Dont vous êtes content fans doute
D. C.
Mais oui , l'on ne peur nier
FORLISE .
.....
Dumont , je fors à trois heures , ayez foin d'en
prévenir mon Cocher .....
DUMONT.
Mais M. le Marquis , vous ne fçauriez fortir.
FORLISE.
Comment : ... mon habit ... vous ne finiffez
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
...
pas entre nous ce que vous faites , mon cher
Ducoloris ce Tableau avoit grand befoin
d'être retouché ... je ne fçaurois fortir, M. Dumont
... ma montre ... apportez- vous notre
Opéra , mon cher Allegro ?
Le voici.
ALLEGRO.
FORLISE.
Qu'est - ce qui me retient donc , M: Damont
qu'eft- ce qui me retient donc? répondez ...
DUMONT.
A qui répondre ? ......
..
FORLISE. à Allegro.
Avez-vous fait copier les parties ? ..
Oui , Monfieur.
ALLEGRO.
1
Toute la Scène eft fur ce ton-là ; & finit pa
ce trait : M. de Forlife veut aller rendre vifite à
Montfort. C'est un jeune Artifte qu'il veut mettre en
réputation , c'eft une vifite effentielle , cela marquera
. Comment faire ? il eft retenu chez lui , il a dumonde
à diner Dumont lui dit.
Vous voilà bien embarallé , envoyez votre caroffe
à la porte , cela lui fera autant d'honneur
que fi vous y.alliez vous niême.
SCENE X I.
Madame Forlife la mère vient s'intéreЛler pour
un homme de mérite. M. de Forlife lui prête une
légère attention... Envoyez - moi votre homme,
iui dit-il , que je le voye , que je caule un peu
avec lui. Sa mère lui répond que ce n'eft pas un
homme à fe morfondré dans une antichambre.
JUILLET. 1763 . 199
Une Comteffe qui eft là demande ironiquement
à Mle Forlife s'il ne faut pas que le Marquis
aille au -devant de fon Protégé .
M. FOKLISE.
Eh pourquoi non , Madame , il faut quelquefois
aider le talent , aller au- devant du mérite. L'hom ·
me pour qui je m'intéreffe , craint le mépris des
Sots , le jargon des beaux - efprits , la table des
Riches , l'audience des Grands , & la Toilette des
femmes.
LA COMTESSE.
Et avec toutes ces petites frayeurs - là , on n'attrape
rien ; les places fe donnent aux gens qui
les demandent , qui les follicitent.
M. FORLISE.
Quelquefois à ceux qui les méritent ; il eſt encore
des Riches & des Grands qui ne donnent pas aux
Flateurs & aux Sots les places qui appartiennent
au mérite & à la vertu , vous les voyez chercher
avec emprellement le grand homme , lui tendre
une main bienfaifante , le protéger , l'enhardir ,
& vaincre fa milantropie par la délicatelle de leurs
procédés . Ils dédaignent l'encens , les pe its foins ,
& la fervile adulation des gens mé fio.res , ils eftiment
, its aiment même la fimplicité & la franchife
des hommes de génie . Voilà les Protecteurs
que je révére , voilà ceux à qui je voudrois que
vous reflemblaffiez , mon fils , ils font les foutiens
des Arts & de la Littérature , les autres en font
lés fléaux & les detrufcurs . Le véritable Protecteur
eft un Dieu bienfaifant qui purge un champ
de mauvaiſes herpes , pour en ranimer les plantes
falutaires
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
REMARQUES.
S'il y a du danger à jetter un ridicule fur la
protection de goût que les Grands & quelques
gens riches accordent aux Arts & aux Artiſtes : il
y a certainement un grand avantage à dégoûter,
s'il eft poffible , quelques Fats de l'efpéce de M.
de Forlife de la honte dans laquelle ils les font
tomber , foit par une forte de tyrannie qu'ils
exercent fur les Artiftes , foit par le mauvais
choix que ces ridicules Protecteurs prétendus Artiftes
eux-mêmes font de leurs Protégés . Choifis
ordinairement dans un ordre affez médiocre
pour fervir avec baffeffe leur vanité ; malheureufement
ils donnent , par des intrigues ou
par des prodigalités , des dégoûts rebutans aux
talens fupérieurs . Le motif général de cette petite
Piéce doit donc être approuvé par tous les
vrais Amateurs. Il eft fâcheux peut-être que
l'Aureur air eu la facilité pour lui-même de fe
renfermer dans un fi court efpace , & de s'autorifer
par- là à ne pas étendre plus loin les peintures
vives & bien faifies des caractères dont ce
Sujet eft fufceptible. Heureux cependant le Poëte
Dramatique auquel on n'a d'autres reproches à
faire que de s'être arrêté trop tôt dans fon travail
! Combien l'amour- propre de tant d'autres
a lieu de fe repentir de s'être impoſé des travaux
trop étendus !
Mademoiſelle LUZZI a continué fon
début pour les rôles de Soubrette
dans les Bourgeoifes à la mode , & le
Cocher fuppofé. Enfuite par le rôle de
Cléanthis dans Démocrite , & la SouJUILLET.
1763. 201
brette dans le Galant Jardinier. Dans
les Trois Confines , par le rôle de Colette
, où elle a eu affez de fuccès pour
être redemandée après fon début fini .
Y
Les autres Piéces de ce début ont été
les Menechmes , la Serenade , le Légataire
, &c. Plus cette jeune Débutante
a paru fous les yeux du Public & des
Connoiffeurs éclairés , plus elle a rempli
l'efpoir qu'on avoit conçu de fes
talens , & l'on eft généralement confirmé
aujourd'hui dans celui qu'on doit
attendre de fes progrès . La forme extérieure
, comme nous l'avons déja annoncé,
n'a rien en elle que de très - favorable
, une taille légère & de la hauteur
précisément convenable au fexe . De
très-beaux yeux , propres à marquer
fenfiblement toutes les expreffions. Il
ne dépend même que de cette jeune perfonne
de reftituer à fa phyfionomie toute
la fineffe dont elle eft fufceptible , à la
place de ce qu'elle offre aujourd'hui
d'un peu trop grave , en fupprimant le
ridicule abus , introduit parmi les femmes
de nos jours , des chevelures élevées
& cannelées, fur le front, comme les
Buftes de quelques Romaines du temps
des Céfars ; genre de coëffure , qui ne
fera jamais d'accord avec le caractère
I v
292 MERCURE DE FRANCE .
à
d'une Soubrette Françoife . Les difpofitions
du côté du talent ne font pas
moins avantageufes ; & cultivées , comme
elles font par les foins du plus grand
Acteur comique de nos jours * , elles doivent
porter ce Sujet en peu
de temps
la perfection. Quoique l'on ait reconnu
dans la Débutante , les principes éclairés
qui la dirigent , on n'a pas moins apperçu
qu'il y a en elle un fond naturel d'intelligence
, de facilité , & de jufteffe
dans le débit du Dialogue , qui a concouru
à rendre les leçons plus fructueufes
, & qui donnera en propre à cette
jeune éléve les lumières que lui a
prêtées l'art de fon Maître.
Le Lundi 13 , on donna fur ce Théâtre
Manco , premier Ynca du Perou ,
Tragédie de M. le Blanc. Cette Piéce
parut longue , on y applaudit beaucoup
d'endroits. On en retrancha plufieurs
Vers , & elle fut repréfentée ainfi avec
ces retranchemens le Mercredi fuivant à
la Cour & le lendemain à Paris , où elle
a été continuée pendant fix repréſentations
jufqu'à la repriſe de la Piéce faite
à l'occafion de la Paix .
Le fond du fujet de cette Tragédie
améne naturellement dans les détails
des difcuffions entiérement philofophi-
* M. Préville .
JUILLET. 1763.
203
ques fur l'établiffement des fociétés , &
fur la préférence du frein des Loix civiles
à la liberté vague & fans bornes de la
vie purement animale . Nous ferons part
à nos Lecteurs de quelques-uns de ces
détails , qui méritent & de l'attention &
des éloges , auffi-tôt qu'on nous aura
donné les moyens d'en rendre compte ,
& de les rapporter avec la précifion &
l'exactitude convenable.
Le 21 , les Comédiens François fignalerent
, felon leur ufage , leur zéle dans
les rejouiffances publiques , par une repréfentation
gratis du Mercure Galant ,
qui fut fuivi des Trois Coufines , avec
les trois divertiffemens de cette Piéce.
Le Peuple qui y courut avec affluence ,
y parut prendre le plus grand plaifir , par
l'attention que les Auteurs eurent à tout
ce qui pouvoit y contribuer. les Spectateurs
marquoient à tous momens les
tranfports de leur fatisfaction par des
cris réitérés de Vive le Roi. A la fin du
Spectacle on leur livra le Théâtre fur lequel
ils danferent , ainfi que dans le
Parterre pendant très- longtemps , jufqu'à
ce que comblés de joie , ils allaffent les
uns après les autres en répandre les mouvemens
dans la Mille! b
Le Lundi 27 , on donna fur ce même
I vj
204 MERCURE DE FRANCE,
Théâtre la premiere repréſentation de la
repriſe de l'Anglois à Bordeaux , Comédie
en trois Actes en Vers libres de
M. FAVART , avec un divertiffement de
la compofition de M. VESTRIS , éxécuté
par les Danfeurs du Roi & de l'Opéra.
Nous avons parlé de cette Piéce (a) ,
nous en avons donné un extrait détaillé
ainfi il ne nous refte à rendre compte
que de l'extrême plaifir qu'en fait la reprife
, & de la perfection avec laquelle
elle eft rendue , ainfi qu'elle l'avoit été
précédemment à la Cour.
On n'a point vu & l'on ne peut voir
de plus grande affluence à aucun Spectacle
qu'en a attiré celui - ci . L'Anglois à
Bordeaux étoit précédé du Mifantrope ,
qui fut très-bien joué par M. BELCOUR
faifant le principal rôle , & par tous les
Acteurs principaux qui repréfentoient
dans ce chef- d'oeuvre de notre Théâtre .
Après cette grande Piécé , M. MOLÉ
s'avança comme pour les annonces
erdinaires , & fit au Public le difcours
fuivant :
,
- (@ V.le II. Vol. d'Avril & l'Article précé
dent des Spectacles de la Cour.
omom
JUILLET. 1763. 205
MESSIEU ESSIEURS
» Nous vous avons annoncé la retraite
de Mlle DANGEVILLE. Sa
» fanté ne lui a pas permis defuivre plus
longtemps la carrière laborieufe du
裴» Théâtre ; mais elle y reparoît avec
» tranfport , dès qu'il s'agit de prendre
» part à la joie publique . C'eft un ef-
"fort que fes Supérieurs ont defiré ;
» fes camarades en ont fenti tout le prix
» fon coeur s'eft trouvé d'accord avec
» eux. L'occafion étoit trop intéreffante
pour n'êtrepas faifie par une ame fenfible.
C'eft un tribut que Mlle DAN-
» GEVILLE paye au bonheur général
» & à la reconnoiffance qu'elle conferve
des bontés dont vous l'avez honorée.
»
22.
Nous devons auffi , Meffieurs , aux
talens diftingués qui compofent les
2. Ballets du Roi & de l'Académie Royale
» de Mufique , le témoignage du zéle
» avec lequel ils ont bien voulu concou-
» rir à décorer un Spectacle que tous ceux
» qui peuvent y contribuer , defireroient,
» Meffieurs , vous rendre auffi agréable
" par fa représentation que par fon
»principe.
Auffitôt que Mlle DANGEVILLE ,
206 MER CURE DE FRANCE.
dont le rôle ouvre la Piéce avec celui
de Darmant , parut fur le Théatre , des
applaudiffemens univerfels & continués
pendant très-longtemps l'empêcherent
de continuer ; on eut lieu de craindre
même , à l'état de trouble où cette circonftance
mettoit fa modeftie , que cela
ne lui occafionnât une révolution qui
mît obſtacle à fa bonne volonté. Le
filence le plus éxact ayant enfin fuccedé
à ce tranfport , cette incompara-
&trice joua comme on l'a toujours
vu jouer , c'eft- à-dire au plus
haut degré de perfection que l'imagination
puiffe concevoir dans l'art de la
Repréfentation Théâtrale . Elle fut fecondée
admirablement par tous les
autres Acteurs de cette Comédie, entre
autres par M. PREVILLE dans le rôle
de Sudmer , encore plus nouveau , encore
plus finguliérement agréable quë
la première fois qu'on l'a vu paroître
dans ce rôle.
SUJET du Ballet de la compofition de
M. VESTRIS , exécuté à la fin de
Anglois à Bordeaux,
Le fond du Théâtre eft dans l'obfcurité ; tout
y peint l'horreur de la guerre , on entend le
bruit des armes joint à celui du canon . Des OuJUILLET.
1763. 207
vriers de tout métier , des Matelots occupés au
débarquement des navires font dans l'abbattement.
Un groupe de nuages traverſe les airs ; il
paroît porter une Divinité. Tout le Peuple le
fuit des yeux ; ils voyent MINER VE en defcendre
, elle porte des branches de Laurier & d'Olivier
entrelacées ; elle va parler , les Peuples
font attentifs : elle annonce le retour de la Paix .
Les bruits de la Guerre cellent ; tous les travaux
reprennent leur activité générale ; furtout ceux
des Sculpteurs occupés à dégroffir une maffe de
rochers , fur laquelle eft affife une Tour qui porte
un Phare pour éclairer les vaiffeaux qui entrent
dans le Port. Apollon ( repréfenté par le Sigur
VESTRIS , ) fuit Minerve , comme Dieu des
Arts , il préfide aux travaux des Sculpteurs qui
fe propofent d'ériger un monument. Pour en accélérer
l'exécution , il frappe la Tour , elle s'écroule ,
on voit à la place la Statue équefire de LOUIS
XV, qui décore la Place de Bordeaux . Ce même
Dieu raffemble les François , les Espagnols , &
les Anglois , qui par leurs danfes variées & brillantes
, célébrent le commun bonheur de l'Europe,
ce qui forme ce Ballet , un des plus magnifiques
qu'on ait vu fur ce Théâtre , tant par la diftinction
des talens fupérieurs qui le compofent , que
par le nombre & la compofition des entrées ,
ainfi que par la magnificence & là galanterie des
habillemens.
On a continué avec le même faccès & le même
concours de Spectateurs , les repréſentations
de ce Spectacle intéreffant,, On doit remarquer
à la louange des Comédiens François , l'attention
qu'ils ont pour l'intérêt du bon goût, d'avoir
faifi cette occafion , pour remettre Tous les yeux
des Spectateurs François aflemblés en grand nom208
MERCURE DE FRANCE.
bre , les admirables productions de MOLIERE ,
afin de faire connoître à plufieurs d'entre eux qui
ſe contentoient de l'entendre dire , les modéles du
fublime Dramatique , & les monumens les plus
glorieux de la Nation dans ce genre de Littéra
ture.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN n'a point donné de nouveautés
fur le Théâtre de la Comédie Italienne
depuis notre précédent volume ; on
en attend une fort intéreffante par fon
objet & par fes Auteurs , puifqu'elle eft
composée à l'occafionde la Paix , & que
le Poëme eft de M. FAVART & la Mufique
de M. PHILIDOR.
Le Mercredi 22 Juin , troifiéme jour
des Réjouiffances publiques , on donna
pour le GRATIS les Caquets , Comédie
en trois actes , le Retour d'Arlequin,
petite Piéce Italienne en un Acte , &
le Bucheron , Comédie en un A&te , mêlée
d'Ariettes , avec le Ballet des Pierrots.
On voit par le nombre & par le choix
de ces Piéces , que les Acteurs de ce
Théâtre n'ont rien épargné de tous les
genres qu'embraffe aujourd'hui leur
Théâtre , pour en régaler le Peuple dans
une occafion fi éclatante.
JUILLET. 1763. 209
Le Spectacle a commencé à 11 heures
du matin & n'a fini que fur les trois heu
res après midi .
Les Spectateurs qui étoient en trèsgrand
nombre ont beaucoup applaudi
& ont danfé des menuets & contredanfes
pendant les entr'Actes & après la
fin de toutes les Piéces. Malgré l'affluen
ce du Peuple & le tumulte de la joie ,
tout s'y eft paffé dans le meilleur ordre.
L'ouverture du Théâtre fe fit par une
Symphonie de M. DAUVERGNE avec
Timballe & Cors- de- Chaffe qui fit un
très grand plaifir & excita beaucoup
d'applaudiffemens.
-
CONCERT SPIRITUEL
Du Jeudi 2 Juin.
LE Concert commença par une Symphonie de
Stamtiz. Enfuite Mlle ROZET chanta un motet à
voix feule . M. MAYER joua une Sonate de Harpe
de fa compofition. On éxécuta enfuite un Trio
de Stamitz, Mlle FEL y chanta un motet à voix
feule , & Mlle HARDI un air Italien . M. CAPRON
joua un Concert de Violon ; & le Concert finit
par Omnes gentes , motet à grand Choeur.
N. B. Lepeu d'efpace qui nous refle , nous empêche
de placer dans ce volume l'état actuel des Acteurs
& Actrices qui compofent les deux Comédies. Ilfera
inferé dans le volume prochain , & comme cela nous
210 MERCURE DE FRANCE.
.
a été demandé pour guider les Dictionnaires ou autres
Ouvrages de Bibliographie fur les Théâtres ,
lefquels tombent quelquefois dans des erreurs à cet
égard , dorénavant on placera chaque année ces
états dans un des volumes de Juillet . On donnera
celui de l'Opéra , lorfque ce Spellacle fera l'ouverture
defon nouveau Théâtre.
N. B. En rendant compte , dans le
précédent Mercure des OEuvres de Théâtre
de M. PALISSOT DE MONTENOY ,
imprimées à Paris chez Duchefne , rue
S. Jacques , nous avions obmis de parler
de la Comédie intitulée le Cercle ou
les Originaux , faifant partie d'un divertiffement
éxécuté fur le nouveau
Théâtre de Nanci le jour de la Dédicace
de la Statue de Louis XV par ordre
du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , le 26 Novembre 1755 .
Non-feulement le rapport de la circonftance
qui a donné lieu à ce divertiffement
avec celle des jours de fêtes
qu'on vient de célébrer , doit exciter la
curiofité fur cette Piéce , mais encore
les Préfaces , les Mémoires & autres
Morceaux qui l'accompagnent,dans lefquels
on trouve la fource & le développement
de tout ce qui a donné lieux aux
querelles envenimées excitées entre
F'Auteur & quelques Gens de Lettres.
C'eft une des parties de ce Recueil dont
la lecture eft la plus intéreffante .
,
JUILLET. 1763. 211
ARTICLE VI.
CÉRÉMONIES ET FESTES
PUBLIQUES .
L
AVERTISSEMENT .
Es fêtes publiques n'ayant été terminées que
le 23 du mois précédent , il ne nous reftoit pas
affez de temps pour en donner des Relations détaillées
, comme nous nous propofons de le faire
dans les Volumes faivans . Pour fatisfaire cependant
le jufte empreffement de nos Lecteurs à ce
fujet , nous avons fait des efforts afin de leur en
donner au moins dans celui - ci , un Précis Sommaire
, mais exact . Nous espérons qu'en faveur.
de notre artention & de nos foins , on voudra
bien nous exculer d'avoir, retardé de quelques
jours la diftribution du Mercure de ce mois.
CÉRÉMONIES ET FESTES ,
A L'OCCASION DE L'INAUGURA-.
TION DE LA STATUE DU ROI
DANS LA PLACE DE LOUIS XV.
ET DE LA PUBLICATION DE LA
PAIX.
L.E Corps de la Ville de Paris fembloit n'avoir
confulté que ſon zéle & celui des Citoyens , dans
les premiers Projets de fêtes qu'elle fe propofoit
de faire éxécuter fur les dellens du fieur
Moreau fon Architecte , & qu'elle avoit eu l'honneur
de préfenter au Roi . L'attention paternelle
212 MERCURE DE FRANCE.
de Sa Majesté a daigné réduire les dépenfes confidérables
où elle avoit intention de s'engager par
la magnificence de fes Projets , en ne lui permettant
pour les réjouillances publiques que ce qui a
été fait pendant les 20 , 21 & 22 du mois précédent
, ainfi que nous allons le décrire.
Le premier jour zo Juin , deſtiné à célébrer
l'inauguration de la Statue du Roi dans la Place
de Louis XV. on a fait le matin la Cavalcade &
Cérémonies d'ufage.
Le Corps de Ville , en robes de Cérémonie à
cheval & en équipages très magnifiques accom
pagné de fes Gardes , fe rendit vers les dix heures
du matin à l'Hôtel de M. le Duc de Chevreufe
, Gouverneur de Paris , pour le joindre , & continuer
avec lui la marche juſqu'à la Place de
Louis XV . Il étoit accompagné de fes Gardes ,
tous avec des nouveaux uniformes , & d'un nombreux
Cortége de Domeftiques , de Gentilshommes
& de Pages fuperbement vêtus . L'équipage
de fon cheval étoit de la plus grande richelle &
chargé de diamans. Celui des chevaux de main
n'étoit pas moins riche ,, par les magnifiques
broderies qui en couvroient les houffes , ainfi que
celle d'un très-beau cheval de parade , tenu avec
des longes de treffe d'or par deux hommes d'écurie.
Lui même monté fur un cheval gris & dans
l'habit le plus riche , entre deux Ecuyers ou Gentilshommes
, jettoit avec profufion de l'argent au
Peuple , pendant tout le cours de la marche ; &
les trompettes d'argent de M. le Gouverneur accompagnées
des timballes, ainfi que celles de la
Ville , fonnoient inceffament des fanfares. Le
Négre , Timballier de M. le Gouverneur étoit
fingulierement remarquable , par la richeffe de
fon habillement , & par une coëffure en forme
de turban , ornée de divers rangs de perles & de
JUILLET. 1763. 213
diamans de couleurs , le tout furmonté d'un trèsbeau
pannache de plumes.
Lorfque cette marche entra dans la Place au
bruit des fanfares de fa mufique & de très - nombreux
orcheſtres difpofès près du Pont tournant
des Thuileries , ainfi qu'à celui des acclamations
de la multitude qui rempliffoit ce vafte eſpace ;
les voiles qui couvroient la Statue & Piedeſtal
devoient tomber ; mais l'imprudence d'un Ouvrier
avoit avancé de quelques momens ce point
de la Cérémonie. Toute la Cavalcade fit le tour
de la Place , & parvenue en face de la Statue ,
chacun de ceux qui la compofoient s'arrêtant & ſe
découvrant , on fit les faluts d'hommage ufités en
pareille occafion , au bruit des boëtes , du canon •
des bruyantes fymphonies , de la mufique , & des
cris d'allegrelle de tout le Peuple. Enfuite toute
cette marche retourna dans le même ordre juf
qu'a l'Hôtel de M. le Gouverneur où elle le reconduifit
, & de- là à l'Hôtel- de- Ville .
Le foir , il y eut illumination dans la Place par
des cordons de lumière fur les baluftres dont elle
eft environée , & par des girandoles pofées fur des
piedeftaux dans toute fon enceinte . On avoit difpofé
deux rangs de lumières fur des poteaux élevés
, dans la longueur de la grande allée des
Thuileries , qui conduifoient jufqu'à un amphi
théâtre illuminé élevé contre la façade du Palais
, fur lequel fe donnoit la ferenade de fymphonies
par l'Académie Royale de Mufique , dont
nous avons parlé dans l'Article des Spectacles.
Le 2me jour 21 Juin , la Paix a été publiée
dans 14 endroits de la Ville , y compris la nouvelle
Place , par la Ville & la Jurifdiction du Châ
telet réunies , avec les céremonies & formalités
accoutumées. L'efpace qu'avoit à parcourir cette
214 MERCURE DE FRANCE
nombreufe cavalcade , remplit tout le temps.de
cette journée. a)
Le troisième jour 22 Juin confacré aux Fêtes &
Réjouiffances publiques dans toute la Ville , fut
annoncé par les Salves ordinaires du Canon , &
le Te Deum fat chanté à Notre- Dame avec le
Cérémonial ufité .
On avoit préparé dans la longueur de plus de
480 pieds fur la Terraffe du Palais de Bourbon ,
des Loges ornées en Damas cramoifi , avec un
Luftre dans chaque divifion , pour contenir environ
, 000 perfonnes ; s'étant trouvées toutes remplies
vers les cing heures après midi , la Fête , fur
la Rivière , commença par des Joûtes qu'exécuté- ,
rent des Bateliers vêtus de blanc & ornés de rubans
fur des Bateaux peints de diverfes couleurs , auxquels
on diftribua des Prix .
A l'entrée de la nuit , on tira le grand Feu
d'Artifice qui avoit été préparé fur la Rivière ,
mais le violent Orage qui étoit furvenu ce même
jour fur les deux heures , avoit tellement endommagé
tout l'Artifice figuré de Feux de lances de
diverfes couleurs qui compofoient la décoration
du Temple élevé fur une Terraffe de Rochers ,
qu'aucune partie ne put prendre , & que l'on fut
privé par cet accident, pour ce jour- là , de la partie
principale de ce magnifique Spectacle ; ( b ) mais
ce qui en formoit un , denton ne peut le faire une
trop grande idée , étoit le vafte Baffin du Pont
Royal jufqu'à Chaillot , dont les Berges & les
Quais entiérement couverts d'une multitude innombrable
de Spectateurs , offroit l'image réelle
( a ) On donnera dans le Mercure prochain des
états détaillés des marches & cavalcades .
(b ) Le corps de Ville pour remplir l'objet de fon'
zéle & la fatisfaction des Citoyens , doitfaire éxéJUILLET.
1763 . 215
d'une Nation entière affemblée pour une grande
Solemnité . On conçoit de quelle variété de couleurs
étoit peint cet immenfe tableau , dont les
figures fur des plans en gradation , quoique
tranquiles & fans confufion , produiloient cependant
un mouvement léger & continuel qui l'animoit
& foutenoit perpétuellement l'agrément de
la vue. L'artifice , qu'on appelle Feux d'air qu'il
avoit été plus facile de préierver de l'humidité, eut
plus de fuccès . On admira de très - belles fufées
d'honneur , des Bombes d'un fort bel effet & des
Gerbes ou Girandes d'une multitude de fufées
très -brillantes. Le feu de Rivière en ferpenteaux
& autres figures , fournit fans difcontinuation ,
pendant tout le temps du feu des effets très- agréables
& très-variés fur l'eau.
Il y eut le même foir des fontaines de vin avec
des Orchestres dans toutes les places & dans tous
les lieux marqués de la Ville . Toutes les maifons
des Particuliers furent illuminées , & les Hôtels
des Princes , Seigneurs , Magiftrats , s'étoient
diftingués par des illuminations décorées & des
plus brillantes. Celle de la Place de Louis XV ,
qui mérite une defcription particulière , formoit
en lumières la repréfentation des grandes façades
des deux corps de bâtimens qui l'accompagnent
, dont la riche Architecture étoit deffinée
en lumières , ainfi que les appuis des Baluftres ,
avec des Girandoles dans tout fon circuit , & des
Obélifques de pots- à feu fur toutes les guérites
ou petits pavillons , conftruits en différens endroits
de cette Place.
cuter le Dimanche 3 du préfent mois cette partie
brillante du Feu , après y avoir fait faire les réparations
néceffaires . On inftruira les Lecteurs dans
le fecond volume de ce mois , du fucces de cette réparation
, & l'on donnera une defcription entière
de ce Feu.
216 MERCURE DE FRANCE.
Le grand & brillant effet de cette Place con
duifoit , & d'une certaine diftance , paroiffoit toucher
à celui de l'élégante & en même temps
fuperbe illumination des Jardins de l'Hôtel de
Pompadour ( ci - devant l'Hôtel d'Evreux ) qui
font ouverts dans toute leur étendue fur les
Champs Elifées , à peu de diftance de la Place.
Cette Illumination particulière que l'on décrira
avec plus de détail , ainfi que quelques autres qui
ont embelli la Fête générale a retenu jufqu'à
cinq heures du matin un concours incroyable de
Spectateurs tant en carrolle qu'à pied."
On n'a prèfque jamais remarqué en aucune
occafion plus de joie , plus de mouvement &
plus de fatisfaction dans le Public , que pendant
ces Fêtes. La gaîté du Peuple furtout & fon
allégreffe pourroit fe prouver par la prodigieuſe
confommation du Vin & des Alimens qu'il y
a cu à Paris pendant quelques jours.
Les deux Hôtels des Comédiens du Roi étoient
auffi illuminés avec décorations & autant de magnificence
, que leur étendue le comportoir. On
Tifoit , à celui des Comédiens François dans des
cartels pofés entre les lumières , les deux Inſcriptions
fuivantes.
PACE RESTITUTA
REGE DILECTISSIMO
POSITO
FASTILUSUS.
JOCORUM MATER
PAX ALMA REDIT
JOCOSA SOLVIT
THALIA VOTUM .
Les Nouvelles Politiques au Mercure prochain .
AVIS.
JUILLET. 1763. 217
AVIS
Le fieur BзLLEILLE a trouvé le fecret de faire
de la Limonade féche aufli bonne que fi le citron
venoit d'être preflé . Cette Limonade peut fe
porter partout , & le conferve . Elle eft fort com -
mode pour ceux qui font à la campagne & pour
les voyageurs & tous autres . Elle eft très-faine &
rafraîchillante , beaucoup meilleure que le firop
de Limon, Elle fe vend chez la veuve Belleville
Marchande Limonadière , rue du petit Carreau
aux Armes de France ..
Il y a des flacons à 3 liv, & à 6 liv.
Le Sr ROUSSEL donne avis au Public qu'il
trouvé un fecret pour les Glandes , la Goutte ,
Rhumatifmes & Maux de Gorge. C'est une Pommade
que
l'on applique extérieurement ; il faut
un papier brouillard , une compreffe & une bande
pardellus.
Sa demeure eft rue Jean-de- Lépine , près la
Grêve , chez M. Dumont , au Saint- Efprit.
Noms & demeures de quelques - unes des Perfonnes .
qui ont été guéries .
GLANDE S.
YO
M. de Gomicour , Commiffaire des Chevaux-
Légers de la Gardes, des Glandes au col..
La Fille- de-Chambre de Madame Poriquet ,
Procureur au Grand - Confeil , rue Baillet .
Mlle Toutain , qui en avoit vingt à la poitrine
, depuis fept ans , rue Quincampoix , vis -à- vis
la Porte de Loriens.
Madame le Prince , Fruitiere , au Marché S.
Germain.
M. Davenne , rue S. Martin , vis- à -vis S. Nicolas
des Champs .
I. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
Madame Chopin , rue de Varenne , vis - à-vis
l'Hôtel de M. de Biron .
La Fille du fieur Flechy , vis - à-vis S. François
de Sales , à Iffy.
GOUTTE S.
M. Toutain , Maître Eventaillifte , rue Quincampois
, vis-à-vis la Porte de Loriens .
Comtois , Cocher de M. le Lieutenant de Roi
aux Invalides ,
Le nommé Pereau , garçon à M. Martin , à la
Compagnie des Indes.
M. Robert , Entrepreneur de la Menuiserie des
Invalides.
Parce reméde on eft foulagé dans le quart d'heure.
ΑΙ
APPROBATION.
3
'AI lu , par ordre de Mónfeigneur le Chancelier
le premier volume du Mercure de Juillet , 1763
& je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
l'impreffion A Paris, ce go Juin 17611
GUIROY ,
ུ །
20
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE】I
ARTICLE PREMIER .
L'HUMEUR , Qde,
प
Pages
INSCRIPTION pour mettre au bas de la Statue
du Roi.
QUATRAIN,fur la Statue équeftre de LOUIS XV.11
A Madame De ***.
EPIGRAMME."""
ibid.
JUILLET. 1763 . 219
DIALOGUE entre Périclès un Grec mo-
2
derne & un Ruffe.
MADRIGAL .
13
21
EPITRE à Mlle D..:
STANCES irrégulières adreffées par Madame
P.... âgée de 70 ans , au Chevalier de
M ***fon ami qui en avoit 80.
EPITRE à Mlle A ***
VERS de D .... à ſa Maîtreſſe.
BELGA abeuntis Lutetia Hendecafyllabi
AZAKIA , Anecdote Huronne .
VERS fur la convalefcence de Madame la
Comteffe de Brionne.
ibid.
24
26
29
ibid.
30
47
48
LE Jugement de Pâris , par Mlle A....
âgée de 17 ans.
EXTRAIT de quelques Lettres de Mde la
Comteffe de Grignan , du Chevalier de
& Grignan , du Marquis de Sévigné , & de
M. de Buffy- Rabutin , Evêque de Luçon. 55
LETTRE du Marquis de Sévigné à fa mère.
EXTRAITS de Lettres de M. l'Evêque de
Luçon à Madame de Grignan.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
.66
73
77 &78
78879
$79.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE de M. Marmontel , à M. De la
Place , Auteur du Mercure.
"
DICTIONNAIRE portatif hiftorique & Littéraire
des Théâtres ; par M. de Léris .
ANNONCES de Livres.
80
103
ΤΟ
104 &fuiv.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAs, III
220 MERCURE DE FRANCE .
SUJETS propofés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux -Arts , établie à l'Au . 128
SLANCE publique de la Société Littéraire de
CHAALONS- SUR- MARNE...
MEDECINE .
EXTRAIT du Recueil des Lettres de Milady
Mary Worthley Montagute.
ART. IV . BEAUX ARTS . -
ARTS UTILES.
CHIRURGIE .
DISSERTATION fur le Lithotome caché ,
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE . P
LETTRE d'une nouvelle Société , à M. De
la Place , Auteur du Mercure de France.
GRAVURE.
129
139
144 }
15%
Avis fur le Recueil d'Eftampes gravées
d'après les plus beaux Tableaux & Deffeins
des principaux Peintres des Ecoles
Romaine & Vénitienne qui font en France
, dans le Cabinet du Roi & dans d'autres
Cabinets , par les foins de M. Crozat. 159
ART. V SPECTACLES. A
SPECTACLES de la Cour à Choify.
ANALYSE d'Ifmène & d'Ifménias , Opéra ,
SPECTACLES de l'aris.
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne.
CONCERT Spirituel.
5163
167
18
187
208
209
211
217
ART. VI . Cérémonies & Fères publiques.
AVIS .
1. De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis - à-vis la Comédie Françoiſe .
1
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1763 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Silius inv
spilionSestpr
Bl
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
>
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi .
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
-pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nom → .
bre de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a jufqu'à
préfent quatre-vingt- quatorze volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du.
foixante-douzième .
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLE T. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS fur la Statue érigée à Sa Majesté.
ENFIN voici l'inftant (a ) où triomphe tes voeux ,
FRANCE , enorgueillis- toi , dreffe ta tête altière ;
( a ) Il y a deux mois auffi que cet inftant eft
paffé , deux mois auffi que ce morceau de Poëfie
eft fait. L'impreffion en a été différée jufqu'à ce
jour par des raifons dont le détail feroit ici plus
qu'inutile. Au refte , fi ces vers font bons , le restard
n'eft rien. Des Sujets comme celui- ci , ont
toujours les graces de la nouveauté ; & l'éloge
d'un bon Roi n'eft jamais hors de faifon , furtout
pour des François.
II. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Ton Monarque aujourd'hui s'éléve vers les Cieus
Et nos foudres d'airain l'annoncent à la Terre. (b)
Allez , volez , beaux Arts , portez- le dans les airs
On peut l'offrir , fans crainte , aux yeux de l'Uni
vers ;
Qu'il juge fi ce front mérite la couronne >
Et fi çe port dément la Majefté du Trône.
Monument adorable , image de mon Roi ,
Qui pourroit contempler tes beautés immortelles
Sans t'aimer , te bénir , fans fouhaiter des aîles
Pour prendre fon éffor & s'élancer vers toi ?
"De contrastes heureux quel divin affèmblage !
Grandeur d'âme , douceur , nobleffe , humanité ,
Tout le trouve exprimé dans ce fuperbe ouvrage
Enfin , il eft fidéie , & c'eft-là fa beauté. 1
PRINCE , fi , par hazard , on pouvoit s'y mé
prendre ;
A ta noble candeur que l'Artiſte à fçu rendre
A l'augufte bonté qui perce dans ces traits
C'eft Trajan ou Titus que je devinerais.
Ainfi méritois-tu d'être immortaliſée ;
Vertu pure & vraiment digne de l'Eliſée ! ( c )
Ah ! qu'on peut déſormais donner un fi beau nom
A ce vallon chéri qu'honore ta préfence !
( b ) Il faut fe rappeller qu'on tira le canon
quand on éleva la Statue.
"
(e) Allufion au lieu où l'on à placé le Roi .
On fait que ce lieu s'appelle les Champs Elifes
JUILLET. 1763.
}
•
Il ne manque plus rien à fa magnificence ,
Tu le viens habiter ; c'eft le facré vallon.
Bruïant enfans d'Eole , épargnez ces bocages ,
Allez porter ailleurs vos funeſtes ravages ;
f
Un Dieu régne en ces lieux , un Dieu vous en
bannit...
La Nature m'entend ; voilà qu'elle obéit. ( ¿)
Dociles à ma voix , les frimats difparoiffent ;
Encore un feul moment , toutes les fleurs renaiffent
;
Tout va reffufciter dans ce lieu plein dappas ,
J'y vois déja , j'y vois fourire la Nature ;
Et l'aimable Printems , qui s'avance à grands pas ,
Y prépare à mon Prince un Temple de verdure .
Si l'on en croit Homère , ainfi le mont Ida ( e )
Accueillit autrefois le Monarque du Monde :
Sa cime en treffaillit & devint plus féconde ;
Des plus vives couleurs la Terre fe para ;
Elle ouvrit fes tréfors , fes parfums s'exhalérent
Les arbres réjouis , à l'inftant s'animerent ;
Une force nouvelle , un efprit tout divin ,
(d) La Statue ayant été placé aux approches
da Printems , c'étoit une circonftance dont il étoit
naturel que la poefie fit fon profit , d'autant plus
que cette circonſtance cadre avec celle des
Champs Elifées .
(e ) La defcente de Jupiter & de Junon fur le
Mont Ida , eft un des plus beaux endroits de l'Iliade.
Il ne faut pas faire à Homère le tort d'en
juger par cette foible imitation ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
S'y gliffa tout à- coup , & réchauffa leur fein ,
Des troncs les plus flétris , les têtes rajeunirent ,
Dans les airs étonnés leurs rameaux s'étendirent ,
Et bientôt Jupiter fe vit un dais pompeux
Qui le cédoit à peine à la voute des cieux.
la Terre en recevant fon Maître.
*
Telle par ut
Ce jour le renouvelle , & tout prêt à fleurir
Ce fortuné vallon femble auffi reconnaître
L'hôte majestueux
qui le vient embéllir.
Venez y déformais , ô coeurs purs & fenfibles ,
( S'il en exifte encor dans nos jours corrompus ,
Fréquentez , chériffez ces retraites paisibles ;
Peut-on fe refufer à l'attrait des vertus ?
Pour moi , comme un oiſeau qui gémit dans le
cage ,
S'il peut fe dérober à la captivité ,
S'élance tout à coup vers le prochain bocages
Et va fur un ormeau chanter fa liberté ;
Sitôt que je pourrai m'échapper de la Ville ,
On m'y verra voler , vers cet aimable aſyle .
Quel lieu plus convenable au penchant de mon
€oeur ?
Quel lieu plus favorable à ma lyrique ardeur ?
L'image des vertus éleve , ennoblit l'âme ,
Et ravit notre efprit fur des aîles de flâme.
Je l'éprouve déja par de bouillans tranſports ;
Je fens naître l'accès du plus heureux délire…..
Mon ſang s'eſt enflammé... ce monument m'inſ
pire...
JUILLET. 1763. 9
CORNEILLE , élances- toi du rivage des morts ;
Prête moi ta vigueur , efprit mâle & ſublime ,
Qui portas jufqu'aux Cieux le grand nom des
BOURBONS ; (f)
Oui, paffe dans mon fein ; que ta verve m'anime
Et me donne aujourd'hui l'audace de fes bonds.
Peintre majestueux de la bonté d' Augufte , (g)
Où font tes grands crayons , tes célébres pinceaux
?
Reprens-les pour un Prince auffi doux aufi
jufte ,
Et retraçons encor d'auffi rares tableaux .
Les hommes , dans tes vers , n'ofoient fe reconnoître
,
Tu les peignois , dit -on , ainfi qu'ils devoient
être ;
'Ah ! peignons , s'il fe peut , celui - ci tel qu'il eft,
Nous n'aurons pas befoin de flater fon portrait.
Mais que fais- je , infenfé ! Ma voix percera -t elle
Les fombres profondeurs de la nuit éternelle ?
(f) Le grand Corneille a fait une infinité de
magniques vers à la louanges de Louis XIV , &
entr'autres un fublime morceau de poësie qui
commence ainfi :
Mánes des grands Bourbons , brillansfoudres de
guerre.
( g ) Dans Cinna,
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ce grand homme à mes voeux ne fera point
rendu ,
Il eft fur fes lauriers à jamais étendu.
Ce fuperbe géant ne peut brifer la chaîne ;
Terraffé , captivé dans fon cachot poudreur ;
Il n'élevera plus cette tête hautaine
Qui touchoit à l'Olympe & l'égaloitaux Dieux.
Ainfi , ne troublons point le terrible filence
Où repoſe à préſent ſa ſublime éloquence :
En vain nous voudrions rallumer ce flambeau ,
Ce feu , qu'ont étouffé les cendres du tombeau
Eh ! quel befoin d'ailleurs d'évoquer fon génie ?
L'harmonie avec lui s'eft - elle enfevelie ?
N'avons-nous pas encor fon rival , fon vain
queur ?
O toi qui du berceau ( h ) t'élançant dans l'arène ,
Terraffa à vingt ans ce vigoureux luteur ,
Dont la chûte étonnante éffraya l'Hippocrène 3
Toi , qui n'en triomphas que pour le protéger ,
Qui prends foin de la gloire , ainſi que de ſa races
Toi qui brilles , hélas ! fous un Ciel étranger ;
Honneur d'un fiécle ingrat , Monarque du Par
naſſe ,
Pour te nommer enfin , Chantre du grand Henri ;
(h) On fçait combien M de Voltaire a été prématuré.
A vingt ans il avoit fait fon @dipe for
fupérieur à celui de Corneille.
JUILLET. 1763. II
Viens , célébrons enſemble an Roi non moins
chéri.
Ami du genre humain , chantes-en les délices.
VOLTAIRE ! fe peut-il qu'aujourd'hui tu languiffest
Si tu nous es ravi par un deftin jaloux ,
Montre- nous que ton coeur eft du moins parmi
nous.
'Accourez-tous enfin , ô modernes Orphées ;
Secondez mes éfforts , accompagnez ma voix ;
Éclatons a l'envi pour le meilleur des Rois ;
Le Pinde à fa vertu doit auffi des trophées.
Quoi ! le premier des arts marche ici le dernier
Allons , réveillez-vous , concourez à fa gloire ;
Et qu'on le voye auffi fur ce fameux courfier (i )
Qui porte les Héros au Temple de Mémoire.
Venez auffi , venez célébrer, fes bienfaits ,
vous tous qui portez le beau nom de Français
Que chacun avec moi l'honore à ſa manière ,
Saluons notre Roi , beniffons notre père ;;
Aux tranſports de nos coeurs donnons un libre
cours ;
Que nos cris redoublés s'élevent dans la nue
Importunons le Ciel en faveur de fes jours,
Et qu'il puiffe durer autant que fa Statue !
Quand nos foibles voix les honorent ,
( *) Alluſion à la Statue qui eft équestre,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Les Dieux prennent pitié de nos bégaiemens
Et leur attention ſe borne aux fentimens ,
Aux voeux de ceux qui les adorent.
Si mon léger tribut t'eſt jamais préſenté ,
Daignes donc , ô mon Roi , le voir avec bonté ,
Ne décourages point ma plume ;
Un Soleil tempéré fait profiter les fleurs ;
Un Soleil brûlant les confume ,
Er dévore àjamais leurs brillantes couleurs.
Par M. GERMAIN DE CRAIN.
ÉLOGE DE
L'INCONSTANCE .
AIR : du Vaudeville d'Epicure .
TOI, Or, qui vas courir la carrière ,
Que l'Amour ouvre à tous les coeurs ;
Si dans la route de Cythère
Tu veux ne trouver que des fleurs :
Que l'Inconftance foit ton guide ;
Garde-toi de fixer tes voeux ;
Sous la loi de ce Dieu perfide ,
Tout coeur conftant eft malheureux .
Qu'un tendre Amant fous fon empire
Brûle d'une fincère ardeur ;
Il le careffe , il le déchire ;
C'eft un Prothée aufond d'un coeur,
JUILLET. 1763. 13
-
Sans craindre fes métamorphofes
Un coeur volage en fes defirs ,
Par un chemin femé de rofes
Marche toujours aux vrais plaifirs .
Trifte victime des caprices ,
Et des mépris d'une Beauté ,
Souvent après mille fupplices
Un coeur conftant eſt rejetté :
Pour prévenir un tel outrage
L'inconftant brave fa rigueur
Et fouvent , quoiqu'il foit volage ,
Sans l'épine il cueille la fleur.
O toi , douce & chère inconftance ,
Qui m'as comblé de tes bienfaits ,
Reçois de ma reconnoiffance
Les hommages les plus parfaits.
Que l'Univers me contredife ,
Moi feul je combats fon erreur :
Oui , l'Inconftance eft ma devife ,
Et d'elle naît tout mon bonheur .
Par M. C** , D. H.
7
$4 MERCURE DE FRANCE.
LA TRUYE ET LA LIONNE
FABLE.
LA Truye à la Lionne adrefſa ce langage :
Hélas ! felon ce que je vois ,
Vous n'êtes guères heureufe en mariage !
J'ai toujours force enfans , & vous , à chaque fois ;
Vous n'en avez qu'un , pauvre mère : ...
Qu'un ? mais c'eft un Lion , lui dit la bête fière.
Bien répondu ! Que fait la quantité
La valeur d'une chofe eft dans fa qualité.
Par M. GUICHARD
BOUQUET.
A Mlle .... en lui envoyant des
Immortelles.
BELLB Iris , un Amant heureux
Pour Bouquet donne à ſa Maîtreſſe
Des Fleurs qui peignent la tendreſſe
Et le bonheur qui couronne les feux :
Elles refpirent l'allégreffe ,
Et fon Amour ingénieux ,
Dans leur tiffu voluptueux ,
Scait aux tranſports de fon ivreffe ,
JUILLET. 1763.
Unir la fateufe promeffe
D'être toujours plus amoureux !
Pour moi , dont la flâme fidelle
Ne peut obtenir de retour ,
Ma douleur me permettroit- elle
Ces riantes fleurs en ce jour ?
Non , elle en offre de moins belles ;
Mais du moins , belle Iris , elles font immortelles
Comme le fera mon amour.
P. B. T. D. L. C. de Parise
Ce 7 Juin 1763.
RÉFLEXIONS SUR HENRI IV.
NIL ACTUM REPUTANS SI QUID
SUPERESSET AGENDUM. Lucain.
Q UAND on confidére ce Prince ,
fa grandeur , fes exploits , fa valeur , fes
lumières , fa douceur , fa bonté , fes
talens pour le gouvernement , ſon affabilité
, fa clémence ; quand on penſe
qu'avec de fi foibles moyens , il a conquis
à la pointe de fon épée un Royaume
tel que la France , qu'il a eu à combattre
à la fois , la Ligue , l'Espagne &
Les foudres du Vatican ; qu'il a eu à
}
16 MERCURE DE FRANCE.
furmonter mille obftacles dont le moindre
fuffifoit pour faire échouer un grand
homme ; que dans tout le cours de fon
régne , il n'a fongé qu'à faire le bonheur
de fes Sujets ; on eft tenté de lui rendre
les honneurs divins : au moins eft- il certain
qu'Augufte , Titus , & peut-être
Trajan même les méritoient bien moins
que lui.
Au fortir de l'enfance , il fit fon apprentiffage
dans l'art de la guerre fous
le fameux Amiral de Coligny ; ce fut à
cette école qu'il apprit à fuppléer au
nombre par l'avantage du terrein , à faire
fubfifter une armée dans un pays ruiné,
à modérer cette impétuofité naturelle au
François , & dont les fuites fouvent ont
été fi funeftes ; à n'engager une affaire
qu'à propos , à fçavoir l'éviter quand il
le falloit , à profiter de la victoire , & à
fe ménager des reffources dans le malheur
, à maintenir la difcipline en confervant
l'affection du Soldat ; ce fut en
un mot à cette école qu'il devint le premier
Général de fon fiécle .
Suivons ce Prince dont toutes les démarches
intéreffent ; voyons-le à Courtras
à la tête d'une armée bien moins
nombreufe que celle de fon ennemi ,
mais compofée de vieux Soldats aguésJUILLET.
1763 .
ris couverts de bleffures , exercés par
vingt ans de combats , accoutumés à
braver la faim , la foif, & l'intempérie
des climats ; tels étoient ces vieux Légionnaires
que Céfar menoit combattre
Pompée ; tels étoient encore ces braves
Macédoniens qui fous Alexandre firent
la conquête du Monde. Le Duc de
Joyenfe n'avoità lui oppofer qu'unejeune
Nobleffe pleine à la vérité de fentimens,
& de courage , mais prefomptueufe &
efféminée , ne prenant d'ordre que du
caprice , & d'un courage aveugle qui
lui faifoit plutôt affronter la mort que
marcher à la victoire . Auffi arriva- til
ce qui naturellement devoit arriver ;
les Légionnaires de Céfar l'emporterent
fur la Nobleffe Romaine ; la victoire
fut complette ; le Duc de Joyeuse
& fon frère furent au nombre des morts.
Après l'affaire de Coutras , il fe ligue
avec ce même Henri III. qu'il venoit
d'humilier , & qui imploroit fon fecours;
il en devient le plus ferme appui . Son
bras feul foutien un Thrône ébranlé par
tant de fecouffes ; il méne le Roidevant
les remparts de Paris. Il alloit lui faire
ouvrir les portes de fa Capitale , lorfque
l'accident funefte qui enleva Henri III.
changea totalement la face des chofes .
18 MERCURE DE FRANCE.
Il hérite par cette mort d'un Royaume
puiffant à la vérité , mais dechiré par
mille factions différentes qui ne s'accor
doient qu'en ce qu'elles ne vouloient
pas le reconnoître ; détefté des Ligueurs ,
mal fervi par les Royaliftes qui ne lui
donnerent que fix mois pour faire abjuration
, fufpect aux Huguenots même.
jamais fituation ne fut plus critique , ni
plus embarraffante que la fienne. Comment
débrouiller ce cahos ? Comment
appaiferles murmures , prévenir les complots
, étouffer les confpirations , ménager
les Catholiques fans fe rendre fufpect
aux Proteftans ? La moindre fauffe
démarche lui faifoit perdre & les uns &
les autres . Que de refus n'effuyat-il pas
du Surintendant le plus prodigue , le
plus prodigue , & le plus diffipateur des
hommes ! D'O faifcit une dépenfe énorme
,
tandis que
le Roi manquoit du
néceffaire ; la table du Surintendant étoit
fervie avec prcfufion , & le Roi portoit
un pourpoint déchiré. Sa douceur , fon
habileté , fa rare valeur , ce courage d'ef
prit que rien n'étonne ,& furtout l'abjuration
du Calviniſme faite à -propos , lui
ramenèrent les efprits , lui gagnerent les
coeurs , & l'éleverent enfin fur unThrône
dont il étoit fi digne.
JUILLET. 1763 .
Tremporta fur le Duc de Mayenne
un avantage confidérable à Arques ,
quoiqu'il n'eût guères plus de trois mille
hommes à oppofer à dix -huit mille ; il
le défit encore à Iviy , & ayant à peine
neuf mille hommes contre plus de trente
mille. Rappellons- nous ces mots fi
dignes d'être cités, & retenus : » Si vous
perdez vosEnfeignes, ralliez-vous à mon
Pannache blanc : vous le trouverez tou-
»jours au chemin de l'honneur & de la
gloire.
-
A
Quels prodiges de valeur ne fit - il pas
dans cette fameufe journée ? Il chargea
plufieurs fois à la tête de fon efcadron ,
& l'Ecuyer du Comte d'Egmont fut
tué de fa main. Lorfque l'affaire fut
· décidée , il couroit de tous côtés criant
au Soldat » Mes amis , épargnons le
fang François.
Le Duc de Mayenne fut vaincu malgré
la fupériorité du nombre , & cela
ne doit point étonner , fi l'on fait at
tention que ce Duc étoit plus longtems
à table qu'Henri IV. au lit. L'activité eft
fans contredit la premiere qualité du Général
; l'expérience d'ailleurs a fouvent
fait voir que la force d'une armée eft
moins dans le nombre , que dans la capacité
de celui qui la commande. Cefar
20 MERCURE DE FRANCE .
fut toujours inférieur à l'ennemi , les
Soldats de Pompée valoient bien les
fiens , mais Pompée ne valoit pas Céfar.
Après l'extinction de la Ligue & la
paix de Vervins , Henri IV. ne s'occupa
que du bonheur de fes Sujets , les
impôts furent diminués , l'ordre rétabli
dans les finances par les foins & les
lumières du Duc de Sully , grand hom
me d'Etat , grand homme de guerre ,
d'une vertu rigide qui facrifioit tout au
devoir & à la gloire de fon Maître .
Quelques années de paix avoient élevé
le Royaume à ce haut point de
grandeur & de gloire qui l'a mis de
tout temps au-deffus de tous les Etats
de l'Europe. Henri IV. voyoit la Couronne
fixée dans fa Maifon par la naiffance
de deux Princes qu'il avoit eus
de Marie de Médicis ; vingt millions
étoient déposés dans les caves de la Baftille
; une armée de cinquante mille
hommes étoit raffemblée fur les frontières
de l'Allemagne ; il alloit partir pour
en prendre le commandement ; le jour
même étoit déja fixé. On ignoroit fes
deffeins ; mais tout le monde fçavoit
les juftes fujets de plainte qu'il avoit
contre la Maifon d'Autriche : elle lui
retenoit le Royaume de Navarre ; & que
JUILLET. 1763.
n'avoit elle point fait pour lui ravir le
Trône fur lequel fa naiffance & fes vertus
lui donnoient de fi juftes prétentions
! La formidable puiffance de cette
Maiſon , la vafte étendue de fes Etats ,
les richeffes immenfes qu'elle tiroit du
nouveau Monde allarmoient l'Europe ;
tous les yeux fe tournoient fur Henri.
On le regardoit comme le feul Prince
en état d'abattre ce Coloffe , & l'on ne
doutoit pas que fes grands préparatifs ne
fuffent deſtinés à cet objet... Pouvoiton
prévoir que le meilleur des Rois , le
Père de fes Peuples , feroit affaffiné dans
fa capitale , au milieu de fes Courtisans
par un de fes Sujets ? Ciel ! gardonsnous
d'approfondir tes jugemens . Mais
c'eft Céfar , c'eft Henri IV. qui périffent
par la main de ceux que
leurs bienfaits
auroient dû défarmer , tandis que
Sylla, Philippe II. & l'odieux Cromwell
meurent tranquilles dans leurs lits !
On trouve plus d'une reffemblance
entre Henri IV. & Céfar. L'un & l'autre
ne fongerent qu'au bonheur de leurs
Sujets ; la clémence , la douceur , l'humanité
, la valeur , l'oubli des injures
furent leurs principales vertus ; tous
deux par la force des armes parvinrent
à la fuprême domination avec cette
22 MERCURE DE FRANCE .
différence qu'Henri IV. ne combattoir
que pour un bien qui lui appartenoit
& que Céfar ufurpcit celui d'autrui .
Tous deux fobres , tous deux vigilans ,
tous deux actifs , tous deux fçavans dans
l'art de régner , tous deux fçavans dans
celui de combattre ; le Romain fit peutêtre
de plus grandes chofes , mais le
François en fit de plus belles . Nés l'un
& l'autre avec un tempérament qui les
portoit à l'amour , Cefar fit toujours
céder ce penchant à fa paffion dominante
, l'ambition ; Henri IV. en fut
fouvent l'efclave . L'un fe fit de l'amour
un amuſement qui rempliffoit les intervalles
que lui donnoient fes grandes affaires
; l'autre en fit trop fouvent fon
Occupation unique , & c'eft peut - être
la feule tache qu'on puiffe reprocher à
fa mémoire. Cefar donnoit à pleines
mains l'argent qu'il devoit à fes extorfions.
Henri IV. oeconomifoit fur fes revenus
pour ne point véxer fes Peuples
dans les cas d'une dépenfe extraordinaire.
Tous deux crurent ne pouvoirvivre
tranquilles qu'en négligeant les
précautions que prennent les Tyrans
pour la confervation de leurs jours ; l'un
difoit que la mort la plus prompte & la
moins prévue eft la plus defirable , l'au
JUILLET. 1763. 23
2
tre qu'il vaut mieux mourir une fois
que de vivre dans des tranfes continuelles
perfuadés d'ailleurs de cette vérité
que toutes les précautions poffibles ne
peuvent retarder l'inftant où nous devons
périr. Céfar facrifia tout au defir
de s'agrandir ; on regrette que tant de
talens , tant de vertus , tant de grandes
qualités n'ayent fervi qu'à la deftruction
de fon Pays ; Henri IV n'envisagea jamais
que la gloire & le bonheur de la
France : ce fut le feul mobile des belles
actions qui le mettent à côté de Titus
& de Trajan : donc il l'emporte fur Céfar.
Si celui-ci a pris plus de villes , gagna
plus de batailles , celui-là acquit
plus de vraie gloire en rendant fes Peuples
heureux après les avoir délivrés des
Tyrans qui les opprimcient ; il joignit
aux talens de l'homme de guerre , les
vertus civiles & morales qui manquoient
à Céfar. Ils furent tous deux ambitieux ;
mais l'ambition de Céfar fut un crime
& celle d'Henri IV une vertu . En un
mot , l'un malgré fes grandes qualités
fut le fléau de l'humanité ; l'autre en
fut le père. Ils périrent tous deux du
même genre de mort & dans les mêmes
circonftances ; l'un alloit faire la
guerre
aux Parthes , l'autre aux Autrichiens.
24 MERCURE DE FRANCE
on ne peut voir fans verfer des larmes
à quel'excès d'aveuglement
& de rage ,
l'amour de la liberté d'un côté , le fanatifme
de l'autre poufferent des monftres
dont le nom feul fait frémir d'horreur
. Pour achever le parallèle , je dirai
que Céfar fut le plus grand des hom-
Henri IV le meilleur des Rois.
L'un eut plus de talens , l'autre plus de
mes ,
vertus.
Par M. de MONTAGNAC , ancien Capitaine
d'Infanterie.
L'ANNÉE RUSTIQUE ,
POEME M. de B ....
par
Séjour tumultueux où trompant nos defirs
L'ennui prend fi fouvent le mafque des plaifirs ,
Je fuis , je vais chercher dans un plus fûr aſyle
Des biens moins agités , un bonheur plus tran
quille
Que vous poffédez feul Villageois trop heureux
Habitans méprilês de ces ruftiques lieux.
Avec vous dèformais je ſuivrai la nature
Et je verrai la main payer avec ufure
>
De dons toujours nouveaux , des plus riches
faveurs.
L'hommage
JUILLET. 1763 . 25
L'hommage libre & pur que lui rendent vos
coeurs.
Par de févères loix envain la deſtinée
Dans le cercle inconftant qui compofe l'année ,
A femé tant de nuits & fi peu de beaux jours :
Pour vous tout eft ferein , tout a le même cours.
Quand le froid des hyvers rend les plaines oifives
A l'aspect des frimats quand les Nymphes craintives
Abandonnent les Bois pour les Antres profonds ,
Et que l'onde gémit fur le poids des glaçons ;
Le Laboureur caché fous le chaume ruftique ,
Tranquille près des Dieux de fon foyer antique ,
D'un bonheur inconnu goûtant l'obfcurité ,
Jouit en paix des biens que lui donne l'Été :
Ses Enfans élévés fur le fein de leur mère ,
Ne doivent point leur jour au la't d'une étrangère
Et n'éprouvent jamais les odieux tranſports
D'un coeur dénaturé qu'aigriffent les remords.
Annette ne fçait point , vaine dans fa tendrelle ,
Repouffer durement la main qui la careffe ;
Un moment à les fils accorder quelques foins
Et redouter encor l'oeil mocqueur des témoins.
Ce n'eft que la Nobleffe ou l'ingrate opulence
Qui maſquant leur orgueil du beau nom de décence
Font gloire de rougir des foibleſſes du fang ,
Et de facrifier la Nature à leur rang ;
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Mais bientôt le foleil à la terre endormie
Va rendre en nos climats la chaleur & la vie ;
Et du Pôle éloigné cet aftre de retour ,
Partage également les ombres & le jour ;
Sur le gazon naiffant l'amante de Céphale,
Peint de mille couleurs la vapeur qui s'exhale';
Les amours des oiſeaux annoncent le printemps s
Je vois l'agneau bondir , j'entends les boeufs paiffans
Mugir en s'agitant fous le joug qui les preſſes
La voix du Laboureur réveille leur pareffe ,
Tandis qu'à pas tardifs , ils vont avec efforts
De Cérès dans nos champs préparer les trésors .
Sous l'aîle des Zéphirs la main de la Nature ,
Fleurs , vous fait dans nos prés éclorre fans culture
;
Captives dans nos murs nos travaux & nos
foins
Vous offrent un afyle , où vous vous plaiſer
moins:
Tout paffe ; d'un matin la rapide durée ,
Voit flétrir les attraits dont Flore étoit parée.
Pourquoi faut-il encor qu'une indifcrette main ;
De vos plus beaux momens ofe avancer la fin ?
Victimes de l'amour , ornemens d'une Belle
Allez-vous lui prêter une grace nouvelle ,
Non , non
vous
méritez
un fort plus glorieux
.
›
L'Amour, car cependant il régne dans ces lieux ,
JUILLET. 1763. 29
Wes Bergers du Lignon déteftant la foibleſſe ,
Refpette ici des moeurs l'eftimable rudeffe
Et n'amollit jamais ces vertueux mortels.
Mais fi d'un Dieu vengeur les Décrets éternels
Ont dévoué nos jours aux pleurs , à la mifère ;
Si les maux dont Pandore a déſolé la tèrre ,
L'innocence , la paix & la frugalité
Ne peuvent affranchir la trifte humanité ;
Ce pâtre induſtrieux cherche à l'aide des plantes
L'art de renouveller fes forces languiffantes :
Ces Simples bienfaiſants vont par de doux efforts
D'un organe affoibli ranimer les refforts ,
Vaincre un mortel venin & faire que fans peine ,
La fang coule docile à la loi qui l'entraîne ;
Ou cueillis par les foins jufqu'aux fommet des
monts ,
D'un fouffle empoisonné garantir fes moutons,
De cent fecrets divers l'innocente magie
Fait renaître à fon gré les fources de la vie ;
Et fans aller chercher au fein des minéraux ,
Des fecours dangereux auffi craints que les maux ,
Il trouve à les calmer , inftruit par la Nature ,
Dans les plus fimples dons une route plus fure,
✪ mère généreuſe , & Nature , ô bienfaits !
Source qui t'épanchant ne t'épuifes jamais !
A l'éclat du Printemps , doux efpoir de Pomone ,
Vont fuccéder les biens dont l'Eté le couron ne ,
Le Laboureur content voit ' or de fes Gu erèts
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Répondre à fes travaux & combler fes fouhaits
Sous le poids des épis , Cérès courbe la tête ;
A recueillir fes dons le Moiffonneur s'apprête s
Et pour les partager méprifant la chaleur ,
Il égaye en chantant fon pénible labeur. *
Moins heureufe que lui , l'orgueilleuſe indolence
Appelle en vain la joie au fein de l'abondance ,
Son coeur indifférent à force de jouir ,
En prévenant la peine a chaſſé le plaifir.
Allez , fages Mortels , & par des facrifices ,
Rendez grâces aux Dieux qui vous font fi propices
;
Ufez , reconnoillans après tant de faveurs ,
Des innocens tréfors dont ils font les Auteurs ;
Ulez- en fans remords ; un travail légitime
Vous les a mérités fans ballelle & fans crime ;
Comtent de votre hommage , aux fruits de la
moiffon ,
Le Ciel va joindre encor ceux d'une autre ſaiſon .
L'Automne a du Printemps couronné les promeffes
;
Bacchus offre à vos voeux de nouvelles richeffes :
Déja de les rubis que vous allez cueillir ,
La Pourpre en mûriffant commence à s'affoiblir.
Scus le pampre moins verd , les larmes de l'Au
rore
Y mêlent au matin l'azur qui - les colore :
Hatez vous , Vendageurs , fortez de vos ha
meaux ,
JUILLET. 1763. 29
La ferpette à la main parcourez ces cô: eaux ,
Préparez ce nectar qui porte avec fa flâme
La fanté dans nos conps , le plaifir dans notre
âme.
Mais furtout n'ablez pas, Mortels audacieux ,
Mêler un Art perfide à ce jus précieux ;
Gardez -vous d'altérer cette liqueur divine ;
Tout fecours étranger à fa noble origine
Affoiblit fa vertu , la change en un poiſon
Qui détruit la vigueur & flétrit la Raifen.
C'eſt par là que de maux une foule cruelle
Abrége de nos jours la trame naturelte ,
Surtout quand par fes feux irritant nos defits ,
L'intempérance y joint fes funeftes plaifirs .
J'ai vu , j'ai vu fa main conduite par la rage
Dans le fein d'un ami fe chercher un paffage ;
Inutile forfait ! victime du remords ,
Le malheureux vainqueur eût defiré lá mort.
Du moins fi quelquefois livreffe & la licence ,
Dans vos jeux innocens appellent la vengeance ,
La pitié que l'orgueil étouffe dans nos coeurs
Arrête vos tranfports , maîtrife vos fureurs ;
Et ne fuivant jamais un faux honneur pour guide,
Ne croit pas que la Gloire exige un homicide.
Préjugé malheureux ! incorrigible abus ,
Qui fait que la valeur eft un vice de plus.
La Nature en gémit ; fa tendreffe outragée
Eût condamné la faute & ne l'eût point vengée ;
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
Aux cris de la douleur , aux accens de fa voix ,
Qui peut douter encor de rentrer fous les loix ?
Ah ! j'y cours ; entends- moi , Déeffe , je t'implore
.
Oui , j'abjure à tes pieds une erreur que j'ab
horre ;
Et vais à tes autels , garans de mon bonheur ,
Porter mon repentir mes fermens , & mon
coeur.
>
VERSfur le temps qu'il a fait le jour du
à l'imitation du Nocte pluit Feu
totâ , & c,
APRES les fureurs de la Guerre,
La Paix régne dans l'Univers ;
Après les éclats du Tonnerre ,
Le calme régne dans les Airs :
Mars a pofé fon Cimeterre ,
Et la Foudre céde à nos Feux :
C'eft au Bien-aimé de la Terre ,
Que l'on doit la faveur des Cieux.
Par M. dALBARET , Cenfeur Royal , de
l'Académie des Arcades de Rome,
JUILLET. 1763 . 31
IBRAHIM ET GÉMILLE.
HISTOIRE TURQUE *.
IBRAHIM
BRAHIM ASEK , ne fçavoit rien
de fa naiffance ; & dans la quantité d'Efclaves
Chrétiens qui furent enlevés par
Barberouffe fur les côtes du Royaume
de Naples , quand du temps des guerres
de Charles-Quint & de François I. les
Turcs firent de fi gtands défordres en
Calabre & en Sicile , Ibrahim Afek fut
du nombre de ceux qui furent amenés
à Conftantinople. Il n'avoit que cinq
ans , & ne connut de Religion , de nom
de famille , ni de pays que ce que les
gens qui l'éleverent lui en apprirent . Il
étoit bien fait , & lorfqu'à l'âge de vingtdeux
ans , l'on le tira du Serrail , & qu'il
fut envoyé au Caire , pour être Officier
Subalterne des Hifpaïs , l'on crut qu'on
ne lui avoit donné cet emploi que pour
le retirer d'auprès de la mère du Grand-
Seigneur , à laquelle l'on prétend qu'il
avoit commencéde plaire. C'eftaffez l'ufage
lorfque quelqu'un a été dans certain
* Tirée du Portefeuille d'un ancien Ambaſſadeur
de France à Conftantinople.
Biv
#2 MERCURE DE FRANCE .
degré de faveur au Serrail , & que l'on
veut s'en défaire honnêtement , de l'envoyer
au Caire avec un établiſſement :
en forte que paffé en Égypte , il n'eſt
plus. queftion de lui à Conftantinople ;
& c'eft ainfi fouvent que les Sultans &
les Sultanes,quand ils ont affez d'humanité
pour ne leur pas ôter la vie , fe
font défaits de leurs Favoris & de leurs
Favorites ,& plus fouvent encore de leurs
Eunuques noirs , qui par l'entière connoiffance
qu'ils ont de toutes les actions
& des intrigues de leurs Maîtres pourroient
les perdre. Ce qu'il y a de certain
, c'eft qu'Ibrahim_arriva avec affez
d'argent & de biens , pour que particuliérement
recommandé à l'Aga du
Caire , il fe trouvât bientôt en état d'acheter
non-feulement des terres , des
Efclaves , & tout ce qui pouvoit contribuer
à fa commodité , ainfi qu'à fes plaifirs
, mais même pour parvenir après
dix ans de fervice , au pofte éminent de
Général du Corps des Hifpaïs.
Un Courtier d'Efclaves que l'on nomme
un Cenfal , l'avertit un jour qu'un
Turc avoit amené parmi un nombre.
affez confidérable de belles Efclaves
qu'il vouloit vendre , une fille qu'il difoit
Georgienne , & qui étoit d'une beau
JUILLET. 1763. 33
té achevée. Le Général des Hifpais la
trouva en effet charmante , & l'acheta
vingt mille parats , qui font de notre
monnoye environ quatre cens écus .
Le Caravanserai , ou Marché où ſe
vendent les Efclaves , eft compofé au
Caire de quatre grands corps de logis
magnifiques , qui entourent une grande
cour quarrée , au milieu de laquelle eft
une Moſquée. C'eft fous les portiques
de cette cour que les Marchands tiennent
de grands Magafins , où ceux qui
ont acheté des Efclaves & prétendent
les vifiter avant que d'en payer le prix
les font entrer dans des cabinets deftinés
à cet ufage. On y trouve auffi
des bains chauds , & des fontaines à
l'ufage des femmes que l'on achete ; &
c'eft- là qu'Ibrahim fut fi content de la
belle Efclave , nommée Gémille , qu'il
commença non-feulement de l'acheter
comme Efclave , mais à l'aimer comme
Maîtreffe.
Gémille ne put gagner fur elle d'être
auffi contente de fon Maître . Avant
qu'elle fût livrée par le Marchand , elle
n'oublia même rien de ce qui étoit en
elle pour 'faire rompre le marché &
pour obliger le Cenfal de la donner à
un Simple Janiffaire qui l'ayoit marchan-
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
dée dans le Caravanferai avant que
Général des Hifpats l'eût vue. Ce Janniffaire
n'avoit pu l'achetter , parce que
le prix de la jeune Efclave excédoit de
beaucoup celui qu'il y pouvoit mettre .
Muftapha Hamet , ( c'eft le nom du Janniffaire
) vit avec peine la préférence
qu'Ibrahim n'obtint que parce qu'il
avoit plus d'argent que lui ; & Gémille
regretta de fe voir entre les mains d'Ibra
him , & de n'avoir pû refter dans celles
de Muftapha.
La maifon du Janniffaire fe trouvoit
placée vis-à-vis le Palais du Général des
Hifpaïs ; & cette circonftance fit alternativement
le bonheur , le malheur , &
l'occupation du Janniffaire , & de la
belle Efclave. L'occafion de fe voir
quelquefois par la fenêtre au travers
de la rue , & toutes les fois que l'un
ou l'autre fortoit , leur infpira une
efpéce de jargon de mines , & une
forte d'intelligence mutuelle , toujours
confolante pour les perfonnes qui s'aiment
& qui fe trouvent dans une
contrainte auffi cruelle que celle où fe
trouvoient ces deux amans. Ibrahim de
fon côté n'oublioit rien pour plaire &
pour gagner le coeur de fon E clave ,
mais toujours fans fuccès ; & Mustapha
JUILLET. 1763. 35
pour plaire, n'avoit qu'à fe montrer. Gémille
n'accordoit à fon Maître que les
faveurs qu'elle ne lui pouvoit refufer ; &
le dégoût de cette jeune Efclave alla
au point qu'Ibrahim furieux s'emporta
un jour jufqu'à jurer par le Tallak ,
de la faire revendre en plein marché.
C'est pour les Efclaves la plus grande
infamie qu'elles puiffent recevoir ; mais
la Loi porte que quiconque a juré par
le Tallak , eft obligé d'accomplir fon
ferment ; elle exige même lorfque le
mécontentement entre le Maître & l'Efclave
eft parvenu au point de ne pouvoir
plus vivre enfemble , que l'Esclave
puiffe fe plaindre publiquement dans la
Mofquée , demander la féparation d'avec
fon Maître , & à être vendue à un autre.
Ibrahim n'eut pas fitôt juré qu'il revendroit
Gémille , que fière de l'occafion
qui fe préfentoit d'être délivrée de
celui qu'elle regardoit comme fon tyran
, elle le menaça à fon tour de fe
jetter dans la première Mofquée , & de
demander elle-même la féparation qu'il
fembloit defirer.
Ibrahim qui l'aimoit , craignit qu'elle
n'éxécutât ce deffein . Pour l'empêcher ,
il lui ferma pendant affez longtemps
portes du Palais , & la remit enfin à les
B vj .
36 MERCURE DE FRANCE .
un Cenfal , pour la vendre , dans la
vue de la racheter lui - même . C'eft ainfi
qu'il efpéroit accomplir non feulement
le ferment qu'il avoit fait de la
revendre ; mais prévenir un éclat dans
la Mofquée , qui l'auroit pour jamais
privé de l'efpérance de la revoir.
Gémille avertie qu'elle devoit fe préparer
à être remife à un Cenfal & fe
parer pour être revendue , trouva moyen
d'en faire avertir Muftapha, qui fe rendit
de bonne heure au Caravanferai.
Là, fans paroître qu'il l'eût jamais vue ,
le Janniffaire en demanda froidement
le prix ; à quoi le Cenfal répondit qu'il
en vouloit vingt cinq mille parats ,
Tandis que le Janni ffaire & le Cenfal
difputoient fur l'exhorbitance de ce prix ,
deux femmes apoftées percérent la foule
affemblée dans le Caravanferoi , firent
figne de l'oeil à Gémille de fuivre l'une
d'elles , & trouverent le moyen de la
fouftraire aux regards du Cenfal pendant
que l'autre lui marchandoit une
autre Efclave .
Le Cenfal quoiqu'occupé de ce nouveau
marché , revint bientôt à celui de
Gémille , & demanda ce qu'elle étoit devenue
? Cette femme, pour le dérouter,
lui montra une porte dans laquelle elle
JUILLET. 1763. 37
que lui dit l'avoir vue entrer ; & tandis
le Cenfal courut à cette porte & chercha
fon Efclave , Gémille , conduite
par l'autre femme , eut le loifir de fe
jetter dans une autre maifon , d'où
après s'être déguifée de façon à ne
pouvoir être reconnue , elle fut conduite
chez fon cher Janniffaire.
Le défelpoir du Général des Hifpaïs
fut inexprimable ; il dénonça le Cenfal,
l'accufa d'infidélité devant le Juge , qui
le condamna à recevoir cent cinquante
coups de bâton fur la plante des pieds ,
& à refter en prifon jufqu'à ce qu'il
rendît l'Esclave , ou le prix qu'on l'avoit
voulu vendre. Cependant Muftapha
étoit heureux avec fa chère Gémille
qu'il cachoit foigneufement à tous les
yeux ; & Gémille fe trouvoit fi heureufe
chez fon nouveau Maître , quoiqu'infiniment
moins riche , que fon
unique crainte étoit de retomber fous
la puiffance du Général des Hifpaïs.
Celui- ci , après avoir longtemps gémi
de la perte de fa maîtreffe , crut enfin
pouvoir faire diverfion à fa douleur
en offrant fà main à une Veuve plus
opulente qu'aimable , & qui depuis
longtemps avoit marqué du goût pour
lui.
38 MERCURE DE FRANCE
J
Mais il ne pouvoit oublier fon Efcla
ve ; il paffoit des jours malheureux
tandis que leJanniffaire & Gémille étoient
au comble de la félicité . La fortune du
Janniffaire étoit des plus modiques; mais
rien ne manque aux coeurs contens. Une
feule Efclave les fervoit tous deux , &
cette Efclave étoit une vieille femme Italienne,
qu'il avoit achetée à bon marché
dans le dernier voyage qu'il avoit fait
à Conftantinople.
Un jour que la belle Gémille fortoit
du bain , la vieille Efclave s'apperçut
en lui frottant les pieds , que fa Maîtreffe
lui déroboit la vue de fon pied
gauche . Cette attention que ju ques - là
elle n'avoit pas remarquée , excita la curiofité
de la vieille au point , qu'après
avoir inutilement preffé fa Maîtreffe de
lui apprendre ce que fignifioit une défiance
auffi fingulière ; elle parvint un
jour à découvrir que Gémille avoit un
double doigt au pied gauche , eſpéce
de difformité , que la belle Efclave
avoit toujours eu foin de cacher.
Ah ! Madame , s'écria la vieille Ef
clave , à cette vue ; oferois- je vous demander
fi vous fçavez quelle eſt votre
naiffance ? Je fçais uniquement pour
l'avoir oui - dire , répondit Gémille
JUILLET. 17635 . 39
quoique vendue comme Georgienne ,
que j'ai été enlevée à l'âge de cinq
ans fur les côtes de Naples.
A ces mots , la vieille fe jettant à fes
pieds , & lui embraffant les genoux ,
Madame ! s'écria- t-elle en fanglottant ,
le Ciel comble enfin tous mes voeux : le
Prince de Bifigniane , pour éffayer d'avoir
quelques nouvelles d'un fils &
d'une fille qui avoient été enlevés
avec d'autres perfonnes par les Turcs ,
quand Barberouffe vint fur les côtes
du Royaume de Naples , m'a envoyée
depuis longtemps dans la Turquie.
Après avoir été prife fur un Vaiffeau
Venitien , comme j'allois à Conflantinople
; ce même Janniffaire qui vous
aime, m'a achetée & menée au Caire, où
j'ai maintenant le bonheur de fervir &
de retrouver enfin la fille de mon Maître
Quoi ! Fatime s'écria Gémille étonnée
? quoi ! fur cette feule preuve....
Il ne m'en faut point d'autre , Madame ;
celle- ci , jointe à votre âge , fuffit pour
me convaincre que je revois en vous la
fille du Prince de Belignane .Votre frère ,
qui n'avoit que trois ans plus que vous ,
avoit également un double petit doigr
au pied gauche ; & fi ce frère vit encore
, il ne manque plus à ma félicité
que de le retrouver ainfi que vous !
,
40. MERCURE DE FRANCE.
Le Janniffaire qui entra dans ce mo
ment & à qui Gémille ne balanca pas
de faire part de la découverte de la vieille
, ne fut pas fâché d'apprendre que
fon Efclave pouvoit être d'une naiffance:
diftinguée . Il en conçut pourtant bientôt
quelques allarmes , dans la crainte
que fçachant fa naiffance , fa maîtreffe
ne cherchât de concert avec la vieille ,
les moyens de retourner dans fa Patrie.
Ses attentions pour elle augmenterent
encore par la crainte de
la perdre . Gémille de fon côté ne fongeoit
qu'à lui plaire ; & comme elle
n'avoit de Religion , que celle dans laquelle
elle avoit été élevée ; que la
vieille Efclave de fon côté n'étoit que
médio crement inftruite dans la fienne
propre ; le defir de revoir fes parens ,
joint aux obftacles à franchir pour en
concevoir l'efpérance , les déterminerent
aifément à continuer de vivre dans
la condition tranquille où l'un & l'autre
fe trouvoient.
誓
Pendant que la petite famille du Janniffaire
jouiffoit au moins paifiblement
de toute la douceur d'une vie auffi fimple
qu'uniforme , celle du Général des
Hifpais , étoit en proie aux plus grands
troubles. Le dégoût d'Ibrahim pour fon
JUILLET. 1763 .
41
époufe , étoit parvenu au point , que
cette femme lui étant devenue infupportable
, il conçut l'affreufe réfolution
de s'en défaire . Après avoir gagné un
Batelier , il propofa à fon époufe une
promenade fur le Nil. Le Batelier gagné
, ayant fait tourner le bateau
contre les ruines d'un moulin abandonné
, le fit renverfer de façon que la
femme d'Ibrahim & fa fuite , à l'exception
d'une Efclave noire , y périrent.
Cette Efclave , qui fuivant l'ufage des
femmes d'Egypte fçavoit nager , eut
même le bonheur , malgré tous les efforts
que firent Ibrahim & le Batelier
pour lui faire fubir le même fort , de
gagner le rivage oppofé au leur , & de
courir rendre compte au Divan du
crime de fon Maître. Le Batelier arrêté ,
le Général , malgré fon rang , le fut
auffi . L'Efclave & le Batelier le chargerent
; & l'éxécution de la fentence ne fut
fufpendue que pour envoyer à Conftantinople
demander au Grand-Seigneur la
permiffion de le faire mourir. Le Grand-
Vifir n'étoit malheureufement point de
fes amis , à caufe de quelques démêlés
qu'ils avoient eu ci- devant dans le Serrail
; en forte que le Grand- Seigneur
ordonna que non - feulement le Gé
42 MERCURE DE FRANCE.
néral des Hifpaïs , feroit dégradé de fa
charge , mais qu'après avoir été trois
jours de fuite expofé nud à la vue du
Peuple , il feroit empalé tout vif.
Gémille , en apprenant cette nouvelle
, malgré tout fon éloignement pour
Ibrahim , ne put que plaindre le fort
d'un homme dont elle avoit été fi éperdûment
aimée , & chargea la vieille Efclave
d'aller lui témoigner combien elle
y étoit fenfible . Cette femme en s'ap
prochant du Criminel , qui étoit déja
éxpofé nud auxyeux du Peuple , fut fort
étonnée de lui voir le petit doigt du pied
gauche comme celui de Gémille ; & ne
doutant pas qu'il ne fût le frère de fa
Maîtreffe , elle courut avec tranſport
l'en avertir ; & l'une & l'autre après en
avoir obtenu la permiffion de Muftapha,
vinrent en tremblant pour s'éclaircir d'un
événement auffi furprenant que funefte
. Le Janniffaire fe joignit à elles ;
tous enſemble allerent fe jetter aux pieds
des Juges pour demander la grace d'Ibrahim
, ou du moins la fufpenfion de
fon fupplice jufqu'à ce que le Sultan fût
informé de fon Hiftoire , ainfi que de
la grandeur de fa naiffance. Gémille
enfin n'oublia rien pour les perfuader ;
& la fingularité de cette avanture deJUILLET.
1763. 43
venue publique , excita tout le Caire à
s'intéreffer pour fon frère. Mais la réalité
, ainfi que la noirceur du crime
étoient trop connues pour qu'il pût demeurer
impuni. Tout ce qu'on put auprès
des Juges , fut d'obtenir que Gémille
l'entretint en fecret quelques heures
avant fon dernier fupplice avec la vieille
Efclave. Cette entrevue ne fçauroit fe
décrire tout ce que l'amour , la furprife
, la pitié , la tendreffe & l'enchaînement
de tant d'avantures bizarres
peuvent jetter dans le coeur & dans l'efprit
, fe dit & fe paffa dans les derniers
adieux du Criminel , & de la belle Efclave
. Ibrahim lui demanda pardon de
tous les mauvais traitemens qu'elle avoit
reçus de lui . Gémille fondoit en larmes
; & il fallut pour les féparer , employer
la violence. Ibrahim fut enfin
éxécuté , après avoir demandé & obtenu
la permiffion de donner tout fon
bien à fa foeur , & avoir fait permettre
au Janniffaire Muftapha qu'il l'épouferoit.
44 MERCURE DE FRANCE .
LA MÉCHANCETÉ PEU REDOUTABLE .
FABLE.
UN fot Crapaud , bouffi d'orgueil ,
Voifin d'une humble violette ,
Aimable fans être coquette ,
La regardoit de mauvais oeil.
Piqué de l'horreur qu'il inſpire ,
Il veut lui fouffler fon poifon ;
L'Envieux jamais n'eut raifon :
La Belle auffi n'en fit que rire.
C'eſt en vain , lui dic cette fleur ,
Que tu veux ternir ma couleur :
Phabus, vainqueur de ton haleine ,
Me fait peu redouter ta haine.
D'un noir complot , quel eft le prix ;
Que peut-on gagner à mal faire ,
Sinon de doubler ſa miſère ,
Lorfqu'on infpire le mépris ?
Par l'Hermite de Buxeuil, Abonné au Mercure.
JUILLET. 1763. 45
PAR O DI E ,
Sur l'air : Jufque dans la moindre chofe , de l'Opéra
Comique On ne : s'avife jamais de tout.
JUSQUE dans la moindre choſe ,
Malgré moi percent mes feux ;
Je vous regarde & je n'ofe
Sur vous arrêter les yeux.
L'enchantement , le délire ,
Près de vous vient me faifir :
Loin de vous mon coeur foupire ,
Et ma peine eft un plaifir.
Mais fi votre aimable bouche
Parle ... quel ſon gracieux !
Ce fon raviflant me touche
Plus qu'un air mélodieux.
Si vous marchez , fur vos traces
Je refpire un air plus doux ;
Et dans un cercle de grâces
Je ne vois , n'entens que vous.
Jufque , &c.
46 MERCURE DE FRANCE:
AU TEMPS ,
ODE AN ACREONTIQUE.
T.o dont le vol précipité ,
Mefurant notre deſtinée ,
Entraine avec rapidité ,
De nos jours la courſe bornée ;
O temps ! qu'avec retardement
Le moment que j'attens s'avance ;
Et que tu marches lentement :
Au gré de mon impatience !
Ce foir , à plaifir enchanteur !
Je verrai celle que j'adore :
Le tendre eſpoir de ce bonheur
Ouvre mes yeux avant l'aurore.
Hâte , preffe l'heure qui fait ;
O temps , feconde mon envie !
Chaque inftant que ta main détruit ,
Eft un préfent fait à ma vie.
Près de Palmire , à fes genoux ,
Ce foir d'un tel foin je te quitte.
Hélas ! dans des momens fi doux ,
Tu ne palleras que trop vite.
JUILLET. 1763. 47
ENVOI A M. L. S.
Ainfi dans des jours plus heureux;
Vous approuviez ma tendre flâme.
Le temps a reſpecté mes feux ;
Les a-t-il éteints dans votre âme ?
A Lyon.
VERS fur le mariage de Mlle CORNEILLE
, dont M. de VOLTAIRE
a donné la dot.
LAgloire avec fes plus brillans rayons
Dans deux cartouches de lumière ,
Avoit écartelé les noms
Et de Corneille & de Voltaire.
Dans la jeune Beauté dont vous êtes l'appui ,
Vous honorez le ſang du père de la ſcène ,
Après vous être élevé juſqu'à lui ;
Et la vertu vous unit aujourd'hui ,
Autant qu'avoit fait Melpomène.
Parla MUSE LIMONADIERE)
48 MERCURE DE FRANCE.
SECOND CARACTÈRE DU VRAI
PHILOSOPHE. "
*
L'HOMME VERTUEUX.
LESES charmes de la vertu feront toujours
de vives impreffions fur le coeur
du vrai Philofophe , parce que la vertu
feule peut le rendre véritablement heureux.
C'eft dans le coeur de l'honnête
homme qu'elle fixe fon féjour , qu'elle
régne en Souveraine. Les affections
de l'homme font les fujets qu'elle prend
plaifir à gouverner. Les loix qu'elle
prefcrit , les bornes qu'elle oppofe aux
faillies des paffous , à l'impétuofité des
defirs , ne préfentent rien de trop pénible
à l'homme vertueux ; c'eft un
joug doux & bienfaisant , auquel il ſe
foumet fans contrainte : ce font des liens
auxquels il fe livre & s'abandonne par
choix , par goût & par inclination.
Liens refpectables ! qui bien loin de
peindre à l'efprit l'image rebutante &
toujours défagréable d'un efclavage hon-
* Nous avons donné le premier Caractére dans
le Mercure du mois de Mars dernier.
teux ,
JUILLET. 1763 . 4.9
teux , de préfenter des fers , des entraves
cruelles & préjudiciables à la liberté
, ne fervent au contraire qu'à nous
faire triompher de nos préjugés , qu'à
nous arracher à nos penchans vicieux ,
qu'à déraciner nos habitudes criminelles
, qu'à entretenir enfin une fage oeconomie
dans toutes les facultés de notre
âme. Perſpective heureufe pour le fage !
quels motifs de confolation & de joie !
que de principes sûrs & infaillibles pour
régler & motiver notre conduite , tourner
toutes nos idées du côté du bien ,
éclairer , décider nos fentimens & notre
volonté ! quelle fource féconde de plaifirs
purs & inaltérables Les chaînes
qui nous lient à la vertu , font des guirlandes
de fleurs qui environnent délicieuſement
le coeur de l'homme , tandis
que le vice le tient dans une oppreffion
pénible & douloureufe .
O vertu ! fi l'homme eft ton efclave ,
c'eft un esclave heureux & chéri ; ou
plutôt il eft libre dès qu'il te fert. Les
chaînes précieufes qui l'attachent à toi
ne peuvent le dégrader par une crainte
fervile , ni l'avilir par un fordide intérêt.
Des motifs fi humilians font indignes
de lui : l'éclat de tes bienfaits et le
digne prix que tu propofes à fa conftan-
II. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
te fidélité. Jouiffance heureuſe ! qui excite
& comble tout à la fois la foif de
nos defirs. Vertu ! âme de notre âme ,
Reffort heureux de nos fentimens !
Amour du Sage ! bonheur folide de
l'homme vertueux ! viens échauffer mon
efprit & mon coeur. Prête-moi ce langage
noble & fublime pour peindre
avec des traits.de feu ces traits fi
pro
pres à te caractérifer . Sois l'âme & la ,
vie de mes expreffions ! Je fçais qu'il ,
faut être vertueux foi- même pour faire
avec fuccès ton apologie ; car on n'eft
jamais plus vrai, plus éloquent que lorfque
le coeur nous infpire ; mais
du
moins , ô vertu reçois le foible éffai
de mes talens , comme l'hommage fincere
d'un coeur qui brûle de t'appar
tenir.
Si la jouiffance du vrai bonheur ne
fe trouve que dans la pratique de la
vertu , la vertu nous fournit elle-même
les moyens de jouir & d'être heureux .
Je n'entreprendrai point ici de décou
vrir tous les obftacles que notre corruption
oppofe à notre felicité. L'Analyfe
du coeur de l'homme , le tableau
de fes paffions ouvrent à l'efprit une
carrière trop vafte & trop étendue :
c'est une fource inépuifable de réflexions.
JUILLET. 1763. SI
utiles ; c'eſt un ouvrage immenfe bien
capable d'inftruire , d'éclairer & d'occu
per la raifon de l'homme fpéculatif : les
moindres détails en font intéreffans , &
la vie du Philofophe eft trop courte
pour en faifir toutes les nuances , quoiqu'il
en faffe l'objet de fes méditations
profondes & journalieres.
Quels font donc les moyens qui conduifent
à la vertu ? Qu'est- ce qui caractérife
l'homme vertueux ?
L'honnête homme a des devoirs à
remplir , devoirs fi effentiels qu'il ne
peut les enfreindre fans fe rendre malheureux.
Une Religion à pratiquer ; ce
devoir eft un jufte tribut de reconnoiffance
qu'il ne peut réfufer fans la plus
noire ingratitude à l'Etre fuprême , le
plus tendre de tous les pères , & fon
premier bienfaiteur. C'eft le premier cri
du coeur ; c'eft un devoir prefcrit par la
Loi naturelle ; c'eft une voix intérieure
qui fe fait entendre malgré le bruit
confus des paffions les plus tumultueufes.
Elle lui crie avec force , cette voix
puiffante , qu'il y a un Dieu , que ce
Dieu demande un culte , que ce culte
confifte dans un amour de préférence &
fans bornes , dans la pratique de toutes
les vertus morales & chrétiennes ; que
Cij
52 : MERCURE DE FRANCE.
le vrai bonheur n'eft attaché qu'à fa
fidélité & à fa perfévérance dans le bien.
Tout lui annonce l'existence d'un Être
infiniment grand & infiniment aimable.
à Foibles Mortels ouvrez les yeux
la lumière. Quel fpectacle de merveilles
ce vafte Univers ne vous offre-t-il
pas ? Le Soleil qui par fon éclat découvre
à l'oeil furpris les richeffes immen
fes de la nature ; cet Aftre bienfaiſant
qui échauffe , féconde & vivifie la terre,
& lui fait enfanter dans le temps , des
productions fi utiles & fi néceffaires. La
nuit , qui par fes fombres voiles , arrête
l'homme dans le cours de fes travaux ,
& l'invite à goûter les douceurs du fommeil
. La Lune & les Etoiles, qui par une
lumière plus douce , femblent ménager
& economifer , pour ainfi dire , la vue
de l'homme , cet organe fi délicat & fi
précieux. La terre couverte d'une abondante
moiffon' : les arbres furchargés &
comme affaiffés fous le poids de leurs
fruits. Ces brillans tapis de verdure
émaillés de fleurs qui parent le Printemps
: tous les animaux fubordonnés à
l'homme comme à leur fouverain , deftiés
à fon fervice & à fa nourriture. Le
Lamage des Oifeaux , qui par l'agréable
1
JUILLET. 1763. 53
" variété de leurs concerts réveillent
l'homme de fon affoupiffement ; font renaître
dans fon coeur de nouveaux fentimens
de plaifir & de joie. La lumière
fuccéde aux ténebres , le jour à la nuit ;
l'homme s'arrache des bras du fommeil ,
paffe du fein du repos à l'ardeur du travail.
Les forces réparées préparent à de
nouvelles fatigues , & l'homme dans les
différens états fe livre au genre de travail
que fon génie & fes talens lui ont
fait embraffer . L'Univers alors eft un
tableau mouvant dont l'agréable variété
fixe l'attention & l'admiration. Le monde
eft un vafte Théâtre , où chacun fe
difpofe à jouer un rôle plus ou moins
intéreffant : tout fe réunit enfin dans la
Nature ; c'eft le çri univerfel : tout le
porte & l'invite à la reconnoiffance. :
Philofophes du temps ! en vain vous
ufurpez le titre de Sages ; en vain vous
cherchez à vous diftinguer du commun
des hommes par une manière de penfer
particulière qui révolte la Raifon, par
une certaine affectation de fupériorité
de génie , qui n'eft qu'un rafinement
fubtil de vanité & d'orgueil , dont tout
le fruit eft d'humilier & d'indifpofer le
refte des humains : vous ne juftifiez que
trop leurs juftes reproches. En vain
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
ferez -vous retentir à nos oreilles vos fyftêmes
d'incrédulité , vos maximes impies
: nous frémirons de vos blafphêmes ;
mais nous n'en croirons point votre
bouche impure , que le coeur fera toujours
forcé de démentir malgré vous :
nous plaindrons votre aveuglement &
nous gémirons fur vos erreurs .
L'exiſtence d'un Être fuprême exige
la néceffité d'un culte & d'une Religion.
La Providence qui fe fignale tous
les jours par de continuels bienfaits ; un
Dieu de qui nous tenons la vie , qui
nous fournit libéralement & abondamment
les moyens d'en jouir, qui ne ceffe
de prévenir nos befoins , qui n'ouvre
Les mains généreufes que pour répandre
fes trésors avec profufion , qui diffimule
nos injures & nos offenfes , & ne
paroît fe fouvenir que de fa qualité de
Père & que nous fommes fes enfans :
Toujours prêt à nous recevoir , malgré
nos infidélités , il nous ouvre fon fein
paternel pour y puifer toutes fortes de
confolations. Quel homme fur la terre ,
quel Héros fameux feroit capable d'une
telle générofité ? Oppofer des bienfaits
à des ingratitudes , des graces à des forfaits
, le pardon à l'injure , la tendreffe
à l'infenfibilité , quelle patience ! quelle
JUILLET. 1763. 55
L
t
grandeur ! ........ Dieu feul poffédé
Péminence & le comble des vertus.
Le coeur de l'homme fera- t- il donc
formé à la reconnoiffance ? Se dégradera-
t-il par l'ingratitude la plus monftrueufe
, en oubliant ce qu'il doit à fon
bienfaiteur? Ou plutôt fera- t-il affez infenfé
, affez ennemi de lui- même , pour
ne pas faifir les vrais moyens d'être heureux
? Dieu n'exige rien qui foit trop
au-deffus des forces de l'homme , qu'il
ne ceffe de foutenir. Il ne demande point
des facrifices qui coûtent trop à la
nature : lorfqu'on a contracté l'heureufe
habitude de la vertu , dès les premiers
jours de la jeuneffe , je ne doute
pas qu'il n'en coûte à l'homme bien né
pour fortir du chemin de la vertu , ou
pour déraciner en lui l'habitude du vice
lorfqu'il a eu le malheur de s'y engager.
Homme ! j'en appelle à ta propre
expérience .
Quel est donc le facrifice que Dieu
exige de nous ? celui de notre coeur ,
c'eſt -à -dire , toutes nos affections , tout
notre amour. Le coeur eft fait pour aimer
, & tout eft poffible à un coeur
qui aime véritablement. Ubi amatur ,
non laboratur. Les régles que Dieu nous
prefcrit n'offrent rien de dur ni de ty-
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
rannique . Sa Loi eft une Loi de douceur
& de charité , ce font des vertus à
pratiquer , & ces vertus font l'appanage
effentiel de l'honnête homme . Voilà en
deux mots la Religion , nos devoirs ,
notre culte.
La fidélité à fon Roi eft moins un
devoir prefcrit par la Religion , qu'une
Religion elle-même, fi intimement unie
à la premiere , qu'on ne peut violer l'une
, fans devenir prévaricateur de l'autre
. Il n'y a point de prétexte confenti
par la Raifon , qui puiffe fouftraire des
Sujets à l'obéiffance & à l'amour qu'ils
doivent à leur Souverain , après ce que
l'on doit à Dieu. La premiere vertu
d'un coeur François eft d'aimer fon Roi,
& de lui être inviolablement attaché.
Les devoirs relatifs au prochain ouvrent
à l'homme de bien une vafte
carrière à parcourir , d'autant plus glorieufe
pour lui , qu'on peut compter fes
vertus par fes démarches.
L'homme * fe doit à l'homme , en tout rang
à tout âge ,
Sur le riche orgueilleux , l'indigent a des droits ;
Le foible fur le fort , l'imprudent fur le fage
Les Sujets fur les Rois .
* Vers de M. Thomas.
JUILLET. 1763 . 57
Ta dors, & les mortels autour de toi gémiffent:
La terre enfanglantée eſt en proie au malheur :
Tu dors , & nous pleurons ; & partout retentiſſent
Les cris de la douleur.
Ces antiques héros , ces fages qu'on renomme :
Servoient le genre humain & ne l'eftimoient pas ,
* Plutôt que de manquer à fervir un feul homme ,
Rens heureux mille ingrats !
Qu'importe les tributs de la reconnoiffance ?
~ N'as-tu pas Dieu pour toi , les vertus & ton coeur ,
Ta gloire en eft plus pure ; & l'ingrat qui t'offenfe ,
ajoute à ta grandeur.
L'homme par les forfaits irritant le tonnerre ,
Du Dieu qui l'a créé fem ble infulter l'amour :
Et Dieu prodigue à l'homme , & les fruits de la
terre
Et les rayons du jour.
L'humanité préfente un tableau infini
par la multiplicité des objets qui y font
tracés . La générofité , cette vertu des
belles,âmes , eft feule capable de par
courir ces objets & de les faifir avec
fuccès. Ici des malheureux , victimes de
l'opprefkon , gémiffent dans les fers ,,
fans appui , fans protection , prêts à être
immoles à l'ambition & à la fureur'd'enpemis
cruels & fanguinaires. En vain
CN
< 8 MERCURE DE FRANCE.
font - ils retentir de leurs cris douloureux
, de leurs gémiffemens pitoyables ,
l'affreufe obfcurité de leurs cachots . Là,
ce font des miférables ; foibles , languiffans
, prêts à fuccomber fous le poids
de l'indigence la plus extrême , qui n'ont
plus d'autre reffource que leurs larmes
& leurs cris . Ici , des enfans expirans fur
le fein livide & defféché de leurs meres,
qui détournent en mourant leurs triftes
regards , pour épargner à la nature les
horreurs de la mort , qui environnent
déja ces tendres fruits de leur
Quel fpectacle. pour
amour. ·
4
un coeur vertueux ! Là , le mérite indigent
gémit dans le fonds de fa retraite.
Sa mifére lui étouffe la voix pour reclamer
la protection des Grands ; fes talens
, qui feroient peut - être autant de
traits de lumiere , pour éclairer & inftruire
fon fiécle , demeurent ensevelis
dans la nuit du filence.
Rapellerai - je enfin ces généreux défenfeurs
de la patrie , qui après avoir
facrifié leur vie & leur fortune , pour
le falut de l'Etat , manquent de tout fecours
, & languiffent fans récompenfe.
L'honneur toujours délicat fur les procédés
, n'eft que trop fouvent bleffé par
le refus outrageant des grands : eux ,
JUILLET. 1763. 59
qui par état , devroient être leur plus
ferme appui , expofer leurs befoins
folliciter une récompenfe fi légitimement
due à ces braves mais malheureux
guerriers qui n'ont plus d'autres
richeffes que leur honneur & leur vertu .
L'homme vertueux qui connoit toute
l'étendue de fes obligations envers le
prochain , gémit fur les maux de fes
femblables ; fon coeur s'émeut dé compaffion
; fa pitié n'eft point ftérile ; il
confacre fes talens & fon pouvoir à fervir
, à protéger , à foulager & à réparer
par fes largeffes les malheurs de l'humanité
: Il produit au grand jour tout
l'éclat des vertus néceffaires aux befoins
des hommes. L'amour-propre fe tait , il
n'eft occupé que du bien qu'il veut faire ;
fa modeftie veille à l'entrée de fon coeur
aux intérêts de fa vertu ; fon bonheur
eft de faire des heureux . Vrai fage , ami
de l'humanité , homme vertueux ! notre
jufte reconnoiffance eft la plus digne
apologie que nous puiffions faire de
vos vertus.
LAVERTU , SOURCE DU VRAI
BONHEUR.
NON ON poffidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectius ocupat
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Nomen beati , qui deorum
Muneribus fapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati,
Pejufque letho flagitium timet.
* Folle féduction ! tes difcours enchanteurs
Horar
Tendent à renverſer dans nos âmes timides ,
Des trésors de vertu , & de nos foibles coeurs
Empoifonnent la paix par des douceurs perfides ?
Monftre, difparoiffez , ne fouillez point mes vers.
Infâme volupté ! tes plaiſirs font des crimes :
Mufe ! faifons briller aux yeux de l'univers ,
De l'aimable vertu les loix & les maximes.
C'en eft fait , je vous laiffe , inutiles grandeurs ,'
Chimériques plaifirs , foibleffe criminelle;
Fayez profane amour , fource de nos malheurs:
Feu divin , pur amour , viens animer monzèle ?
Que la feule vertu prođuiſe més accens :
Obéir à fes loix eft mon unique envie :
Qui fçait régler les moeurs & réprimer fes fens
Forme l'heureux tiflu des beaux jours de fa vie.
Mortels ambitieux ! connoiffez votre erreur :
Où courez -vous après un phantôme de gloire? }
Ah ! plutôt defcendez au fond de votre coeur :
G'eſt là que vous attend 'honneur de la victoire,
Vil efclave des fens , homme voluptueux !
De toncoeur corrompu , tu fuis la folle yvreſſes
Après la jouiffance encor plus malheureux ,
JUILLET. 1763. bi
Le remords fuit de près ton indigne foibleffe .
Pour qui tous ces tréfors avec foin entaffés ?
Et qui peut concevoir une aveugle tendreſſe ,
Pour un vil intérêt , pour des biens amaffés ,
Qui ne laiſſent en nous qu'une affreuſe triſteſſe ?
L'amour-propre nous flatte, on chérit fon erreur,
Et de fa paffion on encenfe l'idole ;
.L'homme eft ingénieux à déguifer fon coeur ;
Le caprice eft fon maître, il en fait la bouffole.
L'orgueilleux infenfé , fur un nom faſtueux ,
Etablit fa grandeur , fande toute fa gloire ;
Du refte des mortels il détourne les yeux ;
Ses ancêtres , fon rang occupent fa mémoire.
Lefage plus modefte & moins, présomptueux ,
Puifedans fes vertus fes titres de nobleſſe :
Il eſt l'ami de l'homme , & l'homme malheureux ,
Par fes foins bienfaiſans , voit finir la détrelle.
L'envie eft l'éguillon de toutes les verrus :
Le mérite fouvent s'endort dans la carrière ;
>Les traits de l'envieux ne font point fuperflus 3.
Ils réveillent l'honneur , l'honneur fonge à mieux
faire.
La réputation , ce tréſor précieux ,
Dont nous fommes jaloux , eft ſouvent la victime
D'unhommefans pudeur, d'un homme dangereux
Déchirer fon femblable eft le comble du crime.
Fermez , fermez l'oreille à fes cruels difcours ;
¿ Par un profond mépris puniffez l'infolence
62 MERCURE DE FRANCE.
De l'indifcrétion : un fourbe à des détours :
Le plus lage eft féduit,il eft fans défiance.
Fauffe dévotion , mafque de la verta !
De la religion image menſongère !
De ce dehors trompeur l'orgueil eft revêtu ;
L'éclat qui l'environne eft une erreur groffière.
Religion fans fard , fublime vérité !
Tu puifes ton éclat dans le fein de Dieu même s
Fille de l'Éternel , immuable Beauté ,
Heureux qui te connoît , qui te fert & qui t'aime !
Trop fougueule jeuneffe ! impétueux defirs !
Vous étouffez en nous la voix de la fageffe.
L'homme aveugle s'endort dans le fein des plaiſirs ;
La mort vient l'arracher des bras de la moleffe.
DAGUES DE CLAIR-FONTAINE ,
JUILLET. 1763 . 63
LEE mort de la première Énigme du
premier volume du Mercure de Juillet
eft le Subftantif. Celui de la feconde eft
une Canne à lorgnette : Ceux du premier
Logogryphe font Chine , Niche &
Chien. Celui du fecond Logogryphe eft
Mort , dans lequel on trouve mot , rot ,
& or.
J
ENIGM E.
E fuis , je ne fuis plus ; j'étois & je vais être: '
Veut-on me retenir ? Je fuis mort pour jamais ;
Mais pour jamais auffi , je ſuis prêt à renaître :
Je meurs toujours , toujours je nais .
MON
A UTR E.
ON éclat éblouit le plus noble des fens ;
Il faut me preffer pour me faire.
Si celui qui me fait me preffe trop longtemps ,
Je redeviens ma propre mère.
64 MERCURE DE FRANCE .
LOGO GRYPH E.
J.E fuis dans ta bibliothèque ;
Mais pour fçavoir ma valeur intrinfèque ,
De m'y chercher , ne prens point leſouci ,
Je vais me démembrer ici.
Mon tout compoſe ſept figures :
Lecteur , fi tu me dénatures ,
¿Tutrouveras en moi cet inftrument ,
Qui d'un grand Saint fit le tourment
Un autre admis dans la muſique ;
Ce que nous rend l'excès du jus bachique ;
Ce qu'étoit ce frere affamé ,
2
Qui pour faire affez maigre chère ,
·Céda fon droit à ſon puîné ;
Ce qui , pour n'être pas trompé ,
Manquoit à leur crédule père ;
L'état d'un être fans honneur ;
Ce que rifque, fans crainte, un homme de valeur ;
Le propre du foleil ; deux oifeaux de paffage ;
Le fynonyme de rivage.
Pour finir , je contiens
Ce qu'a prefent tu tiens.
Par M. NARET.
JUILLET . 1763 . 65
AUTR E.
MONON domaine contient un nombre d'habitans ,
Qui , quoiqu'unis entr'eux, ont des goûts différens.
Mon nom bouleverfé fait beaucoup de ravage ;
Mais quand le chef en eft ôté ,
On reconnoît par mon ufage ,
Que tout en moi n'eft que fragilité.
La moitié de mon corps , qui fouvent me dévore
Aux plus beaux jours de mon printemps ,
Avec deux pieds de plus , va devenir encore
La terreur des petits enfans.
Bouleverſez enfin , ce nouvel être ,
Dans Paris , cher lecteur , vous me verrez paroître ,
Portant fur mon dos cet objet ,
Qui pour notre malheur commit un grandforfait.
... St... le 31 Mai 1763.
ODE Anacreontique , ou CHANSON à mettre en
Mufique : à Madame de P ......
EUREUX qui fur la fougère
Nourrit de tendres amours :
Heureux l'amant qui fait plaire !
Des foucis la troupe auſtère
N'empoifonne point fesjours.
66 MERCURE DE FRANCE.
Souple aux cris de la nature ,
Il imite dans les moeurs ,
Ce ruiffeau , dont l'onde pure
Coule avec un doux murmare ,
Sur un lit femé de fleurs.
Il fe livre , il s'abandonne
Aux mouvemens de fon coeur :
Un myrthe fait fa couronne.
Et tout ce qui l'environne
Reſpire un charme flatteur.
De la beauté qui l'enchante ,
Sous mille afpects gracieux ,
L'image fe repréfente.
Il en jouit quoique abfente ;
Il la croit voir fous les yeux.
La plaintive tourterelle i
Fait- elle entendre fon chant ;
Dans fon coeur toujours fidelle ,
Le fouvenir renouvelle
Du plaifir le fentiment .
Dans le beau fejour de Flore
Porte-t-il fes heureux pas ;
Hélas ! il y trouve encore ,
De la nymphe qu'il adore
Les charmes & les appas.
;
JUILLET. 1763. - 67
Tout l'y porte à la tendreffe :
Le ſpectacle d'une fleur
Que le zéphire careffe ,
Lui plaît , l'émeut , l'intéreffe ,
Lui retrace fon bonheur.
Dans fa courſe fortunée
Rien n'arrête fes defirs .
Amour de fa deſtinée
Forme la chaîne dorée ,
Et prépare les plaifirs.
Par M. S **** à Pontoife , dans le Vexin
François.
68 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II .
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE du fecond Livre de la
PHARSALE.
Tandis que ces chofes fe paffoient dans
Rome , Pompée à la tête d'une multitude
tremblante avoit gagné les murs de
Capoue : il y établit le fiége de la guerre ;
& pour s'oppofer aux entrepriſes de
Céfar , il envoya des Corps détachés
vers ces collines d'où l'Apennin s'éleve
& commande le vafte horizon .
D'un côté l'Apennin - touche aux Alpes
& domine la Gaule ; c'eft là qu'il
eft le plus voifin des Cieux : de l'autre
il s'étendoit autrefois jufques dans la
*Sicile ; mais depuis que les flots ont rompu
la chaîne , il fe termine au détroit de ·
Scylla. Ainfi la croupe de cette montagne
chargée de noires forêts de pins ,
fe prolonge à travers les contrées du
Latium , entre la mer de Tirrhene &
le golfe Adriatique ; & des flancs de
JUILLET: 1763. 69
fes rochers coulent ces fleuves majeftueux
qui fe répandent dans l'Italie &
vont fe perdre dans les deux mers .
D'un côté fe précipitent le Metaure
fugitif, & l'impétueux Cruftume , & la
Senna , & le Sapis que l'Ifaure enfle de
fes eaux , & l'Aufidus dont la rapidité.
fend les ondes Adriatiques ; & Eridan
celui de tous les fleuves dont la
fource eft la plus féconde , l'Eridan
qui roule au fond des mers les forêts brifées
fur fon paffage , l'Eridan , qui femble
épuifer toutes les eaux de l'Italie .
Ce fleuve égaleroit le Nil , fi comme le
Nil, il pouvoit s'étendre & fe repofer
fur de vaftes plaines ; il égaleroit le Danube
, fi le Danube en parcourant le
monde , ne fe groffiffoit des torrens qu'il
rencontre , & qu'il entraine avec lui dans
Euxin. L'Eridan fut le premier des
fleuves , dit la fable , dont le Peuplier
couronna les bords. Ce fut dans fon
fein que tomba Phaëton , lorfqu'ayant
pris en main les rênes brûlantes des courfiers
du jour , il s'écarta de la route prefcrite.
La terre étoit embrafée jufques.
dans fes entrailles ; tous les fleuves étoient
défféchés ; l'Eridan lui feul fut capable
d'éteindre les flammes du char du Soleil.
70 MERCURE DE FRANCE.
Les eaux qui coulent fur la pente oppofée
, forment le Vulturne rapide , &
le Sarné nébuleux , & le Liris , qui coulé
à l'ombre des forets de Marice , &
le Siler , qui arrofe les fertiles champs de
Salerne , & le Macre , qui roule fur des
écueils jufqu'au port de Lune voifin
de fa fource , fans pouvoir porter une
barque légère ; & le Rutube aux bords
efcarpés , & le Tibre qui donne la loi
à tous les fleuves de l'Univers. Céfar
qui refpire la guerre , & qui ne fe plaît
à marcher que par des chemins arrofés
de fang , gémit de trouver l'Italie ouverte.
Il fe flatoit que Pompée lui difputeroit
le paffage & que des débris
marqueroient fes pas. On lui ouvre les
portes ; il voudroit les rompre le laboureur
tremblant lui laiffe envahir fes
campagnes ; c'eft par le fer , c'eft par
la flamme qu'il eut voulu les ravager
if rougit de fuivre une route permife ,
& de paroître encore. Citoyen .
Les Villes d'Italie incertaines &
chancelantes entre la crainte & le devoir
, n'attendent pour fe livrer à lui
que les approches de la guerre ; cependant
leur frayeur fe déguiſe fous l'appareil
d'une longue défenfe . On éléve
des remparts , on creufe des foffés , on
JUILLET. 1763. 71
prépare fur le haut des tours de lourdes
maffes de rochers & des machines à
lancer les traits pour accabler les affiégeans
. Le peuple penche du côté de
Pompée , & la fidélité qu'il lui doit
balance l'effroi que Céfar infpire.
Ainfi lor que le bruyant Aufter s'eft
emparé de l'Océan , toutes les vagues
lui obéiffent . Si la terre alors entr'ouverte
d'un fecond coup du trident d'Eole
, lance l'Aquilon fur les flots agités ,
quoique pouffés par un vent nouveau ,
c'eft au premier qu'ils cédent encore ;
& tandis que l'Aquilon domine au Ciel
& commande aux nuages , le feul Aufter
régne fur les eaux.
,
Mais il étoit facile à la terreur de changer
les efprits
& la foi qu'ils gardoient
à Pompée étoit flottante comme
fa fortune. Bientôt la fuite de Libon
laiffa l'Hétrurie fans défenſe : Thermon
abandonna l'Ombrie : Sylla qui
n'eut dans les guerres civiles ni le courage
ni le bonheur de fon père , prit
la fuite au nom de Céfar : à peine quelquesTroupes
légères menacent les murs.
d'Auximon , Varus en fort épouvanté ,
jette l'allarme dans les Villes voifines
& s'échape à travers les forêts : Lentu- .
lus chaffé & Afculum , & fuivi de près
72 MERCURE DE FRANCE .
dans fa fuite , voit fes cohortes difperfées
le laiffer feul avec fes drapeaux ,
& fe tourner du côté du vainqueur :
tói , Scipion , tu vas bientôt livrer les
murs de Lucère confiés à tes foins , ces
murs défendus par la plus vaillante jeureffe.
Pompée a furtout mis fon efpoir
dans la réfiftance de Corfinium que Domitius
défend avec dix cohortes. Céfar
y
L
marche , & Domitius voyant à travers
un nuage immenfe de pouffière ,
les rayons du foleil réfléchis par le brillant
acier des armées, » A moi , compa-
" gnons , s'écria-t- il , courez au fleuve ,
coupez le pont. Dieux , faites que ce-
» torrent lui-même enfle fes eaux pour
» le brifer. Que ce foit ici le terme de
» la guerre ; qu'ici du moins l'ardeur
» de l'ennemi fe ralentiffe , & fe con-
» fume en longs efforts : retardons fes
progrès rapides : ce fera pour nous
une victoire que d'avoir les premiers
arrêté Céfar. Il n'en dit pas davantage,
& les cohortes à fa voix accourent au
fleuve ; il n'eft plus temps . Cefar qui
s'avance & qui voit de loin qu'on veut
lui couper le paffage , s'écrie enflammé
de colère : » Hé quoi , lâches , ce n'eſt
» pas affez des murs ténébreux qui vous
a couvrent fi des fleuves ne nous féparent
,
t
JUILLET. 1763. 73
,
parent , vous tremblez ! vos efforts
font vains. Le Gange même , le Gan-
» ge débordé feroit une foible bar-
» rière. Céfar a paffé le Rubicon il
» n'eft plus de fleuve qui l'arrête. Mar-
» chez amis que la Cavalerie s'élance ,
» que l'Infanterie fe précipite fur ce pont
» qui va s'écrouler «. A peine il a donné
l'ordre , on lache la bride aux courfiers
la plaine fuit fous leurs pas rapides ; les
bras nerveux des archers font voler audelà
du fleuve une grêle de dards ; le
pont eft abandonné ; Céfar s'en empare
, il le traverfe , & chaffe l'ennemi
jufques dans fes murs. Il fait conftruite
des tours affez fortes pour porter d'énormes
fardeaux , & des toits fous lefquels
fes foldats foient à couvert au
pied des murailles . Mais tandis que l'affaut
fe prépare , ô crimel â trahifon !
?
les portes s'ouvrent, & les foldats de Domitius
le traînent captif aux pieds de Céfar,
aux pieds d'un Citoyen fuperbe.
Domitius loin de laiffer abattre par le
malheur la noble fierté de fon âme
préfente à la mort un front menaçant.
Céfar fçait bien qu'il la defire , & qu'il
ne craint que le pardon, a Vis , malgré
» toi , lui dit-il , & vois le jour que
" Céfør te hilfe. Sois pour les nations
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
" vaincues l'exemple & le gage de ma
» clémence. Tu es libre , tu peux ten-
» ter de nouveau contre moi le fort des
» armes , & s'il me livre jamais en tes
mains , je te difpenfe du retour. « A
ces mots , il ordonna que fes liens fuffent
rompus.
Quelle honte la fortune eût épargnée
à ce Romain s'il eût obtenu le
trépas ! Sans doute le dernier fupplice
pour un Citoyen fut de s'entendre pardonner
d'avoir fuivi Pompée & le Sénat
, fous les drapeaux de la patrie .
Domitius cependant diffimule & renferme
fa rage ; mais bientôt livré à luimême
, " Malheureux ! dit- il , irai-je
" cacher ma honte au fein de Rome , à
» l'ombre de la paix ? fuirai-je les dan-
»gers de la guerre , moi qui rougis de
»voir le jour ? précipitons-nous à tra-
» vers mille morts courons au terme
» d'une vie odieufe & rejettons ce bien-
»" fait de Céfar.
Pompée qui n'étoit pas inftruit du
malheur de Domitius fe preparoient à
le foutenir. Réfolu de marcher le jour
fuivant , il crut devoir éprouver le zéle
de fes Troupes , & d'une voix qui imprimoit
le refpect , » Vengeurs des forfaits
, leur dit-il , défenfeurs de la caufe
JUILLET. 1763. 75
publique , feule armée de vrais Ro-
» mains , vous à qui le Sénat donne à
foutenir , non l'ambition d'un feul
» homme , mais les droits , la liberté
» de tous ; faites des voeux pour le combat.
Le fer & le feu ravagent l'Hef-
» perie , les Gaulois defcendent comme
» un torrent du fommet des Alpes , le
fang Remain à déja fouillé le glaive
» de Cefar graces aux Dieux , c'eſt
» nous qui avons reçu les premiers ou-
" trages de la guerre ; c'eft fur l'agref
feur que le cime en retombe ; & Rome
qui daigne me confier fes droits
nous en demande le châtiment. Ce
n'eft point un jufte ennemi que nous
allons combattre ; c'eft un Citoyen
rebelle & perfide que nous allons pu-
» nir ; & fon attentat mérite auffi peu
» le nom de guerre que le complot
» de Catilina , lorfqu'avec Lentulus &
» Cethegus fes conjurés , il réfolut d'em-
» brafer Rome. O Céfar , quelle rage
»
t'aveugle toi , que le deftin appel-
» loit au rang des Metellus & des Ca-
» milles , tu préferes de groffir le nom-
" bre des Marius & des Cinna ! Viens
» donc périr comme Lepide , Carbon ,
» Sertorius ont péri . Encore eft- ce
» m'avilir que de tourner contre toi mes
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
armes je rougis que Rome occupe
» mes mains à terraffer un furieux, Que
» n'est-il revenu vainqueur des Partes
» ce Craffus qui nous délivra de Spar-
» tacus & de les complices ! ce feroit à
» lui de nous venger de tai, Mais puif-
»que les Dieux daignent l'accorder
» l'honneur de tomber fous mes coups ,
» tu vas éprouver fi les ans ont énervé
» mon bras , ou glasé le fang qui coule
» dans mes veines ; fi pour avoir fouf
» fert la paix , nous fommes effrayés
de la guerre. Laiffez , Romains , laif-
» fez croire à Céfar que Pompée et
» amoli par le repos ou abattu fous le
» poids des années : l'âge n'a rien déf
» frayant dans un Chef: marchez fans
» crainte fous un vieux guerrier contre
» une armée qu'un Soldat commande . Fe
» fuis arrivé au plus haut point de gran
» deur auquel un fimple Giroyen puiffe
» être élevé par un
» an, deffus de moi que
» la place d'un Tyran. Gelui qui dans
me na laiff
Peuple libre. Roat
veut me furpaffer n'afpire dong.
plus sau rang d'un Citoyen mais d'un
» Monarque, Auffi voyez-vous dans
» mon armée tout ce que Rome a de
plus illuftre , les Pères de la Patrie ,
» les Confuls eux- mêmes fous les drae
JUILLET. 1763. 77
" peaux de la liberté . Lequel des deux
» fera vainqueur ou de Céfar ou du Sé-
» nat ? J'ofe craite que la fortune auroit
» honte de balancer. Et de quoi s'en-
» orgueillit ce jeune audacieux ? Eft-ce
» d'avoir employé dix ans à conquérir
" la Gaule Effce d'avoit abandonné
» honteufement les bords du Rhin ?
» Eft- ce d'avoir été chaffé du rivage Bri-
» tannique, & d'avoir attribué le mauvais
» fuccès de fa folle entreprife aux obf-
» tacles d'une mer inconftante & pleine
» d'écueils ? fon audace tiompheroit- elle
» de voir Rome entière fous les armes ,
» s'éloigner du fein de fes Dieux? Ahjeu-
» ne infenfe , connois mieux ce peuple :
» il ne te fuit pas , il me fuit ; il me fuit ,
» moi qui dans deux mois ai purgé la
» mer de pirates , moi qui plus heureux
» que Sylla , ai vu ce Mitridate qu'on
» ne pouvoit d'ompter , & qui depuis fi
longtems retardoit les deftins de Ro-
» me , errant dans les déferts du Bofpho-
" re & de la Scithie , réduit à fe don-
» ner la mort. Oui Romains , j'afe le
» dire pour juftifier votre confiance & la
» mienne . Fat porté la gloire de nos ar-
» mes dans tous les climats que le Soleif
» éclaire ; & la guerre civile eft la feule
» que j'aye laiffée à faire à Céfar.
"
D iij
78. MERCURE DE FRANCE.
Cette harangue ne fut point fuivie
de l'acclamation des Cohortes : elles ne
demanderent point le fignal du combat
qu'on leur annonçoit. Pompée luimême
intimidé par ce filence , crut .
devoir s'éloigner , plutôt que de courir .
les rifques d'un combat d'où dépendoit
le fort du monde , avec une armée .
déja vaincue au feul bruit du nom de
Céfar.
*
Tel qu'un Taureau chaffé des pâturages
par un Taureau plus vigoureux ,
va fe cacher au fond des forêts , & ne
revient tenter le combat que lorfque
fon front, que l'âge affermit , fe fent armé
de toutes fes forces. Tel Pompée.
trop foible encore pour réfifter & Céfar
, lui abandonne l'Italie , & fe retire
à travers les campagnes de la Pouille
dans les murs de Brundufium.
a
Cette Ville fut jadis habitée par
des
Crétois , qui s'étoient embarqués avec
Théfée , vainqueur du Minautore , &
que les Vaiffeaux Athéniens avoient
dépofés fur nos bords. Elle eft fituée
vers la pointe de l'Italie , au bord de la
mer Adriatique , fur une langue de terre
qui s'avance & fe courbe en croiffant
, comme pour embraffer les flots.
Ce feroit un port mal affuré, s'il n'étoit
JUILLET. 1763. 79
couvert par une Ifle dont les rochers
brifent l'effort des vents & des ondes .
Des deux côtés du port , la Nature a
élevé deux chaînes de montagnes qui
repouffent la mer , & qui défendent aux
vents orageux de troubler l'afyle des
Vaiffeaux que des cables tremblans y
retiennent. De-là , on gagne la pleine
mer, foit qu'on faffe voile vers l'Ifle
de Corcyre , foit que du côté de l'Illyrie
, on veuille arriver au Port d'Epidaure.
C'eſt le réfuge des Nochers, lorfque
tous les flots de la mer Adriatique
font foulévés ; que les nuages enveloppent
les montagnes de l'Epire , &
que l'Ifle de Safon difparoît fous les
vagues écumantes. Là , Pompée , qui
ne pouvoit plus compter fur l'Italie , ni
tranfporter la guerre en Efpagne , dont
il étoit féparé par la chaîne immenſe
des Alpes , dit à l'aîné de fes enfans :
» Allez , mon fils , parcourez le mon-
» de ; foulevez le Nil & l'Euphrate ;
» armez tous les Peuples à qui le nom
» de Pompée eft connu , toutes les Villes
où mes exploits ont rendu Rome
» recommandable ; que les Pirates de
" Cilicie abandonnent les champs que
» jeje leur ai donnés en partage , & fe
répandent de nouveau fur les mers
ค
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
d'où je les ai chaffés : appellez à mon
» fecours Ptolomée , dont je fus l'appui,
» & Tigrane , qui me doit fa Couron-
» ne , & Pharnace , que j'ai revêtu de
» la dépouille de fon père n'oubliez
» ni les habitans vagabonds de l'une &
» de l'autre Arménie , ni les Nations
" féroces qui occupent les bords de
» l'Euxin , ni celles qui couvrent les
» fommets du Riphée , ni celles qui
» voyagent fur les glaces du Palus Méo-
» tide : que vous dirai-je enfin ? Allu-
» mez la guerre dans tout l'Orient ;
» que tout ce que j'ai vaincu fur laterre
» embraffe ma défenfe , & que mes
»triomphes viennent groffir mon camp.
» Vous , Confuls , au premier fouffle
» de Borée , paffez en Epire ; allez
» amaffer de nouvelles forces dans les
» champs de la Grèce & de la Macé-
» deine , tandis que l'Hyver nous laif
» fe refpiter . Il commande ; on met
à la voile & on s'empreffe de lui
obéir.
Cependant Cefar qui ne peut laiffer
repofer les armes , pour ne pas donner
au fort le tems de changer , preffe Pompée,&
le fuit pas-à-pas.Tout autre quelui
feroit content d'avoir d'une première
courſe réduit tans de Villes, forcé tant de
JUILLET. 1763.
81
&
remparts , conquis fans obftacle certe
Reine du monde , cette Rome , le plus
haur prix que la Victoire ait jamais offert.
Mais Ceferqui ne perd jamais un inflanr ,
& qui ne compte avoir rien fait , tant
qu'il lui refte encore à faire ; Céfar s'attache
avec fureur à la pourfuite de fon
rival . Quoiqu'il pofféde route l'Tralie , fi
Pompée en occupe le rivage , il lui
femble qu'elle leur foit commune
fon chagrin ne peut ly fouffrir. C'eſt
peu de le chaffer de Italie , il veur lui
interdire les Mers ; & pour Nur couper
le paffage , il entreprend d'élever devant
le port , une barrière de rochers . Ces
immenfes travaux fent perdus ; les rochers
tombent , la mer les dévore , &
des montagnes entaffées font englouties
fous le fable . Cefarvoyant que ces
maffés énormes ne trouvoient pas de
fond qui les fourint , prit le parti de
faire abattre des forêts , & de lier les
arbres l'un à l'autre par des longues chat
nes. Xerxès autrefois , dit- on , fe fit
fur les flots une route femblable ; il joignit
l'Europe avec l'Afie par un pont
de vaiffeaux , & fur ce pont , it traverfa
le Bofphore à la tête de fon armée
lorfqu'il força la mer de porter fes voiles
autour du mont Athos. Ainfi les forêts
2
Dv
82. MERCURE DE FRANCE.
enchaînées & flottantes , ferment l'embouchure
du port où Céfar affiége Pompée.
Les travaux s'avancent , des remparts
s'élévent , & des tours mouvantes
femblent fortir des eaux.
Le
Pompée éffrayé de voir une terre nouvelle
s'éleverentre la mer & lui , cherche
avec une frayeur mortelle le moyen de
s'ouvrir un paffage, & d'affoiblir fon ennemi
en difperfant la guèrre fur des bords
éloignés. Il fait avancer contre la digue :
des navires armés que les vents pouffent ,
à pleines voiles ; les pierres , les dards ,
les torches allumées volent au milieu
des ténébres ; les ouvrages s'écroulent ,
& la mer eft ouverte. Pompée à la faveur
de la nuit , faifit enfin le moment de ,
s'échapper ; il défend que le fon de la,
trompette , le cri des matelots faffent
retentir le rivage , & que l'on donne le
fignal du départ . On n'entendit pas une
feule voix dans le moment qu'on dreffa
les mats , qu'on leva l'ancre , & qu'on
mit à la voile. Les Pilotes glacés de crain
te gardérent un profond filence ; les
Matelots fufpendus aux cordages , furent
même attentifs à ne pas les agiter , de
peur que le bruit excité dans l'air net
décelât l'évafion de la flotte. Emphol
Le Soleil entroit dans le figne, de las
JUILLET. 1763. 83
Balance lorfque Pompée partit de ces
bords. O Fortune il te demande
comme une faveur , de lui permettre
d'abandonner l'Italie puifque tu lui
défends de la conferver. A peine en-,
core les deftins y confentent : l'onde
entrouverte & refoulée par tant de vaiffeaux
qui la fillonnoient , fit entendre
un - long mugiffement . Alors les foldats'
de Céfar , à qui cette ville infidelle , &
qui changeoit avec la fortune , avoit ouvert
fes portes & livré fes murs , courent
à l'entrée du port par les deux ances qui
en forment l'enceinte , & ils frémiffent
de voir la flotté ennemie gagner la mer.
O comble d'orguei !! la fuite de Pompée
eft pour Cefar une foible victoire.
Le paffage étoit plus étroit que cefur
qui fépare l'Eubée de laBéorie :deux vaif
feaux s'y arrêtent , on les attire au bord ,
& là , pour la première fois , les flots de
la mer font rougis du fang de la guerre
civile. Le reste de la flotte s'échappe
& abandonne ces deux vaiffeaux.
Déja les couleurs dont brille l'Orient
annoncent le retour de l'aurore ; fa lu
mière eft teinte d'un rouge vermeil
fon éclat naiffant efface les étoiles voifines
la Pléyade commence à pâlir ,
l'Ourfe languiffante fe plonge dans l'azur
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
du Ciel , & Lucifer lui -même ſe dérobe
à l'éclat du jour. Toi Pompée, tu vogues
à voiles déployées ; mais tu n'as
plus avec toi cette fortune qui t'accompagnoir
, lonfque tu forçois les Pirates
à te céder l'empire des mers. Chaffé du
feir de ta patrie avec ton Epoufe & tes
Enfans, chargé de tes Dieux domeftiques,
& traînant la guèrre après toi ,
mais grand encore dans ton exil , tu
vois les peuples marcher à ta fuite : le
deftin femble chercher des régions
éloignées , pour y confommer l'horreur
de ta ruine : non que les Dieux veuillent
te refufer un tombeau dans les murs
qui t'ont vû naître ; mais en condamnant
l'Egypte à porter l'opprobre de ta
mort , ils ont fait grace à l'Italie. Ils
ordonnent à la fortune d'aller cacher
fon crime fous un Ciel étranger : ils
veulent épargner à Rome la douleur de
voir fes campagnes fouillées du fang de
fon Héros
JUILLET. 1763. 85
EXTRAIT d'une Leure écrite de
La Flèche à M. V ***
LE3r Mai , on célébrá dans le Collége
de la Flèche, anniverfaire de Henri
le Grandqui en eft le Fondateur . M. de
Pechmėja , Profeffeur de Rhétorique ,
prononça dans la Grand Salle , un Difcours
fur la Cérémonie du jour , après
lequel il récita une Ode intitulée le
Tombeau de Henri IV.
*
On connoîtle Difcours latin qu'il prononça
à la rentrée des Claffes , & les
vues profondes qu'il y développa. Nous
connoiffions fa façon d'écrire dans une
langue qu'il eft fi difficile de bien parler.
On l'a entendu avec un nouveau plai
fir dans cette circonftance ; c'est toujours
la même chaleur dans le ftyle , la même
vérité dans les portraits. Vaici le commencement
de fon Difcours.
»Les jours deffinés à renouveller la
» mémoire des Grands Hommes ne font
» pour le vulgaire, qu'une fource de
* Le Sujet étoit Quantum ad Pacem, in Eua
ropa ,ftabiliendam & propagandam confeire valeas
Litterarum Juntes.
86 MERCURE DE FRANCE.
réfléxions affligeantes & lugubres fur
» les ravages du temps & la fragilité de
» notre exiſtence. Le Sage les regarde
» au contraire comme des jours de
» triomphe & de fêtes confacrés à l'im--
» mortalité des Héros . Ondiroit que les
» hommes pénétrés de reconnoiffance
" envers ceux qui ont fait du bien à leurs
Pères , ont ofé fufpendre par inter
» valles , la rapidité des fiécles , & arrê
» ter le torrent des âges pour contem-
» pler , pendant quelques; inftans , ces !
» Ombres immortelles qui refpirent en-
" core dans les bras même de la mort ,
,, & dans le filence du tombeau Ler
» temps, ce deftructeur rapide des Etres,
» entaffe tous les jours de nouveaux
38
nuages fur les âmes vulgaires qu'il a
» déjà plongées dans ces abîmes ; il)
multiplie , pour ainfi die , leur def
" truction ; tandis qu'il renouvelle fans
» ceffe , pour les Grands Hommes , leur
» exiftence & leur gloire , & s'empreffe
» de ramener , fous nos yeux , le fpecta-
» cle augufte qui doit perpétuer le fou-
» venir de leurs vertus.
Le Ciel qui a placé l'Auteur de las
» Henriade à côtéd'Homere & deVirgile,
mit à côté d'Enée & & Achille le vainqueur
de Mayenne , le Héros quiaffura,
JUILLET. 1763 . 87
Ti
aux Bourbons un Trône ébranlé par
» mille fecouffes , & fubjugua fes propres
» Enfans , par les efforts de fon courage
» & par la bonté de fon coeur. Henri vivra
toujours dans la mémoire des Hommes
, puifque fous le régne de LOUIS
» le BIEN- AIMÉ , nous nous reffouve-
» mons encore avec attendriffément de
»fes vertus paternelles. Henri n'a pu faire!
» oublier Trajan & Titus, Louis ne fera
» point oublier Henri. Le nombre des) -
» bienfaiteurs de l'humanité ne fera ja-
» mais affez grand pour faire perdre let
» fouvenir des Princes bienfaifans que
» le Ciel a accordés à la Terre .
3
Il finit par ce morceau qui prépare les
Auditeurs à l'Ode fuivante , & qui eft
très-bien lié avec la fuite du difcours .
» C'est dans le tumulte des armes
» parmi les clameurs confufes des vain-
» queurs & des vaincus , c'eft dans ces
plaines couvertes du débris de leurs
" Habitans ; cleft dans les ravages du
» monde que les Arts vont quelquefois.
chercher ce délire fublime qui nous
» éléve au-deffus de l'humanité , & fou
» tient notre vol ambitieux jufques aux
» voutes éternelles. Le Poëte, alors ,
» emporté par une impulfion puiffante ,
» eft forcé de peindre & de produire
au dehors , les fentimens qui l'ani
88 MERCURE DE FRANCE.
» ment. Il s'agite , il fe confume en
efforts redoublés , pour fe délivrer
» de l'enthoufiafme qui l'obféde. C'eft
» à la mémoire des travaux de Henri
» que je dois le feu puiffant qui m'en-
» flamme.
Un Dieu m'a tranſporté dans le contredu monde,
De l'implacable mort c'eft l'éternel féjour ;
Pour éclairer l'horreur de cette nuit profonde
Quelle importune main a fak entrer lejour?]
L'Ange exterminateur dans ces vaftes abirres
Entallé à tous momens un Peuple de victimes
Que letorrent de Fage entraîne avec fureur.
Non ; files Elémens recommençoient lear gaerre,
Sur les bords du calos les débris de la Terre
N'offriroient jamais tant d'horreur.
Lamort dans ce féjour fait régner le filences
Er prêve à dévorer tout ce vafte Univers ,
Sur les ailes de temps s'agire & fe balance ,
Parmi d'affreux monceaux de cendres & de vers.
Le cridu défeſpoir des Spectres & des Ombres
Seperd dans le néant de ces demeures fombres ,
Océan de foupirs vainement répétés.
Un fleuve de poiſons dans ces gouffres rerribles
Entraine lentement des offemens horribles
C
Et des crânes enfanglantes.
Le Poëte oit enfuite le tombeau
JUILLET. 1763 . 89
d'Henri , il veut y defcendre pour effacer
l'oppobre de la Terre qui a enfanté
fon affaffin . Mais tout- à-coup il fort
du tombeau une voix qui l'arrête .
Pròfanes, arrêtez ! fur cette urne fatale
Gardez-vous de porter de facriléges mains ;
Ignorez-vous encor le terrible intervalle
Qui fépare les Rois du refte des humains ?
Favoris & rivaux des Maires du Tonnerre ,
Les Princes bienfaifans n'abandonnent la Terre;
Que pourjouir comme eux de l'immortalité.
Dans ces riftes débris que la tombe dévore
A travers ce tombeau reconnoiſſez encore
Le fceau de la Divinité.
Elle donne des leçons aux Peuples fur
la foumiffion qu'ils doivent à leurs Rois,
condamne leurs murmures & finiraihfi.
Si des rigueurs du fort vos âmes étonnées
Ne peuvent plus fuffire au poids de vos malheurs ;
Thémis fçaura pour vous fléchir les deſtinées
Au fidéle récit de vos longues douleurs.
Vénus fcut écarter le vafe redoarable
De revers & de maux que le fort implacable
Verfoit comme un torrent far fon fils malhen
reux .
-Jupiter approuva fa tendrelle & fon zéle :
Il ne fallut pas moins qu'une voix immortelle
Pour parler au Maître des Dieux.
90 MERCURE DE FRANCE.
Enfin le Poëte exige de fes Auditeurs
un ferment de fidélité.
Raffemblez-vous autour de cette urne plaintive,
Citoyens , à fes pieds accourez vous jetter ;
Et prêtant à ma voix une oreille attentive
Répétez les fermens que je vais vous dicter.
» Grands Dieux , qui de nos Roit affurez la puif
>> fance !
פכ
» Entre mon Prince & moi , fi jamais je balance ,
Qu'au glaive dévorant e fois abandonné ;
» Trop heureux fi je puis fidéle à ma patrie ,
Acheter de mon fang le bonheur & la vie
>> Du Roi que les Dieux m'ont donné. "
Le lendemain , il y eut un Service fofemnel
auquel affifterent tous les Corps
de Ville. M. l'Abbé Donjon , principal
du follége, prononça l'Oraifon funébre .
Il célébra les vertus militaires & morales
d'Henri-le-Grand.
DICTIONNAIRE portatif des
Théâtres , par M. de LÉRIS .
NOUS
Ous avons promis quelques détails
fur ce Dictionnaire portatif, que
JUILLET: 1763. 9t
nous n'avons fait qu'annoncer dans le
Mercure précédent , où nous avons rapporté
le titre entier de l'Ouvrage.
On fent bien qu'un pareil Livre n'eft
pas fufceptible d'une Analyſe fuivie ; il
fuffira de quelques Remarques que nous
fournira l'Avertiffement de l'Auteur fur
l'objet & l'utilité de fon , travail , & fur
la forme de Dictionnaire qu'il a cru devoir
préférer à toute autre.
En effet , s'il eft quelque Ouvrage
naturellement fufceptible de cette forme
, & pour lequel elle puiffe être regardée
comme abfolument effentielle , c'eſt
fans contredit un Recueil de recherches
fur les Piéces de Théâtre . L'ordre chronologique
n'a ni l'avantage , ni la faci-
Tité de l'ordre alphabétique pour indiquer
au premier coup d'oeil , la Piéce que l'on
cherche , le nom de fon Auteur , le
temps de fa repréfentation , fa réuffite ,
& enfin tout ce qui peut être un objet
dé curiofité pour les Amateurs de la
Scène Françoife.
On fent aifément combien il eût été
facile de rendre ce Livre plus volumineux.
La matière étoit abondante ; il
ne s'agiffeit que d'analyfer chaque Piéce
, oude copier même les Extraits qu'en
ont donné les Journaliſtes ; & , à l'égard
92 MERCURE DE FRANCE.
des Auteurs , de puifer dans les Dictionnaires
hiſtoriques , dans les Préfaces de
leurs OEuvres , dans la France Littérai
res , & c, des détails hiftoriques de leurs
vies . Mais comme un Dictionnaire n'eft
jamais plus commode que lorfqu'il peut
être renfermé dans un feul volume , &
furtout dans un volume portatif , il paroît
que M. de Léris a eu principalement
en vue de fimplifier les objets , d'éviter
les doubles emplois , les répétitions inutiles
; & en difant tout ce qu'il y a
d'effentiel & de curieux fur les Spectacles
, de ne point paffer certaines bornes.
Pour avoir la facilité d'employer plus
de matière qu'un volume feul ne paroiffoit
naturellement devoir en contenir
on s'eft fervi d'un caractère moyen
& l'on a fouvent mis en ufage des abréviations
qui ne nuifent ni à la clarté de
l'Ouvrage , ni à l'agrément du coup
d'oeil
Afin de moins confondre les objets ,
& de faciliter l'ufage de fon Dictionnaire
, l'Auteur , en y mettant tout d'ordre
dont un femblable travail peut être
fufceptible , a divifé fon Livre en deux
parties. La première contient la lifte alphabétique
de toutes les les Piéces de
JUILLET. 1763 .
93
Théâtre , avec ce qui les concerne . La
feconde renferme , auffi dans le même
ordre , un Abrégé de la vie des Auteurs ,
des Muficiens & des Acteurs , avec le
Catalogue de leurs Ouvrages Dramatiques
; & , lorfque ce font des Acteurs ,
le genre dans lequel ils fe font fignalés.
*
"
La première de ces parties eft précédée
d'une hiftoire fommaire de tous les'
Théâtres établis à Paris , leurs divers
changemens , & leur état actuel . On
trouve à la tête de la feconde , une
Table Chronologique des Auteurs &
une autre des Muficiens ; & elle eft fui
vie de celle de tous les Opéra qui ont
été repréfentés depuis le commencement
de ce Spectacle jufqu'à préfent. Plufieurs
perfonnes defirant qu'on pût voir
d'un coup d'oeil les piéces jouées depuis
un certain nombre d'années , M. de
Léris , pour leur faire plaifir , a donné
une autre table chronologique qui contient
le nom de toutes ces Piéces , &
l'a placée à la fin de fon Livre après celle
de l'Opéra,
Cequi ête à ce Dictionnaire la féchereffe
dont les Ouvrages de ce genre font
ordinairement fufceptibles , ce font des
Anecdotes curieufes dont c Recueil est
rempli , & qui y jettent beaucoup d'an
4 MERCURE DE FRANCE.
1
grément. Il eft rare qu'à l'ouverture du
livre , on ne trouve pas toujours quelque
trait amufant qu'on eft charmé d'ap--
prendre & de retenir. Cela feul , indépendamment
de tous les avantages
qu'à ce Dictionnaire fur les autres livres
de cette nature , le mettroit audeffus
de quantité de recueils que nous
avons déja fur le même objet.
Enfin nous ne craignons pas de dire
que cette Edition fera plaifir au Public
dont elle mérite l'eftime , par les recherches
, l'exactitude & la correction. Cependant
, comme ces fortes d'ouvrages
peuvent devenir toujours plus parfaits ,
l'Auteur invite les gens de Lettres à vouloir
bien leur communiquer leurs avis ,
fur les fautes qui peuvent lui être échap
pées , afin de faire encore mieux dans
une nouvelle Edition. Satisfaire la curiofité
du Lecteur , ll''iinnffttrruuiirree par des
détails & des faits fùrs , l'amufer par
des anecdotes , rendre juftice aux Auteurs
& aux Acteurs vivans , fans flaterie
, & aux morts fans partialité ; voilà
ce qu'il déclare avoir été fon but , &
nous ofons affurer qu'il ne s'en eft
point écarté, Les perfonnes qui font au
fait de ce travail , peuvent feules connoître
combien il faut d'attention
JUILLET. 1763. 95
de conftance & .de recherches pour compour.
com ,
pofer un pareil Dictionnaire , le fimpli
fier & le rendre complet & exact . La
matière eft féche & difficile , & les Auteurs
qui en ont traité , he font pas tou
jours d'accord fur le même Sujet. D'après
cela in mot , un nom , une date
occafionnent des lectures de plufieurs
jours, & dans différens genres fouvent
fort éloignés de celui qui femble faire
l'objet du Théâtre . Ces recherches , ces
vétifications demandent un efprit patient
, laborieux , exact & toujours plein
de fon objet pour ne rien négliger.de
ce qui peut y fervir tôt ou tard ; &
ce font toutes ces qualités que poffédé
fupérieurement l'Auteur de cet excellent
Dictionnaire.
ANNONCES DE LIVRES.
OFFICE DIVIN abrégé pour
tous les temps de l'année , à l'ufage des
Perfonnes pieufes qui defirent de s'unir
aux Priéres générales qui fe font dans
l'Eglife aux différentes heures du jour.
Imprimé par ordre de Son Eminence ,
Monfeigneur le Cardinal de LUYNES ,
Archevêque , Vicomte de Sens Primac
96 MERCURE DE FRANCE .
des Gaules , &c. in 8°. à Sens , chez
P. Hardouin Tarbé,Imprimeur-Libraire
de Son Eminence , 1763 ; & fe trouve
à Paris , chez la Veuve Pierres , rue
St Jacques , à St Ambroife.
Nous obfervons feulement que le
calendrier de ce livre , dont l'impreffion
a été foignée , eft fait de façon qu'il
peut fervir dans tous les Diocèfes. Le
prix eft de 2 liv. 2 f. broché,
•
•
LA GÉOGRAPHIE , ou Defcription
générale du Royaume de France ,
divifé en fes Généralités , contenant toutes
les Provinces , Villes , Bourgs &
Villages de ce Royaume ; la diftance
de Paris aux Villes principales &
celle des Villages aux Villes dont ils
dépendent ; ce que chaque Généralité a
payé au Roi en 1749 ; le rapport annuel
de chaque Archevêché , Evêché &
Abbaye , & leur taxe en Cour de Rome ;
le nombre des feux que contiennent les
Villes , Bourgs & Villages , avec des
Anecdotes curieufes tirées des Annales
de chaque endroit ;le cours des Riviè
res , les routes & grands chemins ; les
Caroffes , Coches d'eau & autres Voirures
publiques ; les curiofités d'Hiftoire
Naturelle qui fe trouvent dans chaque
Généralité ;
JUILLET. 1763. 99
Généralité ; enfin , les Foires des Villes ,
Bourgs & Villages. Le tout enrichi
d'une collection choifie d'un nombre
confidérable de Cartes copiées d'après les
originaux , avec les Plans de toutes les
Villes de Guerre , & du Chef- Lieu des
Généralités , & une petite Carte Topographique
des environs de ces Villes.
Par M. D ** * & gravée par & fous
la direction de J. Vander Shley , tome
premier , qui contient la Généralité de
Paris. in 8°. Amfterdam , 1763 , chez
Marc- Michel Rey , & fe trouve à Paris ,
chez le Clerc , Libraire , Quai des Auguftins.
Prix , 6 liv. broché.
TRAITÉ fur l'Agriculture des Meuriers
blancs , la manière d'élever les Versà-
Soie , & l'ufage qu'on doit faire des
Cocons. Avec figures. Par M. Pomier ,
Ingénieur des Ponts & Chauffées. in 8°.
Orléans , 1763 , de l'Imprimerie de
Couret-de-Ville- Neuve , Imprimeur du
Roi & de l'Evêché, & fe trouve à Paris,
chez Defpilly , Libraire , Rue S. Jac-
: ques ,
à la Croix-d'Or.
PRÉCIS fur l'éducation des Vers- à-
Soie...
Auricomo pretiofa tument præcordia filo ,
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Fataque in exhauftas fuggerit alvus opes.
Saut. B. L.
In 8° . à Tours , chez Fr. Lambert
Imprimeur du Roi , & de la Société
Royale d'Agriculture de la Généralité
de Tours ; & fe trouve à Paris , chez le
même Libraire.
L'ESPRIT de la Religion Chrétienne
oppofé aux moeurs des Chrétiens de nos
jours. Par M. Compan.
Spiritus eft qui vivificat, caro non prodeft quidquam.
Joann.
In- 12. Paris , 1763. Chez F. G. Merigot
Père , Libraire , Quai des Auguf
tins , près la rue du Hurepoix .
RECUEIL des Ouvrages qui ont remporté
le prix à l'Académie des Jeux Flo
raux , en 1761 , 1762 & 1763. Par M.
le Chevalier de la Tremblaye.
(
Parvum parva decent.
Horat.
Brochure in-8° . à Londres ; & fe vend
à Paris , chez Vallat- la - Chapelle , au
Palais , fur le Perron de la Sainte- Chapelle
, au Château de Champlâtreux .
Nous donnerons l'extrait de ce Recueil
JUILLET. 1763. 99
MÉMOIRE du Chevalier de Berville ,
oules deux Amis retirés du monde , in-
16. 2 vol. à Cologne ; & fe vend à Paris ,
chez Charpentier , Libraire , Quai des
Auguftins , à l'entrée de la rue du Hurepoix
, à Saint Chryfoftôme.
Nous comptons parler plus au long de
ce petit Roman , oùl'on trouve , dit- on ,
de l'intérêt.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie
Royale des Belles - Lettres de LA
ROCHELLE.
L'ACADÉM ' ACADÉMIE des Belles - Lettres de la
Rochelle tint le 22 Avril fa féance
publique , à laquelle préfida M. le Maréchal
de Senneterre , Gouverneur de la
Province . M. Dupaty , Tréforier de
France , Directeur de l'Académie , ouvrit
la Séance par un difcours contenant
des Réflexionsfur l'Agriculture relative-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ment au Pays d'Aunis. Ce difcours eft
compofé de deux parties ; dans la premiere
l'Auteur expofe plufieurs obftacles
qui s'oppofent au progrès de l'Agriculture
dans cette Province. Voici de quelle
manière il débute.
» Notre Nation taxée de frivolité
par
» quelques Philofophes , va ceffer de
» mériter cette qualification . Il fuffira
» pour s'en convaincre de jetter un coup
» d'oeil fur tous les ouvrages folides que
» nous avons vu éclore de nos jours fur la
» Politique , fur le Commerce , fur les
» Arts & fur l'Agriculture. Le nombre
» des bons Ouvrages dont nous fommes
» en poffeffion , prouvera à tout eſprit
» jufte & fans préjugés, que nous n'avons
» point dégénéré du côté des fciences , du
"
fiécle qui nous a précédé , comme le
» prétendent quelques cenfeurs chagrins,
» mais même que le nôtre peut être
appellé le fiécle des lumières & de la
Philofophie. Si l'on nous reproche
» encore notre goût trop vif pour les
» Arts de luxe , d'agrément ou de fimple
curiofité , ce ne fera pour nous
» qu'un mérite de plus , celui d'avoir fçu
allier les deux extrêmes , & d'avoir
* atteint la perfection en chaque genre..
Eclairés fur nos véritables intérêts, nous
JUILLET. 1763.
ΙΟΙ
avons enfin reconnu que l'Agricultu-
» re eft la mère de tous les Arts , puif-
» qu'elle feule fournit à tous nos befoins
» de premiere néceffité . Pénétrés de cette
» vérité , nous avons porté juſqu'à l'en-
>> thoufiafme le goût pour l'Agriculture .
» Mais fi les ouvrages immortels des
" Duhamel,des Tilly , des Chateauvieux,
» &c , méritent toute notre recon-
>> noiffance ; s'ils renferment une Théorie
» fûre & lumineufe appuyée fur des expériences
bien faites , ont- ils toujours
» l'avantage de nous offrir des pratiques
» applicables à tous les pays ? Je ne puis
» me le perfuader ; je fuis même con-
» vaincu , qu'ils ne peuvent que nous
» mettre fur la voie pour chercher les
» moyens de faire profpérer l'Agricul-
» ture dans cette Province ; mais ils
" nous laiffent tout le mérite de trouver
» ces moyens. Cette gloire eft réſervée
» aux Citoyens qui compofent la fo-
» ciété d'Agriculture érigée depuis peu
» dans cette Ville . Je me bornerai donc
à vous faire part de quelques réfléxions
» fur plufieurs obftacles qui s'oppofent
» au progrès de l'Agriculture.
On ne fuivra point l'Auteur dans le
détail de ces obftacles : fes réfléxions fur
cet objet n'ont , pour ainfi dire , qu'un
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
mérite local , & dont l'utilité ne s'étend
pas au-delà des bornes de la Province.
On paffe à la deuxième partie du Mémoire
qui traite du Plane ou Platane.
L'Auteur aime mieux lui donner ce dernier
nom , comme plus analogue au
nom latin , Platanus.
Cet arbre qui n'eft guères connu que
par la plainte d'Horace ,
Evincet ulmos.
Platanusque calebs ,
Horat. od. 15. lib. 2.
ne fe trouvoit point dans le pays d'Aunis
; c'eft à M. Baudry , Directeur des
Poftes , qu'on a l'obligation de l'y voir
pour la premiere fois. Ce Citoyen véritablement
eftimable a bien voulu partager
avec M. Dupaty , l'avantage d'enrichir
la Province d'Aunis , d'un arbre
dont le nom y étoit à peine connu.
M. Dupaty , a planté au mois de
Mars 1762 , des Platanes dans un terrein
frais ; il a eu la fatisfaction de les voir
pouffer dès cette premiere année de plus
de quatre pieds , & donner des feuilles
d'une beauté & d'une largeur furprenante.
Quoique celles qu'il a fait voir
à l'affemblée , euffent perdu en féchant
de leur luftre & de leur largeur , elles
ont étonné .
JUILLET. 1763. 103
M. Dupaty fait connoître plufieurs
particularités du Platane d'après Pline
le Naturaliſte , qui eft un des Auteurs qui
en ait parlé le plus au long , mais comme
il fe propofe de fuivre plus particulierement
la nature & les propriétés de cet
arbre , on attendra le réſultat de ſes expériences.
Le difcours de M. Dupaty , écrit d'un
ftyle fans prétention , & tel qu'il convient
aux matières des Phyfique , fut
écouté d'un auditoire nombreux & éclairé
avec cette attention & cet intérêt ,
que s'attirent naturellement les objets
fimples & utiles .
M. l'Abbé de Rouffy , Aumônier en
dignité de l'Eglife Cathédrale, lut enfuite
un difcours fur les qualités néceffaires à
l'homme de lettres.
Cette le&ture fut fuivie de celle des
obfervations de M. de Montaudoin , fur
une critique des Poëfies de Rouffeau.
L'Auteur repouffe les traits que M. de
Vauvenargue lance au Pindare françois ,
dans fes réfléxions fur quelques Poëtes
célébres. Il eft furpris de voir refuſer à
Rouffeau une place auffi honorable
que celle qu'on accorde au Légiflateur
du Parnaffe françois , parce que celui- ci
a été fon Maître. » Ainfi dit , M. de M...
E iv.
104 MERCURE DE FRANCE.
» Racan ne pourra pas être placé près
» de Malherbe , Racine , près de Def-
» preaux , ni M. de Voltaire , près de
Rouffeau. M. de M. convient avec
M. de V. que le pathétique & le fublime
ne fe trouvent pas toujours dans
les odes du Poëte ; » mais tous les fujets
" font- ils fufceptibles de ce genre de
» beautés ? Rouſſeau eſt toujours fublime
» & pathétique quand il lui eft permis de
» l'être. » Pour prouver contre M. de
V. que les images répandues dans les
Odes que Rouffeau a tirées de fon propre
fond , produifent de grands mouvemens ,
il fe contente d'exhorter à lire les Odes
à la fortune , fur la naiffance du Duc
de Bretagne , fur la mort du Prince de
Conti , &c. fes Cantates, fur-tout Circé.
» M. de V. prétend qu'il y a bien
» des penfées fauffes dans ces Odes fi
» vantées ; il s'attache à l'Ode à la for-
» tune pour le prouver ... Mais il pa-
>> roît avoir manqué le but de l'Ode à la
» fortune ; auroit-il ignoré qu'elle a été
» faite contre les conquérans , qu'elle
» en a même porté le titre ? Le Poëte
» s'eft propofé de guérir les Princes de
» la manie des conquêtes ; & tous les
» amis des hommes ne fe lafferont ja-
» mais d'applaudir à des vues auffi louaJUILLET.
1763. 105
» bles. Comme le Critique étoit mili-
>> taire , il aura été fàché de voir mal-
» traiter de grands Généraux ; mais
» comme il étoit encore Philofophe , il
» auroit dû être auffi fage & auffi bien-
» faifant que le Poëte.
Il eft impoffible de donner dans un
Extrait , une idée plus étendue de ces
obfervations . M. de Montaudouin fuit
pas-à-pas M. de Vauvenargue , & entre:
avec lui en difcuffion fur les différens
objets de fa critique. On fent combient
cette matière déja refferrée par les bornes:
préfcrites à un Difcours Académique , eft
peu fufceptible d'Analyfe.
On lut enfuite une lettre fur le carac
tère & les ouvrages de Tibulle , par M..
le Brun , Secrétaire des Commande
mens de Son Alteffe Séréniffime Monfeigneur
le Prince de Conti ; l'Auteur
débute ainfi..
» Nommer Tibulle , c'eft rappeller
» ce que l'Elégie a de plus touchant &
» de plus tendre. Il fut le Peintre des
» grâces & le Poëte du Sentiment ;
» pourroit-il ne pas intéreffer? Son coeur
eft la fource de fes vers ; c'eft là qu'il
» puife ces images fi naïves qui ébran-
» lent l'âme & demandent des pleurs
Amour dictoit les vers que foupiroit Tibulle.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» Ses vers font en effet des foupirs.
» On peut en croire Defpreaux : s'ils
» ont ému fes oreilles auftères , leur
» charme étoit fans doute inévitable.
Après avoir rapporté les particularités
de la vie de Tibulle , qui fervent le plus à
développer le caractère de ce Poëte , M.
le Brun trace le Portrait de ceux qui
ont travaillé dans le même genre ; il
commence par Ovide.
» L'Ingénieux Ovide , ( dit- il , ) lû , chéri ,
» adoré par la jeuneffe , mais fouvent
critiqué par un âge plus mûr , a plus
d'efprit que de fentiment , plus de coquetterie
que de tendreffe. Sa Muſe
brillante a le fard & les agrémens des
beautés qui le trompent ou qu'il cherche
à tromper ; elle périt quelquefois
» fous l'Art & les Fleurs.
*-99
Properce leur rival affecte , felon
moi , des comparaiſons , des allufions ,
des traits de fible trop fréquens ; fes
vers ont quelquefois de la féchereffe
& de l'âpreté il foupire fçavament ,
fa paffion eft érudite , & fa tendreffe
porte un air de Doctrine.
:
M. le Brun parle enfuite de Gallus
& de Catulle ; il fe plaint de ce qu'un
Poëte auffi charmant que Tibulle , n'a
¡pas été traduit en notre langue ; car il
JUILLET. 1763. 107
compte pour rien l'informe traduction de
Marolles. Il voit avec peine la premiere
Elégie noyée dans la prolixe imitation
du Marquis de la Farre ; mais il gémit de
voir Tibulle encore plus défiguré dans
les vers de la Chapelle . Il finit en donnant
quelques regles pour la traduction
des Poëtes , dont il fait l'application à
Tibulle. M. le Brun a traduit en vers
plufieurs morceaux de ce Poëte . La
féance fut terminée par la lecture de la
troifiéme Elégie ; pour ne pas fortir des
bornes prefcrites, on n'en donnera qu'une
partie .
FRAGMENT de la troifiéme Elégie de
Tibulle , à Meffala. Par M. le
Brun.
Abitis ageas fine me , Meffala per undas.
Pars , fuis dans l'Orient les Drapeaux de la gloire,
Cherche à travers les flots l'Afie & la Victoire.
·
Périffe des combats la fanglante Folie !
C'eft elle qui troubla mes jours purs & fereins.
O Paix , de l'âge d'or ramène les deftins.
Un Printemps éternel careffoit la Nature ,
La Terre prodiguoit des moiffons fans culture ,
Ses flancs en longs chemins n'étoient pas fillonés ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Ni de murs foupçonneux au loin empriſonnés .
L'intérêt n'avoit point inventé les partages ,
La foi fervoit alors de borne aux héritages ;
Les Champs couverts de fruits , de troupeaux & de
fleurs ,
Refufoient à Circé les poiſons deftructeurs.
Du Courfier , du Taureau la liberté ſauvage
Et du frein & du joug rejettoit l'esclavage .
Mars n'avoit point encor déployé ſes Drapeaux ;
La haine étoit fans glaive & l'orgeuil fans faiſceaux.
Thétis ne voyoit point de Forêts vagabondes
Ni d'avares Nochers infulter à fes ondes .
Guerre , meurtres , combats , traits de fang altérés ,
Vos noms , vos nomsaffreux étoient même ignorés .
Mais d'un fceptre d'airain , le Ciel frappant la
Terre ,
L'or brille , le fer luit , le fang coule ; & la guerre
Des fragiles mortels précipitant le fort ,
Ofa multiplier les routes de la mort.
Elle m'ouvre un cercueil ... Ah ! s'il faut que j'y
tombe ,
Que du moins l'univers life un jour ſur maTombe ;
Tibu lle ici repofe , au printemps de les jours
» Mars l'enlève à Délie , & la parque auxamours,
JUILLET. 1763. rog
AGRICULTURE.
DESCRIPTION du Semoir-à - bras de
Languedoc avec les figures néceffaires
pour pouvoir l'imiter . Edition gratuite
&c. Ce petit Cahier de 76 pages in - 16
que l'Auteur donne gratis à quiconque
le lui demande par une lettre affranchie ,
contient 1 °. un Mémoire préfenté à MM.
des Etats-Généraux de Languedoc . 2 °.
Quelques réfléxions fur les qualités
effentielles qui conftituent un bon Semoir.
3 °. Les planches & l'explication
néceffaires pour une bonne imitation .
4°. Les inftructions pratiquées pour en
faire ufage. 5 °. Une lifte numérale de
183 perfonnes qui ont acquis ce Semoir
dans l'intervalle de trente mois. 6°. Quel
ques expériences de la récolte de 1762.
Nous allons les tranfcrire mot- à-mot.
10 MERCURE DE FRANCE.
}
PREMIERE SUITE d'Expériences ,
faites avec le femoir-à-bras de Languedoc.
Récolte de 1762. Résultats
purement fommaires pour être envoyés
par la pofte.
M. DARESTE ( nº . 95 de la Liſte )
fuivant un certificat en forme , du 3
Juillet , figné par MM. Goyran , Darnond
& Verrier , Curé & Confuls de
Chavanay en Forêt ; 48 livres de Froment
lui ont produit 1230 : c'est 25 &
demi pour un. Il avoit employé la moitié
de la femence ordinaire ; il a pris un
autre Semoir & m'en a fait débiter fix .
M. Duroure ( nº. 15 ) fuivant fa Letstre
du 11 Août , 238 livres lui ont fait
3240 , pár une féchereffe de dix mois
fans pluie ; c'eft plus de 13 & demi pour
un. Dans la partie de comparaiſon ,
476 liv. ont donné 2593. C'eſt un peu
moins de 5 & demi pour un; il a pris
un autre Semoir.
MM . Les Benedictins ( 93 ) fuivant la
Lettre de Dom Lefpès , du 12 Août ,
ayant employé la moitié de la femence ,
le Semoir a fait 7 & deux tiers pour un
JUILLET. 1763. TIX
& la comparaifon 3 & demi , par une
féchereffe inouie ; ils ont pris une autre
Semoir.
M. de S. Tropes ( 89 ) Nous avons
appris le 13 Août , de la propre bouche
de M. l'Abbé de S. Tropès fon frère .
que 7 Emines de Bled en ont produit
157. C'eft 22 & demi pour un : on
avoit employé la moitié de la femence ,
il'a pris deux nouveaux Semoirs .
M. Duverger ( 83 ) ayant bien voulu
jondre à fa Lettre du 24 Août , la copie
d'un Mémoire qu'il a lu dans une Affemblée
de la Société du Mans , il en réfulte
qu'il a fait , avec une attention fupérieure
, fept épreuves en Froment ,
Seigle , Orge , Epaute , Avoine , & c,
dans toutes lefquelles on a épargné environ
les deux tiers de la femence &
augmenté le produit tant en pailles qu'en
grains , dont la qualité l'emporte fur
ceux de comparaifon , foit au poids ,
foit à l'oeil. Il y prouve que certains
grains qu'on croit ne pouvoir être femés
qu'en Hyver , peuvent l'être également
au Printemps & que certains autres du
Printemps , réuffiffent en Hyver. Il s'éléve
auffi contre le préjugé où l'on eft ,
dans les terres fortes les Sillons bom .
bés font préférables aux Planches . Que
n'avons-nous affez de place pour pouque
12 MERCURE DE FRANCE.
voir donner ce Mémoire en entier
M. de la Lauziere ( 94 ) dans fa Lettre
du 15 Septembre , nous marque avoir
femé une charge de bled dans une terre
peu préparée , & où les mottes dominoient
, laquelle lui en a rendu quinze.
Il n'a profité par comparaifon , que de
la moitié de la femence , fans diminution
de récolte. Il a trouvé le moyen de
connoître les befoins du Grainier fans
ouvrir le couvercle : il pofe un morceau
de planche fur le bled , tenant à un cordon
qui pend au- dehors ; à mesure que
le bled baiffe , le cordon rentre , &
avertit la Semeufe qu'il faut remettre
du Grain . Il a fait conftruire un fecond
Semoir d'après le nôtre , où il a pratiqué
quelques changemens qui ne nous
font pas affez connus pour en juger.
M. Carenet , ( 66 ) Lettre du 23 Septembre.
De quatre Setiers de Froment ,
il en a récolté 95 , malgré la féchereffe;
qu'il eftime l'avoir fruftré d'environ 60
Setiers de plus .
M. Fefquet (78 & 79 ) Lettre du 28
Septembre. De 5 Setiers en a retiré 100 ;
& 14 Setiers & demi femés ailleurs ,
ne lui ont donné que 117 , à caufe de
la féchereffe qui a diminué là récolté
dans tout le pays ; il a pris un troifiéme
Semoir,
JUILLET. 1763. 113
M. Chriftol ( 19 ) Lettre du 2 Octobre.
Son Laboureur n'ayant pas affez
ferré les Sillons , il n'eft tombé que la
cinquiéme partie de la femence avec
42 Cellules ouvertes. Ce Semis a paru
pitoyable jufques à la fin de Mars , que
les Plantes ayant tallé & travaillé vigoureuſement
, le Semoir a produit à
la récolte 60 mefures de Bled , tandis
que la piéce de comparaifon , avec toure
la femence , n'a rapporté que 66
mefures. Il eft furprenant , qu'après une
pareille faute , cet Officier ait encore
eu deux mefures de bénéfice , puifqu'en
ayant économifé 8 aux femailles , il
n'en a perdu que 6 fur le produit. It
y avoit dix pouces entre les rangées de
la femence.
M. de Novi ( 73 ) Lettre du 4 O &obre.
Avec les plus belles apparences
d'une récolte avantageufe jufqu'au mefurage
des grains , il n'a pas eu la fatiffaction
de connoître au vrai le bénéfice
du Semoir, puifqu'ayant mené le matin
quelques amis pour en être les témoins
il trouva que fes gens avoient malicieuſement
profité de la nuit pour mêler
les deux récoltes enfemble. Il remarque
, entr'autres chofes , qu'il faut femer
la moitié & non le tiers de la fe
114 MERCURE DE FRANCE .
mence , & qu'il y avoit moins de mauvaiſes
herbes dans la partie du Semoir
que dans les Terres femées à l'ordinaire
.
•
M. Attanoux ( 58 ) Lettre du 4 O & obre.
Cet Amateur intelligent à faire entrer
différens effais dans le total de fon
expérience , pour connoître la quantité
de Semence que fon fond peut comporter
, & le degré de profondeur auquel
il convient de la mettre , ayant opéré
dans une contenance de 2000 toifes
quarrées à 30 , 36 & 42 cellules & à
differentes profondeurs , il y a eu bien
des lacunes , tant par rapport aux deux
premiers nombres , dont le produit étoit
trop clair , que par rapport à la Semence
trop profonde qui n'a pas levé. Il n'y
eft entré que 100 liv . de Froment, au lieu
de 320 qu'il en eft tombé dans les 2000
toifes de comparaifon. Les 100 du Semoir
ont porté 3283 liv. & la piéce de
comparaifon n'a produit que fept charges
pour une. Le bénéfice fur cette modique
étendue , a été de deux charges
huit panaux fur la récolte , & de fept
panaux fur la femence : total , 3 charges
5 panaux. Le Bled du Semoir pefoit
10 liv. de plus par charge que celui de
la méthode ordinaire.
JUILLET. 1763. 115
C'eft pour la feconde fois qu'on remarque
( comme M. Fefquet ) que le
Bled de la nouvelle méthode n'eft pas
fujet à verfer par les pluies. M. le Baron
de la Tour- d'Aigues , ( 18 ) avoit prévu
cet avantage du Semoir -à- bras , même
avant toute expérience .
M. Attanoux a fait une feconde épreuve
qui lui a réuffi . Il y a dans le Pays
une forte de Terre fabloneufe qui ne
porte que du Seigle : la couverture avantageufe
que le Semoir procure à la Semence
, lui ayant infpiré d'y femer du
Froment , deux panaux en ont produit
12 de la plus belle qualité. Il fe difpofe
à femer une étendue de 16000 toifes ,
d'où probablement nous tirerons de nouvelles
connoiffances.
M. de Lubieres ( 65 ) a fait prendre
un autre Semoir. Quoique nous n'ayons
pas encore le détail de fes opérations ,
on doit les croire favorables .
Le prix du Semoir eft , fur les lieux ,
de trente -fix livres , & la caiffe d'embalage
pour les Villes éloignées coûte
trois livres. Le tout enfemble ne peſe
que 75 à 80 livres poids de Montpellier.
L'adreffe , tant pour demander la
brochure que le Semoir eft à M. l'Abbé
Soumille , Correfpondant des Acadé116
MERCURE DE FRANCE.
mies Royales des Sciences de Paris ,
Toulouſe & Montpellier , Affocié libre
de la Société Royale d'Agriculture de
Limoges , à Villeneuve -lès - Avignon . On
doit affranchir le port des Lettres &
de l'Argent
.
SÉANCEpublique de l'Académie Royale
de Chirurgie , tenue le 14 Avril 1763 .
L E prix de cette année , fur les maladies
de l'oreille , confiftant en une
Médaille d'or , de cinq cens livres , fondée
par feu M. de la Peyronie , a été
remporté par M. Léchevin , Chirurgien
de l'Hôpital général de Rouen.
L'Académie a adjugé une Médaille
d'or de la valeur de deux cens livres
connue fous le nom de prix d'émulation,
à M. Marrigues , Maître en Chirurgie à
Verfailles. Les cinq petites Médailles
ont été méritées par des obfervations
intéreffantes fournies dans le courant de
l'année précédente , & ont été diftribuées
à MM. Lefne & Beaupreau , Académiciens
de la Claffe des Libres ; à
M. Moublet , Chirurgien à Taiafcon ;
à M. Philippe , Chirurgien à Chartres ;
JUILLET. 1763. 117
& à M. Jean-Daniel Mittelhauffer , Phy
ficien de la Province de Weiffenfels.
Après la diftribution des prix , M. Moprononça
les éloges de M. Daviel ,
Affocié de l'Académie , & Oculiste du
Roi , & de M. Faget , Vice -Directeur
de l'Académie .
rand
M. Daviel s'étoit adonné par goût à la
Chirurgie des yeux , dans laquelle il a
bien mérité de fes Contemporains & de
la postérité par l'opération de la cataracte
dont il faifoit l'extraction , au moyen
d'une incifion demi- circulaire pratiquée
à la partie inférieure de la cornée tranfparente.
Le Mémoire qu'il a donné fur
fa Méthode d'opérer , eft inféré dans le
fecond tome de ceux de l'Académie
Royale de Chirurgie ; il étoit Membre
de plufieurs Sociétés Sçavantes , & eft
mort à Genêve , l'année derniere .
M. Faget avoit été éléve du célébre
M. Petit. Sa réputation avoit commencé
par les fuccès qu'il eut dans la maifon de
Condé , étant Chirurgien de Madame la
Ducheffe- Douairière. Elle augmenta au
point de mettre M. Faget à côté des Praticiens
le plus en vogue , & de lui mériter
de grands Seigneurs pour amis. Il étoit
Confeiller de l'Académie depuis l'année
de fa création en 1731. Il a été pendant
118 MERCURE DE FRANCE .
dix ans Chirurgien de l'Hôpital de la
Charité , tant en qualité de Subſtitut
que de Chirurgien en Chef. Il fe diftingua
dans cette place par fon zéle pour
les pauvres . Il étoit Membre de la Société
Royale de Londres , & Vice - Directeur
de l'Académie de Chirurgie , lorſqu'une
'mort prompte l'enleva l'année dernière.
Il avoit donné à ces deux Compagnies
de fort bons Mémoires fur différens
fujets.
M. Levacher lut des réfléxions fur le
changement de direction des balles , par
la réfiftance des parties molles. Pour peu
qu'on ait eu occafion de traiter des
playes d'armes à feu,on a remarqué que
l'entrée & la fortie d'une balle ne font
pas les extrêmités d'une ligne droite ; &
l'on conçoit que les parties offeufes peuvent
, en détournant le corps étranger ,
être la caufe de cette déviation . M. Leva
cher prouve par plufieurs obfervations
dont l'expofé eft utile & inftructif, que
les feules parties molles , lorfqu'elles font
frappées felon une direction affez oblique
à leur furface , font des obftacles
fuffifans pour changer la voie des balles.
A ces faits fuccéde une démonftration
par les loix du mouvement , dans
laquelle l'Auteur explique comment la
JUILLET. 1763. 119
déviation a lieu dans le choc oblique
par la ligne de direction qui participe de
la perpendiculaire & de Phoriontale.
M. Fabre fit enfuite la lecture d'un
Mémoire fur une nouvelle méthode de
réduire la luxation & la fracture de la
cuiffe & du bras . Il établit pour principe
que la difficulté des réductions vient
moins de la réfiftance qu'oppofe la contraction
involontaire des muſcles , que
du lieu où l'on applique les forces qui
font l'extenfion & la contre - extenfion.
La régle générale établie pour l'extenfion
, eft d'appliquer la puiffance à l'os
même fracturé ou luxé. M. Dupouy ,
Membre de l'Académie , dans un Mémoire
qu'il a lu précédemment , affure
avoir réuffi avec très - peu d'efforts dans
la réduction de quelques luxations , en
tirant le membre par un endroit plus
éloigné , comme au-deffus du poignet
pour la réduction de l'os du bras ; &
par le pied , pour la luxation de la cuiffe.
Un homme s'étoit luxé la cuiffe en
montant derrière un caroffe : la tête de
l'os fut portée avec violence à la partie
poftérieure de la cavité de l'os de la
hanche , & fe logea dans l'intervalle
des muſcles feffiers. Un Chirurgien qui
vit le malade prèſqu'à l'inſtant de l'acci120
MERCURE DE FRANCE.
dent fit beaucoup d'efforts inutiles
quoique bien dirigés fuivant les régles
reçues pour la réduction de cette luxation
. M. Dupouy appellé dans cette circonftance
, étendit horizontalement la
cuiffe malade contre la faine , & pendant
qu'un aide appuyoit avec les mains
fur le genou , il alla prendre le pied : à
peine l'eut - il tiré , fans employer beaucoup
de forces , que le bruit de la tête
de l'os annonça qu'elle étoit rentrée
dans fa cavité. L'événement qui furprit
tout le monde , fut prèfque auffi prompt
qu'un clin d'oeil. M. Fabre adopte le procédé
qui a eu un fuccès fi favorable : il
a eu l'occafion de prouver la fupériorité
de cette méthode ; & il rend raiſon de
la facilité avec laquelle cette opération
réuffit. Les liens deftinés à faire les
extenfions n'agiffent plus fur les muſcles
qui doivent être allongés, de là vient
la moindre douleur , & l'abfence des obftacles
qui s'oppofoient au fuccès de l'extenfion.
M.Fabre rend à cet égard tout ce
qui eftdû à M. Dupouy; mais on n'a levé,
dit il, par cette perfection , que la moindre
des difficultés qu'on rencontre dans
la réduction du fémur ou de l'humerus
luxés ou fracturés , furtout près de
leur col. La principale vient , felon M.
Fabre ,
JUILLET. 1763. 121
Fabre , de la manière dont fe fait la contre-
extenfion . Il y avoit bien eu quelques
objections , il y a environ quarante
ans,contre une nouvelle méthode d'opérer
dans la luxation du bras ,par lefquelles
on blâmoit l'effort qu'on y faifoit contre
les muſcles ; mais M. Fabre ne fe contente
pas de la connoiffance du mal ;
occupé de la recherche des moyens de
faire le bien , il abandonne une critique
jufte mais ftérile , & donne des
principes lumineux fur la manière de
faire la contre - extenfion . Il prouve
que dans la réduction de lacuiffe , par
exemple , le lacq pofé dans le pli de
l'aîne , pour empêcher le corps de fuivre
l'extenfion , s'il eft mis , comme il
étoit d'ufage , du côté malade , porte
fur l'attache des mufcles triceps , & que
ce moyen nuit à la contre- extenfion au
lieu de la favorifer ; puifqu'il comprime
des muſcles qui doivent céder aux efforts
de l'extenfion . M. Fabre confeille
de retenir le corps en plaçant le lacq du
côté fain ; & pour empêcher que le baffin
n'obéiffe obliquement du côté malade
aux extenfions , il prefcrit un ſecond
lacq qui embraffe le baffin du
côté malade , dans l'intervalle qui est
entre la crête de l'os des îles & l'articu-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
lation de la cuiffe : on en fait tenir les
extrémités , du côté oppofé , obliquement
de bas en haut. Par ce double
moyen le baffin eft fixé immobilement
& les mufcles font libres.
On ne peut trop louer des vues auffi
méthodiques , dont l'application aux
différentes parties du corps , rendra donavant
la Chirurgie des fractures & des
luxations , plus douce & plus parfaite.
M. Louis lut enfuite un Mémoire fur
une queftion anatomique relative à la
Jurifprudence , dans lequel il établit les
principes , pour diftinguer à l'infpection
d'un corps trouvé pendu , les fignes du
fuicide d'avec ceux de l'affaffinat. L'utilité
dont cet Ouvrage a été jugé , a
déterminé l'Auteur à le faire imprimer
peu de temps après ; & il en a été rendu
compte dans un des Mercures précédens
, comme d'une nouveauté littéraire
: nous renvoyons à cet extrait
pour le fonds de la doctrine , & nous nous
contenterons de rappeller ici un point
particulier de ce Mémoire.
Le principal foin d'un Chirurgien ap
pellé pour conftater l'état d'un homme
trouvé pendu , n'eft pas fimplement ,
dit M. Louis , de remarquer d'un premier
coup d'oeil , toutes les circonftances
JUILLET. 1763 . 123
qui peuvent l'aider dans le jugement
qu'il aura à porter ; mais il doit examiner
fi le Sujet ne feroit pas encore dans
le cas de recevoir des fecours capables de
le rappeller à la vie . L'expérience a prouvé
que des hommes qu'un délire mélancolique
avoit portés à fe défaire euxmêmes
, ont été délivrés à temps du lien
fatal qui auroit rendu leur mort inévita
ble. On a même fauvé la vie à des gens
qui avoient paffé par les mains de l'Exécuteur
de la Juftice : c'eft furtout dans
les armées que ces exemples ont été fréquens.
En fuppofant , continue l'Auteur,
que les bienfaits de l'Art , ne puiffent
dans aucun cas être refervés aux malfaiteurs
, les refufera-t- on aux victimes infortunées
du dérangement de leur propre
efprit. M. Louis applique aux pendus
les raifons qui permettent de donner des
fecours à ceux qu'on croit noyés, avant
toute formalité de Juftice . On perdroit
un temps trop précieux s'il falloit dans
ces différens cas , attendre que les Officiers
chargés de la Police euffent fait les
Procès- verbaux auxquels leurs fonctions
les obligent. L'humanité profcrit tout
délai dans des occafions auffi preffantes.
Ce feroit une barbarie que de différer
P'ufage des moyens capables de rappeller
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à la vie ceux qui paroîtroient fufceptibles
de quelques fecours. La Juſtice eft
intéreffée elle -même à les ordonner'
parce que les foins d'un habile Chirurgien
peuvent procurerla plus parfaite connoiffance
des caufes du délit. M. Louis
cite à ce fujet l'opération faite par le
célébre Ambroife Paré à un Allemand :
Penfionnaire d'un Banquier de Paris ,
qui s'étoit coupé la gorge dans un accès
de phrénéfie. Le domeftique du bleffé
& fon Hôte , prifonniers au Châtelet de
Paris , auroient eu peine à ſe juſtifier de
l'accufation de l'avoir affaffiné , fi la
playe quoique mortelle par fa nature ,
n'avoit pas été méthodiquement réunie .
Ce fecours ne pouvoit être d'aucune
utilité à la confervation de la vie du
bleffé ; mais il le mit en état de parler ,
& de confeffer qu'il avoit attenté luimême
à fa vie. M. Louis tire de ce fait
intéreffant des inductions concernant
l'affaire de Toulouſe. Il paroît par diverfes
circonstances que le Sujet trouvé
pendu pouvoit n'être pas mort , lorsqu'il
a été vifité par l'Eléve en Chirurgie
appellé dans l'intention de le fecourir :
quel contrafte dans les fuites de cette
funefte avanture , fi cet homme avoit été
fecouru , & qu'il eût pu l'être efficaceJUILLET.
1763. 125
ment ! L'Auteur ajoute pour l'intérêt public
, que l'on néglige trop la connoiffance
des vrais fignes qui caractèrifent
la mort certaine ; connoiffance dont on
a tant d'occafions de faire ufage dans le
cours de la vie , foit pour fes parens ,
foit pour fes amis; & que chacun devroit
defirer dans les autres afin d'en tirer le
fruit foi -même dans le cas malheureux
d'une mortincertaine . M. Louis rappelle
à ce fujet fon traité fur la certitude des la
fignes de mort , où il raffure les Citoyens
de la crainte d'être enterrés vivans.
Après la lecture de ce Mémoire , M.
Sabatier fit celle d'une obfervation fur
un Corps étranger placé dans l'articula .
tion du genou. Un Soldat invalide avoit
les mouvemens de cette partie douloureux
& extrêmement difficiles. On y
fentoit un corps étranger d'une figure
irrégulière , du volume d'une féve de
haricot & fort mobile . Le malade. penfoit
que ce corps s'étoit détaché fubitement
de deffous la rotule , & cela
avoit été précédé de douleurs & de gonflemens
qui ne cédérent aux faignées &
aux émolliens qu'au bout de quatre
jours. Ce corps étranger étoit tantôt au
côté interne , tantôt au côté externe du
genou. M. Sabatier , pour qui cette
Fi
126 MERCURE DE FRANCE.
maladie ' étoit nouvelle , n'eut pas la timidité
des Chirurgiens que le malade
avoit confultés précédemment : aucun
n'avoit ofé en faire l'extraction ; il l'a
pratiqué ; le corps étranger , quoique
fort mobile , pouvoit aifément être affujetti.
Il étoit facile de faire une incifion
& de le tirer ; mais les Confrères dont
P'Auteur rechercha les confeils , ne le
raffuroient pas fur l'événement , Les uns
craignoient une ankylofe ou foudure
de l'articulation ; les autres une fiftule.
Ces craintes ne rallentirent pas le zéle
de M. Sabatier pour le foulagement du
malade . L'opération ne fut ni longue ni
douloureufe. Le corps étranger avoit la
couleur & la confiftance de vrai cartilage.
La fortie de ce corps fut fuivie de
l'écoulement d'une médiocre quantité
de fynovie. La réunion de la playe fur
tentée par un bandage uniffant & par
la fituation de la partie maintenue dans
des fanons ; le quatrième jour le gonflement
du genou & une tumeur formée
par l'amas de la fynovie , obligérent d'écarter
les bords de la playe pour procu
rer une libre iffue à cette humeur. On
laiffa la playe dans cet état ; au bout de
huit jours la fynovie ceffa de couler ,
les lévres de la playe fe rapprochérent
JUILLET. 1763. 127
infenfiblement , & elle fe confolida entiérement.
Il n'y avoit plus que de la roideur
qu'on tâcha de vaincre vers le
vingtiéme jour , & l'on y parvint peuà
-peu. La guérifon paroiffoit complette
au bout de trois mois ; mais le malade
eft retombé depuis dans un état qui
approche du premier. Il a conftamment ,
fous la rotule une douleur qu'il croit caufée
par un nouveau corps étranger, parce
qu'elle eft toute femblable à celle qu'il
éprouvoit avant qu'on l'opérât.Ce corps
ne s'eft pas encore rendu fenfible au
toucher. S'il le devenoit & qu'il fût mobile
comme le premier , faudroit- il faire
une opération pour en délivrer le
malade M. Sabatier defire que ceux
qui auroient des obfervations de ce
genre les communiquent à l'Académie .
Il feroit utile de conftater la nature de
cette espéce de corps étranger ; de fçavoir
fi l'ouverture des articulations ne
peut point avoir de fuites fâcheufes , &
fi les récidives font plus ou moins à
craindre . On ne peut trop multiplier ces
faits , combiner de raifons , & prévoir
de conféquences pour établir fur tous ces
points des principes certains & falutaires .
M. Pibrac , Directeur de l'Académie ,
termina la Séance par la lecture d'un
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Mémoire très- utile & qui fut fort applau
di , fur l'ufage du ſublimé corrofif dans
le traitement des maladies vénériennes.
M. Pibrac ne s'eft pas laiffé féduire par
les autorités qui ont voulu accréditer un
poifon plus dangereux que la maladie
qu'on a prétendu guérir par fon ufage:
Il en fait connoître les pernicieux effets
dans l'application extérieure ; il paffe enfuite
aux dangers dont le fublimé corrofif
a été fuivi lorfqu'on l'a adminiſtré
intérieurement. Il a recueilli des faits fur
cette pratique meurtrière qu'il feroit
avantageux de publier pour le bien de
l'humanité : on doit l'efpérer du zele
de M. Pibrac ; pour l'y déterminer , il
fuffira de lui rappeller ce qu'il dit dans
fon Mémoire d'après le jugement de la
Faculté de Halle contre ceux qui employent
le fublimé corrofif, même extérieurement
.... Le fort de ceux- là eft .
à plaindre , qui ont le malheur de tomber
entre les mains de pareils affaffins ;
car quand bien même il leur arrive d'échapper
à la mort , leur fanté ne manque
pas de recevoir des atteintes funeftes
: ils traînent une vie languiffante ;
& ce qu'il y a de plus fatal , c'eft qu'ils
ne foupçonnent feulement pas la fource
des maux qu'ils endurent....
JUILLET . 1763. 129
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS:
ARTS UTILE S.
MÉ CHA NIQUE.
NOUVELLE Roue pour la Coutellerie.
L E fieur Songy , Maître Coutelier
à Paris , Cul - de - Sac du Coq Saint-
Honoré proche le Louvre , a préfenté à
l'Académie Royale des Sciences , une
Roue de fon invention qui lui fert a
faire tourner les Meules par la feule ac
tion de fon pied , qui la met en mou
vement à la maniere des Tourneurs de
Roue. Le Méchanifme en eſt d'autant
plus admirable que c'eft la chofe du
monde la plus fimple ; voici le Juge
ment qu'en a porté l'Académie.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences.
Du 16 Mars 1763.
MM. de Vaucanfon & le Roy , qui
avoient été nommés pour examiner un
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
moyen employé par le fieur Songy, Maî
tre Coutelier à Paris , pour pouvoir en
même temps qu'il travaille à fes. Meules
& Poliffoir , faire mouvoir au moyen
d'une marche ou pédal , la Roue qui
les fait tourner , en ayant fait leur rapport
:
L'Académie a jugé que quoiqu'on ne
puiffe pas s'attendre à faire tourner par
ce moyen une Roue avec autant de
forces & de vîteffe que lorfqu'un homme
la fait tourner à force de bras
cependant comme on peut lui en donner
tout autant qu'en exigent les ouvrages
de Coutellerie , que ce moyen
met d'ailleurs l'ouvrier & les affiftans
à l'abri de la fracture des Meules , que
la trop grande vîteffe de la roue & les
faccades que lui impriment ceux qui
la tournent ne fait que trop fouvent fauter
en éclat qu'il épargne aux Couteliers
le travail du tourneur de roue & l'inconvénient
fouvent très - incommode
d'en dépendre ; & qu'enfin il peut
être
utile dans plufieurs autres cas comme,
par , exemple à une machine Electrique
dont la roue pourroit dans de certaines
circonftances , être mue par la même
perfonne qui frotteroit le globe ce
moyen proposé par le fieur Songy , mé-
:
JUILLET. 1763. 131
ritoit d'être approuvé ; en foi de quoi
j'ai figné le préfent Certificat , à Paris ,
ce 18 Mars 1763 , figné Granjean de
Fouchy , Secrétaire perpétuel de l'Académie
Royale des Sciences.
On voit par le Certificat de l'Académie
, que la roue du fieur Songy eft
applicable à d'autres Arts que la Coutellerie
; il fait voir par un modele qu'il
a chez-lui , qu'il y joint un chapelet de
fon invention dont on pourra fe fervir
fur quel puits que ce puiffe être , fur les
lacs , fur les marais & fur telles piéces
d'eau que l'on trouvera convenable . Le
chapelet puifera depuis douze pieds de
profondeur jufqu'a deux cens. Sa machine
fera portative après avoir fait fon ouvrage
; d'un côté , l'on pourra la tranfporter
dans un autre où l'on en aura befoin
; & il expliquera aux amateurs la
quantité d'eau qu'elle donnera en une
minute.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
LE ST MARTIN , Peintre & Deffinateur
, dont la réputation eft fi connue
pour s'être diftingué pendant nombre
F vj
MERCURE DE FRANCE .
d'années qu'il a décoré le brillant Spectacle
de l'Opéra par fes deffeins d'habillemens
, ayant été follicité par plufieurs
perfonnes de confidération depuis
fix années qu'il s'en eft retiré , de continuer
à mettre au jour fes idées dans ce
genre ; en reconnoiffance des applaudiffemens
dont le Public a bien voulu
l'honorer tant qu'il a gouverné cette
partie de Spectacle , a cru devoir graver
une collection d'Eftampes en figures
dont l'élégance & la nobleffe s'accordaffent
parfaitemenr avec le caractère
& la conformité des Perſonnages qu'elles
doivent repréſenter .
Nota. Si l'on fouhaitoit avoir de ces
Eftampes coloriées pour en mieu fentir
les effets , on en trouveroit chez l'Auteur.
Si on avoit befoin même de deffeins
de caractères différens de ceux qui
font déja gravés , en lui en défignant
le genre , il les éxécuteroit dans le goût
de ceux qu'il eft en ufage d'envoyer
dans les Cours étrangères.
Ces Eftampes fe vendront chez l'Auteur
, rue de la Sourdière , la deuxième
porte à gauche après le cul-de -fac des
A Jacobins en entrant par la rue S. Honoré
, & chez la veuve Chereau , rue S
Jacques, aux deux pilliers d'or.
JUILLET. 1763:
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
133
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE...
LEE Vendredi premier Juillet , le.
Concert commença par l'ouverture de
Zaïs , fuivie de Fragmens , dâns lefquels.
on exécuta le Divertiffement des Bergers
du premier Acte de Camille ; &
après différens morceaux , le Concert
finit par une partie du quatriéme Acte.
de Dardanus. Et le Choeur , il eft temps
de courir aux armes , du même Opéra.
Celui du 8 de ce mois , a commencé
par des Fragmens , compofés de différens
morceaux tant en Mufique vocale
qu'inftrumentale , & tirées en partie
des fêtes de l'Hymen & des fêtes de
Polymnie. On exécuta enfuite le Divertiffement
de l'Enchantement du quatriéme
Acte de Canante. Le Concert finit
par le deuxiéme Acte d'Hyppolite &
Aricie.
Dans ces deux Concerts Miles CHE
VALIER , ARNOUD , LARRIVÉE &
DUBOIS chanterent ainfi que MM
LARRIVÉE , GELIN & MUGUET.
,
134 MERCURE DE FRANCE .
COMÉDIE FRANÇOISE.
O N a donné fur ce Théâtre le Lundi
II de ce mois la feptiéme repréfentation
de l'Anglois à Bordeaux , fuivie du Ballet
de M. VESTRIS , exécuté par les
Danfeurs & les Danfeufes de l'Opéra .
Mlle DANGEVILLE a continué de jouer
dans cette Piéce , & , le Public par conféquent
continue & fon empreffement
& fon affluence , d'autant que le mérite
de l'ouvrage concourt auffi à perpétuer
le plaifir des Spectateurs , & l'infatiable
avidité , fi l'on peut dire , de jouir
encore des talens inimitables de cette
Actrice après fa retraite .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 4 de ce mois on a donné la
première repréſentation des Fêtes de la
Paix , Divertiffement nouveau en un
acte , paroles de M. FAVART , mufique
de M. PHILIDOR. A cette première
repréſentation , la Piéce parut un peu
trop chargée de chants & de danfes ;
on en a fupprimé quelques parties &
changé quelque chofe dans la diftribuJUILLET.
1763. 135
tion , ce qui en a développé davantage
l'agrément , & lùi a procuré un fuccès
qui continue de fe foutenir. Nous allons
donner une Analyfe fommaire de ce
Divertiffement , dans laquelle il convient
de prévenir , que perdra beaucoup
un Ouvrage arrangé pour recevoir de
nouvelles grâces par celles du chant &
des danfes.
ANALYE des Fêtes de LA PAIX ,
DIVERTISSEMENT NOUVEAU.
PERSONNAGES.
UN HERAULT D'ARMES ,
DEUX SUISSES chantans.
COLAS , petit Berger ,
BABET petite Bergère ,
UN FAUX ABBÉ ,
UNE BOURGEOISE ,
UN GRENADIER , Mari
de la Bourgeoife ,
UN MAITRE de Penfion ,
UNE BOUQUETIERE ,
UN JARDINIER ,
GOMBAULT vieux Soldat
retiré au Village
MACÉ . femme de Gombault ,
L'OFFICIER , fils de Gombault
ACTEURS.
M. Cailleau.
Mlle Riviere.
Mlle la Ruette.
M. Clairval.
Mile Bognioli.
M. la Ruette.
M. Rochart.
Mlle Favart.
M. Chanville.
M. Cailleau.
Mlle Favart.
M. Lobreau.
Mlle Louifon Thomaffin.
UN CARILLONNEUR ,
& de Macé ,
La petite- fille de Gombault
& Macé
La femme du Carillonneur ,
UN ARTIFICIER ,
M. la Ruette.
Mlle Defglands.
M. Cailleau
CH UR de gens de tous états.
136 MERCURE DE FRANCE.
EE Théâtre représente une grande place.
environnée de Portiques ; des Trophées
font fufpendus entre les Colonnes , &
fur des Gradins de pierre difpofés en
Amphithéâtre, comme dans un Cirque ,
on voit des Statues repréſentàns les
Grands Hommes qui ont illuftré la
France dans tous les genres . Au milieu
de cette Place eft repréfentée la Figure
Equeftre du Roi avecfon Pied- d'Eftal
& les Ornemens qui l'accompagnent,
telle qu'on la voit dans la Place de
Louis XV..
A l'ouverture de la Scène , des Suiffes très-bien
caractérisés par les tailles & par les habits , paroiffent
s'opposer au tumulte du Peuple qui veur
approcher ; ce qui forme un Choeur bruyant dans
lequel les gens du Peuple diſent en chantant que
la Fête eft pour eux ; qu'ils ont droit d'approcher;
& les Suilles répétent la défenſe d'approcher.
Ce Choeur eft interrompu par la marche des
Héraults d'Armes , vêtus en habits de cérémonie,
tels qu'on les a vus à la Publication de la
Paix. Ils approchent au fon des Timballes
Fifres & Trompettes. Le Chef de ces Héraults
vient annoncer la Paix par une Ariette dans laquelle
il impofe filence à ces Inftrumens guerriers
qui ne doivent plus épouvanter la terre , &
continue en chantant.
»Jouiffez tous d'un fort tranquille ;
Ma voix vous annonce la Paix ;
JUILLET. 1763. 137
» La Paix régne dans cet afyle ;
D'un Roi qui vous la donne , honorez les bien
>> faits.
Le tumulte entre le Peuple & les Suiffes , recom
mence. Le Chef des Hérauts-d'Armes ordonne de
laiffer paffer tous ceux qui veulent approcher
de la Satue du Roi , & continue de chanter
» Dans ce jour où tout profpère ,
» Il n'eft point d'Etats différens
» Laiſſez entrer Petits & Grands ;
» Laiffez les coeurs fe fatisfaire ;.
» Doit-on empêcher des Enfans
>> De venir voir leur Père ?
}
Des Jardiniers & des Bouquetières arrivent ,
en danfant & en chantant. Les Jardiniers plantent
des Oliviers autour de la Statue du Roi
qu'ils environnent de guirlandes de fleurs. Les
danfes des uns & des autres font interrompues
par des Chanfons en couplets , dont nous ne
rapportons que les premiers de chacune..
Premier Couplet de la Chanfon des Bou
QUETIÉRES.
» Offrons tous nos Bouquets
» C'eſt l'Amour qui les a faits ,
» De même que nos offrandes 34
> Nos coeurs font épanouis.
» Pour notre bon Roi LOUIS
» L'Amour en fait des guirlandes
Offrons , &c..
138 MERCURE DE FRANCE.
Premier couplet des JARDINIERS.
>>Jarnigué
J'avons le coeur gai ,
» Ce mois eft pour nous le mois de Mai.
Ne faites point ici les fières ,
» Nous voulons y être les premiers ;
» Sans nous autres bons Jardiniers ,
>> On n'auroit point de Bouquetières.
Les Jardiniers & les Bouquetières retirés , la
petite Bergère Babet vient attendre Colas , petit
Berger du même âge , qui lui a donné parole.
Ce qu'elle fait entendre dans une espèce de
Romance qu'elle chante , dont le fujet eft l'inclination
qu'elle fe fent à livrer fon coeur , &
la peine qu'elle aura de s'en défendre dans un
jour où chacun fe livre au fentiment. Colas a
pris un nid d'oifeau au Bois de Boulogne , il
les apporte dans fa chemife . Cette fcène trèsdélicate
& très-naïve , prête beaucoup à unjeu
très-agréable , par lequel Colas l'engage à prendre
elle-même ces petits oifeaux dans fa chemife
, fans lui dire ce que c'eft : après bien des
craintes & des difficultés , lorfque Babet a enfin
découvert elle - même les oifeaux que cachoit
fon Berger , elle eſt touchée de leur fort & de celui
de leur Mère ; elle veut leur donner la volée ,
ce qui amène une Ariette très-agréable & trèsbien
chantée , qui commence par ces mots.
Volez, volex , petits oifeaux , &c. Cette fcène eft
fuivie d'une autre dans le genre Comique qui
produit un effet fort amufant , entre une Bourgeoife
& un jeune Homme habillé en Abbé ,
avec un furtout de campagne.
JUILLET. 1763. 139
La scène commence par un Duo , dans lequel
la Bourgeoife marque fes fcrupules & fa délicateffe
fur la propofition que lui fait l'Abbé de
lui donner le bras ; & celui - ci s'efforce de lui
perfuader la ridiculité de fes craintes . La Bourgeoife
appréhende qu'on ne croye que l'Abbé
eft amoureux d'elle , d'où celui- ci en prend occafion
de lui déclarer fes feux ...... cédez ( dit
l'Abbé ) cédez à mes voeux ; à quoi la Bourgeoife ,
d'un ton de prude , replique ....... Monfieur ,
» Je n'ai jamais cédé , je fuis honête femme.
Mais l'Abbé déclare qu'il eft Homme à l'époufer:
la Bourgeoife marque fon étonnement :
L'Abbé en expliquant fon prétendu Etat , dit :
» Je fuis libre , j'ai du bien ;
Cet habit- là , Madame , & rien ,
» C'eſt à- peu-près la même chofe :
On le prend pour tromper les yeux ;
Plus d'un ainfi que moi , par ce dehors impofe ,
Sans engagement férieux.
Vous
LA BOURGEOISE.
n'en avez aucuns ?
L'ABBÉ.
>> Aucun ; s'il faut vous dire
Je me confie à vous , à peine fçai-je lire ;
J'ai pris cet attirail par prudence , par goût ;
» Enfin , comme un paffe -partour ,
» Car on en tire un fort grand avantage ;
» C'eft moins pour moi , Madame , un Etat
» qu'un maintien ;
140 MERCURE DE FRANCE .
» Heureux qui fçait en faire ufage ;
Par -là je tiens à tout en ne tenant à rien.-
» On nous reçoit fans conféquence;
» Infenfiblement on s'avance.
→On nous goûte en faveur de la frivolité
» C'eſt en elle aujourd'hui que mon état conſiſtez-
» Avec quatre doigts de Baptifte
Nous acquérons le droit de l'inutilité ;
Et pouvon sêtre oififs en toute liberté.
LA BOURGEOISE.
Mais tous ces oififs- là demandent de l'ouvrage,
L'ABBÉ
» Notre régne n'eft pas tombé ,
Nous nous infinuons toujours dans le ménage
» Chaque maifon a fon Abbé .
Ily donne le ton , y joue un perfonnage ,
Pour les Valets il eft Monfieur l'Abbé ,
» Pour le Mari , Mon cher Abbé
Pour la Femme , l'Abbé..
LA BOURGEOISE.
Vous connoiſſez l'ufage
» C'est le fecrets de parvenir .
&c. &c.
Lorfque la Bourgeoife , fenfible aux propofi
Nons de l'Abbé , regrette de n'être pas affurée
du fort de fon mari , qu'elle croit mort ; ce
mari qui eſt un Grenadier , vient & la ſurprendi
P
JUILLET. 1763. 141
avec l'Abbé. La Bourgeoile eft prête de s'évanouir
de frayeur & de chagrin , le bon Grenadier
prend cela pour un effet de la tendreffe
de la femme. Elle fe plaint de toutes les inquiétudes
qu'il lui a caufées ; il dit n'être arrivé que
de la veille ; elle lui reproche fon peu d'empreſſement
, & le querelle de ce qu'il eft déjà
yvre ; il en canvient , mais c'eſt , dit-il , par
Sentiment qu'il s'eft grife ; il a bu avec les Camarades
à la fanté de tous les Peuples de la Terre ,
qui font nos bons amis , puifque la Paix eft générale.
L'Abbé veut appuyer les reproches de la
Femme. Le Mari demande quel eft cet original
? La Femme répond que c'est un de fes amis.
Après quelques plaifanteries , le Mari qui prend
la chofe plus férieufement , contraint l'Abbé de
quitter la partie. En fe retirant il déclare au
Grenadier , avec un air de menace , qu'il fera
tout auffi Militaire que lui quand il voudra ; ce
qui fait entendre à celui-ci , que ce n'est qu'un
Homme ordinaire déguifé en Abbé.
» Commment diable !
( dit le Grenadier. ) Il prend un habit reſpectable ;
Pour être un mauvais Sujet , un mauvais
» citoyen , לכ
» Etre à charge au Public , en un mot , bon
» à rien.
La femme dit que c'est précisément cet habit
qui l'a trompée ; qu'elle a pris cet homme pour
un de ces beaux efprits diftingués qui le por
tent , & qui méritent l'eftime de tous les honnêtes
gens. Le mari lui pardonne & finit certe
fcène par une Ariette , qui peint très – bien la
142 MERCURE DE FRANCE .
façon de s'énoncer d'un homme dont la tête
& les organes font embarraffés par les fumées
du vin. Ce que l'Acteur éxécute très - plaifamment
dans fon chant. Le refrain du Rondeau de
cettte Ariette eſt ainfi.
» Il faut que la paix foit bien grande ,
» Elle régne entre les époux.
Cette Scène eft fuivie d'un Ballet , après le
quel un Précepteur vient au milieu de fes écoliers
à qui il montre la Statue du Roi , en diſant ,
O ! Pueri , Pueri venite .
Levez les yeux , & plaudite.
Qu'à jamais dans votre mémoire ,
» Plus encor dans vos coeurs foient imprimés
> les traits
» D'un Roi qui vous donne la paix . ·
» La vaſte ambition , l'orgueil de la victoire
« Ne rendent point un Monarque plus grands
Un Prince pacifique efface un Conquérant.
» Le temple de la Paix eft celui de la ' Gloire,.
» Voyez encor ces hommes revérés &c.
Le Précepteur leur montre les figures des hom
mes illuftres qui rempliffent les gradins du portique
; il leur en nomme quelques - uns dans chaque
genre.
Tout un Village eft arrivé à Paris pour 'voir
la Statue du Roi & les fêtes publiques . Au
nombre des habitans de ce village , eft un vicillard
avec fa femme ils chantent en duo le bon
JUILLET. 1763. 143
•
temps dont on va jouir. Ses compatriotes le
prient de les mener voir le Roi en perfonne ,
pour admirer de près celui qui fait leur bonheur.
Gombault ( ainfi fe nomme ce vieillard )
eſt un ancien Militaire , il a été ſoldat juſqu'à
ce que le poids des années l'ait contraint à fe
retirer. Il raconte & détaille les dangers qu'a
partagés le Monarque avec fes foldats , que fes
regards encourageoient dans les horreurs de la
guerre. Sa petite fille ( Louifon) lui demande ce
que c'eſt que la guerre. Il en expofe tous les
malheurs par la comparaifon d'un horrible ouragan
, qui quelques années auparavant avoit
ravagé tout le canton. Ce qui fait le fujet d'une
très-belle Ariette où le Muficien a fuivi avec
une admirable énergie , l'image que préfentent
les paroles. Le vieillard bénit avec tous les habitans
la bonté du Roi , qui avoit épargné à toutes
les Provinces les calamités que produit ce
fléau , en les laiffant cultiver la terre dans le
fein du repos. Les épanchemens de coeur de
ces bonnes gens , font interrompus par le bruit
d'un Tambour : c'eft François fils de Gombault
qui s'étoit mis dans le fervice quand fon Père s'en
elt retiré. Il a fervi , en franc Soldat , avec tant
de valeur &de fa geffe qu'il a mérité le grade d'Officier
& la croix , faveur du Prince qui achève ce
que l'honneur a commencé. L'Officier fe propofe
de faire fervir la penfion dont il eft gratifié à
procurer à fa familleune vie plus commode , &
fe difpofe lui-même à les aider dans les foins de
la culture des terres tant que la Paix lui en laiffera
le loifir. En s'adreſſant à des Grenadiers qui furviennent
& le reconnoiffent pour un de leurs anciene
camarades , l'Officier dit :
Prenez part à mon allégreffe ,
$44 MERCURE DE FRANCE
Amis , je fuis le fils de ces bons Payfans3
» Que je les vois avec tendreffe !
» Je ne dois qu'à leurs fentimens
Mes premiers degrés de Nobleſſe.
Il prefente fa famille aux Grenadiers qui pren
nent dans leurs bras la petite Louifon , la fille ,
& l'élévent pour lui faire voir de plus près
comme elle le fouhaite , la Statue du bon Roi.
La Fête villageoife recommence avec les inftrumens
champêtres. Les Grenadiers s'y joignent
& chantent des couplets galamment grivois.
Succeffivement la Place fe remplit d'une multitude
de gens de tout âge & de tous Etats.
La Fête devient générale & finit par un Ballet
quipeint le tumulte de la joie ; au milieu duquel
un Carillonneur , fa Femme & un Artificier
chantent des morceaux qui caractériſent leurs
fonctions.
REMARQUES.
Nous avons répété plufieurs fois des
réfléxions fur l'efpéce de mode qui s'eſt
introduite depuis quelque temps , de
mêler le chant avec le fimple récit de
la Comédie. Nous croyons avoir , dans
l'événement de la première repréfentation
des Fêtes de la Paix , une preuve
du préjudice que cela fait aux Ouvrages
dramatiques , furtout lorfque le
chant vient interrompre le dialecte naturel
de la Comédie. La Piéce commençoit
JUILLET. 1763. 145
çoit après les Ariettes du Hérault d'armes
& les choeurs de la multitude , qui
ne font que des annonces , par un
dialogue prèfqu'entiérement récité.
On dut s'appercevoir de l'impreffion
fâcheufe que fit la fuite des chants
qui fuccédoient à cette Scène. Ces
chants étoient néanmoins agréables ,
la plus part a reçu depuis des applaudiffemens
, & quelques- uns même
l'admiration qu'ils méritoient. La caufe
de cet effet eft donc dans l'efpéce d'habitude
que l'efprit avoit contracté par
ce commencement de Comédie , & la
peine d'en être diftrait par un autre genre.
On n'a fait que tranfpofer cette
Scène , on l'a placée après d'autres où
le chant domine , où le plaifir des oreilles
a eu pour ainfi dire le temps de prendre
toutfon empire fur l'imagination de
l'Auditeur. De là , tout l'Ouvrage a
paru changer de face , & depuis ce changement
, les applaudiffemens les plus
continuels & les plus univerfels ont vengé
le Poëte & le Muficien de la mépriſe
des premiers jugemens .
M. FAVART n'auroit rien perdu de
la gloire fi juftement acquife par tous fes
autres Ouvrages, quand même dans le moment
qu'applaudi avec tranſport , fuivi
II. Vol
G
146 MERCURE DE FRANCE .
avec une affluence perpétuelle au Théâtre
François dans l'Anglois à Bordeaux , il
n'auroit pas eu l'honneur , très- difficile ,
de réuffir à un autre Théâtre fur le même
fujet. Le fuccès a juftifié le courage,
on pourroit peut- être dire la témérité
de l'avoir entrepris . On reconnoît dans
la Scène de la Bourgeoife & de l'Abbé
ce tour fin & délicat d'une fatyre légère
& pittorefque des moeurs , qui convient
fi bien à Thalie , & dont l'Auteur a fait
un fi heureux emploi dans l'Anglois à
Bordeaux . On retrouve dans la Scène
de Gombault ce fentiment éclairé par
la Philofophie , cette tendreffe d'une
belle âme , première fource de toutes
les vertus & furtout des vertus patrio-
/ tiques. Dans les Couplets & dans toutes
les parties de ce même Divertiffement ,
on apperçoit fouvent les traits des mê
mes grâces qui ont orné tant d'Ouvrages
lyriques de cet Auteur. Nous devons
rendre témoignage en même temps , de
la juftice que le Public rend journellement
à plufieurs morceaux diftingués de
M. PHILIDOR dans cette Piéce; plufieurs
font marqués au coin du génie & de la
grande intelligence dans la Science harmonique.
Nous n'en conclurons pas
moins cependant , en général , que ce
JUILLET. 1763. 147
genre mixte a des vices effentiels , que
peut dérober quelquefois au fentiment
du Vulgaire la féduction d'un certain
luxe de Spectacle : mais qu'au jugement
du bon goût & de la faine critique , il
fera toujours plus perdre que gagner
au Poëte comique qui , comme M. FAVART
, n'auroit pas befoin du fecours
d'un vain fard,pour en impofer fur la réalité
de fes agrémens ; ainfi qu'aux grands
Muficiens qui pourroient fe paffer des interruptions
de la Scène & occuper agréablement
leur Auditeur pendant toure
l'étendue d'un Spectacle confacré à leur
Art , tel que feroit par exemple celui de
l'Opéra.
ÉTAT actuel des deux Théâtres des
Comédiens ordinaires du Ror.
LE
AVIS.
E nombre des Curieux d'Anecdotes
du Théâtre eft confidérable aujourd'hui
; ce qui a fait multiplier les Dictionnaires
, Tablettes , Almanachs &
autres Ouvrages de Bibliographie dramatique
dans ce nombre de Curieux ,
il en eft plufieurs attachés à l'éxactitude
de ce qui concerne les Acteurs de
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
haque Théâtre. On fe plaint fouvent
ce trouver à cet égard des contradicdons
& des erreurs dans les Ouvrages
ti ue nous venons de citer ; & les Auqeurs
de ces Ouvrages eux- mêmes ſe
plaignent de n'avoir aucun dépôt littéraire
où l'on puiffe , avec confiance ,
puifer fur ce fujet des connoiffances
certaines. On nous a fait remarquer
à cette occafion que dans notre
Journal fe trouvant un Article deſtiné
aux Spectacles avec plus de détails que
dans tout autre , il conviendroit que ce
fût dans celui-là, que l'on pût avoir cette
efpéce de dépôt de faits & de dattes
hiftoriques. Comme rien ne nous intéreffe
davantage que de fatisfaire à tous
les goûts & à tous les genres de curiofité
de chacun de nos Lecteurs , nous
placerons dorénavant des Etats , pareils
à ceux que nous donnons aujourd'hui ,
chaque année à pareil temps , parce que
c'eft le point de l'année Théatrale où il
y a ordinairement moins de variations.
Par ce moyen , fans faire de recherches
particulières dans les Articles de chaque
mois , on trouvera tout ce qu'on défirera
fur cet objet , raffemblé fous un feul
point de vue ; & par la fuite , en confultant
dans les Mercures ces Etats de chaJUILLET.
1763. 149
que année , on vérifiera facilement des
dattes & des faits fur lefquels on contefte
fouvent dans la co nverfation .
N. B. Nous ne donner ons cette année
l'Etat du Théâtre de l'Opéra , que lorfqu'il
reprendra fes Spectacles ordinaires
dans la Salle que l'on prépare au Palais
des Thuilleries. Ce qui arrivera, vraifemblablement
le plutôt qu'il fera poffible ;
mais encore trop tardpour l'impatience
du Public.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Acteurs & Actrices à Part , demi part ,
&c , fuivant l'ancienneté de
leurs réceptions.
LES SIEURS.JLES DLLES.
ARMAND .
DUBOIS .
DUMESNIL .
DROUIN .
BONNEVAL.
PAULIN.
LE KAIN .
BELLECOUR.
BLAINVILLE .
PRÉVILLE .
BRISAR .
MOLÉ.
AUGER .
D'AUBERVAL.
CLAIRON .
BELLECOUR.
Huss.
PRÉVILLE .
LE KAIN .
DUBOIS .
D'ÉPINAY
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
Acteurs & Actrices à appointemens.
LE SIEUR.
BOURET .
LES DLLES.
D'OLIGNY .
DE LUZZY .
Acteurs & Actrices retirés au mois de
Mars de lapréfente année 1763.
Les Dlles DANGEVILLE , ( a )
( a ) Mlle DANGEVILLE , Niéce & Eléve de
Mile DESMARES , à peine âgée de 14 ans , débuta
le 28 Décembre 1729 , par le rôle de Soubrette
dans le Médifant ; & les jours fuivans
dans la Soubrette da Cocher fuppofé ; Cléantis
dans Démocrite , la Soubrette du Florentin , Laurette
de la Mère coquette ; la Soubrette des Folies
amoureufes ; celle d'Efope à la Ville : Toinette
du Malade imaginaire & Lifette de la Sérénade.
Après avoir joué à la Cour , elle fut reçue
avec beaucoup d'agrément , d'abord à demie
part , au mois de Mars 1730. Le 24 Juin de
cette même année , elle prouva la variété de fes
talens , par la façon dont elle joua le Rôle
d'Hermione dans Andromaque , qui lui procura
beaucoup d'applaudiffemens & d'admiration ,
& dans lequel elle montroit de très grandes
difpofitions pour le Tragique , genre que les
circonftances de la retraite de Mile DESMARES.
lui firent abandonner pour ſe livrer entièrement
à celui dans lequel elle excelloit déja. Cette
Actrice , que le Public avoit vue avec tant de
plaifir , dès fon enfance , dans tous les Rôles
de cet âge , ainfi que dans la danſe où elle
s'étoit exercée avec fuccès , faifoir efpérer dès-lors
-
JUILLET 1763. 151
1
GAUSSIN , ( b ) & le Sr DANG EVILLE.
( C )
un Sujet qui orneroit la Scène Françoife. Ses débuts
confirmerent avec éclat cette favorable conjecture.
Elle est devenue depuis , & en fort peu
de temps , le Chef- d'oeuvre de l'Art Théâtral.
II y a lieu de croire que la rare perfection
de fes talens fera long - temps de plus grand
modèle qu'on puille propofer à toutes celles
qui entreront dans la carrière du Théâtre , par
les rôles de fon emploi. Nos faftes littéraires
font remplis des éloges fincères & continuels de
cette admirable Actrice , fans crainte qu'on nous
les reproche , car les Amateurs des Talens fublimes
les reliront toujours avec plaifir , furtout
ceux qui auront eu celui de l'admirer fur la
Scène Françoile.
( b) Mlle GAUSSIN débuta le 28 Avril 1731
dans Britannicus par le Rôle de Junie ; la jeuneffe
, les charmes de fa figure & ceux de fa
voie tendre & touchante , auroient fuffi pour lui
procurer tous les applaudiffemens , fi les talens
& les difpofitions déja formées pour le genre
où elle s'eft diftinguée , ne lui euffent , dès- lors ,
attiré tous les fuffrages. Elle fuivit ſon début
dans Chimène , dans Monime , dans Andromaque
& dans Iphigénie. On la vit au développer
dans le haur Comique , les talens fupérieurs
qu'on a continué d'admirer en elle , encore les
derniers jours qui ont précédé la retraite . Actrice
intéreffante jufqu'à la féduction , dans les Rôles
qui lui étoient perfonnellement propres , elle
les jouoit avec une expreffion fi naturelle & fi
vraie, qu'on étoit porté à croire qu'elle en avoit
infpiré le caractère eux Auteurs. Telle est l'idée
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
Acteurs & Actrices de la Comédie Ita
lienne , à part & demi part , &c.
Les Sieurs.
DE HESSE.
CIAVARELLI .
ROCHARD .
CARLIN.
CHAMPVILLE
LE JEUNE
CAILLOT
LÁNUZZY.- Zen
COLLALTO .
LA RUETTE.
CLAIRVAL.
BALLETTI .
L'OBREAU.
Les Demoifelles.
FAVART .
CATINON FOULQUIER
(f.Rivière. )
CAMILLE .
PICCINELLI.
VILLETTE (f. la
Ruette. )
DESGLANDS.
DESCHAMPS.
BOGNIOLY .
SAYY
Acteurs & Actrices à appointemens.
Les Sieurs.
DES BROSSES.
SAVY.
Les Demoiselles.
CARLIN.
LAFOND.
COLLET .
PLACIDE .
que la Poftérité confervera de l'A&rice , dont
nous regrettons encore journellement les talens.
( c ) M. DANGEVILLE , frère de l'Actrice de ce
nom , avoit débuté le 21 Mars 1730 avec applaudiffemens
dans le principal rôle de la Tragédie
dė Polieudte & du François à Londres.
Э
JUILLET. 1763.
153
ARTICLE V I
CÉRÉMONIES ET
FESTES
PUBLIQUES.
DESCRIPTIONS particulières &
POUR
détaillées.
.
OUR acquiter l'engagement pris dans
le précédent volume , nous allons don
ner quelques détails fur les grands obe
jets des fêtes dont nous avions commencé
à parler en général au commencement:
de ce mois.
Defcription du Feu d'Artifice ordonné
par la Ville pour être tiré le 22 Juin
1763 à l'occafion de l'Inauguration
de la Statue du Roi & de la Publica
tion de la Paix.
Nous avons déja dit que la décora
tion de ce feu étoit élevée au milieu de la
rivière, en face de la place de Louis XV
d'un côté , & de l'autre , du Palais des
Ambaffadeurs - Extraordinaires , ( ci-devant
Palais de Bourbon ) dont le Roia--
voit permis l'ufage à la Ville, qui en
Goy
154 MERCURE DE FRANCE :
conféquence y avoit fait conftruire ,
décorer & éclairer magnifiquement des
Loges à la difpofition de M. le Gouverneur
, de M. le Prévôt des Marchands
des Echevins & Officiers Municipaux
du Corps de Ville , ainfi que pour M.
le Directeur- Général des Bâtimens du
Roi & quelques autres perfonnes diftinguées.
Dans toutes ces Loges , dont
la plupart étoient remplies de Princes
& de Seigneurs de la Cour , d'Etrangers
& autres perfonnes qualifiées , on
fervit pendant toute l'après-midi une
fomptueufe collation & des rafraîchiffemens
avec profufion . Ces Loges feules.
contenoient fept mille places , toute occupées
, ( * ) ce qui ne faifoit cependant
qu'un point dans la vaſte étendue
de l'efpace depuis Chaillot jufqu'au
Pont Royal , efpace entiérement couvert
de Spectateurs jufqu'à l'eau qui
baignoit même les pieds de la dernière
ligne. Que l'on juge par là & que l'on
évalue cette prodigieufe multitude , &
la grandeur du Spectacle qu'elle of-
.froit
Tout l'édifice du feu étoit établi au
milieu d'une Ifle de 60 toifes de long
Nous avions été mal informés précédemment
en ne difant que cinq mille.
JUILLET. 1763. 155
fur 12 toifes de large , formée par un
grand nombre de bâteaux raffemblés.
La partie d'en-bas , qui touchoit à la
rivière , étoit peinte en rochers fur lefquels
étoit élevée une terraffe , dont la
décoration préfentoit,aux extrémités , des
fontaines qui prenoient leur fource dans
la grande maffe de roches du milieu ,
& retomboient en nappes fur trois faces.
La difpofition des plans avoit fourni le
moyen de placer dans tout le pourtour
de cette terraffe , ( dont la fuperficie étoit
de 2700 pieds ) des piédeftaux chargés
d'emblêmes & richement ornés qui
portoient des groupes de fleuves , de
Nayades & Tritons , avec leurs urnes
& autres attributs caractériſtiques , De
toutes les urnes fortoient des fources
tombant en napes & reffaillantes de leur
bouillonnement. On avoit orné auffi
cette vafte terraffe de huit groupes d'Enfans
peints en bronze , lefquels portoient
des coquilles , d'où s'élancoit un jet qui
formoit une cafcade en retombant. Du
milieu de cette terraffe s'élevoit un Temple
, dont la forme générale étoit un parallelograme
, formé par vingt colonnes
fpirales & tournantes d'ordre ïonique
de 39 pieds de hauteur y compris le
piédeftal & l'entablement.
>
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Chacune des grandes faces étoit compofée
d'un Portique de vingt pieds d'ouverture
, couronné d'un archivolte , furmonté
de cartouches & autres ornemens.
Les petits côtés étoient décorés
par des frontons & tout autour regnoit
une balustrade terminée par des vafes &
autres amortiffemens qui formoient un
deffein élégant , noble , & dont l'effet.
étoit très agréable. Les colonnes &
toute cette architecture devoient fe
deffiiner en feu & prendre du mouve
ment , ainfi que l'emblême d'Apollon
annonçant un beau jour , environné ,
d'une gloire formée par une piéce d'artifice
Italien d'une compofition finguliere
, & du plus grand effet * . On montoit
à ce Temple par des gradins dont
les devants étoient plus avancés & for
moient une platte-forme fur laquelle on;
R
* Le Public n'a pû jouir de cet effet , ainſi que
de tous les feux figurés , que le Dimanche 3 de ce
mois ; la Ville ayant fait tirer avec un très - grand
faccès toutes les parties d'Artifice que le mauvais
remps du 22 Jain avoit obligé de fupprimer , ce
qui a compofé , avec les feux d'air qu'on avoit
ajoutés , un fecond feu très magnifique , qui
a attiré la même quantité de Spectateurs dans le mê
me efpace, & produit un fecond Spectacle auffi
grand & auffi extraordinaire que celui du pre
mier jour..
❤
JUILLET. 1763. IST
avoit pratiqué un orcheftre où cinquante
Muficiens de chaque côté exécuterent
des fymphonies pendant toute l'aprèsdinée
.
*
Nous avons parlé précédemment des
joûtes de Bateliers qui amuferent jufqu'à
la nuit les Spectateurs . placés pour voir
tirer le feu.
On fçait par quel contre- temps tout
l'artifice préparé ne put avoir lieu le
jour defliné à cette grande fête ; mais
comme on a vu un autre jour l'effet des
autres parties , nous allons les réunir
dans cette relation , de la même manière
que l'imagination des Spectateurs a dû
faire , & donner ici l'ordre & le détail
de cette prodigieufe quantité d'artifice
telle qu'elle étoit ordonnée & difpofés
pour être tirée en une feule fois..
ORDRE & détail de l'artifice.
Après le fignal donné , & plufieurs
décharges des boëttes d'artillerie & du
canon de la Ville , partoient les fufées
d'honneur qui étoient de la plus grande
beauté , tirées fix par fix enfemble , &
accompagnées par les fufées de table &
les bombes ; on n'avoit point vu encore
de plus bel effet & de plus agréable de
ces bombes qu'à ce feu. Un côté était
158 MERCURE DE FRANCE.
fervi par les Artificiers François , & l'au
tre par les Artificiers Italiens .
pots
à
Après les dernieres fufées d'honneur ,
le feu d'eau amufa beaucoup le Pu
blic & très-longtemps , par les effets les
plus agréables & les plus variés : ce feu
d'eau étoit fervi par les François . La derniere
piéce de ce feu portant en devife
VIVE LE ROI , devoit fervir de fignal
pour les douze piéces figurées des Italiens
, accompagnées de douze caiffes &
cinquante douzaine de pots à feu par les
François. A la fin des piéces figurées ,
vingt groffes gerbes avec jets , fix grandes
cafcades doubles , les cafcades des
groupes d'enfans & trente- fix
aigrettes , le tout par les Italiens , d'un
très - beau feu rouge , produifant trèsréguliérement
les effets de l'eau. Cette
partie devoit être accompagnée par
douze caiffes & cinquante douzaines de
pots à feu des François . L'effet des pots
à aigrettes étoit le fignal pour les colonnes
tournantes du Temple & autres parties
d'architecture , en feu blanc des Itafiens
cent douzaines de pots à feu des
François , étoient deftinées à l'accompagnement
de cet agréable effet. A la fin
de l'illumination du Temple , paroiffoit
de la part des Italiens, la grande Gloire ,
JUILLET. 1763. 159
d'une grandeur analogue à l'objet &
à la magnificence de la fête ; enfemble
huit palmiers doubles très - diftinctement
repréfentés en feu , ainfi que les
deux grandes cafcades qui offroient des
torrens de cet élement. Dix-huit caiffes
& cent autres douzaines de pots à feu
d'artifice François devoient accompa
gner ces brillantes parties. A la fin des
cafcades , les huit barils de garniture &
deux cens bombettes , par les Italiens ,
devoient remplir le centre du feu , entre
les deux grandes girandes des François
placées aux extrémités de la terraffe
compofée d'une multitude innombrable
des plus belles fufées , auxquelles fe
joignoient cent douzaine de pots à feu ,
pour couronner le plus grand & le plus
magnifique artifice qu'on eût vu tirer
Paris , file temps ne s'étoit oppofé précifement
à l'effet, qu'on a vu depuis , des
feux figurés qui en faifoient la partie la
plus diftinguée.
ILLUMINATION de la Place de
LOUIS XV, les 20 & 22
Juin 1763.
-Les deux parties de cette Place ,
accompagnant fon entrée du côté de la
160 MERCURE DE FRANCE.
Rivière , étoient ornés de vingt luftres
de lanternes de verre. Les huit piedeftaux
des angles deſtinés à porter des
Figures , portoient des Piramides de
lumières de 25 pieds de hauteur fur.
9 pieds de baſe ; un cordon d'illumination
régnoit au Pourtour de la Place
au-deffus de. la balustrade des foffés
dont elle est enceinte à la hauteur de
la corniche des guérites ou piedeftaux
dont nous venons de parler , qui
ont 15 pieds de haut für 14 pieds en
quarré. A l'aplomb de chacun des focles
de la baluftrade , on avoit placé un
pot -à-feu qui , formant une très - forte
lumière , fe diftinguoit dans le cordon ,.
& traçoit ainfi aux yeux , tout le deffein
de cette Place: Les quatre principales
entrées étoient bordées par 16 Yfs ou
grandes girandoles de lumières portées
fur des piedeftaux où étoit peint le
chiffre du Roi. L'enceinte de la Statue
Equeftre du Roi étoit éclairée par douze
cens terrines qui , diftribuées artiſtement
au bas & fur les gradins du Piedeftal
, produifoient un très- bon effer en
repréfentant une bafe & des degrés de :
lumières.
Telle étoit l'illumination qui fut alluméelė20,
mais dont onjouit peu detemps
JUILLET. 1763.
161
à caufe de l'orage qui furvint le foir ,
& qui l'éteignit une heure après qu'elle
venoit d'être allumée. Elle fut répétée
le 22 avec l'illumination des façades des
grands bâtimens que les fix Corps des
Marchands , animés du même zèle que
la Ville , avoient fait préparer , pour ce
dernier jour , & qui formoit le plus
magnifique Spectacle de cette Fête.Pour
en prendre une jufte idée , il faut fçavoir
que chacune de ces deux facades.
a 48 toifes de longueur fur 75 pieds.
d'élévation , jufqu'à l'angle des frontons
; ce qui , réuni par un certain point
de vue , préfentoit une étendue de près
de cent toifes d'illumination . On avoit
profité des échafaux qui fervent à la
conftruction , & du milieu de ces charpentes
informes , on a vu naître un
deffein régulier qui répréfentoit en lumières
, tous les membres & tous les
ornemens de la riche architecture dont
ces façades font embellies. Les colomnes
étoient parfaitement exprimées dans
toutes leurs proportions , ainfi que les
autres parties de l'ordre corinthien qui
s'élève au-deffus du fousbaffement des façades,
& que l'on avoit laiffé obfcur, pour
ne point faire de confufion avec les cor162
MERCURE DE FRANCE.
dons de la Place ; dans les entre - colonnes
étoient des luftres de lanternes , dont
la différence de lumières & les formes
ornoient très agréablement toute cette
illumination , laquelle , ainfi que la difpofition
du Feu & fa décoration , a été
exécutée fur les projets & les deffeins de
M. Moreau , Archite &e de la Ville.
ILLUMINATION des Jardins de
l'Hôtel de Pompadour
Indépendamment des fêtes données
par la Ville , le même motif avoit porté
tous ceux qui occupent de grands Hôtels
à contribuer à la pompe des réjouiffances
, par des illuminations plus ou
moins fomptueufes , felon ce que prêtoit
de plus officieux chaque Hôtel ou
Maiſon particuliere. De toutes ces illuminations
, la plus remarquable étoit
celle des Jardins de l'Hôtel de Pompadour
, ouverts du côté des Champs -Elifées
fur une longueur d'environ cent.
cinquante toifes , & n'étant enclos que
par des foffés , qui laiffent librement
découvrir toute l'étendue de ces Jardins.
Les potagers avancent au - delà de
l'allignement des autres Jardins du
Fauxbourg Saint - Honoré d'environ
JUILLET. 1763. 163
་
quarante toifes ; enforte que l'on en
appercevoit l'illumination dès la Place ,
& que d'une certaine diftance elle paroiffoit
s'y joindre .
La premiere ligne des potagers , le
long du foffé de cent cinquante toifes
étoit ornée de grands orangers naturels
dans leurs caiffes , accouplés par des guirlandes
de fleurs qui en enchaînoient les
tiges & retomboient en feftons fur les
caiffes. Ils étoient entremêlés de gros
Ifs ou grandes girandoles de lumières
portés fur des piédeftaux peints en marbre
de diverfes couleurs , & ornés auffi
de guirlandes & feftons de fleurs. Cette
ligne étoit éclairée dans le bas par le
même cordon de terrines , très - ferrées
les unes contre les autres , qui deffinoit
tous les compartimens en treillages de
ces vaftes potagers , & par conféquent
couvroit de lumières prèfque toute
la fuperficie. A chaque extrêmité , dans
des centres d'étoiles formées par ces
compartimens , on avoit élevé un obélifque
triangulaire de trente pieds de
hauteur chacun , furmonté d'un globe ,
le tout garni en plein de lampions.
Le grand Jardin des Parterres , élevé
d'environ quatre pieds au-deffus de ces
Potagers, eft ouvert par une terrafſe ſur
164 MERCURE DE FRANCE
en partie ceintrée extérieurement &
bordée de chaque côté par de grandes
allées de maronniers.
:
L'appui de cette terraffe étoit deffiné
par des cordons de lumières & les focles
chargés de grandes girandoles. Les gradins
du perron étoient de même deffinés
par des terrines. De chaque côté de
cette terraffe on avoit conftruit deux
grands corps d'architecture en boffages
formant des pavillons carrés , fur la face
des Potagers & en retour fur ce Jardin ,
qui mafquoient & enveloppoient la
naiffance des grandes allées . Ces pavillons
joignoient à deux galleries d'environ
16 ou 17 toifes de longueur für les
potagers ; les pilaftres , les frontons, entablemens
, corniches , & généralement
toutes les parties de ces édifices: étoient
formées en plein & diftin&tement deffinées
par des lampions. Les focles dè
l'appui de l'entablement ainfi que les
acroteres portoient des vafes & gros
bouquets de lumières. Le bas des gal
leries & faces des pavillons extérieurs
du côté des potagers étoient revêtus d'un
foubaffement en compartimens de lampions
qui continuoit le long du murd'appui
de la terraffe & qui produifoit un
très-agréableeffet . Ces corps d'architectu
re formoient deux fortes maffes de lumiè
JUILLET. 1763 . 165
res expofées à la vue ,ainfi que l'illumination
des potagers dans un efpace immenfe
& qui pouvoient être apperçues
de diftances très- éloignées ; le terrein
des Champs Elifées étant à préfent entiérement
découvert.
Depuis les angles des pavillons intérieurs
le long des grandes allées qui
bordent les parterres & conduifent jufqu'à
la terraffe des appartemens, régnoit
un cordon de lumières alligné à l'appui
de la première terraffe ; il étoit interrompu
par des orangers , des grenadiers ,
des ifs de différentes formes & des pyramides
, le tout entiérement en lampions ,
entremêlés de girandoles de lumières
fur leurs piédeſtaux de marbre. Comme
ces objets étoient placés fort près les
uns des autres , ils paroiffoient fe toucher
; & fur le fond le plus heureux , produit
par la verdure des arbres paliffadés ,
on voyoit deux allées de lumières variées
qui fe terminoient à deux portiques d'ordre
dorique en baffage ornés de colonnes
accouplés & furmontés de vafes
& bouquets de lampions. Ces portiques
, joignoient la terraffe des Appartemens
qui étoit , ainfi que la première ,
deffinées en lumières , fes ficles chargés
de girandoles & fon perron tracé par
166 MERCURE DE FRANCE.
des terrines. Au fond de cette terraffe
on'avoit adoffé au Bâtiment une grande
décoration formée par un portique de
lumières ouvert en cinq arcardes proportionnées
, dont celle du milieu avec
fon couronnement , s'élévoir à plus de
cinquante pieds. Les fonds de cette,
décoration ainfi que des grands amortiffemens
qui terminoient le portique
de chaque côté , étoient en marbres de
diverfes couleurs & en dorures , le tout
chargé de lampions qui marquoient &
diftinguoient les ornemens.
avons
Entre les amortiffemens du grand
portique jufqu'au bord de la terraffe
& les portiques , dont nous
parlé, qui terminoient les allées , étoient
placées de chaque côté deux Pyramides
en lampions d'environ vingt - cinq à
trente pieds de haut , qui parroiffoient
joindre ces portiques inférieurs à celui
de la façade , par une ligne circulaire.
Enforte que toute certe brillante
décoration depuis les potagers
jufques à la face du fond des Jardins
ne formoit qu'un feul & même enfemble
lié & proportionné dans toutes
fes parties.
Dans les ceintres de chaque arcade
des portiques du fond ainfi que dans
JUILLET. 1763. 167
ceux des fenêtres des pavillons & galleries
fur les potagers étoient fufpendus
, par des guirlandes de fleurs naturelles
en feflons , des luftres de forts
lampions porportionnés aux dimenfions
des arcades .
Le milieu de ce vafte & lumineux
théâtre étoit éclairé par des terrines
qui deffinoient régulierement les deux
grands parterres , ainfi que le grand
baffin du Jardin & les ronds de fleurs
des potagers . Pour marquer plus diftin&
tement les deffeins , on avoit mis
aux angles des pots à feu qui donnoient
une lumiere plus forte que les
autres.
Il eft arrivé à cette illumination ce
qui avoit paru jufqu'alors d'une difficulté
infurmontable , c'eft de conferver
par la variété des lumières & par
leur difpofition les effets de perfpective,
& de faire diftinguer nettement tous
les plans .
L'affluence prodigieufe du Public &
fon conftant attachement jufqu'au matin
à admirer cette magnifiqne & finguliere
illumination , en fait un éloge
affez flatteur : nous nous difpenferons
de répéter ici tous ceux qui ont été déja
donnés à cet e brillante fête dans les
differentes relations qui ont paru.
"
168 MERCURE DE FRANCE.
AVERTISSEMENT.
Comme nous ne doutons pas de l'empreffement
qu'ont les perfonnes éloignées,
d'avoir l'idée la plus exacte qu'il foit
poffible , de la Statue Equeftre du Ror
érigée dans la nouvelle Place , nous nous
propofons d'en donner une defcription
détaillée , & pourparler aux yeux ainfi
qu'à l'imagination , d'y joindre une
Planche que l'on grave à cet effet. Nous
croyons dans une occafion auffi intéref
fante pour tous les Sujets du Royaume,
ne pouvoir trop marquer notre zéle ;
non feulement par nos foins , mais par
desfrais , extraordinaires à la confection
du Mercure , que l'on facrifie avec plaifir
pour la fatisfaction des Abonnés à
ce Journal.
SUITE
JUILLET. 1763. 169
ARTICLE VI I.
SUITE des Nouvelles Politiques du
mois de Juin.
Suite des Nouvelles de VERSAILLES.
L. Roi ayant reconnu que la conftitution ſolide
qu'il veut donner à fes Troupes , dépend
du premier choix des hommes qui la compoſent ,
a rendu une Ordonnance , datée du premier
Fevrier 1763 , par laquelle Sa Majesté établit
trente & un Régimens de recrue d'un Bataillon
, dans les Provinces de Picardie , de Champagne
, de Rouen , de Caen , d'Alençon , de
Moulins , d'Auvergne , de Flandre & d'Artois ,
de Montauban , d'Auch , de Bordeaux , de Poitiers
, de Lyonnois , de la Rochelle , de Tours,
du Dauphiné , de Paris , de Soiffons , de Limoges
, d'Orléans , de Bretagne , du Pays Melfin
, de Bourges , du Haynaut , d'Alface , de
Rouffillon , du Duché de Bourgogne , de Languedoc
, du Comté de Bourgogne , de la Provence
& de la Lorraine ; & un Régiment de
deux Bataillons de la Ville de Paris ; ces Régimens
feront défignés fous les noms des principales
Villes ou Généralités , & marcheront
entre eux fuivant le rang dans lequel ils font
infcrits ci-après : fçavoir , Régime nt d'Abbeville ,
de Châlons , de Rouen , de Caen , d'Alençon
de Moulins , de Riom , de Lille , de Montauban
, d'Auch , de Bordeaux , de Poitiers , de
Lyon , de la Rochelle , de Tours , de Gre noble
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE .
de Sens , de Soiffons , de Limoges , de Blois ,
de Rennes , de Metz , de Bourges , de Valen
ciennes de Strasbourg , de Perpignan , de Dijon
, de Toulouſe de Befançon , d'Aiz , de
Nancy , & de la Ville de Paris . Chaque Régiment
fera compofé de huit Compagnies , lefquelles
feront commandées chacune , en temps de
paix , par un Capitaine & un Lieutenant , &
compofées de deux Sergens , quatre Caporaux ,
quatre Appointés & un Tambour , & d'un nombre
égal d'hommes proportionnément à celui
dont Sa Majefté aura ordonné chaque année
la levée dans chaque Département ; lefquels
feront exercés dans des quartiers particuliers ,
& mis par-là en état de remplacer les hommes
qui manqueront dans les Troupes de Sa Majefté.
En temps de guerre , chaque Compagnie
fera commandée par un Capitaine , un Lieutenant
& un Sous-Lieutenant , & compofé de quatre
Sergens , d'un Fourrier , de huit Caporaux , de
huit Appointés , un Tambour & d'autant d'hom❤
mes que les circonftances les requerront. Les
Officiers de ces Régimens feront choifis parmi
ceux qui viennent d'être réformés à l'occaſion
de la Paix , lefquels , en ce cas , & du jour
qu'ils recevront les appointemens , cefferont de
jouir des penfions de réforme qu'ils pourroient
avoir obtenues. Chaque Compagnie fera payée,
fur le pied fuivant ; à chaque Capitaine , 1080
1. par an ; à chaque Lieutenant , 450 1. à chaque,
Sous-Lieutenant , 360 1. à chaque Fourrier , 162 l.,
à chaque Caporal , 138 1. à chaque Appointé, 120.
1. à chaque homme , 102 l. au Tambour, 138.
1. ETAT-MAJOR. Au Commandant de chaque ,
Régiment , 1800 1. à l'Aide- Major , 1080l . au
Sous-Aide-Major, 450 1. au Chirurgien, 300 1. Le
JUILLET. 1763. 171
Lieutenant Général de Police de la Ville de Paris,
pour ce qui rgarde le Régiment de cette Ville ,
& les Intendans des Provinces , feront chargés fupérieurement
de la levée detdits Régimens , de
laquelle ils rendront compte au Secrétaire d'Etat
ayant le Département de la Guerre : ils établiront
à cet effet , un dépôt particulier dans leur Département.
Il y aura dans chaque Ville , Bourg
ou Village dépendant de chaque Généralité , des
prépofés à l'enrôlement & un prépofé principal
dans le chef- lieu où fera établi le dépôt parti
culier. Ces préposés n'employeront , pour les
enrôlemens , ni féduction , ni violence , ni fu
percherie , & n'admettront que des hommes de
dix-fept ans accomplis jufqu'à quarante pendant
la paix , & de l'âge de dix - huit jufqu'à quarante
cinq ans pendant la guerre , de la taille de
cinq pieds un pouce au moins en temps de guer
re , & de cinq pieds deux pouces en temps de
paix. Le temps de fervice fera de huit années ,
pendant lefquelles ils ne pourront s'abfenter fans
congé de leur troupe , à peine d'être pourful
vis & punis comme déferteurs ; & à l'expiration
deſdites huit années , ils auront leurs congés abfolus
en temps de guerre comme en temps de
paix. Si quelqu'un d'entr'eux eft admis à renouveller
fon engagement , il aura pour prix de ce
fecond engagement , fçavoir , 30 liv. à l'expiration
du premier, & 30 1. au commencement de
la cinquième année du fecond. Ces Régimen's fe
conformeront en tout aux Ordonnances concernant
l'Infanterie , mais ils ne feront alujettis ,
en temps de paix , à d'autre fervice qu'à celui
de fournir une garde de Police dans l'intérieur de
leur quartier. Lorfque des hommes de recrue
feront envoyés aux Régimens qui en auront be- ›
€
3
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
foin , il fera adreffé au Commandant du REgiment
de recrue les routes néceffaires pour
conduire lefdits hommes à leur deſtination . Cette
Ordonnance contient plufieurs autres difpofitions
particulieres , concernant le fervice , la dif
cipline , l'habillement , &c. de ces nouveaux Régimens.
Le Duc de Bedfort eft parti d'ici le 9 de ce
mois , pour le rendre en Angleterre. La commiflion
établie au Châtelet pour l'affaire du Canada
, a commencé fes Séances le 7 , pour le
jugement de cette affaire , au rapport du fieur
Dupont , Confeiller au Châtelet , Commiffaire-
Rapporteur de ce Procès.
Le 6 , entre les onze heures & midi , le feu prit
à la falle de l'Opéra & fe communiqua avec une
violence extrême à la partie du bâtiment qui tient
au Palais Royal. L'incendie fit en peu de temps
les plus terribles progrès , & la falle fut prèfque
confumée avant nême qu'il eût été poffible d'apporter
aucun fecours. Bientôt l'aîle de la première
Cour du Palais fut embrafée. Le feu fe communiquoit
au corps du bâtiment neuf & à celui qui
partage les deux cours ; & ce nefut que vers les
quatre heures qu'on parvint à arrêter le progrès
des flammes en mettant bas la charpente par laquelle
l'incendie eût infailliblement gagné l'appartement
du Duc d'Orléans, Le premier foin
dont on s'eft occupé à été d'enlever les Archives
& de mettre en fûreté la collection précieufe
des Tableaux du Palais Royal . Les Cours
& les Jardins de ce Palais étoient remplis de
meubles & d'effets tant du Duc d'Orléans que
des perfonnes qui lui font attachées & dont les
logemens étoient menacés d'embrâſement. Le
comble du grand efcaljer s'eft écroulé vers une
JUILLET. 1763. 173
:
heure & demie heureufement perfonne n'y a
péri. A neuf heures & demie du foir , toure
communication du feu a été coupée . Le foyer
n'étoit plus que dans les machines du Théâtre
de l'Opéra . Le Maréchal Duc de Biron , le
Duc de Chevreufe , le Prévôt des Marchands ,
le Lieutenant de Police , fe font tranfportés fur
le lieu , & ont donné tous les ordres néceffaires.
Les Gardes Françoifes & Suiffes , les Gens de
Police , des Religieux de différens Ordies , &
furtout les Peres Capucins fe font diftingués
par le zèle le plus courageux , par le travail
le plus infatigable. On ne tardera pas à conſtruire
une nouvelle Salle pour l'Opéra ; mais en attendant
, il paroît décidé que l'Académie Royale de
Mufique donnera fes repréſentations au Palais des
Thuilleries fur le Théâtre des machines qu'on
va difpofer pour cet objet.
Le 12 du mois dernier , il y eut à Effoyes
fur l'Ourſe , en Champagne , un incendie confidérable
qui , en moins de cinq heures , réduifit
en cendres deux cens foixante- dix maiſons .
Meubles , effets , denrées , proviſions , près de
de quatorze mille muids , tant de vin que d'eau
de vie , deux troupeaux confidérables de bêtes
à cornes , tour a été confumé : l'Eglife & le
Clocher ont été entiérement détruits , & les Cloches
fondues. Il ne refte fur pied dans tout le
Village que trente & une maiſons. Quatre perfonnes
ont péri dans les flâmes , & quatre autres
font mortes des impreffions du feu. Cet
accident réduit à la dernière mifère douze cens
perfonnes.
Dans la nuit du 12 au 13 , le feu a pris auffi
à une maison du Fauxbourg de Vervins en Thiéraches
, & le progrès des flammes a été fi rapide
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
qu'en quatre heures de temps elles ont confumé
tout ce Fauxbourg & un autre adjacent. Soixantedix
Maifons , neuf Granges pleines , fix Ecuries
particulières , & cinq Tanneries ont été détruites
, ainsi que les Meubles , Grains , Fourages ,
Beftiaux , Marchandifes , & autres effets qui y
étoient renfermés , & quatre perfonnes ont péri
dans les flammes.
Le 12 encore , le feu a pris au Village de Ste
Marie à Py , Election de Retel - Mazarin. Les
flammes étant excitées par la violence du Vent ,
confumèrent en peu de tems vingt - fept Maifons ,
trente & une Granges , & quatre-vingt- trois autres
petits Bâtimens, avec les meubles , les grains
& les provifions qui s'y trouvoient. Trente- cinq
Familles , dont treize de Laboureurs , le trouvent
par cet affreux événement fans habitation &
fans pain.
-
Le vingt - feptiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel de Ville s'eft fait le 24 Mars , en la
manière accoutumée . Le Lot de cinquante-mille
livres eft échu au numero 98886 , celui de
vingt mille livres au numéro 98 09 , & les
deux de dix mille livres aux numéros 85968 &
97960.
Le 6 de ce mois , on a tiré la Loterie de l'École-
Royale-Militaire. Les numéros fortis de la roue
de fortune , font , 86 , 61 , 2 , 14.7. Le prom
chain tirage fe fera les Mai .
MORT S.
Louis de Talaru , Marquis de Chalmafel
Comte de Chamarande , Chevalier des Ordres
du Roi , Brigadier de fes Armées , Gouverneur
des Villes & Châteaux de Phalsbourg & SareJUILLET.
1763 . 175
bourg , Confeiller d'Etat , premier Maître d'Hotel
de la Reine , eft mort à Versailles le 31
Mars , âgé de quatre-vingt- deux ans.
Nicolas Léon Philippes , Lieutenant Général
des Armées du Roi & Gouverneur de Maubeuge
, eft mort le 26 Mars âgé de quatre -vingtun
an.
François Louis Comte de Danois , Lieutenant
Général & Gouverneur de Condé , eft mort le
27 , âgé de quatre-vingt-quatre ans.
Les feurs du Villars , ancien Capitaine aux
Gardes- Françoiles & de la Borde de Canablin ,
tous deux Brigadiers des Armées du Roi , font
morts auffi à Paris à la fin du même mois.
Jean - Louis Aléxandre d'Alface , Comte de
Hennien Liérard , eft mort à Paris , dans la
feizième année de ſon âge.
Armand-Elifabeth de Froullay de Teffé , Comte
de Froullay , Guidon de Gendarmerie , eft
mort à Paris le 11 Mars , âgé de vingt - cinq
ans .
Charles-Jean de Monneville , Chevalier non-
Profès de l'Ordre de Malte , eft mort au Châreau
de Theuville en Normandie , le 28 Mars
âgé de vingt- neuf ans . Son Frère aîné ayant été
tué à la bataille de Minden , il laiffe pour fon
unique héritiere la Marquile de Colbert Maulevrier
, fa Soeur , Coufine Germaine de la Ducheffe
de Mortemart .
Marie Geneviève- Louiſe Gauthier de Chiffreville
, veuve de Charles Obrien , Lord Comte
de Thomond , Vicomte de Clare , Pair d'Irlande
, Maréchal de France , Chevalier des Ordres
du Roi , Gouverneur du Neuf- Brifac , &
Commandant pour Sa Majefté en Languedoc ,
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
eft morte à Paris le 6 Avril , âgée de vingt-fix
ans.
Louis -Alexandre- Xavier le Sénéchal , Marquis
de Carcado , Lieutenant- Général des Armées du
Roi , eft mort le 8 Avril , au Château de Carcado,
âge de cinquante & un ans.
Anne-Marie d'Arzens - de- Bruet , veuve de Clement-
Jofeph de Groffolles , Comte de Flamarens,
Colonel d'Infanterie , eft morte dans fon Château
de Buzet en Guyenne le 30 Mars , âgée de
foixante & un ans.
Louis Marquis de Melun , Comte de Nogentle
Roi , eft mort fans pofterité à Paris le 29 Avril
1763 , âgé de foixante ans ; il étoit neveu de Louis
Marquis de Melun-Maupertuis , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Grand-Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , Gouverneur
de la Ville , Province & Comté de Toul en Lor-
1aine , & Commandant de la premiere Compagnie
des Moufqueraires de la garde du Roi , L'an
& l'autre de la branche cadette de la maiſon de
Melun , dite de la Borde- le-Vicomte , dont il ne
refte plus depuis l'extinction de la branche aînée
arrivée par le décès de Louis- Gabriel Vicomte de
Melun , dernier Prince d'Epinai le 21 Août 1739,
que deux mâles actuellement fans alliance qui
font Adam , Joachim , Marie, Vicomte de Melun
& Alof Claude Marie Comte de Melun
fon frère cadet , tous deux Seigneurs de Brumets
& coufins du Marquis de Melun , qui les a fait
par fon teftament héritiers de tous les biens par
fubftitutions .
De WARSOVIE le 26 Avril 1763.
On a appris par les dernières nouvelles de Mittau
, que le Prince Charles , Duc de Courlande ,
JUILLET. 1763. 177
s'étoit enfin déterminé à quitter cette Ville , &
qu'il n'attendoit pour partir que le retour du Chambellan
de Borch qui a dû arriver le 25 de ce
mois.
De VIENNE, le 4 Mai 1763 .
Hier , Sa Majefté Impériale & Royale admit
dans l'Ordre de la Croix de l'Etoile , Louife - Henriette-
Gabrielle de Lorraine , Princeffe de Turenne
, & Françoile de Lorraine , Princeſſe de
Marfan .
De DRESDE , le 31 Mars 1763.
Jofeph-Marie , Prince de Saxe , troifiéme Fils
de Son Alteffe Royale le Prince Héréditaire ,
eft mort aujourd'hui dans la dixième année de fon
âge.
De RATISBONNE , le 27 Avril 1763.
Le Prince Clément de Saxe , a été élu aujour
d'hui par le Chapitre pour remplir le Siége
Epifcopal de cette Ville. Le 18 de ce mois , il a
été élu d'une voix unanime Evêque- Prince de
Freyfingen.
On a publié ici deux Articles fecrets du Traité
de paix conclu à Hubertzbourg entre l'Impératrice-
Reine & le Roi de Prufle . En voici la teneur
.
ဘ
ARTICLE I. Sa Majefté le Roi de Pruffe , Elec-
»teur de Brandebourg , defirant donner à Sa
» Majefté Apoftolique l'Impératrice - Reine de
Hongrie & de Bohême , une preuve de for
amitié & de la fatisfaction qu'Elle a d'entrer
dans ce qui pourroit être agréable à cette Prin
» ceffe , promet de donner la voix à Son Altese-
» Royale l'Archiduc Joſeph , à la future élection
→ d'un Roi des Romains ou d'un Empereur.
ART. II. » Sa Majefté l'Empereur & Sa Ma
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
» jefté l'Impératrice- Reine , ayant arrêté , par ,
» une convention avec le Séréniffime Duc de
>> Modéne , le mariage d'un des Archiducs Cadets
avec la Princelle de Modéne , petite- fille du
fufdit Duc , & s'étant déterminés à s'adreffer
dans le temps à l'Empereur & à l'Empire pour
l'expectative de la fucceffion des Etats de Mo-
»déne en faveur de celui des Archiducs qui
»époufera ladite Princeffe , Sa Majesté le Roi
» de Proffe , qui fe fait un plaifir de ſe prêter
>>
•
autant qu'il dépend de lui , à tout ce qui peut
plaire à Leurs Majeftés Impériales s'engage
→ dès ce moment & pour toujours à donner fa
» voix pour cet effet , fi le cas y écheoir , & Leurs
» Sufdites Majeftés affurent de leur côté S. M.
» Pruffienne de leur reconnoiffance & du defir
> fincère où Elles font de lui donner des marques
» de leur amitié dans toutes les circonftances
» que les occafions pourront leur fournir.
Au bas de ces deux Articles , il eft dit qu'ils
auront la même force que s'ils avoient été inferés
dans le corps même du Traité.
De ROME , le 27 Avril 1763,
Le Cardinal Spinelli , Doyen du Sacré Collége ,
Evêque d'Oftie , & Préfet de la Propagande
eft mort le 12 de ce mois , âgé de foixante neuf
ans ; il laiffe un neuviéme Chapeau vacant dans
le Sacré Collège.
Le Cardinal Paloucci ayant envoyé font Auditeur
à Sa Sainteté pour la fupplier de le difpenfer
d'accepter le Décanat , parce que fes
infirmités ne lui permettoient pas d'en remplir
les fonctions ; le Souverain Pontife a conféré ce
Décanat , ainfi que l'Evêché d'Oftie qui y eft attaché,
au Cardinal Cavalchini , Dataire,
C
JUILLET. 1763. 179
De VENISE , le 23 Avril 1763.
Marc Fofcarini , Doge de cette République
eft mort le 30 du mois dernier , âgé de foixantefept
ans . Il n'a occupé le Siége Ducal que pendant
l'espace de dix mois.
Eloy Mocenigo , Chevalier de l'Etole d'Or ,
Procurateur de S. Marc , & ci -devant Ambaffadeur
de la République près des Cours de Versailles ,
de Naples & de Rome , fut élevé le 19 de ce
mois , à la dignité de Doge de cette République ,
& le lendemain , la Cérémonie de fon Couronnement
fe fit avec la pompe accoutumée.
De LONDRES , le 13 Mai 1763.
Le Comte de Hertford a bailé la main du Roi
pour remercier Sa Majeſté de l'avoir nommé à
l'Ambaffade de France.
Le Duc de Nivernois , ayant obtenu de Sa
Majefté Très-Chrétienne fes Lettres de rappel ,
a pris congé du Roi le 4 de ce mois , & le lendemain
il a pris congé de la Reine.
•
On affure que le mariage de la Princeffe Augufte
avec le Prince Héréditaire de Brunſwick ,
eft abfolument arrêté , & que ce Prince ne tardera
pas à paffer en Angleterre.
M. Raulin , Médecin ordinaire du Roi , connu
par les Ouvrages , & déja de plufieurs Académies ,
fut reçu le 12 du mois de Mai , Membre de la
Société Royale de Londres.
De LIEGE , le 21 Avril 1763 .
Voici la relation de ce qui s'eft paffé de la part
du Commiffaire Impérial , à l'occafion de la
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
double élection faite par le Chapitre pour remplir
le Siege Epifcopal de cette Ville . Le jour
de l'élection ayant été fixé au 20 , le Comte de
Perghen , Commiflaire Impérial , s'eft rendu
hier au Palais avec fon cortége , vers les dix ou
onze heures du matin pour attendre , fuivant
l'ufage , que le Grand Chapitre lui fit notifier
dans les formes requifes le choix qui auroit été
fait. A environ une heure , quatre Capitulaires ,
revêtus de leur habit Eccléfiaftique , font venus
annoncer au Comte de Perghen , qu'une élection
non - Canonique ayant été faite en faveur du
Comte d'Outremont , eux & leur parti avoient
non-feulement protefté folemnellement contre
cet Acte , mais avoient fait auffi une élection Canonique
en faveur du Prince Clément de Saxe :
ils ont ajouté qu'ayant demandé pendant la tenue
du Chapitre qu'on enregistrât leur proteftation
& l'élection qu'ils avoient faite , & n'ayant pu
obtenir ni l'un ni l'autre , ils venoient réclamer ,
au nom de tout leur parti , l'autorité du Commiffaire
Impérial pour foutenir la réſolution
qu'ils avoient cru devoir prendre. Peu de temps
après , le Grand Bailli du Chapitre eft venu , au
nom de ce Corps , notifier au Commiffaire Impérial
que l'éleicton venoit de ſe faire , à la pluralité
des fuffrages , en faveur du Comte d'Outremont.
Comme le Grand Bailli ne faifoit aucune
mention de la proteſtation & de l'élection
faites en faveur du Prince Clément de Saxe ,
les quatre Capitulaires , qui étoient préfens , ont
renouvellé leur proteftation devant le Comte de
Ferghen , & ont foutenu que leur élection étoit
feule Canonique. Ils ont ajouté à cela qu'ils en
appelloient à la décifion du Pape , & ont prié le
Commiffaire Impérial de ne point approuver par
JUILLET. 1763. 181
fa préfence à l'Eglife la prétendue élection du
Comte d'Outremont. Il y a eu là - deſſus des conteftations
très- vives entre le Grand Bailli & les
quatre Capitulaires. Sur ces entrefaites , on a
appris que les deux partis du Chapitre venoient de
proclamer a l'Eglife , l'un le Comre d'Outremont ,
& l'autre le Prince Clément . Ces contrariétés ont
convaincu le Commillaire Impérial qu'il y avoit
un fchifme déclaré : il a témoigné aux quatre Capitulaires
& au Grand Bailli combien il devoit lui
être fenfible de n'avoir pû , malgré les exhortations
réitérées , réunir les efprits & prévenir toute
fciffion. Il a déclaré en même temps à tous que la
décifion fur la canonicité ou non-canonicité de
l'une & de l'autre de ces deux élections appartemant
au Saint Siége , il ne devoit , ni ne pouvoit ,
avant la décision du Juge compétent , reconnoître
pour Prince l'un des deux élus ; que par cette
railon , il s'abſtien froit de ſe rendre à la Cathédrale
pour la collation du Temporel . En conféquence
, le Comte de Perghen , fidéle à l'impartialité
que lui prefcrivoit fa commiffion , a pris
le parti de s'en retourner à fon Hôtel avec le cortége
qui l'avoit accompagné au Chapitre.
FRANCE. 1
Nouvelles de la Cour , de Paris, &c.
De VERSAILLES , le 11 Mai 1763.
Le Duc de Nivernois ayant rempli l'objet de
E
fa miffion à Londres , & fa fanté fe trouvant fort
dérangée , le Roi a bien voulu lui acc order fon
182 MERCURE DE FRANCE.
rappel . Sa Majesté a nommé pour le remplacer
le Comte de Guerchy , Lieutenant - Général de fes
Armées , Colonel de fon Régiment , Chevalier de
fes Ordres & Gouverneur d'Huningue. Le 17 du
mois dernier , ce nouvel Ambaſſadeur a remercié
le Roi dans fon Cabinet. Il a été préſenté par le
Duc de Praflin , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
Département des Affaires Etrangeres.
Le Duc de Choiſeul a préſenté au Roi deux
Cartes qui comprennent la frontière du Dauphiné
& le Comté de Nice. Le Duc de Praflin a préſenté
à Sa Majesté les Cartes de nouvelle limitation
réglée entre Sa Majefté & le Roi de Sardaigne ,
par le Traité du 24 Mars 1760 , par rapport aux
frontieres refpectives des deux Etats. Ces Cartes ont
été levées géométriquement fous la direction du
fieur de Bourcet , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , & dreffées par le fieur Villaret , Capitaine-
Ingénieur , Géographe de Sa Majefté .
Le 17 du mois dernier , leurs Majeſtés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du
Duc de Beauvilliers avec Demoiſelle de Fleury.
Le même jour , la Comteffe de Montboiffier a été
préſentée à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par la Vicomteffe de Montboiffier.
Dame d'Elparbés de Luffan , Religieufe du Monaftère
de Paradis dans le Diocète de Condom •
a été nommée par le Roi au Prieuré de Prouillan ,
Ordre de Saint Dominique , dans le même Diocèſe
, vacant par la mort de la Dame du Bouzer
de Poudenas.
Sa Majefté ayant jugé à propos de rappeller le
* fieur Durand , fon Miniftre près le Roi & la Ré---
publique de Pologne , pour lui confier le Dépôt
des Affaires Etrangères , a nommé pour le remplacer
, en qualité de Réfident , le fieur Henin ,
t
JUILLET. 1763 . 183
Secrétaire d'Ambaffade du Marquis de Paulmy.
Le ro du mois dernier, Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage de
Paul- Charles Marie, Marquis de Lomenie , ci-devant
Capitaine au Régiment de la Reine , Dragons
, avec Marie Therefe Poupardin- d'Amanly.
Le 23 , celui du Marquis de la Rochefoucault-
Maumont de Magnat avec Demoiselle de Fougeu
; le 24 , celui du Marquis de Sablé , fils dur
Marquis de Croify , avec Demoiſelle de la Roche
-de- Rambure ; celui du Comte de Luppé avec
Denroifelle de Butler ; & celui du Comte de
Mellet avec Demoiſelle le Daulfeur. Le premier
de ce mois , celui du Comte de Vogué avec Demoiſelle
Jeanne- Magdeleine- Thereſe de Sourches
; & celui du Marquis de Sade avec Demoifelle
Cordier de Montreuil.
Le Marquis de Sablé a obtenu la furvivance de
la Charge de Capitaine des Gardes de la Porte ,
dont le Marquis de Croiffy fon père eft pourvu.
Le 25 du mois dernier , la Comteffe de Gramont
fut préfentée à Leurs Majeftés , ainſi qu'à la
Famille Royale , par la Ducheffe de Gramont.
Le 30 la Marquise de Sablé fut préſentée à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,par la Marquife
de Croiffy , fa belle-mère.
Le 4 de ce mois , la Comteffe de Luppé fut
préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par la Marquife de Melmes .
Le Roi a érigé , en faveur du fieur de Villette
la Terre du Pleffis- Longeau , &c . , en Marquifat'
avec le nom de Villette .
Le Roi a nominé fon Miniftre Plénipotentiaire
auprès du Roi de Portugal le Chevalier de Saint-
Prieft , Exempt d'une Compagnie des Gardes - du-
Corps de Sa Majeſté.
184 MERCURE DE FRANCE .
Le 8 , les Officiers de la Compagnie des Secré
taires du Roi , eurent l'honneur de préſenter une
bourſe au Roi dans le Cabinet de Sa Majeſté le
fieur Lévêque , Syndic de la Compagnie , porta
la parole.
Le fieur Camus , de l'Académie Royale des
Sciences , ayant été nommé conjointement avec
le fieur Bertoud , habile Horloger de Paris ,
pour afſiſter au rapport que la Société Royale de
Londres doit faire de la Machine d'Horlogerie da
fieur Harriſon , cet Académicien a eu l'honneur ,
en cette qualité , de prendre congé de Sa Majesté
le 24 du mois dernier. La Machine du fieur Harrifon
a pour objet de faciliter la détermination des
longitudes en mer: les épreuves qui en ont été
faites ont eu beaucoup de fuccès , & ont engagé le
Parlement d'Angleterre à accorder une récompenfe
confidérable à l'Inventeur.
De MARLY , le 18 Mai 1763.
Le 15 , le Marquis de Sablé a prêté ferment
entre les mains de Sa Majeſté , pour la Charge
de Capitaine des Gardes de la Porte dont il a
la furvivance. Le même jour , Leurs Majeſtés
& la Famille - Royale ont figné le Contrat de
Mariage du fieur de Barentin & de Dile de
Maffon de Meflé .
De PARIS, le 13 Mai 1763.
Le 13 Avril , le Corps de Ville , à la tête
duquel étoit le fieur de Pontcarré de Viarmes ,
Prévôt des Marchands , fe tranſporta a l'Hôtel
de Lamoignon , rue Pavée , où il fit l'ouver
ture de la nouvelle Bibliothèque Publique que
l'on a déja annoncée. Le Duc de Brillac , Pair
& Grand Pannetier de France , Chevalier des
Ordres du Roi , & Lieutenant - Général de ſes
JUILLET. 1763. 185
au Armées , nommé pour préfider cette année,
Chapitre de l'Ordre de S. Michel , s'eft rendu
le 9 de ce mois , à la Grand'Salle des Pères
Cordeliers de cette Ville . Là , revêtu du Manteau
& du Collier des Ordres du Roi , & ayant à
fes côtés le fieur Chendret , Héraut , & le fieur
Perfeville , Huifier defdits Ordres , en habit de
cérémonie ; il reçut Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , le fieur Brochier , Ecuyer , premier Secré
taire du Comte de Rochechouart , Miniftre plénipotentiaire
du Roi à la Cour de Parme. Le
Duc de Briffac aſſiſta enſuite , avec tous les Chevaliers
qui fe trouvoient préfens , à la Grand'-
Meffe qui fe célébre tous les ans dans l'Eglife des
Pères Cordeliers , en mémoire de l'apparition
de S. Michel.
On a appris de Lisbone , que Don Vincent
de Souza Coufinho , Miniftre plénipotentiaire du
Roi de Portugal , auprè; du Roi de Sardaigne
a été nommé par Sa Majefté Très-Fidèle , pour
venir réfider en la même qualité auprès du
Roi.
Le fieur Meffier , habile Aftronome , obfervant
à l'Obfervatoire Royal de la Marine , à l'Hôtel
de Clugny , le 29 Avril , à une heure quarantehuit
minutes du matin , a apperçu un globe de
feu , à la hauteur d'environ douze degrés fur
l'Horifon & à l'Orient de Paris , traînant une
longue queue lumineuſe , comme le fillon que
trace en l'air une fufée volante : fon diamétre
apparent étoit environ le tiers de la Lune , &
fa couleur étoit d'un rouge vif. La Lune qui
étoit alors fur l'Horifon , effaçoit une grande partie
de la lumière de ce Météore qui , dans une
nuit obfcure , auroit répandu une lumière confidérable
dans l'Atmosphère. Ce globe parut tome
186 MERCURE DE FRANCE.
ber prefque perpendiculairement , en employant
dans fa chute jufqu'à l'Horiſon environ quatorze
fecondes de temps. Le Ciel étoit pour lors prefque
totalement couvert , le vent au Sud- Oueſt
& le Barometre étoit à la hauteur de vingtfept
pouces fix lignes.
On écrit de Nancy , que le même jour , à une
heure & demie du matin , le même globe de
feu y a été obfervé. Ce globe n'a été apperçu
qu'un inftant à l'Oueft de Nancy , fort près de
l'Horifon , & traînant une queue brillante qui
auroit jetté une lumière très-conſidérable fi elle
n'avoit été effacée par celle de la Lune.
On vient d'apprendre la malheureuſe nouvelle
d'un incendie qui a détruit plus de la moitié de
la petite Ville d'Hirfon , appartenante au Prince
de Condé , & fituée dans la Généralité de Soiffons ,
Election de Guife . Le 23 du mois dernier , à cinq
heures du foir , le feu prit à la maiſon d'un
Couvreur , les flammes excitées par un vent du
Nord très-violent , fe portèrent , en moins d'une
demic heure , d'une extrémité à l'autre de la
Ville , & s'attachèrent en fept ou huit endroits
différens , avec une telle impétuofité , qu'en moins
de deux heures , plus de trois cens Bâtimens
furent entiérement confumés avec tous les meubles
, grains , fourages & effets qui s'y trou
voient enfermés , fans qu'il eût été poffible de
retirer du plus grand nombre de ces maifons ,
ni les papiers des Notaires & des Employés des
Fermes , ni même l'argent comptant. On regarde
comme un grand bonheur , qu'un enfant feul air
péri dans les flammes. Les Officiers & les principaux
Habitans du lieu , ont dreflé un Procèsverbal
de la perte que cet incendie a occafionnée ,
& l'eftimation monte à quatre cens quarante &
un mille fept cens vingt - une livres.
JUILLET. 1763 . 187
Un femblable malheur eft arrivé le premier
de ce mois , au Village de Perrigny , Bailliage
d'Auxonne , où cinquante maiſons ont été confumées
par le feu.
Le vingt - huitième Tirage de la Loterie de
l'Hôtel- de- Ville s'eft fait le 25 du mois dernier ,
en la manière accoutumée. Le Lot de cinquante
mille livres eft échu au numéro 8694 ; celurde
vingt mille livres au numéro 11093 ; & les deux
de dix mille livres aux numéros 5978 & 7110 .
Les de ce mois , on a tiré la Loterie de
l'Ecole Royale Militaire. Les Numéros fortis de
la Roue de Fortune , font , 7 , 19 , 34 , 56 , 59.
Le prochain Tirage fe fera le 16 Juin .
-
MORTS.
Marie Charlotte Quantin de Riche-Bourg
Epouſe d'Antoine Arnauld de la Briffe , premier
Préfident du Parlement de Bretagne , eft morte
à Rennes de 2 Avril.
-
·
Jeanne-Marie Dupleffis Châtillon , Veuve de
Philippe Charles , Comte d'Etampes , Marquis
de la Ferté Imbault , Brigadier des Armées du
Roi , Capitaine des Gardes-du- Corps de feu Son
Alteffe Royale Monfeigneur le Duc d'Orléans ,
Régent du Royaume , eft morte à Paris le 18
du même mois , dans la quatre-vingtième année
de fon âge.
Paul , Comte de Lafcaris Vintimille ,
eft mort
à Aix , dans la foixante- feptiéme année de
fon âge.
Jean-Pierre Verduffen , habile Peintre dans le
genre des Batailles , eft mort à Marſeille , le
31 Mars dernier . Il laiffe une riche collection.
de Tableaux à Avignon , où cet Artiſte faifoit fa
réfidence .
188 MERCURE DE FRANCE.
Marie-Thérèfe -Gilette Loquet de Grandville ,
Maréchal- Duchelle Douarière de Broglie , veuve
de François- Marie , Duc de Broglie , Maréchal
de France , Commandant d'Alface , Gouverneur
des Ville & Citadelle de Strasbourg , &c , eft
morte en cette Ville le 4 Mai , âgée de foixantedouze
ans.
Charles - Jean - Pierre Barentin , Comte de
Montchal , Brigadier des Armées du Roi , ancien
Capitaine- Lieutenant des Gendarmes de Flandres
, eft mort en Auvergne , le 16 Avril , âgé
de 59 ans.
Marie-Anne de Haraneder , veuve du Vicomte
de Bellunce , & mère du Vicomte de ce nom
Gouverneur de Saint - Domingue , eft morte à
Saint- Jean-Pied- de - Port , dans la foixante - troifiéme
année de fon âge.
NOUVELLES
POLITIQUES
Du mois de Juillet 1763.
De Moscov , le 11 Mai 1763.
LE & de ce mois le Baron de Breteuil , Miniftre
Plenipotentiaire de France , a eu fes Audiences
de congé de l'Impératrice; & il a obtenu
de Sa Majefté Impériale la permiffion de lui
faire fa cour jufqu'au moment où il doit partir.
De WARSOVIE , le 1 Mai 1763 .
" Le Prince Charles a quitté Mittau d'où il
s'eft rendu à Bialyftock . Ce Prince doit aller re-
' joindre Sa Majesté à Dreſde , où elle eft arrivée
le 30 du mois dernier.
JUILLET. 1763. 189
L'Emiflaire que le Prince de Moldavie a envoyé
ici pour terminer l'accommodement propolé
avec le Kan de Tartares , eft parti depuis
quelques jours pour Baiyitek . li compre y recevoir
la réponse de ton Prince avec l'acquiefcement
du Kan aux propolitions des Polonois . Le
Grand--Trétorier a dépoté une fomme de 15000
ducats & l'on regarde cette affaire comme
finie.
→→
De BERLIN , le 7 Mai 1763.
Depuis la ratification du Traité de Paix entre
le Roi de Prufe & l'Impératrice Reine , ies
Plénipotentiaires respectifs des deux Puiffances ons
figné un Acte féparé dont voici la teneur.
Sa Majefté l'Impératrice Reine Apoftolique
de Hongrie & de Bohême , & Sa Majefté le
Roi de Prufle , étant convenus par l'Article XX .
du Traité de Paix conclu entre elles , & daté
du 15 Février 1763 , de comprendre dans ce
Traité de Paix leurs Alliés & Amis ; & s'étant
réſervé de les nommer dans un Acte féparé qui
auroit la même force que ledit Traité principal ,
& qui feroit également ratifié par les Hautes-
Parties contractantes. Sa Majesté l'impératrice
Reine Apoftolique de Hongrie & Bohême & Sa
Majefté le Roi de Pruffe ne voulant point différer
de faire connoître leurs intentions à cetégard,
déclarent qu'elles comprennent nommément &
expreflément dans le fufdit Traité de Paix du 15
Février 1763 , leurs Alliés & Amis ; fçavoir, de la
part de Sa Majefté l'Imperatrice Reine Apoftolique
de Hongrie & de Bohême , Sa Majesté le Roi
Très-Chrétien , Sa Majefté le Roi de Suede ,
Sa Majefté le Roi de Pologne , Electeur de Saxe
& tous les Princes & Etats de l'Empire qui ſont
190 MERCURE DE FRANCE .
ou fes Alliés ou fes Amis ; & de la part de
Sa Majesté . Pruffienne , le Roi de la Grande-
Bretagne , Electeur de Hanovre , le Séréniffime
Duc de Brunfwick- Lunebourg , & le Séréniſſime
Landgrave de Heffe Caffel ,
Les Hautes-Parties contractantes comprennent
auffi dans le fufdit Traité de Paix du 15 Février
1763 , Sa Majefté l'Impératrice de toutes les
Ruffies en vertu des liens d'amitié qui fub
fiftent entre - elle & fes deux Hautes- Parties
contractantes , & de l'intérêt que Sadite Majefté
a témoigné prendre au rétabliffement de la
tranquillité en Allemagne .
En foi de quoi , Nous , les Plénipotentiaires
de Sa Majesté l'Impératrice Reine & de Sa Majefté
le Roi de Prufle , avons , en vertu de nos
pleins pouvoirs & inftructions , figné le préſent
Acte , qui aura la même force que s'il étoit inféré
mot pour mots dans le Traité de Paix du
15 Février 1763 , & qui fera également ratifié
par les Hautes- Parties contractantes . Fait à
Drefde le 12 Mars & à Berlin le 20 Mars 1763 :
L'exemplaire de la Cour de Vienne eft figné ,
Henri-Gabriel de Collenbach , & de celai de
Berlin , Ewald- Fréderic de Hertzberg.
De RATISBONNE , le 10 Juin 1763.
Suivant les nouvelles de Wetzlar , lé 8 de
ce mois , à deux heures du matin , il y eut dans
cette Ville une allarme générale caufée par l'ar
rivée imprévue d'un corps de troupes au fervice
de Heffe- Darmstadt. Ce corps , compofé del
deux Régimens d'Infanterie de troupes réglées .
de quatre Bataillóns de Milice & de cinq cens
hommes , tant Cavaliers que Dragon's & Huf
fards , aprés avoir enfoncé les potres de la Ville ,
JUILLET. 1763. 191
& s'être affurés de fes principales avenues , entra
de force dans les mailons des Bourgue-Maître ,
Sénateurs & Bourgeois , & fe faifit de feize Magiftrats
qui furent obligés de répondre devant
les Députés commis à cet effet par le Land
grave. Cet événement a répandu ici la plus
grande confternation . Toute la Ville eft remplie
de troupes qui ont amené avec elles trente
pieces de canons chargés à cartouches , Il y a
dans plufieurs maifons foixante - dix à quatrevingt
hommes , & à l'exception de la pofte ,
perfonne n'ofe fortir de la Ville . On attribue les
motifs de cette éxécution à l'événement fuivant.
Après la conclufion de la Paix , les troupes
alliées , au nombre de fix cens hommes , ayant
dirigé leur marche par cette Ville , attaquérent ,
avec le fecours de la Garnifon & de quelques
Bourgeois , les troupes de Heffe - Darmstadt ,
qui furent repouffées & dont l'Officier Com
mandant fut maltraité par le Bourge- Maître &
par quelques Sénateurs . Le Landgrave demanda
fatisfaction de cette injure au Magiftrat
mais n'ayant pu l'obtenir , ce refus le détermina
à en venir à des voies de fait . Il y a eu
à ce fujet , ce matin entre huit & neuf heures.
une féance extraordinaire des Affelleurs de la
Chambre ; mais on n'en fçait point encore le
réfultat.
De MAYENCE, le 4 Juin 1763 .
Jean-Fréderic- Charles , Electeur de Mayence ,
Archi-Chancelier de l'Empire , eft mort aujourd'hui
dans la foixante- quatorziéme année de fon
âge ; univerfellement regretté. Il étoit de la
Maiſon des Contes d'Oftein , né le 6 Juin 1689
élu Archevêque de Mayence , le 22 Avril 1743
&Coadjuteur de Wors , le 7 Octobre 1748.
192 MERCURE DE FRANCE.
De VENISE, le 16 Mai 1763 .
Hier, le nouveau Doge a épousé avec les Céré
monies ordinaires , la Mer Adriatique.
De GESNES , le 14 Mai 1763 .
Les Rebelles étant venus au nombre de deux
cent , pour attaquer le pofte de l'Alguairla , ont
éte vigoureuſement repouflés , & ont perdu dans
cette action plus de quarante hommes , parmi
lefquels fe trouve un de leurs Chefs. Il y a eu à
Venaco , dans la Pieve de Bofio , une affaire plus
importante , dans laquelle les rebelles ont été
battus avec une perte fort confidérable. On a
appris en même tems , que les troupes de la Ré
publique fe font emparées de l'lfle Rolla , qu'occupoient
les Rebelles . On croit qu'il y aura eu le
12 une affaire générale , dont on attend la nouvelle
d'un moment à l'autre. .. !
Du 23 Mai 1763.
Nous apprenons que le Général Matra , aprés.
les deux affaires du i où nous perdîmes environ
deux cens hommes , tant morts que bleffés & déferteurs
, ne pouvant fubfifter à Aleria faute de
vivres , s'eft retiré vers la Baſtie . On a déja envoyé
de cette Ville des Batimens pour embarquer les
Troupes de ce Général ; une grande partie eft
arrivée dans cette place , & le refte y eft attendu
d'un moment à l'autre .
Du 6 Juin 17630.
On a appris que les rebelles , ayant forcé les
Troupes de la République de fe retirer d'Aleria ,
à la Baftie , s'étoient approchés de Calvicty avoient
caufé un grand dommage dans la Campagne,
d'où ils ne s'étoient retirés qu'après avoir fait
couper
JUILLET. 1763. 193
couper les Bleds encore en herbe . Suivant les
mêmes avis , Pafchal Paoli à fait attaquer par
quelques-uns des fiens le Village d'Algaiola , dans
lequel le Général Marra avoit laiffé foixante hommes
commandés par le Lieutenant Colonel Thonard
. Les rebelles ont été repouffés , mais font revenus
enfuite en plus grand nombre.
De TURIN , le Juin 1763 . 1
Don Vincent de Souza y Coutihno eft parti ce
matin pour Paris , où il va réfider en qualité de
Miniftre Plénipotentaire de Sa Majesté Très- fidelle
auprès de Sa Majeſté Très- Chrétienne,
De LONDRES , le 14 Juin 1763.
Lefieur d'Eon , Réfident de France en cette Cour ,
a eu l'honneur de préſenter à Sa Majeſté les fieurs
de la Condamine , Camus & de la Lande , Membres
de l'Académie Royale des Sciences de Paris ,
& de la Société Royale de Londres ; ces deux derniers
font depuis quelque tems en cette Ville par
Ordre de Sa Majefté Très- Chrétienne , pour examiner
les opérations relatives à la découverte de
la Longitude en Mer , objet qui fixe aujourd'hui
plus que jamais l'attention de l'Angleterre & de
la France.
On écrit de la nouvelle Yorck , du 18 Avril ,
que le Fort Sainte Marie fur le Lac fupérieur , le
Pofte François le plus avancé dans le Pays des
Sauvages du Canada ; a été réduit en cendres le
20 Décembre dernier avec les Cazernes & tout ce
qui s'y eft trouvé , fans qu'on ait pu découvrir ce
qui a occafionné cet accident. L'Officier Anglois
qui commandoit dans le Fort , a eu beaucoup de
peine à fe dérober aux flâmes , & il en a reçu plufieurs
atteintes en différentes parties du corps.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
On a reçu à Exeter quelques nouvelles de l'A
mérique , par lesquelles on apprend que les Indiens
des Côtes Nord & Nord - Oueft de Terre-
Neuve , ont brûlé & détruit des Etabliffemens
Anglois , formés dans le détroit de Belle- Ifle , visà-
vis de la Côte de Labrador.
1
D'AMSTERDAM , le 13 Juin 1763 .
1
Un Navire arrivé de Surinam , a apporté aux
Directeurs de la Colonie des Berbices , des Lettres
qui confirment la fâcheufe nouvelle du faccagement
de cette Colonie par les Négres révoltés. Le
Gouverneur du Fort a été réduit a la néceffité de
le faire fauter & de s'enfuir. L'établiffement des
Berbices n'eft pas ancien , & ne confiftoit guères
qu'en quatre-vingt ou cent plantations ; mais il
commençoit à faire des progrès fenfibles. Une
des caufes de cette révolte , paroît être le peu
d'attention qu'on a eu de remplacer les Blancs
qu'une maladie épidémique a fait périr depuis
près de deux ans dans cette Colonie , où le petic
nombre d'Européens qui y reſtoit , ne fuffifoit pas
pour veiller fur les Négres & leur en impofer. La
confternation a été fi grande à Timerary, qui n'eft
éloigné des Berbices que de douze à quinze lieues ,
que plufieurs Colons s'en font déja retirés . 11 eft
probable en effet que les rebelles s'y font portés ,
a moins qu'ils n'ayent été prévenus par les Anglois
de la Barbade , & par les Hollandois de Surinam
. On craint auffi beaucoup pour les plantations
d'y fequebo , éloignées des Berbices de vingtcinq
ou trente lieues feulement.
JUILLET. 1763 . 195
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 22 Juin 1763.
Le Vendredi 27 du mois dernier , la Cour a pris
un deuil de huit jours , pour le Margrave Frédéric
de Brandebourg Culmback , mort à Bareith , le
26 Février dernier .
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint- Efprit , s'étant affemblés , le 22
du mois dernier vers les onze heures du matin ,
dans le Cabinet du Roi , Sa Majesté fortit de fon
Appartement, pour aller à la Chapelle : Elle étoit
accompagnée de Monfeigneur le Dauphin , du
Duc de Chartres , du Prince de Condé , du Comte
de Clermont , du Prince de Conti , du Comte de la
Marche , du Comte d'Eu , du Duc de Penthieyre ,
du Prince de Lamballe , & des Chevaliers , Com
mandeurs & Officiers de l'Ordre. Sa Majefté , de
vant qui les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs Maffes , étoit en Manteau , le Collier
de l'Ordre pardeffus , ainfi que celui de la Toiſon
d'or. L'Evêque d'Orléans , Commandeur de
l'Ordre , officia ; & après la Melle chantée par la
Mufique du Roi, Sa Majefté fut reconduite à fon
appartement , en la maniere accoutumée.
Le 24 , le Comte de Cantillana , Ambaffa deur
Extraordinaire du Roi des Deux-Siciles , eut une
Audience particuliere du Roi , dans la quelle il
préfenta à Sa Majefté le Prince Sanfeverino , Miniftre
Plénipotentaire de Naples à la Cour de
Portugal. Il fut conduit à cette Audience , ainfi
qu'à celles de la Reine & de la Famille Royale ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
par le fieur Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Duc de Nivernois , de retour de fon Ambaffade
à la Cour de Londres , s'eft rendu ici le
29, & a été préſenté à Leurs Majeſtés & à la Famille
Royale , par le Duc de Praflin .
Le même jour , la Ducheffe de Bedfort a pris
congé du Roi , de la Reine & de la Famille Royale.
Le 30 , la Comteffe de Henneberg , après
avoir pris congé de la Cour , eft partie pour le
rendre à Luneville , & de là à Plombières.
Le 7 de ce mois , le Duc de Bedford , Ambaffadeur
Extraordinaire de la Cour de Londres , eur
une audience particulière du Roi , dans laquelle
il remit fes Lettres de Rappel & prit congé de Sa
Majefté.
Le fieurTiepolo , Ambaffadeur de la République
de Venife , en eut auffi une particulière , dans
laquelle il préfenta à Sa Majefté les fieurs Morofini
& Guerini , Ambaffadeurs de la même République
, revenans de la Cour de Londres. Le Duc de
Bedfort & le fieur de Tiepolo furent conduits à
cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine &
de la Famille Royale , par le fieur Dufort , Introducteur
des Amballadeurs.
Le même jour , le Comte Dubois de la Mothe
prêta ferment entre les mains de Sa Majesté en
qualité de Vice - Amiral ..
Les Députés des Etats d'Artois eurent le 9 audience
du Roi. Ils furent préfentés à Sa Majefté
par le Duc de Chaulnes , Gouverneur de la Province
, & par le Duc de Choifeul , Miniftre & Secrétaire
d'État de la Guerre & de la Marine , ayant
le Département de cette Province ; & conduits
par le Marquis de Dreux , Grand- Maître des Cérémonies
, & par le fieur Deſgranges , Maître
JUILLET. 1763. 197
des Cérémonies. La Députation étoit composée,
pour le Clergé , de l'Evêque de Saint Omer , qui
porta la parole ; du Marquis de Grény , pour la
Nobleffe ; du fieur Decanchy pour le Tiers - Erat.
Le même jour , la Comteffe de Sade fut préſentée
à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la Famille Royale,
par Mademoiſelle de Sens ; la Comtelle de Vogué ,
par la Marquife de Sourches , & la Marquise de
Miran , par la Comtelle de Marfan.
Le fieur de la Caze , fils , qui vient d'obtenir la
furvivance de la place de la première Préfidence de
Pau , a fait , en cette qualité , fes remercîmens au
Roi.
Le 12, Leurs Majeftés & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage du Duc de la Trémoille
avec la Princelle Marie de Salm .
Celui du Marquis du Tillet , Colonel du Régiment
Royal , avec la Dile de Pellar de Bebbral ;
le 13 , celui du Marquis de Montmirel avec la
Dame de Lanmary ; & le^ 21 , celui du Comte
d'Avrimenil avec la Demoiſelle de Furgen.
Le 13 , l'Evêque de Condom prêta ferment
entre les mains de Sa Majefté , & l'Evêque de
Lefcar le 18.
Le Roi a donné le Prieuré de S. Thomas de la
Bloutière , Ordre de S. Auguftin , Diocèfe de
Coutance , à l'Abbé d'Audiftret , ancien Vicaire-
Général & Official du Cardinal Ottoboni.
La Cour a pris le Deuil pour 8 jours à l'occaſion
de la mort de Marie- Victoire - Anne de Savoye ,
Princeffe de Carignan.
Le fieur Paffemant , Ingénieur du Roi , déja
connu par plufieurs ouvrages de Méchanique d'une
invention heureufe & d'un travail précieux , a eu
l'honneur de préfenter à Sa Majefté deux globes ,
Bun célefte d'un fond d'azur parfemé d'étoiles d'or,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'autre terreftre , & tous deux montés fur des ho
rizons & des confoles dorés ; avec un autre Ouvrage
de Méchanique éxécuté par les Diles Paffemant
fes filles , & repréfentant un Château élevé
fur une montagne couverte de divers objets , où
l'on remarque trente- deux figures mouvantes.
Le fieur de Saintfoix eut l'honneur de préfenter
, le 21 du nrois dernier , à Leurs Majeſtés , ainfi
qu'à la Famille Royale , une nouvelle Edition de
les Effais hiftoriques fur Paris.
. Le fieur Puget de Saint-Pierre a eu l'honneur
de préfenter , le 24 , à Monfeigneur le Duc de
Berry & à Monseigneur le Comte d'Artois l'Hif
toire des Drufes , Peuple du Liban , formé par une
Colonie de François , Ouvrage dont Monteigneur
le Duc de Berry a bien voulu accepter la Dédicace .
Le 29 , le fieur de Neuve- Eglife , ancien Officier
de Cavalerie , & le fieur Delagrange , Directeur
de l'Entreprife générale de l'Armée , Dépu
tés de la Société qui s'eft chargée de la compofi
tion du Corps complet de l' Agriculture , du Com-
& des Arts & Métiers de France , dédié au
Roi ; ont eu l'honneur de préfenter à Sa Majesté
& à Monfeigneur le Dauphin , le fecond Volume
de la partie de l'Agriculture & de celle du Corps
d'Obfervations de cette Société . Ces deux Volumes
font les derniers des fix qui doivent être donnés
au Public pour 1762 , fous le titre de l'Agronomie
& de l'Induftrie , & la Société ſe prépare à
faire faire la diftribution des neuf Volumes pour
1763.
merce ,
· Le même jour , le fils du feur Delpon , ancien
Capitaine de Dragons , âgé de cinq ans , & neveu
de l'un des Auteurs de l'Agronomie , a eu l'honneur
de préfenter à Monfeigneur le Comte d'Artois
les deux Volumes de cet Ouvrage , & ce
Prince a bien voulu lui permettre de faire , fous
JUILLET. 1763. 199
fon commandement les évolutions militaires.
L'Abbé de Burle de Réal de Curbon , a eu l'honneur
de présenter à Leurs Majeftés , à Monseigneur
le Dauphin & à Madame Adélaide , la troifiéme
partie de la Science du Gouvernement , contenant le
droit public, Quvrage dédié à Monſeigneur le
Dauphin.
Le fieur de Vilevaulo , Maître des Requêtes , &
le fieur de Brequigny , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles- Lettres , ont préſenté à Sa
Majefté le dixiéme Volume des Ordonnances des
Rois de France de la troifiéme Race , recueillies
par ordre , chronologique. Ce Volume contient
les Ordonnances de Charles VI. données depuis
le commencement de l'année 1411 ,juſqu'à la fin
de l'année 14 18%.
" Le 19, de ce mois , l'Abbé Coyer a eu l'honneur
de préfenter à la Reine , à Monfeigneur le Dauphin
& à Meldames , un Difcours qu'il a prononcé
le & Mai dernier pour fa réception à l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de Nancy.
>
Sa Majefté , par fupplément à la derniere!
Promotion vient de nommer au grade de
Maréchal de Camp , le feur Thomaflin , Capitaine
d'une Compagnie d'Ouvriers ; le Mar
quis d'Efquelbecq , Sous-Lieutenant des Chevaux-
Légers du Roi ; le fieur de la Roque , Lieutenant-
Colonel du Régiment de Cavalerie de Chartres ;
le fieur de Roquemore , Lieutenant- Colonel du
Régiment d'Infanterie de la Reine ; le Chevalier
de Montreuil , Lieutenant Colonel d'Infanterie ;
le fieur de Luberfac , Sous- Lieutenant des Chevaux-
Légers du Roi ; le Marquis de Tracy ,
Capitaine- Lieutenant des Gendarmes de Flandre :
le Marquis de Torcy , Capitaine- Lieutenant des
Chevaux - Légers de Monfeigneur le Dauphin :
I iv
200 MERCURE DE FRANCE :
le Marquis de Clermont-Tonnerre , Meftre- de
Camp- Commandant du Régiment du Meftrede-
Camp-Général de la Cavalerie : le fieur de
la Source , Major du Régiment de Cavalerie
d'Artois ; le Comte de Jaucourt , Capitaine
Lieutenant des Gendarmes d'Orléans ; Ïe Marquis
de Foffeufe , Capitaine- Lieutenant des Gendarmes
de la Reine ; le Comte de Sommievre ;
Capitaine-Lieutenant des Chevaux-Légers de la
Reine ; le Comte de Puyfegur Colonel du
Régiment de Normandie ; le Marquis de Timbrune
, Colonel du Régiment de Vermandois ;
le Comte de la Tour-du Pin -Paulin , Colonel
lu Régiment de Piémont ; le Comte de Chabrillant
, Meftre- de-Camp d'un Régiment de
Dragons ; le Marquis de Villeroy , Colonel du
Régiment de Lyonnois ; le Comte de Chabot ,
Meftre-de Camp du Régiment Royal- Etranger
le Marquis de Boufflers , ci- devant Colonel du
Régiment d'Infanterie de Monfeigneur le Dau
phin ; le Comte de Conflans , Colonel d'un Régiment
de Dragons , Chaffeurs ; le Comte de
Durfort , Colonel du Régiment de Picardie ; le
Comte de Schonberg , Meftre- de-Camp d'un
Régiment de Dragons ; le Comte de Choifeulla-
Baume , Meftre- de-Camp d'un Régiment de
Dragons ; le fieur de Valliere , Colonel de la
Légion Royale ; le fieur Charpentier d'Ennery ,
Meftre- de- Camp de Dragons ; le Chevalier de
Sarasfield , Meftre - de- Camp réformé de Cava-.
lerie ; le feur de Grand- Maiſon , Colonel des>
Volontaires du Haynault.
Le Roi a difpofé des Régimens vacans de la
maniere fuivante.
INFANTERIE .
Picardie le Comte " de Lévis , Colonel de
JUILLET. 1763 . 201
Royal-Rouffillon . Piémont , le Comte de Grave ,
Colonel du Régiment de Provence . Normandie,
le Comte de Hautefeuille , Colonel de Rouergue.
Lyonnois , le Marquis de Bouzols , Colonel
de Bourgogne . Royal-Rouffillon , le fieur
de Villeneuve de Trans , Capitaine au Régiment
du Roi. Rouergue , le fieur de Bloffet ,
Capitaine au Régiment du Roi . Vermandois , le
fieur de Malartic , Major de Royal - Comtois.
Provence , le Chevalier de Virieu , Exempt des
Gardes du Corps . Bourgogne , le fieur de Luker
Capitaine du Regiment de Fitz -James.
TROUPES LÉGÉRES.
Légion Royale , le Marquis de Nicolay- Dolny,
Meftre-de- Camp de Dragons. Légion du Hay
nault , le Baron de Viomefnil , ci- devant Colomel
du Régiment des Volontaires du Dauphiné.
CAVALERIE.
Royal- Etranger, le fieur de Vernaſſal , Capitaine
réformé du. Régiment de Languedoc , Dragons.
DRAGON´S
Choifeul , le Comte de Cuftine , Capitaine de
Schonberg. Chabrillant , le Chevalier de Mont
recler , Capitaine de Bauffremont . Nicolay , le
Chevalier de Lanans , Capitaine de Schonberg.
›
Le Roi a rendu une Ordonnance , du ƒ de ce
moi concernant la Gendarmerie. Suivant les
difpofitions qu'elle renferme, les dix Compagnies
des Gendarmes Ecoffois , Anglois , Bourguignons ,
de,Flandre , de la Reine , Dauphin , de Berry, de
Provence , d'Artois & d'Orléans feront confervées
fur pied & dans le même rang dont elles jouiffent
actuellement. Les fix Compagnies de Chevaux-
Légers de la Reine, Dauphin , de Berry , de Pro
Iv
262 MERCURE DE FRANCE .
vence , d'Artois & d'Orléans feront fupprimées &
incorporées dans les fix Compagnies de Gendarmes
qui font fous le même titre. Comme'il y aura
deux Officiers de chaque grade dans chacune des
fix Compagnies qui auront reçu cette incorporation,
le moins ancien de chaque grade fera réformé
. Chacune defdites Compagnies de Gendarmes
confervées formera à l'avenir un Efcadron ,
& continuera d'être commandée par un Capitaine-
Lieutenant, un Sous- Lieutenant & un Guidon ; il
fera établi trois Fourriers & douze places de Gendarmes
Appointés ; au moyen de quoi chaque
Compagnie fera compofée de trois Brigadiers ,
trois Sous- Brigadiers , un Porte- Etendard , trois
Fouriers , douze Gendarmes Appointés , quatrevingt-
quatre Gendarmes & trois Trompettes. Il
fera établi dans l'Etat-Major deux Sous-Aides-
Majors de plus , qui auront rang de prémiers Maréchaux
des Logis , & deux places de Fourriers-
Majors , lefquels auront rang de derniers Maréchaux
des Logis. L'Etat- Major fera compofé d'un
Major- Inspecteur du Corps , d'un Aide-Major ,
de quatre Sous- Aides-Majors , deux Fourriers-
Majors , deux Aumôniers & d'un Timbalier, Sa
Majefté a auffi réglé de la maniere fuivante une
paye , qui fera la même en temps de paix & en
tems de guerre. A chaque Capitaine- Lieutenant ,
9500 livres par an ; à chaque Sous- Lieutenant
6500 liv . à chaque Enfeigne , 4000 liv . à chaque
Guidon , 3000 liv. à chaque Maréchal des Logis ,
1230 liv. à chaque Brigadier ou Sous- Brigadier,
648 liv . à chaque Porte- Etendard , 540 livres à
chaque Fourrier , 480 liv. à chaque Gendanine
Appointé , 378 liv , à chaque Gendarme , 324 liv.
à chaque Trompette, 396 liv. ETAT- MAJOR.
Au Major , pour tout traitement & frais d'inſpec- -
"
JUILLET. 1763. 2.03
tion , 12000 liv ; l'Aide-Major , 6000 liv, à chacun
des deux premiers Sous-Aides- Majors , 2000
liv. à chacun des feconds Sous-Aides-Majors ,
1600 liv. à chacun des deux Fourriers- Majors ,
1200 liv. au premier Aumônier , en fupprimant
la retenue qui fe faifoit en la faveur pour le
port
de la Chapelle , 1200 liv . au fecond Aumônier
720 liv. au Timbalier , 396 liv.
eux ,
"
Au moyen de ce traitement , toutes les penfions
attachées aux charges d'Officiers fupérieurs , de
ceux de l'Etat- Major & aux places d'anciens Maréchaux
des Logis , Brigadiers & Gendarmes.
ainsi que les gratifications accordées pour le détail
aux Officiers de l'Etat- Major, feront fupprimées ,
à commencer du jour de la nouvelle compofition.
Les Gendarmes qui auront fervi vingt ans , &
qui fe trouveront hors d'état de continuer leurs
fervices , auront le choix , ou d'être reçus à l'Hôtel
Royal des Invalides , comme Lieutenans de
Cavalerie , ou de fe retirer chez & non ailleurs
, avec leur folde entiere . Ceux qui n'auront
pas vingt ans de fervice , mais qui , pour raifon
de bleffures confidérables reçues à la guerre , feroient
hors d'état de continuer , feront auffi reçus
dans le mênte Hôtel comme Lieutenans , ou ſe
retireront chez eux avec la moitié de leur folde.
Ceux enfin qui n'auront vingt ans de fervice qu'au
moyen du temps qu'ils auront paffé antérieurement
dans d'autres Corps, pourront dans le même
cas être reçus dans le même Hôtel , comme Bas-
Officiers , ou fe retirer chez eux avec la moitié de
leur folde. Les Gendarmes excédans le nombre
fixé feront réformés , & il leur fera donné des
congés pour fe retirer chez eux , avec leurs habit ,
chapeau & épée , & 36 liv . de gratification . Cette
Ordonnance contient plufieurs autres difpofitions
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
relatives aux fonctions & au choix des Officiers
& Gendarmes , au prix des charges des Officiers
ſupérieurs , à l'habillement , au taux & au rembourſement
des brevets de retenue , &c.
De BELLEISLE , le 11 Mai 1763 .
Le Chevalier de Warren , Maréchal de Camp ,
nommé par le Roi pour commander les troupes
deftinées à reprendre poffeffion de cette Ile ,
ayant remis hier au Gouverneur Anglõis la let-:
tre par laquelle Sa Majeſté Britannique ordonne
que l'lfle , la Citadelle , le Fort , &c , foient re- .
mis entre les mains des François ; les Anglois fe
font retirés , & le Chevalier de Warren a pris poffeffion
de l'Ifle.
De PARIS , le 13 Juin 1763 .
Le 26 du mois dernier , le Roi fit dans la Plai
ne des Sablons la revue des Gardes Françoiſes &
des Gardes Suifles . Sa Majeſté paſſa dans les rangs,
& les deux Régimens défilérent devant Elle après.
avoir fait l'exercice. Madame la Dauphine , Mgr
le Duc de Berry , Mgr le Comte de Provence
Madame Adélaïde , Mefdames Sophie & Louiſe
ont affifté à cette revue , ainfi que le Prince de
Condé & le Prince de Lamballe .
Le Parlement ayant reçu , le 30 du mois der◄
nier , les Ordres du Roi par le Marquis de Dreux ,
Grand - Maître des Cérémonies , s'affembla le
lendemain 31 pour le Lit de Juſtice que Sa Majefté
avoir réfolu de tenir.
Vers les onze heures & demie du matin , le
Roi arriva ayant dans fon caroffe Monſeigneur
le Dauphin , Sa Majesté étoit accompagnée d'un
nombreux détachement de fes Gardes du Corps ,
du quartier des Gendarmes de fa Garde , de
celui des Chevaux-Légers & d'un détachement
JUILLET. 1763. 205
des Moufquetaires de chacune des deux Com
pagnies. Devant le Carroffe du Roi étoit le Vol
du Cabinet. Sa Majeſté deſcendit à là Sainte Chapelle
, où le Chancelier s'étoit rendu , Elle étoit
accompagnée du nombre ordinaire de Confeillers
d'Etat & des Maîtres des Requêtes : les Maré
chaux de France y étoient pareillement affemblés
, ainfi que les Chevaliers des Ordres , les'
Gouverneurs & Lieutenans- Généraux de Province ,
nommés par Sa Majefté pour avoir l'honneur
de l'accompagner: Le Duc d'Orléans , le Duc
de Chartres , le Prince de Condé , le Comte de
Clermont , le Prince de Conti & le Comte de
la Marche y avoient auffi devancé Sa Majesté.
Le Roi précédé de fa Cour , du Roi d'Armes &
des Hérauts , monta les degrés au fon des trompettes
, Hautbois , Fifres & Tambours de l'Ecurie
& de la Chambre. Deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes devant Sa Majesté.
Lorfque le Roi eut entendu la Meffe , qui fut
célébrée par un de fes Chapelains , quatre Préfidens
& fix Confeillers , députés par le Parle
ment , vinrent recevoir Sa Majefté , & la conduifirent
à la Grand'Chambre. Le Roi s'étant
affis fur fon Trône , & les féances ayant été
prifes , Sa Majesté fit enregiftrer deux Edits &
une Déclaration . Le Roi fortit enfuite dans le
même ordre qu'il étoit entré.
Sa Majefté trouva , ainfi qu'à fon arrivée , les
Gardes Françoifes & Suiffes qui formoient une
double haye dans les rues , fur le Pont- Neuf
& fur les Quais , depuis le Palais jufqu'à l'extrémité
du Quai des Thuilleries .
Les Pairs qui ont affifté à ce Lit de Juftice ,
font l'Archevêque Duc de Rheims , l'Evêque Duc
de Langres , l'Evêque Comte de Noyon , les Ducs
206 MERCURE DE FRANCE .
de Sully , de Luynes , de Briffac , de Richelieu ,
de Rohan- Chabot , de Mortemart , de Trefmes
de Saint -Cloud , de Firs-James , de Chaulnes
de Rohan-Rohan , de Villars - Brancas , de Valentinois
, de Biron , de la Valliere , d'Aiguillon ,
de Fleury , de Duras . de la Vauguyon , de
Choifeul & de Praflin. Les Maréchaux de Balincourt
, Clermont - Tonnerre , d'Eftrées & de
Contades y ont eu féance
étant entrés avec
le Roi.
Le Prince de Rochefort nommé pour repréfenter
en cette occafion , le Grand Ecuyer de
France , a porté l'Epée Royale .
On a appris ici la mort de Marie- Victoire - Anne
de Savoye , titrée Mlle de Carignan , décédée
le 18 du mois dernier.
Cette Princefle née le 12 Février 1687 , étoit
fille d'Emmanuel- Philbert-Amédée de Savoye ,
Prince de Carignan en Piémont , mort le 23.
Avril 1709 , & d'Ange- Carherine d'Eft-Modene,
morte le 18 Juillet 1712 , & Soeur de Victor-
Amédée , Prince de Carignan , mort le 4 Août
1741 , Père de Louis - Victor-Amédée- Jofeph, aujourd'hui
Premier Prince du Sang de Sardaigne
& Prince de Carignan , & avoit pour Ayeul Thomas
François de Savoye , Prince de Carignan
l'un des fils de Charles- Emmanuel I. du nom ,
Duc de Savoye , furnommé le Grand , & Frère
pumé de Victor- Amédée , Duc de Savoye , Bif-
Ayeul de Sa Majefté le Roi de Sardaigne actuellement
régnant.
•
Le Lieutenant Général de Police & le Subfticus
du Procureur Général du Roi au Châteler , ayant .
repréſenté au Parlement , qu'il s'élevoit dans le
Public un murmure général , contre l'indifcrétion
de quelques-uns des partfans de l'inoculation de
JUILLET. 1763. 207
la petite vérole , contre les Inoculateurs & contreceux
qui , en attendant l'effet de l'Inoculation
qu'ils ont reçue, reftent fans précaution dans la
Société, le Parlement , d'après ces confidérations
& l'expofé des Gens du Roi fur le même fujet , la
rendu le 8 de ce mois un Arrêt qui ordonne que
la Faculté de Médecine de l'Univerfité de cette
Ville fera tenue de s'affembler pour donner
un avis précis fur l'inoculation , fes avantages ou
inconvéniens , & fur les précautions auxquelles
il conviendroit d'affujettir ceux qui pratiqueroient
l'inoculation ou qui la recevroient , fup-.
pofé qu'elle dût être permife ou tolérée ; que
cet avis feroit remis au Procureur Général du
Roi, pour être communiqué à la Faculté de Théologie
, qui s'affemblera en conféquence , & donnera
fuivant les ulages , fon avis fur le même objet ,
lequel fera de même remis au Procureur- Général,
pour être pris par la Cour , ſur ces avis ,
telles conclufions qu'il appartiendra : en attendant
, la Cour défend provifoirement à toutes
perfonnes de pratiquer l'inoculation , & de fe faire
inoculer dans les Villes & Fauxbourgs du reffort
du Parlement, & à celles qui auroient été inoculées,
de communiquer avec d'autres perfonnes que
celles qui font néceffaires à leur foulagement ,
depuis le jour qu'elles auront été inoculées jufqu'au
délai de fix femaines après leur guérifon.
Le vingt - neuviéme Tirage de la Loterie de
l'Hôtel- de-Ville , s'eft fait le 2 Mai en la maniere
accoutumée. Le Lot de cinquante mille liv.
eſt échu au Numéro 26161 , celui de vingt mille
livres au Numéro 39981 , & les deux de dix mille
livres aux Numéros 38880 & 37127 .
Le 6 Juin , on a tiré la Loterie de l'Ecole Royale
Militaire. Les numéros fortis de la roue de for208
MERCURE DE FRANCE.
tune , font , 40 , 65 , 43 , 15 , 5s . Le prochain
tirage fe fera les Juillet.
MARIAGES.
La célébration du mariage du Duc de la Tré--
moille avec la Princeſſe Marie de Salm s'eft faite
le 20 Juin en l'Eglife Paroiffiale de S. Jacques du
Haut- Pas. La bénédiction nuptiale leur a été donnée
par le Prince Colonne , Nonce de Sa Sainteté,
en préſence du fieur Cochin , Curé de ladite Paroiffe.
Le même jour , Charles- François-Céfar le Tel-:
lier , Marquis de Montmirel , Brigadier des Armées
du Roi , Capitaine- Colonel des cent Suiffes>
de la Garde ordinaire du Corps de Sa Majesté , &
Meftre-de-Camp du Régiment Royal- Rouffillon ,
Cavalerie , a épousé dans la Paroiffe de S. Gervais
Charlotte-Benigne le Ragois de Bretonvilliers
veuve de Marc-Antoine-Front de Beaupoil , Mar--
quis de Lanmary.
MORTS.
,
La Comceffe de Fontenois , veuve de François i
de Saint Blein , Marquis de Vaudremont , Colo-→
nel d'un Régiment de Cavalerie de fon nom ,
eft morte dans fon Château de Vaudremont en
Champagne
"
Louife- Magdeleine de Courtarvel de Pezé ,
épouſe d'Armand- Mathurin , Marquis de Vaſſé
Vidame du Mans , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , eft morte le 18 de ce mois au Châ-i
teau de l'lfle Savary près de Châtillon - fur- Indre , '
âgée de trente-cinq ans. Elle étoit fille de Hubert
de Courtarvel , Marquis de Pezé , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , Colonel - Lieutenant &
Inſpecteur du Régiment du Roi , Infanterie , Gou
JUILLET. 1763 . 209
verneur des Ville & Château de Rennes , ainfi que
du Château de la Muette , & défigné Chevalier
des Ordres de Sa Majefté , mort en 1734 des
bleffures qu'il avoit reçues à Guaftalla.
*
Marie- Judith de Champagne , épouse d'Anne-
Léon de Montmorency , Marquis des Foffeux
Capitaine Lieutenant des Gendarmes de la Reine ,
& Menin de Monfeigneur le Dauphin , eft morte
en cette Ville le 23 Mai , âgée de dix - huit ans.
Marie Bonne de Caffini , époufe d'Emmanuel-
Frederic , Marquife de Tana , eft morte en cette
Ville le 24 de ce mois.
L'Abbé de Verthamont , ancien Vicaire- Général
du Diocèse de Luçon , Abbé Commendataire
de l'Abbaye Royale de Neauffle-le-Vieux , Ordre
de Saint Benoit , Diocèfe de Chartres , eſt
mort ici le 29 Mai , âgé de cinquante- fept ans.
Magdeleine- Cécile de Saint- Pierre Saint Julien ,
fille de Henry-Euftache de Saint- Pierre , Marquis
de Saint-Julien , & époufe. d'Amaury , Marquis
de Goyon de Marcé , Maréchal des Camps &
Armées du Roi , eft morte en cette Ville le 26
Mai , âgée de trente- neuf ans,
Philippe Taboureau , veuve de Gabrielle Taf
chereau de Baudri , Confeiller d'Etat ordinaire &
Intendant des Finances , eft morte le 27 du même
mois , dans la foixante- quinziéme année de fon
âge.
Marie-Angelique-Fremyn , Ducheffe de Bran
cas , Dame d'Honneur de Madame la Dauphine ,
eft morte en cette Ville le 7 Juin , dans la quatre-
vingt- feptiéme année de fon âge. Elle étoit
veuve de Louis- Antoine de Brancas , Duc de Vil-'
lars , Pair de France , Chevalier des Ordres du
Roi & de celui de Saint- Janvier de Naples.
Charlotte-Catherine de Beaufort , époufe de
1
210 MERCURE DE FRANCE.
Jean de Boulogne , Commandeur des Ordres du
Roi , ancien Contrôleur - Général des Finances ,
eft morte au Château de la Chapelle- Godefroid
en Champagne , les Juin , âgée de foixante-trois
ans..
L'Abbé d'Afchembroeck , chargé des affaires de
l'Electeur de Cologne , eft mort le 8 du même
mois.
-
Magdeleine Françoiſe d'Apchier , veuve de
Louis de Grimoire de Beauvoir- Duroure , Marquis
de Grifac , mourut en cette Ville le 3 Juin , dans
la foixante- quatorz éme année de fon âge.
•
9
Catherine Middleton , veuve de Michel Comte
de Rothe , Lieutenant - Général des Armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , eſt morte à Paris , le 10 du même
mois âgée de foixante- dix-huit ans. Elle
étoit fille du Lord Charles , Comte de Middleton ,
Pair d'Ecoffe , premier Gentilhomme de la Chambre
de Charles II , & Secrétaire d'Etar , fous le
regne de Jacques II; & de Catherine Brudnell-
Cardigan , Gouvernante des Enfans d'Angleterre
Bonne d'Amaris de Briqueville de la Luzerne ,
époufe, de Paul- Louis-Jean -Baptifte Camille Savari
du Breves , Marquis de Farzé , ci- devant Gouvernante
des Enfans du Prince de Condé, eft
morte le 11 du même mois , dans la quarante¬
cinquième année de fon âge.
Pons de Roffer, Marquis de Rocozel , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Grand'Croix
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis ,
Gouverneur de Montlouis , ci-devant Commandant
en Chefdans la Province de Rouffillon , eft
mort le 12 du même mois , âgé d'environ foixan
te-quatorze ans.
JUILLET. 1763. 211
AVIS.
LE Sieur DEBURE , feul fabriquant de Papier
dans la Ville de Troyes en Champagne , eft parvenu
après quantité d'épreuves réitérées & de
dépenfes , à fabriquer du Papier auffi beau que
celui de Hollande , tant en blanc , qu'en bleu ,
bon teint , brun ,violet , rouge; & autres couleurs ,
Il a eu l'honneur d'en préfenter au Miniftre qui a
le département du Commerce. On ne fçauroit
donner trop d'éloges au hieur Debure . Sa découverte
fournit une reffource confidérable à notre
Commerce , puifqu'elle va faire ceffer l'obligation
où nous étions d'avoir recours à l'Etranger
pour nous procurer ces fortes de Papiers,
Les Perfonnes qui fouhaiteront s'en procurer ,
font prices de s'adreffer directement au fieur Débure
qui leur en fera bonne compofition..
Le Sieur MAILLE , habile Diſtillateur dont nous
annonçons de temps en temps quelques nouvelles
compofitions , avertit les perfonnes qui partent
pour les Ifles , & qui auront envie d'emporter de
fes différens Vinaigres ,dont l'ufage eft fi néceffaire
aux Ifles , qu'elles peuvent le faire fans craindre
que le tranfport quelqu'éloigné qu'il foit , puiffe
les corrompre. Il continue avec fuccès la vente
du Courier de Cythere , liqueur nouvelle qui par
la délicateffe de fon goûr , peut paffer pour une
des meilleures qui ayent paru jufqu'à préfent , &
débite avec autant de fuccès le Ratafiat des Sultannes
& le Ċaffis blanc , qui a la propriété de
fortifier l'eftomach , & de faciliter la digeftion.
Le Vinaigre Romain , qu'il diftribue pour conferver
les dents , les blanchir , arrêter le progrès de
la Carie, en préferver les dents , faines , raffermir
112 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs alvéoles celles qui peuvent être ébran→
lées , guérir les petits chancres & les ulceres de la
bouche , adoucir l'haleine & rafraîchir les lévres 7.
remplit conftamment toutes ces propriétes . Il débite
auffi différens Vinaigres pour guérir les dartres
farineuſes & les boutons , noircir les cheveux
roux ou blancs , ôter les taches & mafques de
couche , blanchir le vifage & empêcher les rides.
de la peau ; & le Vinaigre des quatre voleurs ,
préfervatif excellent contre tout air contagieux.
On trouve encore chez lui des liqueurs & des Eaux
d'odeurs de toute eſpéce , & deux cens fortes de
Vinaigres , foit pour l'ufage de la table , foit pour
celui du bain & de la toilette. Pour le Courrier de
Cythere & les autres liqueurs , il faut s'adreffer à
fon Magafin à Sèvre près de Paris , route de Verfailles;
& pour les Vinaigres en fa Maifon à Paris ,
rue S. André- des- Arcs, la troifiéme Porte cochere
à droite. Le prix des bouteilles de pinte de Caffis
blanc eft de 4 liv. celui du Ratafiat des Sultannesde
6 liv. & celui du Courier de Cythere de 8 liv.
les moindres bouteilles de Vinaigre pour les dents
ou autres ufages font de 3 liv . En écrivant une
lettre d'Avis au fieur Maille , ' foit à Paris , ſoit à
Sèvre , & moyennant la remiſe de l'argent par la
Pofte, le tour franc de Port , il fait exactement
tous les envois qu'on demande , avec les inftructions
néceffaires.
PROPRIÉTÉ & vertus d'une graiſſe d'Ours
apprêtéepour la confervation des cheveux
Par le Sieur LAVAULT .
Cette graiffe d'Ours déja connue du Public , dès
le mois de Juin 1761 , & annoncée dans plufieurs
feuilles périodiques , n'eft pas des parties ordinaires
de l'Animal, mais de la feule criniere mêlée
5
JUILLET. 1763. 213
avec le fuc des plantes choifies ; elle fait croître
& entretient les cheveux lorfqu'une tête commence
à le dépouiller , & lors même que les cheveux
font tombés par féchereffe , maladie ou autre
accident; cette graille les répare, excepté toutefois
les têtes complettement chauves.
Les perfonnes qui voudront ſe ſervir de cette
graiffe , en mettront dans les racines des cheveux
Leulement , après s'être peignées à fond , & un
peu de poudre pardeflus. Il fuffit de mettre de
cette graiffe deux fois par femaine.
Le lieur Lavault a des connoiffances particulieres
fur la nature des cheveux ; c'est l'étude de
toute la vie, ceux & celles qui ont fait ufage de
cette graiffe d'Ours préparée s'en font bien trouvés
& continuent toujours de s'en fſervir dans le
befoin.
Vû la facilité que le fieur Lavault a depuis la
Paix, d'avoir la graiffe d'Ours , & des fimples pour
compofer fa pommade , il donnera déformais les
Pots qu'il vendoit 3 liv . pour 2 liv. & ceux qu'il
vendoit 6 liv. pour 4 liv . lui feul en a le fecret .
On le trouve chez lui à l'entrée de la rue des
Cordeliers au Bureau de Loterie de l'Ecole Royale
Militaire , au troifiéme , du côté de la Comédie
Françoife , & au Bureau de cette Loterie dans la
même Maifon.
AVIS AU PUBLIC.
pa
Le Sieur Coué qui a été annoncé dans le Mer-
-cure du mois d'Avril 1761 & Janvier 1762 , feul
Auteur des véritables Cuirs de la Chine fans
reils pour repaffer toutes lames tranchantes
comme rafoirs , Canifs , Couteaux , & c , avec
lefquels Cuirs les pierres deviennent inutiles ,
l'huile étant la nourriture defdits Cuirs fait
214 MERCURE DE FRANCE .
auffi des Cuirs qui empêchent les rafoirs de grof
fir. Les applaudiffemens quil a recus & qu'il recoit
tous les jours de ces compofitions , lai ont
fait redoubler fes foins & fes attentions pour
parvenir au dernier degré de perfection dans ce
genre , & il prie les perfonnes qui douteront
de fon annonce , de venir chez lui en faire les
expériences . Cette derniere compofition' n'eft que
de deux fortes d'huiles avec lefquelles les Cuirs
font apprêtés & qui font la nourriture defdits
Cuirs.
3
Le prix des deux Phioles eft de
Le prix des Cuirs pour les rafoirs ,
Et idem ,
Ceux pour dégroffir ,
Pour les Couteaux
Pour les Canifs ,
71
3 liv.
2 liv.
3
liv.
6 liv.
1liv to f.
Iliv.
Pour les perfonnes qui defireront s'abonner
à l'année , le Sieur Coué tiendra un regiftre de
leurs noms , qualités & demenres , & il fournira
tous les ans des Cairs neufs de toutes les qualités
annoncées , en lui remettant les vieux . Ceux
qui feront coupés ou caffés feront payés au prix.
courant. I prie les perfonnes qui lui écriront
d'affranchir les Lettres.
5.Il demeuré rue S. Germain l'Auxerrois , visà-
vis l'Arche Pepin , à Paris.
·
9714
N. B: Par l'épreuve que nombre de perfonnes
& nous-mêmes avons faite de ces ? Cuirs ,
nous ne pouvons en porter qu'un très-bon témoignage.
さん"
757 "
Pand 7 89. r > alc
JUILLET. 1763 .
215
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier ,
le fecond volume du Mercure de Juillet 1763 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puille en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 15 Juillet 1763 .
GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
ARTICLE PREMTERIJAVUO $
VERS fur la Statue érigée à Sa Majeſté. Pag.s
ÉLOGE de l'inconftance.
LA Truye & la Lionne , Fable.
BOUQUET à Mlle .
RÉFLEXIONS fur Henri IV.
12
14
ibid.
L'ANNEE ruftique , Poëme par M. de B.... 24
VERS fur le temps qu'il a fait le jour du Feu.
IBRAHIM & Gémaille , Hiftoire Turque!
LA Méchanceté peu redoutable , Fable! A
PARODIE.
Au Temps , Ode Anacréontique.
SECOND Caractère du vrai Philoſophe.
ENIGMES .
J ...700n
CIV
31
44
LOGOGRYPHES .
CHANSON .
65
64 & 65
ibid .
ART . II. NOUVELLES LITTÉRAIRES., (
SUITE du fecond Livre de la Bhaxfale.su 68
216 MERCURE DE FRANCE.
!
EXRRAIT d'une Lettre écrite de la Fléche
à M. V *** .
DICTIONNAIRE portatif des Théâtres , par
M. de Léris.
ANNONCES de Livres.
85
୨୦
95 &fuiv.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
ASSEMBLEE publique de l'Académie Royale
des Belles- Lettres de LA ROCHELLE.
AGRICULTURE .
SEANCE publique de l'Académie Royale de
Chirurgie.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES.
MECHANIQUE.
NOUVELLE Roue pour la Coutellerie. "
ARTS
AGRÉABLES .
GRAVURE.
ART. V.
SPECTACLES. •
ACADEMIE Royale de Mafique.
COMÉDIE
Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
SUITE des Nouvelles Politiques de Juin.
NOUVELLES Politiques de Juillet.
MARIAGES.
MORTS.
• AVIS.
51
99
109
116
129
133
I 34
ibid.
166
188
208
ibid.
211
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIE AU ROI .
AOUST. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filius inv
RepilonSculp
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
,
E Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est- à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideſſus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affran
chis , resteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à and'en
marquer le prix, noncer ,
Le Nouveau Choix de Pièces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure . Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a juf,
qu'à préfent quatre- vingt-quinze volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante - douziéme .
25
ર
MERCURE
DE FRANCE.
AOUS ST. 1763 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUR LA STATUE EQUESTRE
DU ROI.
AINST trois Monarques chéris ,
Ont illuftré l'Airain, & décoré Paris ;
La gloire qui les environne,
Comme un Soleil dans fon azur ,
Répand fon éclat toujours pur ,
Sur l'Héritier de leur Couronne ,
De leurs Vertus , de leurs Exploits.
Son Image , l'éffor d'une divine flâme ,
Nous offre ici , tout à la fois ,
A iij
6 MERCURE
DE FRANCE :
Son efprit , fon coeur , & ſon âme
Dans les traits , quelle vérité !
Que de grandeur , de majeſté !
A nos j uftes defirs il n'eft donc plus d'obſtacle
Jouiffons d'un fi doux ſpectacle ,
Et contemplons dans tout fon jour ,
LI MONUMENT DU ZELE ET DE L'AMOUR,
Noble Courfier , tu nous rappelles
Ceux que pour répandre l'effroi ,
Ont monté le Vainqueur d'Arbelles ,
Et le Héros de Fontenoi.
Qu'infpiré par les Grâces mêmes ,
Le Talent fe fignale , enrichi de leur Don ;
VERTUS , vos attributs fuprêmes ,
Nous peindront mieux LOUIS que ne fait
Bouchardon.
Toi , dont la Parque ennemie ,
Trop-tôt , hélas ! a terminé la vie ;
De ton cifeau , fiprécieux pour nous,
Un Artifte fameux auroit été jaloux .
Mais parmi les Héros , la Grèce entiere eût- elle
Offert à Phidias, un fi parfait modèle
Rien de mortel n'eft en ce lieu.
Tel cet Apollon ** qu'on renomme ,
* Le voile levé , qui couvroit la Statue .
** L'Apollon du Varican . L'Auteur a oui dire
plufieurs fois à un de fes amis , Recteur de l'AcaAOUST.
1763.
Eft moins la figure d'un homme
Que la reffemblance d'un Dieu.
Siécles futurs, qui luirez fur la France ,
Quels Deftins nous vous annonçons !
Vous aurez part à la douce influence
De l'Aftre dont nous jouiffons.
De fon Peuple qui le contemple ,
LOUIS reçoit les tendres voeux .
Quel Modèle pour nos Neveux !
Pour leurs Souverains , quel Exemple !
Defcends du célefte Lambris ,
Defcends , Déeffe * bienfaiſante ,
Viens couronner de ta main triomphante ,
Le plus cher de tes Favoris ;
Dans le fein des combats , c'eſt à toi qu'il afpire ,
Il t'a voué fon coeur , ton regne eſt ſon Empire ;
Les Arts , long-tems captifs fous un Dieu deſtructeur
,
Béniffent leur Libérateur ;
Et pour le célébrer par d'infignes merveilles ,
démie Royale de Peinture , qui avoit été longtems
à Rome , que cette Statue étoit d'une fi grande
beauté qu'elle fembloit avoir quelque chofe de
divin , & il ajoutoit dans une forte d'enthoufiame ,
qu'elle rendoit en quelque façon excufable l'aveuglement
des Payens dans leur culte à fon égard.
D'où l'on peut conclure , en paffant , que l'habileté
des anciens Statuaires n'a pas peu
perpétuer l'Idolâtrie.
La Paix.
contribué à
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Prodiguent à l'envi , leur génie & leursveilles.
Phébus , fixant fur lui , fes regards pleins de feur ,
En deviendra plus lumineux ;
La Nuit , en déployant fes voiles ,
Ceindra fon front de mille étoiles ,
Tandis que Diane , à fon tour,
Succédant au Char de fon frère ,
Pour voir plus à loiſir , l'objet de ſon amour ,
Parcourera lentement l'Hémiſphère
Dans ce calme reſpectueux ,
Qu'accroîtra du Héros l'aſpect majeſtueux.
Ainfi le Ciel nous fert d'exemple ,
It adopte ce Monument ,
Ainfi, Grand Roi , le Firmament
Sera la voûte de ton Temple ,
De ce Temple où naîtront les plus faintes ardeurs
Et dont les Autels font nos coeurs.
A l'immortalité, quel droit plus légitime ,
Que de ces mêmes coeurs le fuffrage unanime !
Et quel gage plus sûr , qu'un encens précieux ,
Qui fortant de nos mains , s'éleve jufqu'aux Cieux .
Du Couchant à l'Aurore on verra d'âge en âge ,
On verra du Midi , juſques à l'Aquilon ,
Les Peuples accourir , fur le bruit de ton nom ,
Pour te connoître au moins , dans ton auguſte
Image.
A O UST. 1763. 9
Que du plus fameuxdes Romains ,
Qu'Amour foumit à fon Empire ,
La tendre , l'élégante Lyre
N'a - t- elle paffé dans mes mains !
J'aurois avec cette énergie
Dont il célébra l'éffigie
D'un Empereur , qui toutefois ,.
Flétrit les roles de la vie
Du fidèle Amant de Julie ,
J'aurois d'une éclatante voix ,
091
& Deod
Chanté l' Augufte des François ;
F'aurois ....mais fur la double cime ,
(Hé! pourquoi le diffimuler ) :
Malgré le zèle qui m'anime ,
Hélas ! je ne puis plus volers
Je n'aurois voulu de fa flâme ,
Qu'une étincelle feulement ,.
Pour exprimer en ce moment ,
Ce que je reflens dans mon âme:
Vain elpoir , inutile effort ! o
hig
Ce n'eft qu'aux Nourriçons des Filles de Mémoire ,
Ce n'est qu'à leur jeune transport , U
Source de talens & deglaire b
Qu'il appartient de chanter dignement , i
DU ZELE ET DE L'AMOUR , L'ÉTERNEL MÓNU 贊
MENTɑ to
Fe l'ai fenti , j'ai trop écouté mon courage ,
Mon empreffement & ma foi
molub angiol),cien mit n
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais j'efpérois encor , plein d'ardeur pour mon
Roi,
Voir fondre la glace de l'âge.
TANEY OT,
A Mlle B ... qui difoit à l'Auteur qu'il
nefalloit qu'un RIEN pour lui plaire
ou pour la fâcher.
ΑAνu beau Séxe ſouvent un rien peut faire offenſe
;
Le foupçonneux honneur qui fuit partout fesipas ,
Effarouche d'un mot la timide décence ,
Qui fur un ton d'indifférence
Doit compoſer tous les appas,
Un rien trouble fon âme ,
Un rien la fait rougir ,
Un innocent foupir
Remplit font coeur de flâme.
Un rien altére fa beauté, k
Un rien donne un luftre à fes charmesy
Un rien excite fa fierté ,
Un rien lui fait verfer des larmes ,
Un rien peut expoſer au plus rigoureux fort ,
Un rien fait excufer un aveu téméraires
Un rien enfeigne l'art de plaire ,
Un rien nous éloigne du Port.
AOUST. 1763. 1 I
Par fes riens quels qu'ils foient , fouvent un Petit-
Maître ,
Obtient fans la fentir , la plus douce faveur ;
Tandis qu'un tendre amant n'oſe faire paroître
De fon timide feu la plus fimple lueur.
Séxe enchanteur ! un rien vous fait ombrage ,
Un rien trouble votre bonheur.
Tircis eft-il abfent , vous le croyez volage ;
S'il eſt auprès de vous , vous doutez de fon coeur;
TH. Bon. de la Rochelle .
ÉPITRE à Mlle D. S. P.
Vous de qui le charmant fourire
Enchante fans prétention ,
S. P ... fi mon léger crayon
Vous peint fous le nom de Thémire ,
Ce n'eft point une fiction.
De la plus naïve Bergère
Vous avez l'attrait féducteur ;
Sans que l'efprit commande au coeur
Vous avez le talent de plaires
Voilà tout l'art de la beauté :
Il ne vous manque en vérité ,
Que le corfet & la houlette .
Tandis que la vaine coquette ,
Sans ceffe un miroir à la main ,
Voit écouler chaque matin
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
A l'étude de fa toilette ,
Place une mouche avec deffein
Et par le rouge qu'elle apprête
Ranime fon vifage éteint.
Le coloris de votre teint
Ne doit rien à votre parure ,
Vous le tenez de la Nature:
Il coûte peu, fa beauté dure,
Et fon effet eft plus certain.
Devotre fexe, ô ma Thémire,
Vous raffemblez les agrémens ;
Mais vos goûts font bien différens :
L'on ne vous entend point médire
A tous propos , fur les paffans
Lâcher l'épigramme , puis rire.
L'on ne vous voit point fur les rangs
Parmi nos Belles étalées ,
Dans de fpacieuſes allées ,
Minauder d'un air dédaigneur ;-
Nile Petit- Maître ennuyeux
Lorgner votre aimable figure ,
Et dire d'un ton précieux
Elle n'eft pas mal , je vous jure !'
Thémire , vous aimez bien mieux
Tous les foirs fous le frais ombrage
Que procure le Maronnier
Avec la vive , le Tel
Jouir des momens du jeune âge,
Et déçem mnt vous égayer.
AOUST. 1763. 13
Tout à la fois heureufe & fage ,
Puiffiez -vous encore longtemps !
Goûter ces plaifirs innocens !
Il en eft , aimable Thémire ,
De plus parfaits , de plus touchans ,
L'amour par vos yeux les infpire ,
Et dans mon âme je les fens.
#1 Juillet 1763,
DESHALLIERS.
RÉPONSE à une Demoiselle qui demandoit
à l'Auteur quelle étoit la
différence de l'amour au mariage.
DBE l'amour à l'hymen telle eft la différence ,
Que le premier finit quand le ſecond commence.
Par M. M. ...
TROISIÈME CARACTÉRE
DU VRAI PHILOSOPHE
AMI FIDELE.
Virtutum amicitia , non vitiorum comes.
L'AMITIÉ
Ciceron.
' AMITIÉ fut toujours la compagne
fidelle de la vertu , comme elle en eft le
14 MERCURE DE FRANCE.
foutien & la récompenfe . Elle ne régne
jamais fur des coeurs vicieux , car l'amitié
qui n'eft autre chofe que la vertu
même , eft auffi oppofée au vice , que
la lumière aux ténébres. Pour fe convaincre
de cette vérité , il ne s'agit que
d'analyfer ce fentiment fi pur ; il ne s'agit
, dis-je , que de bien connoître l'amitié.
Préfent du Ciel * ! Doux charme des humains !
O divine amitié ! viens pénétrer nos âmes !
Les coeurs éclalfés de tes flammes
Avec des plaifirs purs n'ont que des jours fereins
C'eſt dans tes noeuds charmans que tout eft jouiffance
;
Le temps ajoute encore un luftre à ta beautés
L'amour te laiffe la conftance ;
Et tu ferois la volupté,
Si l'homme avoit fon innocence.
L'amitié eft un feu facré qui échauffe
& nourrit les coeurs vertueux ; c'eft un
lien précieux qui attache une âme à une
autre ; une douce fympathie fondée ordinairement
fur une parfaite conformité
d'humeur , de caractère & de fentimens ;
union d'autant plus folide qu'elle a pour
Monologue de CASTOR & POLLUX.
AOUST. 1763. IS
bafe la religion , l'honneur , l'èftime &
la confidération ; alliance fublime & refpectable
, elle tire tout fon éclat du mérite
& de la vertu . Volupté pure ! C'eſt
une forte d'yvreffe qui procure des
plaifirs que l'éloquence humaine ne peut
dignement exprimer , mais que le coeur
feul , qui en est fortement pénétré , fent
plus vivement. C'eft un commerce heureux
, où tout eft commun entre les Parties
contractantes ; mêmes plaifirs , mêmes
chagrins , mêmes confolations. Circonftances
douloureufes ! Evénemens
fàcheux ! O amitié ! que de larmes vos
mains généreufes n'ont - elles point éffuyées
? Votre coeur attendri fur nos
maux ; ces pleurs que vous verfez ; ce fein
toujours ouvert pour recevoir nos tendres
épanchemens ; ce fein , dis - je , le
plus cher confident de nos malheurs , le
dépofitaire facré de nos peines ... qui
ne fe fentiroit pas foulagé , lorfqu'on'
vous voit chargé du fardeau accablant
de nos propres, douleurs !
Pollicitifervare fidem , fanctumque vereri
Numen amicitiæ , mores , non munera amare.
Tels font les caractères de l'amitié.
Odivine amitié , fource du vrai bonheur , ]
Volupté pure , amour du Sage !
16 MERCURE DE FRANCE.
Viens échauffer mon efprit & mon coeur ,
Infpire , & prête-moi ton fublime langage !
Le coeur de l'honnête homme , de
P'homme vertueux eft le feul afyle digne.
de fixer le fejour de l'amitié ; parce qu'il
eft feul capable de remplir les devoirs.
qu'elle prefcrit. Familiarifé , pour ainfi
dire , avec la vertu , il faifit avec empref
fement tout ce qui favorife ce penchant
heureux qui le porte vers le bien &
l'honnête . Tout ce qui eft vertu a des
droits fur fon coeur ; l'amitié en lui découvrant
une fource de bonheur pour
lui -même , lui préfente les moyens de
contribuer à celui des autres. Elle ne
confifte pas dans les difcours , dans les
vaines proteftations de fervice , dans lesdémonſtrations
frivoles & ftériles ; les
amis de cette efpéce font les amis du
temps . Tâchons de peindre fidélement
ces indignes fimulachres; éffayons de dévoiler
leur fauffeté , pour éviter de tomber
dans leurs piéges.
Tymante , Courtiſan adulateur , initié
dans le mystère des Cours ; homme à
l'extérieur , ouvert , poli , prévenant , affectueux
, empreffé ; qui , fous les dehors
fardés de l'amitié la plus vive , vole audevant
de vous , vous accable de caref
AOUST. 1763 . 17
fes , s'offre à vous produire chez le Miniftre
, fe charge même de folliciter en
votre abfence ... Arifte,franc & honnête,
qui juge toujours favorablement d'autrui
; que fon goût décide à quitter un
féjour où l'ennui l'accable ; qui préfére
le repos & la tranquillité aux démar
ches fatiguantes ; qui connoît peu l'étiquette
des Cours , & la façon de fe
comporter auprès des Grands , confie
à Tymante fes intérêts les plus chers , fa
fortune , fon honneur & fa gloire ....
mais le temps va bientôt convaincre
Arifte de fon imprudence. Il n'obtient
rien , parce qu'on n'a rien demandé pour
lui ; fon abfence l'a fait oublier . Tyman
auffi fécond en prétextes , que faux
dans fes proteftations , fe plaît encore à
abufer le trop crédule Arifte. Il pouffe
même la fauffeté jufqu'à faire tomber
fur lui- même les grâces qu'il devoit folliciter
pour Arifte . De pareils monftres
devroient-ils porter le nom d'hommes ?
Et ne devroit- on pas pour perpétuer leur
infamie , en imprimer le figne fur leur
front ?
L'adverfité eft le creufet de l'amitié.
C'est alors que ce fentiment généreux
s'épure de tout alliage de politique &
d'intérêt. Ce n'eft que dans les circonf
18 MERCURE DE FRANCE.
tances critiques de la vie qu'on reconnoît
les véritables amis.
Eugène joignoit à la fortune la plus
brillante une naiffance diftinguée , & à
la décoration d'une des plus importantes
charges de l'Etat , la confidération
& l'eftime publique. Doué d'un mérite
rare & d'un naturel bienfaifant , il aimoit
à obliger moins par fafte que par
le feul plaifir du bienfait. Une foule
d'amis ou foi-difant tels s'empreffoient
de lui faire la cour. Eugéne avoit l'oreille
de fon Souverain . Les uns le
courtifoient par vanité : il eft du bon
ton dans le monde de pouvoir reclamer
dans l'occafion la connoiffance des
perfonnes illuftres & confidérées ; on
croit par-là acquerir de la confidération
parmi fes égaux , & s'attirer une forte
de refpect , de la part de fes inférieurs:
Les autres s'attachoient à Eugène par
intérêt , & ce n'étoit pas le plus petit
nombre. Eugène étoit l'homme du jour ,
le canal des grâces. Les Parafites inondoient
fa table ; fes propos étoient des
oracles ; des gens à talens lui confacroient
leurs veilles ; Eugène enfin étoit l'Idôle
du fiécle . Mais la Scène va changer.
Eugène avoit à la Cour un puiffant
Adverfaire qui éclairoit de près toutes
AOUST. 1763. 19
fes démarches. Eugène , un jour dans
un cercle de perfonnes qu'il avoit lieu de
croire fes amis , les ayant comblées de
fes bienfaits , Eugène , dis-je , témoin
d'une injuftice des plus criantes , & à
laquelle il n'avoit point participé , avoit
plaint le trifte fort de quelques malheureux
, facrifiés à d'indignes oppreffeurs .
On recueillit fes difcours ; on les envenima.
Eugène , quelques jours après eft
difgracié ; on le dépouille de fes charges
& de fa fortune ; un indigne concurrent
lui fuccéde , & quelques débris de fon
ancienne opulence lui laiffent à peine
dequoi vivre. Eugène alors reclame fes
amis ; il n'en rétrouve aucun ; on ne le
connoît plus ; fon mérite , fes talens &
fes vertus s'évanouiffent avec fa faveur; &
ceux qu'il avoit comblés de bienfaits ,
font les premiers à condamner fon imprudence
.
LES AMIS DU SIÈCLE ,
FABLE.
CERTAIN Arbre chargé de fruits
Se croyoit le plus beau de tout le voisinage ;
Il s'eftimoit d'un fi grand prix
Qu'aux fiens il tenoit ce langage :
Mes amis , difoit- il , le foir & le matin
20 MERCURE DE FRANCE .
» On vient me vifiter ; le Maître & fa famille
» Veillent fans ceffe à mon deftin.
»La nuit fouvent je fuis courtifé par la fille.
Le pauvre Sot reconnut fon erreur ;
Dépouillé de fes fruits il ne vit plus fon Maître..
On fourmille d'amis , quand on eft en faveur
Dans la difgrace on les voit difparaître.
Les vrais amis font rares , parce qu'il
eft peu d'hommes vertueux. On trouvè
cependant encore de ces amis fincères, de
ces vrais Philofophes, qui renfermés dans
le cercle étroit d'un petit nombre d'amis,
fe témoignent une confiance réciproque,
fe communiquent leurs fumières, fe foutiennent
par leurs confeils , tendent au
même but , & fe portent à l'amour du
bien & à la pratique de la vertu . La
véritable amitié eft fondée fur la confiance
, l'eftime & la vertu . Toute liaifon
fondée fur le déréglement & l'intérêt
, n'eft qu'une amitié fauffe , que
le temps , l'abfence & la Raifon détruiſent.
FRAGMENT d'une Lettre pour fervir
de juftification à un ami outrage.
Infulter au malheur des autres , c'est
mettre le comble à l'inhumanité. Tel eft
AOUST. 1763. 21
le caractère vil & méprifable de ces
monftres qui n'approchent les Grands
que pour accabler l'innocence & la diffamer.
Telle eft la coupable intention
de ceux s'efforcent de détruire un pris
de vous , Monfieur , les impreffions :
heureufes du mérite & des vertus de
l'infortuné Eugene , qu'on veut noircir
dans votre efprit & bannir de vot
coeur ; un homme qui a fait fes preuves
du zéle & de l'attachement le plus inviolable
; qui a foutenu dans tous les temps
les intérêts de votre gloire ; un homme
qui n'a des ennemis que parce qu'il vous
aime & qu'il eft honnête homme ; qui
ne parla jamais de vous qu'avec attendriffement
; qui s'eft facrifié pour vous ;
qui le feroit encore ; & qui défie fes
ennemis de le convaincre de leurs perfides
imputations.
Fermez doncs Monfieur , fermez la
bouche à fes perfides ennemis par un
témoignage authentique & public de
votre eftime , par des preuves éclatantes
de vos bontés. Plus il eft malheureux
plus il eft digne de la juftice qui lui eſt
due. Seriez-vous le dernier à la lui ren
dre ?
Je n'entreprendrai point de décrier &
de détruire fes ennemis ; je les livre à
22 MERCURE DE FRANCE.
leurs remords : je ne veux que juſtifier
mon ami ; & fi vous êtes jufte , vous
m'en applaudirez .
DAGUES DE CLAIR FONTAINES,
t
DIS
A Madame D ***
Es maux apportés par Pandore
Vous fubites les plus cruels ;
L'amour qui craint pour ſes Autels ,
De vos jours ranima l'aurore.
Faite pour plaire & pour charmer .
Le Dieu , le Monarque & le Sage,
Daignez auffi favoir aimer ;
C'eſt votre plus bel appanage.
L'amour est un enfant charmant ,
La vie & l'âme de votre âge.
C'eſt peu qu'en donner ſeulement ;
C'eft beaucoup quand on le partage.
Lui- même il détourna les traits
De ce mal craint d'un beau vifage :
Hélas ! ne l'oubliez jamais ;
Ce n'eft point en vain qu'on l'outrage.
Vous lui devez tous vos attraits ;
Il a des droits fur fon ouvrage ,
Par M. le Marquis de V ***.
AO UST. 1763. 23
PORTRAIT de Madame de P **.
JOINDRE aux grâces de la figure
Le charme vrai du Sentiment :
Paré des mains de la Nature ,
Méprifer tout autre ornement i
D'une volupté douce & pure
Céder au tendre mouvement
Si l'on vouloit fidélement
D'Eglé nous tracer la peinture ,
Pourroit-on la rendre autrement ?
Par M. de S *
LES TOMBEAUX ,
O. D. E.
ENTRONS fous ces voutes antiques ;
Lieux confacrés à la terreur.
Déferts affreux , fombres portiques ,
Pénétrez mon ame d'horreur !
C'eſt ton fouffle que je refpire ,
Mort , viens toi- même , prends ma lyre ,
J'attends ton inſpiration !-
Deïté des fombres rivages ,
Rempliffez de triftes images
Ma nore imagination.
24 MERCURE DE FRANCE.
+
Ciel ! quelles épaiſſes ténébres ,
• Regnent dans cet affreux cahos ,
Je ne vois qu'images funébres ,
Je n'apperçois que des tombeaux !
Fuyons ...fuis-je au fein du Ténare? ...
Ah! laiffe-moi, terreur barbare ,
Laiffe enfin refpirer mes fens ...
Mais non ... que l'horreur du Cocyte ,
Pénétre mon âme interdite ,
Et refpire dans mes accens.
Dans cette région terrible ,
Je vois les gouffres entrouverts ,
Ces antres où la Parque horrible
Traça la route des Enfers.
Du fond de ces tombes affreuſes ,
Sortez , fortez , ombres fameuſes ,
Reparoiffez à mes regards ? ...
Soufflez fur leur cendre flétrie ,
Ranimez- les Efprit de vie ,
Raflemblez leurs membres épars.
Qu'entends-je fur ces fombres rives,
Quelslugubres gémiſſemens ? ...
Ah ! je vois ces ombres plaintives
Sortir du creux des monumens.
Je vois leur troupe enſanglantée
Errer , & la terre humectée ,
Semble
AOUST. 1763. 250
Semble s'abreuver de leur fang .
Près de cette tombe fatale ,
Je vois le Héros de Pharfale
Avec un poignard dans le flanc !
Là Caron , l'exemple de Rome ,
Semble braver l'adverfité ,
Je crois voir encor ce grand homme,
Tomber avec la liberté ;
Je vois les entrailles fumantes ,
Que déchirent les mains fanglantes.
Je vois le foutien du Sénat ,
L'illuftre & malheureux Pompée ,
Héros dont la valeur trompée,
Tomba fous un lâche attcntat.
Quel objet affreux , quel phantôme
Marche fur les pas de Sylla ? ...
C'eſt l'odieux fleau de Rome ,
Le furieux Catilina.
Mort, dérobe-moi fon image ...
Je lis encor fur fon viſage.
Les traces de fa cruauté ...
Tombez , tombez , rochers énormes ,
Couvrez de vos débris informes
Ce monftre de l'humanité.
Parois à fha vue étonnée ,
Jouer infortuné du ſort ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Edipe , quoi ta deſtinée
Te pourfuit- elle après la mort ›
Ciel ! je vois fa main déchirée,.
De fa paupière maffacrée
Arracher les reftes ſanglans.
Les mânes des Thébains frémiſſent ,
Et ces rivages retentiffent
De leurs triſtes gémiſſemens.
Fuyez , images trop affreufes ..
Paroiffez illuftres Romains ,
Yous dont les âmes vertueuſes
Firent le bonheur des humains ;
Venez Trajan & Marc- Aurelle ,
Et toi dont la gloire immortelle
Doit fon éclat à tes vertus ,
Scipion yainqueur magnanime ,
Parois , & vous âme fublime ,
Généreux & tendre Titus,
Exempte du commun naufrage,
Oùvont fe perdre nos inſtans ,
La vertu ne craint point l'outrage
De la faulx rapide des temps ;
Après le fonge de la vie ,
Elle n'eft point anéantie.
Le trépas fixe fon deftin !
Non, mort , non , tu n'es point terribles
Je te verrois d'un ceil paifible ....
Tombeaux , ouvrez-moi votre fein !
A O UST. 1763 . 27
Puifque tous dans la même barque
Nous pafferons le fombre bord ,
Que m'importe-t-il que lá parqué
Avance ou retarde ma mort ?
Dans la profpérité riante ,
Du trépas la Faulx menaçante.
Nous paroît un objet affreux ;
Mais dans le fein de la difgrace ,
La mort hélas , ne nous retrace
Que la fin d'un fort malheureux.
A peine a-t-on vu la lumière ,
Qu'après ce douloureux mom ent
Il faut rentrer dans la pouffière,
Et dans l'oubli du monument..
O mort ! fi tel eft ton Empire
(
Et puifque tout ce qui refpire
Doit fuivre aveuglément tes pas ,
Tu n'es affreufe qu'au vulgaire ;
Viens me rendre au ſein de la Tèrre,
Frappe...Je ne recule pas....
Mais quelle puiffance m'entraîne
Loin de ces objets effrayans ? ..
Est -ce une illufion foudaine
Qui vient s'emparer de mes fens
Volé-je vers une autre Terre ? Defog
Un jour plus radieux m'éclaire { sto
Eft-ce un rêve délicieux nos olet •
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
Non , ce n'eft point un vain délire !
Je fuis defcendu , dans l'empire
Où régnent les mânes heureux.
Quelles ombres majestueuſes
Errant au fond de ces vallons
Sur des lyres harmonieuſes
Méditent de doctes chansons ?
Toi que le monde entier révère
Je t'apperçois, divin Homère ,
Vêtu d'une robbe d'argent .
Deux Cignes déployant leurs aîles,
Vers les demeures immortelles
Traînent fon char étincelant.
Et toi dont la mufe facile
Soupiroit d'un ton fi touchant ,
Parois ici , tendre Virgile,
Divinité du Sentiment...
Il vient brillant comme l'aurore ,
t
Et d'une main il tient encore
Le foudre puiffant des Céfars ;
De l'autre il porte la houlette,
Et mêle au fon de fa muferte
Le terrible clairon de Mars,
Eft-ce le Dieu de l'harmonie
Qui rend ces magiques accords?
C'eft Pindare , enfant du génie,
Je le connois à fes tranfports.
AOUST. 1763: 29
"
Pouffé par le Dieu qui l'infpire ,
Súr fa mélodieufe lyre
Je le vois promener les doigts ;
A travers la noble pouffière ,
Il femble encor dans la carrière
Animer un char de fa voix.
O toi , victime de l'envie.
Ovide , chantre ingénieux ,.
Hélas ! ce monftre fur ta vie :
Répandit fon fiel dangereux ! ...
Vengez- le , noires Euménides ,
Venez de vos mains homicides
Déchirer ce ſpectre hideux ;
Enfer , reçois-le dans ton gouffre,
Engloutis dans un feu de fouffre ,
Ce perfécuteur odieux 1
Ici Properce , ici Tibulle,
Chantent encore les plaifirs.
Là du Luth galant de Catulle,
L'écho répéte les foupirs.
Je les vois dans le char des graces ,
Entraîner encor fur leurs traces ,
Les Héros & même les Dieux.
Horace d'une main hardie
Touchant la Lyre d'Aufonie,
Rend des fons plus majeſtueux.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
Je veux vous fuivre , ombres charmantes.
Ah ! j'envie un fort auffi doux...
Déja dans ces plaines riantes ,
Je crois errer auprès de vous.
Daignez recevoir mes hommages!
Affis dans ces heureux boccages ,
Je méditerai vós concerts ,
Ainfi s'élevant de fonaire ,
L'aiglon fous l'aile de fa mère ,
Apprend à planer dans les airs.
Vous fuyez, aimables phantômes....
N'eft-ce donc qu'un charme trompeur ?
Ah! tels fons les plaifirs des hommes ?
Ce n'est qu'une agréable erreur
Te n'embraffe plus qu'un nuage..
Imagination volage ,
Tu féduis mon facile coeur.
Faut- il que ce ne foit qu'un fonge ...
Mais j'ai jaui d'un doux menfonge ,
Et c'est là tout notre bonheur.
BRUNEAU , G. à Châteaurenault , 20 Juin 1763.
O AUST. 1763. 31
LE
FINANCIER ,
FABLE.
NECESSITÉ n'a point de loi.
Certain manant dans la Finance
Accrocha n'aguere un emploi ;
Il n'eft talent de plus heureuſe chance ;
En moins de rien il fut dans l'opulence ;
Sur les moyens on garde le filence...
Néceffité n'a point de loi.
L'ÉTONNEMENT RÉCIPROQUE,
NOUVELLE ORIENTALE,
CHAQUE Peuple a fes uſages particuliers
, les croit excellens , & trouve
bifarres ceux des autres Nations , qui ,
de leur côté , lui rendent bien la pareille.
On a peint Démocrite occupé à rire des
défauts de fes femblables ; on pourroit
repréfenter chaque Nation occupée à
fe moquer de toutes les autres . Le climat
& la politique influent fur cette prévention
réciproque. Peut-être même eft -il
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
néceffaire que l'Habitant de la Nigritie
éprouve à l'afpe&t d'un Européen la
même répugnance qu'il infpire à ce dernier;
que l'Iroquois s'applaudiffe de ſa
rufticité & le Chinois de fes révérences ;
que l'Italien foit rufé , l'Allemand fimple
, l'Eſpagnol grave , le François gai ,
l'Anglois fombre , le Hollandois plus
fage & plus fin qu'eux tous. Prèfque
toujours le jeu d'une machine dépend de
l'oppofition de fes parties & l'éclat d'un
tableau de la variété de fes couleurs.
L'exceffive liberté dont jouiffent les
femmes parmi nous a fes inconvéniens ;
mais ils ne méritent pas qu'on préfére de
trouver en elles des efclaves au lieu de
compagnes. Ajoutez que toutes les précautions
afiatiques ne font pas toujours
efficaces. Il feroit, cependant , bien difficile
de les porter plus loin . Une femme,
dans tout l'Orient & furtout en Perfè ,
n'eft vifible que pour fon mari ; une fille
, ne l'eft pour aucun homme , pas même
pour celui qui l'époufe. Ce n'eft , dis-je,
qu'après en avoir fait fa femme , qu'il
peut juger de fa laideur ou de fa beauté.
De-là naît pour l'ordinaire d'un & d'autre
côté une furpriſe agréable ou douloureufe.
Voici un exemple où l'étonnement
fut extrême des deux parts.
AOUST. 1763 . 33
-
Un vieillard Perfan , noble d'origine ,
mais déchu d'une haute fortune , habitoit
une demeure ifolée & de la plus modefte
apparence. Là fe trouvoient en
même temps la femme & la fille de fon
fils unique. Pour ce dernier , il fervoit
dans l'armée Perfanne , en qualité d'Officier
très fubalterne & fous un nom
emprunté. Celui que portoit fon père
dans fa retraite l'étoit également ! Des
raifons de politique & de prudence les
obligeoient d'en ufer ainfi l'un & l'autre.
Tous deux avoient encouru la difgrace
du Souverain fans l'avoir méritée , &
tous deux attendoient que l'inconftance
de la Cour & des événemens leur rendît
ce qu'elle leur avoit fait perdre.
Aboutaher ( c'eft le nom fuppofé du
Vieillard ) ne jouit même pas d'un entier
repos dans fa folitude. A la Cour un
Grand eft exposé aux bourafques : en
Province un homme obfcur l'eſt encore
plus aux vexations. Aboutaher en avoit
déja effayé plus d'une de la part du Be
gler- Beg , ou Gouverneur de Ba& rianne;
& pour furcroît d'affliction , il fe vit
forcé d'aller s'en plaindre à lui- même. Il
attendoit peu de fuccès d'une pareille
démarche. N'ai - je pas , difoit-il chemin
faifant, n'ai je pas moi - même été Bégle-
By
34 MERCURE DE FRANCE .
Beg ? N'ai- je pas cherché à faire le bien
du Prince & des Sujets ? Nai - je pas été
équitable ? N'ai -je pas été déplacé ? Eftil
jufte d'exiger que le Gouverneur de la
Bactrianne fe moule fur une conduite
qui m'a fi peu réuffi ?
Il n'étoit plus qu'à deux lieues de la
réfidence de ce Commandant , lorsqu'il
fut abordé par un Coulomcha , ou Meffager
du Roi de Perfe . Un Coulomcha
n'eft pas unfimple courier : c'eft un jeune
homme de diftinction attaché à la
perfonne du Monarque , à - peu - près
fur le même pied qu'un Gentilhomme
ordinaire l'eft en France. Ces fortes de
Meffagers ne font jamais chargés que de
commiffions graves : mais une circonftance
rend cet emploi très-pénible. C'eft
qu'en Perfe , où l'on prétend que les
Poltes furent inftituées par Cyrus , il ne
refte aucunes traces de cette inftitution.
Il eft vrai que dans ce pays un Meffager
Royal eft autorifé à démonter les
paffans qu'il rencontre . Le Coulomcha
dont il s'agit avoit ufé plus d'une fois de
fon privilége depuis fon départ d'Hifpahan
. Mais il étoit à pied lorfqu'il joignit
Aboutaher qui montoit un fort bon cheval
arabe . Le fage vieillard voulut en
defcendre. Il avoit reconnu d'abord
AOUST. 1763. 35
T'emploi du jeune Gentilhomme à fon
éxterieur ; il alloit céder à l'ufage. Le
Coulomcha l'ayant fixé , lui trouva l'air fi
vénérable & fi impofant , qu'il fe fentit
ému de refpect. Non , lui dit-il , mon
pére , non je n'uferai point contre vous
d'un privilége tyrannique. Ce feroit
joindre la barbarie à l'injustice. Daignez
feulement fatisfaire ma curiofité. Habitez-
vous la Ville prochaine , où quelques
affaires vous y conduifent- elles ?
Je pofféde fi peu de chofe , reprit le vieillard
, queje devrois être exempt de toute
efpéce d'affaires. Cependant , le peu qui
m'appartient m'eft envié. Un dévot , qui
me hait , & qui peut tout fur l'efprit du
Gouverneur , prétend me dépouiller de
mon foible patrimoine fours prétexte d'y
faire conſtruire un Hôpital en faveur des
pauvres de ce canton . Le principal dédommagement
qui m'eft offert feroit d'y
être admis comme les autres.... Voilà
une abominable injuſtice , interrompit le
jeune Perfan ;je vous jure par le gendre
du Prophête , qu'elle ne fera point effectuée
. J'ai quelque crédit auprès du Gouverneur
, & d'ailleurs , j'ai un moyen
sûr pour m'en faire écouter . Soyez perfuadé
que votre Adverfaire ne fera point
preuve de charité à vos dépens .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ils porterent la converfation beaucoup
plus loin , & elle les conduifit jufqu'à
la réfidence du Bégler-beg. A peine le
Coulomcha fe fut-il acquitté de fa principale
commiffion qu'il s'occupa des intérêts
d'Aboutaher. Il le préfenta au
Gouverneur qui parut ne l'écouter
qu'avec peine , ajoutant qu'un homme
auffi pieux que l'étoit fon adverfaire ,
ne pouvoit avoir que des vues louables.
Ce Gouverneur fe piquoit lui-même de
dévotion autant que d'avarice. Il n'ordonnoit
jamais de concuffions que l'alcoran
à la main .
Le jeune Perfan , qui le connoiffoit ,
fit figne au vieillard ne pas infifter . Celui
- ci fe retira comme ils en étoient
convenus. Alors Séfi , c'eft le nom du
Coulomcha , réitera fes inftances auprès
du Gouverneur , & en vint à l'argument
"qu'il fçavoit bien devoir être décifif. II
lui revenoit , felon l'ufage , un préſent
confidérable pour fa courfe , & c'étoit
au Bégler - beg à lui faire ce préfent.
Il lui fit entendre qu'il y renonceroit
volontiers fi Aboutaher obtenoit juſtice.
L'avare Gouverneur faifit avidement
cette propofition . Il décida qu'en effet
le dévot Mufulman portoit le zéle un
peu trop loin. Aboutaher fut maintenu
AOUST. 1763. 37
dans ce qu'il poffédoit , & le Bégler-beg
y eût même ajouté quelques poffeffions
d'autrui , fi on l'eût exigé.
Séfi courut rejoindre fon protégé qui
l'engagea à venir au moins vifiter l'hermitage
qu'il lui confervoit. Le jeune
Perfan y confentit , n'ayant nul motif
de preffer fon retour à Ifpahan. Ils partent
deux jours après , & au bout d'environ
douze heures de marche , ils touchoient
à l'habitation du vieillard . Ce dernier
en faifoit un modefte détail à Séfi , &
le prioit de mettre à l'écart toute idée
de magnificence , & de fomptuofité.
Mais quelle fut la défolation d'Aboutaher
, en voyant tout-à - coup une partie
de fa maifon en flammes ? Ah ,
chere Fatime ! Ah , chere Péhri ! s'écriat-
il , qu'allez -vous devenir ? Qui vous
arrachera au péril qui vous menace ?
Hélas ! peut -être en êtes-vous déja les
victimes ?
Séfi ne lui demanda point ce que
fignifioit ce difcours . Il part avec toute
la vîteffe du cheval qu'il montoit , arrive
en un inftant à la demeure du vieillard
, & trouve un Efclave qui fe défefpéroit.
Il entend des cris lamentables
& qui fembloient fortir du fein des
38 MERCURE DE FRANCE.
flammes. Il demande à l'esclave Par où
il eft poffible de pénétrer dans l'édifice
embrafé. Ah , Seigneur ! lui répondit
I'Efclave , j'aurois déja effayé d'en tirer
Fatime & Pehri ; mais , hélas ! Je në
fuis point Eunuque , & fi malheureuſement
vous ne l'êtes pas vous -même ...
Séfi, fans répondre à ce ridicule pro→
pos , s'empare d'une maffue , enfonce
l'unique porte de ce Bâtiment qui pour
furcroît d'embarras fe trouvoit fermé ,
paffe à travers la fumée & les feux , &
pénétre jufques dans une chambre où
Fatime , Pehri , & une vieille Efclave
n'attendoient que la mort. Déja même
·les deux premieres étoient évanouies.
Séfi s'empare de celle que d'abord le
hazard lui préfente : c'étoit Pehri. Il
l'emporte à force de bras jufques dans la
cour , & la remet entre les mains d'Aboytaher
qui dans l'inftant arrivoit . Il
retourne au fecours de Fatime , & la délivre
avec le même bonheur , mais non,
fans un extrême danger pour lui -même.
Ce qui ne l'empêcha pas de vouloir s'y
expofer une troifiéme fois. Son but étoit
de fecourir la vieille Efclave : mais la
chute d'une partie du bâtiment l'empêcha
de pénétrer juſqu'à elle. Il en fut au
1
AOUST. 1763. 39
défefpoir, tant fa générofité étoit pure &
défintéreffée .
Séfi n'étoit pas moins réfervé que
généreux. Il s'étoit bien apperçu en fecourant
Péhri qu'il portoit dans fes bras
une des plus belles perfonnes de l'Orient ;
elle étoit même alors dans un défordre
qui mettoit bien des beautés dans leur
jour. Séfi fe rappelloit avec tranſport
ce qu'il en avoit apperçu . Cependant ,
ne jugeant plus fa préfence abfolument
néceffaire , il fe tenoit modeftement à
l'écart . Il n'en étoit pas ainfi de l'Eſclave
d'Aboutaher : la fin du péril avoit mis fin
à fes fcrupules , & il aidoit fon Maître à
rappeller Fatime & Pehri de leur évanouiffement.
Elles ouvrirent les yeux
l'une & l'autre ; mais le danger qu'elles
avoient couru leur étoit encore fi préfent
qu'elles doutoient de leur existence . Ah !
leur dit le vieillard , en les baignant de
fes larmes, votre furpriſe eft bien légitime
: c'étoit fait de vous fans l'arrivée
du plus généreux de tous les hommes.
Il vous a fauvé la vie en s'expofant à une
mort prèfque certaine & en s'y expofant
à plus d'un reprife. Alors ab leur détailla ,
en peu de mots , ce que Sefi avoit fait
pour elles , & même ce qu'il avoit fait
pour lui.
40 MERCURE DE FRANCE.
:
Il en faut moins pour piquer la curio
fité de deux femmes à qui la vue de
tout homme étranger eft abfolument
interdite. Aboutaher crut pouvoir déroger
à cet ufage en faveur de Séfi. D'ailleurs,
il n'avoit prèfque plus la liberté du choix.
L'appartement des femmes étoit entierement
incendié. Il falloit donc qu'elles
habitaffent le fien , qui heureuſement
étoit à l'abri des flammes , n'ayant nulle
forte de communication avec l'autre.
Ainfi , le vieillard , courant autant qu'il
le pouvoit , à Séfi , l'invita à s'approcher
de celles qui tenoient de lui un nouvel
être. A cette propofition Séft éprouva
un doux faififfement qui lui ôta la liberté
de répondre. Mais fon filence n'avoit
rien qui pût faire foupçonner un refus ;
il s'avançoit même fans prèſque s'en appercevoir,
& beaucoup plus vite que
fon introducteur , vers la falle où Fatime
& Péhril'attendoient. Il les aborde avec
un trouble que la jeune Péhri partageoit
d'avance , & qui redoubla lorſqu'elle
l'eut envisagé.
Péhri n'avoit guères que treize ans ;
mais dans ces contrées , cet âge fuffit
au beau fexe pour fentir qu'il eft en état
de plaire & pour le faire fentir à d'autres .
Séfi l'éprouvoit. Il eût également pû voir
AOUST. 1763 : 41
dans Fatime ( qui le regardoit auffi malgré
l'ufage oriental ) il eût , dis-je , pû
trouver en elle un objet capable de faire.
diverfion aux charmes de fa fille : elle
étoit encore dans la fleur de la jeuneffe
& de la beauté. Mais Séfi étoit lui- même
trop jeune pour divifer fon hommage ,
quand même Fatime & Péhri n'euffent
été que des rivales ordinaires. Il eft un
âge où le coeur devient l'efclave du premier
coup d'oeil & ne fonge ni à rompre
fes fers , ni à les étendre.
Quelques jours s'écoulerent d'une
manière très - agréable pour le jeune cou
ple , à qui la circonftance permettoit de
s'entretenir librement . Séfi rendoit grâ--
ces à l'accident qui les réuniffoit , &
Pehri ne s'en affligeoit plus. Quant au
Vieillard , il fongeoit à le réparer.. Il
foupçonnoit , intérieurement , la caufe
de cet incendie , & fes foupçons étoient
fondés . Le pieux Perfan dont il a déja
été parlé , inftruit que le Gouverneur
ceffoit d'entrer dans fes vues charitables
, avoit crû devoir fe permettre un
petit mal pour un grand bien . En conféquence
il donna ordre à un de fes
Efclaves de brûler la maifon qu'il ne
pouvoit envahir. Peut- être , difoit -il ,
brûlerons-nous , en même temps . trois
42 MERCURE DE FRANCE.
ou quatre perfonnes ; mais mon Hôpital
en fera vivre cent , & tout bien
compté la maffe des Humains gagne
à ce calcul.
&
Il y avoit fujet de croire que cet
événement jettoit Aboutaher dans plus
d'une forte d'embarras, Séfi rêvoit aux
moyens de lui faire accepter des fecours.
Il étoit partagé entre la difficulté
de les lui offrir & la crainte d'être
refufé. Il le fut en effet : Aboutaher
lui dit que fa fortune , quoique bornée ,
le mettoit en état de rétablir ce que
le feu avoit détruit . Mais il n'en admiroit
pas moins la conftante générofité
du jeune Perfan. Il regrettoit de ne
pouvoir le fixer dans fa retraite
Penvioit à la Cour fi peu digne de le
pofféder. Il falloit cependant que Séfi
en reprît bientôt le chemin ; fon devoir
l'y rappelloit fon penchant luttoit
contre ce devoir. Il eut encore divers
entretiens avec Péhry, & tous deux
s'enflâmoient de plus en plus , & tous
deux remercioient le hazard de les avoir
affranchis des entraves de l'étiquette .
Ufage barbare & ridicule ! s'écrioit
Séfi , tu nous contrains d'époufer un
objet qui nous ignore & que nous
ignorons : tu fais du lien le plus refAOUST.
1763. 43
pectable un jeu de hazard qui fouvent
ne fatisfait aucunes des deux parties !
Ah ! du moins , j'ai vu dans Péhry celle
qui doit me rendre heureux notre
union fera le fruit d'un choix éclairé
notre choix le fruit d'un penchant réciproque
& qui ne peut plus s'accroître ;
qui, fur-tout, ne pourra jamais diminuer.
On voit par ce difcours le but que fe
propofoit Sefi. Mais il n'y pouvoit parvenir
qu'après avoir quitté l'emploi qui
l'attachoit & le captivoit à la Cour.
Une femme , une Efclave même lui étoit
interdite par le Souverain . Il informa de
fes projets , & Pehry qui les trouva merveilleux
, & Aboutaher , qui en jugea
tout autrement . Le fage Vieillard l'exhorta
vivement à ne rien précipiter. A
votre âge , lui difoit-il , on doit , furtout
, ménager la faveur de fon Maître ;
il eft plus facile d'être Courtifan que
Philofophe.
Séfi , qui dans ce moment , n'étoit
qu'amoureux , fut peu ébranlé par ce
difcours . Pehry n'étoit pas mieux d'ac
cord fur ce point avec fon Ayeul. Ce
jeune couple prêt à fe féparer n'y fongeoit
qu'avec frémiffement. Il fallut
néanmoins s'y réfoudre. Il fallut mettre
fin à une fituation d'autant plus fla44
MERCURE DE FRANCE.
reufe , qu'elle étoit fans exemple dans
toute la contrée. Mais ce n'étoit point
cette fingularité que Seft regrettoit ;
c'étoit la chofe même . Ses larmes coùloient
abondamment. Pélry cachoit
une partie de fa douleur ; Aboutaler
pleuroit de tendreffe, & Fatime fans bien
pouvoir fe dire à elle - même pourquoi.
De retour à Ifpahan , Sefi fe difpofoit
à effectuer fon deffein , à quitter une
place qui afferviffort jufqu'à fon âme.
Une révolution fubite le retint à la
Cour . L'autorité & même la perfonne
du Monarque étoient menacés ;
dès-lors Séfi ne fongea plus qu'à défendre
l'une & l'autre. Il avoit été prêt
d'immoler toute ambition à l'amour
it fit céder ce même amour au devoir .
L'ennemi qu'il falloit combattre & repouffer
étoit le célébre Thomas Kouli-
Kan , ennemi d'autant plus à craindre,
qu'il ofoit tout , & qu'il joignoit une
politique profonde au courage le plus
déterminé. Ce qui achevoit de le rendre
formidable , c'eft que le Prince qu'il
vouloit fupplanter , n'avoit aucune de
ces qualités , & ignoroit jufqu'à l'art
de paroître les avoir.
On fait que l'Ufurpateur mit le comblé
aux attentats , & vit fon ambition
A O UST. 1763. 43
couronnée. Tout , cependant , ne fléchit
pas fous lui d'abord , & Séfi fe diftingua
parmi ceux qui réfifterent le
mieux & le plus longtemps . Son père lui
en eût donné l'exemple s'il avoit eu befoin
de modèle. Thamas qui avoit luimême
trop de courage pour ne pas eftimer
cette vertu dans autrui , n'épargna
rien pour s'attacher deux Sujets fi braves
& fi fidéles . Toute la Perfe étant alors
foumife & tranquille , ni l'un ni l'autre
n'avoient deffein d'exciter de nouveaux
troubles. Mais aucun des deux ne voulut
fe fixer à la Cour du Tyran , ni prendre
parti dans fes armées. Cependant il
ordonna que leurs biens qu'il avoit fait
confifquer , leur fuffent rendus. Ce n'étoit
point le feul exemple de modération
qu'il eût donnéjufqu'alors . Il affectoit ,
furtout , de réparer certaines injuftices
que fon prédéceffeur avoit commifes ,
ou laiffé commettre . Plus d'un Grand
dépouillé de fes Domaines par ce malheureux
Prince , en avoit été remis en
poffeffion par Thamas. Tant il eſt vrai
que dans un Souverain , la politique fupplée
quelquefois à la vertu & peut même
briller d'un éclat fupérieur.
Seft devenu libre , retourne en diligence
vers la retraite où le conduifoient
46 MERCURE DE FRANCE.
l'amour & l'amitié. Dépuis deux ans &
plus , qu'il avoit quitté ce féjour , il
ignoroit le fort des perfonnes qui l'habitoient.
Il voyoit fur fa route les défaftres
occafionnés par la guerre civile : il
craignoit que ces ravages ne fe fuffent
étendus jufques fur l'afyle de Péhry ; &
dans quel trouble cette idée ne le plongeoit-
elle pas ? Ce fut bien pis lorfqu'arrivé
fur les lieux mêmes , il n'y trouva
que des reftes de mafures abfolument
inhabitées ! Il faut avoir aimé , ou pour
mieux dire , il faut aimer pour la prez
mière fois , & aimer en Afiatique , pour
concevoir ce qu'éprouva Séfi à ce déplorable
aspect. Il parcourt , en homme
égaré tout le canton , s'informe de ce
qui peut concerner Aboutaher , n'apprend
rien de pofitif & retourne vingt
fois questionner une même perfonne.
Tout ce qu'on lui affirme c'est que
les troupes de Thamas ont habité &
ravagé ce pays, Mais on ignore fi le
vieillard qu'il y cherche ne l'avoit pas
quitté lui-même avant leur arrivée : incertitude
qui redoubloit l'agitation de
Séfi.
Tout ce que la jaloufie , fi naturelle
aux Orientaux , a de plus accablant &
AOUST. 1763. 47
de plus cruel , s'emparoit malgré lui de
fon âme. Tantôt il fe repréfentoit Péhri
au pouvoir de quelque Officier féroce ;
tantôt il fe la figuroit au milieu du Sérail
de l'Ufurpateur , gémiffant fur fon triſte
efclavage ; & ( ce qui lui fembloit beau,
coup plus affreux ) ! Peut -être n'en gémiffant
plus. Il fe réfout à parcourir toute
la Perfe ; va de Province en Province ,
de Ville en Ville , s'arrête fur-tout , dans
les lieux écartés , parle d'Aboutaher à
tous les humains qu'il rencontre , &
voit , avec défefpoir , que ce nom eſt
par- tout ignoré. Un an s'écoule dans ces
recherches fuperflues ; après quoi Séfi
vient retrouver fon père , auffi accablé
de fa longue abfence , que lui-même
l'étoit de celle de Péhri.
:
L'extrême affliction exige un confident
c'est un moyen prefque sûr de
la rendre fupportable, Mais il eft rare
de confier certaines foibleffes à un Vieillard
, & , furtout , à fon propre Père.
Il est encore rare que ce même Père
goûte cet aveu. Séfi dans la néceffité
où il étoit de fe plaindre , ne fit pas cette
réflexion & s'en trouva bien. D'ailleurs
l'amour eft regardé en Afie moins com
me une foibleffe que comme un befoin.
Le Père de Séfi à qui ce befoin s'étois
48 MERCURE DE FRANCE.
fait fentir autrefois , ne trouva point
étrange que fon fils l'éprouvât à fon
tour. Je te plains , lui dit- il, d'avoir perdu
cette Beauté dont tu me parles & qui
devoit t'aimer , vù ton age , ton extétérieur
& furtout la fingularité de l'aventure.
Il n'eft qu'un moyen de réparer
ce malheur , c'eft d'époufer une
femme affez belle pour te faire oublier
celle que tu regrettes ; & fi ce reméde
ne fuffit pas , d'y joindre quelques jolies
Efclaves. Il feroit fingulier qu'aucune
d'entre elles ne pût faire diverfion à
ta douleur . En tout cas fi l'objet qui
la caufe t'eft rendu quelque jour , il
te fera libre de l'époufer auffi . Le Prophête
a pourvu à ces fortes d'inconvéniens.
Ce difcours qui eût pu confoler un
Européen , fur-tout un François ; ne fit
que gliffer fur notre Afiatique. Cependant
, comme il n'eft guères poffible de
réfifter perpétuellement à des avis de
cette nature , Séfi fe laiffa vaincre. Mais
ce ne fut qu'après avoir lutté encore fix
mois & fait faire de nouvelles & inutiles
recherches d'Aboutaher & de fa famille.
Perfuadé , enfin , qu'il en étoit privé
pour jamais , il fit ce qu'exigeoit fon
père ; c'eft-à-dire qu'ayant chargé un ·
Procureur
AOUST. 1763. 49
Procureur d'époufer en fon nom , & par
le miniftere d'un autre Procureur , une
fille que ni l'un ni l'autre n'avoient jamais
vue & ne devoient jamais voir , une
fille qu'il ne connoiffoit pas lui- même ,
il avoit confenti qu'elle lui fût enfuite
amenée pour ne la voir en face qu'après
le temps fixé par l'ufage. Il la connoiffoit
, au furplus , pour la fille d'un Noble
Perfan qui habitoit le même canton que
lui , & avec qui fon père s'étoit fort lié
durant fon abfence.
Les dix jours de fêtes & de divertiffement
, fixés par la coutume , étant expirés
, la nouvelle époufe fut conduite en
pompe , mais durant la nuit , chez fon
époux , qui l'attendoit fans impatience.
Elle étoit voilée de manière qu'en
plein midi elle n'eût pas même foupçonné
qu'il fit jour. Des femmes deftinées
à la fervir , l'introduifirent dans
l'appartement qui lui eft réſervé. Elles
en fortent quand Séfi eft fuppofè prêt à
s'y rendre ; mais elles n'y laiffent aucune
lumière , & lui-même n'eft pas en droit
d'y en introduire. L'ufage le condamne
à ne voir ni à n'être vu cette première
nuit. Il entre , moins occupé de l'objet
qu'il va trouver, que de celui qu'il a perdu.
Il eft furpris d'entendre des foupirs &
C
50 MERCURE DE FRANCE.
des fanglots. Il ne peut douter de qui ils
Iartent,& cette fingularité réveille & fixe
fon attention. Il reconnoît bien- tôt que
ces fangots & ces foupirs ne font point
fimulés. Ils lui fervent de guide pour
s'approcher de fa jeune époufe. Hé quoi ,
Madame ? lui dit- il , comment dois- je
interpréter ces marques de douleur ?
Eft- ce par contrainte que vous vous
donnez à moi? Je n'exige point un pareil
facrifice .
2
L'accordée ne répondit rien , & ce filence
vouloit déjà dire beaucoup. De
grace, Madame, reprit Séfi, daignez me
répondre avec confiance & fans aucun
détour ? Peut-être aurai - je moi - même
quelque autre aveu à vous faire , Ah
Seigneur lui dit- elle ; en pleurant &
foupirant toujours , mes larmes pourroient-
elles vous outrager ? Invifible à
vos yeux comme vous l'êtes aux miens
tous deux inconnus l'un à l'autre, nous ne
pouvons encore ni nous aimer , ni nous
haïr. Peut- être en vous époufant , m'uniffé-
je à l'homme le plus parfait de
toute l'Afie. Mais , Seigneur , pardonnez
..... Elle n'en put dire davantage ;
fes fanglots la fuffoquerent de nouveau..
Séfi , que la douceur & le charme de fa
voix venoient d'affecter fingulièrement,
2
AOUST. 1763.
frémit de l'état où cette jeune perfonne
étoit réduite. Raffurez-vous , Madame ,
lui dit-il , d'un ton attendri , vous n'êtes
pas tombée entre les mains d'un barbare.
Il faudroit l'être pour abufer de votre
fituation . Je refpecterai vos fentimens &
vos regrets . Je fais par moi- même ce
qu'un premier penchant .... Mais encore
une fois , ne refufez point votre
confiance à celui qui en veut être digne
par fa franchiſe & fon équité.
Hé bien , Seigneur ! reprit-elle , d'un
ton de voix mal affuré , je vais vous faire
l'aveu d'une foibleffe que je crois excufable
& qui peut-être , vous paroîtra
légitime . Je garde encore le fouvenir de
quelqu'un à qui je dois le jour , de quelqu'un
qui pour me fauver la vie ofa
s'expofer à une mort prèfque inévitable ;
mais qui me laiffe en proie à des chagrins
plus cruels que la mort qu'il m'a
épargnée !
O ciel , s'écria Séfi , étonné du rapport
qu'il y avoit dans cette avanture &
ce qui lui étoit arrivé à lui-même;ô ciel ! ...
Mais , Madamė , reprit-il , en s'interrompant
, votre nom n'eft -il pas Zulphi ? .....
Oui, Seigneur, & c'eft auffi le nom que
portent men père & mon ayeul
Quoi ! jufqu'à fon ayeul ! difoit trif
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
tement Séfi , en fongeant à Aboutaher ;
mes efpérances ont été bientôt détruites....
N'imparte , voyons jufqu'où le
hazard peut porter la reffemblance dans
des événemens oppofés. Madame
qu'eft devenu ce libérateur qui caufe
aujourd'hui votre défefpoir ?
Mon défefpoir eft de l'ignorer, ajouta
la jeune époufe. Les événemens qui viennent
de déchirer la Perfe ont , fans.
doute , éloigné de lui toute autre idée :
peut-être a-t-il fait céder l'amour à l'ambition
; peut-être n'a-t-il jamais bien
connu l'amour.
Autre point de conformité, difoit Séfi
intérieurement : l'aimable Péhria , fans
doute , les mêmes foupçons à mon
égard , & a , peut-être , fubi la même
épreuve que celle qui me parle en cet .
inftant. Mais hélas ! fes pleurs aurontils
été refpectés ? ... Quoi qu'il en puiffe
être , je ferai généreux ; je mériterai
qu'on le foit , ou qu'on ait dû l'être envers
Pehri. Madame , ajouta-t- il , en
élevant la voix , votre deftinée & la
mienne ont entr'elles un rapport qui
m'étonne. Votre coeur n'eft plus à vous
le mien n'eft plus à moi . Vous regrettez
un amant qui vous fauva la vie ; j'eus le
bonheur de la fauver à la Beauté que je
AOUST. 1763. 53Ⓡ
regrette. Vous ignorez la deftinée de
l'un ; j'ignore celle de l'autre . Vous
foupçonnez votre amant d'inconſtance ;
j'ai les mêmes foupçons envers ma maîtreffe
, & elle peut - être envers moi :
Vous aimez encore , même en craignant
d'être oubliée ; je conferve un amour
tout femblable , en craignant un pareil
oubli . Nos âmes étoient faites pour fe
rencontrer ; c'est dommage que le hafard
ait dérangé leur cours. Mais , Ma
dame , je le répéte , je ne prétends point
tyrannifer la vôtre. Je vous admire & fuis
prêt à renoncer à vous , à vous rendre à
vous-même , puifque vous ne fauriez
être à moi volontairement.
Ah , Seigneur ! interrompit la jeune
Perfane extrêmement émue d'un procédé
fi généreux , & agitée d'un mouvement
qui l'étonnoit & qu'elle n'eût pû
définir , ah Seigneur ! je n'ai fait que
ceder aux ordres abfolus de mon père ;'
mais vous méritez un coeur uniquement
à vous & qu'aucun autre objet n'eût
prévenu d'abord .
Hé bien , Madame , ajouta Séfi , j'entrevois
un moyen de vous conferver à
votre amant & de prévenir les empor-.
temens d'un père irrité. Reftez avec
moi ; ces lieux feront déformais pour-
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
vous un afyle inviolable , un afyle que
je regarderai moi- même comme facré.
Daignez , du moins , achever de rendre
votre confident celui qui confent à
n'être votre époux que de nom . Le rapport
de votre fituation avec la mienne
rend cette curiofité légitime , & certain
mouvement que je ne puis exprimer , la
rend indifpenfable .
Alors. Zulphi détailla ce qu'elle n'avoit
fait qu'indiquer & à chaque mot
Séfi redoubloit d'attention & d'étonnement.
Mais quand après certains détails
préliminaires , Zulphi en vint à citer,
la retraite où elle avoit vécu avec ſon
ayeul & fa mère , l'incendie où l'une
& l'autre s'étoient vues prêtes à périr ,
le fecours qu'elles avoient recu d'un
jeune , Courtifan , fon féjour dans leur
afyle commun , & enfin fon départ qui
tira encore des larmes de Zulphi , elle
fut interrompue par un grand cri que
pouffa l'Epoux confident. Elle frémit ,
& cut l'avoir offenfé , d'autant plus
qu'il l'avoit quittée avec précipitation ,
Mais il étoit allé donner une libre entrée
au jour qui commençoit à paroître .
La jeune Perfane fit un mouvement
pour courir à fon voile. Arrêtez lui
cria fon Epoux bien réfolu d'en pren
AOUST. 1763. 55
dre dès ce moment le titre & les droits
arrêtez, aimable Pêhry ! Ce ' nom lui fit -
lever les yeux vers celui qui le prononçoit.
Ciel ! c'eft lui ! s'écria- t- elle , c'eſt
Séfi ! ... lui- même , reprit- il ; celui à
qui vous donniez des larmes , celui à
qui vous en avez tant coûté. Mais Péhry
n'entendit point ces paroles ; elle
étoit évanouié dans fes bras.
Revenue à elle , tout ce qu'elle
voyoit lui parut un fonge. Mais ce doute
ne pouvoit pas long-temps fubfifter .
Vouloir exprimer les plaifirs & l'extrême
fatisfaction de ce jeune couple
feroit trop entreprendre. Heureufe la
main qui excelle à peindre ces fortes
de délices ; plus heureux mille fois le
coeur qui les reffent ! Je dois feulement
ajouter que tout cet embaras , tous ces
quiproquo , furent produits par quelques
changemens de nom . Aboutaher & Pehry
ayant repris leur nom véritable en quittant
leur folitude , les recherches de Séfi ,
qui d'ailleurs le's fit un peu tard , étoient
devenues inutiles. Celui- ci ayant repris
pour fe marier le nom de fon père , fa
future n'avoit pû y retrouver celui de
Séfi , le feul qu'elle connût. Ce n'eft pas
le Père de cette belle Perfane que
Séfi croyoit réduit à l'état le plus médiotout
,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
cre , fe trouvoit rétabli dans tous fes
biens , & Aboutaher qu'il eût pû reconnoître
à l'extérieur , habitoit alors une
Province des plus éloignées. Tous ces
motifs étoient plus que fuffifans pour
autorifer la méprife nocturne des deux
époux & leur étonnement réciproque.
Mais leur attachement mutuel & conftant
, leurs plaifirs , leur bonheur enfin ,
bonheur fi rare entre époux , durent
encore mieux produire l'étonnement uni
verfel.
LETTRE à M. DE LA PLACE.
Si l'on publioit , Monfieur , un Recueil
qui fût comme le regiftre public
des grandes & belles actions , quel eft
l'homme qui fe réfoudroit à mourir
fans y avoir fourni au moins quelques
lignes ! L'éloge eft un encouragement à
la vertu ; c'eſt un engagement public
qu'on fait contracter à l'homme vertueux
. C'eſt enfin un des plus forts appuis
qu'on puiffe prêter à la foibleffe humaine.
Générofité d'un Officier.
Le Chevalier de R ***
premier
AOUST. 1763. 57
Capitaine du Régiment de *** Dragons
, vient de refufer la Lieutenance-
Colonelle dont on vouloit priver un trèsbrave
Officier plus ancien que lui dans
le fervice. Non content d'avoir refufé
ce pofte , il s'eft chargé de foutenir avec
chaleur les intérêts & les juftes prétentions
du vieux Militaire . Il a fait fon
Apologie au Miniftre ; il follicite une
grace fondée fur l'équité & le mérite de
l'afpirant ; & il efpère que l'affaire étant
portée par le Miniftre aux pieds du Thrône
devant le plus jufte & le meilleur
des Rois , elle aura le fuccès le plus
heureux pour les deux parties . Ce trait
de bienfaifance , & d'un fi noble défintéreffement
, mérite certainement une
place honorable dans les Faftes du
Siécle de LOUIS XV . Ce font des traits.
d'humanité , d'honneur & de vertu qui
répandent un nouvel éclat fur le nom ,
les titres & la maifon du Chevalier
de R ***
Dans le courant du mois prochain ,
j'aurai l'honneur de vous faire parvevenir
un fecond trait d'humanité qui
ne devra rien à celui- ci ; en attendant ,
j'ai celui d'être & c .
That's son D. de C **
NXI NAW M pT
58 MERCURE DE FRANCE .
SUR la convalefcence de M. D. V.
LE deftin yous rend à nos voeur ,
Vous refpirez : la mort avide
Détourne le glaive homicide
! Qui vous menaçoit à nos yeux. iv ul
Les pleurs d'une famille entière,
Les foins tendres de vos amis ,"
- " Les craintes , les larmes d'un fils
Vous rappellent à la lumière.
Vous venez enfin de jouir
De la vérité de nos larmes ;
Quel motif pouvoit adoucir
Et nos regrets , & nos allarmes !
Que peut l'intérêt fur des coeurs
Abandonnés à la trifteffe ,
Tremblans du comble des malheurs ,
Morts à la joie , à l'allégreffe unɔbngat .
Sentoient-ils rien que leurs douleurs 201
De l'amitié les douces flâmes
Eteignoient les autres tranſports.
**
2
Combien voudroient du fein des morts
Revenir lire dans nos âmes !
D
I
Jouiffez du plaifir flatteuritarvob en
De vous voir chéri pour vous-même isola
Faites longtemps notre bonheur ;
Vivez autant que l'on vous aime.
Par M. le M. D. V.
1
AOUST. 1763. 59
DIALOGUE entre SEMIRAMIS ET
JEANNE D'ARQUÉS.
SÉMIRA MIS .
MA furprife redouble à chaque minute.
Quoi ! une fimple Servante d'Hôtellerie
, Pucelle tant qu'il vous plaira ,
ofe s'égaler à Sémiramis ?
JEANNE D'ARQUES.
Laiffons - là notre origine . Je doute
que notre amour - propre à l'une & à
l'autre gagne beaucoup à cette recherche.
SEMIRAMIS .
Oubliez-vous le rang que j'ai tenu
fur la Terre ? les Nations que j'ai foumifes
, les Monumens que j'ai fait ériger ?
JEANNE D'Arques .
Oh , pour ces Monumens, nous avons
ici une autre Sémiramis qui les réclame,
& qui pourroit , dit-on , réclamer
quelque chofe de plus
*
SEMIRAMIS .
Il m'en feftera toujours plus qu'il n'efaut
pour m'immortalifer : il fer ou
jours vrai que j'occupai leone de
Ninus avec lui , & aprè ul.
On fait qu'il y a eu
Su Semiramis , & qu'une
grande partie des nunens & même des actions
qui pallent comunément , pour être de la premiore
, 1ont attribués par d'autres Auteurs à la
feconde, C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
JEANNE D'Arques .
Vous ne nous dites point de quelle
manière vous fuccédâtes à ce Conquérant
?
SÉMIRAMIS.
Je fais les bruits fâcheux & meme abfurdes
qu'on a fait courir à ce fujet . .
Après tout , il ne s'agit point ici de les
difcuter. Il eft , du moins , certain que je
ne dus cette élévation qu'à mes talens
pour la guerre ; que j'accompagnai mon
Epoux dans toutes les conquêtes , &
que j'en fis de grandes par moi -même ....
Pour vous , fimple Avanturiere , à quoi
fe réduifent vos exploits ?
L
JEANNE D'ARQUES.
Le voici ; & voici , en même temps ,
la différence qu'il y eut de ma conduite
à la vôtre. J'en excepte même certain
article qui pourroit devenir trop emba
raffant pour vous .
SEMIRAMIS.
Qu'entendez- vous par- là ?
JEANNE D'ARQUES.
Ce que vous devinez peut-être : mais
ne parlons d'abord que des caufes de
votre fortune. Vous partageâtes le
Thrône de votre Souverain pour l'avoir
aidé à prendre une petite Ville ;
moi je fis regagner au mien tout fon
AOUST. 1763.
6BRoyaume
, & n'ambitionnai avec lui
nul partage : vous n'aviez qu'à feconder
de vos confeils un Conquérant redoutable
; j'eus à rétablir , à force de travaux
un Roi fugitif & prèfque abandonné
le hafard vous fournit la première
occafion de vous faire connoître ;
je ne dus cette occafion qu'à moi-même :
vous n'eûtes qu'à indiquer à vos Chefs
les moyens de faire mieux , chofe quel'-'
quefois très-aifée ; j'eus à réparer tout
le mal que les miens avoient fait , chofe
infiniment plus difficile : Vous ...
SEMIRAMIS .
Ah faites-nous grace d'un plus long
parallèle ! Où avez - vous puifé tous ces
tours de Rhétorique ?
JEANNE D'ARQUES .
Vous ignorez, je penfe , qu'ici la Rhétorique
eft naturelle comme elle devroit
l'être là-haut ?
SEMIRAMIS .
Je fais auffi que plufieurs de vos Poëtes
fe font plu à vous faire parler en
grands termes.
JEANNE D'ARQUES .
Oui , je me fouviens qu'il y a près de
cent ans qu'un vieuxrimeur m'apporta ici
un Poëme à ma louange ; vous ne doutez
pas que je ne l'aye trouvé fort beau.
62 MERCURE DE FRANCE.
Mais, depuis , on m'en a dit tant de mal,
qu'il a bien fallu le trouver mauvais. II
eft vrai qu'en le lifant je ne m'apperçois.
prefque pas que le langage ait changé
depuis Charles VII.
SÉMIRAMIS .
On dit qu'un Poëte encore vivant
vous a fait parler en termes plus nouveaux
; mais ....
JEANNE D'ARQUES .
J'entends ... ce Poëte eft fort heureux
de ne m'avoir pas chantée de mon
vivant . Il eût pû éprouver le fort de plus
d'un Anglois.
Encore s'il fe fût borné , comme a
fait mon vieux chantre , à me donner
quelque penchant pour le brave Dunois ,
une telle foibleffe pourroit fe tolérer :
mais ... A propos , on dit que ce même
Poëte , & quelques autres , ne vous ont
guères mieux traitée ?
Comment ?
SÉMIRAMIS .
JEANNE D'ARQUES .
Quoi ? L'ignorez -vous ?
SEMIRAMIS.
t
Je fais bien que ces Meffieurs fe permertent
auffi facilement de prêter des
vices aux Princeffes de l'Antiquité , que,
des vertus à celles qui exiftent de leur
AOUST. 1763 63
temps . J'ai vu la fage Didon fort irritée
contre un certain Virgile qui l'accufe de
certaine avanture avec certain Héros
né , au moins , trois fiécles après elle.
Il eft vrai que j'ai vù Pénélope affez
contente d'un autre Poëte appellé Homère.
Il fait de cette Reine , qui fut des
plus galantes , un exemple de fidélité
conjugale. Rien ne prouve mienx que la
réputation dépend du hafard comme tant
d'autres chofes.
JEANNE D'ARQUES.
- Entre nous , ce hafard ne vous a favo
rifée qu'à demi. Les Poëtes dont je vous
parlois prétendent qu'après avoir fait
mourir votre époux Ninus , vous fuffiez
devenue très - volontiers l'épouſe de
votre fils Ninias :
SÉMIRAMIS .
Laiffons-là ces impofteurs , & venons .
au fait. Avouez que ce qu'il y eut de
plus merveilleux dans votre miffion fut
d'en avoir été ciue for votre paroleab
D
JEANNE D'ARQUES: iol
On m'en crut encore mieux d'après !
mes actions. J'avois promis des chofes
qui tenoient du prodige , & j'effectuai
ut ce que j'avois promis. Bien des gens
qui fe difoient infpires n'ont pas été auffi
tout
heureux .
ocheté
64 MERCURE DE FRANCE.
SÉMIRAMIS .
Vous euffiez bien dû prévoir l'échec
qui termina vos exploits.
JEANNE D'ARQUES.
Je portai trop loin le zéle & la préfomption.
Vous - même ne futes pas , je
crois , fort contente de votre éxpédition
des Indes ?
SÉMIRAMIS.
Du moins , ne reftai - je pas au pouvoir
de mes ennemis . Eft-il bien vrai que
les vôtres vous firent brûler comme forcière
?
JEANNE D'ARQUES.
Oui ; & cependant je vous jure qu'il
n'en étoit rien .
SÉMIRAMIS.
Vos Juges dûrent en être encore
moins foupçonnés.
JEANNE D'ARQUES .
Mes Juges vouloient plaire à l'ennemi
qui vouloit ma perte . Il ne pouvoit pardonner
à une femme de l'avoir vaincu .
SÉMIRAMIS .
Ceux que mon bras foumit fe montrerent
plus dociles. Tous m'encenfoient
comme une Divinité,
AOUST. 1763. 65
JEANNE D'ARQUES.
C'eft que vous n'étiez pas leur prifonniere
; fans quoi l'Autel eût pû devenir
un Bucher.
SÉMIRAMIS.
J'avoue qu'on n'étoit guères plus policé
de mon temps que du vôtre . Mais
fi j'en crois certains rapports , votre Patrie
a bien changé de face : on y donne
un peu moins aux préjugés , & certainement
on n'y condamneroit pas vos
pareilles aux flammės.
JEANNE D'ARQUES.
On y érigeoit encore moins des Autels
à vos femblables. Ne regrettons point
les temps où nous avons vécu : iis femblent
avoir été faits pour nous. Les Nations
éclairées ne croyent & n'admirent
très- difficilement. Peut - être quelques
fiécles plus tard , l'Héroïne de l'Afie
n'eût- elle jamais été que la femme d'un
Officier fubalterne , & l'Héroïne de la
France qu'une Servante de Cabaret.
que
66 MERCURE DE FRANCE .
POUR M. le Prince DE SOLRE
revenant de Londres après fa petite
vérole.
D
в mes voeux je goûte le fruit :
Il vient ; que mon âme eſt ravie !
C'eſt le plus beau jour de ma vie
Après la plus horrible nuit.
Pour voler plutôt dans nos bras
Dieu des vents , donne-lui tes aîles
Mes defirs plus rapides qu'elles
Prefferont encore ſes pas.
Mon coeur dans ce premier tranſport
S'occupe peu de fon viſage.
Je pardonne tout à l'orage
Au moment qu'il arrive au port.
Mais quel trouble ſaiſt mes ſens ?
J'entends du bruit , mon coeur palpite
C'eſt lui ! ... hâtons-nous , volons vîte
Jouir de les embraffemens.
ParM, DE WIEUMENIL , Abonné au Mercure.
A OUST. 1763. 67
LEE mot de la première Enigme du
fecond volume du Mercure de Juillet
eft le Temps. Celui de la feconde eft
la pelotte de neige. Celui du premier
Logogryphe eft Virgule , dans lequel
on trouve gril , lire , ivre , velu , vue ,
vil , vie , luire , grue , grive , rive , livre .
Celui du fecond Logogryphe eft Verger,
où l'on trouve guèrre , vèrre , ver,
Verge , grève , Eve.
ENIGM E.
EN vain j'offre au befoin quelque foulagement s
Par- tout où je parois , je bleſſe.
Du dégoûtant ennui je fuis le lâche enfant.
Je hante jufqu'aux lieux qu'habite l'allegreffe
Ailleurs je provigne fans ceffe.
Mon régne n'eſt que d'un inſtant :
Et fouvent une main traitrelle ,
Conduire par la politeffe , 20
Me ravit cet inftant.cque Nature me laiffe ,
Et m'étouffe en naiffand
Par M. BOYER.
68 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
A Madame la Comteffe de D *** , Dame
& Chanoineffe de ...
VOUS
ous en qui les vertus rehauffent la Nobleffe ,
A vous , fille d'efprit , trop belle Chanoineffe ;
c'eft. Caché dans votre fein ,
Devinez ce que
Un bienfait me révéle ,
Un foupir me décéle ,
Et la franche candeur me porte fur la main.
Que- ſuis-je ? Eh mais ! en tout fexe , à tout âge
Je fuis un mirmidon
Qui fait bien du tapage.
Ce que je fuis ! je fuis un don ....
Le morceau délicat de la téndre jeuneſſes
Le reffort vigoureux de la verte vieillefe
Le foyer des defirs ;
Le centre des plaifirs
Un théâtre , & dans la Nature
Le noeud , le dénoûment de plus d'une avanture.
Hé ! Madame , je fuis l'âme des fentimens ;
J'inſpire le Héros , enflâme les Apôtres,
Donne le prix aux patenôtres ,
Le parfum à l'encens. ,
Et la rocambole aux préfens ;
Je ſuis tout bon chez vous , & bien méchant chez
d'autres.
AOUST. 1763. 69
•
Bergers , Rois , j'adoucis ou j'aigris votre fort ;
Mes conquérans font mes conquêtes ;
J'anime les chanfons , & j'embellis les fêtes ;
On me chérit vivant & mort.
Donné fans goût , on me dédaigne ;
A propos refufé , c'eſt par- là que je règne;
On mépriſe qui m'auroit bas ;
De qui l'auroit haut , l'on fe moque ;
Double , on ne m'aime pas ;
Simple , un galant me croque.
Mais , auffi beau que vous l'avez ,
On l'adore , & ... pardon , nia Comteffe , obfervez
Que je fuis de moi-même
Le portrait , le chiffre & l'emblême ;
Qu'en cinq lettres j'offre mon nom ;
Qu'à dix- neuf ans vous avez le renom ,
Par mille traits divins , de me rendre adorable ,
Et , qui pis eft , vainqueur , & , qui mieux eft ,
aimable.
Le C ... D ... des bords de la S. ***
LOGO GRYPH E.
SEPT lettres , cher ami, qui forment ma ſtructure ,
Te donneront mon nom & toute ma figure.
Mon anagrame amufe & peut faire un fçavant.
En moi tu trouveras , en me décompoſant ,
Pronom démonftratif ; un ton de la Muſique ;
Ce que fait, bien ou mal , un maudit Empiriques
70 MERCURE DE FRANCE.
Un adverbe la tin d'interrogation ,
De la ville un chemin , une conjonction ,
Ce qu'à la guerre on voit , de l'Anglois un uſage,
L'épitéthe du Turc , de la France un Village.
Ami , je fuis encore un Saint du Paradis ,
Dont le nom à rebours exciteroit tes ris.
Cependant un peu mieux je voudrois bien t'inf
truire :
Si tu chéris mon nom , fûrement tu fçais lire .
Je babille un peu trop . Paix-là , Monfieur l'Auteur ;
Il ne faut pas rifquer d'ennuyer le Lecteur.
Par ROUSSEL fils.
J.
AUTR E.
A me charge de tout , propre à tous les offices ;
Et je fuis toujours prêt à rendre mes fervices ;
Le Dévot & l'Amant , le Prince & le Sujet ,
Ont recours à mes foins , chacun pour fon objet.
1
En un mot , cher Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Apprends que des mortels je ne tiens pas mon
être.
Tu trouveras en moi le fonds d'un bâtiments.
Ce qui dans une Ville eft d'un grand ornement ;
£ 16
Celle qui te donna naiſſance ;
Un terme qui des temps marque la différence ;
Ce qu'on dit d'un cheval qu'on ne peut approcher;
Et ce qu'on dit du fruit qui fléchit au toucher ;
AOUST. 1763 . 71
,
Un terme affez commun pour dire aller bien vîte;
Le fruit d'un arbre de mérite ;
Une ifle de l'Aunis ; une note de chant ;
Et ce qu'on dit fouvent qu'un Prêtre va cherchant
De Veniſe une forte Ville ;
Ce qui prouve le mieux un Chirurgien habile ;
Une herbe qui fert à purger ;
Ce qui d'un élément annonce le danger ;
Cet élément lui- même ; & ce qui fait le beurre ;
Si l'on ne me tient pas , je m'envole fur l'heure.
Par M. l'Abbé LE TEISSIEUX , de Laval
17
72 MERCURE DE FRANCE.
MARCHE exécutée à la Publication de
la Paix. ParM. DARD , de l'Académie
Royale de Mufique..
PAROD I E.
FIERES IERES Trompettes ,
Laiffez aux Muſettes ,
Laiffez aux Hautbois
En ce jour le foin d'accompagner nos voix.
Quand la Paix
Comble nos fouhaits ,
Anglois
Et François ,
Chantons fes attraits ;
Portons tous jufqu'aux Cieux
Nos tranfports & nos voeux ;
Et que les Dieux
Qui nous rendent tous heureux
Ainfi qu'eux ,
S'uniffent
En choeur applaudiſſent
Aux heureuſes loix
Qui réuniffent
Sujets & Rois.
Vive LOUIS!
Vive notre cher Maître !
Lui
Fieremt
Fieres trompettes , Laissés aux muse.Quandla
paice Comble nos souhaits, Anglois et Fieux Nos
transports etnos voeux Etque les Dieux Qr applau
dissent Aux heureuses loix Qui reunissl faitre
naitreparmi nous lesjeux et les ris , Cont tout
+
us prouve l'amour, En cejour En sentlerensnos con
nous
certs :Fieres trompettes , Laissés aux mus voix.
D
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
,
Vive notre cher Maître !
Lui
AOUST. 1763. 73
"Lui feul fait renaître
Parmi nous les jeux & les ris
Chantons ,
Célébrons ,
Chantons notre bonheur :
Son coeur ,
A fon tour ,
Dont tout nous prouve l'amour ,
En ce jour ,
En fent le retour.
Que nos tranſports ,
Que nos accords
Frappent les airs ,
Et répétons dans nos concerts :
Fières Trompettes ,
Laiffez aux Muſettes ,
Laiffez aux Hautbois
Accompagner nos coeurs & hos voix.
Par M. D. L. P
D
74 MERCURE DE FRANCE,
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES,
RÉPONSE de M. DE SAINTFOIX,
à M. L. C. D. L. V. ****
Vous mécrivez , Monfieur , que
vous venez de lire dans l'hiftoire de
d'Aubigné , T.3 , L. 1 , pag. 33 , que
Mademoiſelle de Rieux , Princeffe de
Bretagne, penfa devenirReine de France ,
le Duc d'Anjou , depuis Henri III, ayant
voulu l'époufer. Vous me demandez des
éclairciffemens
fur ce titre de Princeffe
de Bretagne, & de Princes qu'on voit
fur des tombeaux de la Maifon de Rieux ,
Les éclairciffemens que je puis vous donner
quant à préfent , ne feront pas longs ,
mais pofitifs. Les Sires de Rieux fe
qualifioient Seigneurs du Sang , & l'on
voit dans les regiftres des tenues des
Etats de Bretagne en 1576 & 1582 ,
que cette qualification fut confirmée
même à leurs cadets , par l'affemblée des
Etats , Pourquoi cette qualification ?
parce qu'ils defcendoient de nos anciens
Ducs par Rodald de Rieux , petit-fils
AOUST. 1763. 75
*
d'Alain dit le Grand , Duc de Bretagne
.
Les Colliers de l'Ordre de l'Hermine
felon la qualité des perfonnes à qui nos
Ducs les donnoient, étoient d'or, de vermeil
, ou fimplement d'argent; ils ne donnoient
fans doute le Collier d'or qu'à
leurs très -proches parens, ou aux Princes,
ou à ceux qui en deſcendoient. Dans les
comptes de Guillaume de Boigier , Tréforier
de l'épargne , années 1453 , 1454
& 1455 , on lit que le Duc a fait faire
un Collier d'or pour lui , au lieu du fien
qu'il avoit donné au beau confin de Rieux.
On lit encore dans d'autres articles , la
Ducheffe Ifabeau d'Ecoffe , Collier d'or.
Le beau corfin de Rieux , Collier d'or.
Le frere de la Reine de Bohême , Collier
d'or.
Renée de Rieux , que Henri III voulut
'époufer , étoit niéce de Claude de Rieux
qui avoit époufé le 13 Décembre 1529 ,
Sufanne de Bourbon , Fils unique de
Louis de Bourbon , Prince de la Rochefur-
yon , & de Louis de Bourbon Montpenfier.
J'ai l'honneur d'être , &c.
* Alain , petit-fils de Nominoë Roi de toute
L'Armorique , commença de régner en 879.
Dij
76 MER CURE DE FRANCE .
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
la mort de M. DE BULLIOUD
Capitaine de Carabiniers , Chevalier
de S. Louis , qu'une maladie de
poitrine vient d'enleyer à 22 ans.
"
MONSIEUR,
J'aurois continué à gémir feul de la
mort de M. de Bullioud , fi voyant le
filence qu'ont obfervé tous les papiers
publics fur cet événement , je ne me
croyois obligé de l'annoncer. Ce n'eſt
pas fimplement le devoir de l'amitié que
je remplis , ma douleur eût fuffi, Mais il
étoit dans cette claffe d'hommes , dont
-les tombeaux doivent être couronnés
de lauriers , & qui méritent autant d'encens
que de pleurs. Il s'eft fait connoître
à l'âge de 16 ans par une de
ces actions éclatantes , qui font honneur
à la Nation qui les produit , &
que l'on fait ordinairement paffer à la
-postérité. Tout le monde à lû dans les
Gazettes le fait fingulier qui lui a valu
à la Bataille de Crevelt la Croix de
Saint Louis , & le grade de Capitaine de
Carabiniers , dans un âge , ou à peine
les mères ofent expofer leurs enfans aux
AOUST. 1763. 77
dangers & aux fatigues de la guerre . Il
joignoit à ces qualités héroïques , toutes
ceiles de la fociété. Son éffai dans la
Littérature * , malgré fon incorrection ,
annonçoit de grandes difpofitions &
beaucoup de facilité. Je regarde fa mort
comme un malheur , & fa vie comme
un exemple. Les récompenfes qu'il a
reçues d'un gouvernement jufte , font
un encouragement de plus , pour les
jeunes gens qui marcheront fur fes traces.
Vous jugez , Monfieur , qu'avec
l'idée que j'avois de ce refpectable ami ,
j'ai éprouvé la plus vive douleur en le
voyant pendant deux ans miné par une
maladie qui ne lui pouvoit laiffer attendre
que la mort. C'eft dans cette cruelle
fituation qu'il s'eft livré à l'étude avec
cette noble tranquillité , qui caractériſe
une âme auffi pure & auffi élevée que
la fienne. Je plains toutes les perfonnes
qui s'étoient attachées à lui . Je fuis heureux
cependant d'avoir eu avec lui des
relations qui me laiffent des exemples à
fuivre.
Bullioud eft mort au Printems de fonâge
Comme une fleur , il n'a duré qu'un jour ;
De Mars il avoit le courage ,
Et l'air féduifant de l'amour.
La Pétriffée
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
La gloire en Lettres d'or a gravé dans fon Temple
Un trait de la prudence & de fa fermeté ,
Pour qu'aux plus vieux Guerriers il pûc fervir
d'exemple ,
Et lui valoir l'honneur de l'immortalité.
REMARQUES fur le véritable fens de
deux Vers de MARTIAL, & fur la
meilleure manièrede les traduire .
E
N m'amufant à parcourir les Lettres
de Buffy , je me fuis arrêté quelque
temps à la CLXI. Tome V. de l'édition
d'Amfterdam , 1738 , page 171. Ily eft
queftion de ces deux Vers de Martial :
Immodicis brevis eft ætas , & rara fenectus .
Quidquid ames , cupias non placuiſſe nimis.
Buffy rapporte diverſes manières de
traduire ces vers ; mais il me femble .
qu'il n'y en a aucune qui foit heureuſe,
D'abord, en confidérant ces vers comme
ifolés , on pourroit les appliquer à ceux
qui font des excès , ou de trop grands
efforts dans quelque genre que ce foit ,
& qui ne peuvent manquer d'abréger
par là leur carrière . D'après ce fens , j'ai
effayé de rendre ce Diftique de la manière
fuivante :
On ne peut marcher vire , & faire longue route ;
Des plaifirs trop ardens font bientôt en déroute.
AOUST. 1763. 79
Ou de celle- ci :
Tout excès fait périt , ou hâte les années.
Aimons les voluptés , mais douces & bornées.
Si ces deux traductions n'ont pas le
mérite de la Poëfie , dont je n'ai garde
de me piquer , elles ont au moins celui
de la précifion , en rendant l'une &
l'autre le Distique de Martial par un
autre Diftique , au lieu que les traductions
de Buffy & de,fes contemporains
font plûtôt des paraphrafes , ayant chacune
quatre vers.
Mais avant que de les rapporter , il
faut revenir au véritable fens des paroles
de Martial. Il n'a point en vue ceux
qui fortent eux-mêmes des bornes ordinaires
de la Nature, foit par leur génie
& leurs talens , foit par un goût immodéré
pour les plaifirs . Non : il s'agit de
ceux que la Nature elle-même a diftingués
, privilégiés , mis hors du pair , pardes
qualités rares , tant du corps que de
l'efprit , de ces jeunes gens qui , par l'un
ou l'autre de ces endroits , font regardés
comme des prodiges , ou même qui les
réuniffent , comme le faifoit celui dont
Martial déplore la perte. De tels phénomènes
, felon lui , difparoiffent bientôt
ces jeunes gens font immanqua-
Div '
80 MERCURE DE FRANCE.
blement enlevés au Monde avant que
d'avoir atteint la confiftance de l'âge viril.
Les Commentateurs prétendent que
cette opinion tient à un préjugé du Paganifme,
fuivant lequel les Dieux étoient
fufceptibles de jaloufie , & faifoient périr
les objets trop parfaits que cette Terre
produit de temps en temps. Quoiqu'it
en foit , il faut lire l'Epigramme entière
que les deux vers en queftion terminent.
Cette Épigramme , auffi bien auffi bien que celle
qui la précéde ( Lib. VI . Epigr. xxvIIF
& XXIX.)roule fur Glaucias . Ce jeune
affranchi d'un Seigneur Romain , nommé
Relior Atedius , étoit mort dans fa
treiziéme année , & fes rares qualités
excitoient les plus douloureux regrets ;
c'eft pour les adoucir que le Poëte conclut
par une réfléxion morale, en exhor
tant à ne pas s'attacher à des objets charmans
à la vérité , mais dont la durée
eft pour l'ordinaire fi courte .
Ecoutons à préfent Buffy. Il traduit
d'abord ces deux vers dans la profe
fuivante. Les gens au-deffus du commun
rarement vivent long -temps ; ainfije vous
confeille de fouhaiter que ce que vous
aimerez, ne vous plaife point trop . Tout
cela ne me paroît pas trop bien exprimé.
Les gens au-deffus du commun rendent
fort imparfaitement le mot immodici
AOUST. 1763.
2r
pour lequel , à la vérité , il feroit difficile
de trouver dans notre Langue un terme
propre. Je ne fçais fi celui d'extraordinaire
ne vaudroit pas du moins un peu
mieux. Les hommes extraordinaires font
de courte vie , & vieilliffent rarement.
Buffy dit rarement vivent long-temps ;
ce qui , outre l'inconvénient de la cacophonie
, ne répond pas à l'original ,
où il y a deux idées , fynonymes. à la
vérité , mais féparément énoncées , vivre
peu, & vieillir rarement. Continuons
Ainfi je vous confeille eft une longueur
mutile . Il s'agit feulement de bien rendre
2
Quidquid ames , cupias non placuiffe nimis ..
J'avoue que cela n'eft pas aife ; it
y a d'abord une efpèce d'équivoque qui
naît de la conftruction Latine , car cela
peut également fignifier , illud non placuiffe
tibi , ou te non placuiffe illi : en
François , qu'il vous plaife , ou que vous
lui plaifiez. Le but de Martial raraène
pour tant au premier de ces deux fens
Il ne refte qu'à faire .fortir l'idée renfermée
dans ces termes ; ce fera ,
ne me trompe , en difant : Quel que
foit l'objet de votre attachement , ne defirez
pas qu'il ait trop de charmes. Et
pourquoi ? C'eft que plus cet objet fera.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
effectivement doué d'avantages rares ,
de qualités merveilleufes , plus vous
courrez rifque de le perdre , & de fentir
vivement fa perte. Il s'agit à préfent de
voir quel est le meilleur tour qu'on pour
roit donner à cette penſée , en la mettant
en vers François.
Voici les trois Traductions rapportées
dans la Lettre de Buffy.
La première eft de Pellion.
Telle eft la loi du Ciel : nul excès n'eft durable,
S'il paffe le commun , il paffe promptement.
Voulez -vous être heureux ? Souhaitez en aimant
Que ce que vous aimez ne foit point trop aimable.
La feconde eft d'un Religieux défigné
par les lettres S. C.
Telle eft la loi du Ciel ; nul excès n'eft durable.
Tout fentiment outré le détruit promptement.
Voulez -vous éviter des chagrins en aimant ?
Evitez d'aimer trop un objet très - aimable .
La troifiéme enfin eft celle de Buffy
même.
Telle eft la loi du Ciel ; nul excès n'eft durable.
Ce qui n'eſt pas commun , paffe fort promptement
;
Ainfi , pour éviter des chagrins en aimant ,
Il faudroit n'aimer rien d'extrêmement aimable.
Indépendamment de la fidélité , j'ofe
AOUST. 1763 . 83
"
dire que la verfification de ces trois
Traductions me paroît tout-à-fait profaïque
; mais revenons à l'idée formelle ,
à l'intention pofitive de Martial. Buffy
déclare & foutient à plufieurs repriſes
qu'il n'y a pas de bon fens dans cette
Epigramme. La raifon qu'il en allégue,
» c'eft que perfonne n'aime jamais , foit
» en amour , foit en amitié , qu'il ne
» fouhaite que l'objet auquel il s'attache
»foit parfaitement aimable. » Mais je
crois que Buffy fait tort à Martial, &
que celui ci a penfé très -jufte. Il exige ,
non que nous fouhaitions de ne pas
trouver trop aimable ce que nous aimons
, mais qu'avant de nous attacher ,
nous prenions la précaution de ne pas
faire choix de ces objets extraordinaires ,
immodici , que nous perdons bien- tôt.
Il y a peut-être un peu trop de concifion
dans le vers qui exprime cette penfée ;
mais il me femble que le fens n'eft point
énigmatique , & furtout qu'il n'eft point
vrai que cette fin d'Epigramme manque
de bon fens. Je ne fais fi je ferai mieux
connoître la vérité de mon affertion ,
en produifant les quatre vers que j'emploie
à traduire ceux de Martial.
De ceux à qui le Ciel prodigue fes faveurs ,
La mort toujours trop tôt nous arrache des
pleurs, D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
N'aimons point ces objets dont les charme
raviffent.
Il en coûte , hélas ! trop lorſqu'ils s'évanouiffent.
Voilà , fi je ne me trompe , & le
fonds de la penfée de Martial , & l'équivalent
de fes expreffions . Peut-être
que ces deux petits vers de Quinault
vaudroient encore mieux .
N'aimons jamais , ou n'aimons guères ;
Il est dangereux d'aimer tant.
Par M. Formey, Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale de Pruffe,
THEATRE de M. FAVART , Ou
Recueil des Comédies , Parodies &
Opéra - Comiques , qu'il a donnés
jufqu'à ce jour , avec les Airs, Rondes
& Vaudevilles notés dans chaque
Pièce. Nouvelle édition ; en huit Vo-
Lumes in-8 ° Paris , 1763 , chez Duchefne
, Libraire , rue Saint-Jacques,
au Temple du Goût..
LE Théâtre de M. Favart, fi piquant
par fa fingularité , par la variété des com
'AQUST. 1763. 85
pofitions , & par les agrémens répandus
dans toutes celles qu'il nous préſente ,
réunit prèfque tous les genres qui , depuis
trente ans , ont fait l'objet des
Spe&acles. Opéra-Comiques , Parodies ,
Comédies Lyriques , Paftorales , Piéces
de fentimens, & c, tout ce que le Théâtre
Italien & celui de la Foire ont produit
de plus ingénieux dans les nouveaux
genres qui s'y font introduits fucceffivement
, fe trouve ici raffemblé. Ainfi
ceux qui voudront connoître les divers.
génies de ces deux Théâtres , dans la
durée du temps qu'embraffe la collection
de fes Ouvrages , les y reconnoîtront
fans peine , parce qu'il leur a
fouvent donné le ton , au lieu de le prendre
; ce qui montre , dans cet agréable
Écrivain , une ſupériorité de talens qu'on
ne met plus en queftion . L'hiftoire des
productions de M. Favart , eft donc en
quelque forte celle des deux Théâtres
auxquels il s'eft le plus attaché , & l'on
verra qu'aucun Auteur n'a mieux réuffi
à varier nos amufemens à ces deux
Spectacies.
De ces genres de compofition fi différens
, fi difparates , & qui fans doute
demandoient une grande foupleffe d'ef
prit , conclura-t-on qu'il a déféré à l'inſ86
MERCURE DE FRANCE.
tabilité de nos goûts , à l'inconftance
naturelle qui nous emporte rapidement
vers tous les objets où nous croyons voir
quelque lueur de nouveauté ? Il nous
femble au moins qu'on doit faire une
diftinction , que nous laifferons développer
à ceux qui en auront le loiſir. Il
y a un Goût indépendant de nos moeurs
& de notre génie , une forte de fentiment
général qui fixe par- tout les idées du
beau , du bon , du mauvais , fous quelque
forme qu'ils fe produifent ; & c'eftlà
le Goût , abfolument dit , Goût uniforme
& invariable chez tous les Peuples
où font cultivés les Lettres & les Arts.
Il y a un Goût national , qui tient entièrement
à nos moeurs , au caractère général
, à nos préjugés , & dont toutes
nos productions , tous nos jugemens
ont plus ou moins l'empreinte. Ce Goût
national peut fe modifier , & fe modifie
en effet chez nous plus que chez tous les
autres Peuples. De- là tous ces goûts
paffagers , dont les viciffitudes , courtes
& foudaines , influent d'une manière fi
fenfible fur nos amufemens en tout
genre.
M. Favart eft venu , fi on l'ofe dire
dans le temps critique de la plus grande
effervefcence , de la plus grande mobiAOUST.
1763. 87
lité de ce goût fi léger , fi fugitif , A
difficile à fixer , & il s'eft voué aux deux
Théâtres où fon inconftance eſt le plus
marquée. Il a commencé par celui de
la Foire , connu fous le nom d'Opéra-
Comique , & c'eft-là qu'il a fait fes premieres
armes. Mais voyons en quel état
étoit alors ce Spectacle .
*
Le Théâtre de la Foire , formé en
partie des débris de l'ancien Théâtre
Italien qui fut fupprimé en 1697 , s'établit
fous différens noms , vers le commencement
du fiécle ; mais ce fut
fous la Régence ( en 1719 ou 1720 )
qu'il prit , avec une forme plus conſtante
& plus régulière , le nom d'Opéra-Comique.
On pourroit cependant lui trouver
une origine bien plus ancienne ,
fondée fur deux Piéces peu connues , &
qui font dans le cabinet de M. Favart.
L'une eft intitulée la Comédie des Chan
fons , & imprimée à Paris , chez Touffaint
Quinet , au Palais en 1640. L'au
tre, qui a pour titre l'Inconftant Vaincu,
* La réunion de l'Opéra-Comique à la Comédie
Italienne , l'a fait revenir en quelque forte à
fes premiers élémens ; & l'on n'a guères fait autre
chofe que reftituer à celle- ci ce qui en avoit été
démembré . La fente comparaifon du Théâtre de
Gherardi avec celui dela Foire , fuffira pour juftifier
cette réfléxion .
88 MERCURE DE FRANCE.
eft une Paftorale en chanfons : elle parut
environ vingt ans après la première , &
elle eft imprimée à Paris , chez Etienne
Loyfon , en 1661 .
» n'a
-
» La Comédie des Chanfons ( aux
» termes de l'Avertiffement qu'on y
» lit ) , faite de piéces rapportées où l'on
pas ajouté un mot , eft une efpéce
» de Mofaïque compofée de Vaudevilles
» & d'Airs de Cour , comme on diſoit
alors ». Voilà donc bien formellement
l'Opéra- Comique tenté dès 1640 , & en
même temps la Parodie. Car ( au moins
fuivant l'Editeur ) , autre que dans
» cette Comédie il n'y a pas un mot qui
» ne foit un vers ou un couplet de quel-
» que chanfon tel en eft l'artifice
» qu'une chanfon ridicule répond fou-
» vent à une des plus férieuſes , & une
» vieille à une nouvelle ». Au refte ,
cette Piéce , quoiqu'imprimée avec privilége
du Roi , eft extrêmement licencieuſe
, fans moeurs , fans intérêt , fans
intrigue. On y peint des amours földatefques
, une jeune fille très-libertine
qui fe trouve groffe , & qui eft toujours
dans le cas d'une occafion prochaine..
Enfin , elle n'a d'autre mérite que de
dater de plus d'un fiécle , & de nous.
avoir confervé quelques couplets paffa
bles pour le temps..
AOUST. 1763. 89
, L'Inconftant Vaincu malgré les
grands Airs dont cette Piéce eft compofée
, malgré le férieux des amours
qu'elle repréfente , vaut encore moins
que la premiére. On a voulu l'égayer ,
en y introduifant une forte de Goinfre
ou d'ivrogne toujours cloué au cabaret
, & une eſpèce d'amant tranfi , qui ,
pour fe dépiquer du mauvais fuccès de
fes très-froides amours , prend le même
parti : mais tout cela du plus bas comique
& fans aucun fel.
Quelle que foit l'origine de l'Opéra-
Comique , il s'accrédita dans ces tems
de vertige , où le fyftême ayant confondu
tous les états , par dès fortunes
auffi étranges que rapides , entraînoit
néceffairement la corrupsion du goût
& des moeurs. Ce Spectacle , alors
très - licentieux , ne faifoit que par
* Cé SpeЯacle , fi analogue au fond de gaie
té , au génie chantant qui caractérisent la Nation
, a fûrement précédé les Opéra Bouffons
d'Italie. La Pomone de l'Abbé Perrin , ( où
les Satyres de la fuite de Priape voulant embraffer
les Filles de Lamfaque , celles - ci fe
changent en autant de buiffons d'épines ; les
premiers Opéra de Quinaut , Cadmus & Al
cefte , mêlés de Seénes (comiques , le Pourceaugnac
de Moliere , & quelques ; divertiffemens du
même, fembloient avoir indiqué ce genre.
90 MERCURE DE FRANCE.
ler à- peu-près le langage des fociétés :
fa licence , par conféquent , devoit moins
être imputée aux Auteurs qui en fouilloient
leurs écrits , qu'au Public même
dont il falloit malheureufement flater la
dépravation , pour l'attirer & obtenir
fon fuffrage.
Le Sage , Dorneval , Fufelier, & quelques
autres bons Ecrivains , tenterent
d'annoblir l'Opéra - Comique. Ils commencerent
à le purger des obfcénités
les plus groffières , ou du moins à y
introduire , avec plus de fineffe & plus
d'art , le goût de la bonne plaifanterie .
S'ils ne purent pas remplir entierement
leur objet , c'eft que l'on étoit prévenu
qu'une liberté cynique conftituoit ce
genre , & qu'elle en devoit être le
caractère diftin &tif. Le vice étoit trop
enraciné ; il falloit du temps pour le
détruire , & ce n'eft que par degrés
qu'on eft parvenu à rendre ce Spectacle
digne des honnêtes gens. Cependant il
fut dès les premiers temps l'Ecole de nos
meilleurs Comiques , qui tous s'effay erent
dans ce genre. Mais pour en bien
diftinguer les caractères , il faut le divifer
en quatre Ages.
Un Greffier de la Ville , aidé de quelAOUST.
1763. 91
ques amis , commença à mêler des couplets
dans des Scènes empruntées du
Théâtre Italien , ou compofées dans le
goût de ce Théâtre. L'Abbé Pelegrin,
qui n'avoit encore fait que des Cantiques
Spirituels , qu'on pouvoit eftimer, mais
qu'on payoit mal , crut être mieux récompenfé
en confacrant fes talens Lyriques
au genre profane . Il fit le premier
pour la Foire quelques Pièces en
Vaudevilles ; & comme ce Spectacle
étoit livré à toute la licence que les
moeurs toléroient alors , il n'y épargna
pas le gros fel . C'eft à ce temps qu'on
peut rapporter le premier Age de l'Opéra-
Comique. Le Sage , Dorneval , Fufelier,
la Font , le Grand , & l'Auteur de la
Métromanie, qui foutinrent affez longtemps
fa fortune , appartiennent à ce
premier âge. Quelques - unes de leurs
productions fe reffentoient peut - être
encore de la liberté des chanfons de
Blot , & des groffes gaietés de Dancourt,
qui femble avoir auffi contribué à donner
le ton au Théâtre de la Foire ; mais
on vit du moins percer l'efprit , le bon
goût dans ce qu'ils hafarderent de plus
libre. La Philofophie même s'en mêla :
le Sage en fit entrer des traits dans les
92 MERCURE DE FRANCE .
Pèlerins de la Mecque , & dans quelques
autres Piéces .
Nous fixerons le fecond Age de l'Opera-
Comique au premier temps de M.
Pannard , qui eft celui de Fagan , de
Boiffi , de Carolet , & du début de M.
Favart. M. Pannard , à ce Théâtre , fit
principalement rire la Morale , & perfonne
ne l'a fi bien préfentée fous le
mafque de l'amufant Vaudeville . Caro
let auffi mince Ecrivain qu'obfcène
Comique,ne doit jamais être cité. Quant
aux fieurs Fagan & Boiffy , ils ne prélu→
derent à ce Spectacle que pour s'élever
aux compofitions agréables qu'ils donnerent
depuis aux deux autres. Les premières
Pièces de M. Favart déceloient
déjà fon goût pour le Sentiment , & c'eſt-
,
* Ce Couplet de la Pièce intitulée l'Espéranse
, quoiqu'un peu tourné au fophifme , a més
rité d'être retenu..
Demain eft un jour qui fuit ;
Dont on ne voit point l'exiſtence ;
Au milieu de chaque nuit ,
Il' perd fon nom dans fa naiſſance ;
Quand on croit s'afflurer de lui ,
On trouve que c'eſt Aujourd'hui.
Jüfqu'à préfent aucun Humain.
N'a pu voir arriver demain...
A O UST. 1763. 93
là proprement le genre qu'il a introduit
dans un Spectacle où l'on n'en voyoir
prèfque aucune trace.
2
Le troifiéme Age de l'Opéra - Comique
ne s'étend guères au-delà des deux
principaux Auteurs qui l'ont feuls , àpeu-
près , rempli. M. Favard & le fieur
Vadé fembloient s'être partagé le Spectacle.
Le dernier eft communément regardé
comme l'Inventeur du Genre
Poiffard , & il en eft du moins le Coryphée.
Mais comme le génie ou le talent
particulier d'un Acteur détermine affez
fouvent le goût des compofitions , M.
Favart avoit éffayé ce genre dans les
Bateliers de Saint Cloud , où le Sr
Leclufe rendoit fi naïvement le langage
& le maintien des gens de rivière . On
pourroit même le faire remonter juſqu'à
'Impromptu du Pont -Neuf, donné par
M. Pannard en 1729 , à l'occafion de
la Naiffance de Mgr le Dauphin *.
Dans le quatriéme & dernier Age de
L'Impromptu du Pont-Neufnous rappelle un
fait intérellant , dont il eft bien jufte de faire honneur
à M. Pannard. C'eft lui qui a été le premier
l'organe d'un fentiment imprimé dans tous les
coeurs des François , qui , dans le Vaudeville des
Fêtes Sincères , repréſentées à la Cour en 1744
devant la Reine , a nommé le Roi LOUIS LE
BIEN-AIMÉ,
94 MERCURE DE FRANCE .
l'Opéra-Comique , on voit encore figurer
M. -Favart , & commencer M. Sedaine
, qui par le choix fingulier de fes
fujets , par la conduite de fes Drames &
l'efprit naturel qu'il y fait entrer , a le
mérite , aujourd'hui f rare , d'avoir un
genre à lui , d'être original. Cet Age eſt
celui des Pièces à Ariettes , dont on
peut fixer la première époque à la Parodie
de Raton & Rofette , donnée au
Théâtre Italien par M. Favart en 1753.
Les Troqueurs, de Vadé, mis en Mufique
par M. Dauvergne , font le premier éffai
dans ce genre fait au Théâtre de la Foíre ,
& cet éffai fut trop heureux pour n'être
pas très - promptement imité , comme
on imite parmi nous,avec une espéce de
fureur. De là toutes ces mauvaiſes rapfodies
que leur charivari mufical fait
aujourd'hui paffer dans la foule , mais
qui ne font point illufion à ceux dont
tout l'efprit n'eft pas dans l'oreille.
Si M. Favart , en entrant dans la carrière
, trouva l'Opera - Comique en train
de s'épurer quant au goût & aux moeurs,
il y avoit encore bien de l'ouvrage à
faire , & il a plus contribué que perfonne
à y attacher la décence fi néceffaire
dans tous les amuſemens publics , qui
ne peuvent qu'y gagner de toutes faAOUST.
1762 . 95
cons * . Car quoiqu'en difent les liber
tins , on l'a décidé depuis long- temps:
* Puifque l'occafion fe préfente , rendons au
Sieur Monnet la juftice qu'on ne fçauroit lui
refufer. C'eft à lui que l'Opéra- Comique a dû
le bon ordre , la décence extérieure , & même
l'éclat qui dans les derniers temps l'avoit
élevé au rang des Spectacles réglés . Il obtine
en 1743 , pour fix ans , le Privilége de l'Opé
ra-Comique , & commença par folliciter une
Ordonnance du Roi pour en écarter la Livrée ,
qui de tous temps étoit en polleflion du Parterre.
Il décora très proprement la Salle , n'épargna
rien pour former un bon Orqueftre ,
changea toute la face du Spectacle , & porta
dans toutes fes parties cette intelligence & ce
goût dont il a donné tant de preuves . Tour Paris
vint en foule applaudir aux nouveaux agrémens
d'un Théâtre qui s'annobliffoit de jour en jour,
C'eft dans l'Ambigu de la Folie , ( Parodie des Indes
Galantes , de M. Favart ) qu'il donna à la
Foire S. Laurent même année 1743 ) qu'on vit
éclorre les ralens de trois grands Sujets , Mlle Pu
vigné , Mlle Lany & M. Noverre ;ils danferent le
Pas-de-Trois de l'Acte des Fleurs. La Foire S.
Germain fuivante fut encore plus brillante que
la
premiere. L'Acajou de M. Favart joué d'original
par de bons Acteurs formés au goût du nouveau
Théâtre , eut un fuccès étonnant , & le fieur Monnet
y contribua beaucoup par la dépense qu'il fit
pour cette Pièce. Enfin tel fut le fuccès des deux
Foires , qu'il excita la jaloufie . On infpira à M.
Berger, alors Directeur de l'Opéra , de faire réfi
lier le bail du fieur Monnet, & celui- ci n'eut que
l'honneur d'avoir bien monté le Spectacle qui fit
96 MERCURE DE FRANCE.
ce neft jamais que faute d'efprit , & furtout
d'imagination , quon ne fçait rien
voiler , que l'on voile mal , que l'on defcend
même à ces froides équivoques ,
beaucoup plus méprifables fans doute ,
que toutes les nudités Gauloifes dont
notre délicateffe rougit.
M. Favart étoit fort jeune alors ; car ce
fut en 1734 , à la foire S. Germain , qu'il
donna fa premiere Pièce intitulée les
Deux Jumelles. Cette Pièce en enfanta
plufieurs autres , & prèfque toutes les
années , depuis cette époque , ont été
marquées par de nouvelles productions.
Le Génie de l'Opéra-Comique , & l'Enlévement
Précipité ( 2 Actes ) donné en
1735 ; le nouveau Parnaffe ( 1 Ace ) ,
la Dragonne (2 A&tes ) , l'Amour& l'Innocence
, Ballet entremêlé de Scènes dont
l'idée eft de M. de Verriere , en 1736 ;
le Vaudeville , Prologue , la Pièce fans
titre ou le Prince Nocturne ( 1 Acte ) ,
& Mariane ( 1 A&te ) , en fociété avec
pendant quelques années l'amufement le plus pi
quant de la Capitale. En 1752 , le fieur Monnet
reprit le bail de l'Opéra- Comique , qu'il a continué
jufques & compris 1757. Dans cette même
année 1752, il fit conftruire à fes frais à la Foire
S. Laurent le plus joli Théâtre , & le mieux entendu
peut-être, qu'il y ait en France.
M.
AOUST. 1763 . 97
*
M. Pannard, en 1737 ; * le Bal Bourgeois
( 1 Ade ) , en 1738 ; * Moulinet
Premier , les Réjouiffances Publiques ,
Pièce mêlée d'Intermédes , Harmonide,
Parodie de l'Opéra de Zaïde , ( 3 A&tes) ,
& les Fêtes Villageoifes , ( 2 Actes ) avec
un Prologue , en 1739 ; Pyrame &
Thifbé , Parodie de l'Opéra du même
titre , la Servante Juftifiée , la Barriere
du Parnaffe ou la Mufe Chanfon
niere , les Recrues de l'Opéra- Comique ,
les Epoux , fur un fond procuré par M.
Parmentier , & * les Jeunes Mariés ( 5
Actes ) , en 1740 : voilà vingt Pièces
qui précéderent la Chercheufe d'Esprit ,
& dont on n'a confervé que les quatre
Pièces marquées d'une étoile.
en
LA CHERCHEUSE D'ESPRIT
1741 , développa tous les talens de l'Auteur
, & lui affura le premier rang dans
ce genre de compofition . Cette Pièce
fut fuive dans la même année ( 1741 )
de la Joye , 1 A&te ; de Farinette , Parodie
de Proferpine , 1 Acte ; du Bacha
d'Alger , 1 A&te ; * des Bateliers de
Saint Cloud , I A&te ; des Valets , où
M. Valois d'Orville a eu pait , 1 Acte ;
& en 1742 , de la Fauffe Duegne ,
Sujet fourni par M. Parmentier , en 2
Actes. Ce font fix Pièces à ajouter au
E
98 MERCURE DE FRANCE
dénombrement des productions de l'Aas
teur.
Long-temps avant ces Effais de M.
Favart ( on diftinguera bien les Pièces
que nous ne comprenons point fous le
not d'Effais ) , le Théâtre Italien s'étoit
enrichi d'un nouveau genre , de LA PARODIE
* , qui , felon toutes les apparences
, en l'état où nous l'avons au
jourd'hui , ne nous vient pas directe
ment des Grecs qui l'ont inventée , ou
a bien pris le goût de notre terroir.
M. l'Abbé Sallier , qui voyoit ces
Grecs d'affez près , avoit découvert chez
eux quatre efpèces de Parodies , qu'il
réduit à deux principales , à la Parodie
fimple & narrative , & à la Parodie Dramatique
**. Nous nous fommes emparé
de ces deux - là , & il prétend que
la dernière, c'eft- à-dire la Parodie Théâ
* Ce mot , tout Grec , eft compofé de masa &
du fubftantif on chant . Or la prépoſition Para ,
qui modifie tant de mots Grecs , attache à la fois
à celui-ci une idée de reflemblance & une idée
d'oppofition .
L'invention de celle - ci eft attribuée à Hégé
mon, de Thafus , Ifle de la Mer Egée , lequel
dans la 91. Olympiade apporta une Parodie Dramarique
, au lieu d'une Comédie ordinaire , pour
Ja diftribution des prix qui fe faifoit dans les Jeux
publics.
AO UST. 1763. 99
trale , devient entre les mains de la Critique
le flambeau dont on éclaire les défauts
d'un Auteur qui avoit furpris
l'admiration *. La Motte n'étoit pas
de cet avis. A l'occafion de la Parodie
d'Inès , dont il fut beaucoup trop piqué
pour un homme qui entendoit fi
bien raillerie , il fit un Difcours fur les
Parodies , où il les repréfente comme
une Mode Françoife , fille d'un badinage
dangereux , amufement malin des
efprits fuperficiels. Fufelier lui répondit
vivement dans un Difcours ingénieux
fervant de Préface au Recueil des
Parodies de la Comédie Italienne , publié
chez Briaffonen 1738,& il ne manqua
pas de fe prevaloir de l'autorité du
Sçavant contre le Bel- Efprit qui croyoit
peut-être de bonne foi la Parodie née
Françoife.
Quoique la Motte & fes partifans en
puffent dire , on continuoit de goûter
la Parodie Dramatique , & tous les Opéra
anciens ou nouveaux toutes les
Tragédies nouvelles , payoient un tribut
aux Parodistes. M. Favart fe partagea
donc entre ce genre & l'Opéra- Comique
, & il excella dans l'un & dans
** Mémoires de l'Académie des Infcription &
Belles-Lettres , tom.z. pag. 398.
#
E ij
foo MERCURE DE FRANCE.
"
mo
l'autre. Ce font principalement ces deux
genres qui conftituent fon Théâtre , &
nous allons indiquer les Pièces dont les
huit Tomes font compofés.
IL étoit jufte de donner le pas aux
Pièces du Théâtre Italien , & elles rempliffent
quatre volumes, tant de Parodies
que d'autres Pièces Lyriques.
LES Parodies font : 1° . Hyppolite &
Aricie , Parodie de l'Opéra du même
nom , 1 Acte , 1742.
2º. Les Amans inquiets , Parodie de
Thétis & Pélée ; 1 A&te , 1751.-
3°. Les Indes Danfantes , Parodie
des Indes Galantes , font : le Turc généreux
, les Incas du Perou , & la Fête
des Fleurs , 1751 ; avec les Airs & Vaudevilles
notés .
4°. Fanfale , Parodie d'Omphale , &
les Divertiffemens , avec M. de Marcouville
, 1752.
5. Tyrcis & Doriftée, Parodie d'Acis
& Galatée , 1 Acte , 1752.
6°. Baioco & Serpilla , Parodie du
Joueur , Interméde Italien , 3 Actes ,
avec les Ariettes notées , 1753. Le fond
de cette Pièce n'appartient pas à M. Fail
eft de Dominique & Romagnefi
Des Bouffon's Italiens repréfenterent
en 1728 ou 1729 , fur le Théâtre de
l'Opéra , plufieurs Intermédes qui eu .
vart ;
AOUST. 1763.
101
,
Don
7 9
tent du fuccès & entr'autres
Mico e Lefbina , Baioco e Serpilla . Les
deux Auteurs que nous venous de nommer
parodierent ces dernieres Pièces
en faifant un mêlange de François &'
d'Italien . En 1753 , de nouveaux Bouffons
d'Italie s'inftallerent encore fur la
Scène Lyrique , & leurs fuccès ont
fait parmi nous une révolution dans
l'Art Mufical. Les Bouffons profcrits ,
il y eut un déchaînement prefque général
contre la Mufique Italienne ; mais
en s'élevant contre cette Mufique , on
l'imitoit infenfiblement , & fon génie
eft devenu à préfent le nôtre . On peut
auffi rapporter à cette époque la naiffance
des Pièces à Ariettes. M. Sodi , Muficien
Italien , faifit cette circonftance ,
pour faire de la Mufique nouvelle fur.
l'ancienne Parodie de Baioco e Serpilla ;
mais comme les Paroles ne convenoient
plus au goût actuel du Théâtre M.
Favart reprit l'Ouvrage fous oeuvre ,
& le mit dans la forme où il eft dans
ce Recueil .
?
2.
7°. Raton & Rosette ou la Vengeance
Inutile Parodie de Titon &
l'Aurore , avec les Ariettes Italiennes
& les Vaudevilles , 1 A&te , 1753 .
8°. Zéphire & Fleurette , Parodie de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
l'Acte de Zélindor , avec MM. Pannard
& Laujon , 1754.
9°. Les Chinois , Parodie del Cinefe ,
& les Ariettes notées , 1 Acte , avec M.
Naigeon , 1756.
10°. La Noce Interrompue , Parodie
d'Alcefte , 3 A&tes , 1758.
11 °. Petrine , Parodie de Proferpine,
1 Acte , avec Divertiffement & Vaudevilles
, 1759. M. Sedaine y a fait quelques
couplets.
On n'a point compris dans ce Recueil
une Parodie de Dardanus , faite en
fociété avec M. Pannard,
LES Comédies & Pièces Lyriques , au
nombre de huit, font:
Don Quichotte chez la Ducheffe , Ballet
Comique en 3 Actes , repréfenté par
l'Académie Royale de Mufique en 1743.
La Mufique eft de M. Boifmortier. Mlle
Claironjouoit à l'Opéra dans cette Pièce.
Les Amours Champêtres , Paftorale
r A&te , 1751 .
91
0
La Coquette Trompée , Comédie Lyrique
, repréfentée à Fontainebleau fur
le Théâtre de la Cour , en 1753 , & enfuite
à Paris par l'Académie Royale de
Mufique , en 1758 , 1 A&te. La Mufique
eft de M. Dauvergne.
La Bohemienne Comédie en vers ,
mêlée d'Ariettes , & traduite de la ZinAOUST.
1763. 103
gara , Intermède Italien , 2 Actes , avec
la Mufique des Ariettes , 1755.
Le Caprice Amoureux , ou Ninette à
la Cour , Pièce en 2 Actes , mêlée d'Ariettes
, repréſentée en 1755 , en 3 A&tes ,
& réduite à 2 en 1756. Toutes les Ariettes
notées font jointes ici à la Pièce.
La Soirée des Boulevards , Ambigu
Comique mêlé de Scènes , de Chants
& de Danfes , ( Pièce très-gaie & trèsamufante
, ) 1759 .
Supplément à la Soirée des Boulevards ,
compofé de neuf Scènes , avec Divertiffement
& Vaudeville , 1759 .
Soliman Second , Comédie en 3 Actes
en vers , très- bien écrite , & dont
le fuccès a été fi foutenu , fi marqué .
Le cinquiéme Tome de ce Recueil
contient les Ouvrages de Madame Fa
vart. On fent bien qu'en la nommant ,
c'eft nommer auffi fon mari , dont il
eft aifé de reconnoître le ftyle ; mais
entre époux de bonne intelligence , les
talens & les agrémens de l'efprit doivent
entrer dans la communauté. Madame
Favart , à portée de puifer à la
fource le goût des fentimens délicats
avec l'art de les exprimer , réunit danc
le talent de la compofition à ceux de
l'action . De là les fix Piéces qui rem-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
pliffent ce Volume . Ces Piéces confiftent
1 ° . en quatre Parodies , qui font :
Les Amours de Baftien & Baftienne ,
où M. Harny a eu part . C'eſt une Parodie
du Devin de Village , fur laquelle il
fuffira d'obferver qu'aucune Piéce n'a
été jouée fi long-temps , ni fi conftamment
redemandée; en forte que les Co.
médiens fe font plutôt laffés de la redonner
fi fouvent , que les Spectateurs de la
revoir après une infinité de repréſentations
, Acte , 1753.
Les Enforcelés , ou Jeannot & Jeannette
, Pièce à laquelle ont travaillé MM.
Guerin & Harny. C'eft une espèce de
Parodie de la Surprife de l'Amours
1 Acte , 1757.
La Fille malgardée
ou le Pédans
Amoureux
, Parodie de la Provençale
,
1 A&te , 1758.
La Fortune au Village , Parodie de
l'A&e d'Eglé, 1 Acte , 1760.
2º . En deux Pièces Lyriques , chacune
d'un A&te , fçavoir :
La Fête d'Amour, ou Lucas & Colinette,
efpéce de Paftorale , précédée d'un
Prologue , & augmentée ici de la Mufique.
Annette & Lubin , Comédie en vers ,
dont le Sujet est tiré des Contes Moraux
A O UST. 1763 . 105
de M. Marmontel. Le Théâtre retentit ,
encore des applaudiffemens qu'a reçu
cette derniere Piéce , & la plupart des
Couplets , ou des petits Airs ont paffé
des plus agréables bouches dans celles
du Peuple : c'eft , je crois , tout dire.
LES 6e , 7e. & 8° . Tome. comprennent
le Théâtre de la Foire. On y trouve
trois Parodies.
Moulinet Premier , Parodie de Mahomet
Second , Tragédie du fieur de la
Noue , 1 A&te , 1739.
Théfée , nouvelle Parodie de l'Opéra
de ce nom , faite en fociété avec MM.
Laujon & Parvi , 1 A&te , 1745. On lit.
dans le Calendrier des Théâtres , ( qui
fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques ).
fixiéme partie , année 1757 , p. 110. une
anecdote affez plaifante , arrivée à l'occafion
de cette Pièce .
L'Amour Impromptu , Parodie de
l'Acte d'Eglé des Talens Lyriques , &
Acte , 1756.
LES Opéra- Comiques , au nombre,
de 20 , font :
La Servante Juftifiée , Sujet tiré des
Contes de la Fontaine , & très- bien rendu
; en fociété avec le fieur Fagan,
1 A&te , 1740.
La Chercheufe d'Esprit , Pièce char-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
mante , bien faite en tous points , &
felon nous le chef- d'oeuvre de ce
Théâtre , 1 A&te , 1741 .
,
Le Prix de Cythère , avec un Protogue
, en fociété avec M. le Marquis de
P. 1 Acte , 1742.
Le Coq de Village , 1 Acte , 1743 .
C'eft le ftratagême dont on prétend
qu'ufa le Syndic d'un Village , pour
fouftraire à l'événement du fort un garçon
qui tiroit à la Milice . Ce Sujet eft
ingénieufement accommodé au Théâtre ,
& l'on n'oubliera jamais le charmant
couplet des Fleurs. Mlle Beaumenard ,
parut pour la première fois dans cette .
Pièce , fous le rôle de Gogo , qui fut fait
pour elle.
Les Bateliers de Saint Cloud , 1 Acte ,
1741 & 1744 .
La Coquette fans le fçavoir , avec M.
Rouffeau de Touloufe , 1 Acte , 1750.
Acajou , 3 Actes , 1752 & 1753. Cette
Pièce , tirée du Conte d'Acajou de M.
Duclos , eft pleine d'efprit & affaifonnée
de bon fel Attique. Elle fut d'abord
jouée en profe mêlée de couplets , en
1744 , à la Foire S. Germain . Après la
défenfe faite à l'Opéra- Comique de parler
, on la redonna toute en Vaudevilles
à la Foire S. Laurent , & fur le Théâtre
de l'Opera . Acajou , dans la nouveauté,
AQUST. 1763. 107
attira un concours fi prodigieux qué , le
jour de la Clôture du Théâtre , la bar
rière qui féparoit le Parquet du Parter
re fut brifée.
Les Amours Grivois , ou l'Ecole des
'Amours Grivois , Divertiffement Flamand
en 1 Ace , 1744 , en fociété avec
MM. de la Garde & le Seurre. C'eſt dans
cette Pièce , qui eft d'une grande gaiete,
que la Dlle Darimath rendoit fi naïvement
cette Ronde : Mon p'tit coeur , vous
n' m'aimez guères , &c. Le fieur Dourdet
, & la Dlie Sauvage ( ma Mie Babichony
firent aufli beaucoup de
plaifir fous les caractères de Niais &
de Niaife.
Le Bal de Strasbourg , Divertiffement
Allemand par la même fociété
1 A&te , 1744. Cette Pièce donnée à
l'cccafion du rétabliffement de la fanté
du Roi , ne pouvoit manquer dans les
circonftances , d'être fort agréablement
reçue. Mais ce qui en fit le principal
fuccès , c'eft le Vaudeville touchant de
la Scène du Courier , dont les ppaarroles
& l'air font de M. Favart , & que
toute l'Affemblée chantoit du plus grand
zéle avec les Acteurs. Il lui valut une
députation des Dames de la Halle
avec un préfent de fleurs & de fruits.
i
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour au Village , 1 A&e , 17451
C'eſt le fond d'un Opéra -Comique du
fieur Carolet , qui avoit pour titre, l'A
mour Payfan. M. Favart n'avoue point
cette Pièce , quoiqu'il l'ait refondue , &
qu'il y ait mis plufieurs Vaudevilles &
des Scènes nouvelles .
Cythère Affiégée, 1 Acte. Cette Pièce
fut d'abord faite en profe & couplets paz
l'Auteur , en fociété avec M. Fagan , &
repréſentée à Paris à l'ouverture de la
Foire Saint Laurent 1738. Depuis elle
fut entierement refondue par M. Favars
pour la Troupe des Comédiens de Bruxelles
, & repréſentée en 1748. Enfin elle
a été donnée à Paris fur le Théâtre de
la Foire en 1754.
Les Jeunes Maries I Acte . Cette
Pièce parut dès 1740 ;. & elle a été
reprife à toutes les époques de l'Opéra-
Comique
Les Nymphes de Diane , 1 A&te . Cet
Opéra-Comique fut joué d'abord en
vers & couplets , & même imprimé en
Flandres , en 1748. L'Auteur l'ayant
remis tout en Vaudevilles pour le Théâtre
de la Foire , il y fut repréfenté en
1755.
Le Mariage par Efcalade , 1 Acte
1756. Cette Pièce fut faite à l'occafion
A O UST. 1763. 100
de la Prife de Port- Mahon , & d'une.
Fête particuliere qui avoit été préparée
pour le retour de M. le Maréchal Duc
de Richelieu .
La Répétition Interrompue , en fociété
avec M. Pannard , 1 A&te , 1735 .
M. Favart fit une nouvelle intrigue à
cette Pièce lorfqu'elle fut remife au
Théâtre , fous le titre du Petit - Maître
malgré lui , en 1757 .
La Parodie au Parnaffe , 1 A&te ,
1759 , Satyre ingénieufe & très - fine.
M. Favart n'avoue point cette Pièce ,
telle qu'elle eft imprimée ici , quoique
le fond , le quadre , la plus grande partie
des couplets , & prèfque tous les
détails lui appartiennent. Un Anonyme
ayant eu , on ne fçait comment , une
copie de cet Opéra - Comique ; repréfenté
en 1740 fous le titre de la Barrière
du Parnaffe ou de la Mufe Chanfonniere
, & ne fçachant pas que M..
Favart en étoit l'Auteur , crut pouvoir
fe l'approprier. Il inféra la critique des
Ouvrages Dramatiques qui paroiffoient
alors, critique un peu trop vive , &
qu'affurément M. Favart , qui n'y eſt
pas ménagé lui -même au fujet de Petrine
, ne fe feroit pas permife . La Scène
de Diogene eft une Perfonnalité , &
110 MERCURE DE FRANCE.
l'on n'en trouvera dans aucune des pro
ductions de notre Auteur. On avoit
judicieufement retranché cette Scène à
la Repréſentation : elle n'auroit pas dû
reparoître ici .
Le Retour de l'Opéra - Comique , I
A&te , 1759.
Le Départ de l'Opéra- Comique ; Compliment
, 1 A&te , 1759.
La Refource des Théâtres , 1 Acte ,
1760. Il n'appartient dans cette Pièce à
M. Favart que le Vaudeville des Portraits
à la Mode , dont il a fait l'Air &
les Paroles ; mais ce Vaudeville a fait
prèfque feul tout le fuccès de la Pièce .
Le Bal Bourgeois , Pièce mêlée d'Afiettes
, en 1 Acte , représentée en 1738,
& imprimée avec quelques changemens
en 1762 .
On peut ajouter à cette Lifte cinq
Pièces qui n'ont pas été imprimées ,
fçavoir :
Les Vendanges d'Argenteuil , Opéra-
Comique , joué en 1742 ; les Vendanges
de Tempe ; l'Ile d'Anticyre , la
Folie , Médecin de l'efprit , & l' Aftrologue
de Village , repréfentés en 1744.
Et que nous pourrions encore la groffir
de beaucoup d'autres productions !
telles que la Cour de Marbre , Diver
AO UST. 1763 .
117
tiffement en 1 A &te , fait pour les Petits
Appartemens , en fociété avec M. de la
Garde ; les Nouveaux Intermédes , &
les Divertiffemens de l'Inconnu , exécutés
à Fontainebleau ; un Prologue fur
les Victoires du Roi , & les Comédiens en
Flandres , Comédie en 3 Actes & c. &c.
M. Favart a certainement fait plus de
150 Drames, donnés tant fous fon nom ,
que fous des noms étrangers. Il a encore
tenté heureufement d'autres genres
, & fes effais dans la Poëfie Héroïque
lui ont fait remporter des prix aux Jeux
Floraux en 1734. Un de ces Poëmes , a
pour titre , la France délivrée par la
Pucelle d'Orléans ; il le fit à l'âge au
plus de vingt ans.
FAMILLES des Plantes , par M.
ADANSON , de l'Académie des Sciences
de la Société Royale de Londres ,
Cenfeur Royal. II Partie. A Paris
in- 8 °. Chez Vincent , 1763.
LAA première Partie n'a point paru ;
elle n'eft pas entiérement imprimée.
Elle contiendra la théorie de la Science
de la Botanique , l'hiftoire de fes proLIZ
MERCURE DE FRANCE.
grès , fon état actuel , un plan fommaire
de toutes les méthodes , un Jugement'
fur les Ouvrages les plus néceffaires à.
connoître , enfin le plan raifonné de
celui qu'il donne au Public.
En publiant d'abord cette feconde.
Partie , M. Adanfon a cru devoir fe
prêter à l'empreffement qu'on lui a té-`
moigné d'avoir au moins , pendant le
cours de Botanique du Jardin du Roi,
ce qu'on peut appeller la partie pratique
de la Science , c'eft-à- dire l'ordre & les
caractères généraux de fes familles ,ainfi
que la fuite & le caractère de chacun
des genres qui les compofent.
Le Titre fimple de l'Ouvrage annonce
affez que l'Auteur n'a fuivi aucun
fyftême , & n'a point voulu en faire de
nouveau par le tableau qu'il donne
des 58 familles , on voit qu'il range les
plantes pár ordre d'affinités , en fuivant
la gradation que la Nature montre dans
Les productions végétales , gradation
qui paroît interrompue dans 58 endroits
plus marqués qu'il diftingue par
autant de familles. Les autres interrup
tions moins marquées , & au nombre
de 1615 indiquent les genres dans la
férie de 1800 efpéces de plantes con
nues.
AOUST. 1763. 113
Cette manière de confidérer les familles
ou claffes , les genres & les efpéces
, n'eft nullement fyftématique ;
elle eft priſe dans la nature même des
chofes & entièrement différente de ce
qui avoit été penfé & dit jufqu'à préfent.
C'est une nouvelle route qui femble
devoir mener à la méthode naturelle
que tant d'Auteurs ont cherché
en vain .
Sans entrer dans une plus grande
difcuffion fur le mérite de l'Ouvrage ,
dont on ne pourra bien juger que quand
il aura paru en entier , nous nous contenterons
de faire quelques réfléxions
générales fur ce qui eft actuellement
Tous nos yeux.
Nous avons remarqué de la précifion
, de l'ordre & de la liaifon dans
tout ce qui doit concourir pour faire
l'enſemble.
A la tête de chaque Famille on trou
ve le détail circonftancié de toutes les
parties qui font communes aux genres
qui doivent y entrer , telles
que la Figure,
la Racine, la Tige , les Bourgeons,
les Feuilles , le Feuillage les Stiles
Epines , Voiles ou Poils , les Fleurs , le
Calice , la Corolle , les Etamines , le
Piftis , le Fruit , les Graines : l'Auteur
>
114 MERCURE DE FRANCE.
ý a joint les qualités , les vertus & les
ufages.
L'avantage de voir d'un coup d'oeil
dans des colonnes féparées , les carac
tères des genres de la même famille ,
nous a frappés , par la facilité qui en
téfulte pour les comparer.
Il y a fans doute du mérite d'avoir
raffemblé dans un auffi petit efpace ,
une fi grande quantité de faits conftatés
ou d'après les plus fameux Botaniftes
, ou d'après les propres obfervations
de l'Auteur . C'eft en quelque forte
l'extrait de toutes les connoiffances Botaniques
jufqu'à ce jour ; & ce travail
qui confifte à négliger ce qui eft
acceffoire ou inutile pour ne préſenter
que l'effentiel , exige une connoiffance
profonde , & le véritable efprit de la
Science.
Cette table fi ample qui fuppofe tant
de lectures & de recherches , nous a
paru mériter attention & prévenir le
reproche qu'on auroit pû faire à l'Auteur
d'avoir changé des noms connus
& adoptés par rapport à de certaines
plantes. On verra que ces noms nouveaux
appartenoient déja à une plante
décrite par les Anciens ; il n'y a pas
même , juſqu'à la table raifonnée des
AOUST. 1763. 115
vertus des plantes dont il ne foit facile
de connoître l'utilité.
Nous fufpendrons nos réfléxions fur
l'ortographe que l'Auteur a adoptée :
dans l'avertiffement qui précéde fa table
il dit fimplement qu'il a fait des
changemens à cet égard , & qu'il en
donnera quelque jour les raifons. Il
eft jufte d'attendre qu'il les ait données
pour en rendre compte.
ANNONCES DE LIVRES.
DICTIONNAIRE Géographique
Hiftorique & Politique des Gaules &
de la France. Par M. l'Abbé Expilly ,
Chanoine-Tréforier en dignité du Chapitre
Royal de Sainte Marie de Tarafcon
, de la Société Royale des Sciences
& Belles-Lettres de Nanci , & c . Tome
I. in -folio , de 880 pages . A Avignon ,
1763 ; & fe trouve à Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais
; Nyon , quai des Auguftins , à l'Occafion
, Hériant , rue S. Jacques , à
S. Paul & à S. Hilaire ; Bauche , quai
des Auguſtins , à Ste Géneviéve & a
S. Jean dans le Défert ; Defpilly , rue
S. Jacques , à la Croix d'or. Le pre16
MERCURE DE FRANCE.
mier volume , qui paroît actuellement,
fe vend broché , 24 liv. Le fecond paroîtra
en Février 1764. Les autres volumes
paroîtront réguliérement tous les
huit mois . Chaque volume fe vendra
également 24 liv. broché , & fera de
8 à 900 pages d'impreffion , même
format , papier & caractère que le
premier.
Nous parlerons plus amplement de
ce grand & très-utile Ouvrage.
LE GENTILHOMME Cultivateur , où
Corps complet d'Agriculture , traduit
de l'Anglois de M. Hall , & tiré des
Auteurs qui ont le mieux écrit fur cet
Art. Par M. Dupuy d'Emportes , de l'Académie
de Florence.
Omnium rerum ex quibus acquiritur , nihil eſt
agriculturâ meliùs , nihil uberiùs , nihil
homine libero digniùs.
Cicer. L. 2. de Offic.
In-4°. Paris , 1763. Tome 6. Chez P.
G. Simon , Imprimeur du Parlement ,
rue de la Harpe ; la veuve Durand , Libraire
, rue du Foin ; & Bauche , Libraire
, quai des Auguftins .
Nous avons déja rendu compte de cet
Ouvrage qui continue de fe débiter
avec fuccès.
AOUST. 1763. 117
TRAITÉ DES PRISES , ou principes
de la Jurifprudence Françoife concernant
les Prifes qui fe font fur mer , relativement
aux difpofitions tant de l'Ordonnance
de la Marine du mois d'Août
1681 , que des Arrêts du Confeil , Ordonnances
& Réglemens antérieurs
& poftérieurs , rendus fur ce fujet.
Avec une notice de la procédure qui
doit être obfervée à cet égard . Par l'Auteur
du Commentaire fur cette même
Ordonnance de la Marine , 2 vol. in-
8. A la Rochelle , 1763. Chez Jérôme
Legier , Imprimeur des Fermes du Roi
au Canton des Flamands ; & fe trouve
à Paris chez Mérigot Père , Libraire
quai des Auguftins.
ORAISON funébre de Très-haute &
très-puiffante Dame Reine de Madaillan
de Lefparre , Marquife de Laffai ,
prononcée dans l'Eglife de l'Hôpital-
Royal de la Charité à Paris , le Jeudi 21
Avril 1763. Par M. l'Abbé Fréfman ,
Prédicateur ordinaire du Roi , & premier
Vicaire de l'Eglife Paroiffiale de
S. Euftache. In-4° . Paris , 1763. Chez
Auguftin-Martin Lottin l'aîné , Libraire
& Imprimeur de Mgr le Duc de Berry,
rue S. Jacques , près S. Yves , à l'Enfeigne
du Coq.
118 MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS fur le bonheur des gens
de Lettres.
Homo doctus infe femper divitias habet.
Phædr.
In-8° . Bordeaux, 1763. Chez les Frères
Labottière , Imprimeurs-Libraires, Place
du Palais. Ce difcours eft bien fait , &
part d'une jeune Plume qui mérite d'être
encouragée.
DISCOURS fur l'Hiftoire Eccléfiaftique
, par M. l'Abbé Fleury , Prêtre
Prieur d'Argenteuil & Confeffeur du
Roi. Nouvelle Edition augmentée des
difcours fur la Poëfie des Hébreux , fur
Ecriture Sainte , fur la Prédication, &
fur les Libertés de l'Eglife Gallicane,
On y a joint le difcours fur le renouvellement
des Etudes Eccléfiaftiques
depuis le 14 Siécle par M. l'Abbé
Goujet , Chanoine de S. Jacques de
P'Hôpital. In-8°. Paris, 1763, Chez Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , à
S. Hilaire . Prix , 3 liv. relié.
DE L'EDUCATION des Filles , par
Meffire François de Salignac de la Mothe
Fenelon , Archevêque de Cambrai.
Nouvelle Edition , augmentée d'une
Lettre du même Auteur à une Dame de
•
AOUST. 1763: 119
qualité fur l'éducation de M *** fa
fille. In- 16. Paris , 1763 , chez le mê
me Libraire ; & chez Guérin & Dela
tour , Libraires -Imprimeurs, rue S. Jacques
, vis-à-vis celle des Mathurins , à
S. Thomas d'Aquin, Prix , I liv. 16 f
relié.
TRAITÉ des devoirs des Gens du
Monde , & furtout des Chefs de famil
le . Par M. Collet , Prêtre de la Congré
gation de la Miffion , & Docteur en
Théologie. In-12. Paris , 1763 ; chez
Jean Debure l'aîné , quai des Auguftins,
à l'Image S. Paul ; Jean- Thomas Heriffant
, rue S. Jacques , à S. Paul & à
S. Hilaire ; Jean- Claude- Baptifte Hériffant
, rue Neuve Notre-Dame , à la
Croix d'or ; & Nicolas Tilliard , quai
des Auguftins , à S. Benoît. Prix , 2 liv,
10 f. relié.
INSTRUCTIONS & Prières à l'ufage
des Officiers de maiſon , des domeftiques
& des perfonnes qui travaillent en
Ville , &c. Ouvrage qui peut fervir aux
Confeffeurs. Par le même Auteur , &
chez les mêmes Libraires. Quatriéme
Edition , revue , corrigée & augmentée.
In- 16, Prix , 1 liy, 10 f. relié.
120 MERCURE DE FRANCE.
DEUX EPITRES de S. Clément
Romain , difciple de S. Pierre Apôtre :
tirées pour la première fois d'un Manufcrit
du Nouveau Teftament Syriaque
, & publiées avec la Verfion Latine
à côté , par Jean-Jacques Weftein;
à Leyde , de l'Imprimerie d'Elie Luzac
ke jeune en 1752. Seconde Edition
Françoife & Latine , in8 . 1763 , avec
des Notes.
POEME aux Anglois , à l'occafion
de la Paix univerfelle. Par M. Peyraud
de Beaufol. Brochure in-8°. Paris
1763. Chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés. On trouve du fentiment.
& de la chaleur dans l'Ouvrage de ce
Poëte-Citoyen , & nous en rendrons
compte avec plaifir.
L'INTEREST d'un Ouvrage , Difcours
prononcé par M. *** le jour
de fa réception à l'Académie des Sciences
& Belles-Lettres de Nanci , le 8
Mai 1763. In-8° . Paris , chez Vallat la-
Chapelle , Libraire au Palais , fur le
Perron de la Ste Chapelle. Nous parlerons
auffi de cet Ouvrage auffi inftructif
qu'intéreffant pour quiconque
aime les Lettres.
LE
AOUST. 1763. 121
LE MONDE pacifié , Poëme. Par
l'Auteur des voeux patriotiques à la
France.
Tros Rutulus vefuat , nullo difcrimine habebo.
Virg. Æn. L. 10.
In-4°. Paris , 1763. De l'Imprimerie de
Prault , quai de Gêvres , au Paradis .
Nous donnerons auffi l'Extrait de ce
Poëme digne de fon Auteur.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences & Belles- Lettres de
PRUSSE , pour l'année 1763.
L E Prix
de la
Claffe
de
Philofophie
fpéculative
devoit
être
adjugé
le 31 de
Mai
1763.
Il concernoit
la Queftion
fuivante
:
On demande : Si les vérités Métaphyfiques
en général , & en particulier les
F
122 MERCURE DE FRANCE.
premiers principes de la Théologie naturelle
& de la Morale , font fufceptibles
de la même évidence que les Vérités
géométriques ; & au cas qu'elles n'en
foyent pas fufceptibles , quelle eft la
nature de leur certitude , à quel degré
elle peut parvenir , & fi ce degré fuffic
pour la conviction ?
, Le fçavant Juif de Berlin Mofes
fils de Mendel , a remporté ce Prix ; mais
l'Académie a déclaré en même temps
que le Mémoire Allemand qui avoit
pour devife :
r
Verum animo fatis hæc veftigia parva fagaci
Sunt , per qua poffit cætera cognofcere tute
toit, à l'égard de la Pièce victorieuſe
ans une proximité qui ne différoit guè
es de l'égalité.
La Claffe de Philofophie Expérimen
tale avoit renvoyé jufqu'au même jour
31 de Mai 1763 le Prix fur la Quef
tion déjà propofée pour l'année 1761 .
fçavoir :
Si tous les Etres vivan's , tant du rẻ-
gne animal que du régne végétal ,fortent
d'un auffécondé par un germe, ou par
une matière prolifique analogue au
germe ?
Ces deux années de délai n'ayant S
AOUST. 1763 . 123
"
•
produit aucune nouvelle Pièce digne
d'être couronnée , l'Académie abandonne
cette Queſtion . Mais comme
pendant cet intervalle M. Bonnet
Citoyen de Genêve , Membre de diverfes
Académies , & Auteur de plufieurs
excellens Ouvrages , en a publié un intitulé
, Confidérations fur les Corps organifés
, qu'il a envoyé à l'Académie
le foumettant à fon jugement , l'Académie
a profité de cette occafion pour
témoigner publiquement que cet Onvrage
lui a paru le fruit des obfervations
les plus exactes , & des recher
ches les plus approfondies ; en forte
que , fi l'Auteur , au lieu de le mettre
au jour & de fe faire connoître , l'avoit
foumis aux loix ordinaires du concours
il auroit infailliblement remporté le Prix.
La Claffe de Philofophie Expérimen →
tale propoſe préfentement pour l'année
1765 la Queftion fuivante .
On demande de nouvelles expériences,
d'après lefquelles on puiffe expliquer
diftinctement & prouver folidement , en
quoi confifte le changement que les ali
mens , tirés tant du règne animal que
du règne végétal , éprouvent dans le
corps humain , foit dans le ventricule
foit dans les inteftins , pendant l'état de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fanté. Le résultat de ces recherches dou
être de faire voir quelle eft proprement
la partie des alimens qui fe convertit en
fuc nourricier comment fe fait cette ,
converfion , & quelles font les parties
des alimens qui ne peuvent naturellement
fubir aucune digeftion , ni fervir
à nourir le corps ?
On invite les Sçavans de tous pays ,
excepté les Membres ordinaires de l'Académie
, à travailler fur cette Queftion
. Le Prix , qui confifte en une Médaille
d'or du poids de cinquante Du
cats fera donné à celui qui , au jugement
de l'Académie , aura le mieux
réuffi . Les piéces écrites d'un caractère
lifible , feront adreffées à M. le Profeffeur
Formey , Secrétaire perpétuel de
l'Académie .
Le terme pour les recevoir eft fixé
jufqu'au de Janvier 1764 , après
quoi on n'en recevia abfolument aucune
, quelque raifon de retardement
qui puiffe être alléguée en fa faveur.
On prie auffi les Auteurs de ne point
ſe nommer mais de mettre fimplement
une Devife , à laquelle ils joindront
un Billet cacheté , qui contiendra
avec la devife , leur nom & leur
demeure .
AO UST. 1763. 125 .
Le Jugement de l'Académie fera déclaré
dans l'Affemblée publique du 31
de Mai 1765.
Outre les Queftions fufdites , la Claffe
de Mathématique avoit déclaré dans
le Programme de l'année paffée , qu'en
quelque temps que ce fut qu'on lui
adreffât un Mémoire fatisfaifant fur l'explication
de l'ouïe , relativement à la
manière dont la perception du fon eft
produite en vertu de la ftructure interieure
de l'oreille , elle lui décerneroit le
Prix. Le cas vient d'arriver ; & ce Prix
a été donné dans la derniere Affemblée
publique , à M. George Urbain Belz,
Docteur en Médecine , & Médecin de
la Ville de Neuftadt - Eberswalde. *
On a été averti par le Programme de
l'année précédente , que le Prix de la
Claffe de Belles - Lettres , qui fera adjugé
le 31 de Mai 1764 , & pour lequel
les Pièces feront reçues jufqu'au I Janvier
de la même année concerne la
Queſtion fuivante :
Quand eft-ce que la puiffance fouveraine
des Empereurs Grecs a totalement
ceffé dans Rome ? Quel gouvernement
les Romains eurent - ils alors ? Et
dans quel temps la fouveraineté des Papes
fut-elle établie ?
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Le grand Directoire de Guerre &
des Finances de S. M. a auffi requis
l'Académie d'annoncer dans fon Programme
, qu'il deftinoit un Prix de cinquante
écus à un Mémoire fur la meilleure
conftruction des fourneaux , relativement
à l'épargne du bois ; les Mémoires
feront foumis au jugement de
l'Académie , & le Prix fera adjugé en
même temps que le Prix de l'Acadé
mie en 1764.
ÉLOGE Hiftorique de M. LE PERE
lu dans l'Affemblée publique de l'Académie
d'AUXERRE par M. de S.
GEORGE , Sécrétaire perpétuel de la
même Académie , le 26 Octobre 1762.
MATURIN ATURIN LE PER E, Secrétaire
perpétuel de la Société des Sciences, Arts
& Belles-Lettres d'Auxerre Directeur
des Poftes de la même Ville , naquit à
Milli en Gâtinois , le 12 Janvier 1718.
Il avoit reçu de la nature des difpofitions
heureufes , qu'une bonne éducation fçut
heureufement cultiver. Il remporta du
College de Beauvais , où il avoit fait fa
Rhétorique & fa Philofophie , un amour
A O UST. 1763. 127
de l'Etude tel que les leçons des plus
habiles Maîtres pouvoient l'inspirer à un
jeune homme , qui réuniffoit la facilité
de l'efprit à la fagèffe des moeurs.
Après avoir donné dans Paris , plufieurs
années à un genre de travail , qui
femble être devenu le complément de
l'éducation pour la jeuneffe , à qui la
Nobleffe ou l'opulence n'ouvrent point
une meilleure voie de fe faire un état
dans le monde , M. le Père parfaitement
inftruit dans la fcience des affaires
s'établit en cette Ville , avec l'emploi
de Directeur de la Pofte ; auquel il joignit
bientôt après l'office de Notaire , au
Bailliage ; il fallut joindre enfuite aux
devoirs de ces deux places , tous les foins
de l'éducation d'une famille nombreufe.
- Parmi tant d'occupations , dont il a
toujours porté le poids avec une religieufe
exactitude , il fçavoit encore fe
ménager des momens , que la néceffité
du repos & le plaifir auroient pu revendiquer
, mais il étoit content de les donner
à fes anciennes études , dont l'entretien
fouvent trop peu libre n'avoit jamais
été totalement interrompu.
*
Avec ce goût & cette habitude , il
n'étoit pas poffible qu'il négligeât l'occafion
qui fe pré fentoit de cultiver , avec
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
plus d'étendue & plus de fecours , les
lettres & les fciences qu'il aimoit. Perfonne
n'a peut-être embraffé notre inftitution
naiffante avec plus d'ardeur : &
aucun n'a mieux fçu profiter des avantages
qu'elle préfente. Il s'étoit acquis de
longue main , un fond de connoiffances
variées , qui ne demandoient que
d'être repriſes avec ordre , & dirigées à
une fin , pour enfanter fans effort quantité
de productions eftimables.
Le premier objet des occupations de la
fociété devant être l'Hiftoire naturelle &
civile dupays que nous habitons , M. le
Pere commença fes travaux Académiques
par l'étude des moyens qu'il falloit mettre
en oeuvre pour fe procurer une carte
exacte du diocèfe , & une defcription
hiftorique de toutes fes parties. Il fe chargea
lui- même de toutes les opérations de
Trigonométrie néceffaires pour fixer la
fituation & la diftance des lieux &
dreffa un Mémoire qui fut envoyé à tous
MM. les Curés , pour leur demander , &
les mettre en état de donner avec précifion
, tous les éclairciffemens relatifs au
deffein qu'on fe propofoit.
1
>
Perfonne n'étoit plus capable de diriger
& de fuivre cet objet important
que M.Le Pere qui poffédoit une conAÓUST.
1763 . 124)
noiffance profonde de toutes les parties
de la Géographie , dont il préfenta en
ce même tems à nos féances un Tableau
magnifique , dans un Mémoire étendu ,
qu'on peut regarder comme une introduction
facile & attrayante à l'étude de
la Géographie.
%
Le grand ouvrage de M. Bouguer ,
fur la figure de la terre vint alors exercer
& mettre en plus grand jour les talens
de M. le Pere. Il le lut avec tant d'intérêt
, approfondit les difficultés , en rechercha
les folutions avec tant de fuccès
qu'il acquit par fon travail l'honneur
de paroître dans le Public foutenant la
caufe de M. Bouguer , dont le fyftême,
éprouva d'abord de grandes contradictions
. Les lettres qu'il écrivoit à ce sujet ,
ont été répandues & eftimées : & M.
Bouguer ravi de trouver dans une région,
naiffante, &prèfque inconnue du monde
littéraire , un défenfeur auffi habile , entra
avec lui en correfpondance. M. le
Pere étoit l'homme de notre fociété le
plus capable de la produire au dehors ,
& de former & d'entretenir des relations .
auffi utiles à nos progrès qu'honorables
à nos commencemens.
L'étude du fçavant ouvrage de M.
Bouguer, & les débats qu'il occafionna
Fv.
130 MERCURE DE FRANCE,
firent naître à M. le Pere , plufieurs idées
fur la perfection qu'il eft poffible d'ajouter
aux inftrumens d'Aftronomie ; fes
réfléxions fur ces objets font renfermées
dans un Mémoire fort intéreffant qu'il
donna en 1750. Il y expofe une nouvelle
manière d'appliquer le micrometre
aux inftrumens propres à mefurer les
angles , ou plutôt une conftruction toute
nouvelle du micrometre . Elle confifte
en une vis accompagnée d'un fimple
Cadran mobile : les pas de la vis font réglés
fur l'étendue de la divifion du quart
de cercle auquel on veut l'appliquer ; le
Cadran eft divifé de manière que chacune
de fes parties vaille un nombre
complet de fecondes ; par-là on évite les
réductions , ou le calcul des parties du
micrometre , dont toutes les obfervations
font embarraffées ; on évite les
tranfverfales dont le travail eft long , &
fujet aux plus grandes difficultés d'exécution
; on a l'avantage d'avoir toujours
l'objet au centre de la lunette . Enfin
on évite la néceffité de marquer la
Tigne de foi , par un cheveu qui fe caffe
fouvent , & qui eft incommode par fa
groffeur relativement aux divifions imperceptibles
des inftrumens d'Aftronomie.
A OUST. 1763. 131
M. le Pere , examine auffi dans fon
Mémoire l'inconvénient d'un alidade
excentrique , c'est-à- dire d'une lunette
qui tourne fur un quart de cercle , mais
qui ne décrit prèfque jamais exactement
la circonférence de l'inftrument , parce
que le centre de l'axe fur lequel tourne
la lunette , n'eft pas le même centre de
l'arc qu'on a décrit fur le limbe. Il propofe
de faire fervir l'alidade elle - même
à décrire l'arc du quart de cercle & il enfeigne
une manière nouvelle d'employer
Parc de go liv. à la place de l'arc de 601.
dont on s'eft toujours fervi pour divifer
les quarts de cercles. Sa méthode eft fondée
fur le nivellement & le renversement
, opérations connues dans l'Aftronomie
, & que M. le Pere a fçu appliquer
à fa nouvelle conftruction , comme l'auroit
pu faire l'Aftronome le plus exercé
dans ce genre d'opérations .
M. Bouguer , dans fon Livre de la Figure
de la Tèrre s'étoit plaint de l'embarras
que lui caufoit la courbure des
barres de fer qui formoient le rayon
de fon grand fecteur ; M. le Pere imagina
de rendre ce rayon immobile , &
de le laiffer toujours dans la fituation
verticale où la courbure eft nulle , en
në faiſant incliner que la lunette dont
Fvj
132 MERCURE
DE FRANCE .
la courbure eft indifférente ; pour cela
il rendoit mobile le limbe même du
fecteur , en faisant paffer les points de
la divifion fous un fil à plomb tendu
in variablement.
Ce Mémoire fut commuiqué à plufieurs
Sçavans du premier ordre qui rendirent
juftice & applaudirent à des inventions
fupérieures à ce qu'on a exécuté
jufqu'à ce jour , & qui , outre
qu'elles épargnent un travail prodigieux
dans la conftruction des inftrumens &
les difficultés du calcul aux Obfervateurs
, donnent encore dans l'obſervation
des angles la précifion la plus parfaite
.
73 . MM. Delalande & le Gentil , dont le
fuffrage eft d'un fi grand poids en ces
matières , écrivirent au bas du Manuf
crit , que ces inventions étoient abfolument
neuves & préférables à la méthode
ordinaire & que M. le Pere
avoit la gloire d'une invention utile ,
dans une matière auffi difficile qu'importante.
M. Caffini de Thury écrivit à M. le
Pere qu'il avoit examiné fon Mémoire
avec foin ; qu'il contenoit plufieurs
nouveautés intéreffantes ; que l'idée du
micrometre étoit ingénieufe & nouvelAOUST.
1763. 133
Te , & qu'il approuvoit tellement cette
conftruction , qu'il la feroit exécuter ſur
le premier inftrument qu'il ordonneroit.
Si M. le Pere s'attachoit à la perfection
des inftrumens , c'étoit à caufe du
fervice qu'il vouloit en tirer dans l'exécution.
Il fuivoit toujours le projet que
la Société avoit formé de lever la carte
détaillée du Diocèfe avec un graphometre
dont M. Caffini faifoit préfent
au nom du Roi à la Société , afin d'aider
& d'animer fon travail. M. le Pere
a mefuré les pofitions & les diſtances de
tous les endroits remarquables au dedans
& aux environs de la ville : tours ,
clochers , fommets de montagnes , tout
a été foumis à fes obfervations : les
pofitions
déterminées & les diftances calculées
avec une attention & une exactitude
admirables ; qu'il me foit permis
d'entrer en quelque détail pour donner
un exemple frappant de la jufteffe & de
la précifion du travail de M. le Pere.
Il mefura dabord une bafe de 328
Toiſes entre la Croix du Calvaire fituée .
près la Porte Saint - Simon , & un fignal
qu'il fit planter près la Porte d'Egleny
, fur le bord du chemin de Saint-
George. Il fit planter des fignaux fur
les Tureaux de Celles de Jonches & d
134 MERCURE DE FRANCE.
Saint - Denis : enfuite il forma neuf
Triangles & détermina la poſition de
fes fignaux ; celle d'un arbre en quetard
, de la Chapelle Saint- Simeon , de la
Tour Saint- Etienne , des Fourches de
Brellon , & enfin de la Croix de Queine .
Le dernier de fes Triangles fut celui
de la Tour Saint-Etienne , du fignal de
Saint-Denis & de la Croix de Queine ,
dont M. Caffini lui avoit donné les
calculs. M. le Pére calcula fes Triangles
par fa baſe meſurée , calcula en- ·
fuite à l'inverfe fept de fes Triangles
en prenant pour baſe la diftance de la
Croix Queine , au fignal Saint - Denis
donné par M. Caffini : & le réfultat de
fon nouveau calcul ne lui donna dans
la meſure de fa bafe que , de plus
c'eft-à-dire un pied de différence fur
328 Toifes. Cependant il ne s'étoit
fervi dans ces opérations , que d'un
Graphometre d'environ fix pouces de
rayon , dont le défavantage n'a pu être
réparé que par l'induftrie & l'application
la plus fcrupuleufe.
I
Il détermina avec la même jufteffe
la direction de la méridienne de l'horloge
; il fit différentes obfervations de
l'amplitude Orientale & Occidentale
du Soleil , avant & après , & pendant!
A O UST. 1763. 135
le Solftice d'Eté ; il obferva fur le Tu
reau de Celles , & plus encore fur la
plate-forme de l'Horloge. Il forma &
calcula plufieurs Triangles Sphériques ,
qui lui donnerent deuxAngles à la Méridienne
l'un au Nord , & l'autre au
Sud de la Ville . Il détermina l'Angle
au midi entre la Méridienne & le
Pilier Oriental des fourches de Brelon ,
de 11 , 34 par Eft , & l'Angle au Nord,
entre le Pignon occidental de la Chapelle
Saint-Simeon de 16 , 59 par Oueſt ;
& ces deux Angles à la méridienne de
l'horloge font parfaitement d'accord
avec les Angles à la méridienne de la
Tour Saint - Etienne , déterminés par
les opérations faites par la carte générale
du Royaume.
M. le Père a encore vérifié fes obfervations
fur la méridienne de l'horloge
en déterminant trois autres Angles à
cette méridienne , entre le clocher de
Venoi , la Chapelle Sainte- Vaubouée ,
& le fommet du Tureau de Celles.
Cinq cens obfervations faites pour
former une fuite de Triangles avec
cette précifion , & les calculs qu'elles
entraînent devoient coûter beaucoup
à M. le Père , qui jufques- là s'étoit
affez contenté des charmes de la théorie
136 MERCURE DE FRANCE .
fans y joindre les difficultés de la pratique.
Il y fit cependant des progrès
très -rapides ; il l'exerça fupérieurement
& il en fut moins redevable à l'opiniâtreté
du travail , qu'à une étude profonde
& entiere des Mathématiques.
Elles faifoient fon étude favorite , un
goût décidé & invincible l'y ramenoit
préférablement à tout : mais les circonftances
& les affaires de la vie "
fouvent peu d'accord avec l'inclination ,
lui avoient fait paffer fa jeuneffe dans
d'autres occupations. Il avoit réuffi
parce qu'il y avoit porté ce goût d'ordre
& de précifion qui eft l'efprit géométrique
fi éffentiel dans toutes les affaires
férieufes , avec bien plus d'effet
encore fe livroit - il à fon penchant, lorfqu'il
étoit maître de difpofer de fes
momens ? Il portoit alors au travail un
efprit fi appliqué , fi pénétrant , qu'il a
fouvent réfolu des difficultés qui embaraffoient
des Géométres plus confommés
que lui. On l'a vû réfoudre des
queftions de la plus fublime Géométrie
, avec le fecours d'une fimple annalyfe
, employer une adreffe fingulière
dans la manière de confidérer des fuites
infinies dont la fommation dépendoit
de la rectification du cercle , & ſe traA
OUST. 1763. 137
cer une route particuliere pour déterminer
les foutangeantes dans la courbe
tranfcendante connue fous le nom de
Quadratrice de Tſchirnaufen.
Il nous donna en 1753 , un Mé
moire rempli de calculs Algébriques ,
dans lequel il explique une nouvelle
méthode pour trouver facilement la fouf
tylaire , la méridienne , & la déclinaifon
du plan des cadrans Verticaux ,
dès que la hauteur du ftyle eft donnée,
Enfuite il nous rendit compte de l'obfervation
qu'il avoit faite de l'éclipſe de
Soleil du 28 Octobre de la même année
.
Je n'entrerai point dans le détail de
tous les problêmes d'Arithmétique , d'Algebre,
& de Trigonometrie , dont la folution
faifoit fes divertiffemens . On voit
dans le Mercure de 1760 , des lettres de
M. le Pere , qui démontrent avec autant
de clarté & de précifion , que de politeffe
, le défaut d'une nouvelle folution
du fameux problême de la duplication
du cube .
Je ne ferai que citer fon Mémoire fur
les incommenfurables, & leur multiplication:
fur l'ufage du finus d'1 °.1 dans l'approximation
de la quadrature du cercle ,
& fur l'utilité de l'Àlgebre , ou plutôt là
138 MERCURÉ DE FRANCE.
fiéceffité pour parvenir à quelques découvertes
dans la Géométrie Moderne.
Je me contente auffi d'indiquer fes
recherches fur les logarithmes , dont il a
étendu l'ufage , par une nouvelle méthode
de les employer dans certains cas ,
où l'opération eft accablante fans leur
fecours qui n'y avoit point encore été
introduit.
Nous verrons avec plus de plaifir &
d'intérêt,M. le Pere réduifant en pratique
fes hautes connoiffances , & les appliquant
à des opérations de fervice & d'u
fage continuel .
C'eft lui qui a décrit & fait éxécuter
pour l'ufage de notre Société , une machine
propre à recevoir & à mefurer l'eau
de pluie. Elle fert journellement , entre
les mains d'un exact Obfervateur,à mefurer
l'eau qui tombe chaque année à
Auxerre.
La forme que fui a donnée M. le Pere ,
& qui empêche l'évaporation , eft dans
le goût de celle de la Société d'Edimbourg,
& rend ce vaiffeau plus parfait
que ceux dont fe fervent plufieurs Académies
de l'Europe.
Le reste au Mercure prochain.
AOUST. 1763. 139
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Étudiant en Chirurgie
à M. *** , Chirurgien de Province.
MONSIEUR,
Je vous avoue naïvement ma furprife,
à la lecture de la lettre que vous m'avez
écrite au fujet des Tailles faites à l'Hôpital
de la Charité , avec le Lithotome.
Je ne m'attendois pas à voir un célébre
Partifan de ce Lithotome , former quel
ques doutes & exiger de moi confir
mation fur le fuccès de ces opérations
annoncées dans le Mercure du mois
de Mars paffé , par un Eléve de cet
Hôpital . Ce témoin oculaire doit felon
Vous , paroître fufpect ; il en a trop
dit
pour convaincre ; à fon langage
On reconnoît une perfonne intéreffée ,
140 MERCURE DE FRANCE.
& enfin vous foupçonnez les Religieux
de la Charité d'être les auteurs ou les
promoteurs d'un écrit de cette nature .
Votre foupçon qui femble naître du
corps de l'ouvrage , n'a pourtant point
de fondement réel , & il s'évanouit à
la première réfléxion .
En effet , Monfieur , pouvez-vous
croire que des Religieux cherchent à
s'ériger aux yeux du Public comme
les Chirurgiens en Chef de l'Hôpital ?
Pouvez-vous fuppofer que des gens de
main-morte tentent par des menées fécrettes
à fe décorer des titres deſtinés
à un Corps très-vivant parmi la fociété
? Je fçais bien que dans l'intérieur de
leur maiſon , ils s'appellent Procureur
Apoticaire , Chirurgien . Mais ce font
des dénominations arrogées au fervice
de l'Hôpital
dont ils ne font pas
parade au dehors. L'Apoticaire en chef
fe produit dans le monde fous le fimple
nom de Frère , & le Quêteur aban
donne toute idée de Chirurgien
pour aller en ville exercer fon autre miniftère.
Vous voyez donc par là , que
tous les beaux titres avancés en leur
faveur , font bien oppofés aux traits de
modeftie qui caractériſent éffentiellement
l'efprit de ces Moines. On a voù-
?
"
AOUST. 1763. 141
La les fervir , il falloit être plus adroit
l'affectation frappe , on apperçoit le ridicule
, & je penfe que les Religieux
ne tarderont pas à defavouer ces noms
imaginaires dont on les a gratuitement
parés.
Quoiqu'il en foit , vous devez ajoûter
foi aux fuccès publiés par l'Eléve en
Chirurgie de leur Hôpital. Si certaines
circonftances font changées , préfentées
fous un côté plus favorable le fond
exiſte , & rien ne peut empêcher votre
croyance. Mais ces opérations fuffent
elles encore plus brillantes, vous ne devez
pas en conclure avec lui , que la maniere
du Frère Cofme l'emporte fur toutes
les autres. Ce n'eft pas par des faits
expofés avec étalage , qu'on parvient
à établir la préférence d'une nouveauté
fur une pratique plus ancienne ; il faut
des examens combinés , & des comparaiſons
fenfibles . L'Eléve a manqué
à ce principe , fans doute par défaut
de Logique : auffi fon affertion tombe
d'elle -même , & pour la détruire je me
contenterai de quelques demandes.
Le Frère Cofme taille - t- il avec autant
de fireté & d'intelligence que
Chefelden ? Vous - même Monfieur
pouvez - vous vous vanter d'avoir été
>
€42 MERCURE DE FRANCE.
auffi heureux en adoptant le Lithotome
caché , que feu M. Faget armé du Lithotome
ordinaire . Si ces réfléxions ne
paroiffent pas affez décifives en faveur
de notre méthode , qu'on mette en parallèle
les Tailles pratiquées à la Cha
rité par les vrais Maîtres de l'art , &
celles dont l'Eléve fait le récit ; quelque
prévention que l'on , ait pour l'habileté
des Moines , on fera forcé de fe rendre
à l'évidence , & d'admirer dans les
premières la fupériorité du fuccès .
L'Eléve dans le courant de ſa lettre
ne néglige rien pour foutenir la caufe
dont il s'eft chargé ; partout il rend
juftice à la méthode du Frère Cofme,
& partout il fe plaît à parler de fon
invention , de fes préceptes & de fes
maximes. Je le compare à l'écho , qui
balbutie ce qu'il a entendu dire.
Ce n'eft pas que je prétende infirmer
les talens du Religieux , à Dieu
ne plaife. Je connois la valeur de fon
mérite. Je dis fimplement , qu'il n'a
pas enrichi la Taille d'une méthode
nouvelle , qu'il n'a pas frayé une route
différente & qu'il n'a pas même produit
le moindre changement effentiel à
la perfection de la pratique ordinaire.
1
AOUST. 1763 . 143
Ne peut-on pas être habile homme
fans faire des découvertes ?
Il eft vrai ; ce Religieux a eu l'art de
perfectionner un inftrument déjà com
mun,& de l'approprier à la Taille latérale.
Cette perfection eft même ingénieufe &
demandoit des connoiffances . De-là il ne
s'enfuit pourtant pas qu'il ait des avantages
fur les autres. Je trouve tout le
contraire.
Le Lithotome caché exige une habitude
conftante , des épreuves longues &
réitérées fur les cadavres ; il exige de
Opérateur des procédés invariables
des mouvemens de mains fixes & déterminés
, & des calculs de combinaiſons
entre la grandeur de la veffie , la groffeur
de la pierre , & le degré d'ouverture
qu'on doit donner à la lame. Peut- on
toujours s'affûrer de ces différentes proportions
? le plus , ou le moins font deux
alternatives à craindre ; alternatives que
le hazard fait éviter quelquefois , & que
l'intelligence ne fait pas toujours préve
nir. Pinvite les perfonnes impartiales à
confulter là - deffus les Mémoires de l'A
cadémie Royale de Chirurgie. * Les preu
ves de réfutation y font démonftratives.
* Voyez le Tome III . des Mémoires de l'Aca
démie Royale de Chirurgie.
144 MERCURE DE FRANCE.
Je puis les confirmer ici par des axiomes
acceptables dans notre art.
Les inftrumens ne doivent pas être
fubordonnés à des refforts , ou à toute
autre action méchanique, mais aux mains
feules du Chirurgien.
Les puiffances méchaniques ont en
général des effets indépendans de notre
volonté. Les mains au contraire font des
mobiles que nous fommes les maîtres de
faire agir , de fufpendre & de fixer fuivant
notre détermination . Ces remar
ques font palpables ; nous ne les étendrons
pas davantage , elles découvrent
fuffifamment les défauts du lithotome
caché.
nouveau
Le vulgaire , & même des hommes
célébres ont confidéré ce
moyen fous des vues bien différentes
de celles que nous venons d'établir. On
s'eft même laiffé féduire par l'aifance
avec laquelle tout homme eft en état
de faire l'incifion à la veffie , & ce motif
a été fuffifant pour engager à l'adopter.
Qu'on fe méfie de cette facilité
, elle n'eft qu'illufoire , & fouvent
elle a rendu caufes de mort des perfonnes
trop curieufes d'opérer avec cet inftrument.
J'étois encore à l'Hôpital de la Charité
AOUST. 1763 . 145
rité , lorfque deux Taillés furent les
victimes de la confiance qu'un Religieux
avoit mife dans l'ufage commode
du litothome caché.
Ce feroit ici le lieu de prouver que les
Partiſans du Frère Cofme ont donné fort
improprement le nom de Méthode nouvelle
au nouveau Manuel du Religieux ;
qu'ils ont affecté mal - à- propos à un
moyen ce qui ne convient qu'au genre
d'opération en général ; qu'ils fe font
trompés en voyant partout dans la pratique
de ce Frère des chofes neuves , des
régles , des maximes nouvellement établies
, puifque fa découverte fe borne
au lithotome caché , & qu'avec cet inftrument
il pratique la méthode latérale.
Mais le temps ne me permet pas d'entrer
dans l'examen de ces préventions ; avant
de finir , il fuffira de remarquer qu'on a
porté le ridicule au point d'attribuer au
Religieux le premier ufage d'une pratique
condamnée depuis longtemps dans
le Frère Jacques , c'eft-à- dire , l'omiffion
des panfemens à la fuite des tailles.
Je ne fuis pas furpris que l'Eléve foit
tombé dans de pareilles bévues : il paroît
plus difpofé à s'en rapporter à fes
propres lumières , & à fe livrer plutôt
aux opinions de quelques Sectateurs
G
146 MERCURE DE FRANCE.
outrés , que d'en croire aux jugemens de
l'Académie Royale de Chirurgie : telle
eft la force du préjugé..
T
Je ne connois pas, Monfieur , l'avan
ture dont vous me parlez . Je ne fuis
point à l'affut de ce qui peut arriver de
malheureux , dund'heureux au Frère
Cofme: N'en attendez de moi aucune
réponſe. Je vois affez fouvent fon neveu
; il a été nommé & maintenų
gagnant maîtrife à l'Hôpital de la Charité
, malgré les Chirurgiens de Paris,
Auffi le regarde-t-on comme un fauvageon
enté par le hafard fur un des meil
leurs troncs de la Chirurgie. Les uns difent
qu'il eft de nature à produire de
.bons fruits , & les autres craignent beaucoup
que fon éloge fi bien fait par l'Auteur
de la Lettre , ne foit un peu prématuré
< ..
J'ai l'honneur d'être , &c.
AOUST. 1763 : 147
ARTS AGRÉABLES.
A Meffieurs les Conciliateurs.
job az
MESSIEURS ,
QUOIQUE Vous n'offriez point votre
médiation à tout le monde, j'eſpére
que vous ne ferez pas affez avares de vos
lumières , pour en refufer quelque lueur
à quelqu'un , qui defire ardemment de
s'inftruire. C'eft dans cette vue que j'ai
pris la liberté de vous écrire , par la
vaie du Mercure , pour vous prier de
concilier des chofes qui me paroiffent
finguliérement oppofées. Spectateur par
gout , je réfléchis quelquefois , & cela
fur le premier objet qui me frappe
amais principalement fur les Arts que j'aime
beaucoup .
Jeifaifois donc réfléxion , comment
il fe pouvoit , que dans une Nation où
il y a des prix inftitués , pour récompenfer
ceux qui défignent le mieux quel
étoit le Coftume des Egyptiens , des
Perfes & c., & de tant d'autres Nations
anciennes comment il fe peut , dis-je¹ ,
que dans les Monumens , que cette
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
même Nation érige de nos jours , elle
s'éloigne fi fort du fien , & femble
faire tous fes efforts , pour qu'il foit impoſſible
de fçavoir dans quel fiécle & à
l'honneur de qui ils ont été élevés .
Mais , difent les amateurs de jambes
nues & de draperies , nos habits ne font
pas dignes d'être confacrés , & leur forme
n'eft point affez agréable pour la
tranfmettre à la pofterité ; ils font un
mauvais effet en Sculpture. Mais le reméde
eft fimple furtout dans un pays où
l'on aime le changement . Ces changemens
d'ailleurs font très- avantageux
pour les Manufactures & pour les Ouvriers
en parures ; j'ai même oui-dire à
nn Anglois , qu'on ne changeoit fi fou
vent de modes dans ſon pays , que pour
encourager & faire profiter les Manufactures
, & il eft à remarquer que leurs
nouvelles modes font toujours l'oppofé
de celle qu'ils quittent.
La fureur des Infcriptions Latines
chofe qui doit néceffairement fuivre la
mode des habits à la Romaine , prive
quantité de gens ( & moi tout le premier
) de fatisfaire leur curiofité fur les
Monumens qu'ils rencontrent : fi elles
n'étoient employées que pour défigner
un Savant dans la Langue Latine , je ne
AOUST. 1763. 149
m'en plaindrois pas. Mais on voit du
Grec & du Latin , fur des Monumens
élevés à des perfonnes , qui n'ont jamais
fçu un mot de ces mêmes Langues .
Il me paroît donc ridicule , que pour
connoître les Illuftres de mon pays , il
me faille employer des Interprêtes étrangers.
Ce ne font peut-être ici que des redites
; mais on ne fauroit , je crois , trop
s'élever contre des abus auffi grands &
auffi ridicules.
R
MUSIQ U E.
ECUEIL de différens Airs à grande
Symphonie , compofés & ajoutés dans
plufieurs Opéra & exécutés au Concert
François des Tuileries. Par M. le Berton
, Maître de Mufique de l'Académie
Royale . In folio. Paris , chez M. de la
Chevardiere , rue du Roule , à la Croix
d'Or , & aux adreffes ordinaires . Prix ,
6 liv. On donnera inceffamment le
fecond & le troifiéme Recueil.
?
On trouve chez les mêmes Marchands
une Ariette en duo ajoutée
dans l'Opéra d'Amadis des Gaules ,
par M. le Berton , & chantée par M. &
Gii
150 MERCURE DE FRANCE.
Mde Larrivée au Concert François.
Prix I liv. 4 Ι fols.
;
Les RÉCRÉATIONS Chantantes , our
Journal Lyrique , contenant des Airs
choifis dans les Opéra - Comiques , avec
accompagnement de Violon , Flute
ou par- deffus de Viole , notés fur la
Clé de G. re. fol. & ajuftés de façon
qu'on peut les jouer en duo fur les
inftrumens. Par M. Légat de Furcy ,
Maître de Chant & Organiſte de Saint-
Germain-le -vieux . Neuviéme Recueil
in 4º. aux mêmes adreffes. Prix , 3 liv .
GRAVU. RE.
M. L'EMPEREUR , Graveur du Roi
dont le burin mérite la célébrité qu'il
s'eft acquife , vient de mettre au jour une
Eftampe d'après le gracieux Tableau de
M. Vanloo , intituléeles Baigneuses. On
la trouvé chez d'Auteur , rue & Porte
S. Jacques , au- deffus du Petit-Marché.
05
eibom
do 38
AOUST.
151 1
1763.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
ON continue tous les Vendredis les
Concerts François avec les mêmes applaudiffemens
& le même fuccès .
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a remis fur ce Théâtre, le Lundi
18 Juillet , la Mort de Céfar , Tragédie
en trois Actes de M. de Voltaire. La reprife
de cette Tragédie , comme on de
voit s'y attendre , a produit un effet plus
avantageux que dans fa nouveauté. Le
goût des Spectateurs François a acquis
un peu plus de fermeté ' , & l'on conçoit
aujourd'hui que l'âme peut être
vivement affectée au Théâtre par d'autres
motifs que les intrigues ou l'intérêt
d'amour. Ainfi , quoiqu'il paroiffe
encore affez étrange à une partie de ce
qu'on appelle nos Dames , & à ceux de
G iv
152 MERCURE DE FRANCE .
nos Meffieurs qui en ont les foibleffes
fans avoir leurs agrémens , de voir une
Scène totalement occupée par de grands
hommes , qui confpirent contre un autre
grand homme ; cette Piéce a été fort
applaudie. On devoit fe promettre que
pour la repréſentation d'une telle Tragé
die le Coſtume , qui devenoit plus néceffaire
que jamais , feroit plus fidélement
obfervé. On ignore, pourquoi
tous les Sénateurs Romains y ont paru
en Domino d'étoffes d'argent ' garnis
comme des robes de femmes , à l'excep
tion de Brutus qui étoit vêtu d'une manière
plus mâle , fans aucun rapport cependant
à l'habillement Romain . On
ignore de même pourquoi on a négligé
l'occafion de faire voir la Tribune aux
Harangues avec les Attributs fi connus
qui lui étoient propres. Au furplus cette
Tragédie a été repréfentée de la part des
principaux Acteurs , avec une perfection
de jeu , qu'on ne pourroit trop louer.
M. LE KAIN dans le rôle de Brutus a
été admirable , & il feroit difficile d'exprimer
quel art & quel pathétique M.
DUBOIS a mis dans celui d'Antoine.
M. BRIZART a paru fort noble & fort
intéreffant dans le rôle de Céfar. Nous
avons pour garants de ces éloges tous.
AOUST. 1763. 153
ceux qui ont vu cette Piéce , dont la reprife
a été continuée affez longtemps .
On a donné , le Samedi 23 du même
mois , la douziéme & dernière repréfentation
de la repriſe de l'Anglois à Bordeaux
, dans laquelle Piéce , comme
nous l'avons déja dit , Mlle DANGEVILLE
, retirée du Théâtre , jouoit par
extraordinaire. Cette dernière repréfentation
, ainfi que celles qui l'avoient précédées,
a eu la même affluence de Specta
teurs & les mêmes applaudiffemens que
la première.
Ön attendoit à la fin du mois précédent
la première reprefentation de la
Préfomption à la Mode , Comédie nouvelle
en Vers & en cinq Actes .
COMÉDIE ITALIENNE. ›
L E 25 Juillet , on a donné fur ce
Théâtre la première repréſentation des
Deux Chaffeurs & de la Laitiere , Fables
dialoguées & mêlées d'Ariettes , fuivie
de la neuviéme repréſentation des Fêtes
de la Paix , auxquelles on a ajouté de
nouvelles Scènes & un Ballet qui ont
fait beaucoup de plaifir . On continue ce
même Spectacle avec un très- grand fuc-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
cès ; nous rendrons un compte plus dé
taillé dans le prochain Mercure de la
Piéce nouvelle des Chaffeurs , & des
Scènes , ainfi que du Ballet ajoutés aux
Fêtes de la Paix.
ARTICLE VI
MONUMENT PUBLIC ,
DESCRIPTION de la nouvelle PLACE
·DE LOUIS XV. à Paris , & de la
Statue Equeftre du ROI , érigée dans
cette Place.,
CETTE
ETTE Place eft fituée entre le foffé
qui termine le jardin des Tuileries , l'ancienne
Porte & Fauxbourg S. Honoré ,
les allées des Champs Elyfées , celles du
Cours la Reine , & le Quai qui borde la
riviere de Seine ; elle eft formée par un
quarré de cent vingt-cinq toifes de longueur
fur quatre-vingt- fept de largeur
entre les balustrades intérieures . Les
quatre Angles du grand quarré forment
quatres Pans coupés de vingt-deux toifes
de longueur chacun , & font terminés à
leurs extrémités par des guérites ou gros
THE
NEW
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, LENOX
AND TILDEN
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t
THE
JEW
YORK
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, LENOX
AND
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FOUNDATIONS
.
AOUST. 1763. 155
Tocles ornés de frontons & furmontés d'un
acrotere décoré par des Guirlandes de
feuilles de chêne , & deftinés à porter
des Groupes de figures de Marbre , analogues
au Sujet & à la Place .
Deux de ces Pans coupés du côtê des
Champs Elysées font ouverts, & condui
fent à deux avenues diagonales , dont
Pune eft appellée le Cours la Reine : du
même côté à la tête des Champs Elysées ,
font quatre pavillonsdécorés deboffages,
à l'ufage des Fontainier, Garde & Portier
des Champs Elysées & Cours la Reine .
La façade des deux pavillons les plus
proches de la grande allée des Champs
Elysées, détermine la naiffance de la nouvelle
plantation .
On arrive à cette Place , qui fait la
réunion du Jardin des Thuileries avec les
Champs Elysées , par fix entrées , dont
les deux principales ont chacune vingt→
cinq toifes de largeur.
Le fol de cette Place donné à la Ville
par Sa Majefté , fous la condition de
ne pas fermer les vues de fon Palais &
Jardin des Tuileries , & de s'affujettir
au foffé qui les ferme , les a déterminé
de renfermer cette Place par de grands
foflés de onze à douze toifes de largeur ,
& de quatorze pieds de profondeur , qui
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
fe communiquent les uns aux autres du
côté des Champs- Elyfées , par fept ponts
de pierre avec archivoltes , & font fermés
par des balustrades.
Les murs de l'intérieur des foffés tous
revêtus en pierre , font décorés de chaînes
de refends à l'aplomb des piedeftaux
des balustrades , de tables faillantes
entre deux ; les murs font couronnés
par un cordon portant les balustrades .
Le fol des foffés doit être femé de
gazon , entouré de larges chemins fablés.
Les paffages des ponts s'annoncent
par de grandes portions circulaires fermées
par des baluftrades , qui fe raccor
dant à celles de l'intérieur de la Place à
feize gros piedeftaux deſtinés à porter
des Lions & Sphinx en bronze , facilitent
l'inégalité de la hauteur des baluftrades
de l'intérieur de la Place , d'avec
celles de l'extérieur.
Celles de l'intérieur de la Place pofées
fur un focle au-deffus du cordon dans
tout le pourtour de la Place , ont donné
lieu à une banquette ou trottoirs élevés
au-deffus du fol, d'où l'on monte par des
degrés , à tous les paffages des ponts &
entrées , & en face des huit guerittes.
Au centre de la Place , en face de l'alleé
du milieu du Jardin des Tuileries ,
AOUST. 1763. 157
s'élève à la hauteur de vingt- un pieds
un piédeſtal de marbre blanc veiné de
quatorze pieds & demi de long fur huit
pieds & demi de large , fur lequel eft
pofée la Statue Equeftre du Roi en
bronze de quatorze pieds de proportions,
fondue d'un feul jet le 6 Mai 1758 , fur
les deffeins , & fous la conduite de feu
M. Bouchardon , Sculpteur ordinaire de
Sa Majefté.
Aux quatre Angles du Piédeftal ,
paroiffent debout , & pofées fur un
Socle de quatre pieds de hauteur & de
deux pieds de faillie au - delà du nud
du Piédeſtal , quatre Figures de bronze
de dix pieds de hauteur , repréfentant
des Vertus , caractériſées par leurs attri →
buts ; elles foutiennent dans des attitudes
variées la corniche du Piédeftal
de vingt - deux pouces de hauteur fur
un pied & demi de faillie .
Le devant du Piédeftal en face du
Jardin des Tuileries fait voir deux Vertus
; celle qui eft à la droite repréſente
la Force , & celle de la gauche repréfente
la Paix ; entre ces deux Figures
eft une table renfoncée de marbre de
cinq pieds quarrée , enrichie de deux
branches de laurier en bronze doré
158 MERCURE DE FRANCE.
d'or moulu , & portant cette Infcription
:
LUDOVICO X
OPTIMO PRINCIP :
QUOD
AD SCALDIM MOSAM RHE
VICTOR.
PACEM ARMIS
PACE
IT SUORUM ET EUROPA FELICI
QUASIVIT.
A l'autre bout du Piédeftal &
des Champs Elysées , paroiffent!
autres Vertus on voit à la d
Prudence , & celle qui eft à la
défigne la Juftice ; entre les
AOUST. 1763. 159
une pareille table portant une autre
Infcription latine :
} 155
Нос
PIETATIS PUBLICE
MONUMENTUM
PRÆFECTUS
E T
ÆDILES
DECREVERUNT ANNO
M. DCC . X LV I I I.
POSUERUNT ANNO
M. DCC. LXIII.
i
Dans les deux grandes faces du Pie
deftal font renfermés deux bas reliefs
en bronze de fept pieds & demi de
long fur cinq pieds de hauteur. Celui
du côté de la rivière repréfente le Roi
da ns , un Char couronné par la Victoire ,
dans ,
& conduit par la Renommée à des Peut
ples qui fe profternent ; l'autre bas - relief
, faifant face aux grands bâtimens,
160 MERCURE DE FRANCE.
repréſente le Roi affis fur un Trophée
donnant la Paix à fes Peuples ; la Renommée
qui la publie tient la trompette
de la main gauche , & une palme de
la main droite : on voit dans le fond
un hommé & fon cheval qui paroiffent
morts.
Vers le bas , & au milieu de ces
deux bas-reliefs , font pofés fur le focle
deux grands Trophées compofés de
Boucliers , Cafques , Epées & Piques
antiques , jettés en bronze.
La frife du Piédeftal & la grande
Doucine au-deffus du focle , font enrichis
d'ornemens en bronze .
La corniche eft furmontée d'un piédouche
ou amortiffement orné par quatre
mufles de Lions aux angles , auxquels
font attachés des guirlandes de feuilles
de laurier qui fe groupent avec des cornets
d'abondance verfant différens
fruits ; au milieu du côté des Tuileries ,
font placées les armes du Roi , & du
côté des Champs Elyfées les armes de
la Ville de Paris . Le tout en bronze .
Le Piédeſtal eft pofé ſur deux grandes
marches de marbre blanc veiné , que
l'on fe propofe d'entourer d'une baluftrade
auffi de marbre & d'un foffé en
dedans , pour empêcher l'accès dudit
Monument.
AOUST. 1763. 161
L'on fe propoſe auffi d'exécuter par la
fuite , & de pofer à trente-deux toiſes de
diſtance du centre , & de chaque côté
du Piédeſtal dans l'alignement des deux
allées diagonales , deux grandes Fontaines
, ou Baffins demarbre ornés de groupes
& fujets différens , tant pour l'embelliffement
& la décoration de ladite
Place , que pour l'utilité publique.
Le fond de la Place du côté du Fauxbourg
S. Honoré en face de la rivière ,
eft terminé par deux grandes façades de
bâtiment de quarante-huit toifes de longueur
chacune, fur foixante-quinze pieds
de hauteur , conftruites & placées à ſeize
toifes de diſtance de la balustrade extérieure
des foffés.
Ces bâtimens forment chacun un périftille
d'ordre Corinthien compofé de
douze colonnes de trois pieds de diamêtre
, pofés fur un foubaffement de vingtquatre
pieds de hauteur , ouvert en portiques
formant des Galleries publiques.
Au-deffus de la Corniche du foubaf
fement , régne une balustrade de trois
pieds de hauteur.
Les chapiteaux & entablemens de
cet ordre font fculptés & enrichis de
tous les ornemens qui leur font propres ,
ainfi que les plattes - bandes de l'Archi
162 MERCURE DE FRANCE.
trave , & les platfonds dans les périftilles
Les extrémités de chacune defdites façades
font compofées d'un grand avantcorps
couronné d'un fronton , dans le
Tympan duquel eft fculpté un Sujet
allégorique.
Les arrieres-corps font ornés de nithes
, de médaillons & de tables faillan
tes , & font couronnés par de gros focles
fur lefquels font pofés des trophées
.
Les retours des extrémités de chaque
façade annoncent la même ordonnance
& la même richeffe .
Ces deux grandes façades font fépatées
par une rue de 15 toifes de largeur,
dont la décoration fymétrique en qua
tre-vingt-dix toifes de longueur fe termine
par des pavillons formant un carrefour
fur la rue S.Honoré , qui fera protongé
fur le même allignement jufqu'à
la rencontre du rempart , & terminée
par la nouvelle Eglife de la Paroiffe de
la Magdeleine de la Ville-l'Evêque , dont
le Portail fera face au centre de la Placé .
Deux autres Bâtimens d'une ordonhancé
moins riche que celles des grandes
façades , de trente-deux toifes de
longueur chacun , & féparés defdites
façades par des rues de quarante pieds de
AOUST. 1763 . 163
large , termineront en arrières-corps le
fond de cette Place , & iront aboutir
l'un au Jardin des Tuileries , & l'autre
aux Champs-Elyfées .
Le front du Jardin des Tuileries fur
la Place , qui avoit été rétréci & gêné
jufqu'à préfent par les anciens baftions ,
& par la Porte de la Conférence fera
agrandi , & préfentera une façade de
toute la longueur de la Place , & de toute
la largeur du Jardin.
On fe difpofe pour l'éxécution de ce
projet ( qui ne peut contribuer qu'à
augmenter la magnificence de ce Jardin
dont Paris & la France font redevables
au grand génie de M. le Nautre ) à
former une terraffe baffe de droit & de
gauche du Pont- Tournant , fermée fur
le devant par une baluftrade pofée fur
le cordon du mur du foffé.
Cette terraffe élevée de trois à quatre
marches au- deffus du fol du Jardin
entre les deux Renommées , fera prolongée
dans toute l'étendue de la largeur
du Jardin , & communiquera aux terraffes
fupérieures par deux grands efcalliers
d'une forme elliptique , placées
au milieu d'un avant-corps en façe du
centre des deux fontaines dont il a été
parlé ci - devant.
164 MERCURE DE FRANCE.
Le mur qui fera conftruit pour foutenir
cette terraffe fupérieure , fera décoré de
refends , boffages , tables & autres ornemens
, & fera terminé par une baluf
trade.
Les deux Renommées du Pont-Tournant
feront confervées fur de gros
Piédeftaux & on en pofera deux nouvelles
fur d'autres Piédeftaux pareils ,
placés à l'extrémité des avant- corps .
Au - delà de ces avant- corps feront
prolongés les murs de terraffes jufqu'aux
deux corps-de -garde placés en
ponts coupés fous lefdites terraffes , l'un
faifant décoration par fon entrée fur le
quai de la Conférence , & l'autre du
côté de la terraffe des Feuillans ,
Ces corps-de -garde fe raccorderont
aux murs de face des Tuileries , & à
ceux des deux côtés dudit Jardin par
d'autres piédeftaux deſtinés àà porter des
groupes de figures de marbre .
En face de la Place & dans toute fa
largeur fera conftruit un mur de quai
avec un grand avant- corps dans le milieu
, décoré & orné de boffages , tables
, infcriptions , confolles & baluftrades
apparentes du côté de la rivière
qui formeront le parapet du côté du
quai .
AOUST, 1763. 165
·
On pratiquera fur cet avant corps
deux piédeftaux pour recevoir deux figures
de bronze repréfentant la Seine
& la Marne , & les arrières- corps feront
terminés par des defcentes ou degrés
pour aller à la rivière.
Cette décoration peut être fufceptible
d'un pont décoré & analogue à la Place ,
& le projet eft ainfi propofé,
Cette Place l'une des plus belles de
PEurope, par fa pofition & fa décoration,
feroit encore defirer que l'on fe difpofât
à reconftruire le Pont de Neuilli en
face des Champs- Elyfées.
L'entrée de la Ville par ce côté , en feroit
plus commode & plus agréable
pour l'arrivée de la Province de Normandie.
Il ne feroit queftion pour l'entiere
perfection de ce projet , que décreter la
bute de l'Etoile de douze pieds , remonter
le feuil de la grille de Chaillot
de cinq à fix pieds , & venir en pente
douce jufqu'à la Place du Roi , d'où ſe
feroit le point de partage pour les différens
quartiers de Paris.
C'est la justice & la vérité même , qui
dictent les éloges dûs au zèle & aux efforts
difpendieux de la Ville , pour la prompte
exécution de cette Place qui eft déja
fort avancée. C'eft dans ce même zèle
1
166 MERCURE DE FRANCE.
& dans ces efforts que l'on trouvera le
témoignage le plus fincère de l'amour
des Citoyens pour le Monarque chéri ',
en l'honneur duquel ce fuperbe Monument
a été érigé.
L'exécution & les projets de cette
Place font d'après les deffeins & fous la
conduite de M. GABRIEL , Ecuyer ,
premier Architecte du Roi,
SUPPLÉMENT aux Pieces Fugitives.
RÉFLEXIONS de la Société des
Conciliateurs fur les divers ufages des
termes DEDICACE & de D'INAUGURATION
Sous le régne précédent , on a érigé
avec folemnité des Monumens publics à
l'honneur de LOUIS XIV, & l'on s'eft
fervi du terme de Dédicace pour figni
fier l'offrande qu'on en faifoit. Ce mot a
été employé de même dans la defcription
des Fêtes données à Rennes , à
Valenciennes & à Bordeaux , lorfque
des Etats de Bretagne , au nom de la
Province , & les. Officiers Municipaux
de ces deux dernières Villes au nom de
A O UST . 1763 : $ 64
leurs Concitoyens , donnerent au Roi
une marque de leur refpect , de leur
dévouement & de leur zéle , en faisant
élever la Statue du Monarque Bien-
Aimé dans l'enceinte de leurs murs. La
Ville de Paris , dans les dernières Fêtes,
a eu pour objet de célébrer le même
événement qui lui étoit propre ; & pour
le défigner , elle a fait ufage du terme
d'inauguration dont plufieurs perfonnes
ont demandé la fignification précife.
Quelques-uns ont prétendu que ce
terme n'étoit pas François , & fe font
récrié contre la hardieffe qui l'avoit emprunté
du Latin . Les Auteurs qui ont
écrit dans cette Langue fe font fervis
du mot inaugurare , qui fignifie confacrer
, facrer ; en forte qu'inauguration
feroit fynonyme à confécration , que
l'on dit ne pouvoir être employé au
propre , que pour exprimer une cérémonie
religieufe dans l'ordre le plus
relevé.
Mais nous oppofons à ces Critiques
l'autorité du Dictionnaire de l'Académie
Françoife qui ne profcrit pas de
notre Langue le terme d'inauguration
» c'eft , dit- on , une cérémonie religieufe
qui fe pratique au Sacre
Couronnement des Souverains . L'i
nauguration de l'Empereur,
alt
168 MERCURE DE FRANCE.
On ne voit pas trop par cet exemple"
quelle eft l'acception véritable du mot.
Celui de nous qui eft le plus verfé dans
l'étude des ufages des Nations , nous a
rapporté d'après une Gazette de l'année
1723 , qu'au facre de l'Empereur comme
Roi de Bohême , fait à Prague le 5 Septembre
de cette année , la Couronne
ayant été bénite , l'Archevêque de Prague
la mit fur la tête de l'Empereur, qui
retourna àfon Thrône , & l'Officiant prononça
les paroles de l'inthronifation . On
a qualifié ainfi la prife de Poffeffion d'un
Siége Epifcopal : mais ce n'eft qu'une
expreffion figurée ; car c'eft improprement
qu'on appelle Thrône , la décoration
du Dais du & Fauteuil, qui diftingue
le lieu qu'occupe un Prélat dans les cérémonies
folemnelles de fon Eglife. Cela
ne peut être appliqué qu'à ceux qui font
Princes temporels ; & alors le Thrône eft
dans leur Palais & non dans leur Eglife ;
où ils n'ont qu'une chaire : de là la dénomination
du Temple principal fous le
nom d'Eglife Cathédrale : & dans le rituel
Romain , les Fêtes de la Chaire de S.
Pierre à Rome & à Antioche.
Ce n'eft pas par ce que dit le Dictionnaire
de l'Académie Françoife au mot
inauguration , qu'on peut décider fi la
Ville
AOUST. 1763. 169
Ville & les Auteurs du Mercure ont
bien ou mal fait de fe fervir de ce terme
en annonçant les Fêtes publiques ;
mais qu'on confulte ce même Di&tionnaire
au mot érection , il nous apprend
qu'on dit , l'érection d'une Statue , d'un
Monument , pour dire l'efpéce de Confécration
que l'on en fait en l'honneur
d'un Prince ou de quelqu'autre Perfonnage
illuftre. Le mot de confécration
eft ici employé formellement avec la petite
reſtriction, qui empêche de prendre ce
mot dans une acception relative au culte
divin. Nous ferons voir plus bas qu'il y
a un milieu entre le facré & le prophane,
& que le mot d'inauguration eft celui qui
convient le mieux à cette circonftance
moyenne , puifque dans nos ufages , il
ne peut être pris dans la première fignification;
& qu'il a quelque chofe de relevé
qui empêche qu'on ne l'applique à des
conjonctures triviales.
Si l'on vouloit donner la préférence
au mot de dédicace , il faudroit difcuter
fes différens fens , & peut- être le trouveroit-
on moins convenable après cet
examen, qu'on ne l'auroit penfé d'abord.
Pour trouver la première origine de
ce mot , il faut remonter à l'antiquité
la plus reculée . Judas Machable fit
H
170 MERCURE DE FRANCE ,
repurger le Temple ; on appella cette
cérémonie encoenia, qui fignifie Dédicace
ou le renouvellement d'une choſe détruite
; il ordonna que l'on feroit des
réjouiffances publiques , tous les ans ,
au même jour que la Dédicace auroit
été faite ; & nous lifons dans S. Jean
chap. 10, v. 22 , que Jefus Chrift ne fe
difpenfa pas de l'obfervation de cette
fête , & que le jour qu'on la célébroit
on lui parla dans le Temple , où il fut
rencontré fe promenant dans la gallerie
de Salomon . Le terme d'encænia qui exprime
la fête de la Dédicace , fignifie à
la lettre le renouvellement , du mot grec
Kainos, Novus. De - là les Latins ont fait
le mot encaniare , prendre une robe
nouvelle .
Voyons préfentement comment le
Dictionnaire de l'Académie Françoiſe
définit le verbe dédier ; c'eft , dit-il ,
confacrer au culte Divin , & les exem
ples qu'il en donne font , dédier une
Eglife , un Autel , une Chapelle,
Or le mot de confacrer ne peut être
pris ici que figurément ; car le même
Dictionnaire au mot , Bénédiction , dit
que c'est une action religieufe par laquelle
on bénit une Chapelle! On fçais
qu'iky a dans le Rituel une très- grande
AOUST. 1763. 171
difference entre la bénédiction d'une
Eglife & fa confécration ; mais il n'en
eft pas moins vrai de dire que la Dédicace
n'eft qu'un acceffoire de l'une
ou de l'autre. La Dédicace n'eft que
l'acte volontaire , indépendant de toute
cérémonie religieufe , mais que la confécration
, ou la fimple bénédiction rendent
authentique , par lequel on met
une Eglife , une Chapelle , ou un Autel
fous le nom & l'invocation d'un tel
Saint. En voici des exemples : l'Eglife de
Sainte Géneviéve a été anciennement
PEglife des Saints Apôtres . La Paroiffe de
S. Sulpice a été fous l'invocation de Saint
Pierre & de S. Paul ; elle a été depuis
dédiée à S. Sulpice ; elle étoit bénite
avant que d'avoir ce Patron actuel , &
elle n'a été confacrée que de nos jours.
Nous avons vu l'Eglife Collégiale de
S. Thomas du Louvre prendre le nom
de S. Louis; & le Pontifical Romain parlant
de la dédicace ou confecration d'une
Eglife qui peut être faite très- tardivement
, impofe la néceffité de jeûner la
veille , à ceux pour qui on doit dédier
P'Eglife , auffi bien qu'à l'Evêque qui
doit en faire la cérémonie. Donc la dédicace
eft l'effet de la volonté de celui
qui en eft, pour ainfi dire, le Parrain , &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qui la met fous le nom du Saint en qui il
a le plus de confiance , ou dont il refpece
plus particuliérement la mémoire.
Mais les mots de dédier & de dédicace
s'étendent à beaucoup de chofes, & font
quelquefois fynonymes à celui de confa
erer , pris auffi dans un fens très- étendu .
Le mot de dédier avoit lieu dans notre
langue dans une fignification active ,
pour le choixd'une profeffion par le defir
& l'autorité d'autrui. On lit dans l'Oraifon
funébre fur la mort de Ronfard ,
par Duperon , Lecteur de la Chambre
du Roi en 1586 , que fon indocilité
obligea fes parens de le retirer des études,
pour le dédier à la profeffion des armes
pour l'exercice de laquelle ils voyoient
qu'il avoit le corps bien difpofé. On a
dit depuis fe dédier à l'étude , au fervice
des Autels , au ſervice du Roi ; & ne diton
pas dans le même fens confacrer fa
jeuneffe à l'étude , au barreau , à la
guerre , à l'exercice des armes : ainfi il
exprime également le dévoûment aux
chofes & aux perfonnes , comme confa
crer fa vie au Roi ; de tout ceci on peut
conclure que quand le mot d'inauguration
ne pourroit fe rendre que par celui
de confecration , il ne feroit pas à rejet
ter ; il auroit même l'avantage dans l'obAOUST.
1763. 173
jet de cette difcuffion , de ne pouvoir
être pris au propre comme celui de confécration
, pour une cérémonie Religieufe
, dont le culte divin doit être
l'objet.
Le mot de Dédicace hors de cet
objet , s'applique à trop
de chofes d'un
rang inférieur dans l'ordre civil ; comme
la Dédicace d'un Livre , d'une Eftampe ;
& quoiqu'on ait dit que les Anciens
avoient la Dédicace des Statues des Empereurs
ou des Dieux dans le Paganiſme,
& qu'on trouve même dans les Livres
Saints que Nabuchodonofor fit la Dédicace
de la Statue qu'il avoit fait faire./
V. Daniel ,ch. 3. v. 2. il eft clair que dans
le fens étroit la dédicace ne devroit fe
des lieux , & nous ferions portés
à croire qu'il auroit fallu , pour parler
correctement , dire qu'on avoit fait la
Dédicace de la Place de Louis XV. &
l'Inauguration de fa Statue : c'eft ce
'dernier mot qu'il s'agit de juftifier.
dire que
Inaugurer , difent les Partifans du
terme de Dédicace, c'eft confacrer.Nous
leur paffons l'identité des mots . Eh bien !
la Dédicace de la Statue n'eft- elle pas
une vraie confécration civile ? La Statue
du Roi , n'eft-elle pas comme le porte
l'Infcription , Pietatis publico Monu-
H iij
1
774 MERCURE DE FRANCE .
mentum. Un témoignage public de l'as
mour du Peuple pour un Prince qui en
eft fi digne. C'eft un vou rempli ; toutes
ces expreffions fe réuniffent tous les
jours dans la Dédicace d'une Thèfe :
Vovet , dicat , confecrat.
Il eft inutile de rechercher l'ancienne
fignification du mot d'Inauguration ; il
fignifioit chez les Romains , prendre les
Augures , confulter le vol des oifeaux
avant que d'entreprendre quelque choſe.
Si l'on avoit recours aux étymologies.
on feroit bien plus embarraffé. L'inauguration
pouvoit être prife pour l'élévation
au Sacerdoce , ou l'entrée dans le
Collége des Augures . Dans l'ufage préfent
, il fignifie , dédier , initier. Lorfque
les Médecins de Paris eurent fait
conftruire leur Amphithéâtre Anatomique
, ils en firent l'ouverture folemnellement
, & l'un d'eux y prononça un Difcours
d'Apparat ; cela fut appellé l'inauguration
des Ecoles , & la mémoire en
fut confervée par un Poëme Latin fur
cette inauguration . Dans les Facultés
étrangères un nouveau Profeffeur ,
pour prendre poffeffion de fa Chaire ,
débite un Difcours qu'on appelle Oratio
inauguralis. Inauguration veut dire
initiation , ou installation folemnelle .
>
A O UST. 1763 75
Pourquoi ne ferions nous pas paffer
→ a
dans notre langue un terme auffi fignificatif
? Nous ne pouvons pas dire
dans le fens propre,la confécration de la
Statue du Roi , ce feroit une apothéofe,
nous ne fommes pas payens . Le mot de
Dédicace n'eft pas affez noble celui
d'Inauguration détourné de fa fignificas
tion primitive , ne défignė plus une cérémonie
religieufe ; mais il exprime un
culte civil : & en perdant fa relation au
culte divin , il conferve quelque chofe
d'augufte , fort convenable à la circonf
tance où il vient d'être employé.
CÉREMONIES ET FESTES
PUBLIQUES.
A la ROCHELLE le Juillet 1763.
J'ESPÉRE , Monfieur , que notre
éloignement de la Capitale ne vous préviendra
pas contre la vérité du récit que
j'ai l'honneur de vous adreffer. Vous
reconnoîtrez à mon ftyle que je n'ai pas
cherché à en orner les traits ; mais fi je
réuffis à en rendre le tableau parlant ,
vous conviendrez que tous les exemples
de magnificence & de bon goût , font
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
effacés par les Fêtes que viennent de
donner M. P'Intendant & Mde l'Intendan
te de cette Province. Les perfonnes de
qualité qui y ont affifté , ont partagé l'étonnement
& l'admiration des Citoyens.
L'amour de tous les Ordres de la Ville
pour un Magiftrat moins connu par fon
autorité que par fes bienfaits , afuppléé à
l'infuffifance de l'induftrie & à la rareté
des Artifans. Les préparatifs ont même
été précipités par l'arrivée de Meſdames
les Comteffe de Sene&terre & Marquife
de Villeroi que M. le Maréchal de Senecterre
notre Gouverneur avoit invitées
aux Réjouiffances publiques dont elles
ont fait le premier ornement.
La Paix fut publiée les 1 & 2 de
ce mois par tous les Corps , avec les
acclamations d'un Peuple paffionné
pour fon Roi & pour celui qui en repréfente
fi dignement la Bonté & la
Majefté. Le Te Deum fut chanté le 3 avec
toute la Pompe qui pouvoit rendre cette
Cérémonie plus augufte : M. le Gouverneur
, Mefdames de Sene&terre & de
Villeroi, M. l'Intendant & Mde l'Intendante,
l'Etat Militaire , les Compagnies & la
plupart des Citoyens y affifterent. Il y
eut le même jour fur la Place Royale un
AOUST. 1763: 177
feu de joie , une illumination en Amphithéâtre
, deux fontaines de vin qui
coulerent toute la nuit , féparées par une
eftrade garnie de Muficiens , & un concours
fi prodigieux de Peuple , que la
vafte étendue de la Place pouvoit à
peine le contenir. Les Dames placées
fur les balcons des Maifons qui l'entourent
ne quitterent ce Spectacle fingulier
que pour jouir des illuminations qui
éclairoient les rues. On admira furtout
celles du Gouvernement , de l'Intendance
& de l'Hôtel-de-Ville.
Le lendemain , M. le Maréchal , Mefdames
de Senecterre & de Villeroi ,
fuivies de plus de cent foixante Dames
parées , & de cinq cens Cavaliers , tant
Militaires que Citoyens & Etrangers , fe
rendirent à l'Intendance à cinq heures
du foir. M. & Madame Rouillé les reçurent
dans un fallon orné de glaces &
très - éclairé.
Ce fallon de Compagnie communique
par trois grandes croifées de plein pied
dans un Jardin de quatre - vingt pieds
de longueur & de cinquante pieds de
largeur , plus bas environ de quatre
pieds que le fallon & renfermé par les
Bâtimens de l'Hôtel , qu'on avoit deſti-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE:
né à la conftruction d'une falle de Spectacle.
Ce terrein étoit couvert par de
fortes toiles à voiles , fufpendues par
une mâture auffi folide que hardie , &
difpofées de manière que l'air rafraîchît
la falle , fans que la pluye pût y pénétrer.
Le plafond du milieu à la hauteur
de vingt-quatre pieds étoit formé par
des pavillons de couleurs bleues & jaucelui
des loges étoit mêlangé de
blanc & de rouge.
On voyoit dans l'enfoncement une
toile décorée des chiffres de M. le Ma
réchal , de Madame de Seneterre & de
Madame de Villeroi , enlacés & déffinés
en Fleurs ; l'Orcheftre & le Parterre
bordés de dix grandes Loges paffantes
occupoient le terrein entre la toile
& la fortie du fallon : un treillage de
verdure naturelle en forme de tapis
à la hauteur d'appui , fervoit de parement
aux loges au pied & en dehors
de ce treillage étoit pratiqué un
Amphitéâtre à deux rangs de fiéges ,
qui partageoit la diftance du Parterre
au niveau des Loges. Dix colonnes
torfes , ornées de guirlandes de fleurs
naturelles fortoient du treillage &
marquoient la coupure des loges ceinAOUST.
1763. 179
, trées en haut en forme d'Archivolte
& du milieu des clefs defcendoient les
luftres fufpendus par des guirlandes en
draperie. Chaque colonne étoit éclairée
par un bras à trois bougies ; trois
grands luftres à diftance égale tomboient
du plafond du milieu. Les bras & les
luftres étoient travaillés en fleurs afforties.
Auffi - tôt que les Dames furent placées
on leva la toile & le Temple
de l'Amour fe préfenta avec tout le
brillant de la plus élégante décoration .
On commença par une Comédie en
Vers & un Acte Intitulée Amour fans
Amour : un Citoyen diftingue par fon
efprit & par fes talens , joua le premier
Rôle ; mais l'Acteur trahit l'Auteur
& fa modeftie ne put échaper
aux applaudiffements réunis. Cette Piéce
fut fuivie de l'Opéra des Graces en
un Аđe , dont les paroles & la Mufique
charmantes firent ailément reconnoftre
la même main qui avoit deffiné
leur Temple : deux ballets brillants où
la galanterie & l'éclat des habits répondolent
à l'élégance de réxécution foutenne
par plus de trente Muficiens
d'orchestre tous amateurs , ouvrirent&
fermierent ce fecond Spectacle.
Y
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Les Dames fuivirent Meſdames: de
Seneterre & de Villeroi & montérent
dans les Piéces préparées pour le foupé :
tout le plein-pied de l'Hôtel étoit couvert
de tables garnies avec une profufion
qui fembloit devoir en exclure
la délicateffe , mais qui ne la rendit
que plus furprenante. M. le Maréchal
qui fait fi bien tempérer l'éclat de
fon rang par la gayeté & la galanterie,
refufa de fe placer à la première table ;
il en fit le tour & parut à toutes les
autres pour y répandre les traits de fa
bonté& de fa politeffe: les Cavaliers fervoient
les Dames & trouvoient pour
eux , fur des Buffets dreffés dans les
angles de chaque Salle , des mets fervis
avec autant d'ordre & d'abondance
que les tables mêmes.
On avoit continué la gallerie dans
tout le contour du Jardin & pratiqué dans
les côtés & le derrière du Théâtre , dix
Loges de la dimenfion & du goût de
celles qui bordoient l'Orcheſtre & le
Parterre ; de façon qu'en faifant difparoître
les décorations du Théâtre &
en élevant le Parterre le même terrein
ne devoit plus préfenter qu'une Salle
de Bal entourée de Berceaux de verdure
de fept pieds de profondeur & deAOUST.
1763.
181
treize pieds de largeur , ornés dans leurs
fonds , de glaces d'une coupe égale &
de la plus exacte correfpondance , &
foutenus & partagés par vingt Colonnes
torfes ornées de guirlandes de fleurs.
Il ne fallut pas une heure au Machinifte
pour l'éxécution de ce changement.
Les Dames rentrérent après foupé
dans cette Salle enchantée , par le même
fallon de Compagnie où elles avoient
été reçues, & qui en devenoit le veftibule.
Leur furprife paffa l'efpérance du
Machinifte ; la perſpective avoit été fi
adroitement ménagée , par les rapports
des glaces qui couvroient les fonds de
la gallerie avec celles du fallon , que l'oeil
ne trouvoit plus de bornes & fe perdoit
dans la répétition des objets : on avoit
ménagé dans l'enfoncement un Amphitéâtre
rempli de Muficiens en domino .
Les Dames qui ne vouloient pas danfer
bordoient la gallerie , les autres fe
rangerent autour de la banquette audeffous
des premières. Cette ordonnance
qui fembloit l'effet du hafard , cinq cens
Cavaliers répandus dans la falle , douze
cercles de contredanfes formés à la fois
préfentoient le plus riche tableau.
Mefdames de Seneterre & de Ville182
MERCURE DE FRANCE .
roi ouvrirent le Bal par deux menuéts
avec M. l'Intendant. On danfa jufqu'à
cinq heures du matin ; & il ne fallut pas
moins que l'inquiétude fur la fanté de
M. l'Intendant & Madame l'Intendante
pour arracher les Conviés de ce féjour
délicieux .
On crut que M. & Madame Rouillé
avoient épuifé pendant douze heures
que dura la Fête , la politeffe , l'aménité
& l'attention qui les rendent fi chers à
la Ville ; il manquoit à leur gloire un
trait d'affabilité & de bonté qui prolongeât
les plaifirs & les fit partager au
Peuple. Les Portes de l'Intendance s'ouvrirent
à neuf heures du matin , & on
laiffa entrer tout le monde fans diftinction
dans cette Salle merveilleufe. On
y trouva des violons , & Mefdames
Rouillé, de Sene &terre & de Villeroi nè
dédaignerent pas d'y paffer une partie
de l'après- midi & d'y danfer. L'affluence
du Peuple fut fi grande , qu'il paffa dans
La Salle , ce jour- là , plus de dix mille
perfonnes,
Le lendemain , la Troupe des Comédiens
joua gratis au Théâtre public , &
la Salle de l'Intendance n'en fut pas
moins livrée à la cutiofité du Public.
Je fuis trop bon Citoyen , Monfieur ,
AOUST. 1763: 183
pour ne pas defirer ardemment que cette
Defcription foit inférée dans le prochain
Mercure , fi vous croyez qu'elle réponde
à l'idée qu'on doit fe faire d'une Fête
auffi magnifique. Je fuis charmé que
cette occafion me procure l'avantage de
vous affurer des fentimens avec lefquels
j'ai l'honneur d'être , & c .
C. DENIS .
ARTICLE VII.
NOUVELLES POLITIQUES.
E
De COPPENHAGUE , le 18 Juin 1763.
LaBaron de Gleicken , Chambellan du Roi ,
eft parti le 13 pour la Cour de France , où il va
remplacer le Comte de Wedelfrys , en qualité
d'Envoyé Extraordinaire de Danemarck.
De VIENNE , le 2 Juillet 1763× ~
Le 28 da mois dernier , entre quatre & cinq
heures du matin , on a reffenti quelques fecouffes
de tremblement de terre qui n'ont pas été confidérables
, & n'ont caufé aucun dommage ; mais
fuivant des Lettres de Hongrie , on en a effuyé
de très-violentes à Comore , ou prefque tous les
Edifices les plus folides ont été ébrantes , & quelques-
uns même renversés : on affure que la Cathédrale
& la magnifique maifon des Jéfuites
184 MERCURE DE FRANCE.
font du nombre de ces derniers , ainfi que deu
baftions de la fortereffe baignés par le Danube ,
lefquels ont été détruits par la violente commotion
des eaux de ce fleuve. Plus de deux cent perfonnes
affemblées dans une Eglife de cette mênre
Ville ont péri par l'écroulement de la voute du
Choeur. LaVille de Raab a auffi beaucoup fouffert ,
& l'on reçoit des Nouvelles de divers endroits où ce
tremblement de terre a également cauſé de
grands ravages .
De PEST en Hongrie , le 29 Juin 1763.
Hier,on a reffenti ici de très -violentes fecouffes de
tremblement de terre ,qui ont endommagé confidérablement
les principaux bâtimens de cetteVille ,
& particulierement l'Hôtel des Invalides. La
Croix du Clocher de cet édifice a été abattue & la
voûte, ainfi que les murs de l'Eglife , fe font entrouverts
en plufieurs en droits. On affure que les
fecouffes ont été encore plus violentes à Buttin
ainfi qu'au Village de Kerepes à trois lieues d'ici
& qu'elles fe font fait fentir dans ces différens endroits
prèfque dans la même minute.
De VETZLAR , le 24 Juin 1763.
Les Troupes du Landgrave de Heffe- Darmſtad
ont abandonné cette Ville , après avoir fait conduire
à Giellen le Bourgue-Maître , & les feize
Confeillers dont elle s'étoit faifie. Le Landgrave
ne veut , dit-on , conſentir à les relâcher qu'à condition
que nos Magiftrats lui enverront une députation
folemnelle pour lui faire réparation de l'infulte
que les habitans de laVille ont faite à les troupes
il y a quelques mois.
De MAYENCE , le s Juillet 1763.
Les différens partis qui divifoient le Chapitre ſe
AOUST. 1763. 185
" font réunis en faveur du Baron de Burresheim
Grand- Doyen , qui vient d'être unanimement élu
& proclamé Electeur.
De LISBONNE , le 22 Juin 1763 .
On mande de Bahia que deux Corfaires Anglois
le Lord - Clive & l'Embuscade ayant pris à bord
quelques troupes & s'étant joints à une Frégate
Portugaife, avoient attaqué la Colonie du S. Sacrement.
Après une Canonnade vive & opiniâtre ,
les Anglois avoient forcé les Eſpagnols à fe retirer ,
quand tout-à-coup le feu prit au bâtiment du Lord-
Clive qui fauta en l'air. Alors les Espagnols revinrentfur
leurs pas , & forcerent les autres Vaiffeaux
de retourner à Rio- Janeiro . Les Corfaires Anglois
avoient fait plufieurs prifes confidérables ; mais on
fuppofe que l'argent & les effets les plus précieux
étant à bord du Lord- Clive auront été perdus. Suivant
quelques relations , le Capitaine Macnamara,
qui commandoit ce Corfaire , défefperé de la perte
de fon Vaiffeau, s'eft brûlé la cervelle d'un coup de
Piftolet ; mais fuivant un autre récit plus probable,
il a péri avec trois cens- cinquante hommes de fon
équipage.
De MALTE, le 30 Mai 1763 .
Le jour de la Pentecôte à une heure & demie
après- midi , on a reffenti ici une ſecouffe de tremblement
de terre , affez vive , qui a duré près d'une
minute.
De Rome, le 15 Juin 1763.
Le Cardinal Paolucci mourut dans la nuit du
Io au II de ce mois , âgé de foixante- onze ans.
Cette mort fait vaquer dans le facré Collège un dixiéme
Chapeau , en comptant celui qui eft réſervé
à la nomination du Roi de Portugal,
186 MERCURE DE FRANCE.
De GENES , le 13 Juin 1763 .
2
Suivant les nouvelles arrivées én dernier lieu
de l'ine de Corfe , les Rebelles ont , à ce qu'on
affure , perdu dans l'action d'Aleria quarante
hommes , & les troupes de la République trentedeux
Corfes & trois foldats. Le Général Matra
vient de faire bloquer & attaquer le Fort de
Furiani. Deux Piéves , qui étoient ci - devant du
parti rebelle , ont envoyé à ce Général une députation
par laquelle elles lui offrent leurs fecours
toutes les fois qu'il en aura befoin pour
foutenir les poftes qu'il occupe . Jean- Carlo ' ,
l'un des principatix Officiers de Paoli , mécontent
du peu d'obéillance & de difcipline qu'il
trouvoit dans le Corps de Troupes dont il avoit
le Commandement , & des contradictions coftinuelles
qu'il éprouvoit dans toutes fes opérations
de la part du Chef des Rebelles , s'eſt déterminé
à quitter leur parti . Le Prêtre Confalvi
& un autre de la Province de Balagna , qui
avoient été faits prifonniers à Aleria ont été
mis à mort par l'ordre de Paoli
1
·Du 27 Juin
•
On a appris de la Baftie qu'outre les deux
Capitaines qui avoient été tués dans la tranchée
près de Furiani , le Lieutenant - Colonel Kiniek ,
avoit aufli été emporté d'un coup de Canon . Le
Général Matra a prefque détruit cette place qui
continue à être battue par fon Artillerie ; & il
eft certain que les Rebelles ont abandonné le
fiege du Fort Algaiola pour venir défendre le
Village de Furiani.
On dit qu'un nommé Cicco , Corfe Napoli-
Bain & attaché à la République , avoit médité
AOUST. 1763. 187
un coup important contre les Rebelles , & voici
ee qu'on rapporte à ce fujet. Cet homme , qui
étoit à Calvi , entretenoit une correſpondance
avec Pafchal - Paoli ; & de concert avec le Général
Matra , le Commiflaire de la Baſtie & celui
de Calvi , il avoit propofé à ce Chef des Rebelles
de lui livrer cette derniere place . Paoli
avoit accepté l'offre ; & dans la nuit qui avoit
été fixée entr'eux , il s'étoit approché de la place
avec environ ſept cens hommes . On fit de part
& d'autre les fignaux convenus. Cicco engagea le
Commiffaire de Calvi à faire fortir les habitans
de la Ville & à les mettre en embuscade , de
manière que les Rebelles fe trouvaffent entre le
feu de cette troupe & celui de la Garniſon ;
mais le Commiffaire pour s'affurer de la fidélité
de cet homme éxigea qu'il lui remît fon fils en
ôtage. Cicco ayant répondu qu'il l'auroit donné
fi on le lui eût demandé plutôt , le Commiffaire
fit mettre la Garniſon fous les armes & envoya
deux hommes pour reconnoître les Rebelles
, qui s'apperçevant qu'on les avoit trahis , fe
retirérent avec précipitation.
Du 4 Juillet. f 1
On a appris de Livourne que les Rebelles
avoient élevé une batterie fur une Colline qui
domine le village de Furiani.
De LONDRES, le 8 Juillet 1763-
On écrit de Minorque que le 31 Mai dernier ,
le Colonel Lambart eft arrivé de Gibraltar en
cette Ifle , avec trois Régimens Anglois , qui ont
débarqué fous fes ordres , & ont pris poffeffion
du Fort- Saint- Philippe & du reste de l'ifle , don't
les Fortifications fe font trouvées en bon état,
188 MERCURE DE FRANCE.
La Garniſon françoife s'eft embarquée le 4 do
mois dernier fur trois Vaiffeaux de Guerre qui
ont dû mettre inceffamment à la voile . Ce jourlà
il ne reftoit à Minorque d'autres François
qu'un Officier d'Artillerie , chargé de remettre
les Magafins & les Provifions , & quelques foldats
malades pour le traitement defquels on a
laiffé les perſonnes & les médicamens néceſſaires .
EXTRAIT d'une Lettre écrite du Fort- William
dans le Bengale , le 17 Février 1763.
» Il y a eu aux environs de Calcutta un trem-
» blement de terre qui a duré quatre minutes ,
» & n'a heureuſement occafionné que très-peu
» de dommage ; mais on a reffenti à Chitta-
»yona , Place dépendante de celle-ci , douze
» fecouffes qui ont fait écrouler tous les édifices
de cette Ville bâtis en brique. La terre s'eft
ouverte près de la Factorie ; il en eft forti
so un torrent d'eau mêlé de vafe & il refte
» actuellement en cet endroit un abîme de trois
à quatre pieds de largeur . A Burdavan , autre
» Place du diftrict de Calcutta , il s'eſt élevé au
>> milieu d'une Riviére confidérable un Banc de
» Sable qui a fait prendre un autre cours aux
Eaux de cette Riviere dont l'ancien lit eſt
» actuellement auffi fec qu'aucun autre endroit
» du pays.
>
D'AMSTERDAM, le 8 Juillet 1763.
Un Navire parti de Surinam le 9 Mai dernier
a apporté hier des nouvelles de la Colonie des
Berbices plus sûres & plus circonftanciées que celles
qu'on a reçues jufqu'à préfent. Elles contienment
les détails fuivans :
Les cinq cens hommes de troupes détachées de
A O UST. 1763. 189
Surinam pour aller au fecours des Berbices y arriverent
le 28 Avril , & trouverent à bord d'un
Brigantin à l'embouchure de la rivière le Gouverneur
de cette Colonie qui , comme on l'a déjà
dit , avoit été forcé d'abandonner le Fort après y
avoir mis le feu , & de fuir avec environ vingttrois
Colons , tant hommes que femmes , échap
pés feuls à la fureur des Negres qui avoient impitoyablement
maffacré les autres au nombre
de foixante- dix à quatre- vingt.
Immédiatement après l'arrivée de ce renfort ,
on prit la réſolution de rentrer dans les Plantations
les plus voifines de l'embouchure de la riviè
re , & le Brigantin , accompagné de deux autres
Bâtimens , s'avança jufqu'à celle que l'on nomme
le Dageraad ; les troupes y defcendirent en préfence
des Negres qui leur crierent de fe préparer
à les bien recevoir le lendemain matin , parce
qu'ils ne manqueroient point de les aller trouver.
Ils y vinrent en effet ; l'attaque fut très - vive , &
dura depuis fept heures jufqu'à une heure aprèsmidi
: alors les Negres abandonnerent le combat
& laifferent fur la place quelques-uns de leurs
gens tués ou bleffés : du côté des Hollandois , il
n'y eut de tué que le Directeur de Dageraad.
་
Le jour fuivant , un jeune Gentilhomme des
Berbices , que les Négres avoient cruellement
maltraité à coups de fouet , fut envoyé au Gouvernement
par le Chef des Rebelles avec une
lettre par laquelle celui-ci témoignoit qu'il étoit
très-mortifié que fes gens en fullent venus aux
voies de fait avec les Blancs ; qu'ils avoient agi
fans fon ordre & contre les intentions qu'au
refte ils feroient charmés de vivre dorénavant
en paix & amitié avec le Gouverneur ; qu'ils
ne demandoient autre choſe que leur liberté &
190 MERCURE DE FRANCE .
la moitié de la Colonie pour s'y établir & y vivre
tranquillement avec leurs femmes & leurs enfans
; pour gage de la fincérité de les intentions ,
ce Chef des Rebelles envoyoit en préſent au Gouverneur
de belles boucles d'or que fes gens avoient
prifes dans le pillage de quelques Plantations .
Les mêmes nouvelles portent que le détachement
de Surinam eft réſolu de fe maintenir dans
les poftes qu'il a occupés à fon arrivée ; mais qu'il
n'entreprendra rien contre les Rebelles avant qu'il
n'ait reçu les fecours qu'il attend d'Europe. Jufqu'à
ce moment on effayera la négociation pour
faire rentrer les Négres dans leur devoir , & l'on
fe flatte que l'offre d'une amniſtie détachera de leur
parti un grand nombre d'Elclaves que l'exemple
& legrand nombre ont entraînés dans la Rebellion.
On ne craint plus aujourd'hui pour les Plantations
de Timerary , parce que les Anglois y ont
envoyé des fecours fuffifans. Comme les trois
quarts des Plantations de la Barbade leur appartiennent
, il n'eft pas étonnant que le Gouverneur
de cet établiffement l'ait défendu avec tant de zèle
& d'activité.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 2 Juillet 1763.
LBE Roi ayant nommé Chevalier des Ordres
Royaux, Militaires & Hofpitaliers de Notre- Dame
de Mont-Carmel & de S , Lazare de Jerufalem , le '
Chevalier Maflo de la Ferriere, Maréchal de Camp,
AOUST. 1763 . Igr
& Sous- Gouverneur Monfeigneur le Duc de Berry
& de Monfeigneur le Comte Provence ; le nouveau
Chevalier , ainsi que le Comte de Montault, Colonel
d'Infanterie & Gentilhomme de la Manche de
Monfeigneur le Duc de Berry, le fieur de Ruis-
Embito , Intendant de la Marine , à Rochefort , &
le fieur Durand, ci- devant Miniftre de Sa Majesté
près du Roi & de la République de Pologne , qui
avoient été nommés Chevaliers defdits Ordres par
Sa Majeſté au mois de Janvier dernier , ont été re
çus le premier de ce mois , dans l'appartement &
en préfence de Monfeigneur le Duc de Berry ,
Grand-Maître defdits Ördres. Après avoir fait
leurs profeffions & l'émiffion de leurs voeux entre
les mains du Comte de S. Florentin , Gérent &
Adminiftrateur Général de ces Ordres pendant la
minorité de Monfeigneur le Duc de Berry : ils ont
été admis à baifer la main du Prince Grand Maitre,
en figne d'obédience. Les Chevaliers , Commandeurs
, Grands Officiers & nombre d'autres
Chevaliers & Commandeurs Laïcs & Eccléfiaftiques
defdits Ordres , ont affifté à cette cérémonie.
Le 23 du mois dernier , la Comteffe de Noailles
, Grande d'Efpagne de la premiere Claire &
Grand' Croix de Malte , fut préfentée par la Duceffe
de Villars à Leurs Majeftés & à la Eamille
Royale , en qualité de Dame d'Honneur de la
Reine , en furvivance de la Ducheffe de Luynes ; le
lendemain , elle prêta ferment en cette qualité entre
les mains de la Reine.
La Comteffe de Gontaut , fut auffi préſentée le
29 à Leurs Majeftés & à la Famille Royale , par la
Maréchale de Biron .
Le 30 , le Roi accompagné de la Reine , de
Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Madame Adélaide, de Meldames Vica
192 MERCURE DE FRANCE,
toire , Sophie & Louife , de Monfeigneur le Duc
de Berry , de Monfeigneur le Comte de Provence,
de Monſeigneur le Comte d'Artois & de Madame,
fe rendit à la Plaine de Marly , où Sa Majefté paffa
en revue les quatre Compagnies des Gardes-du-
Corps celles des Gendarmes , des Chevaux légers,
des Moufquetaires & celle des Grenadiers
à Cheval de fa Garde. Le Roi fuivi de Monfeigneur
le Dauphin , du Duc de Chartres , du
Prince de Condé, du Prince de Lamballe, pafla dans
les rangs de ces Troupes , qui défilerent enfuite
devant Leurs Majeftés & la Famille Royale. La
Comteffe de la Marche , & un grand nombre de
Seigneurs affifterent à cette revue.
>
Le 3 de ce mois , Leurs Majeftés , ainfi que la
Famille Royale, ont figné le contrat de Mariage
du Marquis de Graffe & de Demoiſelle de Carcado.
Le même jour , le Duc de Richemont a été préfenté
au Roi.
Le même jour , la Comteſſe de Meflé a été préfentée
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale, par
la Marquife de Saint- Chamand ; la Comteffe de-
Guines par la Princeſſe de Guiſtel . La Ducheffe de
la Trémoille par la Princeffe de Talmond;
Dom Delrue, nouvellement élu Général de la
Congrégation de S. Maur , pour la troifiéme fois ,
dans le Chapitre Général tenu à Marmoutiers , a
été préfenté à Leurs Majeſtés & à la Famille
Royale.
Le 29 neuf du mois dernier , l'Abbé Lambert
Penfionnaire du Roi , eut l'honneur de préſenter
à Sa Majesté une nouvelle tra duction de divers
morceaux choifis des Euvres Morales de Plutarque;
& le lendemain , le fieur le Rouge , Ingénieur
Géographe du Roi, préfenta à Sa Majeltě la
prefpective de la nouvelle Place,
Le
AOUST. 1763. 193
Le 30 , les fieurs
Camus
& Berthoud
, qui
avoient
été envoyés
à Londres
par ordre
du Roi
'pour
l'examen
de l'Horloge
Marine
du fieur
Har
rifon
, eurent
l'honneur
d'être
préſentés
à Sa Majellé
par le Comte
de Saint-
Florentin
.
Le même jour , l'Académie Royale des Sciences
eut l'honneur de préfenter au Roi le volu
me de fon Hiftoire & de les Mémoires pour
l'année 1761 & fes defcriptions des différens
Arts qu'elle a publiées jufqu'à ce jour.
Le Roi , Monfeigneur le Dauphin & Madame
la Dauphine font partis hier pour Compiegne.
Monfeigneur le Duc de Berry & Monfeigneur
le Comte de Provence y étoient arrivés la veille.
La Reine , Madame Adélaïde, Meldames Victoire,
Sophie & Louife , s'y rendront aujourd'hui,
De COMPIEGNE , le 20 Juillet 1763 .
"
Le Sieur Tiepolo , Amballadeur de Venife ,
' eut le ro de ce mois une audience particu
liere du Roi , dans laquelle il préfenta le Chevalier
de Morofini & le Sieur de Quirini , cidevant
Ambaffadeur de cette République à la
Cour de Londres , qui prirent congé de Sa
Majefté. Ces Ambaffadeurs furent conduits à
cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine &
de la Famille Royale , par le Sieur de la Live ,.
Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le Baron de Breteuil , qui revient de Ruffie ,
a eu l'honneur d'être préfenté le 14 , par le
Duc de Praflin , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
département des Affaires étrangères . Sa Majefté
l'a nommé fon Ambaſſadeur en Suede.
Le 17 , Leurs Majeftés & la Famille Royale
fgnerent le Contrat de Mariage du Comte de
Canizy , Exempt des Gardes du Corps , & de
Demoiselle de Vally.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
La Comteffe de Butturin fut préfentée le même
jour à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par la Ducheffe de Praflin .
Le 19 , le Marquis de la Rochejaquelin , Capitaine
de Dragons reforme , prêta ferment en
tre les mains de Sa Majefté , pour la Lieute
nance de Roi du Poitou .
.
De COMMERCI , le 13 Juillet 1762.
Le Roi de Pologne Duc de Lorraine & de
Bar , & la Princelle Chriftine de Saxe , ont tenu
fur les fonts de Baptême , Demoiselle de Cler .
mont - Tonnerre , fille de François- Jofeph Marquis
de Clermont-Tonnerre fils du Maréchal de
ce nom , Maréchal de Camp & premier Gentilhomme
du Roi de Pologne ; & de Marie - Anne
de Lentilhac . Elle a été nommée Staniflas Chrif
tine. Toute la Cour a affifté à cette Cérémonie
qui s'eft faire avec beaucoup de pompe.
.
De STRASBOURG , le 29 Juin 1763.
Le 22 de ce mois , la publication de la Paix
fe fit ici en François & en Allemand , avec les
Cérémonies accoutumées , dans toutes les Places ,
ainfi que dans les différens quartiers de la Ville :
les réjouiffances furent remifes au Dimanche
fuivant 26. Ce jour - là on chanta dans la Cathédrale
le Te Deum auquel affiftérent le Marquis
de Vibray , Commandant en l'abfence du
Maréchal de Contades , & tous les Ordres du
Clergé & de la Magiftrature. Le foir , on illumina
la facade de l'Hôtel- de-Ville , fur la Place duquel
il y eut deux Fontaines de Vin & une diftribution
de pain & de viandes au Peuple Parmi les illuminations
des différens Hôtels de la Ville , celle de la
Fiéche de la Cathédrale fixa particulierement- les
AO UST. 1763. 195
regards du Public , par l'effet admirable que profoit
le nombre prodigieux de la mpions dont elle
toit ornée . Pour prévenir toute elpèce de trouble
& de tumulte , le Marquis de Vibrai ordonna
que les Troupes fullent fous les a rmes
pendant toute la journée ; il fit doubler , pendant
la nuit , les poftes & les patrouilles , & défendit
expreflément aux troupes de fe miler avec
les autres Habitans. On porta même l'efprit
d'ordre jufqu'à féparer les différens Corps de
métiers au moyen de vingt-deux Tributs ou Salles
très-vaftes , qui leur fervirent de lieux d'allemblée
, & dès la veille , chacun d'eux avoit été
prévenu de la place qui lui étoit aflignée . On dif
tribua , par ordre des Magiftrats & avec la permiflion
du Marquis de Vibray , des vivres & une
bouteille de vin à chaque Soldat , Cavalier &
Dragon , qui prirent leurs divertillemens à
part dans les différens Quartiers où ils avoient
été diftribués. La Ville fit remettre aux Curés
& aux Miniftres des deux Religions une fomme
de fix mille livres pour les Pauvres .
Le lendemain , le Marquis de Vibray fit don
ner au Peuple la Comédie & le Bal gratis ; & le
furlendemain , le feur de Lucé , Intendant de
cette Province , fit tirer un très beau feu d'artifice
, & diftribuer au Peuple quatre tonneaux de
vin. Pendant ces trois jours de réjouillances , le
Commendant , l'Intendant & les Magtrats de la
Ville fe donnerent réciproquement de fplendides
repas auxquels furent invitées plufieurs perfonnes
de diftinction .
De PARIS , le 22 Juillet 1763 .
La Faculté de Médecine , alfemblée le 28 du
mois dernier au fujet de l'inoculation , a nommé
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
douze Commiffaires choifis parmi les Docteurs
préfens dans l'aflemblée . Ces Commiſſaires font
Jes fieurs Aftruc , de Lépine , Baron , Bouvart , de
Cochu , de Verdalham , Lorry , Maloet, Geoffroy,
Thierry , Macquart & Petit.
Le 6 de ce mois , les Six Corps des Marchands
de cette Ville ont fait chanter dans l'Eglife des
Prêtres de l'Oratoire , un Te Deum en Mufique ,
en action de graces de l'heureux événement de la
Paix. Le Lieutenant Général de Police , l'Avocat
du Roi & le Procureur du Roi du Châtelet , ont
affifté à cette Cérémonie. Les Six Corps avoient
déja donné des preuves de leur zéle & de leur
aitachement pour la perfonne du Roi ; ilsavoient
contribué aux réjouiffances publiques pour l'iqauguration
de la Statue de Sa Majefté & de la
Publication de la Paix , en faiſant illuminer à
leurs frais , les deux colonnades de la nouvelle
Place.
Le Roi vient de nommer Infpecteur des Hôpitaux
des Trois Evêchés & de la Lorraine , le fieur
Ninnin , ci- devant Médecin - Confultant de fes
armées en Allemagne , & premier Médecin de
celle d'Espagne.
Le trentiéme tirage de la Loterie de l'Hôtel-
.de Ville , s'eft fait le 25 du mois dernier , en la
manière accoutumée . Le lot de cinquante mille
livres eft échu au numero 55311 , celui de vinge
mille livres au numero 52562 , & les deux de dix
mille livres aux numeros §4§14 & 48603 .
Le s de ce mois , on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire. Les numeros fortis de la roue de
fortune , font , 4 , 4 , 26 , 55 , 22. Le prochain
tirage fe fera les Août.
AOUST. 1763. 197
MARIAGES.
Charles-Claude François Marquis da Tillet ,
Colonel du Régiment Royal Infanterie , a épou
fé le 21 Juin , Demoifellle de Sebbeval . La Béné
diction Nuptiale leur a été donnée dans la Paroille
deSaint Laurent , par l'Abbé du Tiller , Vicaire
Général de l'Evêché de Châlons en Champagne.
-
·
Le mariage du Marquis de Pardieu avec De
moifelle de Saint Fulgent , a été célébré le 27
du même mois dans l'Eglife Paroiffiale de Saint-
Roch. L'Abbé de Flamarens , Vicaire Général du
Diocèle de Chartres , leur a donné la Bénédiction
Nuptiale.
La Célébration du Mariage de Louis Antoine-
Armand de Gramont , Comte de Guiche , fils
du Duc de Gramont > avec Philippine Louife-
Catherine de Noailles , fille du Duc d'Ayen
s'eft faite auffi le 27 , dans la Chapelle de l'Hôtel
de Noailles.
Le 12 de Juillet 1763 , ont été mariés en l'Eglife
Paroiliale de S. Roch à Paris , François ,
Marquis de Graffe , des anciens Princes & Seigneurs
d'Antibes fur la côte de Provence , Seigneur
de Limirmont en Picardie & autres lieux , Capitaine
au Régiment des Gardes -Françoiſes &c .
Et Dlle Marie-Anne - Françoife - Louiſe le Senef
chal de Carcado , fille de feu Louis - Alexandre-
Xavier le Senefchal , Marquis de Carcado , Seigneur
de Saint Cavadel , du Gué- de- l'Ifle , & autres
Terres aux Diocéfes de Vannes & de Quimper
en Bretagne , Lieutenant Général ès armées
du Roi , autrefois Colonel du Régiment de Breffe,
& Commandant pour Sa Majesté dans la Baffe-
Alface , & de Dame Marie - Anne - Claude de
Montmorency , aujourd'hui fa veuve.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
"
Jean-Pierre de Bougainville, l'un des Quarante
de l'Académie Françoiſe , Penſionnaire & ancien
Secrétaire de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles Lettres de l'Académie de Crotone
Cenfeur Royal , Garde de la Salle des Antiques
du Louvre , & l'un des Secrétaires ordinaires
du Duc d'Orléans , eſt mort au Château
de Loches , le 22 Juin , dans la quarante &
uniéme année de fon âge.
François - Eléonor Comte d'Andlau , Lieutenant-
Général des armées du Roi , & l'un des Directeurs
du Corps de la Nobleffe de la Baffe Alface
, eft mort en cette Ville le 24 Juin , âgé de
cinquante- deux ans.
Marie-Magdeleine de Saint-Remy , veuve de
Guy-Antoine de Saint-Simon , Marquis de Courtomer
, Capitaine des Gardes- du- Corps de feue
Son Alteffe Royale Madame la Ducheffe de Berry,
& fille de Jean- Jacques Marquis de Saint - Remy ,
& de Marie - Therefe de Montgommery , eft
morte le 26 du même mois dans fon Château de
la Motte-Fouquet , en Baffe - Normandie , dans la
foixante-deuxième année de fon âge.
Claire-Marie Colette de Berard de Ville Breuil
de Montalet , veuve en premières noces de Joachim
-Jacques de la Chétardie , Maréchal de
Camp, Commandant au Vieux Briffac , Gouver
neur de Landrecy ; & en fecondes nôces de Ferdinand-
Augufte Solars , Comte de Monafterol ,
L'eutenant Général des troupes de l'Electeur de
Baviere , fon Miniftre & fon Envoyé Extraordinaire
à la Cour de France , eft morte dernierement
en cette Ville .
AOUST. 1763. 199
1
Louife -Marie de Saint - Quintin de Bler , épouſe
de Célar- Pierre Thibault de la Brouffe , Marquis
de Verteillac de Saint- Martin , Baron dela Tour-
Blanche , Gouverneur , Grand- Sénéchal & Lieutenant
de Roi de la Province de Périgord , Chevalier
de Saint Louis , & Capitaine Lieutenant de la
Gendarmerie , mourut le & Juillet. Elle étoit fille"
d'Alexandre de Saint-Quintin , Comte de Bler
Maréchal de Camp , mort à Berg-Op-Zoom , ou
il commandoit pour Sa Majesté.
Marie- Louife Magdeleine de Beauveau , veuve
de Pierre-Louis Comte d'Ailly,, Marquis de Senecey
, eft morte en cette Ville le 11 du même mois.
Marie de Cuminal , veuve du fieur Malfal- ,
gueyrar , eft morte le 23 Juin à Bergerac en Perigord
, dans la cent uniéme année de fon âge.
རྩྭ་ ༣༩ ས་ ཤ
Emmanuel- Maurice de Lorraine Duc d'Elbeuf
en Normandie, Pair de France, Chevalier de
l'Ordre de Saint Etienne de Tofcane , ancien Général
de la Cavalerie dans le Royaume de Naples .
pour le fervice des Empereurs Jofeph & Charles
VI. eft mort en cette Ville le 17 Juillet , dans la
quatre-vingt- fixième année de fon âge.
Urfule de Pollel , veuve d'Abraham du Quefne-
Mofnier , Chef d'Efcadre des Armées Navales de
Sa Majefté , Commandeur de l'Ordre Royal &
Militaire de Saint Louis , & ci- devant Comman
dant le Département de la Marine au Port de
Toulon , eft morre en cette dernière Ville le 6
Juillet , dans la quatre-vingt- quatorziéme année
de fon âge.
Louis- François Comte de Maulde , Marquis de
la Buiffiere , Prince d'Hofdan au pays de Liége ,
eft mort en fon Château de la Builliere en Artois ,
le 31 Mars dernier .
Le filence de l'Auteur du Calendrier des Princes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
& de la Nobleffe de France , fur la Maiſon de
Maulde , en Hainault , qui fans confulter le
tome 2. de fon Dictionnaire général pag. 490 ,
s'eft contenté de dire dans les Calendriers de
1762 & 1763 , qu'il n'en reftoit qu'une fille mariée
au Vicomte d'Ifque , pourroit faire croire
que cette ancienne Maiſon eft éteinte. Il eft vrai
que Gabriel de Maulde , troifiéme du nom , Seigneur
de Neuville, Marquis de Colemberg , Maréchal
de Camp , Lieutenant-Général au Département
du Boulonnois , le dernier de la Branche
cadette , léparée dès l'an 1430 , mort dans le dixfeptiéme
fiécle , ne laiffa qu'une fille mariée au
Vicomte d'Ifque , à condition de prendre fon
nom & les armes. Mais la Branche aînée ( Voyez
le tome 2. du Dict . ) a toujours ſubfifté en ligné
directe , & le Comte de Maulde dont on vient
d'annoncer la mort , étoit le Chef de cette Branche.
Il eſt le premier de fon nom qui ait fervi en
France , & a hérité de tous les biens de Léon de
Maulde, mort fans enfans en 1740 , de Jeanne
d'Auxi fon épouſe.
De fon mariage ( Célébration , 11 Juillet
1735:) avec Félicité de Conflans , il a laiffé quatre
enfans fçavoir :
Leon , Eugene , Louis , Comte de Maulde , né
le 25 Août 1739 , Colonel aux Grenadiers de
France.
Emmanuel- Gabriel Vicomte de Maulde , né le
24 Septembre 1740 , Colonel,
Adelaide , née en Janvier 1742 ,
mariée en
Mai 1760 à Henri Comte de Lur , Marquis de
Saluces , Brigadier & Colonel de Cavalerie.
Marie-Anne-Charlotte , née le premier No-
-vembre 1748 .
"
AOUST. 1763.
201
Le nom de Maulde eft un des plus anciens qui
fe trouvent infcrits dans les archives des fondations
les plus gothiques de la Province de Hainault
: où on les voit bienfaiteurs des Abbayes de
S. Hubert , de S. Martin , de S. Guilain &c . La
Terre de Maulde eft partagée par Lefcaurà deux
lieux d'Ath , dont la partie au-delà de Lescaut appartenoit
dès l'an 1000 , & appartient encore aujourd'hui
aux Seigneurs de Ligne qui le font qualifiés
Barons de Maulde , jufqu'en l'an 1400. L'autre
partie dont relevoient quinze Fiefs nobles
appartenoit aufli en la même année 1000 ,
Watiez de Maulde , marié 1 ° .à Agnès de Saveuze;
2.à Amante d'Enghien ; ce qui rend probable
que ces deux Maiſons ſont la même origine. La
reflemblance des armes de l'une & de l'autre ,
femble confirmer cette opinion * : celles des premiers
ne différent de celles des derniers que par
trois Croix en fautoirs fur la bande de fable , &
que les Papes accordoient comme marque d'honneur
aux croisés.
•
Quoiqu'il en foit , en 1180 une Auduine de
Ligne , foeur de Watier & de Fraftre de Ligne ,
fut mariée à Mathieu de Maulde , ( Voyez les ann .
du Comté de Hainault , pag . 213 ) . Les autres
alliances de la Mailon de Maulde , font , fuivant
Carpantier, avec les Maifons de Haluin , Henin-
Lietard, Barbançon , Cléves , Montmorency , Berghes
, Mailly &c. Elle a donné des Chanoinelles.
aux Nobles Chapitres d'Andennes de Mons , & de
Nivelle , un Wautier , Seigneur de Maulde , fuivit
en 1201 au voyage de la Terre - Sainte , Bau-
* L'anciem dictum Flamand , Maulde crie Ligne ,
fe trouve aux Archives de Bruxelles .
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
douin , Comte de Hainault. Robert de Maulde fug
Gouverneur de Guiſe en 1250 ; & Mathieu , Gouverneur
de Sensen 1252 .
La Terre de la Buiffiere en Artois , eft paffée
dans la Maiſon de Maulde par le mariage de
George de Maulde en 1597 avec Joffinne de Courteville
, fille & héritiere de Jacques , Seigneur de
la Buiffiere , & de Catherine de Barbançon. Jacques
étoit Chambellan , Capitaine des Gardes , &
Ambaſſadeur de Sa Majefté Catholique Philippe I.
Gouverneur de fon Fils Charles-Quint , & Chevalier
de la Toifon d'Or , dont defcendoit le Comte
de Maulde , Marquis de la Buiffiere , qui a pour .
Mere une Ghistelles , & pour Ayeule une Montmorency.
9
La Terre de Maulde en deça de Lefcaut , a été
vendue par Guillemette de Maulde à Antoine
de Carondelet . Elle fut mariée 1ª . à Jean de Bar
bançon , 2 ° . à Hefter de Cleves.
Les Archives de S. Guilain & de S. Martin, difent
que cette Guillemette de Maulde , héritière
de la Branche aînée , emporta de fa Maiſon cent
mille florins de rente , fomme immenfe pour ce
temps-là.
Voyez l'hift. du Cambrefis , tome 2 , page 997
& fuivantes , & les Annales du Hainault.
Meffire Hector du Pleffis - Chaftillon , des Seigneurs
de Saint - Hilaire- la - Gravelle , Page de la
Reine en 1728 , après fon frère aîné qui l'avoit
été en Septembre 1725 , puis Cornette au Régiment
de la Reine Cavalerie ; enfuite Lieutenant
au même Regiment ; Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis & Penfionnaire de Sa
Majefté , dont il quitta le fervice , tout - à- fait
hors de combat , mourut à Châteaudun le 23
Décembre 1762 , fort regretté. Il s'étoit trouvé
en Allemagne , avec le même Régiment , au
ADUST. 1763. 2༠3
7
Siége de Philisbourg en 1734, &c , & en Boheme
, au Siége de Prague pris d'aflaut en
1741 , où les François d'Affiégeans devinrent
Affiégés & d'où ils firent la nuit du 16 , au 17
Décembre 1742 , fous le Maréchal de Belle-Ifle ,
cette tant belle retraite à jamais honorable pour
le nom François il laiffe un unique neveu âgé
d'environ douze ans & dernier des Seigneurs de
Saint -Hilaire-la - Gravelle , l'une des Branches
cadettes , avec celle de Beaujeu , fubfiftantes &
forties des Seigneurs Châtelains. du Mée , établis
dans la petite Province de Dunois , depuis trois
cens ans paffés , de la Maifon du Pleffis- Chaftillon
, l'une de la Province du Maine , des plus
Illuftres par fes Alliances & fon Ancienneté , &
qui porte d'argent à trois quintes feuilles de
Gueules. Il fortait au feptiéme degré de Jean IV.
du nom du Pleffis - Chatillon & de Catherine
d'Avaugour fa feconde femme iffue des anciens
Comtes & Ducs de Bretagne , lequel avoit eu
pour premiere femme Marie de Vaux- de- Cuon ,
d'où defcend au neuviéme degré Marie - Félici é du
Pleffis - Chatillon , feule & unique héritiere de fa
Branche qui eft l'aînée , de ce nom Marquifo C ›
du Pleffis - Chaſtillon au Maine , de Nonant en
Normandie , de Saint - Gelais en Poitou & c. Comteſſe
de Château - Meliand , en Berry , & c . Epoule ,
1º de François-Antoine de Chabannes Pionzac ,
dit le Comte de Chabannes , Marquis de la
Palice , Lieutenant Général des Armées du Roi ,
Grand-Croix de l'Ordre Royal & Militaire de
S. Louis , Gouverneur de Verdun & du Verdunois
, ci-devant Lieutenant Colonel des Gardes
Françoifes d'où il avoit été Major , Commandant
pour le Roi, en 1745 , ou 1747 , dans le Pays
d'Aunis , la Rochelle , le Poitou , &c. Mort à
I
vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Paris le 23 Décembre 1743 , âgé de foixantehuit
ans.
>
•
2º. En Février 1760 , de Charles - Bernard- :
Martial de Narbonne - Pelet dit le Baron de
Narbonne , Maifon des plus Illuftres & des plus .
Anciennes du Royaume de France , d'où defcendoit
, par femme , le Duc de Lara , Maifon
des plus grandes d'Efpagne , frère puifné de
François Raymond - Jof- ph- Hermenigilde- Amalric-
Pelet , dit le Vicomte de Narbonne , né le 21
Octobre 1715 & marié le 12 Janvier 1734 , à
Marie Diane Antoinette de Roffet de Fleury-
Perignan née le 6 Avril 1721 , & morte au
Château de Fontanés près Sommieres , le 27
Juillet 1754 foeur du Duc de Fleuri , de l'Evêque
de Chartres , de l'Archevêque de Tours & de
la Marquife de Caftries , & petite Niéce du Car
dinal de Fleury , Miniſtre ordinaire d'Etat.
· ·
La Baronne de Narbonne avoit pour frère unique
Louis-Henri Félife du Pleffis - Chaftillon,Comte
de Château Méliand & c. Sous- Lieutenant de la
Compagnie des Chevaux - légers d'Orléans , mort
le 25 Août 1754 , âgé de 28 ans , fans poftérité de
Marie- Magdeleine- Louiſe de Barberie de S. Con- -
teft qu'il avoit épousée le 6 Tuillet 1753 fille de
François-Dominique de Barberie , Marquis de S.
Contest, Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le
Département des affaires étrangeres , Commandeur
Prevôt & Maître des cérémonies des Ordres
du Roi en Mars 1754 & ci- devant Ambaffadeur
de Sa Majesté auprés des Etats-Généraux des Provinces-
unies, mort à Versailles le 24 Juillet 1734
âgé de 54 ans & de Jeanne-Monique- Philippe Def
vieux ; & avoit pour tante Jeanne-Marie du Pleffis- i
Chaſtillon morte à Paris le 18 Avril 1763 , Veuve
de Philippe- Charles d'Eftampes , dit le Comte
>
AOUST . 1763. 205
Etampes qu'elle avoit époufé en Juin 1709 , Marquis
de la Ferté- Imbault , Sallebris &c. Chevalier
de Malte dans fa jeuneffe , Colonel du Régiment
de Chartres Infanterie , Brigadier des Armées du
Roi le Février 1719 , Capitaine des Gardes- du-
Corps de feu Son Alteffe Royale , Monfeigneur le
Duc d'Orléans , Régent du Royaume , d'une Maifon
dont eft forti un Cardinal , plufieurs Evêques ,
entre autres , un Evêque de Chartres , puis Archevêque
Duc de Rheims , un Grand Prieur de France
de l'Ordre de Malte , un Maréchal de France , plufieurs
Chevaliers des Ordres , un grand Maréchal
des Logis de la Maiſon du Roi , &c. De ce Mariage
il ne refte que Sophie d'Eftampes née en Septembre
1730 ; qui a époufé Bernard de Comte-
Nonant, Marquis de Pierrecourt , & c , d'une trèsbonne
& ancienne Nobleffe de Normandie & des
mieux alliée , & a pour oncle Henry , & Anne
Hilarion du Pleffis-Chaſtillon , l'un Comte de Rugles;
& l'autre Chevalier Profès de l'Ordre de S.
Jean de Jérufalem , au Grand Prieuré de France ,
Commandeur de la Ville- Dieu ,
Il est mort à Paris le 10 Juin 1763 , Dame ,
Madame Louiſe Marie de Saint- Quintin de Bler ,
âgée de vingt- cinq ans ,fille de feu Meffire Alexandre
de Saint-Quintin, Chevalier Seigneur, Comte
de Blet , Baron des Broffe & de Villeneuve ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , Maréchal des Camps & Armées de Sa
Majefté , mort à Berg - op-zoom , où il commandoit
pour Sa Majesté & de Dame , Madame
Marie Peirene fes Père & Mère , Epoufe de
Meffire Cefart, Pierre Thibault de la Brouffe ,
Chevalier Seigneur , Marquis de Verteillac de
Saint -Martin , Biron de la Tour Blanche , Gouverneur
, grand Sénéchal & Lieutenant de Roi
266 MERCURE DE FRANCE.
de la Provnice de Perigord ; Chevalier de l'Ordre
Royale Militaire de Saint Louis ; Capitaine-
Lieutenant de la Gendarmerie ; elle a laille ,
deux enfans une fille & un garçon.
·
Pierre François - Marie Guignolet de Montalembert
, Confeiller honoraire au Parlement de
Bretagne , eft mort à Paris le 3 Juillet 1763 ,
âgé de foixante fept ans. Il étoit iffu de la Maifon
de Montalembert , originaire de la Province de
Poitou fur les confins de l'Angoumois . Sa bran
che en étoit féparée depuis Guillaume de Montalembert
, qui s'établit en Bretagne dans la partie
du Comté Nantois frontiere de Poito ; après
avoir épousé l'an 1467 Françoile de Goulaine ,
fille unique & héritiere de Jean de Goulaine
Chevalier , d'une des plus anciennes Maifons de
Bretagne. Moreri rapporte la généalogie à l'occafion
d'André de Montalembert , Seigneur d'Elé
& de Panvillier , Chevalier de l'Ordre du Roi
premier Gentilhomme de la Chambre des Rois
François I. Henri II . Lieutenant- Général , Commandant
fes Armées en Ecofle , qu'un mérite dif
tingué a placé au rang des hommes illuftres de
la France . Voyez fur l'ancienneté de fa Maifon ,.
Moreri , Brantome , Mezerai , le Père Daniel
Dubouchet , Annales d'Aquitaine &C.
A OUST. 1763. 207
LETTRE intéreſſante pour les bons
Citoyens , à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,
Une perfonne de ma connoiffance que je ne puis
vous nommer , attendu qu'elle a voulu refter inconnue
à ceux même qu'elle oblige ; née dans une
Campagne éloignée des Villes , n'a eu d'autres
Maîtres pour apprendre à lire & à écrire que le
Magifter du Village. Quoiqu'elle ait affez bien profité
de tout ce que ce Maître pouvoit enfeigner ,
elle croit qu'elle auroit beaucoup mieux fait s'il y
avoit eu quelque motif d'émulation , quelques livres
, heures ou autres , donnés en prix , & auchentiquement
à ceux qui faifoient le mieux.
Cette confidération l'a portée à procurer à fes
jeunes compatriotes ce qu'elle voudroit avoir eu ,
& en conféquence elle a pris la réfolution de donner
à l'école où elle a été élevée , quatre prix par ':
an; & pour cela elle a envoyé une Caille de livres
au Curé de la Paroiffe , pour en diftribuer quatre ›
par an aux Ecoliers qui feront le mieur dans
chaque ordre , lui promettant de ne l'en pas laiffer
manquer tant qu'elle vivra , & même encore .
un nombre d'années après la mort , & elle a eu la
fatisfaction d'apprendre que ces prix font l'effet
qu'elle en attendoit.
Cet exemple , digne d'être fuivi , l'a déja été par
différentes perfonnes pieufes & très-respectables
par les qualités de leurs coeurs , il y a encore des
gens qui aiment leur patrie & leurs femblables ,
208 MERCURE DE FRANCE.
malgré l'indifférence de plufieurs : fouvent le biert
refte à faire faute d'y penfer ou d'y faire penfer les
autres. Vous vous plaiſez à publier tout ce qui peut
être utile à la fociété , & c'eſt par cette railon que
je vous envoye cette note . Il y a certainement des
ames bienfaifantes dans les Campagnes comme
dans les Villes ; -Seigneurs de Paroille , Curés ou,
habitans ailés qui imiteront ces zélés patriotes ;
plufieurs feront même fâchés de n'y avoir pas -
pensé plutôt , vu que pour très-peu de chofe on
peut produire un très-grand bien , par l'émulation
qu'on peut jetter parmi les enfans , & en
faire fortir plus de Sujets penfans & utiles.
Cette perfonne a cru que l'amour - propre des
enfans feroit bien plus piqué & l'émulation augmentée
, fi les livres mérités par leur application ,
portoient une marque diftinctive de tout autre livre,
comme ceux qu'on donne dans la plupart des
Colleges & pour cela , elle a fait faire de petits
imprimés , laiffant en blanc les noms & années à
remplir ; ils ont coûté fort peu de chofe ; on les
cole contre la couverture en dedans ; tous ces imprimés
font les mêmes , au titre près.
Ces titres font affez entendre ce qu'on demande
dés Ecoliers , pour mériter le prix : je dirai néan
moins ce qu'on exige pour le premier , por lequel
on deftine Telemaque ou l'abrégé dé l'ancien
& nouveau Teftament , ou autre plus convenable
à l'enfant , fi le Curé le juge tel ; ceux qui
ont ce bon efprit , méritent qu'on les flate davantage.
Les conditions qu'on demande pour mériter
le premier prix , peuvent accoutumer les enfans
de bonne heure à pratiquer & aimer la vertu , & les
autres bonnes qualités qu'on exige pour mériter
le prix , & ils peuvent prendre en même temps
de l'horreur ou au moins de la répugnance pour
le.vice.
1
AOUST. 1763. 209 :
On exclut de concourir pour les prix , tout en
fant qui auroit contracté la malheureuſe habitude
de mentir s'il ne s'en corrige pas.
Le premier prix intitulé de bonnes qualités , eft
deftiné pour l'enfant qui fera le plus refpectueux
peur fes pere & mere & fupérieurs , le plus vrai ,
le plus honnête , le plus doux , le plus exact à fes
devoirs; enfin pour celui qui fçaura le mieux ſe
faire aimer de tout le monde , ou qui fera paroître
les commencemens d'une plus belle âme , ou qui ..
réunira le plus de ces qualités eftimables ; on ne
donne ce prix qu'à un enfant déja un peu avancé
qui fçache lire & écrire pour avoir le tems de
mieux démêler fon caractère & fon efprit ; on ne
donne pas deux fois le prix du même titre au
même Ecolier quoiqu'en des années différentes.
Les livres que cetre perfonne a jugé a propos de
donner , font pour le premier prix.
Telemaque en un vol.
Ou l'abrégé du vieux ou nouveau Teftament.
Où l'Inftruction de la jeuneſſe de M. Gobinet.
Pour le 2 , les Confeils de la Sageffe.
Ou le Cathéchifme Hiftorique de M. Fleury.
Ou l'Inſtruction de la Jeuneſſe ci - deſſus .
Pour le troifiéme prix le Traité d'Arithmétique
de M. le Gendre ou recueil d'exemples d'écriture
ou des heures.
Enfin pour le quatrième , le Catéchiſme Hiſtori
que , le Manuel du Chrétien , ou des heures de
moindre prix , plufieurs de ces Livres en abrégé
& de moindre prix . Ainfi on peut faire du
bien à très-grand marché , & mettre un premier
& fecond prix s'il y a beaucoup d'Ecoliers.
Le Cure adjuge les prix conjointement , ou
aidé des avis du Vicaire & du Maître d'école ,
& la diftribution s'en fait dans l'Eglife un
I
210 MERCURE DE FRANCE.
Dimanche ou Fête après la Grande- Meffe větš
la fin de l'année ; on annonce en même temps
ceux de l'année prochaine , comme on avoir an
noncé ceux - la l'année d'auparavant , en exhortant
les Peres & Meres a veiller à l'affiduité de
leurs enfans , à les encourager à mériter l'hon
neur d'avoir un prix & a les rendre fenfibles à
cette diftinction.
On trouve tous les Livres ci-deſſus chez Ma
Herillant , Libraire , rue Saint Jacques.
J'ai l'honneur d'être & c.
A VI S.
Pár Privilége du Roi , le Public eft averti que lë
feul dépôt du véritable onguent du fieur Canet
Officier de la Reine , qui étoit ci - devant rue Montmartre,
eft actuellement chez le feur Butté, à l'Hôtel
de la Rochefoucault , rue de Seine, Fauxbourg,
S. Germain , à Paris.
Qn en débite auffi dans la Maiſon du feu freur
Canet, rue Balle près la petite Place a Verfailles, &
dans les principales Villes & Ports du Royaume.
DE LA ROCHE.
MANUFACTURE Royale de nouvelles Terres , &.
Fayances , qui refiftent au plus grandfeu.
ROUSSEL, Privilégié du Roi , Entrepreneur de
cette Manufacture , y fabrique une Fayance qui eft
à l'épreuve du feu , concernant généralement tous
les Services de Table , & Batterie de Cuiſine , enforte
que l'on trouve chez lui tout ce qui le fait en
Cuivre & en Argent le tout dans des formes nou
velles & de très bon goût.
Il fabrique aufi de la Fayance fine blanche ;:
peinte , japonnée , en Fleurs naturelles comme à
Strasbourg.
AOUST. 1763. 211
left le feul qui poffède le fecret d'un Enrail
imitant le Bronze , & même infiniment plus brillant
, duquel il fait des Figures & Groupes pour
les Defferts , ainfi que de plus grandes , & Vales
pour les Jardins , Pots- Pourris , & autres piéces
curieufes. Le tout à très -juſte prix.
Son Magafin eft ouvert rue de Bâfroid , Fauxbourg
S. Antoine , à Paris.
EAU DE RÉTINE , propre pour les Maladies
des Yeux.
LES effers falutaires de cette Eau n'ont befoin
que de l'expofé le plus fimple , pour en accrédi
ter l'ufage. Dans tous les cas où il s'agit de remédier
a la foiblefle des yeux , elle a les fuccès
les plus heureux ; fa vertu fpiritueuſe & balſamique
eft appropriée à la nature des parties nerveufes
& tendineules , dont cet organe eft com-'
pofé ; elle les fortifie , leur donne du reffort & de
l'énergie lorfque l'oeil eft naturellement foible ,
ou qu'il eft fatigué par l'excès de la lecture , par
les veilles , par les travaux à la lumiere.
L'Eau de Rétine éteint auffi les rougeurs & les
phlogofes auxquelles les yeux font fi fujets : l'uſage
en eft fûr dans tous ces cas ; la feule attention
qu'il faille avoir eft de la tempérer avec trois
parties d'eau de Riviere lorfqu'il y a inflammation.
La vertu pénétrante de cette Eau procure une
circulation plus facile dans les vailleaux lymphatiques
de la cornée ; elle prévient les obftructions
opaques , les nébulofités , & les taies :
enfin , elle est très -propre à empêcher la paralyfie
& la goutte fereine de fe fixer . Volci comment
on doit fe fervir de cette Eau .
Il faut , plufieurs fois dans la journée , baffiner
légérement les fourcils & les paupières fupérieures
avec une petite éponge très - fine & très- nette , im212
MERCURE DE FRANCE.
bibée de cette eau pure : elle agira encore avec plus
d'éfficacité , fi l'on s'en frotte les mains , & qu'on'
les approche des yeux pour donner lieu à fa vapeur
de les pénétrer. Enfin en l'affoiblillant , comme if
a été dit , avec trois parties ou même une plus
grande quantité d'eau de riviere fuivant les cas ,
on peut imbiber des comprelles qu'on mettra far
les yeux pendant la nuit .
La Bouteille coûte 1 liv. 16 f. I
Cette Eau fe vend chez le fieur FAC10T7 , rue S.
Denis , la porte cochere vis - à-vis de la rue du petit
Lion.
ANTI-SCORBUTIQUE , ou Propriété pour tous
les maux de la bouche.
Pau de perfonnes font exemptes des maux qui
viennent fur la langue , aux gencives , au palais
Les perfonnes de cabinet par un travail ap
pliqué y font fujets , les gens de mer beaucoup
d'autres par une difpofition particulière ; les enfans
mêmes à qui les dents croiffent n'en font
pas exempts.
Un paquet feul fuffit pour une guériſon ſubite .
En vendant le paquet on joint un imprimé
qui indique la manière aifée de fe fervir de cette
propriété.
On ne peut envoyer dans la Province pour un
feul paquet
, mais fix mis dans une même enveloppe
, qui peuvent toujours le garder dans un
cas de befoin , pour foi ou pour d'autres .
Les perfonnes de Province peuvent écrire directement
au fieur Genti , en affranchiffant les
ports de lettres , en obfervant auffi d'envoyer trois -
livres pour chaque fixain de paquets , foit par la
Pofte , droit payé , ou par les caroffes publics ; ou
par telle autre occafion qu'on voudroit faifir ou
indiquer.
AOUST. 1763. 213
Ce remède fe vend chez lefieur Genti ,Marchand,
au gros Chapelet , fur le Pont Marie , à côté du
Potier d'Eraim , à Paris.
APPROBATION.
J'ai lu, par ordre de Monſeigneur le Chancelier , 'AI
le Mercure du mois d'Août 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 1 Juillet 1763 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
SURIB
ARTICLE PREMIER.
UR la Statue Equeftre Du Roi.
VERS à Mlle B.
ÉPITRE à MHe D. S. P.
Pag.5
IQ
RÉPONSE à une Dlle qui demandoit à l'Auteur
quelle étoit la différence de l'amour
au mariage.
II
15
TROISIEME caractère du vrai Philofophe . ibid.
LES Amis du Siécle , Fable .
FRAGMENT d'une Lettre pour fervir de juſtification
à un ami outrage.
PORTRAIT de Madame de P **.
VERS à Madame D ***
LBS Tombeaux , Ode.
La Financier , Fable.
L'ÉTONNEMENT Iéciproque, Nouvelle Orien
tale.
19
2
22
23
ibid.
31
ibide
214 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. De là Place.
VERS fur la convalefcence de M. D. V.
DIALOGUE entre Sémiramis & Jeanne d'Arques
. 52
POUR M. le Prince de Solre. 66
ENIGMES. 67 &68
69 & 70
72
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
REPONSE de M. de Saintfoix à M. L. C. D.
L. V.
****
•
LETTRE à M. De la Place , fur la mort de
M. de Boullioud.
REMARQUES fur le véritable fens de deux
Vers de Martial.
74
76
78
THEATRE de M. FAVAKT , ou Recueil des
Comédies , Parodies & Opéra-Comiques. 84
FAMILLES des Plantes , par M. ADANSON .
ANNONCES de Livres.
III
115 & fuiv..
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES .
ACADEMIES .
PRIX proposé par l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Lettres de PRUSSE ,
pour l'année 1763.
ELOGE hiftorique de M. LE PERE.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Étudiant en Chirurgie ,
M***, Chirurgien de Province..
121
126
139
AO UST. 1763. 215
ARTS AGRÉABLES.
A MM. les Conciliateurs,
147
MUSIQUE. 149
GRAVURE. 150
ART. V. SPECTACLES.
ACADÉMIE Royale de Mufique.
ISI
COMÉDIE Françoiſe . ibid.
COMÉDIE Italienne.
153
ART. VI. Monument public.
SUPPLEMENT aux Piéces Fugitives.
CÉRÉMONIES & Fêtes publiques .
354
166
175
NOUVELLES Politiques.
183
MARIAGES.
MORTS.
LETTRE intéreffante pour les bons Citoyens. 206
Avis.
197
198
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
C
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
SEPTEMBRE . 1763.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Filius im
PalonSessi
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis à-vis la Comédie Françoife
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
>
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
parvolum. c'est -à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le paye
ment enfoit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à an
noncer, d'en marquer le
prix
.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt - feize volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douziéme.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A M. le Comte MAURICE de BRUHL,
Gentilhomme de la Chambre du Ror
de POLOGNE , & Lieutenant - Colonel
des Carabiniers de Saxe , &c.
Q UOI ! cher Comte , fi jeune encore ,
Vous fentez le prix des talens.
Dieux ! qu'une fi riante aurore
Promet aux Arts de jours brillans
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
A votre aſpect chacun s'étonne
De voir chez vous en même temps
Les fruits aimables de l'Automne
Mêlés aux rofes du Printemps.
Votre amitié devient le gage
Et du génie & du fçavoir ,
Et fouvent même elle encourage
Le noble defir d'en avoir.
Le goût des Arts eft le préfage
Et le vrai fceau de la grandeur :
Un nom célébre avec fplendeur
De qui les aime eft le partage.
L'éclatant régne des Céfars
Aux grands hommes dut tout fon luftre.
Mécène protégea les Arts ,
Et Mécène devint illuftre.
Vous qui joignez un goût fi fûr
Au Sentiment , à la fineſſe
Et la Raifon d'un âge mûr
Aux agrémens de la Jeuneffe
Allez , volez , prenez l'éffor ,
Suivez le feu qui vous enflamme ;
Montrez au Monde le tréfor
Que vous renfermez dans votre âme.
Mûri par le flambeau des Cieux ,
Ainfi ce grain caché ſous terre ,
Tout-à-coup croiffant fous nos yeux ,
De la prifon quile refferre ,
S'éléve en chêne faſtueux ,
SEPTEMBRE. 1763.
7
Et bravant enfin le tonnèrre ,
De les rameaux majestueux
Semble ombrager tout l'hémiſphère . '
Soyez l'ornement de la Cour.
On réuffit quand on fçait plaire.
Affis au rang de votre père ,
Vous brillerez à votre tour ;
Des Peuples vous ferez l'amour ,
Et des Arts le 'Dieu tutélaire .
La Vertu qu'un haut rang éclaire ,
Eclate alors dans tout fon jour.
Je verrai l'Europe étonnée ,
Bientôt fur vous fixer les yeux ;
Oui , votre belle deſtinée
Doit égaler tous vos ayeux.
Dans les combats faites revivre
Ce grand Guerrier , ce fier Saxon
Dont vous portez déja le nom ,
Et de qui vous brûlez de fuivre
En tout l'exemple & la leçon .
Mais ce courage qu'on admire ,
Dont rien ne put borner le cours
Se vit dompter par les Amours ,
Et vous riez de leur empire .
Lorfque la Déeffe aux cent voix
Publiera partout votre hiſtoire
Quand la
>
trompette de la Gloire
Retentira de vos exploits ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ce Sage * dont l'heureuſe adreſſe
Par le plaifir forme les coeurs ,
Qui va pour vous femant des fleurs
Sur le chemin de la Sageſſe ,
Et qui comme moi prévenu
Par votre âme noble & modeſte ;
En vous aimant eft devenu
Votre Mentor & votre Orefte ;
Ce Philofophe généreux ,
Qui par un long apprentiffage ,
Comme un Pilote habile & ſage ,
Sur cet Océan dangereux
Sçait vous conduire fans naufrage ,
En vous voyant partout fameux ,
Dira partout , c'eſt mon ouvrage.
Allez , vos fuccès font certains ,
Votre gloire fera parfaite ;
Rempliffez vos brillans deftins :
Mais aimez toujours le Prophéte.
* M. dela Frenaye , Colonel au Service de
S. M. le Roi de Pologne , Electeur de Saxe ,
connu par fon mérite diſtingué & par les brillanses
éducations qu'il a faites.
Par M. BLIN,
SEPTEMBRE. 1763. 9
VERS préſentés à Madame la Comteſſe
d'ELM ....à bord de la Galère la Ste
Catherine , où elle venoit de racheter
un Efclave , de faire des libéralités à
plufieurs , & ne vouloit recevoir les remercîmens
d'aucuns.
Toi , qui fans te borner à de ſtériles pleurs ,
Daignes fur nous cependant en répandre ;
Toi , dont l'âme fenfible & rendre
Voudroit de tous abréger les malheurs!
Pourquoi l'efprit de bienfailance
Qui te porte à brifer des fers appefantis ,
Veut-il fe refufer à la reconnoiffance
Qui de tels foins eft le plus digne prix ?
Ah , qui fait de fes biens un auffi noble ufage
Qui rend à fes pareils la douce liberté,
Ce coeur >
ce tendre coeur doit aimer notre hommage
,
C'eft celui de l'humanité.
Par un NÉGRE , âgé de 23 ans , efclave depuis
s, & qui n'apprend le François que depuis deux
AV
10 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
SUR L'AIR : Jufques dans la moindre chofe.
A Mlle D * L **
A.u temps fatal qui nous preſſe
Enlevons quelques débris ,
A la table , à la tendreſſe
Sçachons bien mettre le prix :
Le temps vole , il nous entraînes
Pour braver les cruautés ,
Que le plaifir feul enchaîne
Des momens qui font comptés.
Ce plaifir qui m'intéreſſe
Dans un inftant va finir
Et mon âme qu'il careffe
Ne fçauroit le retenir
Jouiffons avec fcrupule ;
Pour qui penſe & ſçait jouir ,
Chaque coup de la pendule
"Eft le fignal du plaifir.
Par la Mufe D'IT ON.
SEPTEMBRE. 1763. II
AVERTISSEMENT
LE
fur le Morceau fuivant .
E Poëme dont on va lire les premières
Stances , a été imprimé à Rome,
en 1747. L'Edition in -folio eft trèsbelle
, & plufieurs Journaux ont parlé
de l'Ouvrage avec éloge. L'Auteur ( il
Signore Abbate Flamminio Scarfelli )
Profeffeur d'Eloquence dans l'Univerfité
de Boulogne, fit demander au Roi par le
Pape Benoît XIV. ( Lambertini ) la
permiffion de le lui dédier , & elle lui
fut accordée , après qu'on eut préfenté
à S. M. ces premières Stances , avec
leur Traduction . Peut-être n'eft elle
pas
affez littérale ; mais on ne fe propofoit
que de donner au Roi quelque idée du
Poëme .
Cette petite négociation paffa par les
mains de feu M. le Cardinal de Tencin
& ce fut lui qui préfenta cette Traduc
tion à Sa Majefté .
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
LE TÉLÉMAQUE , POÉME.
CHANT PREMIER.
1.
JE chante les glorieufes avantures du
fils d'Ulyffe . On verra dans mon Poëme
comme il erra longtemps fur la tèrre
& fur la mer ; comme il paffa le noir
Achéron pour aller chercher fon père
aux Enfers. Je raconterai les plaifirs &
les peines de fes jeunes amours , fes
guerres fameufes & fes éclatantes victoires
qui porterent la réputation de fa
fageffe & de fa valeur jufques dans les
climats les plus éloignés .
I I.
Je ferai connoître les fages confeils
& les tendres foins de Minerve qui defcendit
des Cieux pour accompagner
Télémaque fous la figure de Mentor. Je
dirai comme elle fut fon guide au milieu
des périls où l'expofoit la jeuneffe,
fon foutien dans les grandes chofes qu'il
entreprit ; & comme elle forma fon efprit
& fon coeur au grand art de régner.
III.
Sublime & beau génie * qui le premier
entras dans la carrière où j'ofe
marcher fur tes traces , & qui , fi j'en
* M. de Fenelon , Archevêque de Cambrai .
SEPTEMBRE. 1763. 13
IL TELEMACO.
CANTO PRIMO.
I.
CANTO l'alte vicende , ei lunghi errori
Del Figluolo d'Uliffe in terra , e in mare ,
Comefin d'Acheronte i trifti umori
Ardi , cercando il Genitor , varcare .
Dirò gli sdegni , e i giovanili amori ,
Le illuftri guerre , e le felici , e rare
Vittorie , ond' ei per ogni eſtranio lide
Portò di fenno , e di valore il grido.
II.
Eil bel configlio , e la pietoſa cura
De la fagace dea farò paleſe ,
Che di Mentore preſa la figura
Al fianco di Telemaco difcefe ;
Etra i perigli de l'età immatura
Gli fù guida , e foftegno à l'ardue impreſſe,
El' docil cuore, & il fecondo ingegno
Ne la grand arte ammaeſtrò del Regno,
III.
Spirto altero e gentil , che l'orme prime
Segnafti in terra del cammin che'i' prendo ,
Ed or fovra del Ciel doggi fublime ,
14 MERCURE DE FRANCE.
re- crois mon espérance & tes vertus
poſes maintenant au plus haut des cieux;
pendant que je mets en vers ton Ouvrage
, & que par là je te prouve & à ta
Nation mon admiration & mon amour,
pardonne ma hardieffe , accorde- moi ta
faveur , & obtiens- moi celle des autres .
IV.
Tu es mon guide , mon appui , & la
Mufe que j'invoque . Le travail eft immenfe;
mes forces font foibles , & mes
talens ne répondent pas à mon zéle.
Seconde donc mes voeux , conduis- moi ,
fortifie-moi. Que ton feu divin m'éclaire
& m'enflamme. Ta gloire y eft inréreffée
auffi bien que la mienne.
V.
Si quelqu'un me blâme de ne travailler
que d'après autrui , qu'il penfe
qu'on loue le fculpteur , foit qu'il imite
, foit qu'il invente . Mais comme ce
n'eft pas l'amour feul de la gloire qui
m'anime , la crainte du blâme ne m'arrêtera
pas non plus. Et au refte qui eft
le maître de ma volonté ? Ne fuis- je pas
né libre ? Je ferai affez content , fi j'ai
le bonheur de plaire au GRAND
LOUIS.
V I.
J'aime l'Italie , fes belles Dames , fes
SEPTEMBRE. 1763. IS
Se ben mia fpeme è tua virtude intendo .
Mentr'io ritraggo i tuoi diſegni in rime ,
Eà te qual pollo , e à la tua Gente rendo
Studio ed amor , ah tu l'ardir perdona !
L'altru m'impetra , e ' l tuo favor mi dona.
IV.
Tu'l duca mio , tu la fedel mia ſcorta ,
Tu la mia Mula , che pregando invoco.
Lunga fatica , & pazientia corta ,
Molta la voglia , ed il potere è poco,
Deh ſeconda i miei voti , e mi conforta
A l'uopo , ereggi e col divin tuo fuoco
L'intelletto riſchiara , infiamma il core
Siccome in opra di comune onore.
V.
Che s ' altri mi dileggia , o mi riprende
Perche lavor non mio ricompor tenti ,
Penti che lode a lo fcultor fi rende ,
Ofe le forme imiti o fe le inventi..
Ne amor i gloria , ne timor m'offende
Di biafmo altrui . Checerco altri argomenti ?
Chi può ful voler mio ? Libero nacqui.
Epiacqui affai fe al GRAN LUIGI piacqui.
$
Amo l'Italia , e ftimo i dotti amici
Le ornate done , i Cavalieri egregis
16 MERCURE DE FRANCE.
aimables Cavaliers , & les hommes de
mérite que j'y ai pour amis. Mais le
plus grand prix de mes foibles vers leur
viendra de l'augufte Nom de LOUIS .
Heureux habitans des bords de la Seine,
à qui il eft permis de voir de près
un , Roi dont la Renommée remplit l'Univers
!
VIL
Sage & invincible Monarque , mes
yeux ne peuvent foutenir l'éclat de ta
grandeur & de ta gloire. Tous ceux qui
admirent ton courage dans la guerre &
ta fageffe dans la Paix , diront que Pallas
t'a donné la valeur & la prudence
du fils d'Ulyſſe.
VIII.
Ils diront que tu as recueilli le fruit
de ce Livre divin ; que les femences de
toutes les vertus qui y font répandues ,
ont germé dans ton fein ; que fi un
deftin cruel & prématuré enleva ton
augufte père & couvrit la France de
deuil , toutes fes fublimes qualités ont
paffé en toi avec fon fang & fes droits,
& que tu réunis tout ce que fon illuftre
Précepteur voulut mettre dans fon âme
tout ce qui peut faire un Roi puiffant
& heureux,
SEPTEMBRE.
17
1763. 1763.
Mà vien dal facro nome agl' infelici
Carmi , il tefor più grato , ond'io mifregi
Ed oh di fenna Abitator felici !
Che fia mirar da preſſo i fommi pregi
Se in ogni parte lo fplendor ne giunge ,
Che l'ampia terra o l'ampio mar diſgiunge !
VIN
Certo il mio faguardo infermo il huro raggio
Softener non poria di tua grandezza ;
Che non fu mai , Monarca invitto e faggio ,
Debil pupilla à tanto lume avvezza .
Mà chi la fapienza & il coraggio
Ammira in pace , & ne la guerra apprezza ,
Dirà che Palla à te diede il configlio ,
E'l militar valor d'Uliſſe il Figlio.
VIII.
Eche de l'aureo feme , onde il divino
Libro fù fparfo , in te s'accoglie il frutto 3
Efe tolle immaturo , e fier deftino
L'auguſto Padre , e pofe Francia in lutto ,
La fua virtu col fangue e col domino
In te difcefe , e in te fi compien tutto
Quell' eccelfo penfier , che à far poſſente
E Lieto un Ré , volle il Maeſtro in mente.
18 MERCURE DE FRANCE.
IX.
Tels font les motifs , GRAND Ror
qui m'ont infpiré la hardieffe de te préfenter
mes vers , & qui me font eſpérer
qu'ils ne feront pas indignes de trouver
grace devant tes yeux. Je fçais d'ailleurs
que les Mufes Italiennes ne font pas
un objet défagréable pour les Efprits
François . L'Ouvrage immortel d'après
lequel je travaille , m'attirera peut - être
tes regards. Si la ftatue que j'ofe t'offrir
eft nouvelle , le marbre eft antique.
SEPTEMBRE. 1763. 19
IX .
Qaefta è la fpeme , che nel tuo cofpetto
Move i miei verfi , e d'apparir ſa degni,
Ed il faper , che non ingrate obietto
Son l'Italiche Mufe ai Franchi ingeg i .
Forfe in mercè dell' immortal foggetto
Verrà che di tua grazia anco le degni.
Antico è il marmo e novo il fimolacro , >
SIGNOR , che al Real trono offro e confacro.
* L'Auteur de cette traduction en a vu une manufcrite
en vers latins, des premiers livres du Télémaque
François , qui com mençoit ainfi .
Telemaci errores varios , variofque labores
Etfidam errantis comitem cantare Minervam.
Aggredior.
Ce début eft d'une heureufe fimplicité.
ལྗང་།»
20 MERCURE DE FRANCE
LE COUP D'OEIL.
AIR : C'est l'ouvrage d'un momený.
A QUINZE ans l'innocence même ,
Chloé , s'énonce en héfiant.
Mais , qu'elle s'exprime aisément
En regardant l'objet qu'elle aime !
D'un coup d'oeil on eſt amant.
Ce barbon , qui dans fa foibleffe
N'eft plus propre aux tendres amours
En voyant les beautés du cours ,
Dit encor d'un air de jeuneffe
Le coup d'oeil m'en plaît toujours
Que d'amis font à la beface
Pas un falut, pas un foutien.
Le Minifre en ne diſant rien
Le regarde t-il ? on l'embraffe.
Qu'un coup d'oeil nous fait de bien !
Si Lubin , chéri de fa femme ,
Jouit du plaifir le plus doux ,
Timante , eft fouvent en courrouz
S'il voit la fienne aimer Pirame.
Quelcoup d'oeilpour un époux !
do
SEPTEMBRE. 1763. 20
Si Doris , après fa toilette
Paroît charmante aux yeux de tous ;
Petite robe fans bijoux ,
Peau blanche & que nature a faite ,
Le coup d'oeil eft bien plus doux !
Le plaifir fait bientôt retraite
Si l'on bannit le chant , le vin.
Chacun a -t-il le verre en main ?
Chacun dit - il fa chanfonnette ?
Le coup d'oeil en eft divin .
Quand Céphife remplit un verre'
C'eft un furcroît d'enchantement.
On eft buveur , on eft amant ,
On eft plus aux Cieux que fur Terre s
Quel coup d'oeil eft plus brillant !
Cinq ou fix bons amis à table,
Cinq ou fix mets faits par Comus ,
Cinq ou fix flacons de ce jus
Font un enſemble délectable.
Quel coup d'oeil eft au- deffus !
Par M. FUZILLIER à Amiens
22 MERCURE
DE FRANCE.
E PITRE
A M. DAVESNE , par M.
GUICHARD.
Da ta faine philofophie
J'aime à favourer les douceurs :
Sans chagrin , fans milantropie
Des Mortels abufés excufant les erreurs ,
Sans jargon, fans orgueil, & furtout fans fyſtéme ,
Heureux , mais heureux par toi- même ,
Tes jours font ceux d'un Sage : Ami , viens m'éclairer
:
Achéve d'embellir un réduit folitaire ,
Que déja l'aimable Glycère ,
En t'attendant ſe plaît à décorer.
De l'amour délicat , de l'amitié fincère ,
Viens voir l'afyle fortuné :
Viens voir certain berceau propre à plus d'un myſflère
,
Que le plaifir lui- même a façonné.
Là ; plein de la feule Nature ,
Nous oublîrons tous ces fots opulens ;
Qui fous le trifte poids d'une épaiffe dorure
Ne fçavent être qu'infolens
De notre petite fortune
SEPTEMBRE. 1763. 23
L'emploi bien dirigé nous vaudra leurs trésors ;
Peu curieux des vains dehors ,
Lorfque nous marcherons , d'une foule importune,
Ardente à nous offrir des voeux intérellés ,
Cher Davefne , nos pas ne feront point preffés,
Et c'est beaucoup . Sur les yeux pleins de charmes
De l'objet à qui comme moi ,
Sûrement tu rendras les armes ,
Quand le fommeil prolongera ſa loi
Dans un bosquet , à fa louange ,
Moi , tendre fans foupir , toi , galant fans fadeur ,
Rejettant du fçavoir cette manie étrange ,
Nous ferons quelques vers moins d'efprit que de
coeur.
Viens avec un Ami , viens avec une Belle ,
Noyer dans les doux flots d'un agréable vin
Et les foucis du jour , & ceux du lendemain.
La volupté le montre , & fuit à tire d'aîle ;
Attachons- nous à la faifir :
Ne nous attriftons point du vol de l'infidelle ,
Le temps eft affez long pour qui fçait en jouir ;
Si nous réfléchiffons , que ce foit au plaifir .
De la mort fous des fleurs cachons la faulx cruelle ;
Vivons fans la nommer ; mourons fans la fentir.
44 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à Madame de.......
MADAME,
Ma plume fera- t - elle affez délicate
pour rendre dans leur beauté cet affemblage
heureux de qualités brillantes dont
la nature & l'éducation vous ont embellie
? Quel coloris , quelle touche légère
pourroient peindre autant de graces
dans leur perfection ? Si j'ai jamais
defiré le naturel & la force d'expreffion
de notre premier bel- efprit, l'honneur
éternel du fiécle le plus éclairé , ce
n'eft point pour mériter l'admiration
d'un Peuple ingénieux : vous célébrer
dignement , Madame , feroit ma gloire
la plus flatteufe.
Mais que d'épines accompagneroient
une rofe auffi belle ! Que d'envieux
que
d'ennemis s'étudieroient à ternir fon
éclat , à lui enlever fa fraîcheur !
Ce Public , Madame, qui aujourd'hui
dans l'illufion enchantereffe dont je l'aurois
ébloui m'éléveroit des autels , &
les briferoit demain par un effet de l'amour-
propre ; qui fe refufant à toute
fupériorité
SEPTEMBRE . 1763. 25
›
fupériorité , fe prête à toute calomnie
fe réunit avec moi pour vous louer.Je
n'ai point fes caprices à redouter : fi
la variété des talens , & ce charme inexprimable
que vous leur ajoutez par un
goût inconnu jufques à préfent, répandoient
un nuage dans les efprits , il feroit
bientôt diffipé par votre modeftie ; féduc
tion qu'il n'eft donné qu'à vous de fçavoir
annoblir & de rendre fi touchante !
Une jeune Dame dont l'efprit appliqué
dès l'enfance à des Sciences utiles
, s'eft fait une habitude de penfer
fans dédaigner les talens aimables qui
font les délices de la Société ; également
intéreffante par fes lumières , & par l'art
féducteur de la voix & des inftrumens
eft une Divinité bienfaifante qui en écartant
le fouvenir de nos maux , livre tous
les momens qu'elle nous donne à la
joie la plus douce. C'eft là l'effet infaillible
du vrai beau qui , en forçant notre
eſtime , en place naturellement l'éloge
fur des lévres qui, perfides par
belair
, ne fourioient qu'à la fauffeté & aux
ridicules du jour. La préfence de la
vertu , Madame , eft la minute où les
tons à la mode s'éclipfent & fe changent
en elle-même pour n'être embellis
que de fes attraits.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Nos petites Maîtreſſes vives , maniérées
& fertiles en platitudes que l'on
honore depuis longtemps du nom de
bons mots , & de grâces du jour , ne
vous trouvant ni la fcience des mines ,
ni les petiteffes déifiées , s'écrieront fans
doute , Ah ! peut - on lui reffembler ?
Croyez - moi , Madame , il n'en eft aucune
chez qui la voix du fentiment fe
faifant entendre dans le filence des paffions
, ne vous peignît adorable à leurs
yeux , & ne les fît tomber à vos pieds.
Dans ces momens le triomphe de l'honneur
& de la vertu , tout clinquant
étranger paroît dans fa laideur. Préfentez
-vous , on rougira ; on ne fe croira
au mieux qu'en fe parant de votre maintien
, qu'en fe faifant honneur des qualités
de votre âme. C'eft là l'empire
qu'obtiennent toujours , Madame , les
connoiffances éclairées , la pudeur & la
décence fur les erreurs & la frivolité,
Elles font cette illufion puiffante qui en
réveillant la fenfibilité de nos coeurs
épuisés par une continuité d'émotions
les ramène au naturel & leur fait éprou
ver des plaifirs délicieux , fruits ineftimables
de la Sageffe & de la Raifon ,
Il n'eft que l'intérêt perfonnel qui
puiffe divinifer les égaremens des feinSEPTEMBRE.
1763. 27
mes galantes , & l'inutilité de nos jolis
hommes. Lui feul fçait fe plier à tous
les airs de convention , & leur prêter
un éclat dont il eft glorieux de briller.
Ce font des fleurs que font naître le
defir ; leur beauté nous enchante pendant
qu'il dure ; elle n'existe plus lorſqu'il
eft fatisfait.
Dans un fiécle où l'aménité des
moeurs eft d'une délicateffe fi particulière
qu'une fantaifie fait naître des vapeurs
, & mène à l'évanouiffement , il
faut bien de l'habileté pour en perpétuer
la décence , & la faire reffortir au
fein même du délire . C'eft un rafinement
qu'il n'appartient qu'aux ufages
de pouvoir juftifier.
Le Ton du jour eft une vafte plaine
émaillée de mille fleurs, fur laquelle l'oeil
s'égare avec complaifance. Perſpective
délicieufe pour la molleffe , elle la fixe
par la variété de fes couleurs & la féduit
par fon parfum. Chaque pas qu'elle
y fait eft un plaifir , & ce plaifir eft
bientôt une ivreffe qui en enchaînant
tous fes fens , les affoupit pour toujours
dans les bras du préjugé . Une Coquette
à vingt ans eft une prude à quarante &
une dévote hypocrite à foixante . C'eſt
l'ordinaire effet de l'habitude , de la ſté-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
rilité du fentiment & de l'art de dérai
fonner. On ne ſe fait plus aux jours où
la féduction nous abandonne , à un genre
de vie qui demande des lumières &
des paffions fortes dont on ne jouit que
dans fon printemps.
L'eftime des hommes eft une offenſe
dont on fait peu de cas à l'âge du bonheur
; on y échange volontiers les égards
contre les tranfports ; le refpect y eft
toujours déplacé , & la témérité toujours
excufée. C'eft l'effet d'une éducation
négligée , d'où réſultent néceffairement
un goût pour la flatterie , une oifiveté dangereufe
, un efprit ouvert à toutes les
erreurs , & un coeur vuide qui s'offre
aux premières impreffions. Eft- il étonnant
après cela qu'une jeune perfonne
que l'on a entêtée jufques à quinze ans
de fes charmes extérieurs , qui ne conçoit
d'autre avantage que celui de plaire
& d'intéreffer , ne foit rapidement emportée
vers le tourbillon des ridicules
& des égaremens ?
Une mère qui s'idolâtre & dont la
diffipation a affoibli les principes de religion
& des bonnes moeurs , confie fes
enfans à des flatteurs appointés , vils efclaves.
du tempérament de leurs Elé-
-ves. Sa criminelle indifférence paffe dans
SEPTEMBRE . 1763 . 19
les coeurs de ces Pédagogues . S'occuperoient-
ils à corriger une jeuneffe indocile
, à modérer fes tranfports impétueux
, à éclairer fon efprit , à former
fon coeur, lorsqu'une mère frivole & coupable
ne s'attache qu'aux grâces du
maintien , & ne fait aucun cas des moeurs
& des lumières qu'elle regarde comme
des niaiferies très-déplacées , pour parvenir
à la confidération ? Où trouver cette
probité défintéreffée , attentive à fe foulever
contre les opinions , & les préjugés
en crédit , & à fe refuſer noblement à la
petiteffe des vues des parens qui n'ont
pas le foupçon du bon fens quand on
veut l'obliger à fe dégrader ? Cela eft en
vérité auffi rare , que le peu de foin qu'on
prend à faire de bons choix eft aujourd'hui
commun .
C'eſt un vice du temps qui ne permettant
point à la Raifon de ſe faire entendre
, foutient des erreurs que l'ignorance.
& la vanité ont rendu précieufes .
Une jeune Beauté n'a plus befoin que
de fçavoir figurer : L'étude , le fçavoir ,
travers infoutenables , la feroient fiffler
dans un monde poli qui parle merveilleufement
fur des riens , mais que l'on
excéderoit à périr , en ne fe prêtant
point à fa manière de voir. Ce n'eft
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
point qu'il ne fe croie en droit de juger
& de fe connoître à tout ; vous l'offenferiez
d'en douter ; mais vous vous exprimeriez
mieux , vous l'humiliriez , &
cela feroit , on ne peut pas moins amufant.
La ſcience de la toilette , des airs de
dignité , l'arrangement des mots , d'un
coup d'oeil , d'un gefte font devenus effentiels
pour être dans le meilleur air
& mériter une réputation brillante.
On voudroit fe perfuader que le Public
doit refpecter les écarts des gens
de qualité ; qu'il ne lui convient point
de rapprocher la diftance qui les fépare
, & de cenfurer févérement tout
ce qui bleffe fes moeurs & fon zèle facré
pour les loix de la nature. C'eft une prétention
ridicule . La Naiffance exige, fans
doute,des égards , mais la perfonne qu'elle
couvre de fon voile appartient à la fociété
, lui doit un compte exact de fes
vertus & de fes vices . L'efprit humain
ne fe fait point à ces diſtinctions, filles du
hazard , & de l'opinion . Il voit , il examine
il compare & décide hardiment
que l'on n'eft bien aux premiers gradins
du vaſte théâtre du monde , que par fon
mérite, les lumières & fon utilité au bonSEPTEMBRE
. 1763. 31
heur général. Tout être titré , qui n'eſt
rien par lui-même , eft un poids dont la
terré eft furchargée : c'eft un pavôt
qu'une distraction laiffe croître au milieu
des fleurs les plus rares , mais qui
découvert par un oeil attentif, eft bientôt
faifi par une main indignée pour être fur
le champ foulée aux pieds.
La fpirituelle & refpectable mère ,
MADAME , à laquelle vous devez le
jour , connoiffant parfaitement la vérité
de ces principes ,a compris qu'en ne vous
laiffant que fon nom , elle ne vous donnoit
qu'une enveloppe brillante ; & fon
coeur dans fa tendreffe pour vous a defiré
de vous embellir d'une réalité perfonnelle.
Que j'aime à me tranfporter à ces premiers
momens de votre éducation , où
une mère éclairée vous faifant paffer fucceffivement
de l'utile à l'agréable , vous
trouvoit chaque jour une grace nouvelle,
& s'enorgueilliffoit de vos fuccès !
Quel plaifir pour elle de développer les
difpofitions heureufes que vous teniez
de la nature , & de vous voir acquérir
avec une rapidité inconçevable les connoiffances
de la Morale , de l'Hiftoire
ce fentiment délicat , cette jufteffe de
l'efprit qui entrevoit d'un coup d'oeil , &
Biv Biv
•
32
MERCURE DE FRANCE.
porte fur tous les objets un jugement
Toujours vrai !
Vous ne vous mépreniez pas , Madame
, à l'âge de douze ans , à la valeur
de ces mots que le bel ufage a confacré ,
& dont le coloris eft fi étudié , & l'expreffion
fi éloignée de la vérité. Vous
aviez cette pénétration fine qui analyſe
& fçait apprécier ? ... Eh ! que n'êtesvous
point à feize ? ... Quels efprits ne
fixeriez-vous point par les charmes de
votre converfation ? Quels coeurs ne feroient
pas émus , emportés par la mélodie
de votre voix , & par les fons harmonieux
de ces inftrumens , qui s'animant
fous vos doigts , font paffer dans
nos âmes le fentiment , les tranſports ,
& le délire de toutes les paffions ?
Je ne fçais , Madame , fi dans les momens
d'enthouſiaſme , la fineffe de votre
phyfionomie , & les graces qui fourient
dans vos yeux n'aident point à votre
triomphe. On vous voit , on vous entend
; tous les fens fixés à la fois font
dans une ivreffe qui ne permet point à
l'efprit de réfléchir , & à la Raiſon de
décider.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Paris 11 Août 1963 .
TREY D. V.
SEPTEMBRE. 1763 33
A UNE SEULE PERSONN E.
D. ma timidité tu vois ici l'ouvrage :
Pour mieux t'ouvrir mon coeur j'ai choifi ce détour.
Ce n'eft point Apollon qui déte mon hommage
....
Je n'ai plus d'autres Dieux que toi - même & l'A
mour.
Je t'aime.....cet aveu pourroit-il te furprendre ?...
Celle de t'étonner de te voir mon vainqueur ;
D'un fijufte penchant on fçait peu fe défendre :
Tout ce qu'onjuge aimable , a des droits fur un
coeur.
Quand je ne crois qu'aimer , je fens que je t'adore
D'un li doux fentiment que je chéris l'erreur !
Mon âme à l'augmenter s'efforceroit encore ,
S'il étoit un degré de plus pour fon ardeur.
Par M. le Comte de C *** Capitaine de Dragons
au Régiment de C ***
B
34 MERCURE DE FRANCE.
CONTE MORAL.
ANNNNEETTTTEE un jour s'en alloit à grands pas
Vendre au marché la marchandiſe ;
Son petit coeur battoit , & defiroit tout bas
D'être auprès du Berger dont fon âme eft éprile,
Et qui brûle pour les appas.
L'ardeur de le revoir lui fourniffoit des aîles ;.
Mais la force manquoit.
Amour ! Auteur de deux flâmes fi belles ,
N'entendois- tu pas fon fouhait ?
Annette , éperdue , harallée ,
Maudiffant fon deftin ,
Et jufqu'au fon i du coeur bleffée ,
Ne peut pourfuivre fon chemin ! ...
Paſſe alors un lefte équipage
Où plus brillante que le jour ,
Une Dame de haut parage
Alloit étaler à la Cour
Son fafte ; & des paffans attiroit tout l'hommage.
Qn'on eft heureux de pouvoir à fon-gré ,
Sans embarras comme fans peine ,
Dans un beau cabinet doré ,
S'écrie Annette en per tant prefque haleine ,
Etre ainfi par tout voituré ! ...
Annette , en parlant de la forte ,
SEPTEMBRE. 1763. 35
Suivoit le char de tous les yeux ;
Lorfque d'un choc la fecouffe trop forte,
Préfage un deftin malheureux .
Le Char verfe & fe rompt ; une fraieur fubite
Animant les chevaux , ils déchirent leurs mords ,
S'élancent , & d'un pas que la peur précipite ,
Traînent la Dame à travers mille morts.
Annette alors , rentrant en elle- même ,
Et béniffant l'Etre Suprême ,
}
Difoit , oublie , ô Ciel ! ce dont je t'ai prić :
Mieux vaut encore aller à pied ,
Qu'avec apparence fi belle ,
Rifquer la mort la plus cruelle.
Par M. de Vis... le fils.
EPITRE
D.... A Madame la Marquife D.
O
1
VOUS , que l'amour idolâtre ,
Et qui l'outragez chaque jour !
Voyez ma` Mufe tour- à- tour ,
Tendre , indifférente & folâtre ,
Ne plus refpirer que l'amour.
Des erreurs d'un efprit volage
L'enchanteinent eſt diſſipé
Et des jeux du papillonage Mu
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mon coeur longtemps préoccupé ,
Ne fe fait plus un badinage
De tromper ni d'être trompé.
Ce changement eft votre ouvrage::
Eglé , vous fixez mes defirs ;
Et je chéris mon elclavage :
Ce n'eft qu'au midi de mon âge
Que vont commencer mes plaifirs.
Facile , inconftante & coquette ,
Lifette m'amufa longtemps ;
Et ma main des fleurs du printemps
A longtemps couronné Lifette.
Léger comme on l'eſt a vingt ans ,
On m'a vu groffir près des belles
La lifte des amis fidels,
Et des infidèles amans :
L'amour m'avoit donné les aîles ;
Et vous avez les trai : s charmans.
Eglé , vous êtes embellie
Des trésors de chaque pays
Vous devez à la Georgie
Ces petits globes arrondis ,
Ces bras d'ivoire.cque jadis
La voluptueule Idalie
Pour ceux de Vénus auroit priss
Vos yeux brillans font d'Italie ,
Et vos grâces font de Paris...
Vous valez bien , lans flatterie,
SEPTEMBRE. 1763. 37
Les Beautés dont la Circaffie
Remplit les Sérails faftueux ,
Où les defpotes de l'Afie
Coulent des jours voluptueux
Sur de beaux tapis de Turquie.
A vos pieds le plus fier Soudin
Comme Augufle à ceux de Livie ,
Mettront fon Sceptre & fon Turban ;
Et je fçais bien que Roxelane
N'auroit jamais été Sultane ,
Si j'avois été Soliman.
En vérité je crois qu'Alcide ,
Jadis auroit filé pour vous ,;
E que la Grèce , à vos genoux ,
Eut vû tomber e Dieu de Gnide.
Ce Dieu fur les bords de Lignon ,
Abandonnant Flore & Thémire
Vint fur les rives du Litton ,
Près de vous fixer fon empire.
Avec douceur , à votre nom
On le voit quelquefois fourire :
Mais il fe plaint avec railon ,
Que vous êtes un peu cruelle.
Ignorez- vous que ce fripon
Gouverne: tout à ſa façon ,
Rois & Bergers trône & ruelle?
Il a des droits fur chaque Belle:
Vous avez les traits de Ninon ;
38 MERCURE DE FRANGE .
Et vous devez aimer comme elle.
Ah ! fijamais le Die ' vainqueur
A quelque amant tendre & fidèle
Donnoit des droits fur votre coeur ,
Vous le verriez , plein de délire ,
Près de vous toujours ſoupirer ,
Exiſter pour vous adorer ,
Et vous chercher pour vous le dire.
Eglé , lorsqu'on a vos appas ,
On doit immoler , à votre âge ,
Le ftérile honneur d'être lage
Au plaifir de ne l'être pas.
Croyez que la volupté pure
Offre des plaifirs délicats :
Aimable enfant de la Nature
Elle vous appelle en fes bras .
De fleurs nouvellement écloſes ,
Elle ornera votre beau ſein :
Eglé , c'eſt pour vous que fa main
A préparé des lits de roſes ,
Et des guirlandes de jaſmin.
Son haleine répand fans ceffe
Les plus dour parfums dans les airs:
La molleffe de fes concerts
Aux tranfports d'une tendre ivreffe ,
Semble inviter tout l'univers.
Qu'un pâle élève d'Uranie ,
Sur les aîles de fon génie
>
SEPTEMBRE . 1763. 39
S'élance , & meſure les cieux
De fon compas audacieux :
Moi , j'aime à raffembler le groupe
Des ris , des amours & des jeux :
La Volupté m'offre la coupe ;
Elle eft pour moi celle des Dieux.
Je veux encor , quand la vieilleſſe
Aura blanchi mes noirs cheveux ,
Chanter l'amour & la pareſſe ;
Et vous offrir encor des voeux.
Par M. LEGIER.
LES TROIS AMIES
ET LES TROIS FRERES ,
CONTE MORAL.
LUCIE , Aglaé & Zulmis s'aimoient
dès leur plus tendre enfance ; leurs pa-
*ens étoient voifins & amis tout enfem→
ble ; elles avoient reçu la même éducation
dans le même Couvent. Depuis
qu'elles en étoient forties elles n'avoient
pas paffé un jour fans fe voir & fe renouveller
les affurances de l'attachement
le plus tendre. A mefure qu'elles
avançoient en âge , la Raifon perfectionnoit
l'ouvrage de l'instinct & reffer
40 MERCURE DE FRANCE.
V
roit les liens de la fympathie qui les
uniffoient. Des careffes touchantes , des
jeux innocens , des confidences mutuelles
ne permettoient pas à l'ennui de
troubler la férénité de leurs beaux jours.
Tous leurs momens étoient remplis.
Tantôt elles s'occupoient à former des
pas avoués par les Grâces , tantôt elles
exerçoient leur voix , en corrigeoient
les défauts & en faifoient valoir les agrémens.
Ignorant l'envie , elles pouffoient
le défintéreffement jufqu'à fe parer de
tout ce qui pouvoit relever l'éclat de
leur beauté mutuelle . Toutes les trois
entroient dans leur quinziéme année ; &
leur amitié fembloit devoir durer toujours
, lorfque Damis , Arifte & Timur
s'offrirent àleurs yeux.
s'éte Ils étoient frères. Leurs parens
toient appliqués à développer le germe
du fentiment que la Nature avoit placé
dans leurs coeurs , & jufqu'à ce jour
rien n'avoit pu altérer l'affection qui y
étoit née . Dans cet âge où il fuffit de
voir un objet aimable pour aimer , Damis
fe déclara pour Lucie , Arifte pour
Aglaé , & Timur pour Zulmis Ils furent
écoutés , l'amour fe plut à les combler
de fes faveurs pour les rendre pius
fenfibles aux tourmens que ce Dieu
cruel leur préparoit.
SEPTEMBRE. 1763 . 41
L'envie de plaire ne tarda pas à nuire
à l'amitié . On ne confulta plus fon
amie fur le choix d'un ruban ou fur
la façon de placer une aigrette . On ne
donna plus de confeils qui ne fuffent
dictés par la malignité. Zulmis eft brune
, Aglaé l'engage à mettre des mouches.
Lucie , eft blonde , Aglaé & Zulmis
le réuniffent pour l'affurer que le
blanc lui fied à ravir. Elles ne goûtent
plus ce charme paifible que procurent
la confiance & la vertu . Elles ne fe
voyent plus avec ce vif intérêt qui les
enflammoit d'une falutaire émulation.
Leurs oreilles ouvertes aux propos féducteurs
d'un amant ne font plus flattées
de oes difcours ingénus qui ont
fait l'amufement de leur enfance. Elles
diffimulent fans motifs , elles fe craignent
fans raifons. Si Damis laiffe tomber
un coup d'oeil fur Aglaé , Lucie en
pâlit , Arifte en murmure. Cette paffion
baffe & honteuse , que nous décorons
du titre de délicateffe & qui prend fon
origine dans nos idées plutôt que dans
nos fens , la Jaloufie a rompu tous les
noeuds qu'avoit tiffus l'Amitié .
Damis, en qualité d'aîné, devoit prendre
le premier un établiffement . Il ne
négligeoit rien pour faire déclarer Lucie .
42 MERCURE DE FRANCE .
en fa faveur , & fe ménageoit auprès
de fes parens de puiffantes recommandations
pour obtenir d'eux fa main ,
auffitôt qu'elle lui auroit donné fon
coeur. Cependant cette jeune perfonne
ne fe hâtoit pas de prononcer ces mots
qu'un père jaloux de fon autorité interdit
jufqu'au jour du Contrat. Je vous
aime eft une terrible expreffion en effet
! Une fille qui n'en connoît pas encore
toute la fignification ne peut s'empêcher
d'en rougir en s'en fervant. Heu
reux amans , avez-vous pû l'entendre
pour la première fois fans mourir de
plaifir ?
Damis ne l'avoit pas entendue : il
s'imagina qu'Aglaé emploiroit volon
tiers le crédit qu'il lui fuppofoit fur
l'efprit de fon amie , pour l'engager à
lui faire cet aveu fouhaité . Il lui fit vifite
dans ce deffein . Sa mere étoit avec
elle ; Damis n'eut pas de peines à les
gagner l'une & l'autre.Elles lui promirent
tout ce qu'il en exigea. C'étoit l'heure
de l'Opéra elles devoient s'y rendre :
Damis ne put pas fe difpenfer d'offrir
fa main ; elle fut acceptée ; & quoiqu'il
ne fe fouciât pas beaucoup du fpectacle
ce jour-là , il fut obligé d'y aller & d'y
refter par bienséance ..
SEPTEMBRE . 1763. 43
*
Le premier objet qui les frappa en
entrant dans la falle , ce fut Arifte au parterre
. Il n'y refta guères dès qu'il les
eut apperçues. Aglaé lui avoit paru interdite
, & fon frere embarraffé . L'air
dont il les avoit falués en étoit la caufe
; mais il ne croyoit pas avoir manifefté
fi clairement l'agitation de fon
âme & les mouvemvns tumultueux qui
s'y étoient élevés tout-à- coup . Son premier
deffein avoit été d'aller trouver
fa maîtreffe . Son mauvais génie l'arrêta
à la porte de fa loge , & fans s'avouer
à lui- même fes foupçons injurieux , il
fe mit à écouter comme s'il eût eu à
s'éclaircit de quelques complots . Des
termes paffionnés qu'il entendit , & la
chaleur avec laquelle Damis entretenoit.
Aglaé ne lui permirent pas de douter
que fon frere ne fùt devenu fon rival ;
& il ne lui vint pas même dans l'efprit
qu'il lui parloit de l'amour qu'il
reffentoit pour fon amie.
Damis ne s'en tint pas aux affurances
réitérées qu'il avoit reçues d'Aglaé &
de fa mere . Les objets que nous voyons
à travers l'ardeur de nos defirs nous
paroiffent environnés d'obstacles & de
difficultés . Il nous femble que nous n'en
approcherons jamais nous craignons
44 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils ne nous échappent lorfque nous
en fommes le plus près : Notre imagination
troublée apperçoit des torrens
formidables à franchir , tandis que nous
n'avons que des petits ruiffeaux à paffer.
Damis , toujours inquiet & tremblant
, eut recours à Zulmis & à fon
père , qui avoit un grand crédit fur celui
de Lucie. Il fe rendit chez lui dans
l'inftant que ce père fe préparoit à partir
pour la campagne avec fa fille. C'étoit
un de ces hommes d'un facile accès
, qui ont , comme on dit vulgairement
, le coeur fur les lèvres. Il trouva
Damis , à fon gré , lui propofa de devenir
fon ami à condition de l'accompagner
& de refter avec lui pendant le
peu de jours qu'il devoit paffer hors, de
Paris. J'aurai le tems de vous con-
» noître , lui dit-il , & cela m'eft nécef-
» faire pour me mettre à même de tra
» vailler avec plus de zèle à vos intérêts,
» Cette offre étoit fi preffante &
fi avantageufe que Damis ne balança
pas à l'accepter.
"
Ils montérent en carroffe & prirent
leur route par le Boulevard. Timur s'y
promenoit alors tout occupé de fa chère
Zulmis : il fut étonné & piqué de l'appercevoir
avec Damis dans le fonds de
SEPTEMBRE. 1763. 45
-
par
la voiture. Il courut fur le champ à
l'hôtel du père de Zulmis , où un portier
bavard acheva d'aigrir fa douleur
des propos qui lui donnerent matiére à
foupçonner que fon frère étoit fecrétement
fon rival. Timur étoit malheureuſement
né jaloux. Le crime de fon
frère & l'infidélité de Zulmis fe trouverent
dès cet inftant réalisés dans fon
coeur.
Ce même portier dont l'imbécile bavardage
fut bien payé, fe chargea de faire remettre
à Zulmis une lettre que Timur
écrivit fur le champ . Juftement offenſée
de l'aigreur du ftyle & des reproches
qu'elle ne méritoit pas , elle prit de tous
les partis le plus cruel pour un amant ;
celui du filence.Les doutes de Timur font
alors changés en certitude ; une haine
violente fuccéde chez lui à l'amour le
plus tendre. Ce changement étoit trop
prompt pour être véritable : tout autre
que lui s'en feroit méfié. Un coeur qui
n'aime plus n'eft pas fufceptible de haine;
il ne connoît que l'indifférence ou le
mépris. Cependant abufé par un fentiment
momentané & trompeur , il fe
perfuada qu'il pourroit oublier Zulmis;
il fit plus , il fe crut capable d'en aimer
une autre. Lucie avoit des attraits ; elle
46 MERCURE DE FRANCE .
)
étoit la dupe d'un amant volage ; fa fituation
telle qu'il fe la figuroit , reffembloit
parfaitement à la fienne. Il étoi
à préfumer que rapprochés par le malheur
, ils fentiroient tous deux le befoin
de s'aimer. Ce fut donc à Lucie qu'il
adreffa fes voeux , & il ne tint qu'à elle
en les couronnant, de fe priver & Timur
auffi ,des douceurs qu'ils avoient eſpérées
dans un autre établiffement. Cet amant
ne fût pas affligé des refus conftans qu'il
éffuya 11 reconnut le véritable état de
fon coeur. Les fureurs de la jaloufie s'agitérent
plus violemment que jamais ; il
brûloit de la foif de la vengeance ; & dans
l'excès de fon emportement il méditoit
les plus fanglans projets contre la vie
d'un frère qu'il auroit rachetée autrefois
par le facrifice de la fienne .
Arifte n'étoit pas dans une fituation
plus tranquille. Quoiqu'il n'eût d'autres
preuves de l'infidélité de fa maîtreffe que
ce qu'il avoit entendu à la Comédie , fon
coeur en étoit mortellement bleffé . Le caractere
d'Arifte reffembloit beaucoup à
celui de Timur: ils n'avoient pour ainfi
dire , que la même façon de voir & de
fentir; dans une circonftance femblable.il
fe comporta comme lui . Guidé par le dépit
, il fut quelques jours fans voir Aglaé,
SEPTEMBRE . 1763 . 47
en revanche il voyoit affidûment Lucie
& mettoit en ufage , tout ce qui pouvoit
lui faire oublier Damis , qu'il lui repréfentoit
fous des couleurs odieufes.Enfinaprès
avoir joué auprès d'elle un rôle qui les ennuyoit
beaucoup l'un & l'autre , il reparut
chez Aglaée ; mais la fierté de cette
jeune perfonne foutenue par fon innocence
, lui fit rejetter les marques de fon
amour & de fon repentir , & l'obligea
de lui défendre fa préfence. Cet ordre
loin de la juftifier , la rendit plus coupable
aux yeux de fon amant ; le malheu
reux Arifte , fentit renaître toute fa fureur
, & ne defira plus que l'inftant où
fon frère pouvoit en reffentir les effets.
Damis , loin de prévoir tout ce qui fe
paffoit à Paris pendant fon abfence , travailloit
à fon bonheur fans négliger celui
de fes frères. Il ne fe laffoit pas d'en dire
du bien au père de Zulmis , & méritoit
toute leur reconnoiffance , tandis qu'ils
n'étoient occupés que du deffein de lui
ôter la vie. Le jour même de fon arrivée
il reçut trois lettres . La premiere étoit
de Lucie , en voici le contenu.
Je vous avois crûl aſſez honnête- homme ,
Monfieur , pour ne pas employer le langage
des proteftations & des fermens pour
mepeindre un amour que vous ne reffenti48
MERCURE DE FRANCE.
tes jamais. Soyez heureux , fi vous pou
vez l'être , auprès de la nouvelle conquête
que vous avezfaite fur unfrère. Cet exploit
eft digne de vous. Le fort de votre
famille eft de chercher à me tromper. Ariſte
& Timur n'ont rien négligé pour vous
chaffer de mon coeur , comme fi on avoit befoin
d'un fecours , étranger pour oublier.
les traîtres & les parjures. Adieu
Monfieur , ne me revoyez plus , car je ne
pourroisfuporterfans horreur la vue d'un
homme tel que vous.
Il eft aifé de juger de l'effet que fit
cette Lettre fur l'efprit de Damis. La lecture
des deux autres redoubla fa ſurpriſe
& fa douleur. L'une étoit d'Arifte , il y
trouva ces mots,
Je ne vivois que pour Aglaé. Aglaé
étoit le feul bien que jeuffe au monde.
On me l'enlève par la plus noire des perfidies.
Nepenfes pas,lâche raviffeur , trouver
l'impunité dans les droits du fang;
tu les reclamerois en vain ! indique- moi
pour ce foir le lieu & l'heure où je pourrois
te rencontrer. Songe à défendre ta vie : la
fortune fe laffe quelquefois de protéger
les fcélérats.
Timur étoit l'Auteur de la troifiéme
letres: elle étoit conçue en ces termes.
Monfrère , ilfaut nous couperla gorge;
Yous
SEPTEMBRE. 1763 . 49
du
vous êtes maître du choix des armes ,
lieu & de l'heure , pourvu que ce foit dans
la journée.
Vous m'avezravi ma maîtreſſe ; il ne
yous reste plus qu'à me priver du jour.
Damis , dans les réponfes qu'il fit à
ces deux dernières Lettres , marqua à fes
frères le même lieu & la même heure
pour le rendez -vous qu'ils demandoient.
Vous m'accufez , leur dit- il , dès qu'il
les eut appperçus , de vous avoir enlevé
le coeur de vos maîtreffes ; il m'eft plus
aifé de me juftifier fur cet article que
vous fur les tentatives que vous avez
faites pour me rendre odieux à Lucie
& pour vous en faire aimer. Jamais on
ne s'eft trouvé dans une fituation auffi
étrange que la mienne. Pendant que je
m'occupe de leur bonheur mes frères
me trahiffent. Arifte m'impute le même
crime que Timur. Dans l'efpace de huit
jours j'aurai quitté une maîtreffe que j'idolâtre
, j'aurai féduit tour-à- tour Aglaé
& Zulmis ; je me ſerai fait un jeu cruel
de tromper trois perfonnes à la fois.
Mais accordez-vous vous- mêmes , ingrats
que vous êtes. Quel a pû être mon
but ? Suis-je charmé de ces trois perfonnes
? Puis- je eſpérer de les rendre fenfibles
& de conferver leur tendreffe ?
C
So MERCURE DE FRANCE.
Hélas ! je ne brûle que pour Lucie. Sans
vous elle répondroit à mon amour. Eftil
poffible que la jaloufie vous ait aveuglé
jufqu'au point de méconnoître les
loix facrées de la Nature & les régles de
la Raifon ! Que ne doit- on pas redouter
d'une paffion qui porte au crime des
coeurs tels que les nôtres ?
Damis, en parlant ainfi , tenoit Arifte &
Timur étroitement embraffés. Ils commençoient
à connoître toute l'étendue
de leurs torts. Leurs larmes couloient en
abondance. Damis en fut touché. Ils
furent tous trois chez Lucie , & n'eurent
pas de peine à la convaincre de la conftance
de fon Amant. Sa famille prévenue
en faveur de Damis , ne le laiffa pas
danguir dans l'attente de l'hyménée. Les
trois frères & les trois amies s'unirent par
des noeuds indiffolubles. Ils vivent heureux
, & ne penfent qu'en frémiffant ,
qu'ils ont été à la veille , par leur imprudente
jaloufie , d'être féparés & malheu
reux à jamais.
Par M. de C *** à Lyon.
SEPTEMBRE. 1763.
Au Ror.
Pour ton inſcription , Louis , on s'évertue ;
Qu'eft-il befoin d'efprit ? Notre coeur t'a nommé :
Qu'on mette en lettres d'or, au bas de ta Statue :
LOUIS LE BIEN - AIMÉ.
Par M. SAURIN , de l'Académie Françoife.
LE BOUTON DE ROSE ,
ET LA TULIPE.
FABLE.
APRES mainte
métamorphoſe
Le deftin , en bouton de roſe ,
Pour contenter Vénus , un jour changea Pfyché.
Voilà, tout l'Olympe autour d'elle.´*)\
Celui de la Troupe immortelle ,
Vers lequel elle auroit penché ,
Devoit cueillir la fleur nouvelle.
Déja chaque Dieu s'eft niché
Dans la fleur qu'il croit la plus belle.
Il ne reste autour du bouton
Qu'une Tulipe jaune & noire ,
Séche fans agrément . Perfonne n'en weut donc,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Dit l'Amour ? tant mieux pour ma gloire.
Le petit Dieu s'y cache, & la rofe à l'inſtant
Sourit , ouvre fon fein , fatigue & fe démêne ;
Pfyché reconnoît ſon amant.
Ses traitslui font rendus: au penchant qui l'entraine
Les Dieux abandonnent fon coeur.
Qui peut le contefter? quelque forme qu'il prenne,
L'Amour fera toujours vainqueur.
NANNON.
ÉPIGRA M ME S.
A PHIL I S.
Na demandez pas davantage , B
Si de fou que j'étois , je fuis devenu fage:
Aimer fans être aimé , c'eft être fou , dit.on.
Vous êtes la feule que j'aime ;
Hé , qui peut donc mieux que vous-même ,
Sçavoir fi je fuis lage ou non ?
Par M. *** de Dijon.
ALA MESME.
QUAND l'amour à vous voir m'engage ,
Je perds & mon temps , & mes pas ;
Mais je perds encor davantage ,
Philis , quand je ne vous vois pas,
Par le même;
SEPTEMBRE. 1763. 53
SUR UNE CRUELLE.
THEMIRE n'a pour moi que de l'indifférence .
Amour ! de nos deux coeurs tu vois la différence ;
J'aime trop , elle aime trop peu .
Mais hélas ! quelle eſt ma diſgrace !
Mon feu ne peut fondre ſa glace ,
Ni fa glace éteindre mon feu.
Par le même.
EPITAPHE D'UN PÉDANT.
Cr git , qui parloit autrefois
I
La langue de la vieille Rome ,
En Grec , en Hébreu fçavant homme ,
Mais un grand Sot en bon françois.
Par le même.
VERS de M. D *** fur la mort de
EPRISEC
Ja Soeur.
PRISE contre moi d'un injufte courroux ,
Ma foeur donne fes biens à Monfieur fon Epoux ,
Le bon Dicu veuille avoir fon âme !
Je fouffre tout avec douceur :
C'étoit une méchante focur ;
Mais c'étoit une bonne femme .
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
PLAISANTERIES Angloifes , extraites
d'une Brochure Angloife , intitulée
CONTE DES COMÉDIENS.
LA
A veuve d'un mari , qu'elle avoit
coutume d'appeller le vieux Simon , avoit
fait fculpter en bois fa ftatue qu'elle mettoit
chaque nuit dans fon lit à côté d'elle .
Un de fes voifins paffionnément amoureux
de cette femme , obtint par argent
de la femme- de-chambre , d'occuper
une nuit la place de la ftatue . Le lendemain
matin , cette fille , en entrant chez
fa maîtreffe , lui demanda , fuivant l'ufage,
ce qu'elle fouhaitoit pour fon dîner ?
Un bon potage (lui dit la veuve) un gros
dindon , un gigot & du fruit. Éh , Madame
! replique la Suivante , il faut donc
acheter du bois pour préparerun fi grand
dîner ? Allez , lui dit la veuve : s'il vous
en manque , brûlez le vieux Simon.
Milord B ***. avoit époufé de fuite
trois de fes fervantes. Une femme qui
demandoit l'aumône, en le voyant paffer,
lui fit une profonde révérence . Que
Dieu garde votre grandeur & prolongefa
vie! (s'écrie-t- elle) j'aurai fans doute
SEPTEMBRE. 1763. 55
mon tour l'honneur d'être Miladi B***
*
Un Miniftre qui conduifoit un voleur
à Tyburnes , lui demandoit s'il n'étoit :
pas bien repentant du vol qui le condui-.
foit au gibet? Oui , dit le pendart; & bien
plus encore de ce que le vol n'ait
pas été
affez confidérable pour me mettre en état
de corrompre mes Juges.
Un voyageur du Comté de Kent ,
qu'un orage avoit tranfi de froid , arrive
dans une hôtellerie de campagne , & la
trouve fi remplie de monde qu'il ne peut
approcher de la cheminée. Que l'onporte
vite à mon cheval , une cloyère d'huitres
( dit-il à l'Hôte. ) A votre cheval ! s'écrie
celui-ci : croyez- vous qu'il veuille en manger
? ... Faites ce que j'ordonne , repliqua
le Gentilhomme. A ces mots tous les
affiftans volent à l'écurie , & notre voyafe
chauffe. Mr. dit l'hôte , en reve
geur
nant ; je l'aurois gagé fur ma tête : le
cheval n'en veut pas ... en ce cas , reprend
le voyageur , il faut donc que je
les mange moi-même.
Je confens à tous vos defirs , difoit:
une jeune perfonne à fon Amant , pour-
** C'eſt la Grève de Londres.
Civ
MERCURE DE FRANCE.
vu que vous me donniez ce que vous
n'avez pas , ce que jamais vous ne pouvez
avoir , & ce que vous pouvez cependant
me donner. Que lui demandoitelle
? .... Un époux.
Pluficurs amis étoient à la taverne , &
ne cherchoient qu'à rire, lorfqu'un homme
de leur connoiffance nommé Samfon
paffa fous leur fenêtre. Oh ! s'écria
l'un d'entre eux , nous pouvons maintenant
braver les Connétables & les Huiffiers
: avec Samfon nous craignons peu
de pareils Philiftins. Sans doute , répondit
Samfon , pourvu que l'un de vous me
prête fa machoire .
Deux amis qui depuis longtemps ne
s'étoient vus , fe rencontrèrent par hazard
. Comment te portes - tu ? dit l'un .
Pas trop bien , dit l'autre ; & je me fuis
marié depuis que je ne t'ai vu ... bonne
nouvelle ! ... pas tout - à - fait , car j'ai
époufé une méchante femme ... Tant
pis ! ... pas trop tant pis , car fa dot étoit
de deux mille guinées ... Eh bien , cela
confole ... pas abfolument , car j'ai employé
cette fomme en moutons , qui font
tous morts de la clavelée ... cela eft en
vérité bien fâcheux ! Pas fi fàcheux , car la
vente de leurs peaux m'a rapporté auSEPTEMBRE
. 1763. 57
... En ce cas ,
delà du prix des moutons.
vous voilà donc indemnifé ?... Pas tout-àfait
, car ma maifon où j'avois déposé
mon argent , vient d'être confumée par
les flammes ... Oh ! voilà un grand malheur
... Pas fi grand non plus , car ma
femme & la maifon ont brûlé ensemble.
SUR le PORTRAIT de Madame de
QUAND
C *****.
UAND on regarde ce portrait ;
Frappé de tant d'attraits , on eft tenté de croire
Que le Peintre inventif en a toute la gloire ,
Et que le monde entier n'a rien de fi parfait .
Mais des que P'on vous voit Silvie ,
On rabat du prodige , & l'on juge en effet
Que tout l'art s'eft réduit à faire une copie.
LE LOUP ET LA BREBIS ,
FABLE.
PAR des Chiens un Loup déchiré ,
Au coin d'un bois languiffoit attéré ;
De vivre encor pourtant ii avoit grande envie ,
De coeur l'Animal étoit fain.
alle une Brebis : Bon ! Ah ! mia tant douce amie ,
Cy
58 MERCURE DEFRANCE .
Je meurs & de foif & de faim
De foiffurtout un peu d'eau , je vous prie.
Vous n'avez pas à faire un long chemin
Le fleuve eſt ici près , vous le fçavez : Eh ! vîte ,
Portez -moi dequoi boire , & puis facilement
Je trouverai dequoi manger.... Oh ! ſûrement,
Un Loup le peut nourrir de moi , quoique petite,
Repart la Brebiette en fuyant l'Impoſteur.
Il est trop dangereux d'aider un Malfaiteur .
Par M. GUICHARD.
CONTRE L'INFIDÉLITÉ.
S₁I ton coeur n'aime point encore ,
Il eft à la veille d'aimer :
S'il aime , l'objet qu'il adore
De plus en plus doit l'enflammer.
Thémire n'a fait que te plaire :
Tu n'as cédé qu'à fes attraits ;
Sa victoire n'eft point entière ;
Ses triomphes font imparfaits.
Il faut de nouvelles armes
par
Qu'elle augmente encor tes ardeurs ;
L'Amour attire par les charmes :
11 enchaîne par les faveurs.
Après ce qu'elle vient de faire ,
SEPTEMBRE . 1763. 59
Qu'une Amanté déja fi chère
A de nouveaux droits fur ton coeur !
Elle a toujours les mêmes graces , `
Toujours ce fourire enchanteur ;
Les jeux toujours fuivent les traces :
De plus , elle a fait ton bonheur .
Viens lui rendre un nouvel hommage :
Dans un plus amoureux langage
Viens faire parler ta langueur.
Que vois-je ? tu fuis , infidelle :
Thémire à tes yeux n'eſt plus belle :
Ta flamme eft changée en froideur 25
A les pieds l'amour te rappelle:
En vain to méprifes fes cris.
9 :
Que dis-je ? un autre objet t'arrêtez
D'Ifmène ton coeur eft épris :
Tu la touches , tu l'attendris :
}
A fe rendre Ifmène s'apprête ;
Bientôt tous tes voeux font remplis , A
Mais cette nouvelle conquête , gin I
11
Afon tour perd auffi fon prix.VIET
Life paroît , & la remplace II
Life confent à tes defirs :
Pour elle alors , plus de foupirs ;
De ton coeur un autre la chaffe.
Ainfi de Beautés en Beautés ,
Tu promenes
ton inconſtance :
Toujours tes infidélités
2011
T
02
i mu a
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Sont le prix de leur confiance.
Mais qu'entens-je ? O comble d'horreur I
C'eft peu que ton coeur foit coupable ;
Ta bouche , au crime de ton coeur ,
En ajoute un plus déteſtable.
Au lieu de couvrir leur erreur
De la nuit d'un profond filence ,
Tu te fais un indigne honneur
Vil féducteur de l'innocence ,
De leur avoir ravi le leur.
>
Ingrat ! en quittant res maîtreffes ,
Ne trahis point la volupté ;
Et refpecte au moins des foiblefes
Qui firent ta félicité.
Du tendre amour entends les plaintes:"}
Voi fur les flâmes prèſqu'éteintes
Tomber un délug e de pleurs...
Mais quoi? tu ris de les douleurs ,
A chaque inftant ton coeur volage
Lui prépare un nouvel outrage::: J. I
Tu braves fon autorité..
Il n'eft point, ta Divinité ;
Ton Dieu , c'eſt le libertinage.
Séxe charmant dont en ces vers
Ma Muſe pourſuit la vengeance
Contre le crime & l'infolence
1
D'un ingrat qui brifant vos fers,"
Au mépris des noeuds les plus chers
SEPTEMBRE . 1763.
Ofe encore ajouter l'offenſe ;
Jafqu'ici dans l'indifférence
J'ai vu s'écouler tous nres jours 3
Enfin chaque choſe a ſon cours ,
Et je fens que pour moi s'avance
L'inftant marqué par les Amours.
Qui que tu fois , objet aimable ,
Qui dois me ranger fous leurs loix ,
A mes yeux charmés une fois
Tu feras toujours adorable ;
Et lorfqu'enfin l'Amour vainqueur '
Défarmant pour moi ra rigueur ,
A mes voeux te rendra docile,
Bien loin que ta bonté facile , '
Eteigtrema conftante ardeus,
Tu verras ton amant fidéle
Brûler d'une flamme nouvelle ,
A chaque nouvelle faveur.
Tu feras la feule maîtreſſet: MANU A и
´Tù deiferas juſqu'au tombeaupjor 25q nov
Sans que pour un objet snowvenligsЯ
L'amour témoin de ma promenerjudu
Dans mon coeur d'une autre tendrelle
Allume jamais le flambeau .
Parle Nouveau Venu au Parnaffe .
90.tob sm 101-10 %
2 MERCURE DE FRANCE.
LE
E mot de la première Enigme du
Mercure d'Août eft le Baillement. Celui
de la feconde eft Coeur. Celui du premier
Logogryphe eft Lecteur , dont
l'Anagramme eft Lecture. La décompofition
du mot eft tu , ut , cure , cur
rue , et , tuer , lute , cruel, ruel, Luc ,
cul. Celui du fecond Logogryphe eft
Mercure , où l'on trouve mur rue mère
, ere , ruer , meur , erre meure Ré ,
Cure Créme
mer , crême.
› cure , rue , écume
1000 st sap niel rsia
63126
ENIGME
13
J
I
UN Aftre des plus éclatans , 19. T
Non
pas toujours , mais en de certains temps ,
Repréſente affez ma figure ;
Je fuis de matière très- dure
Etl'on me fait avec grand bruit.
Je conferve ce que je couvre ;
Et mon utilité dont chacun eſt inftruit,
ત્
Par- tout me donne entrée , & même dans le
#
Louvre.
SEPTEMBRE . 1763. 63
AUTR E.
Je n'ai pour toute parure ,
Qu'un habit ou gris , ou bleus
Et je change de figure ;
Quand je paffe par le feu.
On me donne mille coups ,
Et puis après on me fèrre;
Lorſque je fuis en pouffière ,
Je m'échappe par des trous.
On m'ajuste , l'on m'apprête ;
Je fuis de fort bon aloi.
Pour faire une grande fête ,
Il faut recourir à moi.
LOGO GRYPH E.
J
E fuis de nature femelle ;
Mon empire eft plus grand aux lieux où les frimats
Font contre les humains une guerre éternelle;
Les vents me caufent le trépas.
Divife mes cinq pieds , Lecteur , tu trouveras
D'abord cette éffence immortelle ,
I
64 MERCURE DE FRANCE.
Dont l'être parmi nous cauſe tant de débats ;
Un inftrument de mort dès longtemps en ufage
Chez une fière Nation ;
Ce qu'un jour de dévotion
Un pefant Marguillier , bourfoufflant fon vilage,
Porte avec grande attention ;
Une figure du Blaſon ;
Un terme bien aimé des Faiſeurs de tapage,
Si cependant , malgré ces éclairciffemens ,
Lecteur , pour me trouver tu fens quelques tour
mens ;
J'ajoute pour t'aider , rivale de la Lune,
Nous brillons dans le même temps ;
Souvent failamière importune
Nuit à mes rayons languiffans s
Mais quandje fuis multipliće ,
Ma rivale eft humiliée ,
J'efface fon éclat au moins quelques inftans.`
Cher Lecteur , je te fers peut être
Adieu , Phoebus s'enfuit , & je m'en vais paroître.
AUTR E.
MON to
ON ton , Lecteur , dépend de l'humeur de
mon père.
Eft-il présomptuear ? tu me vois vaîne & fière ,
Avec grand étalage annoncer les talens.
Eft - il bumible of timide ? Afors humble moi.
même ,
SEPTEMBRE. 1763 . 63
J'implore en fa faveur tes regards indulgens.
Mais que fais-je ? Trop clair eft déja le Dilêmes
Paffons rapidement à la combinaiſon.
Sept membres , de mon corps forment la liaison
Veux-tu les défunir en prendre d'abord quatre
Tu verras un enclos vaſte , ſeigneurial ,
Agréable au Chaffeur , funeſte à l'animaî. :
Quatre autres vont t'offrir fur ce fanglant théatre,
Le plus léger d'entre eux , atteint du coup fatal :
Quatre encore, & tu vois (mais en langue latine )
Le nom d'une autre bête à la dent affaffine..
Combine encore , il fort de mon immenſe ſein
Un mot géographique & connu du Marin ; -
Un bien qui méconnoît le travail des charrues⚫
Uniquement fécond par le bienfait des nues :
Un métal fans éclat , néceſſaire tréſor
Moins brillant , mais , je crois , plus utile que l'or
Un antique inftrument & de chaffe & de guerre ,
Un nouvel inventé pour réduire en pouffière
Les feuilles d'une plante abondante en efprits ;
Ce bois , fource fertile & des vins & des ris :
Un poiffon fort commun , aliment du carême ,
Et plus rare , ce fruit , rond , confi & tout verd
Dont aux plus fins repas ce poiſſon eſt couvert ;
Une conjonction qu'un Tribunal fuprême
Voulut jadis profcrire , & qui toujours nous fert ;
L'endroit où, malgré nous , vont fe peindre d'euxmêmes
66 MERCURE DE FRANCE.
Les divers mouvemens qui troublent notre coeur .
Ce qu'on porte aux convois en figne de douleur ;
Un terme à double fens, qu'à deux arts on deſtine,
Appliquable a la fcène , & propre à la cuifine ,
Le nom latin d'un figne , annuelle maiſon
Que le foleil vifite en la froide faifon s
Des Moines aujourd'hui le prénom ordinaire 3
il eft tems de fe taire.
Deux notes de Mufique .....
Par M. L**** Abonné au Mercure
ALimoges , le 9 Août 1763 .
ROMANCE.
DiPIZ-VOUS fans ceffe ,
Bergères , de l'Amour ;
Ce Dieu flatte, careffe ,
Et bleffe tour-à-tour.
D'une jeune Bergère
Ecoutez le malheur ,
Si c'en eft un de plaire
Et de donner fon coeur.
Les fleurs & la verdure
Renaiffoient dans nos champs }
L'onde par fon murmure
Annonçoit le Printemps ;
Romance .
ᎠᎦ
Deffie's
vous sans cesse
cesse Bergère de l'a.-
= mour, Ce Dieu flatte
ca - resse Et blesse
W
tour a
tour: D'une jeune ber -ge-1
W
Ecoutes le malheur , Si c'en est un de
plaire Et de donner son oeoeur.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
SEPTEMBRE. 1763 .
Philomèle fredonne.
L'âme dans ſes beaux jours
Aux langueurs s'abandonne ,
C'eſt le temps des amours.
La fenfible Climène ,
La fleur de ce hameau ,'
Un matin dans la plaine
Conduifoit fon troupeau,
Elle y trouva Clitandre ,
Rougit & foupira ;
Elle avoit le coeur tendre à
Clitandre en profita.
L'Amour dès leur enfance
Avoit uni leurs coeurs ,
Tous deux de la conſtance
Ils goûtoient les douceurs .
Ainfi tendre & fidèle ,
Le Berger amoureux
Demandoit à fa Belle ,
Qu'elle comblât fes voeux.
Ufons de la jeuneſſe ,
Livrons-nous au plaifir ,
Le temps coule fans ceffe ,
Il éteint le defir ,
La vieilleffe pefante ,
Yers nous vient à pas lents:
68 MERCURE DE FRANCE.
Croyez- moi , chère Amante ,
Les plaifirs n'ont qu'un temps.
La Bergère interdite
Ecoute ces chanſons .
A répandre elle héfie ,
Et cède à ces doux fons,
Son âme fatisfaite ,
S'ouvre au feu du defir.
La Raifon eft muette
A la voix du plaiſir.
La Bergère timide
Defire , & n'ofe pass
L'Amour qui la déci
Termine fes combats .
Pour finir fon euvrage ,
Il faifit un rofeau ,
Puis au fond d'un bocag●
Il chaffe fon troupeau.
Climène en fuit la traee ,
Et dit à fon Amant ,
Ne me fais point de grace !
Un regard la dément .
Le trop rofé Clitandre
S'en rapporte à fes yeux.
L'Amour qui fçait entendre
Mérite d'être heureux.
SEPTEMBRE. 1763.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE fur L'ANDRIENNE de
TÉRENCE , adreffée à M. L. D.
Affocié de l'Académie de LA ROCHELLE,
ESTST-IL bien vrai , Monfieur , comme
le prétend M. Marmontel dans la feconde
partie de fa Poëtique , » qu'il faut n'avoir
jamais lû les Anciens , pour attribuer
» à notre fiécle l'origine du Comique at
» tendriffant , & qu'il eft furprenant que
» cette erreur ait pu fubfifter un inſtant
» chez une Nation accoutumée à voir
» jouer l'Adrienne de Terence , où l'on
» pleure , dès le premier Acte , & c.
Je fçais que quelques Auteurs , dont
je refpecte l'autorité , ont cru voir égaÍement
chez les Anciens le germe du Comique
Larmoyant ; mais comme je me
flatte d'avoir combattu folidement ce fyf
tême dans un écrit qui vient d'être im170
MERCURE DE FRANCE .
7
primé (a) , je ne retournerai point fur
mes traces , & je me bornerai à difcuter
ici l'affertion qui regarde particulièrement
l'Andrienne.
Avant que d'entrer en matière , il eſt à
propos de remarquer qu'il réfulte néceffairement
des expreffions de M.Marmontel
, que cette Comédie fait pleurer nonfeulementdès
lepremier Acte, mais encore
dans tous les A&tes fuivans. Ce n'eft
point ici une chicane de mots. C'eſt
donner fimplement aux paroles de l'Auteur
, le fens qu'elles préfentent naturellement.
Tout le monde a lû Térence & connoît
l'Andrienne ; ainfi tout le monde
eft en état de juger , fi ce Poëme peut
véritablement avoir été la fource où l'on
a puifé le Comique plaintif , tel qu'il
existe depuis trente ans parmi nous. Il
feroit donc inutile d'en faire une exacte
analyfe ; il fuffira d'en parcourir quelques .
endroits qui fembleroient peut- être au
premier coup -d'oeil pouvoir favorifer le
fentiment de M. Marmontel.
D'abord je dois dire que l'expreffion
(a) Dans le troifiéme recueil de l'Académie de
la Rochelle , chez Légier , Imprimeur de l'Académaie,
& qui fe trouve à Paris chez Mérigot , pere.
SEPTEMBRE. 1763. 71
de genre attendriffant , eft trop générale ,
qu'elle ne défigne point fuffi amment
la maniere l'armoyante dont la Chauffée
eft linventeur , & que je n'ai jamais prétendu
attaquer que cette manière- là
dont en effet je ne trouve aucun veftige
dans la Comédie du Poëte latin.
J
Dès fix Scènes qui compofent le premier
Acte , il y en a quatre qui fe paffent
entre Simon , père de Pamphile , Sofie
affranchi de Simon , & Davus , valet de
Pamphile. Or , certainement ces trois
Perfonnages , foit par leur caractère , ſoit
par leurs difcours , ne font ni plaintifs ni
attendriffans . La cinquiéme Scène eft
entre Arquilis & Myfis , l'une fervante
& l'autre garde , ou plutôt confidente de
Glycérion , Héroïne invifible de la Piéce.
Voici un échantillon des propos de
Myfis.
» Mon Dieu ! Arquilis , il y a mille ans
» que je vous entends ; vous voulez que
» j'amène Lesbie ; cependant , il eft cer-
» tain qu'elle eft fujette à boire , qu'elle
» eft imprudente , & quelle n'eft pas ce , &
» qu'il faut , pour qu'on puiffe lui con-
, fier fûrement une femme à fa premiere
groffeffe; je l'aménerai pourtant . Voyez
» un peu l'importunité de cette vieille :
72 MERCURE DE FRANCE.
» & tout cela parce qu'elles ont accoutu
» mé de boire enſemble , &c. (b)
Ce n'eft pas affùrément dans les Scènes
de cette eſpéce qu'on trouvera de l'analogie
entre les caracteres des perfonnages
de l'Andrienne & ceux du nouveau
Comique ; mais parcourons la Scène
fixiéme , nous y découvrirons fans doute
la véritable origine du Comique qui
fait pleurer , puifque c'étoit fi je l'ofe
dire , l'Egide dont fe couvroit la Chauffée
, pour parer les traits de fes critiques.
La moitié de cette Scène eft remplie
des plaintes de Pamphile , contre fon
père , qui veut le marier malgré lui à la
fille de Chrémès , fon ancien ami : il demande
enfuite à Myfis , ce que fait fa
Maîtreffe. Myfis répond , ce qu'elle fait?
elle eſt en travail , laborat è dolore. Je
conviens fans peine que Pamphile raconte
ici d'une maniere très - touchante
, les dernieres paroles que lui a dites en
mourant Chryfis , ami de Clycérion , &
que ce Tableau eft véritablement trèspathétique.
Mais pour quel ordre de
Spectateurs ?
Quand on voudroit fuppofer qu'il
; ( b) Traduction de Madame Dacier.
étoit
SEPTEMBRE. 1763.
73
étoit dans les moeurs Grecques , de s'intéreffer
aux avantures des filles protégées
par les Prêtreffes de Vénus , chez
lefquelles la jeuneffe d'Athènes alloit
fouper & payoit fon écot ; ( c ) dans les
nôtres , quel intérêt peut - on prendre
au fort d'une courtisane que fa confidente
, qui mériteroit un autre nom ,
nous repréfente à la fuite de fes galanteries
, dans les douleurs actuelles de l'enfantement
? Que Pamphile follement
amoureux faffe paroître dans cette occafion
le plus vif attendriffement ; qu'il
foit furieux de douleur ; tous ces mouvemens
font dans la nature ; mais que des
fpectateurs tranquilles & indifférens
foient affez vivement pénétrés pour verfer
des pleurs , cela n'eft point dans l'ordre
des chofes , & je ne connoîs que les
Auditeurs , dans la claffe de Pamphile ,
qui puiffent en pareille circonftance , répandre
véritablement des larmes.
Le deuxième A&te ne fournit aucune
fituation qui tende au plus léger attendriffement.
Il fuffit de le lire , pour s'en
convaincre ; d'ailleurs , il faut des femmes
pour attendrir ; deux beaux yeux en
pleurs ont de puiffans charmes ; c'eſt-là
(c ) Acte 1. Scène L
D
74 MERCURE DE FRANCE.
le vrai mobile du larmoyant deMélanide ,
mais l'Andrienne n'en a point,
On trouve dans la première Scène du
troifiéme Acte , une pofition à la Grecque
, qui feroit parmi nous d'une indécence
infoutenable Glycérion toujours
en travail , s'écrie derriere le Théâtre ,
Junon , Déeffe Tutélaire des accouchemens
, fecourez-moi , je vous prie ! Juno
Lucina , fer opem , ferva me , obfecro,
Croyez-vous , Monfieur , que le parterre
de Rome ait été beaucoup plus attendri
par cette lamentable invocation , que
nous le fûmes nous-mêmes en 1733, lorfqu'une
très-jolie Actrice de la Foire S.
Laurent, preffée par de pareilles douleurs,
fut forcée d'abandonner la Scène pour
implorer Lucine à fon tour ? Je puis vous
affurer , qu'au lieu d'y voir répandre des
larmes , on entendit parmi ceux des Spectateurs
qui étoient inftruits du fecret de
Péclipfe , (d) des éclats d'un rire immodéré
, qui ne marquoient pas affurément
de fenfibilité douloureufe pour la
velle Glycérion.
nous
La deuxième Scène du quatriéme Afte
offre encore Pamphile , jurant par les
.I
(d) Elle repréfentoit les perfonnages de la Lune
dans l'Opéra de Boiſfy intitulé , la nuit d'Etés
SEPTEMBRE. 1763. 75
-Dieux , de ne jamais abandonner fa maitreffe
& proteftant que la mort feule
pourra la lui ravir. Mais cette fituation
d'un jeune homme amoureux à la rage ,
fût -elle cent fois répétée , ne peut donner
, ni au corps entier du Poëme , ni
aux Scènes particulières , ce caractère
vraiment pitoyable qui attendrit jufqu'aux
larmes. A l'égard des Scènes , le
fait eft prouvé; nous en avons au Théâtre
François , & particulièrement à l'Opéra
d'un coloris encore plus tendre , qui
n'ont jamais fait pleurer perfonne ; &
quant au corps du Poëme , ce ne font
pas deux ou trois morceaux ifolés , graves
ou enjoués , Comiques ou plaintifs qui
peuvent déterminer fon efpéce diftinctive
; c'eft la nature des Sujets qui y font
traités ; c'eft le ton des principaux perfonnages
& fur-tout l'enfemble des fituations
& des fentimens qui y dominent
, qui font feuls capables par leur
réunion de lui imprimer fon véritable
caractère .
Si quelques Scènes ifolées pouvoient
fixer le genre d'une Comédie ; l'Andrienne,
à ce prix , pourroit être mife au nombre
des Pièces les plus rifibles . En effet
nous n'avons peut- être pas de meilleur
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Comique de fituation , que deux endroits
de ce même A&te que je vais vous
rappeller. Dans le premier qui forme la
quatriéme Scène , Davus paroît , portant
un enfant dans fes bras , & dit à
Myfis de le prendre & de le mettre
elle-même devant la porte de Pamphile.
Après une légère réfiftance , Myfis obéit ,
refte feule , & Davus difparoît. Dans
l'inftant même arrive le vieux Chrémès.
Sa furpriſe & fon dépit font extrêmes ,
de trouver un enfant expofé à la porte
de fon gendre futur. Il interroge Myfis ,
pour fçavoir fi c'eft elle qui a mis là cet
enfant. Myfis , toute interdite , ne fçait
que répondre & cherche des yeux Ďavus
qu'elle ne retrouve point. Cependant
il revient comme par hazard , & affecte
de méconnoître Myfis , qu'il traite en
avanturiere ; ce qui donne lieu à une difpute
entreux , remplie de traits vraiment
comiques. Je ne fçais point réſiſter à
l'envie de vous en tranfcrire ici , une
partie.
MYSIS , appercevant DAVUS.
Pourquoi , je te prie , m'as-tu laiffée
içi toute feule ?
DAVUS.
Ho , ho ! quelle hiftoire eft- ce donc,
SEPTEMBRE. 1763
77
que ceci ? Dis-moi un peu , Myfis
dou eft cet enfant , & qui l'a apporté ici ?
MY SIS.
Es -tu en ton bon fens de me faire
cette demande
DAVUS.
A qui la pourrois- je donc faire , puif
que je ne vois ici que toi ?
MY SIS..
Tu es fou , n'eft-ce pas toi même qui
las mis là ?
DAVUS.
Si tu me dis un feul mot que pour répondre
à ce que je te demanderai .....
prends- y garde .
MYSIS
Tu me menaces ?
DAVUS.
D'où eft donc cet enfant ? (bas) , dis◄
le fans myſtère.
MY SI'S.
De chez vous.
DAVUS:
Ha , ha , ha ! mais faut-il s'étonner
qu'une femme foit impudente ? Nous
jugez-vous fi propres à être vos dupes ? ..
en un mot , hate - toi vite de m'ôter cet
enfant de cette porte . ( Bas ) , demeure.
MYSIS.
Que les Dieux t'abîment pour la
fraieur que tu me fais ! Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
DAVUS.
Eft - ce à toi que je parte , ou non ?
MYSIS.
Que veux- tu ?
DAVUS.
Quoi tu me demandes ? Dis -moi de
qui eft l'enfant que tu as mis là ? Parle ?
MYSIS.
Eft- ce que tu ne le fçais pas ?
1
DAVUS.
Mon Dieu ! laiffé là ce que je fçai ,
& me dis ce que je te demande & c. &c.
Le furplus de la Scène eft dans le
même goût. L'arrivée d'un certain Criton
de l'ifle d'Andros , vraie machine de
dénouement , termine cet Acte.
En vain chercheroit- on dans le cinquiéme
quelqu'indice du ton pitoyable
ou même fimplement attendriffant ; on
n'y trouvera ni événement ni caractères
qui ayent la moindre tendance au genre
larmoyant. L'homme d'Andros y reparoît
dans la Scène cinquiéme & léve par
fes récits , tous les obftacles qui s'oppofoient
au mariage de Glycérion , qui
eft enfin reconnue Athénienne & fille
de Chrémès. C'eſt ainfi que fe dénoue çe
Poëme célébre , où l'on voit fans doute
des peintures admirables qui appartiennent
à tous les âges , à tous les
SEPTEMBRE. 1763 . 79
fiécles & a toutes les nations , mais où
il me paroît impoffible d'entrevoir des
objets capables d'arracher des larmes
hi dès le premier Acte , ni même dans
aucun de ceux dont ce Poëme eft compofé.
Je devrois peut- être ici oppofer autorité
à autorité , & citer les Auteurs
qui ont nié formellement que les Anciens
ayent pû fournir des modéles au
larmoyant comique ; mais je me contenterai
de rapporter le fentiment de
M. l'Abbé de la Porte , dans fes obfervations
fur la Littérature moderne ( e ) ;
il eft fi perfuadé que Thalie n'a jamais
fait verfer de larmes dans Rome ou
dans Athénes , & il croit cette vérité fi
évidente , qu'on peut , dit-il , le difpenfer
d'en rapporter des preuves.
Enfin je demande qu'on relife Teren
ce ; j'ofe affurer que le Lecteur qui feroit
né avec l'âme la moins fenfible
n'hésitera pas un moment à fe décider
fur la nature des fentimens de joie ou
de trifteffe qu'il devra éprouver, à moins
qu'il ne reffemble à ce Financier ftupide
, qui demandoit , dans une fête
s'il avoit du plaifir ?
( e ) Tom. I. art. 4. 1750.
D iv
80 MERCURE DE FRANCE.
Quant à moi je déclare que le nou
vel examen que j'ai fait de l'Andrienne
m'a de plus en plus confirmé dans ma
première idée , & que mon aveuglement
eft tel
Quejefuis en danger de n'enjamais guérir.
·
Loin d'y trouver le germe du genre
plaintif & attendriffant , j'y ai vû au
contraire un affez grand nombre de
Scènes du genre le plus bouffon . La
pofition de la fage- femme qui s'enivre;
les cris indécens d'une fille qui accouche
, prèfque publiquement , & l'expofition
rifible d'un enfant nouvellement
né & c. tous ces objets paroîtront toujours
& à tout le monde , infiniment
plus propres à remplir le fond d'un
Opéra-Comique , qu'à être traités fur
un théâtre où la décence doit préfider.
Si je n'avois fait attention qu'à l'Auteur
de la nouvelle Poëtique , &aux applaudiffemens
qu'il a fi fouvent mérités
fans doute que la plume me feroit tombée
des mains ; mais la vérité m'eft
chère ; & comme les ouvrages de M.
Marmontel prouvent , en mille endroits,
qu'il l'aime auffi , j'ofe me flatter qu'il
ne trouvera pas mauvais que jaye lutté
contre fes fentimens dans cette lettre ,
SEPTEMBRE. 1763. 81
"
après avoir eu le courage de combattre
dans ma differtation ceux de Meffieurs
de Fontenelle & de Voltaire..
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ala Rochelle , lê 15 Juin 1763 .
J
M. D. C..
LETTRE à l'Auteur du Mercure..
E viens de lire , Monfieur , dans vo--
tre Mercute du mois de Juillet 1763 ,
premier Volume , page 130 , que Fran
çois Lalouette avoit été Maître des Re--
quêtes de l'Hôtel du Roi , fuivant unt
Mémoire que M. de Velley a lù le 23 :
Février de cette année à la Séance pu--
blique de la Société Littéraire de Ch--
lons fur Marne .
Comme je travaille depuis longtems »
à l'hiftoire des Maîtres des Requêtes :
depuis le régne de S. Louis jufques à
préfent , que je vais faire imprimer in--
ceffament en 8 Vol. in-4° , je ne trouve ?
point depuis ce tems qu'il foit fait men--
tion de François Lalouette , en qualité :
de Maître des Requêtes ordinaires du
Roi. Si vous pouviez , Monfieur , enga--
D y
82 MERCURE DE FRANCE .
ger M. de Velley ( que je n'ai point
l'honneur de connoître ) de vous faire
fçavoir où il a trouvé que ledit François
Lalouette a été Maître des Requêtes , je
vous ferai obligé de vouloir bien me
faire part de fa réponſe , dont je ferois
mention dans mon Hiftoire , s'il nous
rapportoit copies authentiques des titres
ou des Auteurs qui font mention de ce
Maître des Requêtes. Je fuis , &c .
DE NOINVILLE , Abonné au Mercure , Maitre
des Requêtes , & Préfident Honoraire
au Grand- Confeil.
A Paris , ce 22 Juillet 1763.
LE CONSOLATEUR , pour fervir de
réponse à la Théorie de l'Impôt , &
autres Ecrits fur l'Economie politique;
par M. de S. Suplix. A Bruxelles
, & fe trouve à Paris , chez Valleyre
pere , rue S. Severin , vis - à-vis le
Portail de l'Eglife , à l'Annonciation.
1763. un volume in -12 .
Q
JATORZE Chapitres compofent ce
Volume , qui eft , comme on le voit
SEPTEMBRE. 1763. 83
par le titre , une réfutation de plufieurs
Ouvrages qui ont paru dans les derniers
temps fur l'Economie politique ,
& en particulier du Livre fameux de la
Théorie de l'Impôt.
Les deux premiers Chapitres traitent
de l'Agriculture à laquelle, depuis quelques
années , le Public paroît donner
toute fon attention . L'Auteur ne veut
pas qu'on néglige cet Art ; mais il s'éléve
avec force contre les Ecrivains qui
prétendent qu'il n'eft point affez cultivé
en France ; & il fait voir que s'il eft trèsutile
, il n'eft certainement pas le feul
néceffaire.
La population fait la matière des deux
Chapitres fuivans. Un Auteur moderne
a prétendu que l'Agriculture eft la fource
de la population ; & comme il veut que
' Agriculture foit diminuée en France ,
en conféquence il diminue les habitans
du Royaume. Non-feulement on a prouvé
dans les deux premiers Chapitres que
Agriculture étoit toujours la même ,
mais on montre encore que cet Art ,
quoique le plus utile aux hommes , n'eft
cependant pas le plus favorable à la population
, à ne l'envifager que dans la
culture des grains.
Le cinquiéme chapitre préfente des
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
calculs fur les revenus de la Nation , dans
lefquels on combat encore fortement les
opinions de l'Auteur de la Théorie de
P'Impôt ; car c'eft à lui qu'on en veut
principalement dans cette nouvelle réfutation
; comme on peur le voir encore
par le Titre du Chapitre fuivant : Tableau
des revenus du territoire du Royaume ,
dans un état de profpérité: Parl'Auteur
de la Théorie de l'Impôt. Et remarques
fur ce Tableau. Ces remarques ont pour
objet de prouver que le Tableau en quef.
tion eft extraordinairement exagéré.
Les prohibitions & privilèges exclufifs
font traités dans deux Chapitres. On
juge bien que M. de Mirabeau s'étant éle--
ve fortement contre ces fortes de privi--
lèges , fon adverfaire en prendra la dé--
fenfe; mais ily met des reftrictions.
La forme des impôts , telle qu'elle eft
établie aujourd'hui en France , eft trèsancienne
. Les abus s'y font gliffés par
gradation, il eft néceffaire de les corriger;
mais pour le faire fans danger , dit notre
Auteur , il faut que ce foit peu -à - peu ;
rien de fi périlleux que les changemens.
fubits ; c'étoit le fentiment de M. Colbert.
l'Auteur de la Théorie de l'impôt veut aller
plus vite , & c'eft encore pour le réfuter
dans cette partie de fon Ouvrage,queSEPTEMBRE
. 1763 . 84
T'on employe ici un Chapitre entier , qui
fait le neuvième du Livre que nous annonçons
..
Le dixiéme eft intitulé : L'Auteur de
la Théorie de l'Impôt veut rendre le fel
& le tabac marchands : projet que l'on
a déja tenté inutilement. Ce Chapitre préfente
des faits curieux ; & l'on fera
peut être bien-aife de trouver ici les
progrès du tabac. Cette plante s'appelloit
originairement Petun , & fut apportée
en France fous le régne de
François Second , par Jean Nicot
Ambaffadeur en Portugal. Infenfiblement
fa vertu féduifit au point que
vers l'an 1629 il en entroit fi confidérablement
dans le Royaume , que cela
at ira l'attention du Gouvernement. On
mit une taxe de trente fals par livre dé
droit à fon entrée dans le Royaume ;
mais en même temps pour favorifer
l'établiffement des Colonies Françoifes ,
tous les tabacs qui en provenoient
étoient exempts de droits. Ce droit fut
enfuite diminué & fixé à vingt fols.
Enfin la vente exclufive en fut accordée
à un Fermier , en 1674 , avec les
droits. fur l'étain , pour la fomme de cinq
cens mille livres pendant les deux premières
années , & pour fix cens mille
86 MERCURE DE FRANCE.
livres pendant les quatre autres. Le prix
du tabac du Royaume fut fixé à vingt
fols en gros , & à vingt- cinq en détail.
Le prix du tabac étranger à quarante fols
en gros , & à cinquante en détail . En
1718 , la Compagnie d'Occident s'en
chargea fur le pied de quatre millions
deux cens mille livres par an ; à condition
de tirer de nos Colonies des tabacs
à fumer & à raper , & d'én favorifer la
culture. Le prix du tabac fut fixé à quarante
fols en gros , & à cinquante fols
en détail , & les qualités à proportion.
En 1719 le droit fur le tabac fut converti
en droits d'entrée , avec défenſe
d'en planter dans le Royaume. Enfin la
trifte révolution du fyftême mina cette
Compagnie , & replongea dans l'anéantiffement
le commerce du Tabac , & la
culture de la Colonie de la Louifiane .La
yente exclufive fut rétablie en faveur
de Duverdier , qui fut obligé de réfilier
fon bail en 1723 à la Compagnie des
Indes , moyennant quatre-vingt millions
qu'elle avança au Roi. Enfin le
privilége fut réuni en 1730 aux Fermes
qui en font restées en poffeffion depuis
ce temps.
Sans entrer dans aucun détail fur les autres
Chapitres qui traitent du droit d'auSEPTEMBRE.
1763. 87
baine, de la Finance, du reverſement & de
la circulation , il eft aifé de voir que
l'Auteur de ce nouvel Ouvrage fe propofe
partout de combattre les opinions
de M. de Mirabeau. Ce n'eft point à
nous à juger des raifons alléguées de
part & d'autre pour défendre leur fyftême.
Nous nous bornerons à dire que
le nouvel Auteur écrit avec méthode ,
clarté , intérêt & précision.
DISCOURS fur le bonheur des Gens
de Lettres ; avec cette Epigraphe : Homo
doctus in fe femper divitias habet.
Phad. A Bordeaux , chez les
Frères Labottiere , Imprimeurs - Libraires
, Place du Palais ; avec permiffion.
Brochure in- 8°. de 72 pages.
1763.
APRÉS un Exorde qui marque dans
1'Auteur une admiration pour les Lettres
, qui va jufqu'à l'enthoufiafme
, il
arrive à la divifion qui forme les deux
parties de fon difcours ; la voici : l'homme
de Lettres vit dans une noble indépendance.
L'homme de Lettres goûte
88 MERCURE DE FRANCE.
des plaifirs inconnus au Vulgaire .
Parmi différens traits qui prouvent
jufqu'à quel point les gens de Lettres
confervent l'extrême liberté que l'Auteur
leur attribue nous ne mettrons
fous les yeux de nos Lecteurs que le
morceau fuivant : » l'Homme de Lettres
» eft ferme & hardi , lorfqu'il s'agit d'ex-
" pofer le vrai c'eft le digne tribut
» qu'il doit à l'humanité. D'une main il
foudroie le vice , de l'autre il dreffe
» des Autels , à la Vertu . Il déploye
" toute l'indignation d'une âme fenfible
» contre d'injuftes tyrans ; il rejette le
❞ cri infenfé de l'opinion pour faire par-
" ler la voix immortelle de la Raifon..
Que tous les hommes fe rangent du
» parti de l'erreur ; que le defpotifme
» emplove fon bras d'airain pour la faire
» triompher , il le défiera de réduire en
» fervitude fa penfée . Il cédera plutôt
» aux clameurs de l'envie ; il fuira fes
» perfécuteurs jufqu'au fond des forêts ,
» & préférera , s'il le faut , le commerce
» des tigres à celui des hommes. Que
» dis-je , il ne les oubliera point ; il les
» fervira tout ingrats qu'ils font , &
» .confumera fes derniers jours à inf-
» truire une Société qui l'a rejetté de
» fon fein. »
SEPTEMBRE. 1763 . 89
Quant aux plaifirs des gens de Lettres on
comprend affez que lAuteur les rend pu
sement intellectuels, tels que les jouiffances
des fyftémes élevés & profonds de la
Métaphyfique, des fublimes préceptes de
la Morale , des immuables vérités de la
Géométrie , des Tableaux attachans
de l'Hiftoire , du charme inexprimable
de l'Eloquence & furtout de la Poëfie.
Tous ces différens objets font préſentés
dans ce difcours d'une manière qui prouve
que ll''AAuutteeuurr,, véritablement homme
de Lettres , jouit dans fon état & de la
liberté & des plaifirs qu'il promet à fes
confrères.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres
de Nanci , par M. l'Abbé COYER ,
&fa réception , le Dimanche 8 Mai
1763. A Nanci , chez Babin , Imprimeur-
Libraire ; & fe trouve à Paris ,
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jac
ques , au Temple du Goût ; avec Approbation
& Permiffion. 1763. Brochure
in-8° . de 40 pages..
LESEs devoirs & les avantages d'um:
do MERCURE DE FRANCE.
homme de Lettres font ingénieufement
expofés dans cet Ouvrage de M. l'Abbé
Coyer. C'eft à - peu près le même fujet
que celui du Difcours précédent ; mais
le premier eft traité avec plus d'éloquence
; celui de M. l'Abbé Coyer eft écrit
avec plus d'efprit.
DISCOURS qui a remporté le Prix
d'Eloquence aujugement de la Société
Royale des Sciences & Belles-Lettres
de Nanci , pour l'année 1763 , par
M. BELLICARD , Avocat à la Cour.
Nancy , chez la Veuve & Claude
Lefeure, Imprimeur ordinaire du Roi.
Avecpermiſſion ; 1761. Brochure in-
8° de 48 pages.
CE difcours traite de l'humanité ; &
le voen de l'Auteur dans fon Exorde ,
eft de rendre tous les hommes heureux ,
en leur infpirant une verttu fi aimable.
Pour cela il entreprend de montrer 1 °.
pourquoi l'humanité eft fi peu commune.
2°. combien elle eft aimable &
précieuſe .
Les caufes qui rendent peu commuSEPTEMBRE
. 1763 .
ne la vertu que l'on veut infpirer au
genre humain , font 1 °. la différence
des rangs , des conditions , des fortunes
qui mettent tant d'intervalle entre un
homme & un homme . 2 ° . l'efprit de
luxe, de volupté, d'intérêt qui régne dans
le fiécle ou nous vivons. 3°. le fanatifme
qui s'allume dans les cerveaux échauf
fés , & caufe les plus funeftes effets
dans l'univers. Nous laiffons à nos Lecteurs
le plaifir d'étendre dans leur ima
gination les divers points de vue fous
lefquels M. Bellicard a envifagé fon
objet , & nous paffons à la feconde
partie.
-
L'humanité eft la fource des vertus
& la fource des folides plaifirs ; deux
qualités qui en font une vertu aimable
& précieufe. Les âmes humaines n'auront
pas de peine à concevoir la vérité
de ces deux fous divifions ; & nous
regrettons de ne pouvoir nous arrêter
plus long-temps fur des objets fi confolans
; mais en renvoyant le Lecteur
àl'ouvrage même, il fentira en le lifant ,
accroître fon eftime pour l'Auteur , &
fon affection pour le genre humain.
2 MERCURE DE FRANCE.
L'INTÉREST d'un ouvrage , Difcours
prononcé par M*** le jour de fa récep
tion à l'Académie Royale des Sciences
& Belles-Lettres de Nanci , le 8 Mai
1763. A Paris chezVallat- la- Chapelle,
Libraire au Palais , fur le Perron de
la Sainte - Chapelle , au Château de
Champlâtreux , 1763 ; avec Approbation
& Privilége du Roi. Brochure
in 8°. de 44 pages .
"
ToTOUS
ous
parlent
de
l'intérêt
d'un
ou-
»
vrage
, dit
l'Auteur
, aucun
ne
dit
en
»
quoi
confifte
cet
intérêt
. Leur
filence
»
fur
cette
matière
a
occafionné
de
ma
»
part
quelques
obfervations
générales
»
que
je
foumets
à votre
jugement
.
Ce font ces objections qui font le fujet
du Difcours du Récipiendaire;& pour
tracer en peu de mots tout fon plan , il
fuffira de rapporter encorequelques-unes
de fes paroles où fon fyftême eft développé.
» Le choix, l'ordre & la repréſentation
de la penfée , voilà le fondement , la
» forme , & la décoration d'un ouvrage..
SEPTEMBRE. 1763. 93
Le choix décide le fujet , l'ordre éta
blit le plan , la repréfentation donne
» le ftyle. Si l'ouvrage affecte par le fujet
, s'il fatisfait par le plan , s'il attache
» par le ftyle , c'eft un ouvrage intéreffant.
D'un fujet qui affecte , naît le
» charme des détails & des applications ;
» d'un plan qui fatisfait , naît le charme
» du développement & de l'enſemble ;
» d'un ftyle qui attache , naît le charme
» du coloris & de l'expreffion . Leftyle
» fans le fujet , n'attache qu'un moment,
» le fujet fans le ftyle, n'attache qu'à de-
» mi ; l'un & l'autre fans le plan , ne
P fatisfont que par intervalles ; réunis
» tous les trois , c'eft alors qu'ils excitent
* par des fecouffes fucceffives & rapides,
» cette impreffion profonde , cette émo-
» tion entiere , ce tranſport continu
» cet enthoufiafme progreffif, le triomphe
de la fenfibilité de l'âme , & le
».comble de l'intérêt d'un ouvrage.
En reprenant tous ces divers membres
& les développant , l'Auteur nous donne
un excellent Traité de Littérature qu'on
gagnera toujours à lire & à confulter,
94 MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS fur l'Émulation , adreſſe
à la Société Royale des Sciences &
Belles Lettres de Nanci , par M.
BOLLIOUD MERMET , Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences ,
"Belles-Lettres & Arts de Lyon, A
Lyon , chez les Frères Periffe , Libraires
, grande rue Merciere ; avec
permiffion, 1763. Brochure in 8 °. de
44 pages.
C'EST ici un Difcours de réception
& de remercîment compofé par un
Récipiendaire à l'Académie de Nanci .
Après les complimens d'ufage , M. Bolliond
éffaye de découvrir le vrai principe
de l'émulation . Il définit fa nature,
fon objet , fes moyens ; il développe fes
caractères. L'abondance des Ouvrages
que nous devons encore annoncer ne
que
nous permet pas de fuivre l'Auteur dans
toutes les divifions de ce Difcours vraiment
Académique , foit par la matière
qu'on y traite , foit par l'élégance , le
goût & les vues de l'Auteur.
SEPTEMBRE. 1763. 95
RECUEIL des Ouvrages qui ont rem
porté le Prix à l'Académie des Jeux
Floraux en 1761 , 1762 & 1763 ;
par M. le Chevalier de la TREMBLAYE
, avec cette Epigraphe :
Parvum parva decent, Horat. A Londres
, & fe vend à Paris , chez Vallatla-
Chapelle , au Palais , fur le Perron
de la Ste Chapelle , au Château de
Champlâtreux ; 1763 ; Brochure in-
8°. de 40 pages.
₹
Qu
:
UATRE Odes & une Epitre for-
ATR
ment ce Recueil . Les Odes font intitulées
le Jaloux , les charmes de
l'Amour Conjugal , le Misantrope , l'Imagination.
L'Epitre eft adreffée à une
Fontaine, Nous ne pouvons guères citer
que quelques ftrophes de ces Odes
pour donner une idée légère & du mérite
de l'Ouvrage , & du talent de l'Auteur.
Voici comment , dans la première
Ode le mari jaloux peint à fa femme le
fentiment dont il eft agité.
2
D'ane flamme affreufe imprévue ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Je me fens brûlé près de toi ;
Un nuage
obfcurcit ma vue ;
La fureur s'empare de moi,
A ce Tentiment invincible
Je reconnois un Dieu terrible ,
Un Dieu que je ne comprends pas.
Fuis , dans ce délire effroyable,
Je peux , Amant impitoyable,
Prophaner jufqu'à tes appas.
Pour peindre les charmes de l'Amour
Conjugal , qui font le fujet de la feconde
Ode , le Poëte adreffe à fon Epoufe la
ftrophe qui fuit :
Oui , tendre moitié de moi-même ,
Chère Compagne , objet vainqueur ,
>Oui , tout reçoit de ce qu'on aime
La douce empreinte du bonheur.
Tu fais dans ma cabane obfcure
Levrai Temple de la Nature ,
Le riant féjour du plaifir.
Eft-il un lieu fur ce rivage
Où je n'admire ton image ,
Quù je ne t'adreſſe un ſoupir
Il nous a paru que M. de la Tremblaye
verfifioit aifément , & que fes Poëfies
ne dépareront pas les Recueils des Jeux
Floraux.
POEME
SEPTEMBRE . 1763. 97
POEME aux Anglois à l'occafion de la
Paix univerfelle ; par M. PEYRAU D
DE BEAUSSOL ; Brochure in- 8°.
de 20 pages.
СЕТ
ET Ouvrage eft un trophée poëtique
érigé par un François à la gloire
des Anglois qui peut-être feront étonnés
eux-mêmes de cette extrême politeffe
de notre part. Quoiqu'il en foit ,
l'Auteur dit qu'il laiffe à d'autres le foin
de louer le Roi de Pruffe, & l'Impératrice
de Ruffie ; tout occupé des Anglois
c'eſt à eux feuls qu'il adreffe feshommages,
C'est vous feuls que je chante , ennemis magnanimes.
Il eft fi rempli de fon Sujet , qu'il
a trouvé le moyen de faire fur cette
matière près de cinq cens vers , dont
nous ne rapporterons que les quatorze
premiers.
O vous qui prétendez à l'empire des mers !
Qui du fommet glacé du nouvel Univers ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Allez vous enrichir par un heureux échange ,
Des pierres de Golconde & des tréfors du Gange,
Et qui fçavez encor , faftueux fans danger ,
L'art d'acheter ce luxe avec l'or étranger;
Antiques ennemis d'un Peuple qui vous aime ,
Intrépides Anglois , célèbres par nous-même ,
C'est vous feul qu'un François de votre gloire
épris ,
Au fein de vos rivaux , dans les murs de Paris
A travers les clameurs d'une foule égarée ,
Embraffant de Louis l'image révérée ,
Qu'elle ombrage à l'envî d'oliviers encor verds ;
Oui , c'est vous qu'un François veut chanter dans
ces vers.
༢ ;
En voilà affez pour juger de la verfification
de l'Auteur, de fon zéle pour la
Nation Angloife, & du caractère de fon
Ouvrage , où l'on trouve de temps en
temps de la chaleur & de la Poefie.
SEPTEMBRE. 1763 .
9.9
ANALYSE raifonnée de la Sagefle de
CHARRON. Amfterdam , chez Marc-
Michel Rey , Libraire ; & fe trouve à
Paris , chez Panckoucke , rue & côté
de la Comédie Françoife ; en deux
Parties in-12. petit form. 1763.
O N lit à la tête de cet Ouvrage un
éloge hiftorique de Charron , très- bien
écrit , qui fait connoître cet Auteur ;
& un difcours
préliminaire'très- bien raifonné
, qui donne à la fois l'idée la
plus jufte de la Sageffe de Charron , & de
l'analyfe qu'on nous préfente. Charron
& Montagne font regardés comme les
deux plus grands
Philofophes du feiziéme
fiécle ; & fi Montagne eft plus
connu , parce qu'il eft plus agréable ,
on ne lit pas Charron avec moins de
fruit . Une infinité de
perfonnes y apprennent
leurs devoirs ; mais les vérités
fublimes que fon livre contient
font perdues dans un fatras de
chofes fi communes , qu'il fatigue le
Lecteur le plus patient par des répétitions
inutiles & continuelles. Ce font
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ces répétitions , ces fuperfluités , & tous
les défagrémens d'un ftyle prolixe &
furanné , qui fe trouvent retranchés dans
cette analyfe. Ce travail étoit néceffaire
pour remettre fous nos yeux & faire
lire avec plaifir un livre en lui - même
fort utile , mais que le goût & la délicatefle
de notre fiécle avoit éloigné de
la plupart des cabinets. Il peut y reparoître
avec diftinction dans l'état où il
eft actuellement ; car outre les retranchemens
dont on vient de parler le
ftyle a cette noble fimplicité qui doit
être l'ornement & la parure de tout
ouvrage philofophique. Seulement le
nouvel Editeur a laiffé fubfifter dans
le , vieux langage tous les endroits où il
a cru refter au-deffous de l'original.
(
SEPTEMBRE. 1763. 101
LES DEUX TALENS , Comédie en deux
Actes , mêlée d'Ariettes , par M. de
Baftide,repréfentée pour la premièrefois
par les Comédiens Ítaliens Ordinaires
du Roi , le 11 Août 1763 , le prix eft
de 24 f. avec les airs. A Paris , chez
Jean-Baptifte Bauche , Libraire , quai
& auprès des Auguftins , à Ste Geneviéve
& à S. Jean dans le défert . Avec
Approbation & Permiſſion. 1763.
Brochure in- 12 .
CETTE Piéce que l'on doitjouer en-
>
core, & dont nous parle ons plus amplement
, dans un des Mercures fuivans , à
l'Article desSpectacles , vient d'être imprimée
avec cet avis quelques couplets
» perdus dans le Mercure , & quelques
» momens que j'avois à perdre , m'en-
" gagerent à travailler à cette Comédie.
» Je la lus à des perfonnes de goût
» qui m'affurerent que quelques fcènes
ne leur déplaifoient pas. Il y a en
effet dans cette Piéce , des fcènes ingénieufes
qui fe font lire avec plaifir ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
même fans la Mufique , qui eft de M.
le Chevalier d'Herbain.
Q. HORATII carmina nitori fuo reftituta.
Parifiis , typis J. Barbou
via fan-Jacobea ; fub figno Ciconiarum.
in 12. 1763.
ON a connu dans le tems , les jolies
Editions des Poëtes Latins par Couftelier.
On fçait que Barbou ayant acquis
ce riche fonds , l'a confidérablement
augmenté en réimprimant plufieurs autres
Auteurs Latins qui forment la plus
belle collection qu'il y ait en ce genre.
Elle deviendra encore plus nombreuſe
puifque chaque année , elle s'accroît
de plufieurs volumes, Les oeuvres d'Ho
race que nous annonçons ,
font une
réimpreffion de celles de Couftelier, dont
l'édition étant épuifée , eft remplacée
aujourd'hui , & furpaffée même , par
celle qui fait l'objet de cet Article.
SEPTEMBRE. 1763. 103
M. T. CICERONIS , Orator & dialogi
de Oratore , numeris & capitibus diftincti
, brevibusque argumentis per
fingula capita illuftrati. Ad ufum
Collegiorum Univerfitatis Parifienfis
Nova editio accuratior & emendatior.
Parifiis , Typis J. Barbou , via fan-
Jacobad,fub Ciconiis, 1763.
DANS le deffein où eft le fieur Barbou,
de completter fa magnifique collection
des Auteurs latins, il prépare une édition
entière de toutes les OEuvres de Ciceron
, qu'il donnera par volume , à meſure
qu'ils fortiront de deffous la preffe . Celui
qu'il fait paroître aujourd'hui, contient les
préceptes fur l'art oratoire , qui feront
bientôt fuivis des autres ouvrages de cet
Orateur. Nous n'avons rien à ajouter
ici aux éloges donnés tant de fois à cette
fuperbe collection , & aux foins employés
par le Libraire , pour conduire
cette immenfe & difpendieufe entrepriſe
à fa perfection.
Les autres Ouvrages imprimés chez
Barbou , durant cette annéej1763 , font :
E iv
T04 MERCURE DE FRANCE.
Cæfaris , comment, cum notis Gallicis ,
in- 24. il. 4f.
1l. 4 f.
Novum J. C. Teftamentum , avec une
Cartes de la Terre Ste.
Difcours fur l'Education,par M. Vicaire ,
11. 16 f.
8°. broché.
Aventures de Télémaque , 2 vol in- 12 ,
fig. 51.
Oraifons choifies de Ciceron , traduct.
nouv. avec le latin à côté, fur l'Edition
de Grævius , & avec des notes , 3 vol.
71. 10 f.
Le Socrate ruftique , ou defcription
de
la conduite
oeconomique
& morale
d'un Payfan Philofophe
&c. broché.
1 l. 10 f
Le même Libraire vient d'acquérir les
Livres fuivans.
5 1.
Dictionarium Univerfale feu Boudot. 8°.
dernière édition. 5 l. 10 f.
Hiftoire de Saladin, Sultan d'Egypte par
M. Marin , 2 vol . in - 12 .
Rhetorica juxta Ariftolelis Doctrinam
Dialogis explanata , autore Gibert
Eloquentia Profeffore , in 4° . broché.
Il. 4. f.
Dictionn . Italien François , & François
Italien par M. l'Abbé Antonini ,
SEPTEMBRE . 1763. 105
30 1.
nouv . Edition très-augmentée , 2 vol.
in-4° . 1761 .
Journal des Saints par Grofes, 3 vol in- 12
figures. 7 1. 10 f.
Bibliotheca Rhetorum præcepta & exempla
complectens , quæ tam ad oratoriam
Facultatem quam ad Poëticam
pertinent, difcipulis pariter ac Magiftris
perutilis,à P. le Jay 2 vol. in 4°.
24 1.
ANNONCES DE LIVRES.
POÉSIES SACRÉES & Philofophiques
tirées des Livres Saints , par M. le
Franc de Pompignan . Nouvelle Edition
, confidérablement augmentée &
enrichie de gravures. In 4°. Paris , 1763.
de l'Imprimerie de Prault .
Nous donnerons , dans le Mercure
prochain , l'Extrait de ce bel & édîfiant
Ouvrage.
DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE de
la Guienne.
Mille hominum fpecies , & rerum difcolor unus
Velle fuum cuique eft , nec voto vivitur uno.
Perfe , Sat. 5. v. 52 & 53;
E v
106 MERCURE DE FRANCE ,
contenant les poffeffions & les établiffemens
des François , des Efpagnols ,
des Portugais , des Hollandois , dans ce
vafte Pays ; le climat , les productions de
la Terre & les animaux , leurs Habitans ,
leurs moeurs , leurs coutumes , & le commerce
qu'on y peut faire ; avec des remarques
pour la Navigation , & des Cartes
, Plans & Figures ; dreffé au dépôt
des Cartes & Plans de la Marine , par
ordre de M. le Duc de Choifeul , Colonel
général des Suiffes & Grifons , Miniſtre
de la Guerre & de la Marine . Par le Sr.
Bellin , Ingénieur de la Marine & du
dépôt des Plans , Cenfeur Royal de l'Académie
de Marine , & de la Société
Royale de Londres . In -4 °. 1763.
Ce que nous pouvons dire , quant à
préfent, de cet Ouvrage, c'eft qu'il nous
paroît que l'Auteur n'a rien négligé pour
de rendre auffi utile qu'intéreffant.
LA JURISPRUDENCE de la Médecine
en France , ou Traité Hiftorique &
Juridique des Etabliffemens , Réglemens
, Polices , Devoirs , Fonctions ,
Récompenfes , Droits & Priviléges des
ois Corps de Médecine avec les DeSEPTEMBRE.
1763. 107
voirs , Fonctions & Autorités des Juges
à leur égard. Par M. Verdier , Docteur en
Médecine , Aggrégé au Collége Royal
des Médecins de Nanci , & Avocat au
Parlement de Paris. A Paris, chez Didot
le jeune , Quai de la Vallée , & chez
Prault pere , Quai de Gêvres . A Alençon
, chez Malaffis le jeune , & au Mans ,
chez Monnoyer.
Cet Ouvrage dont il paroît un Abrégé
, fous le titre d'ESSAI SUR LA JURISPRUDENCE
de la Médecine en
France , eſt divifé en quatre Parties . La
premiére renferme la Légiflation générale
de la Médecine ; la feconde la Légiflation
particulière de la Médecine : la
troifiéme celle de la Chirurgie ; la quatriéme
enfin , celle de la Pharmacie &
Epicerie . Chaque Partie eft compriſe
dans deux gros Volumes. L'Abrégé &
chaque Partie fe vendront féparément ,
l'Abrégé 30 fols , & les deux Volumes
de chaque Partie 5 1. brochés . Il ne pa
roît encore que l'Abrégé avec la premiè
re Partie. Ceux qui voudront fe procurer
la totalité de l'Ouvrage , pourront
foufcrire chez les Libraires précédens ;
en donnant 16 livres , ils recevront les
trois Volumes imprimés , & les trois aus
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
tres Parties de quatre en quatre mois.
L'Auteur invite tous ceux qui peuvent
lui être utiles , de lui faire part de
leurs critiques , réflexions & piéces qui
entrent dans fon Plan. Il promet d'en
faire ufage dans le courant de l'impreffion
, ou dans des fupplémens qu'il prévoit
être obligé d'ajouter à chaque Partie
. Il annonce en même temps un Code
médicinal , ou une Table chronologique
de tous les réglemens rendus fur la Médecine
, depuis le commencement de la
Monarchie , & déclare que les Soufcripteurs
des 9 Volumes précédens , feront
feuls admis à foufcrire , pour les
Supplémens & le Code .
L'adreffe de M. Verdier eft à Paris ,
chez M. Porquier, Marchand Vinaigrier,
rue du faubourg S. Jacques , vis-à-vis
de la Vifitation Ste Marie.
TABLETTES CHRONOLOGIQUES de
l'Hiftoire univerfelle , facrée & profane ,
eccléfiaftique & civile , depuis la créa
tion du monde , jufqu'à l'an 1762 ; avec
des ré flexions fur l'ordre qu'on doit tenir
& fur les Ouvrages néceffaires pour
l'étude de l'Hiftoire . Par feu M. l'Abbé
'Lenglet du Frefnoy. Nouvelle Edition ,
SEPTEMBRE. 1763. 109
revue , corrigée & augmentée. In - 8 °.
Paris , 1763 , trois Volumes. Chez de
Bure pere , quai des Auguftins , du côté
du Pont Saint- Michel , à S. Paul ; chez
Ganeau , rue S. Severin , aux armes de
Dombes.
Nous ferons connoître inceffament le
mérite de cette nouvelle Edition, bien fupérieure
à la précédente .
ESSAI SUR LE BEAU nouvelle
Edition augmentée de fix difcours , fur
les Modes , fur le Decorum , fur les Gráces
, fur l'Amour du beau , fur l'Amour
défintéressé. Deux Parties in - 12 . Paris
1763 ; chez Etienne Ganeau , rue faint
Severin , aux armes de Dombes , & à
S. Louis.
Nous parlerons avec plaifir de cet Ouvrage
qui a toujours été regardé comme
un chef- d'oeuvre en ce genre pour l'agrément
du ftyle , la précifion des idées , la
jufteffe & la profondeur des réfléxions.
RECUEIL DES PIECES de Médecine
& de Phyfique , traduit de l'Italien de
M. Cocchi , & autres Auteurs vivans . In-
12. Paris , 1763 , chez D'houry , Imprimeur
Libraire de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , rue vieille Bouclerie,
10 MERCURE DE FRANCE .
Ce Recueil excellent , fera probablement
continué , & il paroît qu'on le ſouhaite.
SECOND DISCOURS fur l'Education ,
dans lequel on expofe tout le vicieux de
l'Inftitution fcolaftique , & le moyen d'y
remédier. Par M. Vanier , Auteur du
cours de Latinité ; in-8° . Paris , 1763 :
Chez Butard, rue S. Jacques , à la Véri
té; & chez Desain junior , quai des Auguftins
, à la Bonne-Foi.
TRAITÉ DU CONTRAT de Conf
titution de Rente , par l'Auteur du Traité
des Obligations , in - 8 ° . Paris , 1763;
chez Debure, l'aîné , quai des Auguftins,
à l'Image S. Paul ; & à Orléans , chez
J. Roufeau - Montaut , Imprimeur du
Roi , de la Ville & de l'Univerfité.
INSTRUCTION fur la manière d'élever
& de perfectionner la bonne efpéce
des Bêtes à laine , de Flandre , in- 12.
Paris , 1763 , chez Guyllin , Libraire ,
quai des Auguftins , près du Pont Saint
Michel , au Lys d'or.
REFLEXIONS SUR LA NÉCESSITÉ ,
les Effets & les avantages de la difcrétion
; par l'Auteur de la Journée Sainte
SEPTEMBRE. 1763. TIE
In - 12. au Mans , 1763 ; chez Charles
Monnoyer , Imprimeur du Roi , à l'entrée
du Pont - neuf ; & à Paris , chez
Praultpere , quai de Gêvres.
· DE L'UTILITÉ DES VOYAGES ,
relativement aux fciences & aux moeurs ;
Difcours prononcé par M. l'Abbé Gros
de Befplas , de la Maifon & Société de
Sorbonne , Vicaire général du Diocèfe
de Befançon ; à fa réception , en qualité
d'Affocié à l'Académie de Béziers , au
mais d'Août 1762 , avec des réflexions
fur les vovages ; in- 8 °. Paris , 1763 ,
chez Berthier , Libraire , quai & fous la
porte des grands Auguftins.
CLOVIS , Poëme héroi- comique
avec des remarques hiftoriques & critiques
.
Carmen amat , quifquis carmina digna gerit
Claud. Præf. 1.3 de laud. ftil.
Qui de nos chants fe rend digne , les aime.
In-12. La Haye , 3 Volumes ; & fe
trouve à Paris , chez Fournier , Libraire
, quai des Auguftins.
MÉMOIRE fignifié pour Margue
rie-Agnès- Charles-Marie Huchet de la
.
112 MERCURE DE FRANCE.
Bédoyere , FILS AISNÉ de M. de la
Bédoyere , Procureur général du Parlement
de Bretagne , appellant , contre le
Comte de la Bédoyere , Fils puîné du
même M. de la Bédoyere ; & fe prétend
fon feul & unique héritier, intimé . In-12-
1763 , fe trouve à Paris , chez Defpilly,
rue S. Jacques , à la Croix d'or. Prix , 30
f. broché .
LETTRES D'HENRIETTE & d'Emilie
, traduits de l'Anglois. Par Mde G. D.
D. S. G. In- 16. Londres , 1763 ; & fe
trouvent à Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés.
LES FESTES DE LA PAIX ; divertiffement
en un Acte à l'occafion de l'Inauguration
de la Statue du Roi , & de la
publication de la Paix. Repréſentées pour
la première fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi, le 4 Juillet 1763.
Prix , 1 1. 4 f. I avec la Mufique. A Paris
chez Duchesne , rue S. Jacques au Temple
du Goût.
LES DEUX CHASSEURS & la Laitiere
, Comédie en un Acte , mêlée d'Ariettes
; par M. Anfeaume , repréſentée
pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le 21 Juillet
SEPTEMBRE. 1763 113
1763. La Mufique eft de M. Duni. Prix ,
11. 4. f. avec la Mufique. Chez le même
Libraire .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIE S.
SUITE de l'Eloge hiftorique de M. LE
PERE , lû dans l'Affemblée publique
de l'Académie D'AUXERRE.
E N étudiant la matière des poids & des
mefures tant anciennes que modernes,
dans le Pere Merfenne , qui l'a traitée
avec la plus profonde érudition , M. le
Pere a reconnu que l'évaluation de la
livre romaine étoit portée trop haut ,
par une légére méprife , telle qu'il en
échappe aux hommes les plus habiles.
Et reprenant tous les calculs il détermine
le poids de l'amphore , de l'urne ;
du boiffeau romain , & toujours audeffous
de celui que le Pere Merfenne
leur attribue. Il a fallu bien de la faga#
14 MERCURE DE FRANCE .
cité & de l'attention pour reconnoître
l'erreur , & bien du travail pour la réparer.
M. le Pere a fait un Mémoire fur les
moyens de garantir les appartemens
de la fumée , qui eft fi fouvent incommode
. Ce Mémoire eft rempli de la
plus fçavante théorie , de forte qu'en
le lifant on fe croit affuré des avantages
qu'il annonce. Mais comme ici la Géo
métrie eft affujettie dans l'exécution à
quantité de caufes phyfiques , on n'ofe
encore efpérer de détourner leurs influences
nuifibles dans quantité de pofitions.
Il eft plus aifé de mettre en ufage ce
qu'il a écrit fur l'arpentage , fur la manière
de jauger les cuves , qu'il eft ordinaire
de payer à l'ouvrier à raiſon de
la quantité de muids qu'elles contiennent
, & fur les moyens de rendre les
puits les plus profonds , tels qu'ils font
dans la partie la plus confidérable de
cette ville , d'un ufage plus facile &
plus prompt , par le fervice d'une nouvelle
machine , de fon invention , dont
il décrit la forme , calcule la puiffance ,
& démontre les avantages.
L'efprit de calcul & de Géométrie
s'applique à tout , perfectionne tout ; M
SEPTEMBRE. 1763. 115
Le Pere le porta dans la Mufique; & peutêtre,
le talent & les difpofitions naturelles
qu'il avoit pour cet Art contribuérentelles
moins au progrès qu'il y fit , que
l'amour du calcul & des proportions qui
en font le fondement. Il y joignit encore
une profonde érudition, qui a paru
dans un Mémoire qu'il nous a fourni
plein de recherches favantes fur la Mufique
des Anciens.
Dans la théorie , la Mufique eft une
fcience profonde & difficile , & fans
cette étude tout ce qu'elle a d'agréable
dans l'exercice auroit eu peu d'attraits
pour M. le Pere. Certainement il n'y a
rien de divertiffant dans les longs calculs
où il s'eft plongé pour évaluer les
dimenfions des cloches , & leurs poids ,
& les fons qu'elles doivent rendre en
conféquence & ramener à la Géométrie
exacte tout le méchanifme que les
Fondeurs employent fans remonter aux
principes & aux régles qui font le fondement
de leur Art.
Un troifiéme Mémoire , où M. le
Pere traite deux queftions de pleinchant
d'un ufage journalier ayant été
lu dans la derniere Affemblée publique,
je n'en dirai rien davantage ; & ne
m'étendrai point fur d'autres ouvrages,
116 MERCURE DE FRANCE.
infiniment intéreffans qui ont été lus ,
les années précédentes , & qui ont parų
remporter une eftime générale .
Tel eft un premier Mémoire fur l'éva
luation des monnoyes anciennes , & la
néceffité d'en connoître les variations
pour les réduire , avec quelque exactitude
, à nos monnoyes courantes,
Un fecond Mémoire qui contient
l'évaluation en monnoie de notre temps,
du prix que couta au Roi Charles V.
l'achat de la Ville du Comté d'Auxerre.
Enfin une differtation fur le nombre
d'habitans qu'Auxerre enfermoit autrefois
comparé à la population préſente
de la Ville , matières appartenantes à
l'hiftoire de fon pays , & dont l'érudition
par conféquent l'affecte & nous
l'intéreffe plus particuliérement.
Je ne ferai qu'indiquer d'autres ouvrages
moins étendus que M. le Pere
a faits , s'appliquant , fuivant l'occafion
, aux différens objets qui venoient
flatter fa curiofité de quelque apparence
d'utilité publique.
Une differtation fur les Chenilles
plieufes de feuilles qui abondérent dans
nos vignes en l'année 1743.
Un Mémoire fur les Eaux de Pougues
& leurs environs qu'il vifita en homme
SEPTEMBRE . 1763. 117
qui met tout à profit , tandis qu'il fu
biffoit en 1754 , des remédes ordonnés.
en vain pour rétablir une fanté qui
commençoit a déperir .
La defcription d'une Chauffée Antique
, qui va de la montagne de Chatenai
,ou d'Ouaine à Entrains , pardeffus
la montagne des Alouettes.
Une defcription phyfique de la Fontaine
de Tonnere , nommée la Foffe
d'Yonne.
Une obfervation fur le Feu qui fe
concentre au coeur d'une maffe d'eau
congelée .. !
Un Mémoire fur la quantité de livres
de pain que doit rendre le Bichet de
Froment , & fur le Tarif à faire en
conféquence , pour le prix du pain.
La defcription de plufieurs Tombeaux
trouvés à S. Amatre .
Une differtation fur l'infcription de
la Tombe de Robins de Beaumont
trouvée dans les ruines de S. Marien.
Cleft ainfi que M. le Pere joignoit la
phyfique & la recherche des Antiquités
aux travaux de l'Algébre & de l'Aftronomie.
Confidérons-le encore faifant valoir
les talens des autres, par la manière dont
il fçait en rendre compte. Vous l'avez
118 MERCURE DE FRANCE.
entendu Meffieurs , pendant quatre an
nées , s'exprimer avec facilité fur toutes
les matières . La Médécine & l'Anatomie
, qu'il ne connoiffoit que par
l'expérience de fes longues infirmités ,
& la Chymie , & la Botanique fembloient
avoir été pour lui l'objet d'une
étude particulière :le zéle & l'application
fuppléoient , en ceci , à la profondeur
des connoiffances .
Toutes les autres parties dont s'occus
pe la Société , lui étoient familières , &
il y en a qui ne l'étoient qu'à lui feul .
Dans l'expofition qu'il en faifoit , fon
Style étoit fimple & précis , tel qu'il
convient en ces matières , il fçavoit auffi
l'élever & l'embellir dans les ſujets qui
permettoient plus d'effor. Les éloges
qu'il a prononcés en ce même lieu font
aifément connoître qu'en s'attachant à
cultiver les hautes fciences, il ne s'étoit
pas févré des ornemens de la plus belle
Littérature..
Son jugement étoit für , & d'un efprit
accoutumé a faifir le vrai ; une généreufe
liberté animoit fes critiques ,
le Génie en faifoit l'affaifonnement :.
mais la modération & l'urbanité qui
conviennent au commerce des lettres
en étoient la régle & la mefure .
7
SEPTEMBRE . 1763. 119
Ses moeurs étoient fimples , fon com
merce facile , fes affections fincéres. I
étoit de grande ftature , de maintien
grave, fi ordinaire à un Géométre; & par
même convenance , d'humeur philofo
phique c'est - à - dire qu'il confidéroit
les événemens de la vie & les jeux de
la fortune , avec plus d'indifférence que
ne fait le commun des hommes.
.
Ses ouvrages & le mérite qu'ils an
noncent lui avoient acquis au dehors
l'éftime de plufieurs grands hommes,
Des Sçavans diftingués qui connoiffoient
tout ce que valoit M. le Pere , avoient
donné de lui l'idée la plus avantageufe
à notre illuftre Préfident. Et pour dire
enfin ce qui fera la plus belle partie de
fon éloge , fes derniers efforts & fes
derniers accens , ont été des expreffions
publiques de fa vive reconnoiffance
pour l'augufte Prélat dont il avoit
reçu des témoignages confidérables
d'eftime & d'affection . Ses fentimens
à cet égard étoient encore animés par le
grand & vif attachement qu'il a tous
jours eu pour notre fociété. Jamais vous
noublierez , Meffieurs , la part qu'il a
eue à fon établiffement ; la haute idée
qu'il en avoit conçue , combien il s'in
téreffoit à fes progrés & à fa gloire &
1
120 MERCURE DE FRANCE.
avec quelle ardeur il y travailloit ;
croyant faire office de bon citoyen ,
s'il contribuoit à fon accroiffement .
Difons quelque chofe de plus : tout
ce que les autres hommes ont de peine
à fe détacher des objets de leur ambition
, ou de leur cupidité , M. le Pere
l'éprouvoit à fe féparer de cette fociété
dans laquelle il trouvoit les compagnons
de la feule fortune qu'il eût vou
lu courir en ce monde.
Il auroit fouhaité de vivre encore ,
ce font fes expreffions , pour jouir des
beaux jours qui fembloient devoir bientot
luire fur elle ; déja nous en voyons
l'aurore paroître , nous difoit-il dans le
dernier ouvrage que vous avez entendu
de lui . Un Prélat l'amour de fon Peuple
, l'ami des Sciences & des Arts ,
& qui eft continuellement occupé du
bien public , en fait éclore les premiers
rayons : il nous aime , il nous protége
il veut lui-même diriger & animer nos
études ; notre existence lui eft précieufe;
il la veut affurer.
La néceffité de la mort venant dans
ces circonftances défarmoit le caractêre
philofophique de M. le Pere : & ce qui
fait aujourd'hui l'objet de nos plus belles
efpérances étoit pour notre illuftre Con
frère
SEPTEMBRE. 1763. 121
>
la ma-
, frère en ces triftes momens
tière du plus grand facrifice . Heureux
de n'avoir a furmonter que des attachemens
honnêtes & légitimes ! tout ce
qu'il pouvoit y avoir eu de flateuſe illufion
; contentement de l'efprit dans fes
nobles occupations , eftime généralement
acquife , relations, amitiés précieufes
, qui en étoient le fruit , tout a cédé
aux grandes vues de la religion qui exerçoit
fes droits avec la préférence qu'elle
a néceffairement fur tous les objets de
l'eftime & de l'affection des hommes .
Purifié par une maladie qui détruifant
le corps infenfiblement n'altera jamais
la liberté de l'efprit , & la tranquillité
de l'âme , confolé par les efpérances
faintes , dont il reçut les gages précieux
avec une piété édifiante , M. le Pere
expira le neuf Décembre de l'année
derniere agé de quarante -trois ans.
La Société Littéraire Militaire de
Befançon lui avoit donné place au nombre
de fes Affociés ordinaires en 1760 ;
fon mérite fe repandoit au dehors avec
un éclat toujours croiffant : & fi fes
travaux n'avoient point été traversés par
les longues fouffrances qui ont confumé
fes dernieres années , & qu'il lui eût
été donné de pouffer plus loin fa car-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
rière , nous ne craignons point de dire
que notre Société & cette Ville même
euffent été honorés de la grande réputation
à laquelle fe fût élevé le nom de
M. le Pere , dans le monde Sçavant.
ÉCOLE VÉTÉRINAIRE.
LETTRE de M. BOURGELAT , &cl
à l'Auteur du Mercure.
DES raifons particulières s'oppoſent ,
Monfieur , à l'empreffement que j'avois
de rendre compte au Public de nos travaux
dans l'école vétérinaire ; la premiere
année de cet établiffement eft
expirée le 15 Février paffé , & je ferai
vraisemblablement
contraint d'attendre
la révolution de la feconde pour fatisfaire
aux engagemens que j'avois pris.
Le bien public ne doit point néanmoins
fouffrir de ce délai ; & comme
il eft des cas où des expériences faites
& répétées dans plufieurs Provinces du
Royaume , & par plufieurs perfonnes
éclairées peuvent feules inftruire,j'ofe ef
pérer que vous voudrez bien publier dans
votre ouvrage des idées qui devoient
entrer néceffairement dans le mien
SEPTEMBRE. 1763. 123
Les quatre Lettres que je vous prie
d'y inférer ont pour objet une maladie
qui fait les plus grands ravages dans les
troupeaux. Peut-être que les obfervations
de M. Borel , & les
expériences que je
propofe fourniront quelques lumieres à
cet égard. Je ne veux pas du moins
mériter le reproche d'avoir auffi longtems
privé la Nation des éclairciffemens
qu'elle peut retirer des obfervations exac
tes & fçavantes qui m'ont été envoyées.
Daignez , Monfieur,fuppléer à ce que
je ne puis faire par moi-même. La complaifance
avec laquelle vous avez annoncé
jufqu'à préfent les progrès rapides
des éléves de l'Ecole , & furtout les vues
qui m'animent dans cette circonftance
m'affurent d'avance que vous ne me refuferez
pas cette grace , & que vous m'accorderez
celle de me croire , & c.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. BOREL , Lieutenant
Général de Beauvais , Directeur du
Bureau d'Agriculture de la même Ville,
à M. BOURGELAT , Ecuyer du Roi ,
Directeur de l'Ecole Royale Vétérinaire ,
Correspondant de l'Académie Royale
des Sciences de France , &c,
M ESSIEURS du Bureau d'Agriculture
de Paris , Monfieur , m'ont renvoyé
votre lettre du premier de ce mois , &
j'ai pris depuis ce moment tous les éclairciffemens
poffibles pour me mettre en
état de répondre à vos queftions fur les
fymptômes de la maladie qui attaque nos
moutons ; j'ai parcouru moi -même un
grand nombre des Villages &deHameaux
que je fçavois en être infectés, & j'ai differé
ma réponfe jufqu'à ce qu'enfin j'aye
pû faire ouvrir en ma préfence une brebis
morte de ce mal ; voici le réfultat de
mes recherches dans l'ordre de vos douze
queſtions.
1º. Nul vertige dans les moutons attaqués
, nul figne qui l'indique ; on avoit
fans doute été induit en erreur , lors de
SEPTEMBRE . 1763. 125
la premiere lettre, par des expreffions impropres
de Payfans , qui ne fçavent pas
la valeur des termes .
2º. Pas même de mouvemens défordonnés
qui indiquent la phrénéfie ; au
contraire l'abattement , l'affaiffement de
l'animal malade eft total.
3°. On s'apperçoit de la maladie par
la trifteffe de l'animal & par fon dégoût ;
quelques- uns s'en font apperçus vingtquatre
heures avant l'éruption ; les plus
attentifs deux ou trois jours plutôt , le
plus grand nombre après l'éruption commencée.
Le dégoût eft proportionné au
degré de la maladie ; les moins attaqués
continuent à manger , les plus malades
ne mangent rien d'eux-mêmes ; on les
foutient en leur faifant manger des roties
au vin , ou au cidre ; ils font tous
très - altérés , & on leur donne de l'eau à
tous.
4. Dès qu'ils font atteints du mal ,
ils ceffent de ruminer ; leurs yeux font
chargés , enflés , larmoyans, deviennent
très- obfcurs , fouvent ils fe colent tout-àfait
, & l'animal ne voit plus ; plufieurs
de ceux qui ont guéri , ont perdu un
oeil , quelques-uns font reftés aveugles ;
j'en ai vû de ceux - là dont l'oeil étoit
tombé en pourriture ; il ne reftoit plus
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ni humeurs , ni mufcles , ni membranes
dans la capacité de l'orbite .
Ils jettent par les nazeaux une morve
épaiffe , tenace , de couleur de pus , le
plus fouvent blanche , rarement jaune.
Ils ne feféparent du troupeau que quand
les forces leur manquent pour le fuivre ,
alors ils s'abattent & reftent- là : leurs oreilles
font très-froides ; cette derniere circonftance
cependant pourroit n'être pas
générale. J'ai fous les yeux le Mémoire
d'une feule Paroiffe , qui porte que leurs
oreilles ne font point froides. Le même
Mémoire porte qu'ils n'ont point de fiévre
, mais tous les Bergers que j'ai queftionnés
en avouant qu'ils n'en fçavoient
rien,m'indiquoient tous les fymptômes de
la fiévre , l'ardeur , la foif, l'abattement
&c... Il eft impoffible qu'ils n'en ayent
point : loin de fe coucher & de fe relever
fans ceffe , ils reftent en place , ramaffés
dans le moindre volume poffible ; abforbés
, la tête penchée vers la terre autant
qu'elle peut l'être , la queue entre les
jambes , les parties poftérieures rapprochées
des antérieures , mais fans mouvement
& fans pároître fouffrir de tranchées
s'ils font couchés ils y reſtent ;
ils font oppreffés en proportion du degré
du mal. Quand ils font atteints jufqu'à
SEPTEMBRE. 1763. 127
la mort , ils fe plaignent pendant les dernieres
vingt- quatre heures, les flancs leur
battent : s'ils guériffent, leur laine tombe ,
aux places où il y a eu éruption.
Leurs déjections font à-peu - près comme
en fanté ; plus féches encore , & plus
en crottes noires que dans l'état naturel ;
elles n'ont du méchonium que la couleur
noire , mais elles y joignent la folidité.
5°. Les boutons font exactement des
boutons de petite vérole ; il y en a de
plufieurs formes & de plufieurs couleurs;
j'en ai vû de parfaitement ronds , les uns
difcrets, les autres concrets ; ceux -ci font
elliptiques , ceux-là ont la forme de petits
haricots plats , & oblongs : tous font
d'abord rouges , mais enfuite les uns
blanchiffent , crévent , purgent , & féchent
( c'est une des bonnes efpéces )
d'autres deviennent violets , s'amortiffent
fans fe crever & noirciffent : quelques-
uns n'ont pas le tems de murir
l'animal meurt dès le troifiéme jour de
l'éruption , & l'on ne trouve dans les
boutons qu'une matière blanche & folide
comme de la panne de cochon .
6º. Lorfque le venin de la maladie attaque
la tête , l'animal eft plus en danger
& périt plus vîte ; s'il en revient la maladie
eft plus longue. Il y en a qui n'ont
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
guéri qu'au bout de deux mois , d'autres
aubout de fix femaines , d'un mois , de
quinze jours , & c. Il en eft mort auſſi à
toutes ces époques.
7°. On avoit d'abord crû que les moutons
nourris dans les patûrages humides
étoient plus attaqués que ceux nourris
dans les pâturages fecs , mais on a vû
depuis les plaines auffi attaquées que les
vallées , & l'on avoue qu'il n'y a pas
grande différence ; le mal dont il s'agit eft
prèfque auffi général que la petite vérole,
dans les années où elle eft épidémique
; comme elle il prend l'hyver , ainfi
que l'été.
8°. On n'a point tenu de moutons
dans les bergeries pour les préferver du
mal , on n'y a tenu au contraire que les
plus malades , & la plupart des Payfans
par négligence , ou faute de place , ramenoient
le foir leurs moutons fains dans
la même bergerie confufément avec les
malades.
9º. La communication a eu lieu en
plufieurs endroits fans fréquentation des
moutons infectés. En d'autres elle paroît
avoir été l'effet de la fréquentation , ou
au moins de l'approximation de deux
troupeaux , dont l'un étoit infecté. Les
Bergers & Payfans penfent que la contagion
fe communique beaucoup , par
SEPTEMBRE . 1763. 129 .
le moyen des fumiers qui contiennent
des excrémens, & fouvent des membres ,
des vifcères , des os de bêtes mortes
de ce mal , lefquels portés dans les champs.
répandent le mauvais air , ou bien étant
tirés par les chiens ou autres animaux
carnivores , fe répandent çà & la fur les
territoires vo fins non infectés , & les
infectent ils vont jufqu'à dire qu'un
homme , dans fes vêtemens , un chien
un cheval , une vache peuvent porter l'air
d'une Paroiffe dans une autre. A préfent
on a foin d'enterrer fort avant les animaux
qui meurent .
,
10°. L'éruption qui n'occupe pas d'abord
la tête , paroît fous les aiffelles , fous
les cuiffes , au ventre , aux jambes , à l'anus.
Parmi le nombre des malades , il y
en a qui font légérement attaqués ; ils
n'ont qu'une petite vérole volante , c'eſt
l'expreffion propre des Payfans ; les uns
n'en ont qu'aux jambes , d'autres aux
oreilles feulement ; on en a vû n'en avoir
qu'un grain grand comme un écu de fix:
francs. Un de ces grains uniques a attaqué
l'oreille d'un mouton , à unelieue d'ici , &
l'a tellement maltraîtée , qu'elle en eft reftée
toute de travers & retrouffée. Un autre
n'en a eu qu'à un pied dont la corne eft.
ombée , & il en reftera eftropié pour
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
toujours ; mais quand un troupeau eft
attaqué,il y en a au moins ou qui font
férieufement malades ; la tête leur enfle
& l'intérieur de la bouche eft plein de boutons
qui les empêcheroient de manger ,
quandmême ils ne feroient pointdégoûtés .
11°. On n'a effayé aucun reméde dans
la plupart des Villages ; les Payfans font
prévenus qu'il n'y en a pas , puifqu'ils
n'en ont pas vu faire par leurs pères : ce
préjugé eft prèfque univerfel dans nos
Campagnes , & fera toujours un obftacle
à la perfection de toutes les parties
de l'Agriculture : quelques - uns cependant
m'ont affuré avoir remarqué que
l'air étoit plus avantageux aux moutons
malades que la bergerie.
Quelques-uns ont fait faigner leurs moutons
& ont remarqué que le fang étoit
bleuâtre & que la faignée leur avoit été
avantageufe ; mais il en eft mort auffi de
ceux qui avoient été faignés.
D'autres ont frotté le nez du mouton
avec de l'ail & du vinaigre , & ce remède
n'a rien fait ; plufieurs leur ont fait avaler
du vin , fans qu'il en ait réfulté de
foulagement apparent . Un Curé à une
lieue d'ici avoit feize moutons dont 12
ont été malades ; de ces douze plufieurs
ont été en très -grand danger; on lui avoit
SEPTEMBRE. 1763. 131
enfeigné le remède fuivant , il l'a fait ;
c'étoit de mettre infufer pendant la nuit
fur des cendres chaudes deux onces de
racine fraîche d'Eluna campana, coupée
par petits morceaux , dans une pinte de
vin , & d'en faire avaler matin & foir
une cuilliere à l'animal malade . Il n'a
perdu aucuns de fes moutons . Les
Payfans de la même Paroiffe où la maladie
eft à préfent dans fon fort , font
journellement le même remède , ce qui
n'empêche pas qu'il n'y meure des bêtes
de temps en temps . Un Berger me difoit
ces jours-ci qu'un de fes prédéceffeurs ,
dans de pareilles circonftances , mettoit
infufer pendant vingt- quatre heures dans
de l'eau du marube (par la defcription
qu'il m'en fit , j'ai crû reconnoître le
marube noir plûtôt que le blanc ) qu'au
bout de vingt- quatre heures , il en exprimoit
le jus dans la même eau , en le
preffant avec fes mains & faifoit avaler
quelques cuillerées de cette eau aux bêtes
malades,mais que cela n'avoit pas produit
grand effet.
12 °. Un des Mémoires que j'ai fous
les yeux , porte qu'on a ouvert quelquesuns
des animaux morts de cette maladie ;
qu'on a trouvé le foie plein d'ulcères
femblables à ceux qui paroiffent fur la
peau.
Fiv
132 MERCURE DE FRANCE.
Avant-hier , Samedi , je me fuis fait apporter
chez moi une brebis morte la nuit
précédente à une lieue d'ici ; le fieur Coutel
, Chirurgien de cette Ville , plein d'intelligence
& de bonne volonté eſt venu
la difféquer en ma préfence ; cette bête
n'étoit malade que du Jeudi précédent
( au moins ne s'en étoit- on apperçu que
ce jour-là . ) Elle avoit encore été aux
champs avec les autres le Vendredi ; &
le Samedi matin elle avoit été trouvée
morte dans la Bergerie . Lorfqu'on me
l'apporta le même jour après - midi , elle
commençoit à avoir des fignes de putréfaction
, ce qui fe dénotoit principalement
à l'odorat : & aux yeux par la couleur
livide & verdâtre qui fe remarquoit
fur le col , fous les cuiffes , fous les épaules
& par la tuméfaction du - bas ventre
qui renfermoit une grande quantité d'air
infect.
Cette brebis n'avoit pas de boutons à
la tête qui n'étoit point enflée ; nous en
remarquâmes deux fur la langue , & deux
deffous , auxquels endroits la peau de la
langue fe levoit , comme elle ſe léve aux
langues mifes dans l'eau bouillante ; en
levant les paupieres on voyoit que la cornée
tranfparente étoit devenue terne , ou
fi épaiffe qu'on ne pouvoit plus apperceSEPTEMBRE.
1763. 133
voir à travers que très- imparfaitement
l'iris & la prunelle ; l'un des yeux étoit
plus terne que l'autre.
Les boutons'étoient en affez grand nombre
fur le ventre , en dedans des cuiffes
& des épaules , autour du col & de la
gorge ; c'étoit des tumeurs ou puftules
blanches , rondes, plattes , de deux, de trois
& de quatre lignes de diamêtre ; elles
n'intéreffoient que la peau & fuivoient
le mouvement qu'on lui donnoit ; la matière
qui les formoit n'avoit pas encore
formé de foyer , comme aux puftules
blanches de petite vérole : en les ouvrant,
elles reffembloient à une tumeur graiffeufe
, femblable à une lentille de lard
de cochon de lait,tant par la couleur
par la confiftence ; quelques- unes étoient
excoriées dans le centre ; je crois qu'elles
n'étoient devenues blanches que depuis
la mort de la bête & qu'avant elles étoient
rouges , comme celles des autres bêtes
pendant les premiers jours de l'éruption
. Les nazeaux étoient encore impregnés
d'un refte d'humeur fanieuſe
couleur de caffé , mais de la mucofité
de laquelle nous n'avons pûjuger au bout
de douze à dix- huit heures de mort, & de
putréfaction commencée .
que
Le bas-ventre ouvert , l'épiploon a
paru d'une couleur terne, blafarde rouge.
134 MERCURE DE FRANCE.
La graiffe en étoit caffante fans avoir la
confiftence qu'elle a dans les moutons
fains égorgés.
Le foye étoit de couleur verd obfcur;
cette couleur pénétroit d'une bonne ligne
plus ou moins en certains endroits dans
la fubftance , & cette efpéce d'écorce étoit
caffante comme du foye un peu cuit ; la
partie concave du foye étoit adhérente
par fa partie mince au premier ventricule.
La vefficule du foye paroiffoit flafque &
fembloit avoir contenu plus de bile que
dans l'état naturel & une bile plus liquide.
La membrane interne lâche & pliffée
dupremier ventricule étoit de couleur verte
& parfemée d'une prodieufe quantité
de puftules blanches , lenticulaires , & de
même nature que celle de la peau , mais
d'un diamêtre plus petit. Ce premier ventricule
contenoit des matieres liquides
& vertes en petite quantité. Le ventricule
feuilleté renfermoit auffi peu de matière ,
mais nous y avons trouvé une gaube
de neuf à dix ligne de diamêtre fur
vingt ou vingt- quatre de longueur ; elle
paroiffoit de nature ordinaire d'excrémens
mêlés de poi !. Il eft forti auffi d'un
de ces deux ventricules un autre morceau
de matière affez femblables àla
gau
be, mais plat , en forme de trapefe , d'un
pouce ou à-peu-près dans fa plus grande
SEPTEMBRE. 1763. 135
diagonale ; le troifiéme ventricule ou
grande poche étoit très- plein d'alimens
affez bien broyés , auffi verds que l'herbe
dont - ils étoient le produit : cette même
poche étoit auffi très -gonflée par un air
fort raréfié & infe&t : les inteftins grêles
étoient préfque vuides ; dans le colon &
dans le coecum , on a trouvé des excrémens
d'une moyenne confiftence.
Les reins étoient attaqués comme le
lefoye , verds & fecs extérieurement ; la
veffie contenoit peu d'urine ; il y avoit un
foetus affez bien formé dans la matrice.
Dans la poitrine les poulmons étoient
flafques , d'un livide obfcur rouge : on
y remarquoit quelques petites tumeurs
femblables à celles de l'extérieur , mais
plus épaiffes & rondes. Le coeur paroiffoit
d'un volume plus gros que l'état naturel.
Son ventricule droit contenoit un
fang très- noir. Un caillot de ce fang tiré
de la veine cave inférieure étoit noir à fa
partie fupérieure la plus voi ine du coeur ;
mais à la partie inférieure du côté du
foye, il étoit jaune & femblable à la coëne
qui couvre le fang des plearitiques.
Nous n'avons point ouvert la tête de ce te
brebis tant a caufe de fon état de putréfaction
, que parce que le fiége de la maladie
n'avoit pas paru porté de ce côté,
136 MERCURE DE FRANCE. -
& que d'ailleurs elle avoit duré trop peu
de jours pour croire qu'il s'y fût formé un
dépôt.
En général il paroît que le fang avoit
été fort enflammé : fi un enfant fit mort
à la même époque d'une maladie & avec
les mêmes fymptômes, on auroit dit qu'il
étoit mort d'une petite vérole rentrée .
Je ne fuis point affez connoiffeur pour
qualifier cette maladie , mais fa reffemblance
avec la petite vérole des hommes
eft frapante , foit qu'on la prenne dans
les commencemens & dans fes progrès ,
foit qu'on en examine les effets & les
fuites même dans les bêtes qui guériffent;
J'en ai vu plufieurs de ces dernieres dont
peau de la tête , furtout fous les yeux ,
& près les lévres, reftoit gravée & couturée
, comme le vifage d'un homme qui a
eu la petite vérole la plus maligne.
la
Cette maladie eft très-connue dans ce
pays-ci fous le nom de claveau ; prèfque
toutes les Paroiffes de l'Élection de Beauvais
en ont été ou en font attaquées cette
année ; dans quelques -unes il périt un
quart du troupeau, dans d'autres un quinziéme
; voilà les deux proportions les plus
communes que j'aye remarquées. Elle
exiftoit dans quelques endroits dès l'hyver
dernier, mais le fort a été à la fin de Juin
SEPTEMBRE. 1763. 137
en Juillet & Août ; elle ceffe à préfent en
beaucoup de Villages ; il y en a cependant
quelques- uns , où elle ne fait que
commencer & d'autres où elle eft dans
fon plein .
Les Payfans ont crû remarquer qu'elle
duroit ordinairement trois lunes ; qu'elle
prenoit plus communément dans les renouvellemens
de Lune , s'appaifoit au décours
& reprenoit plus vivement au premier
quartier.
Elle régnoit l'année paffée dans quelques
Paroiffes de cette mêmeElection où
elle eft encore cette année ; dans d'autres
on ne l'y avoit jamais vue de mémoire
d'hommes ; elle avoit été il y a feize ans
dans plufieurs , dans d'autres il y a huit
ans , & c. Mais on ne fe fouvient pas de
l'avoir vû auffi généralement répandue
que cette année.
Il feroit bien fouhaiter qu'on eût une
méthode uniforme de fe conduire dans
cette maladie, qui eft affez uniforme dans
fes fymptômes & dans fes effets, & dont
il ne s'agiroit par conféquent que de pénétrer
la caufe : non que l'on puiffe ef
pérer jamais de fauver tous les animaux
attaqués ; mais du moins de conferver
les troupeaux , foit en prévenant le mal
foit en empêchant fa communication.
Vos lumières , Monfieur , & votre zèle
138 MERCURE DE FRANCE .
pour le bien public fondent notre efpérance
; & votre réponſe fera un motif
éternel de reconnoiffance pour nous.
J'ai l'honneur d'être , & c.
J'ai renvoyé votre lettre , Monfieur ,
à MM. du Bureau de Paris , après en
avoir gardé copie.
A BEAUVAIS , ce 27 Septemb. 1762 .
LETTRE en Réponse , de M. BOURGELAT
à M. BOREL.
O N ne pouvoit répondre , Monfieur ,
avec plus de clarté & de précifion que
vous l'avez fait , aux queftions que j'ai
eu l'honneur de propofer à la Société
Royale d'Agriculture fur le Mémoire
qui lui avoit été adreffé par le Bureau de
Beauvais . Quand on eft en état de voir
& de décrire comme vous on eft en
quelque forte affuré d'indiquer le che
min qui conduit à la découverte des
moyens de vaincre les maladies .
J'avois reçu de divers endroits du
Royaume plufieurs détails relatifs à celle
dont vous avez fi bien faifi les fymptômes.
Les premiers qui m'étoient par
venus ne m'apprenoient rien ; ils me
prouvoient feulement qu'au fein de la
plus profonde ignorance on fe perfuade
aifément qu'on a des yeux. Les feconds
SEPTEMBRE. 1763. 139
m'avoient induit en erreur. J'avois crû
y appercevoir tous les fignes d'une fiévre
exanthémeteufe ou pétechiale. Je
ne balance plus aujourd'hui , vous m'avez
convaincu que ce qu'on appelle
( du moins dans la province de Picardie
le claveau eft une véritable petite vérole.
Je vois même qu'on peut diftinguer
cette maladie dans les moutons comme
dans l'homme en benigne & en maligne.
Celle dont étoit attaqué l'animal
l'ouverture duquel vous avez fait procéder
, me paroît être inconteſtable→
ment de ce dernier genre , & j'en juge
par des faits auxquels on ne peut méconnoître
les traces & les fuites funef
tes d'une putridité & d'une inflammation
générale .
Ce ne feroit cependant point affez
de ces effets pour être abfolument certain
de l'identité des deux maux dans
l'homme & dans l'animal ; mais celle des
fignes principaux femble ôter tout prétexte
au doute. La maladie s'annonce d'abord
par les mêmes fymptômes vifibles dans
l'un & dans l'autre ; l'éruption fuit ces
premieres indices , & quoique le moment
& le terme de cette éruption ne
foient point précisément fpécifiés dans
la Lettre à laquelle j'ai l'honneur de ré140
MERCURE DE FRANCE.
pondre , la qualité , la forme , la couleur
, les terminaifons des boutons ne
laiffent entrevoir aucune différence . Je
compare dans le mouton la morve épaiffe
, tenace & en quelque forte purulente
, qui flue de fes nazeaux au ptyalifme
, c'est-à-dire , à la falivation que
les hommes adultes éprouvent quelquefois
dès le commencement de l'éruption ,
quelquefois le lendemain ou deux jours
après. Un même danger menace l'homme
& l'animal dans lefquels la confluence
fe fait principalement remarquer à la
tête , l'engorgement des vaiffeaux da
cerveau étant également en eux un préfage
funefte : la coalition des paupiè
res , la perte d'un oeil , la cécité même
font encore des événemens communs
à l'un & à l'autre en pareille circonftance
; ainfi que les effets d'une acrimonie
qui provoque la chûte de la laine
, comme elle provoque la chûte du
poil , des cheveux & enfuite des cicatrices
plus ou moins difformes aux
endroits où l'éruption s'eft faite . Enfin
Monfieur , quoique les Bergers que
vous avez interrogés n'ayent pû vous
éclairer fur l'exiftence de la fiévre ,
l'ardeur la foif , l'abbatement , & c.
vous en ont dit affez , & vous avez
SEPTEMBRE. 1763. 141
penſé avec raiſon que la nature dans ces
animaux n'eft pas moins active & moins
portée que dans nous à faire de vrais
efforts pour atténuer & pour difpofer
les particules morbifiques à s'éloigner
du centre & à être jettées au dehors ou
à la fuperficie.
,
Voilà , Monfieur une infinité de
traits & de caractères ' d'une feule &
même maladie. Dans le deffein où je
ferois de ne pas perdre l'occafion la plus
favorable que je puiffe avoir d'approfondir
cette matiére importante & de
m'inftruire , me permettrez - vous avant
de m'engager plus loin , de chercher à
mettre à profit vos lumières & le rare
talent que vous avez d'obferver.
1º. Les vieux moutons font- ils auffi
fujets au claveau que ceux qui font jeunes
? Le claveau eft- il plutôt en eux d'une
efpéce confluente ou maligne , & par
conféquent d'un danger plus éminent ?
2º. Les agneaux font- ils atteints de
ce mal ? Est- il plus communément dans
ces jeunes animaux d'une efpéce difcrette
ou bénigne ? Leurs déjections dans
quelqu'un des deux genres que ce foit
tiennent-elles de la diarrhée ? Sont - ils
atteints d'un flux par les nazeaux dans
le genre confluent ? Ce flux précéde-t-il
142 MERCURE DE FRANCE.
ou accompagne-t - il l'éruption ?
3°. Les moutons adultes font ils plus
en péril que les agneaux , lorfqu'ils font
affectés du claveau ?
4°. Quel est précisémeut le moment ,
quel eft auffi le terme de l'éruption dans
l'un & dans l'autre genre ? Varie-t- il
felon ces mêmes genres & fuivant l'age
des animaux ?
5°. Après cette même éruption , les
fymptômes paroiffent- ils calmés dans le
genre difcret ? Semblent - ils plus graves
& augmenter dans le genre confluent
?
6°. Un mouton guéri du claveau de
l'une ou de l'autre espéce eft- il attaqué
une feconde fois ou plufieurs autres fois
de ce mal ?
7°. Ne pourroit-on pas tenter l'inoculation
fur un mouton fain , ou fur
un agneau intact qu'on auroit préparé ?
Quelle feroit l'iffue de cette expérience
faite avec toutes les précautions poflìbles
dans la crainte de répandre la contagion
?
8. Cette même opération pratiquée
fur un mouton guéri du claveau naturel
, le virus variolique auroit- il encore
prife fur lui ?
9°. En la pratiquant de nouveau fur
SEPTEMBRE . 1763 . 143
un mouton ou fur un agneau inoculé ,
porteroit-il encore le trouble dans la
maffe ?
10° . N'y a-t- il aucun exemple que des
Bergers ayent contracté le virus variolique
par l'attouchement immédiat &
conftant des moutons malades du cla
yeau ?
11º . Ce virus ainfi communiqué ne
s'eft - il point manifefté dans l'homme
de toute autre maniére que par l'éruption
, à-peu-près comme dans certaines
maladies malignes & contagieufes des
boeufs , où nous voyons que quoique
ces animaux n'ayent aucun veftige de
charbon , l'homme qui en ouvre les
cadavres fe trouve fouvent atteint d'un
véritable anthrax.
12°. Quels feroient l'effet & la fuite
de l'infertion d'un ou de plufieurs grains
varioliques fur des ânes , fur des mulets
, fur des chevaux , fur des boeufs
fur des chiens , en un mot , fur des animaux
de genres différens ?
13. Quels feroient ces effets en prati,
quant l'infertion fur un genre plus rapproché
en apparence de celui du mouton
, c'eft- à-dire , fur les boucs ?
14°. Enfin le claveau eft - il moins
funefte aux femelles qu'aux mâles ?
144 MERCURE DE FRANCE.'
Je comprends , Monfieur , qu'en
me livrant ainfi aux idées qui m'entraînent
, je ne réponds point à ce que vous
exigez de moi. Pardonnez - moi , s'il
vous plaît , ces nouvelles queftions en
faveur des vues qui me les fuggérent ,
& de la jufte perfuafion dans laquelle
je fuis que vous êtes plus capable de les
feconder que perfonne. Je reviens à
l'objet qui vous intéreffe le plus effentiellement
dans l'inftant préfent ; & fi
j'ai le malheur de ne pas vous fatisfaire
pleinement , n'en accufez que mon impuiffance.
6
J'en fuis trop pénétré, Monfieur , pour
ofer entreprendre de dévoiler les caufes
de cette maladie dans l'animal. Voun'ignorez
pas qu'eu égard au corps humain
> nous ne voyons aucune trace
de fon exiſtence dans les écrits qui ont
précédé le feptiéme fiècle , & vous ne
croirez pas fans doute qu'un mal auffi
frapant par fes fymptômes & par fes
dangers eût pû échapper aux regards
perçans de plufieurs Obfervateurs Grecs,
pricipalement d'Hypocrate. Cependant
plufieurs Médecins d'après Rhafes
Î'Hypocrate des Arabes, ont avancé avec
affurance que la petite vérole humaine
eft une forte de contagion innée , un
levain
SEPTEMBRE. 1763. 145
Ievain héréditaire que chaque homme
apporte en naiffant , & qui lui eft tranfmis
dans la matrice , comme fi ce levain
inné n'auroit pas fubfifté & ne fe
feroit pas manifefté dans des temps antérieurs
; comme s'il étoit raifonnable &
poffible de penfer & de prouver que
fon dévelopement s'eft fait auparavant
de toute autre manière ; comme fi ce
terme de levain préfentoit quelques
notions préciſes de la nature de ce même
levain ; enfin comme fi l'idée qui femble
à la vérité fe prêter le plus à l'applicacation
du phénomène de cette éruption
dans l'univerfalité des hommes , acqué
roit par cet avantage un degré de certitude
& d'évidence auquel on ne sçauroit
fe refufer.
D'autres perfonnes dévouées à la
cure des maux qui nous affiégent , ont
penfé avec Sidenham , que la petite vérole
eft l'effet de miafmes venimeux
dont l'air eft le véhicule , qui s'introduifent
dans la maffe par les différentes
voies qui leur font ouvertes , & qui en
fortent & s'exaltent enfuite de façon à
infecter d'autres corps , & à y occafionner
la multitude de fymptômes & d'accidens
furprenans qu'ils ont fufcités dans
les premiers. Si vous leur demandez ,
G
146 MERCURE DE FRANCE,
Monfieur , quelles font les cauſes pro
ductives de ce venin ? quel eft le climat
qui lui donne l'être , quel eft l'état ,
quelle eft la qualité de la terre qui four
nit d'auffi cruelles exhalaifons ? Comment
& pourquoi il ravage tout dans
une faifon & fe diffipe entierement dans
une autre ? En un mot , comment une
conftitution épidémique dans une dépendance
entière de l'air réfifte à l'agi
tation violente de cet élément , c'eſt-àdire
à l'impétuofité des vents ? Il n'eft pas
douteux , Monfieur , qué plufieurs de
ces perfonnes ne rougiront pas de vouloir
vous faire comprendre des prodiges
non moins inintelligibles pour elles que
pour vous; mais celles qui ne vous rés
pondront que par la devife de Montagne
( que fçais - je ? ) feront affurément
les plus dignes de votre eftime & de
Votre confiance.
Si la Médecine humaine a fait fi
рец
de progrès dans la connoiffance des caude
la petite vérole , à quelle diftance ne
doit pas être de celle du claveau un Art
qui eft encore dans fa premiere enfance?
Il nous feroit peut-être avantageux
de fçavoir d'abord fi cette maladie a , dès
les premiers temps , été reconnue dans
les-moutons , ou fi elle ne l'a été que
SEPTEMBRE. 1763. 147
dans un fiécle éloigné de celui des premiers
Ecrivains vétérinaires ? De quelqu'importance
que pût être cette décou
verte pour celle de l'entiere conformité
des deux maux que nous comparons
déjà par leurs fignes & par leurs effets ,
la recherche m'en paroîtroit hazardée ;
il s'en faut bien que la médecine des
animaux ait été foigneufement éclairée
du flambeau de l'obfervation . Je ne lis
rien qui puiffe être envifagé comme
l'hiftoire d'une maladie quelconque ;
je ne vois aucuns détails qui annoncent
la fagacité & la réflexion. La nature
des maux dont les Auteurs ont parlé ,
leur caractère distinctif , leurs progrès
leurs événemens , tout eft demeuré dans
l'obfcurité la plus profonde , & à peine
s'eft-on - concilié fur la plupart des noms
-par lefquels il étoit du moins effentiel
de les défigner , où nous conduiroit
donc , Monfieur , un travail qui nous
rappelleroit à des fiécles ténébreux où
-la lumière n'éclairoit pas ceux mêmes
qui fur de femblables objets prétendoient
éclairer les autres ?
D'ailleurs je l'avouerai , peut - être à
ma honte ; tous les écrits des Anciens
fur l'art vétérinaire tombent malgré
moi de mes mains . Ouvrez , s'il vous
•
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
plaît , Columelle que vous apprendrat-
il ? vous le verrez s'étayer fur l'autorité
de l'Egyptien Dolus Mendefius
qu'il cite comme un Auteur mémorable
& dont Démocrite , felon lui , s'eft
approprié les penfées : il vous dira gravement
en conféquence : examinezfouvent
le dos des brebis , pour voir fi elles
font atteintes de cette maladie ; faites
Sur le champ creufer une foffe à côté de
L'étable dans laquelle vous enterrerez toute
vive la brebis qui aura été attaquée de
ces boutons , & faites uriner le troupeau
entier fur la bête morte ; par ce moyen
vous éloignerez la maladie.
Des abfurdités pareilles n'infe&tent
pas abfolument les Ecrits des Modernes ;
ils n'en font pas néanmoins exempts.
Les uns ont cru que le claveau ne fe
manifeftoit que par une toux confidérable
, les autres par des boutons femblables
à des clous ou à cette forte d'éruption
que nous nommons furonoles.
Les premiers ont confeillé l'orviétanles
feconds , pour fe conformer aux recettes
prefcrites par Anatolius , ordonnent
la poix réfine ſeule , ou avec de
l'alun , du fouffre & du vinaigre dont
ils veulent qu'on garniffe les boutons
après les avoir ouverts.
SEPTEMBRE 1763. 149
Frederic W. Haftfer , Suédois , dont
l'ouvrage a été depuis peu traduit dans.
notre langue , prétend défigner par les
mots ignis facer , la maladie que nous
nommons ainfi dans l'homme , je veux
dire l'éréfipéle autrement connue fous
ce même nom de feu facré , de feu S.
Antoine , de feu des ardens ; mais dans
la defcription qu'il en fait je ne reconnois
ni l'éréfipéle humaine , ni le mal
que Columelle a appellé ignis facer &
que les Bergers appelloient pufula . Il fait
mention ailleurs de la petite vérole qui ,
felon lui eft après la pefte la plus dangereufe
des maladies qui puiffent affecter
un troupeau. Il en diftingue de trois.
efpéces , celle du primtemps , celle de
rété , & celle de l'automne ; on pourroit
en compter une quatriéme dans la
Picardie , puifque vous me faites l'honneur
de me mander qu'elle y exiſtoit
dès l'hyver dernier. Il leur attribue une
même origine , car elles n'en ont d'autres
, à l'en croire , qu'une furabondance
d'humeurs qui fe corrompant & fe putrifiant
par l'exhalaifon des particules
âcres de l'étable , fe préfentent extérieu
rement fous une forme de petite vérole
; cependant il prefcrit un traitement
différent felon les faifons. Je crois , Mon
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
fieur , que Frederic Haftfer n'eft pas plus
éclairé que nous fur les caufes & l'eft
beaucoup moins que vous fur les effers."
Dans cet état , imitons les Médecins du
corps humain , qui ne pouvant atteindre
à la fource abfolument inconnue du
mal , déterminent leurs attaques fur les
fymptômes préfens & fenfibles.
C
Le reste au Mercure prochain.
ANATOMIE LÉGALE.
-
LETTRE de M. Louis , Profeffeur
Royal de Chirurgie , à M. DE LA
PLACE , Auteur du Mercure de
France.
V ous avez eu la bonté , Monfieur
de rendre dans le Mercure de Juin
un compte avantageux d'un Mémoi
re que j'ai donné au Public fur une
queftion anatomique , relative à la Jurifprudence
, où j'établis les principes
pourdiftinguer, à l'infpection d'un corps
trouvé pendu , les fignes du fuicide d'avec
ceux de l'affaffinat. Ce Mémoire
eft vivement attaqué dans le Journal
SEPTEMBRE. 1763. 151
de Médecine du mois de Septembre ,
fous le nom d'un Bachelier de la Faculté.
On prétend que je ne me fuis
occupé que de détails inutiles ; que j'ai
foutenu des opinions hazardées , &
donné des principes dangereux , dont
on peut tirer de funeftes conféquences.
La troifiéme propofition eft remife à
l'Ordinaire prochain ; il n'eft queſtion
dans celui-ci , que des détails prétendus
inutiles , & des opinions qu'on dit hazardées.
J'efpére que l'Auteur du Journal
de Médecine qui a publié cette critique
par égard pour les perfonnes de
fon Corps qui l'en ont follicité , m'accordera
une place pour la défenfe de la
faine do& rine fur une queftion auffi
intéreffante . Je ne me refuferai pas
à
la recherche de la vérité ; c'eft un engagement
que je contracte volontiers
avec le Public par la voie du Mercure.
La difcuffion du fonds eft fpécia
lement du reffort du Journal de Médecine
mais qu'il me foit permis de
reprendre dans le vôtre la forme que
mes Cenfeurs ont donnée à leur critique
.
Ils ont manifeftement confondu l'oc
cafion qui m'a porté à écrire avec l'ob,
jet de mon Mémoire. Pour établir l'inu-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
tilité de mes recherches & de mes expériences
, ils demandent fi l'affaire des
Calas en eft plus éclaircie ? Non ; difent
ils , & l'Auteur du Mémoire a
tout-à -fait perdu de vue cet objet principal.
-
Ma réponſe eft fimple. Cette affaire
n'a été , ni pû , ni dû être l'objet de
mon Mémoire. Quel homme feroit affez
imprudent & affez dépourvu de raiſon ,
pour ofer prononcer fur un cas particulier
, auffi grave que l'eft l'affaire de
Touloufe , jugé par un Parlement , &
foumis à la décifion du Confeil du Roi ,
qui pourra ordonner , ou ne pas ordonner
la révifion du procès ? C'eſt cependant
cette inutilité relative qu'on m'objecte
! on particularife mes réflexions
générales ,, ppoouurr chercher l'analogie qu'il
doit y avoir , dit-on , entre l'état de
la queftion & l'hiftoire des Calas. J'avoue
que fi l'on en appercevoit , ce
feroit contre mon intention ; & que j'ai
mis tout l'art dont j'ai été capable , à
empêcher qu'on ne pût faire la moindre
application des chofes que j'ai avancées
, à l'affaire particuliere qu'on me
reproche mal-à -propos de n'avoir point
approfondie.
Le premier point fur l'inutilité de mes
SEPTEMBRE. 1763. 153
"
recherches eft donc tout-à-fait déplacé ;
& ayant déclaré dès les premieres phrafes
de mon Mémoire , que je ne traitois
point de l'affaire des Calas &
qu'elle n'étoit que l'occafion qui m'avoit
porté à écrire fur cette matière
il n'y a ni juftice , ni raifon à me demander
en finiffant ce point .... que font
à l'affaire des Calas tous ces raifonnemens
pour engager à fecourir les pendus
fuicides ; cette difcuffion fur les
moral ou le phyfique de leur action ;;
ces avis publiés depuis 1740 , au fujet
des noyés ; l'éloge de la Philofophie
& des Arts ; la longue note où les filles
de Milet , Aulugelle & Tacite font éton
nés de fe rencontrer ? & c.?
TO
.
Vous voyez , Monfieur , ce que dans
cette tirade il y a d'étranger au fonds
de la queſtion. On jugera aifément de
l'infidélité de cette critique. L'on n'au ---
pas dû demander que fait à l'affaire
des Calas , l'éloge de la Philofophie :
& des Arts ; mais à quoi il fert dans un
Mémoire fur les pendus ?. Il fembleroit:
à cette question que perdant véritable--
ment mon objet de vue , je me fuiss
livré par une digreffion déplacée, à faire;
l'éloge de la Philofophie & des Arts . Riem
n'eft cependant fi peu fondé que co
G.V
154 MERCURE DE FRANCE.
reproche. J'ai dit , par occafion , que le
progrès de la Philofophie & des Arts
nous faifoit voir au profit de l'humanité ,
plufieurs objets , fous des afpects plus
raifonnables que nos pères ne les envifageoient.
C'est exactement là tout ce que
je dis ; & cette unique réfléxion fi fimple
& fi vraie , placée à propos , eft repréfentée
comme un chef d'inutilités
dans mon ouvrage : cela n'eft pas pardonnable.
Il faut de la bonne foi dans
la critique , & ſe reſpecter en imaginant
qu'il y a quelques Lecteurs judicieux
, capables de prendre la peine de
vérifier les points de conteftation. Les
filles de Milet qui fe font pendues
elles- mêmes , ne doivent pas être plus
étonnées de fe rencontrer avec Aulu-gelle
, dans mon Mémoire , que dans les
nuits attiques de cet Auteur ; & celui-ci
avec Tacite , dont j'ai crû devoir conferver
une expreffion bien énergique à
l'occafion du fuicide . Mais tout ceci eft
en note ; c'eſt la feule qu'il y ait dans
mon ouvrage ; & on ne peut pas dire
qu'elle ne foit pas amenée par le Texte.
Il faut que l'envie de contredire foit
bien forte , pour porter ceux qui en.
font tourmentés , à des objections auffi
farides L
SEPTEMBRE. 1763. 155
Paffons aux opinions qu'on dit hazar
dées. On foutient que les pendus meu
rent par fuffocation , faute d'air. J'ai
prétendu que la corde , fur-tout dans
ceux qui fe pendent eux-mêmes , n'agit
point du tout fur le conduit de l'air :
fur cela on fait deux interrogations....
Qui le mettroit à l'abri de la corde ?
Sur quelle partie de la corde agiroit-elle ?
Voici une réponse à ces deux queſtions :
rien ne met le conduit de l'air à l'abri de la
corde , & il n'a pas befoin d'abri , puifqu'elle
n'agit point fur lui. Elle porte
fous la machoire & fous l'occipital : elle
comprime principalement les veines jugulaires
, & les pendus meurent apoplectiques
& non pas fuffoqués. Pourquoi
taire que je me fuis autorifé du
fentiment de deux habiles Profeffeurs
en Médecine , Benedicti & Nymann.;
& me citer une autorité contraire , celle
de Garmann , Compilateur déraifannable
de touté efpéce d'inépties
dans un gros volume in-4°. de plus de
1500 pages , fous le titre de Miraculis
mortuorum , où l'on trouve le pour &
le contre , fans choix & fans difcerne
mentfur toutes les queftions qu'il traite ,
& parmi lesquelles il y en a de fort
ridicules. Entre des autorités de parcil
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
poids , il auroit fallu confulter l'expérience
, faire des effais & raiſonner conféquemment
fur les faits . On aime mieux
rappeller des cas particuliers mal obfervés
, que d'avoir recours aux grands
principes par lefquels on doit juger toutes
les conteftations fcientifiques.
1
a
Quel moyen de nier l'effet de la
compreffion des veines jugulaires par
l'impreffion de la corde fur un pendu ?
A ce fait fi fimple & fi clairement démontré
aux yeux même des moins inf
truits , on fubftitue une explication prétendue
phyfiologique , dont Garmann
dit-on , ouvert la voie , mais qu'Hebenfgreit
a développée. Or, cette explication
eft fi mauvaife , qu'elle feroit honte à
un Ecolier d'anatomie & de phyfiolologie
, & que l'Auteur de cette critique
eft forcé lui - même de l'abandonner
enfuite. L'avoir employée est une grande
Aiftraction de la part d'un homme qui
fe fait un mérite de reprocher des inutilités.
Il ne convient qu'avec une forte
de regret de ce qu'il trouve de favorable
à la vérité que je foutiens , dans
les autorités qu'il rapporte ; & il cherche
à donner du crédit aux erreurs pour
me les oppofer. C'est ce que je prouverai
par l'examen détaillé des faits qu'on
SEPTEMBRE. 1763. 157
m'objecte , & qu'il feroit trop long de
difcuter préfentement.
L'Auteur à l'occafion des apopléxies
citel'aphorifme d'Hippocrate quidit, qu'il
eft impoffible de guérir une forte apopléxie
, & qu'il eft difficile d'en guérir
une légère. Et il ajoute à une fauffe conféquence
qu'il tire de cette remarque
qu'on voit bien que ce n'eft pas d'Hippocrate
que je fais mon étude particu
lière.
Je pourrois repliquer qu'une injure n'eft
point une raifon , & que l'Auteur auroit
fans fe faire aucun tort , fup
pu,
primer cette perfonnalité.
Je pourrois lui dire, que les principaux
ouvrages d'Hippocrate étant fur la Chirurgie
, c'eft m'injurier gratuitement ,
que de vouloir faire croire que je ne me
fuis pas autant occupé que je l'aurois
dû , de la lecture de cet Auteur.
Je pourrois obferver encore , que
tout ce qu'Hippocrate a avancé , n'eft
pas confirmé par les faits : il croyoit , par
exemple , que les playes du corps de
la veffie étoient mortelles , & nous en
guériffons tous les jours. Et pour ne pas
dérouter le jeune Bachelier , & le tenir
fur fa citation , je pourrois lui promettre
qu'il apprendra par l'ufage , qu'il n'eſt
158 MERCURE DE FRANCE .
*
point du tout rare de voir des perfon
nes qui ont eu plufieurs attaques d'apopléxie
.
Mais je me contenterai de lui dire ,
ce dont peut-être il ne fe doute pas ,
qu'après une lecture d'Hippocrate , on
peut prendre une leçon utile dans Moliere
qui a relevé , pour le bien public , le
ridicule d'un Médecin qui foutenoit
opiniâtrément qu'un homme enterré
depuis deux jours n'étoit pas mort ;
parce qu'Hippocrate difoit expreffément
que la maladie dont il étoit attaqué , ne
fe terminoit qu'au quatorziéme ou au
vingt-uniéme jour ; & qu'il n'y en avoit
que fix que cet homme étoit malade.
Ce trait de morale s'applique tout
naturellement à ceux qui préférent l'autorité
des hommes à celle de la Nature
& de la Raifon.
J'ai l'honneur d'être , & c.
SEPTEMBRE . 1763. 159
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
AVIS de la Société des CONCILIATEURS
, fur le Mémoire de M. de
PARCIEUX , pour conduire l'Eau
de l'YVETTE à Paris.
APRÉS la lecture d'une Deſcription
"
de la Place de LOUIS XV , inférée
dans le précédent Mercure on s'eft
demandé d'où l'on pourroit tirer l'eau
néceffaire aux deux Fontaines qui doi-,
vent entrer dans la décoration de cette
Place ?
Les différens moyens qui ont été difcu
tés pour remplir cet objet , n'ayant préfenté
que des difficultés & des dépenfes
confidérables ; un de nos Affociés , qui
a des connoiffances fur l'Hydrauilque ,
avança que l'exécution du Projet conté
nu dans le Mémoire de M. de Parcieux
en procurant à la Ville de Paris mille
douze cens pouces d'eau , qui pourroient
160 MERCURE DE FRANCE.
être diftribués dans tous les quartiers ,
rempliroit facilement les vues de magnificence
& d'agrément que l'on s'eft
propofées pour la Place de Louis XV
en y projettant la conftruction de ces
deux Fontaines..
On applaudiffoit unanimement à cette
idée , lorfqu'un d'entre nous , que
la
fortune a mis en état de fatisfaire fon inclination
bienfaifante & patriotique ,
repréfenta qu'il auroit déja fait des offres
de contribution pour fa part dans une
entrepriſe auffi importante au bien public
, fi quelques perfonnes ne l'avoient
affuré avoir goûté l'eau de l'Yvette
puifée dans les endroits où cette petite
rivière eft le plus limpide , & lui avoir
toujours trouvé un goût de vâfe & de
marais , qui en rendoit la boiffon un peu
défagréable.
On voit bien , repliqua celui qui avoit
parlé du projet de M. de Parcieux , que
ceux qui ont fait ce rapport ne connoif
fent guères que l'eau qu'on boit à Pa
ris , fans avoir même fait attention comment
elle contracte ce même goût de
vâfe quand la Seine eft fort baffe &
comment elle le perd. Il n'y a pas
ajouta- t- il , une feule des petites rivières
ou des ruiffeaux qui forment la Sei
>
SEPTEMBRE. 1763. 161
ne , fi ce n'eft peut-être dans les Pays
de hautes montagnes , qui n'ait ce mê
me goût de vâfe , & il eft prèfqu'impoffible
que cela foit autrement. Les lits des
petites rivières font pleins d'obftacles à
leur courant , lors même que les eaux
font les plus fortes. Ces obftacles font
les chauffées des étangs , les retenues des
réfervoirs , vanages & biez de moulins ;
des racines & branches d'arbres coupés
ou renversés ; des touffes de rofeaux, de
joncs & autres herbes aquatiques qui
croiffent abondamment. Pendant le
printemps & l'été les eaux de ces riviè
res arrofent les Prés , y féjournent ou
du moins y coulent fort lentement ,
d'où il arrive qu'elles contractent le
goût des herbages qu'elles lavent , &
entraînent avec elles le limon qui s'y eft
formé pendant l'hyver par les herbes
pourries & les feuilles tombées . A la
fin de Septembre & en Octobre on fait
rouir les chanvres & le lin , dans les
ruiffeaux ou da ns des trous voifins, d'où
l'eau paffe avec une partie de ce qu'elle
enlévé de ces chanvres dans ces ruiffeaux
, & de là dans les petites rivières ,
où il fe fait dépôt de ces matières ;
qui contribue encore au mauvais goût
de ces eaux . On ne peut donc , conti162
MERCURE DE FRANCE.
nua le défenfeur des eaux de l'Yvette
faire aucun reproche à cette rivière, qui
ne foit applicable à toutes celles de la
même claffe , & qu'elles mériteront par
des caufes prèfque néceffaires. Mais
pour avoir prouvé l'efpéce de néceffité
d'une mauvaife faveur aux eaux de l'Yvette
, ce ne feroit pas avoir prouvé
qu'on dût en trouver l'ufage moins dé
fagréable. Rien ne feroit fi raifonnable
que cette objection , repliqua notre Af
focié , fi ce mauvais goût étoit effentiellement
inhérent à cette eau , & s'il
n'y avoit pas des moyens certains pour
le lui faire perdre avant qu'elle fût arrivée
dans la Ville .
N'admettez- vous pas comme conftant
que l'eau de la Seine , avant que d'être
chargée des immondices de Paris , eft la
plus pure, en même temps la plus falubre
dont on puiffe boire ? Si l'on a bien lû
l'examen chymique de MM. Hellot &
Maquer, imprimé à la fin du Mémoire
de M. de Parcieux , on a dû fè convaincre
par tous les réfultats des épreuves de
ces deux fçavans Académiciens fur
l'eau de l'Yvette , qu'elle eft dans une
exacte parité à l'eau de la Seine quant
aux qualités effentielles. Ce qui donne
encore plus de poids à cette affertion , eft
SEPTEMBRE. 1763. -163
lefoin fcrupuleux avec lequel on apperçoit
qu'a été fait cet examen . Or fi les
qualités conftitutives des eaux de l'Yvette
font les mêmes que celles des eaux
de la Seine , ou entiérement homogénes
, il ne s'agit donc , pour rendre les
premieres auffi agréables & auffifalubres ,
que de les dé pouiller de la faveur accidentelle
qu'ellesauront contractée. Il faut
pour cela obferver par quels moyens
toutes les petites rivières qui forment la
Seine & qui ont la même faveur marécageufe
que l'on reproche à l'Yvette ,
la perdent dans le lit de cette grande
rivière . On ne peut douter que ce ne
foit en coulant alors plus librement &
dans un lit plus propre que leur canal
originaire ; & que par le mouvement de
la furface au fond & du fond à la furface
, les parties étrangères qui donnoient
cette faveur à l'eau font diffipées
ou par l'évaporation ou par la difperfion.
Et comme ce nouveau lit eft
garanti des dépôts limoneux , entraînés
par la force du courant , ces eaux le
font auffi du goût marécageux qu'elles
ne devoient qu'à ces dépôts. Si l'Art
peut facilement procurer le même
moyen d'épurement à l'Yvette , que la
Nature fournit à toutes les petites ri164
MERCURE DE FRANCE.
vières qui fe jettent dans les grandes , on
ne pourra plus douter raifonnablement
que fes eaux ne deviennent d'un auffi .
bon ufage que celles de la Seine ..
Pour s'affurer de ce changement avan-.
tageux dans les eaux de l'Yvette , il faut
obferver que par des expériences réïtérées
, & que chacun eft en état de faire
par foi- même , on eft certain que cette
eau expofée à l'air dans des vâfes propres,
perd fon goût marécageux en moins.
de quatre ou cinq jours ; que l'on opérera
encore plutôt cet effet en la battant
dans des bouteilles , avec l'attention
de donner de temps en temps paffage
à l'air extérieur en levant le doigt qui
les couvrira. Il en résulte donc néceffairement
, que le mouvement & même le
feul dépôt dans un vâfe propre , avec le
libre contact de l'air , fuffifent pour enlever
de cette eau les parties vafeufes
qui occafionnent la mauvaiſe faveur. Il
eft démontré que le projet de M. de
Parcieux fur la manière de faire parvenir
cette rivière à Paris réunit éminemment
ces deux moyens. En effet , cette
rivière dérivée de fon lit naturel à fept
lieues de Paris , & coulant dans un canal
, qu'à très -peu de frais on pourra
conferver dans une netteté parfaite , à
SEPTEMBRE. 1763 . 165
la faveur de fon mouvement & du contact
de l'air , aurara perdu la faveur marécageufe
avant que d'être parvenue à
moitié de la diftance que parcourera ce
canal , puifqu'il fuffiroit même pour
cela , avec plus de temps , du feul dé.
pôt de ces eaux dans un récipient net.
On ne pourra en douter , fi l'on fait
attention à ce qui fe pratique pour
l'épurement des eaux chargées de parties
minérales les plus divifées & les
plus intimement amalgamées avec le
fluide .
Non feulement donc l'eau de l'Yvette
fera purgée de fes parties étrangères
dans ce canal , comme elle le feroit dans
une grande rivière , mais encore elle
y fera bien plus fùrement garantie de
contracter jamais aucune faveur défagréable;
parce que ce nouveau canal fera
toujours plus propre qu'aucun lit de
rivière , quelque rapide qu'en foit le
courant ; & que les herbes aquatiques ne
pourront y prendre naiffance , quand
même on ne le nettoyeroit que tous
les deux ou trois ans. Ainfi la Capitale
trouvera dans cette nouvelle rivière
dont elle fera enrichie , l'eau la plus pure,
la plus faine & la meilleure qu'on puiffe
d efirer.
166 MERCURE DE FRANCE .
on
En cédant à des raifons fi convaincantes
& qui ont la force de démonftration
, tous les avis de la Société fe
font réunis à convenir de l'extrême utilité
dont feroit l'exécution du projet
contenu dans le Mémoire de M. de Parcieux
; & rejettant toutes les objections
vagues & fans fondement qu'on pourroit
oppofer à une fi belle entreprife ,
s'eft unanimement arrêté à faire des
voeux pour jouir le plus promptement
poffible des avantages qui en réfulteroient
pour la commodité , la falubri
té & l'embelliffement de la Capitale.
Heureux fans doute ceux qui pourront
immortalifer leur mémoire d'âge en âge
parmileurs concitoyens , en contribuant
à un fi beau Monument de bienfaifance
& fi digne de concourir à la décoration
d'une Place qui portera toujours
le nom du Monarque BIEN - AIME !
a
CHIRURGIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
J'AI lù , Monfieur , avec étonnement
ΑΙ
dans votre, Mercure d'Août 1763 , une
Lettre Anonyme fous le titre d'un Etudiant
en Chirurgie , à M... Chirurgien
de Province .
SEPTEMBRE. 1763. 167
On ne peut douter à la lecture de
cette Lettre qu'elle ne foit effectivement
l'ouvrage d'un Etudiant peu au fait de
ce qui s'eft paffé en Chirurgie fur la
Taille ; il répéte ici ce qui eft écrit dans
tous les ouvrages de Chirurgie , fur les
dangers des inftrumens à refforts , &
ce qui eft avoué de tout le monde en
général ; mais dont l'application ne
peut être faite au Lithotome caché du
Frère Cofme , dans lequel le reffort fur
lequel il veut faire illufion , ne fert uniquement
qu'à renfermer & contenir la
lame dans fa guaine & non à diriger
l'inftrument , qui ne reconnoît en opérant
abfolument , d'autre puiffance que
celle de la main de l'Opérateur.
Cet Etudiant ignore auffi que le Frère
Cofme ne s'eft jamais annoncé comme
l'Auteur d'une méthode précisément
nouvelle ; il s'eft borné à prouver qu'il
exécute avec fon Lithotome caché, la
taille latérale du Frère . Jacques plus
furement & plus exactement qu'on ne
l'avoit faite jufqu'à lui.
Il nous renvoye encore aux Mémoires
de l'Académie Royale de Chirurgie , où
il prétend que nous trouverons des preuyes
démonftratives de réfutation. Je puis
lui annoncer que le Frère Cofme va
168 MERCURE DE FRANCE.
prouver auffi clair que le jour , que la
plupart des faits rapportés dans ces
Mémoires , touchant fa Taille , font ou
faux ou dénaturés ; & que les épreuves
qui y font rapportées , & qui fervent
de bafe à la théorie qu'on y donne
ont été faites avec la plus grande maladreffe
, ou la plus mauvaiſe volonté.
Je puis encore lui apprendre que le
Lithotome caché eft entierement adopté
à Vienne , & je le renvoye pour cet
effet à la fixiéme partie des ouvrages de
M. de Haën , où il en trouvera l'éloge,
avec celui de fes fuccès entre les mains
de M. Cambon , Confeiller , premier
Chirurgien de S. A. R. la Princeſſe de
Lorraine. S'il aime à s'inftruire d'une
matière dont il fe plaît tant à parler ,
il pourra y trouver des renfeignemens
utiles fur le nombre des cures faites avec
cet inftrument à Vienne , à Bruxelles ,
à Gand , à Tournay , à Maubeuge , à
Lifle , à Reims , à Metz , à Troyes ,
à Rouen , à la Rochelle , à Saintes ,
à Tours , à Bourges , à Toulon , à Mar
feille , à Romans , à Grenoble , à Lyon ,
à Châlons , à Louisbourg en Canada ,
au Fort Royal de la Martinique , & c.
& c. & c.
Quant à moi , Monfieur , qu'il dit
_voir
SEPTEMBRE. 1763. 169
voir fouvent , j'aurois pu lui apprendre,
s'il l'eût defiré , l'ufage avantageux que
je fais da Lithotome caché , & que j'en
dois faire journellement. Je lui aurois
prouvé qu'un Lithotomifte célébre , a
taillé quarante - cinq perfonnes de fuite
fans qu'il en foit morte aucune . M. Cambon
en a opéré près de cent , dont il
n'eft mort qu'une feule ; que j'avois
fait auffi avec cet inftrument quatrevingt-
neuf tailles depuis 1757 , toutes .
heureuſes , excepté trois dont les Sujets
font morts de caufes étrangères à l'opération
. Je puis lui donner tous les détails
, âges , noms , demeures , ainfi que
le temps de l'opération . Oferois -je ici
lui demander , quand les Adverfaires du
Lithotome caché , pourront citer autant
d'heureuſes tailles , fur un auffi grand
nombre de Pierreux , opérés par leurs
méthodes , & avec leurs inftrumens ?
En attendant qu'il y parvienne , il demeurera
demontré , que la méthode qu'il
préconife doit être profcrite de la bonne
Chirurgie , fuivant les principes où le
Frère Cofme établit la néceffité de l'incifion
fuffifante , pour éviter autant
qu'il eft poffible , la contufion & le déchirement
; caufes les plus ordinaires de
la mort des Taillés.
H
,
*
170 MERCURE DE FRANCE.
Si ces réfléxions ne paroiffent pas
affez décifives , pour la réfutation de
la méthode de l'Anonyme , qu'il mette
en parallèle les fuccès qu'il allégue avec
ceux que je lui oppoſe.
M. Morand , Chirurgien très - diſtingué
a donné une lifte des tailles faites
à l'Hôpital de la Charité depuis , 1720 ,
jufqu'en 1727 ; on y voit un peu plus
du tiers des Taillés devenir les victimes
des méthodes vantées par ce même
Anonyme. On doit bientôt rendre publique
la lifte des tailles faites à cet Hô
pital , depuis la même année 1720 ,
inclufivement jufqu'à la préfente année
1763 , il lui fera facile , ainfi qu'à tout
le monde , de fe convaincre , fi ceux
qui ont adopté le Lithotome caché du
Frère Cofme , à l'exclufion de tout
autre , l'ont fait par prévention , & fi
leur confiance dans cet admirable inf
trument , eft bien ou mal placée.
Je l'affure auffi que l'apologie que
l'on a faite de moi , & que je trouve
exceffive , a été abfolument à mon inf
çu. Je n'ai jamais mandié les éloges ,
mais j'ai fait & je ferai toujours les plus
grands efforts pour les mériter. Je n'ai
pû qu'être furpris de la façon avec la
quelle cet Anonyme me défigne. J'ai
SEPTEMBRE. 1763. 171
gagné la place que j'occupe dans un
concours public , ordonné par un Arrêt
du Parlement ; j'y ai été m intenu par
un autre Arrêt de cette même Cour ;
cela s'appelle - t-il entrer dans une place
par hazard ? Et l'Indécence de cette
expreffion ne prouve-t- elle pas quelles
font les paffions qui animent celui qui
la profére ? Mon feul crime vis - à - vis de
certains Chirurgiens eft d'être le neveu
du Frère Cofme , mais j'en fais ma
gloire & mon bonheur .
J'ai l'honneur d'être , &c.
BASEILLAC , gagnant Maítrife à la Charité.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
ESTAMPE NOUVELLE.
RIE
IEN dans la Peinture de plus difficile
à traiter que l'Allégorie ; rien en même i
temps ne fait plus d'honneur à un Artifte,
que lorsqu'il l'exécute d'une façon fupérieure.
Mais pour atteindre à ce but , il
ne fuffit point de joindre à l'élégance du
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
deffein les charmes du Coloris : il faut
encore un efprit exercé de bonne heure
à l'étude des bons Auteurs & enrichi de
leurs dépouilles ; afin que la noble fimplicité
ou l'élévation de la penſée ainfi
que fa délicateffe répondent à l'excellence
de l'exécution.
Il eſt dans le monde fçavant des fignes
de convention qui forment comme
l'Alphabet de l'idiome qu'on y parle. Le
Néologifme en eft également profcrit
ainfi que des autres langues ; & avec
d'autant plus de raiſon qu'on doit craindre
en s'abandonnant à des nouveautés
dans ce genre , de tomber dans un jargon
barbare,dont l'obſcurité pour l'ordinaire
eft le fruit. En effet , fi l'on ne parle
que pour être entendu , la clarté doit
être la baze du Difcours & furtout de
l'Allégorie .
Telle est celle dont le célébre le Brun
s'eft fervi , pour exprimer d'une façon
auffi élégante qu'ingénieufe , une jeune
mariée quifixe l'Amour.
On voit d'abord par la réunion de la
lumière fur l'objet principal du Tableau
une jeune perfonne dont la beauté & la
décence forment l'enfemble . Elle eft
affife fur l'herbe tenant l'Amour incliné
fur fes genoux & lui coupe les aîles, tanSEPTEMBRE.
1763. 173
dis que pour l'aider , Minerve lui lie les
mains derrière le dos avec fa ceinture :
le Dieu volage ne paroît fe prêter qu'à
regret à cette opération qui limite fa
liberté.
Derrière le Grouppe on apperçoit
l'Hymenfous la figure d'un enfant qui, le
flambeau élevé d'un air triomphant, femble
infulter l'Amour par un fourire mocqueur.
A côté de lui eft une corne d'abondance
, remplie de fruits. Plus loin
& fur fa droite les armes de l'Amour lui
font offertes en holocaufte . Ainfi plus
de traits décochés à la dérobée.
Des Arbres foutiennent au-deffus de
la nouvelle Mariée une espéce de tente
de Drap d'or qui défigne la condition
des époux , comme le Mouton qu'on
voit à côté d'elle , marque la douceur de
fon caractère. A fes pieds on voit une
pomme d'or avec l'Infcription : à la plus
belle:
Sobre dans le choix des caractères fymboliques
, le Brun arendu fa penſée avec
une précifion & une netteté qui ne laiſſe
rien à defirer au Spectateur. Il n'eft pas
jufqu'à l'Ecureuil qu'on voit fur la corne
d'abondance , fe jouer parmi les fruits ,
qui ne défigne adroitement pour qui le
Brun a peint ce Tableau . On fçait qu'il
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
l'a exécuté pour la famille de M. Fouquet ,
Sur-Intendant des Finances , à qui appartenoit
la Maiſon , où il fait partie des
ornemens qui décorent la cheminée
d'un Cabinet.
On peut dire que c'eft un des plus
beaux ouvrages de cet Artiſtec élébre. Le
Coloris en eft frais , & peut - être même
n'a-t- il jamais auffi bien peint . Les caracères
y font rendus avec une fineffe
& une naïveté qui le font fortir de l'idée
générale qu'il s'étoit formée des paffions.
Ce Tableau dont on ne donne qu'une
foible idée , mérite certainement l'attention
des Amateurs.
M. DemarcenayDeghuy, vient de le gråver
après en avoir tiré une copie pour fa
propre fatisfaction . C'eft la dix-huitième
Planche de fon OEuvre. Il a mis pareille .
ment au jour deux autres Planches fous
les No.dix-neuf& vingt,dont la première
repréfente un jeune Seigneur d'une trèsbelle
figure , d'après un des plus beaux
Portraits qu'ait peints l'illuftre Vandeick.
Il eft dans le Cabinet de M. Aved , Peintre
du Roi. Quant à l'autre , c'eſt une
belle tête de vieillard du meilleur temps
du fameux Rembrandt, Ces deux morceaux
font pendans .
On trouve ces Eftampes chez l'Auteur,
SEPTEMBRE. 1763. 175
quai de Conti , la deuxième porte cochère
après la rue Guénégaud.
Et chez M. Wille , Graveur du Roi ,
quai des Auguftins ,à côté de l'Hôtel d'Auvergne.
Le furplus de l'Euvre de l'Auteur ,
confifte dans les morceaux fuivans : le
Teftament d'Eudamidas , d'après l'une
des plus belles compofitions du Pouffin.
Ce Tableau appartient , dit-on , actuellement
à Sa Majefté le Roi de Dannemarc ;
M. Demarcenay en a fait pareillement
une Copie ainfi que de la plupart des Tableaux
qu'il a gravés.
Une Bataille d'après Parocel le père ,
de même grandeur que la précédente
Planche .
Un Pavfage d'après Rembrandt , qui
eft un commencement d'orage.
Un clair de Lune d'après M. Vernet.
Un autre Payfage d'après Vanuden.tous
trois de même grandeur.
Le Portrait de l'ami des hommes , d'après
M. Aved
Tobie recouvrant la vue , d'après Rembrandt
, beau Tableau du Cabinet de
M. le Marquis de Voyer.
Deux Portraits qui repréfentent une
nouvelle Mariée , conduite parfon époux,
qu'on foupçonne de la maifon de Naf-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
fau , d'après Rembrandt ; le Portrait de
Rembrandt , d'après lui & celui du Tintoret
, également d'après lui : ils font
endants .
La Bohémienne difant la bonne fortune
, d'après Tenieres.
Trois Têtes de même grandeur l'une
d'après Rembrandt , l'autre d'après M.
Greuze , & la troiſième d'après M. Peronneau
, & deux autres petites Planches.
Le fieur BEAUVARLET , Graveur du
Roi , demeurant rue S. Jacques , visà-
vis de celle des Mathurins , vient de
mettre au jour la quatriéme & dernière
Eftampe qu'il a gravée d'après les Tableaux
admirables de Luc Jordans.
Ces Tableaux appartiennent à M.
Colins , Peintre , demeurant quai de la
Mégifferie , à Paris , chez lequel on
pourra les voir & s'en procurer l'acquifition.
Deux ont de hauteur ſept
pieds fur onze pieds trois pouces de
large , & les deux autres font de fix
pieds quatre pouces de haut fur neuf
de large . La derniere Eftampe qui paroît
, repréſente le Triomphe de Galathée.
Nous ne craignons pas d'affurer
que ce Morceau eft digne des éloges &
de l'admiration des Connoiffeurs ;
il juftifie & comble les flatteuſes efpérances
que le fieur Beauvarlet avoit
SEPTEMBRE. 1763.
177
fait concevoir de lui , par les trois premieres
intitulées l'Enlèvement d'Europe
, celui des Sabines & le Jugement
de Paris ; elles lui ont mérité l'honneur
d'être reçu de l'Académie Royale ..
Il a mis dans la dernière Eftampe ,
que nous annonçons, la même vigueur, la
même force , la même pureté & la même
correction que l'on trouve avec tant de
plaifir dans les trois autres ; il a fçu rendre
les Clairs- obfcurs du Tableau avec:
une dégradation fi harmonieufe , qu'on
n'en peut être qu'agréablement étonné..
Rien enfin de plus heureux ni de plus
beau que cette Eftampe , tant pour l'ef
fet que pour l'entente ; on pourroit:
même dire pour la Couleur..
que
On la trouve , ainfi les trois premières
, chez l'Auteur , rue S. Jacques
vis-à -vis de celle des Mathurins ..
و د
LES BOULES DE SAVON , d'après
le Tableau original de Miéris , par N..
Ponce. Se trouvent à Paris , chez M..
Etienne Feffart , Graveur du Roi , de
fa Bibliothéque , & de l'Académie
Royale de Parme , rue de Richelieu.
CARTES GÉOGRAPHIQUES..
TERRA SANTA TABULA , èfcrip
1
H. v.
178 MERCURE DE FRANCE:
,
turæ facræ , Flavii Jofephi , Eufebit
& divi Hieronymi innumerisque aliorum
hiftoricorum commentatorum
Geographorum , viatorum , five veterum
, five recentium , Romanorum ,
Græcorum , Arabum , & c. teftimoniis
& relationibus delineata : Opus Pofhumum
Guillelmi de l'Ifle , Primarii
Regis Geographi , ex archivo Geogra
phico Rei navalis gallicæ ere &tum &
editum à Jofepho - Nicolao de l'Ifle ,
auctoris fratre , Rei navalis Aftronomo
Geographo . Anno 1763. Sub aufpiciis
Illuft . DD. ducis de Choifeul , fummi
rei Navalis & bellica adminiftri.
CARTE DE L'ISLE DE FRANCE
levée géométriquement par M. l'Abbé
de la Caille , de l'Académie Royale des
Sciences , en 1753. A Paris , chez Lattré
, Graveur , rue S. Jacques , près la
Fontaine S. Severin , à la Ville de Bordeaux
.
SEPTEMBRE. 1763. 179
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
O N continue toujours les Concerts
François, les Vendredis de chaque Semaine
; ce qui aura lieu jufqu'après le
voyage de la Cour à Fontainebleau.
COMÉDIE FRANÇOISE,
*
LE Lundi , premier Août , on a repréfenté
pour la première fois la Préſomption
à la mode, Comédie en vers en cinq
Actes , qui n'a eu que cette feule repréfentation.
Nous n'avons à rendre compte d'aucune
autre Nouveauté fur ce Théâtre , mais
d'un événement au moins auffi intéref-
-fant pour les Amateurs,que feroit la première
repréſentation de l'ouvrage le plus
impatiemment attendu ; c'eft le rétablif
fement de la fanté de Mademoifelle Clairon
& le plaifir univerfel des Specta-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
teurs de la voir reparoître fur la Scène..
Elle a joué les huit , dix & treize Août
dans Zelmire; elle a continuédans Cinna,
Rodogune , &c. On trouveroit avec raifon
une prolixité fuperflue à nous- étendre
fur l'efpèce de raviffement avec.
lequel cette célébre Actrice a été reçue
du Public ; il n'eft aucun de nos Lecteurs
qui ne doive le fuppofer , les uns
d'après leur propre fentiment , les autres :
d'apres la réputation de ce fublime talent ..
COMEDIE ITALIENNE..
LEE 8 Août on a donné la feiziéme
& dernière repréfentation des Fêtes de la
Paix. Nous avons rendu compte par Extrait,
dans les précédens Mercures, de cet
agréable divertiffement de M. Favart.
Ilyavoit ajouté depuis , des Scènes d'un
genre de Comique très - vif & très-gai ,
d'autant plus faites pour le fuccès , qu'elles
ont eu , qu'elles étoient convenables
au Site de la Scène , & paroiffoient naturellement
amenées par les Fêtes populai
res , à l'occafion defquelles cette Piéce a
été composée & repréfentée. Voici une
idée des nouvelles Scènes.
SEPTEMBRE. 1763. 187
Jacot , artifan groffier , appaife les reproches de
Javotte , la femme , dans un Duo contradictoire ,
en lui difant que fa befogne aujourd'hui eft de bien
boire :
» Ce n'eft pas à tes dépens: ( dit Jacot en chantant
» Monfieur le Prevôt des Marchands
Qui ne fe moque pas
des g
s gens ,
Veut qu'on boive & qu'on danfe ,
» Il nous baille du vin pour çà ,,
» Et des Violons de l'Opéra
La , la , la , la , la , &c..
Javotte, qui n'a pas d'éloignement pour lė vir
& pour la joie , fe prête facil ment à cette idée..
Jacot a ramallé des gros & des petits écus , que,
dit- il , des Meffieurs dorés jet : oient à la douzaine..
Cette abondance réjouit fort Javotte , & lui
donne bacoup l'amitié pour (on Mari ; elle lui
demande bien des petits préfens pour fon ajuſtement
; Jacot s'en effraye il n'aura plus rien pour
lui . Sa femme le ratfure , en lui ditant qu'un ma--
ri qui a une femme aimable ne doit fe plaindre
de rien . qu'il faut être brave à Paris , qu'il le de--
mande à ces Bourgeois..
» Femme fur le bon pied fait honneur aux Marisè .
A quoi Jacot répond pas toujours , pas toujours.. :
Il vient un Chanfonnier avec fon Tableau qu'
fait voir , & dont il détaille les Sujets . Il invitoit
àvenir écouter & acheter fes Chanſons ; nous rap
182 MERCURE DE FRANCE.
porterons une de ces Chanfons , pour faire voir
comment par le choix & l'arrangement des paroles,
on peut le prêter à la vérité de l'image en Mufique.
» Voyez fur ce Cabriolet ,
» Ce Petit Fringant à plumet ș
» Qui roule fans dire gare , gare ,
» En faiſant clic-clac , claquer fon fouet,
C Au milieu d'une bagare.
» Il perce,
» Traverſe ,
>> Renverfe
>>> La foule ;
» Il roule ,
» Il paffe ,
» Caſſe ,
» Fracaffe,
» La glace ,
» D'un vis-à -vis.
» Arrête , arrête , M. le Marquis ,
Marchand du quartier S. Denis ;
V' là l'zaventures ›
Lure , lure , lure , lure ,
V' là l'zaventures
De Paris.
7
Cerefrein fert à plufieurs couplers d'une critique
gaye & fans fiel . Jacot & Javotte forment avec
le Chanfonnier un trio pour marchander & achejer
fes Chanfons.
A cette Scène fuccéde celle d'un Procureur & de
fa femme qui veulent prendre place fur un
SEPTEMBRE. 1763.
183
Echaffaut, pour mieux jouir du coup d'oeil de la Pla
ce. Javotte en embarraffe l'entrée , la Procureufe s'en
plaint avec cette hauteur qu'une Bourgeoile affecte
pour les gens du Peuple. La Loueufe de chaife dit
qu'elle va appeller un Suiffe pour faire faire paffage.
La querelle s'engage entre Javote , la Procureuſe, le
Procureur & le Suiffe ; dans cette Scène ou le Jargon
Poitlardeft très-bien imité, Javotte n'épargne pas
tous les farcalmes que fouvent les Gens de ſon eſpèce
mployent lorsque l'efprit naturel eft échauffé par
un peu de colère . La Procureufe quitte la partie
pour aller s'évanouir , & Javotte triomphante s'égaye
fur le compte du Procureur. C'eft après
cette Scène que l'on avoit replacé celle du faux
Abbé & de la petite Bourgeoife précieuſe , que
nous avons tranfcrite prèſqu'en entier dans le volume
où nous avons rendu compte des Fêtes de la
Paix.
La Mufique de ces Scènes a fait le plus grand
plaifir.
On a continué fur ce même Théâtre
avec un fuccès très - foutenu , les deux
Chaffeurs & la Laitière,Fables dialoguées
mêlées d'Ariettes .
Le bon goût qui a infpiré l'idée de
mettre au Théâtre ces deux jolies Fables
du plus naïf & du plus élégant de
nos Poëtes , femble avoir conduit auffi
l'Auteur de ce Drame à ne point charger
ce fujet d'épifodes & d'intrigues
étrangères à fon texte ; il n'a fait que le
mettre en action de la manière la plus
naturelle , & qui en devient par-là trèsagréable
.
184 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne donnerons qu'une très- légere
idée feulement du moyen qu'a
pris
pris l'Auteur Dramatique , pour réunir
les actions de ces deux Fables en une..
Colas & Guillot font des Payfans fort pau
vres , qui le font affociés pour tuer l'Ours dont
ils comptent vendre la peau. L'un d'eux a dejà
emprunté du vin fur le prix qu'ils croyent en
retirer , & l'autre l'aide à le boire. Ils s'impatientent
de ne pas voir paroître cet Ours , en
fe promettant chacun l'honneur de le mettre à
bas . Mais aux approches de l'Animal ils ſont
toujours faifis de frayeur , & chacun prend des
prétextes pour fe dérober au danger . Pendant
que Colas eft à la quête de l'Ours , Guillot , qui
fe plaint de la maladreffe de fon Camarade
qui leur a fait manquer cette proie , s'amuſe à
fumer. Il apperçoit une femme , c'eſt Perrette
la Laitiére , qui va vendre ſon lait au marché.
Il lui conte fleurette ; mais Perrette le dédaigne
à cause de la mifére où elle le voit. Elle fait
l'énumération de tout ce que lui vaudra fon lait :
dans le projet économique qu'elle détaille elle
aura des poulets ; de l'argent des poulets , des
brebis , les brebis , en multipliant , feront un
troupeau des produits du troupeau des vaches
& des chevaux &c. Guillot fe vante auffi de
l'argent qui lui reviendra de l'Ours , Perrette
s'en moque , parce qu'il ne tient pas l'Ours &
qu'elle tient fon lait ; fur quoi elle quitte le
pauvre Chaffeur pour continuer fa route. Enfin
Colas revient pouſuivi par l'Ours ; Guillot fe
fauve fur un arbre ; Colas , tombe par terre &
fait le mort. Voilà l'Ours manqué deux fois .
Colas , qui a penſé en être la victime , s'eft fauvé
SEPTEMBRE. 1763 . 185
>
fur une mazure où il s'eft endormi . Guillot def
cendu de fon arbre , ne fçait où eft fon camarade
; parce qu'il a cherché à s'éloigner du voifimage
de cet Ours. La petite Laitiére a renversé
fon pot & répandu tout le lait qu'il contenoit ;
elle revient , en pleurant fon malheur. Guillot de
fon côté dans fon défeſpoir ne voit plus d'autre
parti pour lui que de fe pendre avec fon Baudrier
qui doit lui fervir de licol . En voulant
l'attacher pour cela à la mafure les coups qu'il
donne pour y enfoncer un morceau de bois la
font tomber , & Colas tombe avec la mafure. Les
trois Perfonnages de l'action fe trouvant enſemble
, déplorent leur défaftre. Guillot preffe la
Laitiere de l'époufer au moins par charité , &
ne fût-ce que pour garder les moutons . Perrette
eft devenue moins fière , & tous trois reconnoiffent
qu'il ne faut pas trop compter fur des efpérances
mal fondées. Colas leur dit que l'Ours
lui a parlé. On le preffe de rapporter ce qu'il
lui a dit . c'eſt une leçon qu'il n'oubliera jamais.
Cette leçon eft la moralité de la Fable qui établit
les refreins d'un joli Vaudeville par lequel .
cette Piéce eft terminée..
Colas chante le premier Couplet .
» J'étois gifant à cette place ,
» Et je tremblois de tout mon coeur
» Pour aujourd'hui je te fais grace ,
» M'a-t- il dit , calme ta frayeur.
» Mais va- t- en dire à ton Confrère
» Qu'un fol eſpoir trompe toujours &
» Et ne vendez la peau de l'Ours
» Qu'après l'avoir couché par terre..
"
186 MERCURE DE FRANCE.
·
Dans le nombre des autres Couples
Perrette chante celui- ci :
Sur la vertu la plus auftère ,
Un Epoux fonde fon bonheur ;
Il croit que fa femme préfére
Aux faux plaifirs fon cher honneur.
Pauvres Maris n'y comptez guère ,
Un Amant s'empare du coeur ;
La tête
tourne , & par malheur
Voila le por au lait par terre.
Les paroles de cette Piéce font de M.
ANSEAUME. La Mufique,de M. DUNI,
eft applaudie avec d'autant plus de juftice
, qu'elle a le fuffrage du fentiment naturel
. On retrouve particuliérement dans
cet Ouvrage le caractère de chant par
lequel cet Auteur , Italien de Nation ,
s'étoit annoncé dans fes premiers Ouvrages,
qui confifte en une jufteffe d'expreffion
& des grâces plus analogues au
caractère de notre langue , que dans la
Mufique imitatrice du genre Italien que
plufieurs Muficiens François ont affecté
d'adopter.
Le To, on a donné la première fepréfentation
des Deux Talens , Comédie
en 2 Actes mêlée d'Ariettes , par M.
SEPTEMBRE. 1763. 187
BASTIDE . Cette Piéce n'a eu que deux
repréſentations , elle a été fufpendue ,
& l'on attend la repriſe pour en rendre
compte.
N. B. La Piéce des Deux Chaffeurs & la Laitière
par M. Anfeaume , Mufique de M. Dani ,
fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques , 24 f
avec la Mufique.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
Lundi
E Lundi
15 Août
, Fête de l'Affomp-
IS
tion , il y a eu Concert
Spirituel
. M.
Duport
a exécuté
une Sonate
de Violoncelle
avec
les
applaudiffemens
&
l'admiration
que la fingularité
de fon
talent
eft en poffeffion
de mériter
. Mlle
Bernard
& Mlle
Hardi
ont chanté
. Le
Concert
a fini par le Te Deum
, nouveau
Motet
de M. Dauvergne
. De l'aveu
de
tous
les Maîtres
de l'Art , fans
aucune
reſtriction
, & fans les funeftes
mais qui
accompagnent
les éloges
les plus flatteurs
, ce Motet
a été le ſujet
d'une
admiration
& d'un plaifir
continuels
. Quoique
le Muficien
ait employé
tous les
verfets
de l'Hymne
, ce Motet
,felon tous
les Auditeurs
, a paru très- court. On ne
188 MERCURE DE FRANCE.
peut , d'après le rapport général du
Public , trouver réuni dans un même
Ouvrage , plus de variété , de grâces ,
de jufteffe & d'énergie d'expreffion.
Le verfet entre autres Judex crederis effe
venturus eft d'une beauté fublime . Il
paroît qu'il y a eu peu d'ouvrages de ce
genre , fur lequel les fuffrages ayent jamais
été fi unanimes.
,
SPECTACLES A COMPIEGNE .
COMM OMME le privilège des Spectacles
dans la Ville de Compiègne a été accordé
au Sr Préville , de la Comédie Françoife
, plufieurs d'entre fes Camarades y
ont fait des voyages , ainfi que lui, poury
repréfenter quelquefois , & faire valoir
par là ce Théâtre , occupé par une Troupe
de Province. Mlle Dubois entre-autres
, dans les derniers jours du voyage a
joué dans plufieurs Tragédies ; elle a
particuliérement dans Tancréde , juftifré
les conjectures que nous avons eu fouvent
occafion de publier fur le grand
talent auquel fes heureufes difpofitions
fembloient l'appeller. Elle a donné, nonfeulement
dans le rôle d'Aménaïde , des
SEPTEMBRE. 1763 . 189
preuves du progrès qu'elle a fait depuis
quelque temps , mais elle y a joint aux
avantages naturels de fa Figure & du
plus bel organe , des traits d'un Art qui
feroithonneur à l'Actrice la plus confommée
; le fentiment & l'intelligence paroiffent
actuellement décider en elle l'efpoir
bien fondé de faire un jour le foutien
de la Scène Françoife , dans le
grand genre , fi elle continue les foins
& l'application dont on apperçoit déjà le
fruit.
Nous avons vu par nous-mêmes fur
ce Théâtre , le bon effet que produit
la repréſentation de l'échafaud dreffé
pour le fupplice d'Aménaïde. Il nous a
paru tel que l'avoit fait repréſenter M.
Bernaud à Rouen . Cet acceffoire néceffaire
à la vérité de l'action tragique eft
très-pittorefquement & très- ingénieufement
pratiqué, en forte qu'il n'offre point
ce qu'on auroit à craindre de hideux dans
ce Spectacle.Nous ignorons par quelle timide
confidération on n'employe pas fur
le Théâtre de Paris le moyen de donner
à la Scène pathétique que préfente cette
Tragédie , toute la belle horreur dont
elle eft fufceptible.
190 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
MONUMENS PUBLICS.
ANECDOTES Hiftoriques concernant
la Place de LOUIS XV. & la
P
Statue Équestre , érigée dans cette
Place.
AR délibération du Bureau de la
Ville , du 27 Juin 1748 , il fut arrêté
que l'on demanderoit au Roi , la permiffion
d'ériger un Monument à fa
gloire & à l'amour de fes Sujets.
En conféquence de la permiffion de
Sa Majefté , il fut paffé le 23 Octobre
1749 , un marché avec M. Bouchardon,
pour la fculpture des modèles d'une
Statue Equeftre repréſentant la Perſonne
du Roi , de quatre figures en forme
de Cariatides & des autres ornemens
pour le Piedeſtal.
Le 25 du même mois & dans la même
année , il fut paffé un autre marché pour
la fonte de tous ces ouvrages avec les
fieurs Varin , auxquels a fuccédé le
fieur Gor.
On éleva dans le Parc de Verſailles
}
SEPTEMBRE. 1763 .
191 .
un bâtiment en charpente , fuivant le
devis qui en avoit été arrêté le 25 Septembre
1754 , dans lequel fut conftruit
un modèle en petit , de l'enceinte de la
Place déterminée par le Roi , avec l'élévation
des Corps de bâtimens , revêtiffemens
des foflés . Baluftrades , grands
Socles ou Guérites , & de tous les acceffoires
ainfi que de la Statue Equeftre
avec fon Piedeſtal.
Le Plan & Defcription de cette Place
furent définitivement approuvés par le
Roi le 9 Décembre de l'année 1755.
En 1757 , le Roi accorda des Lettres
Patentes , par lefquelles Sa Majeſté fit ,
don à la Ville de l'entier emplacement ,
fitué entre le foffé des Thuileries & les
Champs Elysées , pour la formation &
conftruction de la Place.
Tous les travaux relatifs à la fonte de
la Statue Équeftre étant achevés , & le
Bureau de la Ville en ayant été informé
par M, Bouchardon , Sculpteur, & par le
fieur Gor , Fondeur , M. Maritz , Cons
miffaire général des fontes de l'Artillerie
du Royaume , ayant donné fes derniers
avis , à quoi il avoit été invité par le Bureau
, le jour du coulage de la matière
fut fixé au Samedi 6 Mai 1758; M.de Ber
Confeiller d'Etat , & c. alors Prénage,
192 MERCURE DE FRANCE.
à
vôt des Marchands , & pendant la Magiftrature
duquel tout ce qu'on vient de
rapporter avoit été fait , alla à Verſailles
informer le Roi de ce jour fi important
à la perfection de l'Ouvrage. If en fit
donner avis auffi , tant aux gens de l'Art,
qu'aux Perfonnes de la Cour qui avoient
paru defirer être préfentes à cette opération
. M. le Gouverneur y fut auffi invité.
Le coulage commença 5 heures
après midi , & ne dura que 7 minutes &
deux fecondes. En voyant que la matière
étoit remontée jufqu'à l'embouchure
de tous les évents, on fut affuré que
cette fonte avoit eu tout le fuccès poffible.
On ne peut exprimer la fatisfaction
que répandit dans toute l'affemblée cette
heureuſe réuffite ; chacun la témoigna
en embraffant le célébre Artiſte , Auteur
de la Statue (a) & l'habile Fondeur
(b) qui venoit de donner une preuve fi
glorieufe de fon intelligence & de fes
foins. Cette joie manifeftée dans le premier
moment, & dans l'intérieur des Atteliers
( c ) , par des acclamations de
( a ) M. Bouchardon .
(b ) Le fieur Gor.
( c) Conftruits au Roule,
VIVESEPTEMBRE.
1763 ) 193
VIVE LE ROI , le fut bientôt au Public .
par le bruit des Boëtes que l'on avoit
placées hors de l'enceinte des Atteliers du
côté des Champs Elysées.
Le lendemain , M. le Prévôt des Marchands
alla rendre compte au Roi du
fuccès de la Fonte , & de la joie qu'en
avoient marquée les Citoyens . Sa Majefté
eut la bonté de donner à M. le Prévôt
des Marchands & à toute la Ville , en fa
perfonne , des témoignages flatteurs de
fa fatisfaction .
Le Bureau de la Ville ayant , avec l'agrément
du Roi , fait tous les préparatifs
pour l'Inauguration de la Statue que
Sa Majefté avoit permis qu'on lui érigeât
, M. de Bernage , encore Prévôt
des Marchands , pria M. le Comte de
S. Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat
ayant le département de Paris , d'en´
rendre compte au Roi & de prendre fes
derniers ordres à ce fujet : mais S. M.
par un effet de fes bontés paternelles , en
différa l'exécution jufques à la publication
de la Paix , & M. le Comte de
S. Florentin en inftruifit le Bureau de
la Ville , par une lettre datée du 14
Juillet 1758 , qu'il adreflà à M. le Prévôti
des Marchands..
Par cette lettre le Miniftre dit qu'a-
I
194
MERCURE DE FRANCE .
près avoir rendu compte au Roi des dif
pofitions qui avoient été faites , Sa Majefté
auroit fouhaité donner au Corps
de Ville , dans ce temps , la fatisfaction
de voir pofer un Monument de fon
zéle. Que Sa Majesté étoit fi fenfible .
aux preuves quelle reçoit en toutes occafions
du zéle de ce Corps pour fa Perfonne
& pour fon fervice , qu'elle ſer
toujours difpofée à lui donner des mar
ques de fa bienveillance & de fa protection
; mais que la derniere paix ayant
été l'époque , où le Bureau de la Ville
a formé le voeu d'élever cette Statue ,
s'il plaifoit à Sa Majefté l'agréer , elle de
firoit que l'on différât de la placer , juf
qu'à la paix qu'elle ne négligeroit aucun
moyen de procurer à fes Sujets.
Qu'indépendament des dépenfes que Sa
Majefté avoit intention d'éviter à la
Ville dans les circonftances actuelles ,
celle de la Paix donneroit naturellement
lieu à des fêtes ; & que ce moment feroit
celui où Sa Majefté auroit le plus agréable
de leur procurer la fatisfaction de
voir poter la Statue dans la Place qui
lui fera dédiée. Le Miniftre finit cette
lettre par un témoignage trop hono
rable au Magiftrat auquel elle étoit
SEPTEMBRE. 1763. 195
adreffée , pour ne pas le rapporter en entier.
»
» Vous connoiffez trop , Monfieur
les fentimens que Sa Majefté a pour
» vous en particulier , pour que vous
ne deviez pas être perfuadé qu'Elle
auroit été fort aife que votre Prévôté
» eût été terminée par la cérémonie de
» l'élévation du Monument , auquel
» vous avez tant de part & pour lequel
vous vous étes donné des foins fi af
» fidus. Sa Majefté m'a ordonné de
» vous marquer qu'Elle confervera tou-
» jours le fouvenir de votre zéle pour
fa Perfonne & pour fon fervice.
» Je vous prie d'être perfuadé &c. &c .
Nous avons cru devoir conferver ici
les motifs qui ont fait différer l'érection
& l'inauguration de ce Monument du
zéle & de l'amour des François pour la
Gloire & pour la Perfonne du Roi juf
ques à l'époque de cette préfente année,
pendant la Prévôté de M. de Pontcarre
de Viarmes , qui fera toujours célébre
par l'augufte Solemnité & par les Fêtes
dont nous avons rendu compte dans
les précédens Mercures.
M. Lempereur , ci - devant premier Echevin ,
Doyen de MM . les Confeillers du Roi , Quartiniers
de la Ville de Paris , ayant été chargé pen-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
dant deux années de fon Echevinage , de l'inſpec
tion & conduite de tous les travaux qui ont précédé
& accompagné la fonte de la Figure équestre
du Roi , ainfi que de ceux qui l'ont fuivi depuis
qu'il n'eſt plus en place , a été auffi engagé par
Monfieur de Bernage , lors Prévôt des Marchands
& par MM. les Echevins fes Collégues , de tranſmettre
à la postérité , toutes les opérations qui
ont été faites à ce fujet ; il travaille actuellement
à cet ouvrage qui eſt déjà avancé , il ſera orné
d'un grand nombre de Planches dont les deffeins
ont été faits fous les yeux. L'on eſpere que cette
defcription qui expofera les détails les plus exacts
pourra être finie dans le courant de l'année
prochaine.
N. B. Par juftice & par reconnoiffance
nous avons dû conferver à la mémoire
future , tout ce que la Ville a fait
de remarquable dans ces derniers tems.
Ses Magiftrats non contens de pourvoir
à la fubfiftance matérielle des Citoyens,
ont voulu affimiler l'Edilité municipale
aux grands objets de celle des Romains.
Le Bureau vient d'établir tout
ce qui eft néceffaire à l'entretien & à
l'accroiffement d'une Bibliothéque publique
, héritage d'un de fes principaux
Officiers. En dernier lieu , confidérant
combien il étoit intéreffant pour les Lettres
de contribuer à foutenir un Journal,
fur lequel la protection bienfaifante
du Roi a affigné le fond le plus confiSEPTEMBRE.
1763. 197
dérable des récompenfes deftinées à
ceux qui s'y diftinguent , la Ville de
Paris , en foufcrivant pour un nombre
de volumes du Mercure , vient de donner
un exemple trop louable pour n'en
pas faire mention . Elle fait par là un acte
de Mère, en concourant au foutien d'un
établiffement auquel fes enfans peuvent
avoir part. Toutes les grandes Villes
du Royaume pourroient avoir les mêmes
motifs , puifque leurs Citoyens ont
autant de droit à prétendre aux récom
penfes littéraires.
DESCRIPTION des Tableaux expofés
au Salon du Louvre , avec des
Remarques,
Par la Société des Amateurs.
VOILA la troifiéme fois que notre
Société a occafion de s'occuper des
Tableaux expofés au Salon . Comme
nous n'avons jamais brigué lâchement
le trifte fuffrage de certains Lecteurs
qui ne cherchent dans les Ecrits publics
que ce qui peut nourrir leur fecret
penchant à déprimer le Siécle
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
& les Contemporains , nous ne nous
refuferons pas au plaifir d'annoncer
qu'en général , dans cette dernière
expofition la Peinture de l'École
Françoife paroît à tous les Connoiffeurs
être montée à un nouveau degré
de force & de grandeur , dans le
coloris ainfi que dans la compofition .
En confidérant ce pompeux Spectacle
de nos Arts en France , où tous les
deux ans fe renouvellent de fi abondantes
richeffes , nous oferons interroger
les fombres contempteurs de leur
âge & de leur Nation ; nous leur demanderons
dans quelle région du monde
& fous quel gouvernement on pourroit,
dans une même Ville, rencontrer ce
nombre de Talens raffemblés fourniffant
dans un auffi court efpace de temps
une pareille Collection de tous les
genres ?
*
Une émulation fi vive & fi univerfelle
dans nos Arts ne peut être que le fruit
de l'augufte protection du Souverain
& de la vigilance éclairée de celui qui eft
en même temps fur cette partie l'organe
d'un Monarque bienfaifant & le
fage difpenfateur de fes graces. (a)
( ) M. le Marquis de Marigni.
SEPTEMBRE. 1763. 199.
Les Arts , comme les Lettres , ne
peuvent s'acquitter envers leurs protecteurs
qu'en éternifant , pour ainfi dire
la mémoire le leurs bienfaits. Les monumens
des Arts ont , il faut en convenir
, des avantages pour cela , qui préfentent
d'abord quelque chofe de plus
éclatant ; mais ils font plus périffables
& bien moins étendus que ceux des
Lettres. Les unes & les autres doivent
donc fe prêter un mutuel fecours pour
un devoir auffi refpectable.
Ainfi loin de déférer au fentiment de
ceux qui croiroient que les écrivains ne
doivent point traiter de ce qui concer
-ne les Arts , il faut au contraire con
ferver, & même avec détails , dans tous
les Faftes littéraires, la gloire de leurs productions.
>
com-
D'après nos principes invariables , on
ne doit pas compter que nous foions.
jamais , dans nos obfervations
plices de la jaloufie des concurrens , de
la maligne caufticité de quelques uns
des Spectateurs , ou des fauffes façons
de voir de quelques autres : mais on ne
doit pas non plus s'attendre de notre
part , à des éloges indiftinctement prodigués
à la prévention ou même à la célébrité
des plus illuftres Artiſtes ; ainf
I iy
200 MERCURE DE FRANCE.
qu'aux prétentions fans bornes de l'amour-
propre .
Nous ferons en forte de donner une
idée auffi exacte.qu'il eft poffible de
ces précieuſes productions , à ceux de
nos Lecteurs qui ne font pas à portée de
les connoître par leurs propres yeux ; en
même temps , de guider & de fixer l'attention
de ceux qui partagent avec nous
le plaifir de ce Spectacle , fur les parties
que nous croirons qui diftinguent le
mérite de chaque ouvrage en particu
lier. Quant aux défauts réels , ( triſte
condition impofée à tout ouvrage hu
main ! ) fans les avoir indiqués par nos
obfervations , ceux qui auront vû le Salon
ne les auront que trop remarqués
eux-mêmes , & il doit être indifférent
aux autres d'en être informés par la voie
d'une critique amére. D'ailleurs il y a
toujours entre la fagacité du Lecteur
intelligent & la prudence de l'Ecrivain
moderé , un chiffre de correfpondance
qui eft fuffifamment intelligible .
Nous croyons n'avoir pas d'ordre
plus naturel à fuivre dans le compte
que nous allons rendre , que celui du
Catalogue imprimé , qui fe débite &
qui eft en même temps celui des rangs
académiques de tous les Artiftes qui
vi I
SEPTEMBRE . 1763. 201
ont contribué à enrichir cette expofition
publique .
M. CARLE VANLOO , premier Peintre
du Roi , a expofé plufieurs Tableaux.
On peut remarquer dans celui
des Grâces ( a ) enchaînées par l'Amour,
les efforts d'un grandPeintre , déja fi juftement
célébre par la beauté de fon coloris,
pour le monter(en s'exprimant felon l'art)
aun ton encore plus élevé & répondre par
là au voeu de plufieurs Connoiffeurs qui
fe plaignoient depuis quelque temps de
ce que ce ton paroiffoit en général s'être
un peu affoibli dans notre Ecole. Ce
Peintre a toujours confervé cependant
cette fraîcheur , cette fonte & cette forte
d'aménité qui caractériſent fon pinceau ,
même dans les plus fortes expreffions.
Il y a de belles maffes de lumières.
dans fon Tableau ; & l'Auteur a placé
ingénieufement un rideau qui en procu
rant d'autres belles maffes d'ombres, don
ne un effet très-piquant à fes trois figur
res , lefquelles fans ce moyen , auroient
pû devenir monotones par l'égalité des
tons dans les carnations . C'eft particu
(b) Tableau de pieds 6 pouces de haup
fur 6 pieds 3 pouces de large. Ce Tableau et
pour la Pologne.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
liérement dans ces effets en Peinture,
que ceux qui ne font pas attention aur
moyens propres de cet Art, devroient
être fort circonfpects à prononcer ſu
ce qu'ils croyent être en droit de juger
par rapport aux imitations de la Nature
Entre ces trois Figures des Grâces, celle
du milieu ſe diſtingue par la beauté des
proportions & par l'élégante manièr
dont elle eft deffinée .
par
On doit fçavoir gré auffi à M. Van
loo , du moyen agréable dont il s'ef:
fervi
,, pour voiler les mains de l'Amour
même , ce que la décence ne permettoit
pas d'offrir aux yeux , en difpo
fant adroitement les guirlandes dont cet
Amour enchaîne les Graces.
J
Dans un autre Tableau du même Auteur
, de trois pieds huit pouces de largeur
fur deux pieds fept pouces de hau
teur appartenant à M. le Marquis de
Marigny , l'invention allégorique &
l'exécution pittorefque fe difputent d'a
grément. Il repréfente le Dieu Cupidon,
ou un principal Amour commandant
l'exercice militaire à une troupe d'au
tres Amours placés en ligne, & en face de
lui , vus prefque de profil par le Spec
tateur. Ils font en cuiraffe, à la françoife,
Les ailes paffant à travers & le cafque
SEPTEMBRE . 1763. 203
en tête ; ils ont des fournimens , pareils
à ceux de nos troupes , fur lefquels eft
empreinte la figure d'un coeur.Cette trou
pe eft armée de fufils la bayonnette
au bout , & l'inftant de l'exercice dans
le tableau , eft celui où l'on préfente
dles armes . Un autre troupe d'Amours
armés de fabres , vêtus & coiffés en huffards
, avance de face au Spectateur fur
" un plan inférieur & plus éloigné que la
première troupe . Derriere le principal
Amour , il y en a d'autres en différentes
attitudes & tous occupés relativement
au fujet du tableau , dont le fond orné
d'un fort joli temple , produit un afpect
riche & agréable .
"
On remarque , avec plaifir , que le
Peintre s'eft attaché à répandre fur le
Chef des Amours un éclat qui le diftingue
& en défigne très - bien la fupériorité.
A l'égard des autres , fi notre
imagination conçoit les Amours comme
des Divinités , pour ainfi dire , d'une
même famille & d'une même forte de
beauté , feroit-on en droit de leur reprocher
un peu de conformité dans les
caractères de tête ?
. On voit auffi de M. VANLOO un
Tableau ovale peint en cire , repréſentant
à mi- corps , la Veftale qui porte
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE .
dans un crible l'eau du Tibre pour
prouver fon innocence. Cette figure
-vêtue en blanc eft d'un beau caractère
qui indique l'action merveilleuſe du
Sujet. (c )
Il y a auffi du même Auteur deux
petites Têtes peintes en cire , dont on
-ne peut trop louer l'agrément.
Loin que ce foit par refpe&t feulement
pour l'âge de M. Reftout , ancien Directeur
, c'eft par le mérite très-réel de
fes admirables ouvrages , que nous
avons été entraînés , pour ainfi dire, avec
fes Confrères & tous les Connoiffeurs,
à leur rendre un hommage qui n'eft
pas éloigné de la vénération .
Le premier de ces ouvrages , eft un
fort grand Tableau , pour le Roi , deſtiné
à être exécuté en tapifferie dans la Manufacture
des Gobelins. Il repréſente
Orphée defcendu aux enfers pour en
arracher Eurydice. Pluton & Proferpine
affis fur l'entrée d'une caverne , fermée
par de forts grillages , entre le Ténare &
les Champs Elyfées , font accompagnés
des trois Juges des Enfers. Les Parques
font groupées dans le bas. En devant
on voit Eurydice entre les mains d'un
(c) Ce Tableau eft du Cabinet de Madame
de Pompadour.
SEPTEMBRE . 1763. 20$
·
Miniftre infernal fous la forme d'un
Spectre aîlé ; Orphée eft derriere elle ,
touchant fa lyre.
Le deuxième repréfente le repas donné
par Afuerus , aux Grands de fon
Royaume. On ne fçauroit affez applaudir
à la manière ingénieufe & fça-
-vante de la compofition de ce Sujet ,
dans une forme auffi ingratte que celle
d'un demi- ceintre , évidé dans la partie
inférieure , pour l'ouverture d'une porte,
& en tout abfolument pareil à la forme
d'éventail .
Le Sujet du troifiéme , de fept pieds
fept pouces de large fur neuf pieds de
haut , eft l'évanouiffement d'Efther en
approchant du Trône dAffuerus ( d) .
On ne peut trop inviter le Public à
reconnoître dans les nouvelles productions
de ce grand Maître , des beautés
que l'on feroit peut - être fondé à dire
qui le rendent aujourd'hui prèfque fupérieur
à lui-même, dans les plus beaux
jours de fon âge, & de fes talens . On
convient généralement qu'il réunit dans
ces trois Tableaux , au plus grand degré
de perfection , ce qui a toujours caracté
rifé fon grand talent. La plus belle &
( d ) Ces deux derniers Tableaux font pour la
maifon des Feuillans , rue Saint- Honoré,
266 MÈRCURE DE FRANCE.
•
tout
la plus grande harmonie dans tous les
effets de ces Tableaux les rendent d'une
jufteffe & d'une vérité qui fatisfont également
les yeux & le jugement . Les pofitions
des plans y font fi juftes , & fi
vraies, qu'à l'aide du parfait accord dans
le coloris , tout eft diftin&t
eft à fa véritable place , & tout eft cependant
uni & , pour ainfi dire, enchaîné
enfemble, par le grand art de cette harmonie
pittorefque. En un mot ,
Peintre aura la gloire d'avoir laiffé à
notre Ecole , les modéles des plus beaux
principes de compofition & des plus
juftes effets du coloris.
T
"
ce
'N. B. Les bornes de ce Journal obligent
à remettre la fuite de cette def
cription au prochain Mercure. Mais
pour fatisfaire fur cela le jufte empreffement
des Lecteurs , on la diftribuera
, féparément en entier dans l
courant de ce mois par une Brochure
d'extraordinaire, qui fe trouvera au Bureau
du Mercure , rue Ste Anne
chez les Libraires accoutumés.
&
4.1 J
༈། འ
SEPTEMBRE. 1763. 207
AVERTISSEMENT DE M. DE VOLTAIRE .
J. fuis obligé d'avertir tous ceux qui ont foufcrit
pour les OEuvres du Grand Corneille , que j'ai
rempli toute la tâche que je m'étois impofée ; que
toutes les Tragédies , ainfi que l'Arianne , & le
Comte d'Effex , de Thomas , fon frère , font imprimées
avec un Commentaire ; que ceux qui
voudront ou foufcrire , ou demander des éclaircillemens
, peuvent s'adreffer au fieur Cramer ,
Libraire à Genève.
Je faifis cette occafion pour faire fçavoir qu'on
débite continuellement à Paris , fous mon nom ,
plufieurs Ouvrages , dont , non-feulement je ne
fuis point l'Auteur , mais que même je n'ai jamais
vus.
;
J'avertis auffi qu'une Comédie , intitulée le
Droit du Seigneur , qu'on débite depuis quelques
jours , n'eft point telle que je l'ai faite qu'elle
eft entiérement défigurée ; que je n'ai fait préſent
de mes Ouvrages qu'au fieur Cramer, & qu'on ne
doit regarder comme mes Ouvrages , aucun de
ceux qui ne font pas de fon Imprimerie.
A Genève, 23 Aoust 1763 , Signé VOLTAIRE,
208 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VII.
NOUVELLES POLITIQUES.
De WARSOVIE , le 2 Juillet 1763.
On a appris que le Roi de Prufſe , inftruit des
défordres qui ont été commis en fon nom , &
auxquels il n'avoit pas voulu ajouter foi , a caffé
la Commiffion établie à Driefon : le Bourguemaltre
Mutmann , a été conduit prifonnier à Stettin ,
& plufieurs autres Officiers ont été arrêtés. Sa
Majefté Pruffienne a chargé en même temps la
Régence de Cuſtrin de faire reſtituer tous les effets
appartenans aux Polonois , qui ſe crouveront à
Driefen. Les Troupes Pruffiennes ont eu les of
dres les plus pofitifs de fe retirer des Terres de Pologne
, où il ne doit reſter qu'un petit Corps deftiné
à eſcorter le refte des Prifonniers Autrichiens ,
& dont on á formé un cordon , avec défenſe ,
fous peine de la vie , à tour Soldat de s'écarter da
pofte qui lui eft affigné.
DeSCHEMNITZ , dans la Haute- Hongrie ,
Le 29 Juin 1763.
HIER, fur les deux heures après minuit , on
fentit un tremblement de Terre qui jetta les Habitans
de cette ville dans la plus grande confter
nation : l'air étoit alors ferein & tranquille . La
première fut fuivie d'une feconde , vers les cinq
heures , & d'une troifiéme , vingt - huit minutes
après. On aremarqué qu'un Baromètre qui , lors
SEPTEMBRE. 1763. 209
du tremblement de Terre de Lisbonne , du premier
Novembre 1755 , avoit baiflé confidérablement
, quoique ce tremblement ne ſe fut fait
pas
fentir ici , n'a point été agité par ces dernières fecouffes
, & qu'il eft resté à la même hauteur où
'il étoit auparavant. Une des fecouffes a été cependant
affez forte pour détacher d'un aimant ,
un morceau de fer qui y étoit ſuſpendu . C'eſt une
chofe affez finguliere , que ce tremblement de
Terre n'ait pas été reffenti dans plufieurs de nos
mines , quoiqu'il y eût plus de huit cens hommes
occupés à travailler dans les fouterrains , au mo
ment même où la terre a été agitée .
De VIENNE, le 9 Juillet 1763.
On a reçu ici la nouvelle d'un tremblement de
Terre que l'on reffentit à Comorre le 28 du mois
dernier.
La première fecouffe fe fit fentir à cinq heures
du matin : l'allarme fut bientôt génerale , & la
plupart des habitans forrirent précipitamment de
la ville. A cinq heures vingt-deux à vingt-trois minutes
, il y eut une feconde fecouffe accompa
gnée d'un bruit fouterrain , laquelle dura une minute
& demie ; l'ébranlement fut fi confidérable ,
que les murs des Eglifes , des principaux Edifices ,
& de prefque toutes les Mailons des Particuliers
furent entr'ouverts ; la plupart des toits , des voutes
& des planchers tombèrent ' ; l'Eglife des Jéfaites
fut entiérement ruinée , la Tour s'écroula ,
& leur maiſon fut extrêmement endommagée ; le
Couvent des Récolets fut encore plus maltraité ;
tous les Autels de l'Eglife furent renversés ; la
voûte entiérement tomba , & écrafa plufieurs perfonnes
qui atfiftoient à la Melle . La Tour de l'Hô-
' tel- de- Ville s'écroula , & enfevelit beaucoup de
BIO MERCURE DE FRANCE.
monde fous les ruines ; on ignore encore le nor
bre de ceux qui ont péri : on a déjà retiré de deffous
les décombres cinquante- quatre morts , &
l'on évalue a deux cens perfonnes le nombre des
bleffés . Plus des deux tiers des Habitans , fe font
ou fauvés dans le plat Pays , ou réfugiés far des
bateaux , le Service Divin le fait fous des espèces
de Hangards. On a manqué de vivres pendant
quelques jours , & dans ces circonftances , les
Communautés voifines le font empreffées de faire
paffer aux malheureux Habitans de cette ville ,
du pain & une quantité confidérable de farine. La
terre n'étoit pas encore calmée le 4 de ce mois , &
l'on avoit compté jufqu'alors quatre - vingt - dix
fecouffes. On a remarqué le long du Danube plufieurs
endroits d'où jaillifoit de la groffeur du bras
& de la hauteur d'environ cinq pieds , une eau
'mêlée d'un fable bleuâtre & fin , imprégné d'une
deur de fouffre.
1 .
Du 21.
Sa Majefté Impériale & Royale a réfolu de faire
rebâtir , le plutôt qu'il fera poffible , la ville de
Comorre, & en conféquence, les Habitans ont ordre
de ne pas fe tranſporter ailleurs . L'Hôtel que
l'on bâtiffoit pour le Prince de Saxe , nomné
Gouverneur de cette ville , étant du nombre des
Edifices que le tremblement de terre y a détruits :
ce Prince fera fa réfidence ordinaire à Presbourg.
Suivant les derniéres Lettres arrivées de Comorre ,
on y entendoit encore le 7 & le 8 des bruits fonterrains.
Par la première fecouffe du 28Jain , le
clocher de l'Eglife de Saint-Jean Chryfoftôme a
été entiérement détruit , & les cloches brifées ; le
plus haut étage du Couvent des Pères Trinitaires
a été renverlé , & il eft tombé quelques pourres.
SEPTEMBRE . 1763 . 211
du haut de leur Eglife , près du grand Autel , aux
environs duquel étoient plufieurs de ces Religieux,
qui cependant n'ont point été bleffés.
Du
27.
Il nous vient chaque jour de nouveaux détails
du défaftre de Comorre. Des Lettres du 23 de
ce mois portent que la terre n'eft point encore,
raffermie , & qu'on y éprouvoit fréquemment
des fecouffes affez violentes . Le 23 , on en avoit
elluyé deux , & on en comptoit depuis le 29 du
mois dernier jufqu'à ce jour cent dix à cent douze.
Quinze cens maifons font totalement renversées ,
& trois cens font très - endommagées . Les nouvelles
fortifications ont peu fouffert , mais les
anciennes font ruinées en différens endroits. On
écrit qu'une maison bâtie de pierre & élevée de
deux étages a été renversée par une explosion fi
violente que le faîte du toit s'eft enfoncé de dix
pieds en terre. On eft occupé à abbattre la Tour
de Gran , dont la partie fupérieure a été foulevéé
par la fecouffe du 19 Juin & n'a pas paru avoir
repris fon aplomb.
Du 3 Août.
Le 29 du mois dernier, on a reffenti à Comorre
une nouvelle fecouffe de tremblement de terre,
qui s'est fait fentir en même temps & avec allez
de violence à Raab.
De BRESLAU , le 6 Juillet 1763 .
Nous apprenons par des lettres de Pologne ,
que le 19 du mois dernier , la petite ville de Brinbaum
a été prèfque entierement confumée par
un Incendie , & qu'il n'y refte plus fur pied que
l'Eglife Luthérienne & quelques majlons.
212 MERCURE DE FRANCE.
De HAMBOURG , le 8 Août 2763 .
Sophie-Charlotte , Princeffe de Holſtein- Beck,
mariée en fecondes nôces à George - Louis Prince
de Holftein-Gottorp Feld- Maréchal au ſervice de
Ruffie , Statthalter & Adminiſtrateur du Holſtein-
Ducal , eft morte hier en cette Ville , âgée de
quarante & un ans : elle avoit épousé en premières
nôces le Burgrave de Dohna- Schlobitten,
& en avoir eu le Comte Dohna , Colonel au
fervice de Pruffe & la Comteffe de Hohenfolms.
11 refte deux Princes du fecond lit.
De HANOV RE, le 15 Juillet 1763.
On vient d'apprendre que Charles-Auguſte-
Frederic , Prince régnant de Waldeck , eft more
à Arolfen , dans la cinquante- neuvième année
de fon âge.
De COBLENT , le 21 Juillet 1763.
L'Electeur de Treves a été élu unanimement
Evêque de Worms , le 20 de ce mois.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
ERRATA.
Dans le Mercure du mois d'Août dernier , page
75 , ligne 20 & fuivantes , lifez Renée de Rieux
que Henri III voulut époufer , étoit niéce de Claude
de Rieux qui avoit épouse le 13 Décembre 1529 >
Sufanne de Bourbon , fille unique de Louis de
Bourbon , Prince de la Rochefuryon , & de Louiſe
de Bourbon Montpenfier.
SEPTEMBRE . 1763 . 1763. 213
J'AI
APPROBATIO N.
'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Septembre 1763 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 31 Août 1763 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
EPITR
ARTICLE PREMIER.
PITRE à M. le Comte Maurice de Bruhll,
Gentilhomme de la Chambre du Roi de
Pologne , &c .
VERS préfentés à Madame la Comteffe
d'Elm....
COUPLETS à Mlle D * L **.
AVERTISSEMENT.
LE TÉLÉMAQUE , Poëme.
La Coup d'oeil .
ÉPITRE à M. Davefne.
LETTRE à Madame de....
À une feule perfonne.
CONTE Moral.
ÉPITRE à Madame la Marquife D....
Pag.S
LES trois Amis & les trois Frères , Conte Moral.
VERS AU Roi.
Le Bouton de Rofe & la Tulipe , Fable.
ΤΟ
II
12
20
22
24
33
34
35
39
ST
ibid.
114 MERCURE DE FRANCE.
EPIGRAMMES.
EPITAPHE d'un Pédant.
VERS de M. D *** fur la mort de fa
foeur.
PLAISANTERIES Angloiſes.
VERS fur le Portrait de Madame de C ***.
LE Loup & la Brebis , Fable,
VERS contre l'Infidélité.
ÉNIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
$3
ibid.
54
57
ibid.
58
62 & 63
63 & 64
66
ART . II. NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure,
LE Confolateur , par M. de S. Suplix.
DISCOURS fur le bonheur des Gens de Lettres.
DISCOURS prononcé dans l'Acad. Royale
des Sciences & Belles- Lettres de Nanci ,
par M. l'Abbé Coyer.
DISCOURS qui a remporté le Prix d'Eloquence
, par M. Bellicard.
L'INTEREST d'un Ouvrage , Difcours prononcé
par M ***
II
81
82
87
87
90
92
95
RECUEIL des Ouvrages qui ont remporté le
Prix à l'Académie des Jeux Floraux , par
M. le Chevalier de la Tremblaye.
POEME aux Anglois à l'occaſion de la Paix
univerfelle ; par M. Peyraud de Beaufol. 97
ANALYSE raifonnée de la Sageffe de Charton.
LES deux Talens , Comédie en deux Actes,
par M. de Baftide,
HORATII Carmina nitori fuo reftituta .
T.Ciceronis , Orator & Dialogi de Oratore
, ad ufam Collegiorum Univerfitatis
Parifienfis.
୨୨
ΙΟΙ
102
103
SEPTEMBRE . 1763 .
215
ANNONCES de Livres."
105 &fuiv.
ARTICLE III.SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
SUITE de l'Eloge hiftorique de M. le Pere.
LETTRE de M. Bourgelat , &c. à l'Auteur du
Mercure.
LETTRE de M. Borel , à M. Bourgelat.
LETTRE en réponte , de M. Bourgelat à M.
Borel.
ANATOMIE LÉGAL
LETTRE de M. Louis , Profeffeur Royal de
Chirurgie , à M. De la Place , Auteur du
Mercure de France .
ART. IV, BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AVIS de la Société des Conciliateurs , fur
le Mémoire de M. de Parcieux, pour con
duire l'Eau de l'Yvette à Paris.
CHIRURGIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
ARTS AGRÉABLES.
ART. V. SPECTACLES.
GRAVURE.
ACADÉMIE Royale de Mufique .
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne .
113
122
124
138
ISO
159
166
171
179
ibid.
CONCERT Spirituel.
SPECTACLES de la Cour à Compiègne,
ART. VI Monumens Publics .
180
187
188
i 190
216 MERCURE DE FRANCE.
DESCRIPTION des Tableaux expofés au Salon
du Louvre.
AVERTISSEMENT de M. de Voltaire
ART. VII. Nouvelles Politiques.
197
207
208
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis-à-vis la Comédie Françoife,
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1763.
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cechijn
Fius in
PapillonScalp.
A PARIS,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis - à-vis la Comédie Françoife,
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue SaintJacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THE NEWYORK
PUBLIC LIBRARY
335320
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier di Roi..
,
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36·
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance.
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure écriront à l'adreſſe cideffus.
>
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
enfoit fait d'avance au Bureau.
Les paquets quineferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix..
Le Nouveau Choix de Pieces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure . Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt-treize volu
mes. Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douzième.
AVERTISSEMENT.
Nous publierons dans un des Volumes prochains
, le nombre & les noms de nos Soufcripteurs
, pour nous acquitter , autant qu'il eft en
notre pouvoir de la reconnoiffance due aux perfonnes
affez attachées à la gloire de la Nation ,
pour diriger l'objet de leur amuſement vers l'uti
lité des Gens de Lettres , en contribuant au fuccès
du Mercure de France , devenu leur patrimoine par
les graces qu'il a plu à Sa Majefté de leur affigner
fur fon produit.
S'il y avoit quelqu'un des Soufcripteurs qui par
des raifons particulieres , dont nous refpecterons le
fecret ne voulût pas être compris dans cette Lifte ,
ils font priés d'en donner avis inceffamment au
Bureau. Ils peuvent être affurés que leur volonté
fera fidélement éxécutée.
N. B. On fe plaint quelquefois du défaut d'exactitude
, dans la délivrance des Volumes du Mercure
aux termes défignés par l'ufage . Rien n'eft fi jufte
engénéral que cette plainte à l'égard des Ouvrages
Périodiques lorfque l'on tombe dans le cas de la
mériter. Mais à l'égard de celui-ci , onfupplie les
Abonnés & autres Lecteurs de confidérer fans humeur
deux chofes . 1 ° . Que dans un Ouvrage de
feize Volumes par an , dont chacun eft affez confidérable
, il eft impoffible qu'il n'arrive des obftacles
quelquefois par rapport à la célérité de l'impreffion
& des brochures , foit par des fêtes publiques , telque
celles qui viennent d'avoir lieu . 2 ° . Que
uelquefois on eft obligé de retarder la confection
bomplette du Volume pour y inferer des chofes du
moment qui deviendroient furannées un mois après.
En un mot , on doit être perfuadé qu'on ne néglige
Tienpourfatisfaire le Public.
Des
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERSET EN PROSE.
L'HUMEUR ,
ODE.
SUR le haut ton monte ta lyre ,
O Mufe , avec des traits divins
Je peindrai , fi Phoebus m'inſpire ,
Le défaut de tous les humains ,
L'humeur, fi féconde en caprices ,
Mère & fille de tant de vices ,
Lue dans l'Aemblée publique de l'Académie
de Soiffons , le 29 Décembre 1762.
I. Vol.
1
I
a
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui ternit l'éclat des vertus ,
Brave la raifon impuiffante ,
Et dans les monftres qu'elle enfante ,
Fait un Tibère d'un Titus.
L'humeur , maîtreffe impérieufe ,
Brouille amis , citoyens , parens,
Les rend dans fa fougue odieufe
Les uns des autres les tyrans ;
Fléau d'une âme pacifique ,
Toujours ce démon domestique
Querelle , ou crie hors de faifon ;
Et , quand il obfède une prude ,
Le trifte époux en fervitude
Trouve l'enfer dans fa maiſon.
Des Sçavans T'humeur orgueilleufe
Eclipfe les plus grands talens ,
Dégrade une âme généreufe ,
Avilit les plus beaux préfens.
Pourquoi des maîtres & des pères
Les leçons d'ailleurs falutaires
Sont-elles fouvent fans fuccès ?
C'eſt qu'à la jeuneffe indocile ,
Une humeur qu'enflamme la bile
Les donne au gré de ſes accès.
Ici, c'eſt l'humeur pointilleuſe
Qui fait cent procès fur un rien ;
Là , domine l'humeur fâcheuſe
•
7.
JUILLET. 1763.
4
A fon gré jamais rien n'eft bien :
Ailleurs on rencontre humeur fombre ,
Humeur jaloufe de fon, ombre ,,
Humeur grondeufe fans raifon ,
Maligne humeur plus redoutable ;
A fes yeux rien n'eſt reſpectable ,
Tout fe reffent de fon poifon.
Parmi tous ceux qu'elle domine ;
Craignons furtout les faux dévots ,
De tout temps leur humeur chagrine
Du monde a troublé le repos.
Dans une âme de fiel pétrie ,
Le zéle devient phrénéfie ,
La charité n'eft plus qu'aigreur.
Nuit & jour ſa ſainte colère
Au péché déclare la guerre
HPour perfécuter le pécheur.
Lorfque l'humeur atrabilaire.
Fermente dans une Beauté ,
Partout , comme un Docteur en chaire ,
Elle prêche la chaſteté.
Elle a beau faire la févère ,
Dans fon coeur fouvent l'humeur fière
Plus que l'honneur a combattu ;
Telle , que pour un exemple on cite ,
Doit à ce lutin qui l'agite
Plus des trois quarts de fa vertu .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Paffion , incompréhensible
Dans tes égaremens divers ,
Quelle eft donc la caufe invifible
De tant d'écarts & de travers ?
Foujours, inquiéte , inégale ,
Toujours ennemie ou rivale ,
A troubler l'ordre tu te plais
A toi , comme aux autres , contraire ,
Tu parles quand il faut fe taire ,
Quand il faut parler tu te tais.
D'un grand à fes pareils affable
Tu fais un Maître redouté ,
D'un Juge au Palais eſtimable
Un père chez lui détefté ;
Et d'une Belle acariâtre
Au bon mari qui l'idolâtre
Tu vends cherement les appas ;
Jouet de ton caprice extrême
L'homme infenfé fuit ce qu'il aime ,
Et pourfuit ce qu'il n'aime pas.
?
Répondez -moi , troupe cynique ,
Cenfeurs chagrins , malins Auteurs
Par des traits d'humeur fatyrique
Penfez-vous réformer les moeurs ?
Ah ce n'eft point ce qui vous touche ;
Et votre morale farouche
D'un beau motif fe mafque en vain ;
JUILLET. 1763 :
L'humeur qui produit la fatyre
De la Raiſon eft le délire ,
Et la honte du coeur humain .
Mortels aveugles , dans Cythère
Vous vous promettez d'heureux jours,
Mais tôt ou tard l'humeur altière
Empoifonnera vos amours :
En vain votre main généreuſe
Flatant une amante ombrageuſe
Sacrifiera tout à la paix ;
Malgré l'amour & l'hyménée ,
Contre vous l'ingrate obſtinée
Armera vos propres bienfaits.
Belles , à qui tout rend hommage ,
A qui l'amour prête les traits ,
Avez-vous l'humeur en partage ?
Je ne vous connois plus d'attraits :
Sans un aimable caractère
La beauté n'a nul droit de plaire ,
Elle perd tous les agrémens ;
Dès que l'humeur s'en rend maîtreffe ,
Plus elle inſpire de tendreſſe ,
Plus elle caufe de tourmens.
Mais finiffez , Mufe caufeufe ,
Continuant à caqueter
Vous deviendriez
ennuyeuſe ,
Bien loin de vous faire goûter.
AN
L
10 MERCURE DE FRANCE .
› Oui , vous détruiriez votre ouvrage
En invectivant davantage
Contre l'humeur & fes travers ;
Vous voulez en guérir les âmes ,
Et vous en donneriez aux Dames
Qui déja bâillent fur vos vers .
' Par M. L'A. D. R. S.
INSCRIPTION ,
POUR mettre au bas de la Statue
du Roi.
LUDOVICO ,FRANCORUM TITO,
PIETATIS PUBLICÆ DONUM :
POSTERITATI SERIUS VENTURÆ ,
DESIDERII SOLATIUM .
ANNO M. DCC. LXIII.
B.... à Chartres.
JUILLET. 1763.
QUATRAIN
.
SUR la Statue équestre de LOUIS XV.
AUGUSTE Monument , qu'éléve à la grandeur
Du meilleur de nos Rois , le plus fincère hom
mage ;
Tu n'offres rien auxyeux , qui ne fût en mon
coeur :
1
La Nature avant l'Art ,y grava fon image.
ParM. MAZERAT , fils . De NONTRON.
A MADAME DE ***
Vous voilà dans le plus bel âge ,
Profitez de vos agrémens ;
Que lesjeux & le badinage
Rempliffent vos heureux momens.
*Croyez- moi , paffez votre vie
Dans les bras de la liberté ;
Des prudes fuyez la manie ,
Leur humeur & l'air apprêté
Que leur donne la vanité.
La vertu n'a point d'étalage ;
La douceur & l'aménité
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Furent toujours fon appanage ;
On blâme toute extrémité ,
On eft fou lorsqu'on eſt trop fage.
Que les ris foient votre partage,
Qu'ils embelliffent votre cour ;
On ne craint point la médifance
Lorfque l'on fçair couvrir l'amour
Avec l'habit de la décence.
Par Mde, de C***
É PIGRA M M E.
L'AUTRE
L'AUTRE jour , certain bel - eſprit ,
Nous récitoit pour ſe mettre en crédit ,
D'affez bons vers (graces à fa mémoire.)
Et dont il fe difoit l'Auteur .
Mais il arriva , par malheur ,
Ce qui ternit un peu fa gloire ,
Qu'on les fçavoit déja par coeur.
DeBordeaux... BETX .
JUILLET. 1763 . 13
DIALOGUE
ENTRE PERICLÉS , un GREC moderne
& un RUSSE.
PERICLÉ S.
J'AI quélque envie de queftionner un
Grec moderne , & Minos m'a dit qu'un
de nous deux l'étoit .
LE GRE C.
Minos a dit vrai , je fus le très -humbie
Efclave de la fublime Port
PERICLÉ S.
Qu'entends-je ? Efclave ! Un Grec
peut - il jamais l'être?
LE GRE C.
Un Grec peut- il être libre?
LE RUSSE .
Il a raifon : Grec & Efclave fignifient
aujourd'hui la même chofe.
PERICLÉ S.
Ah ciel ! que je plains mes malheureux
Compatriotes .
LE GRE C.
'C'est à tort. Je fus affez content de
mon état : je cultivois le coin de terre
que le Bacha de Romélie avoit la
**4 MERCURE DE FRANCE.
générofité de me laiffer ; je payois le
tribut à fa Hauteffe....
3
PERICLÉS .
Le tribut ? Quel mot dans la bouche
d'un Grec ! Mais parle ; en quoi confiftoit
cette humiliante preuve de fervitude?
LE GREC.
A donner une partie du fruit de mon
travail , l'aîné de mes fils & toutes mes
filles , quand elles étoient jolies.
PERICLÉS.
Quoi lâche ? Tu livrois toi - même
tes enfans à l'efclavage ? Eft- ce ainfi
qu'en ufoient les Contemporains de
Miltiade , d'Ariftide , de Themifto-
*cle...
LE GRE C.
Voilà des noms que je n'ai jamais
entendu citer. Ces gens - là étoient- ils
Boftangis , Capigi - Bachis , Bachas à
trois queües , ou Chefs des Eunuques ?
PERICLES ( au Ruffe. )
De quels noms barbares & ridicu
les cet homme ofe - t - il affliger mes
oreilles ? Je parle , fans doute , à quelque
ftupide Béotien , ou à quelque
ignorant Spartiate . ( Au Grec. ) Sans
doute que le nom de Periclès ne vous
eft pas mieux connu ?
JUILLET. 1763.
t
LE GREC.
Pericles ? ... Non ... Il me femble ,
pourtant , qu'un de nos plus célébres
Caloyers s'appelloit ainfi .
PERICL É S.
Qu'est-ce qu'un Caloyer? C'eft apparamment
, parmi vous , la premiere
perfonne de l'Etat.
LE GRE C.
Un Caloyer n'eft rien pour l'Etat ,
comme l'Etat n'eft rien pour lui.
PERICLES.
Eh par quels moyens celui-là s'eft- il
rendu fi célébre ? A-t-il comme moi
combattu & vaincu pour fa Patrie ?
L'a-t-il ornée de monumens confacrés
aux Dieux , aux beaux Arts , à l'utilité
publique , & jufqu'aux amuſemens des
Citoyens ? A-t-il encouragé les talens ,
protégé , enrichi les Artiftes & les Auteurs
, apprécié des Chefs- d'oeuvres ? ...
LE GRE C.
no
'Non , le Caloyer dont je parle , ne
fçavoit même pas lire , n'habitoit qu'u
ne Cabane , cultivoit lui- même fon
champ , fe froiffoit journellement les
épaules , ne vivoit que de racines , &
offroit au Ciel fes flagellations , fes
travaux , fon abftinence & fon ignorance.
To MERCURE DE FRANCE.
PERICLÉS.
Et la renommée de cet homme l'emporte_
fur la mienne ?
LE GRE C.
Affurément. Tous nos Grecs le révérent
, & tous vous ignorent.
PERICLÉ S.
O deftinée ! ... Mais , du moins , fuisje
toujours en vénération dans Athènes
, dans cette Ville , où j'introduifis
la magnificence & le goût des belles
chofes,
LE GRE C.
Je n'en fçais rien . Pour moi , j'habite
Sétine , bourg affez chétif , qui
l'étoit , dit-on , moins autrefois , & qui
le fera beaucoup plus encore par la
fuite.
PERICLÉS.
Quoi l'illuftre , l'opulente ville d'Athènes
vous feroit auffi peu connue
que Themistocle & Pericles ? Il faut
que vous ayez vécu enterré dans quelque
coin de la Grece ?
LE RUSSE.
Point du tout , il vivoit dans 'Athènes
même.
PERICLES .
Dans Athènes ! & il m'ignore ? & il
ignore jufqu'au nom de cette Ville fameufe
?
JUILLET. 1763. 17
LE RUSS E.
Bien d'autres que lui pourroient s'y
méprendre . Athènes , autrefois fi fuperbe
, n'eft plus aujourd'hui que le
chétif bourg de Sétine.
PERICLÉ S.
Ah ! que m'apprenez-vous ?
LE RUSSE .
Tel eft le fruit des ravages du temps ,
& des inondations de Barbares . , plus
deftructives que le temps même.
PERICLÉ S.
J'ai bien fçu que les fucceffeurs d'Alexandre
fubjuguerent la Grece ; mais
Rome ne lui rendit- elle pas la liberté ?
La crainte d'apprendre qu'elle l'eût de
nouveau perdue , m'interdit depuis toute
recherche à cet égard.
LE RUSSE.
Vous l'euffiez vu changer bien des
fois de Maître. Elle parut , néanmoins ,
durant quelque temps , partager l'Empire
du monde avec les Romains ; Empire
que nulle des deux Puiffances -ne
feut conferver. Mais pour ne parler ici
que de la Grece , vous l'euffiez vu , disje
, fubir le joug tantôt des François ,
tantôt des Vénitiens , tantôt des Turcs .
PERICLÉS.
Je n'ai jamais connu ces trois Nations
barbares.
18 MERCURE DE FRANCE.
LE RUSSE .
Pour moi , je reconnoîs un ancien
Grec à ce langage. Tout Peuple étranger
étoit barbare à vos yeux . Vous
n'en exceptiez pas même les Égypdé
tiens , à qui vous deviez le germe
toutes vos connoiffances
. J'avoue que
les Turcs n'ont guères connu autrefois
que l'Art de conquérir , & ne connoiffent
guères maintenant que l'Art de
bien garder leurs conquêtes. Mais les
Vénitiens , mais fur - tout les François
>ont égalé vos Grecs dans plus d'un genre
, & les ont furpaffé dans quelques
autres.
PERICLES
.
Voilà un beau Portrait ; mais je le
foupçonne un peu flaté. N'êtes - vous
pas né François ?
LE RUSS E.
Il s'en faut de beaucoup ; je fuis
Ruffe.
PERICLÉS
.
Ruffe ... Il faut que tous les Peuples
de la terre ayent changé de nom
depuis que j'habite l'Elifée. Je vous avoue
que je n'ai jamais entendu nommer les
Ruffes. Vos connoiffances
me font
cependant juger votre nation très-ancienne.
Seroit-elle un rejetton des EgypJUILLET.
1763. 19
tiens , dont vous preniez tout à l'heure
la défenſe ?
LE RUSS E.
Non. Je n'ai connu ces Peuples que
par vos Hiftoriens. Quant à ma Nation
, elle defcend des Scythes & des
Sarmutes.
PERICLÉ S.
Seroit-il bien poffible qu'un héritier
des Sarmates & des Scythes connût
mieux qu'un Grec moderne l'ancien
état de la Grece?
LE RUSSE.
Il y a,au plus, quarante ans que nous
ne connoillions ni les Egyptiens , ni
les Grecs , ni même les Sarmates , de
qui nous defcendons . Mais un de nos
Souverains nâquit avec du génie. Il
entreprit de profcrire l'ignorance de fes
Etats ; & bien -tôt on y vit éclore les
Arts , les Sciences , les Académies , les
Spectacles : nous apprîmes l'Hiftoire de
tous les Peuples , & nous méritâmes
que d'autres Peuples appriffent la nôtre
.
PERICLE S.
Il eft vrai que pour opérer ces fortes
de métamorphofes , un Prince n'a qu'à
vouloir ; mais il eft encore plus vrai
que j'ai perdu bien du temps : j'efpé20
MERCURE DE FRANCE.
rois m'immortalifer , & on m'ignore
jufques dans ma Patrie !
LE RUS SE.
En revanche , on vous connoît dans
a mienne ; ce que vous n'efpériez peutêtre
pas.
PERICLÉS.
Je l'avoue. Cependant , je regrette ,
malgré moi , qu'Athènes ait mis en oubli
ce que j'ai fait pour elle . Je vais m'en
confoler avec Ofiris , avec Minos , avec
Lycurgue , avec Solon , avec une foule
de Fondateurs d'Empires , & de Légiflateurs
, dont on a oublié les actions &
les préceptes. Les connoiffances humaines
font un Aftre qui ne peut éclairer
qu'une partie du Globe à la fois ,
& qui les éclaire toutes fucceffivement :
le jour commence chez telle Nation ,
lorfqu'il eft prêt à finir chez telle autre
.
JUILLET. 1763.- 2T
Aune Dame qui accuföit l'Auteur de
rêver à quelque Piéce nouvelle.
On ne fçauroit fonger près de vous , qu'à vousmême.
Or , d'après cet aveu bien plus vrai que flateur ,
O Beauté que tout le monde aime !
Ce n'eft pas mon efprit qui rêve , c'eft mon coeur.
Par M. GUICHARDS
MADRIGAL.
St Cloris eft charmante, Iris n'eft pas moins
belle;
Entre ces deux objets mon coeur refte flottant:
Ne m'en offrez qu'un feul , je vais être fidéle ;
Offrez-les-moi tous deux , je vais être inconftanti
V
EPITRE
A Mademoiselle D ...
ous dont les traits chaque jour embellis
De mille Amans , vous attirent l'hommage ;
Lifez des Vers que l'Amour a polis ,
Souvent fon Temple eft dans le coeur d'un
Sage :
22. MERCURE DE FRANCE.
Long-temps ce Dieu fut celui de mes chants,
Et j'aime encore à parer fon image.
Vous me l'offrez : vous avez fon bel âge ,
Ses yeux fi doux , fes organes touchans:
Ainfi que lui vous ferez du ravage.
Il eſt orné des Rofes du Printemps ,
Il a pour lui la grace & la fineffe ;
Mais pardeſſus vous avez les talens :
Vous régnerez encor par la fageffe.
OD ....! Bientôt la Volupté
Viendra femer dés Rofes fur vos traces :
En les cueillant , fongez que la beauté
N'eft pas un titre à l'immortalité ;-
Les talens feuls éternifent les graces.
Laiffez le myrthe aux Enfans de l'Amour:
Des Arts brillans , méritez la Couronne ;
Et prenez- la des mains de P......
Elle la porte , & fa faveur la donne..
Déja Paris vous voit prendre l'eſſor ,
Et du Public foutenir l'oeil févère :
Tel un Aiglon élancé de fon aire ,
Pour éffayer fon vol timide encor
Fixe déja l'Aftre qui nous éclaire.
Dites- moi donc , par quel enchantement
Vous favez peindre avec tant d'énergie ,
De naturel , de force & de magie ,
Ce qu'à votre âge on a fi rarement ?
Ah ! que Nanine étoit touchante & belle !
JUILLET. 1763 . 23.
Pour pofféder & fon coeur & fa main ,
Da préjugé qui n'eût briſé le frein ?
Tout le Public étoit d'Olbans pour elle
J'ai vu Clairon , la Reine du Théâtre ,
De fa Couronne arracher quelques fleurs ,
Pour embellir de leurs vives couleurs-
Ce front riant que l'amour idolâtre.
De les beaux yeux j'ai vû couler des pleurs
Le vrai talent ne connoît point l'ènvie ;
La laideur feule outrage la beauté ;
Et par Tef.. , Br .... eft applaudie ::
Un Sot infulte aux hommes de génie :
Par Diderot , Voltaire eſt reſpecté.
Avez- vous vâ deux Courfiers d'Angleterre
Lever un front noble & majestueux ,
Et fiérement du pied frapper la Terre?™
Bouillans , légers , ardens , impétueux,
Ils font formés pour les jeux & la guerre :
Tous deux brillans , ils ne font point rivaux.-
Mais auprès d'eux peſant , lâche , indocile ,
L'âne fuivant la nature imbécile ,
Meurt du regret de les trouver fi beaux.
Ainfi , marchant parmi des routes fûres
Dans la carrière où s'illuftra Gauffin
Vous éclipfez vos rivales obfcures,
Telle l'on voit l'étoile du matin,
Ou du Soleil la blonde Avantcourière
24 MERCURE DE FRANCE.
Chaffer la nuit , ramener la lumière ,
Et rendre au monde un jour pur & ferem.
Par M. LEGIER.
STANCES IRRÉGULIÈRES ,
Adreffées par Madame P .... agée de
70 ans , au Chevalier de M*** fon.
ami qui en avoit 80 ..
IL eft temps M*** de couronner res feux ; ::
Uniffons nos deftins , l'Amour nous y convie
Puiffe de fon flambeau la lumière cherie
Eclairer dans Paris un hymen vertueux,
Erde l'Automne de ma vie ,
Faire un Printemps délicieux !
D'un moment ou d'un jour , mon choix n'eft pas
l'ouvrage
ATAR
Je fuis dans l'heureufe faifon >
Où le coeur plus libre & plus fage ,
Ne fe livre que par raiſon ,
Erne craint point , lorsqu'il s'engage,
Ni changement , ni trahifon .
D
Sous la neige des cheveux blancs V
Il refte de l'amour encor quelqu'étincelle
A foixante & dix ans rarement on eit belle;
Mais
JUILLET. 1763. 24
Mais on peut aimer à cent ans.
Philemon adoroit dans une paix profonde
Les charmes furannés de la tendre Baucis ;
Et la mère des Dieux, plus vieille que le monde,
Soupiroit encor pour Atis.
Plus tendre que Baucis , moins vieille que Cibelej
Ancien & cher amant , je t'engage ma foi :
Tu feras le bonheur d'une époufe fidelle ;
Et fi le tien dépend de moi ,
Jamais l'époux d'une immortelle
Ne fera plus heureux que toi.
On ne me verra point inconftante ou perfide ,
De tes jeunes rivaux écouter les foupirs ;
La pâle jaloufie au regard homicide ,
Jamais ne troublera ma paix , ni tes plaifirs.
De ta fidélité ton épouſe aſſurée
Bannira les foupçons & les lâches foucis ,
Sans craindre de ta part les fureurs de Teric ,
Ni le trait malheureux de l'amant de Procis,
Ainfi filés d'or & de foie ,
Puiffent couler nos jours dans le fein du repos ;
Puiffions-nous de l'hymen ne goûter que la joie ,
Sans éprouver jamais les dégouts & fes maux.
Et dans cette heureuſe contrée ,
Puiffe notre union faire revivre encor
I. Vol B
7
26 MERCURE DE FRANCE .
Et les amans du temps d'Aftrée ,
Et les époux de l'âge d'or ?
EPITRE
A Mademoiselle A *** .
JEEUUNNEE Lycoris,
Pourquoi de Cypris
Méprifer fans ceffe
Les mythes fleuris ?
Un coeur fans tendreffe ,
Bornant fes defirs ,
Ignore l'ivreffe
Des parfaits plaifirs.
Quoi ! toujours rêveuſe ,
Trifte , férieuſe ,
Faudra-t-il vous voir
D'une humeur févère
Du fils de Cythère
Braver le pouvoir.
Il faut de fes charmes
Goûter la douceur ,
Ou craindre les armes
De ce Dieu vengeur.
Quand pour nous ſurprendre
11 fixe le jour ,
Aucun vain détour
JUILLET. 1763 . 27
Ne peut nous défendre :
Le devoir fe taît ,
La raifon s'égare ,
Et d'un feu fecret
Notre âme s'empare ;
Bientôt nos regards
Timides , épars ,
Pour cacher leur flâme
Dévoilent de l'âme
Les troubles naiffans
Qui flatent nos fens.
Tôt ou tard fenfible
Aux foins amoureux ,
Un coeur infléxible
Doit former des voeux.
Par force , ou par crainte ,
Si pendant le cours
De vos plus beaux jours ,
Sans efpoir ni crainte
Vousfuyez toujours
La légère atteinte
Du Dieu des Amours :
Sans inquiétude
Dans la folitude
De vos jeunes ans ,
L'ennuyeux Printemps-
Finira fa courfe.
Alors fans refſource
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
1
༄
De pouvoir charmer ,
De la fleur de l'âge
Vous peignant l'image
Vous voudrez aimer .
Ah ! puifque vos charmes
Régnent en ces lieux ,
Et que vos beaux yeux
Font rendre les armes
A tous nos bergers ;
D'un retour funeſte
Craignez les dangers.
Oui ,je vous proteſte
Que fi votre coeur
D'une tendre ardeur
Suit la douce pente ,
Vous éprouverez ,
Et vous fentirez
Contre votre attente ,
Que fi les defirs
Que l'Amour infpire
Content des foupirs ,
Son charmant délire
Fait tous nos plaifirs
Par M. L. P. MOLINE
JUILLET. 1763 . 2.9
VERS de D.... à fa Maîtreffe.
To crains que le deftin , ô ma Divinité ! Ꭲ
Ne t'enlève un amant que tu rendis fidéle ?
Et tu lui refuſes , cruelle ,
De jouir avec toi de l'immortalité !
BELGE ABEUNTIS LUTETIA
HENDECASYLLABĮ .
DULCES Parifii , beata tempe ,
Nunquam non hilari petita vultu ,
Nunquam non lachrymis relicta fufis,'
Et vos adfita rura , vos amoeni
Seceffus nemora , & domus Dianæ ;
Quæ nunc Clodiolam meam videtis ;
Servetis memorem mihi puellam ,
Servetis Dominam mihi benignam ,
Nefi quos gerat intimis medullis ,
Elabi fineret meos amores )
Quærens de fuperis , lacer dolore,
Vates ad tumuli feratur umbras.
Vivat fequanicis amicus aris ,
Et dulcis Domine Comes perennis ,
Canat decrepito folutus ævo :
Servaftis mihi qui meos amores
Dulces Parifi beata tempe.
ン
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
AZAKIA ,
ANECDOTE HURONNE.
LEES anciens habitans du Canada furent
tous Sauvages , & l'étoient dans
toute la rigueur du terme. Rien ne le
prouve mieux que la deftinée de certains
François , qui aborderent les premiers
dans cette partie du nouveau monde.
Ils furent mangés par ces hommes
qu'ils prétendoient humanifer & polir.
De nouvelles tentatives eurent un fuccès
plus heureux . On fepouffa les Sauvages
dans l'intérieur du continent : on
conclut avec eux des traités de paix, toujours
mal obfervés : on fit naître chez
eux des befoins qui leur rendirent notre
joug néceffaire. Notre eau -de - vie , notre
tabac firent fans peine , ce que nos
armes euffent opéré plus difficilement.
Bien-tôt la confiance devint réciproque
, & les forêts du Canada furent auffi
librement frequentées par leurs nouveaux
hôtes , que par ceux qu'elles avoient
vû naître .
Elles l'étoient fouvent auffi par des
femmes & des filles Sauvages à qui la
rencontre d'un François ne caufoit nulle
JUILLET. 1763. 31
frayeur. Prèfque toutes ces femmes font
belles , & certainement leur beauté ne
doit rien aux preftiges de l'art . Il n'influe
guères davantage fur leur conduite.
Leur caractère eft naturellement
doux , leur humeur gaie ; elles rient de
la maniere la plus agréable & la plus
attrayante. Elles ont un penchant décidé
pour l'amour , penchant qu'une fille
dans ces Contrées peut fuivre , & fuit
toujours fans fcrupule , fans craindre nul
reproche. Il n'en eft pas ainfi d'une femme
: elle fe doit toute entière à celui
qu'elle a époufé ; & ce qui n'eft . pas
moins digne de remarque , elle remplit
exactement ce devoir,
Une héroïne de cette claffe , & qui
étoit née parmi les Hurons , s'égara un
jour dans une forêt voifine des terres
qu'ils habitent. Elle fut furprife par un
-Soldat François , qui ne daigna point
s'informer fi elle étoit fille ou femme.
Il fe fentoit d'ailleurs , peu difpofé à refpecter
les droits d'un époux Huron . Les
cris que pouffoit la jeune Sauvage , en
fe défendant , attirerent vers cet endroit
le Baron de Saint- Caftins , Officier dans
les troupes du Canada . Il n'eut
pas de
peine à obliger le Soldat de s'éloigner.
Mais celle qu'il venoit de fecourir avoit
Biy
32 MERCURE DE FRANCE.
tant de charmes que cet homme lui parut
excufable . Il fut lui-même tenté d'exiger
le falaire de fa démarche . Il s'y prit
d'une maniere glus engageante que fon
devancier , & ne réuffit pas mieux. L'ami
qui eft devant mes yeux m'empêche de
te voir lui dit la Huronne. C'eft la
phrafe fauvage , pour s'exprimer qu'on
a un mari , & qu'on ne veut abfolument
point lui manquer. Cette phraſe
n'eft pas un vain formulaire ; elle renferme
un refus décifif, & eft commune à
toutes les femmes de ces Nations Barbares
, que notre voifinage & nos
exemples n'ont jamais pu civilifer.
Saint-Caftins , à qui la langue & les
ufages des Hurons étoient familiers , vit
d'abord qu'il n'avoit plus rien à prétendre
, & cette perfuafion rapella toute fa
générofité. Il fe borne donc à accompagner
la belle Sauvage , qui n'étoit venue
que par cas fortuit dans ce bois , &
qui craignoit de nouvelles rencontres .
Chemin faifantil en reçut toutes les marques
de reconnoiffance poffibles , fi on
en excepte celle qu'il avoit d'abord voulu
éxiger.
Au bout de quelque tems Saint- Caf
tins eft infulté par un de fes Confrères,
lui fait un appel , & le tue. L'Officier
JUILLET. 1763. 33
mort étoit neveu du Gouverneur Général
de la Colonie , & ce Gouverneur
étoit auffi abfolu que vindicatif. S .... .
C. ... n'eut d'autre parti à prendre que
la fuite. On préfuma qu'il s'étoit retiré
chez les Anglois de la nouvelle Yorck ,
chofe effectivement très - vraisemblable.
Cependant il n'en fit rien . Perfuadé qu'il
trouveroit un afyle également für parmi
les Hurons , ce fut à eux qu'il donna
la préférence.
Le defir de revoir. Azakia , ( c'eft le
nom de la Sauvage qu'il avoit fecourue ).
entra pour beaucoup dans ce choix . Elle
reconnut d'abord fon libérateur. Sa joie
fut extrême de le retrouver , & elle la lui
témoigna auffi naïvement qu'elle avoit
réfifté à fes attaques. Le Sauvage dont
elle étoit la femme , & qui fe nommoit
Ouabi , fit le même accueil à Saint-Caf
tins. Ce dernier l'inftruifit du motif de
fa fuite . Le Grand- Efprit foit loué , de
t'avoir conduit parmi nous , reprit le
Huron ! Ce corps , ajoûta-t-il , en portant
la main fur fon eftomach , ce corps
te fervira de barrière , & ce cafle - tête
écartera , ou térraffera tes ennemis . Ma'
cabannefera la tienne : tu verras journellement
le grand Aftre reparoître & nous
quitter , fans que rien te manque , ni
puiffe te nuire.
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Saint- Caftins lui déclara qu'il vouloit
abfolument vivre comme eux
c'eft- à-dire partager leurs travaux ,
leurs
guerres , leurs ufages ; en un mot devenir
Huron : aveu qui redoubla la joie
d'Ouabi. Ce Sauvage tenoit le premier
rang parmi fes femblables ; il étoit leur
Grand Chef , dignité qu'il ne devoit
qu'à fon courage & à fes fervices. If
avcit d'autres Chefs fous lui & offrit
une de ces Places à Saint- Caftins qui
n'accepta que le rang. de fimple guerrier.
LesHurons étoient alors en guerre avec
les Iroquois. Il fut queftion de tenter
une entreprife contre ces derniers . Saint-
Caftins voulut être de cette expédition
& y combattit en Huron déclaré . Mais
il fut bleffé dangereufement. On le
porta , non fans peine , jufques dans la
maifon d'Ouabi fur une efpéce de brancard.
A cette vue Azakia parut accablée
de douleur. Mais elle ne ſe borna
point à le plaindre ; elle fongea à lui
prodiguer les foins & les fecours. Elle
avoit plufieurs Efclaves à fes ordres &
ne fe repofoit que fur elle - même de
ce qui pouvoit tendre au foulagement
de fon hôte. Son activité égaloit fes inquiétudes.
On eût dit que c'étoit une
Amante qui veilloit fur les jours de fon
rapJUILLET.
1763. 35
Amant. Un François ne pouvoit manquer
d'en tirer les conféquences les plus
flateufes , & c'eft ce que fit d'abord
Saint-Caftins. Ses defirs & fes efpérances
renaiffoient avec fes forces . Un feul
point dérangeoit un peu fes vues : c'étoient
les fervices & les attentions d'Ouabi.
Pouvoit-il le tromper fans joindre
l'ingratitude à la perfidie ? Mais, reprenoit
Saint- Caftins , le bon Ouabi n'eft qu'un
Sauvage feroit- il plus vétillard fur cet
article que beaucoup d'honnêtes gens de
notre Europe ? Cette raifon , qui n'en
étoit pas une , parut très-folide à l'amoureux
François. Il renouvella fes
tendres avances , & fut furpris d'éffuyer
de nouveaux refus. Arrête ! Celario
( c'eſt le nom fauvage qu'on avoit donné
à Saint- Caftins ) arrête , lui dit Azakia
: les tronçons de la baguette que
j'ai rompu avec Ouabi n'ont pas encore
été réduits en cendres. Une partie reſte
encore en fon pouvoir & l'autre au
mien. Tant qu'ils fubfifteront , je ſuis à
Jui & ne puis être à toi. Ce difcours prononcé
d'un ton ferme , déconcerta un
peu Saint- Caftins. Il n'ofoit prèſque
plus infifter & tomba dans une trifte
rêverie. Azakia en fut touchée. Que
faire? lui dit- elle ; je ne puis devenir ta
B
vj
36 MERCURE DE FRANCE.
compagne qu'en ceffant d'être celle
d'Ouabi ; & je ne puis quitter Ouabi
fans lui caufer la trifteffe que tu éprouves
toi- même . Réponds - moi , l'a-t-il mérité
? Non ! s'écria vivement Célario
non! il mérite fur moi toute préférence
; mais il faut que j'abandonne & fa
demeure & même cette habitation . Ce
n'eft qu'en ceffant de voir Azakia que
je puis ceffer d'être ingrat envers Ouabi.
Ces mots firent palir la jeune fauvage.
Ses larmes coulerent prèſque
auffi -tôt , & elle ne chercha point à
les cacher. Ah ! ingrat Célario , s'écriat-
elle , en fanglottant & lui preffant les
mains entre les fiennes , ingrat Célario !
eft-il bien vrai que tu veuilles quitter
ceux à qui tu es plus cher que la lumière
du grand Aftre ? Que t'avonsnous
fait pour nous abandonner ? Te
manque - t - il quelque chofe ? Ne me
vois-tu pas fans ceffe à tes côtés comme
l'Efclave qui n'attend que le fignal
pour obéir ? Pourquoi veux-tu qu'Azakia
meure de triftefle ? Tu ne peux
la quitter fans emporter fon âme elle
eft à toi , comme fon corps à Ouabi....
L'arrivée de ce dernier empêcha Saint-
Caftins de répondre . Pour Azakia , elle
" Continuoit à pleurer fans fe contrain-
"
JUILLET. 1763 . 37
dre , fans même en cacher un inftant
la caufe. Ami , dit-elle , au Huron , tu
vois encore Célario , tu le vois , tu peux
lui parler & l'entendre : mais bien-tôt
il va difparoître à nos yeux , il va chercher
d'autres amis.... D'autres amis !
s'écria le Sauvage , prèſque auffi allarmé
qu'Azakia même ; eh quoi ? mon
cher Célario , quelle raifon te porte à
t'arracher toi-même de nos bras ? Astu
reçu ici quelque injure , quelque
dommage ? Réponds- moi ; tu fçais que
j'ai de l'autorité dans ces lieux. Je te
jure , par le grand Efprit , que tu feras
fatisfait & vengé.
Cette queftion devenoit embarraffante
pour Saint- Caftins. Il n'avoit nul
fujet raisonnable de fe plaindre , & le
vrai motif de fa réfolution devoit être
abfolument ignoré d'Ouabi. Il lui fallut
fe rejetter fur quelques raifons bannales
, & que le bon Ouabi trouva
très - ridicules . Parlons d'autre chofe ,
ajouta-t-il ; demain je pars pour une expédition
contre les Iroquois ; & ce foir
je donne à nos Guerriers le repas d'ufage.
Prends part à cet amufement ,
mon cher Célario ; .... j'en veux prendre
également à vos périls & à vos travaux
, interrompit Saint - Caftins ; je
a
38 MERCURE DE FRANCE.
fuis de cette nouvelle expédition. Tes
forces trahiroient ton courage , repliqua
le Chef des Hurons : c'eft peu de
fçavoir affronter la mort ; il faut pouvoir
le donner à l'ennemi ; il faut
pouvoir le pourfuivre , s'il prend la fuite
, & même pouvoir l'éviter , s'il eft
trop fupérieur. Telles furent , dans tous
les temps , nos maximes guerrieres . Ne
fonge donc , pour le moment , qu'à te
guérir , & à veiller fur cette habitation
durant mon abfence . Je t'en confie le
foin & la charge. Il eût été fuperflu
que le François repliquât. Bientôt les
Guerriers s'affemblent & le feftin commence.
A peine eft - il fini , que la troupe
fe met en marche , & que Saint- Caf
tins refte plus que jamais expofé aux
charmes d'Azakia.
Il eft certain que cette jeune Sauvage
aimoit fon Hôte , & l'aimoit d'un
amour purement métaphyfique , fans ,
pourtant , fe douter de ce que c'étoit
qu'un pareil amor . Elle prit même une
réfolution que nos Métaphyficiennes ,
dans ce genre , ne prendroient certainement
pas ; ce fut de procurer à
Saint- Caftins , l'occafion d'obtenir d'u
ne autre , ce qu'elle-même s'obtinoit
à lui refufer. La rivale qu'elle fe donna
JUILLET . 1763. 39
lire
étoit des plus propres à opérer cette
éfpèce de diverfion . Elle n'avoit que
dit-huit ans , étoit très- belle , & ce qui
ne devenoit pas moins néceffaire , étoit
encore fille. J'ai déja dit que chez ces
Nations une fille jouit de la plus grande
liberté. Saint-Caftins , excité par Azakia
, eut divers entretiens avec Zifma ,
c'eſt le nom de cette jeune Huronne.
Au bout de quelques jours , il put
dans fes yeux qu'elle feroit moins févère
que fon amie. On ne dit point
s'il profita de la découverte du moins
ne lui fit-elle point oublier Azakia ,
qui de fon côté , fans doute , ne vouloit
point être oubliée. Saint Caftins
fe fentoit , malgré lui , ramené vers
elle. Un incident , qui par- tout ailleurs
eût contribué à les unir , fut prêt à les
Téparer pour jamais.
:
On apprit par quelques fuyards , plus
diligens que les autres , qu'Ouabi avoit
donné dans une embuscade d'Iroquois ,
qu'il avoit perdu une partie de fa troupe
, & étoit lui-même refté fur le champ
de bataille. Cette nouvelle caufa de
juftes regrets à Saint- Caftins . Sa générofité
lui fit mettre à l'écart toute
vue d'intérêt. Il oublioit qu'en perdang
un ami , il fe trouvoit défait d'un R
40 MERCURE DE FRANCE .
val. D'ailleurs , la mort de ce Rival
pouvoit entraîner celle d'Afakia même.
Ses jours , dès ce moment , dépendoient
du caprice d'un fonge. Ainfi
le vouloit un ufage fuperftitieux , confacré
de tous temps parmi ces Peuples.
Si dans l'espace de quarante jours , une
Veuve , qui vient de perdre fon époux
le voit & lui parle en fonge deux fois
de fuite , elle en infére qu'il a beſoin
d'elle dans le pays des âmes , & rien
ne peut la difpenfer de fe donner la
mort.
Azakia étoit d'avance réfolue d'obéir
à cet ufage , fi le double fonge
avoit lieu. Elle regrettoit fincérement
Quabi , & quoique Saint - Caftins lui
fournît matiere à d'autres regrets en
mourant , le préjugé l'emportoit fur
l'inclination. Il n'eft pas facile d'exprimer
les inquiétudes , les terreurs qui
tourmentoient l'Amant de cette belle
& crédule Huronne . Chaque nuit il fè
la figuroit en proie à ces vifions finiftres
; il ne l'abordoit chaque matin
qu'en frémiffant. Un jour , enfin , il la
trouva qui préparoit un breuvage mortel.
C'étoit le fuc d'une racine de Citronnier
, poifon , qui dans cette Contrée,
ne manque jamais fon coup. Tu
JUILLET. 1763 . 41
vois , mon cher Célario , lui dit Azakia,
tu vois les apprêts du long voyage
qu'Ouabi m'ordonne de faire.... Ciel !
interrompit Saint - Caftins , pouvez-vous
en croire un fonge qui vous abuſe ?
une illufion frivole & trompeufe ? Arrête
, Célario , reprit la Huronne , tu
t'abufes toi-même . Ouabi s'eft montré
à moi la nuit dernière ; il m'a pris la
main en m'ordonnant de le fuivre . La
pefanteur de mon corps s'y oppofoit.
Ouabi s'eft éloigné d'un air trifte. Je
l'appellois. Pour toute réponſe , il m'a
tendu les bras , & enfuite a difparu . Il
reviendra , fans doute , mon cher Célario
: il faudra lui obéir ; & après t'avoir
pleuré , j'avalerai ce breuvage qui doit
affoupir mon corps ; j'irai rejoindre
Quabi dans le féjour des âmes.
Ce difcours mit Saint- Caftins hors
de lui-même. Il y oppofa tout ce que
la raifon , la douleur & l'amour pûrent
lui fuggérer de plus convaincant ; rien
ne parut l'être à la jeune Sauvage . Elle
pleuroit , mais perfévéroit dans fon deffein.
Tout ce que le défolé François
put obtenir d'elle , fut qu'en fuppofant
même qu'Ouabi lui apparût une feconde
fois en fonge , elle attendroit pour
fe donner la mort , qu'elle fût un peu
42 MERCURE DE FRANCE .
mieux affurée de la fienne : chofe que
Saint-Caftins fe propofoit de vérifier
au plutôt.
Les Sauvages n'échangent ni ne tachetent
point leurs prifonniers. Ils fe bornent
à les arracher des mains de l'ennemi
quand ils le peuvent. Quelquefois
le Vainqueur deftine fes Captifs à l'efclavage
; le plus fouvent il les fait mou
rir. Telle eft furtout la maxime des
Iroquois . Il y avoit donc à préfumer
qu'Ouabi étoit mort de fes bleffures ,
ou avoit été brulé par cette Nation barbare.
Azakia le croyoit encore plus que
tout autre . Mais Saint - Caftins vouloit
qu'au moins elle en doutât. De fon
côté il ranime le courage des Hurons
& propofe une nouvelle entreprife contre
l'Ennemi. Elle eft approuvée . Il
s'agiffoit d'élire un Chef. Toutes les
voix fe réuniffent en faveur de Saint-
Caftins qui avoit déja donné des preuves
de fa valeur & de fa conduite . Il
part avec fa troupe ; mais il ne part
qu'après avoir de nouveau tiré parole
d'Azakia qu'en dépit de tous les fonges
qu'elle pourroit faire , elle différera
au moins jufqu'à fon retour , le triſte
Voyage qu'elle médite.
Celui des guerriers Hurons fut des
JUILLET. 1763 . 43
plus heureux. Les Iroquois les croyoient
trop affoiblis , ou trop découragés pour
ofer rien entreprendre Eux- mêmes s'étoient
mis en marche pour venir les attaquer
, & marchoient fans précaution.
Il n'en étoit pas ainfi de la troupe de
Saint- Caftins. Celui- ci avoit envoyé
quelques-uns de fes gens à la découverte.
Ils apperçurent l'Ennemi fans en être
vus , & revinrent en donner avis à leur
Chef. Le terrain fe trouvoit des plus
propres à dreffer une embufcade . Les
Hurons en profiterent fi bien , que les
Iroquois fe virent enfermés lorfqu'ils
croyoient n'avoir aucun rifque à courir.
On les chargea avec une furie qui ne
leur laiffa point le temps de fe reconnoître.
Le plus grand nombre eft tué
fur la place ; le furplus eft eftropié ou
garroté. On marche fur le champ au
plus prochain village . On y furprend
les Iroquois affemblés. Ils alloient jouir
du fpectacle de voir brûler un Huron .
Déja ce dernier chantoit fa chanfon de
mort. C'eft à quoi ne manque jamais
tout Sauvage que l'Ennemi eft prêt à
faire périr . De grands cris & une grêle
de coups de fufil eurent bientôt di perfé
la foule des curieux . On tue & les
fuyards , & ceux qui veulent réſiſter.
44 MERCURE DE FRANCE.
Toute la férocité fauvage fe déploie .
Vainement Saint - Caftins s'efforçoit
d'a rêter le carnage . Il ne fauva qu'avec
peine un petit nombre de femmes
& d'enfans. Il craignoit furtout qu'au
milieu de ce tumulte horrible , Ouabi
ne fût maffacré lui-même , fuppofé qu'il
vécût encore & fe trouvât dans cette
habitation . Occupé de cette idée , il
accouroit fans relâche d'un endroit à
un autre. Il apperçoit dans une place
où l'on combattoit encore un Prifonnier
attaché à un poteau , & ayant à
fes côtés les apprêts de fa mort ; c'eſtà-
dire de quoi le brûler à petit feu . Le
Chef des Hurons vole vers ce malheureux
captif, rompt fes liens , le reconnoît
, l'embraffe avec des tranfports de
joie. C'étoit Ouabi!
Ce brave Sauvage avoit préféré la
perte de fes jours à celle de fa liberté.
A peine guéri de fes bleffures , on lui
avoit offert la vie fous condition de
refter Efclave . Il avoit choisi la mort
déterminé à fe la donner lui - même fi
elle lui étoit refufée. Mais les Iroquois
étoient gens à lui épargner cette peine.
Un inftant plus tard fes compagnons
n'euffent plus été à temps de le fauver.
Après avoir difperfé ou fait efclave
JUILLET. 1763 . 45
te qui reftoit d'Iroquois dans ce canton
, l'Armée Huronne reprit le chemin
de fes terres . Saint - Caftins voulut remettre
le commandement à Ouabi qui
le refufa . Il l'inftruifit , chemin faifant ,
du deffein où étoit Azakia de mourir
perfuadée que lui-même ne vivoit plus,
& qu'il exigeoit qu'elle le fuivît ; du
poifon qu'elle avoit préparé à ce fujet ,
& du délai qu'il n'avoit obtenu d'elle
qu'avec peine. Il parloit avec une véhémence
& un attendriffement qui
frapperent le bon Ouabi. Il fe rappella
quelques traits qui l'avoient peu frappé
dans le temps. Mais dans ce dernier
inftant même il ne témoigna rien de ce
qu'il projettoit. On arrive. Azakia ,
qui avoit fait un fecond rêve , regardoit
ce retour comme le fignal de fon
trépas. Quelle eft fa furpriſe de voir
au nombre des vivans l'époux qu'elle
croyoit aller rejoindre au féjour des
efprits ! D'abord elle refta immobile &
muette ; mais bientôt fa joie alloit s'exprimer
par de vives careffes & de longs
difcours. Ouabi reçut les unes , & interrompit
les autres. Enfuite s'adreffant
à Saint- Caftins : Célario , lui dit - il , tu
m'as fauvé la vie , & ce qui m'eft plus
cher encore , tu m'as deux fois confervé.
46 MERCURE DE FRANCE.
Azakia. Elle t'appartient donc plus qu'à
moi. Je t'appartiens moi- même. Vois
fi elle fuffit pour nous acquitter tous les
deux. Je te la céde par reconnoiffance ,
& je ne l'euffe pas cédée pour me tirer
des feux allumés par les Iroquois.
Ce que ce difcours fit éprouver à
Saint- Caftins eft difficile à exprimer,
non qu'il lui parût auffi ridicule , auffi
bifarre qu'il pourra le fembler à certains
Lecteurs. Il fçavoit que le divorce
eft très-fréquent chez les Sauvages. Ils
fe féparent auffi facilement qu'ils s'uniffent.
Mais perfuadé qu'on ne pou
voit céder Azakia fans un effort furnaturel
, il fe croyoit obligé à un effort
équivalent. Il refufa ce qu'il defiroit le
plus , & le refufa en vain il lui fallut
céder à la perfévérance d'Ouabi. Pour
la fidelle Azakia qu'on a vu réſiſter à
toutes les attaques de Saint- Caftins ,
& refufer de furvivre à l'époux qu'elle.
croyoit mort , on s'attend peut - être
qu'elle difputera longtemps fur la féparation
que cet époux lui propofe . Point
du tout. Elle n'avoit jufqu'alors écouté
que le devoir : elle crut qu'il lui étoit
libre enfin d'écouter fon inclination
puifqu'Ouabi l'exigeo it . Les morceaux
de la baguette d'union furent apportés ,
JUILLET. 1763. 47°
réunis & brûlés : Ouabi & Azakia
s'embrafferent pour la dernière fois
& dès ce moment cette jeune & belle
Huronne rentra dans tous fes droits de
fille. On dit même qu'aidé de quelques
Miffionnaires , Saint - Caftins la mit en
état de devenir fa femme dans toutes les
régles . Ouabi , de fon côté , rompit la
baguette avec la jeune Zifma ; & ces.
deux mariages , fi différens par la forme
, furent au fonds également heureux.
Chaque époux , bien affuré de
n'avoir point de concurrens oublia
s'il avoit eu des prédéceffeurs .
>
VERS fur la convalefcence de Madame
la Comteffe de BRIONNE.
L'AMOUR fe plaignoit l'autre jour ,
Il trembloit , dit -on , pour ſa mère.
Les ris , les graces à leur tour
Avoient déja drapé Cythère :
Le deuil régnoit en ce féjour.
La crainte qui les déſeſpére ,
Ne partoit que du Sentiment ;
Et la douleur la plus amére
Annonçoit leur difcernement.
Une illuftre & jeune Princeffe ,
MERCURE DE FRANCE.
Objet de leurs juftes regrets ,
Par les vertus , par fes bienfaits ,
De tous les coeurs captivoit la tendreſſe.
Déja l'infléxible Atropos
Sur elle ofoit lever fes criminels ciſeaux....
Arrête , cruelle ! s'écrie
Un Dieu qui commande à la mort :
Garde-toi de trancher une fi belle vie ;
C'eſt au Ciel à régler ſon ſort,
De fon fiécle qu'elle décore
Refpecte l'amour & l'honneur ;
Qu'elle le foit longtemps encore.
Rentre aux Enfers , & calme la terreur
D'un Peuple entier qui pour elle m'implore
#
Par M. M. ci-devant Officier au Régiment
Etranger de Dunkerque .
LE JUGEMENT DE PARIS ,
PAR Mlle A....âgée de 17 ans .
Tor ,dont le pouvoir agréable
Enchante le coeur & les yeux ;
Toi , que l'on adore en tous lieux ,
Auffi dangereufe qu'aimable ;
Partage frivole & charmant ,
Beauté , que notre aveuglement
Partout a rendu Souveraine !
Faur-il
JUILLET. 1763 . 49
Faut-il que pour de vains defirs ,
L'on ait vu du fein des plaifirs ,
Naître la difcorde & la haine ?
L'éclat de tes appas trompeurs ,
Produifit ce défordre extrême ;
Et dans l'Olympe , les Dieux même
Se difputerent tes faveurs.
Ce jour , où l'amoureux Pelée ;
Vit l'hymen couronnerles voeux ,
Où la fierté fut immolée ,
Aux plaifir de l'Amour heureux ;
Des Dieux l'immortelle affemblée ,
Célébroit de fi tendres noeuds .
Dans leurs jeux , la ſagelle auſtère ,
Dépofoit fa févérité ;
Tout y cédoit au foin de plaire .
La troupe aimable de Cythère ,
Y conduifoit la Volupté ;
Jupiter , ce Dieu redoutable ,
Jupiter même alors aimable ,
Ne refpiroit que la gaîté.
Tu vins troubler , Beauté fatale ;
Ces inftans remplis de douceurs !
Par toi , la Déeſſe infernale ,
Fit régner de noires fureurs.
A peine la troupe céleſte ,
Eut vu cette pomme funefte ,
Prix des plus aimables attraits ;
I. Vol C
50 MERCURE DE FRANCE.
Qu'une jalousie implacable ,
Vint par la fureur redoutable ,
Bannir les amours & la paix .
L'intérêt le plus cher aux Belles ,
Et l'intérêt de leurs appas :
L'on vit parmi les Immortelles,
Naître mille & mille combats.
Minerve , malgré fa fageffe ,
Et Juhon , malgré la fierté ,
De la mère de la tendreffe ,
Veulent éffacer la beauté.
En vain , l'une a pour fon
partage ,
Et la prudence & le courage ;
En vain , l'autre commande aux Dieux ';
Le pouvoir , la gloire , les armes ,
Flatent moins leurs coeurs envieux ,
Que le prix qu'on offre à leurs charmes.
Mais , comment calmer leur courroux ?
Quel Juge équitable & fincère ,
Prononcera l'arrêt févère ,
Où rendent leurs voeux les plus doux ?
En vain de la voûte brillante ,
Leur voix irritée & preffante ,
Implore tous les habitans :
Inutiles empreffemens !
Aucun n'accepte le partage
D'un auffi dangereux emploi ;
Heureux mortel , ce n'est qu'à toi ,
JUILLET. 1763 .
51
Qu'en eſt réſervé l'avantage !
O toi , que par de fages Loix ,
Le fort retient au fonds des bois ,
Berger & Prince tout enſemble ,
C'eſt pourle plaifir de tes yeux ,
Qu'aujourd'hui la Beauté raſſemble
Ses tréfors les plus précieux.
Sur les bords fleuris que le Xanthe ,
Arrofe dans fon heureux cours ,
Páris voyoit couler fes jours.
Le coeur libre , l'âme contente ,>
Il goûtoit un charmant repos ;
Il n'avoit dans cette retraite ,
D'autre fceptre que fa houlette ,
D'autres Sujets que les troupeaux.
O Berger , quelle gloire extrême ,
Se joint à ta félicité !
De Jupiter l'arrêt ſuprême ,
Te rend Juge de la Beauté !
Mais calme un tranfporte qui t'enchante ;
Souvent le plus triſte revers ,
Suit une fortune brillante;
Et le chemin qu'elle préfente ,
Cache mille perils divers.
L'on cherche en vain à le connoître ;
Il est trop aifé d'y gliffer :
Ton bonheur finira peut- être ,
Où ta gloire va commencer,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Le moment funeſte s'avance ;
Et les trois célestes objets ,
Viennent chercher la récompenſe ;
Que l'on deftine à leurs attraits :
Paris , que de juftes allarmes ,
Vont en foule agiter ton coeur !
Comment , en voyant tant de charmes ,
Pourras -tu choisir un vainqueur ?
Vois de l'illuftre Souveraine ,
La nobleffe & la majesté ;
Ce front où régne la fierté ,
Et fixe ton ame incertaine,
Mille tréfors te font ouverts ;
Les biens , la fuprême puiffance ;
Les richelles de l'Univers ,
Seront ta jufte récompenfe.
Que pour un deftin fi brillant ,
Le fils de Priam fe décide.....
Mais non ; un objet plus puiffant
Va frapper fon efprit timide.
Viens , augufte Divinité ,
Minerve , à ton Juge enchanté ,
Viens montrer ton air intrépide ,
Ta candeur , ta fimplicité .
Toi feule , aux amans de la gloire ,
1
JUILLET. 1763 .
52
Tu difpenfes du haut des Cieux ,
Et les lauriers , & la victoire ;
La vertu brille dans tes yeux.
Non , ta beauté n'a point d'égales ,
Et Pallas , fans le moindre effort ,
Doit l'emporter für fes rivales ,
Dans l'âme du frère d'Hector.
Mais , quel attrait inévitable
De Paris vient charmer le coeur ?
Vénus , cette Déeffe aimable ,
S'avance d'un air air enchanteur ,
Le fouris tendre & féducteur,
Anime fa bouche agréable ;
D'un air innocent & badin ,
L'Amour qui vole devant elle ,
Aux vives couleurs de fon tein ,
Ajoute une fraîcheur nouvelle .
Quoi ! dit- elle au Berger furpris ,
Devrois-tu balancer encore ?
Se peut-il que Pâris ignore ,
Qui de nous mérite le prix ?
De ces deux fuperbe : Die Tes ,
Lep ouvoir éblouit tes yeux :
Je vois que leurs vaines promeffes ,
Flatent ton coeur ambitieux ;
Mais que tu connois peu les charmes
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
Dont elles t'offrent les douceurs !
Par trop de fang , par trop d'allarmes ,
Elles font payer leurs faveurs.
Fuis des épines fi cruelles ;
Le plaifir t'attend en ce jour :
Viens dans l'Empire de l'Amour ,
Cueillir des fleurs toujours nouvelles.
Par tous les attraits de ma Cour ,
Tu verras ta flamme fervie.
Aime jouis d'un doux retour,
Voilà le plaifir de la vie.
D'un difcours auffi féduisant ,
Pâris ne fçauroit ſe défendre.
Un pouvoir funefte & charmant ,
Malgré lui le force à fe rendre.
Ecoute un peu moins tes defirs ;
Lâche Berger , que vas-tu faire?
Souffre que la Raifon t'éclaire ,
Sur de fi frivoles plaiſirs .
D'un aveugle & fatal caprice ,
Crains plutôt les douces erreurs ;
Vénus lous d'agréables fleurs ,
Cache un funefte précipice ..
Vains éfforts , difcoursfuperflus !
Les honneurs , la brillante gloire ,
Cédent une injufte victoire ,
Aux charmes trompeurs de Vénus .
JUILLET. 1763 .
55
Quel deſtin cet arrêt t'apprête !
Qu'as- tu fait , malheureux Berger ? ]
Hélas , qu'un plaifir paffager
Raffemble de maux fur ta tête !
Ah ! que tes appas font cruels ,
Vénus , inhumaine Déeſſe ! ....
Des pleurs , des regrets éternels ,
Voilà ce que ta main nous laiſſe.
Cependant , que de coeurs furpris ,
T'encenfent au fiécle où nous fommes ;
Et combien de nouveaux Pâris ,
Se trouveroient parmi les hommes !
EXTRAIT de quelques Lettres de
Madame la Comteſſe de GRIGNAN ,
du Chevalier de GRIGN AN , du Marquis
de SEVIGNÉ , & de M. de Bus-
SY-RABUTIN , Evêque de Luçon .
De Madame de GRIGNAN à fon mari.
*
SII ce Major s'en retourne , je le
chargerai d'une petite lettre de douceur;
* Nous tenons ces Extraits de M l'Abbé Tr2-
blet , de l'Académie Françoife , & il les tenoit de
feu M. le Chevalier de Perrin , Editeur des Lettres
de Mde de Sévigné. Il a bien voulu y joindre
quelques notes.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE:
j'y joindrai les nouvelles que je pourrai
attraper ; elles font rares & les plus
confidérables font légères , quand on en
retranche les médifances qui égayent
la converfation.
Mde de Monaco fe meurt : M. Brayer
( fon Médecin , ) lui annonça il y a
deux jours que le temps de la vie étoit
court ; qu'il étoit obligé de l'en avertir ,
afin d'en difpofer pour l'éternité , & c.
Elle envoya querir le P. Céfar , & fe
confeffa fort longtemps ; elle reçut N. S.
fit fon teftament , & avec une fermeté
admirable ; ne parla plus de la mort ,
&c. Elle eft encore au même état , &
fe verra mourir toute en vie , fans perdre
un moment la connoiffance. Il
faut bien de la conftance pour foutenir
longtemps une fi pénible vue ; les feuls
Pères de la Trappe me paroiffent la pouvoir
regarder de fang froid.
A Madame de SIMIANE , fa fille.
Je ne fais d'attrait nouveau à Marfeille
, que la préfence de M. de Ventadour
, qui a choifi ce domicile pour cet
hyver ; cette compagnie me gâte fort
le foleil de Provence. M. de Ventadour
me paroît une violente éclipfe.
JUILLET. 1763. 57
Je m'afflige de l'anéantiffement des
grandes Maifons , c'eſt une parure de
moins au monde.
Sa jeuneffe furannée ( de la bellemère
de Madame de Simiane ) me fait
aimer votre jeuneffe prématurée.
J'ai fort regretté notre Soeur du Janet;
mais pourquoi ? C'eft une Sainte
& elle étoit martyre.
Quoique nous n'ayons pas gran1.
chofe à nous dire , cela ne vous difpenfe
pas de m'inftruire de ce qui vous regarde
, puifque votre filence ne me
difpenfe pas de fentir pour vous bien
de l'amitié ,
Les circonftances de la mort fubite
de Monfieur , ( le 9 Juin 1701. ) font
dignes de grandes réflexions , mais d'ordinaire
les réflexions n'agiffent que
fur les perfonnes qui en ont le moins
de befoin , & qui font déja bien diſpofées.
A la même fur la couche d'une fille.
Je fais peu d'attention à l'efpéce ; il
n'y en a que de deux façons ; ce qui
ne fe fait pas une fois fe répare l'autre.
Cv
58
MERCURE
DE
FRANCE
. Vous avez trouvé le fecret de me
rendre attentive en me parlant de votre
coeur & de votre amitié ; j'ai peſé
vos expreffions ; j'y aurois cru de l'éxagération
, fi je ne vous croyois affez
exacte fur la vérité , pour ne pas dire
une parole qui ne ferve à l'exprimer.
Je fuis très - touchée de vos fentimens
& de pouvoir faire votre joie ou votre
peine , par la manière dont je vivrai
avec vous ; je n'en fçaurois changer ,
quand votre coeur fera fon devoir ; c'eſt
lui qui eft ma régle & qui détermine
mes démonftrations. Vous êtes devenue
fi raiſonnable , fi dégagée des fentimens
qui font les conduites bifarres & capricieufes
, que je puis vous répondre
de moi , parce que je me réponds de
vous. J'ai fort envie que nous éprouvions
l'une & l'autre l'égalité & la
douceur d'un commerce aimable &
tendre. J'ai fort envie de vous avoir
auprès de moi , mais je me pique d'amour
pur & défintéreffé ; vous fçavez
que je connois la richeffe des privations
; le bonheur de s'y accoutumer
eft le plus réel de la vie.
Le Roi d'Espagne ( Philippe V. )
a rempli toutes les lettres comme il remJUILLET
. 1763 . 59
pliffoit tous les efprits & toutes les converfations.
Ne feriez - vous point curieufe
de voir en ce pays Mrs les Princes ?
C'est une belle occafion de leur en
faire les honneurs. Mais il ne faut point
tenter le jeune Télémaque de s'arrêter
dans le cours de fes voyages , ni lui préfenter
quelqu'un de plus aimable qu'Eu
charis & qu'il auroit peut-être plus de
peine à quitter. Cette raifon vous retiendra.
Je fuis peu furpriſe de vos profpérités
chez M. & Mde de Chamillard. Ce
n'eft pas à leur bonté & à leur égalité
que vous devez leur conftance , c'eft
à vous & à leur bon goût. Je ne vous
parle point de mon retour , parce que
ce difcours eft inutile , à vous qui favez
mes fentimens , & au monde qui ne
s'en foucie point.
Le fimple récit de l'accident du Chevalier
de Grignan fuffit pour vous faire
faire toutes les réfléxions au grand mépris
de la prévoyance de la prudence
humaine ; il vient ici pour éviter les
douleurs , & il y trouve des accidens
qui lui font fouffrir des douleurs infupportables.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut mander une maladie
d'une manière plus propre à raffurer
que vous me mandez celle de mon frère
( le Marquis de Sévigné) ; cela s'appelle
une maladie digne d'envie : c'eft la
peur d'avoir la migraine qui le retient
dans ſa chambre , qui raffemble le monde
chez lui , qui vous amufe tous .
En vérité je le plaindrai quand il jugera
à propos de fe guérir.
J'ai fçu votre voyage de Champlatreux;
je me fuis repréfenté vos plaifirs ; ils
auroient été plus parfaits,fi le malheur au
jeu ne les avoit troublés. Je fuis dans
l'épreuve de cette forte de tribulation ;
la Cométe déconcerte ma tranquillité ,
comme les As rouges démontent M.
de Grignan. Mde de Rochebonne fait
avec moi la récolte de ce qui manque à
la médiocrité de fes revenus , & je fuis
fa dupe , fans pouvoir me corriger de
mal jouer ni de jouer.
Il faut faire un éffort pour tirer M.
de Simiane d'une charge de fubalterne ;
bonne pour y paffer , & humiliante
quand on y féjourne trop long-temps .
J'ai eu ici Mde de Simiane , elle eft
JUILLET. 1763.
61
cent fois plus jeune que vous ; mais
toujours utile à fa famille par fon attention
habile. Elle eft inquiéte de ces
mouvemens de Troupes qui préfagent
la guerre. Je ne fçais fi elle fera auffi
effective qu'elle eft apparente ; mais il y
a bien affez de l'apparence pour éffrayer.
On m'a dit que le P. le Rat * avoit
fuccédé au P. Malinco ; cela fera des
Rates , ou des Eratées , ou bien des
Ratières ; la terminaiſon n'empêche pas
que la conduite ne foit folide .
On n'obtiendra jamais ma compaffion
par quelque chofe d'auffi defirable
à mes yeux que la fécondité.
Du Chevalier de Grignan , à Mde de
Grignan , fa belle-foeur.
Tous vos parens vous embraffent .
Moi qui fuis parent , je vous embraffe
auffi ma chère Soeur. Nous fommes
ici dans la lecture des Ouvrages de ma
Soeur qui ont pour titre : Abrégé des
vertus de notre Soeur une telle ; elle y
rapporte qu'une béate avoit tant de
faim après une maladie, qu'elle mangeoit
De l'Oratoire , Confeffeur de Mlle de Grie
gnan & de Mde de Sévigné la Bru,
62 MERCURE DE FRANCE.
du bois ; enfin le Diable la tenta , elle
mangea du pain bis ; le Confeffeur
fçachant que c'étoit par une faim qui
fuivoit une maladie , au lieu de lui ordonner
une pénitence , lui dit d'en manger
tous les matins autant.
De Mde de Grignan à Mde de
Simiane.
*
J'ai été incommodée & me fuis guérie
fans reméde ; je fuis perfuadée de
votre inquiétude , & que vous voulez
que je dure autant que l'Univers . Ne
manquez pas à m'envoyer l'Opéra de
Télémaque ; je le lirai avec grand plaifir
, en attendant celui que j'aurai de le
voir ; car je furmonterai l'ennui qui
m'empêche d'aller aux autres Opéra ,
pour voir celui-là . Je crois que M. de
Cambrai fera obligé d'en faire les vers
s'il faut que ce foit un bel - efprit &
un grand Archevêque qui les faffe ;
mais ce n'eft point un Archevêque qui
a fait l'Ile de Calipfo ni Télémaque ;
c'eft le Précepteur d'un grand Prince.
>
* C'eft celui que Danchet & Campra mirent au
Théâtre en 1704.& qu'ils avoient compofé de divers
Fragmens d'autres Opéra . Mde de Grignan
croyoit que cette Tragédie étoit entiérement
nouvelle.
JUILLET. 1763. 63
qui devoit à fon difciple l'inftruction
néceffaire pour éviter tous les écueils
de la vie humaine , dont le plus grand
eft celui des paffions. Il vouloit lui donner
de fortes impreffions des défordres
que caufe ce qui paroît le plus agréable
, & lui apprendre que le grand reméde
eft la fuite du péril. Voilà de
grandes & d'utiles inftructions , fans
compter toutes celles qui fe trouvent
dans ce livre , capable de former un
honnête homme & un grand Prince . Si
dans cet Opéra qu'on fait , on conſerve
cet efprit & ce caractère , il fera plus
de fruit que les Sermons du P. Maffillon.
Vous n'avez pas pris chez lui &
chez fes Confrères le ridicule que vous
voulez donner à Télémaque ; les Pères
de l'Oratoire fçavent trop que l'ufage
eft de faire lire les Poëtes aux jeunes
gens. Les Poëtes font pleins d'une peinture
terrible des paffions , il n'y en a
aucune de cette nature dans Télémaque ;
tout y eft délicat , pur , modefte , & le;
reméde eft toujours prêt & toujours
prompt. Les Poëtes anciens n'ont pas eu
ces précautions , & font pourtant admis
dans les Colléges par les Docteurs les plus
févères ; le Port-Royal a traduit Terence
, Plaute , Petrone. M. d'Andilly
64 MERCURE DE FRANCE.
( Arnauld ) a traduit le 4 & le 6º L. de
l'Eneide ; perfonne ne l'obligeoit à mettre
en langue vulgaire & dans les mains
de tout le monde la peinture de la paffion
la plus forte & la plus funefte qui
ait jamais été ; il le faifoit pour aider
quelque Précepteur de fes amis a inftruire
quelque Difciple de Port-Roval.
Vous voyez donc que ces Meffieurs ne
vous avoueroient pas , s'ils fçavoient
que vous tournez en ridicule un Précepteur
qui apprend les Poëtes à fon
Difciple d'une manière pure , délicate ,
& capable de rectifier les autres Poëtes.
qu'il ne peut éviter de lire dans le
cours de fes humanités . Je vous réponds
bien férieufement , ma fille , j'en fuis
honteufe ; car tant que tu parleras en
enfant , je ne dois pas prodiguer la Raifon
& le Raifonnement .
Adieu , ma fille : le Soleil dore nos
montagnes ; les troupeaux bondiffent
dans nos champs ; la joie & la vigilance
animent tous les Acteurs.
La jeuneffe a fes peines comme les
autres âges , & plus rudes à proportion
de fes plaifirs ; c'eft une compenfation
que la Juftice Divine obferve pour la
confolation & humiliation de tous les
JUILLET. 1763.6 65
Mortels , afin qu'ils foient tous égaux
& n'ayent rien à fe reprocher.
Je trouve mon fils ( le Marquis de
Grignan ) d'un efprit fi ferme , fi raifonnable
& fi augmenté en mérite , que je
fuis ravie d'avoir le loifir de le connoître
à fond ; car à Paris ce ne font que
des momens , on ne fait ce qu'on voit.
L'efprit de Madame de Fortia eft vif,
& la charité n'a point encore diminué
l'agrément de fa converſation .
Le mot d'Adieu eft bon à retrancher
à deux coeurs fenfibles & à deux fantés
délicates ; je me fuis donc dérobée & à
vous ce cruel moment.
L'Abbé de Buffy * m'a fait confidence
qu'il n'a point vu de Dévote qu'on
ait tant d'envie de revoir que vous.
* L'Abbé de Buffy étoit le fils du Comte de
Buffy Rabutin ; il fut depuis Evêque de Luçon.
Il fut auffi de l'Académie Françoiſe , & y fuccéda
à M. de la Motte , au commencement de 1732.
M. de Fontenelle répondit fon Difcours de réception
. On peut voir l'éloge de ce Prélat dans le
Temple du Goût par M. de Voltaire , T 2. de fes
Euvres , p. 327 Edition de 1756. Il y parle
comme Mde de Grignan , de l'agrément de fa
converfation .
1
66 MERCURE DE FRANCE .
difficilement trouverez - vous meilleure
compagnie & plus au goût que je vous
ai vu d'un badinage aifé & gai . Je vous
devois l'un à l'autre .
LETTRE du Marquis de SÉVIGNÉ
à fa Mère , 1684.
J'ARRIVE RRIVE tout préfentement de mon
dernier voyage , ma très- chère Madame
; il a été fort heureux , & toutes les
efpérances que l'on pouvoit avoir , ou
pour mieux dire que M. le Comte de
Mauron pouvoit avoir en lui - même
que je me romprois le cou , font diff
pées ; il faut enfin qu'il fe réfolve à me
onner fa fille. Le même Dieu qui m'a
confervé dans quelques occafions affez
chaudes , m'a confervé auffi dans celle
que je viens d'effuyer , qui étoit en vérité
toute des plus froides. J'ai reçu
vos deux lettres ; vous voulez donc caufer
encore à coeur ouvert ? Eh bien
caufons , ma très- chère Madame ; il y a
encore quelque chofe à fortir ; allons ,
foulageons-nous. Premierement , vous
vous trompez toujours quand vous pre-
*
* Il avoit fait un voyage en Baffe - Bretagne ,
pendant un hyver très- rigoureux .
JUILLET. 1763 . 67
nez ce que dit M. de Mauron , comme
fi je le diſois moi-même . Je vous mande
que M. de Mauron dit que ma four le
méprife, & qu'il femble que cette alliance
lui faffe tort ; moi , je vous le mande
pour vous faire voir qu'il faut que ma
foeur (Mde , de Grignan ) écrive ; vous
me répondez pour me montrer que c'eft
le procédé de M. de Mauron qui eft
plein d'incivilité pour vous. Eh ! vraiment
je le fçais bien ; je le trouve
tout comme vous ; ce n'eft pas moi qu'il
faut perfuader ; mais ce n'eft pas moi
auffi qu'il en faut punir ; & c'est ce que
faifoit ma four avant qu'elle eût écrit.
Elle eft mal contente de M. de Mauron
; elle ne fçait pas bonnement pourquoi
; & là -deffus elle ne veut poi ..
écrire deux lettres qui me font trèsnéceffaires
& qui me caufent des dèfagrémens
infinis dans une famille où
je fuis trop heureux d'entrer. Je trouve
ce raifonnement un peu gauche ,
n'en déplaiſe à la Logique de M. Def
cartes. Remettez-vous done dans l'efprit
, ma très-chere Madame , que je ne
vous ai jamais parlé de moi- même, quand
je vous ai parlé des mépris dont M. de
Mauron fe plaignoit. Je fens fon procédé
pour vous & pour moi comme il le faut
63 MERCURE DE FRANCE.
fentir ; mais enfin , comme vous le difiez
vous-même , le beau de ce jeu-là eft
d'époufer. Il faut donc époufer; ceux qui
prennent intérêt à moi , le doivent faciliter
& vous imiter vous , ma trèschère
Madame, qui m'avez regardé uniquement
dans tout ceci , qui avez écrit
quand je vous l'ai mandé , qui n'avez
point pris à gauche un mauvais point
d'honneur , qui ne me puniffez point
des travers de M. de Mauron , & qui
regardez comme une chofe indifférente
ce que fait M. de Mauron , pourvu qu'il
me donne deux cent mille francs & fa
fille.
Vous dites encore que M. de Mauron
a outragé ma foeur ; c'eft fur cela , ma
très-chère Madame , que je fuis trèsperfuadé
que c'est pour rire que vous
parlez ainfi. Pour vous le faire comprendre
, reprenons un peu vos paroles.
Ma foeur eft outragée. Que lui a-t-on
fait ? On lui a propofé de prendre pour
cent mille francs une Terre qui eft eftimée
par vous-même quarante mille
écus ; voilà un furieux outrage . Quoi !
dans le temps que tout mon bien eft.
eftimé le denier trente , que nous faifons
nos partages fur ce pied-là , que
je n'ai pas un fou marqué de bien que
JUILLET. 1763. 69
fur ce pied -là , ma foeur eft outragée
de ce qu'on lui propofe de prendre une
Terre qui ne fait que le tiers de fon
bien , au denier vingt - cinq ? Trouvezvous
en votre confcience que M. de
Mauron eût grand tort , quand il mandoit
à Mde de Tifé , deux jours avant
que je partiffe pour aller à Vannes , afin
de la difpofer à cette rupture qu'il méditoit
, fi la procuration eût encore tardé
; qu'il étoit tout- à- fait furpris de la
difficulté qu'on faifoit fur l'Article de
Bourbilly ; qu'en faveur de la naiffance
& du mérite de M. de Sévigné ( ce
font fes propres termes ) il vouloit bien
eftimer fes terres le denier trente , comme
il étoit porté par le grand du bien ;
& que cependant , quand on venoit au
fait & au prendre , on n'eftimoit ce qui
devoit revenir à ma foeur, que le denier
quinze. Mde de Coiflin lui avoit demandé
dix mille écus de retour , &
voilà fur quoi étoient fondés ces difcours
de prédilection , dont vous avez
été choquée avec raifon , mais qui n'étoient
point hors de propos dans la
bouche d'un Etranger qui ne fçait pas
le détail de votre conduite , qui n'a nul
égard à la différence de l'année 69 à
l'année 83 , & qui regarde fimplement
70 MERCURE DE FRANCE.
les chofes comme elles font dans le
temps préfent. Faites Juges qui il vous
plaira de ce raifonnement ; & s'il fe
trouve quelqu'un qui vous dife que ma
four y foit outragée , je veux qu'on me
coupe les deux oreilles. Ne parlons
donc plus d'outrages , & confidérez ,
s'il vous plaît que moi , par un trèsprofond
refpe&t que j'ai & que je dois
avoir pour vos volontés , qui connois
la droiture de vos fentimens , la bonté
de votre coeur , la jufteffe de vos raiſonnemens
, quand vous mariâtes ma foeur ;
qui fuis d'ailleurs pénétré de reconnoiffance
de ce que vous faites pour moi
dans cette occafion , qui eft beaucoup
plus que ce que vous avez fait pour ma
foeur , vû la différence des temps & les
angoiffes cù vous êtes , j'ai toujours ôté
à ma foeur tout ce qu'il pouvoit y avoir
d'amer dans la propofition toute jufte &
toute raisonnable que lui faifoit M. de
Mauron. Vous m'allez dire qu'elle n'eft
ni jufte ni raifonnable ; mais mettezvous
à la place de M. de Mauron ; donnez
deux cent mille francs à votre fille ;
voyez venir M. de Sévigné à vous avec
tous fes papiers bien trouffés , & voyez
fi vous ne voudriez pas au moins lui
voir treize mille livres de rente ; &
JUILLET. 1763. 71
puis vous me direz s'il a grand tort. Au
furplus , je finis en vous difant encore
que puifque j'ai toujours ôté à ma Soeur
ce qui pouvoit lui déplaire dans la propofition
de M. de Mauron , il n'étoit
pas jufte qu'elle m'en punît , & qu'elle
me fit fouffrir des défagrémens qu'elle
pouvoit m'ôter à bien meilleur marché ,
que je ne lui ôte ceux de la propofition
de M. de Mauron. Enfin elle a écrit ;
je lui en ai promis de la reconnoiſſance ;
je la lui témoignerai le prochain Ordinaire
, & écrirai à M. l'Archevêque
d'Arles , & à M. de la Garde ; je n'ai
pas le temps , la pofte va partir.
J'ai le coeur fort ferré de ce que vous
appellez votre chambre des Rochers ,
votre défunte chambre. Y avez -vous
donc renoncé , ma très- chère Madame ?
Voulez-vous donc rompre tout commerce
avec votre fils , après avoir tant
fait pour lui ? Voulez - vous vous ôter
à lui , & le punir comme s'il avoit manqué
à tout ce qu'il vous doit ? Mon
mariage ne répareroit pas un tel malheur
, & je vous aime mille fois mieux
que tout ce qu'il y a dans le monde .
Mandez -moi , je vous fupplie , quelque
chofe là- deffus ; car j'ai , en vérité , le
72 MERCURE DE FRANCE.
coeur fi gros , que s'il n'y avoit du monde
dans ma chambre
à l'heure qu'il eſt ,
je ne pourrois
m'empêcher
de pleurer. Adieu , ma très- chère Madame
; ne renoncez
point à votre fils ; il vous adore , & vous fouhaite
toute forte de bonheur
avec autant de vérité & d'ardeur
qu'il fouhaite
fon propre
falut.
Apoftille pour M. **.
Toutes vos hardes font enchantées ;
mais vous m'avez oublié des bas de
foie. Envoyez- m'en par la Pofte au plutôt
, de la même couleur que l'habit.
N'oubliez pas , s'il vous plaît , des
bas de foye verts & des garnitures de
rubans pour la Future.
Adieu , mon très- cher ; me renoncezvous
auffi ? ma foi je ne payerai point
M. d'Harouis * fi vous voulez tous
m'abandonner.
* Tréforier- Général des Etats de Bretagne ,
EXTRAITS
JUILLET. 1763. 73
EXTRAITS de Lettres de M. l'Evêque
de LU ÇON , ( Buffy Rabutin ) à Madame
de GRIGNAN. 1701 & fuivant.
JE
E voudrois être avec vous dans ce
bois de S. Andiol , à vous dire au pied
d'un ormeau , ce qui ne s'y eft jamais
dit , qu'on ne peut être avec plus de
refpect , & c .
Je le crois , Madame ; la régle eſt
d'un grand prix pour le bon goût ; mais
la régle naturelle , quand on l'a , n'a
pas befoin de l'art , & ne peut être que
dangereufe avec lui ; elle rend trop
fcrupuleux ; elle éteint le feu de l'imagination
; on eft toujours le compas à
la main ; rien n'échappe & on ne laiſſe
plus rien échapper. Que deviendront
tous ces endroits vifs des Italiens devant
votre critique ?
Je crois que c'eft un des plus grands
charmes de l'Amour , de paffer pour cequ'on
vaut auprès de ce qu'on aime. La
vanité cherche fon compte dans cette
paffion prèfqu'autant que la volupté.
L'amitié qui eft plus raifonnable , &
I. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
par conféquent plus clair-voyante ,
manque de ce charme.
La fantaifie de faire mon devoir m'a
pris comme une autre .
Pour être cru de vous , Madame , vous
me faites toujours retrancher de la vérité.
Je m'apperçois toujours , Madame, que
votre vue porte mille fois plus loin que
la mienne ; vous voyez diftin &tement
des objets que je ne me doute pas qui
foient au monde , & peut-être cela vous
fait- il négliger ceux qui font groffiers
& palpables , & qui , pour parler vulgairement
, crévent les yeux.
J'en fuis avec la fortune à vouloir feulement
me prouver que j'ai fait toutes
mes diligences envers elle ; & , comme
ceux qui bâtiffent , je m'occupe
moins de voir ma maiſon faite , que
de la faire .
Le fiécle s'eft tourné à ne recevoir
de fainteté que dans une vie privée &
tout-à- fait fimple , c'eft - à - dire dans
des gens fi obfcurs qu'on ne les ait point
vus.
Madame votre fille aime auffi peu de
JUILLET. 1763. 75
gens que fi elle étoit dans le plus grand
monde ; mais elle les aime autant
qu'une Religieufe fçait aimer.
Le Miniftre d'aujourd'hui * ne gagne
pas moins qu'un autre à la mort du
Prince d'Orange ; quelle épine hors du
pied de tout le monde ! car je trouve
que les ennemis gagnent autant que
nous à la mort d'un perturbateur du
repos public. J'admire fa vie ; mais je
fuis bien-aife qu'elle foit finie , nonfeulement
comme François
comme homme.
mais
Il est plus ordinaire & plus facile à
l'homme d'avoir de fauffes vertus , que
de produire des actions contre nature ;
ainfi permettez- nous de douter de la
fincérité des regrets de M. de Cambrai,
( fur la mort de M. de Meaux. )
Il n'eft pas en moi , Madame , de refufer
une occafion de vous écrire ; je
crois toujours avoir mille chofes à vous
dire ; & à bien démêler ce fentiment -là ,
fens qu'il me vient du plaifir que j'aurois
de vous parler fur la plupart des
chofes qui fe préfentent à mon efprit.
* M. de Chamillard qui fuccéda à M. de Barbezieux.
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
Je prends même fouvent la liberté de
vous parler , ou de parler de vous tout
feul ; à la vérité , cela n'a pas l'air d'un
homme trop fage ; mais en lifant furtout
, je penfe : Voilà qui lui plairoit ,
voilà ce qu'elle croit , voilà ce qu'elle ne
croit pas, & ainfi du refte. Pardonnezmoi
, Madame , de vous placer ainfi
par toutes mes penfées ; mais je tâche
à ne vous y placer pas indignement ,
& je vous affure que je fuis bien éloigné
des fentimens que le Roi foupçonnoit
dans Madame de Longueville , il y a
aveu & àveu , comme fagots & fagots.
il ne faut pas ôter aux pénitens la douceur
d'avouer & d'exagérer leurs fautes ,
& à Dieu la gloire qu'il en tire ; je n'oferois
plus , fans frifer l'impiété , venir
à l'application .
LEE mot de la premiere Enigme du
mois de Juin eft les Lettres de l'Alphabet
, par l'énumération
defquelles dans
un on trouve deux lettres , dans deux ,
quatre , dans dix trois & dans vingt
cinq. Celui de la feconde eft la Perruque.
Celui du premier Logogryphe eft
Croc , où en ôtant la premiere lettre ,
on trouve roc , qui renverfé fait cor ,
JUILLET. 1763 . 77
& en retranchant le C de ce dernier , il
refte or . Celui du fecond eft Boeuf, où
l'on trouve feu , & en ôtant le B , il
reſte oeuf. Celui du troiſième eſt Peau,
où en fupprimant la première lettre
on a Eau , ce qui eft encore exprimé
par ces deux vers latins :
deux
Quem natura dedit tibi præbet corpus amiétum :
At capite ablato , lector habebis aquam.
Τουτ
ENIGM E.
OUT Etre , & tout poffible, en tous cas ,
lieu ,
en tout
Me doit , ou me devra ſon ſexe & ſa ſubſtance.
La Terre , les Enfers , le Ciel , même les Dieux,
Connoiffent mon Empire & ma vafte puiflance.
Admire , cher Lecteur , mes contraſtes divers ;
En voici quelques- uns : je fuis Hermaphrodite,
Un & plufieurs , une Actrice , un Hermite ,
Le Pape , le Muphti , le Néant , l'Univers &c.
Par M. Da... D. C... Abonné au Mercure,
JE
AUTR E.
E fupplée au défaut de l'ingrate Nature ,
Je porte & fuis porté , je pare & défigure ;
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis fans crime & l'on me pend .
Ma tête eft fans cervelle , & non fans agrément.
Souvent je n'ai point d'yeux , & fouvent j'en ai
quatre ;
Sans vigueur & fans bras , j'ai du talent pour
battre.
J'allume le courage , & j'infpire la peur.
Je fers fans injuftice , une injufte fureur.
Je fuis dur & poli , chéri de tous les âges.
Sans voir aucun pays , je fais de longs voyages,
Du fard affez fouvent , j'emprunte les appas..
Je fais appercevoir ce que je ne vois pas.
Grand batteur de pavé , toujours prêt à l'eſcrime,
Je fais également , & je punis le crime.
J'attaque , je défends , j'arrête & je pourfuis ,
Tu me vois tous les jours , devine qui je ſuis.
Par J. D. ou l'Inconnu de Dampierre.
LOGO GRYPH E.
Ce n'eft point un feul mot qu'à votre ſeigneurie
Je propoſe ici , cher Lecteur : -
C'en font trois , tous d'une égale grandeur.
L'un contient amplement du terrein en Afies
Le fecond , en un fens , eft une eſpiéglerie ,
Dans l'autre c'eſt un lieu qu'occupent certains
morts
Dont la mémoire eſt révérée ;
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
Gratieusem
ta
Mon tendre coeur vient d'éclore à la flame,
qne aux Cieux sij'aipu te
+
mer,jere gneaux Cieux
pu te charmer mer Ahje connois tout leprix de
a-me Par le plaisir que je sens à t'aime
W
Ah! Ahje connois tout leprix de mon
par
தீப
plai-- sir queje sens
W.
W
XO
a -n
à t'ai--m
+
Par le plaisir que je sens à t'aimer.
JUILLET . 1763 . 79
Le troifiéme , lorſque tu fors ,
De ton logis doit défendre l'entrée.
Par M. V.
DANS
A UTR E.
ANS mon tout , cher Lecteur , font renfermés
trois mots.
Dès qu'il aura fixé mon deſtin & le vôtre ,
Nous ne dirons plus l'un , nous ne ferons plus
l'autre ;
Le dernier nous viendroit alors mal- à- propos.
Par le même.
CHANSON.
MON tendre coeur vient d'éclorre à ta flâme ,
Je regne aux Cieux , fi je puis te charmer.
Ah ! je connois tout le prix de mon âme,
Par le plaifir que je fens à t'aimer.
Par M. Fa ...
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. MARMONTEL
à M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure.
TOUTES OUTES les fois , Monfieur , que je
parle de Lucain avec un peu de vivacité
, j'entens dire , c'eft fa folie : il adore
Corneille ; Corneille aimoit Lucain ; &
fa vénération pour l'un , fait qu'il s'eft
pris d'amour pour l'autre. Je m'examine
encore , & pour me confulter , je relis
quelque chant de la Pharfale. Qu'arrivet-
il ? J'y trouve les mêmes beautés , je
m'afflige qu'elles ne foient pas connues ,
& d'impatience , je prens la plume , pour
tâcher de les rendre comme je les fens.
C'eft ainfi Monfieur , que j'ai traduit
une bonne partie de ce Poëme. Vous
avez bien voulu inférer un chant de ma
Traduction , dansle Merc . d'Avril 1761 .
II vol . & il m'a femblé , qu'on étoit furpris
d'y trouver parmi tant de belles chofes
, fi peu de cette enflure & de cette déJUILLET.
1763 .
81
clamation , que l'on reproche à Lucain :"
il m'a femblé qu'on me favoit gré , d'avoir
rendu fimplement des beautés frappantes
par elles -mêmes ; & fi j'en croyois
ce qu'on a bien voulu me dire de cette
premiere tentative , je n'aurois pas befoin
pour achever , d'un nouvel encouragement.
Mais comme je ne me diffimule
, ni ce que mon Auteur a de
défectueux , ni l'impoffibilité ou je fuis
de l'égaler dans ce qu'il a de grand &
de fublime , je ne veux me hafarder
que pas à pas , & d'effai en effai. J'ai
eu l'honneur de vous propofer un fecond
chant , vous l'avez accepté avec
une politeffe à laquelle je fuis très - ſenfible
; le voici . Je vous ferai bien obligé ,
fi vous voulez mettre à la tête , ce précis
du premier chant , pour le rappeller aux
Lecteurs.
J'ai l'honneur d'être , & c.
PRECIS du premier Chant
de la PHARSALE .
Caufes de la guèrre civile : l'exceffive
grandeur de Rome , la jaloufie &
la rivalité de Pompée & de Céfar , la
corruption des moeurs & le mépris des
Loix . Cefarde retour des Gaules , contre
Jes défenfes du Sénat , paffe le Rubicon
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
à la tête de fon armée. Il marche à
Rome. Il s'empare d'Ariminum. Les
Tribuns chaffés de Rome par le Sénat ,
fe réfugient fous les drapeaux de Céfar;
Curion les accompagne. Il annonce à
Céfar, qu'on eft réfolu à lui refufer le
Triomphe , & que l'on arme contre
lui. Harangue de Céfar à fes troupes ,
pour les engager à la révolte. Les
troupes balancent à fe déclarer ; le Centurion
Lélius prend la parole , & les
détermine . César raffemble autour de
lui les cohortes qu'il a laiffées dans la
Gaule. A fon approche , la terreur fe
répand dans Rome . Pompée & le Sénat
prennent la fuite ; le Peuple épouvanté
les fuit. Des prodiges effrayans redoublent
encore l'allarme publique . Les
Devins d'Hétrurie font confultés . Arons
le plus vieux de ces Devins , ordonne
des facrifices , des expiations , & prédit
vaguement des malheurs fans nombre.
Figulus, homme verfé dans l'Aftrologie
, confirme les préfages du Devin ,
& annonce la guèrre Civile .
LIVRE SECOND .
Déja la colère des Dieux s'eft manifeftée
la nature a donné le fignal de la
difcorde ; elle a interrompu fon cours ;
JUILLET. 1763. 83
& par un preffentiment de l'avenir , elle
s'eft plongée elle- même dans ce tumulte
qui engendre les monftres. C'eſt le préfage
de nos forfaits. Pourquoi donc
ô Souverain des Dieux , avoir ajoûté
aux malheurs des hommes , cette prévoyance
accablante ? Soit que dans le
développement du Cahos , ta main féconde
ait lié les caufes par des noeuds
indiffolubles , que tu te fois impofé à
toi-même une première loi , & que
tout foit foumis à cet ordre immuable ;
foit qu'il n'y ait rien de prefcrit , &
qu'un hafard aveugle & vagabond
opére feul dans la nature , ce flux &
ce reflux d'événemens , qui changent
la face du monde ; fais que nos maux
arrivent foudain ; que l'avenir foit
inconnu à l'homme ; qu'il puiffe du
moins , eſpérer en tremblant.
9
Dès qu'on fut averti par ces prodiges
, des malheurs dont Rome étoit
menacée , le ministère de la Juſtice fut
fufpendu ; les Loix gardérent un lugubre
filence ; les dignités fe cachérent fous
le plus humble vêtement ; on ne vit
plus la pourpre entourée de faiſceaux ;
les citoyens étoufférent leurs plaintes ;
la douleur morne & fans voix , erra
dans cette Ville immenfe.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi dans le moment qu'un jeune
homme , l'efpoir d'une famille , expire ;
avant que les premiers accens de la défolation
ayent éclaté ; avant qu'une Mère
les cheveux épars , jette de lamentables
cris , dans les bras de ce fils que la chaleur
de la vie abandonne ; tandis qu'elle
baife cette face livide , & ces yeux plongés
dans le fommeil de la mort ; ce n'eft
pas encore de la douleur , c'eft de l'effroi :
attachée à ce corps expirant , interdite
& comme infenfible , elle contemple ,
dans un étonnement ftupide , toute
l'étendue de fon malheur.
Telle eft dans les premiers inftans ,
la confternation répandue dans Rome..
Les femmes ont dépouillé leur parure ;
leur foule éplorée affiége les Temples
ce n'eft plus par des voeux timides , c'eft
par des longs heurlemens qu'elles invoquent
le Ciel. Le Temple de Jupiter
n'eft pas le feul qu'elles rempliffent ; elles
fe partagent les Dieux.
C'eſt à préfent ( s'écria l'une d'entre
elles , en fe déchirant le vifage baigné
de pleurs ) c'eſt à préfent , ô miférables
Mères ! qu'il eft permis de fe frapper le
fein & de s'arracher les cheveux n'attendez
pas pour vous défoler , que nos
malheurs foient à leur comble ; pleurez
:
JUILLET. 1763. 85
tandis que la fortune eft encore incertaine
entre nos deux Tyrans. Dès que
l'un d'eux fera vainqueur , il faudra
marquer de la joie.
,
Les hommes eux-mêmes , en allant fe
ranger fous les Drapeaux des deux partis
, accufoient les Dieux de les forcer
au crime. Malheureux ( difoient- ils )
que n'avons- nous plûtôt vécu dans les
tems de Cannes & de Trébie ! Dieux ,
ce n'eſt point la Paix que nous vous
demandons ; foulevez contre nous les
Nations barbares ; que le monde conjuré
fe réuniffe ; que les peuples de
l'Orient & du Nord , les Médes , les
Scythes , les Germains fondent fur nous;
que Rome n'ait pas un feul bras qui ne
combatte : rendez - nous , grands Dieux,
tous nos ennemis à la fois , & fauveznous
de la guerre civile . Ou fi vous
avez réfolu d'anéantir le nom Romain ,
faites tomber en pluye de feu , les airs
embrafés par la foudré ; frappez en même
temps & les deux Chefs & les deux
Partis ; n'attendez pas qu'ils méritent
vos coups. Eft-ce pour décider lequel
des deux nous opprimera , qu'il en doit
coûter tant de crimes ? A peine hélas !
eût-il fallu s'y réfoudre pour nous affranchir
de tous les deux. C'eft ainfi
86 MERCURE DE FRANCE.
que leur piété fe répandoit en inutiles
plaintes. Les Vieillards accablés de douleur
fe plaignoient d'avoir trop vécu.
L'un d'eux pour donner un exemple
récent des maux que l'on avoit à craindre.
O mes Amis ( dit-il à fes compagnons
) l'orage qui nous menace , eft
le même qui s'éleva fur Rome , lorfque
Marius , Vainqueur des Teutons & des
Numides , fe réfugia dans des Marais ,
que
les rofeaux de Minturne couvrirent
fa tête triomphante , cette tête , dont
la fortune leur confioit le dépôt fatal.
Découvert & chargé de chaînes , il
gémit longtems enfeveli dans les horreurs
d'un noir cachot . Deſtiné à mou--
rir Conful , à mourir tranquille au milieu
des ruines de fa Patrie , il porto t
d'avance la peine de fes crimes ; mais la
mort fembloit l'éviter. En vain fes ennemis
tiennent fa vie en leur pouvoir ;
le premier qui veut le frapper , recule
faifi de frayeur. Sa main tremblante
laiffe tomber le glaive . Il a vu à travers
les ténébres de la Prifon , une lumière
refplendiffante: il a vu les Dieux vengeurs
le menacer ; il a vu Marius dans tout
l'éclat de fa grandeur future ; il l'a entendu
, & il a tremblé . Retire - toi , lâche
ennemi : ce n'eft pas à toi de frapper
JUILLET. 1763. 87.
cette tête le cruel doit au deftin , des
morts fans nombre avant la fienne. Cimbres,
confervez avec foin les jours de ce
Vieillard, fi vous voulez être vengés . Ce
n'eft point la faveur des Dieux , c'eft
leur colère qui veille fur lui. Marius
fuffit au deffein qu'ils ont formé de per-,
dre Rome. En vain l'océan furieux le
jette fur une plage ennemie ; errant
fut les bords inhabités de ces Numides
qu'il a vaincus , des cabanes défertes lui
fervent d'afyle. Carthage & Marius , fe
confolent mutuellement à la vue de
leur ruine , & couchés fur le même
fable , tous les deux pardonnent aux
Dieux. Mais au premier retour de la
fortune , il rallume la haine des Afriquains
; il affemble des armées d'efcla
ves , & brife les fers dont ils font chargés
aucun n'eft admis fous fes Drapeaux
qui n'ait fait l'apprentiffage du
crime , & qui n'apporte dans fon Camp
l'exemple de quelques forfaits.
O Deftin ! quel jour , quel horrible
jour , que celui où Marius entra victorieux
dans Rome ! avec quelle rapidité
la mort étendit fon ravage ! la nobleffe
tombe confondue axec le peuple ; le
glaive deftructeur vole au hazard , &
frappe fans choix : le fang ruiffelle dans
88 MERCURE DE FRANCE.
les Temples , les pavés des voies pu
bliques en font inondés & gliffans. Nulle
pitié , nul égard pour l'âge : on n'a
pas honte de hater la mort des vieillards
courbés fous le poids des ans , ni de
trancher la vie des enfans qui viennent
d'ouvrir les yeux à la lumière . Hélas !
& par quel crime ont - ils mérité de
mourir ? ils font mortels ; c'en eft affez :
l'impétueufe fureur les rencontre & les
moiffonne fur fon paffage . Sans perdre
le tems à chercher les criminels , on
égorge en foule tout ce qui fe préfente.
La main du meurtrier , plutôt que de
refter oifive , fait tomber des têtes ,
dont les traits mêmes lui font inconnus,
Il n'eft qu'un espoir de falut : c'eſt d'attacher
fes lévres tremblantes , à cette
main prête à frapper. Ah ! Peuple indigne
de tes Ancêtres , devrois - tu , même
à l'aspect de ces mille glaives qui s'avancent
fous les étendarts de la mort ,
devrois -tu confentir à racheter des fiécles
de vie à ce prix ? & tu fubis cette
indigne loi , pour traîner dans l'opprobre
le peu de jours que Marius te laiffe
, & que Svlla vient t'arracher !
Dans le maffacre d'un Peuple innombrable
, comment donner des larmes à
chaques Citoyens ? reçois mes regrets
JUILLET. 1763 . 89
Bébius ! ô toi,dont une foule d'affaffins
déchirent les entrailles , & fe difputent
les membres fumans : & toi , l'augure
éloquent de nos malheurs , Antoine
dont la tête ruiffelante encore , & couverte
de cheveux blancs , eft apportée
dans un feftin , fur la table de Marius.
Les deux Craffus font égorgés ; Licinius
périt dans la tribune ; le Vieillard Scévola
, que le facerdoce auroit dû rendre
inviolable , tombe au pied des Autels
de Vefta : fon fang rejaillit fur le
feu facré ; mais, fes veines épuifées par
l'âge n'en rendent pas affez pour l'éteirdre.
A tant d'horreurs , fuccéda le feptiéme
confulat de Marius, & par là finit
cet homme , accablé de toutes les rigueurs
de la mauvaiſe fortune , comblé
de toutes les faveurs de la bonne , &
qui avoit mefuré dans l'une & dans
l'autre , jufqu'où peut aller le fort d'un
Mortel.
Sylla qui voulut nous vanger , mit
le comble à nos pertes immenfes : il
épuifa le peu de fang qui reftoit à la
patrie en coupant des membres corrompus
, il fuivit trop loin les progrès
du mal il ne périt que des coupables
, mais dans un tems où il n'y avoit
plus que des coupables à fauver.
90 MERCURE DE FRANCE
Sous lui les haines font déchaînées ; la
colère fe livre à fes emportemens , dégagée
du frein des loix . On ne facrifioit pas
tout à Sylla : chacun s'immoloit fes
victimes. Un mot du vainqueur , avoit
ouvert la barrière à tous les forfaits ; on
vit l'efclave affaffiner le Maître , le frère
vendre le fang du frère , les fils degoutans
du meurtre de leur Père , fe difputer
fa tête qu'ils venoient de trancher.
Les tombeaux font remplis de fugitifs ;
les vivans y font confondus avec les
morts les repaires des bêtes féroces
ne peuvent contenir la foule des tranffuges
; les uns , pour dérober leur mort
au vainqueur , ont recours au lien fatal ;
les autres fe précipitent du haut d'un
rocher ; celui-ci éléve fon bucher luimême
, il fe donne le coup mortel , &
fe jette dans les flames , avant que la
force l'ait abandonné. Rome confternée
& tremblante , reconnoît les têtes
de fes plus illuftres Citoyens , portées
au bout des lances , & entaffées dans
la Place publique : là fe révélent tous
les crimes cachés .
Les Pères vont dérober d'une main
tremblante , les corps livides & fanglans
de leurs fils , que leurs yeux feuls reconnoiffent
encore . Moi-même il me
JUILLET. 1763. 91
fouvient , qu'impatient de rendre aux
mânes de mon frère , les devoirs de la
fépulture dont le Tyran nous faifoit un
crime , il me fouvient , qu'avant de porter
fa tête fur le bucher , je parcourus
ce champ de carnage , digne monument
de la paix de Sylla , pour tâcher de découvrir
parmi tant de corps mutilés
celui auquel s'adapteroit cette tête défigurée.
O Dieux par quelles cruautés
la mort de Catulus fut vengée fur le
frère de Marius ; & quels maux fouffrit
avant d'expirer , cette malheureufe victime
? Mânes qu'on voulut appaifer ,
vous en futes effrayés vous-mêmes. Nous
l'avons vu , ce corps déchiré , dont chaque
membre étoit une playe : percé de
coups, dépouillé par lambeaux, il n'avoit
pas encore reçu le coup mortel , & par
un excès inoui de cruauté , l'on prenoit
foin de ménager fa vie. Ses mains tombant
fous le tranchantdu glaive,fa langue
arrâchée , palpite encore , il ne refpire ,
il n'entend plus que par des organes inutiles
.Un ongle meurtrier extirpe fes yeux
qui ont vu difperfer tous fes membres.
On ne croira jamais , qu'une feule tête
ait pu fuffire à tant de tourmens. Les
débris de ce cadavre ne forment plus
qu'un horrible monceau de chair &
92 MERCURE DE FRANCE.
d'offemens écrafés fous leur chûte : les
corps des malheureux qui ont péri dans
un naufrage , & que la vague a brifés
contre les écueils , arrivent moins défigurés
fur le fable. Et quel foin prenezvous
, cruels , de rendre Marius méconnoiffable
aux yeux de Sylla ? pour fe
repaître de Yon fupplice , il eût fallu ,
qu'il reconnût fes traits . Prénefte voit
tous fes habitans moiffonnés par le glaive
, tout un peuple tombe comme d'un
feul coup . Alors , la fleur de l'Italie , la
feule jeuneffe qui lui reftoit , fut maffacrée
dans le champ de Mars , au fein
de cette malheureufe Rome , qu'elle
inonda de fon fang. Que tant de victimes
périffent à la fois par la famine ,
par un naufrage , fous les ruines d'une
Ville fubitement écrafée , dans les horreurs
de la pefte ou de la guèrre , il y
en eut des exemples ; mais d'une exécution
auffi fanglante , il n'en fut jamais. A
peine àtravers les flotsde ce peuple qu'on
égorge , les mains parricides peuvent fe
mouvoir; à peine ceux qui reçoivent le
coup mortel peuvent tomber leurs
corps preffés fe foutiennent l'un l'autre ,
& dans leur chûte , ils deviennent euxmêmes
les inftrumens du carnage : les
morts étouffent les vivans.
JUILLET. 1763 . 93
Sylla du haut du Capitole , tranquille
fpectateur de cette fanglante fcène
n'a pas même le remors d'avoir profcrit
tant de milliers de Citoyens. Cependant
le lit du Tybre ne peut contenir
les cadavres qu'on y entaffe . Les
premiers tombent dans le fleuve , les
derniers s'élevent au- deffus des eaux :
les barques rapides s'y arrêtent ; le fleuve
coupé par cette digue fanglante ,
d'un côté s'écoule dans la mer , de l'autre
il s'enfle & refte fufpendu. Les flots
de fang que l'on verfe de toutes parts ,
fe font un paffage à travers la campagne
, & viennent en Iongs ruiffeaux
groffir les ondes amoncelées. Déja
le fleuve furmonte fes bords & y
rejette les cadavres . Enfin fe précipitant
avec violence dans la mer de Tirrhêne
, il fend les eaux par un torrent
de fang .
C'est ainsi que Sylla a merité d'être
appellé le falut de la patrie , l'heureux
Sylla ; c'eft ainfi qu'il s'eft fait élever
un tombeau dans Rome. Voilà , mes
amis , ce qui nous refte à éprouver une
feconde fois : tel fera le cours de cette
guerre & tel en fera le fuccès. Que disje
? & plût aux Dieux n'avoir que de
tels maux à craindre. Hélas ! il y va de
94 MERCURE DE FRANCE .
bien plus & pour Rome & pour l'Univers,
Marius & les fiens éxilés de leur
patrie ne demandoient que leur retour.
Svlla ne vouloit qu'anéantir les factions.
Céfar & Pompée ont d'autres deffeins.
Non contens d'un pouvoir partagé , ils
combattent pour le rang fuprême ; aucun
d'eux ne daigneroit fufciter la guerre
civile , pour être ce qu'a été Sylla.
Ainfi la vieilleffe confternée pleuroit
fur le paffé & trembloit pour l'avenir .
Mais cette frayeur n'eut point d'accès
dans la grande âme de Brutus , Bru
tus au milieu de la défolation publique
ne mêla point fes larmes aux larmes du
Peuple. Dans le filence de la nuit , il va
frapper au feuil de l'humble demeure
de Caton ; il le trouve veillant & l'âme
agitée des dangers de Rome & du fort
du monde . Brutus l'aborde & lui dit :
» vous l'unique refuge de la vertu
» dès longtemps banic de la terre , vous
» fon ami , vous que le tourbillon de la
» fortune ne peut détacher de fon parti ,
" fage Caton , foyez mon guide , affer-
» miffez mon efprit chancelant ; donnez
» votre force à mon âme. Que d'autres
» fervent Pompée ou Céfar ; Caton eft
» le Chef que Brutus veut fuivre . Ref-
» terez-vous au ſein de la paix , feul im-
1
JUILLET. 1763. 95
29
» mobile au milieu des fecouffes qui
» ébranlent le monde ? ou voulez- vous
» abfoudre la guerre en vous affociant
» aux forfaits & aux malheurs qu'elle
» produira Chacun dans cette guerre
» fatale ne prend les armes que pourfoi ;
» l'un pour éviter la peine due à fes
» crimes , & fe fouftraire aux loix re-
» doutables pendant la paix ; l'autre
» pour écarter le fer à la main , l'indi-
» gence qui le preffe , & s'enrichir
» des dépouilles du monde lorfque tout
» fera confondu . Vous feul aimerez -vous
la guerre pour elle - même ? & que
» vous fervira d'avoir été fi longtemps
» incorruptible au milieu d'un monde
» corrompu ? Est - ce là le prix de tant
» de conftance ? Dans l'un & l'autre
» camp tout ce Peuple arrivera coupa-
" ble ; Caton lui feul va le devenir.
» Dieux,ne permettez pas que des armes
» parricides fouillent ces mains pures ,
» & qu'une fi haute vertu jafques-là fe
» dégrade & fe déshonore . Sur vous ,
» ſeul ami , n'en doutez pas , retom-
» beroient la honte & le crime de cette
» guerre & qui ne fe vanteroit de
» mourir de la main de Caton , quoi-
» que frappé d'une autre main ? qui ne
» fe croiroit pas vengé en vous laiſſant
"
96 MERCURE DE FRANCE.
»le reproche de fa mort ? Non , le calme
" eft votre partage comme il eft le par-
» tage des Aftres : inébranlables dans
» leurs cours ils rempliffent leur vafte
» carrière , tandis que les régions de
» l'air font embrafés par la foudre. La
» terre eft en bute au choc des tempê-
» tes , l'Olympe repofe au-deffus des
» nuages. Te!
"
» régne au plus bas
degré ; mais la paix occupe la cime.
» Quelle joie pour Céfar d'apprendre
» qu'un Citoyen tel que vous auroit
» pris les armes ? rangez-vous du parti
» de fon rival ; peu lui importe. Caton
» fe déclare affez pour lui s'il fe déclare
»pour la guerre civile. Déja une partie
» du Sénat , les Patriciens , les Confuls
» eux-mêmes demandent à fervir fous
Pompée. Qu'on voye Caton fubir le
» même joug , il n'y a plus au monde
que Céfar qui foit libre. Ah ! fi c'eft
" pour les loix, pour la patrie que vous
» voulez combattre , difpofez de moi ;
» mais il n'eft pas temps. Vous voyez
» dans Brutus , non l'ennemi de Céfar,
» non l'ennemi de Pompée ; mais après
» la guerre , l'ennemi déclaré de celui
» des deux qui fera vainqueur. Il dit ,
» & du fein de Caton comme du fond
chofes : le tro.. ordre
immuable des
"
"
"
» d'un
JUILLET. 1763. 97
d'un Sanctuaire fe firent entendre ces
paroles facrées.
"
» Oui , Brutus , la guerre civile eſt
» le plus grand des maux ; mais ma ver-
» tu fuit d'un pas afſuré la fatalité qui
» m'entraîne . Si les Dieux me rendent
» coupable ce fera le crime des Dieux.
» Et qui peut voir , exempt de péril , la
» ruine de fa patrie ? Quoi des Nations
» inconnues s'engagent dans nos querel-
» les ; des Rois , nés fous d'autres étoi-
» les , féparés de nous par de vaftes mers
» fuivent l'aigle romaine aux combats ;
& moi Romain , je refterois feul
plongé dans un honteux repos ! Loin
» de moi,grands Dieux, cette cruelle in-
» différence : ne fouffrez pas que Ro-
» me , dont la chute ébranlera le Dace
» & le Gête , que Rome tombe fans
» m'écrafer. Un père , à qui la mort
» vient d'enlever fes enfans , les accom-
» pagne jufqu'à la fépulture. Sa dou-
» leur même fe plaît à fe nourrir du
long appareil de leur pompe funébre ;
» fes mains portent les noirs flambeaux
» qui vont embrafer leur bucher , &
» l'on voit fes bras paternels s'étendre
» encore à travers les flammes. Non
» Rome je ne me détacherai de toi
» qu'après t'avoir embraffée mourante ,
I. Vol.
"
,
E
98 MERCURE
DE FRANCE .
» & avoir reçu ton dernier foupir : li-
» berté , je fuivrai ton nom , quand
» tu ne feras plus qu'un ombre. Sou-
» mettons- nous : les Dieux inexorables
» demandent Rome entière en facrifice ;
» qu'ils foient contens : ne leur dérobons
" pas une feule de leurs victimes. Ah !
» que ne puis-je offrir au Ciel & aux
» Enfers cette tête chargée de tous les
» crimes de ma patrie , & condamnée à
» les expier ! Décius fe dévoua & périt
» au milieu d'une armée ennemie ; que
» ces deux armées de Romains me per-
» cent de même ; qu'elles épuifent fur
» moi leurs traits. J'irai le fein décou-
» vert , au devant de toutes les lances
» & au milieu du champ de bataille
» je recevrai feul tous les coups de la
» guerre ; heureux fi mon fang eft la
» rançon du monde & fi mon trépas appaife
les Dieux ! Eh pourquoi feroit-on
périr des Peuples dociles au joug &
» difpofés à fléchir fous un Maître ?
» C'est moi qu'il faut perdre , moi qui
» m'obftine feul à défendre inutilement
" nos Loix & notre liberté. Mon fang
» verfé rendra la paix & le repos à l'Ita-
» lie. Après moi, qui voudra régner n'au-
" ra pas befoin de recourir aux armes .
» Mais je fais là d'inutiles voeux al-
»
»
·
JUILLET. 1763. 99
» lons , Brutus , rangeons - nous du-
» moins du parti que Rome autorife .
» Si la fortune feconde Pompée , il n'eft
» pas sûr qu'il en abuſe pour ufurper
» l'Empire du monde. Combattons fous
» lui , de peur qu'il n'ofe croire que c'eft
» pour lui que l'on va combattre . Caton,
» foldat dans fon armée lui apprendra
» s'il eft vainqueur , que c'est pour
» Rome qu'il aura vaincu .
33
Telle fut la réponſe de Caton , &
l'âme du jeune Brutus embrâfée d'un
feu nouveau , ne refpira plus que la
guerre civile,
Alors , comme le foleil chaffoit les ténébres
, on entendit frapper à la porte :
c'étoit la pieufe Marcie qui venoit de
rendre à Hortentius fon époux les devoirs
de la fépulture . Dans la fleur de
l'âge & de la beauté un lien plus cher
l'avoit unie au vertueux Caton ; &
Caton après avoir eu d'elle trois gages
d'un faint hyménée , l'avoit cédée à fon
ami , afin qu'elle ornât une maiſon nouvelle
des fruits de fa fécondité , & que
fon fang maternel fût le lien des deux
familles. Mais à peine a-t-elle recueilli
les cendres d'Hortentius , qu'elle revient,
la pâleur fur le vifage , les cheveux épars
& fouillés de fang , le fein meurtri
E ij
336320
100 MERCURE DE FRANCE.
la tête couverte de la pouffière du tombeau
. Elle eût vainement employé d'autres
charmes pour plaire aux yeux du
févère Caton ; elle fe préfente & dans
fa douleur elle lui parle en ces mots .
"
» Tant que mon âge & mes forces
» m'ont fait un devoit d'être mè
» re , ô Caton , j'ai fait ce que vous avez
» voulu ; j'ai fubi la Loi d'un fecond
» hyménée. A préfent que mes en-
» trailles font épuifées , que la nature &
la patrie n'ont plus rien à exiger de
» moi , je reviens à vous dans l'eſpoir
» de n'être plus livrée à perfonne. Ren-
» dez-moi les chaftes noeuds de mon
» premier hymen ; rendez- moi le nom ,
» le feul nom de votre époufe : qu'on
puiffe écrire fur mon tombeau Marcie
femme de Caton , & que l'avenir n'ait
» pas lieu de douter fi vous m'aviez cé-
» dée ou bannie. Ce n'eft point à vos
» profpérités que je viens m'affocier ;
» c'eft de vos peines , de vos travaux
» que je veux être la compagne . Laiffez-
» moi vous fuivre dans les camps , par-
» tager , adoucir vos fatigues. Eh pour-
» quoi refterois -je en fûreté au fein de
la paix ? Pourquoi Cornélie verroit-
» elle de plus près que moi les dangers
» de la guerre civile ?
>>
JUILLET. 1763. ΙΟΙ
Ces paroles fléchirent Caton ; &
quoique le moment de courir aux
armes fût peu favorable aux voeux de
fon époufe, il confentit à renouveller
avec elle la fainteté de leurs premiers:
fermens , mais feulement à la face du
Ciel , & fans l'appareil d'une pompe
vaine.
Le veftibule de fa maifon n'eft point
couronné de guirlandes , ni éclairé des
flambeaux de l'Hymen : le lit nuptial
n'eft point élevé fur des marches d'y
voire ; une trame d'or ne brille pas dans
les tapis dont il eft couvert : on ne voit
point Marcie dans la parure d'une nouvelle
époufe , relever par le feu des
diamans les riches couleurs d'une robe
éclatante , & foutenue par fes compagnes
, franchir , fans y toucher , le
feuil de la porte confacré à Vefta : la
tête n'eft point ornée de ce tiffu de
pourpre qui tombe fur les yeux timides
d'une jeune vierge dévouée à l'hymen
& qui fert de voile à la tendre pudeur.
Mais telle qu'elle eft , & fans dépofer
le deuil lugubre qui la couvre , elle embraffe
fon époux , comme elle embrafferoit
les enfans . Les jeux profanes , la
folle ivreffe ne font point appellés à ce
grave hyménée : Marcie & Caton
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
.
fe réuniffent dans le filence & fous l'aufpice
de Brutus.
Caton , dès le premier fignal de la
guerre avoit laiffé croître fa barbe touffue,
& fes cheveux blancs ombrageoient
fon front. Ce front févère n'admit point
la joie Caton ne daigna pas même écarter
fes longs cheveux de fon vifage auftère
& vénérable. Egalement infenfible
à l'amour & à la haine , tout occupé à
gémir fur les malheurs de l'humanité, il
s'interdit le lit nuptial & la févérité de fa
vertu réfifta même aux plaifirs légitimes.
Telles furent les moeurs de Caton,telle
fut fa Secte rigide : fuivre les loix de la
nature ; vivre & mourir pour fon
pays ;
fe croire fait , non pour foi-même , mais
pour le bien du monde entier ; n'avoir ,
au lieu de feftins, que l'aliment néceffaire
à la vie , au lieu de palais , qu'un abri
contre les hyvers , au lieu de riches vêtemens
que l'étoffe groffiere dont fe couvroit
le Peuple borner l'ufage de l'amour
aufoin de perpétuer fon efpéce ; être à la
fois le père & l'époux de fa patrie ; fe faire
un culte de la juftice , de l'honnêteté
une infléxible loi , du bien général un intérêt
unique ; tel fut , dis- je , cet homme
auftère ; & dans tout le cours de fa vie
jamais la volupté , cette idole d'elleJUILLET.
1763.
103
même , ne furprit un feul mouvement
de fon âme , n'eur part dans aucune de
fes actions.
Le refté au Mercure prochain.
DICTIONNAIRE portatif hiftorique
& Littéraire des Théâtres ; contenant
l'origine des différens Théâtres de Paris
; leur état actuel ; le nom de toutes
les Piéces qui y ont été repréſentées
depuis leur établiſſement , & celui des
Piéces jouées en Province , ou qui ont
fimplement paru par la voie de l'impreffion
depuis plus de trois fiécles ;
avec des anecdotes & des remarques
fur la plupart : le nom & les particularités
intéreffantes de la vie des Auteurs
, Muficiens & Acteurs ; avec le
catalogue de leurs ouvrages & l'expofé
de leurs talens ; une chronologie des
Auteurs & des Muficiens ; avec une
Table chronologique de tous les Opéra
& des Piéces qui ont paru depuis
trente - trois ans ; par M. de Léris .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Seconde édition revue, corrigée & confidérablement
augmentée . A Paris, chez
C. A. Jombert , rue Dauphine , &
chez Bauche , quai & auprès des Auguftins
; 1763. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Un vol. in-8 ° .Prix,
5 liv. 10 f. broché.
NOUouSs nous contenterons aujourd'hui
de donner le titre de cet Ouvrage utile ,
curieux & agréable. Nous le ferons
mieux connoître dans le volume du 15
de ce mois , où nous marquerons d'une
manière détaillée le plan , l'ordre , &
l'objet de cette nouvelle édition , avec
les augmentations & les corrections qui
la rendent fupérieure à tous les ouvrages
que nous avons en ce genre. Nous dirons
feulement aujourd'hui , que le titre
ne promet rien qui ne foit parfaitement
exécuté dans le corps du Livre .
ANNONCES DE LIVRES.
BIBLIOGRAPHIE inftructive ; ou
Traité de la connoiffance des Livres rares
& finguliers , contenant un Catalogue
raiſonné de la plus grande partie de
JUILLET. 1763. 109
ces Livres précieux qui ont paru fucceffivement
dans la République des Lettres
depuis l'invention de l'Imprimerie ,
jufques à nos jours ; avec des notes fur
la différence & la rareté de leurs éditions
& des remarques fur l'origine de
cette rareté actuelle , & fon degré plus
ou moins confidérable : la manière de
diftinguer les Editions originales , d'avec
les contrefaites , avec une defcription
typographique particulière du compofé
de ces rares volumes , au moyen
de laquelle il fera aifé de reconnoître
facilement les exemplaires , ou mutilés
en partie , ou abfolument imparfaits ,
qui fe rencontrent journellement dans
le Commerce , & de les diftinguer für
rement de ceux qui feront exactement
complets dans toutes leurs parties. Dif
pofé par ordre de matières & de facul
tés , fuivant le fyftême bibliographique
généralement adopté ; avec une Table
générale des Auteurs , & un fyftême
complet de Bibliographie choifie. Par
Guillaume- François Debure le jeune ,
Libraire de Paris. Volume de Théologie.
In-8°. Paris , 1763. Chez l'Auteur ,
quai des Auguftins. Prix , cinq liv. en
feuilles , & 6 liv . relié.
I
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
1
2
FRINCIPES généraux & raifonnés
de la Grammaire Françoife , avec des
obfervations fur l'Ortographe , les accens
, la ponctuation , & la prononciation
; & un Abrégé des régles de la Verfification
Françoife , dédiés à Mgr le
Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
Par M. Reftaut , Avocat au Parlement ,
& aux Confeils du Roi. Neuviéme Edition
,
revue & corrigée par l'Auteur.
In-8°. Paris , 1763. Chez Defaint &
Saillant, Libraires , rue S. Jean de Beauvais
, & Butard , rue S. Jacques , à la
Vérité.
N. B. En annonçant de nouveau cet
Ouvrage auffi utile que connu , nous
nous contenterons d'obferver qu'il y a
eu plufieurs Editions contrefaites , mal
exécutées & pleines de fautes ; & que
pour diftinguer celle de Paris d'avec les
autres , on y a mis un paraphe derrière
le feuillet du frontifpice . Cette Edition
fe trouve non feulement chez les Libraires
de Paris , mais encoré chez J. Félix
Faucon , Imprimeur du Clergé à
Poitiers.
ABREGE de la Grammaire Françoi
fe. Par M. de Wailly. Nouvelle Edition
in- 12 . Prix , 1 liv. 4 f. On trouve chez
JUILLET. 1763. 107
les mêmes Libraires la Grammaire Françoiſe
, in- 12 du même Auteur , dont le
Prix eft de 2 liv. 10 f. Paris , 1763.
Chez J. Barbou , Libraire- Imprimeur ,
rue S. Jacques , aux Cigognes. Cet Ouvrage
, ainfi que le précédent , eft eftimé
des Grammairiens connus.
par
L'ESPRIT de la Mothe le Vayer , par
M. de M. C. D. S. P. D. L. in - 8°.
1763. On en trouve des Exemplaires
chez Pankouke , rue & à côté de la
Comédie Françoife.
HISTOIRE des Drufes , Peuples du
Liban , formé par une Colonie de François
, avec des Notes Politiques & Géographiques
. Par M. Puget de S. Pierre,
avec figures. In- 12. Paris , 1763. Chez
Cailleau , Libraire , rue S. Jacques, près
les Mathurins , à S. André.
Nous nous propofons de rendre com
pte de cet Ouvrage .
ÉSSAI de Poëfies diverfes
M. V ***
, par
Carmina quæ vultis , cognofcite : carmina vobis
Huic aliud mercedis erit. ·
Virgil. Egl . VI.
1
In-8°. Genêve , 1763. Et fe vend à Pa-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
ris , chez Charpentier , Libraire , quai
des Auguftins , à l'entrée de la rue du
Hurpoix , à S. Chryfoftôme.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles-Lettres
de Nancy , Par M. l'Abbé Coyer ,
à fa réception , le Dimanche 8 Mai
1763. A Ñancy , chez Barbin , Imprimeur-
Libraire . Et fe trouve à Paris ,
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
, au Temple du Goût.
Ce difcours ne fait qu'ajouter à la réputation
juftement acquife de fonAuteur.
> LA NOUVELLE SUIVANTE Comédie
en deux Actes & en Vers. Par
M. Beliard. La Haye , 1763. Et fe
trouve à Paris , chez Mérigot , Père ,
quai des Auguftins , près la rue Gît - lecoeur.
La Manie dES ARTS , ou la Matinée
à la mode , Comédie en un Acte
& en Profe ; par M. Rochon de Chabannes.
Paris , 1763. Chez Sébastien
Jorry , rue & vis - à - vis la Comédie
Françoife , au Grand Monarque & aux
Cigognes.
Nous donnerons dans l'Aricle des
JUILLET. 1763. 109
Spectacles , l'Extrait de cette Piéce , digne
du fuccès qu'elle a eu au Théâtre
François.
› THÉATRE de M. Favart ou Recueil
des Comédies , Parodies , & Opéra-
comiques qu'il a données jufqu'à ce
jour , 8 volumes in- 8°. Paris 1763 .
Chez Duchefne , Libraire rue S. Jacques
, au Temple du Goût.
>
L'abondance des matières nous force
à regret de remettre à parler plus au
long de cette Edition foigneufement
exécutée , ornée des portraits de M. & de
Mde Favart, avec des frontifpices & des
vignettes très-bien gravés.
,
N. B. Nous avons annoncé dans le
Mercure de Mai , un Ouvrage intitulé
le Jardinier d'Artois ou Elémens de
la culture des Jardins potagers & fruitiers.
Nombre de perfonnes fe font
adreffées au fieur le Clerc , Libraire
quai des Auguftins , pour s'en procurer
des Exemplaires , qui ne lui étoient
point encore parvenus. Il nous prie
d'informer le Public qu'il vient d'en recevoir
une caiffe qu'il débitera au prix
ci-devant indiqué.
M. DOUCHET , Avocat en Parlement
110 MERCURE DE FRANCE
,
& ancien Profeffeur Royal en Langue
Latine , a propofé par foufcription des
Conférences fur la Langue & fur la
Littérature Françoife . Ces Conférences
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi
de chaque femaine , depuis trois
heures & demie de l'après- midijufqu'à
cinq heures du foir , rue de Condé,dans
le paffage du riche Laboureur. chez
M. l'Abbé de la Pouyade fon Collégue.
Le cours entier fera de fix mois.
Il a dû ouvrir le 31 Mai , & continuera
jufqu'au premier Septembre. La feconde
partie du cours commencera le premier
Décembre , & s'étendra jufqu'au
premier Mars de l'année prochaine. La
foufcription fera de 36 liv. pour chaque
demi-cours , à raifon de 12 liv . par
mois. Ceux qui ne voudront pas foufcrire
, payeront 18 liv. au commencement
de chaque mois.
,
ZELIS au bain Poëme en quatre
Chants. Geneve , 1763. Et fe trouve à
Paris , chez Jorry , rue & vis- à -vis la
Comédie Françoife .
Nous rendrons compte avec plaifir
de cet agréable Ouvrage.
JUILLET. 1763 .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADÉMIE S.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras , tenue le 26 Mars 1763 .
MRR l'Abbé de Lys , Directeur en
Exercice , ouvrit cette Séance par une
Differtation hiftorique fur l'époque de
la converfion des Atrébates , ou anciens
Habitans d'Arras au Chriftianifme.
Il traita d'abord de leur Religion
primitive , qui devoit être celle des autres
Gaulois , laquelle n'admettoit originairement
qu'un feul Dieu , qu'il falfoit
adorer par un refpectueux filence
plus que par la prière & les facrifices ;
mais les Gaulois , obligés de fe foumettre
aux loix des Romains , en adopterent
auffi peu-à-peules Divinités. M. l'A. D.L.
conjecture que ces innovations furent
plus tardives chez les Atrébates qu'en
plufieurs autres Contrées de la Gaule.
Quoi qu'il en foit , on ne fçauroit dou112
MERCURE DE FRANCE.
ter qu'ils n'aient tôt ou tard invoqué ,
non feulement Mercure , dont le culte
exiſtoit déja parmi eux du temps de
Céfar , mais encore Diane , Pollux &c ;
ce qui eft prouvé par les noms latins
de quelques villages voifins d'Arras ,
tels qu'on les voit dans les ancienstitres.
Beaucoup d'Hiftoriens croient que
l'Evangile n'avoit pas été annoncé aux
Atrébates avant la miffion de de S. Vaaft,
que S.Remi Archevêque de Rheims
confacra Evêque d'Arras & de Cambrai
; mais ils ne s'accordent point fur
le temps de cette miffion , que les uns
placent en 530 , & les autres vers l'an
500. M. l'A . D. L. préfére le fentiment
des derniers ; & il établit d'ailleurs que
la Religion chrétienne avoit été prêchée
avant S. Vaaft , dans le Pays des
Atrébates . De vieux Manufcrits portent
que cet Apôtre y trouva à fon arrivée
les débris d'une Eglife détruite par les
Vandales , & que S. Diogène , Grec de
nation , étoit Évêque d'Arras durant la
perfécution de ces Barbares , qui pénétrerent
dans les Gaules en 407 ou 4c8.
M. l'A . D. L. va plus loin , & remonte
jufqu'en 367 , temps où il tomba miraculeufement
fur le territoire d'Arras
JUILLET. 1763. 113
affligé de la plus grande féchereffe , une
laine mêlée de pluie , qui rendit aux
campagnes leur première fertilité , &
dont une portion fe conferve encore
aujourd'hui , fous le nom de Manne
parmi les Reliques de la Cathédrale .
Ce prodige , attefté par S. Jérôme &
par Paul Orofe , Auteurs Contemporains
, perfuade à M. l'A. D. L. que
le Chriftianifme étoit dès-lors connu au
Peuple d'Arras. » On oppofera peut- être,
» dit il , que le miracle de la Manne
» n'eft point incompatible avec l'état
» d'un Peuple idolâtre . Il eft vrai que
» Dieu peut faire des miracles en faveur
» des Infidèles ; mais ce n'eft que pour
>> les faire entrer dans le fein de l'Églife
» & pour approuver & confirmer la mif-
» fion de ceux qui travaillent à les con-
» vertir. On doit donc au moins con-
» clure que quelque Ouvrier Évangé-
» lique s'employoit à la converfion des
» Atrébates .
M. de Ruzé , Avocat - Général du
Confeil d'Artois , Chancelier de la Société
, lut un Difcours , dans lequel il
expofa combien l'Agriculture contribue
à la pureté des moeurs . Il y dépeignit
en ces termes la vie ordinaire du Laboureur.
» Quelle est encore la partie la plus
114 MERCURE DE FRANCE .
» faine de la Société ? C'eſt celle qui eſt
» déftinée aux travaux des champs. Elle
» feule fournit un refuge à l'innocence
» exilée des Villes. Le foleil paroît ne
» fe lever que pour elle . Le caprice &
» le hazard ne réglent point dans les
» campagnes les heures du repos nécef-
" faire à l'homme. On y refpecte le fi-
» lence de la Nature ; & l'on s'envelop-
" pe avec elle des ténébres de la nuit.
"
Lorfque l'Aftre du jour vient en diffi-
» per les ombres , on fe hâte de chaf-
» fer le fommeil , qui ne s'opiniâtre pas
» à retenir le cultivateur dans les bras de
» la moleffe . Il ouvre les yeux dans cet
» heureux moment où le foleil craint
» de les offenfer par une lumière trop
» vive. La fimplicité fait l'ornement de
» fon habitation ; la frugalité celui de
» fes repas. Il ne permet point à l'art
» d'altérer chez lui les productions de
» la nature , & c .
"
ود
""
Augmenter le nombre des Cultivateurs
, ajoute M. de Ruzé , c'eft refferrer
la fphere de la corruption . » Si l'Agriculture
étoit en honneur , les gens
» de la campagne ne quitteroient plus le
lieu de leur naiffance pour habiter
» les Villes , qui ne feroient déformais
» que l'afyle des Arts ou des Manufactures
JUILLET. 1763. 115
»
» néceffaires, que la demeure de ces Ci-
» toyens chargés de faire obferver la
police , de maintenir les loix , de ré-
» gler les intérêts des Particuliers , de
» veiller au bien général de la Société ,
» & de réprimer les abus qui pourroient
» s'y introduire. Les Artifans , réduits
» à un petit nombre , ne s'étudie : oient
" plus à multiplier les befoins de l'hom-
» me , pour multiplier les moyens de
» s'enrichir. Le luxe diminueroit par degrés
. Le Seigneur d'un riche domaine
n'iroit plus facrifier à la magnificence
» le tribut que fes Vaffaux lui payent.
» Occupé à faire rentrer dans leurs vei-
» nes le fang qu'il en tire , il ne confie-
» roit plus fes intérêts à ces hommes avi-
» des & mercénaires , qui regardent les
» habitans de la campagne comme des
» efclaves , ou comme des victimes . Les
»Loix deviendroient plus fimples , par-
» ce que les intérêts feroient moins compliqués.
La fincérité & la franchiſe
» feroient la Loi fuprême.... Les devoirs
» de chaque état feroient moins difficiles
à remplir. Les droits du fang &
» de la nature feroient plus refpeciés ,
» parce qu'il y auroit moins d'occaſions
» d'y donner atteinte . Les enfans ne fe-
» coueroient point le joug , pour s'en-
"
116 MERCURE DE FRANCE
» rôler fous l'étendard des plaifirs : ils .
» n'épuiferoient point leurs forces enco-
» re naiffantes à trainer le char de la.
» volupté.
A la fuite des deux Ouvrages dont on
vient de tracer une idée , M. Dubois de
Foffeux , Ecuyer de main du Roi , M.
le Mercier , ancien Capitaine au Régiment
de Champagne , Chevalier de
l'Ordre de S Louis , & M. l'Abbé Pauchet
, Profeffeurs de Tróifiéme au Collége
d'Arras , prononcerent , comme
nouveaux Affociés , leurs Difcours de
remercîmens , auxquels M. l'Abbé de
Lys répondit féparément en qualité de
Directeur.
M. de Foffeur , après avoir témoigné
fa reconnoiffance à la Compagnie , s'attacha
à faire voir de quel fecours eft la
Littérature contre l'ennui , foit dans la
folitude , foit dans la Société ; & il divifa
fon Difcours en deux parties relatives
à ces différens états. On fe bornera
à rapporter ici quelques morceaux de la
feconde.
» Les perfonnes qui ne voyent le
» monde que dans l'éloignement , s'en
» font une idée bien peu conforme à la vé-
» rité . Quelle différence de le connoître
» dans la fpéculation , ou dans la pratiJUILLET.
1763 . 117
:
» que ! Le fort de ceux que la naiffance
» & la fortune ont placés aux premiers
" rangs , paroît digne d'envie . Les fef-
» tins , les fpectacles , & mille autres fê-
» tes fe fuccédent pour eux prèfque
» fans intervalle leur vie n'est qu'un
» enchaînement de plaifirs..... Mais
» ceux d'entre eux qui voudront être
» de bonne foi conviendront que fou-
» vent dans les lieux qui leur promet-
» toient le plus d'amuſement , ils n'ont
» trouvé qu'un ennui infupportable.
» L'idée charmante que l'on fe fait par
» avance d'une partie de plaifirs , ne
» contribue que trop à la rendre infi-
» pide. La réalité eſt toujours au-deffous
» de ce que l'imagination faifoit eſpé-
» rer ; & le coeur préparé pour quelque
» chofe de plus piquant , dédaigne &
» méprife le peu qui lui eft offert . Mais
» quand on pourroit fuppofer que l'en-
» nui fût exclus des affemblées du grand
» monde , n'eſt-il point de momens vui-
» des pour ceux mêmes qui font empor-
" tés le tourbillon le plus vif? Si pour
» remplir ces inftans d'inaction , on ne
» trouve point de reffources. dans fon
» efprit , à quoi aura-t -on recours ?....
» D'ailleurs combien de circonftances
» où des ufages fondés , foit fur la Raipar
118 MERCURE DE FRANCE.
" fon , foit fur le préjugé , ordonnent
» de faire trêve avec le monde ! Le
» goût de la Littérature aideroit à fup-
»porter le poids de ces devoirs , en
» écartant l'ennui inféparable de l'oi-
» fiveté.... Il arrive fréquemment que
» le hazard , ou quelqu'autre occafion ,
» raffemble des gens qui fe connoiffent
» peu. Alors l'ignorance & l'ignorant
» fe caufent une gêne réciproque : leurs
» efprits , s'aidant peu l'un l'autre , re-
» tombent fans ceffe dans l'engourdiffe-
» ment. Le fçavant & l'ignorant peu-
» vent s'entretenir fans ennui : celui- ci ,
» quelque foibles que foient fes lumiè
» res , aime à jouir de la converſation
» du premier , qui fans affecter de fupériorité
, fe fait un plaifir de l'éclai-
≫rer. Le Savant & le Savant , lorfqu'ils
» ont le bonheur de fe rencontrer, jouif-
»fent d'un agrément au- deffus de toute
» expreffion.
"
M. l'Abbé Pauchet , dans fon difcours
de réception , entreprit de prouver
qu'on ne peut être heureux fans la
vertu , & qu'on ne peut être vraiment
vertueux fans la fcience.
Il récita de plus une Ode fur la Poëfie
, dont l'origine eft ainfi décrite dans
les trois premieres ftrophes.
JUILLET. 1763. 119
Après que le Dieu du Tonnerre
Eut des fombres flancs du Cahos
Fait fortir les Cieux & la Terre ,
Et la plaine immenfe des Eaux ,
Ces monumens de fa puiffance
Furent trop peu pour l'excellence
De fes magnifiques dell'eins :
Formant un plus fublime ouvrage ,
Il voulut voir la propre image
Dans le chef- d'oeuvre de fes mains .
L'homme eft créé ; fon ceil contemple
Des miracles de toutes parts :
Il voit , il admire ce Temple
D'un Etre qui fait les regards.
Brillante autant que libérale ,
Pour lui feul la Nature étale
Mille & mille tréfors divers :
Frappé de fon bonheur extrême ,
Il voit , il fent qu'après Dieu même
Il eft le Roi de l'Univers.
Dèja l'humble reconnoiffance
Au fond de fon coeur a parlé :
Déja jufques dans fon filence
Le fentiment s'eft dévoilé .
Bientôt fa voix innocente , par
D'un coeur que fon bonheur enchante
Eclatent les heureux tranfports.
Poësie , immortelle flâme ,
120 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt à ces mouvemens de l'âme
Que tu dûs tes premiers accords.
M. Harduin , Secrétaire perpétuel
lut des obfervations fur l'Article de la
Langue Françoife , où il examina la
nature de cette partie d'Oraifon , & entra
dans plufieurs difcuffions touchant
les mots que d'habiles Grammairiens
ont voulu faire paffer pour Articles indéfinis
& partitifs.
On lut enfuite la feconde partie d'un
Mémoire fur les coquillages foffiles d'Artois
envoyé par M. Wartel, Chanoine
Régulier de l'Abbayé de Mont - Saint-
Eloy , Affocié honnoraire. Il y parle ,
entre autres chofes , des Echinites , que
les Naturaliſtes défignent fous les noms
de Boutons , d'Ourfins , de Hériffons ,
de Chataignes de mer & c ; & qui ſe
rencontrent fort communément en
Artois.
» On remarque , dit- il , dans nos
pierres quatre espéces d'Echinites. La
" premiere , qui eft la moins rare , eſt
» l'Echinite en coeur , nommée autre-
» ment pas de Poulain. Sa partie fupé-
» rieure eft empreinte d'une étoile à
» cinq rayons. Le refte de la coquille
» eft chagriné & chargé de petites
» boules
JUILLET . 1763 .
121
boules , dont le plus grand nombre
» eft ufé. Dans ces boules ou ma-
» melons , font emboitées , lorfque
» l'animal eft vivant , des pointes entie
» lefquelles il pouffe fes cornes , qui font
» rouler toute la coquille en différens
» feus. On voit de ces foffiles plus pe-
» tits qu'une noiſette , & d'autres auffi
" gros que le poing.
"
" La feconde efpéce eft l'Echinite en
bonnet. Celle- ci eft d'une forme tout-
" à- fait différente de l'autre . Sa coquille
» est bombée & prèfque ovale : fon étoi-
» le , qui a auffi cinq rayons , eft moins
» apparente , mais plus étendue que cel-
» le de la précédente : elle fuit tout le
» contour de la coquille jufqu'à fon
» deffous , qui eft applati. Cette Echini-
» te paroît compofée de petites mailles
» quarrées , qui forment des bandes con-
» tigues les unes aux autres. Les plus
» grands de ces coquillages ont deux
pouces de longueur fur un pouce de
» hauteur ; & les plus petites , que je
» n'ai trouvées que dans les marnes des
" monts de Rebreuve * , ne font pas plus
» groffes que la tête d'une épingle . Ces
» petits foffiles , qu'on y rencontre
Village fitué près le Bourg d'Houdain
cinq ou fix lieues d'Arras .
I. Vol. F
à
122 MERCURE DE FRANCE.
و ر
par
» abondamment , font très-entiers, bien
» chagrinés , & tout couverts de boules
; ce qui peut engager
à croire que
» fi l'on n'en voit point de pareilles
» fur les plus gros foffiles de cette efpéce
, c'eft qu'elles ont été ufées
quelque frottement. Les Echinites en
» bonnet & en coeurs ont également
» deux ouvertures , l'une dans le haut ,
l'autre prèfqu'au bout du deffous de
» la coquille ; & ces ouvertures feroient
» percées à jour , fi la coquille n'avoit
" pas un noyau de matière folide .
"
"
» La troifiéme efpéce , moins commune
que les foffiles précédens , eft
» l'Echinite en cône. Il y en a de deux
» fortes , dont la première porte une
» étoile à cinq rayons , qui partent du
» fommet , fuivent régulièrement le
» contour de la coquille , & vont
» aboutir à une feule ouverture , dans
» le milieu de la baſe ou partie inférieure
» de ce foffile . La feconde forte d'E-
», chinités en cône , infiniment plus rare
» que l'autre , eft l'Echinite à gros tu-
» bercules. On voit bien des fragmens
de ce coquillage dans les pierres blan-
» ches ; mais il eft fort difficile de le
» trouver entier , tel que M. de GranJUILLET.
1763. 123
» val , le pofféde dans fa collection.
» Ce morceau eft l'Ourfin foffile le plus
» curieux qu'on puiffe voir : il eft garni
» de gros mammelons en comparti-
» mens , qui vont toujours en dimi-
» nuant jufqu'au fommet. La coquille
"
marine qui lui eft analogue , eſt le
» plus bel Ourfin de la mer rouge , dont
» la figure eft gravée dans la Conchyliologie
de M. d'Argenville , planche
» 25 , lettre E. Ce font les carrières
» d'Arras qui ont produit ce foffile .
23
» Enfin la quatriéme efpéce eft celle
» de l'Echinite en bouton . Elle eft ron-
» de & plate , trouée de part en part
dans le milieu : elle porte fon étoile
» ornée de petits tubercules fur tout le
» contour de la coquille , depuis le cen-
» tre fupérieur jufqu'au centre inférieur.
» On en trouve en Artois de la première
» grandeur , qui n'excéde pas douze li-
» gnes de diamétre. J'en conferve trois ,
» qui ne font pas plus grandes qu'un
" pois applati , lefquelles ont un oper-
» cule qui couvre l'ouverture fupérieu-
» re. Au refte ce foffile eft moins rare
» dans les pierres blanches que l'Echini-
» te en cône de la première forte ; mais
E
Confeiller au Confeil d'Artois , Membre de
la Société Littéraire.
F ij
124 MERCURE DE FRANCE .
» il eft plus rare dans les pierres à fufil.
M. Harduin termina la Séance dont
nous rendons compte , par la lecture des
vers fuivans.
INSCRIPTIONS
Pour douze Empereurs Romains , traduites
du Père VANIERE. *
AUGUSTUS.
Romulea foret ut gentis fors optima , nunquam
Vivere , vel nunquam debuit ille mori .
Pour que d'un for heureur , Rome pût s'ap
plaudir ,
Il dut néjamais vivre , ou ne jamais mourir,
TIBERIUS .
Dum juvenem vitiis infignem Auguftus adoptat ;
Fit Pater ; ac Roma definit effe parens .
Augufte acquit un fils , en adoptant Tibère ;
Mais des Romains alors il ceffa d'être Père .
* Il eft fingulier que le P. Vanière, au lieu de
commencer , ainfi que Suétone , le nombre de
fes douze Cefars , par le célébre Jule , qui lui of
froit une fi riche matière , en ait retranché ce
grand homme , pour y faire entrer l'Empereur
Nerva, qui n'eft guères connu des perfonnes peu
verfées dans l'Hiftoire , & dont la vie ne pouvoit
prèfque rien fournir au Poëte.
R
JUILLET. 1763. 125
CALIGULA.
Cæde furens , Romæfibi vult altaria poni ;
Quodque hominem exuerit ,fe putat effe Deum .
Il veut , ce monftre infâme , être adoré dans
Rome ;
Et penfe qu'il eft Dieu , parce qu'il n'eft plus
homme.
CLAUDIUS.
Imperiumjam fraude tibi furata , veneno
Eripuit Conjux infidiofa diem. *
La fraude & le poifon , employés tour- à tour ,
Lui ravirent bientôt & l'Empire & le jour.
NERO.
Infua convertitferrun præcordio , poftquìm
Vix alium , tollat quemferus enfis habet.
*
Pen-
Agrippinafuafit Claudio at præterito Britan
nicofilio , Succefforem Imperii defignaret Neronem ,
quem illa ex altero maritofufceperat. Ne pænitendi
locus effet , Claudium boleto venenato mox fuftulit.
Agrippine , dernière femme de Claude ,
gagea 2. déshériter fon fils Britannicus , & à ſe
nommer pour fuccefleur Néron , qu'elle avoit eu
d'un autre mari . Pour ôter à l'Empereur le temps
du repentir , elle fe hâta de le faire mourir par le
moyen d'un champignon empoifonné.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
Lui même il ſe frappa , lorfqu'il reftoit à peine
Quelque tête échappée à ſa rage inhumaine.
GALBA.
Imperium meruit Miles moderamine reram
Amifit Princeps quod decus arma dabant. ༣
Soldat il mérita le beau rang d'Empereur :
De fes exploits fon régne anéantit l'honneur.
ОТНО.
Maluit interitu pulchro decedere vita,
Quàmfceptrum populi clade tenerefui.
Il aima mieux périr , par un noble trépas ,
Que de devoir le fceptre au fang de fes Soldats
VITELLIUS.
Hunc epulo pifces uno bis mille , volucrumque
Appofuiffe fibi millia quinque ferunt .
Ne Calum foret alitibus , mare pifcibus orbum ,
Claufit inextinétam mors properatagulam.:
De deux mille poiffons & de cinq milles oiſeaux
On dit qu'en un repas il fit couvrir la table.
Pour qu'il ne dépeuplât & les airs & les eaux ,
La mort ferma foudain fa bouche infatiable. *
* Ce fut , felon Suétone , le frère de Vitellius
qui lui donna ce feftin ; & les oifeaux qu'on y
fervit étoient au nombre de fept mille ; mais le
Traducteur n'a pas cru devoir changer le fens
de fon Original.
JUILLET. 1763. 127
VESPASIANUS
.
Indignata truces jam dudum Roma Tyrannos
Hoc duce Cafareum denique nomen amat .
"
L'Empire des Céfars aux Romains odieux ,
Sous ce bon Maître enfin leur devint précieux.
TITUS.
Orbis amor Princeps , fi quâfortè nil dediſſet ,
Hancfibi dicebat deperiiffe diem.
Il croyoit perdre un jour , ce Prince généreux ,
Quand un jour s'écouloit, fans qu'il fit des heureux
DOMITIANUS
.
Ambierat frater donis fibi eondere faftos :
Ille fuos voluit cæde notare dies .
Du regne de Titus les dons traçoient le cours :
Son frère en traits de fang voulut marquer les
jours.
NERVA.
Dignior imperio fuit & ftudiofior Urbis ,
Cùmfua Trajano fceptra regenda dedit.
Il fe rendit plus cher , lorfque fes foibles mains
S'aiderent de Trajan , pour régir les Romains .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
SUJETS propofés par l'Acad. Royale
des Sciences & Beaux - Arts , établie
à PAU , pour deux Prix , qui feront
diftribués le premier Jeudi du mois de
Février 1764.
L'ACADÉMIE a réservé un des deux
Prix qu'elle avoit à diftribuer cette année
; celui de la Poëfie a été remporté
par M. Lemefle de l'Académie des Scien
Belles-Lettres & Arts de Rouen :
Elle en donnera deux en 1764. Le premier
à un Ouvrage de Profe , qui aura
pour Sujet ,
ces ,
L'Éloge de feu M. le Maréchal de
GASSION.
Le fecond à un Ouvrage de Poeſie ,
qui aura pour Sujet ,
Les Avantages de la Navigation..
Les Ouvrages de Poëfie feront au plus
de cent Vers , & ceux de Profe d'une
demi heure de lecture , il en fera adreffé
deux exemplaires à M. de Faget de
Poms , Secrétaire de l'Académie on
n'en recevra aucun après le mois de Novembre
, & s'ils ne font affranchis.
JUILLET. 1763. 129
Chaque Auteur mettra à la fin de fon
Ouvrage une Sentence , & la répétera
au-deffus du Billet cacheté , où il écrira
fon nom .
SÉANCE publique de la Société
Litteraire de CHAALONSSUR-
MARNE.
Cette Séance s'eſt tenue le 23 Février 1763 .
M DE VELYE y a fait lecture
d'un Mémoire au fujet des Grands-
Hommes de la Ville & du Païs de Vertus.
Ils font en petit nombre ; mais la
gloire qu'ils ont acquife , eft d'autant
mieux mérit qu'ils n'ont point trouvé
dans leur Patrie ces Maîtres habiles , ces
Ecoles célèbres , & cesexemples fi conmuns
dans les grandes Villes, & fi capables
d'exciter l'émulation.
Nicolas furnommé de Clamange du
lieu de fa naiffance , fe préfente le premier
dans l'ordre chronologique c'eft
auffi le plus diftingué des Sçavans du
Pais de Vertus ; il étoit regardé comme
le Cicéron de fon fiécle. L'illuftre Maifon
de Conflans tire fon origine du mê-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
* me Pays. Vertus compte au nombre de
fes Baillifs , François Lalouette , auquel
on donne auffile titre de Préfident de
Sédan , & qui a été Maître des Requêtes
de l'Hôtel du Roi ; on trouve dans
la Croix du Maine une énumération de
fes écrits , dont plufieurs ont été imprimés.
Comme M. de Velye ne donne
qu'une notice des Grands-Hommes
qui font l'objet de fon Mémoire , il n'eſt
pas poffiblé d'en faire une analyſe fuivie
.
>
Il a étélu enfuite pour M. Defmareft
Affocié externe & abfent , un Mémoire
fur la culture des Raves & des Navets
dans la Guyenne . Il y a cinq variétés
différentes de chaque genre , dont
la diſtinction ne paroît pas fondée fur
des caractères de Botanique aifés à faifir
. On féme les raves & les navets en
deux faifons , la premiere en Avril &
Mai , la feconde depuis le 29 Juillet
jufqu'au 20 Août après la moiffon des
fromens , & dans les terres où la récolte
aura été faite. On commence par donner
deux labours à ces terrés ; on leur
en donne un troifiéme après la femence
, & on paffe le rateau qui tient lieu
de herfe ; on les farcle quand ils font levés
pour, détruire les plantes parafites ,
JUILLET. 1763. 131
arracher les raves ou navets fuperflus ,
& laiffer un intervalle de quatre ou fix
poulces entre chaque pied . Le navet oblong
à racines blanches , & le navet à
racines vertes , ainfi que la rave ronde à
racines blanches , & la rave ronde à racines
rouges , femés dans des terres légéres
, fablonneufes & un peu fubftantieufes
, produifent quelquefois des raves
& des navets du poids de feize &
même de dix-huit livres ; mais ils font
infipides & peu remplis. Ils viennent
d'une faveur fucculente , & d'un volume
raifonnable dans les terres profondes
, légères & meubles dont le fable
fait la bafe , ou dans des terres calcaires
bien divifées , & qui font en proportion
dominante, avec l'argile ; ils réuffiffent
mal dans les terres purement argileufes.
& compactes.
Quoique l'on arrache les navets à
mefure du befoin qu'on en a , la grande
récolte fe fait en nombre ; on les
met alors dans les caves où on les encaiffe
dans du fable ; ils s'y confervent
longtems . Ils fe confervent encore plus
longtems fans altération , fi on les laifſe
en pleine terre , pourvû qu'on ait attention
à en éloigner les Beftiaux , &
que les pluies de l'hyver n'y faffent pas
un trop long séjour. F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
Les navets & les raves font d'une
grande reffource pour les gens de la
Campagne , ils leur fervent d'aliment
pendant une partie de l'année . C'est même
un reméde contre les fiévres lentes
accompagnées de bouffiffures, dont font
attaqués dans certains tems les Habitans
de quelques Cantons marécageux . Auffitôt
qu'ils ont commencé à faire ufage.
des navets , la fiévre difparoît, & ceux
qui en mangent de bonne heure , font
préfervés de la fiévre. Les navets & les
raves fervent auffi à engraiffer les Moutons
, les Boeufs & les Cochons ; cette:
nourriture rétablit les boeufs épuifés par
le travail de l'Eté ; elle leur procure une
tranfpiration abondante , qui leur rend.
le poil uni & libre , & leur chair eft plus
tendre & plus fucculente .
Quoique ce Mémoire paroiffe ne concerner
que la Guyenne , l'intention de
M. Defmareft eft d'engager à étendre la
culture des raves & des navets dans toutes
les parties du Royaume où elle peut
réuffir ; on les cultive déja avec fuccès
dans quelques Paroiffes de l'Election de
Langres , on peut également les culti-.
ver dans les terres de la Province de
Champagne voifines des rivieres , & M.
Defmareft invite les Cultivateurs ChamJUILLET.
1763. 133
penois à ne pas négliger cette branche
d'agriculture.
M. de Chalette ayant envoyé la Préface
d'un Ouvrage qu'il fe propofe de
faire imprimer , intitulé : la Médecine
des Chevaux à l'ufage des Laboureurs
tirée des meilleurs Auteurs , & confirmée
par l'expérience : la Société a eftimé
qu'il convenoit d'en faire patt d'avanee
au Public.
De tous les animaux domeftiques , le
Cheval eft fans contredit celui dont l'utilité
eft la plus étendue. En Angleterre
les plus fameux Médecins , & les plus
habiles Chirurgiens ne dédaignent point
d'en faire l'objet de leurs foins , & de
leur étude. Il eft furprenant qu'en France
la confervation de cet animal précieux
foit abandonnée à des perfonnes
qui pour la plupart , n'ont pas la moindre
connoiffance des maladies qui l'at
taquent , ni des remédes qui leur con
viennent. Les Maréchaux de Village
étant d'une ignorance profonde, ou remplis
de préjugés , M. de Chalette croit
rendre fervice à ceux qui font forcés
d'y avoir recours en les mettant en
état de s'en paffer , ou du moins de les
diriger. Son Ouvrage préfente done
deux avantages , l'un de décrier une foule
134 MERCURE DE FRANCE .
de remédes & de recettes prèfque toujours
inutiles , très - fouvent dangereufes
, & quelquefois pernicieuſes ; l'autre,
en rendant le Laboureur capable de traiter
par lui-même les maladies de fes chevaux,
de lui épargner la dépenfe des foins
d'un Maréchal , & du prix exhorbitant
des drogues que celui- ci lui furvend.
Cette lecture a été fuivie de celle
d'une Differtation fur le préjugé littéraire.
M. Rouffel, qui en eft Auteur , donne
d'abord un précis de tous les objets
qui peuvent occuper l'efprit humain ;
il fait voir qu'il n'a à redouter que
le préjugé peu raifonnable , qui rend
fouvent fes recherches inutiles, le raiſonnement
faux , le littérateur eſclave , ou
capable de franchir les bornes de la
vraie fageffe. Il trace enfuite le tableau
des différentes efpéces de préjugés , &
il combat ceux qui font contraires à la
faine Raifon avec autant d'éloquence
que de force , & en même-temps avec
cette aménité & cette politeffe qui conftituent
le caractère de fes Ouvrages.
L'Affemblée en a paru très-fatisfaite.
On a lu auffi un Effai fur la critique
par M. Formey
Affocié externe &
Secrétaire de l'Académie de Berlin . M.
Formey après avoir défini la critique ,
JUILLET. 1763. 135
>
l'art d'analyfer les Ouvrages pour en
faire connoîrre les beautés & les défauts
conformement aux régles qui ont
été fuivies , ou qui auroient dû l'être
ajoute qu'il ne fe propofe d'en parler
qu'autant qu'elle eft fpécialement deftinée
à montrer les taches qui peuvent
défigurer un Ouvrage. Il paffe enfuite
en revue les différentes efpéces de critiques
qui fe répandent aujourd'hui
- dans la République des Lettres , ce
font les brochures & les journaux , &
il éxamine s'ils rempliffent bien leur
objet .
Les brochures font fouvent le fruit
d'un demi fçavoir , du défoeuvrement ,
du prurit d'écrire , de la jaloufie , ou
de la haine. On y prend le ton des perfonnalités
& de la querelle , & il eft
rare d'en trouver qui foient marquées
au bon coin.
M. Formey n'admet guères dans cette
claffe que les Obfervations de l'Académie
fur le Cid , & les fentimens de Cléante
fur les entretiens d'Arifte & d'Eugène.
Le Public ne peut tirer aucun avantage
de ces brochures , & les Auteurs ne
les regardent fouvent que comme un
motif de triomphe. Les Journaux ne
produisent pas un meilleur effet ; ils ne
136 MERCURE DE FRANCE.
peuvent réuffir qu'entre les mains d'une
Compagnie bien choisie & bien aflortie:
c'ell cette prérogative qui maintient
le Journal des Sçavans dans ce degré
de primauté qu'il s'eft acquis. Les affections
& les paffions font fouvent fi
évidentes dans beaucoup d'autres , qu'il
feroit à fouhaiter qu'ils fuflent moins
multipliés , & la plupart font incapables
d'empêcher les abus que les Auteurs font
de leurs talens .
Le Gouvernement & les Magiftrats
veillent bien à la confervation des fondemens
de la fociété , qui font le refpect
dû à l'Etre fuprême , les droits des Souverains
& les bonnes moeurs : ils flétrif
fent les productions qui attaquent ces
principes ; mais ces flétriffures ne fervent
ordinairement qu'à donner du crédit aux
ouvrages , & à piquer la curiofité.
M. Formey demande enfuite fi on ne
pourroit pas établir un autre genre de
police qui influât plus immédiatement
fur le bon ordre : il y a bien des Cenfeurs
établis par le Gouvernement ; mais
ils s'acquittent fouvent mal des fonctions
qui leur font confiées ; d'ailleurs on impime
beaucoup de Livres qui n'ont pas
été foumis à la cenfure ,.
De-là M. Formey paffe à fon projet
JUILLET. 1763. 137
de police , aux rifques d'effuyer quelque
raillerie ; le voici Il voudroit que le
Souverain confidérant la Littérature de
fes Etats comme un objet qui peur influer
fur le bonheur de fes peuples ,
établît un Corps de gens de Lettres de
différentes facultés & profeffions , au
nombre de douze , tous d'un âge mûr
& non décrépit , fages, ayant des moeurs,
auxquels il feroit affigné des penfionspour
les mettre en état d'être plus actifs & plus
attentifs. Tous les ouvrages fercient remis
à leur Secrétaire , & diftribués à chacun
fuivant fes talens , pour être examinés
& en être fait rapport dans les féances réglées
qui fe tiendroient une ou plufieurs
fois chaque femaine , afin d'accorder où
refufer la permiffion d'imprimer.
Tout ce qui fe trouveroit contraire à
la Réligion , à la conftitution politique
& à la vertu , feroit rejetté , fous quelque
forme qu'il fût préfenté. A l'égard
de ce qui n'eft mauvais que par un défut
de génie , de connoiffances , de
ſtyle , &c, on ufercit d'un ménagement
judicieux ; le Commiſfaire examinateur
donneroit des avis aux Auteurs ; & quand
ceux-ci ne s'y rendroient pas , on les
laifferoit aller avec leur imprimatur.
Il feroit à propos de mettre les Li138
MERCURE DE FRANCE.
braires fous la dépendance abfolue du
Tribunal , fans cela il feroit inutile de
faire des difficultés à un Auteur , qui ,
pour les lever , n'auroit qu'à aller trouver
un Libraire avec lequel il feroit un
marché d'autant plus avantageux que
le Livre feroit digne d'être fupprimé.
Il faudroit auffi que les Examinateurs
exerçaffent une févérité particulière fur
les écrits polémiques , qu'ils en rettanchaffent
tous les termes marqués au coin
de la paffion , & capables d'aliéner les
efprits qu'on fe propofe de convaincre.
Il feroit même convenable de ne pas
fouffrir ces airs de fupériorité & de hauteur
que les critiques prennent fi volontiers
, & fur - tout ces ironies dont la
plaie eft encore plus cuifante que celle
des injures.
Telles font les réfléxions qu'une affez
longue expérience dans ce genre a fuggérées
à M. Formey; & quand il n'auroit
pas indiqué des règles affez certaines
pour remplir fon objet , il feroit toujours
louable de les avoir propofées.
La féance a été terminée par la lecture
de quelques Stances fur l'homme , par
M. France; & de Réfléxions en vers fur
la cérémonie du jour des Cendres , par
M. l'Abbé de Saulx, Chanoine de l'Eglife
JUILLET. 1763. 139.
de Rheims , & Chancelier de l'Univerfité
de la même Ville.
MÉDECINE.
EXTRAIT du Recueil des Lettres de
Milady MARY WORTHLEY MONTAGUTE
, nouvellement imprimée à
Londres.
J
De CONSTANTINOPLE , le....
E crois ma chère S. ... qu'au lieu de
vous faire des excufes de ne vous avoir
pas écrit jufqu'à préfent , c'eft plûtôt à
moi à me plaindre de ce que vous n'avez
pas encore répondu à la lettre que
que je vous écrivis à Nimegue au mois
d'Août dernier ; il me femble que je
puis aifément juftifier mon filence par
les longs & pénibles voyages que je
viens de faire , je fuis pourtant obligée
d'avouer qu'ils ne fe font point terminés
auffi triftement que vous vous le figurez.
Je me trouve affez bien ici , & je n'y
fuis pas auffi ifolée que vous le penfez :
une multitude de Grecs , de François ,
d'Anglois & d'Italiens qui font fous notre
protection , nous fait la cour depuis
le matin jufqu'au foir. Il fe trouve parmi
eux des femmes très - aimables ;tous ces
140 MERCURE DE FRANCE.
Etrangers , ne peuvent être en fureté ici
que fous la protection d'un Ambaffadeur,
& plus ils font riches , plus ils courent
de rifque
.
:
Au refte , toutes ces hiftoires effrayantes
qu'on vous a faites des ravages que
fait ici la pefte , font très-peu fondées
en raifon je dois convenir cependant
que j'ai eu de la peine à m'accoutumer
à ce mot qui a toûjours réveillé en moi
les plus terribles idées. Mais je fuis convaincue
que dans le fond , cette maladie
n'eft guères plus fâcheufe qu'une fiévre
maligne; je vous en donnerai une preuve
en vous difant que j'ai paffé dans deux
ou trois Villes , ou la contagion étoit trèsconfidérable.
Dans une maifon à côté
de celle où je logeois , deux perfonnes
en moururent : heureufement que je fus
reçue & traitée avec tant d'attention
qu'on me tint la chofe cachée ; on me
dit feulement que mon fecond Cuifinier
avoit un gros rhume & je laiffai mon
Médecin pour prendre foin de lui. Hier
je les vis arriver tous les deux en bonne
fanté , & on m'avoua que c'étoit la pefte
que mon Cuifinier avoit eué. Il y a beaucoup
de gens qui réchappent de cette
maladie , & la contagion ne régne pas
continuellement. Je fuis perfuadée qu'il
JUILLET . 1763. 141
feroit aisé d'en extirper ici le principe
comme on a fait en Italie & en France ;
mais elle fait fi peu de ravage , qu'on ne
s'en inquiéte guéres & qu'on ne fe
trouve pas fort à plaindre , d'être exposé
à cette funefte mais unique maladie , qui
leur tient lieu de toutes celles qui nous
affiégent , & dont ils font totalement
exempts.
*
萝
Mais à propos de maladie , je veux
vous apprendre une chofe qui vous fera,
regretter de n'être pas ici. La petite vérole
, cette contagion fi générale & fi
cruelle parmi nous , ne fait aucun mal
ici , grace à la découverte de l'Infertion.
Il y a plufieurs vieilles femmes
dont le métier eft de faire cette opération
; elles choififfent pour cet effet le
mois de Septembre , parce qu'alors les
grandes chaleurs font paffées. C'eſt la
coutume d'envoyer chez les gens de fa
connoiffance , pour demander s'il n'y a
perfonne qui veuille avoir la petite vérole.
On fe raffemble ordinairement au
nombre de quinze ou feize ; la vieille
vient avec une coquille de noix , pleine
de la matière de la petite vérole qu'elle
a eu foin de choifir de la meilleure éfpéce,
& elle vous demande quelle veine
*
་ ་
ingrafting qui veut dire proprement greffe .
142 MERCURE DE FRANCE.
vous voulez qu'elle vous ouvre. Lorfque
vous avez fait votre choix , elle ouvre le
vaiffeau avec une groffe aiguille , ce qui
ne vous fait pas plus de mal qu'une
fimple égratignure , & elle introduit autant
de matière qu'il en peut tenir fur
la pointe de l'aiguille ; cela fait , elle bande
cette petite playe , qu'elle recouvre
avec un petit fragment de coquille , &
elle réïtére l'opération fur quatre ou cinq
veines. Les Grecs ont communément la
fuperftition de fe faire faire une des infertions
au milieu du front , une dans
chacun des bras & l'autre dans la poi
trine , afin de donner à cette opération
la forme du figne de la Croix . Mais
cette manière a des inconvéniens , en
ce que les playes laiffent des traces qui
marquent auffi ceux qui ne font point
fuperftitieux , aiment mieux que cette
opération foit faite aux jambes ou aux
bras , ou dans quelque partie qui foit
cachée. Les enfans & les jeunes gens
qui ont fubi l'opération , jouent enfemble
& fe divertiffent , continuant d'être
en parfaite fantéjufqu'au huitiéme jour ;
alors la fiévre les prend , & ils gardent
le lit pendant deux jours , & rarement
pendant trois. Il n'arrive guères qu'ils
ayent plus de 20 ou 30 boutons fur
JUILLET. 1763. 143
le vifage , lefquels ne laiffent jamais aucune
trace , & au bout de huit jours
le malade eft abfolument rétabli. Aux
endroits ou l'infertion a été faite , s'établit
une fupuration qui continue pendant
la maladie , & qui paroît devoir
contribuer beaucoup à la rendre bénigne.
On voit ici tous les ans plus de
mille perfonnes fe foumettre à cette
opération ; & l'Ambaffadeur de France
dit plaifament qu'on fe donne ici la petite
vérole par partie de plaifirs , comme
on va prendre les eaux dans d'autres
pays. Il n'y a pas d'exemple qu'une
feule perfonne en foit morte. Enfin vous
ne douterez pas de la perfuafion où je
fuis de la certitude de cette méthode ,
puifque je compte l'éprouver fur mon
cher petit enfant. J'ai l'efprit affez patriotique
, pour vouloir la mettre à la
mode en Angleterre , & je ne manque
rai pas d'en écrire un grand . détail à quelques-
uns de nos Médecins, fi j'en trouve
d'affez vertueux pour facrifier ainfi à l'avantage
de l'humanité, une branche auffi
confidérable de leurs revenus. En effet ,
cette maladie leur eft trop profitable, pour
ne pas expofer à leur reffentiment le
premier téméraire qui entreprendroit de
la détruire. Peut-être cependant , qu'à
144 MERCURE DE FRANCE .
mon retour j'aurai le courage d'entrer
en guerre avec eux . Admirez l'héroifme
de votre Amie , qui eft & c.
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
DISSERTATION fur le Lithotome
caché.
L'OPÉRATION de la Lithotomie
a étéde tous temps , à jufte titre , l'objet
des recherches de ceux qui fe font intéreffés
au bien de l'humanité. On a
adopté fucceffivement diverfes méthodes
, & différens inftrumens : mais les
inconvéniens inféparables de tous ces
moyens , ant toujours laiffé quelque
chofe à defirer fur ce point effentiel à
la Chirurgie. Les expériences multipliées
que j'ai faites pendant dix ans fur des
cadavres de tous les moyens propofés
jufqu'à préfent , m'ont déterminé à donner
la préférence au Biftouri caché ; &
j'ai
JUILLET. 1763 . 145
j'ai été convaincu par mes fuccès , que
cet inftrument conduit par d'habiles
mains , rend cette opération auffi füre
qu'aifée à pratiquer . Je pourrois citer
pour preuve plufieurs opérations que j'ai
faites , & qui m'ont réuffi ; mais de
crainte de rendre trop longue cette differtation
, j'en choifis une que j'ai pratiquée
en préſence de plufieurs perfonqui
ont applaudi à ma manoeuvre.
Le 15 Décembre 1762 , le Sr. Miferé
natif de St. André de la Marche , Diocéfe
d'Evreux , âgé de 64 ans , Cuifinier
de fon métier , eft entré chez moi , pour
y être délivré d'une pierre , qui depuis
12 ans lui caufoit d'exceffives douleurs.
Je lui fis pendant trois jours les préparations
ordinaires , & le 18 je l'opérai
fur les dix heures du matin , en préfence
de plufieurs de mes Confrères ; je lui
tirai une pierre pefant deux onces , de
la figure à-peu-près d'un coeur applati ;
l'inftant après l'opération , je vis avec
une furpriſe agréable couler un peu
d'urine par la voie ordinaire , qui le plus
fouvent ne reprend fon cours qu'après
quinze jours. J'abandonnai au foin de
la nature la guérifon de la plaie ; en me
contentant , de tenir comme il eft d'ufage
, les genoux du malade approchés
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
l'un de l'autre . J'ai ménagé les alimens
de peur que le Sujet étant replet, il ne fe
fit une trop grande fuppuration qui auroit
troublé le progrès de l'incarnation
& de la réunion, & je les lui ai augmenté
par degrés ; je lui ai toujours permis l'ufage
d'un peu de vin , à caufe de l'habitude
où il étoit d'en boire . Il n'a pas
eu un accès de fiévre ni le moindre accident
, & a été guéri en quatre femaines.
Il eft forti de mon infirmerie le 4 Février
bien portant & ayant recouvré toutes fes
forces. Il demeure actuellement rue S.
Honoré, chez un Marchand de vin , visà
- vis la rue dela Lingerie , & a repris les
fonctions de fon état.
On obtiendra toujours le même fuccès
dans cette opération , quand il n'y aura
à la veffie aucune complication dangereufe
, comme fuppuration , fongus
&c, ni maladie aux reins , aux uretéres ,
ni cacochimie dans le fujet , ni maladie
d'efprit ; & je fuis perfuadé que fi l'opération
faite avec l'inftrument que j'ai
adopté , a quelquefois été fuivie de fatalité
, c'eft à la feule manière d'opérer
qu'elle a dû être imputée : on peut en
effet en opérant tomber dans des fautes
légéres en apparence , & dont les conféquences
font très-graves. Si l'OpéraJUILLET.
1763. 147
teur par un défaut d'expérience où de
juſteffe , a donné trop d'étendue au tranchant
de fon inftrument ; ou fi en faifant
la fection , il donne à cet inftrument
une inclination trop oblique en baiſſant
trop le poignet , il peut ouvrir de gros
vaiffeaux dans le baffin , & donner lieu
à une hémorragie très-fouvent mortelle.
Si au contraire il lui donne une direction
trop droite , il intéreffera l'inteftin rectum
, dont la fection fera un grand inconvénient
pour la cure. Il y a plus , il
peut arriver , & peut être n'ai- je que
trop raifon de le foupçonner , que l'Opérateur
après fa première incifion faite ,
n'ait pas porté fon inftrument dans la
veffie : & par conféquent n'en ait point
dilaté le Sphincter : cette dilatation ayant
été manquée , on n'a pû y fuppléer qu'en
fe frayant de force avec le doigt une route
dans ce vifcère , en dilatant où déchirant
ce Sphincter. La veffe & les
parties environnantes ont été infailliblement
contufes par cette manovre . D'ailleurs
, cette route mal frayée n'a point
laiffé un efpace affez libre pour l'intraduction
des tenettes , qui pour y entrer
ont encore ajoûté à la contufion . Si
enfin on les y a fait entrer , elles ont
produit en fortant les mêmes effets ;
G ij
148 MERCURE
DE FRANCE .
,
& peut - être même a - t - on été obligé
de débrider la plaie fur la pierre , pour
en faciliter l'extraction
pour peu
qu'elle ait eu de volume . Il eſt aiſé de
fentir combien cette méprife peut occafionner
d'accidens , & jetter de trouble
dans l'économie animale ; ou le malade
périt ; ou , fi la bonté de fon tempérament
le fait furvivre à l'opération , il peut
lui refter fiftule au périnée ou incontinence
d'urine.
Il eft des règles fùres pour employer
fructueufement le lithotome caché, auxquelles
il faut bien fcrupuleufement s'affervir.
Le malade étant fitué , comme il
eft d'uſage , on introduira la fonde , &
on lui donnera une direction un peu
oblique du côté gauche ; il ne faudra
pas , pour fe donner plus d'aifance ,
apporter fur fa crénelure l'inftrument
qui doit faire la première incifion ; il
ne faudra pas , dis - je , en faire trop
bomber le dos en dehors vers le périnée ,
de crainte qu'il n'arrive ce que j'ai éprouvé
dans mes premières expériences.
Il y a douze à quatorze ans , qu'après
avoir fait l'opération fur un cadavre ,
j'ouvris le baffin pour me rendre compte
de ma manoeuvre ; je trouvai bien la
veffie ouverte , mais la feconde incifion
JUILLET. 1763. 149
étoit par- deffous le col , & ce col étoit
dans fon entier. Je foupçonnai qu'en
portant trop en dehors la courbure de
ma fonde , j'avois fait fortir de la veffie
ſon extrémité , & qu'enfuite ayant gliffé
le lithotome fur fa crénelure, j'avois pouf
fé l'un & l'autre avec force en baiffant le
poignet , & que j'avois crevé la veffie
au-deffous de fon col . Je fus convaincu
du fait par plufieurs expériences qui fuivirent
de près celle - ci , dans lefquelles
ayant eu l'attention de tenir ma fonde
bien ferme fans la déplacer , ce même
accident ne m'arriva plus.
On placera donc la fonde , comme
je l'ai dit ci -deffus , & on la maintiendra
ftable' , fans la déranger , pendant tout
le temps de l'opération ; on incifera enfuite
fur la crénelure , & on commencera
cette première incifion vis - à-vis
l'arcade du pubis , en la terminant obliquement
vers l'os if hium , en tenant
toujours la fonde ferme de la main
gauche. Il est très - effentiel , pour fe
donner plus d'aifance , & introduire.
l'inftrument caché dans la veffie , de
découvrir dans la première incifion la
crénelure de la fonde , d'un pouce , &
même quelquefois plus , à proportion
de la grandeur des fujets ; on portera
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
enfuite l'extrémité de cet inftrument
fur la crénelure de la fonde , & lorfqu'on
fera parvenu à l'avoir fait paffer
par-deffous l'arcade du pubis , on bailfera
un peu les deux mains pour faire
entrer l'inftrument & la fonde profon
dément dans la veffie ; on baiffera la
fonde du côté droit du ventre pour la
débarraffer d'avec l'inftrument , & on la
retirera la facilité qu'on aura alors à
le mouvoir , affurera qu'il eft bien dans
la veffie ; on appuiera ferme le dos de
cet inftrument fous l'arcade qui doit
fervir de point d'appui pour faire la
feconde incifion , que l'on fera exactement
parallèle à la première , en écartant
la lame de cet inftrument , fuivant
l'étendue qu'on aura jugé à propos de
lui donner , & le retirant fans quitter la
voûte de l'os pubis , qui doit toujours
fervir de bouffole . Si on a donné au
tranchant une étendue bien proportionnée
à la grandeur du fujet , & au volume
de la pierre , fon action fe paffera feulement
fur le col de la veffie & le muſcle
tranfverfe ; les gros vaiffeaux du baſſin
& le rectum feront épargnés, & l'extraction
de la pierre fera facile.
Je penfe que la defcription que je
viens de faire de la manoeuvre qu'il faut
I
151
JUILLET
. 1763 .
tenir en faisant l'opération avec le litho
tome caché , perfuadera que cette méhode
est très-füre & en même temps
fort aifée , pourvû qu'on foit attentifà
n'en rien omettre , parce que je fuis
perfuadé que l'inftrument le mieux raifonné
exige encore dans l'application
une conduite exacte , pouvant avoir des
fuites très - fàcheufes fi on s'écarte du
point de préciſion recommandé. Je n'ai
en vue , en rendant compte des raifons
qui m'ont déterminé à donner la préférence
à cet inftrument , que le bien public
, qui a toujours été le but & le feul
objet de mes travaux ; & je protefte qu'il
n'eft entré dans mon projet ni prétention
, ni adulation , ni envie de choquer
perfonne , mais fimplement , je le
répété , le bien public , & le progrès
de la Chirurgie..
Par DEJEAN , Maître en Chirurgie de Paris .
1
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ARTS AGRÉABLE S.
1
PEINTURE.
LETTRE d'une nouvelle Société , à
M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure de France.
MONSIEUR ,
Nous fommes fept qui cultivons
chacun par goût ou par état , une fcience
particulière nous nous réuniffons une
fois la femaine , autant par amitié que
pour notre inftruction mutuelle . Si l'un
de nous a fait quelque obfervation qu'il
eftime digne d'être communiquée aux
autres , elle eft foumife à un examen
rigoureux : il eft dans nos conventions
que nos jugemens feront auffi févères
qu'il fe pourra , & le premier article de
nos Statuts volontaires , eft de ne nous
faire aucune grace ; la vérité qui dicte
nos décifions fur notre manière réciproque
de penfer , refferre les liens de
l'amitié qui nous lie . Pleins d'eftime
pour tout le monde , nous ne fommes
retenus que fur le compte d'autrui .
JUILLET. 1763. 153
Nous nous appliquons particulièrement,
Monfieur , à comparer les opinions contraires
qui s'élèvent fur certains objets.
Votre Journal eft le théâtre de plufieurs
controverfes dans les Sciences & dans
les Arts , & nous tâchons d'en profiter.
Nous pefons les raifons avancées
de part & d'autre ; autant que nos connoiffances
le permettent , nous apprécions
les chofes , & cherchons à les
réduire à leur jufte valeur nous ne
précipitons pas nos jugemens : on agite
long - temps les réflexions ; on change
d'avis autant qu'on le juge à propos.
Nous ne mettons aucune forte d'amourpropre
à perfifter dans une première
opinion , & jamais nous ne croyons
qu'aucune difficulté foit réfoute , que
l'Auteur qui l'avoit fait naître , n'avoue
pofitivement & nettement qu'il eft revenu
au fentiment de fon adverfaire.
S'il ne l'adopte qu'avec quelques modifications,
il faut que celles - ci fubiffent
un nouvel examen , & qu'il ne refte
aucun partage d'avis ; l'unanimité eſt le
but auquel nous afpirons. Nous croyons
avoir travaillé affez utilement en ce
genre fur diverfes matières , pour prétendre
à une qualification ; en conféquence
, nous nous fommes donné le
7
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
titre de Société des Conciliateurs. Nous
n'offrons notre médiation à perfonne ;
car nous n'avons aucune autorité dans
la république des Lettres , pour qu'on
défére à notre fentiment . Les écrits qui
fe produisent dans les démêlés qui furviennent
entre, gens qui penfent différemment
, nous ont toûjours paru un
peu femblables aux Mémoires refpectifs
des Parties adverfes dans une affaire de
procédure ; ils couvrent fouvent l'état de
la queftion , & fervent à perpétuer les
conteftations jufqu'au jugement du procès
, dont quelquefois aucun des Plaideurs
n'eft content. Loin d'approuver
les querelles littéraires , nous cherchons
quels font les moyens qui auroient pû
les prévenir, ou les abréger, notre principale
etude eft de prononcer fur les
voies d'accommodement. Jufqu'à préfent
nos travaux ont été concentrés dans
la Société particulière ; nous rifquons de
vous en préfenter un effai. Si vous
croyez , Monfieur , qu'il n'y ait aucun
inconvénient à le rendre public , nous
vous prions de lui donner une place dans
un de vos prochains Mercures , & nous
nous ferons une loi de ne rien publier
que par votre entremife & fous vos
aufpices.
JUILLET. 1763 . 155
REMARQUES de la Société des CONCILIATEURS
, fur les Tableaux en
jeu d'Optique.
Il a paru dans un des premiers Mercures
de cette année une explication du
Tableau allégorique des Vertus, formant
le portrait du Roi , peint par M. Amédée
Vanloo : on eft redevable de cette defcription
à M. de la Lande, Membre de
l'Académie Royale des Sciences dans la
Claffe d'Aftronomie. Son jugement fur
la difficulté de repréfenter différentes
figures , de manière qu'en les regardant
par le moyen d'un verre , on voie une
feule & unique figure , qui n'a aucun
rapport avec celles qu'on voit à l'oeil
nud fur le tableau ; fon jugement , dis-je,
fur cette magie naturelle , n'a pas été
adoptée par un Anonyme , dans une
Lettre adreffée à MM. de la Société
des Amateurs , & inférée dans le Mercure
d'Avril , premier volume, page 157 .
Nous avons pefé les raifons de ce dernier
écrit , & elles nous ont paru trèsfolides.
Sur cela , l'un de nous a affuré
que le phénomène d'optique qui a fait
l'admiration des perfonnes qui ne font
point verfées dans ces fortes de matières
, eft décrit dans la phyfique de
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
S'gravefande un autre a dit qu'il exiſtoit
à Paris plufieurs tableaux de ce genre ;
qu'on en voyoit un dans la Bibliothéque
de MM. de l'Oratoire , qui repréfentoit
les douze Apôtres ; & qu'en le regar
dant avec la lunette garnie du verre à
facettes , tous ces objets difparoiffoient
pour laiffer voir la feule figure de
Jefus - Chrift , qui n'eft pas dans le tableau
.
A l'affemblée fuivante , un de nos
Collégues a rapporté qu'il avoit été la
furveille à la Bibliotheque de Sainte
Géneviéve , & qu'on lui avoit fait voir
dans un des Cabinets adjacens , trois
tableaux affez anciens , & qui ont toujours
été connus dans ce riche Cabinet
fous le nom de Jeux d'optique. L'un
eft formé de plufieurs petits portraits
en médaillons , repréfentans diverfes
dignités par les attributs convenables ;
on y voit un Pape , un Empereur, un
Cardinal , un Evêque , un Moine , un
Prêtre , un Magiftrat , un Guerrier , des
femmes de différens ordres , avec cette
légende latine ... Statutum eft omnibus
hominibus femel mori. On fent affez ce
que cette infcription annonce : en regardant
par la lunette , on n'aperçoit qu'une
tête de mort. Dans l'examen de cette
JUILLET. 1763. 157
efpéce de preſtige , on voit que ce font
différentes parties de tête de mort difperfées
dans les intervalles des portraits,
qui font réunies par les différentes facettes
du verre en un feul point , &
que toutes les têtes vivantes n'entrent
pour rien dans la tête décharnée . Le
même verre fert à un fecond tableau
dont le centre eft comme un foleil lumineux
, & fur les nuages qui l'entourent
font portés des Anges vêtus comme
l'on a coutume de les peindre , & qui
font tous occupés à jouer de quelque
inftrument : l'un tient une lyre , l'autre
un violon , l'autre une guitarre , & c.
Tout cela difparoît en regardant par le
verre à facettes , & l'on voit au centre
un Enfant Jéfus affis , femblable à ces
Anges , mais qui n'eft point aîlé , & qui
ne tient aucun inftrument.
Un autre tableau du même Cabinet
eft chargé de différens portraits connus ;
celui du grand Roi Henri IV, celui de
Louis XIII , de plufieurs Reines &
Princeffes , & de différens Saints , forment
un affemblage confus & affez mal
difpofé. On regarde par le verre approprié
à ce tableau , on voit une Sainte-
Vierge qui tient entre fes bras l'Enfant
Jéfus. On anatomife , s'il eft permis de
158 MERCURE DE FRANCE.
s'exprimer ainfi , cette figure illufoire ;
car on voit que c'eft la tête d'une Reine
qui eft rapportée toute entiere par une
des facettes du verre , pour être apperçue
au haut de la repréfentation magique
; que fon bras eft pris d'une autre
figure , & l'Enfant Jéfus , d'une figure
d'enfant qui eft dans un point du tableau
fort éloigné de celles qui concourrent
à former la Sainte Vierge tout le
reſte du tableau ne fert point à l'effet ;
& il eft auffi indifférent que le portrait
d'Henri IV foit dans un des coins du
tableau que toute autre chofe. Les
points néceffaires étant donnés , tout
le refte n'eft que rempliffage. Il eft donc
évident , comme l'a dit l'Anonyme , que
le tableau allégorique des vertus formant
le portrait du Roi , a été fait fuivant
des régles certaines , & que fa difpofition
avoit été mefurée à la régle & au
compas. L'Auteur n'avoit fait que prèffentir
la maniere dont le tableau allégorique
avoit été compofé , & nous en
donnons des preuves de fait qui n'ôtent
rien à M. Vanloo du mérite de fon
heureufe idée , & de fon habileté dans
l'exécution de ce tableau. On ne s'eft mépris
que fur l'explication phyfique du
phénomène , opéré par un art qu'on a
JUILLET. 1763 . 159
cru nouveau , & qui ne l'eft pas. Nos
recherches concilient donc toutes les
idées avec les faits qui les confirment.
GRAVURE.
Avis fur le Recueil d'Eftampes gravées
d'après les plus beaux Tableaux
& Deffeins des principaux Peintres
des Ecoles Romaine & Vénitienne
qui font en France , dans le Cabinet
du ROI; dans celui de Mgr le Duc
d'Orléans , & dans d'autres Cabinets ,
par les foins de M. Crozat ; avec un
abrégé de la Vie des Peintres , & une
Defcription hiftorique de chaque Tableau.
En deux grands volumes in-fol.
forme d'Atlas.
LESES Connoiffeurs de l'Art de la Gravure
fçavent affez les dépenfes immenfes
qu'a faites M. Crozat , pour former
& faire graver cet Ouvrage , que
tout autre que lui n'auroit ofé entreprendre
; c'eft pourquoi on fe difpenfera
d'en faire ici l'éloge , & d'entrer dans
aucun détail relatif à l'objet,
160 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur Bafan , Graveur à Paris ;
aujourd'hui poffeffeur des Planches qui
compofent ledit Recueil , donne avis
que dans quelques mois il pourra livrer
au-Public des Exemplaires de ce Recueil
qui depuis plufieurs années étoit devenu
fort rare : il met tous fes foins , & ne
ménage rien , tant pour la beauté du
papier , que pour l'impreffion ; auffi
efpére-t-il que fon Edition fera recherchée
des Curieux .
Dans le nombre des grands Cabinets
qui font en Europe , on ne craint point
d'affurer que celui du Roi mérite à cet
égard une forte de préférence. François
I. en eft regardé comme le Fondateur.
Ce Prince magnifique enrichit la France
de quantité de Tableaux du premier
ordre ; ce fut lui qui fit faire à Raphaël
ces deux Tableaux inimitables , le Saint
Michel & la Sainte Famille , que l'on
voit à Versailles. Ce Cabinet étoit déja
devenu l'objet de l'admiration générale ,
lorfque M. Colbert qui ne refpiroit que
la gloire de fon Prince & l'utilité publique
, entreprit de le faire connoître par
le moyen des Eftampes. Il fit diftribuer
des Tableaux aux plus excellens Graveurs
; mais la mort de ce Miniftre interrompit
ce beau projet ; il ne parut
JUILLET. 1763 . 161
alors que trente-fix Eftampes , lefquelles
forment le volume des Tableaux gravés
dont les planches font dans le Cabinet
du Roi ; il y avoit lieu de craindre qu'on
n'en demeurât là fi M. Crozat animé
du même zéle , n'avoit repris la même.
idée .
,
Son premier volume commence par
deux Eftampes fingulières , ce font deux
Peintures antiques que M. Crozat fit
deffiner dans Rome , afin qu'on pût
avoir une idée de la façon dont les Anciens
ordonnoient leurs Tableaux ; on
trouve enfuite tous les Tableaux de Raphaël
qu'on conferve en France , & qui
font en affez grand nombre ; ceux- ci
font fuivis des productions de Jules Romain
, & des autres Elèves de Raphaël ;
& faifant ainfi paffer en revue tous les
Peintres qui ont illuftré l'Ecole Romaine
, le Recueil eft terminé par les Ouvrages
de Carle Maratte , & par ceux des
Artiftes qui dans ces derniers temps ont
occupé dans Rome les premières places.
Toutes ces Eftampes font précédées
par des Deſcriptions , & par un Abrégé
de la vie des Maîtres , éxact & fouvent
accompagné d'Anecdotes curieufes
qu'on ne rencontre point dans les autres
Livres qui traitent de la Peinture .
162 MERCURE DE FRANCE .
- Le fecond volume contient les Ef
tampes gravées d'après les Tableaux ou
les Deffeins des Peintres de l'Ecole Vénitienne
ou de Lombardie , comme le
Georgion , le Titien , P. Veronèse , &
autres Maîtres auffi illuftres , dont les
compofitions font riches & agréables ,
& qui jufqu'alors n'avoient point encore
été gravées.
Le premier volume , ( c'est-à- dire , la
partie des Estampes , qui commence
avec l'Ecole Romaine jufqu'au Mucian, )
eft compofé de quatre- vingt- dix Piéces ;
le refte de cette Ecole & de l'Ecole Vénitienne
confiſtant en quatre-vingt-douze
Piéces , forme le fecond volume.
Le fieur Bafan vient auffi d'acquérir
toures les Planches qui compofent le volume
connu fous le nom duCabinet d'Aguilles
, compofé de cent dix-huit Eftampes
gravées par Coelmans & autres , d'après
les Tableaux des plus célébres Peintres
Italiens , Flamands & François ,
qui compofoient le Cabinet de M. Boyer
d'Aguilles , Confeiller au Parlement de
Provence ; il fait auffi imprimer , avec
tout le foin poffible , ce Recueil , & il
efpére dans quelques mois pouvoir procurer
au Public des Exemplaires de ce
volume qui , depuis plufieurs années ,
étoit auffi devenu rare.
JUILLET. 1763. 163
Comme depuis plufieurs années ledit
fieur Bafan a gravé ou fait graver beaucoup
de Planches , il vient d'en former
deux volumes qu'il a fait imprimer
avec beaucoup de foin , fur le papier
de grand Aigle fin .
Le premier volume contient cent Eftampes
gravées d'après des Tableaux des
meilleurs Maîtres Flamands & François,
tirés des plus cèlebres Cabinets de Paris ,
& qui repréfentent tous des Sujets &
des Payfages fort agréables .
Le fecond volume compofé de cent
cinquante autres Eftampes , n'eft pas
moins intéreffant. On y voit , comme
dans le premier , divers morceaux agréa
bles , pris d'après les Ouvrages des plus
excellens Peintres des Ecoles Flamande
& Françoife, & quelques Sujets auffi qu'à
fourni l'Ecole Italienne , & qui par la
compofition font d'un goût exquis.
A la tête de chaque volume , il y a
une Deſcription de chacun des Sujets
qui le compofe ; les deux volumes fe
vendent féparément l'un de l'autre , au
gré des Amateurs.
PRIX des Volumes annoncés ci -deus .
Les deux volumes du Crozat , compofés
de cent quatre-vingt deux Eftam164
MERCURE DE FRANCE .
pes , imprimées fur le papier fin de Co.
lombier , fe vendent en feuilles , dans
deux Porte-feuilles fait exprès , la fomme
de cent quarante livres.
Les mêmes Eftampes imprimées fur
le papier de grand Aigle , dans deux
Porte-feuilles faits exprès , fe vendront
cent foixante - dix livres .
Les cent dix- huit Eftampes qui compofent
le Cabinet d'Aguilles , ſe vendront
en feuilles , dans un Porte -feuille
fait exprès , foixante- douze livres
& quatre-vingt-dix livres imprimées fur
le grand Aigle fin .
Les deux volumes qui compofent
l'Euvre du fieur Bafan , fe vendront ,
en feuilles , cent vingt livres chacun .
>
On trouvera chez le fieur Bafan
Graveur à Paris , demeurant dans le
quartier S. Jacques , des Exemplaires
defdits volumes reliés ou brochés ;
Ainfi que chez les principaux Libraires
& Marchands d'Eftampes de toutes
les grandes Villes de l'Europe.
On trouve auffi chez ledit fieurBafan
un affortiment général de toutes fortes
d'Estampes Etrangères & Françoifes ,
tant anciennes que modernes , & des
Deffeins de tous les Maîtres.
JUILLET. 1763. 165
7.ON TROUVE chez le fieur Ouvrier,
Graveur d'Estampes intitulées l'une l'EcolHollandoife,
l'autre l'Ecole Flamande,
d'après les Tableaux originaux de M.
T. Eiſen le Père. Ces deux morceaux
qui nous paroiffent auffi agréables que
bien exécutés , fe vendent chez l'Auteur
, Place Maubert , maifon du fieur
Bellot , Bonnetier , au Soleil d'or. Chaque
Eftampe fe vend 3 liv.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SPECTACLES DE LA COUR .
A CHOISY.
ONNa donné dans la Salle du Château
de Choify , divers Spectacles , en
préſence de Leurs Majeftés . Le premier
( le 13 Juin ) étoit Ifmene & Ifménias
ou la Fête de Jupiter , Opéra en trois
Actes , compofé exprès pour fervir aux
Divertiffemens de la Cour. Le fujet de
cet Opéra eft tiré des Amours d'Ifmene
& d'Ifménias . Ce qu'on a emprunté
de ce Roman , fe réduit à l'é166
MERCURE DE FRANCE.
poque de la Fête de Jupiter célébrée
par les Peuples d'Euricome. Ils affembloient
tous les ans dans le Temple de
ce Dieu tous les jeunes Garçons de
leur Ville , qui n'avoient point encore aimé
; on en choififfoit au fort parmi eux
pour aller annoncer le jour de la Fête
aux villes voilines. Le fort étoit regardé
comme la voix du Ciel , c'eft ce
qui fait nommer dans l'Opéra Ifménias,
l'Envoyé des Dieux. Il falloit que ces
Envoyés revinffent indifférens comme
ils étoient partis ;, fi quelqu'un manquoit
à ce devoir éffentiel de fon emploi , un
châtiment févère attendoit le Prévaricateur
à fon retour. Ifmènias choifi pour
célébrer cette fête Ifméne chargée
de le recevoir & de lui rendre les honneurs
au nom du Peuple & l'amour
mutuel de l'un & de l'autre , font les
incidens que le Poëte a faifis comme les
plus propres à conferver l'unité de lieu.
dans fon Sujet.
,
La Scène eft à Euricome.
JUILLET. 1763. 167
ANALYSE d'IS MENE &
d'ISMENIAS , Opéra.
PERSONNAGES.
(a ) AZARIS , Roi d'Euricome ,
ACTEURS.
le Sr Gelin.
ISMÉNIAS , Envoyé des Dieux , le Sr Jéliote.
THEMISTHÉE , Père d'Ifménias
& grand Sacrificateur , le Sr Larrivée.
ISMENE , Princeffe d'Euricome, la Dlle Arnoud.
La PRETRESSE du Temple
de l'Indifférence ,
L'AMOUR ,
UN BERGER ,
}
la Dlle Dubois L.
Le Sr Dubut.
CHOEURS de divers Peuples , de Sacrificateurs ,
de Prêtres , de Prêtreffes , de Nymphes , ' de
Plaifirs , d'Ombres , &c .
Dans le premier Acte le Théâtre repréfente
le Palais des Miniftres de Jupiter
à Euricome.
•
(a )Pour refferrer l'action dans les bornes de la
Fête de Jupiter & mettre Ifménias dans la néceffité
de perdre Ifméne ou de lui faire ſon aveu
l'Auteur lui a donné ce Roi pour rival , quoiqu'il
n'en foit pas mention dans le Roman. Il a
penfé auffi devoir fubftituer au Perfonnage de
Crathiftène ami d'Ifménias celui de fon Père
Themifthée , comme plus intérellé à veiller fur
la gloire de fon fils & pluséclairé fur les périls.
168 MERCURE DE FRANCE.
SMÉNIAS promet à Thémifthée fon
père , qui le félicite fur les honneurs.
qu'il va recevòir , d'être fidéle à fes
fermens & de triompher quoiqu'en gémiffant,
des efforts de l'amour. Themifthée
apprend à fon fils qu'Azaris , Roi d'Euricome
, va nommer une Reine , &
que cette cérémonie l'appelle au Temple.
Ifménias refté feul , fe rappelle
l'amour qu'Ifmène lui avoit infpiré ; il
fent que fon retour rallume en lui des
feux que l'abfence , plutôt que le devoir
, avoit affoupis . Il attend Ifmène ,
il s'excite à retenir au moins dans le
fecret de fon coeur un amour que les
circonftances rendroient criminel. Ifmène
vient à la tête de la jeuneffe d'Euricome
rendre hommage à Ifménias .
La fuite d'Ifmène étant retirée , vous,
femblez, dit - elle alors à Ifménias , peu
fenfible aux honneurs que vous rend un
Peuple qui vous aime. Ifménias commence
à s'expliquer ainfi fur fa fituation
avec Ifmène.
» Rien n'eft égal à ma gloire fuprême :
›› Couronné dans ce jour des mains de la Beauté ,
» L'excès de ma félicité
» Séduiroit Jupiter lui-même.
» Mais
JUILLET. 1763 .
169
» Mais quand il faut toujours longer
A ſe garder , à fe défendre
Du plaifir trop fateur que le coeur peut y
» prendre ,
» La gloire cft bien près du danger.
Ifmène feint de croire que l'amour
voudroit en vain foumettre Ifménias ,
celui-ci craignant de la laiffer dans cette
erreur , & craignant en même -temps
de fe trop déclarer , répond :
Epris d'un zéle téméraire ,
Je jurai d'échapper à fon enchantement.
>> Le croiriez-vous ? chaque moment m'éclairè
» Sur l'imprudence du ferment.
7
Cette Scène eft interrompue par les
Peuples qui viennent annoncer à Ifmène
qu'elle eft choifie pour Reine. Elle fe
défend de répondre à d'autres qu'au Roi
fur cette proclamation , & pendant cette
fête , plongée dans une profonde rêverie
ainfi qu'Ifménias , l'un & l'autre
s'obfervent mutuellement. Azaris ( le
Roi ) arrive. Lui-même invite fes Peuples
à reconnoître Ifmène pour leur Souveraine
, en faisant l'éloge de la Beauté
qu'il termine par ces jolis vers.
I.
Voi
H
170 MERCURE DE FRANCE.
» De l'Univers quand on fit le partage
» L'Amour n'eut point d'Empire limité
» Il ne voulut pour appanage
» Que la Beauté .
Ifmène rejette modeftement l'offre
du Trône & demande qu'il lui foit permis
de fe confacrer à l'Indifférence .Azaris
la fuit en fe promettant de perfifter
dans fes tendres projets. Ifménias inquiet
, interroge fon père fur le fuccès
de cet événement ; la gloire de préfider
à l'union du Roi avec Ifmène loin de
flater fon coeur le déchire,& lui arrache
l'aveu de fon amour c'eft-à-dire en
ce moment , d'un crime que lui-même
regarde avec éffroi. Il implore la fagefle
& les confeils de fon père , qui de fon
côté fait tous fes éfforts pour ranimer
fon courage. Ce qui donne lieu à des
Duo croifés qui terminent cet A&te.
Au 2 Ace , le Théâtre repréſente
des bois confaerés à Diane fous le titre
de Déeffe de l'Indifférence . On voit
dans le fond le Temple de cette Déeffe .
Les Prêtreffes chantent les avantages
de l'Indifférence. Ifmène vient pour
entrer dans ce Temple , la grande Prêtreffe
l'exhorte à mériter par un prompt
facrifice les . faveurs , de la Déeffe &
JUILLET. 1763. 171
l'introduit dans le Temple. Ifménias
vient auffi de fon côté chercher la paix
du coeur dans cet afyle. Le Temple
s'ouvre & lui laiffe voir Ifmène prête à
y prononcer fes voeux , au milieu des
Prêtreffes qui tiennent le voile qu'elles
lui deftinent . Ifménias & elle font troublés.
La Prêtreffe cherche à raffurer
Ifmène fur le fecours que celle - ci n'efpére
& même ne defire déja plus . Elle
évoque les ombres des Amans malheureux
pour retracer les images des maux
que produit l'Amour ; ce qui donne
lieu à un très-beau Ballet figuré , pour
lequel le Théâtre change & repréfente
une Place publique de la Ville de Corinthe.
Ce Ballet peint la cataſtrophe
tragique des nôces de l'infortunée Créi
fe avec Jafon ; la Jaloufie , le Défefpoir
& la Vengeance y font perfonifiés
& conduifent toute l'action par laquelle
Médée empoifonne le don fatal qui doit
donner la mort à Créife ; après quoi
elle vient fur fon char jouir de fa vengeance
, & pour la combler , jette à Jafon
le poignard dont elle vient d'égorger
fes enfans. Le Défefpoir s'empare de
ce malheureux Prince , tandis que les
Miniftres infernaux des fureurs de Médée
enflamment & détruifent le Palais
de Créon. Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
Dans ce Ballet , qui doit être regardé
comme une épiſode Pantomime liée au
Sujet , Médée étoit repréſentée par la
Dlle LYONOIS ; Jafon par le fieur
VESTRIS ; Créüfe par la Dlle VEStris ;
la Jaloufie par la Dlle ALLAR D ; la
Vengeance par- la Dlle PESLIN ; le Défefpoir
par le Sr LAVAL . Les autres
Perfonnages des Entrées générales par
les Danfeurs & Danfeufes du Corps de
Ballets du Roi & de l'Académie Royale
de Mufique. Après que le Choeur des
Ombres malheureufes a exhorté les mortels
à brifer les chaînes de l'Amour ,
tous ces objets funeftes difparoiffent ,
& l'on fe retrouve devant le Temple de
Diane , dont la Prêtreffe , infpirée, rend
un double Oracle qui met Ifmène &
Ifménias dans une fituation encore plus
embarraffante qu'auparavant. S'adreffant
à Ifménias.
•
- Ifménias , à l'amour le plus tendre
» Vainement dans ces lieux on voudroit t'arra-
>> cher ;
» Ifmène feule peut te rendre , .
» Le calme heureux que tú viens y chercher.
à Ifmène.
»De ce coeur agité combattez la tendreſſe ;
JUILLET. 1763. 173
Peignez-lui lestourmens de l'empire amoureux,
» C'eft l'épreuve que la Déeſſe
»Attend pour recevoir vos voeux.
Après cet Oracle prononcé , la Prêtreffe
fe retire dans le Temple. Ifméne
& Ifménias étonnés de cet Oracle en fe
confultant l'un l'autre , fe déclarent involontairement
leurs feux.-
"
>>Qui croiroit ( dit Ifménias à Ifmène ) que le Ciel
→ yous choiſit en ce jour ,
» Pour m'inſpirer de l'indifférence !
Eh qui choifiroit-il pour fervir fa puiſſance
» S'il vouloit m'inſpirer l'amour !
Cet aveu entraîne celui d'Ifmène ;
mais Ifménias apprend d'elle en mêmetemps
, que preffée par les pourfuites
du Roi, Ifmene va fe confacrer à Diane ;
& pour arrêter fes progrès dangereux
& faire rentrer Ifménias dans le devoir
en lui ôtant tout efpoir , elle commence
le ferment.
›› Je jure. …………
>
Elle eft interrompue par l'arrivée du
Roi qui , par les invitations les plus ten-
H üj
174 MERCURE DE FRANCE.
dres cherche à l'arracher des Autels
de Diane. Ifmene n'en paroît que plus
affermie dans fa réfolution . Ifménias annonce
au Roi que dans ce moment les
Prétreffes vont déclarer fi Diane veut
recevoir les voeux d'Ifmène . Azaris jure
de s'immoler fur l'Autel où fe confacreroir
Ifmene. Le Temple s'ouvre. La
Prêtreffe en écarte les Prophanes , & s'adreffant
à Ifmène lui dit de la part de
la Déeffe .
» Et toi , dont l'amour eſt vainqueur ,
» Porte loin de ces lieux ton ardeur criminelle ,
» Cours au Temple où l'hymen t'appelle ;
» Dans les noeuds que tu fais va chercher ton
» bonheur.
Le Roi , trompé par cet Oracle dont
il s'applique le fens , croit être l'objet
de cet amour fecret d'Ifmène . Sans
lui donner le temps de s'expliquer il
la preffe de venir aux Autels célébrer
l'hymen qu'il propofe , & charge Ifménias
d'en recevoir le ferment. Ifménias
termine cet Acte par la prière qu'il
adreffe à Jupiter.
Epargne-moi , Maître des Immortels ,
La foudre gronde fur ma tête.
JUILLET 1763.
175
Le troifiéme A&te fe paffe dans le Temple
de Jupiter. Ifmène y vient déplorer le
fort qui menace Ifménias & l'horreur
de leur mutuelle fituation . Themiftée
veut en vain faire croire à Ifménias que
la Princeffe le facrifie volontairement à
l'éclat du Thrône , il eft perfuadé qu'elle
ne fe facrifie qu'à la confervation de fes
jours , mais fa tendreffe s'en irrite ...
"
>> C'eft une barbarie ( dit-il )
» Que de vouloir me fecourir.
>> Par une telle perfidie ,
Il falloit oublier les dangers de ma vie ,
M'aimer, me leprouver en me laiffant mourir.
Tout le Peuple fe raffemble pour la
fête ; Azaris & Ifméne y paroiffent , chacun
préfente fes offrandes & fes voeux
aux Autels de Jupiter ; c'eft Ifmènias
qui préfide à cette religieufe cérémonie ;
c'eſt lui qui invite à chanter ce Dieu ,
relativement aux divers fujets repréfentés
dans de grands tableaux dont le
Temple eft orné. Après les hommages
& les prières adreffées au Dieu , le Roi
preffe Ifmène de venir ferrer les noeuds
de l'union dont il fait fon bonheur.
Ifmène , fans ofer lever les yeux fur
Ifménias , le prie d'implorer pour elle
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
les bontés du Ciel. Les Peuples lui demandent
en choeur d'achever la cérémonie
: mais Ifmène interdite , n'ofe
approcher de l'Autel ; elle y eft prefqu'entraînée
par le Roi. Dans l'inftant
qu'avec lui elle dit » fur ces Autels je
jure Ifménias ne pouvant achever
& tombant dans les bras de Thémistée
interrompt le ferment par ces vers.
» Ofez -vous bien , cruelle
» Pour former ces coupables noeuds ;
» Choifir l'Amant le plus fidéle ?
Azaris , Themifthée & Ifmène s'écrient
chacun en même-temps.
Qu'entends- je , ô Ciel !
Ifménias ne ménage plus rien , &
répond dans fon défeſpoir.
» L'aveu d'une ardeur criminelle .
ISMENEà Ifménias.
» Cruel , tu veux mourir !
ISMÉNIAS.
» Et pour une infidelle.
ISMEN E vivement.
» Je ne l'étois fauver ces jours.
que pour
AZARISà Ifmène.
» Perfide , vous ofez répondre à fes amours ?
C'est l'arrêt de fa mort.
1
JUILLET. 1763. 177
ISMENE en l'arrêtant.
» C'eſt l'arrêt de la mienne.
Malgré les inftances d'Ifmène , malgré
les prieres de Themiftée , des Sacrificateurs
enchaînent Ifménias à l'Autel ;
mais au moment qu'ils vont l'immoler
l'Amour paroît dans un nuage qui s'entrouve
& arrête la fureur des Peuples &
de's Sacrificateurs. Jupiter n'eft armé ,
leur dit- il , que pour venger l'outrage
qu'on fait à l'Amour...
.
Servir l'Amour , c'eft imiter les Dieux.
Ce Dieu unit lui - même Ifmène &
Ifménias ; & pour ne pas laiffer Azaris
malheureux , il éteint dans fon coeur la
flâme dont il brûloit , & le rend tout
entier à la gloire . Azaris invite fes Peuples
à rendre hommage à l'Amour par
leurs plaifirs. Ainfi naît la fête qui termine
cet Opéra d'une façon auffi brillante
qu'agréable.
REMARQUES.
Le Poëme eft da Sr Laujon , Secrétaire des
Commandemens de S. A. S. Mgr. le Comte de
Clermont. Nous prions cet Auteur de pardonner
à la néceffité de nous reftreindre , le tort que nous
luja faifons en fupprimant beaucoup de détails
1
་
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
heureux , répandus dans cet Ouvrage & qui
foutiennent avantageufement la réputation qu'il
s'eft déja acquife dans ce genre.
La Mufique eft d'un Anonyme , qui avoit prouvé
déja par d'autres Ouvrages qu'il eft poffible
d'atteindre à des fuccès flateurs dans un Art qu'on
n'exerce que par goût & pour fon amuſement.
Dans la mufique de cet Opéra , remplie de chofes
fçavantes & agréables , l'Auteur a fait entendre
ce que peut ajoûter au talent naturel le defir de
plaire à un Maître pour lequel le zéle redouble
à mesure qu'on a l'honneur de le fervir de plus
près.
Nous avons nommé les principaux Danfeurs qui
éxécutoient le Ballet du zme Acte , Pantomime
du grand genre , de la plus belle compoſition &
peint avec toute la vérité & l'énergie dont l'art
eft capable. Dans les autres Actes les pas diftingués
étoient éxécutés par les mêmes Danfeurs
& par les Srs Lani , Gardel , & la Dlle Guimard,
Le
lendemain 14 , les Comédiens
François repréſenterent
fur le même
Theatre le Tartuffe , Comédie en cinq
Actes & enVers de MOLIERE
. Les rôles
étoient diftribués comme elle avoit été
donnée à Paris quelques jours auparavant.
(a ) Le fieur Laujon eft Auteur de plufieur Poëmes
lyriques qui ont été repréſentés devant le
Roi, en diverfes occafions & toujours avec fuccès .
JUILLET. 1763. T 179
PERSONNAGES.
ORGON ,
DAMIS ,
ACTEURS. [
le fieur Bonneval.
le fieur Molé.
CLEANTHE , Beau-frère
d'Orgon ,
-VALERE ,
TARTUFFE ,
L'EXEMPT
LOYAL Sergent .
Le St Blainville.
Le St Bellecour,
… ་
Le Sr Auger ( alors débutant
à la Cour.
Mde PERNELLE , mèreosc
d'Orgón ,
ELMIRE , femme d'Orgon ,
MARIANE , fille d'Orgon ,
DORINE , Soubrette ,
Les Srs Dauberval &
Bouret.
La Dlle Drouin.
La Dile Préville.
La Dile Boligni,
( débutante à la
Cour.
La Dlle Luzzi, débutante.
CETTE Piécè, fut
généralement trèsbien
jouée. On ne rifque point d'éxagérer
en donnant entr'autres les plus grands
éloges à la maniere dont le rôle d'Elmire
fut rendu par la Demoifelle PREVILLE.
On connoît l'extrême délicateffe
dont eft ce rôle , furtout dans le
moment critique où le mari eft fous le
tapis. Il eft impoffible d'imaginer l'ac-
H vj
480 MERCURE DE FRANCE.
cord que cette A&trice conferve entre
la décence la plus régulière , & tout ce
qui rend cette fituation piquante à l'imagination
du Spectateur. Un naturel vrai
& toujours conforme au fens des rôles
eft à préfent le caractère diftinctif du jeu
de la Demoifelle PRÉVILLE . Dans
tout ce qu'elle repréfente , la Comédienne
s'éclipfe totalement , dn ne
voit , on n'entend plus que le perfonnage
même.
La Demoiſelle DROUIN , qui n'avoit
pas eu encore occafion de paroître à la
Cour dans des rôles importans de caractères
, a reçu des témoignages très- flateurs
fur celui de Madame Pernelle ,
qu'elle vient d'y jouer.
Le fieur AUGER , déja admis à l'effai
avec appointemens , a été aggrégé entierement
au , nombre des Comédiens
ordinafres du Roi , après fon début à
Ja Cour. Les talens & les difpofitions de
la Demoiſelle LUZZI y ont été fort goûtés
, & elle a été reçue aux appointemens
de 2000 liv. Nous aurons occafion
de parler plus amplement , dans l'ar
ticle des Spectacles de Paris , de ce qui
concerne cette jeune Débutante .
Le Tartuffe fut fuivi d'une repréfentation
de l'Oracle , Comédie en un A&te
JUILLET. 1763. 181
& en Profe du fieur SAINT- FOIX . Cette
Piéce fi connue & toujours fi juftement
applaudie fit un très- grand plaifir , & le
fuccès de la Demoifelle DOLIGNI y fut
au moins égal à celui qu'elle avoit eu
dans fon début à Paris. Nous en avons
rendu compte dans le Mercure précédent
; qu'il nous foit permis d'y renvoyer
nos Lecteurs , & de nous applaudir en
même tems des éloges que nous avons
donnés à ce jeune Sujet , puifque nous
avons eu la fatisfaction de les voir confirmer
par toute la Cour , avec autant
d'étendue qu'ils l'avoient déja été par le
Public de la Ville. Dans cette feconde
Piéce le rôle d'Alcindor ou Charmant
étoit joué par le fieur Molé , &
celui de la Fée par la Dlle DROUIN.
Le lendemain 15 , on repréſenta
Manco Tragédie , par le fieur le
.Blanc , dont la premiere repréſentation
venoit d'être donnée à Paris deux
jours auparavant. Les Acteurs qui repréfenterent
dans cette Tragédie , étoient
les fieurs BRISART , leKAIN , MOLÉ ,
BELCOUR , BLAINVILLE , PAULIN
D'AUBERVAL , DU BOIS , les Demoifelles
DU BOIS & D'ESPINAY . On
parlera de cette Piéce dans l'Article de
2
Paris.
182 MERCURE DE FRANCE .
Après la Tragédie , on donna l'Anglois
à Bordeaux , Comédie en un
Acte , en Vers libres , du fieur FAVART.
Piéce compofée à l'occafion de
la Paix , dont on avoit donné quelques
repréſentations à Paris au mois de
Mars dernier (a). Les mêmes Acteurs , y
compris la Demoiſelle Dangeville , retirée
de la Comédie , jouoient dans cette
Piéce les rôles qu'ils avoient remplis
lors de fa premiere repréſentation . Ils
ont été tous admirablement éxécutés .
Il eft inutile de dire les graces , le naturel
& la fineffe que la Demoifelle DANGEVILLE
met dans celui de la Comteffe
, & le plaifir qu'elle a fait à la Cour ,
ainfi que le fieur PREVILLE , qui fembloit
avoir encore ajouté de nouveaux
agrémens au talent avec lequel on l'avoit
vu rendre le rôle de Sud-mer à Paris.
Cette Comédie a fait autant d'honneur
à fon Auteur par les fuffrages unanimes
de la Cour , & le plaifir qu'elle y
a procuré , que par les applaudiffemens
( a ) Voyez l'Extrait de cette Piéce dans le ze
volume d'Avril & le compte que l'on y rend des
applaudiffemens avec lefquels elle fut reçue.
L'Edition de l'Anglois à Bordeaux , dédiée à
M. le Duc de Praflin , le trouve à Paris chez Duchefne
, rue S. Jacques.
JUILLET. 1763. 183
•
& l'affluence qu'elle attire au Théâtre
de Paris.
Rien ne doit auffi contribuer davantage
à l'encouragement du Théâtre
François , que la bonté avec laquelle le
Roi a daigné s'expliquer , pendant ce
voyage , fur les talens de fes Comédiens
actuels & fur la fatisfaction qu'ils
avoient eu l'honneur de lui procurer.
,
Le Jeudi 16 , il devoit y avoir une
feconde repréſentation de l'Opéra d'Ifmène
& d'Ifménias , qui avoit été redemandé
; mais l'indifpofition de la Demoiſelle
ARNOULD qui y chantoit le
principal rôle , mit obftacle à fon éxécution.
On choifit pour fuppléer à ce Spectacle
l'Acte de Vertumne & de Pomone
& celui du Devin du Village , qui
avoient été donnés cet hyver à la Cour
fur le Théâtre de Verfailles . le Ballet
Pantomime de Médée & Jafon ( b ) du
fecond Acte d'Ifmène & Ifménias fut
danfé entre ces deux Actes ; & l'on
ajouta l'Ariette du troifiéme Acte de
cet Opéra au divertiffement du Devin
du Village.
( b ) Ce Ballet ( ainfi que tous ceux des Opéra
qui s'exécutent à la Cour , eft de la compofition
des Srs Laval , père & fils , Maîtres des Ballets
de S. M.
184 MERCURE DE FRANCE.
Le zéle de chacun des Sujets qui compofoient
ce Spectacle , & qui concouroient
à toutes les parties de fon éxécution
, fuppléa au peu de temps qu'on
avoit eu pour le préparer ; & cette éxécution
, qui fut très- belle, parut fatisfaire
tous les fpectateurs .
M. le Dauphin , Madame la Dauphine,
ainfi que Meſdames de France , étoient
à Choify.
Dans l'Acte de Vertumne & Pomone ,
le fieur JELIOTE éxécutoit le rôle de
Vertumne , le fieur GELIN celui de
Pan , & la Demoiſelle le MIERRE
(épouse dufieur Larrivée ) celui de Pòmone..
Tous ces Spectacles ont été donnés
( ainfi que tous ceux de la Cour ) fous
les ordres de M. le Duc de DURAS ,
premier Gentilhomme de la Chambre
en éxercice , & conduits par M. Papillon
de la Ferté , Intendant des menus ,
plaifirs & affaires de la Chambre , & c.
L'éxécution de tout ce qui concerne
la Mufique dirigée par le fieur Rebel ,
Surintendant de la Mufique du Roi
de femeftre .
N. B. La Salle du Théâtre de Choify
a été dorée depuis l'année derniere , &
eft actuellement décorée- avec autant de
goût que de magnificence.
JUILLET. 1763. 184
SPECTACLES DE PARIS.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
CONCERTS FRANÇOIS .
O
Na repris le Vendredi 3 Juin , ! e Concert
, commençant
par l'ouverture
de Pigmalion
, & c. donné pour la premiere
fois le 6 Mai.
Le 10 , on a repris un Concert donné
le 27 Mai , commençant par l'ouverture
des Talens Lyriques , &c.
Le 10 , reprife du Concert commençant
par le Prologue de Tarfis & Zélie ,
& c. donné le 20 Mai .
Le Vendredi 24 , on a donné un Concert
nouveau qui méritoit le fuccès brillant
qu'il a eu. Il a commencé par l'Accord
des Dieux , PROLOGUE de NAïs
à l'occafion de la Paix ; différens morceaux
d'Opéra plus agréables lés uns
que les autres fuivirent ce début. Le
Concert fut terminé par des fragmens ,
dans lesquels on chanta partie du divertiffement
du troifiéme Acte d'Iffé.
Mademoiſelle CHEVALIER Y chanta
avec beaucoup de diſtinction , ainſi que
186 MERCURE DE FRANCE.
Mademoiſelle ARNOULD qui porte partout
jufques au Concert le charme du
fentiment qu'elle exprime. Mademoifelle
LARRIVÉE fit très-grand plaifir ,
dans un Roffignol , morceau du genre
qui lui eft fpécialement propre , & dans
lequel cette Cantatrice peut toujours
compter fur les fuffrages du Public .
Meffieurs GELIN , LARRIVÉE & DURAND
, chanterent auffi dans le même
Concert avec le fuccès que méritent
proportionellement leurs talens & leurs
voix .
Le zéle des Directeurs pour le choix ,
l'arrangement & l'éxécution de ces Concerts
ne s'étant point démenti juſqu'à
préfent , l'empreffement du Public a
toujours été le même ; enforte que neuf
Concerts , depuis deux mois ont produit
de recette la fomme de 28392 liv .
L'Académie - Royale de Mufique
n'ayant point actuellement de Théâtre ,
& n'ayant pû conféquemment donner ',
fuivant l'ufage,des marques de fon zéle
dans les réjouiffances publiques , par la
repréſentation gratis de fon Spectacle ;
on y a fuppléé par un très- grand concert
de fymphonie , éxécuté le 20 , ( jour de
l'inauguration de la Statue du Roi ) dans
Te jardin du Palais des Thuilleries, fur un
JUILLET. 1763 . 187
Amphithéâtre illuminé , conftruit contre
la façade du Palais.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LE Mercredi premier Juin , on a donné
la premiere repréſentation de la Manie
des Arts , ou la Matinée à la Mode ;
Comédie en un Acte en Profe , par
M. ROCHON DE CHABANNES . Cette
Piéce fut reçue avec beaucoup d'applaudiffemens
, & fon fuccès s'eft conftament
foutenu pendant dix repréſentations
, nombre auquel il a été reſtraint ,
non par la fatiété du Public , mais par les
circonftances qui ont exigé , comme on
le verra ci-après , la remife d'un Ouvrage
confacré à la réjouiffance publique.
Cette agréable Nouveauté eft un enfemble
de Scènes pittorefques fur une
manie dans nos moeurs actuelles , & qui
par conféquent ne doit pas être jugée d'après
les loix des Drames réguliers . Nous
allons tâcher d'en donner une idée aux
Lecteurs par l'analyſe ſuivante.
188 MERCURE DE FRANCE.
UNE COMTESSE Bel-efprit ,
PERSONNAGES.
FORLISE ;
Mde FORLISE , mère de
Forlife .
ACTEURS.
M. Bellecour.
Mlle Huff
Mile Dumefnit.
UN PHILOSOPHE, M. Brifat.
DU COLORIS , Peintre , - M. d'Aubeval
ALLEGRO , Muficien M. Bouret.
M. Molé
M. Auger.
DORILAS , Poëte ,
UN GASCON ,
DUMONT , Valet de Chambre
de M. Forlife
LAQUAIS , Perſonnages muets.
M. Préville,
Là Scène eft dans un Salon de M. Forlife.
MR de Forlife eft un homme de condition
, Amateur & Artiſte qui fe pique
de tout , & ne fe doute de rien . Ila un
Poëte qui fait des Vers pour lui , un Muficien
qui compofe la Mufique , un Peintre
qui barbouille en fon nom. Le fond
de cette Piéce n'eft qu'une audience du
marin . Un homme fenfé ouvre la Scène.
Ila rencontré M. Forlife dans une mai-
( a ) Cette Piéce imprimée fe vend chez Sébaftien
Jorry , Imprimeur , rue & vis - à-vis la
Comédie Françoiſe. Le prix eft de 24 fols.
JUILLET. 1763 . 189
fon , on lui a annoncé un Protecteur
des Arts , il s'eft prévenu en fa faveur ,
M. Forlife s'eft paffionné pour lui, & ces
difpofitions favorables leur ont fait fouhaiter
de lier connoiffance enſemble.
L'homme fenfé vient voir & admirer
M. de Forlife. Tout ce qu'il apperçoit
en entrant chez notre Protecteur diminue
bien de l'eftime qu'il avoit conçue
pour
lui. C'est un Protecteur Artifte . Il
voit de mauvaife Mufique fur le bureau ,
un Tableau déteftable fur le chevalet ,
des inftrumens répandus çà & là dans le
Salon , tout cela lui annonce la manie
de M. Forlife , & le caractère de fes
Protegés ; il prend le parti de les attendre
, de les examiner & d'en rire .
-
Un Peintre & un Muficien entrent.
Notre homme s'écarte & les écoute. Ils
débutent par dire du mal de M. de Forlife.
Le Philofophe s'en amufe. Ils lui
font aujourd'hui baffement leur cour
fe, difent ils entr'eux , mais patience ,
quand ils auront fait leur chemin , ils lejmeneront
comme un petit Monfieur. Le Philofophe
les interrompt pour les encourager
, ils font un peu étourdis de fon aparation
, mais il les raffure en leur difant
qu'il ne veut pas leur nuire. Il les perfifle
cruellement , il voudroit bien voir
190 MERCURE DE FRANCE.
entrer M. de Forlife , ils feroient une
bonne fcène enfemble , à ce qu'il s'imagine
, On ouvre , c'eft M. Dumont , le
Valet-de- chambre de M. de Forlife , ils
s'en étoient plaints , & ils volent au-devant
de lui . Notre homme fenfé qui ne.
croit pas cette Scène moins curieuſe à
voir que celle du Maître , s'affeoit à l'écart
& laiffe agir nos lâches. M. Dumont
les reçoit avec morgue & impudence ,
ils l'accablent de complimens , de politeffes
, de fadeurs , ils le font affeoir , &
fe tiennent debout devant lui. M. Dumont
les entretient leftement. Cependant
il est démonté par l'afpect du Philofophe
qui tranquillement affis , l'obferve & fe
moque de lui . Il veut l'entreprendre
mais il ne s'en trouve pas bien. L'homme
fenfé le fait rentrer en terre & fe
retire fans vouloir voir fon Maître .
Cette Scène déconcerte un peu M.
Dumont , qui tâche à fe remettre de fon
trouble vis - a-vis de fes Protégés : fon
Maître arrive & le tire d'embarras.
M. de Forlife entre en robe de chambre
fuivi d'un nombreux domestique .
C'est une Scène d'impertinences. Il fe
fait habiller , parle à Dumont , à fes
Protégés , fait des queftions , n'attend
pas les réponſes, joue la diftraction , l'inJUILLET.
1763. 191
folence , la fottife , & renvoie le Pein-
& le Muficien. M. Allegro lui laiffe fon
Opéra , & ille charge en s'en allant d'en
remettre les parties copiées à fes Muficiens,
il en exécutera quelque chofe s'il
a un moment à lui .
Forlife refté feul avec Dumont , ordonne
qu'on faffe entrer Dorilas s'il
fe préfente , c'eft fon Poëte. Il veut lui
montrer une Tragédie qu'il vient de
faire ; il en eft enthouſiaſmé. Il ordonne
à Dumont de le laiffer tranquille ;
fon démon le faifit , il entre en verve
il va mettre la derniere main à ce chefd'oeuvre.
Dumont lui obéït & s'amufe
à faire de petits vers.
L'arrivée de Dorilas les tire de cette
occupation . Forlife congédie Dumont
charge Dorilas du foin de corriger fa
Piéce , & vole à fon tableau qu'il veut
finir. Dorilas qui trouve la Piéce déteftable
, & qui ne veut pas fe donner la
peine de la corriger en dégoûte affez
adroitement le Marquis , en lui perfuadant
qu'il y a des idées trop fortes dans
fon ouvrage , que jamais cela ne paffera.
Forlife le croit , le remercie de la
fageffe de fes confeils , & renonce à fa
Tragédie. Il lui propofe de s'attacher à
lui , d'accepter fon Secrétariat , qui eſt
192 MERCURE DE FRANCE ,
vacant. Ils feront les plus belles chofes
du monde enfemble. M. Dorilas accepte
la propofition du Marquis qui lui
demande s'il eft Muficien , & tout de
fuite lui racle un mauvais air fur le
violon.
Une femme de qualité de fes amies
arrive fur ces entrefaites , défend à Dumont
de l'annoncer , & furprend M. le
Marquis faifant de la Mufique . Elle veut
voir ce que c'eft. Le Marquis lui dit
qu'il éxécute un air d'un Opéra de fa
façon ; la Comteffe examine , parcourt
l'Opéra , trouve une Arriette de fon
goût ; on l'engage à la chanter , elle y
confent. M. le Marquis veut l'accompagner
, mais il a une paralyfie dans fes
doigts , il n'eft pas en train , il fait entrer
fes Muficiens & la Comteffe
chante avec eux. Dumont vient annoncer
ici Madame Forlife la mère. C'eſt
une femme ſenſée & raiſonnable , tous
les vifages fe refrognent ; cependant on
fait bonne contenance . Elle entre
vient parler à fon fils en faveur d'un
homme d'un vrai mérite , l'engage à le
préfenter au Miniftre. M. de Forlife ne
lui prête qu'une légère attention , il n'a
point de crédit , il n'importune guères
le Miniftre. La Comteffe confirme le
difcours
JUILLET. 1763. 193
7
difcours de M. de Forlife ; il y a fix mois
qu'elle perfécute M. le Marquis pour
préfenter un de fes protégés qui a fait
les Vers charmans pour fa Chienne , &
M. le Marquis eft encore à faire un pas.
Madame Forlife hauffe les épaules ,
prie fon fils d'avoir égard à fa recommandation
& fort. Entre alors un Gafcon
impudent qui vient fe préfenter
pour Secrétaire ; il fait les honneurs de
fa perfonne , & détaille tout fon petit
mérite dans un petit Placet qu'il a fait
en petits Vers ; on l'écoute : il le chante
, on eft enchanté , il le danſe , on n'y
peut plus tenir ; on oublie Dorilas , &
on lui donne fa place. Cependant Dumont
entre avec une lettre de Valere ;
c'eſt un Auteur comique de fa connoiffance
qui lui a lu , pour fe moquer de
lui fans doute , quelques Scènes épifodiques
d'une Comédie intitulée la Matinée
à la mode , & qui lui envoye demander
un dénouement. M. Dumont
toujours habilè en expédiens , dit que
l'Auteur n'a qu'à envoyer dîner fes
Acteurs , que c'eſt là le dénouement
d'une matinée. On convient qu'il a raifon
, M. de Forlife le prie de les envoyer
auffi dîner , il dit qu'on a ſervi ;
le Marquis donne la main à la Com-.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
teffe , engage Dorilas & le Gafcon à
diner . Le Gafcon accepte , & Dorilas
fe retire en renoncant pour jamais aux
Grands & à leur matinée.
Nous voudrions , pour le plaifir des
Lecteurs & pour rendre juftice aux talens
de l'Auteur , que les bornes de nos
Extraits nous permiffent de rapporter
ici tous les détails fpirituels , philofophiques
& agréablement écrits
dont cette Piéce eft remplie . Nous nous
contenterons de tranfcrire , trois Scènes
priſes indiftin&tement , pour donner une
idée du Dialogue de la Piéce à ceux qui
ne pourroient s'en procurer la lecture.
Scènes pour donner une idée du
Dialogue.
L'Auteur introduit fur la Scène deux protégés
de M. For life , qui difcourent enfemble , pendant
qu'un homme raifonnable & tiré dans un coin ,
les obferve & les écoute .
UN PHILOSOPHE. Mrs DU COLORIS
& ALLEGRO .
ALLEGRO .
Si c'eft du bel air que de fe faire attendre ,
il faut convenir que M. Forlife attrape mieux
cer air- là que perſonne.
DU COLORIS .
Il ne fait pas apparemment , que le temps
JUILLET. 1763. 195
qu'un Grand fait perdre à l'attendre , eft toujours
employé à parler mal de lui ,
Bon.
LE PHILOSOPHE à part.
D. C ,
Je ne connois rien de plus ridicule que ce perfonnage.
A. L.
D. C.
Dites de plus impudent.
Il a la manie de tout fçavoir , & ne fçait -
rien .
A L.
Il veut être Artifte , Muficien , & nous le fommes
pour lui..
LE PHIL. à part.
Voilà deux Lâches qui font le portrait d'un Sot .
A L.
Et avec tout cela il ne nous ménage pas.
D. C.
Il nous traite avec orgueil , avec mépris .
Patience que j'aie fait mon chemin .
AL.
Que je me voye au- deſſus de mes affaires
D. C.
Comme je vous le méne ce petit Monfieur .
196 MERCURE DE FRANCE .
A L.
Comme je lui fais changer de ton. Je ne veux
plus qu'on me parle Mufique.
D. C.
Ni moi , Peinture.
A L.
Je me refufe aux empreffemens des Sots.
D. C.
On me retient à dîner trois mois d'avance ,
& je manque.
A L.
Moi j'y vais ; mais c'eft pour boire , manger ,
& ne dire mot ; fi je chante , ce n'eft que par
contradiction .
LE PHILOSOPHE les abordant.
bravo ! mes bons amis, bravo , rampans d'abord,
impertinens après ; c'eft dans l'ordre , voilà le
caractère des gens médiocres.
Scène du Protecteur. Son entrée.
FORLISE fuivi d'un nombreux Domestique .
ALLEGRO, DUCOLORIS. DUMONT ,
fon Valet de chambre.
FORLISE.
lui donnant un rouleau
de papier.
Mille pardons , Meffieurs , mille pardons, ..
tenez M. Dumont.
DUMONT.
Malpefte ! c'eft la Tragédie.
JUILLET. 1763. 197
FORLISE.
Point de curiofité M. Dumont ; mettez tout
cela fur mon bureau qu'on m'habille ....
à Dumont.
Vous permettez ....
à propos , as- tu porté ce
Livre chez la Ducheffe ?
DUMONT.
Oui. Je lui ai dit qu'il étoit d'un de vos Amis ,
qu'il falloit qu'elle le trouvât bon.
A merveille .
FORLISE.
DUMONT.
Elle m'a remis celui- ci , qu'il faut que vous
trouviez mauvais.
FORLISE.
C'eft jufte...eh bien, mon cher M. Ducoloris ,
que dites-vous de notre Tableau ?
remarqué ? ...
D. C.
Des changemens confidérables .
FORLISE.
... avez-vous
Dont vous êtes content fans doute
D. C.
Mais oui , l'on ne peur nier
FORLISE .
.....
Dumont , je fors à trois heures , ayez foin d'en
prévenir mon Cocher .....
DUMONT.
Mais M. le Marquis , vous ne fçauriez fortir.
FORLISE.
Comment : ... mon habit ... vous ne finiffez
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
...
pas entre nous ce que vous faites , mon cher
Ducoloris ce Tableau avoit grand befoin
d'être retouché ... je ne fçaurois fortir, M. Dumont
... ma montre ... apportez- vous notre
Opéra , mon cher Allegro ?
Le voici.
ALLEGRO.
FORLISE.
Qu'est - ce qui me retient donc , M: Damont
qu'eft- ce qui me retient donc? répondez ...
DUMONT.
A qui répondre ? ......
..
FORLISE. à Allegro.
Avez-vous fait copier les parties ? ..
Oui , Monfieur.
ALLEGRO.
1
Toute la Scène eft fur ce ton-là ; & finit pa
ce trait : M. de Forlife veut aller rendre vifite à
Montfort. C'est un jeune Artifte qu'il veut mettre en
réputation , c'eft une vifite effentielle , cela marquera
. Comment faire ? il eft retenu chez lui , il a dumonde
à diner Dumont lui dit.
Vous voilà bien embarallé , envoyez votre caroffe
à la porte , cela lui fera autant d'honneur
que fi vous y.alliez vous niême.
SCENE X I.
Madame Forlife la mère vient s'intéreЛler pour
un homme de mérite. M. de Forlife lui prête une
légère attention... Envoyez - moi votre homme,
iui dit-il , que je le voye , que je caule un peu
avec lui. Sa mère lui répond que ce n'eft pas un
homme à fe morfondré dans une antichambre.
JUILLET. 1763 . 199
Une Comteffe qui eft là demande ironiquement
à Mle Forlife s'il ne faut pas que le Marquis
aille au -devant de fon Protégé .
M. FOKLISE.
Eh pourquoi non , Madame , il faut quelquefois
aider le talent , aller au- devant du mérite. L'hom ·
me pour qui je m'intéreffe , craint le mépris des
Sots , le jargon des beaux - efprits , la table des
Riches , l'audience des Grands , & la Toilette des
femmes.
LA COMTESSE.
Et avec toutes ces petites frayeurs - là , on n'attrape
rien ; les places fe donnent aux gens qui
les demandent , qui les follicitent.
M. FORLISE.
Quelquefois à ceux qui les méritent ; il eſt encore
des Riches & des Grands qui ne donnent pas aux
Flateurs & aux Sots les places qui appartiennent
au mérite & à la vertu , vous les voyez chercher
avec emprellement le grand homme , lui tendre
une main bienfaifante , le protéger , l'enhardir ,
& vaincre fa milantropie par la délicatelle de leurs
procédés . Ils dédaignent l'encens , les pe its foins ,
& la fervile adulation des gens mé fio.res , ils eftiment
, its aiment même la fimplicité & la franchife
des hommes de génie . Voilà les Protecteurs
que je révére , voilà ceux à qui je voudrois que
vous reflemblaffiez , mon fils , ils font les foutiens
des Arts & de la Littérature , les autres en font
lés fléaux & les detrufcurs . Le véritable Protecteur
eft un Dieu bienfaifant qui purge un champ
de mauvaiſes herpes , pour en ranimer les plantes
falutaires
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
REMARQUES.
S'il y a du danger à jetter un ridicule fur la
protection de goût que les Grands & quelques
gens riches accordent aux Arts & aux Artiſtes : il
y a certainement un grand avantage à dégoûter,
s'il eft poffible , quelques Fats de l'efpéce de M.
de Forlife de la honte dans laquelle ils les font
tomber , foit par une forte de tyrannie qu'ils
exercent fur les Artiftes , foit par le mauvais
choix que ces ridicules Protecteurs prétendus Artiftes
eux-mêmes font de leurs Protégés . Choifis
ordinairement dans un ordre affez médiocre
pour fervir avec baffeffe leur vanité ; malheureufement
ils donnent , par des intrigues ou
par des prodigalités , des dégoûts rebutans aux
talens fupérieurs . Le motif général de cette petite
Piéce doit donc être approuvé par tous les
vrais Amateurs. Il eft fâcheux peut-être que
l'Aureur air eu la facilité pour lui-même de fe
renfermer dans un fi court efpace , & de s'autorifer
par- là à ne pas étendre plus loin les peintures
vives & bien faifies des caractères dont ce
Sujet eft fufceptible. Heureux cependant le Poëte
Dramatique auquel on n'a d'autres reproches à
faire que de s'être arrêté trop tôt dans fon travail
! Combien l'amour- propre de tant d'autres
a lieu de fe repentir de s'être impoſé des travaux
trop étendus !
Mademoiſelle LUZZI a continué fon
début pour les rôles de Soubrette
dans les Bourgeoifes à la mode , & le
Cocher fuppofé. Enfuite par le rôle de
Cléanthis dans Démocrite , & la SouJUILLET.
1763. 201
brette dans le Galant Jardinier. Dans
les Trois Confines , par le rôle de Colette
, où elle a eu affez de fuccès pour
être redemandée après fon début fini .
Y
Les autres Piéces de ce début ont été
les Menechmes , la Serenade , le Légataire
, &c. Plus cette jeune Débutante
a paru fous les yeux du Public & des
Connoiffeurs éclairés , plus elle a rempli
l'efpoir qu'on avoit conçu de fes
talens , & l'on eft généralement confirmé
aujourd'hui dans celui qu'on doit
attendre de fes progrès . La forme extérieure
, comme nous l'avons déja annoncé,
n'a rien en elle que de très - favorable
, une taille légère & de la hauteur
précisément convenable au fexe . De
très-beaux yeux , propres à marquer
fenfiblement toutes les expreffions. Il
ne dépend même que de cette jeune perfonne
de reftituer à fa phyfionomie toute
la fineffe dont elle eft fufceptible , à la
place de ce qu'elle offre aujourd'hui
d'un peu trop grave , en fupprimant le
ridicule abus , introduit parmi les femmes
de nos jours , des chevelures élevées
& cannelées, fur le front, comme les
Buftes de quelques Romaines du temps
des Céfars ; genre de coëffure , qui ne
fera jamais d'accord avec le caractère
I v
292 MERCURE DE FRANCE .
à
d'une Soubrette Françoife . Les difpofitions
du côté du talent ne font pas
moins avantageufes ; & cultivées , comme
elles font par les foins du plus grand
Acteur comique de nos jours * , elles doivent
porter ce Sujet en peu
de temps
la perfection. Quoique l'on ait reconnu
dans la Débutante , les principes éclairés
qui la dirigent , on n'a pas moins apperçu
qu'il y a en elle un fond naturel d'intelligence
, de facilité , & de jufteffe
dans le débit du Dialogue , qui a concouru
à rendre les leçons plus fructueufes
, & qui donnera en propre à cette
jeune éléve les lumières que lui a
prêtées l'art de fon Maître.
Le Lundi 13 , on donna fur ce Théâtre
Manco , premier Ynca du Perou ,
Tragédie de M. le Blanc. Cette Piéce
parut longue , on y applaudit beaucoup
d'endroits. On en retrancha plufieurs
Vers , & elle fut repréfentée ainfi avec
ces retranchemens le Mercredi fuivant à
la Cour & le lendemain à Paris , où elle
a été continuée pendant fix repréſentations
jufqu'à la repriſe de la Piéce faite
à l'occafion de la Paix .
Le fond du fujet de cette Tragédie
améne naturellement dans les détails
des difcuffions entiérement philofophi-
* M. Préville .
JUILLET. 1763.
203
ques fur l'établiffement des fociétés , &
fur la préférence du frein des Loix civiles
à la liberté vague & fans bornes de la
vie purement animale . Nous ferons part
à nos Lecteurs de quelques-uns de ces
détails , qui méritent & de l'attention &
des éloges , auffi-tôt qu'on nous aura
donné les moyens d'en rendre compte ,
& de les rapporter avec la précifion &
l'exactitude convenable.
Le 21 , les Comédiens François fignalerent
, felon leur ufage , leur zéle dans
les rejouiffances publiques , par une repréfentation
gratis du Mercure Galant ,
qui fut fuivi des Trois Coufines , avec
les trois divertiffemens de cette Piéce.
Le Peuple qui y courut avec affluence ,
y parut prendre le plus grand plaifir , par
l'attention que les Auteurs eurent à tout
ce qui pouvoit y contribuer. les Spectateurs
marquoient à tous momens les
tranfports de leur fatisfaction par des
cris réitérés de Vive le Roi. A la fin du
Spectacle on leur livra le Théâtre fur lequel
ils danferent , ainfi que dans le
Parterre pendant très- longtemps , jufqu'à
ce que comblés de joie , ils allaffent les
uns après les autres en répandre les mouvemens
dans la Mille! b
Le Lundi 27 , on donna fur ce même
I vj
204 MERCURE DE FRANCE,
Théâtre la premiere repréſentation de la
repriſe de l'Anglois à Bordeaux , Comédie
en trois Actes en Vers libres de
M. FAVART , avec un divertiffement de
la compofition de M. VESTRIS , éxécuté
par les Danfeurs du Roi & de l'Opéra.
Nous avons parlé de cette Piéce (a) ,
nous en avons donné un extrait détaillé
ainfi il ne nous refte à rendre compte
que de l'extrême plaifir qu'en fait la reprife
, & de la perfection avec laquelle
elle eft rendue , ainfi qu'elle l'avoit été
précédemment à la Cour.
On n'a point vu & l'on ne peut voir
de plus grande affluence à aucun Spectacle
qu'en a attiré celui - ci . L'Anglois à
Bordeaux étoit précédé du Mifantrope ,
qui fut très-bien joué par M. BELCOUR
faifant le principal rôle , & par tous les
Acteurs principaux qui repréfentoient
dans ce chef- d'oeuvre de notre Théâtre .
Après cette grande Piécé , M. MOLÉ
s'avança comme pour les annonces
erdinaires , & fit au Public le difcours
fuivant :
,
- (@ V.le II. Vol. d'Avril & l'Article précé
dent des Spectacles de la Cour.
omom
JUILLET. 1763. 205
MESSIEU ESSIEURS
» Nous vous avons annoncé la retraite
de Mlle DANGEVILLE. Sa
» fanté ne lui a pas permis defuivre plus
longtemps la carrière laborieufe du
裴» Théâtre ; mais elle y reparoît avec
» tranfport , dès qu'il s'agit de prendre
» part à la joie publique . C'eft un ef-
"fort que fes Supérieurs ont defiré ;
» fes camarades en ont fenti tout le prix
» fon coeur s'eft trouvé d'accord avec
» eux. L'occafion étoit trop intéreffante
pour n'êtrepas faifie par une ame fenfible.
C'eft un tribut que Mlle DAN-
» GEVILLE paye au bonheur général
» & à la reconnoiffance qu'elle conferve
des bontés dont vous l'avez honorée.
»
22.
Nous devons auffi , Meffieurs , aux
talens diftingués qui compofent les
2. Ballets du Roi & de l'Académie Royale
» de Mufique , le témoignage du zéle
» avec lequel ils ont bien voulu concou-
» rir à décorer un Spectacle que tous ceux
» qui peuvent y contribuer , defireroient,
» Meffieurs , vous rendre auffi agréable
" par fa représentation que par fon
»principe.
Auffitôt que Mlle DANGEVILLE ,
206 MER CURE DE FRANCE.
dont le rôle ouvre la Piéce avec celui
de Darmant , parut fur le Théatre , des
applaudiffemens univerfels & continués
pendant très-longtemps l'empêcherent
de continuer ; on eut lieu de craindre
même , à l'état de trouble où cette circonftance
mettoit fa modeftie , que cela
ne lui occafionnât une révolution qui
mît obſtacle à fa bonne volonté. Le
filence le plus éxact ayant enfin fuccedé
à ce tranfport , cette incompara-
&trice joua comme on l'a toujours
vu jouer , c'eft- à-dire au plus
haut degré de perfection que l'imagination
puiffe concevoir dans l'art de la
Repréfentation Théâtrale . Elle fut fecondée
admirablement par tous les
autres Acteurs de cette Comédie, entre
autres par M. PREVILLE dans le rôle
de Sudmer , encore plus nouveau , encore
plus finguliérement agréable quë
la première fois qu'on l'a vu paroître
dans ce rôle.
SUJET du Ballet de la compofition de
M. VESTRIS , exécuté à la fin de
Anglois à Bordeaux,
Le fond du Théâtre eft dans l'obfcurité ; tout
y peint l'horreur de la guerre , on entend le
bruit des armes joint à celui du canon . Des OuJUILLET.
1763. 207
vriers de tout métier , des Matelots occupés au
débarquement des navires font dans l'abbattement.
Un groupe de nuages traverſe les airs ; il
paroît porter une Divinité. Tout le Peuple le
fuit des yeux ; ils voyent MINER VE en defcendre
, elle porte des branches de Laurier & d'Olivier
entrelacées ; elle va parler , les Peuples
font attentifs : elle annonce le retour de la Paix .
Les bruits de la Guerre cellent ; tous les travaux
reprennent leur activité générale ; furtout ceux
des Sculpteurs occupés à dégroffir une maffe de
rochers , fur laquelle eft affife une Tour qui porte
un Phare pour éclairer les vaiffeaux qui entrent
dans le Port. Apollon ( repréfenté par le Sigur
VESTRIS , ) fuit Minerve , comme Dieu des
Arts , il préfide aux travaux des Sculpteurs qui
fe propofent d'ériger un monument. Pour en accélérer
l'exécution , il frappe la Tour , elle s'écroule ,
on voit à la place la Statue équefire de LOUIS
XV, qui décore la Place de Bordeaux . Ce même
Dieu raffemble les François , les Espagnols , &
les Anglois , qui par leurs danfes variées & brillantes
, célébrent le commun bonheur de l'Europe,
ce qui forme ce Ballet , un des plus magnifiques
qu'on ait vu fur ce Théâtre , tant par la diftinction
des talens fupérieurs qui le compofent , que
par le nombre & la compofition des entrées ,
ainfi que par la magnificence & là galanterie des
habillemens.
On a continué avec le même faccès & le même
concours de Spectateurs , les repréſentations
de ce Spectacle intéreffant,, On doit remarquer
à la louange des Comédiens François , l'attention
qu'ils ont pour l'intérêt du bon goût, d'avoir
faifi cette occafion , pour remettre Tous les yeux
des Spectateurs François aflemblés en grand nom208
MERCURE DE FRANCE.
bre , les admirables productions de MOLIERE ,
afin de faire connoître à plufieurs d'entre eux qui
ſe contentoient de l'entendre dire , les modéles du
fublime Dramatique , & les monumens les plus
glorieux de la Nation dans ce genre de Littéra
ture.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN n'a point donné de nouveautés
fur le Théâtre de la Comédie Italienne
depuis notre précédent volume ; on
en attend une fort intéreffante par fon
objet & par fes Auteurs , puifqu'elle eft
composée à l'occafionde la Paix , & que
le Poëme eft de M. FAVART & la Mufique
de M. PHILIDOR.
Le Mercredi 22 Juin , troifiéme jour
des Réjouiffances publiques , on donna
pour le GRATIS les Caquets , Comédie
en trois actes , le Retour d'Arlequin,
petite Piéce Italienne en un Acte , &
le Bucheron , Comédie en un A&te , mêlée
d'Ariettes , avec le Ballet des Pierrots.
On voit par le nombre & par le choix
de ces Piéces , que les Acteurs de ce
Théâtre n'ont rien épargné de tous les
genres qu'embraffe aujourd'hui leur
Théâtre , pour en régaler le Peuple dans
une occafion fi éclatante.
JUILLET. 1763. 209
Le Spectacle a commencé à 11 heures
du matin & n'a fini que fur les trois heu
res après midi .
Les Spectateurs qui étoient en trèsgrand
nombre ont beaucoup applaudi
& ont danfé des menuets & contredanfes
pendant les entr'Actes & après la
fin de toutes les Piéces. Malgré l'affluen
ce du Peuple & le tumulte de la joie ,
tout s'y eft paffé dans le meilleur ordre.
L'ouverture du Théâtre fe fit par une
Symphonie de M. DAUVERGNE avec
Timballe & Cors- de- Chaffe qui fit un
très grand plaifir & excita beaucoup
d'applaudiffemens.
-
CONCERT SPIRITUEL
Du Jeudi 2 Juin.
LE Concert commença par une Symphonie de
Stamtiz. Enfuite Mlle ROZET chanta un motet à
voix feule . M. MAYER joua une Sonate de Harpe
de fa compofition. On éxécuta enfuite un Trio
de Stamitz, Mlle FEL y chanta un motet à voix
feule , & Mlle HARDI un air Italien . M. CAPRON
joua un Concert de Violon ; & le Concert finit
par Omnes gentes , motet à grand Choeur.
N. B. Lepeu d'efpace qui nous refle , nous empêche
de placer dans ce volume l'état actuel des Acteurs
& Actrices qui compofent les deux Comédies. Ilfera
inferé dans le volume prochain , & comme cela nous
210 MERCURE DE FRANCE.
.
a été demandé pour guider les Dictionnaires ou autres
Ouvrages de Bibliographie fur les Théâtres ,
lefquels tombent quelquefois dans des erreurs à cet
égard , dorénavant on placera chaque année ces
états dans un des volumes de Juillet . On donnera
celui de l'Opéra , lorfque ce Spellacle fera l'ouverture
defon nouveau Théâtre.
N. B. En rendant compte , dans le
précédent Mercure des OEuvres de Théâtre
de M. PALISSOT DE MONTENOY ,
imprimées à Paris chez Duchefne , rue
S. Jacques , nous avions obmis de parler
de la Comédie intitulée le Cercle ou
les Originaux , faifant partie d'un divertiffement
éxécuté fur le nouveau
Théâtre de Nanci le jour de la Dédicace
de la Statue de Louis XV par ordre
du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , le 26 Novembre 1755 .
Non-feulement le rapport de la circonftance
qui a donné lieu à ce divertiffement
avec celle des jours de fêtes
qu'on vient de célébrer , doit exciter la
curiofité fur cette Piéce , mais encore
les Préfaces , les Mémoires & autres
Morceaux qui l'accompagnent,dans lefquels
on trouve la fource & le développement
de tout ce qui a donné lieux aux
querelles envenimées excitées entre
F'Auteur & quelques Gens de Lettres.
C'eft une des parties de ce Recueil dont
la lecture eft la plus intéreffante .
,
JUILLET. 1763. 211
ARTICLE VI.
CÉRÉMONIES ET FESTES
PUBLIQUES .
L
AVERTISSEMENT .
Es fêtes publiques n'ayant été terminées que
le 23 du mois précédent , il ne nous reftoit pas
affez de temps pour en donner des Relations détaillées
, comme nous nous propofons de le faire
dans les Volumes faivans . Pour fatisfaire cependant
le jufte empreffement de nos Lecteurs à ce
fujet , nous avons fait des efforts afin de leur en
donner au moins dans celui - ci , un Précis Sommaire
, mais exact . Nous espérons qu'en faveur.
de notre artention & de nos foins , on voudra
bien nous exculer d'avoir, retardé de quelques
jours la diftribution du Mercure de ce mois.
CÉRÉMONIES ET FESTES ,
A L'OCCASION DE L'INAUGURA-.
TION DE LA STATUE DU ROI
DANS LA PLACE DE LOUIS XV.
ET DE LA PUBLICATION DE LA
PAIX.
L.E Corps de la Ville de Paris fembloit n'avoir
confulté que ſon zéle & celui des Citoyens , dans
les premiers Projets de fêtes qu'elle fe propofoit
de faire éxécuter fur les dellens du fieur
Moreau fon Architecte , & qu'elle avoit eu l'honneur
de préfenter au Roi . L'attention paternelle
212 MERCURE DE FRANCE.
de Sa Majesté a daigné réduire les dépenfes confidérables
où elle avoit intention de s'engager par
la magnificence de fes Projets , en ne lui permettant
pour les réjouillances publiques que ce qui a
été fait pendant les 20 , 21 & 22 du mois précédent
, ainfi que nous allons le décrire.
Le premier jour zo Juin , deſtiné à célébrer
l'inauguration de la Statue du Roi dans la Place
de Louis XV. on a fait le matin la Cavalcade &
Cérémonies d'ufage.
Le Corps de Ville , en robes de Cérémonie à
cheval & en équipages très magnifiques accom
pagné de fes Gardes , fe rendit vers les dix heures
du matin à l'Hôtel de M. le Duc de Chevreufe
, Gouverneur de Paris , pour le joindre , & continuer
avec lui la marche juſqu'à la Place de
Louis XV . Il étoit accompagné de fes Gardes ,
tous avec des nouveaux uniformes , & d'un nombreux
Cortége de Domeftiques , de Gentilshommes
& de Pages fuperbement vêtus . L'équipage
de fon cheval étoit de la plus grande richelle &
chargé de diamans. Celui des chevaux de main
n'étoit pas moins riche ,, par les magnifiques
broderies qui en couvroient les houffes , ainfi que
celle d'un très-beau cheval de parade , tenu avec
des longes de treffe d'or par deux hommes d'écurie.
Lui même monté fur un cheval gris & dans
l'habit le plus riche , entre deux Ecuyers ou Gentilshommes
, jettoit avec profufion de l'argent au
Peuple , pendant tout le cours de la marche ; &
les trompettes d'argent de M. le Gouverneur accompagnées
des timballes, ainfi que celles de la
Ville , fonnoient inceffament des fanfares. Le
Négre , Timballier de M. le Gouverneur étoit
fingulierement remarquable , par la richeffe de
fon habillement , & par une coëffure en forme
de turban , ornée de divers rangs de perles & de
JUILLET. 1763. 213
diamans de couleurs , le tout furmonté d'un trèsbeau
pannache de plumes.
Lorfque cette marche entra dans la Place au
bruit des fanfares de fa mufique & de très - nombreux
orcheſtres difpofès près du Pont tournant
des Thuileries , ainfi qu'à celui des acclamations
de la multitude qui rempliffoit ce vafte eſpace ;
les voiles qui couvroient la Statue & Piedeſtal
devoient tomber ; mais l'imprudence d'un Ouvrier
avoit avancé de quelques momens ce point
de la Cérémonie. Toute la Cavalcade fit le tour
de la Place , & parvenue en face de la Statue ,
chacun de ceux qui la compofoient s'arrêtant & ſe
découvrant , on fit les faluts d'hommage ufités en
pareille occafion , au bruit des boëtes , du canon •
des bruyantes fymphonies , de la mufique , & des
cris d'allegrelle de tout le Peuple. Enfuite toute
cette marche retourna dans le même ordre juf
qu'a l'Hôtel de M. le Gouverneur où elle le reconduifit
, & de- là à l'Hôtel- de- Ville .
Le foir , il y eut illumination dans la Place par
des cordons de lumière fur les baluftres dont elle
eft environée , & par des girandoles pofées fur des
piedeftaux dans toute fon enceinte . On avoit difpofé
deux rangs de lumières fur des poteaux élevés
, dans la longueur de la grande allée des
Thuileries , qui conduifoient jufqu'à un amphi
théâtre illuminé élevé contre la façade du Palais
, fur lequel fe donnoit la ferenade de fymphonies
par l'Académie Royale de Mufique , dont
nous avons parlé dans l'Article des Spectacles.
Le 2me jour 21 Juin , la Paix a été publiée
dans 14 endroits de la Ville , y compris la nouvelle
Place , par la Ville & la Jurifdiction du Châ
telet réunies , avec les céremonies & formalités
accoutumées. L'efpace qu'avoit à parcourir cette
214 MERCURE DE FRANCE
nombreufe cavalcade , remplit tout le temps.de
cette journée. a)
Le troisième jour 22 Juin confacré aux Fêtes &
Réjouiffances publiques dans toute la Ville , fut
annoncé par les Salves ordinaires du Canon , &
le Te Deum fat chanté à Notre- Dame avec le
Cérémonial ufité .
On avoit préparé dans la longueur de plus de
480 pieds fur la Terraffe du Palais de Bourbon ,
des Loges ornées en Damas cramoifi , avec un
Luftre dans chaque divifion , pour contenir environ
, 000 perfonnes ; s'étant trouvées toutes remplies
vers les cing heures après midi , la Fête , fur
la Rivière , commença par des Joûtes qu'exécuté- ,
rent des Bateliers vêtus de blanc & ornés de rubans
fur des Bateaux peints de diverfes couleurs , auxquels
on diftribua des Prix .
A l'entrée de la nuit , on tira le grand Feu
d'Artifice qui avoit été préparé fur la Rivière ,
mais le violent Orage qui étoit furvenu ce même
jour fur les deux heures , avoit tellement endommagé
tout l'Artifice figuré de Feux de lances de
diverfes couleurs qui compofoient la décoration
du Temple élevé fur une Terraffe de Rochers ,
qu'aucune partie ne put prendre , & que l'on fut
privé par cet accident, pour ce jour- là , de la partie
principale de ce magnifique Spectacle ; ( b ) mais
ce qui en formoit un , denton ne peut le faire une
trop grande idée , étoit le vafte Baffin du Pont
Royal jufqu'à Chaillot , dont les Berges & les
Quais entiérement couverts d'une multitude innombrable
de Spectateurs , offroit l'image réelle
( a ) On donnera dans le Mercure prochain des
états détaillés des marches & cavalcades .
(b ) Le corps de Ville pour remplir l'objet de fon'
zéle & la fatisfaction des Citoyens , doitfaire éxéJUILLET.
1763 . 215
d'une Nation entière affemblée pour une grande
Solemnité . On conçoit de quelle variété de couleurs
étoit peint cet immenfe tableau , dont les
figures fur des plans en gradation , quoique
tranquiles & fans confufion , produiloient cependant
un mouvement léger & continuel qui l'animoit
& foutenoit perpétuellement l'agrément de
la vue. L'artifice , qu'on appelle Feux d'air qu'il
avoit été plus facile de préierver de l'humidité, eut
plus de fuccès . On admira de très - belles fufées
d'honneur , des Bombes d'un fort bel effet & des
Gerbes ou Girandes d'une multitude de fufées
très -brillantes. Le feu de Rivière en ferpenteaux
& autres figures , fournit fans difcontinuation ,
pendant tout le temps du feu des effets très- agréables
& très-variés fur l'eau.
Il y eut le même foir des fontaines de vin avec
des Orchestres dans toutes les places & dans tous
les lieux marqués de la Ville . Toutes les maifons
des Particuliers furent illuminées , & les Hôtels
des Princes , Seigneurs , Magiftrats , s'étoient
diftingués par des illuminations décorées & des
plus brillantes. Celle de la Place de Louis XV ,
qui mérite une defcription particulière , formoit
en lumières la repréfentation des grandes façades
des deux corps de bâtimens qui l'accompagnent
, dont la riche Architecture étoit deffinée
en lumières , ainfi que les appuis des Baluftres ,
avec des Girandoles dans tout fon circuit , & des
Obélifques de pots- à feu fur toutes les guérites
ou petits pavillons , conftruits en différens endroits
de cette Place.
cuter le Dimanche 3 du préfent mois cette partie
brillante du Feu , après y avoir fait faire les réparations
néceffaires . On inftruira les Lecteurs dans
le fecond volume de ce mois , du fucces de cette réparation
, & l'on donnera une defcription entière
de ce Feu.
216 MERCURE DE FRANCE.
Le grand & brillant effet de cette Place con
duifoit , & d'une certaine diftance , paroiffoit toucher
à celui de l'élégante & en même temps
fuperbe illumination des Jardins de l'Hôtel de
Pompadour ( ci - devant l'Hôtel d'Evreux ) qui
font ouverts dans toute leur étendue fur les
Champs Elifées , à peu de diftance de la Place.
Cette Illumination particulière que l'on décrira
avec plus de détail , ainfi que quelques autres qui
ont embelli la Fête générale a retenu jufqu'à
cinq heures du matin un concours incroyable de
Spectateurs tant en carrolle qu'à pied."
On n'a prèfque jamais remarqué en aucune
occafion plus de joie , plus de mouvement &
plus de fatisfaction dans le Public , que pendant
ces Fêtes. La gaîté du Peuple furtout & fon
allégreffe pourroit fe prouver par la prodigieuſe
confommation du Vin & des Alimens qu'il y
a cu à Paris pendant quelques jours.
Les deux Hôtels des Comédiens du Roi étoient
auffi illuminés avec décorations & autant de magnificence
, que leur étendue le comportoir. On
Tifoit , à celui des Comédiens François dans des
cartels pofés entre les lumières , les deux Inſcriptions
fuivantes.
PACE RESTITUTA
REGE DILECTISSIMO
POSITO
FASTILUSUS.
JOCORUM MATER
PAX ALMA REDIT
JOCOSA SOLVIT
THALIA VOTUM .
Les Nouvelles Politiques au Mercure prochain .
AVIS.
JUILLET. 1763. 217
AVIS
Le fieur BзLLEILLE a trouvé le fecret de faire
de la Limonade féche aufli bonne que fi le citron
venoit d'être preflé . Cette Limonade peut fe
porter partout , & le conferve . Elle eft fort com -
mode pour ceux qui font à la campagne & pour
les voyageurs & tous autres . Elle eft très-faine &
rafraîchillante , beaucoup meilleure que le firop
de Limon, Elle fe vend chez la veuve Belleville
Marchande Limonadière , rue du petit Carreau
aux Armes de France ..
Il y a des flacons à 3 liv, & à 6 liv.
Le Sr ROUSSEL donne avis au Public qu'il
trouvé un fecret pour les Glandes , la Goutte ,
Rhumatifmes & Maux de Gorge. C'est une Pommade
que
l'on applique extérieurement ; il faut
un papier brouillard , une compreffe & une bande
pardellus.
Sa demeure eft rue Jean-de- Lépine , près la
Grêve , chez M. Dumont , au Saint- Efprit.
Noms & demeures de quelques - unes des Perfonnes .
qui ont été guéries .
GLANDE S.
YO
M. de Gomicour , Commiffaire des Chevaux-
Légers de la Gardes, des Glandes au col..
La Fille- de-Chambre de Madame Poriquet ,
Procureur au Grand - Confeil , rue Baillet .
Mlle Toutain , qui en avoit vingt à la poitrine
, depuis fept ans , rue Quincampoix , vis -à- vis
la Porte de Loriens.
Madame le Prince , Fruitiere , au Marché S.
Germain.
M. Davenne , rue S. Martin , vis- à -vis S. Nicolas
des Champs .
I. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
Madame Chopin , rue de Varenne , vis - à-vis
l'Hôtel de M. de Biron .
La Fille du fieur Flechy , vis - à-vis S. François
de Sales , à Iffy.
GOUTTE S.
M. Toutain , Maître Eventaillifte , rue Quincampois
, vis-à-vis la Porte de Loriens .
Comtois , Cocher de M. le Lieutenant de Roi
aux Invalides ,
Le nommé Pereau , garçon à M. Martin , à la
Compagnie des Indes.
M. Robert , Entrepreneur de la Menuiserie des
Invalides.
Parce reméde on eft foulagé dans le quart d'heure.
ΑΙ
APPROBATION.
3
'AI lu , par ordre de Mónfeigneur le Chancelier
le premier volume du Mercure de Juillet , 1763
& je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
l'impreffion A Paris, ce go Juin 17611
GUIROY ,
ུ །
20
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE】I
ARTICLE PREMIER .
L'HUMEUR , Qde,
प
Pages
INSCRIPTION pour mettre au bas de la Statue
du Roi.
QUATRAIN,fur la Statue équeftre de LOUIS XV.11
A Madame De ***.
EPIGRAMME."""
ibid.
JUILLET. 1763 . 219
DIALOGUE entre Périclès un Grec mo-
2
derne & un Ruffe.
MADRIGAL .
13
21
EPITRE à Mlle D..:
STANCES irrégulières adreffées par Madame
P.... âgée de 70 ans , au Chevalier de
M ***fon ami qui en avoit 80.
EPITRE à Mlle A ***
VERS de D .... à ſa Maîtreſſe.
BELGA abeuntis Lutetia Hendecafyllabi
AZAKIA , Anecdote Huronne .
VERS fur la convalefcence de Madame la
Comteffe de Brionne.
ibid.
24
26
29
ibid.
30
47
48
LE Jugement de Pâris , par Mlle A....
âgée de 17 ans.
EXTRAIT de quelques Lettres de Mde la
Comteffe de Grignan , du Chevalier de
& Grignan , du Marquis de Sévigné , & de
M. de Buffy- Rabutin , Evêque de Luçon. 55
LETTRE du Marquis de Sévigné à fa mère.
EXTRAITS de Lettres de M. l'Evêque de
Luçon à Madame de Grignan.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
.66
73
77 &78
78879
$79.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE de M. Marmontel , à M. De la
Place , Auteur du Mercure.
"
DICTIONNAIRE portatif hiftorique & Littéraire
des Théâtres ; par M. de Léris .
ANNONCES de Livres.
80
103
ΤΟ
104 &fuiv.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAs, III
220 MERCURE DE FRANCE .
SUJETS propofés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux -Arts , établie à l'Au . 128
SLANCE publique de la Société Littéraire de
CHAALONS- SUR- MARNE...
MEDECINE .
EXTRAIT du Recueil des Lettres de Milady
Mary Worthley Montagute.
ART. IV . BEAUX ARTS . -
ARTS UTILES.
CHIRURGIE .
DISSERTATION fur le Lithotome caché ,
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE . P
LETTRE d'une nouvelle Société , à M. De
la Place , Auteur du Mercure de France.
GRAVURE.
129
139
144 }
15%
Avis fur le Recueil d'Eftampes gravées
d'après les plus beaux Tableaux & Deffeins
des principaux Peintres des Ecoles
Romaine & Vénitienne qui font en France
, dans le Cabinet du Roi & dans d'autres
Cabinets , par les foins de M. Crozat. 159
ART. V SPECTACLES. A
SPECTACLES de la Cour à Choify.
ANALYSE d'Ifmène & d'Ifménias , Opéra ,
SPECTACLES de l'aris.
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne.
CONCERT Spirituel.
5163
167
18
187
208
209
211
217
ART. VI . Cérémonies & Fères publiques.
AVIS .
1. De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis - à-vis la Comédie Françoiſe .
1
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1763 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Silius inv
spilionSestpr
Bl
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
>
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi .
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
-pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nom → .
bre de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a jufqu'à
préfent quatre-vingt- quatorze volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du.
foixante-douzième .
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLE T. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS fur la Statue érigée à Sa Majesté.
ENFIN voici l'inftant (a ) où triomphe tes voeux ,
FRANCE , enorgueillis- toi , dreffe ta tête altière ;
( a ) Il y a deux mois auffi que cet inftant eft
paffé , deux mois auffi que ce morceau de Poëfie
eft fait. L'impreffion en a été différée jufqu'à ce
jour par des raifons dont le détail feroit ici plus
qu'inutile. Au refte , fi ces vers font bons , le restard
n'eft rien. Des Sujets comme celui- ci , ont
toujours les graces de la nouveauté ; & l'éloge
d'un bon Roi n'eft jamais hors de faifon , furtout
pour des François.
II. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Ton Monarque aujourd'hui s'éléve vers les Cieus
Et nos foudres d'airain l'annoncent à la Terre. (b)
Allez , volez , beaux Arts , portez- le dans les airs
On peut l'offrir , fans crainte , aux yeux de l'Uni
vers ;
Qu'il juge fi ce front mérite la couronne >
Et fi çe port dément la Majefté du Trône.
Monument adorable , image de mon Roi ,
Qui pourroit contempler tes beautés immortelles
Sans t'aimer , te bénir , fans fouhaiter des aîles
Pour prendre fon éffor & s'élancer vers toi ?
"De contrastes heureux quel divin affèmblage !
Grandeur d'âme , douceur , nobleffe , humanité ,
Tout le trouve exprimé dans ce fuperbe ouvrage
Enfin , il eft fidéie , & c'eft-là fa beauté. 1
PRINCE , fi , par hazard , on pouvoit s'y mé
prendre ;
A ta noble candeur que l'Artiſte à fçu rendre
A l'augufte bonté qui perce dans ces traits
C'eft Trajan ou Titus que je devinerais.
Ainfi méritois-tu d'être immortaliſée ;
Vertu pure & vraiment digne de l'Eliſée ! ( c )
Ah ! qu'on peut déſormais donner un fi beau nom
A ce vallon chéri qu'honore ta préfence !
( b ) Il faut fe rappeller qu'on tira le canon
quand on éleva la Statue.
"
(e) Allufion au lieu où l'on à placé le Roi .
On fait que ce lieu s'appelle les Champs Elifes
JUILLET. 1763.
}
•
Il ne manque plus rien à fa magnificence ,
Tu le viens habiter ; c'eft le facré vallon.
Bruïant enfans d'Eole , épargnez ces bocages ,
Allez porter ailleurs vos funeſtes ravages ;
f
Un Dieu régne en ces lieux , un Dieu vous en
bannit...
La Nature m'entend ; voilà qu'elle obéit. ( ¿)
Dociles à ma voix , les frimats difparoiffent ;
Encore un feul moment , toutes les fleurs renaiffent
;
Tout va reffufciter dans ce lieu plein dappas ,
J'y vois déja , j'y vois fourire la Nature ;
Et l'aimable Printems , qui s'avance à grands pas ,
Y prépare à mon Prince un Temple de verdure .
Si l'on en croit Homère , ainfi le mont Ida ( e )
Accueillit autrefois le Monarque du Monde :
Sa cime en treffaillit & devint plus féconde ;
Des plus vives couleurs la Terre fe para ;
Elle ouvrit fes tréfors , fes parfums s'exhalérent
Les arbres réjouis , à l'inftant s'animerent ;
Une force nouvelle , un efprit tout divin ,
(d) La Statue ayant été placé aux approches
da Printems , c'étoit une circonftance dont il étoit
naturel que la poefie fit fon profit , d'autant plus
que cette circonſtance cadre avec celle des
Champs Elifées .
(e ) La defcente de Jupiter & de Junon fur le
Mont Ida , eft un des plus beaux endroits de l'Iliade.
Il ne faut pas faire à Homère le tort d'en
juger par cette foible imitation ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
S'y gliffa tout à- coup , & réchauffa leur fein ,
Des troncs les plus flétris , les têtes rajeunirent ,
Dans les airs étonnés leurs rameaux s'étendirent ,
Et bientôt Jupiter fe vit un dais pompeux
Qui le cédoit à peine à la voute des cieux.
la Terre en recevant fon Maître.
*
Telle par ut
Ce jour le renouvelle , & tout prêt à fleurir
Ce fortuné vallon femble auffi reconnaître
L'hôte majestueux
qui le vient embéllir.
Venez y déformais , ô coeurs purs & fenfibles ,
( S'il en exifte encor dans nos jours corrompus ,
Fréquentez , chériffez ces retraites paisibles ;
Peut-on fe refufer à l'attrait des vertus ?
Pour moi , comme un oiſeau qui gémit dans le
cage ,
S'il peut fe dérober à la captivité ,
S'élance tout à coup vers le prochain bocages
Et va fur un ormeau chanter fa liberté ;
Sitôt que je pourrai m'échapper de la Ville ,
On m'y verra voler , vers cet aimable aſyle .
Quel lieu plus convenable au penchant de mon
€oeur ?
Quel lieu plus favorable à ma lyrique ardeur ?
L'image des vertus éleve , ennoblit l'âme ,
Et ravit notre efprit fur des aîles de flâme.
Je l'éprouve déja par de bouillans tranſports ;
Je fens naître l'accès du plus heureux délire…..
Mon ſang s'eſt enflammé... ce monument m'inſ
pire...
JUILLET. 1763. 9
CORNEILLE , élances- toi du rivage des morts ;
Prête moi ta vigueur , efprit mâle & ſublime ,
Qui portas jufqu'aux Cieux le grand nom des
BOURBONS ; (f)
Oui, paffe dans mon fein ; que ta verve m'anime
Et me donne aujourd'hui l'audace de fes bonds.
Peintre majestueux de la bonté d' Augufte , (g)
Où font tes grands crayons , tes célébres pinceaux
?
Reprens-les pour un Prince auffi doux aufi
jufte ,
Et retraçons encor d'auffi rares tableaux .
Les hommes , dans tes vers , n'ofoient fe reconnoître
,
Tu les peignois , dit -on , ainfi qu'ils devoient
être ;
'Ah ! peignons , s'il fe peut , celui - ci tel qu'il eft,
Nous n'aurons pas befoin de flater fon portrait.
Mais que fais- je , infenfé ! Ma voix percera -t elle
Les fombres profondeurs de la nuit éternelle ?
(f) Le grand Corneille a fait une infinité de
magniques vers à la louanges de Louis XIV , &
entr'autres un fublime morceau de poësie qui
commence ainfi :
Mánes des grands Bourbons , brillansfoudres de
guerre.
( g ) Dans Cinna,
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ce grand homme à mes voeux ne fera point
rendu ,
Il eft fur fes lauriers à jamais étendu.
Ce fuperbe géant ne peut brifer la chaîne ;
Terraffé , captivé dans fon cachot poudreur ;
Il n'élevera plus cette tête hautaine
Qui touchoit à l'Olympe & l'égaloitaux Dieux.
Ainfi , ne troublons point le terrible filence
Où repoſe à préſent ſa ſublime éloquence :
En vain nous voudrions rallumer ce flambeau ,
Ce feu , qu'ont étouffé les cendres du tombeau
Eh ! quel befoin d'ailleurs d'évoquer fon génie ?
L'harmonie avec lui s'eft - elle enfevelie ?
N'avons-nous pas encor fon rival , fon vain
queur ?
O toi qui du berceau ( h ) t'élançant dans l'arène ,
Terraffa à vingt ans ce vigoureux luteur ,
Dont la chûte étonnante éffraya l'Hippocrène 3
Toi , qui n'en triomphas que pour le protéger ,
Qui prends foin de la gloire , ainſi que de ſa races
Toi qui brilles , hélas ! fous un Ciel étranger ;
Honneur d'un fiécle ingrat , Monarque du Par
naſſe ,
Pour te nommer enfin , Chantre du grand Henri ;
(h) On fçait combien M de Voltaire a été prématuré.
A vingt ans il avoit fait fon @dipe for
fupérieur à celui de Corneille.
JUILLET. 1763. II
Viens , célébrons enſemble an Roi non moins
chéri.
Ami du genre humain , chantes-en les délices.
VOLTAIRE ! fe peut-il qu'aujourd'hui tu languiffest
Si tu nous es ravi par un deftin jaloux ,
Montre- nous que ton coeur eft du moins parmi
nous.
'Accourez-tous enfin , ô modernes Orphées ;
Secondez mes éfforts , accompagnez ma voix ;
Éclatons a l'envi pour le meilleur des Rois ;
Le Pinde à fa vertu doit auffi des trophées.
Quoi ! le premier des arts marche ici le dernier
Allons , réveillez-vous , concourez à fa gloire ;
Et qu'on le voye auffi fur ce fameux courfier (i )
Qui porte les Héros au Temple de Mémoire.
Venez auffi , venez célébrer, fes bienfaits ,
vous tous qui portez le beau nom de Français
Que chacun avec moi l'honore à ſa manière ,
Saluons notre Roi , beniffons notre père ;;
Aux tranſports de nos coeurs donnons un libre
cours ;
Que nos cris redoublés s'élevent dans la nue
Importunons le Ciel en faveur de fes jours,
Et qu'il puiffe durer autant que fa Statue !
Quand nos foibles voix les honorent ,
( *) Alluſion à la Statue qui eft équestre,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Les Dieux prennent pitié de nos bégaiemens
Et leur attention ſe borne aux fentimens ,
Aux voeux de ceux qui les adorent.
Si mon léger tribut t'eſt jamais préſenté ,
Daignes donc , ô mon Roi , le voir avec bonté ,
Ne décourages point ma plume ;
Un Soleil tempéré fait profiter les fleurs ;
Un Soleil brûlant les confume ,
Er dévore àjamais leurs brillantes couleurs.
Par M. GERMAIN DE CRAIN.
ÉLOGE DE
L'INCONSTANCE .
AIR : du Vaudeville d'Epicure .
TOI, Or, qui vas courir la carrière ,
Que l'Amour ouvre à tous les coeurs ;
Si dans la route de Cythère
Tu veux ne trouver que des fleurs :
Que l'Inconftance foit ton guide ;
Garde-toi de fixer tes voeux ;
Sous la loi de ce Dieu perfide ,
Tout coeur conftant eft malheureux .
Qu'un tendre Amant fous fon empire
Brûle d'une fincère ardeur ;
Il le careffe , il le déchire ;
C'eft un Prothée aufond d'un coeur,
JUILLET. 1763. 13
-
Sans craindre fes métamorphofes
Un coeur volage en fes defirs ,
Par un chemin femé de rofes
Marche toujours aux vrais plaifirs .
Trifte victime des caprices ,
Et des mépris d'une Beauté ,
Souvent après mille fupplices
Un coeur conftant eſt rejetté :
Pour prévenir un tel outrage
L'inconftant brave fa rigueur
Et fouvent , quoiqu'il foit volage ,
Sans l'épine il cueille la fleur.
O toi , douce & chère inconftance ,
Qui m'as comblé de tes bienfaits ,
Reçois de ma reconnoiffance
Les hommages les plus parfaits.
Que l'Univers me contredife ,
Moi feul je combats fon erreur :
Oui , l'Inconftance eft ma devife ,
Et d'elle naît tout mon bonheur .
Par M. C** , D. H.
7
$4 MERCURE DE FRANCE.
LA TRUYE ET LA LIONNE
FABLE.
LA Truye à la Lionne adrefſa ce langage :
Hélas ! felon ce que je vois ,
Vous n'êtes guères heureufe en mariage !
J'ai toujours force enfans , & vous , à chaque fois ;
Vous n'en avez qu'un , pauvre mère : ...
Qu'un ? mais c'eft un Lion , lui dit la bête fière.
Bien répondu ! Que fait la quantité
La valeur d'une chofe eft dans fa qualité.
Par M. GUICHARD
BOUQUET.
A Mlle .... en lui envoyant des
Immortelles.
BELLB Iris , un Amant heureux
Pour Bouquet donne à ſa Maîtreſſe
Des Fleurs qui peignent la tendreſſe
Et le bonheur qui couronne les feux :
Elles refpirent l'allégreffe ,
Et fon Amour ingénieux ,
Dans leur tiffu voluptueux ,
Scait aux tranſports de fon ivreffe ,
JUILLET. 1763.
Unir la fateufe promeffe
D'être toujours plus amoureux !
Pour moi , dont la flâme fidelle
Ne peut obtenir de retour ,
Ma douleur me permettroit- elle
Ces riantes fleurs en ce jour ?
Non , elle en offre de moins belles ;
Mais du moins , belle Iris , elles font immortelles
Comme le fera mon amour.
P. B. T. D. L. C. de Parise
Ce 7 Juin 1763.
RÉFLEXIONS SUR HENRI IV.
NIL ACTUM REPUTANS SI QUID
SUPERESSET AGENDUM. Lucain.
Q UAND on confidére ce Prince ,
fa grandeur , fes exploits , fa valeur , fes
lumières , fa douceur , fa bonté , fes
talens pour le gouvernement , ſon affabilité
, fa clémence ; quand on penſe
qu'avec de fi foibles moyens , il a conquis
à la pointe de fon épée un Royaume
tel que la France , qu'il a eu à combattre
à la fois , la Ligue , l'Espagne &
Les foudres du Vatican ; qu'il a eu à
}
16 MERCURE DE FRANCE.
furmonter mille obftacles dont le moindre
fuffifoit pour faire échouer un grand
homme ; que dans tout le cours de fon
régne , il n'a fongé qu'à faire le bonheur
de fes Sujets ; on eft tenté de lui rendre
les honneurs divins : au moins eft- il certain
qu'Augufte , Titus , & peut-être
Trajan même les méritoient bien moins
que lui.
Au fortir de l'enfance , il fit fon apprentiffage
dans l'art de la guerre fous
le fameux Amiral de Coligny ; ce fut à
cette école qu'il apprit à fuppléer au
nombre par l'avantage du terrein , à faire
fubfifter une armée dans un pays ruiné,
à modérer cette impétuofité naturelle au
François , & dont les fuites fouvent ont
été fi funeftes ; à n'engager une affaire
qu'à propos , à fçavoir l'éviter quand il
le falloit , à profiter de la victoire , & à
fe ménager des reffources dans le malheur
, à maintenir la difcipline en confervant
l'affection du Soldat ; ce fut en
un mot à cette école qu'il devint le premier
Général de fon fiécle .
Suivons ce Prince dont toutes les démarches
intéreffent ; voyons-le à Courtras
à la tête d'une armée bien moins
nombreufe que celle de fon ennemi ,
mais compofée de vieux Soldats aguésJUILLET.
1763 .
ris couverts de bleffures , exercés par
vingt ans de combats , accoutumés à
braver la faim , la foif, & l'intempérie
des climats ; tels étoient ces vieux Légionnaires
que Céfar menoit combattre
Pompée ; tels étoient encore ces braves
Macédoniens qui fous Alexandre firent
la conquête du Monde. Le Duc de
Joyenfe n'avoità lui oppofer qu'unejeune
Nobleffe pleine à la vérité de fentimens,
& de courage , mais prefomptueufe &
efféminée , ne prenant d'ordre que du
caprice , & d'un courage aveugle qui
lui faifoit plutôt affronter la mort que
marcher à la victoire . Auffi arriva- til
ce qui naturellement devoit arriver ;
les Légionnaires de Céfar l'emporterent
fur la Nobleffe Romaine ; la victoire
fut complette ; le Duc de Joyeuse
& fon frère furent au nombre des morts.
Après l'affaire de Coutras , il fe ligue
avec ce même Henri III. qu'il venoit
d'humilier , & qui imploroit fon fecours;
il en devient le plus ferme appui . Son
bras feul foutien un Thrône ébranlé par
tant de fecouffes ; il méne le Roidevant
les remparts de Paris. Il alloit lui faire
ouvrir les portes de fa Capitale , lorfque
l'accident funefte qui enleva Henri III.
changea totalement la face des chofes .
18 MERCURE DE FRANCE.
Il hérite par cette mort d'un Royaume
puiffant à la vérité , mais dechiré par
mille factions différentes qui ne s'accor
doient qu'en ce qu'elles ne vouloient
pas le reconnoître ; détefté des Ligueurs ,
mal fervi par les Royaliftes qui ne lui
donnerent que fix mois pour faire abjuration
, fufpect aux Huguenots même.
jamais fituation ne fut plus critique , ni
plus embarraffante que la fienne. Comment
débrouiller ce cahos ? Comment
appaiferles murmures , prévenir les complots
, étouffer les confpirations , ménager
les Catholiques fans fe rendre fufpect
aux Proteftans ? La moindre fauffe
démarche lui faifoit perdre & les uns &
les autres . Que de refus n'effuyat-il pas
du Surintendant le plus prodigue , le
plus prodigue , & le plus diffipateur des
hommes ! D'O faifcit une dépenfe énorme
,
tandis que
le Roi manquoit du
néceffaire ; la table du Surintendant étoit
fervie avec prcfufion , & le Roi portoit
un pourpoint déchiré. Sa douceur , fon
habileté , fa rare valeur , ce courage d'ef
prit que rien n'étonne ,& furtout l'abjuration
du Calviniſme faite à -propos , lui
ramenèrent les efprits , lui gagnerent les
coeurs , & l'éleverent enfin fur unThrône
dont il étoit fi digne.
JUILLET. 1763 .
Tremporta fur le Duc de Mayenne
un avantage confidérable à Arques ,
quoiqu'il n'eût guères plus de trois mille
hommes à oppofer à dix -huit mille ; il
le défit encore à Iviy , & ayant à peine
neuf mille hommes contre plus de trente
mille. Rappellons- nous ces mots fi
dignes d'être cités, & retenus : » Si vous
perdez vosEnfeignes, ralliez-vous à mon
Pannache blanc : vous le trouverez tou-
»jours au chemin de l'honneur & de la
gloire.
-
A
Quels prodiges de valeur ne fit - il pas
dans cette fameufe journée ? Il chargea
plufieurs fois à la tête de fon efcadron ,
& l'Ecuyer du Comte d'Egmont fut
tué de fa main. Lorfque l'affaire fut
· décidée , il couroit de tous côtés criant
au Soldat » Mes amis , épargnons le
fang François.
Le Duc de Mayenne fut vaincu malgré
la fupériorité du nombre , & cela
ne doit point étonner , fi l'on fait at
tention que ce Duc étoit plus longtems
à table qu'Henri IV. au lit. L'activité eft
fans contredit la premiere qualité du Général
; l'expérience d'ailleurs a fouvent
fait voir que la force d'une armée eft
moins dans le nombre , que dans la capacité
de celui qui la commande. Cefar
20 MERCURE DE FRANCE .
fut toujours inférieur à l'ennemi , les
Soldats de Pompée valoient bien les
fiens , mais Pompée ne valoit pas Céfar.
Après l'extinction de la Ligue & la
paix de Vervins , Henri IV. ne s'occupa
que du bonheur de fes Sujets , les
impôts furent diminués , l'ordre rétabli
dans les finances par les foins & les
lumières du Duc de Sully , grand hom
me d'Etat , grand homme de guerre ,
d'une vertu rigide qui facrifioit tout au
devoir & à la gloire de fon Maître .
Quelques années de paix avoient élevé
le Royaume à ce haut point de
grandeur & de gloire qui l'a mis de
tout temps au-deffus de tous les Etats
de l'Europe. Henri IV. voyoit la Couronne
fixée dans fa Maifon par la naiffance
de deux Princes qu'il avoit eus
de Marie de Médicis ; vingt millions
étoient déposés dans les caves de la Baftille
; une armée de cinquante mille
hommes étoit raffemblée fur les frontières
de l'Allemagne ; il alloit partir pour
en prendre le commandement ; le jour
même étoit déja fixé. On ignoroit fes
deffeins ; mais tout le monde fçavoit
les juftes fujets de plainte qu'il avoit
contre la Maifon d'Autriche : elle lui
retenoit le Royaume de Navarre ; & que
JUILLET. 1763.
n'avoit elle point fait pour lui ravir le
Trône fur lequel fa naiffance & fes vertus
lui donnoient de fi juftes prétentions
! La formidable puiffance de cette
Maiſon , la vafte étendue de fes Etats ,
les richeffes immenfes qu'elle tiroit du
nouveau Monde allarmoient l'Europe ;
tous les yeux fe tournoient fur Henri.
On le regardoit comme le feul Prince
en état d'abattre ce Coloffe , & l'on ne
doutoit pas que fes grands préparatifs ne
fuffent deſtinés à cet objet... Pouvoiton
prévoir que le meilleur des Rois , le
Père de fes Peuples , feroit affaffiné dans
fa capitale , au milieu de fes Courtisans
par un de fes Sujets ? Ciel ! gardonsnous
d'approfondir tes jugemens . Mais
c'eft Céfar , c'eft Henri IV. qui périffent
par la main de ceux que
leurs bienfaits
auroient dû défarmer , tandis que
Sylla, Philippe II. & l'odieux Cromwell
meurent tranquilles dans leurs lits !
On trouve plus d'une reffemblance
entre Henri IV. & Céfar. L'un & l'autre
ne fongerent qu'au bonheur de leurs
Sujets ; la clémence , la douceur , l'humanité
, la valeur , l'oubli des injures
furent leurs principales vertus ; tous
deux par la force des armes parvinrent
à la fuprême domination avec cette
22 MERCURE DE FRANCE .
différence qu'Henri IV. ne combattoir
que pour un bien qui lui appartenoit
& que Céfar ufurpcit celui d'autrui .
Tous deux fobres , tous deux vigilans ,
tous deux actifs , tous deux fçavans dans
l'art de régner , tous deux fçavans dans
celui de combattre ; le Romain fit peutêtre
de plus grandes chofes , mais le
François en fit de plus belles . Nés l'un
& l'autre avec un tempérament qui les
portoit à l'amour , Cefar fit toujours
céder ce penchant à fa paffion dominante
, l'ambition ; Henri IV. en fut
fouvent l'efclave . L'un fe fit de l'amour
un amuſement qui rempliffoit les intervalles
que lui donnoient fes grandes affaires
; l'autre en fit trop fouvent fon
Occupation unique , & c'eft peut - être
la feule tache qu'on puiffe reprocher à
fa mémoire. Cefar donnoit à pleines
mains l'argent qu'il devoit à fes extorfions.
Henri IV. oeconomifoit fur fes revenus
pour ne point véxer fes Peuples
dans les cas d'une dépenfe extraordinaire.
Tous deux crurent ne pouvoirvivre
tranquilles qu'en négligeant les
précautions que prennent les Tyrans
pour la confervation de leurs jours ; l'un
difoit que la mort la plus prompte & la
moins prévue eft la plus defirable , l'au
JUILLET. 1763. 23
2
tre qu'il vaut mieux mourir une fois
que de vivre dans des tranfes continuelles
perfuadés d'ailleurs de cette vérité
que toutes les précautions poffibles ne
peuvent retarder l'inftant où nous devons
périr. Céfar facrifia tout au defir
de s'agrandir ; on regrette que tant de
talens , tant de vertus , tant de grandes
qualités n'ayent fervi qu'à la deftruction
de fon Pays ; Henri IV n'envisagea jamais
que la gloire & le bonheur de la
France : ce fut le feul mobile des belles
actions qui le mettent à côté de Titus
& de Trajan : donc il l'emporte fur Céfar.
Si celui-ci a pris plus de villes , gagna
plus de batailles , celui-là acquit
plus de vraie gloire en rendant fes Peuples
heureux après les avoir délivrés des
Tyrans qui les opprimcient ; il joignit
aux talens de l'homme de guerre , les
vertus civiles & morales qui manquoient
à Céfar. Ils furent tous deux ambitieux ;
mais l'ambition de Céfar fut un crime
& celle d'Henri IV une vertu . En un
mot , l'un malgré fes grandes qualités
fut le fléau de l'humanité ; l'autre en
fut le père. Ils périrent tous deux du
même genre de mort & dans les mêmes
circonftances ; l'un alloit faire la
guerre
aux Parthes , l'autre aux Autrichiens.
24 MERCURE DE FRANCE
on ne peut voir fans verfer des larmes
à quel'excès d'aveuglement
& de rage ,
l'amour de la liberté d'un côté , le fanatifme
de l'autre poufferent des monftres
dont le nom feul fait frémir d'horreur
. Pour achever le parallèle , je dirai
que Céfar fut le plus grand des hom-
Henri IV le meilleur des Rois.
L'un eut plus de talens , l'autre plus de
mes ,
vertus.
Par M. de MONTAGNAC , ancien Capitaine
d'Infanterie.
L'ANNÉE RUSTIQUE ,
POEME M. de B ....
par
Séjour tumultueux où trompant nos defirs
L'ennui prend fi fouvent le mafque des plaifirs ,
Je fuis , je vais chercher dans un plus fûr aſyle
Des biens moins agités , un bonheur plus tran
quille
Que vous poffédez feul Villageois trop heureux
Habitans méprilês de ces ruftiques lieux.
Avec vous dèformais je ſuivrai la nature
Et je verrai la main payer avec ufure
>
De dons toujours nouveaux , des plus riches
faveurs.
L'hommage
JUILLET. 1763 . 25
L'hommage libre & pur que lui rendent vos
coeurs.
Par de févères loix envain la deſtinée
Dans le cercle inconftant qui compofe l'année ,
A femé tant de nuits & fi peu de beaux jours :
Pour vous tout eft ferein , tout a le même cours.
Quand le froid des hyvers rend les plaines oifives
A l'aspect des frimats quand les Nymphes craintives
Abandonnent les Bois pour les Antres profonds ,
Et que l'onde gémit fur le poids des glaçons ;
Le Laboureur caché fous le chaume ruftique ,
Tranquille près des Dieux de fon foyer antique ,
D'un bonheur inconnu goûtant l'obfcurité ,
Jouit en paix des biens que lui donne l'Été :
Ses Enfans élévés fur le fein de leur mère ,
Ne doivent point leur jour au la't d'une étrangère
Et n'éprouvent jamais les odieux tranſports
D'un coeur dénaturé qu'aigriffent les remords.
Annette ne fçait point , vaine dans fa tendrelle ,
Repouffer durement la main qui la careffe ;
Un moment à les fils accorder quelques foins
Et redouter encor l'oeil mocqueur des témoins.
Ce n'eft que la Nobleffe ou l'ingrate opulence
Qui maſquant leur orgueil du beau nom de décence
Font gloire de rougir des foibleſſes du fang ,
Et de facrifier la Nature à leur rang ;
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Mais bientôt le foleil à la terre endormie
Va rendre en nos climats la chaleur & la vie ;
Et du Pôle éloigné cet aftre de retour ,
Partage également les ombres & le jour ;
Sur le gazon naiffant l'amante de Céphale,
Peint de mille couleurs la vapeur qui s'exhale';
Les amours des oiſeaux annoncent le printemps s
Je vois l'agneau bondir , j'entends les boeufs paiffans
Mugir en s'agitant fous le joug qui les preſſes
La voix du Laboureur réveille leur pareffe ,
Tandis qu'à pas tardifs , ils vont avec efforts
De Cérès dans nos champs préparer les trésors .
Sous l'aîle des Zéphirs la main de la Nature ,
Fleurs , vous fait dans nos prés éclorre fans culture
;
Captives dans nos murs nos travaux & nos
foins
Vous offrent un afyle , où vous vous plaiſer
moins:
Tout paffe ; d'un matin la rapide durée ,
Voit flétrir les attraits dont Flore étoit parée.
Pourquoi faut-il encor qu'une indifcrette main ;
De vos plus beaux momens ofe avancer la fin ?
Victimes de l'amour , ornemens d'une Belle
Allez-vous lui prêter une grace nouvelle ,
Non , non
vous
méritez
un fort plus glorieux
.
›
L'Amour, car cependant il régne dans ces lieux ,
JUILLET. 1763. 29
Wes Bergers du Lignon déteftant la foibleſſe ,
Refpette ici des moeurs l'eftimable rudeffe
Et n'amollit jamais ces vertueux mortels.
Mais fi d'un Dieu vengeur les Décrets éternels
Ont dévoué nos jours aux pleurs , à la mifère ;
Si les maux dont Pandore a déſolé la tèrre ,
L'innocence , la paix & la frugalité
Ne peuvent affranchir la trifte humanité ;
Ce pâtre induſtrieux cherche à l'aide des plantes
L'art de renouveller fes forces languiffantes :
Ces Simples bienfaiſants vont par de doux efforts
D'un organe affoibli ranimer les refforts ,
Vaincre un mortel venin & faire que fans peine ,
La fang coule docile à la loi qui l'entraîne ;
Ou cueillis par les foins jufqu'aux fommet des
monts ,
D'un fouffle empoisonné garantir fes moutons,
De cent fecrets divers l'innocente magie
Fait renaître à fon gré les fources de la vie ;
Et fans aller chercher au fein des minéraux ,
Des fecours dangereux auffi craints que les maux ,
Il trouve à les calmer , inftruit par la Nature ,
Dans les plus fimples dons une route plus fure,
✪ mère généreuſe , & Nature , ô bienfaits !
Source qui t'épanchant ne t'épuifes jamais !
A l'éclat du Printemps , doux efpoir de Pomone ,
Vont fuccéder les biens dont l'Eté le couron ne ,
Le Laboureur content voit ' or de fes Gu erèts
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Répondre à fes travaux & combler fes fouhaits
Sous le poids des épis , Cérès courbe la tête ;
A recueillir fes dons le Moiffonneur s'apprête s
Et pour les partager méprifant la chaleur ,
Il égaye en chantant fon pénible labeur. *
Moins heureufe que lui , l'orgueilleuſe indolence
Appelle en vain la joie au fein de l'abondance ,
Son coeur indifférent à force de jouir ,
En prévenant la peine a chaſſé le plaifir.
Allez , fages Mortels , & par des facrifices ,
Rendez grâces aux Dieux qui vous font fi propices
;
Ufez , reconnoillans après tant de faveurs ,
Des innocens tréfors dont ils font les Auteurs ;
Ulez- en fans remords ; un travail légitime
Vous les a mérités fans ballelle & fans crime ;
Comtent de votre hommage , aux fruits de la
moiffon ,
Le Ciel va joindre encor ceux d'une autre ſaiſon .
L'Automne a du Printemps couronné les promeffes
;
Bacchus offre à vos voeux de nouvelles richeffes :
Déja de les rubis que vous allez cueillir ,
La Pourpre en mûriffant commence à s'affoiblir.
Scus le pampre moins verd , les larmes de l'Au
rore
Y mêlent au matin l'azur qui - les colore :
Hatez vous , Vendageurs , fortez de vos ha
meaux ,
JUILLET. 1763. 29
La ferpette à la main parcourez ces cô: eaux ,
Préparez ce nectar qui porte avec fa flâme
La fanté dans nos conps , le plaifir dans notre
âme.
Mais furtout n'ablez pas, Mortels audacieux ,
Mêler un Art perfide à ce jus précieux ;
Gardez -vous d'altérer cette liqueur divine ;
Tout fecours étranger à fa noble origine
Affoiblit fa vertu , la change en un poiſon
Qui détruit la vigueur & flétrit la Raifen.
C'eſt par là que de maux une foule cruelle
Abrége de nos jours la trame naturelte ,
Surtout quand par fes feux irritant nos defits ,
L'intempérance y joint fes funeftes plaifirs .
J'ai vu , j'ai vu fa main conduite par la rage
Dans le fein d'un ami fe chercher un paffage ;
Inutile forfait ! victime du remords ,
Le malheureux vainqueur eût defiré lá mort.
Du moins fi quelquefois livreffe & la licence ,
Dans vos jeux innocens appellent la vengeance ,
La pitié que l'orgueil étouffe dans nos coeurs
Arrête vos tranfports , maîtrife vos fureurs ;
Et ne fuivant jamais un faux honneur pour guide,
Ne croit pas que la Gloire exige un homicide.
Préjugé malheureux ! incorrigible abus ,
Qui fait que la valeur eft un vice de plus.
La Nature en gémit ; fa tendreffe outragée
Eût condamné la faute & ne l'eût point vengée ;
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
Aux cris de la douleur , aux accens de fa voix ,
Qui peut douter encor de rentrer fous les loix ?
Ah ! j'y cours ; entends- moi , Déeffe , je t'implore
.
Oui , j'abjure à tes pieds une erreur que j'ab
horre ;
Et vais à tes autels , garans de mon bonheur ,
Porter mon repentir mes fermens , & mon
coeur.
>
VERSfur le temps qu'il a fait le jour du
à l'imitation du Nocte pluit Feu
totâ , & c,
APRES les fureurs de la Guerre,
La Paix régne dans l'Univers ;
Après les éclats du Tonnerre ,
Le calme régne dans les Airs :
Mars a pofé fon Cimeterre ,
Et la Foudre céde à nos Feux :
C'eft au Bien-aimé de la Terre ,
Que l'on doit la faveur des Cieux.
Par M. dALBARET , Cenfeur Royal , de
l'Académie des Arcades de Rome,
JUILLET. 1763 . 31
IBRAHIM ET GÉMILLE.
HISTOIRE TURQUE *.
IBRAHIM
BRAHIM ASEK , ne fçavoit rien
de fa naiffance ; & dans la quantité d'Efclaves
Chrétiens qui furent enlevés par
Barberouffe fur les côtes du Royaume
de Naples , quand du temps des guerres
de Charles-Quint & de François I. les
Turcs firent de fi gtands défordres en
Calabre & en Sicile , Ibrahim Afek fut
du nombre de ceux qui furent amenés
à Conftantinople. Il n'avoit que cinq
ans , & ne connut de Religion , de nom
de famille , ni de pays que ce que les
gens qui l'éleverent lui en apprirent . Il
étoit bien fait , & lorfqu'à l'âge de vingtdeux
ans , l'on le tira du Serrail , & qu'il
fut envoyé au Caire , pour être Officier
Subalterne des Hifpaïs , l'on crut qu'on
ne lui avoit donné cet emploi que pour
le retirer d'auprès de la mère du Grand-
Seigneur , à laquelle l'on prétend qu'il
avoit commencéde plaire. C'eftaffez l'ufage
lorfque quelqu'un a été dans certain
* Tirée du Portefeuille d'un ancien Ambaſſadeur
de France à Conftantinople.
Biv
#2 MERCURE DE FRANCE .
degré de faveur au Serrail , & que l'on
veut s'en défaire honnêtement , de l'envoyer
au Caire avec un établiſſement :
en forte que paffé en Égypte , il n'eſt
plus. queftion de lui à Conftantinople ;
& c'eft ainfi fouvent que les Sultans &
les Sultanes,quand ils ont affez d'humanité
pour ne leur pas ôter la vie , fe
font défaits de leurs Favoris & de leurs
Favorites ,& plus fouvent encore de leurs
Eunuques noirs , qui par l'entière connoiffance
qu'ils ont de toutes les actions
& des intrigues de leurs Maîtres pourroient
les perdre. Ce qu'il y a de certain
, c'eft qu'Ibrahim_arriva avec affez
d'argent & de biens , pour que particuliérement
recommandé à l'Aga du
Caire , il fe trouvât bientôt en état d'acheter
non-feulement des terres , des
Efclaves , & tout ce qui pouvoit contribuer
à fa commodité , ainfi qu'à fes plaifirs
, mais même pour parvenir après
dix ans de fervice , au pofte éminent de
Général du Corps des Hifpaïs.
Un Courtier d'Efclaves que l'on nomme
un Cenfal , l'avertit un jour qu'un
Turc avoit amené parmi un nombre.
affez confidérable de belles Efclaves
qu'il vouloit vendre , une fille qu'il difoit
Georgienne , & qui étoit d'une beau
JUILLET. 1763. 33
té achevée. Le Général des Hifpais la
trouva en effet charmante , & l'acheta
vingt mille parats , qui font de notre
monnoye environ quatre cens écus .
Le Caravanserai , ou Marché où ſe
vendent les Efclaves , eft compofé au
Caire de quatre grands corps de logis
magnifiques , qui entourent une grande
cour quarrée , au milieu de laquelle eft
une Moſquée. C'eft fous les portiques
de cette cour que les Marchands tiennent
de grands Magafins , où ceux qui
ont acheté des Efclaves & prétendent
les vifiter avant que d'en payer le prix
les font entrer dans des cabinets deftinés
à cet ufage. On y trouve auffi
des bains chauds , & des fontaines à
l'ufage des femmes que l'on achete ; &
c'eft- là qu'Ibrahim fut fi content de la
belle Efclave , nommée Gémille , qu'il
commença non-feulement de l'acheter
comme Efclave , mais à l'aimer comme
Maîtreffe.
Gémille ne put gagner fur elle d'être
auffi contente de fon Maître . Avant
qu'elle fût livrée par le Marchand , elle
n'oublia même rien de ce qui étoit en
elle pour 'faire rompre le marché &
pour obliger le Cenfal de la donner à
un Simple Janiffaire qui l'ayoit marchan-
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
dée dans le Caravanferai avant que
Général des Hifpats l'eût vue. Ce Janniffaire
n'avoit pu l'achetter , parce que
le prix de la jeune Efclave excédoit de
beaucoup celui qu'il y pouvoit mettre .
Muftapha Hamet , ( c'eft le nom du Janniffaire
) vit avec peine la préférence
qu'Ibrahim n'obtint que parce qu'il
avoit plus d'argent que lui ; & Gémille
regretta de fe voir entre les mains d'Ibra
him , & de n'avoir pû refter dans celles
de Muftapha.
La maifon du Janniffaire fe trouvoit
placée vis-à-vis le Palais du Général des
Hifpaïs ; & cette circonftance fit alternativement
le bonheur , le malheur , &
l'occupation du Janniffaire , & de la
belle Efclave. L'occafion de fe voir
quelquefois par la fenêtre au travers
de la rue , & toutes les fois que l'un
ou l'autre fortoit , leur infpira une
efpéce de jargon de mines , & une
forte d'intelligence mutuelle , toujours
confolante pour les perfonnes qui s'aiment
& qui fe trouvent dans une
contrainte auffi cruelle que celle où fe
trouvoient ces deux amans. Ibrahim de
fon côté n'oublioit rien pour plaire &
pour gagner le coeur de fon E clave ,
mais toujours fans fuccès ; & Mustapha
JUILLET. 1763. 35
pour plaire, n'avoit qu'à fe montrer. Gémille
n'accordoit à fon Maître que les
faveurs qu'elle ne lui pouvoit refufer ; &
le dégoût de cette jeune Efclave alla
au point qu'Ibrahim furieux s'emporta
un jour jufqu'à jurer par le Tallak ,
de la faire revendre en plein marché.
C'est pour les Efclaves la plus grande
infamie qu'elles puiffent recevoir ; mais
la Loi porte que quiconque a juré par
le Tallak , eft obligé d'accomplir fon
ferment ; elle exige même lorfque le
mécontentement entre le Maître & l'Efclave
eft parvenu au point de ne pouvoir
plus vivre enfemble , que l'Esclave
puiffe fe plaindre publiquement dans la
Mofquée , demander la féparation d'avec
fon Maître , & à être vendue à un autre.
Ibrahim n'eut pas fitôt juré qu'il revendroit
Gémille , que fière de l'occafion
qui fe préfentoit d'être délivrée de
celui qu'elle regardoit comme fon tyran
, elle le menaça à fon tour de fe
jetter dans la première Mofquée , & de
demander elle-même la féparation qu'il
fembloit defirer.
Ibrahim qui l'aimoit , craignit qu'elle
n'éxécutât ce deffein . Pour l'empêcher ,
il lui ferma pendant affez longtemps
portes du Palais , & la remit enfin à les
B vj .
36 MERCURE DE FRANCE .
un Cenfal , pour la vendre , dans la
vue de la racheter lui - même . C'eft ainfi
qu'il efpéroit accomplir non feulement
le ferment qu'il avoit fait de la
revendre ; mais prévenir un éclat dans
la Mofquée , qui l'auroit pour jamais
privé de l'efpérance de la revoir.
Gémille avertie qu'elle devoit fe préparer
à être remife à un Cenfal & fe
parer pour être revendue , trouva moyen
d'en faire avertir Muftapha, qui fe rendit
de bonne heure au Caravanferai.
Là, fans paroître qu'il l'eût jamais vue ,
le Janniffaire en demanda froidement
le prix ; à quoi le Cenfal répondit qu'il
en vouloit vingt cinq mille parats ,
Tandis que le Janni ffaire & le Cenfal
difputoient fur l'exhorbitance de ce prix ,
deux femmes apoftées percérent la foule
affemblée dans le Caravanferoi , firent
figne de l'oeil à Gémille de fuivre l'une
d'elles , & trouverent le moyen de la
fouftraire aux regards du Cenfal pendant
que l'autre lui marchandoit une
autre Efclave .
Le Cenfal quoiqu'occupé de ce nouveau
marché , revint bientôt à celui de
Gémille , & demanda ce qu'elle étoit devenue
? Cette femme, pour le dérouter,
lui montra une porte dans laquelle elle
JUILLET. 1763. 37
que lui dit l'avoir vue entrer ; & tandis
le Cenfal courut à cette porte & chercha
fon Efclave , Gémille , conduite
par l'autre femme , eut le loifir de fe
jetter dans une autre maifon , d'où
après s'être déguifée de façon à ne
pouvoir être reconnue , elle fut conduite
chez fon cher Janniffaire.
Le défelpoir du Général des Hifpaïs
fut inexprimable ; il dénonça le Cenfal,
l'accufa d'infidélité devant le Juge , qui
le condamna à recevoir cent cinquante
coups de bâton fur la plante des pieds ,
& à refter en prifon jufqu'à ce qu'il
rendît l'Esclave , ou le prix qu'on l'avoit
voulu vendre. Cependant Muftapha
étoit heureux avec fa chère Gémille
qu'il cachoit foigneufement à tous les
yeux ; & Gémille fe trouvoit fi heureufe
chez fon nouveau Maître , quoiqu'infiniment
moins riche , que fon
unique crainte étoit de retomber fous
la puiffance du Général des Hifpaïs.
Celui- ci , après avoir longtemps gémi
de la perte de fa maîtreffe , crut enfin
pouvoir faire diverfion à fa douleur
en offrant fà main à une Veuve plus
opulente qu'aimable , & qui depuis
longtemps avoit marqué du goût pour
lui.
38 MERCURE DE FRANCE
J
Mais il ne pouvoit oublier fon Efcla
ve ; il paffoit des jours malheureux
tandis que leJanniffaire & Gémille étoient
au comble de la félicité . La fortune du
Janniffaire étoit des plus modiques; mais
rien ne manque aux coeurs contens. Une
feule Efclave les fervoit tous deux , &
cette Efclave étoit une vieille femme Italienne,
qu'il avoit achetée à bon marché
dans le dernier voyage qu'il avoit fait
à Conftantinople.
Un jour que la belle Gémille fortoit
du bain , la vieille Efclave s'apperçut
en lui frottant les pieds , que fa Maîtreffe
lui déroboit la vue de fon pied
gauche . Cette attention que ju ques - là
elle n'avoit pas remarquée , excita la curiofité
de la vieille au point , qu'après
avoir inutilement preffé fa Maîtreffe de
lui apprendre ce que fignifioit une défiance
auffi fingulière ; elle parvint un
jour à découvrir que Gémille avoit un
double doigt au pied gauche , eſpéce
de difformité , que la belle Efclave
avoit toujours eu foin de cacher.
Ah ! Madame , s'écria la vieille Ef
clave , à cette vue ; oferois- je vous demander
fi vous fçavez quelle eſt votre
naiffance ? Je fçais uniquement pour
l'avoir oui - dire , répondit Gémille
JUILLET. 17635 . 39
quoique vendue comme Georgienne ,
que j'ai été enlevée à l'âge de cinq
ans fur les côtes de Naples.
A ces mots , la vieille fe jettant à fes
pieds , & lui embraffant les genoux ,
Madame ! s'écria- t-elle en fanglottant ,
le Ciel comble enfin tous mes voeux : le
Prince de Bifigniane , pour éffayer d'avoir
quelques nouvelles d'un fils &
d'une fille qui avoient été enlevés
avec d'autres perfonnes par les Turcs ,
quand Barberouffe vint fur les côtes
du Royaume de Naples , m'a envoyée
depuis longtemps dans la Turquie.
Après avoir été prife fur un Vaiffeau
Venitien , comme j'allois à Conflantinople
; ce même Janniffaire qui vous
aime, m'a achetée & menée au Caire, où
j'ai maintenant le bonheur de fervir &
de retrouver enfin la fille de mon Maître
Quoi ! Fatime s'écria Gémille étonnée
? quoi ! fur cette feule preuve....
Il ne m'en faut point d'autre , Madame ;
celle- ci , jointe à votre âge , fuffit pour
me convaincre que je revois en vous la
fille du Prince de Belignane .Votre frère ,
qui n'avoit que trois ans plus que vous ,
avoit également un double petit doigr
au pied gauche ; & fi ce frère vit encore
, il ne manque plus à ma félicité
que de le retrouver ainfi que vous !
,
40. MERCURE DE FRANCE.
Le Janniffaire qui entra dans ce mo
ment & à qui Gémille ne balanca pas
de faire part de la découverte de la vieille
, ne fut pas fâché d'apprendre que
fon Efclave pouvoit être d'une naiffance:
diftinguée . Il en conçut pourtant bientôt
quelques allarmes , dans la crainte
que fçachant fa naiffance , fa maîtreffe
ne cherchât de concert avec la vieille ,
les moyens de retourner dans fa Patrie.
Ses attentions pour elle augmenterent
encore par la crainte de
la perdre . Gémille de fon côté ne fongeoit
qu'à lui plaire ; & comme elle
n'avoit de Religion , que celle dans laquelle
elle avoit été élevée ; que la
vieille Efclave de fon côté n'étoit que
médio crement inftruite dans la fienne
propre ; le defir de revoir fes parens ,
joint aux obftacles à franchir pour en
concevoir l'efpérance , les déterminerent
aifément à continuer de vivre dans
la condition tranquille où l'un & l'autre
fe trouvoient.
誓
Pendant que la petite famille du Janniffaire
jouiffoit au moins paifiblement
de toute la douceur d'une vie auffi fimple
qu'uniforme , celle du Général des
Hifpais , étoit en proie aux plus grands
troubles. Le dégoût d'Ibrahim pour fon
JUILLET. 1763 .
41
époufe , étoit parvenu au point , que
cette femme lui étant devenue infupportable
, il conçut l'affreufe réfolution
de s'en défaire . Après avoir gagné un
Batelier , il propofa à fon époufe une
promenade fur le Nil. Le Batelier gagné
, ayant fait tourner le bateau
contre les ruines d'un moulin abandonné
, le fit renverfer de façon que la
femme d'Ibrahim & fa fuite , à l'exception
d'une Efclave noire , y périrent.
Cette Efclave , qui fuivant l'ufage des
femmes d'Egypte fçavoit nager , eut
même le bonheur , malgré tous les efforts
que firent Ibrahim & le Batelier
pour lui faire fubir le même fort , de
gagner le rivage oppofé au leur , & de
courir rendre compte au Divan du
crime de fon Maître. Le Batelier arrêté ,
le Général , malgré fon rang , le fut
auffi . L'Efclave & le Batelier le chargerent
; & l'éxécution de la fentence ne fut
fufpendue que pour envoyer à Conftantinople
demander au Grand-Seigneur la
permiffion de le faire mourir. Le Grand-
Vifir n'étoit malheureufement point de
fes amis , à caufe de quelques démêlés
qu'ils avoient eu ci- devant dans le Serrail
; en forte que le Grand- Seigneur
ordonna que non - feulement le Gé
42 MERCURE DE FRANCE.
néral des Hifpaïs , feroit dégradé de fa
charge , mais qu'après avoir été trois
jours de fuite expofé nud à la vue du
Peuple , il feroit empalé tout vif.
Gémille , en apprenant cette nouvelle
, malgré tout fon éloignement pour
Ibrahim , ne put que plaindre le fort
d'un homme dont elle avoit été fi éperdûment
aimée , & chargea la vieille Efclave
d'aller lui témoigner combien elle
y étoit fenfible . Cette femme en s'ap
prochant du Criminel , qui étoit déja
éxpofé nud auxyeux du Peuple , fut fort
étonnée de lui voir le petit doigt du pied
gauche comme celui de Gémille ; & ne
doutant pas qu'il ne fût le frère de fa
Maîtreffe , elle courut avec tranſport
l'en avertir ; & l'une & l'autre après en
avoir obtenu la permiffion de Muftapha,
vinrent en tremblant pour s'éclaircir d'un
événement auffi furprenant que funefte
. Le Janniffaire fe joignit à elles ;
tous enſemble allerent fe jetter aux pieds
des Juges pour demander la grace d'Ibrahim
, ou du moins la fufpenfion de
fon fupplice jufqu'à ce que le Sultan fût
informé de fon Hiftoire , ainfi que de
la grandeur de fa naiffance. Gémille
enfin n'oublia rien pour les perfuader ;
& la fingularité de cette avanture deJUILLET.
1763. 43
venue publique , excita tout le Caire à
s'intéreffer pour fon frère. Mais la réalité
, ainfi que la noirceur du crime
étoient trop connues pour qu'il pût demeurer
impuni. Tout ce qu'on put auprès
des Juges , fut d'obtenir que Gémille
l'entretint en fecret quelques heures
avant fon dernier fupplice avec la vieille
Efclave. Cette entrevue ne fçauroit fe
décrire tout ce que l'amour , la furprife
, la pitié , la tendreffe & l'enchaînement
de tant d'avantures bizarres
peuvent jetter dans le coeur & dans l'efprit
, fe dit & fe paffa dans les derniers
adieux du Criminel , & de la belle Efclave
. Ibrahim lui demanda pardon de
tous les mauvais traitemens qu'elle avoit
reçus de lui . Gémille fondoit en larmes
; & il fallut pour les féparer , employer
la violence. Ibrahim fut enfin
éxécuté , après avoir demandé & obtenu
la permiffion de donner tout fon
bien à fa foeur , & avoir fait permettre
au Janniffaire Muftapha qu'il l'épouferoit.
44 MERCURE DE FRANCE .
LA MÉCHANCETÉ PEU REDOUTABLE .
FABLE.
UN fot Crapaud , bouffi d'orgueil ,
Voifin d'une humble violette ,
Aimable fans être coquette ,
La regardoit de mauvais oeil.
Piqué de l'horreur qu'il inſpire ,
Il veut lui fouffler fon poifon ;
L'Envieux jamais n'eut raifon :
La Belle auffi n'en fit que rire.
C'eſt en vain , lui dic cette fleur ,
Que tu veux ternir ma couleur :
Phabus, vainqueur de ton haleine ,
Me fait peu redouter ta haine.
D'un noir complot , quel eft le prix ;
Que peut-on gagner à mal faire ,
Sinon de doubler ſa miſère ,
Lorfqu'on infpire le mépris ?
Par l'Hermite de Buxeuil, Abonné au Mercure.
JUILLET. 1763. 45
PAR O DI E ,
Sur l'air : Jufque dans la moindre chofe , de l'Opéra
Comique On ne : s'avife jamais de tout.
JUSQUE dans la moindre choſe ,
Malgré moi percent mes feux ;
Je vous regarde & je n'ofe
Sur vous arrêter les yeux.
L'enchantement , le délire ,
Près de vous vient me faifir :
Loin de vous mon coeur foupire ,
Et ma peine eft un plaifir.
Mais fi votre aimable bouche
Parle ... quel ſon gracieux !
Ce fon raviflant me touche
Plus qu'un air mélodieux.
Si vous marchez , fur vos traces
Je refpire un air plus doux ;
Et dans un cercle de grâces
Je ne vois , n'entens que vous.
Jufque , &c.
46 MERCURE DE FRANCE:
AU TEMPS ,
ODE AN ACREONTIQUE.
T.o dont le vol précipité ,
Mefurant notre deſtinée ,
Entraine avec rapidité ,
De nos jours la courſe bornée ;
O temps ! qu'avec retardement
Le moment que j'attens s'avance ;
Et que tu marches lentement :
Au gré de mon impatience !
Ce foir , à plaifir enchanteur !
Je verrai celle que j'adore :
Le tendre eſpoir de ce bonheur
Ouvre mes yeux avant l'aurore.
Hâte , preffe l'heure qui fait ;
O temps , feconde mon envie !
Chaque inftant que ta main détruit ,
Eft un préfent fait à ma vie.
Près de Palmire , à fes genoux ,
Ce foir d'un tel foin je te quitte.
Hélas ! dans des momens fi doux ,
Tu ne palleras que trop vite.
JUILLET. 1763. 47
ENVOI A M. L. S.
Ainfi dans des jours plus heureux;
Vous approuviez ma tendre flâme.
Le temps a reſpecté mes feux ;
Les a-t-il éteints dans votre âme ?
A Lyon.
VERS fur le mariage de Mlle CORNEILLE
, dont M. de VOLTAIRE
a donné la dot.
LAgloire avec fes plus brillans rayons
Dans deux cartouches de lumière ,
Avoit écartelé les noms
Et de Corneille & de Voltaire.
Dans la jeune Beauté dont vous êtes l'appui ,
Vous honorez le ſang du père de la ſcène ,
Après vous être élevé juſqu'à lui ;
Et la vertu vous unit aujourd'hui ,
Autant qu'avoit fait Melpomène.
Parla MUSE LIMONADIERE)
48 MERCURE DE FRANCE.
SECOND CARACTÈRE DU VRAI
PHILOSOPHE. "
*
L'HOMME VERTUEUX.
LESES charmes de la vertu feront toujours
de vives impreffions fur le coeur
du vrai Philofophe , parce que la vertu
feule peut le rendre véritablement heureux.
C'eft dans le coeur de l'honnête
homme qu'elle fixe fon féjour , qu'elle
régne en Souveraine. Les affections
de l'homme font les fujets qu'elle prend
plaifir à gouverner. Les loix qu'elle
prefcrit , les bornes qu'elle oppofe aux
faillies des paffous , à l'impétuofité des
defirs , ne préfentent rien de trop pénible
à l'homme vertueux ; c'eft un
joug doux & bienfaisant , auquel il ſe
foumet fans contrainte : ce font des liens
auxquels il fe livre & s'abandonne par
choix , par goût & par inclination.
Liens refpectables ! qui bien loin de
peindre à l'efprit l'image rebutante &
toujours défagréable d'un efclavage hon-
* Nous avons donné le premier Caractére dans
le Mercure du mois de Mars dernier.
teux ,
JUILLET. 1763 . 4.9
teux , de préfenter des fers , des entraves
cruelles & préjudiciables à la liberté
, ne fervent au contraire qu'à nous
faire triompher de nos préjugés , qu'à
nous arracher à nos penchans vicieux ,
qu'à déraciner nos habitudes criminelles
, qu'à entretenir enfin une fage oeconomie
dans toutes les facultés de notre
âme. Perſpective heureufe pour le fage !
quels motifs de confolation & de joie !
que de principes sûrs & infaillibles pour
régler & motiver notre conduite , tourner
toutes nos idées du côté du bien ,
éclairer , décider nos fentimens & notre
volonté ! quelle fource féconde de plaifirs
purs & inaltérables Les chaînes
qui nous lient à la vertu , font des guirlandes
de fleurs qui environnent délicieuſement
le coeur de l'homme , tandis
que le vice le tient dans une oppreffion
pénible & douloureufe .
O vertu ! fi l'homme eft ton efclave ,
c'eft un esclave heureux & chéri ; ou
plutôt il eft libre dès qu'il te fert. Les
chaînes précieufes qui l'attachent à toi
ne peuvent le dégrader par une crainte
fervile , ni l'avilir par un fordide intérêt.
Des motifs fi humilians font indignes
de lui : l'éclat de tes bienfaits et le
digne prix que tu propofes à fa conftan-
II. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
te fidélité. Jouiffance heureuſe ! qui excite
& comble tout à la fois la foif de
nos defirs. Vertu ! âme de notre âme ,
Reffort heureux de nos fentimens !
Amour du Sage ! bonheur folide de
l'homme vertueux ! viens échauffer mon
efprit & mon coeur. Prête-moi ce langage
noble & fublime pour peindre
avec des traits.de feu ces traits fi
pro
pres à te caractérifer . Sois l'âme & la ,
vie de mes expreffions ! Je fçais qu'il ,
faut être vertueux foi- même pour faire
avec fuccès ton apologie ; car on n'eft
jamais plus vrai, plus éloquent que lorfque
le coeur nous infpire ; mais
du
moins , ô vertu reçois le foible éffai
de mes talens , comme l'hommage fincere
d'un coeur qui brûle de t'appar
tenir.
Si la jouiffance du vrai bonheur ne
fe trouve que dans la pratique de la
vertu , la vertu nous fournit elle-même
les moyens de jouir & d'être heureux .
Je n'entreprendrai point ici de décou
vrir tous les obftacles que notre corruption
oppofe à notre felicité. L'Analyfe
du coeur de l'homme , le tableau
de fes paffions ouvrent à l'efprit une
carrière trop vafte & trop étendue :
c'est une fource inépuifable de réflexions.
JUILLET. 1763. SI
utiles ; c'eſt un ouvrage immenfe bien
capable d'inftruire , d'éclairer & d'occu
per la raifon de l'homme fpéculatif : les
moindres détails en font intéreffans , &
la vie du Philofophe eft trop courte
pour en faifir toutes les nuances , quoiqu'il
en faffe l'objet de fes méditations
profondes & journalieres.
Quels font donc les moyens qui conduifent
à la vertu ? Qu'est- ce qui caractérife
l'homme vertueux ?
L'honnête homme a des devoirs à
remplir , devoirs fi effentiels qu'il ne
peut les enfreindre fans fe rendre malheureux.
Une Religion à pratiquer ; ce
devoir eft un jufte tribut de reconnoiffance
qu'il ne peut réfufer fans la plus
noire ingratitude à l'Etre fuprême , le
plus tendre de tous les pères , & fon
premier bienfaiteur. C'eft le premier cri
du coeur ; c'eft un devoir prefcrit par la
Loi naturelle ; c'eft une voix intérieure
qui fe fait entendre malgré le bruit
confus des paffions les plus tumultueufes.
Elle lui crie avec force , cette voix
puiffante , qu'il y a un Dieu , que ce
Dieu demande un culte , que ce culte
confifte dans un amour de préférence &
fans bornes , dans la pratique de toutes
les vertus morales & chrétiennes ; que
Cij
52 : MERCURE DE FRANCE.
le vrai bonheur n'eft attaché qu'à fa
fidélité & à fa perfévérance dans le bien.
Tout lui annonce l'existence d'un Être
infiniment grand & infiniment aimable.
à Foibles Mortels ouvrez les yeux
la lumière. Quel fpectacle de merveilles
ce vafte Univers ne vous offre-t-il
pas ? Le Soleil qui par fon éclat découvre
à l'oeil furpris les richeffes immen
fes de la nature ; cet Aftre bienfaiſant
qui échauffe , féconde & vivifie la terre,
& lui fait enfanter dans le temps , des
productions fi utiles & fi néceffaires. La
nuit , qui par fes fombres voiles , arrête
l'homme dans le cours de fes travaux ,
& l'invite à goûter les douceurs du fommeil
. La Lune & les Etoiles, qui par une
lumière plus douce , femblent ménager
& economifer , pour ainfi dire , la vue
de l'homme , cet organe fi délicat & fi
précieux. La terre couverte d'une abondante
moiffon' : les arbres furchargés &
comme affaiffés fous le poids de leurs
fruits. Ces brillans tapis de verdure
émaillés de fleurs qui parent le Printemps
: tous les animaux fubordonnés à
l'homme comme à leur fouverain , deftiés
à fon fervice & à fa nourriture. Le
Lamage des Oifeaux , qui par l'agréable
1
JUILLET. 1763. 53
" variété de leurs concerts réveillent
l'homme de fon affoupiffement ; font renaître
dans fon coeur de nouveaux fentimens
de plaifir & de joie. La lumière
fuccéde aux ténebres , le jour à la nuit ;
l'homme s'arrache des bras du fommeil ,
paffe du fein du repos à l'ardeur du travail.
Les forces réparées préparent à de
nouvelles fatigues , & l'homme dans les
différens états fe livre au genre de travail
que fon génie & fes talens lui ont
fait embraffer . L'Univers alors eft un
tableau mouvant dont l'agréable variété
fixe l'attention & l'admiration. Le monde
eft un vafte Théâtre , où chacun fe
difpofe à jouer un rôle plus ou moins
intéreffant : tout fe réunit enfin dans la
Nature ; c'eft le çri univerfel : tout le
porte & l'invite à la reconnoiffance. :
Philofophes du temps ! en vain vous
ufurpez le titre de Sages ; en vain vous
cherchez à vous diftinguer du commun
des hommes par une manière de penfer
particulière qui révolte la Raifon, par
une certaine affectation de fupériorité
de génie , qui n'eft qu'un rafinement
fubtil de vanité & d'orgueil , dont tout
le fruit eft d'humilier & d'indifpofer le
refte des humains : vous ne juftifiez que
trop leurs juftes reproches. En vain
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
ferez -vous retentir à nos oreilles vos fyftêmes
d'incrédulité , vos maximes impies
: nous frémirons de vos blafphêmes ;
mais nous n'en croirons point votre
bouche impure , que le coeur fera toujours
forcé de démentir malgré vous :
nous plaindrons votre aveuglement &
nous gémirons fur vos erreurs .
L'exiſtence d'un Être fuprême exige
la néceffité d'un culte & d'une Religion.
La Providence qui fe fignale tous
les jours par de continuels bienfaits ; un
Dieu de qui nous tenons la vie , qui
nous fournit libéralement & abondamment
les moyens d'en jouir, qui ne ceffe
de prévenir nos befoins , qui n'ouvre
Les mains généreufes que pour répandre
fes trésors avec profufion , qui diffimule
nos injures & nos offenfes , & ne
paroît fe fouvenir que de fa qualité de
Père & que nous fommes fes enfans :
Toujours prêt à nous recevoir , malgré
nos infidélités , il nous ouvre fon fein
paternel pour y puifer toutes fortes de
confolations. Quel homme fur la terre ,
quel Héros fameux feroit capable d'une
telle générofité ? Oppofer des bienfaits
à des ingratitudes , des graces à des forfaits
, le pardon à l'injure , la tendreffe
à l'infenfibilité , quelle patience ! quelle
JUILLET. 1763. 55
L
t
grandeur ! ........ Dieu feul poffédé
Péminence & le comble des vertus.
Le coeur de l'homme fera- t- il donc
formé à la reconnoiffance ? Se dégradera-
t-il par l'ingratitude la plus monftrueufe
, en oubliant ce qu'il doit à fon
bienfaiteur? Ou plutôt fera- t-il affez infenfé
, affez ennemi de lui- même , pour
ne pas faifir les vrais moyens d'être heureux
? Dieu n'exige rien qui foit trop
au-deffus des forces de l'homme , qu'il
ne ceffe de foutenir. Il ne demande point
des facrifices qui coûtent trop à la
nature : lorfqu'on a contracté l'heureufe
habitude de la vertu , dès les premiers
jours de la jeuneffe , je ne doute
pas qu'il n'en coûte à l'homme bien né
pour fortir du chemin de la vertu , ou
pour déraciner en lui l'habitude du vice
lorfqu'il a eu le malheur de s'y engager.
Homme ! j'en appelle à ta propre
expérience .
Quel est donc le facrifice que Dieu
exige de nous ? celui de notre coeur ,
c'eſt -à -dire , toutes nos affections , tout
notre amour. Le coeur eft fait pour aimer
, & tout eft poffible à un coeur
qui aime véritablement. Ubi amatur ,
non laboratur. Les régles que Dieu nous
prefcrit n'offrent rien de dur ni de ty-
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
rannique . Sa Loi eft une Loi de douceur
& de charité , ce font des vertus à
pratiquer , & ces vertus font l'appanage
effentiel de l'honnête homme . Voilà en
deux mots la Religion , nos devoirs ,
notre culte.
La fidélité à fon Roi eft moins un
devoir prefcrit par la Religion , qu'une
Religion elle-même, fi intimement unie
à la premiere , qu'on ne peut violer l'une
, fans devenir prévaricateur de l'autre
. Il n'y a point de prétexte confenti
par la Raifon , qui puiffe fouftraire des
Sujets à l'obéiffance & à l'amour qu'ils
doivent à leur Souverain , après ce que
l'on doit à Dieu. La premiere vertu
d'un coeur François eft d'aimer fon Roi,
& de lui être inviolablement attaché.
Les devoirs relatifs au prochain ouvrent
à l'homme de bien une vafte
carrière à parcourir , d'autant plus glorieufe
pour lui , qu'on peut compter fes
vertus par fes démarches.
L'homme * fe doit à l'homme , en tout rang
à tout âge ,
Sur le riche orgueilleux , l'indigent a des droits ;
Le foible fur le fort , l'imprudent fur le fage
Les Sujets fur les Rois .
* Vers de M. Thomas.
JUILLET. 1763 . 57
Ta dors, & les mortels autour de toi gémiffent:
La terre enfanglantée eſt en proie au malheur :
Tu dors , & nous pleurons ; & partout retentiſſent
Les cris de la douleur.
Ces antiques héros , ces fages qu'on renomme :
Servoient le genre humain & ne l'eftimoient pas ,
* Plutôt que de manquer à fervir un feul homme ,
Rens heureux mille ingrats !
Qu'importe les tributs de la reconnoiffance ?
~ N'as-tu pas Dieu pour toi , les vertus & ton coeur ,
Ta gloire en eft plus pure ; & l'ingrat qui t'offenfe ,
ajoute à ta grandeur.
L'homme par les forfaits irritant le tonnerre ,
Du Dieu qui l'a créé fem ble infulter l'amour :
Et Dieu prodigue à l'homme , & les fruits de la
terre
Et les rayons du jour.
L'humanité préfente un tableau infini
par la multiplicité des objets qui y font
tracés . La générofité , cette vertu des
belles,âmes , eft feule capable de par
courir ces objets & de les faifir avec
fuccès. Ici des malheureux , victimes de
l'opprefkon , gémiffent dans les fers ,,
fans appui , fans protection , prêts à être
immoles à l'ambition & à la fureur'd'enpemis
cruels & fanguinaires. En vain
CN
< 8 MERCURE DE FRANCE.
font - ils retentir de leurs cris douloureux
, de leurs gémiffemens pitoyables ,
l'affreufe obfcurité de leurs cachots . Là,
ce font des miférables ; foibles , languiffans
, prêts à fuccomber fous le poids
de l'indigence la plus extrême , qui n'ont
plus d'autre reffource que leurs larmes
& leurs cris . Ici , des enfans expirans fur
le fein livide & defféché de leurs meres,
qui détournent en mourant leurs triftes
regards , pour épargner à la nature les
horreurs de la mort , qui environnent
déja ces tendres fruits de leur
Quel fpectacle. pour
amour. ·
4
un coeur vertueux ! Là , le mérite indigent
gémit dans le fonds de fa retraite.
Sa mifére lui étouffe la voix pour reclamer
la protection des Grands ; fes talens
, qui feroient peut - être autant de
traits de lumiere , pour éclairer & inftruire
fon fiécle , demeurent ensevelis
dans la nuit du filence.
Rapellerai - je enfin ces généreux défenfeurs
de la patrie , qui après avoir
facrifié leur vie & leur fortune , pour
le falut de l'Etat , manquent de tout fecours
, & languiffent fans récompenfe.
L'honneur toujours délicat fur les procédés
, n'eft que trop fouvent bleffé par
le refus outrageant des grands : eux ,
JUILLET. 1763. 59
qui par état , devroient être leur plus
ferme appui , expofer leurs befoins
folliciter une récompenfe fi légitimement
due à ces braves mais malheureux
guerriers qui n'ont plus d'autres
richeffes que leur honneur & leur vertu .
L'homme vertueux qui connoit toute
l'étendue de fes obligations envers le
prochain , gémit fur les maux de fes
femblables ; fon coeur s'émeut dé compaffion
; fa pitié n'eft point ftérile ; il
confacre fes talens & fon pouvoir à fervir
, à protéger , à foulager & à réparer
par fes largeffes les malheurs de l'humanité
: Il produit au grand jour tout
l'éclat des vertus néceffaires aux befoins
des hommes. L'amour-propre fe tait , il
n'eft occupé que du bien qu'il veut faire ;
fa modeftie veille à l'entrée de fon coeur
aux intérêts de fa vertu ; fon bonheur
eft de faire des heureux . Vrai fage , ami
de l'humanité , homme vertueux ! notre
jufte reconnoiffance eft la plus digne
apologie que nous puiffions faire de
vos vertus.
LAVERTU , SOURCE DU VRAI
BONHEUR.
NON ON poffidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectius ocupat
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Nomen beati , qui deorum
Muneribus fapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati,
Pejufque letho flagitium timet.
* Folle féduction ! tes difcours enchanteurs
Horar
Tendent à renverſer dans nos âmes timides ,
Des trésors de vertu , & de nos foibles coeurs
Empoifonnent la paix par des douceurs perfides ?
Monftre, difparoiffez , ne fouillez point mes vers.
Infâme volupté ! tes plaiſirs font des crimes :
Mufe ! faifons briller aux yeux de l'univers ,
De l'aimable vertu les loix & les maximes.
C'en eft fait , je vous laiffe , inutiles grandeurs ,'
Chimériques plaifirs , foibleffe criminelle;
Fayez profane amour , fource de nos malheurs:
Feu divin , pur amour , viens animer monzèle ?
Que la feule vertu prođuiſe més accens :
Obéir à fes loix eft mon unique envie :
Qui fçait régler les moeurs & réprimer fes fens
Forme l'heureux tiflu des beaux jours de fa vie.
Mortels ambitieux ! connoiffez votre erreur :
Où courez -vous après un phantôme de gloire? }
Ah ! plutôt defcendez au fond de votre coeur :
G'eſt là que vous attend 'honneur de la victoire,
Vil efclave des fens , homme voluptueux !
De toncoeur corrompu , tu fuis la folle yvreſſes
Après la jouiffance encor plus malheureux ,
JUILLET. 1763. bi
Le remords fuit de près ton indigne foibleffe .
Pour qui tous ces tréfors avec foin entaffés ?
Et qui peut concevoir une aveugle tendreſſe ,
Pour un vil intérêt , pour des biens amaffés ,
Qui ne laiſſent en nous qu'une affreuſe triſteſſe ?
L'amour-propre nous flatte, on chérit fon erreur,
Et de fa paffion on encenfe l'idole ;
.L'homme eft ingénieux à déguifer fon coeur ;
Le caprice eft fon maître, il en fait la bouffole.
L'orgueilleux infenfé , fur un nom faſtueux ,
Etablit fa grandeur , fande toute fa gloire ;
Du refte des mortels il détourne les yeux ;
Ses ancêtres , fon rang occupent fa mémoire.
Lefage plus modefte & moins, présomptueux ,
Puifedans fes vertus fes titres de nobleſſe :
Il eſt l'ami de l'homme , & l'homme malheureux ,
Par fes foins bienfaiſans , voit finir la détrelle.
L'envie eft l'éguillon de toutes les verrus :
Le mérite fouvent s'endort dans la carrière ;
>Les traits de l'envieux ne font point fuperflus 3.
Ils réveillent l'honneur , l'honneur fonge à mieux
faire.
La réputation , ce tréſor précieux ,
Dont nous fommes jaloux , eft ſouvent la victime
D'unhommefans pudeur, d'un homme dangereux
Déchirer fon femblable eft le comble du crime.
Fermez , fermez l'oreille à fes cruels difcours ;
¿ Par un profond mépris puniffez l'infolence
62 MERCURE DE FRANCE.
De l'indifcrétion : un fourbe à des détours :
Le plus lage eft féduit,il eft fans défiance.
Fauffe dévotion , mafque de la verta !
De la religion image menſongère !
De ce dehors trompeur l'orgueil eft revêtu ;
L'éclat qui l'environne eft une erreur groffière.
Religion fans fard , fublime vérité !
Tu puifes ton éclat dans le fein de Dieu même s
Fille de l'Éternel , immuable Beauté ,
Heureux qui te connoît , qui te fert & qui t'aime !
Trop fougueule jeuneffe ! impétueux defirs !
Vous étouffez en nous la voix de la fageffe.
L'homme aveugle s'endort dans le fein des plaiſirs ;
La mort vient l'arracher des bras de la moleffe.
DAGUES DE CLAIR-FONTAINE ,
JUILLET. 1763 . 63
LEE mort de la première Énigme du
premier volume du Mercure de Juillet
eft le Subftantif. Celui de la feconde eft
une Canne à lorgnette : Ceux du premier
Logogryphe font Chine , Niche &
Chien. Celui du fecond Logogryphe eft
Mort , dans lequel on trouve mot , rot ,
& or.
J
ENIGM E.
E fuis , je ne fuis plus ; j'étois & je vais être: '
Veut-on me retenir ? Je fuis mort pour jamais ;
Mais pour jamais auffi , je ſuis prêt à renaître :
Je meurs toujours , toujours je nais .
MON
A UTR E.
ON éclat éblouit le plus noble des fens ;
Il faut me preffer pour me faire.
Si celui qui me fait me preffe trop longtemps ,
Je redeviens ma propre mère.
64 MERCURE DE FRANCE .
LOGO GRYPH E.
J.E fuis dans ta bibliothèque ;
Mais pour fçavoir ma valeur intrinfèque ,
De m'y chercher , ne prens point leſouci ,
Je vais me démembrer ici.
Mon tout compoſe ſept figures :
Lecteur , fi tu me dénatures ,
¿Tutrouveras en moi cet inftrument ,
Qui d'un grand Saint fit le tourment
Un autre admis dans la muſique ;
Ce que nous rend l'excès du jus bachique ;
Ce qu'étoit ce frere affamé ,
2
Qui pour faire affez maigre chère ,
·Céda fon droit à ſon puîné ;
Ce qui , pour n'être pas trompé ,
Manquoit à leur crédule père ;
L'état d'un être fans honneur ;
Ce que rifque, fans crainte, un homme de valeur ;
Le propre du foleil ; deux oifeaux de paffage ;
Le fynonyme de rivage.
Pour finir , je contiens
Ce qu'a prefent tu tiens.
Par M. NARET.
JUILLET . 1763 . 65
AUTR E.
MONON domaine contient un nombre d'habitans ,
Qui , quoiqu'unis entr'eux, ont des goûts différens.
Mon nom bouleverfé fait beaucoup de ravage ;
Mais quand le chef en eft ôté ,
On reconnoît par mon ufage ,
Que tout en moi n'eft que fragilité.
La moitié de mon corps , qui fouvent me dévore
Aux plus beaux jours de mon printemps ,
Avec deux pieds de plus , va devenir encore
La terreur des petits enfans.
Bouleverſez enfin , ce nouvel être ,
Dans Paris , cher lecteur , vous me verrez paroître ,
Portant fur mon dos cet objet ,
Qui pour notre malheur commit un grandforfait.
... St... le 31 Mai 1763.
ODE Anacreontique , ou CHANSON à mettre en
Mufique : à Madame de P ......
EUREUX qui fur la fougère
Nourrit de tendres amours :
Heureux l'amant qui fait plaire !
Des foucis la troupe auſtère
N'empoifonne point fesjours.
66 MERCURE DE FRANCE.
Souple aux cris de la nature ,
Il imite dans les moeurs ,
Ce ruiffeau , dont l'onde pure
Coule avec un doux murmare ,
Sur un lit femé de fleurs.
Il fe livre , il s'abandonne
Aux mouvemens de fon coeur :
Un myrthe fait fa couronne.
Et tout ce qui l'environne
Reſpire un charme flatteur.
De la beauté qui l'enchante ,
Sous mille afpects gracieux ,
L'image fe repréfente.
Il en jouit quoique abfente ;
Il la croit voir fous les yeux.
La plaintive tourterelle i
Fait- elle entendre fon chant ;
Dans fon coeur toujours fidelle ,
Le fouvenir renouvelle
Du plaifir le fentiment .
Dans le beau fejour de Flore
Porte-t-il fes heureux pas ;
Hélas ! il y trouve encore ,
De la nymphe qu'il adore
Les charmes & les appas.
;
JUILLET. 1763. - 67
Tout l'y porte à la tendreffe :
Le ſpectacle d'une fleur
Que le zéphire careffe ,
Lui plaît , l'émeut , l'intéreffe ,
Lui retrace fon bonheur.
Dans fa courſe fortunée
Rien n'arrête fes defirs .
Amour de fa deſtinée
Forme la chaîne dorée ,
Et prépare les plaifirs.
Par M. S **** à Pontoife , dans le Vexin
François.
68 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II .
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE du fecond Livre de la
PHARSALE.
Tandis que ces chofes fe paffoient dans
Rome , Pompée à la tête d'une multitude
tremblante avoit gagné les murs de
Capoue : il y établit le fiége de la guerre ;
& pour s'oppofer aux entrepriſes de
Céfar , il envoya des Corps détachés
vers ces collines d'où l'Apennin s'éleve
& commande le vafte horizon .
D'un côté l'Apennin - touche aux Alpes
& domine la Gaule ; c'eft là qu'il
eft le plus voifin des Cieux : de l'autre
il s'étendoit autrefois jufques dans la
*Sicile ; mais depuis que les flots ont rompu
la chaîne , il fe termine au détroit de ·
Scylla. Ainfi la croupe de cette montagne
chargée de noires forêts de pins ,
fe prolonge à travers les contrées du
Latium , entre la mer de Tirrhene &
le golfe Adriatique ; & des flancs de
JUILLET: 1763. 69
fes rochers coulent ces fleuves majeftueux
qui fe répandent dans l'Italie &
vont fe perdre dans les deux mers .
D'un côté fe précipitent le Metaure
fugitif, & l'impétueux Cruftume , & la
Senna , & le Sapis que l'Ifaure enfle de
fes eaux , & l'Aufidus dont la rapidité.
fend les ondes Adriatiques ; & Eridan
celui de tous les fleuves dont la
fource eft la plus féconde , l'Eridan
qui roule au fond des mers les forêts brifées
fur fon paffage , l'Eridan , qui femble
épuifer toutes les eaux de l'Italie .
Ce fleuve égaleroit le Nil , fi comme le
Nil, il pouvoit s'étendre & fe repofer
fur de vaftes plaines ; il égaleroit le Danube
, fi le Danube en parcourant le
monde , ne fe groffiffoit des torrens qu'il
rencontre , & qu'il entraine avec lui dans
Euxin. L'Eridan fut le premier des
fleuves , dit la fable , dont le Peuplier
couronna les bords. Ce fut dans fon
fein que tomba Phaëton , lorfqu'ayant
pris en main les rênes brûlantes des courfiers
du jour , il s'écarta de la route prefcrite.
La terre étoit embrafée jufques.
dans fes entrailles ; tous les fleuves étoient
défféchés ; l'Eridan lui feul fut capable
d'éteindre les flammes du char du Soleil.
70 MERCURE DE FRANCE.
Les eaux qui coulent fur la pente oppofée
, forment le Vulturne rapide , &
le Sarné nébuleux , & le Liris , qui coulé
à l'ombre des forets de Marice , &
le Siler , qui arrofe les fertiles champs de
Salerne , & le Macre , qui roule fur des
écueils jufqu'au port de Lune voifin
de fa fource , fans pouvoir porter une
barque légère ; & le Rutube aux bords
efcarpés , & le Tibre qui donne la loi
à tous les fleuves de l'Univers. Céfar
qui refpire la guerre , & qui ne fe plaît
à marcher que par des chemins arrofés
de fang , gémit de trouver l'Italie ouverte.
Il fe flatoit que Pompée lui difputeroit
le paffage & que des débris
marqueroient fes pas. On lui ouvre les
portes ; il voudroit les rompre le laboureur
tremblant lui laiffe envahir fes
campagnes ; c'eft par le fer , c'eft par
la flamme qu'il eut voulu les ravager
if rougit de fuivre une route permife ,
& de paroître encore. Citoyen .
Les Villes d'Italie incertaines &
chancelantes entre la crainte & le devoir
, n'attendent pour fe livrer à lui
que les approches de la guerre ; cependant
leur frayeur fe déguiſe fous l'appareil
d'une longue défenfe . On éléve
des remparts , on creufe des foffés , on
JUILLET. 1763. 71
prépare fur le haut des tours de lourdes
maffes de rochers & des machines à
lancer les traits pour accabler les affiégeans
. Le peuple penche du côté de
Pompée , & la fidélité qu'il lui doit
balance l'effroi que Céfar infpire.
Ainfi lor que le bruyant Aufter s'eft
emparé de l'Océan , toutes les vagues
lui obéiffent . Si la terre alors entr'ouverte
d'un fecond coup du trident d'Eole
, lance l'Aquilon fur les flots agités ,
quoique pouffés par un vent nouveau ,
c'eft au premier qu'ils cédent encore ;
& tandis que l'Aquilon domine au Ciel
& commande aux nuages , le feul Aufter
régne fur les eaux.
,
Mais il étoit facile à la terreur de changer
les efprits
& la foi qu'ils gardoient
à Pompée étoit flottante comme
fa fortune. Bientôt la fuite de Libon
laiffa l'Hétrurie fans défenſe : Thermon
abandonna l'Ombrie : Sylla qui
n'eut dans les guerres civiles ni le courage
ni le bonheur de fon père , prit
la fuite au nom de Céfar : à peine quelquesTroupes
légères menacent les murs.
d'Auximon , Varus en fort épouvanté ,
jette l'allarme dans les Villes voifines
& s'échape à travers les forêts : Lentu- .
lus chaffé & Afculum , & fuivi de près
72 MERCURE DE FRANCE .
dans fa fuite , voit fes cohortes difperfées
le laiffer feul avec fes drapeaux ,
& fe tourner du côté du vainqueur :
tói , Scipion , tu vas bientôt livrer les
murs de Lucère confiés à tes foins , ces
murs défendus par la plus vaillante jeureffe.
Pompée a furtout mis fon efpoir
dans la réfiftance de Corfinium que Domitius
défend avec dix cohortes. Céfar
y
L
marche , & Domitius voyant à travers
un nuage immenfe de pouffière ,
les rayons du foleil réfléchis par le brillant
acier des armées, » A moi , compa-
" gnons , s'écria-t- il , courez au fleuve ,
coupez le pont. Dieux , faites que ce-
» torrent lui-même enfle fes eaux pour
» le brifer. Que ce foit ici le terme de
» la guerre ; qu'ici du moins l'ardeur
» de l'ennemi fe ralentiffe , & fe con-
» fume en longs efforts : retardons fes
progrès rapides : ce fera pour nous
une victoire que d'avoir les premiers
arrêté Céfar. Il n'en dit pas davantage,
& les cohortes à fa voix accourent au
fleuve ; il n'eft plus temps . Cefar qui
s'avance & qui voit de loin qu'on veut
lui couper le paffage , s'écrie enflammé
de colère : » Hé quoi , lâches , ce n'eſt
» pas affez des murs ténébreux qui vous
a couvrent fi des fleuves ne nous féparent
,
t
JUILLET. 1763. 73
,
parent , vous tremblez ! vos efforts
font vains. Le Gange même , le Gan-
» ge débordé feroit une foible bar-
» rière. Céfar a paffé le Rubicon il
» n'eft plus de fleuve qui l'arrête. Mar-
» chez amis que la Cavalerie s'élance ,
» que l'Infanterie fe précipite fur ce pont
» qui va s'écrouler «. A peine il a donné
l'ordre , on lache la bride aux courfiers
la plaine fuit fous leurs pas rapides ; les
bras nerveux des archers font voler audelà
du fleuve une grêle de dards ; le
pont eft abandonné ; Céfar s'en empare
, il le traverfe , & chaffe l'ennemi
jufques dans fes murs. Il fait conftruite
des tours affez fortes pour porter d'énormes
fardeaux , & des toits fous lefquels
fes foldats foient à couvert au
pied des murailles . Mais tandis que l'affaut
fe prépare , ô crimel â trahifon !
?
les portes s'ouvrent, & les foldats de Domitius
le traînent captif aux pieds de Céfar,
aux pieds d'un Citoyen fuperbe.
Domitius loin de laiffer abattre par le
malheur la noble fierté de fon âme
préfente à la mort un front menaçant.
Céfar fçait bien qu'il la defire , & qu'il
ne craint que le pardon, a Vis , malgré
» toi , lui dit-il , & vois le jour que
" Céfør te hilfe. Sois pour les nations
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
" vaincues l'exemple & le gage de ma
» clémence. Tu es libre , tu peux ten-
» ter de nouveau contre moi le fort des
» armes , & s'il me livre jamais en tes
mains , je te difpenfe du retour. « A
ces mots , il ordonna que fes liens fuffent
rompus.
Quelle honte la fortune eût épargnée
à ce Romain s'il eût obtenu le
trépas ! Sans doute le dernier fupplice
pour un Citoyen fut de s'entendre pardonner
d'avoir fuivi Pompée & le Sénat
, fous les drapeaux de la patrie .
Domitius cependant diffimule & renferme
fa rage ; mais bientôt livré à luimême
, " Malheureux ! dit- il , irai-je
" cacher ma honte au fein de Rome , à
» l'ombre de la paix ? fuirai-je les dan-
»gers de la guerre , moi qui rougis de
»voir le jour ? précipitons-nous à tra-
» vers mille morts courons au terme
» d'une vie odieufe & rejettons ce bien-
»" fait de Céfar.
Pompée qui n'étoit pas inftruit du
malheur de Domitius fe preparoient à
le foutenir. Réfolu de marcher le jour
fuivant , il crut devoir éprouver le zéle
de fes Troupes , & d'une voix qui imprimoit
le refpect , » Vengeurs des forfaits
, leur dit-il , défenfeurs de la caufe
JUILLET. 1763. 75
publique , feule armée de vrais Ro-
» mains , vous à qui le Sénat donne à
foutenir , non l'ambition d'un feul
» homme , mais les droits , la liberté
» de tous ; faites des voeux pour le combat.
Le fer & le feu ravagent l'Hef-
» perie , les Gaulois defcendent comme
» un torrent du fommet des Alpes , le
fang Remain à déja fouillé le glaive
» de Cefar graces aux Dieux , c'eſt
» nous qui avons reçu les premiers ou-
" trages de la guerre ; c'eft fur l'agref
feur que le cime en retombe ; & Rome
qui daigne me confier fes droits
nous en demande le châtiment. Ce
n'eft point un jufte ennemi que nous
allons combattre ; c'eft un Citoyen
rebelle & perfide que nous allons pu-
» nir ; & fon attentat mérite auffi peu
» le nom de guerre que le complot
» de Catilina , lorfqu'avec Lentulus &
» Cethegus fes conjurés , il réfolut d'em-
» brafer Rome. O Céfar , quelle rage
»
t'aveugle toi , que le deftin appel-
» loit au rang des Metellus & des Ca-
» milles , tu préferes de groffir le nom-
" bre des Marius & des Cinna ! Viens
» donc périr comme Lepide , Carbon ,
» Sertorius ont péri . Encore eft- ce
» m'avilir que de tourner contre toi mes
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
armes je rougis que Rome occupe
» mes mains à terraffer un furieux, Que
» n'est-il revenu vainqueur des Partes
» ce Craffus qui nous délivra de Spar-
» tacus & de les complices ! ce feroit à
» lui de nous venger de tai, Mais puif-
»que les Dieux daignent l'accorder
» l'honneur de tomber fous mes coups ,
» tu vas éprouver fi les ans ont énervé
» mon bras , ou glasé le fang qui coule
» dans mes veines ; fi pour avoir fouf
» fert la paix , nous fommes effrayés
de la guerre. Laiffez , Romains , laif-
» fez croire à Céfar que Pompée et
» amoli par le repos ou abattu fous le
» poids des années : l'âge n'a rien déf
» frayant dans un Chef: marchez fans
» crainte fous un vieux guerrier contre
» une armée qu'un Soldat commande . Fe
» fuis arrivé au plus haut point de gran
» deur auquel un fimple Giroyen puiffe
» être élevé par un
» an, deffus de moi que
» la place d'un Tyran. Gelui qui dans
me na laiff
Peuple libre. Roat
veut me furpaffer n'afpire dong.
plus sau rang d'un Citoyen mais d'un
» Monarque, Auffi voyez-vous dans
» mon armée tout ce que Rome a de
plus illuftre , les Pères de la Patrie ,
» les Confuls eux- mêmes fous les drae
JUILLET. 1763. 77
" peaux de la liberté . Lequel des deux
» fera vainqueur ou de Céfar ou du Sé-
» nat ? J'ofe craite que la fortune auroit
» honte de balancer. Et de quoi s'en-
» orgueillit ce jeune audacieux ? Eft-ce
» d'avoir employé dix ans à conquérir
" la Gaule Effce d'avoit abandonné
» honteufement les bords du Rhin ?
» Eft- ce d'avoir été chaffé du rivage Bri-
» tannique, & d'avoir attribué le mauvais
» fuccès de fa folle entreprife aux obf-
» tacles d'une mer inconftante & pleine
» d'écueils ? fon audace tiompheroit- elle
» de voir Rome entière fous les armes ,
» s'éloigner du fein de fes Dieux? Ahjeu-
» ne infenfe , connois mieux ce peuple :
» il ne te fuit pas , il me fuit ; il me fuit ,
» moi qui dans deux mois ai purgé la
» mer de pirates , moi qui plus heureux
» que Sylla , ai vu ce Mitridate qu'on
» ne pouvoit d'ompter , & qui depuis fi
longtems retardoit les deftins de Ro-
» me , errant dans les déferts du Bofpho-
" re & de la Scithie , réduit à fe don-
» ner la mort. Oui Romains , j'afe le
» dire pour juftifier votre confiance & la
» mienne . Fat porté la gloire de nos ar-
» mes dans tous les climats que le Soleif
» éclaire ; & la guerre civile eft la feule
» que j'aye laiffée à faire à Céfar.
"
D iij
78. MERCURE DE FRANCE.
Cette harangue ne fut point fuivie
de l'acclamation des Cohortes : elles ne
demanderent point le fignal du combat
qu'on leur annonçoit. Pompée luimême
intimidé par ce filence , crut .
devoir s'éloigner , plutôt que de courir .
les rifques d'un combat d'où dépendoit
le fort du monde , avec une armée .
déja vaincue au feul bruit du nom de
Céfar.
*
Tel qu'un Taureau chaffé des pâturages
par un Taureau plus vigoureux ,
va fe cacher au fond des forêts , & ne
revient tenter le combat que lorfque
fon front, que l'âge affermit , fe fent armé
de toutes fes forces. Tel Pompée.
trop foible encore pour réfifter & Céfar
, lui abandonne l'Italie , & fe retire
à travers les campagnes de la Pouille
dans les murs de Brundufium.
a
Cette Ville fut jadis habitée par
des
Crétois , qui s'étoient embarqués avec
Théfée , vainqueur du Minautore , &
que les Vaiffeaux Athéniens avoient
dépofés fur nos bords. Elle eft fituée
vers la pointe de l'Italie , au bord de la
mer Adriatique , fur une langue de terre
qui s'avance & fe courbe en croiffant
, comme pour embraffer les flots.
Ce feroit un port mal affuré, s'il n'étoit
JUILLET. 1763. 79
couvert par une Ifle dont les rochers
brifent l'effort des vents & des ondes .
Des deux côtés du port , la Nature a
élevé deux chaînes de montagnes qui
repouffent la mer , & qui défendent aux
vents orageux de troubler l'afyle des
Vaiffeaux que des cables tremblans y
retiennent. De-là , on gagne la pleine
mer, foit qu'on faffe voile vers l'Ifle
de Corcyre , foit que du côté de l'Illyrie
, on veuille arriver au Port d'Epidaure.
C'eſt le réfuge des Nochers, lorfque
tous les flots de la mer Adriatique
font foulévés ; que les nuages enveloppent
les montagnes de l'Epire , &
que l'Ifle de Safon difparoît fous les
vagues écumantes. Là , Pompée , qui
ne pouvoit plus compter fur l'Italie , ni
tranfporter la guerre en Efpagne , dont
il étoit féparé par la chaîne immenſe
des Alpes , dit à l'aîné de fes enfans :
» Allez , mon fils , parcourez le mon-
» de ; foulevez le Nil & l'Euphrate ;
» armez tous les Peuples à qui le nom
» de Pompée eft connu , toutes les Villes
où mes exploits ont rendu Rome
» recommandable ; que les Pirates de
" Cilicie abandonnent les champs que
» jeje leur ai donnés en partage , & fe
répandent de nouveau fur les mers
ค
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
d'où je les ai chaffés : appellez à mon
» fecours Ptolomée , dont je fus l'appui,
» & Tigrane , qui me doit fa Couron-
» ne , & Pharnace , que j'ai revêtu de
» la dépouille de fon père n'oubliez
» ni les habitans vagabonds de l'une &
» de l'autre Arménie , ni les Nations
" féroces qui occupent les bords de
» l'Euxin , ni celles qui couvrent les
» fommets du Riphée , ni celles qui
» voyagent fur les glaces du Palus Méo-
» tide : que vous dirai-je enfin ? Allu-
» mez la guerre dans tout l'Orient ;
» que tout ce que j'ai vaincu fur laterre
» embraffe ma défenfe , & que mes
»triomphes viennent groffir mon camp.
» Vous , Confuls , au premier fouffle
» de Borée , paffez en Epire ; allez
» amaffer de nouvelles forces dans les
» champs de la Grèce & de la Macé-
» deine , tandis que l'Hyver nous laif
» fe refpiter . Il commande ; on met
à la voile & on s'empreffe de lui
obéir.
Cependant Cefar qui ne peut laiffer
repofer les armes , pour ne pas donner
au fort le tems de changer , preffe Pompée,&
le fuit pas-à-pas.Tout autre quelui
feroit content d'avoir d'une première
courſe réduit tans de Villes, forcé tant de
JUILLET. 1763.
81
&
remparts , conquis fans obftacle certe
Reine du monde , cette Rome , le plus
haur prix que la Victoire ait jamais offert.
Mais Ceferqui ne perd jamais un inflanr ,
& qui ne compte avoir rien fait , tant
qu'il lui refte encore à faire ; Céfar s'attache
avec fureur à la pourfuite de fon
rival . Quoiqu'il pofféde route l'Tralie , fi
Pompée en occupe le rivage , il lui
femble qu'elle leur foit commune
fon chagrin ne peut ly fouffrir. C'eſt
peu de le chaffer de Italie , il veur lui
interdire les Mers ; & pour Nur couper
le paffage , il entreprend d'élever devant
le port , une barrière de rochers . Ces
immenfes travaux fent perdus ; les rochers
tombent , la mer les dévore , &
des montagnes entaffées font englouties
fous le fable . Cefarvoyant que ces
maffés énormes ne trouvoient pas de
fond qui les fourint , prit le parti de
faire abattre des forêts , & de lier les
arbres l'un à l'autre par des longues chat
nes. Xerxès autrefois , dit- on , fe fit
fur les flots une route femblable ; il joignit
l'Europe avec l'Afie par un pont
de vaiffeaux , & fur ce pont , it traverfa
le Bofphore à la tête de fon armée
lorfqu'il força la mer de porter fes voiles
autour du mont Athos. Ainfi les forêts
2
Dv
82. MERCURE DE FRANCE.
enchaînées & flottantes , ferment l'embouchure
du port où Céfar affiége Pompée.
Les travaux s'avancent , des remparts
s'élévent , & des tours mouvantes
femblent fortir des eaux.
Le
Pompée éffrayé de voir une terre nouvelle
s'éleverentre la mer & lui , cherche
avec une frayeur mortelle le moyen de
s'ouvrir un paffage, & d'affoiblir fon ennemi
en difperfant la guèrre fur des bords
éloignés. Il fait avancer contre la digue :
des navires armés que les vents pouffent ,
à pleines voiles ; les pierres , les dards ,
les torches allumées volent au milieu
des ténébres ; les ouvrages s'écroulent ,
& la mer eft ouverte. Pompée à la faveur
de la nuit , faifit enfin le moment de ,
s'échapper ; il défend que le fon de la,
trompette , le cri des matelots faffent
retentir le rivage , & que l'on donne le
fignal du départ . On n'entendit pas une
feule voix dans le moment qu'on dreffa
les mats , qu'on leva l'ancre , & qu'on
mit à la voile. Les Pilotes glacés de crain
te gardérent un profond filence ; les
Matelots fufpendus aux cordages , furent
même attentifs à ne pas les agiter , de
peur que le bruit excité dans l'air net
décelât l'évafion de la flotte. Emphol
Le Soleil entroit dans le figne, de las
JUILLET. 1763. 83
Balance lorfque Pompée partit de ces
bords. O Fortune il te demande
comme une faveur , de lui permettre
d'abandonner l'Italie puifque tu lui
défends de la conferver. A peine en-,
core les deftins y confentent : l'onde
entrouverte & refoulée par tant de vaiffeaux
qui la fillonnoient , fit entendre
un - long mugiffement . Alors les foldats'
de Céfar , à qui cette ville infidelle , &
qui changeoit avec la fortune , avoit ouvert
fes portes & livré fes murs , courent
à l'entrée du port par les deux ances qui
en forment l'enceinte , & ils frémiffent
de voir la flotté ennemie gagner la mer.
O comble d'orguei !! la fuite de Pompée
eft pour Cefar une foible victoire.
Le paffage étoit plus étroit que cefur
qui fépare l'Eubée de laBéorie :deux vaif
feaux s'y arrêtent , on les attire au bord ,
& là , pour la première fois , les flots de
la mer font rougis du fang de la guerre
civile. Le reste de la flotte s'échappe
& abandonne ces deux vaiffeaux.
Déja les couleurs dont brille l'Orient
annoncent le retour de l'aurore ; fa lu
mière eft teinte d'un rouge vermeil
fon éclat naiffant efface les étoiles voifines
la Pléyade commence à pâlir ,
l'Ourfe languiffante fe plonge dans l'azur
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
du Ciel , & Lucifer lui -même ſe dérobe
à l'éclat du jour. Toi Pompée, tu vogues
à voiles déployées ; mais tu n'as
plus avec toi cette fortune qui t'accompagnoir
, lonfque tu forçois les Pirates
à te céder l'empire des mers. Chaffé du
feir de ta patrie avec ton Epoufe & tes
Enfans, chargé de tes Dieux domeftiques,
& traînant la guèrre après toi ,
mais grand encore dans ton exil , tu
vois les peuples marcher à ta fuite : le
deftin femble chercher des régions
éloignées , pour y confommer l'horreur
de ta ruine : non que les Dieux veuillent
te refufer un tombeau dans les murs
qui t'ont vû naître ; mais en condamnant
l'Egypte à porter l'opprobre de ta
mort , ils ont fait grace à l'Italie. Ils
ordonnent à la fortune d'aller cacher
fon crime fous un Ciel étranger : ils
veulent épargner à Rome la douleur de
voir fes campagnes fouillées du fang de
fon Héros
JUILLET. 1763. 85
EXTRAIT d'une Leure écrite de
La Flèche à M. V ***
LE3r Mai , on célébrá dans le Collége
de la Flèche, anniverfaire de Henri
le Grandqui en eft le Fondateur . M. de
Pechmėja , Profeffeur de Rhétorique ,
prononça dans la Grand Salle , un Difcours
fur la Cérémonie du jour , après
lequel il récita une Ode intitulée le
Tombeau de Henri IV.
*
On connoîtle Difcours latin qu'il prononça
à la rentrée des Claffes , & les
vues profondes qu'il y développa. Nous
connoiffions fa façon d'écrire dans une
langue qu'il eft fi difficile de bien parler.
On l'a entendu avec un nouveau plai
fir dans cette circonftance ; c'est toujours
la même chaleur dans le ftyle , la même
vérité dans les portraits. Vaici le commencement
de fon Difcours.
»Les jours deffinés à renouveller la
» mémoire des Grands Hommes ne font
» pour le vulgaire, qu'une fource de
* Le Sujet étoit Quantum ad Pacem, in Eua
ropa ,ftabiliendam & propagandam confeire valeas
Litterarum Juntes.
86 MERCURE DE FRANCE.
réfléxions affligeantes & lugubres fur
» les ravages du temps & la fragilité de
» notre exiſtence. Le Sage les regarde
» au contraire comme des jours de
» triomphe & de fêtes confacrés à l'im--
» mortalité des Héros . Ondiroit que les
» hommes pénétrés de reconnoiffance
" envers ceux qui ont fait du bien à leurs
Pères , ont ofé fufpendre par inter
» valles , la rapidité des fiécles , & arrê
» ter le torrent des âges pour contem-
» pler , pendant quelques; inftans , ces !
» Ombres immortelles qui refpirent en-
" core dans les bras même de la mort ,
,, & dans le filence du tombeau Ler
» temps, ce deftructeur rapide des Etres,
» entaffe tous les jours de nouveaux
38
nuages fur les âmes vulgaires qu'il a
» déjà plongées dans ces abîmes ; il)
multiplie , pour ainfi die , leur def
" truction ; tandis qu'il renouvelle fans
» ceffe , pour les Grands Hommes , leur
» exiftence & leur gloire , & s'empreffe
» de ramener , fous nos yeux , le fpecta-
» cle augufte qui doit perpétuer le fou-
» venir de leurs vertus.
Le Ciel qui a placé l'Auteur de las
» Henriade à côtéd'Homere & deVirgile,
mit à côté d'Enée & & Achille le vainqueur
de Mayenne , le Héros quiaffura,
JUILLET. 1763 . 87
Ti
aux Bourbons un Trône ébranlé par
» mille fecouffes , & fubjugua fes propres
» Enfans , par les efforts de fon courage
» & par la bonté de fon coeur. Henri vivra
toujours dans la mémoire des Hommes
, puifque fous le régne de LOUIS
» le BIEN- AIMÉ , nous nous reffouve-
» mons encore avec attendriffément de
»fes vertus paternelles. Henri n'a pu faire!
» oublier Trajan & Titus, Louis ne fera
» point oublier Henri. Le nombre des) -
» bienfaiteurs de l'humanité ne fera ja-
» mais affez grand pour faire perdre let
» fouvenir des Princes bienfaifans que
» le Ciel a accordés à la Terre .
3
Il finit par ce morceau qui prépare les
Auditeurs à l'Ode fuivante , & qui eft
très-bien lié avec la fuite du difcours .
» C'est dans le tumulte des armes
» parmi les clameurs confufes des vain-
» queurs & des vaincus , c'eft dans ces
plaines couvertes du débris de leurs
" Habitans ; cleft dans les ravages du
» monde que les Arts vont quelquefois.
chercher ce délire fublime qui nous
» éléve au-deffus de l'humanité , & fou
» tient notre vol ambitieux jufques aux
» voutes éternelles. Le Poëte, alors ,
» emporté par une impulfion puiffante ,
» eft forcé de peindre & de produire
au dehors , les fentimens qui l'ani
88 MERCURE DE FRANCE.
» ment. Il s'agite , il fe confume en
efforts redoublés , pour fe délivrer
» de l'enthoufiafme qui l'obféde. C'eft
» à la mémoire des travaux de Henri
» que je dois le feu puiffant qui m'en-
» flamme.
Un Dieu m'a tranſporté dans le contredu monde,
De l'implacable mort c'eft l'éternel féjour ;
Pour éclairer l'horreur de cette nuit profonde
Quelle importune main a fak entrer lejour?]
L'Ange exterminateur dans ces vaftes abirres
Entallé à tous momens un Peuple de victimes
Que letorrent de Fage entraîne avec fureur.
Non ; files Elémens recommençoient lear gaerre,
Sur les bords du calos les débris de la Terre
N'offriroient jamais tant d'horreur.
Lamort dans ce féjour fait régner le filences
Er prêve à dévorer tout ce vafte Univers ,
Sur les ailes de temps s'agire & fe balance ,
Parmi d'affreux monceaux de cendres & de vers.
Le cridu défeſpoir des Spectres & des Ombres
Seperd dans le néant de ces demeures fombres ,
Océan de foupirs vainement répétés.
Un fleuve de poiſons dans ces gouffres rerribles
Entraine lentement des offemens horribles
C
Et des crânes enfanglantes.
Le Poëte oit enfuite le tombeau
JUILLET. 1763 . 89
d'Henri , il veut y defcendre pour effacer
l'oppobre de la Terre qui a enfanté
fon affaffin . Mais tout- à-coup il fort
du tombeau une voix qui l'arrête .
Pròfanes, arrêtez ! fur cette urne fatale
Gardez-vous de porter de facriléges mains ;
Ignorez-vous encor le terrible intervalle
Qui fépare les Rois du refte des humains ?
Favoris & rivaux des Maires du Tonnerre ,
Les Princes bienfaifans n'abandonnent la Terre;
Que pourjouir comme eux de l'immortalité.
Dans ces riftes débris que la tombe dévore
A travers ce tombeau reconnoiſſez encore
Le fceau de la Divinité.
Elle donne des leçons aux Peuples fur
la foumiffion qu'ils doivent à leurs Rois,
condamne leurs murmures & finiraihfi.
Si des rigueurs du fort vos âmes étonnées
Ne peuvent plus fuffire au poids de vos malheurs ;
Thémis fçaura pour vous fléchir les deſtinées
Au fidéle récit de vos longues douleurs.
Vénus fcut écarter le vafe redoarable
De revers & de maux que le fort implacable
Verfoit comme un torrent far fon fils malhen
reux .
-Jupiter approuva fa tendrelle & fon zéle :
Il ne fallut pas moins qu'une voix immortelle
Pour parler au Maître des Dieux.
90 MERCURE DE FRANCE.
Enfin le Poëte exige de fes Auditeurs
un ferment de fidélité.
Raffemblez-vous autour de cette urne plaintive,
Citoyens , à fes pieds accourez vous jetter ;
Et prêtant à ma voix une oreille attentive
Répétez les fermens que je vais vous dicter.
» Grands Dieux , qui de nos Roit affurez la puif
>> fance !
פכ
» Entre mon Prince & moi , fi jamais je balance ,
Qu'au glaive dévorant e fois abandonné ;
» Trop heureux fi je puis fidéle à ma patrie ,
Acheter de mon fang le bonheur & la vie
>> Du Roi que les Dieux m'ont donné. "
Le lendemain , il y eut un Service fofemnel
auquel affifterent tous les Corps
de Ville. M. l'Abbé Donjon , principal
du follége, prononça l'Oraifon funébre .
Il célébra les vertus militaires & morales
d'Henri-le-Grand.
DICTIONNAIRE portatif des
Théâtres , par M. de LÉRIS .
NOUS
Ous avons promis quelques détails
fur ce Dictionnaire portatif, que
JUILLET: 1763. 9t
nous n'avons fait qu'annoncer dans le
Mercure précédent , où nous avons rapporté
le titre entier de l'Ouvrage.
On fent bien qu'un pareil Livre n'eft
pas fufceptible d'une Analyſe fuivie ; il
fuffira de quelques Remarques que nous
fournira l'Avertiffement de l'Auteur fur
l'objet & l'utilité de fon , travail , & fur
la forme de Dictionnaire qu'il a cru devoir
préférer à toute autre.
En effet , s'il eft quelque Ouvrage
naturellement fufceptible de cette forme
, & pour lequel elle puiffe être regardée
comme abfolument effentielle , c'eſt
fans contredit un Recueil de recherches
fur les Piéces de Théâtre . L'ordre chronologique
n'a ni l'avantage , ni la faci-
Tité de l'ordre alphabétique pour indiquer
au premier coup d'oeil , la Piéce que l'on
cherche , le nom de fon Auteur , le
temps de fa repréfentation , fa réuffite ,
& enfin tout ce qui peut être un objet
dé curiofité pour les Amateurs de la
Scène Françoife.
On fent aifément combien il eût été
facile de rendre ce Livre plus volumineux.
La matière étoit abondante ; il
ne s'agiffeit que d'analyfer chaque Piéce
, oude copier même les Extraits qu'en
ont donné les Journaliſtes ; & , à l'égard
92 MERCURE DE FRANCE.
des Auteurs , de puifer dans les Dictionnaires
hiſtoriques , dans les Préfaces de
leurs OEuvres , dans la France Littérai
res , & c, des détails hiftoriques de leurs
vies . Mais comme un Dictionnaire n'eft
jamais plus commode que lorfqu'il peut
être renfermé dans un feul volume , &
furtout dans un volume portatif , il paroît
que M. de Léris a eu principalement
en vue de fimplifier les objets , d'éviter
les doubles emplois , les répétitions inutiles
; & en difant tout ce qu'il y a
d'effentiel & de curieux fur les Spectacles
, de ne point paffer certaines bornes.
Pour avoir la facilité d'employer plus
de matière qu'un volume feul ne paroiffoit
naturellement devoir en contenir
on s'eft fervi d'un caractère moyen
& l'on a fouvent mis en ufage des abréviations
qui ne nuifent ni à la clarté de
l'Ouvrage , ni à l'agrément du coup
d'oeil
Afin de moins confondre les objets ,
& de faciliter l'ufage de fon Dictionnaire
, l'Auteur , en y mettant tout d'ordre
dont un femblable travail peut être
fufceptible , a divifé fon Livre en deux
parties. La première contient la lifte alphabétique
de toutes les les Piéces de
JUILLET. 1763 .
93
Théâtre , avec ce qui les concerne . La
feconde renferme , auffi dans le même
ordre , un Abrégé de la vie des Auteurs ,
des Muficiens & des Acteurs , avec le
Catalogue de leurs Ouvrages Dramatiques
; & , lorfque ce font des Acteurs ,
le genre dans lequel ils fe font fignalés.
*
"
La première de ces parties eft précédée
d'une hiftoire fommaire de tous les'
Théâtres établis à Paris , leurs divers
changemens , & leur état actuel . On
trouve à la tête de la feconde , une
Table Chronologique des Auteurs &
une autre des Muficiens ; & elle eft fui
vie de celle de tous les Opéra qui ont
été repréfentés depuis le commencement
de ce Spectacle jufqu'à préfent. Plufieurs
perfonnes defirant qu'on pût voir
d'un coup d'oeil les piéces jouées depuis
un certain nombre d'années , M. de
Léris , pour leur faire plaifir , a donné
une autre table chronologique qui contient
le nom de toutes ces Piéces , &
l'a placée à la fin de fon Livre après celle
de l'Opéra,
Cequi ête à ce Dictionnaire la féchereffe
dont les Ouvrages de ce genre font
ordinairement fufceptibles , ce font des
Anecdotes curieufes dont c Recueil est
rempli , & qui y jettent beaucoup d'an
4 MERCURE DE FRANCE.
1
grément. Il eft rare qu'à l'ouverture du
livre , on ne trouve pas toujours quelque
trait amufant qu'on eft charmé d'ap--
prendre & de retenir. Cela feul , indépendamment
de tous les avantages
qu'à ce Dictionnaire fur les autres livres
de cette nature , le mettroit audeffus
de quantité de recueils que nous
avons déja fur le même objet.
Enfin nous ne craignons pas de dire
que cette Edition fera plaifir au Public
dont elle mérite l'eftime , par les recherches
, l'exactitude & la correction. Cependant
, comme ces fortes d'ouvrages
peuvent devenir toujours plus parfaits ,
l'Auteur invite les gens de Lettres à vouloir
bien leur communiquer leurs avis ,
fur les fautes qui peuvent lui être échap
pées , afin de faire encore mieux dans
une nouvelle Edition. Satisfaire la curiofité
du Lecteur , ll''iinnffttrruuiirree par des
détails & des faits fùrs , l'amufer par
des anecdotes , rendre juftice aux Auteurs
& aux Acteurs vivans , fans flaterie
, & aux morts fans partialité ; voilà
ce qu'il déclare avoir été fon but , &
nous ofons affurer qu'il ne s'en eft
point écarté, Les perfonnes qui font au
fait de ce travail , peuvent feules connoître
combien il faut d'attention
JUILLET. 1763. 95
de conftance & .de recherches pour compour.
com ,
pofer un pareil Dictionnaire , le fimpli
fier & le rendre complet & exact . La
matière eft féche & difficile , & les Auteurs
qui en ont traité , he font pas tou
jours d'accord fur le même Sujet. D'après
cela in mot , un nom , une date
occafionnent des lectures de plufieurs
jours, & dans différens genres fouvent
fort éloignés de celui qui femble faire
l'objet du Théâtre . Ces recherches , ces
vétifications demandent un efprit patient
, laborieux , exact & toujours plein
de fon objet pour ne rien négliger.de
ce qui peut y fervir tôt ou tard ; &
ce font toutes ces qualités que poffédé
fupérieurement l'Auteur de cet excellent
Dictionnaire.
ANNONCES DE LIVRES.
OFFICE DIVIN abrégé pour
tous les temps de l'année , à l'ufage des
Perfonnes pieufes qui defirent de s'unir
aux Priéres générales qui fe font dans
l'Eglife aux différentes heures du jour.
Imprimé par ordre de Son Eminence ,
Monfeigneur le Cardinal de LUYNES ,
Archevêque , Vicomte de Sens Primac
96 MERCURE DE FRANCE .
des Gaules , &c. in 8°. à Sens , chez
P. Hardouin Tarbé,Imprimeur-Libraire
de Son Eminence , 1763 ; & fe trouve
à Paris , chez la Veuve Pierres , rue
St Jacques , à St Ambroife.
Nous obfervons feulement que le
calendrier de ce livre , dont l'impreffion
a été foignée , eft fait de façon qu'il
peut fervir dans tous les Diocèfes. Le
prix eft de 2 liv. 2 f. broché,
•
•
LA GÉOGRAPHIE , ou Defcription
générale du Royaume de France ,
divifé en fes Généralités , contenant toutes
les Provinces , Villes , Bourgs &
Villages de ce Royaume ; la diftance
de Paris aux Villes principales &
celle des Villages aux Villes dont ils
dépendent ; ce que chaque Généralité a
payé au Roi en 1749 ; le rapport annuel
de chaque Archevêché , Evêché &
Abbaye , & leur taxe en Cour de Rome ;
le nombre des feux que contiennent les
Villes , Bourgs & Villages , avec des
Anecdotes curieufes tirées des Annales
de chaque endroit ;le cours des Riviè
res , les routes & grands chemins ; les
Caroffes , Coches d'eau & autres Voirures
publiques ; les curiofités d'Hiftoire
Naturelle qui fe trouvent dans chaque
Généralité ;
JUILLET. 1763. 99
Généralité ; enfin , les Foires des Villes ,
Bourgs & Villages. Le tout enrichi
d'une collection choifie d'un nombre
confidérable de Cartes copiées d'après les
originaux , avec les Plans de toutes les
Villes de Guerre , & du Chef- Lieu des
Généralités , & une petite Carte Topographique
des environs de ces Villes.
Par M. D ** * & gravée par & fous
la direction de J. Vander Shley , tome
premier , qui contient la Généralité de
Paris. in 8°. Amfterdam , 1763 , chez
Marc- Michel Rey , & fe trouve à Paris ,
chez le Clerc , Libraire , Quai des Auguftins.
Prix , 6 liv. broché.
TRAITÉ fur l'Agriculture des Meuriers
blancs , la manière d'élever les Versà-
Soie , & l'ufage qu'on doit faire des
Cocons. Avec figures. Par M. Pomier ,
Ingénieur des Ponts & Chauffées. in 8°.
Orléans , 1763 , de l'Imprimerie de
Couret-de-Ville- Neuve , Imprimeur du
Roi & de l'Evêché, & fe trouve à Paris,
chez Defpilly , Libraire , Rue S. Jac-
: ques ,
à la Croix-d'Or.
PRÉCIS fur l'éducation des Vers- à-
Soie...
Auricomo pretiofa tument præcordia filo ,
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Fataque in exhauftas fuggerit alvus opes.
Saut. B. L.
In 8° . à Tours , chez Fr. Lambert
Imprimeur du Roi , & de la Société
Royale d'Agriculture de la Généralité
de Tours ; & fe trouve à Paris , chez le
même Libraire.
L'ESPRIT de la Religion Chrétienne
oppofé aux moeurs des Chrétiens de nos
jours. Par M. Compan.
Spiritus eft qui vivificat, caro non prodeft quidquam.
Joann.
In- 12. Paris , 1763. Chez F. G. Merigot
Père , Libraire , Quai des Auguf
tins , près la rue du Hurepoix .
RECUEIL des Ouvrages qui ont remporté
le prix à l'Académie des Jeux Flo
raux , en 1761 , 1762 & 1763. Par M.
le Chevalier de la Tremblaye.
(
Parvum parva decent.
Horat.
Brochure in-8° . à Londres ; & fe vend
à Paris , chez Vallat- la - Chapelle , au
Palais , fur le Perron de la Sainte- Chapelle
, au Château de Champlâtreux .
Nous donnerons l'extrait de ce Recueil
JUILLET. 1763. 99
MÉMOIRE du Chevalier de Berville ,
oules deux Amis retirés du monde , in-
16. 2 vol. à Cologne ; & fe vend à Paris ,
chez Charpentier , Libraire , Quai des
Auguftins , à l'entrée de la rue du Hurepoix
, à Saint Chryfoftôme.
Nous comptons parler plus au long de
ce petit Roman , oùl'on trouve , dit- on ,
de l'intérêt.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie
Royale des Belles - Lettres de LA
ROCHELLE.
L'ACADÉM ' ACADÉMIE des Belles - Lettres de la
Rochelle tint le 22 Avril fa féance
publique , à laquelle préfida M. le Maréchal
de Senneterre , Gouverneur de la
Province . M. Dupaty , Tréforier de
France , Directeur de l'Académie , ouvrit
la Séance par un difcours contenant
des Réflexionsfur l'Agriculture relative-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ment au Pays d'Aunis. Ce difcours eft
compofé de deux parties ; dans la premiere
l'Auteur expofe plufieurs obftacles
qui s'oppofent au progrès de l'Agriculture
dans cette Province. Voici de quelle
manière il débute.
» Notre Nation taxée de frivolité
par
» quelques Philofophes , va ceffer de
» mériter cette qualification . Il fuffira
» pour s'en convaincre de jetter un coup
» d'oeil fur tous les ouvrages folides que
» nous avons vu éclore de nos jours fur la
» Politique , fur le Commerce , fur les
» Arts & fur l'Agriculture. Le nombre
» des bons Ouvrages dont nous fommes
» en poffeffion , prouvera à tout eſprit
» jufte & fans préjugés, que nous n'avons
» point dégénéré du côté des fciences , du
"
fiécle qui nous a précédé , comme le
» prétendent quelques cenfeurs chagrins,
» mais même que le nôtre peut être
appellé le fiécle des lumières & de la
Philofophie. Si l'on nous reproche
» encore notre goût trop vif pour les
» Arts de luxe , d'agrément ou de fimple
curiofité , ce ne fera pour nous
» qu'un mérite de plus , celui d'avoir fçu
allier les deux extrêmes , & d'avoir
* atteint la perfection en chaque genre..
Eclairés fur nos véritables intérêts, nous
JUILLET. 1763.
ΙΟΙ
avons enfin reconnu que l'Agricultu-
» re eft la mère de tous les Arts , puif-
» qu'elle feule fournit à tous nos befoins
» de premiere néceffité . Pénétrés de cette
» vérité , nous avons porté juſqu'à l'en-
>> thoufiafme le goût pour l'Agriculture .
» Mais fi les ouvrages immortels des
" Duhamel,des Tilly , des Chateauvieux,
» &c , méritent toute notre recon-
>> noiffance ; s'ils renferment une Théorie
» fûre & lumineufe appuyée fur des expériences
bien faites , ont- ils toujours
» l'avantage de nous offrir des pratiques
» applicables à tous les pays ? Je ne puis
» me le perfuader ; je fuis même con-
» vaincu , qu'ils ne peuvent que nous
» mettre fur la voie pour chercher les
» moyens de faire profpérer l'Agricul-
» ture dans cette Province ; mais ils
" nous laiffent tout le mérite de trouver
» ces moyens. Cette gloire eft réſervée
» aux Citoyens qui compofent la fo-
» ciété d'Agriculture érigée depuis peu
» dans cette Ville . Je me bornerai donc
à vous faire part de quelques réfléxions
» fur plufieurs obftacles qui s'oppofent
» au progrès de l'Agriculture.
On ne fuivra point l'Auteur dans le
détail de ces obftacles : fes réfléxions fur
cet objet n'ont , pour ainfi dire , qu'un
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
mérite local , & dont l'utilité ne s'étend
pas au-delà des bornes de la Province.
On paffe à la deuxième partie du Mémoire
qui traite du Plane ou Platane.
L'Auteur aime mieux lui donner ce dernier
nom , comme plus analogue au
nom latin , Platanus.
Cet arbre qui n'eft guères connu que
par la plainte d'Horace ,
Evincet ulmos.
Platanusque calebs ,
Horat. od. 15. lib. 2.
ne fe trouvoit point dans le pays d'Aunis
; c'eft à M. Baudry , Directeur des
Poftes , qu'on a l'obligation de l'y voir
pour la premiere fois. Ce Citoyen véritablement
eftimable a bien voulu partager
avec M. Dupaty , l'avantage d'enrichir
la Province d'Aunis , d'un arbre
dont le nom y étoit à peine connu.
M. Dupaty , a planté au mois de
Mars 1762 , des Platanes dans un terrein
frais ; il a eu la fatisfaction de les voir
pouffer dès cette premiere année de plus
de quatre pieds , & donner des feuilles
d'une beauté & d'une largeur furprenante.
Quoique celles qu'il a fait voir
à l'affemblée , euffent perdu en féchant
de leur luftre & de leur largeur , elles
ont étonné .
JUILLET. 1763. 103
M. Dupaty fait connoître plufieurs
particularités du Platane d'après Pline
le Naturaliſte , qui eft un des Auteurs qui
en ait parlé le plus au long , mais comme
il fe propofe de fuivre plus particulierement
la nature & les propriétés de cet
arbre , on attendra le réſultat de ſes expériences.
Le difcours de M. Dupaty , écrit d'un
ftyle fans prétention , & tel qu'il convient
aux matières des Phyfique , fut
écouté d'un auditoire nombreux & éclairé
avec cette attention & cet intérêt ,
que s'attirent naturellement les objets
fimples & utiles .
M. l'Abbé de Rouffy , Aumônier en
dignité de l'Eglife Cathédrale, lut enfuite
un difcours fur les qualités néceffaires à
l'homme de lettres.
Cette le&ture fut fuivie de celle des
obfervations de M. de Montaudoin , fur
une critique des Poëfies de Rouffeau.
L'Auteur repouffe les traits que M. de
Vauvenargue lance au Pindare françois ,
dans fes réfléxions fur quelques Poëtes
célébres. Il eft furpris de voir refuſer à
Rouffeau une place auffi honorable
que celle qu'on accorde au Légiflateur
du Parnaffe françois , parce que celui- ci
a été fon Maître. » Ainfi dit , M. de M...
E iv.
104 MERCURE DE FRANCE.
» Racan ne pourra pas être placé près
» de Malherbe , Racine , près de Def-
» preaux , ni M. de Voltaire , près de
Rouffeau. M. de M. convient avec
M. de V. que le pathétique & le fublime
ne fe trouvent pas toujours dans
les odes du Poëte ; » mais tous les fujets
" font- ils fufceptibles de ce genre de
» beautés ? Rouſſeau eſt toujours fublime
» & pathétique quand il lui eft permis de
» l'être. » Pour prouver contre M. de
V. que les images répandues dans les
Odes que Rouffeau a tirées de fon propre
fond , produifent de grands mouvemens ,
il fe contente d'exhorter à lire les Odes
à la fortune , fur la naiffance du Duc
de Bretagne , fur la mort du Prince de
Conti , &c. fes Cantates, fur-tout Circé.
» M. de V. prétend qu'il y a bien
» des penfées fauffes dans ces Odes fi
» vantées ; il s'attache à l'Ode à la for-
» tune pour le prouver ... Mais il pa-
>> roît avoir manqué le but de l'Ode à la
» fortune ; auroit-il ignoré qu'elle a été
» faite contre les conquérans , qu'elle
» en a même porté le titre ? Le Poëte
» s'eft propofé de guérir les Princes de
» la manie des conquêtes ; & tous les
» amis des hommes ne fe lafferont ja-
» mais d'applaudir à des vues auffi louaJUILLET.
1763. 105
» bles. Comme le Critique étoit mili-
>> taire , il aura été fàché de voir mal-
» traiter de grands Généraux ; mais
» comme il étoit encore Philofophe , il
» auroit dû être auffi fage & auffi bien-
» faifant que le Poëte.
Il eft impoffible de donner dans un
Extrait , une idée plus étendue de ces
obfervations . M. de Montaudouin fuit
pas-à-pas M. de Vauvenargue , & entre:
avec lui en difcuffion fur les différens
objets de fa critique. On fent combient
cette matière déja refferrée par les bornes:
préfcrites à un Difcours Académique , eft
peu fufceptible d'Analyfe.
On lut enfuite une lettre fur le carac
tère & les ouvrages de Tibulle , par M..
le Brun , Secrétaire des Commande
mens de Son Alteffe Séréniffime Monfeigneur
le Prince de Conti ; l'Auteur
débute ainfi..
» Nommer Tibulle , c'eft rappeller
» ce que l'Elégie a de plus touchant &
» de plus tendre. Il fut le Peintre des
» grâces & le Poëte du Sentiment ;
» pourroit-il ne pas intéreffer? Son coeur
eft la fource de fes vers ; c'eft là qu'il
» puife ces images fi naïves qui ébran-
» lent l'âme & demandent des pleurs
Amour dictoit les vers que foupiroit Tibulle.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» Ses vers font en effet des foupirs.
» On peut en croire Defpreaux : s'ils
» ont ému fes oreilles auftères , leur
» charme étoit fans doute inévitable.
Après avoir rapporté les particularités
de la vie de Tibulle , qui fervent le plus à
développer le caractère de ce Poëte , M.
le Brun trace le Portrait de ceux qui
ont travaillé dans le même genre ; il
commence par Ovide.
» L'Ingénieux Ovide , ( dit- il , ) lû , chéri ,
» adoré par la jeuneffe , mais fouvent
critiqué par un âge plus mûr , a plus
d'efprit que de fentiment , plus de coquetterie
que de tendreffe. Sa Muſe
brillante a le fard & les agrémens des
beautés qui le trompent ou qu'il cherche
à tromper ; elle périt quelquefois
» fous l'Art & les Fleurs.
*-99
Properce leur rival affecte , felon
moi , des comparaiſons , des allufions ,
des traits de fible trop fréquens ; fes
vers ont quelquefois de la féchereffe
& de l'âpreté il foupire fçavament ,
fa paffion eft érudite , & fa tendreffe
porte un air de Doctrine.
:
M. le Brun parle enfuite de Gallus
& de Catulle ; il fe plaint de ce qu'un
Poëte auffi charmant que Tibulle , n'a
¡pas été traduit en notre langue ; car il
JUILLET. 1763. 107
compte pour rien l'informe traduction de
Marolles. Il voit avec peine la premiere
Elégie noyée dans la prolixe imitation
du Marquis de la Farre ; mais il gémit de
voir Tibulle encore plus défiguré dans
les vers de la Chapelle . Il finit en donnant
quelques regles pour la traduction
des Poëtes , dont il fait l'application à
Tibulle. M. le Brun a traduit en vers
plufieurs morceaux de ce Poëte . La
féance fut terminée par la lecture de la
troifiéme Elégie ; pour ne pas fortir des
bornes prefcrites, on n'en donnera qu'une
partie .
FRAGMENT de la troifiéme Elégie de
Tibulle , à Meffala. Par M. le
Brun.
Abitis ageas fine me , Meffala per undas.
Pars , fuis dans l'Orient les Drapeaux de la gloire,
Cherche à travers les flots l'Afie & la Victoire.
·
Périffe des combats la fanglante Folie !
C'eft elle qui troubla mes jours purs & fereins.
O Paix , de l'âge d'or ramène les deftins.
Un Printemps éternel careffoit la Nature ,
La Terre prodiguoit des moiffons fans culture ,
Ses flancs en longs chemins n'étoient pas fillonés ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Ni de murs foupçonneux au loin empriſonnés .
L'intérêt n'avoit point inventé les partages ,
La foi fervoit alors de borne aux héritages ;
Les Champs couverts de fruits , de troupeaux & de
fleurs ,
Refufoient à Circé les poiſons deftructeurs.
Du Courfier , du Taureau la liberté ſauvage
Et du frein & du joug rejettoit l'esclavage .
Mars n'avoit point encor déployé ſes Drapeaux ;
La haine étoit fans glaive & l'orgeuil fans faiſceaux.
Thétis ne voyoit point de Forêts vagabondes
Ni d'avares Nochers infulter à fes ondes .
Guerre , meurtres , combats , traits de fang altérés ,
Vos noms , vos nomsaffreux étoient même ignorés .
Mais d'un fceptre d'airain , le Ciel frappant la
Terre ,
L'or brille , le fer luit , le fang coule ; & la guerre
Des fragiles mortels précipitant le fort ,
Ofa multiplier les routes de la mort.
Elle m'ouvre un cercueil ... Ah ! s'il faut que j'y
tombe ,
Que du moins l'univers life un jour ſur maTombe ;
Tibu lle ici repofe , au printemps de les jours
» Mars l'enlève à Délie , & la parque auxamours,
JUILLET. 1763. rog
AGRICULTURE.
DESCRIPTION du Semoir-à - bras de
Languedoc avec les figures néceffaires
pour pouvoir l'imiter . Edition gratuite
&c. Ce petit Cahier de 76 pages in - 16
que l'Auteur donne gratis à quiconque
le lui demande par une lettre affranchie ,
contient 1 °. un Mémoire préfenté à MM.
des Etats-Généraux de Languedoc . 2 °.
Quelques réfléxions fur les qualités
effentielles qui conftituent un bon Semoir.
3 °. Les planches & l'explication
néceffaires pour une bonne imitation .
4°. Les inftructions pratiquées pour en
faire ufage. 5 °. Une lifte numérale de
183 perfonnes qui ont acquis ce Semoir
dans l'intervalle de trente mois. 6°. Quel
ques expériences de la récolte de 1762.
Nous allons les tranfcrire mot- à-mot.
10 MERCURE DE FRANCE.
}
PREMIERE SUITE d'Expériences ,
faites avec le femoir-à-bras de Languedoc.
Récolte de 1762. Résultats
purement fommaires pour être envoyés
par la pofte.
M. DARESTE ( nº . 95 de la Liſte )
fuivant un certificat en forme , du 3
Juillet , figné par MM. Goyran , Darnond
& Verrier , Curé & Confuls de
Chavanay en Forêt ; 48 livres de Froment
lui ont produit 1230 : c'est 25 &
demi pour un. Il avoit employé la moitié
de la femence ordinaire ; il a pris un
autre Semoir & m'en a fait débiter fix .
M. Duroure ( nº. 15 ) fuivant fa Letstre
du 11 Août , 238 livres lui ont fait
3240 , pár une féchereffe de dix mois
fans pluie ; c'eft plus de 13 & demi pour
un. Dans la partie de comparaiſon ,
476 liv. ont donné 2593. C'eſt un peu
moins de 5 & demi pour un; il a pris
un autre Semoir.
MM . Les Benedictins ( 93 ) fuivant la
Lettre de Dom Lefpès , du 12 Août ,
ayant employé la moitié de la femence ,
le Semoir a fait 7 & deux tiers pour un
JUILLET. 1763. TIX
& la comparaifon 3 & demi , par une
féchereffe inouie ; ils ont pris une autre
Semoir.
M. de S. Tropes ( 89 ) Nous avons
appris le 13 Août , de la propre bouche
de M. l'Abbé de S. Tropès fon frère .
que 7 Emines de Bled en ont produit
157. C'eft 22 & demi pour un : on
avoit employé la moitié de la femence ,
il'a pris deux nouveaux Semoirs .
M. Duverger ( 83 ) ayant bien voulu
jondre à fa Lettre du 24 Août , la copie
d'un Mémoire qu'il a lu dans une Affemblée
de la Société du Mans , il en réfulte
qu'il a fait , avec une attention fupérieure
, fept épreuves en Froment ,
Seigle , Orge , Epaute , Avoine , & c,
dans toutes lefquelles on a épargné environ
les deux tiers de la femence &
augmenté le produit tant en pailles qu'en
grains , dont la qualité l'emporte fur
ceux de comparaifon , foit au poids ,
foit à l'oeil. Il y prouve que certains
grains qu'on croit ne pouvoir être femés
qu'en Hyver , peuvent l'être également
au Printemps & que certains autres du
Printemps , réuffiffent en Hyver. Il s'éléve
auffi contre le préjugé où l'on eft ,
dans les terres fortes les Sillons bom .
bés font préférables aux Planches . Que
n'avons-nous affez de place pour pouque
12 MERCURE DE FRANCE.
voir donner ce Mémoire en entier
M. de la Lauziere ( 94 ) dans fa Lettre
du 15 Septembre , nous marque avoir
femé une charge de bled dans une terre
peu préparée , & où les mottes dominoient
, laquelle lui en a rendu quinze.
Il n'a profité par comparaifon , que de
la moitié de la femence , fans diminution
de récolte. Il a trouvé le moyen de
connoître les befoins du Grainier fans
ouvrir le couvercle : il pofe un morceau
de planche fur le bled , tenant à un cordon
qui pend au- dehors ; à mesure que
le bled baiffe , le cordon rentre , &
avertit la Semeufe qu'il faut remettre
du Grain . Il a fait conftruire un fecond
Semoir d'après le nôtre , où il a pratiqué
quelques changemens qui ne nous
font pas affez connus pour en juger.
M. Carenet , ( 66 ) Lettre du 23 Septembre.
De quatre Setiers de Froment ,
il en a récolté 95 , malgré la féchereffe;
qu'il eftime l'avoir fruftré d'environ 60
Setiers de plus .
M. Fefquet (78 & 79 ) Lettre du 28
Septembre. De 5 Setiers en a retiré 100 ;
& 14 Setiers & demi femés ailleurs ,
ne lui ont donné que 117 , à caufe de
la féchereffe qui a diminué là récolté
dans tout le pays ; il a pris un troifiéme
Semoir,
JUILLET. 1763. 113
M. Chriftol ( 19 ) Lettre du 2 Octobre.
Son Laboureur n'ayant pas affez
ferré les Sillons , il n'eft tombé que la
cinquiéme partie de la femence avec
42 Cellules ouvertes. Ce Semis a paru
pitoyable jufques à la fin de Mars , que
les Plantes ayant tallé & travaillé vigoureuſement
, le Semoir a produit à
la récolte 60 mefures de Bled , tandis
que la piéce de comparaifon , avec toure
la femence , n'a rapporté que 66
mefures. Il eft furprenant , qu'après une
pareille faute , cet Officier ait encore
eu deux mefures de bénéfice , puifqu'en
ayant économifé 8 aux femailles , il
n'en a perdu que 6 fur le produit. It
y avoit dix pouces entre les rangées de
la femence.
M. de Novi ( 73 ) Lettre du 4 O &obre.
Avec les plus belles apparences
d'une récolte avantageufe jufqu'au mefurage
des grains , il n'a pas eu la fatiffaction
de connoître au vrai le bénéfice
du Semoir, puifqu'ayant mené le matin
quelques amis pour en être les témoins
il trouva que fes gens avoient malicieuſement
profité de la nuit pour mêler
les deux récoltes enfemble. Il remarque
, entr'autres chofes , qu'il faut femer
la moitié & non le tiers de la fe
114 MERCURE DE FRANCE .
mence , & qu'il y avoit moins de mauvaiſes
herbes dans la partie du Semoir
que dans les Terres femées à l'ordinaire
.
•
M. Attanoux ( 58 ) Lettre du 4 O & obre.
Cet Amateur intelligent à faire entrer
différens effais dans le total de fon
expérience , pour connoître la quantité
de Semence que fon fond peut comporter
, & le degré de profondeur auquel
il convient de la mettre , ayant opéré
dans une contenance de 2000 toifes
quarrées à 30 , 36 & 42 cellules & à
differentes profondeurs , il y a eu bien
des lacunes , tant par rapport aux deux
premiers nombres , dont le produit étoit
trop clair , que par rapport à la Semence
trop profonde qui n'a pas levé. Il n'y
eft entré que 100 liv . de Froment, au lieu
de 320 qu'il en eft tombé dans les 2000
toifes de comparaifon. Les 100 du Semoir
ont porté 3283 liv. & la piéce de
comparaifon n'a produit que fept charges
pour une. Le bénéfice fur cette modique
étendue , a été de deux charges
huit panaux fur la récolte , & de fept
panaux fur la femence : total , 3 charges
5 panaux. Le Bled du Semoir pefoit
10 liv. de plus par charge que celui de
la méthode ordinaire.
JUILLET. 1763. 115
C'eft pour la feconde fois qu'on remarque
( comme M. Fefquet ) que le
Bled de la nouvelle méthode n'eft pas
fujet à verfer par les pluies. M. le Baron
de la Tour- d'Aigues , ( 18 ) avoit prévu
cet avantage du Semoir -à- bras , même
avant toute expérience .
M. Attanoux a fait une feconde épreuve
qui lui a réuffi . Il y a dans le Pays
une forte de Terre fabloneufe qui ne
porte que du Seigle : la couverture avantageufe
que le Semoir procure à la Semence
, lui ayant infpiré d'y femer du
Froment , deux panaux en ont produit
12 de la plus belle qualité. Il fe difpofe
à femer une étendue de 16000 toifes ,
d'où probablement nous tirerons de nouvelles
connoiffances.
M. de Lubieres ( 65 ) a fait prendre
un autre Semoir. Quoique nous n'ayons
pas encore le détail de fes opérations ,
on doit les croire favorables .
Le prix du Semoir eft , fur les lieux ,
de trente -fix livres , & la caiffe d'embalage
pour les Villes éloignées coûte
trois livres. Le tout enfemble ne peſe
que 75 à 80 livres poids de Montpellier.
L'adreffe , tant pour demander la
brochure que le Semoir eft à M. l'Abbé
Soumille , Correfpondant des Acadé116
MERCURE DE FRANCE.
mies Royales des Sciences de Paris ,
Toulouſe & Montpellier , Affocié libre
de la Société Royale d'Agriculture de
Limoges , à Villeneuve -lès - Avignon . On
doit affranchir le port des Lettres &
de l'Argent
.
SÉANCEpublique de l'Académie Royale
de Chirurgie , tenue le 14 Avril 1763 .
L E prix de cette année , fur les maladies
de l'oreille , confiftant en une
Médaille d'or , de cinq cens livres , fondée
par feu M. de la Peyronie , a été
remporté par M. Léchevin , Chirurgien
de l'Hôpital général de Rouen.
L'Académie a adjugé une Médaille
d'or de la valeur de deux cens livres
connue fous le nom de prix d'émulation,
à M. Marrigues , Maître en Chirurgie à
Verfailles. Les cinq petites Médailles
ont été méritées par des obfervations
intéreffantes fournies dans le courant de
l'année précédente , & ont été diftribuées
à MM. Lefne & Beaupreau , Académiciens
de la Claffe des Libres ; à
M. Moublet , Chirurgien à Taiafcon ;
à M. Philippe , Chirurgien à Chartres ;
JUILLET. 1763. 117
& à M. Jean-Daniel Mittelhauffer , Phy
ficien de la Province de Weiffenfels.
Après la diftribution des prix , M. Moprononça
les éloges de M. Daviel ,
Affocié de l'Académie , & Oculiste du
Roi , & de M. Faget , Vice -Directeur
de l'Académie .
rand
M. Daviel s'étoit adonné par goût à la
Chirurgie des yeux , dans laquelle il a
bien mérité de fes Contemporains & de
la postérité par l'opération de la cataracte
dont il faifoit l'extraction , au moyen
d'une incifion demi- circulaire pratiquée
à la partie inférieure de la cornée tranfparente.
Le Mémoire qu'il a donné fur
fa Méthode d'opérer , eft inféré dans le
fecond tome de ceux de l'Académie
Royale de Chirurgie ; il étoit Membre
de plufieurs Sociétés Sçavantes , & eft
mort à Genêve , l'année derniere .
M. Faget avoit été éléve du célébre
M. Petit. Sa réputation avoit commencé
par les fuccès qu'il eut dans la maifon de
Condé , étant Chirurgien de Madame la
Ducheffe- Douairière. Elle augmenta au
point de mettre M. Faget à côté des Praticiens
le plus en vogue , & de lui mériter
de grands Seigneurs pour amis. Il étoit
Confeiller de l'Académie depuis l'année
de fa création en 1731. Il a été pendant
118 MERCURE DE FRANCE .
dix ans Chirurgien de l'Hôpital de la
Charité , tant en qualité de Subſtitut
que de Chirurgien en Chef. Il fe diftingua
dans cette place par fon zéle pour
les pauvres . Il étoit Membre de la Société
Royale de Londres , & Vice - Directeur
de l'Académie de Chirurgie , lorſqu'une
'mort prompte l'enleva l'année dernière.
Il avoit donné à ces deux Compagnies
de fort bons Mémoires fur différens
fujets.
M. Levacher lut des réfléxions fur le
changement de direction des balles , par
la réfiftance des parties molles. Pour peu
qu'on ait eu occafion de traiter des
playes d'armes à feu,on a remarqué que
l'entrée & la fortie d'une balle ne font
pas les extrêmités d'une ligne droite ; &
l'on conçoit que les parties offeufes peuvent
, en détournant le corps étranger ,
être la caufe de cette déviation . M. Leva
cher prouve par plufieurs obfervations
dont l'expofé eft utile & inftructif, que
les feules parties molles , lorfqu'elles font
frappées felon une direction affez oblique
à leur furface , font des obftacles
fuffifans pour changer la voie des balles.
A ces faits fuccéde une démonftration
par les loix du mouvement , dans
laquelle l'Auteur explique comment la
JUILLET. 1763. 119
déviation a lieu dans le choc oblique
par la ligne de direction qui participe de
la perpendiculaire & de Phoriontale.
M. Fabre fit enfuite la lecture d'un
Mémoire fur une nouvelle méthode de
réduire la luxation & la fracture de la
cuiffe & du bras . Il établit pour principe
que la difficulté des réductions vient
moins de la réfiftance qu'oppofe la contraction
involontaire des muſcles , que
du lieu où l'on applique les forces qui
font l'extenfion & la contre - extenfion.
La régle générale établie pour l'extenfion
, eft d'appliquer la puiffance à l'os
même fracturé ou luxé. M. Dupouy ,
Membre de l'Académie , dans un Mémoire
qu'il a lu précédemment , affure
avoir réuffi avec très - peu d'efforts dans
la réduction de quelques luxations , en
tirant le membre par un endroit plus
éloigné , comme au-deffus du poignet
pour la réduction de l'os du bras ; &
par le pied , pour la luxation de la cuiffe.
Un homme s'étoit luxé la cuiffe en
montant derrière un caroffe : la tête de
l'os fut portée avec violence à la partie
poftérieure de la cavité de l'os de la
hanche , & fe logea dans l'intervalle
des muſcles feffiers. Un Chirurgien qui
vit le malade prèſqu'à l'inſtant de l'acci120
MERCURE DE FRANCE.
dent fit beaucoup d'efforts inutiles
quoique bien dirigés fuivant les régles
reçues pour la réduction de cette luxation
. M. Dupouy appellé dans cette circonftance
, étendit horizontalement la
cuiffe malade contre la faine , & pendant
qu'un aide appuyoit avec les mains
fur le genou , il alla prendre le pied : à
peine l'eut - il tiré , fans employer beaucoup
de forces , que le bruit de la tête
de l'os annonça qu'elle étoit rentrée
dans fa cavité. L'événement qui furprit
tout le monde , fut prèfque auffi prompt
qu'un clin d'oeil. M. Fabre adopte le procédé
qui a eu un fuccès fi favorable : il
a eu l'occafion de prouver la fupériorité
de cette méthode ; & il rend raiſon de
la facilité avec laquelle cette opération
réuffit. Les liens deftinés à faire les
extenfions n'agiffent plus fur les muſcles
qui doivent être allongés, de là vient
la moindre douleur , & l'abfence des obftacles
qui s'oppofoient au fuccès de l'extenfion.
M.Fabre rend à cet égard tout ce
qui eftdû à M. Dupouy; mais on n'a levé,
dit il, par cette perfection , que la moindre
des difficultés qu'on rencontre dans
la réduction du fémur ou de l'humerus
luxés ou fracturés , furtout près de
leur col. La principale vient , felon M.
Fabre ,
JUILLET. 1763. 121
Fabre , de la manière dont fe fait la contre-
extenfion . Il y avoit bien eu quelques
objections , il y a environ quarante
ans,contre une nouvelle méthode d'opérer
dans la luxation du bras ,par lefquelles
on blâmoit l'effort qu'on y faifoit contre
les muſcles ; mais M. Fabre ne fe contente
pas de la connoiffance du mal ;
occupé de la recherche des moyens de
faire le bien , il abandonne une critique
jufte mais ftérile , & donne des
principes lumineux fur la manière de
faire la contre - extenfion . Il prouve
que dans la réduction de lacuiffe , par
exemple , le lacq pofé dans le pli de
l'aîne , pour empêcher le corps de fuivre
l'extenfion , s'il eft mis , comme il
étoit d'ufage , du côté malade , porte
fur l'attache des mufcles triceps , & que
ce moyen nuit à la contre- extenfion au
lieu de la favorifer ; puifqu'il comprime
des muſcles qui doivent céder aux efforts
de l'extenfion . M. Fabre confeille
de retenir le corps en plaçant le lacq du
côté fain ; & pour empêcher que le baffin
n'obéiffe obliquement du côté malade
aux extenfions , il prefcrit un ſecond
lacq qui embraffe le baffin du
côté malade , dans l'intervalle qui est
entre la crête de l'os des îles & l'articu-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
lation de la cuiffe : on en fait tenir les
extrémités , du côté oppofé , obliquement
de bas en haut. Par ce double
moyen le baffin eft fixé immobilement
& les mufcles font libres.
On ne peut trop louer des vues auffi
méthodiques , dont l'application aux
différentes parties du corps , rendra donavant
la Chirurgie des fractures & des
luxations , plus douce & plus parfaite.
M. Louis lut enfuite un Mémoire fur
une queftion anatomique relative à la
Jurifprudence , dans lequel il établit les
principes , pour diftinguer à l'infpection
d'un corps trouvé pendu , les fignes du
fuicide d'avec ceux de l'affaffinat. L'utilité
dont cet Ouvrage a été jugé , a
déterminé l'Auteur à le faire imprimer
peu de temps après ; & il en a été rendu
compte dans un des Mercures précédens
, comme d'une nouveauté littéraire
: nous renvoyons à cet extrait
pour le fonds de la doctrine , & nous nous
contenterons de rappeller ici un point
particulier de ce Mémoire.
Le principal foin d'un Chirurgien ap
pellé pour conftater l'état d'un homme
trouvé pendu , n'eft pas fimplement ,
dit M. Louis , de remarquer d'un premier
coup d'oeil , toutes les circonftances
JUILLET. 1763 . 123
qui peuvent l'aider dans le jugement
qu'il aura à porter ; mais il doit examiner
fi le Sujet ne feroit pas encore dans
le cas de recevoir des fecours capables de
le rappeller à la vie . L'expérience a prouvé
que des hommes qu'un délire mélancolique
avoit portés à fe défaire euxmêmes
, ont été délivrés à temps du lien
fatal qui auroit rendu leur mort inévita
ble. On a même fauvé la vie à des gens
qui avoient paffé par les mains de l'Exécuteur
de la Juftice : c'eft furtout dans
les armées que ces exemples ont été fréquens.
En fuppofant , continue l'Auteur,
que les bienfaits de l'Art , ne puiffent
dans aucun cas être refervés aux malfaiteurs
, les refufera-t- on aux victimes infortunées
du dérangement de leur propre
efprit. M. Louis applique aux pendus
les raifons qui permettent de donner des
fecours à ceux qu'on croit noyés, avant
toute formalité de Juftice . On perdroit
un temps trop précieux s'il falloit dans
ces différens cas , attendre que les Officiers
chargés de la Police euffent fait les
Procès- verbaux auxquels leurs fonctions
les obligent. L'humanité profcrit tout
délai dans des occafions auffi preffantes.
Ce feroit une barbarie que de différer
P'ufage des moyens capables de rappeller
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à la vie ceux qui paroîtroient fufceptibles
de quelques fecours. La Juſtice eft
intéreffée elle -même à les ordonner'
parce que les foins d'un habile Chirurgien
peuvent procurerla plus parfaite connoiffance
des caufes du délit. M. Louis
cite à ce fujet l'opération faite par le
célébre Ambroife Paré à un Allemand :
Penfionnaire d'un Banquier de Paris ,
qui s'étoit coupé la gorge dans un accès
de phrénéfie. Le domeftique du bleffé
& fon Hôte , prifonniers au Châtelet de
Paris , auroient eu peine à ſe juſtifier de
l'accufation de l'avoir affaffiné , fi la
playe quoique mortelle par fa nature ,
n'avoit pas été méthodiquement réunie .
Ce fecours ne pouvoit être d'aucune
utilité à la confervation de la vie du
bleffé ; mais il le mit en état de parler ,
& de confeffer qu'il avoit attenté luimême
à fa vie. M. Louis tire de ce fait
intéreffant des inductions concernant
l'affaire de Toulouſe. Il paroît par diverfes
circonstances que le Sujet trouvé
pendu pouvoit n'être pas mort , lorsqu'il
a été vifité par l'Eléve en Chirurgie
appellé dans l'intention de le fecourir :
quel contrafte dans les fuites de cette
funefte avanture , fi cet homme avoit été
fecouru , & qu'il eût pu l'être efficaceJUILLET.
1763. 125
ment ! L'Auteur ajoute pour l'intérêt public
, que l'on néglige trop la connoiffance
des vrais fignes qui caractèrifent
la mort certaine ; connoiffance dont on
a tant d'occafions de faire ufage dans le
cours de la vie , foit pour fes parens ,
foit pour fes amis; & que chacun devroit
defirer dans les autres afin d'en tirer le
fruit foi -même dans le cas malheureux
d'une mortincertaine . M. Louis rappelle
à ce fujet fon traité fur la certitude des la
fignes de mort , où il raffure les Citoyens
de la crainte d'être enterrés vivans.
Après la lecture de ce Mémoire , M.
Sabatier fit celle d'une obfervation fur
un Corps étranger placé dans l'articula .
tion du genou. Un Soldat invalide avoit
les mouvemens de cette partie douloureux
& extrêmement difficiles. On y
fentoit un corps étranger d'une figure
irrégulière , du volume d'une féve de
haricot & fort mobile . Le malade. penfoit
que ce corps s'étoit détaché fubitement
de deffous la rotule , & cela
avoit été précédé de douleurs & de gonflemens
qui ne cédérent aux faignées &
aux émolliens qu'au bout de quatre
jours. Ce corps étranger étoit tantôt au
côté interne , tantôt au côté externe du
genou. M. Sabatier , pour qui cette
Fi
126 MERCURE DE FRANCE.
maladie ' étoit nouvelle , n'eut pas la timidité
des Chirurgiens que le malade
avoit confultés précédemment : aucun
n'avoit ofé en faire l'extraction ; il l'a
pratiqué ; le corps étranger , quoique
fort mobile , pouvoit aifément être affujetti.
Il étoit facile de faire une incifion
& de le tirer ; mais les Confrères dont
P'Auteur rechercha les confeils , ne le
raffuroient pas fur l'événement , Les uns
craignoient une ankylofe ou foudure
de l'articulation ; les autres une fiftule.
Ces craintes ne rallentirent pas le zéle
de M. Sabatier pour le foulagement du
malade . L'opération ne fut ni longue ni
douloureufe. Le corps étranger avoit la
couleur & la confiftance de vrai cartilage.
La fortie de ce corps fut fuivie de
l'écoulement d'une médiocre quantité
de fynovie. La réunion de la playe fur
tentée par un bandage uniffant & par
la fituation de la partie maintenue dans
des fanons ; le quatrième jour le gonflement
du genou & une tumeur formée
par l'amas de la fynovie , obligérent d'écarter
les bords de la playe pour procu
rer une libre iffue à cette humeur. On
laiffa la playe dans cet état ; au bout de
huit jours la fynovie ceffa de couler ,
les lévres de la playe fe rapprochérent
JUILLET. 1763. 127
infenfiblement , & elle fe confolida entiérement.
Il n'y avoit plus que de la roideur
qu'on tâcha de vaincre vers le
vingtiéme jour , & l'on y parvint peuà
-peu. La guérifon paroiffoit complette
au bout de trois mois ; mais le malade
eft retombé depuis dans un état qui
approche du premier. Il a conftamment ,
fous la rotule une douleur qu'il croit caufée
par un nouveau corps étranger, parce
qu'elle eft toute femblable à celle qu'il
éprouvoit avant qu'on l'opérât.Ce corps
ne s'eft pas encore rendu fenfible au
toucher. S'il le devenoit & qu'il fût mobile
comme le premier , faudroit- il faire
une opération pour en délivrer le
malade M. Sabatier defire que ceux
qui auroient des obfervations de ce
genre les communiquent à l'Académie .
Il feroit utile de conftater la nature de
cette espéce de corps étranger ; de fçavoir
fi l'ouverture des articulations ne
peut point avoir de fuites fâcheufes , &
fi les récidives font plus ou moins à
craindre . On ne peut trop multiplier ces
faits , combiner de raifons , & prévoir
de conféquences pour établir fur tous ces
points des principes certains & falutaires .
M. Pibrac , Directeur de l'Académie ,
termina la Séance par la lecture d'un
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Mémoire très- utile & qui fut fort applau
di , fur l'ufage du ſublimé corrofif dans
le traitement des maladies vénériennes.
M. Pibrac ne s'eft pas laiffé féduire par
les autorités qui ont voulu accréditer un
poifon plus dangereux que la maladie
qu'on a prétendu guérir par fon ufage:
Il en fait connoître les pernicieux effets
dans l'application extérieure ; il paffe enfuite
aux dangers dont le fublimé corrofif
a été fuivi lorfqu'on l'a adminiſtré
intérieurement. Il a recueilli des faits fur
cette pratique meurtrière qu'il feroit
avantageux de publier pour le bien de
l'humanité : on doit l'efpérer du zele
de M. Pibrac ; pour l'y déterminer , il
fuffira de lui rappeller ce qu'il dit dans
fon Mémoire d'après le jugement de la
Faculté de Halle contre ceux qui employent
le fublimé corrofif, même extérieurement
.... Le fort de ceux- là eft .
à plaindre , qui ont le malheur de tomber
entre les mains de pareils affaffins ;
car quand bien même il leur arrive d'échapper
à la mort , leur fanté ne manque
pas de recevoir des atteintes funeftes
: ils traînent une vie languiffante ;
& ce qu'il y a de plus fatal , c'eft qu'ils
ne foupçonnent feulement pas la fource
des maux qu'ils endurent....
JUILLET . 1763. 129
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS:
ARTS UTILE S.
MÉ CHA NIQUE.
NOUVELLE Roue pour la Coutellerie.
L E fieur Songy , Maître Coutelier
à Paris , Cul - de - Sac du Coq Saint-
Honoré proche le Louvre , a préfenté à
l'Académie Royale des Sciences , une
Roue de fon invention qui lui fert a
faire tourner les Meules par la feule ac
tion de fon pied , qui la met en mou
vement à la maniere des Tourneurs de
Roue. Le Méchanifme en eſt d'autant
plus admirable que c'eft la chofe du
monde la plus fimple ; voici le Juge
ment qu'en a porté l'Académie.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences.
Du 16 Mars 1763.
MM. de Vaucanfon & le Roy , qui
avoient été nommés pour examiner un
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
moyen employé par le fieur Songy, Maî
tre Coutelier à Paris , pour pouvoir en
même temps qu'il travaille à fes. Meules
& Poliffoir , faire mouvoir au moyen
d'une marche ou pédal , la Roue qui
les fait tourner , en ayant fait leur rapport
:
L'Académie a jugé que quoiqu'on ne
puiffe pas s'attendre à faire tourner par
ce moyen une Roue avec autant de
forces & de vîteffe que lorfqu'un homme
la fait tourner à force de bras
cependant comme on peut lui en donner
tout autant qu'en exigent les ouvrages
de Coutellerie , que ce moyen
met d'ailleurs l'ouvrier & les affiftans
à l'abri de la fracture des Meules , que
la trop grande vîteffe de la roue & les
faccades que lui impriment ceux qui
la tournent ne fait que trop fouvent fauter
en éclat qu'il épargne aux Couteliers
le travail du tourneur de roue & l'inconvénient
fouvent très - incommode
d'en dépendre ; & qu'enfin il peut
être
utile dans plufieurs autres cas comme,
par , exemple à une machine Electrique
dont la roue pourroit dans de certaines
circonftances , être mue par la même
perfonne qui frotteroit le globe ce
moyen proposé par le fieur Songy , mé-
:
JUILLET. 1763. 131
ritoit d'être approuvé ; en foi de quoi
j'ai figné le préfent Certificat , à Paris ,
ce 18 Mars 1763 , figné Granjean de
Fouchy , Secrétaire perpétuel de l'Académie
Royale des Sciences.
On voit par le Certificat de l'Académie
, que la roue du fieur Songy eft
applicable à d'autres Arts que la Coutellerie
; il fait voir par un modele qu'il
a chez-lui , qu'il y joint un chapelet de
fon invention dont on pourra fe fervir
fur quel puits que ce puiffe être , fur les
lacs , fur les marais & fur telles piéces
d'eau que l'on trouvera convenable . Le
chapelet puifera depuis douze pieds de
profondeur jufqu'a deux cens. Sa machine
fera portative après avoir fait fon ouvrage
; d'un côté , l'on pourra la tranfporter
dans un autre où l'on en aura befoin
; & il expliquera aux amateurs la
quantité d'eau qu'elle donnera en une
minute.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
LE ST MARTIN , Peintre & Deffinateur
, dont la réputation eft fi connue
pour s'être diftingué pendant nombre
F vj
MERCURE DE FRANCE .
d'années qu'il a décoré le brillant Spectacle
de l'Opéra par fes deffeins d'habillemens
, ayant été follicité par plufieurs
perfonnes de confidération depuis
fix années qu'il s'en eft retiré , de continuer
à mettre au jour fes idées dans ce
genre ; en reconnoiffance des applaudiffemens
dont le Public a bien voulu
l'honorer tant qu'il a gouverné cette
partie de Spectacle , a cru devoir graver
une collection d'Eftampes en figures
dont l'élégance & la nobleffe s'accordaffent
parfaitemenr avec le caractère
& la conformité des Perſonnages qu'elles
doivent repréſenter .
Nota. Si l'on fouhaitoit avoir de ces
Eftampes coloriées pour en mieu fentir
les effets , on en trouveroit chez l'Auteur.
Si on avoit befoin même de deffeins
de caractères différens de ceux qui
font déja gravés , en lui en défignant
le genre , il les éxécuteroit dans le goût
de ceux qu'il eft en ufage d'envoyer
dans les Cours étrangères.
Ces Eftampes fe vendront chez l'Auteur
, rue de la Sourdière , la deuxième
porte à gauche après le cul-de -fac des
A Jacobins en entrant par la rue S. Honoré
, & chez la veuve Chereau , rue S
Jacques, aux deux pilliers d'or.
JUILLET. 1763:
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
133
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE...
LEE Vendredi premier Juillet , le.
Concert commença par l'ouverture de
Zaïs , fuivie de Fragmens , dâns lefquels.
on exécuta le Divertiffement des Bergers
du premier Acte de Camille ; &
après différens morceaux , le Concert
finit par une partie du quatriéme Acte.
de Dardanus. Et le Choeur , il eft temps
de courir aux armes , du même Opéra.
Celui du 8 de ce mois , a commencé
par des Fragmens , compofés de différens
morceaux tant en Mufique vocale
qu'inftrumentale , & tirées en partie
des fêtes de l'Hymen & des fêtes de
Polymnie. On exécuta enfuite le Divertiffement
de l'Enchantement du quatriéme
Acte de Canante. Le Concert finit
par le deuxiéme Acte d'Hyppolite &
Aricie.
Dans ces deux Concerts Miles CHE
VALIER , ARNOUD , LARRIVÉE &
DUBOIS chanterent ainfi que MM
LARRIVÉE , GELIN & MUGUET.
,
134 MERCURE DE FRANCE .
COMÉDIE FRANÇOISE.
O N a donné fur ce Théâtre le Lundi
II de ce mois la feptiéme repréfentation
de l'Anglois à Bordeaux , fuivie du Ballet
de M. VESTRIS , exécuté par les
Danfeurs & les Danfeufes de l'Opéra .
Mlle DANGEVILLE a continué de jouer
dans cette Piéce , & , le Public par conféquent
continue & fon empreffement
& fon affluence , d'autant que le mérite
de l'ouvrage concourt auffi à perpétuer
le plaifir des Spectateurs , & l'infatiable
avidité , fi l'on peut dire , de jouir
encore des talens inimitables de cette
Actrice après fa retraite .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 4 de ce mois on a donné la
première repréſentation des Fêtes de la
Paix , Divertiffement nouveau en un
acte , paroles de M. FAVART , mufique
de M. PHILIDOR. A cette première
repréſentation , la Piéce parut un peu
trop chargée de chants & de danfes ;
on en a fupprimé quelques parties &
changé quelque chofe dans la diftribuJUILLET.
1763. 135
tion , ce qui en a développé davantage
l'agrément , & lùi a procuré un fuccès
qui continue de fe foutenir. Nous allons
donner une Analyfe fommaire de ce
Divertiffement , dans laquelle il convient
de prévenir , que perdra beaucoup
un Ouvrage arrangé pour recevoir de
nouvelles grâces par celles du chant &
des danfes.
ANALYE des Fêtes de LA PAIX ,
DIVERTISSEMENT NOUVEAU.
PERSONNAGES.
UN HERAULT D'ARMES ,
DEUX SUISSES chantans.
COLAS , petit Berger ,
BABET petite Bergère ,
UN FAUX ABBÉ ,
UNE BOURGEOISE ,
UN GRENADIER , Mari
de la Bourgeoife ,
UN MAITRE de Penfion ,
UNE BOUQUETIERE ,
UN JARDINIER ,
GOMBAULT vieux Soldat
retiré au Village
MACÉ . femme de Gombault ,
L'OFFICIER , fils de Gombault
ACTEURS.
M. Cailleau.
Mlle Riviere.
Mlle la Ruette.
M. Clairval.
Mile Bognioli.
M. la Ruette.
M. Rochart.
Mlle Favart.
M. Chanville.
M. Cailleau.
Mlle Favart.
M. Lobreau.
Mlle Louifon Thomaffin.
UN CARILLONNEUR ,
& de Macé ,
La petite- fille de Gombault
& Macé
La femme du Carillonneur ,
UN ARTIFICIER ,
M. la Ruette.
Mlle Defglands.
M. Cailleau
CH UR de gens de tous états.
136 MERCURE DE FRANCE.
EE Théâtre représente une grande place.
environnée de Portiques ; des Trophées
font fufpendus entre les Colonnes , &
fur des Gradins de pierre difpofés en
Amphithéâtre, comme dans un Cirque ,
on voit des Statues repréſentàns les
Grands Hommes qui ont illuftré la
France dans tous les genres . Au milieu
de cette Place eft repréfentée la Figure
Equeftre du Roi avecfon Pied- d'Eftal
& les Ornemens qui l'accompagnent,
telle qu'on la voit dans la Place de
Louis XV..
A l'ouverture de la Scène , des Suiffes très-bien
caractérisés par les tailles & par les habits , paroiffent
s'opposer au tumulte du Peuple qui veur
approcher ; ce qui forme un Choeur bruyant dans
lequel les gens du Peuple diſent en chantant que
la Fête eft pour eux ; qu'ils ont droit d'approcher;
& les Suilles répétent la défenſe d'approcher.
Ce Choeur eft interrompu par la marche des
Héraults d'Armes , vêtus en habits de cérémonie,
tels qu'on les a vus à la Publication de la
Paix. Ils approchent au fon des Timballes
Fifres & Trompettes. Le Chef de ces Héraults
vient annoncer la Paix par une Ariette dans laquelle
il impofe filence à ces Inftrumens guerriers
qui ne doivent plus épouvanter la terre , &
continue en chantant.
»Jouiffez tous d'un fort tranquille ;
Ma voix vous annonce la Paix ;
JUILLET. 1763. 137
» La Paix régne dans cet afyle ;
D'un Roi qui vous la donne , honorez les bien
>> faits.
Le tumulte entre le Peuple & les Suiffes , recom
mence. Le Chef des Hérauts-d'Armes ordonne de
laiffer paffer tous ceux qui veulent approcher
de la Satue du Roi , & continue de chanter
» Dans ce jour où tout profpère ,
» Il n'eft point d'Etats différens
» Laiſſez entrer Petits & Grands ;
» Laiffez les coeurs fe fatisfaire ;.
» Doit-on empêcher des Enfans
>> De venir voir leur Père ?
}
Des Jardiniers & des Bouquetières arrivent ,
en danfant & en chantant. Les Jardiniers plantent
des Oliviers autour de la Statue du Roi
qu'ils environnent de guirlandes de fleurs. Les
danfes des uns & des autres font interrompues
par des Chanfons en couplets , dont nous ne
rapportons que les premiers de chacune..
Premier Couplet de la Chanfon des Bou
QUETIÉRES.
» Offrons tous nos Bouquets
» C'eſt l'Amour qui les a faits ,
» De même que nos offrandes 34
> Nos coeurs font épanouis.
» Pour notre bon Roi LOUIS
» L'Amour en fait des guirlandes
Offrons , &c..
138 MERCURE DE FRANCE.
Premier couplet des JARDINIERS.
>>Jarnigué
J'avons le coeur gai ,
» Ce mois eft pour nous le mois de Mai.
Ne faites point ici les fières ,
» Nous voulons y être les premiers ;
» Sans nous autres bons Jardiniers ,
>> On n'auroit point de Bouquetières.
Les Jardiniers & les Bouquetières retirés , la
petite Bergère Babet vient attendre Colas , petit
Berger du même âge , qui lui a donné parole.
Ce qu'elle fait entendre dans une espèce de
Romance qu'elle chante , dont le fujet eft l'inclination
qu'elle fe fent à livrer fon coeur , &
la peine qu'elle aura de s'en défendre dans un
jour où chacun fe livre au fentiment. Colas a
pris un nid d'oifeau au Bois de Boulogne , il
les apporte dans fa chemife . Cette fcène trèsdélicate
& très-naïve , prête beaucoup à unjeu
très-agréable , par lequel Colas l'engage à prendre
elle-même ces petits oifeaux dans fa chemife
, fans lui dire ce que c'eft : après bien des
craintes & des difficultés , lorfque Babet a enfin
découvert elle - même les oifeaux que cachoit
fon Berger , elle eſt touchée de leur fort & de celui
de leur Mère ; elle veut leur donner la volée ,
ce qui amène une Ariette très-agréable & trèsbien
chantée , qui commence par ces mots.
Volez, volex , petits oifeaux , &c. Cette fcène eft
fuivie d'une autre dans le genre Comique qui
produit un effet fort amufant , entre une Bourgeoife
& un jeune Homme habillé en Abbé ,
avec un furtout de campagne.
JUILLET. 1763. 139
La scène commence par un Duo , dans lequel
la Bourgeoife marque fes fcrupules & fa délicateffe
fur la propofition que lui fait l'Abbé de
lui donner le bras ; & celui - ci s'efforce de lui
perfuader la ridiculité de fes craintes . La Bourgeoife
appréhende qu'on ne croye que l'Abbé
eft amoureux d'elle , d'où celui- ci en prend occafion
de lui déclarer fes feux ...... cédez ( dit
l'Abbé ) cédez à mes voeux ; à quoi la Bourgeoife ,
d'un ton de prude , replique ....... Monfieur ,
» Je n'ai jamais cédé , je fuis honête femme.
Mais l'Abbé déclare qu'il eft Homme à l'époufer:
la Bourgeoife marque fon étonnement :
L'Abbé en expliquant fon prétendu Etat , dit :
» Je fuis libre , j'ai du bien ;
Cet habit- là , Madame , & rien ,
» C'eſt à- peu-près la même chofe :
On le prend pour tromper les yeux ;
Plus d'un ainfi que moi , par ce dehors impofe ,
Sans engagement férieux.
Vous
LA BOURGEOISE.
n'en avez aucuns ?
L'ABBÉ.
>> Aucun ; s'il faut vous dire
Je me confie à vous , à peine fçai-je lire ;
J'ai pris cet attirail par prudence , par goût ;
» Enfin , comme un paffe -partour ,
» Car on en tire un fort grand avantage ;
» C'eft moins pour moi , Madame , un Etat
» qu'un maintien ;
140 MERCURE DE FRANCE .
» Heureux qui fçait en faire ufage ;
Par -là je tiens à tout en ne tenant à rien.-
» On nous reçoit fans conféquence;
» Infenfiblement on s'avance.
→On nous goûte en faveur de la frivolité
» C'eſt en elle aujourd'hui que mon état conſiſtez-
» Avec quatre doigts de Baptifte
Nous acquérons le droit de l'inutilité ;
Et pouvon sêtre oififs en toute liberté.
LA BOURGEOISE.
Mais tous ces oififs- là demandent de l'ouvrage,
L'ABBÉ
» Notre régne n'eft pas tombé ,
Nous nous infinuons toujours dans le ménage
» Chaque maifon a fon Abbé .
Ily donne le ton , y joue un perfonnage ,
Pour les Valets il eft Monfieur l'Abbé ,
» Pour le Mari , Mon cher Abbé
Pour la Femme , l'Abbé..
LA BOURGEOISE.
Vous connoiſſez l'ufage
» C'est le fecrets de parvenir .
&c. &c.
Lorfque la Bourgeoife , fenfible aux propofi
Nons de l'Abbé , regrette de n'être pas affurée
du fort de fon mari , qu'elle croit mort ; ce
mari qui eſt un Grenadier , vient & la ſurprendi
P
JUILLET. 1763. 141
avec l'Abbé. La Bourgeoile eft prête de s'évanouir
de frayeur & de chagrin , le bon Grenadier
prend cela pour un effet de la tendreffe
de la femme. Elle fe plaint de toutes les inquiétudes
qu'il lui a caufées ; il dit n'être arrivé que
de la veille ; elle lui reproche fon peu d'empreſſement
, & le querelle de ce qu'il eft déjà
yvre ; il en canvient , mais c'eſt , dit-il , par
Sentiment qu'il s'eft grife ; il a bu avec les Camarades
à la fanté de tous les Peuples de la Terre ,
qui font nos bons amis , puifque la Paix eft générale.
L'Abbé veut appuyer les reproches de la
Femme. Le Mari demande quel eft cet original
? La Femme répond que c'est un de fes amis.
Après quelques plaifanteries , le Mari qui prend
la chofe plus férieufement , contraint l'Abbé de
quitter la partie. En fe retirant il déclare au
Grenadier , avec un air de menace , qu'il fera
tout auffi Militaire que lui quand il voudra ; ce
qui fait entendre à celui-ci , que ce n'est qu'un
Homme ordinaire déguifé en Abbé.
» Commment diable !
( dit le Grenadier. ) Il prend un habit reſpectable ;
Pour être un mauvais Sujet , un mauvais
» citoyen , לכ
» Etre à charge au Public , en un mot , bon
» à rien.
La femme dit que c'est précisément cet habit
qui l'a trompée ; qu'elle a pris cet homme pour
un de ces beaux efprits diftingués qui le por
tent , & qui méritent l'eftime de tous les honnêtes
gens. Le mari lui pardonne & finit certe
fcène par une Ariette , qui peint très – bien la
142 MERCURE DE FRANCE .
façon de s'énoncer d'un homme dont la tête
& les organes font embarraffés par les fumées
du vin. Ce que l'Acteur éxécute très - plaifamment
dans fon chant. Le refrain du Rondeau de
cettte Ariette eſt ainfi.
» Il faut que la paix foit bien grande ,
» Elle régne entre les époux.
Cette Scène eft fuivie d'un Ballet , après le
quel un Précepteur vient au milieu de fes écoliers
à qui il montre la Statue du Roi , en diſant ,
O ! Pueri , Pueri venite .
Levez les yeux , & plaudite.
Qu'à jamais dans votre mémoire ,
» Plus encor dans vos coeurs foient imprimés
> les traits
» D'un Roi qui vous donne la paix . ·
» La vaſte ambition , l'orgueil de la victoire
« Ne rendent point un Monarque plus grands
Un Prince pacifique efface un Conquérant.
» Le temple de la Paix eft celui de la ' Gloire,.
» Voyez encor ces hommes revérés &c.
Le Précepteur leur montre les figures des hom
mes illuftres qui rempliffent les gradins du portique
; il leur en nomme quelques - uns dans chaque
genre.
Tout un Village eft arrivé à Paris pour 'voir
la Statue du Roi & les fêtes publiques . Au
nombre des habitans de ce village , eft un vicillard
avec fa femme ils chantent en duo le bon
JUILLET. 1763. 143
•
temps dont on va jouir. Ses compatriotes le
prient de les mener voir le Roi en perfonne ,
pour admirer de près celui qui fait leur bonheur.
Gombault ( ainfi fe nomme ce vieillard )
eſt un ancien Militaire , il a été ſoldat juſqu'à
ce que le poids des années l'ait contraint à fe
retirer. Il raconte & détaille les dangers qu'a
partagés le Monarque avec fes foldats , que fes
regards encourageoient dans les horreurs de la
guerre. Sa petite fille ( Louifon) lui demande ce
que c'eſt que la guerre. Il en expofe tous les
malheurs par la comparaifon d'un horrible ouragan
, qui quelques années auparavant avoit
ravagé tout le canton. Ce qui fait le fujet d'une
très-belle Ariette où le Muficien a fuivi avec
une admirable énergie , l'image que préfentent
les paroles. Le vieillard bénit avec tous les habitans
la bonté du Roi , qui avoit épargné à toutes
les Provinces les calamités que produit ce
fléau , en les laiffant cultiver la terre dans le
fein du repos. Les épanchemens de coeur de
ces bonnes gens , font interrompus par le bruit
d'un Tambour : c'eft François fils de Gombault
qui s'étoit mis dans le fervice quand fon Père s'en
elt retiré. Il a fervi , en franc Soldat , avec tant
de valeur &de fa geffe qu'il a mérité le grade d'Officier
& la croix , faveur du Prince qui achève ce
que l'honneur a commencé. L'Officier fe propofe
de faire fervir la penfion dont il eft gratifié à
procurer à fa familleune vie plus commode , &
fe difpofe lui-même à les aider dans les foins de
la culture des terres tant que la Paix lui en laiffera
le loifir. En s'adreſſant à des Grenadiers qui furviennent
& le reconnoiffent pour un de leurs anciene
camarades , l'Officier dit :
Prenez part à mon allégreffe ,
$44 MERCURE DE FRANCE
Amis , je fuis le fils de ces bons Payfans3
» Que je les vois avec tendreffe !
» Je ne dois qu'à leurs fentimens
Mes premiers degrés de Nobleſſe.
Il prefente fa famille aux Grenadiers qui pren
nent dans leurs bras la petite Louifon , la fille ,
& l'élévent pour lui faire voir de plus près
comme elle le fouhaite , la Statue du bon Roi.
La Fête villageoife recommence avec les inftrumens
champêtres. Les Grenadiers s'y joignent
& chantent des couplets galamment grivois.
Succeffivement la Place fe remplit d'une multitude
de gens de tout âge & de tous Etats.
La Fête devient générale & finit par un Ballet
quipeint le tumulte de la joie ; au milieu duquel
un Carillonneur , fa Femme & un Artificier
chantent des morceaux qui caractériſent leurs
fonctions.
REMARQUES.
Nous avons répété plufieurs fois des
réfléxions fur l'efpéce de mode qui s'eſt
introduite depuis quelque temps , de
mêler le chant avec le fimple récit de
la Comédie. Nous croyons avoir , dans
l'événement de la première repréfentation
des Fêtes de la Paix , une preuve
du préjudice que cela fait aux Ouvrages
dramatiques , furtout lorfque le
chant vient interrompre le dialecte naturel
de la Comédie. La Piéce commençoit
JUILLET. 1763. 145
çoit après les Ariettes du Hérault d'armes
& les choeurs de la multitude , qui
ne font que des annonces , par un
dialogue prèfqu'entiérement récité.
On dut s'appercevoir de l'impreffion
fâcheufe que fit la fuite des chants
qui fuccédoient à cette Scène. Ces
chants étoient néanmoins agréables ,
la plus part a reçu depuis des applaudiffemens
, & quelques- uns même
l'admiration qu'ils méritoient. La caufe
de cet effet eft donc dans l'efpéce d'habitude
que l'efprit avoit contracté par
ce commencement de Comédie , & la
peine d'en être diftrait par un autre genre.
On n'a fait que tranfpofer cette
Scène , on l'a placée après d'autres où
le chant domine , où le plaifir des oreilles
a eu pour ainfi dire le temps de prendre
toutfon empire fur l'imagination de
l'Auditeur. De là , tout l'Ouvrage a
paru changer de face , & depuis ce changement
, les applaudiffemens les plus
continuels & les plus univerfels ont vengé
le Poëte & le Muficien de la mépriſe
des premiers jugemens .
M. FAVART n'auroit rien perdu de
la gloire fi juftement acquife par tous fes
autres Ouvrages, quand même dans le moment
qu'applaudi avec tranſport , fuivi
II. Vol
G
146 MERCURE DE FRANCE .
avec une affluence perpétuelle au Théâtre
François dans l'Anglois à Bordeaux , il
n'auroit pas eu l'honneur , très- difficile ,
de réuffir à un autre Théâtre fur le même
fujet. Le fuccès a juftifié le courage,
on pourroit peut- être dire la témérité
de l'avoir entrepris . On reconnoît dans
la Scène de la Bourgeoife & de l'Abbé
ce tour fin & délicat d'une fatyre légère
& pittorefque des moeurs , qui convient
fi bien à Thalie , & dont l'Auteur a fait
un fi heureux emploi dans l'Anglois à
Bordeaux . On retrouve dans la Scène
de Gombault ce fentiment éclairé par
la Philofophie , cette tendreffe d'une
belle âme , première fource de toutes
les vertus & furtout des vertus patrio-
/ tiques. Dans les Couplets & dans toutes
les parties de ce même Divertiffement ,
on apperçoit fouvent les traits des mê
mes grâces qui ont orné tant d'Ouvrages
lyriques de cet Auteur. Nous devons
rendre témoignage en même temps , de
la juftice que le Public rend journellement
à plufieurs morceaux diftingués de
M. PHILIDOR dans cette Piéce; plufieurs
font marqués au coin du génie & de la
grande intelligence dans la Science harmonique.
Nous n'en conclurons pas
moins cependant , en général , que ce
JUILLET. 1763. 147
genre mixte a des vices effentiels , que
peut dérober quelquefois au fentiment
du Vulgaire la féduction d'un certain
luxe de Spectacle : mais qu'au jugement
du bon goût & de la faine critique , il
fera toujours plus perdre que gagner
au Poëte comique qui , comme M. FAVART
, n'auroit pas befoin du fecours
d'un vain fard,pour en impofer fur la réalité
de fes agrémens ; ainfi qu'aux grands
Muficiens qui pourroient fe paffer des interruptions
de la Scène & occuper agréablement
leur Auditeur pendant toure
l'étendue d'un Spectacle confacré à leur
Art , tel que feroit par exemple celui de
l'Opéra.
ÉTAT actuel des deux Théâtres des
Comédiens ordinaires du Ror.
LE
AVIS.
E nombre des Curieux d'Anecdotes
du Théâtre eft confidérable aujourd'hui
; ce qui a fait multiplier les Dictionnaires
, Tablettes , Almanachs &
autres Ouvrages de Bibliographie dramatique
dans ce nombre de Curieux ,
il en eft plufieurs attachés à l'éxactitude
de ce qui concerne les Acteurs de
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
haque Théâtre. On fe plaint fouvent
ce trouver à cet égard des contradicdons
& des erreurs dans les Ouvrages
ti ue nous venons de citer ; & les Auqeurs
de ces Ouvrages eux- mêmes ſe
plaignent de n'avoir aucun dépôt littéraire
où l'on puiffe , avec confiance ,
puifer fur ce fujet des connoiffances
certaines. On nous a fait remarquer
à cette occafion que dans notre
Journal fe trouvant un Article deſtiné
aux Spectacles avec plus de détails que
dans tout autre , il conviendroit que ce
fût dans celui-là, que l'on pût avoir cette
efpéce de dépôt de faits & de dattes
hiftoriques. Comme rien ne nous intéreffe
davantage que de fatisfaire à tous
les goûts & à tous les genres de curiofité
de chacun de nos Lecteurs , nous
placerons dorénavant des Etats , pareils
à ceux que nous donnons aujourd'hui ,
chaque année à pareil temps , parce que
c'eft le point de l'année Théatrale où il
y a ordinairement moins de variations.
Par ce moyen , fans faire de recherches
particulières dans les Articles de chaque
mois , on trouvera tout ce qu'on défirera
fur cet objet , raffemblé fous un feul
point de vue ; & par la fuite , en confultant
dans les Mercures ces Etats de chaJUILLET.
1763. 149
que année , on vérifiera facilement des
dattes & des faits fur lefquels on contefte
fouvent dans la co nverfation .
N. B. Nous ne donner ons cette année
l'Etat du Théâtre de l'Opéra , que lorfqu'il
reprendra fes Spectacles ordinaires
dans la Salle que l'on prépare au Palais
des Thuilleries. Ce qui arrivera, vraifemblablement
le plutôt qu'il fera poffible ;
mais encore trop tardpour l'impatience
du Public.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Acteurs & Actrices à Part , demi part ,
&c , fuivant l'ancienneté de
leurs réceptions.
LES SIEURS.JLES DLLES.
ARMAND .
DUBOIS .
DUMESNIL .
DROUIN .
BONNEVAL.
PAULIN.
LE KAIN .
BELLECOUR.
BLAINVILLE .
PRÉVILLE .
BRISAR .
MOLÉ.
AUGER .
D'AUBERVAL.
CLAIRON .
BELLECOUR.
Huss.
PRÉVILLE .
LE KAIN .
DUBOIS .
D'ÉPINAY
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
Acteurs & Actrices à appointemens.
LE SIEUR.
BOURET .
LES DLLES.
D'OLIGNY .
DE LUZZY .
Acteurs & Actrices retirés au mois de
Mars de lapréfente année 1763.
Les Dlles DANGEVILLE , ( a )
( a ) Mlle DANGEVILLE , Niéce & Eléve de
Mile DESMARES , à peine âgée de 14 ans , débuta
le 28 Décembre 1729 , par le rôle de Soubrette
dans le Médifant ; & les jours fuivans
dans la Soubrette da Cocher fuppofé ; Cléantis
dans Démocrite , la Soubrette du Florentin , Laurette
de la Mère coquette ; la Soubrette des Folies
amoureufes ; celle d'Efope à la Ville : Toinette
du Malade imaginaire & Lifette de la Sérénade.
Après avoir joué à la Cour , elle fut reçue
avec beaucoup d'agrément , d'abord à demie
part , au mois de Mars 1730. Le 24 Juin de
cette même année , elle prouva la variété de fes
talens , par la façon dont elle joua le Rôle
d'Hermione dans Andromaque , qui lui procura
beaucoup d'applaudiffemens & d'admiration ,
& dans lequel elle montroit de très grandes
difpofitions pour le Tragique , genre que les
circonftances de la retraite de Mile DESMARES.
lui firent abandonner pour ſe livrer entièrement
à celui dans lequel elle excelloit déja. Cette
Actrice , que le Public avoit vue avec tant de
plaifir , dès fon enfance , dans tous les Rôles
de cet âge , ainfi que dans la danſe où elle
s'étoit exercée avec fuccès , faifoir efpérer dès-lors
-
JUILLET 1763. 151
1
GAUSSIN , ( b ) & le Sr DANG EVILLE.
( C )
un Sujet qui orneroit la Scène Françoife. Ses débuts
confirmerent avec éclat cette favorable conjecture.
Elle est devenue depuis , & en fort peu
de temps , le Chef- d'oeuvre de l'Art Théâtral.
II y a lieu de croire que la rare perfection
de fes talens fera long - temps de plus grand
modèle qu'on puille propofer à toutes celles
qui entreront dans la carrière du Théâtre , par
les rôles de fon emploi. Nos faftes littéraires
font remplis des éloges fincères & continuels de
cette admirable Actrice , fans crainte qu'on nous
les reproche , car les Amateurs des Talens fublimes
les reliront toujours avec plaifir , furtout
ceux qui auront eu celui de l'admirer fur la
Scène Françoile.
( b) Mlle GAUSSIN débuta le 28 Avril 1731
dans Britannicus par le Rôle de Junie ; la jeuneffe
, les charmes de fa figure & ceux de fa
voie tendre & touchante , auroient fuffi pour lui
procurer tous les applaudiffemens , fi les talens
& les difpofitions déja formées pour le genre
où elle s'eft diftinguée , ne lui euffent , dès- lors ,
attiré tous les fuffrages. Elle fuivit ſon début
dans Chimène , dans Monime , dans Andromaque
& dans Iphigénie. On la vit au développer
dans le haur Comique , les talens fupérieurs
qu'on a continué d'admirer en elle , encore les
derniers jours qui ont précédé la retraite . Actrice
intéreffante jufqu'à la féduction , dans les Rôles
qui lui étoient perfonnellement propres , elle
les jouoit avec une expreffion fi naturelle & fi
vraie, qu'on étoit porté à croire qu'elle en avoit
infpiré le caractère eux Auteurs. Telle est l'idée
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
Acteurs & Actrices de la Comédie Ita
lienne , à part & demi part , &c.
Les Sieurs.
DE HESSE.
CIAVARELLI .
ROCHARD .
CARLIN.
CHAMPVILLE
LE JEUNE
CAILLOT
LÁNUZZY.- Zen
COLLALTO .
LA RUETTE.
CLAIRVAL.
BALLETTI .
L'OBREAU.
Les Demoifelles.
FAVART .
CATINON FOULQUIER
(f.Rivière. )
CAMILLE .
PICCINELLI.
VILLETTE (f. la
Ruette. )
DESGLANDS.
DESCHAMPS.
BOGNIOLY .
SAYY
Acteurs & Actrices à appointemens.
Les Sieurs.
DES BROSSES.
SAVY.
Les Demoiselles.
CARLIN.
LAFOND.
COLLET .
PLACIDE .
que la Poftérité confervera de l'A&rice , dont
nous regrettons encore journellement les talens.
( c ) M. DANGEVILLE , frère de l'Actrice de ce
nom , avoit débuté le 21 Mars 1730 avec applaudiffemens
dans le principal rôle de la Tragédie
dė Polieudte & du François à Londres.
Э
JUILLET. 1763.
153
ARTICLE V I
CÉRÉMONIES ET
FESTES
PUBLIQUES.
DESCRIPTIONS particulières &
POUR
détaillées.
.
OUR acquiter l'engagement pris dans
le précédent volume , nous allons don
ner quelques détails fur les grands obe
jets des fêtes dont nous avions commencé
à parler en général au commencement:
de ce mois.
Defcription du Feu d'Artifice ordonné
par la Ville pour être tiré le 22 Juin
1763 à l'occafion de l'Inauguration
de la Statue du Roi & de la Publica
tion de la Paix.
Nous avons déja dit que la décora
tion de ce feu étoit élevée au milieu de la
rivière, en face de la place de Louis XV
d'un côté , & de l'autre , du Palais des
Ambaffadeurs - Extraordinaires , ( ci-devant
Palais de Bourbon ) dont le Roia--
voit permis l'ufage à la Ville, qui en
Goy
154 MERCURE DE FRANCE :
conféquence y avoit fait conftruire ,
décorer & éclairer magnifiquement des
Loges à la difpofition de M. le Gouverneur
, de M. le Prévôt des Marchands
des Echevins & Officiers Municipaux
du Corps de Ville , ainfi que pour M.
le Directeur- Général des Bâtimens du
Roi & quelques autres perfonnes diftinguées.
Dans toutes ces Loges , dont
la plupart étoient remplies de Princes
& de Seigneurs de la Cour , d'Etrangers
& autres perfonnes qualifiées , on
fervit pendant toute l'après-midi une
fomptueufe collation & des rafraîchiffemens
avec profufion . Ces Loges feules.
contenoient fept mille places , toute occupées
, ( * ) ce qui ne faifoit cependant
qu'un point dans la vaſte étendue
de l'efpace depuis Chaillot jufqu'au
Pont Royal , efpace entiérement couvert
de Spectateurs jufqu'à l'eau qui
baignoit même les pieds de la dernière
ligne. Que l'on juge par là & que l'on
évalue cette prodigieufe multitude , &
la grandeur du Spectacle qu'elle of-
.froit
Tout l'édifice du feu étoit établi au
milieu d'une Ifle de 60 toifes de long
Nous avions été mal informés précédemment
en ne difant que cinq mille.
JUILLET. 1763. 155
fur 12 toifes de large , formée par un
grand nombre de bâteaux raffemblés.
La partie d'en-bas , qui touchoit à la
rivière , étoit peinte en rochers fur lefquels
étoit élevée une terraffe , dont la
décoration préfentoit,aux extrémités , des
fontaines qui prenoient leur fource dans
la grande maffe de roches du milieu ,
& retomboient en nappes fur trois faces.
La difpofition des plans avoit fourni le
moyen de placer dans tout le pourtour
de cette terraffe , ( dont la fuperficie étoit
de 2700 pieds ) des piédeftaux chargés
d'emblêmes & richement ornés qui
portoient des groupes de fleuves , de
Nayades & Tritons , avec leurs urnes
& autres attributs caractériſtiques , De
toutes les urnes fortoient des fources
tombant en napes & reffaillantes de leur
bouillonnement. On avoit orné auffi
cette vafte terraffe de huit groupes d'Enfans
peints en bronze , lefquels portoient
des coquilles , d'où s'élancoit un jet qui
formoit une cafcade en retombant. Du
milieu de cette terraffe s'élevoit un Temple
, dont la forme générale étoit un parallelograme
, formé par vingt colonnes
fpirales & tournantes d'ordre ïonique
de 39 pieds de hauteur y compris le
piédeftal & l'entablement.
>
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Chacune des grandes faces étoit compofée
d'un Portique de vingt pieds d'ouverture
, couronné d'un archivolte , furmonté
de cartouches & autres ornemens.
Les petits côtés étoient décorés
par des frontons & tout autour regnoit
une balustrade terminée par des vafes &
autres amortiffemens qui formoient un
deffein élégant , noble , & dont l'effet.
étoit très agréable. Les colonnes &
toute cette architecture devoient fe
deffiiner en feu & prendre du mouve
ment , ainfi que l'emblême d'Apollon
annonçant un beau jour , environné ,
d'une gloire formée par une piéce d'artifice
Italien d'une compofition finguliere
, & du plus grand effet * . On montoit
à ce Temple par des gradins dont
les devants étoient plus avancés & for
moient une platte-forme fur laquelle on;
R
* Le Public n'a pû jouir de cet effet , ainſi que
de tous les feux figurés , que le Dimanche 3 de ce
mois ; la Ville ayant fait tirer avec un très - grand
faccès toutes les parties d'Artifice que le mauvais
remps du 22 Jain avoit obligé de fupprimer , ce
qui a compofé , avec les feux d'air qu'on avoit
ajoutés , un fecond feu très magnifique , qui
a attiré la même quantité de Spectateurs dans le mê
me efpace, & produit un fecond Spectacle auffi
grand & auffi extraordinaire que celui du pre
mier jour..
❤
JUILLET. 1763. IST
avoit pratiqué un orcheftre où cinquante
Muficiens de chaque côté exécuterent
des fymphonies pendant toute l'aprèsdinée
.
*
Nous avons parlé précédemment des
joûtes de Bateliers qui amuferent jufqu'à
la nuit les Spectateurs . placés pour voir
tirer le feu.
On fçait par quel contre- temps tout
l'artifice préparé ne put avoir lieu le
jour defliné à cette grande fête ; mais
comme on a vu un autre jour l'effet des
autres parties , nous allons les réunir
dans cette relation , de la même manière
que l'imagination des Spectateurs a dû
faire , & donner ici l'ordre & le détail
de cette prodigieufe quantité d'artifice
telle qu'elle étoit ordonnée & difpofés
pour être tirée en une feule fois..
ORDRE & détail de l'artifice.
Après le fignal donné , & plufieurs
décharges des boëttes d'artillerie & du
canon de la Ville , partoient les fufées
d'honneur qui étoient de la plus grande
beauté , tirées fix par fix enfemble , &
accompagnées par les fufées de table &
les bombes ; on n'avoit point vu encore
de plus bel effet & de plus agréable de
ces bombes qu'à ce feu. Un côté était
158 MERCURE DE FRANCE.
fervi par les Artificiers François , & l'au
tre par les Artificiers Italiens .
pots
à
Après les dernieres fufées d'honneur ,
le feu d'eau amufa beaucoup le Pu
blic & très-longtemps , par les effets les
plus agréables & les plus variés : ce feu
d'eau étoit fervi par les François . La derniere
piéce de ce feu portant en devife
VIVE LE ROI , devoit fervir de fignal
pour les douze piéces figurées des Italiens
, accompagnées de douze caiffes &
cinquante douzaine de pots à feu par les
François. A la fin des piéces figurées ,
vingt groffes gerbes avec jets , fix grandes
cafcades doubles , les cafcades des
groupes d'enfans & trente- fix
aigrettes , le tout par les Italiens , d'un
très - beau feu rouge , produifant trèsréguliérement
les effets de l'eau. Cette
partie devoit être accompagnée par
douze caiffes & cinquante douzaines de
pots à feu des François . L'effet des pots
à aigrettes étoit le fignal pour les colonnes
tournantes du Temple & autres parties
d'architecture , en feu blanc des Itafiens
cent douzaines de pots à feu des
François , étoient deftinées à l'accompagnement
de cet agréable effet. A la fin
de l'illumination du Temple , paroiffoit
de la part des Italiens, la grande Gloire ,
JUILLET. 1763. 159
d'une grandeur analogue à l'objet &
à la magnificence de la fête ; enfemble
huit palmiers doubles très - diftinctement
repréfentés en feu , ainfi que les
deux grandes cafcades qui offroient des
torrens de cet élement. Dix-huit caiffes
& cent autres douzaines de pots à feu
d'artifice François devoient accompa
gner ces brillantes parties. A la fin des
cafcades , les huit barils de garniture &
deux cens bombettes , par les Italiens ,
devoient remplir le centre du feu , entre
les deux grandes girandes des François
placées aux extrémités de la terraffe
compofée d'une multitude innombrable
des plus belles fufées , auxquelles fe
joignoient cent douzaine de pots à feu ,
pour couronner le plus grand & le plus
magnifique artifice qu'on eût vu tirer
Paris , file temps ne s'étoit oppofé précifement
à l'effet, qu'on a vu depuis , des
feux figurés qui en faifoient la partie la
plus diftinguée.
ILLUMINATION de la Place de
LOUIS XV, les 20 & 22
Juin 1763.
-Les deux parties de cette Place ,
accompagnant fon entrée du côté de la
160 MERCURE DE FRANCE.
Rivière , étoient ornés de vingt luftres
de lanternes de verre. Les huit piedeftaux
des angles deſtinés à porter des
Figures , portoient des Piramides de
lumières de 25 pieds de hauteur fur.
9 pieds de baſe ; un cordon d'illumination
régnoit au Pourtour de la Place
au-deffus de. la balustrade des foffés
dont elle est enceinte à la hauteur de
la corniche des guérites ou piedeftaux
dont nous venons de parler , qui
ont 15 pieds de haut für 14 pieds en
quarré. A l'aplomb de chacun des focles
de la baluftrade , on avoit placé un
pot -à-feu qui , formant une très - forte
lumière , fe diftinguoit dans le cordon ,.
& traçoit ainfi aux yeux , tout le deffein
de cette Place: Les quatre principales
entrées étoient bordées par 16 Yfs ou
grandes girandoles de lumières portées
fur des piedeftaux où étoit peint le
chiffre du Roi. L'enceinte de la Statue
Equeftre du Roi étoit éclairée par douze
cens terrines qui , diftribuées artiſtement
au bas & fur les gradins du Piedeftal
, produifoient un très- bon effer en
repréfentant une bafe & des degrés de :
lumières.
Telle étoit l'illumination qui fut alluméelė20,
mais dont onjouit peu detemps
JUILLET. 1763.
161
à caufe de l'orage qui furvint le foir ,
& qui l'éteignit une heure après qu'elle
venoit d'être allumée. Elle fut répétée
le 22 avec l'illumination des façades des
grands bâtimens que les fix Corps des
Marchands , animés du même zèle que
la Ville , avoient fait préparer , pour ce
dernier jour , & qui formoit le plus
magnifique Spectacle de cette Fête.Pour
en prendre une jufte idée , il faut fçavoir
que chacune de ces deux facades.
a 48 toifes de longueur fur 75 pieds.
d'élévation , jufqu'à l'angle des frontons
; ce qui , réuni par un certain point
de vue , préfentoit une étendue de près
de cent toifes d'illumination . On avoit
profité des échafaux qui fervent à la
conftruction , & du milieu de ces charpentes
informes , on a vu naître un
deffein régulier qui répréfentoit en lumières
, tous les membres & tous les
ornemens de la riche architecture dont
ces façades font embellies. Les colomnes
étoient parfaitement exprimées dans
toutes leurs proportions , ainfi que les
autres parties de l'ordre corinthien qui
s'élève au-deffus du fousbaffement des façades,
& que l'on avoit laiffé obfcur, pour
ne point faire de confufion avec les cor162
MERCURE DE FRANCE.
dons de la Place ; dans les entre - colonnes
étoient des luftres de lanternes , dont
la différence de lumières & les formes
ornoient très agréablement toute cette
illumination , laquelle , ainfi que la difpofition
du Feu & fa décoration , a été
exécutée fur les projets & les deffeins de
M. Moreau , Archite &e de la Ville.
ILLUMINATION des Jardins de
l'Hôtel de Pompadour
Indépendamment des fêtes données
par la Ville , le même motif avoit porté
tous ceux qui occupent de grands Hôtels
à contribuer à la pompe des réjouiffances
, par des illuminations plus ou
moins fomptueufes , felon ce que prêtoit
de plus officieux chaque Hôtel ou
Maiſon particuliere. De toutes ces illuminations
, la plus remarquable étoit
celle des Jardins de l'Hôtel de Pompadour
, ouverts du côté des Champs -Elifées
fur une longueur d'environ cent.
cinquante toifes , & n'étant enclos que
par des foffés , qui laiffent librement
découvrir toute l'étendue de ces Jardins.
Les potagers avancent au - delà de
l'allignement des autres Jardins du
Fauxbourg Saint - Honoré d'environ
JUILLET. 1763. 163
་
quarante toifes ; enforte que l'on en
appercevoit l'illumination dès la Place ,
& que d'une certaine diftance elle paroiffoit
s'y joindre .
La premiere ligne des potagers , le
long du foffé de cent cinquante toifes
étoit ornée de grands orangers naturels
dans leurs caiffes , accouplés par des guirlandes
de fleurs qui en enchaînoient les
tiges & retomboient en feftons fur les
caiffes. Ils étoient entremêlés de gros
Ifs ou grandes girandoles de lumières
portés fur des piédeftaux peints en marbre
de diverfes couleurs , & ornés auffi
de guirlandes & feftons de fleurs. Cette
ligne étoit éclairée dans le bas par le
même cordon de terrines , très - ferrées
les unes contre les autres , qui deffinoit
tous les compartimens en treillages de
ces vaftes potagers , & par conféquent
couvroit de lumières prèfque toute
la fuperficie. A chaque extrêmité , dans
des centres d'étoiles formées par ces
compartimens , on avoit élevé un obélifque
triangulaire de trente pieds de
hauteur chacun , furmonté d'un globe ,
le tout garni en plein de lampions.
Le grand Jardin des Parterres , élevé
d'environ quatre pieds au-deffus de ces
Potagers, eft ouvert par une terrafſe ſur
164 MERCURE DE FRANCE
en partie ceintrée extérieurement &
bordée de chaque côté par de grandes
allées de maronniers.
:
L'appui de cette terraffe étoit deffiné
par des cordons de lumières & les focles
chargés de grandes girandoles. Les gradins
du perron étoient de même deffinés
par des terrines. De chaque côté de
cette terraffe on avoit conftruit deux
grands corps d'architecture en boffages
formant des pavillons carrés , fur la face
des Potagers & en retour fur ce Jardin ,
qui mafquoient & enveloppoient la
naiffance des grandes allées . Ces pavillons
joignoient à deux galleries d'environ
16 ou 17 toifes de longueur für les
potagers ; les pilaftres , les frontons, entablemens
, corniches , & généralement
toutes les parties de ces édifices: étoient
formées en plein & diftin&tement deffinées
par des lampions. Les focles dè
l'appui de l'entablement ainfi que les
acroteres portoient des vafes & gros
bouquets de lumières. Le bas des gal
leries & faces des pavillons extérieurs
du côté des potagers étoient revêtus d'un
foubaffement en compartimens de lampions
qui continuoit le long du murd'appui
de la terraffe & qui produifoit un
très-agréableeffet . Ces corps d'architectu
re formoient deux fortes maffes de lumiè
JUILLET. 1763 . 165
res expofées à la vue ,ainfi que l'illumination
des potagers dans un efpace immenfe
& qui pouvoient être apperçues
de diftances très- éloignées ; le terrein
des Champs Elifées étant à préfent entiérement
découvert.
Depuis les angles des pavillons intérieurs
le long des grandes allées qui
bordent les parterres & conduifent jufqu'à
la terraffe des appartemens, régnoit
un cordon de lumières alligné à l'appui
de la première terraffe ; il étoit interrompu
par des orangers , des grenadiers ,
des ifs de différentes formes & des pyramides
, le tout entiérement en lampions ,
entremêlés de girandoles de lumières
fur leurs piédeſtaux de marbre. Comme
ces objets étoient placés fort près les
uns des autres , ils paroiffoient fe toucher
; & fur le fond le plus heureux , produit
par la verdure des arbres paliffadés ,
on voyoit deux allées de lumières variées
qui fe terminoient à deux portiques d'ordre
dorique en baffage ornés de colonnes
accouplés & furmontés de vafes
& bouquets de lampions. Ces portiques
, joignoient la terraffe des Appartemens
qui étoit , ainfi que la première ,
deffinées en lumières , fes ficles chargés
de girandoles & fon perron tracé par
166 MERCURE DE FRANCE.
des terrines. Au fond de cette terraffe
on'avoit adoffé au Bâtiment une grande
décoration formée par un portique de
lumières ouvert en cinq arcardes proportionnées
, dont celle du milieu avec
fon couronnement , s'élévoir à plus de
cinquante pieds. Les fonds de cette,
décoration ainfi que des grands amortiffemens
qui terminoient le portique
de chaque côté , étoient en marbres de
diverfes couleurs & en dorures , le tout
chargé de lampions qui marquoient &
diftinguoient les ornemens.
avons
Entre les amortiffemens du grand
portique jufqu'au bord de la terraffe
& les portiques , dont nous
parlé, qui terminoient les allées , étoient
placées de chaque côté deux Pyramides
en lampions d'environ vingt - cinq à
trente pieds de haut , qui parroiffoient
joindre ces portiques inférieurs à celui
de la façade , par une ligne circulaire.
Enforte que toute certe brillante
décoration depuis les potagers
jufques à la face du fond des Jardins
ne formoit qu'un feul & même enfemble
lié & proportionné dans toutes
fes parties.
Dans les ceintres de chaque arcade
des portiques du fond ainfi que dans
JUILLET. 1763. 167
ceux des fenêtres des pavillons & galleries
fur les potagers étoient fufpendus
, par des guirlandes de fleurs naturelles
en feflons , des luftres de forts
lampions porportionnés aux dimenfions
des arcades .
Le milieu de ce vafte & lumineux
théâtre étoit éclairé par des terrines
qui deffinoient régulierement les deux
grands parterres , ainfi que le grand
baffin du Jardin & les ronds de fleurs
des potagers . Pour marquer plus diftin&
tement les deffeins , on avoit mis
aux angles des pots à feu qui donnoient
une lumiere plus forte que les
autres.
Il eft arrivé à cette illumination ce
qui avoit paru jufqu'alors d'une difficulté
infurmontable , c'eft de conferver
par la variété des lumières & par
leur difpofition les effets de perfpective,
& de faire diftinguer nettement tous
les plans .
L'affluence prodigieufe du Public &
fon conftant attachement jufqu'au matin
à admirer cette magnifiqne & finguliere
illumination , en fait un éloge
affez flatteur : nous nous difpenferons
de répéter ici tous ceux qui ont été déja
donnés à cet e brillante fête dans les
differentes relations qui ont paru.
"
168 MERCURE DE FRANCE.
AVERTISSEMENT.
Comme nous ne doutons pas de l'empreffement
qu'ont les perfonnes éloignées,
d'avoir l'idée la plus exacte qu'il foit
poffible , de la Statue Equeftre du Ror
érigée dans la nouvelle Place , nous nous
propofons d'en donner une defcription
détaillée , & pourparler aux yeux ainfi
qu'à l'imagination , d'y joindre une
Planche que l'on grave à cet effet. Nous
croyons dans une occafion auffi intéref
fante pour tous les Sujets du Royaume,
ne pouvoir trop marquer notre zéle ;
non feulement par nos foins , mais par
desfrais , extraordinaires à la confection
du Mercure , que l'on facrifie avec plaifir
pour la fatisfaction des Abonnés à
ce Journal.
SUITE
JUILLET. 1763. 169
ARTICLE VI I.
SUITE des Nouvelles Politiques du
mois de Juin.
Suite des Nouvelles de VERSAILLES.
L. Roi ayant reconnu que la conftitution ſolide
qu'il veut donner à fes Troupes , dépend
du premier choix des hommes qui la compoſent ,
a rendu une Ordonnance , datée du premier
Fevrier 1763 , par laquelle Sa Majesté établit
trente & un Régimens de recrue d'un Bataillon
, dans les Provinces de Picardie , de Champagne
, de Rouen , de Caen , d'Alençon , de
Moulins , d'Auvergne , de Flandre & d'Artois ,
de Montauban , d'Auch , de Bordeaux , de Poitiers
, de Lyonnois , de la Rochelle , de Tours,
du Dauphiné , de Paris , de Soiffons , de Limoges
, d'Orléans , de Bretagne , du Pays Melfin
, de Bourges , du Haynaut , d'Alface , de
Rouffillon , du Duché de Bourgogne , de Languedoc
, du Comté de Bourgogne , de la Provence
& de la Lorraine ; & un Régiment de
deux Bataillons de la Ville de Paris ; ces Régimens
feront défignés fous les noms des principales
Villes ou Généralités , & marcheront
entre eux fuivant le rang dans lequel ils font
infcrits ci-après : fçavoir , Régime nt d'Abbeville ,
de Châlons , de Rouen , de Caen , d'Alençon
de Moulins , de Riom , de Lille , de Montauban
, d'Auch , de Bordeaux , de Poitiers , de
Lyon , de la Rochelle , de Tours , de Gre noble
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE .
de Sens , de Soiffons , de Limoges , de Blois ,
de Rennes , de Metz , de Bourges , de Valen
ciennes de Strasbourg , de Perpignan , de Dijon
, de Toulouſe de Befançon , d'Aiz , de
Nancy , & de la Ville de Paris . Chaque Régiment
fera compofé de huit Compagnies , lefquelles
feront commandées chacune , en temps de
paix , par un Capitaine & un Lieutenant , &
compofées de deux Sergens , quatre Caporaux ,
quatre Appointés & un Tambour , & d'un nombre
égal d'hommes proportionnément à celui
dont Sa Majefté aura ordonné chaque année
la levée dans chaque Département ; lefquels
feront exercés dans des quartiers particuliers ,
& mis par-là en état de remplacer les hommes
qui manqueront dans les Troupes de Sa Majefté.
En temps de guerre , chaque Compagnie
fera commandée par un Capitaine , un Lieutenant
& un Sous-Lieutenant , & compofé de quatre
Sergens , d'un Fourrier , de huit Caporaux , de
huit Appointés , un Tambour & d'autant d'hom❤
mes que les circonftances les requerront. Les
Officiers de ces Régimens feront choifis parmi
ceux qui viennent d'être réformés à l'occaſion
de la Paix , lefquels , en ce cas , & du jour
qu'ils recevront les appointemens , cefferont de
jouir des penfions de réforme qu'ils pourroient
avoir obtenues. Chaque Compagnie fera payée,
fur le pied fuivant ; à chaque Capitaine , 1080
1. par an ; à chaque Lieutenant , 450 1. à chaque,
Sous-Lieutenant , 360 1. à chaque Fourrier , 162 l.,
à chaque Caporal , 138 1. à chaque Appointé, 120.
1. à chaque homme , 102 l. au Tambour, 138.
1. ETAT-MAJOR. Au Commandant de chaque ,
Régiment , 1800 1. à l'Aide- Major , 1080l . au
Sous-Aide-Major, 450 1. au Chirurgien, 300 1. Le
JUILLET. 1763. 171
Lieutenant Général de Police de la Ville de Paris,
pour ce qui rgarde le Régiment de cette Ville ,
& les Intendans des Provinces , feront chargés fupérieurement
de la levée detdits Régimens , de
laquelle ils rendront compte au Secrétaire d'Etat
ayant le Département de la Guerre : ils établiront
à cet effet , un dépôt particulier dans leur Département.
Il y aura dans chaque Ville , Bourg
ou Village dépendant de chaque Généralité , des
prépofés à l'enrôlement & un prépofé principal
dans le chef- lieu où fera établi le dépôt parti
culier. Ces préposés n'employeront , pour les
enrôlemens , ni féduction , ni violence , ni fu
percherie , & n'admettront que des hommes de
dix-fept ans accomplis jufqu'à quarante pendant
la paix , & de l'âge de dix - huit jufqu'à quarante
cinq ans pendant la guerre , de la taille de
cinq pieds un pouce au moins en temps de guer
re , & de cinq pieds deux pouces en temps de
paix. Le temps de fervice fera de huit années ,
pendant lefquelles ils ne pourront s'abfenter fans
congé de leur troupe , à peine d'être pourful
vis & punis comme déferteurs ; & à l'expiration
deſdites huit années , ils auront leurs congés abfolus
en temps de guerre comme en temps de
paix. Si quelqu'un d'entr'eux eft admis à renouveller
fon engagement , il aura pour prix de ce
fecond engagement , fçavoir , 30 liv. à l'expiration
du premier, & 30 1. au commencement de
la cinquième année du fecond. Ces Régimen's fe
conformeront en tout aux Ordonnances concernant
l'Infanterie , mais ils ne feront alujettis ,
en temps de paix , à d'autre fervice qu'à celui
de fournir une garde de Police dans l'intérieur de
leur quartier. Lorfque des hommes de recrue
feront envoyés aux Régimens qui en auront be- ›
€
3
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
foin , il fera adreffé au Commandant du REgiment
de recrue les routes néceffaires pour
conduire lefdits hommes à leur deſtination . Cette
Ordonnance contient plufieurs autres difpofitions
particulieres , concernant le fervice , la dif
cipline , l'habillement , &c. de ces nouveaux Régimens.
Le Duc de Bedfort eft parti d'ici le 9 de ce
mois , pour le rendre en Angleterre. La commiflion
établie au Châtelet pour l'affaire du Canada
, a commencé fes Séances le 7 , pour le
jugement de cette affaire , au rapport du fieur
Dupont , Confeiller au Châtelet , Commiffaire-
Rapporteur de ce Procès.
Le 6 , entre les onze heures & midi , le feu prit
à la falle de l'Opéra & fe communiqua avec une
violence extrême à la partie du bâtiment qui tient
au Palais Royal. L'incendie fit en peu de temps
les plus terribles progrès , & la falle fut prèfque
confumée avant nême qu'il eût été poffible d'apporter
aucun fecours. Bientôt l'aîle de la première
Cour du Palais fut embrafée. Le feu fe communiquoit
au corps du bâtiment neuf & à celui qui
partage les deux cours ; & ce nefut que vers les
quatre heures qu'on parvint à arrêter le progrès
des flammes en mettant bas la charpente par laquelle
l'incendie eût infailliblement gagné l'appartement
du Duc d'Orléans, Le premier foin
dont on s'eft occupé à été d'enlever les Archives
& de mettre en fûreté la collection précieufe
des Tableaux du Palais Royal . Les Cours
& les Jardins de ce Palais étoient remplis de
meubles & d'effets tant du Duc d'Orléans que
des perfonnes qui lui font attachées & dont les
logemens étoient menacés d'embrâſement. Le
comble du grand efcaljer s'eft écroulé vers une
JUILLET. 1763. 173
:
heure & demie heureufement perfonne n'y a
péri. A neuf heures & demie du foir , toure
communication du feu a été coupée . Le foyer
n'étoit plus que dans les machines du Théâtre
de l'Opéra . Le Maréchal Duc de Biron , le
Duc de Chevreufe , le Prévôt des Marchands ,
le Lieutenant de Police , fe font tranfportés fur
le lieu , & ont donné tous les ordres néceffaires.
Les Gardes Françoifes & Suiffes , les Gens de
Police , des Religieux de différens Ordies , &
furtout les Peres Capucins fe font diftingués
par le zèle le plus courageux , par le travail
le plus infatigable. On ne tardera pas à conſtruire
une nouvelle Salle pour l'Opéra ; mais en attendant
, il paroît décidé que l'Académie Royale de
Mufique donnera fes repréſentations au Palais des
Thuilleries fur le Théâtre des machines qu'on
va difpofer pour cet objet.
Le 12 du mois dernier , il y eut à Effoyes
fur l'Ourſe , en Champagne , un incendie confidérable
qui , en moins de cinq heures , réduifit
en cendres deux cens foixante- dix maiſons .
Meubles , effets , denrées , proviſions , près de
de quatorze mille muids , tant de vin que d'eau
de vie , deux troupeaux confidérables de bêtes
à cornes , tour a été confumé : l'Eglife & le
Clocher ont été entiérement détruits , & les Cloches
fondues. Il ne refte fur pied dans tout le
Village que trente & une maiſons. Quatre perfonnes
ont péri dans les flâmes , & quatre autres
font mortes des impreffions du feu. Cet
accident réduit à la dernière mifère douze cens
perfonnes.
Dans la nuit du 12 au 13 , le feu a pris auffi
à une maison du Fauxbourg de Vervins en Thiéraches
, & le progrès des flammes a été fi rapide
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
qu'en quatre heures de temps elles ont confumé
tout ce Fauxbourg & un autre adjacent. Soixantedix
Maifons , neuf Granges pleines , fix Ecuries
particulières , & cinq Tanneries ont été détruites
, ainsi que les Meubles , Grains , Fourages ,
Beftiaux , Marchandifes , & autres effets qui y
étoient renfermés , & quatre perfonnes ont péri
dans les flammes.
Le 12 encore , le feu a pris au Village de Ste
Marie à Py , Election de Retel - Mazarin. Les
flammes étant excitées par la violence du Vent ,
confumèrent en peu de tems vingt - fept Maifons ,
trente & une Granges , & quatre-vingt- trois autres
petits Bâtimens, avec les meubles , les grains
& les provifions qui s'y trouvoient. Trente- cinq
Familles , dont treize de Laboureurs , le trouvent
par cet affreux événement fans habitation &
fans pain.
-
Le vingt - feptiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel de Ville s'eft fait le 24 Mars , en la
manière accoutumée . Le Lot de cinquante-mille
livres eft échu au numero 98886 , celui de
vingt mille livres au numéro 98 09 , & les
deux de dix mille livres aux numéros 85968 &
97960.
Le 6 de ce mois , on a tiré la Loterie de l'École-
Royale-Militaire. Les numéros fortis de la roue
de fortune , font , 86 , 61 , 2 , 14.7. Le prom
chain tirage fe fera les Mai .
MORT S.
Louis de Talaru , Marquis de Chalmafel
Comte de Chamarande , Chevalier des Ordres
du Roi , Brigadier de fes Armées , Gouverneur
des Villes & Châteaux de Phalsbourg & SareJUILLET.
1763 . 175
bourg , Confeiller d'Etat , premier Maître d'Hotel
de la Reine , eft mort à Versailles le 31
Mars , âgé de quatre-vingt- deux ans.
Nicolas Léon Philippes , Lieutenant Général
des Armées du Roi & Gouverneur de Maubeuge
, eft mort le 26 Mars âgé de quatre -vingtun
an.
François Louis Comte de Danois , Lieutenant
Général & Gouverneur de Condé , eft mort le
27 , âgé de quatre-vingt-quatre ans.
Les feurs du Villars , ancien Capitaine aux
Gardes- Françoiles & de la Borde de Canablin ,
tous deux Brigadiers des Armées du Roi , font
morts auffi à Paris à la fin du même mois.
Jean - Louis Aléxandre d'Alface , Comte de
Hennien Liérard , eft mort à Paris , dans la
feizième année de ſon âge.
Armand-Elifabeth de Froullay de Teffé , Comte
de Froullay , Guidon de Gendarmerie , eft
mort à Paris le 11 Mars , âgé de vingt - cinq
ans .
Charles-Jean de Monneville , Chevalier non-
Profès de l'Ordre de Malte , eft mort au Châreau
de Theuville en Normandie , le 28 Mars
âgé de vingt- neuf ans . Son Frère aîné ayant été
tué à la bataille de Minden , il laiffe pour fon
unique héritiere la Marquile de Colbert Maulevrier
, fa Soeur , Coufine Germaine de la Ducheffe
de Mortemart .
Marie Geneviève- Louiſe Gauthier de Chiffreville
, veuve de Charles Obrien , Lord Comte
de Thomond , Vicomte de Clare , Pair d'Irlande
, Maréchal de France , Chevalier des Ordres
du Roi , Gouverneur du Neuf- Brifac , &
Commandant pour Sa Majefté en Languedoc ,
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
eft morte à Paris le 6 Avril , âgée de vingt-fix
ans.
Louis -Alexandre- Xavier le Sénéchal , Marquis
de Carcado , Lieutenant- Général des Armées du
Roi , eft mort le 8 Avril , au Château de Carcado,
âge de cinquante & un ans.
Anne-Marie d'Arzens - de- Bruet , veuve de Clement-
Jofeph de Groffolles , Comte de Flamarens,
Colonel d'Infanterie , eft morte dans fon Château
de Buzet en Guyenne le 30 Mars , âgée de
foixante & un ans.
Louis Marquis de Melun , Comte de Nogentle
Roi , eft mort fans pofterité à Paris le 29 Avril
1763 , âgé de foixante ans ; il étoit neveu de Louis
Marquis de Melun-Maupertuis , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Grand-Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , Gouverneur
de la Ville , Province & Comté de Toul en Lor-
1aine , & Commandant de la premiere Compagnie
des Moufqueraires de la garde du Roi , L'an
& l'autre de la branche cadette de la maiſon de
Melun , dite de la Borde- le-Vicomte , dont il ne
refte plus depuis l'extinction de la branche aînée
arrivée par le décès de Louis- Gabriel Vicomte de
Melun , dernier Prince d'Epinai le 21 Août 1739,
que deux mâles actuellement fans alliance qui
font Adam , Joachim , Marie, Vicomte de Melun
& Alof Claude Marie Comte de Melun
fon frère cadet , tous deux Seigneurs de Brumets
& coufins du Marquis de Melun , qui les a fait
par fon teftament héritiers de tous les biens par
fubftitutions .
De WARSOVIE le 26 Avril 1763.
On a appris par les dernières nouvelles de Mittau
, que le Prince Charles , Duc de Courlande ,
JUILLET. 1763. 177
s'étoit enfin déterminé à quitter cette Ville , &
qu'il n'attendoit pour partir que le retour du Chambellan
de Borch qui a dû arriver le 25 de ce
mois.
De VIENNE, le 4 Mai 1763 .
Hier , Sa Majefté Impériale & Royale admit
dans l'Ordre de la Croix de l'Etoile , Louife - Henriette-
Gabrielle de Lorraine , Princeffe de Turenne
, & Françoile de Lorraine , Princeſſe de
Marfan .
De DRESDE , le 31 Mars 1763.
Jofeph-Marie , Prince de Saxe , troifiéme Fils
de Son Alteffe Royale le Prince Héréditaire ,
eft mort aujourd'hui dans la dixième année de fon
âge.
De RATISBONNE , le 27 Avril 1763.
Le Prince Clément de Saxe , a été élu aujour
d'hui par le Chapitre pour remplir le Siége
Epifcopal de cette Ville. Le 18 de ce mois , il a
été élu d'une voix unanime Evêque- Prince de
Freyfingen.
On a publié ici deux Articles fecrets du Traité
de paix conclu à Hubertzbourg entre l'Impératrice-
Reine & le Roi de Prufle . En voici la teneur
.
ဘ
ARTICLE I. Sa Majefté le Roi de Pruffe , Elec-
»teur de Brandebourg , defirant donner à Sa
» Majefté Apoftolique l'Impératrice - Reine de
Hongrie & de Bohême , une preuve de for
amitié & de la fatisfaction qu'Elle a d'entrer
dans ce qui pourroit être agréable à cette Prin
» ceffe , promet de donner la voix à Son Altese-
» Royale l'Archiduc Joſeph , à la future élection
→ d'un Roi des Romains ou d'un Empereur.
ART. II. » Sa Majefté l'Empereur & Sa Ma
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
» jefté l'Impératrice- Reine , ayant arrêté , par ,
» une convention avec le Séréniffime Duc de
>> Modéne , le mariage d'un des Archiducs Cadets
avec la Princelle de Modéne , petite- fille du
fufdit Duc , & s'étant déterminés à s'adreffer
dans le temps à l'Empereur & à l'Empire pour
l'expectative de la fucceffion des Etats de Mo-
»déne en faveur de celui des Archiducs qui
»époufera ladite Princeffe , Sa Majesté le Roi
» de Proffe , qui fe fait un plaifir de ſe prêter
>>
•
autant qu'il dépend de lui , à tout ce qui peut
plaire à Leurs Majeftés Impériales s'engage
→ dès ce moment & pour toujours à donner fa
» voix pour cet effet , fi le cas y écheoir , & Leurs
» Sufdites Majeftés affurent de leur côté S. M.
» Pruffienne de leur reconnoiffance & du defir
> fincère où Elles font de lui donner des marques
» de leur amitié dans toutes les circonftances
» que les occafions pourront leur fournir.
Au bas de ces deux Articles , il eft dit qu'ils
auront la même force que s'ils avoient été inferés
dans le corps même du Traité.
De ROME , le 27 Avril 1763,
Le Cardinal Spinelli , Doyen du Sacré Collége ,
Evêque d'Oftie , & Préfet de la Propagande
eft mort le 12 de ce mois , âgé de foixante neuf
ans ; il laiffe un neuviéme Chapeau vacant dans
le Sacré Collège.
Le Cardinal Paloucci ayant envoyé font Auditeur
à Sa Sainteté pour la fupplier de le difpenfer
d'accepter le Décanat , parce que fes
infirmités ne lui permettoient pas d'en remplir
les fonctions ; le Souverain Pontife a conféré ce
Décanat , ainfi que l'Evêché d'Oftie qui y eft attaché,
au Cardinal Cavalchini , Dataire,
C
JUILLET. 1763. 179
De VENISE , le 23 Avril 1763.
Marc Fofcarini , Doge de cette République
eft mort le 30 du mois dernier , âgé de foixantefept
ans . Il n'a occupé le Siége Ducal que pendant
l'espace de dix mois.
Eloy Mocenigo , Chevalier de l'Etole d'Or ,
Procurateur de S. Marc , & ci -devant Ambaffadeur
de la République près des Cours de Versailles ,
de Naples & de Rome , fut élevé le 19 de ce
mois , à la dignité de Doge de cette République ,
& le lendemain , la Cérémonie de fon Couronnement
fe fit avec la pompe accoutumée.
De LONDRES , le 13 Mai 1763.
Le Comte de Hertford a bailé la main du Roi
pour remercier Sa Majeſté de l'avoir nommé à
l'Ambaffade de France.
Le Duc de Nivernois , ayant obtenu de Sa
Majefté Très-Chrétienne fes Lettres de rappel ,
a pris congé du Roi le 4 de ce mois , & le lendemain
il a pris congé de la Reine.
•
On affure que le mariage de la Princeffe Augufte
avec le Prince Héréditaire de Brunſwick ,
eft abfolument arrêté , & que ce Prince ne tardera
pas à paffer en Angleterre.
M. Raulin , Médecin ordinaire du Roi , connu
par les Ouvrages , & déja de plufieurs Académies ,
fut reçu le 12 du mois de Mai , Membre de la
Société Royale de Londres.
De LIEGE , le 21 Avril 1763 .
Voici la relation de ce qui s'eft paffé de la part
du Commiffaire Impérial , à l'occafion de la
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
double élection faite par le Chapitre pour remplir
le Siege Epifcopal de cette Ville . Le jour
de l'élection ayant été fixé au 20 , le Comte de
Perghen , Commiflaire Impérial , s'eft rendu
hier au Palais avec fon cortége , vers les dix ou
onze heures du matin pour attendre , fuivant
l'ufage , que le Grand Chapitre lui fit notifier
dans les formes requifes le choix qui auroit été
fait. A environ une heure , quatre Capitulaires ,
revêtus de leur habit Eccléfiaftique , font venus
annoncer au Comte de Perghen , qu'une élection
non - Canonique ayant été faite en faveur du
Comte d'Outremont , eux & leur parti avoient
non-feulement protefté folemnellement contre
cet Acte , mais avoient fait auffi une élection Canonique
en faveur du Prince Clément de Saxe :
ils ont ajouté qu'ayant demandé pendant la tenue
du Chapitre qu'on enregistrât leur proteftation
& l'élection qu'ils avoient faite , & n'ayant pu
obtenir ni l'un ni l'autre , ils venoient réclamer ,
au nom de tout leur parti , l'autorité du Commiffaire
Impérial pour foutenir la réſolution
qu'ils avoient cru devoir prendre. Peu de temps
après , le Grand Bailli du Chapitre eft venu , au
nom de ce Corps , notifier au Commiffaire Impérial
que l'éleicton venoit de ſe faire , à la pluralité
des fuffrages , en faveur du Comte d'Outremont.
Comme le Grand Bailli ne faifoit aucune
mention de la proteſtation & de l'élection
faites en faveur du Prince Clément de Saxe ,
les quatre Capitulaires , qui étoient préfens , ont
renouvellé leur proteftation devant le Comte de
Ferghen , & ont foutenu que leur élection étoit
feule Canonique. Ils ont ajouté à cela qu'ils en
appelloient à la décifion du Pape , & ont prié le
Commiffaire Impérial de ne point approuver par
JUILLET. 1763. 181
fa préfence à l'Eglife la prétendue élection du
Comte d'Outremont. Il y a eu là - deſſus des conteftations
très- vives entre le Grand Bailli & les
quatre Capitulaires. Sur ces entrefaites , on a
appris que les deux partis du Chapitre venoient de
proclamer a l'Eglife , l'un le Comre d'Outremont ,
& l'autre le Prince Clément . Ces contrariétés ont
convaincu le Commillaire Impérial qu'il y avoit
un fchifme déclaré : il a témoigné aux quatre Capitulaires
& au Grand Bailli combien il devoit lui
être fenfible de n'avoir pû , malgré les exhortations
réitérées , réunir les efprits & prévenir toute
fciffion. Il a déclaré en même temps à tous que la
décifion fur la canonicité ou non-canonicité de
l'une & de l'autre de ces deux élections appartemant
au Saint Siége , il ne devoit , ni ne pouvoit ,
avant la décision du Juge compétent , reconnoître
pour Prince l'un des deux élus ; que par cette
railon , il s'abſtien froit de ſe rendre à la Cathédrale
pour la collation du Temporel . En conféquence
, le Comte de Perghen , fidéle à l'impartialité
que lui prefcrivoit fa commiffion , a pris
le parti de s'en retourner à fon Hôtel avec le cortége
qui l'avoit accompagné au Chapitre.
FRANCE. 1
Nouvelles de la Cour , de Paris, &c.
De VERSAILLES , le 11 Mai 1763.
Le Duc de Nivernois ayant rempli l'objet de
E
fa miffion à Londres , & fa fanté fe trouvant fort
dérangée , le Roi a bien voulu lui acc order fon
182 MERCURE DE FRANCE.
rappel . Sa Majesté a nommé pour le remplacer
le Comte de Guerchy , Lieutenant - Général de fes
Armées , Colonel de fon Régiment , Chevalier de
fes Ordres & Gouverneur d'Huningue. Le 17 du
mois dernier , ce nouvel Ambaſſadeur a remercié
le Roi dans fon Cabinet. Il a été préſenté par le
Duc de Praflin , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
Département des Affaires Etrangeres.
Le Duc de Choiſeul a préſenté au Roi deux
Cartes qui comprennent la frontière du Dauphiné
& le Comté de Nice. Le Duc de Praflin a préſenté
à Sa Majesté les Cartes de nouvelle limitation
réglée entre Sa Majefté & le Roi de Sardaigne ,
par le Traité du 24 Mars 1760 , par rapport aux
frontieres refpectives des deux Etats. Ces Cartes ont
été levées géométriquement fous la direction du
fieur de Bourcet , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , & dreffées par le fieur Villaret , Capitaine-
Ingénieur , Géographe de Sa Majefté .
Le 17 du mois dernier , leurs Majeſtés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du
Duc de Beauvilliers avec Demoiſelle de Fleury.
Le même jour , la Comteffe de Montboiffier a été
préſentée à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par la Vicomteffe de Montboiffier.
Dame d'Elparbés de Luffan , Religieufe du Monaftère
de Paradis dans le Diocète de Condom •
a été nommée par le Roi au Prieuré de Prouillan ,
Ordre de Saint Dominique , dans le même Diocèſe
, vacant par la mort de la Dame du Bouzer
de Poudenas.
Sa Majefté ayant jugé à propos de rappeller le
* fieur Durand , fon Miniftre près le Roi & la Ré---
publique de Pologne , pour lui confier le Dépôt
des Affaires Etrangères , a nommé pour le remplacer
, en qualité de Réfident , le fieur Henin ,
t
JUILLET. 1763 . 183
Secrétaire d'Ambaffade du Marquis de Paulmy.
Le ro du mois dernier, Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage de
Paul- Charles Marie, Marquis de Lomenie , ci-devant
Capitaine au Régiment de la Reine , Dragons
, avec Marie Therefe Poupardin- d'Amanly.
Le 23 , celui du Marquis de la Rochefoucault-
Maumont de Magnat avec Demoiselle de Fougeu
; le 24 , celui du Marquis de Sablé , fils dur
Marquis de Croify , avec Demoiſelle de la Roche
-de- Rambure ; celui du Comte de Luppé avec
Denroifelle de Butler ; & celui du Comte de
Mellet avec Demoiſelle le Daulfeur. Le premier
de ce mois , celui du Comte de Vogué avec Demoiſelle
Jeanne- Magdeleine- Thereſe de Sourches
; & celui du Marquis de Sade avec Demoifelle
Cordier de Montreuil.
Le Marquis de Sablé a obtenu la furvivance de
la Charge de Capitaine des Gardes de la Porte ,
dont le Marquis de Croiffy fon père eft pourvu.
Le 25 du mois dernier , la Comteffe de Gramont
fut préfentée à Leurs Majeftés , ainſi qu'à la
Famille Royale , par la Ducheffe de Gramont.
Le 30 la Marquise de Sablé fut préſentée à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,par la Marquife
de Croiffy , fa belle-mère.
Le 4 de ce mois , la Comteffe de Luppé fut
préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par la Marquife de Melmes .
Le Roi a érigé , en faveur du fieur de Villette
la Terre du Pleffis- Longeau , &c . , en Marquifat'
avec le nom de Villette .
Le Roi a nominé fon Miniftre Plénipotentiaire
auprès du Roi de Portugal le Chevalier de Saint-
Prieft , Exempt d'une Compagnie des Gardes - du-
Corps de Sa Majeſté.
184 MERCURE DE FRANCE .
Le 8 , les Officiers de la Compagnie des Secré
taires du Roi , eurent l'honneur de préſenter une
bourſe au Roi dans le Cabinet de Sa Majeſté le
fieur Lévêque , Syndic de la Compagnie , porta
la parole.
Le fieur Camus , de l'Académie Royale des
Sciences , ayant été nommé conjointement avec
le fieur Bertoud , habile Horloger de Paris ,
pour afſiſter au rapport que la Société Royale de
Londres doit faire de la Machine d'Horlogerie da
fieur Harriſon , cet Académicien a eu l'honneur ,
en cette qualité , de prendre congé de Sa Majesté
le 24 du mois dernier. La Machine du fieur Harrifon
a pour objet de faciliter la détermination des
longitudes en mer: les épreuves qui en ont été
faites ont eu beaucoup de fuccès , & ont engagé le
Parlement d'Angleterre à accorder une récompenfe
confidérable à l'Inventeur.
De MARLY , le 18 Mai 1763.
Le 15 , le Marquis de Sablé a prêté ferment
entre les mains de Sa Majeſté , pour la Charge
de Capitaine des Gardes de la Porte dont il a
la furvivance. Le même jour , Leurs Majeſtés
& la Famille - Royale ont figné le Contrat de
Mariage du fieur de Barentin & de Dile de
Maffon de Meflé .
De PARIS, le 13 Mai 1763.
Le 13 Avril , le Corps de Ville , à la tête
duquel étoit le fieur de Pontcarré de Viarmes ,
Prévôt des Marchands , fe tranſporta a l'Hôtel
de Lamoignon , rue Pavée , où il fit l'ouver
ture de la nouvelle Bibliothèque Publique que
l'on a déja annoncée. Le Duc de Brillac , Pair
& Grand Pannetier de France , Chevalier des
Ordres du Roi , & Lieutenant - Général de ſes
JUILLET. 1763. 185
au Armées , nommé pour préfider cette année,
Chapitre de l'Ordre de S. Michel , s'eft rendu
le 9 de ce mois , à la Grand'Salle des Pères
Cordeliers de cette Ville . Là , revêtu du Manteau
& du Collier des Ordres du Roi , & ayant à
fes côtés le fieur Chendret , Héraut , & le fieur
Perfeville , Huifier defdits Ordres , en habit de
cérémonie ; il reçut Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , le fieur Brochier , Ecuyer , premier Secré
taire du Comte de Rochechouart , Miniftre plénipotentiaire
du Roi à la Cour de Parme. Le
Duc de Briffac aſſiſta enſuite , avec tous les Chevaliers
qui fe trouvoient préfens , à la Grand'-
Meffe qui fe célébre tous les ans dans l'Eglife des
Pères Cordeliers , en mémoire de l'apparition
de S. Michel.
On a appris de Lisbone , que Don Vincent
de Souza Coufinho , Miniftre plénipotentiaire du
Roi de Portugal , auprè; du Roi de Sardaigne
a été nommé par Sa Majefté Très-Fidèle , pour
venir réfider en la même qualité auprès du
Roi.
Le fieur Meffier , habile Aftronome , obfervant
à l'Obfervatoire Royal de la Marine , à l'Hôtel
de Clugny , le 29 Avril , à une heure quarantehuit
minutes du matin , a apperçu un globe de
feu , à la hauteur d'environ douze degrés fur
l'Horifon & à l'Orient de Paris , traînant une
longue queue lumineuſe , comme le fillon que
trace en l'air une fufée volante : fon diamétre
apparent étoit environ le tiers de la Lune , &
fa couleur étoit d'un rouge vif. La Lune qui
étoit alors fur l'Horifon , effaçoit une grande partie
de la lumière de ce Météore qui , dans une
nuit obfcure , auroit répandu une lumière confidérable
dans l'Atmosphère. Ce globe parut tome
186 MERCURE DE FRANCE.
ber prefque perpendiculairement , en employant
dans fa chute jufqu'à l'Horiſon environ quatorze
fecondes de temps. Le Ciel étoit pour lors prefque
totalement couvert , le vent au Sud- Oueſt
& le Barometre étoit à la hauteur de vingtfept
pouces fix lignes.
On écrit de Nancy , que le même jour , à une
heure & demie du matin , le même globe de
feu y a été obfervé. Ce globe n'a été apperçu
qu'un inftant à l'Oueft de Nancy , fort près de
l'Horifon , & traînant une queue brillante qui
auroit jetté une lumière très-conſidérable fi elle
n'avoit été effacée par celle de la Lune.
On vient d'apprendre la malheureuſe nouvelle
d'un incendie qui a détruit plus de la moitié de
la petite Ville d'Hirfon , appartenante au Prince
de Condé , & fituée dans la Généralité de Soiffons ,
Election de Guife . Le 23 du mois dernier , à cinq
heures du foir , le feu prit à la maiſon d'un
Couvreur , les flammes excitées par un vent du
Nord très-violent , fe portèrent , en moins d'une
demic heure , d'une extrémité à l'autre de la
Ville , & s'attachèrent en fept ou huit endroits
différens , avec une telle impétuofité , qu'en moins
de deux heures , plus de trois cens Bâtimens
furent entiérement confumés avec tous les meubles
, grains , fourages & effets qui s'y trou
voient enfermés , fans qu'il eût été poffible de
retirer du plus grand nombre de ces maifons ,
ni les papiers des Notaires & des Employés des
Fermes , ni même l'argent comptant. On regarde
comme un grand bonheur , qu'un enfant feul air
péri dans les flammes. Les Officiers & les principaux
Habitans du lieu , ont dreflé un Procèsverbal
de la perte que cet incendie a occafionnée ,
& l'eftimation monte à quatre cens quarante &
un mille fept cens vingt - une livres.
JUILLET. 1763 . 187
Un femblable malheur eft arrivé le premier
de ce mois , au Village de Perrigny , Bailliage
d'Auxonne , où cinquante maiſons ont été confumées
par le feu.
Le vingt - huitième Tirage de la Loterie de
l'Hôtel- de- Ville s'eft fait le 25 du mois dernier ,
en la manière accoutumée. Le Lot de cinquante
mille livres eft échu au numéro 8694 ; celurde
vingt mille livres au numéro 11093 ; & les deux
de dix mille livres aux numéros 5978 & 7110 .
Les de ce mois , on a tiré la Loterie de
l'Ecole Royale Militaire. Les Numéros fortis de
la Roue de Fortune , font , 7 , 19 , 34 , 56 , 59.
Le prochain Tirage fe fera le 16 Juin .
-
MORTS.
Marie Charlotte Quantin de Riche-Bourg
Epouſe d'Antoine Arnauld de la Briffe , premier
Préfident du Parlement de Bretagne , eft morte
à Rennes de 2 Avril.
-
·
Jeanne-Marie Dupleffis Châtillon , Veuve de
Philippe Charles , Comte d'Etampes , Marquis
de la Ferté Imbault , Brigadier des Armées du
Roi , Capitaine des Gardes-du- Corps de feu Son
Alteffe Royale Monfeigneur le Duc d'Orléans ,
Régent du Royaume , eft morte à Paris le 18
du même mois , dans la quatre-vingtième année
de fon âge.
Paul , Comte de Lafcaris Vintimille ,
eft mort
à Aix , dans la foixante- feptiéme année de
fon âge.
Jean-Pierre Verduffen , habile Peintre dans le
genre des Batailles , eft mort à Marſeille , le
31 Mars dernier . Il laiffe une riche collection.
de Tableaux à Avignon , où cet Artiſte faifoit fa
réfidence .
188 MERCURE DE FRANCE.
Marie-Thérèfe -Gilette Loquet de Grandville ,
Maréchal- Duchelle Douarière de Broglie , veuve
de François- Marie , Duc de Broglie , Maréchal
de France , Commandant d'Alface , Gouverneur
des Ville & Citadelle de Strasbourg , &c , eft
morte en cette Ville le 4 Mai , âgée de foixantedouze
ans.
Charles - Jean - Pierre Barentin , Comte de
Montchal , Brigadier des Armées du Roi , ancien
Capitaine- Lieutenant des Gendarmes de Flandres
, eft mort en Auvergne , le 16 Avril , âgé
de 59 ans.
Marie-Anne de Haraneder , veuve du Vicomte
de Bellunce , & mère du Vicomte de ce nom
Gouverneur de Saint - Domingue , eft morte à
Saint- Jean-Pied- de - Port , dans la foixante - troifiéme
année de fon âge.
NOUVELLES
POLITIQUES
Du mois de Juillet 1763.
De Moscov , le 11 Mai 1763.
LE & de ce mois le Baron de Breteuil , Miniftre
Plenipotentiaire de France , a eu fes Audiences
de congé de l'Impératrice; & il a obtenu
de Sa Majefté Impériale la permiffion de lui
faire fa cour jufqu'au moment où il doit partir.
De WARSOVIE , le 1 Mai 1763 .
" Le Prince Charles a quitté Mittau d'où il
s'eft rendu à Bialyftock . Ce Prince doit aller re-
' joindre Sa Majesté à Dreſde , où elle eft arrivée
le 30 du mois dernier.
JUILLET. 1763. 189
L'Emiflaire que le Prince de Moldavie a envoyé
ici pour terminer l'accommodement propolé
avec le Kan de Tartares , eft parti depuis
quelques jours pour Baiyitek . li compre y recevoir
la réponse de ton Prince avec l'acquiefcement
du Kan aux propolitions des Polonois . Le
Grand--Trétorier a dépoté une fomme de 15000
ducats & l'on regarde cette affaire comme
finie.
→→
De BERLIN , le 7 Mai 1763.
Depuis la ratification du Traité de Paix entre
le Roi de Prufe & l'Impératrice Reine , ies
Plénipotentiaires respectifs des deux Puiffances ons
figné un Acte féparé dont voici la teneur.
Sa Majefté l'Impératrice Reine Apoftolique
de Hongrie & de Bohême , & Sa Majefté le
Roi de Prufle , étant convenus par l'Article XX .
du Traité de Paix conclu entre elles , & daté
du 15 Février 1763 , de comprendre dans ce
Traité de Paix leurs Alliés & Amis ; & s'étant
réſervé de les nommer dans un Acte féparé qui
auroit la même force que ledit Traité principal ,
& qui feroit également ratifié par les Hautes-
Parties contractantes. Sa Majesté l'impératrice
Reine Apoftolique de Hongrie & Bohême & Sa
Majefté le Roi de Pruffe ne voulant point différer
de faire connoître leurs intentions à cetégard,
déclarent qu'elles comprennent nommément &
expreflément dans le fufdit Traité de Paix du 15
Février 1763 , leurs Alliés & Amis ; fçavoir, de la
part de Sa Majefté l'Imperatrice Reine Apoftolique
de Hongrie & de Bohême , Sa Majesté le Roi
Très-Chrétien , Sa Majefté le Roi de Suede ,
Sa Majefté le Roi de Pologne , Electeur de Saxe
& tous les Princes & Etats de l'Empire qui ſont
190 MERCURE DE FRANCE .
ou fes Alliés ou fes Amis ; & de la part de
Sa Majesté . Pruffienne , le Roi de la Grande-
Bretagne , Electeur de Hanovre , le Séréniffime
Duc de Brunfwick- Lunebourg , & le Séréniſſime
Landgrave de Heffe Caffel ,
Les Hautes-Parties contractantes comprennent
auffi dans le fufdit Traité de Paix du 15 Février
1763 , Sa Majefté l'Impératrice de toutes les
Ruffies en vertu des liens d'amitié qui fub
fiftent entre - elle & fes deux Hautes- Parties
contractantes , & de l'intérêt que Sadite Majefté
a témoigné prendre au rétabliffement de la
tranquillité en Allemagne .
En foi de quoi , Nous , les Plénipotentiaires
de Sa Majesté l'Impératrice Reine & de Sa Majefté
le Roi de Prufle , avons , en vertu de nos
pleins pouvoirs & inftructions , figné le préſent
Acte , qui aura la même force que s'il étoit inféré
mot pour mots dans le Traité de Paix du
15 Février 1763 , & qui fera également ratifié
par les Hautes- Parties contractantes . Fait à
Drefde le 12 Mars & à Berlin le 20 Mars 1763 :
L'exemplaire de la Cour de Vienne eft figné ,
Henri-Gabriel de Collenbach , & de celai de
Berlin , Ewald- Fréderic de Hertzberg.
De RATISBONNE , le 10 Juin 1763.
Suivant les nouvelles de Wetzlar , lé 8 de
ce mois , à deux heures du matin , il y eut dans
cette Ville une allarme générale caufée par l'ar
rivée imprévue d'un corps de troupes au fervice
de Heffe- Darmstadt. Ce corps , compofé del
deux Régimens d'Infanterie de troupes réglées .
de quatre Bataillóns de Milice & de cinq cens
hommes , tant Cavaliers que Dragon's & Huf
fards , aprés avoir enfoncé les potres de la Ville ,
JUILLET. 1763. 191
& s'être affurés de fes principales avenues , entra
de force dans les mailons des Bourgue-Maître ,
Sénateurs & Bourgeois , & fe faifit de feize Magiftrats
qui furent obligés de répondre devant
les Députés commis à cet effet par le Land
grave. Cet événement a répandu ici la plus
grande confternation . Toute la Ville eft remplie
de troupes qui ont amené avec elles trente
pieces de canons chargés à cartouches , Il y a
dans plufieurs maifons foixante - dix à quatrevingt
hommes , & à l'exception de la pofte ,
perfonne n'ofe fortir de la Ville . On attribue les
motifs de cette éxécution à l'événement fuivant.
Après la conclufion de la Paix , les troupes
alliées , au nombre de fix cens hommes , ayant
dirigé leur marche par cette Ville , attaquérent ,
avec le fecours de la Garnifon & de quelques
Bourgeois , les troupes de Heffe - Darmstadt ,
qui furent repouffées & dont l'Officier Com
mandant fut maltraité par le Bourge- Maître &
par quelques Sénateurs . Le Landgrave demanda
fatisfaction de cette injure au Magiftrat
mais n'ayant pu l'obtenir , ce refus le détermina
à en venir à des voies de fait . Il y a eu
à ce fujet , ce matin entre huit & neuf heures.
une féance extraordinaire des Affelleurs de la
Chambre ; mais on n'en fçait point encore le
réfultat.
De MAYENCE, le 4 Juin 1763 .
Jean-Fréderic- Charles , Electeur de Mayence ,
Archi-Chancelier de l'Empire , eft mort aujourd'hui
dans la foixante- quatorziéme année de fon
âge ; univerfellement regretté. Il étoit de la
Maiſon des Contes d'Oftein , né le 6 Juin 1689
élu Archevêque de Mayence , le 22 Avril 1743
&Coadjuteur de Wors , le 7 Octobre 1748.
192 MERCURE DE FRANCE.
De VENISE, le 16 Mai 1763 .
Hier, le nouveau Doge a épousé avec les Céré
monies ordinaires , la Mer Adriatique.
De GESNES , le 14 Mai 1763 .
Les Rebelles étant venus au nombre de deux
cent , pour attaquer le pofte de l'Alguairla , ont
éte vigoureuſement repouflés , & ont perdu dans
cette action plus de quarante hommes , parmi
lefquels fe trouve un de leurs Chefs. Il y a eu à
Venaco , dans la Pieve de Bofio , une affaire plus
importante , dans laquelle les rebelles ont été
battus avec une perte fort confidérable. On a
appris en même tems , que les troupes de la Ré
publique fe font emparées de l'lfle Rolla , qu'occupoient
les Rebelles . On croit qu'il y aura eu le
12 une affaire générale , dont on attend la nouvelle
d'un moment à l'autre. .. !
Du 23 Mai 1763.
Nous apprenons que le Général Matra , aprés.
les deux affaires du i où nous perdîmes environ
deux cens hommes , tant morts que bleffés & déferteurs
, ne pouvant fubfifter à Aleria faute de
vivres , s'eft retiré vers la Baſtie . On a déja envoyé
de cette Ville des Batimens pour embarquer les
Troupes de ce Général ; une grande partie eft
arrivée dans cette place , & le refte y eft attendu
d'un moment à l'autre .
Du 6 Juin 17630.
On a appris que les rebelles , ayant forcé les
Troupes de la République de fe retirer d'Aleria ,
à la Baftie , s'étoient approchés de Calvicty avoient
caufé un grand dommage dans la Campagne,
d'où ils ne s'étoient retirés qu'après avoir fait
couper
JUILLET. 1763. 193
couper les Bleds encore en herbe . Suivant les
mêmes avis , Pafchal Paoli à fait attaquer par
quelques-uns des fiens le Village d'Algaiola , dans
lequel le Général Marra avoit laiffé foixante hommes
commandés par le Lieutenant Colonel Thonard
. Les rebelles ont été repouffés , mais font revenus
enfuite en plus grand nombre.
De TURIN , le Juin 1763 . 1
Don Vincent de Souza y Coutihno eft parti ce
matin pour Paris , où il va réfider en qualité de
Miniftre Plénipotentaire de Sa Majesté Très- fidelle
auprès de Sa Majeſté Très- Chrétienne,
De LONDRES , le 14 Juin 1763.
Lefieur d'Eon , Réfident de France en cette Cour ,
a eu l'honneur de préſenter à Sa Majeſté les fieurs
de la Condamine , Camus & de la Lande , Membres
de l'Académie Royale des Sciences de Paris ,
& de la Société Royale de Londres ; ces deux derniers
font depuis quelque tems en cette Ville par
Ordre de Sa Majefté Très- Chrétienne , pour examiner
les opérations relatives à la découverte de
la Longitude en Mer , objet qui fixe aujourd'hui
plus que jamais l'attention de l'Angleterre & de
la France.
On écrit de la nouvelle Yorck , du 18 Avril ,
que le Fort Sainte Marie fur le Lac fupérieur , le
Pofte François le plus avancé dans le Pays des
Sauvages du Canada ; a été réduit en cendres le
20 Décembre dernier avec les Cazernes & tout ce
qui s'y eft trouvé , fans qu'on ait pu découvrir ce
qui a occafionné cet accident. L'Officier Anglois
qui commandoit dans le Fort , a eu beaucoup de
peine à fe dérober aux flâmes , & il en a reçu plufieurs
atteintes en différentes parties du corps.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
On a reçu à Exeter quelques nouvelles de l'A
mérique , par lesquelles on apprend que les Indiens
des Côtes Nord & Nord - Oueft de Terre-
Neuve , ont brûlé & détruit des Etabliffemens
Anglois , formés dans le détroit de Belle- Ifle , visà-
vis de la Côte de Labrador.
1
D'AMSTERDAM , le 13 Juin 1763 .
1
Un Navire arrivé de Surinam , a apporté aux
Directeurs de la Colonie des Berbices , des Lettres
qui confirment la fâcheufe nouvelle du faccagement
de cette Colonie par les Négres révoltés. Le
Gouverneur du Fort a été réduit a la néceffité de
le faire fauter & de s'enfuir. L'établiffement des
Berbices n'eft pas ancien , & ne confiftoit guères
qu'en quatre-vingt ou cent plantations ; mais il
commençoit à faire des progrès fenfibles. Une
des caufes de cette révolte , paroît être le peu
d'attention qu'on a eu de remplacer les Blancs
qu'une maladie épidémique a fait périr depuis
près de deux ans dans cette Colonie , où le petic
nombre d'Européens qui y reſtoit , ne fuffifoit pas
pour veiller fur les Négres & leur en impofer. La
confternation a été fi grande à Timerary, qui n'eft
éloigné des Berbices que de douze à quinze lieues ,
que plufieurs Colons s'en font déja retirés . 11 eft
probable en effet que les rebelles s'y font portés ,
a moins qu'ils n'ayent été prévenus par les Anglois
de la Barbade , & par les Hollandois de Surinam
. On craint auffi beaucoup pour les plantations
d'y fequebo , éloignées des Berbices de vingtcinq
ou trente lieues feulement.
JUILLET. 1763 . 195
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 22 Juin 1763.
Le Vendredi 27 du mois dernier , la Cour a pris
un deuil de huit jours , pour le Margrave Frédéric
de Brandebourg Culmback , mort à Bareith , le
26 Février dernier .
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint- Efprit , s'étant affemblés , le 22
du mois dernier vers les onze heures du matin ,
dans le Cabinet du Roi , Sa Majesté fortit de fon
Appartement, pour aller à la Chapelle : Elle étoit
accompagnée de Monfeigneur le Dauphin , du
Duc de Chartres , du Prince de Condé , du Comte
de Clermont , du Prince de Conti , du Comte de la
Marche , du Comte d'Eu , du Duc de Penthieyre ,
du Prince de Lamballe , & des Chevaliers , Com
mandeurs & Officiers de l'Ordre. Sa Majefté , de
vant qui les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs Maffes , étoit en Manteau , le Collier
de l'Ordre pardeffus , ainfi que celui de la Toiſon
d'or. L'Evêque d'Orléans , Commandeur de
l'Ordre , officia ; & après la Melle chantée par la
Mufique du Roi, Sa Majefté fut reconduite à fon
appartement , en la maniere accoutumée.
Le 24 , le Comte de Cantillana , Ambaffa deur
Extraordinaire du Roi des Deux-Siciles , eut une
Audience particuliere du Roi , dans la quelle il
préfenta à Sa Majefté le Prince Sanfeverino , Miniftre
Plénipotentaire de Naples à la Cour de
Portugal. Il fut conduit à cette Audience , ainfi
qu'à celles de la Reine & de la Famille Royale ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
par le fieur Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Duc de Nivernois , de retour de fon Ambaffade
à la Cour de Londres , s'eft rendu ici le
29, & a été préſenté à Leurs Majeſtés & à la Famille
Royale , par le Duc de Praflin .
Le même jour , la Ducheffe de Bedfort a pris
congé du Roi , de la Reine & de la Famille Royale.
Le 30 , la Comteffe de Henneberg , après
avoir pris congé de la Cour , eft partie pour le
rendre à Luneville , & de là à Plombières.
Le 7 de ce mois , le Duc de Bedford , Ambaffadeur
Extraordinaire de la Cour de Londres , eur
une audience particulière du Roi , dans laquelle
il remit fes Lettres de Rappel & prit congé de Sa
Majefté.
Le fieurTiepolo , Ambaffadeur de la République
de Venife , en eut auffi une particulière , dans
laquelle il préfenta à Sa Majefté les fieurs Morofini
& Guerini , Ambaffadeurs de la même République
, revenans de la Cour de Londres. Le Duc de
Bedfort & le fieur de Tiepolo furent conduits à
cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine &
de la Famille Royale , par le fieur Dufort , Introducteur
des Amballadeurs.
Le même jour , le Comte Dubois de la Mothe
prêta ferment entre les mains de Sa Majesté en
qualité de Vice - Amiral ..
Les Députés des Etats d'Artois eurent le 9 audience
du Roi. Ils furent préfentés à Sa Majefté
par le Duc de Chaulnes , Gouverneur de la Province
, & par le Duc de Choifeul , Miniftre & Secrétaire
d'État de la Guerre & de la Marine , ayant
le Département de cette Province ; & conduits
par le Marquis de Dreux , Grand- Maître des Cérémonies
, & par le fieur Deſgranges , Maître
JUILLET. 1763. 197
des Cérémonies. La Députation étoit composée,
pour le Clergé , de l'Evêque de Saint Omer , qui
porta la parole ; du Marquis de Grény , pour la
Nobleffe ; du fieur Decanchy pour le Tiers - Erat.
Le même jour , la Comteffe de Sade fut préſentée
à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la Famille Royale,
par Mademoiſelle de Sens ; la Comtelle de Vogué ,
par la Marquife de Sourches , & la Marquise de
Miran , par la Comtelle de Marfan.
Le fieur de la Caze , fils , qui vient d'obtenir la
furvivance de la place de la première Préfidence de
Pau , a fait , en cette qualité , fes remercîmens au
Roi.
Le 12, Leurs Majeftés & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage du Duc de la Trémoille
avec la Princelle Marie de Salm .
Celui du Marquis du Tillet , Colonel du Régiment
Royal , avec la Dile de Pellar de Bebbral ;
le 13 , celui du Marquis de Montmirel avec la
Dame de Lanmary ; & le^ 21 , celui du Comte
d'Avrimenil avec la Demoiſelle de Furgen.
Le 13 , l'Evêque de Condom prêta ferment
entre les mains de Sa Majefté , & l'Evêque de
Lefcar le 18.
Le Roi a donné le Prieuré de S. Thomas de la
Bloutière , Ordre de S. Auguftin , Diocèfe de
Coutance , à l'Abbé d'Audiftret , ancien Vicaire-
Général & Official du Cardinal Ottoboni.
La Cour a pris le Deuil pour 8 jours à l'occaſion
de la mort de Marie- Victoire - Anne de Savoye ,
Princeffe de Carignan.
Le fieur Paffemant , Ingénieur du Roi , déja
connu par plufieurs ouvrages de Méchanique d'une
invention heureufe & d'un travail précieux , a eu
l'honneur de préfenter à Sa Majefté deux globes ,
Bun célefte d'un fond d'azur parfemé d'étoiles d'or,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'autre terreftre , & tous deux montés fur des ho
rizons & des confoles dorés ; avec un autre Ouvrage
de Méchanique éxécuté par les Diles Paffemant
fes filles , & repréfentant un Château élevé
fur une montagne couverte de divers objets , où
l'on remarque trente- deux figures mouvantes.
Le fieur de Saintfoix eut l'honneur de préfenter
, le 21 du nrois dernier , à Leurs Majeſtés , ainfi
qu'à la Famille Royale , une nouvelle Edition de
les Effais hiftoriques fur Paris.
. Le fieur Puget de Saint-Pierre a eu l'honneur
de préfenter , le 24 , à Monfeigneur le Duc de
Berry & à Monseigneur le Comte d'Artois l'Hif
toire des Drufes , Peuple du Liban , formé par une
Colonie de François , Ouvrage dont Monteigneur
le Duc de Berry a bien voulu accepter la Dédicace .
Le 29 , le fieur de Neuve- Eglife , ancien Officier
de Cavalerie , & le fieur Delagrange , Directeur
de l'Entreprife générale de l'Armée , Dépu
tés de la Société qui s'eft chargée de la compofi
tion du Corps complet de l' Agriculture , du Com-
& des Arts & Métiers de France , dédié au
Roi ; ont eu l'honneur de préfenter à Sa Majesté
& à Monfeigneur le Dauphin , le fecond Volume
de la partie de l'Agriculture & de celle du Corps
d'Obfervations de cette Société . Ces deux Volumes
font les derniers des fix qui doivent être donnés
au Public pour 1762 , fous le titre de l'Agronomie
& de l'Induftrie , & la Société ſe prépare à
faire faire la diftribution des neuf Volumes pour
1763.
merce ,
· Le même jour , le fils du feur Delpon , ancien
Capitaine de Dragons , âgé de cinq ans , & neveu
de l'un des Auteurs de l'Agronomie , a eu l'honneur
de préfenter à Monfeigneur le Comte d'Artois
les deux Volumes de cet Ouvrage , & ce
Prince a bien voulu lui permettre de faire , fous
JUILLET. 1763. 199
fon commandement les évolutions militaires.
L'Abbé de Burle de Réal de Curbon , a eu l'honneur
de présenter à Leurs Majeftés , à Monseigneur
le Dauphin & à Madame Adélaide , la troifiéme
partie de la Science du Gouvernement , contenant le
droit public, Quvrage dédié à Monſeigneur le
Dauphin.
Le fieur de Vilevaulo , Maître des Requêtes , &
le fieur de Brequigny , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles- Lettres , ont préſenté à Sa
Majefté le dixiéme Volume des Ordonnances des
Rois de France de la troifiéme Race , recueillies
par ordre , chronologique. Ce Volume contient
les Ordonnances de Charles VI. données depuis
le commencement de l'année 1411 ,juſqu'à la fin
de l'année 14 18%.
" Le 19, de ce mois , l'Abbé Coyer a eu l'honneur
de préfenter à la Reine , à Monfeigneur le Dauphin
& à Meldames , un Difcours qu'il a prononcé
le & Mai dernier pour fa réception à l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de Nancy.
>
Sa Majefté , par fupplément à la derniere!
Promotion vient de nommer au grade de
Maréchal de Camp , le feur Thomaflin , Capitaine
d'une Compagnie d'Ouvriers ; le Mar
quis d'Efquelbecq , Sous-Lieutenant des Chevaux-
Légers du Roi ; le fieur de la Roque , Lieutenant-
Colonel du Régiment de Cavalerie de Chartres ;
le fieur de Roquemore , Lieutenant- Colonel du
Régiment d'Infanterie de la Reine ; le Chevalier
de Montreuil , Lieutenant Colonel d'Infanterie ;
le fieur de Luberfac , Sous- Lieutenant des Chevaux-
Légers du Roi ; le Marquis de Tracy ,
Capitaine- Lieutenant des Gendarmes de Flandre :
le Marquis de Torcy , Capitaine- Lieutenant des
Chevaux - Légers de Monfeigneur le Dauphin :
I iv
200 MERCURE DE FRANCE :
le Marquis de Clermont-Tonnerre , Meftre- de
Camp- Commandant du Régiment du Meftrede-
Camp-Général de la Cavalerie : le fieur de
la Source , Major du Régiment de Cavalerie
d'Artois ; le Comte de Jaucourt , Capitaine
Lieutenant des Gendarmes d'Orléans ; Ïe Marquis
de Foffeufe , Capitaine- Lieutenant des Gendarmes
de la Reine ; le Comte de Sommievre ;
Capitaine-Lieutenant des Chevaux-Légers de la
Reine ; le Comte de Puyfegur Colonel du
Régiment de Normandie ; le Marquis de Timbrune
, Colonel du Régiment de Vermandois ;
le Comte de la Tour-du Pin -Paulin , Colonel
lu Régiment de Piémont ; le Comte de Chabrillant
, Meftre- de-Camp d'un Régiment de
Dragons ; le Marquis de Villeroy , Colonel du
Régiment de Lyonnois ; le Comte de Chabot ,
Meftre-de Camp du Régiment Royal- Etranger
le Marquis de Boufflers , ci- devant Colonel du
Régiment d'Infanterie de Monfeigneur le Dau
phin ; le Comte de Conflans , Colonel d'un Régiment
de Dragons , Chaffeurs ; le Comte de
Durfort , Colonel du Régiment de Picardie ; le
Comte de Schonberg , Meftre- de-Camp d'un
Régiment de Dragons ; le Comte de Choifeulla-
Baume , Meftre- de-Camp d'un Régiment de
Dragons ; le fieur de Valliere , Colonel de la
Légion Royale ; le fieur Charpentier d'Ennery ,
Meftre- de- Camp de Dragons ; le Chevalier de
Sarasfield , Meftre - de- Camp réformé de Cava-.
lerie ; le feur de Grand- Maiſon , Colonel des>
Volontaires du Haynault.
Le Roi a difpofé des Régimens vacans de la
maniere fuivante.
INFANTERIE .
Picardie le Comte " de Lévis , Colonel de
JUILLET. 1763 . 201
Royal-Rouffillon . Piémont , le Comte de Grave ,
Colonel du Régiment de Provence . Normandie,
le Comte de Hautefeuille , Colonel de Rouergue.
Lyonnois , le Marquis de Bouzols , Colonel
de Bourgogne . Royal-Rouffillon , le fieur
de Villeneuve de Trans , Capitaine au Régiment
du Roi. Rouergue , le fieur de Bloffet ,
Capitaine au Régiment du Roi . Vermandois , le
fieur de Malartic , Major de Royal - Comtois.
Provence , le Chevalier de Virieu , Exempt des
Gardes du Corps . Bourgogne , le fieur de Luker
Capitaine du Regiment de Fitz -James.
TROUPES LÉGÉRES.
Légion Royale , le Marquis de Nicolay- Dolny,
Meftre-de- Camp de Dragons. Légion du Hay
nault , le Baron de Viomefnil , ci- devant Colomel
du Régiment des Volontaires du Dauphiné.
CAVALERIE.
Royal- Etranger, le fieur de Vernaſſal , Capitaine
réformé du. Régiment de Languedoc , Dragons.
DRAGON´S
Choifeul , le Comte de Cuftine , Capitaine de
Schonberg. Chabrillant , le Chevalier de Mont
recler , Capitaine de Bauffremont . Nicolay , le
Chevalier de Lanans , Capitaine de Schonberg.
›
Le Roi a rendu une Ordonnance , du ƒ de ce
moi concernant la Gendarmerie. Suivant les
difpofitions qu'elle renferme, les dix Compagnies
des Gendarmes Ecoffois , Anglois , Bourguignons ,
de,Flandre , de la Reine , Dauphin , de Berry, de
Provence , d'Artois & d'Orléans feront confervées
fur pied & dans le même rang dont elles jouiffent
actuellement. Les fix Compagnies de Chevaux-
Légers de la Reine, Dauphin , de Berry , de Pro
Iv
262 MERCURE DE FRANCE .
vence , d'Artois & d'Orléans feront fupprimées &
incorporées dans les fix Compagnies de Gendarmes
qui font fous le même titre. Comme'il y aura
deux Officiers de chaque grade dans chacune des
fix Compagnies qui auront reçu cette incorporation,
le moins ancien de chaque grade fera réformé
. Chacune defdites Compagnies de Gendarmes
confervées formera à l'avenir un Efcadron ,
& continuera d'être commandée par un Capitaine-
Lieutenant, un Sous- Lieutenant & un Guidon ; il
fera établi trois Fourriers & douze places de Gendarmes
Appointés ; au moyen de quoi chaque
Compagnie fera compofée de trois Brigadiers ,
trois Sous- Brigadiers , un Porte- Etendard , trois
Fouriers , douze Gendarmes Appointés , quatrevingt-
quatre Gendarmes & trois Trompettes. Il
fera établi dans l'Etat-Major deux Sous-Aides-
Majors de plus , qui auront rang de prémiers Maréchaux
des Logis , & deux places de Fourriers-
Majors , lefquels auront rang de derniers Maréchaux
des Logis. L'Etat- Major fera compofé d'un
Major- Inspecteur du Corps , d'un Aide-Major ,
de quatre Sous- Aides-Majors , deux Fourriers-
Majors , deux Aumôniers & d'un Timbalier, Sa
Majefté a auffi réglé de la maniere fuivante une
paye , qui fera la même en temps de paix & en
tems de guerre. A chaque Capitaine- Lieutenant ,
9500 livres par an ; à chaque Sous- Lieutenant
6500 liv . à chaque Enfeigne , 4000 liv . à chaque
Guidon , 3000 liv. à chaque Maréchal des Logis ,
1230 liv. à chaque Brigadier ou Sous- Brigadier,
648 liv . à chaque Porte- Etendard , 540 livres à
chaque Fourrier , 480 liv. à chaque Gendanine
Appointé , 378 liv , à chaque Gendarme , 324 liv.
à chaque Trompette, 396 liv. ETAT- MAJOR.
Au Major , pour tout traitement & frais d'inſpec- -
"
JUILLET. 1763. 2.03
tion , 12000 liv ; l'Aide-Major , 6000 liv, à chacun
des deux premiers Sous-Aides- Majors , 2000
liv. à chacun des feconds Sous-Aides-Majors ,
1600 liv. à chacun des deux Fourriers- Majors ,
1200 liv. au premier Aumônier , en fupprimant
la retenue qui fe faifoit en la faveur pour le
port
de la Chapelle , 1200 liv . au fecond Aumônier
720 liv. au Timbalier , 396 liv.
eux ,
"
Au moyen de ce traitement , toutes les penfions
attachées aux charges d'Officiers fupérieurs , de
ceux de l'Etat- Major & aux places d'anciens Maréchaux
des Logis , Brigadiers & Gendarmes.
ainsi que les gratifications accordées pour le détail
aux Officiers de l'Etat- Major, feront fupprimées ,
à commencer du jour de la nouvelle compofition.
Les Gendarmes qui auront fervi vingt ans , &
qui fe trouveront hors d'état de continuer leurs
fervices , auront le choix , ou d'être reçus à l'Hôtel
Royal des Invalides , comme Lieutenans de
Cavalerie , ou de fe retirer chez & non ailleurs
, avec leur folde entiere . Ceux qui n'auront
pas vingt ans de fervice , mais qui , pour raifon
de bleffures confidérables reçues à la guerre , feroient
hors d'état de continuer , feront auffi reçus
dans le mênte Hôtel comme Lieutenans , ou ſe
retireront chez eux avec la moitié de leur folde.
Ceux enfin qui n'auront vingt ans de fervice qu'au
moyen du temps qu'ils auront paffé antérieurement
dans d'autres Corps, pourront dans le même
cas être reçus dans le même Hôtel , comme Bas-
Officiers , ou fe retirer chez eux avec la moitié de
leur folde. Les Gendarmes excédans le nombre
fixé feront réformés , & il leur fera donné des
congés pour fe retirer chez eux , avec leurs habit ,
chapeau & épée , & 36 liv . de gratification . Cette
Ordonnance contient plufieurs autres difpofitions
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
relatives aux fonctions & au choix des Officiers
& Gendarmes , au prix des charges des Officiers
ſupérieurs , à l'habillement , au taux & au rembourſement
des brevets de retenue , &c.
De BELLEISLE , le 11 Mai 1763 .
Le Chevalier de Warren , Maréchal de Camp ,
nommé par le Roi pour commander les troupes
deftinées à reprendre poffeffion de cette Ile ,
ayant remis hier au Gouverneur Anglõis la let-:
tre par laquelle Sa Majeſté Britannique ordonne
que l'lfle , la Citadelle , le Fort , &c , foient re- .
mis entre les mains des François ; les Anglois fe
font retirés , & le Chevalier de Warren a pris poffeffion
de l'Ifle.
De PARIS , le 13 Juin 1763 .
Le 26 du mois dernier , le Roi fit dans la Plai
ne des Sablons la revue des Gardes Françoiſes &
des Gardes Suifles . Sa Majeſté paſſa dans les rangs,
& les deux Régimens défilérent devant Elle après.
avoir fait l'exercice. Madame la Dauphine , Mgr
le Duc de Berry , Mgr le Comte de Provence
Madame Adélaïde , Mefdames Sophie & Louiſe
ont affifté à cette revue , ainfi que le Prince de
Condé & le Prince de Lamballe .
Le Parlement ayant reçu , le 30 du mois der◄
nier , les Ordres du Roi par le Marquis de Dreux ,
Grand - Maître des Cérémonies , s'affembla le
lendemain 31 pour le Lit de Juſtice que Sa Majefté
avoir réfolu de tenir.
Vers les onze heures & demie du matin , le
Roi arriva ayant dans fon caroffe Monſeigneur
le Dauphin , Sa Majesté étoit accompagnée d'un
nombreux détachement de fes Gardes du Corps ,
du quartier des Gendarmes de fa Garde , de
celui des Chevaux-Légers & d'un détachement
JUILLET. 1763. 205
des Moufquetaires de chacune des deux Com
pagnies. Devant le Carroffe du Roi étoit le Vol
du Cabinet. Sa Majeſté deſcendit à là Sainte Chapelle
, où le Chancelier s'étoit rendu , Elle étoit
accompagnée du nombre ordinaire de Confeillers
d'Etat & des Maîtres des Requêtes : les Maré
chaux de France y étoient pareillement affemblés
, ainfi que les Chevaliers des Ordres , les'
Gouverneurs & Lieutenans- Généraux de Province ,
nommés par Sa Majefté pour avoir l'honneur
de l'accompagner: Le Duc d'Orléans , le Duc
de Chartres , le Prince de Condé , le Comte de
Clermont , le Prince de Conti & le Comte de
la Marche y avoient auffi devancé Sa Majesté.
Le Roi précédé de fa Cour , du Roi d'Armes &
des Hérauts , monta les degrés au fon des trompettes
, Hautbois , Fifres & Tambours de l'Ecurie
& de la Chambre. Deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes devant Sa Majesté.
Lorfque le Roi eut entendu la Meffe , qui fut
célébrée par un de fes Chapelains , quatre Préfidens
& fix Confeillers , députés par le Parle
ment , vinrent recevoir Sa Majefté , & la conduifirent
à la Grand'Chambre. Le Roi s'étant
affis fur fon Trône , & les féances ayant été
prifes , Sa Majesté fit enregiftrer deux Edits &
une Déclaration . Le Roi fortit enfuite dans le
même ordre qu'il étoit entré.
Sa Majefté trouva , ainfi qu'à fon arrivée , les
Gardes Françoifes & Suiffes qui formoient une
double haye dans les rues , fur le Pont- Neuf
& fur les Quais , depuis le Palais jufqu'à l'extrémité
du Quai des Thuilleries .
Les Pairs qui ont affifté à ce Lit de Juftice ,
font l'Archevêque Duc de Rheims , l'Evêque Duc
de Langres , l'Evêque Comte de Noyon , les Ducs
206 MERCURE DE FRANCE .
de Sully , de Luynes , de Briffac , de Richelieu ,
de Rohan- Chabot , de Mortemart , de Trefmes
de Saint -Cloud , de Firs-James , de Chaulnes
de Rohan-Rohan , de Villars - Brancas , de Valentinois
, de Biron , de la Valliere , d'Aiguillon ,
de Fleury , de Duras . de la Vauguyon , de
Choifeul & de Praflin. Les Maréchaux de Balincourt
, Clermont - Tonnerre , d'Eftrées & de
Contades y ont eu féance
étant entrés avec
le Roi.
Le Prince de Rochefort nommé pour repréfenter
en cette occafion , le Grand Ecuyer de
France , a porté l'Epée Royale .
On a appris ici la mort de Marie- Victoire - Anne
de Savoye , titrée Mlle de Carignan , décédée
le 18 du mois dernier.
Cette Princefle née le 12 Février 1687 , étoit
fille d'Emmanuel- Philbert-Amédée de Savoye ,
Prince de Carignan en Piémont , mort le 23.
Avril 1709 , & d'Ange- Carherine d'Eft-Modene,
morte le 18 Juillet 1712 , & Soeur de Victor-
Amédée , Prince de Carignan , mort le 4 Août
1741 , Père de Louis - Victor-Amédée- Jofeph, aujourd'hui
Premier Prince du Sang de Sardaigne
& Prince de Carignan , & avoit pour Ayeul Thomas
François de Savoye , Prince de Carignan
l'un des fils de Charles- Emmanuel I. du nom ,
Duc de Savoye , furnommé le Grand , & Frère
pumé de Victor- Amédée , Duc de Savoye , Bif-
Ayeul de Sa Majefté le Roi de Sardaigne actuellement
régnant.
•
Le Lieutenant Général de Police & le Subfticus
du Procureur Général du Roi au Châteler , ayant .
repréſenté au Parlement , qu'il s'élevoit dans le
Public un murmure général , contre l'indifcrétion
de quelques-uns des partfans de l'inoculation de
JUILLET. 1763. 207
la petite vérole , contre les Inoculateurs & contreceux
qui , en attendant l'effet de l'Inoculation
qu'ils ont reçue, reftent fans précaution dans la
Société, le Parlement , d'après ces confidérations
& l'expofé des Gens du Roi fur le même fujet , la
rendu le 8 de ce mois un Arrêt qui ordonne que
la Faculté de Médecine de l'Univerfité de cette
Ville fera tenue de s'affembler pour donner
un avis précis fur l'inoculation , fes avantages ou
inconvéniens , & fur les précautions auxquelles
il conviendroit d'affujettir ceux qui pratiqueroient
l'inoculation ou qui la recevroient , fup-.
pofé qu'elle dût être permife ou tolérée ; que
cet avis feroit remis au Procureur Général du
Roi, pour être communiqué à la Faculté de Théologie
, qui s'affemblera en conféquence , & donnera
fuivant les ulages , fon avis fur le même objet ,
lequel fera de même remis au Procureur- Général,
pour être pris par la Cour , ſur ces avis ,
telles conclufions qu'il appartiendra : en attendant
, la Cour défend provifoirement à toutes
perfonnes de pratiquer l'inoculation , & de fe faire
inoculer dans les Villes & Fauxbourgs du reffort
du Parlement, & à celles qui auroient été inoculées,
de communiquer avec d'autres perfonnes que
celles qui font néceffaires à leur foulagement ,
depuis le jour qu'elles auront été inoculées jufqu'au
délai de fix femaines après leur guérifon.
Le vingt - neuviéme Tirage de la Loterie de
l'Hôtel- de-Ville , s'eft fait le 2 Mai en la maniere
accoutumée. Le Lot de cinquante mille liv.
eſt échu au Numéro 26161 , celui de vingt mille
livres au Numéro 39981 , & les deux de dix mille
livres aux Numéros 38880 & 37127 .
Le 6 Juin , on a tiré la Loterie de l'Ecole Royale
Militaire. Les numéros fortis de la roue de for208
MERCURE DE FRANCE.
tune , font , 40 , 65 , 43 , 15 , 5s . Le prochain
tirage fe fera les Juillet.
MARIAGES.
La célébration du mariage du Duc de la Tré--
moille avec la Princeſſe Marie de Salm s'eft faite
le 20 Juin en l'Eglife Paroiffiale de S. Jacques du
Haut- Pas. La bénédiction nuptiale leur a été donnée
par le Prince Colonne , Nonce de Sa Sainteté,
en préſence du fieur Cochin , Curé de ladite Paroiffe.
Le même jour , Charles- François-Céfar le Tel-:
lier , Marquis de Montmirel , Brigadier des Armées
du Roi , Capitaine- Colonel des cent Suiffes>
de la Garde ordinaire du Corps de Sa Majesté , &
Meftre-de-Camp du Régiment Royal- Rouffillon ,
Cavalerie , a épousé dans la Paroiffe de S. Gervais
Charlotte-Benigne le Ragois de Bretonvilliers
veuve de Marc-Antoine-Front de Beaupoil , Mar--
quis de Lanmary.
MORTS.
,
La Comceffe de Fontenois , veuve de François i
de Saint Blein , Marquis de Vaudremont , Colo-→
nel d'un Régiment de Cavalerie de fon nom ,
eft morte dans fon Château de Vaudremont en
Champagne
"
Louife- Magdeleine de Courtarvel de Pezé ,
épouſe d'Armand- Mathurin , Marquis de Vaſſé
Vidame du Mans , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , eft morte le 18 de ce mois au Châ-i
teau de l'lfle Savary près de Châtillon - fur- Indre , '
âgée de trente-cinq ans. Elle étoit fille de Hubert
de Courtarvel , Marquis de Pezé , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , Colonel - Lieutenant &
Inſpecteur du Régiment du Roi , Infanterie , Gou
JUILLET. 1763 . 209
verneur des Ville & Château de Rennes , ainfi que
du Château de la Muette , & défigné Chevalier
des Ordres de Sa Majefté , mort en 1734 des
bleffures qu'il avoit reçues à Guaftalla.
*
Marie- Judith de Champagne , épouse d'Anne-
Léon de Montmorency , Marquis des Foffeux
Capitaine Lieutenant des Gendarmes de la Reine ,
& Menin de Monfeigneur le Dauphin , eft morte
en cette Ville le 23 Mai , âgée de dix - huit ans.
Marie Bonne de Caffini , époufe d'Emmanuel-
Frederic , Marquife de Tana , eft morte en cette
Ville le 24 de ce mois.
L'Abbé de Verthamont , ancien Vicaire- Général
du Diocèse de Luçon , Abbé Commendataire
de l'Abbaye Royale de Neauffle-le-Vieux , Ordre
de Saint Benoit , Diocèfe de Chartres , eſt
mort ici le 29 Mai , âgé de cinquante- fept ans.
Magdeleine- Cécile de Saint- Pierre Saint Julien ,
fille de Henry-Euftache de Saint- Pierre , Marquis
de Saint-Julien , & époufe. d'Amaury , Marquis
de Goyon de Marcé , Maréchal des Camps &
Armées du Roi , eft morte en cette Ville le 26
Mai , âgée de trente- neuf ans,
Philippe Taboureau , veuve de Gabrielle Taf
chereau de Baudri , Confeiller d'Etat ordinaire &
Intendant des Finances , eft morte le 27 du même
mois , dans la foixante- quinziéme année de fon
âge.
Marie-Angelique-Fremyn , Ducheffe de Bran
cas , Dame d'Honneur de Madame la Dauphine ,
eft morte en cette Ville le 7 Juin , dans la quatre-
vingt- feptiéme année de fon âge. Elle étoit
veuve de Louis- Antoine de Brancas , Duc de Vil-'
lars , Pair de France , Chevalier des Ordres du
Roi & de celui de Saint- Janvier de Naples.
Charlotte-Catherine de Beaufort , époufe de
1
210 MERCURE DE FRANCE.
Jean de Boulogne , Commandeur des Ordres du
Roi , ancien Contrôleur - Général des Finances ,
eft morte au Château de la Chapelle- Godefroid
en Champagne , les Juin , âgée de foixante-trois
ans..
L'Abbé d'Afchembroeck , chargé des affaires de
l'Electeur de Cologne , eft mort le 8 du même
mois.
-
Magdeleine Françoiſe d'Apchier , veuve de
Louis de Grimoire de Beauvoir- Duroure , Marquis
de Grifac , mourut en cette Ville le 3 Juin , dans
la foixante- quatorz éme année de fon âge.
•
9
Catherine Middleton , veuve de Michel Comte
de Rothe , Lieutenant - Général des Armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , eſt morte à Paris , le 10 du même
mois âgée de foixante- dix-huit ans. Elle
étoit fille du Lord Charles , Comte de Middleton ,
Pair d'Ecoffe , premier Gentilhomme de la Chambre
de Charles II , & Secrétaire d'Etar , fous le
regne de Jacques II; & de Catherine Brudnell-
Cardigan , Gouvernante des Enfans d'Angleterre
Bonne d'Amaris de Briqueville de la Luzerne ,
époufe, de Paul- Louis-Jean -Baptifte Camille Savari
du Breves , Marquis de Farzé , ci- devant Gouvernante
des Enfans du Prince de Condé, eft
morte le 11 du même mois , dans la quarante¬
cinquième année de fon âge.
Pons de Roffer, Marquis de Rocozel , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Grand'Croix
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis ,
Gouverneur de Montlouis , ci-devant Commandant
en Chefdans la Province de Rouffillon , eft
mort le 12 du même mois , âgé d'environ foixan
te-quatorze ans.
JUILLET. 1763. 211
AVIS.
LE Sieur DEBURE , feul fabriquant de Papier
dans la Ville de Troyes en Champagne , eft parvenu
après quantité d'épreuves réitérées & de
dépenfes , à fabriquer du Papier auffi beau que
celui de Hollande , tant en blanc , qu'en bleu ,
bon teint , brun ,violet , rouge; & autres couleurs ,
Il a eu l'honneur d'en préfenter au Miniftre qui a
le département du Commerce. On ne fçauroit
donner trop d'éloges au hieur Debure . Sa découverte
fournit une reffource confidérable à notre
Commerce , puifqu'elle va faire ceffer l'obligation
où nous étions d'avoir recours à l'Etranger
pour nous procurer ces fortes de Papiers,
Les Perfonnes qui fouhaiteront s'en procurer ,
font prices de s'adreffer directement au fieur Débure
qui leur en fera bonne compofition..
Le Sieur MAILLE , habile Diſtillateur dont nous
annonçons de temps en temps quelques nouvelles
compofitions , avertit les perfonnes qui partent
pour les Ifles , & qui auront envie d'emporter de
fes différens Vinaigres ,dont l'ufage eft fi néceffaire
aux Ifles , qu'elles peuvent le faire fans craindre
que le tranfport quelqu'éloigné qu'il foit , puiffe
les corrompre. Il continue avec fuccès la vente
du Courier de Cythere , liqueur nouvelle qui par
la délicateffe de fon goûr , peut paffer pour une
des meilleures qui ayent paru jufqu'à préfent , &
débite avec autant de fuccès le Ratafiat des Sultannes
& le Ċaffis blanc , qui a la propriété de
fortifier l'eftomach , & de faciliter la digeftion.
Le Vinaigre Romain , qu'il diftribue pour conferver
les dents , les blanchir , arrêter le progrès de
la Carie, en préferver les dents , faines , raffermir
112 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs alvéoles celles qui peuvent être ébran→
lées , guérir les petits chancres & les ulceres de la
bouche , adoucir l'haleine & rafraîchir les lévres 7.
remplit conftamment toutes ces propriétes . Il débite
auffi différens Vinaigres pour guérir les dartres
farineuſes & les boutons , noircir les cheveux
roux ou blancs , ôter les taches & mafques de
couche , blanchir le vifage & empêcher les rides.
de la peau ; & le Vinaigre des quatre voleurs ,
préfervatif excellent contre tout air contagieux.
On trouve encore chez lui des liqueurs & des Eaux
d'odeurs de toute eſpéce , & deux cens fortes de
Vinaigres , foit pour l'ufage de la table , foit pour
celui du bain & de la toilette. Pour le Courrier de
Cythere & les autres liqueurs , il faut s'adreffer à
fon Magafin à Sèvre près de Paris , route de Verfailles;
& pour les Vinaigres en fa Maifon à Paris ,
rue S. André- des- Arcs, la troifiéme Porte cochere
à droite. Le prix des bouteilles de pinte de Caffis
blanc eft de 4 liv. celui du Ratafiat des Sultannesde
6 liv. & celui du Courier de Cythere de 8 liv.
les moindres bouteilles de Vinaigre pour les dents
ou autres ufages font de 3 liv . En écrivant une
lettre d'Avis au fieur Maille , ' foit à Paris , ſoit à
Sèvre , & moyennant la remiſe de l'argent par la
Pofte, le tour franc de Port , il fait exactement
tous les envois qu'on demande , avec les inftructions
néceffaires.
PROPRIÉTÉ & vertus d'une graiſſe d'Ours
apprêtéepour la confervation des cheveux
Par le Sieur LAVAULT .
Cette graiffe d'Ours déja connue du Public , dès
le mois de Juin 1761 , & annoncée dans plufieurs
feuilles périodiques , n'eft pas des parties ordinaires
de l'Animal, mais de la feule criniere mêlée
5
JUILLET. 1763. 213
avec le fuc des plantes choifies ; elle fait croître
& entretient les cheveux lorfqu'une tête commence
à le dépouiller , & lors même que les cheveux
font tombés par féchereffe , maladie ou autre
accident; cette graille les répare, excepté toutefois
les têtes complettement chauves.
Les perfonnes qui voudront ſe ſervir de cette
graiffe , en mettront dans les racines des cheveux
Leulement , après s'être peignées à fond , & un
peu de poudre pardeflus. Il fuffit de mettre de
cette graiffe deux fois par femaine.
Le lieur Lavault a des connoiffances particulieres
fur la nature des cheveux ; c'est l'étude de
toute la vie, ceux & celles qui ont fait ufage de
cette graiffe d'Ours préparée s'en font bien trouvés
& continuent toujours de s'en fſervir dans le
befoin.
Vû la facilité que le fieur Lavault a depuis la
Paix, d'avoir la graiffe d'Ours , & des fimples pour
compofer fa pommade , il donnera déformais les
Pots qu'il vendoit 3 liv . pour 2 liv. & ceux qu'il
vendoit 6 liv. pour 4 liv . lui feul en a le fecret .
On le trouve chez lui à l'entrée de la rue des
Cordeliers au Bureau de Loterie de l'Ecole Royale
Militaire , au troifiéme , du côté de la Comédie
Françoife , & au Bureau de cette Loterie dans la
même Maifon.
AVIS AU PUBLIC.
pa
Le Sieur Coué qui a été annoncé dans le Mer-
-cure du mois d'Avril 1761 & Janvier 1762 , feul
Auteur des véritables Cuirs de la Chine fans
reils pour repaffer toutes lames tranchantes
comme rafoirs , Canifs , Couteaux , & c , avec
lefquels Cuirs les pierres deviennent inutiles ,
l'huile étant la nourriture defdits Cuirs fait
214 MERCURE DE FRANCE .
auffi des Cuirs qui empêchent les rafoirs de grof
fir. Les applaudiffemens quil a recus & qu'il recoit
tous les jours de ces compofitions , lai ont
fait redoubler fes foins & fes attentions pour
parvenir au dernier degré de perfection dans ce
genre , & il prie les perfonnes qui douteront
de fon annonce , de venir chez lui en faire les
expériences . Cette derniere compofition' n'eft que
de deux fortes d'huiles avec lefquelles les Cuirs
font apprêtés & qui font la nourriture defdits
Cuirs.
3
Le prix des deux Phioles eft de
Le prix des Cuirs pour les rafoirs ,
Et idem ,
Ceux pour dégroffir ,
Pour les Couteaux
Pour les Canifs ,
71
3 liv.
2 liv.
3
liv.
6 liv.
1liv to f.
Iliv.
Pour les perfonnes qui defireront s'abonner
à l'année , le Sieur Coué tiendra un regiftre de
leurs noms , qualités & demenres , & il fournira
tous les ans des Cairs neufs de toutes les qualités
annoncées , en lui remettant les vieux . Ceux
qui feront coupés ou caffés feront payés au prix.
courant. I prie les perfonnes qui lui écriront
d'affranchir les Lettres.
5.Il demeuré rue S. Germain l'Auxerrois , visà-
vis l'Arche Pepin , à Paris.
·
9714
N. B: Par l'épreuve que nombre de perfonnes
& nous-mêmes avons faite de ces ? Cuirs ,
nous ne pouvons en porter qu'un très-bon témoignage.
さん"
757 "
Pand 7 89. r > alc
JUILLET. 1763 .
215
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier ,
le fecond volume du Mercure de Juillet 1763 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puille en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 15 Juillet 1763 .
GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
ARTICLE PREMTERIJAVUO $
VERS fur la Statue érigée à Sa Majeſté. Pag.s
ÉLOGE de l'inconftance.
LA Truye & la Lionne , Fable.
BOUQUET à Mlle .
RÉFLEXIONS fur Henri IV.
12
14
ibid.
L'ANNEE ruftique , Poëme par M. de B.... 24
VERS fur le temps qu'il a fait le jour du Feu.
IBRAHIM & Gémaille , Hiftoire Turque!
LA Méchanceté peu redoutable , Fable! A
PARODIE.
Au Temps , Ode Anacréontique.
SECOND Caractère du vrai Philoſophe.
ENIGMES .
J ...700n
CIV
31
44
LOGOGRYPHES .
CHANSON .
65
64 & 65
ibid .
ART . II. NOUVELLES LITTÉRAIRES., (
SUITE du fecond Livre de la Bhaxfale.su 68
216 MERCURE DE FRANCE.
!
EXRRAIT d'une Lettre écrite de la Fléche
à M. V *** .
DICTIONNAIRE portatif des Théâtres , par
M. de Léris.
ANNONCES de Livres.
85
୨୦
95 &fuiv.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
ASSEMBLEE publique de l'Académie Royale
des Belles- Lettres de LA ROCHELLE.
AGRICULTURE .
SEANCE publique de l'Académie Royale de
Chirurgie.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES.
MECHANIQUE.
NOUVELLE Roue pour la Coutellerie. "
ARTS
AGRÉABLES .
GRAVURE.
ART. V.
SPECTACLES. •
ACADEMIE Royale de Mafique.
COMÉDIE
Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
SUITE des Nouvelles Politiques de Juin.
NOUVELLES Politiques de Juillet.
MARIAGES.
MORTS.
• AVIS.
51
99
109
116
129
133
I 34
ibid.
166
188
208
ibid.
211
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIE AU ROI .
AOUST. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filius inv
RepilonSculp
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
,
E Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est- à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideſſus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affran
chis , resteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à and'en
marquer le prix, noncer ,
Le Nouveau Choix de Pièces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure . Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a juf,
qu'à préfent quatre- vingt-quinze volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante - douziéme .
25
ર
MERCURE
DE FRANCE.
AOUS ST. 1763 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUR LA STATUE EQUESTRE
DU ROI.
AINST trois Monarques chéris ,
Ont illuftré l'Airain, & décoré Paris ;
La gloire qui les environne,
Comme un Soleil dans fon azur ,
Répand fon éclat toujours pur ,
Sur l'Héritier de leur Couronne ,
De leurs Vertus , de leurs Exploits.
Son Image , l'éffor d'une divine flâme ,
Nous offre ici , tout à la fois ,
A iij
6 MERCURE
DE FRANCE :
Son efprit , fon coeur , & ſon âme
Dans les traits , quelle vérité !
Que de grandeur , de majeſté !
A nos j uftes defirs il n'eft donc plus d'obſtacle
Jouiffons d'un fi doux ſpectacle ,
Et contemplons dans tout fon jour ,
LI MONUMENT DU ZELE ET DE L'AMOUR,
Noble Courfier , tu nous rappelles
Ceux que pour répandre l'effroi ,
Ont monté le Vainqueur d'Arbelles ,
Et le Héros de Fontenoi.
Qu'infpiré par les Grâces mêmes ,
Le Talent fe fignale , enrichi de leur Don ;
VERTUS , vos attributs fuprêmes ,
Nous peindront mieux LOUIS que ne fait
Bouchardon.
Toi , dont la Parque ennemie ,
Trop-tôt , hélas ! a terminé la vie ;
De ton cifeau , fiprécieux pour nous,
Un Artifte fameux auroit été jaloux .
Mais parmi les Héros , la Grèce entiere eût- elle
Offert à Phidias, un fi parfait modèle
Rien de mortel n'eft en ce lieu.
Tel cet Apollon ** qu'on renomme ,
* Le voile levé , qui couvroit la Statue .
** L'Apollon du Varican . L'Auteur a oui dire
plufieurs fois à un de fes amis , Recteur de l'AcaAOUST.
1763.
Eft moins la figure d'un homme
Que la reffemblance d'un Dieu.
Siécles futurs, qui luirez fur la France ,
Quels Deftins nous vous annonçons !
Vous aurez part à la douce influence
De l'Aftre dont nous jouiffons.
De fon Peuple qui le contemple ,
LOUIS reçoit les tendres voeux .
Quel Modèle pour nos Neveux !
Pour leurs Souverains , quel Exemple !
Defcends du célefte Lambris ,
Defcends , Déeffe * bienfaiſante ,
Viens couronner de ta main triomphante ,
Le plus cher de tes Favoris ;
Dans le fein des combats , c'eſt à toi qu'il afpire ,
Il t'a voué fon coeur , ton regne eſt ſon Empire ;
Les Arts , long-tems captifs fous un Dieu deſtructeur
,
Béniffent leur Libérateur ;
Et pour le célébrer par d'infignes merveilles ,
démie Royale de Peinture , qui avoit été longtems
à Rome , que cette Statue étoit d'une fi grande
beauté qu'elle fembloit avoir quelque chofe de
divin , & il ajoutoit dans une forte d'enthoufiame ,
qu'elle rendoit en quelque façon excufable l'aveuglement
des Payens dans leur culte à fon égard.
D'où l'on peut conclure , en paffant , que l'habileté
des anciens Statuaires n'a pas peu
perpétuer l'Idolâtrie.
La Paix.
contribué à
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Prodiguent à l'envi , leur génie & leursveilles.
Phébus , fixant fur lui , fes regards pleins de feur ,
En deviendra plus lumineux ;
La Nuit , en déployant fes voiles ,
Ceindra fon front de mille étoiles ,
Tandis que Diane , à fon tour,
Succédant au Char de fon frère ,
Pour voir plus à loiſir , l'objet de ſon amour ,
Parcourera lentement l'Hémiſphère
Dans ce calme reſpectueux ,
Qu'accroîtra du Héros l'aſpect majeſtueux.
Ainfi le Ciel nous fert d'exemple ,
It adopte ce Monument ,
Ainfi, Grand Roi , le Firmament
Sera la voûte de ton Temple ,
De ce Temple où naîtront les plus faintes ardeurs
Et dont les Autels font nos coeurs.
A l'immortalité, quel droit plus légitime ,
Que de ces mêmes coeurs le fuffrage unanime !
Et quel gage plus sûr , qu'un encens précieux ,
Qui fortant de nos mains , s'éleve jufqu'aux Cieux .
Du Couchant à l'Aurore on verra d'âge en âge ,
On verra du Midi , juſques à l'Aquilon ,
Les Peuples accourir , fur le bruit de ton nom ,
Pour te connoître au moins , dans ton auguſte
Image.
A O UST. 1763. 9
Que du plus fameuxdes Romains ,
Qu'Amour foumit à fon Empire ,
La tendre , l'élégante Lyre
N'a - t- elle paffé dans mes mains !
J'aurois avec cette énergie
Dont il célébra l'éffigie
D'un Empereur , qui toutefois ,.
Flétrit les roles de la vie
Du fidèle Amant de Julie ,
J'aurois d'une éclatante voix ,
091
& Deod
Chanté l' Augufte des François ;
F'aurois ....mais fur la double cime ,
(Hé! pourquoi le diffimuler ) :
Malgré le zèle qui m'anime ,
Hélas ! je ne puis plus volers
Je n'aurois voulu de fa flâme ,
Qu'une étincelle feulement ,.
Pour exprimer en ce moment ,
Ce que je reflens dans mon âme:
Vain elpoir , inutile effort ! o
hig
Ce n'eft qu'aux Nourriçons des Filles de Mémoire ,
Ce n'est qu'à leur jeune transport , U
Source de talens & deglaire b
Qu'il appartient de chanter dignement , i
DU ZELE ET DE L'AMOUR , L'ÉTERNEL MÓNU 贊
MENTɑ to
Fe l'ai fenti , j'ai trop écouté mon courage ,
Mon empreffement & ma foi
molub angiol),cien mit n
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais j'efpérois encor , plein d'ardeur pour mon
Roi,
Voir fondre la glace de l'âge.
TANEY OT,
A Mlle B ... qui difoit à l'Auteur qu'il
nefalloit qu'un RIEN pour lui plaire
ou pour la fâcher.
ΑAνu beau Séxe ſouvent un rien peut faire offenſe
;
Le foupçonneux honneur qui fuit partout fesipas ,
Effarouche d'un mot la timide décence ,
Qui fur un ton d'indifférence
Doit compoſer tous les appas,
Un rien trouble fon âme ,
Un rien la fait rougir ,
Un innocent foupir
Remplit font coeur de flâme.
Un rien altére fa beauté, k
Un rien donne un luftre à fes charmesy
Un rien excite fa fierté ,
Un rien lui fait verfer des larmes ,
Un rien peut expoſer au plus rigoureux fort ,
Un rien fait excufer un aveu téméraires
Un rien enfeigne l'art de plaire ,
Un rien nous éloigne du Port.
AOUST. 1763. 1 I
Par fes riens quels qu'ils foient , fouvent un Petit-
Maître ,
Obtient fans la fentir , la plus douce faveur ;
Tandis qu'un tendre amant n'oſe faire paroître
De fon timide feu la plus fimple lueur.
Séxe enchanteur ! un rien vous fait ombrage ,
Un rien trouble votre bonheur.
Tircis eft-il abfent , vous le croyez volage ;
S'il eſt auprès de vous , vous doutez de fon coeur;
TH. Bon. de la Rochelle .
ÉPITRE à Mlle D. S. P.
Vous de qui le charmant fourire
Enchante fans prétention ,
S. P ... fi mon léger crayon
Vous peint fous le nom de Thémire ,
Ce n'eft point une fiction.
De la plus naïve Bergère
Vous avez l'attrait féducteur ;
Sans que l'efprit commande au coeur
Vous avez le talent de plaires
Voilà tout l'art de la beauté :
Il ne vous manque en vérité ,
Que le corfet & la houlette .
Tandis que la vaine coquette ,
Sans ceffe un miroir à la main ,
Voit écouler chaque matin
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
A l'étude de fa toilette ,
Place une mouche avec deffein
Et par le rouge qu'elle apprête
Ranime fon vifage éteint.
Le coloris de votre teint
Ne doit rien à votre parure ,
Vous le tenez de la Nature:
Il coûte peu, fa beauté dure,
Et fon effet eft plus certain.
Devotre fexe, ô ma Thémire,
Vous raffemblez les agrémens ;
Mais vos goûts font bien différens :
L'on ne vous entend point médire
A tous propos , fur les paffans
Lâcher l'épigramme , puis rire.
L'on ne vous voit point fur les rangs
Parmi nos Belles étalées ,
Dans de fpacieuſes allées ,
Minauder d'un air dédaigneur ;-
Nile Petit- Maître ennuyeux
Lorgner votre aimable figure ,
Et dire d'un ton précieux
Elle n'eft pas mal , je vous jure !'
Thémire , vous aimez bien mieux
Tous les foirs fous le frais ombrage
Que procure le Maronnier
Avec la vive , le Tel
Jouir des momens du jeune âge,
Et déçem mnt vous égayer.
AOUST. 1763. 13
Tout à la fois heureufe & fage ,
Puiffiez -vous encore longtemps !
Goûter ces plaifirs innocens !
Il en eft , aimable Thémire ,
De plus parfaits , de plus touchans ,
L'amour par vos yeux les infpire ,
Et dans mon âme je les fens.
#1 Juillet 1763,
DESHALLIERS.
RÉPONSE à une Demoiselle qui demandoit
à l'Auteur quelle étoit la
différence de l'amour au mariage.
DBE l'amour à l'hymen telle eft la différence ,
Que le premier finit quand le ſecond commence.
Par M. M. ...
TROISIÈME CARACTÉRE
DU VRAI PHILOSOPHE
AMI FIDELE.
Virtutum amicitia , non vitiorum comes.
L'AMITIÉ
Ciceron.
' AMITIÉ fut toujours la compagne
fidelle de la vertu , comme elle en eft le
14 MERCURE DE FRANCE.
foutien & la récompenfe . Elle ne régne
jamais fur des coeurs vicieux , car l'amitié
qui n'eft autre chofe que la vertu
même , eft auffi oppofée au vice , que
la lumière aux ténébres. Pour fe convaincre
de cette vérité , il ne s'agit que
d'analyfer ce fentiment fi pur ; il ne s'agit
, dis-je , que de bien connoître l'amitié.
Préfent du Ciel * ! Doux charme des humains !
O divine amitié ! viens pénétrer nos âmes !
Les coeurs éclalfés de tes flammes
Avec des plaifirs purs n'ont que des jours fereins
C'eſt dans tes noeuds charmans que tout eft jouiffance
;
Le temps ajoute encore un luftre à ta beautés
L'amour te laiffe la conftance ;
Et tu ferois la volupté,
Si l'homme avoit fon innocence.
L'amitié eft un feu facré qui échauffe
& nourrit les coeurs vertueux ; c'eft un
lien précieux qui attache une âme à une
autre ; une douce fympathie fondée ordinairement
fur une parfaite conformité
d'humeur , de caractère & de fentimens ;
union d'autant plus folide qu'elle a pour
Monologue de CASTOR & POLLUX.
AOUST. 1763. IS
bafe la religion , l'honneur , l'èftime &
la confidération ; alliance fublime & refpectable
, elle tire tout fon éclat du mérite
& de la vertu . Volupté pure ! C'eſt
une forte d'yvreffe qui procure des
plaifirs que l'éloquence humaine ne peut
dignement exprimer , mais que le coeur
feul , qui en est fortement pénétré , fent
plus vivement. C'eft un commerce heureux
, où tout eft commun entre les Parties
contractantes ; mêmes plaifirs , mêmes
chagrins , mêmes confolations. Circonftances
douloureufes ! Evénemens
fàcheux ! O amitié ! que de larmes vos
mains généreufes n'ont - elles point éffuyées
? Votre coeur attendri fur nos
maux ; ces pleurs que vous verfez ; ce fein
toujours ouvert pour recevoir nos tendres
épanchemens ; ce fein , dis - je , le
plus cher confident de nos malheurs , le
dépofitaire facré de nos peines ... qui
ne fe fentiroit pas foulagé , lorfqu'on'
vous voit chargé du fardeau accablant
de nos propres, douleurs !
Pollicitifervare fidem , fanctumque vereri
Numen amicitiæ , mores , non munera amare.
Tels font les caractères de l'amitié.
Odivine amitié , fource du vrai bonheur , ]
Volupté pure , amour du Sage !
16 MERCURE DE FRANCE.
Viens échauffer mon efprit & mon coeur ,
Infpire , & prête-moi ton fublime langage !
Le coeur de l'honnête homme , de
P'homme vertueux eft le feul afyle digne.
de fixer le fejour de l'amitié ; parce qu'il
eft feul capable de remplir les devoirs.
qu'elle prefcrit. Familiarifé , pour ainfi
dire , avec la vertu , il faifit avec empref
fement tout ce qui favorife ce penchant
heureux qui le porte vers le bien &
l'honnête . Tout ce qui eft vertu a des
droits fur fon coeur ; l'amitié en lui découvrant
une fource de bonheur pour
lui -même , lui préfente les moyens de
contribuer à celui des autres. Elle ne
confifte pas dans les difcours , dans les
vaines proteftations de fervice , dans lesdémonſtrations
frivoles & ftériles ; les
amis de cette efpéce font les amis du
temps . Tâchons de peindre fidélement
ces indignes fimulachres; éffayons de dévoiler
leur fauffeté , pour éviter de tomber
dans leurs piéges.
Tymante , Courtiſan adulateur , initié
dans le mystère des Cours ; homme à
l'extérieur , ouvert , poli , prévenant , affectueux
, empreffé ; qui , fous les dehors
fardés de l'amitié la plus vive , vole audevant
de vous , vous accable de caref
AOUST. 1763 . 17
fes , s'offre à vous produire chez le Miniftre
, fe charge même de folliciter en
votre abfence ... Arifte,franc & honnête,
qui juge toujours favorablement d'autrui
; que fon goût décide à quitter un
féjour où l'ennui l'accable ; qui préfére
le repos & la tranquillité aux démar
ches fatiguantes ; qui connoît peu l'étiquette
des Cours , & la façon de fe
comporter auprès des Grands , confie
à Tymante fes intérêts les plus chers , fa
fortune , fon honneur & fa gloire ....
mais le temps va bientôt convaincre
Arifte de fon imprudence. Il n'obtient
rien , parce qu'on n'a rien demandé pour
lui ; fon abfence l'a fait oublier . Tyman
auffi fécond en prétextes , que faux
dans fes proteftations , fe plaît encore à
abufer le trop crédule Arifte. Il pouffe
même la fauffeté jufqu'à faire tomber
fur lui- même les grâces qu'il devoit folliciter
pour Arifte . De pareils monftres
devroient-ils porter le nom d'hommes ?
Et ne devroit- on pas pour perpétuer leur
infamie , en imprimer le figne fur leur
front ?
L'adverfité eft le creufet de l'amitié.
C'est alors que ce fentiment généreux
s'épure de tout alliage de politique &
d'intérêt. Ce n'eft que dans les circonf
18 MERCURE DE FRANCE.
tances critiques de la vie qu'on reconnoît
les véritables amis.
Eugène joignoit à la fortune la plus
brillante une naiffance diftinguée , & à
la décoration d'une des plus importantes
charges de l'Etat , la confidération
& l'eftime publique. Doué d'un mérite
rare & d'un naturel bienfaifant , il aimoit
à obliger moins par fafte que par
le feul plaifir du bienfait. Une foule
d'amis ou foi-difant tels s'empreffoient
de lui faire la cour. Eugéne avoit l'oreille
de fon Souverain . Les uns le
courtifoient par vanité : il eft du bon
ton dans le monde de pouvoir reclamer
dans l'occafion la connoiffance des
perfonnes illuftres & confidérées ; on
croit par-là acquerir de la confidération
parmi fes égaux , & s'attirer une forte
de refpect , de la part de fes inférieurs:
Les autres s'attachoient à Eugène par
intérêt , & ce n'étoit pas le plus petit
nombre. Eugène étoit l'homme du jour ,
le canal des grâces. Les Parafites inondoient
fa table ; fes propos étoient des
oracles ; des gens à talens lui confacroient
leurs veilles ; Eugène enfin étoit l'Idôle
du fiécle . Mais la Scène va changer.
Eugène avoit à la Cour un puiffant
Adverfaire qui éclairoit de près toutes
AOUST. 1763. 19
fes démarches. Eugène , un jour dans
un cercle de perfonnes qu'il avoit lieu de
croire fes amis , les ayant comblées de
fes bienfaits , Eugène , dis-je , témoin
d'une injuftice des plus criantes , & à
laquelle il n'avoit point participé , avoit
plaint le trifte fort de quelques malheureux
, facrifiés à d'indignes oppreffeurs .
On recueillit fes difcours ; on les envenima.
Eugène , quelques jours après eft
difgracié ; on le dépouille de fes charges
& de fa fortune ; un indigne concurrent
lui fuccéde , & quelques débris de fon
ancienne opulence lui laiffent à peine
dequoi vivre. Eugène alors reclame fes
amis ; il n'en rétrouve aucun ; on ne le
connoît plus ; fon mérite , fes talens &
fes vertus s'évanouiffent avec fa faveur; &
ceux qu'il avoit comblés de bienfaits ,
font les premiers à condamner fon imprudence
.
LES AMIS DU SIÈCLE ,
FABLE.
CERTAIN Arbre chargé de fruits
Se croyoit le plus beau de tout le voisinage ;
Il s'eftimoit d'un fi grand prix
Qu'aux fiens il tenoit ce langage :
Mes amis , difoit- il , le foir & le matin
20 MERCURE DE FRANCE .
» On vient me vifiter ; le Maître & fa famille
» Veillent fans ceffe à mon deftin.
»La nuit fouvent je fuis courtifé par la fille.
Le pauvre Sot reconnut fon erreur ;
Dépouillé de fes fruits il ne vit plus fon Maître..
On fourmille d'amis , quand on eft en faveur
Dans la difgrace on les voit difparaître.
Les vrais amis font rares , parce qu'il
eft peu d'hommes vertueux. On trouvè
cependant encore de ces amis fincères, de
ces vrais Philofophes, qui renfermés dans
le cercle étroit d'un petit nombre d'amis,
fe témoignent une confiance réciproque,
fe communiquent leurs fumières, fe foutiennent
par leurs confeils , tendent au
même but , & fe portent à l'amour du
bien & à la pratique de la vertu . La
véritable amitié eft fondée fur la confiance
, l'eftime & la vertu . Toute liaifon
fondée fur le déréglement & l'intérêt
, n'eft qu'une amitié fauffe , que
le temps , l'abfence & la Raifon détruiſent.
FRAGMENT d'une Lettre pour fervir
de juftification à un ami outrage.
Infulter au malheur des autres , c'est
mettre le comble à l'inhumanité. Tel eft
AOUST. 1763. 21
le caractère vil & méprifable de ces
monftres qui n'approchent les Grands
que pour accabler l'innocence & la diffamer.
Telle eft la coupable intention
de ceux s'efforcent de détruire un pris
de vous , Monfieur , les impreffions :
heureufes du mérite & des vertus de
l'infortuné Eugene , qu'on veut noircir
dans votre efprit & bannir de vot
coeur ; un homme qui a fait fes preuves
du zéle & de l'attachement le plus inviolable
; qui a foutenu dans tous les temps
les intérêts de votre gloire ; un homme
qui n'a des ennemis que parce qu'il vous
aime & qu'il eft honnête homme ; qui
ne parla jamais de vous qu'avec attendriffement
; qui s'eft facrifié pour vous ;
qui le feroit encore ; & qui défie fes
ennemis de le convaincre de leurs perfides
imputations.
Fermez doncs Monfieur , fermez la
bouche à fes perfides ennemis par un
témoignage authentique & public de
votre eftime , par des preuves éclatantes
de vos bontés. Plus il eft malheureux
plus il eft digne de la juftice qui lui eſt
due. Seriez-vous le dernier à la lui ren
dre ?
Je n'entreprendrai point de décrier &
de détruire fes ennemis ; je les livre à
22 MERCURE DE FRANCE.
leurs remords : je ne veux que juſtifier
mon ami ; & fi vous êtes jufte , vous
m'en applaudirez .
DAGUES DE CLAIR FONTAINES,
t
DIS
A Madame D ***
Es maux apportés par Pandore
Vous fubites les plus cruels ;
L'amour qui craint pour ſes Autels ,
De vos jours ranima l'aurore.
Faite pour plaire & pour charmer .
Le Dieu , le Monarque & le Sage,
Daignez auffi favoir aimer ;
C'eſt votre plus bel appanage.
L'amour est un enfant charmant ,
La vie & l'âme de votre âge.
C'eſt peu qu'en donner ſeulement ;
C'eft beaucoup quand on le partage.
Lui- même il détourna les traits
De ce mal craint d'un beau vifage :
Hélas ! ne l'oubliez jamais ;
Ce n'eft point en vain qu'on l'outrage.
Vous lui devez tous vos attraits ;
Il a des droits fur fon ouvrage ,
Par M. le Marquis de V ***.
AO UST. 1763. 23
PORTRAIT de Madame de P **.
JOINDRE aux grâces de la figure
Le charme vrai du Sentiment :
Paré des mains de la Nature ,
Méprifer tout autre ornement i
D'une volupté douce & pure
Céder au tendre mouvement
Si l'on vouloit fidélement
D'Eglé nous tracer la peinture ,
Pourroit-on la rendre autrement ?
Par M. de S *
LES TOMBEAUX ,
O. D. E.
ENTRONS fous ces voutes antiques ;
Lieux confacrés à la terreur.
Déferts affreux , fombres portiques ,
Pénétrez mon ame d'horreur !
C'eſt ton fouffle que je refpire ,
Mort , viens toi- même , prends ma lyre ,
J'attends ton inſpiration !-
Deïté des fombres rivages ,
Rempliffez de triftes images
Ma nore imagination.
24 MERCURE DE FRANCE.
+
Ciel ! quelles épaiſſes ténébres ,
• Regnent dans cet affreux cahos ,
Je ne vois qu'images funébres ,
Je n'apperçois que des tombeaux !
Fuyons ...fuis-je au fein du Ténare? ...
Ah! laiffe-moi, terreur barbare ,
Laiffe enfin refpirer mes fens ...
Mais non ... que l'horreur du Cocyte ,
Pénétre mon âme interdite ,
Et refpire dans mes accens.
Dans cette région terrible ,
Je vois les gouffres entrouverts ,
Ces antres où la Parque horrible
Traça la route des Enfers.
Du fond de ces tombes affreuſes ,
Sortez , fortez , ombres fameuſes ,
Reparoiffez à mes regards ? ...
Soufflez fur leur cendre flétrie ,
Ranimez- les Efprit de vie ,
Raflemblez leurs membres épars.
Qu'entends-je fur ces fombres rives,
Quelslugubres gémiſſemens ? ...
Ah ! je vois ces ombres plaintives
Sortir du creux des monumens.
Je vois leur troupe enſanglantée
Errer , & la terre humectée ,
Semble
AOUST. 1763. 250
Semble s'abreuver de leur fang .
Près de cette tombe fatale ,
Je vois le Héros de Pharfale
Avec un poignard dans le flanc !
Là Caron , l'exemple de Rome ,
Semble braver l'adverfité ,
Je crois voir encor ce grand homme,
Tomber avec la liberté ;
Je vois les entrailles fumantes ,
Que déchirent les mains fanglantes.
Je vois le foutien du Sénat ,
L'illuftre & malheureux Pompée ,
Héros dont la valeur trompée,
Tomba fous un lâche attcntat.
Quel objet affreux , quel phantôme
Marche fur les pas de Sylla ? ...
C'eſt l'odieux fleau de Rome ,
Le furieux Catilina.
Mort, dérobe-moi fon image ...
Je lis encor fur fon viſage.
Les traces de fa cruauté ...
Tombez , tombez , rochers énormes ,
Couvrez de vos débris informes
Ce monftre de l'humanité.
Parois à fha vue étonnée ,
Jouer infortuné du ſort ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Edipe , quoi ta deſtinée
Te pourfuit- elle après la mort ›
Ciel ! je vois fa main déchirée,.
De fa paupière maffacrée
Arracher les reftes ſanglans.
Les mânes des Thébains frémiſſent ,
Et ces rivages retentiffent
De leurs triſtes gémiſſemens.
Fuyez , images trop affreufes ..
Paroiffez illuftres Romains ,
Yous dont les âmes vertueuſes
Firent le bonheur des humains ;
Venez Trajan & Marc- Aurelle ,
Et toi dont la gloire immortelle
Doit fon éclat à tes vertus ,
Scipion yainqueur magnanime ,
Parois , & vous âme fublime ,
Généreux & tendre Titus,
Exempte du commun naufrage,
Oùvont fe perdre nos inſtans ,
La vertu ne craint point l'outrage
De la faulx rapide des temps ;
Après le fonge de la vie ,
Elle n'eft point anéantie.
Le trépas fixe fon deftin !
Non, mort , non , tu n'es point terribles
Je te verrois d'un ceil paifible ....
Tombeaux , ouvrez-moi votre fein !
A O UST. 1763 . 27
Puifque tous dans la même barque
Nous pafferons le fombre bord ,
Que m'importe-t-il que lá parqué
Avance ou retarde ma mort ?
Dans la profpérité riante ,
Du trépas la Faulx menaçante.
Nous paroît un objet affreux ;
Mais dans le fein de la difgrace ,
La mort hélas , ne nous retrace
Que la fin d'un fort malheureux.
A peine a-t-on vu la lumière ,
Qu'après ce douloureux mom ent
Il faut rentrer dans la pouffière,
Et dans l'oubli du monument..
O mort ! fi tel eft ton Empire
(
Et puifque tout ce qui refpire
Doit fuivre aveuglément tes pas ,
Tu n'es affreufe qu'au vulgaire ;
Viens me rendre au ſein de la Tèrre,
Frappe...Je ne recule pas....
Mais quelle puiffance m'entraîne
Loin de ces objets effrayans ? ..
Est -ce une illufion foudaine
Qui vient s'emparer de mes fens
Volé-je vers une autre Terre ? Defog
Un jour plus radieux m'éclaire { sto
Eft-ce un rêve délicieux nos olet •
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
Non , ce n'eft point un vain délire !
Je fuis defcendu , dans l'empire
Où régnent les mânes heureux.
Quelles ombres majestueuſes
Errant au fond de ces vallons
Sur des lyres harmonieuſes
Méditent de doctes chansons ?
Toi que le monde entier révère
Je t'apperçois, divin Homère ,
Vêtu d'une robbe d'argent .
Deux Cignes déployant leurs aîles,
Vers les demeures immortelles
Traînent fon char étincelant.
Et toi dont la mufe facile
Soupiroit d'un ton fi touchant ,
Parois ici , tendre Virgile,
Divinité du Sentiment...
Il vient brillant comme l'aurore ,
t
Et d'une main il tient encore
Le foudre puiffant des Céfars ;
De l'autre il porte la houlette,
Et mêle au fon de fa muferte
Le terrible clairon de Mars,
Eft-ce le Dieu de l'harmonie
Qui rend ces magiques accords?
C'eft Pindare , enfant du génie,
Je le connois à fes tranfports.
AOUST. 1763: 29
"
Pouffé par le Dieu qui l'infpire ,
Súr fa mélodieufe lyre
Je le vois promener les doigts ;
A travers la noble pouffière ,
Il femble encor dans la carrière
Animer un char de fa voix.
O toi , victime de l'envie.
Ovide , chantre ingénieux ,.
Hélas ! ce monftre fur ta vie :
Répandit fon fiel dangereux ! ...
Vengez- le , noires Euménides ,
Venez de vos mains homicides
Déchirer ce ſpectre hideux ;
Enfer , reçois-le dans ton gouffre,
Engloutis dans un feu de fouffre ,
Ce perfécuteur odieux 1
Ici Properce , ici Tibulle,
Chantent encore les plaifirs.
Là du Luth galant de Catulle,
L'écho répéte les foupirs.
Je les vois dans le char des graces ,
Entraîner encor fur leurs traces ,
Les Héros & même les Dieux.
Horace d'une main hardie
Touchant la Lyre d'Aufonie,
Rend des fons plus majeſtueux.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
Je veux vous fuivre , ombres charmantes.
Ah ! j'envie un fort auffi doux...
Déja dans ces plaines riantes ,
Je crois errer auprès de vous.
Daignez recevoir mes hommages!
Affis dans ces heureux boccages ,
Je méditerai vós concerts ,
Ainfi s'élevant de fonaire ,
L'aiglon fous l'aile de fa mère ,
Apprend à planer dans les airs.
Vous fuyez, aimables phantômes....
N'eft-ce donc qu'un charme trompeur ?
Ah! tels fons les plaifirs des hommes ?
Ce n'est qu'une agréable erreur
Te n'embraffe plus qu'un nuage..
Imagination volage ,
Tu féduis mon facile coeur.
Faut- il que ce ne foit qu'un fonge ...
Mais j'ai jaui d'un doux menfonge ,
Et c'est là tout notre bonheur.
BRUNEAU , G. à Châteaurenault , 20 Juin 1763.
O AUST. 1763. 31
LE
FINANCIER ,
FABLE.
NECESSITÉ n'a point de loi.
Certain manant dans la Finance
Accrocha n'aguere un emploi ;
Il n'eft talent de plus heureuſe chance ;
En moins de rien il fut dans l'opulence ;
Sur les moyens on garde le filence...
Néceffité n'a point de loi.
L'ÉTONNEMENT RÉCIPROQUE,
NOUVELLE ORIENTALE,
CHAQUE Peuple a fes uſages particuliers
, les croit excellens , & trouve
bifarres ceux des autres Nations , qui ,
de leur côté , lui rendent bien la pareille.
On a peint Démocrite occupé à rire des
défauts de fes femblables ; on pourroit
repréfenter chaque Nation occupée à
fe moquer de toutes les autres . Le climat
& la politique influent fur cette prévention
réciproque. Peut-être même eft -il
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
néceffaire que l'Habitant de la Nigritie
éprouve à l'afpe&t d'un Européen la
même répugnance qu'il infpire à ce dernier;
que l'Iroquois s'applaudiffe de ſa
rufticité & le Chinois de fes révérences ;
que l'Italien foit rufé , l'Allemand fimple
, l'Eſpagnol grave , le François gai ,
l'Anglois fombre , le Hollandois plus
fage & plus fin qu'eux tous. Prèfque
toujours le jeu d'une machine dépend de
l'oppofition de fes parties & l'éclat d'un
tableau de la variété de fes couleurs.
L'exceffive liberté dont jouiffent les
femmes parmi nous a fes inconvéniens ;
mais ils ne méritent pas qu'on préfére de
trouver en elles des efclaves au lieu de
compagnes. Ajoutez que toutes les précautions
afiatiques ne font pas toujours
efficaces. Il feroit, cependant , bien difficile
de les porter plus loin . Une femme,
dans tout l'Orient & furtout en Perfè ,
n'eft vifible que pour fon mari ; une fille
, ne l'eft pour aucun homme , pas même
pour celui qui l'époufe. Ce n'eft , dis-je,
qu'après en avoir fait fa femme , qu'il
peut juger de fa laideur ou de fa beauté.
De-là naît pour l'ordinaire d'un & d'autre
côté une furpriſe agréable ou douloureufe.
Voici un exemple où l'étonnement
fut extrême des deux parts.
AOUST. 1763 . 33
-
Un vieillard Perfan , noble d'origine ,
mais déchu d'une haute fortune , habitoit
une demeure ifolée & de la plus modefte
apparence. Là fe trouvoient en
même temps la femme & la fille de fon
fils unique. Pour ce dernier , il fervoit
dans l'armée Perfanne , en qualité d'Officier
très fubalterne & fous un nom
emprunté. Celui que portoit fon père
dans fa retraite l'étoit également ! Des
raifons de politique & de prudence les
obligeoient d'en ufer ainfi l'un & l'autre.
Tous deux avoient encouru la difgrace
du Souverain fans l'avoir méritée , &
tous deux attendoient que l'inconftance
de la Cour & des événemens leur rendît
ce qu'elle leur avoit fait perdre.
Aboutaher ( c'eft le nom fuppofé du
Vieillard ) ne jouit même pas d'un entier
repos dans fa folitude. A la Cour un
Grand eft exposé aux bourafques : en
Province un homme obfcur l'eſt encore
plus aux vexations. Aboutaher en avoit
déja effayé plus d'une de la part du Be
gler- Beg , ou Gouverneur de Ba& rianne;
& pour furcroît d'affliction , il fe vit
forcé d'aller s'en plaindre à lui- même. Il
attendoit peu de fuccès d'une pareille
démarche. N'ai - je pas , difoit-il chemin
faifant, n'ai je pas moi - même été Bégle-
By
34 MERCURE DE FRANCE .
Beg ? N'ai- je pas cherché à faire le bien
du Prince & des Sujets ? Nai - je pas été
équitable ? N'ai -je pas été déplacé ? Eftil
jufte d'exiger que le Gouverneur de la
Bactrianne fe moule fur une conduite
qui m'a fi peu réuffi ?
Il n'étoit plus qu'à deux lieues de la
réfidence de ce Commandant , lorsqu'il
fut abordé par un Coulomcha , ou Meffager
du Roi de Perfe . Un Coulomcha
n'eft pas unfimple courier : c'eft un jeune
homme de diftinction attaché à la
perfonne du Monarque , à - peu - près
fur le même pied qu'un Gentilhomme
ordinaire l'eft en France. Ces fortes de
Meffagers ne font jamais chargés que de
commiffions graves : mais une circonftance
rend cet emploi très-pénible. C'eft
qu'en Perfe , où l'on prétend que les
Poltes furent inftituées par Cyrus , il ne
refte aucunes traces de cette inftitution.
Il eft vrai que dans ce pays un Meffager
Royal eft autorifé à démonter les
paffans qu'il rencontre . Le Coulomcha
dont il s'agit avoit ufé plus d'une fois de
fon privilége depuis fon départ d'Hifpahan
. Mais il étoit à pied lorfqu'il joignit
Aboutaher qui montoit un fort bon cheval
arabe . Le fage vieillard voulut en
defcendre. Il avoit reconnu d'abord
AOUST. 1763. 35
T'emploi du jeune Gentilhomme à fon
éxterieur ; il alloit céder à l'ufage. Le
Coulomcha l'ayant fixé , lui trouva l'air fi
vénérable & fi impofant , qu'il fe fentit
ému de refpect. Non , lui dit-il , mon
pére , non je n'uferai point contre vous
d'un privilége tyrannique. Ce feroit
joindre la barbarie à l'injustice. Daignez
feulement fatisfaire ma curiofité. Habitez-
vous la Ville prochaine , où quelques
affaires vous y conduifent- elles ?
Je pofféde fi peu de chofe , reprit le vieillard
, queje devrois être exempt de toute
efpéce d'affaires. Cependant , le peu qui
m'appartient m'eft envié. Un dévot , qui
me hait , & qui peut tout fur l'efprit du
Gouverneur , prétend me dépouiller de
mon foible patrimoine fours prétexte d'y
faire conſtruire un Hôpital en faveur des
pauvres de ce canton . Le principal dédommagement
qui m'eft offert feroit d'y
être admis comme les autres.... Voilà
une abominable injuſtice , interrompit le
jeune Perfan ;je vous jure par le gendre
du Prophête , qu'elle ne fera point effectuée
. J'ai quelque crédit auprès du Gouverneur
, & d'ailleurs , j'ai un moyen
sûr pour m'en faire écouter . Soyez perfuadé
que votre Adverfaire ne fera point
preuve de charité à vos dépens .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ils porterent la converfation beaucoup
plus loin , & elle les conduifit jufqu'à
la réfidence du Bégler-beg. A peine le
Coulomcha fe fut-il acquitté de fa principale
commiffion qu'il s'occupa des intérêts
d'Aboutaher. Il le préfenta au
Gouverneur qui parut ne l'écouter
qu'avec peine , ajoutant qu'un homme
auffi pieux que l'étoit fon adverfaire ,
ne pouvoit avoir que des vues louables.
Ce Gouverneur fe piquoit lui-même de
dévotion autant que d'avarice. Il n'ordonnoit
jamais de concuffions que l'alcoran
à la main .
Le jeune Perfan , qui le connoiffoit ,
fit figne au vieillard ne pas infifter . Celui
- ci fe retira comme ils en étoient
convenus. Alors Séfi , c'eft le nom du
Coulomcha , réitera fes inftances auprès
du Gouverneur , & en vint à l'argument
"qu'il fçavoit bien devoir être décifif. II
lui revenoit , felon l'ufage , un préſent
confidérable pour fa courfe , & c'étoit
au Bégler - beg à lui faire ce préfent.
Il lui fit entendre qu'il y renonceroit
volontiers fi Aboutaher obtenoit juſtice.
L'avare Gouverneur faifit avidement
cette propofition . Il décida qu'en effet
le dévot Mufulman portoit le zéle un
peu trop loin. Aboutaher fut maintenu
AOUST. 1763. 37
dans ce qu'il poffédoit , & le Bégler-beg
y eût même ajouté quelques poffeffions
d'autrui , fi on l'eût exigé.
Séfi courut rejoindre fon protégé qui
l'engagea à venir au moins vifiter l'hermitage
qu'il lui confervoit. Le jeune
Perfan y confentit , n'ayant nul motif
de preffer fon retour à Ifpahan. Ils partent
deux jours après , & au bout d'environ
douze heures de marche , ils touchoient
à l'habitation du vieillard . Ce dernier
en faifoit un modefte détail à Séfi , &
le prioit de mettre à l'écart toute idée
de magnificence , & de fomptuofité.
Mais quelle fut la défolation d'Aboutaher
, en voyant tout-à - coup une partie
de fa maifon en flammes ? Ah ,
chere Fatime ! Ah , chere Péhri ! s'écriat-
il , qu'allez -vous devenir ? Qui vous
arrachera au péril qui vous menace ?
Hélas ! peut -être en êtes-vous déja les
victimes ?
Séfi ne lui demanda point ce que
fignifioit ce difcours . Il part avec toute
la vîteffe du cheval qu'il montoit , arrive
en un inftant à la demeure du vieillard
, & trouve un Efclave qui fe défefpéroit.
Il entend des cris lamentables
& qui fembloient fortir du fein des
38 MERCURE DE FRANCE.
flammes. Il demande à l'esclave Par où
il eft poffible de pénétrer dans l'édifice
embrafé. Ah , Seigneur ! lui répondit
I'Efclave , j'aurois déja effayé d'en tirer
Fatime & Pehri ; mais , hélas ! Je në
fuis point Eunuque , & fi malheureuſement
vous ne l'êtes pas vous -même ...
Séfi, fans répondre à ce ridicule pro→
pos , s'empare d'une maffue , enfonce
l'unique porte de ce Bâtiment qui pour
furcroît d'embarras fe trouvoit fermé ,
paffe à travers la fumée & les feux , &
pénétre jufques dans une chambre où
Fatime , Pehri , & une vieille Efclave
n'attendoient que la mort. Déja même
·les deux premieres étoient évanouies.
Séfi s'empare de celle que d'abord le
hazard lui préfente : c'étoit Pehri. Il
l'emporte à force de bras jufques dans la
cour , & la remet entre les mains d'Aboytaher
qui dans l'inftant arrivoit . Il
retourne au fecours de Fatime , & la délivre
avec le même bonheur , mais non,
fans un extrême danger pour lui -même.
Ce qui ne l'empêcha pas de vouloir s'y
expofer une troifiéme fois. Son but étoit
de fecourir la vieille Efclave : mais la
chute d'une partie du bâtiment l'empêcha
de pénétrer juſqu'à elle. Il en fut au
1
AOUST. 1763. 39
défefpoir, tant fa générofité étoit pure &
défintéreffée .
Séfi n'étoit pas moins réfervé que
généreux. Il s'étoit bien apperçu en fecourant
Péhri qu'il portoit dans fes bras
une des plus belles perfonnes de l'Orient ;
elle étoit même alors dans un défordre
qui mettoit bien des beautés dans leur
jour. Séfi fe rappelloit avec tranſport
ce qu'il en avoit apperçu . Cependant ,
ne jugeant plus fa préfence abfolument
néceffaire , il fe tenoit modeftement à
l'écart . Il n'en étoit pas ainfi de l'Eſclave
d'Aboutaher : la fin du péril avoit mis fin
à fes fcrupules , & il aidoit fon Maître à
rappeller Fatime & Pehri de leur évanouiffement.
Elles ouvrirent les yeux
l'une & l'autre ; mais le danger qu'elles
avoient couru leur étoit encore fi préfent
qu'elles doutoient de leur existence . Ah !
leur dit le vieillard , en les baignant de
fes larmes, votre furpriſe eft bien légitime
: c'étoit fait de vous fans l'arrivée
du plus généreux de tous les hommes.
Il vous a fauvé la vie en s'expofant à une
mort prèfque certaine & en s'y expofant
à plus d'un reprife. Alors ab leur détailla ,
en peu de mots , ce que Sefi avoit fait
pour elles , & même ce qu'il avoit fait
pour lui.
40 MERCURE DE FRANCE.
:
Il en faut moins pour piquer la curio
fité de deux femmes à qui la vue de
tout homme étranger eft abfolument
interdite. Aboutaher crut pouvoir déroger
à cet ufage en faveur de Séfi. D'ailleurs,
il n'avoit prèfque plus la liberté du choix.
L'appartement des femmes étoit entierement
incendié. Il falloit donc qu'elles
habitaffent le fien , qui heureuſement
étoit à l'abri des flammes , n'ayant nulle
forte de communication avec l'autre.
Ainfi , le vieillard , courant autant qu'il
le pouvoit , à Séfi , l'invita à s'approcher
de celles qui tenoient de lui un nouvel
être. A cette propofition Séft éprouva
un doux faififfement qui lui ôta la liberté
de répondre. Mais fon filence n'avoit
rien qui pût faire foupçonner un refus ;
il s'avançoit même fans prèſque s'en appercevoir,
& beaucoup plus vite que
fon introducteur , vers la falle où Fatime
& Péhril'attendoient. Il les aborde avec
un trouble que la jeune Péhri partageoit
d'avance , & qui redoubla lorſqu'elle
l'eut envisagé.
Péhri n'avoit guères que treize ans ;
mais dans ces contrées , cet âge fuffit
au beau fexe pour fentir qu'il eft en état
de plaire & pour le faire fentir à d'autres .
Séfi l'éprouvoit. Il eût également pû voir
AOUST. 1763 : 41
dans Fatime ( qui le regardoit auffi malgré
l'ufage oriental ) il eût , dis-je , pû
trouver en elle un objet capable de faire.
diverfion aux charmes de fa fille : elle
étoit encore dans la fleur de la jeuneffe
& de la beauté. Mais Séfi étoit lui- même
trop jeune pour divifer fon hommage ,
quand même Fatime & Péhri n'euffent
été que des rivales ordinaires. Il eft un
âge où le coeur devient l'efclave du premier
coup d'oeil & ne fonge ni à rompre
fes fers , ni à les étendre.
Quelques jours s'écoulerent d'une
manière très - agréable pour le jeune cou
ple , à qui la circonftance permettoit de
s'entretenir librement . Séfi rendoit grâ--
ces à l'accident qui les réuniffoit , &
Pehri ne s'en affligeoit plus. Quant au
Vieillard , il fongeoit à le réparer.. Il
foupçonnoit , intérieurement , la caufe
de cet incendie , & fes foupçons étoient
fondés . Le pieux Perfan dont il a déja
été parlé , inftruit que le Gouverneur
ceffoit d'entrer dans fes vues charitables
, avoit crû devoir fe permettre un
petit mal pour un grand bien . En conféquence
il donna ordre à un de fes
Efclaves de brûler la maifon qu'il ne
pouvoit envahir. Peut- être , difoit -il ,
brûlerons-nous , en même temps . trois
42 MERCURE DE FRANCE.
ou quatre perfonnes ; mais mon Hôpital
en fera vivre cent , & tout bien
compté la maffe des Humains gagne
à ce calcul.
&
Il y avoit fujet de croire que cet
événement jettoit Aboutaher dans plus
d'une forte d'embarras, Séfi rêvoit aux
moyens de lui faire accepter des fecours.
Il étoit partagé entre la difficulté
de les lui offrir & la crainte d'être
refufé. Il le fut en effet : Aboutaher
lui dit que fa fortune , quoique bornée ,
le mettoit en état de rétablir ce que
le feu avoit détruit . Mais il n'en admiroit
pas moins la conftante générofité
du jeune Perfan. Il regrettoit de ne
pouvoir le fixer dans fa retraite
Penvioit à la Cour fi peu digne de le
pofféder. Il falloit cependant que Séfi
en reprît bientôt le chemin ; fon devoir
l'y rappelloit fon penchant luttoit
contre ce devoir. Il eut encore divers
entretiens avec Péhry, & tous deux
s'enflâmoient de plus en plus , & tous
deux remercioient le hazard de les avoir
affranchis des entraves de l'étiquette .
Ufage barbare & ridicule ! s'écrioit
Séfi , tu nous contrains d'époufer un
objet qui nous ignore & que nous
ignorons : tu fais du lien le plus refAOUST.
1763. 43
pectable un jeu de hazard qui fouvent
ne fatisfait aucunes des deux parties !
Ah ! du moins , j'ai vu dans Péhry celle
qui doit me rendre heureux notre
union fera le fruit d'un choix éclairé
notre choix le fruit d'un penchant réciproque
& qui ne peut plus s'accroître ;
qui, fur-tout, ne pourra jamais diminuer.
On voit par ce difcours le but que fe
propofoit Sefi. Mais il n'y pouvoit parvenir
qu'après avoir quitté l'emploi qui
l'attachoit & le captivoit à la Cour.
Une femme , une Efclave même lui étoit
interdite par le Souverain . Il informa de
fes projets , & Pehry qui les trouva merveilleux
, & Aboutaher , qui en jugea
tout autrement . Le fage Vieillard l'exhorta
vivement à ne rien précipiter. A
votre âge , lui difoit-il , on doit , furtout
, ménager la faveur de fon Maître ;
il eft plus facile d'être Courtifan que
Philofophe.
Séfi , qui dans ce moment , n'étoit
qu'amoureux , fut peu ébranlé par ce
difcours . Pehry n'étoit pas mieux d'ac
cord fur ce point avec fon Ayeul. Ce
jeune couple prêt à fe féparer n'y fongeoit
qu'avec frémiffement. Il fallut
néanmoins s'y réfoudre. Il fallut mettre
fin à une fituation d'autant plus fla44
MERCURE DE FRANCE.
reufe , qu'elle étoit fans exemple dans
toute la contrée. Mais ce n'étoit point
cette fingularité que Seft regrettoit ;
c'étoit la chofe même . Ses larmes coùloient
abondamment. Pélry cachoit
une partie de fa douleur ; Aboutaler
pleuroit de tendreffe, & Fatime fans bien
pouvoir fe dire à elle - même pourquoi.
De retour à Ifpahan , Sefi fe difpofoit
à effectuer fon deffein , à quitter une
place qui afferviffort jufqu'à fon âme.
Une révolution fubite le retint à la
Cour . L'autorité & même la perfonne
du Monarque étoient menacés ;
dès-lors Séfi ne fongea plus qu'à défendre
l'une & l'autre. Il avoit été prêt
d'immoler toute ambition à l'amour
it fit céder ce même amour au devoir .
L'ennemi qu'il falloit combattre & repouffer
étoit le célébre Thomas Kouli-
Kan , ennemi d'autant plus à craindre,
qu'il ofoit tout , & qu'il joignoit une
politique profonde au courage le plus
déterminé. Ce qui achevoit de le rendre
formidable , c'eft que le Prince qu'il
vouloit fupplanter , n'avoit aucune de
ces qualités , & ignoroit jufqu'à l'art
de paroître les avoir.
On fait que l'Ufurpateur mit le comblé
aux attentats , & vit fon ambition
A O UST. 1763. 43
couronnée. Tout , cependant , ne fléchit
pas fous lui d'abord , & Séfi fe diftingua
parmi ceux qui réfifterent le
mieux & le plus longtemps . Son père lui
en eût donné l'exemple s'il avoit eu befoin
de modèle. Thamas qui avoit luimême
trop de courage pour ne pas eftimer
cette vertu dans autrui , n'épargna
rien pour s'attacher deux Sujets fi braves
& fi fidéles . Toute la Perfe étant alors
foumife & tranquille , ni l'un ni l'autre
n'avoient deffein d'exciter de nouveaux
troubles. Mais aucun des deux ne voulut
fe fixer à la Cour du Tyran , ni prendre
parti dans fes armées. Cependant il
ordonna que leurs biens qu'il avoit fait
confifquer , leur fuffent rendus. Ce n'étoit
point le feul exemple de modération
qu'il eût donnéjufqu'alors . Il affectoit ,
furtout , de réparer certaines injuftices
que fon prédéceffeur avoit commifes ,
ou laiffé commettre . Plus d'un Grand
dépouillé de fes Domaines par ce malheureux
Prince , en avoit été remis en
poffeffion par Thamas. Tant il eſt vrai
que dans un Souverain , la politique fupplée
quelquefois à la vertu & peut même
briller d'un éclat fupérieur.
Seft devenu libre , retourne en diligence
vers la retraite où le conduifoient
46 MERCURE DE FRANCE.
l'amour & l'amitié. Dépuis deux ans &
plus , qu'il avoit quitté ce féjour , il
ignoroit le fort des perfonnes qui l'habitoient.
Il voyoit fur fa route les défaftres
occafionnés par la guerre civile : il
craignoit que ces ravages ne fe fuffent
étendus jufques fur l'afyle de Péhry ; &
dans quel trouble cette idée ne le plongeoit-
elle pas ? Ce fut bien pis lorfqu'arrivé
fur les lieux mêmes , il n'y trouva
que des reftes de mafures abfolument
inhabitées ! Il faut avoir aimé , ou pour
mieux dire , il faut aimer pour la prez
mière fois , & aimer en Afiatique , pour
concevoir ce qu'éprouva Séfi à ce déplorable
aspect. Il parcourt , en homme
égaré tout le canton , s'informe de ce
qui peut concerner Aboutaher , n'apprend
rien de pofitif & retourne vingt
fois questionner une même perfonne.
Tout ce qu'on lui affirme c'est que
les troupes de Thamas ont habité &
ravagé ce pays, Mais on ignore fi le
vieillard qu'il y cherche ne l'avoit pas
quitté lui-même avant leur arrivée : incertitude
qui redoubloit l'agitation de
Séfi.
Tout ce que la jaloufie , fi naturelle
aux Orientaux , a de plus accablant &
AOUST. 1763. 47
de plus cruel , s'emparoit malgré lui de
fon âme. Tantôt il fe repréfentoit Péhri
au pouvoir de quelque Officier féroce ;
tantôt il fe la figuroit au milieu du Sérail
de l'Ufurpateur , gémiffant fur fon triſte
efclavage ; & ( ce qui lui fembloit beau,
coup plus affreux ) ! Peut -être n'en gémiffant
plus. Il fe réfout à parcourir toute
la Perfe ; va de Province en Province ,
de Ville en Ville , s'arrête fur-tout , dans
les lieux écartés , parle d'Aboutaher à
tous les humains qu'il rencontre , &
voit , avec défefpoir , que ce nom eſt
par- tout ignoré. Un an s'écoule dans ces
recherches fuperflues ; après quoi Séfi
vient retrouver fon père , auffi accablé
de fa longue abfence , que lui-même
l'étoit de celle de Péhri.
:
L'extrême affliction exige un confident
c'est un moyen prefque sûr de
la rendre fupportable, Mais il eft rare
de confier certaines foibleffes à un Vieillard
, & , furtout , à fon propre Père.
Il est encore rare que ce même Père
goûte cet aveu. Séfi dans la néceffité
où il étoit de fe plaindre , ne fit pas cette
réflexion & s'en trouva bien. D'ailleurs
l'amour eft regardé en Afie moins com
me une foibleffe que comme un befoin.
Le Père de Séfi à qui ce befoin s'étois
48 MERCURE DE FRANCE.
fait fentir autrefois , ne trouva point
étrange que fon fils l'éprouvât à fon
tour. Je te plains , lui dit- il, d'avoir perdu
cette Beauté dont tu me parles & qui
devoit t'aimer , vù ton age , ton extétérieur
& furtout la fingularité de l'aventure.
Il n'eft qu'un moyen de réparer
ce malheur , c'eft d'époufer une
femme affez belle pour te faire oublier
celle que tu regrettes ; & fi ce reméde
ne fuffit pas , d'y joindre quelques jolies
Efclaves. Il feroit fingulier qu'aucune
d'entre elles ne pût faire diverfion à
ta douleur . En tout cas fi l'objet qui
la caufe t'eft rendu quelque jour , il
te fera libre de l'époufer auffi . Le Prophête
a pourvu à ces fortes d'inconvéniens.
Ce difcours qui eût pu confoler un
Européen , fur-tout un François ; ne fit
que gliffer fur notre Afiatique. Cependant
, comme il n'eft guères poffible de
réfifter perpétuellement à des avis de
cette nature , Séfi fe laiffa vaincre. Mais
ce ne fut qu'après avoir lutté encore fix
mois & fait faire de nouvelles & inutiles
recherches d'Aboutaher & de fa famille.
Perfuadé , enfin , qu'il en étoit privé
pour jamais , il fit ce qu'exigeoit fon
père ; c'eft-à-dire qu'ayant chargé un ·
Procureur
AOUST. 1763. 49
Procureur d'époufer en fon nom , & par
le miniftere d'un autre Procureur , une
fille que ni l'un ni l'autre n'avoient jamais
vue & ne devoient jamais voir , une
fille qu'il ne connoiffoit pas lui- même ,
il avoit confenti qu'elle lui fût enfuite
amenée pour ne la voir en face qu'après
le temps fixé par l'ufage. Il la connoiffoit
, au furplus , pour la fille d'un Noble
Perfan qui habitoit le même canton que
lui , & avec qui fon père s'étoit fort lié
durant fon abfence.
Les dix jours de fêtes & de divertiffement
, fixés par la coutume , étant expirés
, la nouvelle époufe fut conduite en
pompe , mais durant la nuit , chez fon
époux , qui l'attendoit fans impatience.
Elle étoit voilée de manière qu'en
plein midi elle n'eût pas même foupçonné
qu'il fit jour. Des femmes deftinées
à la fervir , l'introduifirent dans
l'appartement qui lui eft réſervé. Elles
en fortent quand Séfi eft fuppofè prêt à
s'y rendre ; mais elles n'y laiffent aucune
lumière , & lui-même n'eft pas en droit
d'y en introduire. L'ufage le condamne
à ne voir ni à n'être vu cette première
nuit. Il entre , moins occupé de l'objet
qu'il va trouver, que de celui qu'il a perdu.
Il eft furpris d'entendre des foupirs &
C
50 MERCURE DE FRANCE.
des fanglots. Il ne peut douter de qui ils
Iartent,& cette fingularité réveille & fixe
fon attention. Il reconnoît bien- tôt que
ces fangots & ces foupirs ne font point
fimulés. Ils lui fervent de guide pour
s'approcher de fa jeune époufe. Hé quoi ,
Madame ? lui dit- il , comment dois- je
interpréter ces marques de douleur ?
Eft- ce par contrainte que vous vous
donnez à moi? Je n'exige point un pareil
facrifice .
2
L'accordée ne répondit rien , & ce filence
vouloit déjà dire beaucoup. De
grace, Madame, reprit Séfi, daignez me
répondre avec confiance & fans aucun
détour ? Peut-être aurai - je moi - même
quelque autre aveu à vous faire , Ah
Seigneur lui dit- elle ; en pleurant &
foupirant toujours , mes larmes pourroient-
elles vous outrager ? Invifible à
vos yeux comme vous l'êtes aux miens
tous deux inconnus l'un à l'autre, nous ne
pouvons encore ni nous aimer , ni nous
haïr. Peut- être en vous époufant , m'uniffé-
je à l'homme le plus parfait de
toute l'Afie. Mais , Seigneur , pardonnez
..... Elle n'en put dire davantage ;
fes fanglots la fuffoquerent de nouveau..
Séfi , que la douceur & le charme de fa
voix venoient d'affecter fingulièrement,
2
AOUST. 1763.
frémit de l'état où cette jeune perfonne
étoit réduite. Raffurez-vous , Madame ,
lui dit-il , d'un ton attendri , vous n'êtes
pas tombée entre les mains d'un barbare.
Il faudroit l'être pour abufer de votre
fituation . Je refpecterai vos fentimens &
vos regrets . Je fais par moi- même ce
qu'un premier penchant .... Mais encore
une fois , ne refufez point votre
confiance à celui qui en veut être digne
par fa franchiſe & fon équité.
Hé bien , Seigneur ! reprit-elle , d'un
ton de voix mal affuré , je vais vous faire
l'aveu d'une foibleffe que je crois excufable
& qui peut-être , vous paroîtra
légitime . Je garde encore le fouvenir de
quelqu'un à qui je dois le jour , de quelqu'un
qui pour me fauver la vie ofa
s'expofer à une mort prèfque inévitable ;
mais qui me laiffe en proie à des chagrins
plus cruels que la mort qu'il m'a
épargnée !
O ciel , s'écria Séfi , étonné du rapport
qu'il y avoit dans cette avanture &
ce qui lui étoit arrivé à lui-même;ô ciel ! ...
Mais , Madamė , reprit-il , en s'interrompant
, votre nom n'eft -il pas Zulphi ? .....
Oui, Seigneur, & c'eft auffi le nom que
portent men père & mon ayeul
Quoi ! jufqu'à fon ayeul ! difoit trif
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
tement Séfi , en fongeant à Aboutaher ;
mes efpérances ont été bientôt détruites....
N'imparte , voyons jufqu'où le
hazard peut porter la reffemblance dans
des événemens oppofés. Madame
qu'eft devenu ce libérateur qui caufe
aujourd'hui votre défefpoir ?
Mon défefpoir eft de l'ignorer, ajouta
la jeune époufe. Les événemens qui viennent
de déchirer la Perfe ont , fans.
doute , éloigné de lui toute autre idée :
peut-être a-t-il fait céder l'amour à l'ambition
; peut-être n'a-t-il jamais bien
connu l'amour.
Autre point de conformité, difoit Séfi
intérieurement : l'aimable Péhria , fans
doute , les mêmes foupçons à mon
égard , & a , peut-être , fubi la même
épreuve que celle qui me parle en cet .
inftant. Mais hélas ! fes pleurs aurontils
été refpectés ? ... Quoi qu'il en puiffe
être , je ferai généreux ; je mériterai
qu'on le foit , ou qu'on ait dû l'être envers
Pehri. Madame , ajouta-t- il , en
élevant la voix , votre deftinée & la
mienne ont entr'elles un rapport qui
m'étonne. Votre coeur n'eft plus à vous
le mien n'eft plus à moi . Vous regrettez
un amant qui vous fauva la vie ; j'eus le
bonheur de la fauver à la Beauté que je
AOUST. 1763. 53Ⓡ
regrette. Vous ignorez la deftinée de
l'un ; j'ignore celle de l'autre . Vous
foupçonnez votre amant d'inconſtance ;
j'ai les mêmes foupçons envers ma maîtreffe
, & elle peut - être envers moi :
Vous aimez encore , même en craignant
d'être oubliée ; je conferve un amour
tout femblable , en craignant un pareil
oubli . Nos âmes étoient faites pour fe
rencontrer ; c'est dommage que le hafard
ait dérangé leur cours. Mais , Ma
dame , je le répéte , je ne prétends point
tyrannifer la vôtre. Je vous admire & fuis
prêt à renoncer à vous , à vous rendre à
vous-même , puifque vous ne fauriez
être à moi volontairement.
Ah , Seigneur ! interrompit la jeune
Perfane extrêmement émue d'un procédé
fi généreux , & agitée d'un mouvement
qui l'étonnoit & qu'elle n'eût pû
définir , ah Seigneur ! je n'ai fait que
ceder aux ordres abfolus de mon père ;'
mais vous méritez un coeur uniquement
à vous & qu'aucun autre objet n'eût
prévenu d'abord .
Hé bien , Madame , ajouta Séfi , j'entrevois
un moyen de vous conferver à
votre amant & de prévenir les empor-.
temens d'un père irrité. Reftez avec
moi ; ces lieux feront déformais pour-
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
vous un afyle inviolable , un afyle que
je regarderai moi- même comme facré.
Daignez , du moins , achever de rendre
votre confident celui qui confent à
n'être votre époux que de nom . Le rapport
de votre fituation avec la mienne
rend cette curiofité légitime , & certain
mouvement que je ne puis exprimer , la
rend indifpenfable .
Alors. Zulphi détailla ce qu'elle n'avoit
fait qu'indiquer & à chaque mot
Séfi redoubloit d'attention & d'étonnement.
Mais quand après certains détails
préliminaires , Zulphi en vint à citer,
la retraite où elle avoit vécu avec ſon
ayeul & fa mère , l'incendie où l'une
& l'autre s'étoient vues prêtes à périr ,
le fecours qu'elles avoient recu d'un
jeune , Courtifan , fon féjour dans leur
afyle commun , & enfin fon départ qui
tira encore des larmes de Zulphi , elle
fut interrompue par un grand cri que
pouffa l'Epoux confident. Elle frémit ,
& cut l'avoir offenfé , d'autant plus
qu'il l'avoit quittée avec précipitation ,
Mais il étoit allé donner une libre entrée
au jour qui commençoit à paroître .
La jeune Perfane fit un mouvement
pour courir à fon voile. Arrêtez lui
cria fon Epoux bien réfolu d'en pren
AOUST. 1763. 55
dre dès ce moment le titre & les droits
arrêtez, aimable Pêhry ! Ce ' nom lui fit -
lever les yeux vers celui qui le prononçoit.
Ciel ! c'eft lui ! s'écria- t- elle , c'eſt
Séfi ! ... lui- même , reprit- il ; celui à
qui vous donniez des larmes , celui à
qui vous en avez tant coûté. Mais Péhry
n'entendit point ces paroles ; elle
étoit évanouié dans fes bras.
Revenue à elle , tout ce qu'elle
voyoit lui parut un fonge. Mais ce doute
ne pouvoit pas long-temps fubfifter .
Vouloir exprimer les plaifirs & l'extrême
fatisfaction de ce jeune couple
feroit trop entreprendre. Heureufe la
main qui excelle à peindre ces fortes
de délices ; plus heureux mille fois le
coeur qui les reffent ! Je dois feulement
ajouter que tout cet embaras , tous ces
quiproquo , furent produits par quelques
changemens de nom . Aboutaher & Pehry
ayant repris leur nom véritable en quittant
leur folitude , les recherches de Séfi ,
qui d'ailleurs le's fit un peu tard , étoient
devenues inutiles. Celui- ci ayant repris
pour fe marier le nom de fon père , fa
future n'avoit pû y retrouver celui de
Séfi , le feul qu'elle connût. Ce n'eft pas
le Père de cette belle Perfane que
Séfi croyoit réduit à l'état le plus médiotout
,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
cre , fe trouvoit rétabli dans tous fes
biens , & Aboutaher qu'il eût pû reconnoître
à l'extérieur , habitoit alors une
Province des plus éloignées. Tous ces
motifs étoient plus que fuffifans pour
autorifer la méprife nocturne des deux
époux & leur étonnement réciproque.
Mais leur attachement mutuel & conftant
, leurs plaifirs , leur bonheur enfin ,
bonheur fi rare entre époux , durent
encore mieux produire l'étonnement uni
verfel.
LETTRE à M. DE LA PLACE.
Si l'on publioit , Monfieur , un Recueil
qui fût comme le regiftre public
des grandes & belles actions , quel eft
l'homme qui fe réfoudroit à mourir
fans y avoir fourni au moins quelques
lignes ! L'éloge eft un encouragement à
la vertu ; c'eſt un engagement public
qu'on fait contracter à l'homme vertueux
. C'eſt enfin un des plus forts appuis
qu'on puiffe prêter à la foibleffe humaine.
Générofité d'un Officier.
Le Chevalier de R ***
premier
AOUST. 1763. 57
Capitaine du Régiment de *** Dragons
, vient de refufer la Lieutenance-
Colonelle dont on vouloit priver un trèsbrave
Officier plus ancien que lui dans
le fervice. Non content d'avoir refufé
ce pofte , il s'eft chargé de foutenir avec
chaleur les intérêts & les juftes prétentions
du vieux Militaire . Il a fait fon
Apologie au Miniftre ; il follicite une
grace fondée fur l'équité & le mérite de
l'afpirant ; & il efpère que l'affaire étant
portée par le Miniftre aux pieds du Thrône
devant le plus jufte & le meilleur
des Rois , elle aura le fuccès le plus
heureux pour les deux parties . Ce trait
de bienfaifance , & d'un fi noble défintéreffement
, mérite certainement une
place honorable dans les Faftes du
Siécle de LOUIS XV . Ce font des traits.
d'humanité , d'honneur & de vertu qui
répandent un nouvel éclat fur le nom ,
les titres & la maifon du Chevalier
de R ***
Dans le courant du mois prochain ,
j'aurai l'honneur de vous faire parvevenir
un fecond trait d'humanité qui
ne devra rien à celui- ci ; en attendant ,
j'ai celui d'être & c .
That's son D. de C **
NXI NAW M pT
58 MERCURE DE FRANCE .
SUR la convalefcence de M. D. V.
LE deftin yous rend à nos voeur ,
Vous refpirez : la mort avide
Détourne le glaive homicide
! Qui vous menaçoit à nos yeux. iv ul
Les pleurs d'une famille entière,
Les foins tendres de vos amis ,"
- " Les craintes , les larmes d'un fils
Vous rappellent à la lumière.
Vous venez enfin de jouir
De la vérité de nos larmes ;
Quel motif pouvoit adoucir
Et nos regrets , & nos allarmes !
Que peut l'intérêt fur des coeurs
Abandonnés à la trifteffe ,
Tremblans du comble des malheurs ,
Morts à la joie , à l'allégreffe unɔbngat .
Sentoient-ils rien que leurs douleurs 201
De l'amitié les douces flâmes
Eteignoient les autres tranſports.
**
2
Combien voudroient du fein des morts
Revenir lire dans nos âmes !
D
I
Jouiffez du plaifir flatteuritarvob en
De vous voir chéri pour vous-même isola
Faites longtemps notre bonheur ;
Vivez autant que l'on vous aime.
Par M. le M. D. V.
1
AOUST. 1763. 59
DIALOGUE entre SEMIRAMIS ET
JEANNE D'ARQUÉS.
SÉMIRA MIS .
MA furprife redouble à chaque minute.
Quoi ! une fimple Servante d'Hôtellerie
, Pucelle tant qu'il vous plaira ,
ofe s'égaler à Sémiramis ?
JEANNE D'ARQUES.
Laiffons - là notre origine . Je doute
que notre amour - propre à l'une & à
l'autre gagne beaucoup à cette recherche.
SEMIRAMIS .
Oubliez-vous le rang que j'ai tenu
fur la Terre ? les Nations que j'ai foumifes
, les Monumens que j'ai fait ériger ?
JEANNE D'Arques .
Oh , pour ces Monumens, nous avons
ici une autre Sémiramis qui les réclame,
& qui pourroit , dit-on , réclamer
quelque chofe de plus
*
SEMIRAMIS .
Il m'en feftera toujours plus qu'il n'efaut
pour m'immortalifer : il fer ou
jours vrai que j'occupai leone de
Ninus avec lui , & aprè ul.
On fait qu'il y a eu
Su Semiramis , & qu'une
grande partie des nunens & même des actions
qui pallent comunément , pour être de la premiore
, 1ont attribués par d'autres Auteurs à la
feconde, C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
JEANNE D'Arques .
Vous ne nous dites point de quelle
manière vous fuccédâtes à ce Conquérant
?
SÉMIRAMIS.
Je fais les bruits fâcheux & meme abfurdes
qu'on a fait courir à ce fujet . .
Après tout , il ne s'agit point ici de les
difcuter. Il eft , du moins , certain que je
ne dus cette élévation qu'à mes talens
pour la guerre ; que j'accompagnai mon
Epoux dans toutes les conquêtes , &
que j'en fis de grandes par moi -même ....
Pour vous , fimple Avanturiere , à quoi
fe réduifent vos exploits ?
L
JEANNE D'ARQUES.
Le voici ; & voici , en même temps ,
la différence qu'il y eut de ma conduite
à la vôtre. J'en excepte même certain
article qui pourroit devenir trop emba
raffant pour vous .
SEMIRAMIS.
Qu'entendez- vous par- là ?
JEANNE D'ARQUES.
Ce que vous devinez peut-être : mais
ne parlons d'abord que des caufes de
votre fortune. Vous partageâtes le
Thrône de votre Souverain pour l'avoir
aidé à prendre une petite Ville ;
moi je fis regagner au mien tout fon
AOUST. 1763.
6BRoyaume
, & n'ambitionnai avec lui
nul partage : vous n'aviez qu'à feconder
de vos confeils un Conquérant redoutable
; j'eus à rétablir , à force de travaux
un Roi fugitif & prèfque abandonné
le hafard vous fournit la première
occafion de vous faire connoître ;
je ne dus cette occafion qu'à moi-même :
vous n'eûtes qu'à indiquer à vos Chefs
les moyens de faire mieux , chofe quel'-'
quefois très-aifée ; j'eus à réparer tout
le mal que les miens avoient fait , chofe
infiniment plus difficile : Vous ...
SEMIRAMIS .
Ah faites-nous grace d'un plus long
parallèle ! Où avez - vous puifé tous ces
tours de Rhétorique ?
JEANNE D'ARQUES .
Vous ignorez, je penfe , qu'ici la Rhétorique
eft naturelle comme elle devroit
l'être là-haut ?
SEMIRAMIS .
Je fais auffi que plufieurs de vos Poëtes
fe font plu à vous faire parler en
grands termes.
JEANNE D'ARQUES .
Oui , je me fouviens qu'il y a près de
cent ans qu'un vieuxrimeur m'apporta ici
un Poëme à ma louange ; vous ne doutez
pas que je ne l'aye trouvé fort beau.
62 MERCURE DE FRANCE.
Mais, depuis , on m'en a dit tant de mal,
qu'il a bien fallu le trouver mauvais. II
eft vrai qu'en le lifant je ne m'apperçois.
prefque pas que le langage ait changé
depuis Charles VII.
SÉMIRAMIS .
On dit qu'un Poëte encore vivant
vous a fait parler en termes plus nouveaux
; mais ....
JEANNE D'ARQUES .
J'entends ... ce Poëte eft fort heureux
de ne m'avoir pas chantée de mon
vivant . Il eût pû éprouver le fort de plus
d'un Anglois.
Encore s'il fe fût borné , comme a
fait mon vieux chantre , à me donner
quelque penchant pour le brave Dunois ,
une telle foibleffe pourroit fe tolérer :
mais ... A propos , on dit que ce même
Poëte , & quelques autres , ne vous ont
guères mieux traitée ?
Comment ?
SÉMIRAMIS .
JEANNE D'ARQUES .
Quoi ? L'ignorez -vous ?
SEMIRAMIS.
t
Je fais bien que ces Meffieurs fe permertent
auffi facilement de prêter des
vices aux Princeffes de l'Antiquité , que,
des vertus à celles qui exiftent de leur
AOUST. 1763 63
temps . J'ai vu la fage Didon fort irritée
contre un certain Virgile qui l'accufe de
certaine avanture avec certain Héros
né , au moins , trois fiécles après elle.
Il eft vrai que j'ai vù Pénélope affez
contente d'un autre Poëte appellé Homère.
Il fait de cette Reine , qui fut des
plus galantes , un exemple de fidélité
conjugale. Rien ne prouve mienx que la
réputation dépend du hafard comme tant
d'autres chofes.
JEANNE D'ARQUES.
- Entre nous , ce hafard ne vous a favo
rifée qu'à demi. Les Poëtes dont je vous
parlois prétendent qu'après avoir fait
mourir votre époux Ninus , vous fuffiez
devenue très - volontiers l'épouſe de
votre fils Ninias :
SÉMIRAMIS .
Laiffons-là ces impofteurs , & venons .
au fait. Avouez que ce qu'il y eut de
plus merveilleux dans votre miffion fut
d'en avoir été ciue for votre paroleab
D
JEANNE D'ARQUES: iol
On m'en crut encore mieux d'après !
mes actions. J'avois promis des chofes
qui tenoient du prodige , & j'effectuai
ut ce que j'avois promis. Bien des gens
qui fe difoient infpires n'ont pas été auffi
tout
heureux .
ocheté
64 MERCURE DE FRANCE.
SÉMIRAMIS .
Vous euffiez bien dû prévoir l'échec
qui termina vos exploits.
JEANNE D'ARQUES.
Je portai trop loin le zéle & la préfomption.
Vous - même ne futes pas , je
crois , fort contente de votre éxpédition
des Indes ?
SÉMIRAMIS.
Du moins , ne reftai - je pas au pouvoir
de mes ennemis . Eft-il bien vrai que
les vôtres vous firent brûler comme forcière
?
JEANNE D'ARQUES.
Oui ; & cependant je vous jure qu'il
n'en étoit rien .
SÉMIRAMIS.
Vos Juges dûrent en être encore
moins foupçonnés.
JEANNE D'ARQUES .
Mes Juges vouloient plaire à l'ennemi
qui vouloit ma perte . Il ne pouvoit pardonner
à une femme de l'avoir vaincu .
SÉMIRAMIS .
Ceux que mon bras foumit fe montrerent
plus dociles. Tous m'encenfoient
comme une Divinité,
AOUST. 1763. 65
JEANNE D'ARQUES.
C'eft que vous n'étiez pas leur prifonniere
; fans quoi l'Autel eût pû devenir
un Bucher.
SÉMIRAMIS.
J'avoue qu'on n'étoit guères plus policé
de mon temps que du vôtre . Mais
fi j'en crois certains rapports , votre Patrie
a bien changé de face : on y donne
un peu moins aux préjugés , & certainement
on n'y condamneroit pas vos
pareilles aux flammės.
JEANNE D'ARQUES.
On y érigeoit encore moins des Autels
à vos femblables. Ne regrettons point
les temps où nous avons vécu : iis femblent
avoir été faits pour nous. Les Nations
éclairées ne croyent & n'admirent
très- difficilement. Peut - être quelques
fiécles plus tard , l'Héroïne de l'Afie
n'eût- elle jamais été que la femme d'un
Officier fubalterne , & l'Héroïne de la
France qu'une Servante de Cabaret.
que
66 MERCURE DE FRANCE .
POUR M. le Prince DE SOLRE
revenant de Londres après fa petite
vérole.
D
в mes voeux je goûte le fruit :
Il vient ; que mon âme eſt ravie !
C'eſt le plus beau jour de ma vie
Après la plus horrible nuit.
Pour voler plutôt dans nos bras
Dieu des vents , donne-lui tes aîles
Mes defirs plus rapides qu'elles
Prefferont encore ſes pas.
Mon coeur dans ce premier tranſport
S'occupe peu de fon viſage.
Je pardonne tout à l'orage
Au moment qu'il arrive au port.
Mais quel trouble ſaiſt mes ſens ?
J'entends du bruit , mon coeur palpite
C'eſt lui ! ... hâtons-nous , volons vîte
Jouir de les embraffemens.
ParM, DE WIEUMENIL , Abonné au Mercure.
A OUST. 1763. 67
LEE mot de la première Enigme du
fecond volume du Mercure de Juillet
eft le Temps. Celui de la feconde eft
la pelotte de neige. Celui du premier
Logogryphe eft Virgule , dans lequel
on trouve gril , lire , ivre , velu , vue ,
vil , vie , luire , grue , grive , rive , livre .
Celui du fecond Logogryphe eft Verger,
où l'on trouve guèrre , vèrre , ver,
Verge , grève , Eve.
ENIGM E.
EN vain j'offre au befoin quelque foulagement s
Par- tout où je parois , je bleſſe.
Du dégoûtant ennui je fuis le lâche enfant.
Je hante jufqu'aux lieux qu'habite l'allegreffe
Ailleurs je provigne fans ceffe.
Mon régne n'eſt que d'un inſtant :
Et fouvent une main traitrelle ,
Conduire par la politeffe , 20
Me ravit cet inftant.cque Nature me laiffe ,
Et m'étouffe en naiffand
Par M. BOYER.
68 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
A Madame la Comteffe de D *** , Dame
& Chanoineffe de ...
VOUS
ous en qui les vertus rehauffent la Nobleffe ,
A vous , fille d'efprit , trop belle Chanoineffe ;
c'eft. Caché dans votre fein ,
Devinez ce que
Un bienfait me révéle ,
Un foupir me décéle ,
Et la franche candeur me porte fur la main.
Que- ſuis-je ? Eh mais ! en tout fexe , à tout âge
Je fuis un mirmidon
Qui fait bien du tapage.
Ce que je fuis ! je fuis un don ....
Le morceau délicat de la téndre jeuneſſes
Le reffort vigoureux de la verte vieillefe
Le foyer des defirs ;
Le centre des plaifirs
Un théâtre , & dans la Nature
Le noeud , le dénoûment de plus d'une avanture.
Hé ! Madame , je fuis l'âme des fentimens ;
J'inſpire le Héros , enflâme les Apôtres,
Donne le prix aux patenôtres ,
Le parfum à l'encens. ,
Et la rocambole aux préfens ;
Je ſuis tout bon chez vous , & bien méchant chez
d'autres.
AOUST. 1763. 69
•
Bergers , Rois , j'adoucis ou j'aigris votre fort ;
Mes conquérans font mes conquêtes ;
J'anime les chanfons , & j'embellis les fêtes ;
On me chérit vivant & mort.
Donné fans goût , on me dédaigne ;
A propos refufé , c'eſt par- là que je règne;
On mépriſe qui m'auroit bas ;
De qui l'auroit haut , l'on fe moque ;
Double , on ne m'aime pas ;
Simple , un galant me croque.
Mais , auffi beau que vous l'avez ,
On l'adore , & ... pardon , nia Comteffe , obfervez
Que je fuis de moi-même
Le portrait , le chiffre & l'emblême ;
Qu'en cinq lettres j'offre mon nom ;
Qu'à dix- neuf ans vous avez le renom ,
Par mille traits divins , de me rendre adorable ,
Et , qui pis eft , vainqueur , & , qui mieux eft ,
aimable.
Le C ... D ... des bords de la S. ***
LOGO GRYPH E.
SEPT lettres , cher ami, qui forment ma ſtructure ,
Te donneront mon nom & toute ma figure.
Mon anagrame amufe & peut faire un fçavant.
En moi tu trouveras , en me décompoſant ,
Pronom démonftratif ; un ton de la Muſique ;
Ce que fait, bien ou mal , un maudit Empiriques
70 MERCURE DE FRANCE.
Un adverbe la tin d'interrogation ,
De la ville un chemin , une conjonction ,
Ce qu'à la guerre on voit , de l'Anglois un uſage,
L'épitéthe du Turc , de la France un Village.
Ami , je fuis encore un Saint du Paradis ,
Dont le nom à rebours exciteroit tes ris.
Cependant un peu mieux je voudrois bien t'inf
truire :
Si tu chéris mon nom , fûrement tu fçais lire .
Je babille un peu trop . Paix-là , Monfieur l'Auteur ;
Il ne faut pas rifquer d'ennuyer le Lecteur.
Par ROUSSEL fils.
J.
AUTR E.
A me charge de tout , propre à tous les offices ;
Et je fuis toujours prêt à rendre mes fervices ;
Le Dévot & l'Amant , le Prince & le Sujet ,
Ont recours à mes foins , chacun pour fon objet.
1
En un mot , cher Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Apprends que des mortels je ne tiens pas mon
être.
Tu trouveras en moi le fonds d'un bâtiments.
Ce qui dans une Ville eft d'un grand ornement ;
£ 16
Celle qui te donna naiſſance ;
Un terme qui des temps marque la différence ;
Ce qu'on dit d'un cheval qu'on ne peut approcher;
Et ce qu'on dit du fruit qui fléchit au toucher ;
AOUST. 1763 . 71
,
Un terme affez commun pour dire aller bien vîte;
Le fruit d'un arbre de mérite ;
Une ifle de l'Aunis ; une note de chant ;
Et ce qu'on dit fouvent qu'un Prêtre va cherchant
De Veniſe une forte Ville ;
Ce qui prouve le mieux un Chirurgien habile ;
Une herbe qui fert à purger ;
Ce qui d'un élément annonce le danger ;
Cet élément lui- même ; & ce qui fait le beurre ;
Si l'on ne me tient pas , je m'envole fur l'heure.
Par M. l'Abbé LE TEISSIEUX , de Laval
17
72 MERCURE DE FRANCE.
MARCHE exécutée à la Publication de
la Paix. ParM. DARD , de l'Académie
Royale de Mufique..
PAROD I E.
FIERES IERES Trompettes ,
Laiffez aux Muſettes ,
Laiffez aux Hautbois
En ce jour le foin d'accompagner nos voix.
Quand la Paix
Comble nos fouhaits ,
Anglois
Et François ,
Chantons fes attraits ;
Portons tous jufqu'aux Cieux
Nos tranfports & nos voeux ;
Et que les Dieux
Qui nous rendent tous heureux
Ainfi qu'eux ,
S'uniffent
En choeur applaudiſſent
Aux heureuſes loix
Qui réuniffent
Sujets & Rois.
Vive LOUIS!
Vive notre cher Maître !
Lui
Fieremt
Fieres trompettes , Laissés aux muse.Quandla
paice Comble nos souhaits, Anglois et Fieux Nos
transports etnos voeux Etque les Dieux Qr applau
dissent Aux heureuses loix Qui reunissl faitre
naitreparmi nous lesjeux et les ris , Cont tout
+
us prouve l'amour, En cejour En sentlerensnos con
nous
certs :Fieres trompettes , Laissés aux mus voix.
D
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
,
Vive notre cher Maître !
Lui
AOUST. 1763. 73
"Lui feul fait renaître
Parmi nous les jeux & les ris
Chantons ,
Célébrons ,
Chantons notre bonheur :
Son coeur ,
A fon tour ,
Dont tout nous prouve l'amour ,
En ce jour ,
En fent le retour.
Que nos tranſports ,
Que nos accords
Frappent les airs ,
Et répétons dans nos concerts :
Fières Trompettes ,
Laiffez aux Muſettes ,
Laiffez aux Hautbois
Accompagner nos coeurs & hos voix.
Par M. D. L. P
D
74 MERCURE DE FRANCE,
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES,
RÉPONSE de M. DE SAINTFOIX,
à M. L. C. D. L. V. ****
Vous mécrivez , Monfieur , que
vous venez de lire dans l'hiftoire de
d'Aubigné , T.3 , L. 1 , pag. 33 , que
Mademoiſelle de Rieux , Princeffe de
Bretagne, penfa devenirReine de France ,
le Duc d'Anjou , depuis Henri III, ayant
voulu l'époufer. Vous me demandez des
éclairciffemens
fur ce titre de Princeffe
de Bretagne, & de Princes qu'on voit
fur des tombeaux de la Maifon de Rieux ,
Les éclairciffemens que je puis vous donner
quant à préfent , ne feront pas longs ,
mais pofitifs. Les Sires de Rieux fe
qualifioient Seigneurs du Sang , & l'on
voit dans les regiftres des tenues des
Etats de Bretagne en 1576 & 1582 ,
que cette qualification fut confirmée
même à leurs cadets , par l'affemblée des
Etats , Pourquoi cette qualification ?
parce qu'ils defcendoient de nos anciens
Ducs par Rodald de Rieux , petit-fils
AOUST. 1763. 75
*
d'Alain dit le Grand , Duc de Bretagne
.
Les Colliers de l'Ordre de l'Hermine
felon la qualité des perfonnes à qui nos
Ducs les donnoient, étoient d'or, de vermeil
, ou fimplement d'argent; ils ne donnoient
fans doute le Collier d'or qu'à
leurs très -proches parens, ou aux Princes,
ou à ceux qui en deſcendoient. Dans les
comptes de Guillaume de Boigier , Tréforier
de l'épargne , années 1453 , 1454
& 1455 , on lit que le Duc a fait faire
un Collier d'or pour lui , au lieu du fien
qu'il avoit donné au beau confin de Rieux.
On lit encore dans d'autres articles , la
Ducheffe Ifabeau d'Ecoffe , Collier d'or.
Le beau corfin de Rieux , Collier d'or.
Le frere de la Reine de Bohême , Collier
d'or.
Renée de Rieux , que Henri III voulut
'époufer , étoit niéce de Claude de Rieux
qui avoit époufé le 13 Décembre 1529 ,
Sufanne de Bourbon , Fils unique de
Louis de Bourbon , Prince de la Rochefur-
yon , & de Louis de Bourbon Montpenfier.
J'ai l'honneur d'être , &c.
* Alain , petit-fils de Nominoë Roi de toute
L'Armorique , commença de régner en 879.
Dij
76 MER CURE DE FRANCE .
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
la mort de M. DE BULLIOUD
Capitaine de Carabiniers , Chevalier
de S. Louis , qu'une maladie de
poitrine vient d'enleyer à 22 ans.
"
MONSIEUR,
J'aurois continué à gémir feul de la
mort de M. de Bullioud , fi voyant le
filence qu'ont obfervé tous les papiers
publics fur cet événement , je ne me
croyois obligé de l'annoncer. Ce n'eſt
pas fimplement le devoir de l'amitié que
je remplis , ma douleur eût fuffi, Mais il
étoit dans cette claffe d'hommes , dont
-les tombeaux doivent être couronnés
de lauriers , & qui méritent autant d'encens
que de pleurs. Il s'eft fait connoître
à l'âge de 16 ans par une de
ces actions éclatantes , qui font honneur
à la Nation qui les produit , &
que l'on fait ordinairement paffer à la
-postérité. Tout le monde à lû dans les
Gazettes le fait fingulier qui lui a valu
à la Bataille de Crevelt la Croix de
Saint Louis , & le grade de Capitaine de
Carabiniers , dans un âge , ou à peine
les mères ofent expofer leurs enfans aux
AOUST. 1763. 77
dangers & aux fatigues de la guerre . Il
joignoit à ces qualités héroïques , toutes
ceiles de la fociété. Son éffai dans la
Littérature * , malgré fon incorrection ,
annonçoit de grandes difpofitions &
beaucoup de facilité. Je regarde fa mort
comme un malheur , & fa vie comme
un exemple. Les récompenfes qu'il a
reçues d'un gouvernement jufte , font
un encouragement de plus , pour les
jeunes gens qui marcheront fur fes traces.
Vous jugez , Monfieur , qu'avec
l'idée que j'avois de ce refpectable ami ,
j'ai éprouvé la plus vive douleur en le
voyant pendant deux ans miné par une
maladie qui ne lui pouvoit laiffer attendre
que la mort. C'eft dans cette cruelle
fituation qu'il s'eft livré à l'étude avec
cette noble tranquillité , qui caractériſe
une âme auffi pure & auffi élevée que
la fienne. Je plains toutes les perfonnes
qui s'étoient attachées à lui . Je fuis heureux
cependant d'avoir eu avec lui des
relations qui me laiffent des exemples à
fuivre.
Bullioud eft mort au Printems de fonâge
Comme une fleur , il n'a duré qu'un jour ;
De Mars il avoit le courage ,
Et l'air féduifant de l'amour.
La Pétriffée
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
La gloire en Lettres d'or a gravé dans fon Temple
Un trait de la prudence & de fa fermeté ,
Pour qu'aux plus vieux Guerriers il pûc fervir
d'exemple ,
Et lui valoir l'honneur de l'immortalité.
REMARQUES fur le véritable fens de
deux Vers de MARTIAL, & fur la
meilleure manièrede les traduire .
E
N m'amufant à parcourir les Lettres
de Buffy , je me fuis arrêté quelque
temps à la CLXI. Tome V. de l'édition
d'Amfterdam , 1738 , page 171. Ily eft
queftion de ces deux Vers de Martial :
Immodicis brevis eft ætas , & rara fenectus .
Quidquid ames , cupias non placuiſſe nimis.
Buffy rapporte diverſes manières de
traduire ces vers ; mais il me femble .
qu'il n'y en a aucune qui foit heureuſe,
D'abord, en confidérant ces vers comme
ifolés , on pourroit les appliquer à ceux
qui font des excès , ou de trop grands
efforts dans quelque genre que ce foit ,
& qui ne peuvent manquer d'abréger
par là leur carrière . D'après ce fens , j'ai
effayé de rendre ce Diftique de la manière
fuivante :
On ne peut marcher vire , & faire longue route ;
Des plaifirs trop ardens font bientôt en déroute.
AOUST. 1763. 79
Ou de celle- ci :
Tout excès fait périt , ou hâte les années.
Aimons les voluptés , mais douces & bornées.
Si ces deux traductions n'ont pas le
mérite de la Poëfie , dont je n'ai garde
de me piquer , elles ont au moins celui
de la précifion , en rendant l'une &
l'autre le Distique de Martial par un
autre Diftique , au lieu que les traductions
de Buffy & de,fes contemporains
font plûtôt des paraphrafes , ayant chacune
quatre vers.
Mais avant que de les rapporter , il
faut revenir au véritable fens des paroles
de Martial. Il n'a point en vue ceux
qui fortent eux-mêmes des bornes ordinaires
de la Nature, foit par leur génie
& leurs talens , foit par un goût immodéré
pour les plaifirs . Non : il s'agit de
ceux que la Nature elle-même a diftingués
, privilégiés , mis hors du pair , pardes
qualités rares , tant du corps que de
l'efprit , de ces jeunes gens qui , par l'un
ou l'autre de ces endroits , font regardés
comme des prodiges , ou même qui les
réuniffent , comme le faifoit celui dont
Martial déplore la perte. De tels phénomènes
, felon lui , difparoiffent bientôt
ces jeunes gens font immanqua-
Div '
80 MERCURE DE FRANCE.
blement enlevés au Monde avant que
d'avoir atteint la confiftance de l'âge viril.
Les Commentateurs prétendent que
cette opinion tient à un préjugé du Paganifme,
fuivant lequel les Dieux étoient
fufceptibles de jaloufie , & faifoient périr
les objets trop parfaits que cette Terre
produit de temps en temps. Quoiqu'it
en foit , il faut lire l'Epigramme entière
que les deux vers en queftion terminent.
Cette Épigramme , auffi bien auffi bien que celle
qui la précéde ( Lib. VI . Epigr. xxvIIF
& XXIX.)roule fur Glaucias . Ce jeune
affranchi d'un Seigneur Romain , nommé
Relior Atedius , étoit mort dans fa
treiziéme année , & fes rares qualités
excitoient les plus douloureux regrets ;
c'eft pour les adoucir que le Poëte conclut
par une réfléxion morale, en exhor
tant à ne pas s'attacher à des objets charmans
à la vérité , mais dont la durée
eft pour l'ordinaire fi courte .
Ecoutons à préfent Buffy. Il traduit
d'abord ces deux vers dans la profe
fuivante. Les gens au-deffus du commun
rarement vivent long -temps ; ainfije vous
confeille de fouhaiter que ce que vous
aimerez, ne vous plaife point trop . Tout
cela ne me paroît pas trop bien exprimé.
Les gens au-deffus du commun rendent
fort imparfaitement le mot immodici
AOUST. 1763.
2r
pour lequel , à la vérité , il feroit difficile
de trouver dans notre Langue un terme
propre. Je ne fçais fi celui d'extraordinaire
ne vaudroit pas du moins un peu
mieux. Les hommes extraordinaires font
de courte vie , & vieilliffent rarement.
Buffy dit rarement vivent long-temps ;
ce qui , outre l'inconvénient de la cacophonie
, ne répond pas à l'original ,
où il y a deux idées , fynonymes. à la
vérité , mais féparément énoncées , vivre
peu, & vieillir rarement. Continuons
Ainfi je vous confeille eft une longueur
mutile . Il s'agit feulement de bien rendre
2
Quidquid ames , cupias non placuiffe nimis ..
J'avoue que cela n'eft pas aife ; it
y a d'abord une efpèce d'équivoque qui
naît de la conftruction Latine , car cela
peut également fignifier , illud non placuiffe
tibi , ou te non placuiffe illi : en
François , qu'il vous plaife , ou que vous
lui plaifiez. Le but de Martial raraène
pour tant au premier de ces deux fens
Il ne refte qu'à faire .fortir l'idée renfermée
dans ces termes ; ce fera ,
ne me trompe , en difant : Quel que
foit l'objet de votre attachement , ne defirez
pas qu'il ait trop de charmes. Et
pourquoi ? C'eft que plus cet objet fera.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
effectivement doué d'avantages rares ,
de qualités merveilleufes , plus vous
courrez rifque de le perdre , & de fentir
vivement fa perte. Il s'agit à préfent de
voir quel est le meilleur tour qu'on pour
roit donner à cette penſée , en la mettant
en vers François.
Voici les trois Traductions rapportées
dans la Lettre de Buffy.
La première eft de Pellion.
Telle eft la loi du Ciel : nul excès n'eft durable,
S'il paffe le commun , il paffe promptement.
Voulez -vous être heureux ? Souhaitez en aimant
Que ce que vous aimez ne foit point trop aimable.
La feconde eft d'un Religieux défigné
par les lettres S. C.
Telle eft la loi du Ciel ; nul excès n'eft durable.
Tout fentiment outré le détruit promptement.
Voulez -vous éviter des chagrins en aimant ?
Evitez d'aimer trop un objet très - aimable .
La troifiéme enfin eft celle de Buffy
même.
Telle eft la loi du Ciel ; nul excès n'eft durable.
Ce qui n'eſt pas commun , paffe fort promptement
;
Ainfi , pour éviter des chagrins en aimant ,
Il faudroit n'aimer rien d'extrêmement aimable.
Indépendamment de la fidélité , j'ofe
AOUST. 1763 . 83
"
dire que la verfification de ces trois
Traductions me paroît tout-à-fait profaïque
; mais revenons à l'idée formelle ,
à l'intention pofitive de Martial. Buffy
déclare & foutient à plufieurs repriſes
qu'il n'y a pas de bon fens dans cette
Epigramme. La raifon qu'il en allégue,
» c'eft que perfonne n'aime jamais , foit
» en amour , foit en amitié , qu'il ne
» fouhaite que l'objet auquel il s'attache
»foit parfaitement aimable. » Mais je
crois que Buffy fait tort à Martial, &
que celui ci a penfé très -jufte. Il exige ,
non que nous fouhaitions de ne pas
trouver trop aimable ce que nous aimons
, mais qu'avant de nous attacher ,
nous prenions la précaution de ne pas
faire choix de ces objets extraordinaires ,
immodici , que nous perdons bien- tôt.
Il y a peut-être un peu trop de concifion
dans le vers qui exprime cette penfée ;
mais il me femble que le fens n'eft point
énigmatique , & furtout qu'il n'eft point
vrai que cette fin d'Epigramme manque
de bon fens. Je ne fais fi je ferai mieux
connoître la vérité de mon affertion ,
en produifant les quatre vers que j'emploie
à traduire ceux de Martial.
De ceux à qui le Ciel prodigue fes faveurs ,
La mort toujours trop tôt nous arrache des
pleurs, D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
N'aimons point ces objets dont les charme
raviffent.
Il en coûte , hélas ! trop lorſqu'ils s'évanouiffent.
Voilà , fi je ne me trompe , & le
fonds de la penfée de Martial , & l'équivalent
de fes expreffions . Peut-être
que ces deux petits vers de Quinault
vaudroient encore mieux .
N'aimons jamais , ou n'aimons guères ;
Il est dangereux d'aimer tant.
Par M. Formey, Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale de Pruffe,
THEATRE de M. FAVART , Ou
Recueil des Comédies , Parodies &
Opéra - Comiques , qu'il a donnés
jufqu'à ce jour , avec les Airs, Rondes
& Vaudevilles notés dans chaque
Pièce. Nouvelle édition ; en huit Vo-
Lumes in-8 ° Paris , 1763 , chez Duchefne
, Libraire , rue Saint-Jacques,
au Temple du Goût..
LE Théâtre de M. Favart, fi piquant
par fa fingularité , par la variété des com
'AQUST. 1763. 85
pofitions , & par les agrémens répandus
dans toutes celles qu'il nous préſente ,
réunit prèfque tous les genres qui , depuis
trente ans , ont fait l'objet des
Spe&acles. Opéra-Comiques , Parodies ,
Comédies Lyriques , Paftorales , Piéces
de fentimens, & c, tout ce que le Théâtre
Italien & celui de la Foire ont produit
de plus ingénieux dans les nouveaux
genres qui s'y font introduits fucceffivement
, fe trouve ici raffemblé. Ainfi
ceux qui voudront connoître les divers.
génies de ces deux Théâtres , dans la
durée du temps qu'embraffe la collection
de fes Ouvrages , les y reconnoîtront
fans peine , parce qu'il leur a
fouvent donné le ton , au lieu de le prendre
; ce qui montre , dans cet agréable
Écrivain , une ſupériorité de talens qu'on
ne met plus en queftion . L'hiftoire des
productions de M. Favart , eft donc en
quelque forte celle des deux Théâtres
auxquels il s'eft le plus attaché , & l'on
verra qu'aucun Auteur n'a mieux réuffi
à varier nos amufemens à ces deux
Spectacies.
De ces genres de compofition fi différens
, fi difparates , & qui fans doute
demandoient une grande foupleffe d'ef
prit , conclura-t-on qu'il a déféré à l'inſ86
MERCURE DE FRANCE.
tabilité de nos goûts , à l'inconftance
naturelle qui nous emporte rapidement
vers tous les objets où nous croyons voir
quelque lueur de nouveauté ? Il nous
femble au moins qu'on doit faire une
diftinction , que nous laifferons développer
à ceux qui en auront le loiſir. Il
y a un Goût indépendant de nos moeurs
& de notre génie , une forte de fentiment
général qui fixe par- tout les idées du
beau , du bon , du mauvais , fous quelque
forme qu'ils fe produifent ; & c'eftlà
le Goût , abfolument dit , Goût uniforme
& invariable chez tous les Peuples
où font cultivés les Lettres & les Arts.
Il y a un Goût national , qui tient entièrement
à nos moeurs , au caractère général
, à nos préjugés , & dont toutes
nos productions , tous nos jugemens
ont plus ou moins l'empreinte. Ce Goût
national peut fe modifier , & fe modifie
en effet chez nous plus que chez tous les
autres Peuples. De- là tous ces goûts
paffagers , dont les viciffitudes , courtes
& foudaines , influent d'une manière fi
fenfible fur nos amufemens en tout
genre.
M. Favart eft venu , fi on l'ofe dire
dans le temps critique de la plus grande
effervefcence , de la plus grande mobiAOUST.
1763. 87
lité de ce goût fi léger , fi fugitif , A
difficile à fixer , & il s'eft voué aux deux
Théâtres où fon inconftance eſt le plus
marquée. Il a commencé par celui de
la Foire , connu fous le nom d'Opéra-
Comique , & c'eft-là qu'il a fait fes premieres
armes. Mais voyons en quel état
étoit alors ce Spectacle .
*
Le Théâtre de la Foire , formé en
partie des débris de l'ancien Théâtre
Italien qui fut fupprimé en 1697 , s'établit
fous différens noms , vers le commencement
du fiécle ; mais ce fut
fous la Régence ( en 1719 ou 1720 )
qu'il prit , avec une forme plus conſtante
& plus régulière , le nom d'Opéra-Comique.
On pourroit cependant lui trouver
une origine bien plus ancienne ,
fondée fur deux Piéces peu connues , &
qui font dans le cabinet de M. Favart.
L'une eft intitulée la Comédie des Chan
fons , & imprimée à Paris , chez Touffaint
Quinet , au Palais en 1640. L'au
tre, qui a pour titre l'Inconftant Vaincu,
* La réunion de l'Opéra-Comique à la Comédie
Italienne , l'a fait revenir en quelque forte à
fes premiers élémens ; & l'on n'a guères fait autre
chofe que reftituer à celle- ci ce qui en avoit été
démembré . La fente comparaifon du Théâtre de
Gherardi avec celui dela Foire , fuffira pour juftifier
cette réfléxion .
88 MERCURE DE FRANCE.
eft une Paftorale en chanfons : elle parut
environ vingt ans après la première , &
elle eft imprimée à Paris , chez Etienne
Loyfon , en 1661 .
» n'a
-
» La Comédie des Chanfons ( aux
» termes de l'Avertiffement qu'on y
» lit ) , faite de piéces rapportées où l'on
pas ajouté un mot , eft une efpéce
» de Mofaïque compofée de Vaudevilles
» & d'Airs de Cour , comme on diſoit
alors ». Voilà donc bien formellement
l'Opéra- Comique tenté dès 1640 , & en
même temps la Parodie. Car ( au moins
fuivant l'Editeur ) , autre que dans
» cette Comédie il n'y a pas un mot qui
» ne foit un vers ou un couplet de quel-
» que chanfon tel en eft l'artifice
» qu'une chanfon ridicule répond fou-
» vent à une des plus férieuſes , & une
» vieille à une nouvelle ». Au refte ,
cette Piéce , quoiqu'imprimée avec privilége
du Roi , eft extrêmement licencieuſe
, fans moeurs , fans intérêt , fans
intrigue. On y peint des amours földatefques
, une jeune fille très-libertine
qui fe trouve groffe , & qui eft toujours
dans le cas d'une occafion prochaine..
Enfin , elle n'a d'autre mérite que de
dater de plus d'un fiécle , & de nous.
avoir confervé quelques couplets paffa
bles pour le temps..
AOUST. 1763. 89
, L'Inconftant Vaincu malgré les
grands Airs dont cette Piéce eft compofée
, malgré le férieux des amours
qu'elle repréfente , vaut encore moins
que la premiére. On a voulu l'égayer ,
en y introduifant une forte de Goinfre
ou d'ivrogne toujours cloué au cabaret
, & une eſpèce d'amant tranfi , qui ,
pour fe dépiquer du mauvais fuccès de
fes très-froides amours , prend le même
parti : mais tout cela du plus bas comique
& fans aucun fel.
Quelle que foit l'origine de l'Opéra-
Comique , il s'accrédita dans ces tems
de vertige , où le fyftême ayant confondu
tous les états , par dès fortunes
auffi étranges que rapides , entraînoit
néceffairement la corrupsion du goût
& des moeurs. Ce Spectacle , alors
très - licentieux , ne faifoit que par
* Cé SpeЯacle , fi analogue au fond de gaie
té , au génie chantant qui caractérisent la Nation
, a fûrement précédé les Opéra Bouffons
d'Italie. La Pomone de l'Abbé Perrin , ( où
les Satyres de la fuite de Priape voulant embraffer
les Filles de Lamfaque , celles - ci fe
changent en autant de buiffons d'épines ; les
premiers Opéra de Quinaut , Cadmus & Al
cefte , mêlés de Seénes (comiques , le Pourceaugnac
de Moliere , & quelques ; divertiffemens du
même, fembloient avoir indiqué ce genre.
90 MERCURE DE FRANCE.
ler à- peu-près le langage des fociétés :
fa licence , par conféquent , devoit moins
être imputée aux Auteurs qui en fouilloient
leurs écrits , qu'au Public même
dont il falloit malheureufement flater la
dépravation , pour l'attirer & obtenir
fon fuffrage.
Le Sage , Dorneval , Fufelier, & quelques
autres bons Ecrivains , tenterent
d'annoblir l'Opéra - Comique. Ils commencerent
à le purger des obfcénités
les plus groffières , ou du moins à y
introduire , avec plus de fineffe & plus
d'art , le goût de la bonne plaifanterie .
S'ils ne purent pas remplir entierement
leur objet , c'eft que l'on étoit prévenu
qu'une liberté cynique conftituoit ce
genre , & qu'elle en devoit être le
caractère diftin &tif. Le vice étoit trop
enraciné ; il falloit du temps pour le
détruire , & ce n'eft que par degrés
qu'on eft parvenu à rendre ce Spectacle
digne des honnêtes gens. Cependant il
fut dès les premiers temps l'Ecole de nos
meilleurs Comiques , qui tous s'effay erent
dans ce genre. Mais pour en bien
diftinguer les caractères , il faut le divifer
en quatre Ages.
Un Greffier de la Ville , aidé de quelAOUST.
1763. 91
ques amis , commença à mêler des couplets
dans des Scènes empruntées du
Théâtre Italien , ou compofées dans le
goût de ce Théâtre. L'Abbé Pelegrin,
qui n'avoit encore fait que des Cantiques
Spirituels , qu'on pouvoit eftimer, mais
qu'on payoit mal , crut être mieux récompenfé
en confacrant fes talens Lyriques
au genre profane . Il fit le premier
pour la Foire quelques Pièces en
Vaudevilles ; & comme ce Spectacle
étoit livré à toute la licence que les
moeurs toléroient alors , il n'y épargna
pas le gros fel . C'eft à ce temps qu'on
peut rapporter le premier Age de l'Opéra-
Comique. Le Sage , Dorneval , Fufelier,
la Font , le Grand , & l'Auteur de la
Métromanie, qui foutinrent affez longtemps
fa fortune , appartiennent à ce
premier âge. Quelques - unes de leurs
productions fe reffentoient peut - être
encore de la liberté des chanfons de
Blot , & des groffes gaietés de Dancourt,
qui femble avoir auffi contribué à donner
le ton au Théâtre de la Foire ; mais
on vit du moins percer l'efprit , le bon
goût dans ce qu'ils hafarderent de plus
libre. La Philofophie même s'en mêla :
le Sage en fit entrer des traits dans les
92 MERCURE DE FRANCE .
Pèlerins de la Mecque , & dans quelques
autres Piéces .
Nous fixerons le fecond Age de l'Opera-
Comique au premier temps de M.
Pannard , qui eft celui de Fagan , de
Boiffi , de Carolet , & du début de M.
Favart. M. Pannard , à ce Théâtre , fit
principalement rire la Morale , & perfonne
ne l'a fi bien préfentée fous le
mafque de l'amufant Vaudeville . Caro
let auffi mince Ecrivain qu'obfcène
Comique,ne doit jamais être cité. Quant
aux fieurs Fagan & Boiffy , ils ne prélu→
derent à ce Spectacle que pour s'élever
aux compofitions agréables qu'ils donnerent
depuis aux deux autres. Les premières
Pièces de M. Favart déceloient
déjà fon goût pour le Sentiment , & c'eſt-
,
* Ce Couplet de la Pièce intitulée l'Espéranse
, quoiqu'un peu tourné au fophifme , a més
rité d'être retenu..
Demain eft un jour qui fuit ;
Dont on ne voit point l'exiſtence ;
Au milieu de chaque nuit ,
Il' perd fon nom dans fa naiſſance ;
Quand on croit s'afflurer de lui ,
On trouve que c'eſt Aujourd'hui.
Jüfqu'à préfent aucun Humain.
N'a pu voir arriver demain...
A O UST. 1763. 93
là proprement le genre qu'il a introduit
dans un Spectacle où l'on n'en voyoir
prèfque aucune trace.
2
Le troifiéme Age de l'Opéra - Comique
ne s'étend guères au-delà des deux
principaux Auteurs qui l'ont feuls , àpeu-
près , rempli. M. Favard & le fieur
Vadé fembloient s'être partagé le Spectacle.
Le dernier eft communément regardé
comme l'Inventeur du Genre
Poiffard , & il en eft du moins le Coryphée.
Mais comme le génie ou le talent
particulier d'un Acteur détermine affez
fouvent le goût des compofitions , M.
Favart avoit éffayé ce genre dans les
Bateliers de Saint Cloud , où le Sr
Leclufe rendoit fi naïvement le langage
& le maintien des gens de rivière . On
pourroit même le faire remonter juſqu'à
'Impromptu du Pont -Neuf, donné par
M. Pannard en 1729 , à l'occafion de
la Naiffance de Mgr le Dauphin *.
Dans le quatriéme & dernier Age de
L'Impromptu du Pont-Neufnous rappelle un
fait intérellant , dont il eft bien jufte de faire honneur
à M. Pannard. C'eft lui qui a été le premier
l'organe d'un fentiment imprimé dans tous les
coeurs des François , qui , dans le Vaudeville des
Fêtes Sincères , repréſentées à la Cour en 1744
devant la Reine , a nommé le Roi LOUIS LE
BIEN-AIMÉ,
94 MERCURE DE FRANCE .
l'Opéra-Comique , on voit encore figurer
M. -Favart , & commencer M. Sedaine
, qui par le choix fingulier de fes
fujets , par la conduite de fes Drames &
l'efprit naturel qu'il y fait entrer , a le
mérite , aujourd'hui f rare , d'avoir un
genre à lui , d'être original. Cet Age eſt
celui des Pièces à Ariettes , dont on
peut fixer la première époque à la Parodie
de Raton & Rofette , donnée au
Théâtre Italien par M. Favart en 1753.
Les Troqueurs, de Vadé, mis en Mufique
par M. Dauvergne , font le premier éffai
dans ce genre fait au Théâtre de la Foíre ,
& cet éffai fut trop heureux pour n'être
pas très - promptement imité , comme
on imite parmi nous,avec une espéce de
fureur. De là toutes ces mauvaiſes rapfodies
que leur charivari mufical fait
aujourd'hui paffer dans la foule , mais
qui ne font point illufion à ceux dont
tout l'efprit n'eft pas dans l'oreille.
Si M. Favart , en entrant dans la carrière
, trouva l'Opera - Comique en train
de s'épurer quant au goût & aux moeurs,
il y avoit encore bien de l'ouvrage à
faire , & il a plus contribué que perfonne
à y attacher la décence fi néceffaire
dans tous les amuſemens publics , qui
ne peuvent qu'y gagner de toutes faAOUST.
1762 . 95
cons * . Car quoiqu'en difent les liber
tins , on l'a décidé depuis long- temps:
* Puifque l'occafion fe préfente , rendons au
Sieur Monnet la juftice qu'on ne fçauroit lui
refufer. C'eft à lui que l'Opéra- Comique a dû
le bon ordre , la décence extérieure , & même
l'éclat qui dans les derniers temps l'avoit
élevé au rang des Spectacles réglés . Il obtine
en 1743 , pour fix ans , le Privilége de l'Opé
ra-Comique , & commença par folliciter une
Ordonnance du Roi pour en écarter la Livrée ,
qui de tous temps étoit en polleflion du Parterre.
Il décora très proprement la Salle , n'épargna
rien pour former un bon Orqueftre ,
changea toute la face du Spectacle , & porta
dans toutes fes parties cette intelligence & ce
goût dont il a donné tant de preuves . Tour Paris
vint en foule applaudir aux nouveaux agrémens
d'un Théâtre qui s'annobliffoit de jour en jour,
C'eft dans l'Ambigu de la Folie , ( Parodie des Indes
Galantes , de M. Favart ) qu'il donna à la
Foire S. Laurent même année 1743 ) qu'on vit
éclorre les ralens de trois grands Sujets , Mlle Pu
vigné , Mlle Lany & M. Noverre ;ils danferent le
Pas-de-Trois de l'Acte des Fleurs. La Foire S.
Germain fuivante fut encore plus brillante que
la
premiere. L'Acajou de M. Favart joué d'original
par de bons Acteurs formés au goût du nouveau
Théâtre , eut un fuccès étonnant , & le fieur Monnet
y contribua beaucoup par la dépense qu'il fit
pour cette Pièce. Enfin tel fut le fuccès des deux
Foires , qu'il excita la jaloufie . On infpira à M.
Berger, alors Directeur de l'Opéra , de faire réfi
lier le bail du fieur Monnet, & celui- ci n'eut que
l'honneur d'avoir bien monté le Spectacle qui fit
96 MERCURE DE FRANCE.
ce neft jamais que faute d'efprit , & furtout
d'imagination , quon ne fçait rien
voiler , que l'on voile mal , que l'on defcend
même à ces froides équivoques ,
beaucoup plus méprifables fans doute ,
que toutes les nudités Gauloifes dont
notre délicateffe rougit.
M. Favart étoit fort jeune alors ; car ce
fut en 1734 , à la foire S. Germain , qu'il
donna fa premiere Pièce intitulée les
Deux Jumelles. Cette Pièce en enfanta
plufieurs autres , & prèfque toutes les
années , depuis cette époque , ont été
marquées par de nouvelles productions.
Le Génie de l'Opéra-Comique , & l'Enlévement
Précipité ( 2 Actes ) donné en
1735 ; le nouveau Parnaffe ( 1 Ace ) ,
la Dragonne (2 A&tes ) , l'Amour& l'Innocence
, Ballet entremêlé de Scènes dont
l'idée eft de M. de Verriere , en 1736 ;
le Vaudeville , Prologue , la Pièce fans
titre ou le Prince Nocturne ( 1 Acte ) ,
& Mariane ( 1 A&te ) , en fociété avec
pendant quelques années l'amufement le plus pi
quant de la Capitale. En 1752 , le fieur Monnet
reprit le bail de l'Opéra- Comique , qu'il a continué
jufques & compris 1757. Dans cette même
année 1752, il fit conftruire à fes frais à la Foire
S. Laurent le plus joli Théâtre , & le mieux entendu
peut-être, qu'il y ait en France.
M.
AOUST. 1763 . 97
*
M. Pannard, en 1737 ; * le Bal Bourgeois
( 1 Ade ) , en 1738 ; * Moulinet
Premier , les Réjouiffances Publiques ,
Pièce mêlée d'Intermédes , Harmonide,
Parodie de l'Opéra de Zaïde , ( 3 A&tes) ,
& les Fêtes Villageoifes , ( 2 Actes ) avec
un Prologue , en 1739 ; Pyrame &
Thifbé , Parodie de l'Opéra du même
titre , la Servante Juftifiée , la Barriere
du Parnaffe ou la Mufe Chanfon
niere , les Recrues de l'Opéra- Comique ,
les Epoux , fur un fond procuré par M.
Parmentier , & * les Jeunes Mariés ( 5
Actes ) , en 1740 : voilà vingt Pièces
qui précéderent la Chercheufe d'Esprit ,
& dont on n'a confervé que les quatre
Pièces marquées d'une étoile.
en
LA CHERCHEUSE D'ESPRIT
1741 , développa tous les talens de l'Auteur
, & lui affura le premier rang dans
ce genre de compofition . Cette Pièce
fut fuive dans la même année ( 1741 )
de la Joye , 1 A&te ; de Farinette , Parodie
de Proferpine , 1 Acte ; du Bacha
d'Alger , 1 A&te ; * des Bateliers de
Saint Cloud , I A&te ; des Valets , où
M. Valois d'Orville a eu pait , 1 Acte ;
& en 1742 , de la Fauffe Duegne ,
Sujet fourni par M. Parmentier , en 2
Actes. Ce font fix Pièces à ajouter au
E
98 MERCURE DE FRANCE
dénombrement des productions de l'Aas
teur.
Long-temps avant ces Effais de M.
Favart ( on diftinguera bien les Pièces
que nous ne comprenons point fous le
not d'Effais ) , le Théâtre Italien s'étoit
enrichi d'un nouveau genre , de LA PARODIE
* , qui , felon toutes les apparences
, en l'état où nous l'avons au
jourd'hui , ne nous vient pas directe
ment des Grecs qui l'ont inventée , ou
a bien pris le goût de notre terroir.
M. l'Abbé Sallier , qui voyoit ces
Grecs d'affez près , avoit découvert chez
eux quatre efpèces de Parodies , qu'il
réduit à deux principales , à la Parodie
fimple & narrative , & à la Parodie Dramatique
**. Nous nous fommes emparé
de ces deux - là , & il prétend que
la dernière, c'eft- à-dire la Parodie Théâ
* Ce mot , tout Grec , eft compofé de masa &
du fubftantif on chant . Or la prépoſition Para ,
qui modifie tant de mots Grecs , attache à la fois
à celui-ci une idée de reflemblance & une idée
d'oppofition .
L'invention de celle - ci eft attribuée à Hégé
mon, de Thafus , Ifle de la Mer Egée , lequel
dans la 91. Olympiade apporta une Parodie Dramarique
, au lieu d'une Comédie ordinaire , pour
Ja diftribution des prix qui fe faifoit dans les Jeux
publics.
AO UST. 1763. 99
trale , devient entre les mains de la Critique
le flambeau dont on éclaire les défauts
d'un Auteur qui avoit furpris
l'admiration *. La Motte n'étoit pas
de cet avis. A l'occafion de la Parodie
d'Inès , dont il fut beaucoup trop piqué
pour un homme qui entendoit fi
bien raillerie , il fit un Difcours fur les
Parodies , où il les repréfente comme
une Mode Françoife , fille d'un badinage
dangereux , amufement malin des
efprits fuperficiels. Fufelier lui répondit
vivement dans un Difcours ingénieux
fervant de Préface au Recueil des
Parodies de la Comédie Italienne , publié
chez Briaffonen 1738,& il ne manqua
pas de fe prevaloir de l'autorité du
Sçavant contre le Bel- Efprit qui croyoit
peut-être de bonne foi la Parodie née
Françoife.
Quoique la Motte & fes partifans en
puffent dire , on continuoit de goûter
la Parodie Dramatique , & tous les Opéra
anciens ou nouveaux toutes les
Tragédies nouvelles , payoient un tribut
aux Parodistes. M. Favart fe partagea
donc entre ce genre & l'Opéra- Comique
, & il excella dans l'un & dans
** Mémoires de l'Académie des Infcription &
Belles-Lettres , tom.z. pag. 398.
#
E ij
foo MERCURE DE FRANCE.
"
mo
l'autre. Ce font principalement ces deux
genres qui conftituent fon Théâtre , &
nous allons indiquer les Pièces dont les
huit Tomes font compofés.
IL étoit jufte de donner le pas aux
Pièces du Théâtre Italien , & elles rempliffent
quatre volumes, tant de Parodies
que d'autres Pièces Lyriques.
LES Parodies font : 1° . Hyppolite &
Aricie , Parodie de l'Opéra du même
nom , 1 Acte , 1742.
2º. Les Amans inquiets , Parodie de
Thétis & Pélée ; 1 A&te , 1751.-
3°. Les Indes Danfantes , Parodie
des Indes Galantes , font : le Turc généreux
, les Incas du Perou , & la Fête
des Fleurs , 1751 ; avec les Airs & Vaudevilles
notés .
4°. Fanfale , Parodie d'Omphale , &
les Divertiffemens , avec M. de Marcouville
, 1752.
5. Tyrcis & Doriftée, Parodie d'Acis
& Galatée , 1 Acte , 1752.
6°. Baioco & Serpilla , Parodie du
Joueur , Interméde Italien , 3 Actes ,
avec les Ariettes notées , 1753. Le fond
de cette Pièce n'appartient pas à M. Fail
eft de Dominique & Romagnefi
Des Bouffon's Italiens repréfenterent
en 1728 ou 1729 , fur le Théâtre de
l'Opéra , plufieurs Intermédes qui eu .
vart ;
AOUST. 1763.
101
,
Don
7 9
tent du fuccès & entr'autres
Mico e Lefbina , Baioco e Serpilla . Les
deux Auteurs que nous venous de nommer
parodierent ces dernieres Pièces
en faifant un mêlange de François &'
d'Italien . En 1753 , de nouveaux Bouffons
d'Italie s'inftallerent encore fur la
Scène Lyrique , & leurs fuccès ont
fait parmi nous une révolution dans
l'Art Mufical. Les Bouffons profcrits ,
il y eut un déchaînement prefque général
contre la Mufique Italienne ; mais
en s'élevant contre cette Mufique , on
l'imitoit infenfiblement , & fon génie
eft devenu à préfent le nôtre . On peut
auffi rapporter à cette époque la naiffance
des Pièces à Ariettes. M. Sodi , Muficien
Italien , faifit cette circonftance ,
pour faire de la Mufique nouvelle fur.
l'ancienne Parodie de Baioco e Serpilla ;
mais comme les Paroles ne convenoient
plus au goût actuel du Théâtre M.
Favart reprit l'Ouvrage fous oeuvre ,
& le mit dans la forme où il eft dans
ce Recueil .
?
2.
7°. Raton & Rosette ou la Vengeance
Inutile Parodie de Titon &
l'Aurore , avec les Ariettes Italiennes
& les Vaudevilles , 1 A&te , 1753 .
8°. Zéphire & Fleurette , Parodie de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
l'Acte de Zélindor , avec MM. Pannard
& Laujon , 1754.
9°. Les Chinois , Parodie del Cinefe ,
& les Ariettes notées , 1 Acte , avec M.
Naigeon , 1756.
10°. La Noce Interrompue , Parodie
d'Alcefte , 3 A&tes , 1758.
11 °. Petrine , Parodie de Proferpine,
1 Acte , avec Divertiffement & Vaudevilles
, 1759. M. Sedaine y a fait quelques
couplets.
On n'a point compris dans ce Recueil
une Parodie de Dardanus , faite en
fociété avec M. Pannard,
LES Comédies & Pièces Lyriques , au
nombre de huit, font:
Don Quichotte chez la Ducheffe , Ballet
Comique en 3 Actes , repréfenté par
l'Académie Royale de Mufique en 1743.
La Mufique eft de M. Boifmortier. Mlle
Claironjouoit à l'Opéra dans cette Pièce.
Les Amours Champêtres , Paftorale
r A&te , 1751 .
91
0
La Coquette Trompée , Comédie Lyrique
, repréfentée à Fontainebleau fur
le Théâtre de la Cour , en 1753 , & enfuite
à Paris par l'Académie Royale de
Mufique , en 1758 , 1 A&te. La Mufique
eft de M. Dauvergne.
La Bohemienne Comédie en vers ,
mêlée d'Ariettes , & traduite de la ZinAOUST.
1763. 103
gara , Intermède Italien , 2 Actes , avec
la Mufique des Ariettes , 1755.
Le Caprice Amoureux , ou Ninette à
la Cour , Pièce en 2 Actes , mêlée d'Ariettes
, repréſentée en 1755 , en 3 A&tes ,
& réduite à 2 en 1756. Toutes les Ariettes
notées font jointes ici à la Pièce.
La Soirée des Boulevards , Ambigu
Comique mêlé de Scènes , de Chants
& de Danfes , ( Pièce très-gaie & trèsamufante
, ) 1759 .
Supplément à la Soirée des Boulevards ,
compofé de neuf Scènes , avec Divertiffement
& Vaudeville , 1759 .
Soliman Second , Comédie en 3 Actes
en vers , très- bien écrite , & dont
le fuccès a été fi foutenu , fi marqué .
Le cinquiéme Tome de ce Recueil
contient les Ouvrages de Madame Fa
vart. On fent bien qu'en la nommant ,
c'eft nommer auffi fon mari , dont il
eft aifé de reconnoître le ftyle ; mais
entre époux de bonne intelligence , les
talens & les agrémens de l'efprit doivent
entrer dans la communauté. Madame
Favart , à portée de puifer à la
fource le goût des fentimens délicats
avec l'art de les exprimer , réunit danc
le talent de la compofition à ceux de
l'action . De là les fix Piéces qui rem-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
pliffent ce Volume . Ces Piéces confiftent
1 ° . en quatre Parodies , qui font :
Les Amours de Baftien & Baftienne ,
où M. Harny a eu part . C'eſt une Parodie
du Devin de Village , fur laquelle il
fuffira d'obferver qu'aucune Piéce n'a
été jouée fi long-temps , ni fi conftamment
redemandée; en forte que les Co.
médiens fe font plutôt laffés de la redonner
fi fouvent , que les Spectateurs de la
revoir après une infinité de repréſentations
, Acte , 1753.
Les Enforcelés , ou Jeannot & Jeannette
, Pièce à laquelle ont travaillé MM.
Guerin & Harny. C'eft une espèce de
Parodie de la Surprife de l'Amours
1 Acte , 1757.
La Fille malgardée
ou le Pédans
Amoureux
, Parodie de la Provençale
,
1 A&te , 1758.
La Fortune au Village , Parodie de
l'A&e d'Eglé, 1 Acte , 1760.
2º . En deux Pièces Lyriques , chacune
d'un A&te , fçavoir :
La Fête d'Amour, ou Lucas & Colinette,
efpéce de Paftorale , précédée d'un
Prologue , & augmentée ici de la Mufique.
Annette & Lubin , Comédie en vers ,
dont le Sujet est tiré des Contes Moraux
A O UST. 1763 . 105
de M. Marmontel. Le Théâtre retentit ,
encore des applaudiffemens qu'a reçu
cette derniere Piéce , & la plupart des
Couplets , ou des petits Airs ont paffé
des plus agréables bouches dans celles
du Peuple : c'eft , je crois , tout dire.
LES 6e , 7e. & 8° . Tome. comprennent
le Théâtre de la Foire. On y trouve
trois Parodies.
Moulinet Premier , Parodie de Mahomet
Second , Tragédie du fieur de la
Noue , 1 A&te , 1739.
Théfée , nouvelle Parodie de l'Opéra
de ce nom , faite en fociété avec MM.
Laujon & Parvi , 1 A&te , 1745. On lit.
dans le Calendrier des Théâtres , ( qui
fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques ).
fixiéme partie , année 1757 , p. 110. une
anecdote affez plaifante , arrivée à l'occafion
de cette Pièce .
L'Amour Impromptu , Parodie de
l'Acte d'Eglé des Talens Lyriques , &
Acte , 1756.
LES Opéra- Comiques , au nombre,
de 20 , font :
La Servante Juftifiée , Sujet tiré des
Contes de la Fontaine , & très- bien rendu
; en fociété avec le fieur Fagan,
1 A&te , 1740.
La Chercheufe d'Esprit , Pièce char-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
mante , bien faite en tous points , &
felon nous le chef- d'oeuvre de ce
Théâtre , 1 A&te , 1741 .
,
Le Prix de Cythère , avec un Protogue
, en fociété avec M. le Marquis de
P. 1 Acte , 1742.
Le Coq de Village , 1 Acte , 1743 .
C'eft le ftratagême dont on prétend
qu'ufa le Syndic d'un Village , pour
fouftraire à l'événement du fort un garçon
qui tiroit à la Milice . Ce Sujet eft
ingénieufement accommodé au Théâtre ,
& l'on n'oubliera jamais le charmant
couplet des Fleurs. Mlle Beaumenard ,
parut pour la première fois dans cette .
Pièce , fous le rôle de Gogo , qui fut fait
pour elle.
Les Bateliers de Saint Cloud , 1 Acte ,
1741 & 1744 .
La Coquette fans le fçavoir , avec M.
Rouffeau de Touloufe , 1 Acte , 1750.
Acajou , 3 Actes , 1752 & 1753. Cette
Pièce , tirée du Conte d'Acajou de M.
Duclos , eft pleine d'efprit & affaifonnée
de bon fel Attique. Elle fut d'abord
jouée en profe mêlée de couplets , en
1744 , à la Foire S. Germain . Après la
défenfe faite à l'Opéra- Comique de parler
, on la redonna toute en Vaudevilles
à la Foire S. Laurent , & fur le Théâtre
de l'Opera . Acajou , dans la nouveauté,
AQUST. 1763. 107
attira un concours fi prodigieux qué , le
jour de la Clôture du Théâtre , la bar
rière qui féparoit le Parquet du Parter
re fut brifée.
Les Amours Grivois , ou l'Ecole des
'Amours Grivois , Divertiffement Flamand
en 1 Ace , 1744 , en fociété avec
MM. de la Garde & le Seurre. C'eſt dans
cette Pièce , qui eft d'une grande gaiete,
que la Dlle Darimath rendoit fi naïvement
cette Ronde : Mon p'tit coeur , vous
n' m'aimez guères , &c. Le fieur Dourdet
, & la Dlie Sauvage ( ma Mie Babichony
firent aufli beaucoup de
plaifir fous les caractères de Niais &
de Niaife.
Le Bal de Strasbourg , Divertiffement
Allemand par la même fociété
1 A&te , 1744. Cette Pièce donnée à
l'cccafion du rétabliffement de la fanté
du Roi , ne pouvoit manquer dans les
circonftances , d'être fort agréablement
reçue. Mais ce qui en fit le principal
fuccès , c'eft le Vaudeville touchant de
la Scène du Courier , dont les ppaarroles
& l'air font de M. Favart , & que
toute l'Affemblée chantoit du plus grand
zéle avec les Acteurs. Il lui valut une
députation des Dames de la Halle
avec un préfent de fleurs & de fruits.
i
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour au Village , 1 A&e , 17451
C'eſt le fond d'un Opéra -Comique du
fieur Carolet , qui avoit pour titre, l'A
mour Payfan. M. Favart n'avoue point
cette Pièce , quoiqu'il l'ait refondue , &
qu'il y ait mis plufieurs Vaudevilles &
des Scènes nouvelles .
Cythère Affiégée, 1 Acte. Cette Pièce
fut d'abord faite en profe & couplets paz
l'Auteur , en fociété avec M. Fagan , &
repréſentée à Paris à l'ouverture de la
Foire Saint Laurent 1738. Depuis elle
fut entierement refondue par M. Favars
pour la Troupe des Comédiens de Bruxelles
, & repréſentée en 1748. Enfin elle
a été donnée à Paris fur le Théâtre de
la Foire en 1754.
Les Jeunes Maries I Acte . Cette
Pièce parut dès 1740 ;. & elle a été
reprife à toutes les époques de l'Opéra-
Comique
Les Nymphes de Diane , 1 A&te . Cet
Opéra-Comique fut joué d'abord en
vers & couplets , & même imprimé en
Flandres , en 1748. L'Auteur l'ayant
remis tout en Vaudevilles pour le Théâtre
de la Foire , il y fut repréfenté en
1755.
Le Mariage par Efcalade , 1 Acte
1756. Cette Pièce fut faite à l'occafion
A O UST. 1763. 100
de la Prife de Port- Mahon , & d'une.
Fête particuliere qui avoit été préparée
pour le retour de M. le Maréchal Duc
de Richelieu .
La Répétition Interrompue , en fociété
avec M. Pannard , 1 A&te , 1735 .
M. Favart fit une nouvelle intrigue à
cette Pièce lorfqu'elle fut remife au
Théâtre , fous le titre du Petit - Maître
malgré lui , en 1757 .
La Parodie au Parnaffe , 1 A&te ,
1759 , Satyre ingénieufe & très - fine.
M. Favart n'avoue point cette Pièce ,
telle qu'elle eft imprimée ici , quoique
le fond , le quadre , la plus grande partie
des couplets , & prèfque tous les
détails lui appartiennent. Un Anonyme
ayant eu , on ne fçait comment , une
copie de cet Opéra - Comique ; repréfenté
en 1740 fous le titre de la Barrière
du Parnaffe ou de la Mufe Chanfonniere
, & ne fçachant pas que M..
Favart en étoit l'Auteur , crut pouvoir
fe l'approprier. Il inféra la critique des
Ouvrages Dramatiques qui paroiffoient
alors, critique un peu trop vive , &
qu'affurément M. Favart , qui n'y eſt
pas ménagé lui -même au fujet de Petrine
, ne fe feroit pas permife . La Scène
de Diogene eft une Perfonnalité , &
110 MERCURE DE FRANCE.
l'on n'en trouvera dans aucune des pro
ductions de notre Auteur. On avoit
judicieufement retranché cette Scène à
la Repréſentation : elle n'auroit pas dû
reparoître ici .
Le Retour de l'Opéra - Comique , I
A&te , 1759.
Le Départ de l'Opéra- Comique ; Compliment
, 1 A&te , 1759.
La Refource des Théâtres , 1 Acte ,
1760. Il n'appartient dans cette Pièce à
M. Favart que le Vaudeville des Portraits
à la Mode , dont il a fait l'Air &
les Paroles ; mais ce Vaudeville a fait
prèfque feul tout le fuccès de la Pièce .
Le Bal Bourgeois , Pièce mêlée d'Afiettes
, en 1 Acte , représentée en 1738,
& imprimée avec quelques changemens
en 1762 .
On peut ajouter à cette Lifte cinq
Pièces qui n'ont pas été imprimées ,
fçavoir :
Les Vendanges d'Argenteuil , Opéra-
Comique , joué en 1742 ; les Vendanges
de Tempe ; l'Ile d'Anticyre , la
Folie , Médecin de l'efprit , & l' Aftrologue
de Village , repréfentés en 1744.
Et que nous pourrions encore la groffir
de beaucoup d'autres productions !
telles que la Cour de Marbre , Diver
AO UST. 1763 .
117
tiffement en 1 A &te , fait pour les Petits
Appartemens , en fociété avec M. de la
Garde ; les Nouveaux Intermédes , &
les Divertiffemens de l'Inconnu , exécutés
à Fontainebleau ; un Prologue fur
les Victoires du Roi , & les Comédiens en
Flandres , Comédie en 3 Actes & c. &c.
M. Favart a certainement fait plus de
150 Drames, donnés tant fous fon nom ,
que fous des noms étrangers. Il a encore
tenté heureufement d'autres genres
, & fes effais dans la Poëfie Héroïque
lui ont fait remporter des prix aux Jeux
Floraux en 1734. Un de ces Poëmes , a
pour titre , la France délivrée par la
Pucelle d'Orléans ; il le fit à l'âge au
plus de vingt ans.
FAMILLES des Plantes , par M.
ADANSON , de l'Académie des Sciences
de la Société Royale de Londres ,
Cenfeur Royal. II Partie. A Paris
in- 8 °. Chez Vincent , 1763.
LAA première Partie n'a point paru ;
elle n'eft pas entiérement imprimée.
Elle contiendra la théorie de la Science
de la Botanique , l'hiftoire de fes proLIZ
MERCURE DE FRANCE.
grès , fon état actuel , un plan fommaire
de toutes les méthodes , un Jugement'
fur les Ouvrages les plus néceffaires à.
connoître , enfin le plan raifonné de
celui qu'il donne au Public.
En publiant d'abord cette feconde.
Partie , M. Adanfon a cru devoir fe
prêter à l'empreffement qu'on lui a té-`
moigné d'avoir au moins , pendant le
cours de Botanique du Jardin du Roi,
ce qu'on peut appeller la partie pratique
de la Science , c'eft-à- dire l'ordre & les
caractères généraux de fes familles ,ainfi
que la fuite & le caractère de chacun
des genres qui les compofent.
Le Titre fimple de l'Ouvrage annonce
affez que l'Auteur n'a fuivi aucun
fyftême , & n'a point voulu en faire de
nouveau par le tableau qu'il donne
des 58 familles , on voit qu'il range les
plantes pár ordre d'affinités , en fuivant
la gradation que la Nature montre dans
Les productions végétales , gradation
qui paroît interrompue dans 58 endroits
plus marqués qu'il diftingue par
autant de familles. Les autres interrup
tions moins marquées , & au nombre
de 1615 indiquent les genres dans la
férie de 1800 efpéces de plantes con
nues.
AOUST. 1763. 113
Cette manière de confidérer les familles
ou claffes , les genres & les efpéces
, n'eft nullement fyftématique ;
elle eft priſe dans la nature même des
chofes & entièrement différente de ce
qui avoit été penfé & dit jufqu'à préfent.
C'est une nouvelle route qui femble
devoir mener à la méthode naturelle
que tant d'Auteurs ont cherché
en vain .
Sans entrer dans une plus grande
difcuffion fur le mérite de l'Ouvrage ,
dont on ne pourra bien juger que quand
il aura paru en entier , nous nous contenterons
de faire quelques réfléxions
générales fur ce qui eft actuellement
Tous nos yeux.
Nous avons remarqué de la précifion
, de l'ordre & de la liaifon dans
tout ce qui doit concourir pour faire
l'enſemble.
A la tête de chaque Famille on trou
ve le détail circonftancié de toutes les
parties qui font communes aux genres
qui doivent y entrer , telles
que la Figure,
la Racine, la Tige , les Bourgeons,
les Feuilles , le Feuillage les Stiles
Epines , Voiles ou Poils , les Fleurs , le
Calice , la Corolle , les Etamines , le
Piftis , le Fruit , les Graines : l'Auteur
>
114 MERCURE DE FRANCE.
ý a joint les qualités , les vertus & les
ufages.
L'avantage de voir d'un coup d'oeil
dans des colonnes féparées , les carac
tères des genres de la même famille ,
nous a frappés , par la facilité qui en
téfulte pour les comparer.
Il y a fans doute du mérite d'avoir
raffemblé dans un auffi petit efpace ,
une fi grande quantité de faits conftatés
ou d'après les plus fameux Botaniftes
, ou d'après les propres obfervations
de l'Auteur . C'eft en quelque forte
l'extrait de toutes les connoiffances Botaniques
jufqu'à ce jour ; & ce travail
qui confifte à négliger ce qui eft
acceffoire ou inutile pour ne préſenter
que l'effentiel , exige une connoiffance
profonde , & le véritable efprit de la
Science.
Cette table fi ample qui fuppofe tant
de lectures & de recherches , nous a
paru mériter attention & prévenir le
reproche qu'on auroit pû faire à l'Auteur
d'avoir changé des noms connus
& adoptés par rapport à de certaines
plantes. On verra que ces noms nouveaux
appartenoient déja à une plante
décrite par les Anciens ; il n'y a pas
même , juſqu'à la table raifonnée des
AOUST. 1763. 115
vertus des plantes dont il ne foit facile
de connoître l'utilité.
Nous fufpendrons nos réfléxions fur
l'ortographe que l'Auteur a adoptée :
dans l'avertiffement qui précéde fa table
il dit fimplement qu'il a fait des
changemens à cet égard , & qu'il en
donnera quelque jour les raifons. Il
eft jufte d'attendre qu'il les ait données
pour en rendre compte.
ANNONCES DE LIVRES.
DICTIONNAIRE Géographique
Hiftorique & Politique des Gaules &
de la France. Par M. l'Abbé Expilly ,
Chanoine-Tréforier en dignité du Chapitre
Royal de Sainte Marie de Tarafcon
, de la Société Royale des Sciences
& Belles-Lettres de Nanci , & c . Tome
I. in -folio , de 880 pages . A Avignon ,
1763 ; & fe trouve à Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais
; Nyon , quai des Auguftins , à l'Occafion
, Hériant , rue S. Jacques , à
S. Paul & à S. Hilaire ; Bauche , quai
des Auguſtins , à Ste Géneviéve & a
S. Jean dans le Défert ; Defpilly , rue
S. Jacques , à la Croix d'or. Le pre16
MERCURE DE FRANCE.
mier volume , qui paroît actuellement,
fe vend broché , 24 liv. Le fecond paroîtra
en Février 1764. Les autres volumes
paroîtront réguliérement tous les
huit mois . Chaque volume fe vendra
également 24 liv. broché , & fera de
8 à 900 pages d'impreffion , même
format , papier & caractère que le
premier.
Nous parlerons plus amplement de
ce grand & très-utile Ouvrage.
LE GENTILHOMME Cultivateur , où
Corps complet d'Agriculture , traduit
de l'Anglois de M. Hall , & tiré des
Auteurs qui ont le mieux écrit fur cet
Art. Par M. Dupuy d'Emportes , de l'Académie
de Florence.
Omnium rerum ex quibus acquiritur , nihil eſt
agriculturâ meliùs , nihil uberiùs , nihil
homine libero digniùs.
Cicer. L. 2. de Offic.
In-4°. Paris , 1763. Tome 6. Chez P.
G. Simon , Imprimeur du Parlement ,
rue de la Harpe ; la veuve Durand , Libraire
, rue du Foin ; & Bauche , Libraire
, quai des Auguftins .
Nous avons déja rendu compte de cet
Ouvrage qui continue de fe débiter
avec fuccès.
AOUST. 1763. 117
TRAITÉ DES PRISES , ou principes
de la Jurifprudence Françoife concernant
les Prifes qui fe font fur mer , relativement
aux difpofitions tant de l'Ordonnance
de la Marine du mois d'Août
1681 , que des Arrêts du Confeil , Ordonnances
& Réglemens antérieurs
& poftérieurs , rendus fur ce fujet.
Avec une notice de la procédure qui
doit être obfervée à cet égard . Par l'Auteur
du Commentaire fur cette même
Ordonnance de la Marine , 2 vol. in-
8. A la Rochelle , 1763. Chez Jérôme
Legier , Imprimeur des Fermes du Roi
au Canton des Flamands ; & fe trouve
à Paris chez Mérigot Père , Libraire
quai des Auguftins.
ORAISON funébre de Très-haute &
très-puiffante Dame Reine de Madaillan
de Lefparre , Marquife de Laffai ,
prononcée dans l'Eglife de l'Hôpital-
Royal de la Charité à Paris , le Jeudi 21
Avril 1763. Par M. l'Abbé Fréfman ,
Prédicateur ordinaire du Roi , & premier
Vicaire de l'Eglife Paroiffiale de
S. Euftache. In-4° . Paris , 1763. Chez
Auguftin-Martin Lottin l'aîné , Libraire
& Imprimeur de Mgr le Duc de Berry,
rue S. Jacques , près S. Yves , à l'Enfeigne
du Coq.
118 MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS fur le bonheur des gens
de Lettres.
Homo doctus infe femper divitias habet.
Phædr.
In-8° . Bordeaux, 1763. Chez les Frères
Labottière , Imprimeurs-Libraires, Place
du Palais. Ce difcours eft bien fait , &
part d'une jeune Plume qui mérite d'être
encouragée.
DISCOURS fur l'Hiftoire Eccléfiaftique
, par M. l'Abbé Fleury , Prêtre
Prieur d'Argenteuil & Confeffeur du
Roi. Nouvelle Edition augmentée des
difcours fur la Poëfie des Hébreux , fur
Ecriture Sainte , fur la Prédication, &
fur les Libertés de l'Eglife Gallicane,
On y a joint le difcours fur le renouvellement
des Etudes Eccléfiaftiques
depuis le 14 Siécle par M. l'Abbé
Goujet , Chanoine de S. Jacques de
P'Hôpital. In-8°. Paris, 1763, Chez Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , à
S. Hilaire . Prix , 3 liv. relié.
DE L'EDUCATION des Filles , par
Meffire François de Salignac de la Mothe
Fenelon , Archevêque de Cambrai.
Nouvelle Edition , augmentée d'une
Lettre du même Auteur à une Dame de
•
AOUST. 1763: 119
qualité fur l'éducation de M *** fa
fille. In- 16. Paris , 1763 , chez le mê
me Libraire ; & chez Guérin & Dela
tour , Libraires -Imprimeurs, rue S. Jacques
, vis-à-vis celle des Mathurins , à
S. Thomas d'Aquin, Prix , I liv. 16 f
relié.
TRAITÉ des devoirs des Gens du
Monde , & furtout des Chefs de famil
le . Par M. Collet , Prêtre de la Congré
gation de la Miffion , & Docteur en
Théologie. In-12. Paris , 1763 ; chez
Jean Debure l'aîné , quai des Auguftins,
à l'Image S. Paul ; Jean- Thomas Heriffant
, rue S. Jacques , à S. Paul & à
S. Hilaire ; Jean- Claude- Baptifte Hériffant
, rue Neuve Notre-Dame , à la
Croix d'or ; & Nicolas Tilliard , quai
des Auguftins , à S. Benoît. Prix , 2 liv,
10 f. relié.
INSTRUCTIONS & Prières à l'ufage
des Officiers de maiſon , des domeftiques
& des perfonnes qui travaillent en
Ville , &c. Ouvrage qui peut fervir aux
Confeffeurs. Par le même Auteur , &
chez les mêmes Libraires. Quatriéme
Edition , revue , corrigée & augmentée.
In- 16, Prix , 1 liy, 10 f. relié.
120 MERCURE DE FRANCE.
DEUX EPITRES de S. Clément
Romain , difciple de S. Pierre Apôtre :
tirées pour la première fois d'un Manufcrit
du Nouveau Teftament Syriaque
, & publiées avec la Verfion Latine
à côté , par Jean-Jacques Weftein;
à Leyde , de l'Imprimerie d'Elie Luzac
ke jeune en 1752. Seconde Edition
Françoife & Latine , in8 . 1763 , avec
des Notes.
POEME aux Anglois , à l'occafion
de la Paix univerfelle. Par M. Peyraud
de Beaufol. Brochure in-8°. Paris
1763. Chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés. On trouve du fentiment.
& de la chaleur dans l'Ouvrage de ce
Poëte-Citoyen , & nous en rendrons
compte avec plaifir.
L'INTEREST d'un Ouvrage , Difcours
prononcé par M. *** le jour
de fa réception à l'Académie des Sciences
& Belles-Lettres de Nanci , le 8
Mai 1763. In-8° . Paris , chez Vallat la-
Chapelle , Libraire au Palais , fur le
Perron de la Ste Chapelle. Nous parlerons
auffi de cet Ouvrage auffi inftructif
qu'intéreffant pour quiconque
aime les Lettres.
LE
AOUST. 1763. 121
LE MONDE pacifié , Poëme. Par
l'Auteur des voeux patriotiques à la
France.
Tros Rutulus vefuat , nullo difcrimine habebo.
Virg. Æn. L. 10.
In-4°. Paris , 1763. De l'Imprimerie de
Prault , quai de Gêvres , au Paradis .
Nous donnerons auffi l'Extrait de ce
Poëme digne de fon Auteur.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences & Belles- Lettres de
PRUSSE , pour l'année 1763.
L E Prix
de la
Claffe
de
Philofophie
fpéculative
devoit
être
adjugé
le 31 de
Mai
1763.
Il concernoit
la Queftion
fuivante
:
On demande : Si les vérités Métaphyfiques
en général , & en particulier les
F
122 MERCURE DE FRANCE.
premiers principes de la Théologie naturelle
& de la Morale , font fufceptibles
de la même évidence que les Vérités
géométriques ; & au cas qu'elles n'en
foyent pas fufceptibles , quelle eft la
nature de leur certitude , à quel degré
elle peut parvenir , & fi ce degré fuffic
pour la conviction ?
, Le fçavant Juif de Berlin Mofes
fils de Mendel , a remporté ce Prix ; mais
l'Académie a déclaré en même temps
que le Mémoire Allemand qui avoit
pour devife :
r
Verum animo fatis hæc veftigia parva fagaci
Sunt , per qua poffit cætera cognofcere tute
toit, à l'égard de la Pièce victorieuſe
ans une proximité qui ne différoit guè
es de l'égalité.
La Claffe de Philofophie Expérimen
tale avoit renvoyé jufqu'au même jour
31 de Mai 1763 le Prix fur la Quef
tion déjà propofée pour l'année 1761 .
fçavoir :
Si tous les Etres vivan's , tant du rẻ-
gne animal que du régne végétal ,fortent
d'un auffécondé par un germe, ou par
une matière prolifique analogue au
germe ?
Ces deux années de délai n'ayant S
AOUST. 1763 . 123
"
•
produit aucune nouvelle Pièce digne
d'être couronnée , l'Académie abandonne
cette Queſtion . Mais comme
pendant cet intervalle M. Bonnet
Citoyen de Genêve , Membre de diverfes
Académies , & Auteur de plufieurs
excellens Ouvrages , en a publié un intitulé
, Confidérations fur les Corps organifés
, qu'il a envoyé à l'Académie
le foumettant à fon jugement , l'Académie
a profité de cette occafion pour
témoigner publiquement que cet Onvrage
lui a paru le fruit des obfervations
les plus exactes , & des recher
ches les plus approfondies ; en forte
que , fi l'Auteur , au lieu de le mettre
au jour & de fe faire connoître , l'avoit
foumis aux loix ordinaires du concours
il auroit infailliblement remporté le Prix.
La Claffe de Philofophie Expérimen →
tale propoſe préfentement pour l'année
1765 la Queftion fuivante .
On demande de nouvelles expériences,
d'après lefquelles on puiffe expliquer
diftinctement & prouver folidement , en
quoi confifte le changement que les ali
mens , tirés tant du règne animal que
du règne végétal , éprouvent dans le
corps humain , foit dans le ventricule
foit dans les inteftins , pendant l'état de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fanté. Le résultat de ces recherches dou
être de faire voir quelle eft proprement
la partie des alimens qui fe convertit en
fuc nourricier comment fe fait cette ,
converfion , & quelles font les parties
des alimens qui ne peuvent naturellement
fubir aucune digeftion , ni fervir
à nourir le corps ?
On invite les Sçavans de tous pays ,
excepté les Membres ordinaires de l'Académie
, à travailler fur cette Queftion
. Le Prix , qui confifte en une Médaille
d'or du poids de cinquante Du
cats fera donné à celui qui , au jugement
de l'Académie , aura le mieux
réuffi . Les piéces écrites d'un caractère
lifible , feront adreffées à M. le Profeffeur
Formey , Secrétaire perpétuel de
l'Académie .
Le terme pour les recevoir eft fixé
jufqu'au de Janvier 1764 , après
quoi on n'en recevia abfolument aucune
, quelque raifon de retardement
qui puiffe être alléguée en fa faveur.
On prie auffi les Auteurs de ne point
ſe nommer mais de mettre fimplement
une Devife , à laquelle ils joindront
un Billet cacheté , qui contiendra
avec la devife , leur nom & leur
demeure .
AO UST. 1763. 125 .
Le Jugement de l'Académie fera déclaré
dans l'Affemblée publique du 31
de Mai 1765.
Outre les Queftions fufdites , la Claffe
de Mathématique avoit déclaré dans
le Programme de l'année paffée , qu'en
quelque temps que ce fut qu'on lui
adreffât un Mémoire fatisfaifant fur l'explication
de l'ouïe , relativement à la
manière dont la perception du fon eft
produite en vertu de la ftructure interieure
de l'oreille , elle lui décerneroit le
Prix. Le cas vient d'arriver ; & ce Prix
a été donné dans la derniere Affemblée
publique , à M. George Urbain Belz,
Docteur en Médecine , & Médecin de
la Ville de Neuftadt - Eberswalde. *
On a été averti par le Programme de
l'année précédente , que le Prix de la
Claffe de Belles - Lettres , qui fera adjugé
le 31 de Mai 1764 , & pour lequel
les Pièces feront reçues jufqu'au I Janvier
de la même année concerne la
Queſtion fuivante :
Quand eft-ce que la puiffance fouveraine
des Empereurs Grecs a totalement
ceffé dans Rome ? Quel gouvernement
les Romains eurent - ils alors ? Et
dans quel temps la fouveraineté des Papes
fut-elle établie ?
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Le grand Directoire de Guerre &
des Finances de S. M. a auffi requis
l'Académie d'annoncer dans fon Programme
, qu'il deftinoit un Prix de cinquante
écus à un Mémoire fur la meilleure
conftruction des fourneaux , relativement
à l'épargne du bois ; les Mémoires
feront foumis au jugement de
l'Académie , & le Prix fera adjugé en
même temps que le Prix de l'Acadé
mie en 1764.
ÉLOGE Hiftorique de M. LE PERE
lu dans l'Affemblée publique de l'Académie
d'AUXERRE par M. de S.
GEORGE , Sécrétaire perpétuel de la
même Académie , le 26 Octobre 1762.
MATURIN ATURIN LE PER E, Secrétaire
perpétuel de la Société des Sciences, Arts
& Belles-Lettres d'Auxerre Directeur
des Poftes de la même Ville , naquit à
Milli en Gâtinois , le 12 Janvier 1718.
Il avoit reçu de la nature des difpofitions
heureufes , qu'une bonne éducation fçut
heureufement cultiver. Il remporta du
College de Beauvais , où il avoit fait fa
Rhétorique & fa Philofophie , un amour
A O UST. 1763. 127
de l'Etude tel que les leçons des plus
habiles Maîtres pouvoient l'inspirer à un
jeune homme , qui réuniffoit la facilité
de l'efprit à la fagèffe des moeurs.
Après avoir donné dans Paris , plufieurs
années à un genre de travail , qui
femble être devenu le complément de
l'éducation pour la jeuneffe , à qui la
Nobleffe ou l'opulence n'ouvrent point
une meilleure voie de fe faire un état
dans le monde , M. le Père parfaitement
inftruit dans la fcience des affaires
s'établit en cette Ville , avec l'emploi
de Directeur de la Pofte ; auquel il joignit
bientôt après l'office de Notaire , au
Bailliage ; il fallut joindre enfuite aux
devoirs de ces deux places , tous les foins
de l'éducation d'une famille nombreufe.
- Parmi tant d'occupations , dont il a
toujours porté le poids avec une religieufe
exactitude , il fçavoit encore fe
ménager des momens , que la néceffité
du repos & le plaifir auroient pu revendiquer
, mais il étoit content de les donner
à fes anciennes études , dont l'entretien
fouvent trop peu libre n'avoit jamais
été totalement interrompu.
*
Avec ce goût & cette habitude , il
n'étoit pas poffible qu'il négligeât l'occafion
qui fe pré fentoit de cultiver , avec
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
plus d'étendue & plus de fecours , les
lettres & les fciences qu'il aimoit. Perfonne
n'a peut-être embraffé notre inftitution
naiffante avec plus d'ardeur : &
aucun n'a mieux fçu profiter des avantages
qu'elle préfente. Il s'étoit acquis de
longue main , un fond de connoiffances
variées , qui ne demandoient que
d'être repriſes avec ordre , & dirigées à
une fin , pour enfanter fans effort quantité
de productions eftimables.
Le premier objet des occupations de la
fociété devant être l'Hiftoire naturelle &
civile dupays que nous habitons , M. le
Pere commença fes travaux Académiques
par l'étude des moyens qu'il falloit mettre
en oeuvre pour fe procurer une carte
exacte du diocèfe , & une defcription
hiftorique de toutes fes parties. Il fe chargea
lui- même de toutes les opérations de
Trigonométrie néceffaires pour fixer la
fituation & la diftance des lieux &
dreffa un Mémoire qui fut envoyé à tous
MM. les Curés , pour leur demander , &
les mettre en état de donner avec précifion
, tous les éclairciffemens relatifs au
deffein qu'on fe propofoit.
1
>
Perfonne n'étoit plus capable de diriger
& de fuivre cet objet important
que M.Le Pere qui poffédoit une conAÓUST.
1763 . 124)
noiffance profonde de toutes les parties
de la Géographie , dont il préfenta en
ce même tems à nos féances un Tableau
magnifique , dans un Mémoire étendu ,
qu'on peut regarder comme une introduction
facile & attrayante à l'étude de
la Géographie.
%
Le grand ouvrage de M. Bouguer ,
fur la figure de la terre vint alors exercer
& mettre en plus grand jour les talens
de M. le Pere. Il le lut avec tant d'intérêt
, approfondit les difficultés , en rechercha
les folutions avec tant de fuccès
qu'il acquit par fon travail l'honneur
de paroître dans le Public foutenant la
caufe de M. Bouguer , dont le fyftême,
éprouva d'abord de grandes contradictions
. Les lettres qu'il écrivoit à ce sujet ,
ont été répandues & eftimées : & M.
Bouguer ravi de trouver dans une région,
naiffante, &prèfque inconnue du monde
littéraire , un défenfeur auffi habile , entra
avec lui en correfpondance. M. le
Pere étoit l'homme de notre fociété le
plus capable de la produire au dehors ,
& de former & d'entretenir des relations .
auffi utiles à nos progrès qu'honorables
à nos commencemens.
L'étude du fçavant ouvrage de M.
Bouguer, & les débats qu'il occafionna
Fv.
130 MERCURE DE FRANCE,
firent naître à M. le Pere , plufieurs idées
fur la perfection qu'il eft poffible d'ajouter
aux inftrumens d'Aftronomie ; fes
réfléxions fur ces objets font renfermées
dans un Mémoire fort intéreffant qu'il
donna en 1750. Il y expofe une nouvelle
manière d'appliquer le micrometre
aux inftrumens propres à mefurer les
angles , ou plutôt une conftruction toute
nouvelle du micrometre . Elle confifte
en une vis accompagnée d'un fimple
Cadran mobile : les pas de la vis font réglés
fur l'étendue de la divifion du quart
de cercle auquel on veut l'appliquer ; le
Cadran eft divifé de manière que chacune
de fes parties vaille un nombre
complet de fecondes ; par-là on évite les
réductions , ou le calcul des parties du
micrometre , dont toutes les obfervations
font embarraffées ; on évite les
tranfverfales dont le travail eft long , &
fujet aux plus grandes difficultés d'exécution
; on a l'avantage d'avoir toujours
l'objet au centre de la lunette . Enfin
on évite la néceffité de marquer la
Tigne de foi , par un cheveu qui fe caffe
fouvent , & qui eft incommode par fa
groffeur relativement aux divifions imperceptibles
des inftrumens d'Aftronomie.
A OUST. 1763. 131
M. le Pere , examine auffi dans fon
Mémoire l'inconvénient d'un alidade
excentrique , c'est-à- dire d'une lunette
qui tourne fur un quart de cercle , mais
qui ne décrit prèfque jamais exactement
la circonférence de l'inftrument , parce
que le centre de l'axe fur lequel tourne
la lunette , n'eft pas le même centre de
l'arc qu'on a décrit fur le limbe. Il propofe
de faire fervir l'alidade elle - même
à décrire l'arc du quart de cercle & il enfeigne
une manière nouvelle d'employer
Parc de go liv. à la place de l'arc de 601.
dont on s'eft toujours fervi pour divifer
les quarts de cercles. Sa méthode eft fondée
fur le nivellement & le renversement
, opérations connues dans l'Aftronomie
, & que M. le Pere a fçu appliquer
à fa nouvelle conftruction , comme l'auroit
pu faire l'Aftronome le plus exercé
dans ce genre d'opérations .
M. Bouguer , dans fon Livre de la Figure
de la Tèrre s'étoit plaint de l'embarras
que lui caufoit la courbure des
barres de fer qui formoient le rayon
de fon grand fecteur ; M. le Pere imagina
de rendre ce rayon immobile , &
de le laiffer toujours dans la fituation
verticale où la courbure eft nulle , en
në faiſant incliner que la lunette dont
Fvj
132 MERCURE
DE FRANCE .
la courbure eft indifférente ; pour cela
il rendoit mobile le limbe même du
fecteur , en faisant paffer les points de
la divifion fous un fil à plomb tendu
in variablement.
Ce Mémoire fut commuiqué à plufieurs
Sçavans du premier ordre qui rendirent
juftice & applaudirent à des inventions
fupérieures à ce qu'on a exécuté
jufqu'à ce jour , & qui , outre
qu'elles épargnent un travail prodigieux
dans la conftruction des inftrumens &
les difficultés du calcul aux Obfervateurs
, donnent encore dans l'obſervation
des angles la précifion la plus parfaite
.
73 . MM. Delalande & le Gentil , dont le
fuffrage eft d'un fi grand poids en ces
matières , écrivirent au bas du Manuf
crit , que ces inventions étoient abfolument
neuves & préférables à la méthode
ordinaire & que M. le Pere
avoit la gloire d'une invention utile ,
dans une matière auffi difficile qu'importante.
M. Caffini de Thury écrivit à M. le
Pere qu'il avoit examiné fon Mémoire
avec foin ; qu'il contenoit plufieurs
nouveautés intéreffantes ; que l'idée du
micrometre étoit ingénieufe & nouvelAOUST.
1763. 133
Te , & qu'il approuvoit tellement cette
conftruction , qu'il la feroit exécuter ſur
le premier inftrument qu'il ordonneroit.
Si M. le Pere s'attachoit à la perfection
des inftrumens , c'étoit à caufe du
fervice qu'il vouloit en tirer dans l'exécution.
Il fuivoit toujours le projet que
la Société avoit formé de lever la carte
détaillée du Diocèfe avec un graphometre
dont M. Caffini faifoit préfent
au nom du Roi à la Société , afin d'aider
& d'animer fon travail. M. le Pere
a mefuré les pofitions & les diſtances de
tous les endroits remarquables au dedans
& aux environs de la ville : tours ,
clochers , fommets de montagnes , tout
a été foumis à fes obfervations : les
pofitions
déterminées & les diftances calculées
avec une attention & une exactitude
admirables ; qu'il me foit permis
d'entrer en quelque détail pour donner
un exemple frappant de la jufteffe & de
la précifion du travail de M. le Pere.
Il mefura dabord une bafe de 328
Toiſes entre la Croix du Calvaire fituée .
près la Porte Saint - Simon , & un fignal
qu'il fit planter près la Porte d'Egleny
, fur le bord du chemin de Saint-
George. Il fit planter des fignaux fur
les Tureaux de Celles de Jonches & d
134 MERCURE DE FRANCE.
Saint - Denis : enfuite il forma neuf
Triangles & détermina la poſition de
fes fignaux ; celle d'un arbre en quetard
, de la Chapelle Saint- Simeon , de la
Tour Saint- Etienne , des Fourches de
Brellon , & enfin de la Croix de Queine .
Le dernier de fes Triangles fut celui
de la Tour Saint-Etienne , du fignal de
Saint-Denis & de la Croix de Queine ,
dont M. Caffini lui avoit donné les
calculs. M. le Pére calcula fes Triangles
par fa baſe meſurée , calcula en- ·
fuite à l'inverfe fept de fes Triangles
en prenant pour baſe la diftance de la
Croix Queine , au fignal Saint - Denis
donné par M. Caffini : & le réfultat de
fon nouveau calcul ne lui donna dans
la meſure de fa bafe que , de plus
c'eft-à-dire un pied de différence fur
328 Toifes. Cependant il ne s'étoit
fervi dans ces opérations , que d'un
Graphometre d'environ fix pouces de
rayon , dont le défavantage n'a pu être
réparé que par l'induftrie & l'application
la plus fcrupuleufe.
I
Il détermina avec la même jufteffe
la direction de la méridienne de l'horloge
; il fit différentes obfervations de
l'amplitude Orientale & Occidentale
du Soleil , avant & après , & pendant!
A O UST. 1763. 135
le Solftice d'Eté ; il obferva fur le Tu
reau de Celles , & plus encore fur la
plate-forme de l'Horloge. Il forma &
calcula plufieurs Triangles Sphériques ,
qui lui donnerent deuxAngles à la Méridienne
l'un au Nord , & l'autre au
Sud de la Ville . Il détermina l'Angle
au midi entre la Méridienne & le
Pilier Oriental des fourches de Brelon ,
de 11 , 34 par Eft , & l'Angle au Nord,
entre le Pignon occidental de la Chapelle
Saint-Simeon de 16 , 59 par Oueſt ;
& ces deux Angles à la méridienne de
l'horloge font parfaitement d'accord
avec les Angles à la méridienne de la
Tour Saint - Etienne , déterminés par
les opérations faites par la carte générale
du Royaume.
M. le Père a encore vérifié fes obfervations
fur la méridienne de l'horloge
en déterminant trois autres Angles à
cette méridienne , entre le clocher de
Venoi , la Chapelle Sainte- Vaubouée ,
& le fommet du Tureau de Celles.
Cinq cens obfervations faites pour
former une fuite de Triangles avec
cette précifion , & les calculs qu'elles
entraînent devoient coûter beaucoup
à M. le Père , qui jufques- là s'étoit
affez contenté des charmes de la théorie
136 MERCURE DE FRANCE .
fans y joindre les difficultés de la pratique.
Il y fit cependant des progrès
très -rapides ; il l'exerça fupérieurement
& il en fut moins redevable à l'opiniâtreté
du travail , qu'à une étude profonde
& entiere des Mathématiques.
Elles faifoient fon étude favorite , un
goût décidé & invincible l'y ramenoit
préférablement à tout : mais les circonftances
& les affaires de la vie "
fouvent peu d'accord avec l'inclination ,
lui avoient fait paffer fa jeuneffe dans
d'autres occupations. Il avoit réuffi
parce qu'il y avoit porté ce goût d'ordre
& de précifion qui eft l'efprit géométrique
fi éffentiel dans toutes les affaires
férieufes , avec bien plus d'effet
encore fe livroit - il à fon penchant, lorfqu'il
étoit maître de difpofer de fes
momens ? Il portoit alors au travail un
efprit fi appliqué , fi pénétrant , qu'il a
fouvent réfolu des difficultés qui embaraffoient
des Géométres plus confommés
que lui. On l'a vû réfoudre des
queftions de la plus fublime Géométrie
, avec le fecours d'une fimple annalyfe
, employer une adreffe fingulière
dans la manière de confidérer des fuites
infinies dont la fommation dépendoit
de la rectification du cercle , & ſe traA
OUST. 1763. 137
cer une route particuliere pour déterminer
les foutangeantes dans la courbe
tranfcendante connue fous le nom de
Quadratrice de Tſchirnaufen.
Il nous donna en 1753 , un Mé
moire rempli de calculs Algébriques ,
dans lequel il explique une nouvelle
méthode pour trouver facilement la fouf
tylaire , la méridienne , & la déclinaifon
du plan des cadrans Verticaux ,
dès que la hauteur du ftyle eft donnée,
Enfuite il nous rendit compte de l'obfervation
qu'il avoit faite de l'éclipſe de
Soleil du 28 Octobre de la même année
.
Je n'entrerai point dans le détail de
tous les problêmes d'Arithmétique , d'Algebre,
& de Trigonometrie , dont la folution
faifoit fes divertiffemens . On voit
dans le Mercure de 1760 , des lettres de
M. le Pere , qui démontrent avec autant
de clarté & de précifion , que de politeffe
, le défaut d'une nouvelle folution
du fameux problême de la duplication
du cube .
Je ne ferai que citer fon Mémoire fur
les incommenfurables, & leur multiplication:
fur l'ufage du finus d'1 °.1 dans l'approximation
de la quadrature du cercle ,
& fur l'utilité de l'Àlgebre , ou plutôt là
138 MERCURÉ DE FRANCE.
fiéceffité pour parvenir à quelques découvertes
dans la Géométrie Moderne.
Je me contente auffi d'indiquer fes
recherches fur les logarithmes , dont il a
étendu l'ufage , par une nouvelle méthode
de les employer dans certains cas ,
où l'opération eft accablante fans leur
fecours qui n'y avoit point encore été
introduit.
Nous verrons avec plus de plaifir &
d'intérêt,M. le Pere réduifant en pratique
fes hautes connoiffances , & les appliquant
à des opérations de fervice & d'u
fage continuel .
C'eft lui qui a décrit & fait éxécuter
pour l'ufage de notre Société , une machine
propre à recevoir & à mefurer l'eau
de pluie. Elle fert journellement , entre
les mains d'un exact Obfervateur,à mefurer
l'eau qui tombe chaque année à
Auxerre.
La forme que fui a donnée M. le Pere ,
& qui empêche l'évaporation , eft dans
le goût de celle de la Société d'Edimbourg,
& rend ce vaiffeau plus parfait
que ceux dont fe fervent plufieurs Académies
de l'Europe.
Le reste au Mercure prochain.
AOUST. 1763. 139
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Étudiant en Chirurgie
à M. *** , Chirurgien de Province.
MONSIEUR,
Je vous avoue naïvement ma furprife,
à la lecture de la lettre que vous m'avez
écrite au fujet des Tailles faites à l'Hôpital
de la Charité , avec le Lithotome.
Je ne m'attendois pas à voir un célébre
Partifan de ce Lithotome , former quel
ques doutes & exiger de moi confir
mation fur le fuccès de ces opérations
annoncées dans le Mercure du mois
de Mars paffé , par un Eléve de cet
Hôpital . Ce témoin oculaire doit felon
Vous , paroître fufpect ; il en a trop
dit
pour convaincre ; à fon langage
On reconnoît une perfonne intéreffée ,
140 MERCURE DE FRANCE.
& enfin vous foupçonnez les Religieux
de la Charité d'être les auteurs ou les
promoteurs d'un écrit de cette nature .
Votre foupçon qui femble naître du
corps de l'ouvrage , n'a pourtant point
de fondement réel , & il s'évanouit à
la première réfléxion .
En effet , Monfieur , pouvez-vous
croire que des Religieux cherchent à
s'ériger aux yeux du Public comme
les Chirurgiens en Chef de l'Hôpital ?
Pouvez-vous fuppofer que des gens de
main-morte tentent par des menées fécrettes
à fe décorer des titres deſtinés
à un Corps très-vivant parmi la fociété
? Je fçais bien que dans l'intérieur de
leur maiſon , ils s'appellent Procureur
Apoticaire , Chirurgien . Mais ce font
des dénominations arrogées au fervice
de l'Hôpital
dont ils ne font pas
parade au dehors. L'Apoticaire en chef
fe produit dans le monde fous le fimple
nom de Frère , & le Quêteur aban
donne toute idée de Chirurgien
pour aller en ville exercer fon autre miniftère.
Vous voyez donc par là , que
tous les beaux titres avancés en leur
faveur , font bien oppofés aux traits de
modeftie qui caractériſent éffentiellement
l'efprit de ces Moines. On a voù-
?
"
AOUST. 1763. 141
La les fervir , il falloit être plus adroit
l'affectation frappe , on apperçoit le ridicule
, & je penfe que les Religieux
ne tarderont pas à defavouer ces noms
imaginaires dont on les a gratuitement
parés.
Quoiqu'il en foit , vous devez ajoûter
foi aux fuccès publiés par l'Eléve en
Chirurgie de leur Hôpital. Si certaines
circonftances font changées , préfentées
fous un côté plus favorable le fond
exiſte , & rien ne peut empêcher votre
croyance. Mais ces opérations fuffent
elles encore plus brillantes, vous ne devez
pas en conclure avec lui , que la maniere
du Frère Cofme l'emporte fur toutes
les autres. Ce n'eft pas par des faits
expofés avec étalage , qu'on parvient
à établir la préférence d'une nouveauté
fur une pratique plus ancienne ; il faut
des examens combinés , & des comparaiſons
fenfibles . L'Eléve a manqué
à ce principe , fans doute par défaut
de Logique : auffi fon affertion tombe
d'elle -même , & pour la détruire je me
contenterai de quelques demandes.
Le Frère Cofme taille - t- il avec autant
de fireté & d'intelligence que
Chefelden ? Vous - même Monfieur
pouvez - vous vous vanter d'avoir été
>
€42 MERCURE DE FRANCE.
auffi heureux en adoptant le Lithotome
caché , que feu M. Faget armé du Lithotome
ordinaire . Si ces réfléxions ne
paroiffent pas affez décifives en faveur
de notre méthode , qu'on mette en parallèle
les Tailles pratiquées à la Cha
rité par les vrais Maîtres de l'art , &
celles dont l'Eléve fait le récit ; quelque
prévention que l'on , ait pour l'habileté
des Moines , on fera forcé de fe rendre
à l'évidence , & d'admirer dans les
premières la fupériorité du fuccès .
L'Eléve dans le courant de ſa lettre
ne néglige rien pour foutenir la caufe
dont il s'eft chargé ; partout il rend
juftice à la méthode du Frère Cofme,
& partout il fe plaît à parler de fon
invention , de fes préceptes & de fes
maximes. Je le compare à l'écho , qui
balbutie ce qu'il a entendu dire.
Ce n'eft pas que je prétende infirmer
les talens du Religieux , à Dieu
ne plaife. Je connois la valeur de fon
mérite. Je dis fimplement , qu'il n'a
pas enrichi la Taille d'une méthode
nouvelle , qu'il n'a pas frayé une route
différente & qu'il n'a pas même produit
le moindre changement effentiel à
la perfection de la pratique ordinaire.
1
AOUST. 1763 . 143
Ne peut-on pas être habile homme
fans faire des découvertes ?
Il eft vrai ; ce Religieux a eu l'art de
perfectionner un inftrument déjà com
mun,& de l'approprier à la Taille latérale.
Cette perfection eft même ingénieufe &
demandoit des connoiffances . De-là il ne
s'enfuit pourtant pas qu'il ait des avantages
fur les autres. Je trouve tout le
contraire.
Le Lithotome caché exige une habitude
conftante , des épreuves longues &
réitérées fur les cadavres ; il exige de
Opérateur des procédés invariables
des mouvemens de mains fixes & déterminés
, & des calculs de combinaiſons
entre la grandeur de la veffie , la groffeur
de la pierre , & le degré d'ouverture
qu'on doit donner à la lame. Peut- on
toujours s'affûrer de ces différentes proportions
? le plus , ou le moins font deux
alternatives à craindre ; alternatives que
le hazard fait éviter quelquefois , & que
l'intelligence ne fait pas toujours préve
nir. Pinvite les perfonnes impartiales à
confulter là - deffus les Mémoires de l'A
cadémie Royale de Chirurgie. * Les preu
ves de réfutation y font démonftratives.
* Voyez le Tome III . des Mémoires de l'Aca
démie Royale de Chirurgie.
144 MERCURE DE FRANCE.
Je puis les confirmer ici par des axiomes
acceptables dans notre art.
Les inftrumens ne doivent pas être
fubordonnés à des refforts , ou à toute
autre action méchanique, mais aux mains
feules du Chirurgien.
Les puiffances méchaniques ont en
général des effets indépendans de notre
volonté. Les mains au contraire font des
mobiles que nous fommes les maîtres de
faire agir , de fufpendre & de fixer fuivant
notre détermination . Ces remar
ques font palpables ; nous ne les étendrons
pas davantage , elles découvrent
fuffifamment les défauts du lithotome
caché.
nouveau
Le vulgaire , & même des hommes
célébres ont confidéré ce
moyen fous des vues bien différentes
de celles que nous venons d'établir. On
s'eft même laiffé féduire par l'aifance
avec laquelle tout homme eft en état
de faire l'incifion à la veffie , & ce motif
a été fuffifant pour engager à l'adopter.
Qu'on fe méfie de cette facilité
, elle n'eft qu'illufoire , & fouvent
elle a rendu caufes de mort des perfonnes
trop curieufes d'opérer avec cet inftrument.
J'étois encore à l'Hôpital de la Charité
AOUST. 1763 . 145
rité , lorfque deux Taillés furent les
victimes de la confiance qu'un Religieux
avoit mife dans l'ufage commode
du litothome caché.
Ce feroit ici le lieu de prouver que les
Partiſans du Frère Cofme ont donné fort
improprement le nom de Méthode nouvelle
au nouveau Manuel du Religieux ;
qu'ils ont affecté mal - à- propos à un
moyen ce qui ne convient qu'au genre
d'opération en général ; qu'ils fe font
trompés en voyant partout dans la pratique
de ce Frère des chofes neuves , des
régles , des maximes nouvellement établies
, puifque fa découverte fe borne
au lithotome caché , & qu'avec cet inftrument
il pratique la méthode latérale.
Mais le temps ne me permet pas d'entrer
dans l'examen de ces préventions ; avant
de finir , il fuffira de remarquer qu'on a
porté le ridicule au point d'attribuer au
Religieux le premier ufage d'une pratique
condamnée depuis longtemps dans
le Frère Jacques , c'eft-à- dire , l'omiffion
des panfemens à la fuite des tailles.
Je ne fuis pas furpris que l'Eléve foit
tombé dans de pareilles bévues : il paroît
plus difpofé à s'en rapporter à fes
propres lumières , & à fe livrer plutôt
aux opinions de quelques Sectateurs
G
146 MERCURE DE FRANCE.
outrés , que d'en croire aux jugemens de
l'Académie Royale de Chirurgie : telle
eft la force du préjugé..
T
Je ne connois pas, Monfieur , l'avan
ture dont vous me parlez . Je ne fuis
point à l'affut de ce qui peut arriver de
malheureux , dund'heureux au Frère
Cofme: N'en attendez de moi aucune
réponſe. Je vois affez fouvent fon neveu
; il a été nommé & maintenų
gagnant maîtrife à l'Hôpital de la Charité
, malgré les Chirurgiens de Paris,
Auffi le regarde-t-on comme un fauvageon
enté par le hafard fur un des meil
leurs troncs de la Chirurgie. Les uns difent
qu'il eft de nature à produire de
.bons fruits , & les autres craignent beaucoup
que fon éloge fi bien fait par l'Auteur
de la Lettre , ne foit un peu prématuré
< ..
J'ai l'honneur d'être , &c.
AOUST. 1763 : 147
ARTS AGRÉABLES.
A Meffieurs les Conciliateurs.
job az
MESSIEURS ,
QUOIQUE Vous n'offriez point votre
médiation à tout le monde, j'eſpére
que vous ne ferez pas affez avares de vos
lumières , pour en refufer quelque lueur
à quelqu'un , qui defire ardemment de
s'inftruire. C'eft dans cette vue que j'ai
pris la liberté de vous écrire , par la
vaie du Mercure , pour vous prier de
concilier des chofes qui me paroiffent
finguliérement oppofées. Spectateur par
gout , je réfléchis quelquefois , & cela
fur le premier objet qui me frappe
amais principalement fur les Arts que j'aime
beaucoup .
Jeifaifois donc réfléxion , comment
il fe pouvoit , que dans une Nation où
il y a des prix inftitués , pour récompenfer
ceux qui défignent le mieux quel
étoit le Coftume des Egyptiens , des
Perfes & c., & de tant d'autres Nations
anciennes comment il fe peut , dis-je¹ ,
que dans les Monumens , que cette
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
même Nation érige de nos jours , elle
s'éloigne fi fort du fien , & femble
faire tous fes efforts , pour qu'il foit impoſſible
de fçavoir dans quel fiécle & à
l'honneur de qui ils ont été élevés .
Mais , difent les amateurs de jambes
nues & de draperies , nos habits ne font
pas dignes d'être confacrés , & leur forme
n'eft point affez agréable pour la
tranfmettre à la pofterité ; ils font un
mauvais effet en Sculpture. Mais le reméde
eft fimple furtout dans un pays où
l'on aime le changement . Ces changemens
d'ailleurs font très- avantageux
pour les Manufactures & pour les Ouvriers
en parures ; j'ai même oui-dire à
nn Anglois , qu'on ne changeoit fi fou
vent de modes dans ſon pays , que pour
encourager & faire profiter les Manufactures
, & il eft à remarquer que leurs
nouvelles modes font toujours l'oppofé
de celle qu'ils quittent.
La fureur des Infcriptions Latines
chofe qui doit néceffairement fuivre la
mode des habits à la Romaine , prive
quantité de gens ( & moi tout le premier
) de fatisfaire leur curiofité fur les
Monumens qu'ils rencontrent : fi elles
n'étoient employées que pour défigner
un Savant dans la Langue Latine , je ne
AOUST. 1763. 149
m'en plaindrois pas. Mais on voit du
Grec & du Latin , fur des Monumens
élevés à des perfonnes , qui n'ont jamais
fçu un mot de ces mêmes Langues .
Il me paroît donc ridicule , que pour
connoître les Illuftres de mon pays , il
me faille employer des Interprêtes étrangers.
Ce ne font peut-être ici que des redites
; mais on ne fauroit , je crois , trop
s'élever contre des abus auffi grands &
auffi ridicules.
R
MUSIQ U E.
ECUEIL de différens Airs à grande
Symphonie , compofés & ajoutés dans
plufieurs Opéra & exécutés au Concert
François des Tuileries. Par M. le Berton
, Maître de Mufique de l'Académie
Royale . In folio. Paris , chez M. de la
Chevardiere , rue du Roule , à la Croix
d'Or , & aux adreffes ordinaires . Prix ,
6 liv. On donnera inceffamment le
fecond & le troifiéme Recueil.
?
On trouve chez les mêmes Marchands
une Ariette en duo ajoutée
dans l'Opéra d'Amadis des Gaules ,
par M. le Berton , & chantée par M. &
Gii
150 MERCURE DE FRANCE.
Mde Larrivée au Concert François.
Prix I liv. 4 Ι fols.
;
Les RÉCRÉATIONS Chantantes , our
Journal Lyrique , contenant des Airs
choifis dans les Opéra - Comiques , avec
accompagnement de Violon , Flute
ou par- deffus de Viole , notés fur la
Clé de G. re. fol. & ajuftés de façon
qu'on peut les jouer en duo fur les
inftrumens. Par M. Légat de Furcy ,
Maître de Chant & Organiſte de Saint-
Germain-le -vieux . Neuviéme Recueil
in 4º. aux mêmes adreffes. Prix , 3 liv .
GRAVU. RE.
M. L'EMPEREUR , Graveur du Roi
dont le burin mérite la célébrité qu'il
s'eft acquife , vient de mettre au jour une
Eftampe d'après le gracieux Tableau de
M. Vanloo , intituléeles Baigneuses. On
la trouvé chez d'Auteur , rue & Porte
S. Jacques , au- deffus du Petit-Marché.
05
eibom
do 38
AOUST.
151 1
1763.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
ON continue tous les Vendredis les
Concerts François avec les mêmes applaudiffemens
& le même fuccès .
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a remis fur ce Théâtre, le Lundi
18 Juillet , la Mort de Céfar , Tragédie
en trois Actes de M. de Voltaire. La reprife
de cette Tragédie , comme on de
voit s'y attendre , a produit un effet plus
avantageux que dans fa nouveauté. Le
goût des Spectateurs François a acquis
un peu plus de fermeté ' , & l'on conçoit
aujourd'hui que l'âme peut être
vivement affectée au Théâtre par d'autres
motifs que les intrigues ou l'intérêt
d'amour. Ainfi , quoiqu'il paroiffe
encore affez étrange à une partie de ce
qu'on appelle nos Dames , & à ceux de
G iv
152 MERCURE DE FRANCE .
nos Meffieurs qui en ont les foibleffes
fans avoir leurs agrémens , de voir une
Scène totalement occupée par de grands
hommes , qui confpirent contre un autre
grand homme ; cette Piéce a été fort
applaudie. On devoit fe promettre que
pour la repréſentation d'une telle Tragé
die le Coſtume , qui devenoit plus néceffaire
que jamais , feroit plus fidélement
obfervé. On ignore, pourquoi
tous les Sénateurs Romains y ont paru
en Domino d'étoffes d'argent ' garnis
comme des robes de femmes , à l'excep
tion de Brutus qui étoit vêtu d'une manière
plus mâle , fans aucun rapport cependant
à l'habillement Romain . On
ignore de même pourquoi on a négligé
l'occafion de faire voir la Tribune aux
Harangues avec les Attributs fi connus
qui lui étoient propres. Au furplus cette
Tragédie a été repréfentée de la part des
principaux Acteurs , avec une perfection
de jeu , qu'on ne pourroit trop louer.
M. LE KAIN dans le rôle de Brutus a
été admirable , & il feroit difficile d'exprimer
quel art & quel pathétique M.
DUBOIS a mis dans celui d'Antoine.
M. BRIZART a paru fort noble & fort
intéreffant dans le rôle de Céfar. Nous
avons pour garants de ces éloges tous.
AOUST. 1763. 153
ceux qui ont vu cette Piéce , dont la reprife
a été continuée affez longtemps .
On a donné , le Samedi 23 du même
mois , la douziéme & dernière repréfentation
de la repriſe de l'Anglois à Bordeaux
, dans laquelle Piéce , comme
nous l'avons déja dit , Mlle DANGEVILLE
, retirée du Théâtre , jouoit par
extraordinaire. Cette dernière repréfentation
, ainfi que celles qui l'avoient précédées,
a eu la même affluence de Specta
teurs & les mêmes applaudiffemens que
la première.
Ön attendoit à la fin du mois précédent
la première reprefentation de la
Préfomption à la Mode , Comédie nouvelle
en Vers & en cinq Actes .
COMÉDIE ITALIENNE. ›
L E 25 Juillet , on a donné fur ce
Théâtre la première repréſentation des
Deux Chaffeurs & de la Laitiere , Fables
dialoguées & mêlées d'Ariettes , fuivie
de la neuviéme repréſentation des Fêtes
de la Paix , auxquelles on a ajouté de
nouvelles Scènes & un Ballet qui ont
fait beaucoup de plaifir . On continue ce
même Spectacle avec un très- grand fuc-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
cès ; nous rendrons un compte plus dé
taillé dans le prochain Mercure de la
Piéce nouvelle des Chaffeurs , & des
Scènes , ainfi que du Ballet ajoutés aux
Fêtes de la Paix.
ARTICLE VI
MONUMENT PUBLIC ,
DESCRIPTION de la nouvelle PLACE
·DE LOUIS XV. à Paris , & de la
Statue Equeftre du ROI , érigée dans
cette Place.,
CETTE
ETTE Place eft fituée entre le foffé
qui termine le jardin des Tuileries , l'ancienne
Porte & Fauxbourg S. Honoré ,
les allées des Champs Elyfées , celles du
Cours la Reine , & le Quai qui borde la
riviere de Seine ; elle eft formée par un
quarré de cent vingt-cinq toifes de longueur
fur quatre-vingt- fept de largeur
entre les balustrades intérieures . Les
quatre Angles du grand quarré forment
quatres Pans coupés de vingt-deux toifes
de longueur chacun , & font terminés à
leurs extrémités par des guérites ou gros
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATION8
.
t
THE
JEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
AOUST. 1763. 155
Tocles ornés de frontons & furmontés d'un
acrotere décoré par des Guirlandes de
feuilles de chêne , & deftinés à porter
des Groupes de figures de Marbre , analogues
au Sujet & à la Place .
Deux de ces Pans coupés du côtê des
Champs Elysées font ouverts, & condui
fent à deux avenues diagonales , dont
Pune eft appellée le Cours la Reine : du
même côté à la tête des Champs Elysées ,
font quatre pavillonsdécorés deboffages,
à l'ufage des Fontainier, Garde & Portier
des Champs Elysées & Cours la Reine .
La façade des deux pavillons les plus
proches de la grande allée des Champs
Elysées, détermine la naiffance de la nouvelle
plantation .
On arrive à cette Place , qui fait la
réunion du Jardin des Thuileries avec les
Champs Elysées , par fix entrées , dont
les deux principales ont chacune vingt→
cinq toifes de largeur.
Le fol de cette Place donné à la Ville
par Sa Majefté , fous la condition de
ne pas fermer les vues de fon Palais &
Jardin des Tuileries , & de s'affujettir
au foffé qui les ferme , les a déterminé
de renfermer cette Place par de grands
foflés de onze à douze toifes de largeur ,
& de quatorze pieds de profondeur , qui
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
fe communiquent les uns aux autres du
côté des Champs- Elyfées , par fept ponts
de pierre avec archivoltes , & font fermés
par des balustrades.
Les murs de l'intérieur des foffés tous
revêtus en pierre , font décorés de chaînes
de refends à l'aplomb des piedeftaux
des balustrades , de tables faillantes
entre deux ; les murs font couronnés
par un cordon portant les balustrades .
Le fol des foffés doit être femé de
gazon , entouré de larges chemins fablés.
Les paffages des ponts s'annoncent
par de grandes portions circulaires fermées
par des baluftrades , qui fe raccor
dant à celles de l'intérieur de la Place à
feize gros piedeftaux deſtinés à porter
des Lions & Sphinx en bronze , facilitent
l'inégalité de la hauteur des baluftrades
de l'intérieur de la Place , d'avec
celles de l'extérieur.
Celles de l'intérieur de la Place pofées
fur un focle au-deffus du cordon dans
tout le pourtour de la Place , ont donné
lieu à une banquette ou trottoirs élevés
au-deffus du fol, d'où l'on monte par des
degrés , à tous les paffages des ponts &
entrées , & en face des huit guerittes.
Au centre de la Place , en face de l'alleé
du milieu du Jardin des Tuileries ,
AOUST. 1763. 157
s'élève à la hauteur de vingt- un pieds
un piédeſtal de marbre blanc veiné de
quatorze pieds & demi de long fur huit
pieds & demi de large , fur lequel eft
pofée la Statue Equeftre du Roi en
bronze de quatorze pieds de proportions,
fondue d'un feul jet le 6 Mai 1758 , fur
les deffeins , & fous la conduite de feu
M. Bouchardon , Sculpteur ordinaire de
Sa Majefté.
Aux quatre Angles du Piédeftal ,
paroiffent debout , & pofées fur un
Socle de quatre pieds de hauteur & de
deux pieds de faillie au - delà du nud
du Piédeſtal , quatre Figures de bronze
de dix pieds de hauteur , repréfentant
des Vertus , caractériſées par leurs attri →
buts ; elles foutiennent dans des attitudes
variées la corniche du Piédeftal
de vingt - deux pouces de hauteur fur
un pied & demi de faillie .
Le devant du Piédeftal en face du
Jardin des Tuileries fait voir deux Vertus
; celle qui eft à la droite repréſente
la Force , & celle de la gauche repréfente
la Paix ; entre ces deux Figures
eft une table renfoncée de marbre de
cinq pieds quarrée , enrichie de deux
branches de laurier en bronze doré
158 MERCURE DE FRANCE.
d'or moulu , & portant cette Infcription
:
LUDOVICO X
OPTIMO PRINCIP :
QUOD
AD SCALDIM MOSAM RHE
VICTOR.
PACEM ARMIS
PACE
IT SUORUM ET EUROPA FELICI
QUASIVIT.
A l'autre bout du Piédeftal &
des Champs Elysées , paroiffent!
autres Vertus on voit à la d
Prudence , & celle qui eft à la
défigne la Juftice ; entre les
AOUST. 1763. 159
une pareille table portant une autre
Infcription latine :
} 155
Нос
PIETATIS PUBLICE
MONUMENTUM
PRÆFECTUS
E T
ÆDILES
DECREVERUNT ANNO
M. DCC . X LV I I I.
POSUERUNT ANNO
M. DCC. LXIII.
i
Dans les deux grandes faces du Pie
deftal font renfermés deux bas reliefs
en bronze de fept pieds & demi de
long fur cinq pieds de hauteur. Celui
du côté de la rivière repréfente le Roi
da ns , un Char couronné par la Victoire ,
dans ,
& conduit par la Renommée à des Peut
ples qui fe profternent ; l'autre bas - relief
, faifant face aux grands bâtimens,
160 MERCURE DE FRANCE.
repréſente le Roi affis fur un Trophée
donnant la Paix à fes Peuples ; la Renommée
qui la publie tient la trompette
de la main gauche , & une palme de
la main droite : on voit dans le fond
un hommé & fon cheval qui paroiffent
morts.
Vers le bas , & au milieu de ces
deux bas-reliefs , font pofés fur le focle
deux grands Trophées compofés de
Boucliers , Cafques , Epées & Piques
antiques , jettés en bronze.
La frife du Piédeftal & la grande
Doucine au-deffus du focle , font enrichis
d'ornemens en bronze .
La corniche eft furmontée d'un piédouche
ou amortiffement orné par quatre
mufles de Lions aux angles , auxquels
font attachés des guirlandes de feuilles
de laurier qui fe groupent avec des cornets
d'abondance verfant différens
fruits ; au milieu du côté des Tuileries ,
font placées les armes du Roi , & du
côté des Champs Elyfées les armes de
la Ville de Paris . Le tout en bronze .
Le Piédeſtal eft pofé ſur deux grandes
marches de marbre blanc veiné , que
l'on fe propofe d'entourer d'une baluftrade
auffi de marbre & d'un foffé en
dedans , pour empêcher l'accès dudit
Monument.
AOUST. 1763. 161
L'on fe propoſe auffi d'exécuter par la
fuite , & de pofer à trente-deux toiſes de
diſtance du centre , & de chaque côté
du Piédeſtal dans l'alignement des deux
allées diagonales , deux grandes Fontaines
, ou Baffins demarbre ornés de groupes
& fujets différens , tant pour l'embelliffement
& la décoration de ladite
Place , que pour l'utilité publique.
Le fond de la Place du côté du Fauxbourg
S. Honoré en face de la rivière ,
eft terminé par deux grandes façades de
bâtiment de quarante-huit toifes de longueur
chacune, fur foixante-quinze pieds
de hauteur , conftruites & placées à ſeize
toifes de diſtance de la balustrade extérieure
des foffés.
Ces bâtimens forment chacun un périftille
d'ordre Corinthien compofé de
douze colonnes de trois pieds de diamêtre
, pofés fur un foubaffement de vingtquatre
pieds de hauteur , ouvert en portiques
formant des Galleries publiques.
Au-deffus de la Corniche du foubaf
fement , régne une balustrade de trois
pieds de hauteur.
Les chapiteaux & entablemens de
cet ordre font fculptés & enrichis de
tous les ornemens qui leur font propres ,
ainfi que les plattes - bandes de l'Archi
162 MERCURE DE FRANCE.
trave , & les platfonds dans les périftilles
Les extrémités de chacune defdites façades
font compofées d'un grand avantcorps
couronné d'un fronton , dans le
Tympan duquel eft fculpté un Sujet
allégorique.
Les arrieres-corps font ornés de nithes
, de médaillons & de tables faillan
tes , & font couronnés par de gros focles
fur lefquels font pofés des trophées
.
Les retours des extrémités de chaque
façade annoncent la même ordonnance
& la même richeffe .
Ces deux grandes façades font fépatées
par une rue de 15 toifes de largeur,
dont la décoration fymétrique en qua
tre-vingt-dix toifes de longueur fe termine
par des pavillons formant un carrefour
fur la rue S.Honoré , qui fera protongé
fur le même allignement jufqu'à
la rencontre du rempart , & terminée
par la nouvelle Eglife de la Paroiffe de
la Magdeleine de la Ville-l'Evêque , dont
le Portail fera face au centre de la Placé .
Deux autres Bâtimens d'une ordonhancé
moins riche que celles des grandes
façades , de trente-deux toifes de
longueur chacun , & féparés defdites
façades par des rues de quarante pieds de
AOUST. 1763 . 163
large , termineront en arrières-corps le
fond de cette Place , & iront aboutir
l'un au Jardin des Tuileries , & l'autre
aux Champs-Elyfées .
Le front du Jardin des Tuileries fur
la Place , qui avoit été rétréci & gêné
jufqu'à préfent par les anciens baftions ,
& par la Porte de la Conférence fera
agrandi , & préfentera une façade de
toute la longueur de la Place , & de toute
la largeur du Jardin.
On fe difpofe pour l'éxécution de ce
projet ( qui ne peut contribuer qu'à
augmenter la magnificence de ce Jardin
dont Paris & la France font redevables
au grand génie de M. le Nautre ) à
former une terraffe baffe de droit & de
gauche du Pont- Tournant , fermée fur
le devant par une baluftrade pofée fur
le cordon du mur du foffé.
Cette terraffe élevée de trois à quatre
marches au- deffus du fol du Jardin
entre les deux Renommées , fera prolongée
dans toute l'étendue de la largeur
du Jardin , & communiquera aux terraffes
fupérieures par deux grands efcalliers
d'une forme elliptique , placées
au milieu d'un avant-corps en façe du
centre des deux fontaines dont il a été
parlé ci - devant.
164 MERCURE DE FRANCE.
Le mur qui fera conftruit pour foutenir
cette terraffe fupérieure , fera décoré de
refends , boffages , tables & autres ornemens
, & fera terminé par une baluf
trade.
Les deux Renommées du Pont-Tournant
feront confervées fur de gros
Piédeftaux & on en pofera deux nouvelles
fur d'autres Piédeftaux pareils ,
placés à l'extrémité des avant- corps .
Au - delà de ces avant- corps feront
prolongés les murs de terraffes jufqu'aux
deux corps-de -garde placés en
ponts coupés fous lefdites terraffes , l'un
faifant décoration par fon entrée fur le
quai de la Conférence , & l'autre du
côté de la terraffe des Feuillans ,
Ces corps-de -garde fe raccorderont
aux murs de face des Tuileries , & à
ceux des deux côtés dudit Jardin par
d'autres piédeftaux deſtinés àà porter des
groupes de figures de marbre .
En face de la Place & dans toute fa
largeur fera conftruit un mur de quai
avec un grand avant- corps dans le milieu
, décoré & orné de boffages , tables
, infcriptions , confolles & baluftrades
apparentes du côté de la rivière
qui formeront le parapet du côté du
quai .
AOUST, 1763. 165
·
On pratiquera fur cet avant corps
deux piédeftaux pour recevoir deux figures
de bronze repréfentant la Seine
& la Marne , & les arrières- corps feront
terminés par des defcentes ou degrés
pour aller à la rivière.
Cette décoration peut être fufceptible
d'un pont décoré & analogue à la Place ,
& le projet eft ainfi propofé,
Cette Place l'une des plus belles de
PEurope, par fa pofition & fa décoration,
feroit encore defirer que l'on fe difpofât
à reconftruire le Pont de Neuilli en
face des Champs- Elyfées.
L'entrée de la Ville par ce côté , en feroit
plus commode & plus agréable
pour l'arrivée de la Province de Normandie.
Il ne feroit queftion pour l'entiere
perfection de ce projet , que décreter la
bute de l'Etoile de douze pieds , remonter
le feuil de la grille de Chaillot
de cinq à fix pieds , & venir en pente
douce jufqu'à la Place du Roi , d'où ſe
feroit le point de partage pour les différens
quartiers de Paris.
C'est la justice & la vérité même , qui
dictent les éloges dûs au zèle & aux efforts
difpendieux de la Ville , pour la prompte
exécution de cette Place qui eft déja
fort avancée. C'eft dans ce même zèle
1
166 MERCURE DE FRANCE.
& dans ces efforts que l'on trouvera le
témoignage le plus fincère de l'amour
des Citoyens pour le Monarque chéri ',
en l'honneur duquel ce fuperbe Monument
a été érigé.
L'exécution & les projets de cette
Place font d'après les deffeins & fous la
conduite de M. GABRIEL , Ecuyer ,
premier Architecte du Roi,
SUPPLÉMENT aux Pieces Fugitives.
RÉFLEXIONS de la Société des
Conciliateurs fur les divers ufages des
termes DEDICACE & de D'INAUGURATION
Sous le régne précédent , on a érigé
avec folemnité des Monumens publics à
l'honneur de LOUIS XIV, & l'on s'eft
fervi du terme de Dédicace pour figni
fier l'offrande qu'on en faifoit. Ce mot a
été employé de même dans la defcription
des Fêtes données à Rennes , à
Valenciennes & à Bordeaux , lorfque
des Etats de Bretagne , au nom de la
Province , & les. Officiers Municipaux
de ces deux dernières Villes au nom de
A O UST . 1763 : $ 64
leurs Concitoyens , donnerent au Roi
une marque de leur refpect , de leur
dévouement & de leur zéle , en faisant
élever la Statue du Monarque Bien-
Aimé dans l'enceinte de leurs murs. La
Ville de Paris , dans les dernières Fêtes,
a eu pour objet de célébrer le même
événement qui lui étoit propre ; & pour
le défigner , elle a fait ufage du terme
d'inauguration dont plufieurs perfonnes
ont demandé la fignification précife.
Quelques-uns ont prétendu que ce
terme n'étoit pas François , & fe font
récrié contre la hardieffe qui l'avoit emprunté
du Latin . Les Auteurs qui ont
écrit dans cette Langue fe font fervis
du mot inaugurare , qui fignifie confacrer
, facrer ; en forte qu'inauguration
feroit fynonyme à confécration , que
l'on dit ne pouvoir être employé au
propre , que pour exprimer une cérémonie
religieufe dans l'ordre le plus
relevé.
Mais nous oppofons à ces Critiques
l'autorité du Dictionnaire de l'Académie
Françoife qui ne profcrit pas de
notre Langue le terme d'inauguration
» c'eft , dit- on , une cérémonie religieufe
qui fe pratique au Sacre
Couronnement des Souverains . L'i
nauguration de l'Empereur,
alt
168 MERCURE DE FRANCE.
On ne voit pas trop par cet exemple"
quelle eft l'acception véritable du mot.
Celui de nous qui eft le plus verfé dans
l'étude des ufages des Nations , nous a
rapporté d'après une Gazette de l'année
1723 , qu'au facre de l'Empereur comme
Roi de Bohême , fait à Prague le 5 Septembre
de cette année , la Couronne
ayant été bénite , l'Archevêque de Prague
la mit fur la tête de l'Empereur, qui
retourna àfon Thrône , & l'Officiant prononça
les paroles de l'inthronifation . On
a qualifié ainfi la prife de Poffeffion d'un
Siége Epifcopal : mais ce n'eft qu'une
expreffion figurée ; car c'eft improprement
qu'on appelle Thrône , la décoration
du Dais du & Fauteuil, qui diftingue
le lieu qu'occupe un Prélat dans les cérémonies
folemnelles de fon Eglife. Cela
ne peut être appliqué qu'à ceux qui font
Princes temporels ; & alors le Thrône eft
dans leur Palais & non dans leur Eglife ;
où ils n'ont qu'une chaire : de là la dénomination
du Temple principal fous le
nom d'Eglife Cathédrale : & dans le rituel
Romain , les Fêtes de la Chaire de S.
Pierre à Rome & à Antioche.
Ce n'eft pas par ce que dit le Dictionnaire
de l'Académie Françoife au mot
inauguration , qu'on peut décider fi la
Ville
AOUST. 1763. 169
Ville & les Auteurs du Mercure ont
bien ou mal fait de fe fervir de ce terme
en annonçant les Fêtes publiques ;
mais qu'on confulte ce même Di&tionnaire
au mot érection , il nous apprend
qu'on dit , l'érection d'une Statue , d'un
Monument , pour dire l'efpéce de Confécration
que l'on en fait en l'honneur
d'un Prince ou de quelqu'autre Perfonnage
illuftre. Le mot de confécration
eft ici employé formellement avec la petite
reſtriction, qui empêche de prendre ce
mot dans une acception relative au culte
divin. Nous ferons voir plus bas qu'il y
a un milieu entre le facré & le prophane,
& que le mot d'inauguration eft celui qui
convient le mieux à cette circonftance
moyenne , puifque dans nos ufages , il
ne peut être pris dans la première fignification;
& qu'il a quelque chofe de relevé
qui empêche qu'on ne l'applique à des
conjonctures triviales.
Si l'on vouloit donner la préférence
au mot de dédicace , il faudroit difcuter
fes différens fens , & peut- être le trouveroit-
on moins convenable après cet
examen, qu'on ne l'auroit penfé d'abord.
Pour trouver la première origine de
ce mot , il faut remonter à l'antiquité
la plus reculée . Judas Machable fit
H
170 MERCURE DE FRANCE ,
repurger le Temple ; on appella cette
cérémonie encoenia, qui fignifie Dédicace
ou le renouvellement d'une choſe détruite
; il ordonna que l'on feroit des
réjouiffances publiques , tous les ans ,
au même jour que la Dédicace auroit
été faite ; & nous lifons dans S. Jean
chap. 10, v. 22 , que Jefus Chrift ne fe
difpenfa pas de l'obfervation de cette
fête , & que le jour qu'on la célébroit
on lui parla dans le Temple , où il fut
rencontré fe promenant dans la gallerie
de Salomon . Le terme d'encænia qui exprime
la fête de la Dédicace , fignifie à
la lettre le renouvellement , du mot grec
Kainos, Novus. De - là les Latins ont fait
le mot encaniare , prendre une robe
nouvelle .
Voyons préfentement comment le
Dictionnaire de l'Académie Françoiſe
définit le verbe dédier ; c'eft , dit-il ,
confacrer au culte Divin , & les exem
ples qu'il en donne font , dédier une
Eglife , un Autel , une Chapelle,
Or le mot de confacrer ne peut être
pris ici que figurément ; car le même
Dictionnaire au mot , Bénédiction , dit
que c'est une action religieufe par laquelle
on bénit une Chapelle! On fçais
qu'iky a dans le Rituel une très- grande
AOUST. 1763. 171
difference entre la bénédiction d'une
Eglife & fa confécration ; mais il n'en
eft pas moins vrai de dire que la Dédicace
n'eft qu'un acceffoire de l'une
ou de l'autre. La Dédicace n'eft que
l'acte volontaire , indépendant de toute
cérémonie religieufe , mais que la confécration
, ou la fimple bénédiction rendent
authentique , par lequel on met
une Eglife , une Chapelle , ou un Autel
fous le nom & l'invocation d'un tel
Saint. En voici des exemples : l'Eglife de
Sainte Géneviéve a été anciennement
PEglife des Saints Apôtres . La Paroiffe de
S. Sulpice a été fous l'invocation de Saint
Pierre & de S. Paul ; elle a été depuis
dédiée à S. Sulpice ; elle étoit bénite
avant que d'avoir ce Patron actuel , &
elle n'a été confacrée que de nos jours.
Nous avons vu l'Eglife Collégiale de
S. Thomas du Louvre prendre le nom
de S. Louis; & le Pontifical Romain parlant
de la dédicace ou confecration d'une
Eglife qui peut être faite très- tardivement
, impofe la néceffité de jeûner la
veille , à ceux pour qui on doit dédier
P'Eglife , auffi bien qu'à l'Evêque qui
doit en faire la cérémonie. Donc la dédicace
eft l'effet de la volonté de celui
qui en eft, pour ainfi dire, le Parrain , &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qui la met fous le nom du Saint en qui il
a le plus de confiance , ou dont il refpece
plus particuliérement la mémoire.
Mais les mots de dédier & de dédicace
s'étendent à beaucoup de chofes, & font
quelquefois fynonymes à celui de confa
erer , pris auffi dans un fens très- étendu .
Le mot de dédier avoit lieu dans notre
langue dans une fignification active ,
pour le choixd'une profeffion par le defir
& l'autorité d'autrui. On lit dans l'Oraifon
funébre fur la mort de Ronfard ,
par Duperon , Lecteur de la Chambre
du Roi en 1586 , que fon indocilité
obligea fes parens de le retirer des études,
pour le dédier à la profeffion des armes
pour l'exercice de laquelle ils voyoient
qu'il avoit le corps bien difpofé. On a
dit depuis fe dédier à l'étude , au fervice
des Autels , au ſervice du Roi ; & ne diton
pas dans le même fens confacrer fa
jeuneffe à l'étude , au barreau , à la
guerre , à l'exercice des armes : ainfi il
exprime également le dévoûment aux
chofes & aux perfonnes , comme confa
crer fa vie au Roi ; de tout ceci on peut
conclure que quand le mot d'inauguration
ne pourroit fe rendre que par celui
de confecration , il ne feroit pas à rejet
ter ; il auroit même l'avantage dans l'obAOUST.
1763. 173
jet de cette difcuffion , de ne pouvoir
être pris au propre comme celui de confécration
, pour une cérémonie Religieufe
, dont le culte divin doit être
l'objet.
Le mot de Dédicace hors de cet
objet , s'applique à trop
de chofes d'un
rang inférieur dans l'ordre civil ; comme
la Dédicace d'un Livre , d'une Eftampe ;
& quoiqu'on ait dit que les Anciens
avoient la Dédicace des Statues des Empereurs
ou des Dieux dans le Paganiſme,
& qu'on trouve même dans les Livres
Saints que Nabuchodonofor fit la Dédicace
de la Statue qu'il avoit fait faire./
V. Daniel ,ch. 3. v. 2. il eft clair que dans
le fens étroit la dédicace ne devroit fe
des lieux , & nous ferions portés
à croire qu'il auroit fallu , pour parler
correctement , dire qu'on avoit fait la
Dédicace de la Place de Louis XV. &
l'Inauguration de fa Statue : c'eft ce
'dernier mot qu'il s'agit de juftifier.
dire que
Inaugurer , difent les Partifans du
terme de Dédicace, c'eft confacrer.Nous
leur paffons l'identité des mots . Eh bien !
la Dédicace de la Statue n'eft- elle pas
une vraie confécration civile ? La Statue
du Roi , n'eft-elle pas comme le porte
l'Infcription , Pietatis publico Monu-
H iij
1
774 MERCURE DE FRANCE .
mentum. Un témoignage public de l'as
mour du Peuple pour un Prince qui en
eft fi digne. C'eft un vou rempli ; toutes
ces expreffions fe réuniffent tous les
jours dans la Dédicace d'une Thèfe :
Vovet , dicat , confecrat.
Il eft inutile de rechercher l'ancienne
fignification du mot d'Inauguration ; il
fignifioit chez les Romains , prendre les
Augures , confulter le vol des oifeaux
avant que d'entreprendre quelque choſe.
Si l'on avoit recours aux étymologies.
on feroit bien plus embarraffé. L'inauguration
pouvoit être prife pour l'élévation
au Sacerdoce , ou l'entrée dans le
Collége des Augures . Dans l'ufage préfent
, il fignifie , dédier , initier. Lorfque
les Médecins de Paris eurent fait
conftruire leur Amphithéâtre Anatomique
, ils en firent l'ouverture folemnellement
, & l'un d'eux y prononça un Difcours
d'Apparat ; cela fut appellé l'inauguration
des Ecoles , & la mémoire en
fut confervée par un Poëme Latin fur
cette inauguration . Dans les Facultés
étrangères un nouveau Profeffeur ,
pour prendre poffeffion de fa Chaire ,
débite un Difcours qu'on appelle Oratio
inauguralis. Inauguration veut dire
initiation , ou installation folemnelle .
>
A O UST. 1763 75
Pourquoi ne ferions nous pas paffer
→ a
dans notre langue un terme auffi fignificatif
? Nous ne pouvons pas dire
dans le fens propre,la confécration de la
Statue du Roi , ce feroit une apothéofe,
nous ne fommes pas payens . Le mot de
Dédicace n'eft pas affez noble celui
d'Inauguration détourné de fa fignificas
tion primitive , ne défignė plus une cérémonie
religieufe ; mais il exprime un
culte civil : & en perdant fa relation au
culte divin , il conferve quelque chofe
d'augufte , fort convenable à la circonf
tance où il vient d'être employé.
CÉREMONIES ET FESTES
PUBLIQUES.
A la ROCHELLE le Juillet 1763.
J'ESPÉRE , Monfieur , que notre
éloignement de la Capitale ne vous préviendra
pas contre la vérité du récit que
j'ai l'honneur de vous adreffer. Vous
reconnoîtrez à mon ftyle que je n'ai pas
cherché à en orner les traits ; mais fi je
réuffis à en rendre le tableau parlant ,
vous conviendrez que tous les exemples
de magnificence & de bon goût , font
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
effacés par les Fêtes que viennent de
donner M. P'Intendant & Mde l'Intendan
te de cette Province. Les perfonnes de
qualité qui y ont affifté , ont partagé l'étonnement
& l'admiration des Citoyens.
L'amour de tous les Ordres de la Ville
pour un Magiftrat moins connu par fon
autorité que par fes bienfaits , afuppléé à
l'infuffifance de l'induftrie & à la rareté
des Artifans. Les préparatifs ont même
été précipités par l'arrivée de Meſdames
les Comteffe de Sene&terre & Marquife
de Villeroi que M. le Maréchal de Senecterre
notre Gouverneur avoit invitées
aux Réjouiffances publiques dont elles
ont fait le premier ornement.
La Paix fut publiée les 1 & 2 de
ce mois par tous les Corps , avec les
acclamations d'un Peuple paffionné
pour fon Roi & pour celui qui en repréfente
fi dignement la Bonté & la
Majefté. Le Te Deum fut chanté le 3 avec
toute la Pompe qui pouvoit rendre cette
Cérémonie plus augufte : M. le Gouverneur
, Mefdames de Sene&terre & de
Villeroi, M. l'Intendant & Mde l'Intendante,
l'Etat Militaire , les Compagnies & la
plupart des Citoyens y affifterent. Il y
eut le même jour fur la Place Royale un
AOUST. 1763: 177
feu de joie , une illumination en Amphithéâtre
, deux fontaines de vin qui
coulerent toute la nuit , féparées par une
eftrade garnie de Muficiens , & un concours
fi prodigieux de Peuple , que la
vafte étendue de la Place pouvoit à
peine le contenir. Les Dames placées
fur les balcons des Maifons qui l'entourent
ne quitterent ce Spectacle fingulier
que pour jouir des illuminations qui
éclairoient les rues. On admira furtout
celles du Gouvernement , de l'Intendance
& de l'Hôtel-de-Ville.
Le lendemain , M. le Maréchal , Mefdames
de Senecterre & de Villeroi ,
fuivies de plus de cent foixante Dames
parées , & de cinq cens Cavaliers , tant
Militaires que Citoyens & Etrangers , fe
rendirent à l'Intendance à cinq heures
du foir. M. & Madame Rouillé les reçurent
dans un fallon orné de glaces &
très - éclairé.
Ce fallon de Compagnie communique
par trois grandes croifées de plein pied
dans un Jardin de quatre - vingt pieds
de longueur & de cinquante pieds de
largeur , plus bas environ de quatre
pieds que le fallon & renfermé par les
Bâtimens de l'Hôtel , qu'on avoit deſti-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE:
né à la conftruction d'une falle de Spectacle.
Ce terrein étoit couvert par de
fortes toiles à voiles , fufpendues par
une mâture auffi folide que hardie , &
difpofées de manière que l'air rafraîchît
la falle , fans que la pluye pût y pénétrer.
Le plafond du milieu à la hauteur
de vingt-quatre pieds étoit formé par
des pavillons de couleurs bleues & jaucelui
des loges étoit mêlangé de
blanc & de rouge.
On voyoit dans l'enfoncement une
toile décorée des chiffres de M. le Ma
réchal , de Madame de Seneterre & de
Madame de Villeroi , enlacés & déffinés
en Fleurs ; l'Orcheftre & le Parterre
bordés de dix grandes Loges paffantes
occupoient le terrein entre la toile
& la fortie du fallon : un treillage de
verdure naturelle en forme de tapis
à la hauteur d'appui , fervoit de parement
aux loges au pied & en dehors
de ce treillage étoit pratiqué un
Amphitéâtre à deux rangs de fiéges ,
qui partageoit la diftance du Parterre
au niveau des Loges. Dix colonnes
torfes , ornées de guirlandes de fleurs
naturelles fortoient du treillage &
marquoient la coupure des loges ceinAOUST.
1763. 179
, trées en haut en forme d'Archivolte
& du milieu des clefs defcendoient les
luftres fufpendus par des guirlandes en
draperie. Chaque colonne étoit éclairée
par un bras à trois bougies ; trois
grands luftres à diftance égale tomboient
du plafond du milieu. Les bras & les
luftres étoient travaillés en fleurs afforties.
Auffi - tôt que les Dames furent placées
on leva la toile & le Temple
de l'Amour fe préfenta avec tout le
brillant de la plus élégante décoration .
On commença par une Comédie en
Vers & un Acte Intitulée Amour fans
Amour : un Citoyen diftingue par fon
efprit & par fes talens , joua le premier
Rôle ; mais l'Acteur trahit l'Auteur
& fa modeftie ne put échaper
aux applaudiffements réunis. Cette Piéce
fut fuivie de l'Opéra des Graces en
un Аđe , dont les paroles & la Mufique
charmantes firent ailément reconnoftre
la même main qui avoit deffiné
leur Temple : deux ballets brillants où
la galanterie & l'éclat des habits répondolent
à l'élégance de réxécution foutenne
par plus de trente Muficiens
d'orchestre tous amateurs , ouvrirent&
fermierent ce fecond Spectacle.
Y
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Les Dames fuivirent Meſdames: de
Seneterre & de Villeroi & montérent
dans les Piéces préparées pour le foupé :
tout le plein-pied de l'Hôtel étoit couvert
de tables garnies avec une profufion
qui fembloit devoir en exclure
la délicateffe , mais qui ne la rendit
que plus furprenante. M. le Maréchal
qui fait fi bien tempérer l'éclat de
fon rang par la gayeté & la galanterie,
refufa de fe placer à la première table ;
il en fit le tour & parut à toutes les
autres pour y répandre les traits de fa
bonté& de fa politeffe: les Cavaliers fervoient
les Dames & trouvoient pour
eux , fur des Buffets dreffés dans les
angles de chaque Salle , des mets fervis
avec autant d'ordre & d'abondance
que les tables mêmes.
On avoit continué la gallerie dans
tout le contour du Jardin & pratiqué dans
les côtés & le derrière du Théâtre , dix
Loges de la dimenfion & du goût de
celles qui bordoient l'Orcheſtre & le
Parterre ; de façon qu'en faifant difparoître
les décorations du Théâtre &
en élevant le Parterre le même terrein
ne devoit plus préfenter qu'une Salle
de Bal entourée de Berceaux de verdure
de fept pieds de profondeur & deAOUST.
1763.
181
treize pieds de largeur , ornés dans leurs
fonds , de glaces d'une coupe égale &
de la plus exacte correfpondance , &
foutenus & partagés par vingt Colonnes
torfes ornées de guirlandes de fleurs.
Il ne fallut pas une heure au Machinifte
pour l'éxécution de ce changement.
Les Dames rentrérent après foupé
dans cette Salle enchantée , par le même
fallon de Compagnie où elles avoient
été reçues, & qui en devenoit le veftibule.
Leur furprife paffa l'efpérance du
Machinifte ; la perſpective avoit été fi
adroitement ménagée , par les rapports
des glaces qui couvroient les fonds de
la gallerie avec celles du fallon , que l'oeil
ne trouvoit plus de bornes & fe perdoit
dans la répétition des objets : on avoit
ménagé dans l'enfoncement un Amphitéâtre
rempli de Muficiens en domino .
Les Dames qui ne vouloient pas danfer
bordoient la gallerie , les autres fe
rangerent autour de la banquette audeffous
des premières. Cette ordonnance
qui fembloit l'effet du hafard , cinq cens
Cavaliers répandus dans la falle , douze
cercles de contredanfes formés à la fois
préfentoient le plus riche tableau.
Mefdames de Seneterre & de Ville182
MERCURE DE FRANCE .
roi ouvrirent le Bal par deux menuéts
avec M. l'Intendant. On danfa jufqu'à
cinq heures du matin ; & il ne fallut pas
moins que l'inquiétude fur la fanté de
M. l'Intendant & Madame l'Intendante
pour arracher les Conviés de ce féjour
délicieux .
On crut que M. & Madame Rouillé
avoient épuifé pendant douze heures
que dura la Fête , la politeffe , l'aménité
& l'attention qui les rendent fi chers à
la Ville ; il manquoit à leur gloire un
trait d'affabilité & de bonté qui prolongeât
les plaifirs & les fit partager au
Peuple. Les Portes de l'Intendance s'ouvrirent
à neuf heures du matin , & on
laiffa entrer tout le monde fans diftinction
dans cette Salle merveilleufe. On
y trouva des violons , & Mefdames
Rouillé, de Sene &terre & de Villeroi nè
dédaignerent pas d'y paffer une partie
de l'après- midi & d'y danfer. L'affluence
du Peuple fut fi grande , qu'il paffa dans
La Salle , ce jour- là , plus de dix mille
perfonnes,
Le lendemain , la Troupe des Comédiens
joua gratis au Théâtre public , &
la Salle de l'Intendance n'en fut pas
moins livrée à la cutiofité du Public.
Je fuis trop bon Citoyen , Monfieur ,
AOUST. 1763: 183
pour ne pas defirer ardemment que cette
Defcription foit inférée dans le prochain
Mercure , fi vous croyez qu'elle réponde
à l'idée qu'on doit fe faire d'une Fête
auffi magnifique. Je fuis charmé que
cette occafion me procure l'avantage de
vous affurer des fentimens avec lefquels
j'ai l'honneur d'être , & c .
C. DENIS .
ARTICLE VII.
NOUVELLES POLITIQUES.
E
De COPPENHAGUE , le 18 Juin 1763.
LaBaron de Gleicken , Chambellan du Roi ,
eft parti le 13 pour la Cour de France , où il va
remplacer le Comte de Wedelfrys , en qualité
d'Envoyé Extraordinaire de Danemarck.
De VIENNE , le 2 Juillet 1763× ~
Le 28 da mois dernier , entre quatre & cinq
heures du matin , on a reffenti quelques fecouffes
de tremblement de terre qui n'ont pas été confidérables
, & n'ont caufé aucun dommage ; mais
fuivant des Lettres de Hongrie , on en a effuyé
de très-violentes à Comore , ou prefque tous les
Edifices les plus folides ont été ébrantes , & quelques-
uns même renversés : on affure que la Cathédrale
& la magnifique maifon des Jéfuites
184 MERCURE DE FRANCE.
font du nombre de ces derniers , ainfi que deu
baftions de la fortereffe baignés par le Danube ,
lefquels ont été détruits par la violente commotion
des eaux de ce fleuve. Plus de deux cent perfonnes
affemblées dans une Eglife de cette mênre
Ville ont péri par l'écroulement de la voute du
Choeur. LaVille de Raab a auffi beaucoup fouffert ,
& l'on reçoit des Nouvelles de divers endroits où ce
tremblement de terre a également cauſé de
grands ravages .
De PEST en Hongrie , le 29 Juin 1763.
Hier,on a reffenti ici de très -violentes fecouffes de
tremblement de terre ,qui ont endommagé confidérablement
les principaux bâtimens de cetteVille ,
& particulierement l'Hôtel des Invalides. La
Croix du Clocher de cet édifice a été abattue & la
voûte, ainfi que les murs de l'Eglife , fe font entrouverts
en plufieurs en droits. On affure que les
fecouffes ont été encore plus violentes à Buttin
ainfi qu'au Village de Kerepes à trois lieues d'ici
& qu'elles fe font fait fentir dans ces différens endroits
prèfque dans la même minute.
De VETZLAR , le 24 Juin 1763.
Les Troupes du Landgrave de Heffe- Darmſtad
ont abandonné cette Ville , après avoir fait conduire
à Giellen le Bourgue-Maître , & les feize
Confeillers dont elle s'étoit faifie. Le Landgrave
ne veut , dit-on , conſentir à les relâcher qu'à condition
que nos Magiftrats lui enverront une députation
folemnelle pour lui faire réparation de l'infulte
que les habitans de laVille ont faite à les troupes
il y a quelques mois.
De MAYENCE , le s Juillet 1763.
Les différens partis qui divifoient le Chapitre ſe
AOUST. 1763. 185
" font réunis en faveur du Baron de Burresheim
Grand- Doyen , qui vient d'être unanimement élu
& proclamé Electeur.
De LISBONNE , le 22 Juin 1763 .
On mande de Bahia que deux Corfaires Anglois
le Lord - Clive & l'Embuscade ayant pris à bord
quelques troupes & s'étant joints à une Frégate
Portugaife, avoient attaqué la Colonie du S. Sacrement.
Après une Canonnade vive & opiniâtre ,
les Anglois avoient forcé les Eſpagnols à fe retirer ,
quand tout-à-coup le feu prit au bâtiment du Lord-
Clive qui fauta en l'air. Alors les Espagnols revinrentfur
leurs pas , & forcerent les autres Vaiffeaux
de retourner à Rio- Janeiro . Les Corfaires Anglois
avoient fait plufieurs prifes confidérables ; mais on
fuppofe que l'argent & les effets les plus précieux
étant à bord du Lord- Clive auront été perdus. Suivant
quelques relations , le Capitaine Macnamara,
qui commandoit ce Corfaire , défefperé de la perte
de fon Vaiffeau, s'eft brûlé la cervelle d'un coup de
Piftolet ; mais fuivant un autre récit plus probable,
il a péri avec trois cens- cinquante hommes de fon
équipage.
De MALTE, le 30 Mai 1763 .
Le jour de la Pentecôte à une heure & demie
après- midi , on a reffenti ici une ſecouffe de tremblement
de terre , affez vive , qui a duré près d'une
minute.
De Rome, le 15 Juin 1763.
Le Cardinal Paolucci mourut dans la nuit du
Io au II de ce mois , âgé de foixante- onze ans.
Cette mort fait vaquer dans le facré Collège un dixiéme
Chapeau , en comptant celui qui eft réſervé
à la nomination du Roi de Portugal,
186 MERCURE DE FRANCE.
De GENES , le 13 Juin 1763 .
2
Suivant les nouvelles arrivées én dernier lieu
de l'ine de Corfe , les Rebelles ont , à ce qu'on
affure , perdu dans l'action d'Aleria quarante
hommes , & les troupes de la République trentedeux
Corfes & trois foldats. Le Général Matra
vient de faire bloquer & attaquer le Fort de
Furiani. Deux Piéves , qui étoient ci - devant du
parti rebelle , ont envoyé à ce Général une députation
par laquelle elles lui offrent leurs fecours
toutes les fois qu'il en aura befoin pour
foutenir les poftes qu'il occupe . Jean- Carlo ' ,
l'un des principatix Officiers de Paoli , mécontent
du peu d'obéillance & de difcipline qu'il
trouvoit dans le Corps de Troupes dont il avoit
le Commandement , & des contradictions coftinuelles
qu'il éprouvoit dans toutes fes opérations
de la part du Chef des Rebelles , s'eſt déterminé
à quitter leur parti . Le Prêtre Confalvi
& un autre de la Province de Balagna , qui
avoient été faits prifonniers à Aleria ont été
mis à mort par l'ordre de Paoli
1
·Du 27 Juin
•
On a appris de la Baftie qu'outre les deux
Capitaines qui avoient été tués dans la tranchée
près de Furiani , le Lieutenant - Colonel Kiniek ,
avoit aufli été emporté d'un coup de Canon . Le
Général Matra a prefque détruit cette place qui
continue à être battue par fon Artillerie ; & il
eft certain que les Rebelles ont abandonné le
fiege du Fort Algaiola pour venir défendre le
Village de Furiani.
On dit qu'un nommé Cicco , Corfe Napoli-
Bain & attaché à la République , avoit médité
AOUST. 1763. 187
un coup important contre les Rebelles , & voici
ee qu'on rapporte à ce fujet. Cet homme , qui
étoit à Calvi , entretenoit une correſpondance
avec Pafchal - Paoli ; & de concert avec le Général
Matra , le Commiflaire de la Baſtie & celui
de Calvi , il avoit propofé à ce Chef des Rebelles
de lui livrer cette derniere place . Paoli
avoit accepté l'offre ; & dans la nuit qui avoit
été fixée entr'eux , il s'étoit approché de la place
avec environ ſept cens hommes . On fit de part
& d'autre les fignaux convenus. Cicco engagea le
Commiffaire de Calvi à faire fortir les habitans
de la Ville & à les mettre en embuscade , de
manière que les Rebelles fe trouvaffent entre le
feu de cette troupe & celui de la Garniſon ;
mais le Commiffaire pour s'affurer de la fidélité
de cet homme éxigea qu'il lui remît fon fils en
ôtage. Cicco ayant répondu qu'il l'auroit donné
fi on le lui eût demandé plutôt , le Commiffaire
fit mettre la Garniſon fous les armes & envoya
deux hommes pour reconnoître les Rebelles
, qui s'apperçevant qu'on les avoit trahis , fe
retirérent avec précipitation.
Du 4 Juillet. f 1
On a appris de Livourne que les Rebelles
avoient élevé une batterie fur une Colline qui
domine le village de Furiani.
De LONDRES, le 8 Juillet 1763-
On écrit de Minorque que le 31 Mai dernier ,
le Colonel Lambart eft arrivé de Gibraltar en
cette Ifle , avec trois Régimens Anglois , qui ont
débarqué fous fes ordres , & ont pris poffeffion
du Fort- Saint- Philippe & du reste de l'ifle , don't
les Fortifications fe font trouvées en bon état,
188 MERCURE DE FRANCE.
La Garniſon françoife s'eft embarquée le 4 do
mois dernier fur trois Vaiffeaux de Guerre qui
ont dû mettre inceffamment à la voile . Ce jourlà
il ne reftoit à Minorque d'autres François
qu'un Officier d'Artillerie , chargé de remettre
les Magafins & les Provifions , & quelques foldats
malades pour le traitement defquels on a
laiffé les perſonnes & les médicamens néceſſaires .
EXTRAIT d'une Lettre écrite du Fort- William
dans le Bengale , le 17 Février 1763.
» Il y a eu aux environs de Calcutta un trem-
» blement de terre qui a duré quatre minutes ,
» & n'a heureuſement occafionné que très-peu
» de dommage ; mais on a reffenti à Chitta-
»yona , Place dépendante de celle-ci , douze
» fecouffes qui ont fait écrouler tous les édifices
de cette Ville bâtis en brique. La terre s'eft
ouverte près de la Factorie ; il en eft forti
so un torrent d'eau mêlé de vafe & il refte
» actuellement en cet endroit un abîme de trois
à quatre pieds de largeur . A Burdavan , autre
» Place du diftrict de Calcutta , il s'eſt élevé au
>> milieu d'une Riviére confidérable un Banc de
» Sable qui a fait prendre un autre cours aux
Eaux de cette Riviere dont l'ancien lit eſt
» actuellement auffi fec qu'aucun autre endroit
» du pays.
>
D'AMSTERDAM, le 8 Juillet 1763.
Un Navire parti de Surinam le 9 Mai dernier
a apporté hier des nouvelles de la Colonie des
Berbices plus sûres & plus circonftanciées que celles
qu'on a reçues jufqu'à préfent. Elles contienment
les détails fuivans :
Les cinq cens hommes de troupes détachées de
A O UST. 1763. 189
Surinam pour aller au fecours des Berbices y arriverent
le 28 Avril , & trouverent à bord d'un
Brigantin à l'embouchure de la rivière le Gouverneur
de cette Colonie qui , comme on l'a déjà
dit , avoit été forcé d'abandonner le Fort après y
avoir mis le feu , & de fuir avec environ vingttrois
Colons , tant hommes que femmes , échap
pés feuls à la fureur des Negres qui avoient impitoyablement
maffacré les autres au nombre
de foixante- dix à quatre- vingt.
Immédiatement après l'arrivée de ce renfort ,
on prit la réſolution de rentrer dans les Plantations
les plus voifines de l'embouchure de la riviè
re , & le Brigantin , accompagné de deux autres
Bâtimens , s'avança jufqu'à celle que l'on nomme
le Dageraad ; les troupes y defcendirent en préfence
des Negres qui leur crierent de fe préparer
à les bien recevoir le lendemain matin , parce
qu'ils ne manqueroient point de les aller trouver.
Ils y vinrent en effet ; l'attaque fut très - vive , &
dura depuis fept heures jufqu'à une heure aprèsmidi
: alors les Negres abandonnerent le combat
& laifferent fur la place quelques-uns de leurs
gens tués ou bleffés : du côté des Hollandois , il
n'y eut de tué que le Directeur de Dageraad.
་
Le jour fuivant , un jeune Gentilhomme des
Berbices , que les Négres avoient cruellement
maltraité à coups de fouet , fut envoyé au Gouvernement
par le Chef des Rebelles avec une
lettre par laquelle celui-ci témoignoit qu'il étoit
très-mortifié que fes gens en fullent venus aux
voies de fait avec les Blancs ; qu'ils avoient agi
fans fon ordre & contre les intentions qu'au
refte ils feroient charmés de vivre dorénavant
en paix & amitié avec le Gouverneur ; qu'ils
ne demandoient autre choſe que leur liberté &
190 MERCURE DE FRANCE .
la moitié de la Colonie pour s'y établir & y vivre
tranquillement avec leurs femmes & leurs enfans
; pour gage de la fincérité de les intentions ,
ce Chef des Rebelles envoyoit en préſent au Gouverneur
de belles boucles d'or que fes gens avoient
prifes dans le pillage de quelques Plantations .
Les mêmes nouvelles portent que le détachement
de Surinam eft réſolu de fe maintenir dans
les poftes qu'il a occupés à fon arrivée ; mais qu'il
n'entreprendra rien contre les Rebelles avant qu'il
n'ait reçu les fecours qu'il attend d'Europe. Jufqu'à
ce moment on effayera la négociation pour
faire rentrer les Négres dans leur devoir , & l'on
fe flatte que l'offre d'une amniſtie détachera de leur
parti un grand nombre d'Elclaves que l'exemple
& legrand nombre ont entraînés dans la Rebellion.
On ne craint plus aujourd'hui pour les Plantations
de Timerary , parce que les Anglois y ont
envoyé des fecours fuffifans. Comme les trois
quarts des Plantations de la Barbade leur appartiennent
, il n'eft pas étonnant que le Gouverneur
de cet établiffement l'ait défendu avec tant de zèle
& d'activité.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 2 Juillet 1763.
LBE Roi ayant nommé Chevalier des Ordres
Royaux, Militaires & Hofpitaliers de Notre- Dame
de Mont-Carmel & de S , Lazare de Jerufalem , le '
Chevalier Maflo de la Ferriere, Maréchal de Camp,
AOUST. 1763 . Igr
& Sous- Gouverneur Monfeigneur le Duc de Berry
& de Monfeigneur le Comte Provence ; le nouveau
Chevalier , ainsi que le Comte de Montault, Colonel
d'Infanterie & Gentilhomme de la Manche de
Monfeigneur le Duc de Berry, le fieur de Ruis-
Embito , Intendant de la Marine , à Rochefort , &
le fieur Durand, ci- devant Miniftre de Sa Majesté
près du Roi & de la République de Pologne , qui
avoient été nommés Chevaliers defdits Ordres par
Sa Majeſté au mois de Janvier dernier , ont été re
çus le premier de ce mois , dans l'appartement &
en préfence de Monfeigneur le Duc de Berry ,
Grand-Maître defdits Ördres. Après avoir fait
leurs profeffions & l'émiffion de leurs voeux entre
les mains du Comte de S. Florentin , Gérent &
Adminiftrateur Général de ces Ordres pendant la
minorité de Monfeigneur le Duc de Berry : ils ont
été admis à baifer la main du Prince Grand Maitre,
en figne d'obédience. Les Chevaliers , Commandeurs
, Grands Officiers & nombre d'autres
Chevaliers & Commandeurs Laïcs & Eccléfiaftiques
defdits Ordres , ont affifté à cette cérémonie.
Le 23 du mois dernier , la Comteffe de Noailles
, Grande d'Efpagne de la premiere Claire &
Grand' Croix de Malte , fut préfentée par la Duceffe
de Villars à Leurs Majeftés & à la Eamille
Royale , en qualité de Dame d'Honneur de la
Reine , en furvivance de la Ducheffe de Luynes ; le
lendemain , elle prêta ferment en cette qualité entre
les mains de la Reine.
La Comteffe de Gontaut , fut auffi préſentée le
29 à Leurs Majeftés & à la Famille Royale , par la
Maréchale de Biron .
Le 30 , le Roi accompagné de la Reine , de
Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Madame Adélaide, de Meldames Vica
192 MERCURE DE FRANCE,
toire , Sophie & Louife , de Monfeigneur le Duc
de Berry , de Monfeigneur le Comte de Provence,
de Monſeigneur le Comte d'Artois & de Madame,
fe rendit à la Plaine de Marly , où Sa Majefté paffa
en revue les quatre Compagnies des Gardes-du-
Corps celles des Gendarmes , des Chevaux légers,
des Moufquetaires & celle des Grenadiers
à Cheval de fa Garde. Le Roi fuivi de Monfeigneur
le Dauphin , du Duc de Chartres , du
Prince de Condé, du Prince de Lamballe, pafla dans
les rangs de ces Troupes , qui défilerent enfuite
devant Leurs Majeftés & la Famille Royale. La
Comteffe de la Marche , & un grand nombre de
Seigneurs affifterent à cette revue.
>
Le 3 de ce mois , Leurs Majeftés , ainfi que la
Famille Royale, ont figné le contrat de Mariage
du Marquis de Graffe & de Demoiſelle de Carcado.
Le même jour , le Duc de Richemont a été préfenté
au Roi.
Le même jour , la Comteſſe de Meflé a été préfentée
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale, par
la Marquife de Saint- Chamand ; la Comteffe de-
Guines par la Princeſſe de Guiſtel . La Ducheffe de
la Trémoille par la Princeffe de Talmond;
Dom Delrue, nouvellement élu Général de la
Congrégation de S. Maur , pour la troifiéme fois ,
dans le Chapitre Général tenu à Marmoutiers , a
été préfenté à Leurs Majeſtés & à la Famille
Royale.
Le 29 neuf du mois dernier , l'Abbé Lambert
Penfionnaire du Roi , eut l'honneur de préſenter
à Sa Majesté une nouvelle tra duction de divers
morceaux choifis des Euvres Morales de Plutarque;
& le lendemain , le fieur le Rouge , Ingénieur
Géographe du Roi, préfenta à Sa Majeltě la
prefpective de la nouvelle Place,
Le
AOUST. 1763. 193
Le 30 , les fieurs
Camus
& Berthoud
, qui
avoient
été envoyés
à Londres
par ordre
du Roi
'pour
l'examen
de l'Horloge
Marine
du fieur
Har
rifon
, eurent
l'honneur
d'être
préſentés
à Sa Majellé
par le Comte
de Saint-
Florentin
.
Le même jour , l'Académie Royale des Sciences
eut l'honneur de préfenter au Roi le volu
me de fon Hiftoire & de les Mémoires pour
l'année 1761 & fes defcriptions des différens
Arts qu'elle a publiées jufqu'à ce jour.
Le Roi , Monfeigneur le Dauphin & Madame
la Dauphine font partis hier pour Compiegne.
Monfeigneur le Duc de Berry & Monfeigneur
le Comte de Provence y étoient arrivés la veille.
La Reine , Madame Adélaïde, Meldames Victoire,
Sophie & Louife , s'y rendront aujourd'hui,
De COMPIEGNE , le 20 Juillet 1763 .
"
Le Sieur Tiepolo , Amballadeur de Venife ,
' eut le ro de ce mois une audience particu
liere du Roi , dans laquelle il préfenta le Chevalier
de Morofini & le Sieur de Quirini , cidevant
Ambaffadeur de cette République à la
Cour de Londres , qui prirent congé de Sa
Majefté. Ces Ambaffadeurs furent conduits à
cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine &
de la Famille Royale , par le Sieur de la Live ,.
Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le Baron de Breteuil , qui revient de Ruffie ,
a eu l'honneur d'être préfenté le 14 , par le
Duc de Praflin , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
département des Affaires étrangères . Sa Majefté
l'a nommé fon Ambaſſadeur en Suede.
Le 17 , Leurs Majeftés & la Famille Royale
fgnerent le Contrat de Mariage du Comte de
Canizy , Exempt des Gardes du Corps , & de
Demoiselle de Vally.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
La Comteffe de Butturin fut préfentée le même
jour à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par la Ducheffe de Praflin .
Le 19 , le Marquis de la Rochejaquelin , Capitaine
de Dragons reforme , prêta ferment en
tre les mains de Sa Majefté , pour la Lieute
nance de Roi du Poitou .
.
De COMMERCI , le 13 Juillet 1762.
Le Roi de Pologne Duc de Lorraine & de
Bar , & la Princelle Chriftine de Saxe , ont tenu
fur les fonts de Baptême , Demoiselle de Cler .
mont - Tonnerre , fille de François- Jofeph Marquis
de Clermont-Tonnerre fils du Maréchal de
ce nom , Maréchal de Camp & premier Gentilhomme
du Roi de Pologne ; & de Marie - Anne
de Lentilhac . Elle a été nommée Staniflas Chrif
tine. Toute la Cour a affifté à cette Cérémonie
qui s'eft faire avec beaucoup de pompe.
.
De STRASBOURG , le 29 Juin 1763.
Le 22 de ce mois , la publication de la Paix
fe fit ici en François & en Allemand , avec les
Cérémonies accoutumées , dans toutes les Places ,
ainfi que dans les différens quartiers de la Ville :
les réjouiffances furent remifes au Dimanche
fuivant 26. Ce jour - là on chanta dans la Cathédrale
le Te Deum auquel affiftérent le Marquis
de Vibray , Commandant en l'abfence du
Maréchal de Contades , & tous les Ordres du
Clergé & de la Magiftrature. Le foir , on illumina
la facade de l'Hôtel- de-Ville , fur la Place duquel
il y eut deux Fontaines de Vin & une diftribution
de pain & de viandes au Peuple Parmi les illuminations
des différens Hôtels de la Ville , celle de la
Fiéche de la Cathédrale fixa particulierement- les
AO UST. 1763. 195
regards du Public , par l'effet admirable que profoit
le nombre prodigieux de la mpions dont elle
toit ornée . Pour prévenir toute elpèce de trouble
& de tumulte , le Marquis de Vibrai ordonna
que les Troupes fullent fous les a rmes
pendant toute la journée ; il fit doubler , pendant
la nuit , les poftes & les patrouilles , & défendit
expreflément aux troupes de fe miler avec
les autres Habitans. On porta même l'efprit
d'ordre jufqu'à féparer les différens Corps de
métiers au moyen de vingt-deux Tributs ou Salles
très-vaftes , qui leur fervirent de lieux d'allemblée
, & dès la veille , chacun d'eux avoit été
prévenu de la place qui lui étoit aflignée . On dif
tribua , par ordre des Magiftrats & avec la permiflion
du Marquis de Vibray , des vivres & une
bouteille de vin à chaque Soldat , Cavalier &
Dragon , qui prirent leurs divertillemens à
part dans les différens Quartiers où ils avoient
été diftribués. La Ville fit remettre aux Curés
& aux Miniftres des deux Religions une fomme
de fix mille livres pour les Pauvres .
Le lendemain , le Marquis de Vibray fit don
ner au Peuple la Comédie & le Bal gratis ; & le
furlendemain , le feur de Lucé , Intendant de
cette Province , fit tirer un très beau feu d'artifice
, & diftribuer au Peuple quatre tonneaux de
vin. Pendant ces trois jours de réjouillances , le
Commendant , l'Intendant & les Magtrats de la
Ville fe donnerent réciproquement de fplendides
repas auxquels furent invitées plufieurs perfonnes
de diftinction .
De PARIS , le 22 Juillet 1763 .
La Faculté de Médecine , alfemblée le 28 du
mois dernier au fujet de l'inoculation , a nommé
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
douze Commiffaires choifis parmi les Docteurs
préfens dans l'aflemblée . Ces Commiſſaires font
Jes fieurs Aftruc , de Lépine , Baron , Bouvart , de
Cochu , de Verdalham , Lorry , Maloet, Geoffroy,
Thierry , Macquart & Petit.
Le 6 de ce mois , les Six Corps des Marchands
de cette Ville ont fait chanter dans l'Eglife des
Prêtres de l'Oratoire , un Te Deum en Mufique ,
en action de graces de l'heureux événement de la
Paix. Le Lieutenant Général de Police , l'Avocat
du Roi & le Procureur du Roi du Châtelet , ont
affifté à cette Cérémonie. Les Six Corps avoient
déja donné des preuves de leur zéle & de leur
aitachement pour la perfonne du Roi ; ilsavoient
contribué aux réjouiffances publiques pour l'iqauguration
de la Statue de Sa Majefté & de la
Publication de la Paix , en faiſant illuminer à
leurs frais , les deux colonnades de la nouvelle
Place.
Le Roi vient de nommer Infpecteur des Hôpitaux
des Trois Evêchés & de la Lorraine , le fieur
Ninnin , ci- devant Médecin - Confultant de fes
armées en Allemagne , & premier Médecin de
celle d'Espagne.
Le trentiéme tirage de la Loterie de l'Hôtel-
.de Ville , s'eft fait le 25 du mois dernier , en la
manière accoutumée . Le lot de cinquante mille
livres eft échu au numero 55311 , celui de vinge
mille livres au numero 52562 , & les deux de dix
mille livres aux numeros §4§14 & 48603 .
Le s de ce mois , on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire. Les numeros fortis de la roue de
fortune , font , 4 , 4 , 26 , 55 , 22. Le prochain
tirage fe fera les Août.
AOUST. 1763. 197
MARIAGES.
Charles-Claude François Marquis da Tillet ,
Colonel du Régiment Royal Infanterie , a épou
fé le 21 Juin , Demoifellle de Sebbeval . La Béné
diction Nuptiale leur a été donnée dans la Paroille
deSaint Laurent , par l'Abbé du Tiller , Vicaire
Général de l'Evêché de Châlons en Champagne.
-
·
Le mariage du Marquis de Pardieu avec De
moifelle de Saint Fulgent , a été célébré le 27
du même mois dans l'Eglife Paroiffiale de Saint-
Roch. L'Abbé de Flamarens , Vicaire Général du
Diocèle de Chartres , leur a donné la Bénédiction
Nuptiale.
La Célébration du Mariage de Louis Antoine-
Armand de Gramont , Comte de Guiche , fils
du Duc de Gramont > avec Philippine Louife-
Catherine de Noailles , fille du Duc d'Ayen
s'eft faite auffi le 27 , dans la Chapelle de l'Hôtel
de Noailles.
Le 12 de Juillet 1763 , ont été mariés en l'Eglife
Paroiliale de S. Roch à Paris , François ,
Marquis de Graffe , des anciens Princes & Seigneurs
d'Antibes fur la côte de Provence , Seigneur
de Limirmont en Picardie & autres lieux , Capitaine
au Régiment des Gardes -Françoiſes &c .
Et Dlle Marie-Anne - Françoife - Louiſe le Senef
chal de Carcado , fille de feu Louis - Alexandre-
Xavier le Senefchal , Marquis de Carcado , Seigneur
de Saint Cavadel , du Gué- de- l'Ifle , & autres
Terres aux Diocéfes de Vannes & de Quimper
en Bretagne , Lieutenant Général ès armées
du Roi , autrefois Colonel du Régiment de Breffe,
& Commandant pour Sa Majesté dans la Baffe-
Alface , & de Dame Marie - Anne - Claude de
Montmorency , aujourd'hui fa veuve.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
"
Jean-Pierre de Bougainville, l'un des Quarante
de l'Académie Françoiſe , Penſionnaire & ancien
Secrétaire de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles Lettres de l'Académie de Crotone
Cenfeur Royal , Garde de la Salle des Antiques
du Louvre , & l'un des Secrétaires ordinaires
du Duc d'Orléans , eſt mort au Château
de Loches , le 22 Juin , dans la quarante &
uniéme année de fon âge.
François - Eléonor Comte d'Andlau , Lieutenant-
Général des armées du Roi , & l'un des Directeurs
du Corps de la Nobleffe de la Baffe Alface
, eft mort en cette Ville le 24 Juin , âgé de
cinquante- deux ans.
Marie-Magdeleine de Saint-Remy , veuve de
Guy-Antoine de Saint-Simon , Marquis de Courtomer
, Capitaine des Gardes- du- Corps de feue
Son Alteffe Royale Madame la Ducheffe de Berry,
& fille de Jean- Jacques Marquis de Saint - Remy ,
& de Marie - Therefe de Montgommery , eft
morte le 26 du même mois dans fon Château de
la Motte-Fouquet , en Baffe - Normandie , dans la
foixante-deuxième année de fon âge.
Claire-Marie Colette de Berard de Ville Breuil
de Montalet , veuve en premières noces de Joachim
-Jacques de la Chétardie , Maréchal de
Camp, Commandant au Vieux Briffac , Gouver
neur de Landrecy ; & en fecondes nôces de Ferdinand-
Augufte Solars , Comte de Monafterol ,
L'eutenant Général des troupes de l'Electeur de
Baviere , fon Miniftre & fon Envoyé Extraordinaire
à la Cour de France , eft morte dernierement
en cette Ville .
AOUST. 1763. 199
1
Louife -Marie de Saint - Quintin de Bler , épouſe
de Célar- Pierre Thibault de la Brouffe , Marquis
de Verteillac de Saint- Martin , Baron dela Tour-
Blanche , Gouverneur , Grand- Sénéchal & Lieutenant
de Roi de la Province de Périgord , Chevalier
de Saint Louis , & Capitaine Lieutenant de la
Gendarmerie , mourut le & Juillet. Elle étoit fille"
d'Alexandre de Saint-Quintin , Comte de Bler
Maréchal de Camp , mort à Berg-Op-Zoom , ou
il commandoit pour Sa Majesté.
Marie- Louife Magdeleine de Beauveau , veuve
de Pierre-Louis Comte d'Ailly,, Marquis de Senecey
, eft morte en cette Ville le 11 du même mois.
Marie de Cuminal , veuve du fieur Malfal- ,
gueyrar , eft morte le 23 Juin à Bergerac en Perigord
, dans la cent uniéme année de fon âge.
རྩྭ་ ༣༩ ས་ ཤ
Emmanuel- Maurice de Lorraine Duc d'Elbeuf
en Normandie, Pair de France, Chevalier de
l'Ordre de Saint Etienne de Tofcane , ancien Général
de la Cavalerie dans le Royaume de Naples .
pour le fervice des Empereurs Jofeph & Charles
VI. eft mort en cette Ville le 17 Juillet , dans la
quatre-vingt- fixième année de fon âge.
Urfule de Pollel , veuve d'Abraham du Quefne-
Mofnier , Chef d'Efcadre des Armées Navales de
Sa Majefté , Commandeur de l'Ordre Royal &
Militaire de Saint Louis , & ci- devant Comman
dant le Département de la Marine au Port de
Toulon , eft morre en cette dernière Ville le 6
Juillet , dans la quatre-vingt- quatorziéme année
de fon âge.
Louis- François Comte de Maulde , Marquis de
la Buiffiere , Prince d'Hofdan au pays de Liége ,
eft mort en fon Château de la Builliere en Artois ,
le 31 Mars dernier .
Le filence de l'Auteur du Calendrier des Princes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
& de la Nobleffe de France , fur la Maiſon de
Maulde , en Hainault , qui fans confulter le
tome 2. de fon Dictionnaire général pag. 490 ,
s'eft contenté de dire dans les Calendriers de
1762 & 1763 , qu'il n'en reftoit qu'une fille mariée
au Vicomte d'Ifque , pourroit faire croire
que cette ancienne Maiſon eft éteinte. Il eft vrai
que Gabriel de Maulde , troifiéme du nom , Seigneur
de Neuville, Marquis de Colemberg , Maréchal
de Camp , Lieutenant-Général au Département
du Boulonnois , le dernier de la Branche
cadette , léparée dès l'an 1430 , mort dans le dixfeptiéme
fiécle , ne laiffa qu'une fille mariée au
Vicomte d'Ifque , à condition de prendre fon
nom & les armes. Mais la Branche aînée ( Voyez
le tome 2. du Dict . ) a toujours ſubfifté en ligné
directe , & le Comte de Maulde dont on vient
d'annoncer la mort , étoit le Chef de cette Branche.
Il eſt le premier de fon nom qui ait fervi en
France , & a hérité de tous les biens de Léon de
Maulde, mort fans enfans en 1740 , de Jeanne
d'Auxi fon épouſe.
De fon mariage ( Célébration , 11 Juillet
1735:) avec Félicité de Conflans , il a laiffé quatre
enfans fçavoir :
Leon , Eugene , Louis , Comte de Maulde , né
le 25 Août 1739 , Colonel aux Grenadiers de
France.
Emmanuel- Gabriel Vicomte de Maulde , né le
24 Septembre 1740 , Colonel,
Adelaide , née en Janvier 1742 ,
mariée en
Mai 1760 à Henri Comte de Lur , Marquis de
Saluces , Brigadier & Colonel de Cavalerie.
Marie-Anne-Charlotte , née le premier No-
-vembre 1748 .
"
AOUST. 1763.
201
Le nom de Maulde eft un des plus anciens qui
fe trouvent infcrits dans les archives des fondations
les plus gothiques de la Province de Hainault
: où on les voit bienfaiteurs des Abbayes de
S. Hubert , de S. Martin , de S. Guilain &c . La
Terre de Maulde eft partagée par Lefcaurà deux
lieux d'Ath , dont la partie au-delà de Lescaut appartenoit
dès l'an 1000 , & appartient encore aujourd'hui
aux Seigneurs de Ligne qui le font qualifiés
Barons de Maulde , jufqu'en l'an 1400. L'autre
partie dont relevoient quinze Fiefs nobles
appartenoit aufli en la même année 1000 ,
Watiez de Maulde , marié 1 ° .à Agnès de Saveuze;
2.à Amante d'Enghien ; ce qui rend probable
que ces deux Maiſons ſont la même origine. La
reflemblance des armes de l'une & de l'autre ,
femble confirmer cette opinion * : celles des premiers
ne différent de celles des derniers que par
trois Croix en fautoirs fur la bande de fable , &
que les Papes accordoient comme marque d'honneur
aux croisés.
•
Quoiqu'il en foit , en 1180 une Auduine de
Ligne , foeur de Watier & de Fraftre de Ligne ,
fut mariée à Mathieu de Maulde , ( Voyez les ann .
du Comté de Hainault , pag . 213 ) . Les autres
alliances de la Mailon de Maulde , font , fuivant
Carpantier, avec les Maifons de Haluin , Henin-
Lietard, Barbançon , Cléves , Montmorency , Berghes
, Mailly &c. Elle a donné des Chanoinelles.
aux Nobles Chapitres d'Andennes de Mons , & de
Nivelle , un Wautier , Seigneur de Maulde , fuivit
en 1201 au voyage de la Terre - Sainte , Bau-
* L'anciem dictum Flamand , Maulde crie Ligne ,
fe trouve aux Archives de Bruxelles .
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
douin , Comte de Hainault. Robert de Maulde fug
Gouverneur de Guiſe en 1250 ; & Mathieu , Gouverneur
de Sensen 1252 .
La Terre de la Buiffiere en Artois , eft paffée
dans la Maiſon de Maulde par le mariage de
George de Maulde en 1597 avec Joffinne de Courteville
, fille & héritiere de Jacques , Seigneur de
la Buiffiere , & de Catherine de Barbançon. Jacques
étoit Chambellan , Capitaine des Gardes , &
Ambaſſadeur de Sa Majefté Catholique Philippe I.
Gouverneur de fon Fils Charles-Quint , & Chevalier
de la Toifon d'Or , dont defcendoit le Comte
de Maulde , Marquis de la Buiffiere , qui a pour .
Mere une Ghistelles , & pour Ayeule une Montmorency.
9
La Terre de Maulde en deça de Lefcaut , a été
vendue par Guillemette de Maulde à Antoine
de Carondelet . Elle fut mariée 1ª . à Jean de Bar
bançon , 2 ° . à Hefter de Cleves.
Les Archives de S. Guilain & de S. Martin, difent
que cette Guillemette de Maulde , héritière
de la Branche aînée , emporta de fa Maiſon cent
mille florins de rente , fomme immenfe pour ce
temps-là.
Voyez l'hift. du Cambrefis , tome 2 , page 997
& fuivantes , & les Annales du Hainault.
Meffire Hector du Pleffis - Chaftillon , des Seigneurs
de Saint - Hilaire- la - Gravelle , Page de la
Reine en 1728 , après fon frère aîné qui l'avoit
été en Septembre 1725 , puis Cornette au Régiment
de la Reine Cavalerie ; enfuite Lieutenant
au même Regiment ; Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis & Penfionnaire de Sa
Majefté , dont il quitta le fervice , tout - à- fait
hors de combat , mourut à Châteaudun le 23
Décembre 1762 , fort regretté. Il s'étoit trouvé
en Allemagne , avec le même Régiment , au
ADUST. 1763. 2༠3
7
Siége de Philisbourg en 1734, &c , & en Boheme
, au Siége de Prague pris d'aflaut en
1741 , où les François d'Affiégeans devinrent
Affiégés & d'où ils firent la nuit du 16 , au 17
Décembre 1742 , fous le Maréchal de Belle-Ifle ,
cette tant belle retraite à jamais honorable pour
le nom François il laiffe un unique neveu âgé
d'environ douze ans & dernier des Seigneurs de
Saint -Hilaire-la - Gravelle , l'une des Branches
cadettes , avec celle de Beaujeu , fubfiftantes &
forties des Seigneurs Châtelains. du Mée , établis
dans la petite Province de Dunois , depuis trois
cens ans paffés , de la Maifon du Pleffis- Chaftillon
, l'une de la Province du Maine , des plus
Illuftres par fes Alliances & fon Ancienneté , &
qui porte d'argent à trois quintes feuilles de
Gueules. Il fortait au feptiéme degré de Jean IV.
du nom du Pleffis - Chatillon & de Catherine
d'Avaugour fa feconde femme iffue des anciens
Comtes & Ducs de Bretagne , lequel avoit eu
pour premiere femme Marie de Vaux- de- Cuon ,
d'où defcend au neuviéme degré Marie - Félici é du
Pleffis - Chatillon , feule & unique héritiere de fa
Branche qui eft l'aînée , de ce nom Marquifo C ›
du Pleffis - Chaſtillon au Maine , de Nonant en
Normandie , de Saint - Gelais en Poitou & c. Comteſſe
de Château - Meliand , en Berry , & c . Epoule ,
1º de François-Antoine de Chabannes Pionzac ,
dit le Comte de Chabannes , Marquis de la
Palice , Lieutenant Général des Armées du Roi ,
Grand-Croix de l'Ordre Royal & Militaire de
S. Louis , Gouverneur de Verdun & du Verdunois
, ci-devant Lieutenant Colonel des Gardes
Françoifes d'où il avoit été Major , Commandant
pour le Roi, en 1745 , ou 1747 , dans le Pays
d'Aunis , la Rochelle , le Poitou , &c. Mort à
I
vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Paris le 23 Décembre 1743 , âgé de foixantehuit
ans.
>
•
2º. En Février 1760 , de Charles - Bernard- :
Martial de Narbonne - Pelet dit le Baron de
Narbonne , Maifon des plus Illuftres & des plus .
Anciennes du Royaume de France , d'où defcendoit
, par femme , le Duc de Lara , Maifon
des plus grandes d'Efpagne , frère puifné de
François Raymond - Jof- ph- Hermenigilde- Amalric-
Pelet , dit le Vicomte de Narbonne , né le 21
Octobre 1715 & marié le 12 Janvier 1734 , à
Marie Diane Antoinette de Roffet de Fleury-
Perignan née le 6 Avril 1721 , & morte au
Château de Fontanés près Sommieres , le 27
Juillet 1754 foeur du Duc de Fleuri , de l'Evêque
de Chartres , de l'Archevêque de Tours & de
la Marquife de Caftries , & petite Niéce du Car
dinal de Fleury , Miniſtre ordinaire d'Etat.
· ·
La Baronne de Narbonne avoit pour frère unique
Louis-Henri Félife du Pleffis - Chaftillon,Comte
de Château Méliand & c. Sous- Lieutenant de la
Compagnie des Chevaux - légers d'Orléans , mort
le 25 Août 1754 , âgé de 28 ans , fans poftérité de
Marie- Magdeleine- Louiſe de Barberie de S. Con- -
teft qu'il avoit épousée le 6 Tuillet 1753 fille de
François-Dominique de Barberie , Marquis de S.
Contest, Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le
Département des affaires étrangeres , Commandeur
Prevôt & Maître des cérémonies des Ordres
du Roi en Mars 1754 & ci- devant Ambaffadeur
de Sa Majesté auprés des Etats-Généraux des Provinces-
unies, mort à Versailles le 24 Juillet 1734
âgé de 54 ans & de Jeanne-Monique- Philippe Def
vieux ; & avoit pour tante Jeanne-Marie du Pleffis- i
Chaſtillon morte à Paris le 18 Avril 1763 , Veuve
de Philippe- Charles d'Eftampes , dit le Comte
>
AOUST . 1763. 205
Etampes qu'elle avoit époufé en Juin 1709 , Marquis
de la Ferté- Imbault , Sallebris &c. Chevalier
de Malte dans fa jeuneffe , Colonel du Régiment
de Chartres Infanterie , Brigadier des Armées du
Roi le Février 1719 , Capitaine des Gardes- du-
Corps de feu Son Alteffe Royale , Monfeigneur le
Duc d'Orléans , Régent du Royaume , d'une Maifon
dont eft forti un Cardinal , plufieurs Evêques ,
entre autres , un Evêque de Chartres , puis Archevêque
Duc de Rheims , un Grand Prieur de France
de l'Ordre de Malte , un Maréchal de France , plufieurs
Chevaliers des Ordres , un grand Maréchal
des Logis de la Maiſon du Roi , &c. De ce Mariage
il ne refte que Sophie d'Eftampes née en Septembre
1730 ; qui a époufé Bernard de Comte-
Nonant, Marquis de Pierrecourt , & c , d'une trèsbonne
& ancienne Nobleffe de Normandie & des
mieux alliée , & a pour oncle Henry , & Anne
Hilarion du Pleffis-Chaſtillon , l'un Comte de Rugles;
& l'autre Chevalier Profès de l'Ordre de S.
Jean de Jérufalem , au Grand Prieuré de France ,
Commandeur de la Ville- Dieu ,
Il est mort à Paris le 10 Juin 1763 , Dame ,
Madame Louiſe Marie de Saint- Quintin de Bler ,
âgée de vingt- cinq ans ,fille de feu Meffire Alexandre
de Saint-Quintin, Chevalier Seigneur, Comte
de Blet , Baron des Broffe & de Villeneuve ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , Maréchal des Camps & Armées de Sa
Majefté , mort à Berg - op-zoom , où il commandoit
pour Sa Majesté & de Dame , Madame
Marie Peirene fes Père & Mère , Epoufe de
Meffire Cefart, Pierre Thibault de la Brouffe ,
Chevalier Seigneur , Marquis de Verteillac de
Saint -Martin , Biron de la Tour Blanche , Gouverneur
, grand Sénéchal & Lieutenant de Roi
266 MERCURE DE FRANCE.
de la Provnice de Perigord ; Chevalier de l'Ordre
Royale Militaire de Saint Louis ; Capitaine-
Lieutenant de la Gendarmerie ; elle a laille ,
deux enfans une fille & un garçon.
·
Pierre François - Marie Guignolet de Montalembert
, Confeiller honoraire au Parlement de
Bretagne , eft mort à Paris le 3 Juillet 1763 ,
âgé de foixante fept ans. Il étoit iffu de la Maifon
de Montalembert , originaire de la Province de
Poitou fur les confins de l'Angoumois . Sa bran
che en étoit féparée depuis Guillaume de Montalembert
, qui s'établit en Bretagne dans la partie
du Comté Nantois frontiere de Poito ; après
avoir épousé l'an 1467 Françoile de Goulaine ,
fille unique & héritiere de Jean de Goulaine
Chevalier , d'une des plus anciennes Maifons de
Bretagne. Moreri rapporte la généalogie à l'occafion
d'André de Montalembert , Seigneur d'Elé
& de Panvillier , Chevalier de l'Ordre du Roi
premier Gentilhomme de la Chambre des Rois
François I. Henri II . Lieutenant- Général , Commandant
fes Armées en Ecofle , qu'un mérite dif
tingué a placé au rang des hommes illuftres de
la France . Voyez fur l'ancienneté de fa Maifon ,.
Moreri , Brantome , Mezerai , le Père Daniel
Dubouchet , Annales d'Aquitaine &C.
A OUST. 1763. 207
LETTRE intéreſſante pour les bons
Citoyens , à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,
Une perfonne de ma connoiffance que je ne puis
vous nommer , attendu qu'elle a voulu refter inconnue
à ceux même qu'elle oblige ; née dans une
Campagne éloignée des Villes , n'a eu d'autres
Maîtres pour apprendre à lire & à écrire que le
Magifter du Village. Quoiqu'elle ait affez bien profité
de tout ce que ce Maître pouvoit enfeigner ,
elle croit qu'elle auroit beaucoup mieux fait s'il y
avoit eu quelque motif d'émulation , quelques livres
, heures ou autres , donnés en prix , & auchentiquement
à ceux qui faifoient le mieux.
Cette confidération l'a portée à procurer à fes
jeunes compatriotes ce qu'elle voudroit avoir eu ,
& en conféquence elle a pris la réfolution de donner
à l'école où elle a été élevée , quatre prix par ':
an; & pour cela elle a envoyé une Caille de livres
au Curé de la Paroiffe , pour en diftribuer quatre ›
par an aux Ecoliers qui feront le mieur dans
chaque ordre , lui promettant de ne l'en pas laiffer
manquer tant qu'elle vivra , & même encore .
un nombre d'années après la mort , & elle a eu la
fatisfaction d'apprendre que ces prix font l'effet
qu'elle en attendoit.
Cet exemple , digne d'être fuivi , l'a déja été par
différentes perfonnes pieufes & très-respectables
par les qualités de leurs coeurs , il y a encore des
gens qui aiment leur patrie & leurs femblables ,
208 MERCURE DE FRANCE.
malgré l'indifférence de plufieurs : fouvent le biert
refte à faire faute d'y penfer ou d'y faire penfer les
autres. Vous vous plaiſez à publier tout ce qui peut
être utile à la fociété , & c'eſt par cette railon que
je vous envoye cette note . Il y a certainement des
ames bienfaifantes dans les Campagnes comme
dans les Villes ; -Seigneurs de Paroille , Curés ou,
habitans ailés qui imiteront ces zélés patriotes ;
plufieurs feront même fâchés de n'y avoir pas -
pensé plutôt , vu que pour très-peu de chofe on
peut produire un très-grand bien , par l'émulation
qu'on peut jetter parmi les enfans , & en
faire fortir plus de Sujets penfans & utiles.
Cette perfonne a cru que l'amour - propre des
enfans feroit bien plus piqué & l'émulation augmentée
, fi les livres mérités par leur application ,
portoient une marque diftinctive de tout autre livre,
comme ceux qu'on donne dans la plupart des
Colleges & pour cela , elle a fait faire de petits
imprimés , laiffant en blanc les noms & années à
remplir ; ils ont coûté fort peu de chofe ; on les
cole contre la couverture en dedans ; tous ces imprimés
font les mêmes , au titre près.
Ces titres font affez entendre ce qu'on demande
dés Ecoliers , pour mériter le prix : je dirai néan
moins ce qu'on exige pour le premier , por lequel
on deftine Telemaque ou l'abrégé dé l'ancien
& nouveau Teftament , ou autre plus convenable
à l'enfant , fi le Curé le juge tel ; ceux qui
ont ce bon efprit , méritent qu'on les flate davantage.
Les conditions qu'on demande pour mériter
le premier prix , peuvent accoutumer les enfans
de bonne heure à pratiquer & aimer la vertu , & les
autres bonnes qualités qu'on exige pour mériter
le prix , & ils peuvent prendre en même temps
de l'horreur ou au moins de la répugnance pour
le.vice.
1
AOUST. 1763. 209 :
On exclut de concourir pour les prix , tout en
fant qui auroit contracté la malheureuſe habitude
de mentir s'il ne s'en corrige pas.
Le premier prix intitulé de bonnes qualités , eft
deftiné pour l'enfant qui fera le plus refpectueux
peur fes pere & mere & fupérieurs , le plus vrai ,
le plus honnête , le plus doux , le plus exact à fes
devoirs; enfin pour celui qui fçaura le mieux ſe
faire aimer de tout le monde , ou qui fera paroître
les commencemens d'une plus belle âme , ou qui ..
réunira le plus de ces qualités eftimables ; on ne
donne ce prix qu'à un enfant déja un peu avancé
qui fçache lire & écrire pour avoir le tems de
mieux démêler fon caractère & fon efprit ; on ne
donne pas deux fois le prix du même titre au
même Ecolier quoiqu'en des années différentes.
Les livres que cetre perfonne a jugé a propos de
donner , font pour le premier prix.
Telemaque en un vol.
Ou l'abrégé du vieux ou nouveau Teftament.
Où l'Inftruction de la jeuneſſe de M. Gobinet.
Pour le 2 , les Confeils de la Sageffe.
Ou le Cathéchifme Hiftorique de M. Fleury.
Ou l'Inſtruction de la Jeuneſſe ci - deſſus .
Pour le troifiéme prix le Traité d'Arithmétique
de M. le Gendre ou recueil d'exemples d'écriture
ou des heures.
Enfin pour le quatrième , le Catéchiſme Hiſtori
que , le Manuel du Chrétien , ou des heures de
moindre prix , plufieurs de ces Livres en abrégé
& de moindre prix . Ainfi on peut faire du
bien à très-grand marché , & mettre un premier
& fecond prix s'il y a beaucoup d'Ecoliers.
Le Cure adjuge les prix conjointement , ou
aidé des avis du Vicaire & du Maître d'école ,
& la diftribution s'en fait dans l'Eglife un
I
210 MERCURE DE FRANCE.
Dimanche ou Fête après la Grande- Meffe větš
la fin de l'année ; on annonce en même temps
ceux de l'année prochaine , comme on avoir an
noncé ceux - la l'année d'auparavant , en exhortant
les Peres & Meres a veiller à l'affiduité de
leurs enfans , à les encourager à mériter l'hon
neur d'avoir un prix & a les rendre fenfibles à
cette diftinction.
On trouve tous les Livres ci-deſſus chez Ma
Herillant , Libraire , rue Saint Jacques.
J'ai l'honneur d'être & c.
A VI S.
Pár Privilége du Roi , le Public eft averti que lë
feul dépôt du véritable onguent du fieur Canet
Officier de la Reine , qui étoit ci - devant rue Montmartre,
eft actuellement chez le feur Butté, à l'Hôtel
de la Rochefoucault , rue de Seine, Fauxbourg,
S. Germain , à Paris.
Qn en débite auffi dans la Maiſon du feu freur
Canet, rue Balle près la petite Place a Verfailles, &
dans les principales Villes & Ports du Royaume.
DE LA ROCHE.
MANUFACTURE Royale de nouvelles Terres , &.
Fayances , qui refiftent au plus grandfeu.
ROUSSEL, Privilégié du Roi , Entrepreneur de
cette Manufacture , y fabrique une Fayance qui eft
à l'épreuve du feu , concernant généralement tous
les Services de Table , & Batterie de Cuiſine , enforte
que l'on trouve chez lui tout ce qui le fait en
Cuivre & en Argent le tout dans des formes nou
velles & de très bon goût.
Il fabrique aufi de la Fayance fine blanche ;:
peinte , japonnée , en Fleurs naturelles comme à
Strasbourg.
AOUST. 1763. 211
left le feul qui poffède le fecret d'un Enrail
imitant le Bronze , & même infiniment plus brillant
, duquel il fait des Figures & Groupes pour
les Defferts , ainfi que de plus grandes , & Vales
pour les Jardins , Pots- Pourris , & autres piéces
curieufes. Le tout à très -juſte prix.
Son Magafin eft ouvert rue de Bâfroid , Fauxbourg
S. Antoine , à Paris.
EAU DE RÉTINE , propre pour les Maladies
des Yeux.
LES effers falutaires de cette Eau n'ont befoin
que de l'expofé le plus fimple , pour en accrédi
ter l'ufage. Dans tous les cas où il s'agit de remédier
a la foiblefle des yeux , elle a les fuccès
les plus heureux ; fa vertu fpiritueuſe & balſamique
eft appropriée à la nature des parties nerveufes
& tendineules , dont cet organe eft com-'
pofé ; elle les fortifie , leur donne du reffort & de
l'énergie lorfque l'oeil eft naturellement foible ,
ou qu'il eft fatigué par l'excès de la lecture , par
les veilles , par les travaux à la lumiere.
L'Eau de Rétine éteint auffi les rougeurs & les
phlogofes auxquelles les yeux font fi fujets : l'uſage
en eft fûr dans tous ces cas ; la feule attention
qu'il faille avoir eft de la tempérer avec trois
parties d'eau de Riviere lorfqu'il y a inflammation.
La vertu pénétrante de cette Eau procure une
circulation plus facile dans les vailleaux lymphatiques
de la cornée ; elle prévient les obftructions
opaques , les nébulofités , & les taies :
enfin , elle est très -propre à empêcher la paralyfie
& la goutte fereine de fe fixer . Volci comment
on doit fe fervir de cette Eau .
Il faut , plufieurs fois dans la journée , baffiner
légérement les fourcils & les paupières fupérieures
avec une petite éponge très - fine & très- nette , im212
MERCURE DE FRANCE.
bibée de cette eau pure : elle agira encore avec plus
d'éfficacité , fi l'on s'en frotte les mains , & qu'on'
les approche des yeux pour donner lieu à fa vapeur
de les pénétrer. Enfin en l'affoiblillant , comme if
a été dit , avec trois parties ou même une plus
grande quantité d'eau de riviere fuivant les cas ,
on peut imbiber des comprelles qu'on mettra far
les yeux pendant la nuit .
La Bouteille coûte 1 liv. 16 f. I
Cette Eau fe vend chez le fieur FAC10T7 , rue S.
Denis , la porte cochere vis - à-vis de la rue du petit
Lion.
ANTI-SCORBUTIQUE , ou Propriété pour tous
les maux de la bouche.
Pau de perfonnes font exemptes des maux qui
viennent fur la langue , aux gencives , au palais
Les perfonnes de cabinet par un travail ap
pliqué y font fujets , les gens de mer beaucoup
d'autres par une difpofition particulière ; les enfans
mêmes à qui les dents croiffent n'en font
pas exempts.
Un paquet feul fuffit pour une guériſon ſubite .
En vendant le paquet on joint un imprimé
qui indique la manière aifée de fe fervir de cette
propriété.
On ne peut envoyer dans la Province pour un
feul paquet
, mais fix mis dans une même enveloppe
, qui peuvent toujours le garder dans un
cas de befoin , pour foi ou pour d'autres .
Les perfonnes de Province peuvent écrire directement
au fieur Genti , en affranchiffant les
ports de lettres , en obfervant auffi d'envoyer trois -
livres pour chaque fixain de paquets , foit par la
Pofte , droit payé , ou par les caroffes publics ; ou
par telle autre occafion qu'on voudroit faifir ou
indiquer.
AOUST. 1763. 213
Ce remède fe vend chez lefieur Genti ,Marchand,
au gros Chapelet , fur le Pont Marie , à côté du
Potier d'Eraim , à Paris.
APPROBATION.
J'ai lu, par ordre de Monſeigneur le Chancelier , 'AI
le Mercure du mois d'Août 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 1 Juillet 1763 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
SURIB
ARTICLE PREMIER.
UR la Statue Equeftre Du Roi.
VERS à Mlle B.
ÉPITRE à MHe D. S. P.
Pag.5
IQ
RÉPONSE à une Dlle qui demandoit à l'Auteur
quelle étoit la différence de l'amour
au mariage.
II
15
TROISIEME caractère du vrai Philofophe . ibid.
LES Amis du Siécle , Fable .
FRAGMENT d'une Lettre pour fervir de juſtification
à un ami outrage.
PORTRAIT de Madame de P **.
VERS à Madame D ***
LBS Tombeaux , Ode.
La Financier , Fable.
L'ÉTONNEMENT Iéciproque, Nouvelle Orien
tale.
19
2
22
23
ibid.
31
ibide
214 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. De là Place.
VERS fur la convalefcence de M. D. V.
DIALOGUE entre Sémiramis & Jeanne d'Arques
. 52
POUR M. le Prince de Solre. 66
ENIGMES. 67 &68
69 & 70
72
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
REPONSE de M. de Saintfoix à M. L. C. D.
L. V.
****
•
LETTRE à M. De la Place , fur la mort de
M. de Boullioud.
REMARQUES fur le véritable fens de deux
Vers de Martial.
74
76
78
THEATRE de M. FAVAKT , ou Recueil des
Comédies , Parodies & Opéra-Comiques. 84
FAMILLES des Plantes , par M. ADANSON .
ANNONCES de Livres.
III
115 & fuiv..
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES .
ACADEMIES .
PRIX proposé par l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Lettres de PRUSSE ,
pour l'année 1763.
ELOGE hiftorique de M. LE PERE.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Étudiant en Chirurgie ,
M***, Chirurgien de Province..
121
126
139
AO UST. 1763. 215
ARTS AGRÉABLES.
A MM. les Conciliateurs,
147
MUSIQUE. 149
GRAVURE. 150
ART. V. SPECTACLES.
ACADÉMIE Royale de Mufique.
ISI
COMÉDIE Françoiſe . ibid.
COMÉDIE Italienne.
153
ART. VI. Monument public.
SUPPLEMENT aux Piéces Fugitives.
CÉRÉMONIES & Fêtes publiques .
354
166
175
NOUVELLES Politiques.
183
MARIAGES.
MORTS.
LETTRE intéreffante pour les bons Citoyens. 206
Avis.
197
198
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
C
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
SEPTEMBRE . 1763.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Filius im
PalonSessi
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis à-vis la Comédie Françoife
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
>
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
parvolum. c'est -à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le paye
ment enfoit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à an
noncer, d'en marquer le
prix
.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt - feize volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douziéme.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A M. le Comte MAURICE de BRUHL,
Gentilhomme de la Chambre du Ror
de POLOGNE , & Lieutenant - Colonel
des Carabiniers de Saxe , &c.
Q UOI ! cher Comte , fi jeune encore ,
Vous fentez le prix des talens.
Dieux ! qu'une fi riante aurore
Promet aux Arts de jours brillans
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
A votre aſpect chacun s'étonne
De voir chez vous en même temps
Les fruits aimables de l'Automne
Mêlés aux rofes du Printemps.
Votre amitié devient le gage
Et du génie & du fçavoir ,
Et fouvent même elle encourage
Le noble defir d'en avoir.
Le goût des Arts eft le préfage
Et le vrai fceau de la grandeur :
Un nom célébre avec fplendeur
De qui les aime eft le partage.
L'éclatant régne des Céfars
Aux grands hommes dut tout fon luftre.
Mécène protégea les Arts ,
Et Mécène devint illuftre.
Vous qui joignez un goût fi fûr
Au Sentiment , à la fineſſe
Et la Raifon d'un âge mûr
Aux agrémens de la Jeuneffe
Allez , volez , prenez l'éffor ,
Suivez le feu qui vous enflamme ;
Montrez au Monde le tréfor
Que vous renfermez dans votre âme.
Mûri par le flambeau des Cieux ,
Ainfi ce grain caché ſous terre ,
Tout-à-coup croiffant fous nos yeux ,
De la prifon quile refferre ,
S'éléve en chêne faſtueux ,
SEPTEMBRE. 1763.
7
Et bravant enfin le tonnèrre ,
De les rameaux majestueux
Semble ombrager tout l'hémiſphère . '
Soyez l'ornement de la Cour.
On réuffit quand on fçait plaire.
Affis au rang de votre père ,
Vous brillerez à votre tour ;
Des Peuples vous ferez l'amour ,
Et des Arts le 'Dieu tutélaire .
La Vertu qu'un haut rang éclaire ,
Eclate alors dans tout fon jour.
Je verrai l'Europe étonnée ,
Bientôt fur vous fixer les yeux ;
Oui , votre belle deſtinée
Doit égaler tous vos ayeux.
Dans les combats faites revivre
Ce grand Guerrier , ce fier Saxon
Dont vous portez déja le nom ,
Et de qui vous brûlez de fuivre
En tout l'exemple & la leçon .
Mais ce courage qu'on admire ,
Dont rien ne put borner le cours
Se vit dompter par les Amours ,
Et vous riez de leur empire .
Lorfque la Déeffe aux cent voix
Publiera partout votre hiſtoire
Quand la
>
trompette de la Gloire
Retentira de vos exploits ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ce Sage * dont l'heureuſe adreſſe
Par le plaifir forme les coeurs ,
Qui va pour vous femant des fleurs
Sur le chemin de la Sageſſe ,
Et qui comme moi prévenu
Par votre âme noble & modeſte ;
En vous aimant eft devenu
Votre Mentor & votre Orefte ;
Ce Philofophe généreux ,
Qui par un long apprentiffage ,
Comme un Pilote habile & ſage ,
Sur cet Océan dangereux
Sçait vous conduire fans naufrage ,
En vous voyant partout fameux ,
Dira partout , c'eſt mon ouvrage.
Allez , vos fuccès font certains ,
Votre gloire fera parfaite ;
Rempliffez vos brillans deftins :
Mais aimez toujours le Prophéte.
* M. dela Frenaye , Colonel au Service de
S. M. le Roi de Pologne , Electeur de Saxe ,
connu par fon mérite diſtingué & par les brillanses
éducations qu'il a faites.
Par M. BLIN,
SEPTEMBRE. 1763. 9
VERS préſentés à Madame la Comteſſe
d'ELM ....à bord de la Galère la Ste
Catherine , où elle venoit de racheter
un Efclave , de faire des libéralités à
plufieurs , & ne vouloit recevoir les remercîmens
d'aucuns.
Toi , qui fans te borner à de ſtériles pleurs ,
Daignes fur nous cependant en répandre ;
Toi , dont l'âme fenfible & rendre
Voudroit de tous abréger les malheurs!
Pourquoi l'efprit de bienfailance
Qui te porte à brifer des fers appefantis ,
Veut-il fe refufer à la reconnoiffance
Qui de tels foins eft le plus digne prix ?
Ah , qui fait de fes biens un auffi noble ufage
Qui rend à fes pareils la douce liberté,
Ce coeur >
ce tendre coeur doit aimer notre hommage
,
C'eft celui de l'humanité.
Par un NÉGRE , âgé de 23 ans , efclave depuis
s, & qui n'apprend le François que depuis deux
AV
10 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
SUR L'AIR : Jufques dans la moindre chofe.
A Mlle D * L **
A.u temps fatal qui nous preſſe
Enlevons quelques débris ,
A la table , à la tendreſſe
Sçachons bien mettre le prix :
Le temps vole , il nous entraînes
Pour braver les cruautés ,
Que le plaifir feul enchaîne
Des momens qui font comptés.
Ce plaifir qui m'intéreſſe
Dans un inftant va finir
Et mon âme qu'il careffe
Ne fçauroit le retenir
Jouiffons avec fcrupule ;
Pour qui penſe & ſçait jouir ,
Chaque coup de la pendule
"Eft le fignal du plaifir.
Par la Mufe D'IT ON.
SEPTEMBRE. 1763. II
AVERTISSEMENT
LE
fur le Morceau fuivant .
E Poëme dont on va lire les premières
Stances , a été imprimé à Rome,
en 1747. L'Edition in -folio eft trèsbelle
, & plufieurs Journaux ont parlé
de l'Ouvrage avec éloge. L'Auteur ( il
Signore Abbate Flamminio Scarfelli )
Profeffeur d'Eloquence dans l'Univerfité
de Boulogne, fit demander au Roi par le
Pape Benoît XIV. ( Lambertini ) la
permiffion de le lui dédier , & elle lui
fut accordée , après qu'on eut préfenté
à S. M. ces premières Stances , avec
leur Traduction . Peut-être n'eft elle
pas
affez littérale ; mais on ne fe propofoit
que de donner au Roi quelque idée du
Poëme .
Cette petite négociation paffa par les
mains de feu M. le Cardinal de Tencin
& ce fut lui qui préfenta cette Traduc
tion à Sa Majefté .
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
LE TÉLÉMAQUE , POÉME.
CHANT PREMIER.
1.
JE chante les glorieufes avantures du
fils d'Ulyffe . On verra dans mon Poëme
comme il erra longtemps fur la tèrre
& fur la mer ; comme il paffa le noir
Achéron pour aller chercher fon père
aux Enfers. Je raconterai les plaifirs &
les peines de fes jeunes amours , fes
guerres fameufes & fes éclatantes victoires
qui porterent la réputation de fa
fageffe & de fa valeur jufques dans les
climats les plus éloignés .
I I.
Je ferai connoître les fages confeils
& les tendres foins de Minerve qui defcendit
des Cieux pour accompagner
Télémaque fous la figure de Mentor. Je
dirai comme elle fut fon guide au milieu
des périls où l'expofoit la jeuneffe,
fon foutien dans les grandes chofes qu'il
entreprit ; & comme elle forma fon efprit
& fon coeur au grand art de régner.
III.
Sublime & beau génie * qui le premier
entras dans la carrière où j'ofe
marcher fur tes traces , & qui , fi j'en
* M. de Fenelon , Archevêque de Cambrai .
SEPTEMBRE. 1763. 13
IL TELEMACO.
CANTO PRIMO.
I.
CANTO l'alte vicende , ei lunghi errori
Del Figluolo d'Uliffe in terra , e in mare ,
Comefin d'Acheronte i trifti umori
Ardi , cercando il Genitor , varcare .
Dirò gli sdegni , e i giovanili amori ,
Le illuftri guerre , e le felici , e rare
Vittorie , ond' ei per ogni eſtranio lide
Portò di fenno , e di valore il grido.
II.
Eil bel configlio , e la pietoſa cura
De la fagace dea farò paleſe ,
Che di Mentore preſa la figura
Al fianco di Telemaco difcefe ;
Etra i perigli de l'età immatura
Gli fù guida , e foftegno à l'ardue impreſſe,
El' docil cuore, & il fecondo ingegno
Ne la grand arte ammaeſtrò del Regno,
III.
Spirto altero e gentil , che l'orme prime
Segnafti in terra del cammin che'i' prendo ,
Ed or fovra del Ciel doggi fublime ,
14 MERCURE DE FRANCE.
re- crois mon espérance & tes vertus
poſes maintenant au plus haut des cieux;
pendant que je mets en vers ton Ouvrage
, & que par là je te prouve & à ta
Nation mon admiration & mon amour,
pardonne ma hardieffe , accorde- moi ta
faveur , & obtiens- moi celle des autres .
IV.
Tu es mon guide , mon appui , & la
Mufe que j'invoque . Le travail eft immenfe;
mes forces font foibles , & mes
talens ne répondent pas à mon zéle.
Seconde donc mes voeux , conduis- moi ,
fortifie-moi. Que ton feu divin m'éclaire
& m'enflamme. Ta gloire y eft inréreffée
auffi bien que la mienne.
V.
Si quelqu'un me blâme de ne travailler
que d'après autrui , qu'il penfe
qu'on loue le fculpteur , foit qu'il imite
, foit qu'il invente . Mais comme ce
n'eft pas l'amour feul de la gloire qui
m'anime , la crainte du blâme ne m'arrêtera
pas non plus. Et au refte qui eft
le maître de ma volonté ? Ne fuis- je pas
né libre ? Je ferai affez content , fi j'ai
le bonheur de plaire au GRAND
LOUIS.
V I.
J'aime l'Italie , fes belles Dames , fes
SEPTEMBRE. 1763. IS
Se ben mia fpeme è tua virtude intendo .
Mentr'io ritraggo i tuoi diſegni in rime ,
Eà te qual pollo , e à la tua Gente rendo
Studio ed amor , ah tu l'ardir perdona !
L'altru m'impetra , e ' l tuo favor mi dona.
IV.
Tu'l duca mio , tu la fedel mia ſcorta ,
Tu la mia Mula , che pregando invoco.
Lunga fatica , & pazientia corta ,
Molta la voglia , ed il potere è poco,
Deh ſeconda i miei voti , e mi conforta
A l'uopo , ereggi e col divin tuo fuoco
L'intelletto riſchiara , infiamma il core
Siccome in opra di comune onore.
V.
Che s ' altri mi dileggia , o mi riprende
Perche lavor non mio ricompor tenti ,
Penti che lode a lo fcultor fi rende ,
Ofe le forme imiti o fe le inventi..
Ne amor i gloria , ne timor m'offende
Di biafmo altrui . Checerco altri argomenti ?
Chi può ful voler mio ? Libero nacqui.
Epiacqui affai fe al GRAN LUIGI piacqui.
$
Amo l'Italia , e ftimo i dotti amici
Le ornate done , i Cavalieri egregis
16 MERCURE DE FRANCE.
aimables Cavaliers , & les hommes de
mérite que j'y ai pour amis. Mais le
plus grand prix de mes foibles vers leur
viendra de l'augufte Nom de LOUIS .
Heureux habitans des bords de la Seine,
à qui il eft permis de voir de près
un , Roi dont la Renommée remplit l'Univers
!
VIL
Sage & invincible Monarque , mes
yeux ne peuvent foutenir l'éclat de ta
grandeur & de ta gloire. Tous ceux qui
admirent ton courage dans la guerre &
ta fageffe dans la Paix , diront que Pallas
t'a donné la valeur & la prudence
du fils d'Ulyſſe.
VIII.
Ils diront que tu as recueilli le fruit
de ce Livre divin ; que les femences de
toutes les vertus qui y font répandues ,
ont germé dans ton fein ; que fi un
deftin cruel & prématuré enleva ton
augufte père & couvrit la France de
deuil , toutes fes fublimes qualités ont
paffé en toi avec fon fang & fes droits,
& que tu réunis tout ce que fon illuftre
Précepteur voulut mettre dans fon âme
tout ce qui peut faire un Roi puiffant
& heureux,
SEPTEMBRE.
17
1763. 1763.
Mà vien dal facro nome agl' infelici
Carmi , il tefor più grato , ond'io mifregi
Ed oh di fenna Abitator felici !
Che fia mirar da preſſo i fommi pregi
Se in ogni parte lo fplendor ne giunge ,
Che l'ampia terra o l'ampio mar diſgiunge !
VIN
Certo il mio faguardo infermo il huro raggio
Softener non poria di tua grandezza ;
Che non fu mai , Monarca invitto e faggio ,
Debil pupilla à tanto lume avvezza .
Mà chi la fapienza & il coraggio
Ammira in pace , & ne la guerra apprezza ,
Dirà che Palla à te diede il configlio ,
E'l militar valor d'Uliſſe il Figlio.
VIII.
Eche de l'aureo feme , onde il divino
Libro fù fparfo , in te s'accoglie il frutto 3
Efe tolle immaturo , e fier deftino
L'auguſto Padre , e pofe Francia in lutto ,
La fua virtu col fangue e col domino
In te difcefe , e in te fi compien tutto
Quell' eccelfo penfier , che à far poſſente
E Lieto un Ré , volle il Maeſtro in mente.
18 MERCURE DE FRANCE.
IX.
Tels font les motifs , GRAND Ror
qui m'ont infpiré la hardieffe de te préfenter
mes vers , & qui me font eſpérer
qu'ils ne feront pas indignes de trouver
grace devant tes yeux. Je fçais d'ailleurs
que les Mufes Italiennes ne font pas
un objet défagréable pour les Efprits
François . L'Ouvrage immortel d'après
lequel je travaille , m'attirera peut - être
tes regards. Si la ftatue que j'ofe t'offrir
eft nouvelle , le marbre eft antique.
SEPTEMBRE. 1763. 19
IX .
Qaefta è la fpeme , che nel tuo cofpetto
Move i miei verfi , e d'apparir ſa degni,
Ed il faper , che non ingrate obietto
Son l'Italiche Mufe ai Franchi ingeg i .
Forfe in mercè dell' immortal foggetto
Verrà che di tua grazia anco le degni.
Antico è il marmo e novo il fimolacro , >
SIGNOR , che al Real trono offro e confacro.
* L'Auteur de cette traduction en a vu une manufcrite
en vers latins, des premiers livres du Télémaque
François , qui com mençoit ainfi .
Telemaci errores varios , variofque labores
Etfidam errantis comitem cantare Minervam.
Aggredior.
Ce début eft d'une heureufe fimplicité.
ལྗང་།»
20 MERCURE DE FRANCE
LE COUP D'OEIL.
AIR : C'est l'ouvrage d'un momený.
A QUINZE ans l'innocence même ,
Chloé , s'énonce en héfiant.
Mais , qu'elle s'exprime aisément
En regardant l'objet qu'elle aime !
D'un coup d'oeil on eſt amant.
Ce barbon , qui dans fa foibleffe
N'eft plus propre aux tendres amours
En voyant les beautés du cours ,
Dit encor d'un air de jeuneffe
Le coup d'oeil m'en plaît toujours
Que d'amis font à la beface
Pas un falut, pas un foutien.
Le Minifre en ne diſant rien
Le regarde t-il ? on l'embraffe.
Qu'un coup d'oeil nous fait de bien !
Si Lubin , chéri de fa femme ,
Jouit du plaifir le plus doux ,
Timante , eft fouvent en courrouz
S'il voit la fienne aimer Pirame.
Quelcoup d'oeilpour un époux !
do
SEPTEMBRE. 1763. 20
Si Doris , après fa toilette
Paroît charmante aux yeux de tous ;
Petite robe fans bijoux ,
Peau blanche & que nature a faite ,
Le coup d'oeil eft bien plus doux !
Le plaifir fait bientôt retraite
Si l'on bannit le chant , le vin.
Chacun a -t-il le verre en main ?
Chacun dit - il fa chanfonnette ?
Le coup d'oeil en eft divin .
Quand Céphife remplit un verre'
C'eft un furcroît d'enchantement.
On eft buveur , on eft amant ,
On eft plus aux Cieux que fur Terre s
Quel coup d'oeil eft plus brillant !
Cinq ou fix bons amis à table,
Cinq ou fix mets faits par Comus ,
Cinq ou fix flacons de ce jus
Font un enſemble délectable.
Quel coup d'oeil eft au- deffus !
Par M. FUZILLIER à Amiens
22 MERCURE
DE FRANCE.
E PITRE
A M. DAVESNE , par M.
GUICHARD.
Da ta faine philofophie
J'aime à favourer les douceurs :
Sans chagrin , fans milantropie
Des Mortels abufés excufant les erreurs ,
Sans jargon, fans orgueil, & furtout fans fyſtéme ,
Heureux , mais heureux par toi- même ,
Tes jours font ceux d'un Sage : Ami , viens m'éclairer
:
Achéve d'embellir un réduit folitaire ,
Que déja l'aimable Glycère ,
En t'attendant ſe plaît à décorer.
De l'amour délicat , de l'amitié fincère ,
Viens voir l'afyle fortuné :
Viens voir certain berceau propre à plus d'un myſflère
,
Que le plaifir lui- même a façonné.
Là ; plein de la feule Nature ,
Nous oublîrons tous ces fots opulens ;
Qui fous le trifte poids d'une épaiffe dorure
Ne fçavent être qu'infolens
De notre petite fortune
SEPTEMBRE. 1763. 23
L'emploi bien dirigé nous vaudra leurs trésors ;
Peu curieux des vains dehors ,
Lorfque nous marcherons , d'une foule importune,
Ardente à nous offrir des voeux intérellés ,
Cher Davefne , nos pas ne feront point preffés,
Et c'est beaucoup . Sur les yeux pleins de charmes
De l'objet à qui comme moi ,
Sûrement tu rendras les armes ,
Quand le fommeil prolongera ſa loi
Dans un bosquet , à fa louange ,
Moi , tendre fans foupir , toi , galant fans fadeur ,
Rejettant du fçavoir cette manie étrange ,
Nous ferons quelques vers moins d'efprit que de
coeur.
Viens avec un Ami , viens avec une Belle ,
Noyer dans les doux flots d'un agréable vin
Et les foucis du jour , & ceux du lendemain.
La volupté le montre , & fuit à tire d'aîle ;
Attachons- nous à la faifir :
Ne nous attriftons point du vol de l'infidelle ,
Le temps eft affez long pour qui fçait en jouir ;
Si nous réfléchiffons , que ce foit au plaifir .
De la mort fous des fleurs cachons la faulx cruelle ;
Vivons fans la nommer ; mourons fans la fentir.
44 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à Madame de.......
MADAME,
Ma plume fera- t - elle affez délicate
pour rendre dans leur beauté cet affemblage
heureux de qualités brillantes dont
la nature & l'éducation vous ont embellie
? Quel coloris , quelle touche légère
pourroient peindre autant de graces
dans leur perfection ? Si j'ai jamais
defiré le naturel & la force d'expreffion
de notre premier bel- efprit, l'honneur
éternel du fiécle le plus éclairé , ce
n'eft point pour mériter l'admiration
d'un Peuple ingénieux : vous célébrer
dignement , Madame , feroit ma gloire
la plus flatteufe.
Mais que d'épines accompagneroient
une rofe auffi belle ! Que d'envieux
que
d'ennemis s'étudieroient à ternir fon
éclat , à lui enlever fa fraîcheur !
Ce Public , Madame, qui aujourd'hui
dans l'illufion enchantereffe dont je l'aurois
ébloui m'éléveroit des autels , &
les briferoit demain par un effet de l'amour-
propre ; qui fe refufant à toute
fupériorité
SEPTEMBRE . 1763. 25
›
fupériorité , fe prête à toute calomnie
fe réunit avec moi pour vous louer.Je
n'ai point fes caprices à redouter : fi
la variété des talens , & ce charme inexprimable
que vous leur ajoutez par un
goût inconnu jufques à préfent, répandoient
un nuage dans les efprits , il feroit
bientôt diffipé par votre modeftie ; féduc
tion qu'il n'eft donné qu'à vous de fçavoir
annoblir & de rendre fi touchante !
Une jeune Dame dont l'efprit appliqué
dès l'enfance à des Sciences utiles
, s'eft fait une habitude de penfer
fans dédaigner les talens aimables qui
font les délices de la Société ; également
intéreffante par fes lumières , & par l'art
féducteur de la voix & des inftrumens
eft une Divinité bienfaifante qui en écartant
le fouvenir de nos maux , livre tous
les momens qu'elle nous donne à la
joie la plus douce. C'eft là l'effet infaillible
du vrai beau qui , en forçant notre
eſtime , en place naturellement l'éloge
fur des lévres qui, perfides par
belair
, ne fourioient qu'à la fauffeté & aux
ridicules du jour. La préfence de la
vertu , Madame , eft la minute où les
tons à la mode s'éclipfent & fe changent
en elle-même pour n'être embellis
que de fes attraits.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Nos petites Maîtreſſes vives , maniérées
& fertiles en platitudes que l'on
honore depuis longtemps du nom de
bons mots , & de grâces du jour , ne
vous trouvant ni la fcience des mines ,
ni les petiteffes déifiées , s'écrieront fans
doute , Ah ! peut - on lui reffembler ?
Croyez - moi , Madame , il n'en eft aucune
chez qui la voix du fentiment fe
faifant entendre dans le filence des paffions
, ne vous peignît adorable à leurs
yeux , & ne les fît tomber à vos pieds.
Dans ces momens le triomphe de l'honneur
& de la vertu , tout clinquant
étranger paroît dans fa laideur. Préfentez
-vous , on rougira ; on ne fe croira
au mieux qu'en fe parant de votre maintien
, qu'en fe faifant honneur des qualités
de votre âme. C'eft là l'empire
qu'obtiennent toujours , Madame , les
connoiffances éclairées , la pudeur & la
décence fur les erreurs & la frivolité,
Elles font cette illufion puiffante qui en
réveillant la fenfibilité de nos coeurs
épuisés par une continuité d'émotions
les ramène au naturel & leur fait éprou
ver des plaifirs délicieux , fruits ineftimables
de la Sageffe & de la Raifon ,
Il n'eft que l'intérêt perfonnel qui
puiffe divinifer les égaremens des feinSEPTEMBRE.
1763. 27
mes galantes , & l'inutilité de nos jolis
hommes. Lui feul fçait fe plier à tous
les airs de convention , & leur prêter
un éclat dont il eft glorieux de briller.
Ce font des fleurs que font naître le
defir ; leur beauté nous enchante pendant
qu'il dure ; elle n'existe plus lorſqu'il
eft fatisfait.
Dans un fiécle où l'aménité des
moeurs eft d'une délicateffe fi particulière
qu'une fantaifie fait naître des vapeurs
, & mène à l'évanouiffement , il
faut bien de l'habileté pour en perpétuer
la décence , & la faire reffortir au
fein même du délire . C'eft un rafinement
qu'il n'appartient qu'aux ufages
de pouvoir juftifier.
Le Ton du jour eft une vafte plaine
émaillée de mille fleurs, fur laquelle l'oeil
s'égare avec complaifance. Perſpective
délicieufe pour la molleffe , elle la fixe
par la variété de fes couleurs & la féduit
par fon parfum. Chaque pas qu'elle
y fait eft un plaifir , & ce plaifir eft
bientôt une ivreffe qui en enchaînant
tous fes fens , les affoupit pour toujours
dans les bras du préjugé . Une Coquette
à vingt ans eft une prude à quarante &
une dévote hypocrite à foixante . C'eſt
l'ordinaire effet de l'habitude , de la ſté-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
rilité du fentiment & de l'art de dérai
fonner. On ne ſe fait plus aux jours où
la féduction nous abandonne , à un genre
de vie qui demande des lumières &
des paffions fortes dont on ne jouit que
dans fon printemps.
L'eftime des hommes eft une offenſe
dont on fait peu de cas à l'âge du bonheur
; on y échange volontiers les égards
contre les tranfports ; le refpect y eft
toujours déplacé , & la témérité toujours
excufée. C'eft l'effet d'une éducation
négligée , d'où réſultent néceffairement
un goût pour la flatterie , une oifiveté dangereufe
, un efprit ouvert à toutes les
erreurs , & un coeur vuide qui s'offre
aux premières impreffions. Eft- il étonnant
après cela qu'une jeune perfonne
que l'on a entêtée jufques à quinze ans
de fes charmes extérieurs , qui ne conçoit
d'autre avantage que celui de plaire
& d'intéreffer , ne foit rapidement emportée
vers le tourbillon des ridicules
& des égaremens ?
Une mère qui s'idolâtre & dont la
diffipation a affoibli les principes de religion
& des bonnes moeurs , confie fes
enfans à des flatteurs appointés , vils efclaves.
du tempérament de leurs Elé-
-ves. Sa criminelle indifférence paffe dans
SEPTEMBRE . 1763 . 19
les coeurs de ces Pédagogues . S'occuperoient-
ils à corriger une jeuneffe indocile
, à modérer fes tranfports impétueux
, à éclairer fon efprit , à former
fon coeur, lorsqu'une mère frivole & coupable
ne s'attache qu'aux grâces du
maintien , & ne fait aucun cas des moeurs
& des lumières qu'elle regarde comme
des niaiferies très-déplacées , pour parvenir
à la confidération ? Où trouver cette
probité défintéreffée , attentive à fe foulever
contre les opinions , & les préjugés
en crédit , & à fe refuſer noblement à la
petiteffe des vues des parens qui n'ont
pas le foupçon du bon fens quand on
veut l'obliger à fe dégrader ? Cela eft en
vérité auffi rare , que le peu de foin qu'on
prend à faire de bons choix eft aujourd'hui
commun .
C'eſt un vice du temps qui ne permettant
point à la Raifon de ſe faire entendre
, foutient des erreurs que l'ignorance.
& la vanité ont rendu précieufes .
Une jeune Beauté n'a plus befoin que
de fçavoir figurer : L'étude , le fçavoir ,
travers infoutenables , la feroient fiffler
dans un monde poli qui parle merveilleufement
fur des riens , mais que l'on
excéderoit à périr , en ne fe prêtant
point à fa manière de voir. Ce n'eft
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
point qu'il ne fe croie en droit de juger
& de fe connoître à tout ; vous l'offenferiez
d'en douter ; mais vous vous exprimeriez
mieux , vous l'humiliriez , &
cela feroit , on ne peut pas moins amufant.
La ſcience de la toilette , des airs de
dignité , l'arrangement des mots , d'un
coup d'oeil , d'un gefte font devenus effentiels
pour être dans le meilleur air
& mériter une réputation brillante.
On voudroit fe perfuader que le Public
doit refpecter les écarts des gens
de qualité ; qu'il ne lui convient point
de rapprocher la diftance qui les fépare
, & de cenfurer févérement tout
ce qui bleffe fes moeurs & fon zèle facré
pour les loix de la nature. C'eft une prétention
ridicule . La Naiffance exige, fans
doute,des égards , mais la perfonne qu'elle
couvre de fon voile appartient à la fociété
, lui doit un compte exact de fes
vertus & de fes vices . L'efprit humain
ne fe fait point à ces diſtinctions, filles du
hazard , & de l'opinion . Il voit , il examine
il compare & décide hardiment
que l'on n'eft bien aux premiers gradins
du vaſte théâtre du monde , que par fon
mérite, les lumières & fon utilité au bonSEPTEMBRE
. 1763. 31
heur général. Tout être titré , qui n'eſt
rien par lui-même , eft un poids dont la
terré eft furchargée : c'eft un pavôt
qu'une distraction laiffe croître au milieu
des fleurs les plus rares , mais qui
découvert par un oeil attentif, eft bientôt
faifi par une main indignée pour être fur
le champ foulée aux pieds.
La fpirituelle & refpectable mère ,
MADAME , à laquelle vous devez le
jour , connoiffant parfaitement la vérité
de ces principes ,a compris qu'en ne vous
laiffant que fon nom , elle ne vous donnoit
qu'une enveloppe brillante ; & fon
coeur dans fa tendreffe pour vous a defiré
de vous embellir d'une réalité perfonnelle.
Que j'aime à me tranfporter à ces premiers
momens de votre éducation , où
une mère éclairée vous faifant paffer fucceffivement
de l'utile à l'agréable , vous
trouvoit chaque jour une grace nouvelle,
& s'enorgueilliffoit de vos fuccès !
Quel plaifir pour elle de développer les
difpofitions heureufes que vous teniez
de la nature , & de vous voir acquérir
avec une rapidité inconçevable les connoiffances
de la Morale , de l'Hiftoire
ce fentiment délicat , cette jufteffe de
l'efprit qui entrevoit d'un coup d'oeil , &
Biv Biv
•
32
MERCURE DE FRANCE.
porte fur tous les objets un jugement
Toujours vrai !
Vous ne vous mépreniez pas , Madame
, à l'âge de douze ans , à la valeur
de ces mots que le bel ufage a confacré ,
& dont le coloris eft fi étudié , & l'expreffion
fi éloignée de la vérité. Vous
aviez cette pénétration fine qui analyſe
& fçait apprécier ? ... Eh ! que n'êtesvous
point à feize ? ... Quels efprits ne
fixeriez-vous point par les charmes de
votre converfation ? Quels coeurs ne feroient
pas émus , emportés par la mélodie
de votre voix , & par les fons harmonieux
de ces inftrumens , qui s'animant
fous vos doigts , font paffer dans
nos âmes le fentiment , les tranſports ,
& le délire de toutes les paffions ?
Je ne fçais , Madame , fi dans les momens
d'enthouſiaſme , la fineffe de votre
phyfionomie , & les graces qui fourient
dans vos yeux n'aident point à votre
triomphe. On vous voit , on vous entend
; tous les fens fixés à la fois font
dans une ivreffe qui ne permet point à
l'efprit de réfléchir , & à la Raiſon de
décider.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Paris 11 Août 1963 .
TREY D. V.
SEPTEMBRE. 1763 33
A UNE SEULE PERSONN E.
D. ma timidité tu vois ici l'ouvrage :
Pour mieux t'ouvrir mon coeur j'ai choifi ce détour.
Ce n'eft point Apollon qui déte mon hommage
....
Je n'ai plus d'autres Dieux que toi - même & l'A
mour.
Je t'aime.....cet aveu pourroit-il te furprendre ?...
Celle de t'étonner de te voir mon vainqueur ;
D'un fijufte penchant on fçait peu fe défendre :
Tout ce qu'onjuge aimable , a des droits fur un
coeur.
Quand je ne crois qu'aimer , je fens que je t'adore
D'un li doux fentiment que je chéris l'erreur !
Mon âme à l'augmenter s'efforceroit encore ,
S'il étoit un degré de plus pour fon ardeur.
Par M. le Comte de C *** Capitaine de Dragons
au Régiment de C ***
B
34 MERCURE DE FRANCE.
CONTE MORAL.
ANNNNEETTTTEE un jour s'en alloit à grands pas
Vendre au marché la marchandiſe ;
Son petit coeur battoit , & defiroit tout bas
D'être auprès du Berger dont fon âme eft éprile,
Et qui brûle pour les appas.
L'ardeur de le revoir lui fourniffoit des aîles ;.
Mais la force manquoit.
Amour ! Auteur de deux flâmes fi belles ,
N'entendois- tu pas fon fouhait ?
Annette , éperdue , harallée ,
Maudiffant fon deftin ,
Et jufqu'au fon i du coeur bleffée ,
Ne peut pourfuivre fon chemin ! ...
Paſſe alors un lefte équipage
Où plus brillante que le jour ,
Une Dame de haut parage
Alloit étaler à la Cour
Son fafte ; & des paffans attiroit tout l'hommage.
Qn'on eft heureux de pouvoir à fon-gré ,
Sans embarras comme fans peine ,
Dans un beau cabinet doré ,
S'écrie Annette en per tant prefque haleine ,
Etre ainfi par tout voituré ! ...
Annette , en parlant de la forte ,
SEPTEMBRE. 1763. 35
Suivoit le char de tous les yeux ;
Lorfque d'un choc la fecouffe trop forte,
Préfage un deftin malheureux .
Le Char verfe & fe rompt ; une fraieur fubite
Animant les chevaux , ils déchirent leurs mords ,
S'élancent , & d'un pas que la peur précipite ,
Traînent la Dame à travers mille morts.
Annette alors , rentrant en elle- même ,
Et béniffant l'Etre Suprême ,
}
Difoit , oublie , ô Ciel ! ce dont je t'ai prić :
Mieux vaut encore aller à pied ,
Qu'avec apparence fi belle ,
Rifquer la mort la plus cruelle.
Par M. de Vis... le fils.
EPITRE
D.... A Madame la Marquife D.
O
1
VOUS , que l'amour idolâtre ,
Et qui l'outragez chaque jour !
Voyez ma` Mufe tour- à- tour ,
Tendre , indifférente & folâtre ,
Ne plus refpirer que l'amour.
Des erreurs d'un efprit volage
L'enchanteinent eſt diſſipé
Et des jeux du papillonage Mu
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mon coeur longtemps préoccupé ,
Ne fe fait plus un badinage
De tromper ni d'être trompé.
Ce changement eft votre ouvrage::
Eglé , vous fixez mes defirs ;
Et je chéris mon elclavage :
Ce n'eft qu'au midi de mon âge
Que vont commencer mes plaifirs.
Facile , inconftante & coquette ,
Lifette m'amufa longtemps ;
Et ma main des fleurs du printemps
A longtemps couronné Lifette.
Léger comme on l'eſt a vingt ans ,
On m'a vu groffir près des belles
La lifte des amis fidels,
Et des infidèles amans :
L'amour m'avoit donné les aîles ;
Et vous avez les trai : s charmans.
Eglé , vous êtes embellie
Des trésors de chaque pays
Vous devez à la Georgie
Ces petits globes arrondis ,
Ces bras d'ivoire.cque jadis
La voluptueule Idalie
Pour ceux de Vénus auroit priss
Vos yeux brillans font d'Italie ,
Et vos grâces font de Paris...
Vous valez bien , lans flatterie,
SEPTEMBRE. 1763. 37
Les Beautés dont la Circaffie
Remplit les Sérails faftueux ,
Où les defpotes de l'Afie
Coulent des jours voluptueux
Sur de beaux tapis de Turquie.
A vos pieds le plus fier Soudin
Comme Augufle à ceux de Livie ,
Mettront fon Sceptre & fon Turban ;
Et je fçais bien que Roxelane
N'auroit jamais été Sultane ,
Si j'avois été Soliman.
En vérité je crois qu'Alcide ,
Jadis auroit filé pour vous ,;
E que la Grèce , à vos genoux ,
Eut vû tomber e Dieu de Gnide.
Ce Dieu fur les bords de Lignon ,
Abandonnant Flore & Thémire
Vint fur les rives du Litton ,
Près de vous fixer fon empire.
Avec douceur , à votre nom
On le voit quelquefois fourire :
Mais il fe plaint avec railon ,
Que vous êtes un peu cruelle.
Ignorez- vous que ce fripon
Gouverne: tout à ſa façon ,
Rois & Bergers trône & ruelle?
Il a des droits fur chaque Belle:
Vous avez les traits de Ninon ;
38 MERCURE DE FRANGE .
Et vous devez aimer comme elle.
Ah ! fijamais le Die ' vainqueur
A quelque amant tendre & fidèle
Donnoit des droits fur votre coeur ,
Vous le verriez , plein de délire ,
Près de vous toujours ſoupirer ,
Exiſter pour vous adorer ,
Et vous chercher pour vous le dire.
Eglé , lorsqu'on a vos appas ,
On doit immoler , à votre âge ,
Le ftérile honneur d'être lage
Au plaifir de ne l'être pas.
Croyez que la volupté pure
Offre des plaifirs délicats :
Aimable enfant de la Nature
Elle vous appelle en fes bras .
De fleurs nouvellement écloſes ,
Elle ornera votre beau ſein :
Eglé , c'eſt pour vous que fa main
A préparé des lits de roſes ,
Et des guirlandes de jaſmin.
Son haleine répand fans ceffe
Les plus dour parfums dans les airs:
La molleffe de fes concerts
Aux tranfports d'une tendre ivreffe ,
Semble inviter tout l'univers.
Qu'un pâle élève d'Uranie ,
Sur les aîles de fon génie
>
SEPTEMBRE . 1763. 39
S'élance , & meſure les cieux
De fon compas audacieux :
Moi , j'aime à raffembler le groupe
Des ris , des amours & des jeux :
La Volupté m'offre la coupe ;
Elle eft pour moi celle des Dieux.
Je veux encor , quand la vieilleſſe
Aura blanchi mes noirs cheveux ,
Chanter l'amour & la pareſſe ;
Et vous offrir encor des voeux.
Par M. LEGIER.
LES TROIS AMIES
ET LES TROIS FRERES ,
CONTE MORAL.
LUCIE , Aglaé & Zulmis s'aimoient
dès leur plus tendre enfance ; leurs pa-
*ens étoient voifins & amis tout enfem→
ble ; elles avoient reçu la même éducation
dans le même Couvent. Depuis
qu'elles en étoient forties elles n'avoient
pas paffé un jour fans fe voir & fe renouveller
les affurances de l'attachement
le plus tendre. A mefure qu'elles
avançoient en âge , la Raifon perfectionnoit
l'ouvrage de l'instinct & reffer
40 MERCURE DE FRANCE.
V
roit les liens de la fympathie qui les
uniffoient. Des careffes touchantes , des
jeux innocens , des confidences mutuelles
ne permettoient pas à l'ennui de
troubler la férénité de leurs beaux jours.
Tous leurs momens étoient remplis.
Tantôt elles s'occupoient à former des
pas avoués par les Grâces , tantôt elles
exerçoient leur voix , en corrigeoient
les défauts & en faifoient valoir les agrémens.
Ignorant l'envie , elles pouffoient
le défintéreffement jufqu'à fe parer de
tout ce qui pouvoit relever l'éclat de
leur beauté mutuelle . Toutes les trois
entroient dans leur quinziéme année ; &
leur amitié fembloit devoir durer toujours
, lorfque Damis , Arifte & Timur
s'offrirent àleurs yeux.
s'éte Ils étoient frères. Leurs parens
toient appliqués à développer le germe
du fentiment que la Nature avoit placé
dans leurs coeurs , & jufqu'à ce jour
rien n'avoit pu altérer l'affection qui y
étoit née . Dans cet âge où il fuffit de
voir un objet aimable pour aimer , Damis
fe déclara pour Lucie , Arifte pour
Aglaé , & Timur pour Zulmis Ils furent
écoutés , l'amour fe plut à les combler
de fes faveurs pour les rendre pius
fenfibles aux tourmens que ce Dieu
cruel leur préparoit.
SEPTEMBRE. 1763 . 41
L'envie de plaire ne tarda pas à nuire
à l'amitié . On ne confulta plus fon
amie fur le choix d'un ruban ou fur
la façon de placer une aigrette . On ne
donna plus de confeils qui ne fuffent
dictés par la malignité. Zulmis eft brune
, Aglaé l'engage à mettre des mouches.
Lucie , eft blonde , Aglaé & Zulmis
le réuniffent pour l'affurer que le
blanc lui fied à ravir. Elles ne goûtent
plus ce charme paifible que procurent
la confiance & la vertu . Elles ne fe
voyent plus avec ce vif intérêt qui les
enflammoit d'une falutaire émulation.
Leurs oreilles ouvertes aux propos féducteurs
d'un amant ne font plus flattées
de oes difcours ingénus qui ont
fait l'amufement de leur enfance. Elles
diffimulent fans motifs , elles fe craignent
fans raifons. Si Damis laiffe tomber
un coup d'oeil fur Aglaé , Lucie en
pâlit , Arifte en murmure. Cette paffion
baffe & honteuse , que nous décorons
du titre de délicateffe & qui prend fon
origine dans nos idées plutôt que dans
nos fens , la Jaloufie a rompu tous les
noeuds qu'avoit tiffus l'Amitié .
Damis, en qualité d'aîné, devoit prendre
le premier un établiffement . Il ne
négligeoit rien pour faire déclarer Lucie .
42 MERCURE DE FRANCE .
en fa faveur , & fe ménageoit auprès
de fes parens de puiffantes recommandations
pour obtenir d'eux fa main ,
auffitôt qu'elle lui auroit donné fon
coeur. Cependant cette jeune perfonne
ne fe hâtoit pas de prononcer ces mots
qu'un père jaloux de fon autorité interdit
jufqu'au jour du Contrat. Je vous
aime eft une terrible expreffion en effet
! Une fille qui n'en connoît pas encore
toute la fignification ne peut s'empêcher
d'en rougir en s'en fervant. Heu
reux amans , avez-vous pû l'entendre
pour la première fois fans mourir de
plaifir ?
Damis ne l'avoit pas entendue : il
s'imagina qu'Aglaé emploiroit volon
tiers le crédit qu'il lui fuppofoit fur
l'efprit de fon amie , pour l'engager à
lui faire cet aveu fouhaité . Il lui fit vifite
dans ce deffein . Sa mere étoit avec
elle ; Damis n'eut pas de peines à les
gagner l'une & l'autre.Elles lui promirent
tout ce qu'il en exigea. C'étoit l'heure
de l'Opéra elles devoient s'y rendre :
Damis ne put pas fe difpenfer d'offrir
fa main ; elle fut acceptée ; & quoiqu'il
ne fe fouciât pas beaucoup du fpectacle
ce jour-là , il fut obligé d'y aller & d'y
refter par bienséance ..
SEPTEMBRE . 1763. 43
*
Le premier objet qui les frappa en
entrant dans la falle , ce fut Arifte au parterre
. Il n'y refta guères dès qu'il les
eut apperçues. Aglaé lui avoit paru interdite
, & fon frere embarraffé . L'air
dont il les avoit falués en étoit la caufe
; mais il ne croyoit pas avoir manifefté
fi clairement l'agitation de fon
âme & les mouvemvns tumultueux qui
s'y étoient élevés tout-à- coup . Son premier
deffein avoit été d'aller trouver
fa maîtreffe . Son mauvais génie l'arrêta
à la porte de fa loge , & fans s'avouer
à lui- même fes foupçons injurieux , il
fe mit à écouter comme s'il eût eu à
s'éclaircit de quelques complots . Des
termes paffionnés qu'il entendit , & la
chaleur avec laquelle Damis entretenoit.
Aglaé ne lui permirent pas de douter
que fon frere ne fùt devenu fon rival ;
& il ne lui vint pas même dans l'efprit
qu'il lui parloit de l'amour qu'il
reffentoit pour fon amie.
Damis ne s'en tint pas aux affurances
réitérées qu'il avoit reçues d'Aglaé &
de fa mere . Les objets que nous voyons
à travers l'ardeur de nos defirs nous
paroiffent environnés d'obstacles & de
difficultés . Il nous femble que nous n'en
approcherons jamais nous craignons
44 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils ne nous échappent lorfque nous
en fommes le plus près : Notre imagination
troublée apperçoit des torrens
formidables à franchir , tandis que nous
n'avons que des petits ruiffeaux à paffer.
Damis , toujours inquiet & tremblant
, eut recours à Zulmis & à fon
père , qui avoit un grand crédit fur celui
de Lucie. Il fe rendit chez lui dans
l'inftant que ce père fe préparoit à partir
pour la campagne avec fa fille. C'étoit
un de ces hommes d'un facile accès
, qui ont , comme on dit vulgairement
, le coeur fur les lèvres. Il trouva
Damis , à fon gré , lui propofa de devenir
fon ami à condition de l'accompagner
& de refter avec lui pendant le
peu de jours qu'il devoit paffer hors, de
Paris. J'aurai le tems de vous con-
» noître , lui dit-il , & cela m'eft nécef-
» faire pour me mettre à même de tra
» vailler avec plus de zèle à vos intérêts,
» Cette offre étoit fi preffante &
fi avantageufe que Damis ne balança
pas à l'accepter.
"
Ils montérent en carroffe & prirent
leur route par le Boulevard. Timur s'y
promenoit alors tout occupé de fa chère
Zulmis : il fut étonné & piqué de l'appercevoir
avec Damis dans le fonds de
SEPTEMBRE. 1763. 45
-
par
la voiture. Il courut fur le champ à
l'hôtel du père de Zulmis , où un portier
bavard acheva d'aigrir fa douleur
des propos qui lui donnerent matiére à
foupçonner que fon frère étoit fecrétement
fon rival. Timur étoit malheureuſement
né jaloux. Le crime de fon
frère & l'infidélité de Zulmis fe trouverent
dès cet inftant réalisés dans fon
coeur.
Ce même portier dont l'imbécile bavardage
fut bien payé, fe chargea de faire remettre
à Zulmis une lettre que Timur
écrivit fur le champ . Juftement offenſée
de l'aigreur du ftyle & des reproches
qu'elle ne méritoit pas , elle prit de tous
les partis le plus cruel pour un amant ;
celui du filence.Les doutes de Timur font
alors changés en certitude ; une haine
violente fuccéde chez lui à l'amour le
plus tendre. Ce changement étoit trop
prompt pour être véritable : tout autre
que lui s'en feroit méfié. Un coeur qui
n'aime plus n'eft pas fufceptible de haine;
il ne connoît que l'indifférence ou le
mépris. Cependant abufé par un fentiment
momentané & trompeur , il fe
perfuada qu'il pourroit oublier Zulmis;
il fit plus , il fe crut capable d'en aimer
une autre. Lucie avoit des attraits ; elle
46 MERCURE DE FRANCE .
)
étoit la dupe d'un amant volage ; fa fituation
telle qu'il fe la figuroit , reffembloit
parfaitement à la fienne. Il étoi
à préfumer que rapprochés par le malheur
, ils fentiroient tous deux le befoin
de s'aimer. Ce fut donc à Lucie qu'il
adreffa fes voeux , & il ne tint qu'à elle
en les couronnant, de fe priver & Timur
auffi ,des douceurs qu'ils avoient eſpérées
dans un autre établiffement. Cet amant
ne fût pas affligé des refus conftans qu'il
éffuya 11 reconnut le véritable état de
fon coeur. Les fureurs de la jaloufie s'agitérent
plus violemment que jamais ; il
brûloit de la foif de la vengeance ; & dans
l'excès de fon emportement il méditoit
les plus fanglans projets contre la vie
d'un frère qu'il auroit rachetée autrefois
par le facrifice de la fienne .
Arifte n'étoit pas dans une fituation
plus tranquille. Quoiqu'il n'eût d'autres
preuves de l'infidélité de fa maîtreffe que
ce qu'il avoit entendu à la Comédie , fon
coeur en étoit mortellement bleffé . Le caractere
d'Arifte reffembloit beaucoup à
celui de Timur: ils n'avoient pour ainfi
dire , que la même façon de voir & de
fentir; dans une circonftance femblable.il
fe comporta comme lui . Guidé par le dépit
, il fut quelques jours fans voir Aglaé,
SEPTEMBRE . 1763 . 47
en revanche il voyoit affidûment Lucie
& mettoit en ufage , tout ce qui pouvoit
lui faire oublier Damis , qu'il lui repréfentoit
fous des couleurs odieufes.Enfinaprès
avoir joué auprès d'elle un rôle qui les ennuyoit
beaucoup l'un & l'autre , il reparut
chez Aglaée ; mais la fierté de cette
jeune perfonne foutenue par fon innocence
, lui fit rejetter les marques de fon
amour & de fon repentir , & l'obligea
de lui défendre fa préfence. Cet ordre
loin de la juftifier , la rendit plus coupable
aux yeux de fon amant ; le malheu
reux Arifte , fentit renaître toute fa fureur
, & ne defira plus que l'inftant où
fon frère pouvoit en reffentir les effets.
Damis , loin de prévoir tout ce qui fe
paffoit à Paris pendant fon abfence , travailloit
à fon bonheur fans négliger celui
de fes frères. Il ne fe laffoit pas d'en dire
du bien au père de Zulmis , & méritoit
toute leur reconnoiffance , tandis qu'ils
n'étoient occupés que du deffein de lui
ôter la vie. Le jour même de fon arrivée
il reçut trois lettres . La premiere étoit
de Lucie , en voici le contenu.
Je vous avois crûl aſſez honnête- homme ,
Monfieur , pour ne pas employer le langage
des proteftations & des fermens pour
mepeindre un amour que vous ne reffenti48
MERCURE DE FRANCE.
tes jamais. Soyez heureux , fi vous pou
vez l'être , auprès de la nouvelle conquête
que vous avezfaite fur unfrère. Cet exploit
eft digne de vous. Le fort de votre
famille eft de chercher à me tromper. Ariſte
& Timur n'ont rien négligé pour vous
chaffer de mon coeur , comme fi on avoit befoin
d'un fecours , étranger pour oublier.
les traîtres & les parjures. Adieu
Monfieur , ne me revoyez plus , car je ne
pourroisfuporterfans horreur la vue d'un
homme tel que vous.
Il eft aifé de juger de l'effet que fit
cette Lettre fur l'efprit de Damis. La lecture
des deux autres redoubla fa ſurpriſe
& fa douleur. L'une étoit d'Arifte , il y
trouva ces mots,
Je ne vivois que pour Aglaé. Aglaé
étoit le feul bien que jeuffe au monde.
On me l'enlève par la plus noire des perfidies.
Nepenfes pas,lâche raviffeur , trouver
l'impunité dans les droits du fang;
tu les reclamerois en vain ! indique- moi
pour ce foir le lieu & l'heure où je pourrois
te rencontrer. Songe à défendre ta vie : la
fortune fe laffe quelquefois de protéger
les fcélérats.
Timur étoit l'Auteur de la troifiéme
letres: elle étoit conçue en ces termes.
Monfrère , ilfaut nous couperla gorge;
Yous
SEPTEMBRE. 1763 . 49
du
vous êtes maître du choix des armes ,
lieu & de l'heure , pourvu que ce foit dans
la journée.
Vous m'avezravi ma maîtreſſe ; il ne
yous reste plus qu'à me priver du jour.
Damis , dans les réponfes qu'il fit à
ces deux dernières Lettres , marqua à fes
frères le même lieu & la même heure
pour le rendez -vous qu'ils demandoient.
Vous m'accufez , leur dit- il , dès qu'il
les eut appperçus , de vous avoir enlevé
le coeur de vos maîtreffes ; il m'eft plus
aifé de me juftifier fur cet article que
vous fur les tentatives que vous avez
faites pour me rendre odieux à Lucie
& pour vous en faire aimer. Jamais on
ne s'eft trouvé dans une fituation auffi
étrange que la mienne. Pendant que je
m'occupe de leur bonheur mes frères
me trahiffent. Arifte m'impute le même
crime que Timur. Dans l'efpace de huit
jours j'aurai quitté une maîtreffe que j'idolâtre
, j'aurai féduit tour-à- tour Aglaé
& Zulmis ; je me ſerai fait un jeu cruel
de tromper trois perfonnes à la fois.
Mais accordez-vous vous- mêmes , ingrats
que vous êtes. Quel a pû être mon
but ? Suis-je charmé de ces trois perfonnes
? Puis- je eſpérer de les rendre fenfibles
& de conferver leur tendreffe ?
C
So MERCURE DE FRANCE.
Hélas ! je ne brûle que pour Lucie. Sans
vous elle répondroit à mon amour. Eftil
poffible que la jaloufie vous ait aveuglé
jufqu'au point de méconnoître les
loix facrées de la Nature & les régles de
la Raifon ! Que ne doit- on pas redouter
d'une paffion qui porte au crime des
coeurs tels que les nôtres ?
Damis, en parlant ainfi , tenoit Arifte &
Timur étroitement embraffés. Ils commençoient
à connoître toute l'étendue
de leurs torts. Leurs larmes couloient en
abondance. Damis en fut touché. Ils
furent tous trois chez Lucie , & n'eurent
pas de peine à la convaincre de la conftance
de fon Amant. Sa famille prévenue
en faveur de Damis , ne le laiffa pas
danguir dans l'attente de l'hyménée. Les
trois frères & les trois amies s'unirent par
des noeuds indiffolubles. Ils vivent heureux
, & ne penfent qu'en frémiffant ,
qu'ils ont été à la veille , par leur imprudente
jaloufie , d'être féparés & malheu
reux à jamais.
Par M. de C *** à Lyon.
SEPTEMBRE. 1763.
Au Ror.
Pour ton inſcription , Louis , on s'évertue ;
Qu'eft-il befoin d'efprit ? Notre coeur t'a nommé :
Qu'on mette en lettres d'or, au bas de ta Statue :
LOUIS LE BIEN - AIMÉ.
Par M. SAURIN , de l'Académie Françoife.
LE BOUTON DE ROSE ,
ET LA TULIPE.
FABLE.
APRES mainte
métamorphoſe
Le deftin , en bouton de roſe ,
Pour contenter Vénus , un jour changea Pfyché.
Voilà, tout l'Olympe autour d'elle.´*)\
Celui de la Troupe immortelle ,
Vers lequel elle auroit penché ,
Devoit cueillir la fleur nouvelle.
Déja chaque Dieu s'eft niché
Dans la fleur qu'il croit la plus belle.
Il ne reste autour du bouton
Qu'une Tulipe jaune & noire ,
Séche fans agrément . Perfonne n'en weut donc,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Dit l'Amour ? tant mieux pour ma gloire.
Le petit Dieu s'y cache, & la rofe à l'inſtant
Sourit , ouvre fon fein , fatigue & fe démêne ;
Pfyché reconnoît ſon amant.
Ses traitslui font rendus: au penchant qui l'entraine
Les Dieux abandonnent fon coeur.
Qui peut le contefter? quelque forme qu'il prenne,
L'Amour fera toujours vainqueur.
NANNON.
ÉPIGRA M ME S.
A PHIL I S.
Na demandez pas davantage , B
Si de fou que j'étois , je fuis devenu fage:
Aimer fans être aimé , c'eft être fou , dit.on.
Vous êtes la feule que j'aime ;
Hé , qui peut donc mieux que vous-même ,
Sçavoir fi je fuis lage ou non ?
Par M. *** de Dijon.
ALA MESME.
QUAND l'amour à vous voir m'engage ,
Je perds & mon temps , & mes pas ;
Mais je perds encor davantage ,
Philis , quand je ne vous vois pas,
Par le même;
SEPTEMBRE. 1763. 53
SUR UNE CRUELLE.
THEMIRE n'a pour moi que de l'indifférence .
Amour ! de nos deux coeurs tu vois la différence ;
J'aime trop , elle aime trop peu .
Mais hélas ! quelle eſt ma diſgrace !
Mon feu ne peut fondre ſa glace ,
Ni fa glace éteindre mon feu.
Par le même.
EPITAPHE D'UN PÉDANT.
Cr git , qui parloit autrefois
I
La langue de la vieille Rome ,
En Grec , en Hébreu fçavant homme ,
Mais un grand Sot en bon françois.
Par le même.
VERS de M. D *** fur la mort de
EPRISEC
Ja Soeur.
PRISE contre moi d'un injufte courroux ,
Ma foeur donne fes biens à Monfieur fon Epoux ,
Le bon Dicu veuille avoir fon âme !
Je fouffre tout avec douceur :
C'étoit une méchante focur ;
Mais c'étoit une bonne femme .
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
PLAISANTERIES Angloifes , extraites
d'une Brochure Angloife , intitulée
CONTE DES COMÉDIENS.
LA
A veuve d'un mari , qu'elle avoit
coutume d'appeller le vieux Simon , avoit
fait fculpter en bois fa ftatue qu'elle mettoit
chaque nuit dans fon lit à côté d'elle .
Un de fes voifins paffionnément amoureux
de cette femme , obtint par argent
de la femme- de-chambre , d'occuper
une nuit la place de la ftatue . Le lendemain
matin , cette fille , en entrant chez
fa maîtreffe , lui demanda , fuivant l'ufage,
ce qu'elle fouhaitoit pour fon dîner ?
Un bon potage (lui dit la veuve) un gros
dindon , un gigot & du fruit. Éh , Madame
! replique la Suivante , il faut donc
acheter du bois pour préparerun fi grand
dîner ? Allez , lui dit la veuve : s'il vous
en manque , brûlez le vieux Simon.
Milord B ***. avoit époufé de fuite
trois de fes fervantes. Une femme qui
demandoit l'aumône, en le voyant paffer,
lui fit une profonde révérence . Que
Dieu garde votre grandeur & prolongefa
vie! (s'écrie-t- elle) j'aurai fans doute
SEPTEMBRE. 1763. 55
mon tour l'honneur d'être Miladi B***
*
Un Miniftre qui conduifoit un voleur
à Tyburnes , lui demandoit s'il n'étoit :
pas bien repentant du vol qui le condui-.
foit au gibet? Oui , dit le pendart; & bien
plus encore de ce que le vol n'ait
pas été
affez confidérable pour me mettre en état
de corrompre mes Juges.
Un voyageur du Comté de Kent ,
qu'un orage avoit tranfi de froid , arrive
dans une hôtellerie de campagne , & la
trouve fi remplie de monde qu'il ne peut
approcher de la cheminée. Que l'onporte
vite à mon cheval , une cloyère d'huitres
( dit-il à l'Hôte. ) A votre cheval ! s'écrie
celui-ci : croyez- vous qu'il veuille en manger
? ... Faites ce que j'ordonne , repliqua
le Gentilhomme. A ces mots tous les
affiftans volent à l'écurie , & notre voyafe
chauffe. Mr. dit l'hôte , en reve
geur
nant ; je l'aurois gagé fur ma tête : le
cheval n'en veut pas ... en ce cas , reprend
le voyageur , il faut donc que je
les mange moi-même.
Je confens à tous vos defirs , difoit:
une jeune perfonne à fon Amant , pour-
** C'eſt la Grève de Londres.
Civ
MERCURE DE FRANCE.
vu que vous me donniez ce que vous
n'avez pas , ce que jamais vous ne pouvez
avoir , & ce que vous pouvez cependant
me donner. Que lui demandoitelle
? .... Un époux.
Pluficurs amis étoient à la taverne , &
ne cherchoient qu'à rire, lorfqu'un homme
de leur connoiffance nommé Samfon
paffa fous leur fenêtre. Oh ! s'écria
l'un d'entre eux , nous pouvons maintenant
braver les Connétables & les Huiffiers
: avec Samfon nous craignons peu
de pareils Philiftins. Sans doute , répondit
Samfon , pourvu que l'un de vous me
prête fa machoire .
Deux amis qui depuis longtemps ne
s'étoient vus , fe rencontrèrent par hazard
. Comment te portes - tu ? dit l'un .
Pas trop bien , dit l'autre ; & je me fuis
marié depuis que je ne t'ai vu ... bonne
nouvelle ! ... pas tout - à - fait , car j'ai
époufé une méchante femme ... Tant
pis ! ... pas trop tant pis , car fa dot étoit
de deux mille guinées ... Eh bien , cela
confole ... pas abfolument , car j'ai employé
cette fomme en moutons , qui font
tous morts de la clavelée ... cela eft en
vérité bien fâcheux ! Pas fi fàcheux , car la
vente de leurs peaux m'a rapporté auSEPTEMBRE
. 1763. 57
... En ce cas ,
delà du prix des moutons.
vous voilà donc indemnifé ?... Pas tout-àfait
, car ma maifon où j'avois déposé
mon argent , vient d'être confumée par
les flammes ... Oh ! voilà un grand malheur
... Pas fi grand non plus , car ma
femme & la maifon ont brûlé ensemble.
SUR le PORTRAIT de Madame de
QUAND
C *****.
UAND on regarde ce portrait ;
Frappé de tant d'attraits , on eft tenté de croire
Que le Peintre inventif en a toute la gloire ,
Et que le monde entier n'a rien de fi parfait .
Mais des que P'on vous voit Silvie ,
On rabat du prodige , & l'on juge en effet
Que tout l'art s'eft réduit à faire une copie.
LE LOUP ET LA BREBIS ,
FABLE.
PAR des Chiens un Loup déchiré ,
Au coin d'un bois languiffoit attéré ;
De vivre encor pourtant ii avoit grande envie ,
De coeur l'Animal étoit fain.
alle une Brebis : Bon ! Ah ! mia tant douce amie ,
Cy
58 MERCURE DEFRANCE .
Je meurs & de foif & de faim
De foiffurtout un peu d'eau , je vous prie.
Vous n'avez pas à faire un long chemin
Le fleuve eſt ici près , vous le fçavez : Eh ! vîte ,
Portez -moi dequoi boire , & puis facilement
Je trouverai dequoi manger.... Oh ! ſûrement,
Un Loup le peut nourrir de moi , quoique petite,
Repart la Brebiette en fuyant l'Impoſteur.
Il est trop dangereux d'aider un Malfaiteur .
Par M. GUICHARD.
CONTRE L'INFIDÉLITÉ.
S₁I ton coeur n'aime point encore ,
Il eft à la veille d'aimer :
S'il aime , l'objet qu'il adore
De plus en plus doit l'enflammer.
Thémire n'a fait que te plaire :
Tu n'as cédé qu'à fes attraits ;
Sa victoire n'eft point entière ;
Ses triomphes font imparfaits.
Il faut de nouvelles armes
par
Qu'elle augmente encor tes ardeurs ;
L'Amour attire par les charmes :
11 enchaîne par les faveurs.
Après ce qu'elle vient de faire ,
SEPTEMBRE . 1763. 59
Qu'une Amanté déja fi chère
A de nouveaux droits fur ton coeur !
Elle a toujours les mêmes graces , `
Toujours ce fourire enchanteur ;
Les jeux toujours fuivent les traces :
De plus , elle a fait ton bonheur .
Viens lui rendre un nouvel hommage :
Dans un plus amoureux langage
Viens faire parler ta langueur.
Que vois-je ? tu fuis , infidelle :
Thémire à tes yeux n'eſt plus belle :
Ta flamme eft changée en froideur 25
A les pieds l'amour te rappelle:
En vain to méprifes fes cris.
9 :
Que dis-je ? un autre objet t'arrêtez
D'Ifmène ton coeur eft épris :
Tu la touches , tu l'attendris :
}
A fe rendre Ifmène s'apprête ;
Bientôt tous tes voeux font remplis , A
Mais cette nouvelle conquête , gin I
11
Afon tour perd auffi fon prix.VIET
Life paroît , & la remplace II
Life confent à tes defirs :
Pour elle alors , plus de foupirs ;
De ton coeur un autre la chaffe.
Ainfi de Beautés en Beautés ,
Tu promenes
ton inconſtance :
Toujours tes infidélités
2011
T
02
i mu a
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Sont le prix de leur confiance.
Mais qu'entens-je ? O comble d'horreur I
C'eft peu que ton coeur foit coupable ;
Ta bouche , au crime de ton coeur ,
En ajoute un plus déteſtable.
Au lieu de couvrir leur erreur
De la nuit d'un profond filence ,
Tu te fais un indigne honneur
Vil féducteur de l'innocence ,
De leur avoir ravi le leur.
>
Ingrat ! en quittant res maîtreffes ,
Ne trahis point la volupté ;
Et refpecte au moins des foiblefes
Qui firent ta félicité.
Du tendre amour entends les plaintes:"}
Voi fur les flâmes prèſqu'éteintes
Tomber un délug e de pleurs...
Mais quoi? tu ris de les douleurs ,
A chaque inftant ton coeur volage
Lui prépare un nouvel outrage::: J. I
Tu braves fon autorité..
Il n'eft point, ta Divinité ;
Ton Dieu , c'eſt le libertinage.
Séxe charmant dont en ces vers
Ma Muſe pourſuit la vengeance
Contre le crime & l'infolence
1
D'un ingrat qui brifant vos fers,"
Au mépris des noeuds les plus chers
SEPTEMBRE . 1763.
Ofe encore ajouter l'offenſe ;
Jafqu'ici dans l'indifférence
J'ai vu s'écouler tous nres jours 3
Enfin chaque choſe a ſon cours ,
Et je fens que pour moi s'avance
L'inftant marqué par les Amours.
Qui que tu fois , objet aimable ,
Qui dois me ranger fous leurs loix ,
A mes yeux charmés une fois
Tu feras toujours adorable ;
Et lorfqu'enfin l'Amour vainqueur '
Défarmant pour moi ra rigueur ,
A mes voeux te rendra docile,
Bien loin que ta bonté facile , '
Eteigtrema conftante ardeus,
Tu verras ton amant fidéle
Brûler d'une flamme nouvelle ,
A chaque nouvelle faveur.
Tu feras la feule maîtreſſet: MANU A и
´Tù deiferas juſqu'au tombeaupjor 25q nov
Sans que pour un objet snowvenligsЯ
L'amour témoin de ma promenerjudu
Dans mon coeur d'une autre tendrelle
Allume jamais le flambeau .
Parle Nouveau Venu au Parnaffe .
90.tob sm 101-10 %
2 MERCURE DE FRANCE.
LE
E mot de la première Enigme du
Mercure d'Août eft le Baillement. Celui
de la feconde eft Coeur. Celui du premier
Logogryphe eft Lecteur , dont
l'Anagramme eft Lecture. La décompofition
du mot eft tu , ut , cure , cur
rue , et , tuer , lute , cruel, ruel, Luc ,
cul. Celui du fecond Logogryphe eft
Mercure , où l'on trouve mur rue mère
, ere , ruer , meur , erre meure Ré ,
Cure Créme
mer , crême.
› cure , rue , écume
1000 st sap niel rsia
63126
ENIGME
13
J
I
UN Aftre des plus éclatans , 19. T
Non
pas toujours , mais en de certains temps ,
Repréſente affez ma figure ;
Je fuis de matière très- dure
Etl'on me fait avec grand bruit.
Je conferve ce que je couvre ;
Et mon utilité dont chacun eſt inftruit,
ત્
Par- tout me donne entrée , & même dans le
#
Louvre.
SEPTEMBRE . 1763. 63
AUTR E.
Je n'ai pour toute parure ,
Qu'un habit ou gris , ou bleus
Et je change de figure ;
Quand je paffe par le feu.
On me donne mille coups ,
Et puis après on me fèrre;
Lorſque je fuis en pouffière ,
Je m'échappe par des trous.
On m'ajuste , l'on m'apprête ;
Je fuis de fort bon aloi.
Pour faire une grande fête ,
Il faut recourir à moi.
LOGO GRYPH E.
J
E fuis de nature femelle ;
Mon empire eft plus grand aux lieux où les frimats
Font contre les humains une guerre éternelle;
Les vents me caufent le trépas.
Divife mes cinq pieds , Lecteur , tu trouveras
D'abord cette éffence immortelle ,
I
64 MERCURE DE FRANCE.
Dont l'être parmi nous cauſe tant de débats ;
Un inftrument de mort dès longtemps en ufage
Chez une fière Nation ;
Ce qu'un jour de dévotion
Un pefant Marguillier , bourfoufflant fon vilage,
Porte avec grande attention ;
Une figure du Blaſon ;
Un terme bien aimé des Faiſeurs de tapage,
Si cependant , malgré ces éclairciffemens ,
Lecteur , pour me trouver tu fens quelques tour
mens ;
J'ajoute pour t'aider , rivale de la Lune,
Nous brillons dans le même temps ;
Souvent failamière importune
Nuit à mes rayons languiffans s
Mais quandje fuis multipliće ,
Ma rivale eft humiliée ,
J'efface fon éclat au moins quelques inftans.`
Cher Lecteur , je te fers peut être
Adieu , Phoebus s'enfuit , & je m'en vais paroître.
AUTR E.
MON to
ON ton , Lecteur , dépend de l'humeur de
mon père.
Eft-il présomptuear ? tu me vois vaîne & fière ,
Avec grand étalage annoncer les talens.
Eft - il bumible of timide ? Afors humble moi.
même ,
SEPTEMBRE. 1763 . 63
J'implore en fa faveur tes regards indulgens.
Mais que fais-je ? Trop clair eft déja le Dilêmes
Paffons rapidement à la combinaiſon.
Sept membres , de mon corps forment la liaison
Veux-tu les défunir en prendre d'abord quatre
Tu verras un enclos vaſte , ſeigneurial ,
Agréable au Chaffeur , funeſte à l'animaî. :
Quatre autres vont t'offrir fur ce fanglant théatre,
Le plus léger d'entre eux , atteint du coup fatal :
Quatre encore, & tu vois (mais en langue latine )
Le nom d'une autre bête à la dent affaffine..
Combine encore , il fort de mon immenſe ſein
Un mot géographique & connu du Marin ; -
Un bien qui méconnoît le travail des charrues⚫
Uniquement fécond par le bienfait des nues :
Un métal fans éclat , néceſſaire tréſor
Moins brillant , mais , je crois , plus utile que l'or
Un antique inftrument & de chaffe & de guerre ,
Un nouvel inventé pour réduire en pouffière
Les feuilles d'une plante abondante en efprits ;
Ce bois , fource fertile & des vins & des ris :
Un poiffon fort commun , aliment du carême ,
Et plus rare , ce fruit , rond , confi & tout verd
Dont aux plus fins repas ce poiſſon eſt couvert ;
Une conjonction qu'un Tribunal fuprême
Voulut jadis profcrire , & qui toujours nous fert ;
L'endroit où, malgré nous , vont fe peindre d'euxmêmes
66 MERCURE DE FRANCE.
Les divers mouvemens qui troublent notre coeur .
Ce qu'on porte aux convois en figne de douleur ;
Un terme à double fens, qu'à deux arts on deſtine,
Appliquable a la fcène , & propre à la cuifine ,
Le nom latin d'un figne , annuelle maiſon
Que le foleil vifite en la froide faifon s
Des Moines aujourd'hui le prénom ordinaire 3
il eft tems de fe taire.
Deux notes de Mufique .....
Par M. L**** Abonné au Mercure
ALimoges , le 9 Août 1763 .
ROMANCE.
DiPIZ-VOUS fans ceffe ,
Bergères , de l'Amour ;
Ce Dieu flatte, careffe ,
Et bleffe tour-à-tour.
D'une jeune Bergère
Ecoutez le malheur ,
Si c'en eft un de plaire
Et de donner fon coeur.
Les fleurs & la verdure
Renaiffoient dans nos champs }
L'onde par fon murmure
Annonçoit le Printemps ;
Romance .
ᎠᎦ
Deffie's
vous sans cesse
cesse Bergère de l'a.-
= mour, Ce Dieu flatte
ca - resse Et blesse
W
tour a
tour: D'une jeune ber -ge-1
W
Ecoutes le malheur , Si c'en est un de
plaire Et de donner son oeoeur.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
SEPTEMBRE. 1763 .
Philomèle fredonne.
L'âme dans ſes beaux jours
Aux langueurs s'abandonne ,
C'eſt le temps des amours.
La fenfible Climène ,
La fleur de ce hameau ,'
Un matin dans la plaine
Conduifoit fon troupeau,
Elle y trouva Clitandre ,
Rougit & foupira ;
Elle avoit le coeur tendre à
Clitandre en profita.
L'Amour dès leur enfance
Avoit uni leurs coeurs ,
Tous deux de la conſtance
Ils goûtoient les douceurs .
Ainfi tendre & fidèle ,
Le Berger amoureux
Demandoit à fa Belle ,
Qu'elle comblât fes voeux.
Ufons de la jeuneſſe ,
Livrons-nous au plaifir ,
Le temps coule fans ceffe ,
Il éteint le defir ,
La vieilleffe pefante ,
Yers nous vient à pas lents:
68 MERCURE DE FRANCE.
Croyez- moi , chère Amante ,
Les plaifirs n'ont qu'un temps.
La Bergère interdite
Ecoute ces chanſons .
A répandre elle héfie ,
Et cède à ces doux fons,
Son âme fatisfaite ,
S'ouvre au feu du defir.
La Raifon eft muette
A la voix du plaiſir.
La Bergère timide
Defire , & n'ofe pass
L'Amour qui la déci
Termine fes combats .
Pour finir fon euvrage ,
Il faifit un rofeau ,
Puis au fond d'un bocag●
Il chaffe fon troupeau.
Climène en fuit la traee ,
Et dit à fon Amant ,
Ne me fais point de grace !
Un regard la dément .
Le trop rofé Clitandre
S'en rapporte à fes yeux.
L'Amour qui fçait entendre
Mérite d'être heureux.
SEPTEMBRE. 1763.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE fur L'ANDRIENNE de
TÉRENCE , adreffée à M. L. D.
Affocié de l'Académie de LA ROCHELLE,
ESTST-IL bien vrai , Monfieur , comme
le prétend M. Marmontel dans la feconde
partie de fa Poëtique , » qu'il faut n'avoir
jamais lû les Anciens , pour attribuer
» à notre fiécle l'origine du Comique at
» tendriffant , & qu'il eft furprenant que
» cette erreur ait pu fubfifter un inſtant
» chez une Nation accoutumée à voir
» jouer l'Adrienne de Terence , où l'on
» pleure , dès le premier Acte , & c.
Je fçais que quelques Auteurs , dont
je refpecte l'autorité , ont cru voir égaÍement
chez les Anciens le germe du Comique
Larmoyant ; mais comme je me
flatte d'avoir combattu folidement ce fyf
tême dans un écrit qui vient d'être im170
MERCURE DE FRANCE .
7
primé (a) , je ne retournerai point fur
mes traces , & je me bornerai à difcuter
ici l'affertion qui regarde particulièrement
l'Andrienne.
Avant que d'entrer en matière , il eſt à
propos de remarquer qu'il réfulte néceffairement
des expreffions de M.Marmontel
, que cette Comédie fait pleurer nonfeulementdès
lepremier Acte, mais encore
dans tous les A&tes fuivans. Ce n'eft
point ici une chicane de mots. C'eſt
donner fimplement aux paroles de l'Auteur
, le fens qu'elles préfentent naturellement.
Tout le monde a lû Térence & connoît
l'Andrienne ; ainfi tout le monde
eft en état de juger , fi ce Poëme peut
véritablement avoir été la fource où l'on
a puifé le Comique plaintif , tel qu'il
existe depuis trente ans parmi nous. Il
feroit donc inutile d'en faire une exacte
analyfe ; il fuffira d'en parcourir quelques .
endroits qui fembleroient peut- être au
premier coup -d'oeil pouvoir favorifer le
fentiment de M. Marmontel.
D'abord je dois dire que l'expreffion
(a) Dans le troifiéme recueil de l'Académie de
la Rochelle , chez Légier , Imprimeur de l'Académaie,
& qui fe trouve à Paris chez Mérigot , pere.
SEPTEMBRE. 1763. 71
de genre attendriffant , eft trop générale ,
qu'elle ne défigne point fuffi amment
la maniere l'armoyante dont la Chauffée
eft linventeur , & que je n'ai jamais prétendu
attaquer que cette manière- là
dont en effet je ne trouve aucun veftige
dans la Comédie du Poëte latin.
J
Dès fix Scènes qui compofent le premier
Acte , il y en a quatre qui fe paffent
entre Simon , père de Pamphile , Sofie
affranchi de Simon , & Davus , valet de
Pamphile. Or , certainement ces trois
Perfonnages , foit par leur caractère , ſoit
par leurs difcours , ne font ni plaintifs ni
attendriffans . La cinquiéme Scène eft
entre Arquilis & Myfis , l'une fervante
& l'autre garde , ou plutôt confidente de
Glycérion , Héroïne invifible de la Piéce.
Voici un échantillon des propos de
Myfis.
» Mon Dieu ! Arquilis , il y a mille ans
» que je vous entends ; vous voulez que
» j'amène Lesbie ; cependant , il eft cer-
» tain qu'elle eft fujette à boire , qu'elle
» eft imprudente , & quelle n'eft pas ce , &
» qu'il faut , pour qu'on puiffe lui con-
, fier fûrement une femme à fa premiere
groffeffe; je l'aménerai pourtant . Voyez
» un peu l'importunité de cette vieille :
72 MERCURE DE FRANCE.
» & tout cela parce qu'elles ont accoutu
» mé de boire enſemble , &c. (b)
Ce n'eft pas affùrément dans les Scènes
de cette eſpéce qu'on trouvera de l'analogie
entre les caracteres des perfonnages
de l'Andrienne & ceux du nouveau
Comique ; mais parcourons la Scène
fixiéme , nous y découvrirons fans doute
la véritable origine du Comique qui
fait pleurer , puifque c'étoit fi je l'ofe
dire , l'Egide dont fe couvroit la Chauffée
, pour parer les traits de fes critiques.
La moitié de cette Scène eft remplie
des plaintes de Pamphile , contre fon
père , qui veut le marier malgré lui à la
fille de Chrémès , fon ancien ami : il demande
enfuite à Myfis , ce que fait fa
Maîtreffe. Myfis répond , ce qu'elle fait?
elle eſt en travail , laborat è dolore. Je
conviens fans peine que Pamphile raconte
ici d'une maniere très - touchante
, les dernieres paroles que lui a dites en
mourant Chryfis , ami de Clycérion , &
que ce Tableau eft véritablement trèspathétique.
Mais pour quel ordre de
Spectateurs ?
Quand on voudroit fuppofer qu'il
; ( b) Traduction de Madame Dacier.
étoit
SEPTEMBRE. 1763.
73
étoit dans les moeurs Grecques , de s'intéreffer
aux avantures des filles protégées
par les Prêtreffes de Vénus , chez
lefquelles la jeuneffe d'Athènes alloit
fouper & payoit fon écot ; ( c ) dans les
nôtres , quel intérêt peut - on prendre
au fort d'une courtisane que fa confidente
, qui mériteroit un autre nom ,
nous repréfente à la fuite de fes galanteries
, dans les douleurs actuelles de l'enfantement
? Que Pamphile follement
amoureux faffe paroître dans cette occafion
le plus vif attendriffement ; qu'il
foit furieux de douleur ; tous ces mouvemens
font dans la nature ; mais que des
fpectateurs tranquilles & indifférens
foient affez vivement pénétrés pour verfer
des pleurs , cela n'eft point dans l'ordre
des chofes , & je ne connoîs que les
Auditeurs , dans la claffe de Pamphile ,
qui puiffent en pareille circonftance , répandre
véritablement des larmes.
Le deuxième A&te ne fournit aucune
fituation qui tende au plus léger attendriffement.
Il fuffit de le lire , pour s'en
convaincre ; d'ailleurs , il faut des femmes
pour attendrir ; deux beaux yeux en
pleurs ont de puiffans charmes ; c'eſt-là
(c ) Acte 1. Scène L
D
74 MERCURE DE FRANCE.
le vrai mobile du larmoyant deMélanide ,
mais l'Andrienne n'en a point,
On trouve dans la première Scène du
troifiéme Acte , une pofition à la Grecque
, qui feroit parmi nous d'une indécence
infoutenable Glycérion toujours
en travail , s'écrie derriere le Théâtre ,
Junon , Déeffe Tutélaire des accouchemens
, fecourez-moi , je vous prie ! Juno
Lucina , fer opem , ferva me , obfecro,
Croyez-vous , Monfieur , que le parterre
de Rome ait été beaucoup plus attendri
par cette lamentable invocation , que
nous le fûmes nous-mêmes en 1733, lorfqu'une
très-jolie Actrice de la Foire S.
Laurent, preffée par de pareilles douleurs,
fut forcée d'abandonner la Scène pour
implorer Lucine à fon tour ? Je puis vous
affurer , qu'au lieu d'y voir répandre des
larmes , on entendit parmi ceux des Spectateurs
qui étoient inftruits du fecret de
Péclipfe , (d) des éclats d'un rire immodéré
, qui ne marquoient pas affurément
de fenfibilité douloureufe pour la
velle Glycérion.
nous
La deuxième Scène du quatriéme Afte
offre encore Pamphile , jurant par les
.I
(d) Elle repréfentoit les perfonnages de la Lune
dans l'Opéra de Boiſfy intitulé , la nuit d'Etés
SEPTEMBRE. 1763. 75
-Dieux , de ne jamais abandonner fa maitreffe
& proteftant que la mort feule
pourra la lui ravir. Mais cette fituation
d'un jeune homme amoureux à la rage ,
fût -elle cent fois répétée , ne peut donner
, ni au corps entier du Poëme , ni
aux Scènes particulières , ce caractère
vraiment pitoyable qui attendrit jufqu'aux
larmes. A l'égard des Scènes , le
fait eft prouvé; nous en avons au Théâtre
François , & particulièrement à l'Opéra
d'un coloris encore plus tendre , qui
n'ont jamais fait pleurer perfonne ; &
quant au corps du Poëme , ce ne font
pas deux ou trois morceaux ifolés , graves
ou enjoués , Comiques ou plaintifs qui
peuvent déterminer fon efpéce diftinctive
; c'eft la nature des Sujets qui y font
traités ; c'eft le ton des principaux perfonnages
& fur-tout l'enfemble des fituations
& des fentimens qui y dominent
, qui font feuls capables par leur
réunion de lui imprimer fon véritable
caractère .
Si quelques Scènes ifolées pouvoient
fixer le genre d'une Comédie ; l'Andrienne,
à ce prix , pourroit être mife au nombre
des Pièces les plus rifibles . En effet
nous n'avons peut- être pas de meilleur
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Comique de fituation , que deux endroits
de ce même A&te que je vais vous
rappeller. Dans le premier qui forme la
quatriéme Scène , Davus paroît , portant
un enfant dans fes bras , & dit à
Myfis de le prendre & de le mettre
elle-même devant la porte de Pamphile.
Après une légère réfiftance , Myfis obéit ,
refte feule , & Davus difparoît. Dans
l'inftant même arrive le vieux Chrémès.
Sa furpriſe & fon dépit font extrêmes ,
de trouver un enfant expofé à la porte
de fon gendre futur. Il interroge Myfis ,
pour fçavoir fi c'eft elle qui a mis là cet
enfant. Myfis , toute interdite , ne fçait
que répondre & cherche des yeux Ďavus
qu'elle ne retrouve point. Cependant
il revient comme par hazard , & affecte
de méconnoître Myfis , qu'il traite en
avanturiere ; ce qui donne lieu à une difpute
entreux , remplie de traits vraiment
comiques. Je ne fçais point réſiſter à
l'envie de vous en tranfcrire ici , une
partie.
MYSIS , appercevant DAVUS.
Pourquoi , je te prie , m'as-tu laiffée
içi toute feule ?
DAVUS.
Ho , ho ! quelle hiftoire eft- ce donc,
SEPTEMBRE. 1763
77
que ceci ? Dis-moi un peu , Myfis
dou eft cet enfant , & qui l'a apporté ici ?
MY SIS.
Es -tu en ton bon fens de me faire
cette demande
DAVUS.
A qui la pourrois- je donc faire , puif
que je ne vois ici que toi ?
MY SIS..
Tu es fou , n'eft-ce pas toi même qui
las mis là ?
DAVUS.
Si tu me dis un feul mot que pour répondre
à ce que je te demanderai .....
prends- y garde .
MYSIS
Tu me menaces ?
DAVUS.
D'où eft donc cet enfant ? (bas) , dis◄
le fans myſtère.
MY SI'S.
De chez vous.
DAVUS:
Ha , ha , ha ! mais faut-il s'étonner
qu'une femme foit impudente ? Nous
jugez-vous fi propres à être vos dupes ? ..
en un mot , hate - toi vite de m'ôter cet
enfant de cette porte . ( Bas ) , demeure.
MYSIS.
Que les Dieux t'abîment pour la
fraieur que tu me fais ! Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
DAVUS.
Eft - ce à toi que je parte , ou non ?
MYSIS.
Que veux- tu ?
DAVUS.
Quoi tu me demandes ? Dis -moi de
qui eft l'enfant que tu as mis là ? Parle ?
MYSIS.
Eft- ce que tu ne le fçais pas ?
1
DAVUS.
Mon Dieu ! laiffé là ce que je fçai ,
& me dis ce que je te demande & c. &c.
Le furplus de la Scène eft dans le
même goût. L'arrivée d'un certain Criton
de l'ifle d'Andros , vraie machine de
dénouement , termine cet Acte.
En vain chercheroit- on dans le cinquiéme
quelqu'indice du ton pitoyable
ou même fimplement attendriffant ; on
n'y trouvera ni événement ni caractères
qui ayent la moindre tendance au genre
larmoyant. L'homme d'Andros y reparoît
dans la Scène cinquiéme & léve par
fes récits , tous les obftacles qui s'oppofoient
au mariage de Glycérion , qui
eft enfin reconnue Athénienne & fille
de Chrémès. C'eſt ainfi que fe dénoue çe
Poëme célébre , où l'on voit fans doute
des peintures admirables qui appartiennent
à tous les âges , à tous les
SEPTEMBRE. 1763 . 79
fiécles & a toutes les nations , mais où
il me paroît impoffible d'entrevoir des
objets capables d'arracher des larmes
hi dès le premier Acte , ni même dans
aucun de ceux dont ce Poëme eft compofé.
Je devrois peut- être ici oppofer autorité
à autorité , & citer les Auteurs
qui ont nié formellement que les Anciens
ayent pû fournir des modéles au
larmoyant comique ; mais je me contenterai
de rapporter le fentiment de
M. l'Abbé de la Porte , dans fes obfervations
fur la Littérature moderne ( e ) ;
il eft fi perfuadé que Thalie n'a jamais
fait verfer de larmes dans Rome ou
dans Athénes , & il croit cette vérité fi
évidente , qu'on peut , dit-il , le difpenfer
d'en rapporter des preuves.
Enfin je demande qu'on relife Teren
ce ; j'ofe affurer que le Lecteur qui feroit
né avec l'âme la moins fenfible
n'hésitera pas un moment à fe décider
fur la nature des fentimens de joie ou
de trifteffe qu'il devra éprouver, à moins
qu'il ne reffemble à ce Financier ftupide
, qui demandoit , dans une fête
s'il avoit du plaifir ?
( e ) Tom. I. art. 4. 1750.
D iv
80 MERCURE DE FRANCE.
Quant à moi je déclare que le nou
vel examen que j'ai fait de l'Andrienne
m'a de plus en plus confirmé dans ma
première idée , & que mon aveuglement
eft tel
Quejefuis en danger de n'enjamais guérir.
·
Loin d'y trouver le germe du genre
plaintif & attendriffant , j'y ai vû au
contraire un affez grand nombre de
Scènes du genre le plus bouffon . La
pofition de la fage- femme qui s'enivre;
les cris indécens d'une fille qui accouche
, prèfque publiquement , & l'expofition
rifible d'un enfant nouvellement
né & c. tous ces objets paroîtront toujours
& à tout le monde , infiniment
plus propres à remplir le fond d'un
Opéra-Comique , qu'à être traités fur
un théâtre où la décence doit préfider.
Si je n'avois fait attention qu'à l'Auteur
de la nouvelle Poëtique , &aux applaudiffemens
qu'il a fi fouvent mérités
fans doute que la plume me feroit tombée
des mains ; mais la vérité m'eft
chère ; & comme les ouvrages de M.
Marmontel prouvent , en mille endroits,
qu'il l'aime auffi , j'ofe me flatter qu'il
ne trouvera pas mauvais que jaye lutté
contre fes fentimens dans cette lettre ,
SEPTEMBRE. 1763. 81
"
après avoir eu le courage de combattre
dans ma differtation ceux de Meffieurs
de Fontenelle & de Voltaire..
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ala Rochelle , lê 15 Juin 1763 .
J
M. D. C..
LETTRE à l'Auteur du Mercure..
E viens de lire , Monfieur , dans vo--
tre Mercute du mois de Juillet 1763 ,
premier Volume , page 130 , que Fran
çois Lalouette avoit été Maître des Re--
quêtes de l'Hôtel du Roi , fuivant unt
Mémoire que M. de Velley a lù le 23 :
Février de cette année à la Séance pu--
blique de la Société Littéraire de Ch--
lons fur Marne .
Comme je travaille depuis longtems »
à l'hiftoire des Maîtres des Requêtes :
depuis le régne de S. Louis jufques à
préfent , que je vais faire imprimer in--
ceffament en 8 Vol. in-4° , je ne trouve ?
point depuis ce tems qu'il foit fait men--
tion de François Lalouette , en qualité :
de Maître des Requêtes ordinaires du
Roi. Si vous pouviez , Monfieur , enga--
D y
82 MERCURE DE FRANCE .
ger M. de Velley ( que je n'ai point
l'honneur de connoître ) de vous faire
fçavoir où il a trouvé que ledit François
Lalouette a été Maître des Requêtes , je
vous ferai obligé de vouloir bien me
faire part de fa réponſe , dont je ferois
mention dans mon Hiftoire , s'il nous
rapportoit copies authentiques des titres
ou des Auteurs qui font mention de ce
Maître des Requêtes. Je fuis , &c .
DE NOINVILLE , Abonné au Mercure , Maitre
des Requêtes , & Préfident Honoraire
au Grand- Confeil.
A Paris , ce 22 Juillet 1763.
LE CONSOLATEUR , pour fervir de
réponse à la Théorie de l'Impôt , &
autres Ecrits fur l'Economie politique;
par M. de S. Suplix. A Bruxelles
, & fe trouve à Paris , chez Valleyre
pere , rue S. Severin , vis - à-vis le
Portail de l'Eglife , à l'Annonciation.
1763. un volume in -12 .
Q
JATORZE Chapitres compofent ce
Volume , qui eft , comme on le voit
SEPTEMBRE. 1763. 83
par le titre , une réfutation de plufieurs
Ouvrages qui ont paru dans les derniers
temps fur l'Economie politique ,
& en particulier du Livre fameux de la
Théorie de l'Impôt.
Les deux premiers Chapitres traitent
de l'Agriculture à laquelle, depuis quelques
années , le Public paroît donner
toute fon attention . L'Auteur ne veut
pas qu'on néglige cet Art ; mais il s'éléve
avec force contre les Ecrivains qui
prétendent qu'il n'eft point affez cultivé
en France ; & il fait voir que s'il eft trèsutile
, il n'eft certainement pas le feul
néceffaire.
La population fait la matière des deux
Chapitres fuivans. Un Auteur moderne
a prétendu que l'Agriculture eft la fource
de la population ; & comme il veut que
' Agriculture foit diminuée en France ,
en conféquence il diminue les habitans
du Royaume. Non-feulement on a prouvé
dans les deux premiers Chapitres que
Agriculture étoit toujours la même ,
mais on montre encore que cet Art ,
quoique le plus utile aux hommes , n'eft
cependant pas le plus favorable à la population
, à ne l'envifager que dans la
culture des grains.
Le cinquiéme chapitre préfente des
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
calculs fur les revenus de la Nation , dans
lefquels on combat encore fortement les
opinions de l'Auteur de la Théorie de
P'Impôt ; car c'eft à lui qu'on en veut
principalement dans cette nouvelle réfutation
; comme on peur le voir encore
par le Titre du Chapitre fuivant : Tableau
des revenus du territoire du Royaume ,
dans un état de profpérité: Parl'Auteur
de la Théorie de l'Impôt. Et remarques
fur ce Tableau. Ces remarques ont pour
objet de prouver que le Tableau en quef.
tion eft extraordinairement exagéré.
Les prohibitions & privilèges exclufifs
font traités dans deux Chapitres. On
juge bien que M. de Mirabeau s'étant éle--
ve fortement contre ces fortes de privi--
lèges , fon adverfaire en prendra la dé--
fenfe; mais ily met des reftrictions.
La forme des impôts , telle qu'elle eft
établie aujourd'hui en France , eft trèsancienne
. Les abus s'y font gliffés par
gradation, il eft néceffaire de les corriger;
mais pour le faire fans danger , dit notre
Auteur , il faut que ce foit peu -à - peu ;
rien de fi périlleux que les changemens.
fubits ; c'étoit le fentiment de M. Colbert.
l'Auteur de la Théorie de l'impôt veut aller
plus vite , & c'eft encore pour le réfuter
dans cette partie de fon Ouvrage,queSEPTEMBRE
. 1763 . 84
T'on employe ici un Chapitre entier , qui
fait le neuvième du Livre que nous annonçons
..
Le dixiéme eft intitulé : L'Auteur de
la Théorie de l'Impôt veut rendre le fel
& le tabac marchands : projet que l'on
a déja tenté inutilement. Ce Chapitre préfente
des faits curieux ; & l'on fera
peut être bien-aife de trouver ici les
progrès du tabac. Cette plante s'appelloit
originairement Petun , & fut apportée
en France fous le régne de
François Second , par Jean Nicot
Ambaffadeur en Portugal. Infenfiblement
fa vertu féduifit au point que
vers l'an 1629 il en entroit fi confidérablement
dans le Royaume , que cela
at ira l'attention du Gouvernement. On
mit une taxe de trente fals par livre dé
droit à fon entrée dans le Royaume ;
mais en même temps pour favorifer
l'établiffement des Colonies Françoifes ,
tous les tabacs qui en provenoient
étoient exempts de droits. Ce droit fut
enfuite diminué & fixé à vingt fols.
Enfin la vente exclufive en fut accordée
à un Fermier , en 1674 , avec les
droits. fur l'étain , pour la fomme de cinq
cens mille livres pendant les deux premières
années , & pour fix cens mille
86 MERCURE DE FRANCE.
livres pendant les quatre autres. Le prix
du tabac du Royaume fut fixé à vingt
fols en gros , & à vingt- cinq en détail.
Le prix du tabac étranger à quarante fols
en gros , & à cinquante en détail . En
1718 , la Compagnie d'Occident s'en
chargea fur le pied de quatre millions
deux cens mille livres par an ; à condition
de tirer de nos Colonies des tabacs
à fumer & à raper , & d'én favorifer la
culture. Le prix du tabac fut fixé à quarante
fols en gros , & à cinquante fols
en détail , & les qualités à proportion.
En 1719 le droit fur le tabac fut converti
en droits d'entrée , avec défenſe
d'en planter dans le Royaume. Enfin la
trifte révolution du fyftême mina cette
Compagnie , & replongea dans l'anéantiffement
le commerce du Tabac , & la
culture de la Colonie de la Louifiane .La
yente exclufive fut rétablie en faveur
de Duverdier , qui fut obligé de réfilier
fon bail en 1723 à la Compagnie des
Indes , moyennant quatre-vingt millions
qu'elle avança au Roi. Enfin le
privilége fut réuni en 1730 aux Fermes
qui en font restées en poffeffion depuis
ce temps.
Sans entrer dans aucun détail fur les autres
Chapitres qui traitent du droit d'auSEPTEMBRE.
1763. 87
baine, de la Finance, du reverſement & de
la circulation , il eft aifé de voir que
l'Auteur de ce nouvel Ouvrage fe propofe
partout de combattre les opinions
de M. de Mirabeau. Ce n'eft point à
nous à juger des raifons alléguées de
part & d'autre pour défendre leur fyftême.
Nous nous bornerons à dire que
le nouvel Auteur écrit avec méthode ,
clarté , intérêt & précision.
DISCOURS fur le bonheur des Gens
de Lettres ; avec cette Epigraphe : Homo
doctus in fe femper divitias habet.
Phad. A Bordeaux , chez les
Frères Labottiere , Imprimeurs - Libraires
, Place du Palais ; avec permiffion.
Brochure in- 8°. de 72 pages.
1763.
APRÉS un Exorde qui marque dans
1'Auteur une admiration pour les Lettres
, qui va jufqu'à l'enthoufiafme
, il
arrive à la divifion qui forme les deux
parties de fon difcours ; la voici : l'homme
de Lettres vit dans une noble indépendance.
L'homme de Lettres goûte
88 MERCURE DE FRANCE.
des plaifirs inconnus au Vulgaire .
Parmi différens traits qui prouvent
jufqu'à quel point les gens de Lettres
confervent l'extrême liberté que l'Auteur
leur attribue nous ne mettrons
fous les yeux de nos Lecteurs que le
morceau fuivant : » l'Homme de Lettres
» eft ferme & hardi , lorfqu'il s'agit d'ex-
" pofer le vrai c'eft le digne tribut
» qu'il doit à l'humanité. D'une main il
foudroie le vice , de l'autre il dreffe
» des Autels , à la Vertu . Il déploye
" toute l'indignation d'une âme fenfible
» contre d'injuftes tyrans ; il rejette le
❞ cri infenfé de l'opinion pour faire par-
" ler la voix immortelle de la Raifon..
Que tous les hommes fe rangent du
» parti de l'erreur ; que le defpotifme
» emplove fon bras d'airain pour la faire
» triompher , il le défiera de réduire en
» fervitude fa penfée . Il cédera plutôt
» aux clameurs de l'envie ; il fuira fes
» perfécuteurs jufqu'au fond des forêts ,
» & préférera , s'il le faut , le commerce
» des tigres à celui des hommes. Que
» dis-je , il ne les oubliera point ; il les
» fervira tout ingrats qu'ils font , &
» .confumera fes derniers jours à inf-
» truire une Société qui l'a rejetté de
» fon fein. »
SEPTEMBRE. 1763 . 89
Quant aux plaifirs des gens de Lettres on
comprend affez que lAuteur les rend pu
sement intellectuels, tels que les jouiffances
des fyftémes élevés & profonds de la
Métaphyfique, des fublimes préceptes de
la Morale , des immuables vérités de la
Géométrie , des Tableaux attachans
de l'Hiftoire , du charme inexprimable
de l'Eloquence & furtout de la Poëfie.
Tous ces différens objets font préſentés
dans ce difcours d'une manière qui prouve
que ll''AAuutteeuurr,, véritablement homme
de Lettres , jouit dans fon état & de la
liberté & des plaifirs qu'il promet à fes
confrères.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres
de Nanci , par M. l'Abbé COYER ,
&fa réception , le Dimanche 8 Mai
1763. A Nanci , chez Babin , Imprimeur-
Libraire ; & fe trouve à Paris ,
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jac
ques , au Temple du Goût ; avec Approbation
& Permiffion. 1763. Brochure
in-8° . de 40 pages..
LESEs devoirs & les avantages d'um:
do MERCURE DE FRANCE.
homme de Lettres font ingénieufement
expofés dans cet Ouvrage de M. l'Abbé
Coyer. C'eft à - peu près le même fujet
que celui du Difcours précédent ; mais
le premier eft traité avec plus d'éloquence
; celui de M. l'Abbé Coyer eft écrit
avec plus d'efprit.
DISCOURS qui a remporté le Prix
d'Eloquence aujugement de la Société
Royale des Sciences & Belles-Lettres
de Nanci , pour l'année 1763 , par
M. BELLICARD , Avocat à la Cour.
Nancy , chez la Veuve & Claude
Lefeure, Imprimeur ordinaire du Roi.
Avecpermiſſion ; 1761. Brochure in-
8° de 48 pages.
CE difcours traite de l'humanité ; &
le voen de l'Auteur dans fon Exorde ,
eft de rendre tous les hommes heureux ,
en leur infpirant une verttu fi aimable.
Pour cela il entreprend de montrer 1 °.
pourquoi l'humanité eft fi peu commune.
2°. combien elle eft aimable &
précieuſe .
Les caufes qui rendent peu commuSEPTEMBRE
. 1763 .
ne la vertu que l'on veut infpirer au
genre humain , font 1 °. la différence
des rangs , des conditions , des fortunes
qui mettent tant d'intervalle entre un
homme & un homme . 2 ° . l'efprit de
luxe, de volupté, d'intérêt qui régne dans
le fiécle ou nous vivons. 3°. le fanatifme
qui s'allume dans les cerveaux échauf
fés , & caufe les plus funeftes effets
dans l'univers. Nous laiffons à nos Lecteurs
le plaifir d'étendre dans leur ima
gination les divers points de vue fous
lefquels M. Bellicard a envifagé fon
objet , & nous paffons à la feconde
partie.
-
L'humanité eft la fource des vertus
& la fource des folides plaifirs ; deux
qualités qui en font une vertu aimable
& précieufe. Les âmes humaines n'auront
pas de peine à concevoir la vérité
de ces deux fous divifions ; & nous
regrettons de ne pouvoir nous arrêter
plus long-temps fur des objets fi confolans
; mais en renvoyant le Lecteur
àl'ouvrage même, il fentira en le lifant ,
accroître fon eftime pour l'Auteur , &
fon affection pour le genre humain.
2 MERCURE DE FRANCE.
L'INTÉREST d'un ouvrage , Difcours
prononcé par M*** le jour de fa récep
tion à l'Académie Royale des Sciences
& Belles-Lettres de Nanci , le 8 Mai
1763. A Paris chezVallat- la- Chapelle,
Libraire au Palais , fur le Perron de
la Sainte - Chapelle , au Château de
Champlâtreux , 1763 ; avec Approbation
& Privilége du Roi. Brochure
in 8°. de 44 pages .
"
ToTOUS
ous
parlent
de
l'intérêt
d'un
ou-
»
vrage
, dit
l'Auteur
, aucun
ne
dit
en
»
quoi
confifte
cet
intérêt
. Leur
filence
»
fur
cette
matière
a
occafionné
de
ma
»
part
quelques
obfervations
générales
»
que
je
foumets
à votre
jugement
.
Ce font ces objections qui font le fujet
du Difcours du Récipiendaire;& pour
tracer en peu de mots tout fon plan , il
fuffira de rapporter encorequelques-unes
de fes paroles où fon fyftême eft développé.
» Le choix, l'ordre & la repréſentation
de la penfée , voilà le fondement , la
» forme , & la décoration d'un ouvrage..
SEPTEMBRE. 1763. 93
Le choix décide le fujet , l'ordre éta
blit le plan , la repréfentation donne
» le ftyle. Si l'ouvrage affecte par le fujet
, s'il fatisfait par le plan , s'il attache
» par le ftyle , c'eft un ouvrage intéreffant.
D'un fujet qui affecte , naît le
» charme des détails & des applications ;
» d'un plan qui fatisfait , naît le charme
» du développement & de l'enſemble ;
» d'un ftyle qui attache , naît le charme
» du coloris & de l'expreffion . Leftyle
» fans le fujet , n'attache qu'un moment,
» le fujet fans le ftyle, n'attache qu'à de-
» mi ; l'un & l'autre fans le plan , ne
P fatisfont que par intervalles ; réunis
» tous les trois , c'eft alors qu'ils excitent
* par des fecouffes fucceffives & rapides,
» cette impreffion profonde , cette émo-
» tion entiere , ce tranſport continu
» cet enthoufiafme progreffif, le triomphe
de la fenfibilité de l'âme , & le
».comble de l'intérêt d'un ouvrage.
En reprenant tous ces divers membres
& les développant , l'Auteur nous donne
un excellent Traité de Littérature qu'on
gagnera toujours à lire & à confulter,
94 MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS fur l'Émulation , adreſſe
à la Société Royale des Sciences &
Belles Lettres de Nanci , par M.
BOLLIOUD MERMET , Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences ,
"Belles-Lettres & Arts de Lyon, A
Lyon , chez les Frères Periffe , Libraires
, grande rue Merciere ; avec
permiffion, 1763. Brochure in 8 °. de
44 pages.
C'EST ici un Difcours de réception
& de remercîment compofé par un
Récipiendaire à l'Académie de Nanci .
Après les complimens d'ufage , M. Bolliond
éffaye de découvrir le vrai principe
de l'émulation . Il définit fa nature,
fon objet , fes moyens ; il développe fes
caractères. L'abondance des Ouvrages
que nous devons encore annoncer ne
que
nous permet pas de fuivre l'Auteur dans
toutes les divifions de ce Difcours vraiment
Académique , foit par la matière
qu'on y traite , foit par l'élégance , le
goût & les vues de l'Auteur.
SEPTEMBRE. 1763. 95
RECUEIL des Ouvrages qui ont rem
porté le Prix à l'Académie des Jeux
Floraux en 1761 , 1762 & 1763 ;
par M. le Chevalier de la TREMBLAYE
, avec cette Epigraphe :
Parvum parva decent, Horat. A Londres
, & fe vend à Paris , chez Vallatla-
Chapelle , au Palais , fur le Perron
de la Ste Chapelle , au Château de
Champlâtreux ; 1763 ; Brochure in-
8°. de 40 pages.
₹
Qu
:
UATRE Odes & une Epitre for-
ATR
ment ce Recueil . Les Odes font intitulées
le Jaloux , les charmes de
l'Amour Conjugal , le Misantrope , l'Imagination.
L'Epitre eft adreffée à une
Fontaine, Nous ne pouvons guères citer
que quelques ftrophes de ces Odes
pour donner une idée légère & du mérite
de l'Ouvrage , & du talent de l'Auteur.
Voici comment , dans la première
Ode le mari jaloux peint à fa femme le
fentiment dont il eft agité.
2
D'ane flamme affreufe imprévue ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Je me fens brûlé près de toi ;
Un nuage
obfcurcit ma vue ;
La fureur s'empare de moi,
A ce Tentiment invincible
Je reconnois un Dieu terrible ,
Un Dieu que je ne comprends pas.
Fuis , dans ce délire effroyable,
Je peux , Amant impitoyable,
Prophaner jufqu'à tes appas.
Pour peindre les charmes de l'Amour
Conjugal , qui font le fujet de la feconde
Ode , le Poëte adreffe à fon Epoufe la
ftrophe qui fuit :
Oui , tendre moitié de moi-même ,
Chère Compagne , objet vainqueur ,
>Oui , tout reçoit de ce qu'on aime
La douce empreinte du bonheur.
Tu fais dans ma cabane obfcure
Levrai Temple de la Nature ,
Le riant féjour du plaifir.
Eft-il un lieu fur ce rivage
Où je n'admire ton image ,
Quù je ne t'adreſſe un ſoupir
Il nous a paru que M. de la Tremblaye
verfifioit aifément , & que fes Poëfies
ne dépareront pas les Recueils des Jeux
Floraux.
POEME
SEPTEMBRE . 1763. 97
POEME aux Anglois à l'occafion de la
Paix univerfelle ; par M. PEYRAU D
DE BEAUSSOL ; Brochure in- 8°.
de 20 pages.
СЕТ
ET Ouvrage eft un trophée poëtique
érigé par un François à la gloire
des Anglois qui peut-être feront étonnés
eux-mêmes de cette extrême politeffe
de notre part. Quoiqu'il en foit ,
l'Auteur dit qu'il laiffe à d'autres le foin
de louer le Roi de Pruffe, & l'Impératrice
de Ruffie ; tout occupé des Anglois
c'eſt à eux feuls qu'il adreffe feshommages,
C'est vous feuls que je chante , ennemis magnanimes.
Il eft fi rempli de fon Sujet , qu'il
a trouvé le moyen de faire fur cette
matière près de cinq cens vers , dont
nous ne rapporterons que les quatorze
premiers.
O vous qui prétendez à l'empire des mers !
Qui du fommet glacé du nouvel Univers ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Allez vous enrichir par un heureux échange ,
Des pierres de Golconde & des tréfors du Gange,
Et qui fçavez encor , faftueux fans danger ,
L'art d'acheter ce luxe avec l'or étranger;
Antiques ennemis d'un Peuple qui vous aime ,
Intrépides Anglois , célèbres par nous-même ,
C'est vous feul qu'un François de votre gloire
épris ,
Au fein de vos rivaux , dans les murs de Paris
A travers les clameurs d'une foule égarée ,
Embraffant de Louis l'image révérée ,
Qu'elle ombrage à l'envî d'oliviers encor verds ;
Oui , c'est vous qu'un François veut chanter dans
ces vers.
༢ ;
En voilà affez pour juger de la verfification
de l'Auteur, de fon zéle pour la
Nation Angloife, & du caractère de fon
Ouvrage , où l'on trouve de temps en
temps de la chaleur & de la Poefie.
SEPTEMBRE. 1763 .
9.9
ANALYSE raifonnée de la Sagefle de
CHARRON. Amfterdam , chez Marc-
Michel Rey , Libraire ; & fe trouve à
Paris , chez Panckoucke , rue & côté
de la Comédie Françoife ; en deux
Parties in-12. petit form. 1763.
O N lit à la tête de cet Ouvrage un
éloge hiftorique de Charron , très- bien
écrit , qui fait connoître cet Auteur ;
& un difcours
préliminaire'très- bien raifonné
, qui donne à la fois l'idée la
plus jufte de la Sageffe de Charron , & de
l'analyfe qu'on nous préfente. Charron
& Montagne font regardés comme les
deux plus grands
Philofophes du feiziéme
fiécle ; & fi Montagne eft plus
connu , parce qu'il eft plus agréable ,
on ne lit pas Charron avec moins de
fruit . Une infinité de
perfonnes y apprennent
leurs devoirs ; mais les vérités
fublimes que fon livre contient
font perdues dans un fatras de
chofes fi communes , qu'il fatigue le
Lecteur le plus patient par des répétitions
inutiles & continuelles. Ce font
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ces répétitions , ces fuperfluités , & tous
les défagrémens d'un ftyle prolixe &
furanné , qui fe trouvent retranchés dans
cette analyfe. Ce travail étoit néceffaire
pour remettre fous nos yeux & faire
lire avec plaifir un livre en lui - même
fort utile , mais que le goût & la délicatefle
de notre fiécle avoit éloigné de
la plupart des cabinets. Il peut y reparoître
avec diftinction dans l'état où il
eft actuellement ; car outre les retranchemens
dont on vient de parler le
ftyle a cette noble fimplicité qui doit
être l'ornement & la parure de tout
ouvrage philofophique. Seulement le
nouvel Editeur a laiffé fubfifter dans
le , vieux langage tous les endroits où il
a cru refter au-deffous de l'original.
(
SEPTEMBRE. 1763. 101
LES DEUX TALENS , Comédie en deux
Actes , mêlée d'Ariettes , par M. de
Baftide,repréfentée pour la premièrefois
par les Comédiens Ítaliens Ordinaires
du Roi , le 11 Août 1763 , le prix eft
de 24 f. avec les airs. A Paris , chez
Jean-Baptifte Bauche , Libraire , quai
& auprès des Auguftins , à Ste Geneviéve
& à S. Jean dans le défert . Avec
Approbation & Permiſſion. 1763.
Brochure in- 12 .
CETTE Piéce que l'on doitjouer en-
>
core, & dont nous parle ons plus amplement
, dans un des Mercures fuivans , à
l'Article desSpectacles , vient d'être imprimée
avec cet avis quelques couplets
» perdus dans le Mercure , & quelques
» momens que j'avois à perdre , m'en-
" gagerent à travailler à cette Comédie.
» Je la lus à des perfonnes de goût
» qui m'affurerent que quelques fcènes
ne leur déplaifoient pas. Il y a en
effet dans cette Piéce , des fcènes ingénieufes
qui fe font lire avec plaifir ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
même fans la Mufique , qui eft de M.
le Chevalier d'Herbain.
Q. HORATII carmina nitori fuo reftituta.
Parifiis , typis J. Barbou
via fan-Jacobea ; fub figno Ciconiarum.
in 12. 1763.
ON a connu dans le tems , les jolies
Editions des Poëtes Latins par Couftelier.
On fçait que Barbou ayant acquis
ce riche fonds , l'a confidérablement
augmenté en réimprimant plufieurs autres
Auteurs Latins qui forment la plus
belle collection qu'il y ait en ce genre.
Elle deviendra encore plus nombreuſe
puifque chaque année , elle s'accroît
de plufieurs volumes, Les oeuvres d'Ho
race que nous annonçons ,
font une
réimpreffion de celles de Couftelier, dont
l'édition étant épuifée , eft remplacée
aujourd'hui , & furpaffée même , par
celle qui fait l'objet de cet Article.
SEPTEMBRE. 1763. 103
M. T. CICERONIS , Orator & dialogi
de Oratore , numeris & capitibus diftincti
, brevibusque argumentis per
fingula capita illuftrati. Ad ufum
Collegiorum Univerfitatis Parifienfis
Nova editio accuratior & emendatior.
Parifiis , Typis J. Barbou , via fan-
Jacobad,fub Ciconiis, 1763.
DANS le deffein où eft le fieur Barbou,
de completter fa magnifique collection
des Auteurs latins, il prépare une édition
entière de toutes les OEuvres de Ciceron
, qu'il donnera par volume , à meſure
qu'ils fortiront de deffous la preffe . Celui
qu'il fait paroître aujourd'hui, contient les
préceptes fur l'art oratoire , qui feront
bientôt fuivis des autres ouvrages de cet
Orateur. Nous n'avons rien à ajouter
ici aux éloges donnés tant de fois à cette
fuperbe collection , & aux foins employés
par le Libraire , pour conduire
cette immenfe & difpendieufe entrepriſe
à fa perfection.
Les autres Ouvrages imprimés chez
Barbou , durant cette annéej1763 , font :
E iv
T04 MERCURE DE FRANCE.
Cæfaris , comment, cum notis Gallicis ,
in- 24. il. 4f.
1l. 4 f.
Novum J. C. Teftamentum , avec une
Cartes de la Terre Ste.
Difcours fur l'Education,par M. Vicaire ,
11. 16 f.
8°. broché.
Aventures de Télémaque , 2 vol in- 12 ,
fig. 51.
Oraifons choifies de Ciceron , traduct.
nouv. avec le latin à côté, fur l'Edition
de Grævius , & avec des notes , 3 vol.
71. 10 f.
Le Socrate ruftique , ou defcription
de
la conduite
oeconomique
& morale
d'un Payfan Philofophe
&c. broché.
1 l. 10 f
Le même Libraire vient d'acquérir les
Livres fuivans.
5 1.
Dictionarium Univerfale feu Boudot. 8°.
dernière édition. 5 l. 10 f.
Hiftoire de Saladin, Sultan d'Egypte par
M. Marin , 2 vol . in - 12 .
Rhetorica juxta Ariftolelis Doctrinam
Dialogis explanata , autore Gibert
Eloquentia Profeffore , in 4° . broché.
Il. 4. f.
Dictionn . Italien François , & François
Italien par M. l'Abbé Antonini ,
SEPTEMBRE . 1763. 105
30 1.
nouv . Edition très-augmentée , 2 vol.
in-4° . 1761 .
Journal des Saints par Grofes, 3 vol in- 12
figures. 7 1. 10 f.
Bibliotheca Rhetorum præcepta & exempla
complectens , quæ tam ad oratoriam
Facultatem quam ad Poëticam
pertinent, difcipulis pariter ac Magiftris
perutilis,à P. le Jay 2 vol. in 4°.
24 1.
ANNONCES DE LIVRES.
POÉSIES SACRÉES & Philofophiques
tirées des Livres Saints , par M. le
Franc de Pompignan . Nouvelle Edition
, confidérablement augmentée &
enrichie de gravures. In 4°. Paris , 1763.
de l'Imprimerie de Prault .
Nous donnerons , dans le Mercure
prochain , l'Extrait de ce bel & édîfiant
Ouvrage.
DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE de
la Guienne.
Mille hominum fpecies , & rerum difcolor unus
Velle fuum cuique eft , nec voto vivitur uno.
Perfe , Sat. 5. v. 52 & 53;
E v
106 MERCURE DE FRANCE ,
contenant les poffeffions & les établiffemens
des François , des Efpagnols ,
des Portugais , des Hollandois , dans ce
vafte Pays ; le climat , les productions de
la Terre & les animaux , leurs Habitans ,
leurs moeurs , leurs coutumes , & le commerce
qu'on y peut faire ; avec des remarques
pour la Navigation , & des Cartes
, Plans & Figures ; dreffé au dépôt
des Cartes & Plans de la Marine , par
ordre de M. le Duc de Choifeul , Colonel
général des Suiffes & Grifons , Miniſtre
de la Guerre & de la Marine . Par le Sr.
Bellin , Ingénieur de la Marine & du
dépôt des Plans , Cenfeur Royal de l'Académie
de Marine , & de la Société
Royale de Londres . In -4 °. 1763.
Ce que nous pouvons dire , quant à
préfent, de cet Ouvrage, c'eft qu'il nous
paroît que l'Auteur n'a rien négligé pour
de rendre auffi utile qu'intéreffant.
LA JURISPRUDENCE de la Médecine
en France , ou Traité Hiftorique &
Juridique des Etabliffemens , Réglemens
, Polices , Devoirs , Fonctions ,
Récompenfes , Droits & Priviléges des
ois Corps de Médecine avec les DeSEPTEMBRE.
1763. 107
voirs , Fonctions & Autorités des Juges
à leur égard. Par M. Verdier , Docteur en
Médecine , Aggrégé au Collége Royal
des Médecins de Nanci , & Avocat au
Parlement de Paris. A Paris, chez Didot
le jeune , Quai de la Vallée , & chez
Prault pere , Quai de Gêvres . A Alençon
, chez Malaffis le jeune , & au Mans ,
chez Monnoyer.
Cet Ouvrage dont il paroît un Abrégé
, fous le titre d'ESSAI SUR LA JURISPRUDENCE
de la Médecine en
France , eſt divifé en quatre Parties . La
premiére renferme la Légiflation générale
de la Médecine ; la feconde la Légiflation
particulière de la Médecine : la
troifiéme celle de la Chirurgie ; la quatriéme
enfin , celle de la Pharmacie &
Epicerie . Chaque Partie eft compriſe
dans deux gros Volumes. L'Abrégé &
chaque Partie fe vendront féparément ,
l'Abrégé 30 fols , & les deux Volumes
de chaque Partie 5 1. brochés . Il ne pa
roît encore que l'Abrégé avec la premiè
re Partie. Ceux qui voudront fe procurer
la totalité de l'Ouvrage , pourront
foufcrire chez les Libraires précédens ;
en donnant 16 livres , ils recevront les
trois Volumes imprimés , & les trois aus
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
tres Parties de quatre en quatre mois.
L'Auteur invite tous ceux qui peuvent
lui être utiles , de lui faire part de
leurs critiques , réflexions & piéces qui
entrent dans fon Plan. Il promet d'en
faire ufage dans le courant de l'impreffion
, ou dans des fupplémens qu'il prévoit
être obligé d'ajouter à chaque Partie
. Il annonce en même temps un Code
médicinal , ou une Table chronologique
de tous les réglemens rendus fur la Médecine
, depuis le commencement de la
Monarchie , & déclare que les Soufcripteurs
des 9 Volumes précédens , feront
feuls admis à foufcrire , pour les
Supplémens & le Code .
L'adreffe de M. Verdier eft à Paris ,
chez M. Porquier, Marchand Vinaigrier,
rue du faubourg S. Jacques , vis-à-vis
de la Vifitation Ste Marie.
TABLETTES CHRONOLOGIQUES de
l'Hiftoire univerfelle , facrée & profane ,
eccléfiaftique & civile , depuis la créa
tion du monde , jufqu'à l'an 1762 ; avec
des ré flexions fur l'ordre qu'on doit tenir
& fur les Ouvrages néceffaires pour
l'étude de l'Hiftoire . Par feu M. l'Abbé
'Lenglet du Frefnoy. Nouvelle Edition ,
SEPTEMBRE. 1763. 109
revue , corrigée & augmentée. In - 8 °.
Paris , 1763 , trois Volumes. Chez de
Bure pere , quai des Auguftins , du côté
du Pont Saint- Michel , à S. Paul ; chez
Ganeau , rue S. Severin , aux armes de
Dombes.
Nous ferons connoître inceffament le
mérite de cette nouvelle Edition, bien fupérieure
à la précédente .
ESSAI SUR LE BEAU nouvelle
Edition augmentée de fix difcours , fur
les Modes , fur le Decorum , fur les Gráces
, fur l'Amour du beau , fur l'Amour
défintéressé. Deux Parties in - 12 . Paris
1763 ; chez Etienne Ganeau , rue faint
Severin , aux armes de Dombes , & à
S. Louis.
Nous parlerons avec plaifir de cet Ouvrage
qui a toujours été regardé comme
un chef- d'oeuvre en ce genre pour l'agrément
du ftyle , la précifion des idées , la
jufteffe & la profondeur des réfléxions.
RECUEIL DES PIECES de Médecine
& de Phyfique , traduit de l'Italien de
M. Cocchi , & autres Auteurs vivans . In-
12. Paris , 1763 , chez D'houry , Imprimeur
Libraire de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , rue vieille Bouclerie,
10 MERCURE DE FRANCE .
Ce Recueil excellent , fera probablement
continué , & il paroît qu'on le ſouhaite.
SECOND DISCOURS fur l'Education ,
dans lequel on expofe tout le vicieux de
l'Inftitution fcolaftique , & le moyen d'y
remédier. Par M. Vanier , Auteur du
cours de Latinité ; in-8° . Paris , 1763 :
Chez Butard, rue S. Jacques , à la Véri
té; & chez Desain junior , quai des Auguftins
, à la Bonne-Foi.
TRAITÉ DU CONTRAT de Conf
titution de Rente , par l'Auteur du Traité
des Obligations , in - 8 ° . Paris , 1763;
chez Debure, l'aîné , quai des Auguftins,
à l'Image S. Paul ; & à Orléans , chez
J. Roufeau - Montaut , Imprimeur du
Roi , de la Ville & de l'Univerfité.
INSTRUCTION fur la manière d'élever
& de perfectionner la bonne efpéce
des Bêtes à laine , de Flandre , in- 12.
Paris , 1763 , chez Guyllin , Libraire ,
quai des Auguftins , près du Pont Saint
Michel , au Lys d'or.
REFLEXIONS SUR LA NÉCESSITÉ ,
les Effets & les avantages de la difcrétion
; par l'Auteur de la Journée Sainte
SEPTEMBRE. 1763. TIE
In - 12. au Mans , 1763 ; chez Charles
Monnoyer , Imprimeur du Roi , à l'entrée
du Pont - neuf ; & à Paris , chez
Praultpere , quai de Gêvres.
· DE L'UTILITÉ DES VOYAGES ,
relativement aux fciences & aux moeurs ;
Difcours prononcé par M. l'Abbé Gros
de Befplas , de la Maifon & Société de
Sorbonne , Vicaire général du Diocèfe
de Befançon ; à fa réception , en qualité
d'Affocié à l'Académie de Béziers , au
mais d'Août 1762 , avec des réflexions
fur les vovages ; in- 8 °. Paris , 1763 ,
chez Berthier , Libraire , quai & fous la
porte des grands Auguftins.
CLOVIS , Poëme héroi- comique
avec des remarques hiftoriques & critiques
.
Carmen amat , quifquis carmina digna gerit
Claud. Præf. 1.3 de laud. ftil.
Qui de nos chants fe rend digne , les aime.
In-12. La Haye , 3 Volumes ; & fe
trouve à Paris , chez Fournier , Libraire
, quai des Auguftins.
MÉMOIRE fignifié pour Margue
rie-Agnès- Charles-Marie Huchet de la
.
112 MERCURE DE FRANCE.
Bédoyere , FILS AISNÉ de M. de la
Bédoyere , Procureur général du Parlement
de Bretagne , appellant , contre le
Comte de la Bédoyere , Fils puîné du
même M. de la Bédoyere ; & fe prétend
fon feul & unique héritier, intimé . In-12-
1763 , fe trouve à Paris , chez Defpilly,
rue S. Jacques , à la Croix d'or. Prix , 30
f. broché .
LETTRES D'HENRIETTE & d'Emilie
, traduits de l'Anglois. Par Mde G. D.
D. S. G. In- 16. Londres , 1763 ; & fe
trouvent à Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés.
LES FESTES DE LA PAIX ; divertiffement
en un Acte à l'occafion de l'Inauguration
de la Statue du Roi , & de la
publication de la Paix. Repréſentées pour
la première fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi, le 4 Juillet 1763.
Prix , 1 1. 4 f. I avec la Mufique. A Paris
chez Duchesne , rue S. Jacques au Temple
du Goût.
LES DEUX CHASSEURS & la Laitiere
, Comédie en un Acte , mêlée d'Ariettes
; par M. Anfeaume , repréſentée
pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le 21 Juillet
SEPTEMBRE. 1763 113
1763. La Mufique eft de M. Duni. Prix ,
11. 4. f. avec la Mufique. Chez le même
Libraire .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIE S.
SUITE de l'Eloge hiftorique de M. LE
PERE , lû dans l'Affemblée publique
de l'Académie D'AUXERRE.
E N étudiant la matière des poids & des
mefures tant anciennes que modernes,
dans le Pere Merfenne , qui l'a traitée
avec la plus profonde érudition , M. le
Pere a reconnu que l'évaluation de la
livre romaine étoit portée trop haut ,
par une légére méprife , telle qu'il en
échappe aux hommes les plus habiles.
Et reprenant tous les calculs il détermine
le poids de l'amphore , de l'urne ;
du boiffeau romain , & toujours audeffous
de celui que le Pere Merfenne
leur attribue. Il a fallu bien de la faga#
14 MERCURE DE FRANCE .
cité & de l'attention pour reconnoître
l'erreur , & bien du travail pour la réparer.
M. le Pere a fait un Mémoire fur les
moyens de garantir les appartemens
de la fumée , qui eft fi fouvent incommode
. Ce Mémoire eft rempli de la
plus fçavante théorie , de forte qu'en
le lifant on fe croit affuré des avantages
qu'il annonce. Mais comme ici la Géo
métrie eft affujettie dans l'exécution à
quantité de caufes phyfiques , on n'ofe
encore efpérer de détourner leurs influences
nuifibles dans quantité de pofitions.
Il eft plus aifé de mettre en ufage ce
qu'il a écrit fur l'arpentage , fur la manière
de jauger les cuves , qu'il eft ordinaire
de payer à l'ouvrier à raiſon de
la quantité de muids qu'elles contiennent
, & fur les moyens de rendre les
puits les plus profonds , tels qu'ils font
dans la partie la plus confidérable de
cette ville , d'un ufage plus facile &
plus prompt , par le fervice d'une nouvelle
machine , de fon invention , dont
il décrit la forme , calcule la puiffance ,
& démontre les avantages.
L'efprit de calcul & de Géométrie
s'applique à tout , perfectionne tout ; M
SEPTEMBRE. 1763. 115
Le Pere le porta dans la Mufique; & peutêtre,
le talent & les difpofitions naturelles
qu'il avoit pour cet Art contribuérentelles
moins au progrès qu'il y fit , que
l'amour du calcul & des proportions qui
en font le fondement. Il y joignit encore
une profonde érudition, qui a paru
dans un Mémoire qu'il nous a fourni
plein de recherches favantes fur la Mufique
des Anciens.
Dans la théorie , la Mufique eft une
fcience profonde & difficile , & fans
cette étude tout ce qu'elle a d'agréable
dans l'exercice auroit eu peu d'attraits
pour M. le Pere. Certainement il n'y a
rien de divertiffant dans les longs calculs
où il s'eft plongé pour évaluer les
dimenfions des cloches , & leurs poids ,
& les fons qu'elles doivent rendre en
conféquence & ramener à la Géométrie
exacte tout le méchanifme que les
Fondeurs employent fans remonter aux
principes & aux régles qui font le fondement
de leur Art.
Un troifiéme Mémoire , où M. le
Pere traite deux queftions de pleinchant
d'un ufage journalier ayant été
lu dans la derniere Affemblée publique,
je n'en dirai rien davantage ; & ne
m'étendrai point fur d'autres ouvrages,
116 MERCURE DE FRANCE.
infiniment intéreffans qui ont été lus ,
les années précédentes , & qui ont parų
remporter une eftime générale .
Tel eft un premier Mémoire fur l'éva
luation des monnoyes anciennes , & la
néceffité d'en connoître les variations
pour les réduire , avec quelque exactitude
, à nos monnoyes courantes,
Un fecond Mémoire qui contient
l'évaluation en monnoie de notre temps,
du prix que couta au Roi Charles V.
l'achat de la Ville du Comté d'Auxerre.
Enfin une differtation fur le nombre
d'habitans qu'Auxerre enfermoit autrefois
comparé à la population préſente
de la Ville , matières appartenantes à
l'hiftoire de fon pays , & dont l'érudition
par conféquent l'affecte & nous
l'intéreffe plus particuliérement.
Je ne ferai qu'indiquer d'autres ouvrages
moins étendus que M. le Pere
a faits , s'appliquant , fuivant l'occafion
, aux différens objets qui venoient
flatter fa curiofité de quelque apparence
d'utilité publique.
Une differtation fur les Chenilles
plieufes de feuilles qui abondérent dans
nos vignes en l'année 1743.
Un Mémoire fur les Eaux de Pougues
& leurs environs qu'il vifita en homme
SEPTEMBRE . 1763. 117
qui met tout à profit , tandis qu'il fu
biffoit en 1754 , des remédes ordonnés.
en vain pour rétablir une fanté qui
commençoit a déperir .
La defcription d'une Chauffée Antique
, qui va de la montagne de Chatenai
,ou d'Ouaine à Entrains , pardeffus
la montagne des Alouettes.
Une defcription phyfique de la Fontaine
de Tonnere , nommée la Foffe
d'Yonne.
Une obfervation fur le Feu qui fe
concentre au coeur d'une maffe d'eau
congelée .. !
Un Mémoire fur la quantité de livres
de pain que doit rendre le Bichet de
Froment , & fur le Tarif à faire en
conféquence , pour le prix du pain.
La defcription de plufieurs Tombeaux
trouvés à S. Amatre .
Une differtation fur l'infcription de
la Tombe de Robins de Beaumont
trouvée dans les ruines de S. Marien.
Cleft ainfi que M. le Pere joignoit la
phyfique & la recherche des Antiquités
aux travaux de l'Algébre & de l'Aftronomie.
Confidérons-le encore faifant valoir
les talens des autres, par la manière dont
il fçait en rendre compte. Vous l'avez
118 MERCURE DE FRANCE.
entendu Meffieurs , pendant quatre an
nées , s'exprimer avec facilité fur toutes
les matières . La Médécine & l'Anatomie
, qu'il ne connoiffoit que par
l'expérience de fes longues infirmités ,
& la Chymie , & la Botanique fembloient
avoir été pour lui l'objet d'une
étude particulière :le zéle & l'application
fuppléoient , en ceci , à la profondeur
des connoiffances .
Toutes les autres parties dont s'occus
pe la Société , lui étoient familières , &
il y en a qui ne l'étoient qu'à lui feul .
Dans l'expofition qu'il en faifoit , fon
Style étoit fimple & précis , tel qu'il
convient en ces matières , il fçavoit auffi
l'élever & l'embellir dans les ſujets qui
permettoient plus d'effor. Les éloges
qu'il a prononcés en ce même lieu font
aifément connoître qu'en s'attachant à
cultiver les hautes fciences, il ne s'étoit
pas févré des ornemens de la plus belle
Littérature..
Son jugement étoit für , & d'un efprit
accoutumé a faifir le vrai ; une généreufe
liberté animoit fes critiques ,
le Génie en faifoit l'affaifonnement :.
mais la modération & l'urbanité qui
conviennent au commerce des lettres
en étoient la régle & la mefure .
7
SEPTEMBRE . 1763. 119
Ses moeurs étoient fimples , fon com
merce facile , fes affections fincéres. I
étoit de grande ftature , de maintien
grave, fi ordinaire à un Géométre; & par
même convenance , d'humeur philofo
phique c'est - à - dire qu'il confidéroit
les événemens de la vie & les jeux de
la fortune , avec plus d'indifférence que
ne fait le commun des hommes.
.
Ses ouvrages & le mérite qu'ils an
noncent lui avoient acquis au dehors
l'éftime de plufieurs grands hommes,
Des Sçavans diftingués qui connoiffoient
tout ce que valoit M. le Pere , avoient
donné de lui l'idée la plus avantageufe
à notre illuftre Préfident. Et pour dire
enfin ce qui fera la plus belle partie de
fon éloge , fes derniers efforts & fes
derniers accens , ont été des expreffions
publiques de fa vive reconnoiffance
pour l'augufte Prélat dont il avoit
reçu des témoignages confidérables
d'eftime & d'affection . Ses fentimens
à cet égard étoient encore animés par le
grand & vif attachement qu'il a tous
jours eu pour notre fociété. Jamais vous
noublierez , Meffieurs , la part qu'il a
eue à fon établiffement ; la haute idée
qu'il en avoit conçue , combien il s'in
téreffoit à fes progrés & à fa gloire &
1
120 MERCURE DE FRANCE.
avec quelle ardeur il y travailloit ;
croyant faire office de bon citoyen ,
s'il contribuoit à fon accroiffement .
Difons quelque chofe de plus : tout
ce que les autres hommes ont de peine
à fe détacher des objets de leur ambition
, ou de leur cupidité , M. le Pere
l'éprouvoit à fe féparer de cette fociété
dans laquelle il trouvoit les compagnons
de la feule fortune qu'il eût vou
lu courir en ce monde.
Il auroit fouhaité de vivre encore ,
ce font fes expreffions , pour jouir des
beaux jours qui fembloient devoir bientot
luire fur elle ; déja nous en voyons
l'aurore paroître , nous difoit-il dans le
dernier ouvrage que vous avez entendu
de lui . Un Prélat l'amour de fon Peuple
, l'ami des Sciences & des Arts ,
& qui eft continuellement occupé du
bien public , en fait éclore les premiers
rayons : il nous aime , il nous protége
il veut lui-même diriger & animer nos
études ; notre existence lui eft précieufe;
il la veut affurer.
La néceffité de la mort venant dans
ces circonftances défarmoit le caractêre
philofophique de M. le Pere : & ce qui
fait aujourd'hui l'objet de nos plus belles
efpérances étoit pour notre illuftre Con
frère
SEPTEMBRE. 1763. 121
>
la ma-
, frère en ces triftes momens
tière du plus grand facrifice . Heureux
de n'avoir a furmonter que des attachemens
honnêtes & légitimes ! tout ce
qu'il pouvoit y avoir eu de flateuſe illufion
; contentement de l'efprit dans fes
nobles occupations , eftime généralement
acquife , relations, amitiés précieufes
, qui en étoient le fruit , tout a cédé
aux grandes vues de la religion qui exerçoit
fes droits avec la préférence qu'elle
a néceffairement fur tous les objets de
l'eftime & de l'affection des hommes .
Purifié par une maladie qui détruifant
le corps infenfiblement n'altera jamais
la liberté de l'efprit , & la tranquillité
de l'âme , confolé par les efpérances
faintes , dont il reçut les gages précieux
avec une piété édifiante , M. le Pere
expira le neuf Décembre de l'année
derniere agé de quarante -trois ans.
La Société Littéraire Militaire de
Befançon lui avoit donné place au nombre
de fes Affociés ordinaires en 1760 ;
fon mérite fe repandoit au dehors avec
un éclat toujours croiffant : & fi fes
travaux n'avoient point été traversés par
les longues fouffrances qui ont confumé
fes dernieres années , & qu'il lui eût
été donné de pouffer plus loin fa car-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
rière , nous ne craignons point de dire
que notre Société & cette Ville même
euffent été honorés de la grande réputation
à laquelle fe fût élevé le nom de
M. le Pere , dans le monde Sçavant.
ÉCOLE VÉTÉRINAIRE.
LETTRE de M. BOURGELAT , &cl
à l'Auteur du Mercure.
DES raifons particulières s'oppoſent ,
Monfieur , à l'empreffement que j'avois
de rendre compte au Public de nos travaux
dans l'école vétérinaire ; la premiere
année de cet établiffement eft
expirée le 15 Février paffé , & je ferai
vraisemblablement
contraint d'attendre
la révolution de la feconde pour fatisfaire
aux engagemens que j'avois pris.
Le bien public ne doit point néanmoins
fouffrir de ce délai ; & comme
il eft des cas où des expériences faites
& répétées dans plufieurs Provinces du
Royaume , & par plufieurs perfonnes
éclairées peuvent feules inftruire,j'ofe ef
pérer que vous voudrez bien publier dans
votre ouvrage des idées qui devoient
entrer néceffairement dans le mien
SEPTEMBRE. 1763. 123
Les quatre Lettres que je vous prie
d'y inférer ont pour objet une maladie
qui fait les plus grands ravages dans les
troupeaux. Peut-être que les obfervations
de M. Borel , & les
expériences que je
propofe fourniront quelques lumieres à
cet égard. Je ne veux pas du moins
mériter le reproche d'avoir auffi longtems
privé la Nation des éclairciffemens
qu'elle peut retirer des obfervations exac
tes & fçavantes qui m'ont été envoyées.
Daignez , Monfieur,fuppléer à ce que
je ne puis faire par moi-même. La complaifance
avec laquelle vous avez annoncé
jufqu'à préfent les progrès rapides
des éléves de l'Ecole , & furtout les vues
qui m'animent dans cette circonftance
m'affurent d'avance que vous ne me refuferez
pas cette grace , & que vous m'accorderez
celle de me croire , & c.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. BOREL , Lieutenant
Général de Beauvais , Directeur du
Bureau d'Agriculture de la même Ville,
à M. BOURGELAT , Ecuyer du Roi ,
Directeur de l'Ecole Royale Vétérinaire ,
Correspondant de l'Académie Royale
des Sciences de France , &c,
M ESSIEURS du Bureau d'Agriculture
de Paris , Monfieur , m'ont renvoyé
votre lettre du premier de ce mois , &
j'ai pris depuis ce moment tous les éclairciffemens
poffibles pour me mettre en
état de répondre à vos queftions fur les
fymptômes de la maladie qui attaque nos
moutons ; j'ai parcouru moi -même un
grand nombre des Villages &deHameaux
que je fçavois en être infectés, & j'ai differé
ma réponfe jufqu'à ce qu'enfin j'aye
pû faire ouvrir en ma préfence une brebis
morte de ce mal ; voici le réfultat de
mes recherches dans l'ordre de vos douze
queſtions.
1º. Nul vertige dans les moutons attaqués
, nul figne qui l'indique ; on avoit
fans doute été induit en erreur , lors de
SEPTEMBRE . 1763. 125
la premiere lettre, par des expreffions impropres
de Payfans , qui ne fçavent pas
la valeur des termes .
2º. Pas même de mouvemens défordonnés
qui indiquent la phrénéfie ; au
contraire l'abattement , l'affaiffement de
l'animal malade eft total.
3°. On s'apperçoit de la maladie par
la trifteffe de l'animal & par fon dégoût ;
quelques- uns s'en font apperçus vingtquatre
heures avant l'éruption ; les plus
attentifs deux ou trois jours plutôt , le
plus grand nombre après l'éruption commencée.
Le dégoût eft proportionné au
degré de la maladie ; les moins attaqués
continuent à manger , les plus malades
ne mangent rien d'eux-mêmes ; on les
foutient en leur faifant manger des roties
au vin , ou au cidre ; ils font tous
très - altérés , & on leur donne de l'eau à
tous.
4. Dès qu'ils font atteints du mal ,
ils ceffent de ruminer ; leurs yeux font
chargés , enflés , larmoyans, deviennent
très- obfcurs , fouvent ils fe colent tout-àfait
, & l'animal ne voit plus ; plufieurs
de ceux qui ont guéri , ont perdu un
oeil , quelques-uns font reftés aveugles ;
j'en ai vû de ceux - là dont l'oeil étoit
tombé en pourriture ; il ne reftoit plus
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ni humeurs , ni mufcles , ni membranes
dans la capacité de l'orbite .
Ils jettent par les nazeaux une morve
épaiffe , tenace , de couleur de pus , le
plus fouvent blanche , rarement jaune.
Ils ne feféparent du troupeau que quand
les forces leur manquent pour le fuivre ,
alors ils s'abattent & reftent- là : leurs oreilles
font très-froides ; cette derniere circonftance
cependant pourroit n'être pas
générale. J'ai fous les yeux le Mémoire
d'une feule Paroiffe , qui porte que leurs
oreilles ne font point froides. Le même
Mémoire porte qu'ils n'ont point de fiévre
, mais tous les Bergers que j'ai queftionnés
en avouant qu'ils n'en fçavoient
rien,m'indiquoient tous les fymptômes de
la fiévre , l'ardeur , la foif, l'abattement
&c... Il eft impoffible qu'ils n'en ayent
point : loin de fe coucher & de fe relever
fans ceffe , ils reftent en place , ramaffés
dans le moindre volume poffible ; abforbés
, la tête penchée vers la terre autant
qu'elle peut l'être , la queue entre les
jambes , les parties poftérieures rapprochées
des antérieures , mais fans mouvement
& fans pároître fouffrir de tranchées
s'ils font couchés ils y reſtent ;
ils font oppreffés en proportion du degré
du mal. Quand ils font atteints jufqu'à
SEPTEMBRE. 1763. 127
la mort , ils fe plaignent pendant les dernieres
vingt- quatre heures, les flancs leur
battent : s'ils guériffent, leur laine tombe ,
aux places où il y a eu éruption.
Leurs déjections font à-peu - près comme
en fanté ; plus féches encore , & plus
en crottes noires que dans l'état naturel ;
elles n'ont du méchonium que la couleur
noire , mais elles y joignent la folidité.
5°. Les boutons font exactement des
boutons de petite vérole ; il y en a de
plufieurs formes & de plufieurs couleurs;
j'en ai vû de parfaitement ronds , les uns
difcrets, les autres concrets ; ceux -ci font
elliptiques , ceux-là ont la forme de petits
haricots plats , & oblongs : tous font
d'abord rouges , mais enfuite les uns
blanchiffent , crévent , purgent , & féchent
( c'est une des bonnes efpéces )
d'autres deviennent violets , s'amortiffent
fans fe crever & noirciffent : quelques-
uns n'ont pas le tems de murir
l'animal meurt dès le troifiéme jour de
l'éruption , & l'on ne trouve dans les
boutons qu'une matière blanche & folide
comme de la panne de cochon .
6º. Lorfque le venin de la maladie attaque
la tête , l'animal eft plus en danger
& périt plus vîte ; s'il en revient la maladie
eft plus longue. Il y en a qui n'ont
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
guéri qu'au bout de deux mois , d'autres
aubout de fix femaines , d'un mois , de
quinze jours , & c. Il en eft mort auſſi à
toutes ces époques.
7°. On avoit d'abord crû que les moutons
nourris dans les patûrages humides
étoient plus attaqués que ceux nourris
dans les pâturages fecs , mais on a vû
depuis les plaines auffi attaquées que les
vallées , & l'on avoue qu'il n'y a pas
grande différence ; le mal dont il s'agit eft
prèfque auffi général que la petite vérole,
dans les années où elle eft épidémique
; comme elle il prend l'hyver , ainfi
que l'été.
8°. On n'a point tenu de moutons
dans les bergeries pour les préferver du
mal , on n'y a tenu au contraire que les
plus malades , & la plupart des Payfans
par négligence , ou faute de place , ramenoient
le foir leurs moutons fains dans
la même bergerie confufément avec les
malades.
9º. La communication a eu lieu en
plufieurs endroits fans fréquentation des
moutons infectés. En d'autres elle paroît
avoir été l'effet de la fréquentation , ou
au moins de l'approximation de deux
troupeaux , dont l'un étoit infecté. Les
Bergers & Payfans penfent que la contagion
fe communique beaucoup , par
SEPTEMBRE . 1763. 129 .
le moyen des fumiers qui contiennent
des excrémens, & fouvent des membres ,
des vifcères , des os de bêtes mortes
de ce mal , lefquels portés dans les champs.
répandent le mauvais air , ou bien étant
tirés par les chiens ou autres animaux
carnivores , fe répandent çà & la fur les
territoires vo fins non infectés , & les
infectent ils vont jufqu'à dire qu'un
homme , dans fes vêtemens , un chien
un cheval , une vache peuvent porter l'air
d'une Paroiffe dans une autre. A préfent
on a foin d'enterrer fort avant les animaux
qui meurent .
,
10°. L'éruption qui n'occupe pas d'abord
la tête , paroît fous les aiffelles , fous
les cuiffes , au ventre , aux jambes , à l'anus.
Parmi le nombre des malades , il y
en a qui font légérement attaqués ; ils
n'ont qu'une petite vérole volante , c'eſt
l'expreffion propre des Payfans ; les uns
n'en ont qu'aux jambes , d'autres aux
oreilles feulement ; on en a vû n'en avoir
qu'un grain grand comme un écu de fix:
francs. Un de ces grains uniques a attaqué
l'oreille d'un mouton , à unelieue d'ici , &
l'a tellement maltraîtée , qu'elle en eft reftée
toute de travers & retrouffée. Un autre
n'en a eu qu'à un pied dont la corne eft.
ombée , & il en reftera eftropié pour
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
toujours ; mais quand un troupeau eft
attaqué,il y en a au moins ou qui font
férieufement malades ; la tête leur enfle
& l'intérieur de la bouche eft plein de boutons
qui les empêcheroient de manger ,
quandmême ils ne feroient pointdégoûtés .
11°. On n'a effayé aucun reméde dans
la plupart des Villages ; les Payfans font
prévenus qu'il n'y en a pas , puifqu'ils
n'en ont pas vu faire par leurs pères : ce
préjugé eft prèfque univerfel dans nos
Campagnes , & fera toujours un obftacle
à la perfection de toutes les parties
de l'Agriculture : quelques - uns cependant
m'ont affuré avoir remarqué que
l'air étoit plus avantageux aux moutons
malades que la bergerie.
Quelques-uns ont fait faigner leurs moutons
& ont remarqué que le fang étoit
bleuâtre & que la faignée leur avoit été
avantageufe ; mais il en eft mort auffi de
ceux qui avoient été faignés.
D'autres ont frotté le nez du mouton
avec de l'ail & du vinaigre , & ce remède
n'a rien fait ; plufieurs leur ont fait avaler
du vin , fans qu'il en ait réfulté de
foulagement apparent . Un Curé à une
lieue d'ici avoit feize moutons dont 12
ont été malades ; de ces douze plufieurs
ont été en très -grand danger; on lui avoit
SEPTEMBRE. 1763. 131
enfeigné le remède fuivant , il l'a fait ;
c'étoit de mettre infufer pendant la nuit
fur des cendres chaudes deux onces de
racine fraîche d'Eluna campana, coupée
par petits morceaux , dans une pinte de
vin , & d'en faire avaler matin & foir
une cuilliere à l'animal malade . Il n'a
perdu aucuns de fes moutons . Les
Payfans de la même Paroiffe où la maladie
eft à préfent dans fon fort , font
journellement le même remède , ce qui
n'empêche pas qu'il n'y meure des bêtes
de temps en temps . Un Berger me difoit
ces jours-ci qu'un de fes prédéceffeurs ,
dans de pareilles circonftances , mettoit
infufer pendant vingt- quatre heures dans
de l'eau du marube (par la defcription
qu'il m'en fit , j'ai crû reconnoître le
marube noir plûtôt que le blanc ) qu'au
bout de vingt- quatre heures , il en exprimoit
le jus dans la même eau , en le
preffant avec fes mains & faifoit avaler
quelques cuillerées de cette eau aux bêtes
malades,mais que cela n'avoit pas produit
grand effet.
12 °. Un des Mémoires que j'ai fous
les yeux , porte qu'on a ouvert quelquesuns
des animaux morts de cette maladie ;
qu'on a trouvé le foie plein d'ulcères
femblables à ceux qui paroiffent fur la
peau.
Fiv
132 MERCURE DE FRANCE.
Avant-hier , Samedi , je me fuis fait apporter
chez moi une brebis morte la nuit
précédente à une lieue d'ici ; le fieur Coutel
, Chirurgien de cette Ville , plein d'intelligence
& de bonne volonté eſt venu
la difféquer en ma préfence ; cette bête
n'étoit malade que du Jeudi précédent
( au moins ne s'en étoit- on apperçu que
ce jour-là . ) Elle avoit encore été aux
champs avec les autres le Vendredi ; &
le Samedi matin elle avoit été trouvée
morte dans la Bergerie . Lorfqu'on me
l'apporta le même jour après - midi , elle
commençoit à avoir des fignes de putréfaction
, ce qui fe dénotoit principalement
à l'odorat : & aux yeux par la couleur
livide & verdâtre qui fe remarquoit
fur le col , fous les cuiffes , fous les épaules
& par la tuméfaction du - bas ventre
qui renfermoit une grande quantité d'air
infect.
Cette brebis n'avoit pas de boutons à
la tête qui n'étoit point enflée ; nous en
remarquâmes deux fur la langue , & deux
deffous , auxquels endroits la peau de la
langue fe levoit , comme elle ſe léve aux
langues mifes dans l'eau bouillante ; en
levant les paupieres on voyoit que la cornée
tranfparente étoit devenue terne , ou
fi épaiffe qu'on ne pouvoit plus apperceSEPTEMBRE.
1763. 133
voir à travers que très- imparfaitement
l'iris & la prunelle ; l'un des yeux étoit
plus terne que l'autre.
Les boutons'étoient en affez grand nombre
fur le ventre , en dedans des cuiffes
& des épaules , autour du col & de la
gorge ; c'étoit des tumeurs ou puftules
blanches , rondes, plattes , de deux, de trois
& de quatre lignes de diamêtre ; elles
n'intéreffoient que la peau & fuivoient
le mouvement qu'on lui donnoit ; la matière
qui les formoit n'avoit pas encore
formé de foyer , comme aux puftules
blanches de petite vérole : en les ouvrant,
elles reffembloient à une tumeur graiffeufe
, femblable à une lentille de lard
de cochon de lait,tant par la couleur
par la confiftence ; quelques- unes étoient
excoriées dans le centre ; je crois qu'elles
n'étoient devenues blanches que depuis
la mort de la bête & qu'avant elles étoient
rouges , comme celles des autres bêtes
pendant les premiers jours de l'éruption
. Les nazeaux étoient encore impregnés
d'un refte d'humeur fanieuſe
couleur de caffé , mais de la mucofité
de laquelle nous n'avons pûjuger au bout
de douze à dix- huit heures de mort, & de
putréfaction commencée .
que
Le bas-ventre ouvert , l'épiploon a
paru d'une couleur terne, blafarde rouge.
134 MERCURE DE FRANCE.
La graiffe en étoit caffante fans avoir la
confiftence qu'elle a dans les moutons
fains égorgés.
Le foye étoit de couleur verd obfcur;
cette couleur pénétroit d'une bonne ligne
plus ou moins en certains endroits dans
la fubftance , & cette efpéce d'écorce étoit
caffante comme du foye un peu cuit ; la
partie concave du foye étoit adhérente
par fa partie mince au premier ventricule.
La vefficule du foye paroiffoit flafque &
fembloit avoir contenu plus de bile que
dans l'état naturel & une bile plus liquide.
La membrane interne lâche & pliffée
dupremier ventricule étoit de couleur verte
& parfemée d'une prodieufe quantité
de puftules blanches , lenticulaires , & de
même nature que celle de la peau , mais
d'un diamêtre plus petit. Ce premier ventricule
contenoit des matieres liquides
& vertes en petite quantité. Le ventricule
feuilleté renfermoit auffi peu de matière ,
mais nous y avons trouvé une gaube
de neuf à dix ligne de diamêtre fur
vingt ou vingt- quatre de longueur ; elle
paroiffoit de nature ordinaire d'excrémens
mêlés de poi !. Il eft forti auffi d'un
de ces deux ventricules un autre morceau
de matière affez femblables àla
gau
be, mais plat , en forme de trapefe , d'un
pouce ou à-peu-près dans fa plus grande
SEPTEMBRE. 1763. 135
diagonale ; le troifiéme ventricule ou
grande poche étoit très- plein d'alimens
affez bien broyés , auffi verds que l'herbe
dont - ils étoient le produit : cette même
poche étoit auffi très -gonflée par un air
fort raréfié & infe&t : les inteftins grêles
étoient préfque vuides ; dans le colon &
dans le coecum , on a trouvé des excrémens
d'une moyenne confiftence.
Les reins étoient attaqués comme le
lefoye , verds & fecs extérieurement ; la
veffie contenoit peu d'urine ; il y avoit un
foetus affez bien formé dans la matrice.
Dans la poitrine les poulmons étoient
flafques , d'un livide obfcur rouge : on
y remarquoit quelques petites tumeurs
femblables à celles de l'extérieur , mais
plus épaiffes & rondes. Le coeur paroiffoit
d'un volume plus gros que l'état naturel.
Son ventricule droit contenoit un
fang très- noir. Un caillot de ce fang tiré
de la veine cave inférieure étoit noir à fa
partie fupérieure la plus voi ine du coeur ;
mais à la partie inférieure du côté du
foye, il étoit jaune & femblable à la coëne
qui couvre le fang des plearitiques.
Nous n'avons point ouvert la tête de ce te
brebis tant a caufe de fon état de putréfaction
, que parce que le fiége de la maladie
n'avoit pas paru porté de ce côté,
136 MERCURE DE FRANCE. -
& que d'ailleurs elle avoit duré trop peu
de jours pour croire qu'il s'y fût formé un
dépôt.
En général il paroît que le fang avoit
été fort enflammé : fi un enfant fit mort
à la même époque d'une maladie & avec
les mêmes fymptômes, on auroit dit qu'il
étoit mort d'une petite vérole rentrée .
Je ne fuis point affez connoiffeur pour
qualifier cette maladie , mais fa reffemblance
avec la petite vérole des hommes
eft frapante , foit qu'on la prenne dans
les commencemens & dans fes progrès ,
foit qu'on en examine les effets & les
fuites même dans les bêtes qui guériffent;
J'en ai vu plufieurs de ces dernieres dont
peau de la tête , furtout fous les yeux ,
& près les lévres, reftoit gravée & couturée
, comme le vifage d'un homme qui a
eu la petite vérole la plus maligne.
la
Cette maladie eft très-connue dans ce
pays-ci fous le nom de claveau ; prèfque
toutes les Paroiffes de l'Élection de Beauvais
en ont été ou en font attaquées cette
année ; dans quelques -unes il périt un
quart du troupeau, dans d'autres un quinziéme
; voilà les deux proportions les plus
communes que j'aye remarquées. Elle
exiftoit dans quelques endroits dès l'hyver
dernier, mais le fort a été à la fin de Juin
SEPTEMBRE. 1763. 137
en Juillet & Août ; elle ceffe à préfent en
beaucoup de Villages ; il y en a cependant
quelques- uns , où elle ne fait que
commencer & d'autres où elle eft dans
fon plein .
Les Payfans ont crû remarquer qu'elle
duroit ordinairement trois lunes ; qu'elle
prenoit plus communément dans les renouvellemens
de Lune , s'appaifoit au décours
& reprenoit plus vivement au premier
quartier.
Elle régnoit l'année paffée dans quelques
Paroiffes de cette mêmeElection où
elle eft encore cette année ; dans d'autres
on ne l'y avoit jamais vue de mémoire
d'hommes ; elle avoit été il y a feize ans
dans plufieurs , dans d'autres il y a huit
ans , & c. Mais on ne fe fouvient pas de
l'avoir vû auffi généralement répandue
que cette année.
Il feroit bien fouhaiter qu'on eût une
méthode uniforme de fe conduire dans
cette maladie, qui eft affez uniforme dans
fes fymptômes & dans fes effets, & dont
il ne s'agiroit par conféquent que de pénétrer
la caufe : non que l'on puiffe ef
pérer jamais de fauver tous les animaux
attaqués ; mais du moins de conferver
les troupeaux , foit en prévenant le mal
foit en empêchant fa communication.
Vos lumières , Monfieur , & votre zèle
138 MERCURE DE FRANCE .
pour le bien public fondent notre efpérance
; & votre réponſe fera un motif
éternel de reconnoiffance pour nous.
J'ai l'honneur d'être , & c.
J'ai renvoyé votre lettre , Monfieur ,
à MM. du Bureau de Paris , après en
avoir gardé copie.
A BEAUVAIS , ce 27 Septemb. 1762 .
LETTRE en Réponse , de M. BOURGELAT
à M. BOREL.
O N ne pouvoit répondre , Monfieur ,
avec plus de clarté & de précifion que
vous l'avez fait , aux queftions que j'ai
eu l'honneur de propofer à la Société
Royale d'Agriculture fur le Mémoire
qui lui avoit été adreffé par le Bureau de
Beauvais . Quand on eft en état de voir
& de décrire comme vous on eft en
quelque forte affuré d'indiquer le che
min qui conduit à la découverte des
moyens de vaincre les maladies .
J'avois reçu de divers endroits du
Royaume plufieurs détails relatifs à celle
dont vous avez fi bien faifi les fymptômes.
Les premiers qui m'étoient par
venus ne m'apprenoient rien ; ils me
prouvoient feulement qu'au fein de la
plus profonde ignorance on fe perfuade
aifément qu'on a des yeux. Les feconds
SEPTEMBRE. 1763. 139
m'avoient induit en erreur. J'avois crû
y appercevoir tous les fignes d'une fiévre
exanthémeteufe ou pétechiale. Je
ne balance plus aujourd'hui , vous m'avez
convaincu que ce qu'on appelle
( du moins dans la province de Picardie
le claveau eft une véritable petite vérole.
Je vois même qu'on peut diftinguer
cette maladie dans les moutons comme
dans l'homme en benigne & en maligne.
Celle dont étoit attaqué l'animal
l'ouverture duquel vous avez fait procéder
, me paroît être inconteſtable→
ment de ce dernier genre , & j'en juge
par des faits auxquels on ne peut méconnoître
les traces & les fuites funef
tes d'une putridité & d'une inflammation
générale .
Ce ne feroit cependant point affez
de ces effets pour être abfolument certain
de l'identité des deux maux dans
l'homme & dans l'animal ; mais celle des
fignes principaux femble ôter tout prétexte
au doute. La maladie s'annonce d'abord
par les mêmes fymptômes vifibles dans
l'un & dans l'autre ; l'éruption fuit ces
premieres indices , & quoique le moment
& le terme de cette éruption ne
foient point précisément fpécifiés dans
la Lettre à laquelle j'ai l'honneur de ré140
MERCURE DE FRANCE.
pondre , la qualité , la forme , la couleur
, les terminaifons des boutons ne
laiffent entrevoir aucune différence . Je
compare dans le mouton la morve épaiffe
, tenace & en quelque forte purulente
, qui flue de fes nazeaux au ptyalifme
, c'est-à-dire , à la falivation que
les hommes adultes éprouvent quelquefois
dès le commencement de l'éruption ,
quelquefois le lendemain ou deux jours
après. Un même danger menace l'homme
& l'animal dans lefquels la confluence
fe fait principalement remarquer à la
tête , l'engorgement des vaiffeaux da
cerveau étant également en eux un préfage
funefte : la coalition des paupiè
res , la perte d'un oeil , la cécité même
font encore des événemens communs
à l'un & à l'autre en pareille circonftance
; ainfi que les effets d'une acrimonie
qui provoque la chûte de la laine
, comme elle provoque la chûte du
poil , des cheveux & enfuite des cicatrices
plus ou moins difformes aux
endroits où l'éruption s'eft faite . Enfin
Monfieur , quoique les Bergers que
vous avez interrogés n'ayent pû vous
éclairer fur l'exiftence de la fiévre ,
l'ardeur la foif , l'abbatement , & c.
vous en ont dit affez , & vous avez
SEPTEMBRE. 1763. 141
penſé avec raiſon que la nature dans ces
animaux n'eft pas moins active & moins
portée que dans nous à faire de vrais
efforts pour atténuer & pour difpofer
les particules morbifiques à s'éloigner
du centre & à être jettées au dehors ou
à la fuperficie.
,
Voilà , Monfieur une infinité de
traits & de caractères ' d'une feule &
même maladie. Dans le deffein où je
ferois de ne pas perdre l'occafion la plus
favorable que je puiffe avoir d'approfondir
cette matiére importante & de
m'inftruire , me permettrez - vous avant
de m'engager plus loin , de chercher à
mettre à profit vos lumières & le rare
talent que vous avez d'obferver.
1º. Les vieux moutons font- ils auffi
fujets au claveau que ceux qui font jeunes
? Le claveau eft- il plutôt en eux d'une
efpéce confluente ou maligne , & par
conféquent d'un danger plus éminent ?
2º. Les agneaux font- ils atteints de
ce mal ? Est- il plus communément dans
ces jeunes animaux d'une efpéce difcrette
ou bénigne ? Leurs déjections dans
quelqu'un des deux genres que ce foit
tiennent-elles de la diarrhée ? Sont - ils
atteints d'un flux par les nazeaux dans
le genre confluent ? Ce flux précéde-t-il
142 MERCURE DE FRANCE.
ou accompagne-t - il l'éruption ?
3°. Les moutons adultes font ils plus
en péril que les agneaux , lorfqu'ils font
affectés du claveau ?
4°. Quel est précisémeut le moment ,
quel eft auffi le terme de l'éruption dans
l'un & dans l'autre genre ? Varie-t- il
felon ces mêmes genres & fuivant l'age
des animaux ?
5°. Après cette même éruption , les
fymptômes paroiffent- ils calmés dans le
genre difcret ? Semblent - ils plus graves
& augmenter dans le genre confluent
?
6°. Un mouton guéri du claveau de
l'une ou de l'autre espéce eft- il attaqué
une feconde fois ou plufieurs autres fois
de ce mal ?
7°. Ne pourroit-on pas tenter l'inoculation
fur un mouton fain , ou fur
un agneau intact qu'on auroit préparé ?
Quelle feroit l'iffue de cette expérience
faite avec toutes les précautions poflìbles
dans la crainte de répandre la contagion
?
8. Cette même opération pratiquée
fur un mouton guéri du claveau naturel
, le virus variolique auroit- il encore
prife fur lui ?
9°. En la pratiquant de nouveau fur
SEPTEMBRE . 1763 . 143
un mouton ou fur un agneau inoculé ,
porteroit-il encore le trouble dans la
maffe ?
10° . N'y a-t- il aucun exemple que des
Bergers ayent contracté le virus variolique
par l'attouchement immédiat &
conftant des moutons malades du cla
yeau ?
11º . Ce virus ainfi communiqué ne
s'eft - il point manifefté dans l'homme
de toute autre maniére que par l'éruption
, à-peu-près comme dans certaines
maladies malignes & contagieufes des
boeufs , où nous voyons que quoique
ces animaux n'ayent aucun veftige de
charbon , l'homme qui en ouvre les
cadavres fe trouve fouvent atteint d'un
véritable anthrax.
12°. Quels feroient l'effet & la fuite
de l'infertion d'un ou de plufieurs grains
varioliques fur des ânes , fur des mulets
, fur des chevaux , fur des boeufs
fur des chiens , en un mot , fur des animaux
de genres différens ?
13. Quels feroient ces effets en prati,
quant l'infertion fur un genre plus rapproché
en apparence de celui du mouton
, c'eft- à-dire , fur les boucs ?
14°. Enfin le claveau eft - il moins
funefte aux femelles qu'aux mâles ?
144 MERCURE DE FRANCE.'
Je comprends , Monfieur , qu'en
me livrant ainfi aux idées qui m'entraînent
, je ne réponds point à ce que vous
exigez de moi. Pardonnez - moi , s'il
vous plaît , ces nouvelles queftions en
faveur des vues qui me les fuggérent ,
& de la jufte perfuafion dans laquelle
je fuis que vous êtes plus capable de les
feconder que perfonne. Je reviens à
l'objet qui vous intéreffe le plus effentiellement
dans l'inftant préfent ; & fi
j'ai le malheur de ne pas vous fatisfaire
pleinement , n'en accufez que mon impuiffance.
6
J'en fuis trop pénétré, Monfieur , pour
ofer entreprendre de dévoiler les caufes
de cette maladie dans l'animal. Voun'ignorez
pas qu'eu égard au corps humain
> nous ne voyons aucune trace
de fon exiſtence dans les écrits qui ont
précédé le feptiéme fiècle , & vous ne
croirez pas fans doute qu'un mal auffi
frapant par fes fymptômes & par fes
dangers eût pû échapper aux regards
perçans de plufieurs Obfervateurs Grecs,
pricipalement d'Hypocrate. Cependant
plufieurs Médecins d'après Rhafes
Î'Hypocrate des Arabes, ont avancé avec
affurance que la petite vérole humaine
eft une forte de contagion innée , un
levain
SEPTEMBRE. 1763. 145
Ievain héréditaire que chaque homme
apporte en naiffant , & qui lui eft tranfmis
dans la matrice , comme fi ce levain
inné n'auroit pas fubfifté & ne fe
feroit pas manifefté dans des temps antérieurs
; comme s'il étoit raifonnable &
poffible de penfer & de prouver que
fon dévelopement s'eft fait auparavant
de toute autre manière ; comme fi ce
terme de levain préfentoit quelques
notions préciſes de la nature de ce même
levain ; enfin comme fi l'idée qui femble
à la vérité fe prêter le plus à l'applicacation
du phénomène de cette éruption
dans l'univerfalité des hommes , acqué
roit par cet avantage un degré de certitude
& d'évidence auquel on ne sçauroit
fe refufer.
D'autres perfonnes dévouées à la
cure des maux qui nous affiégent , ont
penfé avec Sidenham , que la petite vérole
eft l'effet de miafmes venimeux
dont l'air eft le véhicule , qui s'introduifent
dans la maffe par les différentes
voies qui leur font ouvertes , & qui en
fortent & s'exaltent enfuite de façon à
infecter d'autres corps , & à y occafionner
la multitude de fymptômes & d'accidens
furprenans qu'ils ont fufcités dans
les premiers. Si vous leur demandez ,
G
146 MERCURE DE FRANCE,
Monfieur , quelles font les cauſes pro
ductives de ce venin ? quel eft le climat
qui lui donne l'être , quel eft l'état ,
quelle eft la qualité de la terre qui four
nit d'auffi cruelles exhalaifons ? Comment
& pourquoi il ravage tout dans
une faifon & fe diffipe entierement dans
une autre ? En un mot , comment une
conftitution épidémique dans une dépendance
entière de l'air réfifte à l'agi
tation violente de cet élément , c'eſt-àdire
à l'impétuofité des vents ? Il n'eft pas
douteux , Monfieur , qué plufieurs de
ces perfonnes ne rougiront pas de vouloir
vous faire comprendre des prodiges
non moins inintelligibles pour elles que
pour vous; mais celles qui ne vous rés
pondront que par la devife de Montagne
( que fçais - je ? ) feront affurément
les plus dignes de votre eftime & de
Votre confiance.
Si la Médecine humaine a fait fi
рец
de progrès dans la connoiffance des caude
la petite vérole , à quelle diftance ne
doit pas être de celle du claveau un Art
qui eft encore dans fa premiere enfance?
Il nous feroit peut-être avantageux
de fçavoir d'abord fi cette maladie a , dès
les premiers temps , été reconnue dans
les-moutons , ou fi elle ne l'a été que
SEPTEMBRE. 1763. 147
dans un fiécle éloigné de celui des premiers
Ecrivains vétérinaires ? De quelqu'importance
que pût être cette décou
verte pour celle de l'entiere conformité
des deux maux que nous comparons
déjà par leurs fignes & par leurs effets ,
la recherche m'en paroîtroit hazardée ;
il s'en faut bien que la médecine des
animaux ait été foigneufement éclairée
du flambeau de l'obfervation . Je ne lis
rien qui puiffe être envifagé comme
l'hiftoire d'une maladie quelconque ;
je ne vois aucuns détails qui annoncent
la fagacité & la réflexion. La nature
des maux dont les Auteurs ont parlé ,
leur caractère distinctif , leurs progrès
leurs événemens , tout eft demeuré dans
l'obfcurité la plus profonde , & à peine
s'eft-on - concilié fur la plupart des noms
-par lefquels il étoit du moins effentiel
de les défigner , où nous conduiroit
donc , Monfieur , un travail qui nous
rappelleroit à des fiécles ténébreux où
-la lumière n'éclairoit pas ceux mêmes
qui fur de femblables objets prétendoient
éclairer les autres ?
D'ailleurs je l'avouerai , peut - être à
ma honte ; tous les écrits des Anciens
fur l'art vétérinaire tombent malgré
moi de mes mains . Ouvrez , s'il vous
•
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
plaît , Columelle que vous apprendrat-
il ? vous le verrez s'étayer fur l'autorité
de l'Egyptien Dolus Mendefius
qu'il cite comme un Auteur mémorable
& dont Démocrite , felon lui , s'eft
approprié les penfées : il vous dira gravement
en conféquence : examinezfouvent
le dos des brebis , pour voir fi elles
font atteintes de cette maladie ; faites
Sur le champ creufer une foffe à côté de
L'étable dans laquelle vous enterrerez toute
vive la brebis qui aura été attaquée de
ces boutons , & faites uriner le troupeau
entier fur la bête morte ; par ce moyen
vous éloignerez la maladie.
Des abfurdités pareilles n'infe&tent
pas abfolument les Ecrits des Modernes ;
ils n'en font pas néanmoins exempts.
Les uns ont cru que le claveau ne fe
manifeftoit que par une toux confidérable
, les autres par des boutons femblables
à des clous ou à cette forte d'éruption
que nous nommons furonoles.
Les premiers ont confeillé l'orviétanles
feconds , pour fe conformer aux recettes
prefcrites par Anatolius , ordonnent
la poix réfine ſeule , ou avec de
l'alun , du fouffre & du vinaigre dont
ils veulent qu'on garniffe les boutons
après les avoir ouverts.
SEPTEMBRE 1763. 149
Frederic W. Haftfer , Suédois , dont
l'ouvrage a été depuis peu traduit dans.
notre langue , prétend défigner par les
mots ignis facer , la maladie que nous
nommons ainfi dans l'homme , je veux
dire l'éréfipéle autrement connue fous
ce même nom de feu facré , de feu S.
Antoine , de feu des ardens ; mais dans
la defcription qu'il en fait je ne reconnois
ni l'éréfipéle humaine , ni le mal
que Columelle a appellé ignis facer &
que les Bergers appelloient pufula . Il fait
mention ailleurs de la petite vérole qui ,
felon lui eft après la pefte la plus dangereufe
des maladies qui puiffent affecter
un troupeau. Il en diftingue de trois.
efpéces , celle du primtemps , celle de
rété , & celle de l'automne ; on pourroit
en compter une quatriéme dans la
Picardie , puifque vous me faites l'honneur
de me mander qu'elle y exiſtoit
dès l'hyver dernier. Il leur attribue une
même origine , car elles n'en ont d'autres
, à l'en croire , qu'une furabondance
d'humeurs qui fe corrompant & fe putrifiant
par l'exhalaifon des particules
âcres de l'étable , fe préfentent extérieu
rement fous une forme de petite vérole
; cependant il prefcrit un traitement
différent felon les faifons. Je crois , Mon
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
fieur , que Frederic Haftfer n'eft pas plus
éclairé que nous fur les caufes & l'eft
beaucoup moins que vous fur les effers."
Dans cet état , imitons les Médecins du
corps humain , qui ne pouvant atteindre
à la fource abfolument inconnue du
mal , déterminent leurs attaques fur les
fymptômes préfens & fenfibles.
C
Le reste au Mercure prochain.
ANATOMIE LÉGALE.
-
LETTRE de M. Louis , Profeffeur
Royal de Chirurgie , à M. DE LA
PLACE , Auteur du Mercure de
France.
V ous avez eu la bonté , Monfieur
de rendre dans le Mercure de Juin
un compte avantageux d'un Mémoi
re que j'ai donné au Public fur une
queftion anatomique , relative à la Jurifprudence
, où j'établis les principes
pourdiftinguer, à l'infpection d'un corps
trouvé pendu , les fignes du fuicide d'avec
ceux de l'affaffinat. Ce Mémoire
eft vivement attaqué dans le Journal
SEPTEMBRE. 1763. 151
de Médecine du mois de Septembre ,
fous le nom d'un Bachelier de la Faculté.
On prétend que je ne me fuis
occupé que de détails inutiles ; que j'ai
foutenu des opinions hazardées , &
donné des principes dangereux , dont
on peut tirer de funeftes conféquences.
La troifiéme propofition eft remife à
l'Ordinaire prochain ; il n'eft queſtion
dans celui-ci , que des détails prétendus
inutiles , & des opinions qu'on dit hazardées.
J'efpére que l'Auteur du Journal
de Médecine qui a publié cette critique
par égard pour les perfonnes de
fon Corps qui l'en ont follicité , m'accordera
une place pour la défenfe de la
faine do& rine fur une queftion auffi
intéreffante . Je ne me refuferai pas
à
la recherche de la vérité ; c'eft un engagement
que je contracte volontiers
avec le Public par la voie du Mercure.
La difcuffion du fonds eft fpécia
lement du reffort du Journal de Médecine
mais qu'il me foit permis de
reprendre dans le vôtre la forme que
mes Cenfeurs ont donnée à leur critique
.
Ils ont manifeftement confondu l'oc
cafion qui m'a porté à écrire avec l'ob,
jet de mon Mémoire. Pour établir l'inu-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
tilité de mes recherches & de mes expériences
, ils demandent fi l'affaire des
Calas en eft plus éclaircie ? Non ; difent
ils , & l'Auteur du Mémoire a
tout-à -fait perdu de vue cet objet principal.
-
Ma réponſe eft fimple. Cette affaire
n'a été , ni pû , ni dû être l'objet de
mon Mémoire. Quel homme feroit affez
imprudent & affez dépourvu de raiſon ,
pour ofer prononcer fur un cas particulier
, auffi grave que l'eft l'affaire de
Touloufe , jugé par un Parlement , &
foumis à la décifion du Confeil du Roi ,
qui pourra ordonner , ou ne pas ordonner
la révifion du procès ? C'eſt cependant
cette inutilité relative qu'on m'objecte
! on particularife mes réflexions
générales ,, ppoouurr chercher l'analogie qu'il
doit y avoir , dit-on , entre l'état de
la queftion & l'hiftoire des Calas. J'avoue
que fi l'on en appercevoit , ce
feroit contre mon intention ; & que j'ai
mis tout l'art dont j'ai été capable , à
empêcher qu'on ne pût faire la moindre
application des chofes que j'ai avancées
, à l'affaire particuliere qu'on me
reproche mal-à -propos de n'avoir point
approfondie.
Le premier point fur l'inutilité de mes
SEPTEMBRE. 1763. 153
"
recherches eft donc tout-à-fait déplacé ;
& ayant déclaré dès les premieres phrafes
de mon Mémoire , que je ne traitois
point de l'affaire des Calas &
qu'elle n'étoit que l'occafion qui m'avoit
porté à écrire fur cette matière
il n'y a ni juftice , ni raifon à me demander
en finiffant ce point .... que font
à l'affaire des Calas tous ces raifonnemens
pour engager à fecourir les pendus
fuicides ; cette difcuffion fur les
moral ou le phyfique de leur action ;;
ces avis publiés depuis 1740 , au fujet
des noyés ; l'éloge de la Philofophie
& des Arts ; la longue note où les filles
de Milet , Aulugelle & Tacite font éton
nés de fe rencontrer ? & c.?
TO
.
Vous voyez , Monfieur , ce que dans
cette tirade il y a d'étranger au fonds
de la queſtion. On jugera aifément de
l'infidélité de cette critique. L'on n'au ---
pas dû demander que fait à l'affaire
des Calas , l'éloge de la Philofophie :
& des Arts ; mais à quoi il fert dans un
Mémoire fur les pendus ?. Il fembleroit:
à cette question que perdant véritable--
ment mon objet de vue , je me fuiss
livré par une digreffion déplacée, à faire;
l'éloge de la Philofophie & des Arts . Riem
n'eft cependant fi peu fondé que co
G.V
154 MERCURE DE FRANCE.
reproche. J'ai dit , par occafion , que le
progrès de la Philofophie & des Arts
nous faifoit voir au profit de l'humanité ,
plufieurs objets , fous des afpects plus
raifonnables que nos pères ne les envifageoient.
C'est exactement là tout ce que
je dis ; & cette unique réfléxion fi fimple
& fi vraie , placée à propos , eft repréfentée
comme un chef d'inutilités
dans mon ouvrage : cela n'eft pas pardonnable.
Il faut de la bonne foi dans
la critique , & ſe reſpecter en imaginant
qu'il y a quelques Lecteurs judicieux
, capables de prendre la peine de
vérifier les points de conteftation. Les
filles de Milet qui fe font pendues
elles- mêmes , ne doivent pas être plus
étonnées de fe rencontrer avec Aulu-gelle
, dans mon Mémoire , que dans les
nuits attiques de cet Auteur ; & celui-ci
avec Tacite , dont j'ai crû devoir conferver
une expreffion bien énergique à
l'occafion du fuicide . Mais tout ceci eft
en note ; c'eſt la feule qu'il y ait dans
mon ouvrage ; & on ne peut pas dire
qu'elle ne foit pas amenée par le Texte.
Il faut que l'envie de contredire foit
bien forte , pour porter ceux qui en.
font tourmentés , à des objections auffi
farides L
SEPTEMBRE. 1763. 155
Paffons aux opinions qu'on dit hazar
dées. On foutient que les pendus meu
rent par fuffocation , faute d'air. J'ai
prétendu que la corde , fur-tout dans
ceux qui fe pendent eux-mêmes , n'agit
point du tout fur le conduit de l'air :
fur cela on fait deux interrogations....
Qui le mettroit à l'abri de la corde ?
Sur quelle partie de la corde agiroit-elle ?
Voici une réponse à ces deux queſtions :
rien ne met le conduit de l'air à l'abri de la
corde , & il n'a pas befoin d'abri , puifqu'elle
n'agit point fur lui. Elle porte
fous la machoire & fous l'occipital : elle
comprime principalement les veines jugulaires
, & les pendus meurent apoplectiques
& non pas fuffoqués. Pourquoi
taire que je me fuis autorifé du
fentiment de deux habiles Profeffeurs
en Médecine , Benedicti & Nymann.;
& me citer une autorité contraire , celle
de Garmann , Compilateur déraifannable
de touté efpéce d'inépties
dans un gros volume in-4°. de plus de
1500 pages , fous le titre de Miraculis
mortuorum , où l'on trouve le pour &
le contre , fans choix & fans difcerne
mentfur toutes les queftions qu'il traite ,
& parmi lesquelles il y en a de fort
ridicules. Entre des autorités de parcil
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
poids , il auroit fallu confulter l'expérience
, faire des effais & raiſonner conféquemment
fur les faits . On aime mieux
rappeller des cas particuliers mal obfervés
, que d'avoir recours aux grands
principes par lefquels on doit juger toutes
les conteftations fcientifiques.
1
a
Quel moyen de nier l'effet de la
compreffion des veines jugulaires par
l'impreffion de la corde fur un pendu ?
A ce fait fi fimple & fi clairement démontré
aux yeux même des moins inf
truits , on fubftitue une explication prétendue
phyfiologique , dont Garmann
dit-on , ouvert la voie , mais qu'Hebenfgreit
a développée. Or, cette explication
eft fi mauvaife , qu'elle feroit honte à
un Ecolier d'anatomie & de phyfiolologie
, & que l'Auteur de cette critique
eft forcé lui - même de l'abandonner
enfuite. L'avoir employée est une grande
Aiftraction de la part d'un homme qui
fe fait un mérite de reprocher des inutilités.
Il ne convient qu'avec une forte
de regret de ce qu'il trouve de favorable
à la vérité que je foutiens , dans
les autorités qu'il rapporte ; & il cherche
à donner du crédit aux erreurs pour
me les oppofer. C'est ce que je prouverai
par l'examen détaillé des faits qu'on
SEPTEMBRE. 1763. 157
m'objecte , & qu'il feroit trop long de
difcuter préfentement.
L'Auteur à l'occafion des apopléxies
citel'aphorifme d'Hippocrate quidit, qu'il
eft impoffible de guérir une forte apopléxie
, & qu'il eft difficile d'en guérir
une légère. Et il ajoute à une fauffe conféquence
qu'il tire de cette remarque
qu'on voit bien que ce n'eft pas d'Hippocrate
que je fais mon étude particu
lière.
Je pourrois repliquer qu'une injure n'eft
point une raifon , & que l'Auteur auroit
fans fe faire aucun tort , fup
pu,
primer cette perfonnalité.
Je pourrois lui dire, que les principaux
ouvrages d'Hippocrate étant fur la Chirurgie
, c'eft m'injurier gratuitement ,
que de vouloir faire croire que je ne me
fuis pas autant occupé que je l'aurois
dû , de la lecture de cet Auteur.
Je pourrois obferver encore , que
tout ce qu'Hippocrate a avancé , n'eft
pas confirmé par les faits : il croyoit , par
exemple , que les playes du corps de
la veffie étoient mortelles , & nous en
guériffons tous les jours. Et pour ne pas
dérouter le jeune Bachelier , & le tenir
fur fa citation , je pourrois lui promettre
qu'il apprendra par l'ufage , qu'il n'eſt
158 MERCURE DE FRANCE .
*
point du tout rare de voir des perfon
nes qui ont eu plufieurs attaques d'apopléxie
.
Mais je me contenterai de lui dire ,
ce dont peut-être il ne fe doute pas ,
qu'après une lecture d'Hippocrate , on
peut prendre une leçon utile dans Moliere
qui a relevé , pour le bien public , le
ridicule d'un Médecin qui foutenoit
opiniâtrément qu'un homme enterré
depuis deux jours n'étoit pas mort ;
parce qu'Hippocrate difoit expreffément
que la maladie dont il étoit attaqué , ne
fe terminoit qu'au quatorziéme ou au
vingt-uniéme jour ; & qu'il n'y en avoit
que fix que cet homme étoit malade.
Ce trait de morale s'applique tout
naturellement à ceux qui préférent l'autorité
des hommes à celle de la Nature
& de la Raifon.
J'ai l'honneur d'être , & c.
SEPTEMBRE . 1763. 159
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
AVIS de la Société des CONCILIATEURS
, fur le Mémoire de M. de
PARCIEUX , pour conduire l'Eau
de l'YVETTE à Paris.
APRÉS la lecture d'une Deſcription
"
de la Place de LOUIS XV , inférée
dans le précédent Mercure on s'eft
demandé d'où l'on pourroit tirer l'eau
néceffaire aux deux Fontaines qui doi-,
vent entrer dans la décoration de cette
Place ?
Les différens moyens qui ont été difcu
tés pour remplir cet objet , n'ayant préfenté
que des difficultés & des dépenfes
confidérables ; un de nos Affociés , qui
a des connoiffances fur l'Hydrauilque ,
avança que l'exécution du Projet conté
nu dans le Mémoire de M. de Parcieux
en procurant à la Ville de Paris mille
douze cens pouces d'eau , qui pourroient
160 MERCURE DE FRANCE.
être diftribués dans tous les quartiers ,
rempliroit facilement les vues de magnificence
& d'agrément que l'on s'eft
propofées pour la Place de Louis XV
en y projettant la conftruction de ces
deux Fontaines..
On applaudiffoit unanimement à cette
idée , lorfqu'un d'entre nous , que
la
fortune a mis en état de fatisfaire fon inclination
bienfaifante & patriotique ,
repréfenta qu'il auroit déja fait des offres
de contribution pour fa part dans une
entrepriſe auffi importante au bien public
, fi quelques perfonnes ne l'avoient
affuré avoir goûté l'eau de l'Yvette
puifée dans les endroits où cette petite
rivière eft le plus limpide , & lui avoir
toujours trouvé un goût de vâfe & de
marais , qui en rendoit la boiffon un peu
défagréable.
On voit bien , repliqua celui qui avoit
parlé du projet de M. de Parcieux , que
ceux qui ont fait ce rapport ne connoif
fent guères que l'eau qu'on boit à Pa
ris , fans avoir même fait attention comment
elle contracte ce même goût de
vâfe quand la Seine eft fort baffe &
comment elle le perd. Il n'y a pas
ajouta- t- il , une feule des petites rivières
ou des ruiffeaux qui forment la Sei
>
SEPTEMBRE. 1763. 161
ne , fi ce n'eft peut-être dans les Pays
de hautes montagnes , qui n'ait ce mê
me goût de vâfe , & il eft prèfqu'impoffible
que cela foit autrement. Les lits des
petites rivières font pleins d'obftacles à
leur courant , lors même que les eaux
font les plus fortes. Ces obftacles font
les chauffées des étangs , les retenues des
réfervoirs , vanages & biez de moulins ;
des racines & branches d'arbres coupés
ou renversés ; des touffes de rofeaux, de
joncs & autres herbes aquatiques qui
croiffent abondamment. Pendant le
printemps & l'été les eaux de ces riviè
res arrofent les Prés , y féjournent ou
du moins y coulent fort lentement ,
d'où il arrive qu'elles contractent le
goût des herbages qu'elles lavent , &
entraînent avec elles le limon qui s'y eft
formé pendant l'hyver par les herbes
pourries & les feuilles tombées . A la
fin de Septembre & en Octobre on fait
rouir les chanvres & le lin , dans les
ruiffeaux ou da ns des trous voifins, d'où
l'eau paffe avec une partie de ce qu'elle
enlévé de ces chanvres dans ces ruiffeaux
, & de là dans les petites rivières ,
où il fe fait dépôt de ces matières ;
qui contribue encore au mauvais goût
de ces eaux . On ne peut donc , conti162
MERCURE DE FRANCE.
nua le défenfeur des eaux de l'Yvette
faire aucun reproche à cette rivière, qui
ne foit applicable à toutes celles de la
même claffe , & qu'elles mériteront par
des caufes prèfque néceffaires. Mais
pour avoir prouvé l'efpéce de néceffité
d'une mauvaife faveur aux eaux de l'Yvette
, ce ne feroit pas avoir prouvé
qu'on dût en trouver l'ufage moins dé
fagréable. Rien ne feroit fi raifonnable
que cette objection , repliqua notre Af
focié , fi ce mauvais goût étoit effentiellement
inhérent à cette eau , & s'il
n'y avoit pas des moyens certains pour
le lui faire perdre avant qu'elle fût arrivée
dans la Ville .
N'admettez- vous pas comme conftant
que l'eau de la Seine , avant que d'être
chargée des immondices de Paris , eft la
plus pure, en même temps la plus falubre
dont on puiffe boire ? Si l'on a bien lû
l'examen chymique de MM. Hellot &
Maquer, imprimé à la fin du Mémoire
de M. de Parcieux , on a dû fè convaincre
par tous les réfultats des épreuves de
ces deux fçavans Académiciens fur
l'eau de l'Yvette , qu'elle eft dans une
exacte parité à l'eau de la Seine quant
aux qualités effentielles. Ce qui donne
encore plus de poids à cette affertion , eft
SEPTEMBRE. 1763. -163
lefoin fcrupuleux avec lequel on apperçoit
qu'a été fait cet examen . Or fi les
qualités conftitutives des eaux de l'Yvette
font les mêmes que celles des eaux
de la Seine , ou entiérement homogénes
, il ne s'agit donc , pour rendre les
premieres auffi agréables & auffifalubres ,
que de les dé pouiller de la faveur accidentelle
qu'ellesauront contractée. Il faut
pour cela obferver par quels moyens
toutes les petites rivières qui forment la
Seine & qui ont la même faveur marécageufe
que l'on reproche à l'Yvette ,
la perdent dans le lit de cette grande
rivière . On ne peut douter que ce ne
foit en coulant alors plus librement &
dans un lit plus propre que leur canal
originaire ; & que par le mouvement de
la furface au fond & du fond à la furface
, les parties étrangères qui donnoient
cette faveur à l'eau font diffipées
ou par l'évaporation ou par la difperfion.
Et comme ce nouveau lit eft
garanti des dépôts limoneux , entraînés
par la force du courant , ces eaux le
font auffi du goût marécageux qu'elles
ne devoient qu'à ces dépôts. Si l'Art
peut facilement procurer le même
moyen d'épurement à l'Yvette , que la
Nature fournit à toutes les petites ri164
MERCURE DE FRANCE.
vières qui fe jettent dans les grandes , on
ne pourra plus douter raifonnablement
que fes eaux ne deviennent d'un auffi .
bon ufage que celles de la Seine ..
Pour s'affurer de ce changement avan-.
tageux dans les eaux de l'Yvette , il faut
obferver que par des expériences réïtérées
, & que chacun eft en état de faire
par foi- même , on eft certain que cette
eau expofée à l'air dans des vâfes propres,
perd fon goût marécageux en moins.
de quatre ou cinq jours ; que l'on opérera
encore plutôt cet effet en la battant
dans des bouteilles , avec l'attention
de donner de temps en temps paffage
à l'air extérieur en levant le doigt qui
les couvrira. Il en résulte donc néceffairement
, que le mouvement & même le
feul dépôt dans un vâfe propre , avec le
libre contact de l'air , fuffifent pour enlever
de cette eau les parties vafeufes
qui occafionnent la mauvaiſe faveur. Il
eft démontré que le projet de M. de
Parcieux fur la manière de faire parvenir
cette rivière à Paris réunit éminemment
ces deux moyens. En effet , cette
rivière dérivée de fon lit naturel à fept
lieues de Paris , & coulant dans un canal
, qu'à très -peu de frais on pourra
conferver dans une netteté parfaite , à
SEPTEMBRE. 1763 . 165
la faveur de fon mouvement & du contact
de l'air , aurara perdu la faveur marécageufe
avant que d'être parvenue à
moitié de la diftance que parcourera ce
canal , puifqu'il fuffiroit même pour
cela , avec plus de temps , du feul dé.
pôt de ces eaux dans un récipient net.
On ne pourra en douter , fi l'on fait
attention à ce qui fe pratique pour
l'épurement des eaux chargées de parties
minérales les plus divifées & les
plus intimement amalgamées avec le
fluide .
Non feulement donc l'eau de l'Yvette
fera purgée de fes parties étrangères
dans ce canal , comme elle le feroit dans
une grande rivière , mais encore elle
y fera bien plus fùrement garantie de
contracter jamais aucune faveur défagréable;
parce que ce nouveau canal fera
toujours plus propre qu'aucun lit de
rivière , quelque rapide qu'en foit le
courant ; & que les herbes aquatiques ne
pourront y prendre naiffance , quand
même on ne le nettoyeroit que tous
les deux ou trois ans. Ainfi la Capitale
trouvera dans cette nouvelle rivière
dont elle fera enrichie , l'eau la plus pure,
la plus faine & la meilleure qu'on puiffe
d efirer.
166 MERCURE DE FRANCE .
on
En cédant à des raifons fi convaincantes
& qui ont la force de démonftration
, tous les avis de la Société fe
font réunis à convenir de l'extrême utilité
dont feroit l'exécution du projet
contenu dans le Mémoire de M. de Parcieux
; & rejettant toutes les objections
vagues & fans fondement qu'on pourroit
oppofer à une fi belle entreprife ,
s'eft unanimement arrêté à faire des
voeux pour jouir le plus promptement
poffible des avantages qui en réfulteroient
pour la commodité , la falubri
té & l'embelliffement de la Capitale.
Heureux fans doute ceux qui pourront
immortalifer leur mémoire d'âge en âge
parmileurs concitoyens , en contribuant
à un fi beau Monument de bienfaifance
& fi digne de concourir à la décoration
d'une Place qui portera toujours
le nom du Monarque BIEN - AIME !
a
CHIRURGIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
J'AI lù , Monfieur , avec étonnement
ΑΙ
dans votre, Mercure d'Août 1763 , une
Lettre Anonyme fous le titre d'un Etudiant
en Chirurgie , à M... Chirurgien
de Province .
SEPTEMBRE. 1763. 167
On ne peut douter à la lecture de
cette Lettre qu'elle ne foit effectivement
l'ouvrage d'un Etudiant peu au fait de
ce qui s'eft paffé en Chirurgie fur la
Taille ; il répéte ici ce qui eft écrit dans
tous les ouvrages de Chirurgie , fur les
dangers des inftrumens à refforts , &
ce qui eft avoué de tout le monde en
général ; mais dont l'application ne
peut être faite au Lithotome caché du
Frère Cofme , dans lequel le reffort fur
lequel il veut faire illufion , ne fert uniquement
qu'à renfermer & contenir la
lame dans fa guaine & non à diriger
l'inftrument , qui ne reconnoît en opérant
abfolument , d'autre puiffance que
celle de la main de l'Opérateur.
Cet Etudiant ignore auffi que le Frère
Cofme ne s'eft jamais annoncé comme
l'Auteur d'une méthode précisément
nouvelle ; il s'eft borné à prouver qu'il
exécute avec fon Lithotome caché, la
taille latérale du Frère . Jacques plus
furement & plus exactement qu'on ne
l'avoit faite jufqu'à lui.
Il nous renvoye encore aux Mémoires
de l'Académie Royale de Chirurgie , où
il prétend que nous trouverons des preuyes
démonftratives de réfutation. Je puis
lui annoncer que le Frère Cofme va
168 MERCURE DE FRANCE.
prouver auffi clair que le jour , que la
plupart des faits rapportés dans ces
Mémoires , touchant fa Taille , font ou
faux ou dénaturés ; & que les épreuves
qui y font rapportées , & qui fervent
de bafe à la théorie qu'on y donne
ont été faites avec la plus grande maladreffe
, ou la plus mauvaiſe volonté.
Je puis encore lui apprendre que le
Lithotome caché eft entierement adopté
à Vienne , & je le renvoye pour cet
effet à la fixiéme partie des ouvrages de
M. de Haën , où il en trouvera l'éloge,
avec celui de fes fuccès entre les mains
de M. Cambon , Confeiller , premier
Chirurgien de S. A. R. la Princeſſe de
Lorraine. S'il aime à s'inftruire d'une
matière dont il fe plaît tant à parler ,
il pourra y trouver des renfeignemens
utiles fur le nombre des cures faites avec
cet inftrument à Vienne , à Bruxelles ,
à Gand , à Tournay , à Maubeuge , à
Lifle , à Reims , à Metz , à Troyes ,
à Rouen , à la Rochelle , à Saintes ,
à Tours , à Bourges , à Toulon , à Mar
feille , à Romans , à Grenoble , à Lyon ,
à Châlons , à Louisbourg en Canada ,
au Fort Royal de la Martinique , & c.
& c. & c.
Quant à moi , Monfieur , qu'il dit
_voir
SEPTEMBRE. 1763. 169
voir fouvent , j'aurois pu lui apprendre,
s'il l'eût defiré , l'ufage avantageux que
je fais da Lithotome caché , & que j'en
dois faire journellement. Je lui aurois
prouvé qu'un Lithotomifte célébre , a
taillé quarante - cinq perfonnes de fuite
fans qu'il en foit morte aucune . M. Cambon
en a opéré près de cent , dont il
n'eft mort qu'une feule ; que j'avois
fait auffi avec cet inftrument quatrevingt-
neuf tailles depuis 1757 , toutes .
heureuſes , excepté trois dont les Sujets
font morts de caufes étrangères à l'opération
. Je puis lui donner tous les détails
, âges , noms , demeures , ainfi que
le temps de l'opération . Oferois -je ici
lui demander , quand les Adverfaires du
Lithotome caché , pourront citer autant
d'heureuſes tailles , fur un auffi grand
nombre de Pierreux , opérés par leurs
méthodes , & avec leurs inftrumens ?
En attendant qu'il y parvienne , il demeurera
demontré , que la méthode qu'il
préconife doit être profcrite de la bonne
Chirurgie , fuivant les principes où le
Frère Cofme établit la néceffité de l'incifion
fuffifante , pour éviter autant
qu'il eft poffible , la contufion & le déchirement
; caufes les plus ordinaires de
la mort des Taillés.
H
,
*
170 MERCURE DE FRANCE.
Si ces réfléxions ne paroiffent pas
affez décifives , pour la réfutation de
la méthode de l'Anonyme , qu'il mette
en parallèle les fuccès qu'il allégue avec
ceux que je lui oppoſe.
M. Morand , Chirurgien très - diſtingué
a donné une lifte des tailles faites
à l'Hôpital de la Charité depuis , 1720 ,
jufqu'en 1727 ; on y voit un peu plus
du tiers des Taillés devenir les victimes
des méthodes vantées par ce même
Anonyme. On doit bientôt rendre publique
la lifte des tailles faites à cet Hô
pital , depuis la même année 1720 ,
inclufivement jufqu'à la préfente année
1763 , il lui fera facile , ainfi qu'à tout
le monde , de fe convaincre , fi ceux
qui ont adopté le Lithotome caché du
Frère Cofme , à l'exclufion de tout
autre , l'ont fait par prévention , & fi
leur confiance dans cet admirable inf
trument , eft bien ou mal placée.
Je l'affure auffi que l'apologie que
l'on a faite de moi , & que je trouve
exceffive , a été abfolument à mon inf
çu. Je n'ai jamais mandié les éloges ,
mais j'ai fait & je ferai toujours les plus
grands efforts pour les mériter. Je n'ai
pû qu'être furpris de la façon avec la
quelle cet Anonyme me défigne. J'ai
SEPTEMBRE. 1763. 171
gagné la place que j'occupe dans un
concours public , ordonné par un Arrêt
du Parlement ; j'y ai été m intenu par
un autre Arrêt de cette même Cour ;
cela s'appelle - t-il entrer dans une place
par hazard ? Et l'Indécence de cette
expreffion ne prouve-t- elle pas quelles
font les paffions qui animent celui qui
la profére ? Mon feul crime vis - à - vis de
certains Chirurgiens eft d'être le neveu
du Frère Cofme , mais j'en fais ma
gloire & mon bonheur .
J'ai l'honneur d'être , &c.
BASEILLAC , gagnant Maítrife à la Charité.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
ESTAMPE NOUVELLE.
RIE
IEN dans la Peinture de plus difficile
à traiter que l'Allégorie ; rien en même i
temps ne fait plus d'honneur à un Artifte,
que lorsqu'il l'exécute d'une façon fupérieure.
Mais pour atteindre à ce but , il
ne fuffit point de joindre à l'élégance du
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
deffein les charmes du Coloris : il faut
encore un efprit exercé de bonne heure
à l'étude des bons Auteurs & enrichi de
leurs dépouilles ; afin que la noble fimplicité
ou l'élévation de la penſée ainfi
que fa délicateffe répondent à l'excellence
de l'exécution.
Il eſt dans le monde fçavant des fignes
de convention qui forment comme
l'Alphabet de l'idiome qu'on y parle. Le
Néologifme en eft également profcrit
ainfi que des autres langues ; & avec
d'autant plus de raiſon qu'on doit craindre
en s'abandonnant à des nouveautés
dans ce genre , de tomber dans un jargon
barbare,dont l'obſcurité pour l'ordinaire
eft le fruit. En effet , fi l'on ne parle
que pour être entendu , la clarté doit
être la baze du Difcours & furtout de
l'Allégorie .
Telle est celle dont le célébre le Brun
s'eft fervi , pour exprimer d'une façon
auffi élégante qu'ingénieufe , une jeune
mariée quifixe l'Amour.
On voit d'abord par la réunion de la
lumière fur l'objet principal du Tableau
une jeune perfonne dont la beauté & la
décence forment l'enfemble . Elle eft
affife fur l'herbe tenant l'Amour incliné
fur fes genoux & lui coupe les aîles, tanSEPTEMBRE.
1763. 173
dis que pour l'aider , Minerve lui lie les
mains derrière le dos avec fa ceinture :
le Dieu volage ne paroît fe prêter qu'à
regret à cette opération qui limite fa
liberté.
Derrière le Grouppe on apperçoit
l'Hymenfous la figure d'un enfant qui, le
flambeau élevé d'un air triomphant, femble
infulter l'Amour par un fourire mocqueur.
A côté de lui eft une corne d'abondance
, remplie de fruits. Plus loin
& fur fa droite les armes de l'Amour lui
font offertes en holocaufte . Ainfi plus
de traits décochés à la dérobée.
Des Arbres foutiennent au-deffus de
la nouvelle Mariée une espéce de tente
de Drap d'or qui défigne la condition
des époux , comme le Mouton qu'on
voit à côté d'elle , marque la douceur de
fon caractère. A fes pieds on voit une
pomme d'or avec l'Infcription : à la plus
belle:
Sobre dans le choix des caractères fymboliques
, le Brun arendu fa penſée avec
une précifion & une netteté qui ne laiſſe
rien à defirer au Spectateur. Il n'eft pas
jufqu'à l'Ecureuil qu'on voit fur la corne
d'abondance , fe jouer parmi les fruits ,
qui ne défigne adroitement pour qui le
Brun a peint ce Tableau . On fçait qu'il
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
l'a exécuté pour la famille de M. Fouquet ,
Sur-Intendant des Finances , à qui appartenoit
la Maiſon , où il fait partie des
ornemens qui décorent la cheminée
d'un Cabinet.
On peut dire que c'eft un des plus
beaux ouvrages de cet Artiſtec élébre. Le
Coloris en eft frais , & peut - être même
n'a-t- il jamais auffi bien peint . Les caracères
y font rendus avec une fineffe
& une naïveté qui le font fortir de l'idée
générale qu'il s'étoit formée des paffions.
Ce Tableau dont on ne donne qu'une
foible idée , mérite certainement l'attention
des Amateurs.
M. DemarcenayDeghuy, vient de le gråver
après en avoir tiré une copie pour fa
propre fatisfaction . C'eft la dix-huitième
Planche de fon OEuvre. Il a mis pareille .
ment au jour deux autres Planches fous
les No.dix-neuf& vingt,dont la première
repréfente un jeune Seigneur d'une trèsbelle
figure , d'après un des plus beaux
Portraits qu'ait peints l'illuftre Vandeick.
Il eft dans le Cabinet de M. Aved , Peintre
du Roi. Quant à l'autre , c'eſt une
belle tête de vieillard du meilleur temps
du fameux Rembrandt, Ces deux morceaux
font pendans .
On trouve ces Eftampes chez l'Auteur,
SEPTEMBRE. 1763. 175
quai de Conti , la deuxième porte cochère
après la rue Guénégaud.
Et chez M. Wille , Graveur du Roi ,
quai des Auguftins ,à côté de l'Hôtel d'Auvergne.
Le furplus de l'Euvre de l'Auteur ,
confifte dans les morceaux fuivans : le
Teftament d'Eudamidas , d'après l'une
des plus belles compofitions du Pouffin.
Ce Tableau appartient , dit-on , actuellement
à Sa Majefté le Roi de Dannemarc ;
M. Demarcenay en a fait pareillement
une Copie ainfi que de la plupart des Tableaux
qu'il a gravés.
Une Bataille d'après Parocel le père ,
de même grandeur que la précédente
Planche .
Un Pavfage d'après Rembrandt , qui
eft un commencement d'orage.
Un clair de Lune d'après M. Vernet.
Un autre Payfage d'après Vanuden.tous
trois de même grandeur.
Le Portrait de l'ami des hommes , d'après
M. Aved
Tobie recouvrant la vue , d'après Rembrandt
, beau Tableau du Cabinet de
M. le Marquis de Voyer.
Deux Portraits qui repréfentent une
nouvelle Mariée , conduite parfon époux,
qu'on foupçonne de la maifon de Naf-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
fau , d'après Rembrandt ; le Portrait de
Rembrandt , d'après lui & celui du Tintoret
, également d'après lui : ils font
endants .
La Bohémienne difant la bonne fortune
, d'après Tenieres.
Trois Têtes de même grandeur l'une
d'après Rembrandt , l'autre d'après M.
Greuze , & la troiſième d'après M. Peronneau
, & deux autres petites Planches.
Le fieur BEAUVARLET , Graveur du
Roi , demeurant rue S. Jacques , visà-
vis de celle des Mathurins , vient de
mettre au jour la quatriéme & dernière
Eftampe qu'il a gravée d'après les Tableaux
admirables de Luc Jordans.
Ces Tableaux appartiennent à M.
Colins , Peintre , demeurant quai de la
Mégifferie , à Paris , chez lequel on
pourra les voir & s'en procurer l'acquifition.
Deux ont de hauteur ſept
pieds fur onze pieds trois pouces de
large , & les deux autres font de fix
pieds quatre pouces de haut fur neuf
de large . La derniere Eftampe qui paroît
, repréſente le Triomphe de Galathée.
Nous ne craignons pas d'affurer
que ce Morceau eft digne des éloges &
de l'admiration des Connoiffeurs ;
il juftifie & comble les flatteuſes efpérances
que le fieur Beauvarlet avoit
SEPTEMBRE. 1763.
177
fait concevoir de lui , par les trois premieres
intitulées l'Enlèvement d'Europe
, celui des Sabines & le Jugement
de Paris ; elles lui ont mérité l'honneur
d'être reçu de l'Académie Royale ..
Il a mis dans la dernière Eftampe ,
que nous annonçons, la même vigueur, la
même force , la même pureté & la même
correction que l'on trouve avec tant de
plaifir dans les trois autres ; il a fçu rendre
les Clairs- obfcurs du Tableau avec:
une dégradation fi harmonieufe , qu'on
n'en peut être qu'agréablement étonné..
Rien enfin de plus heureux ni de plus
beau que cette Eftampe , tant pour l'ef
fet que pour l'entente ; on pourroit:
même dire pour la Couleur..
que
On la trouve , ainfi les trois premières
, chez l'Auteur , rue S. Jacques
vis-à -vis de celle des Mathurins ..
و د
LES BOULES DE SAVON , d'après
le Tableau original de Miéris , par N..
Ponce. Se trouvent à Paris , chez M..
Etienne Feffart , Graveur du Roi , de
fa Bibliothéque , & de l'Académie
Royale de Parme , rue de Richelieu.
CARTES GÉOGRAPHIQUES..
TERRA SANTA TABULA , èfcrip
1
H. v.
178 MERCURE DE FRANCE:
,
turæ facræ , Flavii Jofephi , Eufebit
& divi Hieronymi innumerisque aliorum
hiftoricorum commentatorum
Geographorum , viatorum , five veterum
, five recentium , Romanorum ,
Græcorum , Arabum , & c. teftimoniis
& relationibus delineata : Opus Pofhumum
Guillelmi de l'Ifle , Primarii
Regis Geographi , ex archivo Geogra
phico Rei navalis gallicæ ere &tum &
editum à Jofepho - Nicolao de l'Ifle ,
auctoris fratre , Rei navalis Aftronomo
Geographo . Anno 1763. Sub aufpiciis
Illuft . DD. ducis de Choifeul , fummi
rei Navalis & bellica adminiftri.
CARTE DE L'ISLE DE FRANCE
levée géométriquement par M. l'Abbé
de la Caille , de l'Académie Royale des
Sciences , en 1753. A Paris , chez Lattré
, Graveur , rue S. Jacques , près la
Fontaine S. Severin , à la Ville de Bordeaux
.
SEPTEMBRE. 1763. 179
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
O N continue toujours les Concerts
François, les Vendredis de chaque Semaine
; ce qui aura lieu jufqu'après le
voyage de la Cour à Fontainebleau.
COMÉDIE FRANÇOISE,
*
LE Lundi , premier Août , on a repréfenté
pour la première fois la Préſomption
à la mode, Comédie en vers en cinq
Actes , qui n'a eu que cette feule repréfentation.
Nous n'avons à rendre compte d'aucune
autre Nouveauté fur ce Théâtre , mais
d'un événement au moins auffi intéref-
-fant pour les Amateurs,que feroit la première
repréſentation de l'ouvrage le plus
impatiemment attendu ; c'eft le rétablif
fement de la fanté de Mademoifelle Clairon
& le plaifir univerfel des Specta-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
teurs de la voir reparoître fur la Scène..
Elle a joué les huit , dix & treize Août
dans Zelmire; elle a continuédans Cinna,
Rodogune , &c. On trouveroit avec raifon
une prolixité fuperflue à nous- étendre
fur l'efpèce de raviffement avec.
lequel cette célébre Actrice a été reçue
du Public ; il n'eft aucun de nos Lecteurs
qui ne doive le fuppofer , les uns
d'après leur propre fentiment , les autres :
d'apres la réputation de ce fublime talent ..
COMEDIE ITALIENNE..
LEE 8 Août on a donné la feiziéme
& dernière repréfentation des Fêtes de la
Paix. Nous avons rendu compte par Extrait,
dans les précédens Mercures, de cet
agréable divertiffement de M. Favart.
Ilyavoit ajouté depuis , des Scènes d'un
genre de Comique très - vif & très-gai ,
d'autant plus faites pour le fuccès , qu'elles
ont eu , qu'elles étoient convenables
au Site de la Scène , & paroiffoient naturellement
amenées par les Fêtes populai
res , à l'occafion defquelles cette Piéce a
été composée & repréfentée. Voici une
idée des nouvelles Scènes.
SEPTEMBRE. 1763. 187
Jacot , artifan groffier , appaife les reproches de
Javotte , la femme , dans un Duo contradictoire ,
en lui difant que fa befogne aujourd'hui eft de bien
boire :
» Ce n'eft pas à tes dépens: ( dit Jacot en chantant
» Monfieur le Prevôt des Marchands
Qui ne fe moque pas
des g
s gens ,
Veut qu'on boive & qu'on danfe ,
» Il nous baille du vin pour çà ,,
» Et des Violons de l'Opéra
La , la , la , la , la , &c..
Javotte, qui n'a pas d'éloignement pour lė vir
& pour la joie , fe prête facil ment à cette idée..
Jacot a ramallé des gros & des petits écus , que,
dit- il , des Meffieurs dorés jet : oient à la douzaine..
Cette abondance réjouit fort Javotte , & lui
donne bacoup l'amitié pour (on Mari ; elle lui
demande bien des petits préfens pour fon ajuſtement
; Jacot s'en effraye il n'aura plus rien pour
lui . Sa femme le ratfure , en lui ditant qu'un ma--
ri qui a une femme aimable ne doit fe plaindre
de rien . qu'il faut être brave à Paris , qu'il le de--
mande à ces Bourgeois..
» Femme fur le bon pied fait honneur aux Marisè .
A quoi Jacot répond pas toujours , pas toujours.. :
Il vient un Chanfonnier avec fon Tableau qu'
fait voir , & dont il détaille les Sujets . Il invitoit
àvenir écouter & acheter fes Chanſons ; nous rap
182 MERCURE DE FRANCE.
porterons une de ces Chanfons , pour faire voir
comment par le choix & l'arrangement des paroles,
on peut le prêter à la vérité de l'image en Mufique.
» Voyez fur ce Cabriolet ,
» Ce Petit Fringant à plumet ș
» Qui roule fans dire gare , gare ,
» En faiſant clic-clac , claquer fon fouet,
C Au milieu d'une bagare.
» Il perce,
» Traverſe ,
>> Renverfe
>>> La foule ;
» Il roule ,
» Il paffe ,
» Caſſe ,
» Fracaffe,
» La glace ,
» D'un vis-à -vis.
» Arrête , arrête , M. le Marquis ,
Marchand du quartier S. Denis ;
V' là l'zaventures ›
Lure , lure , lure , lure ,
V' là l'zaventures
De Paris.
7
Cerefrein fert à plufieurs couplers d'une critique
gaye & fans fiel . Jacot & Javotte forment avec
le Chanfonnier un trio pour marchander & achejer
fes Chanfons.
A cette Scène fuccéde celle d'un Procureur & de
fa femme qui veulent prendre place fur un
SEPTEMBRE. 1763.
183
Echaffaut, pour mieux jouir du coup d'oeil de la Pla
ce. Javotte en embarraffe l'entrée , la Procureufe s'en
plaint avec cette hauteur qu'une Bourgeoile affecte
pour les gens du Peuple. La Loueufe de chaife dit
qu'elle va appeller un Suiffe pour faire faire paffage.
La querelle s'engage entre Javote , la Procureuſe, le
Procureur & le Suiffe ; dans cette Scène ou le Jargon
Poitlardeft très-bien imité, Javotte n'épargne pas
tous les farcalmes que fouvent les Gens de ſon eſpèce
mployent lorsque l'efprit naturel eft échauffé par
un peu de colère . La Procureufe quitte la partie
pour aller s'évanouir , & Javotte triomphante s'égaye
fur le compte du Procureur. C'eft après
cette Scène que l'on avoit replacé celle du faux
Abbé & de la petite Bourgeoife précieuſe , que
nous avons tranfcrite prèſqu'en entier dans le volume
où nous avons rendu compte des Fêtes de la
Paix.
La Mufique de ces Scènes a fait le plus grand
plaifir.
On a continué fur ce même Théâtre
avec un fuccès très - foutenu , les deux
Chaffeurs & la Laitière,Fables dialoguées
mêlées d'Ariettes .
Le bon goût qui a infpiré l'idée de
mettre au Théâtre ces deux jolies Fables
du plus naïf & du plus élégant de
nos Poëtes , femble avoir conduit auffi
l'Auteur de ce Drame à ne point charger
ce fujet d'épifodes & d'intrigues
étrangères à fon texte ; il n'a fait que le
mettre en action de la manière la plus
naturelle , & qui en devient par-là trèsagréable
.
184 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne donnerons qu'une très- légere
idée feulement du moyen qu'a
pris
pris l'Auteur Dramatique , pour réunir
les actions de ces deux Fables en une..
Colas & Guillot font des Payfans fort pau
vres , qui le font affociés pour tuer l'Ours dont
ils comptent vendre la peau. L'un d'eux a dejà
emprunté du vin fur le prix qu'ils croyent en
retirer , & l'autre l'aide à le boire. Ils s'impatientent
de ne pas voir paroître cet Ours , en
fe promettant chacun l'honneur de le mettre à
bas . Mais aux approches de l'Animal ils ſont
toujours faifis de frayeur , & chacun prend des
prétextes pour fe dérober au danger . Pendant
que Colas eft à la quête de l'Ours , Guillot , qui
fe plaint de la maladreffe de fon Camarade
qui leur a fait manquer cette proie , s'amuſe à
fumer. Il apperçoit une femme , c'eſt Perrette
la Laitiére , qui va vendre ſon lait au marché.
Il lui conte fleurette ; mais Perrette le dédaigne
à cause de la mifére où elle le voit. Elle fait
l'énumération de tout ce que lui vaudra fon lait :
dans le projet économique qu'elle détaille elle
aura des poulets ; de l'argent des poulets , des
brebis , les brebis , en multipliant , feront un
troupeau des produits du troupeau des vaches
& des chevaux &c. Guillot fe vante auffi de
l'argent qui lui reviendra de l'Ours , Perrette
s'en moque , parce qu'il ne tient pas l'Ours &
qu'elle tient fon lait ; fur quoi elle quitte le
pauvre Chaffeur pour continuer fa route. Enfin
Colas revient pouſuivi par l'Ours ; Guillot fe
fauve fur un arbre ; Colas , tombe par terre &
fait le mort. Voilà l'Ours manqué deux fois .
Colas , qui a penſé en être la victime , s'eft fauvé
SEPTEMBRE. 1763 . 185
>
fur une mazure où il s'eft endormi . Guillot def
cendu de fon arbre , ne fçait où eft fon camarade
; parce qu'il a cherché à s'éloigner du voifimage
de cet Ours. La petite Laitiére a renversé
fon pot & répandu tout le lait qu'il contenoit ;
elle revient , en pleurant fon malheur. Guillot de
fon côté dans fon défeſpoir ne voit plus d'autre
parti pour lui que de fe pendre avec fon Baudrier
qui doit lui fervir de licol . En voulant
l'attacher pour cela à la mafure les coups qu'il
donne pour y enfoncer un morceau de bois la
font tomber , & Colas tombe avec la mafure. Les
trois Perfonnages de l'action fe trouvant enſemble
, déplorent leur défaftre. Guillot preffe la
Laitiere de l'époufer au moins par charité , &
ne fût-ce que pour garder les moutons . Perrette
eft devenue moins fière , & tous trois reconnoiffent
qu'il ne faut pas trop compter fur des efpérances
mal fondées. Colas leur dit que l'Ours
lui a parlé. On le preffe de rapporter ce qu'il
lui a dit . c'eſt une leçon qu'il n'oubliera jamais.
Cette leçon eft la moralité de la Fable qui établit
les refreins d'un joli Vaudeville par lequel .
cette Piéce eft terminée..
Colas chante le premier Couplet .
» J'étois gifant à cette place ,
» Et je tremblois de tout mon coeur
» Pour aujourd'hui je te fais grace ,
» M'a-t- il dit , calme ta frayeur.
» Mais va- t- en dire à ton Confrère
» Qu'un fol eſpoir trompe toujours &
» Et ne vendez la peau de l'Ours
» Qu'après l'avoir couché par terre..
"
186 MERCURE DE FRANCE.
·
Dans le nombre des autres Couples
Perrette chante celui- ci :
Sur la vertu la plus auftère ,
Un Epoux fonde fon bonheur ;
Il croit que fa femme préfére
Aux faux plaifirs fon cher honneur.
Pauvres Maris n'y comptez guère ,
Un Amant s'empare du coeur ;
La tête
tourne , & par malheur
Voila le por au lait par terre.
Les paroles de cette Piéce font de M.
ANSEAUME. La Mufique,de M. DUNI,
eft applaudie avec d'autant plus de juftice
, qu'elle a le fuffrage du fentiment naturel
. On retrouve particuliérement dans
cet Ouvrage le caractère de chant par
lequel cet Auteur , Italien de Nation ,
s'étoit annoncé dans fes premiers Ouvrages,
qui confifte en une jufteffe d'expreffion
& des grâces plus analogues au
caractère de notre langue , que dans la
Mufique imitatrice du genre Italien que
plufieurs Muficiens François ont affecté
d'adopter.
Le To, on a donné la première fepréfentation
des Deux Talens , Comédie
en 2 Actes mêlée d'Ariettes , par M.
SEPTEMBRE. 1763. 187
BASTIDE . Cette Piéce n'a eu que deux
repréſentations , elle a été fufpendue ,
& l'on attend la repriſe pour en rendre
compte.
N. B. La Piéce des Deux Chaffeurs & la Laitière
par M. Anfeaume , Mufique de M. Dani ,
fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques , 24 f
avec la Mufique.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
Lundi
E Lundi
15 Août
, Fête de l'Affomp-
IS
tion , il y a eu Concert
Spirituel
. M.
Duport
a exécuté
une Sonate
de Violoncelle
avec
les
applaudiffemens
&
l'admiration
que la fingularité
de fon
talent
eft en poffeffion
de mériter
. Mlle
Bernard
& Mlle
Hardi
ont chanté
. Le
Concert
a fini par le Te Deum
, nouveau
Motet
de M. Dauvergne
. De l'aveu
de
tous
les Maîtres
de l'Art , fans
aucune
reſtriction
, & fans les funeftes
mais qui
accompagnent
les éloges
les plus flatteurs
, ce Motet
a été le ſujet
d'une
admiration
& d'un plaifir
continuels
. Quoique
le Muficien
ait employé
tous les
verfets
de l'Hymne
, ce Motet
,felon tous
les Auditeurs
, a paru très- court. On ne
188 MERCURE DE FRANCE.
peut , d'après le rapport général du
Public , trouver réuni dans un même
Ouvrage , plus de variété , de grâces ,
de jufteffe & d'énergie d'expreffion.
Le verfet entre autres Judex crederis effe
venturus eft d'une beauté fublime . Il
paroît qu'il y a eu peu d'ouvrages de ce
genre , fur lequel les fuffrages ayent jamais
été fi unanimes.
,
SPECTACLES A COMPIEGNE .
COMM OMME le privilège des Spectacles
dans la Ville de Compiègne a été accordé
au Sr Préville , de la Comédie Françoife
, plufieurs d'entre fes Camarades y
ont fait des voyages , ainfi que lui, poury
repréfenter quelquefois , & faire valoir
par là ce Théâtre , occupé par une Troupe
de Province. Mlle Dubois entre-autres
, dans les derniers jours du voyage a
joué dans plufieurs Tragédies ; elle a
particuliérement dans Tancréde , juftifré
les conjectures que nous avons eu fouvent
occafion de publier fur le grand
talent auquel fes heureufes difpofitions
fembloient l'appeller. Elle a donné, nonfeulement
dans le rôle d'Aménaïde , des
SEPTEMBRE. 1763 . 189
preuves du progrès qu'elle a fait depuis
quelque temps , mais elle y a joint aux
avantages naturels de fa Figure & du
plus bel organe , des traits d'un Art qui
feroithonneur à l'Actrice la plus confommée
; le fentiment & l'intelligence paroiffent
actuellement décider en elle l'efpoir
bien fondé de faire un jour le foutien
de la Scène Françoife , dans le
grand genre , fi elle continue les foins
& l'application dont on apperçoit déjà le
fruit.
Nous avons vu par nous-mêmes fur
ce Théâtre , le bon effet que produit
la repréſentation de l'échafaud dreffé
pour le fupplice d'Aménaïde. Il nous a
paru tel que l'avoit fait repréſenter M.
Bernaud à Rouen . Cet acceffoire néceffaire
à la vérité de l'action tragique eft
très-pittorefquement & très- ingénieufement
pratiqué, en forte qu'il n'offre point
ce qu'on auroit à craindre de hideux dans
ce Spectacle.Nous ignorons par quelle timide
confidération on n'employe pas fur
le Théâtre de Paris le moyen de donner
à la Scène pathétique que préfente cette
Tragédie , toute la belle horreur dont
elle eft fufceptible.
190 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
MONUMENS PUBLICS.
ANECDOTES Hiftoriques concernant
la Place de LOUIS XV. & la
P
Statue Équestre , érigée dans cette
Place.
AR délibération du Bureau de la
Ville , du 27 Juin 1748 , il fut arrêté
que l'on demanderoit au Roi , la permiffion
d'ériger un Monument à fa
gloire & à l'amour de fes Sujets.
En conféquence de la permiffion de
Sa Majefté , il fut paffé le 23 Octobre
1749 , un marché avec M. Bouchardon,
pour la fculpture des modèles d'une
Statue Equeftre repréſentant la Perſonne
du Roi , de quatre figures en forme
de Cariatides & des autres ornemens
pour le Piedeſtal.
Le 25 du même mois & dans la même
année , il fut paffé un autre marché pour
la fonte de tous ces ouvrages avec les
fieurs Varin , auxquels a fuccédé le
fieur Gor.
On éleva dans le Parc de Verſailles
}
SEPTEMBRE. 1763 .
191 .
un bâtiment en charpente , fuivant le
devis qui en avoit été arrêté le 25 Septembre
1754 , dans lequel fut conftruit
un modèle en petit , de l'enceinte de la
Place déterminée par le Roi , avec l'élévation
des Corps de bâtimens , revêtiffemens
des foflés . Baluftrades , grands
Socles ou Guérites , & de tous les acceffoires
ainfi que de la Statue Equeftre
avec fon Piedeſtal.
Le Plan & Defcription de cette Place
furent définitivement approuvés par le
Roi le 9 Décembre de l'année 1755.
En 1757 , le Roi accorda des Lettres
Patentes , par lefquelles Sa Majeſté fit ,
don à la Ville de l'entier emplacement ,
fitué entre le foffé des Thuileries & les
Champs Elysées , pour la formation &
conftruction de la Place.
Tous les travaux relatifs à la fonte de
la Statue Équeftre étant achevés , & le
Bureau de la Ville en ayant été informé
par M, Bouchardon , Sculpteur, & par le
fieur Gor , Fondeur , M. Maritz , Cons
miffaire général des fontes de l'Artillerie
du Royaume , ayant donné fes derniers
avis , à quoi il avoit été invité par le Bureau
, le jour du coulage de la matière
fut fixé au Samedi 6 Mai 1758; M.de Ber
Confeiller d'Etat , & c. alors Prénage,
192 MERCURE DE FRANCE.
à
vôt des Marchands , & pendant la Magiftrature
duquel tout ce qu'on vient de
rapporter avoit été fait , alla à Verſailles
informer le Roi de ce jour fi important
à la perfection de l'Ouvrage. If en fit
donner avis auffi , tant aux gens de l'Art,
qu'aux Perfonnes de la Cour qui avoient
paru defirer être préfentes à cette opération
. M. le Gouverneur y fut auffi invité.
Le coulage commença 5 heures
après midi , & ne dura que 7 minutes &
deux fecondes. En voyant que la matière
étoit remontée jufqu'à l'embouchure
de tous les évents, on fut affuré que
cette fonte avoit eu tout le fuccès poffible.
On ne peut exprimer la fatisfaction
que répandit dans toute l'affemblée cette
heureuſe réuffite ; chacun la témoigna
en embraffant le célébre Artiſte , Auteur
de la Statue (a) & l'habile Fondeur
(b) qui venoit de donner une preuve fi
glorieufe de fon intelligence & de fes
foins. Cette joie manifeftée dans le premier
moment, & dans l'intérieur des Atteliers
( c ) , par des acclamations de
( a ) M. Bouchardon .
(b ) Le fieur Gor.
( c) Conftruits au Roule,
VIVESEPTEMBRE.
1763 ) 193
VIVE LE ROI , le fut bientôt au Public .
par le bruit des Boëtes que l'on avoit
placées hors de l'enceinte des Atteliers du
côté des Champs Elysées.
Le lendemain , M. le Prévôt des Marchands
alla rendre compte au Roi du
fuccès de la Fonte , & de la joie qu'en
avoient marquée les Citoyens . Sa Majefté
eut la bonté de donner à M. le Prévôt
des Marchands & à toute la Ville , en fa
perfonne , des témoignages flatteurs de
fa fatisfaction .
Le Bureau de la Ville ayant , avec l'agrément
du Roi , fait tous les préparatifs
pour l'Inauguration de la Statue que
Sa Majefté avoit permis qu'on lui érigeât
, M. de Bernage , encore Prévôt
des Marchands , pria M. le Comte de
S. Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat
ayant le département de Paris , d'en´
rendre compte au Roi & de prendre fes
derniers ordres à ce fujet : mais S. M.
par un effet de fes bontés paternelles , en
différa l'exécution jufques à la publication
de la Paix , & M. le Comte de
S. Florentin en inftruifit le Bureau de
la Ville , par une lettre datée du 14
Juillet 1758 , qu'il adreflà à M. le Prévôti
des Marchands..
Par cette lettre le Miniftre dit qu'a-
I
194
MERCURE DE FRANCE .
près avoir rendu compte au Roi des dif
pofitions qui avoient été faites , Sa Majefté
auroit fouhaité donner au Corps
de Ville , dans ce temps , la fatisfaction
de voir pofer un Monument de fon
zéle. Que Sa Majesté étoit fi fenfible .
aux preuves quelle reçoit en toutes occafions
du zéle de ce Corps pour fa Perfonne
& pour fon fervice , qu'elle ſer
toujours difpofée à lui donner des mar
ques de fa bienveillance & de fa protection
; mais que la derniere paix ayant
été l'époque , où le Bureau de la Ville
a formé le voeu d'élever cette Statue ,
s'il plaifoit à Sa Majefté l'agréer , elle de
firoit que l'on différât de la placer , juf
qu'à la paix qu'elle ne négligeroit aucun
moyen de procurer à fes Sujets.
Qu'indépendament des dépenfes que Sa
Majefté avoit intention d'éviter à la
Ville dans les circonftances actuelles ,
celle de la Paix donneroit naturellement
lieu à des fêtes ; & que ce moment feroit
celui où Sa Majefté auroit le plus agréable
de leur procurer la fatisfaction de
voir poter la Statue dans la Place qui
lui fera dédiée. Le Miniftre finit cette
lettre par un témoignage trop hono
rable au Magiftrat auquel elle étoit
SEPTEMBRE. 1763. 195
adreffée , pour ne pas le rapporter en entier.
»
» Vous connoiffez trop , Monfieur
les fentimens que Sa Majefté a pour
» vous en particulier , pour que vous
ne deviez pas être perfuadé qu'Elle
auroit été fort aife que votre Prévôté
» eût été terminée par la cérémonie de
» l'élévation du Monument , auquel
» vous avez tant de part & pour lequel
vous vous étes donné des foins fi af
» fidus. Sa Majefté m'a ordonné de
» vous marquer qu'Elle confervera tou-
» jours le fouvenir de votre zéle pour
fa Perfonne & pour fon fervice.
» Je vous prie d'être perfuadé &c. &c .
Nous avons cru devoir conferver ici
les motifs qui ont fait différer l'érection
& l'inauguration de ce Monument du
zéle & de l'amour des François pour la
Gloire & pour la Perfonne du Roi juf
ques à l'époque de cette préfente année,
pendant la Prévôté de M. de Pontcarre
de Viarmes , qui fera toujours célébre
par l'augufte Solemnité & par les Fêtes
dont nous avons rendu compte dans
les précédens Mercures.
M. Lempereur , ci - devant premier Echevin ,
Doyen de MM . les Confeillers du Roi , Quartiniers
de la Ville de Paris , ayant été chargé pen-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
dant deux années de fon Echevinage , de l'inſpec
tion & conduite de tous les travaux qui ont précédé
& accompagné la fonte de la Figure équestre
du Roi , ainfi que de ceux qui l'ont fuivi depuis
qu'il n'eſt plus en place , a été auffi engagé par
Monfieur de Bernage , lors Prévôt des Marchands
& par MM. les Echevins fes Collégues , de tranſmettre
à la postérité , toutes les opérations qui
ont été faites à ce fujet ; il travaille actuellement
à cet ouvrage qui eſt déjà avancé , il ſera orné
d'un grand nombre de Planches dont les deffeins
ont été faits fous les yeux. L'on eſpere que cette
defcription qui expofera les détails les plus exacts
pourra être finie dans le courant de l'année
prochaine.
N. B. Par juftice & par reconnoiffance
nous avons dû conferver à la mémoire
future , tout ce que la Ville a fait
de remarquable dans ces derniers tems.
Ses Magiftrats non contens de pourvoir
à la fubfiftance matérielle des Citoyens,
ont voulu affimiler l'Edilité municipale
aux grands objets de celle des Romains.
Le Bureau vient d'établir tout
ce qui eft néceffaire à l'entretien & à
l'accroiffement d'une Bibliothéque publique
, héritage d'un de fes principaux
Officiers. En dernier lieu , confidérant
combien il étoit intéreffant pour les Lettres
de contribuer à foutenir un Journal,
fur lequel la protection bienfaifante
du Roi a affigné le fond le plus confiSEPTEMBRE.
1763. 197
dérable des récompenfes deftinées à
ceux qui s'y diftinguent , la Ville de
Paris , en foufcrivant pour un nombre
de volumes du Mercure , vient de donner
un exemple trop louable pour n'en
pas faire mention . Elle fait par là un acte
de Mère, en concourant au foutien d'un
établiffement auquel fes enfans peuvent
avoir part. Toutes les grandes Villes
du Royaume pourroient avoir les mêmes
motifs , puifque leurs Citoyens ont
autant de droit à prétendre aux récom
penfes littéraires.
DESCRIPTION des Tableaux expofés
au Salon du Louvre , avec des
Remarques,
Par la Société des Amateurs.
VOILA la troifiéme fois que notre
Société a occafion de s'occuper des
Tableaux expofés au Salon . Comme
nous n'avons jamais brigué lâchement
le trifte fuffrage de certains Lecteurs
qui ne cherchent dans les Ecrits publics
que ce qui peut nourrir leur fecret
penchant à déprimer le Siécle
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
& les Contemporains , nous ne nous
refuferons pas au plaifir d'annoncer
qu'en général , dans cette dernière
expofition la Peinture de l'École
Françoife paroît à tous les Connoiffeurs
être montée à un nouveau degré
de force & de grandeur , dans le
coloris ainfi que dans la compofition .
En confidérant ce pompeux Spectacle
de nos Arts en France , où tous les
deux ans fe renouvellent de fi abondantes
richeffes , nous oferons interroger
les fombres contempteurs de leur
âge & de leur Nation ; nous leur demanderons
dans quelle région du monde
& fous quel gouvernement on pourroit,
dans une même Ville, rencontrer ce
nombre de Talens raffemblés fourniffant
dans un auffi court efpace de temps
une pareille Collection de tous les
genres ?
*
Une émulation fi vive & fi univerfelle
dans nos Arts ne peut être que le fruit
de l'augufte protection du Souverain
& de la vigilance éclairée de celui qui eft
en même temps fur cette partie l'organe
d'un Monarque bienfaifant & le
fage difpenfateur de fes graces. (a)
( ) M. le Marquis de Marigni.
SEPTEMBRE. 1763. 199.
Les Arts , comme les Lettres , ne
peuvent s'acquitter envers leurs protecteurs
qu'en éternifant , pour ainfi dire
la mémoire le leurs bienfaits. Les monumens
des Arts ont , il faut en convenir
, des avantages pour cela , qui préfentent
d'abord quelque chofe de plus
éclatant ; mais ils font plus périffables
& bien moins étendus que ceux des
Lettres. Les unes & les autres doivent
donc fe prêter un mutuel fecours pour
un devoir auffi refpectable.
Ainfi loin de déférer au fentiment de
ceux qui croiroient que les écrivains ne
doivent point traiter de ce qui concer
-ne les Arts , il faut au contraire con
ferver, & même avec détails , dans tous
les Faftes littéraires, la gloire de leurs productions.
>
com-
D'après nos principes invariables , on
ne doit pas compter que nous foions.
jamais , dans nos obfervations
plices de la jaloufie des concurrens , de
la maligne caufticité de quelques uns
des Spectateurs , ou des fauffes façons
de voir de quelques autres : mais on ne
doit pas non plus s'attendre de notre
part , à des éloges indiftinctement prodigués
à la prévention ou même à la célébrité
des plus illuftres Artiſtes ; ainf
I iy
200 MERCURE DE FRANCE.
qu'aux prétentions fans bornes de l'amour-
propre .
Nous ferons en forte de donner une
idée auffi exacte.qu'il eft poffible de
ces précieuſes productions , à ceux de
nos Lecteurs qui ne font pas à portée de
les connoître par leurs propres yeux ; en
même temps , de guider & de fixer l'attention
de ceux qui partagent avec nous
le plaifir de ce Spectacle , fur les parties
que nous croirons qui diftinguent le
mérite de chaque ouvrage en particu
lier. Quant aux défauts réels , ( triſte
condition impofée à tout ouvrage hu
main ! ) fans les avoir indiqués par nos
obfervations , ceux qui auront vû le Salon
ne les auront que trop remarqués
eux-mêmes , & il doit être indifférent
aux autres d'en être informés par la voie
d'une critique amére. D'ailleurs il y a
toujours entre la fagacité du Lecteur
intelligent & la prudence de l'Ecrivain
moderé , un chiffre de correfpondance
qui eft fuffifamment intelligible .
Nous croyons n'avoir pas d'ordre
plus naturel à fuivre dans le compte
que nous allons rendre , que celui du
Catalogue imprimé , qui fe débite &
qui eft en même temps celui des rangs
académiques de tous les Artiftes qui
vi I
SEPTEMBRE . 1763. 201
ont contribué à enrichir cette expofition
publique .
M. CARLE VANLOO , premier Peintre
du Roi , a expofé plufieurs Tableaux.
On peut remarquer dans celui
des Grâces ( a ) enchaînées par l'Amour,
les efforts d'un grandPeintre , déja fi juftement
célébre par la beauté de fon coloris,
pour le monter(en s'exprimant felon l'art)
aun ton encore plus élevé & répondre par
là au voeu de plufieurs Connoiffeurs qui
fe plaignoient depuis quelque temps de
ce que ce ton paroiffoit en général s'être
un peu affoibli dans notre Ecole. Ce
Peintre a toujours confervé cependant
cette fraîcheur , cette fonte & cette forte
d'aménité qui caractériſent fon pinceau ,
même dans les plus fortes expreffions.
Il y a de belles maffes de lumières.
dans fon Tableau ; & l'Auteur a placé
ingénieufement un rideau qui en procu
rant d'autres belles maffes d'ombres, don
ne un effet très-piquant à fes trois figur
res , lefquelles fans ce moyen , auroient
pû devenir monotones par l'égalité des
tons dans les carnations . C'eft particu
(b) Tableau de pieds 6 pouces de haup
fur 6 pieds 3 pouces de large. Ce Tableau et
pour la Pologne.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
liérement dans ces effets en Peinture,
que ceux qui ne font pas attention aur
moyens propres de cet Art, devroient
être fort circonfpects à prononcer ſu
ce qu'ils croyent être en droit de juger
par rapport aux imitations de la Nature
Entre ces trois Figures des Grâces, celle
du milieu ſe diſtingue par la beauté des
proportions & par l'élégante manièr
dont elle eft deffinée .
par
On doit fçavoir gré auffi à M. Van
loo , du moyen agréable dont il s'ef:
fervi
,, pour voiler les mains de l'Amour
même , ce que la décence ne permettoit
pas d'offrir aux yeux , en difpo
fant adroitement les guirlandes dont cet
Amour enchaîne les Graces.
J
Dans un autre Tableau du même Auteur
, de trois pieds huit pouces de largeur
fur deux pieds fept pouces de hau
teur appartenant à M. le Marquis de
Marigny , l'invention allégorique &
l'exécution pittorefque fe difputent d'a
grément. Il repréfente le Dieu Cupidon,
ou un principal Amour commandant
l'exercice militaire à une troupe d'au
tres Amours placés en ligne, & en face de
lui , vus prefque de profil par le Spec
tateur. Ils font en cuiraffe, à la françoife,
Les ailes paffant à travers & le cafque
SEPTEMBRE . 1763. 203
en tête ; ils ont des fournimens , pareils
à ceux de nos troupes , fur lefquels eft
empreinte la figure d'un coeur.Cette trou
pe eft armée de fufils la bayonnette
au bout , & l'inftant de l'exercice dans
le tableau , eft celui où l'on préfente
dles armes . Un autre troupe d'Amours
armés de fabres , vêtus & coiffés en huffards
, avance de face au Spectateur fur
" un plan inférieur & plus éloigné que la
première troupe . Derriere le principal
Amour , il y en a d'autres en différentes
attitudes & tous occupés relativement
au fujet du tableau , dont le fond orné
d'un fort joli temple , produit un afpect
riche & agréable .
"
On remarque , avec plaifir , que le
Peintre s'eft attaché à répandre fur le
Chef des Amours un éclat qui le diftingue
& en défigne très - bien la fupériorité.
A l'égard des autres , fi notre
imagination conçoit les Amours comme
des Divinités , pour ainfi dire , d'une
même famille & d'une même forte de
beauté , feroit-on en droit de leur reprocher
un peu de conformité dans les
caractères de tête ?
. On voit auffi de M. VANLOO un
Tableau ovale peint en cire , repréſentant
à mi- corps , la Veftale qui porte
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE .
dans un crible l'eau du Tibre pour
prouver fon innocence. Cette figure
-vêtue en blanc eft d'un beau caractère
qui indique l'action merveilleuſe du
Sujet. (c )
Il y a auffi du même Auteur deux
petites Têtes peintes en cire , dont on
-ne peut trop louer l'agrément.
Loin que ce foit par refpe&t feulement
pour l'âge de M. Reftout , ancien Directeur
, c'eft par le mérite très-réel de
fes admirables ouvrages , que nous
avons été entraînés , pour ainfi dire, avec
fes Confrères & tous les Connoiffeurs,
à leur rendre un hommage qui n'eft
pas éloigné de la vénération .
Le premier de ces ouvrages , eft un
fort grand Tableau , pour le Roi , deſtiné
à être exécuté en tapifferie dans la Manufacture
des Gobelins. Il repréſente
Orphée defcendu aux enfers pour en
arracher Eurydice. Pluton & Proferpine
affis fur l'entrée d'une caverne , fermée
par de forts grillages , entre le Ténare &
les Champs Elyfées , font accompagnés
des trois Juges des Enfers. Les Parques
font groupées dans le bas. En devant
on voit Eurydice entre les mains d'un
(c) Ce Tableau eft du Cabinet de Madame
de Pompadour.
SEPTEMBRE . 1763. 20$
·
Miniftre infernal fous la forme d'un
Spectre aîlé ; Orphée eft derriere elle ,
touchant fa lyre.
Le deuxième repréfente le repas donné
par Afuerus , aux Grands de fon
Royaume. On ne fçauroit affez applaudir
à la manière ingénieufe & fça-
-vante de la compofition de ce Sujet ,
dans une forme auffi ingratte que celle
d'un demi- ceintre , évidé dans la partie
inférieure , pour l'ouverture d'une porte,
& en tout abfolument pareil à la forme
d'éventail .
Le Sujet du troifiéme , de fept pieds
fept pouces de large fur neuf pieds de
haut , eft l'évanouiffement d'Efther en
approchant du Trône dAffuerus ( d) .
On ne peut trop inviter le Public à
reconnoître dans les nouvelles productions
de ce grand Maître , des beautés
que l'on feroit peut - être fondé à dire
qui le rendent aujourd'hui prèfque fupérieur
à lui-même, dans les plus beaux
jours de fon âge, & de fes talens . On
convient généralement qu'il réunit dans
ces trois Tableaux , au plus grand degré
de perfection , ce qui a toujours caracté
rifé fon grand talent. La plus belle &
( d ) Ces deux derniers Tableaux font pour la
maifon des Feuillans , rue Saint- Honoré,
266 MÈRCURE DE FRANCE.
•
tout
la plus grande harmonie dans tous les
effets de ces Tableaux les rendent d'une
jufteffe & d'une vérité qui fatisfont également
les yeux & le jugement . Les pofitions
des plans y font fi juftes , & fi
vraies, qu'à l'aide du parfait accord dans
le coloris , tout eft diftin&t
eft à fa véritable place , & tout eft cependant
uni & , pour ainfi dire, enchaîné
enfemble, par le grand art de cette harmonie
pittorefque. En un mot ,
Peintre aura la gloire d'avoir laiffé à
notre Ecole , les modéles des plus beaux
principes de compofition & des plus
juftes effets du coloris.
T
"
ce
'N. B. Les bornes de ce Journal obligent
à remettre la fuite de cette def
cription au prochain Mercure. Mais
pour fatisfaire fur cela le jufte empreffement
des Lecteurs , on la diftribuera
, féparément en entier dans l
courant de ce mois par une Brochure
d'extraordinaire, qui fe trouvera au Bureau
du Mercure , rue Ste Anne
chez les Libraires accoutumés.
&
4.1 J
༈། འ
SEPTEMBRE. 1763. 207
AVERTISSEMENT DE M. DE VOLTAIRE .
J. fuis obligé d'avertir tous ceux qui ont foufcrit
pour les OEuvres du Grand Corneille , que j'ai
rempli toute la tâche que je m'étois impofée ; que
toutes les Tragédies , ainfi que l'Arianne , & le
Comte d'Effex , de Thomas , fon frère , font imprimées
avec un Commentaire ; que ceux qui
voudront ou foufcrire , ou demander des éclaircillemens
, peuvent s'adreffer au fieur Cramer ,
Libraire à Genève.
Je faifis cette occafion pour faire fçavoir qu'on
débite continuellement à Paris , fous mon nom ,
plufieurs Ouvrages , dont , non-feulement je ne
fuis point l'Auteur , mais que même je n'ai jamais
vus.
;
J'avertis auffi qu'une Comédie , intitulée le
Droit du Seigneur , qu'on débite depuis quelques
jours , n'eft point telle que je l'ai faite qu'elle
eft entiérement défigurée ; que je n'ai fait préſent
de mes Ouvrages qu'au fieur Cramer, & qu'on ne
doit regarder comme mes Ouvrages , aucun de
ceux qui ne font pas de fon Imprimerie.
A Genève, 23 Aoust 1763 , Signé VOLTAIRE,
208 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VII.
NOUVELLES POLITIQUES.
De WARSOVIE , le 2 Juillet 1763.
On a appris que le Roi de Prufſe , inftruit des
défordres qui ont été commis en fon nom , &
auxquels il n'avoit pas voulu ajouter foi , a caffé
la Commiffion établie à Driefon : le Bourguemaltre
Mutmann , a été conduit prifonnier à Stettin ,
& plufieurs autres Officiers ont été arrêtés. Sa
Majefté Pruffienne a chargé en même temps la
Régence de Cuſtrin de faire reſtituer tous les effets
appartenans aux Polonois , qui ſe crouveront à
Driefen. Les Troupes Pruffiennes ont eu les of
dres les plus pofitifs de fe retirer des Terres de Pologne
, où il ne doit reſter qu'un petit Corps deftiné
à eſcorter le refte des Prifonniers Autrichiens ,
& dont on á formé un cordon , avec défenſe ,
fous peine de la vie , à tour Soldat de s'écarter da
pofte qui lui eft affigné.
DeSCHEMNITZ , dans la Haute- Hongrie ,
Le 29 Juin 1763.
HIER, fur les deux heures après minuit , on
fentit un tremblement de Terre qui jetta les Habitans
de cette ville dans la plus grande confter
nation : l'air étoit alors ferein & tranquille . La
première fut fuivie d'une feconde , vers les cinq
heures , & d'une troifiéme , vingt - huit minutes
après. On aremarqué qu'un Baromètre qui , lors
SEPTEMBRE. 1763. 209
du tremblement de Terre de Lisbonne , du premier
Novembre 1755 , avoit baiflé confidérablement
, quoique ce tremblement ne ſe fut fait
pas
fentir ici , n'a point été agité par ces dernières fecouffes
, & qu'il eft resté à la même hauteur où
'il étoit auparavant. Une des fecouffes a été cependant
affez forte pour détacher d'un aimant ,
un morceau de fer qui y étoit ſuſpendu . C'eſt une
chofe affez finguliere , que ce tremblement de
Terre n'ait pas été reffenti dans plufieurs de nos
mines , quoiqu'il y eût plus de huit cens hommes
occupés à travailler dans les fouterrains , au mo
ment même où la terre a été agitée .
De VIENNE, le 9 Juillet 1763.
On a reçu ici la nouvelle d'un tremblement de
Terre que l'on reffentit à Comorre le 28 du mois
dernier.
La première fecouffe fe fit fentir à cinq heures
du matin : l'allarme fut bientôt génerale , & la
plupart des habitans forrirent précipitamment de
la ville. A cinq heures vingt-deux à vingt-trois minutes
, il y eut une feconde fecouffe accompa
gnée d'un bruit fouterrain , laquelle dura une minute
& demie ; l'ébranlement fut fi confidérable ,
que les murs des Eglifes , des principaux Edifices ,
& de prefque toutes les Mailons des Particuliers
furent entr'ouverts ; la plupart des toits , des voutes
& des planchers tombèrent ' ; l'Eglife des Jéfaites
fut entiérement ruinée , la Tour s'écroula ,
& leur maiſon fut extrêmement endommagée ; le
Couvent des Récolets fut encore plus maltraité ;
tous les Autels de l'Eglife furent renversés ; la
voûte entiérement tomba , & écrafa plufieurs perfonnes
qui atfiftoient à la Melle . La Tour de l'Hô-
' tel- de- Ville s'écroula , & enfevelit beaucoup de
BIO MERCURE DE FRANCE.
monde fous les ruines ; on ignore encore le nor
bre de ceux qui ont péri : on a déjà retiré de deffous
les décombres cinquante- quatre morts , &
l'on évalue a deux cens perfonnes le nombre des
bleffés . Plus des deux tiers des Habitans , fe font
ou fauvés dans le plat Pays , ou réfugiés far des
bateaux , le Service Divin le fait fous des espèces
de Hangards. On a manqué de vivres pendant
quelques jours , & dans ces circonftances , les
Communautés voifines le font empreffées de faire
paffer aux malheureux Habitans de cette ville ,
du pain & une quantité confidérable de farine. La
terre n'étoit pas encore calmée le 4 de ce mois , &
l'on avoit compté jufqu'alors quatre - vingt - dix
fecouffes. On a remarqué le long du Danube plufieurs
endroits d'où jaillifoit de la groffeur du bras
& de la hauteur d'environ cinq pieds , une eau
'mêlée d'un fable bleuâtre & fin , imprégné d'une
deur de fouffre.
1 .
Du 21.
Sa Majefté Impériale & Royale a réfolu de faire
rebâtir , le plutôt qu'il fera poffible , la ville de
Comorre, & en conféquence, les Habitans ont ordre
de ne pas fe tranſporter ailleurs . L'Hôtel que
l'on bâtiffoit pour le Prince de Saxe , nomné
Gouverneur de cette ville , étant du nombre des
Edifices que le tremblement de terre y a détruits :
ce Prince fera fa réfidence ordinaire à Presbourg.
Suivant les derniéres Lettres arrivées de Comorre ,
on y entendoit encore le 7 & le 8 des bruits fonterrains.
Par la première fecouffe du 28Jain , le
clocher de l'Eglife de Saint-Jean Chryfoftôme a
été entiérement détruit , & les cloches brifées ; le
plus haut étage du Couvent des Pères Trinitaires
a été renverlé , & il eft tombé quelques pourres.
SEPTEMBRE . 1763 . 211
du haut de leur Eglife , près du grand Autel , aux
environs duquel étoient plufieurs de ces Religieux,
qui cependant n'ont point été bleffés.
Du
27.
Il nous vient chaque jour de nouveaux détails
du défaftre de Comorre. Des Lettres du 23 de
ce mois portent que la terre n'eft point encore,
raffermie , & qu'on y éprouvoit fréquemment
des fecouffes affez violentes . Le 23 , on en avoit
elluyé deux , & on en comptoit depuis le 29 du
mois dernier jufqu'à ce jour cent dix à cent douze.
Quinze cens maifons font totalement renversées ,
& trois cens font très - endommagées . Les nouvelles
fortifications ont peu fouffert , mais les
anciennes font ruinées en différens endroits. On
écrit qu'une maison bâtie de pierre & élevée de
deux étages a été renversée par une explosion fi
violente que le faîte du toit s'eft enfoncé de dix
pieds en terre. On eft occupé à abbattre la Tour
de Gran , dont la partie fupérieure a été foulevéé
par la fecouffe du 19 Juin & n'a pas paru avoir
repris fon aplomb.
Du 3 Août.
Le 29 du mois dernier, on a reffenti à Comorre
une nouvelle fecouffe de tremblement de terre,
qui s'est fait fentir en même temps & avec allez
de violence à Raab.
De BRESLAU , le 6 Juillet 1763 .
Nous apprenons par des lettres de Pologne ,
que le 19 du mois dernier , la petite ville de Brinbaum
a été prèfque entierement confumée par
un Incendie , & qu'il n'y refte plus fur pied que
l'Eglife Luthérienne & quelques majlons.
212 MERCURE DE FRANCE.
De HAMBOURG , le 8 Août 2763 .
Sophie-Charlotte , Princeffe de Holſtein- Beck,
mariée en fecondes nôces à George - Louis Prince
de Holftein-Gottorp Feld- Maréchal au ſervice de
Ruffie , Statthalter & Adminiſtrateur du Holſtein-
Ducal , eft morte hier en cette Ville , âgée de
quarante & un ans : elle avoit épousé en premières
nôces le Burgrave de Dohna- Schlobitten,
& en avoir eu le Comte Dohna , Colonel au
fervice de Pruffe & la Comteffe de Hohenfolms.
11 refte deux Princes du fecond lit.
De HANOV RE, le 15 Juillet 1763.
On vient d'apprendre que Charles-Auguſte-
Frederic , Prince régnant de Waldeck , eft more
à Arolfen , dans la cinquante- neuvième année
de fon âge.
De COBLENT , le 21 Juillet 1763.
L'Electeur de Treves a été élu unanimement
Evêque de Worms , le 20 de ce mois.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
ERRATA.
Dans le Mercure du mois d'Août dernier , page
75 , ligne 20 & fuivantes , lifez Renée de Rieux
que Henri III voulut époufer , étoit niéce de Claude
de Rieux qui avoit épouse le 13 Décembre 1529 >
Sufanne de Bourbon , fille unique de Louis de
Bourbon , Prince de la Rochefuryon , & de Louiſe
de Bourbon Montpenfier.
SEPTEMBRE . 1763 . 1763. 213
J'AI
APPROBATIO N.
'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Septembre 1763 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 31 Août 1763 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
EPITR
ARTICLE PREMIER.
PITRE à M. le Comte Maurice de Bruhll,
Gentilhomme de la Chambre du Roi de
Pologne , &c .
VERS préfentés à Madame la Comteffe
d'Elm....
COUPLETS à Mlle D * L **.
AVERTISSEMENT.
LE TÉLÉMAQUE , Poëme.
La Coup d'oeil .
ÉPITRE à M. Davefne.
LETTRE à Madame de....
À une feule perfonne.
CONTE Moral.
ÉPITRE à Madame la Marquife D....
Pag.S
LES trois Amis & les trois Frères , Conte Moral.
VERS AU Roi.
Le Bouton de Rofe & la Tulipe , Fable.
ΤΟ
II
12
20
22
24
33
34
35
39
ST
ibid.
114 MERCURE DE FRANCE.
EPIGRAMMES.
EPITAPHE d'un Pédant.
VERS de M. D *** fur la mort de fa
foeur.
PLAISANTERIES Angloiſes.
VERS fur le Portrait de Madame de C ***.
LE Loup & la Brebis , Fable,
VERS contre l'Infidélité.
ÉNIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
$3
ibid.
54
57
ibid.
58
62 & 63
63 & 64
66
ART . II. NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure,
LE Confolateur , par M. de S. Suplix.
DISCOURS fur le bonheur des Gens de Lettres.
DISCOURS prononcé dans l'Acad. Royale
des Sciences & Belles- Lettres de Nanci ,
par M. l'Abbé Coyer.
DISCOURS qui a remporté le Prix d'Eloquence
, par M. Bellicard.
L'INTEREST d'un Ouvrage , Difcours prononcé
par M ***
II
81
82
87
87
90
92
95
RECUEIL des Ouvrages qui ont remporté le
Prix à l'Académie des Jeux Floraux , par
M. le Chevalier de la Tremblaye.
POEME aux Anglois à l'occaſion de la Paix
univerfelle ; par M. Peyraud de Beaufol. 97
ANALYSE raifonnée de la Sageffe de Charton.
LES deux Talens , Comédie en deux Actes,
par M. de Baftide,
HORATII Carmina nitori fuo reftituta .
T.Ciceronis , Orator & Dialogi de Oratore
, ad ufam Collegiorum Univerfitatis
Parifienfis.
୨୨
ΙΟΙ
102
103
SEPTEMBRE . 1763 .
215
ANNONCES de Livres."
105 &fuiv.
ARTICLE III.SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
SUITE de l'Eloge hiftorique de M. le Pere.
LETTRE de M. Bourgelat , &c. à l'Auteur du
Mercure.
LETTRE de M. Borel , à M. Bourgelat.
LETTRE en réponte , de M. Bourgelat à M.
Borel.
ANATOMIE LÉGAL
LETTRE de M. Louis , Profeffeur Royal de
Chirurgie , à M. De la Place , Auteur du
Mercure de France .
ART. IV, BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AVIS de la Société des Conciliateurs , fur
le Mémoire de M. de Parcieux, pour con
duire l'Eau de l'Yvette à Paris.
CHIRURGIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
ARTS AGRÉABLES.
ART. V. SPECTACLES.
GRAVURE.
ACADÉMIE Royale de Mufique .
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne .
113
122
124
138
ISO
159
166
171
179
ibid.
CONCERT Spirituel.
SPECTACLES de la Cour à Compiègne,
ART. VI Monumens Publics .
180
187
188
i 190
216 MERCURE DE FRANCE.
DESCRIPTION des Tableaux expofés au Salon
du Louvre.
AVERTISSEMENT de M. de Voltaire
ART. VII. Nouvelles Politiques.
197
207
208
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis-à-vis la Comédie Françoife,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères